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Full text of "Bibliothèque de l'École pratique des hautes études. Section des sciences historiques et philologiques"

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UfilVOF 


llORARY 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/bibliothquedel176ecol 


INSTITUTION 


RELIGION    CHRESTIENNE 


MAÇON,  PROTAT  FRERES,  IMPRIMEURS. 


DONATION    Alphonse    PEYRAT 


Ce  volume,  divisé  en  deux  fascicides,  a  été  publié  avec  laide 
du  fonds  spécial  mis  à  la  disposition  de  l'Ecole  pratique  des 
Hautes  Etudes  par  Madame  la  marquise  Arconati  A'isgonti,  en 
mémoire  de  son  père  Alphonse  Peyrat. 


JEAN     CALVIN 


INSTITUTION 

D  K     L  A 

RELIGION  CHHESTIENNE 

TEXTE 

r>E 
LA    PREMIÈRE    ÉDITIOX    FRANÇAISE 

réinipiimé  sous  la  direclion 
(le 

Ahf.i.    LEPHANC 

Pi-otVssciii-  au  C')llcf;e  de  France 
Diiecteur-acljoint  à  l'École  pratique  des  Hautes  Etudes 


PAU 

HtNiu  chati:lai\ 

r.T 

Jaca-uks    PAXMEH 

Af;régé,  Hoeleur  es  lettres 

Pasteur 

Professeur  à  l'Université  lie  Birminxliam 

Licencié  es  lettres 

I*f('inioi'   fusciciile. 

Intruduction  par  Abel  Lkeranc. 
Préface   et  texte  de  l'Institution  jusqu'à  la  pa^c  432. 


\^ 


PARIS 
LIBRAIRIE   HONORÉ   CHAMPION,   ÉDITEUR 

O,    QUAI    MALAnl  Aïs,    O 

1911 

Tous  droits  réserves. 
Cet  ouvrage  torme  le  176'  fascicule  de  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Hautes   Etudes 


K' 


BIBLIOTHÈQUE 

DF    I.'KCOMÎ 


DES  HAUTES  ÉTUDES 

PT'RrTFF   -^nt's   r.FS   auspices 

Dr  MiMsiKHi-:  1)1-:  i/insthl  trrioN  imMi.igrE 


SCIKNCES   HISTOHIQUKS    l.T   PHILOLOGIQUES 


CENT    SOIXANTE -SEIZIÈME    FASCICULE 

INSTITUTION    DK    I.A    KRI.U.ION    CIIRI'.STIKNNE    DH    CAI>V1> 
Texte  orij;inal  de   lôll   réiniprinié  sous  la  directidii 

DE 

Ahel  li- franc: 

l'A  U 

Henri  CHATKLAI.N  n  Jacques  PANNIER 


l^roinicr  /uscirule. 


Introduction  par  Abc!  Lefranc. 
Préface  et  Texte  de  l'Institution  jusqu'à  la   page  432. 


PARIS 
LIBRAIRIE    HONORE    CHAMPION,     ÉDITEUR 

5  ,      QUAI      11  A  L  A  (J  U  A  I  S 

1911 

Tous  droits  réservi's. 


A\^ 


INTRODUCTION 


Depuis  bientôt  ([uatre  siècles,  la  voix  unanime  de  la  postérité 
a  consacré  le  texte  français  de  Y  Institution  chrétienne  comme 
l'un  des  plus  nobles  et  des  plus  parfaits  chefs-d'œuvre  de  notre 
littérature.  Le  livre  de  Calvin  demeure,  avec  celui  de  Rabelais, 
comme  un  monument  incomparable  de  la  langue  nationale  pen- 
dant la  première  partie  du  wi"  siècle,  et  c  est  avec  raison  que  les 
meilleurs,  parmi  les  critiques  et  les  historiens  littéraires  de  notre 
temps,  ont  reconnu  au  puissant  écrivain  picard  et  à  son  célèbre 
ouvrage,  «  le  premier  de  nos  livres  que  l'on  puisse  appeler  clas- 
sique »,  la  gloire  certaine  d'avoir  créé  l'éloquence  française.  Il 
n'existe  aucune  production  antérieure  qui  puisse  lui  être  com- 
parée, et  l'on  peut  alïirmer,  d'autre  part,  qu'il  est  nécessaire  de 
descendre  jusqu'à  la  seconde  moitié  du  xvii''  siècle,  c'est-à-dire 
jusqu'à  Pascal  et  Bossuet,  pour  rencontrer  une  prose  littéraire 
aussi  ample,  aussi  grave,  une  armature  aussi  fortement  ordonnée 
et  logique  et  peut-être  même  une  langue  aussi  émouvante,  mises 
au  service  des  problèmes  les  plus  élevés  de  la  philosophie  mo- 
rale et  religieuse.  Nul  doute  que  la  philosophie  sociale  elle- 
même,  cette  belle  création  des  temps  modernes,  puisse  en  partie 
découvrir  ses  origines  dans  les  derniers  chapiti'es  de  \  Institution 
(texte  de  loil)  qui  s'appellent  :  «  de  la  liberté  chrétienne;  de  la 
puissance  ecclésiastique  ;  du  gouvernement  civil  et  de  la  vie  chré- 
tienne »,  pendant  que  l'éloquence  politique  française  revendique 
à  bon  droit  son  premier  et  authentique  modèle  dans  l'immortelle 
épître  au  roi  François  P"".  Après  cela,  est-il  téméraire  de  deman- 
der si  l'on  trouverait  dans  toute  notre  littérature  une  œuvre  qui 
puisse,  par  l'étendue  des  proportions,  la  liaison  de  ses  parties, 
autant  que  par  l'unité  et  la  grandeur  du  plan,  être  comparée  à 
celle  de  Calvin  ?  Que  l'on  cherche  bien  et  l'on  constatera  que 
le  Réformateur  français  a  réalisé  une  construction  unique  en 
son  genre,  qu'aucune  autre,  depuis,  n'a  égalée^  en  ce  qui  touche 
Institution.  a 


2*  INTRODUCTION 

lampleur  du  dessein,  la  clarté  et  l'enchaînement  des  divisions, 
et  je  ne  sais  quelle  passion  intérieure  qui  anime  d'un  bout  à 
l'autre  ce  vaste  exposé,  au  point  d'en  faire  comme  un  véri- 
table drame,  comme  une  tragédie  grandiose  dont  Ihomme  et 
son  salut  éternel  fournissent  le  pathétique  sujet.  La  connais- 
sance de  Dieu,  sa  grandeur,  et  par  contraste,  la  misère  morale 
de  l'homme  corrompu  par  le  péché  d'Adam  :  voilà  l'expo- 
sition ;  la  rédemption  par  Jésus-Christ  constitue,  si  l'on  peut 
dire,  l'intrigue;  la  grâce,  la  foi,  et  l'élection  éternelle  forment  le 
nœud  :  enfin  l'exposé  du  rôle  de  l'Eglise  et  «  des  moyens  exté- 
rieurs dont  Dieu  se  sert  pour  nous  convier  à  son  Fils  et  nous 
retenir  en  lui  »  amène  le  dénouement  naturel  de  ce  drame  extra- 
ordinaire, divin  et  humain  tout  ensemble,  qui  se  découvre  sous  la 
trame  de  V Institution. 

Mais  le  grand  ouvrage  de  Calvin  n'apparaît  pas  seulement 
comme  un  monument  essentiel  et  tout  à  fait  à  part  de  notre  litté- 
rature, on  doit  reconnaître  par  ailleurs  qu'il  domine  et  résume 
toute  l'activité  intellectuelle  et  religieuse  du  Réformateur  :  si 
Calvin  n'avait  pas  composé  son  Institution,  il  ne  serait  pas  ce  qu'il 
fut.  Pendant  trente  ans,  toutes  ses  pensées  tournèrent  autour  de 
ce  livre  ;  il  le  remania  sans  cesse,  modifiant  la  disposition  des 
matières  et  ce  qu'on  peut  appeler  l'architecture  extérieure,  mais 
non  point  la  doctrine  ni  les  idées  fondamentales.  Si  son  œuvre 
française,  contrairement  à  une  affirmation  récente',  constitue 
beaucoup  plus  qu'une  petite  portion  de  son  œuvre  parlée  et  écrite, 
elle  en  représente  sûrement  aussi  la  partie  la  plus  significative.  On 
peut  donc  soutenir,  dans  ce  sens,  que  l'Institution  chrétienne,  à 
elle  seule,  c'est  presque  le  Réformateur  tout  entier  '.  c  Aussi,  dans 
l'œuvre  entière  de  Calvin,  ne  trouverait-on  pas  une  seule  idée  qui 
ne  se  rapporte  à  ce  livre,  comme  à  son  centre  d'attraction.  Ni  contre 
les  Anabaptistes,  ni  contre  les  Libertins,  ni  contre  les  Nicodé- 
mites,  il  n'a  rien  écrit  qui  ne  fût  en  germe  ou  en  puissance  dans 
l'Institution  chrétienne;  et  ses  Sermons  sur  la  Genèse,  ou  sur  le 
Deutérononie,  ou  sur  les  Psaumes  ne  sont,  en  vérité,  que  le  récit 
des  «  expériences  »  bibliques  sur  lesquelles  il  a  fondé  sa  doctrine. 
Il  n'y  a  pas  jusqu'à  sa  Correspondance,  française  ou  latine,  dont 
le    principal  intérêt   ne   soit   d'éclairer,    par  les   renseignements 

1.  F.  Brunelière,  Hist.  de  la  litt.  fr.  clussiqiie,  I,  p.  223-226. 

2.  Ibid 


LES    ORIGINES    DE    L  INSTITUTION  3* 

dont  elle  abonde,  quelques  points  douteux,  ou  pour  mieux  dire, 
quelques  intentions  de  Y  Institution  chrétienne  ;  et  sa  personna- 
lité même,  son  caractère,  le  fond  de  sa  pensée  ne  s'y  révèlent 
point  avec  plus  d'évidence  que  dans  ce  livre  capital.  Homo  unius 
libri!  Pour  connaître  Calvin,  on  n'a  besoin  que  de  l'Institution 
chrétienne;  et  son  œuvre  française,  en  ce  sens,  est  plus  qu'une 
partie  de  son  œuvre  littéraire  :  elle  est  vraiment  cette  œuvre 
entière.  » 


I 

Les  origines  de  V  «  Institution  chrétienne  ». 

Ce  fut  à  Bàle,  dans  le  courant  du  mois  de  mars  lo3(i,  que 
Jean  Calvin,  alors  âgé  de  vingt-six  ans,  publia  en  latin  la  pre- 
mière édition  de  l'œuvre  qui,  sans  cesse  reprise  et  développée 
par  lui  pendant  un  quart  de  siècle,  devait  demeurer  comme  le 
monument  par  excellence  de  sa  foi  religieuse  en  même  temps  que 
de  son  génie  littéraire.  Avant  lui,  certes,  plusieurs  théologiens  pro- 
testants avaient  songé  à  offrir  à  leurs  coreligionnaires  des  manuels 
de  la  nouvelle  foi  :  les  Loci  communes  rerum  theologicarum  de 
Mélanchthon  avaient  vu  le  jour  dès  1521 ,  le  Commentarius  de  vera 
et  fnlsa  reli<jione  de  Zwingli,  en  lo2o,  la  Summaire  brie fve  décla- 
ration dauscuns  lieux  fort  nécessaires  à  ung  chrcsfien  de  Guil- 
laume Farel  i,  avant  1533,  sans  parler  du  grand  et  du  petit  Caté- 
chisme de  Luther,  mais  aucun  de  ces  essais  n'atteignit  à  la  popu- 
larité qu'allait  conquérir  l'Institution.  Ce  livre,  appelé  à  exercer, 
dès  son  apparition,  une  action  si  profonde,  sans  seconde  dans  l'his- 
toire de  la  Réforme,  avait  été  commencé,  selon  toute  vraisem- 
blance, à  Angoulême,  en  1531.  Arrivé  à  Bâle  au  début  de  l'année 
suivante,  le  futur  Réformateur,  caché  sous  le  nom  de  Lucanms, 
acheva  assez  rapidement  la  composition  de  son  traité  qui  parut 
seulement  l'année  suivante,  en  raison  de  nombreux  retards  de 
l'imprimeur.  C'était  un  petit  octavo  de  520  pages  '',  avec  vingt- 

d.   Il  fut  suivi  de   la  Brevis  et  clara  fïdei  expositioad  Reyem  Cfiristianum, 
mais  cet  opuscule  ne  fut  publié  qu'en  1536. 

2,  En  voici  le  titre  complet  :  Christianae  Religionis  Instiliitio,  tolam  fere 


4*  INTRODUCTION 

quatre  lignes  à  la  page,  susceptible  de  se  porter  aisément  dans 
la  poche.  L'auteur  déclarait  du  reste  que  son  livret  ihic  nos- 
ter  Uhellus)  avait  été  rédigé  avec  une  concision  voulue  :  i<  Je 
m'exprimerai  en  très  peu  de  mots,  disait-il  en  commençant, 
de  peur  que  ce  petit  ouvrage,  que  je  veux  réduire  à  la  brièveté 
d'un  manuel,  ne  s'étende  d'une  façon  démesurée.  »  Quelles 
étaient  donc  les  circonstances  récentes  et  aussi  les  motifs  d'ordre 
général  qui  avaient  amené  le  jeune  protestant  de  Noyon,  l'étu- 
diant d'hier,  fugitif  et  encore  si  obscur,  à  risquer  une  entreprise 
de  si  haute  portée  ?  Il  est  assez  aisé  de  les  reconstituer. 

Quelques  mois  auparavant,  le  I"'  février  io3o,  le  roi  de  France 
avait  adressé  aux  Etats  de  l'Empire  un  mémoire  '  dans  lequel  il 
se  justitîait  des  accusations  répandues  par  ses  ennemis,  en  Alle- 
magne. François  I""  proteste  contre  la  rumeur  propagée  en  pays 
germanique,  d'après  laquelle  les  envoyés  du  sultan  Soliman  sont 
très  favorablement  accueillis  en  France,  dans  le  temps  même  où 
les  Allemands  y  sont  indistinctement  emprisonnés  et  mis  à  mort 
pour  otfense  à  la  religion.  Ce  n'est  point,  assure-t-il,  contre  les 
Allemands  qu'il  a  fallu  sévir,  mais  contre  certains  séditieux  qui  se 
proposaient  de  bouleverser  la  société,  et  dont  les  pareils,  s  ils 
existaient  jamais  dans  les  Etats  delEmpire,  seraient  assurément 
pour  ceux-ci  un  objet  d'horreur.  Aucun  Allemand  n'a  perdu  la 
liberté  ou  la  vie  ;  tous  les  hommes  de  cette  nation  jouissent  dans 
le  royaume  des  mêmes  avantages  que  les  Français.  En  somme, 
dans  ces  pages  destinées  à  une  grande  diffusion.  François  F'"" 
représentait  les  protestants  de  ses  Etats  comme  des   fous,   des 


pietalis  suniinam,  et  quicquiJ  est  in  doctrina  salulis  cognitu  necessariuin, 
complectens  :  omnibus  pietatis  studiosis  lectii  dignissimum  opiis,  ac  recens 
ediium.  Praefalio  ad  christianissiniuni  Regem  Franciae,  qua  hic  ei  liber  pro 
confessione  fidei  offerlur.  loanne  Calvino  Noviodonensi  autore.  Basileae. 
MDXXXVI.  A  la  fin  du  volume  se  trouvent  l'indication  des  imprimeurs  et  la 
date  exacte  du  volume  :  Basileae,  per  Thomam  Plalleriun  et  Balthasarem 
Lasium,  inense  Martio,  anno  lo36.  La  préface,  écrite  après  le  livre,  est  datée 
du  23  août  1535.  La  date  du  l''''  août  1536  que  portent  certaines  éditions 
résulte  d'une  erreur.  L'éditeur  qui  soutenait  les  imprimeurs  Thomas  Flat- 
ter et  Balthasar  Lasius  n'était  autre  que  Jean  Oporin.  Les  dimensions  du 
volume  étaient  d'environ  15  centimètres  et  demi  sur  10.  —  Voy.  Ilermin- 
jard,  Correspondance  des  Réformateurs  dans  les  pays  de  langue  française, 
IV,  p.  23,  note  9. 

1.  Ilerminjurd,  t.  111,  p.  249-254. 


LES    ORIGINES    DE    L'iNSTlTUTION  5* 

furieux,  furiosos  ma(/is  quani  amenées,  excités  «  par  rennemi 
de  la  vérité  et  du  repos,  par  le  père  des  discussions  et  du 
mensong'e  ».  Les  hérétiques  français  se  voyaient  dénoncés  de 
la  sorte  comme  de  dangereux  révolutionnaires  et  assimilés  du 
même  coup  aux  bandes  anabaptistes  de  Mûnzer  dont  les  excès 
avaient  laissé  un  souvenir  si  épouvantable.  Nulle  accusation  ne 
pouvait  être,  à  leur  égard,  plus  grosse  de  périls.  Ce  rôle  de  sédi- 
tieux universels  qui  leur  était  attribué  risquait  d'écarter  d'eux 
les  sympathies  qui  commençaient  à  leur  venir  d'Allemagne  et 
d'ailleurs,  en  les  transformant  en  ennemis  publics,  indignes  de 
toute  pitié. 

Ainsi  se  produisit  l'émouvante  conjoncture  qui  décida  Calvin 
à  hâter  l'achèvement  de  son  ouvrage  et  à  le  faire  précéder  de 
l'admirable  épître  à  l'aide  de  laquelle  il  espérait  ramener  Fran- 
çois I'''  à  des  dispositions  plus  bienveillantes,  tout  en  révélant 
au  grand  public  le  caractère  véritable  des  réformés  français, 
odieusement  travestis  en  malfaiteurs.  Le  danger  qu'il  s'agissait 
de  détourner  était  redoutable  pour  ces  derniers.  Une  fois  iso- 
lés et  abandonnés  par  l'opinion  européenne,  rien  ne  pourrait 
plus  conjurer  leur  écrasement.  Avec  cette  claivoyance  supérieure 
qui  devait  faire  de  lui,  à  trente  ans,  un  chef  et  un  conducteur 
d'âmes,  le  jeune  Réformateur  dénonça  le  péril  imminent  ;  il  se  fit 
hardiment  le  porte-parole  de  ses  coreligionnaires  calomniés,  et, 
première  belle  victoire  de  l'éloquence  moderne,  réduisit  à  néant 
les  accusations  qui  devaient  ravir  aux  persécutés  leurs  alliés  natu- 
rels en  même  temps  que  l'estime  universelle. 

Tel  fut  le  fait  qui  détermina  l'achèvement,  puis  l'apparition  de 
l'Institution  chrétienne.  Mais  il  n'était  lui-même  qu'un  épisode 
de  la  lutte  poignante  qui  s'était  engagée  depuis  l'affaire  mémo- 
rable des  Placards.  Ces  fameuses  affiches  clandestines  qui  déchaî- 
nèrent la  persécution  contre  les  jjrotestants,  supprimant  toutes 
les  velléités  favorables  du  gouvernement  royal,  sont  du  18  octobre 
1534  ;  les  édits  ordonnant  ces  poursuites  et  la  procession  expia- 
toire datent  du  2o  et  du  29  janvier  lo35  ;  la  lettre  de  François  1''' 
aux  Etats  de  l'Empire  fut  publiée,  comme  on  vient  de  le  voir,  le 
!•''■  février  suivant.  Pour  comprendre  toute  la  signification  de 
l'attitude  du  Père  des  Lettres  dans  cette  circonstance,  il  faut 
tenir  compte  de  l'histoire  des  négociations  qu'il  poursuivit 
durant  toute  cette  période  avec  les  princes   protestants  d'Aile- 


6*  I.NTUODLCTION 

magne,  au  point  de  vue  d'une  entente  politique,  et  avec  plusieurs 
réformés  notoires  du  même  pays,  avec  Mélanchthon  surtout  et 
avec  Bucer,  dans  le  sens  de  la  concorde  religieuse,  par  l'inter- 
médiaire de  lévèque  de  Paris,  Jean  du  Bellay,  bientôt  cardinal, 
et  de  Guillaume,  son  frère,  seigneur  de  Langey, 

Même  après  les  édits  du  2o  et  du  29  janvier,  ces  deux  hommes 
supérieurs,  en  rappelant  à  François  I*""  ses  grands  desseins  de 
politique  extérieure  en  Allemagne  et  les  tentatives  de  rapproche- 
ment entreprises  avec  certains  Réformateurs,  parmi  les  plus  en 
vue,  réussirent  à  contre-balancer  pendant  quelque  temps  encore 
l'action  du  parti  catholico-espagnol  et  à  ramener  l'esprit  du  roi 
à  une  notion  plus  juste  de  la  réalité. 

Chose  singulière  et  qui  montre  bien  la  complexité  de  tous  les 
problèmes  d'ordre  religieux  ou  politique  qui  s'agitaient  alors  en 
Allemagne  aussi  bien  qu'en  France,  ce  fut  Guillaume  du  Bellay 
lui-même,  ce  cœur  si  noble  et  si  généreux,  qui.  rédigea  le  texte 
de  la  lettre  du  l*"'"  février  aux  princes  et  Ailles  impériales  d'Alle- 
magne, interprétée  aussitôt  comme  la  manœuvre  la  plus  nuisible 
à  leurs  intérêts  par  les  Réformés  français  et  en  particulier  par 
Calvin.  Le  désir  d'arriver  du  côté  allemand  à  une  conciliation 
religieuse  en  même  temps  qu'à  une  alliance  politique  avait  en 
quelque  sorte  trompé  son  jugement  de  diplomate,  et  il  dut  être 
le  premier  surpris  de  l'émotion  soulevée  par  le  mémoire  royal. 
Langey  était  alors  si  connu  pour  ses  sympathies  à  l'égard  de  la 
Réforme  que  le  bruit  de  son  incarcération  avait  couru  en  Alle- 
magne au  même  moment.  Ce  fut  donc  pour  tranquilliser  les  Etats 
de  l'Empire  que  le  grand  capitaine  pria  François  F""  de  leur 
envoyer  la  lettre  où  le  monarque  essayait  de  se  disculper  de 
toutes  les  imputations  que  les  Impériaux  répandaient  sur  son 
compte  en  pays  germanique.  Cette  lettre  dont,  je  le  répète,  la 
diffusion  fut  très  grande,  «  assurait  la  continuité  de  la  politique 
royale  en  Allemagne  »>  :  elle  devait,  dans  la  pensée  du  souverain 
et  de  ses  conseillers,  rassurer  les  partisans  de  la  cause  de  la 
conciliation  des  Eglises  catholique  et  protestante  et  les  engager  à 
persévérer  '.  Pendant  que  la  persécution  continuait  en  France  à 


1.  On  doit  consulter  pour  toute  cette  histoire  le  solide  travail  de 
V.-L.  Bourrilly  et  N.  Weiss,  Jenn  du  Bellay,  les  Protestants  et  la  Sorbnnne 
[tirage  à  part  du  Bull,  delà  Soc.  de  l'hiat.  du  protest,  français,  années  1903 


Li:s    ORIGINES    DE    L  LNSTITLTION  7 

l'égard  des  hérétiques  (février  et  mois  suivants  de  1535),  Fran- 
çois P"",  par  l'intermédiaire  de  Barnabe  de  Voré,  sieur  de  la  Fosse, 
et  de  Sturm,  faisait  pressentir,  en  mars,  Mélanchthon  et  Bucer, 
dans  le  but  de  décider  le  premier  à  venir  en  France. 

On  voit  par  une  lettre  de  Jean  Sturm,  écrite  de  Paris,  à  Bucer, 
le  40  mars  lo3o,  que  les  Réformés  espéraient  encore  à  cette  date 
en  un  revirement  favorable  du  roi,  «  Jamais,  dit-il,  je  n'ai  mieux 
compris  ce  mot  des  saintes  Ecritures  :  le  cœur  du  roi  est  dans  la 
main  de  Dieu,  que  par  le  temps  qui  court,  car  au  milieu  des 
bûchers  il  songe  à  une  réforme  de  l'Eglise...  Si  vous  voyiez  ces 
emprisonnements,  ces  tortures,  ces  bûchers  et  ces  larmes,  vous 
sentiriez  vous-même  que  ce  n'est  pas  en  vain  que  j'insiste  sur  la 
nécessité  de  votre  voyage  et  de  celui  de  Mélanchthon.  11  faut 
absolument  un  remède  à  ces  dangers  imminents,  car  les  adver- 
saires assiègent  et  importunent  le  roi  dont  l'esprit  flotte  encore 
dans  l'incertitude.  En  effet,  peut-on  s'imaginer  des  choses  plus 
contraires  que  la  condamnation  à  mort  de  ceux  qui  professent 
l'Evangile  et  l'exil  de  Bède,  leur  plus  grand  adversaire?  Avant- 
hier,  ce  dernier  a  été  obligé  de  crier  merci,  publiquement  et 
pieds  nus,  à  Dieu  et  au  roi,  pour  ce  qu'il  avait  écrit  contre  lui 
contrairement  à  la  vérité.  Après-demain,  im  autre  théologien  de 
la  même  sorte  subira  la  même  peine.  Tout  ceci  me  fait  espérer 
encore  que  ce  n'est  pas  tant  la  volonté  du  roi  que  l'effet  du  rap- 
port calomnieux  qu'on  lui  fait,  qui  met  les  fidèles  en  de  tels  dan- 
gers. On  ne  fait  aucune  distinction  entre  Erasmiens,  Luthériens 
et  Anabaptistes.  Tous,  indistinctement,  sont  arrêtés  et  menés  en 
prison  ;  il  n'y  a  de  sûreté  que  pour  les  papistes.  Je  crois  que  le 
roi  serait  disposé  à  faire  une  distinction  entre  les  séditieux  et 
ceux  qui  ne  professent  point  la  doctrine  reçue,  relativement  à 
l'Eucharistie.  Faites  donc  tous  vos  efforts  pour  délivrer  des  pri- 
sons et  pour  arracher  aux  bûchers  tous  ceux  dont  la  vie  est 
menacée  parce  qu'ils  professent  la  même  doctrine  que  vous. 
Certes,  tous  ne  sont  pas  également  coupables,  mais  on  a  confondu 
à  dessein,  en  un  même  procès,  la  cause  des  fidèles  et  celle  des 
séditieux.  Je  vous  conjure  donc,  par  ces  flammes  que  nous  sommes 
forcés  de  voir  s'allumer  tous  les  jours,  par  le  deuil  de  tous  les 

et  1904)  et  V.-L.  Bourrilly,  Guillaume  du  Bellay  (Paris,  190.-i,  8"  ,  livre  III. 
Beaucoup  de  textes  sont  fournis  par  Herminjard,  t.  IIL 


8*  INTRODUCTION 

g^ens  de  bien,  par  la  gloire  du  Christ  et  de  son  saint  nom,  de 
prendre  pitié  de  nous  et  de  faire  votre  possible  pour  éloigner  cette 
épée  de  Damoclès  qui  menace  notre  tête  K  » 

Vers  la  même  époque,  une  autre  épître  de  BuUing-er  à  Bucer, 
datée  du  28  mars  ly.Sri,  contenait  ceci  :  «.  Vous  nig-norez  pas  ce 
que  le  roi  a  écrit  aux  princes  allemands.  On  soupçonne  Guil- 
laume du  Bellay  d'être  l'auteur  de  cette  apologie.  Mais  ce  qui 
met  le  comble  à  l'impudence,  à  la  perversité  souverainement 
indigne  de  la  majesté  royale,  c'est  que  ce  prince  a  publié  en 
même  temps,  en  français,  un  édit  par  lequel  il  proscrit  nommé- 
ment les  Luthériens.  Une  copie  de  cette  pièce  a  été  communi- 
quée à  nos  seigneurs  pour  leur  faire  toucher  du  doigt  cette  con- 
tradiction infâme  et  mensongère.  L'apologie  latine,  il  l'envoie 
aux  princes  allemands,  l'édit  français  aux  ennemis  de  notre  reli- 
o'ion,  et  voilà  comment  il  chevauche  sur  deux  selles"-.  » 

Le  23  juin,  le  souverain  écrivait  à  Mélanchthon  pour  inviter  offi- 
ciellement le  célèbre  réformateur  à  se  rendre  dans  son  ro^^aume. 
Jean  du  Bellay  unissait  ses  instances  à  celles  du  roi  et  se  pro- 
mettait les  plus  heureux  résultats  de  ce  voyage. 

Mais  la  Sorbonne  refusa  de  discuter  oralement  et  en  public 
avec  les  réformateurs  allemands  et,  d'autre  part,  l'électeur  de 
Saxe  ne  permit  point  a  Mélanchthon  de  se  rendre  à  l'invitation 
royale.  Une  occasion  unique  de  tenter  un  essai  de  concorde  s'éva- 
nouit par  suite  de  cet  échec.  ((  S'il  est  vrai,  observent  deux  his- 
toriens judicieux,  que  jusqu'en  1538  jusqu'à  l'entrevue  de  Nice, 
François  L'',  bien  qu'il  y  inclinât,  ne  soit  pas  tombé  irrévocable- 
ment et  sans  retour  dans  le  parti  de  la  réaction,  il  est  non  moins 
vrai  qu'à  partir  de  io3o  il  n'y  avait  plus  autour  du  roi  un  groupe 
assez  nombreux,  assez  cohérent,  assez  uni  pour  essayer  de  le 
ramener  à  ses  vues.  Le  divorce  entre  les  humanistes  et  les  nova- 
teurs religieux,  entre  les  adeptes  de  la  Renaissance  des  Belles- 
Lettres  seules  et  les  partisans  de  la  Réforme  religieuse  se  pro- 
duit et  va  s'accentuant  de  plus  en  plus  ^.  »  11  fallait  une  ligne  de 
démarcation  :  ce  fut  Calvin  qui  se  chargea  de  la  tracer  devant  le 
monde  chrétien,  attentif  et  surpris. 

1.  Herrainjard,  Corresp.  des  Réfoivn.,  III,  271  et  suiv.  Vov.  encore  ihid., 
306  et  362. 

2.  Corpus  Reforniatorum.  Calvini  Opéra,  III.  p.  xix. 

3.  Bourrilly  et  Weiss,  op.  cit.,  p.  113-H4.  Voy.  aussi  Hauser,  Etudes 
sur  la  Réforme  française  (Paris,  1909,  in-12),  p.  42  cl  suiv. 


II 

But  ef  plan  do  T  ((  Institution  »  do  1oS6. 

Voilà  ce  que  l'on  peut  apprendre  touchant  la  cause  occasion- 
nelle de  la  publication  de  lo36.  Mais  il  est  bien  évident  que  le 
premier  l)ut  du  Réformateur  français,  celui  qui  l'avait  incité  à 
entreprendre  précédemment  son  livre,  était  d'un  ordre  plus  géné- 
ral. Il  s  agissait  essentiellement  de  mettre  en  lumière  l'enseifirne- 
ment  scripturaire  et  d'expliquer  aux  fidèles  la  doctrine  des  Livres 
saints.  Le  jeune  réformé  se  constituait  comme  l'interprète  de  la 
parole  de  Dieu.  D'après  sa  propre  déclaration,  les  Ecritures  con- 
tiennent une  doctrine  parfaite  à  laquelle  on  ne  peut  rien  ajouter; 
toutefois,  à  son  sens,  une  personne  qui  ne  sera  pas  fort  exercée 
à  son  étude,  a  bon  besoin  de  quelque  conduite  et  direction  pour 
savoir  ce  qu'elle  y  doit  chercher.  Or,  cela  ne  se  peut  mieux  faire 
qu'en  traitant  les  matières  principales  et  de  conséquence,  les- 
quelles sont  comprises  en  la  Philosophie  chrétienne.  Car  celui 
qui  en  aura  l'intelligence  sera  préparé  à  profiter  en  l'école  de 
Dieu  en  un  jour,  plus  qu'un  autre  en  trois  mois.  C'est  à  cette 
fin  qu'il  a  composé  l'Institution  chrétienne. 

Continuons  notre  enquête  sur  les  origines  de  ce  livre  et 
appelons-en  au  témoignage  de  l'auteur  lui-même.  Au  moment 
où  il  entreprit  la  rédaction  de  son  œuvre,  très  probablement 
en  France,  le  futur  Réformateur  ne  songeait  point  à  s'adresser 
au  roi  ;  il  voulait  seulement  écrire  un  livre  de  piété  pour  les 
Français.  C'est  dans  ce  dessein,  déclare-t-il,  qu'il  accommoda  la 
première  Institution  à  la  plus  simple  forme  d'enseigner  qu'il  lui 
fût  possible  de  réaliser.  Mais  "  la  fureur  d'aucuns  iniques  » 
s'étant  élevée,  il  lui  parut  expédient,  dit-il  au  roi,  de  faire  servir 
ce  présent  livre,  «  tant  d'instruction  à  ceux,  que  premièrement 
j'avoye  délibéré  d'enseigner,  que  aussi  de  confession  de  foy  envers 
toy  :  dont  tu  congnoisses  quelle  est  la  doctrine,  contre  laquelle, 
d'une  telle  rage,  furieusement  sont  enflambez  ceux  qui  par  feu 
et  par  glaive  troublent  aujourd'huy  ton  Royaume  ». 

Ecoutons  maintenant  la  déclaration  décisive  de  la  Préface  mise 
par  Calvin  en  tête  de  son  Commentaire  sur  les  Psaumes,  publié  en 


10*  IKTRODLCÏIO> 

io58  :  «  ...Cependant  que  je  demeuroye  à  Basle-,  estant  là  comme 
caché  et  cognu  de  peu  de  gens,  on  brusla  en  France  plusieurs 
fidèles  et  saincts  personnages,  et...  le  bruit  en  estant  venu  aux 
nations  estranges,  ces  bruslemens  furent  trouvez  fort  mauvais 
par  une  grande  partie  des  Allemans,  tellement  qu'ils  conceurent 
un  despit  contre  les  autheurs  de  telle  tyrannie  :  pour  lappaiser 
on  feit  courir  certains  petits  livres  mal-heureux  et  pleins  de 
mensonges,  qu'on  ne  traitoit  ainsi  cruellement  autres  qu'anabap- 
tistes et  gens  séditieux,  qui  par  leurs  resveries  et  fausses  opi- 
nions renversoyent  non  seulement  la  religion,  mais  aussi  tout 
ordre  politique.  Lors  moy,  voyant  que  ces  prattiqueurs  de  Cours 
par  leurs  desguisemens  taschoyent  de  faire  non  seulement  que 
l'indignité  de  ceste  effusion  du  sang  innocent  demeurast  ensevelie 
par  les  faux  blasmes  et  calomnies  desquelles  ils  chargeoyent 
les  saincts  martyrs  après  leur  mort,  mais  aussi  que  par  après  il 
y  eust  moyen  de  procéder  à  toute  extrémité  de  meurtrir  les 
povres  fidèles,  sans  que  personne  en  peust  avoir  compassion,  il 
me  sembla  que  sinon  que  je  m'y  opposasse  vertueusement,  en 
tant  qu'en  moy  estoit,  je  ne  pouvoye  m'excuser  qu'en  me  taisant 
je  ne  fusse  trouvé  lasche  et  desloyal.  Et  ce  fut  la  cause  qui  m'in- 
cita à  publier  mon  Institution  de  la  religion  chrétienne  :  premiè- 
rement à  fin  de  respondre  à  ces  meschans  blà^smes  que  les  autres 
semoyent,  et  en  purger  mes  frères,  desquels  la  mort  estoit  pré- 
cieuse en  la  présence  du  Seigneur  :  puis  après  afin  que  d'autant 
que  les  mesmes  cruautez  pouvoyent  bien  tost  après  estre  exer- 
cées contre  beaucoup  de  povres  personnes,  les  nations  estranges 
fussent  pour  le  moins  touchées  de  quelque  compassion  et  solici- 
tude  pour  iceux.  Car  je  ne  mis  pas  lors  en  lumière  le  livre  tel 
qu'il  est  maintenant  copieux  et  de  grand  labeur,  mais  c'estoit 
seulement  un  petit  livret  [brève  enchirkiion)  contenant  sommai- 
rement les  principales  matières  :  et  non  à  autre  intention,  sinon 
afin  qu'on  fust  adverti  quelle  foye  tenoient  ceux  lesquels  je 
voyoye  que  ces  meschans  et  desloyaux  tlatteui's  dilTamoient 
vilenement  et  mal-heureusement  ^  » 

Ainsi,  donner  aux  fidèles  un  traité  de  Philosophie  chrétienne 
qui  distinguât  la  croyance  protestante  de  tout  ce  qui  n'était  pas 
elle,  et  en  même  temps  défendre  ces  mêmes  fidèles  en  prouvant  la 

1.   Corpus  Reforinatorum.  Calvini  Opéra,  t.  XXXT,  p.  24. 


1!LT    KT    PLAN    DE    l'iNSTITUTION  11* 

dignité  de  leur  caractère  et  la  légitimité  de  leur  foi,  tel  fut  fina- 
lement le  double  but  de  la  première  Institution.  L'un  dérivait  d'un 
dessein  prémédité,  l'autre  de  circonstances  qui  se  rattachaient  à 
la  politique  intérieure  et  extérieure  du  gouvernement  royal. 

Fait  remarquable,  qui  prouve  éloquemment  la  continuité  de  la 
pensée  religieuse  du  Réformateur  français  :  de  1536  à  1564,  date 
de  sa  mort,  la  doctrine  de  YInstitution  n'a  guère  changé.  «  De 
petite  ébauche  qu'il  avait  été  d'abord,  le  chef-d'œuvre  de  Calvin 
a  fini  par  devenir  un  gros  volume.  L'esquisse  toute  populaire  se 
changea  en  savant  système  et  pourtant  à  travers  toutes  ces 
métamorphoses,  qui  ne  laissèrent  pas  une  seule  page  absolument 
intacte,  l'idée,  la  conception  théologique  est  restée  la  même,  les 
principes  n'ont  pas  varié,  ^^ainement,  les  adversaires  aux  yeux 
desquels  le  changement  était  par  lui-même  la  plus  grave  erreur, 
se  sont-ils  efforcés  de  découvrir  des  variations  dans  la  doctrine 
enseignée  dans  ce  livre.  Calvin  a  ajouté,  développé,  précisé,  il 
n'a  rien  retranché  ni  rétracté.  Et  c'était  avant  d'avoir  accompli 
sa  vingt-sixième  année  qu'il  se  trouvait  en  possession  de  toutes 
les  vérités  génératrices  de  sa  théologie  ;  et  jamais  après,  durant 
une  vie  de  méditation  et  de  travail  d'esprit  incessant,  il  n'a 
trouvé  dans  son  œuvre,  ni  des  principes  à  renier,  ni  des  éléments 
à  changer  foncièrement  ^.  » 

Toutefois  déjà,  un  critique  averti  a  pu  noter  entre  le  texte  de 
1336  et  les  rédactions  suivantes  une  certaine  différence  d'allure 
qui  mérite  d'être  relevée  :  (*  Dans  la  première  Institution^  comme 
dans  le  catéchisme  qui  la  suivit,  on  trouve  un  exposé  du  calvi- 
nisme moins  dur,  moins  sombre,  moins  écrasant  que  lorsque  le 
temps,  la  réflexion,  la  contradiction,  l'inflexibilité  dogmatique, 
eurent  amené  à  sa  dernière  expression  cette  vaste  construction 
théologique,  plus  propre  à  "provoquer  l'admiration  des  penseurs 
qu'à  faire  naître  dans  les  âmes  les  sentiments  qu'inspirent  une 
foi  simple  et  une  piété  sympathique  -.  » 

Comme  on  l'a  fait  remarquer  avec  justesse,  Calvin  suit  l'an- 
cien ordre  d'instruction  religieuse  populaire  qui  avait  déjà  servi 
à  Luther  dans  son  ((  Petit  catéchisme  »  de  1529.  Il  adopte  l'ordre 
de  l'enseignement  élémentaire   que,   depuis  des  siècles,   chaque 


1.  Corpus  Reforniatoruin.  Cahini  Opéra,  t.  lïî,  p.  xi. 

2.  W.  Walker,  Jean  Calvin,  trad.  Weiss  (1909),  p.  146-14'; 


12*  INTRODUCTION 

enfant  chrétien  était  supposé  avoir  appris  par  cœur.  L'ouvrage 
est  divisé  en  six  chapitres.  L'auteur  traite  successivement  de  la 
Loi  telle  qu'elle  est  exposée  dans  les  Dix  commandements  (ch.  P'), 
de  la  Foi,  résuniée  dans  le  symbole  des  Apôtres  (II),  de  la  Prière, 
dont  rOraison  dominicale  fournit  le  type  parfait  (IIIi,  des  Sacre- 
ments du  baptême  et  de  la  Sainte-Cène  (IV).  Dans  le  chapitre  V, 
il  étudie  les  ((  faux  sacrements  »  que  l'enseignement  de  Rome  a 
ajoutés  aux  deux  primitifs;  enfin,  dans  le  dernier,  il  s'occupe  de  la 
((  Liberté  chrétienne,  du  Pouvoir  ecclésiastique  et  de  l'Adminis- 
tration civile  ».  Lue  telle  disposition  devait  être  traditionnelle- 
ment accessible  à  chacun  ;  d'autre  part,  pour  l'esprit  de  Calvin, 
formé  parla  culture  juridique,  elle  offrait  ce  grand  avantage  de  le 
mettre  à  même  de  fonder  son  exposé  sur  des  documents  acceptés 
par  l'immense  majorité  comme  empreints  d'une  autorité  indiscu- 
table. La  diffusion  de  l'œuvre  fut  rapide  ;  elle  dut  être  pour 
Calvin  im  singulier  encouragement.  Un  an  après  la  mise  en 
vente  de  l'ouvrage,  Oporin  pouvait  mander  à  l'auteur  qu'on  n'en 
trouvait  plus  d'exemplaires  à  Bâle,  et  qu'à  Francfort  il  en  restait 
à  peine  cinquante  de  l'envoi  considérable  qu'on  y  avait  fait  en 
vue  de  la  grande  foire  annuelle  (mars  1537). 


III 


L histoire  de  V  «  Institufion   »  après  1d36. 
Préparation  de  la  traduction  française. 


Un  texte,  auquel  on  n'a  pas  accordé  encore  toute  l'attention 
qu'il  mérite,  nous  renseigne,  d'une  manière  qui  semble  probante, 
sur  la  première  origine  de  la  traduction  française,  faite  par  Cal- 
vin, de  son  Institution.  Cette  origine  remonte  plus  haut  qu'on 
ne  le  pense  communément.  Dès  l'automne  de  1530,  au  moment 
même  où  commençait  à  se  fonder  son  autorité  spirituelle  sur 
Genève,  qu'il  habitait  depuis  le  mois  de  juillet,  après  un  dernier 
voyage  en  France,  Calvin  s'occupait  d'élaborer  cette  traduction. 
Le  fait  est  important  à  retenir  pour  l'histoire  littéraire  de  notre 
pays.  Quatre  ans  après  l'apparition  du  Pantagruel,  et  moins  de 
deux  après  celle  du  Gargantua,  le  jeune  Noyonnais  songeait  à 


l'histoire  de  l'institution  13* 

donner  en  français  une  œuvi*e  qui  eût  été,  à  sa  manière,  une 
aussi  grande  nouveauté.  Voici  le  document  qui  permet  de  l'éta- 
blir :  c'est  une  lettre  écrite  par  le  Réformateur,  le  13  octobre 
lo36,de  Lausanne,  à  François  Daniel,  d'Orléans^  Calvin  explique 
à  son  ami  comment  une  succession  de  circonstances  plus  ou  moins 
fortuites  Tont  amené  à  retarder  sa  lettre  jusqu'à  la  date  à  laquelle 
il  lui  écrit.  Il  songeait  à  correspondre  avec  lui  vers  la  fin  de  juil- 
let, en  profitant  de  l'occasion  fournie  par  la  foire  de  Lyon  qui 
se  tenait  du  4  au  19  août  '  ;  mais  pour  avoir  séjourné  à  Genève  et 
visité  quelques  églises  en  se  rendant  à  Bàle,  il  a  laissé  échapper 
cette  date  favorable-^.  Revenu  à  Genève,  vers  le  milieu  d'août, 
il  a  été  arrêté  dans  son  travail  une  dizaine  de  jours,  par  une  vio- 
lente indisposition  catarrhale.  A  la  suite  de  cette  alerte,  dont 
il  n'est  pas  encore  bien  remis,  il  a  recouvré  quelque  loisir  dont 
il  aurait  pu  profiter  pour  écrire  k  Orléans,  mais  il  s'occupait 
alors  activement  de  préparer  l'édition  française  de  son  livre  et  il 
avait  tout  lieu  d'espérer  de  joindre  cette  dernière  à  l'envoi  de  sa 
lettre  4. 

1.  Calvini  Opéra,  X,  2''  partie,  p.  03  et  suiv.,  et  Herrninjard,  IV,  p.  86  et 
suiv. 

2.  Ceux  qui,  de  rintérieur  de  la  Suisse,  voulaient  envoyer  leurs  lettres 
en  France,  les  remettaient  vers  la  fin  de  juillet  aux  marchands  qui  se  ren- 
daient à  Lyon  pour  la  foire  (Herrninjard). 

3.  On  ne  saurait  trop  insister  sur  l'importance  des  dates  des  grandes 
foires  de  Lyon  et  de  Francfort  en  ce  qui  touche  l'époque  de  publication  des 
livres  de  ce  temps  et  même  la  correspondance  entre  lettrés  (voy.  plus  bas 
p.  *16).  Nous  avons  eu  l'occasion  de  montrer  récemment  tout  le  parti 
qu'on  peut  tirer  des  foires  lyonnaises  pour  fixer  le  moment  de  l'apparition 
des  premiers  ouvrages  de  Rabelais.  On  trouvera  cité  dans  notre  article 
{Revue  des  Éludes  Rabelaisiennes,  1911,  l'^'"  fasc.)  :  Sur  les  dates  de  publica- 
tion du  Pantagruel,  un  texte  important  emprunté  à  Calvin  lui-même.  Il 
serait  aisé  de  multiplier  les  faits  de  ce  genre. 

4.  «  Post  amissam  illam  occasionem,  tametsi  ocii  satis  fuit  ad  scribendum, 
neque  penitus  clausa  erat  literis  nostris  via,  quia  lanien  simjulis  niomentis 
de  gallica  libelli  nostri  editione  cogitabamus,  et  spes  prope  certa  jam  esse 
cœperat,  literas  ejus  accessione  dotatas  venire  ad  vos  malebam  quara  ina- 
nes.  >)  Il  faut  comprendre  littéralement  :  «  parce  que  je  m'occupais  de  l'édition 
française  démon  livre  à  tous  mes  moments  de  loisir».  Libellus  est  le  terme 
dont  Calvin  se  sert  en  parlant  de  l'Institution  de  1536,  dans  cette  édition 
même  {Calviniopera,  I,  p.  loO)  :  «...ne  hic  noster  libellus,  quem  ad  enchiri- 
dii  brevitatem  exigere  volo,  in  immensum  extrahatur.  »  On  peut  être  assuré 
que,  dans  le  passage  de  sa  lettre  de  1536  à  Daniel  qui  vient  d'être  évoqué, 


14*  i:STR0DUCT10.N 

Il  est  infiniment  probable  que  Calvin  se  trouva  détourné  de  cette 
tâche  par  la  composition,  que  les  circonstances  durent  rendre  sans 
doute  plus  urgente,  de  son  Catéchisme  français^  formulaire  abrégé 
de  la  religion  chrétienne  destiné  aux  fidèles  qui  commencent  à 
s"en  instruire.  On  sait  que  ce  précieux  texte,  publié  pour  Téglise 
de  Genève  au  commencement  de  l'année  lo37,  n'a  été  retrouvé 
et  réimprimé  qu'en  1878.  En  réalité,  ce  catéchisme  était  un  résumé 
et  comme  la  quintessence  de  VInstilution  plutôt  qu'un  manuel 
vraiment  approprié  à  la  portée  des  jeunes  esprits  qu'il  s'agissait 
d'initier  à  la  connaissance  de  la  nouvelle  doctrine.  On  peut  le  con- 
sidérer comme  une  sorte  d'adaptation  française  du  premier  texte 
de  y  Institution.  Les  savants  éditeurs  modernes  de  ce  livret  ont 
remarqué  avec  raison  que  si  ÏInstruction  et  confession  de  foy 
dont  on  use  en  l'Eglise  de  Genève  paraît  construite  sur  le  plan  du 
grand  catéchisme  de  Luther,  c'est  que  Y  Institution  de  io36  elle- 
même  avait  déjà  adopté  ce  plan  et  que  l'Instruction  l'avait  suivie 
pas  à  pas.  «  Entre  les  deux  écrits  le  début  seul  diffère  ;  tout  le 
reste  de  l'abrégé  est  extrait  et  même,  dans  la  seconde  moitié,  tex- 
tuellement traduit  de  l'ouvrage  principal.  La  lin  de  l'un  et  de 
l'autre  se  rapporte  à  l'Eglise  et  à  l'Etat,  double  sujet  que  n'ont 
pas  abordé  les  catéchismes  de  Luther -»,  et  qui  nous  révèle  l'as- 
pect le  plus  original  du  génie  de  Calvin. 

Au  moment  de  Pâques  de  lo38,  Calvin  dut  quitter  Genève,  on 
siit  assez  pour  quelles  raisons,  et  se  retirer  à  Bàle  puis  à  Stras- 
bourg. On  n'a  pas  à  raconter  quels  événements  remplirent  la  vie 


le  Réformaleur  ne  vise  pas  l'édition  française  de  sa  Psychopannychia  qui  ne 
parut  qu'eu  1558  et  qui  n'est  pas  de  Calvin  lui-même.  La  première  édition 
latine  de  cet  opuscule  ne  parut  d'ailleurs  qu'en  l.")42.  Depuis  le  mois  de 
mars  1336,  date  de  l'apparition  àe\' Institution, ]v\i(\n  au  mois  d'août  suivant, 
époque  de  son  arrivée  à  Genève,  Calvin  avait  circulé  continuellement  ;  il 
avait  visité  Ferrare,  le  Val  d'Aoste,  Bâie  et  Paris.  Retrouvant  quelque  tran- 
quillité, pour  la  première  fois,  à  Genève,  après  sa  maladie,  en  août,  il  est 
tout  naturel  qu'il  se  soit  occupé  de  traduire  le  livre  qui  venait  d'avoir  un 
si  vif  succès. 

1.  Le  cati'cliisnie  français  de  (Calvin  publié  en  I '631 ,  réimprimé  pour  la 
première  fois  d'après  un  exemplaire  nouvellement  retrouvé  et  suivi  de  la 
plus  ancienne  confession  de  foi  de  l'Église  de  Genève,  avec  deux  notices,  par 
Albert  Rilliet  et  Théophile  Dufour,  Genève,  H.  Georg,  1878.  Ce  volume  est 
un  modèle  remarquable  de  critique  et  d'érudition. 

2.  Ihid.,  p.  xLii. 


l'histoire  de  l'institution  15* 

de  l'exilé  pendant  son  éloignement  qui  dura  jusqu'au  13  septembre 
1541.  Ce  fut  durant  cette  période,  que  le  Réformateur  fit  paraître 
à  Strasbourg-,  au  mois  d'août  1539,  une  seconde  édition  latine, 
revue  avec  soin  et  sensiblement  augmentée,  de  son  Institution  K 
Sans  doute,  ce  nouveau  texte,  qui  maintenait  les  principes  essen- 
tiels développés  en  1536.  ne  réalisait  pas  encore  la  perfection  dans 
Tarrangement  logique  des  matières  à  laquelle  l'édition  de  1559 
devait  atteindre,  mais  on  s'accorde  à  reconnaître  cependant  que, 
dès  ce  premier  remaniement,  l'exposé  doctrinal  de  Y  Institution 
avait  conquis  sa  forme  définitive'^.  L'œuvre  gag-nait  en  ampleur; 
elle  témoignait  d'une  plus  haute  maturité  d'esprit,  d'une  compré- 
hension plus  nette  et  plus  sûre  des  croyances  dont  le  nom  de 
Calvin  devait  rester  désormais  inséparable.  Suivant  le  mot  d'un 
biographe  récent,  le  théologien  donne  maintenant  toute  sa  mesure. 
Un  commerce  assidu  avec  les  Pères  lui  fournit  les  moyens  de 
mettre  en  lumière  de  nouveaux  arguments.  Ses  attaques  à  l'égard 
des  philosophes  deviennent  plus  fréquentes.  En  même  temps, 
son  style  latin  devient  plus  coulant  et  plus  châtié.  Toutefois,  des 
additions  et  remaniements  si  nombreux  n'allèrent  point  sans 
nuire  quelque  peu  à  la  simplicité  et  à  la  clarté  du  plan  général. 
L'ordre  naturel  des  choses  se  trouva,  par  endroits,  moins  satis- 
faisant peut-être. 

Nous  ne  pouvons  insister  ici  sur  les  divisions  ou  chapitres  qui 
se  trouvaient  notablement  augmentés  puisque  leur  nombre  passe 
de  6  à  17.  Deux  chapitres  nouveaux,  consacrés  à  la  connaissance 
de  Dieu  et  de  l'Homme  ouvrent  le  volume.  Les  pages  relatives 
à  la  chute  et  au  péché  qui  formaient  le  début  en  153(5  sont 
reportées  au  troisième  chapitre .  Une  telle  disposition  réalisait  un 

1.  Voy.  sur  la  préparation  de  cette  édition,  Ilerminjard,  t.  IV,  p.  208, 
211;  t.V,  p.  134,  211,  227,  287  et  t.  VI,  37;  — et  Doumergue,  Calvin,  t.  IV, 
p.  2-3. 

2.  Il  est  assez  piquant  de  constater,  à  ce  propos,  combien  librement  le 
Réformateur  jugea,  après  ce  remaniement,  le  premier  état  de  son  œuvre. 
Aux  formules  quelque  peu  prétentieuses  ajoutées  par  les  imprimeurs 
sur  le  titre  de  la  première  édition,  Calvin  répondit  par  ce  passage  de  la 
seconde  édition:  u  Comme  je  ne  m'attendais  nullement  au  succès  que  Dieu, 
dans  sa  bonté,  a  accordé  à  la  première  édition  de  cet  ouvrage,  je  n'avais 
pas  apporté  beaucoup  de  soins  dans  la  rédaction  de  la  plupart  de  ses 
parties,  ainsi  que  cela  arrive  ordinairement  quand  il  s'agit  d'écrits  de  peu 
d'importance. . .  » 


16*  INTRODUCTION 

grand  progrès  puisqu'elle  présentait,  ainsi  qu'on  Ta  dit  plus  haut, 
l'histoire  de  l'humanité  comme  une  sorte  de  drame  grandiose.  La 
condition  première  de  l'homme  et  les  conséquences  de  la  chute 
étaient  exposées  avec  un  relief  singulièrement  plus  saisissant.  Cal- 
vin précisait,  d'autre  part,  la  distinction  entre  la  théologie  naturelle 
et  la  révélation.  Il  fondait  l'autorité  finale  des  Saintes-Lettres  sur 
le  témoignage  intérieur  du  Saint-Esprit,  assurant  le  lecteur  que 
c'est  Dieu  lui-même  qui  s'y  fait  entendre;  l'élection  et  la  répro- 
bation, proclamées  avec  énergie  et  démontrées  avec  détail,  étaient 
données  comme  découlant  de  la  parole  révélée.  L'ouvrage  s'ache- 
vait par  vine  sorte  de  traité  entièrement  nouveau  sur  la  vie  de 
l'homme  chrétien,  l'une  des  plus  émouvantes  parties  de  ce  magni- 
fique ensemble. 

De  cette  édition  de  1339,  il  existe  deux  titres,  l'un  destiné  à  la 
France  où  les  mots  authore  Joanne  Calvino  étaient  remplacés  par 
authore  Alcuino  :  c'est  ce  dernier  titre  qui  se  trouve  visé  dans 
l'arrêt  du  !''■' juillet  1542,  qui  condamne  Vlnstitution  latine  de 
1339  et  la  traduction  française  de  1341. 

A  propos  de  cette  seconde  édition,  une  remarque  curieuse  du 
Jean  Calvin  de  M.  E.  Doumergue  mérite  de  nous  retenir  un  ins- 
tant: «Les  livres,  dit-il  (I,  393),  sortis  des  presses  allemandes, 
se  publiaient  et  se  débitaient  au  moment  des  foires  de  Francfort, 
lesquelles  se  tenaient  au  printemps  et  à  l'automne  de  chaque 
année.  De  là  vient  que  presque  tous  les  ouvrages  finissent  d'être 
imprimés  en  février  et  mars  pour  la  foire  du  printemps,  ou  bien 
en  août  et  septembre  pour  la  foire  d'automne.  Une  attestation 
curieuse  de  ce  fait  nous  est  fournie  par  l'histoire  de  la  seconde 
édition  de  Vlnstitution  elle-même.  En  janvier  1339,  Calvin  écrit 
à  Farel  :  «  Pendant  que  je  croyais  être  sûr  que  l'édition  de  mon 
livre  se  préparait,  voici  qu'on  me  renvoie  mon  manuscrit  tel  que 
je  l'avais  envoyé.  11  faut  donc  l'ajourner  à  la  seconde  foire  [in 
altéras  nundinas).  »  En  effet,  le  livre  parut  en  août  1339,  chez 
Rihel,  à  Strasbourg.  Or,  ce  qui  arriva  certainement  pour  la  seconde 
édition  se  passa  sans  doute  aussi  pour  la  première.  Lorsque 
Calvin  donna  son  manuscrit  à  l'imprimeur,  après  le  23  août  1533, 
c'était  trop  tard.  On  ne  pouvait  plus  l'imprimer  pour  la  foire 
d'automne  :  on  le  renvoya  à  la  foire  du  printemps  1336.  Ces 
particularités  attestent  l'utilité  que  présentent  les  dates  des  foires 
de  Lyon  et  de  Francfort,   au  xv!*"  siècle,    pour  aider   à  fixer  le 


l/ÉDlTlON    DE    lo41  17* 

moment  de  la  mise  en  vente  d'une  foule  d'ouvrages  notoires  de 
cette  époque. 


IV 
Lédilion  de  1541.  Baisons  de  sa  publication. 

Aussitôt  rentré  à  Genève,  en  septembre  1541,  le  Réformateur 
dut  s'occuper  de  l'achèvement  de  la  traduction  de  son  Institution., 
commencée,  selon  toute  vraisemblance,  à  Strasbourg-,  pendant 
son  exil;  il  la  publia  avant  la  fin  de  Tannée,  en  un  petit  volume 
in-S",  qui  ne  porte  ni  nom  de  lieu  ni  d'imprimeur.  Comme  on  en 
ti'ouvera  la  reproduction  plus  loin,  avec  un  fac-similé  du  titre  et 
de  huit  pag-es,  contentons-nous  de  dire  que  ce  volume  comprend 
22  feuillets  liminaires  non  numérotés  (A-E);  le  texte  est  donné 
en  quatre  alphabets  et  onze  feuilles  (a-z  ;  A-Z  ;  Aa-Zz  ;  AAa-ZZz  ; 
AAaa-LLU);  la  feuille  est  de  8  pages  à  40  lignes,  les  deux  der- 
nières pages  en  blanc,  ensemble  822  pages  numéi-otées. 

L'impression  paraît  plutôt  négligée  ;  les  caractères  sont  petits, 
assez  fatigués  ;  l'alignement  n'est  pas  irréprochable.  Seule, 
VEpistre  au  lioij,  par  son  impression  beaucoup  plus  soignée  au 
point  de  vue  de  la  beauté  des  caractères  comme  à  celui  de  l'arran- 
gement, fait  exception  et  rappelle  les  chefs-d'œuvre  de  la  typogra- 
phie du  XVI''  siècle. 

Notre  édition  ayant  suivi  la  disposition  de  l'original  page  pour 
page,  et  même  assez  souvent  ligne  pour  ligne,  il  est  inutile  de 
donner  de  plus  amples  détails  sur  l'ordonnance  matérielle  du 
volume  puisqu'on  la  trouvera  reproduite  plus  loin  et  qvie  la  série 
de  nos  fac-similés,  placés  à  la  suite  de  la  présente  introduction, 
en  donnera,  en  outre,  l'idée  la  plus  exacte. 

D'après  une  conjecture  formulée  par  les  éditeurs  des  Calvini 
Opéra,  V Institution  française  de  1S41  serait  sortie  des  presses  d'un 
imprimeur  appelé  Michel  Du  Bois,  qui  pratiqua  son  art  à  Genève 
à  partir  de  l'automne  1539  et  qui  était  originaire  de  Villers-en- 
Arthies,  bourg  situé  non  loin  de  Mantes.  Michel  Du  Bois  avait 
déjà  publié  la  première  œuvre  française  de  Calvin  offrant  un  carac- 
tère littéraire,  nous  voulons  parler  de  sa  célèbre  «  Response»  au 
Cardinal  Sadolet,  qui,  par  son  style  alerte  et  incisif,  le  sacra 
Institulioii.  b 


18*  LNTRODUCTION 

écrivain'.  En  1541,  le  même  Du  Bois  publia  le  Petit  traictc  de  la 
Saincte  Cène  de  Calvin'.  Mais,  contrairement  à  Thypothèse  for- 
mulée par  MM.  Baum,  Cunitz  et  Reuss,  ce  personnage  ne  doit 
pas  être  considéré  comme  limprimeur  de  V Institution  de  loil  -. 
En  effet,  une  série  de  comparaisons  neuves  et  probantes  a  permis 
tout  récemment  à  notre  collaborateur  M.  Jacques  Pannier  de 
découvrir  le  nom  du  véritable  éditeur. 

Ce  dernier  n'est  autre  que  Jean  Gérard,  qui  imprima  par  la  suite 
quatre  autres  éditions  de  l'Institution  (notamment  les  seconde, 
lo4o,  troisième,  lool  et  quatrième,  loo3,  du  texte  français), 
et  précédemment  la  Bible  française  de  1340,  à  laquelle  Calvin, 
quoique  absent  de  Genève,  prit  certainement  une  grande  part.  Fait 
curieux  et  ignoré  jusqu'à  présent,  ce  fut  donc  au  même  imprimeur 
que  le  Réformateur  confia  les  quatre  premières  éditions  fran- 
çaises de  son  Institution  3. 

Il  est  aisé  de  constater  que  le  texte  français  suit  de  très  près 
et  même  calque  à  beaucoup  d'égards  le  texte  latin,  rendant  l'ori- 
ginal de  1539  phrase  pour  phrase,  et  avec  une  telle  fidélité,  qu'il 
risque  de  devenir  obscur  en  certains  endroits  pour  le  lecteur  peu 
familiarisé  avec  la  construction  latine.  Jusqu'au  XIP  chapitre 
inclusivement,  lequel  traite  de  la  Sainte  Cène,  aucun  change- 
ment n'est  à  relever.  Mais  à  la  suite  de  celui-ci,  figure  immédia- 
tement le  seizième  de  l'original,  intitulé  :  Des  cinq  autres  céré- 
monies c/u'on  a  faussement  appellées  Sacremens...  C'était  là  un 
changement  heureux,  qui  donnait  plus  de  régularité  au  plan  de 
l'ouvrage  et  améliorait  la  disposition  des  matières.  Cet  arrange- 
ment parut  si  rationnel  qu'il  fut  conservé  dans  toutes  les  éditions 
postérieures.  Après  cette  intercala tion,  l'ordre  de  lo3y  reste  suivi 
avec  les  chapitres  de  la  Liberté  chrétienne,  de  la  Puissance  ecclé- 


1.  Epistre  de  laques  Sadolet  Cardinal,  envoyée  au  Sénat  el  Peuple  de 
Genève  par  laquelle  il  tasche  le  réduire  soabz  la  puissance  de  VEvesque  de 
Romme,  avec  la  Response  de  lehan  Calvin  :  translatées  du  Latin  en  Françoys. 
Imprimé  à  Genève  par  Michel  Du  Bois.  MDXL  (Réimpr.  Fick,  Genève, 
1860). 

2.  On  trouvera  dans  la  réédition  du  Calée fiisme  français  de  Calvin  donnée 
par  MM.  Rillict  'et  Dufour  (1876),p.  clxxxix  el  suiv.,  d'utiles  renseif^nements 
sur  Michel  Du  Bois. 

3.  La  démonstration  de  cette  intéressante  identification  sera  faite  par 
M.  Pannier  dans  notre  3«  fascicule. 


l'édition  de  loil  19* 

siastique  et  du  Gouvernement  civil.  Le  chapitre  XVII  et  dernier: 
«  de  la  X'ie  chrestienne  »^  porte  la  même  numérotation  en  1539 
et  en  lo4l. 

Il  existe  une  édition  séparée  de  VEpistre  au  Boy,  imprimée 
avec  les  mêmes  caractères,  mais  qui  ne  constitue  pas  un  simple 
tirage  à  part.  On  y  trouve  quelques  petits  changements  dans  le 
texte  et  des  modifications  typographiques.  Elle  ne  contient  natu- 
rellement ni  r  «  Argument  du  présent  livre  »,  ni  le  «  Sunimaire 
et  brief  recueil  des  principaux  poinctz  et  chapitres...  »,  D'après 
une  note  obligeamment  fournie  par  M.  Théophile  Dufour,  il 
existe  trois  exemplaires  de  cette  plaquette  actuellement  connus  : 
1"  celui  de  la  collection  Gaitle-Strœhlin  ;  2"  celui  de  la  Stadt- 
Bibliothek  de  Zurich  ;  3°  celui  de  la  Bibliothèque  nationale  de 
Paris,  coté  Ld'^''  1041.  La  collation  du  texte  de  1541  avec  cet 
exemplaire  a  été  faite  par  M.  Pannier  ;  nous  publierons  dans 
notre  troisième  fascicule  toutes  les  différences  relevées. 

Il  n'est  pas  besoin  de  longues  considérations  pour  expliquer 
les  raisons  générales  et  particulières  qui  ont  conduit  le  Réforma- 
teur à  préparer  la  traduction  de  son  traité  dogmatique.  «  Dési- 
rant de  communiquer  ce  qui  en  pouvoit  venir  de  fruict  à  notre 
nation  franyoise,  l'ay  aussi  translaté  en  notre  langue  »,  déclare- 
t-il  dans  l'Argument  qui  ouvre  le  texte  de  1541.  Nul  n'ignore 
combien  la  Réforme,  dès  son  apparition  dans  le  monde,  favorisa 
avec  ardeur  les  traductions  des  textes  de  la  Bible,  et  avec 
quelle  continuité  d'efîorts  elle  s'appliqua  en  même  temps  à  ac- 
croître la  part  des  langues  vulgaires  dans  la  vie  religieuse  de  ses 
Eglises  et  de  ses  fidèles.  Dès  1515  du  reste,  avant  Luther,  Erasme 
avait  proclamé  que  la  doctrine  de  Jésus  pouvait  être  comprise  du 
peuple  comme  des  théologiens,  et  que  ceux-ci  ne  le  privaient  de 
cette  lecture  que  pour  se  réserver  le  rôle  d'oracles.  Le  Réfor- 
mateur de  Wittemberg  comprit  de  bonne  heure  toute  la  portée  de 
la  question  et  donna  coup  sur  coup,  tant  par  la  publication  de  nom- 
breux ouvrages  en  allemand  que  par  l'adoption  de  la  même  langue 
pour  les  actes  du  culte,  une  impulsion  puissante  au  progrès  géné- 
ral, en  pays  protestant,  de  l'idiome  vulgaire.  La  cause  de  ce  der- 
nier se  trouva  ainsi  rapidement  associée  à  celle  de  la  révolution 
religieuse.  En  France,  un  mouvement  analogue  se  produisit  de 
bonne  heure  tant  dans  les  groupes  protestants  que  chez  les  amis 
des  idées  de  réforme.  Lefèvré  d'Etaples,  Briçonnet,  Caroli,  parmi 


20*  INTRODUCTION 

ces    derniers,  ag-irent  résolument   en  faveur  d'un   emploi    aussi 
large  que  possible  de  la  langue  française  dans  la  vie  chrétienne. 
On  commença  à  répandre  dans  le  peuple  les  traductions  des  textes 
sacrés,  contrairement  aux  conclusions  de  la  Sorbonne  et  aux  avis 
de  quelques  personnages  influents.  Certaines  de  ces  publications 
eurent  même   l'appui    du  roi  dont  on  sait   la  tendresse  pour  la 
lansfue  nationale.  Nombre  de  traductions  des  ouvraoes  des  réfor- 
mateurs  allemands,   de  ceux  de   Luther  notamment,  accrurent 
encore,   dans  les  milieux  réformés,   la  vogue  fort  explicable  du 
parler  maternel  appliqué  aux  choses  saintes.   Farel,  Berquin  et 
un  peu  plus  tard  Olivetan,  cousin  de  Calvin,  travaillèrent  à  cette 
expansion  du  français   dans  le  domaine    spirituel.    Mais  il   faut 
reconnaître  que  l'auteur  de  Y  Institution  a  fait  plus  que  personne 
en  son   temps   pour  accroître    à    cet  égard  le   prestige  de  notre 
idiome   et   assurer  son  tinomphe   en  tant  qu'organe  de  l'activité 
religieuse  des  protestants  de  langue  française.  Ajoutons  que  dans 
l'ensemble,  le  mouvement  de  la  Renaissance  eut  pour  résultat, 
en  France,  de  favoriser  singulièrement  les  destinées  de  la  langue 
nationale,    au  détriment  du  latin,  dans  les  sciences  médicales  et 
mathématiques,  dans  la  philosophie  et  dans  les  sciences  morales 
et  historiques,  aussi  bien  que  dans  la  littérature  proprement  dite. 
Grâce  à  la  situation  prise  par  Calvin,  «  grâce  aussi  à  sa  valeur 
propre,  l'Institution,  écrite  dans  une  langue  si  voisine  de  notre 
langue  scientifique  quelle  semble  avancer  de  cent  ans  sur  la  plu- 
part des  ouvrages  contemporains,  eut  un  immense  retentissement, 
et  il  est  hors  de  donte  que  la  nécessité  de   répondre  à  Calvin  et 
aux  autres  protestants  dans  un  idiome  qui  fût,  comme  le  leur, 
compris  de  tous,  contribua  puissamment  à  faire  accepter  le  fran- 
çais, même  des  théologiens  catholiques  ^  ». 


V 

L'interdiction  de  l'a  Institution  ».  Le  livre  est  hrùlé. 

Le  1'^'  juillet  lo42,  im  arrêt  du  Parlement  de  Paris  -  prononça 

1.  F.  Brunol,  Ilist.  de  la  lanijue  franc.,  t.  II,  p.   14-15. 

2.  Archives  nationales,  X2"93,  registre  criminel  du  Parlement  de  Paris 


l'interdiction  de  l'institution  21* 

la  suppression  et  l'interdiction  du  texte  latin  et  du  texte  français 
de  Y  Institution  chrétienne.  Il  n'est  pas  douteux  que  la  publication 
en  langue  vulg-aire  de  l'ouvrag-e  de  Calvin  ait  été  la  cause  occasion- 
nelle de  cette  condamnation.  Tant  que  le  livre  n'avait  été  répandu 
que  sous  sa  forme  latine  on  ne  s'était  pas  occupé  de   le  pour- 
suivre.  Le  texte  qui  nous  fait   connaître  cette   prohibition   pré- 
sente, à  divers  ég-ards,  le  plus  haut  intérêt.  Il  contient,   en  effet, 
une    véritable   ordonnance   fort  détaillée,    et    remarquablement 
rédigée,  sur  l'impression  et  le  commerce  des  livres  tant  à  Paris 
que    dans   le  reste   du  ressort  du  Parlement .   La  Cour  constate 
«  qu'il  s'est  trouvé  que  en  tous  livres,  mesme  de  g'rammaire,  dia- 
lectique, médecine,  de  droict  civil  et  canon,  et  mesme  en  alpha- 
betz  que  l'on  imprime  pour  les  petitz  enfans,  sont  nouvellement 
imprimez  quelques  postilles,  préfaces,  arg-umens  ou  epistres  limi- 
naires contenans  aulcunes  erreurs  de  la    secte  luthérienne  pour 
tousjours  plus  publier  leur  maulvaise  et  damnée  doctrine  de  ceulx 
qui  sont  de  ceste  secte  luthérienne  et  en  imbuer  de  jeunesse  les 
enfans  poura  jamais  leur  sentir  desd.  erreurs  et  y  persévérer  toute 
leur  vie  ».  L'arrêt  indique  ensuite  comment  se  fait,   en  F'rance, 
la  propagande    des  «  livres  erronés,  blasphèm[atoir]es  et  here- 
ticques  ».  Il  expose  «  que  l'on  apporte  en  ceste  ville  de  Paris  plu- 
sieurs livres  imprimez  en  Alemaigne,  Lyon  ou  ailleurs  contenans 
doctrines   erronées   et  blasphèmes    contre  la   foy   catholicque  », 
remarque  qui,  par  parenthèse  explique  que  les  livres  de  Rabelais 
aient  d'abord  vu  le  jour,  impunément,  dans  la  grande  cité  lyon- 
naise. Sous  peine  des  derniers  châtiments^  les  détenteurs  devront 
apporter  au  greffe  criminel  de  la  Cour  «  tous  et  chacuns  les  livres 
quilz  ont  devers   eulx  contenans  aulcunes   doctrines  nouvelles, 
luthériennes  et   aultres  contre  la  foy  catholicque  et  doctrine  de 
notre  mère  saincte  église,  etentre  autres  un  Livre  intitulé  Institu- 
tio  religionis  christiame  authore  Alcuino,  et  en  langaige  vulgaire, 
l'Institution  de  la  religion  chrestienne  composée  par  Jehan  Calvin  ». 
Le  livre  du  Réformateur  français  est  le  seul  qui  soit  nommé- 
ment cité  au  cours  de  cet  arrêt  dune  portée  absolument  générale, 
véritable  code  de  procédure  à  l'égard  des  livres  suspects  :   c'est 


pour  l'année  1542.  Cet  arrêt,  publié  ijour  la  première  fois  par  M.  N.  Weiss 
dans  le  Bull,  de  la  Soc.  de  rhist.  du  protest .  frdnc,  1884,  p.  15  et  suiv.,  a 
été  reproduit  depuis  à  diverses  reprises. 


22*  INTRODUCTION 

indiquer  quelle  sig-nification  exceptionnelle  lui  attribuaient  les 
magistrats  du  Parlement  parisien.  Ce  n'est  pas  le  lieu  d'insister 
à  cette  place  sur  la  série  des  mesures  prises  par  la  Cour  suprême 
à  l'égard  des  livres  de  toute  nature  susceptibles  de  renfermer  des 
doctrines  hérétiques.  Qu'il  nous  suffise  de  constater  que  l'Insti- 
tution de  1541,  par  son  retentissement  et  par  le  fait  même  qu'elle 
atteignait  un  public  beaucoup  plus  étendu  que  l'édition  latine,  a 
été  le  point  de  départ  et  le  prétexte  de  toute  une  organisation 
minutieuse  qui  atteste  à  quel  point  la  dilfusion  du  récent  chef- 
d'œuvre  de  lécrivain  français  avait  rendu  de  nouvelles  précau- 
tions nécessaires.  11  est  donc  certain  que  le  livre  que  nous  étu- 
dions ici  a  marqué  une  date  décisive  dans  l'histoire  de  la  lutte 
contre  les  publications  hétérodoxes. 

Grâce  à  une  découverte  de  M.  N.  Weiss',  nous  connaissons 
le  nom  et  la  destinée  du  libraire  colporteur  qui  réussit  à  intro- 
duire en  France  et  k  vendre  à  Paris  les  deux  éditions  de  Vlnsti- 
tiition.  Il  s'appelait  Antoine  Lenoir  et  venait  de  Genève,  après 
avoir  passé  par  Anvers.  Condamné  à  faire  amende  honorable 
dans  la  forme  ordinaire  devant  le  portail  de  Notre-Dame  de 
Paris,  puis  en  la  ville  de  Saint-Quentin-  «  devant  la  principalle 
porte  de  la  principalle  église  dudict  lieu  »,  il  fut  banni  du  royaume 
à  perpétuité,  en  vertu  d'un  arrêt  du  Parlement  daté  du  l^""  juillet, 
comme  le  précédent.  Les  exemplaires  saisis  des  deux  éditions 
de  V Institution  furent  brûlés  au  parvis  Notre-Dame -^ 

1.  Bull,  de  la  Soc.  de  Ihist.  du  prolest,  fr.,  15  oct.  189.3,  p.  8  et  suiv. 

2.  Comme  «plus  prochaine  ville  royale,  de  l'issue  de  ce  royaume  du  côté 
d'Anvers  » . 

3.  Ulnslilulion  chrétienne  a  été  probablement  le  livre  protestant  français 
qui  a  été,  si  j'ose  dire,  traqué  de  la  manière  la  plus  continue  et  la  plus 
rigoureuse.  C'est  ce  qui  explique  que  beaucoup  de  ses  éditions  soient 
devenues  si  rares.  Certains  des  exemplaires  les  plus  i-echerchés  qui  sub- 
sistent aujounTluii  ont  connu  des  destinées  singulières.  On  en  a  retrouvé 
jusque  dans  des  étables  ou  des  poulaillers  où  les  fidèles  protestants  les 
avaient  cachés  pour  les  faire  échapper  à  une  surveillance  incessante;  tel 
de  ces  volumes  y  est  resté  enfoui  pendant  de  longues  années. 


.       VI 

Lea  états  successifs  de  l\(  Institution)). 

Le  texte  latin  de  1543,  qui  a  succédé  au  texte  français  de 
1341,  était  augmenté  d'environ  un  cinquième  ;  il  comprenait  17 
chapitres  au  lieu  de  21  ;  on  y  relève  plusieurs  transpositions  heu- 
reuses. Ace  texte  correspond  la  traduction  française  de  1545,  si 
rare  qu'on  n'en  connaît  que  deux  exemplaires.  En  1550,  nouvelle 
révision,  rééditée  en  1553  et  1554,  et  traduite  en  français  en  1551  ; 
elle  est  augmentée  de  trois  paragraphes  nouveaux  sur  la  résur- 
rection de  la  chair.  L'édition  française  de  1551,  dont  nous  possé- 
dons un  exemplaire,  est  une  des  plus  belles  impressions  du  milieu 
du  XVI''  siècle;  la  justification  en  est  des  plus  heureuses  et  le  for- 
mat des  mieux  réussis.  Peu  de  livres  réformés  se  présentent  sous 
un  aspect  plus  séduisant. 

En  1559,  nouvelle  révision,  «augmentée  de  tel  accroissement, 
dit  le  titre,  qu'on  la  peut  presque  estimer,  un  livre  nouveau», 
et  divisée  en  quatre  livres,  divisés  à  leur  tour  en  chapitres  et  en 
paragraphes.  Il  s'agissait  en  réalité  d'une  véritable  réorganisation 
de  toute  la  matière.  La  traduction  française  parut  en  1560  ;  c'est 
le  texte  reçu  jusqu'à  présent. 

Les  savants  éditeurs  des  Opei'a  ont  divisé  avec  raison  en  trois 
familles  les  20  éditions  de  V Institution  publiées  du  vivant  de  Cal- 
vin :  la  première  famille  représentée  parle  petit  manuel  de  1 530  ;  la 
troisième  donnant  la  rédaction  définitive  en  quatre  livres,  publiée 
pour  la  première  fois  en  1559  et  reproduite  dans  toutes  les  édi- 
tions postérieures  ;  enfin  les  éditions  intermédiaires,  analogues  à 
la  première  par  l'absence  d'une  division  strictement  systématique, 
mais  se  rapprochant  de  la  dernière  par  une  richesse  croissante 
des  matériaux.  Cette  seconde  famille  se  subdivisait  encore  en 
trois  catégories,  distinguées  l'une  de  l'autre  par  les  additions  plus 
ou  moins  considérables,  introduites  successivement.  Pour  bien 
faire  connaître  les  rapports  existant  entre  l'original  et  la  traduc- 
tion, laquelle  a  suivi  le  développement  de  l'ouvrage  à  mesure 
qu'il  se  produisait,  il  convient  donc  d'établir  simultanément  une 
classification  analogue  des  éditions  françaises. 


24'  INTRODUCTION 

Première  famille  :  Edition  latine  de  lo3*);  il  n'en  existe  pas  de 
traduction. 

Seconde  famille  : 

Première  révision  :  Edition  latine  de  1539  ;  traduction 
de  1541. 

Seconde  révision:  Edition  latine,  de  15i3  (répétée  en 
1545)  ;  traduction  de  1545  :  Y Épître  au  Roi  n'a  pas 
été  remaniée  d'après  le  latin  de  1543  cpii  contient 
plusieurs  changements  et  additions  notables.  Elle 
reproduit  dans  l'ensemble  le  texte  de  1541. 

Troisième  révision  :   Edition  latine  de  1 550  (répétée  en 

1553  et  1554)  ;  traduction  de  1551  ^  (répétée  en  1553, 

1554  et  1557). 

Troisième  famille  :  Rédaction  définitive,  édition  latine  de  1559 
(répétée  en  1561  deux  fois)  ;  traduction  de  1560  répétée  en  1561 
deux  fois,  en  1562  trois  fois,  en  1563  et  en  1564).  Cette  rédaction 
définitive  est  divisée  en  4  livres.  On  n'a  pas  à  s'occuper  ici  des 
éditions  publiées  après  la  mort  de  Calvin. 


VII 

L'  «  Institution  »  et  l'évolution  intellectuelle  de  la  Renaissance. 

Au  cours  de  leçons  professées  récemment  au  Collège  de  France, 
nous  avons  cru  devoir  insister  sur  la  nécessité  de  distinguer 
plusieurs  périodes  très  différentes  dans  l'histoire  de  la  Renais- 
sance française.  Ces  distinctions  sont  essentielles  :  faute  d'y 
recourir,   une  synthèse    de   cette  magnifique    époque    risque   de 

1 .  Cette  édition  manque  à  la  plupart  de  nos  grandes  bibliothèques.  On 
ne  la  trouve  ni  à  la  Bibliothèque  Mazarine,  ni  à  celle  de  la  rue  des  Saints- 
Pères.  Les  rares  exemplaii-es  que  nous  en  connaissons  méritent  d'être 
cités  comme  de  remarquables  spécimens  de  la  typographie  genevoise  du 
milieu  du  xvi"  siècle.  Ils  font  grand  honneur  à  l'imprimeur  Jean  Gérard,  dont 
on  vient  d'apprendre  le  rôle  dans  la  publication  de  l'édition  de  1541. 


l'institution  et  la  renaissance  25* 

manquer  à  peu  près  complètement  de  clarté  et,  si  j'ose  dire,  de 
vérité.  La  période  dans  laquelle  prend  place  le  texte  français  de 
1541  est  celle  qui  va  de  lo30  à  1550.  Avec  l'année  1530,  en  effet, 
nous  assistons  à  ce  qu'on  peut  appeler  le  premier  épanouisse- 
ment de  la  Renaissance.  Avec  elle  s'ouvre  la  période  du  grand 
réveil;  tout  le  monde,  malgré  les  difficultés  (pii  s'annoncent,  se 
sent  joyeux,  allègre.  Chacun  crie  à  sa  façon  :  «  A  boire  »,  comme 
Gargantua  naissant  !  Une  curiosité  infinie  embrase  les  esprits. 
Les  luttes  mêmes  qui  s'engagent  apportent  la  preuve  de  la  réno- 
vation qui  s'accomplit  dans  la  plupart  des  branches  du  savoir 
humain  ;  elles  sont  comme  le  signe  de  la  prodigieuse  vitalité  qui 
s'affirme.  Entre  1530  et  1540,  la  marche  en  avant  est  marquée 
surtout  par  un  progrès  décisif  des  études  savantes  et  de  la  philo- 
logie antique.  François  I'''  fonde  le  Collège  de  France  en  1530, 
pour  encourager,  en  même  temps  que  la  connaissance  des  langues 
classiques  et  orientales,  l'humanisme  qui  a  définitivement  conquis 
droit  de  cité  dans  notre  pays.  Mais,  dès  ce  moment  aussi,  notons- 
le,  la  Renaissance  et  la  Réforme  tendent  à  se  séparer.  Des  con- 
troverses s'ouvrent  un  peu  partout,  qui  passionnent  les  esprits 
cultivés  ou  les  mettent  aux  prises  avec  les  défenseurs  obstinés 
du  pas.sé.  Cependant,  on  voit  apparaître,  en  1532,  ï Adolescence 
clémentine  de  Marot,  le  premier  poème  de  Marguerite  d'Angou- 
lème,  et  le  Pantarfvucl  de  Rabelais,  bientôt  suivi  du  Gargantua  ; 
Calvin,  en  153fi,  publie  le  texte  latin  de  son  Institution  ;  en  1538, 
paraissent  le  Cymbalum  niundi  de  des  Périers  et  les  Conunen- 
taires  de  Dolet.  En  1539,  le  roi  promulgue  ledit  de  Villers- 
Cotterets,  si  important  pour  le  développement  et  la  dilfusion  de 
la  langue  française.  Un  peu  partout,  à  Toulouse,  à  Lyon,  à  Mont- 
pellier, en  Poitou,  à  Orléans,  à  Bourges,  des  cénacles  littéraires 
se  forment,  qui  contribuent  au  progrès  du  goût.  Période  d'organi- 
sation, durant  laquelle  les  bonnes  volontés  communes  se  groupent, 
les  fins  se  précisent,  les  premiers  efforts  sont  tentés  pour  consti- 
tuer une  pensée  originale.  C'est  ainsi  que  le  platonisme  réapparaît 
avec  Ramus,  Heroët  et  plusieurs  autres  ;  puis,  quoique  timide- 
ment, le  rationalisme  et  toute  une  doctrine  indépendante  dont 
les  traces  se  retrouvent  dans  plusieurs  ouvrages  ou  documents, 
et  que  la  lettre  d'Antoine  Fumée  à  Calvin,  vers  1542,  a  si  forte- 
ment caractérisée.  Il  semble  même  qu'à  cet  égard  l'année  qui  pré- 
cède celle-là  ait  marqué  l'apparition  d'une  véritable  crise.  En  même 


26*  INTRODUCTION 

temps  la  vie  de  société  commence  à  s'organiser  sur  de  nouvelles 
bases  :  la  querelle  des  Femmes,  de  l'Amour  et  du  Mariage,  est 
rouverte  avec  un  retentissement  extraordinaire  ;  les  droits  de  la 
passion  sont  proclamés  et  défendus;  la  vie  est  brillante,  les  fêtes 
nombreuses  et  splendides,  les  mœurs,  plus  polies  que  jamais. 
Dans  tous  les  milieux  mondains,  le  goût  de  la  conversation  fleurit  : 
VHeptaniéron  nous  en  offre  de  piquants  modèles.  C'est  alors,  en 
réalité,  que  se  forme  l'idéal  mondain  de  l'honnête  homme,  cette 
fleur  de  la  sociabilité  française.  A  Lyon,  une  civilisation  particu- 
lière s  épanouit,  pénétrée  de  pétrarquisme  et  d'italianisme.  Mais, 
par  contre,  le  christianisme  perd  du  terrain  :  n'oublions  pas  que 
dans  l'abbaye  de  Thélème,  il  n'y  a  place  ni  pour  une  église,  ni 
même  pour  une  chapelle.  La  pensée  tend  à  se  laïciser,  à  s'élargir  ; 
elle  acquiert  plus  de  souplesse  et  de  variété.  D'ailleurs,  les  Français, 
au  lieu  de  rester  attachés  à  leurs  seules  traditions,  voyagent  et 
s'inquiètent  des  mœurs  étrangères  ;  des  missions  sont  envoyées  en 
Italie  et  en  Orient  ;  les  Italiens  s'implantent  plus  nombreux  sur 
notre  sol.  Le  culte  de  l'antiquité  se  trouve  ainsi  favorisé  par  des 
causes  multiples  ;  les  Français  tendent  à  s'assimiler  ses  principes 
de  vie  et  à  en  pénétrer  leur  existence.  Mais  voici  que  devant  ces 
menaces  de  paganisation,  en  face  des  platonisants,  sto'iciens,  épi- 
curiens et  «  lucianistes  »,  Y  Institution  française  se  dresse,  enga- 
geant le  combat  contre  la  pensée  antique  et  faisant  éclater  à  tous 
les  yeux  le  conflit  qui  existe  entre  le  christianisme  et  la  philoso- 
phie ;  elle  montre  celle-ci  s'insinuant  dans  toute  la  vie  intellec- 
tuelle, sous  couleur  de  littérature.  L'attaque  sera  reprise  dans 
Y  Excuse  aux  Nicodémites  (1549),  où  Calvin  dénoncera  à  nouveau 
le  péril  avec  une  clairvoyance  ironique  et  en  malmenant  assez 
rudement  les  «  gens  de  lettres  »,  et  ensuite  dans  le  traité  Des 
Scandales  (1550).  Son  œuvre  française  s'insère  donc,  en  1541, 
au  milieu  d'une  période  de  crise  et  d'organisation  tout  ensemble. 
A  la  faveur  de  la  lutte,  les  théories  vont  par  nécessité  devenir 
plus  précises  ;  elles  s'opposeront  fortement  les  unes  aux  autres. 
La  doctrine  esthétique  va  se  fixer,  cependant  que  la  science 
poursuivra  ses  conquêtes  avec  Fernel,  Paré,  Fine,  Gilles,  Ron- 
delet, Belon,  Ruel,  Vésale  et  Copernic.  Que  de  conquêtes  réa- 
lisées entre  1540  et  1550  !  On  peut  donc  dire  que  Y  Institution  est 
venue  à  son  heure  et  que  toute  cette  ambiance  profane  que  l'on 
vient  d'indiquer  sommairement  l'explique  autant  que  les  circon- 
stances   politiques    ou  proprement    religieuses   et  théologiques. 


l'ins'iitction  kt  la  renaissance  27* 

Avec  la  période  qui  suit,  et  qui  s'étend  de  1550  à  1580,  on 
verra  s'affirmer  le  retour  au  paganisme,  le  triomphe  des  idées 
antiques.  La  philosophie  a  parfait  l'œuvre  commencée  à  l'époque 
précédente.  Ce  caractère  païen  se  révèle  aussi  bien  dans  l'art 
que  dans  les  lettres  et  les  sciences  morales  et  spéculatives.  Culte 
de  la  forme,  souci  de  lélég-dnce.  religion  de  la  Beauté  et  de  la 
Nature,  tels  sont  l'idéal  et  les  qualités  suprêmes  auxquels  aspirent 
les  poètes,  avec  Ronsard  et  la  Pléiade,  les  sculpteurs  avec  Jean 
Goujon  et  ses  émules.  La  Fontaine  des  Innocents  qui  est  des 
environs  de  1550,  semble  le  symbole  de  ce  temps  aussi  bien  que 
les  Odes  ou  les  Amours  des  poètes.  Même  tendance  en  architec- 
ture où  les  ordres  antiques  se  substituent  à  la  vieille  construc- 
tion française.  La  philosophie  chrétienne  des  Lefèvre  d'Etaples 
ou  des  Erasme  est  bien  oubliée,  sinon  dédaignée  ;  un  homme 
surtout  la  remplace  :  c'est  le  philosophe  grec  Plutarque  qui,  tra- 
duit par  Amyot,  apporte  .aussi  bien  dans  ses  Moralia  que  dans 
ses  Vies  parallèles,  la  vraie  moelle  de  la  pensée  antique.  On  voit 
renaître  l'épicurisme,  le  stoïcisme  et  l'ancien  rationalisme.  Mon- 
taigne achèvera  l'évolution,  commencée  cinquante  ans  plus  tôt, 
avec  ses  Essais,  imprégnés  d'une  morale  toute  païenne,  qui  va 
devenir  celle  de  l'honnête  homme.  Le  xvii"  siècle  continue,  à  cet 
égard,  le  xvi"  siècle,  beaucoup  plus  qu'on  ne  l'a  supposé  en  général. 
On  ne  saurait  trop  insister,  en  effet,  sur  le  caractère  laïque  et, 
malgré  tout,  peu  chrétien  de  la  littérature  du  xvii*'  siècle,  même 
en  dehors  des  libertins.  Du  point  de  vue  qui  dominait  sa  pensée, 
Calvin  avait  donc  aperçu  et  dénoncé  le  danger  avec  une  clair- 
voyance extraordinaire  ;  il  devinait  plus  nettement  que  personne 
en  son  temps,  le  dualisme  moderne  que  la  Renaissance  était  en 
train  de  créer. 


Vlll 

La  forma f ion  littéraire  de  Calvin. 

Comment  Calvin  a-t-il  acquis  le  goût  et  la  culture  littéraire 
qui  ont  fait  de,  lui  un  des  maîtres  les  plus  admirés  de  notre 
lansrue  ?  Certes,  il  faudrait  d'abord  demander  le  secret  d'une  telle 


28*  INTRODUCTION 

perfection,  si  surprenante  à  l'aurore  de  la  littérature  moderne,  a 
son  génie  naturel,  fait  d'ordre  et  de  clarté,  en  même  temps  qu'à 
son  tempérament  passionné.  Essayons  toutefois  de  dég-ager  les 
causes  qui  ont  dû  favoriser  sa  formation  d'écrivain.  En  premier 
lieu,  il  importe  plus  spécialement  de  rappeler  son  éducation  de 
juriste,  ronqju  à  l'art  des  délinition's  et  des  divisions,  haliitué  à 
sérier  les  questions,  à  disposer  les  arguments  et  à  tirer  dun  texte 
tout  ce  qu'il  est  susceptible  de  donner.  N'oublions  pas,  d'autre 
part,  que  le  Réformateur  sortait  d'une  famille  de  procureurs  et 
d'hommes  d'affaires.  11  y  eut  une  autre  influence  dont  il  y  a  lieu 
de  tenir  compte  au.  plus  haut  point  :  nous  voulons  parler  de 
l'action  personnelle  d'un  éducateur  incomparable  auquel  Calvin 
n'a  cessé,  pendant  toute  sa  vie,  de  prodiguer  les  marques  émues 
d'une  tendre  reconnaissance.  Il  s  agit  de  Mathurin  Cordier,  son 
ancien  professeur  au  collège  de  la  ^larche.  Je  ne  reviendrai  pas 
sur  ce  qui  a  été  dit  ailleurs  touchant  ce  maître  unique,  1  un  des 
grammairiens  les  plus  distingués  de  l'époque,  professeur  conscien- 
cieux et  dévoué  entre  tous,  qui,  dans  un  domaine  modeste,  sut 
réaliser  quelques-unes  des  innovations  les  plus  heureuses  de  l'en- 
seignement. Sans  les  soins  éclairés  d'un  Cordier,  Calvin  n'aurait 
pu  suivre  plus  tard  les  leçons  des  Danès  et  des  Wolmar  avec  le 
même  fruit.  Qui  sait,  écrivions-nous  il  y  a  quelque  vingt-cinq 
ans,  si  ce  prodigieux  talent  littéraire,  qui  fut  pour  son  œuvre  de 
réformateur  une  arme  si  puissante,  se  fût  développé  à  ce  point 
sans  l'initiative  de  ce  profond  éducateur  '  ? 

Depuis,  notre  conviction  n'a  fait  que  s'accroître.  Si  l'auteur 
de  Y  Institution  a  été  un  latiniste  si  remarquable,  s'il  a  su  profi- 
ter de  cette  connaissance  de  la  langue  antique  pour  appliquer  sa 
langue  maternelle  à  des  matières  hautes  et  graves  qu'elle  igno- 
rait jusqu'alors,  c'est  grâce  à  son  premier  maître  de  grammaire 
qui  lui  communiqua  le  goût  des  belles  lettres.  Plus  tard,  le  con- 
tact prolongé  avec  Sénèque  et  aussi  avec  les  textes  juridiques  les 
mieux  élaborés  qui  soient,  acheva  l'initiation  commencée  sous 
des  auspices  si  favorables. 

Demandons  une  fois  de  plus  à  Calvin  lui-même  un  témoignage 
dont  la  portée  sera  d'autant  plus  grande   qu'il  a  été  amené  à  le 


1.   A.  Lt'franc,  l^a  Jeunesse  de  Calvin,  p.  .")9  el  suiv.  Voy.  aussi  E.    Dou- 
merguo,  Jean  Calvin.  I,  p.  iiS  et  suiv. 


LA    FORMATION    LITTÉRAIRE    DE    CALVIN  29* 

préciser  une  seconde  fois.  C'est  dans  ses  célèbres  Comme  ni  aires 
sur  les  epistres  de  lApostre  S.  Paul  que  nous  rencontrerons  ces 
deux  textes. 

Voici  d'abord  un  passage  emprunté  à  Tépître  dédicatoire  du 
Commentaire  sur  la  seconde  epistre  aux  Corinthiens  (1547)  ; 

«  Premièrement,  il  me  souvient  de  quelle  alTection  vous  avez 
entretenu  et  augmenté  ce  commencement  d'amitié  que  j'avoye 
avec  vous  de  long  temps;  combien  vous  avez  esté  prest  d'eiTi- 
ployer  franchement  et  vous  et  vostre  pouvoir  pour  moy,  quand 
vous  avez  pensé  que  l'occasion  se  presentoit  de  monstrer  vostre 
amour  envers  moy  :  comment  vous  m'avez  offert  vostre  crédit 
pour  m'avancer,  si  la  vocation,  à  laquelle  jestoye  lors  attaché, 
ne  m'eust  empesché  de  l'accepter.  Mais  il  ny  a  rien  que  j'aye 
trouvé  si  bon,  que  la  souvenance  de  ce  premier  temps,  quand 
estant  envoyé  par  mon  père  pour  apprendre  le  Droict  civil,  je 
conjoigni,  vous  ayant  pour  conducteur  et  maistre,  avec  l'estude 
des  loix  les  letres  Grecques,  lesquelles  lors  vous  enseigniez  avec 
grande  louange.  Et  certes  il  n'a  point  tenu  à  vous  que  je  n'y 
proutltasse  d'avantage  :  car  de  vostre  grâce  vous  estiez  prest  de 
me  tendre  la  main,  jusques  à  ce  ({ue  j'eusse  parachevé  le  cours 
de  l'estude,  et  veu  ce  qui  en  est  d'un  bout  en  autre,  n'eust  esté 
que  la  mort  de  mon  père  entreveint,  laquelle  fut  occasion  de  me 
distraire  lorsqu'il  n'y  a  voit  pas  longtemps  que  j'estoye  en  train. 
Tant  y  a  toutesfois  que  je  me  recognoy  grandement  obligé  à 
vous,  de  ce  que  pour  le  moins  j'ay  apprins  sous  vous  les  com- 
mencemens,  lesquels  m'ont  depuis  aidé.  Parquoy  je  n'ay  peu 
autrement  contenter  mon  désir,  qu'en  laissant  à  ceux  qui  vien- 
dront après  nous,  un  tesmoignage  que  je  n'ay  point  voulu  estre 
ingrat  envers  vous  :  par  mesme  moyen  faisant  aussi  que  vous 
receussiez  quelque  fruit,  avant  moindre,  de  vostre  labeur  ancien, 
duquel  je  sens  encore  aujourd'huy  le  proufît.  »  (!""  août  1546.) 

Quelques  années  plus  tard,  dans  le  Commentaire  sur  la  pre- 
mière epistre  aux  T hessaloniciens  (1550),  nouvel  hommage 
exprimé  en  termes  non  moins  touchants  : 

«  C'est  bien  raison,  que  vous  aussi  ayez  part  en  mes  labeurs, 
veu  que  sous  vostre  conduite  et  addresse,  ayant  premièrement 
commencé  le  train  d'estudier,  j'ay  pour  le  moins  avancé  jusques 
à  ce  poinct,  de  pouvoir  en  quelque  sorte  proufîter  a  l'Eglise  de 
Dieu.  Lorsque  mon  père  m'envoya  jeune  enfant  à  Paris,  n'ayant 


30*  INTRODUCTION 

seulement  que  quelques  petis  commenceniens  de  la  Langue 
Latine,  Dieu  voulut  que  je  vous  rencontray  pour  mon  précepteur 
quelque  peu  de  temps  afin  que  par  vous  je  fusse  tellement 
addressé  au  vray  chemin  et  droite  façon  d'apprendre,  que  j'en 
peusse  puis  après  aucunement  mieux  proufiter.  Car  comme  ainsi 
soit  que  vous  eussiez  tenu  la  première  classe,  et  là  enseigné 
avec  grand  honneur,  toutesfois  pour  ce  que  vous  voyiez  que  les 
enfans  façonnez  par  les  autres  maistres  par  ambition  et  bravade, 
n'estoyent  point  fondez  à  bon  escient,  et  n'apportoyent  rien  de 
ferme,  mais  avoyent  seulement  quelques  bouffées  pour  faire 
mine,  en  sorte  qu'il  vous  faloit  recommencer  à  les  façonner  de 
nouveau,  vous  estant  fasché  d'une  telle  peine,  estiez  ceste  année- 
la  descendu  à  la  quatrième  classe.  Voyla  bien  quelle  estoit  votre 
intention  :  mais  cependant  ce  me  fut  un  singulier  bénéfice  de 
Dieu,  de  rencontrer  un  tel  commencement  d'instruction.  Et  com- 
bien qu'il  ne  me  fust  pas  permis  d'en  jouir  longtemps,  pour  ce 
qu'un  homme  estourdi  et  sans  jugement,  lequel  disposoit  de  nos 
estudes  à  son  vouloir,  ou  plutost  selon  sa  foie  fantasie,  nous  feit 
incontinent  monter  plus  haut  :  toutesfois  l'instruction  et  addressé 
que  vous  m'aviez  donnée  me  servit  si  bien  depuis,  qu'à  bon  droict 
je  confesse  et  recognoy  estre  tenu  à  vous  du  proutît  et  avance- 
ment tel  qu'il  s  en  est  ensuyvi.  De  laquelle  chose  j'ay  bien  voulu 
rendre  tesmoignage  à  cens  qui  viendront  après  nous,  afin  que 
s'il  leur  revient  quelque  utilité  de  mes  escrits,  ils  sachent  qu'elle 
est  en  partie  précédée  de  vous.  »  (17  fév.  looO.) 

Ces  dernières  lignes,  si  explicites,  constituent  un  témoignage 
précieux  sur  les  origines  de  la  formation  littéraire  du  Réforma- 
teur ;  elles  prouvent  par  ailleurs  que  le  cœur,  chez  Calvin,  quoi 
qu'on  ait  pu  dire,  était  à  la  hauteur  de  l'intelligence.  Autrement, 
la  séduction  infinie  qu'il  exerça  autour  de  lui  ne  s'expliquerait  pas. 

Un  texte  peu  connu,  qui  appartient  au  plus  ancien  ouvrage  de 
Calvin  et  à  ses  années  de  jeunesse  studieuse,  nous  révèle  ce 
qu'étaient,  vers  l'âge  de  vingt-trois  ans,  ses  idées  en  matière  de 
style.  Calvin  nous  a  laissé,  en  latin,  une  étude  de  critique  litté- 
raire, la  seule  qui  soit  sortie  de  sa  plume  :  c'est  la  préface  de  son 
Commentaire  sur  le  De  Clementia  de  Sénèque,  publié  en  lo32, 
son  premier  volume.  On  en  trouvera  la  traduction  dans  une 
remarquable  étude  due  à  un  écrivain  regretté,  Henri  Lecoultre  '. 

1.  Heni'i  Lecoultre,  Mélanges  (Lausanne,  Bridel),  s.  d.,  p,  87-126  :  Calvin 


LA    FORMATION    LITTÉRAIRE    DE    CALVIN  31* 

J'en  citerai  ici  un  extrait  caractéristique.  Après  avoir  protesté 
contre  les  injustes  attaques  dirigées  contre  le  philosophe  latin, 
il  cherche  à  dégager  ses  mérites  plus  proprement  littéraires  : 
«  Pour  autant  que  j'ai  quelque  intelligence  de  ces  questions, 
Sénèque  fut  un  homme  d'une  grande  érudition  et  d'une  éloquence 
remarquable.  Quel  genre  de  connaissances  a  été  inaccessible  à 
cet  heureux  génie?  ...  Il  possède  toute  la  dialectique  nécessaire 
à  l'ornement  dé  son  discours.  Sa  mémoire  lui  fournissait  des  traits 
de  l'histoire  ancienne  toutes  les  fois  qu'il  en  avait  besoin  ;  il  s'y 
est  pourtant  parfois  trompé,  faute  d'avoir  été  assez  exigeant 
envers  lui-même.  Sa  langue  est  pure  et  brillante,  on  sent  qu'elle 
est  de  la  bonne  époque.  Sa  manière  de  parler  est  élégante  et 
fleurie,  son  style  n'est  pas  recherché,  il  coule  sans  effort  ;  le  ton 
de  son  discours  est  modéré,  comme  il  convient  à  un  philosophe; 
il  s'élève  pourtant  parfois,  et  l'on  peut  s'assurer  que  la  veine 
sublime  ne  lui  aurait  pas  manqué,  s'il  l'avait  recherchée.  Presque 
tout  le  monde  lui  reproche  son  luxe  de  paroles  et  sa  prolixité  ; 
je  conviens  qu'à  cet  égard  il  en  fait  trop,  et  je  pense  que  ce  sont 
là  les  défauts  agréables  dont  il  est  rempli  au  jugement  de  Quin- 
tilien.  Je  regrette  aussi  chez  lui  l'absence  de  l'ordre,  cette  lumière 
du  discours.  Mais  combien  ces  défauts  nous  paraîtront  peu 
importants  en  comparaison  de  ses  qualités  !  Qu'on  se  souvienne 
seulement  que  jamais  aucun  génie  n'a  pu  nous  plaire  sans  que 
nous  y  missions  de  l'indulgence.  Je  ne  veux  pas  m'arrêter  plus 
longtemps,  disons-le  une  fois  pour  toutes  :  Sénèque  est  le  premier 
après  Gicéron,  il  est  une  colonne  de  la  philosophie  et  de  l'élo- 
quence romaines.  Car  nous  avons  perdu  Brutus  et  ses  pareils. 
C'est  ce  qu'apprendront  ceux  qui  consacreront  leurs  meilleures 
heures  à  le  lire  ;  je  réponds  qu'aucun  d'eux  ne  regrettera  sa 
peine,  à  moins  qu  il  ne  soit  né  sous  la  colère  des  Muses  et  des 
Grâces.  » 

Si  l'on  examine  attentivement  le  commentaire  qui  suit  cette 
préface,  on  est  étonné  de  constater  l'ample  et  solide  érudition  de 
ce  jeune  homme  de  vingt-trois  ans  :  il  cite  déjà  couramment 
Homère,   Platon,  Aristote,  Plutarque  et  d'autres  ;  il  connaît  la 


d'après  son  Commentaire  sur  le  De  Clementia  de  Sénèque  (1532).  L'auleur 
donne  en  appendice  la  liste  des  classiques  latins  et  grecs,  des  Pères  de 
l'Église  et  des  humanistes  cités  par  Calvio  dans  son  Commentaire. 


32*  INTRODUCTION 

littérature  latine  d'une  manière  à  peu  près  complète,  non  seu- 
lement les  moralistes,  les  philosophes,  les  orateurs,  les  poètes, 
les  historiens,  mais  encore  les  jurisconsultes,  les  grammairiens  et 
les  écrivains  les  plus  spéciaux,  sans  omettre  les  commentateurs 
ni  les  érudits  modernes. 


IX 

Le  style  de  Calvin  '. 

De  très  bonne  heure,  le  jeune  Réformateur  eut  conscience  de 
la  puissance  merveilleuse  de  linstrument  de  propagande  que 
lui  conféraient  ses  dons  exceptionnels  d'écrivain.  «  Que  je  sois 
déclamateur,  il  (Westphal)  ne  le  persuadera  à  personne;  et  tout 
le  monde  sait  combien  je  sais  presser  un  argument,  et  combien 
est  précise  la  brièveté  avec  laquelle  j'écris.  »  11  écrit  même  à 
Farel,  en  septembre  lo49  :  «  Certes,  je  ne  me  dissimule  pas 
combien  est  déplaisante  la  prolixité  d'Augustin,  mais  je  me 
demande  par  contre  si  ma  propre  brièveté  n'est  pas  trop  conden- 
sée. »  11  semble  qu'il  ait  apprécié.. avec  sa  clairvoyance  ordinaire, 
ce  que  cette  qualité  incontestable  pouvait  olfrir  d'excessif.  Quoi 
qu'il  en  soit,  dans  la  dédicace  à  Simon  Grynée,  qui  figure  en  tête 
de  son  commentaire  de  l'Epître  aux  Romains  (lo39),  le  Réfor- 
mateur a  exalté  avec  une  visible  prédilection  les  dons  de  clarté, 
de  facilité,  de  sobriété  et  aussi  de  brièveté  qu'il  préconise  pour  la 
rédaction  des  Commentaires  des  Livres  saints  :  «...  Or  combien  que 
je  scache  que  ceste  opinion  n'est  pas  receue  de  tous,  et  que  ceux 
qui  ne  la  reçoyvent,  ont  aussi  quelques  raisons  qui  les  induisent 
à  estre  d'autre  avis,  toutesfois  quant  à  moy  on  ne  me  peut  destour- 
ner d'aimer  ceste  briefveté...  Cela  fera  que  d'un  costé,  nous  qui 
approuvons  plus  une  briefveté,  ne  rejetterons  point  ou  mesprise- 
rons  les  labeurs  de  ceux  cpii  sont  longs  et  copieux...  :  et  d  autre 


1.  L'étude  que  nous  faisons  plus  loin  des  cai'actéristiques  du  style  de  Cal- 
vin, dans  l'édition  originale  de  1341,  nous  amènera  nécessairement  à  formu- 
ler toute  une  série  d'autres  considérations  sur  la  lanirue  du   Réformateur, 


LE    STYLE    DE    CALVLN  33* 

part  aussi  ceux-là  nous  supporteront  mutuellement,  encore  qu'il 
leur  semble  que  nous  soyons  par  trop  briefs  et  serrez...  J'ay  pris 
peine  de  tellement  modérer  et  compasser  mon  st\le,  qu'on  peut 
apercevoir  que  je  me  suis  proposé  ce  moyen-là  comme  mon  patron 
pour  me  régler  dessus.  »  Il  blâme  ensuite  la  prolixité  de  Bucer 
(i  qui  ne  peut  s'estancher  et  faire  fin  »  et  conclut  avec  insistance 
qu'il  faut  «  user  de  ji;rande  sobriété  »  dans  l'interprétation  de  la 
parole  de  Dieu. 

Tous  ses  coreligionnaires  se  rendirent  aisément  compte,  dès 
ses  premières  publications,  des  dons  qu'il  ne  refusait  pas  de 
s'avouer  à  lui-même.  Nombreux  sont  les  témoignages  que  l'on 
pourrait  recueillir  dans  ce  sens.  Près  du  moment  où  la  pre- 
mière édition  de  la  version  française  de  \  Institution  venait  de 
paraître,  Farel  reconnaissait  hautement  la  supériorité  littéraire 
et  théologique  de  son  jeune  collaborateur  et,  comparant  son 
propre  ouvrage  avec  celui  de  son  collègue,  il  écrivait  :  «  Jean 
Calvin,  mon  bon  et  entier  frère,  a,  en  son  Institution,  si  ample- 
ment traité  tous  les  points  touchés  en  mon  livret  que,  surmon- 
tant non  seulement  ce  que  j'ay  touché,  mais  ce  que  je  pourroye 
toucher,  il  a  osté  l'occasion  à  moy  et  aux  autres  d'en  vouloir 
plus  ^ileinement  escrire.  Que  tous  ceux  qui  auront  vu  mon  petit 
livre  regardent  donc  cette  belle  Institution,  laquelle  regardant, 
ils  n'ont  plus  besoin  de  ma  petitesse,  ni  de  prendre  peine  à  lire 
mon  petit  livret.  »  {Epître  aux  lecteurs  fidèles,)Fare\l\emeni,  Jean 
Sturm  déclare  en  tête  de  l'édition  française  de  1  S5i  :  a  Jean  Calvin, 
c'est  un  homme  d'un  jugement  qui  pénètre  jusques  au  bout,  et 
d'une  doctrine  admirable,  et  d'une  mémoire  singulière  :  et  lequel 
en  ses  escrits,  c'est  merveille  comment  il  parle  de  tout,  et  abon- 
damment, et  purement.  Dont,  son  Institution  de  la  Religion 
Chrestienne,  en  est  un  tesmoignage  évident.  Laquelle  une  fois 
l'ayant  mise  en  lumière,  puis  après  l'enrichit,  mais  maintenant 
l'a  rendue  toute  parfaite.  Tellement  que  je  ne  sache  nully  qui 
ait  onc  plus  parfaitement  escrit,  ny  pour  demonstrer  la  vraye 
Religion,  ny  pour  corriger  les  meurs,  ny  pour  abatre  les  abuz. 
Et  quiconques  auront  atteint  jusque  aux  poinctz  des  choses  qu'il 
enseigne  en  ce  Livre  la,  que  telz  croyent  hardimant  qu'ilz  sont 
parfaitement  establiz.  »  Il  serait  facile  de  citer  ici  d'autres 
déclarations  de  même  nature. 

De  même  que  chez  Jean  Lemaire  de  Belges,  trente  ans  plus  tôt. 
Institution  c 


34*  INTRODUCTION 

et  chez  Rabelais,  au  même  moment,  on  ne  constate  pas  chez  Calvin 
considéré  comme  écrivain,  l'existence  d'un  style  unique.  Si  Fau- 
teur du  P fin f a f/ruel  emploie  tour  à  tour,  suivant  les  besoins  de  son 
exposé,  le  style  oratoire,  le  style  narratif  et  descriptif  et  ce  qu'on 
pourrait  appeler  d'un  mot  commode  le  style  dramatique,  c'est-à- 
dire  celui  de  ses  merveilleux  dialogues,  Calvin,  de  même,  tour  à 
tour,  sait  recourir  au  style  oratoire  ou  philosophique,  ample  et 
grave,  aussi  bien  qu'à  celui  de  la  polémique,  incisif,  rapide  et 
empreint  d'une  ironie  redoutable.  Cette  distinction  apparaît  déjà 
nettement  dans  la  première  Institution.  On  a  remarqué,  en 
effet,  que  la  première  partie  est  moins  polémique,  plus  simple, 
d'un  ton  relativement  calme  et  mesuré.  Dans  les  trois  derniers 
chapitres,  au  contraire,  l'ardeur  de  la  controverse  amène  l'écri- 
vain à  employer  une  forme  plus  vive,  plus  âpre  même;  l'in- 
dignation n'en  est  pas  absente,  mais  jamais  elle  ne  dépasse 
un  certain  degré.  Il  e.st  avéré  que  les  termes  violents  s'y  ren- 
contrent en  beaucoup  moins  grand  nombre  que  dans  les  édi- 
tions suivantes.  A  l'aurore  de  sa  vie  d'apôtre,  le  Réformateur 
cherche  à  se  contenir  ;  il  semble  cependant  échapper  à  l'influence 
de  sa  formation  classique,  telle  qu'elle  se  révèle  dans  son  com- 
mentaire de  Sénèque.  Platon,  Ambroisé,  Augustin  sont  assuré- 
ment cités  en  lo36,  mais,  d'une  façon  générale,  on  remarque  dans 
cette  édition  un  emploi  beaucoup  moins  fréquent  des  grands 
écrivains  grecs  et  romains,  des  Pères  et  même  des  philosophes  du 
moyen  âge,  que  dans  les  éditions  postérieures  du  même  livre. 

L'occasion  est  bonne,  semble-t-il,  pour  protester  contre  l'erreur 
trop  répandue  qui  représente,  depuis  le  jugement  de  Bossuet,  le 
style  de  Calvin  comme  essentiellement  «  triste  ».  H  suffit  d'évo- 
quer le  Traité  des  Reliques,  l'Excuse  à  M.  de  Falais,  Y  Excuse  à 
Messieurs  les  Xicodémites,  les  divers  traités  contre  les  Libertins, 
les  Commentaires  sur  les  Epîtres  de  Saint  Paul,  les  Sermons  sur 
V Harmonie  évangélique  ou  sur  la  Passion,  nombre  de  ses  préfaces 
et  lettres  françaises  et  dune  manière  générale  les  œuvres  de  polé- 
mique ou  de  circonstance,  conçues  et  composées  en  français.  On 
jugera  en  les  lisant,  combien  dans  les  écrits  qui  ne  sont  pas 
traduits  du  latin  et  qui  offrent  un  caractère  moins  dogmatique, 
moins  oratoire.  Calvin  sait  renoncera  la  hauteur  et  à  la  gravité  de 
la  phrase  latine.  On  admirera  cette  aisance  familière,  ces  rappels 
constants  à  la  réalité  concrète,  ces  comparaisons  pleines  de  relief, 


LE    STYLE    DE    CALVIN  35* 

ces  imag-es  empruntées  au  monde  extérieur  et  à  l'ambiance  quo- 
tidienne, ces  apologues  malicieux,  goguenards  même,  qui  com- 
muniquent aux  pages  citées  plus  haut  tant  de  mouvement  et 
de  vie.  On  oublie  les  préoccupations  dogmatiques  pour  se  laisser 
entraîner  par  la  verve  du  polémiste  et  la  forte  séduction  du  psy- 
chologue. Point  de  tension,  point  d'efTort  calculé  vers  la  poésie; 
on  voit,  au  contraire,  se  révéler  à  chaque  pas  les  indices  du  voisi- 
nage de  la  vie,  les  preuves  d'une  expérience  alerte  et  variée.  C'en 
est  assez,  comme  on  l'a  dit,  pour  dissiper  la  tristesse  des  déduc- 
tions les  plus  tendues.  Et  quelle  éloquence  simple,  alerte  et 
pénétrante  dans  ses  lettres  ! 

Il  y  a  sûrement  une  grande  part  de  légende  dans  cette  réputa- 
tion d'austérité  continue  qui  est  devenue  l'apanage  de  Calvin 
écrivain.  Le  Picard  avisé  et  réaliste,  aussi  bien  ([ue  le  juriste 
habitué  à  distinguer  les  espèces  et  à  tenir  compte  des  faits,  ne 
moururent  jamais  en  lui.  Tous  ceux  qui  ont  eu  l'occasion  d'étu- 
dier les  aspects  divers  de  son  génie  littéraire  savent  combien  le 
profond  connaisseur  d'hommes  qu'était  le  Réformateur,  sensible 
aux  côtés  sociaux  des  choses  et  épris  d'action,  sut  éviter  l'ennui 
et  la  monotonie  dans  toutes  les  productions  où  il  eut  à  cœur  de 
déployer  les  ressources  de  son  style. 

«  Quant  à  la  syntaxe  de  Calvin,  observe  Petit  de  Julleville', 
quoique  un  peu  plus  lente  que  la  nôtre,  et  plus  amie  d'une  phrase 
qui  se  déploie,  et  des  tours  périodiques,  elle  reste,  pour  nous- 
mêmes,  parfaitement  claire  et  intelligible,  grâce  à  la  netteté  des 
constructions.  Bien  plus,  quoique  sa  phrase  périodique  soit  au 
fond  toute  latine,  il  sait  bien  que  le  génie  des  deux  langues  n'est 
pas  tout  à  fait  le  même,  ni  surtout  leurs  ressources,  la  nôtre 
étant  pauvre  en  relatifs,  et  manquant  de  flexions  casuelles  :  aussi 
prend-il  soin  de  n'embarrasser  point  sa  période  française  de  trop 
longues  incises,  comme  on  en  trouve  encore,  cent  ans  plus  tard, 
dans  Descartes.  Calvin,  par  la  syntaxe,  est  en  avance  sur 
Descartes.  »  Mais,  si  le  style  de  Calvin  est  «  bien  conduit  »,  cet 
ordre,  cette  méthode,  cette  mille  vigueur  que  l'on  y  admire  ne  se 
traduisent  pas  seulement  par  l'enchainement  des  pensées,  par  la 
subordination  des  idées  secondaires  à  la  principale:  la  même  maî- 
trise se  révèle  dans  la  contexture  interne  des  propositions,  dans 

1.  /ils/,  de  la  langue  et  de  la  lUl.  fr.,  III,  p.  346. 


36*  INTRODUCTION 

le  groupement  des  mots  qui  les  constituent,  dans  lordonnance 
intérieure  et  la  juste  proportion  de  cliaque  membre  de  phrase. 
Il  est  visible  que  le  Réformateur  a  diminué  autant  qu'il  a  pu  les 
termes  de  relation,  les  locutions  accessoires,  simplifiant  la  marche 
de  ses  périodes,  pour  développer  et  mettre  en  relief,  comme  l'a 
noté  M.  Châtelain,  les  mots  de  valeur,  aug-menter  la  cadence  de 
la  phrase,  la  rendre  plus  aisée,  plus  harmonieuse  à  réciter.  A  cet 
égard,  son  goût  pour  la  musique  et  la  pratique  de  la  parole,  qui  lui 
a  communiqué  une  abondance  parfois  excessive,  ont  accru  certai- 
nement chez  lui  le  sens  musical  des  mots  et  des  phrases.  Il  a 
recherché  d'instinct  les  résonances  pleines  et  agréables.  «  Il  en 
est  arrivé  à  apprécier  dans  les  vocables  qu'il  emploie  la  matière 
sonore,  et,  peu  consciemment  ou  pas  du  tout,  il  a,  lui  qu'on 
jugeait  monotone,  lui  qui  ne  cherchait  jamais  à  plaire,  fait  des 
concessions  au  plaisir  de  l'oreille  ;  il  a,  en  recherchant  dans  une 
mesure  à  peine  sensible  la  variété  des  consonances,  observé  une 
des  lois  musicales  de  la  belle  prose  ^.  »  Par  là  Calvin  s'est  montré 
beaucoup  plus  qu'on  ne  l'a  cru  un  véritable  artiste  :  artiste,  il  l'a 
été  par  la  manière  dont  il  a  compris  la  construction  et  le  vocabu- 
laire, et  dont  il  a  usé  des  images  et  des  comparaisons,  tour  à  tour 
pittoresques  et  savoureuses.  Clarté,  concision,  vie  et  mouvement  : 
il  a  tendu,  par  un  effort  continu  et  volontaire,  vers  ces  qualités 
souveraines  qui  devaient  conférer  à  la  prose  française  la  plus 
enviable  des  couronnes  :  l'universalité  '. 

1.  Revue  Foi  et  Vie,  1909,  p.  668.  Un  rapprochement  curieux  s'impose  à 
cet  égard.  Je  suis  persuadé  que  le  style  aisé  et  coulant  de  Ylleptainéron  de 
Marguerite  d'Angoulènie,  d'une  allure  si  moderne  et  si  en  avance  sur  celui 
de  tous  les  prosateurs  contemporains,  par  sa  claire  syntaxe  et  l'absence 
des  archaïsmes,  s'explique  tout  naturellement  par  l'influence  de  la  conver- 
sation des  milieux  polis  de  cour.  Marguerite  excella  dans  l'art  de  diri- 
ger ces  entretiens,  et  il  parait  bien  évident  que  si  la  langue  de  ses  contes 
témoigae  d'une  telle  facilité,  c'est  que  la  conversation  l'avait  épurée,  assou- 
plie et  débarrassée  de  toutes  les  complications  inutiles  auxquelles  tant 
d'autres  écrivains  restaient  asservis.  Il  y  a  donc  entre  le  style  de  Calvin, 
formé  par  la  prédication,  et  celui  de  Marguerite,  formé  par  la  conversa, 
tion  élégante,  un  rapport  intéressant  qui  mériterait  d'être  étudié  avec  quelque 
détail. 

2.  Pour  apprécier,  en  toute  connaissance  de  cause,  la  place  de  ïlnsiitu- 
tion  dans  notre  histoire  littéraire,  il  serait  toutefois  nécessaire  que  l'his- 
toire du  o-enre  de  la  traduction  au  xvi'=  siècle  fût  écrite;  or,  nous  sommes 
encore  loin  de  posséder  une  telle  étude.  J'estime  qu'elle  suggérera,  quand 
elle  sera  élaborée,  des  comparaisons  qui  nous  man([uent  actuellement. 


Histoire  du  fevte  de  V Inslitulion.   Vnleur  et  niithenticité  compa- 
ratives des  éditions  de  foîf  et  de  1.j(t(}. 


Abordons  maintenant  une  question  très  importante  que  nous 
avons  réservée  jusqu'à  ce  moment.  Quelle  est  la  valeur  littéraire 
propre  du  texte  français  de  1541  et  quels  sont  les  motifs  qui  nous 
ont  décidé  aie  rééditer  à  part?  Par  quelles  considérations  avons- 
nous  été  amené  à  concevoir  la  nécessité  d'entreprendre  cette 
réimpression  particulière  ? 

Quand  les  admirables  éditeurs  des  Opéra  (Jalvini  dans  le  Cor- 
pus 7'eformaforuni  (Brunswick)  donnèrent  en  IStio,  au  tome  III 
de  leur  recueil,  le  texte  français  de  Y  Institution,  voici  comment 
ils  comprirent  et  réalisèrent  leur  tâche.  Après  avoir  remarqué 
qu'il  n'existe  pas  de  texte  français  correspondant  à  la  première 
édition  latine  et  que  les  autres  recensions  de  l'ouvrage,  toutes 
représentées  par  les  éditions  françaises  qu'ils  avaient  sous  la 
main,  pouvaient  se  combiner  aisément  au  moyen  de  renvois  et  de 
notes  marginales,  surtout  après  le  soin  qu'ils  avaient  mis,  en 
les  publiant  d'abord  en  latin,  à  les  distinguer  à  l'aide  des  res- 
sources typographiques,  ils  continuaient  ainsi  :  «  Il  s'agissait 
donc  seulement  de  choisir,  parmi  les  éditions  existantes,  celle  qui 
devait  servir  de  base  à  la  nôtre.  Car  tout  d'abord  nous  adoptâmes 
le  principe  de  réimprimer,  non  un  texte  combiné,  c'est-à-dire 
offrant  pêle-mêle  des  leçons  empruntées  à  diverses  éditions,  mais 
le  texte  propre  et  particulier  d'une  seule  édition,  sauf  à  y  joindre 
les  variantes  des  autres.  Notre  choix  ne  pouvait  être  douteux. 
Nous  dûmes  prendre  un  exemplaire  de  la  dernière  recension,  de 
la  rédaction  définitive  dans  laquelle  l'Institution  a  passé  à  la  pos- 
térité. Il  est  vrai  que  les  textes  antérieurs  sont,  dans  un  certain 
sens,  plus  authentiques,  comme  nous  l'avons  démontré  plus  haut. 
Mais  si  nous  nous  en  étions  tenus  à  ceux-ci,  il  aurait  fallu  relé- 
guer en  marge  la  plus  grande  partie  de  l'ouvrage,  dans  sa  forme 
actuelle,  ce  qui  aurait  été  bien  peu  rationnel,  tandis  qu'en  procé- 
dant de  la  manière  opposée  les  notes  devenaient  plus  courtes  et 
plus  rares.  Enfin,  parmi  les  éditions  de  la  dernière  recension,  nous 


38*  INTKODLCTION 

dûmes  choisir  la  toute  première,  comme  la  seule  qui  pouvait 
encore  passer,  dans  une  certaine  mesure,  pour  avoir  été  publiée 
sous  les  yeux  mêmes  de  Calvin,  la  plupart  des  autres  n'étant 
positivement  que  des  entreprises  privées  de  divers  libraires,  nous 
dirions  aujourd'hui  des  contrefaçons.  Ainsi  ce  que  nous  offrons 
ici  au  lecteur,  c'est  l'édition  de  lo6(J,  imprimée  k  Genève  par 
Jean  Crespin.  » 

Tel  fut  le  sA^stème  adopté  par  les  auteurs  des  Opéra.  Ce  n'est 
donc  qu'à  regret,  pour  ainsi  dire,  que  les  savants  éditeurs  stras- 
bourgeois  n'ont  pas  pris   pour  base  de    leur  travail  le  texte  de 
1541.  L'hommage  qu'ils  se  sont  plu  à  rendre  à  sa  valeur  excep- 
tionnelle se  justifiait  par  les  déclarations  qu'ils  avaient  été  ame- 
nés à  formuler  queUjues  pages  plus  haut.  '<  Ayant  réussi,  disent- 
ils  (page  xxv),  à  nous  entourer  de  toutes  les  éditions  publiées  du 
vivant  de   Tauteur,   nous  les  avons   minutieusement    comparées 
entre  elles  et  avec  les  textes  originaux  correspondants.    Ce  tra- 
vail nous    a  fait  faire  des  découvertes   assez  importantes  sur  la 
nature  de  la  traduction,  sur  ses  rapports  avec  le  texte  latin,   sur 
le  degré  de  fidélité  qu'on  peut  lui  reconnaître,  enfin  sur  la  part 
même  que  Calvin  peut  y  avoir  prise.  Nous  avons  reconnu  qu'on 
ne  peut  attribuer  k  l'auteur  lui-même,  avec  une  entière  certitude, 
que  la  première  rédaction  du  texte   français,  tel  qu'il  parut  en 
1o41,    peut-être   encore    le    remaniement    remarquable    et    tout 
exceptionnel   des  premiers   chapitres    de   la    dernière   rédaction 
publiée  en  1560.  En  effet  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  à  l'égard  de 
la  première  édition,  puisque  Calvin  en  fait  la  déclaration  expresse 
k  deux  reprises  différentes,  sur  le  titre   et  dans  la   préface.    Les 
mêmes  raisons  décideront  la  chose  à  l'égard  des  éditions  subsé- 
quentes, lesquelles,   à  quelques  additions  près,  reproduisent  le 
texte  primitif.  Il  en  est  autrement  de   la  dernière  recension  qui 
s'annonce  elle-même   (dans   les   exemplaires    des  deux   langues) 
comme  au ffmenfée  de  Ici  accroissement  qu'on  la  peut  presque  esti- 
mer un  livre  nouveau.  A  en  juger  par  le   commencement  de  ce 
texte   définitif  il   paraît  que  l'auteur  a  voulu   donner   lui-même 
une  traduction  entièrement  refondue.  Car  ce   commencement  ne 
correspond  avec  aucune  des  traductions  antérieures,  pas  même 
dans  les  parties  ou  phrases  qui  n'ont  point  été   changées   dans 
loriginal.  Aussi  avons-nous  cru  devoir  faire  imprimer  les  deux 
textes  de  cette  partie   de  Touvrage.    Cet   essai  d'une  traduction 


IIISTOIIIE    DU    TEXTE    DE    L'INSTITUTION  '  39* 

nouvelle  s'arrête  au  septième  chapitre  du  premier  livre.  Tout  le 
reste  se  compose  de  fragments  de  l'ancienne  traduction,  là  où  le 
texte  latin  est  resté  le  même  (quoique  dans  ce  cas  aussi  il  y  ait 
des  changements  assez  fréquents),  et  d'une  traduction  nouvelle 
des  additions  complémentaires  qui  forment  presque  la  moitié  du 
texte  actuel.  Or,  c'est  cette  partie  très  notable  de  la  traduction  que 
nous  ne  saurions  attribuer  k  la  plume  de  Calvin.  Il  est  même 
peu  probable  qu'il  ait  seulement  revu  les  épreuves.  Car  non  seu- 
lement nous  avons  rencontré  un  grand  nombre  d'inexactitudes, 
d'omissions,  d'additions  oiseuses  et  embarrassantes,  mais  encore 
des  passages  où  il  est  évident  que  le  traducteur  n'a  pas  même 
compris  le  texte  latin.  Un  simple  coup  d'ceil  sur  les  notes  cri- 
tiques que  nous  avons  jointes  à  notre  texte  convaincra  le  lecteur 
de  la  justesse  de  notre  assertion.  Mais  on  nous  permettra  de  la 
justifier  ici  par  un  petit  nombre  d'exemples  choisis  au  hasard 
dans  les  notes  du  présent  volume.  » 

Les  éditeurs  (p.  xxvi)  énumèrent  ensuite  les  principales  fautes 
relevées  par  eux  dans  le  texte  de  1560.  En  voici  seulement 
quelques  exemples  :  Ch.  13,  §8.  D'après  le  passage  de  Jacques,  I, 
17,  il  n'y  a  pas  en  Dieu  Iransmutalio  vel  conversionis  ohuinhra- 
iio  (ombre  de  changement)  ;  au  lieu  de  cela  le  traducteur  met  : 
ny  ombrage  tournant.  — Ch.  15,  §8.  En  parlant  d'Adam  l'au- 
teur dit  :  Nulla  imposita  fuit  Deo  nécessitas,  quin  illi  daret.... 
le  traducteur  met  la  phrase  absurde  :  nulle  nécessité  ne  luy  a 
esté  imposée  de  Dieu,  etc.  —  Livre  II,  ch.  3,  §  4  :  Plato  reguni 
filios  creari  dicit  aliqua  singulari  nota  insignes  ;  Platon  dit  que 
les  enfants  des  Rois  sont  composez  d'une  masse  précieuse.  — 
Ch.  8,  §  31.  Le  Sabbat  a  été  institué  comme  un  mystère,  c'est- 
à-dire  comme  une  préfiguration  de  perpétua  nostrorum  operum 
quiète,  de  notre  repos  futur  et  éternel.  La  traduction  dit  :  que  le 
peuple  fust  instruit  de  se  démettre  de  ses  œuvres.  —  Ch.  2,  §  42  : 
Calvin,  par  allusion  à  1  Tim.  I,  19  compare  une  bonne  cons- 
cience à  l'arche  de  Noë,  arcae  in  qua  custoditur  fides,  le  traduc- 
teur y  substitue,  un  coffre,  parce  qu'il  ne  s'est  pas  rendu  compte 
de  l'image.  —  Livre  III,  ch.  3,  §  1.  Calvin  établit  la  thèse  que 
la  foi  doit  précéder  la  pénitence.  C'est  là  pour  lui  une  partie 
intégrante  de  son  système,  et  il  combat  ceux  qui  sont  d'un  avis 
contraire.  Cette  polémique  commence  par  la  phrase  :  Quihus 
autem  videtur  fidem  prœcedere  pœnilentia  etc.,   ce  qui  veut  dire 


40*  '  INTRODUCTION 

à  la  lettre  :  ceux  au  contraire  auxquels  la  pénitence  apparaît 
comme  précédant  la  foi.  Mais  le  traducteur  a  mis  tout  juste  le 
contraire  :  ceux  qui  cuydentque  la  foi/  précède  la  pénitence...  etc. 

Voici  la  conclusion  de  MM.  Baum,  Cunitz  et  Reuss  :  «  Nous 
espérons  qu'après  avoir  lu  et  apprécié  ces  passages,  nos  lecteurs 
trouveront  i[ue  notre  jugement  sur  le  degré  d'authenticité  de  la 
traduction  française  de  l'Institution,  telle  qu'elle  a  été  imprimée 
depuis  lo60,  n'est  pas  trop  hasardé.  Il  est  de  toute  impossibilité 
que  Calvin  se  soit  rendu  coupable  d'une  légèreté  telle  que  nous 
l'avons  rencontrée  dans  maint  endroit  de  ce  texte  ;  il  est  impos- 
sible de  supposer  que  l'auteur  ne  se  soit  plus  compris  lui-même 
en  traduisant,  ou  ({uil  n'ait  pas  su  exprimer  en  français  ce  qu'il 
avait  écrit  en  latin.  Au  besoin,  sa  première  traduction  elle- 
même  viendrait  à  l'appui  de  notre  thèse,  par  sa  scrupuleuse 
exactitude. 

((  Ce  sera  donc  un  fait  désormais  établi  que  la  traduction 
française  de  l'Institution,  dans  sa  forme  définitive  et  reçue,  en 
exceptant  les  parties  conservées  de  l'ancienne  rédaction,  a  été 
rédigée  avec  une  certaine  incurie,  par  des  mains  moins  habiles  et 
sans  le  contrôle  de  l'auteur.  Ce  fait  nous  expliquera  mieux 
encore  la  différence  déjà  signalée  entre  l'original  et  la  traduc- 
tion. Le  premier  est,  pour  le  style,  un  chef-d'œuvre  de  simpli- 
cité, d'élégance,  de  concision  et  de  mâle  vigueur.  Ces  mêmes 
qualités  ne  se  retrouvent  qu'à  un  faible  degré  dans  la  rédaction 
française  et  seulement  dans  les  chapitres  qui  traitent  des  sujets 
populaires  de  religion  et  de  morale.  Bien  souvent,  dans  les 
autres,  pour  comprendre  la  phrase  française,  il  faut  avoir 
recours  au  latin  et  rien  qu'en  comptant  les  pages  des  deux  textes 
on  peut  mesurer  la  distance  qui  les  sépare  et  apprécier  la  diffé- 
rence entre  la  clarté  serrée  de  l'un  et  la  prolixité  obscure  de 
l'autre.  C'est  au  premier  seul  que  Calvin  a  imprimé  le  cachet  de 
son  génie  ;  le  second,  inspiré  d'abord  par  le  sentiment  du  devoir, 
n'a  jamais  été  à  ses  yeux  qu'une  œuvre  en  sous-ordre,  à  l'égard 
de  laqiielle  il  renonça  bientôt  à  ses  droits  d'auteur.  Hàtons-nous 
cependant  d'ajouter  que  nous  sommes  bien  loin  de  méconnaître 
la  valeur  propre  de  cette  traduction,  même  dans  sa  dernière 
forme.  On  ne  saurait  nier  qu'en  bien  des  endroits  la  version  de 
1560  est  positivement  meilleure  que  celle  de  1541.  Et  si  nous 
comparons  l'ouvrage    en   général  aux    autres  productions    litté- 


HISTOIRE    DU    TEXTE    DE    l'iNSTITUTION  41* 

raires  du  temps  qui  ont  quelque  analogie  avec  lui,  nous  en 
constatons  facilement  les  qualités  supérieures .  C'est  le  premier 
essai,  aussi  heureux  que  courageux,  de  faire  parler  science  et 
théologie  à  la  langue  des  .loin ville,  des  Monstrelet  et  des  Clé- 
ment Marot.   » 

Près  de  trente  ans  plus  tard,  les  considérations  émises  par  les 
éditeurs  àixCorpus  rcformaiorum  attirèrent  l'attention  d'un  péné- 
trant historien  des  lettres.  M.  Lanson,  dans  la  Revue  historique  de 
1894 (p.  GOetsuiv.),  reprit  la  question  posée  en  1865.  Résumant 
la  thèse  de  ses  prédécesseurs  :  «  On  aperçoit,  disait-il,  toute  la 
gravité  de  cette  conclusion.  Près  de  la  moitié  de  Y  Institution 
française  de  I06O  ne  saurait  être  attribuée  à  Calvin.  Or,  c'est 
la  traduction  de  I06O  qui  a  toujours  été  réimprimée.  C'est 
d'après  l'édition  de  1560,  ou  une  de  ses  dérivées,  qu'a  été 
faite  l'édition  de  1859  (Paris,  Meyrueis  et  C'')  ;  c'était  l'édition 
de  I06O,  que  reproduisait  M.  Baumgartner  à  Genève  en  1887. 
Et  naturellement  l'Institution  qu'étudient  et  jugent  tous  nos 
critiques,  YInstitution  dont  nos  éditeurs  de  Morceaux  choisis, 
M.  Marcou,  M.  Hatzfeld,  M.  Cahen,  donnent  des  extraits,  c'est 
YInstitution  de  1560,  c'est-à-dire  im  ouvrage  où  la  moitié  du 
texte  à  peu  près  n'est  pas  de  Calvin.  Vous  voyez  le  désastre,  si 
les  éditeurs  du  Corpus  ne  se  sont  pas  trompés.  —  Ils  ne  se  sont 
pas  trompés  tout  à  fait,  mais  ils  n'ont  pas  aperçu  l'entière, 
l'exacte  vérité.  » 

Le  même  critique  montre  d'abord  que  certaines  des  fautes,  d'où 
les  éditeurs  strasbourgeois  concluent  à  l'inauthenticité  de  l'en- 
semble de  la  traduction,  se  rencontrent  dans  des  morceaux  dont 
ils  ne  songent  pas  à  nier  l'authenticité.  De  plus,  ceux-ci  relèvent, 
semble-t-il,  des  contresens  qui  n'en  sont  pas.  Les  inadvertances  qui 
les  étonnent  sont  de  celles  qu'un  auteur  même  peut  commettre. 
On  ne  saurait  compter  comme  contresens  un  certain  nombre  de 
passages  où  il  y  a  substitution  de  métaphore,  changement  de 
tour  ou  d'expression.  Quantité  de  fautes,  inexactitudes,  omis- 
sions, additions  semblent  bien  être  le  fait  d'un  auteur  sûr  de  son 
sens,  et  qui  ne  s'inquiète  pas  outre  mesure  de  rendre  la  physio- 
nomie de  chaque  expression  latine,  dédaignant  de  s'asservir  à 
un  texte  qui  est  le  sien.  <(  On  peut  objecter  que  la  version  fran- 
çaise de  1541  est  au  contraire  très  littérale.  Oui,  mais  compte- 
t-on  pour  rien  les  vingt  années  qui  séparent  les  deux  traductions  ? 


42*  INTRODUCTION 

Vingt  années,  pour  Calvin,  de  prédication  incessante,  et,  si  je  puis 
dire,  de  multiples  écritures  ;  vingt  années  pendant  lesquelles  de 
sa  bouche  et  de  sa  plume  il  n'a  cessé  de  rompre  le  français  et 
de  se  rompre  au  français.  En  1541,  le  latin  le  soutenait  ;  en 
1560,  le  latin  le  gênait,  du  moins  il  s'en  affranchissait;  il  allait 
à  l'esprit,  non  à  la  lettre  ;  il  achevait  sa  pensée  presque  sans 
regarder  son  texte,  et  il  trouvait  sans  peine  des  mots  qui  ne 
devaient  rien  au  latin,  et  parfois  n'y  ressemblaient  guère.  » 

Il  est  tel  genre  d'infidélité  qui,  loin  d'autoriser  le  doute,  trahit 
plutôt  la  main  de  Calvin.  Quand  nous  constatons  que  cette  expres- 
sion les  reigles  de  la  doctrine  chresiienne  a  été  substituée  aux 
règles  de  Ticonius  du  texte  latin,  c'est  qu'en  réalité  une  indica- 
tion vague,  mais  claire,  a  remplacé  \me  indication  de  source, 
précise,  mais  sans  signification  pour  la  plupart.  En  traduisant 
son  livre,  le  Réformateur  a  eu  pour  but  d'en  faire  avant  tout  un 
livre  d'instruction  et  d'édification  destiné  non  aux  savants  à  qui 
convient  le  latin,  mais  aux  humbles,  au  menu  peuple,  au  grand 
public  à  qui  l'érudition  n'est  pas  familière.  De  là,  comme  l'a 
ingénieusement  noté  l'auteur  de  l'article,  toute  une  catégorie 
d'inexactitudes  qui  adoucissent  en  quelque  sorte  l'érudition  du 
livre  original,  quand  il  s'agit  de  particularités  trop  curieuses,  et 
surtout,  de  littérature  profane  :  ex  Arato  traduit  par  «  d'un  poète 
païen  »  ;  «  selon  Aristote  »,  donné  par  le  texte  français,  sans  que 
cette  indication  ait  été  jugée  nécessaire  dans  le  texte  latin  ; 
apud  Xenophontem  traduit  par  «  Xenophon,  philosophe  païen 
bien  estimé  »  ;  impuri  canis  Lucre fii  traduit  par  a  d'un  autre 
vilain  poète  nommé  Lucrèce  »,  pour  ceux  qui  ne  sauraient  pas 
que  Lucrèce  est  poète. 

On  doit  observer  encore  que  nombre  d'additions  oiseuses  sont 
de  celles  qui  ont  pu  échapper,  en  1560,  à  l'écrivain  plus  exercé, 
plus  abondant.  11  y  a  des  redondances  qui  s'expliquent  d'elles- 
mêmes.  Ainsi,  il  apparaît  que  les  éditeurs  des  Opéra  se  sont  sou- 
vent exagéré  la  portée  des  fautes  de  la  traduction.  «  11  reste 
cependant  dans  la  traduction  de  1560  assez  de  contresens, 
même  de  non-sens  incontestables,  pour  qu'on  répugne  à  y  voir 
l'œuvre  de  Calvin,  qui  eût  été  incapable  de  telles  légèretés.  » 
Voilà  la  difficulté  de  nouveau  posée. 

Un  passage  de  la  Préface,  en  forme  de  lettre,  que  Golladon 
mit   en  tète   d'une    édition  de    VInstifiition    donnée   par  lui  en 


IIISTOIUK    l)\J    TKXTE    DE    l'iNSTITUTION  43* 

1576',  va,  comme  la  vu  avec  raison  M.  Lanson,  nous  expliquer 
bien  des  choses  : 

Gomme  celui-ci  (Calvin)  préparait  la  version  française  de  son  Insti- 
lulion  conformément  à  la  nouvelle  édition  [latinej  qu'il  allait  donner, 
il  dicta  une  foule  de  choses,  tant  à  son  frère  Antoine  qu'à  un  domes- 
tique faisant  office  de  secrétaire,  il  inséra  aussi  en  maint  endroit  des 
pag;es  arrachées  d'un  exemplaire  français  précédemment  imprimé  ; 
aussi  lui  fallut-il  souvent  donner  ses  papiers  à  relier,  mais,  à  la  fin, 
il  était  absolument  nécessaire  que  quelqu'un  revisât  l'ouvrag'e.  En 
elîet.  il  y  avait  eu,  dans  un  très  grand  nombre  de  passages,  des  chan- 
gements considérables  ;  les  ratures  et  les  additions  embrouillaient 
d'un  bout  à  l'autre  le  texte,  le  rendaient  difficile  à  lire,  souvent  fau- 
tif, d'autant  que  des  secrétaires  ne  saisissent  pas  toujours  les  mots 
qu'on  leur  dicte.  Donc,  à  la  prière  d'Antoine  Calvin,  aux  frais  de 
qui  l'édition  française  devait  bientôt  s'imprimer  chez  Jean  Cres- 
pin,  qui  fut  jadis  notre  hùte  (comme  Henri  Kstienne  fut  chargé  de 
l'édition  latine),  j'ai  revu  tous  ces  brouillons,  latins  et  français,  tels 
qu'ils  étaient  dans  les  papiers  de  l'auteur,  et  je  me  suis  chargé  de 
les  relire,  corriger,  collationner,  afin  de  rendre  tout  plus  sûr,  plus 
clair,  plus  facile,  moins  embrouillé  tout  au   moins  pour  l'impression  '^. 

A  la  lumière  de  ce  récit,  toutes  les  difficultés  s'éclairent  :  les 
erreurs  de  la  traduction  trouvent  leur  explication  naturelle. 
Calvin  a  refait,  en  la  dictant,  la  traduction  des  sept  premiers 
chapitres,  puis  il  se  contenta,  pour  aller  plus  vite,  de  traduire 
seulement  les  additions  et  découpa  le  reste  dans  son  ancienne 
traduction.  De  là,  les  défaillances  de  la  traduction  qui  viennent 
des  secrétaires  ou  du  réviseur  :  erreurs  de  doctrine,  jjrossières 
ignorances. 

De  tout  cela  résulte  cette  conclusion  que  Calvin  a  fait  la  tra- 

1.  Joannis  Calvini  Opéra,   I,  p.  xli. 

2.  Il  faut  rapproctier  de  ce  texte  celui  de  Bèze  sur  l'organisation  du  tra- 
vail de  Calvin.  «  Estant  de  si  petite  vie  ildormoit  aussi  fort  peu.  Mais  pour 
cela  quelque  lassitude  qui  s'en  ensuivist,  il  ne  laissoit  pas  d'estre  toujours 
prest  au  ti-avail  et  à  l'exercice  de  sa  charge  ;  car  les  jours  que  ce  n'estoit 
pas  à  lui  à  prescher,  estant  au  lict,  il  se  faisoit  apporter,  dès  les  cinq  ou  six 
heures,  quelques  livres,  afin  de  composer,  ayant  quelqu'un  qui  escrivoit  sous 
/uj.  .  .Voilà  comment  il  a  dicté  les  matins  la  plupart  de  ses  livres,  estant 
en  continuel  et  treslieureux  travail  d'esprit.  »  (Bèze,  Vie  de  Calvin,  éd. 
Franklin,  p,    211.) 


44*  INTRODUCTION 

duction  de  1560;  seulement  toute  la  partie  matérielle  d'écriture, 
de  révision,  de  correction  d'épreuves  n'a  pas  été  faite  par  lui. 
Très  fautive  sans  doute,  la  traduction  de  I06O  est  cependant  de 
Calvin.  Ici.  ]M.  Lanson  rejoint  les  éditeurs  du  Corpus,  en  affir- 
mant que  cette  traduction  a  beau  être  l'œuvre  du  Réformateur, 
elle  manque  absolument  d'autorité  au  point  de  vue  littéraire. 
Exécutée  dans  des  conditions  de  précipitation  et  d'  «  incurie  », 
elle  est  le  produit  d'une  besogne  matérielle,  non  point  d'un  véri- 
table travail  littéraire. 

Une  conséquence  assez  inattendue  découle  do  ces  faits  :  la 
règle  qui  veut  que  pour  les  œuvres  classiques,  on  reproduise 
d'ordinaire  le  dernier  texte  publié  et  revu  par  Fauteur,  soutfre, 
en  ce  qui  touche  YInstitiitio?i,  une  éclatante  exception.  Le  texte 
de  io60  n'enregistre  nullement  les  derniers  progrès  du  goût  et 
de  la  réflexion  de  l'auteur.  Il  ne  s'est  agi  que  de  mettre  hâtive- 
ment l'édition  française  au  courant  des  améliorations  et  addi- 
tions —  doctrinales  et  confessionnelles  —  déjà  introduites  dans 
le  texte  latin.  Nul  motif  ici  pour  donner  la  préférence  à  la  der- 
nière édition.  «  Toutes  les  raisons,  au  contraire,  engagent  à 
préférer  la  première  à  la  dernière.  On  ne  saurait  trop  y  insister; 
le  vrai  texte,  au  point  de  vue  littéraire.  —  le  vrai  texte  de 
1  Institution  française,  le  seul  dont  il  y  ait  à  tenir  compte,  c'est  le 
texte  de  1541 .  Non  pas  seulement  à  cause  des  fautes  de  l'édition 
de  I06O,  mais  pour  des  motifs  plus  graves  et  plus  généraux. 
Mais  écartons  d'abord  une  objection.  Si  on  prend  le  texte  de 
1S41,  oxv  mvXWQ  y  Institution  ;  on  la  réduit  de  près  de  moitié. 
L'objection  serait  grave  si  l'on  se  plaçait  au  point  de  vue  reli- 
gieux, s'il  s'agissait  de  faire  une  édition  confessionnelle.  Elle 
tombe  dès  qu'il  s'agit  de  littérature,  car  les  additions  portent 
surtout  sur  des  questions  de  dogme  ;  ce  qu'il  y  a  de  plus 
humain,  de  plus  littéraire,  ce  qui  est  vue  profonde  de  l'àme 
humaine,  haute  doctrine  morale,  le  plus  important  du  moins  et 
le  plus  beau,  se  trouve  déjà  dans  l'édition  de  1541 .  Ce  n'est  pas 
par  un  hasard  que,  des  extraits  choisis  par  MM.  Marcou,  Hatz- 
feld,  Cahen,  aucun  ne  répond  aux  additions  du  texte  latin  de 
1559.  On  pourra  toujours,  quand  on  voudra  pénétrer  toute  la 
pensée  et  toute  l'àme  de  Calvin,  se  reporter  à  l'ouvrage  complet 
ainsi  qu'on  lit  les  Méditations  de  Descartes  après  son  Discours 
de  la  Méthode,  mais  comme  texte  littéraire  et,  si  j'ose  dire,  clas- 


î 


HISTOIHE    DU    TEXTE    DE    l'iNSTITL'TION  45* 

sique,  il  n"v  a  que  le  texte  de  loil  qui  compte.  »  Après  cela,  la 
grande  raison  qui  milite  en  faveur  du  texte  de  1541,  c'est  assuré- 
ment sa  date.  Au  moment  où  il  parut,  notre  prose  n'avait  encore 
à  offrir  que  les  deux  premiers  livres  de  Rabelais  de  tiers  livre 
est  de  1546)  et  les  quelques  pag-es  du  Cymbalum  niiindi.  Vingt 
ans  plus  tard,  la  production  littéraire  était  devenue  intensive 
dans  tous  les  domaines  :1e  Tiers  et  le  Quarf  Livre  du  Panfai/ruel, 
les  Propos  rustiques  de  Du  Fail,  laZ)e/c>/is<?  el  illustration,  avaient 
paru  et  la  Pléiade  avait  accompli  son  œuvre  ;  un  grand  nombre 
de  traductions  avaient  vu  le  jour-:  philosophiques,  morales,  reli- 
gieuses, scientifiques  sans  parler  de  celles  qui  venaient  de 
mettre  à  la  portée  du  grand  public  la  plupart  des  œuvres  notables 
des.  littératures  antiques  et  étrangères  ;  citons  seulement  les 
traductions  données  par  Louis  Le  Roy,  les  Vies  de  Plutarque 
d'Amvot,  VAmadis  dllerberay  des  Essarts.  Les  Joyeux  Devis 
et  Y Heptanieron  se  trouvaient  dans  toutes  les  mains,  le  Traité 
de  la  Servitude  volontaire  était  composé  :  l'Hôpital  faisait  entendre 
sa  noble  parole  ;  Charles  de  Sainte-Marthe  avait  déjà  prononcé 
ses  Oraisons  funèbres,  Ramus,  Pasquier  et  Ambroise  Paré 
étaient  connus,  et  plus  d'un  écrivain  préparait  déjà  des  œuvres 
morales,  à  la  manière  des  Anciens,  en  attendant  Montaigne  ; 
enfin  Calvin  lui-même  avait  mis  au  jour  une  série  considérable 
et  singulièrement  variée  d'ouvrages  en  français  :  livres  de  polé- 
mique, lettres,  sermons, commentaires,  etc.,  et  d'autres  écrivains 
réformés  l'avaient  suivi  dans  cette  voie  :  les  noms  de  Viret  et 
d'Estienne  suffisent  à  le  rappeler. 

On  peut  donc  assurer  qu'en  1560,  V Institution  perd  à  peu 
près  toute  signification  littéraire.  Elle  se  noie,  comme  on  Ta 
dit,  au  milieu  de  la  prédication,  de  l'apologétique,  de  l'exégèse 
protestantes,  elle  a  l'air  de  continuer  un  mouvement  bien  anté- 
rieur, alors  que  vingt  ans  plus  tôt,  en  \  541 ,  elle  avait  glorieusement 
innové.  Or,  si  tous  les  historiens  de  notre  littérature  placent 
l'Institution  à  cette  dernière  date,  c'est  toujours  à  l'édition  de 
1560  que  toutes  les  citations  sont  empruntées.  On  nous  fait 
juger  de  la  grandeur  de  l'œuvre  réalisée  par  Calvin  en  1541  par 
un  texte  élaboré  dix-neuf  ans  après  cette  date  mémorable.  Et 
cependant  les  différences  présentées  par  les  deux  textes  s'ac- 
cusent profondes  et  continues  ;  elles  ne  consistent  pas  seule- 
ment,   comme    on    pourrait    le  supposer,    en    simples    nuances 


46*  INTRODUCTION 

d'expression  :  en  réalité,  nous  avons  aiîaire  à  deux  styles  dis- 
tincts que  séparent  et  différencient  vingt  années  d'évolution 
de  la  langue  française,  vingt  années  pendant  lesquelles  la  pen- 
sée, la  conception  de  l'art  et  de  la  science  ont  été  transformées, 
renouvelées  avec  plus  de  rapidité  peut-être  que  pendant  nulle 
autre  période  de  l'histoire  intellectuelle  de  notre  pays. 

Notre  but  est  donc  de  restituer  aux  amis  des  lettres  françaises 
un  ouvrage  qui  a  marqué  une  date  inoubliable  dans  l'évolution 
de  notre  littérature  et  qui,  ne  subsistan-t  qu'en  un  nombre  in- 
fime d'exemplaires,  ne  saurait  être  admiré  et  étudié  avec  fruit 
à  une  époque  qui,  comme  la  nôtre,  est  de  plus  en  plus  avide  de 
connaître  ses  origines.  Il  est  nécessaire  de  remarquer  en  effet 
que  l'édition  critique  du  Corpus  Reformatoruin  ne  prétend  en 
aucune  façon  nous  redonner  le  chef-d'œuvre  original  de  Calvin, 
puisque  le  texte  de  I06O  lui  sert  de  base,  et  qu'il  comporte 
une  disposition  totalement  différente  de  celle  de  loil.  Il  faudrait 
un  labeur  extrêmement  long  et  compliqué  pour  retrouver  à  tra- 
vers les  variantes  et  les  notes  de  chaque  page,  tous  les  éléments 
qui  pourraient  permettre  une  reconstitution  du  texte  primitif. 
En  réalité,  on  ne  parviendrait  à  réaliser  cette  reconstitution 
qu'en  transcrivant  çà  et  là,  à  l'aide  d'un  travail  de  marqueterie 
qui  demanderait  de  longs  mois,  tous  les  passages  et  fragments 
qui  appartiennent  au  texte  de  1541,  pour  les  grouper  ensuite 
dans  leur  ordre  véritable  ' .  Grâce  à  la  réimpression  qu'on  trou- 
vera plus  loin,  l'ouvrage  reparaîtra  dans  sa  splendeur  première, 
'- — comme  un  beau  bronze  net  de  tout  alliage  et  produit  d'une 
coulée  unique,  —  tel  qu'il  fut  donné  avant  les  remaniements 
qui  le  transformèrent.  On  admirera  ainsi  une  œuvre  d'une  seule 
venue,  ainsi  qu'elle  apparut  à  sa  vraie  date,  grave  et  gauche  à  la 
fois,  sans  aucun  ornement  d'emprunt. 


1.  "  Pour  diverses  raisons,  les  éditeurs  du  Corpus  ont  préféré  ou  dû 
suivre  comme  texte  principal  la  traduction  de  1560,  quils  estimaient  inau- 
thentique ;  il  faut  aller  chercher  au  bas  des  pages  la  traduction  primitive, 
déchiquetée,  l'ompue  en  mille  tronçons  pour  l'ajuster  au  plan  déflnitif  de 
Calvin  qui  a  bouleversé  l'ordi'e  primitif  de  son  ouvrage.  Il  est  impossible 
dès  lors  de  se  représenter  la  suite  et  le  naturel  développement  de  la  véri- 
table Institution  îviMiçaise  ;  impossible  d'en  faire  ni  étude  ni  usage  sérieux.» 
[Revue  historique,  art.  cité,  p.  76.; 


XI 


Les  différences  entre  V édition  de  1541  et  celle  de  1560 
au  point  de  vue  de  la  langue  et  du  style. 

C'est  qu'en  effet  le  texte  de  1541  révèle  la  nouveauté  de  l'effort 
accompli,  par  son  allure  archaïque  même.  Il  est,  dans  la  pleine 
acception  du  terme,  une  traduction,  où  la  phrase  française  semble 
moulée  sur  la  phrase  latine,  et  où  l'auteur  n'a  pas  cherché  à  atté- 
nuer les  subordinations  et  coordinations  qu'implique  la  langue 
ancienne,  féconde  en  incidentes.  Chose  dig-ne  d'être  notée,  ce 
style  se  rapproche  étrangement  de  toutes  les  parties  oratoires 
ou  épistolaires  du  roman  rabelaisien,  si  proches  elles  aussi  de  la 
prose  latine,  qu  on  les  croirait  par  endroit  traduites  dun  texte 
antérieur.  Ainsi,  d'un  côté  comme  de  l'autre,  les  commencements 
de  l'éloquence  française  restent  intimement  associés  et,  si  l'on 
ose  dire,  soudés  à  la  langue  mère.  L'émancipation,  l'allure  indé- 
pendante ne  viendront  que  plus  tard. 

Quand  nous  comparons  le  texte  de  1541  avec  celui  des  éditions 
postérieures  ',  nous  découvrons  sans  peine  la  trace  de  l'assou- 
plissement que  l'habitude  d'écrire  et  le  perfectionnement  de  la 
langue  apportent  au  style  de  l'écrivain.  On  saisit  sur  le  fait  la 
volonté  constante  de  Calvin  de  rajeunir,  ou  si  l'on  veut,  de 
rafraîchir  son  style.  Sa  tendance  visible  est  de  s'écarter  du 
latin,  au  fur  et  à  mesure  que  les  années  s'écoulent,  et  de  don- 
ner à  ses  phrases  un  tour  plus  conforme  au  génie  de  sa  langue 
maternelle.  Cela  est  si  vrai  que  l'éloignement  des  expressions 
trop  sensiblement  latines  se  marque  même  dans  des  détails  de 
formules  de  politesse  :  dans  la  préface  adressée  à  François  I"", 
le  tutoiement,  calqué  sur  celui  du  latin,  disparaît  dès  1545;  de 
même,  les  titres  de  :  0  très  noble  Roy,  très  excellent  Roy,  très 
illustre  Roy,  etc.,  sont  remplacés  par  celui  de  Sire.  Les  mots  qui 

1.  Nous  renvoyons  aux  variantes  du  Corpus  Reformatorum  qui  rendront 
sensibles  les  modifications  successives  apportées  par  Calvin  à  son  style, 
nous  réservant  de  revenir  sur  ce  sujet  avec  détail  dans  le  3^  fascicule.  On 
trouvera  dans  l'article  de  M.  Lanson  cité  plus  haut  [Revue  historique, p.  71 
et  suiv.)  un  choix  d'exemples  de  ces  différences. 


48*  INTRODUCTION 

ont  gardé  lenipreinte  latine,  comme  convertir^  cogitation^  abjec- 
tion, abnégation,  sapience,  oraison,  génération,  etc.,  sont  rem- 
placés par  tourner,  pensée, petitesse,  renoncement,  sagesse,  propos, 
secte.  Les  exemples  abondent  :  tantôt  les  mots  dérivés  du  latin 
sont  remplacés  par  des  synonymes,  tantôt  par  des  locutions  com- 
posées, dans  d'autres  cas  par  des  verbes.  Cet  elFort  vers  une  forme 
plus  souple,  plus  vivante,  n'est  pas  moins  sensible  dans  la  cons- 
truction :  inversions  évitées,  voix  active  ou  pronominale  substi- 
tuée à  la  voix  passive,  emploi  plus  fréquent  de  on,  de  c'est  de, 
c'est  que,  il  y  a,  voicy  ;  simplification  des  locutions,  telles  que 
jusques  là  où  qui  devient  jusques,  —  et  si  encores  il  estoit  ainsi 
remplacé  par  et  encores  qu'ainsi  fust,  —  qUe  nous  vous  me  trans- 
formez pavpour  estre  transformez,  — car  quelquonques  qu'ilz  par 
quels  qu'ils,  — mais  s'unissanf  avec  nous,  par  mais  se  donnant  et 
communiquant  à  nous  /suppression  de  mots  explétifs  :  rien  d'avan- 
taige  devient  davantagetontcouvt.  Onoljserve,  d'une  manière  g-éné- 
rale,  l'élimination  des  complications  inutiles  ;  ce  début  de  phrase 
du  chapitre. II  (livre  II,  ch.  ii,  en  1560)  :  Or  nous  congnoistrons 
à  quel  but  nous  devons  tendre  en  considérant  devient  Or  voicy 
le  moyen  qui  nous  gardera  d'errer,  c'est  déconsidérer; —  et  de  faict 
nous  voyons  comment  il  confesse,  que  le  combat  dont  nous  avons 
parlé,  d'entre  l'Esprit  et  la  chair,  estoit  en  sa  personne  devient  ^^^ 
qui  ne  parloit,  par  feintise,  en  descrivant  ce  combat  de  la  chair 
et  de  l'esprit  qu'il  sentoit  en  sa  personne  ;  —  nous  avons  pensé  estre 
du  devoir  de  nostre  office  de  confermer  (1541  et  1545)  devient 
en  1560  :  j'estime  qu'il  viendra  bien  à  pjropos  de  confermer. 
Notons  encore  le  remplacement  par  l'indicatif  de  la  proposition  infî- 
nitive  :ces/e  estre  la  vie  éternelle  devient:  [nous  croyons  que  c'est  la 
vie  e/erne//e;  l'emploi  du  relatif  à  la  manière  moderne  :  cestuy  estoit 
un  Père  qui  est  remplacé  par  c  estoit  aussi  un  Père  qui  disait  ; 
ceste  de  1541  est  remplacé  par  celle,  dans  certains  cas,  pendant 
que /ce//e  remplace,  en  1560,  celle  de  1541;  et  de  celle  corru- 
ption de  1541  est  remplacé,  en  1560,  par  e/  de  la  corruption. 
Il  arrive  que  le  texte  latin  est  traduit  en  1541  avec  plus  d'exac- 
titude qu'en  1560  :  ainsi  (chap.  15  du  livre  IV  de  1560)  :  ut 
amplius  non  sit,  aut  nohis  negotium  non  facessat  est  rendu,  en 
1541  et  1545,  par:  qu'il  ne  sert  plus  et  qu'il  ne  7ious  face,  etc., 
tandis  que  nous  trouvons  plus  tard  :  qu'il  ne  nous  face,  tout  court. 
Il  advient  cependant  que  pour  renforcer  une  déclaration,  Calvin, 


((IMI'MSAISON     KI'S     lanIKiNS  49' 

dans  le  Icxto  do  l'IOO,  coinpliijuo  une  loiinule  {|ui  élail  plus 
simple  eu  loil  :  ainsi  (livre  III,  chapitre  U  de  l'iliOi:  Pour  rnii/  il 
es/  ainsi,  c'osf  qu'il  faut  est  représenlé  en  lo'tl  el  loi"»,  par 
ces  simples  mots  :  //  [nul  (/uc  De  même,  il  arii\e  que  la  traduc- 
tion IVançaise  aussi  bien  en  l'I'il  (ju'en  I .")(>(),  supprime  des 
nuances  (pu>  fournit  le  texte  latin  :  vpIu/  rem  omnium  ffiusfis- 
.s///irt/»  est  traduit  jjai'  :  comme  une  e/iose  /rè.s  heureuse,  tournure 
nidiiis  éneri4i((ue.  lu'ciprorcpuMnent .  le  texte  français  accentue  en 
plus  duncas  l'iina^-e  fournie  parle  latin  :  dans  cette  phrase  par 
lu  vertu  duquel  les  moninqnes  déroulent  lo/n/ne  lu  neii/e  au 
soleil,  les  (piatre  derniers  nu)ts  (|ui  é\0(pu>nt  la  conij)araison  ne 
figurent  pas  dans  le  texte  latin.  On  })eut  assurer  qu'il  est  en 
matière  de  style,  peu  de  compai  aisons  aussi  instructives  (jue 
celle  des  deux  textes  de  l'iil  et  dv   ioliO. 

Kapproclions  (juehjues  phrases  t'nq)runtées  aux  trois  textes 
latin  et  français     chapitri'   1''    : 

I  rj39  :  ((  .\itJji.s  su.icissi/iw  /jhinduii  iir  cl  hinluni  non  semidei 
cidemur.   ■ 

loi!  :  ■•  .\nus  nous  flu/ons  et  a/ilundissons  et  //eut  s'en  fault  que 
nous  ne  nous  es/iniinns  dcni  1/  I)icu.c.  " 

ITiGÛ  :  <■  .\ous  sommes  bien  aises  et  nous  haiynn/is  à  nous  flû- 
te/' Jusques  à  nous  priser  comme  demi  dieux.    ><  — 

1."^>.'{Î)  :  H  .Vo/(  sccus  atque  oculus,  cui  nihil  alias  nljversaiur 
nisi  niqri  coloris,  candidissimum  esse  judicat.  quod  tamen  suh- 
oLscura  est  alhedine,  cel  nonnulla  etiam  fuscedine  aspersum.  » 

1">4I  :  «  Tout  ainsi  que  l'œil,  lequel  ne  voit  riens  que  choses 
de  couleur  noire,  juqe  ce  qui  est  d'une  hlanc/ieur  obscure,  ou 
bien  encores  à  deini/  gris,  estre  le  plus  blanc  du  monde.  » 

l'JdO  :  «  (Jomme  un  œil  qui  ne  roit  que  du  noir,  estime  que 
ce  qui  est  brun  ou  de  couleur  obscu/e  et  moi/enne  est  de  souve- 
raine blancheur,  pour  ce  qu'il  t/  est  ainsi  accoustumé.  »  — 

lo39  :  (f  .Si  creperimus  coqitationem  in  Deum  erigere  et  expcndere 
qualis  sit  et  quam  e.racta...  (sit  justitiae  perfectio)  ».  traduit  en 
l."(41  (p.  2  par  :  «  Si  nous  nous  dressons  une  fois  notre  cogita- 
tion au  seigneur  et  recongnoissons  quelle  est  la  perfection  de  sa 
Justice  ».  devient  ensuite  :  «  .S7  nous  commençons  à  élever  nos 
pensées  à  Dieu,  el  bien  po'iser  quel  il  est,  et  combien  la  perfection 
de  sa  justice  est  exquise  ». 

Institution.  d 


50"  IMI'.nlHCTiriN 

Il  n'i'sl  pris  lU'trssairc  d'insister  plus  lonytonips  siula  dilVérence 
des  deux  styles. 

Nul  doute  qu'en  procédant  de  la. sorte  Calvin  nail  cherché  à 
rendre  son  style  j)lus  coulant,  plus  familier  aussi,  plus  conforme  en 
un  mol  au  vocabulaire  et  à  ha  syntaxe  populaires.  Lintérèt  de  la 
propagande  était  lié  ;i  ses  yeux  à  lemploi  d'un  lant^age  accessible 
au  plus  j>rand  nombre  des  fidèles.  Son  sens  si  profond  et  si 
juste  des  réalités  l'a 'évidemment  inspiré  en  cela  comme  en  tant 
d'autres  cas. 

Suivant  une  remaïque  faite  déjà  par  M.  H.  Châtelain,  on 
devine,  à  travers  les  traductions  successives,  un  souci  manifeste 
de  rendre  avec  une  exactitude  plus  rig-om-euse,  on  pourrait  dire 
presque  religieuse,  le  texte  latin,  comme  s'il  s'agissait  d'un  texte 
classique  consacré.  Ainsi  ces  mots  de  la  seconde  p.'ige  :  «  Xatn 
si  rcl  /erra/Il  (Icspici/iiiis  incdia  die.  rrl  in/iiciiiiir  qiuc  aspec/lli 
nnsirn  circiuiici/iH  jia/cn/.  sont  traduits  de  la  sorte  en  loi! 
i).  '2.  ligne  27  :  ■  (^n/-  si  nous  rcf/ardons  en  plain  jour  bas  en 
/(■/■/■(■  :  ou  si  nous  con/cinjtlons  les  choses  r/ui  son/  it  ienlour  de 
nous  11.  et  sous  cette  autre  rurnie  plus  coiu'le.  en  J-^iliO  Opcrii, 
III.  col.  il  !"  (^ai-  si  nous  jcllons  la  veue  en  Las  en  plein  jour 
el  (lue  nous  veijnrdiiuis  à  ICn/ourpar  ri/  par  là.  <>  La  correction 
qui  peut  paraître  au  K-cteur  non  averti  lui  sinqdi'  ra  jcimissenu'nt 
français,  corre.spond  en  réalité  à  une  ti'aduction  plus  littérale.  Il 
arrive  .aussi  que  telle  expression  latine,  traduite  d  abord  par  un 
terme  français,  tout  h  fait  adé([uat.  se  trouve  renforcée,  dans  la 
dernière  traduction,  par  un  terme  plus  imagé.  Ainsi  Jioniines... 
oJjser/uenfiores.  d'abord  traduit  par  populaire...  jtlus  ohei/.^sanL 
est  rendu,  en  lotlO  par  jtopulaire...  jtlus  ductible.  Quasi  nulli 
sun/.  d'abord  traduit  par  presfjue.<i  redii/ez  a  neanl.  est  rendu 
ensuite  par  qua.si  s'esvanouisseii/    (ipera.  III.  col.  ï'I). 

11  convient  de  noter  encore  plusieurs  changements  caractéris- 
tiques :  la  locution  //  nous  semble  advis  devient  //  nous  semble  : 
le  Sei(/neur  est  remplacé  en  nuiints  endroits  par  le  simple  nom  de 
Dieu,  et  au  lieu  du  .singulier  collectif /"/)07?îm<'.  est  mis  le  pluriel /<'.s 
hommes  ip.  2.  1.  S.  10,  14.  29;  p.  i.  1.  •'».  33,  etc.)  ;  /erriennes 
devient  terrestres  :  il  es/,  il  //  a;  il  apjier/.  on  roid  ;  ieeu.c.  /elles 
yens;  (h'duire  un  arg^ument  .  /irer  (p.  2,  1.  3i  ;  p.  3.  1.  23  ;  p.  i. 
I.  7.  2M.  :!9  .  Mais,  contrairement   à  ce  qu'on  pourrait  attendre, 


COMPARAISON    DKS    ÉDITIONS  51* 

ces/  est  une  fois  remplacé  par /c/:  cette  phrase  :  Or  de  cesi  espoven- 
temenl  nous  avons  plusieurs  exemples  débute  en  1560  par:  Or  de  tel 
estonnenien/,  qui  fournit  en  même  temps  une  expression  atténuée. 
Visiblement,  en  certains  endroits,   la  concision  est  sacrifiée  à 
l'aisance.  Cependant  c  tout  balancé,  remarque   le  même  érudit, 
les  cas   où    Calvin  substitue   à    une  syntaxe  lente  une  syntaxe 
plus  rapide    sont  les   plus  nombreux,   et   la   différence   est  sen- 
sible  en  particulier  en  ce  qui  concerne  les  particules   conjonc- 
tives. Elles  sont  d'ordinaire  moins  massives  en  1560  qu'en  1541. 
Mais  économisant  des  mots  pour  les  jointures  et  les  attaches  de 
ces  propositions,   Calvin   prend    plus  de    liberté  pour  déployer, 
selon  la  tendance  analytique  de  notre   langue,   les  éléments  de 
la  proposition   plus   chargés   de  sens  ;   au  besoin  un  substantif, 
s'il  est  par  lui-même  un  mot  de  valeur,  sera  divisé  en  plusieurs 
éléments  qui  composeront  une  proposition    complète.  Souvent, 
il  répartit  le  contenu  sémantique  d'un  seul  mot  latin  entre  deux 
mots  français  appariés   (adjectifs,    substantifs  ou  verbes).  Mais 
ce  qui  est  plus  intéressant  encore  à  faire  observer,    ce  sont  les 
corrections  qui  ajoutent  au  premier  texte  la  couleur  et  l'énergie 
d'un  équivalent  plus  concret  ».  Une  telle  constatation  contribue 
à  faire  mieux  saisir  combien  les  reproches  d'austérité  excessive, 
dirigés  contre  le  style  de  Calvin,  sont  peu  justifiés.  Petit  de  Jul- 
leville  s'est  trompé  en  affirmant  que  le  Réformateur  français  écri- 
vait «  sans   images  »,   qu'il   était  ((    pauvre  en   métaphores  »  et 
que  «  toute  poésie   lui   était  étrangère  ».    Plus  Calvin  avance  en 
âge,  et  plus  son  vocabulaire  s'enrichit,  usant  de  termes  plus  puis- 
sants de  sens   ou  plus  colorés.  Pendant  que  sa  pensée  acquiert 
plus  de  force  et  plus  d'éclat  au  contact  de  l'expérience,  sa  phrase 
gagne  en  nombre,  en  équilibre  et  en  relief.  Entre  un  certain  nombre 
de  détails  caractéristiques  qui  ont  été  relevés  dans  ce  sens,  on 
peut  signaler  le  suivant:  Calvin  use  en  1541  d  un  certain  nombre 
de  mots  de  formation  savante  en  tion.  Bien  qu'un  grand  nombre 
de  ces  mots  abstraits  —  une  bonne  moitié,  —  aient  fait  fortune 
dans  la  langue,  le  Réformateur  tend  à  les  éliminer  pour  échapper 
à  la  lourdeur    et  à  la   monotonie  de   leur  suffixe.  Quelques-uns 
d'entre  eux  ont  été  remplacés  par  l'infinitif  correspondant,  avec  un 
léger  changement  dans  la  construction  des  mots  voisins. 

Une  curieuse  tendance  que  révèle  encore  la  comparaison  des 
deux  textes,  c'est  la  substitution  d'équivalents  aux  adverbes  en 


52*  INTRODUCTION 

ment.  Ainsi  pareillement  se  trouve  remplacé,  en  1560,  par  aussi 
hien^  naturellement  par  de  nature  '. 


XII 

Supériorité  du  texte  de  1541.  Justification  de  notre  édition. 
Comment  elle  a  été  réalisée. 


Quoi  qu'il  en  soit,  ainsi  que  l'ont  reconnu  déjà  les  éditeurs  du 
Corpus  et  M.  Lanson,  «  non  seulement  le  texte  de  1560  n'est 
pas  celui  qui  marque  un  soudain  et  considérable  gain  de  notre 
langue  et  de  notre  littérature,  mais,  littérairement,  il  est  infé- 
rieur au  premier  et  authentique  texte  de  loil  ».  Le  second  ajoute 
à  cette  déclaration  :  «  Le  texte  de  1560,  considéré  comme  «  pre- 
mier monument  »  de  l'éloquence  religieuse  des  temps  modernes, 
est  un  document  faux,  bien  qu'il  soit  de  Calvin,  le  texte  de  1541 
seul  est  vrai.  Le  texte  de  1560  est  sans  valeur  historique  ;  tout 
ce  qu'on  dit  de  l'influence  de  Calvin  sur  la  littérature  se  rapporte 
au  texte  de  1541.  Le  texte  de  1560  est,  littéraii'ement,  inférieur  ; 
le  texte  de  1541  a  la  forme  d'un  chef-d'œuvre.  Le  texte  de  1560  est 
incohéi'entet  disparate;  il  contient  sept  chapitres  (liv.  I,  ch.  1  à  7), 
qui  sont  du  Calvin  de  1560  ;  toutes  les  additions  [traduites]  du  texte 
latin  de  1559  sont  aussi  du  Calvin  de  1560  ;  là  dedans  s'insère  et 
s'éparpille  la  version  de  1541  ;  le  Calvin  de  la  première  manière 
et  le  Calvin  de  la  dernière  manière  s'amalgament  confusément  ; 
et.  })our  achever  le  désordre,  une  foule  de  corrections  passent  en 
quelque  sorte  une  couche  du  style  de  1560  sur  les  morceaux  de 
1541,  ce  qui  n'empêche  pas  que  sous  le  badigeon  ne  reparaisse  la 
couleur  primitive  du  vieux  langage.  Au  contraire,  la  version  de 
1541  est  homogène,  toute  d'une  venue,  d'une  parfaite  unité  de 
ton  et  d  allure...  Il  est  inadmissible  que  l'on  continue  à  lire  un 
ouv  âge  de  cet  ordre  dans  un  texte,  non  pas  inauthentique,  si 
l'on  veut,  mais  informe  et,  en  somme,  faux  pour  l'usage  qu'on 
en  fait.  » 


l.  Sur  les  adverbes  en  ment,  on  peut  consulter  utilement  le  relevé  très 
consciencieux  de  M.  H.  Vaganay  dans  les  années  1903  et  suivantes  de  la/îeuue 
(les  Etudes  rahohiisiennes . 


COMMENT    NOTRE    ÉDITION    A    ÉTÉ    RÉALISÉE  53* 

Il  nous  a  donc  paru  qu'une  réimpression  (idèle  du  livre  de 
1541  rendrait  un  service  véritable  aux  lettres  françaises.  Ayant 
eu  roccasion,  il  y  a  quelques  années,  de  faire  une  série  de  con- 
férences sur  Calvin  écrivain  à  l'Ecole  pratique  des  Hautes  Etudes, 
je  me  suis  décidé  à  entreprendre  ce  travail  '.  Une  personne  qui, 
par  une  modestie  singulière  et  infiniment  touchante,  que  Calvin 
eût  admirée,  m'a  demandé  de  ne  pas  imprimer  son  nom,  s'est 
vouée  à  la  tâche  si  longue  et  si  délicate  que  représentait  la  copie 
intégrale  de  l'édition  de  1541.  Exécutée  avec  une  conscience  et 
une  fidélité  incomparal)les,  cette  copie,  qui  a  demandé  plusieurs 
années  de  labeur,  a  servi  de  base  à  l'impression  de  notre  texte. 
Son  auteur  a  prêté,  en  outre,  le  concours  le  plus  zélé  à  la  révi- 
sion des  épreuves.  Deux  auditeurs  des  plus  distingués  de  ma  Con- 
férence d'Histoire  littéraire  de  la  Renaissance,  M.  Henri  Châte- 
lain, agrégé,  docteur  es  lettres,  professeur  à  l'Université  de 
Birmingham,  et  M.-  Jacques  Pannier,  pasteur,  licencié  es  lettres, 
et  dont  la  thèse  de  doctorat  va  prochainement  voir  le  jour,  ont 
bien  voulu  se  charger  de  la  correction  des  épreuves  avec  un 
dévouement  auquel  je  ne  saurais  trop  hautement  rendre  hom- 
mage. Ils  ont  donc  assumé  la  responsabilité  de  la  reproduction 
complète  du  texte  de  Calvin,  page  pour  page-,  suivant  un  certain 
nombre  de  règles  que  j'ai  cru  devoir  adopter  et  dont  on  trouvera 
le  détail  dans  les  Xoies  et  index  fijpor/raphiques,  rédigés  par 
M.  Châtelain,  qui  terminent  le  présent  volume.  Une  série  de  révi- 
nions  tenues  pendant  la  durée  du  travail  et  une  certaine  quantité 
de  pages  révisées  en  commun,  nous  ont  permis  de  rester 
en  contact  et  de  grouper  pkisieurs  observations  intéressantes. 
M.  Jacqvies  Pannier  a  ajouté  à  l'édition  un  Résumé  nnalij tique  des 
matières  contenues  dans  l  «  Institution  »,  rédigé  avec  un  soin 
extrême,  et  qui  donne  en  quelques  pages,  pour  l'utilisation  du 
livre  de  Calvin,  un  instrument  de  travail  et  de  recherche  dont  on 
n'avait  pas  l'équivalent. 

1.  Une  première  lentative  avait  élé  railo  antériouremenl,  sur  l'inilialive 
de  M  .  Mathias  Morhardt,  du  journal  Le  Temps,  pour  trouver  les  ressources 
matérielles  nécessaires  à  la  réalisation  d'une  réédition  dont  le  soin  m  était 
confié.  Ln  comité  fut  même  formé,  mais  le  projet  n'aboutit  pas.  --  On  trou- 
vera dans  VAnniiaire  do  l'Kcole  praticjue  des  Hautes  Études  (Section  des 
sciences  histor.  et  philol.),   années  1907  et    1908,  le  plan  de  ce  cours. 

2.  Les  abréviations  du  texte  original  rendaient  difficile  une  reproduction 
ligne  pour  ligne.  En  i"ésolvant  les  abréviations,  en  imprimant  les  J  et  les  v, 
nous  avons  cherché  à  rendre  notre  texte  plus  facile  et  plus  agréable  à  lire. 


54"  INTRODUCTION 

Nous  réservons  pour  un  troisième  fascicule,  qui  paraîtra  dans 
quelque  temps,  une  réunion  d'études  relatives  à  V Institution 
et  à  son  auteur  :  glossaire,  étude  sur  le  vocabulaire  et  sur  la 
syntaxe  de  Calvin  et  sur  les  caractères  de  son  style;  sur  le  véri- 
table imprimeur  de  l'Institution  ;  comparaison  de  ï Institution 
avec  les  ouvrages  théologiques  antérieurs  ;  étude  comparative  sur 
les  différents  textes  de  l'Institution  ;  l'évolution  de  la  pensée  reli- 
gieuse du  Réformateur  à  travers  son  principal  ouvrage;  le  plan 
de  l'Institution  au  point  de  vue  de  la  forme  littéraire  et  du  déve- 
loppement de  la  pensée  de  Calvin;  étude  psychologique  sur  Calvin; 
la  diffusion  de  ses  livres  au  xvi'"  siècle,  etc. 

Nous  espérons  donner,  dans  notre  troisième  fascicule,  les  sept 
premiers  chapitres  de  1560,  outre  la  concordance  des  quatre 
recensions  françaises  de  l'Institution  ',  avec  les  variantes  des  pas- 
sagres  communs  aux  textes  de  io41  et  de  1560  et  des  extraits  du 
textelatin  de  153!j,  destinés  à  montrer  comment  l'expression  latine, 
suivant  une  heureuse  comparaison,  est  en  quelque  sorte  l'échelon 
qui  permet  au  français  d'atteindre  la  hauteur  de  la  pensée  reli- 
gieuse. 

Il  me  reste  à  remplir  l'agréable  devoir  d'adresser  des  remer- 
ciements à  toutes  les  personnes  qui  ont  aidé  à  l'accomplisse- 
ment de  notre  entreprise.  En  première  ligne,  nous  offrons  Ihom- 
mage  de  notre  vive  gratitude  à  Madame  la  Marquise  Arconati 
Visconti  qui  a  fait  généreusement  tous  les  frais  de  cette  édition. 
On  sait  assez  quel  culte  touchant  et  éclairé,  je  veux  dire  basé  sur 
une  connaissance  approfondie  de  cette  époque,  elle  a  voué  au 
siècle  delà  Renaissance.  Nos  fascicules,  en  attendant  l'édition  de 
Rabelais  qui  se  prépare,  en  apporteront  un  nouveau  témoignage. 
Nous  exprimons  une  reconnaissance  particulière  à  Madame  Alfred 
André  qui,  avec  tant  de  bonne  grâce,  a  mis  à  notre  disposition, 
à  la  Bibliothèque  de  la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme 
français,  le  précieux  exemplaire  de  l'édition  de  1341  qu'elle  pos- 
sède et  qui  a  été  acquis  par  le  remarquable  bibliophile  que  fut 
son  mari.  Je  remercie  M.  N.  Weiss  dont  tous  les  travailleurs 
connaissent  l'inépuisable  obligeance  en  même  temps  que  la 
science  si  sûre  et  si  variée,  et  M.  Théophile  Dufour,  l'impeccable 
et  libéral  érudit  genevois  qui  nous  ont  transmis  plusieurs  ren- 

1.  Cf.    Calvini  opéra  éd.  du  Corpus  Reformatoruin,    t.  IV,  p.   1260-1261. 


LKS    EXEMPLAIRES    DU    TEXTE    DE    1541  55* 

seignements  et  avis  utiles,  et  entin  laimable  auditeur  de  l'École 
qui,  après  avoir  mis  à  notre  disposition  pendant  quelque  temps  sa 
solide  compétence  en  matière  de  textes,  trouve  à  tort  que  ce 
service  ne  mérite  pas  d'être  mentionné  ici.  Mon  éminent  collègue, 
M.  Rodolphe  Reuss,  a  bien  voulu  faire  quelques  recherches  à 
notre  intention. 


XIII 
Les  exemplaires  du  texte  de  15i1 . 

Pendant  très  longtemps,  les  plus  anciennes  éditions  françaises 
de  V Institution  ont  été  considérées  comme  introuvables;  les 
persécutions  subies  par  les  protestants  durant  plus  de  deux 
siècles  avaient  contribué  à  faire  disparaître  à  peu  près  tous  les 
exemplaires  de  ces  textes,  considérés  comme  les  plus  suspects 
et  les  plus  dangereux  parmi  ceux  qui  circulaient  chez  les  hugue- 
nots français.  Vers  le  milieu  du  xix'"  siècle,  on  n'avait  encore 
signalé  aucun  volume  de  l'édition  de  1541  dans  une  bibliothèque 
publique,  et  ce  n'est  qu'aune  époque  assez  récente  que  plusieurs 
exemplaires  de  ce  texte  ont  été  successivement  retrouvés.  En 
1865,  les  éditeurs  des  Calvini  Opéra  en  citent  un  seul,  celui  qui 
servit  pour  leur  édition.  Dans  ces  dernières  années,  quatre 
autres  ont  été  signalés.  Deux  seulement,  parmi  les  cinq  exem- 
plaires connus,  se  trouvent  en  France.  En  voici  la  liste  établie 
d'après  les  données  les  plus  récentes  : 

l''  Exemplaire  de  la  Bibliothèque  de  Genève,  en  très  bel  état, 
ayant  appartenu  aux  Capucins  d'Orléans  —  ville  où  Calvin 
posséda  plusieurs  amis  intimes  — ,  et  provenant  de  la  vente 
Adert,  1887,  n°  75,  adjugé  1176  francs  à  M.  Durel  et  racheté  à 
ce  libraire. 

2«  Exemplaire  de  la  Bibliothèque  de  l'Université  de  Strasbourg, 
provenant  de  M.  Othon  Guvier,  pasteur  à  Metz,  qui  l'avait  cédé 
en  1865  à  Edouard  Reuss  (voy.  Calvini  Opéra,  t.  III,  p.  xxviii; 
t.  IV,  p.  vin). 

3«  Exemplaire  de  Madame  Alfred  André,  qui  a  été  mis  gra- 


56'  INTRODUCTION 

cieusement  à  notre  disposition  pour  notre  travail  ;'il  a  été  porté 
par  M.  Durel  libraire  sur  son  catalog-ue  Le  hihliophile  hiiffuenot, 
n°  149,  en  novembre  1894,  et  coté  800  francs.  h'Epitre  au  Boi 
olîre  des  interversions  de  pages  qui  semblent  résulter  dune 
erreur  de  mise  en  pages. 

4"  Exemplaire  de  la  Bibliothèque  de  la  Faculté  libre  de  Théo- 
logie de  Montauban,  provenant  (1903)  de  M.  Vielles,  qui  l'avait 
trouvé  en  novembre  1893.  Il  est  incomplet  du  titre,  lequel  est 
remplacé  par  un  fac-similé. 

o°  Exemplaire  de  feu  M.  Ernest  Stroehlin,  à  Genève,  prove- 
nant de  la  collection  Gaifïe,  acquise  en  1900.  Dans  cet  exemplaire, 
qui  appartenait  en  1671  au  couvent  bordelais  de  Sainte-Croix, 
congrégation  de  Saint-Maur,  les  feuillets  préliminaires  sont  ceux 
de  l'édition  séparée  de  YEpistre  au  Roy  que  nous  avons  signalée 
plus  haut    p.  19*;. 


XIV 

Xotes  bibliographiques. 

En  dehors  des  travaux  cités  au  cours  de  cette  introduction 
nous  pourrions  multiplier  sans  peine  les  indications  bibliogra- 
phiques, mais  cela  ne  nous  a  pas  paru  nécessaire.  Notre  troisième 
fascicule  contiendra  une  énumération  des  principaux  jugements 
littéraires  formulés  sur  Calvin;  en  attendant,  on  trouvera  plu- 
sieurs appréciations  résumées  dans  l'article  de  M.  Jacques  Pan- 
nier  :  Calvin  écrivain,  quelques  appréciations  anciennes  et 
modernes  (Paris,  Fischbacher,  1909j,  notamment  les  jugements 
de  Bossuet,  de  Brunetière  et  de  Lanson.  Il  faudra  y  joindre  ceux 
de  Faguet  et  de  Petit  de  Julie  ville. 

Il  nous  suffira  de  signaler  le  chapitre  xiii  :  «  Calvin  humaniste, 
orateur  et  écrivain»,  du  Calvin  de  A.  Bossert  (Paris,  1900  i.  qui 
renferme  plusieurs  relevés  utiles,  et  le  n°  de  Foi  et  Vie  du 
16  octobre  1909  qui  contient  quelques  pages  précises  de  M.  Henri 
Châtelain  sur  le  style  de  Calvin  ;  la  première  étude  sur  le  style  et 
la  syntaxe  de  Calvin  est  celle  de  M.  K.  Grosse,  publiée  dans  les 
Archives  de  Henig  en  1879;  elle  a  été  réimprimée  avec  des  chan- 


NOTKS    lîIHI.IOiiHAl'llIQUES  5T 

gements  en  1888  sous  le  titre  :  Sijn/n/,/isc/u'  S/iidion  zii  Calvin, 
dissertation  de  Giessen,  in-S".  Ctl  paj^es.  Ce  travail  a  été  critiqué 
dans  la  Zeitschrifl  fur  fnuiziisischi'  Spracho  und  Litlcrafur, 
t.  XI,  p.  177,  par  M.  Ilaase.  Kn  1890,  M.  Haase  a  entrepris 
dans  le  même  recueil  (t.  XII,  p.  193-230)  de  corriger  et  de  com- 
pléter les  remarques  de  syntaxe  faites  par  M.  Grosse.  En  ce  qui 
touche  les  idées  de  VInstitulion,  nous  devons  citer  Kostlin, 
Calvin  s  Insfifutio  nach  Forni  und  Inhalt  dans  Studien  und  Kri- 
tiken,  18G8,  p,  7-62,  410-486  et  l'important  tome  IV  de  la  grande 
et  savante  biographie  de  Jeun  Calvin  :  Ica  honunea  et  les  chosea 
de  Sun  temps,  par  K.  Doumergue.  Ce  volume  qui  porte  comme 
sous-titre  :  La  pensée  religieuse  de  Calvin  et  qui  a  paru  en  191  I, 
est  le  travail  le  plus  étendu  ({ui  ait  été  consacré  k  la  substance 
religieuse  et  théologique  de  V Inslilution. 

On  trouvera  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  protes- 
tantisme français  toutes  les  indications  désirables  sur  la  bibliogra- 
phie récente  de  Calvin,  notamment  sur  les  publications  si  nom- 
breuses suscitées  par  le  jubilé  de  1909  '  (i"  centenaire  de  sa  nais- 
sance). Le  tome  IV  de  M.  Doumergue  contient  également  un 
appendice  sur  «  le  jubilé  de  1909  et  la  théologie  de  Calvin  ».  La 
BihlKxjrapliia  Calviniana  de  M.  Alfred  Krichson  est  toujours  utile 
à  consulter. 

L'aspect  politique  de  la  vie  de  Calvin  a  été,  dans  ces  dernières 
années,  l'objet  de  nombreuses  études,  principalement  en  Alle- 
magne. Je  renvoie  aux  travaux  bien  connus  de  E.  H.  Cornélius, 
au  livre  de  Choisy,  La  Théocratie  à  Genève  au  temps  de  Cal- 
vin, s.  d.,  à  celui  de  Wipper  :  L'Eglise  et  l'Etat  à  Genève  au  A'IY'" 
siècle,  à  l'époque  du  Calvinisme  (en  russe,  résumé  sommaire 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'hist.  et  d'archéol.  de  Genève, 
tome  L''",  livr.  o),  et  au  travail  de  Francis  de  Crue  :  IJ' action 
politique  de  Calvin  hors  de  Genève  d'après  sa  correspondance, 
Genève,  1909.  Comme  précis  de  la  vie  de  Calvin,  la  biographie 
due  à  Williston  Walker,  de  l'Université  de  Yale  (trad.  par 
E.   et  N.  Weiss,  1909],  est  toujours  à  recommander. 

Abel  Lefranc. 

1.  Un  fascicule  provisoire  comprenant  les  288  premières  pages  de  la 
présente  édition  a  été  présenté  en  hommage,  au  cours  des  cérémonies  de 
ce  jubilé,  à  Genève,  en  juillet  1909. 


FAC-SIMILK 

DK    IjlKl-UL  KS    l'AGKS    Dl-     I/ÉDITiUN    OHJGINAI.E 


Promiôro  pajjo  do  lÉpilrp  au  roi  François  I". 

Une  |)at.t>  inlerniédiaire  de  rKpitrt'. 

Page  finale  do  rKpîlro. 

Chapilio  I.  paf^o  I . 

Chapilrc  II.  pa^c  Mi. 

Clhapitro  IH.  pat^c  I  'l't. 

Ciliapilic  XIII,  pajii"  f.Kii,  ;i\i'o  nolos  niarginalos. 

Chapiliv  XVII,  page  822  el  dernière. 

Titre  de  l'édition  de  1î)4l  servant  de  titre  à  la  présente  réimpression. 


T  R  E  SH  A  V  LT.    T  RE 'S- 

PVïSSANT,  ET  TRESIL- 
luftre  Prince  .francoys  Roy  de  Fran- 
ce trefchreftien,fon  Prince  6f  fouuerain 
Seigneur, 

lean  Caluifi  paix  &  falut  ca  Dieu  . 


V  commence: 
ment  que  le  m  appli 
quayaefcrirecepre 
{entliure:ienepm 
foye  rien  moins ,  o 
Trefnoblc  Roy,que 
d'efcrire  chofes  qui 
fuiïcnt  prefentées  a 
ta  Maiefté .  Seule- 
ment mon  propos  eftoit ,  d  enfeigner  quelques 
rudimens  :  par  lefquelz ,  ceux  qui  feroient  tou- 
chez d'aucune  bonne  afFedion  de  Dieu ,  feuf- 
fent  inftruidz  a  vraie  pieté.  Et  principalement 
vouloye,par  ce  mien  labeur,  feruir  a  nôz  Fran- 
çois-.defquelzi  en  voyois  plufieurs  auoiîfain 
&foifde  lefus  Chrift  :  ^  bien  peu,qui  en  euf- 
fent  receu  droidle  congnoifTance  .  Laquelle 
mienne  délibération  on  pourra  facilement  ap- 
perceuoirduliure:  entant quelay  accomode 

i^    5        ala 


V  i  '1 


E    P    I    S    T    R    Ê. 

dication  de  Saille  PauUft  ancienne,  ccft  que  R00.4, 
lefus  Chrift  eft  morr  pour  noz  péchez  ô^  rcffu^ 
fcirépour  noftre  iuftification  :  ilnçfrouuerra  ^^^^^ 
rien  de  nouueau  entre  nous .    Ce  qu  elle  a  efté    ^^^^ 
!ong.temps  cachce  êi  incongneuè:  le  crime  en 
eft  a  imputer  a  l'impiété  des  hommes .  Mainte- 
nant quand  elle  nous  elt  rendue,par  la  bonté  de 
Dieuipourle  moins  ellcdcaoiceftrereceuëcn 

fon  audorité  ancienne . 

DVne  mcrmcfource  d'ignorance  prouiet,ce  i^^^^, 
qu  ilz  la  reputet  doubteufe  &  incertaine Vraye  taioe 
ment  c  eft  ce  que  noftre  Seigneur  fe  coplaindl  ^ 

parfonProphete.Queleboeufa  congneufon  ^w-»: 
,  pofleiïeur,  ô^rafnereftablede  Tes  maiftresiô: 
luy  qu'il  eft  mefcongneu  de  fon  peuple .  Mais 
comment  qu  ilz  fe  moquent  de  Tincertitude 
d'icelle:f  ilz  auoient  a  figner  la  leur  de  leur  pro^  ^^^^^^ 
prefang^ô^auxdefpcnsdeleurvieron  pourroit 
voir, combien  ilz  la  prifent.  Noftre  fiance  eft 
bien  autre  :  laquelle  ne  craint  ne  les  terreurs  de 
lamort,neleIugementdeDieu. 

En  ce  qu'ilz  nous  demandent  miracles:  Mira  - 
ilz  font  defraifonnables .  Car  nous  ne  forgeons  des 
point  quelque  nouueau  Euangile  :  mais  nous 
retenons  celuy,  pour  la  vérité  duquel  confrr*- 
mcr/cf  uent  tous  les  miracles  que  iamais  6:  le  - 
fus  Chrift^a:  fes  Apoftres  ont  faidz .  O"  po^r- 

C       roic 


^^^ 


[F   P   I    s    T   R    E 

gnarion  &  courroux^lire  cefte  noftre  cofeffion, 
laquelle  nous  voiilôs  eftre  pour  deffenfe  enuers 
ta  Maierté .  Mais  fi  au  côrrairc,  les  decradions 
des  malueuillans  empefchent  tellemenr  res  au- 
reilles ,  que  les  accufcz  n'aycnt  aucun  lieu  de  fe 
dcffcndrcDaurreparcfrces  impetueufes  furies, 
fans  que  ru  y  mettes  ordre ,  exercent  toufiours 
cruauté  par  prifon,  fouetz ,  géhennes,  coupeu- 
res ,  breufleures  :  nous  certes  comme  brebis  de- 
uouees  ala  boucherie,  ferons  iettez  en  toute  ex 
iuc  XI  tremitc.  Tellement  ncantmoins, qu'en  noftre 
patienncenous  poffederons  noz  âmes,  ô^  atten- 
drons la  main  forte  du  Seigneur:  laquelle ,  fans 
doubte,fe  monftrcra  en  faifon,&r  apparoiftra  ar- 
mée ,  tant  pour  deliurcr  les  poures  de  leur  affli  - 
dion ,  que  pour  punir  les  contempteurs . 

Le  Seigneur  Roy  des  Roys  vueillcefta, 
blir  ton  Throfne  en  iuftice,ô^  ton  Siège  en  equi 
té ,  TrefFort  &^  TrefiUuftre  Roy . 

De  Baffe  le  vingtrroyfiefme  Daouft 
mil  cinq  cent  trente  cuiq . 


t 

INSTITVTION   DE   LA 
RELIGION    CHRESTIENNE. 

PAR    lEAN    CALVIN. 

De  la  CongnoifTancc  de  Dieu. 
CHAR       I. 

OVTE  la  fommftîenoftrcfaîgcfîè.Iaquenc 
mcrite  d  eftre  appellfc  vrakA  certaine  faigcfle, 
T  cft  quafi  comprinfe  en  deux  parties,à  fcauoir  la 
côgnoifTance  de  Dieu,&  de  nourmermes-Donç 
la  première  doibt  monftrer.non  feuleinct  qu'il 
«ft  vn  feul  Dieu.lequel  il  fault  que  tous  adorent  &  honorent: 
Mais  aufii  quiceluy  eft  la  fonteine  de  toute  vérité',  fapience, 
bonre',iuftice,iugement,mirericorde,  puiiïance  ,  &  fainûetc'.*- 
va  fin  que  deluy  nous  aprenions  d'attendre  &  demider  toutes 
ces  chofes.  Dauantaige  de  les  recongnoiftre  auec  Iouenge,& 
aOio  de  grâce  procéder  deluy.  La  (ecôdeen  nous  montrant 
noftreimbecilitc',mirere,vanite',&  vilanie.  nousameineàde- 
icûion.deffiâce.éc  haine Ue  noufmefmes:  en  aprez  enflambe 
en  nous vndefirde chercher  Dieu  dautant qu'en  luy  repo- 
Te  tout  noftre  bicn.duquel  nous  nous  trouuons  vuides  &  def- 
nuez.  Or  il  n'.ft  pas  facile  de  difccrnerlaquelle  des  deux  precc 
àeôc  produitlautrc.  Car veu qu'il fetrouuevnmôdedetou 
te  mi/ere  en  l'hôme:  n  ous  ne  nous  pouuôspas  droiÛemct  rc- 
garder^que  nous  ne  foions  touchez  Ôc  poinûz  de  la  cognoif. 
fance  denoiire  malheurte',  pourincontinetefleuerle'syeuJic 
à  Dieu,  &  venir  pour  le  moins  en  quelc^ue  congnoiflance  de 
luy.  Ainfi  parle  fentiment  de  noftre  petitc(îè,rudefl"e,.  vanité*, 
mefmesaursiperueriite'j&  corruption  ,nous  recongnoiflbns 
que  la  vraie  grandeur,  fapience,  vérité",  iuftice,  &  pureté'  gi(J 
en  Dieu.  Finalement  nous  {bmracsefmeuz  par  noz  mifere&a 
«îonf  derer les  biens  du  Seigneur,  Se  ne  pouuous  pas  afFeûu- 
cufement  afpirer  à  luy,  deuant  que  nous  aions  commence'  de 
nous  defplaire  du  tout  en  noufmefmes .  Car  qui  eft  cduy  des 
hoipmes  qui  ne  repo6ô  voluntierseafoy  mefinfs^quieuce- 

a        luy 


DE   LA    CONGNOISSANCE 

de  Lhomme^a:  du  libéral  Arbitre. 

CHAP,        II. 

£  N'EST  pas  fans caure,q\itf  parle  prouef' 

bc  ancien  à  toulîours  eût!  tant  rccon  mîdc'c  à 

C  l'homme  la  congaoiffancc  de  foymcfme .  Car 

li  nousertimons ,  que  ce  foit  honte  d'ignorer 

les  chofes.qui  appartiennent  à  la  vie  humaine: 

la  mcfcongnoinancc  de  nourmefmes  eftencores  beaucoup 

phis  dcihonefte.parljqutlle  il  aduienr,  qu'en  prenant  confeil 

Oc  toutes,  clibfcs  ncceflaires,  nousnous  abufons  paourcmcnc 

&  mcfmcs  Tommes  du  tout  aueugler .    Mais  d'autant  que  ce 

commandement  eft  plus  vtile  ,    d'autant  nous  faulril  plus 

diligemment  garder  de  ^c^tend^e  mal ,    Ce  que  nous  voyôs 

cftre  aduenu  à  d'aucuns  philofophes .    Car  quand  ilz  admo 

ncftent  l'homme  de  (c  congnoiftre,  ilzl'ameinent  quatu  & 

quant  a  ce  but,  de  conCdcrer  fa  digaite*  &  excellence:  &  ne 

luy  font  rien  contempler ,  finon  dont  il  fe  puiiTe  cfieacrc» 

\<.inc  confiance,&  {*eniîer  en  orgudl  . 

Or  la  vcritc'  de  Dieu  nous  ordône  bien  de  chercher  aurre 
chofe  en  nous  coniîderancà  fcauoir  vne  confiance .  laquelle 
nous  retire  loing  de  toute  prefumption  de  iloftrc  propre 
•vertu ,  &  nous  defpoulle  déroute  matière  de  gloire  ,  pour 
cous  amener  à  humilité'.  Laquelle  reiglç  il  nous  conuicnt 
fuyurc.fi  nous  voulons  parucniraubut  de  bien  feiîtir5<  bié 
Émc  *  le  fcay  combien  il  eft  plus  aercable  à  l'iiommc  de 
voir qfon  l'induifc  à  rccongnoiftre  (es  grâces  &  louences: 
.^u'a  c  ntédrc  Ôi  voir  fa  paourct^,ignonrinie,turpirude&roy* 
WciTc .  Caril  n'y  à  rien  que  l'elprit  humain  appcttc  plus» 
«jued'eftrcamyellc'dc  doulccs  paroles  d  flateries.  Pouu 
tant  quand  il  entend  qu'on  prifc  fes  biens,  iln'cft  que  trop 
cndin  à  croire  tout  et  qui  fe  dit  à  fon  auantage .  Ainû  ce 
liViipasdc  merucille,  que  la  plufpartdu  monde  aainfi  errf 
jtn  ccft  cndroiû .  Car  comme  itinû  foit  que  les  hommes 
«yent  vnc  amour  d*cuxmefnies  defordonn<  6c  auenglc' .  il» 
4f  feioot  voloiiiicrs^  aolrc,  qu*il  n'y  a  rien  en  çux  digne 


\\\ 


144  DE       1  A       1 0  Y. 

tenir  la  gloire  de  Dieu ,  où  conCenicr  chante  cnucTi  U%  hom 
mes  :  àquoy  tend  le  comnuadement  •  ■ 

Le  cjuattriefmc  CommanJcmcnr. 

Qu'iltcfouuicnnedefan^ifîer  leiourdu  rc- 
pox  .  Tu  befongneras  iix  iours  >  &  feras  toutes  tes' 
ceuurcs.  Le  feptiefmetrft le  repoz du  Seigneur  ton 
Dieu  .  Tu  ne  feras  aucune  tienne  œuure:  ne  toy  , 
ne  ton  filz,  ne  ta  fillct  ne  ton  feruiteur,ne  ta  cham- 
brière ,  ne  ton  beftial ,  ne  l'edranger  qui  cfl:  encre 
tes  portes .  Car  en  fix  lours  &  c. 

La  fin  du  précepte  cft.que  eftans  mors  a  noz  propres  af* 

ferions  &  ocuurcs ,  nous  mtdidonsile  Royaume  de  Dieu  :  Se 

qu'a  celle  méditation  nous  nous  exercior^s  p^Ics  moyens 

qu'il  a  ordoanez.Neantmoins  pource  qu'il  ha  vnc  confîdera* 

tion  partîciilierc  de  diftinûe  des  autres,  il  requiert  vnc  expo'» 

fition  vn  peu  diuerfc.  Les  anciens  doreurs  ont  couftume  de 

le  nommer  Vmbratile:  pource  qu'il  contient  obferuation  ex, 

terne  du  iour:  laquelle  a  efttf  abolie  à  l'aduenement  de  Chrift, 

comme  lesautrtsfijgtires.C^qui  eil  bien  véritable;  mais  il  nç 

touche  la  chofc  qu'a  demy  :  pourtantil  faulc  prendre  lexjpo- 

fition  de  plus  hault  :  &  cooiîderer  trois  cauGrs.lefquellcs  (ont 

comemies  foubz  ce  commandem€t  •   Car  Je  Seigneur.fcAibz 

le  repos  du  {eptiéTmeiour ,  a  voulu  figurer  au  peuple  d'Ifracl 

le  itpos  fpiritutl .  C'eftquc  les  fidèles  fedoibuent  repôftrdc 

leurs  propres  oeuures: à  fin  de  lainerbefongner  Dieu  en  culx. 

Secondement  ii  a  voulu , -qu'il  y  euft  vn  iour  arreftC,  auquel 

ilz  conuinfleht  pour oiryrla  Loy,&  vfer  <ie  fes cérémonies. 

Tiercement  il  a  voulu  donner  vn  lourde  reposauxferuittur» 

New.ir.  ^  ^çns  de  rrauaîl ,  qui  font  foubz  la  pui (Tance  d'autruy  :  à  fin 

Exotf iu  ^.gyojr  quelque relafche de  Icurlabeur.  Toutelîbisil  nous  cft 

^!  ^^  '  monôrC  en  pluûeurs  paflages  que  cefte  figure  du  repos  rpiri" 

^cxej-7  j^i  }j3  çu  |g  principal  lico  en  ce  précepte. Car  Dieu  n'a  iamais 

£zcc,  io  yçq^j^  p|^5  cftroiftem^ntl'obey fiance  d'aucun  précepte  que 

5^*  '^*  dece(hjy-cy.  Quand  il  veult  dénoter  en  fes  Prophètes, tou. 

«V-**  f^'  te  4a  religion  cftxçdetoiuûcilifcconïpLtDtqilçfonSabbac 


I 


12>  ) 


^^^  DES   V.   C^REM.   SVR^OMMEES 

^mltin'  ckansla  tonfure,tnettcnt  Archcuefchc?  entre  Irt ordres. lûdoit 
^^/(juc  les'di.tingue  aurremctcar  ii  faiû  IcsPfalmirtcs  &  UÛcursdi- 
rPA^^^^  •  ucrs,ordo:untIe$  premiers  à  la  châtcrie  :  &  les  fecondz  à  lire 
yî4ore     les  £fcritur«,pour  I  enfcign.emet  <itt'peuplt;laqucllc  diilinâia 


— ...Icigr 

gU€  «ïw  dcccrmincntabtrcmêr.Dc  rechef  iceux  DoÛeur» dilcordc^c 
.ilcirccdi  enfcmble  .  Oulcreplus  le»  facrez  Canons  nous  monftxcntvn 
fii  2t.  c  auf  rc  clicmif» .  Voilà  quel  coafcntemécil  y  açntré  les  homes,' 
deros  ,  quand  ilz  <ltiputentdes  chofesdiuiaes  fanslj  pirollc  de  Dieu» 
Au  De  -  D'auantaige  quan  j  ilz  parknr  de  l'origine  de  leurs  ordres , 
ttadiji.  combien (e reodent-ilz  ridicules  i  metnesauxpetiseafansîLcs 
3)  -cLf-  clerc2i  disent-ilz  )  ont  'ear  nom  de  fon  :  pourtant  quilz  fone 
Hor  .Cf  cfchcùzai^foitdc  Dieu  :ou  qu'ilz  fontciioinzde  Dieu,  ou 
c  hoftiu  pourtât  qu'ilz  ont  Dieu  pour  leur  portiô.Mais  cc/a  ellefvn  fa- 
»  ^^'  »  crilfge  a  eux , de  (c  vfurper  fp<rcialeaient  ce  nom  icy  ,  qui  ap« 
Att^ifwpartcnoitàtoutcl'EgliUi  Car  il  iîgniiie  beriragc  &  lEglift 
Jin.dijt.  eft  l'Héritage  de  Chrit|,quiluy  acûe^doriOCdu  i'ere,&  S.l^ier* 
2^  .Cl.  rena'pelle  pas  cierge' (came  ilz  ont  glofd  par  leurs  roenfonges) 
çcsdikX  quelques  Rafez:  maivil  amibuece  ti]tj-eà  tout  k  peuple  de 
picmie*  Dieu.  '  fl  f'cnfujt  en  leurs  regiftres»  que  les  clcrcz  font  irafez 
rcs  r^ir  au  forâmct  de  la  tcfte,  à  fin  que  la  courônc  fîgniôc  vnc  excel# 
J'onsfont  leacc  Roy alk: d'autant  quelesclcrczdoiucnt  eftre  Roys,ayan$ 
«M  De-  àgouueraer  eux  &  les  autres:  comme  leur  dit  Sainû  Pierre, 
trctdijl'  Vouseftcsgcneratiô  eleuë,  Preiirifc  Royjlîe,nation  fai^î^e, 
2i.c.CC'  Peuple  d'aiquitition  .  lelestiens  encoresicy  vnçfoyscon»' 
^s.  uaincu7  de  taulfae':  '5ainC  Pierre parleà'tou^e  i'£glîi^&  iJz 
Ccfte.3'  deltoumcnt  fon  dire  à  icne  fcay  quciic  PreÔraiIlé,corurac  TiJ 
t<ij  o  ejt  auoic  eû«idiâ  à  eux  fculeraét  :  Soyez  (ainûz .  Comme  û  eux 
MUDccr.  tous  (eulz  qui  auoyct  tild  acquis  du  fang  de  Chrift.Cotnniç  fi 
c  dao^u  eux  tant  feulement  euflcnt  etlef  foi dz  Royaume  &  Preilrife  à 
(^ucjt .  i  Dieu,&  nonp  as  tous  les  tîdelcs  generallemér. corne  L*£fcriturc 
i.Pic'. s  tefmoïgne. ilz ails^ent apresd'autrts raifons de Lur couron 
1  Px/.  2  nc.QvclefommetdeleurrctUcfzdefcouuert.pourmonftrei 
hiuUip  que  leur  pcnfée  fantcmpcfchement  d^yj^c  contcnipler  la  gloire 
l.Picr.  1  dcDieuhce  àfacc-ou  pour  monffrierque  les  vices  des  yeux 
^pocui  de  la  teite  doiuent  eftre  couppez:  ou  pour  iîgnifier  le  dilaiik-- 
■  A«  4.  m€t&  renonciation  des  biens  temporelz&  que  le  circuytdc$ 
.  des  Cent,  chcuçux, qoi  dcniLcurej^gurc  Iç  rcfte dc&  bknj qu'ilz  rctiennçi 


!^'3 


Ui  DELA       VIE      C  n  R  £  S  T . 

i  vn  chjfcuri  ce  cju'il  auroit  à  Éiirc  .  Et  à  fin  que  nu]  n'oultrc 
,  pafTaft  Ifgeremct  (cilimires.ii  àflppcllc'  telles mauic m d<:  viurr, 
vocatioxii .  Chafcun  donc  doibr  rrpurer  à  fon  endroit  que  foti 
cttat  luy  e(T  cûmc  vnc  dari5  afiignecdc  Dicu,àcequ»jlnevoI 
tige  S:  circuiÇf.  cà&  là  incôfide remet  tout  le  coimde  fa  vicOr 
ceiïcdidinâion  cfr  târneccfîairc, que  coures  noz  œuuresfout 
cûitne'esdeuant  Dieu  puricfllc.  ^  fouentelfois autrement  que 
ne  porte îciug^mcnt  de  Ij  raifoo  humaine.ou  philofophicque. 
Non  fculfruentiecommun.muislcs  Phi/ofoph«,reput<;ntquc 
c'cft  lade  le  plus  noble  &  excellent  qu'on  fcauroit  faire,  que 
de  dtliurcrfon  pin  de  tiranoie.  Aucontrairc  tout  homme  pri- 
uc'^quiaura  viole? vn  tirant,  eft  appcrtemcnt  condamnt^  parla 
voix  de  Dieu  .  ToutcjTojs  ie  ne  me  veux  pas  arerter  à  recirer 
tous  les  exemple»  qu'onpourroit  alléguer.  Il  Ajffîftquenous 
c6gnoiiron5!avocatiôdeDicunoij$e{lrecôrT:cvnprincipe& 
fondemct  de  nous  bien  gouuerner  en  toutes  chofts:  3.'que  ce- 
luy'qui  ne  fe  dirigera  ù  iccl!,%iamais  ne  ticdra  le  droiO  chemia 
pourdeùeraétfacquitter  de  Ton  ofâce.!]  pourra  bien  fairequci 
que  aôc  aucuneffois  loilibJe  en  apparcce  extérieure,  mais  il  ne 
icra point  accepte' au Throfne  de  Dieu,  quelque eftime qu'il  • 
ayt  deuant  les  homes .  D'auantage.fî  nous  n'auoni  noftre  vo- 
cation comme  vne  rcigle  pcrpctutlle.il n*y  aura  pointdc  cet-'' 
taine  tenue  ne  correfpondancc entre  les  parties  de  noftre  vie . 
Pourtant  ccluy  qui  aura  dirige*  (a  vie  à  ce  but , l'aura  trcsbien 
ordonnée  .De  là  nous  reuiendra  vne  fingulierc  côfolation.qu'il 
117  aura  œuure  û  vile  ne  fordide  ,  Ijcjuelle  ncreluyfedc 
liant  Dieu  ,  &  ne  foit  fort  precicufe ,  moyen, 
nant qu'en  icellc  nous  fcruioDs  à 
Doitre  vocatioa  . 


F    ï    >ï 


INS  TIT V 

TION    DE     LA     RELI 

G  I  O  N   C  H  R  E  S  T  I  E  N  K  E  :   E  N   L  A. 

quelle  eftcomprinfevne  fonirrré  de  pfeté, 
6i  quafi  tout  ce  qui  eft  neccfTairc  a  congnoi- 
ftre  en  la  doctrine  de  fàlut. 


Compofée  en  latin  par  i  E  a  N  Calvin,  ôf" 
tranflatée  en  fTancois,par  luyniermé. 


AVEC      LA     PREFACE      AD  D  RE  S. 

fée  au  Trcfchreftien  Roy  de  France,  Françoyç 
premier  de  ce  nom.par  laquelle  ce  prefent  liuf  ç 
luy  eft  offert  pour  confefsion  de  Foy  • 


Uabac,  i. 

X  V  S   Q^V  E   S     A      Q^V   A  IH  O 

S  E  I  G  N  E  V  R? 


M.      D.         XLI. 


i 


TEXTE  DE  1541 


ARGUMENT  DU  PRESENT  LIVRE 


A  fin  que  les  Lecteurs  puissent  mieux  faire  leur 
proffit  de  ce  présent  livre,  je  leur  veux  bien  mons- 
trer  en  brief  Futilité  qu'ilz  auront  à  en  prendre.  Car, 
en  ce  faisant,  je  leur  monstreray  le  but,  auquel  ilz 
5  devront  tendre  et  diriger  leur  intention,  en  le  lisant. 
Combien  que  lasaincte  Escriture  contienne  une  doc- 
trine parfaicte,à  laquelle  on  ne  peut  rien  adjouster  : 
comme  en  icelle  nostre  Seigneur  a  voulu  desployer 
les  Thresors  infiniz  de  sa  Sapience  :  toutesfois,  une 

10  personne  qui  n'y  sera  pas  fort  exercité[e] ,  a  bon  mes- 
tier  de  quelque  conduicte  et  addresse,  pour  scavoir  ce 
qu'elle  y  doibt  cercher  :  à  fin  de  ne  Fesgarer  point  cà 
et  là,  mais  de  tenir  une  certaine  voye,  pour  attaindre 
tousjours  à  la  fin,  oii  le  Sainct  Esprit  l'appelle.  Pour- 

15  tant  l'office  de  ceux  qui  ont  receu  plus  ample  lumière 
de  Dieu  que  les  autres,  est,  de  subvenir  aux  simples 
en  cest  endroict  :  et  quasi  leur  prester  la  main,  pour 
les  conduire  et  les  ayder  à  trouver  la  somme  de  ce 
que  Dieu  nous  a  voulu  enseigner  en  sa  parolle.  Or 

20  cela  ne  se  peut  mieux  faire  par  Escritures,  qu'en 
traictant  les  matières  principales  et  de  conséquence, 
lesquelles  sont  comprinses  en  la  philosophie  chres- 
tienne.  Car  celuy  qui  en  aura  Tintelligence,  sera  pré- 
paré à  proffiter  en  l'eschole  de  Dieu  en  un  jour,  plus 

25  qu'un  autre  en  trois  mois  :  d'autant  qu'il  scait  à  peu 
près,  où  il  doibt  rapporter  une  chascune  sentence  :  et 
ha  sa  reigle  pour  compasser  tout  ce  qui  luy  est 
présenté.  Voyant  donc  que  c'estoit  une  chose  tant 
nécessaire,  que    d'ayder  en   ceste    façon    ceux  qui 

30  désirent  d'estre  instruictz  en  la  doctrine  de  salut,  je 
me  suis    efforcé ,  selon  la  faculté    que  le  Seigneur 


lit 
m'a  donnée,  de  m'employer  à  ce  faire  :  et  à 
cesle  fin  j'ay  composé  ce  présent  livre.  Et  pre- 
mièrement l'ay   mis    en    latin    :   à    ce   qu'il   peust 

5  servir  à  toutes  gens  d'estude,  de  quelque  nation 
qu'ilz  feus[sjent  :  puis  après  désirant  de  commu- 
niquer ce  qui  en  povoit  venir  de  fruict  à  nostre 
Nation  Françoise  :  l'ay  aussi  translaté  en  nostre 
langue.  Je   n'ose   pas   en    rendre   trop   grand   tes- 

lomoignage,  et  declairer  combien  la  lecture  en 
pourra  estre  proffitable,  de  peur  qu'il  ne  semble 
que  je  prise  trop  mon  ouvrage  :  toutesfois  je  puis 
bien  promettre  cela,  que  ce  pourra  estre  comme 
une  clef  et  ouverture,  pour  donner  accès  à  tous 
enfans   de    Dieu,   à    bien  et   droictement  entendre 

isl'Escriture  saincte,  Parquoy  si  d'ores  en  avant  nostre 
Seigneur  me  donne  le  moyen  et  opportunité  de  faire 
quelques  commentaires  :  je  useray  de  la  plus  grande 
brièveté  qu'il   me   sera  possible  :  pource  qu'il   ne 

20  sera  pas  besoing  de  faire  longues  digressions,  veu 
que  j'ay  icy  desduict,  au  long,  quasi  tous  les  articles 
qui  appartiennent  à  la  Chrestienlé.  Et  puis  qu'il 
nous  fault  recongnoistre,  toute  vérité  et  saine  doc- 
trine procedder  de  Dieu  :  j'oseray  hardiment  pro- 

23  tester,  en  simplicité,  ce  que  je  pense  de  cest  œuvre, 
le  recongnoissant  estre  de    Dieu,  plus   que  mien  : 
comme,    à  la  vérité,  la  louenge   luy  en  doibt  estre 
rendue.  C'est  que  j'exhorte  tous  ceux  qui  ont  rêve 
rence  à  la  parolle  du  Seigneur,  de  le  lire,  etimpri- 

30  mer  diligemment  en  mémoire,  s'ilz  veulent,  premiè- 
rement avoir.une  somme  de  la  doctrine  chrestienne  : 
puis  une  entrée  à  bien  proffîter  en  la  lecture  tant 
du  vieil  que  du  nouveau  Testament.  Quand  ilz 
auront  cela  faict  :  ilz  congnoistront,  par  expérience, 


IV 


que  je  ne  les   ay  point  voulu  abuser  de  paroUes. 
Si   quelqu'un   ne  peut  comprendre  tout  le  contenu, 
il  ne  fault  pas    qu'il   se  désespère   pourtant  :  mais 
qu'il    marche    tousjours    oultre.     espérant     qu'un 
passage    luy    donnera    plus     familièrement     expo- 
sition   de    l'autre.    Sur    toutes    choses,    il    fauldra 
avoir  en  recommandation,  de  recourir  à  TE- 
scriture,  pour  considérer  les  tesmoi- 
gnages  que  j'en  allègue. 


A3 


20 


A       TRESHAVLT,      TRES- 
P  V  I  S  S  A  N  T,      ET     T  R  E  S  I  L- 

lustre  Prince,  françoys  Roy  de  Fran- 
ce Ircschrestien,  son  Prince  et  souve- 
rain Seigneur, 

Jean  Calvin  paix  et  salut  en  Dieu. 

u  commencement  que  je  m'appli- 
quay  à  escrire  ce  présent  livre  : 
je  ne  pensoye  rien  moins,  o 
Tresnoble  Roy,  que  d'escrire 
choses  qui  fussent  présentées  à 
ta  Majesté.  Seulement  mon  pro- 
pos esloit,  trenseigner  quelques  rudimens  :  par 
lesquelz,  ceux  qui  seroient  touchez  d'aucune  bonne 
affection  de  Dieu,  feussentinstruictz  à  vraie  pieté. 
Et  principalement  vouloye,  par  ce  mien  labeur, 
servir  à  noz  François:  desquelz  j'en  voyois  plu- 
sieurs avoir  fain  et  soif  de  Jésus  Christ  :  et  bien  peu, 
qui  en  eussent  receu  droicte  congnoissance.  La- 
quelle mienne  délibération  on  pourra  facilement 
appercevoir  du  livre  :  en  tant  que  l'ay  accommodé 


VI  EPISTRE 

à    la    plus    simple   forme  d'enseigner ,  qu'il  m'a 
esté  possible .    Mais   voyant  que    la  fureur  d'au- 
cuns iniques  s'estoit  tant  eslevée  en  ton  Royaume, 
quelle  navoit   laisTsJé  lieu  aucun  à  toute   saine 
5  doctrine:  il  ma  semblé  estre  expédient,  de  faire 
servir  ce  présent  livre,  tant  d'instruction  à  ceux, 
que  premièrement  j'avoye  délibéré  d'enseigner  : 
que  aussi  de  confession  de  Foy  envers  toy  :  dont 
tu    congnoisses  quelle  est  la  doctrine,  contre  la- 
to quelle,  d'une  telle  rage,  furieusement  sont  enflam- 
bez  ceux,  qui  par  feu  et  par  glaive  troublent  au- 
jourd'huy    ton    Royaume.   Car  je    n'auray  nulle 
honte   de  confesser,  que  j'ay  icy  comprins  quasi 
une  somme  de    ceste    mesme   doctrine  ,  laquelle 
loilz  estiment  devoir  estre  punie  par   prison,  ban- 
nissement ,   proscription    et  feu  :    et  laquelle  ilz 
crient  devoir  estre   deschas[s]ée   hors  de  terre  et 
de  mer.  Bien  scay-je   de  quelz  horribles  raportz 
ilz  ont  rempli  tes  aurailles  et  ton  cœur  :  pour  te 
20 rendre    nostre   cause   fort  odieuse.  Mais  tu  as  à 
reputer,  selon  ta  clémence  et  mansuétude,  qu'il  ne 
resteroit  innocence  aucune,  n'en  ditz  n'en  faictz, 
s'il   suffisoit    d'accuser.   Certainement,   si  quel- 
qu'un,   pour    esmouvoir   hayne    à  l'encontre  de 
25 ceste   doctrine,  de   laquelle  je  me  veulx  efforcer 
de   te    rendre  raison,  vient  à  arguer,  qu'elle  est 
desja  condamnée  par   un  commun  consentement 


EPISTRE  VII 

de  tous  estatz,  qu'elle  a  receu  en  jugement  plu- 
sieurs sentences   contre    elle  :  il   ne   dira  autre 
chose,  sinon   qu'en    partie  elle  a   esté    violente 
ment  abbatue,   par   la    puissance   et  conjuration 

odes  adversaires  :  en  partie  malitieusement  oppri- 
mée par  leurs  mensonges,  tromperies,  calumnies 
et  trahisons.  C'est  force  et  violence,  que  cruelles 
sentences  sont  prononcées  à  l'encontre  d'icelle, 
devant  qu'elle  ayt  esté  deffendue.    C'est  fraude 

10 et  trahison,  que  sans  cause  elle  est  notée  de 
sédition  et  maléfice.  A  fin  que  nul  ne  pense,  que 
nous  complaignons  de  ces  choses  à  tort,  toy 
mesme  nous  peuz  estre  tesmoing,  Tresexcel- 
lenl  Roy,  par  combien  faulses  calumnies  elle  est 

15  tous  les  jours  diffamée  envers  toy .  C'est  à 
scavoir,  qu'elle  ne  tend  à  autre  fin,  sinon  que 
tous  règnes  et  polices  soient  ruinées,  paix  soit 
troublée,  les  loix  abolies,  les  seigneuries  et  pos- 
sessions   dissipées   :    brief,    que     toutes    choses 

20 soient  renversées  en  confusion.  Et  neantmoins 
encores  tu  n'en  oys  que  la  moindre  portion . 
Car  entre  le  populaire  sont  semez  contre  icelle, 
horribles  raportz  :  lesquelz  s'ilz  estoient  véri- 
tables,   à  bon    droit  tout  le    monde  la   pourroit 

25 juger,  avec  tous  ses  autheurs,  digne  de  mille 
feuz  et  mille  gibbetz.  Qui  s'esmerveillera  mainte- 
nant, pourquoy  elle  est  tellement  haye  de  tout  le 


vin  EPISTRE 


monde,  puis  qu'on  adjouste  Foy  à  telles  iniques 
detractions?  Voilà  pourquoy  tous  les  estatz,  d'un 
commun  accord,  conspirent  en  la  damnation  de 
nous   et  de  nostre    doctrine.    De  ceste  alFection 

sravizet  transportez  ceux  qui  sont  constituez  pour 
en  juger,  prononcent,  pour  sentence,  la  concep- 
tion qu'ilz  ont  apportée  de  leur  maison.  Et  pensent 
tresbien  s'estre  acquittez  de  leur  office,  s'ilz  ne 
jugent   personne   à   mort,  sinon    ceux    qui  sont, 

10 ou  par  leur  confession,  ou  par  certain  iesmoi- 
gnage,  convaincuz.  Mais  de  quel  crime  ?  De 
ceste  doctrine  damnée,  disent-ilz.  Mais  par  quelle 
loy  est  elle  dannée  ?  Or  c'estoit  le  poinct  de  la 
deffence  :  non    pas  desadvouër    icelle    doctrine, 

15  mais  la  soustenir  pour  vraye.  Icy  est  osté  le  congé 
d'ouvrir  la  bouche.  Pourtant,  je  ne  demande 
point  sans  raison,  Tresillustre  Roy,  que  tu 
vueilles  prendre  la  congnoissance  entière  de  ceste 
cause  :    laquelle,    jusques   icy,   a    esté   démenée 

20  confusément,  sans  nul  ordre  de  droit,  et  par  un 
ardeur  impétueux,  plustost  que  par  une  mo- 
dération et  gravité  judiciaire.  Et  ne  penses 
point  que  je  tasche  à  icy  traicter  ma  deffence 
particulière,    pour   impetrer  retour  au   pays   de 

25  ma  naissance  :  auquel,  combien  que  je  porte 
telle  affection  d'humanité  qu'il  appartient  : 
toutesfois    comme    les   choses   sont    maintenant 


EPISTRE  IX 

disposées,    je    ne    souffre   pas   grand  dueil    d'en 
estre   privé.    Mais  j'enlreprens  la  cause   comme 
de  tous   les  fidèles,   et    mesme   celle   de  Christ  : 
laquelle  au  jour  d'huy  est  en    telle   manière  du 
5  tout  descirée,  et  foullée  en  ton  Royaume,  quelle 
semble    advis    désespérée.    Ce     qui    est    certes 
advenu    par   la    tyrannie    d'aucuns    Pharisiens, 
plustost  que  de  ton  vouloir.    Mais  comment  cela 
se    faict,   il    n'est   point   mestier  de   le  dire  icy. 
loQuoy  que  ce  soit   elle  est  grandement    affligée. 
Caria  puissance  des  adversaires  de  Dieu  a  obtenu 
jusques    là,   que   la    vérité   de    Christ,    combien 
qu'elle  ne  soit  perdue  et  dissipée,  toutesfois  soit 
cachée  et  ensevelie  comme  ignominieuse  :  et  oultre 
15 que   la  povrette   Eglise    soit,    ou   consumée  par 
mortz  cruelles,  ou  par  bannissemens  dechassée, 
ou  tellement  par  menasses  et  terreurs  estonnée, 
qu'elle  n'ose  mot  sonner.  Et  encores  il  insistent 
en  telle  rage  qu'ilz  ont  acoustumé  :  pour  abbatre 
20  la  paroy  qu'ilz  ont  ja    esbranlée,    et  parfaire  la 
ruyne   qu'ilz   ont  encommencée.   Cependant  nul 
ne  s'advance,    qui  s'oppose   en  defences   contre 
telles  furies.  Et  s'il  y  en  a  aucuns  qui  veulent  estre 
veuz  tresfort  favoriser  à  la  vérité  :  ilz  disent  qu'on 
25  doibt  aucunement  pardonnera   l'imprudence  et 
ignorance   des  simples  gens  :    car  ilz  parlent  en 
ceste  manière  :  appellans  la  trescertaine  vérité  de 

B 


EPISTRE 


Dieu  imprudence  et  ignorance  :  et  ceux  que 
nostre  Seigneur  a  tant  estimez,  qu'il  leur  a  com- 
muniqué les  secrelz  de  sa  sapience  céleste,  gens 
simples.    Tellement   tous   ont  honte    de    l'Evan- 

ogile.  Or  à  toy  appartient,  Tresgratieux  Roy,  de 
ne  destourner  ne  tes  aureilles,  ne  ton  couraige, 
d'une  si  juste  deffence  :  Principalement  quand 
il  est  question  de  si  grand'chose.  C'est  à  sca- 
voir  comment   la  gloire  de  Dieu  sera  maintenue 

10  sur  terre  :  comment  sa  vérité  retiendra  son 
honneur  et  dignité  :  comment  le  Règne  de  Christ 
demourera  en  son  entier.  0  matière  digne  de 
tes  aureilles  :  digne  de  ta  jurisdiction,  digne  de 
ton  Throne  Royal  ?  Car  ceste  cogitation  faict  un 

lôvray  Roy:  s'il  se  recongnoit  estre  vray  ministre 
de  Dieu,  au  gouvernement  de  son  Royaume.  Et 
au  contraire  celuy  n'exerce  point  Règne,  mais 
briganderie  :  qui  ne  règne  point  à  ceste  fin,  de  ser- 
vir à  la  gloire  de  Dieu.  Or  celuy  est  abusé,  qui 

20  attend  longue  Prospérité  en  un  Règne,  qui  n'est 
point  gouverné  du  sceptre  de  Dieu  :  C'est  à  dire 
sa    saincte  parolle  :    Car    l'edict  céleste   ne  peut  Prov.  29. 
mentir  :  Par  lequel  il  est  dénoncé,  que  le  peuple 
sera  dissipé  quand  la  Prophétie  defauldra.  Et  ne 

25  te  doibt  destourner  [cje  contemnement  de  nostre 
abjection.  Certes  nous  recongnoissons  assez  com- 
bien  nous   sommes   povres  gens  et  de  mespris  : 


EPISTRE  XI 

c'est  à  scavoir,  devant  Dieu  misérables  pecheus, 
envers  les  hommes  contemnez  et  dejectez,  et 
mesme  si  tu  veux,  Tordure  et  ballieure  du  monde  : 
ou  si  on  peut    encores   nommer   quelque  chose 

5  plus    vile.    Tellement    qu'il    ne  nous   reste   rien 
de  quoy    nous   glorifier   devant    Dieu,    sinon  sa 
seule    miséricorde  :    par    laquelle   sans    quelque       2.  Co. 
mérite  nostre,   nous  sommes  sauvez.  Ne  envers 
les  hommes   sinon  nostre  infirmité,   c'est  à  dire,        Tite. 

10  ce  que    tous  estiment  grande   ignominie.    Mais  2.  Cor.  et  12 
toutesfois   il    fault  que  nostre    doctrine  consiste 
eslevée  et  insuperable  par  dessus  toute  la  gloire 
et  puissance  du  monde.  Car  elle  n'est  pas  nostre  : 
mais  de   Dieu   vivant  et   de  son  Christ  :   lequel 

15 le   Père   a    constitué  Roy,    pour  dominer  d'une      Psal.  7. 
mer  à  l'autre,  et  depuis  les  fleuves  jusques  aux 
fins  de  la  terre.  Et  tellement  dominer,  qu'en  frap- 
pant la  terre  de  la  seule  verge   de  sa  bouche,  il 
la  casse  toute  ,  avec  sa  force  et    sa  gloire  comme      lesa.  l. 

20  un  pot  de    terre  :    ainsi  que  les    Prophètes   ont 
predict    de    la    magnificence     de     son     Règne , 
qu'il  abbatroit    les  Royaumes   durs  comme    fer 
et     erain ,    et    reluisans   comme    or    et   argent.      Psal.  2. 
Bien  est  vray  que  noz  adversaires  contredisent:    D[a]ni.  2. 

2oreprochans  que  faulsement  nous  prétendons  la 
paroUe  de  Dieu,  de  laquelle  nous  sommes,  comme 
ils  disent,   pervers  corrupteurs.  Mais  toymesme 


XII  EPISTRE 


selon  ta  prudence  pourras  juger,  en  lisant  nostre 
confession,  combien  ceste  reproche  est,  non 
seulement  malitieuse  calumnie,  mais  impudence 
trop  effrontée.  Neantmoins  il  sera  bon  de  dire 
5  icy  quelque  chose,  pour  tapprester  voye  à  icelle 
lecture.  Quand  S.  Paul  a  voulu  que  toute  pro-  Rom.  12. 
phetie  feust  conforme  à  l'analogie  et  similitude 
de  la  FoY  ;  il  a  mise  une  trescertaine  reigle  pour 
esprouver  toute  interprétation  de  l'Escriture.  Or 

10  si  nostre  doctrine  est  examinée  à  ceste  reigle  de 
Foy,  nous  avons  la  victoire  en  main.  Car  quelle 
chose  convient  mieux  à  la  Foy,  que  de  nous 
recongnoistre  nudz  de  toute  vertu,  pour  estre 
vestuz  de  Dieu  ?  vuides  de  tout  bien,  pour  estre 

isempliz  de  luy  ?  serfz  de  péché,  pour  eslre  deli- 
ATez  de  luy  ?  aveugles,  pour  estre  de  luy  illumi- 
nez ?  boyteux,  pour  estre  de  luy  redressez? 
débiles,  pour  estre  de  luy  soustenuz  ?  de  nous  oster 
toute  matière  de  gloire,  à  fin  que  luy  seul  soit  glo- 

2orifi[é],  et  nous  en  luy?  Quand  ces  choses  et  sem- 
blables sont  dictes  par  nous ,  noz  adversaires 
crient,  que  par  ce  moyen,  seroit  subvertye  je  ne 
scay  quelle  aveuglée  lumière  de  nature,  pre23a- 
rations  sainctes,  le  Libéral    arbitre,  les    œuvres 

23  méritoires  de  salut  éternel,  avec  leurs  supereroga- 
tions  :  pourtant  qu'ilz  ne  peuvent  souffrir  que  la 
louenge   et  gloire  entière  de   tout  bien,  de  toute 


EPISTRE  XIII 


vertu,  justice  et  sapience,  réside  en  Dieu.  Mais 
nous  ne  lisons  point,  ceux  avoir  esté  reprins, 
qui  ayent  trop  puysé  de  la  source  d'eaues  vives. 
Au  contraire  sont  asprement  corrigez  ceux  Jerc.  9, 
5  qui  se  sont  fouyz  des  puis  arides,  et  qui  ne 
peuvent  tenir  Teaue,  En  oultre,  qu'est-il  plus 
propre  à  la  Foy,  que  se  prometre  Dieu  pour  un 
Père  doux  et  bening,  quand  Christ  est  recon- 
gneu  pour  frère  et  propiciateur  ?   que  d'attendre     Rom.  8. 

10  tout  bien  et  toute  prospérité    de  Dieu,  duquel  la 
dilection  s'est  tant  estendue    envers  nous  ,  qu'il  Au  dici  lieu. 
n'a  point  espargné  son  propre  F'ilz  qu'il  ne  l'ayt 
livré   pour  nous  ?  Que   de   reposer  en   une  cer- 
taine attente  de  salut  et  vie  éternelle  :  quand  on 

15  pense  que  Christ  nous  a  esté  donné  du  Père,  au- 
quel telz  thresors  sont  cachez?  A  ces  choses  ilz  ré- 
pugnent, et  disent  qu'une  telle  certitude  défiance, 
n'est  pas  sans  arrogance  et  presumption.  Mais, 
comme  il  ne  fault  rien  présumer  de  nous ,   aussi     2.  Co.  10. 

2"  nous  devons  présumer  toutes  choses  de  Dieu,  et  en      Jeie.  9. 
sommes  pour  autre  raison,   despouillez  de  toute 
vaine  gloire  :  sinon  à  fin  de  nous  glorifier  en  Dieu.      i.  Thi.  4. 
Que   diray-je  plus  ?  Considère,  O  Roy   très  ver- 
tueux, toutes  les  parties  de  nostre  cause  :  et  nous 

25  juge  estre  les  plus  pervers  des  pervers  ,   si  tu  ne     Jean  17. 
trouve   manifestement,  que   nous    travaillons   et 
recevons    injures    et    opprobres  ,    pourtant    que 


XIV  EPiSTftE 


nous  mettons  nostre  espérance  en  Dieu  vivant  : 
pourtant  que  nous  croyons  ceste  estre  la  vie  éter- 
nelle, congnoistre  un  seu-l  vray  Dieu,  et  celuy 
qu'il  a    envoyé   Jésus    Christ.    A  cause  de  ceste 

5  espérance  aucuns  de  nous  sont  detenuz  en  pri- 
sons, les  autres  fouëtez,  les  autres  menez  à  faire 
amandes  honorables,  les  autres  banniz,  les  autres 
cruellement  affligez ,  les  autres  eschappent  par 
fuitte  :    tous  sommes  en  tribulation    tenuz  pour 

lomaudictz  et  exécrables,  injurieî^,  et  traictez  inhu- 
mainement. Contemple  d'autrepart  noz  adver- 
saires, je  parle  de  Testât  des  Prestres  :  à  l'aveu  et 
appétit  desquelz  tous  les  autres  nous  contrarient, 
et  regarde  un  petit  avec  moy,  de  quelle  affection 

loilz  sont  menez.  Hz  se  permettent  aysement,  et  à 
eux  et  aux  autres,  d'ignorer,  négliger  etmespriser 
la  vraye  Religion,  qui  nous  est  enseignée  par 
l'Escriture,  et  qui  devoit  estre  résolue  et  arres- 
tée  entre  tous  :  et  pensent  qu'il  n'y  a  pas  grand 

2ointerest,  quelle  Foy  chascun  tient  ou  ne  tient 
pas  de  Dieu  et  de  Christ  :  mais  que  par  Foy, 
comme  ilz  disent,  implicite,  il  submette  son  sens 
au  jugement  de  l'Eglise.  Et  ne  se  soucient  pas 
beaucoup,    s'il    advient    que   la  gloire    de  Dieu 

assoit  polluée  par  evidens  blasphèmes:  moyen- 
nant que  personne  ne  sonne  mot  contre  l'auc- 
torité  de  nostre  mère  saincte   Eglise.   Pourquoy 


EPISTRE  XV 


combatent-ilz  d'une  telle  rigueur  et  rudesse  pour 
la  Messe  !  le  Purgatoire  !  les  pèlerinages  !  et  telz 
fatras  ?  tellement  qu'ilz  nyent  la  vraye  pieté 
povoir  consister  !  si  toutes  ces  choses  ne  sont 
5creuës  et  tenues  par  Foy  très  explicite,  combien 
qu'ilz  n'en  prouvent  rien  par  la  parolle  de  Dieu? 
Pourquoy?  sinon  pourtant  que  leur  ventre  leur 
est  pour  Dieu,  la  cuisine  pour  religion  ?  lesquelz  Phili.  3. 
ostez,  non    seulement   ilz   ne  pensent  pas  qu'ilz 

10  puissent  estre  chrestiens  :  mais  ne  pensent  plus 
estre  hommes .  Car  combien  que  les  uns  se 
Iraictent  délicatement  en  abondance,  les  autres 
vivotent  en  rongeant  des  croustes  :  toulesfois  ilz 
vivent   tous  d'un  pot  :   lequel,  sans  telles  aydes, 

15  non  seulement  se  refroidiroit,  mais  geleroit  du 
tout.  Pourtant,  celuy  d'eux  qui  se  soucie  le  plus 
de  son  ventre  est  le  meilleur  zélateur  de  leur  F^oy. 
Brief,  ilz  ont  tous  un  mesme  propoz  ou  de  conser- 
ver leur  règne,  ou  leur  ventre  plain.  Et  n'y  en  a 

20  pas  un  d'eux,  qui  monstre  la  moindre  appa- 
rance  du  monde  de  droit  zèle.  Et  neantmoins 
ilz  ne  cessent  de  calumnier  nostre  doctrine,  et 
la  descrier  et  diffamer  par  tous  moyens  qu'il 
leur  est  possible  :  pour   la  rendre,   ou  odieuse, 

23  ou  suspecte.  Hz  l'apellent  Nouvelle,  et  forgée  puis 
n'a  gueres.  Hz  reprochent  qu'elle  est  doubteuse 
et  incertaine.  Hz  demandent,  par  quelz  miracles 


XVI  EPIStRE 

elle  est  confermée?  Hz  enquierent,  s'il  est  expé- 
dient, qu'elle  surmonte  le  consentement  de  tant 
de  Pères  Anciens,  et  si  longue  coustume  ?  Hz 
insistent,  que  nous  la  confessions  estre  schisma- 

g  tique,  puis  qu'elle  faict  la  guerre  à  l'Eglise: 
ou  que  nous  respondions  que  TEglise  a  esté 
morte  par  tant  longues  années,  ausquelles  il  n'en 
estoit  nulle  mention.  Finalement,  ilz  disent  qu'il 
n'est  ja   mestier  de  beaucoup  d'argumens,    veu 

10  qu'on  peut  juger  des  fruictz,  quelle  elle  est.  C'est 
à  scavoir,  qu'elle  engendre  une  telle  multitude 
de  sectes,  tant  de  troubles  et  séditions,  et  telle 
audace  de  mal  faire.  Certes  il  leur  est  bien  facile 
de    prendre   leur    advantage    contre   une    cause 

15  déserte  et  délaissée  :  principalement  quand  il 
fault  persuader  au  populaire  ignorant  et  cré- 
dule. Mais  si  nous  avions  aussi  bien  lieu  de  par- 
ler: j'estime  que  leur  ardeur,  dont  ilz  escument 
si   asprement   contre  nous,  seroit  un  peu  refroi- 

2odye. 

Premièrement,    en  ce  qu'ilz   l'appellent   nou- 
velle, ilz    font    moult  grand    injure  à  Dieu  :  du-  Nouvelle 
quel  la  sacrée  paroUe  ne   meritoit  point  d'estre 
notée   de  nouvelleté.    Certes  je  ne  doubte  point, 

25  que  touchant  d'eux,  elle  ne  leur  soit  nouvelle,  aus- 
quelz  et  Christ  mesmes,  et  son  Evangile  sont  nou- 
veaux. Mais  celuy  qui  scait  que  ceste  prédication 


ÈPiSTRÈ  XVlt 

de    Sainct   Paul,  est   ancienne,  c'est   que  Jésus 

Christ   est    mort  pour  noz  péchez   et   ressuscité      Rom.  4. 

pour  noslre  justification  :  il  ne  Irouverra  rien  de 

nouveau    entre    nous  .    Ge    qu'elle   a   esté    long  Incongneuë 

5  temps  cachée  et  incongneuë  :  le  crime  en  est  à 
imputer  à  l'impiété  des  hommes.  Maintenant 
quand  elle  nous  est  rendue,  par  la  bonté  de 
Dieu;  pour  le  moins  elle  devoit  estre  receuë  en 
son  auctorité  ancienne. 

10      D'une   mesme    source     d'ignorance    provient,    incertaine. 
ce    qu'ilz    la    reputent   doubteuse   el  incertaine. 
Vrayement  c'est  ce  que  nostre  Seigneur  se  com-     lésa.  i. 
plainct   par  son  Prophète.    Que  le   bœuf  a  con- 
gneu    son    possesseur,   et   l'asne  l'estable  de   ses 

'^maistres  :  et    luy  qu'il  est  mescongneu   de    son 
peuple.  Mais  comment  qu'ilz  se  moquent  de  l'in- 
certitude   d'icelle  :    s'ilz  a  voient  à   signer  la  leur 
de  leur  propre  sang,  et  aux  despens  de  leur  vie  :      Rom.  8. 
on  pourroit  voir,  combien  ilz  la    prisent.  Nostre 

20  fiance  est  bien  autre  :  laquelle  ne  craint  ne  les 
terreurs  de  la  mort,  ne  le  Jugement  tie  Dieu. 

En  ce    qu'ilz   nous  demandent  miracles  :    ilz    Miracles, 
sont  desraisonnables.  Car  nous  ne  forgeons  point 
quelque    nouveau    Evangile  :    mais    nous    rete- 

25nons  celiiy,  pour  la  vérité  duquel  confirmer, 
servent  tous  les  miracles  que  jamais  et  Jésus 
Christ,  et  ses    Apostres    ont  faictz.  On   pourroit 

G 


XVin  EPISTRE 

dire  qu'ilz  ont  cela  particulier  oultre  nous,  qu'ilz 
peuvent  confirmer  leur  doctrine  par  continuelz  mi- 
racles .  qui  se  font  jusques  au  jour  d'huy.  Mais 
plustost  ilz  allèguent  miracles,  qui  pourroient 
3  esbranler  et  faire  doubter  un  esprit,  lequel 
autrement  seroit  bien  en  repos  :  tant  sont  ou 
frivoles,  ou  mensongiers.  Et  neantmoins  quand 
ilz  seroient  les  plus  prodigieux  et  admirables 
qu'on  scauroil  penser  :  si  ne  doivent-ilz  aucune- 

10  ment  valoir  contre  la  vérité  de  Dieu  :  veu 
qu'il  appartient  que  le  nom  de  Dieu  soit  tous- 
jours  et  par  tout  sanctifié,  soit  par  miracles, 
soit  par  l'ordre  naturel  des  choses.  Ilz  pourroient 
icy    avoir   plus    d'apparence,    si   l'Escriture    ne 

15  nous  eust  adverty,  quel  est  l'usage  légitime  des 
miracles.  Car  S.  Marc  dit,  que  ceux  qu'ont  faictz  Marcdernier. 
les   Apostres,  ont  esté  faictz  pour  confirmer  leur 
prédication.    Pareillement    Sainct   Luc    dit,    que 
noslre  Seigneur  en  ce   faisant,    a    voulu  rendre 

20  tesmoignage  à  la  parolle  de   sa  grâce.   A   quoy 
respond    ce    que   dit  l'Apostre .     Que    le    salut   Actes  u. 
adnoncé  par  l'Evangile  a  esté  confirmé  en  ce  que 
Dieu  en   a  testifié  par  signes  et  vertuz  miracu- 
leuses. Quand   nous   oyons  que  ce  doivent  estre 

25  seaux  pour  séeller  l'Evangile  I  les  convertirons- 
nous  à  destruire  son  authorité  ?  Quand  nous 
oyons  qu'ilz  sont  destinez  à  establir  la  vérité  I 


Et>[STRE  XlX 

les  appliquerons-nous  à  fortifier  le  mensonge  ? 
Pourtant  il  faull  que  la  doctrine,  laquelle  précède 
les  miracles,  comme  dit  TEvangeliste,  soit  exa- 
minée en   premier  lieu.  Si   elle   est   approuvée  : 

5  lors  elle   pourra  bien  prendre  confirmation   par 
les  miracles.    Or   c'est   une   bonne   enseigne  de 
vraye  doctrine,  comme  dit  Christ,  si  elle  ne  tend     Jean  5. 
point   en  la  gloire   des  hommes,  mais  de  Dieu. 
Puis   que    Christ  afferme  que    telle   doibt   estre 

lorespreuve  :   c'est  mal   prendre  les  miracles,  que 
de  les  tirer  à  autre  fm,  que  pour  illustrer  le  Nom 
de    Dieu.     Et    nous   doibt   aussi    souvenir    que    Levit.13. 
Satan  ha   ses  miracles  :  Lesquelz  combien  qu'ilz  2.Thessalo.2. 
soient  illusions  plustost  que  vrayes  vertus  :  tou- 

iotesfois  ilz  sont  de  telle  sorte,  qu'ilz  pourroient 
abuser  les  simples  et  rudes.  Les  Magiciens  et 
Enchanteurs  ont  esté  tousjours  renommez  de 
miracles.  L'ydolatrie  des  Gentilz  a  esté  nour- 
rie par    miracles  merveilleux  :   lesquelz    toutes- 

20  fois  ne  sont  suffîsans  pour  nous  approuver 
la  superstition  ne  des  Magiciens  ne  des  ydo- 
latres. 

Les  Donastistes  estonnoient  anciennement  la 
simplicité  du  populaire  de  ceste  mesme  machine, 

25  qu'ilz  faisoient  plusieurs  miracles.  Nous  fai- 
sons donc  maintenant  une  mesme  response  à 
noz  adversaires,  que  faisoit  lors  Sainct  Augustin 


^X  EPISTRE 

aux   Donaiistes   :  que    nostre    Seigneur   nous    a  Sur  S.  Jean, 
renduz    a^^sez    advisez    contre    ces    miracleurs  : 
prédisant    que  faux    Prophètes  viendroient   qui    Matt.  23. 
par  grandes  merveilles  et  prodiges  tireroient  en 

5  erreur   mesmes  les  esleuz  si  faire  se  povoit.  Et 
Sainct  Paul  a  adverty  que  le  règne  d'Antéchrist 
seroit  avec  toute  puissance,  miracles,  et  prodiges  2.Thessal.  2. 
mensongiers.  Mais  noz  miracles,  disent-ilz,  ne  se 
font  ne  par  ydoles,    ne   par  enchanteurs,  ne  par 

u'faulx    Prophètes,  mais   par  les  Sainctz.  Gomme 
si  nous  n'entendions  point  que  c'est  la  finesse  de    2.  Cor.  H. 
Satan,  se  transfigurer  en  Ange    de  lumière.   Les 
Egiptiens  autresfois   ont  faict  un  Dieu  de  Jere- 
mie,  qui  estoit   ensepvely  en   leur  région  :    luy 

...sacrifians  et  faisans  tous  autres  honneurs,  q^'iiz  «n^S.  Hieros- 
avoient  accoustumé  faire  à  leurs  Dieux.  N'abu-   face. 
soient-ilz  pas  du  Sainct  Prophète  de  Dieu  à  leur 
ydolatrie?    Et    toutesfois,   par    telle    vénération 
de  son  sepulchre,  ilz    obtenoient  qu'ilz    estoient 

io  guéris    de    morsures   de    serpens.    Que    dirons- 
nous  ?     sinon    que    ceste    a    tousjours    esté    et 
sera,   une   vengeance    de    Dieu    tresjuste  !   d'en- 2.Thessal.  2. 
voyer  efficace  d'illusion  à    ceux    qui  n'ont   pomt 
receu    la     dilection    de    vérité  I    pour    les   faire 

25  croyre  à  mensonge  ?  Donc  les  miracles  ne  nous 
deli'aillent  point  qui  sont  mesmes  trescertains 
et     non     subjectz    à    mocquerie.    Au     contraire 


EPISTRE  XXt 


ceux,  que   noz   adversaires  prétendent  pour  eux, 
sont  pures  illusions  de  Satan  :  quand  ilz  retirent 
le  peuple  de    Tlionneur  de  son    Dieu    à  vanité.     Deui.  13. 
Oultre,  injustement  ilz  nous  objectent  les  an- 
sciens  Pères,  j'entends  les   escrivains  du  premier 
temps   de  l'Eglise,  comme  s'ilz  les   a  voient  favo-  Autoriié  des 
risans  à  leur  impieté  :  par  l'auctorité  desquelz  si      ^^^^' 
la  noyse  estoit  à  desmeller  entre  nous,  la  meil- 
leure partie   de    la    victoire    viendroit    à   noslre 

10  part.  Mais  comme  ainsi  soit,  (pu'  plusieurs  choses 
ayent  esté  escriptes  sagement  et  excellentement 
de  ces  anciens  Pères  :  d'autrepart,  (pi'il  leur  soit 
advenu,  en  d'aucuns  endroictz,  ce  (|ui  advient  à 
tous  hommes,  c'est  de  faillir  et    errer,  ces   bons 

15 et  obeissans  fdz,  selon  la  droicture  qu'ilz  ont,  et 
d'esprit,  et  de  jugement,  et  de  volunté,  adorent 
seulement  leurs  erreurs  et  faultes.  Au  contraire, 
les  choses  qui  ont  esté  bien  escriptes  d'eulx  :  ou 
ilz  ne  les  apperceoivent  point,  ou  ilz   les  dissi- 

20 mutent,  ou  ilz  les  pervertissent  tellemeni,  qu'il 
semble  qu'ilz  n'ayent  autre  soing,  sinon  de  recueil- 
lir  de  la  fiante  parmy  de  l'or.  Et  après  ilz  nous 
poursuivent  par  grand'clameur,  comme  contemp- 
teurs et  ennemis  des  Pères.  Mais  tant  s'en  fault 

23  que  nous  les  contemnions,  que  si  c'estoit 
nostre  présent  propoz  :  il  me  seroit  facile  d'ap- 
prouver, par  leurs    tesmoignages    la  plus  grand' 


XXII  EPISTRE 

part  de  ce  que  nous  disons  au  jourd'huy.  Mais 
nous  lisons  leurs  escriptz  avec  tel  jugement,  que 
nous  avons  tousjours  devant  les  yeux  ce  que  dit 
Sainct     Paul.     C'est,    que    toutes    choses    sont     i.Cor.  3. 

snostres,  pour  nous  servir,  non  pour  dominer  sur 
nous  :  et  que  nous  sommes  tous  à  un  seul  Christ, 
auquel  il  fault  sans  exception,  obéir  du  tout. 
Ceux  qui  n'observent  point  cest  ordre,  ne 
peuvent  rien  avoir  de  certain  en  la  Foy  :  veu  que 

10 ces  sainctz  personnages  desquelz  il  est  question, 
ont  ignoré  beaucoup  de  choses  :  sont  souvent 
divers  entre  eux  :  et  mesmes  aucunesfois  se  con- 
treviennent à  eux-mesmes.  Salomon,  disent-ilz, 
ne  nous  commande  point  sans  cause,  de  n'oultre-     Piov.  22. 

15  passer  les  bornes  qui  ont  esté  mises  de  noz  pères. 
Mais  il  n'est  pas  question  d'observer  une  mesme 
reigle  en  la  borneure  des  champs,  et  en  l'obéis- 
sance de  la  Foy  :  laquelle  doibt  tellement  estre 
ordonnée,  qu'elle  oublie  son  peuple  et  la  maison 

20 de  son  père.  D'avantage  puis  qu'ilz  ayment  tant 
les  allégories  :  que  ne  prennent-ilz  les  Apostres 
plustost  pour  leurs  pères  !  que  nulz  autres  !  des- 
quelz ilz  ne  soit  licite  arracher  les  bornes?  Car 
ainsi  la  interprété  Sainct  Hierome,  duquel  ilz  ont 

25  allégué  les  paroUes  en  leurs  canons.  Et  encores 
s'ilz  veulent  que  les  limites  des  Pères,  qu'ilz  en- 
tendent, soient  observez!  pourquoy  eux  mesmes, 


EPISTRE  XXIll 

quand  il  leur  vient  à    plaisir,  les    ouUrepassent-  Achatius    en 

.,.,      .  .V.  •       .     1  1  l'IIvst.     Iri- 

ilz  SI  audatieusement  ?  Ceux  estoient  du  nombre    par. 

des  pères,  desquelz  l'un  a  dit,  que  Dieu  ne  beu-  i  tiësomcès! 

voit  ne  mengeoit  :   et  pourtant  qu'il  n'avoit  que 

5 faire  ne  de  platz,  ne  de  calices.  L'aulre,  que  les 
Sacremens  des  Chrestiens  ne  requièrent  ne  or  ne 
argent,  et  ne  plaisent  point  à  Dieu  par  or.  Hz 
oultrepassent  donc  ces  limites,  quand  en  leurs 
cérémonies    ilz  se   délectent  tant  d'or,  d'argent, 

10  marbre,  yvoere,  pierres  pretieuses,  et  soyes  :  et 
ne  pensent  point  que  Dieu  soit  droitement  hon- 
noré,  sinon  en  afïluence  et  superfluité  de  ces 
choses.  Cestuy  estoit  un  père,  qui  disoit,  que 
librement    il  osoit   menger   chair   en   quaresme,  Sipirido  au 

15 quand  les  autres  s'en  abstenoient,  d'autant  qu'il    iripai.  c.io 
estoit  Ghrestien.  Hz  rompent  donc   les    limites 
quand  ilz  excommunient  la   personne,  qui  aura 
en   quaresme  gousté  de  la   chair.  Ceux  estoient 
pères,  desquelz  l'un  a  dict,  qu'un  Moyne,  qui  ne 

20  laboure    point  de   ses   mains,  doibt  estre  réputé  Voyés  le  c.  l 

comme  un  brigand.  L'autre,  qu'il  n'est  pas  licite   del'kist.tri- 

aux  Moynes  de  vivre  du  bien  d'autruy  :  mesmes   P^''- 

quand  ilz    seroient  assiduelz    en  contemplations,  Sainct     Au- 

,,  1       Ti  -1  gust.del'œu- 

en  oraisons  et  a  1  estude.  Hz  ont  aussi  oultrepasse    vredesMoy- 

25ceste  borne,  quand  ilz  ont  mis  des  ventres  oysifz  de   "^^' 

Moynes,  en  des  bordeaux,  ce  sont  leurs  cloistres, 

pour   estre    saouliez    de    la    substance    d'autruy. 


X  XIV  EPISTRE 

Celny  estoit  Père,  qui  a  dict  que  c'estoit  une  Ephiphanius, 
horrible  abomination  de  voir  une  Image  ou  de  Lst^eaesté 
Christ,    ou   de   quelque  Sainct  aux   temples  des    translatée 

^         ^  *  par  S.  Hier. 

Chrestiens.  Hz  s'en  fault  b[e]aucoup  qu'ilz  ne 
3  gardent  ces  limites  :  quand  ilz  ne  laissent  anglet 
vuide  de  simulacre  en  tous  leurs  temples.  Un 
autre  père  a  conseillé,  que  après  avoir,  par 
sépulture,  exercé  office  d'humanité  envers  les  Ambro .  au 
morlz,  on  les  laissast  reposer.  Hz  rompent  ces  Abraham. 
10  limites,  quand  ilz  requièrent  qu'on  ayt  perpé- 
tuelle solicitude  sur  les  trespassez,  Cesluy  estoit 
au  nombre  des  Pères,  qui  a  nyé  qu'au  Sacrement 
de  la  Gène,  soubz  le  pain  feust  contenu  le  vray 
corps  de  Christ,  mais  que   seulement  c'estoit  un  Lauth.     de 

j  -1  1  •       •      1  .    ■      lœuvr.imp. 

15  mystère  de  son  corps,  il  parle  amsi  de  mot  a  sur  S.  Math. 
mot.  Hz  excédent  donc  la  mesure,  quand  ilz  V.?"\'jij.e  i^^s 
disent  que  le  corps  du  Christ  est  là  encloz  locale-   œuvres     de 

^  .  Chrisosto. 

ment.  Ceux  estoient  pères,  desquelz  l'un  ordonna,  Gelasius  au 
que  ceux  feussent  du  tout  rejettez  de  l'usaige  de    niusdecons. 

20  la    Cène   :   lesquelz,   prenans  l'une  des   espèces^    ^''^i^"- -• 
s'abstenoient  de  la  seconde.  L'autre  maintient  qu'il 
ne  fault   denier  au    peuple  Chrestien   le  sang  de 
son  Seigneur  :  pour  la  confession  duquel  il  doibts.   Cipr.  eu 
espandre  son  sang.  Hz  ont  osté  ces  limites,  quand   nVre  i  "pe- 

25  rigoureusement     ilz    ont    commandé    la    mesme    ^'^^"''• 
chose,  qufc  l'un  de  ceux  la  punissoit  par  excom- 
munication,   l'autre  par  forte  raison  reprouvoit. 


EPISTRE  XXV 

Cestuy  esloit  Père,  qui  afîirmoit  estre  une  leme-  s.  Au<;ustin 
rilé,  de  déterminer  de  quelque  chose  obscure  en  o^iace  du 
une  partie   ou  en  Taulre,  sans  clairs   et  evidens   ^o"^<^'*" 

l  '  Testa. c.der- 

lesmoignages  de  TEscriture.  Hz  ont  oublyé  ceste    "i^îr. 
5  borne  :  quand  ilz  ont  conclud  tant  de    constitu- 
tions, canons,  et  déterminations  magistrales,  sans 
quelque  parolle  de  Dieu.  Cestuy  estoit  Père,  qui  Apolonius  en 

h-.     '     \,T       •  •  L  1  •  l'histoire  Ec- 

^  Oit   a    Montanus,    entre   autres    hérésies,    ^i^,  ^   Y^   c. 

qu'il  avoit  le  premier  imposé  loix  de  jeusner.  Hz    ^ -J- 

10  ont    aussi     oultrepassé    ces    limites,   quand    par 
estroicte  loy,  ilz  ont  ordonné  les  jeunes.  Cestuy 
estoit  Père,  qui  a  soustenu  le  mariage  ne  devoir  paph[nu]tius 
estre  deffendu   aux   Ministres  de    l'Eglise  :  et    a   T^ipar^^nb' 
declairé  la    compaignie  de  femme   légitime  estre    -•  ^-  **• 

15  chasteté  :  et  ceux  estoient  Pères,  qui  se  sont 
accordez  à  son  auctorité.  Hz  sont  eschappez 
oultre  de  ceste  borne,  quand  ilz  ont  ordonné 
l'abstinence  de  mariage  à  leurs  Prestres.  Cestuy 
estoit  Père,  qui  a  escript  qu'on  doibt  escouter  un  s.  Cyprianen 

20  seul  Christ  :  duquel  il   est   dict,  de  par  le  Père   o^^Hv    des 
Céleste    :    Escoustez-le.   Et    qu'il   ne   fault  avoir   ^P'- 
esgart   à   ce    qu'auront    faict,  ou  dict,  les  autres 
devant  nous  :  mais  seulement  à  ce  qu'aura  com- 
mandé   Christ,  qui    est  le  premier    de  tous.  Hz 

25  ne  se  sont  point  tenuz  entre  ces  barres,  et  n'ont 
permis  que  les  autres  s'y  tinssent  :  quand 
ilz    ont   constitué    tant    par  dessus    eux  que  par 

D 


XXVI  EPISTRE 


dessus  les  autres,  autre  maistre  que  Christ,  Tous 
les  Pères  d'un  mesme  couraige  ont  eu  en  abomi- 
nation, et  d'une  mesme  bouche  ont  détesté,  que 
la  saincte  paroUe  de    Dieu  feust  contaminée  par 

5subtilitez  Sophistiques,  et  enveloppée  de  combatz 
et  contentions  Philosophiques.  Se  gardent-ilz 
dedens  ses  marches  1  quand  ilz  ne  font  autre 
chose  en  toute  leur  vie  !  que  d'ensepvelir  et 
obscurcir  la  simplicité  de  l'Escriture  par  conten- 

10 lions  infinies!  et  questions  plus  que  Sophis- 
tiques? Tellement  que  si  les  Pères  estoient  main- 
tenant suscitez,  et  oyoient  un  tel  art  de  combatre, 
qu'ilz  appellent  Théologie  spéculative,  ilz  ne 
penseroient    rien   moins,   que  telles  disputations 

13  estre  de  Dieu.  Mais  comment  s'espandroit  au 
large  nostre  oraison  !  si  je  voulois  ennombrer  ! 
combien  hardiment  ilz  rejettent  le  joug  des 
Pères  !  desquelz  ilz  veulent  estre  veuz  obeissans 
enfans  ?  Certes    moys   et   années  se   passeroient 

20  à  reciter  ce  propoz.  Et  neantmoins  ilz  sont 
d'une  impudence  si  effrontée  :  qu'ilz  nous  osent 
reprocher,  que  nous  oultrepassons  les  bornes 
anciennes. 

En  ce  qu'ilz    nous  renvoient  à    la  coustume, 

25 ilz  ne  font  rien.  Car  ce  seroit  une  grande  ini- 
quité, si  nous  estions  contreinctz  de  céder  à  la 
coustume.    Certes    si  les  jugemens  des  hommes 


suetudi. 


EPISTRE  XXVU 

esloient  droictz  :  la  coustiime  se  devroit  prendre 
des  bons.  Mais  il  en  est  souventesfois  advenu 
autrement.  Car  ce  qu'on  voyt  estre  faict  de  plu- 
sieurs,  a    obtenu   droict    de   coustume.    Mais  la 

5  vie  des  hommes  n'a  jamais  esté  si  bien  reiglée, 
que  les  meilleures  choses  pleussent  à  h\  plus 
grand'part.  Donc  des  vices  particuliers  de  plu- 
sieurs, est  provenu  un  erreur  publiq,  ou  plus- 
tost  un   commun  consentement  de   vice  :  lequel 

10  ces  bons  preudhommes  veulent  maintenant  estre 
pour  Loy.    Ceux  qui  ne   sont  du  tout   aveugles,  VoyezauDec. 

,       .  ,  dist.  S.c.fin. 

appercoyvent  que  quasi  plusieurs  mers  de  maux   extiadocon- 
sont  desbordez  sur  la  terre,  et  que  tout  le  monde 
est  corrompu  de  plusieurs  pestes  mortelles,  brief 

i.ï  que  tout  tombe  en  ruyne,  tellement  qu'il  fault 
ou  du  tout  désespérer  des  choses  humaines,  ou 
meltre  ordre  à  telz  maulx,  et  mesmes  par 
remèdes  violens.  Et  neanlmoins  on  rejette  le 
remède  non  pour  autre  raison,    sinon  que  nous 

20  sommes  desja  de  longue  main  acoustumez  aux 
calamitez.  Mais  encores  que  l'erreur  publicq  ayt 
lieu  en  la  police  des  hommes  :  Toutesfois  au 
Règne  de  Dieu,  sa  seule  éternelle  vérité  doibt 
estre  escoutée  :  et  observée  ;  contre  laquelle   ne 

2.5vault  aucune  prescription  ne  de  longues  années, 
ne  de  coustume  ancienne,  ne  de  quelconque  con- 
juration. En  telle  manière  jadis  lesaye  instruisoit 


XXVIII  EPISTRE 


les  esleux  de  Dieu,  de  ne  dire  Conspiration  :  lesaieS. 
par  tout  où  le  peuple  disoit,  Conspiration,  c'est 
à  dire  qu'ilz  ne  conspirassent  ensemblemenl  en 
la  conspiration  du  peuple,  et  qu'il/  ne  crai- 
sgnissent  de  leur  crainte,  ou  s'estonnassent  :  mais 
plustost  qu'ilz  sanctifiassent  le  Seigneur  des 
armées,  et  que  luy  seul  feust  leur  crainte.  Main- 
tenant donc  que  noz  adversaires  nous  objectent 
tant   d'exemples    qu'ilz   vouldront,  et   du    temps 

10  passé  et  du  temps  présent  :  si  nous  sanctifions 
le  Seigneur  des  armées,  ilz  ne  nous  estonneront 
point  fort.  Car  soit  que  plusieurs  eages  ayent 
accordé  à  une  mesme  impieté  :  le  Seigneur  est 
fort  pour    faire    vengeance,  jusques    en  la   troi- 

losiesme  et  quattriesme  génération  :  soit  que  tout 
le  monde  conspire  en  une  mesme  meschanceté, 
ilz  nous  a  enseignez  par  expérience,  quelle  est 
la  fin  de  ceux,  qui  pèchent  avec  la  multitude  ; 
quand  il  a  discipé    tout  le  monde  par  le  déluge.  Gène  7. 

20  réservé    Xoé,   avec    sa   petite  famille:   qui,  par  Hebi.  il. 
sa   Foy  de  luy  seul,  condamna   tout   le   monde. 
En  somme,  mauvaise  coustume  n'est  autre  chose, 
qu'une  peste   publique    :    en   laquelle    ceux    qui 
meurent   entre    la   multitude,   ne    périssent    pas 

25  moins,  que  s'ilz  perissoient  seulz. 

Ilz  ne  nous  pressent  pas  si  fort  par  leur  argu- 
ment qu'ilz  nous  contreignent  de  confesser,  ou  que 


EPISTRE  XXIX 


TEglise  ayt  esté  morte  par  quelques  années  : 
ou  que  maintenant  nous  ayons  combat  contre 
l'Eglise.  Certes  TEglise  de  Christ  a  vescu,  et 
vivra  tant  que  Christ  régnera  à  la  dextre  de  son 
5  Père  :  de  la  main  duquel  elle  est  soustenuë,  de 
la  garde  duquel  elle  est  armée,  de  la  vertu  duquel 
elle  est  fortifiée.  Car  sans  dou])te  il  accomplira  ce 
qu'il  a  une  fois  promis.  C'est  qu'il  assisteroit  Math.  28. 
aux  siens  jusques  à  la  consummation  du  siècle. 

10 Contre  ceste  Eglise  nous  n'entreprenons  nulle 
guerre.  Car  d'un  consentement,  avec  tout  le 
peuple  des  fidèles,  nous  adorons  et  honorons  un 
Dieu,  et  un  Christ  le  Seigneur,  comme  il  a  esté 
tousjours  adoré   de   ses  serviteurs.    Mais  eux,  ilz  i.Cor.  8. 

15  sont  bien  loing  de  la  vérité,  quand  ilz  ne  recon- 
gnoissent  point  d'Eglise,  si  elle  ne  se  voit  présen- 
tement à  l'œil  :  et  la  veulent  enclorre  en  cer- 
tains limites,  ausquelz  elle  n'est  nullement  com- 
prinse.  En  ces  poinctz  gist  nostre   controversie. 

20  Premièrement  qu'ilz  requièrent  tousjours  une 
forme  d'Eglise  visible  et  apparente.  Secondement, 
qu'ilz  constituent  icelle  forme  au  siège  de  l'Eglise 
Romaine,  et  en  Testât  des  Prelatz.  Nous,  au  con- 
traire affirmons  que  l'Eglise  peut  consister,  sans 

23  apparence  visible  :  et  mesmes  que  son  apparence 
n'est  à  estimer  de  ceste  magnificence  extérieure, 
laquelle    follement  ilz  ont  en  admiration  :    mais 


XXX  EPISTRE 

elle  ha  bien  autre  marque,  c'est  à  scavoir  la  pure 
prédication  de  la  paroUe  de  Dieu,  et  Fadminis- 
tration  des  Sacremens  bien  instituée.  Hz  ne  sont 
pas    contens   si   l'Eglise    ne    se    peut    tousjours 

smonstrer  au  doigt  :  mais  combien  de  fois  est-il 
advenu  ;  qu'elle  a  esté  tellement  déformée  entre 
je  peuple  Judaïque  !  qu'il  n'y  restoit  nulle  appa- 
rence ?  Quelle  forme  pensons-nous  avoir  reluy 
en    l'Eglise  1    lors   que    Helye    se    complaignoit  3.  Ro.  19. 

10 d'avoir  esté  réservé  seul?  Combien  de  fois, 
depuis  l'advenement  de  Christ  !  a  elle  esté  cachée 
sans  forme?  Combien  souvent  a  elle  esté  telle- 
ment opprimée  par  guerres  !  par  séditions  !  par 
hérésies  !  qu'elle  ne  se  monstroit  en  nulle  partie? 

15  Si  donc  ces  gens  icy  eussent  vescu  de  ce  temps 
là  !  eussent-ilz  creu  estre  quelque  Eglise?  Mais  il 
feust  dit  à  Hèlye,  qu'il  y  avoit  encores  sept  mille 
hommes  de  reserve,  qui  n'avoient  point  fleschy 
le  genouil  devant  Baal.  Et  nous  doibt  estre  aucu- 

2onement  incertain,  que  Jésus  Christ  n'ayt  tous- 
jours  régné  sur  terre,  depuis  qu'il  est  monté  au 
ciel.  Mais  si  entre  telles  désolations,  les  fidèles 
eussent  voulu  avoir  quelque  certaine  apparence  : 
n'eussent-ilz  point  perdu    couraige?  Et    de  faict 

25  S.  Hylaire  reputoit  cela  estre  un  grand  vice 
en  son  temps,  que  estans  aveuglez  par  la  folle 
révérence    qu'ilz  portoient  à  la  dignité  de  leurs 


EPISTRE  XXXI 


xentius. 


Evesques,  ne  consideroient  point  quelles  pestes 
estoient     aucunesfois     cachées    dessoubz     telles 
masques.    Car  il  parle  en  caste    sorte  .  Je  vous  Contre    Au- 
admonneste,     gardez    vous    d'Antéchrist.     Vous 

o  vous  arrestez  trop  au  murailles,  cherchans  l'Eglise 
de  Dieu  en  la  beauté  des  édifices  :  pensans  que 
l'union  des  fidèles  soit  là  contenue.  Doubtons- 
nous  que  Antéchrist  doive  là  avoir  son  siège  ? 
Les  montaignes,  et  bois,  et  lacqs,  et   prisons,  et 

lodesertz  me  sont  plus  seurs,  et  de  meilleure  fiance. 
Car  les  Prophètes  y  estans  cachez  ont  prophétisé. 
Or  qu'est-ce  que  le  monde  honore  aujourd'huy 
en  ces  Evesques  cornuz  !  sinon  qu'il  pense  estre 
les   plus   excellens  !  ceux    qui    président  au  plus 

13 grandes  villes?  Ostons  donc  une  si  folle  estime. 
Au  contraire  permettons  cela  au  Seigneur,  que 
puis  qu'il  est  seul  congnoissant  qui  sont  les  siens  : 
que  aussi  aucunefois  il  puisse  oster  la  congnois- 
sance  extérieure   de   son   Eglise    de  la  veuë  des 

20  hommes.  Je  confesse  bien  que  c'est  une  hor- 
rible vengeance  de  Dieu  sur  la  terre.  Mais  si 
rimpieté  des  hommes  le  mérite  ainsi  !  pour- 
quoy  nous  efforceons-nous  de  contredire  à  la 
Justice    divine?    En  telle    manière    le   Seigneur 

23  quelques  eages  par  cy  devant,  a  puny  l'ingrati- 
tude des  hommes.  Car  pourtant  qu'ilz  n'a  voient 
voulu    obeyr   à    sa    vérité,    et    avoient  estainct 


kxjcii  ËMstRË 

sa  lumière  :  il  a  permis  qu'en  sens  aveuglé,  ilz 
faussent  abusez  de  lourdes  mensonges,  el  enseve- 
liz  en  profondes  ténèbres  :  tellement  qu'il  n'ap- 
paroissoit  nulle  forme  de  vraye  Eglise.   Cepen- 

sdant  neantmoins  il  a  conservé  les  siens  au 
milieu  de  ces  erreurs  et  ténèbres  :  comment  qu'ilz 
feussent  espars  et  cachez.  Et  n'est  pas  de  mer- 
veilles :  car  il  a  aprins  de  les  garder  et  en  la  con- 
fusion  de  Babylone,  et  en  la  flambe  de  fornaise 

10  ardente.  En  ce  qu'ilz  veulent  la  forme  de  l'Eglise 
estre  estimée  par  je  ne  scay  quelle  vaine  pompe: 
à  fin  de  ne  faire  long  propoz,  je  loucheray  seu- 
lement, en  passant,  combien  cela  seroit  dange- 
reux. Le  Pape  de  Romme,  disent-ilz,  qui  tient  le 

15  siège  Apostolique,  et  les  autres  Evesques,  repré- 
sentent l'Eglise,  et  doivent  estre  reputez  pour  l'B]- 
glise  :  parquoy  ilz  ne  peuvent  errer.  Pour  quelle 
cause?  Pource,  respondent-ilz,  qu'ilz  sont  pas- 
teurs de  l'Eglise,  et  consacrez  à  Dieu.  Aaron,  et  les 

20  autres  conducteurs  du  peuple  d'Israël,  estoient 
aussi  pasteurs.  Aaron  et  ses  fîlz,  estoient  ja  Exod.  32. 
esleuz  Prestres  de  Dieu  :  neanlmoins  ilz  fail- 
lirent, quand  ilz  forgèrent  le  veau.  A  qui,  selon 
ceste  raison ,  n'eussent  représenté  l'Eglise  les 
y  quatre  centz  Prophètes  qui  decevoient  Achab  ? 
Mais  l'Eglise  estoit  de  la  partie  de  Michée  seul 
certes    et    contemptible ,    de   la    bouche    duquel  3.  Roys22. 


I 


i 


EPISTRE  XXXIII 


loutesfois  sortoit  la  vérité?  Les  Prophètes  qui 
s  eslevoienl  contre  Jeremie,  se  vantans  que  la  Jere.  18. 
Loy  ne  pourroit  défaillir  aux  Prestres  !  ne  le 
Conseil  aux  sages  !  ne  la  parolle  aux  Prophètes  ! 
sue  portoient-ilz  pas  le  Nom  de  TEglise  ?  Une 
niesme  apparence  ne  reluysoit-elle  point  au  Con- 
cile !  qu'assemblèrent  les  Prestres  !  Docteurs!  etJfanH. 
religieux  !  pour  prendre  conseil  de  la  mort  de 
Jésus    Christ  ?   Voisent   maintenant   noz    adver- 

losaires,  et  s'arrestent  en  ces  masques  extérieures, 
pour  faire  Christ,  et  tous  les  Prophètes  de  Dieu 
vivant  schimatiques  :  au  contraire  les  ministres 
de  Satan,  organes  du  Sainct  Esprit.  D'avantage 
s'ilz  parlent  à  bon  escient,  qu'ilz  me  respondent 

iT  en  bonne  foy  :  en  quelle  Région  ou  en  quel 
peuple  ilz  pensent  que  l'Eglise  réside  !  depuis  que, 
par  sentence  deffinitive  du  Concile  de  Basle  ! 
Eugenius  Pape  de  Rome  feust  déposé  !  et  Ame- 
deus  substitué  en  son  lieu?  S'ilz  devoyent  crever, 

20  ilz  ne  pourront  nyer,  que  le  Concile,  quant  aux 
solemnitez  extérieures,  ne  feusl  bon  et  lesfi- 
lime  :  et  ordonné,  non  seulement  par  un  Pape, 
mais  par  deux.  Eugenius  feust  là  condamné 
pour    schismatique,   rebelle  et  contumax,    avec 

25  toute  la  compagnie  des  Cardinaux  et  Evesques. 
qui  avoient  machiné  avec  luy,  la  dissolution  du 
Concile.  Neantmoins  estant  depuis  supporté  par 

E 


XXXIV  EPISTRE 


la  faveur  des  Princes,  il  demoura  en  la  posses- 
sion de  sa  Papauté  :  et  celle  élection  d'Amedeus. 
solemnellement  parfaicte,  par  Fauthorité  du  sacré 
et  gênerai  Concile,  s'en  alla  en  fumée,  sinon  que 

sledict  Amedeus  feust  appaisé  par  un  chappeau 
de  Cardinal,  comme  un  chien  abbayant,  par  une 
pièce  de  pain.  De  ces  hérétiques  rebelles  et  con- 
tumax,  sont  yssuz  tous  les  Papes,  Cardinaux, 
Evesques.  Abbez  et  Prestres  qui  ont  esté  depuis. 

10  II  est  nécessaire  qu'ilz  soyent  icy  surprins  au 
passage.  Car  auquel  costé  meltront-ilz  le  nom  de 
lEglise?  Nyeront-ilz  le  Concile  avoir  esté  gêne- 
rai !  auquel  il  ne  deffailloit  rien  !  quand  à  la 
Majesté  extérieure  ?  veu  que    solemnellement  il 

15  avoit  esté  dénoncé  par  double  bule  I  dédié  par  le 
Légat  du  Sainct  Siège  Apostolique  ?  lequel  y 
presidoit  !  bien  ordonné  en  toutes  cérémonies  1 
et  persévéra  jusques  en  la  fin  en  une  mesme 
dignité  ?    Confesseront-ilz  Eugenius    schismati- 

20 que!  avec  toute  la  bende  1  par  laquelle  ilz  ont 
esté  consacrez?  Il  fault  donc  qu'ilz  diffinissent 
autrement  la  forme  de  TEg^ljise  :  ou  tant 
quilz  sont,  selon  leur  doctrine  mesme,  seront 
reputez    de    nous ,     schismatiques     :     lesquelz , 

23  sciemment  et  de  leurs  vouloir,  ont  esté  ordon- 
nez, par  hérétiques.  Et  s'il  n'eust  jamais  esté 
expérimenté  par    cy    devant,   que  l'Eglise    n'est 


EPISTRE  XXXV 

point  Ijée  à  pompes  extérieures  :  ilz  nous  en 
baillent  assez  certaine  expérience  :  quand  soubz 
le  tillre  et  couleur  de  l'Eglise,  ilz  se  sont  orgueil- 
leusement  faictz   craindre   au    monde  :   combien 

squ'ilz  feussent  pestes  mortelles  de  TEglise.  Je  ne 
parle  point  de  leurs  meurs,  et  actes  exécrables  : 
desquelz  toute  leur  vie  est  remplie  :  puis  qu'ilz 
se  disent  estre  Pharisiens,  lesquelz  il  faille  escou- 
ter,  et  non  pas  ensuyvre.  Mais  si  tu  veux  depar- 

10  tir  un  peu  de  ton  loysir  à  lire  noz  enseignemens 
tu  congnoistras  clairement,  que  leur  doctrine 
mesme,  pour  laquelle  ilz  veulent  estre  recon- 
gneuz  pour  l'Eglise,  est  une  cruelle  Géhenne  et 
boucherie    des    âmes,    un  flambeau,    une  ruyne, 

15  et  une  dissipation  de  l'Eglise. 

Finalement  c'est  perversement  faict  à  eux,  de      Sectes 

reprocher,    combien    d'esmeuttes,    troubles,    et    ^     ®,^, 

.  Troubles, 

contentions   a  après  soy  attiré  la  prédication  de 

nostre  doctrine  :  et  quelz  fruictz  elle  produit 
20  maintenant  en  plusieurs.  Car  la  faulte  de  ces 
maux  est  iniquement  rejettée  sur  icelle  :  qui 
devoit  estre  imputée  à  la  malice  de  Satan.  C'est 
quasi  le  propre  de  la  paroUe  de  Dieu  :  que 
jamais  elle  ne  vient  en  avant,  que  Satan  ne  s'es- 
23  veille  et  escarmouche.  Ceste  est  une  marque  très- 
certaine  :  pour  la  discerner  des  doctrines  men- 
songieres  :    lesquelles    facilement  se    monstrent 


XXXVI  EPISTRE 


en  ce  qu'elles  sont  receuës  voluntairement  de 
tous,  et  viennent  à  gré  à  tout  le  monde.  En  telle 
faceon  par  quelques  années  cy  devant,  quand 
tout  estoit  ensepvely  en  ténèbres,  ce  Seigneur 
5  du  mo[nJde,  se  jouoit  des  hommes  à  son  plaisir: 
et  comme  un  Sardanapalus,  se  reposoit  et  pre- 
noit  son  passetemps  en  bonne  paix.  Car  qu'eust- 
il  faict  !  sinon  jouer  et  plaisanter  !  estant  en  pai- 
sible et  tranquile  possession  de  son  Règne  ?  Mais 

10  depuis  que  la  lumière,  luysante  d'en  hault,  a 
aucunement  dechassé  ses  ténèbres  :  despuis  que 
le  fort,  a  assailly  et  troublé  son  Règne  :  incon- 
tinent il  a  commencé  à  s'esveiller  de  la  paresse, 
et  prendre  les  armes.  Et  premièrement  a  concité 

15  la  force  des  hommes,  pour  par  icelle,  opprimer 
violentement  la  vérité  commenceante  à  venir.  Et 
quand  il  n'a  rien  proffité  par  force  :  il  s'est  con- 
vertyaux  embusches.  Adoncpar  sesCatabaptistes 
et  telles  manières  de  gens,  il   a  esmeu  plusieurs 

20  sectes  et  diversité/  d'opinions  :  pour  obscurcir 
icelle  vérité,  et  finalement  l'esteindre.  Et  encores 
maintenant  il  persévère  à  esbranler  par  toutes 
les  deux  machines.  Car  par  violence  et  mains 
des  hommes,  il  s'efforce  d'enracher  ceste  vraye 

23  semence  :  et  d'autant  qu'il  est  en  luy,  il  tasche, 
par  sonyvroye,  de  la  supplanter,  à  fin  del'empes- 
cher  de  croistre,  et  rendre  son  fruict.  Mais  tous  ses 


EPISFRE  XXXVII 


effors  seront  vains,   si  nous  oyons  les  adverlisse- 
mens  du  Seigneur  :  qui  nous  a  long  temps  devant 
deseouvers  ses  finesses,    à   fin  que   ne  feussions 
surprins  :  et  nous  a  armez  d'assez  bonnes  gardes 
3  contre   ses  machines.   Au  reste    combien  grande 
perversité  est-ce  !  de  charger  la  parolle  de  Dieu 
de    la  hayne  !    ou   des   séditions  !  qu'esmeuvent 
à  rencontre  les  folz  et  escervelez?  ou  des  sectes! 
que  sèment  les  abuseurs?  Toutesfois  ce  n'est  pas 
10 nouvel     exemple.     On   demandoil    à    Helie,   s'il 
n'estoil    pas   celuy   qui    troubloil  Israël .    Christ  3.  Ro.  18. 
estoit  estimé   séditieux  des    Juifz  .   On   accusoit  Luc  23. 
les  Apostres  comme   s'ilz  eussent  esmeu  le  popu-  Jean  J9. 
laire    à  sédition.    Que    font  aujourd'huy     autre  Act.  24. 
1» chose    ceux    qui    nous    imputent    les  troubles  ! 
tumultes!  et  contentions!  qui  s'eslevent  encontre 
nous?  Or  Helie  nous  a  enseigné,  quelle  response  il 
leur  fauit  rendre.   C'est,  que  ce  ne  sommes  nous 
pas,    qui  semons  les  erreurs,  ou  esmouvons  les 
20  troubles  :  mais  eux  mesmes  qui  veulent  résister  à 
la  vertu  de  Dieu.  Mais  comme  ceste  seule  raison 
est  suffisante  pour  rabatre   leur   témérité  :  aussi 
d'autrepart,  il   est   mestier  d  obvier    à  l'infirmi- 
té d'aucuns,    ausquelz    souventesfois  il  advient 
2o  d'estre  estonnez  par  telz  scandales  :   et    en   leur 
estonnement,    de    vaciller.     Iceux    donc,     afin 
qu'ilz   n'ayent    matière    de    se   desconforter,    et 


XXXVllI  EPISTRE 


perdre  couraige,  doivent  penser,  que  les  mesmes 
choses  que  nous  voyons  maintenant,  sont  adve- 
nues aux  Apostres  de  leur  temps.  Il  y  en  avoit 
lors  des  ignorans  et  inconstans  :  lesquelz  comme 
^Sainct  Pierre  recite,  corrompoient,  à  leur  perdi-  2.  Pier.  3. 
tion,  ce  qui  estoit  divinement  escript  par  S.  Paul. 
Il  y  avoit  des  contempteurs  de  Dieu  :  lesquelz, 
quand  ilz  oyoient  que  le  péché  avoit  abondé,  afin 
que  la  grâce  abondast  d'avantage:  incontinent  ilz 

10  objectoient  :    nous  demourerons  donc  en  péché,  Rom.  6. 
à  fin  que  la  grâce  abonde.  Quand  ilz  oyoient  que  Au  dict  lieu, 
les  fidèles   n'estoyent  point  soubz  la   Loy   :    ilz 
respondoient,  nous  pécherons,  puis  que  nous  ne 
sommes    point   soubz   la    Loy,     mais    soubz    la 

15  grâce  .   Il  y  en  avoit  qui  Tappelloient  hortateur  à  Rom.  3. 
mal.    Des  faux  Prophètes  s'ingeroient  pour  des-  l-  Cor.  i. 
truire  les   Eglises,  qu'il   avoit  édifiées.    Aucuns  Galat.i. 
preschoient   l'Evangile  par  hayne  et  contention,  Au'x'^Epist 
non    en   sincérité,   et  mesmes  malicieusement  :    ^*^1,.^"'-  ^^ 

2.    lim. 

sopensans  de  le  grever  plus  en  sa  prison.  En  aucuns  Philip.  2. 

lieux  l'Evangile  ne  proffitoit  pas  beaucoup.  Chas-  2.  Pier.  2. 

cun   cerchoit  sonproffit,  et  non  point  de  servir  à  Au  dict  lieu. 

Jésus  Christ.  Les  autres  se   revoltoient,    comme  2.  Cor.  il. 

chiens     retournans    à    leurs    vomissemens ,     et  Act.6.  il.  et 
25  pourceaux    à  leurs  fanges.   Plusieurs    tiroient  la 

liberté  de  l'Esprit,  en  licence  charnelle.  Plusieurs 

faux  frères  s'insinuoient  :  desquelz  provenoient 


EPISTRE  XXXIX 

après  grandz  dangiers  aux  fidèles.  Mesmes  entre 
les  frères,  divers  debaiz  sesuscitoient.  Qu'avoient 
icy  à  faire  les  Apostres  ?  leur  estoit-il  expédient 
ou  de  dissimuler  pour  un  temps  !  ou  du  tout  quic- 
Uer  et  renoncer  cest  Evangile!  lequel  ilz  voyoient 
estre  semence  de  tant  de  noyses  !  matière  de 
tant  de  dangiers!  occasion  de  tant  de  scandales? 
Mais  entre  telles  angoisses  il  leur  souvenoit,  que  lesaie  8. 
Christ  est    pierre  d'offense   et  de    scandale  ,   mis  Rom.  9. 

10 en  ruyne   et  résurrection  de    plusieurs  :  et  pour  Luc  i. 
un  but  auquel  on  contredira.    De  laquelle  fiance 
estans   armez,  ils  passoient  hardiment,   et  mar- 
choient  par  tous  dangiers  de   tumultes   et    scan- 
dales. Nous  avons  à  nous  conforter  d'une  mesme 

13  pensée  :    puis    que    Sainct    Paul    tesmoigne    ce 
estre   perpétuel    à    l'Evangile,    qu'il  soit    odeur 
de    mort,    pour    mort,    à    ceux   qui   périssent  :  2.  Cor.  2. 
et  odeur  de   vie  pour  vie,  à  ceux  qui  sont  sau- 
vez. 

20  Mais  je  retourne  à  toy,  O  Roy  Tresmagnanime. 
Tu  ne  te  doibs  esmouvoir  de  ces  faux  rapportz  : 
par  lesquelz  nos  adversaires  s'esforcent  de  te 
jetter  en  quelque  crainte  et  terreur  :  c'est  à  sca- 
voir,  quece  nouvel  Evangile,  ainsi Tappellent-itz, 

25  ne  cerche  autre    chose,  qu'occasion  de  séditions, 
et    toute  impunité    de    malfaire.    Car  Dieu  n'est  i.  Cor.  14. 
pomt   Dieu  de    division,    mais    de    paix  :    et  le 


XL  EPISTRE 


Filz    de    Dieu    n'est    point    ministre    de   péché,  Gala.  2. 
qui  est  venu  pour  rompre  et  destruire  les  œuvres  i.  jean  3. 
du  Diable.  Et  quant  à  nous,  nous  sommes  injus- 
tement   accusez   de    cupiditez  :    desquelles  nous 

5  ne  donasmes  jamais  la  moindre  suspition  du 
monde.  Il  est  bien  vray  semblable,  que  nous 
machinons  de  renverser  les  Royaumes  :  desquelz 
jamais  n'a  esté  ouye  une  seule  parolle  séditieuse  : 
et   desquelz  la   vie    a  tousjours     esté    cong^neuë 

10  simple  et  paisible,  quand  nous  vivions  soubz  toy  : 
et  maintenant  chassez  de  noz  maisons,  nous  ne 
laissons  point  de  prier  Dieu  pour  ta  prospérité, 
et  celle  de  ton  Règne.  1\  est  bien  à  croyre,  que 
nous  pourchassons  un  congé  de    tout   mal  faire, 

13  sans  estre  reprins  ;  desquelz  combien  que  les 
meurs  soient  reprehensibles  en  beaucoup  de 
choses  :  toutesfois  il  n'y  a  rien  digne  de  si  grand 
reproche.  Et  d'avantaige,  gracesàDieu,  nous  n'a- 
vons point  si  mal  proffité  en  l'Evangile,  que  nostre 

20  vie  ne  puisse  estre  à  iceux  détracteurs,  exemple 
de  chasteté,  libéralité,  miséricorde,  tempérance, 
patience,  modestie,  et  toutes  autres  vertus. 
Certes  la  vérité  tesmoigne  évidemment  pour 
nous,    que    nous    craignons    et    honorons    Dieu 

25  purement  :  quand  par  nostre  vie  et  par  nostre 
mort,  nous  desirons  son  Nom  estre  sanctifié.  Et 
la  bouche  mesme  des  envieux  a  esté  contreincte 


EPISTRE  XLI 


de  donner  tesmoignage  d'innocence  et  justice 
civile  à  aucuns  de  nous  :  ausquelz  ce  seulement 
esloit  puny  par  mort,  qui  meritoit  d'estre  réputé 
à  louenge  singulière.  Or  s'il  y  en  a  aucuns,  qui, 
5  soubz couleur  de  l'Evangile,  esmeuvent  tumultes, 
ce  qu'on  n'a  point  veu  jusques  icy  en  ton 
Royaume,  ou  qui  veulent  couvrir  leur  liberté 
charnelle,  du  nom  de  la  liberté,  qui  nous  est 
donnée  par  la  grâce  de   Dieu,  comme  j'en  con- 

lognois  plusieurs,  il  y  a  loix,  et  punitions  ordon- 
nées par  les  loix,  pour  les  corriger  asprement, 
selon  leurs  delictz.  Mais  que  ce  pendant  l'Evan- 
gile de  Dieu  ne  soit  point  blasphémé,  pour  les 
maléfices  des  meschans.  Tu  as,  O  Roy  tresmagni- 

isfique,  la  venimeuse  iniquité  de  noz  calumniateurs 
exposée  par  assez  de  parolles  :  à  fin  que  tu  n'en- 
clines  pas  trop  l'aureille,  pour  adjouster  foy  à 
leurs  rapportz.  Et  mesme  je  doubte  que  je  n'aye 
esté  trop  long  :  veu  que  ceste  préface  a  quasi  la 

20  grandeur  d'une  deffense  entière.  Combien  que  par 
icelle,  je  n'aye  prétendu  composer  une  defPense, 
mais  seulement  adoulcir  ton  cœur,  pour  donner 
audience  à  nostre  cause.  Lequel  tien  cœur,  com- 
bien   qu'il  soit    à   présent    destourné    et    aliéné 

25 de  nous,  j'adjouste  mesme  enflambé  :  toutes- 
fois  j'espère  que  nous  pourrons  regaigner  sa 
grâce,  s'il  te  plaist   une  fois,  hors  d'indignation 


XLIl  EPISTRE 


et  courroux,  lire  ceste  nostre  confession,  laquelle 
nous  voulons  estre  pour  deffense  envers  la 
Majesté.  Mais  si  au  contraire,  les  detractions  des 
malveuillans  empeschent  tellement  tes  aureilles, 

5  que  les  accusez  n'ajent  aucun  lieu  de  se  def- 
fendre.  D'autrepart  si  ces  impétueuses  furies, 
sans  que  tu  y  mettes  ordre,  exercent  tousjoiirs 
cruauté  par  prison,  fouëlz,  géhennes,  coupeures, 
i^reusleures  :  nous  certes  comme  brebis  devouëes 

loà  la  boucherie,  serons  jettez  en   toute  extrémité.  Luc  21.  t 

Tellement    neantmoins,   qu'en     nostre    patience  f 

nous  posséderons  noz  âmes,  et  attendrons  la 
main  forte  du  Seigneur  :  laquelle,  sans  double, 
se   monstrera  en  saison,   et    apparoistra  armée, 

15 tant  pour  délivrer  les  povres  de  leur  affliction, 
que  pour  punir  les  contempteurs. 

Le  Seigneur  Roy  des  Roys  vueille  establir  ton 
Throsne  en  justice,  et  ton  Siège  en  équité,  Très- 
fort  et  Tresillustre   Roy. 

20  De  Basle  le  vingt  troysiesme  D'aoust 

mil  cinq  cent  trente  cinq. 


SUMMAIRE  ET  BRIEF  RECUEIL 

DES     PHINCIPAl'X     POINCTZ     ET    CHAPITHES,     CONTE- 
NUZ    EN    CE    PRESENT    LlVllE 

De  la  congnoissance    de  Dieu.  Chap.    1  Fol.        i 

De  la  congnoissance  de   l'homme,  et   du 

libéral  Arbitre.  Chap.   2  Fol.     30 

Delà  Loy.  Chap.   3  Fol.    113 

De  la  Foy,  où  le  Symbole   des  Apostres 

est  expliqué.  Chap.   4  Fol.    187 

De  Pénitence.  Chap.   5  Fol.   300 

De  la  Justification  delà  Foy,  et  des  mé- 
rites des  œuvres.  Chap.   (\  Fol.    3.^1- 

De  la  Similitude  et  différence  du  vieil  et 

nouveau  Testament.  (^hap.    7  Fol.    433 

De  la  Predest.  et  prov.  de  Dieu.  Chap.    8  Fol.    467 

De  Oraison,  où   loraison  de  noslre  Sei- 
gneur est  expliquée.    "  Chap.   9  Fol.   519 

Des  Sacrements.  Chap.  10  Fol.   565 

DuBaptesme.  Chap.  11  Fol.    582 

De  la  Cène  du  Seigneur.  Chap.  12  Fol.   625 

Des  cinq  Cérémonies  qu'on  a  fausement 

appellées  Sacremens.  Chap.  13  Fol.   670 

De  la  Liberté  Chrest.  Chap. 14  Fol.   707 

Delà  puissance  Eccles.  Chap. 15  Fol.   720 

Du  gouvernement  Civil.  Chap. 16  Fol.    753 

De  la  vie  chreslienne.  Chap.  17  Fol.    784 


I 


INSTITUTION 

D  E     LA 

RELIGION     CIIRESTIENNE 

PAR  JEAN  CALVIN 


DE    LA   CONGNOISSANCE    DE   DIEU 

CHAPITRE  I 

Toute  la  somme  de  nostre  saigesse,  laquelle  mérite  d'estre 
appellée  vraie  et  certaine  saigesse,  est  quasi  comprinse  en  deux 
parties,  à  scavoir  la  cong^noissance  de  Dieu,  et  de  nousmesmes. 
Dont  la  première  doibt  monstrer,  non  seulement  qu'il  est  un  seul 

5  Dieu,  lequel  il  fault  que  tous  adorent  et  honorent  :  mais  aussi 
qu'iceluy  est  la  fonteine  de  toute  vérité,  sapience,  bonté,  justice, 
jugement,  miséricorde,  puissance,  et  saincteté  :  à  fin  que  de  luy 
nous  aprenions  d'attendre  et  demander  toutes  ces  choses,  D'avan- 
taige  de  le[sj  recongnoistre  avec  louëng-e  et  action  de  grâce  pro- 

10  céder  de  luy.  La  seconde  en  nous  monstrant  nostre  imbecilité, 
misère,  vanité,  et  vilanie,  nous  ameine  à  déjection,  deffîance,  et 
haine  de  nousmesmes  :  en  aprez  enflambe  en  nous  un  désir  de 
chercher  Dieu  d'autant  qu'en  luy  repose  tout  nostre  bien  :  duquel 
nous  nous  trouvons  vuides  et   desnuez.  Or  il  n'est  pas  facile  de 

15  discerner  laquelle  des  deux  précède  et  produit  l'autre.  Car  veu 
qu'il  se  trouve  un  monde  de  toute  misère  en  l'homme  :  nous  ne 
nous  pouvons  pas  droictement  regarder,  que  nous  ne  soions  touchez 
et  poinctz  de  la  congnoissance  de  nostre  malheurté,  pour  incon- 
tinent eslever  les  yeulx  à  Dieu,  et  venir  pour  le  moins  en  quelque 

20  congnoissance  de  luy.  Ainsi  par  le  sentiment  de  nostre  petitesse, 
rudesse,  vanité,  mesmes  aussi  perversité  et  corruption,  nous 
recongnoissons  que  la  vraie  grandeur,  sapience,  vérité,  justice, 
et  pureté  gist  en  Dieu.  Finalement  nous  sommes  esmeuz  par  noz 
misères  à  considérer  les  biens  du  Seigneur,  et  ne  pouvons  pas 

25  affectueusement  aspirer  à  luy,  devant  que  nous  aions  commencé 
de  nous  desplaire  du  tout  en  nousmesmes.  Car  qui  est  celuy  des 
hommes,  qui  ne  reposast  voluntiers  en  soy  mesmes?  qui  est  celuy 

Iiistitulion.  1 


2  DE    LA    CONGNOISSANCE 

qui  n'y  repose  pour  le  temps  que  se  mescong-noissant  il  est 
content  de  ses  propres  facultez  ;  et  ne  voit  point  sa  calamité? 
Parquoy  un  chascun  de  nous  n'est  seulement  incité  k  cher- 
cher Dieu    par  la  congnoissance   de   soymesme  :  mais  est  con- 

âduict  et  quasi  mené  par  la  main  k  le  trouver.  D'autre  part  il 
est  notoire,  que  l'homme  ne  vient  jamais  k  la  claire  congnois- 
sance  de  soy  mesme,  sinon  que  premièrement  il  ait  contemplé 
la  face  du  Seig-neur,  et  aprez  l'avoir  considéré,  descende  k  se 
regarder.   Car  ceste  arrogance  est  enracinée  en  nous  tous  :  que 

10  tousjours  il  nous  semble  advis  que  nous  sommes  justes,  et 
véritables,  saiges  et  sainctz,  sinon  que  par  signes  evidens  nous 
soyons  convaincuz  d'injustice,  mensonge,  folie,  et  immundicité. 
Or  nous  n'en  sommes  point  convaincuz  si  nous  regardons  seule- 
ment k  nous,  et  non  au  Seigneur  pareillement  :  qui  est  la  reigle 

lounicque,  k  laquelle  il  fault  que  ce  jugement  soit  conforme.  Car 
d'autant  que  nous  sommes  tous  naturellement  enclins  k  hypo- 
crisie :  une  vaine  apparence  de  justice  nous  contente  amplement  au 
lieu  de  la  vérité,  et  pource  qu'il  n'y  a  riens  alentour  de  nous  qui 
ne  soit  gr;indement  contaminé  :  ce  qui  est  un  peu   moins  souillé 

20  est  accepté  de  nous  pour  trespur,  ce  pendant  que  nous  conte- 
nons nostre  esprit  entre  les  limites  de  nostre  humanité,  qui 
est  toute  pollue.  Tout  ainsi  que  l'œil  lequel  ne  voit  riens  que 
choses  de  couleui-  noire,  juge  ce  qui  est  d'une  blancheur  obscure, 
ou  bien  encores  k  demy  gris,  estre  le  plus  blanc  du  monde.  Il  se 

23  pourra  encores  de  plus  prez  comprendre,  combien  nous  sommes 
abusez  en  estimant  les  vertus  de  l'ame,  par  une  similitude  de  la 
veuë  corporelle.  Car  si  nous  regardons  en  plain  jour  bas  en  terre  : 
ou  si  nous  contemplons  les  choses  qui  sont  alentour  de  nous  :  il 
nous  semble    bien    advis  que  nous  avons    la   veuë  tresferme    et 

30  claire.  Mais  quand  nous  venons  k  eslever  les  yeulx  droict  au  soleil, 
la  force  laquelle  se  monstroit  en  la  terre,  est  confuse  et  esbloiiye 
d'une  si  grande  lumière  :  tellement  que  nous  sommes  contrainctz 
de  confesser,  que  la  bonne  veuë  que  nous  avons  k  considérer  les 
choses  terriennes  est  bien  foible  et  debille  pour  regarder  le  soleil. 

35  Ainsi  en  advient-il  en  reputant  noz  facultez  spirituelles.  Car  tant 
que  nostre  contemplation  ne  passe  point  la  terre  :  estant  tresbien 
contensde  nostre  propre  justice,  saigesse  et  vertu,  nous  nous  fia- 
tons  et  aplaudissons,  et  peu  s'en  fault  que  nous  ne  nous  estimions 
demy  Dieux,  mais    si  nous  dressons   une  fois   nostre  cogitation 


DE    DIEU.    CFIAl'lTHE    I.  3 

au  Seigneur,  et  recongnoissons  quelle  est  la  perfection  de  sa  justice, 
sapience,  et  vertu,  à  la  mesure  de  laquelle  il  nous  fault  reigler  :  ce 
qui  nous  plaisoit  au  para  vaut  soubz  couleur  de  justice,  apparoistra 
estre  souillé  de  tresg;rande  iniquité  :  ce  qui  nous  trompoit  merveil- 

àleusement  soubz  umbre  de  saigesse,  se  nionstrera  estre  extrême 
folye  ;  ce  qui  avoit  apparence  de  vertu,  se  declairera  estre  misérable 
foiblesse,  tant  s'en  fault  que  mesmes  ce  qu'il  semble  advis  estre 
tresparfaict  en  nous  responde  à  la  pureté  qui  est  en  Dieu.  De  là  vient 
Ihorreur  et  estounement  duquel  l'escriture  souvent  recite  que  les 

10  fidèles  ont  esté  frappez,  toutesfois  et  quantes  qu'ilz  sentoient  la 
présence  de  Dieu.  Pource  ([uand  nous  voyons  queceulx,  qui  en 
labsence  du  Seigneur  consistoient  comme  fermes  et  asseurez,  sont 
ainsi  esbranlez  et  espouvantez,  incontinent  qu'iceluy  leur  manifeste 
sa  gloire,  jusques  à  estre  quasi  engloutis  de  l'horreur  de  la  mort, 

i->  et  presques  rédigez  à  néant  :  de  cela  on  peut  appercevoir,  que 
riiomme  n'est  jamais  assez  touché  de  la  congnoissance  de  son 
infirmité,  sinon  après  qu'il  s'est  comparé  à  la  majesté  de  Dieu.  Et 
de  cest  espoventement  nous  avons  plusieurs  exemples,  tant  aux 
Juges   comme  aux  Propiietes  :  tellement  que  cestc  sentence  estoit  Josué.  13. 

20  fort  vulgaire  entre  le  peuple  de  Dieu  :    Nous  mourrons,  puis  que  Josué.    6. 
le  Seigneur  nous  est  apparu.  Parquoy    aussi   l'histoire    de    Job,  Ezec.  1.  et 
pour  abatre  les  hommes  par  la   recongnoissance  de  leur  folye,     ^"y''^ 
foiblesse,  et  polution,  déduit  tousjours  le  principal  argument  de 
la  description  de  la  sapience,  puissance,  et  pureté  de  Dieu  :  et  ce 

25  non  sans  cause.  Car  nous  voyons  comment  Abraham  se  recongnoist  Gen.  18. 
myeux  estre  terre  et  poudre  :  d'aultant  plus  qu'il  est  approché  de 
contempler  la  gloire  du  Seigneur .  Comment  Helye  ne  peut  atendre  /  .Reg.l9. 
sa  présence  à  face  descouverte,  telle  crainte  il  ha  de  le  regarder.  Et 
que  feroit  l'homme,  qui  n'est  que  pourriture  et  vermine,  quand  Esaie.  6. 

30  mesmes  il  fault  que  les  Chérubins  couvrent  leur  face,  de  grand' 
crainte  et  révérence?  Et  c'est  ce  que  dit  le  Prophète  Esaie,  que  Esa.  2i. 
le  soleil  aura  honte,  et  que  la  lune  sera  confuse,  quand  le  Seigneur 
des  armées  régnera  :  c'est  à  dire  quand,  il  aura  eslevé  et  mis  en 
avant  sa  clarté  :   que  tout  ce  qui  est  autrement  le  plus  reluysant 

33  au  pris  d'icelle,  sera  obscurcy.  Neantmoins  comment  que  ce  soit 
que  la  congnoissance  de  Dieu  et  la  congnoissance  de  nous  so  vent  en- 
semble mutuellement  conjoinctes  :  si  est  ce  que  l'ordre  requiert, 


4  DE    LA    CONGNOISSANCE 

que  nons  metions  celle  de  Dieu   premièrement  :  puis    après    que 
nous  descendons  à  l'autre . 

Nous  metons  hors  de  doubte,  qu'il  y  a  en  l'esprit  humain 
d'une  inclination  naturelle  quelque  sentiment  de  divinité,  afin 
oque  nul  n'eust  son  refuge  à  prétendre  ignorance.  Le  Seigneur  a 
inspiré  à  tous  quelque  intelligence  de  sa  majesté  :  afin  que  tous 
avans  entendu  qu'il  est  un  Dieu,  et  qu'iceluy  est  leur  créateur, 
soient  condemnez  par  leur  propre  tesmoignage,  de  ce  qu'ilz  ne 
l'auront  point  honoré,   et  qu'ilz    n'auront    point  dedyé  leur  vie  à 

10  faire  sa  volunté.  Certes  si  on  cherche  quelque  part  entre  les 
hommes  telle  ignorance,  que  Dieu  ne  soit  point  congneu  du  tout  : 
il  est  vray  semblable  que  l'exemple  ne  s'en  debvroit  trouver  nulle 
part  plustost  qu'entre  les  peuples  les  plus  rudes,  et  les  plus 
eslongnez  de  civilité  et  humanité.  Or  comme  les  payens  mesmes 

15  confessent,  il  n'y  a  nation  si  barbare,  nulle  gent  si  sauvaige, 
laquelle  n'ait  ceste  impression  au  cœur,  qu'il  y  a  quelque  Dieu. 
Et  ceux  qui  aux  autres  endroitz  de  la  vie  semblent  ne  dilFerer 
gueresdes  bestes  brutes  retiennent  neantmoins  tousjours  quelque 
semence   de  religion  :  tellement  ceste  conception   universelle  a 

20  pris  racine  en  tous  espris,  et  est  fichée  en  tous  cœurs.  Pourtant 
veu  que  depuis  le  commencement  du  monde  il  n'y  a  eu  ne  région, 
ne  ville,  ne  mesmes  maison  aucune,  laquelle  se  soit  peu  passer 
de  religion  :  en  cela  nous  avons  comme  une  confession  tacite, 
qu'il  y  a  un   sentiment    de    divinité  engravé  aux   cœurs  de  tous 

23  hommes,  Mesmes  l 'ydolatrie  nous  est  tresample  argument  de 
ceste  pensée.  Car  nous  scavons  combien  l'homme  s'humilie 
maulgré  soy:  et  ha  en  honneur  au  pris  de  soy  les  aultres  créa- 
tures. Puis  donc  qu'il  ayme  myeulx  honorer  le  boys  et  la  pierre, 
que   destre  en  réputation  de    n'avoir  point  de   Dieu  :    il  appert 

30  combien  est  véhémente  ceste  impression  de  la  Majesté  divine, 
laquelle  tellement  ne  se  peut  effacer  de  l'esprit  humain,  qu'il 
est  plus  aisé  de  rompre  son  affection  naturelle.  Comme  certes  elle 
est  rompue,  quand  1  homme  de  sa  haultesse  et  presumption 
s'abaisse   voluntairement    soubz  les  plus    viles   créatures    de    la 

3o  terre,  à  fin  de  porter  révérence  à  Dieu.  Parquoy  c'est  une 
faulse  oppinion,  de  dire  avec  aucuns,  que  la  religion  a  esté 
anciennement  controuvée  par  l'astuce  et  finesse  de  peu  de 
gens  :  à  fin  de  contenir  par  ce  moyen  le  simple  populaire 
en  modestie.     Combien    que    iceulx   qui    incitoient    les  aultres, 


DE    DIEr.    CIIAPITRK    I.  5 

à  honorer  Dieu  n'eussent  aucune  imagination  de  la  divinité.  Je 
confesse  l)ien  que  certains  hommes  fins  et  cauteleux  entre  les 
pavens  ont  forgé  beaucoup  de  choses  en  la  religion,  pour  donner 
crainte  au  simple  peuple  et  engendrer  scrupules  :  pour  l'avoir  plus 
sobeyssant  et  myeux  à  commandement  :  mais  jamais  ilz  n'eussent 
gaigné  ce  point,  sinon  que  premièrement  les  espris  des  hommes 
eussent  esté  resoluz  en  ceste  ferme  persuasion,  qu'il  y  avoit  lui 
Dieu.  De  laquelle  source  procedoit  toute  l'inclination  à  croire  ce 
qui  en  estoit  dict!  Mesmes  il  ne  fault  estimer  que  ceulx  qui  soubz 

iûuml)re  de  religion  abusoient  les  plus  simples  feussent  du  tout 
vuides  et  desnuez  de  ceste  pensée,  qu'il  y  eust  un  Dieu.  Car 
combien  que  anciennement  il  y  en  ait  eu  aucuns,  et  qu'aujour- 
dhuy  il  y  en  ait  plusieurs,  qui  nyent  toute  divinité  :  toutesfois 
bongré    malgré,  si  fault  il  qu'ilz  sentent  assiduellcment  ce  qu'ilz 

15  désirent  d'ignorer.  Nous  ne  lisons  point  que  personne  jamais  se 
soit  desbordé  en  un  conlemnent  de  Dieu  plus  audacieux  ou 
outrageux  que  Caiiis  Caligula  empereur  romain.  Toutesfois  nul 
n'a  jamais  tremblé  plus  misérablement  à  chacune  fois  que 
quelque  signe  de  l'ire  de  Dieu   apparoissoit.  Ainsi  malgré  qu'il 

20  en  eust,  il  avoit  horreur  de  Dieu  :  lequel  de  propoz  délibéré  il 
s'esforcoit  de  contemner.  Vous  verrez  communément  en  advenir 
autant  à  ses  semblables.  Car  d'autant  que  un  chacun  est  plus 
hardy  contempteur  de  Dieu,  aisément  il  s'estonne  en  ovant  une 
feuille  tomber  de  l'arbre.  Dont  vient  cela  ;  sinon  que  la  majesté 

25  de  Dieu  se  venge  d'eulx  ;  en  espouventant  d'autant  plus  leurs 
consciences  ;  qu'ilz  s'esforcent  de  la  fouyr?  Hz  regardent  bien 
toutes  les  cachetés  qu'il  est  possible  pour  se  retirer  de  la  pré- 
sence de  Dieu  :  et  tachent  d'effacer  la  mémoire  d'icelle  de  leur 
entendement,  mais  bongré  malgré,    ilz  sont  tenuz  enserrez.  Et 

30  combien  qu'il  semble  aucunesfois  qu'elle  s'esvanouysse  pour 
petit  de  temps  :  neantmoins  elle  revient  tousjours,  et  les  presse 
de  nouveau  plus  que  par  avant,  tellement  que  s'ilz  ont  quelque 
relâche  de  l'angoisse  de  leur  conscience,  elle  ne  diffère  gueres 
du  dormir  des  yvrougnes    ou  freneticques:  lesquelz  mesmes  en 

35  dormant  ne  reposent  point  en  tranquilité.  D'autant  qu'ilz  sont 
inquiétez  assiduellcment  de  visions  et  songes  espouventables. 
Pourtant  les  plus  iniques  mesmes  nous  sont  en  exemple,  que  la 
congnoissance  de  Dieu  ha  quelque  vigueur  universellement  au 
cœur  de  tous  les  hommes. 


b  DE    LA    CONGNOISSANCE 

Nous  avons  desja  touché  que  la  congnoissance  de  Dieu  doibt 
avoir  en  nous  ceste  efficace,  de  planter  en  noz  cœurs  quelque 
semence  de  religion.  Premièrement  pour  nous  instruire  à  une 
crainte  et  révérence  de  Dieu  :  en  aprez  pour  nous  aprendre  que 
5  c'est  enluy  qu'il  fault  chercher  tout  bien,  et  à  luy  auquel  en  est 
deuë  la  recongnoissance.  Car  comment  quelque  pensée  de  Dieu 
peut  elle  entrer  en  ton  entendement;  qu'incontinent  tu  ne 
repute,  puisque  tu  es  sa  facture  ;  que  par  le  droict  de  création 
que  tu  es  subject  et  submis    à   sa   domination?  que  ta  vie  doibt 

10  estre  adonnée  à  son  service  ?  que  tout  ce  que  tu  propose  ;  que  tu 
ditz  ;  et  faitz  ;  se  doibt  à  luy  ra porter?  S'il  est  ainsi,  il  s'ensuit  bien 
que  ta  vie  est  mauvaisement  corrumpue  sinon  qu'elle  soit  rei- 
glée  à  l'obeyssance  de  sa  saincte  volunté.  D'autre  part  tu  ne 
peuz  pas  clairement  le  comprendre,   sinon  que  tu    recongnoisse 

15  qu'il  est  la  fonteine  et  source  de  tout  bien.  De  laquelle  considé- 
ration se  produiroit  un  désir  d'estre  conjoinct  avec  luy  et  une 
fiance  de  sa  bonté,  nestoit  que  l'entendement  humain  par  sa 
perversité  est  retiré  de  la  droicte  inquisition.  Mais  en  l'un  et  en 
l'autre  endroit  apparoist  une  merAeilleuse  vanité  et  insipience  de 

20  nous  tous.  Car  au  lieu  qu'en  toute  nostre  vie  debvroit  estre 
entretenue  une  obéissance  perpétuelle  envers  luy,  quasi  en 
toutes  noz  œvres:  luy  résistant  nous  le  voulions  appaiser  seule- 
ment de  quelques  petites  satisfactions.  Au  lieu  qu'il  luy  failloit 
complaire  en  saincteté  et  inocence  de  cœur,  nous  forgeons  je   ne 

25  scay  quelz  fatras  et  cérémonies  de  néant,  espérant  l'amuser. 
D'avantage  au  lieu  que  nostre  fiance  debvroit  estre  du  tout  fichée 
en  luy,  elle  repose  en  nous  ou  aux  autres  créatures.  Finalement 
nous  sommes  envelopez  de  tant  d'erreurs  et  meschantes  opinions, 
que  ceste  estincelle  de  vérité,  laquelle  nous  escleroit  pour  nous 

30  conduire  à  contempler  la  majesté  de  Dieu,  est  couverte  et  estaincte 
tellement,  qu'elle  ne  nous  maine  point  jusques  à  droicte  congnois- 
sance, seulement  en  demeure  la  première  semence,  qui  ne  peut 
estre  jamais  du  tout  arrachée  :  c'est  àscavoirde  congnoistre  qu'il 
3^  a  quelque  divinité.  Et  encores  icelle  semence  est  tellement  cor- 

35rumpue,  qu'elle  ne  produict  que  tresmauvais  fruictz.  Et  en  ceste 
endroict  on  pèche  principalement  en  deux  sortes.  La  première 
est,  que  les  paovres  hommes,  pour  chercher  la  vérité  de  Dieu, 
n'outrepassent  point  leur  nature,  comme  il  estoit  convenable, 
mais  mesurent  sa  g^randeur  selon  la  rudesse  de    leurs  sens  et  ne 


Di'.  Dii:r.   CHAPITRE  i.  i 

le  comprenent  point  tel  qu'il  se  donne  à  congnoistre;  mais  l'imagi- 
nent comme  ilz  l'ont  forgé  par  leur  outrecuydance.  En  ce  faisant,  ilz 
ouvrent  un  goufre,  lequel  ouvert,  il  est  nécessaire,  de  quelque  costé 
qu'ilz  se  tournent,  qu'ilz  tresbuchent  toujours  en  damnation.  Car 
3  quekjue  chose  qu'ilz  s'elVorcenl  à  faire  ])uis  aprez  pour  servir  à  Dieu, 
ilz  ne  luy  peuvent  mettre  en  compte,  d'avitant  (juilz  ne  l'honorent 
point  :  mais  en  son  lieu  l'imagination  de  leur  ccrur.  Par  ainsi  la 
vaine  couverture,  que  beaucoup  ont  accoustumé  de  prétendre,  pour 
excuser  leur  superstition,  est  abatue.  Car   ilz    pensent  que  toute 

10  affection  de  religion,  quelle  qu'elle  soit,  mesme  quand  elle  sera 
desordonnée,  est  suffisante,  mais  ilz  ne  considèrent  point  que  la 
vraye  religion  doibt  estre  conformée  au  plaisir  de  Dieu  :  comme 
Il  sa  reigle  perpétuelle.  D'avantage  que  Dieu  demeure  tousjours 
semblable  à  soy  :  et  n'est  point  un  phantosme  cpii  se  transforme 

15  au  vouloir  d'un  chascun.  Et  de  vray,  on  peut  voir  par  combien 
vaines  illusions  la  superstition  se  joue  de  Dieu  :  quand  elle  tache 
de  luy  complaire.  Car  en  prenant  quasi  seulement  les  choses, 
desquelles  il  tcstifîe  qu^il  ne  se  soucye  nullement,  elle  néglige 
celles  qu'il  a    ordonnées,  et  declaire    luy  estre  acceptables,  ou 

20  mesmes  elle  les  rejecte  ouvertement.  Pourtant  tous  ceux  qui 
dressent  religions  inventées  en  leur  esprit  pour  honorer  Dieu 
n'adorent  que  leurs  propres  resveries,  veu  que  jamais  ilz  n'ose- 
roient  ainsi  se  jouera  Dieu  sinon  (jue premièrement  ilz  l'eussent 
forgé    semblable   à    leurs    fantasies.  Parquoy  l'Apostre  enseigne  Gala.  4. 

2ï  qu'ime  telle  opinion  qu'on  ha  de  Dieu  incertaine  et  desreiglée, 
est  ignorance  de  Dieu.  Du  temps  dit-il,  que  vous  ne  congnoissiez 
point  Dieu,  vous  serviez  à  ceux  qui  de  nature  ne  sont  point 
Dieux,  En  im  autre  passage  il  dict  que  les  Ephesiens  ont  esté 
sans  Dieu,   du  temps  qu'ilz  estoient  estrangez  de  la  droicte  con-  Ephé.  2. 

30gnoissance  d'iceluy,  et  n'y  a  point  grand  différence  quant  à  ce 
point,  si  on  imagine  un  Dieu  ou  plusieurs  ;  veu  que  tousjours  on 
délaisse  et  abandonne  le  vray  Dieu,  lequel  laissé  il  ne  reste  plus 
que  excecrable  ydolatrie.  Parquoy  nous  avons  à  conclurre 
avec   Lactance,    qu'il  n'y    a    nulle    religion    licite,    laquelle    ne 

3a  soit  conjoincte  avec  la  vérité,  La  seconde  faulte  que  com- 
mectent  les  hommes  est  qu'ilz  sont  tirez  par  force  et  maugré 
leur  volunté  à  avoir  considération  de  Dieu  :  et  ne  sont 
point  touchez  d'une  crainte  qui  procède  de  la  révérence  de 
sa   Majesté   :     mais    seulement    pour    paour   de  son   jugement. 


8  DE    LA    CONGNOISSANCE 

duquel  ilz  ont  horreur,  entant  qu'ilz  ne  le  peuvent  fouyr.  Telle- 
ment neantmoius,  qu'ilz  l'ont  en  abomination.  Car  ce  que  dist  un 
poëte  payen  convient  proprement  à  l'impiété,  et  à  icelle  seule  c'est 
à  scavoir  que  la  crainte  a  premièrement  introduict  la  révérence  de 
5  Dieu  au  monde.  Certes  tous  ceulx  qui  ont  le  cœur  eslongné  de  la 
justice  de  Dieu  souhait  croient  vouluntiers  que  son  Throsne,  lequel 
ilz  cong-noissent  estre  dressé  pour  punir  toutes  transgressions  à 
rencontre  d'icelle,  feust  renversé.  Par  lequel  désir  ilz  font  la 
guerre  à  Dieu  :  lequel  ne  peut  consister  sans  son  jugrtnent.  Mais 

10  en  congnoissant  sa  puissance  estre  sur  eulx  inévitable,  d'autant 
qu'ilz  ne  la  peuvent  ny  chasser,  ny  éviter, ilz  la  craignent.  Parquoy 
à  fin  qu'ilz  ne  semblent  point  estre  du  tout  contempteurs  de  sa 
majesté,  ilz  s'acquictent  d'une  manière  de  religion  telle  quelle. 
Toutesfois  ce    pendant  ilz  ne  laissent  pas    de  se    contaminer  en 

13  toutes  sortes  de  vices,  et  assembler  péchez  sur  péchez,  jusques  à 
ce  qu'ils  ayent  violé  entièrement  la  saincte  loy  du  Seigneur  et 
dissipé  toute  sa  justice,  ou  bien  pour  le  moins  ilz  ne  sont  pas 
tellement  reprimez  par  ceste  crainte  simulée,  qu'ilz  ne  se  reposent 
seulemen  en  leur  péché,  se  flatant  et   aymant  myeulx  lascher  la 

20  bride  à  l'intempérance  de  lem*  chair,  que  de  la  restraindre  au  gou- 
vernement du  sainct  Esprit.  Mais  pource  que  tout  cela  n'est  que 
une  umbre  vaine  de  religion,  voire  à  grand  peine  digne  d'estre 
nommée  umbre,  il  nous  fault  briefvement  declairer  quelle  est  la 
congnoissance  spéciale  de  Dieu,  laquelle  est    seulement    inspirée 

25  au  cœur  des  fidèles  :  quelle  est  aussi  l'affection  de  pieté  qui  s'en 
ensuit. 

Premièrement  le  cœur  fidèle  ne  se  forge  point  im  Dieu  tel 
quel  à  la  volée  :  mais  il  regarde  celuy  qui  est  seul  et  vray  Dieu,  et 
ne  luy  attribue  point  tout  ce  que  bon  luy  semble  :  mais  est  con- 

30  tent  de  l'avoir  tel  qu'il  se  manifeste,  se  gardant  tousjours  diligem- 
ment de  ne  sortir  point  hors  de  sa  volunté  par  audacieuse 
oultrecuydance.  L'ayant  ainsi  congneu,  pource  qu'il  entend 
que  par  sa  providence  il  modère  toutes  choses,  il  se  confie  de 
l'avoir  pour  tuteur   et  protecteur  :  et    pourtant    se   commet    en 

35  sa  garde,  d'autant  qu'il  le  congnoist  estre  autheur  de  tout 
bien  :  s'il  est  pressé  de  quelque  nécessité,  incontinent  il  se 
retire  à  son  secoin^s  :  et  ayant  invocqué  son  nom  attent  ayde 
de  luy,  d  autant  qu  il  est  persuadé  de  sa  bonté  et  bénignité, 
il  se   repose    seurement    en  sa    clémence   :    et    ne    doubte    point 


DI-:  DIEU.   r.HAPiTRi-:  I.  y 

d'avoir  tousjours  à  toutes  ses  misères  remède  appareillé  à  la 
miséricorde  d'iceluy.  Entant  qu'il  le  recongnoist  Seigneur  et 
père,  il  le  repute  estre  digne,  du(juel  au  commandement  il 
s'adonne,  duquel  il  révère  la  majesté,  duquel  il  tache  d'avan- 
scerla  gloire,  duquel  il  suive  la  volunté.  En  tant  qu'il  le  voit 
estre  juste  juge,  lequel  fera  uni'  fois  rude  vengeance  sur  tous 
transgresseurs.  il  se  propose  tousjours  son  Throsne  devant 
les  veulx,  à  lin  destre  retiré  de  tout  ce  qui  provoque  son  ire. 
Neantmoins  il    nest  pas    tellement  estonné   en  pensant    à  son 

10 jugement,  (ju'il  s'en  veuille  substraire  :  mesmes  quand  il 
y  auroit  nioyen  d'évader.  Mais  aucontraire  ne  le  recoyt  pas 
moins  voluntiers  pour  correctein- des  meschans  que  pour  rému- 
nérateur des  bons,  veu  ({uil  con<^n()ist  n'appartenir  moins  à  sa 
gloire,  qu'il  face  punition  des  mauvais  it  iniques,  (pie    de  retri- 

15  buer  le  loier  delà  vie  cteinelle  aux  iideles.  D'avantage  il  n'est 
pas  reprimé  parla  seule  ciaintedesa  vengeance  pour  ne  point 
pécher  :  mais  d'autant  qu'il  l'arme  et  révère  comme  son  père,  et 
le  craint  comme  son  Seigneur,  mesmes  qunnd  il  n'y  auroit  nul 
enfer,  si  ha-il  horreur  de   l'oHencer.    Voila  que   c'est    de  pure  et 

2ovraye  religion,  c  est  à  scavoir  la  foy  conjoincte  avec  crainte  de 
Dieu  non  faincte,  telliment  que  .«-oub/  le  nom  de  crainte  soit 
conqjrinse  tant  la  dilection  de  sa  justice  qu'il  a  ordonnée  par  sa 
loy,  que  la  révérence  qui  est  voluntairement  et  de  courage 
entier  portée  à  sa  majesté.  Or  donc  si  nous  sommes  tous  naiz  à 

25  ceste  condition  de  congnoistre  Dieu  :  et  la  congnoissance  d'ice- 
luy est  vaine  et  infructueuse,  sinon  qu'elle  vienne  jusques  à  ce 
point  là  :  il  est  manifeste  que  tous  ceulx  qui  n'adressent  point  à 
ce  but  toutes  les  cogitations  et  actions  de  leur  vie,  déclinent  et 
delTaillent  de  l'ordre  de  leur  création.  Ce  qui    n'a    mesmes    esté 

30  incongneu  des  philosophes,  car  autre  chose  n'a  entendu  dire 
Plato,  quand  par  plusieurs  fois  il  a  enseigné  que  le  souverain 
bien  de  l'ame  est  la  similitude  de  Dieu  :  quand  estant  parvenue 
à  la  vraye  contemplation  d'iceluy,  est  en  luy  du  tout  transfor- 
mée.   Parquoy  Grylus    aussi  argue    tressaigement  en  Plutarche,  InPhsedo- 

35  quand  il  tient  que  si  la  religion  estoit  ostée  de  la  vie  des  hommes,  "^/^joi  ^' 
non    seulement   ilz    n'auroient    nulle  excellence  par  dessus    les 
bestes  brutes  :  mais  en  plusieurs  manières  seroient  beaucoup  plus 
misérables.  A  scavoir  d'autant  que  estans  subjectz  à  tant  d'espèces 
de    maulx  mainent  une  vie    laborieuse   et  sans    repoz.    Pource, 


•JO  DE    LA    CONGNOISSANCE 

qu'il  n'y  a  que  la  seule  cougnoissance  de  Dieu  qui  les  rende 
supérieurs  :  par  laquelle  ilz  peuvent  aspirer  à  Timmorta- 
lité. 

Veu  que  Dieu  a  voullu  que  la  fin  principale  de  la  vie  bien  heu- 

5  reuse  feust  située  en  la  cougnoissance  de  son  nom  à  lin  qu  il  ne 
semble  point  advis  qu'il  veuile  forclore  à  aucuns  l'entrée  à  féli- 
cité, il  se  manifeste  à  tous  clairement.  Car  comme  ainsi  soit  que 
de  nature  il  soit  incompréhensible  et  caché  à  rinlelligence 
humaine  :  il    -a.  engravé  en  un  chacun   de    ses   œuvres  certains 

10  signes  de  sa  majesté  :  par  lesquelz  il  se  donne  à  congnoistre  à 
nous  selon  nostre  petite  capacité.  Je  ditz  signes  si  notoires  et 
evidens,  que  toute  excuse  d'ignorance  est  ostée  aux  plus 
aveugles  et  aux  plus  rudes  du  monde.  Parquoy  combien  que  son 
essence   nous   soit    oculte  :    neantmoins  ses    vertus,   lesquelles 

13  apparoissent  assiduellement  devant  nos  yeulx,  le  demonstrent 
tel,  qu'il  nous  est  expédient  de  le  congnoistre  pour  nostre  salut. 
Premièrement  de  quelque  costé  qu'on  tourne  les  yeulx,  il  n'y  a 
nulle  si  petite  portion  du  monde,  en  laquelle  ne  reluyse  pour  le 
moins  quelque  estincelle  de  sa  gloire.  Singulièrement  on  ne  peut 

20  d'un  regard  contempler  ce  beau   chefd'œuvre  du  monde    univer- 
sel en  sa  longeur  et  largeur,  qu'on  ne  soit,  par  manière  de  dire, 
tout  esblouy  d'abondance  infinie  de  lumière.  Pourtant  l'Apostre 
aux   Hebrieux    a    proprement    appelle    les  siècles   miroirs     des  Heh.i  [i], 
choses  invisibles  :  pource  que  la  composition  du  monde  nous  est 

23  au  lieu  de  miroir  pour  contempler  Dieu  :  qui  autrement  est  invi- 
sible. Pour  laquelle  raison  aussi  le    Prophète   attribue  aux  créa-  Psal.  19. 
tures  célestes  un  langaige  eongneu  à  toutes  nations  ;  veu  qu'en 
icelles  il  y  a  un  tesmoignage  tant  évident  de  la  divinité,  qu'il  ne 
peut  estre  incongneu  mesmes  aux  plus  rudes  et  barbares.  Ce  que 

30  Sainct  Paul  exposant  plus  ouvertement  dist,   que  ce    qu'il   estoit 

besoing  de  congnoistre  de  Dieu  a   esté   manifesté,  puis    que  les  Rowa.  I. 
choses  invisibles  de  luy.  jusques   à    son  éternelle  vertu    et  divi- 
nité, apparoissent  quand  elles  sont    considérées  par    la  création 
du  monde.  11  y  a  infiniz  argumens,tant  au  ciel  qu'en  la  terre,  qui 

35  testifient  sa  merveilleuse  sapience  :  non  pas  tant  seulement 
ceulx  qui  sont  difficiles  à  comprendre,  et  à  l'intelligence  des- 
quel z  on  ne  peut  parvenir  que  par  le  moyen  d'Astrologie,  Méde- 
cine, et  Phisicque  :  mais  qui  sont  evidens  au  regard  des  plus 
simples   idiotz  :   tellement  que  les  yeulx    ne  se  peuvent  ouvrir, 


DE    DIEU.    CHAPITRE    I.  1  ! 

qu'ilz  ne  soient  conlrainct/  d'en  eslre  tesmoings.  Bien  est  vray 
que  ceulx  qui  sont  instruict/  es  disciplines  libérales  ou  qui  en 
ont  gousté  quelque  chose,  ont  un  ayde  spécial  pour  entrer  plus 
profondément  à  contempler  les  secretz  de  la  sapicnce  divine  : 
5toutesfois  nul  n'est  empesché  par  l'ignorance  d'icelles,  qu'il  ne 
vove  beaucoup  d'artifice  aux  œuvres  de  Dieu,  dont  il  soit  esmeu 
en  admiration  de  l'ouvrier.  Comme  par  manière  d'exemple,  il 
fault  avoir  art  et  industrie  singulière  à  chercher  les  movemens  des 
astres,  ordonner  les  circules,  mesurer  la  distance,   noter   la  pro- 

loprieté  d'un  chascun  (par  laquelle  considération,  comme  la  pro- 
vidence de  Dieu  se  monstre  plus  clairement,  aussi  il  est  conve- 
nable que  le  cœur  soit  eslevé  plus  haultement  à  recongnoistre  sa 
gloire)  neantmoins  veu  que  ceulx  qui  n'ont  autre  ayde  que  des 
yeulx    ne  peuvent  ignorer   l'excellence    de    la   saigesse  divine, 

15  laquelle  se  donne  facilement  à  congnoistre  en  la  variété  des 
cstoilles  tant  infinie  et  bien  ordonnée  :  il  est  certain  qu'il  n'y  a 
nul  auquel  Dieu  ne  declaire  assez  suffisamment  sa  sapience. 
Pareillement  d'apparcevoir  en  la  composition  du  corps  humain 
une     telle     conjonction,    proportion,     beaulté,     et     usaige    que 

20  Galyen  y  demonstre,  n'est  pas  de  petite  subtilité.  ïoutesfois 
si  ne  laisse  point  le  corps  humain  d'avoir  à  la  veuë  de  tout 
le  monde  une  composition  tant  ingénieuse,  que  pour  icelle 
l'ouvrier  mérite  d'estre  jiigé  admirable.  D'avantaige  la  puis- 
sance de  Dieu  par  combien   d'exemples  nous  atire-elle  à  la  con- 

25  sideration  de  soy  ?  car  autrement  ne  se  peut  il  faire  :  si  ce 
n'est  que  nous  ignorions  quelle  vertu  c'est  de  soustenir  ceste 
grandeur  infinie  du  ciel  et  de  la  terre  par  sa  seule  parole  : 
de  faire  à  son  commandement  maintenant  trembler  le  ciel  de 
tonnoirres,  bruller  ce  que  bon  luy  semj^le  de  fouldre,  enflamber 

30  l'air  d'esclairs,  estouner  le  monde  par  diverses  espèces  de 
tempestes  :  incontinent  que  bon  luy  send)le,  luy  rendre  .sa 
sérénité  toute  paisible,  soustenir  tellement  la  mer,  pendue  en 
l'air,  qu'elle  ne  puisse  faire  nuysance  à  la  terre,  combien 
que   par  sa  haulteur  elle  la  menace  de  la  destruire,  et  mainte- 

35  nant  l'esmouvoir  horriblement  par  grande  impétuosité  des 
vens,  incontinent  appaiser  ses  vagues,  et  la  rendre  tranquille. 
Mesmes  icelle  puissance  nous  doibt  conduire  à  reputer  son 
éternité,  veu  qu'il  fault  que  celuy  soit  éternel,  et  ait  son  com- 
mencement    de    soy     mesmes,    dont    toutes    choses    prengnent 


12  DE    LA    CONGNOISSANCE 

leur  origine.  Oultreplus  si  on  cherche  la  cause,  par  laquelle 
il  a  esté  induict  tant  à  créer  une  fois  toutes  choses,  que 
à  les  conserver  aprez  leur  création  :  on  trouverra  qu'il  n'a 
autre   cause    que    sa   bonté,     laquelle    quand  elle    seroit  seule, 

5  nous  debvroit  amplement  suftire  à  nous  atraire  à  son  amour. 
\eu  qu'il  n  y  a  nulle  créature,  comme  le  Prophète  enseigne, 
sur   laquelle  ne  soit  espandue  sa  miséricorde. 

Semblablement  en  la  seconde  espèce  de  ses  oeuvres,  lesquelles 
adviennent  oultre   le  cours    ordinaire    de  nature,    apparoissént 

10  signes  aussi  manifestes  de  ses  vertus.  Car  quand  au  gouverne- 
ment du  genre  humain,  il  modère  tellement  sa  providence,  que 
combien  qu'il  soit  envers  tous  generallement  bening  et  libéral  en 
toutes  manières  :  neantmoins  il  demonstre  journellement  aux 
bons  sa  justice,  en  les  gouvernant  :  aux  maulvais  son  jugement. 

15  Car  les  vengeances  qu'il  fait  des  péchez  ne  sont  point  cachées 
n'incongneiies  :  comme  il  se  demonstre  sans  double  aucune, 
estre  tuteur  et  jirotecteur  de  l'innocence,  en  faisant  prospérer 
la  vie  des  bons  par  sa  bénédiction,  secourant  à  leurs  nécessitez, 
soulageant  leurs  douleurs,  remédiant  à  leurs  adversitez,  pro- 
se curant  entout  et  par  tout  leur  salut.  Et  ce  qu'il  souffre  les 
meschans  et  malfaicteurs  pour  quelque  temps  impunis  :  au- 
contraire  endure  que  les  bons  et  innocens  soient  grevez 
de  plusieurs  adversitez  :  et  mesmes  oppressez  par  l'iniquité 
des  maulvais  :  en  cela    la    reigle  perpétuelle    de    sa  justice    ne 

25  doibt  estre  obscurcie.  Mais  au  contraire  nous  debvons  avoir 
une  toute  aultre  pensée.  C  est  que  quand  manifestement  son 
ire  se  declaire  sus  quelque  péché,  il  fault  recongnoistre  que 
tous  péchez  luy  sont  détestables.  Et  d'autant  qu'il  en  laisse 
beaucoup    impunis,    il    fault    atendre  un    aultre   jugement,   au- 

30  quel  la  punition  en  est  dilTerée.  Semblablement  quelle  ma- 
tière nous  donne-il  de  considérer  sa  miséricorde  ;  quand  il 
ne  laisse  point  de  poursuyvre  sa  clémence  sur  les  misérables 
pécheurs  ;  les  réduisent  à  soy  par  sa  clémence  plus  que 
paternelle  ;    jusques    à    ce     que    leur    obstination    soit    rompue 

35  par  ses  bénéfices?  Sa  puissance  aussi  et  sa  stpience  ne  sont 
nomplus  cachées.  Dont  la  prtmiere  se  monstre  clairement, 
quand  souventesfois  la  cruaulté  des  meschans,  laquelle  au 
jugement  humain  estoit  inexpugnable,  est  en  un  moment  brisée  et 
anéantie,  leur   arrogance   est  subjuguée,  toutes  leurs  munitions 


DE    DIEU.    r.HAlMTRi:    I.  13 

deslruictes,  leurs  armées  cassées  et  mises  en  pièces,  leurs 
forces  dissipées,  leurs  entreprises  renversées,  et  de  leur  propre 
impétuosité  confuses,  leur  audace  qui  s'eslevoit  jusques  sus 
les   cieulx,  abatue  jusques  au  centre  de  la  terre.  De  rechef  les 

5  comtemptibles  sonteslevez  de  la  pouldre,  les  paovres  suscitez  de 
la  lionte,  les  oppressez  et  afni<^ez  retirez  d'extrême  angoisse, 
cevdx  qui  esloient  désespérez  remis  en  bonne  espérance,  ceulx 
quisont  sans  armes  fen|  petit  nombre,  contre  plusieurs  armez,  les 
foibles  contre  les  fortz.  La  seconde   apparoist  en  ce  qu'elle  dis- 

10  pence  toute  choses  selon  son  oportunité,  en  ce  qu'elle  confond 
toute  saigesse  mondaine,  en  ce  qu'elle  surprent  les  saig-es  en 
leurs  linesses,  et  modère  par  singulière  raison  tout  le  gouverne- 
ment du  monde.  Nous  voyons  qu'il  n'est  ja  mestier  de  faire 
longue    ne    curieuse    démonstration,  pour  mettre   en  avant    les 

15  tesmoignages,  qui  servent  à  esclarcir  et  approuver  la  majesté 
de  Dieu.  Car  de  si  peu  que  nous  en  avons  touché  il  appert, 
qu'ilz  sont  tant  notoires  :  et  tellement  de  toutes  pars  qu'on  se 
puisse  tourner  viennent  au  devant  :  qu'il  est  aisé  de  les  mer- 
quer  à  l'œil  et  à  toucher  du  doigt.  Et  fault  icy  observer,    que 

20  nous  sommes  convvez  à  une  conf^noissance  de  Dieu,  (lui  ne 
gist  point  seulement  en  vaine  spéculation  :  mais  laquelle  est 
utile  et  fructueuse,  si  elle  est  une  fois  comprise  de  nous.  Car 
Dieu  nous  est  manifesté  par  ses  oeuvres  :  desquelles  quand 
nous   sentons    la    force   en   nous,  et    en    recepvons    le   proffit, 

25  il  est  nécessaire  que  nous  soyons  touchez  plus  au  vif  d'une 
telle  congnoissance,  que  si  nous  imaginions  Dieu  en  l'air, 
sans  en  avoir  en  nous  le  sentiment  par  expérience.  Dont 
nous  voyons  que  ceste  est  la  droicte  voye  pour  chercher 
DieUj   et    le    meilleur    ordre    qu'on   y    puisse  tenir  :  que  de  le 

30  contempler  en  ses  œuvres  :  par  lesquelles  il  se  rend  prochain  et 
familier  à  nous,  et  mesmes  se  communicque.  Nompas  d'atenter 
par  audacieuse  curiosité  de  vouUoir  espelucher  la  grandeur  de 
son  essence  :  laquelle  nous  debvons  plustost  adorer  que  trop 
curieusement   enquérir.    A    quoy    regardoit  l'Apostre,  quand   il 

sôdisoit  qu'il  ne  le  fault  pas  chercher  loing  :  veu  qu'il  habite 
en  chascun  de  nous  par  sa  vertu.  Pour  ceste  cause  David, 
ayant  confessé  sa  haultesse  inénarrable,  après  qu'il  vient  à 
commémorer  ses  œuvres,  il  proteste  de  le  declairer.  Pour- 
tant   nous  aussi  metons  peine    à    ceste  inquisition    de  Dieu  : 


14  DE    LA    CONGNOISSANCE 

laquelle  tient  tellement  nostre  esprit  en  admiration,    qu'elle  le 
touche  semblablement,  et  luy  en  donne  vray  sentiment.  Or  une 
telle  congnoissance  non  seulement  nous  doibt  esmouvoir  à  l'hon- 
neur et  service  de  Dieu  :  mais  aussi  inciter  et  poindre  à  Fesperance 
5  de  la  vie  future.  Car  puis  que  nous  apercevons  que  les  enseignes 
que  nostre  Seigneur  baille,  tant  de  sa  clémence  que  de  sa  vérité, 
ne  sont  que  à   demy    et    en  partie  :    nous  avons  à   recongnoistre 
que  Te  le  sont    comme  monstres  de  ce  qui  sera  une  fois  plainne- 
ment  révélé,  au  jour  qui  est  ordonné  pour  ce  faire.  D'autre    part 
10 puis  que  nous  voious  les  bons  et  innocens   estre  grevez   d'afflic- 
tions,  vexez  d'injures,  oppressez  de  calumnies,  mal    traictez  par 
contumelies  et  opprobres  :  aucontraire  les  meschans  florir,  pros- 
pérer, estre  en  repoz  et  en  honneur  sans  aucune  fascherie  :   nous 
avons  à  penser  qu'il  y  aura  une  autre   vie    en  laquelle    l'iniquité 
15  aura  sa  punition  et  le  loyer  sera  rendu   à  la    justice.    Outreplus 
puis  que  nous  voyons    comment  les  fidèles    sont  souventesfois 
chastiez    par   les   verges    du  Seigneur  :  nous    debvons  prendre 
ceste  resolution,  que  beaucoup  moins  les    iniques    éviteront    ses 
chastiemens.  Il  fault  donc   confesser,  qu'en   chacune    des   œvres 
20  du     Seigneur,    mais    principalement    en    la    multitude    totalle 
d'icelles,  ses  vertus  sont  représentées,  comme  en  painctures,  par 
lesquelles  le  monde  universel  est  convié   à  la    congnoissance  de 
Dieu  :  et  par  icelle  à  la  jouissance  delà  félicité  souverainne.    Or 
combien  quicelles  vertus    apparoissent   là  tresclairement  :    sou- 
23  ventesfois  nous  ne  comprenons  point   où   elle  tendent,    que  c'est 
qu'elles   emportent,    et    à  quelle  fin   elles  doibvent  estre   enten- 
dues ;  jusques    à    ce    que    nous  descendons    en  nousmesmes,  et 
considérons    en    quelle   sorte    Dieu  demonstre   en  nous    sa   vie, 
sapience,  et  vertu  :  et  envers  nous  exerce  sa  justice,  bonté,  et  cle- 
3omence. 

Neantmoins  quelque  clarté  qui  nous  soit  alumée  en  la  contem- 
plation des  œvres  de  Dieu,  pour  représenter  et  luy  et  son  royaume 
immortel  nostre  esprit  est  tellement  charnel,  que  nous  en  voyons 
rien  nonplus  que  aveugles  à  ces  tesmoignages  tant  manifestes.  Car 
35  quand  est  de  la  composition  universelle  du  monde  :  combien  y  en 
a  il  de  nous  lesquelz  eslevent  les  yeulx  au  ciel;  ou  bien  les  jec- 
tant  à  regarder  toutes  les  régions  de  la  terre,  réduisent  leur  enten- 
dement à  la  mémoire  du  créateur  ;  et  non  plustost  laissant  l'ou- 
vrier   derrière,    s'arestent    à    la    contemplation    des    créatures  ? 


DK    DIEU.    CIIAPITRt;    1.  45 

Quand  est  des  choses   qui  adviennent  ordinairement  outre   le 
cours    de   nature  :   Combien  y  en    a-il  qui   n'estiment  plustost 
la  fortune  y  dominer,  pour  agiter  et  démener  les  hommes   yà  et 
là,  que   la  providence  de  Dieu,  pour  les   bien    gouverner?  Et  si 
5  quelque    fois  nous    sommes    contrainctz    de  revenir  à  la  consi- 
dération   de    Dieu    en    cest    endroict     (ce    qui   advient    néces- 
sairement     à    tous    hommes)   incontinent  aprez  avoir    conceu 
quelque  petit  sentiment  d'une  divinité  incertaine,  nous  retom- 
bons aux  folies  de  nostre  chair  :  et  corrompons  par  hostre  vanité 
10  la  pure  vérité  de  Dieu,  bien  est  vray    qu'en    cela   sommes  nous 
dilTerens,  que  un  chacun  se  forge  en  soymesme  particulièrement 
quelque  erreur  nouveau,  mais  en  ce  point  nous  sommes  tressem- 
blables,  que  jusques  au  dernier    nous    délaissons  le    seul    vray 
Dieu,  pour  prendre  noz  imaginations    mensongères.  Auquel  mal 
15  non  seulement  le  simple  populaire  et  les    gens  de  lourdz  espris 
sont  subjectz  :  mais  aussi  les  plus  excellens  en  prudence  et  doc- 
trine. Combien  toute  la  génération  des  philosophes  a  elle  mons- 
tre sa  folye  et  bestise  en  cest  endroict  ?  car  encores  que  nous  par- 
donnions aux  autres,  lesquelz  se  sont  abusez    par    trop    desor- 
2odonneement:Plato  mesmes,  qui  est  entre  tous  le  plus  sobre  et  le 
plus  raisonnable,  et  approchant  le  plus  de  religion,  y   est  tout 
es[t]ourdy,  car  il  cherche  un  Dieu  corporel  :  ce  qui  est  indi"-ne  et 
très  mal  convenable    à  la  majesté  divine.    Maintenant  donc    que 
pourroit-il  advenir  aux  autres  ;  veu  que  les  principaulx,  ausquelz 
25  il  appurtenoit  de  esclairer  et  donner  lumière  au  reste  du  peuple* 
se  sont  ainsi  lourdement  trompez?  Semblablement  quand  le  gou- 
vernement des  choses  humaines  monstre  tant  clairement  la  pro- 
vidence qu'il  est  impossible  de  la  nyer  :  toutesfois  par  cela  on  ne 
profite  de  riens  plus,  que  si  on  estimoit  toutes  choses  estre  revi- 
aorées  et  témérairement  tournées  par  la  fortune.   Telle  est  nostre 
inclination  à  vanité  et  erreur.  Je  parle  tousjours  des  plus  excel- 
lens :  nonpas  des   vulgaires,   desquelz    la    folye    s'est  desbordée 
outre  mesure  à  poluer  et  contaminer  la  vérité  de  Dieu. 

C'est  donques  en  vain  que  tant  de  lampes  nous  reluisent  en 
35redifîcedu  monde,  pour  esclarcir  la  gloire  du  Créateur  veu  que 
tellement  elles  nous  jectent  leurs  rays,  qu'elles  ne  nous  peuvent 
conduire  en  la  droicte  voye.  Bien  est  vray,  qu'elles  jectent 
quelques  estincelles  mais  icelles  sont  estainctes  devant  que  venir 
à    pleine    lumière.    Pourtant  l'Apostre  au   mesme    passage,  où 


16  DE    LA    CONCiNOlSSANCE 

il  appelle  le  monde  image  des  choses  invisibles,  conjoinct  en  aprez 
que  c'est  par  foy,  que  l'homme  peut  entendre  que  par  la  paroUe  de 
Dieu  il  a  esté  construict.  signifiant  que  la  divinité  invisible  est 
représentée  par  la    figure  du  monde    :    mais  que  les  yeulx  nous 

o  défaillent  pour  la  regarder,  sinon  quen  foy  ilz  soyent  illuminez 
par  la  révélation  intérieure  de  Dieu.  Mesmes  Sainct  Paul,  ensei- 
gnant que  ce  qui  se  doibt  congnoistre  de  Dieu,  est  manifesté 
par  la  création  du  monde  :  n'entend  pas  une  telle  manifestation 
qui  puisse  estre  comprinse  de  l'entendement  humain.  Mais  plus- 

10  tost  donne  à  entendre,  qu'icelle  ne  procède  point  plus  avant, que  à 
rendre  les  hommes  inexcusables.  Luymesme  aussi  combien  que 
en  quelque  passage  il  dye  qu'il  ne  fault  pas  chercher  Dieu  bien 
loing  d'autant  qu'il  habite  en  nous  :  toutesfois  autre  part  il 
enseigne  de  quelle  importance  est  ceste  proximité.  Par  cy  devant,  Ad. 

lodict-il.  Dieu  a  permis  que  les  gens  cheminassent  en  leurs  voyes. 
Toutesfois  qu'il  ne  se  soit  pas  laissé  sans  tesmoignages  envoyant 
ses  bénéfices  du  ciel,  donnant  pluyes  et  fertilitez  de  biens,  rem- 
plissant les  hommes  de  viande  et  de  joye.  Combien  donc  que 
Dieu  ne  soit  point  despourveu  de  tesmoignages,  entant  que  par 

20  sa  largesse  il  invite  doucement  les  hommes  à  la  congnoissance 
de  soy  :  neantmoins  ilz  ne  laissent  point  de  suyvre  leurs  voyes, 
c'est  à  dire  de  cheminer  en  erreur  damnable.  Or  combien  que  la 
puissance  naturelle  nous  défaille,  pour  monter  jusques  à  la  pure 
et  saine  congnoissance  de  Dieu  .•  toutesfois  pource   que  la  faulte 

2..  de  l'ignorance  est  en  nous  :  toute  tergiversation  nous  est  ostée. 
Car  il  ne  nous  est  pas  loisible  de  tellement  prétendre  ignorance 
que  nous  ne  soyons  tousiours  convaincuz  de  négligence  et  ingra- 
titude. C'est  certes  une  paovre  defTence,  et  indigne  d'estre 
admise,    si    l'homme   propose  que  les  aureilles  luy  ont  deffailly 

30  à  escouter  la  vérité,  pour  laquelle  exposer  les  créatures  invi- 
sibles ont  la  voix  tresclaire  et  haulte.  S'il  allègue  qu'il  n'a 
point  eu  d'yeulx  pour  voir  ce  que  les  créatures  qui  n'ont 
point  de  veuë  demonstrent.  S'il  s'excuse  par  l'imbecilité  de 
son   esprit  de    n'avoir   congneu    ce    que  toutes    créatures    sans 

3j  intelligence  enseignent.  Parquoy  nous  sommes  justement 
déboutez  de  toute  excuse  en  ce  que  nous  errons  à  travers  champs 
comme  esgarez,  où  toutes  choses  nous  demonstrent  la  droicte 
voye.  Neantmoins  combien  que  cecy  doibve  estre  imputé 
au     vices     des     hommes,     que     incontinent      ilz     corrumpent 


DE    UIEU.    CHAriTRE    I.  17 

la  semence  de  la  congnoissanee  de  Dieu,  espandue  sur 
leur  entendement  par  l'artifice  admirable  de  nature,  telle- 
ment qu'il  ne  peut  parvenir  à  bon  fruict.  Neantmoins  c'est 
chose    Iresveritable,  que    nous    ne    sommes    pas   suffisamment 

5  instruictz   (juand    à    nous,   par    le    tesmoignage  simple    et  nud 

.  que  rendent  les  créatures  à  la  grandeur  de  Dieu.  Car  inconti- 
nent que  nous  avons  conceu  quelque  petit  goust  de  la  divinité 
par  la  contemplation  du  monde  :  délaissant  le  vray  Dieu,  au 
lieu  d'iceluy,  nous  dressons  les  songes  et  imaginations  de  nostre 

10  cerveau,  leur  transférant  la  louenge  de  justice,  saigesse,  bonté, 
et  puissance.  Davantaige  nous  obscurcissons  tellement  ses 
œuvres  quotidiennes  ou  par  les  mal  reputer  nous  les  renver- 
sons, que  la  louenge  et  grâce  qui  luy  en  est  deuë  luy  est  ravye 
et  ostée. 

15  Pourtant  comme  le  Seigneur  propose  à  tous  sans  exception  la 
clarté  de  sa  majesté,  figurée  en  ses  créatures,  pour  desnuer 
l'impiété  des  hommes  de  toute  defîence,  aussi  d'autre  part  il  se 
couvre  par  un  remède  plus  certain  à  l'imbecilité  de  ceulx,  aus- 
quelz   il  luy  plaist  se  donner  à  congnoistre   en  salut.   Car   pour 

20  leur  instruction  il  n'use  point  seulement  des  créatures  muettes  : 
mais  il  oiivre  aussi  sa  bouche  sacrée,  et  non  seulement  leur 
dénonce  qu'il  fault  adorer  quelque  Dieu  :  mais  aussi  leur 
demonstre  qu'il  est  le  Dieu,  lequel  il  fault  adorer:  non  seule- 
ment leur  enseigne  qu'il  fault  recongnoistre  un  Dieu  :  mais  d'a- 

23  vantaige  se  présente  à  eulx  comme  celuy  auquel  ilz  se  doibvent 
arrester.  Et  de  faict  le  Seigneur  dès  le  commencement  a  tenu 
cest  ordre  en  la  vocation  de  ses  serviteurs,  que  oultre  tous  les 
enseignemens  susdictz,  il  a  usé  de  sa  parole  :  laquelle  est  une 
marque  plus  certaine  et  familière  pour   le  congnoistre.    En  ceste 

30  manière  sont  entrez  en  droicte  congnoissance  de  luy  Adam,  Noé, 
Abraham  et  les  aultres  pères,  estans  illuminez  par  sa  paroUe  : 
soit  qu'elle  leur  ait  esté  communiquée  par  oracles  et  visions  :  soit 
que  ayant  esté  révélée  premièrement  à  leurs  prédécesseurs, 
elle  leur  ait  esté  baillée    par   la  prédication   d'iceulx,    comme  de 

35  main  en  main.  Car  c'estoit  tout  un  comment  ilz  feussent  faictz 
participans  de  la  parole  divine  :  moyennant  qu'ilz  entendissent 
qu'elle  estoit  procedée  de  Dieu  :  de  laquelle  chose  le  Sei- 
gneur les  a  tousjours  renduz  certains,  quand  il  a  voullu  don- 
ner   lieu    à  la    révélation  d'icelle.    Il  s'est  donc    descouvert  à 

InsLitiilion.  2 


18  t)E    LA    CONGNOISSANCE 

peu  de  gens,  leur  donnant  signe  manifeste  de  sa  présence  : 
et  leur  a  commis  le  thresor  de  sa  doctrine  salutaire,  à  fin 
quilz  en  feussent  dispensateurs  envers  leur  postérité.  Comme 
nous  voyons  que  Abraham  a  communiqué  à  sa  famille 
s  l'alience  de  la  vie  éternelle,  qui  luj  a  voit  esté  baillée  :  et  a 
mis  peine  quelle  feust  conservée  jusques  à  la  génération 
future.  Parquoy  dès  ce  temps  là,  la  lignée  d'Abraham  estoit 
séparée  des  autres  nations  par  ceste  différence  :  que  par 
une    singulière     gïace     de     Dieu    elle    avoit    esté     receuë      en 

10  ceste  communion  de  la  parole.  Or  quand  il  a  semblé  bon 
au  Seigneur  de  dresser  une  Eglise  encores  plus  segregée  : 
il  a  publié  icelle  mesme  parole  plus  solennellement,  et  a 
voullu  cpi'elle  feust  rédigée  par  escrit,  comme  en  instrument. 
Pourtant   de   ce  temps  là    commencèrent    les    oracles    ou    reve- 

lôlations  de  la  parole  de  Dieu  estre  reduictes  en  escriture, 
lesquelles  avoient  esté  auparavant  entretenues  entre  le  peuple 
fidèle,  en  les  baillant  des  uns  aux  autres.  Enquoy  le  Seigneur 
a  subvenu  au  bien  des  successeurs  par  une  singulière  provi- 
dence. Car  si  nous  considérons  combien  l'entendement    humain 

20  est  enclin  à  tomber  en  oubliance  de  Dieu,  combien  il  est 
aisé  à  mener  en  erreur,  combien  il  est  volaige  à  songer  à 
chascune  heure  nouvelles  religions  et  contrefaictes  :  nous  pour- 
rons facillement  congnoistre,  combien  il  estoit  nécessaire  que 
la  doctrine  céleste   feust  ainsi  couchée   par  escrit  :  à  fin  qu'elle 

2o  ne  périt  point  par  oubliance,  ou  s'esvanoyst  par  erreur,  ou 
feust  corrumpue  par  l'audace  des  hommes.  Puis  donc  qu'il  est 
manifeste,  que  Dieu  s'est  aydé  de  sa  parole  envers  ceulx  lesquelz 
il  a  voullu  instruire  avec  fruict,  d'autant  qu'il  voyoit  que  sa 
figure  et  image  qu'il  avoit  imprimée  en  lediftice  du  monde  nes- 

30  toit  point  suffisante  :  il  nous  fault    cheminer   par  ceste  voye,  si' 
nous  aspirons  de  bon  cœur  à  la  droicte  contemplation  de  sa  vérité, 
il  fault  dis-je,  revenir  à  la  parole  en  laquelle  Dieu  nous  est  très 
bien  monstre  et  despainct  au  vif  par  ses  œuvres  :    quand  icelles 
sont  estimées,  non  pas  selon  la  perversité  de  nostre   jugement: 

35  mais  selon  la  reigle  de  la  vérité  éternelle.  Si  nous  nous  destour- 
nons d'icelle  parole  :  quelque  viste  que  soit  nostre  course, 
jamais  nous  ne  parviendrons  au  but,  puis  que  nous  courons 
hors  du  chemin.  Car  nous  avons  à  estimer  que  la  lumière 
de    Dieu,     laquelle     est     nommée    par    l'Apostre    inaccessil)le, 


DE    DllîL".    ('.IIAPITRIC    I.  19 

nous  est  comme  un  Labyrinthe  pour  nous  perdre  :  sinon 
que  par  l'adresse  de  la  parole  nous  y  soyons  conduictz. 
Tellement  qu'il  est  meilleur  de  clocher  en  ceste  voye,  que 
de  courir  bien  viste  hors  dicelle.  Parquoy  David,  ayant 
3  recité  comment  la  gloire  de  Dieu  est  preschée  par  les  cieulx, 
que  les  œvres  de  ses  mains  sont  annoncées  par  le  firma- 
ment, que  par  la  succession  tant  bien  ordonnée  du  jour  et 
de  la  nuict  sa  majesté  est  manifestée  :  puis  aprez  descent  Psal.  19. 
à  la  commémoration  de  sa  parole.   La    loy  du  Seigneur,    dist-il  Psal.  20. 

10  est  sans  macule,  convertissant  les  âmes  :  le  tesmoignage  du 
Seigneur  est  véritable,  donnant  saigesse  aux  petis  :  les  jus- 
tices du  Seigneur  sont  droictes,  resjoyssant  leurs  cœurs  ;  le  pré- 
cepte du  Seigneur  est  clair,  illuminant  les  yeulx.  Enquoy 
il  signifie  que  la  doctrine  par    les    créatures    est    universelle  à 

lï  tous  :  l'instruction  de  la  parole  est  l'escolle  particulière  des 
enfans  de  Dieu. 

Or  quand  il  seroit  résolu,  que  la  parole  qui  est  proposée  est 
de  Dieu  :  il  n'y  a  celuy  d'une  audace  si  désespérée,  si  ce  n'est 
qu'il  soit  du  tout  despourveu  et  de  sens  naturel,  et  mesmes  d'hu- 

2omanité,  qui  osast  desroguer  foy  à  icelle.  Mais  pource  qu'il  n'y 
a  pas  journellement  nouveaulx  oracles,  qui  soient  apportez  du 
ciel  :  ains  avons  la  seule  escriture,  en  laquelle  il  a  pieu  à  Dieu 
de  coucher  sa  vérité  à  éternelle  mémoire,  il  fault  briefvement 
toucher,  par  quelle  raison  icelle  ha  mesme    autorité    envers  les 

2o  fidèles,  que  pourroit  avoir  la  voix  ouye  de  la  propre  bouche  de 
Dieu.  Laquelle  chose  est  bien  digne  d'estre  traictée  plus  ample- 
ment, et  plus  diligemment  considérée.  Toutesfois  les  lecteurs  me 
pardonneront,  si  j'ay  plus  d'esgard  à  ce  que  peut  souffrir  la  procé- 
dure du  présent  livre,  que  ce  que  requiert  la   grandeur  de   cest 

30  argument.  Il  y  en  a  plusieurs  en  cest  erreur  trespernitieux,  que 
l'Escriture  n'a  nomplus  d'importance,  qui  luy  en  est  don- 
née par  le  consentement  de  l'Eglise,  comme  si  la  vérité  de 
Dieu  éternelle  et  inviolable  estoit  fondée  sur  le  plaisir  des 
hommes,  car  ilz  font   ceste  demande,  non  sans   grand  opprobre 

35  contre  le  Sainct  Esprit.  Qui  est  celuy  qui  nous  certifîra 
que  l'Escriture  est  procedée  de  Dieu  ?  et  qui  nous  asseurera, 
qu'elle  a  esté  gardée  en  son  entier  jusques  à  nostre  temps  ? 
qui  nous  persuadera,  que  l'un  des  livres  doibt  estre  receu 
en    obeyssance,    et    l'aultre    peut    estre    rejecté  ?   n' estoit    que 


20  DE    LA    CONGNOISSANCE 

l'Eglise  baille  certaine  reigle  de  toutes  ces  choses?  Pourtant 
ilz  concluent  que  cela  gist  en  la  détermination  de  l'Eglise, 
de  scavoir  quelle  révérence  nous  debvons  à  l'Escriture  :  et 
quelz     livres     doibvent     estre    compris    en    icelle.     En      ceste 

5  manière  ces  blasphémateurs,  voulions  eslever  une  tyrannie 
desbordée  soubz  la  couverture  de  l'Eglise,  ne  se  soucyent 
de  quelles  absurditez  ilz  s'envelopent  eulx  et  les  aultres, 
moyennant  quilz  puissent  gaigner  ce  point  entre  les  simples, 
que  toutes  choses  sont  loisibles  à  l'Eglise,    Or   si  ainsi    estoit, 

10  que  deviendroient  les  paovres  consciences  ;  qui  cherchent  cer- 
taine asseurance  de  la  vie  éternelle,  quand  elles  verroient  toutes 
les  promesses  d'icelle  consister  et  estre  appuyées  sur  le  seul 
jugement  des  hommes  ?  ayant  telle  réputation  ;  comment  cesse- 
roient  elles  de  trembler   et  vaciller?  D'autrepart  à  quelle  moc- 

15  querie  des  infidèles  nostre  foy  seroit  elle  exposée  ?  En  quelle  sus- 
jDitionviendroit  elle  envers  tout  le  monde?  si  onavoitcelle  opinion; 
quelle  eust  son  fondement  au  mercy  et  bon  plaisir  des  hommes  ? 
Alais  telz  menteurs  sont  aisément  réfutez  par  unseul  motdeSainct 
Paul,  lequel  testifîe,  l'Eglise  estre  soustenue  sus  le  fondement  des 

20  Prophètes  et  Apostres.  Si  la  doctrine  des  Prophètes  et  Apostres  £/)/»?.  2. 
est  le  fondement  de  l'Eglise  :  il  fault  qu'elle  ait  premièrement  sa 
certitude,  que  l'Eglise  commence  d'apparoistre.  Et  ne  peuvent  pas 
caviller,que  combien  que  l'Eglise   ait  son  origine  de  là,  neant- 
moins  qu'il  est  incertain  quelz  livres  on  doibt  attribuer  aux  Pro- 

25pheteset  Apostres,  sinon  qu'elle  en  ait  assis  son  jugement.  Car 
si  l'Eglise  chrestienne  a  dès  le  commencement  esté  fondée  sur 
les  escritz  des  Prophètes,  et  la  prédication  des  Apostres  :  par- 
tout où  icelle  doctrine  est  trouvée,  il  fault  que  l'approbation  ait 
précédé  l'Eglise,  veu  que  sans  icelle,  jamais  l'Eglise  n'eust   esté. 

30  C  est  doncques  rêverie  et  mensonge,  de  dire  que  l'Eglise  ait  la 
puissance  de  juger  tellement  de  l'Escriture,  qu'elle  luy  octroyé 
selon  son  bon  plaisir  toute  la  certitude  qu'elle  peut  avoir.  Parquoy 
quand  elle  la  reçoit  et  approuve,  elle  ne  la  rend  point  auten- 
icque  :   comme   si  auparavant  elle  eust  esté  doubteuse  et  incer- 

sotaine.  Mais  d'autant  qu'elle  la  recongnoist  estre  la  vérité  de  son 
Seigneur:  selon  son  debvoir  sans  dilayer  elle  la  révère.  Touchant 
ce  qu'ilz  interroguent,  comment  nous  congnoistrons  que  l'Escri- 
ture est  sortie  de  Dieu,  si  nous  n'avons  nostre  recours  au  décret 
de  l'Eglise?  Autant  vault,  comme  si  cpielqu'un  demandoit,  dont 


21 

DE    DIEU.    CHAriTRE    I.  '^^ 


nous    apprendrons    k    discerner    la    lumière    des    ténèbres,    le 
blanc  du  noir,  l'aigre  du  doulx.  Car  l'Escriture  ne  inons  re  pas 
moindre    évidence    de    sa    vérité,  que  les    choses  blanches  ou 
noires  de  leurs  couleurs,  les  choses  doulces   ou  ameres  de  leurs 
5  saveurs'.  Combien  que  si  nous  voulions  bien  pourvoir  aux   cons- 
ciences •  si  qu'elles  ne  soient  point  agitées  en  perpétuelle  doubte, 
il  nous  fault   prendre  rauctonté  de  l'Escriture  de  plus  hault,  que 
des  raisons  ou  indices  ou  conjectures  humaines.  L  est   à  scayoïr 
crue  nous  la    fondions  sur  le  tesmoignage    inteneur  du    bainct 
u. Esprit. Car  jacoit  qu'en  sa  propre  majesté  elle  ait   assez   dequoy 
estre  révérée  :  neantmoins  elle  nous  conmience  lors  à  nous  vraye- 
ment  toucher,  quand  elle  est  séellée  en  noz  cœurs  par   le  Sainct 
Esprit    Estans  donc  illuminez  par  la    vertu  diceluy,  de^-ja  nous 
ne  crovons  pasouànostre  jugement,  ou  à  celuy  des  aultres,  que 
,5  l'Escriture  est  de  Dieu  :  mais  par  dessus  tout  jugement  humain 
nous    arrestons  indubitablement,  qu'elle  nous  a  esté  donnée  de 
la  propre  bouche  de  Dieu,  par  le  ministère  des   hommes   :  tout 
ainsi  que    si    nous    contemplions    à   l'œil  l'Essence    de  Dieu  en 
icelle  Nous  ne  cherchons  point  ou  argumens  ou  vensimihtudes, 
20ausquelles  nostre  jugement  repose  :  mais   nous  luy    submettons 
nostre  jugement   et    intelligence,    comme  à   une    chose    eslevee 
par  d'essus  la  nécessité   d'estre  jugée.  Nompas  comme   aucuns 
ont   acoustumé  de  recevoir  legierement  une    chose  incongneue  : 
laquelle  après  avoir  esté  congneuë    leur  desplaist.   Mais   pource 
25  oue  nous  sommes  trescertains  d'avoir  en  icelle  la  venté  mexpu- 
lable  :  nompas  aussi  comme  les  hommes  ignorans  ont  acous- 
tumé de  rendre  les  espris  captifz  aux  superstitions  :  mais  pource 
cnie  nous  sentons  là  une  expresse  vertu  de  la  divinité  monstrer 
sa  vigueur,  par  laquelle  nous  sommes  attirez  et  enflambez  à  obeyr 
30  sciemment  et    voluntairement,  neantmoins  avec  plus  grand  et  i- 
cace  que   de  volunté  ou  science  humaine.  C'est  donc  une    telle 
persuasion,  laquelle  ne  requiert  point  de  raisons  :  toutesfois  une 
telle  congnoissance,  laquelle  est  appuyée  sur  une  tresbonne  rai- 
son   C'est  à  scavoir  d'autant  que  nostre  esprit  ha  plus  certain  et 
3.  asseuré  repos,  que  en  aucunes  raisons.  Finalement  c'est  un  tel  sen- 
timent, qu'il  ne  se  peut  engendrer  que  de  révélations  célestes.  Je 
ne  dit/  aultre  chose  que  ce  qu'un  chascun  fidèle  expenmente  en 
sov  •  sinon  que  les  paroles  sont  beaucoup  infeneures  à  la  dignité 
de  l'argument  :  et    ne  sont  suffisantes  pour   le  bien  explicquer. 


22  DE    LA    CO>iGNOISSANCE 

Sv  nous  n'avons  ceste  certitude  plus  liaulte  et  plus  ferme  que 
tout  jugement  himiain  :  en  vain  l'auctorité  de  Fescriture  sera 
approuvée  par  raisons,  en  vain  elle  sera  astablie  par  le  consente- 
ment de  1  Eg-lise,  ou  confermée  par  autres  argumens.  Car  si  ce 
5  fondement  n'est  premièrement  mis,  elle  demeure  toujours  en 
suspendz.  Comme  au  contraire,  aprez  qu'elle  aura  esté  receuë 
en  obéissance  selon  qu'il  appartient, et  exemptée  de  toute  doubte: 
les  raisons,  qui  au  paravant  n'a  voient  point  grand'force  pour 
ficher  et  planter  en  nostre  cœur  la  certitude  d'icelle,  seront  lors 

10  tresbonnes  aides.  Car  il  ne  se  peut  dire  quelle  confirmation  luy 
donne  ceste  considération  :  Quand  nous  reput ons  diligemment, 
comment  Dieu  a  en  icelle  bien  disposé  et  ordonné  la  dispensa- 
tion  de  sa  saigesse:  quand  nous  recongnoissons  combien  la  doc- 
trine d  icelle  se  monstre  partout  céleste,  n'ayant  rien  de  terrien: 

15  combien  il  y  a  une  bonne  convenance  entre  toutes  les  parties  : 
et  les  autres  choses  qui  sont  propres  pour  donner  auctorité  à 
quelques  escris.  D'avantage  noz  cœurs  sont  encores  plus  fort 
corroborez,  quand  nous  considérons  que  c'est  la  majesté  de  la 
matière  plus  que  la  grâce  des  parolles  qui  nous  ravit  en  admira- 

aotion  d'icelle.  Et  de  faict  cela  n'a  point  esté  faict  sans  une  grande 
providence  de  Dieu,  que  les  baux  secretz  du  royaulme  céleste 
nous  ayent  esté  baillés  soubz  paroles  contemptibles  sans  grand' 
éloquence  :  de  peur  que  s'ilz  eussent  esté  fondez  et  enrichiz 
d'éloquence,  les  iniques  eussent  calumnié  qu'en  icelle    toute    sa 

25  vertu  eust  esté  coUoquée.  Or  maintenant  puisque  telle  simplicité 
rude  et  quasi  agreste  nous  esmeut  en  plus  grande  révérence,  que 
toute  la  faconde  des  Rethoriciens  du  monde  :  que  pouvons  nous 
estimer  ;  sinon  que  l'Escriture  contient  en  soy  telle  vertu  de 
vérité;  qu'elle  n'a  aucun  besoing  d'artifice  de  paroles?   Pourtant 

30  ce    n'est    pas   sans    raison,    que    l'Apostre    argue    la     foy    des 
Corinthiens  n'estre  pas  fondée    sur    sapience    humaine    :    mais  ■ 
en   la  vertu  de    Dieu.  D'autant  que   sa    prédication   entre  eulx 
n'avoit  pas  esté  en  parolles  persûasibles  de    sagesse  humaine  : 
mais    avoit   esté     approuvée    par    demonstrances     d'esprit,      et 

33  de  puissance.  Car    la   vérité  est   exempte  de  toute    doubte,  puis  /. 
que  sans  autres   aydes    elle    est   de    soymesme    suffisante  pour 
se   soubstenir.    Or    combien    ceste  vertu   est  propre   à    l'Escri- 
ture, il  apparoyst  en  ce   que  de    tous  humains  escritz  il  n'y  en 
a   nul,    de   quelque    artifice   qu'il  soit   poly    et    aorné,    qui    ait 


2ÎÎ 

1)K    I.IKI-.     (IIAIMTHK    (. 

telle    videur     à    nous    osnvouvou- .    ()ue    nous    lisions    Demc^- 
tene    ou"  Cicero,   Platon    ou    Aristote,   ou    quelques    autres  de 
leur   l>ando.  je  confesse  bien  qu  ilz  attn^eront  morveiUeusemen  , 
et   délecteront,  et   esmouveront  jusques  à  ravir  mesmes  1  espnt. 
.      Ma.s  si  de  là  nous  nous  transferons  à  la   lecture  des  Samctes 
Escritures  :  veuillons   ou  non,  elles  nous  peindront  -  vn-"-"^;    • 
.lies  perceront  tellement  nostre  cœur,  elles  se  ficheront  tellement 
au  dedens  de  nous,  que  toute  la  force  qu'ont  les  Uethonciens  ou 
Plulosophes,  au    pris  de  Tefficace  d'icelles,  ne  sera  que  fumée 
.Dont    il  est    a.sé   d'appercevo.r,  que  les  Sainctes  Escntures   on 
quelque  propriété  divine  à  inspirer  les  hommes    \  eu   que  de  s 
îl.in.^  elles  surmontent  toutes  les  grâces  de  l'industrie  human.e. 
D-autrepart   le  consentement   de  l'Eglise    n'est  pas  sans  m.por- 
tance.    Car  il  ne  favdt   pas   estimer  conmie   rien,    que   par  tant 
,d"eages  qui  ont  esté  depuis  qu'elles  ont  esté  publiées  il  y  a  eu  un 
perpauel  consentement  en    lobeyssance   dicelles.   Et    combien 
,ue  le  Diable,  se  soit  elîorcé  par  plusieurs  manières  de  les  oppn- 
n.er  ou  renverser  :    voire  mesmes  de  les  eiVacer    du    tout    de    la 
mémoire     des   hommes  :    neantmoins    qu'elles     sont    tousjours 
,0  comme  la  palme,  demourées  inexpugnables   et  victorieuses.  Car 
il  n'v  a  eu  gueres   de   Philosophes    ou    Rethonciens    d  excellent 
entei^dement,  qui  n'avt  applicqué  sa  subtilité  à  l'encontre  d  icelles. 
Neantmoins  tous  n'v  ont  rien  profité.  Toute  la    puissance  de  la 
terre  c'est  armée  pour  destruire  la  vérité  d'icelles  :    et   tous  ses 
,5elTorssont  tournez  en  fumée.    Comment    eussent  elles  résiste 
estant  si  durement  assaillies  de  toutes  pars  ;    si    elles   n  eussent 
esté  deffendues    que   de  support  humain?    Parquoy  d  est  plus- 
tost  à  conclure  que  l'Escriture   saincte    que  nous  tenons   est  de 
Dieu  :  puis  que  malgré  toute  la  sagesse  et    vertu   des   hommes 
30  elle  est  neantmoins  venue  en  avant  par  sa  vertu.    Oultreplus  il 
n'v    a    pas  eu    une  seule    cité    ou  nation,  qui  ayt  conspire  a    a 
recevoir   :  mais  tant  que  s'estend  au  long  et  au  large  toute  la 
terre    elle  a  obtenu    son  authorité  par   un   conforme   consente- 
ment  de  tous  les   peuples  :  qui  autrement   n'avoient  rien  entre 
35eulx   de    commun.    Or   comme    ainsi   soit,   qu'une  telle   conve- 
nance de  peuples  tant  divers,  et  qui  autrement  discordent  en 
façon  et    manière  de  vivre,  nous  doibvent  esmouvoir  (veu   que 
c'est    une    chose   apparente  ,   que  la   vertu    de    Dieu  a   beson- 
gné   à    les    acorder  )  :  Toutesfois    encores    aura    ceste   conside- 


24  DE    LA    r.ONGNOlSSANCE 

ration  plus  de  poix  :  quand  nous  contemplons  la  preudlio- 
mie  et  saincteté  de  ceux  qui  sont  convenus  à  recevoir  TEs- 
criture.  Je  ne  dictz  pas  de  tous  :  mais  de  ceulx  que  nostre 
Seig^neur  a  constituez  comme  lampes  en  son  Eglise,  pour 
3  Tesclairer  par  la  lumière  de  leur  saincteté.  Davantaig-e  en 
quelle  Certitude  debvons  nous  recepvoir  ceste  doctrine  la- 
quelle nous  voyons  avoir  esté  séellée  et  testitiée  par  le  sang  de 
tant  de  Sainctz  personnages  ?  Iceulx  n'ont  point  fait  de  difficulté 
de  mourir  couraigeusement,  et  mesmes  joyeusement  pour  icelle, 

10  aprez  l'avoir  une  fois  receuë.  Et  nous  comment  ne  la  recepvrons 
nous  avec  une  persuasion  certaine  et  invincible  ;  puis  qu'elle 
nous  a  esté  donnée  avec  une  telle  arre  et  conlirmation?  Ce  n'est 
point  donc  une  petite  approbation  de  l'Escriture,  de  ce  qu'elle  a 
esté  signée  par  le  sang    de    tant    de  tesmoings.  Principalement 

lô  quand  nous  recongnoissons  qu'ilz  n'ont  pas  souiîert  la  mort 
pour  le  tesmoignage  de  leur  foy  par  furie  et  frénésie  (comme 
font  aucunefois  les  espris  d'erreurs  transportez  de  raisons)  mais 
par  un  zèle  de  Dieu  autant  sobre  et  tempéré,  comme  ferme  et 
constant.  Il  y  a  plusieurs  autres  raisons,    et    icellesbien    appa- 

20  rentes,  par  lesquelles  la  majesté  et  dignité  de  l'Esôriture  non 
seulement  peut  estre  acertenée  aux  cœurs  des  fidèles  :  mais  aussi 
puissamment  maijitenue  contre  la  malice  des  calumniateurs. 
Lesquelles  neantmoins  ne  sont  jDoint  de  soy  suffisantes,  pour 
fonder  droictement  sa  certitude,  jusques  à  ce  que  le  Père  céleste, 

25  faisant  là  reluire  sa  divinité,  l'exempte  de  toute  doubte  et  ques- 
tion, luy  donnant  ferme  révérence.  Pourtant  lors  finalement 
1  Ecriture  nous  satisfera  à  la  congnoissance  salutaire  de  Dieu, 
quand  la  certitude  d'icelle  sera  appuyée  sur  la  persuasion  inté- 
rieure du  Sainct  Esprit.  Les  tesmoignages   humains  qui  servent 

30  pour  la  confermer,  lors  ne  seront  jjoint  vains  :  quand  ilz  suyvront 
ce  tesmoignage  principal  et  souverain,  comme  aydes  et  moyens 
secondz  pour  subvenir  à  nostre  imbecilité. 

Or  ceulx  là  qui  en  délaissant  l'Escriture,  imaginent  je  ne  scay 
quelle  voye  pour  parvenir   à    Dieu,  ne  sont    point    tant    abusez 

35  d'erreur,  qu'ilz  sont  agitez  de  pure  rage.  De  telle  manière  de 
gens  sont  venuz  en  avant  je  ne  scay  quelz  accariastres, 
lesquelz  prétendent  orguilleusement  la  doctrine  de  l'Esprit, 
mesprisans  quant  à  eulz  toute  lecture,  et  se  mocquent  de 
la    simplicité     de    ceulx    qui    suyvent    encore    la    lettre    morte 


DK    DIEU.    CHAIMTKK    1. 


2o 


et  murtrissante,  comme  ilz  l'appellent.  Mais  je  voudroyc 
bien  scavoir  d'eux,  qui  est  cest  e.sprit,  par  l'inspiration  duquel 
ilz  sont  si  hault  ravys,  qu'ilz  osent  coutemner  toute  doctrine 
de  l'Escriture,  comme  puerille  et  trop  vile?  Car  s'ilz  respondent 
ique  c'est  l'Esprit  de  Christ  :  leur  asseurance  est  par  trop 
ridicule.  Car  je  pense  qu'ilz  concéderont,  les  Apostres  et  les 
fidèles  de  l'Eglise  primitive  avoir  esté  inspirez  par  l'Esprit  de 
Christ.  Or  il  est  ainsi,  que  nul  d'eulx  n'a  pourtant  apris  de 
contemner  la  parole  de  Dieu,  mais  un  chascun  plustost  en  a  esté 

loinduict  à  plus  yrand'  révérence,  comme  leurs  escritz  en  rendent 
clers  tesmoignages.  D'avantage  je  desirerois  qu'ilz  me  respon- 
dissent  à  ce  point  :  à  scavoir  s'ilz  ont  receu  un  aultre  esprit, 
que  celuy  que  promettoit  le  Seigneur  à  ses  disciples?  Combien 
c[u'ilz   soient  enragez  tout   oultre   :  neantmoins  je   ne  les  pense 

13  point   transportez  de   telle   phrenesie,   qu'ilz  s'osent    vanter   de 
cela.  Or  quel  denoncoit-il    son    Esprit  debvoir  estre,  en  le  pro- 
mettant ?  A  scavoir    qu'il    ne    parleroit     point    de    soymesme  :  J<'--in- 
mais   suggereroit    en  l'entendement  des  Apostres  ce  que  par  sa 
parole    il   leur    avoit    enseigné.    Ce    n'est    pas    donc    l'office  du 

aoSainct  Esprit  (tel  (piil  nous  est  promis)  de  songer  nouvelles 
révélations  et  incongneûes  auparavant,  ou  forger  nouvelle 
espèce  de  doctrine,  pour  nous  retirer  de  la  doctrine  de  l'Evangile, 
après  l'avoir  une  fois  receu.  Mais  plustost  de  sceller  et  confer- 
mer  en  noz  cœurs  la  doctrine  qui  nous  est  dispensée  par  l'Evan- 

25gile,  dont  nous  entendons  facillement,  qu'il  fault  diligemment 
travailler,  tant  à  ouyr  que  à  lire  l'Escriture,  si  nous  voidlons 
recevoir  quelque  fruict  et  utilité  de  l'Esprit  de  Dieu.  Aucontraire 
si  quelque  esprit,  délaissant  la  saigesse  contenue  en  la  parole  de 
Dieu,  nous  apporte  diverse  doctrine:  qu'il  nous  doibt  estre  à  bon 

30  droict  suspect  de  vanité  et  mensonge.  Car  aultrement  que  seroit 
ce  ;  comme  ainsi  soit  que  Satan  se  transfigure  en  Ange  de  lumière  ; 
quelle  autorité  aura  l'Esprit  envers  nous;  s'il  n'est  discerné  par 
une  marque  trescertaine?  Et  de  vray  il  nous  est  assez  clairement 
demonstré  par  la  voix  du  Seigneur  :  n'estoit  que  ces  misérables 

35  appetent  voluntairement  de  faillir  en  leur  confusion,  cherchans 
l'Esprit  d'eulx  mesmes  plustost  que  d'iceluy.  Mais  ilz  allèguent, 
que  ce  seroit  grand'absurdité,  que  l'Esprit  de  Dieu;  auquel  toutes 
choses  debvroient  estre  assubjecties,  feust  subject  à  l'Escri- 
ture. Voire,   comme  si   c'estoit  une  ignominie   au  Sainct  Esprit, 


IC 


26  DE    LA    CO>G>OISSA>CE 

d'estre  partout  semblal)le  et  conforme  à  soy,  estre  perpétuel- 
lement constant,  ne  varier  nulle  part.  Certes  si  on  le  redui- 
soit  à  quelque  reigle  ou  humaine,  ou  Angelicque.  ou  aultre  : 
on  pourroit  dire  que  lors  il  seroit    abaissé,    et  rédigé  en   servi- 

stude.Mais  quand  il  est  comparé  à  soymesme,  et  en  soy  considéré  : 
Qui  pourra  dire,  qu'en  cela  on  luy  face  injure  ?Mais  il  est,disent- 
ilz,  en  ceste  manière  examiné.  Je  le  confesse.  ]SIais  d  un  examen, 
par  lequel  il  a  vouUu  que  sa  majesté  feust  establye  envers  nous. 
11  nous  doibt  bien  suffire  quand  il  se  descouvre  à    nous.    Mais  à 

10  fin  cpie  soubz  son  umbre  l'esprit  de  Satan  nait  entrée  :  il  veult 
estre  recongneu  de  nous  en  son  image,  laquelle  il  a  imprimée 
aux  escritures.  Il  est  l'autheur  d  icelles  :  il  ne  peut  pas  estre 
variable  ne  dissemblable  à  soy.  Parquoy  il  fault  qu'il  demeure 
tousjours  tel  qu'il  s'est  là  une  fois  declairé.  Cela   ne    luy   tourne 

15  pas  en  opprobre  :  sinon  que  nous  disions  que  ce  luy  feust  hon- 
neur de  dégénérer  de  soymesme.  Touchant  ce  quilz  nous  taxent 
de  trop  nous  arrester  à  la  lettre  qui  occit  :  En  cela  ilz  monstrent 
comment  ilz  n'eschappent  point  la  punition  de  Dieu,  d'avoir  con- 
temné  1  Escriture.  Car  assez  il  appert  que  Sainct  Paul  combat  en 

20  ce  passage  contre  les  séducteurs,  qui  exaltent  la  loy  nue  sans 
Christ,  destournant  le  peui^le  de  la  grâce  du  Nouveau  Testament: 
auquel  le  Seigneur  promet  qu'il  engravera  aux  entrailles  des 
fidèles  sa  loy,  et  l'escrira  en  leurs  cœurs.  La  loy  de  Dieu  donc 
est  lettre  morte,  et  occit  ses  disciples,  quand  elle  est  séparée  de 

25  la  grâce  de  Christ  :  et  sonne  tant  seulement  aux  aureilles  sans 
toucher  le  cœur.  Mais  si  par  l'Esprit  de  Dieu  elle  est  vivement 
imprimée  en  la  voulunté  :  et  si  elle  nous  communicque  Jésus 
Christ  :  elle  est  parole  de  vie,  convertissant  les  am^s,  donnant 
saigesse    aux   petis.    Et    de  faict   au  mesme   passaige  l'Apostre  i  Cor.  5. 

30  appelle  sa  prédication  ministère  de  l'Esprit.  A  scavoir  signifiant 
que  l'Esprit  de  Dieu  est  tellement  conjoinct  et  lié  à  sa  vérité, 
laquelle  il  a  exprimée  aux  escritures,  que  lors  fînallement  il 
declairé  sa  vertu,  quand  la  parole  est  receuë  en  telle  révérence 
qu  il  appartient.  Ce  qui  ne  répugne  rien  à  ce  qui  a  esté  naguerès 

35  dit.  C'est  que  la  parole  ne  nous  est  gueres  certaine,  sinon  qu'elle 
soit  approuvée  par  le  tesmoignage  de  l'Esprit.  Car  le  Seigneur 
a  assemblé,  comme  par  un  lyen  mutuel,  la  certitude  de 
son  Esprit  et  de  sa  parole  :  à  fin  que  nostre  entendement 
reçoive    icelle     parole     en    obeyssance,    en    y    voyant   reluire 


I)K    UUZV.    CHAIMTHK    I.  27 

l'Esprit,  qui  luy  est   connue  une  clarté,  pour  luy  faire  là  contem- 
pler la  face  de  Dieu  à  lin  aussi  que  sans  crainte  de  tromperie  ou 
erreur  nous  recevions  l'Esprit  de  Dieu,  le  recongnoissant  en  son 
imai:;:e-:  c'est  à  dire  en  sa  parole.  Et  certes  il  est  ainsi.  Car  Dieu 
:.  n'a  point  communicqué  une  parole  aux  hommes,  laquelle  il  voul- 
sit  incontinent  abolir  par  l'adA'enement  de  son  Esprit.  Mais  plus 
tost  il  a  envoyé  son  Esprit,  par  la  vertu  ducjuelil  avoit  aupara- 
vant   dispensé    sa  parole,,  pour  achever  son  ouvrage  en   icelle, 
confermant    avec    efficace.    En    ceste    manière    Christ    ouvroit 
10 l'entendement    à  .ses    deux   disciples  :   nompas  pour  les    rendre  Z.j;r.  iî, 
saiges  par  eulx ,  en  rejectant  l'Escriture  :  mais  à  fin  qu'il/,  en 
eussent  intelligence.  Pareillement   Sainct  Paul,  en  exhortant  les 
The.s.saloniciens  de  ne  ])()int  estaindre  l'Esprit,  ne  les  transporte  /.  771^-.  :;. 
point   en  l'air  à  vaines  sj)eculations  hors  la  parole  :  mais  conse- 
i.iquemment  adjouste,  (pi'ils  ne  doibvent  point  mespriser  les  pro- 
phéties. Enquoy  certainement  il  signifie,  que  lors  la  lumière  de 
l'Esprit   est  sutl'ocquée,  quand  les  proj)heties  viennent  en  mes- 
pris.   Que   diront  à    cela  ces  orguilleux   phantasticques,  qui   ne 
reputentaultre  illumination  estrevallable,  sinon  quand  en  delais- 
2osant  et  contemnant  la  parolle  de  Dieu,   il/  prengnent  téméraire- 
ment tout  ce  qu'en  ronfiant   leur  vient  à  la  phantasie?  Certes  il 
y  doibt  bien  avoir  une  aultre  sobriété  aux  enfans  de  Dieu  :  lesquelz, 
comme  ils  se  voyent  desnuez  de  toute  lumière  de  vérité,  quand  ilz 
sont  sans  l'Esprit  de  Dieu,  pour  ceste  cause  ilz  n'ignorent  pas  que 
23  la  parole  est  comme  instrument,  par  lequel  le  Seigneur  disj)ense 
aux  fidèles  l'illumination  de  son  Esprit.  Car  ilz   ne  congnoissent 
point  d'autre  Esprit,  que  celui  qui  a  habité    aux    Apostres,  et  a 
parlé  par  leur  bouche,  par  lequel  ilz   sont  tousjours   reduictz  et 
ramenez  à  donner  audience  à  la  parole. 
30      Mais  puis  que  nous  avons  enseigné,  que  la  congnoissance  de 
Dieu,  laquelle  autrement  est  demonstrée  en    la    composition  du 
monde,  et  en  toutes  créatures  assez  amplement  :  neantmoins  est 
plus  familièrement  declairée  par  sa  parole.  Nous  avons   mainte- 
nant  à    considérer,    se    Dieu    se    représente  tel   en    son    Escri- 
35ture,  comme  nous    l'avons  par    cy  devant    veu  estre  figuré    en 
ses    œuvres.    Qui    seroit   certes  une   longue    matière,  si    quel- 
qu'un se  vouloit  arrester  à  la    traicter  diligemment.    Mais  moy 
je    seray  content  d'en    avoir    proposé    seulement  quelque   som- 
maire :  par  lequel   les   consciences  fidèles  soient   admonestées. 


28  DE    LA    CONC.NOISSANCE 

de  ce  qu'il  fault  principallement  chercher  de  Dieu  aux  Escritures  : 
et  soient  adressées  à  un  certain  ])ut  pour  y  parvenir.  Premièrement 
donc  le  Seigneur  se  dénonce  estre  le  Dieu,  lequel  après  avoir  créé 
le  ciel  et  la  terre,  a  espandu  sa  grâce  et  beneficence  infinie  sur  le 
5  genre  humain.  Toutesfoisa  tousjourset  perpétuellement  noxirryet 
sustenté,  maintenu  de  sa  grâce  particulière  les  fidèles  :  et  a  mutuel- 
lement aussi  esté  congneu  et  honnorépar  eidx.  Pareillement  ilmect 
devant  les  yeulx,  par  les  histoires  de  tout  temps,  comme  par 
manière  de  dire,  en  paincture,  quelle  est  la  constance  de  sa  bonté 

10  envers  les  fidèles  :  de  quelle  providence  il  veille  sur  eidx  :  combien 
il  est  enclin  à  leur  bien  faire:  quelle  est  la  vertu  de  son  ayde  : 
combien  il  les  ayme  ardamment:  combien  est  grande  sa  patience 
à  supporter  leurs  faultes  :  quelle  clémence  paternelle  il  monstre 
en  les  punissant  :  combien  il  leur  tient  ses  promesses  certaines 

15  à  perpétuité.  D'autrepart  quelle  est  la  riguevu-  de  sa  vengeance 
sur  les  pécheurs  :  combien,  après  avoir  longuement  enduré, 
rinflanimation  de  son  ire  est  espouventable  :  quelle  est  la 
puissane  de  sa  main  à  les  confondre  et  dissiper.  Geste  des- 
cription convient  tresbien  et  accorde  avec  celle  que  nous  avons 

20  dit  apparoistre  en  la  figure  universelle  du  monde.  Toutesfois  en 
certain  lieu  sa  pro])rieté  est  exprimée  :  par  laquelle  sa  face  nous 
est  représentée  au  vif  pour  la  contempler  évidemment.  Car  en  la 
description  que  faict  ^loyse,  il  semble  advis  qu'il  ait  voullu  brief- 
vement  comprendre  tout  ce  qui  est  loysible  aux  hommes  de  con- 

25gnoistre  de  luy.  Il    dict  en    ceste  manière  :  Seigneur,  Seigneur  £'jo.  54. 
Dieu,  miséricordieux  et  clément,  patient,  et  de  grande  bonté,  et 
véritable,   qui  garde  miséricorde  en  mile  générations,   qui  oste 
1  iniquité  et  les  péchez,  envers  lequel  l'innocent  ne    sera  point 
innocent,  qui  punys  l'iniquité  des  pères  sur  les  enfants  et  nepveux. 

3oEnquoy  nous  avons  à  considérer,  que  son  éternité  et  son  Essence 
résidente  en  luy  mesme,  est  annoncée  parcencm,  qui  luy  est 
attribué  en  premier  lieu  :  lequel  est  deux  fois  répété  en  Hebrieu  :  qui 
vault  aultant  à  dire,  comme  celuy  qui  est  seul.  En  après  que  ses 
vertus  nous  sont  commémorées,  par  lesquelles  il  nous  est  demons- 

35  tré  non  pas  quel  il  est  en  soymesme  :  mais  tel  qu'il  est  envers 
nous.  Tellement  que  ceste  congnoissance  consiste  plus  en  vive 
expérience,  qu'en  vaine  spéculation,  D'avantaige  nous  voyons  que 
les  vertus  nous  sont  icy  ennombrées  que  nous  avons  noté  reluire 
au  ciel  et  en  la  terre:  à  scavoir  clémence,  bonté,  miséricorde, 
justice,  jugement,  et  vérité.   Car  sa  puissance  est  comprise  soubz 


DE    DIi:U.    CHAPITRE    1.  20 

le  mot  hel)raicque,  qui  luy  est  donné  j)Our  son  troisiesme  tiltre,  qui 
vaut  autant  k  dire  connue  contenant  les  vertus  en  soy.  Les  Pro- 
phètes aussi  luy  baillent  niesnies  tiltres  :  quand  il  veullent  illus- 
trer à  plain  son  SainctNoni.  A  fin  (jue  nous  ne  soyons  point  con- 
j  trainctz  d'accumuler  beaucoup  de  passaig'es  :  pour  le  présent  un 
pseaulme  nous  suflira,  auquel  toute  la  somme  de  ses  proprietez 
est  sidilig-emment  recitée,  qu'il  n'y  arien  laissé  derrière.  Et  néant-  i'snl.  I  Ui. 
moins  il  n'y  a  rien  de  nommé,  que  Ion  ne  puisse  contempler  aux 
créatures  :  tellement  se  donne  Dieu  à  sentir  tel  par  expérience, 

10  qu'il  se  declaire  par  sa  parole.  En  Jeremie,  où  il  dénonce  qu'il  veut 
estre  cong^neu  de  nous,  il  ne  mect  pas  une  description  si  plaine.  •/<''■<'"'•  ^• 
Neantmoins  elle  revient  tout  à  un.  Quiconque  se  j^lorifie,  dit-il, 
qu'il  se  g-lorifieen  cela.  C'est  de  me  congnoistre  le  Dieu,  qui  faictz 
miséricorde,  justice,    et   jug-ement  en   la   terre.  Certes   ces  trois 

la  choses  nous  sont  principallement  nécessaires  à  cong'uoistre  :  sa 
miséricorde,  en  laquelle  consiste  le  salut  de  nous  tous  :  sonjug'e- 
ment,  le(pi(^l  journellement  il  exerce  sur  les  iniques,  et  lequel  il 
leur  reserve  plus  rigoreux  à  confusion  éternelle  :  sa  justice,  par 
laquelle  ses  fidèles  sont  benignement  entretenuz.  Ces  choses  com- 

2oprinses,  le  Pixiphete  tesmoigne  que  nous  avons  abondamment  de 
quoy  nous  glorifier  en  Dieu.  Neantmoins  en  cela  faisant,  n'est  pas 
obmise  ne  sa  puissance,  ne  sa  vérité,  ne  sasaincteté,  ne  sa  bonté. 
Car  conunent  consisteroit  lintelligence  de  sa  justice,  miséricorde 
et  jugement  (comme  elle  est  là  requise)  sinon  qu'elle  feust  appuyée 

2osur  sa  vérité  immuable?  Et  comment  pourroit  on  croire  qu'il 
gouverne  la  terre  en  justice  et  jugement;  sans  avoir  entendu  sa 
vertu  ?  Dont  est  ce  que  procède  sa  miséricorde  ;  sinon  de  sa  bonté  ? 
Finalement  si  toutes  ses  voyes  sont  miséricorde,  jugement,  et  jus- 
tice :  en  icelles  pareillement  reluyt  sa  saincteté.  Or  la  congnois- 

30  sance  de  Dieu,  laquelle  nous  est  présentée  en  l'Escriture,  ne  tend  k 
autre  fin,  que  celle  qui  nous  est  donnée  par  les  créatures  k  scavoir 
pour  nous  inciter  premièrement  à  la  crainte  de  Dieu  :  en  après  que 
nous  ayons  fiance  en  luy  :  k  fin  que  nous  apprenions  de  le  servir  et 
honorer  par  innocence  de  vie,  et  obeyssance   non  faincte  :  et  du 

35  tout  nous  reposer  en  sa  bonté.  Toutesfois  pource  que  Dieu  ne  se 
baille  point  droictement  et  de  près  k  contempler,  sinon  en  la  face  de 
son  Christ,  laquelle  ne  se  peut  regarder  que  des  yeulxdela  foy.  Ce 
qui  reste  k  dire  de  la  congnoissance  de  Dieu  se  ^îomTa  myeulx  diffé- 
rer jusques  au  lieu ,  où  nous  aurons  k  dire  de  l'intelligence  d'icelle  foy. 


30  DE    LA    CONGNOISSANCK 

DE  LA  CONGNOISSANGE 

DE  LIIOMME,  ET  DU  LIBERAL  ARBITRE 

CHAPITRE  II 

Ce  n'est  pas  sans  cause,  que  par  le  proverbe  ancien  a  tousjours 
esté  tant  recommandée  à  riiomme  la  congnoissance  de  soymesme. 
Car  si  nous  estimons,  que  ce  soit  honte  d'iti^norer  les  choses,  qui 
appartiennent  à  la  vie  humaine  :  la  mesconj^noissance  de  nous- 

5  mesmes  est  encores  beaucoup  plus  deshoneste,  par  laquelle  il 
advient,  qu'en  prenant  conseil  de  toutes  choses  nécessaires,  nous 
nous  abusons  paovrement  et  mesmes  sommes  du  tout  aveug-lez. 
Mais  d'autant  que  ce  commandement  est  plus  utile,  d'autant 
nous  fault-il  plus  dilig^emment  garder  de  l'entendre  mal.    Ce  que 

10  nous  voyons  estre  advenu  à  d'aucuns  philosophes.  Car  quand  ilz 
admonestent  l'homme  de  se  congnoistre,  ilz  l'ameinent  quant  et 
quant  à  ce  but,  de  considérer  sa  dignité  et  excellence  :  et  ne  luy 
font  rien  contempler,  sinon  dont  il  se  puisse  eslever  en  vaine 
confiance,  et  s'enfler  en  orgueil. 

i.ï  Or  la  vérité  de  Dieu  nous  ordonne  l)ien  de  chercher  autre 
chose  en  nous  considérant,  à  scavoir  une  confiance,  laquelle 
nous  retire  loing  de  toute  presumption  de  nostre  propre  vertu, 
et  nous  despouUe  de  toute  matière  de  gloire,  pour  nous  amener  à 
humilité.  Laquelle  reigle  il  nous  convient  suyvre,    si   nous  vou- 

20  Ions  parvenir  au  but  de  bien  sentir  et  bien  faire.  Je  scay  com- 
bien il  est  plus  agréable  à  l'homme  de  voir  qu'on  l'induise  à 
recongnoistre  ses  grâces  et  louenges  :  qu'à  entendre  et  voir  sa 
paovreté,  ignominie,  turpitude  et  foyblesse.  Car  il  n'y  a  rien 
que  l'esprit  humain  appette  plus,  que  d'estre  amyellé  de  doulces 

2o  paroles  et  flateries.  Pourtant  quand  il  entend  qu'on  prise  ses  biens, 
il  n'est  que  trop  enclin  à  croire  tout  ce  qui  se  dit  à  son  avantage. 
Ainsi  ce  n'est  pas  de  merveille,  que  la  pluspart  du  monde  a 
ainsi  erré  en  cest  endroict.  Car  comme  ainsi  soit  que  les  hommes 
ayent    une    amour    d'euxmesmes    desordonné    et     aveviglé,    ilz 

30  se   feront    voluntiers    à  croire,   qu'il    n'y   a  rien   en    eux    digne 


DE    i.'llO.MME.    CHAPITRE    II.  31 

d'estre  desprisé.  Ainsi,  sans  avoir  autre  advocat,  tous  reçoivent 
ceste  vaine  opinion,  que  Thomme  est  sullisant  de  soymesme  k 
bien  et  heureusement ,  vivre.  S  il  y  en  a  quelques  uns  qui 
veuUent  plus  modestement  sentir ,  combien  qu'ilz  concèdent 
5  quelque  chose  à  Dieu,  à  tin  qu  il  ne  semble  qu  ilz  s'attribuent  le 
tout.  Neantmoins  ilz  partissent  tellement  entre  Dieu  et  eux,  que 
la  principale  partie  de  vertu,  sagesse,  et  justice  leur  demeure. 
Puis  qu'ainsi  est,  que  Thomme  estant  enclin  de  soymesme  à  se 
flatter  :  il  n'y  a  rien  qui  luy  puisse  estre  plus  plaisant  que  quand 

i«)  on  le  chatouille  de  vaines  flateries.  Parquoy  celuy  qui  a  le  plus 
exalté  l'excellence  de  la  nature  humaine,  a  tousjours  esté  le 
mi(Hix  venu.  Neantmoins  telle  doctrine  ,  laquelle  enseigne 
l'homme  d'acquiescer  en  soymesme,  ne  le  faict  qu'abuser  :  et 
tellement    abuser ,    que    quiconque    y     adjouste     foy  ,    en     est 

15  ruiné.  Car  quel  proflit  avons  nous  de  concevoir  une  vaine 
fiance,  pour  délibérer,  ordonner,  tenter,  et  entreprendre  ce  que 
nous  pensons  estre  bon;  et  ce  pendant  deiraillir,  lant  en  saine 
intelligence,  qu'en  vertu  d'accomplir?  Deiraillir,  diclz-je,  dès 
le    commencement  :    et  neantmoins  poursuyvre    d'un  cœur  ob- 

sostiné  jusques  à  ce  que  soyons  dn  tout  confonduz  ?  Or  il 
n'en  peut  autrement  advenir  k  ceux ,  qui  se  confient  de 
pouvoir  quelque  chose  par  leur  propre  vertu.  Si  quelqu'un 
donc  escoute  telle  manière  de  docteurs  qui  nous  amusent 
k   considérer   nostre  justice  et   vertu,    il   ne    profitera   point   en 

25  la  congnoissance  de  soymesme  :  mais  sera  aveuglé  d'ignorance 
trespernitieuse.  Pourtant,  combien  que  la  vérité  de  Dieu  con- 
vient en  cela  avec  le  jugement  commun  de  tous  les  hommes, 
que  la  seconde  partie  de  nostre  sagesse  gist  en  la  congnois- 
sance  de  nousmesmes  :  toutesfois  en  la  manière   de   nous  con- 

aognoistre  il  y  a  grand'difFerence.  Car  selon  l'oppinion  de  la 
chair,  il  semble  bien  advis  que  l'homme  se  congnoisse  lors 
tresbien,  quand  en  [s^e  confiant  en  son  entendement  et  en  sa 
vertu  il  prend  courage  pour  s'applicquer  k  faire  son  debvoir  : 
et    renonceant  k   tous  vices,    s'efforce   de   faire   ce  qui    est  bon 

35  et  honeste.  Mais  celuy  qui  se  considère  bien  selon  la  reigle 
du  jugement  de  Dieu  :  ne  treuve  rien  qui  puisse  eslever  son 
cœur  en  bonne  fiance,  et  d'autant  qu'il  s'examine  plus  pro- 
fondement, d'autant  est  il  plus  abatu  :  tant  qu'entièrement 
dejecté  de  toute  espérance,  il  ne  se  laisse    rien,  panpioy  il  puisse 


32  DE    LA    CONGNOISSANCE 

droictement  instituer  sa  vie.  Toutesfois  nous  ne  nyons  pas, 
qu'il  n'y  ayt  quelque  semence  de  noblesse  en  nostre  nature, 
laqvielle  nous  doibve  inciter  à  suyvre  justice  et  honnesteté. 
Car  nous  ne  pouvons  penser  nv   à    nostre  première    orig-ine,    nj 

ôklalîn  à  laquelle  nous  sommes  créés,  que  ceste  cog-itation  ne 
nous  soit  comme  un  ag^uillon,  pour  nous  stimuler  et  poindre  à 
méditer  Timmortalité  du  royaimie  de  Dieu.  Mais  tant  s'en  fault 
que  ceste  recongnoissance  nous  doibve  eslever  le  cœur  :  que 
plustost  elle  nous  doibt  amener  à  humilité  et  modestie.  Car  quelle 

10  est  ceste  origine  ?  Ascavoir  de  laquelle  nous  sommes  descheuz  ; 
quelle  est  la  fin  de  notre  création  ?  Celle  de  laquelle  nous 
sommes  du  tout  destournez  :  tellement  qu'il  ne  nous  reste  rien  : 
sinon  que  aprez  avoir  réputé  nostre  misérable  condition,  nous 
gémissions  et  en  gémissant  souspirions  aprez  nostre  dignité  per- 

1j  due.  Or  quand  nous  disons  qu'il  ne  fault  point  que  l'homme 
regarde  rien  en  soy  qui  luy  esleve  le  cœur  :  nous  entendons  qu'il 
n'y  a  rien  en  luy.  pourquoy  il  se  doibve  enorgueillir.  Pourtant 
s'il  semble  bon  à  chacun,  d[i] visons  ainsi  la  congnoissance  que 
l'homme  doibt    avoir  en  soymesme.  C'est   qu'en   premier  lieu  il 

20  considère  k  quelle  fin  il  a  esté  créé,  et  doué  des  grâces  singu- 
lières que  Dieu  luy  a  faictes.  Par  laquelle  cogitation  il  soit  incité 
à  méditer  la  vie  future,  et  désirer  de  servir  à  Dieu.  En  aprez 
qu  il  estime  ses  richesses,  ou  plustost  son  indigence.  Laquelle 
congneûe,  il  soit  abatu  en  extrême  confusion  :    comme   s'il  estoit 

25  rédigé  à  néant.  La  première  consid^Cjration  tend  à  cela,  qu'i  con- 
gnoisse  quel  est  son  debvoir  et  office.  La  seconde,  qu'il  congnoisse 
combien  il  est  capable  de  faire  ce  qu'il  doibt.  Nous  dirons 
de  lun  et  de  l'autre  çà  et  là,  comme  le  portera  l'ordre  de  la 
dispute. 

30  Or  devant  ([u'entrer  k  descrire  ceste  misérable  condition  de 
l'homme,  il  est  expédient  de  scavoir,  quel  il  a  esté  premièrement 
créé.  Car  il  est  k  craindre,  quand  nous  monstrons  k  l'homme 
ces  vices  naturelz,  qu'il  ne  semble  advis  que  nous  les 
veuillons    imputer    k    l'autheur    de   nature,    qui  est    Dieu,    car 

35  l'impiété  pense  avoir  assez  de  deffence  soubz  ceste  couver- 
ture, si  elle  peut  prétendre  que  tout  ce  qu'elle  ha  de  vice 
est  procédé  de  Dieu.  Et  si  on  la  redargue,  elle  ne  faict 
nulle  double  de  plaider  contre  Dieu,  et  transférer  sur  luy  toute 
la   coulpe    dont     elle    est  accusée.    Et    mesmes     ceux    qui  font 


t)i:    L  HOMME.    CHAPITkE    11.  33 

Semblant  de  parler  plus  sobrement  de  Dieu  prengnent  volun- 
tiers  occasion  d'excuser  leurs  vices  en  accusant  nature  :  ne 
considérant  point  (pi'il/.  diffament  Dieu,  en  ce  faisant  :  com- 
bien que  ce  soit  plus    obscurément,  veu  cpie  s'il  y  avoit  quelque 

o  vice  en  nostre  nature,  entant  qu'elle  a  esté  formée  de  luy, 
il  en  recevroit  une  partie  du  vitupère.  Attendu  donc  que 
nous  voyons  la  chair  désirer  tous  eschappatoires,  par  lesquelz 
elle  pense  la  coulpe  de  ses  vices  pouvoir  estre  transférée  ailleurs: 
il  fault  obvier  àceste  malice.  Il  est  donc  besoing  de  traicter  tel- 

lolement  la  calamité  du  genre  humain,  que  nous  couppions  la 
broche  à  toutes  tergiversations  de  nostre  chair  :  et  que  la  justice 
du  Seigneur  soit  délivrée,  non  seulement  d'accusation  :  mais 
aussi  de  toute  reproche  et  murmure.  Neantmoins  que  cela  se 
face  en  telle  sorte,  que  nous  ne  déclinions  point  de  la  pure  vérité. 

13  Laquelle  tant  s'en  fault  qu'elle  donne  faveur  à  telles  absurditez 
que  si  tost  qu'elle  est  bien  entendue,  elle  sufïistpour  les  réfuter. 
Car  il  est  certain,  que  Adam  père  de  nous  tous  a  esté  créé  à 
l'image  et  semblance  de  Dieu.  Enquoy  il  est  monstre,  qu'il  a  été 
faict  particii)ant  de  la  sapience  divine,  justice,  vertu,  saincteté, 

20  et  vérité.  Car  on  ne  peut  nullement  soustenir  l'erreur  de  ceux, 
qui  collo({uent  ceste  image  de  Dieu  en  la  seigneurie  et  préémi- 
nence qui  luy  feust  baillée  sur  les  bestes,  comme  si  par  ceia 
seulement  il  eust  esté  faict  semblable  à  Dieu,  qu'il  en  estoit 
constitué   seigneur.   Ceste   sentence,  qu'il  a  esté  créé  à   l'image 

25  de   Dieu ,   ne   seroit  si   souvent    répétée   de  Moyse  :   sinon  qu'il 
y  eust  un   plus  grand  poix.  Et  raesmes  Sainct    Paul  nous  oste 
toute    difficulté    de    ceste    question,    quand    il    parle    en    ceste 
manière.    Soyez    renouveliez    par   l'Esprit    de    vostre    pensée  ,  ^p/ie 4, 
et  vestez    l'homme    nouveau,   lequel  est    formé    selon   Dieu,  en 

30  justice    et  vraye    saincteté.    Item    :    ne    mentez    point   les    uns  Collo.  i. 
contre  les  aultres,    entant    que    vous    avez    despouillé   le    viel 
homme,  avec  toutes  ses  œuvres,  et  avez  vestu  le  nouveau,  lequel 
a  esté  reparé  en  congnoissance,  à  l'image  de  celuy  qui  l'a  créé. 
On  voit  comme  il  expose  l'image  de  Dieu,  la  conformité  que  ha 

35  nostre  Esprit  avec  le  Seigneur,  alors  qu'estant  netoyé  de  toute 
ordure  terrienne,  ne  souhaiste  plus  que  la  pureté  spirituelle. 
L'homme  donc,  estant  créé  à  limoge  de  Dieu,  a  esté  doué  de  grâces 
et  prééminences,  lesquelles  povoient  testifîer  une  singulière  lar- 
gesse de  son  créateur  envers  luy.  Car  il  adheroit  à  iceluy  par 
Institalion.  3 


34  DE   LA   CONGNOTSSA>'CE 

la  participation  de  tous  biens,  pour  vivre  perpétuellement, 
s'il  eust  persévéré  en  l'intégrité  qu'il  a  voit  receuë.  Mais  il 
n'y  est  point  demejiré  longuement.  Car  il  s'est  rendu  soudain, 
par  son  ingratitude,  indigne  de  tous  les  bénéfices  que  Dieu  luy 
5  avoit  donnez.  Ainsi  a  esté  elTacée  l'image  céleste  qu'il  portoit  : 
d'autant  qu'estant  aliéné  de  Dieu  par  le  péché,  semblablement 
il  a  esté  estrangé  de  la  communion  de  tous  biens,  lesquelz  ne  se 
peuvent  avoir  qu'en  iceluy.  Pourtant  au  lieu  de  sapience,  vertu, 
saincteté,  vérité,  justice,  desquelz  ornemens  il  estoit  vestu,  ayant 

10  la  semblance  de  Dieu,  sont  survenues  horribles  pestes,  à  scavoir 
ignorance,  faiblesse,  ordure,  vanité,  injustice  :  desquelles  non 
seulement  il  a  esté  enveloppé  en  sa  personne  :  mais  aussi  a 
empesché  toute  sa  postérité.  Car  tous  ses  successeurs  sont  sem- 
blables à  luy  :    duquel   ilz   tiennent   leur   origine,    et   nayssent 

15  souillez  de  sa  pollution. 

Geste  est  la  corruption  héréditaire,  laquelle  les  anciens  ont 
appellée  péché  originel  denotans  par  ce  mot  de  péché  la  dépra- 
vation de  nostre  nature,  laquelle  auparavant  avoit  esté  bonne  et 
nette.  De  laquelle  chose  ilz   ont  eu  grande   altercation  avec  les 

soPelagiens.  Car  iceulx  hereticques,  estans  convaincuz  par  mani- 
festes tesmoignages  de  l'Escriture,  que  le  péché  estoit  descendu 
du  premier  homme  en  toute  sa  postérité,  ilz  cavilloient  qu'il 
estoit  descendu  par  imitation  :  et  non  point  par  génération. 
Pourtant  ces  sainctz  personnaiges  se  sont  efîorcez  de  monstrer, 

25  que  nous  ne  sommes  point  corrumpuz  de  malice  que  nous  atti- 
rions d'ailleurs  par  exemple  :  mais  que  nous  apportons  nostre 
perversité  du  ventre  de  la  mère.  Laquelle  chose  ne  se  peut  nyer 
sans  grande  impudence.  Toutesfois  nul  ne  se  esmerveillera  de  la 
témérité   des  Pellagiens    en  cest  endroit,  qui   aura  veu  par  les 

30  escritz  de  Sainct  Augustin,  quelles  bestes  ont  esté,  et  combien  il 
y  avoit  peu  de  vergongne  en  eux.    Certes  ce  que    confesse  David  Psal.   iil 
est  indubitable   c'est   qu'il  a   esté  engendré  en  iniquité,   et  que 
sa  mère  l'a  conceu  en  péché.   11  n'accuse  point  là   les  faultes  de 
ses  parens  :  mais  pour  myeulx  glorifier  la  bonté  de  Dieu  envers 

35  soy,  il  réduit  en  mémoire  sa  perversité  des  sa  première  nays- 
sance.  Or  cela  n"a  pas  esté  particulier  à  David.  11  s'ensuit  donc, 
que  la  condition  universelle  de  tous  hommes  est  demonstrée  par 
son  exemple.  Nous  tous  donc,  qui  sommes  produitz  de  semence 
immunde,    nayssons   souillez  d'infection  de  péché,    et  mesmes 


DE    L  HOMME.    CHAPITRE    II. 


35 


devant  que  sortir  en  lumière,  nous  sommes  contammez  devant 
la  face  de  Dieu.  Car  qui  est  ce  qui  pourra  faire  une  chose  pure^ 
qui  est  produicte  tlimmundicité  ?  comme  il  est  dict  au  livre  de 
Job  ?     Certainement  il  nous  fault  avoir  cela   résolu,  que  Adam  Joh  14. 

a  n'a  pas  seulement  esté  père  de  1  humaine  nature  mais  comme 
souche  ou  racine,  et  pourtant  qu'en  la  corruption  d'iceluy  le 
^enre  humain  par  raison  a  esté  corrumpu.  Ce  que  l'Apostre  plug 
clairement  demonstre,  en  raccomparageant  avec  Christ.  Tout 
ainsi  (dit-il)   que   le   péché   est  entré   par  un  homme  au  monde 

10  universel,  et  par  le  péché  la  mort  :  laquelle  a  esté  espandue  sur 
tous  hommes  :  entant  que  tous  ont  péché  :   semblablement  par  lioma.  iî. 
la  grâce  de  Christ  Justice  et  vie  nous  est  restituée.  Que  babille- 
ront icy  les  Pellagiens  ;  que  le  péché  a  esté  espars  au  monde  par 
1  imitation  d'Adam?  N'avons  nous  donc  autre  proffit  de  la  grâce 

Iode  Christ?  sinon  qu'elle  nous  est  proposée  en  exemple  pour 
ensuy  vre  ?  Et  qui  pourroit  endurer  tel  blasphème  ?  Or  s'il  n'y  a 
nulle  double,  que  la  grâce  de  Christ  ne  soit  nostre,  par  communi- 
cation :  et  que  par  icelle  nous  ayons  vie  :  il  s'ensuit  pareille- 
ment, que  l'une  et  l'autre  a  esté  perdue  en  Adam,  comme  nous 

20  les  recouvrons  en  Christ  :  et  que  le  péché  et  la  mort  ont  esté 
engendrez  en  nous  par  Adam,  comme  ilz  sont  abolis  par  Christ. 
Et  n'est  ja  mestier,  pour  entendre  cela,  de  nous  envelopper  en 
ceste  fâcheuse  dispute,  laquelle  a  grandement  tormenté  les 
anciens    docteurs.    A    scavoir    si    lame    du   fdz   procède    de    la 

2",  substance  de  lame  paternelle  :  veu  que  c'est  en  lame,  que 
réside  le  péché  originel.  Il  nous  fault  estre  contens,  de  sca- 
voir que  le  Seigneur  avoit  mis  en  Adam  les  grâces  et  dons, 
qu'il  vouloit  conférer  à  la  nature  humaine,  pourtant  qu'i- 
celuy,    quand    il    les   a   perduz,    ne  les  a   point    perduz    seule- 

30  ment  pour  soy  :  mais  pour  nous  tous.  Qui  est  ce  qui  se 
soucyera  de  l'origine  de  l'ame ,  après  avoir  entendu  que 
Adam  avoit  receu  les  ornemens  qu'il  a  perduz  ;  nompas 
moins  povir  soy  que  pour  nous  ?  entant  que  Dieu  ne  les  luy 
avoit    point    baillés,  comme  à  un   seul    homme    en  particulier  : 

35  mais  à  fin  que  toute  sa  lignée  en  jouyst  avec  luy  communee- 
ment  ?  Il  n'y  a  point  donc  d'absurdité  :  si  luy  ayant  esté  des- 
pouillé  :  la  nature  humaine  en  a  esté  desnuée,  si  luy  estant 
souillé  par  péché  :  l'infection  en  a  esté  espandue  sur  nous 
tous .     Parquoy ,   comme    d'une    racine    pourrie   ne    procèdent 


â6  DE    LA    CONGiNÔISSANCE 

que  rameaulx  pourris,  lesquelz  transportent  leur  pourriture 
en  toutes  les  branches  et  feuilles  qu'ilz  produisent  :  ainsi  les 
enfans  d'Adam  ont  esté  contaminez  en  leur  père,  et  sont 
cause  de  pollution  à  leurs  successeurs .  C'est  à  dire ,  le 
5  commencement  de  corruption  a  tellement  esté  en  Adam  :  qu'elle 
est  espandue,  comme  par  un  perpétuel  decours,  des  pères  aux 
enfans,  et  est  facile  de  réfuter  ce  que  cavillent  les  Pellagiens. 
Hz  disent  qu'il  n'est  pas  vray  semblable,  que  les  enfans,  qui 
nayssent  de  parens  fidèles,  en  attirent  corruption  :  veu  qu'ilz 
10  doibvent  plustost  estre  purifiez  par  leur  pureté.  A  cela  nous 
respondons.  que  les  enfans  ne  descendent  point  de  lag-eneration 
spirituelle  qu'ont  les  serviteurs  de  Dieu  du  Sainct  Esprit  :  mais 
de  la  génération  charnelle  qu'ilz  ont  d'Adam.  11  est  bien  vray, 
que  Dieu  sanctifie  les  enfans  des  fidèles  à  cause  de  leurs  parens  : 
15  mais  cela  n'est  point  par  vertu  de  leur  nature  :  mais  de  sa  grâce. 
C'est  donc  une  bénédiction  spirituelle,  laquelle  n'empêche  point 
que  ceste  première  malédiction  ne  soit  universellement  en  la 
nature  humaine. 

Or  à  fin  que  cecy  ne  soit  dict  à  la  volée,  il  nous  fault  difinir 
sole  péché  originel.  Toutesfois  mon  intention  n'est  point,   d'exa- 
miner toutes  les   définitions   de    ceulx  qui    en    ont  escrit.   Mais 
seulement  j'en  donneray  une,  laquelle  me  semble  estre  conforme 
à  la  vérité.    Nous  dirons  donc,  que    le    péché    originel  est  une 
corruption  et  perversité  héréditaire  de   nostre  nature,  laquelle 
25  nous  faict  coulpables,  premièrement  de  l'ire  de  Dieu,  puis  après 
produit  en   nous    les   oeuvres,    que    l'Escriture    appelle    oeuvres 
de   la  chair,   et   est    proprement    cela   que   Sainct    Paul  appelle 
souventesfois  péché,    sans   adjouster   originel.   Les    œuvres   qui 
en   sont,    comme  sont,  adultaires,  paillardises,    larcins,   haynes, 
.^0  meurtres,   et    gourmandises,   il    les    appelle    selon    ceste    raison 
fruitz  de  péché.  Combien  que  toutes  telles  oeuvres  sont  dénom- 
mées péché  en  l'Escriture.  11  nous  fault  donc  distinctement  con- 
sidererces  deux  choses  :   C'est  à   scavoir  que    nous  sommes  tel- 
lement corrumpus   en  toutes  les  parties    de    nostre  nature .  que 
33  pour    ceste     corruption   nous    sommes    à    bonne    cause     dam- 
nables  devant  Dieu  :  auquel    rien   n'est  agréable,  sinon   justice, 
innocence,    et    pureté.    Et    ne   fault    dire,    que     ceste    obliga- 
tion soit  causée  de  la  faulte  d'autruy  seulement  :  comme  si  nous 
respondions    pour    le    péché    de    nostre     premier     père  ,    sans 


DE    L  HOMME.    CHAPITRE    II. 


37 


avoir  rien  mérité.  Car  en  ce  qu'il  est  dict,  que  par  Adam  nous 
sommes  faictzredebvables  au  jugement  de  Dieu  :  ce  n'est  pas  à  dire 
que  nous  sommes  innocens  :  et  sans  avoir  mérité  aucune  peine,  nous 
portions  la  folle  enchère  de  son  péché.  Mais  pource  que  par  sa  trans- 
5  gression  nous  sommes  tous  enveloppez  de  confusion,  il  est  dict,  nous 
avoir  tous  obligez.  Toutesfois  nous  ne  debvons  entendre,  qu'il  nous 
ait  constitués  seulement  redebvables  de  la  peine,  sans  nous  avoir 
communiqué  son  péché.  Car  à  la  vérité  le  péché  descendu  de  luy 
réside  en  nous  ;  auquel  justement  la  peine  est  deuë.  Pourtant  Sainct 

10  Augustin,  combien  qu'il  l'appelle  aucunesfois  le  péché  d'autruy, 
pour  monstrer  plus  clairement  que  nous  l'avons  de  race,  toutes- 
fois  il  asseure  qu'il  est  propre  h  un  chascun  de  nous.  Et  mesmes 
l'Apostre  tesmoigne,  que  la  mort  est  venue  sur  tous  hommes, 
pource  que  tous  ont  péché,  c'est  à  dire,  que  tovis  sont  enveloppez 

15  du  péché  originel,  et  souillez  des  macules  d'iceluy.  Pour  ceste 
cause  les  enfans  mesmes  .sont  encloz  en  ceste  condemnation. 
Nompas  simplement  pour  le  péché  d'autruy  :  mais  j)our  le  leur 
propre.  Car  combien  qu  ilz  n'ayent  encore  produict  fruictz  de 
leur  iniquité  :   toutesfois  ilz  en  ont  la  semence  cachée  en  eulx, 

20  Et  qui  plus  est,  leur  nature  est  une  semence  de  péché  :  Pourtant 
elle  ne  peut  estre  que  desplaisante  et  abominable  à  Dieu. 
L  autre  point  que  nous  avons  à  considérer,  c  est,  que  cette  per- 
versité n'est  jamais  oysive  en  nous  :  mais  engendre  continuelle- 
ment nouveaulx  fruictz;    à  scavoir  iceulx    (euvres  de   la   chair, 

25  que  nous  avons  n'agueres  descritz,  tout  ainsi  qu'une  fornaise 
ardente  sans  cesse  jette  flambe  et  estincelles  :  et  une  source  jette 
son  eauë.  Parquoy  ceulx  qui  ont  defïîny  le  péché  originel  estre 
un  deiïault  de  justice  originelle,  combien  qu'en  ces  paroles  ilz 
ayent  compris  toute   la  substance  :  toutesfois  ilz  n'ont  suffisam- 

30  ment  exprimé  la  force  d'iceluy.  Carnostre  nature  n'est  seulement 
vuide  et  destituée  de  tous  biens  :  mais  elle  est  tellement  fertille 
en  toute  espèce  de  mal,  qu'elle  ne  peut  estre  oysive.  Ceulx  qui 
l'ont  appellée  concupiscence  n'ont  point  usé  d'un  mot  trop  imper- 
tinent :  moyennant  qu'on  adjoustast  ce  qui  n'est  concédé  de  plu- 

35  sieurs  :  C'est  que  toutes  les  parties  de  Ihomme,  depuis  l'enten- 
dement jusques  à  la  volunté,  depuis  lame  jusques  à  la  chair, 
sont  souillées  et  du  tout  remplies  de  cette  concupiscence,  ou 
bien,  pour  le  faire  plus  court,  que  l'homme  n'est  aultre  chose  de 
soymesme  que  corruption. 


38  DE    LA    CONGNOISSANCE 

Voisent  maintenant  ceux ,  qui  osent  attribuer  la  cause  de 
leur  péché  à  Dieu  :  quand  on  dit  que  les  hommes  sont  naturel- 
lement vicieux.  Hz  font  perversenient,  de  contempler  l'ouvrage 
de  Dieu  en  leur  pollution  :  lequel  ilz  debvoient  plustost  cher- 
5  cher  et  contempler  en  la  nature  qua  receu  Adam ,  devant 
qu'estre  corrumpu.  Nostre  perdition  donc  procède  de  la  coulpe 
de  nostre  chair  :  et  non  pas  de  Dieu.  Attendu  que  nous  ne 
sommes  periz  pour  autre  cause,  que  pour  estre  déclinez  de 
notre  première  création.  Et  ne   fault  icy  repplicquer    que    Dieu 

loeust  bien  peu  myeulx  pourvoir  à  nostre  salut,  s'il  feust  venu 
au  devant  de  la  faute  d'Adam.  Car  ceste  oblation  est  si 
audatieuse  et  téméraire,  qu'elle  ne  doibt  nullement  entrer  en 
l'entendement  de  l'homme  fidelle.  D'avantag-e  elle  appartient 
à  la  prédestination  de  Dieu  :  laquelle  sera  cy  aprez  traictée  en 

15  son  lieu.  Pourtant ,  qu'il  nous  sovienne  d'imputer  tousjours 
nostre  ruyne  à  la  corruption  de  nostre  nature  ;  et  non  point 
à  icelle  nature,  qui  avoit  esté  donnée  premièrement  à  l'homme, 
afin  de  n'accuser  Dieu  :  comme  si  nostre  mal  venoit  de  luy. 
Il  est  bien  vray,  que   ceste  mortelle  playe  de  péché   est    fichée 

20  en  nostre  nature  :  mais  [cje  sont  choses  bien  diverses,  qu'elle 
ayt  esté  navrée  des  son  origine,  ou  qu'elle  l'ayt  esté  depuis 
et  d'ailleurs.  Or  est  il  certain ,  qu'elle  a  esté  navrée  par  le 
péché  qui  est  survenu.  Nous  n'avons  donc  cause  de  nous 
plaindre    de     nousmesmes.    Ce    que    l'Escriture     denotte     dili- 

23 gemment.  Car  TEcclesiaste  dict  :  Je  scay  que  Dieu  avoit  créé 
l'homme  bon  :  mais  qu'il  sjest  forgé  plusieurs  inventions  mau- 
vaises. Par  cela  il  apparoist,  qu'il  fault  imputer  à  l'homme 
seulement  sa  ruyne,  veu  qu'il  avoit  eu  de  la  grâce  de  Dieu 
une    droicture  naturelle  :   et  que   par    sa    folie   il  est  tresbuché 

30  en  vanité.  Nous  disons  que  1  homme  est  naturellement  cor- 
rumpu en  perversité.  Mais  que  ceste  perversité  n'est  point 
en  luy  de  nature.  Nous  nyons  qu'elle  soit  de  nature  :  à  fin 
de  monstrer,  que  c'est  plustost  une  qualité  survenue  à  l'homme, 
quune    propriété    de  sa   substance,    laquelle    ayt    esté    des    le 

35Commancement  enracinée  en  luy.  Toutesfois  nous  l'appelions 
naturelle  :  à  fin  que  aucun  ne  pense  qu'elle  s'acquiert  d'un  cha- 
cun par  mauvaise  coustume  et  exemple  ,  comme  ainsi  soit 
qu  elle  nous  enveloppe  tous  des  nostre  première  nayssance.  Et  ne 
parlons  pas  ainsi  sans  autheur.   Car  par   mesme  raison  l'Apostre 


DE    l'homme,    chapitre    11.  39 

nous  appelle  tous  héritiers  de  lire  de  Dieu.  Gomme  Dieu  seroit 
il  courroucé  à  la  plus  noble  de  ces  créatures?  Veu  que  les 
moindres  oeuvres  qu'il  a  faictez  luy  plaisent.  Mais  c'est  que 
plustost  il  est  courroucé  à  l'encontre  de  la  corruption  de  son 
soevre,  que  contre  son  oeuvre.  Si  doncques  riioiunie  ntni  sans 
cause  est  dict  naturellement  estre  abominable  à  Dieu  :  à  l)on 
droict  nous  pourrons  dire,  que  naturellement  il  est  vicieux  et 
mauvais.  Comme  S.  Augustin  ne  faict  point  de  difficulté, 
à  cause  de  nostre  nature  corrumpue,  d'appeler  péchez  natu- 
lorelz,  lesquelz  régnent  nécessairement  en  nostre  chair,  quand 
la  grâce  de  Dieu  nous  detfault.  Par  ceste  distinction  est  refu- 
tée la  folie  des  Manichéens  :  lesquelz  imaginantz  une  per- 
versité essentielle  en  l'homme  ,  le  disoient  estre  créé  d'un 
autre  que  de  Dieu  :  à  fin  de  n'attribuer  à  Dieu  aucune  origine 
15  de  mal. 

Puis  que  nous  avons  veu,  que  la  seigneurie  de  péché,  aprez 
avoir  subjugué  le  premier  homme,  a  reduict    en    servitude   tout 
le  genre  humain.  Il  reste  à  scavoir  si  depuis  que  nous  sommes 
venuz  en  telle  captivité  nous  sommes  destituez  de  toute  liberté 
20  et  franchise,  ou  bien,  si  nous  en  avons  quelque  portion  de  reste, 
jusques   Ik  ou   elle   s'estent.    Mais  à   fin   que  la  vérité  de  ceste 
question  nous  soit  plus  facillement  esclarcie  :  il  nous  fault  pre- 
mièrement mettre  un  but,  auquel  nous  adressions  toute  nostre 
dispute.  Or  nous  congnoistrons  à  quel  but  nous  debvrons  tendre, 
2".  en  considérant  les  dangiers  qui  sont  d'une  part  et  d'autre.  Car 
quand  l'homme  est  desnué  de  tout  bien  :  de  cela  il  prent  soudaine 
occasion  de  nonchaillance.  Et  pource  qu'on  luy  dit,  que  de  soy- 
mesme  il  n'a  nulle  vertu  à  bien  faire,  il  ne  se  soucye  de  s'i  applic- 
quer  :  comme  si  cela  ne  luy  appartenoit  de  rien.  D'autre  part  on 
ne  luy  peut  donner  le  moins  du  monde,  qu'il  ne  s'esleve  en  vaine 
confiance  et    témérité   :    et   aussi    qu'on    ne    desrobe  autant    à 
Dieu    de    son    honneur.    Pour  ne    tomber  donc   en   ces  incon- 
veniens ,    nous    aurons  à    tenir    ceste    modération  :    C'est    que 
l'homme  estant   enseigné  qu'il  n'y  a    nul   bien  en  luy,- et  qu'il 
35  est    environné   de    misère    et      nécessité    :    il    entende    toutes- 
fois  comment   il  doibt    aspirer   au   bien,    duquel   il  est  vuide  : 
et   à  liberté   dont    il  est  privé.  Et  soit  mesmes   plus    vivement 
picqué  et  incité  à   cela  faire  :  que  si  on  luy  faisoit  à  croire  qu'il 
eust    la    plus   grand' vertu   du  monde.    Il   n'y    a  celuy    qui    ne 


30 


40  DE    LA    CONGNOISSANCE 

veoye,  combien  est  nécessaire  ce  second  point.  A  scavoir  de 
resveiller  l'homme  de  sa  négligence  et  paresse.  Quant  au 
premier,  de  luy  monstrer  sa  paouvreté,  plusieurs  en  font  plus 
grand'doubte    qu'il    ne     debvroient.     Il     n'y    a    nulle    doubte. 

5  qu'il  ne  faidt  rien  oster  à  Ihomme  du  sien  :  c'est  à  dire  qu'il  ne 
luv  fault  moins  attribuer  que  ce  qu'il  ha .  Mais  c'est  aussi  une 
chose  évidente,  coml)ien  il  est  expédient  de  le  despoiller  de 
fauce  et  vaine  gloire.  Car  si  ainsi  est,  qu'il  ne  luy  ayt  point  esté 
licite  de  se  glorifier  en  soymesme,  lors  que  par  la  beneficence  de 

10  Dieu  il  estoit  vestu  et  aorné  de  grâces  souveraines  :  combien 
maintenant  convient-il  plus  qu'il  s'humilie,  puis  que  pour  son 
ingratitude  il  a  esté  abaissé  en  extrême  ignominie  ;  ayant  perdu 
l'excellence  qu'il  avoit  pour  lors  ?  Poiu"  entendre  cela  plus  aisé- 
ment, je  ditz  que  l'Escriture,  pour  le  temps  que  l'homme  estoit 

15  exalté  au  plus  hault  degré  d'honneur  qu'il  pouvoit  estre,  ne  luy 
attribue  rien  d'avantage,  que  de  dire  qu'il  estoit  créé  à  l'image 
de  Dieu.  Enquoy  elle  signifie,  qu'il  n'a  point  esté  riche  de  ses 
propres  biens  :  mais  que  sa  béatitude  estoit  en  la  parti^pation 
de  Dieu.  Que  luy  reste-il  donc  maintenant  ;  sinon    qu'il   recon- 

20  gnoisse  son  Dieu  ;  en  estant  desnué  et  despourveu  de  toute 
gloire?  Duquel  il  n'a  peu  recongnoistre  la  bénignité  et  lar- 
gesse, ce  pendant  qviil  ahondoit  des  lichesses  de  sa  grâce? 
Et  puis  qu'il  ne  l'a  point  gloritié  par  recongnoissance  des 
biens,  qu  il   en  avoit   receu  :    que   pour  le   moins    il    le   glorifie 

25  maintenant  en  la  confession  de  sa  paovreté.  D'avantage  il  n'est 
pas  moins  utile  pour  nous,  de  nous  démettre  de  toute  louenge 
de  sagesse  et  vertu,  qu'il  est  requis  pour  maintenir  la  gloire 
de  Dieu.  Tellement  que  ceulx  qui  nous  attribuent  quelque  chose 
oultre  mesure,  en  blasphémant    Dieu,   nous  ruynent  aussi.  Car 

30  qu'est  ce  autre  chose,  quand  on  nous  enseigne  de  cheminer 
en  nostre  force  et  vertu,  que  de  nous  eslever  au  debout  d'un 
roseau,  lequel  ne  nous  peut  soustenir  qu'il  ne  rompe  inconti- 
nent, et  que  nous  ne  tresbuchions  ?  Combien  encores  qu'on 
faict  trop  d'honneur    à   noz    forces,    les   accomparageant    à   un 

35  roseau.  Car  ce  n'est  que  fumée,  tout  ce  que  les  hommes 
en  imaginent.  Pourtant  ce  n'est  pas  sans  cause  que  ceste 
belle  sentence  est  si  souvent  répétée  en  Sainct  Augustin. 
Que  ceulx  qui  maintiennent  le  libéral  Ari  itre,  le  jectent 
bas     en     ruyne    plustost     qu'ilz     ne     l'establissent .      11     m'a 


DK    l'homme.    CIlAPirUE    II.  41 

lalleu  faire  ce  proesme,  k  cause  d'aucuns,  qui  ne  peuvent  porter  que 
la  vertu  de  Ihomme  soit  destruiete  et  anichillée,  pour  ediffîeren  luy 
celle  de  Dieu  :  d'autant  quilz  jugent,  toute  ceste  dispute  estre  non 
seulement  inutile  :  mais  fort  dang-ercuse,  laquelle  toutesfois  nous 

5  congnoistrons  estre  tresutile  :  et  qui  plus  est,  estre  un  des  fon- 
demens  de  la  relig'ion. 

Pour  bien  considérer  les  facultez  de  l'homme,  nous  commen- 
cerons par  la  division  d'icelles,  laquelle  nous  ferons  la  plus 
simple  qu'il  sera  possible.  Car  il   n'est  ja   mesticr  de  suyvre  la 

10  subtilité  des  Philosophes.  Je  confesse  bien  ce  que  dit  Platon 
avoir  apparence  de  raison  :  qu'il  y  a  en  l'homme  cinq  sens,  les- 
quelz  il  appelle  instrumens,  par  lesquelz  le  sens  commun,  qui 
est  comme  un  réceptacle  imiversel,  conçoit  toutes  les  choses 
externes,  qui  se  présentent  ou  à  la  veuë,  ou  à  l'oyë,  ou  au  goust, 

15  ou  au  flair,  ou  à  l'attouchement.  En  après  que  la  phantasie 
discerne,  ce  que  le  sens  commun  a  conceu  et  appréhendé,  puis 
que  la  raison  faict  son  ofiice  en  jug-eant  de  tout.  Finalement  que 
par  dessus  la  raison  est  l'intellig-ence  : -laquelle  contemple  d'un 
regard    posé  et  arrêté  toutes  les  choses,   que  la  raison  demeine 

20  par  ses  discours.  Ainsi  cfu'il  y  a  trois  vertus  en  lame,  qui  appar- 
tiennent à  congnoistre  et  entendre  :  lesquelles,  pour  ceste  cause, 
sont  nommées  cognitives.  A  scavoir  la  raison,  lintelligence,  et 
la  phantasie,  ausquelles  il  y  en  a  trois  aultres  correspondentes, 
qui  appartiennent  à  appeler,  à    scavoir   la  volunté,   de  laquelle 

23 l'office  est  d'appeter  ce  que  l'intelligence  et  la  raison  luy 
proposent  :  la  colère,  laquelle  suyt  ce  que  luy  présentent 
la  raison  et  phantasie  :  la  concupiscence,  laquelle  appréhende 
ce  qui  luy  est  objecté  par  la  phantasie.  Quand  toutes  ces  choses 
seront  vrayes,  ou  pour  le  moins  vray  semblables  :  encores  n'est 

30  il  ja  mestier  de  nous  y  amuser  :  pource  qu'il  y  a  danger  qu'elles 
ne  nous  pourroient  ayder  de  gueres,  et  nous  pourroient  beaucoup 
tormenter  par  leur  obscurité.  Nous  pourrions  amener  d  autres 
distinctions,  comme  celle  que  baille  Aristote,  qu'il  y  a  une  partie 
en  lame,  laquelle  ne  contient  point  raison  en  soymesme,  toutes- 

35  fois  peut  estre  conduicte  par  raison,  l'autre  qui  est  mesme  parti- 
cipante de  raison.  Item,  qu'il  y  a  trois  choses,  dont  procèdent  toutes 
les  actions  humaines.  A  scavoir,  sens,  entendement,  et  appétit. 
Mais  il  nous  fault  user  de  manière  de  parler,  laquelle  soit  enten- 
due de  tous.  Ce  qu'on  ne  peut  prendre  des  Philosophes.  Car  iceulx 


42  DE    LA    CONGNOISSANCE 

quand  ilz  veulent  parler  bien  simplement,  ilz  divisent  lame 
en  deux  parties,  à  scavoir,  intelligence  et  appétit.  Mais  ilz 
font  l'un  et  Taultre  double  :  Car  ilz  disent  qu'il  y  a  ime  intelli- 
gence   contemplative,  qui  ne   vient   point  juscpies   en    action    : 

5  mais  s'arreste  seulement  à  contempler,  ce  qui  est  signifié  par  le 
mot  d'engin,  comme  dict  Cicero.  L'aultre  gist  en  praticque  : 
laquelle  après  avoir  appréhendé  le  bien  ou  le  mal,  mect  la  vou" 
lunté  à  le  suyvre,  ou  fuyr,  soubz  laquelle  espèce  est  contenue 
la  science  de  bien  vivre.    Pareillement  ilz  divisent  lappetit  en 

10  concupiscence  et  volunté,  appellant  volunté,  quand  le  désir  de 
l'homme  obtempère  à  raison  :  concupiscence,  quand  il  se  desborde 
en  intempérance,  rejectant  le  joug  de  modestie.  En  ce  faisant, 
ilz  imaginent  tousjours  qu'il  y  a  une  raison  en  l'homme,  par 
laquelle  il  se  peut  bien  gouverner.  Pourtant  nous,  qui  disons  la 

15  raison  humaine  estre  dépravée,  ne  pouvons  accorder  du  tout  avec 
eulx.  Il  nous  fault  prendre  donc  une  autre  division.  C'est  qu'il 
y  a  deux  parties  en  nostre  ame  :  intelligence,  et  volunté.  L'intel- 
ligence, est  pour  discerner  entre  toutes  choses  qui  nous  sont 
proposées,  et  juger  ce  qui   nous  doibt  estre   approuvé  ou  con- 

aodemné.  L'office  de  la  volunté  est,  d'eslire  et  suyvre  ce  que  l'en- 
tendement aura  jugé  estre  bon  :  au  contraire,  rejecter  et  fuyr  ce 
qu'il  aura  reprouvé.  Il  ne  nous  fault  icy  arrester  à  ce  que  dispute 
Aristote  trop  subtilement,  qu  il  n'y  a  nul  mouvement  propre- 
ment  en   l'intelligence  ,    mais    que    c'est    l'eslection    qui    meut 

25 1  homme.  Il  nous  doibt  suffire,  sans  nous  empestrer  en  questions 
superflues,  que  l'entendement  est  comme  gouverneur  et  capi- 
taine de  l'ame  :  que  la  volunté  despend  de  son  plaisir,  et  ne 
désire  rien  jusques  après  avoir  eu  son  jugement.  Pourtant  Aris- 
tote dit  bien  vray  en  un  autre  passage,  que  fuyr  ou  appeter,  est 

30  une  semblable  chose  en  l'appétit,  que  nyer  ou  approuver  en 
l'entendement.  Or  nous  verrons  cy  après,  combien  est  certaine 
la  conduicte  de  l'entendement,  pour  bien  diriger  la  volunté.  Icy 
nous  ne  prétendons  autre  chose,  sinon  de  monstrer  que  toutes 
les    vertus  de  lame  humaine   se   réduisent  à   l'un   de  ces  deux 

35  membres.  En  ceste  manière  nous  comprenons  le  sens  soubz 
l'entendement,  lequel  est  séparé  des  Philosophes,  qui  disent  que 
le  sens  encline  à  volupté,  l'entendement  à  honesteté  et  vertu. 
Davantage  que  pour  le  nom  d  appétit  nous  usons  du  mot  de 
volunté,  lequel  est  le  plus  usité. 


DE    L  HOMME.    CHAPITRE 


43 


Maintenant  considérons,  quelle  faculté  il  y  a  en  une  partie  ou 
en  l'autre.  Les  Philosophes  d'un  consentement  commun  estiment, 
qu'en  l'ame  humaine  réside  la  raison  :  laquelle  est  comme  une 
lampe  pour  conduire  l'intelligence,  et   comme  ime  Hoyne  pour 

5  modérer  la  volunté.  Car  il/,  imag^inent  qu'elle  est  tellement  rem- 
plie de  lumière  divine,  qu'elle  peut  bien  discerner  entre  le  bien 
et  le  mal  :  et  qu'elle  ha  telle  vertu,  qu'elle  peut  bien  imperer. 
Aucontraire  que  le  sens  est  plain  d'ignorance  et  de  rudesse,  ne 
se  pouvant  eslever  à  considérer  les  choses  haultes  et  excellentes  : 

10  mais  s'arrestant  tousjours  k  la  terre.  Que  l'appétit,  s'il  veut 
obtempérer  à  raison,  et  ne  se  laisse  point  subjuguer  par  le  sens, 
a  un  mouvment  naturel,  à  chercher  ce  qui  est  bon  et  honneste  : 
et  ainsi  peut  tenir  la  droicte  voye.  Aucontraire  s'il  s'adonne  en 
servitude  au  sens,  il  est  par  iceluy  corrumpu  et  dépravé,  pour  se 

15  desborder  en  choses  deshonnestes.  Pourtant  ilz  disent  que  l'en- 
tendement humain  ha  en  soy  raison,  pour  conduire  l'homme  à 
bien  et  heureusement  vivre  :  moyennant  qu  il  se  maintienne  en 
sa  noblesse,  et  donne  lieu  à  la  vertu  qui  luy  est  naturellement 
enracinée.    Ce  jjendant  ilz  disent  bien  ,    qu'il  y  a  un  mouvment 

20  inférieur,  lequel  est  appelle,  sens,  par  lequel  il  est  diverty  et  dis- 
traict  en  erreur  et  ignorance  :  neantmoins  lequel  peut  estre  dompté 
par  raison,  et  petit  à  petit  anyanty.  Hz  constituent  la  volunté 
comme  moyenne  entre  la  raison  et  le  sens.  C'est  à  scavoir  ayant 
liberté  d'obtempérer  k  raison  si  bon  luy  semble:  ou  de  s'adonner 

23  au  sens.  Bien  est  vray  que  l'expérience  les  a  contrainct  de  confes- 
ser aucunesfois,  combien  il  est  difficil'  k  l'homme,  de  eslabliren 
soymesme  le  règne  à  la  raison  :  d'autant  que  maintenant  il  est 
chastouillé  de  volupté,  maintenant  abusé  par  vaine  espèce  de  bien, 
maintenant    agité    d'affections    intempérantes,    lesquelles    sont 

30  comme  cordes  (ainsi  que  dit  Platon)  pour  le  tirer  et  esbranler  ck  et 
là.  Pour  laquelle  raison  Cicero  dit,  que  nous  avons  seulement  des 
petites  estincelles  de  bien,  alumées  de  nature  en  nostre  esprit,  les- 
quelles nous  corrumpons  aisément  par  faulses  opinions  et  mau- 
vaises meurs.  D'avantage  ilz  confessent,  que  quand  telles  mala- 

35  dies  ont  une  fois  occupé  nostre  esprit ,  qu'elles  y  régnent  si 
fort  qu'il  n'est  pas  facil'  de  les  restraindre  ,  et  ne  doubtent 
point  de  les  accomparer  à  des  chevalx  rebelles.  Car  comme 
un  cheval  rebelle,  disent-ilz,  ayant  jette  bas  son  conducteur, 
regibe  sans  mesure  :  ainsi  l'ame  ayant  rejette  la  raison,  et  s'es- 
tant   adonnée    k   ses    concupiscences,    est    du    tout     desbordée. 


44  DE    LA   CONGNOISSAXCE 

Au  reste  ilz  ont  cela  pour  résolu,  que  tant  les  vertus  que  les 
vices  sont  en  nostre  puissance.  Car  s'il  n'estoit,  disent-ilz,  en 
nostre  eslection  de  faire  le  bien  ou  le  mal  :  il  ne  seroit  point 
aussi  de  nous  en  abstenir.  Aucontraire,  s  il  nous  est  libre  de  nous 

5  en  abstenir  :  aussi  est  il  de  le  faire.  Or  est-il  ainsi,  que  nous 
faisons  de  libre  eslection  tout  ce  que  nous  faisons  :  et  nous  abste- 
nons librement  de  ce  dont  nous  abstenons  :  il  s'ensuit  donc  qu'il 
est  en  nostre  puissance  de  laisser  le  bien  que  nous  faisons,  et 
aussi  le  mal  :  et  pareillement  de  faire  ce  que  nous  laissons.  Et 

iode  faict,  aucuns  d'eulx  sont  venuz  jusques  à  ceste  folie,  de  se 
vanter  d'avoir  bien  la  vie  par  le  bénéfice  de  Dieu.  Mais  d'avoir 
d'eulx  mesmes  de  bien  vivre.  Voila  donc  en  somme  la  sentence 
des  Philosophes,  c'est  que  la  raison,  qui  est  en  l'entendement 
humain,  suffist  à  nous  bien  conduire,  et  monstrer  ce  qui  est  bon  de 

15  faire,  que  la  volunté  estant  soubz  icelle,  est  tentée  et  sollicitée  par 

le  sens  à  mal  faire  :  neantmoins,  entant  qu'elle  ha  libre  eslection, 

qu'elle  ne  peut  estre  empeschée  de  suyvre  la  raison  entièrement. 

Quant  est  des  docteurs  de  l'Esglise  chrestienne,  combien  qu'il 

n'y  en  ait  eu  nul  d'entre  eulx,  qui  n'ayt  recongneu  la  raison  estre 

20  fort  abbatue  en  1  homme  par  le  péché,  et  la  volunté  estre  sub- 
jecte  à  beaucoup  de  concupiscences  :  neantmoins  la  pluspart  a 
plus  suyvy  les  Philosophes  qu'il  n'estoit  mestier.  Il  me  semble 
qu'il  y  a  eu  deux  raisons  qui  ont  meu  les  anciens  pères  à  ce  faire. 
Premièrement   ilz   craignoient  :  s'ilz    ostoient  à  l'homme  toute 

25  liberté  de  bien  faire,  que  les  Philosophes  ne  se  mocquassent  de 
leur  doctrine.  Secondement  que  la  chair,  laquelle  est  assez 
prompte  à  nonchallance ,  ne  print  occasion  à  contemner  les 
bonnes  œuvres  :  Parquoy  à  lin  de  ne  rien  enseig-ner.  qui  feust 
contrevenant  à  l'opinion  commune  des  hommes,  ilz  ont  voulu  à 

sodemy  accorder  la  doctrine  de  l'Escriture  avec  celle  des  Philo- 
sophes. Toutesfois  il  appert  de  leurs  paroles,  qu'ilz  ont  principal- 
lement  regardé  le  second  poinct.  Chrysostome  dict  en  quelque 
passage  :  Dieu  a  mis  le  bien  et  le  mal  en  nostre  faculté,  nous  don-  Homélie 

nant  libéral  Arbitre  de  choisir  l'un  ou  1  autre  :  et  ne  nous  tire  point    */?  lapro- 

dition  des 
35  par  contraincte  :   mais  nous  reçoit,  si  nous  allons  voluntairement    juifz. 

à  luy.  Item  :  Celuy  qui  est  mauvais,  peut  devenir  bon,  s'il  veult  :  Homélie 

etceluv  qui  est  bon  se  chang'eet  devient  mauvais.  Car  Dieu  nous  a    J^  ^" 
■    ^  .  "  .  .  Genèse. 

donné  franc  Arbitre  en  nostre  nature,  et  ne  nous  impose  point  néces- 
sité :   mais  il  nous  ordonne  les   remèdes,   dont  nous   usions  si 


10 


i)K  l'homme,  chapitre  11.  18 

Don  nous  semble.  Item  :  Comme  nous  ne  pouvons  rien  bien 
faire  sans  estre  aydez  de  la  grâce  de  Dieu  :  aussi  si  nous 
n'apportons  ce  qui  est  de  nous,  sa  grâce  ne  nous  subvien- 
dra point.  Or  il  avoit  dit  auparavant,  que  tout  ne  gist  point  en 
sl'ayde  de  Dieu  :  mais  que  nous  ap|)ortons  de  nostre  part.  Et  de 
faict,  ceste  sentence  luy  est  familière,  apportons  ce  qui  est  de 
nous:  et  Dieu  suppliera  le  reste.  A  quoy  convient  ce  que  dict 
Sainct  Hyerosme,  que  c'est  à  nous  à  faire  de  commencer,  et  à  Dieu 
de  parfaire.  Que  c'est  nostre  office  d'offrir  ce  que  nous  povons  : 
le  syen  d'accomplir  ce  que  ne  povons.  Nous  voyons  certes  qu'en 
ces  sentences  ilz  ont  attribué  plus  de  vertu  à  l'homme  qu'il/,  ne 
debvoint,  pource  qu'il/,  ne  pensoient  point  autrement  reveiller 
nostre  paresse,  qu'en  remonstrant  qu'il  ne  tient  qu'à  nous,  que 
nous  ne  vivions  bien.  Nous  verrons  cy  après  s'ilz  ont  eu  bonne 
15  raison  de  ce  faire.  Certes  il  apparoistra  que  leurs  paroles,  que 
nous  avons  recitées,  soit  faulses,  pour  en  dire  franchement  ce 
qui  en  est.  Combien  que  les  Docteurs  Grecz  pardessus  les  autres, 
et  entre  eulx singulièrement  Sainct  Chrysostome  ait  passé  mesure, 
en  magnifiant  les  forces  humaines,  toutesfois  quasi  tous  les 
20  anciens  pères,  excepté  Sainct  Augustin,  sont  tant  variables  en 
ceste  matière,  ou  parlent  si  doubteusement .  ou  obscurément, 
qu'on  ne  peut  quasi  prendre  de  leurs  escritz  aucune  certaine 
resolution.  Pourtant  nous  ne  nous  arresterons  à  référer  particu- 
lièrement l'oppinion  d'un  chascun  :  mais  seulement  en  passant 
25  nous  touchei-ons  ce  que  les  uns  et  les  autres  en  on  dit,  selon 
que  l'ordre  le  requerra.  Les  autres  escrivains,  qui  sont  venuz 
après,  affectent  chascun  pour  soi  de  monstrer  quelque  subtilité, 
en  deffendant  les  vertus  humaines,  successivement  sont  tombez 
de  mal  en  pis,  jusques  à  ce  qu'ilz  ont  amené  le  monde  en  ceste 
30  opinion,  de  penser  que  l'homme  ne  feust  corrumpu,  sinon  en  la 
partie  sensuelle  :  et  que  ce  pendant  il  eust  la  raison  entière  :  et 
pour  la  plus  grand  part  liberté  en  son  voloir.  Le  nom  de  franc 
Arbitre  a  esté  tousjours  entre  les  Latins.  Les  Grecz  ont  encores  un 
mot  plus  arrogant,  par,  lequel  ilz  signifient  que  l'homme  a  puis- 
se sance  de  soymesme.  Puis  donc  qu'ainsi  est,  que  jusques  au 
simple  populaire  tous  sont  abreuvez  de  ceste  opinion,  que  nous 
avons  tous  franc  Arbitre,  et  que  la  pluspart  de  ceulx  qui  veulent 
estre  veuz  bien  scavans  n'entendent  point  jusques  là  ou  ceste 
liberté  s'estend  :  considérons  en  premier  lieu,  que  ce  mot  veut 
dire,  puis  nous  despecherons  par  la  pure  doctrine  de  l'Escriture, 


46  DE    LA    CONCtNOISSAXCE 

quelle  faculté  ha  l'homme  à  bien  ou  mal  faire. 

Or  combien  que  ce  vocable  soit  souvent  usurpé  de  tout 
le  monde  :  neantmoins  il  y  a  bien  peu  qui  le  difînissent. 
Toutesfoys  il  semble  que  Orig-ene  a  mis  une  difinition  qui 
estoit  receuë  de  tout  le  monde  pour  son  temps,  quand  il 
a  dit  que  c'est  une  faculté  de  raison,  à  discerner  le  bien  et 
le  •  mal  :  et  de  volunté,  à  eslire  l'un  ou  l'autre.  A  quoy  ne 
discorde  point  Sainct  Augustin,  disant  que  c'est  une  faculté 
de    raison   et  volunté,  par  laquelle  on  eslist  le    bien,    quand  la 

log'race  de  Dieu  assiste  :  et  le  mal,  quand  icelle  désiste.  Sainct 
Bernard,  voulant  parler  subtilement,  a  esté  plus  obscur,  disant  : 
que  c'est  un  consentement  pour  la  liberté  du  vouloir,  qui 
ne  se  peut  perdre  :  et  un  jug-ement  indéclinable  de  raison. 
La   difinition   d'Anselmus  n'est    guère  plus  clere   :    qui  dit  que 

13  c'est    une    puissance   de    garder  droicture  à  cause  d'elle  mesme. 
Pom-tant   le   Maistre  des  Sentences  et    les  docteurs  scolastiques 
ont    plustost    receu  celle   de  S.   Augustin,  pource  qu'elle   estoit  C.  2.  Sen- 
plus  facile,  et  n'excluoit  point  la    grâce   de    Dieu,  sans  laquelle    ^2^'  '    ' 
il    congnoissoient  bien   que    la   volunté   humaine    n'a    nul    pou- 

20  voir.  Toutesfois  ilz  ameinent  quelque  chose  du  leur,  pensant 
myeulx  dire ,  ou  pour  le  moins  mjeulx  explicquer  le  dire 
des  autres.  Premièrement  ilz  accordent  que  le  nom  d'Abitre  se 
doibt  rapporter  à  la  raison  :  de  laquelle  l'office  est  de  discerner 
entre  le  bien  et  le  mal,  que  le  tiltre  de  libre  ou   franc,  lequel  on 

25  adjouste  avec,  appartient  proprement  à  la  volunté  :  laquelle 
peut  estre  fleschie  à  une  partie  ou  à  l'aultre.  Comme  donc  ainsi 
soit,  que  la  liberté  convienne  proprement  à  la  volunté,  Thomas 
Dacquin  pense  que  ceste  difinition  seroit  bonne,  de  dire  que  le 
franc  Arbitre  est  une  vertu  élective  :    laquelle    estant    moyenne 

30  entre  intelligence  et  volunté,  encline  toutesfois  plus  à  volunté. 
Nous  avons  en  quoy  gist  la  force  du  libéral  Arbitre.  Ascavoir 
en  la  raison  et  volunté.  Maintenant  il  reste  de  scavoir  quelle 
estandue  elle  ha.  Communément  on  attribue  les  choses  externes, 
qui  n'appartiennent  de  rien  au  royaume  de  Dieu,   au  conseil   et 

35  eslection  des  hommes.  La  vraye  justice,  on  l'attribue  k  la  grâce 
spirituelle  de  Dieu,  et  régénération  de  son  Esprit.  Ce  que  voulant 
signifier  celuy  qui  a  escrit  le  livre  de  la  vocation  des  Gentilz, 
dit  qu'il  y  a  trois    espèces  de  vouloir.  La  première  il  la  nomme 

*  Sensitive.     La     seconde    Animale.     La    troisiesme    Spirituelle. 


DE    L  HOMME.    CHAPITRE    II. 


47 


Quand  aux  deux  premières,  il  les  faict  libres  à  l'homme.  La 
troisiesme,  il  dict  que  c'est  opperation  du  Sainct  Esprit.  Nous 
disputerons  cy  aprez  si  ceste  sentence  est  vraye.  Ce  que  nous 
avons  maintenant  à  faire,  est  de  briefvement  reciter  les  sen- 
stencesdes  autres.  De  là  vient,  que  les  escrivains,  en  traictant 
du  libéral  Arbitre  n'ont  point  grand  esgard  à  toutes  œvres 
externes  appertenantes  à  la  vie  corporelle  :  mais  regardent  prin- 
cipallement  l'obéissance  de  la  volunté  de  Dieu.  Or  je  confesse  bien 
que  ceste  seconde  question  est  la  principalle  :  mais  quant  et  quant 

10  je  ditz,  que  l'autre  n'est  point  k  négliger  :  et  espère  bien  d'ap- 
prouver mon  opinion  :  quand  nous  viendrons  là. 

Oultreplus  il  y  a  une  distinction  receûe  des  escoUes  de  théo- 
logie :  en  laquelle  sont  nombrées  trois  espèces  de  liberté.  La 
première  est  délivrance  de  nécessité.  L'autre  de  péché.  La  troi- 

15  siesme  de  misère.  De  la  première,  ilz  disent  qu'elle  est  telle- 
ment enracinée  en  l'homme  de  nature,  qu'elle  ne  luv  peut 
estre  ostée.  Hz  confessent  que  les  deux  autres  sont  perdues  par 
le  péché.  Je  recois  voluntiers  ceste  distinction  :  sinon  qu'en 
icelle  la  nécessité  est  mal  confondue  aveccontraincte.  Or  il  appa- 

20  roistra  en  temps  et  en  lieu,  que  se  sont  deux  choses  bien 
diverses.  C'est  donc  une  chose  résolue,  que  l'homme  n'a  point 
libéral  Arbitre  à  bien  faire,  sinon  qu'il  soit  aydé  de  la  grâce  de 
Dieu  :  et  de  grâce  spirituelle,  qui  est  donnée  aux  esleuz  tant 
seulement,  par  régénération.  Toutesfoisil  n'appert  point  encores, 

25  si  l'homme  est  privé  du  tout  de  faculté  de  bien  faire  :  ou  bien  s'il 
en  ha  encores  quelque  portion  de  résidu  :  mais  petite  et  infirme  ; 
laquelle  ne  puisse  rien  sans  la  grâce  de  Dieu.  Toutesfois  estant 
aAdé  d'icelle,  besoigne  de  son  costé.  Le  Maistre  des  sentences 
voulant  décider  ce  point  dit,  qu'il  y  a  double  grâce  nécessaire   à 

30  l'homme,  pour  le  rendre  ydoine  à  bien  faire.  Il  appelle  l'une 
besongnante  :  laquelle  fait  que  nous  veuillions  le  bien  avec  effi- 
cace. L'autre  coopérante  :  laquelle  suit  la  bonne  volunté  pour 
luy  ayder.  En  laquelle  division,  cela  me  desplaist,  que  quand 
il   attribue    à    la   grâce   de    Dieu,  de  nous  faire  désirer   le  bien 

33  avec  efficace,  il  signifie,  que  de  nostre  nature  nous  appetons 
aucunement  le  bien:  jacoit  que  nostre  désir  n'ayt  point  d'effect. 
Car  S.  Bernard  parle  quasi  ainsi,  disant  que  toute  bonne 
volunté  est  oevre  de  Dieu  :  neantmoins  que   l'homme   de   son 


4S  DK    LA    CONGNOiSSANCË 

propre  mouvement  peut  appeter  bonne  volunté.  Mais  le  Maistfe 
des  sentences  a  mal  entendu  S.  Augustin  :  lequel  il  a  pensé 
ensuyvre  en  mettant  ceste  distiction.  Il  y  a  d'avantage  au  second 
membre  une  doubte  qui  moffence,  veu  qu'elle  a  engendré  une 

5  opinion  perverse.  Caries  scolastiques  ont  pensé,  que  pour  ceste 
cause  il  dist  que  nous  coopérons  avec  la  grâce  de  Dieu,  qu'il 
est  en  nostre  pouvoir  d'anéantir  la  première  grâce,  qui  nous 
est  offerte,  en  la  rejectant  :  ou  la  confermer,  en  y  obéissant. 
Ce  que  tient  mesmes  celuy  qui  a  escrit  le  livre  de  la  vocation  des 

loGentilz.  Car  il  dit  qu  il  est  libre  à  ceulx  qui  ont  jugement  de 
raison  de  se  eslongner  de  la  grâce,  tellement  que  cela  leur  est 
imputé  k  vertu,  de  ne  s'en  point  départir,  à  fin  quilz  ayent 
quelque  mérite,  d'avoir  faict  ce  (pii  pouvoit  neslre  point  faict 
s'ilz  eussent   voulu  :    combien   qu'il    ne    se   peut    faire   sans    la 

13  grâce  de  Dieu  coopérante.  J'ay  bien  voulu  notter  en  passant  ces 
poinctz  :  à  fin  que  le  lecteur  entende,  en  quoy  je  discorde  d'avec 
les  docteurs  scolastiques  qui  ont  tenu  une  doctrine  plus  entière 
que  n'ont  faict  les  Sophistes  qui  sont  venuz  après  :  avec  les- 
quelz  nous  avons  plus  de  différent,  à   scavoir  en  tant  qu'ilz  ont 

20  beaucoup  décliné  de  la  pureté  de  leurs  prédécesseurs.  Quoy 
qu'il  en  soit,  par  ceste  division  nous  pourrons  entendre,  qui  les 
a  meu  de  concéder  à  1  homme  le  libéral  Arbitre.  Car  finale- 
ment le  maistre  des  Sentences  prononce,  que  l'homme  n'est 
point  dict  avoir  le  Libéral  Arbitre,  pource    qu'il    soit  suffisant  à 

25  penser,  ou  faire  le  bien,  autant  comme  le  mal:  mais  seulement 
pource  qu'il  n'est  point  subject  à  contraincte  ;  laquelle  liberté 
n'est  point  empeschée  :  combien  que  nous  soyons  mauvais  et 
serfz  de  péché,  et  que  nous  ne  puissions  autre  chose  que  mal 
faire.  Nous  voyons  donc  qu'ilz  confessent  l'homme  nestre  point 

30  dit  avoir  Libéral  Arbitre,  pource  qu'il  ayt  libre  eslection  tant 
de  bien,  comme  de  mal  :  mais  pource  qu'il  faict  ce  qu'il  faict 
de  volunté,  et  non  par  contrainte.  Laquelle  sentence  est  bien 
vraye.  Mais  quelle  mocquerie  est  ce  de  orner  une  chose 
si    petite    d'un   filtre,    tant    superbe?   Voila    une  belle   liberté, 

35  de  dire  que  l'homme  ne  soit  point  contrainct  de  servir  à 
péché  :  mais  que  tellement  il  soit  en  servitude  voluntaire  : 
que  sa  volunté  soit  tenue  captive  des  liens  de  péché. 
Certes  j'ay  en  horreur  toutes  contentions  de  paroles  :  des 
quelles  l'Eglise    est    troublée    en  vain.    Mais  je    serois  d'advis 


DE    L'iIUMMIi.    CHAI'ITIU:    11.  49 

qu'on  evitast  tous  vocables,  esquelz  il  y  a  quel(|ue  absurdité,  et 
principallement  là  où  il  j  a  danger  d'errer.  Or  quand  on  assigne 
libéral  Arbitre  à  riioinme  :  combien  y  en  a-il,  qui  ne  conçoivent 
incontinent    qu'il  est    maistre,   et  de    son  jug-enient ,    et  de    sa 
5Volunté;  pour  se  pouvoir  tourner   de  sa  propre  vertu,  et  d'une 
part  et  d'autre?  Mais  on    ])ourra   dire,  (jue  ce  danger  sera  osté, 
moyennant    qu'on    advertisse    bien    le    peuple  ,    que    signifie  le 
mot  de  franc  Arbitre.  Je  dictz  aucontraire,    que  veu  l'inclination 
naturelle  qui  est  en   nous  à  suyvre  faulseté   et  mensonge,    nous 
10  prendrons  plustost  occasion  de  faillir  en  un  seul  mot,  que  nous 
ne  serons  instruitz  à  la  vérité  par  une  longue  oraison.  De  laquelle 
chose  nous  avons  plus  certaine  expérience  en  ce  vocable  qu'il  ne 
seroitde  besoing.  Car  après  qu'il   a  esté  une  fois  inventé,  on  l'a 
tellement  receu,  qu'on  n'a  tenu  compte  de  l'exposition  qui  en  a 
15  esté  faicte  par  les  anciens  :  et  en    a   on  pris  cause    de    s'enor- 
gueillir en  soymesme.    D'avantage  si  l'auctorité  des   pères    nous 
meut  :   combien  qu'ilz  ayent   tousjours   ce  mot  en  la  bouche,  ce 
peiulant  neantmoins  ilz  monstrent  en  quelle  estime  ilz    en  ont 
l'usage.  Principallement  Sainct  Augustin,  lequel  ne  doubte  point 
20  de  l'appeller  serf.  Il  est  bien  vray  qu'il  contredict  en  quelque  lieu 
à  ceulx  qui  [ny  lent  qu'il  y  ait  libéral  Arbitre  mais  il  demonstre 
quant  et  quant  à  quoy  il   prétend  quand  il  dit  ainsi   :  Seulement 
que  nul  n'entrenpregne  de  nyer  tellement  le  franc  Arbitre,  qu'il 
veuille  excuser  le    péché.    Mais   d'autrepart    il    confesse  que  la 
25volunté  de  l'homme,  n'est  pas  libre  sans  l'Esprit  de  Dieu  :  veu 
qu'elle  est  vaincue  de  ses  concupiscences.  Item  que  après  que  la 
volunté  a  esté  vaincue,  par  le  vice  auquel  elle  est  tombée  :    que 
nostre  nature  a  perdu  sa  liberté.  Item  que  l'homme  en  usant  mal 
du  franc  Arbitre,  l'a  perdu,  et  s'est  perdu  soymesme.  Item.  Que 
soie  franc  Arbitre  est   en   captivité,    et  qu'il  ne  peut  rien   à    bien 
faire.  Que  dirons  nous,    mesmes    cju'en  un  autre  lieu   il    semble 
qu'il  se  veuille  mocquer  de  ce    mot,    en    disant,    qu'il   y  a   bien 
libéral  Arbitre  en  l'homme  :  mais  nompas  à  délivre,  et  qu'il  est 
libre  de  justice,  et  serf  de  péché.    Celuy   qui  tesmoigne    n'avoir 
35  autre  opinion  de  la  liberté  de  l'homme,  sinon  qu'il  est  esgaré  de 
justice,  ayant  rejette  le  joug  d'icelle  pour  servir  à  péché  :  ne  se 
mocque-il  pas  purement    du  tiltre  qu'on  luy  baille  ;  luy  baillant 
le  franc  Arbitre  ?  Pourtant  si  quelqu'un  se  permet  user  de  ce  mot 
en  saine  intelligence  Je  ne  luy  en  feray  pas  grande  controversie. 
InstUution. 


50  DE    LA    CONGNOISSANCE 

Mais  pource  que  je  vois ,  qu'on  n'en  peut  user  sans  grand 
danger,  au  contraire,  que  ce  seroit  grand  proflît  à  lEg-lise 
qu'il  feust  aboly:  je  ne  le  vouldrove  point  usurper  :  et  si  quel- 
qu'un m'en  demandoit  conseil,  je  luy  dirois  qu'il  s'en  abstint. 
5  II  semblera  advis  à  d'aucuns  que  je  me  suis  faict  un  grand 
préjudice  en  confessant  que  tous  les  docteurs  Ecclesiasticques 
excepté  Sainct  Augustin,  ont  parlé  si  doubteusement  ou  incons- 
tamment  de  ceste  matière,  qu'on  ne  peut  rien  avoir  de  certain  de 
leur  doctrine.    Car  ilz  prendront  cela  comme    si  je  les    voulois 

10  débouter,  d  autant  qu'ilz  me  sont  contraires.  Mais  je  n'ay  autre 
chose  regardé  sinon  d  advertir  simplement  en  bonne  fov  les  lec- 
teurs pour  leur  proftît  de  ce  qui  en  est  :  à  lin  qu'ilz  n'attendent 
d'avantage  d'eux  qu  ilz  y  trouveront,  c'est  qu'ilz  demeureront 
tousjours  en  incertitude,   veu  que  maintenant  ayant   despouillé 

ira  1  homme  de  toute  vertu,  ilz  enseignent  d'avoir  son  refuge  à  la 
seule  grâce  de  Dieu.  L'autre  fois  il  luy  attribuent  quelque  faculté, 
ou  pour  le  moins  semblent  advis  leur  attribuer.  Toutesfois  il  ne 
m'est  pas  difticile  de  faire  apparoistre  par  aucunes  de  leurs  sen- 
tences que  quelque  ambiguïté  qu'il  y  ait  en  leurs  paroles,  neant- 

20  moins  ilz  n'ont  du  tout  rien  estimé  des  forces  humaines,  ou  pour 
le  moins  qu'ilz  en  ont  bien  peu  estimé,  en  donnant  toute  la  lou- 
enge  des  bonnes  œuvres  au  Sainct  Esprit.  Car  que  veut  autre 
chose  dire  ceste  sentence  de  Saint  Ciprien  tant  souvent  alléguée 
de  Sainct  Augustin  ;  Il  ne  nous  fault  en  rien  glorifier,  car  il  n'y 

25  a  nul  bien  qui  soit  nostre?  Certes  elle  aneantyt  du  tout  l'homme, 
à  iîn  de  luy  apprendre  de  chercher  tout  en  Dieu.  Autant  y  en  y  a 
il  en  ce  que  dict  Enchère  ancien  Evesque  de  Lyon,  disant  que 
Christ  est  l'arbre  de  vie.  auquel  quiconques  tendra  la  main  il 
vivra:    Que    l'arbre  de  congnoissance  de  bien  et   de  mal   est   le 

30 franc  Arbitre,  de  laquelle  quiconques  vouldra  gouster  mourra. 
Item  ce  que  dict  Sainct  Chrysostome,  que  l'homme  non  seulement 
de  nature  est  pécheur,  mais  entièrement  n'est  que  péché.  S'il  n'y 
a  rien  de  bien  en  nous  ;  si  l'homme  depuis  la  teste  jusques  au 
pied  n'est  que  péché  ;  s'il  n'est  pas  mesmes  licite  de  tenter;  que 

:i5  vault  le  franc  Arbitre  ?  comment  sera-il  licite  de  diviser  entre 
Dieu  et  l'homme  ;  la  louenge  des  bonnes  œuvres  ?  Je  pourrois  ame- 
ner des  autres  Pères  beaucoup  de  tesmoignages  semblables,  mais 
à  lin  que  nul  ne  puisse  caviller  que  j'aye  choisi ^  seulement  ce 
qui  servoit  à  mon  propoz ,  et   laissé  derrière  ce  qui  me  pouvoit 


DE    l/llOM.MK.    CUAI'HUI-:    h.  ol 

nuvre,  j(?  m'abstiens  d'en  faire  plus  long-  récit.  Neantmoiiis 
j'ose  affermer  cela,  combien  qu'ilz  passent  aucunesfois  mesure 
en  exaltant  le  franc  Arbitre,  qu'il/,  tendent  tousjours  à  ce  but, 
de  destourner  Ihomme  de  fiance  de  sa  propre  vertu,  à  lin  de 
b  l'enseigner  que  toute  sa  force  gist  en  Dieu  seul.  Maintenant 
venons  à  considérer  simplement ,  et  à  la  vérité  quelle  est  la 
nature  de  l'homme. 

Je  suis  contrainct    de    repeter  encores   icy  de  rechef,   ce  que 
j  ay  touché  au  commencement  de  ce  traicté,  à  scavoir  que  celuv 

1  a  tresbien  profité  en  la  cong-noissance  de  soymesme,  lequel  par 
l'intelligence  de  sa  calamité,  paovreté,  nudité,  et  ignominie,  est 
abbatu  et  estouné.  Car  il  n'y  a  nul  danger  que  l'homme  se 
démette  trop  fort,  moyennant  qu'il  entende,  qu'il  luy  fault 
recouvrer    en    Dieu   ce    qui  luy     deffault  en    soymesme.    Au- 

1,  contraire  il  ne  se  peut  attribuer  un  seul  g-rain  de  bien  oultre 
mesure,  qu'il  ne  se  ruyne  de  vaine  confiance,  qu'il  ne  soit  cou- 
pable de  sacrileg-e,  en  ce  (juil  usurpe  la  g'ioire  de  Dieu.  Et  de 
vray,  toutes  fois  et  quantes  que  ceste  ciq)idité  nous  vient  en 
l'entendement,  d'appeler  d'avoir  quelque  chose  propre    à  nous  : 

_oà  scavoir  ([ui  réside  en  nous  plus  qu'en  Dieu:  il  nous  fault 
entendre  que  ceste  pensée  ne  nous  est  présentée  d'autre  conseil- 
lier,  que  de  celuy  qui  a  induict  noz  premiers  Pères  vouloir  estre 
semblables  à  Dieu,  scachans  le  bien  et  le  mal.  Si  c'est  parole 
diabolicque  celle  qui  exalte  l'homme  en   soymesme,  il    ne  nous 

2ô  luy  fault  donner  lieu,  sinon  cpie  nous  veuillons  prendre  conseil 
de  nostre  ennemy.  C'est  bien  une  chose  plai.sante  de  penser  avoir 
tant  de  vertu  en  nous,  que  nous  soyons  contens  en  nous  mesmes. 
Mais  il  y  a  trop  de  sentences  en  l'Escriture  pour  nous  destour- 
ner de  ceste  vaine  confiance,  comme  sont  celles  qui  s'ensuivent. 

:io  Maudict  est  celuy  qui  se  confie  en  Ihomme,  et  met  sa  vertu  en  /ère.  //. 
la  chair.  Item,  Dieu  ne  prent  point  de  plaisir  en  la  force  du  che-  p&al.  lAU. 
val,    ne  aux  jambes    de    l'homme   robuste,    mais   a  son    affec- 
tion  à   ceulx,    qui    le    craignent   et    recongnoissent    sa    bonté. 
Item,   C'est  luy  qui  donne    force  à  celuy  qui  est  las,  et  restaïu-e 

35  celuy  auquel  le  courage  deffault.  Item,  Lasse   et  abat  ceulx  qui 
sont  en   fleur   d'eage,   il  meine    en  décadence  les  fors  et  fortifie  Esa.  iO. 
ceulx  qvii   espèrent    en    luy.    Lesquelles   tendent    toutes   à    ce 
but,    que    nul  ne    se  repose  en  la  moindre    opinion  du  monde, 
de  sa    propre  vertu,    s'il  veut  avoir    Dieu  en  son    ayde,    lequel 


o2  I)E    LA    CONCiNOISSANCE 

résiste  aux  or^uilleux,  et  donne  grâce  aux  humbles.  Après 
que  nous  réduisions  en  mémoire  toutes  ces  promesses  :  J'es- 
pandray  des  eaues  sur  la  terre,  qui  aura  soif,  et  arrouseray 
de  fluves  la  terre  seiche.  Item,  Tous  ceulx  qui  avez  soif 
5  venez  puyser  de  Teauë,  et  les  autres  semblables,  Lesquelles 
tesmoi^nent  que  nul  autre  n'est  admis  à  recevoir  les  béné- 
dictions de  Dieu,  sinon  celuv  qui  deschoit  et  detîault  par  le 
sentiment  de  sa  povreté.  Et  ne  fault  aussi  oublier  les  autres, 
comme    est    celle    qui  s  ensuit    de    Esaie.    Tu    n'auras    plus   le 

10  Soleil  pour  te  luire  le  jour,  ne  la  Lune  pour  te  luire  de  nuict, 
mais  ton  Dieu  te  sera  en  lumière  perpétuelle.  Certes  le  Sei- 
gneur n'oste  point  à  ses  serviteurs  la  clarté  du  Soleil  ou 
de  la  Lune,  mais  d'autant  qu  il  veut  apparoistre  luy  seul 
glorieux    en   eulx,    il    destruict    loing    leur  fiance,    des    choses 

15  qui  sont  les  plus  excellentes  à  nostre  opinion.  Pourtant 
ceste  sentence  de  Chrysostome,  m'a  tousjours  fort  pieu,  où 
il  dict,  que  le  fondement  de  nostre  Philosophie  est  humi- 
lité. Et  encores  plus  celle  de  Sainct  Augustin  quand  il  dit, 
comme  Demostené    orateur   Grec,  estant    interrogué  quel  estoit 

20  le  premier  précepte  deloquence,  respondit  que  c'estoit  pro- 
nonciation :  estant  interrogué  du  second  respondit  autant, 
et  autant  du  troisiesme.  Ainsi  si  tu  m  interrogué  des  pré- 
ceptes de  la  religion  Chrestienne,  je  te  respondray,  que  le 
premier,  le  second,  et  le  troisiesme  est  humilité.  Or  il    n'entend 

25  pas  humilité  quand  l'homme  pensant  avoir  quelqiie  vertu  ne 
s'enorgueillit  point  pourtant,  mais  quand  il  se  congnoist  tel  à 
la  vérité  ([u'il  n  a  nul  refvige  sinon  en  se  humiliant  devant  Dieu, 
comme  il  le  declaire  en  un  autre  lieu.  Que  nul,  dict-il,  ne  se 
flatte  de  soymesme,  chascun  est  Dial>le,  tout  le  bien  qu'il  ha  il 

.30  l'ha  de  Dieu.  Car  qu'est  ce  que  tu  as  de  toymesme  sinon  péché? 
Si  tu  veux  prendre  ce  qui  est  tien,  prens  le  péché,  car  la  justice 
est  dieu.  Item.  Qu'est  ce  que  nous  présumons  tant  de  la  puis- 
sance de  nostre  nature?  elle  est  navrée,  elle  est  abatue,  elle  est 
dissipée,    elle  est  destruicte,  elle   a    mestier    de    vraye    confes- 

uôsion  et  non  point  de  faulse  defTence.  Ne  debatons  donc  point 
contre  Dieu  de  nostre  droict,  comme  si  nous  estions  apovriz. 
Car  comme  nostre  humilité  est  sa  haultesse,  aussi  la  confession 
de  nostre  humilité  ha  tousjours  sa  miséricorde  preste  pour  remède. 
Combien  que  je  ne  pretendz  point  que  l'homme   quitte  de  son 


UK  i/iiOMME.   ciiAriini:  11.  53 

droict  à  Dieu,  et  c[u"il  destourne  sa  pensée  pour  ne  recon- 
gnoistre  sa  vertu  si  aucune  il  en  a  voit,  à  fin  de  se  réduire  à 
humilité.  Mais  je  requiers  seulement,  que  se  demetant  de 
toute  folle  amour  de  soymesme,  et  de  haultesse  et  ambition, 
.-,  desquelles  affections  il  est  par  trop  aveuglé,  il  se  contemple  au 
miroir  de  TEscriture. 

A  tin  que  l'ordre  de  nostre  dispute,  procède  selon  la  distinc- 
tion que  nous  avons  mise,  en  laquelle  nous  avons  divisé  l'ame 
humaine  en  intelligence  et  volunté,  il   nous  fault   premièrement 

10  examiner  quelle  force  il  y  a  en  rintelligence.  De  dire  qu'elle  soit 
tellement  aveuglée,  qu'il  ne  luy  reste  aucune  congnoissance  en 
chose  du  monde,  ce  seroit  chose  répugnante  non  seulement  à  la 
parole  de  Dieu,  mais  aussi  ;\  l'expérience  commune.  Car  nous 
vovons  qu'en  l'esprit  humain  il  y  a  quelque  désir   d'encjuerir  la 

15  vérité,  à  laquelle  il  ne  seroit  point  tant  enclin,  sinon  qu'il  en 
eust  quelque  goust  premièrement,  (^'est  donc  desja  quelque 
estincelle  de  clarté  en  l'esprit  humain,  ([u'il  ha  une  amour  natu- 
relle k  la  vérité,  le  contemnement  de  laquelle  es  bestes  brutes, 
monstre  qu'elles   sont  pleines  de  stupidité  et    sans  aucun    senti- 

2(1  ment  de  raison.  Combien  {[ue  ce  désir,  tel  quel,  devant  que  se 
mettre  en  train,  delfault,  pource  qu'il  déchoit  en  vanité.  Car 
l'entendement  humain,  à  cause  de  sa  rudesse,  ne  peut  tenir  cer- 
taine voye  pour  chercher  la  vérité,  mais  extravague  en  divers 
erreurs,  et  comme  un  aveugle  qui  chemine  en  ténèbres  se  heurte 

?5cà  et  là,  jusques  à  s'esgarer  du  tout  :  x\insi  en  cherchant  la 
vérité,  il  monstre  combien  il  est  mal  propre  et  idoine  à  la  cher- 
cher et  trouver,  qu'il  ne  discerne  point  le  plus  souvent  quelles 
choses  il  se  doibt  applicquer  à  congnoistre.  Ainsi  il  se  tormente 
d'une  folle  curiosité  à  chercher    choses    superflues    et   de    nulle 

:îii  valleur.  Ouant  est  des  choses  nécessaires  ,  ou  il  les  mes- 
prise  du  tout,  ou  au  lieu  de  les  regarder,  il  les  guygne  comme 
en  passant,  ce  que  ne  luy  advient  encores.  Certes  il  n'avient 
quasi  jamais  qu'il  y  applicque  son  estude  à  bon  escient.  De 
laquelle  perversité,   combien  que   tous   les  escrivains  payens    se 

35Complaignent,  neantmoins  on  voit  qu'ilz  si  sont  tous  enve- 
lopés.  Pourtant  Salomon  en  son  Ecclesiaste,  aprez  avoir 
racompté  toutes  les  choses,  esquelles  les  hommes  se  plaisent 
et  pensent  estre  bien  sages,  en  la  fin  il  les  prononce  estre 
vaines     et    frivoles.    Toutesfois    quand    l'entendement     humain 


DE    l.A    CONriNOISSANCK 


s'elTorcp  à  cfiielque  estude,  il  ne  labeure  pas  tellement  en  vain, 
qu'il  ne  proffite  aucunement,  principallement  quand  il  se  convertit 
vers  les  choses  inférieures.  Et  mesmes  n'est  pas  tellement  stu- 
pide,  qu'il  ne  gouste  quelque  petit  des  choses  supérieures,  com- 
5  bien  qu'il  Aacque  négligemment  à  les  chercher:  mais  il  n'a  point 
pareille  faculté  aux  unes  et  aux  autres.  Car  quand  il  se  Aeut  esle- 
ver  par  dessus  la  vie  présente,  il  est  lors  principallement  con- 
vaincu de  son  imbécillité.  Pourtant  à  fin  de  mveulx  entendre 
jusques  k  quel  degré  il  peut  monter  en  chacune  chose,  il  nous 
10  fault  user  d'une  distinction. 

Geste  donc  sera  la   distinction,  que   l'intelligence  des    choses 
terriennes  est  autre  que    des    choses  célestes.    J'appelle    choses 
terriennes,   lesquelles  ne  touchent  point   jusques  à  Dieu  et   son 
Royaulme,  ne  k  la  vraye  justice  et  immortalité  de  la  vie  future, 
]5  mais  sont  conjoinctes  avec    la  vie  présente ,  et    quasi    encloses 
soubz  les  limites  d'icelle.    Les  choses  célestes  je  les  appelle,  la 
reigle  et  raison    de    vraye  justice,  et  les  misteres   du  Royaulme 
céleste.  Soubz  la  première  espèce,    sont  contenues,    la    doctrine 
politicque,    la    manière    de   bien    gouverner   sa  maison,    les  ars 
2(1  mecanicques,  la   Philosophie,    et  toutes    les    disciplisnes    qu'on 
appelle  libérales.  A  la  seconde  se  doibt  référer  la  congnoissance 
de  Dieu,  et  de  sa    volunté,  et  la    reigle    de   conformer    sa   vie  k 
icelle.  Quant  au   premier  genre,    il  nous   fault    ainsi    confesser 
cela  :  C'est  que  entant  que  l'homme  est  de  nature  compagnable, 
25  il  est  aussi  enclin  d'une  affection  naturelle  k  entretenir  et    con- 
server société.  Pourtant   nous  voyons  qu'il  y  a  quelques  cogita- 
tions generalles  d'une  honnesteté  et  ordre  civil,  imprimées  en  l'en- 
tendement de  tous  hommes.  De  là  vient  qu  il  ne  s'en  trouve  nul 
qui  ne  recongnoisse  que  toutes  assemblées  d'hommes,  se  doibvent 
30  reigler  par  quelques  loix  et  qu'il  n'ayt  quelque  principe  d'icelles 
loix  en  son  entendement.  De  là  vient  le  consentement  qu'ont  eu 
tousjours  tant  les  peuples  que  les  hommes  particuliers  k  accepter 
loix,  pource  qu'il  y  en  a  quelque  semence  en  tous   qui  procède 
de  nature  sans  maistre  ou  législateur.  A  cela  ne  répugnent  point 
35  les  dissentions  et  combatz  cpii  surviennent  incontinent,  quand  les 
uns  voudroient  toutes  loix   estre  cassées,  toute  honnesteté  ren- 
versée, toute  justice  abolye,    pour  se  gouverner  selon  leur  cupi- 
dité, comme  larrons  et  brigans.  Les  autres  (ce  qui  advient  com- 
munément) pensent    estre  inique   ce    qu'un  législateur  ordonne 


|)K    L  ll(IM>ir:.     CM Al'l  I  liK     II.  i)0 

pour  bon  et  juste,  et  jugent  estre  bon  ce  qu'il  délient  comme 
mauvais.  Car  les  premiers  ne  hayssent  point  les  loix,  pource 
qu  ilz  ignorent  qu'elles  soient  bonnes  et  sainctes,  mais  eslans 
ravis  et  transportez  de  leur  cupidité,  comme  d'une  rage  com- 
5  bâtent  contre  la  raison,  et  ce  qu'ilz  approuvent  en  leur  enten- 
dement, ilz  le  hayssent  en  leur  c(pur  :  aucjuel  reg-ne  la  mau- 
vaistié.  Lessecondz  au  dilîerent  qu'ilz  ont,  ne  répugnent  pas  telle- 
ment ensemble  qu'ilz  n'ayent  tous  ceste  première  apprehention 
d'équité  que  nous  avons  dict.  Car  puis  que  leur  contrariété  gist 

10  en  cela,  quelles  loix  seroientles  meilleures,  c'est  sig^ne  qu'ilz  con- 
sentent en  quelque  somme  d'équité.  En  quoy  aussi  se  monstre  la 
débilité  de  l'entendement  humain  ,  lequel  pensant  suvvre  la 
droicte  voye,  cloche  et  vacille.  Neantmoins  cela  demeure  tous- 
jours  ferme,    qu'il  y  a  en  tous  hommes  (piehjue  semence  d'ordre 

i:>politicque,  ce  qu'est  un  grand  argument  que  nul  n'est  destitué 
de  la  lumière  de  raison,  quant  au  gouvernement  de  la  vie  présente. 
Quant  est  des  ars  tant  mecaniccjues  que  liberaulx,  entant  que 
nous  avons  quelque  dextérité  à  les  apprendre  :  en  cela  il  appa- 
roist  qu'il  y  a  quelque  vertu  en   cest  endroict  en  l'entendement 

20  humain.  Car  combien  (ju'un  chacun  ne  soit  pas  propre  et  ydoine 
à  les  apprendre  toutz,  toutesfois  c'est  un  signe  suffisant  que  l'en- 
tendement humain  n'est  pas  destitué  de  vertu  en  cest  endroit, 
veu  qu  il  ne  s'en  trouve  pas  un  lequel  n'ayt  quelque  promptitude 
à  en  apprendre  quelque  un.  D'avantaige,  il  n'y  a  pas  seulement 

25  la  vertu  et  facilité  à  les  apprendre,  mais  nous  voyons  que  cha- 
cun en  son  art,  le  plus  souvent  invente  quelque  chose  de  nou- 
veau, ou  bien  augmente  et  polit  ce  qu'il  a  apris  des  autres.  En 
quoy  combien  que  Platon  se  soit  abusé,  pensant  que  telle  appre- 
hention ne  feust  qu'une  recordation  de  ce  que  lame  scavoit  devant 

30  qu  estre  mise  dedens  le  corps,  toutesfois  la  raison  nous  contrainct 
de  confesser,  qu'il  y  a  quelque  principe  de  ces  choses  inprimé  en 
l'entendement  de  l'homme.  Ces  exemples  donc  nous  monstrent 
qu'il  y  a  quelque  apprehention  universelle  de  raison  impri- 
mée   naturellement    en    tous     hommes  :   et    toutesfois  cela    est 

3.)  tellement  universel,  qu'un  chacun  pour  soy  en  son  intelligence 
doibt  recongnoistre  une  grâce  specialle  de  Dieu.  A  laquelle 
recongnoissance.  Dieu  nous  exhorte  suffisamment,  en  créant 
des  folz  et  in[s]ensez,  esquelz  il  représente,  comme  en  un 
miroir,    quelle    excellence    auroit    lame    de  l'homme,    si    elle 


o6  DE    LA    CON(iNOISSANCE 

n'estoit  esclarcie  de  sa  lumière,  laquelle  est  tellement  natu- 
relle à  tous,  que  c'est  un  bénéfice  gratuit  de  sa  largesse  envers 
un  chacun.  L'invention  des  ars.  la  manière  de  les  ensei- 
gner, [rjordre  de  doctrine,  la  congnoissance  singulière  et  excel- 
5lence  d'icelle,  pource  que  ce  sont  choses  qui  adviennent 
à  peu  de  gens,  ne  nous  sont  point  pour  argumens  certains, 
quelle  ingéniosité  ont  les  hommes  de  nature  :  toutesfois 
qu'elles  sont  commîmes  aux  bons  et  aux  mauvais,  nous  les 
pouvons  reputer    entre    les  g-races  naturelles.    Pourtant    quand 

id  nous  voyons  aux  escrivains  payens  ceste  admirable  lumière  de 
vérité,  laquelle  apparoist  à  leurs  œvres,  nous  doibt  admonester 
que  la  nature  de  l'homme,  combien  qu'elle  soit  decheute  de  son 
intégrité,  et  fort  corrumpue,  ne  laisse  point  toutesfois  d'estre 
ornée   de    beaucoup   de  dons    de    Dieu    si    nous  recongnoissons 

15  l'Esprit  de  Dieu  comme  une  fontaine  unicque  de  vérité  ,  nous 
ne  contemnerons  point  la  vérité  par  tout  où  elle  apparoistra, 
sinon  que  nous  veuillons  faire  injure  à  l'Esprit  de  Dieu.  Car  les 
dons  de  l'Esprit  ne  se  peuvent  vilipender,  sans  le  contemnement 
et  opprobre  d'iceluy.  Or  maintenant  pourrons  nous  nyer   que  les 

20  anciens  Jurisconsultes  n'ayent  eu  grande  clarté  de  prudence,  en 
constituant  un  si  bon  ordre  et  une  jDolice  si  équitable  ?  Dirons 
nous  que  les  Philosophes  ayent  esté  aveugles,  tant  en  considé- 
rant les  secretz  de  nature  si  diligemment,  qu'en  les  escrivant 
avec  tel  artifice?   Dirons  nous   que  ceulx  (jui  nous  ont    enseigné 

25 l'art  de  disputer,  qui  est  la  manière  de  parler  avec  raison, 
n'ayent  eu  nul  entendement?  Dirons  nous  que  ceulx  qui  ont 
inventé  la  Medicine  ont  esté  insensés?  Des  autres  disciplines, 
penserons  nous  que. ce  soient  folies  ?  Mais  au  contraire  nous  ne 
pourrons  lire  les  livres,  qui  ont  été  escritz  de  toutes  ces  matières, 

30  sans  nous  esmerveiller.  Or  nous  nous  en  esmerveillerons,  pource 
que  nous  serons  contrainctz,  d'y  recongnoistre  la  prudence  qui 
y  est.  Or  est  il  ainsi,  que  nous  ne  debvons  rien  estimer  excel- 
lent ne  louable,  que  nous  ne  recongnoissions  venir  de  Dieu. 
Car  autrement    ce  seroit  une    trop  grande  ingratitude    en  nous, 

35  laquelle  n'a  point  esté  aux  j^oetes  payens  ,  qui  ont  confessé 
la  Philosophie ,  les  Loix ,  la  Medicine ,  et  autres  doctrines 
estre  dons  de  Dieu.  Puis  donc  qu'ainsi  est,  que  ces  person- 
nages qui  n'avoient  autre  ayde  que  de  nature,  ont  esté  si  ingé- 
nieux  en    l'intelligence   des   choses   mondaines    et    inférieures , 


D1-:    l/llOMME.    CIIAl'lTHE    II.  57 

telz  exemples  nous  doibvent  instruire,  combien  nostre  Sei- 
g^neur  a  laissé  de  grâce  à  la  nature  luimaine,  après  qu'elle  a 
esté  despoullée  du  souverain  bien.  Si  est  ce  toutesfois,  qu'il 
ne  fault  point  oublier  que  toutes  telles  "races  sont  dons  de 
■^l'Esprit  de  Dieu,  lescpiel/,  il  distribue  à  qui  bon  luv  semble, 
pour  le  bien  commun  (bi  g-enre  humain.  Car  s'il  a  faillu 
([ue  science  et  artilice  ayent  esté  donnez  speciallement  par 
l'Esprit  de  Dieu,  à  ceulx  qui  construisoient  le  Tabernacle  au 
désert,    ce    n'est  point  de  merveille    si  nous  disons  que  la  con- 

lognoissance  des  choses  principales  de  la  vie  humaine,  nous  est 
communicquée  par  l'Esprit  de  Dieu.  Si  quehpi'un  objecte, 
cpi'est  ce  (pi'a  à  faire  l'Esprit  de  Dieu  avec  les  iniques  ;  qui 
sont  du  tout  estrangez  de  Dieu  ?  Je  respondz  que  cest  argu- 
ment   n'est    pas    suffisant.     Car    ce   qu'il    est    dict  ([ue  l'Esprit 

i'^  habite  seulement  aux  hommes  iideles,  cela  s'entend  de  l'Es- 
prit de  sanctification,  par  lequel  nous  sommes  consacrez  à 
Dieu  pour  eslre  ses  Temples.  Ce  pendant  toutesfois,  Dieu  ne 
laisse  point  de  remplir,  mouvoir,  vivifier,  par  la  vertu  de  ce 
mesme    Ivsprit  toutes     créatures,    et   cela    faict-il  selon  la  pro- 

2n  prieté  d'une  chascuiu^.  telle  qu'il  luv  a  donnée  en  la  créa- 
tion. Or  si  le  Seigneur  a  voulu,  que  les  iniques  et  infidèles 
nous  servent  à  entendre  la  Phisicque,  Dialectique,  et  aultres 
disciplines,  il  nous  fault  user  d'eulx  en  cela,  de  paour  que 
nostre  négligence  ne  soit  punie,  si  nous  mesprisons    les  dons  de 

2"'  Dieu,  là  où  ilz  nous  sont  offers.  Toutesfois  à  fin  que  nul  ne  pense 
l'homme  eslre  fort  heureux,  en  ce  que  nous  luv  concédons  une 
si  g^rande  vertu,  de  comprendre  les  choses  inférieures,  et  conte- 
nues en  ce  monde  corruptible,  il  nous  fault  semblablement  notter 
toute  ceste  faculté,  qu'il  ha  d'entendre,  et  l'intelligence   qui  s'en 

:îo  ensuit,  estre  chose  frivole  et  de  nulle  importance  devant  Dieu, 
quand  il  n'y  a  point  ferme  fondement  de  vérité.  Car  la  sentence 
de  Sainct  Augustin  est  tresvraye,  laquelle  le  Maistre  des  Sen- 
tences a  esté  contrainct  d'approuver.  C'est  que  comme  les  g-races 
données  à  l'homme  dès  le  commencement,  oultre  sa  nature,  luv 

35  ont  esté  données  après  qu'il  est  tresbuché  en  péché,  aussi  que  les 
g-races  naturelles  qui  luv  sont  demourées,  ont  esté  corrumpues, 
nompas  qu'elles  se  puissent  contarniner,  en  tant  qu'elles  procèdent 
de  Dieu,  mais  elles  ont  laissé  d'estre  pures  à  l'homme,  après 
qu'il  a  esté  poilu  à  ce  qu'on  ne  luy  en  attribue  aucune  louëng-e. 


o8  DE    LA    CONGNOISSAXCE 

Araintenant  il  reste  d'exposer,  que  c'est  que  peut  veoir  la  rai- 
son humaine  en  cherchant  le  Royaulme  de  Dieu,  et  quelle  capa- 
cité elle  ha  de  comprendre  la  sagesse  spirituelle,  laquelle  g-ist  en 
trois  choses  :  à  savoir,  de  congnoistre  Dieu,  sa  volunté,  et  com- 

5  ment  il  nous  fault  reigler  nostre  vie  selon  icelle.  Quant  aux  deux 
premières  et  principallement  à  la  seconde,  ceulx  qui^ont  le  plus 
subtil  entendement  entre  les  hommes  y  sont  plus  aveuglez,  que 
les  aveugles  mesmes.  Je  ne  nye  pas  que  par  cy,  par  là,  on  ne 
voye  aux  livres   des   Philosophes,    des  sentences  dictes  de  Dieu 

10  bien  couchées  :  mais  en  icelles  il  y  apparoist  tousjours  telle 
inconstance,  qu'on  voit  bien  qu'ilz  en  ont  eu  seulement  des 
imaginations  confuses.  11  est  bien  vray,  que  Dieu  leur  a  donné 
quelque  petite  saveur  de  sa  divinité,  à  ce  qu'ilz  ne  prétendissent 
ignorance   pour  excuser  leur  impieté,   et    les  a  poulsez   aucune- 

15  ment  à  dire  des  sentences,  par  lesquelles  ilz  peussent  estre 
convaincuz.  Mais  ilz  ont  tellement  veu  ce  qu'ilz  en  voyoient,  que 
cela  ne  les  a  peu  diriger  à  la  vérité,  tant  s'en  fault  qu'ilz  soyent 
parvenuz  à  vraye  congnoissance.  Nous  pourrons  explicquer 
cela  par  similitudes.  En  temps  de  tounoirre,   si   un  homme    est 

20  au  meilleu  d'un  champ,  en  la  nuict,  par  le  moyen  de  l'esclair, 
il  Aoirra  bien  loing  à  l'entour  de  soy,  mais  ce  sera  pour  une 
minutte  de  temps  :  Ainsi  cela  ne  luy  servira  de  rien,  pour  le 
conduire  au  droict  chemyn.  Car  ceste  clarté  est  si  tost  esva- 
nouye,   que    devaiit    qu'avoir    peu    jette    l'œil  sur    la  voye ,   il 

25  est  de  rechef  opprimé  de  ténèbres,  tant  s'en  fault  qu'il  soit 
conduict  en  la  maison.  D'avantage  ces  petites  gouttes  de  vérité, 
que  nous  voyons  esparses  aux  livres  des  Philosophes ,  par 
combien  d'horribles  mensonges  sont  elles  obscurcies  ?  Mais, 
comme   j'ay    dict,    au   second   article,  leur   ignorance  est  qu'ilz 

30  n'ont  jamais  le  moins  du  monde  gousté  aucune  certitude 
de  la  volunté  de  Dieu,  sans  laquelle  l'entendement  humain 
est  remply  de  merveilleuse  confusion.  Parquoy  la  raison 
humaine  ne  peut  jamais  n'approcher ,  ne  tendre  ,  ne  dres- 
ser son  but    à   ceste   vérité,  d'entendre  qui    est    le   vray   Dieu, 

35  et  quel  il  veut  estre  entre  nous.  Mais  pource  qu'estans 
enyvrez  de  faulse  presumption.  nous  ne  pouvons  croire  sinon 
avec  grande  difficulté  que  nostre  raison  soit  tant  aveugle  et 
stupide  à  entendre  les  choses  de  Dieu,  il  sera  meilleur,  comme 
il    me   semble  ,    prouver   cela  par   tesmoignages    de   1  Escriture 


DE    l/llbM-Mi:.    CHAPITRE    M.  TiO 

({uo  par  raisons.  Ce  cjui   nous   est  bien  nionslré   de  Sainct  Jean 
quand    il    dicl.    (jue   dès    le     commenoenient   la    vie    a    esté    en 
Dieu,  et  qu'icelle  vie  estoit  la  lumière  des  hommes,   que  ceste 
lumière  luyt  en  ténèbres,  et  n'est  point  receuë  des  tenejjres.    Jean  /. 
5  Car  par   ces  mot/    il   enseigne   bien    que  lame  de  lliomme  est 
aucunement    esclarcle  de  la  lumière   de  Dieu,  tellement   ([u'elle 
nest  jamais   destituée   de  quelque  flaml)e.  ou  pour  le  moins  de 
quelque  estincelle.  Mais  semblablement  il   notte  que   par  ceste 
illumination   elle  ne    peut   comprendre    Dieu.    Pourquoy   cela? 
in  Pource  que  tout  son  engin,  quant   à   la  congnoissance  de  Dieu, 
est  pure  obscurité.  Car  quand  le  Sainct  Esjjrit  appelle  les  hommes 
ténèbres  ,     il    les     despouille    de     toute   faculté     d'intelligence 
spirituelle.   Pourtant    il  allerme   que    les    fidèles    qui    reçoivent 
Christ,    ne    sont  point  naiz  de  sang-,  ne  de  volunté  de  chair,  ne 
ir.de   volunté   d'homme,    mais  de    Dieu    seulement    :    Comme  s'il 
disoit.  cjue  la  chair  n'est    point  capable  d  inu'  si  liaulle  sagesse, 
({ue  de  comprendre  Dieu,  et  ce  qui  est  de  Dieu,  sinon  qu'elle  soit 
illuminée  par  le   Sainct  Esprit  :  Comme  Jésus  Christ   testifîoit  à 
Sainct  Pierre   que  c'estoit  une  révélation  spirituelle  de  Dieu  son   Mal.  Hi. 
20  père,  ({uil  l'avoit  peu  congnoistre.    Si  nous  avions  pour  résolu, 
ce  qui  nous  doibt  estre  sans  doul)te,   c'est  que  tout  ce  que  nostre 
Seigneur  confère  à  ses  esleu/  par   l'Esprit  de  régénération,  def- 
fault  à  nostre  nature,  nous  n'aurions  nulle    matière  de  A'aciller 
en  cest  endroit.  Car  le  peuple  fidèle  parle   en  ceste  manière,  par 
25  la  bouche  du  Prophète  :    Pardevers  toy  Seigneur  est  la  fontaine  Psal.  36. 
de    vie,    et    en    ta  lumière   nous  verrons  clair.    Et  Sainct  Paul 
tesmoigne,  que  nul    ne  peut  bien    parler  de  Christ  sinon  par  le 
Sainct  Esprit.  Item  Jean  Baptiste  voyant  la  rudesse  de  ses  dis-  Jean  3. 
ciples,  s'escrye  que  nul  ne  peut  rien  comprendre  sinon  qu'il  luy 
30  soit  donné    du    ciel.  Or  par  ce   mot  de    don,  qu'il  entende   une 
révélation  spirituelle  et  non  point  une  intelligence   commune  de 
nature,  il  appert  bien  en  ce  qu'il   se  complainct,  qu'il  n'a    rien 
proffîté  entre    ses  disciples   par  tant    de  prédications  qu'il  leur 
avoit  faict  de  Christ.  Je  vois  bien  (dict-il)  que  mes  paroles  n'ont 
35  nulle  vertu  à  instruire  les  hommes  des  choses  divines,  sinon  que 
Dieu  les  instruise  par  son  Esprit.  Pareillement  Moyse  reprochant 
au  peuple  son  oubliance,  notte  quant  et  quant  qu'il  ne  peut  rien 
entendre  aux  mystères  de  Dieu,  sinon  que  la  grâce  luy  soit  donnée.   Deu.  29. 
Tesyeulx  (dict-il)  ont  veu  des  signes  et mirables tresgrans,  et  le 


fin  DE    LA    CON(iNOISSA>CE 

Seio^neur  ne  ta  point  donné  entendement  pour  comprendre, 
ne    aureilles     pour    ouyr,    ne    yeulx     pour    veoir.     Qu'est    ce  ;' 

qu  il  exprimeroit  d  avantag-e,  s'il  les  appeloit  huches  à  consi- 
dérer les  (Puvres  de  Dieu?  Pour  ceste  raison  le  Seigneur 
-,  par  son  Prophète  promect  aux  Israélites  par  une  s^race  singu- 
lière, qu'il  leur  douera  entendement,  par  lequel  ilz  le  congnois- 
tront,  signiffiant  que  l'entendement  de  l'homme  ne  peut  avoir //;>/•.  2 î 
davantage  de  prudence  spirituelle,  sinon  entant  qu'il  est  illuminé 
de  luy.  Mais  Sainct  Paul  parle  encores  plus   clerement   que  tous  § 

10  les  autres,  lequel  déduisant  ceste  matière,  faict  une  telle  conclu-  /.  Cor 
sion  :  Que  l'homme  sensuel  ne  peut   comprendre  les  choses  qui  "• 

sont  de  l'Esprit,  que  ce  luy  est  folie  et  qu'il  n'y  peut  rien  mordre. 
Qui  est  ce  qu'il  appelle  homme  sensuel?  A  scavoir  celuy  qui  se 
fonde  sur  la  lumière  de  nature.  Voilà  donc    comment  l'homme 

!.->  naturellement  ne  peut  congnoistre  des  choses  spirituelles.  Si  on 
demande  la  raison,  ce  n'est  pas  seulement  pource  qu'il  les 
néglige,  mais  quand  il  s'eiîorcera  le  plus  fort  du  monde  encores 
n'y  peut  il  nullement  atteindre,  pource  qu'il  les  favilt  discerner 
spirituellement,    dist  Sainct  Paul.  Enquoy  il  signifie  que  estans 

20  cachées  à  l'intelligence  humaine,  elles  sont  esclarcies  par  la 
révélation  de  l'Esprit,  tellement  que  toute  la  sagesse  de  Dieu 
n  est  que  folie  à  l'homme,  jusques  à  ce  qu'il  soit  illuminé  par 
grâce.  Or  Sainct  Paul  auparavant  avoit  eslevé  par  dessus  la  veuë, 
l'ouye,  et  la   capacité  de  nostre  entendement,  la   congnoissance 

25  des  choses,  que  Dieu  a  préparées  à  ses  serviteurs:  et  mesmes 
avoit  testifié,  que  la  sapience  humaine  est  comme  un  voisle  qui 
nous  empesche  de  bien  contempler  Dieu,  (jue  voulons  nous  plus? 
1  Apostre  prononce  que  la  sagesse  de  ce  monde  doibt  estre 
faicte  folie,  comme  à  la  vérité  Dieu  l'a  voulue  faire  :  Et  nous  luy 

30  attribuerons  une  grande  subtilité  ;  par  laquelle  elle  puisse  péné- 
trer à  Dieu;  et  à  tous  les  secretz  de  son  royaulme?  Que  ceste 
raige  soit  loingde  nous. 

Il  reste  à  parler  du  troisiemme  membre,  à  scavoir  de  congnoistre 
la  reigle  de  bien  ordonner  nostre  vie,  c  est  à  dire  de  congnoistre  la 

35  vraye  justice  des  œuvres,  enquoy  il  semble  advis  que  l'entendement 
humain  ait  quelque  subtilité  davantage  que  es  choses  dessus  recitées. 
Carl'Apostretesmoigne  que  les  gens  lesquelz  n'ont  point  de  Loy  sont  Hom.  2 
loy  à  eux  mesmes,  et  monstrent  les  œuvres  de  la  loy  estre  escrites 
en  leur  cœur,  en  ce  cpie  leur  conscience  leur  rend  tesmoignage. 


DE    l'homme.    CHAPITIU-:    II.  61 

et  (jue  leurs  cogitations  les  accusent,  ou  deiïenclent  devant 
le  jugement  Je  Dieu,  en  ce  qu'il/  l'ont.  Or  si  les  Gentil/, 
naturellement  ont  la  justice  de  Dieu  imprimée  en  leur 
esprit,  nous  ne  les  dirons  pas  du  tout  aveuglez,  quant  est 
ode  scavoir  comment  il  fault  vivre.  Et  de  faict  c'est  une  chose 
vulgaire,  que  l'homme  est  suflisamnuMit  instruict  h  la  droicte 
reigle  de  bien  vivre  par  ceste  loy  naturelle  dont  parle  l'Apostre: 
Toutesl'ois  il  nous  fault  considérer  à  (pielle  lin  ceste  congnois- 
sance  de    la  Loy  a  esté   donnée  aux  hommes,    et   lors  il  appa- 

loroistra  jusques  où  elle  nous  peut  diriger  au  but  de  raison  et 
vérité.  Cela  nous  peut  estre  notoire  des  paroles  de  Sainct  Paul 
si  nous  considérons  la  procédure  du  passaige.  Il  avoit  dict  un 
peu  devant  que  ceulx  qui  ont  péché  soubz  la  Loy  seront  jugez 
par  la  loy,  et  que  ceulx  qui  ont  péché  sans   la  loy    périront  sans 

lôlaloy.  Pource  que  ce  dernier  point  sendjloit  advis  desraisonnable, 
à  scavoii-  que  les  povres  peuples  ignorans,  sans  avoir  aucune 
lumière  de  vérité  périssent  incontinent,  il  adjouste  que  leur 
conscience  leur  peut  servir  de  loy,  pourtant  qu'elle  suflist  pour 
les  justement  condamner.  La  (in    donc  de  la  Loy  naturelle,  est 

20  de  rendre  l'homme  inexcusable.  Pourtant  nous  la  pourrons  ainsi 
diflinir  proprement.  Que  c'est  un  sentiment  de  la  conscience,  par 
lequel  elle  discerne  entre  le  bien  et  le  mal  suffisamment,  pour 
oster  à  l'homme  couvi-rture  d'ignorance,  entant  qu'il  est  redargué 
par   son  tesmoingnaige   mesme.  Il  y  a  une  telle  inclination   en 

ir>  1  homme  de  se  flatter,  qu'il  appette  tousjours  voluntiers, 
tant  (ju  il  luy  est  possible,  de  destourner  son  entendement  de  la 
recongnoissance  de  son  péché.  Ce  qui  a  meu  Platon,  comme  il 
semble,  à  dire  que  nous  ne  péchons  sinon  par  ignorance.  Cela 
eust  esté  bien  dict  à  luy,  si  l'hypocrisie  de  l'homme  povoit  faire, 

liiien  couvrant  ses  vices,  que  la  conscience  ce  pendant  ne  fust 
point  poursuyvye  du  jugement  de  Dieu.  Mais  puis  qu'ainsi 
est,  que  le  pécheur  déclinant  de  la  discrétion  du  bien  et  du 
mal  qu'il  ha  en  son  cœur,  y  est  à  chascune  fois  retiré  par 
force,    et    ne  peut   tellement   fermer   les  yeulx,    qu'il    ne    soit 

:55  contrainct,  veuille-il  ou  non,  de  les  ouvrir  aucunesfois  : 
C'est  une  chose  faulse  de  dire  qu'on  pèche  par  ignorance. 
Themistius  donc,  qui  est  un  autre  Philosophe,  dict  plus 
vray,  enseignant  que  l'entendement  de  l'homme  ne  s'abuse 
gueres  souvent  en  considération  générale,  mais  qu'il  se  trompe 


62  DE    LA    CÛNGNOISSANCE 

en  considérant  particvilierement  en  ce  qui  concerne  sa  per- 
sonne. Exemples  :  Qu'on  demande  en  gênerai,  si  homicide 
est  mauvais  :  il  n"v  aura  nul  qui  ne  dise  que  oy.  Neantmoins 
celluv  qui  machine  la  mort  à  son    ennemy  en    délibère   comme 

5  d'une  bonne  chose.  Pareillement  un  adultaire  condemnera  pail- 
lardise en  gênerai,  ce  pendant  il  se  flattera  en  sa  paillardise. 
Voilà  donc  en  quoy  gist  l'ignorance,  c'est  que  quand  l'homme 
après  avoir  assis  un  bon  jugement  universel,  enveloppant  puis  sa 
personne  avec   la  chose,  oublie   la    reigle  qu'il  suyvoit  au  para- 

10  vaut  ,  sans  avoir  esgard  à  so^^mesme.  De  laquelle  matière 
S.  Augustin  traicte  fort  bien,  en  l'exposition  du  Psalme  57. 
Combien  que  le  dire  de  cest  Themistius  ne  soit  point  universel. 
Car  aucunefois  la  turpitude  du  maléfice  presse  de  si  près  la  cons- 
cience du  pécheur,  qu'il    ne   tombe  point,  parce  qu'il  se  déçoive 

issoubz  faulse  imagination  de  bien,  mais  sciemment  et  voluntai- 
rement  il  s'adonne  au  mal.  De  ceste  affection  procèdent  les 
sentences  que  nous  voyons  es  livres  des  paj'ens.  Je  vois  le  meil- 
leur et  l'appreuve  :  mais  je  ne  laisse  pas  de  suyvre  le  pire  :  et 
autres  semblables.  Pour  oster  tout  sci'upule  de  ceste    question, 

2i>il  V  a  une  bonne  distinction  en  Aristote,  entre  Incontinence  et 
Intempérance.  Là  oîi  Incontinence  règne  (dit-il)  l'intelligence 
particulière  de  bien  et  de  mal  est  ostée  à  l'homme  par  sa  concu- 
piscence desordonnée,  entant  qu'il  ne  recongnoist  point  en  son 
péché  le  mal  qu'il  condemne  généralement  en   tous  autres,  mais 

25  après  que  sa  cupidité  ne  l'aveugle  plus,  la  pénitence  vient  au 
lieu  qui  luv  faict  congnoistre.  Intempérance  est  une  maladie  plus 
dangereuse.  C'est  quand  Ihomme  voyant  qu'il  faict  mal  ne 
désiste  pas  pourtant  mais  poursuit  tousjours  obstinéement  son 
mauvais  vouloir. 

30  Or  quand  nous  voyons  qu'il  y  a  un  jugement  universel  en 
l'homme,  à  discerner  le  bien  et  le  mal,  il  nous  fault  estimer  qu'il 
soit  du  tout  sain  et  entier.  Car  si  leur  entendement  ha  la  dis- 
crétion de  bien  et  de  mal,  seulement  à  ce  quilz  ne  puissent  pré- 
tendre excuse  d'ignorance,  il  n'est  ja  nécessité  que  la  vérité  leur 

35  soit  notoire  en  chacun  point,  mais  il  suffit  qu'ilz  la  congnoissent 
iusques  là  ,  de  ne  pouvoir  tergiverser  sans  estre  convain- 
cuz  du  tesmoignage  de  leur  conscience.  Et  de  faict  si  nous 
voulons  examiner  quelle  intelligence  de  justice  nous  avons 
selon   la  Loy  de    Dieu,    laquelle   est    un    patron    de    parfaicte 


î 


DE    l'iIO-MME.    CIIVriTUE    11.  G3 

justice ,  nous  trouverons  en  combien  de  façons  elle  est 
aveugle.  Certes  elle  ne  congnoist  nullement,  ce  (jui  est  prin- 
cipal en  la  première  Table,  comme  de  mettre  nostre  fiance  en 
Dieu,  et  luy  donner  la  vertu  de  louange  et  justice,  d'invoc- 
5quer  son  Nom,  et  observer  son  repos.  Quel  entendement 
humain  par  son  sens  naturel  a  jamais,  (je  ne  dis  pas  con- 
gneuj  mais  imaginé,  que  le  vray  honneur  et  service  de  Dieu 
gist  en  ces  choses?  Car  (juand  les  iniques  veulent  honorer  Dieu, 
combien    qu'on   les    retire   cent  mil   fois  de    leurs   folles  phan- 

10  tasies,  toutesfois  ilz  y  retombent  tousjours,  et  ne  leur  peut  on 
nullement  persuader,  qu'il  n'y  a  autre  service  agréable  à  Dieu, 
que  spirituel.  Pourrons  nous  louer  un  entendement,  lequel  ne 
peut  de  soymesme  comprendre  n'escouter  bonnes  admonitions? 
Or  rentendement  humain  a  esté  tel  en  cest  endroict.  Nous  apper- 

i5cevons  donc  qu'il  est  du  tout  stupide.  Quant  est  des  préceptes 
de  la  seconde  Table,  il  y  a  quelque  petit  plus  d'intelligence,  d'au- 
tant qu'ilz  approchent  plus  à  la  vie  humaine  et  civile  :  combien 
qu'il  delVault  mesnies  aucunefois  en  cesLe  partie.  11  semble  advis 
aux  plus  excellens  espritz  estre  une  chose  absurde  de  toUerer  une 

20  supériorité  lro[)  dure,  quand  on  la  ])eut  repoulser  en  quelque 
manière  que  ce  soit  :  Et  n'y  peut  avoir  autre  jugement  en  la  rai- 
son humaini;  sinon  que  c'est  à  faire  à  un  cceur  failly  et  abatu  de 
porter  patienmVent  une  telle  supériorité,  et  que  de  la  repoulser 
c'est    faict  honestement  et  virilement.   Aucontraire  le  Seignevir 

25Condemnant  ceste  trop  grand'hautesse  de  cœur,  commande  aux 
siens  la  patience  que  les  hommes  condemnent  et  vitupèrent. 
D'avantage  nostre  entendement  est  aussi  si  aveuglé  en  ce  point 
de  la  Loy  de  Dieu,  qu'il  ne  peut  recongnoistre  le  mal  de  sa  con- 
ciq^iscence.  Car  l'homme    sensuel  ne  peut  estre  mené  à  cela,  de 

:io  recongnoistre  sa  maladie  intérieure  :  et  la  clarté  de  sa  nature 
est  suffocquée,  devant  qu'il  jDuisse  approcher  de  l'entrée  de 
son  abysme.  Car  quand  les  Philosophes  parlent  des  immo- 
dérés mouvemens  de  nostre  cœur,  il  s'entend  de  ceulx  qui 
apparoissent  par  signes  visibles.    Quant  est    des  mauvais  désirs 

35 qui  incitent  le  cœur  plus  secrètement,  il  les  repute  pour 
néant.  Pourtant  comme  Platon  a  cy  dessus  esté  à  bon  droict 
repris,  en  ce  qu'il  impute  tous  péchez  à  ignorance  :  ainsi  il 
nous  faidt  rejecter  l'opinion  de  ceulx  qui  pensent  cju'en  tous 
péchez  il  y  ayt  une  malice  délibérée.  Car   nous   expérimentons 


64  DE    LA    CONGNOISSANCE 

plus  quil    ne   seroit    mestier,    combien    nous   faillions    souvent 
avec    nostre    bonne    intention.    Car    nostre    raison    et   intelli- 
g-ence    est    enveloppée    en   tant    de    manières    d'ignorances,    et 
est    subjecte    à  tant    d'erreurs     et    achoppe    a    tant     d'empes- 
j  chemens  ,     et   si    souvent    tombe     en    perplexité ,    qu'elle     est 
bien    loing^   de    nous  dirig-er   certainement.    Certes   Sainct  Paul 
monstre  combien  elle  est    infirme   pour   nous  conduire    en  toute 
nostre  vie,  quand  il  dict,   que  de   nousmesmes  nous  ne  sommes 
pas  ydoines  de  penser  quelque  chose  comme  de  nous.  11  ne  parle 
10  point  de  la  volunté  ou  affection,  mais  il  nous  oste  aussi  cela  qui 
ne  nous  peut  pas  venir  en   l'entendement  que   c'est  qu'il  est  bon 
de  faire.  Comment  donc,  dira  quelqu  un,  toute  nostre  industrie, 
sagesse,  cong-noissance,  et  sollicitude  est  elle  tellement  dépravée, 
que  nous  ne  puissions  rien  penser  ne  méditer  de  bon  devant  Dieu? 
1.1  Je  confesse   que  cela  nous   semble  bien   dur,  entant   quil    nous 
fâche  grandement  qu  on  nous  despouille  de  prudence  et  sagesse, 
laquelle  nous  pensons  estre    nostre  principalle  excellence  :  Mais 
il  semble  advis  très  équitable  au  Sainct  Esprit,  lequel  congnoist 
toutes  les  cogitations  du  monde  estre  vaines,  et  prononce  claire- 
20  ment  tout  ce  que  peut  forger  le  cœur  humain  estre  mauvais.  Sy 
tout  ce  que  conçoit,  agite,  délibère,  et  machine  nostre  entende- 
ment, est  toujours  mauvais  ;  comment  viendroit    il  en  pensée  de 
délibérer  chose  qui  plaise  à  Dieu;  auquel  il  n  y   a  rien  d  ag-reable 
que  justice  et  saincteté  ?   Ainsi  on  peut  veoir  que   la  raison  de 
2:,  nostre  entendement,  de  quelque  costé  qu'elle  se  tourne,  est  pure- 
ment subjecte  à  Aanité.  Ce  que  recongnoissoit  David  en  soymesme, 
qu'entendement  luy  fust  donné  de  Dieu,  pour  aprendre  droicte- 
ment  ses  préceptes.  Car  celuy  qui   désire   nouvel    entendement, 
signifie  que  le  sien  n'est  pas  suffisant.  Or  Sainct  Augustin  a  tel- 
solement   congneu   ce    delTault  de   nostre    raison,    à  entendre    les 
choses  qui  sont  de  Dieu,  qu'il  confesse  la  grâce  et  illumination  du 
S.  Esprit  n'estre  pas   moins  nécessaire  à  nostre    entendement, 
qu'est  la  clarté  du  Soleil  à  noz  yeulx.  Mesmes   ne  se  contentant 
point  de  cela,  il  adjouste,  que  nous   ouvrons  bien  nos  yeulx  cor- 
35  porelz  pour  recevoir  la    lumière,  mais  que   les   yeulx   de  nostre 
entendement   demeurent  fermez,  sinon  que  nostre  Seigneur    les 
ouvre. 

Il  nous    fault    maintenant    examiner    la    volunté,  en  laquelle 
gist  la  liberté,  si  aucune  y  en  a  en  l'homme.  Car  nous  avons  veu 


1)1-;    L  lIO.M.Mi;.    CIIAI'I  I  lu: 


65 


quo  leslection  appartient  à  icelle  plus  quà  lentendemcnt.  Pour 
le  premier,  à  fin  (juil  ne  semble  que  ce  qui  a  esté  dict  des 
Philosophes,  et  reeeu  communément,  serve  pour  approuver 
quelque  droicture  estre  en  la  volunté  humaine  :  c'est  que  toutes 
5 choses  appetent  naturellement  le  bien,  il  nous  fault  notter,  que 
la  vertu  du  franc  Arbitre  ne  doibt  pas  estre  considérée  en  un  tel 
appétit,  qui  j)r()cede  [)lustost  dinclinalion  de  nature  <[ue  de  cer- 
taine délibération.  Car  les  théologiens  Scolasticques  mesmes 
confessent,  qu'il  n'y  a  nulle  action    du    franc    Arbitre,  sinon  là 

10  où  la  raison  regarde  d'une  part  et  d'autre.  Par  laquelle  sentence 
ilz  entendent,  l'object  de  l'appétit  debvoir  estre  tel  qu'il  soit 
soubzmis  à  eslection,  et  la  délibération  debvoir  précéder,  pour 
donner  lieu  à  l'eslection.  Et  de  faict  si  nous  reputons  quel  est  ce 
désir  naturel  de  bien,  en  l'honiine.  nous  trouverons  qu'il  luy  est 

15  commun  avec  les  bestes  brutes.  Car  elles  désirent  toutes  leur 
proflit,  et  quand  il  y  a  quel{|ue  apparence  de  bien  qui  touche 
leur  sens,  elles  le  suyvent.  Or  l'homme  en  cest  appétit  naturel, 
ne  discerne  point  par  raison  selon  l'excellence  de  sa  nature 
immortelle,   ce   qu'il  doibt    chercher  :  et    ne   le  considère  pas  en 

20  vraye  prudence,  mais  sans  raison  et  sans  conseil,  il  suyt  le  mou- 
vement de  sa  nature  comme  une  beste.  Cela  n'appartient  donc 
de  rien  au  franc  Arbitre,  à  scavoir  si  l'homme  est  incité  d'un 
sentiment  naturel  à  appeter  le  bien,  mais  il  fauldroit  ({u  il  le  dis- 
cernast   par  droicte  raison  ,    l'ayant  congneu    qu'il  1  esleust  ,  et 

25  Payant  esleu  qu'il  le  poursuyvyst.  Et  à  fin  d'oster  toute  difficulté 
il  nous  fault  notter  qu'il  y  a  deux  poinctz,  où  on  s'abuse  en  cest 
endroit.  Car  en  ce  dire  commun,  le  nom  d'appétit    n'est  pas  pris 
pour  le  propre  mouvement  de  la  volunté,  mais    pour  une    incli- 
nation naturelle.    Secondement    le  nom  de   bien,   n'est  pas  pris 

30  pour  justice  et  vertu,  mais  c'est  que  toutes  créatures  appetent 
d'estre  à  leur  aise,  selon  que  leur  nature  porte.  Puis  donc 
cpi'ainsi  est,  que  ce  désir  naturel  n'a  nulle  importance,  pour 
prouver  qu'il  n'y  a  nulle  liberté  en  l'homme  :  non  plus  que  Pin- 
clination   qu'ont   toutes    créatures   insensibles,    de    tendre    à  la 

35  perfection  de  leur  nature  ne  sert  de  rien  ,  pour  monstrer 
cpi'il  y  ait  quelque  liberté.  Il  nous  fault  maintenant  consi- 
dérer aux  autres  choses,  si  la  liberté  de  l'homme  est  telle- 
ment du  tout  corrumpue  et  viciée,  quelle  ne  puisse  engen- 
drer c{ue  mal  :   ou  bien,  s'il  y  en  a  quelque  portion  entière,  dont 

Inslilutiun.  j 


gg  DE    LA    CONG.NOISSA.NCE 

procèdent  quelques  bons  désirs.  Ceulx  qui  attribuent  k  la 
première  grâce  de  Dieu,  que  nous  puissions  vouloir  avec 
efficace,  semblent  advis  sig^nifier  par  leurs  paroles,  qu'il  y 
a  quelque    faculté    en    l'ame     pour   aspirer  voluntairement    au 

5 bien,  mais  qu'elle  est  si  imbecille  ,  qu'elle  ne  peut  venir 
iusques  à  une  ferme  affection,  pour  esmouvoir  l'homme  k 
s'efforcer.  Et  n'y  a  point  de  doubte  que  les  scolasticques 
n'avent  communément  receu  ceste  opinion  ,  comme  elle  leur 
estoit    baillée    de    Origene ,     et   aucuns  des    anciens ,    veu   que 

10  quand  ilz  considèrent  l'homme    en    sa    pure    nature,  ilz  le  des- 
crivent    selon   les    paroles   de    Sainct  Paul,    au    septiesme    des 
Romains.  Je  ne  faictz  pas  le  bien  que  je  veulx,  mais  je  faictz  le    Rom.  7. 
mal  que  je  ne  veulx  point  :  J'ay  bien  le  vouloir  mais  le  parfaire 
me  deffault.  Or  en    ceste  manière  ilz  pervertissent  toute    la   dis- 

15  pute  laquelle  Sainct  Paul  poursuit  en  ce  passage  là.  Car  il  traicte 
de  la  luicte  chrestienne,  laquelle  il  touche  plus  briefvement  aux 
Gallatiens.  C'est  que  les  fidèles  sentent  perpétuellement  en  eulx, 
un  combat  de  l'Esprit  et  de  la  chair.  Or  ilz  n'ont  point  l'Esprit 
de  nature,  mais  par  la  régénération  :  Qu'il  parle  de  ceux  qui  sont 

2oreo-enerez,  il  appert,  de  ce  que  ayant  dict  qu'il  n'habitoit  aucun 
bien  en  soy,  il  adjouste  pour  exposition,  qu'il  entend  cela  de  sa 
chair,  et  pourtant  il  nye  que  ce  soit  luy  qui  face  mal,  mais  que 
c'est  le  péché  habitant  en  luy.  Qu'est  ce  que  signifie  cela  en 
mov  •  c'est  à  dire  en  ma  chair  ?  certes  cela    vault  autant  comme 

25s'il  disoit,  il  n'habite  nul  bien  en  moy  de  moymesme,  veu  qu'on 
n'en  scauroit  rien  trouver  en  ma  chair.  De  Ik  s'ensuit  ceste 
manière  d'excuse  :  Ce  ne  suis  je  pas  qui  faictz  le  mal  mais  le 
péché  habitant  en  moy,  laquelle  compete  seulement  aux  fidèles 
qui  s'efforcent  au   bien  de   la   principalle    partie    de    leur    ame. 

30  D'avantage  la  conclusion  qui  s'ensuit  demonstre  cela  tout  clai- 
rement :  Je  me  délecte  (dict-il)  en  la  loy  de  Dieu  selon  l'homme 
intérieur,  mais  je  vois  une  autre  loy  en  mes  membres  répugnante 
k  la  lov  de  mon  entendement.  Qui  est  ce  qui  auroit  un  tel  com- 
bat en  sov  :  sinon  celuy  qui  estant  régénéré  de  l'Esprit  de  Dieu, 
35  porte  tousjours  les  reliques  de  sa  chair?  Pourtant  Sainct 
Auo-ustin  ayant  pris  quelque  fois  ce  passage  de  la  nature  de. 
l'homme,  a  depuis  retracté  son  exposition  comme  faulse  et  mal 
convenante.  Et  de  faict  si  nous  concédons  cela,  que  l'homme 
avt  le  moindre    mouvement    du    monde   k    bien ,  sans  la   grâce 


DE    l/llOMMi:.     CIlAIMIKi;    II.  07 

de  Dieu,  ([lie  respondrons  nous  à  L  Apostre;  lequel  nye  que  nous 
soyons  ydoines  seulement  à  penser  quelque  chose  de  bien?  Que 
respondrons  nous  au  Seigneur,  lequel  dénonce  par  Moyse  ;  que 
tout  ce  que  forge  le  cœur  humain,  est  entièrement  pervers?  Puis  Genm.  S. 

5  donc  qu'ilz  se  sont  abusez  par  mauvaise  intelligence  d'un  passage, 
il  ne  nous   faiilt  ja  arrester  à    leur   phantasie.   Plustost   il   nous 
fault    i-ecevoir    ce  que    dict    Christ,  c'est   que    quiconques   faict 
péché,  est  serf  de   péché.    Or   nous  sommes    tous   pécheurs   de  Jnan  S. 
nature,   il  s'ensuit   donc   que    nous    sommes    soubz   le    joug  de 

10 péché.  Davantage,  si  tout  Ihomme  est  détenu  en  la  servitude 
de  péché  ;  il  est  nécessaire  que  la  volunté,  laquelle  est  la  princi- 
palle  partie  diceluy,  soit  estraincte  et  enserrée  de  tresfermes 
lyens. 

Toutesfois  l'homme  ne  peut  estre  myeulx  congneu  selon  l'une 

15  et  l'autre  partie,  c[ue  quand  nous  luy   aurons   donné    les    tiltres 
dont  il  est  orné  en  1  Escriture.  Si  tout  l'homme  nous  est  descrit 
en  ces  paroles  du  Seigneur,  ([uand  il  dict.  ({ue  ce  qui  estnay  de 
chair,  est  de  chair,  comme  il  est  facil'   de  le  prouver,    il   appert   Jr.ui  :i. 
que  c'est  une  misérable  créature.  Car    toute    affection  de  chair, 

2otesmoing  l' Apostre,  est  mort,  veu  que  c'est  inimitié  à  l'encontre 
de  Dieu,  entant  qu'elle  nest  point  subjecte  et  ne  se  peut  assub- 
jectir  à  la  Loy  de  Dieu.  Si  la  chair  est  tant  perverse  que  de  toute  Rum.  8. 
son  aifection  elle  exerce  inimitié  à  l'encontre  de  Dieu  :  si  elle  ne 
peut  avoir  consentement  avec  la   justice    divine;  en  somme  ;  si 

25  elle  ne  peut  produire  que  matière  de  mort  ;  maintenant  présup- 
posé qu  il  n'y  a  en  la  nature  de  1  homme  que  chair  ;  comment  en 
pourrons  nous  tirer  quelque  goutte  de  bien  ?  Mais  ce  vocable 
(dira  quelqu'un)  se  réfère  seulement  à  l'homme  sensuel,  et 
nompas  à  la  partie  supérieure  de   lame.  Je  respondz,   que    cela 

30  se  peut  aisément  réfuter  par  les  paroles  de  Christ  et  de  l'Apostre. 
L'argument  du  Seigneur  est,  qu'il  fault  que  l'homme    renaysse, 
pource  qu'il  est  chair.  Il  ne  veult  point  qu'il    renaysse    selon  le   Jean  S. 
corps.  Or  lame  ne  sera  pas  dicte  renaystre,    estant    corrigée  en 
quelque    portion,    mais     si    elle   est    du    tout    renouvellée.    Ce 

35  qui  est  confermé  par  la  comparaison,  c[ui  est  faicte,  tant 
là  comme  en  Sainct-Paul  :  car  l'Esprit  est  tellement  com- 
paré à  la  chair,  qu'il  n'y  a  rien  laissé  de  moyen  :  pour- 
tant tout  ce  qui  n'est  point  spirituel  en  l'homme,  selon  ceste 
raison    est   charnel.    Or    nous  n'avons   point    une  seule    goutte 


^^  DE    l.A    CUMtMUSSANCE 

de    cest    esprit,    sinon   par    régénération.    Tout    ce    donc     que 
nous  avons    de  nature   est    chair.    Je  ne   reciteray    point   parti- 
culièrement  tout  ce  qui  est    dict  de  la  vanité  de  l'homme,  tant 
de   David,   que    de    tous    les  Prophètes.    Mais    c'est   un    grand 
5  mot    que    nous    avons    au    Psalme,     que    si    l'homme    estoit 
contrepoisé    avec     la     vanité,     qu'il    seroit     trouvé     plus    vam 
qu'icelle   mesme.    C'est  une   grande   condemnation   contre    son  Psal.   6- 
entendement  .     .jne    toutes    les    cogitations    qui    en     procèdent 
sont  moquées   comme  sottes,  frivoles,    enragées,    et    perverses. 
10  Ce    n'est     point     une    moindre     condemnation     sur     le     cœur, 
quand    il    est    dict    estre    plain    de   fraulde    et     de    perversité, 
plus    ciue     toutes    choses.     Mais    pource    que    je    m'estudie    k  Hier.   17 
estre     brief,    je    seray  content    dun    lieu    lequel    sera    comme 
un    miroir    tresclair   pour   nous  faire   contempler  toute    l'image 
iode    nostre    nature.    Car    quand    l'Apostre    veut    abbatre    l'arro- 
gance  du   genre    humain,    il    use   de   ces    tesmoignages  :    Qu'il  Rom.  3 
n'v  a  nul  juste,  nul  bien  entendu,    nul    qui    cherche  Dieu  :  que 
tous  ont  décliné,  tous    sont    inutiles,    qu'il    n'y  en   a    point  qui 
face  bien,  pas  jusques  à  un  seul  :  que  leur  gosier  est  comme  un 
30sepulchre  ouvert,  que  leurs  langues  sont  cauteleuses,  que    vemn  hme  o/ 
d'aspic  est  soubz  leurs  lèvres,    que  leur    bouche    est    pleine    de 
maledicense  et  amertume,  que  leurs  piedz  sont  légers  k  espandre 
le  sang,  qu'en  leurs  voyes  il  n'y  a  que  perdition    et  dissipation, 
que  la^crainte  de  Dieu  n'est  point  devant  leurs  yeulx.  Il  foudroie 
r,de  ces  paroles  rigoreuses,  nompas  certains  hommes,  mais    toute 
la  li-née  d'Adam,  et  ne  reprent  point  les  mœurs  corrumpuz    de 
quelque  eage,  mais  il  accuse  la  corruption  perpétuelle  de  nostre 
nature.  Car  c'est  son  intention  en  ce  lieu  là,  nompas  de  simple- 
ment reprendre  les  hommes,  afin  qu'ilz  s'amendent,  mais   plus- 
30tost  de  les  enseigner  qu'ilz  sont  tous,  depuis  le  premier  jusques 
u    dernier,    enveloppez   en    telle   calamité,    de   laquelle    ilz  ne 
peuvent  sortir,   .sinon  que  la  miséricorde  de  Dieu  les  en  délivre. 
Pource  que  cela    ne  •  se    pouvoit    prouver,    qu'il  n'apparast  que 
nostre    nature     est    tombée     en    ceste    ruyne,    il    aUegue    ces 
35  tesmoignages,    où    il    est  monstre    que   nostre    nature    est  plus 
que    perdue.    Que  cela  donc    soit    résolu,    que   les   hommes   ne 
sont     pas     telz   que    Sainct    Paul    les     descrit    seulement     par 
coustume    perverse  ,    mais    aussi    d'une    perversité    naturelle  , 
autrement       ne      pourroit      consister      l'argument       dont 


cur 


m:  i/miM.MK.   ciiAi'iriu;  ii.  GM 

il    use.    C'est    pour    moustrer,     que    nous     n'avons    nul    salul, 
sinon   de   la  miséricorde  de  Dieu,  veu  cjue   tout    homme  est  en 
soy  perdu   et  ruyné.   Je   ne    me   soucye    point   icy    d'appliquer 
les    tesmoignages    au    propos    de    Sainct     Paul,    car   je    prens 
5  ces  sentences,  comme  si  elles  avoient  esté  premièrement  dictes 
de  luy,    et    non   point   esté   alléguées  des    Prophètes.    Premiè- 
rement   il   despoulle    l'homme   de    justice,    c'i'st   à    dire    d'inte- 
g-rité    et  pureté,     puis    après    d'intelligence,     de     laquelle  s'en- 
suit après   le    signe,    c'est  que    tous    homnu's   se  sont    destour- 
10  nez    de    Dieu,     lequel      chercher,      est     le     premier     degré     de 
sapience.    S'ensuyvent    après   les    fruictz    dinlidelité,  que  tous 
ont    décliné,   et    ont  esté     faictz  quasi    comme    pourriz,     telle- 
ment   qu'il     n'y    en    a    pas   un  qui    face    bien.    D'avantage   il 
mect   toutes    les    meschancetez,    dont   contaminent    toutes    les 
Imparties    de   leurs   corps,   ceulx  qui    se    sont  débordez    en  injus- 
tice.   Finalement    il    tesmoigne,    que    tous     honunes   sont  sans 
crainte  de  Dieu,  à  la  reigle  de    laquelle    nous  debvions    diriger 
toutes  noz  voyes.   Si    ce    sont  là   les    richesses    héréditaires    du 
genre  humain,     c'est    en    vain    qu On   lequierl  (juelque    bien  en 
sonostre  nature.  Je  confesse  que  toutes  ces  meschancetez,   n'appa- 
roissent  point  en  chascun  homme,  mais  nul  ne  peut  nver  qu'un 
chascun  n'en  ait  la  semence  enclose  en  soy.  Or  comme  un  corps, 
quand  il  y  a   des-ja  la  cause  et    matière   de  maladie    conceuë  en 
soy,  ne  sera  point  nommé  sain,  combien   que  la  maladie    ne    se 
25  soit  encores  monstrée,  et  qu'il  n'y  ait  nul  sentiment  de  doleur  : 
aussi  lame  ne  sera  point  réputée  saine,  ayant  telles  ordures   en 
soy.  Combien  que  la  similitude  ne  soit  pas  du  tout  propre,    car 
quelque  vice  qu'il  y  ait  au  corps,  si  ne  laisse-il  point  de  retenir 
vigueur  de  vie  :  mais  l'ame  estant  submergée  en  ce  goulfre  d'ini- 
3oquité,  non  seulement    est    vicieuse,   mais   aussi    vuide   de    tout 
bien. 

Il  se  présente  quasi  une  semblable  question  à  celle,  qui  a  esté 
despechée  cy  dessus.  Car  en  tous  siècles  il  y  en  a  eu  quelques 
uns,  qui  par  la  conduicte  de  nature  ont  aspiré  en  toute  leur 
35  vie  à  vertu  :  et  mesmes  quand  on  trouvera  beaucoup  à 
redire  en  leurs  meurs,  si  est  ce,  qu'en  l'all'éction  d'honnesteté 
qu'ilz  ont  eu,  ilz  ont  montré  qu'il  y  avoit  quelque  pureté  en 
leur  nature .  Combien  que  nous  explicquerons  plus  ample- 
ment en   quelle  estime    sont  telles  vertus  devant   Dieu,  quand 


70  I^E    LA    CONOOISSANCE 

nous  traicterons  du  mérite  des  œuvres,  toutesfois  il  en  fault  dire  à 
présent,  ce  qui  sera  nécessaire  pour  la  matière  que  nous  avons  en 
main.  Les  exemples  donc  nous  admonestent,  que  nous  ne  debvons 
point  reputer  la  nature  de  l'homme  du  tout  vicieuse,  veu  que  par 
5  l'inclination  d'icelle,  aucuns  non  seulement  ont  faict  plusieurs  actes 
excellens,  mais  se  sont  portez  honestement  en  tout  le  cours  de  leur 
vie.  Mais  nous  avons  à  considérer  qu'en  la  corruption  imiverselle, 
dont  nous  avons  parlé,  la  grâce  de  Dieu  ha  quelque  lieu  :  non 
pas  pour  amender  la  perversité  de  la  nature,  mais  pour  la  repri- 

10  mer  et  restraindre  au  dedans.  Car  si  Dieu  permettoit  à  tous 
hommes  de  suyvre  leurs  cupiditez  à  brides  avallées,  il  n'y  en 
auroitnul,  qui  ne  demonstrast  par  expérience,  que  tous  les  vices 
(dont  S.  Paul  condamne  la  nature  humaine)  seroient  en  luy. 
Car    qui    sera    celuy  qui    se    pourra    séparer    du    nombre    des 

ir,  hommes  ?  ce  qu'il  fault  faire  si  quelqu'un  se  veut  exempter  de 
ce  que  dict  Sainct  Paul  de  tous,  à  scavoir  que  leurs  piedz  sont 
le£fers  à  espandre  le  sang,  leurs  mains  soillées  de  rapines  et 
homicides,  leurs  gosiers  semblables  à  sepulchres  ouvers,  langues 
cauteleuses,  lèvres  venimeuses,  œuvres  inutiles,  iniques,  pourries, 

20 mortelles,  que  leur  cœur  est  sans  Dieu,  quilz  n'ont  au  dedans 
que  malice,  que  leurs  yeulx  sont  à  faire  embusches,  leurs  cœurs 
eslevez  à  oultrage,  en  somme,  toutes  leurs  parties  apprestées  à 
mal  faire.  Sy  une  chacune  ame  est  subjecte  à  tous  ces  monstres 
de  vices,  comme  l'Apostre  prononce  hardiment,  nous  voyons  cjue 

2.5  c'est  qu'il  adviendroit,  si  le  Seigneur  laissoit  la  cupidité  humaine 
vaguer  selon  son  inclination.  Il  n'y  a  beste  enrag-ée,  qui  soit 
transportée  si  desordonnéement,  il  n'y  a  liviere  si  violente  et  si 
royde,  de  laquelle  l'exundation  soit  tant  impétueuse.  Telles 
maladies    sont    purgées    par    le    Seigneur    en    ses  esleuz,  en  la 

30  manière  que  nous  exposerons  :  aux  reprovez  elles  sont  seule- 
ment reprimées,  comme  par  une  bride,  à  ce  qu'elles  ne  se  des- 
bordent point  selon  que  Dieu  congnoist  estre  expédient ,  pour 
la  conservation  du  monde  universel.  De  là  vient  que  aucuns 
par    honte  ,    aucuns  par    crainte  des    loix ,    sont   retenuz   à    ce 

:;5 quilz  ne  saddonnent  à  beaucoup  de  meschancetez,  combien 
qu  en  partie  ilz  ne  dissimulent  pas  leurs  mauvaises  concupis- 
cences. Les  autres,  pource  quilz  pensent  honneste  manière 
de  vivre,  leur  estre  protitable,  tellement  quellement  aspirent 
à     icelle.       Les    autres     outrepassent    encores    et      monstrent 


|)K    I.  HOM.Mi:.    CllAl'ITHi;    11. 


une  excellence  spociiiUe,  pour  retenir  le  vulgaire  en  leur  obeys- 
sance,  par  une  espèce  de  majesté.  En  telle  manière  le  Seigneur  res- 
trainct  par  sa  providence  la  perversité  de  nostre  nature,  mais  il  ne 
la  purp^e  pas.  (Kiek[u  un  pourra  dire  que  cela  ne  suffît  pas  à  soudre 
■' la  (juestion  :  Car  ou  il  fault  que  nous  lacions  Catilina  seml)lal)le 
à  (^amillus,  ou  nous  aurons  un  exenq)K'  en  Camillus,  (|ue  la 
nature,  quand  elle  est  bien  menée,  n'est  pas  du  tout  despourveue 
de  bonté.  Je  confesse  que  les  vertus  qui  ont  esté  en  Camillus, 
ont  esté  dons  de  Dieu,  et  qu'elles  pourroient  estre  vëues  louables, 

m  si  on  les  repute  en  elles  mesmes.  Mais  comment  seront  elles 
enseig-nées  ;  qu'il  ha  eu  en  sa  nature,  une  preud'homie  ?  Pour 
cela  monstrer,  ne  l"ault-il  pas  revenir  au  cœur?  en  faisant  cest 
argument,  que  si  un  homme  naturel  a  esté  dou[é]  d'une  telle  in- 
tégrité de  cieur,  (jue  la  faculté  d'aspirer  à  bien,  ne  deffault  point 

i'>à  la  nature  humaine,  et  que  sera  ce,  si  le  C(eur  a  esté  pervers  et 
oblique,  et  qu'il  nayt  rien  moins  cherché  ({ue  droicture  ?  Or  si 
nous  concédons  qu'il  ayt  esté  homme  naturel,  il  n'y  a  nulle 
double  que  son  cœur  a  esté  tel.  Quelle  puissance  maintenant 
establirons  nous  en  la  nature  humaine  de  s'applicquer    à   bien, 

2(1  .si  en  la  plus  grandapparence  d'intégrité  qu'on  y  treuve,  on  voit 
qu'elle  tend  tousjours  à  corruption  ?  Pourtant  comme  on  ne  pri- 
sera point  un  homme  pour  vertueux,  lecjuel  n'aura  que  vices, 
qui  le  couvriront  soubz  umbre  de  vertus  :  ainsi  nous  n'attribue- 
rons point  à   la  volunté  humaine,  faculté    d  appeler  le  bien,    du 

25  temps  qu'elle  sera  tichée  en  sa  perversité.  Combien  que  ceste 
est  la  plus  certaine,  et  facile  solution  :  de  dire,  que  telles  vertus 
ne  sont  point  communes  à  la  nature,  mais  sont  grâces  specialles 
du  Seigneur,  lesquelles  il  distribue  mesmes  aux  meschans, 
selon  la  mani  e  re  et  mesure  que  bon  luy  semble.  Pour  laquelle 

30  cause  en  nostre  langage  A^ulgaire,  nous  ne  doubtons  point  de 
dire,  que  l'un  est  bien  nay,  et  l'autre  mal  nay,  l'un  de  bonne 
nature,  et  l'autre  de  mauvaise,  et  neantmoins  nous  ne  laissons 
point  d'enclorre  l'une  et  l'autre  soubz  la  condition  univer- 
selle  de    la    corruption  humaine,    mais    nous    signifions    quelle 

35 grâce  Dieu  a  donnée  particulièrement  k  l'un,  qu'il  a  déniée  à 
l'autre.  La  volunté  donc  selon  qu'elle  est  liée  et  tenue  captive, 
en  servitude  de  péché,  ne  se  peut  aucunement  remuer  à 
bien,  tant  s'en  fault  qu'elle  si  applicque.  Car  un  tel  mouve- 
ment    est    le    commencement    de     nostre  conversion  k    Dieu , 


DE    I.A    CONGNOISSA.NC.E 


laquelle  est  du  tout  attribuée  à  la  grâce  du  Sainct  Esprit  par 
l'Escriture,  comme  Jeremie  prie  le  Seigneur  cjuil  le  conver- 
tisse s'il  veut  qu'il  soit  converty.  Pour  laquelle  raison,  le  Pro- 
phète au  mesme  chappitre,  descrivant  la  rédemption  spirituelle 
ôdeslideles,  dit  qu'ilz  ont  esté  racheptés  delà  main  d'un  plus 
fort,  denottant  par  cela  combien  le  pécheur  est  lié  estroicte- 
ment ,  pour  le  temps  qu'estant  délaissé  de  Dieu ,  demeure 
soubz  le  joug  du  Diable  :  neantmoins  la  voulunté  demeure  tous- 
jours   à   l'homme,   laquelle    de  sa  pure    affection  est    encline  à 

10 péché.  Car  quand  l'homme  est  tombé  en  ceste  nécessité,  il  n'a 
point  esté  despouUé  de  sa  vokmté,  mais  de  saine  volunté.  Et 
pourtant  ne  parle  point  mal  Sainct  Bernard  en  disant,  que  le 
vouloir  est  en  tous  hommes,  mais  que  vouloir  le  bien,  est  d'amen- 
dement, vouloir  le  mal,  est  de  nostre  deffault,  ainsi  que  simple- 

15  ment  vouloir,  est  de  1  homme,  voidoir  mal  est  de  la  nature  cor- 
rumpiie.  vouloir  le  bien,  est  de  grâce.  Or  ce  que  je  dictz  la 
volunté  estre  despoullée  de  liberté,  et  nécessairement  estre  tirée 
au  mal,  c'est  merveille  si  quelqu  un  trouve  ceste  manière  de 
parler  estrange,    laquelle    n'a    nulle    absurdité  :  et  a  esté  usitée 

50  des  anciens  docteurs.  Aucuns  s'offencent  de  ce  qu'ilz  ne  peuvent 
distinguer  entre  nécessité,  et  contraincte  ;  mais  si  quelqu'un  les 
interrogue,  à  scavoir  si  Dieu  n'est  pas  nécessairement  bon,  et  si 
le  Diable  n'est  pas  nécessairement  mauvais,  que  respondront-ilz? 
Il  est  certain  que  la  jjonté  de  Dieu  est  tellement  contraincte  avec 

2.1  sa  divinité,  qu'il  ne  luy  est  pas  moins  nécessaire  destre  bon, 
que  d'estre  Dieu.  Et  le  Diable  par  sa  cheute  s'est  tellement 
aliéné  de  toute  communication  de  bien,  cju'il  ne  peut  autre  chose 
que  mal  faire.  Or  si  quelque  blasphémateur  murmure,  que  Dieu 
ne  mérite  pas  grande   louenge  pour  sa  bonté,  \eu  cju'il  est  con- 

liotreinct  à  icelle  garder,  la  response  ne  sera  elle  pas  facile  ?  c'est 
que  cela  advient  de  sa  bonté  infinie,  qu'il  ne  peut  mal  faire, 
et  non  pas  de  contraincte  violente.  Sy  cela  donc  n'empesche 
point  la  Aolunté  de  Dieu,  estre  libre  en  bien  faisant,  qu'il  est 
nécessaire  qu'il  face  bien  :  Sy  le  Diable  ne  laisse  point  de  pécher 

35  voluntairement  ;  combien  qu'il  ne  puisse  sinon  mal  faire  :  qui 
est  ce  qui  arguera  le  })eché  n'estre  point  voluntaire  en  l'homme  : 
pource  qu'il  est  subject  à  nécessité  de  péché  ?  Comme  ainsi  soit 
que  Sainct  Augustin  enseigne  par  tout  ceste  nécessité,  il  n'a 
pas   laissé    de    l'acertener    à  1  heure,    que    Celestius  calumnioit 


I)i:    l/llOMMK.    CIIAlMTIii:    11.  YA 

ceste  doctrine,  pour  la  rendre  odieuse.  Il  use  donc  de  ces  paroles, 
.|u-il  est  advenu  par  la  liberté  de  l'homme,  qu'il  soit  tombé  en 
péché,  maintenant  que  la  corruption  qui  s'en  est  ensuvvie,  a 
laict  de  liberté,  nécessité.  Il  nous  fault  donc  observer  ceste  dis- 
ôtinction:  c'est  que  l'homme  après  avoir  esté  corrumpu  par  sa 
cheute,  pèche  voluntairement,  et  non  pas  malgré  son  cœur,  ne 
par  contraincte  :  qu'il  pèche,  dis-je,  par  une  allection  'très 
enchne,  et  nompas  estant  contrainct  de  violence  :  qu'il  pèche  du 
mouvement  de  sa  propre  cupidité,  et  nompas  estant  contrainct 
10  d  ailleurs  :  et  neantmoins  que  sa  nature  est  si  perverse,  qu'il  ne 
peut  estre  esmeu,  poulsé,  ou  mené,  sinon  au  mal.  Sv'cela  est 
vray,  il  est  notoire  qu'il  est  subject  à  nécessité  de  pécher. 

II  est  maintenant  temps,  de  parler  du  remède    de  la   g-race  de 
Dieu,    par  latjuelle    nostre    nature   vicieuse    est    corrio:'ée.     Car 
lo  comme  ainsi  soit,  que  le  Sei-neur  en  nous  aydant,    nous   eslar- 
.STisse  ce  qui  nous  delTault,  quand    il  apparoistra   quelle    est  son 
œuvre  en  nous  :  il  sera  aussi  aisé   d'entendre    quelle   est  nostre 
poureté.    Quand  l'Apostre  dit  aux  Philippiens,  qu'il    ha    bonne  Philip   2 
conhance,  que  celuj  qui  a  commencé  une  bonne  (ruvre  en  eulx 
:'o  l'achèvera  jusques  au  jour  de  Jésus  Christ  :  il  n'v  a  nulle  doubte,' 
que  par  ce  commencement  de  bonne  œuvre,    il  signifie  l'origine 
de  leur  conversion,   c'est   quand  leur    volunté    a^esté  tournée  à 
Dieu.  Parcjuoy  le  Seigneur  commence  en  nous  son  œuvre,    ins- 
pirant en  no/,  cd'urs  l'amour,  le  désir  et  estude   de    bien,    et    de 
25  justice  :  ou  pour  parler  plus  proprement,  enclinant,  formant,    et 
adressant  noz  canirs    à  justice,  il    parachevé    son    œuvre  •  nous 
confermant  k  persévérance.  Et  à  fin    que    personne    ne   càville, 
que    le    bien    est    commencé    en  nous    de    Dieu,    d'autant    que 
nostre  volunté,  laquelle    seroit  de  soy  trop  infirme,  seroit  aydée 
30  de  luy.    Le  Sainct  Esprit    declaire  en    un  autre    lieu  :  que  vault 
nostre  volunté  à  l'abandonner  à    soymesme.    Je  vous  donneray, 
dit-il,    un    nouveau    cœur,   je     créeray   un    esprit    nouveau    en  f-pc    3G 
vous,   j  osteray  le  cœur  de    pierre    qui   est  en  vous,  et  vous  en 
donneray  un  de  chair:  Je  mettray  mon  esprit  en  vous,  et  vous 
•.ôferay   cheminer    en    mes   commandemens.    Qui    est    ce    mainte- 
nant qui   dira,  que  seulement   l'infirmité  de  la  volunté  humaine 
est  confermée,   k  fin    d'aspirer  vertueusement,   à  eslire  le  bien 
quand   nous    «yons    qu'il    fault  qu'elle    soit    du    tout    reformée 
et    renouvellée?    Si    la  pierre  est    si    molle,  qu'en    la    maniant 


i'i-  DE    LA    CONGNOISSANCE 

on  la  puisse  fleschir  en  telle  forme  qu'on  vouldra,  je  ne  nye  point 
que  le  cœur  de  l'homme  n'ayt  quelque  facilité  et  inclination  pour 
obeyrà  Dieu,  moyennant  que  son  infirmité  soit  confermée  :  Mais 
si  nostre  Seigneurpar  ceste  similitude  a  voulu  monstrer,  qu'il  est 
5  impossible  de  rien  tirer  de  bien  de  nostre  cœur,  s'il  n'est  faict  tout 
autre,  ne  partissons  point  entre  luy  et  nous  la  louënge,  laquelle 
il  s'attribue  à  luy  seul.  Si  donc  quand  le  Seigneur  nous  convertit 
à  bien,  c'est  comme  si  on  transmuoit  une  pierre  en  chair,  il  est 
certain  que  tout  ce  qui  est  de  nostre  propre  volunté  est  aboly,  et 

10  tout  ce  qui  succède  est  de  Dieu.  Mais  il  y  en  aura  possible,  qui 
concéderont  bien  que  la  volunté  de  l'homme  est  convertie  à  justice 
et  à  droicture,  parla  seule  vertu  de  Dieu,  et  quede  soymesmeelle 
en  est  destournée  :  neantmoins  qu'estant  préparée,  ellebesongne 
pour  sa  part,  comme  Sainct  Augustin  escrit,  que  la  grâce  précède 

15  toute  bonne  œuvre,  et  qu'en  bien  faisant  la  volunté  est  conduicte 
par  la  grâce,  et  ne  la  conduict  pas  :  elle  suyt  et  ne  précède  pas. 
Mais  je  considère,  que  les  paroles  du  Prophète  emportent  deux 
choses  :  C'est  que  le  Seigneur  corrige,  ou  plustost  abolit  nostre 
volunté  perverse,  puis  après  nous  en   donne  de   soymesme   une 

2i>  lionne.  Entant  donc  que  nostre  volunté  est  prévenue  de  la  grâce, 
je  permetz  qu'elle  soit  nommée  comme  chambrière  :  mais  en  ce 
que  estant  reformée,  elle  est  œuvre  de  Dieu,  cela  ne  doibt  point 
estre  attribué  à  l'homme,  que  par  sa  volunté,  il  obtempère  à  la 
grâce  prévenante.  Parquoy  ce  n'a  pas   esté  bien    parlé  à  Sainct 

25  Chrysostome,  de  dire,  que  la  grâce  :  ne  peut  rien  sans  la 
volunté,  comme  la  volunté  ne  peut  rien  sans  la  grâce  :  comme 
si  la  volunté  mesmes  n'estoit  point  engendrée,  et  formée  de  la 
grâce .  Touchant  de  Sainct  Augustin,  ce  n'a  pas  esté  son  intention, 
de  donner  à  la  volunté  de  l'homme,  une  partie  de  la  louënge  des 

:?o  bonnes  œuvres  quand  il  la  nommée  chambrière  de  la  grâce: 
mais  il  pensoit  seulement  à  réfuter  la  meschante  doctrine  de 
Pelagius,  lequel  mettoit  la  première  cause  de  salut  es  mérites 
de  l'homme.  Pourtant  ce  qui  estoit  convenable  à  ce  propos  là  il 
demonstre  que  la  grâce  précède    tous   mérites,    laissant    l'autre 

3ô  question  derrière,  quel  est  son  etTect  perpétuel  en  nous;  laquelle 
il  traicte  tresbien  aillieurs.  Car  quand  il  dict  par  plusieurs  fois, 
que  le  Seigneur  j^revient  celuy,  lequel  ne  veut  poi[n]t,  à  fin 
qu'il  veuille  :  et  qu'il  assiste  à  celuy  qu[ij  veut,  à  tîn  qu'il  ne 
veuille  en  vain ,  il  le  faict    entièrement  autheur   de  tous  biens. 


DK   l'homme.    CHAPITRK   11.  7o 

Et  pource  que  nous  sommes  maintenant  au  principal  poinct 
de  la  matière,  rédigeons  la  chose  sommairement,  et  approuvons 
nostre  sentence  par  tesmoignages  de  lEscriture  :  Puis  après,  à 
fin  que  personne  ne  calumnie  que  nous  renversons  l'Escriture, 
5monstrons  que  la  vérité  que  nous  tenons,  a  esté  aussi  enseig-née 
par  ce  sainct  personnage.  Car  je  ne  pense  pas,  qu'il  soit  expé- 
dient, de  produire  tous  les  tesmoignages  l'un  après  l'autre,  qui 
se  peuvent  amener  de  l'Escriture,  pour  confermer  nostre  sentence, 
movennant  que  nous  choisissions  ceux  qui  pourront  faire  ouver- 

loture,  pour  entendre  les  autres.  D'autrepart  je  pense,  qu'il  ne  sera 
point  mauvais  de  monstrer  évidemment  ,  quelle  convenance 
j'ay  avec  ce  sainct  homme,  auquel  l'Eglise,  à  bon  droit  t,  porte 
révérence.  Le  Seig-neur  donc  quand  il  met  ces  deux  choses  en 
la  conversion  de  son  peuple,  qu'il  luy  ostera  son  cœur  de  pierre, 

i")  et  luy  en  donnera  un  de  chair  :  tesmoigne  appertement  qu'il 
faull,  que  tout  ce  qui  est  de  nous  soit  aboly,  pour  nous  amener 
à  bien,  et  (pie  tout  ce  qui  est  substitué  au  lieu,  procède  de  sa 
grâce.  Et  ne  dit  pas  cela  seulement  en  un  lieu,  car  nous  avons 
aussi  en  Hieremie  :  Je  leur  donneray  un  cd'ur  et  une  voye,  à  lin  [{ia-.  32. 

20  qu'ilz  me    craignent    toute  leiu"  vie.    puis    après    je    mettray   la 
crainte   de    mon    Nom    en    leurs   coeurs,  à  ce  quilz  ne  se    des- 
tournent  point    de   moy  :    Item  en   Ezechiel .    Je    donneray  un 
mesme  cœur  à  tous,  et  créeray  un  nouA'el  esprit  en  leurs  entrailles:  Ecec   /  /. 
Je  leur  osteray  leur  C(eur  de   pierre,    et   leui'   donneray  un   cœur 

2.ôde  chair.  Il  ne  nous  pourroit  myeulx  oster  la  louënge  de  tout  ce 
qui  est  de  bon  et  de  droict  en  nostre  volunté,  pour  le  s'attribuer, 
que  quand  il  appelle  nostre  conversion,  une  création  de  nou- 
vel esprit,  et  de  nouveau  cœur.  Car  il  s'ensuit  toujours,  qu'il 
ne   peut  rien  procéder  de   bon  de  nostre   volunté,  jusques    à  ce 

:îo  qu'elle  soit  reformée,  et  après  la  reformation,  entant  qu'elle  est 
bonne,  qu'elle  est  de  Dieu,  nonipas  de  nous.  Ainsi  nous  voyons 
que  les  Sainctz  ont  prié,  comme  quand  Salomon  disoit  :  Que 
le  Seigneur  encline  noz  ca^urs  à  soy,  à  fin  que  nous  le  crai- 
gnions,   et    g-ardions    ses  commandemens.    Il  monstre   la    con- 

;ôtumace  de  nostre    ca^ur,  en  ce  que   naturellement    il  le  confesse 
estre  rebelle  contre    Dieu  et    sa  Loy,    sinon    qu'il    soit    fleschy 
au    contraire.    Pareillement   David    quand    il    requiert  au  Sei-  Psal.   6'/. 
gnetir,  qu'il   crée  en    soy  un  nouveau  cœur,  et  qu'il  renouvelle 
un    droict    esprit    en     ses     entrailles  ,    ne    recongnoist-il     point 


7fi  DE    LA    CONdNOlSSANCK 

que  toutes  les  parties  de  son  cœur  sont  pleines  d  ininiundieité 
et  de  souilleure  ?  et  que  son  esprit  est  envelopé  en  perver- 
sité? D'avantag-e,  la  pureté  qu'il  désire,  en  Tappellant  créa- 
ture de  Dieu,  il  luy  attribue  toute  la  vertu.  C'est  une  chose 
5  merveilleuse  que  de  nostre  orgueil.  Dieu  ne  requiert  rien  plus 
estroictement,  sinon  que  nous  observions  son  Sabbat,  à  scavoir 
en  nous  reposant  de  toutes  noz  œuvres,  et  il  n'y  a  rien  qu'on 
tire  de  nous  avec  plus  grande  difîiculté  que  cela.  C'est  qu'en 
quittant    toutes    noz   œ^uvres,   nous    donnions  lieu  aux  siennes. 

1(1  Si    ceste    rage  ne  nous  empeschoit,    le   Seigneur  Jésus  adonné 
assez  ample  tesmoignage    à   ses    grâces,  à  ce  qu'elles  ne  soient 
obscurcies.  Je   suis  (dit-il)   la    Vigne,  vous    estes    les   ceptz,  et  joun  l.'i. 
mon    père  le  Vigneron.    Comme    le   cept  ne  peut  porter  fruict 
de  soy,    sinon   qu'il    demeure   en   la   vigne,  ainsi   vous,  si  vous 

15 ne  demeurez  en  moy.  car  sans  moy  vous  ne  pouvez  rien  faire. 
Si  nous  ne  fructifions  de  nous,  nomplus  que  faict  un  cept 
arraché  de  la  terre,  et  privé  de  toute  humeur  :  il  ne  fault  plus 
maintenant  enquérir,  combien  nostre  nature  est  propre  à  bien 
faire,  et  aussi  ceste  conclusion  n'est  point   doubteuse.   que   sans 

20  luy  nous  ne  pouvons  rien  faire.  11  ne  dit  pas  que  nous  soyons  tel- 
lement infirmes,  que  nous  ne  pouvons  suffire,  mais  en  nous 
réduisant  du  tout  à  néant  il  exclud  toute  phantasie  de  la  moindre 
puissance  du  monde.  Si  estans  entez  en  Christ,  nous  fructifions 
comme  un  cept  de  vigne,  lequel  prend  sa  vigueur,  tant   de    l'hu- 

2.ômeur  de  la  terre,  comme  de  la  rousée  du  ciel,  et  de  la  challeur 
du  Soleil,  il  me  semble  qu'il  ne  nous  reste  aucune  portion  en 
toutes  bonnes  œuvres,  si  nous  voulons  conserver  à  Dieu  son 
honneur  entièrement.  Pourtant  l'Apostre  luy  en  donne  toute  la 
louënge  :  C'est  Dieu,  dit-il,  qui  faict  en  nous    et   le  vouloir  et  le 

30  parfaire.  La  première  partie   des   bonnes  œuvres  est  la  volunté, 
l'autre   est,  de    s'efforcer  à  l'exécuter:  et  le  pouvoir  faire.  Dieu  p/(///y>.  2. 
est  autheur  et  de  l'im  et  de  l'autre.  11  s'ensuit  donc  que  si  l'homme 
s'attribue  aucune  chose,  ou  en  la  volunté,  ou  en  l'exécution  qu'il 
desrobe  autant  à  Dieu.  S  il  estoit  dict,  que  Dieu  baille  secours  à 

35  nostre  volunté  infirme,  il  nous  seroit  laissé  quelque  chose.  Mais 
quand  il  est  dict,  qu'il  faict  la  volunté,  en  cela  il  est  monstre  que 
tout  ce  qui  y  est  de  bon,  est  d'ailleurs  que  de  nous.  Et  pource 
que  la  bonne  volunté.  mesme  par  la  pesanteur  de  nostre  chair, 
est    retardée    et  opprimée .    il   dit    consequemment,   que    pour 


DK  i/iioM.Mi:.   ciiai'itkl:  h.  77 

surmonter  toute  difïîculté,  nostre  Seig'neur  nous  donne  la  cons- 
tance et  vertu  d'exécuter.  Et  de  faict  ce  qu'il  enseii^ne  ailleurs, 
ne  peut  autrement  estre  vray,  c'est  (ju  il  n'y  a  qu'un  seul 
Dieu,  qui  faict  toutes  choses  en  tous.  En  ceste  manière  donc, 
5  Dieu  commence  et  parfaict  le  bon  œuvre  en  nous  :  C  est  que 
par  sa  grâce  la  volunté  est  incitée  à  aymer  le  bien,  inclinée  à 
le  désirer,  et  esmeuë  à  le  chercher,  et  s'y  adonner.  D'avan- 
tage que  cest  amour,  désir,  et  elîort,  ne  delTaillent  point,  mais 
durent  jusques  à  leur  elVect  :  finalement  que   1  homme   poursuit 

mie  bien,  et  y  persévère  jusques  à  la  lin.  Or  il  ne  esmeut  pas 
nostre  volunté,  comme  on  a  long'temps  imaginé  et  enseig'né, 
tellement  qu'il  soit  après  en  nostre  eslection,  d'obtempérer  à  son 
mouvement,  ou  résister  :  mais  il  la  meut  avec  telle  efficace, 
qu'il    fault    qu'elle    suyve.    Pourtant   ce   qu'on    lict    souvent  en 

ijChrvsostome,  ne  doibt  point  estre  receu,  c'est  que  Dieu  n'atire 
sinon  ceulx  qu'il  veut  estre  atirez.  Enquoy  il  signifie  que  Dieu, 
en  nous  tendant  la  main,  attend  s'il  nous  sendjlera  bon  de  nous 
ayder  de  son  secours.  Nous  concédons  bien,  que  du  temps  que 
1  homme  estoit  encores  entier,  .sa  condition  estoit  telle,  qu'il   se 

2(1  pouvoit  incliner  d'une  part  et  d'autre.  Mais  puis  que  Adam  a 
declairé  par  son  exemple,  combien  est  povre  et  misérable  le 
franc  Arbitre  ?  Sinon  que  Dieu  veuille  en  nous,  et  puisse  tout  : 
quel  profit  aurons  nous,  quand  il  nous  départira  sa  grâce  en  telle 
manière  ?  Mais  comme  ainsi  soit,  (ju'il  espande  sur  nous  la    ple- 

25nitude  de  sa  grâce,  nous  luv  en  ostons  la  louënge  par  nostre 
ingratitude.  Car  l'Apostre  n'enseigne  pas  seulement  que  la 
grâce  de  bien  vouloir  nous  est  offerte  :  si  nous  l'acceptons,  mais 
que  Dieu  faict  et  forme  en  nous  le  vouloir,  qui  n'est  autre 
chose    dire,  sinon    que    Dieu   par  son    Esprit,    dresse,  iïeschit, 

:î() modère  nostre  cœur,  et  qu'il  y  règne    comme  en  sa  possession. 
Et    ne  se  peut  autrement    entendre    ceste  sentence    de    Christ,    Jean  2. 
Quiconque  a  esté    instruict    de   mon    Père,   vient  à  moy,  sinon 
que  par   icelle  on   entende,  que    la    grâce  de  Dieu    est   de   soy- 
mesme  vertueuse,  pour  accomplir  et  mettre  en  effect  son  œuvre, 

:{5  comme  Sainct  Augustin  le  maintient.  Laquelle  grâce  Dieu 
ne  départit  point  à  un  chascun,  comme  porte  le  proverbe 
commun,  qu'elle  n'est  denyée  à  personne  qui  faict  ce  qui  est 
en  soy.  Bien  fault-il  enseigner,  que  la  bonté  de  Dieu  est  expo- 
sée   à    tous    ceulx    qui   la  cherchent,    sans  aucune    exception. 


78  DE    LA    CONGNOISSANCE 

Mais  comme  ainsi  soit,  que  nul  ne  commence  à  la  chercher, 
devant  qu'il  ait  esté  inspiré  du  ciel ,  il  ne  failloit  en  cest 
endroict,  mesmes,  aucunement  diminuer  la  grâce  de  Dieu. 
Certes   ce  previleii^e  appartient  aux   esleuz  seulement,  qu'estans 

5 régénérez  par  lEsprit  de  Dieu,  ilz  soient  de  luy  conduictz  et 
gouvernez.  Il  ne  failloit  non  plus  doubler  de  la  persévérance, 
qu'elle  ne  deust  estre  estimée  don  gratuit  de  Dieu,  mais  il  y 
a  une  faulse  opinion  au  contraire,  enracinée  au  cœur  des 
hommes,  qu'elle    est  dispensée   à    un  chacun  selon  son  mérite, 

10  c'est  à  dire  comme  il  se  monstre  n'estre  point  ingrat  à  la  pre- 
mière grâce.  Mais  pource  qu'elle  est  venue,  de  ce  qu'on  ima- 
ginoit  qu'il  fust  en  nostre  povoir  de  refuser  ou  accepter  la 
grâce  de  Dieu,  quand  elle  nous  est  présentée,  il  est  facile  de  la 
réfuter,  veu  que  ceste  raison  a   esté    monstrée  faulse.    Combien 

15  qu'il  y  a  icy  double  erreur.  Car  oultre  ce  qu'il  disent,  qu  en  bien 
usant  de  la  premiei'e  grâce  de  Dieu,  nous  méritons  que  j)ar 
autres  grâces  suivant,  il  rémunère  nostre  bon  usage,  il  a dj ouste 
aussi  que  ce  n'est  point  la  grâce  de  Dieu  seule  qui  besongne  en 
nous    mais    seulement   qu'elle    coopère.     Quant    au   premier  il 

20  en  fault  avoir  ceste  resolution  :  Que  le  Seigneur  Dieu  en  multi- 
pliant ses  grâces  en  ses  serviteurs,  et  leur  en  conférant  tous  les 
jours  de  nouvelles,  d'autant  que  1  œuvre  qu'il  a  desja  commencé 
en  eulx,  luy  est  agréable,  qu'il  trouve  en  eulx  matière  et  occa- 
sion de  les  enrichir,  et  augmenter   en    telle  sorte.    Et  à  cela  se 

25  doibvent  rapporter  les  sentences  suyvantes  :  A  celuy  qui  aura, 
il  luy  sera  donné  :  Item,  Puis  que  tu  t'es  monstre  serviteur  lidele 
en  petites  choses,  je  te  constitueray  en  plus  grand'charge.  Mais 
il  nous  fault  icy  donner  garde  de  deux  vices  :  C'est  (|u'on  n'attribue 
point  à  l'homme  en  telle  sorte  le  bon  usage  de  la  grâce  de  Dieu, 

30  comme  si  par  son  industrie,   il  la  rendoit  vaillable.    Puis  après 
qu'on  ne  dye  point  que  les  grâces  qui  sont  conférées  à  l'homme 
fidèle,  soient  tellement  pour  rémunérer,  ce  qu'il  a  bien  usé  de  la 
première  grâce,  comme  si  tout  ne  luy  provenoit  point  de  la  bonté  Philip.  2. 
gratuite    de    Dieu.    Je    confesse    donc    que   les    fidèles  doibvent 

35  attendre  ceste  bénédiction,  que  d'autant  qu'ilz  auront  myeulx  usé 
des  grâces  de  Dieu,  que  d'autres  nouvelles  et  plus  grandes  leur 
seront  journellement  adjoustées.  Mais  je  dis  d'autrepart  que 
ce  bon  usage  est  de  Dieu,  et  que  ceste  rémunération  procède  de 
sa    benevolence    gratuite.    Ce  que  Sainct   Paul  nomméement    a 


DE    LHU.MMK.    CllAl'llKL:    11.  79 

déclaré.  Car  après  quil  a  dit  que  c'est  Dieu  qui  laict  en  nous 
le  vouloir  et  le  parfaire,  incontinent  il  adjouste  qu'il  faict  l'un 
et  l'autre,  selon  sa  bonne  volunté,  par  ce  mot  signifiant  sa 
benig-nité  "gratuite.  Quant  à  ce  qu'il  disent,  que  après  avoir 
ô donné  lieu  à  la  prenù[^e]re  grâce,  nous  coopérons  avec  Dieu:  Je 
respondz.  S'il  entend  que  après  avoir  esté  reduictz  par  la  vertu 
de  Dieu,  en  obéissance  de  justice,  nous  suyvons  vouluntairement 
la  conduicte  de  sa  grâce,  je  leur  confesse.  Car  il  est  trescertain, 
que  là  où  règne  la   grâce  de    Dieu,  il  y  a   une  telle  promptitude 

10  d'obtempérer.  Mais  dont  est  ce  que  cela  vient  ;  sinon  d'autant 
que  l'Esprit  de  Dieu,  estant  conforme  à  soyniesme,  nourrit  et 
conferme  en  nous,  l'alfection  d'obéissance  ;  laquelle  il  a  engen- 
drée dès  le  commencement?  Aucontraire  s'ilz  veulent  dire  que 
l'homme  ha  cela  de  sa  propre   vertu,  qu'il  coopère  avec  la  grâce 

lôde  Dieu:  je  dis  que  c'est  un  erreur  pestilent.  Mais  ils  allèguent: 
Qu'est  ce  donc  que  veut  dire  l'Apostre  parlant  ainsi?  J'ay  plus 
tra veillé  que  tous  les  autres,  non  pas  moy,  mais  la  grâce  de 
Dieu  avec  moy.  Pource  disent-ils,  qu'il  eust  semblé,  que  c'estoit 
trop    arrogamment    parlé,  de  se    préférer  à  tous    les    autres,  il 

20  modère  cela,    rendant   la  louënge  à  la    grâce  de  Dieu,    en    telle, 
sorte  neantmoins,  qu'il  se  dit  compagnon  de  Dieu   en    ouvrant. 
C'est  merveille,  quand  tant  de  personnages  qui  n'estoient  point 
autrement  mauvais,  ont  achoppé  à  ce  fe.stu,  Car   Sainct  Paul  ne 
dit  point,  que  la  grâce  de  Dieu  ayt  besongné  avec  soy,   pour  se 

25  faire  compagnon  d'icelle,  mais  plustot  il  luy  attribue  toute  la 
louenge  de  l'œuvre.  Ce  ne  suis  je  point,  dit-il,  qui  ay  travaillé, 
mais  la  grâce  de  Dieu,  laquelle  m'asistoit.  Toute  la  fable  est 
venue,  qu'ilz  s'arrestent  à  la  translation  commune,  laquelle  est 
doubteuse,    mais   le  texte  grec  de  Sainct  Paul,  est  si  cler  qu'on 

30  n'en  peut  doubter. 

Oyons  maintenant  Sainct  Augustin  parler,  à  fin  que  les  Pela- 
giens  de  nostre  temps,  c'est  à  dire  les  Sophistes  de  Sor- 
bonne,  ne  nous  reprochent,  comme  ilz  ont  de  coustume,  que 
tous    les    docteurs   anciens    nous   sont   contraires.    En   quov  ilz 

ssensuyvent  leur  père  Pelagius,  lequel  a  molesté  Sainct  Augus- 
tin d'une  mesme  calumnie.  Or  il  poursuit  ceste  matière  au 
long,  au  livre  qu'il  a  intitulé  de  correction  et  grâce,  dont  je 
reciteray  en  brief  aucuns  passages,  usant  de  ses  propres  motz. 
Il    dit     que    la    grâce    de    persister    en    bien     a    esté     donnée 


80  DE    LA    CONGNOISSANCt; 

à  Adam  s'il  en  eust  voulu  user,  quelle  nous  est  donnée  k  lin 
que  nous  veuillons,  et  qu'en  veuillant,  nous  surmontions  les 
concupiscences  :  Ainsi  qu'Adam  a  eu  le  pouvoir  s'il  eust 
voulu,  mais  qu'il  n'a  point  eu  le   vouloir,   à  fin  qu'il  peust.   Que 

ô  à  nous,  tant  le  vouloir  que  le  pouvoir,  nous  est  donné. 
Que  la  première  liberté,  a  esté  de  pouvoir  non  point  pécher, 
que  celle  que  nous  avons  maintenant  est  beaucoup  plus  grande, 
c'est  de  ne  pouvoir  pécher.  Les  Sorbonistes  exposent  cela 
de    la    perfection    qui    sera    en   la  vie   future,    mais    c'est    une 

10 moquerie,  veu  que  Saine t  Augustin  se  declaire  puis  après,  en 
disant,  que  la  volunté  des  fidèles  est  tellement  conduicte  par 
le  Sainct  Esprit,  qu'ilz  peuvent  bien  faire,  k  cause  qu'il  veullent, 
et  qu'ilz  IcAcullent,  à  cause  que  Dieu  crée  en  eulx  le  vouloir. 
Car   si  en  si  grande  inli[rjmité,  dit-il,  leur    volunté   leur  estoit 

ir)  laissée,  qu'ilz  peussent  bien  faire  par  l'ayde  de  Dieu,  si  bon 
leur  sembloit,  et  que  Dieu  ne  leur  donnast  point  la  volunté 
entre  tant  de  tentations,  leur  volunté,  laquelle  est  infirme,  suc- 
conberoit,  ainsi  ne  pourroient  persévérer.  Dieu  a  donc  survenu 
k  l'infirmité  de  la   volunté   humaine,    la    dirigeant    sans   qu'elle 

20  peust  fleschir  ck  ne  là,  et  la  gouvernant  sans  ce  qu'elle  se  peust 
destourner.  Car  en  telle  sorte,  combien  qu'elle  soit  infirme,  elle 
peut  faillir.  Tantost  après  il  traicte  comme  il  est  nécessaire  que 
noz  cœurs  suvvent  le  mouvement  de  Dieu,  quand  il  les  tire, 
disant  que  Dieu  tire  bien  les  hommes  selon  leur  volunté,  et  non 

25  par  contraincte,  mais  que  la  volunté,  est  cela  qu'il  a  formé  en 
eulx.  Nous  avons  maintenant  le  point,  que  nous  debatons  prin- 
cipallement,  approuvé  par  la  bouche  de  Sainct  Augustin.  C'est 
que  la  grâce  n'est  point  seulement  présentée  de  Dieu,  pour  estre 
rejectée  ou  acceptée,  selon  qu'il  semble  bon  k  un  chascun,    mais 

30  que  c'est  icelle  grâce  seule,  laquelle  induict  noz  cœurs  k  suyvre 
son  mouvement,  et  y  produict,  tant  l'eslection  que  la  volunté, 
tellement  que  toutes  bonnes  œuvres  qui  s'ensuyvent  après, 
sont  fruictz  d'icelle,  et  n'est  point  receuë  d'honmie  vivant,  sinon 
d'autant  qu'elle  a  formé  son  cœur  en  obéissance.   A   ceste    cause 

35  le  mesme  docteur  dit  en  un  autre  lieu,  qu'il  n'y  a  que  la  grâce 
de  Dieu,  qui  face  tout  bon  a^uvre  en  nous.  Touchant  ce  qu'il  dit 
quelque  part,  que  la  volonté  n'est  point  destruicte  par  la  grâce, 
mais  de  mauvaise,  changée  en  bonne,  et  après  avoir  esté  faicte 
bonne,   qu'elle    est    aydée,  en    cela   seulement,    il  signifie  que 


DE    L  UII.M.ML;.    CUAl'lTKE    11. 


rhoninie  n'est  pas  tiré  de  Dieu,  comme  mie  pierre  sans  aucun 
mouvement  de  son  cœur,  par  une  force  de  dehors,  mais  qu'il 
est  tellement  poulsé,  qu'il  obeyst  de  bon  vouloir.  D'avantage 
que  la  grâce  soit  spécialement  donnée  aux  esleuz,  et  de  don 
5  gratuit,  il  le  dit  escrivant  à  Bohiface  en  ceste  manière .  Nous 
scavons  que  la  grâce  de  Dieu  n'est  point  donnée  à  tous  hommes, 
et  que  quand  elle  est  donnée  à  aucun,  ce  n'est  point  selon  les 
mérites  de  sa  volunté,  mais  selon  la  bonté  gratuite  de  Dieu  : 
quand  elle  est  denyée,  que  cela  se  fait  par  le  juste  jugement  de 

10  Dieu.  Et  en  ceste  niesme  epistre  il  condamne  fort,  et  ferme, 
l'opinion  de  ceulx  qui  estiment  la  grâce  seconde,  estre  rétribuée 
aux  mérites  des  hommes,  d'autant  qu'en  ne  rejectant  point  la 
première,  ilz  se  sont  montrez  dignes  d'icelle.  Car  il  veut  que 
Pelagius  confesse  la  grâce  nous  estre  nécessaire  à   une  chascune 

15  œuvre,  et  qu'elle  n'est  j)oint  rendue  à  noz  mérites,  à  lin  qu'elle 
soit  recongneuë  pure  grâce.  Mais  on  ne  peut  plus  sommairement 
despecher  ceste  question,  (pie  par  ce  qu'il  en  dit  en  son  livre  de 
correction  et  grâce,  au  huytiesme  chapitre  :  où  premièrement 
il  enseigne  que  la  volunté   humaine  n'obtient  point  grâce  par  sa 

20  liberté,  mais  obtient  liberté  par  la  grâce  de  Dieu.  Seconde- 
ment que  par  icelle  grâce  elle  est  conformée  au  bien,  à  lin  de 
l'aymer  et  y  persévérer.  Tiercement  qu'elle  est  fortifiée  dune 
vertu  invincible,  pour  résister  au  mal.  Quartement  qu'estant 
gouvernée    d'icelle,  jamais    elle   ne   delfault  :    estant  délaissée, 

2' incontinent  elle  trébuche.  Item,  Que  par  la  miséricorde  gratuite 
de  Dieu,  la  volunté  est  convertie  à  bien  ;  et  estant  convertie,  y 
persévère.  Item,  Que  quand  la  A^olunté  de  l'homme  est  conduicte 
à  bien,  et  après  y  avoir  esté  adressée,  qu'elle  y  est  confermée, 
que  cela  vient    de  la   seule   volunté    de  Dieu  et    non    d'aucun 

30  mérite.    En    ceste   manière  il  ne    reste  à  l'homme   autre  libéral 
Arbitre,  que  tel  qu'il  descrit  en  un  autre   lieu.    C'est  qu'il  ne  se  Epi.  46. 
peut  convertir  à  Dieu,  ne  persister  en  Dieu,  sinon  de   sa    grâce, 
et  que  tout  ce  qu'il  peut,  c'est  d  icelle. 

Ceste  grâce  de  Dieu  est   aucunesfois  appellée  délivrance,    par 

3  i  laquelle  nous  sommes  affranchiz  de  la  servitude  de  péché  : 
maintenant  une  réparation  de  nous,  par  laquelle,  délaissant 
le  vieil  homme,  nous  sommes  restaurez  à  limage  de  Dieu  : 
maintenant  régénération ,  par  laquelle  nous  sommes  faictz 
nouvelles    créatures   :     maintenant   résurrection ,   par     laquelle 

Insdlutian.  •'» 


82  L)t:    LA    CO.NGMUSiSANCL;       , 

Dieu,  nous  faisant   mourir  à  nous  mesmes,  nous  ressuscite   de 
sa   vertu.    Toutesfois   il  nous   fault  icy  observer,   que    la   déli- 
vrance   n'est  jamais   si    entière ,    qu'une    partie    de    nous ,    ne 
demeure  soubz  le  joug  de  péché  :   que  la  réparation  n'est  jamais 
•  telle,  qu'il  n'y  demeure  beaucoup  de  trace  de  l'homme  terrien: 
que    la   réparation    n'est   jamais    telle,   que  nous   ne    retenions 
quelque    chose    du    viel    homme.     Car    ce    pendant    que    nous 
sommes   encloz   en  ceste  prison  de  nostre  corps,   nous  portons 
tousjours   avec    nous   les   reliques  de   nostre   chair  :    lesquelles 
nuliminuent  d'autant  nostre  liberté.  Parquoy  lame  fidèle,   depuis 
la  régénération,  est   divisée   en  deux  parties  entre  lesquelles    il 
y   a    un   âifferent  perpétuel.    Car  d'autant    qu'elle   est  régie    et 
gouvernée    par    1  Esprit   de    Dieu,    elle    ha  un    désir    et    amour 
d'immortalité,    lequel    l'incite  et  meine    à   justice,    pureté,      et 
lo  saincteté  :   et  ainsi  ne  médite  autre  chose,  que   la  béatitude   du 
Royaume  céleste  :    et    aspire  entièrement  à   la  compaignie    de 
Dieu,   d'autant    qu'elle  demeure   encores  en  son  naturel,  estant 
empeschée  en  fange  terrienne,  envelopée  en  mauvaises  cupiditez, 
elle  ne  voit  point  ce  qui  est   désirable,  et  où  gist  la  vraye  bea- 
20  titude  :  estant  détenue  par  le  péché  elle  est  destournée  de  Dieu, 
et  de  sa  justice.  De  là  vient  un  combat,  lequel  exercite  l'homme 
fidèle  toute  sa  vie  :  entant  que  par  l'Esprit  il  est  eslevé  en  hault, 
par    la  chair   destourné    en   bas  :     selon  l'Esprit   il    tend    d'un 
désir    ardent   à  l'immortalité,    selon   la   chair  il  est  desvoyé  en 
25voye  de  mort  :  selon  l'Esprit  il  pense  à  justement  vivre,  selon 
la  chair  il  est  sollicité  à  iniquité  :  selon  l'Esprit  il  est  conduict 
à  Dieu,  selon  la  chair  il  est  retiré  en   arrière  :   selon   TEsprit   il 
contemne  le    monde,  selon  la    chair  il  appete  les  délices   mon- 
daines. Ce  n'est  point  une  spéculation  frivole,  dont  nous  n'ayons 
30  nulle   expérience    en   la  vie,    mais   c'est    une   doctrine    de    pra- 
ticque,   laquelle  nous  expérimentons  de  vray  en  nous,    si  nous 
sommes  enfans    de    Dieu.    Nous  voyons    donc,    que    la   chair  et 
l'Esprit    sont    comme    deux   combatans ,    lesquelz    séparent   en 
diverses  parties  l'ame  fidèle  :  faisans    en  elle  une  bataille  :  dont 
33  toutesfois  l'issue  est  telle,  que  l'Esprit  est  supérieur.  Car  quand 
il  est  dict,  que  la  chair  destourne  lame  de  Dieu,  la  retire  d'im- 
mortalité, l'empesche  d'ensuyvre  saincteté  et  justice,   l'esloigne 
du  Rovaume  de  Dieu  :   il  ne  fault  pas  entendre,  qu'elle   ait  si 
g  and  vigueur   en    ses  tentations,  qu'elle   renverse    et  destruise 


DL    LIlO.M.Mi:.    CIIAITIIll-;    11.  83 

l'œuvre  de  l'Esprit,  et  qu'elle  estaiugiie  sa  vertu.  Ja  n'advienne. 
Quoy  donc  ?  quand  la  chair  s'efforce  d'abatre  l'homme^  elle  l'ap- 
pesantit :  quand  elle  le  veut  destourner  de  son  chemin,  elle  la 
retarde  et  empesche  :  quand  elle  veut  estaindre   d'iceluy,   toute 

3  amour  de  justice,  elle  la  diminue  aucunement:  quand  elle  s'ell'orce 
de  la  supprimer  du  tout,  elle  la  faict  aucunement  flescliir.  En 
telles  diffîcultez,  il  fault  c[ue  le  serviteur  de  Dieu  soit  tellement 
animé,  que  du  principal  désir  de  son  ccrur,  et  de  la  principalle 
affection,  il  aspire  à  Dieu,  s'estudie  et  efforce  de  le  chercher,  et 

10  continuellement  gémisse  et  souspire,  de  ce  qu'il  est  empesche 
de  sa  chair,  k  ne  poursuyvre  sa  course  comme  il  debvroit.  C'est 
ce  qu'entend  Sainct  Paul,  quand  il  dit,  que  si  nous  sommes  filz 
de  Dieu,  nous  ne  cheminons  point  selon  la  chair  :  mais  selon 
l'Esprit.  Ayant  descrit  le  combat  il  signifie  (|ue  l'Esprit  de  Dieu 

i.doibt  avoir  du  meilleur,  pour  obtenir  victoire.  Maintenant,  il  est 
facil'  de  voir,  quelle  différence  il  y  a  entre  l'homme  naturel, 
et  reg-eneré.  L'homme  naturel  est  bien  piqué  et  aig"uillonné  en 
sa  conscience,  pour  ne  s'endormir  point  du  tout  en  ses  vices  ; 
neantmoins  il  ne  laisse  point  de  s'y  complaire  de  tout  son  cœur, 

20  y  prendre  sa  volupté,  leur  lascher  voluntiers  la  bride  :  ne 
craignant  autre  chose  que  la  peine  ,  laquelle  il  voit  estre 
préparée  à  tous  pécheurs.  L'homme  régénéré,  de  la  principalle 
partie  de  son  cœ>ur,  adhérant  à  la  justice  de  la  lov,  haist  et  a 
en  exécration   le  péché  qu'il  commet  par  son  imbecilité,    il  s'y 

jo  desplaist,  et  n'y  a  point  son  consentement,  mais  plustost  prend 
plaisir  et  délectation  en  la  loy  de  Dieu,  et  y  trouve  plus  de 
doulceur,  qu'en  toutes  les  voluptez  du  monde  :  D'avantage 
jamais  ne  pèche  de  son  propre  sceu.  que  ce  ne  soit  contre  son 
ca'ur.  Car  non  seulement  sa   conscience  répugne   au  mal,  mais 

:;ii  aussi  une  j^artie  de  son  affection. 

Aucuns  Anabaptistes  imaginent  je  ne  scay  quelle  intem- 
pérance phrenetique  ,  au  lieu  de  la  régénération  spirituelle 
des  fidèles.  C'est  que  les  enfans  de  Dieu  (comme  il  leur 
semble)    estans   reduictz  en  estât   d'innocence,  ne  se   doibvent 

x;  point  soucyer  de  refréner  les  concupiscences  de  leur  chair  : 
mais  doibvent  suyvre  l'Esprit  pour  conducteur ,  soubz  la 
direction  duquel  on  ne  peut  errer.  Ce  seroit  une  chose  incre- 
dible,  que  l'entendement  de  l'homme  peust  tomber  en  telle 
rage  :     sinon   qu'ilz  publiassent    arrogamnieut    ceste    doctrine. 


84  DE    LA    CONGNOISSANCE 

Et  de  faict  c'est  un  monstre  horrible.  Mais  c'est  bien  raison, 
que  l'audace  de  ceux,  qui  entreprennent  de  changer  la  vérité 
de  Dieu  en  mensonge,  soit  ainsi  punye.  Je  leur  demande 
donc,  si  toute  différence  de  turpitude  et  honnesteté  ;  de  justice 
5  et  injustice  ;  de  bien  et  de  mal  ;  de  Acrtu  et  de  vice,  sera 
ostée  ?  Celle  diffei-ence,  disent-ilz.  vient  de  la  malédiction 
du  vieil  Adam  :  de  laquelle  nous  sommes  délivrez  par  Christ. 
Il  n'y  aura  donc  rien  à  dire  entre  paillardise  et  chasteté , 
simplicité    et    astuce,    Acrité    et     mensonge,    équité    et    rapine. 

lu  Qu'on  oste,  disent-ilz,  toute  crainte  frivole,  et  qu  on  suyve 
hardiment  l'Esprit,  lequel  ne  demandera  rien  de  mal  :  moyen- 
nant qu'on  s'addonne  à  sa  conduicte.  Qui  ne  s'estouneroit  de 
ces  propos  si  desraisonnables  ?  Neantmoins  c'est  une  phi- 
losophie populaire   et   amyable    entre  ceux,   qui  estans  aveuglez 

15  de  la  folie  de  leurs  concupiscences,  ont  perdu  le  sens  com- 
mun ?  Mais,  je  vous  prie,  quel  Christ  nous  forgent  ilz  ;  et 
quel  esprit?  Car  nous  recongnoissons  un  Christ,  et  son  Esprit, 
tel  que  les  Prophètes  l'ont  promis,  et  que  l'Evangile  dénonce 
qu'il   a    esté    révélé  :   duquel    nous  n'oyons  rien  de   semblable. 

20  Car  cest  esprit,  que  l'Escriture  nous  monstre,  ne  favorise 
point  à  homicides,  paillardises,  yvrougneries,  orgueil,  conten- 
tion, avarice,  et  fraude  :  mais  est  autheur  de  dilection, 
chasteté,  sobriété,  modestie,  paix,  tempérance,  et  vérité. 
Ce   n'est  pas   un  esprit   de  resverie.  ne  de  tourbillons,  et  qui  se 

25  transporte  cà  et  là  inconsidérément,  tant  au  mal  qu'au  bien  : 
mais  plein  de  sagesse  et  intelligence,  pour  discerner  entre  le 
bien  et  le  mal.  Il  ne  poulse  point  l'homme  à  une  licence 
dissolue  et  etfrenée  :  mais,  comme  il  discerne  le  bien  du  mal, 
aussi  il  enseigne  de  suyvre   l'un,   et   fuyr  l'autre.    Mais  qu'est- 

30  ce  que  je  me  metz  si  grand  peine  à  réfuter  ceste  rage  brutale  ? 
L'Esprit  de  Dieu  n'est  point  aux  Chrestiens  une  imagination 
folle,  laquelle  ilz  se  soient  forgée  en  songeant,  ou  prise 
des  autres  ;  mais  ilz  le  congnoissent  tel,  que  l'Escriture  le 
monstre  :  en    laquelle   il  en  est  dict,    qu'il  nous   est  donné    en 

3j  sanctification,  pour  nous  conduire  en  obeyssance  de  la  justice 
de  Dieu,  nous  ayant  purgé  d'immundicité  et  ordure.  Laquelle 
obeyssance  ne  peut  estre,  que  les  concupiscences  (ausquelles 
ceulx-cy  veulent  lascher  la  bride)  ne  soient  domptées  et  subju- 
guées. En  après  il  en  est  dict  aussi,  qu'il   nous  purge  tellement 


I>F    1,'lHlM.Mi:.     CIIAI'iritl",    11.  80 

par  sa  sanctitication,  ([ue  neanlinoins  il  nous  reste  tousjours 
beaucoup  dinfinuité,  ce  pendant  que  nous  sommes  encloz 
en  nostre  corps  mortel  :  dont  il  advient,  ([ue  entant  que 
nous  sommes  encore  bien  loing"  de  la  perfection,  il  nous  est 
.)mestier  de  profHter  journellement  :  et  entant  que  nous  sommes 
enveloppez  en  beaucoup  de  vices,  qu'il  nous  est  mestier  de 
batailler  à  l'encontre.  De  là  s'ensuit,  ([u'il  nous  fault  veiller 
dilii^emment,  pour  nous  garder  destre  surpris  des  trahisons 
de  nostre  chair  :  et  qu'il  ne  nous  fault  point  reposer  comme 
I"  si  nous  n'estions  point  en  danger  :  sinon  que  nous  pen- 
sions avoir  plus  avancement  que  Sainct  Paul,  en  saincteté 
de  vie  :  lequel  estoit  molesté  des  aiguillons  de  Satan ,  à 
lin  (|u"en  infirmité  il  fust  parfaict  en  vertu.  Et  de  faict^-  (^or 
nous  voyons  comment  il  confesse,  que  le  combat,  dont 
li  nous  avons  parlé  entre  Ib^sprit  et  la  chair,  estoit  en  sa  per-  Rom.7. 
sonne. 

Je  pense  que  nous  avons  suffisamment  prouvé,  comme 
l  honniie  est  tellement  tenu  captif  soubz  le  joug'  de  péché,  qu'il 
ne  peut ,  de  sa  propre  nature ,  ne  désirer  le  bien  en  sa 
20  volunté .  ne  s'y  appli|(pu'r.  D'avantage  nous  avons  mis  la 
distinction  entre  contreincte  et  nécessité  :  dont  il  appert,  que 
quand  l'homme  pèche  nécessairement,  il  ne  laisse  point  de 
pécher  de  sa  volunté.  Mais  pource  (pie  quand  on  le  met 
en  servitude  du  Diable,  il  semble  qu'il  soit  mené  au  plaisir 
2.i  d'icelu}',  plustot  que  du  sien,  il  reste  de  despecher  en  quelle 
sorte  cela  se  fait.  Après  il  fault  souldre  la  question,  dont 
on  doubte  communément  :  c'est,  si  on  doibt  attribuer  quelque 
chose  k  Dieu,  aux  ct'uvres  mauvaises,  ausquelles  l'Escriture 
signifie  que  sa  vertu  y  besongne  aucunement.  Quant  au  pre- 
3u  mier,  Sainct  Augustin  acomparage  en  quelque  lieu  la  volunté 
de  l'homme  à  un  chenal,  (|ui  se  gouverne  par  le  plaisir  de 
celuv  qui  est  monté  dessus.  Il  accomparage  d'aidtre  part  Dieu 
et  le  Diable  à  des  chevaucheurs  :  disant,  que  si  Dieu  a  occupé 
le  lieu  en  la  volunté  de  l'homme,  comme  un  bon  chevaucheur 
S3  et  bien  entendu,  qu'il  la  conduict  de  bonne  mesure,  il  l'incite 
quand  elle  est  trop  tardive,  il  la  retient  si  elle  est  trop  aspre, 
si  elle  s'escarmouche  trop  fort,  il  la  reprime,  il  corrige  sa 
rébellion,  etl'ameine  en  droicte  voye.  Au  contraire  si  le  Diable  a 
gaigné  la  place,  comme  un    mauvais  chevaucheur  et  estourdv. 


80  DE    LA    CONGNMISSANCi: 

il  l'esgare  à  travers  champs  :  il  la  faict  toml)er  dans  des  fosses, 
il  la  faict  tresbucher  et  revirer  par  les  vallées,  il  racconstume  à 
rébellion  et  désobéissance.  De  ceste  similitude  nous  nous  conten- 
terons pour  le  présent,  puis  que  nous  n'en  avons  point  de  meil- 
nleure.  Ce  qu'il  est  donc  dict.  que  la  volunté  de  l'homme  naturel 
est  subjecte  à  la  Seigneurie  du  Diable,  pour  en  estre  menée  :  cela 
ne  signifie  point  qu'elle  soit  contraincte  par  force  et  malgré  qu'elle 
en  avt,  à  obtempérer,  comme  on  contraindroit  un  serf  à  faire 
son  office.  Combien  qu'il  ne  le  voulust  point.  Mais  nous  enten- 

10  dons,  qu'estant  abusée  des  tromperies  du  Diable,  il  est  nécessaire 
qu'elle  se  submette  à  obtempérer  à  ce  que  bon  luv  semble,  com- 
bien qu'elle  le  face  sans  contraincte.  Car  ceulx.  ausquelz  nostre 
Seigneur  ne  faict  point  la  grâce  de  les  gouverner  par  son  Esprit, 
sont  abandonnez  à  Sathan.  pour  estre  menez  de  luy.  Pour  ceste 

15  cause  dit  Sainct  Paul,  que   le   Dieu   de   ce    monde   (qui  est   le 
Diable)  a  aveuglé  l'entendement  des  infidèles,  à  ce  qu'ilz  n'ap- 
percoivent  point  la  lumière  de  l'Evangile.  Et  en  un  autre  lieu  il  2.  Cor.  4 
dit  qu'il  règne  en  tous   iniques  et  desobeissans.    L'aveuglement  £"/>/(.   2. 
donc   des    meschans.  et  tous  les  maletices  qui  s'en  ensuyvent. 

2(1  sont  nommez  ceuvres  du  Dial)le.  et  toutesfois  il  n'en  fault  point 
chercher  la  cause  hors  de  leur  volunté,  de  laquelle  procède 
la  racine  de  mal.  et  en  laquelle  est  le  fondement  du  règne  du 
Diable,  c'est  à  dire  le  péché.  Quant  est  de  l'action  de  Dieu, 
elle  est  bien  autre  en  iceulx.  Mais  pour  la  bien  entendre,  nous 

2ï  prendrons   l'injure    que    firent   les    Caldéens    à    Job.    C'est  que 
ayant   tué    ses  bergers,  ilz  luy  ravirent   tout  son  bestial.  Nous 
voyons  desja  à   l'œil   les  autheurs   de    ceste    meschanceté.   Car  Joh  I. 
quand    nous   voyons    des    voUeurs,    qui    ont    commis    quehjue 
meurtre  ou  larrecin,  nous  ne  doubtons  point,  de  leur  imputer  la 

sofaulte  et  de  les  condamner.  Or  est-il  ainsi,  que  l'histoire 
recite,  que  cela  provenoit  du  Diable.  Nous  voyons  donc  qu'il 
y  besongne  de  son  costé.  D'autrepart  Job  recongnoit  que 
c'est  œuvre  de  Dieu,  disant  que  Dieu  l'a  despoullé  du  bien 
qui  luy    avoit  esté  osté  par    les    Caldéens.    Comment   pourrons 

33  nous  dire,  qu'une  mesme  œuvre  ayt  esté  faicte  de  Dieu,  du 
Diable  et  des  hommes;  que  nous  n'excusions  le  Diable  entant 
qu'il  semble  conjoinct  avec  Dieu  ;  ou  bien  que  nous  disions 
Dieu  estre  autheur  du  mal  ?  Facilement,  si  nous  considé- 
rons  premièrement    la     fin  ,    puis    après    la     manière    d'opérer. 


i>i;   I.  iKiM.Mi:.   ciiAi'i  I  ish:   ii. 


87 


Le  conseil  de  Dieu  esloit,  (rexerccr  son  serviteur  en  patience 
par  adversité  :  Sathan  s'elTorcoit  de  le  mettre  en  desespoir  : 
Les  Chaldéens  taschoient  de  s'enrichir  du  ]>ien  d'autruv  par 
rapine.  Une  telle  différence  de  conseil  distingue  bien  entre 
>  l'oeuvre  de  l'un  et  de  l'autre.  En  la  manière  de  faire  il  n  y  a 
pas  moins  de  dissimilitude.  Le  Seigneur  abandonne  son  servi- 
teur Job  à  Sathan  pour  l'afïliger  :  D'autrepart  il  luy  baille  les 
Chaldéens,  qu'il  avoit  ordonnez  pour  estre  ministres  de  ce 
faire,   et  luy  commet  de  les  poulser  et  mener  :  Sathan  stimule 

10 par  ses  aiguillons  venimeux,  à  commettre  ceste  iniquité,  les 
cœurs  des  Chaldéens.  qui  autrement  estoient  mauvais.  Les  Chal- 
déens, s'addonnantz  à  mal  faire,  contaminent  leurs  âmes  et  leur 
corps.  C'est  donc  proprement  parlé  ,  de  dire  que  Sathan 
besongne  es  reprouvez,  esquelz  il  exerce  son  règne,  c'est  à  dire 

13 le  règne  de  perversité.  On  peut  bien  aussi  dire,  que  Dieu  aucu- 
nement y  besongne,  d'autant  que  Sathan,  lequel  est  instrument 
de  son  ire,  selon  son  vouloir  et  ordonnance  les  poulse  ck  et  là,  pour 
exécuter  ses  jugemens.  Je  ne  parle  point  icy  du  mouvement 
universel  de  Dieu,   duquel  comme  toutes  créatures  sont  souste- 

20nueJ5,  aussi  elles  en  prennent  leur  vertu,  p(»ur  faire  ce  qu'elles 
font.  Je  parle  de  son  action  particulière,  hupielle  se  monstre  en 
chacun  œuvre.  Parquoy  nous  voyons  (pi'il  n'est  pas  inconvénient, 
qu'une  mesme  œuvre  soit  attribuée  à  Dieu,  et  au  Diable,  et  à 
l'homme.  Mais  la  diversité,  qui  est  en  l'intention  et  au  moyen, 

r.  faictque  la  justice  de  Dieu  par  tout  apparoist  irrépréhensible.  La 
malice  du  Diable  et  de  l'homme  se  monstre  avec  sa  confusion. 

Les  anciens  docteurs  craignent  aucunesfois  de  confesser  la 
vérité  en  cest  endroict,  pource  qu'ilz  ont  poi'ur  de  donner  occa- 
sion  aux    mauvais    de   mesdire,    ou    parler    irreveremment  des 

30  œuvres  de  Dieu.  Laquelle  sobriété  j'approuve  tellement,  que  je 
ne  pense  point  toutesfois  qu'il  y  ayt  aucun  danger  de  tenir  sim- 
plement ce  que  nous  en  monstre  l'Escriture.  Sainct  Augustin 
mesme  ha  aucunefois  ce  scrupule  :  comme  quand  il  dit  que 
l'aveuglement    et  endurcissement  des    mauvais,    ne  se  rapporte 

35  point  à  l'opération  de  Dieu,  mais  à  sa  prescience.  Or  ceste 
subtilité  ne  peut  convenir  avec  tant  de  locutions  de  l'Es- 
criture :  lesquelles  monstrent  évidemment,  qu'il  y  a  autre 
chose  que  la  providence  de  Dieu.  Semblablement  ce  que 
aucuns    ameinent.  que    Dieu   permet  le  mal,  mais   ne   l'envoyé 


88  DE    LA    CONONOISSANCK 

point .  ne  peut  subsister.  Souvent  il  est  dict ,  que  Dieu 
aveugle  et  endurcit  les  mauvais,  qu'il  tourne,  et  fleschit. 
et  poulse  leurs  cœurs.  Ce  nest  point  explicquer  telles  formes 
de    parler,    que    de   recourir    à    la    prescience   ou    permission. 

5  Pourtant  nous  respondons,  que  cela  se  fait  doublement.  Car 
comme  ainsi  soit ,  que  la  lumière  de  Dieu  ostée ,  il  ne  reste 
sinon  obscurité  et  aveuglement  en  nous  :  son  Esprit  osté, 
noz  cœurs  soient  endurciz  comme  pierre  :  sa  conduicte  ces- 
sant,  nous  ne    puissions  cjue    nous    esgarer    à   travers  champs  : 

10  à  bonne  cause  il  est  dict,  quil  aveugle,  endurcit,  et  poulse 
ceulx,  ausquelz  il  oste  la  faculté  de  voir,  obéir,  et  faire  bien. 
La  seconde  manière ,  qui  approche  plus  à  la  propriété  des 
motz.  c'est  que  Dieu,  pour  exécuter  ses  jugemens  par  le  Diable, 
qui  est  ministre  de  son  ire,   dirige  où  bon  luy  semble,  le  conseil 

lides  mauvais,  et  meut  leur  volonté,  et  conferme  leur  esfort.  Selon 
la  première  raison,  se   doibt  entendre  ce  qui  est  dict  en  Job  :   Il 
oste  la  langue  à  ceulx  qui  parlent  bien  :  et  le  conseil  aux  anciens 
et  sages.   11  oste    le    cœur  à  ceulx  qui  président  en  la  terre  :    et  job  12. 
les  faict  errer    hors   de  la  voye.  Item  ce  que  dit  S.   Paul  :     Dieu 

20 leur  envoyé    efficace  de  tromperie,  à   fin  c[u"ilz  croyent  à  men- 2  The.  2. 
songe.    Item  en  lesaye.    Pourquoy  (Seigneur^  nous  as  tu  osté  le  hsa.  63. 
sens  ?  Pourquoy  nous  as  tu  endurcy  le  cœur  ;  à   ce  que  nous  ne 
craignissions    point  ?    Car  toutes  ces   sentences  sont  plus   pour 
signifier,  que  c  est  que  Dieu  fait  des    hommes,   en  les  abandon- 

25  nant  et  délaissant  :    que  pour  monstrer   comment    il   besongne 
en  eulx.  Mais  il  y  a  d'autres  tesmoignages  qui  passent   oultre. 
Gomme    quand    il  est   parlé    de    l'endurcissement    de   Pharaon,  Exo.  1. 
J'endurciray  (dit  le  Seigneur)  le  co'ur  de    Pharaon;    à  lin    qu'il  7.  ef  10. 
ne  vous  escoute  point,  et  quil  ne  délivre  le  peuple.  Puis  après 

30  il    dit,    quil  luy   a   cnnfermé   et    corroboré    son    cœur.    Faut-il 
entendre  qu'il  luy  a  endurcy  ;  en  ne  luy  amollissant  point  ?  Cela 
est  bien  vray  :   Mais  il   a    faict  d'avantage  :    c'est  qu'il  a  livré  Exo.  3. 
son  cœur  à  Sathan,  pour  le  confermer  en  obstination.  Pourtant 
il  avoit  dict  dessus.  Je  tiendray  son  coeur.  Pareillement  quand 

33  le  peuple  d'Israël  sort    d'Egypte  ,   les  habitans    du   pais  où   ilz  Den.  2. 
entrent  viennent  au   devant  de    mauvais  courage  :   d'où  dirons 
nous  quilz  sont  incités?  Certes  Moyse  disoit.  que  ce  avoit  esté  le  Psa.  lOii. 
Seigneur,  qui  avoit  conferme  leurs  coeurs.  Le  Prophète  recitant 
la  mesme  histoire,  dit  que  le  Seigneur  avoit  tourné  leur  cœur  en 


DE    l/llOAniE.    r.llAPITRF    II.  89 

la  havnc  de  son  poupli'.  On  ne  pourroit  niainlenant  dire,  ([u'ilz 
ont  failly  seulement,  à  cause  qu'il/,  estoient  desnuez  du  conseil 
de  Dieu,  car  s'il/  sont  conferme/  et  conduictz  à  cela  :  le  Sei- 
jj^neur  aucunement  les  y  incline  et  nieine.  D'avantag-e  toutes  les 

3  fois  qu'il  luy  a  pieu  chastier  les  transgressions  de  son  peuple  ; 
comment  l'a-il  exécuté  par  les  meschans  ?  Certes  en  telle  sorte 
qu'on  voit  bien  ([ue  la  vertu  et  efficace  de  l'œuvre  procedoit  de 
luy  :  et  qu'iceulx  estoient  seulement  de  ses  ministres.  Pourtant 
aucunesfois  il  menace,  qu'en  sihlant  il  fera  venir  les  peuples  in- 

10  fidèles  pour  destruire  Israël  :   aucunesfois  les  accomparageant  à 
lui  ret/,    aucunesfois  à  un   marteau.  Mais  principallement    il  a  Esa.  !>.  7. 
demonstré,  combien  il  n'estoit  point  oysif  en  eulx,  en    acompa-  Ezec.  42. 
raj^eant    Sennacherib,  homme  meschant  et  pervers,    à  une  coi-  .J.^  ^"..^ 
gnée  :   disant  cpiil  le   conduisoit  et  poulsoit    de    sa  main,  pour /esaJe/0. 

ncoupper  selon  son  bon  plaisir.  Sainct  Augustin  en  quelque  lieu 
mect  une  distinction  qui  n'est  point  mauvaise  :  C'est  que  ce  que 
les  iniques  pèchent,  cela  vient  de  leur  j)ropre  :  que  en  péchant 
ilz  font'une  chose  ou  autre,  cela  est  de  la  vertu  de  Dieu,  lequel 
divise  les  ténèbres  comme  bon  luy  semble.  Or  que  le  ministère 

20  de  Sathan  entreviene,  à  inciter  les  mauvais,  quand  Dieu  par  sa 

providence  les  veut  fleschir  cà  et  là  :  il  apparoistra  assez  par  un 

passage.    Car  il  est    souventesfois  dict,  cpie   le   mauvais    esprit  I .  Samuel 

de   Dieu  a  invadé    ou   laissé  Saul.  11  n'est  pas   licite  de  référer    ,,''„' 

,  ,    et  IV. 

cela    au    Sainct    Esprit.    Pourtant    nous    voyons    que    1  Esprit 

2iimmunde  est  nommé  de  Dieu,  entant  qu  il  respond  au  plaisir  et 
pouvoir  de  Dieu  :  il  est  instrument  de  sa  volunté,  plustost  que 
autheur  de  soymesme.  Neantmoins,  comme  il  a  esté  dict,  il  y  a 
tousjours  grande  distance  entre  ce  que  Dieu  faict,  ou  ce  que  faict 
le   Diable,  ou  les   meschans,  en  une  mesme  œuvre.  Dieu  faict 

30  servir  à  sa  justice  les  mauvais  instruments  qu'il  ha  en  sa  main, 
et  qu'il  peut  fleschir  par  tout  où  bon  luy  semble.  Le  Diable  et 
les  iniques,  comme  ilz  sont  mauvais,  produisent  et  enfantent 
par  œuvres,  la  meschanceté  qu  ilz  ont  conceuë  en  leur  esprit 
pervers.   Le  reste  qui  appartient  k  detfendre  la  Majesté  de  Dieu 

3o  contre  toutes  calumnies,  et  réfuter  les  subterfuges,  dont  usent 
les  blasphémateurs  en  cest  endroit,  sera  exposé  au  traicté  de  la 
providence  de  Dieu,  car  icy  j'ay  voulu  seulement  monstrer  en 
brief ,  comment  le  Diable  règne  en  un  meschant  homme,  et 
comment    Dieu    besongne  ,   tant   en    l'un   comme     en    l'autre  . 


!M)  DE    LA    r.ONONOISSANCr-: 

Quant  est  des  actions,  lesquelles  de  soy  ne  sont  ne  bonnes  ne 
mauvaises,  et  appartiennent  plustost  à  la  vie  terrienne  que  spiri- 
tuelle, il  n'a  pas  esté  encores  declairé,  quelle  est  la  liberté  de 
riiomme  en  icelles.  Aucuns  ont  dict,  que  nous  avons  en  icelles 
o  eslection  libre,  ce  qu'il/,  ont  faict.  comme  je  pense,  pource  qu'il/, 
ne  A'ouloient  debatre  une  chose,  qu'il/  ne  pensoient  pas  estre 
de  grande  importance  :  que  pour  asseurer  cela  comme  certain. 
Quant  à  moy,  comme  je  confesse,  que  ceulx  qui  recong-noissent 
leurs  forces  estre  nulles  pour  se  justifier,  entendent  ce  qui  est 

10 nécessaire  à  salut:  toutesfois  je  pense  cpie  cela  n'est  pas  à 
neg-lio^er.  d'entendre  que  c  est  une  grâce  spéciale  de  Dieu,  quand 
il  nous  vient  en  l'entendement  deslire  ce  qui  nous  est  profi- 
table, et  de  le  désirer  :  et  aussi  d'autrepart  quand  nostre  esprit 
et    nostre  cœur  fuyent  ce  qui  nous  est  nuysible.  Et  de  faict,  la 

i>  providence  de  Dieu  s'estend  jusques  là.  non  seulement  de  faire 
advenir  ce  qu'il  congnoit  estre  expédient  :  mais  aussi  de  incliner 
la  volunté  des  hommes  à  un  mesme  but.  Bien  est  vray,  cjue  si 
nous  reputons  la  conduicte  des  choses  externes  selon*  nostre 
sens,  nous  jugerons  qu'elles   sont    en   l'arbitre   et  puissance   de 

20  l'homme.  Mais  si  nous  escoutons  tant  de  tesmoignages .  qui 
dénoncent  que  nostre  Seigneur  mesme  en  cest  endroit  gouverne 
les  cœurs  des  hommes,  nous  soub/mettons  la  jouissance  humaine 
au  mouvement  spécial  de  Dieu.  Qui  est  ce  qui  a  esmeu  les 
cœurs  des  Egiptiens  ;  à  ce  qu'il/  prestassent  au  peuple  d'Israël  iTa^or/.  / /. 

Soles  plus  précieux  vaisseaux  qu'il/  eussent?  Jamais  d'eulx 
mesmes  n'eussent  esté  induict/  à  cela .  Il  s'ensuit  donc  que 
leurs  cœurs  estoient  plus  mené/  de  Dieu,  que  de  leur  propre 
mouvement  ou  inclination.  Qui  est  ce  qui  destourna  le  cœur 
d'Absalon,    pour  faire  qu'il  ne  receust  point  le  conseil  de  Achi- 

sotophel;    qui  avoit  accoustumé  d'estre  receu    comme  Evangile?  2.  Sann/e/ 
()ui   est    ce    qui  induict  Roboan  :  pour   le  faire  obevr  au  conseil  ,    J^'    , 
des  jeunes  gens?  (Juelqu'un  répliquera,    que  ces  exemples  sont    \2. 
particuliers  :  dont  on  ne  doibt   pas   faire  une   reigle   commune. 
Mais  je  dit/   quilz  suffisent  pour  prouver  ce    que  je  prétend/. 

-^  C'est  que  Dieu,  toutesfois  et  quantes  qu  il  veut  donner  voye 
à  sa  providence,  mesme  es  choses  externes,  fleschit  et  tourne 
la  volunté  des  hommes  à  son  plaisir  :  et  que  leur  eslection 
n'est  pas  tellement  libre ,  cjue  Dieu  ne  domine  par  dessus , 
veuillons    ou     non   :    l'expérience    journelle     nous    contraindra 


Kl.   I.  iiiiMMi:.   ciiAi'i  IRI-;  11.  :n 

d'estimer,  que  noslre  cœur  est  plustost  conduict  par  le 
mouvement  de  Dieu,  que  par  son  eslection  et  liberté,  veu 
((ue  souvent  la  raison  et  entendement  nous  defl'ault,  en  choses 
qui  ne  sont  point  trop  diiriciles  à  con^i^noistre,  et  perdons 
.courag'e,  en  choses  qui  sont  aisées  à  l'aire.  Aucontraire  en 
choses  très  obscures  et  douliteuses  nous  délibérons  sans  diffi- 
culté, et  scavons  comment  nous  en  debvons  sortir.  En  choses 
de  grande  conséquence  et  de  j^rand  dang-er,  le  courag-e  nous 
demeure  ferme  et  sans   crainte.   Dont    procède  cela  ;  sinon  que 

to  Dieu    besongne,    tant   d'une   part    que   d'autre?    Et    de    faict, 

j'entends  en  ceste  manière  ce  que  dit  Salomon.  Le  Seigneur  faict  Prorerho 
que  l'aureille  oye,  et  que  l'oeil  voye.  Car  il  ne  me  semble  point    "   ' 
advis  (jue  lîi  il  parle  de  la  création,  mais  de  la  j^race  spéciale,  que 
Dieu  faict  aux  hommes  de  jour  en  jour.  D'avantaj^e  quand  il  dit, 

i;i  c[ue    le   Seij^neur  tient  le    C(eur  des  Hoys    en   sa  main  ,  comme 
un   ruysseau  d'eaue  :   et  qu'il  les  faict  coulei-  quelque  part  ([ue  PrnverLo 
bon  luy  semble,  il  n'y  a  point  de  doid)te  cpiil  ne  comprenne  tous 
hommes    soubz    une    espèce.    Car   s  il   y   a    homme    duquel    la 
volunté  soit  exemptée  de  toute  subjection  ce  privilège  appartient 

ji>  au  Hoy  par  dessus  tous  :  du(juel  la  volunté  gouverne  les  autres. 
Si  donc  la  volunté  du  P«oy  est  conduicle  par  la  main  de  Dieu  : 
la  nostre  ne  sera  point  exemptée  de  ceste  condition  :  dequoy  il 
y  a  une  belle  sentence  en  Sainct  Augustin.  L'escriture,  dit-il,  si 
on    la    regarde    diligemment,    monstre  que   non    seulement    les 

2i  bonnes  voluntez  des  hommes,  lesquelles  Dieu  a  crées  en  leur 
cœur,  et  les  ayant  crées  les  conduict  k  bonnes  œuvres,  et  à  la 
vie  éternelle,  sont  en  la  puissance  de  Dieu  ;  mais  aussi  toutes 
celles  qui  appartiennent  à  la  vie  présente  :  et  tellement  y  sont, 
qu'il  les    incline   selon   son    plaisir  cà    ou   lii,   ou  pour  profiter 

■wk  leurs  prochains  :  ou  pour  leur  nuyre,  quand  il  veut  faire 
quelques  chatiemens.  Et  tout  cela  faict-il  par  son  jugement 
oculte,  et  neantmoins  juste.  Or  il  fault  icy  que  les  lecteurs  se 
souviennent,  qu'il  ne  fault  pas  estimer  la  faculté  du  libéral 
Arbitre  de  l'homme  par  l'advenement  des  choses  comme  font 

:  i  aucuns  ignorans.  Car  il  leur  semble  bien  advis,  qu'ilz  peuvent 
prouver  la  volunté  des  hommes  estre  en  servitude,  d'autant  que 
les  choses  ne  viennent  point  au  souhait  des  plus  grans  princes 
du  monde  :  et  que  le  plus  souvent  ilz  ne  peuvent  venir  k  bout 
de    levu's  entreprises.    Or  la    puissance    et  liberté  ,   dont   il   est 


.    92  DF    LA    CO>r,Nf)lSSA>T,E 

question  maintenant,  doibt  estre  considérée  en  l'homme,  et  nom- 
pas  estimée  par  les  choses  de  dehors.  Car  quand  on  dispute  du 
libéral  Arbitre,  on  ne  débat  point.  s"il  est  lovsible  à  l'homme 
d'acomplir   et   exécuter   ce    qu'il    a    délibéré ,  sans   que    rien   le 

3  puisse  empescher  :  mais  on  demande  si  en  toutes  choses  il  ha 
libre  eslection  en  son  jugement  pour  discerner  le  bien  et  le  mal, 
et  approuver  l'un  et  rejecter  l'autre  :  ou  pareillement  s'il  ha  libi-e 
atïection  en  sa  volunté,  pourappeter,  chercher,  et  suyvre  le  bien: 
ha^r  et  éviter  le  mal.    Car  si  cela  pouvoit  estre  en  l'homme,  il 

10 ne  seroit  pas  moins  libre,  estant  enfermé  en  une  prison,  que 
dominant  toute  la  terre. 

Nous  aurions  assez  parlé  de  la  servitude  de  l'ame  humaine, 
n'estoit  que  ceux  qui  taschent  de  la  séduire  d'une  faulse  opinion 
de  liberté,   ont  leurs  raisons  aucontraire,  pour  impugner  nostre 

15  sentence.  Premièrement  ilz  objectent  quelques  absurditez,  pour 
la  rendre  odieuse  :  comme  si  elle  repugnoit  au  sens  commun 
des  hommes.  Puis  ilz  usent  de  tesmoignages  de  l'Escriture,  pour 
la  convaincre.  Selon  cest  ordre  nous  leur  respondrons.  Il 
arguent  donc  ainsi,  que    si  le  péché   est  de  nécessité  :  ce  n'est 

20  plus  péché.  S'il  est  voluntaire  :  qu'il  se  peut  éviter.  C'estoit  le 
baston  qu'avoit  Pelagius  pour  combatre  Sainct  Augustin,  et 
toutesfois  nous  ne  voulons  point  pour  cela,  que  leur  raison  n'ayt 
point  d'audience,  jusques  à  ce  que  nous  l'aurons  refutée.  Je  nye 
donc,  que   le  péché  laisse   d'estre   imputé  pour   péché,  d'autant 

•^s  qu'il  est  nécessaire.  Je  nye  d'autrepart,  qu'il  sensuyve,  qu'on 
puisse  éviter  le  péché,  s'il  est  voluntaire.  Car  si  quelqu'un  veut 
s'avder  de  ceste  couverture,  pour  plaider  contre  Dieu,  comme 
si  c'estoit  un  bon  subterfuge,  de  dire  qu'il  n'a  peu  autrement 
faire    :    il    aura   incontinent    sa   response    preste.    La   perdition  Osée    13. 

:iii vient  de  toy  Israël,  en  moy  seulement  est  ton  salut.  Car 
dont  vient  ceste  impuissance  qu'il  prétend  ;  sinon  de  la 
perversité  de  sa  nature  ?  et  dont  est  ceste  perversité  ;  sinon 
pource  que  l'homme  a  décliné  de  son  créateur  ?  Or  si  tous 
hommes   sont    coulpables   de    ceste    cheute,    il   ne    fault    point 

io  qu  ilz  se  pensent  excuser  par  nécessité  qu'ilz  ont  de  mal 
faire  :  veu  qu'en  icelle  est  contenue  juste  cause  de  leur  damna- 
tion. L'autre  partie  de  leur  argument  n'est  pas  vaillable,  entant 
qu'ilz  prétendent,  que  tout  ce  qui  se  faict  voluntairement,  soit 
faict    en   pleine    liberté.     Car   cy     dessus    nous    avons    prouA^é 


dl;  l  iiu.M.Mi:.  ciiAi'iiut;  ii. 


!>3 


que  plusieurs  choses  se  font  voluntairement,  desquelles  l'es- 
lection  n'est  pas  libre.  Hz  disent  après,  que  si  les  vices  et 
vertus  ne  procèdent  de  libre  eslection,  qu'il  n'est  pas  conve- 
nable que  l'homme  soit  rémunéré  ou  puny.  Combien  que  cest 
5  argument  soit  prins  de  Aristote  :  toutesfois  je  confesse  que 
Sainct  Chrysostome  et  Sainct  Hyerosme  en  usent  quelque  part. 
Combien  que  Hyerosme  ne  dissimule  pas,  qu'il  a  esté  familier 
aux  Pelai^'iens  :  dosquelz  il  réfère  les  paroles  qui  s'ensuyvent. 
Que  si  la  grâce  de  Dieu  besongne  en  nous,  icelle  sera  rémunérée  : 

10  et  nonq)as  nous  qui  ne  travaillons  point .  Quant  est  des  puni- 
tions que  Dieu  faict  des  maléfices  :  Je  respondz  (ju  elles  nous 
sont  justement  deuës,  puis  que  la  coulpe  de  péché  réside  en 
nous.  Car  il  ne  chault,  si  nous  péchons  d'un  jugement  libre,  ou 
servile,  moyennant  que  ce  soit  de  cupidité  voluntaire,  principal- 

lalement  veu  que  l'homme  est  convaincu  d'estre  pécheur,  entant 
qu  ilz  est  soul)z  la  servitude  de  péché,  (^uant  est  du  loyer  de 
bien  faire  :  quelle  absurdité  est  ce  ;  si  nous  confessons  qu'il 
nous  soit  donné  plus  par  la  bénignité  de  Dieu  ,  que  rendu 
pour  noz     mérites  ?    Combien   de    fois    est    répétée   ceste    sen- 

20  tence  en  Sainct  Augustin  ;  que  Dieu  ne  couronne  point  noz 
mérites  en  nous,  mais  ses  dons  ?  et  que  le  loyer  qui  nous  vient 
n'est  pas  ainsi  appelle,  pource  ({u'il  soit  deu  à  noz  mérites  ;  mais 
pource  qu  il  est  rétribué  aux  grâces,  (|ui  nous  avoient  esté  aupa- 
ravant conférées  ?  C'est  bien  regardé  à  eulx,  d'entendre  que  les 

2u  mérites  n'ont  plus  de  lieu,  sinon  que  les  lionnes  œuvres  pro- 
cèdent de  la  propre  vertu  de  l'homme.  Mais  de  trouver  cela  tant 
estrange,  c'est  une  moquerie.  Mais  l'Apostre  les  délivrera  de 
ceste  folle  phantasie,  s'ilz  veuUent  escouter,  de  quel  principe  il 
desduict  nostre  béatitude,  et  la  gloire  éternelle  que  nous  atten- 

30 dons.  Ceux  que  Dieu  a  esleus,  dit-il,  il  les  a  appelez,  ceux  qu'il 
a  appeliez,  il  les  a  justifiez:  ceux  qu'il  a  justifiez,  il  les  a  glorifiez. 
Pourquoy  donc  sont  couronnez  les  fidèles?  Certes,  selon  l'Apostre, 
d'autant  que  par  miséricorde  du  Seigneur,  et  non  parleur  indus- 
trie, ils  ont  esté  esleuz,  appeliez,  et  justifiez.  Pourtant  que  ceste 

3o  folle  crainte  soit  ostée,  qu'il  n'y  aura  plus  mérite,  si  le  franc  Ar- 
bitre n'est  soustenu.  Car  c'est  une  moquerie  de  fuyr  ce  à  quov 
l'Escriture  nous  meine.  Si  tu  as  receu  toutes  choses   (dit  Sainct 
Paul),    pourquoy  te  glorifie  tu,   comme  si  tu  ne  les  avois  point  /.  Cor.  4. 
receues.   Nous  voyons  qu'il   oste  toute  vertu  au  libéral   Arbitre, 


Di  DI-:    LA    C.UNGNOlSSA>CE 

à  fin  de  destruire  tous  mérites.  Neantmoins  selon  que  Dieu  est 
riche  et  libéral  à  bien  faire,  il  rémunère  les  grâces  qu'il  nous  a 
conférées,  comme  si  c'estoient  vertus  venans  de  nous  pource 
qu'en  nous  les  donnant,  il  les  a  faictes  nostres. 

Hz  allèguent  consequemment  une  objection,  laquelle  semble 
estre  prinse  de  Sainct  Chrisostome  :  Que  s'il  estoit  en  nostre 
facvdté  d  eslire  le  bien  et  le  mal  :  qu  il  faudroit  que  tous  hommes 
fussent  bons,  ou  tous  meschans  :  veu  quilz  ont  une  mesme 
nature.  A  quoy  s'accorde  le  dire  de  celluy  qui  a  escrit  le  livre, 

10  intitulé  de  la  vocation  des  Gentilz ,  qu'on  attribue  l\  Sainct 
Ambroise.  C'est  que  nul  jamais  ne  declineroit  de  la  Foy,  sinon 
que  la  grâce  de  Dieu  laissast  la  volunté  de  l'homme  nmable. 
En  quoy  je  m'esmerveille  comment  si  grandz  personnages  se 
sont  abusez.   Car  comment  Chrisostome  n'a  il  i-ejDuté,  que  c'est 

i;>  l'eslection  de  Dieu  ;  laquelle  discerne  ainsi  entre  les  hommes  ? 
Certes  nous  ne  debvons  avoir  honte  de  confesser,  ce  que  Sainct 
Paul  afferme  tant  certainement  :  que  tous  sont  pervers  et  adon- 
nez à  malice  :  mais  nous  adjoustons  quant  et  quant  avec  luy, 
que  la  miséricorde  de  Dieu  subvient  à  aucuns,  à  fin  que  tous  ne 

20  demeurent  point  en  perversité.  Comme  ainsi  soit  donc,  que  natu- 
rellement nous  soyons  attains  d'une  mesme  maladie  :  il  n'y  en  a 
de  garantis  sinon  ceulx,  ausquelz  il  plaist  à  Dieu  de  remédier. 
Les  autres,  que  par  son  juste  jugement  il  abandonne,  demeurent 
en  leur  pourriture,  jusques  après  quilz  soient  consummez.  Et  ne 

ii  procède  d'ailleurs,  que  les  uns  poursuivent  jusques  à  la  fin,  les 
autres  deffaillent  au  milieu  du  chemyn.  Car  de  faict  la  persé- 
vérance est  un  don  de  Dieu  :  lequel  il  n'eslargit  pas  à  tous  indif- 
féremment :  mais  k  qui  bon  luy  semble.  Si  on  demande  la  raison 
de  ceste  différence,  pourquoy  les  uns  persévèrent  constamment,  et 

sa  les  autres  sont  ainsi  muables  ;  il  ne  s'en  trouvera  point  d'autre, 
sinon  que  les  premiers  sont  maintenuz  par  la  vertu  de  Dieu,  à 
ce  qu'ilz  ne  périssent  point:  Les  secondz  n'ont  point  une  mesme 
force  :  d'autant  qu'il  veut  monstrer  en  eulx  exemple  de  l'incons- 
tance humaine.  Hz  arguent  aussi,  que  toutes  exhortations  seront 

33  frustratoires,  qu'il  n'y  a  nulle  utilité  en  admonitions,  que  les 
reprehensions  sont  ridicules,  s'il  n'est  en  la  puissance  du  pécheur 
d'y  obtempérer.  Pource  qu'on  objectoit  jadis  ces  choses  à 
Sainct  Augustin,  il  fust  contrainct  de  publier  le  livre,  intitulé 
de    Correction    et    Grâce    :     Auquel    combien     qu'il    responde 


bE  l'hu.m.mi:;.  ciiai'Iihl:  ii.  !>o 

aiupK'iiienl  à  tout,  neantmoins  il  réduit  la  (juestiou  à  ceste  somme. 
0  homme  recong-nois  en  ce  qui  est  commandé,  que  c'est  que  tu 
doibz  faire  :   En  ce  que  tu  es  repris  de  ne  l'avoir  faict,  cong-nois 
que  la  vertu  te  deirault  par   ton  vice,    en  priant  Dieu,  congnois 
jdont  il  te  fault  recevoir  ce  qu'il  t'est  mestier.  Premièrement  nous 
ne  sommes  point  seulz  à  soubstenir  ceste  cause,  mais   Christ  et 
tous   ses    Apostres.     Pourtant    que    nos    adversaires    regardent 
comment   ilz    viendront   au    dessus,    entreprenante    ce    combat 
contre  telles  parties.  Combien  que  Christ  ayt  déclaré,    que  sans 
10  luy  nous  ne  pouvons  rien  :  neantmoins  il  ne  laisse  pour  cela  de 
reprendre  ceulx  qui  font  mal  hors  luy  :  en  ne  laissant  d'exhor- 
ter un  chascun  à  bonnes   œuvres.    Combien  S.    Paul   i-eprend-il 
asprement    les    Corinthiens;    pource    qu'ilz    ne   vivoyent   point 
charitablement?  Toutesfois    après. il   prie    Dieu    de    les    rendre 
la  charitables.  Il  testilie  aux  Romains,  que  la  justice  n'est  point  au 
vouloir    ny  en  la  course  de  l'homme  :  mais  en  la  miséricorde  de 
Dieu.    Toutesfois    il    ne  laisse    pas    après    de    les    admonester, 
exhorter  et  corriger.  Que  n'advertissent-il/.  donc  le  Seig-neur,  de 
ne    perdre  sa  peine,  en  requérant  des  hommes  sans   propos,  ce 
20  que  luy    seul  leur  peut    donner:  en  les  reprenant    de  ce  qu'ilz 
commettent  par  le  seul  delVault  de  sa  grâce  ?  (Jue  ne  remonstrent- 
ilz    à    Sainct    Paul  :    qu'il    doibt  pardonner  à    ceulx    qui   n'ont 
point   en    leurs  mains  de  vouloir  le   bien,  ou  l'accomplir,  sinon 
par  la   miséricorde    de  Dieu  ;   laquelle    leur  delFault,  quand    ilz 
2o  faillent  ?  Mais    toutes    ces   folies   n'ont  point  de   lieu,   veu  que 
la  doctrine  de  Dieu    est    fondée  en    trop  bonne  raison  :  mais 
qu'elle  soit  bien   considérée.  Il  est  bien   vray,  que  Sainct  Paul 
monstre  que  la  doctrine,  et  exhortation,  et  objurgation  ne  pro- 
fitent gueres  de  soy  à  changer  le  cœur  de  l'homme,  quand  il  dit, 
30  que  celuy  qui  plante  n'est  rien,  et  celuy  qui  arrouse  n'est  rien  :  /  Cor.  :i. 
mais  que  toute  l'efficace  gist  au  Seigneur  qui  donne  accroisse- 
ment. De  quoy  donc  servent  les  exhortations  ;  dira  quelqu'un  ? 
Je  respondz,  que  si  elles  sont  mesprisées  d'un  cœur  obstiné  :  elles 
luy  seront  en  tesmoignage  pour  le  convaincre,  quand  ce  sera  au 
35  jugement  de  Dieu.  Et  mesmes  la  mauvaise  conscience  en  est  tou- 
chée et  pressée  en  la  vie  présente.  Car  combien  qu'elle  s'en  moque, 
elle  ne  les  peut  pas  reprouver.  Si  on  objecte  :  que  fera  donc  le 
paouvre    pécheur;  veu  que   la  promptitude    de  cœur,    laquelle 
estoit  requise    pour   obéir,  luy  est  denyée  ?  Je  respondz  à  cela   : 


yO  Uli    LA    CO.NLi.NOlSSANCE 

Gomment  pourra-il  tergiverser  ;  veu  qu  il  ne  peut  imputer  la 
durté  de  son  cœur,  sinon  à  soymesme?  Parquoy  les  meschans, 
combien  quilz  desireroient  d'avoir  en  illusion  les  préceptes  et 
advertissemens  de  Dieu,  s'il  leur  estoit  possible,  sont  confonduz, 
o  veuillent-ilz  ou  non,  par  la  vertu  d'iceulx.  Mais  la  principale 
utilité  doibt  estre  considérée  es  fidèles,  ausquelz  jacoit  que  le 
Seigneur  face  tout  par  son  Esprit  :  toutesfois  il  use  de  l'instru- 
ment de  sa  parole,  pour  accomplir  son  œvre  en  eidx  et  en  use 
avec  efficace.  Quand  donc  cela  sera  résolu,  comme  il  doibt  estre, 

10  que  toute  la  vertu  des  justes  est  située  en  la  grâce  de  Dieu  :  si 
quelqu'un  demande,  pourquoy  on  les  admoneste  de  leur  debvoir, 
et  pourquoy  on  ne  les  laisse  à  la  conduicte  du  Sainct  Esprit  : 
pourquoy  on  les  poulse  par  exortation,  veu  quilz  ne  se  peuvent 
haster  davantage  que  l'Esprit  les   incite  :   pourquoy  on  les  cor- 

lorige,  quand  ilz  ont  failly,  veu  qu'il  sont  nécessairement  tresbu- 
chez  par  1  infirmité  de  leur  chair.  Nous  avons  à  respondre  : 
Homme,  qui  es  tu  qui  veulx  imposer  loy  à  Dieu?  S'il  nous  veut 
préparer  par  exhortation,  à  recepvoir  la  grâce  dobeyr  à  son 
exhortation  ;  qu'est  ce  que  tu  as  à  reprendre  ou  mordre  en  cest 

20  ordre  et  manière  ?  Si  les  exhortations  ne  profitoient  d'aultre 
chose  entre  les  fidèles,  sinon  pour  les  redarguer  de  péché  : 
encores  ne  debvroient  elles  estre  réputées  inutiles.  Or  mainte- 
nant, puis  qu'elles  profitent  grandement  à  emflamber  le  cœur  en 
amour   de  justice    :   au  contraire  à  haine  et  desplaisir  de  péché, 

25  entant  que  le  Sainct  Esprit  besongne  au  dedans,  quand  il  use 
de  cest  instrument  extérieur,  au  salut  de  l'homme  :  qui  osera  les 
rejecter  ;  comme  superflues  ?  Si  quelqu'un  désire  une  response 
plus  claire,  je  luy  donneray  la  solution  en  brief.  C'est  que  Dieu 
besongne   doublement  en  nous  :  au    dedans,    par   son  Esprit,  au 

30  dehors  par  sa  parole.  Que  par  son  Esprit  en  illuminant  les  enten- 
demens,  formans  les  cœurs  en  amour  de  justice  et  innocence,  il 
régénère  l'homme  en  nouvelle  créature.  Par  sa  parole,  il  esmeut 
et  incite  l'homme  à  désirer  et  chercher  ceste  rénovation.  En 
l'une  et  en  l'autre  il  demonstre  la  vertu  de  sa  main,  selon  l'ordre 

3a  de  sa  dispensation.  Quand  il  adresse  icelle  mesme  parole  aux 
iniques,  et  reprouvez,  combien  qu'elle  ne  leur  tourne  à  correc- 
tion, neantmoins  il  la  faict  valloir  à  autre  usage.  C'est  à  fin  qu'ilz 
soient  à  présent  pressez  en  leurs  consciences,  et  au  jour  du 
jugement  soyent  d'autant  plus  inexcusables. 


DE    L  HOMMK.    CIIAl'IThl':    11. 


97 


Hz  mettent  g^rand 'peine  à  recueillir  force  tesmoignages  de 
rKscriture,  à  fin  que  silz  ne  peuvent  vaincre  par  en  avoir  de 
meilleurs  et  plus  pi'opres  que  nous  :  que  pour  le  moins  ilz  nous 
puissent  accabler  de  la  multitude.  Mais  c'est  comme  si  un 
s  capitaine  assembloit  force  g'ens,  qui  ne  fussent  nullement  duictz 
à  la  g-uerre,  pour  espouventer  son  ennemy  :  Devant  que  les 
mettre  en  œuvre ,  ilz  feroient  grand'monstre  :  mais  s'il  fail- 
loit  venir  en  bataille,  et  joindre  contre  son  ennemy,  on  les 
feroil   fuyr  du  premier    coup.    Ainsi  il  nous  sera    facil'  de   ren- 

III  verser  toutes  leurs  objections,  qui  n'ont  qu'apparence  et  osten- 
tation vaine.  Et  pource  que  tous  les  passages  qu'ilz  allèguent, 
Si'  peuvent  réduire  en  certains  ordres,  quand  nous  les  aurons 
ainsi  distribuez  soubz  une  rosponse,  nous  satisferons  à  plusieurs. 
Par  ainsi  ne  sera    point    nécessaire  de    les    souldre    l'un    après 

1 , 1  autre.  Hz  font  un  grand  bouclier  des  préceptes  de  Dieu  :  les- 
(juelz  ilz  pensent  estre  tellement  proportionnez  à  nostre  force, 
([ue  tout  ce  qui  y  est  reijuis,  nous  le  puissions  faire.  Hz  en 
assemblent  donc  un  grand  nombre  :  et  par  cela  mesurent  les 
forces  humaines.  Car  ilz  arguent  ainsi.  Ou    Dieu   se   moque    de 

20  nous,  quand  il  nous  commande  saincteté,  pieté,  obeyssance, 
chasteté,  dilection,  et  mansuétude  :  et  quant  il  nous  detîend  im- 
mundicité,  ydolatrie,  impudicité,  ire,  rapine,  orgueil,  et  choses 
semblables  :  ou  il  ne  requiert  sinon  ce  qui  est  en  nostre  puis- 
sance. Or  tous  les  préceptes  qu'ilz  amassent  ensemble  se  peuvent 

2.J  distinguer  en  trois  espèces,  les  ims  commandent  que  l'homme 
se  convertisse  à  Dieu  :  les  autres  simplement  recommandent 
l'observation  de  la  Loy  :  les  autres  commandent  de  persévérer 
en  la  grâce  de  Dieu  desja  receuë.  Traictons  premièrement  de 
tous  en  gênerai  :  puis  nous  descendrons  aux  espèces.  Je  confesse 

;.„  qu'il  y  a  long  temps,  que  c'est  une  chose  vulgaire,  de  mesurer 
les  facultez  de  l'homme,  par  ce  que  Dieu  commande  :  et  que 
cela  ha  quelque  couleur  de  raison.  Neantmoins  je  dictz  qu'il 
procède  d'une  grand'  ignorance.  Car  ceux  qui  veullent  monstrer 
que  ce  seroit  chose  fort  absurde,  si  l'observation  des  comman- 

3.i  démens  estoit  impossible  à  l'homme,  usent  d'un  argument  trop 
infirme.  C'est  que  autrement  la  Loy  seroit  donnée  en  vain.  Voire 
comme  si  Sainct  Paul  n'avoit  jamais  parlé  d'icelle.  Car,  je  vous 
prie,  que  veulent  dire  les  sentences  qu'il  nous  en  baille?  Que  la 
Loy  a  esté  donnée  pour  augmenter  les  transgressions  :  par  la  Lov 
Institution.  ■  -, 


08  DE    LA    COXiNOlSSANCK 

vient  la  congnoissance  de  péché  :  que  la  Loy  engendre  péché  : 
qu'elle  est  survenue  pour  multiplier  le  péché.  Est  ce  à  dire 
(pi'il  faillust  qu'elle  eust  une  correspondance  avec  noz  forces, 
pour  nestre  point  donnée  en  vain  ?  Plustost  Sainct  Paul 
3  monstre  en  tous  ces  passages,  que  Dieu  nous  a  commandé  ce 
qui  estoit  par  dessus  nostre  vertu,  pour  nous  convaincre  de 
nostre  impuissance.  Certes  siTEscriture  n'enseignoit  autre  chose, 
sinon  que  la  Loy  est  reigle  de  vie,  à  laquelle  noz  œuvres 
doibvent  estre  compassées  :  jaccorderois  incontinent  sans  diffi- 

10  culte  à  leur  opinion.  Mais  puis  qu'elle  nous  explicque  dili- 
gemment plusieurs  et  diverses  utilitez  d'icelle  :  nous  debvons 
plustost  nous  arrester  à  eeste  interprétation,  qu'à  noz  phan- 
tasies.  Entant  qu'il  appartient  à  ceste  question,  sitost  ({ue  la  Loy 
nous  a  ordonné  ce  que  nous  avons  à  faire,  elle  enseigne  quant 

13  et  quant  que  la  faculté  dobeyr  procède  de  la  grâce  de  Dieu. 
Pourtant  elle  nous  enseigne  de  la  demander  par  prières.  Si 
nous  ne  voyons  que  simples  commandemens,  et  nulle  promesse  : 
il  nous  fauldroit  esprouver  noz  forces  :  voir  .si  elles  seroient 
suffisantes    pour    cela    faire.   Mais  puis  qu'avec   les  commande- 

20  mens  sont  conjoinctes  les  promesses,  lesquelles  declairent  non 
seulement  que  nous  avons  mestier  d'avoir  l'ayde  de  Dieu  pour 
nostre  support,  mais  qu'en  sa  grâce  gist  toute  nostre  vertu  : 
elles  demonstrent  assez,  que  non  seulement  nous  ne  sommes 
pas  suffisans  :  mais  du  tout  ineptes  à  observer  la  Loy.  Pourtant 

2  i  qu  on  ne  s'arreste  plus  à  ceste  proposition  de  noz  forces  avec 
les  commandemens  de  Dieu,  comme  si  Dieu  eust  compassé 
à  nostre  imbécillité  et  petitesse  la  reigle  de  justice,  qu'il  vou- 
loit  donner.  Mais  plustost  que  par  les  promesses  nous  repu- 
tions    combien    nous    sommes    mal    prestz.   Veu    qu'en    tout    et 

30  partout  nous  avons  si  grand  besoing  de  sa  grâce.  Mais  à  qui 
persuadera  on.  disent-ilz,  que  Dieu  ait  adressée  sa  loy  ?  A  des 
trônez  ou  des  pierres?  Je  dictz  que  nul  ne  veut  persuader  cela  : 
car  les  meschans  ne  sont  point  pierres,  ou  trônez  :  quand 
estans    enseignez   par  la  Loy,  que  leurs  concupiscences  contra- 

:;'i  rient  à  Dieu,  ilz  se  rendent  coul])ables  en  leurs  consciences 
propres  :  ne  pareillement  les  fidèles  quand  estans  advertis  de 
leur  foibloisse.  ont  recours  à  la  grâce  de  Dieu.  A  quoy  appar- 
tiennent ces  sentences  de  Sainct  Augustin,  que  Dieu  commande 
ce  que  nous  ne  pouvons   faire,  à  fin  que  nous    scachons  ce  que 


\)i:  l'hommi;.   ciiapiïrk  h.  99 

nous  debvons  demander  de  luv.  Item,  L'utilité  des  préceptes 
est  grande,  si  le  libéral  Arbitre  est  tellement  estimé,  que  la 
grâce  de  Dieu  on  soit  plus  honorée.  Item,  La  foy  impetre  ce 
que  la  Loy  impere.  Mesmes  Dieu  requiert  la  foy  do  nous  :  et 
0  ne  trouve  point  ce  (pi'il  requiert,  sinon  qu'il  y  ait  mis  pour 
l'y  trouver.  Item,  Que  Dieu  donne  ce  qu'il  commande,  et  qu'il 
commande  ce  qu  il  vouldra. 

Gela  apparoistra  mieux,    en  considérant  les   trois  espèces  de 
commandemens,    dont    nous  avons  parlé.  Le  Seig'neur  requiert 

10  souvent,    tant    en    la    Loy    comme    aux    Prophètes,    qu'on    se 
convertisse  à  luy.  Mais  le  Prophète  respond    d'un   autre    costé. 
(-onvertis     moy   Seigneur,    et    je    seray   converty.    Depuis    que  Hier,  lil . 
tu    m'as    converty,    j'ay  faict    pénitence,    etc.     Il     nous    com- 
mande   aussi    de    circuncir    noz    cœurs  :    Mais   il   dénonce  par />(/.  ;iO. 

i>Moyse,    que     ceste    circuncision    est     faicte    de     sa    main.    l\  Ezec   II 
requiert  plusieurs  fois    des    hommes    nouveau    cœur  :   Mais    il     '^^ 
tosmoig-ne   que  c'est    lui    seul,   qui    le   renouvelle.     Que   ànoni  Hier.  SI . 
maintenant   ceux,  qui    allèguent    les    préceptes    do   Dieu,    pour 
extoller  la  puissance  de  l'homme,  et  esteiiulro  la  grâce  de  Dieu  ; 

20  par  laquelle  seule  nous  voyons  {|ue  les  préceptes  sont  accom- 
plis? La  seconde  manière  des  préceptes,  que  nous  avons  dict, 
est  simple.  A  scavoir  d'honorer  Dieu,  servir  et  adhei-er  à  sa 
volunté,  observer  ses  mandemens,  suyvre  sa  doctrine.  Mais 
il  y  a  des  tesmoingnages  intiniz  :  que  tout  ce  (jue  nous  pouvons 

2d avoir  de  justice,  saincteté,  pieté,  pureté,  est  don  gratuit  venant 
de  luv.   Quant  au  troisiesme  genre,  nous  en  avons  exemple   en 
l'exhortation    de  Saint    Paul    et    Barnabas,    qu'ilz   faisoient  aux  Acif.  i:i. 
tideles,  de  persévérer  en  la  grâce  de  Dieu.  Mais  en  un  autre  lieu 
Sainct   Paul    monstre   dont    procède    ceste   vertu.   Soyez,   dit-il, 

311  fermes  mes    frères,   par  la  vertu  du  Seigneur.    II  delTend  d'au-  Eplie.  G. 
trepart  de  contrister   l'Esprit    de    Dieu,    duquel    nous  sommes  2.  Thés.  I . 
séellez  en  attendant  nostre  rédemption.  Mais  ce  qu'il  commande 
là,  en  un  autre  lieu  il  le  demande  par  prière  du  Seigneur,  D'au- 
tant qu'il  n'est  pas  en  la  faculté  des  hommes  :  suppliant  le  Sei- 

Sogneur,  de  rendre  les  Thessaloniciens  dignes  de  sa  vocation,  et 
accomplir  en  eulx  ce  qu'il  avoit  déterminé  par  sa  bonté,  et 
mener  à  fin  l'œuvre  de  la  foy.  Les  plus  lins  et  malicieux  cavillent 
ces  tesmoignages,  pour  ce  que  cela  n'empesche  pas,  comme  ilz 
disent,  que  nous  ne  conjoingnions  noz  forces  avec  la  grâce  de  Dieu  : 


100  DE    LA    CONGNOISSANCE 

et  que  ainsi  il  ayde  nostre  infirmité.  Hz  ameinnent  aucuns 
lieux  des  Prophètes,  où  il  semble  que  Dieu  partisse  la 
vertu  de  nostre  conversion  entre  luy  et  nous,  comme  cestuy 
ci.  Convertissez    vous  à  moy  ;  et  je    me   convertiray   à    vous. 

5  Nous  avons  cy  dessus  monstre,  quelle  ayde  nous  avons  de  Dieu, 
et  n'est  ja  besoin^  de  le  repeter  en  cest  endroict  :  veu  qu  il 
n'est  icy  question,  que  de  monstrer,  que  c'est  en  vain  que  noz 
adversaires  mettent  en  l'homme  la  faculté  d'accomplir  la  Loy  : 
à  cause  que    Dieu  nous    commande    l'obeyssance    d'icelle.   Veu 

10  qu'il  appert  que  la  grâce  de  Dieu  est  nécessaire  pour  accomplir 
ce  qu'il  commande  :  et  qu'elle  nous  est  promise  à  ceste  fin. 
Quant  est  de  ceste  sentence  dernière  :  convertissez  vous  à  moy, 
et  je  me  convertiray  à  vous  ;  elle  ne  profite  de  rien  pour  con- 
fermer  leur  erreur.  Car  par  la  conversion  de    Dieu ,   il  ne  fault 

lo  pas  entendre  la  grâce  dont  il  renouvelle  noz  cœurs  à  saincte  vie: 
mais  celle  dont  il  testifie  son  bon  vouloir  et  dilection  envers  nous 
en  nous  faisant  prospérer  comme  il  est  dict,  qu'il  s'esloingne  de 
nous,  quand  il  nous  afflige.  Pource  donc  que  le  peuple  de  Israël, 
ayant  esté  longuement  en    misère  et  calamité,  se    complaignoit 

20  que  Dieu  estoit  destourné  de  luy  :  11  respond,  que  la  bénignité 
ne  leur  detïauldra  point,  s'ilz  se  retournent  à  droicture  de  vie, 
et  à  luy  mesme,  qui  est  la  reigle  de  toute  justice.  C'est 
donc  dépraver  ce  lieu,  que  de  le  tirer  à  ceste  sentence,  comme 
si    par    cela      lefticace     de    nostre      conversion     estoit     partie 

23  entre  Dieu  et  nous.  Nous  avons  passé  légèrement  ceste  ques- 
tion :  à  cause   qu'il   lu    fauldra  encores    desduire    au    traicté    de 

la  Loy. 

Le  second  ordre  de   leurs  argumens    ne  diffère    pas    beaucoup 

du    premier.  Hz    allèguent  les   promesses,   esquelles    il  semble 
30  que  Dieu  face  paction   avec  nostre  volunté,    comme  sont    celles 

qui    s'ensuyvent.   Cherchez   droicture,  et  non  point  malice  :    et  Amos.  5. 

vous  vivrez.    Item,  si  vous  voulez  m'escouter  :  je  vous  donneray  lesaie.  I. 

affluence  de  bien.    Mais  si  vous  ne  le  voulez  faire  :  je  vous  feray  Hier.  i. 

périr  par  le  glaive.    Item,  Si  tu  ostes  les  abominations  de  devant  Deu.  28. 
33  ma  face,  tu  ne  seras  point  deschassé.  Si  tu  escoutes  la  voix  de  ton  Levit.  21 

Seigneur,  pour  faire  et  garder  tous  ses  préceptes,  il  te  fera  le  plus 

excellent   peuple    de  la  terre.  Et  autres  semblables.  Hz  pensent 

donc  que    Dieu   se  moqueroit  de  nous,   en   remettant    à  nostre 

volunté  ces  choses,  si  elles  estoient  plainementen  nostre  pouvoir. 


DR  I, 'homme,   chapitre  II.  101 

Et   do    fuict,   ceste    raison    ha  grand"    apparence    humainement. 
Car    on    peut    desduire,    que    ce    seroit   une   cruaulté    à     Dieu, 
de    faire    semblant    qu'il   ne    tienne    qu'à    nous  ,   que    nous  ne 
soyons  en  sa  grâce,  pour  recevoir  tous  biens  de  luv  :  et  cepen- 
ï  dant   que    nous   n'ayons  nul   pouvoir  en  cela,  que  ce   seroit  une 
chose    ridicule ,     de   nous    présenter    tellement   les    bénéfices , 
que   nous  en  puissions  avoir  aucune  joyssance.    Brief,  on  peut 
alléguer,    que  les  promesses    de  Dieu   n'ont   nulle   certitude,    si 
elles    dépendent    d'une    impossibilité    pour    estre    accomplies. 
I" Quant    est    de   telles    promesses,  lesquelles    ont  une  condition 
impossible  adjoincte,    nous    en    parlerons    ailleurs;    tellement 
qu'il     apparoistra ,     combien     que    l'accomplissement     en     soit 
impossible,    neantmoins   il   n'y    a   nulle   absurdité.    (Juant    est 
de  la    (fuestion  présente  :   je    nye  que   le  Seigneur  soit  cruel  ou 
15  inhumain    envers  nous,    quand    il    nous    exhorte  à  mériter  ses 
grâces    et    bénéfices   ;    combien  qu'il    nous    congnoisse  impuis- 
sans    à    ce    faire.   Car    comme    ainsi   soit,    que    les    promesses 
soient  ofTertes  au.x  fidèles  et    aux  meschans  :  elles  ont   leur  uti- 
lité, tant  envers  les  uns  que  les  autres.  Car  comme  le  Seigneur 
20  par  ses  préceptes  poinct  et  resveille  les  consciences  des  iniques, 
à  fin  qu'ilz  ne  se  flattent  point  en  leurs  péchez,  par   nonchallance 
de  son   jugement  :  ainsi    aux  promesses  il    les  faict    tesmoings, 
combien  ilz  sont  indignes  de  sa  bénignité.    Qui  est  ce  qui  nyera 
cola  estre  convenable  :  que  Dieu  face  bien  à  ceux  qui  l'honorent  ; 
25  et  qui  se  vonge  rigoreusement  des  contempteurs  de  sa  majesté  ? 
Nostre  Seigneur  donc  faict  droictemont,  en  exposant  ceste  condi- 
tion   aux  iniques,    qui  sont    detenuz  captifz    soubz    le    jou^-    de 
péché  :  que  quand  ilz  se  retireront    de  leur   mauvaise   vie,  qu'il 
leurenvoyera   tous  biens  :  et  n'y  eust-il  que  ceste  raison,  à  fin 
30  qu'ilz  entendent,   que  c'est  à  bon  droict  qu'ilz    sont  excluz    des 
biens  deubz  aux  serviteurs  de  Dieu.    D'autrepart  puis  qu'il  veut 
stimuler  ses  fidèles  en  toutes  sortes  à   implorer  sa  grâce  :   ce  ne 
doibt  pas  estre  chose   fort  estrange,  s'il  en   faict  autant  en  ses 
promesses,   comme  nous  avons  n'agueres   monstre  qu'il  en  faict 
-i  en  ses   commandemens.    Quand  il  nous   enseigne,    par  ses    pré- 
ceptes, de  sa  volunté  :  il  nous  admoneste  de  nostre  misère,  nous 
donnant    à   congnoistre ,    combien    nous    répugnons    à    icelle  : 
ensemble     il  nous    poulse  à    invoquer  son  Esprit ,    pour   estre 
dirigez    en     droicte    voye.     Mais     pource    que    nostre    paresse 


102  DE    LA    CUXiNOISSANCE 

n'est  pas  assez  esmeuë  par  ces  préceptes ,  il  adjouste  ses 
promesses  :  par  la  doulceur  desquelles  il  nous  induict  à  aj^mer 
ce  qu'il  nous  commande.  Or  d'autant  que  nous  aymons  plus  la 
justice,  d'autant  sommes  nous  plus  fervens  à  chercher  la  g-race 
.,  de  Dieu.  Voyla  comment  par  ces  protestations ,  que  nous 
avons  dict.  Dieu  ne  nous  attribue  point  la  faculté  de  faire  ce 
qu'il  dit  :  et  neantmoins  ne  se  moque  point  de  nostre  foyblesse  : 
veu  qu'en  cela  il  faict  le  proffit  de  ses  serviteurs,  et  rend  les 
iniques  inexcusables. 

1(1  Le  trovsiesme  ordre  ha  quelque  aflînité  avec  les  precedens. 
Car  ilz  produisent  les  passages,  esquelz  Dieu  reproche  au 
peuple  d'Israël,  qu'il  n'a  tenu  qu'à  luy  qu'il  ne  s'entretint  en 
bon  estât.  Comme  quand  il  dit  :  Amalech  et  les  Cananéens  sont 
devant   vous,  par  le  glaive    desquelz  vous  perirés  ;    entant    que 

lïvous  n'avés  point  voulu  acquiescer  au  Seigneur.  Item,  Pource 
que  je  vous  ay  appeliez  et  n'avés  respondu,  je  vous  destruiray 
comme  j'ay  faiet  Sillo.  Item,  ce  peuple  n'a  point  escouté  la  voix 
de  son  Dieu,  et  n'a  point  receu  sa  doctrine,  pourtant  il  a  esté 
rejecté.  Item.  A  cause  que  vous  avez  endurcy   vostre  cœur,  et 

211  n'avés  point  voulu  obéir  au  Seigneur,  tous  ces  maulx  vous  sont 
advenuz.  Comment,  disent-ilz,  toutes  ces  reproches  convien- 
droient-ilz  à  ceulx,  qui  pourroient  incontinent  respondre  ?  Nous 
ne  demandions  que  prospérer,  nous  craignions  la  calamité  :  ce 
que  nous   n'avons   point   obtempéré    au    Seigneur ,    et   n'avons 

23  point  escouté  sa  Voix,  pour  éviter  le  mal,  et  avoir  meilleure  for- 
tune :  cela  sj'est  faict  d  autant  qu'il  ne  nous  estoit  point  libre  : 
à  nous  qui  sommes  detenuz  en  captivité  de  péché.  C'est  donc  à 
tort,  que  Dieu  nous  reproche  le  mal  que  nous  endurons  .*  lequel 
il  n'estoit  pas  en  nostre  pouvoir  d'éviter.  Pour  respondre  à  cela  : 

.30  laissant  ceste  couverture  de  nescessité,  laquelle  est  frivole  et  de 
nulle  importance  :  je  demande  s'ilz  se  peuvent  excuser,  qu'ilz 
n'ayent  faict  faulte  ?  Car  s'ilz  sont  convaincuz  d'avoir  failly,  ce 
n'est  pas  sans  cause,  que  Dieu  dit,  qu'il  a  tenu  à  leur  perversité, 
qu'il  ne  les  a  entretenuz  en  bonne  fortune.  Qu'ilz  me  respondent 

35  donc  ;  s'ilz  peuvent  nyer,  que  la  cause  de  leur  obstination  n'ayt 
esté  leur  volunté  perverse  ?  S'ilz  trouvent  la  source  de  mal  en 
eux ,  qu'est-ce  qu'ilz  tachent  de  chercher  des  causes  d'iceluy 
ailleurs;  pour  faire  à  croyre  qu'ilz  ne  sont  point  autheurs  de  leur 
ruyne  ?  S'il  est  donc  vray,  que  les  pécheurs,  par  leur  propre  vice 


DE    L  IlOM.Mi:.     (HAl'lllii:    II. 


108 


sont  privez  des  bénéfices  de  Dieu  et  reçoivent  punition  de 
sa  main  :  c'est  à  bon  droict  que  ces  reproches  leur  sont  objectez, 
à  lin  (|ue  s'ilz  persistent  en  leur  mal,  ilz  appreuvent  d'accuser 
leur  iniquité,  comme  cause  de  leur  misère  :  plustosl  que  vitupe- 
'  rer  Dieu,  comme  trop  rigoreux.  Silz  ne  sont  point  du  tout 
endurcis,  et  se  peuvent  rendre  dociles  :  quilz  conçoivent  desplai- 
sir et  haine  de  leurs  péchez,. à  cause  desquelz  il  se  voient  misé- 
rables, ainsi  se  réduisent  en  bonne  voye,  et  confessent  estre 
véritable  ce  que  Dieu  remonstre  en  les  reprennant.   Car  il  appa- 

10  roist    par    loraison    de    Daniel,    que   telles    remonstrances    ont 
profité  à  ceste   tin  envers  les  fidèles,   (^uant  à  la  première  utilité,  Dani.  .9. 
nous  en  voyons   l'exemple    aux  Juifz,  ausquelz  Jeremie,  par   le 
commandement  de   Dieu,    remonstre  la  cause  de  leurs  misères  :  H[i\ere.l . 
combien  qu'il  n'en  peut  advenir  que  ce  qui  avoit  esté  predict  de 

is  Dieu  :  C'est  à  scavoir  qu'il  leur  diroit  sa  parole,  et  ne  l'escoute- 
roient  point  :  qu'il  les  appelleroit,  et  ne  luy  respondroient  point. 
Mais  quel  propos,  dira  quelqu'un,  y  a-il  de  parler  au[x]  sourdz  ? 
C'est  à  lin  que  malo^ré  qu'ilz  en  ayent,  ilz  entendent  ce  (ju'on 
leur  dict  estre  vray,  que  c  est  un  sacrilège  abominable,  d'imputer 

2">  à  Dieu  la  cause  de  leurs  calamitez  :  laquelle  réside  en  eux.  Par 
ces  trois  solutions  un  chascun  se  pourra  facilement  despecher  de 
tesmoingnages  infiniz,  que  assemblent  les  ennemys  de  la  grâce 
de  Dieu,  tant  des  préceptes,  que  des  promesses  Legalles,  et  des 
reproches  que  faict  Dieu  aux  pécheurs  :  voulans  establir  un  libe- 

iiral  Arbitre  en  l'homme,  lequel  ne  s'y  peut  trouver. 

Hz  aleguent  toutesfois  un  tesmoignage  de  la  Loy  de  Moyse,  qui 
semble  advis  fort  répugner  à  nostrc  solution.  Car  après  avoir 
publié  la  Loy,  il  protesta  devant  le  peuple,  ce  qui  s'ensuit.  Le 
commandement,  que  je  te  baille  aujourd'huy,  n'est  point  caché:  Deu.  30. 

:;oet  n'est  pas  loing  de  toy,  ne  eslevé  par  dessus  le  ciel,  mais  il  est 
près  de  toy,  en  ta  bouche,  et  en  ton  cœur,  à  ce  que  tu  le  face.  Si 
cela  estoit  dict  des  simples  commandemens  :  je  confesse  que  nous 
aurions  granddifficulté  à  y  respondre.  Car  combien  qu'on  pourroit 
alléguer,  que  cela  est  dict  de  la  facilité  d'entendre  les  commande- 

i.  mens,  et  non  pas  de  les  faire  :  neantmoins  encores  y   auroit-il 
quelque  scrupule.  Mais  nous  avons  un  bon  expositeur,  qui  nous  en 
oste  toute  doubte.  C'est  Sainct  Paul;  lequel  afferme  que  Moyse  a 
icy  parlé  de  la  doctrine  de  l'Evangile .  S'il  y  avoit  quelque  opiniastre ,  Rum  .10. 
qui  replicquast  que  Sainct  Paul  a  destourné  ce  passage  de  son  sens 


loi  DE  i.A  congnoissancf: 

naturel,  pour  le  tirer  de  lEvangile  :  combien  qu'on  ne  debvroit 
point  porter  une  si  meschante  parole  :  toutesfois  nous  avons 
dequoy  deffendre  l'exposition  de  l'Apostre.  Car  si  Moyse  parloit 
seulement  des  préceptes  :  il  decevoit  le  peuple  d'une  vaine  con- 
fiance :  Car  qu'eussent  ilz  peu  faire,  que  seruyner;  s'ilz  eussent 
voulu  observer  la  Loy  de  leur  propre  vertu,  comme  facile  ?  Où 
est  ce  que  sera  nostre  facilité  ;  veu  que  nostre  nature  succombe 
en  cest  endroict,  et  n'y  a  celui  qui  ne  tresbuche,  voulant  marcher  ? 
C'est  donc  chose  trescertaine,  que  Moyse  par  ces  paroles  a  com- 

10  pris  l'aliance  de  miséricorde,  qu  il  avoit  publiée  avec  la  Loy. 
Sainct  Paul  reputant  cela,  à  scavoir  que  le  salut  nous  est  pré- 
senté en  l'Evang-ile,  non  pas  soubz  ceste  condition  tant  dure  et 
difficile,  et  mesme  du  tout  impossible,  dont  use  la  Loy  :  mais 
soubz    condition    facile    et   aisée  :  applique    le    présent  tesmoi- 

lïi^nage.  pour  confermer  combien  la  miséricorde  de  Dieu  nous  est 
exposée.  Pourtant  ce  tesmoig-nage  ne  sert  de  rien  pour  establir 
une  liberté  en  la  volunté  de  l'homme. 

Hz  ont  coustume  d'objecter  aucuns  autres  passag-es  :  ausquelz 
il  est  monstre  que  Dieu  retire  quelquefoys  sa  grâce  des  hommes, 

20  pour  considérer  de  quel  costé  ilz  se  tourneront.  Comme  quand 
il  est  dict  en  Osée  :  Je  me  retireray  à  part,  jusques  à  tant  qu'ilz 
délibèrent  en  leurs  cœurs    de  me   suyvre.    Ce  seroit,  disent-ilz,  Oséeo. 
une  chose  ridicule,  que  le  Seigneur  considerast,  à  scavoir  si   les 
hommes  suyvront  sa  voye  :   n'estoit   que   leurs  cœurs   feussent 

2.J  capables  d'encliner  à  l'un  ou  à  l'autre,  par  leur  propre  vertu. 
Comme  si  cela  n'estoit  point  acoustumé  à  Dieu,  de  dire  par  [s]es 
Prophètes,  qu'il  rejectera  son  peuple,  et  l'abandonnera,  jusques 
à  ce  qu'il  s'amende.  Et  de  faict  .  regardons  qu'ilz  veulent 
inférer  de  cela.    Car  s'ilz   disent,  que  le    peuple  estant    délaissé 

sodé  Dieu,  peut  de  soymesme  se  convertir,  toute  l'Escriture  leur 
contredict.  S'il  confessent  que  la  grâce  de  Dieu  soit  nécessaire 
à  la  conversion  de  l'homme  :  ces  passages  ne  leur  servent 
de  rien,  pour  battailler  contre  nous.  Mais  il  diront  qu'ilz  la 
confessent   tellement    nécessaire,  que    ce   pendant  la    vertu  de 

ni  l'homme  y  peut  quelque  chose.  Dont  est  ce  qu  ilz  le  preuvent  ? 
Certes  ce  n'est  point  de  ce  lieu,  ne  de  semblal)les  :  car  ce 
sont  deux  choses  bien  diverses  :  s'esloi^-ner  de  la  o^race  de 
l'homme,  pour  considérer  ce  qu'il  fera,  estant  délaissé  :  et 
subvenir    à    son    infirmité .   pour    confermer  ses  forces    débiles. 


DR   L  HOMME.    CHAPITRE    II. 


I  o:; 


Mais  ilz  demanderont  :  Que  signifient  donc  telles  formes  de 
parler?  Je  responds  quelles  vallent  autant,  comme  si  Dieu 
disoit.  Puis  que  je  ne  profite  de  rien  envers  ce  peuple  rebelle, 
ne  par  admonitions,  ne  par  exhortations,  ne  par  reprehensions  : 

sje  me  retireray  pour  un  peu,  et  en  me  taisant  soufPriray  qu'il 
soit  affligé.  Ainsi  je  verray,  si  après  longue  calamité  il  se 
souviendra  de  moy,  pour  me  chercher.  Or  quand  il  est  dict, 
que  Dieu  se  reculera  :  c'est  à  dire  qu'il  retirera  sa  parole. 
Quand  il   est  dict,  qu'il  considérera   ce  que  feront   les  hommes 

10  en  son  absence  :  c'est  à  dire  que  sans  se  manifester,  il  les  affli- 
gera pour  quelque  temps.  Il  faict  l'un  et  l'autre  pour  nous 
plus  humilier.  Car  il  nous  aneantiroit  plustost  cent  mil  fois  par 
ses  chastiemens  et  pvmitions,  qu'il  ne  nous  corrigeroit,  sinon 
qu'il    nous    rendist  dociles    par  son  Esprit.  Puis  qu'ainsi  est  : 

13  c'est  mal  inféré,  dédire  que  l'homme  ait  quelque  vertu  de 
se  convertir  k  Dieu,  entant  qu'il  est  dict,  que  Dieu  estant 
ofTencé  de  nostre  durté  et  obstination,  retire  sa  parole  de  nous  : 
en  laquelle  il  nous  comnumicque  sa  présence,  et  considère  ce 
que  nous  pourrons  faire  de  nous.  Car  il  ne  fait   tout  cela,  sinon 

20  pour  nous  donner  à  congnoistre,  que  nous  ne  sommes  et  ne 
pouvons  rien  de  nous  mesmes. 

Hz  prennent  aussi  argument  de  la  manière  commune  de  par- 
ler :  dont  non  seulement  usent  les  hommes,  mais  aussi  1  Escriture. 
C'est  que  les  bonnes  œuvres  sont  appellées  nostres  :  et  cpi'il  est 

2">  dict  c[ue  nous  faisons  le  bien  comme  le  mal.  Or  si  les  péchez 
nous  sont  imputez  à  bon  droict,  ccmime  venans  de  nous  :  par 
mesme  raison  les  bonnes  œuvres  nous  doibvent  estre  attribuées. 
Car  ce  ne  seroit  point  parlé  par  raison,  de  dire  que  nous  faisons 
les  choses,  ausquelles  Dieu  nous  meut,  comme  pierres  :  entant  que 

so  nous  ne  les  pouvons  faire  de  nostre  propre  mouvement.  Pourtant 
ilz  concluent,  que  combien  que  la  grâce  de  Dieu  ait  la  principalle 
vertu  :  neantmoins  telles  locutions  signifient,  que  nous  avons 
quelque  vertu  naturelle  à  bien  faire.  S  il  ny  avoit  que  la  pre- 
mière objection,  à  scavoir  que  les  bonnes  œuvres  sont  appellées 

3ï  nostres  :  je  respondroie  d'autre  costé,  que  nous  appelions  le 
pain  quotidien,  nostre  :  lequel  nous  demandons  nous  estre  donné 
de  Dieu.  Qu'est  ce  donc  qu'on  pourra  prétendre  de  ce  mot, 
sinon  que  ce  qui  ne  nous  estoit  nullement  deu  est  faict  nostre, 
par    la  bénignité  infinie     de    Dieu  ?    Il    fauldroit     donc    qu'ilz 


106  DK    LA    r.ONGNOISSANCE 

roprinsent  nosti^e  Seigneur  en  ceste  forme  de  parler  :  ou  qu  ilz 
nestimassent  pas  chose  fort  estrange,  que  les  bonnes  œuvres 
soient  appellées  nostres  :  esquelles  nous  n'avons  rien  sinon 
par   la  largesse  de  Dieu.  Mais  la    seconde  objection  est  un  peu 

j  plus  forte.  A  scavoir  que  l'Escriture  aiferme  souvent,  que  les 
lideles  servent  Dieu,  gardent  sa  justice,  obeyssent  à  sa  Loy, 
et  applicquent  leur  estude  à  bien  faire.  Comme  ainsi  soit,  que 
cela  soit  le  propre  otrice  de  l'entendement  et  volunté  humaine  : 
comment    conviendroit-il,  que  cela  fust  attribué  semblablement 

m  à  l'Esprit  de  Dieu  et  à  nous,  s'il  nv  avoit  quelque  conjonction 
de  nostre  puissance  avec  la  grâce  de  Dieu  ?  11  nous  sera  facil' 
de  nous  despestrer  de  tous  ces  argumens  :  si  nous  reputons 
droictement.  en  quelle  manière  c'est  que  Dieu  besongne  en 
ses  serviteurs.  Premièrement  la  similitude,  dont  ilz  nous  veulent 

ngriefver.  est  importune.  Car  qui  est  celuy  si  enragé,  qui  estime 
l'homme  estre  poulsé  de  Dieu,  comme  nous  jettons  une  pierre? 
(Certes  cela  ne  s'ensuit  point  de  nostre  doctrine.  Nous  disons, 
([ue  c'est  une  faculté  naturelle  de  1  homme,  d'approuver,  rejec- 
ter,   vouloir,    ne   point  vouloir,    setforcer.    résister  :    à    scavoir, 

20  d'approuver  vanité,  rejecter  le  vray  bien  :  vouloir  le  mal,  ne 
vouloir  point  le  bien  :  s'efforcer  à  péché,  résister  à  droicture. 
(Qu'est  ce  que  faict  le  Seigneur  en  cela?  S'il  veut  user  de  la  per- 
versité de  l'homme,  comme  dun  instrument  <le  son  ire,  il  la 
tourne   et    dresse    oii    bon   luy    semble  :    à    fin    d'exécuter    ses 

2;i  (euvres  justes  et  bonnes,  par  niauvaise  main.  Quand  nous  ver- 
rons donc  un  meschant  homme  ainsi  servir  à  Dieu,  quand  il 
veut  complaire  à  sa  meschanceté  :  le  ferons  nous  sembla- 
ble à  une  pierre  ;  laquelle  est  agitée  par  une  impétuosité  de 
dehors,  sans  aucun  sien  mouvement,  ne  sentiment,  ne  volunté  ? 

:i(i  Nous  voyons  combien  il  y  a  de  distance.  Que  dirons  nous  des 
bons,  desquelz  il  est  principallement  icy  question?  (kiand  le 
Seigneur  veut  dresser  en  eux  son  règne,  il  refrène,  et  modère 
leur  volunté,  k  ce  i|u"elle  ne  soit  point  ravie  par  concupiscence 
desordonnée,    selon    que    son     incHnation     naturelle    autrement 

:!5  porte.  D'autre  part  il  la  flesclht .  forme,  dirige,  et  conduict 
à  la  reigle  de  sa  justice  :  à  fin  de  lui  faire  appetter  saincteté 
et  innocence.  Finalement  il  la  conferme  et  fortifie  par  la  vertu 
de  son  Esprit,  à  ce  qu'elle  ne  vacille  ou  deschée.  Par  cela  il 
apparoist ,    que    la    grâce    de    Dieu    est   comme  une    conduicte 


DK    l/llOM.MK.     (IIAIMTRIO    11.  107 

et  bride  de  son  Esprit,  pour  dresser  et  modérer  la  volunté  de 
l'homme.  Or  il  ne  la  peut  modérer,  sans  la  corriger,  reformer, 
et  renouveller.  Pour  laquelle  cause  nous  disons,  que  le  com- 
mencement de  noslre  régénération  est,  que  ce  qui  est  de  nous 
<  soit  aboly.  Pareillement  il  ne  la  peut  corriger,  sans  la  mou- 
voir, poulser,  conduire,  et  entretenir.  Pourtant  nous  disons, 
que  toutes  les  actions,  qui  en  procèdent,  sont  entièrement  de 
luv.  Cependant  nous  ne  nyons  pas  estre  tresveritable,  ce  q\ie 
dit   Sainct  Augustin  :    (|ue  nostre    volunté  nest   pas   destruicte 

II' par  la  grâce  de  Dieu  :  mais  plustost  reparée.  Car  l'un  convient 
tresbien  avec  l'autre  :  de  dire  que  la  volunté  de  l'homme  est 
reparée,  quand  après  avoir  corrigé  la  perversité  d'icelle,  elle 
est  dirigée  à  la  reigle  de  justice  :  et  de  dire,  qu'en  ce  faisant, 
il    y  a   une   nouvelle   volunté    crée    en    l'homme  :    veu    que    la 

1  '  volunté  naturelle  est  si  corrumpue  et  pervertie,  qu'il  fault 
qu'elle  soit  du  tout  renouvellée.  Maintenant  il  n'y  a  rien, 
qui  empesche  qu'on  ne  puisse  dire,  que  nous  faisons  les  œuvres, 
lesquelles  l'Esprit  de  Dieu  faict  en  nous  :  (Combien  que  nous 
ne   coopérions    point  par    nostre    vertu    avec  sa  grâce.   La    rai- 

2ii  .son  est,  premièrement  d'autant  que  tout  ce  que  Dieu  faict 
en  nous,  il  veut  qu'il  soit  nostre,  moyennant  que  nous  enten- 
dions qu'il  n'est  point  de  nous.  Puis  aussi  d'autant  que  nous 
avons  de  nostre  nature  l'entendement,  vojunté,  et  poursuite, 
lesquelles  il  dirige  en  bien,    pour   en  faire    sortir   (juelque  chose 

2ï  de  bon. 

Les  autres  argumens,  qu'ilz  empruntent  cà  et  là,  ne  pourront 
pas  beaucoup  troubler  les  gens  de  médiocre  entendement  :  moyen- 
nant qu'ilz  aient  bien  recordé  leurs  solutions  cy  dessus  mises. 
Hz  allèguent   ce  qui   est  escrit  en  Genèse.  Ton  appétit  sera  par  Gènes.  1. 

311  dessoubz  toy  :  et  tu  domineras  sur  iceluy.  Ce  qu'ilz  inter- 
prètent estre  dict  du  péché.  Comme  si  Dieu  promettoit  à  Cain, 
que  le  péché  ne  pourroit  point  dominer  en  son  cœur,  s'il  vouloit 
travailler  à  le  vaincre.  Aucontraire  nous  disons,  que  cela  doibt 
estre  plustost  dict  de  Abel.  Car  en  ce  passage,  l'intention  de  Dieu 

33  est,  de  redarguer  l'envye,  que  Cain  avoit  conceuë  contre  son 
frère.  Ce  qu'il  faict  par  double  raison.  La  première  est,  qu'il  se 
trompoit,  en  pensant  acquérir  excellence  par  dessus  son  frère, 
devant  Dieu  :  lequel  n'a  rien  en  honneur,  que  justice  et  intégrité. 
La  seconde,  qu'il  estoittrop  ingrat,  envers  le  benelice  qu'il  avoit 


108  DE    LA    r.ONGNOISSANCE 

receu  de  Dieu,  entant  qu'il  ne  pouvoit  porter  son  frère,  qui 
estoit  son  inférieur,  et  dont  il  avoit  le  g-ouvernenient.  Mais 
encores,  à  fin  qu'il  ne  semble  advis,  que  nous  choisissions 
ceste  interprétation,  pource  que  l'autre  nous  soit  contraire  : 
3  concédons  leur  que  Dieu  parle  du  péché.  Si  ainsi  est  :  ou  Dieu 
luy  promect  qu'il  sera  supérieur,  ovi  il  luy  commande  de 
l'estre.  S  il  luv  commande  :  nous  avons  desja,  que  de  cela 
ilz  ne  peuvent  rien  prouver,  pour  fonder  le  franc  Arbitre.  Si 
c'est   promesse  :  où  en  est  l'accomplissement  ;  Veu  que  Gain   a 

ic  esté  vaincu  du  péché,  auquel  il  debvoit  dominer?  Hz  diront, 
possible,  qu'il  y  a  une  condition  tacite,  enclose  soubz  la  pro- 
messe, comme  si  Dieu  eust  dict  :  Si  tu  combas,  tu  remporte- 
ras la  victoire.  Mais  qui  pourra  tolérer  telles  tergiversa- 
tions ?  Car    si  on  expose   cela  du  péché,  il  n'y  a  nulle  doubte, 

1^  que  c'est  une  exhortation  que  Dieu  luy  faict  :  en  laquelle  il 
n'est  pas  monstre  quelle  est  la  faculté  de  l'homme  :  mais 
quel  est  son  debvoir,  encores  qu'il  ne  le  puisse  faire.  Hz 
s'aydent  aussi  du  tesmoignage  de  l'Apostre,  quand  il  dit,  que 
le    salut  n'est  pas   en  la    main  de   celuy  qui  veut,  ne  de  celuy  fiom.  .9. 

20  qui  court  :  mais  en  la  miséricorde  de  Dieu.  Car  de  cela  ilz 
infèrent,  qu'il  y  a  quelque  partie  en  la  volunté,  et  en  la  course 
de  l'homme  :  et  que  la  miséricorde  de  Dieu  supplie  le  reste. 
Mais  s'ilz  consideroient  avec  raison  ce  que  traicte  l'Apostre  en 
ce  passage  là  :  ilz  n'abuseroient  pas  tant  inconsidérément  de  son 

2>  propos.  Je  scay  bien,  ([u'ilz  peuvent  alléguer  Origene  et  Sainct 
Hyerosme  pour  deffenseurs  de  leur  exposition.  Mais  il  ne 
nous  fault  soucyer,  que  c'est  quiceulx  en  ont  pensé  :  moyen- 
nant que  nous  entendions  ce  qu'a  voulu  dire  Sainct  Paul  : 
A   scavoir,  que   celuy    seul   obtiendra  salut,  auquel    Dieu  aura 

30  faict  miséricorde  :  que  ruvne  et  confusion  sont  apprestées  à 
tous  ceulx  qu'il  n'aura  esleuz.  11  avoit  monstre  la  condition 
des  resprouvez,  soubz  l'exemple  de  Pharaon.  11  avoit  prouvé 
l'eslection  gratuite  des  fidèles,  par  le  tesmoignage  de  Moyse, 
où  il   est  dict,    J'auray  pitié  de   celuy    lequel  j'auray    receu  en 

33  miséricorde.  Il  conclud  donc,  que  cela  ne  gist  point  au  veuil- 
lant  ne  au  courant,  mais  en  Dieu  qui  faict  miséricorde.  Si  on 
argue  de  ces  paroles,  qu'il  y  a  quelque  volunté  en  l'homme, 
et  quelque  vertu,  comme  si  Sainct  Paul  disoit,  que  la  seule 
vohmté    et    industrie    humaine   ne   suffit    point    de  soy  :     c'est 


DE    l.'nOMML-.    CIIAIMIIUO    II.  109 

mal  et  sottement  argué.    11    fault  donc  rejecter  ceste   subtilité, 
laquelle   n'a    nulle    raison.    Car  quel  propos  y  a-il,  de  dire  ;  le 
salut  n'est   pas  en  la  main  du  veuillant  ne  du  courant  ?  11  y  a 
donc  quelque  volunté,  et  quelque  course.  La  sentence  de  Sainct 
li  Paul   est   plus  simple  :  C'est  qu'il  n'y  a   ne   volunté  ne  course, 
qui  nous   meine  à  salut  :   mais  que    la    seule  miséricorde  règne 
en    cest  endroict.   Car  il  ne  parle  pas   icy   autrement,   qu'en  un 
autre    passage  :    où    il  dit,  que   la  bonté  de    Dieu  et   dilection 
envers  les  hommes  est  apparue,  non  pas  selon  les  œuvres  de  jus- 
10  tice,  que  nous  ayons  faictz  :  mais  selon  sa  miséricorde  infinie.  Si 
je  voulois  arguer  de  cela,  que  nous  ayons  faict  quelques  bonnes 
ci'uvres,  entant  que  Sainct  Paul    nye  ([ue   nous  ayons  obtenu  la 
grâce  de  Dieu  par  les  teuvres  de  justice,  que  nous  ayons  faictz  : 
eulx  mesmes  se  moqueront  de  moy.  Neantmoins  leur  argument 
loest  semblable.  Parquoy  qu'ilz  pensent  bien  à  ce  qu'ilz   disent  : 
et  ilz  ne  se  fonderont  point  en  raison  tant  frivole.  Hz  produisent 
en  après   le    tesmoignage  de   l'Eclesiastique  :  lequel  autheur  on 
congnoist  n'avoir  point  certaine  auctorité.  Mais  encores  que  nous 
ne  le  refusions  point  (ce  que  nous  pourrions  faire  à    bon  droict) 
2odequoy  leur  peut-il  aider  à  leur  cause  ?  11  dit  que  l'homme,  après 
avoir  esté   créé,  a   esté  laissé   à   sa  volunté  :  et  que   Dieu  luy  a 
tlonné  des  commandemens,    lesquelz  s'il  gardoit.  il  seroit  gardé 
l)ar   eulx.    Que  la  vie  et  la  mort,  le  bien  et  le    mal,  a  esté  mis 
devant  l'homme  :    à    fin   quil    choisist   lequel   luy    sembleroit. 
io  Ainsi  soit,  que  l'homme,  en  sa  création,  ayt  eu  la  faculté  d'es- 
lire  la   vie  ou  la  mort  :    Mais  que  sera  ce,  si  nous  respondons, 
qu'il  l'a  perdue?   Certes  je  ne   veulx  point    contredire  à   Salo- 
mon  :  lequel   afferme,  que  l'homme  a  esté   créé   du  commence- 
ment  bon,  et  qu'il   a  forgé  des   mauvaises   inventions  de   soy- 
{'I  mesme.  Or  puis  que  Ihomme,  en  dégénérant  et  se  desvoyant  de 
Dieu,  s'est  ruyné  avec  tous  les  siens  :  tout  ce  qui  est  dict  de  sa 
première  création  ne  se  doibtpas  tirer  à  sa  nature  vitieuse  et  cor- 
rumpue.  Parquoy  je  respondz,  non  seulement  à  eux,  mais  aussi 
à  l'Eclesiastique,  quiconque  il  soit,  en  ceste  manière.  Si  tu  veulx 
:J5  enseigner  l'homme  de  chercher  en  soy  la  faculté  d'aquerir  salut  : 
ton  authorité  ne  m'est   pas  en    telle  estime,  qu'elle  puisse  pre- 
judicier  à   la  parole    de  Dieu  :    laquelle    contrarie  évidemment. 
Si  tu   veulx  reprimer    seulement  les    blasphèmes  de   la   chair, 
laquelle  en  transférant  ses  vices  à  Dieu,  tasche  de  s'excuser,  et 


llO  DE    LA    CONCtNOISSANCE 

à  ceste  cause  que  tu  monstre  comme  l'homme  ha  eu  une  bonne 
nature  de  Dieu,  et  qu'il  a  esté  cause  de  sa  ruyne  :  je  t'accorde 
voluntiers  cela,  moyennant  que  nous  convenions  ensemble  en  ce 
point,  que  maintenant  il  est  despouillé  des  ornemens  et  grâces 
s  qu'il  avoit  receues  de  Dieu  premièrement. 

Mais  noz  adversaires  n'ont  rien  plus    souvent    en    la  bouche, 
que  la  parabole  de  Christ  :  où  il  est  parlé  de    l'homme,    lequel 
fust  laissé  au  chemin  demj  mort  par  les  brigans.    Je  scay  bien 
que  c'est  une  doctrine  commune,  de  dire  que   soubz  la  personne 
11' de  cest  homme  est  représentée  la  calamité  du  genre  humain.  De 
cela  il  prennent  un  argument  tel.  L'homme    n'a  pas  esté   telle- 
ment occis  par  le  péché,  et  le  Diable,  qu'il  ne  luy  reste  encores 
quelque  portion  de  vie  :  d'autant  qu'il  n'est  dict  qu'à  demymort. 
Car  oîi  seroit,  disent-ilz,  ceste  demye  vie;  sinon  qu'il  luy  restast 
15  quelque  portion  de  droicte  intelligence  et  volunté?  Premièrement 
si  je  ne  veulx  point  admettre  leur  alegorie  ;  que  feront-ilz  ?  Car 
il  nv  a  nulle  double,  qu'elle  n'ayt  esté   excogitée    par  les  pères 
anciens,  oultre  le  sens  littéral  et  naturel  du  passage.  Les  alego- 
ries  ne  doibvent  estre  receuës,  sinon  d'autant  qu'elles   sont  fon- 
:!fdées  en  l'Escriture,  tant  s'en  fault  qu'elles   puissent  approuver 
aucune  doctrine.  D'avantage  les  raisons  ne  nous  défaillent  point, 
par  lesquelles  nous  pouvons   réfuter   tout  ce  qu'ilz  disent,   Car 
la  parole   de   Dieu  ne  laisse  point  une  demye  vie   à  l'homme, 
mais    dit    qu'il   est    du  tout   mort,    quant   à    la    vie    bien    heu- 
2o  reuse.  Quand  Sainct  Paul  parle  de  nostre  rédemption,  il  ne  dit  Eph.  2. 
point   que   nous  ayons    esté   .garantis  dune  demye    mort  :  mais 
que  nous  avons  esté  ressuscitez  de   la  mort.   11    n'appelle  point 
à   recevoir   la  grâce  de  Christ   ceux  qvii  sont  à   demy  vivans  : 
mais  ceux    qui  sont   mors    et  ensevelis.    A    quoy  est  conforme 
:!o  ce  que    dit    le  Seigneur,    que  l'heure    est  venue,    que  les    mors 
doibvent  ressusciter  à    sa  voix.  N'auroient-ilz    point   de   honte, 
de  mettre   en    avant  je  ne    scay  quelle  allégorie  légère  ;    contre 
tant    de  tesmoignages  si  clers  ?  Mais   encore  que  leur  allegovie  Jean  .'>. 
soit  vaillable;   qu'en  peuvent-ilz  conclure  à    l'encontre  de  nous? 
35  L'homme,    diront-ilz   est   à   demy  vivant  :   il  s'ensuit  donc  qu'il 
V  reste  quelque  portion  de  vie.    Je  confesse  certes,  qu'il  ha  son 
ame  capable  d'intelligence  :  combien   qu'elle  ne  puisse  pénétrer 
jusques  à  la  sapience   céleste   de  Dieu.  Il  ha  quelque  jugement 
de  bien  et  de  mal,    il  ha  quelque   sentiment,   pour    congnoistre 


bi;    LIKt.MMi:.     CII.MMTUK    II.  H  I 

qu'il  y  a  un  Dieu  :  combien  qu'il  n'en  ayt  point  droicte  congnois- 
sance.  Mais  où  est  ce  que  toutes  ces  choses  reviennent?  Certes 
elles    ne  peuvent    faire,  que    ce  que  dict    Sainct  Augustin  ne 
soit  véritable,  (^est    que  les    dons    gratuit/,  qui  appartiennent 
>à  salut,  ont  esté  ostez  à  l'homme  aprez  sa  clieute  :  ([ue  les  dons 
naturelz,  qui  ne  le  peuvent   conduire  à  salut,    ont  esté  corrom- 
pus  et  poilus.  Pourtant  que    ceste    sentence,   laquelle   ne  peut 
estre  aucunement  es])ranlée,  nous   demeure  ferme  et  certaine  : 
à   vScavoir  que  l'entendement  de  l'homme  est  tellement 
i"du  tout  aliéné    de  la  justice  de  Dieu,  qu'il  ne  peut   rien  imagi- 
ner,  concevoir,  ne    comprendre,    sinon    toute  meschanceté, 
iniquité,   et    corruption.  Sondjlal)lement  que  son  cœur 
est   tant    envenimé  de   péché,  qu  il   ne    peut   pro- 
duire   que    toute     jierversité.   Kt    s'il    advient 
Il  qu'il  en  sorte  quelque  chose,  qui  ait  appa- 

rence de  bien  :  neantmoins  que  [en- 
tendement demeure  tousjours 
envelopé  en  hypocrisie  et 
vanité  :  le  co'ur  adon- 
2"  né  à    toute  ma- 

lice. 


DE    LA   LOY 

CHAPITRE  III 

En  explicquant  les  choses  requises  à  la  vraye  congnoissance 
(lo  Dieu,  nous  avons  monstre,  qu  on  ne  le  peut  concevoir  selon 
sa  g-randeur,  que  incontinent  ceste  pensée  ne  vienne  en  l'enten- 
dement :  qu'il  est  seul,  à  la  majesté  duquel  appartient  souverain 
.  lionneur.  En  la  con^noissance  de  nous  mesmes  nous  avons  dict 
({ue  le  principal  poinct  estoit,  qu'estans  vuides  de  toute  phantasie 
de  nostre  propre  vertu,  estans  dépouillez  de  toute  fiance  de 
nostre  justice  :  au  contraire  abbattuz  de  la  considération  de 
nostre  paouvreté,  nous  apprenons  parfaicte  humilité,   pour  nous 

lit  abbaisser  et  démettre  de  toute  gloire.  L'un  et  l'autre  nous  est 
monstre  en  la  Loy  de  Dieu  :  où  le  Soigneur,  s'estant  attribué 
premièrement  la  puissance  de  commander,  nous  enseigne  de 
porter  révérence  à  sa  divinité:  dcmonstrant  en  quoy  gist  et  est 
située  icelle  révérence.    Puis  après,  ayant  ordonné   la  reigle    de 

lojustice,  nous  redargue,  tant  de  nostre  faiblesse,  comme  d'injus- 
tice :  d'autant  qu'à  icelle  justice,  nostre  nature,  selon  qu'elle 
est  corrumpue  et  perverse,  entièrement  est  contraire  et  répu- 
gnante :  et  que  à  laperfection  d'icelle  nostre  faculté,  selon  qu'elle 
est  débile    et    inutile  à    bien    faire,    ne  peut   respondre.   Pour- 

20  tant  l'ordre,  que  nous  avons  mis  au  commencement  de  cest 
œuvre,  nousmeine  là,  que  nous  traictions  à  présent  de  la  Loy  de 
Dieu.  Or  tout  ce  qu[']i  nous  fault  attendre  d'icelle  nous  est  au- 
cunement enseigné  par  la  loy  intérieure  :  laquelle  nous  avons 
cv  dessus    dict   estre    escrite   et   quasi   imprimée  au    cœur  d'un 

2.)chascun.  Car  nostre  conscience  ne  nous  laisse  point  dormir  un 
somme  perpétuel,  sans  aucun  sentiment,  qu'elle  ne  nous  rende 
tesmoignage  au  dedens,  et  admoneste  de  ce  que  nous  devons  à 
Dieu  :  qu'elle  ne  nous  monstre  la  différence  du  bien  et  du  mal  : 
ainsi    qu'elle    ne    nous    accuse,   quand    nous    ne    faisons    nostre 

30  devoir.  Toutesfois  l'homme  est  tellement  embrouillé  en  obscurité 
d'ignorance,  qu'à  grand'peine  peut-il  par  ceste  loy  naturelle  un 
bien  petit  gouster,  quel  service  est  plaisant  à  Dieu  :  pour  le 
Institution.  8 


114  CHAPITRE    m. 

moins  il  est  bien  loing  de  la  droicte  congnoissance  diceluy. 
D  avantage  il  est  tant  enflé  de  iierté  et  ambition,  tant  aveug-lé 
de  l'amour  de  soymesme  :  qu'il  ne  peut  encores  se  regarder,  et 
quasi  descendre  en  soy.  pour  apprendre  de  s'abbaisser  et  con- 
5  fesser  sa  misère.  Pourtant,  selon  qu'il  estoit  nécessaire  à  la  gros- 
seur de  nostre  esprit,  et  à  nostre  arrogance  :  Le  Seigneur  nous 
a  baillé  sa  Lov  escrite.  pour  nous  rendre  plus  certain  tesmoignage 
de  ce  qui  estoit  trop  obscur  en  la  loy  naturelle  :  et  en  chassant 
la    nonchallance,   toucher    plus   vivement    nostre  esprit  et   me- 

ic  moire. 

Maintenant  il  est  aisé  d'entendre,  que  c'est  qu'il  fault  apprendre 
de  la  Lov  :  c'est  à  scavoir  que  Dieu,  comme  il  est  nostre  créa- 
teur, ainsi  à  bon  droict  tient  envers  nous  le  lieu  de  Seigneur  et 
Père  :  et  que  à  ceste  cause  nous  luy  devons    rendre  gloire,  reve- 

isrence,  amour  et  crainte.  Par  ainsi,  que  nous  ne  sommes  pas 
libres,  pour  suvvre  Li  cupidité  de  nostre  esprit,  par  tout  où  elle 
nous  incitera  :  mais  que  du  tout  despendons  de  nostre  Dieu,  et 
devons  nous  arrester  seulement  en  cela  qui  luy  plaira.  Davan- 
tage,    que  justice    et  droicture  luy  sont  plaisantes  :  aucontraire 

20  iniquité  abominable.  Parquoy  si  nous  ne  voulons  d'une  perverse 
ingratitude  nous  destourner  de  nostre  créateur  :  il  nous  fault 
toute  nostre  vie  aynier  justice,  et  applicquer  nostre  estude  à 
icelle.  Car  si  lors  tant  seulement  nous  luy  rendons  la  révérence 
qu'il  fault,  quand  nous  préférons  sa  volunté  à  la  nostre  :  il  s'en- 

25  suvt  qu'on  ne  luy  peut  porter  autre  honneur  légitime,  qu'en 
observant  justice,  saincteté  et  pureté.  Kt  n'est  loysible  à  l'homme 
de  s'excuser,  entant  qu'il  n'a  point  la  puissance  :  et  comme  un 
paovre  debteur  n'est  pas  suffisant  de  payer.  Car  il  n'est  pas  con- 
venable de  mesurer  la  gloire  de  Dieu    selon   nostre   faculté  :  veu 

30  que  quelz  que  nous  soyons,  il  est  tousjours  semblable  à  soy- 
mesme :  amy  de  justice,  ennemy  d'iniquité  :  et  (quelque  chose 
qu'il  nous  demande,  veu  qu'il  ne  peut  rien  demander  que  juste- 
ment nous  sommes  par  naturelle  obligation  tenuz  d'obeyr.  Ce 
que  nous  ne  le  pouvons  faire,  c'est  de   nostre  vice  :  car  si  nous 

35  sommes  detenuz,  comme  lyez,  de  nostre  cupidité,  en  laquelle 
re"-ne  péché,  pour  n'estre  libres  à  obeyr  à  nostre  Père  :  il  ne 
nous  fault,  pour  nostre  deffence,  alléguer  ceste  nécessité  : 
de  laquelle  le  mal  est  au  dedens  de  nous,  et  nous  est  à  impu- 
ter.   Quand    nous   aurons     profiité   par   la    doctrine    de    la  Loy 


Di:    LA    LUV.  1  lo 

jusques  là,  alors  ioelle  niesme  nous  conduisant,  il  lault  des- 
cendre en  nous  :  dont  rapporterons  deux  choses.  Premièrement  en 
comparageant  la  justice  de  la  Loy  avec  nostre  vice,  comment  il  y 
a  beaucoup  à  dire,  que  ne  satisfacions  à   la  volunté  de  Dieu  :   et 

;i  pourtant  que  nous  sonmies  indijj^nes  de  retenir  nostre  lieu  et 
ordre  entre  ses  créatures,  tant  s'en  fault  que  méritions  d'estre 
reputez  ses  enfans  :  Puis  en  considérant  noz  forces,  que  non  seu- 
lement ne  les  reput  ions  suffisantes  à  l'accomplissement  de  la 
Loy,  mais  du  tout   nulles  :  De    là    nécessairement   s'ensuit    une 

10  defliance  de  nostre  propre  vertu  :  puis  une  an<j^oisse  et  tremble- 
ment d'esprit  :  car  la  conscience  ne  peut  soustenir  le  faiz  de 
péché,  qu  incontinent  le  jugement  de  Dieu  ne  vienne  en  avant  : 
et  le  jugement  de  Dieu  ne  se  peut  sentir,  (|u  il  n'apporte  une 
horreur  de  mort.  Semblablement  la  conscience  estant  convaincue 

i;i  par  expérience  de  sa  faiblesse,  ne  peut  qu'elle  ne  tombe  en  deses- 
poir de  ses  foi-ces.  L'une  et  l'autre  alVection  engendre  déjection  et 
humilité.  Ainsi  advient  en  la  lin,  ([ue  l'homme  estouné  du  senti- 
ment de  la  mort  i-ternelle,  hupielle  il  se  voit  i)rocliaine,  pour  les 
mérites  de  son  injustice,  se  convertit  à  la  seule    miséricorde  de 

i^Dieu,  comme  à  un  port  unique  de  salut  :  et  que  sentant  qu'il 
n'est  pas  en  sa  puissance  de  payer  ce  qu'il  doibt  à  la  Loy,  déses- 
pérant de  soy  :  respire  pour  attendre  et  demander  ayde  aillieurs. 
Mais  le  Seigneur,  non  content  d'avoir  monstre,  en  (pielle  révé- 
rence nous  devons    avoir   sa  justice,  à   lin  aussi    d'adonner  noz 

2a  cœurs  à  l'amour  dicelle,  et  hayne  d'iniquité,  il  adjoinct  des  pro- 
messes et  menaces.  Car  pource  que  l'œil  de  nostre  entendement 
voit  si  trouble,  qu'il  ne  se  peut  esmouvoir  de  la  seule  beauté  et 
honnesteté  de  vertu  :  le  Seigneur,  selon  sa  bénignité,  nous  a  voulu 
attirer  à  l'aymer  et  désirer,  par  la  doulceur  du    loyer  qu'il  nous 

:îo  propose.  11  nous  dénonce  donc,  qu'il  veult  rémunérer  la  vertu  : 
et  que  celuy  ne  travaillera  en  vain,  qui  obeyra  à  ses  comman- 
demens.  Aucontraire  il  fait  à  scavoir,  que  injustice  non  seule- 
ment luy  est  exécrable  :  mais  aussi  qu'elle  ne  pourra  eschap- 
per,  qu'elle  ne  soit  punye,   pource  qu'il   a  déterminé  de   ven- 

35ger  le  contemnement  de  sa  majesté.  Et  pour  en  toutes  sortes 
nous  inciter,  il  promet  tant  les  bénédictions  de  la  vie  pré- 
sente, que  l'éternelle  béatitude  k  ceulx,  qui  garderont  ses  com- 
mandemens  :  et  d'autre  costé  ne  menace  pas  moins  les  trans- 
gresseurs     des     calamitez     corporelles  ,    que     du    torment     de 


H6  CHAPITRE    III. 

la  mort  éternelle.  Car  ceste  promesse,   à  scavoir.  Qui  fera  ces  Levi.  18. 
choses  vivra  en  icelles  :  et  aussi  la  menace  correspondante  :  L'ame  Ezec  18. 
qui  aura  péché  mourra  de  mort:  sans  aucune  double  appartient 
à  la  mort  ou  immortalité  future,  qui  jamais  ne  finera.   Combien 
5  que  par  tout  où  il  est  faict  mention  de  la  benevolence,  ou  ire  du 
Seigneur,  soubz  la  première  est  contenue  éternité  de  vie  :  soubz  la 
seconde  perdition  éternelle.  OrenlaLoy  est  recité  un  grand  rolle  Levi.  26. 
des    bénédictions  et    malédictions    présentes.    Es     peines    qu'il  Deu.  28. 
dénonce,  il    apparoist    combien  il  est  d  une   grand'pureté  :  veu 

10  qu'il  ne  peut  souffrir  iniquité.  D'autrepart  aux  promesses  il  est 
demonstré,  combien  il  ayme  justice  :  veu  qu'il  ne  le  veut  point 
laisser  sans  rémunération.  Pareillement  y  est  demonstré  une  mer- 
veilleuse bénignité.  Car  veu  que  nous  et  tout  ce  qui  est  nostre, 
sommes  obligez  à  sa  majesté  :  k  bon  droit  tout  ce  quil  requiert  de 

15  nous,  il  le  demande  comme  ce  qui  luy  est  deu.  (3r  le  payement 
dune  telle  debte  n  est  pas  digne  de  rémunération  aucune  :  Par- 
quoy  il  quicte  de  son  droict,  quand  il  nous  propose  quelque  loyer 
pour  nostre  obeyssance  :  laquelle  nous  ne  luy  rendons  pas  de 
nostre  bon  gré,  comme  une  chose  qui  ne  luy  seroit  point  deuë.'Or 

20  que  c'est  que  nous  peuvent  profliter  les  promesses  d'elles  mesmes, 
il  apparoistra  tantost.  11  suffit  pour  le  présent,  que  nous  enten- 
dions et  reputions,  que  aux  promesses  de  la  Loy  y  a  une  singu- 
lière recommendation  de  Justice  :  à  fin  qu'on  voye  plus  certaine- 
ment, combien   1  observation  d'icelle  plaist  à  Dieu.  D'autrepart 

23  que  les  peines  sont  mises  en  plus  grande  exécration  d'injustice  : 
à  fin  que  le  pécheur  ne  s'enyvre  en  la  doulceur  de  son  péché 
jusques  à  oublier  que  le  jugement  de  Dieu  luy  est  appareillé. 

Or  ce  que  le  Seigneur,  voulant  donner  la   reigle   de  parfaicte 
justice,  a  reduict  toutes  les  parties  d'icelle  à  sa  volunté  :  en  cela 

30  il  est  demonstré,  qu'il  n'a  rien  plus  aggreable  qu'obeyssance. 
Ce  qu'il  fault  d'autant  plus  diligemment  noter  :  pource  que  la 
hardiesse  et  intempérance  de  l'entendement  humain  est  trop 
inclinée  à  excogiter  nouveaux  honeurs  et  services  pour  luy 
rendre,  à  fin  dacquerir  sa  grâce.  Car  en  tout  temps  ceste   irre- 

35  ligieuse  affectation  de  religion,  pource  qu'elle  est  naturellement 
enracinée  en  nostre  esprit,  sest  tousjours  monstrée  :  et  se  monstre 
encores  de  présent,  en  tout  le  genre  humain.  C'est,  que  les 
hommes  appetent  tousjours  de  forger  quelque  manière  d'acqué- 
rir justice,    sans  la    parole  de  Dieu.    Dont  il    advient,  qu'entre 


DE    LA    LOV.  117 

les  bonnes  ix^uvres  que  communément  on  estime,  les  conmiande- 
mens  de  la   Loy   tiennent    le    plus    petit  lieu  :   ce  pendant  une 
multitude   infinie  de    préceptes    humains    occupent    le    premier 
ranc   et    la    plus   grand'place.     Mais,    qu'est-ce    que    Moyse   a 
5  plus    voulu  refréner,    que  ceste   cupidité,  quand  après  la   publi- 
cation  de  la  Loy  il  parla  ainsi  au  peuple  ?  Note  et  escoute  ce 
que  je  te  commande;   à  ce  que  tu  prospere[s],  toy  et  tes  enfnns  Deut.'l2. 
après  toy,  c[uand  tu  auras  faict  ce  qui  est  bon  et  plaisant  devant 
ton   Dieu.    Faictz    seulement    ce  que   je  te  commande,   sans  y 
loadjouster  ne    diminuer.    Et   auparavant,    après    avoir  protesté, 
que    ceste   estoit  la   sagesse  et  intelligence  du    peuple    d'Israël 
devant  toutes  les  nations  de  la  terre,  d'avoir  receu  du  Seigneur 
les  jugemens,    justices    et   cérémonies   :    il    leur    dit   quant    et 
quant:  Garde  toy  et  ton  ame  songneusement  :  n'oublie  point  les  Deut.  4. 
v;  parolles  que  tes  yeulx  ont  veu,  et  que  jamais    elles   ne  tombent 
de   ton  cœur.  Certes  pource  que  le  Seigneur  prevoyoit,  que  les 
Israélites    ne    se    tiendroient  point,  après    avoir    receu  la  Loy, 
qu'ilz    ne   désirassent  d'inventer  nouvelles   manières  de  le  ser- 
vir,   sinon    qu'il  leur  tinst   la   bride    roide  :   il  prononce,    qu'en 
20  sa  parolle  est  contenue  toute  perfection  de  justice  :  ce  qui   les 
devoit  tresbien  retenir.   Et  neantmoins  ilz  n'ont  point  désisté  de 
ceste  audace,  qui  leur  avoit  esté  tant  defïendue.  Et  nous  quoy  ? 
Certes  nous  sommes  estrainctz   de    ceste   mesme  parolle.  Car  il 
n'y  a  doubte    que    cela  n'ayt  tousjours  lieu,  que    le   Seigneur  a 
2o  voulu  attribuer   à  sa  Loy  une  parfaicte    doctrine  de  justice.  Et 
toutesfois  non  contenz  d'icelle,  nous  travaillons  à  merveilles   à 
controuver  et  forger  de  bonnes  œuvres,    les  unes  sur  les  autres. 
Le  meilleur  remède  qui  soit,  pour   corriger  ce  vice,  est   d'avoir 
ceste  cogitation  plantée  en  nostre  cœur  :  que  la  Loy  nous  a  esté 
30 baillée  du  Seigneur,    pour  nous  enseigner  parfaicte   justice:  et 
qu'en  icelle  n'est    point   enseignée  autre  justice,   sinon  de  nous 
reigler  et  conformer  à  la  volunté  divine.  Ainsi   c'est  pour  néant, 
que  nous  imaginons  nouvelles  formes  d'œuvres,  pour  acquérir  la 
grâce  de  Dieu  :  duquel  le  légitime  service  consiste  seulement  en 
3o  obeyssance.  Plustost  aucontraire,  que  l'estude  des  bonnes  œuvres, 
qui  sortent  hors  la  Loy  de  Dieu,  et  une  pollution  intollerable  de  • 
la  divine  et  vraye  justice. 

Mais  quant  la  loy  du  Seigneur  nous  aura  esté  expliquée  :  alors 
plus  proprement,  et  avec  plus  grand  fruict,  on  disputera  de  l'office 


I  IS  CHAPITRE    m. 

et  usag-e  dicelle.   Or  avant  qu'entrer  à  traicter   particulièrement 
un  chascun  chapitre  :   il   est  bon  de  premièrement  congnoistre 
ce  qui  appartient  à   la   cong-noissance  imiverselle  d'icelle.  Pour 
le  premier,  que  cela  soit  arresté,   que   la  vie  de   l'homme  doibt 
>  estre    reiglée    par    la    Loy.    non    seulement    à    une    honesteté 
extérieure   :    mais  aussi    à   la  justice    intérieure    et    spirituelle. 
Laquelle  chose,  combien  qu'elle  ne  se  puisse  nyer  :  neantmoins 
est  considérée  de  bien  peu.  Gela  se  fait,  pource  qu'on  ne  regarde 
point  le  législateur,  de  la    nature   duquel  celle  de  la  loy    doibt 
10  estre  estimée.  Si  quelque  Roy  defîendoit  par  edict  de  paillarder, 
de  meurtrir,  et  desrober:  je  confesse  que  celuy  qui  auroit  seule- 
ment conceu  en  son  cœur  quelque  cupidité  de  paillarder,  ou  des- 
rober. ou  meurtrir,  sans  venir  jusques  à  l'œuvre,  et  sans  s'effor- 
cer d'y  venir,  ne  sera  point  tenu  de  la  peine,    laquelle  sera  cous- 
is tituée.  Car   pource   que   la    providence  du  législateur  mortel  ne 
s'estend  que  jusques  à  l'honesteté  externe  :  ses  ordonnances  ne 
sont  point  violées,  sinon  que  le  mal  vienne  en  effect.  Mais  Dieu, 
devant  l'a^il  duquel  rien  n'est  caché,  et  lequel  ne  s'arreste  point 
tant  k  l'apparence  extérieure    de  bien,  que  à  la  pureté  de  cœur  : 
2"  en  deffendant   paillardise,   homicide,  et  larrecin,   deffend  toute 
concupiscence   charnelle,    hayne,  convoytise   du    bien  d'autruv, 
tromperie,    et  tout   ce   qui  est   semblable.  Car  entant  qu'il   est 
législateur  spirituel,  il  ne  parle  pas  moins  à  lame,  qu'au  corps. 
Or  ire    et   hayne.  est  meurtre,  quant   à  l'ame  :  convoitise,    est 
2"j  larrecin  :    amour  desordonnée,  est  paillardise.    Mais    quelqu'un 
pourra  dire,  que  aussi  bien  les  loix  humaines  regardent  le  conseil 
et  la  volunté    des   hommes,  et    non  pas  les  evenemens  fortuitz. 
Je  le  confesse  :  mais  cela  s'entend  des  voluntez,  lesquelles  viennent 
en  avant  ;  car  elles   considèrent  à  quelle  intention  une  chascune 
30  œuvre  a  esté  faicte  :  mais  elles  n'enquierent  point  les  cogitations 
secrettes.   Pourtant    celuy  qui   se  sera    abstenu  de   transgresser 
extérieurement,    aura    satisfaict   aux    loix  politiques.    Au   con- 
traire,   pource   que   la    Loy  de  Dieu    est  donnée    à   noz    âmes, 
si  nous    la  voulons   bien  observer,   il  fault   que  nos  âmes  soient 
35  principalement  reprimées.  Or   la  pluspart  des  hommes,  mesmes 
quand    il    veulent     dissimuler    d'estre     contempteurs    d'icelle  , 
forment   aucunement   leurs  yeux,  leurs  piedz,  leurs  mains  et  les 
autres  parties  de  leurs  corps,  à  observer  ce  qu'elle  commande  : 
cependant     leur     cœur    demeure     tout    aliéné    de     l'obéissance 


DE    LA    I.OY 


119 


d'icollo.  Ainsi  ilz  se  pensent  bien  acquitez,  s'ilz  ont  caché  devant 
les  hommes  ce  qui  apparoist  devant  Dieu.  Hz  oyent  :  Tu  ne  meur- 
triras point  :  Tu  ne  paillarderas  point  :  Tu  ne  desroberas  point. 
Pourtant  ilz  nedesi^ainuenl  point  leur  espée  pour  meurtrir,  ilz  ne 
;i  se  meslent  point  avec  paillardes,  il  ne  jettent  point  la  main  sur  les 
biens  d'autruy.  Tout  cela  est  bon  :  mais  leur  cœur  est  plein  de 
meurtre,  et  brusle  de  concupiscence  charnelle  :  ilz  ne  peuvent 
regarder  le  bien  de  leur  prochain  que  de  travers,  le  dévorant  par 
convoytise.  En  cela,  ce  qui  estoit  le  principal  de  la  Loy  leur  de- 

lofault.   Dont  vient,   je  vous  prie,   une   telle  stupidité;  sinon,  que 
laissant  derrière  le  lei,''islateur;  il  accommodent  la  justice  à  leur 
entendement?  A  Tencontre  de  ceste  opinion  Sainct  Paul  crie  fort 
et  ferme,   disant  :  que  la  Loy  est  spirituelle.  En  quoy  il  signifie,  n„ni.  7. 
(jue  non  seulement  elle  requiert  obéissance  de  l'ame,  de  Tentende- 

ir.  ment,  et  volunté  :  mais  une  pureté  Angélique  :  laquelle  estant 
purgée  de  toute  macule  charnelle,  ne  sent  autre  chose  qu'esprit. 
En  disant  que  le  sens  de  la  Loy  est  tel.  nous  n'apportons  point 
une  nouvelle  exposition  de  nousmesmes  :  mais  nous  suyvons 
Cjhrist,  qui  en  est  tres'bon  i-xpositeur.  Car  pource  que  les    Pha- 

20  risiens  avoient  semé  entre  le  peuple  une  opinion  perverse  :  à  sca- 
voir.  cjue  celuy  qui  ne  commettoit  rien  par  œuvre  externe  contre 
la  Loy,  estoit  bon  observateur  d'icelle  :  il  redargue  cest  erreur  :  à  Mnt.  H 
scavoir,  qu'un  regard    impudique  d'une   femme,  est  paillardise  : 
et    que  tous  ceulx  qui  hayssent    leur  frère,  sont  homicides.   Car 

2;i  il  fait  coulpables  de  jugement  tous  ceulx  qui  auront  con- 
ceu  seulement  quelque  ire  en  leur  cœur  :  coulpables  devant  le 
consistoire  tous  ceulx  qui,  en  murmurant,  monstrent  quelque 
offension  de  courage  :  et  coulpables  de  géhenne  de  feu  tous 
ceulx,  qui  par  injure,  auront  apertement  declairé  leur    malveil- 

30  lance.  Ceulx  qui  n'entendoient  point  cela,  ont  imaginé,  que 
Christ  estoit  un  second  Moyse  :  qui  avoit  apportéjla  loy  Evan- 
gelique,  pour  supplier  le  desfault  de  la  loy  Mosaique.  Dont  est 
procedée  ceste  sentence  comme  vulgaire  que  la  perfection  de 
la   Loy  Evangelique  est  beaucoup  plus  grande,   qu'elle    n'estoit 

33  en  l'ancienne  Loy.  Qui  est  un  erreur  trespervers.  Car  quand 
nous  réduirons  cy  après  en  somme  les  préceptes  de  Moyse, 
il  apparoistra  par  ses  parolles  mesmes,  combien  on  fait  grand' 
injure  à  la  Loy  de  Dieu  ,  en  disant  cela.  D'avantage  de  ceste 
opinion    il  s'ensuyAroit ,    que  la  saincteté   des  Pères  anciens  ne 


120  CHAPITRE    III. 

differoit  gueres  d'une  hypocrisie.  Finalement  ce  seroit  pour  nous 
destourner  de  la  reigle  unique  et  perpétuelle  de  justice,  que 
Dieu  a  lors  baillée.  Or  l'erreur  est  facil'  à  réfuter  :  pource  que 
telle   manière  de   g^ens    ont  pensé,    que    Christ  adjoustast   à  la 

5  Loy  :  où  tant  seulement  il  la  restituoit  en  son  entier  :  à  sca- 
voir,  en  la  purgeant  des  mensonges,  et  du  levain  des  Phari- 
siens dont  elle  avoit  esté  obscurcie  et  souillée. 

11  nous  fault  secondement  observer,  que  les  préceptes  de  Dieu 
contiennent  quelque  chose  plus  que  nous  n'y  voyons  exprimé  par 

loparolles.  Ce  qu'il  fault  neantmoins  tellement  modérer,  que  nous 
ne  leur  donnions  point  tel  sens  que  bon  nous  semblera,  les 
tournant  cà  et  là  à  nostre  plaisir.  Car  il  en  y  a  d'aucuns,  qui  par 
telle  licence ,  font  que  l'auctorité  de  la  Loy  est  vilipendée , 
comme  si    elle    estoit  incerteine.   ou  bien  qu'on   désespère  d'en 

15  avoir  saine  intelligence.  Il  fault  donc  s'il  est  possible,  trouver 
quelque  voye,  laquelle  nous  conduise  seurement,  et  sans  doubte, 
à  la  volunté  de  Dieu.  C  est  à  dire,  il  fault  regarder  combien 
l'exposition  se  doibt  estendre  oultre  les  paroUes  :  tellement  qu'il 
apparoisse,     que    ce  ne    soit    point    une    addition    adjoustée   à 

20  la  Loy  de  Dieu  des  gloses  humaines  :  mais  que  ce  soit  le  pur 
sens  naturel  du  législateur,  fidèlement  declairé.  Certes  en  tous 
les  préceptes  il  est  si  notoire,  qu  une  partie  est  mise  pour  le 
tout,  que  celuy  qui  en  vouldroit  restreindre  l'intelligence  selon 
les  parolles,  seroit  digne  d'estre  mocqué.  Il  est  donc  notoire,  que 

23  l'exposition  de  la  Loy,  la  plus  sobre  qu'on  la  puisse  faire,  passe 
oultre  les  parolles  :  mais  il  est  obscur  jusques  à  où  ;  sinon  qu'on 
diffînisse  quelque  mesure.  Or  je  pense  que  ceste  cy  sera  très- 
bonne  :  si  on  dirige  sa  pencée  à  la  raison,  pour  laquelle  le  pré- 
cepte a  esté  donné  :   à    scavoir,  qu'en    un   chascun  précepte   on 

:{o  considère,  à  quelle  fin  il  nous  a  esté  donné  de  Dieu.  Exemple. 
Tout  précepte  est  pour  commander,  ou  pour  deffendre.  Nous 
aurons  la  vraie  intelligence  de  l'un  et  de  l'autre,  en  regardant  la 
raison  ou  la  tin  où  il  tend.  Comme  la  fin  du  cinquiesme  précepte 
est,  qu'il  fault  rendre   honneur  à  ceulx,  ausquelz  Dieu  l'a  voulu 

35  attribuer.  Ceste  sera  donc  la  somme,  qu'il  plaist  à  Dieu,  que 
nous  honorions  ceulx,  ausquelz  il  a  donné  quelque  prééminence  : 
et  que  contemnement  et  contumace  à  l'encontre  d'iceulx  luy 
est  en  abomination.  La  raison  du  premier  précepte  est,  que 
Dieu    seul   soit    horioré.   La    somme  donc    sera  ,    que    la  vraye 


DF    LA    LOY. 


121 


pieté  est  a<î^reable  à  Dieu  :  c'est  à  dire,  rhonneur  que  nous 
rendons  à  sa  majesté,  aucontraire  que  impieté  luy  est  al)omi- 
nahle.  Ainsi  fault-il  regarder  en  tous  préceptes,  dequoy  il  est 
traicté  :  Après  il   fault    chercher  la  fin,  jus(|ues    à   ce  que  nous 

5  trouvions,  que  c'est  que  Dieu  veut  testifier  luv  estre  plaisant, 
où  desplaisant.  Puis,  de  ce  qui  est  dict  au  précepte,  il  nous 
fault  former  ini  argument  aucontraire,  en  ceste  manière.  Si 
cela  plaist  à  Dieu  :  le  contraire  luy  desplaist.  Si  cela  luv  des- 
plaist  :    le   contraire   luy  plaist.  S'il  commande  cela  :  il  deffend 

10  le  contraire.  S'il  delTend  cela  :  il  commande  le  contraire.  Ce 
qui  est  maintenant  obscur  en  le  touchant  briefvement,  sera 
plus  familièrement  esclaircy  par  l'expérience,  quand  nous 
exposerons  les  préceptes.  Pourtant  il  suffira  de  l'avoir  touché  : 
sinon    qu'il   nous  fault    confermer  le   dernier   que    nous   avons 

15  dict,  qui  autrement  ne  seroit  point  entendu,  ou  sembleroit  advis 
desraisonnable.  Ce  que  nous  avons  dict,  que  là  où  le  bien  est 
commandé,  le  mal,  qui  est  contraire,  est  defîendu  :  n'a  ja  mes- 
tier  de  probation,  car  il  n'y  a  personne  cjui  ne  le  concède.  Pa- 
reillement le  jugement  commun  recevra  voluntiers,  que  quand 

20  on  deffend  le  mal,  on  commande  le  bien,  qui  est  au  contraire. 
Car  c'est  une  chose  vulgaire,  que  quand  ou  condamne  les  vices, 
on  recommande  les  vertus.  Mais  nous  demandons  quelque 
chose  d'avantage,  que  les  hommes  n'entendent  communément 
en    confessant   cela.    Car    par    la  vertu    contraire    au   vice,    ilz 

25  entendent  seulement  s'abstenir  de  vice.  Mais  nous  passons  oultre  : 
à  scavoir,  en  exposant  que  c'est  faire  le  contraire  du  mal.  Ce  qui 
s'entendra  myeulx  par  exemple.  Car  en  ce  précepte,  Tu  ne  tueras 
point  :  le  sens  commun  des  hommes  ne  considère  aultre  chose, 
sinon  qu'il  se  fault  abstenir  de  toute  oultrage  et  de  toute  cupidité 

30  de  nuyre.  Mais  je  diz  qu'il  y  fault  entendre  plus  :  à  scavoir  que 
nous  aydions  à  conserver  la  vie  de  nostre  prochain ,  par  tous 
moyens  qu'il  nous  sera  possible.  Et  à  fin  qu'il  ne  semble  que  je 
parle  sans  raison,  je  veulx  approuver  mon  dire.  Le  Seigneur  nous 
deffend  de  blesser  et  oultrager  nostre  prochain,  pource  qu'il  veut 

3>  que  sa  vie  nous  soit  chère  et  précieuse  :  il  requiert  donc  sembla- 
blement  les  offices  de  charité,  par  lesquelz  elle  peut  estre  conser- 
vée. Ainsi  on  peut  appercevoir,  comment  la  fin  du  précepte  nous 
enseigne  ce  qui  nous  y  est  commandé  ou  defîendu  de  faire.  Si  on 
demande  la   raison,  pourquoy  le  Seigneur  a  seulement   à  demy 


122  CHAPITRE    III. 

signifié  son  vouloir,  plustost  que  l'exprimer  clairement.  Pour 
response  à  cela,  on  peut  alléguer  plusieurs  raisons  :  mais  il  y 
en  a  une,  qui  me  contente  par  dessus  toutes.  C'est,  pource 
que  la   chair   s'efforce   tousjours  de    colorer    ou  de    cacher    par 

r.  vaines  couvertures  la  turpitude  de  son  péché,  sinon  qu'on  la 
puisse  toucher  au  doigt  :  il  a  voulu  proposer  pour  exemple  ce 
qui  estoit  le  plus  villain  et  desordonné  en  chascun  genre  de 
péché  :  à  fin  que  l'ouye  mesme  en  eust  horreur,  pour  nous 
faire  détester  le  péché  de  plus  grand  courage.  Cela  nous    trompe 

10  souvent  en  estimant  les  vices,  que  nous  les  exténuons,  s'ilz 
sont  quelque  peu  couvers.  Le  Seigneur  donc  nous  retire  de 
ceste  tromperie,  nous  accoustumant  k  réduire  une  chascune 
faulte  à  un  genre,  dont  nous  puissions  myeulx  congnoistre, 
en    cjuelle  ahomination  elle    nous   doibt    estre.    Exemple.    Il  ne 

i.i  nous  semble  point  advis,  que  ce  soit  un  mal  fort  exécrable  que 
hayne  ou  ire  :  quand  on  les  nomme  de  leurs  noms.  Mais  quand 
le  Seigneur  les  delfend  soubz  le  nom  d'homicide,  nous  voyons 
myeulx  en  quelle  abomination  il  les  ha  :  veu  qu'il  leur  donne 
le  nom    d'un    si    horrible   crime.  Par   ainsi    estans  advertiz  par 

soie  jugement  de  Dieu,  nous  apprenons  de  myeulx  reputer  la 
grandeur  des  faultes  :  lesquelles  auparavant  nous  sembloient 
legieres. 

Tiercement  nous  avons  à  considérer,    que   c'est  que  veut  dire 
la  division  de  la  Loy  en  deux   Tables  :  desquelles  il  n'est   point 

23  faict  si  souvent  mention  en  l'Escriture  sans  propos  :  comme  tout 
homme  de  bon  esprit  peut  juger.  Or  la  raison  est  si  facile  à 
entendre,  qu'il  n'est  ja  mestier  d'en  faire  nulle  doubte.  Car  le 
Seigneur,  voulant  enseigner  toute  justice  en  sa  Loy,  l'a  tellement 
divisée,  qu'il  a  assigné  la  première    aux  offices,  dont  nous    luy 

30  sommes  redevables,  pour  honorer  sa  majesté  :  la  seconde  à  ce 
que  nous  devons  k  nostre  prochain,  selon  charité.  Certes  le  pre- 
mier fondement  de  justice  est.  l'honneur  de  Dieu  :  lequel  ren- 
versé, toutes  les  autres  parties  sont  dissipées ,  comme  les 
pièces  d'un  édifice  ruyné.   Car,   quel  édifice  sera-ce  de  ne  nuyre 

33  point  k  nostre  prochain,  par  larrecins  et  rapines;  si  cependant 
par  sacrilège  nous  ravissons  k  la  majesté  de  Dieu,  sa  gloire  ? 
Item,  de  ne  point  maculer  nostre  corps  par  paillardise  ;  si 
nous  polluons  le  Nom  de  Dieu  par  blasphèmes  ?  Item,  De  ne 
point    meurtrir  les   hommes  ;     si   nous  taschons   d'esteindre    la 


DK    LA    LOV. 


12a 


mémoire  de  Dieu  ?  Ce  seroit  donc  en  vain,  que  nous  préten- 
drions justice  sans  religion  :  tout  ainsi  comme  si  quelqu'un 
vouloit  faire  une  belle  monstre  d'un  corps  sans  teste.  Com- 
])ien,  qu'à  dire  vray,  religion  nonseulement  est  le  chef  de 
.justice  et  vertu  :  mais  en  est  quasi  lame,  pour  luv  donner 
vigueur.  Car  jamais  les  hommes  ne  garderont  entre  eulx  équité 
et  dilection,  sans  la  crainte  de  Dieu.  Nous  appelions  donc  le 
service  de  Dieu,  principe  et  fondement  de  justice  :  veu  que 
celuy  osté  tout  ce  que  peuvent  méditer  les  hommes  pour  vivre 

10  en  droicture,  continence,  et  tempérance,  est  vain  et  frivole 
devant  Dieu.  Pareillement  nous  l'appelions  la  source  et  esprit 
de  justice  :  pource  c[ue  les  hommes,  en  craignant  Dieu,  comme 
juge  du  bien  et  du  mal,  apprennent  de  cela  à  vivre  purement 
et  droictement.  Pourtant  le  Seigneur  en  la  première  Table  nous 

•  i  instruict  à  pieté  et  religion  :  pour  honorer  sa  majesté.  En  la 
seconde,  il  ordonne,  comment,  à  cause  de  la  crainte  que  nous 
luv  portons,  il  nous  fault  gouverner  ensemble.  Pour  laquelle 
raison  nostre  Seigneur  Jésus,  comme  recitent  les  Kvangelistes, 
a  reduicl  toute  la  Loy  sonmiairement  en  deux  articles  :  à  scavoir, 

20  que  nous    aymions  Dieu   de  tout    nostre   c(eur,    de  toute  nnsire  M.iii.  21. 
ame  et  de  toutes  noz  forces  :  que  nous  aymions  nostre  prochain,  Luc  tO. 
comme  nous  mesmes.  Nous  voyons  comment    des  deux  parties, 
esquelles  il  comprend  toute  la  Loy,  il  en  addresse  l'une  à  Dieu, 
et  l'autre    aux    hommes.  Toutesfois,    combien  que    la    Loy  soit 

2.i  entièrement  contenue  en  deux  poinctz,  si  est  ce  que  nostre  Sei- 
gneur, pour  oster  toute  matière  d'excuse,  a  voulu  plus  ample- 
ment et  facilement  declairer  en  dix  préceptes,  tant  ce  qui  appar- 
tient à  la  crainte,  amour,  et  honneur  de  sa  divinité  :  comme  à 
la  charité,  laquelle  il  nous   commande  d'avoir  à  nostre  prochain 

wpour  l'amour  de  soy.  Pourtant  ce  n'est  pas  une  estude  inutile, 
que  de  chercher,  quelle  est  la  division  des  préceptes  :  moyen- 
nant qu'il  nous  souvienne,  que  c'est  une  chose,  en  laquelle  chas- 
cun  peut  avoir  son  jugement  libre  :  et  pourtant  que  nous  n'es- 
mouvions  point  contention  contre    celuy,  qui  n'accordera  point 

35  à  nostre  sentence.  Cecy  diz-je ,  à  fin  que  personne  ne  s'es- 
merveille  de  la  distinction  que  je  suyvray  :  comme  si  elle 
estoit  nouvellement  forgée.  Quant  au  nombre  des  préceptes, 
il  n'y  a  nulle  doubte  :  d'autant  que  le  Seigneur  a  osté  toute 
controversie     par    sa      paroUe     :    la    dispute    est    seulement    à 


124  CHAPITRE  m. 

la  manière  de  les  diviser.  Geulx  qui  les  divisent  tellement, 
qu'il  y  ayt  en  la  première  Table  trois  préceptes,  et  sept  en 
la  seconde ,  effacent  le  précepte  des  images  du  nombre  des 
autres ,  ou  bien  le  mettent  soubz  le  premier  :  comme  ainsi 
3  soit,  que  le  Seigneur  l'ayt  mis  comme  un  commandement  spé- 
cial. D'avantage  ilz  divisent  inconsidérément  en  deux  Tables 
le  dixiesme  précepte  :  qui  est  de  ne  point  convoyter  les  biens 
de  nostre  prochain.  Il  y  a  une  autre  raison  pour  les  refutpr  : 
que    leur    division    a    esté    incongneuë    en    l'Eglise    primitive, 

10  comme  nous  verrons  tantost  après.  Les  autres  mettent  bien, 
comme  nous,  quatre  articles  en  la  première  Table  :  mais  ilz 
pensent  que  le  premier  soit  une  simple  promesse,  sans  com- 
mandement. Or  de  ma  part,  pource  que  je  ne  puis  prendre  les 
dix   parolles,  dont  Moyse    fait  mention  autrement  que  pour  dix 

15  préceptes,  sinon  que  je  sois  convaincu  du  contraire  par  rai- 
son évidente  :  D'avantage,  pource  qu'il  me  semble,  que  nous 
les  pouvons  distinctement  par  ordre  marquer  au  doigt  :  leur 
laissant  la  liberté  d'en  penser,  comme  ilz  vouldront  :  je  suyvray 
ce  qui  me  semble  le  plus  probable.    C'est  que  la  sentence,  dont 

20  ilz  font  le  premier  précepte,  tienne  comme  un  lieu  de  proesme 
sur  toute  la  Loy  :  puis  après  que  les  dix  préceptes  sensuyvent  : 
quattre  en  la  première  Table,  et  six  en  la  seconde,  selon 
l'ordre  que  nous  les  coucherons.  [Cejste  division  est  mise  de 
Origene  sans   difficulté,   comme    receuë    communément  de    son 

2.  temps  :  Sainct  Augustin  aussi  l'approuve  au  troisiesme  livre  ad 
Bonifacium.  Il  est  bien  vray,  qu'en  un  autre  lieu  la  première 
division  luy  plaist  myeulx.  Mais  c'est  pour  une  raison  trop 
légère,  à  scavoir.  pource  que  si  on  mettoit  seulement  trois 
préceptes    en  la   première    Table  :    cela  representeroit    la    Tri- 

3onité  :  combien  qu'en  ce  lieu  là  mesme  il  ne  dissimule  pas,  que  la 
nostre  Im'  plaist  plus  quant  au  reste.  Nous  avons  aussi  un 
autre  ancien  Père,  qui  accorde  à  nostre  opinion  :  celuy  qui  a 
escrit  les  commentaires  imparfaictz  sur  Sainct  Mathieu.  Josephe 
attribue    à    chascune    Table   cinq    préceptes  :    laquelle   distinc- 

35  lion  estoit  commune  en  son  temps  comme  on  peut  conjec- 
turer. Mais,  oultre  ce  que  la  raison  contredit  à  cela,  veu  que 
la  différence  entre  l'honneur  de  Dieu  et  la  charité  du  pro- 
chain y  est  confondue,  lauctorité  de  Jésus  Christ  bataille 
aucontraire  :    lequel     mect    le    précepte    d  honnorer     père    et 


DE    LA    LOY 


125 


mère    au   cathalogue   de  la    seconde  Table.   Maintenant  escou- 
tons  le  Seigneur  parler. 


Le  premier  Commandement. 

Je   suis     rKternel    Ion     Dieu,   qui  t'ay    retiré   de  la  terre 
5      d'Egypte,  de  la  maison  de  servitude.  Tu  n'auras  point  de 

Dieux  eslranges  devant  ma  face.  Mait.l"). 

Il  ne  peut  challoir,  si  nous  prenons  la  première  sentence 
comme  partie  du  premier  précepte,  ou  si  nous  la  mettons  sépa- 
rément :  moyennant  que  nous  entendions,  que  c'est    comme    un 

loproësme  sur  toute  la  Loy.  Premièrement,  quand  on  faict 
quelques  loix,  il  fault  donner  ordre  qu'elles  ne  s'abolissent  par 
mespris  ou  contemnement.  Four  ceste  cause  le  Seigneur  au 
commencement  remédie  à  ce  danger  :  prévoyant  que  la  majesté 
de  sa  Loy  ne  soit  contemnée  :  ce  qu  il  fait,  la  fondant  sur  trois 

lo  raisons.  Car  il  s'attribue  le  droict  et  puissance  de  commander  : 
en  quoy  il  nous  astreinct  en  la  nécessité  d'obeyr.  Puis  après  il 
nous  promet  sa  grâce,  pour  nous  attirer  par  doulceur,  à  suyvre 
sa  volunté.  Finalement  il  réduit  en  memoyre  le  bien  qu'il  nous 
a  faict  :  pour  nous  redarguer  d'ingratitude,  si  nous  mesprisons 

211  ce  qu'il  nous  commande.  Soubz  ce  Nom  d'Eternel,  est  signi- 
lié  son  Empire,  et  seigneurie  légitime,  qu'il  ha  sur  nous.  Car  si 
toutes  choses  viennent  de  luy,  et  consistent  en  luy  :  c  est  raison 
(qu'elles  luy  soient  référées,  comme  dit  Sainct  Paul.  Par  ce  mot 
donc  il    nous  est  monstre,  qu'il    nous  fault  submettre  au  joug 

2.J  du  Seigneur  :  veu  que  ce  seroit  un  monstre,  de  nous  retirer 
du  gouvernement  de  celuy,  hors  lequel  nous  ne  pouvons 
estre.  Après  qu'il  a  enseigné  le  droict  qu'il  ha  de  commander, 
et  que  toute  l'obeyssance  luy  est  deuë  :  à  fin  qu'il  ne  semble 
qu'il  nous  veuille  contraindre  seulement  par  nécessité,    il   nous 

:;n  ameine  aussi  par  doulceur,  se  declairant  estre  nostre  Dieu. 
(]ar  en  ceste  locution,  il  y  a  une  correspondance  mutuelle, 
laquelle  est  exprimée  en  ceste  promesse,  où  il  dit  :  Je  seray 
leur  Dieu,  et  ilz  me  seront  pour  peuple.  De  laquelle  Jésus 
(Christ    approuve,    que    Abraham,   Isaac  et  Jacob,    ont    obtenu 

■xj  salut   et     vie    éternelle  :    pource  que  Dieu    leur  avoit   promis, 


126  CHAPITRE    Hl. 

qu'il   seroit  leur  Dieu.  Pourtant    ce    mot   vault  autant,    comme 
s'il  disoit  :  Je  vous  ay  esleuz  pour  mon  peuple  :  non  seulement 
pour   vous    bien    faire  en    la  vie  présente  :  mais  pour  vous  con- 
duire à  rEterne]le    béatitude   de  mon  royaume.  Or  à  quelle    fin 
5 tend  ceste  g-race.  il    est  dict  en  plusieurs  passages.   Car  quand  Deut.    7. 
nostre  Seig-neur  nous    appelle   en  la  compagnie  de  son    peuple,        '^ 
il  nous    eslit.   ainsi  que   dit    Moyse,  pour  nous  sanctifier    à    sa 
gloire,  et    à  fin  que  nous  gardions    ses    commandemens.   Dont  Levit.    19 
vient   ceste    exhortation    que   fait    le   Seigneur    à    son   peuple. 

10  Soyez  sainctz  :  car  je  suis  sainct.  Or  de   ces  deux  est  desduicte  3/a/ac.   /. 
l'obtestation  que  fait  Dieu  par  son  Prophète  :  Le  filz  honore   le 
père,   et  le  serviteur    son   maistre.    Si  je    suis   vostre  maistre  ; 
où  est  la  crainte"?  Si  je  suis  vostré  père;  où  est  l'amour?  Con- 
sequemment   il  recite  le   bien,  qu'il  a  faict   à  ses    serviteurs    : 

13  ce  qui  les  doibt  d'autant  plus  esmouvoir,  que  ingratitude  est 
un  crime  plus  détestable  que  tous  autres.  Or  il  remonstroit  lors 
au  peuple  d'Israël  le  bénéfice  qu'il  leur  avoit  faict  :  lequel 
estoit  si  grand  et  admirable,  quec'estoit  bien  raison,  qu'il  fust  en 
éternelle  mémoire.  D'avantage  la  mention    en  estoit  convenable 

2u  du  temps  que  la  Loy  debvoit  estre  publiée.  Car  le  Seigneur 
signifie,  que  pour  ceste  cause  il  les  a  délivrez,  à  fin  qu'ilz  le 
recongnoissent  autheur  de  leur  liberté,  luy  rendans  honneur  et 
obéissance.  Mais  k  fin  qu'il  né  nous  semble,  que  cela  ne  nous 
appartient  de  rien  :  ilnousfault  reputer,  que  la  servitude  d'Egipte, 

25  où  a  esté  le  peuple  d'Israël,  estoit  une  figure  de  la  captivité  spiri- 
tuelle, en  laquelle  nous  sommes  tous  detenuz  :  jusques  à  ce  que 
le  Seigneur,  nous  délivrant  par  sa  main  forte,  nous  transfère  au 
règne  de  liberté.  Tout  ainsi  donc  que  anciennement,  voulant 
remettre  son  Eglise  sus  en  Israël,  il  a  délivré  ce  peuple  là,   de  la 

ao  cruelle  seigneurie  de  Pharaon,  dont  il  estoit  opprimé  :  en  telle 
manière  il  retire  aujourdhuy  tous  ceulx,  desquelz  il  se  demonstre 
estre  Dieu,  de  la  malheureuse  servitude  du  Diable  :  laquelle  a 
esté  figurée  par  la  captivité  corporelle  d'Israël.  Pourtant  il  n'y  a 
nulle  créature,  dont  le  cœur  ne  doibve  estre  emflambé  à  escouter 

35  ceste  Loy  :  entant  qu'elle  procède  du  souverain  Seigneur  :  duquel, 
comme  toutes  choses  ont  leur  origine  :  aussi  c'est  raison  que  leur 
fin  y  soit  dirigée.  D'avantage  il  n'y  a  nul  qui  ne  doibve  estre 
singulièrement  incité  à  recevoir  ce  législateur  :  pour  les  com- 
mandemens duquel  observer,  il  se  congnoist  estre  esleu  :  et  de    la 


Di:  lA  Lov.  127 

grâce  duquel  il  attend,  non  seulement,  tous  biens  teniporelz  : 
mais  aussi  la  gloii^e  de  la  vie  immortelle.  Finalement  cela  nous 
doibt  bien  aussi  esmouA^oir  à  obtemj3erer  à  nostre  Dieu  :  quand 
nous  entendons,  que  par  sa  miséricorde  et  vertu  nous  avons 
5  esté   délivrez  du  gouffre  d'Enfer. 

Après  avoir  fondé  et  estably  Tauctorité  de  sa  Loy,  il  donne  le 
premier  précepte,  que 

Nous  n'ayons  point  de   Dieux  estranges   devant  sa  face. 

La  lin  duquel  est,  que  Dieu  veult  avoir  seul  prééminence  :  et 

loveultestre  exalté  entre  son  peuple.  Pour  ce  faire,  il  veult  que 
toute  impieté  et  superstition,  par  laquelle  la  gloire  de  sa  divi- 
nité est  amoindrie  ou  obscurcie,  soit  loing  de  nous  :  et  par 
mesme  raison,  il  veult  estre  honoré  de  nous  par  une  vraye  aifec- 
tion  de  pieté  :  ce  que  emporte  quasi  la  simplicité  des  parolles.  Car 

15  nous  ne  le  pouvons  pas  avoir  pour  nostre  Dieu,  sans  luy  attri- 
buer les  choses  qui  luy  sont  propres.  Pourtant,  en  ce  qu'il  nous 
tlelTend  d'avoir  les  Dieux  estranges  :  en  cela  il  signifie,  que  nous 
ne  transferions  ailleurs  ce  qui  luy  appartient.  Or  combien  que  les 
choses  que  nous  debvons  à  Dieu  soyent  innumerables  :  toutes  fois 

Moelles  se  peuvent  bien  rapporter  à  quattre  poinctz  :  k  scavoir 
adoration,  fiance,  invocation,  et  actions  de  grâces.  J'appelle  ado- 
ration, la  révérence  que  luy  fait  la  ci-eature,  se  soubzmettant  à 
sa  grandeur  :  fiance,  l'asseurance  de  cœur  que  nous  avons  en 
luy,  par  le  bien  congnoistre  :  quand  luy  attribuant  toute  sagesse, 

25  justice,  bonté,  vertu,  vérité,  nous  estimons  que  nostre  béatitude 
est,  de  communiquer  avec  luy.  Invocation,  est  le  recours  que 
nostre  ame  ha  à  luy,  comme  à  son  espoir  unique  :  quand  elle 
est  pressée  de  quelque  nécessité.  Action  de  grâces  est,  la  recon- 
gnoissance,    par    laquelle    la    louénge    de    tous    biens    luy    est 

30  rendue.  Comme  Dieu  ne  peut  souffrir  qu'on  transfère  rien  de 
cela  :  aussi  il  veult  que  le  tout  luy  soit  rendu  entièrement. 
Car  il  ne  suffiroit  point  de  nous  abstenir  de  tout  Dieu  estrange, 
sinon  que  nous  nous  reposions  en  luy  :  comme  il  y  en  a  au- 
cuns meschans,    lesquelz  pensent  estre  leur  plus  court,    d'avoir 

35  en  mocquerie  toutes  religions.  Au  contraire  si  nous  voulons 
bien  observer  ce  commandement,  il  faut  que  la  vraye  religion 
précède  en  nous:  par  laquelle  noz  âmes  soient  dirigées  à  Dieu: 


128  CHAPITRE    lli. 

et  l'ayant  cong-neu,  soient  induictes  à  honorer  sa  majesté,  à 
mettre  leur  fiance  en  luy,  à  requérir  son  ayde.  à  recongnoistre 
toutes  ses  grâces,  et  magnifier  toutes  ses  œuvres  :  finalement 
entendre  à  luy  comme  à  leur  but  unique.  Après,  que  nous  nous 

5  donnions  garde  de  toute  mauvaise  suspition  :  à  ce  que  noz  âmes 
ne  soient  transportées  cà  et  là  à  divers  Dieux.  Or  il  nous  fault 
icy  diligemment  notter  la  nature  d'impiété  cachée,  comme  elle 
nous  decoit  par  ces  couvertures.  Car  elle  ne  nous  fait  pas  telle- 
ment  décliner  à  Dieux   estranges,   qu'il  semble  advis  que  nous 

10  délaissons  du  tout  le  Dieu  vivant.  Mais  en  luy  laissant  le  souve- 
rain honneur,  elle  luy  adjoinct  ime  multitude  de  petiz  Dieux  : 
entre  lesquelz  elle  partit  sa  vertu.  Et  ainsi  la  gloire  de  sa  divi- 
nité est  esparse  cà  et  là,  tellement  quelle  est  toute  dissipée.  En 
ceste  manière  les  anciens  Idolâtres,  tant  Juifz,  comme  Gentilz, 

15  ont  imaginé  un  Dieu  souverain,  qui  fust  Seigneur  et  Père  dessus 
tous  :  auquel  ilz  ont  assubjectiz  un  nombre  d'autres  Dieux  : 
ausquelz  ilz  attribuoient  le  gouvernement  du  monde  en  commun 
avec  iceluy.  C'est  ce  quon  a  faict  par  cy  devant  des  Sainctz 
trespassez  :  car  on  les  a  exaltez  jusques  à  les  faire  compaignons 

20  de  Dieu  :  en  les  honorant  comme  luy,  et  invocant,  et  leurs  ren- 
dant grâces  de  tous  biens.  Il  ne  nous  semble  point  advis,  que 
la  gloire  de  Dieu  soit  en  rien  obscurcie  par  ceste  abomination. 
Combien  qu'elle  soit  pour  la  plus  grand'  part  supprimée  et 
estaincte  :  sinon  que    nous  avons  quelque  imagination,  qu'il  ha 

23  souveraine  vertu  pardessus  les  autres.  Pourtant  si  nous  voulons 
avoir  un  seul  Dieu  :  qu'il  nous  souvienne  que  sa  gloire  ne  doibt 
estre  nullement  amoindrie  :  mais  que  toutes  choses,  qui  luy 
sont  propres,  luy  soient  gardées.  11  s'ensuyt  après  au  texte,  que 
nous  ne  devons  point  avoir  ces  Dieux  estranges   devant  sa  face. 

30  Enquoy  il  nous  admoneste ,  que  nous  ne  pouvons  révolter  à 
impieté,  qu'il  ne  soit  tesmoing  et  spectateur  de  nostre  sacrilège. 
Car  limpieté  est  plus  audatieuse,  d'autant  qu'elle  pense  pouvoir 
tromper  Dieu  en  ses  cachettes  secrettes.  Mais  le  Seigneur  aucon- 
traire  dénonce,  que    tout    ce  que   nous  machinons  et    méditons 

s3  luy  est  notoire.  Pourtant,  si  nous  voulons  approuver  nostre 
religion  à  Dieu,  que  nostre  conscience  soit  pure  de  toutes  mau- 
vaises cogitations  :  et  qu'elle  ne  reçoive  nulle  pensée,  de  décli- 
ner à  supers' tition  et  Idolâtrie.  Car  le  Seigneur  ne  requiert 
point    seulement   que    sa  gloire   soit    conservée   par    confession 


DE    LA    LOY. 


129 


externe,    mais   devant  sa  face  :  à  laquelle    il    n  y  a   rien   qui   ne 
soit  visible  et  manifeste. 


Le  second  Commandement. 

Tu  ne   te  feras  point  image    taillée,  ne  semblance  aucune 
5      des  choses,   qui    sont   en  hault  au    ciel,  ne  cà  bas  en  la 
terre,  ne  es  eaûes  dessoubz  la  terre.  Tu  ne  les  adoreras, 
ne  honoreras. 

Comme  il  s'est  declairé  au   prochain  commandement    estre  le 
seul  Dieu  oultre  lequel   il  n'en   fault  point   avoir    ne    imaginer 

10  d'autre  :  ainsi  il  demonstre  plus  clairement  quel  il  est,  et  com- 
ment il  doibt  estre  honoré  :  à  fin  que  nous  ne  forg-ions  nulle  cogi- 
tation charnelle  de  luy.  La  fin  du  précepte  est,  que  Dieu  ne  veult 
point  le  droict  honneur,  que  nous  luy  debvons.  estre  prophané 
par  observations  siiperstiti[e|uses.    Pourtant  en  somme,  il  nous 

15  veult  revocquer  et  retirer  de  toutes  façons  charnelles  de  faire, 
lesquelles  nostre  entendement  controuve,  après  qu'il  a  conceu 
Dieu  selon  sa  rudesse  :  et  cdnsequemment  il  nous  reduict  au 
droict  service  qui  luy  est  deu  :  à  scavoir  spirituel,  et  tel  qu  il  l'a 
institué.  Or  il  marque   le  vice,    qui  estoit  le  plus  notable  en  cest 

20  endroit  :  c'est  lydolatrie  externe,  Toutesfois  le  commandement 
ha  deux  parties.  La  première  reprime  nostre  témérité  :  à  ce  que 
nous  ne  présumions  d'assubjectir  Dieu,  qui  est  incompréhensible, 
à  nostre  sens  :  ou  de  le  représenter  par  aucune  imag-e.  La  seconde 
partie  deffend  d'adorer  aucunes  imag-es  par   manière  de  religion. 

25  La  raison  de  la  première   partie   est  notée   en  Moyse,   quand  il  Deul.  i. 
est  dict  :  Qu'il  te  souvienne,  que  le  Seigneur  a  parlé  à  toy  en  la 
vallée  de  Horeb.  Tu  as  ouy  sa  voix,  tu  n  as  point  veu  son  corps  : 
garde  toy  donc  de  luy  faire  aucune  similitude,  etc.  lesaye  aussi 
use  souvent  de  cest  argument  :  que  c'est  deshonorer  la  majesté /esa.40.^/. 

30  de    Dieu,  si  on  le  veult    représenter  par  matière  corporelle,  ou    ^-^-^^  • 
image  visible,  ou  insensible,  luy  qui  est  spirituel,    invisible,    et 
qui  donne   mouvement    à    toutes    créatures  :   pareillement  si  on 
accomparaige  son  essence  infinie  à  une  petite  pièce  de  boj-s,  de 
pierre,     or    ou    d'argent.    Geste    me;  me  raison    est  alléguée    de 

35  Sainct    Paul    en  sa   prédication  aux  Athéniens.    Puis   que  nous  .4c/e.  -/7. 
Institution.  ;• 


130  CHAPITRE    m. 

sommes,  dit-il,  la  lignée  de  Dieu  :  nous  ne  debvons  pas  esti- 
mer que  sa  divinité  soit  semblable,  ny  à  l'or,  n\  à  l'argent,  ny 
à  pierre  taillée,  ny  à  rien  qui  se  puisse  faire  d'artifice  d'homme. 
Dont  il  appert,  que  toutes  statues,  qui  se  font  pour  figurer  Dieu, 
5  luy  desplaisent  du  tout  :  comme  opprobres  de  sa  majesté.  Il  est 
bien  vray,  que  Dieu  a  quelque  fois  declairé  sa  présence  par  cer- 
tains signes,  si  évidemment,  qu'il  est  dict  avoir  esté  veu  face  à 
face.  Mais  toutes  telles  manières  de  signes,  demonstroient  pareil- 
lement,   son   essence    estre    incompréhensible  :   car   il  est  quasi 

10  tousjours  apparu  en  nuée,  en  flambe,  et  en  fumée.  Dont  il  estoit 
signifié,  que  le  regard  de  l'homme  ne  peut  pénétrer  jusques  à  le 
contempler  clairement.  Et  pourtant  Moyse,  auquel  il  s'est  com- 
muniqué plus  famillierement  qu  à  tous  autres,  ne  peust  jamais 
obtenir  de  voir  sa  face.  Mais  auconlraire  luy  feust  respondu.  que 

13  rhomme  n'est    point   capable  d'une  si  jurande  clarté.   Mesmes  le  Exo.   Si 
Propitiatoire  (dont  le  Seigneur    demonslroit  la  vertu  de  sa  pré- 
sence) estoit  tellement  composé  :  qu'il  denotoit,  que  le  meilleur 
regard  que    nous  puissions  avoir  de  sa  divinité,  est    de   nous  en 
esmerveiller,  comme  d  une    chose    surmontant  nostre   sens.  Car 

20  les  Chérubins  estoienl  pour  le  couvrir  de  leurs  aesles,  il  y  avoit  un 
voisle  pour  le  cacher  :  et  le  lieu  estoit  tellement  retiré,  et  obscur, 
qu'il  estoit  assez  secret  de  soymesme.  Pourtant  il  appert,  que 
ceux  qui,  pour  deffendre  les  images  de  Dieu  et  des  Sainctz, 
allèguent  les  Chérubins,  que  Dieu   commanda  de  faire,  ne  sont 

25  pas  en  leur  bon  sens.  Car,  que  signifioient  autre  chose  ces 
images  là;  sinon  qu'il  n  y  a  nulle  image  propre  à  figurer  les 
mystères  de  Dieu?  veu  qu'elles  estoient  tellement  faictes  ;  qu'en 
couvrant  tout  de  leurs  aesles  ;  elles  reprimoient  la  curiosité  de 
l'œil  humain  de  la  contemplation  de  Dieu  ?  D'avantage   il    fault 

30  noter,  que  toute  semblance  n'est  pas  moins  delfendue  que  image 
titillée  :  enquoy  est  refutée  la  sotte  différence  que  font  les  Grecz. 
Car  ilz  se  pensent  estre  bien  acquitez,  s'ilz  ne  taillent  point 
Dieu  au  marteau  :  mais  cependant  ilz  ont  jilus  de  supersti- 
tion  aux    images   j  ainctes,   que  nul    au  re  peuple.    Aucontraire 

33  le  Seigneur,  non  seulement  defl'end,  que  nul  Tailleur  ne  le 
figure  :  mais  du  tout  il  ne  permect  qu'on  luy  face  image  : 
pource  qu'on  ce  faisrnt.  on  le  contrefait  avec  opprobre  de  sa 
majesté.  Oultreplus  les  formes  sont  exprimées  en  ce  texte, 
dont  les  Pavens  avoient  de  coustume    de  figurer  Dieu.  Par  les 


DE    LA    LOY,  131 

choses  qui  sont  au  ciel,  il  entend  le  Soleil,  la  Lune,  et  les 
Estoiles,  et  possible  les  oyseaulx  :  comme  au  quattriesnie 
de  Deuteronome,  exposant  son  intention,  nomme,  tant  les 
oyseaulx,  comme  les  Estoilles.  Ce  que  je  n'eusse  point  noté, 
5 sinon  que  j'en  vois  d'aucuns  rapporter  cela  aux  Anges,  et 
pourtant  je  laisse  les  autres  parties  comme  assez  congneuës. 
S'ensuit  la  seconde  partie  du  précepte,  qui  est  de  l'adoration  : 
laquelle  est  meschante  en  toutes  images  de  Dieu  :  en  autres 
images,  comme  de  Salnctz  et  de   Sainctes,  est  doublement    exe- 

locrable.  Car  voicj  les  degrez  d'Idolâtrie.  Premièrement  l'enten- 
dement de  l'homme,  comme  il  crevé  d'orgueil  et  de  témérité, 
ose  imaginer  Dieu  selon  son  appréhension  :  et  comme  il  est  plein 
.  de  rudesse  et  ignorance,  au  lieu  de  Dieu,  il  ne  conceoit  que 
vanité  et  un  phantasme.  Il  s'ensuyt  après  une  autre  audace,  que 

t^  l'homme  attente  de  représenter  Dieu  nu  dehors  tel  qu'il  l'a  con- 
ceu  au  dedens  :  pour  tant  l'entendement  engendre  l'Idole,  et  la 
main  l'enfante.  Que  ce  soit  là  l'origine  d'Idolâtrie,  que  les 
hommes  ne  peuvent  croirre,  que  Dieu  leui-  soit  prochain,  sinon 
qu'il  y  ayt  une    présence   charnelle  :  il  appert  par  l'exemple  du 

20  peuple  dlsraël  :  lequel  disoit  à  Aaron.  Nous  ne  scavons  qu'il 
est  advenu  à  ce  Moyse  :  fais  nous  des  Dieux  qui  nous  précèdent. 
Certes  ilz  congnoissoient  bien,  que  celuy  estoit  Dieu,  duquel  ilz 
avoient  esprouvé  la  vertu  en  tant  de  miracles.  Mais  ilz  ne  pen- 
soient  point  qu'il  leur    fust  prochain,  sinon  qu'ilz  en    vissent    à 

2ô  l'œil  quelque  apparence  corporelle,  qui  leur  fust  tesmoignage, 
que  Dieu  les  precedoit.  Pourtant  par  (juelque  image  précédente 
ilz  vouloient  congnoistre,  que  Dieu  les  conduysoit  en  leur  chemin. 
Nous  voyons  aussi  tous  les  jours  cela  par  expérience  :  que  la 
chair  n'est  jamais  à  repoz,  jusques  à  ce  qu'elle  ayt  trouvé  quelque 

30  fainctise  semblable  à  sa  nature,  en  laquelle  elle  se  resjouvsse, 
comme  en  l'image  de  Dieu.  Parquoy  quasy  en  tous  temps,  depuis 
que  le  monde  a  esté,  les  hommes,  suyvantz  ceste  cupidité  se 
sont  forgez  des  images,  pour  s'asseurer  que  Dieu  estoit  près 
d'eulx,   quand  ilz   en   avoient   quelque   signe  à    l'œil.    Or    d'au- 

33  tant  qu'ilz  ont  pensé  voir  Dieu  en  telles  images,  ilz  l'y  ont 
adoré.  Finalement  fichans  là  toute  leur  veuë  et  pensée,  se 
sont  encores  plus  abbrutiz  :  c'est  que.  comme  s'il  y  eust  eu 
quelque  divinité  dedens  la  pierre  ou  le  boys,  ilz  ont  esté 
esmeuz   à  révérence  et  admiration.   11    appert    maintenant,    que 


132  CHAPITRE  ni. 

jamais  l'homme  ne  se  mect  à  adorer  les  imagées,  qu'il  n'avt  con- 
ceu  quelque  phantasie  charnelle  et  perverse  :  nompas  qu'il  les 
estime  estre  Dieux  :  mais  pource  qu'il  imagine  que  quelque  vertu  de 
divinité  y  est  contenue.  Pourtant,  soit  que  quelqu'un  veuille  figurer 

o  Dieu  par  quelque  simulachre,  ou  une  créature:  quand  il  s'encline 
devant,  pour  luy  l'aire  honneur,  desja  il  est  abbreuvé  de  quelque 
superstition.  A  ceste  cause  le  Seigneur  non  seulement  a  def- 
fendu  de  forger  des  statues  pour  le  figurer  :  mais  aussi  de  consa- 
crer filtres  ou  pierres,  où  on  feist  révérence.  Que  ceulx  donc,  qui 

10  cherchent  vaines  couvertures,  pour  excuser  l'vdolatrie  exécrable, 
dont  la  religion  a  esté  perdue  et  destruicte  ex  devant  par  longues 
années,  dressent  icy  les  aureilles  et  leur  entendement.  Nous 
ne  reputons  point,  disent-ilz,  les  images  pour  Dieux  :  et  aussi 
les  Juifz  n'esloient  pas  tant  hors  du  sens,  qu'ilzne  se  souvinssent, 

15  qu'il  yavoit  eu  un  Dieu,  lequel  lesavoit  délivrez  de  la  servitude  Levi.  20. 
d'Egypte,  devant  quilz  forgeassent  les  veaulx.Etde  faict,  quand 
Aaron  leur  dénonce,  après  avoir  forgé  les  veaux,  quilz  viennent 
adorer  les  Dieux,  qui  les  ont  délivrez    de    la  terre  d'Egypte  :  ilz 
accordèrent   voluntairement  à   son  dire.  Enquoy  ilz  signifioient. 

2oqu"ilz  vouloient  liien  s  arrester  au  Dieu  vivant,  qui  les  avoit 
délivrez  :  moyennant  quilz  en  eussent  une  remembrance  au  veau. 
Pareillement  il  ne  fault  penser,  les  Payens  avoir  esté  si  rudes, 
quilz  n'entendissent  bien  qu'il  y  avoit  un  autre  Dieu  que  de  boys 
et  des  pierres  fpour  ceste  cause  ilz  changeoient  leurs  simulachres, 

23  quand  bon  leur  sembloit,  retenans  tousjours  les  mesmes  Dieux 
en  leurs  cœurs.  D'avantage  ilz  faisoient  à  un  mesme  Dieu  plu- 
sieurs simulachres  :  et  par  cela  ne  pensoient  point  cpie  ce  l'eussent 
Dieux  divers.  Finalement  ilz  consacroient  tous  les  jours  des 
statues  nouvelles  :  et  ne  pensoient  point  que   ce    feussent    nou- 

suveaulx  Dieu.  Quoy  donc  ?  Certes  tous  ydolatres,  tant  Juifz 
comme  Payens,  ont  eu  la  phantasie  que  nous  avons  dicte  : 
c'est,  que  n  estans  point  contens  d'une  congnoissance  spirituelle 
de  Dieu  :  ont  pensé  qu'il  en  auroient  une  plus  certaine,  en 
faisant   des  simulachres.  Or  depuis  que  ceste  faulse  et   perverse 

3o  remembrance  de  Dieu  a  esté  introduicte.  il  n'y  a  eu  nulle 
fin  :  jusques  à  ce  que  concevantz  erreur  sus  erreur,  ilz  ont 
pensé  finalement  que  Dieu  declairoit  sa  vertu  en  ses  images. 
Neantmoins  les  Juifz  ont  pensé  honorer  le  Dieu  Eternel, 
créât  eur    du    ciel   et    de  la  terre .    adorantz    les    images   :    et 


DE    LA    LOY.  133 

les  Payons  ont  pensé  adorer  leurs  Dieux,  qu'ilz  ima^inoient 
habiter  au  ciel.  Ceulx  qui  nyeront  le  semblable  avoir  esté 
faict  le  temps  passé,  et  estre  faict  en  la  Papisterie  :  mentiront 
iaulsement.  Car  pourquoy  s'ag-enoillent-ilz  devant  les  images  ? 
iPourquoy  viennent-ilz  là  devant  pour  \n\ev  ;  comme  s"ilz  appro- 
choient,  en  ce  faisant,  des  aureilles  de  Dieu?  Pom'([uov  y 
a-il  si  o-pande  diderence  entre  les  imag'es  d'un  mesme  Dieu, 
(pie  l'une  est  mesprisée  du  tout,  ou  leg-ierement  honorée  ; 
l'autre  est  en  principale  estime  et  honneur?  Pourquoy  prennent- 

iMilz  tant  de  peine  à  faire  pèlerinage,  pour  visiter  les  ydoles,  dont 
ilz  ont  les  semblables  en  leurs  maisons  ?  Pourquoy  en  prennent 
ilz    aujourd'hui    autant  de  combat  ;   comme    s'il  estoit  question 

.  de  combatre  pour  femmes  ;  et  enfans  ;  et  leurs  propres  vies  ? 
tellement    qu'ilz   soulîriroient    plus  aysement    ((u'on   leur  ostast 

13  Dieu  ;  que  leurs  images  ?  Et  neantmoins  je  ne  recite  pas 
encores  les  lourdes  superstitions  du  poj)ulaire  :  lesquelles  sont 
quasi  inh'nies,  et  sont  eniacinées  au  co'ur  de  la  pluspart  du 
monde:  seulement  je  monstre,  en  passant,  ce  qu'ilz  allèguent, 
quand  ilz  se  veulent   dell'endre   et  purger  d'ydolatrie.  Mais  nous 

20  n'appelions  pas,   disent-ilz,  les  images  noz  Dieux  :  aussi  ne    fai- 
soient  pas  anciennement  les  Juifz  ne  les  Payens.  Et  toulesfois  les 
Prophètes  leur  reprochent  assiduellement,  et  mesme  toute  l'Escri-  Qu\>n  lisr 
ture  :  qu'ilz  paillardoient  avec  le  bovs  et  les   pierres:    non    pour   P""'''/'^- 

^  l  &  fil  f*  fl  t 

autre  cause,  que  pour  ce  que  font  aujourd'huy  ceulx,  qui  se  Hier,  oi 
25  vantent  d'estre  Chrestiens.  A  scavoir,  d'autant  qu'ilz  adoroient  ^=^^^'- 
charnellement  Dieu,  en  remembrance  de  pierre  et  de  boys.  Leur 
dernier  refuge  est,  de  dire  que  ce  sont  les  livres  des  Idiotz.  Quand 
nous  leur  concéderons  cela,  combien  que  ce  soit  menson"-e,  veu 
qu'on  ne  les  ha  en  toute  la  Papisterie  que  pour  les  adorer  •  je  ne 
30  vois  point  toutefois,  quel  fruict  peuvent  recevoir  les  Idiotz  des 
images  :  esquelles  Dieu  n'est  figuré,  sinon  pour  les  rendre  Anthro- 
pomorphites,  c'est-à-dire  qu'ilz  conceoivent  un  Dieu  corporel. 
Qu'on  lise  ce  qu'en  ont  escrit  Lactance  et  Eusebe  :  lesquelz  ne 
doubtent  point  de  conclurre,  que  tous  ceulx,  qu'on  peut  repre- 
sosenter  par  simulachres,  ont  été  hommes  mortelz.  Dont  Sainct 
Augustin  ne  va  pasloing,  prononceant  que  c'est  chose  meschante, 
non  seulement  d'honorer  les  images  :  mais  d'en  ériger  à  Dieu 
aucunement.  Celles  qu'on  faict  pour  figurer  les  sainctz  de  quoy 
peuvent  elles  servir  ;  sinon  d'estre  exemple  de  pompe  et  turpitude  ? 


134  CHAPITRE   m. 

Et  telz  exemples,  que  si  quelqu'un  les  vouloit  ensuivre,  il 
seroit  digne  d'avoir  le  fouet.  C'est  une  grand'honte,  de  le 
dire,  mais  il  est  vray  :  que  les  paillardes  d'un  Bordeau  sont  plus 
chastement,  et  modestement  parées,  qu'on  ne  voit  les  images  des 
5  vierges  aux  temples.  L'ornement  des  martirs  n'est  rien  de  plus 
convenable.  Qu'il  y  ayt  donc  quelque  peu  d'honnesteté  en  leurs 
images,  h  fin  que  leurs  mensonges  ne  soient  pas  si  inipudens  : 
quand  ilz  prétendront  que  ce  soient  livres  de  saincteté.  Mais 
encores  nous  respondrons,  que  ceste  n'est  point  la  manière  d'en - 

10  seigner  le  peuple  Chrestien  au  temple  :  lequel  Dieu  a  voulu  estre 
instruict  en  bien  autre  doctrine,  que  de  ces  fatras.  Car  il  a  voulu 
que  la  prédication  de  sa  parolle,  et  la  communication  de  ses 
sacremens  fust  proposée  à  tous,  comme  une  doctrine  commune  : 
à  laquelle  n'ont  gueres  bonne  affection  tous  ceulx,  qui  ont  loisir 

Iode  jetter  les  yeulx  cà  et  là,  pour  contempler  les  images.  Dequoy 
donc  servoit-il  d'eslever  tant  de  croix  de  boys  ;  de  pierre  ;  d'ar- 
gent ;  et  d'or  ;  si  cela  eust  esté  bien  imprimé  au  peuple  ;  que 
Christ  a  esté  crucifié  pour  noz  péchez;  à  fin  de  soubstenir  nostre 
malédiction  en  la  croix,  et  d'effacer  noz  transgressions  ?  Car  de 

20  ceste  simple  parolle  les  simples  eussent  plus  profité,  que  de  mil' 
croix  de  boys  ou  de  pierre.  Quant  à  celles  d'or  et  d'argent,  je 
confesse  que  les  avaricieux  y  prendront  plus  goust,  qu'à  nulle 
parolle  de  Dieu.  Finalement  je  leur  dem£^nde  ;  qui  sont  ceulx 
qu'ilz  appellent  Idiotz  ;  desquelz  la  rudesse  ne  peut  estre  ensei- 

25  gnée  que  par  image?  Certes  nostre  Seigneur  a  dict,  que  tous  les 
membres  de  son  Eglise  seront  enseignez  de  son  Esprit  et  de  sa 
parolle,  pour  estre  renommez  disciples  de  Dieu.  Voylà  le  bien 
singulier,  qui  procède  des  images  :  lequel  on  ne  scauroit  nulle- 
ment recompenser. 

30  Or  pour  declairer  plus  expressément,  combien  est  exécrable 
toute  Idolâtrie  au  Seigneur,  il  est  consequemment  adjousté  au 
précepte,  Qu'il  est  l'Eternel  nostre  Dieu,  Fort,  Jaloux,  etc.  Ce 
qui  est  autant,  comme  s'il  disoit  :  qu'il  est  luy  seul,  auquel 
il    nous    fault  arrester.    Et    pour  nous    induire   à  cela  :   il    nous 

35  monstre  sa  puissance,  laquelle  il  ne  peut  soutfrir  estre  mespri- 
sée.  Puis  il  se  nomme  Jaloux  ,  pour  signifier  qu  d  ne  peut 
endurer  compaignon.  Tiercement  il  dénonce .  qu'il  vengera 
sa  majesté  et  sa  gloire,  si  quelqu'un  la  transfère  aux  créa- 
tures,   ou  aux   Idoles  :   et    que    ce    ne   sera    point    une    simple 


DE    LA    LOY.  135 

veng-e^nce  mais  qu'elle  s'estendra  sur  les  enfans,  nepveux, 
et  ariere  nepveux,  lesquelz  ensuyviont  l'impiété  de  leurs 
prédécesseurs  :  comme  d  autrepart  il  promet  sa  miséricorde  et 
bénignité  en  mil'  générations  à  ceux  qui  laymeront,  et  gar- 
sderont  sa  Loy.  Ce  n'est  pas  chose  nouvelle  au  Seigneur,  de 
prendre  la  personne  d'un  mary  envers  nous.  Car  la  con- 
jonction, par  laquelle  il  nous  conjoinct  à  soy,  en  nous  rece- 
vant au  sein  de  1  Eglise,  est  comme  un  mariage  spirituel, 
lequel  requiert   mutuelle    loyauté.    Pourtant  co.unie  le  Seigneur 

10  en  tout  et  partout  fait  l'office  d'un  fidèle  mary  .  aussi    de  nostre 

part,  il  demande  que   nous  luy  gardions  amour    et  chasteté  du 

mariage  :  C'est  à  dire,  que  noz  âmes  ne  soient  point  abamlo'n  es 

.  au  Di.ible  et  aux  conc  ipiscences  de  la  chair  :  qui  est    une  espec 

de  paillardise.  Pour  laquelle  cause  quand  il  leprend  les  Juifz  de 

13  leur  infidélité  :  il  se  complainct,  quilz  ont  adultéré,  rompans  la 
loy  du  mariage.  Parquoy  comme  un  bon  mary,  d'autant  qu'il  est 
plus  fidèle  et  loyal,  est  d'autant  plus  courroucé,  s'il  voit  sa 
femme  décliner  à  quelque  paillard  :  en  telle  sorte  le  Seigneur, 
lequel  nous  a  espousez  en  vérité  tesmoigne  qu'il  ha  une  jalousie 

20  merveilleuse,  toutesfois  et  quantes,  qu'en  mesprisant  la  chasteté 
de  son  mariage,  nous  nous  contaminons  de  mauvaises  concupis- 
cences :  et  principalement  q  land  nous  transferons  ailleurs  sa 
gloire,  laquelle  sur  toute  chose  luy  doibt  estre  conservée  en  son 
entier  :  ou  bien  que  nous  la  polluons  de  quelque  superstition,  Car 

25  en  ce  faisant,  non  seulement  nous  rompons  la  Foy  donnée  au 
mariage  :  mais  aussi  nous  polluons  nostre  ame  par  paillardise. 

11  fault  voir  que  c'est  qu'il  entend  en  la  menace,  quand  il  dit, 
qu'il  visitera  l'iniquité  des  pères  sur  les  enfans,  en  la  tierce  et 
quattriesme  génération.    Car  oultre,    que    cela    ne    conviendroit 

30  point  à  l'équité  de  la  justice  divine,  de  punir  l'innocent  pour  la 
faulte  d'autruy  :  le  Seigneur  mesme  dénonce,  qu'il  ne  souf- 
frira que  le  filz  porte  l'iniquité  du  père.  Et  neantmoins  ceste 
sentence  est  souvent  répétée,  que  les  péchez  des  pères  seront 
punys   en   leurs    enfans.    Car    Moyse    parle    souvent    en    ceste  Exo.  Si. 

assorte.  Seigneur,   seigneur,  qui  rétribue  le   loyer  à  l'iniquité  des  iVom.   ti. 
pères,    sur    les    enfans.    Pareillement    Jeremie.     Seigneur,    c\m  Jerm.Si. 
fais  miséricorde  en    mil'  générations,    et   rejettes  l'iniquité    des 
pères  au  sein  des   enfans.    Aucuns,    ne  se   pouvantz  despescher 
de    cette    difïïculté,    entendent    cela    des  peines    temporelles   : 


136  CHAPITRE    III. 

lesquelles  il  n'est  pas  inconvénient  que  les  enfans  souffrent 
pour  leurs  pères  :  veu  que  souvent  elles  sont  salutaires.  Ce 
qui  est  bien  vray  :  Car  lesaye  denonceoit  au  Roy  Ezechias, 
que    à    cause   du    péché    par   luy    commis,    le     Royaume  seroit  lésa.  39. 

oosté  à  ses  enfans:  et  seroient  transportez  en  pays  estrange. 
Pareillement  les  familles  de  Pharaon  et  Abimelech  ont  esté  affli- 
gées, à  cause  de  l'injure  qu'avoient  faict  les  maistres  à  Abraham. 
Et  plusieurs  autres  exemples  semblables.  Mais  cela  est  un  sub- 
terfuge, plustost  qu'une  vraye  exposition  de  ce  lieu    Ctir  le  Sei- 

10  gneur  dénonce  icy  une  vengeance  si  griefve  :  qu'elle  ne  se  peult 
restraindre  à  la  vie  présente  :  11  fault  donc  ainsi  prendre  ceste 
sentence.  Que  la  malédiction  de  Dieu  non  seulement  tombe  sur 
la  teste  de  l'inique  :  mais  est  espandue  sur  toute  sa  famille.  Quand 
cela  est,  que  peut-on  attendre  ;  sinon  que  le  père,  estant  délaissé 

Iode  l'Esprit  de  Dieu  ;  vive  meschamment  ?  Le  filz,  estant  aussi 
abbandonné  de  Dieu;  pour  le  péché  de  son  père  ;  suyve  un  mesme 
train  de  perdition  ?  Le  nepveu  et  les  autres  successeurs  ;  estans 
exécrable  lignée  de  meschans  gens  :  aillent  après  en  mesme 
ruyne  ?  Premièrement  voyons,    si    telles  vengeances   répugnent 

20  à  la  justice  de  Dieu.  Or  puis  c{ue  toute  la  nature  des  hommes  est 
damnable  :  il  est  certain  que  la  ruyne  est  appureillée  à  tous 
ceulx.  ausquelz  le  Seigneur  ne  communique  point  sa  grâce  :  et 
neantmoins  ilz  périssent  par  leur  propre  iniquité,  et  non  point 
par  hayne  inique  de  Dieu.    Et  ne   se  peuvent  plaindre  de  ce  que 

23  Dieu  ne  les  ayde  point  de  sa  grâce  en  salut,  comme  les  autres. 
Quand  donc  ceste  punition  adviend  aux  meschans  pour  leurs 
péchez,  que  leurs  maisons  par  longues  années  sont  privées  de  la 
grâce  de  Dieu  :  qui  pourra  vitupérer  Dieu  pour  cela  ?  Mais  le 
Seigneur,  dira  quelqu'un,  prononce  au  contraire,  que  l'enfant  ne  Eze.  is. 

30  souffrira  point  la  peine  pour  le  péché  de  son  père.  Il  nous  fault 
noter  ce  qui  est  là  traicté.  Les  Israélites,  ayantzesté  longuement 
affligez  de  diverses  calamitez,  avoient  un  proverbe  commun, 
que  leurs  pères  avoient  mangé  du  verjiis,  et  que  les  dens  des 
enfans    en  estoient  aycées.    Enquoy  ilz    signifioient,   que    leurs 

35parens  avoient  commis  les  faultes,  pour  lesquelles  ilz  endu- 
roient  tant  de  maulx,  sans  les  avoir  méritez  :  et  ce  par  une  ire 
de  Dieu  trop  rigoreuse,  plustost  que  par  une  sévérité  modé- 
rée. Le  Prophète  leur  dénonce,  qu'il  n'est  pas  ainsi  :  mais 
quilz  enduKcnt  pour  leurs  propres  faultes  :  et  qu  il    ne  convient 


DE    LA    LOY.  137 

pas  à  la  justice  de  Dieu,  que  l'enfant  juste  et  innocent  soit  puni 
pour  les  faultes  de  son  j)ere.  Ce  qui  nest  pas  aussi  diot  en  ce  pas- 
sage. Car  si  la  visitation,  dont  il  est  icy  parlé,  est  lors  accomplie, 
quand  le  Seig-neur  i-etire  de  la  maison  des  iniques  sa  g-race,  la 
r,  lumière  de  sa  veiité.  et  toutes  autres  aydes  de  salut  :  en  ce  que 
les  enfans  estans  abbandonnez  de  Dieu  en  aveug-lement,  suivent 
le  train  de  leurs  prédécesseurs  :  en  cela  ilz  sousliennent  la  malé- 
diction de  Dieu.  Ce  que  après  Dieu  les  punit,  tant  par  calamitez 
temporelles,  que  par  la  mort  éternelle  :  cela  n'est  point  pour  les 

10  péchez  dautruy  :  mais  pour  les  leurs  D  autre  costé  est  donnée 
une  promesse,  que  Dieu  estendra  sa  miséricorde  en  mil'genera- 
tions  sur  ceulx  qui  lavmeront  :  laquelle  est  souventesf(jis  mise 

.  en  l'Escriture  :  et  est  insérée  en  l'alliance  solennelle,  que  tait 
Dieu  avec  son  Ej^lise.  Je  seray  ton  Dieu,  et  le  Dieu  de  ta  lignée  nror.  10. 

15 après  toy.  Ce  que  a  regardé  Salomon.  disant,  que  ajn'ès  la  mort 
des  justes,  leurs  enfans  seront  bien  heureux  :  non  seulement  à 
cause  de  la  bonne  nourriture  et  instruction,  la(juelle  de  sa  part  ayde 
beaucoup  ;i  la  félicité  d'un  homme,  mais  aussi  pour  ceste  bénédic- 
tion, que  Dieu  a  promis  à  ses  serviteurs  :  ([ue  sa  g-race  résidera 

20  éternellement  en  leurs  familles.  Ce  qui  apporte  une  sing'uliere 
consolation  aux  fidèles,  et  doibt  bien  estouner  les  iniques.  Car 
si  la  memoyre,  tant  de  justice  comme  d'iniquité,  ha  telle  vigueur 
envers  Dieu,  après  la  mort  de  l'homme  :  que  la  bénédiction  de 
la  première,  s'estende  jusques   à  la  postérité,   et  la  malédiction 

25  de  la  seconde  :  par  plus  forte  raison,  celuy  ({ui  aura  bien  vescu, 
sera  beneictde  Dieu  sans  fin  :  et  celuy  qui  aura  mal  vescu,  maul- 
dict.  Or  à  cela  ne  contrevient  point,  que  de  la  race  des  mes- 
chans,  aucunesfois  il  en  sort  des  bons  ;  et  aucontraire,  de  la 
race  des  fidèles  qu'il  en  sort  des  meschans  :  car  le  Seigneur  n'a 

30  pas  voulu  icy  establir  une  reigle  perpétuelle,  laquelle  desro- 
gast  à  son  élection.  Car  il  suffit,  tant  pour  consoler  le  juste, 
que  pour  espouventer  le  pécheur,  que  ceste  dénonciation  n'est 
pas  vaine  ne  frivole  :  combien  qu'elle  n'ayt  pas  tousjours  lieu. 
Car  comme  les  peines   temporelles,    que    Dieu   envoyé   à    d'au- 

35cuns,  sont  tesmoignages  de  son  ire  contre  les  péchez,  et  signes 
du  jugement  futur,  qui  viendra  sur  tous  pécheurs  :  combien 
qu'il  en  demeure  beaucoup  impuniz  en  la  vie  présente  :  ainsi  le 
Seigneur,  en  donnant  un  exemple  de  ceste  bénédiction  :  c'est 
de  poursuyvre   sa  grâce  et   bonté  ^ur  les  enfans  des   fidèles,   à 


138  CHAPITRE   m. 

cause  de  leurs  psres  :  il  donne  tesmoignige ,  comment  sa 
miséricorde  demeure  ferme  éternellement  sur  ses  serviteurs. 
Aucontràîre,  quand  il  poursuyt  une  fois  l'iniquité  du  père 
jusques  au  filz  :  il  monstre  quelle  rigueur  de  jugement  est 
sapprestée  aux  iniques  pour  leurs  propres  péchez  :  ce  qu  il  a 
principalement  regardé  en  ceste  sentence.  D'avantage  il  nous 
a  voulu  (comme  en  passant)  signifier  la  grandeur  de  sa  misé- 
ricorde, l'estendant  en  mil'  générations  :  comme  ainsi  soit 
qu'il  n'eust  assigné  que    quattre  générations  à   sa  vengeance. 

10  Le  troysiesme  Commandement. 

Tu  ne  prendras  point  le  Nom  de  l'Eternel  ton  Dieu  en  vain. 

La  fin  du  précepte  est.  que  le  Seigneur  veult  la  majesté  de 
son  Nom  nous  estre  saincte  et  sacrée.  La  somme  donc  sera, 
que   icelle    ne    soit  point  prophanée    de    nous,  par  mespris    ou 

13  irrévérence.  A  laquelle  detTence  respond  le  précepte  d'autre- 
part  :  quelle  nous  soit  en  recommendation,  et  honneur  singu- 
lier. Et  pourtant  il  fault,  tant  de  cœur  comme  de  bouche,  que 
nous  soyons  instruictz  à  ne  penser  et  ne  parler  rie  n  de  Dieu  ou 
de  ses  mystères,  sinon  reveremment,  et  avec  grande   sobriété  : 

20 et  qu'en  estimant  ses  œuvres,  nous  ne  concevions  rien,  qui  ne 
soit  à  son  honneur.  Il  fault  diligemment  observer  ces  trois 
poinctz.  C'est  que  tout  ce  que  nostre  esprit  conceoit  de  Dieu, 
ou  qu'en  parle  nostre  langue,  soit  convenable  à  son  excellence, 
et  à  la  saincteté  de  son  Nom  :  et  tende  à   exalter  sa  grandeur. 

25  Secondement  que  nous  n'abusions  point  de  sa  saincte  paroUe 
témérairement  :  et  que  nous  ne  renversions  point  ses  mystères, 
pour  servir  à  nostre  avarice,  ou  à  ambition,  ou  à  noz  folies. 
Mais  comme  la  dignité  de  son  Nom  est  imprimée  en  sa  pai'oUe 
et   ses  mystères  :  que  nous  les  ayons  tousjours  en   honneur  et 

30  en  estime.  Finalement  que  nous  ne  mesdisions  ne  detractions 
de  ses  œuvres  :  comme  aucuns  meschans  ont  coustume  d  en  par- 
ler par  contumelie  :  mais  à  tout  ce  que  nous  recongnoissons  faict 
de  luy,  que  nous  donnions  la  louenge  de  sagesse,  justice, 
et   vertu.    Voilà   que   c'est  sanctifier  le    Nom   de    Dieu.    Quand 

35  il  en  est   autrement    faict,  il  est    meschamment  pollué  :  pource 


DR    LA    LOY. 


139 


qu'on  le  tire  hors  de  son  usage  légitime  auquel  il  estoit  con- 
sacré :  et  quand  il  n'y  auroit  autre  mal,  il  est  amoindry  de 
sa  dignité,  et  est  rendu  contemptible.  Or  si  c'est  si  mal  faict, 
d'usurper  trop  legierement  le  Nom  de  Dieu  par  témérité  :  ce 
osera  beaucoup  plus  grand  péché,  de  le  tirer  en  usage  du  tout 
meschanl  :  comme  de  le  faire  servir  à  Sorcellerie,  Nécromancie, 
conjurations  illicites,  et  telles  manières  de  faire.  Toutesfois 
il  est  icy  parlé  en  especial  du  jurement,  auquel  l'abus  du 
Nom  de    Dieu    est   sur    toutes    choses    détestable.    Ce  (\m  est 

10  faict  pour  nous  engendrer  un  plus  grand  horreur  de  toutes 
autres  espèces  d'en  abuser.  Premièrement  il  fault  entendre, 
que  c'est  jurement.  Jurement  est  une  attestation  de  Dieu,  pour 
confermer  la  vérité  de  nostre  parolle.  Car  les  blasphèmes 
manifestes,    qui   se    font  comme   pour   despiter   Dieu,    ne   sont 

15  pas   dignes  qu'on    les   appelle  juremens.    Or  il    est    monstre   en 
plusieurs  passages    de    TEscriture,  que  telle   attestation,  quand 
elle    est  deuëment    faicte,     est    une    espèce   de    glorilier    Dieu. 
Comme  quand  lesaïe  dit,  que   les  Assiriens  et  Egyptiens  seront  /e.sat>/9. 
receuz  en  l'Eglise    de    Dieu,    Hz  parleront  (dit-il)  la  langue   de 

20  Canaan,   et    jureront    au     Nom    du    Seigneur,    c'est-à-dire,    en 
jurant    par    le    Nom    du    Seigneur  qu'ilz    declaireront  qu'dz  le 
tiennent    pour  leur    Dieu  .    Item  ,    quand   il    parle    comme    le  losaieUS. 
Royaume   de   Dieu    sera  multiplié   :  quiconques,  dit-il,    deman- 
dera   prospérité,    il     la    demandera     en    Dieu  :     et     quiconques 

23  jurera,  jurera  par  le    vray   Dieu.    Item,  Hieremie.    Si  les    doc-  Hier.  I  -2. 
teurs  enseignent  mon  peuple  de  jurer   en  mon  Nom,  comme  ilz 
l'ont  enseigné  de   jurer  par  Baal,  je  les    feray  prospérer  en  ma 
maison.  Et  est  à  bon  droict^  qu'en  invoquant  le  Nom  de  Dieu  en 
tesmoignage,  il  est  dict  que  nous  testifions  nostre  religion  envers 

3oluy.  Car  en  telle  sorte  nous  le  confessons  estre  la  vérité  éter- 
nelle et  immuable  :  veu  que  nous  l'appelions,  non  seulement 
comme  tesmoing  ydoine  de  vérité  :  mais  comme  celuy,  auquel 
seul  appartient  de  la  maintenir,  et  faire  venir  en  lumière  les 
choses  cachées  :  d'avantage  comme  celuy,  qui  congnoit  seul  les 

35  cœurs.  Car  quaml  les  tesmoignages  humains  nous  deffaillent, 
nous  prenons  Dieu  pour  tesmoing  :  et  mesmes  quand  il  est  ques- 
tion d'affermer  ce  qui  est  caché  dedens  la  conscience.  Pourtant 
le  Seigneur  se  courrouce  amèrement  contre  ceulx,  qui  jurent  par 
les  Dieux  estranges  :    et  prend  une   telle  manière  de  jurement. 


140  CHAPITRE    m. 

comme  un  sig'ne   de   renoncement  de  son    Nom.  Comme  quand 
il  dit  :    Tes  enfans  m'ont  abl)andonné  :  et  jurent  par  ceulx  qui  nicrp.  o 
ne    sont    point  Dieux.    D'avantage    il  dénote    par    la    grandeur  Zp/^/î a.  /. 
de  la    peine,    combien    ce  péché   est  exécrable  :    quand  il  dit, 

5  qu'il  destruyra  tous  ceux  qui  jurent  au  Nom  de  Dieu,  et  au 
nom  de  leur  Idole.  Or  puis  que  nous  entendons,  que  le  Seigneur 
veult  l'honneur  de  son  Nom  estre  exalté  en  noz  sermens  : 
nous  avons  d'autant  plus  à  nous  garder,  que,  au  lieu  de  l'ho- 
norer, il    n'y  soit   mesprisé  ou  amoindry.    C'est  une  contunielie 

10  trop  grande,   quand  on    se  parjure  par  son    Nom  :   et    pourtant 
cela   est   appelle  en  la    Loy,    prophanation  .    (]ar     que    restera  Levi.  19. 
il   à   Dieu  ;   s'il   est    despouillé    de    sa  vérité  ?    11    ne   sera    plus 
Dieu.   Or  on  l'en  despouillé,  en   le   faisant  tesmoing   et  appro- 
bateur   de     faulseté.     Pourtant    lehosva ,    voulant     contraindre 

13  Acham    de    confesser    vérité,  luy    dist    :    Mon   enfant,    donne  Jp/? os.  7 
gloire  au  Dieu  d'Israël.  Enquoy  il  dénote,  que  Dieu  est  griefve- 
ment  deshonoré,  si  on  se  parjure  en  son  Nom.  Ce  qui  n'est  point 
de  merveille  :  car  en  ce  faisant,  il  ne  tient  point   à  nous,   qu'il 
ne   soit   diffamé   de  mensonge.   Et   de    faict,   par  une  semblable 

20  admiration  que  font    les   Pharisiens  en  lEvangile  Sainct  Jean, 
il  appert  qu'on    usoit   de  ceste  forme  de    jiarler    communément  Jean  9. 
entre   les  Juifz,  quand  on    vouloit  ouyr  quelqu'un  par  serment. 
Aussi  les  formelles  de  l'Escriture  nous  enseignent,  quelle  crainte 
nous   devons  avoir    de   mal   jurer  :    comme   quand  il    est   dict  : 

25  Le  Seigneur  est  vivant  :  Le  Seigneur  m'envoye  tel  mal  et  tel. 
Item.  Que  Dieu  en  soit  tesmoing  sur  mon  ame.  Lesquelles 
dénotent,  que  nous  ne  pouvons  appeller  Dieu  pour  tesmoing 
de  noz  parolles  :  qu'il  ne  venge  le  parjure,  si  nous  jurons  faulce- 
ment.  Quand  nous  prenons  le  Nom  de  Dieu  en  serment  véritable, 

30  mais  superflu,  combien  qu'il  ne  soit  pas  prophané  du  tout  : 
toutesfois  il  est  rendu  contemptible,  et  abbaissé  de  son  honneur. 
C'est  donc  la  seconde  espèce  de  serment,  par  laquelle  il  est 
prins  en  vain.  Pourtant  il  ne  sullist  pas,  de  nous  ab.stenir  de 
parjure  :  mais  il  faidt  aussi  qx\"\\  nous  souvienne,  que  le  serment 

35  n'a  pas  esté  institué  pour  le  plaisir  deshordonné  des  hommes  : 
mais  pour  la  nécessité,  et  qu'autrement  il  n'est  permis.  Dont 
s'ensuyt,  que  ceux  qui  le  tirent  à  chose  de  nulle  importance  : 
oultrepassent  le  bon  usage  et  licite.  Or  on  ne  peult  prétendre 
autre  nécessité,    sinon   qu'en  servant  à  la  religion  ou  à  charité. 


I 


DE    LA    LOV 


141 


Enquoy  on  pèche  aujourd'hui  trop  desordonnement.  Et  ce 
d'autant  plus,  que  par  trop  grande  accoustuniance  cela  est 
estimé  pour  néant  :  combien  qu'il  ne  soit  point  de  petit  poix 
au  jug'ement    de  Dieu.    Car  indifféremment    on   abuse  du  Nom 

3  de  Dieu  en  propos  de  folie  et  vanité  :  et  pense-on  que  ce  n'est 
point  mal  faict,  pource  que  les  hommes,  par  leur  licence, 
sont  venuz  quasi  en  possession  de  ce  faire.  Neantmoins  le 
mandement  de  Dieu  demeure  tousjours  :  la  menace,  qui  y 
est  adjoustée,  demeure  inviolable,   et  aura    une  fois   son  elî'ect  : 

10  par  laquelle  une  vengeance  spirituelle  est  dénoncée  sur  tous 
ceux,  qui  auront  prins  le  Nom  de  Dieu  en  vain.  11  y  a  une 
mauvaise  faulte    d'autre    costé,  que   les  hommes  en    leur  jure- 

.  ment  prennent  le  nom  des  Sainctz,  pour  le  nom  de  Dieu 
jurantz    par  Sainct  Jaques  ou  Sainct  Anthoine.   Ce  qui  est  une 

15  impieté  évidente    :    veu    que   la    gloire    de  Dieu  leur  est    ainsi 
transférée.    Car  ce  n'est  point  sans  cause,   que    Dieu  nommée-  DeiiL     6. 
ment  a  commandé,  qu'on  jurast  par  son  Nom,  et  par  mandement 
spécial  nous  a  delfendu  de  jurer  par  Dieux  estranges.   Et  c'est  Exod.  23. 
ce  que  lApostre  dit,    en    escrivant,    que  les  hommes    en  leurs 

20  sermens  appellent  Dieu  comme   leur  supérieur  :  mais  que  Dieu  llcbr.  6. 
jure  par  soymesme,  à  cause  qu'il  na  nul  plus  grand  (|ue  luy. 

Les  Anabaptistes,  non  contentz  de  ceste  modération,  con- 
damnent sans  exception  tous  juremens  :  d'autant  que  la  def- 
fence   de    Christ  est   générale  :   oii  il  dit  :   Je  vous   deifenz    de  Matf.   5. 

23  ne  jurer  du  tout,  mais  que  vostre  parolle  soit,  ouy,  ouy,  non, 
non  :  ce  qui  est  oultre,  est  mauvais.  Mais  en  ce  faisant,  ilz 
font  injure  à  Christ,  le  faisant  adversaire  de  son  Père  :  comme 
s'il  estoit  venu  en  terre  pour  anéantir  ses  commandemens. 
Car  le  Seigneur  en  sa  Loy  non    î-eulement  permet    le  jurement, 

30  comme   chose   licite,   ce  qui  debvroit    bien    suftîre,   mais    com- 
mande den  user    en  nécessité.  Or  Christ    tesmoigne,    qu'il    est  Exo.  22. 
un   avec    son    Père    :  qii'il  n'apporte  rien,    que   son    Père  n'ayt 
commandé  :   que  sa  doctrine   n'est    point  de   luy   mesme ,    etc. 
Qu'est-ce    donc    qu'ilz   diront  ?    Feront-ilz    Dieu     répugnant    à 

:5.isoy,  pour  deffendre  et  condamner,  ce  qu'il  a  une  fois  approuvé, 
en  le  commandant?  Pourtant  leur  sentence  ne  peut  estre  receuë. 
Mais  pource  qu'il  y  a  quelque  ditïiculté  aux  parolles  de  Christ, 
il  nous  les  fault  regarder  de  plus  près.  Desquelles  certes  nous 
n  aurons    point     l'intelligence,    sinon    que    nous     considérions 


142  CHAPITRE   m. 

son  but,  et  dirigions  nostre  pensée  à  ce  qu'il  prétend  en  ce 
passage  là.  Or  est-il  ainsi  :  qu'il  ne  veut  point  amplifier  ne 
restreindre  la  Loy  :  mais  seulement  la  réduire  en  son  sens 
naturel    :    lequel    avoit     esté    grandement    corrumpu     par    les 

5  faulses  gloses  des  Scribes  et  Pharisiens.  Si  nous  tenons  cela  : 
nous  ne  penserons  point,  que  Christ  ayt  voulu  condamner 
toussermens  universellement  :  mais  seulement  ceulx  qui  trans- 
gressent la  reigle  de  la  Loy.  Il  appeit  de  ses  parolles,  que  le 
peuple  ne  se^ardoit  pour  lors  sinon  de  se  parjurer  :  comme  ainsi 

10  soit  que  la  Loy  ne  defîende  pas  seulement  les  parjures  :  mais  les 
juremens  superfluz.  Parquoy  le  Seigneur  Jésus,  vray  exposi- 
teur  de  la  Loy,  admoneste,  que  non  seulement  c'est  mal  faict 
de  se  parjurer  :  mais  aussi  de  jurer.  Comment  jurer  ?  A  scavoir 
en  vain.  Mais  les  sermens   que  la  Loy   appreuve,    il    les    laisse 

15  libres  et  en  leur  entier.  Mais  ilz  sarrestent  à  ceste  diction  du 
tout  :  laquelle  toutesfois  ne  se  rapporte  point  aux  verbes  :  mais 
aux  formes  de  juremens  qui  sensuyvent  après.  Car  c'estoit  là 
une  partie  de  l'erreur,  qu'en  jurant,  par  le  Ciel,  et  par  la  Terre, 
ilz  ne  pensoient  pas  attoucher  le  Nom  de  Dieu.  Le  Seigneur  donc, 

20  avant  corrigé  la  principale  transgression,  leur  oste  après  tous 
substerfuges  :  à  fin  qu'ilz  ne  pensent  pas  estre  eschappez,  si  en 
supprimant  le  Nom  de  Dieu,  ilz  jurent  par  le  Ciel,  et  par  la 
Terre.  Pourtant  ce  ne  peut  estre  chose  doubteuse  à  gens  de  sain 
entendement,  que  le  Seigneur  ne  reprouve  en    ce  passage  autres 

23  sermens,  sinon  ceulx  qui  estoient  defîenduz  par  la  Loy.  Car  luy 
mesme  qui  a  représenté  en  toute  sa  vie  la  perfection  qu'il  a  com- 
mandée, n'a  point  eu  horreur  de  jurer,  quand  la  chose  le  reque- 
roit  :  et  ses  disciples,  que  nous  ne  doubtons  point  avoir  gardé 
sa  reigle,  ont  suyvy  un  mesme  exemple.    Qui  oseroit    dire,   que 

30  S.  Paul  eust  voulu  jurer  ;  si  le  jurement  eust  esté  du  tout  def- 
fendu  ?  Or  quand  la  matière  le  requiert,  il  jure  sans  aucun  scru- 
pule, adjoustant  mesmes  aucunesfois  imprécation.  Toutesfois  la 
question  n'est  pas  encore  soluë  :  pource  que  aucuns  pensent, 
qu'il  n'y  a  que  les  sermens  publiques,  qui  soient  exceptez  :  comme 

33  sont  ceulx  que  le  Magistrat  requiert  de  nous  :  ou  que  le  peuple 
fait  à  ses  supérieurs:  ou  bien  les  supérieurs  au  peujDle:  les  gens 
d'armes  à  leurs  capitaines  :  et  les  Princes  entre  eux,  en  faisant 
quelque  alliance.  Auquel  nombre  ilz  comprennent  (et  à  bon  droictj 
tous  les  sermens  qui  sont  en  Sainct  Paul  :  veu  que  les  Apostres 


DE    LA    LOY.  143 

en  leur  ofïice,  n'ont  point  esté  hommes  particuliers:  mais  offi- 
ciers publiques  de  Dieu.  Et  de  faict  je  ne  nye  pas,  que  les  ser- 
mens  publiques  ne  soient  les  plus  seurs  :  d'autant  qu'ilz  sont 
approuvez  de  plus  fermes  tesmoi^na^es  de  l'Escriture.  Il  est 
5  commandé  au  Magistrat,  de  contraindre  un  tesmoing- à  jurer 
en  chose  doubteuse  :  et  le  tesmoing'  est  tenu  d'en  respondre. 
Pareillement  l'Apostre  dit,  que  les  controversies  humaines  sont  Ilebr.  6. 
décidées  par  ce  remède.  Pourtant  l'un  et  l'autre  ha  bonne  appro- 
bation de  ce  qu'il    fait.    Et   de  faict,  on  peut   observer,    que    les 

10  Payens  anciennement  avoient  en  grande  religion  les  sermens 
publiques  et  solemnelz.  Aucontraire,  qu'ilz  n'estimoient  pas  beau- 
coup ceulx,  qu'ilz  faisoient  en  leur  privé  :  comme  si  Dieu  n'en 
eust  tenu  compte.  Neantmoins  de  condamner  les  sermens 
particulie  s,   qui   se   font   sobrement   es  choses  nécessaires  avec 

15  révérence,  c'est  une  chose  trop  périlleuse  :  veu  qu'il/  sont  fondez 
sur  bonne  raison,  et  exemples  de  l'Escriture.  Car  s  il  est  licite  à 
personnes  privées,  d'invoquer  Dieu  pour  Juge  sur  leurs  propos  : 
par  plus  forte  raison  il  leur  sera  permis  de  l'invoquer  pour  tes- 
moing. Exemple.  Ton  prochain  t'accusera  de  quelque  desloyauté  : 

20  tu  tascheras  par  charitr  de  le  purger:  il  n'acceptera  aucune  rai- 
son en  pa\ement.  Si  larenomnue  vient  en  danger,  pour  l'obsti- 
nation qu'il  ha  en  a  mauvais  ephanlasie  :  sans  offense  tu  pourras 
appeller  au  jug'ement  de  Dieu  :  à  lin  qu'il  declaire  ton  innocence. 
Si  nous  reg-ardons  les  |  aroUes  :  ce  n'est  pas  si  grand 'chose  d'ap- 

sspeller  Dieu  en  tesmoinj.-  que  pour  Juge.  Je  ne  voiz  point  donc, 
pourquoy  nous  debvions  reprouver  une  forme  de  serment  où 
Dieu  soit  appelle  en  tesmoignage.  Et  pour  cela  nous  avons  plu- 
sieurs exemples  :  C'est  que  Abraham  et  Isaac  ont  faict  serment 
à  Abimelech.    Si  on  allègue  que  se  soient  sermens  publiques  : 

30  pour    le    moins   Jacob   et  Laban  estoient    personnes  privées,  et  Qen.  31. 
neantmoins  ont  confermé  leur  alliance  par  jurement.  Booz  estoit 
homme  privé  :  qui    a  ratiflié   par   serment  le  mariage  promis  à 
Ruth.     Pareillement  Abdias,    homme    juste  et    craignant    Dieu  Ruth  3. 
(comme   dit  l'Escriture)  lequel    testifie    par    jurement  ce    qu'il 

35  veut  persuader  à  Helie.    Je  ne  vois  point  donc  meilleure  reigle  2.  Roys 
sinon  que    nous    modérions  noz   sermens   en   telle    sorte,   qu'ils      ^^• 
ne    soient    point    téméraires,  legeremens  faictz,    ny    en  matière 
frivole,    ny    en    affection    desordonnée  :    mais    qu'ilz   servent    à 
la  nécessité  :   à    scavoir,    quand    il  est   question  de    maintenir 


144  CHAPITRE    111. 

la  o-loiie  de  Dieu,  ou  conserver    charité   envers   les   hommes  :  à 
quov  tend  le  commandement. 


Le  quattriesme  Commandement. 

Qu'il  te  souvienne  de  sanctifier  le  jour  du  repoz.  Tu  beson- 
5  gneras  six  jours,  et  feras  toutes  tes  œuvres.  Le  septiesme 
est  le  repoz  du  Seigneur  ton  Dieu.  Tu  ne  feras  aucune 
tienne  œuvre  :  ne  toy.  ne  ton  filz,  ne  ta  fille,  ne  ton 
serviteur,  ne  ta  chambrière,  ne  ton  bestial,  neleslranger 
qui  est  entre  tes  portes.  Car  en  six  jours  etc. 

lu  La  tin  du  précepte  est,  que  estanz  mors  à  noz  propres  affec- 
tions et  œuvres,  nous  méditions  le  Royaume  de  Dieu  :  et  qu'à 
ceste  méditation  nous  nous  exercions  par  les  moyens  qu'il  a  ordon- 
nez. Neantmoins  pource  qu'il  ha  une  considération  particulière 
et  distincte  des  autres,  il  requiert  une  exposition  un  peu  diverse. 

13  Les  anciens  docteurs  ont  coustume  de  le  nommer  Umbratile  : 
pource  qu'il  contient  observation  externe  du  jour  :  laquelle  a 
esté  abolie  à  l'advenement  de  Christ,  comme  les  autres  ligures. 
Ce  qui  est  bien  véritable  :  mais  il  ne  touche  la  chose  qu'à  demy  : 
pourtant  il  fault  prendre  l'exposition  déplus  hault  :  et  considérer 

20  trois  causes,  lesquelles  sont  contenues  soubz  ce  commandement. 
Car  le  Seigneur,  soubz  le  repos  du  septiesme  jour,  a  voulu  figurer 
au  peuple  d  Israël  le  repos  s])irituel.  C'est  que  les  fidèles  se 
doibvent  reposer  de  leurs  propres  œuvres  :  à  tin  de  laisser 
besongner  Dieu  en  eulx.  Secondement   il  a    voulu,  qu  il  y  eust 

25  un  jour  arresté,  auquel  ilz  convinssent  pour  ouyr  la  Loy.  et  user 
de  ses  cérémonies.  Tiercement  il  a  voulu  donner  un  jour  de 
repos  aux  serviteurs  et  gens  de  travail,  qui  sont  soubz  la  puis- 
sance d'autruy  :   à   fin   d'avoir  quelque   relasche  de  leur  labeur.  Nom.   13. 

Toutesfovs  il  nous  est  monstre   en   plusieurs  passao^es  que  ceste  Exod^.il. 

.      .  r  o       T  et  .3o. 

30  figure  du  repos    spirituel  ha  eu  le  principal   lieu  en  ce  précepte.  Hiere.  17. 

Car  Dieu  n'aiamais  recruis  plus  estroistementlobevssance  d'aucun  ^^^c.   :.(). 

•'  '        ^  .  '  el    I  >f . 

précepte  que  de  cestuycy.  Quand  il  veult  dénoter  en  ses  Prophètes,  lésa.  36. 

toute  la  religion  estre  destruicte  :  il  se  complaint  que  son  Sabbat 


DE   LA    LOY.  145 

a  esté  pollué  et  violé  :  ou  cju'il  n  a  pas  esté  bien  gardé  ne 
sanctifié.  Comme  si  en  délaissant  ce  poinct,  il  ne  restoit  plus 
rien,  en  quov  il  peust  estre  honoré.  Dautrepart,  il  magnifie 
grandement    l'observation    diceluy    :    pour    laquelle    cause    les 

s  fidèles   estimoient  par   dessus   tout   le  bien  qu'il  leur  avoit  faict, 
un  bien  singulier,  en  leur  révélant  le  Sabbath.  Car  ainsi  parlent 
les  Lévites  en  Nehemiah.  Tu  as   monstre  à  noz  Pères  ton  sainct  Nehe.  .9. 
Sabbath,  tes  commandemens,  et  cérémonies  :  et  leur  as  donné  la 
Loy  par  la  main  de  Movse.  Nous  voyons  comment  ilz   l'ont  en 

10  singulière  estime  par  dessus    tous  les  autres   préceptes.  Ce  qui 
nous    peut    monstrer   la    dignité   et    excellence    du     Sabbath   : 
biquelle  est  aussi  clairement  exposée   par    Moyse  et  Ezechiel  : 
car    nous  lisons  ainsi   en   Exode.    Observez   mon  Sabbath,    cav  Exo.  31 . 
c'est  un    signe  entre  moy  et  vous  en  toutes   voz  générations  : 

15  pour  vous  donner  k  congnoistre,  que  je  suis  le  Dieu  qui  vous 
sanctifie  :  gardez  donc  mon  Sabbath,  car  il  vous  doibt  estre 
sainct.  Que  les  enfans  d'Israël  le  gardent,  et  le  célèbrent  en 
leurs  générations  :  car  c'est  une  alliance  perpétuelle,  et  un  signe 
k  toute  éternité.  Cela  est  encores  plus  amplement  dict  de  Eze-  Ezec.  20. 

io  chiel  :  toutesf'ois  la  somme  de  ses  parolies  revient  là,  que  c'es- 
toit  un  signe,  dont  Israël  debAoit  congnoistre,  que  Dieu  estoit 
son  sanctificateur.  Or  si  nostre  sanctification  consiste  au  renonce- 
ment de  nostre  propre  volunté  :  de  là  desja  apparoist  la  simili- 
tude entre  le  signe  externe,  et  la  chose  intérieure.  Il  nous  fault 

râ  du  tout  reposer,  k  fin  que  Dieu  besongne  en  nous  :  il  nous  fault 
céder  de  nostre  volunté,  resigner  nostre  cœur,  renoncer  et  quicter 
toutes  les  cupiditez  de  nostre  chair  :  brief  il  nous  fault  cesser  de 
tout  ce  qui  procède  de  nostre  entendement,  k  fin  que,  ayans 
Dieu  besongnant   en   nous,   nous  acquiesceons  en   luv  :   comme 

iii  aussi  l'Apostre   nous  enseigne.  Cela  estoit  représenté    en  Israël 
par  le  repos  du  septiesme  jour.  Et  k  fin  qu'il  y  eust  plus  grande  Ileh.  :i  el 
religion  k  ce  faire  :    nostre    Seigneur   confermoit  cest  ordre  par 
son  exemple.   Car  c'est  une  chose  qui  ne  doibt  point  esmouvoir 
petitement  l'homme  :  quand  on  l'enseigne   de  suyvre  son  Crea- 

35  teur.  Si  quelqu'un  requiert  une  signification  secrette  au  nombre 
de  sept  :  il  est  vray  semblable,  puis  que  ce  nom  en  l'Escriture  si- 
gnifie perfection  ;  qu'il  a  esté  esleu  en  cest  endroit,  pour  desnoter 
perpétuité  :  k  quoy  se  rapporte  ce  que  nous  voyons  en  Moyse.  Car 
après  nous  avoir  dict,  que  le  Seigneur  s'est  reposé  au  septiesme 
InslUulion.  JO 


146  CHAPITRE  m. 

jour   :    il  n'en   mect  plus  d'autre  après,  pour  luy  déterminer  sa 
fin.  On  pourroit    aussi  amener  quant  à  cela,   une  autre  conjec- 
ture probable.  C'est    que  le   Seigneur  par  ce  nombre   a   voulu 
signifier,  que  le  Sabbath  des  fidèles  ne    sera  jamais    parfaicte- 
5  ment  accomply,  jusques  au  dernier  jour.  Car  nous  le   commen- 
ceons  icv,  et  le  poursuyvons  journellement  :   mais  pource  que 
nous   avons    encores   bataille  assiduelle   contre  nostre  chair,  il 
ne  sera  point  achevé,  jusques  à  ce  que  la  sentence  de  lesaie  soit  i^^^^^/^'''- 
verifiée  :  quand  il  dit  que  au  Royaume  de  Dieu,  il  y  aura  un  Sab- 
lobath  continué  éternellement  :  à  scavoir  quand  Dieu  sera  tout  en 
tous.  Il  pourroit  donc  sembler  advis,   que  par  le  septiesme  jour  I. Cor.  13. 
le  Seigneur  ayt  voulu  figurer  à  son  peuple  la  perfection  du  Sab- 
bath qui  sera  au  dernier  jour,    à  fin  de  le   faire  aspirer  à  icelle 
perfection,  d'une  estude  continuelle,  durant  ceste  vie.  Si  ceste 
15  exposition  semble  trop  subtile,  et  pourtant  que  quelqu'un  ne   la 
veuille  recevoir  :  je  n'empesche  pas,  qu'on  ne  se  contente  d'une 
plus  simple.  C'est  que  le  Seigneur  a  ordonné  un  jour  :  par  lequel 
le  peuple  fust  exercité  soubz  la  pédagogie  de  la  Loy,  à  méditer 
lerepoz  spirituel,  qui   est  sans  fin.  Qu'il  a  assigné  le  septiesme 
20  jour,  ou  bien   pensant  qu'il  suffiroit  :  ou  bien  pour  myeulx  inci- 
ter   le    peuple    à  observer   ceste    cérémonie,    luy  proposant  son 
exemple  :  ou  plustost  pour  luy  monstrer,  que  le  Sabbath  ne  ten- 
doit  à  autre  tin,    sinon  pour  le  rendre  conforme  à  son  Créateur. 
Car  il  n'en  peut  gueres  challoir,  moyennant  que  la   signification 
25  du  mystère  demeure  :  c'est  que  le  peuple  fust  instruict  :  de  se 
démettre  de  ses  œuvres.  A  laquelle  contemplation  les  Prophètes 
reduisoient  assiduellement  les  Juifz  :  à  fin  qu'ilz  ne    pensassent 
s'acquicter,  en  s'abstenant  d'oeuvres  manuelles  .   Oultre  les  pas-  le^aiehS. 
sao-es  que  nous  avons  alléguez    il   est  dict  en  lesaie  :  Si    tu  te 
30  retire  au  Sabbath,  pour  ne  point  faire  ta  volunté  en  mon  Sainct 
jour,   et  célèbre  un    Sabbath    sainct  et  délicat    au   Seigneur  de 
gloire,  et  le  glorifie,  en  ne  faisant  point  tes  œuvres,  et  ta  propre 
volunté  n'est  point  trouvée  :   lors  tu  prospéreras  en  Dieu.  Or  il 
n'v  a  doubte,  que  ce  qui  estoit  cérémonial  en  ce  précepte,  n'ayt 
ssesié  aboly  par  l'advenement  de  Christ  :  car  il  est  la  vérité,   qui 
fait,  par  sa  présence,  esvanouyr  toutes  les  figures.  11  est  le  corps, 
au  reo-ard  duquel  les  umbres  sont  laissées.   Il  est,  diz-je,  levray  Rom.   6. 
accomplissement  du  Sabbath.  Car  estans  ensepveliz  avec  luy  par 
le  Baptesme,  nous  sommes  entez  en  la  compaignie  de  sa  mort  :  à 


DE    LA    LOY.  147 

fin  qu'estans  faictz  participans  de  sa  résurrection,  nous  cheminions 
en  nouveauté   de  vie.   Pourtant  dit  TApostre,  que  le  Sabbath  a  Collos.  3. 
esté  umbre  de  ce  qui  debvoit  advenir  :  et  que  le  corps  en  est  en 
Christ  :    c'est  k   dire  la  vraye  substance  et  solide  de  la  vérité  : 

5  laquelle  il  explicque  bien  en  ce  lieu  là.  Or  icelle  n'est  point 
contente  d'un  jour  :  mais  requiert  tout  le  cours  de  nostre  vie  : 
jusques  à  ce  qu'estans  du  tout  mortz  k  nous  mesmes  nous  soyons 
rempliz  de  la  vérité  de  Dieu.  Dont  il  s'ensuyt,  que  toute  obser- 
vation supersticieuse  des  jours, doibt  estre  loing-  des   Ghrestiens. 

10  Neantmoins  d'autant  cpie  les  deux  dernières  causes  ne  se 
doibvent  point  mettre  entre  les  umbres  anciennes  :  mais  con- 
viennent egallement  à  tous  siècles  :  combien  que  le  Sabbath  soit 
abrogué,  cela  ne  laisse  point  d'avoir  lieu  entre  nous,  que  nous 
ayons  certains  jours,  pour  nous  assembler    à  ouyr  les   predica- 

15  lions,  k  faire  les  oraisons  publiques,  et  célébrer  les  Sacremens. 
Secondement  pour  donner  quelque  relâche  aux  serviteurs  et 
gens  mécaniques.  Il  n'y  a  nulle  double,  que  le  Seigneur  n'avt 
regardé  l'un  et  l'autre,  en  commandant  le  Sabbath.  Quant  au 
premier  :  il  est  assez  approuvé  par  l'usage  mesme  des  Juifz,    Le 

20  second  a  esté  noté  par  Moyse  au  Deuteronome   en  ces  paroUes.  Dent.  o. 
A  fin  que  ton    serviteur,   et  ta  chambrière    se  reposent  comme 
toy  :    Qu'il   te    souvienne  que  tu  as  esté  serviteur  en   Egvpte. 
Item,  en  Exode.    A   fin  que  ton  beuf,  et  ton  asne,   et    ta  mey-  Exo.  23. 
gnye  se  repose.   Qui  pourra  nyer,  que  ces  deux  choses  ne  nous 

25  conviennent  aussi  bien  qu'aux  Juifz  ?  Les  assemblées  Ecclésias- 
tiques nous  sont  commandées  par  la  parolle  de  Dieu  :  et  l'ex- 
périence mesme  nous  monstre ,  quelle  nécessité  nous  en 
avons.  Or  s'il  n'y  a  jours  ordonnez  :  quand  se  pourra-on  assem- 
bler? l'Apostre  enseigne,  que  toutes  choses   se   doibvent   faire  /.    Cor. 

30  decentement   et   par  ordre  entre  nous.    Or    tant   s'en   fault   que    '  ^^- 
l'honnesteté    et  l'ordre   se  puisse  garder   sans    ceste  police   des 
jours:  que  si  elle  nestoit,  nous  verrions  incontinent  merveilleux 
troubles  et   confusion  en  l'Eglise.  Or  s'il  y  a  une  mesme  néces- 
sité entre   nous,  k  laquelle    le   Seigneur  a   voulu   remédier,    en 

33  ordonnant  le  Sabbath  aux  Juifz  :  que  nul  n'allègue  ceste  loy  ne 
nous  appartenir  de  rien.  Car  il  est  certain,  que  nostre  bon  Père 
n'a  pas  moins  voulu  pourvoir  à  nostre  nécessité,  qu'à  celle  des 
Juifz.  Mais  que  ne  nous  assemblons-nous  tous  les  jours,  dira 
quelqu'un,  pour  oster  ceste  différence  ?  Je  le  desirerois  bien  :  et  de 


148  CHAPITRE    111. 

faict,  la  sao^esse  spirituelle  estoit  bien  digne,  d'avoir  quelque 
heure  au  jour,  qui  luy  fust  destinée.  Mais  si  cela  ne  se  peut  obte- 
nir de  linfirmité  de  plusieurs,  qu'on  s'assemble  journellement  : 
et  la  charité  ne  permet  point  de  les  contraindre  plus  oultre  : 
:,  pour  quoy  ne  suyvons-nous  la  raison ,  laquelle  nous  a  esté 
monstrée  de  Dieu  ?  11  nous  fault  estre  un  peu  plus  longz  en  cest 
endroit,  pource  qu'aucuns  entendemens  legiers  se  tempestent 
aujourd  huy,  à  cause  du  Dimenche  :  car  ilz  se  plaignent  que  le 
peuple  Chrestien  est  entretenu  en  un  Judaisme  :  veu  qu'il  retient 

10  encores  quelque  observation  des  jours.  A  cela  je  respondz,  que 
sans  Judaisme  nous  observons  le  Dimenche  :  veu  qu'il  y  a  grande 
différence  entre  nous  et  les  Juifz.  Car  nous  ne  l'observons  point 
d^une  religion  estroicte,  comme  d'une  cérémonie,  en  laquelle 
nous  pensions  estre  comprins  un  mystère  spirituel  :    mais  nous 

i=ien  usons  comme  d'un  remède  nécessaire,  pour  garder  bon  ordre 
en  l'Eglise.  Mais  Sainct  Paul,  disent  ilz,  nye  que  les  Chrestiens 
doibvent  estre  jugez  en  l'observation  des  jours  :  veu  que  c'est 
un  umbre  des  choses  futures  :  et  pour  ceste  cause  craint  d'avoir 
travaillé  en  vain  entre  les  Galatiens  :  d'autant  qu'ilz  observoient  Collos.  2. 

20  encores  les  jours  .  Et  aux  Romains  il  afferme  que   c'est  supers-  Gai.  4. 
tition  ,    si  quelqu'un   discerne  entre  jour  et  jour.    Mais  qui  est  Rom.  14. 
l'homme  d'entendement  ras.sis,  qui  ne  voye  bien  de  quelle  obser- 
vation parle  l'Apostre?  Car  ilz  ne  regardoient  point  à  ceste  fin, 
que  nous  disons,  d'observer  la  police  et  ordre  en  l'Eglise  :  mais 

25  en  retenant  les  festes,  comme  umbres  des  choses  spirituelles,  ilz 
obscurcissoient  d'autant  la  gloire  de  Christ,  et  la  clarté  de  l'Evan- 
gile :  ilz  ne  s'abstenoient  point  d'œuvres  manuelles,  pource  qu'elles 
Jes  empêchassent  de  vacquer  à  méditer  la  paroUe  de  Dieu  :  mais 
par  une  folle  dévotion,  d'autant  qu'ilz  imaginoient,  en  se  reposant, 

30  faire  service  à  Dieu.  C'est  donc  contre  ceste  perverse  doctrine  que 
crie  Sainct  Paul  :  et  non  pas  contre  l'ordonnance  légitime,  qui 
est  mise  pour  entretenir  paix  en  la  compaignie  des  Chrestiens. 
Car  les  Eglises  qu'il  avoit  edifiéez  gardoient  le  Sabbath  en  cest 
usage  :  ce  qu'il  monstre  en  assignant  ce  jour  là  aux  Corinthiens,  i.Cor.  16 

Ci  '^our  apporter  leurs  aumosnes  en  l'Eglise.  Si  nous  craingnons  la 
superstition  :  elle  estoit  plus  à  craindre  aux  festes  Judaiques, 
qu'elle  n'est  maintenant  au  Dimenche.  Car  comme  il  estoit  expé- 
dient, pour  abbatre  la  superstition,  on  a  délaissé  le  jour  observé 
des  Juifz  :  et  comme  il  estoit  nécessaire  pour  garder  ordre,  police  et 


DE    LA    LOY. 


149 


paix  en  l'Eglise  on  en  a  mis  un  autre  au  lieu.  Je  ne  m'arreste  point 
au  nombre  septiesme,  pour  assubjectir  l'Eglise  en  quelque  servi- 
tude :  car  je  ne  condamnerois  point  les  Eglises  qui  auroient  d'autres 
jours  solemnelz  pour  s'assembler,  moyennant  qu'il  n'y  ayt  nulle 
5  superstition  :  comme  il  n'y  en  a  nidle,  quand  on  regarde  seulement 
à  entretenir  la  discipline.  Que  la  somme  donc  du  précepte  soit 
telle.  Comme  la  vérité  estoit  demonstrée  aux  Juifz  soubz  figure, 
ainsi,  sans  figure,  elle  nous  est  declairée  :  c'est  que  nous  médi- 
tions en  toute  nostre  vie  un  perpétuel  repoz  de  noz  oeuvres,  à  ce 

10  que  Dieu  besongne  en  nous  par  son  Esprit.  Secondement  que 
nous  observions  l'ordre  légitime  de  l'Eglise,  à  ouyr  la  parolle, 
célébrer  les  sacremens,  et  faire  les  prières  solemnelles.  Tierce- 
ment,  que  nous  ne  grevions  point  par  trop,  ceux  qui  sont  en 
nostre  puissance.  Ainsi  seront  renversez  les  mensonges  des  faux 

15  Docteurs,  qui  ont  abbreuvé  du  temps  passé  le  povre  populaire 
d'opinion  Judaique,  ne  discernantz  entre  le  Dimenche  et  le  Sab- 
bath  autrement  :  sinon  que  le  septiesme  jour  estait  abrogué, 
qu'on  gardoit  pour  lors  :  mais  qu'il  en  failloit  neantmoins  garder 
un.  Or  cela  n'est  aultre  chose    dire,  qu'avoir  changé    le  jour  en 

20  despit  des  Juifz  :  et  neantmoins  demeurer  en  la  superstition  que 
Sainct  Paul  condamne  :  c'est  d'avoir  quelque  signification  secrette, 
ainsi  ({u'elle  estoit  soubz  le  viel  Testament.  Et  de  faict,  nous 
voyons  ce  qu'a  proflité  leur  doctrine.  Car  ceux  qui  la  suyvent, 
surmontent  les  Juifz  en  opinion  charnelle  du  Sabbath  :  tellement 

23  que   les  reprehensions,  que  nous  avons  en  lesaie,  leur  con vien- /esaie   /, 
droient    myeulx,    qu'à    ceux   que  le    Prophète  reprenoit    de  son    ^   **   • 
temps. 


Le  cinquiesme  Commandement. 

Honore    ton  père   et    ta  mère,  à  fin  que  tes  jours  soient 
30  prolongez  sur  la  terre,  laquelle    le    Seigneur  ton  Dieu  te 
donnera. 

La  fin  est  :  pource  que  Dieu  veut,  que  l'ordre  qu'il  a  consti- 
tué soit  entretenu  :  qu'il  nous  fault  observer  les  degrez  de  pré- 
éminence   comme   il  les  a  mis,  Pourtant  Ifi  somme  sera  :  que 


loO  CHAPITRE    m.  ' 

nous  poi"tions  révérence  à  ceulx  que  le  Seigneur  nous  a  ordonnez 
pour  supérieurs  :  et  que  nous  leur  rendions  honneur,  et  obéis- 
sance, avec  recongnoissance  du  bien  qu'il  nous  ont  faict.  De  cela 
s'ensuyt  la  deffense,  que  nous  ne  desroguions  à   leur  dignité,  ne 

T  par  contemnement,  ne  par  contumace,  ne  par  ingratitude  :  car  le 
nom  d'honneur  s'estend  ainsi  amplement  en  lEscriture.  Comme 
quand  TApostre  dit,  que  les  Prestres,  qui  président  bien,  sont 
dignes  de  double  honneur  :  non  seulement  il  parle  de  la  révé- 
rence qui  leur  est  deuë  :  mais  aussi  de  la  rémunération  que  mérite 

10 leur  labeur.  Or  pource  que  ce  commandement,  lequel  nous 
assubjectit  à  noz  supérieurs,  est  fort  contraire  à  la  perversité  de 
nostre  nature  :  laquelle,  comme  elle  crevé  d'ambition  et  orgueil, 
ne  se  soubzmet  pas  vouluntiers  :  à  ceste  cause  la  supériorité, 
laquelle  estoit  la  moins  odieuse  et  plus  amvable  de  toutes,  nous 
.lo  a  esté  proposée  pour  exemple  :  pource  qu'elle  pouvoit  myeulx 
fleschir  et  amollir  noz  cœurs  à  se  soubzmettre  en  obéissance.  Par 
quoy  le  Seigneur,  petit  à  petit,  par  la  subjection  qui  est  la  plus 
doulce  et  la  plus  facile  à  porter,  nous  accoustume  à  toutes  sub- 
jections  :  pource  que  c'est  une  mesme  raison.  Car  quand  il  donne 

20  prééminence  à  quelqu'un,  entant  que  mestier  est  pour  la  conser- 
ver, il  luy  communicque  son  Nom.  Les  tiltres  de  Père,  de  Dieu, 
et  Seigneur,  luy  sont  tellement  propres  :  que  quand  il  en  est 
faicte  mention,  il  fault  que  nostre  coeur  soit  touché  de  la  recon- 
gnoissance de  sa  Majesté.  Pourtant  quand  il  en  fait  les  hommes 

asparticipans,  il  levir  donne  comme  quelque  estincelle  de  sa  clarté  : 
à  fin  de  les  anoblir,  et  les  rendre  honorables  selon  leur  degré, 
Parquoy  en  celui  qui  est  nommé  Père,  il  fault  recongnoistre 
quelque  honneur  divin  :  veu  qu'il  ne  porte  point  le  tiltre  de 
Dieu    sans    cause.    Pareillement   celuy    qui  est  Prince   ou   Sei- 

3ogneur  :  communique  aucunement  à  l'honneur  de  Dieu.  Par- 
quoy il  ne  fault  doubter,  que  le  Seigneur  ne  constitue  icy 
une  reigle  universelle.  C'est,  que  selon  que  nous  congnois- 
sons  un  chascun  nous  estre  ordonné  de  Dieu  pour  supérieur  : 
que    nous    luy  portions  honneur,  révérence,  et   amour  :   et  que 

35  nous  luy  facions  les  services  qu'il  nous  sera  possible.  Et 
ne  fault  point  regarder  si  noz  supérieurs  sont  dignes  de 
cest  honneur,  ou  non.  Car  quelquonques  qu'ilz  soient  ilz  ne 
sont  point  venuz  sans  la  volunté  de  Dieu  en  ce  degré  :  à 
cause  duquel   nostre     Seigneur    nous    commande    les    honorer. 


DE    LA    LOY. 


151 


Toutesfois  noniméement  il  nous  commande  de  révérer  noz 
parens,  qui  nous  ont  engendrez  en  ceste  vie  :  ce  que  nature  mesme 
nous  doibt  enseigner.  Car  tous  ceulx  qui  violent  Tauctorité  pater- 
nelle, ou  par  mespris,  ou  par  rébellion  :  sont  Monstres  et  non 
5  pas  hommes.  Pourtant  nostre  Seigneur  commande  de  mettre  à 
mort  tous  ceulx  qui  sont  desobeyssans  à  père  et  à  mère  :  et  ce  à 
bonne  cause.  Car  puis  qu'ilzne  recongnoissent  point  ceulx,  par 
le  moyen  desquelz  ilz  sont  venuz  en  ceste  vie  :  ilz  sont  certes 
indignes  de  vivre.  Or  il  appert  par  j)lusieurs  passages  de  la  Loy, 

10  ce  que  nous  avons  dict  estre  vray  :  à  scavoir,  que  l'honneur,  dont 
il  est  icv  parlé,  a  trois  parties,  révérence,  obeyssance,  et  amour 
procédant  de   la  recongnoyssance  des   biensfaictz.    La   première    . 
est  commandée  de  Dieu,  quand   il  commande  de   mettre  à  mort  E.rod.  •>•>. 
celuv,  qui  aura  detracté  de  père  et  de  mère  .    Car  en  cela  il  punit  Lcvi.  20. 

15  tout  contemnement  et  mespris.  La  seconde  en  ce  qu'il  a  ordonné  Pmv.  20. 
que  l'enfant   rebelle    et  desobeyssant  fust  aussi  mis  à  mort.  La 
troysiesme  est  approuvée  en  ce  que  dit  Jésus  Christ  au    lo  de 
Sainct  Matthieu  que  c'est  du  commandement   de  Dieu,  de  servir 
et  bien  l'aire  à  noz  parens.  Toutesfois  et  qualités  que  Sainct  Paul  /-Jpiie.  6 . 

2u  fait  mention  de  ce  précepte,  il  nous  exhorte  à  obeyssance  ,  ce  qui  Col.  3. 
appartient  à  la  seconde  partie. 

La  promesse  est  quant  et  quant  adjoustée,  pour  plus  grande 
recommendation  :  à  fin  de  nous  admonester,  combien  ceste  sub- 
jection  est  aggreable  à  Dieu.  Car  Sainct  Paul  nous  incite  par  cest 

23  aguillon  :  quand  il  dit,  que  ce  précepte  est  le  premier  avec  pro- 
messe. Car  la  promesse,  que  nous  avons  eu  cy  dessus  en  la 
première  Table,  n'estoit  pas  spéciale  à  un  précepte  seulement  : 
mais  s'estendoit  à  toute  la  Loy.  Quand  est  de  l'intelligence  de 
ceste-cy,   elle   est  telle  :  C'est    que  le  Seigneur  parloit  propre- 

:io  ment  aux  Israélites,  de  la  terre  qu'il  leur  avoit  promise  en 
héritage.  Si  donc  la  possession  de  ceste  terre  estoit  une  arre 
de  la  bénignité  de  Dieu  :  il  ne  nous  fault  esmerveiller.  s'il 
leur  a  voulu  testifier  sa  grâce,  en  leur  promettant  longue 
vie  :  par  laquelle   ilz  pouvoient  plus   longuement   jouyr  de  son 

33  bénéfice.  C'est  donc  comme  s'il  disoit  :  Honore  père  et  mère: 
à  fin  qu'en  vivant  longuement  tu  puisse  jouyr  plus  long 
temps  de  la  terre  :  laquelle  te  sera  pour  tesmoignage  de  ma 
grâce.  Au  reste,  pource  que  toute  la  terre  est  benicte  aux 
fidèles   :    à    bon    droict    nous  mettons     la   vie   présente    entre 


152  CHAPITRE    III. 

les  bénédictions  de  Dieu.  Parquoy,  entant  que  la  longue  vie 
nous  est  argument  de  la  benevolence  de  Dieu  sur  nous  :  ceste 
promesse  aiissi  nous  appartient.  Car  la  longue  vie  ne  nous 
est  point  promesse  :  comme  elle  n'a  point  esté  promise  aux 
ojuit'z.  pource  qu'elle -contienne  en  soy  béatitude  :  mais  pource 
que  c'est  aux  justes  une  enseigne  delà  bonté  de  Dieu.  S'il  advient 
donc,  que  quelque  enfant  bien  obeyssant  k  [sles  parens  trespasse 
en  sa  jeunesse  (comme  souvent  il  advient)  Dieu  ne  laisse  pas  de 
demeurer  constamment  en  sa  promesse  :  mesmes  ne  l'accomplit 

10  pas  moins,  que  s'il  donnoit  cent  arpens  de  terre  àquelquun, 
auquel  il  en  auroit  promis  deux  arpens.  Le  tout  gist  en  cela,  que 
la  longue  vie  nous  est  icy  promise,  entant  qu'elle  est  bénédiction. 
D'avantage  quelle  est  bénédiction  de  Dieu,  entant  qu'elle  nous 
testitîe  sa  grâce  :  laquelle  il  declaire  k  ses  serviteurs    cent  mil' 

13  fois  plus  en  la  mort.  Aucontraire  quand  le  Seigneur  promet  sa 
bénédiction  en  la  vie  présente  k  ceulx,  qui  se  seront  renduz 
obeissans  k  pères  et  k  mères  :  semblablement  il  signifie,  que  sa 
malédiction  adviendra  k  tous  ceulx  qui  auront  esté  desobeissans. 
Et  k  fin  que  son  jugement   soit  exécuté  :  il  ordonne  en  sa  Loy. 

20  qu  on  en  face  justice.  Et  s  ilz  eschappentde  la  main  des  hommes, 
en  quelque  manière  que  se  soit  :  il  en  fera  la  vengeance.  Car  nous 
voyons  de  ceste  manière  de  gens  combien  il  en  meurt,  ou  en 
guerres,  ou  en  noyses,  ou  en  autre  faceon  :  tellement  qu  on 
apperceoit  que  Dieu  y  besongne,  les  faisantz  mourir  malheureu- 

23  sèment.  Et  si  aucuns  y  en  a  qui  eschappent  jusques  k  la  vieil- 
lesse :  veu  qu'estans  privez  en  ceste  vie  de  la  bénédiction  de 
Dieu,  ne  font  que  languir,  et  pour  le  futeur  sont  reservez  k  plus 
grand'  peine  :  il  s'en  fault  beaucoup  qu'ilz  soient  participans  de 
ceste  promesse.  Pour  faire  fin,  il  fault  briefment  notter,  qu'il  ne 

30  nous  est  point  commandé  d'obéir  à  noz  parens,  sinon  en  Dieu  : 
ce  qui  n'est  point  obscur  par  le  fondement  que  nous  avons  mis.  Ephe.  6. 
Car  ilz  président  sur  nous,   entant  que  Dieu  les  a  eslevez  :   leur 
communiquant    quelque  portion    de   son  honneur.    Pourtant  la 
subjection,    qui    leur  est  rendue,  doibt   estre  comme   un  degré, 

33  pour  nous  conduyre  k  la  révérence  de  Dieu,  qui  est  souverain 
Père.  Parquoy  s  ilz  nous  veullent  faire  transgresser  sa  Loy,  ce 
n'est  pas  raison  que  nous  les  ayons  pour  pères  :  mais  nous 
doibvent  estre  lors  pour  estrangers,  qui  nous  veullent  destour- 
lier  de    l'obevssançe   de   iiostre    vrav  Pepe.    Il  fault   avoir     un 


DE    LA    LOY.  153 

mesme  jug-ement  de  noz  Princes,  Seig'neurs,  et  Supérieurs. 
Car  ce  seroit  une  chose  trop  desraisonnable,  que  leur  préé- 
minence vausist  quelque  chose  pour  ahbaisser  la  haultesse  de 
Dieu  :  veu  qu'elle  en  despend,  et  la  doibt  plustost  augmenter, 
3  que   amoindrir  :    confermer,  que  violer. 

Le  sixiesme  Commandement. 

Tu  ii'occiras  poinl. 

La  fin  est  :  d'autant  que  Dieu  a  conjoinct  en  unité  tout  le  g-enre 
humain  :  que  le  salut  et  la  conservation  de  tous  doibt  estre  en 

10  reconmiandation  à  un  chascun.  Parquoy,  en  somme,  toute  vio- 
lence et  injure  et  nuysimce,  par  laquelle  le  corps  de  nostre  pro- 
chain est  blessé,  nous  est  interdicte.  De  là  novis  fault  venir  au 
connnandement  :  c'est,  (|ue  si  nous  pouvons  ([uelque  chose  pour 
conserver  la  vie  de  nostre  prochain,   il  nous  y   fault  fidèlement 

15  employer  :  tant  en  procurant  les  choses  qui  y  appartiennent, 
qu'en  obviant  à  tout  ce  qui  y  est  contraire  :  pareillement  s'ilz 
sont  en  quelque  danger  ou  perplexité,  de  leur  ayderet  subvenir. 
Or  s'il  nous  souvient,  que  Dieu  est  le  législateur  qui  parle  en 
cest    endroit  :  il  fault  penser,  (ju'il    donne  ceste  reigle  à  nostre 

2oame.  Car  ce  seroit  chose  ridicule,  que  celuy  qui  contemple  les 
pensées  du  coeur,  et  s'arreste  principalement  à  icelles  :  n  ins- 
truist  k  vraye  justice,  que  nostre  corps.  Parquoy  l'homicide  du 
coeur  est  icy  defîendu  :  et  nous  est  commandée  l'alfection  inté- 
rieure de  conserver  la  vie  de  nostre  prochain.  Car  combien  que 

25  la  main  enfante  l'homicide  :  toutesfois  le  coeur  le  conceoit, 
quand  il  est  entaché  d'ire  et  de  hayne.  Reg-arde  si  tu  te 
peux  courroucer  à  ton  frère,  que  tu  n'appetes  de  luy  nuyre. 
Si  tu  ne  te  peux  courroucer  :  aussi  ne  le  peux-tu  hayr, 
que  tu  n'ayes  ce    mesme  désir   :    veu    que    hayne  n'est  que  ire 

30  enracinée.  Combien  que  tu  dissimules,  et  tasches  par  cou- 
vertures obliques  d'eschapper  :  il  est  certain,  que  hayne  et 
ire  ne  peuvent  estre  sans  cupidité  de  mal  faire.  Si  tu  veux 
encores  tergiverser  :  desja  il  a  esté  prononcé  par  le  Sainct 
Esprit  :    que    tout  homme  qui  hayt  son    frère   en    son    coeur, 

35  est     homicide.     Il  est    prononcé    par    la     bouche    de    Christ   :  I .Jean  9. 
que  celuy  qui   hayt  son  frère,  est  coulpable  de  jugement  ,*  Qui  Matth,  o, 


154  CIIAPlTRf]    III. 

monstre  signe  de  courroux,  est  coulpable  destre  condamné 
par  tout  le  Consistoire  :  Quiconques  luy  dit  injure,  est  coul- 
pable de  la  Géhenne  du  feu.  L'Escriture  note  deux  raisons, 
sur  lesquelles   est   fondé  ce  précepte.    C'est,    que    l'homme  est 

■ï  image  de  Dieu  :  puis  aussi  est  nostre  chair.  Pourtant  si  nous  ne 
voulons  violer  l'image  de  Dieu  :  nous  ne  devons  faire  aucune 
offense  à  nostre  prochain.  Et  si  nous  ne  voulons  renoncer  toute 
humanité  :  nous  le  devons  entretenir  comme  nostre  propre  chair. 
L'exhortation  qui  se  peut  tirer  pour  cela  du  bénéfice  de  la  redemp- 

lotion  de  Christ,  sera  traictée  aillieurs.  Mais  le  Seigneur  a  voulu, 
que  nous  considérions  naturellement  ces  deux  choses  ja  dictes 
en  l'homme  :  lesquelles  nous  induisent  à  luy  bien  faire  :  c'est 
qu'en  un  chascun,  nous  rêverions  son  image,  laquelle  y  est 
imprimée  :   et  aymions  nostre  propre  chair.  Parquoy    celuy  qui 

lo  s'est  abstenu  d'efTusion  de  sang  :  n'est  pas  pourtant' innocent  du 
crime  d'homicide.  Car  quiconques,  ou  commet  par  œuvre,  ou 
s'efforce  et  estudie,  ou  conceoit  en  son  cœur  aucune  chose  con- 
traire au  bien  de  son  prochain,  est  tenu  de  Dieu  pour  homicide. 
D'autrepart,     sinon    que    nous    nous    employons    selon    nostre 

20  faculté,  et  l'occasion  qui  nous  sera  donnée  de  bien  faire  à  nostre 
prochain  :  par  telle  cruauté  nous  transgressons  ce  précepte.  Or 
si  le  Seigneur  se  soucye  tant  du  salut  corporel  d'un  chascun  :  de 
cela  nous  pouvons  entendre,  combien  il  nous  oblige  à  procurer 
le   salut  des  âmes,   lesquelles  sont  sans  comparaison  plus  pre- 

25  cieuses  devant  luy. 


Le  septiesme  Commandement. 

Tu  ne  paillarderas  point. 

La  fin  est  :  Pource  que  Dieu  ayme  pureté  et  chasteté  :  que 
toute  immundicité   doibt   estre   loing  de  nous.  La  somme   donc 

3û  sera  :  que  nous  ne  soyons  entachez  d'aucune  ordure  ou  intem- 
pérance de  la  chair.  A  quoy  respond  le  précepte  afïîrmatif. 
C'est  que  nostre  vie  en  toutes  ses  actions  soit  reiglée  à  chas- 
teté et  continence.  Or  il  deffend  nommément  paillardise,  à 
laquelle  tend  toute  incontinence  :   à  fin   que  par  la  turpitude  et 

sadeshonnesteté,    qui  est    en    paillardise,   plus    visible    et    appa- 


DE    LA    LOV. 


155 


rente,  entant  quelle  deshonore  nostre  corps  :  il  nous  rende  toute 
incontinence  abominable.  Pource  que  l'homme  a  esté  créé  à  ceste 
condition,  de  ne  vivre  point  solitaire  :  m;iis  avoir  une  ayde  sem- 
blable à  soy.    D'avantagée  que  par  la  malédiction  du  péché  il  a 

5  esté  encores  plus  assubjecty  à  ceste  nécessité  :  d'autant  qu'il  estoit 
expédient,  le  Seigneur  nous  a  donné  remède  en  cest  endroit,  en  ins- 
tituant le  mariage  :  lequel  après  l'avoir  ordonné  de  son  auctorité, 
l'a  sanctifié  de  sa  bénédiction.  Dont  il  appert,  que  toute  compai- 
gnie  d'homme  et  de  femme,  hors  mariage,  est  maudicte  devant 

10  luv  :  et  que  la  compaignie  de  mariage  nous  est  donnée  pour  remède 
de  nostre  nécessité  :  k  lin  que  nous  ne  laschions  la  bride  à  notre 
concupiscence.  Ne  nous  flattons  point  donc,  quand  nous  oyons 
que  l'homme  ne  peut  cohabiter  avec  la  femme  hors  mariage 
.sans  la  malédiction  de  Dieu.  Or  comme  ainsi  soit,  que  nous  ayons 

13  doublement  mestier  de  ce  remède  :  à  scavoir  tant  pour  la  con- 
dition de  nostre  première  nature,  (jue  pour  le  vice  qui  y  est  sur- 
venu :  et  que  de  cela  nul  ne  soit  excepté,  sinon  celuy  à  qui  Dieu 
a  faict  particulièrement  grâce  :  qu'un  chascun  regarde  bien  ce 
qui  luy  est  donné.  Car  ceux  qui  n'ont  point  receu  ce  don  spécial 

20  de  continence,  s'ilz  n'usent  du  remède  qui  leur  est  concédé 
et  ofl'ert,  ilz  combattent  contre  Dieu,  et  re.sistent  à  son 
ordonnance.  Et  ne  fault  que  quelqu'un  objecte  icy,  ce  qu  ont 
accoustumé  plusieurs  de  faire  :  que  par  layde  de  Dieu  il 
pourra  toutes  choses.  Car  ceste    ayde  n'est  point  donnée  sinon  Paal.  91. 

23  à  ceux ,  qui  cheminent  en  leurs  voyes  :  c'est-à-dire  en  leur 
vocation.  De  laquelle  se  retirent  tous  ceux,  qui  en  délais- 
sant tous  les  moyens  que  Dieu  leur  baille,  veulent,  par  foie 
témérité,  surmonter  leur  nécessité.  Le  Seigneur  prononce 
que  continence  est  un  don  singulier,  lequel   n'est    point    donné 

:!o  indifféremment    à    toute   son  Eglise   :   mais   à   bien  peu  de  ses 
membres.  Car  il  nous  propose  un  certain  genre  d'homme,  lequel 
s'est   chastré  pour  le  Royaume    des  Cieux  :    c'est   à   dire    pour  ^f.lt.  19. 
vacquer  plus  librement   à   servir  à  la  gloire  de  Dieu.    Et  à   fin 
que   nul   ne  pensast ,   que    cela   fust   en   nostre  vertu   :  il  avoit 

35  auparavant  dict,  que  tous  n'en  sont  point  capables,  mais 
tant  seulement  ceux,  ausquels  il  est  donné  du  Ciel.  Dont  il 
conclud,  que  celuy  qui  en  pourra  user,  en  use.  Sainct  Paul 
enseigne  de  mesme  plus  clairement  quand  il  dit  :  Qu'un  chas- 
cun   a   receu    sa    jjropre    grâce    de    Dieu  :    l'un   en  une   sorte,  /.  Cor.  7. 


156  CHAPITRE    III. 

l'autre  en  l'autre.  Ornoz  Prebstres,  Moynes,  et  Moynesses,  lais- 
sans  ceste  considération  derrière,  se  confient  bien  qu'ilz  se 
pourront  contenir.  Et  qui  leur  a  révélé,  qu'ilz  pourront  garder 
chasteté  toute  leur  vie  ;  à  laquelle  ilz  s'oblig-ent  à  tousjours?  Hz 
5  oyent  la  sentence  de  Dieu,  touchant  la  condition  universelle  des 
hommes  :  c'est,  qu'il  n'est  point  bon  à  l'homme  d'estre  seul.  Hz 
entendent  (et  pleust  à  Dieu  qu'ilz  ne  le  sentissent  point;  combien 
les  aiguillons  d'incontinence  sont  aspres  en  leur  chair.  De  quelle 
hardiesse   osent-ilz  rejetter  pour  toute    leur  vie    ceste  vocation 

10  generalle  ;  veu  que  le  don  de  continence  est  le  plus  souvent 
donné  à  certain  temps  ;  selon  que  l'opportunité  le  requiert  ?  En 
telle  obstination,  qu'ilz  n'attendent  point  que  Dieu  leur  doibve 
ayder  :  mais  plustost  qu'ilz  se  souviennent  de  ce  qui  estescrit.  Tu 
ne  tenteras  point  le  Seigneur  ton  Dieu.  Or  cela  est  tenter  Dieu, 

15  de  s'efforcer  contre  la  nature  qu  il  nous  a  donnée,  et  contemner 
les  moyens  qu'il  nous  présente  :   comme  s'ilz  ne  nous   apparte- 
n oient  de  rien.  Ce  que  ceux-cy  non  seulement  font  :   mais  n'ont 
point   honte  d'appeller  le  mariage  pollution  :  duquel  nostre  Sei-  Gènes.  2. 
gneur  n'a  point  pensé  l'institution  estre  indigne  de  sa  Majesté  :  Hehr.  13. 

20  lequel  il  a  prononcé  estre  honorable  en  tous:  lequelJesus  Christ  Jean  2. 
a  sanctifié  par  sa  présence,  et  honoré  par  son  premier  miracle. 
Et  font  cela  seulement  pour  magnifier  lestât  qu'ilz  tiennent,  c'est 
de  s'abstenir  de  mariage  :  comme  s'il  n'apparoissoit  point  par  leur 
vie  mesme,  que   c'est  bien  autre  chose  d'abstinence  de  mariage, 

23  et  de  virginité.  Etneantmoins  ilz  sont  si  effrontez,  que  d'appeller 
leur  vie  Angélique.  Enquoy  certes  ilz  font  trop  grandinjure  aux 
Anges  de  Dieu  :  ausquelz  ilz  accomparagent  paillardz  et  adul- 
tères, et  encores  beaucoup  pires.  Et  de  faict,  il  ne  fault  pas  icy 
grans  argumens  :  veu  qu'ilz  sont  convaincuz  par  la  vérité .    Car 

30  nous  voyons  à  l'œil,  combien  par  horribles  punitions  nostre  Sei- 
gneur punit  une  telle  arrogance  et  contemnement  de  ses  dons  : 
et  ay  vergongne  de  descouvrir  ce  qui  est  plus  occulte,  combien 
qu'on  en  scayt  trop  la  moytié  :  tellement  que  l'Air  en  put.  Hz 
ont  une    couverture,    pour    monstrer  que   les  Prebstres    ne   se 

35  doibvent  point  marier.  C'est  que  s'il  a  fallu  que  les  Prebstres  Le- 
vitiques,  quand  ilz  approchoient  de  l'Autel,  ne  cohabitassent 
pointavec  leurs  femmes,  à  fin  de  faire  plus  purement  leurs  sacri- 
fices :  que  ce  ne  seroit  point  raison,  que  les  Sacremens  de  Chres- 
tienté,  qui   sont  plus  nobles  et  plus  excellens,   fussent  admi- 


DE    LA    LOY.  157 

nistrez  par  gens  mariez.  Comme  si  cestoit  un  mesme  office, 
du  Ministère  Evangelique,  et  de  la  Prebstrise  Levitique.  Aucon- 
traire  les  Prebstres  Levitiques  representoient  la  personne  de 
Jésus  Christ  :  lequel  estant  Médiateur  de  Dieu  et  des  hommes, 
:;  nous  devoit  reconcilier  au  Père  par  sa  pureté  tresaccomplie . 
Or  comme  ainsi  soit,  qu'iceux,  estans  pécheurs,  ne  peussent 
respondre  en  toute  manière  à  sa  saincteté  :  à  (in  de  la  repré- 
senter aucunement  en  fig-ure,  il  leur  estoit  commandé  de  [s]e 
purifier  oultre  la  coustume  humaine,  quand  ilz  approchoient  du 

10  Sanctuaire,  d'autant  que  lors  proprement  ilz  portoient  la  figure 
de  Christ  :  en  ce  que,  comme  moyenneurs,  ilz  apparoissoient 
devant  Dieu,  au  nom  du  peuple,  au  Tabernacle,  qui  estoit  comme 
image  du  Throsne  Céleste.  Or  puis  que  les  pasteurs  Ecclesias- 
ticques  n'ont  point  cest  office  et  personne  :  la  comparaison  n'est 

15  point    à   propoz.    Pourtant    l'Apostre,    sans   aucune  exception, 
afferme  que  le  mariage  est  honorable  entre  tous  :  mais  que  Dieu 
punira    les   paillardz   et    adultères  .    D'avantage  ce   a  esté   une  Uebr.  13. 
grande  impudence,  qu'ilz  ont  exigé  une  telle  chasteté  pour  chose 
nécessaire.   Enquoy  ilz  ont  faict  grand  opprobre  à    l'Eglise  an- 

20  cienne  :  laquelle,  combien  qu'elle  ayt  esté  excellente  en  pure 
doctrine  :  neantmoins  a  encores  plus  fleury  en  saincteté.  Car 
que  diront-ilz,  je  vous  prie,  de  tous  les  Pères  anciens  :  lesquelz 
on  voit  non  seulement  avoir  toléré  le  mariage  entre  les  Evesques, 
mais  aussi  l'avoir  approuvé?   Il  s'ensuyvroit,    qu'ilz   ont  entre- 

25  tenu  une  prophanation  des  mystères  de  Dieu  :  pviis  que,  selon 
l'opinion  de  ceux-cy,  ilz  ne  les  traictoient  point  purement.  Bien 
est  vi^ay  que  ceste  matière  fust  agitée  au  Concile  de  Nice  :  et 
(comme  il  s  en  trouve  tousjours  quelques  superstitieux,  qui 
songent  quelque  resverie  nouvelle  pour  se  rendre  admirables)  il 

30  y  en  avoit  qui  eussent  voulu  le  mariage  estre  interdict  aux 
Prebstres.  Mais  qu'est-ce  qu'il  y  fust  constitué  ?  C'est,  que  la 
sentence  de  Paph[nu]tius  fust  receuë  :  lequel  declaira,  que  chas- 
teté estoit  cohabitation  de  l'homme  avec  la  femme.  Parquoy 
le    sainct   mariage    demeura    en    son    entier,    et    ne  fust  point 

3o  réputé  à    deshonneur  aux  Evesques  qui  estoient  mariez  :   et  ne 

jugea-on  point  que  cela  tournast  à  quelque  macule    au    Minis- 

.     tere.   Pareillement     les    Pères,    qui    ont    esté    depuis,   excepté 

Hierosme,    n'ont    point    detracté     si    fort    de    l'honnesteté    du 

mariage.    Nous    serons    contens    d'un    tesmoignage    de    Sainct 


158  CHAPITRE  m, 

Chrisostome  :  veu  qu'il  n'est  point  suspect  d'avoir  trop  favo- 
risé au  mariag-e  :  mais  au  contraire  a  trop  encline  à  priser 
et  magnifier  la  virginité.  Or  il  parle  en  ceste  manière.  Le 
premier  degré  de  chasteté,  est  virginité  immaculée.  Le  second, 
5  est  mariage  loyallement  gardé.  C'est  donc  une  seconde  espèce 
de  virginité,  que  l'amour  du  mary  et  de  la  femme  quand 
ilz  vivent  bien  en  mariage.  Maintenant  si  les  gens  mariez 
recongnoissent,  que  leur  compagnie  est  benicte  de  Dieu  : 
cela     les    doibt   admonester,    de    ne    la  point    contaminer    par 

10  intempérance  dissolue.  Car  combien  que  l'honnesteté  du  mariage 
couvre  la  turpitude  d'incontinence  :  ce  n'est  pas  à  dire,  que 
ce  en  doibve  estre  une  incitation.  Pourtant  ilz  ne  doibvent 
pas  penser  que  toutes  choses  leur  soient  licites  :  mais  un 
chascun  se  doibt  tenir  sobrement   avec  sa  femme,  et  la  femme 

lo  mutuellement  avec  son  mary  :  se  gouvernans  tellement  qu'ilz  ne 
facent  rien  contraire  à  la  saincteté  du  mariage.  Car  ainsi  doibt 
estre  reiglée,  et  à  telle  modestie  se  doibt  réduire  l'ordonnance  de 
Dieu  :  et  nompas  se  desborder  en  dissolution.  Finalement  il 
nous  fault  regarder,  quel  législateur  c'est  qui  condamne  paillar- 

20  dise  :  c'est  à  scavoir  celuy  qui  nous  possède  entièrement.  Et 
pourtant  à  bon  droict  requiert  de  nous  intégrité,  tant  au  corps, 
qu'en  lame,  et  en  l'esprit.  Quand  donc  il  deffend  de  paillarder  : 
il  deffend  aussi,  ou  par  habillemens  immodestes,  ou  par  gestes 
et  contenances  impudiques  ou  par   villaines  parolles ,  tendre  à 

25  induire  les  autres  à  mal.  Car  un  Philosophe  nommé  Archelaûs, 
ne  dist  point  sans  raison  à  un  jeune  homme  trop  délicatement 
vestu,  que  c'estoit  tout  un,  en  quelle  partie  du  corps  il  monstrast 
son  impudicité.  Cela  diz-je,  ha  raison  devant  Dieu,  lequel  ha 
en  abomination  toute  ordure,    en  quelque  partie  qu'elle  soit,  ou 

:!0  de  l'ame  ou  du  corps.  Et  à  fin  que  nul  ne  double  de  cela  :  consi- 
dérons que  Dieu  nous  recommande  icy  chasteté.  S'il  l'a  comman- 
dée :  il  condamne  tout  ce  qui  y  contrarye.  Parquoy,  si  nous  vou- 
lons obej'r  à  ce  commandement  :  il  ne  fault  point  que  le  cœur 
brusle    intérieurement   de    mauvaise    concupiscence,    ou   que  le 

33  regard  soit  impudique,  ou  que  la  face  soit  ornée,  comme  pour 
macquerellages,  ou  cpie  la  langue  par  villaines  parolles  attire  à 
paillardise,  ou  que  la  bouche  par  intempérance  en  donne  matière. 
Car  tous  ces  vices  sont  comme  macules,  par  lesquelles  chasteté 
et  incontinence  est  entachée,  et  sa  pureté  est  souillée. 


DE    LA    LOY.  Io9 

Le  huitiesme  Commandement. 

Tu  ne  desroberas  point. 

La  fin  est,  pource  que  toute  injustice  est  desplaisante  à  Dieu  : 
que  nous  rendions  à  unchascun  ce  qui  luy  appartient.  La  somme 
5 donc  sera:  qu'il  nous  deffend  de  tascher  à  attirer  à  nous  les 
biens  dautrm-  :  et  pourtant  nous  commande  de  nous  employer 
fidèlement  à  conserver  le  sien  à  un  chascun.  Car  il  nous  fault 
estimer,  que  ce  qu'un  chascun  possède  ne  luy  est  point  advenu  par 
cas  fortuit  :  mais  par  la  distribution  de  Dieu  :  et  à  ceste  raison, 

10.  qu'on  ne  peut  frauder  personne  de  ses  richesses,  que  la  dispensa- 
tion  de  Dieu  ne  soit  violée.  Or  il  y  a  plusieurs  espèces  de  larre- 
cin.  L'une  gist  en  violence  :  quand  par  force,  et  quasi  par  une 
manière  de  briganderie,  on  voile  et  pille  le  bien  d'autruy.  L'autre 
g^ist  en  fraude   et  malice  :  quand   cauteleusement  on  appovrist 

15  son  prochain,  en  le  trompant  et  décevant.  L'autre  en  une  astuce 
encores  plus  couverte  :  quand,  soubz  couleur  de  droict,  on  prive 
quelqu'un  de  ses  biens.  L'autre  en  flatterie  :  quand  par  belles 
parolles  on  attire  à  soy,  ou  soubz  tiltre  de  donation,  ou  autre- 
ment, ce  qui  debvoit  appartenir  à  un  autre.  Mais   pour  ne  point 

20  trop  nous  arrester  k  racompter  les  genres  divers  :  il  nous  fault 
brièvement  noter,  que  tous  moyens  dont  nous  usons  pour  nous 
enrichir  au  dommage  d'autruy,  quand  ils  déclinent  de  la  sincérité 
Chrestienne,  laquelle  doibt  estre  g-ardée  en  dilection  :  et  se  des- 
voyent  à  quelque  obliquité  d'astuce,  ou  de  toute  autre  nuysance, 

25doibvent  estre  tenuz  pour  larrecins.  Car,  combien  que  ceulx, 
qui  y  procèdent  en  telle  faceon,  souventesfois  gaig-nent  leur 
cause  devant  le  Juge  :  neantmoins  Dieu  ne  les  ha  pour  autres 
que  larrons.  Car  il  voit  les  embusches,  que  font  de  loing 
les  fines  gens,  pour    attrapper  les  simples  en  leurs  retz  :  il  voit 

30  la  rig-ueur  des  exactions  que  font  les  plus  g-rans  aux  plus 
petitz,  pour  les  fouller  :  il  voit  combien  sont  venimeuses  les 
flatteries,  dont  usent  ceux  qui  veullent  emmieller  quelqu'un 
pour  le  tromper  :  lesquelles  choses  ne  viennent  point  à  con- 
gnoissance   des    hommes.    D'avantage    la   transgression    de    ce 

35  précepte  ne  gist  pas  seulement  en  cela  :  quand  on  faict  tort 
à  quelqu'un    en   son  argent,   en    marchandise,    ou   possession  : 


160  CHAPITRE   111. 

mais  aussi  en  cjiielque  droict  que  ce  soit.  Car  nous  fraudons 
nostre  prochain  de  son  bien,  si  nous  luy  desnions  les  offices, 
ausquelz  nous  luj  sommes  tenuz,  Parquoy  si  un  Receveur, 
ou  Metaier,  ou  Fermier,  au  lieu  de  veiller  sur  le  bien  de  son 
omaistre,  vit  en  oysiveté,  sans  se  soucyer  de  procurer  le  bien 
de  celuy  qui  le  nourrit  :  s  il  dissipe  mal  ce  qui  luy  est  com- 
mis, ou  en  abuse  en  superfluité  :  si  un  serviteur  se  mocque 
de  son  maistre,  s'il  divulgue  ses  secretz,  s'il  machine  rien 
contre  son  bien,   ou  sa  renommée,   ou    sa  vie  :    si  dautrepart 

10  le  maistre  traicte  inhumainement  sa  famille  :  c'est  larrecin 
devant  Dieu.  Car  celuy  qui  ne  s'acquicte  point  envers  les  autres 
du  debvoir  que  porte  sa  vocation,  retient  ce  qui  appartient  à 
autruy.  Nous  obeyrons  donc  au  commandement  :  si,  estans  con- 
tens  de  nostre  condition,   nous  ne  taschons   à   faire  gain,    sinon 

15  que  honeste  et  légitime  :  si  novis  n'appelons  point  d'enrichir,  en 
faisant  tort  à  nostre  prochain  :  si  nous  ne  machinons  point  de  le 
destruire,  pour  attirer  à  nous  son  bien  :  si  nous  ne  mettons 
point  nostre  estude  à  assembler  richesses  du  sang  de  la  sueur 
d'autruy  :  si  nous  n'attirons  point  deçà  et  delà  à  tort,  et  à  travers 

20  tout  ce  qu'il  est  possible,  pour  remplir  nostre  avarice,  ou  des- 
pendre en  superfluité.  Mais  aucontraire,  si  nous  avons  tousjours 
ce  but  d'ayder  à  un  chascun,  tant  que  nous  pouvons,  de  nostre 
conseil,  et  de  nostre  substance,  à  conserver  le  sien.  Et  s'iladvient 
que  nous  ayons  à  faire  avec  meschans  gens  et  trompeurs  :   que 

25  nous  soyons  prestz  plustost  de  quicter  du  nostre,  que  de  com- 
batre  avec  eulx  par  mesme  malice.  Et  non  seuUement  cela  : 
mais  quand  nous  verrons  aucuns  en  povreté  nous  commu- 
niquions à  leur  indigence,  et  soulagions  leur  nécessité  par 
nostre  abondance .  Finalement  qu'un  chascun  regarde    en  quoy 

30  il  est  obligé  du  debvoir  de  son  office  envers  les  autres,  à  fin 
de  s'en  acquitter  loyaument.  Par  ceste  raison,  l'honneur  que 
porte  le  peuple  à  ses  supérieurs,  se  soubzmettant  à  eux  de  bon 
cœur,  obéissant  à  leurs  loix  et  commandemens,  ne  refusant 
rien  qu  il     puisse  faire  sans  offenser  Dieu.   Dautrepart  que   les 

35  siiperieurs  ayent  soing  et  sollicitude  de  gouverner  leur  peuple, 
de  conserver  la  paix  partout,  deffendre  les  bons,  chas^tier 
les  mauvais ,  et  gouverner,  comme  ayantz  à  rendre  compte 
de  leur  office  à  Dieu  souverain  Juge.  Que  les  Ministres 
Ecclésiastiques   administrent  fidèlement   la  parolle  de   Dieu,   ne 


bË  LÀ  Lov.  164 

corrompantz  point  la  doctrine  de  salut,  mais  conservant/,  la 
pureté  d'icelle.  Et  que  non  seulement  ilz  instruisent  le  peuple 
en  bonne  doctrine  :  mais  aussi  en  exemple  de  vie.  Brief  qu'ilz 
président  comme  bons  pasteurs  sur  les  brebis  :  D'autrepart 
3  que  le  peuple  les  receoive  pour  mcssagiers  et  Apostres  de 
Dieu  :  leur  rendant  l'honneur  que  nostre  Seigneur  leur  attri- 
bue, et  leur  donnant  à  vivre  :  Que  les  parens  s'emploient  à 
nourrir,  instruire,  et  g-ouverner  leurs  enfans,  comme  leur 
estans  commis  de  Dieu,    ne  les  traictantz  point   trop   rigoreuse- 

10  ment,  pour  leur  faire  perdre  courage  :  mais  les  entretiennent  en 
douceur  et  bénignité  convenable  à  leur  personne  :  comme  il  a 
esté  dict  que  mutuellement  les  enfans  leur  doibvent  révérence  et 
subjection  :  Item,  Que  les  jeunes  portent  honneur  aux  vielles 
gens,  comme  nostre  Seigneur  a  voulu   cest  eage  là  estre  honno- 

13  rable  :  et  aussi  que  les  Anciens  taschent  de  dresser  les  jeunes  par 
leur  prudence,  ne  les  traictantz  point  par  trop  grande  rigueur, 
mais  usantz  d'une  gravité  tempérée  avec  douceur  et  facilité  : 
Que  les  serviteurs  se  rendent  serviables  à  leurs  maistres,  et  dili- 
gens  à   leur  complaire  :    et  non  point  seuUement    à  l'œil  :    mais 

20  aussi  de  cœur  comme  servantz  à  Dieu.  Que  les  maistres  aussi  ne 
se  rendent  point  trop  difficiles  et  intraictables  à  leurs  serviteurs  : 
les  oppi'imantz  de  trop  grande  rigueur,  ou  les  traictantz  con- 
tumelieusement  :  mais  plustost  qu'ilz  les  recongnoissent  pour 
frères  et    leurs    compaignons  au  service  de  Dieu  :   à  lin  de    les 

2o  entretenir  humainement.  Qu'en  ceste  manière  donc  un  chas- 
cun  repute  ce  qu'il  doibt  a  ses  prochains,  en  son  ordre  et 
degré  :  et  leur  rende  ce  qu'il  leur  doibt.  D'avantage  il  fault 
que  tousjours  nostre  memoyre  soit  dressée  au  législateur  : 
à  fin   qu'il   nous  souvienne,    que   ceste  reigle    n'est    pas  moins 

:jo  ordonnée  au  corps,  qu'à  l'ame  :  à  ce  qu'un  chascun  appbque 
sa  volunté  à  conserver  et  advancer  le  bien  et  utilité  de  tous 
hommes. 


Le  neufiesme  Commandement. 


Tu  ne  seras  point  faulx  tesmoing  contre  Ion  prochain. 

Institution.  Il 


162  CHAPITRE   m. 

La  fin  est  :  pource  que  Dieu,  qui  est  vérité,  ha  mensonge  en 
exécration  :  qu'il  nous  fault  garder  a  érité  sans  feintise.  La  somme 
donc  sera,  que  nous  ne  blessions  la  renommée  de  personne  par 
calumnies  ou   faulx   rapportz  :  ou   que  nous   le    grevions  en  sa 

5  substance.  Brief.  que  nous  ne  facions  tort  à  personne  :  ny  en 
médisant,  ni  en  nous  mocquant.  A  ceste  deffense  respond  le 
précepte  affirmatif  :  que  nous  aydions  un  chascun  fidèlement  à 
maintenir  la  vérité:  soit  pour  conserver  son  bien,  ou  sa  renom- 
mée. Il  appert  que  nostre  Seigneur  a  voulu  exposer  le  sens  de  ce 

10  précepte   au  23.  chapitre  d'Exode,  Disant,  Tu   ne   maintiendras 
parolle  de  mensonge  et  ne  te  conjoyndras  à  porter  faulx  tesmoi- 
gnage  pour  le  mensonge.  Item.  Tu  fuyras  tous   mensonges.    Et 
en  un  autre   lieu,    non  seulement  il  nous  detTend  d'estre  rappor-  Levi.  19. 
teurs,  détracteurs,  et  medisans  :    mais  aussi  de  decepvoir  nostre 

15 frère  :  car  il  parle  de  lun  et  l'autre  nomméement.  Certes  il  n'y 
a  doubte,  que,  comme  cy  dessus  il  a  voulu  corriger  cruauté, 
impudicité,  et  avarice  :  aussi  qu'il  veult  icy  reprimer  fausseté: 
laquelle  est  comprise  en  ces  deux  parties,  que  nous  avons  dictes. 
Car  ou  en  médisant  nous  blessons  la   renommée   de   nostre  pro- 

20  chain  :  ou  par  mensonges  et  paroUes  obliques  nous  empeschons 
son  proffit.  Or  il  ne  peut  challoir,  si  on  entend  icy  serment  solen- 
nel, qui  se  fait  en  jugement  :  ou  qui  se  fait  en  parolles  privées  : 
car  il  fault  tousjours  là  revenir  :  que  d'un  chascun  genre  de 
vices,  nostre  Seigneur  nous  propose  une  espèce  pour  exemple  : 

i.,  à  laquelle  il  fault  apporter  toutes  les  autres.  D'avantage  qu'il 
chovsist  celle,  en  laquelle  il  apparoist  plus  de  turpitude.  Combien 
que  j'avme  myeulx  prendre  ce  commandement  en  gênerai  :  d'au- 
tant que  faulx  tesmoignage  en  justice  n'est  jamais  sans  parjure. 
Or  du  parjure  il  en  a  esté  parlé  en  la  première   Table.   Mainte- 

30  nant  nous  vovons,  que,  pour  bien  observer  ce  précepte,  il  fault 
que  nous  facions  servir  nostre  bouche  à  nostre  prochain  en  véri- 
té :  tant  pour  luy  conserver  son  estime,  que  son  proffit.  L'équité 
est  bien  évidente.  Car  si  bonne  renommée  est  plus  précieuse  que 
thresor  quelconque  :  on  ne  fait  point  moindre    tort  à  l'homme, 

3oen  luv  ostant  sa  bonne  estime,  qu'en  le  despouillant  de  sa  sub- 
stance. D'autrepart  on  fait  aucunesfois  plus  de  dommage  au 
prochain  par  mensonge,  que  par  larrecin.  Xeantmoins  c'est 
merveilles,  comment  on  ne  se  soucye  point  d'offenser  en  cest 
endroit.    Car  il  y    en  a  bien  peu    qui    ne   soient  entaschez  bien 


DE    LA    LOV.  163 

fort  de  ce  vice  :  comme  tout  le  monde  est  enclin  à  espelu- 
cher  et  descouvrir  les  vices  d'autruy.  Et  ne  fault  penser, 
que  ce  soit  excuse  vaillable,  si  nous  ne  mentons  point  :  car 
celuv    qui   deffend  de   diffamer  le  prochain   en   mentant,    veult 

5  que  son  estime  soit  conservée,  entant  qu'il  se  peut  faire  avec 
vérité.  Car  combien  quil  ne  deffende  sinon  de  la  blesser  par 
mensonge  :  toutesfois  en  cela  il  signifie  qu'il  l'ha  en  recom- 
mendation.  Or  il  nous  doibt  bien  suffire,  quand  nous  vovons 
que  nostre    Seigneur  prent  ceste   solicitude,    que    nostre   pro- 

lochain  ne  soit  point  diffamé.  Parquoy  toute  detraction  est  icv 
condamnée  sans  doubte.  Par  detraction,  nous  entendons,  non 
point  reprehension  qui  se  fait  pour  corriger  l'homme  :  non 
point  accusation  judiciaire,  qui  se  fait  pour  remédier  aux  vices  : 
non   point    correction  publique,    qui  se    fait   de  quelqu'un  pour 

li donner  crainte  aux  autres:  non  point  advertissement,  qu'on 
fait  de  la  meschanceté  d'un  homme  à  ceux  ausquelz  il  est  expé- 
dient de  la  congnoistre,  à  fin  de  n'en  estre  point  abusez  :  mais 
injure  odieuse,  laquelle  se  fait  de  mauvais  vouloir,  ou  de  cupi- 
dité de    mesdire.  D'avantage   ce   précepte   s'estend   jusques   là, 

20  que  nous  n'affections  point  une  plai.santerie  d'honnesteté,  et 
une  grâce  de  brocarder  et  mordre,  en  riant  les  uns  et  les  autres  : 
comme  font  aucuns,  qui  se  baignent,  quand  ilz  peuvent  faire  ver- 
gongne  à  quelqu'un.  Car  par  telle  intempérance  souventesfois 
quelque  marque  demeure  sur  l'homme  qu'on  a  ainsi  noté.  Main- 

2.)  tenant  si  nous  considérons  le  législateur,  lequel  ne  doibt  pas 
moins  dominer  sur  les  aureilles  et  sur  les  cœurs,  que  sur  les 
langues  :  nous  congnoistrons  qu'icy  la  cupidité  d'ouyr  les  détrac- 
teurs, et  la  promptitude  de  leur  prester  l'aureille,  et  de  croyre 
legicrement  à  leurs  mauvais  rapportz,  n'est  pas  moins  deffendue, 

30  que  de  detracter.  Car  ce  seroit  une  mocquerie,  de  dire  que  Dieu 
hayst  le  vice  de  malefîcence  en  la  langue  :  et  qu'il  ne  reprouvast 
point  la  malignité  du  cœur.  Pourtant  si  nous  portons  vraye 
crainte  et  amour  à  Dieu  :  mettons  peine,  tant  qu'il  est  possible 
et  expédient,  et  entant  que  la  charité  requiert,  de  ne  point  accom- 

3omoder,  ne  les  aureilles,  ne  la  langue,  à  blasme,  detraction,  ou 
broucardise  :  de  ne  donner  point  facilement  lieu  en  nostre  cœur 
à  mauvaises  suspicions  :  mais  prenantz  en  bonne  part  les  faictz 
et  dictzde  tout  le  monde,  conservons  en  toute  manière  l'honneur 
à  un  chascun. 


164  CHAPITRE    m. 


Le  dixiesme  Commandement. 

Tu   ne   convoiteras  point  la  maison  de  ton  prochain,  et  ne 
désireras  point  sa  femme,  ne  son  serviteur,  ne  sa  cham- 
brière, ne  son  beuf,  ne  son  asne,  ne  nulle  des  choses  qui 
5      sont  à  luy. 

La  fin  est  :  Pource  que  Dieu  veult  que  toute  nostre  ame  soit 
remplie  et  possédée  d'afTection  de  charité  :  qu'il  fault  jetter  hors 
de  nostre  cœur  toute  cupidité  contraire.  La  somme  donc  sera, 
qu'il   ne    nous    vienne    aucune  pensée  en  l'entendement,    pour 

10  esmouvoir  nostre  cœur  à  concupiscence  :  laquelle  emporte  nuy- 
sance  ou  détriment  à  nostre  prochain.  A  quoy  respond  d'autre- 
part  le  précepte  affirmatif.  C'est,  que  quelque  chose  que  nous 
concevions,  délibérions,  ou  appetions,  ou  poursuivions  :  que  cela 
soit  conjoinct  avec  le  bien  et  utilité  de  nostre  prochain.  Mais  il  y 

15  a  icy  une  grande  difficulté.  Car  si  ce  que  nous  avons  dict  par  cy 
devant  est  vray  :  que  nostre  Seigneur,  en  delTendant  paillardise 
et  larrecin,  par  cela  deffendoit  impudicité,  et  tout  vouloir  de 
nuyre,  tromper,  et  desrober  :  il  sembleroit  advis  estre  superflu, 
de  maintenant  interdire  séparément  la  concupiscence   des  biens 

2od'autruy.  Toutesfois  nous  pourrons  souldre  ceste  question,  en 
considérant  quelle  différence  il  y  a  entre  conseil  et  concupis- 
cience.  Car  nous  appelions  conseil,  un  propoz  délibéré  de  la 
volunté  :  quand  le  cœur  de  l'homme  est  vaincu  et  subjugué  par 
la  tentation.    Concupiscence    peut  estre   sans  telle    délibération 

25  ou  consentement  :  quand  le  cœur  est  seulement  chatouillé  et 
picqué  de  commettre  quelque  meschanceté.  Parquoy,  comme 
cy  dessus,  le  Seigneur  a  voulu,  que  les  voluntez,  entre- 
prinses,  et  œuvres  de  l'homme  fussent  modérées  selon  la 
reigle  de    charité  :  ainsi  maintenant  il  veult,  que  les  pensées  de 

30  l'entendement  y  soient  aussi  rapportées  :  à  ce  qu'il  n'y  en 
ayt  nulle  qui  incite  au  contraire.  Comme  auparavant  il  a 
deffendu,  que  le  cœur  ne  fust  induit  à  ire,  hayne,  paillardise, 
rapine,  mensonge  :  ainsi  à  présent  il  deffend,  qu'il  n'y  soit 
provoqué  ou  esmeu.  Et   n'est  pas  sans  cause,  qu'il  requiert  une 

33  si    grande   droiture.    Car,     qui     est-ce   qui    nyera    que     ce    ne 


DE    LA    LOY.  165 

soit  raison  que  toutes  les  vertuz  de  l'a  me  soient  applic- 
quées  à  charité  ?  Et  si  aucune  en  est  destournée,  qui  est-ce 
qui  nyera  qu'elle  ne  soit  vicieuse  ?  Or,  dont  vient  cela,  que 
quelque  cupidité  dommageuse  à  Ion  prochain  entre  en  ton 
5  entendement  ;  sinon  d'avitant,  qu'en  neglig^eant  les  autres,  tu 
cherches  seulement  ton  protTict  ?  Car  si  tout  ton  cœur  estoit 
occupé  de  charité  :  nulle  telle  imagination  n'y  auroit  entrée.  Il 
fault  donc  dire,  qu'il  est  vuide  de  charité,  entant  qu'il  receoit 
telles  concupiscences.  Quelqu'un  objectera,  qu'il  n'est  pas  toutes- 

10  lois  convenable  que  les  phantasies,  qui  voltigent  au  cerveau,  et 
après  s'esvanouyssent,  soient  condamnées  pour  concupiscences  : 
lesquelles  ont  leur  siège  dedens  le  cœur.  Je  respondz,  qu'il  est 
icy  question  des  phantasies.  lesquelles  non  seulement  passent  au 
travers  du  cerveau  :    mais  aussi  poignent  le   cœur  de  concupis- 

iscence:  veu  que  jamais  nous  ne  concevons  en  la  pensée  quelque 
désir  ou  souhayt,  que  le  cœur  n'en  soit  touché  et  emflambé. 
Nostre  Seigneur  donc  commande  une  merveilleuse  ardeur  de 
charité  :  laquelle  il  ne  veult  estre  empeschée  de  la  moindre  con- 
cupiscence   du    monde.    11   requiert  un   cœur  merveilleusement 

20  tempéré  :  lequel  il  ne  veult  estre  aucunement  picqué  d'un  seul 
aiguillon  contre  la  loy  de  charité.  Sainct  Augustin  m'a  faict 
ouverture  à  entendre  ce  précepte  :  à  fin  qu  il  ne  semble  à  quel- 
qu'un que  je  soye  seul  en  mon  opinion.  Or  combien  que  l'inten- 
tion de  Dieu  a  esté,    de    delFendre   toute    mauvaise    cupidité  : 

25neantmoins  il  amis  pour  exemple  les  objectz,  qui  ont  accous- 
tumé  le  plus  souvent  de  nous  attirer  et  décevoir.  Enquoy  faisant, 
il  ne  permet  rien  à  la  cupidité  de  l'homme  quand  il  la  retire  des 
choses,  esquelles  elle  est  principalement  enclinée.  Nous  avons 
maintenant  la  seconde  Table  de  la  Loy  :  laquelle  nous  admoneste 

30  amplement  de  ce  que  nous  debvons  aux  hommes  pour  l'amour 
de  Dieu  :  sur  lequel  est  fondée  la  charité.  Parquoy  on 
auroit  beau  inculquer  les  choses  qui  sont  enseignées  en  ceste 
seconde  Table  :  sinon  que  telle  doctrine  fust  premièrement 
appuyée  sur  la  crainte  et  révérence  de  Dieu,  comme  sur  son  fon- 

35  dément. 

Il  ne  sera  pas  maintenant  difficile  à  juger,  quel  est  le  but 
de  la  Loy  :  à  scavoir  une  justice  parfaicte,  à  ce  que  la  vie  de 
l'homme  soit  conformée  à  la  pureté  de  Dieu,  comme  à  un 
patron.    Car    nostre  Seigneur   a    tellement   depeinct  sa   nature 


166  CHAPITHK    m. 

en  la  Loy,  que  si  quelqu'un  accomplissoit  ce  qui  est  com- 
mandé ,  il  representeroit  en  sa  vie  limage  de  Dieu .  Pour- 
tant Moyse ,  voulant  sommairement  reduyre  en  mémoire  au  Deui.  20. 
peuple  d'Israël  ses  commandemens  :  Et  qu'est-ce  Israël  (disoit- 
5  il)  que  te  commande  ton  Dieu  :  sinon  que  tu  le  craig-nes  et 
chemines  en  ses  voyes  ?  que  tu  l'aymes  ;  et  que  tu  le  serves 
en  tout  ton  cœur;  de  toute  ton  ame  ;  et  garde  ses  commande- 
mens ?  Et  ne  cessoit  de  leur  repeter  cela  toutesfois  et  quantes 
qu'il  vouloit  remonstrer  la  fin  de  la  Loy.  Voylà  donc  à  quoy 
10  regarde  la  doctrine  de  la  Loy  :  c'est  de  conjoyndre  1  homme 
par  saincteté  de  vie  à  son  Dieu  :  et  comme  Moyse  dit  en  Deu.  II. 
un  autre  lieu,  le  faire  adhérer  avec  luy.  Or  l'acomplissement 
de  ceste  saincteté  gist  en  ces  deux  articles  :  que  nous  armions 
le  Seigneur  Dieu  de  tout  nostre  cœur,  de  toute  nostre  ame,  et  Mal.  22. 
15  de  toutez  noz  forces  :  en  après  nostre  prochain  comme  nous- 
mesmes.  Le  premier  donc  est,  que  nostre  ame  soit  entièrement 
remplie  de  la  charité  de  Dieu.  De  là  après  s'ensuyvra  la  dilec-  l.Timo.l 
tion  de  nostre  prochain.  C'est  ce  qu'entend  l'Apostre,  quand  il 
dit,  que  la  fin  des  commandemens  est  charité,  de  conscience 
20  pure,  et  foy  non  faincte.  Nous  \oyons  comment  la  bonne  cons- 
cience et  la  Foy,  c'est  à  dire  en  un  mot  la  pieté  et  crainte  de 
Dieu,  est  mise  au  dessus,  comme  au  chef:  et  delà  après  est  des- 
duicte  charité.  Ce  seroit  donc  folie,  de  penser  que  la  Loy  n'en- 
seignast  sinon  quelque  petiz  rudimens  de  justice,  pour  introduire 
2  ■  seulement  les  hommes  à  un  commencement  :  et  nompas  pour 
les  conduire  en  parfaicte  voye  :  veu  que  nous  ne  scaurions 
désirer  une  plus  grande  perfection,  que  celle  qui  est  comprinse 
en  la  sentence  de  Moyse,  et  celle  de  Sainct  Paul.  Car  où  voudra 
tendre  celuy.  qui  ne  sera  point  content  de  l'instruction  ;  par 
30 laquelle  l'homme  est  dressé  et  formé  à  la  crainte  de  Dieu;  au 
service  spirituel  de  sa  majesté  ;  à  l'obeyssance  des  commande- 
mens ;  à  la  droicture  de  Dieu  ;  et  de  sa  voye  ;  finalement  à 
pureté  de  conscience  ;  syncerité  de  foy  ;  et  dilection  ?  Par  laquelle 
raison  est  confermée  l'exposition  que  nous  avons  mise,  en  rédui- 
ts sant  aux  commandemens  de  la  Loy  tout  ce  qui  est  requis  à  piété 
et  charité.  Car  ceulx  qui  s'arrestent  à  je  ne  scay  quelz  elemens, 
comme  si  elle  n'enseignoit  qu'à  demy  la  volunté  de  Dieu,  ne 
tiennent  point  bien  la  fin  d  icelle,  comme  dit  l'Apostre. 

Toutesfois    pource  que    Christ   et   ses  Apostres    aucunesfois 


HE    LA    l,OV.  I(>7 

en  recitant  la  somme  de  la  Loy,  ne  font  nulle  mention  de  la  pre- 
mière Table  :  il  fault  que  nous  touchions  un  mot  de  cela  ;  à 
cause  que  plusieurs  si  abusent,  refferans  les  parolles  k  toute  la 
Loy,  lesquelles  sont  dictes  de  la  moitié.  Christ  en  Sainct  Mathieu  Mut .2'i . 
3  dit.  que  le  principal  de  la  Loy,  gist  en  miséricorde,  jug^ement, 
et  Foy.  Par  ce  mot  de  Foy.  il  n'y  a  doubte  qu'il  ne  signifie 
vérité.  Neantmoins  pour  estendre  cette  sentence  à  la  Loy  uni- 
verselle, aucuns  prennent  le  mot  de  Foy,  pour  relig-ion.  Ce  qui 
est  frivole   :    car    Christ    parle    là    des    œuvres    par   lesquelles 

10 l'homme  doibt  faire  apparoistre  sa  justice.  Si  nous  observons 
ceste  raison,  il  ne  nous  sera  point  de  merveille,  pourquoy  en  un 
autre  lieu,  estant  interrogué,  quelz  sont  les  commandemens 
qu  il  fault  observer  pour  entrer  en  la  vie  éternelle  :  il  respond, 
que  [c]e  sont  ceulx  qui  s'ensuyvent.  Tu  ne  tueras  point.   Tu  ne 

13  paillarderas  point.    Tu  ne  desroberas  point.    Tu  ne  diras  point  V.//.   19. 
faulx  tesmovguag-e.  Tu  honoreras  père  et  mère.  Tu  aymeras  ton 
prochain   comme  toymesme.    Car   l'observation   de    la  première 
Table  estoit   située  ou   en   l'affection  intérieure   du  cœur  ou  en 
cérémonies.  Lall'ection  du  cœur  n'apparoissoit  point.  Les  hypo- 

2ocrites  observoient  les  cérémonies  plus  diligemment  que  tous 
autres.  Ce  sont  donc  les  œuvres  de  charité,  qui  rendent  plus 
certain  tesmoignage  de  la  justice.  Mais  quelqu'un  demandera,  s'il 
y  a  plus  grand'importance,  pour  obtenir  justice,  de  vivre  bien  et 
loyaument  entre  les  hommes,  que  de  craindre  Dieu,  et  l'honorer 

25  par  pieté  ?  A  cela  je  respondz  que  non.  Mais  pource  que  nul  ne 
peut  facilement  garder  charité  du  tout,  que  premièrement  il  ne 
craigne  Dieu  :  Les  œuvres  de  charité  font  approbation  mesme 
de  la  pieté  de  l'homme.  D'avantage,  comme  ainsi  soit  que 
Dieu  ne  puisse  recevoir  aucun  bien  faict  de  nous,    comme  il  dit 

30  par  son  Prophète  :  il  ne  requiert  point  que  nous  nous  employons  Psal.    16. 
à  luy    faire    du    bien   :  mais    il   nous    exerce   en  bonnes  œuvres 
envers  nostre  prochain.    Parquoy  ce  n'est  point  sans  cause  ,  que  Ephe.  I . 
Sainct  Paul  constitue  toute   la  perfection  du  fidèle   en  charité.  Rom.   13. 
Et  en  autre  passage,    il  l'appelle   l'accomplissement  de  la  Loy  : 

33  disant    que  celuy  qui  ayme    son  prochain,  a   accomply   la  Loy. 

Puis  après   dit,  qu'elle  est  entièrement  comprinse  soubz  ce  mot  .  Gai.   3. 
Tu  aymeras  ton    prochain   comme  toymesme.  Car  il  n'enseigne 
rien  d'avantage,  que  ce  que  dit  le  Seigneur  en   ceste   sentence  ; 
Tout  ce   que  vous  voulez   que    vous  facent  les  hommes,  faictes 


168  CHAPITRE   ni. 

leur  :  car  en  cela  g-ist  la  Loy  et  les  Prophètes.  Il  est  certain,  que 
tant  la  Loy  que  les  Prophètes,  donnent  le  premier  lieu  à  la  Foy,  Matih.S. 
et  à  la  révérence  du  nom  de  Dieu  :  puis  après  recommandent  la 
dilection  envers  le  prochain.  Mais  le  Seigneur  entend,  que  là  il 
5  nous  est  seulement  commandé  d'observer  droicture  et  équité 
envers  les  hommes,  pour  testifier  la  crainte  de  Dieu,  si  elle  est 
en  nous.  Arrestons  nous  donc  à  ce  point  :  que  lors  nostre  vie 
sera  bien  ordonnée  à  la  Aolunté  de  Dieu,  et  au  commande- 
ment de    la    Loy  si  elle  est  profTitable    en    toute  manière  à    noz 

10  frères.  Au  contraire  en  toute  la  Loy  on  ne  lit  point  ime  seule 
syllabe,  qui  donne  reig-le  à  l'homme  de  ce  qu'il  doibve  faire  ou 
laisser  pour  son  profïît.  Et  certes  puis  que  les  hommes,  de  leur 
naturel,  sont  trop  plus  enclins  à  s'aymer  qu'il  ne  seroit  de  mes- 
tier  :  il    ne    failloit    ja    leur   donner    commandement   pour    les 

15  enflamber  à  cest  amour  qui  de  soymesme  excedoit  mesure.  Dont 
il  est  évident,  que  non  point  Tamour  de  nousmesmes,  mais  de 
Dieu,  et  de  nostre  prochain,  est  l'observation  des  commande- 
mens.  Et  pourtant,  que  cestuy-là  vit  tresbien,  qui  le  moins  qu'il 
luy  est   possible   vit   à  soymesme  :  D'autrepart    que  nul  ne  vit 

20  plus  desordonnéement,  que  celuy  qui  vit  à  soy,  et  ne  pense  qu'à 
son  proffit.  Mesmes  le  Seigneur,  à  tîn  de  myeux  exprimer,  quelle 
affection  d'amour  nous  debvons  à  nostre  prochain,  nous  renvoyé 
à  l'amour  de  nous  mesmes  :  et  nous  le  propose  pour  reigle  et 
patron.  Ce  qui  est  diligemment  à  considérer.  Car  il  ne  fault  point 

25  prendre    ceste   similitude,  comme  d'aucuns    Sophistes  :  qui  ont 
pensé  qu'il  commandoit  à  chascun  de  s'aymer  en  premier  lieu, 
puis  après  son  prochain.  Mais  plutost  il  a  voulu  transférer  aux 
autres  l'amour  que  nous  attirons  à  nous.  Parquoy  l'Apostre  dit,  I. Cor. 13. 
que  charité  ne  cherche  point  son  proftît   particulier.  Et  ne  vault 

30  pas  un  festu  la  raison  qu  ilz  allèguent  :  c'est  que  la  reigle  précède 
la  chose,  qui  est  compassée  à  icelle.  Or  il  est  ainsi,  disent-ilz, 
que  nostre  Seigneur  compassé  la  charité  de  nostre  prochain  à 
l'amour  de  nous  mesmes.  Je  respons,  que  nostre  Seigneur  ne 
constitue  point  cest  amour  de  nous  mesmes   comme   une  reigle, 

35  à  laquelle  soit  reduicte  la  dilection  de  nostre  prochain,  comme 
inférieure.  Mais  au  lieu  que  de  nostre  perversité  naturelle  nostre 
amour  reposoit  en  nous,  il  monstre  qu'il  fault  quelle  s'espande 
aillieurs  :  à  fin  que  nous  ne  soyons  point  moins  prestz  à  bien  faire 
aux  autres  qu'a  nous  mesmes , 


DE    LA    LOY.  169 

Oultreplus,  puis  que  soubz  le  nom  de  prochain  lesus  Christ, 
en  hi  parabole  du  Samaritain,  a  monstre  que  le  plus  estrange  Luc  10. 
du  monde  est  contenu  :  il  ne  nous  t'ault  restreindre  le  pré- 
cepte de  dilection  à  ceux,  qui  ont  quelque  alliance  ou  affinité 
5  avec  nous.  Je  ne  nye  point,  que  d'autant  qu'un  chascun  nous  est 
plus  conjoinct,  nous  ne  luy  debvions  ayder  plus  familièrement. 
Car  la  reigle  d'humanité  porte  cela,  que  d'autant  que  nous 
sommes  conjoinctz  de  plus  prochains  liens,  ou  de  parentag-e,  ou 
d'amytié,  ou  de  voysinage  :  que  nous  ayons  d'autant  plus  à  faire 

10  les  uns  aux  autres  :  et  cela  sans  offenser  Dieu,  duquel  la  provi- 
dence nous  meine  à  ainsi  faire.  Mais  je  diz  ce  pendant,  qu'il  nous 
fault  embrasser  en  affection  de  charité  tous  hommes  générale- 
ment, sans  en  excepter  un,  sans  faire  différence  entre  le  Grec  et 
le  Barbare,  sans  reg^arder   s'ilz  en  sont    dij:çnes  ou  indignes,  s'ilz 

13  sont  amis  ou  ennemis  ;  car  il  les  fault  considérer  en  Dieu  :  non 
pas  en  eulx  mesmes  :  Duquel  regard  quand  nous  nous  destour- 
nons :  ce  n'est  point  merveille,  si  nous  tombons  en  plusieurs 
erreurs.  Pourtant  si  nous  voulons  tenir  la  droite  voye  de  dilec- 
tion, il  ne  nous  fault  point  jetter  l'œil  sur  les  hommes  :  desquelz 

20  la  considération  nous  contraindroyt  le  plus  souvent  à  les  hayr 
qu'à  les  aymer.  Mais  il  nous  fault  regarder  Dieu  :  lequel  nous 
commande  d'estendre  lamour,  que  nous  luy  portons,  envers  tous 
hommes  :  Tellement  que  nous  ayons  tousjours  ce  fondement. 
Quel  que  soit  l'homme,  il  nous  le  fault  toutesfois  aymer,  si  nous 

25  aymons  Dieu.  Parquoy  ce  a  esté  une  ignorance,  ou  malice  per- 
nitieuse,  que  les  docteurs  scholastiques,  des  commandemens  que 
nostre  Seigneur  a  baillez,  de  ne  point  appeter  vengeance,  et 
d'aymer  noz  ennemis,  en  ont  faict  des  simples  conseilz  :  aus- 
quelz  ils  disent  qu'il  est  libre  d'obtempérer,  ou  ne  point  obtem- 

soperer.  Et  ont  dict,  qu'il  n'y  avoit  que  les  Moynes,  qvii  fussent 
subjectz  à  les  tenir  nécessairement  :  ausquels  ilz  ont  attribué 
une  justice  plus  parfaicte  qu'aux  Chrestiens  à  cause  qu'ilz  s'obli- 
geoient  de  garder  les  conseilz  tlvangeliques,  comme  ilz  les 
appellent.  Hz  allèguent  la  raison,  pourquoy  ilz  ne  le    receoyvent 

35  point  pour  préceptes.  C'est  à  cause  qu'ilz  sont  trop  griefz  et 
difficiles  :  mesmes  au  Chrestiens,  qui  sont  soubz  la  loy  de  grâce. 
Mais  est-ce  ainsi  qu'ilz  osent  abolir  la  Loy  de  Dieu  éternelle  ; 
touchant  d'aymer  le  prochain  ?  Pourra-on  trouver  une  telle  dif- 
férence en    toute   l'Escriture  ;    et    non   plustost    le   contraire    ; 


170  CHAPITKE    in. 

à     scavoir    plusieurs    comniandemens,    qui    nous    «^njoyno^nent 
estroictement  d'aymer  noz  ennemis  ?    Car,   qu'est-ce    que  veult  Prov.  2S. 
dire  cela  ;   que  nous  debvons  repaistre  nostre  ennemy  quand  il  Exod.  23. 
aura  fain  ?  que  nous  debvons  redresser  en  la  voye  son  beuf  et  son 

3asne  quand  ilz  seront  esg-arez  ?  et  que  nous  les  devons  relever  ; 
silzsont  tomlîez  soul^z  quelques  fardeaulx  ?  Ferons  nous  bien  aux 
bestes  de  noz  ennemis  ;  en  ne  leur  portant  nul  amour  ?  Ouoy  ?  Dent.  32. 
Nest-ce  pas  une  parolle  éternelle  de  Dieu  ;  qu'à  luy  seul  appar- 
tient la   vengeance  ;    et  qu  il  rendra   à  un   chascun    ce    qui  luy 

10  appartient.  Ce  qui  est  dict  plus  expressément  en  un  autre  lieu  : 
Tu    ne   chercheras   point    vengeance    :  et  ne  te  souviendra  point  Levi.  19. 
des  injures  que  t'auront  faict  tes   prochains.  Ou  qu'ilz    effacent 
ces  articles  de  la  Foy  :  ou  quilz  confessent,    qu'il   a  voulu  estre 
Législateur    ou   commandant  cela,  et    non    point    un  conseiller, 

li  comme  ilz  songent.  D'avantage  que  veulent  dire  ces  parolles, 
quilz  ont  dépravées  par  une  sotte  glose  ?  Aymez  vos  ennemis, 
dit  nostre  Seigneur  :  faictes  bien  à  ceux  qui  vous  hayssent,  priez 
pour  ceux  qui  vous  persécutent,  dictes  bien  de  ceux  qui  vous 
detractent,  à  fin  que  vous  soyez  enfans  de  vostre  père,    qui   est 

20  au  ciel.  Qui  est-ce  qui  ne  pourra  conclurre  avec  Chrysostome 
que  dune  cause  si  nécessaire  ;  il  appert  que  ce  ne  sont  point 
exhortations  :  mais  préceptes  ?  Qu'est-ce  qu'il  nous  reste  plus  ; 
si  nostre  Seigneur  nous  efface  du  nombre  de  ses  enfans  ? 
Selon  l'opinion  de  ces  Rabbins,  il  n  y  aura  que  les  Moynes,  qui 

2"<  soient  enfans  de  Dieu  :  qui  osent  invoquer  Dieu  pour  leur 
père.  Que  deviendra  ce  pendant  l'Eglise  ?  Par  ceste  raison  elle 
sera  renvoyée  avec  les  Payens  et  Publicains.  Car  nostre  Sei- 
gneur dit  consequemment  ;  Si  vous  aymez  seulement  vos  enne- 
mys  ;  quelle  grâce  en  attendez  vous?  Les    Payens   et  Publicains 

30  en  font  bien  autant.  Nous  serons  donc  bien  arrivez,  d'avoir 
le  tiltre  de  chrestiens  ;  et  que  l'héritage  céleste  nous  soit 
osté.  Pourtant  telle  manière  de  gens  se  monstrent  bien  estre 
enfans  de  Sathan  :  quand  il  rejectent  ainsi  hardiment  le  joug, 
qui  est  commune  tous  enfans  de  Dieu.    Et  de  faict,   je   ne   scay 

35  si  je  me  doibz  plus  esmerveiller  de  leur  bestise.  ou  impu- 
dence, en  ce  quilz  ont  publié  ceste  doctrine.  Car  il  n'y  a  nul 
des  anciens,  qui  ne  prononce  sans  doubte,  comme  d'une  chose 
résolue,  que  ic]e  sont  tous  préceptes.  Mesmes  on  voit  bien 
que   du    temps    de    Sainct    Grégoire    on    n'en    doul)toit    point  : 


M-:    LA    LOV 


171 


veii  que,  sans  en  faire  difficulté,  ilz  les  compte  pour  préceptes. 
Mais  voyons  combien  ilz  arguent  folement.  Ce  seroit,  disent- 
ilz,  un  fardeau  trop  grief  aux  Chrestiens.  Comme  s'il  se  pou- 
voit  rien  imaginer  plus  grief,  que  d'aymer  Dieu  de  tout  nostre 
">ca'ur,  de  toute  nostre  ame,  et  de  toutes  noz  forces.  Au  pris  de 
ce  commandement,  il  n'y  a  rien  qui  ne  soit  facile  :  soit  qu'il 
faille  aymer  nostre  ennemy,  soit  qu'il  faille  nous  démettre 
de  toute  cupidité  de  vengeance.  Certes  tout  ce  (jui  est  en  la  Loy, 
jusques  au  moindre  poinct,  est  hault   et   difficile  à  nostre  imbe- 

10  cilité  :  il  n'y  a  que  Dieu  seul,  par  lequel  nous  cheminions  ver- 
tueusement, (|u'il  donne  de  faire  ch'  cju'il  connnande  :  et  qu  il 
commande  ce  qu'il  vouldra.  Ce  quilz  allèguent,  que  les  Chres- 
tiens sont  soubz  la  Loy  de  grâce,  cela  n'est  [)as  à  dire  quilz 
doibvent  cheminer    desordonnement,    comme  à    bride   avallée  : 

limais  c'est  qu'ilz  sont  inserez  en  (Christ  ;  par  la  grâce  duquel  ilz 
sont  libres  de  la  malédiction  de  la  Loy  :  et  par  l'esprit  duquel 
ilz  ont  la  Loy  escrite  en  leurs  C(eurs.  Sainct  Paul  appelle 
ceste  grâce,  loy.  improprement  :  voulant  retenir  la  simili- 
tude   qu'il    avoit    prinse,    accomparant    1  une   avec    l'autre.     Ces 

îofolastres,  sans  propoz,  prennent  un  grand  mystère  en  ce  mot  de 
Loy. 

Il  y  a  autant  de  j)ropoz  à  ce  qu'ilz  ont  dict  du  péché  originel  : 
appellantz  péché  originel,  tant  l'inqDieté  cachée  contre  Dieu, 
laquelle  contrevient  à  la   première   Table  de  la    Loy  :  comme  la 

25  transgression  évidente  du  dernier  commandement.  Car  ceste  est 
leur  deffinition,  que,  péché  originel  est  cupidité  mauvaise,  sans 
consentement  délibéré  :  laquelle  ne  repose  point  long  temps 
dedens  le  cœur.  Or  je  diz  au  contraire,  que  nulle  mauvaise  cupi- 
dité ne  peut  entrer  dedens  le  cœur  :  sinon  en  deffault    de  ce  qui 

30  est  requis  en  la  Loy.  Il  nous  est  detTendu,  d'avoir  des  Dieux 
estranges.  Quand  l'ame,  tentée  de  deffiance,  regarde  cà  et  là,  et 
vacille  :  quand  elle  est  esmeuë  de  chercher  sa  béatitude  aillieurs 
qu'en  Dieu  :  Dont  viennent  ces  mouvemens,  quelc[ues  legiers 
qu'ilz  soient  :  sinon  qu'il  y  a  quelque   chose    vuide   en   lame  ; 

3o  pour  recevoir  telles  tentations  ?  Et  à  fin  qu'il  ne  faille  point 
longuement  argumenter  :  il  nous  est  commandé  d'aymer  Dieu 
de  tout  nostre  cœur,  de  toute  nostre  ame,  et  de  toute  nostre 
pensée.  Parquoy  si  toutes  les  forces  et  parties  de  l'ame  ne  sont 
appliquées  à  l'amour  de  Dieu  :    nous  déclinons  de   l'obeyssance 


172  CHAPITRE    III. 

de  la  Loy.  Car  quand  les  tentations,  qui  sont  ennemies  et 
contraires  au  Règne  de  Dieu,  ont  quelque  vigueur  à  nous 
esbranler,  ou  mettre  le  moindre  empeschement  du  monde 
en  nostre  pensée,  à  ce  que  Dieu  ne  soit  entièrement  obey. 
5  et  sa  volunté  observée  sans  aucun  contredict  :  C'est  signe 
que  son  règne  n'est  pas  bien  confermé  en  nostre  conscience. 
D'avantage  nous  avons  monstre,  que  le  dernier  commande- 
ment se  réfère  proprement  à  cela  Y  a-il  donc  quelque  mau- 
vais désir  qui  nous  ayt  picqué  le  cœur  ?  Desja  nous  sommes 
lotenuz  coulpables  de  concupiscence  :  et  par  conséquent  trans- 
gresseurs  de  la  Loy.  Car  le  Seigneur  non  seulement  a  defîendu 
de  délibérer  et  machiner  ce  qui  est  au  détriment  du  prochain  : 
mais  aussi  destre  stimulé  ou  emflambé  d'aucune  concupis- 
cence. Or.  où  il  y  a  transgression  de  la  Loy,  là  est  apprestée 
15  malédiction  de  Dieu.  Il  ne  fault  point  donc  que  nous  exemp- 
tions de  condemnation  de  mort  les  moindres  concupiscences 
qui  puissent  estre.  Je  voudroye  que  telles  gens  reputassent,  que 
c'est  que  veult  dire  ceste  parolle  de  Christ  ;  que  celuv  qui 
aura  transgressé  l'un  des  plus  petis  commandemens,  et  aura 
20  ainsi  enseigné  les  hommes,  ne  sera  en  nulle  estime  au  Royaume  . 
des  cieulx.  Ne  sont-ilz  pas  de  ce  nombre  là  ;  quand  ilz  osent 
tellement  exténuer  la  transgression  de  la  Loy  ;  comme  si  elle 
n'estoit  pas  digne  de  mort?  Mais  ilz  debvoient  considérer,  nompas 
seulement  ce  qui  est  commandé  :  mais  qui  est  celuy  qui  com- 
as mande.  Car  il  n'y  a  si  petite  transgression,  en  laquelle  on  ne 
derogue  à  son  auctorité.  Est  ce  peu  de  chose,  à  leur  opinion? 
que  la  majesté  de  Dieu  soit  violée  en  quekjue  endroit  ?  D'avan- 
tage, si  le  Seigneur  a  declairé  en  la  Loy  sa  volunté  :  tout  ce  qui 
contrevient  à  la  Loy  luy  deplaist.  Et  pensent-ilz  que  l'ire  de  Dieu 
30  soit  si  foyble  et  desarmée  :  que  la  vengeance  ne  s'en  ensuyve 
incontinent  ?  Et  de  faict,  il  l'a  assez  declairé,  s'ilz  se  pouvoient 
renger  à  escouter  sa  voix,  plustost  que  par  leurs  subtilitez  frivoles 
obscurcir  sa  vérité.  L'ame,  dit-il,  laquelle  aura  péché,  mourra  Ezec  11 
de  mort.  Item,  Le  loyer  de  péché,  c'est  mort.  Ceulx-cy,  confes-  Rom.  6. 
35  santz  concupiscence  estre  péché,  pource  qu'ilz  ne  le  peuvent 
nyer  :  maintiennent  toutesfois  que  ce  n'est  point  péché  mortel. 
Puis  qu'ilz  ont  si  longuement  tenu  bon  en  leur  folie  :  pour  le 
moins  qu'ilz  s'amendent  maintenant.  Que  s'ilz  veulent  tous- 
jours  persévérer    en   leur  obstination  :  que  les  enfans    de   Dieu 


DE    LA   LOY,  173 

les  laissent  là,  et  recongnoissent  que  tout  péché  est  mortel  : 
veu  que  c'est  rébellion  contre  la  volunté  de  Dieu,  laquelle 
nécessairement  provocque  son  ire  :  veu  que  c'est  transgres- 
sion de  la  Loy,  sur  laquelle  est  dénoncée  la  mort  eter- 
■ïnelle,  sans  exception  aucune.  Touchant  des  péchez,  que 
commettent  les  sainctz  et  fidèles,  ilz  sont  bien  venielz  : 
mais  c'est  de  la  miséricorde  de  Dieu,  et  non  point  de  leur 
nature. 

De  ce  que   nous   avons  arresté    ex  dessus,    que  la  Loy  nous 

ii^instruict  en  perfection  de  justice,  il  s'ensuyt  pareillement,  que 
l'observation  entière  de  la  Loy,  est  entière  justice  devant  Dieu  : 
par  laquelle  l'homme  puisse  estre  réputé  juste  devant  son 
Throsne  céleste.  Pourtant  Moyse,  ayant  publié  la  Loy,  ne  fait 
point  de  doubte  d'appeller  en  tesmoing  le  Ciel  et  la  Terre,   qu'il  Dent.  30. 

lîa  proposé  au  peuple  d'Israël  la  vie  et  la  mort,  le  bien  et  le  mal. 
Et  ne  pouvons  contredire,  que  l'obeyssance  entière  de  la  Loy  ne 
soit  rémunérée  de  la  vie  éternelle:  comme  le  Seigneur  l'a  promis. 
Toutesfois  il  nous  fault  d'autrepart  considérer,  à  scavoir  si  nous 
accomplissons  telle  obeyssance  :  de  laquelle  nous  puissions  con- 

20  cevoir  quelque  confiance  de  salut.  Car,  dequoy  sert-il,  d'entendre, 
qu'en  obeyssant  à  la  Loy  on  peut  attendre  le  loyer  de  la  vie  éter- 
nelle ;  si  quant  et  quant  nous  ne  congnoyssons,  que  par  ce  moyen 
nous  pouvons  parvenir  à  salut  ?  Or  en  cest  endroit  se  demonstre 
l'imbécillité  de  la  Loy.  Car  d'autant   que  ceste  obeyssance  n'est 

2=)  trouvée  en  nul  de  nous  :  par  cela  estans  excluds  des  promesses 
de  vie,  nous  tombons  en  malédiction  éternelle.  Je  ne  diz  pas 
seulement  ce  qui  ce  fait  :  mais  ce  qui  est  nécessaire  qu'il  advienne. 
Car  comme  ainsi  soit,  que  la  doctrine  de  la  Loy  surmonte  de 
beaucoup  la  faculté  des  hommes  :  nous  pouvons  bien    de    loing 

30  regarder  les  promesses  qui  y  sont  données  :  mais  nous  n'en  pou- 
vons recevoir  aucun  fruict.  Pourtant  il  ne  nous  en  revient  rien, 
sinon  que  par  cela  nous  voyons  d'autant  myeulx  nostre  misère  : 
entant  que  toute  espérance  de  salut  nous  est  ostée,  et  la  mort 
révélée.   D'autre  costé  se  présentent  les  horribles  menaces    qui 

3=)  y  sont  mises  ;  lesquelles  ne  pressent  pas  aucuns  de  nous  :  mais 
tous  généralement.  Elles  nous  pressent  donc,  et  d'une  sévé- 
rité inexorable  nous  poursuyvent  tellement  que  nous  vovons 
une  certaine  malédiction  en  la  Loy.  Pourtant  si  nous  ne  regar- 
dons  que  la    Loy   :    nous  ne  pouvons  autre  chose,  que   perdre 


174  CHAPITRE    m. 

du   tout  courage,    estre   confuz.   et    nous  désespérer  :  veu  qu'en 
icelle    nous   sommes  tous    mauldictz   et  condamnez    :   et   n'y  a 
celuy  de  nous,  qui  ne  soit  forclos  de  la  béatitude  promise  à   ceulx 
qui  lobservent.    (Quelqu'un    demandera,    si    Dieu   se  délecte    à 
3  nous  tromper.  Car  il  semble  bien  advis   que   c'est    une  mocque- 
rie,    de    monstrer    quelque    espérance    de    félicité    à    l'homme, 
lappeller  et  exhorter  à  icelle,  promettre  qu'elle  luy  est  appa- 
reillée :  et  ce  pendant  que   l'accez  soit  fermé.  Je  respondz,  que, 
combien   que  les  promesses   de    la    Loy,    d'autant   qu'elles   sont 
10  conditionnelles,     ne    doibvent    point    estre     accomplies,     sinon 
à  ceulx  qui  auront  accomply  toute  justice  (ce  qui  ne    se    trouve 
entre    les    hommes)    toutesfois   quelles    n'ont    point    esté    don- 
nées   en    vain.    Car    aprez    que    nous    avons    entendu,    quelles 
n'ont    point   de  lieu  ne    efficace  envers    nous,   sinon  que    Dieu 
13  par  sa  bonté  gratuite  nous  receoive,    sans  aucun  esgard  de  noz 
œuvres  :   et  aussi  que   nous  avons  receu   par   Foy    icelle  bonté 
laquelle  il  nous  présente  par  son  Evangile  :    Ces   mesmes  pro- 
messes, avec   leur    condition,  ne   sont  point  vaines.  Car  lors  le 
Seisrneur  nous  donne  o^ratuitement  toutes  choses  :  en    telle  sorte 
20  que  sa  bénignité  s'estend  jusques  k  ce  poinct,    de  ne  rejetter  pas 
nostre  obéissance  imparfaicte  :  mais  en  nous  remettant    et    par- 
donnant ce  qui  y  delTault,  l'accepter  pour  bonne    et  entière  :    et 
par  conséquent  nous  faire  recevoir  le  fruict  des  promesses  légales, 
comme  si    leur   condition    estoit   accomplie.    Mais   d'autant  que 
23ceste  question  sera  plus  pleinement  traictée,  quand   nous  parle- 
rons de  la  justification  de  la  Foy  :  je  ne  la  veulx  point  pour  main- 
tenant poursuyvre  pjus  oultre.  Ce  que  nous  avons  dict,  l'obser- 
vation de  la  Loy  estre  impossible  :   il  nous  le  fault  plus  briefve- 
ment  expliquer  et  confermer.    Car  il  semble  advis,  que  [cje  soit 
30  une  sentence  fort  absurde  :   tellement  que   sainct  Hyerosme  n'a 
point  faict  dou])te  de  la  condamner  pour  meschante.   Touchant 
de  la  raison  qui  la   meu  k  ce  faire,  je  ne    m'en   soucye  :  il  nous 
doibt  souffire  d'entendre  la  vérité.  Je  ne  feray  point  icy  grandes 
distinctions  des  manières  de  possibilité.  J'appelle  impossible,  ce 
35  qui  n"a  jamais  esté  veu,  et  est  ordonné  par  la  sentence  de  Dieu, 
que  jamais  ne  sera.  Quand  nous  regarderons  depuis  le  commen- 
cement du  monde:  je  diz  qu'il  n'y  a  eu  nul  de  tous  les  Sainctz, 
lequel  estant  en  ceste  prison  de   corps  mortel,  ayt  eu  une  dilec- 
tion  si  parfaicte,  jusques  k  aymer  Dieu  de  tout  son  cœur,  de  toute 


DE    LA    I.OY.  175 

son  urne,  et  de  toute  sa  vertu.  Je  diz  davantage,  qu  il  n  v  en  a  eu 
nul,  qui  n  ayt  esté  entaché  de  quelque  concupiscence.  Qui  con- 
tredira à  cela?  Je  voiz  bien  quel/.  Sainctz  imag'ine  la  .superstition  : 
c'est  à  scavoir  dune  telle  pureté,  qu'à  grand'peine  les  Anges  du 

5  ciel  soient  semblables  :  mais  cela  repug^ne,  tant  à  l'Escriture, 
qu'à  l'expérience.  Je  diz  encores  plus,  qu  il  n  y  en  aura  jamais, 
qui  vienne  jusques  à  un  tel  but  de  perfection  :  jusques  à  ce  qu'il 
soit  délivré  de  son  corps.  Ce  qui  est  prouvé  de  plusieurs  evidens 
tesmoygnag;es    de     l'Escriture.   Salonion   disoit,    en    dédiant    le  l.lloi/.  S. 

10 Temple,  qu'il  n'y  a  homme  sur  la  terre  qui  ne  pèche.  David  dit, 
que    nul  des  vivans  ne   sera  justifié  devant  Dieu.  Ceste  sentence  Psa/.  / 4."^. 
est  souvent  répétée  au  livre  de  Job.  Sainct  Paul  l'afTerme  plus  (ialal.o. 
clairement    que    tous    les   autres.    La    chair,     dit-il,    convoyte 
contre  l'esprit,  et  l'esprit  contre  la  chair.  Et  ne  prend  autre  rai- 

lïson,  pour  prouver  que  tous  ceulx.  qui  sont  soubz   la   Loy,  sont  GaLtl.  i. 
mauldictz  :   sinon  pource  qu'il  est  escrit,  que  tous  ceulx  qui  ne 
demeureront    point  en  1  obéissance   des    commantlemens    seront 
mauldictz.  En  quoy  il  signifie,  ou  plustost  met  comme  une  chose 
résolue  :  que  nul  n'y  peut  demeurer.   Or  tout  ce  qui  est  predict 

20  en  l'Escriture,  il  le  fault  avoir  pour  éternel  :  et  mesmes  pour 
nécessaire.  Les  Pelagiens  molestoient  Sainct  Augustin  de  ceste 
subtilité.  Luy,  pour  éviter  leur  calumnie,  confessoit  que  le  Sei- 
g'ueur  pourroit  bien,  s'il  vouloit,  exalter  un  homme  mortel  en 
perfection  Angélique  :  mais   que  jamais  ne    l'avoit    faict,   et  ne 

25  le  feroit  point  à  1  advenir  :  pource  qu'il  a  dict  du  contraire.  Je 
ne  contrediz  point  à  ceste  sentence  :  mais  j'adjou.ste,  qu  il  n'y  a 
nul  pi'opoz  de  disputer  de  la  puissance  de  Dieu  contre  sa  vérité. 
Et  pourtant  je  diz,  que  ceste  sentence  ne  se  peut  caviller  :  si 
quelqu'un    dit    estre    impossible,    que    les    choses    adviennent, 

30  lesquelles   nostre    Seig-nem*    a    dénoncé    qu'elles     n'adviendront 
point.    Mais    encores    si  on    dispute    du    mot     :   Jésus    Christ,  Mat/.  61 . 
estant  interrogué  de   ses     disciples,    qui   pourroit    estre    sauvé , 
respond.    que  cela   est   impossible    aux  hommes  :  mais  à   Dieu 
que  toutes  choses  sont  possibles.  Sainct  Augustin  monstre  par 

io  bonnes  raisons,  que  jamais  nous  ne  rendons  en  la  vie  présente 
l'amour  à  Dieu  que  nous  luy  debvons.  L'amour,  dit-il,  procède 
tellement  de  la  congnoissance  :  que  nul  ne  peut  parfaicte- 
ment  aymer  Dieu,  qu'il  n'ayt  cong^neu  premièrement  sa  bonté. 
Or   ce    pendant    que   nous    sommes  en    ce  pelerinag"e   terrien  ,  I. Cor. 13. 


176  CHAPITRE    111. 

nous  ne  la  voyons  sinon  obscurément,  et  comme  en  un  miroir  : 
il  s'ensuvt  donc,  que  l'amour  que  nous  luy  portons  est  impar- 
faict.  Que  nous  ayons  donc  cela  pour  certain,  que  l'accom- 
plissement de  la  Loy  nous  est  impossible,  ce  pendant  que 
5  nous  conversons  en  ce  monde,  comme  il  sera  demonstré  ail- 
lieurs  par  Sainct  Paul. 

Mais  à  fin  que  le  tout  s'entende  plus  clairement  :  recueillons 
en  un  sommaire  l'office  et  l'usage  de  la  Loy  :  duquel,  selon  que 
je    puis   juger,    il  y  a  troys    parties.    La   première  est,    qu'en 
10  demonstrant   la  justice    de  Dieu,   c'est   à    dire    celle  qui  luy  est 
aggreable  :  elle  admoneste  un  chascun  de   son    injustice,  et  l'en 
rend  certain,  jusques  à  l'en  convaincre  et  condamner.    Car  il  est 
besoingque  l'homme,  lequel  est  autrement  aveuglé  et  enyvré  en 
l'amour  de   soymesme  :  soit  contrainct  à  congnoystre  et  confes- 
laser,  tant    son  imbecilité,  que    son   impurité.    Si   la    vanité  n'est 
redaro-uée  à  l'œil  :  il  est  enflé  d'une  folle  oultrecuydance  de  ses 
forces  :  et  ne  peut  estre  induict  à  recongnoystre  la  foiblesse  et  pe- 
titesse d'icelles,  quand  il  les  mesure  à  sa  phantasie.  Mais  quand 
il   les    esprouve  à  e[xejcuter   la    Loy  de  Dieu,  par  la    difficulté 
20  qu'il  y  trouve,  il  ha  occasion  d'abbatre  son  orgueil.  Car  quelque 
grande  opinion  qu'il   en  ayt   conceu    au  paravant.   il    sent  lors 
combien  elles  sont  grevées  d'un    si  pesant  fardeau  :   jusques  à 
chanceler,    vaciller,   decheoir,    et   finalement  du    tout  deffaillir. 
Ainsi  l'homme,  estant  instruict    de    la  doctrine  de  la  Loy,  est 
2b  retiré  de  son  oultrecuydance,  dont  il  est  plain  de   sa  nature.  Il  a 
aussi  besoingd' estre  purgé  de  l'autre  vice  d'arrogance,  dont  nous 
avons  parlé.  Car  ce   pendant  qu'il  s'arreste    à   son  jugement,  il 
foro-e,  au  lieu  de  vraye  justice,  une   hypochrisie  :  en  laquelle  se 
complaisant    il    s'enorguillit,  contre   la   grâce    de    Dieu,   soubz 
3i'umbre    je    ne  scay   quelles  observations  inventées  de   sa   teste. 
Mais  quand  il  est  contrainct  d'examiner  sa  vie  selon   la  balance 
de  la  Loy  de    Dieu  :  laissant  sa  phantaisie,  qu'il  avoit  conceuë, 
de  ceste  faulse  justice,  il  voit  qu'il  est  esloigné  à  merveilles  de  la 
vraye  saincteté  :  et  au  contraire  qu'il  est  plain  de  vices,  desquelz 
35  il  se  pensoit  estre  pur  au  paravant.   Car  les  concupiscences  sont 
si  cachées  et  entortillées,  que  facilement  elles  trompent  la   veuë 
de  l'homme.  Et   n'est   point  sans  cause  que  l'Apostre  dit,  qu  il 
n'a  sceu  que  c'estoit  de  concupiscence,  sinon  que  la  Loy  luy  dist  :  Rom.  7 
Tu  ne  convoiteras  point.  Car  si  elle  n'est  descouverte  par  la  Loy, 


DE    LA    LOV.  177 

et  tirée  hors  de  ses  cachettes  :  elle  meurtrit  le  malheureux 
homme,  sans  ce  qu'il  en  sente  rien.  Pourtant  la  Loy  est  comme 
un  miroir,  auquel  nous  contemplons,  premièrement  nostre  foy- 
blesse,  en  après  1  iniquité  qui  procède  d'icelle.  Finalement  la 
5  malédiction  qui  est  faicte  des  deux  :  comme  nous  appercevons 
en  un  miroir  les  taches  de  nostre  visage.  Car  celuy,  auquel  def- 
fault  toute  faculté  à  justement  vivre,  ne  peut  autre  chose  faire, 
que  demeurer  en  la  houë  de  péché.  Après  le  péché,  s'ensuit  malé- 
diction. Parquoy  d  autant    que    la  Loy  nous  convainct  de  plus 

10  grande  transgression  ;  d'autant  elle  nous  monstre  plusdamnables, 
et  dignes  de  plus  grand'peine.  C'est  ce  qu'entend  l'Apostre, 
quand  il  dit,  que  par  la  Loy  vient  la  congnoissance  du  péché. 
Car  il  note  là  le  premier  office  d'icelle  :  lequel  se  monstre  aux 
pécheurs,    qui    ne    sont  point   régénérez.    A    un   mesme     sens  rtomn.  3. 

11  reviennent  aussi  ces  sentences  :   que  la  Loy  est  survenue,  à  lin      ^^  '• 
d'augmenter  le  péché  :  et  pourtant  qu'elle  est  administration  de 

mort,    laquelle    produyt  l'ire   de  Dieu,    et  nous  meurtrit.   Car  il  2.Ci>r.:i. 
n'y  a  nulle  doubte,  que  d'autant  plus  que  la  conscience  est   tou- 
chée de  près  de  l'intelligence  de  son  péché,  l'iniquité  croist  quant 

20  et  quant  :  veu  qu  avec  la  transgression  lors  est  conjoincte  la 
rébellion  à  l'encontre  du  Législateur.  Il  reste  donc,  qu'elle  arme 
la  vengeance  de  Dieu  en  la  ruyne  du  pécheur  :  d  autant  qu'elle 
ne  peut  sinon  accuser,  condamner,  et  perdre.  Et,  comme  dit 
Sainct  Augustin,  si   l'Esprit  de  grâce  est  osté  :  la  Loy  ne  proffîte 

2.Ï  d'autre  chose  que  d'accuser  et  occire.  Or  en  disant  cela,  on  ne 
fait  nulle  injure  à  la  Loy,  et  ne  desrogue  on  rien  à  son  excel- 
lence. Certes  si  nostre  volunté  estoit  du  tout  fondée  et  reiglée 
en  l'obeyssance  d'icelle  :  il  nous  suffiroit  de  congnoistre  sa  doc- 
trine pour  nostre    salut.    Mais  comme    ainsi    soit,  que    nostre 

30  nature,  comme  elle  est  corrumpuë  et  charnelle,  soit  directement 
répugnante  à  la  Loy  spirituelle  de  Dieu,  et  ne  se  puisse  corriger 
par  la  discipline  d'icelle  :  il  s'ensuyt,  que  la  Loy,  qui  avoit  esté 
donnée  à  salut,  si  elle  eust  esté  bien  receuë,  nous  tourne  en  occa- 
sion de  péché  et  de  mort.  Car  puis  que   nous  sommes  tous  con- 

35  vaincuz  d'estre  transgresseurs  d'icelle  :  d'autant  plus  qu'elle  nous 
révèle  la  justice  de  Dieu,  d'autre  costé  elle  descouvre  nostre  ini- 
quité :  d'autant  plus  qu'elle  nous  certifie  du  loyer  préparé  à  la  jus- 
tice :  elle  nous  asseure  pareillement  de  la  confusion  préparée  aux 
iniques.  Parquoy  tant  s'en  fault,  qu'en  ees  propoz  nous  facions 

Institution.  12 


478  CHAPITRE    HT. 

quelque  injure  à  la  Lo}'  :  que  nous  ne  scaurions  myeulx 
recommander  la  bonté  de  Dieu.  Car  par  cela  il  appert,  que 
nostre  seule  perversité  nous  erapesche  d'obtenir  la  béatitude 
éternelle,  laquelle  nous  estoit  présentée  en  la  Loy.  Par  cela  nous 
savons  matière  de  prendre  plus  grande  faveur  à  la  grâce  de 
Dieu,  laquelle  nous  subvient  au  detTault  de  la  Loy  :  et  aymer 
davantage  sa  miséricorde,  par  laquelle  ceste  grâce  nous  est  con- 
férée :  entant  que  nous  voyons  qu'il  ne  se  lasse  jamais  en  nous 
bien  faisant,  et  adjouste   tousjours  bénéfice  sur    bénéfice.  Or  ce 

10  que  nostre  iniquité  et  condemnation  est  convaincue,  et  signée 
par  le  tesmoignage  de  la  Loy  :  cela  ne  se  fait  point  à  fin  que 
nous  tombions  en  desespoir,  et  ayantz  du  tout  perdu  courage, 
nous  abandonnions  en  ruyne  :  car  cela  n'adviendra  point,  si  nous 
en  faisons  bien  nostre  proffict.  Bien  est  vray,  que  les  meschans  se 

13  desconfortent    en  ceste  faceon  ;  Mais  cela    advient  de  l'obstina- 
tion de  leur  cœur.  Mais  il  fault  que  les  enfans  de  Dieu  viennent 
à  autre  fin  :  c'est,  d'entendre  ce  que    dit  Sainct    Paul  :  lequel 
confesse  bien  ,  que   nous  sommes  tous  condamnez  par  la  Loy,  à  Roma.  3. 
fin  que  toute  bouche  soit  fermée,  et  que  tout  le  monde  soit  rendu 

20  redevable  à   Dieu.   Encores    en  un    autre  lieu  il  enseigne,  que 
Dieu  a   tout  encloz  soubz  incrédulité  ,  non  pas    pour  perdre,  ou  Rom.   il. 
mesmes  pour   laisser   périr  :   mais  à   fin  de    faire   miséricorde  à 
tous  :  à  scavoirque  se  demettans  de  toute  vaine  estime    de  leur 
vertu,  ilz  recongnoissent,  qu'ilz   ne  sont  soustenus,  sinon    de  sa 

25  main.  D'avantage  qu'estans  du  tout  vuydes  et  desnuez  :  ilz 
recourent  à  sa  miséricorde,  se  reposantz  entièrement  en  icelle, 
se  cachantz  soubz  l'umbre  d'icelle,  la  prenantz  seule  pour  justice 
et  mérite,  comme  elle  est  exposée  en  Jésus  Christ,  à  tous  ceux 
qui  la  cherchent,   désirent,  et  attendent  par   vraye    Foy.  Car  le 

30  Seigneur  n'apparoist  point  en  la  Loy  rémunérateur  sinon  de 
parfaicte  justice  de  laquelle  nous  sommes  tous  despourveuz. 
Aucontraire  se  monstre  severe  exécuteur  des  peines  deuës  à  noz 
faultes.  Mais  en  Christ  sa  face  nous  reluist  pleine  de  grâce  et 
de  doulceur  :  combien  que  nous  soyons  povres  pécheurs  et  indi- 

35gnes.  Quant  est  de  l'instruction,  que  nous  devons  prendre  en  la 
Loy,  pour  nous  faire  implorer  l'ayde  de  Dieu,  Sainct  Augus- 
tin en  parle  souvent  :  comme  quand  il  dit  :  La  Loy  com- 
mande, à  fin  que  nous  estantz  efforcez  de  faire  ses  commande- 
mens,    et    succombans   par    nostre    infirmité,    nous    apprenions 


DE    LA    LOV.  179 

dimplorer  l'ayde  de  Dieu.  Item',  L'utilité  de  la  Loy  est, 
de  convaincre  l'homme  de  son  infirmité,  et  le  contreindre  de 
requérir  la  médecine  de  grâce,  laquelle  est  en  Christ.  Item, 
La   Loy  commande  :    la   g^race  donne  force  de  bien  faire.  Item, 

5  Dieu  commande  ce  que  nous  ne  pouvons  faire  :  à  fin  que 
nous  scachions  ce  que  nous  luy  devons  demander.  Touchant 
du  second  profllt,  il  ne  le  declaire  pas  si  expressément  :  pos- 
sible à  cause  qu'il  pensoit  que  l'un  se  pourroit  entendre  par 
l'autre  :    ou    bien  qu'il  n'en   estoit   pas  si  résolu.    Or  combien 

10  que  l'utilité,  dont  nous  avons  parlé,  convient  proprement  aux 
enfans  de  Dieu  :  toutesfois  elle  est  commune  aux  reprouvez. 
Car  combien  qu'ilz  ne  viennent  point  jusques  à  ce  poinct, 
comme  font  les  fidèles,  d'estre  confuz  selon  la  chair,  pour 
recevoir  vigueur  spirituelle  en  l'Esprit,   mais    deffaillent  du  tout 

15  en  estounement  et  desespoir  :  neantmoins  cela  est  bon  pour 
manifester  l'équité  du  jugement  de  Dieu,  que  leurs  consciences 
soient  agitées  de  tel  torment.  Car,  tant  qu'il  leur  est  possible, 
ilz  taschent  tousjours  de  tergiverser  contre  le  jugement  de  Dieu. 
Maintenant    combien    que  le  jugement    de    Dieu  ne  soit    point 

20  manifeste  :  neantmoins  par  le  tesmoignage  de  la  Loy,  et  de  leur 
conscience,  ilz  sont  tellement  abbatuz,  qu'ilz  demonstrent  ce 
qu'ilz  ont  mérité. 

Le  second  office  de  la  Loy  est,  à  ce  que  ceux  qui  ne  sesoucyent 
de  bien  faire  que  par  contraincte,  en  oyant  les  terribles  menaces 

25  qui  y  sont  contenues  :  pour  le  moins,  par  crainte  de  punition, 
soient  retirez  de  leur  meschanceté.  Or  ilz  en  sont  retirez,  non  pas 
que  leur  cœur  soit  intérieurement  esmeu  ou  touché  :  mais  seule- 
ment ilz  sont  estrainctz,  comme  d'une  bride,  pour  ne  point  exé- 
cuter leurs  mauvaises  cupiditez  :  lesquelles  autrement  ilz  accom- 

3opliroient  en  licence  desbordée.  Par  cela  ilz  ne  sont  de  rien  plus 
justes  ne  meilleurs  devant  Dieu.  Car  combien  qu'ilz  soient  rete- 
nuz  par  crainte  ou  par  honte,  tellement  qu'ilz  n'osent  pas  exé- 
cuter ce  qu'ilz  ont  conceu  en  leur  cœur,  et  ne  jettent  hors  la  rage 
de  leur  intempérance  :  neantmoins  ilz  n'ont  point  le  cœur  rengé 

35  à  la  crainte  et  obeyssance  de  Dieu.  Mais  plustost,  d'autant  plus 
qu'ilz  se  retiennent,  ilz  sont  d'autant  plus  emflambez  et  eschauf- 
fez  en  leur  concupiscence  :  estans  prestz  de  commettre  toute  vile- 
nie et  turpitude,  sinon  que  l'horreur  de  la  Loy  les  restrainct.  Et 
non  seulement  le  cœur  demeure  tousjours  mauvais  :  mais  aussi 


180  CHAflTRE    III. 

ilz  hayssent  mortellement  la  Loy  de  Dieu  :  et  d'autant  que 
Dieu  en  est  autheur.  ilz  l'ont  en  exécration.  Tellement  que  s'il 
leur  estoit  possible,  ilz  l'abolyroient  voluntiers  :  veu  quilz 
ne  le  peuvent  endurer,  commandant  ce  qui  est  bon,  et  sainct, 
set  droict,  et  se  vengeant  des  contempteurs  de  sa  majesté. 
Geste  afîection  se  monstre  plus  apertement  en  d'aucuns,  aux 
autres  elle  est  plus  cachée  :  neantmoins  elle  est  en  tous  ceux 
qui  ne  sont  point  régénérez.  C'est  qu'ils  sont  induictz  à  se  soubz- 
mectre  tellement  quellement  à  la    Loy  ;  non  pas  d'un  franc  vou- 

10 loir  :  mais  par  contreincte,  et  avec  grande  resistence  ;  et  n'y  a 
autre  chose  qui  les  y  astreigne,  sinon  quilz  craignent  la  rigueur 
de  Dieu.  Neantmoins  ceste  justice,  contreincte  et  forcée,  est 
nécessaire  à  la  communauté  des  hommes  :  à  la  tranquillité  de 
laquelle  nostre  Seigneur  pourvoit,  quand  il  empesche   que  toutes 

15  choses  ne  soient  renversées  en  confusion.  Ce  qui  seroit.  si 
tout  estoit  permis  à  un  chascun.  D'avantage  il  n'est  point  inu- 
tile aux  enfans  de  Dieu,  d'estre  regiz,  par  ceste  doctrine  puérile, 
du  temps  qu'ilz  n'ont  point  encores  l'Esprit  de  Dieu,  mais  vivent 
selon  la  folie  de  leur  chair  :  comme    aucunesfois  il  advient,  que 

20  nostre  Seigneur  ne  se  révèle  point  du  premier  coup  à  ses  fidèles  : 
mais  les  laisse  cheminer  quelque  temps  en  ignorance,  devant 
que  les  appeller.  Car  lors,  estans  restreinctz  de  toute  dissolution 
par  ceste  terreur  servile,  combien  qu'ilz  ne  proflitent  pas  beau- 
coup présentement,  veu  que  leur  cœur  n'est   encores  dompté  ne 

25  subjugué  ;  neantmoins  ilz  s'accoustument  ainsi  petit  à  petit  à 
porter  le  joug  de  nostre  Seigneur  :  à  fin  que  quand  il  les  aura 
appeliez,  ilz  ne  soient  du  tout  rudes  à  se  soubzmettre  à  ses  com- 
raandemens,  comme  à  une  chose  nouvelle  et  incongneuë.  Il  est 
vray   semblable,  que  l'Apostre   a    voulu   toucher  cest  office  de 

30  la  Loy  :  en  disant  qu  elle  n'est  point  donnée  pour  les  justes  ; 
mais  pour  les  injustes,  et  rebelles,  infidèles  et  pécheurs,  mes- 
chans,  et  polluz,  meurtriers  de  leurs  parens,  homicides,  paillardz, 
larrons,  menteurs,  et  parjures,  et  entachez  de  telz  vices,  qui 
contreviennent  à  saine  doctrine.  Car  il  monstre  en   cela,  que  la 

35  Loy  est  comme  une  bride,  pour  refréner  les  concupiscences  de 
la  chair  :  lesquelles  autrement  se  desborderoient  sans  mesure. 

Le  troysiesme  usage,  qui  est  le  principal,  et  proprement  ap- 
partient à  la  iîn,  pour  laquelle  elle  a  esté  donnée,  ha  lieu  entre 
les    fidèles  :  au  cœur   desquelz   l'Esprit  de    Dieu    ha   desja    son 


DF    LA    I.OY.  ISI 

Règne  et  sa  vigueur.  Car,  combien  qu'ilz  ayent  la  Loy  escrite 
en  leurs  cœurs  du  doigt  de  Dieu  :  c'est  à  dire,  combien  qu'ilz 
ayent  ceste  alfoclion,  par  la  conduite  du  Sainct  Esprit,  qu'ilz 
désirent  d'obtempérer  à  Dieu,  toutesfois  ilz  proflitent  encores 
5  doublement  en  la  Loy.  Car  ce  leur  est  un  tresbon  instrument, 
pour  leur  faire  myeulx  et  plus  certainement  de  jour  en  jour 
entendre,  quelle  est  la  volunté  de  Dieu,  à  laquelle  ilz  aspirent  : 
et  les  confermer  en  la  congnoissance  dicelle.  Comme  un 
serviteur,    combien   qu'il  soit   délibéré    en    son   cœur    de    servir 

10  bien  à  son  maistre,  et  luy  conq)laire  bien  du  tout  :  toutes- 
fois  il  a  besoing  de  congnoistre  familièrement  et  bien  consi- 
dérer ses  meurs  et  conditions,  à  fin  de  s'y  accommoder.  Et 
ne  se  doibt  personne  de  nous  exempter  de  ceste  nécessité. 
Car  nul    n'est  encores  parvenu  à  telle  sagesse,   qu'il    ne  puisse, 

15  par  la  doctrine  quotidienne  de  la  Loy,  s'advancer  de  jour  en 
jour,  et  proffiter  en  plus  claire  intelligence  de  la  volunté  de 
Dieu.  D'avantage  pource  que  nous  n'avons  pas  seulement 
mestier  de  doctrine,  mais  aussi  d'exhortation  :  le  serviteur 
de    Dieu    prendra    ceste  utilité   de    la   Loy,    que    par  fréquente 

20 méditation  dicelle,  il  sera  incité  en  l'obeyssance  de  Dieii,  et  en 
icelle  confermé,  et  retiré  de  ses  faultes.  Car  il  fault  qu'en  ceste 
manière  les  sainctz  se  solicitent  eulx  mesmes  :  à  cause  que 
quelque  promptitude  qu'ilz  ayent  de  s  appliquer  à  bien  faire, 
neantmoins  ilz  sont  tousjours  retardez  de  la  paresse  et  pesanteur 

2,  de  leur  chair  :  tellement  qu  ilz  ne  font  jamais  pleinement  leur 
debvoir.  A  ceste  chair  la  Loy  est  comme  un  fouet,  pour  la  chas- 
ser à  l'œuvre  :  comme  un  asne  lequel  ne  veult  tirer  avant,  si 
on  ne  frappe  assiduellement  dessus.  Ou,  pour  parler  plus 
clairement,    puis    que   1  homme    spirituel    n'est    point    encores 

:io  délivré  du  fardeau  de   sa    chair  :  la   Loy   luy   sera  un  aguillon 
perpétuel,  pour  ne  le  laisser  point  endormir  ny  appesantir.    En 
cest  usage  regardoit  David,  quand   il   celebroit  la  Loy  de  Dieu 
de  si  grandes  louënges  :  comme  quand  il  dit  :  La  Loy  de  Dieu  Psal.  19. 
est  immaculée,    convertissant    les  âmes    :    Les  commandemens 

33 de    Dieu    sont   droictz,  resjom'ssans    les  coeurs,    etc.    Item.   Ta 
parolle    est   une  lampe  à  mes  piedz,  et  clarté  pour  dresser  mes 
voyes   :   et    tout   ce   qui   s'ensuyt    au    mesme    Psalme  .    Et    ne  Psal.  1 19. 
répugne  rien  cela  aux  sentences  de  Sainct  Paul  cy  dessus  allé- 
guées :  où  il  est    monstre,   non    pas    quelle   utilité   apporte   la 


182  CHAPITRE  m. 

Lo}'  à  l'homme  fidèle,  et  desja  régénéré  :  mais  ce  qu'elle  peut 
de  soymesme  apporter  à  l'homme.  Aucontraire  le  Prophète 
monstre  avec  quel  proffit  nostre  Seigneur  instruit  ses  servi- 
teurs en   la  doctrine   de    sa  Loy  :    quand   il  leur  inspire  inte- 

5rieurement  le  courage  de  la  suyvre.  Aucuns  ignorans,  ne 
pouvans  discerner  ceste  différence,  rejectent  témérairement 
Moyse,  et  veulent  que  la  Loy  soit  là  laissée  :  pource  qu'ilz 
ne  pensent  point  que  ce  soit  chose  convenable  aux  Chrestiens, 
de   s'arrester   à   une    doctrine,    laquelle   contient   en   soy   admi- 

10  nistration  de  mort.  Ceste  opinion  doibt  estre  loing  de  nous  :  veu 
que  Moyse  a  tresbien  declairé,  que  la  Loy,  combien  qu'en 
l'homme  pécheur  elle  ne  puisse  qu'engendrer  mort,  toutesfois 
elle  apporte  bien  une  autre  utilité  et  proffit  aux  fidèles.  Car 
estant  prochain  de  la  mort,  il   fist   ceste  protestation  devant    le 

15  peuple  :  Retenez  bien    en    vostre   mémoire  et    vostre    cœur  les 
parolles  que  je  vous  testifie  aujourd'huy  :.à  fin  de  les  enseigner  Deu.  32. 
à  voz  enfans,  et  les  instruire  à  garder,  et  faire  toutes  les   choses, 
qui  sont  escrites  en  ce  livre.  Car  ce  n'est  point  en  vain   qu'elles 
vous  sont  commandées  :  mais  à  fin  que    vous    viviez  en  icelles. 

20  Et  de  faict  si  nul  ne  peut  nyer,  qu'en  la  Loy  il  n'y  ayt  comme 
une  image  entière  de  parfaicte  justice  :  ou  ilfauldra  dire  que  nous 
ne  devons  avoir  nulle  reigle  de  bien  vivre  :  ou  qu  il  nous  fault 
tenir  à  icelle.  Car  il  n'y  a  point  plusieurs  reigles  de  bien  vivre  ; 
mais  une  seule,  qui  est  perpétuelle  et  immuable.  Pourtant  ce  que 

25  dit  David,  que  l'homme  juste  médite  jour  et  nuict  en  la  Loy,  ne  Psal.  I. 
doibt  estre   rapporté   à  un  siècle  :    mais  convient  à   tous  eages 
jusques  en  la  fin    du  monde.    Et   ne  fault   point  que  cela  nous 
estonne,  qu'elle  requiert  une  plus  parfaicte  saincteté,  que   nous 
ne  pouvons  avoir,  ce  pendant  que  nous  sommes  en  la  prison  de 

30  nostre  corps  :  tellement  que  pour  cela  nous  quiclions  sa  doctrine. 
Car  quand  nous  sommes  soubz  la  grâce  de  Dieu  :  elle  n'exerce 
point  sa  rigueur,  pour  nous  presser  jusques  au  bout  :  tellement 
que  ce  ne  soit  point  satisfaict,  sinon  que  nous  accomplissions  tout 
ce  qu'elle  dit.  Mais  en  nous  exhortant  à  la  perfection  où  elle  nous 

35  appelle  :  elle  nous  monstre  le  but,  auquel  nous  devons  tendre 
toute  nostre  vie.  Auquel  si  nous  ne  laissons  point  de  tendre,  c'est 
assez.  Car  toute  ceste  vie  est  comme  une  course  :  de  laquelle 
quand  nous  viendrons  à  la  fin  :  le  Seigneur  nous  fera  ce  bien,  que 
nous  parviendrons  à  ce  but,  lequel  nous  poursuyvons  maintenant  : 


DF    LA    LOY. 


183 


combien  que  nous  en  soyons  encore  loing-. 

Maintenant  donc,  à  cause  que  la  Loy  sert  d'exhortation  aux 
lîdeles.  non  pas  pour  lier  leurs  consciences  en  malédiction  • 
mais  pour  les  resveiller  de  paresse,  en  les  sollicitant,  et  chastier 
5  leur  imperfection  :  aucuns,  voulantz  signifier  ceste  délivrance  de 
la  malédiction  d'icelle,  disent  que  la  Loy  est  abroguée  et  cassée 
aux  fidèles,  nompas  qu'elle  ne  leur  doibve  tousjours  commander 
ce  qui  est  bon  et  sainct  :  mais  d'autant  qu'elle  ne  leur  est  plus 
ce  qu'elle    estoit  au  paravant  :    c'est  à  dire,  qu'elle    ne    confond 

10  point  leurs  consciences    de  terreur  de  mort.  VA   de  faict,   Sainct 
Paul  demonstre  bien  clairement  une  telle  abi-ogation  de  la  Loy. 
D'avantage  il  appert,  qu'elle   a    esté  preschée  de  Jésus  Christ  :  Mal.  o. 
veu  qu'il  se  delfend,  de  ne  vouloir  point  destruyre  ne  dissiper  la 
Loy  :  ce  qu'il  n'eust  faict,  sinon  qu'on  l'en  eust  accusé.  Or  ceste 

15  opinion  ne  fust  point  venue  en  avant  sans  aucune  couleur.  Pour- 
tant il  est  vray  semblable,  qu'elle  estoit  procedée  d'une  faulse 
exposition  de  sa  doctrine  :  comme  tous  erreurs  quasi  prennent 
leur  occasion  de  vérité.  Or  à  fin  que  nous  ne  tombions  en  cest 
inconvénient,    il  nous    fault   diligemment  distinguer    ce    qui  est 

20  abrogué  en  la  Loy,  et  ce  qui  y  demeure  encores  ferme  .  Quand 
le  Seigneur  Jésus  dit,  qu'il  n'est  point  venu  pour   abolir  la  Loy,  Làmesme. 
mais  pour  l'accomplir  ;  et  qu'il   n'y  en  passera  une  seule  lettre, 
jusques  à  tant  que  Ciel  et  Terre  seront,  que  tout  ce  qui  y  est  escrit 
ne  se  face  :  en  cela  il  monstre,  que  par  son  advenement,  la  reve- 

asrence  et  obéissance  de  la  Loy  n'est  en  rien  diminuée.  Et  ce  à 
bonne  cause  :  veu  qu'il  est  venu  pour  donner  remède  aux  trans- 
gressions d'icelle.  La  doctrine  donc  de  la  Loy  n'est  en  rien  vio- 
lée par  Jésus  Christ  ;  qu'elle  ne  nous  dresse  à  toute  bonne 
œuvre,  en  nous  enseignant,  admonestant,  reprenant,  et  chastiant. 

30 Touchant  ce  que  Sainct  Paul  dit,  de  la  malédiction,  cela  n'ap- 
partient point  à  l'office  d'instruire  :  mais  de  estreindre  et  capti- 
ver les  consciences.  Car  la  Loy,  quant  à  sa  nature,  non  seule- 
ment enseigne  :  mais  requiert  estroictement  ce  qu'elle  com- 
mande.   Si  on   ne   le  faict,    et  mesme  si  on  n'en   vient   à  bout 

35  jusques  au  dernier  poinct,  elle  jette  incontinent  la  sentence  hor- 
rible de  malédiction.  Par  ceste  raison  l'Apostre  dit,  que  tous 
ceux  qui  sont  soubz  la  Loy,  sont  mauldictz  :  d'autant  qu'il  est 
escrit  :  Mauldictz  seront  tous  ceux,  qui  n'accompliront  tout  ce 
qui    est   commandé.  Consequemment   il   dit,   que    tous   ceux-là 


184  CHAPITRE    111. 

sont  soubz  la  Loy,  qui  n'establissent  point  leur  justice  en 
la  remission  des  péchez  :  laquelle  nous  délivre  de  la  rigueur 
de  la  LoY.  Il  nous  fault  donc  sortir  de  ces  lyens,  si  nous 
ne    voulons  misérablement    périr    en  captivité.    Mais    de  quelz 

ôlvens?  de  ceste  rig-oreuse  exaction,  de  laquelle  elle  nous  pour- 
suyt  sans  rieii  remettre,  et  sans  laisser  une  seule  faulte 
impunye.  Pour  nous  racheter  de  ceste  malheureuse  malédic- 
tion. Christ  a  esté  faict  mauldict  pour  nous  :  comme  il  est 
escrit  .    Mauldict    sera    celuy   qui    pendra    au    boys.    Au   cha-  Gai. S. eti. 

10  pitre  suyvant  Sainct  Paul  dit,  que  Christ  a  esté  assubjecty  à 
la  Loy,  pour  racheter  ceux  qui  estoient  en  la  servitude  d'icelle. 
Mais  il  adjouste  quant  et  quant,  à  fin  que  nous  jouyssons 
du  previlege  d'adoption,  pour  estre  enfans  de  Dieu.  Qu'est-ce 
à  dire  cela  ?  C'est,  que  nous  ne  fussions  point  tousjours  enser- 

15  rez  en  captivité  :  laquelle  tinst  noz  consciences  liées  en  angoisse 
de  mort.  Neantmoins  cela  demeure  tousjours  ce  pendant,  que 
lauthorité  de  la  Loy  n'est  en  rien  enfreinte,  que  nous  ne  la 
debvions  tousjours  recevoir  en  mesme  honneur  et  révérence. 

Il  y  a   un  peu    plus   de  difficulté    en  un  autre  lieu  ,  qui  est  en  Coloss.  2. 

20  l'Epistre  aux  Colossiens.  Du  temps  que  vous  estiez  mors  en  voz 
péchez,  et  au  prépuce  de  vostre  chair,  Dieu  vous  a  viAifiez  avec 
Christ  :  vous  pardonnant  toutes  voz  faultes,  effaceant  l'obligé 
des  decretz,  qui  estoit  à  l'encontre  de  vous,  et  vous  estoit  con- 
traire, et  fichant  à  la  croix,  etc.  Car  il  semble  advis,  qu'il  veuille 

23  estendre  plus  oultre  l'abrogation  de  la  Loy  :  tellement  que  ses 
decretz  ne  nous  appartiennent  plus  de  rien.  Aucuns  prennent 
cela  seulement  de  la  loy  morale  :  de  laquelle  neantmoins  ilz 
exposent  que  la  sévérité  trop  rigoreuse  a  esté  abolie  non  pas  la 
doctrine.   Les  autres,  considerantz   de  plus  près  les  paroUes  de 

30  Sainct  Paul  vo^-ent  bien  que  cela  proprement  compete  à  la  Loy 
ceremoniale  :  et  monstrent  que  Sainct  Paul  a  accoustumé  d'user 
de  ce  mot  de  decretz,  quand  il  en  parle.    Car   aux  Ephesiens   il  Ephe.  2. 
dit  ainsi  :  Jésus  Christ  est  nostre  paix,  lequel  nous  a  conjoinctz 
ensemble,  abolissant  la  loy    des   ordonnances,  laquelle   gist    en 

35  decretz,  etc.  Il  n'y  a  nulle  doubte,  que  ce  propoz  ne  se  doibve 
entendre  des  cérémonies.  Car  il  dit  que  ceste  Loy  estoit  comme 
une  muraille,  pour  séparer  les  Juifz  d'avec  les  Gentilz.  Je  confesse 
donc,  que  la  première  exposition  à  bon  droict  est  reprinse  des 
secondz  ;  toutesfois  il  me  semble  qu'eulx   mesmes  n'expliquent 


DE    LA    LOV.  185 

pas  encoros  du  tout  bien  la  sentence  de  l'Apostre.  Car  je 
n'approuve  point,  qu'on  confonde  ces  deux  passages,  comme 
si  l'un  estoit  tout  semblable  à  l'autre.  Quant  est  de  celuy  qui  est 
en  l'Epistre  aux  Ephesiens,  le  sens  est  lel.  Sainct  Paul,  les  vou- 
5  lant  acertener,  comme  ilz  estoient  receuz  en  la  communion  du 
peuple  d'Israël,  leur  dit  :  que  l'empeschement,  qui  estoit  aupara- 
vant pour  les  diviser,  a  esté  osté.  G'estoient  les  cérémonies.  Car 
les  ablutions  et  sacrifices,  par  lesquels  les  Juifz  se  sanctifioient 
k  Dieu,  les  separoient  d'avec  les  Gentilz.   Mais  en  l'Epistre  aux 

10  Colossiens,  il  n'y  a  celuy  qui  ne  voye,  qu'il  touche  un  plus  hault 
Mystère.  Il  est  là  question  des  observations  Mosaiques  :  aus- 
quelles  les  séducteurs  vouloient  contreindre  le  peuple  chrestien. 
Comme  donc  en  l'Epistre  aux  Galatiens,  ayant  ceste  mesme 
dispute  à  démener,  il  la  tire  plus  loing-,  et  la  reduict  à  sa  source  : 

15  ainsi  fait-il  en  cest  endroit.  Car  si  on  ne  considère  autre  chose 
aux  cérémonies,  sinon  la  nécessité  de  s'en  acquicter  ;  pourquoy 
les  appelle-il  un  oblij>é  ?  et  un  obligé  contraire  ii  nous  ?  Et  à 
quel  propoz  eust-il  quasi  constitué  toute  la  somme  de  nostre 
salut,  en  ce    qu'il   fust  cassé  et  mis  à  néant  ?  Parquoy  on    voit 

20 clairement,  qu'il  nous  fault  icy  regarder  autre  chose,  que  l'exté- 
riorité des  cérémonies.  Or  je  me  confie  d'avoir  trouvé  la  vraye 
intelligence  :  si  on  me  confesse  estre  vray  ce  que  escrit  en 
quelque  lieu  très  véritablement  Sainct  Augustin.  C'est  qu'aux 
cérémonies  Judaiques  il  y  avoit  plustost   confession  des  péchez, 

2ique  purgation.  Car,  qu'est-ce  quilz  faisoient  en  sacrifiant  ;  sinon 
qu  ilz  se  confessoient  estre  coùlpables  de  mort  ;  veu  qu  ilz  sub- 
stituoient  en  leur  lieu  la  beste,  pour  estre  tuée?  Par  leurs  lave- 
mens  qu'est-ce  quilz  faisoient  :  sinon  se  confesser  immundes  et 
contaminez  ?  Parquoy  ilz  confessoient  la  debte  de  leur  impureté 

30  et  de  leurs  offenses.  Mais  en  ceste  protestation  le  payement  n'en 
estoit  point  faict.  Pour  laquelle  cause,  l'Apostre  dit,  que  la 
rédemption  des  ofTenses  a  esté  faicte  par  la  mort  de  Christ  :  les- 
quelles demeuroient  soubz  l'ancien  Testament,  et  n'estoient 
point  abolies.   C'est  donc  à  bon  droict,  que  Sainct  Paul   appelle  Hehr.7.9. 

35  les  cérémonies  des  Scedules  contraires   à  ceux  qui  en  usoient  :      ^'^0. 
veu  que  par  icelles  ilz   testifioient  et   signoient  leur  condemna- 
tion.    A    cela   ne  contrevient  rien,   que   les   anciens  Pères    ont 
esté  participans  d'une    mesme   grâce    avec   nous  :    car   ilz     ont 
obtenu    cela    par    Christ   ;     non    point     par    les    cérémonies    : 


186  CHAPITRE   m. 

lesquelles  Sainct  Paul  en  ce  passage  sépare  de  Christ,  d'autant 
qu'elles  obscurcissoient  lors  sa  gloire,  après  que  l'Evangile  avoit 
esté  révélé.  Nous  avons,  que  les  cérémonies,  si  elles  sont  considé- 
rées en  elles  mesmes,  sont   à  bonne  raison   nommées    Scedules 
5  contraires    au    salut   des    hommes    :   veu  que    ce    sont   comme 
instrumens   authentiques,  pour  obliger  les  consciences  à    con- 
fesser   leurs    debtes.    Pourtant    veu  que    les    séducteurs    vou- 
loient      adstreindre     l'Eglise     Ghrestienne     à     les    observer  : 
Sainct    Paul    à    bon    droit,    regardant   l'origine  première,    ad- 
10      moneste  les  Colossiens,  en  quel  danger  ilz  tresbucheroient, 
s'ilz  se  laissoient  subjuguer   en  telle   sorte.  Car  par  un 
mesme  moyen  la  grâce  de  Christ  leur  estoit  ravye  : 
d'autant  que  par  la  purgation,   qu'il  a  faicte 
en  sa  mort,  pour  une  fois,  il  a  abolv 
15  toutes  ces  observations  externes  :  par 

lesquelles  les  hommes  se  confes- 
soient  redebvables  à  Dieu  : 
et    n'estoient    point    ac- 
quitez  de  leurs 
debtes. 


DE  LA  FOY,   OU  LE  SYM- 
BOLE DES  APOSTRES  EST  EXPLICQUÉ. 

GHAP.  IIIL 

Il  est  maintenant  aisé  à  entendre  du  traicté  précèdent,  quelles 
5  choses  i-iHjuiert  do  nous  le  Sci|^iieur  on  sa  Loy  :  desquelles  si 
nous  l'aillions  au  moindre  poinct,  il  nous  dénonce  son  ire,  et  ter- 
rible jugement  de  la  mort  éternelle.  D'avantage  il  a  esté  declairé, 
combien  non  seulement  il  est  difficile  aux  hommes  d'accomplir 
la  Loy  :  mais  que  c'est  une  chose  du  tout  pardessus    leur  puis- 

losance.  Parquoy  si  nous  ne  regardons  que  nous  seulement,  con- 
sidérant/ dequoy  nous  sommes  dignes,  il  ne  nous  reste  une 
seule  goutte  de  bonne  espérance,  mais  certaine  confusion  de 
mort  :  entant  que  nous  sommes  du  tout  rejette/  do  Dieu,  Puis 
après  il  a  esté  monstre,   qu'il  n'y  a  qu'une    seule    voye    d'éviter 

isceste  calamité  :  à  scavoir  la  miséricorde  de  Dieu,  moyennant  que 
nous  la  recevions  en  ferme  Foy,  et  reposions  en  icelle  de  certaine 
espérance.  Maintenant  il  nous  reste  à  exposer,  quelle  doibt  estre 
ceste  Foy  :  par  le  moyen  de  laquelle  tous  ceux  que  nostre  Sei- 
gneur a  esleu/  pour  sesenfans,  entrent  en  possession  du  Royaume 

2u  Céleste  :  veu  que  c'est  chose  notoyre,  qu'une  opinion  telle  quelle, 
ou  persuasion  qu'on  auroit  de  Dieu,  ne  seroit  suffisante  pour 
engendrer  un  si  grand  bien.  Et  fault  que  de  tant  plus  grande 
diligence  nous  nous  appliquions  à  chercher  quelle  est  la  vraye 
nature  de  la  Foy  :   d'autant  que    nous  voyons   combien  en   est 

2oaujourd'huy  l'ignorance  pernicieuse.  Car  une  grande  partie  du 
monde  par  le  nom  de  la  Foy  n'entend  autre  chose,  sinon  une 
crédulité  vulgaire  :  par  laquelle  l'homme  assentist  à  ce  qui  est 
narré  en  l'Evangile.  Lequel  mal,  comme  autres  innumerables, 
se  doibt  imputer  aux  Sophistes  et  Sorbonistes  :  lesquelz,  oultre 

30  ce  qu'il/  amoyndrissent  la  vertu  d'icelle  par  leur  obscure  et 
ténébreuse  diffinition,  en  adjoustant  je  ne  scay  quelle  dis- 
tinction frivole  de  la  foy  formée  et  informe,  ilz  attribuent 
le  filtre  de  Foy  à  une  opinion  vaine  et  vuide  de  la  crainte  de 
Dieu,   et  de  toute  pieté.  A  quoy  contredit  toute  l'Escriture.   Je 


!88  CHAPITRE    IIII. 

ne  veulx  autrement  impugner  leur  diftînition,  qu'en  declairant 
simplement  la  nature  de  la  Foy  :  comme  elle  nous  est  demons- 
trée  par  la  parolle  du  Seigneur  :  dont  il  apparoistra  clairement, 
combien  sottement  ilz  babillent  dicelle.  Leur  distinction  ne  vault 
5  pas  une  nèfle  d'avantag-e.  Car  combien  que,  par  forme  d'enseigner, 
nous  concédons  qu  il  y  a  deux  espèces  de  Foy,  quand  nous  vou- 
lons monstrer.  quelle  est  la  congnoissa'nce  de  Dieu  aux  iniques: 
neantmoins  nous  recongnoissons  et  confessons  avec  Sainct  Paul 
une  seule  Foy  aux  enfans  de  Dieu.  Il  est  bien  vray,  que  plusieurs 

10  croyent  qu'il  y  a  un  Dieu,  et  pensent  que  ce  qui  est  comprins  en 
l'Evangile  et  l'Escriture  est  véritable  :  d'un  mesme  jugement 
qu'on  a  accoustumé  de  juger  estre  véritable  ce  qu'on  lit  aux 
hystoires,  ou  ce  qu'on  a  veu  à  l'œil.  11  y  en  a  qui  passent  encores 
oultre  :  car  ilz  ont  la  parolle  de  Dieu  pour  un  oracle  indubitable,  et 

i?i  ne  contemnent  point  du  tout  les  commandemens  dicelle,  et  sont 
aucunement  esmeuz  des  promesses.  Nous  disons  que  telle  manière 
de  gens  n'est  pas  sans  Foy  :  mais  c'est  en  parlant  improprement  : 
à  cause  qu'ilz  nimpugnent  point  d'une  impieté  manifeste  la 
parolle  de  Dieu,  et  ne  la  rejettent   ne  méprisent  :  maisplustost 

20  donnent  quelque  apparence  d'obeyssance. 

Toutesfois  comme  ceste  umbre  ou  image  de  Foy  est  de  nulle 
importance  :  aussi  elle  est  indigne  d  un  tel  tiltre.  Et  combien 
que  nous  verrons  tantost  plus  amplement,  combien  elle  diffère 
de    la    vérité    de    la   Foy    :    neantmoins   il  ne   nuyra    de    rien, 

25den  faire   maintenant  une  briefve  demonstrance.    11  est  dit,  que 
Symon  ^lagus  a  creu  :  lequel  manifeste  tantost  après    son  incre-  Actes  8. 
dulité.  Ce  que  le  tesmoignage    de  Foy  lui  est  donné,  nous  n'en- 
tendrons pas    avec  aucuns,    qu  il    layt    seulement   simulée    par 
parolles,    combien  qu  il   n'en  eust  rien   au  cœur  :  mais  plustost 

30  nous  pensons,  que,  estant  surmonté  par  la  majesté  de  l'Evan- 
gile, il  y  avoit  adjousté  une  foy  telle  quelle  :  recongnoissant 
tellement  Christ  pour  autheur  de  vie  et  salut,  que  voluntiers  il 
l'acceptoit  pour  tel.  En  ceste  manière  nostre  Seigneur  dit  au 
hm'tiesme  Sainct   Luc,  Que    ceux   là  croyent  pour  un    temps  : 

ssesquelz  la  semence  de  la  parolle  est  sutïoquée.  devant  que  fruc- 
tifier, ou  bien  descheichée,  et  perdue,  devant  qu'avoir  prins 
racine.  Nous  ne  doubtons  pas  que  telz  ne  soient  touchez  de 
quelque  goust  de  la  parolle,  pour  la  recevoir  avec  désir  :  et  ne 
soient  frappez    de   sa  vertu,  tellement   que  en   leur  Hypocrisie 


( 


DE   I.A    l'OV 


89 


non  seulement  ilz  deceoivent  les  hommes  :  mais  aussi  leurs  cœurs 
propres.  Car  ilz  se  persuadent  que  la  révérence  qu'ilz  portent 
à  la  parolle  de  Dieu  est  la  plus  vraye  pieté  qu'ilz  puissent 
avoir  :  pource  qu'ilz  ne  reputent  autre  impieté  au  monde,  sinon 

5  quand  ceste  parolle  est  manifestement,  ou  vitupérée  ou  mespri- 
sée.  Or  quelle  que  soit  ceste  réception  de  l'Evangile  elle  ne 
pénètre  pas  jusques  au  cœur,  pour  y  demeurer  fichée:  et  combien 
qu'elle  semble  advis  aucunesfois  prendre  racines,  neantmoins 
elles  ne  sont  pas  vives  :  tant  a  de  vanité  le  cœur  humain,  tant  il 

10  est  remply  de  diverses  cachettes  de  mensonges  :  de  telle  Hypocri- 
sie il  est  enveloppé  :  qu  il  se  trompe  soymesme.  Toutesfois  ceux 
qui  se  glorifient  d'un  tel  simulachre  de  la  Foy,  qu'ilz  entendent, 
qu'ilz  ne    sont    en  rien    supérieurs    au  Diable   en    cest   endroit.  Jaques  2. 
Certes  les  premiers  dont  nous  avons  parlé    sont  beaucoup   infe- 

15  rieurs  :  d  autant  qu'ilz  demeurent  estourdiz,  en  oyant  les  choses, 
lesquelles  font  trembler  les  Diables.  Les  autres  sont  en  cela 
pareilz,  que  le  sentiment  ({u'ilz  en  ont,  finalement  sort  en  terreur 
et  espouvantement. 

Aucontraire  la  vraye  Foy   chrestienne,  laquelle   seule  mérite 

2od'estre  appellée  Foy  :  n'est  pas  contente  d'une  simple  congnois- 
sance  de  l'hystoire  :  et  prend  siège  au  cœur  de  l'homme,  le 
nettoyant  de  fard,  de  fiction,  et  Hypocrisie  :  et  l'occupant  telle- 
ment, qu'elle  ne  s'en  evanouyst  pas  de  legier.  Premièrement 
il  fault  que  nous  soyons  advertiz,  pour  bien   entendre    sa    force 

25  et  propriété,  d'avoir  recours  à  la  parolle  de  Dieu  :  avec  laquelle 
elle  a  telle  affinité  et  corrélation,  qu'elle  ne  se  peult  pas  myeulx 
estimer  d'aillieurs.  Caria  parolle  est  comme  son  object  et  son  but, 
auquel  elle  doibt  perpétuellement  regarder  :  et  dont  si  elle  se 
destourne,  elle  n'est  plus  desja  Foy,  mais  une  crédulité  incertaine, 

30  et  erreur  fluctuant.  Icelle  mesme  parolle  est  le  fondement,  dont 
elle  est  soutenue  et  appuyée  :  duquel  si  elle  est  retirée,  inconti- 
nent elle  trébuche.  Qu'on  oste  donc  la  parolle  :  et  il  ne  restera 
plus  nulle  Foy.  Nous  ne  disputons  pas  icy,  à  scavoir  non  :  si  le 
Ministère  de  l'homme  est  nécessaire,  pour  semer  la  parolle  dont 

35  la  Foy  soit  conceuë  :  ce  que  nous  traicterons  en  un  autre  lieu. 
Mais  nous  disons  que  la  parolle,  de  quelque  part  qu'elle  nous  soit 
apportée,  est  comme  un  miroir,  auquel  la  Foy  doibt  regarder  et 
contempler  Dieu.  Pourtant  soit  que  Dieu  s'ayde  en  cela  du  service 
de   l'homme,  soit  qu'il  besongne  par  la  seule  vertu  :  neantmoins 


190  CHAPITRE    IIII. 

il    se    représente    tousjours  par  sa    paroUe  à  ceux,   qu'il   veut 
tirer    à    soy.    Car  il   n'est  pas  question  seulement  en  l'intelli- 
gence de  la   Foy,  que   nous  congnoissions  estre  un  Dieu  :  mais 
principalement  il  est  requis  d'entendre,  de  quelle  volunté  il  est 
5  envers  nous.  Car  il  ne  nous  est  pas  seulement  utile,   de  scavoir 
quel  il  est  :  mais  quel  il  nous  veut  estre.  Nous  savons  donc  desja, 
que  la  Fov  est  une  congnoyssance  de  la  volunté  de  Dieu  prinse 
de  sa  paroUe.  Le  fondement  d'icelle,  est  la  persuasion  qu'on  ha 
de  la  vérité  de  Dieu  :  de  laquelle  ce  pendant  que  ton  cœur  n'ha 
10  point  la  certitude  résolue,  la  paroUe  ha  son  authorité  bien  débile, 
ou  du  tout  nulle  en  toy.    D'avantage    il   ne  suffit  pas  de  croyre, 
que  Dieu  est  véritable,  qu'il  ne  puisse  mentir  ne  tromper  :  si  tu 
n'has  ceste  resolution,  que  tout  ce  qui  procède  de  luy,  est   vérité 
ferme  et  inviolable.  Mais  d'autant  que  le  cœur  de  l'homme  n'est 
15  point  confermé   en    Foy  par  une   chascune  parolle  de    Dieu  :  il 
fault  encores  chercher,  que  c'est  que  la  Foy  proprement  regarde 
en  la  parolle.    C'estoit  une    voix    de  Dieu,    celle   qui  fut  dicte  à 
Adam  :  Tu  mourras  de  mort.  C'estoit  une  voix    de  Dieu,  qui  fut 
dicte  à  Cavn  :  Le  sang  de  ton  frère  crye  à  moy  de  la  Terre.  Mais 
20  toutes  telles    sentences    ne    pouvoient  sinon  esbranler  la  Foy  : 
tant  s'en  fault  qu'elles  fussent  pour  l'establir.    Nous  ne  nyons 
pas  cependant,  que  l'office  de  la  Foy  ne  soit  de  donner  consen- 
tement à  la  vérité  de   Dieu,  toutesfois  et  quantes  qu'il  parle,  et 
quoy  qu  il  dise,  et  en  quelque  manière  que  ce    soit.    Mais    nous 
25  cherchons  à  présent,  que  c'est  que  la  Foy  trouve  en  icelle  parolle, 
pour   s'appuyer    et    reposer.  Si  nostre   conscience  ne  voit  autre 
chose  que  indignation  et  vangeance,  comment   ne  tremblera  elle 
d'horreur?  Et  si  elle  ha  une  fois  Dieu  en   horreur  ;  comment  ne 
le   fuvra-elle   ?   Or   la    Foy    doibt   chercher    Dieu    non    pas    le 
sofuyr.   11  appert  donc,  que  nous  n'avons  pas  encores  la  deffini- 
tion  pleine:  puis  que  cela  ne  doibt  point  estre  réputé  Foy,  de 
congnoistre  une   chascune    volunté  de    Dieu.    Et  que    sera-ce  ; 
si   au   lieu  de   volunté  nous    mettons   benevolence,    ou   miséri- 
corde ?   Certes    en    ceste    manière    nous    approchons     plus    de 
35 la  nature   de   Foy.  Car  lors  nous   sommes  esmeuz  de   chercher 
Dieu,    après    que   nous    avons    apprins,    nostre    bien    estre    en 
luv  :   ce  qu  il   nous  declaire  en  nous  assurant  qu  il  ha  soing  de 
nostre  salut.  Parquoy  il  nous  est  besoin  d'avoir  promesse  de   sa 
grâce  :  en  laquelle,   il  noustestifie  qu'il  nous  est  Père  propic  e: 


DE    LA    FOY.  191 

pource  que  le  cœur  de  l'homme  ne  se  peut  reposer,  que  sur 
icelle.  D'avantage,  puis  que  la  congnoissance  de  la  bonté  de 
Dieu,  ne  peut  pas  avoir  g:rande  importance,  sinon  qu'elle 
nous  face  reposer  en  icelle  :  il  faut  exclurre  toute  intelligence, 
5  qui  soit  meslée  avec  doubte,  qui  ne  consiste  fermement,  et 
vacille,  comme  débattant  de  la  chose.  Or  il  s'en  fault  beaucoup, 
que  l'entendement  de  l'homme,  ainsi  qu'il  est  aveuglé  et  obscursi, 
puisse  pénétrer  et  attaindre  jusques  à  congnoystre  la  volunté  de 
Dieu,   que   le    cœur,  au    lieu   qu'il   a  accoustumé  de  vaciller  en 

10  doubte  et  incertitude,  ne  soit  asseuré  pour  reposer  en  telle  per- 
suasion. Parquoy  il  fault  que  l'entendement  de  l'homme  soit 
d'aillieurs  illuminé,  et  le  cœur  confermé,  devant  que  la  parolle 
de  Dieu  obtienne  pleine  Foy  en  nous.  Maiintenant  nous  avons 
une  pleine  deflînition  de  la  Foy  :  si  nous  déterminons,  que  c'est 

i^une  ferme  et  certaine  congnoyssance  de  la  bonne  volunté  de 
Dieu  envers  nous  :  laquelle  estant  fondée  sur  la  promesse  gra- 
tuite donnée  en  Jésus  Christ,  est  révélée  à  nostre  entendement, 
et  scellée  en  nostre  cœur  par  le  Sainct  Esprit. 

Poursuyvons   maintenant    d'ordre  un    chascun  mot  :  lesquelz 

20  après  avoir  diligemment  espluschez,  il  ne  restera  plus,  comme 
je  pense,  aucune  difficulté.  Quand  nous  l'appelions  congnois- 
sance  de  la  volunté  de  Dieu  :  nous  n'entendons  pas  une  appré- 
hension, telle  qu'ont  les  hommes  des  choses  qui  sont  soubz- 
mises  à  leur  sens.  Car   elle  surmonte    tellement   tout    sens  hu- 

25  main,  qu'il  fault  que  l'esprit  monte  par  dessus  soy,  pour 
attaindre  à  icelle.  Et  mesme  y  estant  parvenu,  il  ne  comprend 
pas  ce  qu'il  entend  :  mais  ayant  pour  certain  et  tout  persuadé 
ce  qu'il  ne  peut  comprendre,  il  entend  plus  par  la  certitude  de 
ceste    persuasion,   que  s'il    comprenoit  quelque    chose  humaine 

30  selon  sa  capacité.   Pourtant  Sainct   Paul  parle  tresbien,    disant 
qu'il  nous   fault    comprendre  qu'elle  est  la   longueur,    laro-eur 
profondité,  et  haultesse  de  congnoistre  la    dilection    de   Christ,  Enhe  3 
laquelle    surmonte    toute    congnoissance.    Car    il    a    voulu   en- 
semble  signifier    l'un   et    l'autre.   C'est   à  scavoir   que    ce    que 

33 nostre    entendement  comprend   de    Dieu  par  Foy,   est    totale-   Ihhr.l. 
ment  infiny  :    et  que  ceste  manière  de    congnoystre   oultrepasse 
toute   intelligence.    Neantmoins  ,    pource  que    nostre     Seigneur  /. /ea/j  3 
a  manifesté  à  ses  serviteurs  le  secret   de  sa  volunté  qui  estoit 
caché  à   tous  siècles  et  générations  :   que   pour   ceste  cause   la 


192  CHAPITRE     111 1. 

Foy  est  justement  nommée  congnoyssance.  Sainct  Jean  aussi 
l'appelle  science,  quand  il  dit,  que  les  fidèles  scaivent  qu'ilz  Jean  3. 
sont  enfans  de  Dieu.  Et  de  faict  ilz  le  scaivent  pour  '  certain  : 
mais  estantz  confermez  en  persuasion  de  la  vérité  de  Dieu,  2.  Cor.  3 
3  plus  qu'enseignez  par  demonstrance,  ou  argument  humain.  Ce 
que  signifient  aussi  les  parolles  de  Sainct  Paul.  C'est  ,  que 
habitantz  en  ce  corps,  nous  sommes  comme  en  pèlerinage, 
loing  de  Dieu  :  pource  que  nous  cheminons  par  Foy,  et  non  par 
regard.  Enquoy  il  demonstre,  que  les  choses  que  nous  entendons 

10  par  Foy,  nous  sont  absentes  et  cachées  à  nostre  veuë.  Donc 
nous  concluons  que  l'intelligence  de  la  Foy  consiste  plus  en  cer- 
titude, qu'en  apprehention. 

Nous  adjoustons,  que   ceste   congnoyssance   est   certainne   et 
ferme,   à  fin  d'exprimer  combien  la  constance  en  est  solide.  Car 

13  comme  la  Foy  ne  se  contente  point  d'une  oppinion  doubteuse  et 
volage  :  aussi  ne  fait  elle  dune  cogitation  obscure  et  perplexe  : 
mais  requiert  une  certitude  pleine  et  arrestée,  telle  qu'on  a  cous- 
tume  d'avoir  des  choses  bien  esprouvées  et  entendues.  Il  y  en  a 
plusieurs,    qui    conceoivent  tellement  la    miséricorde   de     Dieu 

2oqu  ilz  en  receoivent  bien  peu  de  consolation.  Car  ce  pendant  ilz 
sont  estreinctz  en  angoisse  misérable,  d'autant  qu  ilz  doubtent 
s'il  leur  sera  miséricordieux  :  pource  qu'ilz  limitent  trop  estroic- 
tement  sa  clémence,  laquelle  ilz  pensent  bien  congnoistre. 
Voicy  comme    il  la  considèrent  :  C'est,  qu'ilz  la    reputent    bien 

ssestre  grande  et  large,  espandue  sur  plusieurs,  appareillée  à 
tous  :  mais  d'autrepart  ilz  doubtent  si  elle  parviendra  jusques  à 
eux,  ou  plustost.  s'ilz  pourront  parvenir  à  elle.  Ceste  cogitation, 
d'autant  qu'elle  demeure  au  milieu  du  chemyn,  n'est  que  demye  : 
parquoy   elle    ne    conferme  point  tant  l'esprit  en  tranquilité   et 

îoasseurance,  qu'elle  l'inquiète  de  double  et  sollicitude.  Il  y  a 
bien  un  autre  sentiment  en  la  certitude,  laquelle  est  tousjours  en 
l'Escriture  conjoincte  avec  la  Foy  :  à  scavoir  pour  mettre  hors  de 
double  la  bonté  de  Dieu,  comme  elle  nous  est  proposée.  Or  cela 
ne  se  peut  faire  que   nous  n'en  sentions  vrayement  la  doulceur, 

33  et    l'expérimentions   en  nousmesmes.    A  ceste    cause  l'Apostre, 
de  la  Foy,  déduit  confiance,  et  de  confiance  hardiesse,  en  disant,  Ephe.  3. 
que    par    Christ    nous  avons    hardiesse  et   entrée  en    confiance, 
qui  est  par  la  Foy  en   Jésus  Christ.  Ce  qui  est    tellement   vray, 
que  le  nom  de  Foy  est  souvent  prins  pour  confiance.  Icy   gist  le 


IJ1-:    LA    KOV. 


193 


principal  poinct  de  la  Foy  :  que  nous  ne  pensions  point  les 
promesses  de  miséricorde,  qui  nous  sont  offertes  du  Seigneur, 
estre  seulement  vrayes  hors  de  nous,  et  non  pas  en  nous  : 
mais  plustost  qu'en  les  recevant  en   nostre  cœur,  nous   les  fa- 

5  cions  nostres.   D'une   telle  réception   procède  la  confiance,   que 
Sainct  Paul  appelle  en   autre  lieu,   paix  :  sinon  que  quelqu'un    jioni.  5. 
aymast  myeulx  desduyre  icelle    paix  de  confiance,    comme    une 
chose    conséquente.    Or  ceste   paix    est  une    sécurité,    laquelle 
donne    ref)os    et   liesse  à  la  conscience   devant  le  jugement  de 

10  Dieu.  Laquelle  conscience,  sans  icelle,  nécessairement  est  trou- 
blée merveilleusement,  et  à  peu  près  deschirée  :  si  ce  n'est, 
qu'en  oublyant  Dieu  et  soymesme,  elle  s'endorme  pour  un  peu 
de  temps.  Je  parle  bien,  en  disant  pour  un  peu  de  temps  :  car 
elle  ne  jouyst  point  longuement  de    ceste    misérable  oubliance, 

15  qu'incontinent  elle  ne    soit    poincte   et  picquée    au  vif  du  juge-    Uom.8. 
ment    de   Dieu,  dont  la    memoyre    d'heure    en    heure   vient  au 
devant.    En  somme  il    n  y  a  nul  vrayement  fidèle,  sinon  celuy 
qui,  estant  asseuré  de  certaine  persuasion  que  Dieu  luy  est  père 
propice  et  bien  vueillant,  attend  toutes  choses  de  sa  bénignité  : 

20  sinon  celuy,  qui,  estant  appuyé   sur  les  promesses  de  la  bonne 
volunté  de  Dieu,  conceoit  une  attente  indubitable   de  son  salut  : 
comme  l'Apostre   demonstre  par  ces  paroUes  :   si    nous    tenons 
jusques  à  la  fin  la  fiance,  et  le  glorifiement  de  nostre  espérance.   Ilrbr.  3. 
Car  en  cela  disant,  il  tesmoigne  que  nul  n'espère  droitement  en 

25  Dieu  :  sinon  qu'il  s'ose  hardiment  glorifier  d'estre  héritier  du 
Royaume  Céleste.  Il  n'y  a,  diz-je,  de  rechef,  nul  fidèle,  sinon 
celuy,  qui,  estant  appuyé  sur  l'asseurance  de  son  salut,  ose 
insulter,  sans  doubte,  au  Diable  et  à  la  mort  :  comme  l'Apostre 
enseigne  en  la   conclusion  qu'il  en   fait    aux   Romains.    Je   suis 

30  asseuré,  dit-il,  que  ne  la    mort,  ne  la  vie,  ne  les  Anges,    ne  les    Rom.  8. 
Principautez,  ne  les  Puissances,  ne. les  choses   présentes,  ne  les 
choses  futures,  ne  nous  pourront  retirer  de  la  dilection,  que  nous 
porte   Dieu  en  Jésus  Christ.  A  ceste  cause  luy   mesme  n'estime 
pas,  que  lesyeulx  de  nostre  entendement  soient  bien  illuminez  : 

35  si  ce  n'est  que  nous  contemplions  quelle  est  l'espérance  de  l'hé- 
ritage éternel,  à  laquelle  nous  sommes  appeliez  :  Et  telle  est  sa  Ephes.  I 
doctrine  par  tout,  que  nous  ne  comprenons  pas  bien  la  bonté  de 
Dieu,  sinon  qu'en  icelle  nous  ayons   une  grande  asseurance. 
Mais    quelqu'un    objectera,    que    les    fidèles    ont    bien    autre 
Institution.  13 


194  CHAPITRE    IIII. 

expérience  :  veu  que  non  seulement,  en  recongnoissant  la  grâce 
de  Dieu  envers  eulx,  ilz  sont  inquiétez  et  agitez  de  doubtes,  ce 
qui  leur  advient  ordinairement  :  mais  aussi  aucunesfois  sont 
grandement  estounez   et  espouventez  :    telle    est  la  véhémence 

5  des  tentations,  pour  les  esbranler.  Laquelle  chose  semble 
n'estre  g-ueres  convenante  avec  une  telle  certitude  de  Foy,  dont 
nous  avons  parlé.  Pourtant  il  fault  que  ceste  difficulté  soit 
solue  de  nous  :  si  nous  voulons  que  la  doctrine  cy  dessus  baillée 
demeure    en    son    entier.    Quand  nous    enseig-nons  que    la  Foy 

lodoibtestre  certaine  et  asseurée  :  nous  n'imag-inons  point  une 
certitude,  qui  ne  soit  touchée  de  nul  le  doubte  :  ny  une  telle  sécu- 
rité, qui  ne  soit  assaillie  de  nulle  solicitude  :  mais  plustost 
aucontraire,  nous  disons  que  les  fidèles  ont  une  bataille  perpé- 
tuelle à  rencontre   de  leur  propre   deffîance.  Tant  s'en  fault  que 

13  nous  colloquions  leur  conscience  en  quelque  paisible  repoz  qui 
ne  soit  ag'ité  d'aucune  tempeste.  Neantmoins,  comment  que  ce 
soit  qu'ilz  soient  assailliz  :  nous  nyons  que  jamais  ilz  tombent  ou 
deschoient  de  la  fiance  qu'ilz  ont  une  foys  conceuë  certaine  de  la 
miséricorde  de  Dieu.  Pour  mveulx  entendre  cecy,  il  est  nécessaire 

2u  de  recourir  à  la  division  de  l'Esprit  et  de  la  chair,  dont  nous 
avons  tenu  propoz  ailleurs  :  laquelle  se  demonstre  clairement 
en  cest  endroit.  Pourtant  le  cœur  du  fidèle  sent  en  soy  ceste 
division  :  que  en  partie  il  est  remply  de  lyesse,  pour  la  con- 
gnoissance  qu  il  ha  de  la  bonté  de  Dieu  :  en  partie  il  est    picqué 

25 d'amertume,  pour  le  sentiment  de  sa  calamité:  en  partie  il  se 
repose  sur  la  promesse  de  l'Evang-ile,  en  partie  il  tremble  de  la 
veuë  de  son  iniquité,  en  partie  il  appréhende  la  vie  avec  joye,  en 
partie  il  ha  horreur  delà  Mort.  Laquelle  diversité  advient  d'im- 
perfection de  la   Foy  :    d'autant   que  jamais,  durant  la  vie    pre- 

30  sente,  nous  ne  parvenons  à  ceste  félicité,  que,  estantz  purgez  de 
toute  deffiance,  nous  ayons  plénitude  de  Foy  en  nous.  De  là  pro- 
cède ceste  bataille  :  quand  la  deffîance  qui  reste  encores  en  la  chair 
se  dresse  pour  impugner  et  renverser  la  Foy.  Mais  icy  on  me 
dira  :  si  une  telle  doubte  est  meslée  avec  certitude  au  cœur  du 

35  fidèle  :  ne  revenons-nous  point  tousjours  à  cela  ;  que  la  F'oy  n  a 
pas  certaine  et  claire  congnoissance  de  lavolunté  de  Dieu:  mais 
seulement  obscure  et  perplexe?  A  cela  je  respondz  que  non.  Car 
combien  que  nous  soyons  distraictz  de  cog-itations  diverses  :  il  ne 
s'ensuytpas  pourtant  que  nous  soyons  séparez  de  la  Foy.  Si  nous 


i)i:  LA  rov.  !*)') 

sommes  agile/,  cà  et  là  par  les  assaulx  d'incrédulité  :  il  ne  s  en- 
suyt  pas  que  nous  soyons  jettez  en  l'abysme  d'icelle.  Si  nous 
sommes  esbranlez  :  ce  n'est  pas  à  dire  que  nous  tresbuchions. 
Car  la  fin  de  ceste  bataille  est   tousjours  telle,  que  la  Foy   vient 

3  au  dessus  de  ces  diflicultez  :  desquelles  estant  assiégée,  il  semble 
ad  vis  quelle  soit  en  péril. 

En  somme,  doz  que  la  moindre  goutte  de  Foy,  qui  se  puisse 
imaginer,  est  mise  en  nostre  ame  :  incontinent  nouscommenceons 
à  contempler  la  face  de  Dieu  bénigne  et  propice  envers  nous. 

I"  Bien  est  vray,  que  c'est  de  loing:  mais  c'est  d'un  regard  si  indubi- 
table, que  nous  scavons  bien  qu'il  n'y  a  nulle  tromperie.  Après, 
d'autant  que  nous  proffitons  (comme  il  convient  que  nous  protïï- 
tions  assiduellement)  comme  en  nous  advanceans,  nous  en  appro- 
chons de  plus  près,  pour  en  avoir  la  veuë  plus  certaine.  D'avan- 

istage  la  continuation  fait,  que  la  congnoyssance  en  est  plus  fami- 
lière. Par  ainsi  nous  voyons  que  l'entendement,  estant  ilkmiiné, 
de  la  congnoyssance  de  Dieu,  est  du  commencement  enveloppé 
de  grande  ignorance  :  laquelle  petit  à  petit  est  ostée.  Neant- 
moins  pour   son  ignorance,  ou  pour   voir    plus   obscurément  ce 

20 qu'il  voyoit  :  il  nest  pas  empesché,  qu'il  ne  jouysse  d'une 
congnoissance  évidente  de  la  volunté  de  Dieu.  Ce  qui  est  le  pre- 
mier poinct  et  principal  en  la  Foy.  A  scavoir,  comme  si  quel- 
qu'un estant  encloz  en  basse  prison,  n'avoit  la  clarté  du  Soleil 
que  obliquement  et  à  demy,  par  une  fenestre  haute  et  estroicte, 

25  il  n'auroit  pas  la  veuë  du  Soleil  pleine  ne  à  délivre  :  toutesfois 
il  ne  laisseroit  pas  d'avoir  la  clarté  certaine,  et  en  recevoir  l'u- 
sage. En  ceste  manière,  combien  que  nous,  estans  enfermez  en 
la  prison  de  ce  corps  terrien,  ayons  de  toutes  pars  beaucoup  d'obs- 
curité :    si   nous  avons    la  moindre   estincelle  du   monde  de  la 

30  lumière  de  Dieu,  qui  nous  descouvre  sa  miséricorde,  nous  en 
sommes  suffisamment  illuminez  pour  avoir  ferme  asseurance. 
L'un  et  l'autre  nous  est  proprement  demonstré  de  l'Apostre  en 
divers  lieux.  Car  en  disant  que  nous  congnoissons  en  partie,  pro- 
phétisons en  partie,   et  voyons  en  énigme  comme  par  un  miroir  :  f  .Cor. 13. 

35  il   dénote  combien  petite  portion  de  la  sagesse   divine  nous  est 
distribuée  en  la  vie    présente.    Mais  luy    mesme  demonstré   en 
un    autre     passage,    combien    est    grande    la    certitude     de    la 
moindre    goutte    que    nous    en   ayons  :    en  testifiant    que    par  2.  Cor.  3. 
l'Evangile   nous  contemplons  tellement  à  descouvert    la  gloire 


196  CHAPITRE  un. 

de  Dieu  et  sans  aucun  empeschement  :  que  nous  sommes  trans- 
formez en  une  mesme  image.  Il  est  bien  nécessaire  que  en  telle 
ignorance,  il  y  ayt  beaucoup  de  scrupules  et  de  craintes  :  veu 
mesmes  que  nostre  cœur  de  son  naturel  est  enclin  à  incrédulité. 
oOultreplus  les  tentations  surviennent,  infinies  en  quantité,  et  de 
diverses  espèces  :  lesquelles  d'heure  en  heure  font  de  merveilleux 
assaulx.  Principalement  la  conscience  estant  pressée  de  la  charge 
de  ses  péchez,  maintenant  se  complainct  et  gémit  en  soymesme: 
maintenant   elle  s'accuse,    aucunesfois   tacitement   est  picquée, 

10  aucunesfoys  est  appertement  tormentée.  Pourtant,  soit  que  les 
choses  adverses  donnent  quelque  apparence  de  l'ire  de  Dieu,  soit 
que  la  conscience  en  trouve  occasion  en  soymesme:  l'incrédu- 
lité s'arme  de  cela,  pour  combatre  la  Foy  :  dirigeant  toutes  ses 
armes  à  ce  but,  de  nous  faire  estimer  que  Dieu  nous  est  adver- 

15  saire  et  courroucé  :  à  fin  que  nous  n'espérions  nul  bien  de  luy, 
et  que  nous  le  craignions,  comme  nostre  ennemy  mortel.  Pour 
soustenir  telz  assaulx,  la  Foy  est  garnie  de  la  parolle  de  Dieu. 
Quand  elle  est  assaillie  de  ceste  tentation,  que  Dieu  est  contraire 
et  ennemy,  entant  qu'ir afflige  :  elle  oppose  aucontraire  ceste 
deffense,  qu'il  est  miséricordieux  mesmes  en  l'aflligeant  :  d'au- 
tant que  les  chastiemens  qu'il  fait,  procèdent  de  dilection  plus- 
tost  que  d'ire.  Estant  battue  de  ceste  cogitation,  que  Dieu  est 
juste  Juge  pour  punir  toute  iniquité  :  elle  met  au  devant  ce 
bouclier,    que  la  mercy  est  appareillée  à  toutes  faultes,  quand 

25  le  pécheur  se  retourne  par  devers  la  clémence  du  Seigneur.  En 
ceste  manière  l'ame  fidèle,  comment  qu'elle  soit  tormentée  mer- 
veilleusement :  neantmoins  surmonte  en  la  fin  toutes  difficul- 
tez  :  et  n'endure  jamais  que  la  iiance  qu'elle  ha  à  la  miséricorde 
de  Dieu,  luv  soit  ostée  et  escousse  :  plustost  aucontraire  toutes 

30  les  doubtes,  dont  elle  est  exercée,  tournent  en  plus  grande  cer- 
titude de  ceste  fiance.  Nous  avons  expérience  de  cela,  en  ce  que 
les  Sainctz,  quand  ilz  se  voyent  fort  pressez  de  la  vengeance  de 
Dieu,  ne  laissent  point  toutesfois  de  luy  addresser  leurs  com- 
pleinctes  :  et  quand  il  semble  advis  qu'ilz  ne  doibvent  estre  nul- 

33  lement  exaucez  :  encores  ilz  l'invoquent.  Car,  à  quel  propoz  se 
plaindroient-ilz  à  celuy  ;  duquel  ilz  n'attendroient  nul  soulage- 
ment ?  Et  comment  seroient  ilz  induit z  à  l'invoquer  ;  sinon 
qu'ilz  espérassent  avoir  quelque  ayde  de  luy?  En  telle  manière 
les    disciples  :    esquelz    Jésus    Christ    reprend  l'imbécillité    de    Malt.  S 


20 


DK    LA    FOY.  n>7 

Foy,  crioyent  bien  qu'ilz  perissoient  :  toutesfois  ilz  imploroient 
son  ayde.  Nous  all'ei-mons  donc  de  rechef  ce  qui  a  esté  cy  dessus 
dict  :  c'est  que  la  racine  de  Foy  n'est  jamais  du  tout  arrachée 
du  cœur  fidèle,  qu'elle  n'y  demeure  ton sj ours  fichée  :  combien 
s  qu'estant  esbranlée,  elle  semble  advis  encliner  cà  et  là  :  Que  la 
lumière  d'icelle  n'est  jamais  tellement  esteincte,  que  pour  le 
moins,  il  n'y  en  demeure  tousjours  quelque  estincelle.  Ce  que 
demonstre  Job,  quand  il  dit,  qu'il  ne  laissera  point  d'espérer  j^i  73 
en    Dieu,   encores  mesmes  cju'il  l'occist .    Or  est-il  ainsi,  que  ^Q^i^Cor.lO. 

10  Sainctz   n'ont  jamais  plus  g'rande   matière    de    desespoir  :   que 
quand  ilz  sentent   la  main  de  Dieu  dressée  pour  les  confondre, 
selon  qu  ilz  en  peuvent  estimer  par  lestât  des  choses  présentes. 
Il  y  a  une  autre  espèce  de    crainte   et  tremblement  :   de   la- 
quelle tant   s'en  fault   que  la   certitude  de  Foy  soit    diminuée, 

15  que  plustost  elle  en  est  confermée.  C'est  quand  les  fidèles, 
reputantz  que  les  exemples  de  la  vengeance  de  Dieu  exécutée 
sur  les  iniques,  leur  doibvent  estre  pour  enseignementz  :  à  fin 
de  ne  provocjuer  point  l'ire  de  Dieu  par  mesmes  delictz,  se 
donnent    plus    songneusement    garde    de    mal    faire.    Ou    bien, 

20  quand  recongnoissantz  leur  misère,  ilz  apprennent  de  totalle- 
ment    dépendre   de    Dieu  :   sans   lequel  ilz   se   voient  estre  plus 
caduques   et  incertains,  qu'une  bouffée  de  vent.   Car  l'Apostre, 
en   ce  que  après  avoir  proposé  les  chastiemens  que  Dieu  avoit  tîohj.  //. 
faictz  sur  le  peuple  d'Israël  :  il    baille  une  crainte  aux   Corin- 

2r,  thiens  de  ne  tomber  point  en  mesme  péché.  Par  cela  ne  renverse 
aucunement  leur  fiance  :  mais  seulement  les  reveille  de  leur 
paresse  :  laquelle  plustost  a  coustume  d'ensevelir  la  Foy,  que 
de  l'establir.  Pareillement  quand  de  la  ruyne  des  Juifz  ilz  prend 
occasion  d'exhorter  celuy  qui  est  debout,  qu'il  se  garde  bien  de 

30  cheoir,  il  ne  nous  commande  point  de  vaciller,  comme  si  nous 
estions  incertains  de  nostre  fermeté  :  mais  seulement  il  oste 
toute  arrogance  et  confiance  téméraire  de  nostre  propre  vertu 
à  fin  que  nous,  qui  sommes  Gentilz,  n'insultions  aux  Juifz, 
desquelz  nous  avons  esté  substituez    en  la   place.  Pareillement 

:!5  quand     il    enseigne    que    nous    travaillons     pour   nostre    salut  Philip.  2. 
avec    crainte   et   tremblement  :    il    ne    demande    autre    chose, 
sinon  que  nous  accoustumions    de  nous   arrester  à  la   vertu  dvi 
Seigneur,    en    grande    déjection     de    nous  mesmes.    Or    est    il 
ainsi,    que   rien    ne    nous    peut    tant   esmouvoir,    à    reposer  la 


198  CHAPITRE  un. 

certitude  et  fiance  de  nostre  Foy  en  Dieu,  que  la  deffîance  de 
nousmesmes  :  et  la  destresse  que  nous  avons  après  avoir  recon- 
g-neu  nostre  calamité  :  Et  en  ce  sens  il  fault  prendre  ce  qui  est 
dict  par  le  Prophète  :    J'entreray  en  ton  Temple  en  la  multitude  Psal.  3. 

5  de  ta  bonté  :  et  y  adoreray  en  crainte  :  où  il  conjoinct  fort  pro- 
prement la  hardiesse  de  Foy,  qui  s'appuye  sur  la  miséricorde  de 
Dieu,  avec  la  crainte  et  saincte  tremeur  :  de  laquelle  il  est  néces- 
saire que  nous  soyons  touchez  :  quand  en  comparoyssant  devant 
la  majesté  de  Dieu,  par  la  clarté  d'icelle,  nous  entendons  quelles 

10  sont  noz  ordures.   Pourtant  Salomon  dit   bien   vray  :    Que    bien  Pror.  28. 
heureux  est  l'homme,  qui  assiduellement  faict  craindre  son  cœur  : 
d'autant  que  par  endurcissement  on  tombe  en  ruyne.  Mais  il  en- 
tend une  crainte,  laquelle  nous  rende  plus  song-neux  et  prudens  : 
non  pas   qui    nous   afflige  jusques  à  desespoir.  A  scavoir  quand 

13  nostre  courag'e,  estant  en  soy  confuz,  se  reconforte  en  Dieu  estant 
abatuensoy,  se  redresse  en  iceluy:  sedeffiantde  soy,  consiste  en 
l'espérance  qu'il  ha  en  luy.  Pourtant  il  n'y  a  nul  empeschement, 
que  les  fidèles  ne  sentent  crainte  et  tremblement,  et  ensemble 
jouvssent  de    consolation  très   seure  :  entant  que  d'une  part  ilz 

20  considèrent  leur  vanité,  de  Tautre  ilz  regardent  la  vérité  de  Dieu. 

Or  la  crainte  de  Dieu,    laquelle  est   attribuée  aux  fidèles    en  Prover.  I . 
toute  l'Escriture,  et  laquelle  est  maintenant  appellée  commence-  p^^'^  y^^ 
ment  de  sagesse,  maintenant  la  sagesse  mesme  :  combien  qu'elle 
soit  une,   toutesfois  elle  procède  de  double  affection.  Car  Dieu 

25  ha  en  soy  la  révérence  tant  d'un  père,  que  de  maistre.    Pourtant 
quiconque   le    voudra  droictement  honorer  :    se  estudiera  de  se  Prov.  16. 
rendre   envers  luy  filz    obeyssant ,  et    serviteur  prompt  îi  faire   jo/,_  28. 
son  debvoir.  L'obéissance  qui  luy  est  rendue  comme   à  nostre 
père:   il  l'appelle  par  son  Prophète  honneur.  Le  service  qui  luy  3/3/3     /. 

3ûest  faict  comme  à  nostre  maistre  :  il  l'appelle  crainte.  Le  filz,  dit- 
il,  honore  son  père,  et  le  serviteur  son  maistre.  Si  je  suis  vostre 
père;  où  est  l'honneur  que  vous  me  debvez?  Si  je  suis  vostre 
maistre;  où  est  la  crainte?  Toutesfois  combien  qu'il  les  distingue  : 
il  les  confond   au    commencement,    comprenant   l'un  et   l'autre 

35  soubz  le  nom  d'honorer.  Parquoy,  que  la  crainte  de  Dieu  nous  soit 
une  révérence  meslée  de  tel  honneur  et  crainte.  Et  n'est  point  de 
merveille,  si  un  mesme  cœur  receoit  ensemble  ces  deux  affections. 
11  est  bien  vray,  que  celuy  qui  repute  quel  père  nous  est  Dieu  : 
qu'il  ha  suffisante  raison,  voire  qu'il  n'y  eust  nul   Enfer,  d'avoir 


DE  LA    FOY.  199 

plus    g^rand'horreur   de    l'ofFenser,   que    de    mourir.    Mais   aussi 
d'autrepart,   selon  que  nostre  chair   est  encline  à  se  lascher  la 
bride  à  mal  faire  :    il   est  nécessaire,  pour  la  restraindre,  d'avoir 
ceste  cogitation  en   l'esprit  que  le  Seigneur,  soubz  la  puissance 
5  duquel  nous  sommes,  ha  toute  iniquité  en  abomination  :  duquel 
ceulx  qvii  auront  provoqué  l'ire,  en  vivant  meschamment,   n'é- 
viteront   point    la  vengeance.    Ce  que    Sainct  Jean  dict,  que  la  t .  Jean 
crainte    n'est    point   avec  charité  :    mais    que   charité    parfaicte 
jette  hors  la  crainte,  ne  répugne  rien  à  cela  :  veu  qu'il  parle  du 
10  tremblement  d'incrédulité,   duquel  est  bien  loing  ceste  crainte 
des   fidèles.  Car  les    iniques  ne   craignent   point  Dieu,    pource 
qu'ilz  ajent  crainte    d  encourir  son    oiTence,   s'ilz   le   pouvoient 
faire  sans  punition  :    mais  pource  qu'ilz  scaivent  qu'il  est  puis- 
sant à  se  venger,  ilz  ont  horreiu*  toutesfois  et  quantes  qu'on  leur 
15  parle  de  son  ire.  Et  mesmes  ilz  craignent  son  ire,  d  autant  qu'ilz 
la  pensent  estre  prochaine,  et  que  d'heure  en  heure  ilz  attendent 
qu'elle  les  vienne  accabler.  Aucontraire    les  fidèles,  comme  dict 
a  esté,  premièrement  craignent  plus  son  offense  que  la  punition  : 
et  ne  sont  pas  estonnez  de  crainte  d'estre  puniz,  comme  si  l'En- 
20  fer  leur  estoit  desja  présent  pour  les  angloutir  ;  mais  par  icelle 
ilz  sont  retirez,   à  fin  de    n'encourir  point   au  danger.    Pourtant 
l'Apostre  en  parlant  aux   fidèles  :  Ne  vous  trompez  point,  dit-il,  Ephe.  5. 
pour  ces  choses  :  l'ire  de  Dieu  a  accoustumé   de    venir  sur  les 
enfans    rebelles.  Il  ne   les  menace  point  que  l'ire  de  Dieu  des- 
23  cendra  sur  eux  :  mais  il  les  exhorte  de  penser,  que  1  ire  de  Dieu 
est   appareillée  aux    meschans,    à  cause  des  péchez   qu'il  avoit 
paravant  recitez  :  à   fin  qu'ilz  n'attentent  point  de  les  ensuyvre, 
pour  venir  en  une  mesme  perdition. 

Oultreplus  soubz  la  bienveuillance  de  Dieu,  laquelle  nous  disons 
3û  que  la  Foy  regarde,  il  faut  entendre  que  nous  obtenons  la  pos- 
session de  salut  et  vie  éternelle.  Car  si  rien  ne  nous  peut  faillir 
quand  nous  avons  Dieu  propice  :  il  nous  doibt  bien  suffire,  pour 
certitude  de  salut,  que  Dieu  nous  rende  certains  de  sa  dilec- 
tion  envers  nous.  Qu'il  demonstre  sa  face  (dit  le  Prophète)  et  Psal.  8. 
35  nous  serons  à  sauveté.  Pourtant  l'Escriture  met  la  somme  de  Ephes.  2. 
nostre  salut  en  ce  poinct  :  Que  le  Seigneur  ayant  aboly  toutes 
inimitiez,  nous  ayt  receuz  en  sa  grâce.  Enquoy  elle  signifie, 
que  Dieu  estant  reconcilié  à  nous,  il  ne  nous  reste  nul 
danger,  que  toutes  choses   ne  nous  tournent   à  bien.    Parquoy 


200  CHAPITRE    llll. 

la  Foy  en  appréhendant  la  dilection  de  Dieu,  comprend  en 
icelle  les  promesses  de  vie  présente  et  futiu^e,  et  ferme  asseurance 
de  tous  biens  :  voire  telle  qu'on  la  peut  avoir  par  la  paroUe  de 
l'Evangile.   Car  la  Foy  ne   se   promet    point   certainement,  ou 

3  longues  années,  ou  grandz  honneurs,  ou  abondance  de  richesses 
en  la  vie  présente  :  d'autant  que  le  Seigneur  n'a  pas  voulu  que 
nulle  de  ces  choses  ne  nous  feust  arrestée  :  mais  elle  est  con- 
tente de  ceste  certitude  :  Que,  combien  que  plusieurs  aydes  de 
ceste  vie    nous  detïaillent,   que  Dieu    ne  nous  detîaudra  jamais. 

10  La  principalle  asseurance  d'icelle  repose  en  l'attente  de  la  vie 
future  :  laquelle  nous  a  esté  mise  par  la  paroUe  de  Dieu  hors  de 
toute  incertitude.  Toutesfois  quelque  calamité  et  misère  qui 
puisse  advenir  à  ceulx  que  nostre  Seigneur  a  une  fois  receuz  en 
son  amour  :  elle  ne  peut  empescher,  que  la  seule  benevolencede. 

15  Dieu  ne  leur  soit  pleine  félicité.  Pourtant  quand  nous  avons 
voulu  exprimer  la  somme  de  toute  béatitude,  nous  avons  mis  la 
grâce  de  Dieu  :  de  laquelle  source  toutes  espèces  de  bien  nous  pro- 
viennent. Et  cela  est  facile  à  noter  en  l'Escriture,  laquelle  nous 
rappelle  tousjours  à  la  charité  de  Dieu,  quand  elle  fait  mention, 

20  non  seulement  du  salut  éternel  :  mais   de  quelconque  bien  que 
nous  ayons.   Pour  laquelle  raison  David  tesmoigne,  que  la  bonté  Psal.   63 
de  Dieu,  quand  elle  est  sentue  du  cœur  fidèle,  est  plus  doulce  et 
désirable  que  nulle  vie. 

Nous  mettons  pour    fondemens  de   la   Foy   la  promesse  gra- 

25  tuite  :  d'autant  qu'en  icelle  consiste  proprement  la  Foy.  Car, 
combien  qu'elle  se  propose  Dieu  véritable  en  tout  et  par  tout  : 
soit  qu'il  commande,  ou  deffende,  ou  promette,  ou  menace  : 
combien  aussi  qu'elle  receoive  en  obeyssance  ses  comman- 
demens,    qu'elle   garde   ses  deffenses,   et  craigne   ses  menaces  : 

30  neantmoins  proprement  elle  commence  par  la  promesse,  s'ar- 
reste  en  icelle,  et  y  prend  sa  fin:  car  elle  cherche  vie  en  Dieu. 
Laquelle  ne  se  trouve  point  aux  commandemens,  ny  aux  me- 
naces :  mais  en  la  seule  promesse  de  miséricorde,  et  icelle 
encore  gratuite.  Veu  que  les  promesses    conditionelles,  entant 

35  qu'elles  nous  reiavoyent  à  noz  œuvres  :  ne  promettent  pas  autre- 
ment vie,  sinon  que  nous  la  trouvions  en  nousmesmes.  Si 
nous  ne  voulons  donc  que  la  Foy  tremble  et  vacile  duncosté  et 
d'autre  :  il  nous  la  fault  appuyer  sur  une  telle  promesse  de 
salut,    laquelle    nous    soit  voluntairement    et    de  pure  libéralité 


DR   LA    FOY.  201 

olFerte  du  Seigneur  :  plustost  en  considération  de  nostre  misère, 
que  de  nostre  dignité.  Pour  ceste  cause  l'Apostre  attribue  ce 
tiltre  particulièrement  à  l'Evang-ile,  qu'il  soit  nommé  paroUe  de 
la  Foy  :    lequel  il  ne  concède  point  ny  aux  commandemens,  ny  Boni.   10. 

5  aux  promesses  de  la  Loy  :  pource  qu'il  ny  a  rien  qui  puisse 
assevu'er  la  Foy,  sinon  ceste  ambassade  envoyée  de  la  beni- 
g"nité  de  Dieu,  par  laquelle  il  reconcilie  le  monde  à  soy.  De  là 
vient  la  correspondance,  que  souventesfois  il  met  entre  la  Foy 
et  l'Evangile.  Comme  quand  il  dit  que   l'Evangile  luy  a   esté   i{om.  I. 

10  commis,  en  obeyssance  delà  Foy.  Item,  Qu'il  est  la  vertvi  de 
Dieu  en  salut  à  tous  croyans.  Item,  Qu'en  iceluy  la  justice  de 
Dieu  est  révélée  de  Foy  en  Foy.  Et  n'est  point  de  merveilles. 
Car,  comme  ainsi  soit  cpie  l'Evangile  soit  le  Ministère  de  recon- 
ciliation de  nous  avec  Dieu  :  il  n'y  a  nul  autre  sufïisant  tesmoi-  2. Cor.  :]. 

1".  gnagede  la  benevolence  de  Dieu  envers  nous,  de  laquelle  la  con- 
gnoissance  est  requise  en  la  Foy.  Quand  donc  nous  disons,  que 
la  Foy  doibt  estre  appuyée  sur  promesses  gratuites  :  nous  ne 
nyons  pas  que  les  fidèles  ne  receoivent  et  révèrent  la  parolle 
de  Dieu  en  tous  endroictz  :  mais  destinons  à  la  Foy  la  promesse 

20  de  miséricorde   pour  son  propre  but.  Comme,   k    la    vérité,   les 
fidèles  doibvent  bien  recongnoistre  Dieu  pour  Juge  et  punisseur 
des  malfaictz  :  toutesfois  qu'ilz  regardent   spécialement  sa  clé- 
mence, entant  qu'il  leur  est  descriten  telle   sorte  :  c'est  qu'il  est  Psnl.   S6. 
bening  et  miséricordieux,  tardif  à  ire,  enclin  à  bonté,  débonnaire  '"'^-  '  '^^• 

25  à  tous,  et  espandant  sa  miséricorde  sur  toutes  ses  œuvres. 

D  avantage  ce  n'est  pas  sans  cause,  que  nous  encloiions  toutes 
promesses  en  Christ  :  veu   que  l'Apostre  enclost  tout  l'Evangile   Rom.  I. 
en  la  congnoissance  d'iceluy.    Et  un  autre  passage  il   enseigne,  2.  Cor.  I. 
que   tant  qu'il   y   a   de  promesses    de    Dieu,  elles   sont    en  luy, 

soouy,  et  Amen  :  c'est  à  dire  ratiffiées.  De  laquelle  chose  la 
raison  est  évidente.  Car  quelque  bien  que  promet  le  Seigneur, 
en  cela  il  testifie  sa  benevolence  :  tellement  qu'il  n'y  a 
nulles  promesses  de  luy,  qui  ne  soient  tesmoignages  de  sa 
dilection.  Et  à   cela  ne    contrevient  point  que  les  iniques,  d'au- 

35  tant  plus  qu'ilz  receoivent  de  bénéfices  de  sa  main,  se  rendent 
coulpables  de  plus  grief  jugement.  Car  d'autant  qu'ilz  ne 
pensent  et  ne  recongnoissent  que  les  biens  qu'ilz  ont,  ne  leur 
viennent  de  la  main  de  Dieu,  ou  bien  s'ilz  le  recongnoissent,  ne 
reputent  point  sa  bonté  en  leurs  cœurs  :  par  cela  ne  peuvent  non 


202  CHAPITRE    IIIl. 

plus  comprendre  sa  vérité,  que  les  bestes  brutes,  lesquelles  selon 
la  qualité  de  leur  nature  receoivent  mesme  fruict  de  sa  largesse, 
sans  toutesfois  en  rien  recong-noistre.  Pareillement  ne  répugne 
point  à  nostre  dire,  que  en  rejettantles  promesses,  qui  leur  sont 
3  adressées  :  s'assemblent  par  telle  occasion  plus  griefve  vengeance. 
Car,  combien  que  lors  finalement  se  declaire  l'efficace  des  pro- 
messes, quand  elles  sont  receues  de  nous  :  toutesfois  leur  vérité  et 
propriété  n  est  jamais  esteincte  par  nostre  infidélité  ou  ingratitude. 
Pourtant,  puis  que  ainsi  est,  que  le  Seigneur  par  ses  promesses 

10  invite  et  convye  les  hommes,  non  seulement  à  recevoir  les  fruictz 
de  sa  bénignité,  mais  aussi  à  les  reputer  et  estimer  :  pareillement 
il  leur  declaire  sa  dilection.  Pourtant  il  fault  revenir  à  ce  poinct, 
que  toute  promesse  est  testification  de  l'amour  de  Dieu  envers 
nous.    Or  il  est  indubitable,  que  nul  n'est  aymé  de  Dieu  hors  de  Mat.  1~. 

15  Christ  :  veu  qu'il  est  le  filz  bien  aymé,  auquel  repose  l'affection  du 
père.  11  fault  donc  que   par  son  moyen  ceste  amytié  parvienne 
jusques  à  nous.  Pour  laquelle  raison  l'Apostre  l'appelle  nostre  Ephe.  2. 
paix  :  et  en  un  autre  passage  le  propose  comme  lyen,  par  lequel  Bom.  8. 
la  volunté  du  père  est  conjoincte  à  nous.  De  là  s'ensuyt,  que  nous 

20  devons  tousjours  regarder  en  luy  :  quand  quelque  promesse  nous 
est  offerte.  Et  que  S.  Paul  ne  dit  point  mal,  enseignant  que  toutes 
les  promesses  de  Dieu  sont  en  luy  conformées  et  accomplies. 

Or  ceste   simple  déclaration,   que   nous  avons  la   paroUe   de 
Dieu,  debvoit  bien  souffire  à  engendrer  la  Foy  en  nous  :  nestoit 

25  que  nostre  aveuglement  et  obstination  y  donnast  empesche- 
ment.  Mais,  comme  nostre  esprit  est  enclin  à  vanité,  il  ne 
peut  jamais  adhérer  à  la  vérité  de  Dieu  :  et  comme  il  est  esbesté, 
il  ne  peut  voir  la  lumière  d'iceluy.  Pourtant  la  paroUe  nuë 
ne  proffite  de   rien,  sans  l'illumination  du  Sainct  Esprit.  Dont 

30  il  appert  que  la  Foy  est  par  dessus  toute  intelligence  hu- 
maine. Et  encores  ne  suffist-il  point,  que  l'entendement  soit  il- 
luminé par  l'Esprit  de  Dieu  :  sinon  que  le  cœur  soit  confemié  par 
sa  vertu.  En  laquelle  chose  les  Théologiens  Sorboniques  faillent 
trop  lourdement  :  qui  pensent  que  la  Foy  soit  un  simple  consen- 
tement à  la  parolle  de  Dieu,  lequel  consiste  en  intelligence  :  lais- 

35santz  derrière  la  fiance  et  certitude  du  cœur.  C'est  donc  \m  singu- 
lier don  de  Dieu,  que  la  Foy,  en  deux  manières.  Premièrement, 
entant  que  l'entendement  de  l'homme  est  illuminé,  poiu*  entendre 
la  vérité  de  Dieu  :   puis  après  que  le  cœur  est  en  icelle  fortifié. 


DE    LA    FOY.  203 

Il  est  bien  vray,  que  c'est  une  opinion  fort  estrange  au  monde  : 
quand  on  dit,  que  nul  ne  peut  croyre  en  Christ,  sinon  celuy  auquel 
il  est  donné  particulièrement.  Mais  c'est  en  partie  à  cause  que  les 
hommes  ne  considèrent  poinct,  comment  ne  combien  est  haulte 
set  dilïicile  à  comprendre  la  sapience  céleste,  ne  quelle  est  leur 
rudesse  et  imbécillité  à  comprendre  les  Mystères  de  Dieu  :  en 
partie  aussi  pource  qu'ilz  n'ont  point  esg-ard  à  ceste  fermeté  de 
cœur,  qui  est  la  principale  partie  de  la  Foy.  Lequel  erreur  est 
facir  à  convaincre.  Car  (comme  dit  Sainct  Paul)  s'il  ne  peut  i,(:or.2. 
avoir  nul  tesmoing  de  la  volunté  de  l'homme,  sinon  l'Esprit  de 

10  l'homme  qui  est  en  luy  :  comment  la  créature  seroit  elle  certaine 
de  la  volunté  de  Dieu  ?  Et  si  la  vérité  de  Dieu  nous  est  doub- 
teuse,  es  choses  mesmes  que  nous  voyons  présentement  à  l'œil  : 
comment  nous  seroit-elle  ferme  et  indubitable,  quand  le  Seigneur 
nous  promet  les  choses  que  l'œil  ne  voit  point,  et  1  entendement 

15  ne  peut  comprendre  ?  Et  tellement  la  prudence  humaine  est  icy 
esbestée  et  estourdie  :  que  le  premier  degré  pour  proffîter  en  l'es- 
colle  du  Seigneur,  est,  de  y  renoncer.  Car  par  icelle,  comme  par 
un  voyle  interposé,  nous  sommes  empeschez  de  comprendre  les 
Mystères  de  Dieu:   lesquelz  ne   sont  point  révélez,    sinon    aux  Mat.  1 1 . 

2opetiz.  Mesmes  ce  n'est  point  la  chair  et  le  sang,  qui  les  révèle  :  et  Luc  10. 
l'homme  naturel  n'est  point  capable  d'entendre  les  choses  spiri-  Mat.  16. 
tuelles.  Mais  aucontraire  ce  luy  est  folie  de  la  doctrine  de  Dieu  : 
d'autant  quelle    ne  peut   estre  congneue    que  spirituellement. 
Pourtant  layde  du  Sainct  Esprit  nous  est  en  cest  endroit  neces- 

25  saire  :  ou  plustost  il  n'y  a  que  sa  seule  vertu  qui  règne  ici.  Il  n'y 
a  nul  homme  qui  ayt  congneu  le  secret  de  Dieu,  ou  ayt  esté  son  /.  Cor.  2. 
conseillier  :  mais  l'Esprit  enquiert  de  tout,  jusques  aux  choses 
cachées  :  par  lequel  nous  congnoyssons  la  volunté  de  Christ.  Nul 
ne  peut  venir  à  moy,  dit  le  Seigneur  Jésus,  sinon  que  le  père,  Jean  6. 

30  qui  m'a  envoyé,  l'attire.  Quiconques  donc  a  escouté  mon  père,  et 
a  apprins  de  luy,  il  vient  à  moy  :  nompas  que  personne  ayt  veu 
le  père,  sinon  celuy  qui  est  envoyé  de  Dieu.  Comme  donc  nous  ne 
pouvons  approcher  de  Christ,  sinon  estantz  tirez  par  l'Esprit  de 
Dieu  :   aussi  quand  nous  sommes  tirez  nous  sommes  totalement 

35  ravyz  par  dessus  nostre  intelligence.  Car  l'ame,  estant  par  luy  illu- 
minée receoit  quasi  un  œil  nouveau,  pour  contempler  les  secretz 
célestes  :  de  la  lueur  desquelz  elle  estoit  auparavant  esblouyë.  Par 
ainsi  l'entendement  de  l'homme,  estant  esclarcy  par  la  lumière  du 


204  CHAPITRE    1111. 

Sainct  Esprit,  commence  lors  à  gousterles  choses  qui  appartiennent 
au  Royaume  de  Dieu  :  desquelles  il  ne  pouvoit  auparavant  avoir 
aucun  sentiment.  Parquoy  nostre  Seigneur  Jésus  Christ,  combien 
qu'il  declaire  les  Mystères  de  son  Royaume  tresbien  et  proprement 

5  aux  deux    disciples,  dont   fait  mention  S.  Luc  :   toutesfois  il  ne  Luc.  22. 
proffîte  de  rien,jusques  à  ce  qu'il  ouvre  le  sens  pour  entendre  les 
Escritures.  En  ceste  manière,    après  que  les  Apostres  ont  esté  Jean  / 6. 
instruictz  de  sa  bouche  divine  :  encores  est-il  besoing-  que  l'Es- 
prit de  vérité  leur  soit  envoyé,  lequel  donne  entrée  en  leurs  enten- 

111  démens  à  la  doctrine,  qu'ilz  avoient  receuë  des  aureilles  para- 
vant.  La  parolle  de  Dieu  est  semblable  au  Soleil  :  car  elle  reluyt 
à  tous  ceux,  ausquelz  elle  est  annoncée  :  mais  c'est  sans  efficace 
entre  les  aveugles.  Or  nous  sommes  tous  aveugles  naturellement  i 

en  cest  endroit  :  pourtant  elle  ne  peut  entrer  en  nostre  esprit  : 

ir,  sinon  que  l'Esprit  de  Dieu,  qui  est  le  maistre  intérieur,  luy  donne 
accez  par  son  illumination . 

Il  reste  en  après,  que  ce  que  l'entendement  a  receu,  soit  planté 
dedens  le  cœur.  Car  si  la  parolle  de  Dieu  voltige  seulement  en 
la  teste  :  elle  n'est  point  encores  receuë  par  Foy.  Mais  a  lors  sa 

20  vraye  réception,  quand  elle  a  prins  racine  au  profond  du  cœur: 
pour  estre  une  forteresse  invincible  à  soustenir  et  repoulser 
tous  assaulx  des  tentations.  Or  s'il  est  vray  que  la  vraye 
intelligence  de  nostre  esprit  soit  illumination  de  l'Esprit  de 
Dieu  :    sa  vertu   apparoist  beaucoup  plus   évidemment  en   une 

îo  telle  confirmation  du  cœur.  A  scavoir  d'autant  qu'il  y  a  plus  de 
deffîance  au  cœur,  que  d'aveuglement  en  l'esprit  :  et  qu'il  est 
plus  difficile  de  donner  asseurance  au  cœur,  que  dinstruyre 
l'entendement.  Parquoy  le  Sainct  Esprit  sert  comme  d'un  seau  : 
pour  sceller  en  noz  cœurs  les  mesmes  promesses,  lesquelles  il  a 

30  premièrement   imprimées    en    nostre    entendement  ;    et   comme 
d'une   arre,    pour    les    confirmer    et    ratifier.    Après    que   vous 
avez  creu,  dit    l'Apostre,  vous  avez  esté  scellez  par  l'Esprit  de  Ephes.1 . 
promesse  :  qui  est    l'arre   de  vostre  Héritage.  Voyez-vous  com- 
ment il  monstre  :   que    les   ca^urs   des  fidèles   sont  marquez   du 

35  Sainct  Esprit,  comme  d'un  seau    :   et    qu'il  l'appelle   Esprit  de 
promesse,  à  cause  qu'il  nous  rend  l'Evangile  indubitable  ?  Sem- 
blablement    aux  Corinthiens  :    Dieu,  dit-il,  qui  nous  a  oinctz,  et  2.  Co- 
nous  a  marquez   et   donné  l'arre   de  son  Esprit   en  noz  cœurs.     '""*  '  • 
Item,    en    un   autre    lieu,     parlant     de    la    confiance     et    har- 


DK    I.A    InV.  20,*) 

diesse  de  nostre  espérance  :  met    pour  fondement  d'icelle,  l'arre  i.  Cor.  S. 
de  son  Esprit. 

De  là  peut-on   jug-er,    combien   lu   doctrine  des   Théologiens 
Sophistes  est  pernitieuse.  C'est  que  nous  ne  pouvons  rien  arres- 
s  ter  en  nous  de  la  grâce  de  Dieu,  sinon  par  conjecture  morale  : 
selon  qu'un  chascun  se  repute  n'estre  indigne  d'icelle.  Certes  s'il 
lault  estimer  par  les  œuvres  quelle  affection  ha  Dieu  envers  nous 
je  confesse  que  nous  ne  le  pouvons  pas  comprendre,  voyre  par 
la  moindre  conjecture  du  monde.  Mais  d'autant  que  la  Foy  doiht 
1"  respondre  à  la  simple  et  gratuite  promesse  de  Dieu  :  il  ne  reste 
plus  de  lieu  à  aucune  doubte.  Car,  de  quelle  liance  serons-nous 
armez  contre  le  Diable  :  si  nous  pensons  seulement  soubz  ceste 
condition  Dieu  nous  estre  propice  ;  si  nous  méritons,  qu'il  nous 
le  soit?  Mais  d'autant  que  nous  avons  destiné   à  ceste  matière 
tïson   traicté  à    part  :  nous  ne  la  poursuivrons  d'avantage  pour 
le  présent  :  veu  principalement  que  c'est  une  chose  manifeste, 
qu'il  n'y  a  rien  plus  contraire  à  la  Foy  que  conjecture,  ou  autre 
sentiment  i)rochain  à  doubte  et  anibiguité.  Pour  confermer  cest 
erreur,  il/,  ont  tousjours  en  la  bouche  un  passage  del'Ecclesiaste,  Eccle.  9. 
20  lequel   ilz   corrompent   meschamment    :   à   scavoir,   Que   nul  ne 
scait  s'il  est  digne  de  hayne  ou  d'amour.  Encores  que  je  laisse  à 
(lire,  que  ceste  sentence  a  esté  mal  rendue  en  la  translation  com- 
mune, toutesfois  les  petiz  enfans  peuvent  voyr  ce  que  Salomon  a 
voulu  dire.   C'est  que  si  quelqu'un  veult  estimer  par  les  choses 
25  présentes,   lesquelz  sont  aymez,  et   lesquelz  sont  hayz  de  Dieu, 
qu'il  travaillera  en   vain    :  veu  que  prospérité  et  adversité  sont 
communes,  tant  au  juste  qu'à  l'inique  :  tant   à  celuy  qui  sert  à 
Dieu,  qu'à   celuy  qui  n'en   tient  compte.  Dont   il  s'ensuyt,  que 
Dieu  ne  testifie  point  tousjours  son  amour  envers  ceux  qu'il  fait 
30  fructifier  temporellement  :  et  aussi  ne  declaire  sa  hayne  envers 
ceux  qu'il   afïïige.  Laquelle  chose  il  dit,  pour  redarguer  la  vanité 
de  l'entendement  humain  :  veu  qu'il  est  si  esbeté  à  considérer  les 
choses  tant  nécessaires  (comme  peu  devant  il  avoit  dit)  qu'on  ne 
peut  pas  discerner  en  quoy  diffère  l'ame  de  l'homme,  d'une  ame  Eccle.  3. 
3=i  brutale    :  pource  qu'il  semble  advis   que  l'une  et  l'autre  meurt 
dune    mesme    mort.  Si    quelqu'un   vouloit   de    cela    inférer,    la 
sentence,    que    nous    tenons    de    l'immortalité    des    hommes, 
n'estre    fondée  que   sur    conjecture  :    ne    le  jugerions-nous  pas 
à    bon    droit    estre    enragé  ?    Ceux    cy    donc   sont-ilz    de    sain 


206  CHAPITRE    llll. 

entendement  en  arguant  qu'il  n'y  a  nulle  certitude  de  la  grâce 
de  Dieu  entre  les  hommes,  d'autant  qu'elle  ne  se  peut  com- 
prendre par  le  regard  charnel  des  choses  présentes. 

Mais  ilz  allèguent  que  cela  est  une  presumption  téméraire,  que 

0  s'attribuer  une  congnoissance  indubitable  de  la  volunté  divine. 
Ce  que  je  leur  concederoys,  si  nous  entreprenions  de  vouloir 
assubjectir  à  la  petitesse  de  nostre  entendement  le  conseil  incom- 
préhensible de  Dieu.  Mais  quand  nous  disons  simplement  avec 
Sainct  Paul,  que  nous  avons  receu  im  Esprit  qui  n'est  point  de 

10 ce  monde,  ains  procédant  de  Dieu:  par  lequel  nous  congnoys- 
sons  les  biens  que  Dieu  nous  a  donnez  :  qu'est-ce  qu'il  peuvent 
murmurer  àFencontre  ;  qu'ilz  ne  facent  injure  à  l'Esprit  de  Dieu? 
Or  si  c'est  un  sacrilège  horrible,  de  souspeceonner  aucune  révé- 
lation venant  de  luy,  ou  de  mensonge,  ou  d'incertitude,  ou  d'am- 

lo  biguité  :  qu'est-ce  que  nous  faillons  afFermantz  la  certitude  de  ce 
qu'il  nous  a  révélé  ?  Mais  il  prétendent  de  rechef,  que  c'est  témé- 
rairement faict  à  nous,  de  nous  oser  ainsi  glorifier  de  l'Esprit  de 
Christ.  Enquoy  il  demonstrent  grandement  leur  bestise.  Qui 
penseroit  qu'il  y  eust  une  telle  ignorance  en  ceux  qui  se  veullent  Hom.  8. 

20  faire  docteurs   de  tout  le  monde  ;    de  faillir   si  lourdement   aux 
premiers  elementz  de  la  Chrestienté  ?  Certes  ce  me  seroit  une 
chose  incredible,  sinon  que  leurs  escritures  en  fissent  foy.  Sainct 
Paul  dénonce  qu'il  n'y  a  point  d'autres  enfans  de  Dieu  sinon  ceulx  Là    mes- 
qui  sont  menez  par  l'Esprit  d'iceluy.  Ceulx-cy  veullent  que  les    '"^*  ^ 

25  enfans  de  Dieu  soient  conduictz  par  leurs  propres  espritz  :  estans 
vuides  de  celuy  de  Dieu.  Sainct  Paul  enseigne  que  nous 
ne  pouvons  appeller  Dieu  nostre  Père,  sinon  que  l'Esprit 
imprime  ceste  appellation  en  nous  :  lequel  seul,  peut  rendre 
tesmoignage    à    nostre    ame,    que     nous    sommes     enfans     de 

30  Dieu.  Ceulx-cy,  combien  qu'ilz  ne  nous  deffendent  point  l'in- 
vocation de  Dieu  :  neantmoins  nous  ravissent  l'esprit,  par 
la  conduicte  duquel  il  le  failloit  invoquer.  Sainct  Paul  nye 
que  celuy  qui  n'est  mené  par  l'Esprit  de  Christ,  soit  serviteur 
d'iceluy.   Ceulx-ci  forgent   une   Chrestienté,  laquelle   nayt   que 

35  faire  de  l'Esprit  de  Christ.  Sainct  Paul  ne  nous  fait  nulle  espé- 
rance de  la  résurrection  bien  heureuse  :  sinon  que  nous  sentions 
le  Sainct  Esprit  résident  en  nous.  Ceulx-c}'  imaginent  une  espé- 
rance vuide  d'un  tel  sentiment.  Hz  respondront,  possible,  qu'ilz 
ne    nyent   point    que    le    Sainct    Esprit    ne    nous    soit    neces- 


dp:  la  foy.  207 

saire  :  mais  cpie  par  humilité  et  modestie  nous  debvons  penser  que 
nous  ne  l'avons  point.  Mais  qu'est-ce  donc  que  veult  l'Apostre; 
quand  il  commande  aux  Corinthiens  de  s'examiner  et  esprouver  i.Cur.HL 
s'ilz  ont  Jésus  Christ  habitant  en  eux  ;  adjoustant  que  quiconque 
5  n  a  ceste  congnoissance  est  reprouvé  ?  Or  nous  congnoyssons  par 
l'Esprit  qu'il  nous  a  donné,  qu  il  demeure  en  nous  :  ainsi  que  dict 
vSainct  Jean.  Et  qu'est-ce  que  nous  faisons  autre  chose  ;  (jue  revo-  l.jean.'i. 
quer  les  promesses  de  Jésus  Christ  en  double  ;  quand  nous  vou- 
lons estre  .ses  serviteurs  sans  son  Esprit  ;  veu  qu'il  a  dénoncé 

10  qu'il  l'espandroit  sur  tous  les  siens  ?  Que  faisons-nous  autre  chose  joel  2. 
([ue  desrober  au  Sainct  Esprit  sa  gloire,  en  séparant  de  luy  la 
Foy  ;  qui    est   œuvre    proprement  venant   de  luy  ?   Veu  que  ces 
choses  sont  les  premières  leceons  {[ue  nous  devons  apprendre  en 
nostre  religion  :  C'est  un  grand  aveuglement  de  noter  les  Chres- 

15  tiens  d'arrogance,  quand  ilz  se  glorifient  de  la  présence  du  S.  Es- 
prit :  sans  laquelle  il  n'y  a  nulle  chrestienté.  Certes  ilz  demonstrent 
parleur  exemple,  combien  est  vray  ce  que  dit,  le  Seigneur  :  com- 
bien son  Esprit  est  incongneu  au  monde  et  qu'il  n'y  a  que  ceulx-la, 
dedens  lesquelz  il  habite,  qui  le  congnoyssent. 

20  l'^t  à  fin  de  renverser  de  toutes  })ars  les  fondemens  de  la  Fov, 
il/,  les  assaillent  encores  d'un  autre  costé.  C'est,  combien  (pie  nous 
puissions  asseoir  jugement  de  la  grâce  de  Dieu  selon  la  justice  en 
laquelle  nous  consistons  présentement  :  toutesfois  que  la  certitude 
de  nostre  espérance  demeure  en  suspendz.  Mais  il  nous  resteroit 

23  une  belle  confiance  de  salut,  si  nous  ne  pouvons  autre  chose,  que 
reputer  par  conjecture,  qu'ilz  appellent  morale,  que  nous  sommes 
à  présent  en  la  grâce  de  Dieu,  ne  scachantz  ce  qui  doibt  demain 
advenir.  L'Apostre  parle  bien  autrement,  disant  :  qu'il  est  certain, 
queny  Anges,  ny  Puyssances,  ny  Principautez,  ne  mort,  ne  vie,  Rom.  S. 

30  ne  les  choses  présentes,  ne  les  futures  ne  nous  pourront  sejîarer 
de  la  dilection,  de  laquelle  Dieu  nous  embrasse  en  Jésus  Christ, 
Hz  s'efforcent  deschapper  par  une  solution  frivole  :  disantz  que 
l'Apostre  avoit  cela  de  révélation  spéciale.  Mais  ilz  sont  de  trop 
près    tenuz,   pour  pouvoir    si    facilement  eschapper  :    Car  là  il 

35  traicte  quelz  biens  proviennent  de  la  Foy  generallement  à  tous 
fidèles  non  point  ce  qu'il  experimentoit  particulièrement  en 
soy.  Voire  mais  luy  mesme,  disent-ilz,  tasche  de  nous  faire 
craindre,  en  nous  remonstrant  nostre  imbecilité  et  inconstance, 
quand  il  dit,  que  celuy  qui  est  debout    se  doibt  garder  qu'il  ne 


208  CHAPITRE  iiii. 

tombe.  Il  est  bien  vray  :  toutesfois  il  ne  nous  baille  point  une 
crainte  pour  nous  estonner  :  ains  seulement  pour  nous  apprendre  /.  Pier.  o. 
de  nous    humilier   soubz   la   main  puissante   de   Dieu    :  comme 
Sainct  Pierre  le  declaire.  D'avantage,  quelle  resverie  est-ce,  de 

5  limiter  la  certitude  de  Foy  k  un  petit  de  temps  ;  à  laquelle  il 
convient  proprement  doultrepasser  la  vie  présente  ;  pour  s'es- 
tendre  à  l'immortalité  future  ?  Pourtant  quand  les  fidèles  recon- 
gnoyssent  cela  venir  de  la  grâce  de  Dieu,  que  estans  illuminez 
de  son  Esprit,  ilz  jouyssent,  par  Foy,  de  la  contemplation  de  la 

10  vie  future  :  tant  s'en  fault  que  telle  gloire  doibve  estre  accusée 
d'arrogance  :  que  si  cjuelquun  ha  honte  de  confesser  cela,  il 
demonstre  ime  extrême  ingratitude,  plustost  que  modestie  ou 
humilité  :  d'autant  quil  supprime  et  obscurcit  la  bonté  de  Dieu, 
•laquelle  il  debvoit  magnifier. 

lo  Par  une  mesme  raison  semblablement  sont  renversez  deux 
autres  mensonges  des  Sophistes.  Le  premier  est  qu'ilz  imaginent 
que  la  Foy  soit  formée,  quand  à  la  congnoyssance  de  Dieu  est 
adjoustée  une  bonne  affection.  Le  second,  que  en  attribuant  le 
filtre  de    Foy   à    ignorance   et    mescongnoyssance   de   Dieu,    ilz 

20  abusent  le  simple  populaire  :  car  il  font  à  croire  que  l'igno- 
rance n'empesche  point  qu'on  n'ayt  une  Foy,  qu'ils  appellent 
implicite.  Quant  est  du  premier,  ilz  declairent  assez  qu'ilz 
n  entendent  point,  quel  est  le  consentement  de  la  Foy  à  rece- 
voir la  vérité  de  Dieu   :  quand  il  forgent  une  Foy  informe  d'un 

25  simple  et  frivol  consentement.  Car  nous  avons  ja   declaire,  que 
le   consentement  de   la   Foy  est  plustost  du    cœur  que   du  cer- 
veau :    et  de    l'afîection    plustost  que    de    l'intelligence.     Pour /jom.-/. 
laquelle  cause  la  Foy  est  nommée  obeyssance  :  à  laquelle  le  Sei- 
gneur ne  préfère  nul  autre  service.  Et  ce  à  bon  droit  :  veu  qu'il 

3on'ha  rien  plus  précieux  que  sa  vérité  :  laquelle  Jésus  Christ  dit  Jeano, 
estre  signée  et  approuvée  par  lescroyans.  Parquoy,  puis  que  c'est 
une  chose  quin'ha  pas  grand  doubte  :  nous  concluons  en  un  mot, 
que  les  Sorbonistes  parlent  follement,  en  disant,  que  la  Foy  est 
formée  quand  avec  le  consentement  est  conjoincte  la  bonne  affec- 

33  tion  :  veu  que  le  consentement,  tel  qu'il  est  demonstre  en  l'Escri- 
ture,  ne  peut  estre  sans  bonne  affection.  Mais  il  y  a  encores  une  Jean  3. 
autre  raison  beaucoup  plus  évidente.  Car  veu  que  la  Foy  receoit 
Christ  tel  qu'il  est  offert  du  Père  :  et  il  est  offert,  non  seulement 
pour  justice,  remission  des  péchez,  et  paix  :  mais  aussi  pour  sancti- 


Di:    LA    FOY. 


209 


lication  et  fontaine  d'eaûe  vive  :  elle  ne  le  peut  certes  deuëment 

recongnoistre,  sans  appréhender  la  sanctification  de  son  Esprit. 

Ou  bien,  si  quelqu'un  veult  avoir  encores   cela  plus  clairement. 

La  Fov  est  située  en  la  conj;^noissance  de  Christ  :  et  Christ  ne 

5  peut  estre  congneu  sans  la  sanctification  de  son  Esprit  :  il  s'ensuyt 
que  la  Fov  ne  doibt  estre  nullement  séparée  do  bonne  affection. 
Ceux  qui  ont  coustume  d'alléguer  ce  que  dit  Sainct  Paul  :  à  sca- 
voir,  si  quelqu'un  avoit  si  parfaicte  Foy,  que  de  pouvoir  trans-  I. Cor.  13. 
ferer  les  montaignes,  et  quil  n'eust  point  de  charité,  que  cela  n'est 

10  rien  :  voulans  par  cesparolles  faire  une  foy  informe,  qui  soit  sans 
charité.  Hz  ne  considèrent  point  que  signifie  le  vocable  de  Foy 
en  ce  passage.  Car  comme  ainsi  soit,  que  Sainct  Paul  eust  dis- 
puté des  divers  dons  de  l'Esprit  entre  lesquelz  il  avoit  nommé  les 
langues,  vertus,  et  Prophéties  :    et  qu'il  eust  exhorté  les  chres-  I. Cor.  12. 

li  tiens  d'appliquer  leur  estude  aux  plus  excellens  et  plus  proffi- 
tables,  c'est  à  scavoir  dont  il  pouvoit  venir  plus  de  fruict  et  uti- 
lité à  tout  le  corps  de  TEglise  :  Il  adjouste,  qu'il  leur  demons- 
Irera  encores  une  plus  excellente  voye  :  à  scavoir  (jue  tous  ces 
dons,  combien  qu'ilz  soyent  tous  excellens  en  leur  nature,  neant- 

20  moins  ne  sont  comme  à  rien  estimer,  s'ilz  ne  servent  à  charité  : 
d'autant  qu'ilz  sont  donnez  à  ledilication  de  l'Eglise  :  à  laquelle 
s'ilz  ne  se  rapportent,  ilz  perdent  leur  grâce  et  leur  pris.  Pour 
cela  prouver,  il  use  d'une  division,  répétant  ces  mesmes  grâces 
dont  il  avoit   faict  mention   auparavant  :  mais  il  les  nomme  de 

23 divers  noms.  Ainsi  ce  qu'il  avoit  premièrement  appelle  vertu,  il 
le  nomme  Foy  :  signifiant  par  l'un  et  l'autre  vocable,  la  puissance 
de  faire  miracles.  Or  d'autant  que  celle  puissance,  soit  qu'on  la 
nomme  Foy  ou  vertu,  est  un  don  particulier  de  Dieu,  lequel  peut 
avoir  un  meschant  homme,  et  en  abuser  (comme  sont  le  don  des 

3u  langues.  Prophéties,  et  autres  semblables)  ce  n'est  pas  merveilles, 
si  elle  est  séparée  de  charité.  Mais  toute  la  faulte  de  ces  povres 
gens,  est,  que  nonobstant  que  le  vocable  de  Foy  ayt  diverses 
significations  nobservantz  point  ceste  diversité  ;  ilz  combatent 
comme  s'il  estoit  tousjours  prins  en  vine  mesme  manière.  Le  lieu 

35  de  Sainct  Jaques,  qu'ilz  ameinent  pour  confermer  aussi  leur 
erreur,  sera  aillieurs  expliqué. 

La  resverie  qu'ilz   ont  de   Foy  implicite,  non  seulement  ense- 
velit  la   vraye    Fo}-  :  mais  la    destruyt    du    tout.  Est    ce    cela 
croyre  ;   de    ne  rien   entendre,   moyennant   qu'on  submette  son 
Institution.  14 


210  CHAPITHE    llll. 

sens  à  l'Eglise  ?  Certes  la  Foy  ne  gist  point  en  ignorance  :  mais 
en  congnoissance  :  et  icelle  non  seulement  de  Dieu,  mais  aussi 
de  sa  volunté.  Car  nous  n'obtenons  point  salut,  à  cause  que  nous 
soyons  prestz  de  recevoir  pour  vray  tout  ce  que  l'Eglise  aura 
s  déterminé  ou  pource  que  nous  luy  remettions  la  charge  d'enquérir 
et  congnoistre  :  mais  entant  que  nous  congnoissons  Dieu  nous 
estre  père  bien-veuillant,  pour  la  reconciliation  qui  a  esté  faicte 
en  Christ  :  et  pource  que  nous  recevons  Christ,  comme  à  nous 
donné  en  justice,  sanctification,  et  vie.  C'est  par  ceste  congnois- 

10  sance,  et  non  point  en  sul)mettant  nostre  Esprit  aux  choses  incon- 
gneuës,   que    nous    obtenons    entrée    au  Royaume   céleste .  Car 
l'Apostre,  en  disant  qu'on  croyt  de  cœur  à  justice,  et  qu'on  fait  Rom.  10. 
confession    de    bouche   à  salut   :    n'entend  point   qu'il  suffise    si 
quelqu'un   croyt  implicitement  ce   qu  il    n'entend  pas    :    mais  il 

15  requiert  une  pure  et  claire  congnoissance  de  la  bonté  de  Dieu, 
en  laquelle  consiste  nostre  justice.  Bien  est  vray  que  je  ne  nye 
pas,  que,  comme  nous  sommes  enveloppez  d'ignorance,  beaucoup 
de  choses  ne  nous  soyent  cachées,  et  seront  :  jusques  à  ce,  que 
ayantz  despouillé    ce  corps  mortel,  nous  soyons   plus  approchez 

20  de  Dieu.  Ez  quelles  choses  je  confesse  qu'il  n'est  rien  plus  expé- 
dient, que  de  suspendre  nostre  jugement  :  et  ce  pendant  arrester 
nostre  vouloir  de  demourer  en  unité  avec  l'Eglise.  Mais  c'est  une 
moquerie,  d'attribuer  soubz  ceste  couverture  le  tiltre  de  Foy  à 
une  pm'e  ignorance.  Car  la  Foy  gist  en  la  congnoissance  de  Dieu 

2o  et  de  Christ  :  nompas  en  la  révérence  de  l'Eglise.  Et  de  faict 
nous  voyons  quelle  abysme  ilz  ont  ouvert  par  une  telle  implica- 
tion :  c'est  que  les  ignorans,  tout  ce  qui  leur  est  présenté  soubz 
le  tiltre  de  l'Eglise,  le  receoivent,  sans  aucune  discrétion  : 
mesmes  les  plus  lourdz  erreurs  qu'on  leur  puisse  bailler.  Laquelle 

30  facilité  tant  inconsidérée,  combien  qu'elle  face  tresbucher 
l'homme  en  ruyne,  est  neantmoins  excusée  par  eulx  :  d'autant 
qu'elle  ne  croyt  rien  avec  détermination,  mais  soubz  ceste  condi- 
tion adjoincte  :  si  la  Foy  de  l'Eglise  est  telle.  En  ceste  manière 
ilz  faignent  qu  on  tient  la  vérité  en  erreur,  la  lumière  en  aveu- 

33  o-lement.  et  la  science  en  ignorance.  Or  à  fin  de  ne  nous  arrester 
longuement  à  réfuter  ces  folies  :  nous  admonestons  seulement 
les  lecteurs  de  les  comparer  avec  nostre  doctrine  :  car  la  clarté 
mesmes  de  la  vérité,  donnera  assez  d'argumens  pour  les  con- 
fondre. 


DE   LA    FOY.  211 

Pource  qu'il  m'estoit  advis,  que  la  nature  de  Foy  ne  se  pouvoit 
m\  eulx  declairer,  que  par  la  sentence  des  promesses  :  sur  lesquelles 
elle  est  tellement  fondée,  que,  ieelles  ostées,  elle  est  ruynée,  ou 
plustost  esvanoùye  :  à  ceste  cause  nous  avons  de  Ici  prins  nostre 
3  définition  :  laquelle  neantmoins  n'est  pas  diverse  de  celle  de 
l'Apostre  :  où  il  enseigne  que  Foy  est  la  subsistence  des  choses  Hehr.  II. 
que  nous  espérons,  et  la  monstre  des  choses  qui  n'apparoissent 
point.  Car  par  le  nom  d'Hypostase,  duquel  il  use,  il  entend 
comme  un  appuy,  sur  lequel  se  repose  lame  du  fidèle  :  comme 

10  s'il  disoit,  que  la  Foy  est  une  possession  certaine  et  asseurée  des 
choses  qui  nous  sont  promises  de  Dieu.  Aucontraire,  pour  signi- 
fier que  ces  choses,  sont  plus  haultes,  qu'elles  puissent  estre 
comprinses  par  nostre  sens,  ou  regardées  par  noz  yeulx,  ou  estre 
touchées  des  mains,  jusques  au  dernier  jour,  que  la  pleine  reve- 

1 .  lation  en  sera  faicte  :  et  que  cependant  nous  ne  les  possédons 
autrement,  que  en  surmontant  toute  la  capacité  de  nostre  esprit 
et  eslevantz  nostre  intelligence  par  dessus  tout  ce  qui  est  au 
monde  :  finalement  que  en  nous  surmontantz  nous  mesmes  :  Il 
adjouste,    que    ceste    asseurance    est  des    choses    qui  gisent  en  Hom.  S. 

2(1  espoir,  et  pourtant  ne  se  voit  point.  Car  évidence,  dit  Sainct 
Paul,  n'est  pas  espérance  :  et  n'espérons  pas  ce  que  nous  voyons. 
En  la  nommant  monstre  ou  probation  des  choses  non  appa- 
rentes :  il  parle  tout  ainsi  comme  s'il  disoit,  que  c'est  une  évi- 
dence de  ce   qui  napparoist,  une  vision   de  ce    qui  ne   se  voyt 

2.i  point,  une  perspicuité  des  choses  obscures,  une  présence  des 
choses  absentes,  une  demonstrance  des  choses  obscures.  Car  les 
Mystères  de  Dieu  et  principallement  ceux  qui  appartiennent  à 
nostre  salut,  ne  se  peuvent  contempler  en  leur  nature  :  mais 
nous  les  regardons  seulement  en  la  parolle  de  Dieu  :  de  laquelle 

30  la  vérité  nous  doibt  estre  tellement  persuadée,  que  nous  tenions 
pour  faict  et  accomply  tout  ce  qu'elle  dit.  Comment  donc  s'esle- 
vera  un  courage  :  à  recongnoistre  et  gouster  une  telle  bonté  de 
Dieu;  qu'il  ne  soit  pareillement  enflambé  à  aymer  Dieu?  Car 
une   telle  abondance  de   doulceur,  comme  est   celle  que  Dieu  a 

3o  cachée  à  ceux  qui  le  craignent  :  ne  se  peut  vrayement  entendre, 
qu'elle  nesmeuve  le  cœur.  D'avantage  elle  ne  peut  esmou- 
voir,  qu'elle  ne  l'attire  et  esleve  à  soy.  Pourtant  ce  n'est 
point  de  merveilles,  si  ceste  atrection  n'entre  jamais  en  un 
cœur   pervers   et   oblique   :   veu   qu'elle    nous    ouvre   les  veulx 


212  CHAPITRE    IIII. 

pour  nous  donner  accez  à  tous  les  thresors  de  Dieu,  et  les  Sainctz 
secretz  de  son  Royaume  :  lesquelz  ne  se  doibA^ent  point  polluer 
par  rentrée  d'un  coeur  immunde.  Or  ce  que  les  Sorboniques 
enseig-nent,  que  la  charité  précède  la  Foy   et  l'espérance,  n'est 

5  que  pure  resverie  :  veu  qu'il  n'y  a  que  la  seule  Foy  laquelle 
premièrement  engendre  charité  en  nous.  Toutesfois  ce  poinct  et 
les  autres  semblables  se  traicteront  aillieurs  :  maintenant  qu'il 
nous  suffise  d'entendre  que  c'est  de  Foy. 

Combien  que  c'est  chose  véritable,  que   la  propriété    de  Foy  ■ 

10  lors  est  clairement  demonstrée,  quand  elle  est  dirigée  à  l'Evan-  ^ 

gile  comme  à  son  but  :  Neantmoins  si  fault  il  chercher,  que  c'est 
que  la  Foy  doibt  principalement  reg-arder  en  iceluy  evang-ile  :  ce  i 

que  nous  avons  briefvement  touché,  en  demonstrant  comment  la  1 

somme  de  l'Evangile  est  contenue   en  Jésus  Christ.  Car  par  cela  2. Cor.  I. 

15  nous  avons  voulu  signifier,  que  toutes  les  promesses  non  seule- 
ment sont.comprinses  en  luy:  mais  aussi  représentées.  Mais  d'au- 
tant que  c'est  chose  digne  de  plus  claire  exposition  :  il  nous  la 
fault  maintenant  poursuyvre.  Céste  est  la  vie  éternelle,  de  con- 
gnoistre   un  seul  Dieu,  et  celuy  qu'il  a  envoyé,  Jésus  Christ.  Or  Jean  17. 

20  c'est  chose  de  grande  conséquence,  d'avoir  droite  congnoissance 
du  Père,  et  de  Christ.  Ce  qui  se  doibt  entendre  du  Père,  ne  se 
voit  point  sinon  au  Filz  :  car  il  habite  une  lumière  inaccessible  : 
mais  il  espand  sur  nous  la  splendeur  d'icelle  lumière  par  son 
Filz.  Il  est  invisible  non  seulement  à  l'œil,  mais  aussi  à  Penten- 

23  dément    :  neantmoins   il   nous    donne   au  vif  à   contempler  son 
image  en   son  Filz.  Pourtant  1  Apostre  constitue  l'illumination 
de  la  congnoissance   de    Dieu   en  la  face  de  Jésus  Christ.    Et  2. Cor.  4. 
autrement  ne  s'appelleroit  pas  Christ  à  bon  droit,  la  lumière  du  jg^n  S.  a 
monde  :  sinon  que  par  luy  la  lueur  de  la  gloyre  divine  se   decla-    '^• 

3orast  aux  hommes.  Parquoy  non  seulement  ce  que  dit  l'Apostre 
est  vray   :    à  scavoir  que   Christ  est   la   splendeur  de  la  gloyre  Heh.  I . 
de  son    Père,  et   l'image   vive   de    sa    substance  :    mais  il  fault 
aussi  adjouster,  que  en    luy  la   gloyre   du  Père  se  demonstre  à 
nous,     et    l'image   de   sa  substance   nous  apparoist.    Car  tout 

3o  ce  qu'avoit   le  Père,    il  l'a  voulu  colloquer  en  luy  :   à  fin  que 
par  luy  il  se    communiquast    à    nous ,   et    glorifiast  son    Nom.  Jean  13. 
Si  nous    cherchons    donc    accez    au    Père  :    il    fault  que    nous  Jean  13. 
nous    retournions    par    devers    celuy,   qui    seul    le    nous    peut 
manifester .    Quand  il   s'appelle    la   Voye  :    il    demonstre    que 


DE    LA    FOV.  213 

à  luy  seul  appartient  de   nous   adresser.  Quand   il   se   nomme 
L'huis  :  il  declaire  que  c'est  son  office  de  nous  donner  entrée  : 
et,  comme  il  est  dict  en  un  autre  lieu,  nul  ne  congnoist  le  Filz,  Jean  I.  0 
sinon  le  Père  :  ne  le  Père,  sinon  le  Filz,  et  celuy  auquel  le  Filz  Malt.  II. 
■'\e  vouldra  révéler.  Car,  comme  il  a  esté  dict,  qu'il  nous  fault  estre  Luc  10. 
tirez  de  l'Esprit  du  Père,  pour  estre  incitez  à  chercher  et  rece- 
voir Jésus  Christ  :   ainsi  d'autrepart  il  fault  entendre  que  nous 
ne  debvons  chercher  autre  part  le  Père,  qui  est  invisible,  sinon 
en  Jésus  Christ,  qui  est  son  image.  Or  ceste  est  la  vraye  con- 

lognoissance  de  Christ,    quand  nous  le  recevons  tel  qu'il  nous  est  Jean  I. 
oiïert  du  Père   :    à    scavoir    avec  toute   plénitude  des  richesses 
célestes  ;  tellement  qu'il  nous  soit  vm  thresor  de    félicité  et  de 
tous  biens.  Toutesfois  pour  entrer  en  possession  de  ses  richesses, 
il  nous  fault  premièrement  scavoir  la  manière,  par  laquelle  elles 

15  nous  ont  esté  acquises  :  c'est  l'obeyssance  de  Christ,  laquelle  il  a 
demonstrée  en  faisant  et  accomplissant  tout  ce  qui  estoit  néces- 
saire à  nostre  salut,  selon  le  conseil  éternel  de  Dieu.  Pourtant, 
comme  l'Evangile  est  le  but  de  nostre  Foy,  et  Christ,  par  l'Evan- 
gile, est  assigné  comme  le  but  particulier  d'icellc  :  aussi  en  Christ 

20  elle  ha  pour  son  object  et  regard  ce  qu'il  a  faict  et  souffert  pour 
nostre  salut.  Pour  avoir  donc  une  parfaicte  explication  de 
la  Foy  :  il  fault  avoir  devant  les  yeulx  ce  qui  est  en  Christ, 
appartenant  à  la  confirmation  dicelle.  Car  après  avoir  con- 
gneu  la    matière    et  la    substance  d'icelle  :    il    sera    aisé  d'en- 

25  tendre  toute  sa  nature  et  propriété,  comme  en  une  peincture. 
Or  le  Symbole  des  Apostres  nous  sera  au  lieu  d  une  telle 
peincture  :  auquel  toute  la  dispensation  de  nostre  salut  est 
tellement  exposée  en  toutes  ses  parties,  qu'il  n'y  a  point  un 
seul  poinct  obmis.  Je  le  nomme,  des  Apostres  :  ne  me  soucyant 

30  pas  beaucoup  qui  en  a  esté  l'Autheur.  Certes  d'un  grand  con- 
sentement il  a  esté  attribué  aux  Apostres  par  les  Anciens 
soit  qu'ilz  estimassent  qu'il  avoit  esté  escrit  par  eulx  en 
commun  :  ou  bien  pensantz  que  ce  feust  un  recueil  de 
leurs    doctrine    digérée    par     quelques    autres,    ilz    luy    ayent 

35  voulu  donner  auctorité  par  ce  tiltre.  Quoy  qu'il  soit,  je  ne 
doubte  nullement,  de  quelque  part  qu'il  soit  procédé,  qu'il 
n'ayt  esté  dez  le  premier  commencement  de  l'Eglise  ,  et 
mesmes  dez  le  temps  des  Apostres,  receu,  comme  une  con- 
fession   publique    et    certaine    de    la   Foy,   Et    n'est   pas  vray- 


214  CHAPITRE    IIII. 

semblable,  qu'il  ayt  esté  composé  par  quelque  particulier  :  veu 
que  de  tout  temps  il  ha  eu  authorité  inviolable  entre  les  fidèles. 
Ce  qui  est  le  principal,  nous  est  indubitable  :  à  scavoir  que 
toute  l'histoire  de  nostre  Foy  y  est  brièvement  et  en  bel  ordre 
5  comprinse  :  et  qu'il  n'y  a  rien  contenu,  qui  ne  soit  approuvé  par 
certains  tesmoignages  de  l'Escriture.  Laquelle  chose  congneue, 
il  n'est  ja  besoing-  de  se  beaucoup  tormenter  qui  en  a  esté  l'au- 
theur  :  ou  d'en  combattre  avec  les  autres  :  sinon  possible  qu'il 
ne   suffist  point  à  quelqu'un  d'avoir  la   vérité   du  Sainct  Esprit 

m  résolue  :  mais  qu'il  voulust  entendre  pareillement  par  quelle 
bouche  elle  auroit  esté  dénoncée,  ou  par  quelle  main  elle  auroit 
esté  escrite.  Toutesfois  devant  que  A'enir  à  l'exposition  :  nous 
avons  deux  poinctz  à  considérer.  Le  premier  est,  que  quand 
l'histoire  nous  y  est  proposée  :  ce  n'est  pas  à  fin  que  nous  nous 

15  arrestions  en  la  simple  congnoyssance  d'icelle  :  mais  plustost 
que  par  icelle  nostre  entendement  s'esleve  en  l'intelligence  de 
chose  plus  haulte.  Car,  comme  ainsi  soit,  qu'il  y  ayt  deux 
espèces  des  choses  qui  nous  y  sont  recitées,  les  unes  visibles,  et 
les  autres  invisibles  :  ce  que  nous  disons  apparoist  en  toutes  les 

20  deux.  La  puissance  de  Dieu,  le  Sainct  Esprit,  la  remission  des 
péchez,  et  autres  semblables,  sont  choses  spirituelles  qui  ne  se 
voient  point  à  l'œil.  Quand  elles  nous  sont  recitées,  il  ne  suffit 
pas  de  les  croire  estre  véritables,  sinon  que  de  ceste  croyance, 
nous  prenions   matière   de  fiance  et  espérance    :    tellement    que 

23  non  seulement  nous  estimions  Dieu  tout  puissant  :  mais  que 
nous  le  recongnoissons  comme  celuy  qui  nous  maintient  par 
sa  puissance  :  Que  nous  ne  recevions  point  seulement  par 
imagination  le  Sainct  Esprit,  mais  avec  sa  vertu.  Laquelle 
reigle  doibt  valoir  aux  autres  Articles  semblables    :    lesquelz, 

30  pource  que  nous  les  expliquerons  en  temps  et  lieu,  nous  n'avons 
voulu  à  présent  sinon  en  donner  brièvement  exemple.  De  rechef 
la  nativité,  la  mort,  la  résurrection  de  Christ,  et  son  ascen- 
sion au  Ciel,  ont  esté  choses  manifestes  à  la  veuë  des  hommes. 
Or    quant    elles    nous    sont    référées,    il    ne    fault    point    que 

^"'  lame  fidèle  demeure  fichée  à  les  regarder  extérieurement  :  mais 
pource  qu'elle  scait  que  toutes  les  œuvres  de  Dieu  sont  faictes 
en  sagesse  :  elle  doibt  reputer  et  estimer  la  cause  pourquoy 
elles  ont  esté  faictes.  Ainsi  le  but  et  le  regart  de  nostre  Fov, 
c'est  l'histoire  :  la  fin  et    la  raison,  est,   la   contemplation   des 


DE    l.A    FOY.  21 0 

choses  invisibles  et  incompréhensibles,  laquelle  se  prend  de 
l'histoire  :  comme  nostre  ame  conceoit  de  la  mort  de  Christ, 
fiance  de  la  satisfaction  :  et  de  sa  résurrection,  espérance  d'im- 
mortalité. 
s  Le  second  poinct  que  j'ay  dict  qu'il  nous  failloit  observer, 
est  la  division  du  symbole  :  auquel  va  troys  membres,  qui  com- 
prennent la  description  du  Père  et  du  Fils  et  du  Sainct  Esprit  : 
dont  tout  le  mystère  de  toute  nostre  rédemption  dépend.  Le 
quattriesme  demonstre   en  quelles  choses  nostre  salut   est  situé. 

10  Lequel  ordre  n'est  point  à  ne^lig-er.  Car  pour  venir  en  con- 
gnoyssance  de  nostre  salut,  il  fault  premièrement  considérer 
ces  trois  poinctz,  qui  en  sont  le  fondement  et  la  somme  :  à 
scavoir  la  grande  bonté  et  doulceur  du  Père  céleste,  et  la 
dilection   envers    le  genre    humain   :    laquelle  est  approuvée  en  /.  Jc.m  :}. 

i;i  ce  qu'il  n'a  point  pardonné  à  son  propre  Filz  :  niais  l'a  livré 
à  la  mort  pour  nous,  à  fin  de  nous  restituer  la  vie.  Seconde- 
ment l'obeyssance  du  Filz  :  laquelle  est  l'accomplissement  de 
la  miséricorde  de  Dieu,  pour  parfaire  nostre  salut.  La  vertu 
de   l'Esprit    par  lequel  le    fruict  de    la   bonté   de    Dieu  en  Jésus 

20  Christ  nous  est  communiqué.  Et  à  cela  regardoit  Sainct   Paul, 
souhaittant   aux   Corinthiens    la  charité   de   Dieu,   la    grâce   de 
Christ,    et    la    communication    du   Sainct   Esprit.    Car  tout   ce  2. Cor.  13. 
que    nous  avons   de  bien,  procède    de    la   charité    de    Dieu   :    et 
nous  est  donné  et  offert  en  Jésus  Christ,  comme  en  la  fontaine 

23  unique  de  grâce,  et  sommes  faictz  participans  de  tous  les 
biens,  que  la  bonté  de  Dieu  nous  présente,  par  la  vertu  de 
l'Esprit.  De  là  s'ensuyt  la  Foy,  que  nous  avons  touchant 
l'Eglise,  la  remission  des  péchez,  la  résurrection  de  la  chair, 
et  la  vie   éternelle,  qui  est  la  quattriesme    partie   du  Symbole. 

30  Or  pource  que  Sathan,  voulant  destruyre  toute  la  Foy  des- 
puis la  racine,  a  tousjours  esmeu  de  grandz  troubles,  partie 
en  la  divinité  de  Jésus  Christ,  partie  en  la  distinction  per- 
sonnelle qui  est  en  Dieu  :  Et  a  quasi  en  tout  temps  incité 
des  espritz   malings,  qui  ont  inquiété  les  fidèles  de  ses  debatz, 

35 taschant  mesmes  de  renverser  toute  lEscriture  :  il  m'est  advis 
que  ce  sera  bien  faict  de  commencer  l'explication  du  Symbole 
par  ce  poinct.  Toutesfois  pource  que  j'ay  délibéré  plustost 
d'instruyre  ceux  qui  se  rendent  dociles,  que  de  combattre  contre 
les    rebelles,    je   ne    ferai     pas    si    longue   disputation,  comme 


216  CHAPITRE    un. 

l'importance  de  la  cause  requerroit  bien.  Mais  je  me  contenteray 
de  monstrer  ce  qu'il  fault  suyvre  ou  fuyr  en  cest  endroict  :  en  telle 
sorte  neantmoins,  que  la  vérité  puisse  estre  maintenue  contre  les 
calumnies  des  meschans.  Combien,  ainsi  que  j'ay  dict,  que  ma 
5  principale  estude  tendra  à  ce  but  d'instruire,  en  vraye  et  ferme 
doctrine,  ceulx  qui  voluntairement  se  rendront  obeyssans  à  la 
vérité.  Premièrement,  s'il  est  besoing  de  sobrement  enquérir 
autant  qu'il  y  a  de  haultz  mystères  en  l'Escriture  :  il  nous  faul* 
en  cestuy-cy,  par  dessus  tous,  garder  une  singulière  sobriété  : 

10  en  nous  gardant  bien  que  nostre  cogitation,  ou  nostre  langue  ne 
passe  oultre  les  limites  de  la  paroUe  de  Dieu.  Car  comment  un 
entendement  humain  reduyra-il  à  sa  petitesse  l'Essence  infinie 
de  Dieu  ;  veu  qu'il  n'a  encores  peu  comprendre  quel  est  le  corps 
du  Soleil  ;    lequel   se   voit  assiduellement  à  l'œil  ?   Et    mesmes, 

13  comment  pourra-il  chercher  la  subsistance  de  Dieu  ;  veu  qu'il 
ne  congnoist  pas  la  sienne  propre  ?  Pourtant  que  nous  permet- 
tions à  Dieu  la  congnoyssance  de  soymesme.  Luy  seul,  comme 
dict  Sainct  Hilaire,peut  rendre  ydoine  tesmoignage  de  soy  :  veu 
qu'il  n'est  congneu  que  par  soy.  Or  nous  luy  permettrons  lors, 

^^  quand  nous  le  concevrons  tel  qu'il  se  manifeste  à  nous  :  et  n'en- 
querrons  de  luy  par  sa  parolle.  Il  y  a  cinq  belles  Homélies 
de  Chrisostome  de  cest  argument,  contre  une  secte  d'Here- 
liques,  qui  se  nommoient  Anoméens,  par  lesquelles  toutesfois 
l'audace  des    Sophistes  n'a   peu   estre   reprimée,   qu'ilz  n'ayent 

23tasché  la  bride  à  leur  langue,  à  babiller  sans  propoz  de  la  majesté 
de  Dieu.  Hz  ne  se  sont  nomplus  modestement  portez  icy,  qu'ilz 
ont  de  coustume  en  toutes  choses.  Puis  donc  que  nostre  Sei- 
gneur a  puny  leur  témérité,  permettant  qu'ilz  tombassent  en 
beaucoup  de  folies  :  il  nous  fault  estre  advertiz  par  leur  exemple, 

30  de  nous  contenter  d'apprendre  ce  que  l'Escriture  nous  enseigne, 
sans  accepter  aucune  subtilité  :  et  mesmes  qu'il  ne  nous  vienne 
en  l'entendement  de  rien  chercher  de  Dieu,  sinon  en  sa  parolle  : 
d'en  rien  penser,  sinon  avec  sa  parolle  :  d'en  rien  parler,  sinon 
par  sa  parolle. 

35  L'Escriture  tant  souvent  et  tant  clairement  prononce,  qu'il 
y  a  un  seul  Dieu,  d'une  Essence  Eternelle.  Infinie,  et  Spirituelle  : 
qu'il  n'est  ja  mestier  d'en  faire  longue  probation.  Car  ce 
que  les  Manichéens  ont  abusé  d'aucuns  tesmoignages,  pour 
constituer  deux  principes  :  a  esté  une   folie  trop  oultr;'a,geuse. 


DE    LA    FOY.  217 

Pareillement,  les  Antropomorphites,  qui  ont  imaginé  Dieu  estre 
corporel  :  k  cause  que  l'Escriture  luy  attribue  bouche,  aureilles, 
mains  et  piedz  :  ont  par  trop  lourdement  failly.  Car,  qui  est 
celuv  de  si  petit  entendement  :  qui  ne  voye  bien  que  nostre  Sei- 

5  gêneur  s'attribue  ces  choses  ;  pour  condescendre  h  nostre  capacité  ; 
comme  une  nourrice  bégaye  avec  son  petit  enfant,  pour  se  démet- 
tre à  sa  rudesse?  Pourtant  telles  formes  de  parler  n'exprime[nt] 
pas  tant  quel  est  Dieu  :  qu'elles  accommodent  la  congnois- 
sance  de  luy  à  nostre  ignorance.  Pour  laquelle  chose  faire,  il  est 

*''  besoing  de  descendre  de  beaucoup  au  dessoubz  de  sa  grandeur  et 
haultesse.  Pourtant  il  apparoist  assez,  combien  radottent  ceux 
qui  veulent  mesurer  son  Essence  par  telles  descriptions.  Nous 
tenons  donc  comme  chose  résolue,  ce  qui  a  esté  dict  d'un  seul 
Dieu,  et  son  Essence  Infinie,    Eternelle,  et  Spirituelle.  Mais  la 

15  distinction  du  Père  et  du  Filz  et  de  l'Esprit,  laquelle  est  en  la 
divinité,  n'est  pas  si  facile  à  congnoistre  :  et  tormente  beaucoup 
d'Espritz.  Parti.ssons  donc  ceste  question  en  deux  articles  :  dont 
le  premier  sera  pour  confermer  la  divinité  du  Filz  et  de  l  Esprit  : 
le  .second,  pour  expliquer  la  manière   de  la  distinction,   qui  est 

20  entre  le  Père,  le  Filz  et  l'Esprit.  Or  il  n'y  a  point  faulte  de  tes- 
moignages  en  l'Escriture,  pour  approuver  l'un  et  l'autre.  Car 
quand  nous  oyons  qu'il  est  là  parlé  de  la  parolle  de  Dieu  :  ce 
seroit  une  grande  absurdité,  de  imaginer  une  voix  jettée  en 
l'air,  et   qui  s'esvanoûist  incontinent  :  comme  ont  esté,  quant  à 

25  la  prononciation  extérieure,  les  Oracles  et  les  Prophéties  données 
anciennement  aux  Pères.  Mais  plustost  est  dénotée  la  sapience 
perpétuelle  qui  réside  en  Dieu  :  dont  tous  les  Oracles  et  les 
Prophéties  anciennes  sont  sorties.  Car  comme  Sainct  Pierre  tes- 
moigne,  les  Prophètes  n'ont  pas  moins  parlé  au  vieil  Testament  -•  Pi^er.L 

30  par  l'Esprit  de  Christ  :  qu'ont  faict  depuis  eulx  les  Apostres, 
et  tous  ceux  qui  ont  administré  la  vérité  de  Dieu  aux  hommes , 
Et  combien  que  Moyse  demonstre-suffisamment  que  ce  n'a  point 
esté  une  volunté  subite  et  temporelle  en  Dieu,  par  laquelle  le 
monde  a  esté  créé  :   mais  que  ce  a  esté  son  conseil  Eternel  :  et 

33  s'il  est  licite  d'ainsi  parler,  son  cœur  permanent  et  immuable  : 
toutesfois  si  cela  estoit  doubteux  ou  obscur  k  quelqu'un,  il  est 
encores  plus  clairement  exprimé  en  Salomon  :  quand  il  introduyt  Prov.  8. 
la  sagesse  de  Dieu  :  laquelle  estant  engendrée  de  toute  éternité  a 
présidé  k  la  création  du  monde,  et  préside  k  toutes  les  œuvres  de 


21  8  CHAPITRE    IIII. 

Dieu.    Mais  Sainct  Jean  le  declaire  plus  familièrement  que  tous  Jean  t. 
les  deux,  en  disant  que  la  paroUe,  qui  a  esté  en  Dieu  dez  le  com- 
mencement, est  elle  mesmes  Dieu.  Car  en  chascune  de  ces  deux 
particules,  il  attribue  à  la  parolle  Essence  permanente.  Parquoy, 

3  comme  toutes  révélations  procédantes  du  Ciel  ont  à  bon  droit  ce 
tiltre,  d'estre  nommées  parolles  de  Dieu  :  toutesfois  nous  avons 
à  recongnoistre  la  parolle  essencielle,  qui  est  l'origine  et  la  source 
de  toutes  révélations  :  laquelle  nest  subjecte  à  aucune  mutation. 
Laquelle  demeure  tousjours  en  Dieu,  et  mesmes  est  Dieu. 

K'  Toutesfois  il  y  en  a  aucuns,  lesquelz  n'osantz  point  ouverte- 
ment ravir  au  Filz  de  Dieu  sa  divinité,  taschent  de  luy  desrober 
en  cachette  son  Eternité.  Car  ilz  disent  que  la  parolle  a  com- 
mencé destre,  quand  Dieu,  en  la  création  du  monde,  a  ouvert 
sa  bouche,  pour  commander  que  toutes  choses  se   fissent.  Mais 

13  ilz  pèchent  trop  inconsidérément  contre  la  Majesté  de  Dieu  : 
en  imag-inant  quelque  nouvelleté  en  sa  substance.  Car,  comme 
les  Noms  de  Dieu,  qui  se  rapportent  à  ses  œuvres,  luy  ont  esté 
lors  premièrement  attribuez,  quand  les  œuvres  ont  commencé 
d'estre  (comme  de  le  nommer  Créateur  du  Ciel  et  de  la  Terre) 

20  aussi  au  contraire  la  pieté  ne  recongnoist  aucun  nom,  qui 
signifie  quelque  chose  estre  survenue  à  Dieu  en  soymesme. 
Mais  ilz  cavillent  en  ceste  manière  :  que  Moyse,  en  recitant 
que  Dieu  a  lors  commencé  à  parler,  dénote  que  auparavant 
il  n'y  avoit  nulle  parolle  en  luy.  Mais  à  scavoir  mon,  si  pource 

23  qu'une  chose  a  commencé  à  estre  manifestée  en  certain  temps  ; 
il  fault  de  cela  inférer,  qu'elle  n'avoit  point  auparavant  esté  ? 
Je  concludz  bien  aucontraire  :  c'est,  que  veu  qu'en  la  mesme 
minute  de  temps  que  la  lumière  a  esté  faicte,  la  vertu  de  sa 
parolle  s'est  monstrée  :  que  icelle  parolle  estoit   auparavant.  Si 

30  on   veult  chercher  de  combien  :  on  n'y  trouvera  nul  commence- 
ment :  car  Jésus  Christ,    qui   est    icelle    parolle,   ne   détermine 
point  certaine   espace  de  temps,  quand  il  dit,  Père  glorifie  ton 
Filz,   de  la  gloyre,  que   j'ay  eu  avec  toy  éternellement,   devant  Jean  11. 
que  le  monde  feust  créé.   Or  en  parlant  ainsi,  il  oultrepasse  tout 

35  temps,  et  toutes  années.  Nous  concluons  donc  de  rechef,  que  la 
parolle  de  Dieu,  ayant,  sans  aucun  commencement,  esté  conceuë 
en  luy.  y  a  tousjours  esté  permanente  :  dont  est  approuvée  son 
Eternité,  Sa  Majesté,  et  vraye  Essence  divine.  Mais  d'autant 
que    après    avoir   prouvé    sa  Divinité,  le  reste   s'en   ensuyt  :    il 


DR    LA    FOY.  219 

nous  fault  principalement  arrester  en  l'approbation  d'icelle  : 
ayant  toutesfois  premièrement  touché  briefvement,  en  quelle 
sorte  il  est  appelle  Filz  de  Dieu.  Les  Anciens,  qui  estimoient 
Jésus  Christ  avoir  esté  eng-endré  du  Père  par  une  génération 
5  Eternelle,  se  sont  elVorcez  de  le  monstrer  par  le  tesmoignage  de 
lesaïe  :  Qui  expliquera  sa  génération  ?  en  l'intelligence  duquel  lesaie  53. 
ilz  se  sont  abusez.  Car  le  Prophète  ne  traicte  point  là,  comment 
le  Filz  a  esté  engendré  du  Père  :  mais  par  quelle  abondance  de 
lignée   le  Règne  de  Jésus  Christ  doibt  estre  multiplié.  Ce  qu'ilz 

if^  allèguent  des  Psalmes  n'est  gueres  plus  certain  :    à   scavoir  ce 
qui  est  dict.    Je  t'ay  engendré  de  mon  ventre,  devant  l'Estoylle  Panl.ltO. 
du  matin   :  veu  que  cela  est   prins  seulement  de   la    translation 
commune,  qui  ne    respond  point  à  la  vérité  hébraïque  en    cest 
endroit.  Car  il  y  a  en  hebrieu  en  ceste  manière.  La  rousée  de  ta 

ir.  nativité  est,  comme  la  sortie  de  l'Estoylle  du  matin.  L'argument 
donc  qui  ha  la  plus  grande  apparence,  est  celuy  qu'on  prend  des 
parolles   de   l'Apostre,    où   il   est   dict    (jue   toutes  choses    sont  Cullos.  /. 
crées  par  le  Filz.  Car  si  le  Filz  n'eust  esté  pour  lors   :  il  n'eust 
pas   peu   declnirer  sa  vertu.  Neantmoins  il  apparoist  par  autres 

20  semblables  formes,  que  ceste  raison  n'est  pas  trop  ferme  :  car 
nul  de  nous  ne  concédera,  que  le  tiltre  de  Christ  appartinst  à 
nostre  Seigneur  Jésus,  du  temps  que  lesjuifz  estoient  au  Désert  : 
veu  qu'il  ha  une  propriété,  qui  convient  particulièrement  à  sa 
nature  humaine.  Et  neantmoins,  S.  Paul  luy  a  attribué  pour  ce  1.  Cor. 10. 

25  temps  là.  Semblablement  quand  il  dit  en  un  autre  passage,  que 
Jésus  Christ  a  esté  hier,  est  aujourd'huy.  et  sera  à  tousjours.  Si  llehr.  13. 
par  cela   quelqu'un  vouloit   convaincre,  que  le  Nom  de  Christ  a 
esté   tousjours  convenable  à   nostre  Sauveur    :  il    ne   proffitera 
rien.  Que  faisons-nous  autre  chose,  en  abusant  des  tesmoignages 

30  de  l'Escriture,  lesquelz  en  leur  sens  naturel  ne  servent  de  gueres 
à  nostre  cause,  sinon  que  nous  exposons  les  articles  de  nostre 
Foy  à  la  moquerie  des  Hérétiques?  Quant  à  moy,  ce  seul  argu- 
ment me  suffira  tousjours,  autant  comme  nulle,  pour  confermer 
ma   conscience   en  l'Eternité   du   Filz  de  Dieu.  C'est   que   Dieu 

35  n'est  point  Père  aux  hommes,  sinon  par  le  moyen  de  son  Filz 
unique  :  auquel  seul  cest  honneur  est  proprement  deu,  et  par  le 
bénéfice  duquel  il  nous  est  communiqué.  Or  est  il  ainsi,  que  Dieu 
a  tousjours  voulu  estre  invoqué  comme  Père  :  il  s'ensuvt  donc, 
que  le  Filz  estoit  desja  lors,  par  lequel  ceste  accoinctance  estoit 


220  CHAPITRE  IlII. 

establie.  Venons  maintenant  h  monstrer  sa  Divinité  :  laquelle 
g-ist  en  double  espèce  de  probation.  Car  le  Nom  et  l'honneur  de 
Dieu  est  clairement  attribué  au  Filz  de  Dieu,  par  evidens  tes- 
moignages  de  TEscriture  ;  et  il  est  approuvé  tel  par  la  vertu  de 

=»ses  œuvres. 

Premièrement  David  parle  à  luy  ainsi.  Ton  Throsne,  o  Dieu, 
demeurera  éternellement  :  le  sceptre  de  ton  Règne  est  un  sceptre  Psal.  43. 
de  droiture.  Quelque  meschant,  possible,  tergiversera  icy,  disant 
que  le  nom   de  ELOHIM,  lequel  est  là  mis,  convient  aussi  bien 

10  aux  Anges  et  aux  Superioritez.  Mais  il  ny  a  nul  passage  en 
l'Escriture,  où  un  Throsne  éternel  soit  ainsi  érigé  à  la  créature  : 
car  il  n'est  pas  simplement  appelle  Dieu  :  mais  aussi  Eternel 
dominateur.  D'avantage  ce  tiltre  n'est  jamais  donné  à  personne, 
sinon   avec    une  queue   :    comme  Moyse   est   nommé  Dieu   de 

lï  Pharaon  :  tellement  qu  en  ce  passage  le  tidele  ne  peut  concevoir 
sinon  le  vray  Dieu  unique.  Or  que  cela  soit  dict  du  Filz  de 
Dieu,  il  appert  de  ce  qui  s'ensuyt.  A  ceste  cause  ton  Dieu  t'a 
oinct  de  Ihuyle  de  joye.  Celuy  donc,  dont  il  est  icy  parlé,  est 
Dieu,  et  ha  Dieu  par  dessus  soy.  C  est  Jésus  Christ  :  lequel  en 

20  son   humanité,  a  voulu  apparoistre  comme    serviteur,   se   soubz- 
mettant  à  Dieu  son  Père.  En   lesaïe   il  est  introduict    comme  lesaie  9. 
Dieu,  et  comme  garny  de  puissances   :  laquelle  chose  n'appar- 
tient que  au  Dieu  vivant.  Voicy,  dit-il.  le  nom  dont  on  l'appel- 
lera :  Le  Dieu  puissant,  Père  du  siècle  futur.  Et  ne  fault  que  les 

25  Juifz.  pour  caviller,  viennent  à  renverser  le  passage  du  Prophète,  le 
tournantz  en  ceste  faceon  :  Voicy  le  nom  dont  le  nommera  le  Dieu 
puissant.  Père  du  siècle  futur  :  pour  ne  laisser  rien  à  Jésus  Christ,  l 

sinon  qu'il  soit  Prince  de  paix.  Car,  à  quel  propoz  le  Prophète, 
contre  toute   la  coustume    de  l'Escriture,  eust-il   tant    assemblé 

3û  de  tiltres;  pour   donner  à  Dieu  ;  en  un  seul  passage?  Aucontraire 
c'est  chose  claire,  qu'ila  voulu  orner  Jésus  Christ  des  filtres  qui  luy 
appartiennent.  Encores  est  plus  manifeste  ce  qui  est  dict  en  Hyere- 
mie  :  qu'il  sera  appelle  le  Germe  de  David,  eslevé  pour  le  salut  du  Hyer.23. 
peuple,  et  l'Eternel  de  nostre  justice.  Car  veu  mesmes  que  les  Juifz 

33  enseignent,  les  autres  Noms  de  Dieu  estre  comme  tiltres  pour  hono- 
rer sa  gloire  cestuy-ci,  dont  use  le  Prophète,  estre  le  propre  Nom 
de  sa  substance  :  nous  avons  que  le  Filz  de  Dieu  est  aussi  nostre 
Dieu  unique  et  Eternel.  Lequel  en  un  autre  lieu  tesmoigne.  qu'il  lésa.  H . 
ne  donnera  sa  gloyre  à  autre.  Les  Juifz  malicieusement  taschent  de 


DE    LA    FOY.  221 

renverser  ce  passage  :  alleguans  que  Moyse  a  imposé  aussi  bien 
ce  nom  à  l'Autel,  qu'il  avoit  édifié  :  et  que  Ezechiel  l'attribue  à 
l'Eglise  de  Dieu  :  mais  ceste  cavillation  est  trop  vaine.  Car  qui 
est  celuy  qui  ne  voit  bien;  que  l'Autel  est  dressé  en  monuement 

5  et  enseigne  ;  que  Dieu  est  l'exaltation  de  Moyse  ?  Pareillement  que 
le  Nom  de  Dieu  n  est  point  proprement  assigné  à  lEglise  ;  mais 
plustost  est  signifiée  la  présence  de  Dieu  en  icelle?  Car  les 
parolles  du  Prophète  sont  telles  :  Le  nom  de  la  Cité  sera,  que  le 
Seigneur  y  habite  :  et  Moyse  parle  en  ceste  sorte,  qu'il  a  édifié 

10  un  Autel  k  Dieu,  et  luy  a  donné  à  nom,  le  Seigneur  est  mon 
exaltation.  Qu'est  ce  que  veult  dire  autre  chose  Hyeremie  ;  que 
Jérusalem  est  le  lieu  où  habite  le  Seigneur  ?  et  que  veult  autre 
chose  Moyse,  sinon  que  Dieu  est  sa  force?  en  tesmoignage  de  quoy 
il  dresse  un  Autel.  Mais  on   pourra  dire,   qu'il  y  a  plus  grande 

15  difficulté  en  un  autre  passage,  qui  est  au  33  de  Hyeremie,  où  ce 
qui  avoit  esté  auparavant  dict  de  Jésus  Christ  est  transféré  à 
l'Eglise.  Les  parolles  sont.  Voicy  le  nom,  dont  elle  sera  nommée, 
l'Eternel  nostre  justice.  Je  respondz,  que  tant  s'en  fault  que  ce 
passage  nous  soit  contraire,  que   plustost  il  est  propre  pour  def- 

20  fendre  nostre  cause.  Car  le  Prophète,  ayant  premièrement  testifié, 
que  Jésus  Christ  est  nostre  vray  Dieu,  duquel  nous  doibt  procéder 
toute  justice  :  adjouste  consequemment  que  l'Eglise  aura  si  cer- 
taine congnoissance  de  cela,  que  mesmes  elle  se  pourra  glorifier 
du  nom. 

25  Le  nouveau  Testament  est  plein  de  tesmoignages  infiniz  :  pour- 
tant il  me  fault  mettre  peine  d'en  choysir  aucuns  des  plus  propres, 
plustost  que  de  les  assembler  tous.  Premièrement  cela  est  digne 
d'estre  observé,  que  les  Apostres  monstrent  les  choses,  qui  avoient 
esté  predictes  du  lieu  Eternel,  avoir  esté  accomplies,  ou  bien  devoir 

soestre  une  fois  vérifiées  en  Jésus  Christ.  Comme  quand  lesaïe  pré- 
dit, que  le   Dieu  des  armées   sera  en  scandale  aux  Juifz  et  aux  lexaie  S. 
Israélites.  Sainct  Paul  dit  que  cela  a  esté  accomply  en  Christ  :  en  Rom.  9. 
quoy  il  dénote,  que  Christ  est  le  mesme  Dieu  des  armées,  duquel 
parloit  lesaïe.  Semblablement  en  un  autre  lieu  :  Il  nous  fault,  dit-il, 

35  tous  venir  au  Throsne  judicial  de  Christ  :  car  il  est  escrit,  que  tout 
genoil  se  ployra  devant  moy,  et  toute  langue  jurera  en  mon  Nom.  Rom.  H. 
Or  comme  ainsi  soit,  que  Dieu  ayt  dict  cela  de  soymesme  en  lesaïe  :  lésa.  iîi. 
d'autant  qu'il  est  vérifié  en  Jésus  Christ,  il  sensuyt  qu'il  est  le  mes- 
me Dieu,  duquel  la  gloire  ne  peut  estre  aillieurs  transférée.  D'avan- 


222  CHAPITRE    un. 

tag^e  ce  qu'il  allègue  aux  Ephesiens,  estre  dict  de  Jésus  Christ,  il 
appert  qu'il  compete  singulièrement  à  Dieu    :   c'est  que  s'esle-  Eph.  i. 
vant  en  hault.  il  a  mené  ses  adversaires  en  captivité.  Le  Prophète  Psal.  95. 
disoit  cela  de  Dieu,  lequel  avoit  donné  la  victoire  à  son  peuple 
a  contre  ses    ennemys.  S.    Paul    congnoyssant,   que  cela   n'estoit 
qu'une  umbre,  et  que  laccomplissement  est  en  Jésus  Christ  :  il 
luy  attribue.   En  telle  sorte  Sainct  Jean  tesmoigne,  que  cestoit  Jean  12. 
la  gloire  du  Filz  de  Dieu  qui  apparust  à  lesaïe  :  combien  que  le  lésa.  6. 
Prophète  dit  que  cestoit  la  Majesté  du  Dieu  vivant.  Oultre  plus 
ii^il   n"v   a  nulle  doubte,  que    les  passages   que  cite  l'Apostre   en 
l'Epistre  aux  Hebrieux  n'appartiennent  au  seul  Dieu:  à  scavoir,  Hebr.1. 
Seigneur  tu  as  fondé  dez  le  commencement  le  Ciel  et  la  Terre. 
Item,  Adorez-le,  vous  tous  ses  Anges.  Combien  que  ces  tiltres 
soient  pour  honorer  la  Majesté  de  Dieu  :  toutesfois  de  les  appli- 
lo  quer  à  Jésus  Christ,  ce   n'est  point  en  abuser  :  car   c'est  chose 
notoire,  que  tout  ce  qui  est  là  predict,  a   esté  accomply  en  luy 
seul.  C  est  luy,  qui  s'est  mis  en  avant,  pour  faire  miséricorde  à 
Svon.  C'est  luy  qui  a  prins  possession  de  tous  peuples,  etde  toutes 
régions  du  monde,  en  dilatant  son  Royaume  par  tout.  Et  pour- 
2(iquov  Sainct  Jean  eust-il  doubté  d  attribuer  la  Majesté  de  Dieu  Je;i/i  /. 
à  Jésus  Christ;  ayant  affermé  au  commencement  de  son  Evangile 
qu'il  estoit  Dieu  éternel  ?    Pourquoy  eust  craint  Sainct  Paul  de 
le  coUoquer  au  Throsne  de  Dieu  ;  ayant  si  clairement  auparavant 
parlé  de  sa  divinité  ;  en  disant  qu'il  est  le  Dieu  benict  éternelle-  Rom.  9. 
2o  ment  ?  Et  à  fin  que  nous  voyons  comment  il  persévère  constam- 
ment en  ce  propoz  :  en  un  autre  lieu  il  dit,  qu'il  est  Dieu  mani- 
festé en  chair.  S'il  est  le  Dieu  benict  éternellement  :  c'est  celuy  2.Thim.3. 
auquel  en  un  autre  passage  le  mesme  Apostre  enseigne  que  toute  \ 

gloire  est  deuë.   Ce  que  de  faict  il  monstre  ouvertement  :  escri-  Philip.  2. 
30  vant  que  Jésus  Christ,  entant  qu'il  avoit  la  gloire  de  Dieu,  n'eust 
point  estimé  rapine  de    se  faire   esgal  à  Dieu,   mais  qu'il   s'est  l .  Jean  3. 
voulu  anneantir.  Et  à  fin  que  les  meschans  ne  murmurassent, 
que  ce  feust  quelque  Dieu  faict  en  haste  :  Sainct  Jean  passe  oultre, 
disant  qu'il  est  le  vray  Dieu  et  la  vie  éternelle.  Combien  toutes- 
3o  fois  qu'il  nous  doibt  suffire,  quand  nous  entendons  qu'il  est  nom-  l.Cor.  8. 
mé  Dieu   :    principallement  par   la  bouche  de  Sainct  Paul,   qui 
ouvertement   dénonce,  qu'il    n'y  a  point   plusieurs  Dieux  :  mais 
un  seul.    Combien,   dit-il,  qu'on   renomme    plusieurs    Dieux    au 
Ciel  et  en    la  Terre   :  nous  n'avons  toutesfois  qu'un  seul   Dieu 


DE    LA    FOY.  223 


duquel  sont  toutes  choses.  Quand  nous  oyons  de  luymesme  que 
Dieu  a  esté   manifesté  en  chair,  que  Dieu  a  acquis  son  Eglise  par  ^  .Thi.  ;i. 
son  sang  :  pourquoy  imaginerions-nous  un  second    Dieu,  lequel  Ad.  2.  et 
il  ne  recongnoist  point  ?  Finalement  si  c'est  chose  certaine  (comme    ^^• 
5  c'est)  que  tous  les  fidèles  ajent  eu  ce  mesme  sentiment  :  certes 
Sainct  Thomas,   confessant  qu'il  est  son  Dieu  et  son   Seigneurj 
declaire  qu'il  est  le  Dieu  unique,  qu'il  avoit  tousjours  adoré,         Jean  20. 

D  avantage    si  nous     estimons    sa    divinité    par    ses    œuvres 
lesquelles    luy  sont  attribuées  en  TEscriture  :  elle  apparoistra 
loencores    plus   chdrement.    Car   en    ce   qu'il    dit,  que  despuis    le 
commencement  jusques  à  ceste   heure  il  a  tousjours  ouvré  avec  l.Jean  3 
son  Père  :  les  Juifz,  combien  qu'ilz  fussent  autrement  bien  stu- 
pides,  entendirent  bien  que  par  cela  il  se  attribuoit  la  puissance 
de  Dieu.  Et  à  ceste  cause,  comme  dict  Sainct  Jean,  cherchaient 
15  plus  que  devant  de  le  meurtrir  :  veu  que  non  seulement  il  vio- 
loit  le    Sabbat,   mais   se   portoit  pour  Filz   de  Dieu,  se   faisant 
esgal   à  Dieu.     Quelle    sera    donc    nostre  stupidité  ;   si   nous   ne 
congnoyssons   que    sa  divinité    est    en   ce   passage    pleinement 
certifiée?  Et   de  vray,  gouverner   le  monde   par  sa    providence 
20  et    vertu,  et  tenir  toutes  choses  en  son  commandement  (ce  que  llebr.  I. 
TApostre  dit  luy  appartenir)  ne   convient   qu'au  seul   Créateur. 
Et  non   seulement  l'office   de  gouverner  le  monde  luy  compete 
communément  avec  le  Père   :   mais   tous  autres  offices,  qui  ne 
peuvent  estre  transferez  à  créature  aucune.  Le  Seigneur  dénonce 
25  par    le    Prophète:     Ce    suis-je,   ce    suis-je  :    Israël,   qui    efface /e.sa.  4^. 
tes    iniquitez    à    cause    de    moy.    En    suyvant    ceste    sentence.  Mat.  9. 
les     Juifz    pensoient   que  Jésus    Christ    faisoit   injure    à    Dieu 
prenant  l'authorité  de   remettre   les    péchez.    Mais    luy    aucon- 
traire   non    seulement   de    parolles    maintinst    ceste    puissance 
30  à   soy    :    ains  l'approuva  par  miracle.    Nous  voyons  donc,   que 
non     seulement    le   ministère    de   remettre   les   péchez    est  par- 
devers   Jésus    Christ    :    mais    aussi   la  puyssance,  laquelle  Dieu 
a    une   fois    dénoncée    devoir    demeurer   à    soy    éternellement 
Quoy?    de    scavoir    et    entendre    les   secretz   et    cogitation  des 
35  hommes,  n'est-ce  pas  le  propre  d'un  seul  Dieu?  Or  est-il  ainsi, 
que  cela  a  esté  en  Jésus  Christ  :  dont  la  divinité  est  demonstrée.  Jean  2. 
Quant  aux   miracles,  elle  y  est  approuvée  quasi   à    l'œil.    Car, 
combien  que  les  Prophètes  et  Apostres  en   ayent  faict  de  sem- 
blables :  toutesfois  il  y  a  grand'difference  :  en  ce  qu'ilz  ont  esté 


224  CHAPITRE    IIII. 

seulement  ministres  des  dons  de  Dieu   :  Jésus  Christ  ha  eu  en 
sovmesme  la  vertu.  Il  a  bien  aucunesfois  usé  de  prières,   pour  Jean  // 
référer  la  gloire  k  son  Père  :  mais  nous  voyons  que  le  plus  sou- 
vent il  a  demonstré  la  puissance  estre  sienne.  Et  comment  celuy 
5  ne  seroit-il  le  vray  autheur  des  miracles  ;  qui  de  son  authorité 
octrove    aux    autres    la    faculté   d'en     faire  ?    Car   TEvangeliste  Marc  6. 
recite,  qu'il  a  donné  à  ses  Apostres  la  puyssance  de  ressusciter 
les   mors,    ^^uerir  les   ladres,    chasser    les   Diables,  etc.   Et   les 
Apostres  de  leur  part  en  ont  tellement  usé,  qu'ilz  demonstroient 
10  assez,  que  la  vertu   ne   procedoit    point   d'ailleurs  que  de  Jésus 
Christ.  Au  Nom  de  Jésus  Christ,    dict  Sainct  Pierre  au  Parali-  Act.  3. 
tique,  lieve  tov  et  chemine.  Parquoy  ce  n'est  point  de  merveille, 
si  Jésus  Christ  a  objecté  ses  miracles  pour  convaincre  l'incrédu- 
lité des  Juifz  :  comme  ainsi  soit   que  estans  faictz  de  sa  propre 
15  vertu  ilz  rendoient  ample  tesmoignage  de  sa  divinité.  Oultreplus, 
si  dehors  Dieu  il  n'y  a  nul  salut,  mdle  justice,  nulle  vie  :  certes 
en  contenant  toutes  ces  choses  en  soy,  est  demonstré  estre  Dieu. 
Et  ne  fault  point  que  quelqu'un  allègue,  que  ces  choses  luy  ont 
esté  concédées  de  Dieu  :  car  il  n'est  pas  dict   qu'il  ayt  receu  le 
20  don  de  salut  :  mais  que  luy   mesme  est   le  salut.  Et   s'il  n'y  a 
nul  bon,  fors  qu'un  seul  Dieu  ;  comment  pourroit  estre. l'homme, 
je  rie  dis  pas  bon  et  juste,  mais  la  bonté  et  la  justice  luy  mesme  ? 
Et  que  dirons-nous  à  ce  qu'enseigne  l'Evangeliste  :   que  dès  le 
commencement  du  monde  la  vie  estoit  en  luy  ;  et  que  luy  estant 
25  la  vie    estoit  aussi  la    lumière    des   hommes  ?    Pourtant  ayantz 
telles  expériences  de  sa  majesté  divine,  nous  osons  mettre  nostre 
Fov  et  espérance  en  luy  :  comme  ainsi  soit  que  nous  scachons 
estre  un  blaphesme,   de  mettre  sa  fiance  en  la  créature   :  et  ne 
faisons  point  cela  témérairement,  mais  selon  sa  parolle.  Croyez- 
30  vous    en   Dieu,  dict-il,    croyez  aussi   en   moy.    Et   Sainct  Paul,  je.i„  I4. 
nous    croyons  en  Jésus  Christ,  k  fin  d'estre  justifiez  par  la  Foy  Gai.  2. 
de  Jésus.  Et  en  ceste  manière  il  expose  deux  passages  de  lesaïe,  nom.    10 
Quiconque    croit    en    luy,    ne  sera    point    confuz.    Item.    11    y    '''  ''^■ 
sortira  de  la  racine  de  Jessé  un  Prince,  pour  régir  les  Peuples, 
Soles  Gens  espéreront  en  luy.  Et  quel  mestier est-il  d'en  racompter 
beaucoup  de  tesmoignages  ;  veu  que  ceste  sentence  est  si  souvent 
répétée  ?  Quiconque  croit  en  moy,  il  ha  la  vie  éternelle  ?  D'avan- 
tage l'invocation  ,  qui  dépend  de   la  Foy,  luy   est  aussi  deue  :  EnVEvan 
laquelle  neantmoins  est  propre  k  la  Majesté  de  Dieu,  si  elle  ha    ^^^^^^ 


m:  LA  FOY.  22o 

quelque  chose  de  propre.  Le  Prophète  dit.  Quiconques  invoquera  Joel  2. 
le  Nom  de  Dieu,  sera  sauvé.  Item,  Salomon,  Le  Nom  de  Dieu  est 
une  bonne  fortresse  :  le  juste  y  aura  son  refuge,  et  sera  sauvé.  Prov.  IS. 
Or  le  Nom  de  Christ  est  invoqué  à  salut.  Il  s'ensuyt  donc  qu'il 

5  est  Dieu.    Nous   avons    exemple  de  ceste  invocation  en  Sainct 
Estienne  quand  il   dit  :  Seigneur  Jésus,  recois  mon  Esprit.  Puis  Actes  7. 
après,   comme    tesmoigne  Ananias   au    mesme   livre  :   Seigneur 
Jésus,    dit-il,  tu   scais  combien  il  a  afïïigé  tous  les  Sainctz  qui  Avt.  9. 
invoquent  ton  Nom.  Et  à  fin  qu'on  entende  que  toute  plénitude 

10  de  Divinité  habite  corporellement  en  Jésus  Christ  :  Sainct  Paul 
confesse,  qu'il  n"a  voulu  scavoir  autre  doctrine  entre  les  Corin- 
thiens, que  la  congnoissance  de  son  Nom  :    et  ([u'il  n'a  presché  /.  Cor.  2. 
autre  chose  cjut'   luy  seul.  (Ju'est-ce  cela  :  de  ne  prescher  autre 
chose  que  Jésus  Christ  aux  lideles  ;   ausquelz  Dieu  dellend  de  ne 

15  se  glorifier   en  autre    Nom  que  au  sien  ?  Qui  osera  maintenant 
dire  ;  que  celuy  est  une   simple  créature  ;    du(|uel  la  congnois-  Hyer.  9. 
sance  est  nostre  gloire  unique  ?   Cela  aussi  n'est  point  de  petite 
importance,  que  les  Apostres  aux  salutations  qu  ilz  ont  accous- 
tumé  de  mettre  au  commencement  de  leurs  escrit/  :  requièrent 

soles  mesmes  ])enefices  de  Jésus  Christ,  qu  il/  font  de  Dieu  son 
Père.  Enquoy  ilz  den\onstrent,  que  non  seulement  par  son  inter- 
cession et  moyen  nous  o])tenons  les  bénéfices  de  Dieu  :  mais  que 
de  luy  mesme  nous  les  recevons.  Ceste  congnoissance,  qui  gist 
en  pratique  et  expérience  :  est  beaucoup  plus  certaine,  que  toutes 

25  spéculations  oysives.  Car  l'ame  fidèle  recongnoist  indubitable- 
ment, et  par  manière  de  dire,  touche  à  la  main  la  présence  de 
Dieu  :  là  où  elle  se  sent  vivifiée,  illuminée,  sauvée,  justifiée,  et 
sanctifiée. 

Pourtant  il    fault    user  de    mesme  probation,   pour  confermer 

:iola  Divinité  du  Sainct  Esprit.  Car  les  choses  que  l'Escriture 
luy  assigne,  sont  beaucoup  par  dessus  les  créatures  :  et  aussi 
l'expérience  que  nous  en  avons.  Premièrement  c'est  luy,  lequel 
estant  par  tout  espandu,  soustient,  conserve,  et  vivifie  toutes 
choses  au  Ciel  et  en  Terre  :  desja,  en  ce  qu'il  n'a  point  de  fin  ne 

:jo  de  limites,  il  est  exempté  du  nombre  des  créatures  :  car  c'est 
une  chose  pleinement  Divine,  que  estendre  sa  vigueur  par  tout, 
inspirant  à  toutes  choses  Essence,  vie,  et  mouvement.  Oultre- 
plus  si  la  régénération,  en  la  vie  incorruptible,  est  plus  noble 
et  plus  excellente  que  toute  vertu  corporelle  ;  que  nous  fault-il 
Institution.  15 


226  CHAPITRE    llll. 

estimer  du  Sainct  Esprit;  duquel  elle  procède?  Or  qu'il  soit 
autheur  de  la  régénération  par  sa  propre  vertu,  et  non  point  d  une 
vertu  empruntée,  l'Escriture  nous  l'enseigne  en  plusieurs  lieux, 
et  mesme  luy   attribue   la  louenge   de   Vimmortalité   future.   En 

5  somme,  tous  les  offices  qui  appartiennent  proprement  à  la  Divi- 
nité, elle  les  luy  attribue  comme  au  Filz.  Car  elle  dit,  qu'il  con- 
"•noit    les   profondz  secretz  de  Dieu  :  lequel  n'ha  nul  conseiller  /.  Cor.  2 
entre  les  créatures.  Elle    luy   assigne  la   faculté  de  sagesse   et /esaie  H 
d'éloquence  :  ce  que  nostre   Seigneur  a  dict  à  Moyse  estre  propre  Exod.  i. 

If»  à  sa  Majesté  seule.  Pareillement  nous  venons  par  son  moyen  en 
la   participation  de    Dieu  :  et   ainsi    nous  sentons   que  sa  vertu 
nous  vivifie  :  nostre  justification,  est  son  opération  :  de  luy  pro- 
vient toute  sanctification  :  vérité,  grâce,    et  tout  ce  qui  se  peut  2. Cor.  /i 
estimer  de  bon.    Car  il  n'y  a  qu'un  seul  Esprit,  dit  Sainct  Paul, 

15  duquel    nous   recevons  toutes   espèces  de   bien.  Mesmes   quand 
l'Escriture  parle  de   luy  ;   elle  use   bien   du   Nom   de  Dieu.  Car 
Sainct  Paul  infère  que  nous  sommes  Temples  de    Dieu  :    d'au-  I .  Cor.  3 
tant  que   son   Esprit  habite  en    nous  :    ce    qui  ne  se  doibt  point    ^'^-^^ 
leo-ierement  passer.  Car  comme   ainsi  soit  que   nostre  Seigneur 

20  nous  promet  tant  de  fois,  qu'il  nous  a  esleuz  pour  son  Temple  et 
Tabernacle  :  ceste  promesse  n'est  pas  autrement  accomplie  en 
nous,  sinon  d'autant  que  son  Esprit  y  habite.  Et  de  faict  l'Apostre 
en  un  mesme  sens  nous  appelle  maintenant  Temple  de  Dieu, 
Temple  de    son  Esprit.  Et  Sainct  Pierre   reprenant  Ananias,  de  Actes  3. 

25  ce   qu'il   avoit   menty    au     Sainct    Esprit,    dit    qu'il    n'a    point  Jean  o. 
menty    aux    hommes,  mais   à  Dieu,   Item,    Où  lesaïe  introduyt  Actes  der 
le   Seigneur    des   Armées  parlant  :    Sainct    Paul   dit  que    c'est    ^"'''■ 
le  Sainct    Esprit  qui  parle.    Et  là  où   Dieu  se    complainct,  qu'il  lésa.  63. 
a  esté  provoqué   à  ire   par  l'obstination  du  peuple  :    lesaie  dit, 

3..  que  l'Esprit  de  Dieu  a  esté  contristé.  Pour  faire  fin  à  ce  pro- 
poz  :  un  seul  argument  nous  doibt  amplement  contenter  pour  ap- 
prouver la  Divinité  du  Père,  du  Filz,  et  du  Sainct  Esprit.  C'est, 
que  si  nous  sommes  consacrez  par  le  Baptesme  en  la  Foy  et 
religion  d'un  seul  Dieu  :  nous  avons  pour   nostre    Dieu  celuy  ; 

35  au  Nom  duquel  nous  sommes  Baptisez.  Dont  il    appert,  que  le 
Père,  le  Filz  et  le  Sainct  Esprit  sont  comprins  en   une  mesme 
Essence  Divine   :   veu  que   nous   sommes    Baptisez  au  Nom  du 
Père,  du  Filz,  et  du  Sainct  Esprit.    Car  Sainct  Paul  conjoinct  Eph.  i. 
tellement  ces  trois  ensemble  :  Dieu,  la  Foy,  et  le  Baptesme,  qu'il 


i)i:  r,A  FOY.  227 

argumente  de  l'un  ii  l'autre,  en  ceste  sorte.  De  ce  qu'il  n'y  a 
qu'une  Foy  :  par  cela  il  prouve  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu.  De 
ce  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Baptesme,  il  prouve  qu'il  n'y  a  qu'une 
seule  Foy.  Car  connne  ainsi  soit,  que  la  Foy  ne  doibve  point 
5  extra vag-uer,  ne  regarder  cà  et  là  :  mais  se  reposer  et  acquiescer 
à  un  seul  Dieu  :  de  cela  nous  pouvons  inférer,  que  s'il  v  avoit 
diverses  Foyz,  il  fauldroit  qu'il  y  eust  plusieurs  Dieux.  Or  puis 
que  le  Baptesme  est  Sacrement  de  Foy  :  en  ce  qu'il  est  unique, 
il  nous  conferme  en   l'unité  dicelle.  De  cela  il  est  aisé  de  con- 

loclurre,  que  nous  ne  pouvons  estre  Baptisez  qu'en  un  seul  Dieu  : 
veu  que  nous  recevons  la  Foy  de  celuy,  au  Nom  duquel  nous 
sommes  Baptisez.  Qu'est-ce  donc  qu'a  voulu  dire  Christ,  en  com- 
mandant de  Baptiser  au  Nom  du  Père,  et  du  Fil/.,  et  du  Sainct 
Esprit  ;  sinon  qu'il   fault  croyre  et  au  Père,   et  au    Filz,   et  au 

li  Sainct  Esprit  ?  Et  qu'est-cela  autre  chose,  que  tesmoigner  claire- 
ment les  trois,  estre  un  seul  Dieu?  Or  si  cela  doibt  estre  résolu 
entre  nous,  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu  :  nous  concluons,  que  le 
Filz  et  le  Sainct  Esprit  sont  la  propre  Essence  Divine.  Pourtant 
les  Arriens  estoient  fort  esgarez  en  leur  sens  :  lesquelz,  en    con- 

20  cédant  à  Jésus  Christ  le  tillre  de  Dieu,  hiy  ostoient  la  substance 
Divine.  Les  Macédoniens  aussi  estoient  transportez  de  semblable 
rage  ;  lesquelz  ne  vouloient  entendre  par  le  Sainct  Esprit,  que  les 
dons  de  grâce  que  Dieu  distribue  aux  hommes.  Car  comme  sages- 
se, intelligence,  prudence,  force,  et  autres  vertus  procèdent  deluv  : 

25  aussi  d'autrepart  la  source  uni(iue  de  prudence,  sagesse,  force,  et 
toutes  autres  vertus  :  et  n'est  pas  divisé  selon  la  distribution  di- 
verse des  grâces  :  mais  demeure  tousjours  en  son  entier:  combien  t .Cor.  12. 
que  les  grâces  se  distribuent  diversement,  comme  dit  l'Apostre. 
D'autrepart    l'Escriture    nous    demonstre   quelque   distinction 

30  entre  Dieu  et  sa  paroUe,  entre  la  parolle  et  le  Sainct  Esprit  : 
laquelle  toutesfois  devons  considérer  avec  grande  révérence  et 
sobriété  :  comme  la  grandeur  du  Mystère  nous  admoneste.  Pour- 
tant la  Sentence  de  Gregoyre  Nazianzene  me  plaist  fort  :  Je 
n'en  puis,   dit-il,  concevoir  un,  que  trois  ne  reluysent  à  l'entour 

33  de  moy  ;  et  n'en  puis  discerner  trois,  que  incontinent  je  ne  sois 
reduyct  à  un  seul.  11  nous  fault  donc  garder  de  imaginer 
une  trinité  de  personnes  en  Dieu  :  laquelle  détienne  nostre 
intelligence,  ne  la  reduysant  point  à  ceste  unité.  Certes  ces 
vocables   du   Père,  du  Filz,   et  de   l'Esprit,   nous   dénotent  une 


228  CHAPITRE    1111. 

vraye  distinction  :  à  fin  que  aucun  ne  pense  que  ce  sont  divers 
tiltres,  qui  s'attribuent  à  Dieu,  pour  le  signifier  simplement  en 
plusieurs  manières  :  mais  nous  avons  à  observer,  que  c'est  une 
distinction,  et  nompas  une  division.  Pareillement  le  Père  céleste 

sdemonstre,  qu'il  ha  une  propriété  distincte   de  son  Filz  :  quand  Zach.  lî 
il  l'appelle  en  Zacharie,  son  compaignon  ou  prochain.  Car  comme 
il  n'y  a  point  de  parentale  entre   Dieu  et  les  créatures  :  aussi 
aucontraire,  ce  nom  ne  seroit  point  attribué  au  Filz,  n'estoit  pour 
marquer  quelque  distinction,  entre  luy  et  le  Père.    De  rechef,  le 

10  Filz  se  distingue  du  Père,  quand  il  dit,  qu'il  y  en  a  une  autre,  Jean  S. 
duquel  il  ha  tesmoignage.  Et   ainsi  se  doibt  prendre  ce   qui  est 
dict  :  que  le  Père  a  créé  toutes  choses  par  sa  paroUe  :  ce  qui  ne 
se  pouvoit  faire,  qu'il  n'y  eust  quelque  différence  entre  le  Père  et 
le  Filz.  Davantage  le  Père  n'est  pas  descendu  enterre,  mais  celuy 

loqui  estoitsorty  de  luy  :  il  n'est  pas  mort  ne  ressuscité,  mais  celuy 
qui  avoit  esté  par  luy  envoyé.  Et  ne  fault  pas  dire  que  ceste  dis- 
tinction a  eu  son  origine,  depuis  que  le  Filz  a  prins  chair  :  veu 
qu'il  est  notoyre,  que  auparavant  le  Filz  unique  a  esté  au  sein  du 
Père.    Car  qui  osera  dire  qu'il  y  soit  lors  entré  ;  quand  il  est  des-  Jean  2. 

20  cendu  du  Ciel,  pour  prendre  nostre  humanité?  Il  y  estoit  donc 
dez  le  commencement,  régnant  en  gloyre.  La  distinction  du  Sainct 
Esprit  d'avec  le  Père  nous  est  signifiée,  quand  il  est  dict,  qu'il 
procède  du  Père  :  d'avec  le  Filz,  quand  il  est  nommé  autre  :  comme 
quand  Jésus    Christ  dénonce  qu'il  y  viendra  un   autre  Consola-  Jean  13. 

25  teur  :  et  en  plusieurs  autres  passages.  Or,  pour  exprimer  la 
nature  de  ceste  distinction,  je  ne  scay  s'il  est  expédient  d'em- 
prunter similitudes  des  choses  humaines.  Les  Anciens  le  font 
bien .  aucunesfois  :  mais  semblablement  ilz  confessent  que  tout 
ce  qu'ilz  en  peuvent  dire,  n'approche  pas  beaucoup.  Pourtant  je 

3ocrainz  d'entreprendre  rien  en  cest  endroit  :  de  peur  que  si  je 
disois  quelque  chose  qui  ne  vinst  pas  bien  à  propoz,  je  donnasse 
occasion  de  mesdire  aux  meschantz,  ou  aux  ignorans  de  s'abuser. 
Xeantmoins  il  ne  convient  pas  dissimuler  la  distinction,  laquelle 
est  exprimée  en  l'Escriture.  C  est  que  au  Père  le  commencement 

3o  de  toute  action,  et  la  source  et  origine  de  toute  chose  est  attri- 
buée. Au  Filz,  la  sagesse,  le  conseil,  et  l'ordre  de  tout  disposer. 
Au  S.  Esprit,  la  vertu,  et  efficace  de  toute  action.  Oultreplus,  com- 
bien que  l'Eternité  du  Père,  soit  aussi  l'Eternité  du  Filz  et  de  son 
Esprit,  d'autant  que  Dieu  n'a  jamais  peu  estre  sans  la  sapience  et 


DE    LA  FOY.  229 

vertu,  et  que  en  TP^ternité  il  ne  fault  chercher  premier  ne  second  : 
toutesfois  cest  ordre,  qu'on  observe  entre  le  Père  et  le  Filz  n'est 
pas  superflu.  Que  le  Père  soit  nommé  le  premier,  après  le  Filz 
comme  venant  de  luy,  puis  le  Sainct  Esprit  comme  procédant  des 
5  deux.  Car  mesmes  l'entendement  d'un  chascun  incline  là  natu- 
rellement,de  considérer  premièrement  Dieu:  en  après  sa  sapience  : 
finalement  sa  vertu,  par  laquelle  il  met  en  exécution  ce  qu'il  a 
déterminé  par  sa  sapience.  Pour  laquelle  cause  le  Filz  estdictestre 
produict  du  Père  :  l'Esprit  de  l'un  et  de  l'autre,  ce  qui  est  souventes- 

10  fois  répété  en  l'Escriture,  mais  plus  clairement  au  8  des  Romains, 
qu'en  nul  autre  passage  :  où  le  Sainct  Esprit  est  indifféremment 
appelle  maintenant  l'Esprit  de  Christ,  maintenant  de  celuv  qui  a 
ressuscité  Christ  des  morz .  Et  ce  à  bon  droict.  Car  Sainct  Pierre 
aussi  tesmoigne,  que  ce  a  esté  l'Esprit    de  Christ  par  lequel  ont 

15 parlé  les  Prophètes:    comme   ainsi  soit  que  l'Escriture   souvent  I.Pier.l. 
enseigne  que  ce  a  esté  l'Esprit  du  Père.     Or  tant  s'en  fault  que 
ceste  distinction  contrevienne  à  l'unité  de  Dieu,  que  plustost  on 
peut  prouver  le  Filz  estre  un  mesme  Dieu  avec  le  Père,  d'autant 
qu'ilz  ont  un  mesme  Esprit  :  et  que  l'Esprit  n'est  point  une  diverse 

20  substance  du  Père  et  du  Filz  :  d'autant  qu'il  est  leur  Esprit.  Car 
en  chascune  personne  toute  la  nature  divine  doibt  estre  entendue, 
avec  la  propriété  qui  leur  compete.  Le  Père  est  totalement  au 
Filz  :  et  le  Filz  est  totalement  au  Père,  comme  luymesme  l'afferme, 
disant  :  Je  suis  en  mon  Père,  et  mon  Père  en  moy.  Pourtant  tous 

25  les  Docteurs  ecclésiastiques  n'admettent  aucune  différence  quant 
à  l'Essence  entre  les  personnes  :  selon  lequel  sens  il  fault  accor- 
der les  sentences  des  Anciens,  lesquelles  sembleroient  autrement 
advis  contredire.  Car  aucunesfois  ilz  appellent  le  Père,  commence- 
ment du  Filz  :   aucunesfois    ilz    enseignent    que    son  Filz  ha  sa 

30  Divinité  et  Essence  de  soymesme.  Touchant  ce  que  les  Sabelliens 
cavillent,  que  Dieu  n'est  appelle  Père,  Filz,  ou  Esprit,  sinon 
comme  on  le  nomme  puissant,  bon,  sage  et  miséricordieux  :  il  est 
facile  de  les  réfuter  :  veu  que  ces  tiltressecondz,  sont  Epithetes,pour 
monstrer  quel  est  Dieu  envers  nous.   Les  premiers  vocables  sont 

35  noms,  qui  demonstrent  qu'il  est  en  soymesme.  D'avantage  il  ne 
fault  pas  que  cela  nous  induyse  à  confondre  l'Esprit  avec  le  Père 
et  le  Filz,  d'autant  que  Dieu  est  nommé  Esprit  :  car  il  n'y  a  nul 
inconvénient,  que  l'Essence  entière  de  Dieu  soit  spirituelle  :  et  que 
en  icelle  Essence  ne  soient  comprins  le  Père,  le  Filz,  et  l'Esprit: 


230  CHAPITRE    IIII. 

ce  qui  est  declairé  par  TEscriture.  Car  comme  là  nous  oyons 
Dieu  estre  nommé  Esprit  :  aussi  nous  oyons  que  l'Esprit  est  de 
Dieu,  et  procède  de  Dieu.  Ceux  quinesontpoint  contentieux, voyent 
bien   comment   en  une  simple  Essence  divine,    le  Père  avec  sa 

3  parolle  et  son  Esprit  est  comprins.  A  quoy  mesmes  les  plus 
rebelles  ne  scauroient  contredire  :  car  le  Père  est  Dieu,  le  Filz 
pareillement,  et  le  Sainct  Esprit.  Et  toutesfois  il  n'y  peut  avoir 
qu'un  Dieu.  D'autre  part  l'Escriture  en  nomme  trois,  en  marque 
trois,  et  en  distingue  trois.  11  y  en  a  donc  trois,  et  un  :  à  scavoir 

loun  seul  Dieu,  une  Essence.  Qui  sont  les  trois  ?  non  pas  trois 
Dieux,  ny  trois  Essences,  mais  trois  proprietez. 

Les  Anciens,  pour  signifier  l'un  et  l'autre,  ont  dict,  qu'il  y  avoit 
une  Essence,  et  trois  Hypostases  enicelle.  Les  latins,  convenans, 
quant  au  sens,  ont  retenu  l'un  desmotz,  en  l'autre  ilzont  exprimé 

15  une  explication  un  peu  différente.  Car  ilz  ont  dict,  qu'il  y  avoit 
une  Essence,  et  trois  personnes  :  entendans  par  ce  dernier  vocable 
une  correspondance.  Les  Hérétiques  abbayent  après  :  aucuns 
aussi  qui  ne  sont  point  du  tout  mauvais  murmurent,  que  ces 
noms  d'Essence  et  d'Hypostase  ont  esté  forgez  par  les  hommes  : 

20  et  ne  se  trouvent  nullement  en  l'Escriture.  Mais  puis  qu'ilz  ne 
nous  peuvent  oster  cela^  qu'il  y  en  a  trois  en  une  mesme  Deité  : 
quelle  obstination  est-ce  de  reprouver  les  motz,  qui  ne  signifient 
autre  chose,  que  ce  qui  est  testifié  en  l'Escriture  ?  Hz  disent  qu'il 
seroit  plus  expédient  de  contenir  non  seulement  nostre  entende- 

25  ment,  mais  aussi  nostre  bouche  entre  les  limites  de  l'Escriture  : 
que  de  publier  motz  estranges,  qui  soient  semences  de  noyses  et 
dissentions  :  car  il  advient  en  telle  manière,  qu'on  languist  en 
combat  de  parolles  :  que  la  vérité  en  altercant  est  perdue  :  et  la 
charité  destruicte.  Mais  s'ilz  nomment  motz  estranges,  tous  ceux 

30  qui  ne  se  peuvent  trouver  syllabe  à  syllabe  en  l'Escriture,  ilz 
nous  imposent  une  dure  condition  :  veu  qu'en  ce  ftiisant  ilz 
nous  condamnent  toutes  prédications,  qui  ne  sont  composées 
mot  à  mot  de  l'Escriture.  S'ilz  estiment  motz  estranges  ceulx  qui 
ont  esté  curieusement  inventez  et  se  deffendent    superstitieuse- 

3>  ment,  faisantz  plus  à  contention  qu'à  édification  :  lesquelz  ont 
usurpé  sans  nécessité  et  sans  fruict:  et  dont  il  se  suscite  quelque 
offence  entre  les  fidèles  :  ou  bien  qui  nous  pourroient  retirer  de 
la  simplicité  de  l'Escriture  :  j'approuve  grandement  leur  sobriété. 
Car  j'estime    qu'il    ne    nous    fault    point    parler  de   Dieu  avec 


DR    LA   FOV. 


231 


moindre  révérence,  que  penser  de  sa  Majesté  :  veu  que  tout  ce 
que  nous  en  pensons  de  nousmesmes  n'est  que  folie  :  et  tout  ce 
que  nous  en  pouvons  parler  est  inepte  Neantmoins  il  nous  fault 
icv  garder  quelque  moyen.  Bien  est  vray,  qu'il  nous  fault  prendre 
3  de  l'Escriture  la  reigle  tant  de  noz  pensées  que  de  noz  parolles  : 
à  laquelle  nous  rapportions  et  toutes  les  compilations  de  nostre 
esprit,  et  toutes  les  parolles  de  nostre  bouche.  Mais  qui  est-ce 
qui  nous  enipeschera  d'exposer  par  motz  plus  clers  ;  les  choses 
qui  sont  obscurément  monstrées  en  l'Escriture  ?  moyennant  que 

1(1  ce  que  nous  dirons  serve  à  exprimer  fidèlement  la  vérité  de 
l'Escriture  ;  et  que  cela  se  face  sans  trop  grande  licence  ;  et 
pour  bonne  occasion  ?  Nous  avons  journellement  exemple  de 
cela.  Et  que  sera-ce  quand  il  sera  prouvé  que  l'Eglise  a  esté 
contraincte  de  user  de  ces  vocables  de  Trinité  et  de  personnes . 

15  Si  lors  aucun  les  reprouve  soubz  umbre  de  nouvelleté  ;  ne  pourra-on 
pas  juger  qu'il  ne  peut  porter  la  lumière  de  vérité  ;  à  scavoir, 
d'autant  qu'il  n'y  peut  rien  reprendre,  sinon  plus  claire  expli- 
cation de  ce  qui  est  comprins  en  l'Escriture?  Or  ceste  nouvelleté 
de     motz  (si    ainsi    se    doibt  appeller)    est    lors  principalement 

20  nécessaire  :  quand  il  fault  maintenir  la  vérité  contre  les  calum- 
niateurs,  qui  la  renversent  en  tergiversant.  Ce  que  nous  expé- 
rimentons aujourd  huy,  plus  qu'il  ne  seroit  de  mestier,  ayantz 
grande  ditliculté  à  convaincre  les  ennemis  de  la  vérité  :  d'autant 
que  [s]e  virans  cà  et  là  comme   serpens,  trouvent  manière  d'es- 

2ï  chapper,  sinon  qu'on  les  presse  de  près  :  et  quasi  qu'on  les  tienne 
en  serre.  En  ceste  manière  les  Anciens,  estanz  inquiétez  de  mau- 
vaises doctrines,  ont  esté  contrainctz  de  expliquer  facilement  et 
familièrement  ce  qu'ilz  sentoient  :  à  fin  de  ne  laisser  aucun  subter- 
fuge aux  meschans  ausquelz  toute  obscurité  de  parolles  eust  esté 

30  comme  cachetter  pour  couvrir  leurs  erreu[r]s.  Arrius  confessoit 
Jésus  Christ  estre  Dieu  et  Filz  de  Dieu  :  pource  qu'il  ne  pouvoit 
résister  à  tant  de  tesmoignages  de  l'Escriture  :  et  comme  s'es- 
tant  acquité,  faisoit  semblant  de  consentir  avec  les  autres  : 
mais  ce    pendant    il   ne    laissoit    pas   de    dire,  que  Christ  avoit 

35  esté,  créé  et  qu'il  avoit  eu  commencement  comme  les  autres 
créatures.  Les  Anciens  Pères,  pour  retirer  ceste  cautelle  mali- 
tieuse  de  ces  ténèbres,  ont  passé  oultre  :  et  ont  declairé  Christ  estre 
Filz  Eternel  de  Dieu,  et  d'une  mesme  substance  avec  son  Père. 
Lors   est    venue  en    avant    l'impiété  des  Arriens    :  en  ce  qu'ilz 


232  CHAPITRE    IIII. 

n'ont  peu  porter  ceste  doctrine,  mais  l'ont  eu  en  exécration. 
Que  si  du  commencement  ilz  eussent  confessé  sans  feintise 
Jésus  Christ  estre  Dieu  :  ilz  n'eussent  point  nyé  son  Essence  divine. 
Qui  sera  celuy,  qui  osera  accuser  les  bons  Pères  ;  comme  cupides 

5  de  noyses  et  dissentions  :  d'autant  que,  pour  un  petit  mot,  ilz  se 
sont  tellement  eschauffez  en  combat  ;  jusques  à  troubler  latran- 
quilité  de  l'Eglise?  Car  ce  petit  mot  monstroit  la  différence  entre 
les  vrais  Clirestiens,  et  les  Hérétiques.  Sabellius  vint  en  avant  : 
lequel  disoit  ces  vocables,  de  Père,  Filz,  et  Sainct   Esprit,  estre 

ïo  de  nulle  importance  :  et  n'avoir  nulle  propriété  ou  signification, 
sinon  celle  que  ont  les  autres  tiltres  de  Dieu.  Si  on  venoit  à 
disputer,  il  recongnoyssoit  le  Père  estre  Dieu,  le  Filz  pareille- 
ment, et  le  Sainct  Esprit.  Mais  puis  après  il  trouvoit  une  eschap- 
patoire  :  qu'il  n'avoit  autre  chose  confessé,  que  s'il  eust  appelle 

*^  Dieu,  bon,  sage,  puissant,  etc.  Et  ainsi  retournoit  à  une  autre 
chanson,  que  le  Père  estoit  le  Filz.  et  le  Filz  le  Sainct 
Esprit  sans  aucune  distinction.  Ceulx  qui  avoient  en  ce  temps 
là  l'honneur  de  Dieu  en  recommandation,  pour  abbatre  la 
malice    de    cest    homme,    contredisoient    :    remonstrantz    qu'il 

20  fault  recongnoystre  trois  proprietez  en  un  seul  Dieu.  Et  pour 
se  garnir  de  simple  vérité  et  ouverte,  contre  ses  cavillations 
et  son  oblique  astuce,  affermoient  qu'il  y  a  trois  personnes 
résidentes  en  un  Dieu  :  ou  bien,  qui  vault  autant,  qu'en  une 
seule  Essence    divine  il  y  a  Trinité  de  personnes.   Si    donc    ces 

25  noms  n'ont  point  esté  inventez  témérairement  :  il  nous  fault 
garder  d'estre  redarguez  de  témérité,  si  nous  les  redarguons. 
Je  voudroye  qu'ilz  fussent  ensevelyz  :  moyennant  que  ceste  Foy 
fust  en  tout  le  monde,  le  Père,  le  Filz,  et  le  Sainct  Esprit,  estre 
un  seul  Dieu  :  et  toutesfois  que  le  Filz   n'est  point  le    Père,  ne 

30  l'Esprit  n'est  point  le   Filz  :  mais  qu'il   y    a  distinction    de  pro- 
priété, Combien  que  le  nom   d'Hypostase  soit    en  l'Apostre,  en  Ebr.  /. 
une  mesme  signification,  comme  il  me   semble,  que  les  Anciens 
l'ont  prins,  quand  il  nomme  le   Filz,   image    de    l'Hypostase  de 
Dieu  son    Père.    Car    je   n'accorde    point  avec    ceulx,   qui  en  ce 

35  lieu  là  prennent  Hypostase  pour  Essence  :  l'exposans  comme 
si  Christ  representoit  la  face  de  son  Père  en  soy,  comme  la 
cire  fait  la  figure  du  cachet  :  mais  j'estime  plustost  cestuy  estre 
le  sens  de  l'Apostre  :  que  le  Père,  combien  qu  il  ayt  sa  propriété 
distinguée,     s'est    neantmoins   tellement  exprimé  au  vif  en  son 


DE    LA    FOY,  233 

Filz,  que  son  Hypostase  mesmes,  c'est  à  dire  sa  personne,  y  reluyst 
et  V  est  manifestée.  Car  ce  seroit  improprement  parlé  de  le  nom- 
mer image  de  l'Essence  de  son  Père  :  veu  qu'il  la  contient  en 
soy  entièrement  :  non  point  par  portion,  ne  qu'elle  luy  ayt   esté 

5  transférée,  mais  parfaictement. 

Au  reste  je  ne  suis  pas  si  rude  et  extrême,  de  vouloir  susciter 
de  grand/  combatz  pour  les  simples  motz.  Car  j'apperceoiz  que 
les  Anciens  Pères,  combien  qu'il/  s'estudient  de  parler  fort  reve- 
remment,  en  cest  endroit,   ne   conviennent    point   ensemble  par 

i^'tout  :  et  mesmes  que  aucuns  d'eulx  ne  parlent  point  tousjours  en 
mesme  manière.  Car,  quelles  sont  les  locutions  et  formes  de 
parler  des  Conciles,  que  Sainct  Hylaire  excuse  ?  Quelle  hardiesse 
de  parler  prend  aucunesfois  Sainct  Augustin  ?  Quelle  dilVerence 
y  a  il  entre  les  Grecz   et  les  Latins?  Mais  un   exemple  seul  suf- 

isfira  pour  monstrer  ceste  variété.  Les  Latins  pour  interpréter  le 
mot  Grec.  iiOMorsios,  ont  dict  que  le  Filz  estoit  consubstantiel  au 
Père  :  signifians  qu'il  estoit  d'une  mesme  substance:  et  ainsi  ilz 
ontprins  substance,  pour  Essence.  Et  aucontraire  on  lit  en  Sainct 
Hylaire  plus  de    cent   fois,  qu'il  y  a  trois   substances  en  Dieu  : 

20  et  de  faict  Sainct  Hylaire  reproche  pour  un  grand  crime  aux 
Hérétiques,  que  par  leur  témérité,  il  est  contreinct  de  submectre 
au  péril  de  la  paroUe  humaine,  les  choses  qui  se  doibvent  con- 
tenir dedens  le  cœur  :  ne  dissimulant  point,  que  cela  est  entre- 
prendre choses  illicites,  présumer  choses  non  concédées,  exprimer 

25  choses  inénarrables.  L^n  peu  après  il  s'excuse,  qu'il  est  con- 
treinct de  mettre  en  avant  nouveaux  vocables.  Car  après 
qu'il  a  mis  les  noms  naturelz,  le  Père  le  Filz  et  le  Sainct 
Esprit,  il  adjouste,  que  tout  ce  qu'on  peut  chercher  d'avantage, 
est    par  dessus    toute   éloquence,    par    dessus    l'intelligence    de 

30  nostre  sens,  et  la  conception  de  nostre  entendement.  Et  en 
un  autre  passage  il  estime  les  Evesques  de  Gaule  bien  heureux, 
de  ce  qu'ilz  n'a  voient  ne  forgé  ne  receu,  ne  mesmes  congneu 
autre  confession,  que  la  première  et  la  plus  simple,  qui  avoit 
esté  baillée  à  toutes  les  Eglises  depuis  le  temps  des  Apostres. 

33  Une  telle  modestie  de  ce  Sainct  personnage  nous  doibt  admo- 
nester, que  nous  ne  condamnions  point  trop  legierement 
ceux,  qui  ne  voudront  soubscrire  à  tous  noz  motz.  Mais  il 
fault  enseigner  les  simples,  de  quelle  nécessité  nous  sommes 
contrainctz  à  parler    ainsi  :   et  petit  à  petit    les  accoustumer  à 


23i  CHAPITKE    llll. 

nostre  manière  :  les  admonester  aussi  amiablement,  que  là  où  il 
est  question  d'obvier  d  une  part  aux  Arriens,  et  d'autre  aux 
Sabelliens  :  que  en  empeschant  le  moyen  de  cela  faire,  ilz  ne 
donnent  quelque   suspition,    qu'ilz    favorisent    à    leurs    erreurs. 

5  Arrius  dit  bien,  que  Christ  est  Dieu:  mais  en  cachette  il  caville 
qu'il  a  esté  créé,  et  qu'il  a  eu  commencement.  Il  le  confesse 
estre  un  avec  le  Père  :  mais  il  souffle  après  aux  aureilles  de  ses 
disciples,  qu'il  est  uny  au  Père  comme  les  autres  fidèles  : 
combien  que    cela    soit   par   un  privilège    singulier.    Qu'on  dise 

10  qu'il  est  dune  mesme  substance  :  on  aura  couppé  la  broche  à  sa 
malice,  sans  rien  adjouster  à  l'Escriture.  Sabellius  dit  que  ces 
noms,  de  Père,  Filz,  et  Sainct  Esprit,  ne  signifient  aucune  dis- 
tinction en  Dieu.  Qu'on  dise  qu'il  y  ayt  trois  choses  en  Dieu  :  il 
criera  qu'on  veult  faire  trois  Dieux.    Qu'on  dise    qu'il    y   ait  en 

15  une  seule  Essence  divine,  Trinité  de  personnes  :  on  expliquera 
simplement  ce  que  l'Escriture  enseigne  :  et  fermera  on  la  bouche 
à  cest  Hérétique.  S'il  y  en  a  quelques  uns  qui  soient  detenuz  en 
telle  superstition,  qu'ilz  ne  puissent  souffrir  ces  vocables  :  toutes- 
fois  nul  ne  pourra  nyer,  quand  nous  oyons  1  Escriture  denonceant 

20  qu'il  y  a  un  seul  Dieu  :  qu'il  ne  faille  entendre  unité  en  l'Essence 
Divine  :  quand  elle  nomme  trois,  qu'il  ne  faille  considérer  trois 
proprietez  diverses.  Quand  cela  sera  confessé  simplement  et 
sans  fraude  :  il  ne  nous  fault  soucyer  des  paroUes.  Maintenant 
donc  venons  à  L'explication  du  Symbole. 


25  LA  PREMIERE  PARTIE. 

Je  croy  en  Dieu  le  Père  tout  puissant. 

Or  il  fault  premièrement  noter  la  forme  de  parler.  Car  croyre 
en  Dieu  vault  autant  à  dire,  comme  le  recevoir  et  advouër 
pour  nostre  Dieu  :  à  fin  que  nous  adhérions  à  luy  et  à  sa 
3oparolle.  Car  c'est  une  locution  prinse  de  la  langue  Hebraique  : 
laquelle  prend  croyre  en  Dieu  pour  croyre  à  Dieu,  et  luy 
adjouster  Foy,  combien  qu'elle  signifie  quelque  chose  plus 
haulte  en  parlant  ainsi.  Icy  donc  les  fidèles  protestent, 
qu'ilz    receoivent  et    congnoissent    Dieu,  pour  leur  Dieu  :  à  fin 


DE    LA  FOY.  235 

d'eslre  advoûez  de  luy  pour  ses  serviteurs  :  à  ce  qu'ilz  se  puissent  Habac.  1. 
glorifier  avec  tout  son  peuple,  eu  disant  :  Tu  es  nostre  Dieu  dez 
le  commencement.  Nous  ne  mourrons  point  donc.  Car  quand 
nous  l'avons  pour  nostre  Dieu,  nous  avons  en  luy  vie  et  salut. 
5  Pour  laquelle  fiance  confermer,  le  tiltre  de  Père  est  icy  con- Mat l.  1. 
joinct.  Car  par  le  moyen  de  son  Filz  bien  aymé,  auquel  repose 
son  bon  plaisir,  il  s'est  declairé  estre  nostre  Père  :  et  pourtant  il 
nous  receoit  en  luy  establissant  un  parentaj^e  Spirituel,  dont  tout 
parentale  est  nommé  au  Ciel  et   en  la  Terre,  dict  Sainct  Paul.  Ephes.  3. 

10  Incontinent  donc  que  la  Foy  s'esleve  à  Dieu,  elle  l'ha  pour  Père  : 
d'autant  qu'elle  ne  le  peut  comprendre  sans  son  Filz  :  par  lequel 
un  si  grand  bien  nous  est  communiqué.  Or  s'il  nous  est  pour 
Père,  nous  luy  sommes  comme  enfans  :  et  si  nous  sommes  ses 
enfans,    nous   sommes  quant  et  quant   ses  Héritiers.   Nous  luy 

ir.  attribuons  toute  puissance  :  non  pas  telle  que  les  Sophistes  l'ima- 
ginent, vaine,  assopie,  et  oysive  :  mais  pleine  d'efficace  et  d'ac- 
tion. Car  Dieu  est  nommé  tout  puissant  :  nompas  pource  qu'il 
puisse  faire  toutes  choses,  et  neantmoins  se  repose  :  mais  d'au- 
tant qu'il  tient  tout  en  sa  main,  gouverne  le  Ciel  et  la  Terre  par  Psal.llo. 

20  sa  providence,  fait  et  dispose  toutes  choses  selon  son  conseil  et 
volunté.  Car  s'il  fait  tout  ce  que  bon  luy  semble,  et  n'y  a  rien 
de  caché  à  sa  providence  :  il  s'ensuyt  que  tout  se  fait  par  sa  vertu 
et  commandement.  Mais  nous  touchons  ce  propoz  briefvement 
pour  maintenant  ;  pource  que  nous  différons    d'en  traicter  plus 

2)  amplement  en  un  autre  lieu .  Or  la  Foy  s'arme  de  double  con- 
solation en  la  puissance  de  Dieu  :  d'autant  qu'elle  congnoist  qu  il 
ha  assez  ample  faculté  de  bien  faire  :  veu  que  son  bras  s'estend  à 
régir  et  gouverner  toutes  choses,  que  le  Ciel  et  la  Terre  sont  sa 
possession  et  Seigneurie  :  que  toute  créature  dépend  de  son  plai- 

30  sir,  pour  advancer  le  salut  des  lîdeles.  Secondement  d'autant 
qu'elle  voit  qu'il  y  a  assez  d'asseurance  en  sa  protection  :  veu 
que  toutes  les  choses,  qui  pourroient  nuyre,  sont  subjectes  à  sa 
volunté;  veu  que  le  Diable  est  reprimé  par  sa  volunté,  comme 
d'une  bride,  avec  toutes  ses  machinations  :  brief  que  tout  ce  qui 

:î5peut  contrevenir  à  nostre  salut  est  soubmis  à  son  commande- 
ment. 


Créateur  du  Ciel  et  de  la  Terre 


236  CHAPITRE    Illl. 

Combien  que  l'entendement  des  meschans  par  le  seul  reg-ard 
du  monde  soit  contreinct  de  recongnoistre  le  Créateur  :  neant- 
moins  la  Foy  ha  une  manière  particulière  de  contempler  Dieu 
Créateur  du  Ciel  et  de  la  Terre.  Pour  laquelle  cause  dit  l'Apostre, 
5  que  nous  entendons  par  Foy  comment  les  Siècles  ont  esté  cons-  Hebr.  H. 
truictz  par  la  parolle  de  Dieu.  Et,  k  la  vérité,  nous  ne  pouvons 
entendre,  sinon  par  Foy,  que  cela  vault  :  de  nommer  Dieu,  Créa- 
teur du  monde  :  comment  qu'il  semble  ad  vis  que  nous  le  com- 
prenions d'esprit,  et  le  confessions  de  bouche.  Car  Tintellig-ence 

10  de  nostre  chair,  après  avoir  conceu  la  vertu  de  Dieu  une  fois  en  la 
création,  elle  s'arreste  là  :  et  quand  elle  procède  bien  loing,  seu- 
lement elle  considère  sa  puissance  et  sagesse,  dont  il  a  usé  à 
faire  une  telle  œuvre .  Puis  après  elle  comprend  quelque  action 
générale,  à  conserver  et  diriger  les  choses  qu'il  a  crées  :  à  laquelle 

15  elle  attribue  le  mouvement  de  toutes  créatures.  Mais  la  Foy 
passe  plus  hault.  Car  après  avoir  entendu  que  Dieu  est  Créa- 
teur du  monde  ;  elle  le  recongnoit  aussi  pour  Conservateur  et 
Gouverneur  perpétuel.  Et  ce  non  point  par  je  ne  scay  quel  mou- 
vement universel,  par  lequel  il  conduyse  tant  l'édifice  universel 

20  du  monde,  que  toutes  les  parties  :  mais  elle  comprend  sa  provi- 
dence singulière,  par  laquelle  il  maintient,  conserve,  et  vivifie 
toutes  choses  qu'il  a  crées,  jusques  aux  plus  petis  oy seaux  de 
l'air.  Et  combien  que  la  différence  n'apparoisse  pas  grande  :  si 
est-ce  que  la  sagesse  humaine    ne  monte  jamais  jusques  à  ceste  Psalme 

25  méditation,    laquelle   poursuyt    David    au   Psalme    104,    princi-        *' 
paiement  en   la  conclusion,   où   il  dit,  toutes   choses  attendent 
après  toy  Seigneur  :  et  tu   leur    donne  Amande    en  leur    temps. 
Quand  tu  leur  donne,  elles  la  recueillent  :   quand    tu    ouvre  ta 
main,    elles    sont    rassasiées    de    tous    biens.     Si    tu    retires    ta 

30  face  arrière  d'elles,  elles  sont  estounées  :  si  tu  destournes 
ton  Esprit,  elles  périssent  et  retournent  en  cendres.  Si  tu 
envoyés  ton  Esprit,  tout  se  ressuscite,  et  la  face  de  la  Terre 
est  renouvellée .  Semblables  sentences  sont  par  toute  l'Es- 
criture  :   comme  quand  il   est    dict.  que    en   Dieu    nous  consis-  Actes  il . 

35  tons  et  avons  mouvement  et  vie.  Que  de  sa  main  la  rou- 
sée  et  la  pluye  sont  esparses  pour  arrouser  les  champs  :  que 
par  son  commandement  le  Ciel  s'endurcit  comme  fer  :  que 
de  luy  viennent  paix  et  guerre .  vie  et  mort ,  lumière  et 
ténèbres,  pestilence  et  santé,  abandance  et  famine,  et  toutes  au- 


DE    LA  FOY.  237 

très  choses,  selon  que  bon  luy  semble,  ou  demonstrer  sa  bonté 
en  bien  faisant  :  ou  declairerla  rig-ueur  de  son  jugement  par  sévé- 
rité. Or  de  ce  vient  une  singulière  consolation  à  la  conscience 
fidèle  :    c'est  que  s'il  élargit  et  donne   pasture   aux    petis  cor- 

5  beaux  qui  implorent  son  ayde  ;  par  plus  forte  raison  il  nous 
donnera  nourriture,  à  nous  qui  sommes  son  peuple,  et  brebis 
de  son  troupeau.  Si  un  petit  passereau  ne  tombe  point  en 
terre,  sinon  par  son  sceu  et  volunté  :  par  plus  forte  rai-, 
son   il  veille   pour   nostre    salut,    et  en  ha   la  solicitude  :   veu 

10  (ju'il     nous    promet    de    nous    conserver,    comme    la    prunelle 
de    son    œil.    Si    1  homme    ne    vit    point    seulement   de  pain  :  Z;t<h.  2. 
mais    plustost    en    la    vertu    de    la    paroUe   qui  procède   de    la 
.  bouche   de    Dieu  ;    qu'il    nous    doibt    bien    sudre    de     ce    qu'il  Matl.  i, 
nous    promet,    que   jamais   son   ayde  ne    nous  delfauldra  :  veu 

lo  que  icelle  seule  sufiit  à  nous  pouvoir  nourrir.  Aucontraire 
l'homme  fidèle,  voyant  quelque  stérilité,  famine,  ou  pestilence, 
recongnoistra  plustost  1  ire  de  Dieu,  qu'il  n'attribuera  cela 
à  la  fortune.  Finalement  entendant  qu'il  est  nostre  Créateur, 
nostre  Tuteur,  et  Nourrissier  :  il  conclurra  que  nous  sommes  à 

20  luy,  et  nompas  à  nous  :  qu'il  nous  fault  vivre  à  sa  vokinté  et  nom- 
pas  à  la  nostre  :  que  c'est  à  luy  que  nostre  vie  se  doibt  reiîerer 
avec  toutes  les  actions  d'icelle  :  veu  qu'elle  consiste  en  son  entier, 
par  sa  grâce.  Or  à  fin  que  personne  ne  se  trouble,  de  ce  que  la 
gfoire  de  la  création  de  toutes  choses  est  icy  particulièrement  assi- 

25  gnée  au  Père  :  comme  si  par  cela  le  Filz  et  le  Sainct  Esprit  en 
estoient  excludz  :  Nous  avons  à  notter,  que  cela  se  doibt  prendre 
selon  les  proprietez  personnelles,  que  nous  avons  exposez  estre 
en  Dieu.  Car  d'autant  que  le  commencement  de  tovit  est  attribué 
au  Père  ;  à  proprement  parler,  nous  disons  qu'il  fait  tout  :  mais 

30  c'est  en  sa  sagesse,    et  par    son   Esprit.  Si  nous   voulons  donc 
avec  utilité,  recongnoistre  Dieu  Créateur  du  Ciel  et  de   la  Terre 
et  Père   tout    puissant  :   il    nous   fault   dépendre   de    sa    provi- 
dence :  puis  après  considérer   sa   clémence   et  bénignité  pater- 
nelle en   nostre    cœur,    et   le   magnifier    de    bouche   :  honorer, 

35  craindre,  et  aymer  un  si  bon  Père  ;  nous  addonner  du  tout 
à  son  service,  prendre  bien  toutes  choses  de  sa  main,  mesmes 
celles  qui  nous  semblent  les  plus  contraires  à  nostre  proffit  : 
estimantz  que  sa  providence  fait  cela  pour  nostre  salut,  quand 
nous   souffrons  adversitez  et  afflictions.  Pourtant,  quelque  chose 


238  CHAPITRE    llll. 

qui  advienne,  il  ne  nous  faudra  jamais  doubler  qu'il  ne  nous 
soit  propice,  et  qu'il  ne  nous  ayme  :  ayant  en  recommandation 
l'advancement  de  nostre  salut  :  car  pour  nous  instruyre  à  telle 
fiance,  a  esté  faicte  la  première  partie  du  Symbole. 


5  LA  SECONDE  PARTIE. 

Et  en  Jésus  Christ,  son  Filz  unique,  nostre  Seigneur. 

Ce  que  nous  avons  dict.  que  Jésus  Christ  est  le  propre 
but  et  object  de  nostre  Foy.  apparoist  facilement,  de  ce  que 
toutes  les  parties  de  nostre  salut  sont  icy  nombrées  et  conclues 

10  en  luy.  Car  le  Seigneur,  comme  dit  le  Prophète,  est  sorty  pour 
sauver  son  peuple  :  pour  le  sauver  il  est  sorty  avec  son  Christ. 
Car   par  la  main   d'iceluy  il  a   accomply  l'œuvre    de    sa   mise-  Habac.  3. 
ricorde  :    c'est  à  dire   la   rédemption  de   son   peuple.    Première- 
ment nostre  Rédempteur  est  appelle    Jésus  :  lequel  tiltre  luy  a 

i-iesté  donné  par  la  bouche  du  Père  :  d'autant  qu'il  a  esté  envoyé 
pour  sauver  son  peuple,   et  le  délivrer  de  péché.  En  luy  donc, 
et   non  autre  part,   nous  trouverons  salut.    Car  ce  n'a  pas  esté3/a//./. 
par  cas    fortuit   ou    par    humaine  témérité,   que   ce  Nom  luy  a 
esté  imposé  :    et  n"a  pas    esté    sans  cause  que  par  l'ordonnance 

20  de  Dieu  l'Ange  l'a  ainsi  appelle  :  mais  cela  a  esté  faict,  à  fin 
que  estans  retirez  de  toutes  phantaisies  de  chercher  aillieurs 
salut,  nous  le  tenions  luy  seul  pour  nostre  Sauveur.  Pour  la- 
quelle cause  l'Escriture  dénonce  qu'il  n'y  a  point  d'autre 
Nom  donné   soubz  le    Ciel  aux   hommes,   où   il  puissent  trouver 

23  salut.     Ce   Nom    donc  signifie  à   tous    fidèles,    qu'en  luy    seul  Ac/.   i. 
ilz  doibvent  chercher  salut  :  et  les  asseure  qu'ilz  l'y  trouveront. 
Le   tiltre    de    Christ    c'est  à  dire   Oinct,    est    adjousté    avec  : 
lequel    combien    qu'il    soit    attribué    aux    autres    avec   quelque 
raison  :    toulesfois  il  luy  appartient  d'un  privilège  singulier  :  Car 

30  le  Seigneur  oinct  tous  ceulx  sur  lesquelz  il  espand  les  grâces 
de  son  Esprit.  Or  c'est  chose  certaine,  qu'il  n'y  a  eu  jamais 
fidèle,  qui  n'ayt  esté  arrousé  de  ceste  unction  spirituelle  : 
dont  il  sensuyt  que  tous  fidèles  sont  oinctz  de  Dieu .  Les 
Prophètes    aussi   ont   eu   leur    unction .  aussi   ont    les    Roys    et 

35  Sacrificateurs  :     non    pas    seulement    l'extérieure    et    ceremoni- 


DE    LA   FOY.  239 

aie,  dont  il  est  faict  mention  au  viel  Testament  :  mais  une  unc- 
tion  spirituelle.  Car  il  convient  qu'un  Prophète,  qui  doibt  estre 
messager  de  Dieu  entre  les  hommes,  soit  doué  de  «j^races  singu- 
lières du  Sainct  Esprit  :  pareillement  un  Sacrificateur,  qui  est 
3  nommé,  Ange  du  Dieu  vivant  :  finalement  les  Roys,  qui  portent 
l'Image  de  Dieu  en  terre.  Parquoy  l'huyle  matérielle,  dont 
estoient  oinctz  tant  les  Prophètes  et  Sacrilicateurs,  que  les  Roys, 
pour  estre  consacrez  en  leurs  offices,  n'estoit  pas  un  signe  vain 
et  de  nulle  importance  :  mais  estoit  Sacrement  de  la  vraye  unc- 

10  tion  spirituelle.  Neantmoins  toutes  telles  unctions  ne  sont  rien 
au  pris  de  celle  de  nostre  Sauveur  :  car  tous  les  autres  hommes 
ont  receu  diverses  portions  de  grâces,  selon  la  mesure  qu'il  a 
pieu  à  Dieu  de  leur  en  dispenser  :  tellement  que  nul  ne  les  ha 
eu  toutes  ensemble,  sinon  luy   seul,  qui  en  ha  eu  la  plénitude. 

15  Car  Sainct  Jean  explicquant  plus  ouvertement,  ce  qui  avoit  esté 
predict  de  luy  :  à  scavoir  que  Dieu  le  devoit  oindre  de  l'huyle  de  Psal.i5. 
lyesse  par  dessus  tous  ses  compagnons  :  dit,  que  le  Père  ne  luv  Jean  3. 
a  point  donné  de  son  Esprit  par  mesure.  Et  y  adjouste  la  raison  : 
c'est  à  fin  que  nous  puysyons  tous  de  son  abondance,  et  rece- 

20  vions  grâce  pour   grâce.   Et  pour  ceste  cause  l'autre   Prophète /csa.  //. 
avoir  predict,  que  sur  luy  reposeroit  l'Esprit  du  Seigneur  :  et  ce, 
pour  luy  conférer  non  pas  une  grâce  seulement,   mais  pour  l'ar- 
mer  de  sagesse,    intelligence,    force,   conseil,    science  et  pieté. 
Laquelle   Prophétie    a  esté  visiblement  confermée,   quand  lEs- 

25  prit  apparust  au  Baptesme  descendant  sur  luy,  et  en  luy,  repo- 
sant. Parquoy  c'est  à  bon  droict,  que  le  tiltre  de  Christ  est 
attribué  par  excellence  à  nostre  Sauveur.  Or  il  y  a  bonne  rai- 
son, pourquoy  l'Esprit  de  Dieu  est  nommé  unction  :  et  ses 
grâces  sont  appellées   huyle  :    D'autant  que  si  nous  ne    sommes 

soarrousez  par  luy,  nous  deffaillons  :  pource  qu'en  nousmesmes 
nous  n'avons  que  stérilité  et  seicheresse  :  et  sommes  desnuez 
de  toute  vigueur  de  vie.  L'Esprit  donc  de  Dieu,  ayant  esté  es- 
pandu  en  pleine  largesse  sur  Jésus,  a  choysi  son  ame,  comme 
son  propre   siège  :    à  fin  de  découler  sur   nous   d'icelle,  comme 

33  d'une  fontaine  unique.  Pourtant  ce  que  tous  les  fidèles  sont 
arrousez  de  l'huyle  du  Sainct  Esprit,  cela  est  faict  par  la  .seule 
participation  de  Jésus  :  et  en  receoit  un  chascun  autant,  d'au- 
tant qu'il  a  communiqué  avec  luy.  Nous  avons  en  peu  de 
paroUes  la  différence,     qui  est  entre    l'unction  de   nostre    Sau- 


240  CHAPITRE    IIII. 

veur,  et  la  nostre.  C'est,  que  notre  Seig-neur  luy  a  entièrement 
eslargy,  sans  mesure,  tous  les  thresors  de  ses  richesses  Spiri- 
tuelles :  desquelles  il  en  départit  à  chascun  de  nous  quelque  por- 
tion. D'avantag-e  qu'il  a  fait  reposer  tout  son  Esprit  en  luy  :  à  fin 
5  que  ce  nous  fust  une  source,  de  laquelle,  il  procedast  après,  pour 
nous  estre  distribué  :  à  fin  que  nous  puysyons  tous  de  son  abon- 
dance :  et  ayantz  société  avec  luy,  nous  participions  des  grâces 
du  Sainct  Esprit  par  icelle  communication. 

(3ultreplus  Jésus  Christ,  par  ceste  unction  a  esté  ordonné  Roy, 
m  de  son  Père:  pour  se   assubjectir  toute  puissance  au  Ciel  et  en 
Terre    :    comme   nous   enseigne  le  Psalmiste.    Pareillement    il  a  Psal.  2. 
esté   consacré  Sacrificateur  :    pour    faire    loffice    d'Intercesseur 
envers    son    Père.    Lesquelles   choses  ont    grande    importance, 
pour  confermeret  ayder  nostre  Foy.  Car  quand  est  du  Royaume, 
15  il  n'est  point  charnel  ou    terrien,    pour   estre    subject  à  corrup- 
tion :  mais  spirituel,  et  par  ce  appartennant   plustost   à  la  vie 
future,  et  au  Royaume  céleste.  D'avantage  la  manière  qu'il   ha 
de  régner    n'est  pas  tant  de  son  proffît,  que  pour  le   nostre  :  car 
il  nous  arme  et    fortifie  de    sa   puyssance,    il   nous    orne    de   sa 
.,0  magnificence ,    il    nous    enrichit    de    ses  biens;    brief,    il  nous 
esleve  et  exalte  de   la  Majesté   de  son  Royaume.   Car  au  moyen 
de    la    communication,    pour    laquelle    il    s'est    conjoinct   avec 
nous,    il    nous    faict    estre    Roys  :    nous    armant    de    sa  vertu, 
pour  batailler  k  l'encontre  du  Diable,  du  Péché,  et  de  la  Mort  : 
25  nous  vestant  et  ornant  des  paremens  de  sa  Justice,  en  espérance 
d'immortalité  :  nous  remplissant  des  richesses  de  sa  Saincteté, 
pour  fructifier  à  Dieu   par  bonnes  œuvres.    Quant   à   son  office 
de   Sacrificature,   nous  n'en  avons  point  moins  de  protïit  :  non 
pas   seulement    à    cause   qu'il   nous    rend    par    son  intercession 
sole    Père    propice,    en  vertu   de  la   reconciliation   éternelle   qu'il 
a    faicte   par    sa    mort   :    mais    d'autant    qu'il  nous    receoit    en 
société    et    participation    d'icelle    Sacrificature  :    tellement    que 
l'avantz    pour    nostre    Intercesseur   et   Médiateur,    nous    puys- 
sions  offrir   au  Père    Céleste   prières,   actions  de  grâces,  nous- 
ssmesmes,     et  tout  ce    qui  procède   de   nous.    Pourtant    ce    que  £"^0.  19. 
nostre    Seigneur    promettoit    anciennement    à    son    peuple ,     à 
scavoir  qu'ilz  seroient  Roys  et  Sacrificateurs,  nous  est  aujour- 
d'huy    accomply    en    nostre    Sauveur    :    lequel    seul    faict   que 
nous    avons     entrée    au    Rovaume    de    Justice,    et    au    Sainct 


DE    LA    KOY.  241 

Tabernacle  de  Dieu.  En  somme,  par  le  Nom  de  Jésus,  la  fiance 
de  rédemption  et  salut,  nous  est  confermée  :  par  le  tiltre  de 
Christ,  nous  sommes  convyez  à  recevoir  la  communication  du 
Sainct  Esprit,  et  le  fruict  de  sanctification  qui  en  procède  :  entant 
5  qu'il  s'est  sanctifié  pouf  nous,  comme  il  declaire  par  sa  bouche.  Je;in  17. 
Puis  après  il  est  nommé  Filz  de  Dieu  :  nompas  comme  les  autres 
fidèles,  par  adoption  et  grâce,  mais  vray  et  naturel  :  et  pour 
ceste  cause,  unique  :  à  fin  d'estre  discerné  de  tous  autres.  Car 
Dieu   en    l'Escriture  nous   fait   cest   honneur,   à    nous    tous  qui 

10  sommes  régénérez  en  nouvelle  vie,  de  nous  appeller  enfans  de 
Dieu.  Et  neantmoins  il  attribue  cela  particulièrement  à  un  seul 
Je.sus  Christ,  qu'il  soit  nommé  vray  Filz  et  unique.  Comment 
seroit-il  vray  et  unique  en  si  grande  multitude  de  frères  :  sinon 
qu'il  possedast  de  nature  ;  ce  que  les  autres  ont  par  don  ?  Et  nous 

1")  fault  garder  de  consentira  aucuns,  lesquelz  confessent  tellement 
Jésus  Christ  estre  Filz  unique  de  Dieu,  que  si  on  les  presse  de 
près,  on  trouvera  qu'ilz  ne  confessent  cela  pour  autre  cause, 
sinon  d'autant  qu'il  a  esté  conceu  du  Sainct  Esprit  au  ventre  de 
la  Vierge.    Comme   jadis  les  Manichéens  iniaginoient  l'homme  i»/,*/; /(•/((!- 

20  estre  de  la  substance  de  Dieu  :  d'autant  qu'on  lit,    que   Dieu  a    ^"■''• 
inspiré   à    Adam   l'Esprit  de  vie.   Car,    aucontraire,    l'Escriture 
nous  monstre,  que  le  Filz    de  Dieu,  est  sa  parolle,  engendrée  de 
luy  devant  tous  les  Siècles.  Il  est  bien  vray,  que  telle  manière 
de  gens   ameinent  ce  tesmoignage  pour   deffendre  leur  erreur  :  Rom.  3  et 

25 que  Dieu  n'a  point    pardonné   à  son   propre  Filz:  que  l'Ange  a''"    /.'."." 
dénoncé,  que  ce,  qui  naystroitde  la  Vierge,  debvoit  estre  appel-    sa/ycs. 
lé  Filz  de  Dieu.  Mais  à  fin  qu'ilz  ne  s'enorguillissent  point  trop, 
en  telles  objections:  qu'ilz  considèrent  un  peu  avec  moy,  que  cela 
vault  à  dire.    Car  si  c'est  un    bon  argument,  que  Jésus  Christ  a  Luc  I . 

30  commencé  d'estre  Filz  de  Dieu,  du  temps  de  sa  conception  au 
ventre  de  la  Vierge,  pource  que  luy,  estant  conceu  en  elle,  est 
nommé  Filz  de  Dieu  :  il  s'ensuyvra  aussi,  qu'il  a  commencé  à 
estre  parolle  de  vie,  depuis  qu'il  a  esté  manifesté  en  chair  :  veu 
que  Sainct  Jean  dit,  qu'il  annonce  la  parolle  de  Dieu,  que  les  mains 

33  des  hommes  ont  touchée,  et  que  lesyeulx  ont  apperceuë.  Sembla-  /.  Jean  I . 
blement  s'ilz  veulent  suyvre   ceste  manière  d'argumenter  :  com- 
ment exposeront-ilz  ce  qui  est  dict  au  Prophète:  Toy  Bethleen 
terre    de   Juda,   tu   es  petite  en    la  multitude  de  Juda  :   néant- 3/K/je..j". 
moins  de  toy  je  feray  najstre  un  Capitaine,  qui  gouvernera  mon 
Institution.  16 


242  CHAPITRE    Illl. 

peuple   d'Israël,  duquel   1  yssue  est   dez  le   commencement    des  Mich.  3. 
jours  d'Eternité.  Mais  un  seul   passage    de  Sainct   Paul  pourra 
souldre  toutes  telles  cavillations  :  quand  il  dit,  qu'il  a  esté  segregé 
en  l'Evangile  de  Dieu,  qu'il  avoit   promis  par   les  Prophètes,  de  iîom.  /, 

3  son  Filz  qui  a  esté  faict  de  la  semence  de  David  selon  la  chair  : 
et  a  esté  declairé  Filz  de  Dieu  en  vertu.  A  quel  propoz  le  diroit- 
il  Filz  de  David  selon  la  chair  notamment  :  et  de  l'autre  costé 
avoir  esté  declairé  Filz  de  Dieu  ;  sinon  qu'il  voulust  noter  ceste 
déclaration  avoir  esté  faicte  hors    la  considération   de  la  chair  ? 

10  Certes  ceste  sentence  est  si  claire,  que  de  répliquer  à  l'encontre, 
ce  ne  seroit  pas  ignorance,  mais  obstination.  Neantmoins  si  ne 
fault-il  pas  nyer,  qu'il  ne  soit  Filz  de  Dieu,  en  la  chair  qu'il  a 
prise.  Mais  plustost,  si  nous  voulons  parler  pour  édifier  nostre 
Foy  :  quand   nous  l'appelions   Filz  de  Dieu,  il  ne  nous  fault  pas 

15  seulement  entendre  la  parolle  de  Dieu  éternelle  par  soy  :  mais 
la  fault  prendre  avec  l'humanité,  dont  elle  a  esté  vestue,  comme 
il  sera  tantost  declairé  plus  à  plain.  Finalement  le  tiltre  de  Sei- 
gneur est  donné  à  Jésus  Christ  :  d  autant  qu'il  a  esté  ordonné 
du  Père,  pour  estre  nostre  Seigneur,  Roy,  et  I^egislateur.  Aussi 

20  d'autrepart  quand  il  a  manifesté  son  Filz  en  chair  :  il  a  declairé 
que  c'estoit    celuy,   par  lequel  il   vouloit   régner  et  gouverner. 
Pourtant,  dit   lApostre,  nous  avons  un  seul  Dieu,  duquel  sont 
toutes  choses,  et  nous  en  luy  :  et  un  seul  Seigneur  Jésus  Christ,  /.  Cur.  S. 
par  lequel   sont  toutes   choses,  et  nous  par  luy.  Or  par   cela  il 

25  est  signifié,  non  seulement  qu'il  est  nostre  protecteur  et  maistre, 
duquel  il  nous  fault  escouter  et  suyvre  la  doctrine  :  mais  aussi 
qu'il  est  nostre  Chef  et  Prince  :  à  la  puissance  duquel,  il  nous 
fault  soubzmettre  :  au  plaisir  duquel,  il  nous  fault  obtempérer  : 
à  la   volunté  duquel,  il  fault   diriger  toutes  nez  œuvres.    Car  le 

30  Père  luy  a  donné  le  droit  de  Primogeniture  en  sa  maison  :  à  fin 
qu'il  domine  sur  ses  frères  avec  puissance,  et  qu'il  dispense  les 
biens  de  son  Héritage  selon  sa  volunté. 


Qui   a  esté  conceu    du    Sainct   F^sprit,   nay    de    la  Vierge 
Marie. 

35      Pource    que    le    Mystère    de    l'incarnation,     comme    il     es- 
bloûyt  l'entendement  des  simples  par  sa  grande  lumière,   aussi 


DE    LA    FOY.  243 

il  les  trouble  et  travaille,  s'il  n'est  droitement  entendu  :  il  fault, 
devant  que  passer  oultre,  que  nous  l'expliquions  aucunement. 
Pour  le  premier  point,  il  nous  estoit  bien  expédient,  que  celuy 
qui  devoit  estre  nostre  Médiateur,  fust  vray  Dieu  et  homme.  Car 

3  puis  que  noz  iniquitez,  ayantz  miz  un  empeschement  entre  Dieu 
et  nous,  nous  avoient  aliénez  du  Royaume  des  cieulx,  et  avoient 
destourné  Dieu  de  nous  :  il  n'y  avoit  nul  qui  peust  estre  moyen 
de  nous  reconcilier,  sinon  qu'il  parvinst  jusques  à  luy.  Or  qui 
estoit  la  créature  ;  qui  y  peust  parvenir  ?  Eust-ce  esté  l'un  des 

10  enfans  d'Adam  ?  Mais  tous  avec  leur  premier  Père  avoient  hor- 
reur de  comparoistre  devant  sa  face.  Eust-ce  esté  quelqu'un  des 
Ang-es  ?  Mais  tous  aussi  avoient  affaire  d'un  chef  par  lequel  il 
fussent  parfaictement  conjoinctz  avec  leur  Dieu.  Quoy  donc  ? 
Certes  la  chose  estoit  du  tout  désespérée,  si  la  Majesté  de  Dieu 

15  ne  fust  descendue  à  nous  :  veu  qu'il  n'estoit  point  en  nous  de 
monter  à  icelle.  A  ceste  cause  il  a  faillu  que  le  Filz  de  Dieu  nous 
fust  faict  iMMAM  EL,  c'est  à  dire  Dieu  avec  nous  :  et  ce,  en  telle 
sorte,  que,  comme  il  conjoingnoit  avec  nous  sa  Divinité,  aussi 
qu'il    conjoingnist   nostre    humanité  à   icelle  :  autrement  il  n'y 

20  avoit   point  alliance    assez  prochaine,    ne     ferme    laquelle  nous 
donnast  espérance,    que  Dieu  habitast  en  nous,   et  nous  assis- 
tast  :  telle  différence  il  y  avoit  entre  nostre  petitesse  et    la  gran- 
deur de  la  Majesté  Divine.  Pourtant  Sainct  Paul  en  nous  lepro-  ,/.  Tim.  2. 
posant    pour    Médiateur,    nommément    l'appelle   homme.   Il   le 

25  pouvoit  aussi  bien  dire  Dieu,  ou,  pour  le  moins,  il  povoit  laisser 
derrière  le  nom  d'homme,  sans  en  parler,  comme  il  laisse  le 
Nom  de  Dieu  en  ce  passage  là.  Mais  il  congnoissoit  nostre  infir- 
mité. A  fin  donc  que  personne  ne  se  tormentast,  doubtant  où 
il    fauldroit    chercher    ce    Médiateur,     ou  par    quel    chemin    il 

iofauldroit  venir  à  luy  :  il  adjouste  consequemment  qu'il  est 
homme  :  comme  s'il  disoit,  qu'il  nous  est  prochain  voysin, 
adhérant  à  nous,  veu  qu'il  est  nostre  chair  :  voulant  signifier 
ce  qui  est  plus  amplement  declairé  ailleurs.  A  scavoir  que  nous 
n'avons    point    un    Sacrificateur,   qui    ne  puisse    avoir  compas-  iiebr.  A. 

;  i  sion  de  noz  infirmitez  :  veu  qu'il  a  esté  en  tout  et  par  tout 
tenté  comme  nous,  excepté  de  péché.  Ce  que  nous  avons  dict 
sera  plus  évident  :  si  nous  reputons  combien  ce  n'estoit  pas  une 
chose  vulgaire  que  l'office  de  Médiateur.  A  scavoir  de  nous 
restituer  tellement  en  la  grâce  de  Dieu,  que   de  nous   faire  ses 


244  CHAPITRE    1111. 

enfans,  qui  estions  enfans  des  hommes  :  de  nous  faire  Héritiers 
du  Royaume  Céleste,  qui  estions  Héritiers  d'Enfer.  Qui  eust  peu 
faire  cela;  sinon  que  le  Filz  de  Dieu  eust  esté  faict  Filz  d'homme, 
et  eust  tellement  prins  nostre  condition,  qu'il  nous  eust  transféré 
5  la  sienne  ?  Ce  qui  luy  estoit  propre  de  nature  ;  qu'il  l'eust  faict 
nostre  par  grâce  ?  Nous  avons  donc  confiance  que  nous  sommes 
enfans  de  Dieu,  ayant z  ceste  Arre  :  que  le  Filz  naturel  de  Dieu 
a  prins  corps,  de  nostre  corps,  chair,  de  nostre  chair,  os.  de 
noz  os,  pour  estre   uny  avec    nous  :   ce   qui  nous  estoit  propre, 

10  il  l'a  receu  en  sa  personne  :  à  fin  que  ce  qu'il  avoit  de  propre, 
nous  appartint  :  et  ainsi  qu'il  fust  communément  avec  nous,  et 
Filz  de  Dieu,  et  Filz  dhonime.  Pour  ceste  cause  nous  espérons 
que  l'Héritage  Céleste  est  nostre,  pource  que  le  Filz  de  Dieu, 
auquel  il  estoit  entièrement  deu,  nous  a  adoptez  pour  ses  frères. 

15  Or  si  nous  sommes  ses  frères  :  nous  sommes  ses  cohéritiers.  Il 
y  a  autre  raison,  pour  laquelle  il  failloit  que  celuy  qui  de  voit 
estre  nostre  Rédempteur,  fust  vray  Dieu  et  homme.  C'estoit  à 
luv  à  faire  d'engloutir  la  mort.  Qui  povoit  faire  cela  sinon  la 
vie?  C'estoit  à  luy  à  faire   de    vaincre  le  péché.  Qui  povoit  faire 

20  cela  sinon  la  justice  ?  C'estoit  son  office  de  subjuguer  les  puis- 
sances de  l'air,  qui  sont  les  Diables.  Qui  povoit  faire  cela  sinon 
une  vertu  supérieure  à  l'air,  et  au  monde?  Or  en  qui  repose  la 
vie,  la  justice,  et  la  puissance  du  Ciel;  sinon  en  un  seul  Dieu? 
Parquoy  le  Seigneur  par  sa  grande  Clémence    s'est   faict    nostre 

23  Rédempteur  :  quand  il  nous  a  voulu   racheter.  L'autre  article  de 
nostre   Rédemption  estoit,  que  l'homme,   qui    s'estoit  perdu   et 
ruyné  par  sa  desobeyssance,  etîaceastpar  obeyssance  sa  confusion  ;  Rom.  o. 
satisfaisant    au   jugement   de  Dieu,  et  souffrant  la  peine  deuë  à 
son  péché.  Le  Seigneur  Jésus  donc   est   venu  en  avant,   a  vestu 

30  la  personne  d'Adam,  a  pris  le  nom  :  à  fin  de  se  rendre  obeys- 
sant  au  Père  pour  luy  :  à  fin  de  présenter  nostre  humanité  en 
satisfaction  au  jugement  de  Dieu  :  à  fin  de  porter  la  peine  du 
péché  en  la  mesme  chair  qu'il  avoit  esté  commis.  Finalement, 
comme    ainsi    soit,    que  Dieu    seul   ne   peust  sentir  la  mort,  et 

33  l'homme  seul  ne  la  peust  surmonter  :  il  a  accompaigné  la  Divinité 
avec  l'humanité  :  à  fin  de  soubzmettre  l'imbécillité  de  l'une, 
pour  endurer  la  peine  de  mort  :  et  en  la  vertu  de  l'autre,  batail- 
ler à  rencontre,  jusques  à  obtenir  victoyre.  Ceux  donc  qui  des- 
pouillent    Christ    ou    de     sa    Divinité ,    ou    de    son    humanité , 


DE    LA    FOY. 


245 


non  seulement  blasphèment  contre  sa  grandeur,  ou  obscurcissent 
sa  bonté  :  mais  aussi  d'autrepart  font  grand'injure  aux  hommes, 
desquelz,  en  ce  faisant,  ilz  renversent  la  Foy  :  laquelle  ne  peut 
consister  fermement,  sinon  estant  appuyée  sur  ce  fondement. 

5  De  nous  arrester  d'avantage  à  prouver  sa  Divinité  :  ce  seroit, 
comme  j'estime,  chose  supertlue.  La  vérité  de  sa  nature  humaine 
a  esté  assaillie  tant  des  Manichéens  que  des  Marcionites  :  lesquelz 
ont  tasché  de  la  renverser.  Les  premiers  imaginoient  qu'il  avoit 
apporté  du  Ciel,  un  corps  SpiritueL Les  secondz  estimoient  qu'il 

ion  avoit  point  un  vray   corps  :  mais    seulement  un  Phantasme  et  Gène.  17. 
apparence  de  corps.   Or  il  y  a  plusieurs  tesmoignages  de  l'Es- *^'''^''^'"'^- 
criture,  pour  résister  fermement  à  ces  deux  erreurs.  Car  la  bé- 
nédiction n'a  pas  esté  anciennement   promise  en  une   semence  Psa/. /32. 
Céleste,  [ny]  en  une  Masque  d'homme:  mais  en  la  semence  d'A- 

isbraham  et  de  Jacob.   VA   le  Throsne  Eternel  n'a  pas    esté  pro- 
mis à  un  homme  forgé  en  l'air  :  mais  au  Filz  de  David,    et  au  Mail.  /. 
fruict  de  son  ventre.   Pour  laquelle  cause,    estant  manifesté  en 
chair,  il  est  nommé  Filz  d'Abraham  et  de  David  :  nompas  pource 
qu'il  est  [na]y  de  la  Vierge,  comme  s'il  avoit  esté  premièrement  Rom.  1  .et 

20  créé  en  l'air  :  mais  d'autant  que,  selon  la  chair,  il  a  esté  formé  de    * 
la  semence  de  David,  comme  Sainct  PauU'expose.  Lequel  aussi 
en  un  autre  lieu  tesmoigne,  qu'il  est  descendu  des  Juifz.  Parquoy 
luymesme,  ne  se  contentant  point  de  s'appeller  homme,  s'appelle 
Filz    d'homme  :  voulant  signifier  qu'il  est    homme  engendré  de 

25  semence  humaine.  Puis  que  le  Sainct  Esprit  tant  de  fois  par  diverses 
bouches  tant  diligemment,  et  en  telle  simplicité  avoit  exprimé  cela, 
qui  de  soymesme  n'est  pas  trop  difficile  ;  qui  eust  attendu,  qu'il  y 
eust  peu  avoir  hommes  si  effrontez,  que  de  tergiverser  en  cest  en- 
droit? Toutesfois  nous  avons  encores  d'autres  tesmoignages,  pour 

30 convaincre  telles  calumnies  :  comme  est  celuy    de  S.  Paul:  que  Galat.  i. 
Dieu  a  envoyé   son  Filz,  créé  d'une  femme.  Item,   innumerables 
passages,  par  lesquelz  il  appert  qu'il  a  esté  subject  à  froit,  à  chault, 
et  fain,  et  autres  infirmitez  de  nostre  nature.  Mais  il  fault  choysir  Hebr.  2. 
ceux  là  qui  peuvent  édifier  noz  cœurs  en    vraye  fiance.  Comme 

3o  quand  il  est  dict,  qu'il  n'a  point  porté  tant  d'honneur  aux  Anges, 
que  de  prendre  leur  nature,  mais  qu'il  a  prins  la  nostre  :  à  fin  que 
en  nostre  chair,  et  en  nostre  sang,  il  destruisist  par  la  mort,  celuy 
qui  avoit  la    Seigneurie   de   la  mort.    Item,  que  par    le    moyen  Hebr.  i. 
de    ceste    communication ,    il    nous    repute    ses    frères.   Item, 


246  CHAPITRE  1111. 

({u"il  a  faillu  cju'il  fust  semblable  à  ses  frères,  pour  estre  fidèle 
Intercesseur,  et  enclin  à  miséricorde.  Item,  que  nous  n'avons  point  Hehr,  4. 
un  Sacrificateur,  qui  ne  puisse  avoir  compassion  de  noz  infirmi- 
tez  :  veu  qu'il  en  a  esté  tenté,  et  autres  semblables.  Les  passages 

3  que  prennent  les  Hérétiques,  pour  confermer  leurs  erreurs  :  ilzles 
attirent  trop  ineptement  à  leurs  phantaisies.  Marcion  avec  ses 
consors  disoit,  que  Christ  avoit  prins  un  Phantasme  au  lieu  d'un 
corps  :  pource  qu'il  est  dict  quelque  part,  qu'il  a  esté  faict  en  simi- 
litude   d'homme,  et  a  esté  trouvé  en  apparence  comme  homme.  Philip.  2i 

10  Mais  il  s'abusoit,  en  ce  qu'il  ne  consideroit  pas  que  veut  là  dire 
Sainct  Paul.  Car  il  ne  veut  pas  exposer  q[uelj  corps  Jésus  Christ  a 
prins  :  mais  seulement  il  remonstre,  que  combien  que  Jésus  Christ 
se  peust  attribuer  la  gloire  de  la  Majesté  divine, qu'il  s'est  porté 
comme  homme,  se  humiliant  en  apparence  extérieure.  Les  Mani- 

15  chéens  luy  forgeoientun  corps  en  l'air  ;  pource  qu'il  est  appelle  le 
second  Adam  céleste,  venant  du  Ciel.  Mais  l'Apostre  en  ce  pas-  I.Cor.Hi. 
sage  là  ne  parle  point  d'une  Essence  céleste  :  mais  de  la  vertu  spiri- 
tuelle, qui  luy  a  esté  donnée  pournous  vivifier.  Plustost  au  contraire 
la  sentence  que  tiennent  les  fidèles  de  la  vraye  nature  humaine  de 

20  Jésus  Christ,  est  tresbien  confermée  en  ce  passage  là.  Car  s'il 
n'avoit  une  mesme  nature  avec  nous  :  l'argument  que  Sainct  Paul 
poursuyt  tant  fort,  seroit  frivol.  C'est  à  scavoir,  que  puis  que 
Jésus  Christ  est  ressuscité,  nous  ressusciterons:  et  que  si  nous  ne 
ressuscitions  point,  il  s'ensuyvroit  que  Christ  n'est  point  ressus- 

25  cité.  Or  ce  qu'il  est  dict,  que  la  parolle  a  esté  faicte  chair,  ne  se 
doibt  tellement  entendre,  comme  si  elle  avoit  esté  convertie  en 
chair  ou  confusément  meslée  :  mais  d'autant  qu'elle  a  prins 
du  ventre  de  la  Vierge  corps  humain,  pour  un  Temple,  auquel 
elle  habîtast.   Et  celuy   qui  estoit    Filz  de  Dieu,   a  esté  faict  filz 

30  d'homme  :  non  point  par  confusion  de  substance,  mais  par 
unité  de  personne  :  c'est  à  dire,  qu'il  a  tellement  conjoinct  et 
uny  sa  Divinité  avec  l'humanité  qu'il  a  prinse,  qu'une  chas- 
cune  des  deux  natures  a  retenu  sa  propriété  :  et  neantmoins 
Jésus    Christ   n'ha   point  deux  personnes   distinctes,    mais   une 

33  seule.  Si  on  peut  trouver  quelque  chose  semblable  au  mystère  : 
la  similitude  de  l'homme  y  semble  propre  :  lequel  nous 
voyons  estre  composé  de  deux  natures  :  desquelles  toutesfois 
l'une  n'est  tellement  meslée  avec  l'autre,  qu'elle  ne  retienne  sa 
propriété,    car   l'ame    n'est    pas    corps,   et    le    corps    n'est    pas 

I 


DE    LA    FOY.  247 

anie.    Parquoy  on    dit  de  l'ame  particulièrement,  ce  qui  ne  peut 
convenir  au  corps  :  et  pareillement  du  corps, ce  qui  ne  peut  conve- 
nir à  lame.  De  Ihomme,  ce  qui  ne  peut    competer  à  l'une  et  à 
l'autre  à  part  soy .  Finalement  les  choses  qui  sont  particulièrement 
o  à  lame,  sont  transférées  au  corps,  et  du  corps  à  lame  mutuelle- 
ment. Ce  pendant  la  personne  qui  est  composée  de  ces  deux  sub- 
stances, est  un  homme  seul,  et  non  plusieurs.  Telle  manière  de 
parler  signilie,    qu'il    y  a  une   natvu'e  en    l'homme  composée  de 
deux  conjoinctes  :  et  neantmoins  qu'entre  ces  deux  il  y  a    diffe- 
lorence.  L'Rscriture  parle  selon  ceste  forme,  de  Jésus  Christ.  Car 
aucunesfois  elle  luy   attribue  ce  qui  ne  se    peut   rapporter  qu'à 
l'humanité  :  aucunesfois  ce   qui  compete    particulièrement  à  la 
Divinité  :  aucunesfois  ce  qui  est  convenable  à  toutes  les    deux 
natures  conjoinctes  :  et  non  pas  à  une  seule.  Et  mesmes  exprime 
1  i  si  diligemment  ceste  union  des   deux  natures,  qui   est  en  Jésus 
Christ  :  qu'elle  communique  à  Tune,  ce  qui  appartient  à  l'autre, 
laquelle  forme  de  parler  a  esté  nommée  par  les  Anciens  docteurs, 
communication   des    propriété/.    Quand  j'auray   prouvé     toutes 
ces  choses  par  bons  tesmoignages  de  l'Escriture  :  il  se  trouvera 
20  que  je  ne  diz  rien  du  myen.  Ce  que  Jésus  Christ   disoit  de  sov- 
mesme,  qu'il  estoit  devant  que  Abraham  fust  créé,  ne  se  pouvoit  Jeun  S. 
entendre  de  l'humanité  :  car  il  n'a  point  esté  faict  homme,  sinon 
plusieurs  siècles  après  la  mort  d'Abraham.  Ce  qu'il  est  nommé 
Premier  nay  de  toutes   créatures,   lequel  a  esté  devant  tout,  et  Coloss.l. 
25  par  lequel  toutes  choses  consistent,  ne  peut  convenir  à  l'homme. 
Telles  et  semblables  loueng-es  donc,  sont  propres  à  la  Divinité.  les.i.  43. 
Ce  qu'il  est  nommé  serviteur  du  Père,  qu'il  est  dict  qu'il  a  creu  Luc  2. 
en  eage  et  sagesse  envers  Dieu  et  les  hommes  ;  qu'il  se  confesse 
estre  moindre  que  le  Père  ;  qu'il  ne  cherche  point  sa  gloire  ;  qu'il 
30  ne  scait  point  quand  sera   le  dernier  jour   :  qu'il    ne  parle  point  Mal.  24. 
de  soymesme  :  qu'il  ne  cherche  pas  sa  voiunté  :  qu'il  se  peut  voir 
et  toucher  :  tout  cela  convient  à  son  humanité.  Car,  entant  qu'il 
est  Dieu,   il  est   esgal   au  Père  :  il    ne  peut  en  rien  croistre  :  il 
fait  toutes  choses  à  cause  de  soy  mesme  :  rien  ne  luy  est  caché  : 
35  il  fait  tout  selon  son  plaisir  :  et  est  invisible,  et  ne  se  peut  tou- 
cher.   Il  y  a   communication  de  proprietez  en  ce    que  dit    Sainct  Aci.  20. 
Paul,  que   Dieu    a  acquis  son   Eglise  par  son    sang,  et  que    le  /.  Cor.  2. 
Seigneur   de    gloire    a    esté  crucifié.  Certes    Dieu  n'a   point  de 
sang  et   ne    souffre   point.   Mais  pource  qne   Christ,  qui   estoit 


248  CHAPITRE    1111. 

vray  Dieu  et  vray  homme,  a  esté  crucifié  et  a  espandu  son  sang 
pour  nous  :  ce  qui  a  esté  faict  en  son  humanité,  par  une  locution 
impropre,  et  toutesfois  raisonnable,  est  transféré  à  sa  nature 
Divine.  C'est  un  mesme  exemple  de  ce  que  dit  S.  Jean,  que  Dieu 
sa  mis  son  ame  pour  nous  :  car  là  il  communique  à  l'humanité,  ce 
qui  est  particulier  à  la  nature  Divine.  D'autrepart  quand  Christ  I .  J^an  5. 
disoit,  que  nul  n'estoit  monté  au  Ciel,  sinon  le  Filz  de  l'homme,  Jean  S. 
qui  estoit  au  Ciel  :  pour  lors  il  n'estoit  pas  au  ciel  selon  le  corps  : 
mais  pource  qu'il  estoit  Dieu  et  homme,  à  cause  de  l'union  de  ses 

10  deux  natures,  il  attribuoit  à  Tune,  ce  qui  convenoit  à  l'autre.  Mais 
nous  ne  pouvons  myeux  entendre  la  vraye  substance  de  Christ, 
que  par  les  passag^es  qui  comprennent  ensemble  toutes  les  deux 
natures  :  comme  il  y  en  a  plusieurs  en  l'Evangile  de  Sainct  Jean. 
Car    les  choses    qui  y  sont    dictes,   ne    conviennent   ny    à  son 

15  humanité,  ny  à  sa  Divinité  particulièrement  :  mais  à  sa  per- 
sonne, entant  qu'il  est  Dieu  et  homme.  C'est  que  l'authorité  luy 
a  esté  donnée  du  Père,  de  remettre  les  péchez,  de  ressusciter 
ceux  q[u'ill  vouldra,  eslargir  justice,  saincteté,  et  salut  :  qu'il  a 
esté  ordonné  Juge  sur  les  vifz  et  les  mortz,  à  fin  qu'il  soit  honoré 

20  comme  le  Père  :  qu'il  est  la  Lumière  du  monde,  bon  Pasteur, 
Huys  unique,  et  Vigne.  Car  il  a  receu  ces  privilèges  quand  il 
a  esté  manifesté  en  chair  :  lesquelz  il  possedoit  de  soymesme 
devant  la  création  du  monde.  Or  il  est  certain  qu'ilz  ne  peuvent 
convenir   à    l'homme,    qui    n'ha  que   l'humanité.   Il   fault  aussi 

25 prendre   en  ce   sens  ce    que   nous  avons  en  Sainct  Paul  :    c'est  I.Cor.lS. 
qu'il    doibt  rendre   le   Royaume  à    Dieu   son  Père,    après   avoir 
faict  le  jugement.   Certes  le  Règne  du  Filz  de  Dieu,  qui  n'ha  eu 
nul  commencement,  ne   peut  aussi   avoir  fin.   Mais,    comme    il 
a  esté  aucunement  caché  soubz  l'humilité  de  la  chair,   et  [s^est 

soanneanty,  ayant  prins  la  figure  de  serviteur,  et  s'estant  extérieu- 
rement   desmis    de    sa    Majesté,   pour   se   rendre    obeyssant  au 
Père  :  comme  après  ceste  subjection  il  a  esté   coronné  de  gloire 
et  honneur,   et  estant  exalté,    a  receu  un  Nom  par   dessus  tous  Phil.  2. 
Noms,   auquel    tout  genoil   se  doibt  ployer  :  aussi  pareillement 

35  il  soubzmettra  lors  à  son  Père,  tant  ceste  couronne  de  gloire, 
que  tout  ce  qu'il  ha  eu  de  luy,  en  la  chair  :  à  fin  qu'un  seul  Dieu 
soit  tout  en  toutes  choses.  Ceste  observation  sera  grande- 
ment utile,  pour  nous  despescher  de  beaucoup  de  scrupules. 
Car  c  est  merveille,  comment  aucunes  simples  gens  se  tourmen- 


DE    LA    KOY.  249 

tent,  quand  telles  formes  de  parler  leur  sont  proposées  :  ou  sont 
attribuées  à  Christ,  les  choses  lesquelles  ne  conviennent  propre- 
ment [ny]  à  son  humanité,  [ny]  k  sa  Divinité  :  d'autant  qu'ilz 
ne  considèrent  pas  qu'elles  sont  convenables  à  sa  personne,  en 

^>  laquelle  il  a  esté  manifesté  Dieu,  et  homme.  Et  de  faict,  on  peut 
voir  comment  toutes  les  choses  susdictes  s'accordent  bien  en- 
semble :  moyennant  que  nous  veuillions  considérer  un  tel  Mys- 
tère avec  révérence  deuë  à  sa  grandeur.  Mais  il  n'y  a  rien 
que  les  espritz  furieux  et  phrenetiques  ne  troublent.  Hz  prennent 

10  ce  qui  est  approprié  à  l'humanité  de  Jésus  Christ,  pour  destruyre 
sa  Divinité  :  et  ce  qui  est  de  sa  Divinité,  pour  destruyre  son  huma- 
nité :  et  ce  cjui  est  dict  de  toutes  les  deux  natures  ensejnble, 
pour  renverser  l'une  et  l'autre.  Or  cju'est  cela  autre  chose,  sinon 
vouloir  debatre  que  Christ  n'est  pas  homme  :  d'autant  qu'il  est 

iriDieu?  et  qu'il  n'est  pas  Dieu;  d'autant  qu'il  est  homme?  et  qu'il 
n'est  ne  Dieu  ne  homme  ;  d'autant  qu'il  contient  toutes  les  deux 
natures  en  soy?  Nous  concluons  donc,  que  Christ,  en  tant  qu'il 
est  Dieu  et  homme,  composé  de  deux  natures  unyes  et  non  point 
confuses,  est  nostre  Seig-neur  et  vray  Filz  de  Dieu,  mesmes  selon 

2i'  l'humanité  ;  combien  que  ce  ne  soit  point  à  raison  de  l'humanité 
simplement.  Car  il  nous  fault  avoir  en  horreur  l'heresie  de  Nes- 
torius,  lequel  divisant  plustost  que  distinguant  les  natures  de 
Jésus  Christ,  imaginoit  ainsi  un  Christ  double.  Aucontraire 
nous  voyons  comment  l'Escriture  nous  chante  hault  et  cler,  que 

25  celuy  qui  doibt  naystre  de  la  Vierge  Marie  sera  nommé,  Filz 
de  Dieu   et  que   icelle  Vierge  est  mère    de   nostre    Seigneur. 

Nous  confessons  donc  qu'il  est  nay  de  la  Vierge  Marie  :  à 
fin  d'estre  recongneu  pour  le  vray  Filz  d'Abraham  et  de  David  : 
lequel  avoit  esté    promis  par  la  Loy  et  les  Prophètes  :    dont  la 

30  Foy  receoit  double  utilité.  C'est,  qu'elle  voit  le  Filz  de  Dieu, 
par  ce  qu'il  a  prins  nostre  chair,  eslre  appareillé  à  parfaire  le 
salut  des  hommes  :  veu  que  par  ce  moyen  il  nous  a  appel- 
iez en  société  et  communion  de  soymesme  et  de  tous  ses  biens  : 
et  que    voulant   surmonter    le  Diable    et    la  mort,    il    a  vestu 

33 nostre  personne,   en  laquelle  il  l'a  voulu  vaincre  et  triumpher  : 
à  fin  que   la  victoyre  et   triumphe  fust  nostre.    Li'autre   fruict, 
c'est,   que    en   deduysant   la  lignée  de   Jésus    Christ   jusques  à  Matt.  I. 
David  et    Abraham,   nous   avons    plus    grande    certitude,    que 
nostre   Rédempteur   est    celuy,  qui   avoit    esté    si  long    temps 


250  CHAPITRK    llll. 

auparavant   predict   de   Dieu.   Consequemment  il   est  dict,  qu  il 
a  esté  conceu  du  Sainct  Esprit  :  pource  qu'il  ne  convenoit  point,  Gène.  17. 
que  celuy  qui   estoit   envoyé  pour  purifier   les   autres,  eust  une    ^ 
origine  impure    et  contaminée.  Parquoy  ce  n'estoit  pas    raison,  Psnl.  132. 

3  que  le  corps  humain,  que  l'Essence  de  Dieu  prenoit  pour  son 
habitacle,  fust  pollué  delà  corruption  universelle  des  hommes.  Le 
Sainct  Esprit  donc  a  icy  besongné,  et  a  surmonté  la  loy  ordinaire 
de  nature,  par  sa  vertu  admirable,  et  à  nous  incompréhensible. 
Car  il  a  faict    cfue    Jésus   Christ  ne  fust  maculé  d'aucune  tache, 

10  ne  pollution  charnelle  :  mais  qu'il  naquistavec  parfaicte  saincteté 
et  pureté.  Par  cela  donc  la  Foy  est  enseig-née  de  chercher  seu- 
rement  toute  saincteté  en  Jésus  Christ,  et  la  chercher  en  luy 
seul  :  d'autant  que  luy,  sans  autre,  a  esté  exempté  en  sa  concep- 
tion, de  la  corruption  humaine. 

13  II  s'ensuyt  après,  comment  il  a  accomply  nostre  rédemption  : 
pour  laquelle  il  avoit  esté  faict  homme  mortel.  Car  pource 
que  par  la  desobeyssance  de  l'homme.  Dieu  avoit  esté  provoqué 
à  ire  :  il  a  faict  la  recompense  par  son  obeyssance,  se  rendant 
subject  au  Père  jusques  à   la  mort.  Parquoy  en  la  réparation  de 

20  nostre  salut,  il  fault   avoir  son  obeyssance  en  principale  estime, 
comme  dict  Sainct  Paul.  Tout  ainsi,  dit-il.  que  par  la  transgres-  Ram.  j'. 
sion  d'un,  tous  ont  esté  constituez  pécheurs  :  aussi  par  l'obeys- 
sance  d'un,    plusieurs   sont    reputez  justes.    En  cela   donc   gist 
la  somme    de    nostre    salut   :    que  le  Filz  de  Dieu,    nous   estant 

25  donné,  laissant  sa  volunté  derrière,  non  seulement  a  desdyé 
sa  vie  au  bon  plaisir  de  son  Père  :  Mais  aussi  n'a  pas  refusé 
de  souffrir  l'horreur  de  la  mort,  quand  il  luy  a  commandé 
de  ce  faire  :  à  fin  d'appaiser  sa  Majesté,  laquelle  avoit  esté 
irritée   par  nostre    rébellion.  Il  est   donc    advenu  par  le  mérite 

30 de  ceste  obevssance,  que  le  Père  (déleste  a  esté  reconcilié  au 
Genre  humain  :  lequel  il  hayssoit  auparavant  entièrement. 
Car  Christ  par  sa  mort  a  offert  au  Père  un  sacrifice  de  bonne 
odeur  :  pour  satisfaire  à  son  juste  jugement,  et  acquérir  à  ses 
fidèles    éternelle   sanctification.    Il   a   espandu    son    sacré  sang, 

35  pour  le  pris  de  nostre  rédemption  :  à  fin  d'esteindre  la  fureur  de 
Dieu,  qui  estoit  enflambée  contre  nous,  et  de  purger  nostre 
iniquité.  Pourtant,  quand  il  est  question  de  chercher  asseurance 
de  salut  :  il  fault  venir  à  ceste  rédemption,  par  laquelle  Dieu 
nous  a  esté  rendu  propice,  l'ouverture  nous  a  esté  faicte  au  Ciel,  et 


DE    LA    FOY.  251 

justice  nous  a  esté  acquise.  Car  l'Escriture  ne  nous  enseigne 
rien  plus  souvent  que  cela.  C'est,  que  Christ  nous  a  mérité,  par 
la  vertu  de  son  Sacrifice,  la  benevolence  du  Père,  en  laquelle 
gist  la  principale  Arre  et  fiance  de  nostre  vie  :  que  les  ordures 
5  et  macules  de  noz  péchez  (par  lesquelles  la  volunté  de  Dieu  est 
destournée  et  aliénée  de  nous)  ont  esté  lavées  et  nettoyées  par 
son  sang",  ainsi  que  porte  la  sentence  de  Sainct  Jean  ,  que  son  Jean  I . 
sang  nous  purge  de  tous  péchez.  Vojlà  donc  la  somme  de  nostre 
rédemption,  que  estans  délivrez  par  la  satisfaction  de  Christ 
10  des  liens  de  péché  :  en  ceste  manière  nous  sommes  restituez  en 
justice  et'saincteté,  et  reconciliez  à  Dieu,  lequel  ne  hayt  rien  en 
nous  que  nostre  iniquité. 

A  souffert   soubz  Ponce  Pilate,  a  esté  crucifié. 

Icy  est   exprimé  tant  le    nom   du   Juge,  par   lequel   il  a  esté 

1.)  condamné,  que  le  genre  de  mort  qu'il  a  soulTert  :  non  seulement 
pour  confermer  la  vérité  de  l'hystoire  :  mais  pource  que  cela 
appartenoit  au  Mystère  de  nostre  rédemption.  Car  comme  ainsi 
soit  qu'il  faillust  que  par  la  mort  de  Christ  les  péchez  fussent 
eifacez,   et    la    damnation    qui  s'en    ensuyvoit    fust    ostée    :     il 

20  n'eust  pas  suffit  qu'il  eust  soutTert  toute  autre  espèce  de  mort. 
Mais  pour  s'acquiter  droitement  de  toutes  les  parties  de  nostre 
rédemption,  il  failloit  choysir  une  espèce  certaine  :  par 
laquelle,  transférant  sur  soy  nostre  rédemption,  et  la  recom- 
pense deuë  à  lire  de  Dieu,  il  nous  delivrast  de  l'une   et  l'autre. 

23  Premièrement  donc  il  a  souffert  soubz  le  Gouverneur  de  la 
Province,  estant  condamné  par  sentence  de  Juge  :  à  fin  de 
nous  deslivrer  de  damnation  devant  le  Throsne  Judicial  du 
Juge  souverain.  Si  les  brigans  luy  eussent  couppé  la  gorge, 
s'il  eust  esté    meurtry   en  tumulte,  par  les  mains  de  gens  parti- 

ui  culiers  :  il  n'y  eust  eu  en  telle  mort  aucune  apparence  de  satis- 
faction. Mais  où  il  est  amené  en  justice  pour  estre  accusé  :  où 
il  est  redargué  pas  tesmoignages  :  condamné  par  la  bouche  du 
Juge  :  par  cela  nous  voyons  qu'il  a  prins  la  personne  d'un 
malfaicteur.    Et    fault   icy     considérer    deux    choses,    lesquelles 

3o  avoient  esté  predictes  des  Prophètes  :  et  apportent  une  sin- 
gulière consolation  à  nostre  Foy.  Car  quand  nous  oyons  que 
Christ  a    esté   mené    du    Consistoyre   à  la   mort,    pendu  entre 


2S2  CHAPITRE    IIII. 

des  brigans  :  en  cela  nous  avons   laccomplissement   de  la   Pro- 
phétie,   laquelle  est  alléguée  par  lEvangeliste  :  qu'il  a  esté  mis 
au    ranc    des    nialfaicteurs.    Pourquoy   cela  ?  C'estoit    à    fin  de  lesaie  53. 
s'acquiter   de  la  peine,  que  dévoient   les  pécheurs,  et  se  mettre 

5  en  leur  lieu,   comme,  à  la  vérité,    il  ne  souffroit  point  la  mort 
pour    la  justice  :  mais  pour  le   péché.   Aucontraire  quand  nous  Jean    IS. 
oyons  qu'il  a  esté  absoulz  de   la  bouche  mesme,    de  laquelle    il 
estoit  condamné  (car    Pilate  a  esté  contreinct  par  plusieurs  fois  { 

de  rendre  publiquement  tesmoignaj^e  à  son  innocence)  ce  qui  a 

loesté  dict  par  un  autre  Prophète   nous  doibt  venir   en  memoyre. 
C'est,  qu'il  a   payé  ce   qu'il  n'avoit  point  ravy.    Ainsi  nous  con-  Psnl.  69. 
templerons  la  personne  d'un  pécheur  et  malfaicteur  représentée  • 

en   Jésus   Christ  :    et  ce  pendant  nous    congnoistrons,   par    son 
innocence,  qu'il  a  esté  chargé  du  péché  des  autres,  et  non  point 

li  du  sien.  Il  a  donc  souffert  soubz  Ponce  Pilate.  estant  condamné 
par  sentence  juridique  du  Gouverneur  du  pays  comme  malfaic- 
teur :  et  neantmoins  n'estant  pas  tellement  condamné,  qu'il 
n'ayt  esté  prononcé  juste  :  entant  qu'il  disoit  qu'il  ne  trouvoit 
aucune  cause  en  luy.    D'avantage  le  genre   de  la  mort  n'est  pas 

20  sans   Mvstere.    La  croix   estoit   maudicte  :    non    seulement  par 
humaine  opinion,  mais  par  le  décret  de  la  Loy  de   Dieu.  Quand  Z>e(i/.  21. 
donc  Christ  est  attaché  à  icelle,  il  se  rend  subject  fi  malédiction. 
Et  failloit  qu'il  fust  ainsi  faict  :  c'est,  que  la  malédiction,  qui  nous 
estoit  deuë  et  apprestée   pour  noz  iniquitez,    fust  transférée    en 

23  luy  à  fin  que  nous  en  fussions  délivrez.  Ce  qui  avoit  esté  aupa- 
ravant figuré  en  la  Loy.  Car  les  Hostyes.  qu'on  ofTi'oit  pour  les 
péchez,  estoient  appellées  du  nom  mesme  de  péché.  Par  lequel 
nom,  le  Sainct  Esprit  a  voulu  signifier,  qu'elles  recevoient  toute 
la   malédiction   deuë   au  péché.    Ce   qui   a  esté   donc  par    figure 

30  représenté  aux  Sacrifices  Mosaiques,  a  esté  à  la  vérité  accomply 
en  Jésus   Christ  :  qui  est  la  substance  des  figures.  Pourtant,  à 
fin  de  s'acquicter   de  nostre   rédemption,   il    a   mis  son  ame  en 
sacrifice  de  péché,  comme  dict  le  Prophète,  à  fin  que  toute  l'exe-  lesaie  53. 
cration  qui  nous  estoit  deuë,   comme  à  pécheurs,  estant  rcjettée 

33  sur  luy,  ne  nous  fust  plus  imputée.  L'Apostre  declaire  plus  apper- 
tement  cela,  quand  il  dit,  que  celuy  qui  n'avoit  jamais  congneu 
péché,  a  esté  faict  du  Père,  péché  pour  nous  :    à  fin  qu'en  luy 
nous    obtinssions  justice    devant   Dieu.    Car    le    Filz    de  Dieu,  2.  Cor.  o. 
estant   pur  et  net  de  tout  vice,    a  prins  et  vestu  la  confusion  et 


DE    LA    FOY.  253 

ignominie  de  noz  iniquitez  :  et  d'autre  part  nous  a  couvert  de 
sa  pureté.  Ce  qui  est  aussi  demonstré  en  un  autre  passage  de 
Sainct  Paul  :  où  il  est  dict,  que  le  péché  a  esté  condamné  de 
péché,  en  la  chair   de  Jésus  Christ.  Car  le   Père  Céleste  a  aboly  nom.  S. 

5 la    force  du  péché:   quand  la  malédiction  diceluy  a   esté  trans- 
férée en   la  chair  de    Jésus  Christ.  11    appert    maintenant    que 
veult    dire  ceste    sentence  du  Prophète,   que  toutes  noz   iniqui-  lésa.  o3. 
tez  ont  esté  posées  sur  luy  :  c'est  fi  scavoir,  que  voulant  effacer 
les  macules  d'icelles,  les  a    premièrement   receues    en   sa    per- 

10  sonne  :  à  Un  qu'elles  luy  fussent  imputées.  La  croix  donc  a 
esté  une  enseigne  de  cela  :  en  laquelle  Jésus  Christ  estant  atta- 
ché, nous  a  délivrez  de  1  exécration  de  la  Loy  (comme  dit  l'A- 
postre)  entant  qu'il  a  esté  faict  exécration  pour  nous.  Car  il  est 
escrit.    Mauldict  celuy  qui  pend  au  bois.  Et  ainsi  la  bénédiction,  GaUii.  3. 

la  promise  à  Abraham,  a  esté  espandue  sur  tous  peuples.  Neant- 
moins  il  ne  fault  pas  entendre,  qu'il  ayt  tellement  receu  nostre 
malédiction,  qu'il  en  ayt  esté  couvert  et  accablé  :  mais  aucon- 
traire,  en  la  recevant,  il  la  déprimée,  rompue,  et  dissipée.  Pour- 
tant la  Foy,  en  la  damnation  de  Christ,  appréhende  absolution  : 

20  et  en  sa  malédiction,  appréhende  bénédiction. 

Mort  et  ensevely. 

Icy  on  peut  appercevoir  comment  depuis  un  bout  jusques 
à  l'autre  il  s'est  submis  à  rendre  le  debvoir  pour  nous  :  pour 
payer  le   pris  de   nostre   rédemption.    La    mort  nous  avoit  liez 

S'isoubz  son  joug,  il  s'est  livré  en  sa  puissance,  pour  nous  en  reti- 
rer.   Ce    que   entend  l'Apostre,  quand  il  dit.  qu'il    a   gousté   la 
mort  pour  tous.  Car  en  mourant,  il  a  faict  que  nous  ne  mourions 
point  :  ou  bien,   ce  qui   vault  autant  à  dire,  par  sa  mort  il  nous  Hehr.  2. 
a  acquis  la  vie.  Or  il  a  eu  cela  divers  de  nous,  qu'il  s'est  permis 

3"  à  la  mort,  comme  pour  estre  englouty  d'icelle  :  non  point  toutes- 
fois  pour  estre  du  tout  dévoré  :  mais  plustost  pour  la  dévorer,  à 
fin  qu'elle  n'eust  plus  de  puissance  sur  nous  comme  elle  avoit. 
Il  a  permis  d'estre  comme  subjugué  par  icelle  :  non  point 
pour  en  estre  opprimé  et  abbatu  :  mais  plustost  pour  renverser 

33  son  Règne,  lequel  elle  exerceoit  par  dessus  nous.  Finalement  il 
est  mort,  à  fin  qu'en  mourant  il  destruysist  celuy  qui  a  la  Sei- 
gneurie de  la  mort,  c'est  à  dire  le  Diable  :  et  delivrast  ceux  qui 


234  CHAPITRE    IlII. 

tout  le  temps  de  leur  vie  pour  crainte  de  la  mort,  estoient  en 
servitude.  Voilà  le  premier  fruict  que  sa  mort  nous  apporte. 
L'autre,  c'est  que  par  sa  vertu  elle  mortifie  noz  membres  ter- 
riens, à  ce  que  d  ores  en  avant  ilz  ne  facentplus  leurs  opérations: 
oet  tue  le  viel  homme  qui  est  en  nous,  à  fin  qu'il  n'ayt  plus  sa 
vigueur,  et  ne  fructifie  de  soymesme.  A  laquelle  fin  tend  aussi 
la  sépulture  de  Jésus  Chinst  :  à  scavoir,  que  ayantz  la  société 
d'icelle,  nous  soyons  enseveliz  à  péché.  Car  quand  l'Apostre 
dit.  que    nous   sommes   entez  en  la    similitude   de  la  mort    de  ^y,,,  5. 

10  Christ,    que   nous    sommes    enseveliz   avec  luv  en  la  mort  de  ^  ,  '    ^ 
1   ,  •       1  ,  "  Galat.  6. 

pèche,    que  par    sa    croix    le   monde  nous  est   crucifié,  et  nous  ^  , 

1  ,  '  Loloss.  o. 

au  monde,  que  nous  sommes  mortz   avec  luy  :   non  seulement  il 

nous  exhorte  à  imiter  l'exemple  de  sa  mort  :   mais  il   demonstre 

qu'une  telle    efficace   est    en    icelle,    laquelle   doibt  apparoir  en 

15  tous    Chrestiens ,    s'ilz    ne    veullent    rendre    la    mort    de    leur 

rédemption    inutile,    et   infructueuse.    Pourtant    il    v   a    double 

grâce    qui    nous  est  proposée  en  la  mort  et  sépulture    de  Jésus 

Christ,  à  scavoir  la  délivrance  de  la  mort,  et  la  mortification  de 

nostre  chair. 

2"  Est  descendu  aux  Enfers. 

Combien  qu'il  apparoisse  par  les  livres  des  Anciens  doc- 
teurs, qui  ont  exposé  le  Symbole,  que  ceste  particule  n'estoit 
pas  du  tout  arrestée  entre  les  Eglises  :  J'estime  toutesfois  qu'il 
ne  la    fault  obmettre,    d'autant   ([u'elle  comprend   un  grand   et    " 

2.Ï  excellent  Mistere.  Il  y  en  a  bien  aussi  des  Anciens,  qui  ne  la 
laissent  point  derrière.  Dont  on  peut  conjecturer,  qu'elle  a  esté 
tantost  après  le  temps  des  Apostres  adjoustée  :  mais  que  petit 
à  petit  elle  est  venue  en  usage.  Quoy  qu'il  soit,  cela  est  indu- 
bitable qu'elle  a  esté  prinse  de  ce  que  doibvent   tenir  et  sentir 

30  tous  vrays  fidèles.  Car  il  n'y  a  nul  des  Pères  anciens,  qui  ne 
face  mémoire  de  la  descente  de  Jésus  Christ  aux  Enfers  :  com- 
bien que  ce  soit  en  divers  sens.  Or  ce  n'est  pas  chose  de 
grande  conséquence,  de  scavoir  par  qui  et  en  quel  temps  ceste 
sentence   a  esté   insérée  au   Symbole.    Plus   tost    il    nous   fault 

35  regarder  d'avoir  icy  une  pleine  et  entière  somme  de  nostre 
Foy  en  laquelle  il  ne  deffaille  rien,  et  en  laquelle  il  n'y  ayt  rien 
de  proposé,  qui  ne  'soit  prins   de   la  paroUe  de  Dieu.   Quant   à 


DE    LA    FOY.  255 

cest  article,  il  apparoistra  tantost  qu'il  est  de  telle  importance, 
quand  à  l'accomplissement  de  nostre  salut,  qu'il  ne  se  doibt 
nullement  obmettre.  L'exposition  est  diverse  :  car  il  y  en  a 
aucuns,  qui  ne  pensent  pas  qu'il  soit  icy  rien  dict  de  nouveau  : 
T  mais  seulement  que  en  diverses  parolles,  est  répété  ce  qui  avoit 
esté  dict  auparavant  de  la  sépulture  :  veu  que  souvent  le  nom 
d'Enfer  est  prins  pour  Sepulchre.  Touchant  ce  qu'ilz  prétendent 
de  la  signification  du  mot,  je  leur  confesse  estre  vra}-,  que  pour 
Sepulchre   souvent    le   nom  d'Enfer  est  prins  :  mais  il  y  a  deux 

io  raisons,  lesquelles  contredisent  à  leur  opinion,  qui  me  semblent 
estre  suffisantes  pour  la  convaincre.  Car  c'eust  esté  une  chose 
de  grand  loysir,  après  avoir  clairement  et  par  parolles  familières 
demonstré  une  chose,  laquelle  n'ha  nulle  diiricuUé  en  soy  : 
de  le  repeter  par   parolles   beaucoup   plus   obscures.   Car  quand 

lion  conjoinct  deux  locutions,  pour  signifier  une  mesme  chose: 
il  convient  que  la  seconde  soit  comme  déclaration  de  la  première. 
Or  quelle  déclaration  sera-ce  là;  si  nous  voulons  exposer  que 
c'est  à  dire  la  sépulture  de  Jésus  Christ  ;  qu'il  est  descendu  aux 
Enfers  ?  D'avantage  il  n'est  vray  semblable,  qu'en  ce  sommaire, 

20  où  les  principaux  Articles  de  nostre  Foy  sont  brièvement  et  en 
peu  de  parolles  comprins.  l'Eglise  ancienne  ayt  voulu  mettre 
une  chose  ainsi  superflue  et  sans  propoz  :  laquelle  n'eust  point 
eu  de  lieu  en  beaucoup  plus  long  traicté.  Et  ne  doubte  pas,  que 
ceux  qui  examineront  la  chose  de  près  n'accordent  avec  moy.  Les 

2)  autres  par  ce  mot  d'Enfer  entendent  quelque  lieu  soubz  terre, 
auquel  ilz  imposent  je  ne  scayquel  nom  de  Ljmbe  :  où  ilz  pensent 
que  les  Pères,  quiavoient  vescu  soubz  l'ancien  Testament,  estoient 
encloz  comme  en  prison  :  et  disent  que  Christ  y  est  descendu 
pour  les  délivrer  :  ainsi  qu'il  a  rompu  les   portes  d'ttrain,  et  les 

iîoverroilz   de  fer.   Laquelle   fable,   combien  qu'elle  ayt  de  grandz 
autheurs  et  soit  pour  le  jourd'hm' encores  soustenue  pour  vérité: 
toutesfois  elle  n'est  que  fable.   Et  ne  sert  rien  à  ce  propoz  qu'ilz 
allèguent,   de  Zacharie,  et  de  Sainct  Pierre.  Car  quand  le   Pro-  Zach.  9. 
phete  dit,  que  le   Seigneur  par  le   sang  de  son   alliance  qu'il  a 

sofaicte  avec  Syon,  a  délivré  les  prisonniers  du  puys  où  il  n'v 
avoit  point  d'eaûe  :  il  ne  parle  point  des  mortz  ne  du  Lymbe  : 
mais  par  le  puys  sans  eaûe,  il  entend  le  goulfre  et  abisme  de 
misère,  où  sont  tous  pécheurs  :  par  les  prisonniers,  il  entend 
le    peuple     qui    est   détenu     enserré    en  extrême    calamité    et 


256  CHAPITRE    1111. 

angojsse.    Sainct  Pierre   disant   que   Jésus  Christ   est  veau,   et  I.Pier.S. 
a  presché  en  esprit,  aux  espritz  qui  estoient  en  prison  :  ne  veut 
autre  chose  dire,  sinon  que  h\  vertu  de  la  rédemption  faicte  par 
Jésus  Christ,  a  esté    notifiée    aux  espritz    de   ceux  qui  estoient 

5  trespassez  au  paravant.  Car  les  fidèles  qui  avoient  tousjours 
espéré  salut  en  luy,  ont  lors,  pleinement  et  comme  à  l'œil,  con- 
gneu  sa  Visitation  et  sa  présence.  Au  contraire  les  reprouvez, 
voyans  que  luy  seul  estoit  le  salut  de  tout  le  monde,  et  qu'ilz  en 
estoient   excludz  :    ont  esté  plus  clairement   acertenez,   qu'il  ne 

10  leur  pouvoit  rester  aucune  espérance.  Et  ce,  que  sans  différence, 
Sainct  Pierre  constitue,  tant  les  justes  que  les  fidèles  en  prison, 
ne  se  doibt  pas  tellement  prendre  :  comme  si  les  justes  eussent 
esté  enserrez  en  quelque  estroicte  captivité,  devant  que  Jésus 
Christ  vint.  Mais  pource qu'il  voyoient  leur  rédemption  deloing, 

15  et  comme  en  umbre  obscure  :  l'attente  qu  ilz  en  avoient,  d'au- 
tant qu'elle  ne  pouvoit  estre  sans  sollicitude,  est  accomparagée  à 
une  prison.  Il  nous  fault  donc  chercher  une  plus  certaine  expo- 
sition de  cest  article.  Or  la  parolle  de  Dieu  nous  en  monstre  une  : 
non  seulement  bonne  et  saincte.   mais  pleine  de  grande  conso- 

solation.  Ce  n'estoitrien  si  Jésus  Christ  se  fust  seulement  acquité 
d'une  mort  corporelle  :  mais  il  failloit  aussi  qu'il  sentist  la  sévé- 
rité du  Jugement  de  Dieu  :  à  fin  d'intercéder,  et  comme  s'oppo- 
ser, que  son  ire  ne  tombast  sur  nous,  en  satisfaisant  à  icelle. 
Pour  ce  faire,  il  estoit   expédient  qu'il  bataillast,  comme  main  à 

25  main,  à  l'encontre  des  puyssances  d'Enfer  et  de  l'horreur  de  la 
mort  éternelle.  Le  prophète  dit.  que  la  discipline  requise  à  nostre  lésa.   .'iS. 
paix,  a  esté   mise   sur  luy,  qu'il  a  esté  battu  et  frappé  du  Père 
pour  noz  crimes,  affligé  pour  noz  iniquitez.  En  quoy  il  signifie, 
qu'il  a  esté  substitué  au  lieu  des  pécheurs,   comme  respondant 

30  et    pleige,  ou  plustost.    comme   debteur    principal  :    pour  rece- 
voir les  peines  qui  leur  debvoient  estre  imposées.  11  n'y  a  autre 
différence,   sinon  qu'il  ne  pouvoit  estre  détenu  et  subjugué  des  Ac<.o. 
douleurs  de  la  mort.    Ce  n'est  point   donc  de  merveilles,  s'il  est 
dict  qu'il  est  descendu  aux  Enfers  :  veu  qu'il  a  enduré  la  mort, 

35  laquelle  est  imposée  par  l'ire  de  Dieu  aux  malfaicteurs.  A  fin 
d'entendre  plus  facilement  cela  :  n'est-ce  pas  une  abysme  terrible 
et  misérable  ;  que  de  se  sentir  estre  délaissé  et  abandonné  de 
Dieu?  n'en  recevoir  ayde  quand  on  l'invoque;  et  n'attendre  autre 
chose;  sinon  qu  il  ayt  conspiré  à  nous  perdre  etdestruyre?  Or  nous 


DE    LA    FOY. 


257 


voyons  Jésus  Christ  en  ostrevenii  jusques  là  :  tellement  qu'il  a 
esté  contreinct,  tant  Tang-oisse  le  pressoit,  de  cryer,  mon  Dieu, 
mon  Dieu,  pourquoy  m'as-tu  laissé?  Car  ce  que  aucuns  exposent 
qu'il  a  dict  cela  plus  tost  selon  l'opinion  des  autres,  que  de  sa 
a  propre  aiîection,  n'est  point  vray  semblable:  veu  qu'on  apper- 
ceoit  clairement,  que  ceste  parolle  venoit  d'une  profonde  amer- 
tume de  cœur.  Toutosfois  par  cela  nous  ne  voulons  inférer,  que 
Dieu  ayt  jamais  esté,  ou  adversaire,  ou  courroucé  à  son  Christ. 
Car   comment  se   coui'rouceroit  le  Père  à  son  Filz  bien  aymé  ; 

10  auquel  il  dict  qu'il  a  prins  tout  son  plaisir?  ou  comment  Christ 
appaiseroit-il  le  Père  envers  les  hommes  par  son  intercession  ; 
s'il  l'avoit  courroucé  contre  soy?  Mais  nous  disons  qu'il  a  sous- 
tenu  la  pesanteur  de  la  vengeance  de  Dieu  :  en  tant  qu'il  a  esté 
frappé  et  aflli^i^é  de  sa  main  et  a  expérimenté  tous  les  signes  que 

13  Dieu  monstre  aux  pécheurs,  en  se  courrouceant  contre  eulx  et  les 
punissant.  Pourtant,  S.  Ilylaire  dit,  que  par  la  mort  de  Jésus 
Christ  nous  avons  obtenu  ce  bien.  (|ue  la  mort  soit  maintenant 
abolye.  Et  en  d'autres  passages  il  ne  va  point  loing  de  nostre 
propoz  :  comme  quand  il  dit,  que  la  croix,  la  mort,  et  les  Enfers 

20  sont  nostre  vie.  Item,  le  Filz  de  Dieu  est  aux  Enfers:  mais 
l'homme  est  exalté  au  Ciel.  En  somme,  Jésus  Christ,  combatant 
contre  la  puissance  du  Diable,  contre  l'horreur  de  la  mort,  contre 
les  douleurs  d'Enfer,  en  a  obtenu  victoyre,  et  en  a  triumphé  :  à 
lin  que  nous  ne  craignions  plus,  en  la  mort,  les  choses,  que  nostre 

25  Prince  a  abolyes  et  anneanties. 

Le  tiers  jour  est  ressuscité  des  mortz. 

D'autant  qu'en  la  croix,  en  la  mort,  et  en  la  sépulture  de 
Christ  n'y  apparoist  que  infirmité  :  il  fault  que  la  Foy  passe 
oultre,    pour    estre    pleinement   corroborée.    Pourtant,   combien 

:!«»  qu'en  sa  mort  nous  ayons  entier  accomplissement  de  salut, 
veu  que  par  icelle  nous  sommes  reconciliez  à  Dieu,  il  a  esté 
satisfaict  à  son  juste  jugement,  la  malédiction  a  esté  abolye,  et 
avons  esté  acquitez  de  toutes  les  peines  dont  nous  estions  rede- 
vables :  neantmoins  il  n'est  pas  dit,  que  par  la  mort  nous  ayons 

33  esté  ressuscitez  en  espérance  de  vie  :   mais  par  la  résurrection.  I.Pier.  I, 
Car  comme   luy,    en   ressuscitant,    s'est   monstre  vainqueur  de 
la    mort  :   ainsy  la  victoyre  de    nostre   mort   consiste  en    sa  re- 
Institulion.  17 


258  CHAPITRE    UTl.  ■ 

surrection.  Les  motz  de    S.  Paul  monstreront  myeulx  que   cela 
veult  dire  •  quand  il  dit.  qu'il  est  mort  pour  noz  péchez,  ressus- 
cité   pour  nostre   justification.    Comme   sil   disoit .    que  par  sa  7îo,h.  4. 
mort,  le  péché  a  esté  osté  :  par  sa  résurrection  la  justice  a  esté 
5  instaurée.  Car  comment  en  mourant  nous  eust-il  peu  délivrer  de 
la  mort  :  s'il  eust  succombé  à  icelle?  comment  nous  eust-il  acquis 
la  victoyre:  s'il  eust  defailly  au  combat?  Pourtant  nous  partis- 
sons   tellement  la    substance   de  nostre   salut,  entre   la  mort  de 
Christ  et  sa  Résurrection  :  que  nous  disons  par  la  mort  le  péché 
10  avoir  esté  destruict,  et  la  mort  elVacée  :  par  la   résurrection,  la 
justice  establie,  et  la  vie  remise  au  dessus  :  et  ce  en  telle  sorte, 
que  c'est  par  le  moyen  de  la  Résurrection,    que   la  mort   a  son 
efticace.  D'avantage,  comme  nous  avons  cy  devant  exposé,  que 
la  mortification  de  nostre  chair  dépend  de  la  communication  de 
15  la  croix  de    Christ  :   aussi   il  fault  entendre,    qu'il  y  a  un  autre 
fruict  correspondant  à  cestuy  là,  provenant  de  sa   résurrection. 
Car  nous  sommes,  comme   dit  TApostre,  ente/,   en  la  similitude 
de  sa  mort  :  à  fin  que,  estans  participans  de  sa  résurrection,  nous 
cheminions  en   nouveauté    de   vie.    Parquoy    en  un   autre    lieu,  Rom.  6 
20  comme  il  deduvt  un  ar-ument,  de   ce  que  nous  sommes  mortz 
avec  Christ,  (luil  nous  fault  mortifier  noz  membres  sur  la  terre  : 
aussi  de  ce   que  nous  sommes  ressuscitez  avec  Christ,   il    infère 
qu'il   nous  fault  chercher  les  choses  Celestielles.    Par  lesquelles  Coloss.  ^ 
parollesnon  seulement  il  nous  exhorte  à  nouvelle  vie,  à  l'exemple 
,5  de    Christ   ressuscité:  mais  il  enseigne  que   cela   se    fait  par  sa 
vertu,    que  nous  soyons   régénérez  en  justice.   Nous   avons  une 
troysiesme     utilité    de    ceste    résurrection .     C'est,    que    comme 
avantz  une  Arre  de  nostre  résurrection,  nous  en  sommes  renduz 
plus  certains  de  la  nostre  :    d'autant  que  celle  de  Christ  en  est  le  LCor.l. 
30 fondement  et  la  substance.  Il  fault  aussi,  en  passant,  noter,  qu  il 
est  dict  estre  ressuscité  des  mortz  :  en  quoy  la  vérité  de  sa  mort  et 
résurrection  est  signifiée  :  comme  s'il  estoit  dict.  qu'il  a  souffert 
une  mesme  mort  que  les  autres  hommes,  et  qu'il  a  leceu  immor- 
talité en  la  mesme  chair  qu'il  avoit  prinse.  mortelle. 


35 


Il  est  monté  es  Cieulx  :  est  assis  à  la  dexlre  de  Dieu  le 
Père  tout  puissant. 

Combien     que    Christ     ayt    commencé  ,    en    ressuscitant ,    à 


DE    LA    FOV.  2."0 

.  ninL,^nilior  sa  ^loyre  et  ^ertu,  ayant  despDuilk'  I  humilité  de  sa 
nature  mortelle,  et  l'ii^nominie  de  la  croix  :  toutesl'ois  il  a  vrav- 
ment  lors  exalté  son  He^ne,  (|u;ind  il  est  monte  au  f>iel.  Ce  que 
TApostre   demonslii- (|uand  il  dit  :   cju  il    est  monté   poiu-  accom- 

5  plir  toutes  choses,   (lar  nous  voyons  coiid)it'n  il  a  plus  lai  ;;ement 
espandu  les  ^M'act-s  de  son  Esprit,  combien  il  a    plus   amplifié  sa  /•;/./(.■.   {. 
Majesté.  cond)ien  \\  a  declairc  d  axanta^c  sa   Puissance,  tnnt  en 
aydanl   les    siens    (jue  en    ahhatant    ses    ennemis.    Estant    donc 
receu  au  (>iel.  il  a  hien  osté  la  présence  de  son  corps  de  nostre 

loveué:  mais  nompas  pour  laisser  d'assister  aux  lidel(\s,  qui  ont 
encores  à  cheminer  en  ti-rre  :  ains  |)onr  f^ouverner  le  monde  par 
une  vertu  plus  présente,  cpii'  au|)aiavant.  Et  de  tiiict.  ce  cpiil 
avoit  promis  d'estre  avec  nous  jus(pies  à  la  consummation  du 
Siècle,     a    esté    acconij)ly    par    cesie    ascension    :    en     hunielle, 

i">  comme  le  corps  a  esté  eslev»-  sur  tous  les  cieulx  :  ainsi  la  \('r(u 
et  efficace  s'est  espandue  oultre  tous  les  limites  du  (^iel  et  de  la 
Terre.  Parquoy  il  est  incontinent  adjousté,  qu'il  est  assis  à  la 
dextre  du  Père.  Laquelle  simililude  est  piiust'  des  Hovs  :  dont 
les  Lieutenans.  auscpiel/.  il/.  d<»nnent  la  ch;iii;e  de  <.,^ouverner,  sont 

2oc<jnnne  leurs  assesseurs.  Ainsi  (>lirist.  au(juel  le  Père  veult  estre 
exalté,  et  p;ir  la  m;iin  duipul  il  vi-ut  exercei-  sa  Seigneurie  :  est 
dict  estre  assis  à  la  dextre  du  Perc.  Par  hnpielle  parolle  il  fault 
entendre,  qu'il  a  esté  ordonné  Seigneur  du  Ciel  et  de  la  Terre  : 
et  qu'il  en  a  pris  solennellement  la  possession:  et  non  seulement 

îiqu'il  la  prinse  une  l'ois:  iu;iis  cpi  il  la   maintien!,  jusques  à  tant 

qu'il  descendia  au  jourdu  .Ingénient.  (>ar  ainsi  l'expose  l'Apostre^  Kphfs.  I . 
(juant  il  dit,  (pie  le  Père  l'a  constitué;!  sa  dextre,  sur  toute  prin- 
cipauté, et  puissance,  et  vertu,  cl  domination,   et   tout  nom   qui 
est  renommé,  non  seulement  en  ce  Siècle,  mtds  aussi  en  l'autre  : 

30  et  qu  il  a  assubjecty  toutes  choses  soubz  ses  jjiedz  et  qu'il  l'a  mis 
Chef  en  l'Eglise  sur  toutes  choses.  Nous  voyons  à  quov  tend  ce  qui 
est  dict,  que  Jésus  Christ  est  assis  :  à  scavoir  que  toutes  créatures, 
tant  Célestes  que  terriennes,  honorent  sa  Majesté,  sont  gouvernées 
par  sa  main,  obeyssent  à  son  plaisir,  et  sont  subjectes  à  sa  vertu. 

35  Et  ne  veulent  autre  chose  dire  les  Apostres,  quand  ilz  en  font  si 
souvent    mention  :    sinon   que  toutes  choses  ont    esté    permises 
à   son  commandement.    Pourtant  ceux  qui  pensent  que  par   ce  AcIps2.3. 
mot    est    simplement  signifiée  la  béatitude,    en    laquelle    a  esté    '"'  '^■ 
receu    Jésus    Christ  :    s'abusent   en   cela.  Or  il  ne  doibt  challoir 


2g()  CHAPITRE    llll. 

que   Sainct  Estienne.   aux  Actes,  tesmoigne  quHl  Va  veu  comme  Actes  7. 
estant  debout  :  car  il  est  icy  question,  nompas  de  la  disposition 
du  corps,  mais  de  la  Majesté  de  son  Empire  :  tellement  que  estre 
assis    ne'  sio-nilie   autre  chose,  que  présider  au  Throsne  Céleste. 
5  De  cela  reviennent  divers  proffitz  à  nostre  Foy.    Car  nous  enten-  Jean  14. 
dons  que  le  Sei-neur  Jésus,  par  son  Ascension  au  Ciel,  nous  y 
a  faict  ouverture  :    laquelle    estoit   fermée  par   Adam.   Car  puis 
qu  il  y  est  entré  en  nostre  chair,  et    comme  en  nostre  nom  :  de  Ephe.  2. 
cela  il  s'ensuvt  ce  que  dit  TApostre  :  que  desja  aucunement  nous 
10  sommes  assis  avec  luy  aux  lieux  célestes  :  à  scavoir  d'autant  que 
nous  n'en  avons  point  une  espérance  nue  :   mais  en  avons  desja 
la  possession  en  nostre    Chef.    D'avantage  nous  recongnoissons 
que  ce  n'est  pas  sans  nostre  grand  bien  qu'il  réside  avec  le  Père. 
Car   estant    entré  au  Sanctuaire   qui   n'est   point   faict  de   main 
15  d'homme,  il  apparoist   Ik  continuellement   pour  nostre  Advocat //^/^.  7. 
et  Intercesseur:  convertissant  tellement  les  yeulx  du  Père  en  sa 
justice,  qu'il  les  destourne  du  regard  de  noz  péchez  :  nous  recon- 
ciliant   tellement   son  coeur,  qu'il   nous  donne  accetz  par    son  Bom.  <y 
intercession  à  son  Throsne  :  nous  y  préparant  grâce  et  clémence, 
20  et  faisant  qu'il  ne  nous  soit  horrible,  comme  il  doibt  estre  à  tous 
pécheurs.  Tiercement  en  cest  article  nous  concevons  la  puissance 
de  Jésus  Christ  :  en  laquelle  est  située  nostre  force  et  vertu,  nostre 
ayde,  et  la  gloyre  que  nous  avons  contre  les  Enfers.  Car  en  mon- 
tant au  Ciel,  il  a  mené  ses  adversaires  captifs  :   et  les  ayant  des-  ^P''^-  -'■ 
23pouillez,  il  a  enrichy  son  peuple,  et  de  jour  en  jour  l'enrichit  de 
grâces   spirituelles.    Il  est  donc  assis  en  hault,  à  lin  que  de  là, 
espandant  sur  nous  sa  vertu,  il  nous  vivifie  en  vie  spirituelle,  et 
nous  sanctifie  par  son  Esprit  :  à  fin  de  orner  son  Eglise  de  plu- 
sieurs dons  précieux  :   à  fin   de    la  conserver  par  sa  protection, 
30  à  rencontre  de  toute  nuysance  :  à  fin  de  reprimer  et  confondre  par 
sa  puissance  tous  les   ennemis   de  sa  croix,  et  de  nostre   salut  :  Psal.  10 
finalement  à  fin  d'obtenir  toute  puissance  au  Ciel  et  en  Terre, 
jusques  à  ce  qu'il  aura  vaincu  et  destruict  tous  ses  ennemis,  qui 
sont  aussi  les  nostres  :  et  qu'il  aura  parfaict  son  Eglise. 

35  De  là  viendra  juger  les  vifz  et  les  mortz. 

Dez   maintenant  les   serviteurs  de   Jésus  Christ  ont  assez  de 
signes,    pour  congnoistre    la   présence  de    sa  vertu.  Mais   d  au- 


DE    LA    FOY.  261 

tant  que  son  Règne  est  encores  obscurcy  et  caché  soubz  Ihumi- 
lité  de  la  chair  :  ce  n'est  pas  sans  cause  que  la  Foy  est  icy  diri- 
gée à  sa  présence  visible,  laquelle  il  manifestera  au  dernier  jour. 
Car  il  descendra  en  forme  visible,  comme  on  l'aveu  monter  :  et  Actes  I. 
5  apparoistra  à  tous  avec  la  Majesté  inénarrable  de  son  Règne,  avec 
la  lumière  d'immortalité,  avec  puissance  infinie  de  Divinité,  en  la  Mat.  24. 
compaignie  de  ses  anges.  De  là  donc  il  nous  est  commandé  d'at- 
tendre nostre  Rédempteur,  au  jour  qu'il  séparera  les  aigneaulx 
des  boucz,  les  esleuz  des  reprouvez  :  et  n'y  aura  nul,  ne  vivant  ne 

10  mort,    qui   puisse    eschapper   son  Jugement.  Car  le   son   de  la  /.  The.  4. 
Trompette  sera  ouy  de  tous   les  boutz  du   monde  :  par  laquelle 
tous    hommes  seront  appeliez  et  citez  à  son  Throsne    Judicial  : 
tant  ceux  qui  seront  pour  lors  en  A'ie  que  ceux  qui  seront  tres- 
passez  auparavant.    11  y  en  a  aucuns  qui  exposent,  par  les  vivans 

15  et  les  mortz,  les  bons  et  les  mauvais.  Et  de  faict,  nous  voyons 
que  aucuns  des  Anciens  ont  doubté,  quand  ilz  debvoient  exposer 
ces  vocables.  Mais  le  premier  sens  est  beaucoup  plus  conve- 
nable :  d'autant  qu'il  est  plus  simple,  et  moins  contreinct  :  et 
est  prins  de  la  manière  accoustumée  de  l'Escriture.  Et  ne  contre- 

20  vient  point  ce  qui  est  dict  par  l'Apostre,  qu'il  est  une  fois  esta-  Ilehr.   8. 
bly  à  tous  hommes  de  mourir.  Car  combien  que  ceux  qui  seront 
pour  lors  en  la  vie  mortelie,    quand  le   Jugement    viendra,    ne 
mourront    point  selon  l'ordre   naturel:    toutesfois    la   mutation  I.Cor.lo. 
qu'il  soutTriront,  d'autant  qu'elle  aura  grande   convenance   à  la 

23  mort,  n'est  pas  sans  raison  appellée  mort.  l\  est  certain  que 
tous  ne  reposeront  pas  longuement,  ce  que  l'Escriture  appelle 
dormir,  mais  tous  seront  muez  et  changez.  Qu'est-ce  à  dire  cela? 
C  est,  que  leur  vie  mortelle  sera  abolye  en  une  minute  de  temps, 
et  transformée  en  une  nouvelle  nature.  Nul  ne  peut  nyer  qu'un 

30  tel  abolyssement  de  la  chair,  ne  soit  mort.  Neantmoins  ce  pen- 
dant demeure  tousjours  cela  vray,  que  les  viA^ans  et  les  mortz 
seront  citez  en  jugement.  Car  les  mortz  qui  sont  en  Christ  res- 
susciteront les  premiers  :  puis  après  ceux  qui  seront  survivans, 
viendront   au    devant  du  Seigneur   en  l'air  :    comme  dit  Sainct  /.  The.  4. 

3o  Paul.  Et  de  faict,  il  est  vray  semblable,  que  [ce]st  article  a  esté 
prins  de  la   prédication  de  Sainct  Pierre  au  dixiesme  des  Actes  : 
et  de  l'adjuration    notable    que   faict  Sainct  Paul    à  Timothée  :  2.  Tim.  4. 
où  il  est  nommément  parlé  des  vivans  et  des  mortz.  De  là  nous 
revient  une   singulière  consolation  :  que  nous  oyons  la  puissan- 


262  CHAPITRE    IIII. 

ce  de  juger  estre  donnée  à  celuy  qui  nous  a  ordonnez,  comme 
participans  de  son  honneur,  à  faire  jugement  :  tant  s'en  fault  qu'il 
monte  en  son  Throsne  pour  nous  condamner.  Car,  comment  un 
Prince  de  si  grande  clémence  perdroit-il  son  peuple  ?  comment 
5  le  Chef  dissiperoit-il  ses  membres  ?  comment  l' Advocat  con- 
damneroit-il  ceux  dont  il  a  prins  la  deffense  ?  Et  si  l'Apostre  Rom.  S. 
ose  se  glorifier,  qu'il  n'y  a  nul  qui  puisse  condamner,  quand 
Jésus  Christ  intercède  pour  nous  :  il  est  encores  plus  certain, 
que    Christ,    estant  nostre    Intercesseur,    ne  nous  condamnera 

10 point  :  A'eu  qu'il  a  prins  nostre  cause  en  main,  et  a  promis  de 
nous  soustenir.  Ce  n'est  pas  certes  une  petite  asseurance  :  de 
dire  que  nous  ne  comparoistrons  point  devant  autre  siège  judicial, 
que  celuy  de  nostre  Rédempteur  :  duquel  nous  attendons  salut. 
D'avantage  nous  avons  icy,  que  celuy  qui  nous  promet   mainte- 

15  nant  par  son  Evangile  béatitude  éternelle,  ratifiera  lors  sa  pro- 
messe, en  faisant  jugement.  Le  Père  donc,  a  tellement  honoré 
son  Filz  en  luy  attribuant  authorité  de  juger  :  qu'en  ce  faisant 
il  a  proveu  à  consoler  les  consciences  de  ses  serviteurs  :  les- 
quelles   pourroient    trembler    de     l'horreur    du    Jugement .    Si 

20  elles  n'y  avoient  certaine  espérance.    Or    puis  que  nous   voyons 
toute  la  somme,  et  toutes  les  parties  de  nostre  salut  estre    com- 
penses en  Jésus  Christ  :    il    nous    fault    garder  d'en  transférer 
aillieurs  la  moindre  portion  qu'on  scauroit  dire.  Si  nous  cherchons  Act.4. 
salut  :    le  seul  Nom  de  Jésus  nous  enseigne  qu'il  est    en  luy.   Si 

25  nous  de.sirons  les  dons  du  Sainct  Esprict  :  nous  les  trouverons 
en  sonunction.  Si  nous  cherchons  force  :  elle  est  en  sa  Seigneurie. 
Si  nous  avons  à  faire  de  pureté  :  elle  nous  est  proposée  en  sa 
conception.  Si  nous  voulons  trouver  doulceur  et  bénignité  :  sa 
Nativité  nous  la  présente,  par  laquelle  il  a  esté  fiiict  semblable  à 

30  nous,  pour  apprendre  d'estre  pitoyable.  Si  nous  demandons  rédemp- 
tion :  sa  passion  nous   la  donne.    En  sa  damnation,   nous   avons 
nostre  absolution.  Si  nous  desirons  que  la  malédiction  nous  soit  Hehr.  I 
remise:  nous   obtenons  ce    bien    là    en    sa  Croix.    La   satisfac-    ^' "*■ 
tion,   nous    l'avons   en  son  sacrifice  :  purgation,    en    son  sang: 

35  nostre  reconciliation  a  esté  faicte  par  sa  descente  aux  Enfers. 
La  mortification  de  nostre  chair,  gist  en  son  Sepulclire  :  la  nou- 
velleté  de  vie,  en  sa  résurrection  en  laquelle  aussi  nous  avons 
espérance  d'immortalité.  Si  nous  cherchons  l'Héritage  céleste 
il  nous  est   asseuré  par  son   Ascention.  Si  nous  cherchons  avde 


DE    LA    FOY. 


263 


et  confort,  et  abondance  de  tous  biens  :  nous  lavons  en  son 
I^eg-ne.  Si  nous  desirons  d'attendre  le  Jugement  en  seureté  : 
nous  avons  aussi  ce  bien,  en  ce  qu'il  est  nostre  Juge.  En  som- 
me, puis  que  les  thresors  de  tous  biens  sont  en  luy  :  il  nous  les 
0  fault  de  là  puyser,  et  non  d'aillieurs.  Car  ceux,  qui  non  contentz 
de  luy,  vacillent  cà  et  là  en  diverses  espérances  :  mesmes  quand 
ilz  auroient  leur  principal  esgard  en  luy  :  si  ne  tiennent-ilz  pas 
la  droicte  voye,  d'autant  qu'ilz  destournent  une  partie  de  leurs 
pensées  ailleurs.  Combien  que  ceste  deffiance  ne  peut  entrer 
10  en  nostre  entendement,  quand  nous  avons  une  fois  bien  congneu 
ses  richesses. 


LA  TROYSIESME  PARTIE 
Je  croy  au  Saincl  Espril. 

Maintenant    s'ensuyt    la    Foy    au    Sainct    Esprit    :     laquelle  /.  Cor.  6, 

15  est  bien  requise  en  l'accomplissement  de  nostre  salut.  Car  ce 
qu'il  a  esté  dict,  que  nous  devons  chercher  nostre  ablution  et 
sanctification  en  Jésus  Christ  :  ne  se  peut  autrement  obtenir  : 
sinon  qu'il  nous  soit  communiqué  par  le  Sainct  Esprit.  Ce  que 
l'Apostre    signifie,    en    disant,    que    nous    avons    esté    lavez    et 

20  sanctifiez  au  Nom  de  Jésus  Christ,  et  par  l'Esprit  de  nostre 
Dieu  :  comme  s'il  disoit,  que  les  grâces  de  Jésus  Christ  sont 
imprimées  par  le  Sainct  Esprit,  en  noz  consciences.  Pourtant 
après  la  Foy  au  Père  et  au  Filz,  à  bon  droict  est  adjoustée  la 
Foy    au   Sainct   Esprit  :   par  lequel  le  fruict  de    la  miséricorde 

25  Divine,  et  de  la  grâce  acquise  par  Jésus  Christ,  nous  est .  con- 
formé. Or  quand  nous  oyons  ce  Nom  d  Esprit,  il  nous  fault 
reduyre  en  mémoire,  tous  les  offices  que  l'Escriture  luy  attribue, 
et  en  attendre  les  bénéfices  qui  nous  en  procèdent,  selon  le 
tesmoignage    d'icelle.    Car  elle  nous  enseigne,   que   toute  grâce 

30  de  Dieu  est  l'opération  de  son  Esprit  :  d'autant  que  le  Père  par 
jceluy,  en  son  Filz  fait  toutes  choses.  Par  iceluy  il  crée,  nnain- 
tient,  vivifie,  et  conserve  toutes  ses  œuvres.  Par  iceluy  il  appelle 
et  attire  à  soy  tous  ses  fidèles,  il  les  justifie,  les  sanctifiant  à 
tme  nouvelle  vie  :  il  les  enrichit  de  diverses  espèces  de  grâces  :  il 


264  CHAPITRE    IIII. 

les  fortifie  de   sa    vertu  céleste,  jusques  à   ce  quilz  sont  parve- 
nuz   à  leur  but.   Pourtant  le  Sainct  Esprit,   quand   il   habite    en 
ceste  manière  en  nous,  est  celuy  qui  nous  esclaire  de  sa  lumière, 
pour  nous  faire  entendre  quelles  largesses  de  la  bonté  de  Dieu 
0  nous  possédons  en  Jésus  Christ  :   tellement  que  k  bon  droict  on 
le  peut  appeller  une  clef,  par  laquelle  les  thresors  du  Royaume 
céleste  nous  sont  ouvers  :    et  son  illumination,  l'oeil  de  nostre 
entendement,    pour   nous    les    faire    contempler.    Pour  laquelle 
cause  il  est  maintenant   nommé  Arre   et  Seau  :    d  autant,    qu'il 
10  scelle   dedans    noz  cœurs    la   certitude  des   promesses  de  Dieu. 
Maintenant  il  est  dict  maistre  de  vérité,  autheur  de  lumière,  fon-  /.  Cor.  6. 
taine  de  sagesse,  science,  et  intelligence.  C'est  celuy,  lequel,  nous 
purgeant  de  toutes  ordures,  nous  consacre  en  sainct  sj  Temples 
à    Dieu  :    nous    ornant    tellement    de    sa    saincteté ,    que    nous 
15  sommes    faictz   Habitacles    de  Dieu.    C'est  celuy,    qui    par    son 
arrousement   nous   rend  fertiles,    pour  produyre  fruictz   de  jus- 
tice. Par  laquelle  raison  il  est  souvent  nommé  eaûe,   comme   en 
ces   passages  du   Prophète  :    Vous  tous  qui  avez  soif,    venez  à/esa.o.j. 
leaûe.  Item,    J'espandray  de  l'eaûe  sur  la  terre    stérile,  et  àes  Jcsa.  ii. 
20  fleuves  sur  la  terre  seiche.   A  quoy  se  rapporte  la  sentence  de 
Christ,   oîi  il  appelle  à  puyser  eaiie  vive   tous  ayans  soif.  Com-  Jean  7. 
bien  qu'il  est  aucunesfois  aussi  appelle  pour  l'efficace  de   purger  Ezec.36. 
et    nettoier,  comme   en    Ezechiel  :   où  le    Seigneur  promect   des 
eaûes  claires,  pour  purger  son  peuple.  C'est  celuy,    lequel  nous 
25  rafrechissant  de  sa  liqueur,  nous  distile  la  vigueur  de  vie  :  pour 
laquelle  cause  il  est  nommé  huyle  et  unction.  C'est  celuy.  lequel 
bruslant  et  consumant  les  vices  de  notre  concupiscence,  enflambe 
noz  cœurs  en  charité  :    pour  laquelle   vertu    il   est  nommé  feu. 
G  est  celuy,  qui  nous  inspire    la  vie  divine  :  à  tin  que   nous   ne 
30  vivions  plus  de  nous  :    mais  que  nous   suyvions  son  mouvement 
et  .sa  conduicte.   Pourtant  s'il   y  a  quelque    bien  en  nous  :   tout 
cela  est  faict  de  sa  grâce    et   vertu.   Au  contraire  ce    que  nous 
avons  du  nostre,   n'est  que  aveuglement  d'esprit,   et  perversité 
de  cœur.  Maintenant  il  apparoist,  combien  il  nous  est  profitable 
35  et    nécessaire,   que    nostre  Foy  soit  dirigée   au    Sainct  Esprit  • 
veu  qu  en    luy    nous    trouvons    l'illumination    de   nostre    ame, 
nostre    régénération,   la    communication    de    toutes   grâces  :    et 
mesmes    l'efficace   de  tous    les  biens    qui  nous   proviennent  de 
Jésus  Christ. 


DE    LA    FOY 


265 


LA  QUAÏTRIESME  PARTIE 

Je  croy  la  saincte   Eglise   catholique  :   la  comniunioii    des 

Sainctz. 

Nous  parlerons  aillieurs  plus  amplement  de  l'Eg-lise.  Pour  le 
5  présent  nous  toucherons  les  choses  que  la  Foy  doibt  contempler, 
pour  en  recevoir  consolation.  Premièrement,  ce  que  nous  disons 
plustost  l'Eglise,  que  en  l'Eglise  :  n'est  pas  sans  raison.  Je  scav 
bien  que  le  second  est  plus  accoustumé  aujourd'huy  :  et  que 
d'ancienneté  il  a  esté  en  usage  :  et  mesmes  le  Symbole  de  Nice, 

iQ  comme  il  est  recité  en  l'hysiovre  Ecclésiastique,  dit,  croyre  en 
l'Eglise.  Neantmoins  il  appert  aussi  jiar  les  livres  des  Anciens 
pères,  que  cela  estoit  receu  sans  difficulté,  de  dire,  croyre  TEglise, 
et  nompas  en  l'Eglise.  Car  Sainct  Cyprien  et  Sainct  Augustin 
non  seulement  parlent  ainsi  :  mais  notamment  enseignent  que  la 

15  locution  seroit  impropre,  si  on  adjoustoit  ceste  préposition,  en. 
Et  conferment  levir  opinion  par  une  raison  qui  n'est  pas  frivole. 
Car  nous  tesmoignons  que  nous  croyons  en  Dieu  :  d'autant  que 
nostre  cœur  se  remet  sur  luy  comme  véritable  :  et  nostre  fiance 
repose  en  luy.  (le  qui  ne  conviendroit  point  à  l'Eglise,   nomplus 

20  qu'à  la  remission  des  péchez,  et  à  la  résurrection  de  la  chair. 
Pourtant,  combien  que  je  ne  veuille  point  estriver  pour  les 
mot/,  :  toutesfois  j'ayme  myeulx  suyvre  la  propriété,  par  laquelle 
la  chose  soit  bien  declairée  :  que  d'affecter  formes  de  parler,  qui 
induysent   obscurité   sans   propoz.   Or   il  nous  fault   reduyre   en 

25  memoyre  ce  que  nous  avons  par  cy  devant  admonesté  :  c'est, 
que  jusques  icy  la  matière,  le  fondement,  et  la  cause  de  nostre 
salut,  nous  a  esté  demonstrée:  maintenant  l'efïect  s'ensuyt.  Car 
celuy  qui  entend  la  puissance  de  Dieu,  et  sa  bonté  Paternelle, 
la  justice  de  Christ,  et  l'efficace  du  Sainct  Esprit  :  il  tient  la  cause 

30  de  son  salut.  Mais  il  ne  voit  point  encores  comment  le  salut 
est  accomply  aux  hommes  :  sinon  qu'il  descende  à  l'Eglise,  à  la 
remission  des  péchez,  et  à  la  vie  éternelle.  Api'ès  donc  avoir  esté 
enseigné,  que  Dieu  nous  est  autheur  de  vie  :  cela  se  faictpar  bon 
ordre,  que  de  là  nous  venons  à  recongnoistre  son  œuvre,  lequel 

35  se  fait  en  nous.  Premièrement  l'Eglise  nous  est  icy  propo- 
sée à  croyre  :   à  fin   que  nous   croyons,   toute  la  multitude   des 


266  CHAPITRE    IIIl. 

Ghrestiens  estre  conjoincte  par  le  bien  de  Foy,  et  assemblée  en 
un  peuple,  duquel  le  Seigneur  Jésus    soit    Prince  et  Capitaine  : 
mesines  qu'elle  est  unve  en  un  corps,  duquel  Christ  est  le  Chef:  Ephe.  1 . 
comme  Dieu  a  éternellement  esleu  tous  les  siens  en  iceluy  :  à  fin 

5  de  les  assembler  et  recueillir,  en  son  Règne.   Or  il  nous  apparoist 
combien   il  nous  est   nécessaire  de    croyre  l'Eglise  :    de   ce    que  Galat.  i. 
pour  estre   régénérez    en  vie   immortelle,    il    fault    qu'elle   nous 
conceoive,  comme  la  mère  conceoit  ses  enfans  :  pour  estre   con- 
servez, il  fault  qu'elle  nous  entretienne  et  nourrisse  en  son  sein. 

10  Car  c'est  la  mère  de  nous  tous  :  à  laquelle  nostre  Seigneur  a 
commis  tous  les  thresors  de  sa  grâce  :  à  fin  qu'elle  en  soit  la  gar- 
dienne, et  qu'elle  les  dispense  par  son  ministère.  Pourtant,  si 
nous  voulons  avoir  entrée  au  Royaume  de  Dieu  :  il  nous  fault 
recongnoistre,  par  Foy,   l'Eglise.  Or  cela  est,  non  seulement  de 

15  concevoir  en  nostre  entendement  le  nombre  des  esleuz  :  mais  de 
recongnoistre  une  telle  unité  de  l'Eglise,  en  laquelle  nous  ne 
doubtions  point  d'estre  inferez.  Car  nous  ne  pouvons  avoir  espé- 
rance aucune  de  1  Héritage  Céleste  :  sinon  que  premier  nous 
adhérions  à    Jésus   Christ   nostre   Chef    par  ceste    communion, 

20  avec  tous  ses  membres  :  veu  que  l'Escriture  prononce,  qu'il   n'y 
a  point  de  salut  hors  ceste  unité  de   l'Eglise.    Car  ainsi   fault-il  lesaie  2. 
entendre   ces   Prophéties   :   Que  en  Syon   et  Jérusalem  il  y  aura  joel  2. 
sauvement .  Pourtant  quand  le  Seigneur  veult  dénoncer  la  mort  Ezec  13 
éternelle  à  aucuns,  il  dit  quilz  ne  seront  point  en  la  compaignie 

25  de  son  peuple:  et  qu'ilz  ne  seront  point  enrouliez  entre  les 
enfans  d'Israël.  D "avantage  ceste  compaignie  est  appellée  catho- 
lique, ou  universelle  :  pource  qu'il  n'y  a  ne  deux  ne  trois  Kglises: 
mais  aucontraire,  tous  les  esleuz  de  Dieu  sont  tellement  uniz  et 
liez  en   Christ  :  que,  comme  ilz  depend[entj  d'un  Chef,  aussi  ilz 

30  sont  incorporez  en  un  corps,  s'entretenans  ensemble  comme 
vrays  membres.  Et  à  la  vérité,  ilz  sont  bien  faictz  tous  un,  en- 
tant qu'en  une  mesme  Foy,  Espérance  et  Charité,  ilz  vivent  d'un 
mesme  Esprit  de  Dieu  :  et  sont  appeliez  non  seulement  à  un 
mesme  Héritage  :  mais  à  une  mesme  communication  de  Dieu  et 

3a  de  Jésus  Christ. 

L'Eglise  oultreplus  est  nommée  saincte  .  Car  tous  ceux 
qui  ont  esté  esleuz  par  la  providence  de  Dieu,  pour  estre  incor- 
porez en  icelle  ;  sont  sanctifiez  de  Dieu  par  régénération  spiri- 
tuelle. Pourtant  Sainct  Paul  nous    met  cest  ordre   de  la    mise- 


DE    LA    FOY. 


267 


ricorde  de  Dieu  :  c'est,  que  ceux  qu'il  a  esleuz,  il  les  appelle  : 
ceux  qu'il  a  appeliez,  il  les  justitie  :  à  fin  de  les  glorifier  une  Boni.  S. 
fois.  Ainsi  nostre  vocation  et  justilication,  n'est  autre  chose, 
qu'un  tesmoignage  de  l'eslection  Divine  :  entant  que  le  Seigneur 
5  introduyt  en  la  communion  de  son  Eglise,  ceux  qu'il  avoit  preor- 
donnez  devant  qu'ilz  fussent  nayz.  Pour  ceste  cause  souventes- 
fois  l'Escriture  ne  repute  point  estre  de  l'Eglise,  sinon  ceux  aus- 
quelz  le  Seigneur  a  en  telle  sorte  approuvé  son  élection.  Car  il 
est  expédient  que  les  enfans   de  Dieu  nous  soient  descritz,  selon 

10  que  nostre  entendement  les  peut  comprendre:  c'est  à  scavoir 
qu'ilz  sont  menez  de  l'Esprit  de  Dieu.  Toutesfois  il  nous  fault 
bien  considérer,  quelle  saincteté  il  y  a  en  l'Eglise.  Car  si  nous 
ne  voulons  reputer  nulle  Eglise,  sinon  laquelle  fust  parfaicte 
depuis  un  bout  jusques   à    l'autre,  nous  n'en   trouverions   nulle 

is  telle.  Ce   que  dit  Sainct  Paul  est  bien  vray  :    que  Jésus  Christ 
s'est  livré  pour  l'Eglise,  à  fin  de  la  sanctifier  :  et  qu'il  l'a  purgée 
du  lavement    d'eaûe,    en  la   parolle  de   vie,  pour  la  rendre   son  Ephe.  o. 
espouse  glorieuse,  n'ayant  macule  ne  ride.   Mais  ceste  sentence 
n'est  pas  moins  vraye  :    que  le  Seigneur  œuvre  de  jour  en  jour, 

20  pour  effacer  les  rides  d'icelle,  et  nettoier  les  macules.  Dont  il 
s'ensuyt,  que  sa  saincteté  n'est  pas  encores  parfaicte.  L'Eglise 
donc  est  tellement  saincte,  que  journellement  elle  proffîte,  et  n  a 
pas  encores  sa  perfection  :  journellement  elle  va  en  avant,  et 
n'est   pas   encores    venue   au  but   de    saincteté,   comme   il    sera 

25autrepart  plus  amplement  expliqué.  Pourtant  ce  que  les  Pro- 
phètes prédisent  de  Jérusalem,  qu'elle  sera  saincte.  et  que  les 
estrangers  ne  passeront  point  par  icelle  et  que  le  Temple  de  Dieu 
sera  sainct,  tellement  que  tous  immundes  n'y  entreront  point  • 
il  ne  nous  le  fault   pas   tellement  prendre,   comme  s'il  n'y  avoit 

30  nulle  tache  aux  membres  de  l'Eglise.  Mais,  d'autant  que  de  vraye 
alTection  de  cœur  les  fidèles  aspirent  à  entière  saincteté  et  pureté  : 
la  perfection,  qu'ilz  n'ont  pas  encores,  leur  est  attribuée  par  la 
bonté  de  Dieu.  Or  combien  que  souvent  il  advienne,  qu  on  n'ap" 
perceoit  point  entre  les  hommes  grandz  signes  de  ceste  sanctifi- 

33  cation  :  il  nous  fault  neantmoins  resouldre,  qu'il  n'y  a  eu  nul  eage, 
depuis  le  commencement  du  monde,  auquel  le  Seigneur  n'ayt 
eu  son  Eglise  :  et  que  jamais  il  n'adviendra,  qu'il  n'en  ayt 
tousjours.  Car,  combien  que  dez  le  commencement  du  monde, 
tout  le  genre  humain  a  esté  corrompu  et  perverty  par  le    péché 


268  CHAPITRE  un. 

d'Adam  :  si  est  ce  qu'il  n"a  jamais   failly  de  sanctifier  de   ceste 
masse  corrompue,   des  instrumens  en  honneur  :  tellement  qu'il 
n'v  a  nul  Siècle,  qui  n'ayt  expérimenté  sa  miséricorde.  Ce  qu'il  a 
testifié  parcertaines  promesses.  Comme  quand  il  dit  :  J"ay  ordon-  Psal.   89. 
5né  une  alliance  à  mes  esleuz.   J'ay  juré  à  David    mon   serviteur  :  psal.  132. 
que  éternellement  je  conserveray  sa  semence  :  en  éternelle  g-ene- 
ration  j'establyray  son  siège.  Item,  Le  Seigneur  a  esleu  Syon,  il  la 
esleiie  pour  son  habitacle  :  c  est  son  repoz  éternel.  Item,    Voicy  Hi/er.  31. 
que  dit  le  Seigneur  lequel  fait  luyre  le  Soleil  au  jour,  et  la  Lune 

10  en  la  nuict.  Quand  cest  ordre  deffauldra,  lors  périra  la  semence 
d'Israël  :  et  non  point  devant. 

L'article  qui  s'ensuvt  de  la  communion  des  Sainctz,  a  esté 
communément  délaissé  derrière  des  Anciens  :  lequel  toutesfois 
n'est  pas  à  mépriser.  Car  comme  il  nous  est  nécessaire  de  crovre 
l'Eglise  :  aussi  ce  n'est  pas  chose  superflue,  de  scavoir  quelle  nous 
la  croyons.  Pourtant  j  estime  que  ceste  particule  est  déclaration 
de  l'Eglise  :  laquelle  nous  signifie,  quelle  est  sa  nature,  et  propriété. 
C'est  à  scavoir  que  la  conjonction,  en  laquelle  Jésus  Christ  unit 
ses  fidèles,  est  de  telle  importance,  qu'il  communiquent  ensemble 

20  à  tous  biens.  Par  laquelle  parolle  toutesfois,  il  ne  fault  pas  en- 
tendre qu'un  chascun  n'ayt  diverses  grâces:  veu  que  Sainct  Paul  I. Cor.  12. 
dit,  que  les  dons  de  l'Esprit  sont  divisez.  Et  ne  fault  pas  estimer,  J 

que  l'ordre  Politique,  lequel  est,   qu  un  chascun  possède  sa  sub-  > 

stance  à  pari,  doibve  estre  renversé.  Veu  qu'il  est  nécessaire  que  j, 

25  les   Seigneuries  et  possessions  soient  ainsi  particulièrement  dis-  | 

tinctes,  durant  ceste  vie  mortelle,   pour  conserver  paix  et  tran-  i 

qmllité  entre  les  hommes.  Mais  nous  entendons  une  telle  commu-  i 

nauté,  laquelle  convienne  avec  ceste  division  de  biens  et  de  grâces.  ! 

Car  tout  ce  que  un  a  receu  de  la  main  de  Dieu,  il  convient  qu  il 

30  en  face  les  autres  participans  :  combien  que  cela  luy  soit  donné 
en  particulier,  et  non  aux  autres  :  comme  entre  les  meml)res  d'un 
corps  il  y  a  bien  diverses  facultez  et  offices  dilferens,  et  toutesfois 
il  y  a  une  telle  unité,  qu'un  chascun  sert  aux  autres.  Car.  comme 
Sainct   Paul  aux    Corinthiens  et  aux    Ephesiens   remonstre,    ce  ^. Cor.  12. 

35  qu'un  chascun  a  receu  de  grâce,  doibt  estre  rapporté  et  contribué  Ephe.  4. 
à   l'utilité  commune  de   l'Eglise  :  pource   que  nostre   Seigneur 
veult,  que  la  dispensation  en  soit  telle.    Aussi  en  un  autre  lieu 
il    argumente    que    les    vocations    sont    diverses,    pource    que 
la    communion    que  nous  avons    ensemble,    doibt  estre   ordon- 


DE    LA    FOV, 


26d 


née  selon  la  diversité  des  grâces. 

Or  d'autant  que  nous  croyons  la  saincte  Eglise,  par  la  com- 
munion d'icelle,  à  telle  condition,  que  par  le  moyen  que  nous 
avons   de    la   Foy  en    Christ,    nous   avons  confiance  d'en   estre 

5  membres  :  il  est  expédient  de  considérer  quel  fruict  nous  en  re- 
vient. Or  ce   n'est  pas  petite  chose,  de  recongnoistre   que    nous 
sommes  appeliez  en  l'unité  de  l'Eglise  :   laquelle  a  esté  esleûe  et  Ephes.  I. 
segregée  du  Seigneur  Dieu,  pour  estre    le  corps  et  plénitude   de 
Christ,  pillier  et  fondement  de  vérité,  et  perpétuel  habitacle  de  sa  /.  Tiiu.3. 

10  Majesté  divine.    Car  quand  nous  avons  cela  :   nostre  salut  QsiPsal.i6.el 
soustenu  d'un  si  ferme  appuy  :  que  quand  toute  la  machine  du      '' 
monde  seroit  esbranlée,  il  demeureroit  ferme  et  immuable.    Pre-  J>»'l  '^-  e< 

■  mierement  il  est  fondé  en  l'eslection  de  Dieu  :  et  ne  peut  deffail-  ' 
lir,  sinon  que  sa    providence  éternelle  soit   dissipée.    Davantage 

15  il  est  confermé,  en  tant  qu'il  fault  que  Christ  démeure  en  son 
entier  :  lequel  ne  soullVira  ses  lideles  estre  distraictz  de  sov.  non 
plus  que  ses  membres  estre  déchirez  par  pièces.  En  oultre,  nous 
sommes  certains,  que,  entant  que  nous  demeurons  dedens  le  sein 
de  l'Eglise,   la   vérité  demeure  avec  nous.    Finalement  nous  en- 

20  tendons  que  ces  promesses  nous  appartiennent  :  oii  ilest  dictque 
Dieu  demeurera  à  tousjours  à  Jérusalem,  et  ne  bougera  jamais  du 
milieu  d'icelle.  Telle   vertu  ha   l'unité   de  l'Eglise  :  qu'elle  nous 
peut  retenir  en  la  compaignie  de  Dieu.    Pareillement  ce  mot  de  Psal.  46. 
communion,  nous  peut  grandement  consoler.  C  est,  que  puis  que 

25  tout  ce  que  nostre  Seigneur  a  conféré  de  grâces  à  ses  membres 
et  aux  nostres,  nous  appartient  :  nostre  espérance  est  confermée 
par  tous  les  biens  quilz  ont.  Au  reste,  pour  [s]e  tenir  en  l'unité 
d'icelle  Eglise  :  il  n'est  ja  mestier  que  nous  voyons  une  Eglise  à 
l'œil,  ou  que  la  touchions  à  la  main.  Plustost,  entant  que  nous 

30  la  devons  croyre  :  en  cela  il  nous  est  signifié,  qu'il  ne  nous  la 
fault  point  moins  recongnoistre,  quand  elle  nous  est  invisible, 
que  si  nous  la  voyons  évidemment.  Et  n'en  est  nostre  F'oy  de 
rien  pire  :  quand  elle  recongnoit  l'Eglise,  que  nostre  intelligence 
ne  peut  comprendre  :  d'autant  que  icy  il  ne  nous  est  point  com- 

:{o  mandé  de  discerner  les  esleuz  des  reprouvez  (qui  appartient  à 
Dieu  seul  et  non  à  nous)  mais  d'avoir  ceste  certitude  en  noz 
cœurs,  que  tous  ceux,  qui,  par  la  clémence  de  Dieu  le  Père, 
et  la  vertu  du  Sainct  Esprit,  sont  venuz  en  la  participation 
de  Christ  sont  segregez  pour  le    propre  Héritage  de    Dieu  :   et 


270  CHAPITRE    IIII. 

d'autant  que  nous  sommes  en  leur  nombre  :  nous  sommes  héri- 
tiers d'une  telle  grâce. 

Maintenant  il  est  temps  de  parler  de   TEgflise    visible,  et  la- 
quelle nous  pouvons  comprendre  de  nostre  sens,  pour  monstrer 

5  quel  jugement  nous  en  debvons  avoir.  Carie  Seigneur  nous  a 
marqué  son  Eglise  de  certains  signes  et  enseignes  :  entant  qu'il 
nous  appartient  de  la  congnoistre.  Bien  est  vray  que  ce  privilège 
appartient  k  luy  seul,  de  scavoir  lesquelz  sont  les  siens,  comme 
dict  Sainct  Paul.  Et  de  faict,  à  fin  que  la  témérité  des  hommes 

in  ne  s'advanceast  jusques  là,  il  va  mis  bon  ordre:  nous  adver- Ma/.  18. 
tissant  journellement  par  expérience,  combien  ses  jugemens 
secretz  surmontent  nostre  sens.  Car  d'une  part,  ceulx  qui  sem- 
.  bloient  advis  du  tout  perduz,  et  qu'on  tenoit  pour  désespérez  : 
sont  reduictz  au  droict  chemyn.  D'autre  costé,  ceux  qui  sem- 
is bloient  advis  estre  bien  fermes,  tresbuchent  :  et  n'y  a  que  Dieu 
qui  voit  lesquelz  doibvent  persévérer  jusques  en  la  fin  :  ce  qui 
est  le  principal  de  nostre  salut.  Toutesfois,  pource  que  le  Sei- 
gneur voyoit  estre  expédient,  de  scavoir  lesquelz  nous  debvons 
avoir   pour  ses  enfans  :  il  [sj'est  accommodé  à  cest  endroict,   à 

20  nostre  capacité.  Et  d'autant  qu'il  n'estoit  ja  besoing  en  cela  de 
certitude  de  Foy  :  il  a  mis  au  lieu  un  jugement  de  charité  :  selon 
lequel  nous  debvons  recongnoistre  pour  membres  de  1  Eglise, 
tous  ceux  qui  par  confession  de  Foy,  par  bonne  exemple  de  vie, 
et  participation  des  Sacremens,  advouent  un  mesmeDieu,  et  un 

25  mesme  Christ  avec  nous.  Par  cela  il  nous  est  aisé  d'appercevoir 
quelle  est  l'Eglise.  Car  partout  où  nous  voyons  la  paroUe  de  Dieu 
estre  purement  preschée  et  escoutée,  les  Sacremens  estre  admi- 
nistrez selon  l'institution  de  Christ  :  là  il  ne  fault  doubler  nulle- 
ment qu'il  n'y  ayt  Eglise  :  d'autant  que  la  promesse  qu'il  nous  a 

30  baillée,  ne  nous  peut  faillir  :    par   tout  où  deux    ou    trois   seront 
assemblez    en  mon    Nom,  je  seray  au  milieu  d'eux.   Mais,  pour  Mat.  IS. 
bien  entendre  la  somme  de  ceste  matière  :  il  nous  fault  procéder 
parles  degrez  qui  s'ensuyvent,  C'est  que  l'Eglise  universelle,  est 
toute   la    multitude,  laquelle  accorde  à  la  vérité  de  Dieu,  et  k  la 

35  doctrine  de  sa  parolle,  quelque  diversité  de  nation  qu'il  y  ayt,  ou 
distance  de  région:  d'autant  qu'elle  est  unie  par  lelyen  de  Religion. 
Que  soubz  ceste  Eglise  imiverselle,  les  Eglises  qui  sont  distribuées 
par  chascune  ville  et  village,  sont  tellement  comprinses,  qu'une 
chascune  ha  le  filtre  et  authorité  d'Eglise  :   et  que  les  personnes 


DE    LA    FOY.  271 

lesquelles  sont  advoûées  estre  d'icelle  par  profession  de  Foy,  com- 
bien que  à  la  vérité  elles  ne  soyent  point  de  l'Eglise,  neantmoins 
elles  sont  estimées  y  appartenir,  jusques  à  ce  qu'on  les  ayt  rejec- 
tez    par  jugement   public.  Combien  qu'il  y  ait  diverse  raison  à 

5  estimer  des  Eglises,  et  des  personnes  particulières.  Car  il  peut 
advenir,  qu'il  nous  fauldra  traicter  comme  frères,  et  avoir  pour 
fidèles  ceulx,  que  nous  ne  penserons  pas  dignes  d'estre  de  ce 
nombre  :  à  cause  du  consentement  commun  de  l'Eglise,  laquelle 
les  souifrira  et  endurera  encores  au  corps  de  Christ.   Nous  n'ap- 

10  prouverons  pas  donc  telles  gens  comme    membres  de    lEglise, 

quant  à  nostre  estime  privée.   Mais  nous  leur  laisserons    le  lieu 

qu  il  tiennent  entre  le    peuple  de  Dieu  :  jusques  à  ce  qu'il  leur 

•  soit  osté    par  voye  légitime.  Envers    une    multitude,  il   nous  y 

fault  autrement  procéder.  Car  si  elle  ha  le  ministère  de  la  parolle, 

15  et  si  elle  l'honore,  si  elle  retient  l'administration  desSacremens  : 
elle  doibt  estre,  sans  doubte,  recongneuë  pour  Eglise  :  d'autant 
qu'il  est  certain  que  la  parolle  et  les  Sacremens  ne  peuvent  estre 
sans  fruict.  En  telle  sorte  nous  conserverons  l'unité  de  l'Eglise 
universelle,  laquelle  les  espritz    diaboli(|ues  ont  tousjours  tasché 

20  de  dissiper  :  et  ne  esterons  jjoint  l'authorité  qui  appartient  aux 
as.semblées  ecclésiastiques,  lesquelles  sont  en  chascun  lieu,  pour 
la  nécessité  des  hommes. 

Nous    avons    mis    pour     enseignes    de    l'Eglise,    la    prédica- 
tion de  la  parolle  de    Dieu,  et  l'administration   des   Sacremens. 

25  Car  ces  deux  choses  ne  peuvent  estre,  qu'elles  ne  fructifient,  et 
qu'elles  ne  prospèrent  par  la  bénédiction  de  Dieu.  Je  ne  diz 
pas.  que  par  tout  où  il  y  a  prédication,  que  le  fruict  incon- 
tinent apparoisse  :  mais  j'entendz,  qu'elle  n'est  nulle  part 
receuë,  pour  y  avoir  comme   certain   siège,   qu'elle  ne   produvse 

30  quelque  efficace.  Comment  que  ce  soit,  partout  où  la  prédica- 
tion de  l'Evangile  est  reveremment  escoutée,  et  les  Sacremens 
ne  sont  point  négligez  :  là  apparoist,  pour  le  temps,  cer- 
taine forme  d'Eglise,  dont  on  ne  peut  doubler,  et  de  laquelle 
il    n'est    pas     licite     de    contemner     l'authorité,    ou   mespriser 

35  les  admonitions,  ou  rejetter  le  conseil,  ou  aA'oir  les  casli- 
gations  en  moquerie.  Beaucoup  moins  est-il  permis  de  s'en 
diviser,  ou  de  rompre  l'unité  d'icelle.  Car  Dieu  estime  tant 
de  la  communion  de  son  Eglise  :  qu'il  tient  pour  un  traistre  de 
la    Chrestienté,    celuy   qui     s'estrange    de    quelque    compagnie 


272  CHAPITRE  iiii. 

Chrestienne;  en  laquelle  il  y  a  le  ministère  de  sa  paroUe,  et  de 
ses  Sacremens.  11  ha  en  telle  recommendation  Tauthorité  d'icelle  : 
que  quand  elle  est  violée,  il  dit,  que  la  sienne  propre  l'est. 
Pourtant  il  nous  fault   diligemment  retenir  les  marques  cv-des- 

5  sus  mises  :  et  les  estimer  selon  le  jugement  de  Dieu.  Car  il  n'y 
a  rien  que  Sathan  machine  plus  de  faire,  que  de  nous  amener 
à  l'un  de  ces  deux  poinctz  :  c'est  que,  en  abolissant  ou  etTaceant 
les  vrays  signes,  dont  nous  pouvons  discerner  l'Eglise,  il  nous 
en  este  toute  vraye  distinction  :  ou  bien  de  nous  induire   à  nous 

10  les  faire  contenaner,  à  fin  de  nous  séparer  et  révolter  de  la  com- 
munauté de  l'Eglise.  Il  a  esté  faict  par  son  astuce,  que  la  pure 
prédication  de  l'Evangile   a    esté  cachée  par  longues  années    :  Ephe.  i. 
et    maintenant  par  mesme    malice  il    s'efforce    de    renverser  le 
ministère    :    lequel    Jésus  Christ  a    tellement    ordonné  en  son 

15  Eglise,  que  iceluy  abattu,  l'édification  de  l'Eglise  perist.  Or  com- 
bien est-ce  une  périlleuse  tentation  ;  ou  plustost  pernitieuse  ; 
quand  il  entre  au  cœur  de  l'homme  ;  de  se  diviser  d'une  congré- 
gation ;  en  laquelle  apparoissent  les  enseignes  ;  dont  nostre 
Seigneur   a    suffisamment    pensé    marquer    son  Eglise  ?    Nous 

20  voyons  combien  il  est  mestier  de  se  donner  garde  d'une  part 
et  d'autre.  Car  à  ce  que  nous  ne  soyons  point  trompés  soubz 
le  filtre  de  l'Eglise,  il  nous  fault  examiner  à  ceste  espreuve, 
que  Dieu  nous  baille,  toute  congrégation,  qui  prétend  le  nom 
d'Eglise  :  comme  on  espreuve  l'or  à  la  touche.  C'est,  que  si  elle 

23  ha  1  ordre  que  nostre  Seigneur  a  mis  en  sa  parolle,  et  ses  Sacre- 
mens :  elle  ne  nous  trompera  point,  que  nous  ne  luy  puyssions 
rendre  seurement  Ihonneur  qui  appartient  à  l'Eglise.  Aucon- 
traire,  si  sans  parolle  de  Dieu  et  ses  Sacremens,  elle  veult  estre 
recongneuë  Eglise  :  il  ne  nous  fault  point  moins  garder  de  trom- 

3operie,  que  éviter  témérité  en  l'autre  endroict. 

Quant  à  ce  que  nous  disons,  que  le  pur  ministère  de  la 
parolle,  et  la  pure  manière  d'administrer  les  Sacremens,  est 
un  bon  gage  et  Arre,  pour  nous  asseurer  qu'il  y  a  Eglise  en 
toutes    compagnies  où  nous  verrons  l'un  et  l'autre  :    cela  doibt 

3oavoyr  telle  importance,  que  nous  ne  debvons  rejetter  nulle 
assemblée,  laquelle  entretienne  l'un  et  l'autre,  combien  qu'elle 
soit  subjecte  à  plusieurs  vices.  Qui  plus  est,  il  y  pourra 
avoir  quelque  vice,  ou  en  la  doctrine,  ou  en  la  faceon  d'ad- 
ministrer les  Sacremens,   qui  ne  nous  devra  point  du  tout  alie- 


DE   LA    FOY.  273 

ner  de  la  communion  d'une  Eg'lise.  Car  tous  les  articles  de  la  doc- 
trine de  Dieu,  ne  sont  point  d'une  mesme  sorte.  Il  y  en  a  aucuns, 
dont  la  congnoissance  est  tellement  nécessaire,  que  nul  n'en 
doibt  doubler  :  non  plus  que  d'arrestz,  ou  de  principes  de  la 
5  Ghrestienté.  Comme  pour  exemple  qu'il  est  un  seul  Dieu,  que 
Jésus  Christ  est  Dieu,  et  Filz  de  Dieu,  que  nostre  salut  g-ist  en  sa 
seule  miséricorde,  et  autres  semblables.  Il  y  en  a  d'autres,  les- 
quelz  sont  en  dispute  entre  les  Eglises  et  neantmoins  ne  rompent 
pas  l'unité  d'icelles.  Pour  donner  exemple.  S'il   advenoit  qu'une 

•"  Egalise  tint,  que  les  âmes,  estans  séparées  du  corps,  fussent  trans- 
férées au  Ciel  incontinent  :  un  autre,  sans  oser  déterminer  du 
lieu,  pensast  simplement  qu'elles  vivent  en  Dieu,  et  que  telle 
diversité  fust  sans  contention  et  sans  opiniâtreté  :  pourquoy  se 
diviseroient  elles  d'ensemble?  Ce  sont  les  parolles  de  1  Apostre  : 

loque  si  nous  voulons  estre  parfaictz,  il  nous  fault  avoir  un  mesme  PhilL  j. 
sentiment  :  au  reste,  que  si  nous  avons  quelque   diversité.  Dieu 
nous  révélera  ce  qui  en  est.  En  cela  ne  monstre-il  pas,  que  si  les 
Chrestiens  ont  aucune  dissention  des  matières  qui  ne  sont  point 
grandement  nécessaires;  que  cela  ne  doibt  point  faire  de  trouble 

20  ne  sédition  entre  eux?  Bien  est  vray,  que  c'est  le  principal,  d'ac- 
corder en  tout  et  par  tout.  Mais  d'autant  qu'il  n'y  a  nul  qui  ne 
soit  enveloppé  de  quelque  ignorance  :  il  fauldra,  ou  que  nous  ne 
laissions  nulle  Eglise  :  ou  que  nous  pardonnions  l'ignorance 
à  ceux  qui  fauldront  ez  choses,  lesquelles  se  peuvent  ignorer  sans 

23  péril  de  salut,  et  sans  que  la  Religion  soit  violée.  Je  n'entendz 
icy  de  maintenir  aucuns  erreurs,  voyre  les  moindres  du  monde  : 
et  ne  vouldroiz  qu'on  les  nourrist  par  les  dissimuler  et  flatter. 
Mais  je  diz  quil  ne  fault  pas,  par  dissention,  legierement  aban- 
donner  une    Eglise,    en    laquelle    est    gardée   en  son   entier    la 

30  doctrine  principale  de  nostre  salut ,  et  les  Sacremens ,  comme 
nostre  Seigneur  a  ordonné .  Ce  pendant  si  nous  taschons 
de  corriger  ce  qui  nous  y  deplaist  :  nous  ne  faisons  que 
nostre  debvoir.  Et  à  cela  nous  induyt  la  sentence  de  Sainct 
Paul  :    que  si  celuy  qui   a   quelque   meilleure  révélation,  qu'il  I.Cur.li. 

35  se  levé  pour  parler  :  et  que  le  premier  se  taise.  Car  par  cela 
il  appert,  qu'à  un  chascun  membre  de  l'Eglise  est  donnée  la 
charge  d'edifîer  les  autres,  selon  la  mesure  de  grâce  qui  est 
en  luy  :  moyennant  que  cela  se  face  decentement  et  par 
ordre.  C'est  à  dire  que  nous  ne  renoncions  point  la  commu- 
Instilution.  18 


274  CHAPITRE    1111. 

nioii  de  l'Eglise  :  et  aussi  que,  demeurans  en  icelle,  nous  ne 
troublions  point  la  police  ne  la  discipline.  Quant  à  Fimperfec- 
tion  des  meurs,  nous  en  devons  beaucoup  plus  endurer.  Car  il  est 
facir  de  trébucher  en  cest  endroit  :  et  le  Diable  ha  de  merveil- 
sleuses  machinations  pour  nous  sedujre.^l  y  en  a  eu  tousjours 
aucuns,  lequelz,  se  faisantz  à  crojre  qu'ilz  avoient  une  saincteté 
parfaicte,  comme  s'ilz  eussent  esté  quelques  Anges  de  Paradis,  ont 
mesprisé  toute  compaignie  des  hommes,  en  laquelle  ilz  apperce- 
voient  quelque  infirmité  humaine.  Telz  ont  esté  jadis  ceux  qu'on 

lonommoit  CATHAR[E]S,  c'est  à  dire  les  purs:  et  aussi  les  Dona- 
tistes,  qui  approchoientde  la  folye  des  autres.  Aujourd'huy  il  y 
a  quelques  x\nabaptistes  semblables  :  à  scavoir  ceux  qui  veulent 
apparoistre  les  plus  habilles,  et  qui  se  pensent  avoir  proffité  par 
dessus  les  autres.  Il  y  en    a   d'autres  qui  pèchent  plus  par  un 

lo  zèle  de  justice  inconsidéré,  que  par  telle  oultrecuydance.  Car 
(ruand  ilz  voyent  que  entre  ceux,  ausquelz  l'Evangile  est  annoncé, 
le  fruict  n'est  pas  correspondant  à  la  doctrine  :  incontinent 
ilz  jugent  qu'il  n'y  a  là  nulle  Eglise.  Quant  à  levir  offense, 
elle  est    tresjuste  et    certes  nous  en  donnons    trop  de    matière, 

20  et  ne  povons  aucunement  excuser  nostre  mauldicte  paresse, 
laquelle  Dieu  ne  laissera  point  impunye  :  comme  desja  il  com- 
mence à  la  chastier  d'horribles  verges.  Malheur  donc  sur  nous, 
qui  faisons,  par  nostre  licence  desordonnée,  que  les  cons- 
ciences  débiles    sont  navrées   et  scandalizées  en   nous.    Neant- 

23  moins  ceux,  dont  il  est  question,  faillent  aussi  de  leur  part  : 
entant  qu'ilz  oui  trépassent  la  mesure.  Car  là  où  nostre  Seigneur 
requiert  qu'ilz  usent  de  clémence  :  la  laissant  derrière,  ilz 
s'adonnent  du  tout  à  rigueur  et  sévérité.  Car,  en  estimant 
qu'il    n'y    a  nulle    Eglise  ,    sinon   où  ilz    voyent  une   parfaicte 

30  pureté  et  saincteté  de  vie  :  soubz  umbre  de  hayr  les  vices,  ilz  se 
départent  de  l'Eglise  de  Dieu  :  pensans  se  retirer  de  la  compai- 
gnie  des  meschans.  Hz  allèguent  que  l'Eglise  de  Jésus  Christ  est 
saincte.  Mais  il  fault  qu'ilz  escoutent  ce  que  luymesme  en  dit  : 
Qu'elle  est  meslée  de  bons  et  de  mauvais.    Car  la  parabole    est  Mail.  lo. 

35  vraye  :  où  il  l'acomparage  à  un  retz ,  lequel  attire  toute  ma- 
nière de  poyssons  :  qui  ne  sont  point  choysiz  jusques  à  ce 
qu'ilz  viennent  à  rive.  Qu'ilz  escoutent  ce  qu'il  en  dit  en  une 
autre  parabole  :  c'est,  qu'elle  est  semblable  à  un  champ  : 
lequel,  après  avoir  esté   semé   de  bon   froment,  est  aussi  gasté 


DE    LA    FOY.  275 

d'yvraye  :  de  laquelle  la  bonne  moysson  ne  peut  estre  purgée, 
jusques  à  ce  quelle  soit  amenée  à  la  grange.  Puis  que  le  Sei- 
gneur prononce  que  son  Eglise  sera  subjecte  à  ceste  misère,  jus- 
ques au  jour  du  Jugement,  d'estre  tousjours  chargée  de  mauvais 

5  hommes  :  c'est  en  vain  qu'ilz  la  cherchent  du  tout  pure  et  nette. 
Mais  ilz  disent,  que  c'est  une  chose  intoUerable,  que  les  vices 
régnent  ainsi  par  tout.  Je  leur  concède  qu'il  seroit  à  désirer 
autrement  :  mais  pour  response,  je  leur  metz  en  avant  la  sen- 
tence de  Sainct   Paul.    Entre    les   Corinthiens    il  n'y  avoit  pas 

10  quelcpie  petit  nombre  de  gens,  qui  eust  failly  :  mais  tout  le  corps 
estoit  quasi  corrompu  :  et  n'y  avoit  pas  une  espèce  de  mal,  mais 
plusieurs.  Les  faultes  n'estoient  pas  petites  :  mais  grandes  et 
énormes  transgressions.  La  corruption  n  estoit  pas  seulement 
aux  meurs  :   mais  aussi  en  la  doctrine.  Que  fait  sur  cela  le  Sainct 

la  Apostre  ;  c'est-à-dire  un  instrument  esleu  du  Sainct  Esprit  ; 
sur  le  tesmoignage  duquel  est  fondée  l'Eglise  ?  Cherche-il  de 
se  diviser  d'eux?  Les  rejette-il  du  Règne  de  Christ  ?  Leur  de- 
nonce-il  une  dernière  malédiction,  pour  les  exterminer  du  tout  ? 
Non  seulement  il  ne  fait  rien  de  tout   cela  :    mais  plustost  il  les 

20  advouë  pour  Eglise  de  Dieu,  et  compaignie  de  Sainctz  :  et  les 
confesse  estre  telz.  S'il  y  demeure  Eglise  entre  les  Corinthiens, 
ce  pendant  que  les  contentions,  sectes  et  envies  y  régnent,  ce 
pendant  qu  il  y  a  force  procez  et  noyses,  que  la  malice  y  est  en 
vigueur,  que  meschanceté,  laquelle  devoit  estre  exécrable  entre 

ri  les  Payens,  est  publiquement  approuvée,  ce  pendant  que  Sainct 
Paul  y  est  diffamé,  qu'ilz  dévoient  honorer  comme  leur  Père, 
que  aucuns  se  moquent  de  la  résurrection  des  mortz,  laquelle 
aneantye,  tout  l'Evangile  est  ruyné,  ce  pendant  que  les  grâces 
de  Dieu  servent  à  ambition,    et  non   point  à   charité,    que  plu- 

30  sieurs  choses  se  font  deshonnestement  et  sans  ordre  :  Si  donc 
pour  ce  temps  là  il  y  demeure  Eglise  entre  eux,  et  y  demeure 
d'autant  qu  ilz  retienent  la  prédication  de  la  parolle  et  le^ 
Sacremens  ;  qui  osera  oster  le  nom  de  l'Eglise  à  ceux  :  ausquelz 
on  ne  peut  point  reprocher  la  dixiesme  partie  de  telles  faultes  ? 

:r.  Ceux  qui  examinent  d'une  telle  rigueur  les  Eglises  présentes  ; 
je  vous  prie,  qu'eussent-ilz  faict  aux  Galatiens  ;  lesquelz  s'es- 
toient  presques  révoltez  de  l'Evangile  ?  Toutesfois  Sainct  Paul 
recongnoyssoit  entre  eux  quelque  Eglise.  Il  faut  que  les  fidèles  se 
munissent  de  telles  armes,  de  paour  qu  en  voidant  apparoistre 


276  CHAPITRE  ini. 

trop  ardans  zélateurs  de  justice,  ilz  ne  se  séparent  du  Royaume 
desCieux:  lequel  est  le  Royaume  unique  d'icelle  justice.  Car 
d'autant  que  nostre  Seigneur  a  voulu  que  la  communion  de  son 
Eglise  fust  observée  de  nous,  en  nous  entretenant  ez  assemblées 
5  publiques  ou  nous  avons  sa  parolle  et  ses  Sacremens  :  quiconque 
pour  haine  des  meschans,  se  sépare  et  divise  de  telle  société,  il 
entre  en  un  chemyn  dont  il  est  bien  aysé  de  se  diviser  de  la  com- 
munion des  Sainctz.  Quilz  reputent  donc,  qu'en  une  grande  mul- 
titude il  y  en  a  plusieurs  qui  sont  vrayement  bons  et  inocens 
10 devant  Dieu:  lesquelz  ilz  ne  peuvent  appercevoir  à  Tœil.  Quilz 
pensent  aussi,  que  du  nombre  des  vicieux,  il  y  en  a  beaucoup  qui 
ne  se  plaisent  et  ne  se  flattent  point  en  leurs  vices  :  mais  souvent 
estans  touchez  de  la  crainte  de  Dieu,  taschent  de  se  reduyre  en 
une  meilleure  voye.  Qu'ilz  pensent,  combien  il  n'est  pas  question 
15  de  juger  d'un  homme  pour  un  faict,  ou  deux,  ou  trois  :  veu  quil 
advient  aucunesfois  aux  plus  Sainctz  de  faillir  bien  lourdement. 
Qu  ilz  estiment,  que  la  parolle  de  Dieu  et  ses  Sainctz  Sacremens, 
ont  plus  de  vertu  et  d'importance  à  conserver  une  Eglise ,  que 
les  vices  d'aucuns  membres  pourriz  n'ont  à  la  dissiper.  Finale- 
20  ment  qu'ilz  reputent,  que  le  jugement  de  Dieu  doibt  avoir  plus 
d'authorité  à  déterminer  où  il  y  a  Eglise,  et  où  il  ny  en  a  point 
que  l'opinion  des  hommes. 

Xeantmoins  si  les    Eglises   sont   bien  reiglées  :  elle  ne  nour- 
riront point    en  leurs  seins  les   meschans,  quand  elles   les  con- 
25gnovstront   estre    tellement    enyvrez    en  leurs  vices,    qu'ilz  s'y 
complairont.    Car    le   Seigneur  a    obvié  d'un    bon  remède,  à  ce 
que  telz  membres  pourriz  n'espandent  leur  corruption   sur  tout 
le  corps   de  l'Eglise.   A    cest  usage   sont  ordonnées  les  excom- 
munications, par  lesquelles  ceux  qui   prétendent    faulsement  la 
soFoy  de  Christ,  et  cependant,  par  vie  deshoneste  et    meschante, 
scandalisent    son    Nom,    doibvent  estre   exterminez  et   chassez 
d'entre  le  peuple  de  Dieu  :   veu  qu'ilz  ne  sont  pas  dignes  de  se 
glorifier  du   Nom  de   Christ.    Parquoy  l'Eglise,  quand  elle  dé- 
boute de  sa    compagnie    tous    manifestes    adultères ,    paillars , 
35 larrons,    abuseurs,   volleurs ,    rapineurs,    homicides,    séditieux, 
batteurs,  noyseurs,  faulx  tesmoingz,  iniqiies,  yvrongnes,  gour-.Va/.  IS 
mans,    dissipateurs    de    biens,    parjures,    blasphémateurs,     et 
autres  telles   manières  de    gens,  quand  ilz    ne    se   veulent  cor- 
riger par  admonitions  :    elle  n'entreprend   rien    oultre   raison  : 


DE    LA    FOY. 


277 


mais  seulement  elle  exécute  la  juridiction  que  Dieu  luy  a  bail- 
lée. Et  à  fin  que  nul  ne  mesprise  un  tel  jugement  de  l'Eglise,  ou 
estime  petite  chose  d'estre  condamné  par  la  sentence  des  fidèles  : 
le  Seigneur  a  testifié,  que  cela  n'est  autre  chose,  qu'une  declara- 
3  tion  de  sa  propre  sentence  :  et  que  ce  qu'ilz  auront  dict  en  Terre 
sera  ratifié  au  Ciel.  Car  ilz  ont  la  parolle  de  Dieu,  pour  condam- 
ner les  pervers,  ilz  ont  la  mesme  parolle,  pour  recevoir  à  mercy 
tous  vrays  repentans.  Ceux  qui  pensent  que  les  Eglises  puyssent 
longuement  consister  sans  estre  lyées  et  conjoinctes   par  ceste 

10  discipline,  s'abusent  grandement  veu  qu'il  n'y  a  double,  que 
nous  ne  nous  pouvons  passer  dun  remède,  que  le  Seigneur  a 
preveu  nous  estre  nécessaire.  Et  de  faict,  l'utilité  qui  en  vient, 
monstre  myeulx  quelle  nécessité  nous  en  avons.  La  première 
est,  que  gens  de  mauvais  gouvernement  ne  soyent,   avec  grand 

15  opprobre  de  Dieu,  comptez  au  nombre  des  Chrestiens,  comme 
si  l'Eglise  estoit  un  réceptacle  de  meschans  et  mal  vivans.  Car 
puis  que  l'Eglise  est  le  corps  de  Christ  :  elle  ne  peut  estre  con- 
taminée par  membres  pourriz,  qu'une  partie  de  la  honte  n'en  re- 
vienne au  chef.  A  fin  donc  qu'il  n'y  ayt  rien  en  l'Eglise,  dont  le 

20  Nom  de  Dieu  receoive  quelque  ignominie  :  il  en  fault  dechasser 
tous  ceux,  qui  par  leur  turpitude,  diffament  et  deshonorent  la 
Chrestienté.  La  seconde  utilité  est,  à  ce  que  les  bons  ne  soyent 
corrompus  par  la  conversation  des  mauvais  :  comme  il  en  advient 
souventesfois.  Car  selon  que  nous  sommes  enclins  à  nous  desvojer, 

25  il  ne  nous  est  rien  plus  facile  que  de  suyvre  mauvais  exemple. 
Ceste  utilité  a  esté   nottée  par  l'Apostre,  quand  il  commandoit 
aux  Corinthiens  de  bannir  de  leur  compagnie  celuy  qui  avoit  com- 
mis inceste.  Un  petit  de    levain,  dit-il,  aigrit  toute  la  paste.  Et  t. Cor.  3, 
mesme  le  Sainct  Apostre  voyoit  un  si  grand  danger  en  cela,  qu'il 

30  deffendoit  aux  bons  toute  compagnie  et  familiarité  des  mes- 
chans. Si  celuy  dit-il,  qui  se  renomme  frère  entre  vous  est 
paillard,  ou  avaricieux,  ou  idolâtre,  ou  maldisant,  ou  yvron- 
gne,  ou  rapineur  :  je  ne  vous  permetz  point  de  manger  avec 
luy.    La    troysiesme    utilité    est,    que   ceux   qu'on    chastie    par 

33  excommunication,  estans  confus  de  leur  honte,  se  repentent  : 
et  par  telle  repentance  viennent  à  amendement.  Et  ainsi  il  est 
expédient,  mesmes  pour  leur  salut,  que  leur  meschanceté  soit 
punye  :  à  fin  que,  estantz  advertis  par  la  verge  de  l'Eglise,  ilz 
recongnoyssent  leurs  faultes  :  esquelles  ilz  se  nourrissent  et  en- 


278  CHAPITRE    IIII. 

durcissent  quand  on  les  traicte  doucement.  Ceux  donc  qu'on 
sépare  du  trouppeau  de  l'Eglise,  ne  sont  point  déboutez  d'es- 
pérance de  salut  :  mais  sont  punyz  de  correction  temporelle  : 
jusques  à  ce  qu'ilz  se  retirent  de  mauvaise  vie  pour  vivre  saincte- 
gment  et  honestement.  C'est  ce  que  veut  dire  l'Apostre.  en  ce  qui 
s'ensuyt.  Si  quelqu'un  n'obeist  point  à  nostre  doctrine,  nottez-le 
et  ne  vous  meslez  point  avec  luv,  à  fin  qu'il  ayt  xergongne.^.Theas.o. 
Item  en  un  autre  passage,  quand  il  dit,  qu'il  a  livré  l'inceste  de 
Corinthe  à  Sathan  :  en  perdition  de  la  chair,  à  fin  que  l'esprit  /.  Cor.  o. 
10  fust  sauvé  au  jour  du  Seigneur  :  c'est  à  dire,  selon  mon  advis, 
qu'il  Fa  chastié  d'une  condemnation  temporelle  :  à  fin  que  l'esprit  î 

fust  éternellement  sauvé.  Car  ce  que  aucuns  entendent  cela  de 
quelque  certain  torment  temporel,  qui  se  faisoit  par  le  Diable  : 
cela  me  semble  advis  fort  incertain  :  mais  plustost  se  doibt  ainsi 
13  entendre  comme  je  diz.  Nous  ne  debvons  point  donc  effacer  du 
nombre  des  esleuz  les  excommuniez  :  ou  en  désespérer,  comtne 
s'ilz  estoient  desja  perduz.  Bien  est-il  licite  de  les  juger  estrangers 
de  l'Eglise  :  selon  la  reigle  que  j'ay  mise  cy  dessus  :  encorescela 
se  doibt  faire  pour  le  temps  de  leur  séparation  seulement.  Et  en- 
aocores  que  nous  appercevions  en  eux  plus  d'orgueil  et  d'obstina- 
tion que  d'humilité  :  si  les  devons  nous  encores  remettre  en  la 
main  de  Dieu,  et  recommander  à  sa  bonté,  esperans  myeux  pour 
le  futur,  que  nous  n'y  voyons  de  présent.  Et  pour  plus  briève- 
ment parler,  il  ne  nous  fault  point  condamner  à  mort  éternelle 
25  la  personne  qui  est  en  la  main  d  un  seul  Dieu  :  mais  nous 
debvons  estimer  par  la  Loy  de  Dieu,  quelles  sont  les  œuvres  d'un 
chascun.  Quand  nous  suyvons  ceste  reigle  :  cela  est  plustost  se 
tenir  au  jugement  que  Dieu  nous  a  declairé,  que  de  mettre  en 
avant  le  nostre.  11  ne  nous  fault  point  entreprendre  plus  de  licence 
30  à  juger,  sinon  que  nous  veuillons  limiter  la  vertu  de  Dieu  :  et 
assubjectir  à  nostre  phantaisie  sa  miséricorde  :  à  laquelle,  toutes- 
fois  et  quantes  qu'il  luy  semble  bon,  les  plus  meschans  sont  con- 
vertis en  gens  de  bien,  les  estrangers  sont  receuz  en  l'Eglise.  A  ce 
que  l'oppinion  des  hommes  soit  frustrée,  et  leur  audace  repri- 
sa mée  :  laquelle  ose  tousjours  s'attribuer  plus  qu'il  n'appartient,  si 
elle  n'est  corrigée.  Touchant  de  ce  que  Christ  dit,  que  ce  que  les 
ministres  de  sa  paroUe  auront  lyé  ou  délivré  en  Terre,  sera  lyé  et 
délivré  au  Ciel  :  de  cela  il  ne  s'ensuyt  point,  que  nous  puissions 
discerner  lesquelz  sont  de  son  Eglise  ou  n'en  sont  point.  Car  comme 


DE    LA    FOV.  279 

ainsi  soit  que  ceste  promesse  soit  répétée  deux  fois  :  c'est  en  di- 
verse intelligence.  Au  premier  lieu  le  Seigneur  ne  veut  point 
donner  quelque  marque  visible,  pour  donner  à  congnoistre  à 
l'œil  ceux  qui  sont  lyez  ou  absoubz  :  mais  simplement  il  testifie, 
"■  que  ceux  qui  auront  en  terre,  c'est  à  dire  en  ceste  vie,  receu  par 
Foy  la  doctrine  de  l'Evangile,  par  laquelle  Christ  nous  est  offert 
en  rédemption  et  délivrance  :  ilz  seront  vrayement  deslyez  et 
absoubz  au  (uel  :  c'est  à  dire  devant  Dieu  en  son  Throsne  céleste. 
Aucontraire  ceux  qui  l'auront  mesprisée  et  rejettée  :  auront  en 

loicelle  tesmoignage,  qu'ilz  demeurent  au  Ciel  et  devant  Dieu  en 
leurs  lyens,  et  mesmes  y  sont  plus  estroictement  enserrez.  Au  se- 
cond passage,  où  il  est  parlé  de  l'excommunication,  la  puyssance 
de  lier  et  deslier  est  mise  en  la  censure  Ecclésiastique  par  laquelle 
ceux  qui  sont  excommuniez,  ne  sont  point  jettez  en  ruyne  éternelle 

15  et  en  desespoir:  mais  seulement  en  ce  que  leur  vie  est  condam- 
née, ilz  sont  advertiz,  que  la  damnation  éternelle  les  attend,  s'ilz 
ne  s'en  repentent.  Car  c'est  la  ditrerence  qui  est  entre  excommu- 
nication et  l'exécration,  que  les  docteurs  Ecclésiastiques  appellent 
Anathema  :  qu'en  Anathematisant  un  homme,  on  luy  oste  toute 

20  espérance  de  pardon,  et  les  donne  on  au  Diable,  en  l'excommu- 
niant on  punit  plustost  ses  meurs.  Et  combien  qu'on  punisse 
aussi  sa  personne  :  toutesfois  cela  se  faict  en  telle  sorte,  qu'en 
luy  denonceant  sa  damnation  future,  on  le  retire  en  voye  de 
salut.  S'il  obeist.  l'Eglise  est  preste  de  le  recevoir  en  amytié:  et 

2ile  faire  participant  de  sa  communion.  Parquoy  combien  qu  il  ne 
soit  point  lovsible,  si  nous  voulons  deuëment  observer  la  disci- 
pline Ecclésiastique,  de  hanter  privement  et  avoir  grande  fami- 
liarité aux  excommuniez  :  neantmoins,  si  nous  debvons  nous 
elTorcer,  entant  qu'en  nous  est,  soit  par  exhortation  et  doctrine, 

:io  soit  par  clémence  et  doulceur,  soit  par  noz  prières  envers  Dieu, 
de  faire  qu'ilz  se  reduysent  en  bonne  voye:    et  estans  reduictz  2.  The. S. 
reviennent  en  la  communion  de  l'Eglise  :   comme  aussi  l'Apos- 
tre    nous  enseigne.  Ne  les   réputés  point,   dit-il,  comme   enne- 
mys  :    mais    reprenez    les   comme  frères.    Il  requiert   aussi   une 

35  telle  mansuétude  en  toute  l'Eglise,  quant  est  de  recevoir  ceux 
qui  monstrent  quelque  signe  d'amendement.  Car  il  ne  veut 
point  qu'elle  exerce  une  sévérité  trop  rigoureuse,  qu'elle  pro- 
cède estroictement  jusques  au  bout,  et  soit  comme  inexo- 
rable :  mais  plustost  qu'elle  vienne  au  devant,  et  se  présente  vo- 


280  CHAPITRE    IlII. 

luntairenient  à  le  recevoir  :  à  fin   qu'il  ne   soit  accablé  de   trop 
grand'tristesse.    Si  ceste  modération  n'est  diligemment  gardée, 
iî  V  a  danger  que  de  discipline,  nous  ne  tombions  en  une  manière  i.  Cor.  2. 
de  Géhenne  :  et  que  de  correcteurs,  nous  ne  devenions  bourreaux. 

5  II  a  desja  esté  exposé,  quelle  importance  doibt  avoir  entre 
nous,  le  ministère  de  la  paroUe  de  Dieu  et  des  Sacremens  :  et 
jusques  à  où  nous  luy  debvons  porter  cest  honneur  :  pour  le 
tenir  comme  enseigne  et  marque  de  TEglise  :  c  est  à  dire,  que 
par  tout  où   il  est  en  son  entier,  qu'il  n'y  a  nulz  vices  touchant 

10  les  meurs,  qui  empeschent  que  là  il  n'y  ayt  Eglise.  Seconde- 
ment, que  encores  qu'il  y  ayt  quelques  petites  faultes,  ou  en 
la  doctrine  où  ez  Sacremens  :  qu'ilz  ne  laissent  point  d'avoir 
leur  vigueur.  D'avantage  il  a  esté  monstre,  que  les  erreurs, 
ausquelz  on  doibt  ainsi  pardonner,    sont  ceux    qui    ne  touchent 

15  point  la  principalle  doctrine  de  nostre  religion  :  et  ne  con- 
treviennent aux  articles  de  la  Foy  :  esquelz  doibvent  consen- 
tir tous  fidèles.  Et  quand  aux  Sacremens,  que  les  faultes  qu'on 
peut  toUerer  sont  celles,  qui  n'abolissent  point  et  ne  renver- 
sent   l'institution    du    Seigneur.    Mais  s'il   advient  que   le  men- 

20  songe  s'esleve  pour  destruyre  les  premiers  poinctz  de  la  doc- 
trine Chrestienne,  et  destruyre  ce  qui  est  nécessaire  d'entendre, 
que  l'usage  des  Sacremens  soit  anneanty  :  lors  s'ensuyt  la 
ruyne  de  l'Eglise  :  tout  ainsi  que  c'est  faict  de  la  vie  de  l'homme, 
quand   le   gosier   est   couppé,    ou    que   le    cœur    est   navré.   Or 

25  comme  ainsi  soit,  qu'il  en  aille  ainsi  au  Royaume  du  Pape  : 
on  peut  entendre  que  c'est  qu'il  y  reste  là  de  l'Eglise.  Pour  le 
ministère  de  la  parolle,  il  y  a  une  Prestrise  «perverse  et  forgée 
de  mensonge.  Au  lieu  de  la  Cène  de  nostre  Seigneur,  un  sacri- 
lège abominable.  Le  service   de  Dieu  est  obscure}'  et  contaminé 

30 de  superstitions  infinies.  Quasi  toute  la  doctrine,  sans  la- 
quelle ne  peut  consister  la  Chrestienté,  est  ensevelie  et  mise 
soubz  le  pied.  Les  assemblées  pid)liques  sont  comme  Escholes 
d'Idolâtrie  et  impieté.  Pourtant  il  n"}-  a  nul  péril,  qu'en  nous  reti- 
rans  de  la  participation  de  tant  de  vilannies  et  sacrilèges,  nous 

35  nous  séparions  de  l'Eglise  de  Christ.  Car  la  communion  de  l'Eglise 
n'est  pas  ordonnée  à  ceste  fin,  qu'elle  soit  un  lyen  pour  nous  con- 
joindre  en  Idolâtrie,  impieté,  ignorance  de  Dieu,  et  autre  chose 
meschante  :  mais  plustost  pour  nous  retenir  en  la  crainte 
de  Dieu  :  et  l'obeyssance  de    sa  vérité.  Mais  il  apparoistra  plus 


DE    LA    FOY 


281 


clairement,  en  quelle  estime  nous  debvons  avoir  les  Eglises, 
qui  sont  opprimées  de  la  tyrannie  de  cest  Idole  de  Rome  :  si 
nous  les  comparons  à  l'Eglise  ancienne  d'Israël,  telle,  qu  elle 
nous  est  figurée  par  les  Prophètes.   Du  temps  qu'en  Judée  et  en 

5  Israël,  l'aliance  de  Dieu  estoit  gardée  purement,  il  y  avoit  pour 
lors  vraye  Eglise  :  d'autant  que  les  choses,  esquelles  est  l'Eglise 
fondée,  y  apparoissoient.  Hz  avoient  en  la  Loy  la  doctrine  de 
vérité  :  la  dispensation  d'icelle  estoit  commise  aux  Prestres  et 
Prophètes.    Hz  estoient  receuz  entre  le  peuple  de   Dieu  par  le 

10  Sacrement  de  Circoncision.  Hz  avoient  les  autres  Sacremens  pour 
exercices  :  à  fin  de  se  confermer  en  la  Foy.  Pourtant  il  n  y  a 
point  de  doubte,  que  les  tesmoignages  et  les  tiltres,  dont  nostre 
Seigneur  a  honoré  son  Eglise,  ne  leur  convinssent  pour  lors. 
Après  que  ayans  délaissé  la  Loy  de  Dieu,    ilz  se  abastardirent  k 

15  Idolâtrie  et  sui)erstition  :  ilz  commencèrent  en  partie  à  perdre 
ce  privilège.  Car  (jui  oseroit  oster  ou  desnyer  le  tiltre  de  l'Eglise 
à  ceux,  ausquelz  nostre  Seigneur  a  donné  la  prédication  de  sa 
pjirolle  ;  et  l'usage  de  ses  Sacremens?  D'autrepart  qui  osera 
simplement,  et  sans  exception;  tenir  pour  Eglise  ;  une  assem- 

20  blée  ;  où  la  parolle  de  Dieu  est  ouvertement  conculquée  ;  ou  le 
ministre  d'icelle  ;  qui  est  comme  la  force  et  mesme  l'ame  de 
l'Eglise;  est  dissipé?  Quoy  donc;  pourra  dire  quelqu'un.  N'y 
avoit-il  plus  nulle  forme  d'Eglise  entre  les  Juifz  ;  despuis  qu'ilz 
sont  déclinez  à  Idolâtrie  ?  La  response  est  facile.  Si  nous  consi- 

25derons  l'Eglise,  selon  que  nous  en  parlons  maintenant:  à  scavoir 
au  jugement  de  laquelle  il  faille  porter  révérence  :  de  laquelle  il 
faille  avoir  en  estime  l'authorité,  recevoir  les  admonitions,  ne 
mespriser  point  les  chastiemens  et  disciplines  et  n'abandonner 
point  la  communion:   les   Prophètes  crient  à  haulte  voix,   qu'il 

30  ne  failloit  point  avoir  telles  compagnies  pour  Eglises  :  mais 
pour  Synagogues  prophanes  et  poluës.  Car  si  se  eussent  esté 
Eglises  :  Helie,  Michée  et  les  autres  serviteurs  de  Dieu,  eussent 
esté  bannyz  de  l'Eglise  :  veu  que  tant  les  Prophètes  et  Sacrifica- 
teurs, que  le  peuple,  les  avoit  en  plus  grande  exécration  que  les  in- 

3..  circoncis.  Si[cle  eussent  esté  Eglises  :  il  s'ensuyvroit,  que  l'Eglise 
ne  seroit  point  coulonne  de  vérité  :  mais  pilier  de  mensonge  : 
qu'elle  ne  seroit  point  Tabernacle  du  Dieu  vivant  :  mais  récepta- 
cle des  Idoles.  Neantmoins  il  y  restoit  entre  eux  quelques  préro- 
gatives et  privilèges,  qui  appartiennent  singulièrement  à  l'Eglise, 


282  CHAPITRE    1111. 

et  principalement  l'aliance  de  Dieu  :  laquelle  s'entretenoit  plus- 
tost  de  sa  propre  fermeté,  en  combattant  contre  limpieté  du 
peuple,  qu'elle  n'estoit  confermée  pariceluy.  Pourtant  à  cause  de 
la  certitude  et  constance  que  tient  Dieu  en  sa  grâce  et  bonté  : 
>  l'aliance  divine  demeuroit  là  ferme,  et  ne  se  pouvoit  abolir  la 
vérité  d'icelle,  par  la  desloyauté  du  peuple.  La  Circoncision  aussi 
ne  pouvoit  estre  tellement  poluée  par  leurs  mains  impures  et 
souillées  :  qu'elle  ne  fust  signe  et  Sacrement  de  ceste  aliance.  Ezcc  16. 
Pour  laquelle  cause    nostre  Seigneur   disoit,  que  les  enfans  qui 

lonavssoient  de  ce  peuple  là,  estoient  siens.  Par  mesme  raison,  si 
quelqu'un  recongnoyst  aujourd'hui  pour  Eglises  de  Dieu,  celles 
qui  sont  soubz  le  Pape  :  comme  nous  les  voyons  pleines  d'idolâ- 
trie et  superstitions  et  meschantes  doctrines  :  et  qu'il  pense 
qu'il  faille  persister   du  tout  en   leur  communion,  jusques   à  se 

15  rendre  consentant  en  la  doctrine,  il  sera  lourdement  trompé.  Car 
si  [c]e  sont  Eglises  :  la  puyssance  des  clefz  leur  est  commise.  Or 
est-il  ainsi,  que  les  clefz  sont  conjoinctes  avec  la  parolle  de  Dieu 
inséparablement  :  laquelle  parolle  en  est  exclue  et  exterminée. 
D'avantage  si  [c]e  sont  Eglises  :  promesse  de  Christ  y  a  lieu  :  ce 

20  qui  y  sera  lyé  ou  absoulz  sera  lyé  et  absoulz  au  Ciel.  Or  tous 
ceux  qui  se  renomment  franchement  serviteurs  de  Jésus  Christ, 
en  sont  jettez  hors  et  excommuniez  :  il  s'ensuyt  donc  que  la 
promesse  de  Jésus  Christ  soit  frivole  et  vaine  :  ou  qu'elles  ne 
soient  point  Eglises  :  pour  le  moins  selon  ce  regard.  Finalement, 

sipour  le  ministère  de  la  parolle,  il  n'y  a  là  que  escolles  d'impiété, 
ettoutes  espèces  d'erreurs.  Pourtant,  ou  cène  sont  point  Eglises, 
selon  ceste  considération  :  ou  il  ne  nous  restera  plus  nulle 
marque,  pour  discerner  entre  les  assemblées  des  tîdeles,  et  les 
Synagogues  des  Turcz.  Cependant  toutesfois  nous  leur  laissons 

30  les  reliques  et  apparences  d'Eglise,  que  nostre  Seigneur  y  a  lais- 
sé, despuis  qu'elles  ont  esté  dissipées.  C'est  premièrement  l'alian- 
ce de  Dieu,  qui  est  inviolable  :  et  le  Baptesme.  qui  est  Sacrement 
d'icelle,  lequel,  estant  consacré  par  la  bouche  du  Seigneur,  re- 
tient  sa  vertu   maugré  l'impiété  humaine.  En  somme  nous    ne 

35nyons  pas  du  tout  qu'il  n'y  ayt  là  Eglise,  et  aussi  ne  le  concédons 
pas  simplement  :  car  ce  sont  Eglises,  entant  que  nostre  Seigneur 
y  conserve  les  reliques  de  son  peuple  :  lesquelles  sont  misérable- 
ment dispersées  :  et  aussi  qu'il  y  reste  encores  quelques  enseignes 
d'Eglises  :  et  principalement  celles,  dont  leiïicace  ne  peut  estre 


UE    LA    FOY 


283 


destruicte  :  ne  par  l'astuce  du  Diable,  ne  par  la  meschanceté 
des  hommes.  Aucontraire,  pource  que  les  marques  qui  sont 
requises  en  l'Eglise,  comme  nous  en  parlons  à  présent,  sont  là 
efVacées  :  si   nous  cherchons  une  Eglise  deuëment  ordonnée,  je 

r.  di2  qu'il  n'y  a  point  là  forme  légitime  d'Eglise.  En  telle  manière 
l'Antéchrist  y  a  troublé  et  renversé  tout  :  que  c'est  plustost  une 
figure  de  Babylon  :  que  la  Cité  saincte  de  Dieu.  Or  si  c'est  chose 
notoire  que  l'Antéchrist  y  règne  :  de  cela  il  nous  fault  inférer, 
que  ce  sont  Eglises  de  Dieu  :  veu   que  l'Escriture  nous  prédit' 

10  qu'il  sera  assiz   au   Sanctuaire  de   Dieu.  Mais  il   fault  entendre  i.  71ie.2. 
que  ce  sont  Eglises  contaminées  et  pollues  de  ses  abominations. 


La  remission   des  péchez, 

La    remission    des   péchez    est    conjoincte    bien    à    propoz    à 
l'Eglise  :  veu  qu'elle  ne  se  peut  obtenir,  sinon  de  ceux  qui  sont 

15  membres   de  l'Eglise,    comme    dit   le   Prophète.     Il   fault   donc  lésa.  33. 
que   ceste   Jérusalem    Céleste    soit    premièrement    édifiée   :    en 
laquelle  après  ayt  lieu  ceste  grâce,  que  quiconque  en  seront   ci- 
toyens, leur  iniquité   sera  effacée.  Or  je   diz    qu'il   fault  qu'elle 
soit  premièrement  édifiée  :  non   pas  que  l'Eglise  puisse  aucune- 

20  ment  estre   sans  la  remission  des  péchez  :  mais  d'autant  que  le 
Seigneur  n'a  point  promis  sa   miséricorde,  sinon  en  la  commu-        » 
nion  des  Sainctz.  C'est  donc  nostre  première  entrée  en  l'Eglise 
et   au  Royaume  de    Dieu,  que    la    remission  des    péchez   (sans 
laquelle  nous  n'avons  aucune  aliance  ne  appartenances  avec  Dieu) 

2ï  comme  il  est  monstre  par  le  Prophète  Osée.    En  ce  jour  là,  dit  Osée  2. 
le  Seigneur,  je  feray  aliance  avec  les  be.stes  de  la   terre,  et  les 
oyseaux  du  ciel.  Je  rompray  arc  et  glaive  ;  et  feray  cesser  toute 
bataille   de    la   terre,   et    feray    dormir   tous    les   hommes    sans 
crainte.  Je  feray  avec  eux  aliance  à  tousjours.  L'aliance  sera  en 

rojustice,   jugement,    en    miséricorde    et    en    pitié.   Nous    voyons 
comment   nostre  Seigneur  nous  reconcilie   à    soy  par  sa    misé- 
ricorde.   Pareillement   en  un   autre    lieu,  quand    il    prédit    qu'il 
recueillera   le   peuple,  lequel   il  avoit  dissipé  en  son  ire.  Je  les  Jere.  33. 
purgeray,  dit-il,  de  toute  iniquité:  en  laquelle  ilz  m'ont  offensé. 

35  Pourtant    nous    sommes    receuz    en    la    compagnie    de    l'Eglise 
de   première  enti'ée  par   le    signe   de  lavement   :   dont    il   nous 


284  CHAPITRE   mi. 

est  monstre,  que  nous  n'avons  nul  accez  en  la  famille  de  Dieu, 
sinon  que  premièrement,  par  sa  bonté,  noz  ordures  soient 
nettoyées.  Or  quelle  est  ceste  remission  des  péchez,  et  comment 
elle  faict,  nous  l'exposerons  autrepart  plus  diligemment.  Toutes- 

3  fois  si  fault-il  icy  noter,  ce  qui  nous  est  monstre  par  l'ordre  du 
Symbole,  qu'elle  ne  nous  est  point  donnée  pour  nostre  mérite  : 
mais  par  la  seule  grâce  de  Dieu.  Car  après  qu'il  a  esté  declairé, 
que  par  la  justice  de  Christ,  Dieu  nous  est  rendu  propice,  et  nous 
Veut  estre  bon  Père  :  qu'il  a  aussi  esté  parlé  du  Sainct  Esprit, 

10  par  lequel  nous  sommes  sanctifiez,  pour  communiquer  avec  Christ  : 
finalement  de  l'Eglise  :  laquelle  est  produicte  de  cela.  Main- 
tenant consequemment  il  est  faict  mention  de  la  remission  des 
péchés  :  par  laquelle  nous  sommes  faictz  membres  de  l'Eglise. 
Par  lequel  ordre  il  est  signifié,  que  ceste  remission   ne   dépend 

isd'aillieurs,  et  ne  consiste  en  aulre,  qu'en  un  seul  Christ,  par  la 
vertu  du  Sainct  Esprit.  Et  ne  fault  entendre  que  nostre  Seigneur 
par  icelle  nous  receoive  tant  seulement  pour  une  fois  en  son 
Eglise  :  mais  aussi  que  par  icelle  il  nous  y  entretient  et  con- 
serve. Car  à  quel  propoz  nostre  Seigneur  nous  feroit-il  un  pardon  ; 

20  qui  ne  nous  apporteroit  nulle  utilité  ?  Or  est-il  ainsi,  que  la 
miséricorde  de  Dieu  seroit  vaine  et  frustatoire,  si  elle  nous  estoit 
pour  une  seule  fois  concédée.  De  laquelle  chose  un  chascun 
fidèle  se  peut  rendre  tesmoignage  :  veu  qu'il  n'y  a  nul.  qui  ne  se 
sente  en  toute   sa  vie  coulpable  de  beaucoup   d'infirmitez    les- 

23  quelles  ont  besoing  de  la  miséricorde  de  Dieu.  Parquoy  comme 
nous  sommes  tousjours  chargez,  cependant  que  nous  vivons,  de 
reliques  de  péchez  :  il  est  certain  que  nous  ne  pourrions  consis- 
ter une  seule  minute  de  temps  en  l'Eglise,  si  la  grâce  de  Dieu 
ne  nous  subvenoit  assiduellement,  en  nous  remettant  noz  faultes. 

30  Au  contraire,  le  Seigneur  a  appelle  les  siens  à  salut  éternel:  ilz 
doibvent  donc  estimer,  que  sa  grâce  est  tousjours  preste  à  leur 
faire  mercy  de  leurs  offenses.  Par  quoy  nous  sommes  icy  adver- 
tiz  de  croyre,  que  par  la  clémence  de  Dieu,  moyennant  le  mérite 
de  Jésus   Christ,   par  la  sanctification  de  son  Esprit,  la  remis- 

35  sion  de  noz  péchez  nous  a  esté  faicte ,  et  nous  est  faicte 
journellement  :  entant  que  nous  sommes  uniz  au  corps  de 
l'Eglise. 

Or   d'autant  qu'il  y  en  a  d'aucuns,   qui  s'efforcent    d'oster  à 
l'Eglise  ceste  retraicte  unique  de  salut  :  il  nous  fault  d'avantage 


DE    LA    FOY. 


28:; 


confermer  les  consciences  à  Tencontre  de  cest  erreur  si  pestilent. 
Les  Novatiens  ont  troublé  l'Eglise  Ancienne  de  ceste  faulse  doc- 
trine :  mais  nostre  eage  présent,  ha  quelques  Anabaptistes,  qui 
ne  leur  ressemblent  point  mal  en  ceste  phantaisie.  Car  ilz  ima- 

3  ginent  que  le  peuple  de  Dieu  est  par  le  Baptesme  régénéré  en 
une  vie  pure  et  Angélique  :  laquelle  ne  doibt  estre  contaminée 
de  macules  de  la  chair.  Et  s'il  advient  que  aprez  le  Baptesme  ilz 
déclinent  :  ilz  ne  luy  laissent  nulle  attente,  que  la  rigueur  de 
Dieu  inexorable.  En  somme,  ilz  ne  font  nul  espoir  au  pécheur, 

10  qui  est  tresbuché  en  faulte,  après  avoir  receu  grâce  de  Dieu, 
d'obtenir  pardon  et  mercy.  Car  ilz  ne  recongnoyssent  autre 
remission  de  péchez,  sinon  celle  par  laquelle  nous  sommes  pre- 
mièrement régénérez.  Or,  combien  qu'il  n'y  ayt  nul  mensonge 
plus  clairement  refuté  en  l'Escriture  que  cestuy-cy  :  neantmoins 

I  i  pource  que  telle  manière  de  gens  trouvent  des  simples  per- 
sonnes pour  abuser  (comme  Novatus  ha  eu  anciennement  plu- 
sieurs sectateurs)  monstrons  brièvement  combien  leur  erreur  est 
dangereux,  tant  pour  eux,  que  pour  les  autres.  Premièrement, 
puis  que  par   le  commendement  de  Dieu,  tous  les  Sainctz  usent 

20  journellement  de  ceste  requeste,  que  leurs  péchez  leurs  soyent 
remiz  :  en  cela  ilz  confessent  estre  pécheurs.  Et  ne  le  demandent 
pas  en  vain  :  Car  le  Seigneur  Jésus  ne  nous  a  point  ordonné  de 
demander  chose,  qu'il  ne  la  nous  veuille  donner.  Et  mesmes 
ayant  promis  en  gênerai,  que  toute  l'oraison  qu'il  nous  a  baillée 

2o  seroit  exaucée  du  Père  :  il  donne  iine  promesse  spéciale  pour 
ceste  demande.  Que  voulons  nous  d'avantage  ?  Le  Seigneur  veut 
que  tous  ses  Sainctz  de  jour  en  jour  toute  leur  vie  se  confessent 
pécheurs,  et  leur  promet  pardon.  Quelle  audace  est-ce  donc  ;  ou 
de  nyer  qu'ilz  soyent   pécheurs  :    ou    quand    ilz  ont  failly  ;    les 

30  exclurre   de  toutes  grâces  ?  Davantage,  à  qui  veut-il  que  nous 
pardonnions   septante   fois  sept  fois  ;  c'est    à   dire,  toutesfois  et 
quantes  ?    N'est-ce  pas  à  nos  frères?  Et  pourquoy  veut-il  cela  :  M,ii.  18. 
sinon  à  fin  que  nous  ensuyvions  sa  clémence  ?  Il  pardonne  donc, 
non  pas  pour  un  coup   ovi   deux  :  mais  à  chascune  fois  que  le 

35  pouvre  pécheur,  estant  abbatu  et  navré  de  la  recongnoyssance 
de  ses  faultes,  souspire  après  luy. 

Et  à  fin  que  nous  commencions  dez  l'origine  de  l'Eglise  :  les 
Patriarches  estoient  circonciz,  receuz  en  l'aliance  de  Dieu  : 
et  n'y  a  point  de    doubte  qu'ilz   ne   fussent  aussi   enseignez  par 


286  CHAPITRE    un. 

leur  père  de  suyvre  justice  et  intégrité,  quand  ilz  conspirèrent  k 
tuer  leur  frère.   C'estoit  un  chrime  abominable  :  voire  aux  plus 
désespérez   brig^andz  du  monde.    En  la  fin  estans   adoulciz   par  Gène.  31. 
ladmonition  de  Judas,  ilz  le  vendirent.  Mais  c'estoit  encores  une    ^[     ^"^ 

c rt dtp  1 1  /  cô 

ocruaulté  intoUerable.  Svmeon  et  Levi  meurtrirent  tout  le  peuple    suyvans. 
de   Sychen.  pour  faire   la  vengeance  de   leur  sœur,  laquelle   ne 
leur  estoit  licite  :    et   de    faict,  fust  condamnée    par   leur   père. 
Ruben  commist  un  inceste  exécrable  avec  la  femme  de  son  père. 
Judas,  voulant   paillarder,  contrevient  à  l'honesteté  de  nature  : 
10  ayant  compagnie  de  sa  belle  fille.  Or  tant  s'en  fault  qu'il  soient 
effacez  d'entre  le  peuple  esleu  :  qu'ilz  sont  aucontraire  constituez 
pour  chefz.  Que  dirons  nous  de  David  :  lequel  estant  Chef  de  jus- 
tice; combien  offenceoit-il  grièvement:  voulant  satisfaire  à  sa  pail- 
lardise;  en  espandant  le  sang  inocent  ?  11  estoit  desja  régénéré, 
lo  etavoit  eu  mesmes  par  dessus  les  autres  enfans  de  Dieu  excellent 
tesmoignage.  Il  commist  neantmoins  une  meschanceté,   dont  les 
Payens  mesme  eussent  eu  horreur.  Gela  ne  faict  point  qu'il  n'ob- 
tienne merc}'.  Et  à  fin  de  ne  nous  arrester  pas  trop  aux  exemples 
particuliers  :  combien  avons  nous  de  promesses  de  la  miséricorde 
20 de  Dieu  envers  les  Israélites?  Combien  de  fois  y  est-il  monstre: 
que   le  Seigneur  leur  a  tousjours   esté  propice  ?  Car,  qu'est-ce 
que  promet  Moyse  au  peuple  ;  quand  il  se   retournera  à  Dieu  ; 
après  avoir  décliné  en  Idolâtrie  ;  et  abandonné  le  Dieu  vivant  ?  Le 
Seigneur,  dit-il,    te    retirera  de   captivité,   et  aura   pitié  de   toy.  Deul.  .32. 
25  et  te   rassemblera  d'entre  le  peuple   où  tu  auras  esté   dispersé. 
Si  tu  estois  espars  aux  quattre  boutz  du  monde  :  il  te  recueillira. 
Mais  je  ne  veulx  point  commencer  k  faire  un  récit,  qui  n'auroit 
jamais  fin.   Car  les  Prophètes  sont  pleins  de  telles  promesses  : 
esquelles   ilz  présentent  miséricorde  au   peuple,  qui  a  voit  com- 
:jo  miz  crimes    inlîniz.    Quelle   iniquité    y    a-il     plus   griefve,    que 
rébellion  ?   Pour   ceste     cause    elle   est    nommée    divorce   entre 
Dieu  et    son    Eglise.  Et   neantmoins    icelle  est   pardonnée    par 
la    bonté    de    Dieu.    Qui    est    l'homme,    dit-il    par    la     bouche 
de  Jeremie,  duquel  si  la  femme  se  abandonne  k  paillardise  ;  il  la  JeremieS. 
3o  veuille  après  recevoir  ?  Or  tous  les  chemyns  sont  infectz  de  tes 
paillardises,   peuple  de   Judée   :  la  terre    en   est   toule    pleine    : 
neantmoins  retourne  toy  à  moy,  et  je  te  recevray.  Reviens  k  moy. 
peuple   rebelle  et  obstiné,  je  ne  destourneray  point  ma  face   de 
toy.  Car  je  suis  Sainct,  et  ne  sera  point  mon  courroux  perpétuel. 


DE    LA    FUV.  287 

Et  certes  il  n'y  pourroit  avoir  autre  affection  en  celuj  qui  dit, 
qu'il  ne  désire  pas  la  mort  du  pécheur,  mais  qu'il  se  convertisse, 
et  vive.  Pourtant  Salomon,  en  dédiant  le  Temple,  le  destinoit  à 
cest   usage,  que    les   oraisons    faictes,  pour  obtenir  pardon    des 

5  péchez  y  fussent   exaucées.     Quand   tes    enfans,    dit-il,    Ruroni  s.  Roijs  S. 
péché  (comme  il    n'y   a  nul  homme   qui  ne  pèche)  et  qu'en  ton 
ire   tu   les  ayes  livrez  à  tes  ennemyz   :  et   puis  qu  ilz   se   soyent 
repentiz  en   leurs    cœurs,   et  estans  convertiz,  te   prient  en  leur 
captivité,    disantz    :    Seigneur  nous   avons   péché,  et   avons   mal 

10  vescu  :  et  que  ainsi  supplians,  ilz  regardent  vers  la  terre  que  tu 
as  donnée  à  leurs  Pères,  et  vers  ton  Sainct  Temple  où  nous 
sommes  :  tu  exauceras  du  ciel  leurs  prières,  et  seras  propice  à 
ton  peuple,  lequel  t'aura  olfencé  :  et  luy  pardonneras  toutes  les 
transgressions    qu'il   aura    commises    contre    toy.   Ce    n'a    pas 

ij»  aussi  esté  en  vain,  que  Dieu  en  sa  Loy  a  ordonné  sacrifices  pour 
les  péchez  entre  son  peuple.  Car  s'il  n'eust  congneu  que  les 
serviteurs  sont  assiduellement  entachez  de  vices  il  ne  leur  eust 
point  baillé  ce  remède.  Or  je  demande,  si  par  la  venue  de  Christ, 
en  laquelle  toute  plénitude  de  grâce  a  esté  desployée,  cela  a  esté 

2"osté  aux  fidèles,  de  n'oser  plus  prier  pour  obtenir  pardon  de  leurs 
faultes,  et  quand  ilz  auront  offensé  Dieu,  de  ne  trouver  nulle 
miséricorde?  Et  que  seroit  cela  dire  autre  chose  ;  sinon  que 
Christ  est  venu  pour  la  ruyne  des  siens  ;  plutost  que  pour  le 
salut  ;    si  la  bénignité  de    Dieu  ;   qui   estoit  tousjours  appareillée 

25  aux  Sainctz  en    l'ancien   Testament  ;    est  maintenant  ostée    du  2.  Tim.  I . 
tout?  Mais  si    nous  adjoustons  foy  à  l'Escriture,    laquelle   crye  TiLl.elS. 
hault    et  cler,  que  la   grâce    de    Dieu,  et  l'amour  qu'il  porte  aux 
hommes,  est  pleinement  apparue  en  Christ:  que  les  richesses  de 
sa  miséricorde  ont  esté  en  luy  desployées,   et    la    reconciliation 

30  avec  les  hommes  accomplie  :  il  ne  nous  fault  doubler,  que  sa  clé- 
mence ne  nous  soit  maintenant   plustost  exposée  en  plus  grand' 
abondance,  que  accoursie  et  diminuée.  Dequoy  aussi  nous  avons 
les  exemples  à   l'œil.  Sainct  Pierre,  qui  avoit    ouy  de  la  bouche   i/,,/.   /o. 
de  Jésus  Christ,  que  quiconque  ne  confesseroit  son  Nom  devant  les 

3o  hommes,  ne  seroit  point  de  luy  recongneu  devant  les  Anges  du  yat.  26. 
Ciel,  le  renoncea  trois  fois  :  voire  avec  blasphème  mesme.Neant- 
moins  il   n'est  point  débouté  d'avoir  grâce.  Ceux  qui    vi voient 
desordonnément  entre  les  Thessaloniens,  sont  tellement  chastiez 
de  Sainct  Paul,  qu'il  les  convye  à  repentance.  Mesmes  S.  Pierre  ^  Thés- 

^3. 


288  CHAPITRE    llll. 

ne  met  point  en  desespoir  Synion  Magus  :  mais  piustost  luy 
donne  bonne  espérance  :  luy  conseillant  de  prier  Dieu  pour  son 
péché.  Qui  plus  est  :  n'y  a-il  pas  eu  de  grosses  faultes  ;  qui  ont 
5  autresfois  occupé  toute  une  Eglise  entièrement  ?  Qu  est  ce  que 
faisoit  Sainct  Paul  en  cest  endroit  ;  sinon  de  redujre  piustost 
tout  le  peuple  en  bonne  voye  ;  que  l'abandonner  en  extrême 
malédiction  ?  Le  revoltement  quavoient  faict  les  Galatiens  de 
l'Evangile,  n'estoit  pas  une  légère  faulte.  Les  Corinthiens  estoient 
loencores  moins  excusables  qu'eux  ;  d'autant  qu'il/,  avoient  plus  de 
vices  et  autant  énormes.  X^elantmoins  ne  les  uns  ne  les  autres 
ne  sont  excluz  de  la  bonté  de  Dieu.  Mais  aucontraire,  ceux  qui 
avoient  plus  grièvement  offensé  que  les  autres  par  paillardise.  2.Cor,l2. 
impudicité,  et  toute  vilenie  :  nomméement  sont  appeliez  à  repen, 
15  tance.  Car  l'aliance,  que  nostre  Seigneur  a  faicte  avec  Christ  et 
tous  ses  membres,  demeure  et  demeurera  tousjours  inviolable  ; 
c'est  à  scavoir  quand  il  dit  :  S'il  advient  qvie  ses  enfans  délaissent 
ma  Loy,  et  ne  cheminent  point  en  mes  préceptes,  s'ilz  pro- 
phanent  ma  Justice,  et  ne  gardent  point  ma  doctrine  :  je  visite-  PsaLS9. 
20  rav  avec  verges  leurs  iniquitez,  et  leurs  péchez  avec  chastie- 
ment  :  toutesfois  ma  miséricorde  n'en  départira  point.  Finale- 
ment par  l'ordre  du  Symbole  il  nous  est  monstre,  que  ceste 
grâce  et  clémence  demeure  et  réside  tousjours  en  l'Eglise  :  d'au- 
tant que,  après  avoir  constitué  l'Eglise,  la  remission  des  péchez 
25  est  consequemment  adjoustée.  Pourtant  il  fault  qu'elle  ayt  lieu 
en  ceux  qui  sont  de  l'Eglise. 

Aucuns,  un  peu  plus  subtilz.  quand  ilz  voyent  la  doctrine  des 
Novatiens  estre  si  clairement  reprouvée  par  l  Escriture,  ne  font 
point  chascun  péché  irrémissible  :  mais  seulement  les  transgres- 
se sions  voluntaires,  esquelles  un  homme  sera  cheut  de  son  propre 
sceu  et  vouloir.  Or  en  parlant  ainsi,  ilz  ne  pensent  point  que 
aucun  péché  se  remette,  sinon  celuy  qui  aura  esté  commiz 
par  ignorance.  Mais  puis  que  le  Seigneur  en  la  Loy  a  or- 
donné aucuns  Sacrifices  pour  elfacer  les  péchez  voluntaires 
35  de  son  peuple  :  les  autres  pour  purger  les  ignorances  :  quelle  Levii.  6. 
témérité  est-ce  ;  de  ne  laisser  nulle  espérance  de  pardon  à  un 
péché  voluntaire  ?  Je  maintiens  qu'il  n'y  a  rien  plus  clair  que 
cela  :  c'est  que  le  Sacrifice  unique  de  Jésus  Christ  ha  la  vertu  de 
remettre  les  péchez  voluntaires  des  fidèles  :  veu  que  Dieu,  par 
les  Hosties  charnelles,  l'a  ainsi  tesmoigné  :  lesquelles  en  estoient 


DK    LA    l'OV.  289 

figures.  D'avantage  qui  excusera  David  soubz  couleur  d'igno- 
rance ;  veu  que  c'est  chose  notoire  ;  qu'il  estoit  si  bien  instruict 
en  la  Loy  ?  Ne  scavoit-il  pas  quel  crime  c'estoit  d'adultère  et 
homicide  ;  luy  qui  les  punissoit  tous  les  jours  en  ses  subjectz  ? 

5  Les  Patriarches  pensoient-ilz  que  ce  fust  chose  bonne  et  honeste 
de  meurtrir  leur  frère  ?  Les  Corinthiens  avoient-ilz  si  mal  pro- 
fité ;  qu'ilz  estimassent  incontinence  ;  paillardise  ;  haine  ;  conten- 
tion ;  estre  choses  plaisantes  à  Dieu?  Sainct  Pierre,  après  avoir 
esté  si  diligemment  admonesté  ;  ignoroit-il  quelle  faulte  c'estoit 

iode  renoncer  son  maistre?  Ne  fermons  point  donc  par  nostre 
inhumanité  la  porte  à  la  miséricorde  de  Dieu  :  laquelle  si  libéra- 
lement se  présente  à  nous.  Ce  ne  m'est  pas  chose  incongneuë, 
que  aucuns  anciens  docteurs  ont  interprété  les  péchez,  qui  se 
remettent    journellement,    estre     les    faultes    legieres    qvii   sur- 

lo  viennent  par  infirmité  de  la  chair.  D'avantage  qu'il  leur  a  semblé 
advis,  que  la  pénitence  solemnelle,  laquelle  estoit  lors  requise 
pour  les  grandes  olFenses,  ne  se  devoit  nomplus  réitérer  que  le 
Baptesme.  Laquelle  sentence  ne  se  doibt  tellement  prendre  : 
comme   s'ilz  eussent  voulu  jetter  en    desespoir  celuy  qui  estoit 

20  retombé,  despuis  avoir  esté  une  fois  receu  à  repentance,  ou  bien 
qu'ilz  eussent  voulu  amoindrir  les  faultes  quotidiennes,  comme 
petites  devant  Dieu.  Car  ilz  scavoient  bien,  que  les  Sainctz 
tresbuchent  souvent  en  quelque  infidélité,  qu'il  leur  advient  de 
jurer   sans    mestier,    de    se    courrousser   oultre    mesure  :    voire 

23  aucunesfois  venir  jusques  à  injures  manifestes,  et  cheoir  en 
d'autres  vices,  que  nostre  Seigneur  n'ha  pas  en  j^etite  abomi- 
nation. Mais  ilz  usoient  de  ceste  manière  de  parler,  à  fin  de 
mettre  différence  entre  les  faultes  privées,  et  les  crimes  pu- 
bliques, qui  emportoient grandz  scandales  en  l'Eglise.  D'avantage 

30  ce  qu'ilz  pardonnoient  avec  si  grande  difficulté  à  ceulx  quiavoient 
commiz  quelque  cas  digne  de  correction  Ecclésiastique,  n'estoit 
pas  qu'ilz  pensassent  les  pécheurs  obtenir  difficilement  pardon  de 
Dieu  :  mais  par  telle  sévérité,  ilz  vouloient  déterrer  les  autres, 
à  fin  qu'ilz  ne  cheussent  point    en  telles  offenses,  dont  ilz  meri- 

33  tassent  d'estre  excommuniez  de  l'Eglise.  Combien  que  la  paroUe 
de  Dieu,  laquelle  nous  devons  seule  icy  tenir  pour  nostre  reigie, 
requiert  une  plus  grande  modération  et  humanité.  Car  elle  enseigne 
que  la  rigueur  de  la  discipline  Ecclésiastique  ne  doibt  point 
aller  jusques  là,  que  celuy,  dont  on  doibt  chercher  le  proffit  soit 
Instilution.  19 


290  CIIAP1TRI-:  iiii. 

accablé  de  tristesse. 

Toutesfois  ceux  qui  sont  si  rudes  et  inexorables  contre  les 
péchez  voluntaires,  prétendent  Tauthorité  de  l'Apostre  :  lequel  llehr.  6. 
(comme  il  semble  advis)  este  toute  espérance  de  pardon  en  cest 
5  endroit.  Car  il  dit,  qu'il  est  impossible,  que  ceux  qui  ont  esté 
une  fois  illuminez  et  receuz  en  la  g^race  du  ciel,  ayantz  esté  faictz 
participans  du  Sainct  Esprit,  et  ayantz  gousté  la  parolle  de  Dieu 
et  les  vertus  de  la  vie  future  :  s'ilz  retombent  de  rechef,  soient 
reduictz   à  pénitence,  acu  que  cela  est   crucifier  pour  la  seconde 

10 fois  le  Filz  de  Dieu,  et  lavoir  en  moquerie.  Item,  en  un  autre 
lieu  :    Si  nous  péchons,  dit-il.  après  avoir  receu  la  congnoyssance  Hef)r.  10 
de  vérité,  il  ne  nous  reste   plus  de  sacrifice  :  mais  une  horrible 
attente  de  jugement.  Ce  sont  les  passages,  par  la  mauvaise  in- 
telligence desquelz,  les  Novatiens  ont  avitresfois  troublé  l'Eglise. 

15  Et  pource  qu'ilz  sont  durs  de  première  apparence,  aucuns  bons 
personnages  ont  estimé  que  ceste  epistre  estoit  supposée  : 
laquelle  neantmoins,  de  vray,  monstre  par  tout  un  esprit  Apos- 
tolique. Et  pource  que  nous  n'avons  disputé  sinon  avec  ceux  qui 
la  receoivent  :  il  est  aisé   de  monstrer  combien  ces  sentences  ne 

20  font  rien  pour  confermer  leur  erreur.  Premièrement  il  est  néces- 
saire, que  l'Apostre  consente  avec  son  maistre  :  lequel  certifie, 
que  tout  péché  et  blasphème  sera  remiz  excepté  le  péché  contre 
le  S.  Esprit,  qui  n'est  remiz  n'en  ce  monde  n'en  l'autre.  Il  est 
certain  que  l'Apostre  s'est  contenté  de  ceste  exception  :  si  nous 

25  ne  le  voulons  faire  adversaire  de  la  grâce  de  Christ  :  dont  il  s'en- 
suyt,  que  ce  qu'il  dit  en  tous  les  deux  lieux,  se  doibt  entendre  du 
seul  péché  contre  le  S.  Esprit.  Et  si  ceste  déduction  ne  leur  est 
suffisante  :  je  monstreray  encores  comment  ses  parolles  viennent 
là.  Laquelle  chose  pour  niA'eux  expliquer,  il  convient  scavoir  quel 

30  est  ce  crime  tant  abominable,  lequel  n'aura  nulle  remission.  Ce  que 
S.  Augustin  en  quelque  lieu  définit,  que  c'est  un  endurcissement  et 
obstination  jusques  à  la  mort,  avec  une  défiance  d'obtenir  grâce,  ne 
convient  pas  avec  ces  parolles  de  Christ  :  qu'il  ne  sera  point  remiz  en 
ce  siècle.  Car,  ou  cela  seroit  dict  en  vain  :  ou  il  se  peut  commettre  en 

35  ce  monde.  Or  selon  le  dire  de  S.  Augustin,  il  ne  se  commet  point, 
sinon  quand  il  y  a  persévérance  jusques  à  la  mort.  Ce  que  les  autres 
disent,  que  avoir  envye  sur  les  grâces  de  son  prochain,  est  pécher 
contre  le  Sainct  Esprit  :  je  ne  scay  sur  quoy  il  est  fondé.  Mais  il 
nous  fault  amener  la  vraye  diffinition  :  laquelle  quand  elle  sera 


DE    LA    KOY.  291 

approuvée  par  bons  tesmoig-nages,  elle  annichilera  facilement 
les  autres.  Je  diz  donc,  que  cestu^-là  pèche  contre  le Sainct  Esprit, 
lequel,  estant  tellement  touché  delà  lumière  de  la  vérité  de  Dieu, 
qu'il  ne  peut  prétendre  ignorance  :  neantmoins  résiste  de  malice 
5  délibérée,  seulement  pour  j  résister.  Car  le  Seigneur  Jésus,  Accu- 
lant expliquer  ce  qu'il  avoit  dict,  adjouste  consequemment  :  que 
celuy  qui  aura  dict  parolle  contre  luv,  obtiendra  pardon  :  mais  Mui.  12. 
celuy  qui  aura  blasphémé  contre  l'Esprit  n'aura  nulle  g'race.  Et  Marc  3. 
Sainct  Matthieu,  au  lieu  de  nommer  blasphème  contre  l'Esprit,  Luc  12. 

10  met  esprit  de  blasphème.  Comment  se  peut-il  faire  ;  que  quel- 
qu'un face  opprobre  auFilz  de  Dieu  ;  que  cela  ne  redonde  .sur  son 
Esprit  ?  C'est  quand  un  homme  par  ignorance  contredit  à  la 
vérité  de  Dieu  qu'il  n'a  point  congneuë  :  et  par  ignorance, 
detracte  de  Christ  :  ayant  ce  pendant  neantmoins  telle  affection, 

la  qu'il  ne  vouldroit  nullement  esteindre  la  vérité  de  Dieu,  quand 
elle  luy  seroit  révélée  :  ou  dire  une  seule  mauvaise  parolle  contre 
celuy,  qu'il  estimeroit  estre  Christ.  Telle  manière  de  gens  pèchent 
contre  le  Père  et  contre  le  Filz.  Comme  aujourd'huy  il  y  en  a 
beaucoup,  qui  hayssent  et  rejettent  la  doctrine  de  l'Evang-ile   : 

20  laquelle,  s'ilz  pensoient  estre  l'Evangile,  ilz  auroient  en  grand 
honneur,  et  l'adoreroient  de  tout  leur  cœur.  Mais  ceux  qui  sont 
convaincuz  en  leurs  consciences,  que  la  doctrine  qu'ilz  com- 
batent  est  de  Dieu  :  et  toutesfois  ne  laissent  point  d'y  résister, 
et   tascher    de    la    destruyre,    iceux    blasphèment    contre    l'Es- 

25  prit  :    d'autant  qu'ilz    bataillent  à  l'encontre  de  la  lumière,  qui 
leur    estoit   présentée    par    la    vertu    du    Sainct   E.sprit.    Il    y 
en   avoit    de    telz   entre   les  Juifz   :  lesquelz,  combien   qu'ilz  ne 
peussent  résister  à  l'Esprit  parlant  par  la  bouche  de  S.  Estienne  :  Actes  7. 
neantmoins  s'efforceoient  d'y  résister.  Il   n'y  a    point  de  doubte 

30  que  aucuns  ne  feussent  meuz  par  zèle  inconsidéré  de  la 
Loy.  Mais  il  appert  qu'il  y  en  a  eu  d'autres  :  qui  de  certaine 
malice  et  impieté,  enrageoient  contre  Dieu  :  c'est  à  dire,  contre 
la  doctrine,  laquelle  ilz  ne  pouvoient  ignorer  estre  pro- 
cedée   de    Dieu.  Telz    estoient    les    Pharisiens,    lesquelz    Jésus 

3o  Christ  redargue  :  qui,  pour  renverser  la  vertu  du  S.  Esprit, 
la  diffamoient,  comme  si  elle  eust  esté  de  Beel-zebuth.  Voylà 
donc  que  c'est,  Esprit  de  blasphème  :  à  scavoir,  quand  l'audace 
de  l'homme,  de  propoz  délibéré,  tasche  à  anneantir  la  gloire 
de    Dieu.      Ce    que    Sainct    Paul    signifie,    quand    il    dit    qu'il  2.  Tim.l 


292  CHAPITRE    1111. 

a  obtenu  miséricorde,  entant  que  par  mesgard  et  ignorance  il 
avoit  esté  incrédule.  Si  l'ignorance  conjoincte  avec  incrédulité) 
a  faict  qu'on  obtint  pardon  :  il  s'ensuyt  qu'il  n'y  a  nulle  mercy, 
quand  l'incrédulité  vient  de  science  et  malice  déterminée.  On 
5  pourra  veoir  que  l'Apostre  parle  en  ce  sens  si  on  y  regarde 
bien.  Car  il  adresse  sa  parolle  contre  ceux,  qui  pensoient  bien 
pouvoir  retourner  à  la  Chrestienté  après  qu'ilz  l'auroient  une 
fois  renoncée.  Les  voulant  retirer  de  ceste  phantaisie  et  perni- 
tieuse  opinion,   il  dit  une  chose,  qui  est  bien  vraye  :    que  ceux 

10  qui  ont  une  fois  renoncé  Jésus  Christ  de  leur  sceu  et  bonne  vo- 
lunté,  ne  peuvent  jamais  avoir  part  en  luy.  Or  ceux-là  le  re- 
noncent, nompas  qui  simplement  par  vie  desordonnée  tran- 
gressent  sa  parolle  :  mais  qui  de  propoz  délibéré  la  rejettent  du 
tout.  Les  Novatiens   et  leurs    sectateurs  donc,  s'abusent  en  ces 

i^motz,  de  cheoir  et  tomber.  Car  ilz  entendent  que  celuy  tombe, 
lequel  estant  enseigné  par  la  Loy  de  Dieu  qu'il  ne  fault  point 
desrober,  neantmoins  ne  s'en  abstient  pas.  Mais  je  diz  qu'il  fault 
icy  entendre  une  comparaison  de  choses  contraires.  A  scavoir 
quand  il  dit,  que  ceux  qui  sont  tresbuchez,  après  avoir  esté  illu- 

20  minez,  après  avoir  gousté  la  parolle  de  Dieu,  et  sa  grâce  céleste, 
et  les  vertuz  de  la  vie  future,  et  avoir  esté  illuminez  du  Sainct 
Esprit  :  qu'il  fault  entendre,  s'ilz  ont  esteinct  la  lumière  de 
l'Esprit  par  malice  déterminée,  et  ont  rejette  la  parolle  de 
Dieu,  et  la  saveur  de  sa  grâce,  et  se  sont  aliénez  de   son  Esprit. 

23  Et  de  faict,  pour  exprimer  plus  clairement  qu'il  parloit  d'une 
impieté  malicieuse  et  délibérée  :  il  adjouste  nommeement  en  un 
lieu  ce  mot,  voluntairement.  Car  quand  il  dit,  qu  il  ne  reste  plus 
nul  sacrifice  à  ceux  qui  de  certaine  volunté,  après  avoir  congneu 
la  vérité,  pèchent  :  il  ne  nye  pas  que  Christ  ne  soit  un  sacrifice 

30  perpétuel  pour  effacer  les  iniquitez  des  fidèles  (ce  qu'il  avoit  traicté 
auparavant  quasi  en  toute  l'epistre,  en  expliquant  la  Prestrise 
de  Christ).  Mais  il  entend  qu'il  n'y  en  reste  nul  autre,  quand  on 
rejette  cestuy-lk.  Or  on  le  rejette,  en  conculquaut  de  propoz  délibéré 
la  vérité  de  l'Evangile.  Touchant  ce  que   aucuns  objectent,  que 

33  c'est  une  trop  grande  cruauté,  et  laquelle  ne  convient  point  à  la 
clémence  de  Dieu,  d'exclurre  aucun  pécheur  de  la  remission  des 
péchez,  quand  il  requerra  miséricorde  :  la  response  est  facile. 
Car  il  ne  dit  pas,  que  Dieu  leur  denyera  pardon  s'ilz  se  conver- 
tissent à  soj  :  mais  il  dit  notamment,  que   jamais  ne  se  retour- 


DE    LA    FOY. 


293 


neront  à  repentance  :  entant,  que  Dieu  par  son  juste  jugement, 
à  cause  de   leur  ingratitude,   les  frapera  d'un  aveuglement  éter- 
nel. Et  ne  contrevienent  point  à  cela,  ce  qu  il  applique  k  ce  pro- 
poz  l'exemple  d'Esaû  :  lequel  en  vain  a  tasché  par  larmes  et  cryz  Hehr.  12 
ode   recouvrer   sa  primogeniture,    qu'il  avoit  perdue  :    non   plus /ie/j/-.  / / . 
que  ce  que  dit  le  Prophète,  que  quand  ilz  cryeront,   le  Seigneur  Mich.  3. 
ne  les  exaucera  point.   Car  par  telles  manières  de  parler,  l'Es- 
criture  ne  denotte  pas  ou  une  vraye  repentance,  ou  invocation  de 
Dieu  :  mais  plustost  signifie  la  destresse  :  de  laquelle  quand  les 

io  iniques  sont  pressez  en  leur  extrême  calamité,  ilz  sontcontrainctz 
de  recongnoistre  ce  qu'ilz  pensoient  auparavant  estre  moquerie 
et  fable  :  C'est,  que  tout  leur  bien  gist  en  l'ayde  de  Dieu.  Or  ilz 
ne  la  peuvent  pas  implorer  ne  demander  de  cœur  :  mais  seule- 
ment gémissent,  qu'elle  leur  est  ostée.  Parquoy  le  Prophète  par 

15  ce  mot  de  clameur,  et  l'Apostre  par  le  mot  de  larmes,  ne  signi- 
fie autre  chose,  que  l'horrible  torment  dont  les  iniques  sont  agi- 
tez en  desespoir  et  desconfort,  voyans  qu'ilz  n'ont  nul  remède 
de  leur  malheureté,  synon  la  bonté  de  Dieu,  en  laquelle  ilz  ne  se 
peuvent  aucunement  fier. 

20  La  résurrection  de  la  chair:  la  vie  éternelle. 

Icy  nous  avons  le  but  et  accomplissement  de  nostre  béatitude. 
Et  pour  le  premier  poinct,  la  résurrection  de  la  chair  nous  est  cer- 
tifiée :  par   laquelle    nous  entrons    en  possession  de  la  vie  eter-  j. Cor. 13. 
nelle  ;  veu  que  nostre  chair  et  nostre  sang  ne  peuvent  posséder  le 

25  Royaume  de  Dieu  :  et  la  corruption  n'est  point  capable  d'incorrup- 
tion.  Laquelle  chose  non  seullement  estdifficille  à  croire  :  mais  du 
toutincredible,  si  nous  la  voulons  estimer  selon  la  raison  humaine. 
Pourtant,  combien  que  plusieurs  Philosophes  n'ayent  point  esté 
du  tout  ignorans  de  l'immortalité  de  l'ame  :  toutesfois  il  n'y  en  a 

30  pas  un  seul  lequel  ayt  eu  le  moindre  pensement  du  monde  de  la 
résurrection  de  la  chair.  Car,  qui  est-ce  qui  se  pourroit  adviser  ; 
que  les  corps  que  nous  avons  ;  dont  aucuns  pourrissent  en 
terre  ;  aucuns  sont  mengez  des  verms  ;  les  autres  des  oiseaulx  ; 
les  autres  des  bestes  ;  aucuns  sont  rédigez  par  feu  en  cendres  ; 

35  doibvent  une  fois  estre  remiz  en  leur  entier?  Toutesfois  le  Seigneur 
a  tresbien  obvié  à  ceste  difficulté  :  non  seulement  en  testifîant 
par  certaines  parolles   ceste  résurrection  future  :  mais  en  nous 


204  CHAPITHE   im. 

en  donnant  certitude  visible  en  Jésus  Christ.  Pourtant  ainsi,  ce 
qui  sembleroit  autrement  incredible,  nous  a  esté  montré  à  l'œil. 
Parquoy  si  nous  voulons  bien  entendre  quelle  sera  ceste  résur- 
rection :  il  nous  fault  tousjours  regarder  en  Jésus  Christ,  qui  en 
3  est  le  miroir,  et  la  substance  :  comme  aussi  TApostre  nous  admo- 
neste, quand  il  appelle  la  réparation  de  nostre  corps,  une  con-  Philip.3. 
formité  avec  le  corps  glorieux  du  Seigneur  Jésus.  Comme  donc 
luy  a  esté  ressuscité  au  mesme  corps  auquel  il  avoit  souffert  : 
lequel  neantmoins  a  eu  après  la  résurrection  bien  autre  gloire 

10  que    auparavant  :  nous    aussi  ressusciterons  en   la  mesme  chair 
que  nous  portons  :  et  neantmoins  serons  autres  après  la  résur- 
rection. Laquelle  variété  Sainct  Paul  declaire  par  aucunes  simi- 
litudes.Car  c'est  une  mesme  substance  de  la  chair  des  hommes  t. Cor.  15. 
et  des   bestes  :    toutesfois    la  qualité  est   diverse.   Les   estoilles 

15 sont  dune  mesme  essence  :  non  pas  d'une  mesme  qualité.  En 
telle  faceon  nous  retiendrons  la  substance  de  nostre  corps  :  mais 
la  qualité  sera  changée.  Pourtant  ce  corps  que  nous  avons  corrup- 
tible, ne  périra  point  en  nostre  résurrection  :  mais,  laissant  sa 
corruption,  sera   faict    incorruptible  :   et,  laissant    sa  mortalité, 

20  sera  faict  immortel.  11  n'y  aura  donc  nulle  difficulté  qui  em- 
pesche  le  Seigneur,  qu'il  ne  retire  de  corruption  tous  ceux  qui 
auront  esté  consumez  par  la  mort  devant  le  jour  du  Jugement  : 
par  la  mesme  puissance,  laquelle  il  a  demonstrée  en  ressusci- 
tant son  Filz.  Car  ceux  qui  seront  pour  lors  en  vie,  viendront  en 

25  immortalité,  plus  par  une  mutation  subite,  que  par  une  forme 
naturelle  de  mort.  Or  pource  que  la  Prophétie  sera  lors  accom- 
plie entièrement,  où  il  est  predict  que  la  mort  doibt  estre  en- 
gloutie en  victoire  :  à  ceste  cause  la  ^  ie  éternelle  est  mise  quant 
et  quant.  De  l'excellence  de  laquelle  quand  on  aura  dict  tout  ce 

30  que  pourront  exprimer  toutes  langues  humaines  :  à  grand' 
peine  en  aura  on  touché  la  moindre  partie.  Car  combien  que 
l'Escriture  enseigne  que  le  Royaume  de  Dieu  est  plein  de 
clarté,  joye,  et  félicité  :  neantmoins  tout  ce  quelle  en  dit  est 
bien  loing  de  nostre  intelligence,  et   quasi  envelopé  en  figure  : 

sojusques  à  ce  que  viendra  le  jour,  auquel  le  Seigneur  se  declai- 
rera  à  nous  face  à  face.  Parquoy  les  Prophètes,  pource  qu'ilz 
ne  pouvoient  exprimer  de  parolles  ceste  béatitude  spirituelle 
en  sa  substance  :  l'ont  descripte  et  quasi  depeincte  soubz  figu- 
res  corporelles.    Neantmoins    pource    qu'il  est  besoing  que  no- 


DE    LA    FOV.  29?> 

stre  cœur  soit  enflambé  en  l'amour,  et  attente  d'icelle  :  il  nous 
fault  principalement  arrester  en  ceste  cogitation.  C'est  que  si 
Dieu,  comme  nostre  fontaine  vive,  contient  en  soy  la  plénitude 
de  tous  biens,  que  ceux  qui  tendent  au  souverain  bien  et  à  toutes 
5  les  parties  de  félicité,  ne  peuvent  rien  désirer  oultre  luy.  Or 
Sainct  Pierre  dénonce,  que  les  fidèles  sont  appeliez  à  ce  qu'ilz  2.Pier.  /, 
soient  quelque  fois  participans  de  la  nature  divine .  Comment  2.  The.  / . 
cela?  C'est,  que  le  Seigneur  sera  g-lorifié  en  ses  Sainctz,  et  exalté 
en  ceux  qui  ont  cœur  à  son  Evangile.   Si  le  Seigneur  doibt  de- 

10  partir  à  ses  esleuz  de  sa  gloire,  vertu  et  justice,  voire  se  commu- 
niquer soymesme  à  eux  :  il  nous  fault  considérer,  que  soubz  cette 
grâce  tous  biens  sont  comprins.  Et  encores  quand  nous  aurons 
bien  profité  en  ceste  méditation  :  si  nous  fault-il  entendre  que  nous 
sommes  encores  tout  au  bas  et  à  la  première  entrée  :  et  que  jamais 

15  nous  n'approcherons  durant  ceste  vie  à  la  grandeur  de  ce  mystère. 
Ce  n'est  point  de  merveilles    qu'il  n'est  icy  faicte  nulle  men- 
tion,   ne  de   la  résurrection   des  meschans,  ne  de    la   mort  éter- 
nelle,   laquelle   leur  est  préparée.   Car  icy   sont  seulement  pro- 
posées   les   choses  dont    se   doibt   consoler  la  conscience  du  li- 

2odele,  et  se  nourrir  et  confermer  en  fiance  de  salut.  Toutesfois  si 
ne  fault-il  pas,  que  les  espritz  curieux  pensent  pourtant  que 
les  iniques  ne  ressusciteront  point  :  pource  que  au  Symbole  il 
n'y  a  nul  tesmoignage  de  leur  résurrection.  La  condition  des 
iniques,  après  ceste  vie,    est  assez  demonstrée  ailleurs  :   et  tout 

25  ce  qui  les  doibt  faire  trembler,  est  assez  declairé  :  pourtant  il  ne 
fault  point  qu'on  les  cherche  au  Symbole,  qui  ne  contient  sinon 
matière  pour  fonder  et  édifier  nostre  fo}-.  Le  Seigneur  Jésus 
ne  testifie-il  point  assez  clairement  la  résurrection  universelle  ; 
quand  il  dit  qu'il  assemblera    devant   sa  face  tous    peuples  ;  et  Mat.  25. 

30  les  séparera  en  leur  ordre  ;    comme  un  pasteur  sépare  les  brebis  Jean  5. 
des   boucz  ?  Item  en  un   autre    lieu  :  que  ceux  qui  auront  bien 
vescu,  entreront  en  la  résurrection  de  vie  :  ceux  qui  auront  mal 
vescu,  en  la  résurrection  de   mort.  Qu'est-ce  que    nous  deman- 
dons plus  apert  ;    que  la  confession  de   Sainct  Paul  ;  qu'il  feist 

35  devant  Félix  gouverneur  de  Judée  ;  c'est  qu'il  attendoit  la  résur- 
rection future  ;  tant  des  iniques,  comme  des  justes?    Puis  donc  Act.  24. 
que    la   résurrection   universelle  est  si  bien    approuvée  par  tant 
de  tesmoignages  :  il  ne  fault  point  qu'un  tas  d'espritz  frivoles  la 
remettent  en  doubte.   Combien  que  la  rémunération   des  justes 


296  CHAPITRE    IlII. 

et  punition  des  iniques  soient  tellement  conjoinctes,  que  l'une 
emporte  l'autre.  Pourtant  quiconque  tesmoigne  que  l'une  sera,  il 
présuppose  l'autre  quant  et  quant.  Ce  que  le  Seigneur  note  bien 
par  le  Prophète,  quand  il  dit.    Le  jour  de  vengeance  est  en  mon  Iesa.63.et 
j  cœur,  et  le  temps  de  rédemption  est  venu.  Item  en  un  autre  lieu,   ^i^^ 
Vous  verrez  et  vostre   cœur   sera  esjouy,    et  voz  os  verdoieront 
comme   l'herbe  :    et  sera  congneuc-  la  main  du  Seigneur  sur  ses  les.t.  66. 
serviteurs,  et  son  indignation  sur  ses  ennemys.  Or  d  autant  que 
cela  ne  se  fait  point  en  ce  monde  synon  obscurément,  et  mesmes 

10  ne  s'y  accomplist  jamais  du  tout  :  il  convient  proprement  au 
dernier  jour  de  rétribution,  auquel  apparoistra  le  Jugement  et 
la  Justice  de  Dieu.  Mais  pource  qu'il  n'y  a  nulle  description 
suffisante,  pour  demonstrer  combien  seront  horribles  les  peines 
des  meschans  :   les  tourmens   qu  ilz  doibvent  endurer  nous  sont 

15  figurez  par    choses  corporelles  :  à  scavoir  par  ténèbres,  pleurs,  lésa,  pre- 
grincemens   de    dentz,    feu  éternel,    et  verms  rongeans  le  cœur    ""^'• 
incessamment.  Car  il  est  certain  que    le  Sainct  Esprit,  par  telles 
manières  de  parler,  a  voukt  dénoter   une    extrême   horreur,   qui 
esmeuve  tous  les  sens.  Comme  quand  il  dit,  qu'une  Géhenne  pro- 

ko  fonde  leur  est  préparée  de  toute   éternité  :   laquelle  est  ardante 

en  ieu,  pour   lequel  entretenir,  il  y  a  tousjours  boys  appareillé  ;  lésa.  30. 
et  que  l'Esprit  de  Dieu  est  comme  soullfre  pour  lentlamber.  Com- 
bien donc  que  par  telles  formes  de  parler  nous  debvions  estre 
instruictz    à  concepvoir  aucunement  la  misérable  condition  des 

25  iniques  :  toutesfois  si  nous  fault-il  là  principalement  fischer  nostre 
pensement  :  quelle  malheureté  c'est  d'estre  séparé  de  toute  com- 
paignie  de  Dieu.  Et  non  seullement  ce,  mais  sentir  sa  Majesté 
contraire  à  nous,  laquelle  nous  ne  puissions  fouyr,  cju'elle  ne 
nous  persécute  tousjours.  Car  premièrement  son  indignation  est 

30  comme  un  feu  embrasé  :  lequel,  de  son  attouchement,  dévore 
et  engloutist  toutes  choses.  Puis  après  toutes  créatures  servent 
tellement  à  icelle,  pour  exécuter  sa  rigueur,  que  tous  ceux  aus- 
quelz  Dieu  a  révélé  son  ire,  sentent  le  Ciel,  la  Terre,  la  Mer, 
toutes    bestes  et   toutes   autres   choses,    comme    armées  en  leur 

35ruyne  et  perdition.    Pourtant  l'Apostre  n'a  pas  dit  une  chose  de 
petite  conséquence,   disant,   que  les  infidèles  seront  puniz  éter- 
nellement,  en    ce  que  la  face   du   Seigneur,  et  la  gloire  de    sa  2.  The.  4 
vertu,   les    persécutera.    Car  si  la   povre  conscience,   se  voyant 
en  la  présence  de  Dieu  et  sentant  son  ire,  est  tellement  deschi- 


DE    LA    FOY. 


297 


rée,  piquée,  abatvie,  angoissée,  transpercée,  dissipée,  brisée,  que 
ce  luj  seroit  une  chose  plus  doulce  d'estre  engloutie  en  mil 
goulfres  et  abismes,  que  de  soustenir  ce  torment  une  seule  mi- 
nute :  combien  luy  est-il  grief  d'estre  enserré  sans  fin  et  sans 
3  cesse  en  lire  de  Dieu  ? 

Au  reste,  l'erreur  des  Chiliastes,  qui  ont  déterminé  le  Royaume 
de  Christ  et  la  confusion  du  Diable  et  de  ses  membres  à  mil  ans, 
est  si  frivole  et  puérile  :  qu'il  n'a  ja  mestier  et  n'est  pas  digne 
mesmes  d'estre  refuté.  Toute  l'Esc riture  crye  haidt  et  cler,  qu'il 

10  n'y  aura  nulle  fin  ny  à  la  béatitude  des  esleuz,  ny  au  torment  des 
iniques.  Ou  il  nous  fault  prendre  en  la  parolle  de  Dieu  la  certitude 
des  choses  qui  ne  sont  point  visibles  à  l'œil,  et  ne  se  peuvent 
comprendre  par  raison  humaine  :  ou  il  n'en  faidt  rien  croire  du 
tout.  Ceux  qui  assignent   mil    ans  aux  enfans  de    Dieu,  pour  la 

15  béatitude  de  la  vie  future  :  ne  voyent  point  quelle  injure  ilz  font 
et  à  Christ  et  à  son  Règne.  Car  si  ainsi  estoit,  que  les  fidèles  ne 
deussent  point  estre  vestuz  d'immortalité  :  il  s'ensuyvroit  que 
Christ  (à  la  gloire  duquel  ilz  seront  faictz  conformes)  n'auroit 
point  esté  receu  en  gloire  immortelle.   Si  leur  béatitude  ha  quel- 

20  que  fin  :  il  s'ensuyt  que  le  Règne  de  Christ,  auquel  ilz  sont,  est 
temporel.  Finalement,  ou  telle  gens  sont  fort  ignorans  des  choses 
Divines  :  ou  il  s'efforcent,  d'une  grande  malice,  à  renverser  toute 
la  grâce  de  Dieu  et  la  vertu  de  Christ  :  desquelles  l'accomplisse- 
ment ne  peut  estre,  sinon  que  le  péché  estant  aboly  et   la  mort 

25  engloutie,  la  vie  éternelle  soit  plainement  restaurée.  Ce  quilz 
craignent  d'attribuer  trop  grande  cruauté  à  Dieu,  en  disant, 
que  les  meschans  seront  puniz  de  torment  éternel  :  Les  aveu- 
gles mesmes  voyent  bien  quelle  folie  c'est  que  cela  :  comme  si 
le  Seigneur    faisoit  grande    injure,  en  privant  de  son  Royaume 

30 ceux,  qui  par  leur  ingratitude,  s'en  sont  renduz  indignes. 
Mais  les  péchez,  disent-ilz  :  sont  temporelz.  Je  leur  confesse  : 
mais  la  Majesté  de  Dieu,  laquelle  ilz  ont  offensé,  est  éternelle. 
C'est  donc  à  bon  droict,  que  la  mémoire  de  leur  iniquité  ne  périt 
point.  Mais    si    ainsi    est,    disent-ilz,    la  correction  surmontera 

33  la  mesure  du  péché .  Je  respondz  que  cela  est  un  blasphè- 
me intollerable  :  quand  la  majesté  de  Dieu  nous  est  en  si 
petite  estime,  que  d'estimer  moins  le  contemnement  d'icelle,  que 
la  perdition  d'une  anie.  Parquoy  laissons  telz  babillars  :  à  fin 
qu'il  ne  semble  que  nous  les  jugeons  dignes  de  responses,  con- 


298  CHAPITRE  un. 

tre  ce  que  nous  avons  dict  au  commencement. 

Or  par  tout  où  sera  ceste  vive  Foy  :  il  est  impossible  qu'elle 
n'emporte  tousjours  avec  soy  l'Espérance  de  saKit  éternel  :  ou 
plustost  qu'elle  ne  l'engendre  et  produyse.  Car  si  ceste  Espérance 
0  n'est  en  nous  :  quelque  beau  babil  et  parolles  fardées  que  nous 
ayons  de  la  Foy,  il  est  certain  que  nous  n'en  tenons  rien.  Car  si 
la  Foy,  comme  dict  a  esté,  est  une  certaine  persuasion  de  la  vérité 
de  Dieu,  que  ycelle  vérité  ne  peut  mentir,  tromper,  ne  frustrer  : 
quiconques  a  conceu  ceste  certitude,  il  attent  pareillement  que  le 

10  Seigneur  accomplira  ses  promesses  :  lesquelles  il  tient  pour  véri- 
tables :  tellement,  qu'en  somme,  Espérance  n'est  autre  chose 
qu'une  attente  des  biens,  que  la  Foy  a  creu  estre  véritablement 
promiz  de  Dieu.  Ainsi  la  Foy  croyt  que  Dieu  est  véritable  :  Espé- 
rance attend  qu'il  révélera  en  temps  sa  vérité.  La  Foy  croyt  qu'il 

15  est  nostre  Père  :  Espérance  attend  qu'il  se  révélera  estre  tel 
envers  nous.  La  Foy  croyt  que  la  vie  éternelle  nous  est  donnée: 
Espérance  attend  que  nous  l'obtiendrons  une  fois.  La  Foy  est  le 
fondement  sur  lequel  Espérance  repose  :  Espérance  nourrist  et 
maintient  la  Foy.  Car,  comme  nul  ne  peut  rien  attendre  de  Dieu, 

20  sinon  celuy  qui  a  premièrement  creu  à  ses  promesses  :  aussi  de 
rechef  il  fault  que  l'imbécillité  de  nostre  Foy  soit  entretenue,  en 
attendant  et  espérant  patiemment,  à  fin  de  ne  point  deffaillir.  Par-  Rom.  S. 
quoy  Sainct  Paul  parle  tresbien,  quand  il  constitue  nostre  salut 
en  Espérance  :  laquelle,  en  attendant  Dieu   avec  sillence,  retient  lésa.  36. 

25  la  Foy,  à  ce  qu'elle  ne  tresbuche  par  se  trop  haster  :  elle  la  con- 
ferme,  à  ce  qu'elle  ne  vacile  point  ez  promesses  de  Dieu,  ou  enayt 
quelque  doubte  :  elle  la  recrée  et  reconforte  à  ce  qu'elle  ne  se 
lasse  point  :  elle  la  conduyt  jusques  à  son  dernier  but,  à  ce  quelle 
ne  deffaille  point  au  milieu  du  chemyn,    ou  mesmes   en  la  pre- 

30  miere  journée  :  Finalement,  en  la  renouvellant  et  restaurant  de 
jour  en  jour,  elle  luy  donne  vigueur  assiduelle  pour  persévérer, 
Encores  verrons-nous  plus  clairement,  en  combien  de  sortes  il  est 
mestier  que  la  Foy  soit  confermée  par  Espérance  :  si  nous  considé- 
rons de  combien  d'espèces  de  tentations  sont  assailliz  ceux,  qui 

35  ont  une  fois  receu  la  paroUe  de  Dieu.  Premièrement  le  Seigneur, 
en  différant  ses  promesses,  souventesfois  nous  tient  en  suspendz 
plus  que  nous  ne  vouldrions.  En  cest  endroit  c'est  l'oftîce  de  la  Foy 
de  faire  ce  que  dit  le  Prophète  :  a  scavoir,  si  les  promesses  de  Dieu  Abac.2. 
sont  tardives  :  que  nous  ne  laissions  point  de  les  attendre.  Aucunes- 


DE    LA    FOY 


299 


fois  aussi  non  seulement  Dieu  nous  laisse  languir  :  mais  donne 
apparence  d'estre  courroucé  contre  nous  :  à  quoy  il  fault  que  la 
Foy  nous  subvienne  :  à  fin  que  suyvantz  la  sentence  de  l'autre 
Prophète,  nous  puissions  attendre  le  Seigneur,  combien  qnil  lesaie. 
aayt  caché  sa  face  de  nous.  Hz  se  dressent  aussi  des  moqueurs, 
comme  dit  Sainct  Pierre,  qui  demandent  :  Où  sont  les  promesses? 
et  où  est  la  venue  de  Jésus  Christ?  veu  que  depuis  la  création  du  2.Pier.3. 
monde  toutes  choses  vont  en  mesme  train  ;  voire  mesmes  la  chair 
et  le  monde  nous  suggèrent  cela  en  l'entendement?  Icy  il  fault 

10  que  la  Foy,  estant  soustenue  et  appuyée  sur  l'Espérance,  soit 
fichée  et  s'arreste  du  tout  à  contempler  l'éternité  du  Royaume 
de  Dieu,  à  fin  de  reputer  mil*  ans  comme  un  jour. 

Pour  ceste  affinité  et  similitude,  l'Escriture  aucunesfois  con- 
ond  l'un  avec  l'autre  de  ces  deux  vocables,  Foy,  et  Espérance. 

13  Comme  quand  Sainct  Pierre  dit,  que   la  vertu   de  Dieu  nous  con-  /     Pier. 
serve  par  Foy,  jusques  à  la  révélation  de  salut.  Ce  qui  estoit  plus    '^^• 
convenable  à  Espérance  qu'à  Foy.  Neantmoins  celane  se  faict  point 
sans  raison:  veu  que  nous  avons  monstre,  Espérance  n'estre  autre 
chose,  sinon  fermeté  et  persévérance  de  Foy.  Or  il  n'est  pas  main- 

20  tenant  difficile  à  voir,  combien  lourdement  s'abuse  le  Maistre  des 
Sentences,  en  faisant  double  fondement  d'Espérance  :  à  scavoir  la 
grâce  de  Dieu,  et  le  mérite  des  œuvres.  Certes  elle  ne  peut  avoir 
autre  but  que  la  Foy.  Or  nous  avons  clairement  monstre,  que  la 
Foy  ha  pour  son  but  unique,  la  miséricorde   de  Dieu,  et  que  du 

2ï  tout  elle  s'y  arreste,  ne  regardant  nullement  aillieurs.  Mais  il  est 
bon  d'ouyr  la  belle  raison  qu'il  allègue.  Si  tu  oses,  dit-il,  espérer 
quelque  chose  sans  l'avoir  mérité  :  ce  n'est  point  Espérance,  mais 
presumption.  Je  vous  prie,  mes  amyz,  qui  sera  celuyqui  se  tiendra 
de  maudire  telles  bestes  :  lesquelles  pensent  que  c'est  temeraire- 

30  ment  et  presumptueusement  faict,  de  croire  certainement  que 
Dieu  est  véritable  ?  Car  comme  ainsi  soit  que  Dieu  nous  comman- 
de d'attendre  toutes  choses  de  sa  bonté  :  ilz  disent  que  c'est  pre- 
sumption de  se  reposer  et  acquiescer  en  icelle.  Mais  un  tel  mais- 
tre est  digne  des  disciples  qu'il  ha  eu  ez  escolles  des  Sophistes. 

35  c'est  à  dire  Sorboniques.  Nous,  aucontraire,  quand  nous  voyons 
que  Dieu  apertement  commande  aux  pécheurs  d'avoir  certaine 
Espérance  de  salut,  présumons  hardiement  tant  de  sa  vérité  que, 
moyennant  sa  miséricorde,  rejettantz  toute  fiance  de  noz  œuvres, 
nous    espérions    sans    aucune    doubte,    ce    qu'il    nous   promet. 


DE  PENITENCE 

CHAP.  V. 

IL  NOUS  FAULT  après  la  Fov,  consequemment  dire  de  Pé- 
nitence :  veu  que  non  seulement  elle  est  conjoincte  à  la  Foy, 
mais  aussy  en  est  engendrée.  Car  comme  ainsi  soit  que  grâce  et 
remission  soit  présentée  au  pécheur  par  la  prédication  de  TEvan- 

5  gile  :  à  fm  qu'estant  délivré  de  la  misérable  servitude  de  péché 
et  de  mort,  il  soit  transféré  au  Royaume  de  Dieu  :  il  s'ensuit 
que  nul  ne  peut  recevoir  grâce  de  l'Evangile  par  Foy,  qu'il  ne 
se  réduise  de  sa  vie  esgarée  en  la  droicte  voye  :  et  mette  toute 
son  estude  à  méditer   une    vraye  repentance.    Ceux  qui  pensent 

10  que  la  Pénitence  précède  plustost  la  Foy  qu'elle  ne  procède 
d'icelle,  sont  meuz  à  cela  dire,  d'une  raison  trop  legiere.  Christ, 
disent-ilz  et  Jehan,  en  leurs  sermons  exhortent  premièrement 
à  repentance  :  puis  après  disent  que  le  Royaume  de  Dieu  est 
approché.  Un  tel  mandement,  disent  ilz,  a  esté  baillé  aux  Apos- 

15  très,  et  un  tel  ordre  a  esté  gardé  par  Sainct  Paul:  comme  recite 
Sainct  Luc.  Mais  en  s'arrestant  trop  superstitieusement  à  l'ordre 
des  syllabes,  ilz  ne  regardent  point  à  quel  propoz  tendent  les 
sentences,  et  comment  elles  sont  conjoinctes.  Car  quand  Jésus 
Christ,  et    Jehan  Baptiste    font    ceste    exhortation    :    Repentez 

20  vous,  veu  que  le  Royaume  de  Dieu  est  approché,  ne  desdui- 
sent-ilz  pas  la  cause  de  repentance,  de  ce  que  Jésus  Crist, 
nous  présente  grâce  et  salut  ?  Parquoy  ces  parolles  vallent 
autant  comme  s'ilz  disoient.  Puis  que  le  Royaume  de  Dieu  est 
approché    :    à    ceste    cause    faictes    Pénitence.    Mesmes    Sainct 

25  Mathieu,    ayant  recité   ceste   jiredication   de    Sainct  Jehan,   dit  3/a//i.  3. 
qu'en    cela   a  esté  accomplye  la  Prophétie  d'Esaie,  touchant  la  Jeh.  40. 
voix  qui  crye  au  Désert  :  préparez  la  voye  au  Seigneur,  dressez- 
luy  ses    sentiers.  Or  Tordre    du    Prophète  est,    que    ceste   voix 
doibt  commencer  par    consolations  et  joyeuse  nouvelle.   Neant- 

30  moins  quand  nous  disons  que  l'origine  de  repentance  vient  de 
Foy  :  nous  ne  songeons  point  qu'il  faille  quelque  espace  de  temps, 
auquel  il  faille  qu'elle  soit  engendrée  :  mais  nous  voulons  signi- 


DE    PENITENCE.  301 

fier  que  1  homme  ne  se  peut  droictement  adonner  k  repentence, 
sinon  qu'il  se  recong-noisse  estre  à  Dieu.  Or  nul  ne  se  peut  re- 
souldre  estre  à  Dieu  :  sinon  qu'il  ayt  premièrement  recongneu 
sa  grâce.  Mais  ces  choses  seront  plus  clerement  deduictes  en  la 
5  procédure.  Au  reste  ceux  qui  inventent  une  nouvelle  manière  de 
Ghrestienté,  c'est  que,  pour  recevoir  le  Baptesme,  on  ayt  certains 
jours  ausquelz  on  se  exerce  en  Pénitence,  devant  qu'estre  receuz 
à  communiquer  à  la  grâce  de  l'Evangile,  n'ont  nulle  apparence 
en  leur  erreur  et   folie.  Je  parle  de  plusieurs    Anabaptistes  :  et 

10  principallement  de  ceux  qui  appetent  estre  dictz  spirituelz.  Mais 
ce  sont  les  fruictz  que  produict  cest  esprit  de  phrenesie  :  d'or- 
donner quelque  peu  de  jours  à  faire  Pénitence  :  laquelle  doibt 
èstre  continuée  de  l'homme  chrestien  toute  sa  vie. 

Aucuns  hommes  scavans  par  cy  devant  long  temps  voulantz 

15  simplement  et  purement  parler  de  Pénitence  selon  la  reigle  de 
l'Escriture,  ont  dict  qu'elle  consistoit  en  deux  parties  :  C'est 
à  scavoir  mortification  et  vivitication.  Et  interprètent  mortifica- 
tion une  douleur  et  terreur  de  cœur,  qui  se  conceoit  par  la  con- 
gnoissance  de  péché  et  le  sentiment  du  Jugement  de  Dieu.  Car 

20  quand  quelqu'un  est  amené  à  la  vraye  congnoissance  de  son 
péché,  adonc  il  commence  k  le  hayr  et  détester  :  adonc  vraye- 
ment  il  se  desplaist  en  son  cœur,  et  se  confesse  misérable  et  con- 
fuz,  il  se  souhaite  estre  autre  qu'il  n'est.  Oultre,  quand  il  est  tou- 
ché du  sentiment  du  jugement  de  Dieu  (car  l'un  incontinent  s'en- 

25  suit  de  l'autre  lors  humilié,  espoventé  et  abbatu,  il  tremble  et  se 
desconforte,  et  pert  toute  espérance.  Voylà  la  première  partie  de 
Pénitence,  qui  est  appellée  contrition.  Hz  interprètent  une  viviti- 
cation estre  une  consolation  produycte  de  la  Foy  ;  c'est  quand 
l'homme,  confondu  par  la  conscience  de  son  péché,  et  frapé  delà 

30  crainte  de  Dieu,  jettant  son  regard  sur  la  bonté  et  miséricorde  de 
Dieu,  sur  la  grâce  et  salut  qui  est  en  Jésus  Crist,  se  relieve,  res- 
pire, reprend  couraige,  et  quasi  retourne  de  mort  en  vie. 

Les   autres,   pourtant  quilz    voyent  ce  nom  icy  estre  diver- 
sement prins  en  l'Escriture,   ont  mis  deux  espèces  de  Pénitence. 

35  Et  pour  distinguer  en  ont  appelle  l'une  légale  :  par  laquelle  le 
pécheur  navré  du  cautère  de  son  péché ,  et  comme  brisé  de 
terreur  de  l'ire  de  Dieu ,  demeure  lyé  en  ceste  perturbation , 
sans  s'en  pouvoir  despetrer.  L'autre  ilz  ont  nommée  Evange- 
lique  :  par  laquelle   le  pécheur,  estant  griefvement  afligé  en  sov 


302  cdAi'iTKh;  V. 

mesme,  se   esleve    neantmoins    plus   hault  :    embrassant    Jésus 
Christ,  pour  la    médecine  de  sa  playe,  la  consolation  de    sa  ter- 
reur, le  port  de  sa  misère.  Cayn,  Saul,  Judas,  sont  exemples  de  Gène.  A. 
la  pénitence  légale:    desquelz  quand  FEscriture  nous  descrit  la  /.  Roy  s 

0  Pénitence,  elle  entend,  que  après  avoir  cong-neu  la  pesanteur  de    ^^• 
leur  péché,  ilz  ont  eu  crainte   de  Tire  de  Dieu:  mais  ne  pensans  Mal.  27. 
sinon  à  la  vengeance  et  au  Jugement  de  Dieu,  ont  esté  abismez 
en  ceste    cogitation.  Donc   leur  pénitence  n'a  esté   autre  chose, 
qu'un  portail  d'Enfer  :  auquel  desja  entrez  en  ceste  présente  vie, 

10  ilz  ont  commencé  à  soutl'rir  l'ire  de  la  Majesté  de  Dieu.  Nous 
voyons  la  pénitence  Evangelique  en  tous  ceux,  qui,  après  avoir 
esté  poinctz  en  euxmesmes  de  l'aiguillon  de  péché,  érigez  neant- 
moins en  fiance  de  la  miséricorde,  se  sont  retournez  à  luy,  Eze- 
chias  fust  troublé  ayant  receu  le  message  de  mort,  mais,  plorant 

lo  il  pria,  et  regardant  à  la   miséricorde  Dieu,    reprind  liance.  Les  i.  Boys 
Ninivites    furent  espoventez  de    l'horrible  dénonciation    de  leur    ~   ' 
ruyne  :  mais  couyers  de  sacz  et  de  cendres  ilz  prièrent,  esperans  lesaie  36. 
que  le  Seigneur  se  pourroit  convertir  et  destourner  de  la  fureur 
de  son  ire.   David  confessa  qu'il  avoit  trop  griefvement  péché,  en  Jonas  2. 

20  faisant  les  monstres  du  peuple  :    mais  il  adjousta,  Seigneur  oste  2.  Roy  s 
l'iniquité  de   ton  serviteur.  A  l'objurgation  de    Nathan  il  recon-  a  ^Ç"'^^* 
gneust  le  crime  d'adultère,  il  se   prosterna   devant  Dieu  :    mais  Actes  2. 
pareillement  il  attendit  pardon.  Telle  fust  la  pénitence  de  ceux, 
qui  à  la  prédication  de  Sainct  Pierre  furent  navrez  en  leur  cœurs,  Luc  22. 

25  mais  se  confians  à  la  bonté  de  Dieu  adjousterent  :  Que  ferons 
nous  hommes  frères  ?  Telle  fut  aussi  celle  de  Sainct  Pierre,  qui 
pleura  amèrement,  mais  ne  laissa  point  d'espérer. 

Combien  que   toutes    ces  choses   soient  vrayes  :  neantmoins, 
d'autant  que  je  le  puis  comprendre  par  l'Escriture,  il  fault  autre-  .4c/.  20. 

30  ment  entendre  le  nom  de  Pénitence.  Car  ce  qu'ilz  confondent  la 
Foy  avec  la  pénitence,  est  répugnant  à  ce  que  dit  Sainct  Paul  auz 
Actes  :  Qu'il  avoit  testifîé  aux  Juifz  et  Gentilzla  Pénitence  envers 
Dieu,  et  la  Foy  en  Jésus  Crist.  Auquel  lieu,  il  met  la  Foy,  et  la 
Pénitence  comme  choses  diverses.   Quoy  donc  ?  La  vraye  Peni- 

3atence  peut  elle  consister  sans  Foy?  Nenny  pas.  Mais  combien 
qu'elles  ne  se  puissent  diviser  :  toutesfois  il  les  fault  distin- 
guer. Car  comme  la  Foy  ne  peut  estre  sans  Espérance  :  néan- 
moins Foy  et  Espérance  sont  choses  différentes  :  aussi  pareille- 
ment la  Pénitence  et  la  Foy,    combien  qu'elles  s'entretiennent 


DE    I'ElNITENC.I';. 


303 


d'un  lyen  indivisible  :  toutesfois  elles  se  doivent  plustost  con- 
joindre,  que  confondre.  Je  n'ignore  pas,  que,  soubz  le  nom  de 
Pénitence,  toute  la  conversion  à  Dieu  est  comprinse  :  dont  la 
Foy  est  une  des  principales  parties.  Mais  quant  la  nature  et  pro- 
Dprieté  d'icelle  aura  esté  expliquée,  il  apparoistra  en  quel  sens 
cela  est  dict.  Le  mot  qu'ont  les  Hebrieux  pour  signifier  Pénitence, 
signifie  conversion.  Celuy  qu'ont  les  Grecz  signifie  changement 
de  conseil,  et  volunté,et  de  faict.  La  chose  ne  respond  point  mal 
à  ces  vocables  :  veu  que   la  somme  de  Pénitence  est,   que  nous 

10  estans  retirez  de  nous  mesmes,  soyons  convertiz  à  Dieu  :  et  ayans 
délaissé  nostre  première  cogitation  et  volunté,  en  prenions  une 
nouvelle.  Parquoy,  à  mon  jugement  nous  la  pourrons  proprement 
diffinir  en  ceste  sorte  :  Que  c'est  une  vraye  conversion  de  nostre 
vie  à   suyvre   Dieu  et   la  voye  qu'il    nous   monstre,    procédante  A>:;<'c.  / . 

15  d'une  crainte  de  Dieu  droicte  et  non  feiucte  :  laquelle  consiste  en 
la  mortification  de  nostre  chair,  et  nostre  vieil  homme,  et  vivi- 
fication  de  l'Esprit.  Auquel  sons  il  fault  prendre  toutes  les  exhor- 
tations qui  sont  contenues  tant  aux  Prophètes  que  aux  Apostres 
par  lesquelles  ilz  admonnestent  les  hommes  de  leur  temps  k  faire 

20  pénitence.  Car  ilz  les  vouloient  mener  à  ce  poinct,  que  estans  con- 
fuz  de  leurs  péchez,  et  navrez  de  la  crainte  du  Jugement  de  Dieu, 
ilz  se  humiliassent  et  prosternassent  devant  sa  Majesté,  qu'ilz 
avoient  offensée,  et  se  retirassent  en  la  droicte  voye.  Pourtant 
quand  ilz  parlent  de  se  convertir  et  se  retourner  au  Seigneur,  de 

2o  se  repentir  et  faire  pénitence  :  ilz  tendent  tousjours  à  une  mesme 

fin.  Et  Sainct  Paul  et  Sainct  Jehan  disent,  qu'on  produise  fruictz 

dignes  de  repentance  :  entendantz  qu'il  fault  mener  une  vie  qui 

monstre  et  testifie,  en  toutes  ses  actions,  un  tel  amendement. 

Mais  devant  que  procéder  oultre  il  sera  expédient  d  expliquer 

30  davantaige  la  deffinition  cy  dessus  mise  :  en  laquelle  il  y  a 
principalement  trois  articles  à  considérer.  Pour  le  premier 
quand  nous  appelions  Pénitence  une  conversion  de  vie  à  Dieu, 
nous  requérons  un  changement,  non  pas  seulement  aux  œuvres 
externes  :    mais  aussi    en  l'ame,  à  ce  que,   s'estant  despouillée 

33  de   sa  vieille  nature   produise    après  fruictz  dignes  de  sa  réno- 
vation. Ce  que  voulant  le  Prophète  exprimer,  commande  à  ceux  Ezec.  S. 
qu'il  exhorte  à  repentance,  d'avoir  un  nouveau  cœur.    Parquoy 
Moyse  par  plusieurs  fois  voulant  renionstrer  au  peuple  d'Israël, 
quelle  est   la  vraye  conversion  :  les  enseigne  de  se  convertir  de 


30i  CHAPITRE    V. 

tout  leur  cœur  et  de  toute  leur  ame.  Laquelle  locution  est  souvent 
répétée  des  Prophètes.  Toutesfois  il  n  j  a  lieu  dont  nous  puis- 
sions myeux  entendre,  q[ue]lle  est  la  vraye  nature  de  Pénitence, 
q\ie  du  quattriesme  de  Jeremie,  où  Dieu  parle  en  ceste  manière. 
5  Israël  si  tu  te  convertiz,  convertiz  toi  à  moy.  Cultive  bien  la  terre 
de  ton  cœur,  et  ne  semé  point  sus  les  épines.  Sois  circonciz  au 
Seigneur,  et  oste  toute  immundicité  de  ton  cœur.  Nous  voyons 
comment  il  dénoncé,  cpie,  pour  se  mettre  à  bien  vivre,  ilz  ne 
peuvent  prendre  autre  commencement,  sinon  de  desraciner  toute 

10  impieté  du  cœur.  Pour  ceste  cause  lesaïe  se  mocque    de  toutes  lesaie  38. 
les  entreprinses  des  hypocrites  :  lesquelz   de   son  temps  seffor- 
ceoient  à  amender  leur  vie  extérieurement  :  mais  ce  pendant  ne 
se  soucioient  de  rompre  le  lyén  d'impiété,  duquel  estoit  envelopé 
leur  cœur.  Et  aussi  en  ce  passag^e  là  mesme,  il  demonstre  bien, 

15  quelles  sont  les  œuvres  qui  se  doibvent  ensuy  vre  de  la  vraye 
Pénitence.  Le  second  article  a  esté,  que  nous  avons  dit  qu'elle 
procède  d'xuié  droicte  crainte  de  Dieu.  Car  devant  que  la  cons- 
cience du  pécheur  soit  amenée  à  repentance  il  fault  qu'elle  soit 
premièrement  touchée  du  jugement  de  Dieu.  Car  quand  ce  pen- 

20  sèment  sera  une  fois  fiché  au  cœur  de  l'homme  :  que  Dieu  doibt 
une  fois  monter  en  son  Throsne  judicial,  pour  demander  compte 
de  toutes  œuvres  et  parolles  :  elle  ne  laissera  point  reposer  le 
povre  pécheur,  ne  respirer  une  seule  minute  de  temps,  quelle  ne 
picque  et  stimule  tousjours  à  mener  une  nouvelle  vie  :  à  fin  qu'il 

25  se  puisse  seurement  représenter  à  ce  jug-ement.  Parquoy  l'Escri- 
ture    souvent    quand    elle     nous    exhorte    à   repentance,    nous 
reduyt  en  mémoire  que  Dieu  jugera  une  fois  le  monde.  Comme 
en  ce  passage  de  Jeremie  :  Afin  que  ma  fureur  ne  sorte  comme  Jere.  4. 
feu   :  et  n'y  ayt  nul  qui  la  puisse   esteindre,  à  cause  de    vostre 

30 perversité.   Item,    en    la  prédication  de  Sainct   Paul  qu  il  fist  k  Actes   17. 
Athènes.    Comme  ainsi   soit  que    Dieu  ayt  laissé  cheminer  les 
hommes  en   ignorance  :    maintenant  il   leur    dénonce    de  faire 
pénitence,  d'autant  qu'il  a  déterminé  un  jour  auquel    il  jugera 
le  monde  en  équité.  Et  en   plusieurs  autres  lieux.   Aucunesfois, 

35  par  les  corrections  qui  sont  desja  advenues,  elle  demonstre  que 
Dieu  est  juge  :  à  fin  que  les  pécheurs  reputent,  que  beaucoup 
plus  griefve  peine  les  attend ,  s'ilz  ne  se  corrigent  de  bonne 
heure.  Dequoy  nous  avons  l'exemple  au  vingtunniesme  du  Deu- 
teronome.    Or  d'autant   que    le  commencement   de   nostre  con- 


DE    l'Ii.MTENCE.  30o 

version  à  Dieu  est,  quand  nous  avons  hayne  et  horreur  du  péché. 
A  ceste  cause  TApostre  dit,  que  la  tristesse,  qui  est  selon  Dieu,  2.  Cor.  7. 
est  cause  de  repentance  :  appellant  tristesse  selon  Dieu,  quand  non 
seulement   nous    avons  crainte  destre    puniz,  mais   hayssons  et 

5  avons  en  exécration  le  péché,  d'autant  que  nous  entendons  qu'il 
desplaist  à  Dieu.  Il  nous  fault  maintenant  expliquer  le  troisiesme 
article.  C'est,  que  nous  avons  dict,  que  la  Pénitence  consiste  en 
deux  parties  :  en  la  mortification  de  la  chair,  et  la  vivifîcation 
de  l'Esprit.  Ce    que   les  Prophètes,  combien  qu'ilz  parlent   sim- 

loplement  selon  la  rudesse  du  peuple,  auquel  ilz  avoient  à  faire  : 
neantmoins,  l'exposent  assez  bien,  quand  ilz  disent.   Cessez  de 
mal  faire:  et  adonnez-vous  à  bien.  Nettoyez-vous  de  voz  ordures,  Psal.Si. 
délaissez  vostre  vie  perverse,  apprenez  de  bien  faire,  appliquez-  hak  I . 
vous  à  justice,  miséricorde,  etc.  Car  en  rappelant  les  hommes  de 

15  malice,  ilz  requièrent  que  toute  leur  chair,  c'est  à  dire  leur 
nature,  soit  mortifiée  :  laquelle  est  pleine  d'iniquité.  Or  c'est 
un  commandement  bien  difïicile  d'autant  qu'il  emporte  que 
nous  nous  démettions  de  nous-mesmes,  et  délaissions  nostre 
propre  nature.  Car  il  ne  fault  pas  estimer  que  la  chair  soit  bien 

20  mortifiée,    sinon   que   tout    ce    que    nous   avons   de   nous,    soit 
anneanty  et  aboly.  Mais   veu  que  toutes  les  cogitations,  et  ail'ec-  Rom.  8. 
tions  de  nostre  nature  sont  répugnantes  à  Dieu,  et  ennemyes  de 
sa  justice  :  la  première  entrée  en  l'obeyssance  de  la  Loy  est ,  de 
renoncer  à  nostre  nature  et  à  toute  nostre  volunté.  En  après  est 

25  signifié  en  ce  passage  du  Prophète  le  renouvellement  de  vie  par 
les  faictz  qui  s'en  ensuyvent  :  à  scavoir,  justice,  jugement,  et 
miséricorde.  Car  il  ne  suffiroit  point  de  faire  les  œuvres 
extérieurement  :  sinon  que  l'ame  fust  premièrement  adonnée  à 
l'amour  et  affection   dicelles.   Or  cela   se  fait,  quand  l'Esprit  de 

30 Dieu,  ayant  transformé  noz  âmes  en  sa  saincteté,  les  dirige 
tellement  à  nouvelles  pensées  et  affections,  qu'on  puisse  dire 
qu'elles  sont  autres,  qu'elles  n'estoient  auparavant.  L'une  et 
l'autre  nous  vient  de  la  communication  que  nous  avons  avec 
Christ.    Car  si  nous  sommes  vrayement  participans  de  sa  mort  :  Rom.  6. 

33  par  la  vertu  d'icelle  nostre  vieil  homme  est  crucifié,  et  la  masse 
de  péché  qui  réside  en  nous  est  mortifiée  :  à  ce  que  la  corruption 
de  nostre  première  nature  n'ayt  plus  de  vigueur.  Si  nous  sommes 
participans  de  sa  résurrection  par  icelle  nous  sommes  ressuscitez 
en  nouvelleté  de  vie  :  laquelle  respond  à  la  Justice  de  Dieu.  Pour 
Inslilnlion.  20 


3(j(;  CHAPITRE    V. 

parler  donc  à  un  mot,  je  diz  que  Pénitence  est  une  régénération 
spirituelle  de  laquelle  le  but  est,  que  l'Image  de  Dieu,  qui  avoit 
esté  obscurcie  et  quasi  effacée  en  nous,  par  la  transgression 
d'Adam,   soit  restaurée.  Ainsi  l'appelle  l'Apostre,  quand  il  dit,  2.  Cor.  3. 

5  que    ayantz  le  voille  osté,  nous   représentons  la  gloire  de  Dieu,  Ephe.  4. 
estans"  transformez  en    une    mesme    image,  de  gloire  en  gloire, 
comme  par  l'Esprit  de  Dieu.   Item,  Sovez  renouveliez  en  vostre 
ame  :  et  vestez  le  nouvel  homme  :  lequel  est  créé  selon  Dieu  en- 
justice,  et  vrave  saincteté.  Item,  en  un  autre  lieu,  ayant  vestu  le  Coloss.  3 

10  nouvel  homme,  lequel  est  renouvelle  à  la  congnoyssance  et  image 
de  celuy  qui  Ta  créé.  Ainsi  donc  par  ceste  régénération  nous 
sommes  de  la  grâce  de  Christ  reparez  en  la  justice  de  Dieu  :  de 
laquelle  nous  estions  descheuz  par  Adam  :  comme  il  plaist  à 
Dieu  de  restituer  en  leur  entier  tous  ceux,  lesquelz  il  adopte  en 

13 l'Héritage  de  la  vie  éternelle. 

Maintenant  aussi  il  se  peut  entendre  quelz  sont  les  fruictz  de 
Pénitence.  Mais  pource  que  auctms,  voyantz  que  les  Prophètes  font 
mémoire  qu'on  se  doibt  repentir  avec  pleursetjeusnes.  ayantz  un 
sac  vestu,  et  les  cendres  sur  la  teste  (ce  qui  est  principalement  mons- 

20  tré  en  Joeljpar  cela  estiment  que  le  principal  de  Pénitence  soit  de 
jeusner  et  pleurer  :  il  nous  fault  obvier  à  leur  erreur.  En  ce  passage  Joël  2. 
là  donc  de  Joël,  ce  qui  est  dict,  en  la  conversion  entière  de  nostre 
cœur  au  Seigneur,   et  de  rompre,  nompas  noz  habillemens,  mais 
nostre  cœur,  est  du  tout  propre  à  la  Pénitence.  Les  pleurs  et  les 

23jeusnes  ne  sont  pas  mises  comme  conséquences  perpétuelles  : 
mais  comme  circonstances  qui  convenoient  spécialement  alors. 
Car  d'autant  qu'il  avoit  dénoncé  une  vengeance  de  Dieu  espouven- 
table  aux  Juifz  :  il  les  admoneste  de  la  prévenir,  non  seulement  en 
amendant  leur  vie  :  mais  aussi  en  se  humiliantz  et  monstrantz  signe 

30  de  tristesse.  Car  comme  anciennement  un  homme  accusé  de  crime, 
pour  impetrer  miséricorde  du  juge,  laissoit  croistre  sa  barbe,  ne  se 
pignoit  point  et  se  vestoit  de  dueil  :  aussi  il  convenoit  que  ce  peuple, 
qui  estoit  accusé  devant  le  Throsne  de  Dieu,  testifiast  par  signes 
extérieurs  qu'il  ne  demandoit  que  d'obtenir  pardon  de  sa  clémence, 

35  Or  combien  que  la  manière  de  se  vestir  d'un  sac,  et  se  jetter  cendres 
sur  la  teste,  fust  la  coustume  de  ce  temps  là,  et  ne  nous  appartient 
aujourd'huy  de  rien  :  toutesfois  les  pleurs  et  les  jeusnes  ne  nous 
seroient  point  aujourd'huy  impertinentz,  toutesfois  et  quantes 
que  le  Seigneur  nous  demonstré  apparence  de  quelque  calamité. 


DK    PENITENCE. 


-'307 


Car  quand  il  nous  faict  apparoistre  quelque  danger  :  il  dénonce 
qu'il  est  appareillé  à  faire  vengeance,  et  quasi  desja  armé.  Le 
Prophète  donc  parle  tresbien,  en  exhortant  à  pleurs,  et  jeusnes  : 
c'est  à  dire,  k  tesmoignage  de  tristesse,  ceux  ausquelz  il  avoit  pre- 
5  dict  que  le  jugement  de  Dieu  est  appareillé  pour  les  perdre.  En 
telle  sorte  les  Pasteurs  Ecclésiastiques  ne  seroient  point  mal  au- 
jourd'huy  :  si  toutesfoiset  quantesquilz  voyent  quelque  calamité 
prochaine,  soit  de  guerre,  de  famine,  ou  de  pestilence  :  ilz  i-emons- 
troient  à  leur  peuple,  qu'il  seroit  bon  de  prier  le  Seigneur  avec 

10  pleurs  et  jeusnes  :  moyennant  qu'ilz  s'arrestassent  au  principal, 
qui  est  de  rompre  les  cœurs  et  non  les  vestemens.  C'est  donc  une 
chose  certaine,  que  le  jeusne  n'est,  pas  tousjours  conjoinct  avec 
repentance,  mais  convient  particulièrement  à  ceux,  qui  veulent 
testiiîer  qu'ilz  se  recongnoyssent  avoir  mérité  l'ire  de  Dieu  :  et 

lïneantmoins  requièrent  pardon  de  sa  clémence.  Pour  ceste  cause, 
Jésus  Christ  le  met  avec  angoisse  et  tribulation.  Car  il  excuse  les 
Apostres  qui  ne  jeusnoyent  point  du  temps  qu'ilz  estoient  en  sa 
compagnie,  pource    que  c'estoit  le  temps  de  joye,  disant,  qu'ilz  Mat.  9. 
auroient  opportunité  de  jeusner  au  temps  de  tristesse  quand  il 

20  les  auroit  privez  de  sa  compagnie.  Je  parle  de  jeusne  solennel  et 
public.  Car  la  vie  du  Chrestien  doibt  estre  tempérée  en  telle  so- 
briété (ju  il  y  apparoisse,  depuis  le  commencement,  jusques  à  la 
fin,  comme  une  espèce  de  jeusne  perpétuel.  Or  s'il  est  vray  que 
toute  la  somme  de  l'Evangile  soit  comprinse  en  ces  deuxpoinctz  : 

25  H  scavoir  en  repentance  et  remission  des  péchez  (comme  c'est  une 
chose  notoire)  ne  voyons-nous  pas  bien  que  le  Seigneur  justifie 
gratuitement  ses  serviteurs  :  à  fin  de  les  restaurer  quant  et  quant 
en  vraye  justice  ;  par  la  sanctification  de  son  Esprit?  Jean  Baptiste, 
lequel  estoit  Ange  envoyé  pour  préparer  la  voye  à  Christ,  avoit  cela 

30  pour  somme  de  sa  prédication  :  Faictes  pénitence,  car  le  Royaume  Mat.  3. 
de  Dieu  est  approché .  Induisant  les  hommes  à  Pénitence,  il  les  admo- 
nestoit  de  serecongnoistre  pécheurs,  et  se  rendre  damnables  devant 
Dieu,  avec  toutes  leurs  œuvres,  à  fin  de  souhaiter  de  tout  leur  cœur, 
la  mortification  de  leur  chair,  et  nouvelle  régénération  de  l'Esprit 

33  de  Dieu,  En  annonceant  le  Royaume  de  Dieu,  il  les  appelloit  à  la 
Foy .  Car  par  le  Royaume  de  Dieu  lequel  il  annonceoit  estre  près,  il 
signiiioit  remission  des  péchez,  salut  et  vie,  et  tout  ce  que  nous  re- 
cevons en  Christ.  Parquoy  il  est  dict  ez  autres  Evangelistes  :  Jean  Marc  1. 
est  venu,  preschant  le  Baptesme  de  Pénitence,  pour  la  remission  Luc  3. 


30{^  CHAPITRE    V. 

des  péchez.  Ce  qui  n'est  autre  chose,  sinon  qu'il  a  enseigné  les 
hommes,  que  se  sentans  lassez  de  la  charge  de  leurs  péchez,  ilz  se 
retournassent  à  Dieu  et  conceussent  espérance  de  grâce  et  salut. 
En  ceste  manière  pareillement  Christ  a  commencé  ses  prédications  : 
5  Le  Royaume  de  Dieu  est  près  :  faictes  pénitence,  et  croyez  à  l'Evan- 
gile. Premièrement  il  declaire  les  Thresors  de  la  miséricorde  de 
Dieu  estre  ouvers  en  soy.  Secondement  il  requiert  pénitence.  Luc  24. 
Finalement  certaine  fiance  des  promesses  de  Dieu.  A  ceste  cause 
en  un  autre  passage,  voulant  briefvement  comprendre  tout  ce  qui 
10  apartient  à  l'Evangile,  il  dit,  qu'il  falloit  qu'il  souffrit,  qu'il  ressus- 
citast  des  mortz,  et  qu'en  son  Nom  fust  preschée  Pénitence  et 
remission  des  péchez.  Ce  que  ont  annoncé  les  Apostres  après  sa 
résurrection  :  comme  quand  ilz  ont  dit, qu'il  estoit  ressuscité  de 
Dieu,  pour  donner  Pénitence  au  peuple  d'Israël,  et  la  remission  Actes  5 
Iodes  péchez.  La  Pénitence  est  preschée  au  Nom  de  Christ,  quand 
par  la  doctrine  Evangelique,  les  hommes  entendent  toutes  leurs 
pensées,  affections,  et  opérations  estre  corrumpues  et  vicieuses  :  et 
pourtant  qu'il  leur  est  nécessaire  d'estre  régénérez  :  s'ilz  veulent 
avoir  entrée  au  Royaume  de  Dieu.  La  remission  des  péchez  est 
20  preschée,  quand  on  remonstre  aux  hommes,  que  Christ  leur  est 
faict  rédemption,  justice,  salut,  et  vie  :  et  que  par  son  moyen  et 
à  son  adveu  ilz  sont  reputez  justes  et  inocens  devant  Dieu  :  et 
ainsi  que  sa  justice  leur  est  gratuitement  imputée.  Or  comme  ainsi 
soit  que  nous  recevions  l'un  et  l'autre  par  Foy  :  neantmoins  que  le 
25  propre  object  de  Foy,  est  la  bonté  de  Dieu,  par  laquelle  noz  péchez 
nous  sont  remiz  :  il  a  esté  mestier  de  mettre  la  différence  que 
nous  avons  mise  entre  Foy  et  Pénitence. 

Or  comme  la  hayne  du  péché,  laquelle  est  le  commencement 
de  Pénitence,  nous  donne  premièrement  entrée  à  la  congnoys- 
aosance  de  Christ  (lequel  ne  se    communique  point  que  aux  povres  lesaie  61 
pécheurs   affligez,   qui  gémissent,   travaillent,    sont   chargez    et3/a/.  //. 
comme    affamez,   deffaillent,  estans  accablez  de   douleur    et  mi-  I 

sere).  Aussi  d'autre  part,  après  avoir  commencé  la  Pénitence, 
il  nous  la  fault  poursuyvre  toute  nostre  vie  :  et  ne  la  lais- 
sa ser  jusques  à  la  mort,  si  nous  Avouions  consister  et  demeurer 
en  Christ.  Car  il  est  venu  pour  appeller  les  pécheurs  :  mais  }iat.  4. 
c'est  pour  les  appeller  à  repentance.  Il  a  porté  bénédiction  aux  Act.  6. 
hommes  qui  en  estoient  indignes  :  mais  c'est  à  fin  qu'un  chascun 
se  convertisse  de  son  iniquité.  L'Escriture  est  pleine  de  telles  sen- 


DE    PEMTENCE. 


309 


tences.  Parquoy  quand  le  Seigneur  nous  otTre  remission  de  péché, 
il  a  aeoustumé  de  requérir  mutuellement,  amendement  de  vie, 
sif^nifiant  que  sa  miséricorde  nous  doibt  estre  cause  et  matière  de 
nous  amender.  Faictes,  dit-il,  iu"ement  et  justice  :  carie  salut  est  lesaie  57. 

5  approché.  Item,  Le  Salut  viendra  à  Zion,  et  à  ceux  qvii  se  con-    ^  •  '^^■ 
vertissent  de  leur  iniquité  en  Israël.  Item,  cherchez  le  Seigneur 
quand  il  se  peut  trouver  :  invoquez-le,  ce  pendant  qu'il  est  près. 
Que  le  meschant  délaisse  sa  voye,  et  ses  cogitations  perverses,  et 
qu'il  se  retourne  au  Seigneur  :  et  il  aura  pitié  de  luy.  Item,  Retour- 

10  nez  vous  au  Seig-neur  en  amendement  de  vie  :  à  fin  que  voz  péchez 
soient  ellacez.  Auquel  lieu  toutesfois  il  fault  noter,  que  ceste  con-  Actes  2. 
dition  est  adjoustée,  non  pas  à  cause  que  nostre  amendement  soit 
comme  fondement  pour  obtenir  pardon.  Mais  plustost  aucontraire, 
d'autant  que  le  Seigneur  veult  faire  miséricorde  aux  hommes  :  à 

15  ceste  fin  qu'ilz  amendent  leur  vie,  il  nous  est  là  monstre  à  quel 
but  il  nous  fault  tendre,  si  nous  voulons  obtenir  pardon  de  Dieu. 
Parquoy,  ce  pendant  que  nous  habiterons  en  ceste  prison  de  nostre 
corps,  il  nous  fauldra  tousjours  et  sans  cesse  combatre  avec  la 
corruption  de  nostre  nature,  et  tout  ce  qui  est  de  naturel  en  nous. 

20  Platon  dit  quelquefois,  que  la  vie  d'un  Philosophe  est  méditation 
de  mort.  Nous  pouvons  dire  plus  véritablement,  que  la  vie 
d'un  chrestien,est  un  estude  et  exercitation  perpétuelle  de  mor- 
tifier la  chair,  jusques  à  ce  que  icelle  estant  amortie,  l'Esprit  de 
Dieu   règne  en    nous.  Parquoy   j'estime  que  celuy  a    beaucoup 

25  proffité,  qui  a  apprins  à  se  desplaire  beaucoup  :  non  pas  à  ce 
qu'il  se  arreste  en  cela,  et  ne  passe  poinct  oultre  :  mais  plustost 
à  fin  qu'il  souspire,  et  tende  à  Dieu  :  et  que,  estant  planté  en  la 
mort  et  résurrection  de  Christ,  il  mette  son  estude  à  faire  conti- 
nuelle pénitence  :  comme  certes  ceux  qui  sont  droictement  tou- 

30  chez  de  hayne  de  péché,  ne  peuvent  autrement  faire.  Car  nul  ne 
haist  jamais  le  péché,  qu'il  n'ayt  prins  en  amour  la  Justice.  Cette 
sentence,  comme  elle  est  la  plus  simple  de  toutes  m'a  semblé 
adviz  tresbien  accorder  à  la  vérité  de  l'Escriture. 

Je    viens   maintenant    à   discuter    ce    que   les  Sophistes    ont 

35  enseingné  de  Pénitence  :  ce  que  je  feray  le  plus  briefvement 
qu'il  sera  possible.  Car  mon  conseil  n'est  pas  de  poursuyvre  le 
tout  :  de  peur  que  ce  présent  livret,  lequel  je  veux  rédiger  en 
briefveté,  ne  croisse  en  trop  grande  longueur.  Et  d'autre  part 
ilz  ont  enveloppé  ceste  matière,  laquelle  autrement  n'estoit  pas 


310  CHAPITRE    V.  ' 

trop  difficile,  par  si  longues  disputations  :  que  Tyssue  ne  seroit 
poinct  aisée,  si  nous  voulions  entrer  fort  avant  en  leurs  Labjrintes. 
Premièrement  en  donnant  la  diffînition  de  Pénitence,  ilz  monstrent 
évidemment  qu'ilz  nont  jamais  entendu  que  c'estoit.  Car  ilz 
5  tirent  des  livres  des  Anciens  quelques  sentences,  lesquelles  n'ex- 
priment nullement  la  force  et  la  nature  de  Pénitence.  Comme 
sont  celles  qui  s'ensuyvent.  Que  faire  Pénitence,  c'est  pleurer  les 
péchez  commis  auparavant  :  et  ne  point  commettre  ceux  qu'il 
faille  après  pleurer.  Item,  que  c'est  gémir  pour  les  maulx  passez  : 

10  et  ne  plus  commettre  ceux  q[u"il]  faille  gémir.  Item,  que  c'est  une 
vengeance  triste  punissant  en  soy,  ce  qu'elle  vouldroit  n  avoir 
point  commiz.  Item,  que  c'est  une  douleur  de  cœur  et  amertume 
de  l'ame,  pour  les  maulx  que  quelqu'un  a  commiz,  ou  ausquels  il 
a  consentu.  Car  quand  nous  accorderons  que  ces  choses  auront 

13  esté  bien  dictes  des  Anciens  (ce  qui  ne  seroit  pas  difficile  à  un  con- 
tentieux de  nyer)  toutesfois  elles  n'ont  pas  esté  dictes  en  ce  sens, 
cpi'ilz  vouleussent  par  icelles  declairer  que  c'estoitque  Pénitence  : 
mais  pour  exhorter  seulement  les  penitens,  de  ne  recheoir  aux 
mesmes  faul tes,  desquelles  ilz  avoient  esté  délivrez.  Et  s'il  failloit 

20  faire  diffinitions  de  tout  ce  que  on  trouve  que  les  Anciens  en  ont 
dict  :  ilz  en  pouvoient  encores  amener  d'autres  qui  n'ont  point 
moins  d'apparence  :  comme  est  celuy  de  Ghrisostome.Que  Péni- 
tence est  une  médecine,  esteignant  le  péché,  un  don  descendu  du 
Ciel,  une  vertu  admirable,  une  grâce  surmontant  la  force  des  loix. 

25  Après  avoir  si  subtilement  diftlny  que  c'est  que  Pénitence,  ilz 
la  divisent  en  trois  parties  :  en  contrition  de  cœur,  confession 
de  bouche,  et  satisfaction  dœvre.  Laquelle  division  n'est 
nonplus  propre  que  leur  diftinition.  Combien  qu'ilz  n'estudient 
autre  chose  en  toute  leur  vie   que  la  Dialectique,  qui  est  l'art  de 

30  bien  diffinir  et  partir.  Mais  si  quelqu'un  vient  à  arguer  par  la 
diffînition,  lequel  argument  est  receu  entre  les  Dialecticiens,  que 
on  peut  pleurer  les  péchez  commis  auparavant,  et  ne  les  plus 
commettre  :  combien  qu'il  n'y  ait  nulle  confession  de  bouche  : 
comment  deffendront-ilz  leur  partition?  Car  si  celuy  qui  ne   se 

33  confesse  point  de  bouche  ne  laisse  pas  d'estre  vray  pénitent  :  la 
Pénitence  peut  consister  sans  cette  confession.  S 'ilz  respondent 
que  ceste  partition  se  doibt  rapporter  à  Pénitence,  entant  qu'elle 
est  Sacrement,  ou  bien  qu'elle  se  doibt  entendre  de  toute  la 
perfection    de    Pénitence   :    laquelle  ilz    ne    comprennent    point 


DF,    PENITENCE. 


'M 


par  leurs  diffînitions  :  ilz  n'ont  dequoy  me  accuser  :  mais  en 
doibvent  imputer  la  faulte  à  ce  qu'ilz  ne  deffinissent  plus  clairement 
et  purement.  Mot  certes  selon  ma  capacité  quand  il  est  question  de 
quelque  chose,  je  me  tiens  à  la  diffmition,  qui  doibt  estre  le  fon- 
5  dément  de  toute  la  disputation.  Mais  accordons  leur  ceste  licence 
Magistrale  et  venons  à  espelucher  les  parties  par  ordre. 

Les  lecteurs  doibvenficy  estre  advertiz,  que  nous  ne  sommes 
pas  en  un  combat  frivole  :  mais  qu'il  est  question  d'une  chose, 
par  dessus  toutes  les  autres,  de  grand 'importance  :  c'est  à  scavoir 

iode  la  remission  des  péchez.  Car  quand  ilz  requièrent  ces  trois 
choses  à  Pénitence,  compunction  de  cœur,  confession  de  bouche,  et 
satisfaction  d'œvre  :  semblablement  ilz  déterminent  qu'elles  sont 
nécessaires  pour  impetrer  remission  des  péchez.  Or  s'il  nous  est 
mestier  de  congnoistre  quelque  chose  en  toute  nostre  Religion  : 

15  il  est  requiz  principalement  que  nous  entendions  cecy.  C'est  par 
quel  moyen,  en  quelle  sorte,  par  quelle  condition  et  en  quelle  faci- 
lité, ou  difficulté  e.st  obtenue  la  remission  des  péchez.  Si  ceste  con- 
gnoissance  n'est  certaine  et  arrestée  :  la  conscience  ne  peut  avoir 
aucun  repoz,  ne  aucune  paix  avec  Dieu,  ne  aucune  fiance  ou  asseu- 

20  rance  :  Mais  continuellement  elle  tremble,  elle  est  agitée,  esmeue. 
tormentée,  transportée,  elle  ha  en  horreur  hayne,  le  Jugement  de 
Dieu,  et  le  fuyt  tant  qu'elle  peut.  Et  si  la  remission  des  péchez 
dépend  de  ces  conditions  ausquelles  ilz  la  lyent  :  il  n'y  a  rien  plus 
misérable  ne  plus  désespéré  que  nous. 

25  La  première  partie  qu'ilz  mettent  pour  obtenir  pardon  et  grâce, 
est  Contrition  :  laquelle  ilz  requièrent  deuëment  faicte,  c'est  à  dire 
pleinement,  et  entièrement.  Mais  ce  pendant  ilz  ne  constituent 
point  quand  quelqu'un  pourra  estre  asseuré,  qu'il  se  soit  bien 
acquité    de    ceste    contrition.    Icy  les  povres   consciences   sont 

30  merveilleusement  vexées  et  afligées  :  quand  elles  voyent  que 
ceste  contrition  deuë,  leur  est  imposée  :  et  ne  entendent  point 
la  mesure  de  la  debte,  pour  pouvoir  estre  certaines  quand 
elles  auront  payé  ce  quelles  dévoient.  S'ilz  disent  qu'il 
fault    faire  ce  qui  est   en  nous  :    nous    tournerons  tousjours  en 

35  un  mesnie  circuit.  Car  quand  sera-ce  que  quelqu'un  se  osera 
promettre  qu'il  ayt  employé  toutes  ses  forces,  à  pleurer  ses 
péchez?  La  fin  donc  en  est,  que  les  consciences,  après  s'estre 
long  temps  debatues  en  elles  mesmes,  quand  elles  ne  trou- 
vent   point    Port    où    elles    puissent    reposer,   pour     adoulcir 


312  CHAPITRE    Y. 

aucunement  leur  mal  :  elles  se  contraignent  à  quelque  douleur 
et  tirent  par  force  quelques  larmes  pour  accomplir  ceste  contrition. 
S'ilz  me  veullent  accuser  de  calumnie  qu'ilz  en  monstrentun  seul 
qui  par  ceste  doctrine  de  contrition,  n'ayt  esté  jette  en  desespoir  : 

sou  bien  n'ajt  opposé  une  feintise  de  douleur  au  jugement  de  Dieu 
pour  vraye  compunction.  Nous  aussi  bien  avons  dict  en  quelque 
lieu,  que  la  remission  des  péchez  ne  nous  est  jamais  octroyée,  sans 
Pénitence  :  d'autant  que  nul  ne  peut  vrayement  et  en  syncerité  de 
cœur  implorer  la  miséricorde  de  Dieu,  sinon  celuy  qui  est  affligé 

10  et  navré  de  la  conscience  de  ses  péchez.  Mais  nous  adjoustions 
pareillement,  que  la  Pénitence  n'est  pas  cause  d'icelle  remission  : 
et  ostionsces  tormentz  des  âmes,  c'est  à  scavoir  que  la  contrition 
doibtestre  deuëment  accomplie.  D'avantaige  nous  enseignions  le 
pécheur  de  ne  point  regarder  sa   compunction   ne  ses    larmes  : 

15  mais  de  ficher  tous  les  deux  yeux  en  la   miséricorde  de  Dieu. 
Seulement  nous  déclarions  que  ceux  sont  appeliez  de  Christ,  les- 
quelz  sont    chargez  et  travaillez:   veu  qu'il  a  esté  envoyé   pour  Matt.  11. 
annoncer  bonnes  nouvelles  aux  povres.  pour  guérir  ceux  qui  sont  lesaie  61. 
navrez  en  leurs  cœurs,  pour  annoncer  aux  captifz  leur  délivrance, 

20  pour  deslier  les  prisonniers,  et  consoler  ceux  qui  pleurent.  En 
quoy  estoient  excludz,  tant  les  Pharisiens,  qui  estans  saoulz  et 
contens  de  leur  justice,  ne  recongnoissoient  point  leur  povreté  : 
que  les  contempteurs  de  Dieu,  qui  ne  se  souciantz  de  son  ire,  ne 
cherchent  aucun  remède  à  leur  mal.  Car  toutes  telles  manières  de 

23  gens  ne  travaillent  point  et  ne  sont  navrez  en  leur  cœurs,  ne 
lyez  ne  captifz  et  ne  pleurent  point.  Car  il  y  a  grande  différence 
d'enseigner  un  pécheur  de  mériter  la  remission  de  ses  péchez 
par  pleine  et  entière  contrition,  de  laquelle  il  ne  se  puisse  jamais 
acquiter  :   ou  de  l'instruire  d'avoir  fain  et  soif  de  la  miséricorde 

30  de  Dieu,  par  la  congnoissance  de  sa  misère  :  de  luy  remonstrer 
son  travail,  angoisse,  et  captivité,  pour  lui  faire  chercher  conso- 
lation, repoz  et  délivrance.  En  somme  l'enseigner  de  donner 
gloire  à  Dieu  en  son  humilité. 

Touchant  la  Confession  :  il  y  a  tousjours  eu  grande  controver- 

33sie  entre  les  Canonistes  et  les  Théologiens  scolastiques.  Caries 
premiers  ont  dict  qu'elle  estoit  seulement  ordonnée  de  droit 
positif,  c'est  à  dire  par  les  constitutions  Ecclésiastiques.  Les 
secondz  ont  maintenu  qu'elle  estoit  ordonnée  par  comman- 
dement    divin.     En    ce     combat     s'est    monstrée    une    iJ:rande 


DE    PENITENCE. 


313 


impudence  des  Théologiens  :  lesquelz  ont  autant  dépravé  et  cor- 
rumpu  de  lieux  de  l^Escriture,  quilz  en  citoient  à  leurpropoz.  Et 
encores.  voyans  qu'en  ceste  manière  ilz  ne  venoient  point  à  leur 
intention  :  ceux  qui  ont  voulu  estre  les  plus  subtilz  entre  eux,  ont 

5  trouvé  ceste  évasion  pour  eschapper.  C'est,  que  la  confession  est 
descendue  de  droit  divin,  quant  à  sa  substance  :  mais  que  depuis 
elle  a  prins  sa  forme  du  droit  positif.  En  ceste  manière  ceux  qui 
sont  les  plus  ineptes  entre  les  Légistes,  ont  accoustumé  de  réfé- 
rer la  citation  au  droit  divin  :  pourtant  qu  il  fiist  dict  à  Adam  : 

10  Adam  où  es-tu?  Pareillement  l'exception  :  pourtant  que  Adam 
respond[a]it,  comme  se  detl'endant  :  La  femme  que  tu  m'as  don- 
née etc.  Neantmoins  que  la  forme  a  esté  donnée  à  tous  les  deux 
par  le  droit  civil. 

Mais  voyons  par  quelz  argumens  ilz  prouvent,  que  ceste  con- 

15  fession  ou  formée  ou  informe,  soit  commandée  de  Dieu.  Nostre 
Seigneur  (disent-ilz)  a  envoyé  les  Lépreux  aux  Prestres.    Quoy  ?  Mat.  S. 
Les   a-il  envoyez  à  confesse?    Qui  est-ce  qui  ouyt  jamais  parler  Luc  5.  et 
que  les  Prestres  Levitiques  fussent  ordonnez  pour  ouyr  les  con- 
fessions? Pourtant  ilz  ont  recours  aux  allégories  :  et  disent,  qu'il 

2oestoit  institué  par  la  Loy  Mosayque,que  les  Prestres   discernas-  Deut.  11. 
sent  entre  lèpre  et  lèpre  :  que  péché  est  lèpre  spirituelle  :  de  la- 
quelle il  appartient  au  Prestre  de  juger.  Devant  que  respondre,  je 
demande,  si  par  ce  passage  ilz  sont  constituez  juges  de  la  lèpre 
spirituelle  ;  pourquoy  tirent-ilz  à  eux  la  congnoyssance  de  la  na- 

îôturelle  et  charnelle  ?  N  est-ce  pas  bien  se  jouer  des  Escritures  ; 
de  les  torner  en  ceste  faceon  ?  La  Loy  défère  aux  Prestres  Levi- 
tiques le  jugement  de  lèpre  :  prenons-le  donc  pour  nous.  Péché 
est  lèpre  spirituelle  :  soyons  donc  juges  des  péchez.  Maintenant  Hebr.  7. 
je  respondz  :  que  la  Prestrise  translatée,  il  est  nécessaire  qu'il  y 

30  ayt  translation  de  Loy.  Or  puis  que  foutes  Prestrises  sont  trans- 
latées à  Jésus  Christ,  accomplies  et  cessées  en  luy  :  il  fault  que 
toute  la  dignité  et  prérogative  de  Prestrise  soit  aussi  translatée  à 
luy.  S'ilz  prennent  si  grand  plaisir  à  faire  les  allégories  :  qu'ilzse 
proposent  Christ  pour  seul  Prestre.  et  quilz  assemblent  à  son  sie- 

33  ge  toute  jurisdiction  :  nous  le  souffrirons  ayséement.  D'avantage, 
l'allégorie  est  importune  :  qui  mesle  une  Loy,  purement  civile, 
entre  les  cérémonies.  Pourquoy  donc  Christ  envoye-il  aux  Pres- 
tres les  Lépreux  ?  A  fin  que  les  Prestres  n'eussent  à  calumnier 
qu'il  violoit  la  Loy  :  qui  commandoit  que  celuy  qui  estoit  guery 


S\l  CHAPITRE    V. 


de  lèpre  fust  représenté  devant  le  Prestre,  et  purgé  par  certaine 
oblation,  il  commande  aux  lépreux,  lesquelz  il  avoit  ^ueriz,  de 
faire  le  contenu  de  la  Loy.  Allez,  dit-il,  monstrez-vous  aux  Pres- 
tres  :    et  offrez  le  présent  que  Moyse  a  commandé  en  la  L03',  à 

5  fin  que  ce  leur  soit  en  tesmoignage.  Et  vrayement  ce  miracle  leur 
debvoit  estre  en  tesmoignage.  Hz  les  avoient  declairez  estre  lé- 
preux :  depuis  ilz  prononcent  quils  sont  g-ueriz.  Ne  sont-ilz  pas 
contreinctz  :  veulent-ilz  ou  non  :  d'estre  tesmoingz  des  miracles 
de  Christ  ?  Christ  leur  permet  son  miracle  à  esprouver,  ilz  ne  le 

10  peuvent  nyer  :  mais  pourtant  que  encores  ilz  tergiversent,  cest 
œuvre  leur  est  en  tesmoignag'e.    En  ceste  manière  il  est  dict  en 
un  autre  lieu  :  Cest  Evangile  sera  presché  en  tout  le  monde,  en 
tesmoignage  à  toutes  gens.  Item  :  Vous  serez  menez   devant  les  Mat.  2i. 
Roys  et  Princes,  en    tesmoignage  pour  eux  :    cest  à  dire,  à  fin  Mat.  27. 

isquilz  en  soyent  d'autant  plus  convaincuz  au  jugement  de  Dieu.  En   Vho. 
Que  s'ilz  avment  mveux  s'arrester  à  Tauthorité  de  Chrisostome  :    r'^l^î 
iceluv  enseigne  que  Christ  a  faict  cela,  à  cause  des  Juifz,  à  fin 
de  nestre  estimé  prévaricateur  de  la  Loy. 

Hz   tirent  le  second   argument  dune  mesme   source  :   c'est    à 

20  scavoir,  de  allégorie  :  comme  si  allégories  avoient  grand  force 
à  prouver  quelque  doctrine.  Mais  je  veux  bien  quelles  soyent 
suffisantes  :  si  je  ne  monstre  que  je  les  pourroye  prétendre 
avec  plus  grande  couleur  qu'ilz  ne  font.  Hz  disent  donc  que 
nostre  Seigneur  commanda  à  ses  Disciples,   après  que    Lazare  Jean  //. 

s.ïcust  esté  par  luy  ressuscité,  qu'ilz  le  delyassent  et  desvelopas- 
sent.  Premièrement  ilz  mentent  de  cela  :  car  il  n'est  dict  nul- 
le part,  que  nostre  Seigneur  ayt  commandé  cela  à  ses  Disciples. 
Et  est  beaucoup  plus  vray  semblable,  qu'il  le  dist  aux  Juifz  là 
assistans  :  afin  que  sans  quelque  suspition  de  fraude, le  miracle 

30  fust  faict  plus  évident  :  et  que  sa  vertu  apparust  plus  grande, 
d'autant  que  sans  attouchement,  par  sa  seule  paroUe  il  sus- 
citoit  les  mortz.  Certainement  je  l'entendz  ainsi.  Que  nostre 
Seigneur  pour  oster  toute  mauvaise  suspicion  aux  Juifz,  voulut 
qu'eux  mesmes  levassent  la  pierre,  sentissent  la  mauvaise  odeur, 

35  apperceussent  les  certains  indices  de  mort,  qui  vissent  le  Lazare 
ressusciter  par  la  seule  vertu  de  sa  voix,  et  qu'ilz  le  touchassent 
les  premiers.  Mais  concédons  que  cela  ayt  esté  dict  aux  Dis- 
ciples. Que  concluront-ilz?  Combien  pouTrJrons-nous  plus  clai- 
rement traicter  ce  lieu  par  allégorie  ;  Si  nous  disons  que  nostre  Sei- 


DE    PENITENCE.  3io 

gneur,  par  ce,  a  voulu  enseigner  ses  fidèles  ;  de  deslier  ceux  qui 
avoient  esté  par  luy  ressuscitez?  c'est  à  dire,  de  ne  réduire  point 
on  mémoire  les  péchez  qu'il  auroit  oublié  ;  de  ne  condamner  point 
pour  pécheurs,  ceux  qu'il  auroit  absoulz  ;  de  ne  reprocher  les 
5  choses  qu'il  auroit  pardonnées?  de  n'estre  point  sévères  et  diffi- 
ciles H  punir  ;  là  où  il  seroit  miséricordieux  ;  doux  ;  et  bening  à 
pardonner  ?  Qu'il  voysent  maintenant  et  facent  un  bouclier  de 
leurs  allégories. 

Hz  combatent  un  peu  de  plus  près,  en  confermant  leur  dire 

10  par  sentences  de  FEscriture,  lesquelles  ilz  estiment  manifestes. 
Ceux,  disent-ilz,  qui  venoient  au  Baptesme  de  Jean  confessoient 
leurs  péchez.  Et  S.  Jacques  commande,  que  nous  confessions  noz  ^fat.  3. 
pechezlesunsauxautres.  Jerespondz,  c|ue  ce  n'est  point  merveille,  jaques  i 
si  ceux  qui  vouloient  estre  baptisez  confessoient  leurs  péchez.  Car 

ir.  il  a  esté  dit  au  paravant,  que  Jean  a  presché  le  Baptesme  de  Péni- 
tence, et  a  Baptisé  d'eaûe  en  Pénitence.  Lesquelz  donc  eust-il  bap- 
tisez ;  sinon  ceux  qui  se  confessoient  pécheurs?  Le  Baptesme  est  un 
signe  de  la  remission  des  péchez  :  lesquelz  seroient  admiz  à  ce  signe; 
sinon  les  pécheurs  ;  et  ceux  qui  se  recongnoyssent  telz?  ilz  confes- 

20  soient  donc  leurs  péchez  pour  estre  baptisez.  S.  Jaques  ne  com- 
mande pas  sanscause,  que  nous  nous  confessions  lesunsauxautres; 
mais  s'ilz  consideroient  ce  qui  s'ensuyt  prochainement,  ilz  trouve- 
roient  que  cela  ne  fait  gueres  pour  eux.  Confessez,  dit-il,  vospechez 
l'un  à  l'autre  et  priez  les  uns  pour  les  autres.  Il  conjoinct  ensemble 

25  oraison  mutuelle,  et  confession  mutuelle.  S'il  se  faultconfesseraux 
Prestres  seulement  :  il  fault  prier  pour  eux  seulement.  Et  mesme 
il  s'ensuy  vroit  des  motz  de  S.  Jaques,  qu'il  n'y  auroit  que  les  Pres- 
tres qui  se  peussent  confesser.  Car,  en  voulant  que  nous  nous  con- 
fessions l'un  à  l'autre,  il  parle  seulement  à  ceux  qui  peuvent  ouyr 

30  la  confession  des  autres.  Car  il  dit  mutuellement:  ou  s'ilz  ayment 
myeulx,  réciproquement.  Or  nul  ne  se  peut  mutuellement  confes- 
ser, sinon  celuy  qui  oyt  la  confesse  de  son  compaignon.  Lequel 
privilège  il  concède  seulement  aux  Prestres.  Pourtant  suyvantz 
leur  sentence,  nous  leur  laissons  voluntiers  la  charge  de  se  con- 

35  fesser.  Ostons  donc  telz  fatras:  et  entendons  le  sens  de  l'Apostre, 
qui  est  simple  et  manifeste.  C'est  à  scavoir  que  nous  communi- 
quions et  descouvrions  noz  infirmitez  les  uns  auz  autres,  pour  rece- 
voir conseilz,  compassion,  et  consolation  mutuelle.  D'avantage  que 
ainsi   congnoyssans  les  infirmitez   de  noz  frères,  chascun  de  sa 


.316  CHAPITRE    V. 

part  prie  Dieu  pour  icelles.  Pourquoj  donc  alleguent-ilz  S.  Jaques 
contre  nous  ;  veu  que  nous  requérons  si  instamment  la  confes- 
sion de  la  miséricorde  de  Dieu  ;  laquelle  ne  se  peut  confesser  ; 
sinon  de  ceux  :  qui  premièrement  ont  confessé  leur  misère  ?  Mes- 

5  mes  nous  déclarons  tous  ceux   estre  maudictz  et  damnez,  qui  ne  Gai.  3. 
se  confessent  devant  Dieu,  devant  ses  Anges,  devant   l'Eglise  :  Rom.  3. 
brief,  devant  tous  les  hommes,  estre  pécheurs.  Car  Dieu  a  toutcon- 
clud  soubz  péché  :  à  fin  que  toute  bouche  soit  fermée,  et  toute  chair 
soit  humiliée  devant  luy  :  et  que  luy  seul   soit  justifié  et  exalté. 

10  Mesmes  je  mesmerveille  de  quelle  hardiesse  ilz  osent  asseurer, 
que  la  confession,  de  laquelle  ilz  parlent,  soit  de  droit  divin  :  de  la- 
quelle certes  nous  confessons  que  l'usage  est  très  ancien.  Mais  nous 
pouvons  facilement  prouver,  qu'il  a  premièrement  esté  libre.  Et  de 
faict  leurs  hystoires  recitent,  qu'il  n'y  en  a  eu  aucune  loy  ou  consti- 

13  tution,  devant  le  temps  de  Iiiocence  Iroysiesme,  et  y  a  evidenstes-  Lequel   a 
moignages,  tant  des  hystoires,  que  des  autres  anciens  escrivains,    ^^^y^'y^* 
qui  monstrent  que  ce  a  esté  une  discipline  politique,  instituée  seu- 
lement par  les  Evesques,  nonpas  ordonnance  mise  de  Christ  ou  ses 
apostres.  J'en proposeray  un  seulement:  lequel  pourra  suffire  am- 

20  plement  à  prouver  ce  que  je  diz.  Sozomenus  l'un  des  autheurs  de 
l'hystoire  Ecclésiastique,  racompte,  que  ce  a  esté  une  constitution 
des  Evesques  diligemment  observée  par  les  Eglises  Occidentales  : 
et  mesmes  à  Rome  principalement.  En  quoy  il  monstre,  que  ce  n'a 
pas  esté  une  ordonnance  uniAcrselle  de  toutes  les  Eglises.  Après  il 

25  monstre  qu'il  y  avoit  un  des  Prestres  peculierement  destiné  à  cest 
office.  Enquoy  il  confute  pleinement  ce  que  ceux  cy  ont  feinct  des 
clefz  données  indiferemment  à  tout  l'ordre  des  Prestres.  Car  ce 
n'estoit  pas  un  office  commun  de  tous  :  mais  singulièrement  la 
charge  d'un  seul,  qui  avoit  de  l'Évesque  esté  esleu  à  ce  faire.  Il  dit 

30  encores  oultre,  queceste  usance  estoit  à  Constantinoble,  jusques  à 
ce  qu'une  femme  faisant  semblant  de  se  confesser,  fust  trouvée 
a^'ant  prins  ceste  couverture  pour  cohabiter  avec  l'un  des  Diacres 
d'icelle  Eglise .  A  cause  de  ce  maléfice  Nectar ius  E  vesque  dudict  lieu, 
homme  renommé  de  saincteté  et  grande  doctrine,  abolist  ceste 

35  observance  de  confession.  Que  ses  Asnes  dressent  les  aureilles.  Si 
la  confession  auriculaire  estoit  loy  de  Dieu,  comment  eust  estéNec- 
tarius  sihardy  de  la  rompre  et  abolir  ?Accuseront-ilz  d'il  eresie  et  de 
Schisme  ce  sainct personnage;  prisé  et  approuvé  par  tous  les  An- 
ciens? Mais  par  une  mesme  sentence,  ilz  condamneront  l'Eglise 


DE    l'EMIE.NCE.  317 

de  Constantinoble,  voire  mesme  toutes  les  Eglises  Orientales  les- 
quelles ontcontemné  une  loy  (s'ilz  disent  vray)  inviolable  et  com- 
mandée à  tous  Chrestiens.  Mesme  ceste  abrogation  est  si  souven- 
tesfois  demonstrée  par  Chrisostome  :  lequel  estoit  aussi  Evesque 
5  de  Constantinoble  :  que  c'est  merveille  comment  ilz  osent  ouvrir 
la  bouche  pour  répliquer  à  l'encontre.  Si  tu  veux  effacer  tes  pé- 
chez, dit-il,  confesse-les.  Si  tu  as  honte  de  les  descouvrir  à  un 
homme  :  confesse-les  tous  les  jours  en  ton  ame.  Je  ne  diz  pas  que 
tu  les  descouvre  à  personne  qui  t'en  face  après  reproche.  Confesse- 

10  les  à  Dieu,  lequel  les  peut  purger.  Confesse-les  en  ton  lict  :  à  fin 
que  ta  conscience  recongnoisse  journellement  son  mal.  Item,  Il 
n'est  pas  nécessaire  de  se  confesser  devant  tesmoing:  seullement 
■fais  la  recongnoissance  en  ton  cœur  :  cest  examen  ne  requiert 
point  de  tesmoing:  il  suflist  que  Dieu  seul  te  voye  et  escoute, 

15  Item.  Je  ne  t'appelle  point  devant  les  hommes,  pour  leur  des- 
couvrir tes  péchez  :  espeluche  ta  conscience  devant  Dieu:  monstre 
ta  playe  au  Seigneur,  lequel  en  est  le  médecin  :  et  le  prie  de  y 
remédier.  C'est  celuy  qui  ne  reproche  rien  :  et  humainement 
guérit  le  povre  malade.  Item,  Je  ne  veux  point  que  tu   te  con- 

20  fesse  à  un  homme,  lequel  te  puisse  reprocher  après,  ou  te  diffa- 
mer, en  publiant  tes  faultes  :  mais  monstre  tes  playes  à  Dieu, 
qui  en  est  le  bon  médecin.  Puis  après  il  introduit  Dieu  parlant 
en  ceste  manière.  Je  ne  te  contreinctz  point  de  venir  en  assem- 
blée publique  :    confesse  à   moy  seul   tes  péchez,  à  fin  que  je  te 

25  garantisse.  Dirons-nous  que  Sainct  Crisostome  en  parlant  ainsi, 
ayt  esté  si  téméraire,  de  délivrer  les  consciences  des  hommes  des 
lyens  ;  dont  elles  estoient  estreinctes  par  la  volunté  de  Dieu  ?  II 
n'est  pas  ainsi  :  Mais  ce  qu'il  entendoit  n'estre  point  ordonné  de 
Dieu,  il  ne  l'ose  requérir  comme  nécessaire. 

30  Mais  pour  mievix  encores  despescher  toute  la  chose  premiè- 
rement nous  enseignerons  fidèlement,  quelle  espèce  de  con- 
fession nous  a  esté  baillée  par  la  parole  de  Dieu  :  après  nous 
monstrerons  leurs  inventions  de  la  confession  :  non  pas  toutes, 
(Car  qui  pourrait  espuyser  une  si  grande  Mer)  mais  seulement 

35  celles  qui  appartiennent  à  la  somme  de  leur  doctrine.  Je  ne 
ferois  pas  icy  mention,  que  l'Escriture  a  de  coustume  de  prendre 
le  mot  de  confession  pour  louënge  :  n'estoit  qu'ilz  sont  si  effron- 
tez  qu'ilz  se  osent  mesmes  armer  de  telz  passages.  Comme 
quand  ilz    disent,    que    la  confession   engendre  joye  au  cœur  : 


318  CIIAPIIKE    V.  ' 

selon  qu'il  est  dict  au  Psalme.  En  voix  de  joye  et  de  confession.  Psal.  42. 
Que  les  simples  donc  notent  bien  ceste  signification  :  et  la  sachent 
discerner  de  l'autre  :  k  ce  qu'ilz  ne  soient  point  facilement  abusez 
de  telz  mensonges.  Touchant  la  Confession  des  péchez,  lEscri- 

oture  nous  enseigne  ainsi.  Puisque  c'est  le  Seig-neur,  qui  remet, 
oublie,  et  efface  les  péchez  :  cp.ie  nous  luy  confessions,  pour  obte- 
nir grâce  et  pardon.  C'est  le  médecin  :  monstrons  luy  donc  noz 
playes.  C'est  celuy  qui  a  esté  offensé  et  blessé  :  Demandons  luy 
donc  mercy  et  Paix.  C'est  celuy  qui  congnoist  les  cœurs,  et  voit 

10 toutes  les  pensées:  ouvrons  donc  noz   cœurs   devant  luy.  C'est 
celuy  qui  appelle  les  pécheurs  :  Retirons-nous  donc  par  devers  luy. 
Je  tay  donné  à  congnoystre   mon  péché  (dict  David)  et  n'ay  pas  Psal.  32. 
caché  mon  iniquité.  J'ay  dict,  je  confesseray  à  l'encontre  de  moy 
mon  injustice  au  Seigneur,  et  tu  m'as  pardonné  l'iniquité  de  mon 

13  cœur.  Telle  est  vme  autre   confession  de   David  mesme  :    Ajes  Psal.  dl. 
pitié  de    moy.  Seigneur,   selon   ta  grande  miséricorde.  Telle  est  Dan.  9. 
pareillement  celle  de  Daniel.  Nous  avons  péché  Seigneur,  nous 
avons  faict  perversement,  nous  avons  commiz  impieté,  et  avons 
esté  rebelles  en  reculant  de  tes  commandemens.  11  y  en  a  assez 

20  d'autres  semblables  qui  se  voyent  en  lEscriture.  Si  nous  confes- 
sons noz  péchez  (dict  Sainct  Jehan;  le  Seigneur  est  fidèle  pour  les  I .Jehan! . 
nous  pardonner.    A   qui   les    confesserons-nous?  A  luy   certes. 
C'est  à  dire,  si  d'un  cœur  affligé  et  humilié  nous  nous  proster- 
nons devant  luy  :  si  en  vraye  synceriténous  accusans  et  condem- 

25  nans  devant  sa  face,  nous  demandons  estre  absoulz  par  sa  bon- 
té et  miséricorde.  Quiconques  fera  de  cœur  et  devant  Dieu  ceste 
confession,  il  aura  sans  doubte  aussi  la  langue  preste  à  confes- 
sion, quand  mestier  sera  de  annoncer  entre  les  hommes  la  misé- 
ricorde de  Dieu.  Et  non  seulement  pour  descouvrir  le  secret  de 

30  son  cœur  à  un  seul,  une  fois,  et  en  l'aureille  :  mais  pour  declai- 
rer  librement,  tant  sa  povreté,  que  la  gloire  de  Dieu  par  plu- 
sieurs fois,  publiquement  et  tout  le  monde  oyant.  En  ceste  ma- 
nière David  après  avoir  esté  redargué  de  Nathan,  estant  piqué 
d'un  aiguillion   de   conscience,    confessa    son  péché,  et   devant 

3o  Dieu,  et  devant  les  hommes.  J'ay  péché,  dit-il,    contre    le    Sei- 
gneur. C'est  à  dire:  je  ne  me  veux  plus  excuser  ne  tergiverser, 
que  chascun  ne  me  juge  pécheur:  et  que  ce  que  j'ay  voulu  estre 
caché    à   Dieu,    ne   soit    mesmes    manifesté    aux    hommes.    En  2.  Roys 
ceste    manière    il    nous    fault   prendre  la  confession   solemnel-    '*• 


DE    PEMTENCi:. 


31!) 


le,  qui  se  fîst  par  tout  le  peuple,  à  ladmonition  de  Nehemiah  et 
Esra.  Lequel  exemple  doibvent  ensuyvre  les  Eglises,  quand  elles 
demandent  pardon  à  Dieu,  comme  certes  la  coustume  est  entre 
les  Eglises,  qui  sont  bien  ordonnées. 

3  D'avantage  TEscriture  nous  recommande  deux  autres  espèces 
de  confession.  L'une  qui  se  face  pour  nous.  A  quoy  tend  le  dire 
de  Sainct  Jaques,  que  nous  confessions  noz  péchez  l'un  à  l'autre. 
Car  il  entend,  que  declarans  noz  infîrmitez  les  uns  aux  autres, 
nous    nous   aydions  mutuellement    de   conseil    et   consolation, 

10  L'autre  qui  se  face  pour  l'amour  de  nostre  prochain  :  lequel  au- 
roit  esté  offensé  par  nostre  faulte,  jDour  le  reconcilier   et  appai- 
ser.  De  laquelle  Christ  parle    en  Sainct  Matthieu,  disant.  Si  ixiMalLo. 
présente  ton  oblation  à  l'Autel  :  et  là  il  te  souvyenne  que  ton  frère 
ha  quelque  chose  à  l'encontre  de  toy  :  laisse  là  ton  oblation  et  va 

15  te  reconcilier  à  ton  frère  premièrement,  et  puis  après  tu  la  pré- 
senteras. Car  il  fault  ainsi  rejoindre  Charité,  qui  auroit  esté  dis- 
soulte,  par  nostre  faulte,  en  recongnoissant  nostre  coulpe,  et  en 
demandant  pardon.  Quant  est  de  la  première  espèce  :  combien 
que  l'Escriture,  en  ne  nous  assignant  persone  auquel  nous  nous 

'20  deschargions,  nous  laisse  la  liberté  de  choisir  d'entre  les  fidèles 
qui  bon  nous  semblera  pour  nous  confesser  à  luy  :  Toutesfois 
pource  que  les  pasteurs  doibvent  estre  par  dessus  les  autres 
propres  à  cela,  c'est  le  meilleur  de  nous  adresser  plustost  à  eux. 
Or  je  dictz  qu'ilz  sont  ydoines  par   dessus    les  autres,    d'autant 

23  que  du  devoir  de  leur  office,  ilz  sont  constituez  de  Dieu  pour 
nous  instruyre  comment  nous  devons  vaincre  le  péché  :  et  pour 
nous  certifier  de  la  bonté  de  Dieu,  à  fin  de  nous  consoler.  Pour- 
tant qu'un  chascun  fidèle,  quand  il  se  sentira  en  telle  perplexité 
de  conscience,  qu'il  ne  se  pourra  ayder  sans  ayde  d'autruy,   aye 

30  ceste  considération  de  ne  point  négliger  le  remède  qui  luy  est 
offert  de  Dieu.  C'est  que,  pour  se  soulaiger  et  délivrer  de  scru- 
pule, il  se  confesse  particulièrement  à  son  pasteur,  et  receoive 
consolation  de  luy  :  veu  que  son  office  est  de  consoler,  tant  en 
particulier  comme  en  public,  le  peuple  de  Dieu  par  la  doctrine  de 

35 l'Evangile.  Toutesfois  il  fault  tousjours  tenir  ce  moyen,  que  les 
consciences  ne  soient  point  lyées  et  reduictes  soubz  quelque 
joug,  quant  ez  choses  que  Dieu  a  laissées  en  liberté.  On  ne  trouve 
en  l'Escriture  aucune  autre  manière  ne  forme  de  confession  que 
celles  quej'ay  dictes. 


320  CllAl-lTKE    V. 

Eux  quoy?  Hz  ordonnent  que  tous,  tant  hommes  que  femmes, 
incontinent  qu'ilz  seront  parvenuz  en  eage  de  discrétion  confessent 
atout  le  moins  une  fois  l'an,  tous  leurs  péchez  à  leur  propres  curez. 
Et  que  le  péché  n'est  pas  remiz,  sinon  à  ceux  qui  ont  ferme  propoz 

o  desoy  confesser.  Lequel  propoz  s'il  n'est  accomply  quand  l'occa- 
sion est  présentée,  il  ne  reste  plus  d'entrée  en  Paradis.  Oultre 
que  le  Prestre  ha  la  puissance  des  clefz,  pour  lyer  ou  deslyer  le 
pécheur  :  d'autant  que  la  paroUe  de  Christ  ne  peut  estre  vaine  : 
par  laquelle  il  a  dict,  que  ce  qu'ilz  auront  lyé  en  Terre,  sera  lyé  Mat.  16. 

1(1  au  Ciel  etc.  Or  ilz  se  combattent  entre  eux  de  ceste  puissance. 
Les  uns  disent,  qu'il  n'y  a  qu'une  clef  essentielement  :  c'est  à 
scavoir  la  puissance  de  lyer  et  deslyer  :  que  la  science  est  bien 
requise  pour  le  bon  usage  :  mais  qu'elle  n'est  que  comme  un 
accessoire,  et  non  pas  de  l'essence.  Les  autres  voyans  que  ceste 

13  licence  estoit  trop  desordonnée  ont  ennombré  deux  clefz  discré- 
tion, et  puissance.  Les  autres  voyans  que  par  ceste  modération, 
la  témérité  des  Prestres  estoit  refrénée,  ont  forgé  nouvelles  clefz  : 
c'est  à  scavoir  autorité  de  discerner  (de  laquelle  ilz  usent  en  don- 
nant sentences  diffinitives)  et  puissance  (de  laquelle  ilz  usent  en 

20 exécutant  leurs  sentences)  et  ont  adjoinct  la  science  comme  un 
conseiller.  Hz  n'osent  pas  simplement  interpréter,  que  lyer  et  des- 
lyer soit  remettre  et  elTacer  les  péchez  :   pourtant  qu'ilz  oyent  le 
Seigneur  denonceant  par    son  Prophète  :  Ce  suis-je,  ce  suis-je  lésa.  43. 
moy,  qui  efface  tesiniquitez,  Israël.  Ce  suis-je,  et  n'y  a  autre  que 

25moy,  Mais  ilz  diseat  que  c'est  à  faire  au  Prestre  de  prononcer 
esquelz  sont  lyez  oudeslyez  et  déclarer  desquelz  les  péchez  son, 
retenuz  ou  remiz.  Et  que  le  Prestre  faict  ceste  déclaration,  ou  et- 
la  confession,  quand  il  absoult  ou  retient  les  péchez  :  ou  par  senn 
tence,   quand    il   excommunie   ou    absoult  d'excommunication  : 

30  Finalement,  voyans   qu'ilz    ne  se    peuvent  encores  despescher, 
que  tousjours  on  ne    leur  objecte,   que  ceux  qui   sont  indignes 
souventesfois  sont  lyez  ou   deslyez  par  leurs  Prestres,  lesquelz 
pourtant  ne  sont  pas  lyez  ne  deslyez  au  Ciel.  Pour  leur  dernier 
refuge,  ilz  respondent  qu'il  fault  prendre  le  don  des  clefz  avec 

35  certaine  limitation,  c'est,  que  Christ  ayt  promis,  que  la  sen- 
tence du  Prestre  justement  prononcée,  selon  que  requeroient  les 
mérites  de  celuy  qu'il  lye  ou  deslye,  sera  approuvée  de  luy 
au  Ciel.  Oultreplus  que  ces  clefz  ont  esté  données  par  Christ 
à   tous    les  Prestres,    lesquelles  leur  sont   conférées  des  Eves- 


DE    l'EMTENCE.  321 

quesen  leur  promotion  :  mais  que  l'usag-e  en  appartient  seulement 
à  ceux  qui  sont  en  offices  Ecclésiastiques.  Et  par  ainsi  que  lesdictes 
clefz  demeurent  tousjours  aux  excommuniez  et  suspenduz  :  mais 
erouillées  et  empêtrées.  Et  ceux  qui  disent  ces  choses,  pourroient 

5  estre  veuz  sobres  et  modestes,  au  pris  des  autres,  qui,  sus  une 
nouvelle  forge,  ontfaict  nouvelles  clefz  :  soubz  lesquelles  ilz  disent 
que  le  Thresor  de  TEg-lise  est  enfermé  :  appellans  le  Thresor  de 
l'Eglise,  les  mérites  de  Jésus  Christ,  des  Apostres,  Martirs  et 
autres  Sainctz.  Et  feignent  que  la  principale  garde  de  ce  grenier, 

io  a  esté  commise  à  TEvesque  de  Rome  :  par  devers  lequel  soit  la 
première  dispensation  de  telz  biens  :  tellement  qu'il  les  puisse 
eslargir  par  soy,  et  déléguer  aux  autres  la  jurisdiction  de  les  eslar- 
gir.  Dont  sont  sorties  les  indulgences,  lesquelles  le  Pape  octroyé 
aucunesfois  plenieres,  aucunesfois  de  certains  ans  :  les  Cardinaulx 

15 de  cent  jours:  les  Evesques  de  quarante  jours. 

Je  respondray  briefvement  k  tous  ces  poinctz,  laissant  toutes- 
fois  pour  le  présent  à  dire  par  quel  droit  ou  quelle  injure  ilz 
assubjectissent  à  leurs  loix  les  âmes  des  fidèles  ;  car  cela  sera 
considéré  en  son  lieu.  Mais  touchant   ce  qu'ilz   imposent  loy  de 

20  enombrer  tous  les  péchez  :  et  qu'ilz  nyent  que  les  péchez  sovent 
remiz,  sinon  que  l'on  ayt  ferme  propoz  de  soy  confesser.  Que 
aussi  ilz  disent,  l'entrée  de  Paradis  estre  fermée  à  ceux,  qui  ont 
condamné  l'occasion  de  soy  confesser  :  cela  ne  se  doibt  nulle- 
ment souffrir.  Car  comment  entendent-ilz  qu'on  puisse  enombrer 

23  tous  ses  péchez;  veu  que   David,   lequel,  comme  j'estime,  avoit 
très  bien  prémédité  la  confession  de  ses  péchez  ;  ne  pouvoit  néant-  Psal.   19. 
moins  autre  chose  faire  ;  sinon  cryer  :  Qui  comprendra  ses  faultes?    ^^ 
Seigneur  purge  moy  de  mes  maux  occultes.  Et  en  un  autre  lieu  : 
Mes  iniquitez  ont  outrepassé  ma  teste  :  et  comme  un  pesant  far- 

sodeauont  surmonté  mes  forces.  Certainement  il  entendoit  combien 
estoit  grande  Tabysme  de  noz  péchez  :  et  combien  d'espèces  de 
crimes  il  y  a  en  l'homme  :  combien  de  testes  porte  ce  monstre  de 
péché  :  et  combien  longue  queue  il  tire  après  soy.  Il  ne  se  mettoit 
point  donc  à  en  faire  un  récit  entier  :  mais  du  profond  de  ses  maulx 

33  il  crioit  à  Dieu:  Je  suis  submergé,  ensevely,  suffoqué,  les  portes 
d  Enfer  m'ont  circu}'  :  que  ta  dextre  me  lire  hors  de  ce  puys, 
auquel  je  suis  noyé  :  et  de  ceste  mort,  en  laquelle  je  deffaulx. 
Qui  sera  maintenant  celuy  ;  qui  pensera  tenir  le  compte  de 
ses  péchez  ;  quand  il  voit  David  ne  pouvoir  trouver  le  nombre 
Inslitiilion.  21 


322  CHAPITKK    V. 

des  siens  ?  Par  ceste  Géhenne  ont  esté  cruellement  tormentées  les 
consciences  de  ceux,  qui  estoient  touchez  de  quelque  sens  de  Dieu. 
Premièrement  ilz  vouloient  venir  à  compte  et  pour  ce  faire,  ilz 
disting^uoient  les  péchez  en  bras,  branches,  et  feuilles,  selon  les 
5  distinctions  des  Docteurs  confessionnaires.  Aprez  ilz  pesoient  les 
qualitez,  quantitez,  et  circonstances.  La  chose  leur  procedoit  au 
commencement  assez  bien  :  mais  quand  ilz  estoient  entrez  un  peu 
plus  avant,  ilz  ne  voyent  plus  que  Ciel  et  Mer  :  sans  trouver 
quelque  Port  ne  Station.  Et  d'autant  plus  qu'ilz  venoient  en  avant, 

10  d'autant  plus  le  nombre  croissoit  :  et  comme  haultes  montaignes 
s'eslevoient  devant  leurs  yeulx,  qui  leur  ostoient  la  veûe,  et  ne 
apparoissoit  aucune  espérance  d'en  pouvoir  à  la  fin  sortir.  Hz  demeu- 
roient  donc  en  ceste  angoisse  :  et  ne  trouvoient  finalement  autre 
yssue  que  desespoir.  Adonc  ces  bourreaux  inhumains,  pour  guérir 

15  les  playes  qu'ilz  avoient  faictes  :  ont  apporté  un  remède  :  c'est  à 
scavoir  que  chascun  fîst  ce  qu'il  seroit  en  soy.  Mais  encore  nou- 
velles sollicitudes  poignoient  :  ou  plustost  nouveaux  tormens 
escorchoient  les  povres  âmes  :  quand  ces  pensées  leur  venoient  au 
devant:  Je  n'y  ay  pas  assez  mis  de  temps  :  Je  n'y  ay  pas  colloque 

20  mon  estude  deuëment  :  J'ay  obmis  une  partie  par  nonchaillance  : 
et  Fobliance,  qui  provient  de  négligence,  n'est  pas  excusable.  Hz 
adjoustoient  d'autres  remèdes,  pour  adoulcir  ces  maux.  Faictz 
Pénitence  de  ta  négligence  :  si  elle  n'est  trop  grande,  elle  te  sera 
pardonnée.  Mais  toutes  ces  choses  ne  peuvent  fermer  la  playe  :  et 

25  ne  sont  pas  tant  remèdes  pour  adoulcir  le  mal,  que  venins  arrou- 
sez  de  miel  :  afin  de  n'otîenser  point  trop  par  leur  rudesse  le  premier 
goust  :  ains  tromper  et  entrer  aux  parties  cordiales,  devant  qu'estre 
sentuz.  Geste  voix  terrible  donc  presse  tousjours,  et-torne  aux  au- 
reilles  :  Gonfesse  tous  tes  péchez  :  et  ne  s'en  peut  l'horreur  appaiser, 

30  sinon  par  certaine  consolation.  Et  ce  qu'une  grande  partie  du  mon- 
de a  acquiescé  à  telz  amyelemens,  desquelz  un  venin  si  mortel  estoit 
adoulcy  :  Gela  ne  s'est  pointfaict,  pourtantque  leshommes  pensas- 
sent Dieu  estre  satisfaict  :  ou  qu'il  se  contentassent  eux  mesmes: 
mais  comme  les  Nautonniers  fichans  l'Ancre  au  milieu  de  la  mer, 

35  reposent  du  travail  de  leur  navigation  :  ou,  comme  un  pèlerin  lassé 
ou  deffaillant,  se  sied  au  milieu  de  la  voye,  pour  reposer  :  en  telle 
manière  ilzprenoientcerepoz,  combien  qu'il  ne  leur  fust  suffisant. 
Je  ne  mettray  pas  grand'peine  à  monstrer  cela  estre  vray  :  chascun 
s  en   peut  estre  tesmoing  en  soymesme  :  mais  je  diray  en  som- 


m:  PEMTE.NCE.  323 

me,  quelle  a  esté  ceste  loy.  Premièrement  elle  est  simplement 
impossible,  parquoy  elle  ne  peut  que  perdre,  damner,  confondre, 
jetter  en  ruvne  et  desespoir.  D'avantage,  ayant  destourné  les  pé- 
cheurs du  vray  sentiment  de  leurs  péchez  :  elle  les  fait  hypocrites, 
o  et  i-norans  de  Dieu  et  d'eux  mesmes.  Car  en  s'occupans  du  tout 
à  l'ennombrement  de   leurs   péchez  :  ce  pendant  ilz  oublient  le 
secret  abysme  de  vice  qu'ilz  ont  au  profond  du  cœur,  leurs  ini- 
quitez    intérieures  et    ordures   cachées.   Pour  la  congnoyssance 
de  quoy,  principalement  ilz  a  voient  à  reputer  leur  misère. 
10      Aucontraire,  ceste  estoit  la  droitte  reigle  de  confession  :  con- 
fesser et  recongnoistre  un  tel  abysme  de  mal  en  nous,  qui  sur- 
monte mesmes  nostre   sens.    De  laquelle  forme  nous  vovons  la  Luc  IS. 
confession  du  Publicain  estre  composée.  Seigneur,  sois  propice  à 
moy  qui  suis  pécheur.   Comme    s'il  disoit  :  Tout   ce  qui  est  en 
•o  moy,  n'est  autre  chose  que  péché  :  tellement  que  ma  pensée  ne 
ma  langue  n'en  peut  comprendre  la  grandeur.  Que  Fabvsme  donc 
de   ta   miséricorde   engloutisse   l'abysme   de   mes   péchez.  Quoy 
donc  ?   dira  icy  quelqu'un.  Ne  fault-il  pas  confesser  chascun  pé- 
ché ?  N'y  a  il  donc  confession  aggreable  à  Dieu  ;  sinon  celle  qui 
20  est  enclose  en  ces  trois  motz  ?  Je  suis  pécheur.  Je  respondz,  que 
plustost  il  nous   fault  estudier  d'exposer,   d'autant  qu'il  est  en 
nous,  tout   nostre  cœur  devant  Dieu,  et  nompas  seulement  de 
nous  confesser  pécheurs  ;   mais  pour  nous  reputer  véritablement 
telz,  de  recongnoistre,  de  toute   nostre  cogitation,  combien   est 
25  grande    et    diverse  l'ordure   de    nos   péchez  :  de  nompas  seule- 
ment  nous   recongnoistre   immundes  :    mais   de    reputer  quelle 
est,  et   en    combien    grande,  et  en  combien    de    parties,  nostre 
immundicité  :    de    nompas   seulement    nous   recongnoistre   deb- 
teurs  :  mais  reputer  de  combien  de  debtes  nous  sommes  chargez 
30  et  oppressez  :  de  nompas  seulement  nous  recongnoistre  blessez  • 
mais   de   combien  et  griefves  et  mortelles  plaves  nous  sommes 
navrez.    Neantmoins   quand   un   pécheur  se    sera  descouvert    à 
Dieu   en   telle   congnoyssance    :     encores    fault-il    qu'il    pense 
pour  vray,    et  que  en  syncerité    il  juge,   que  beaucoup  plus  de 
35  maulx  luy    restent,  qu'il    ne  peut  estimer  :  et  que  la  profondité 
de     sa  misère  est    telle,   qu'il  ne    la    scauroit  bien    esplucher 
ne    en  trouver  la  fin.    Et   pourtant  qu'il    s'escrie    avec   Daxid-  Psal    19 
Qm  entendra  ses   faultes  ?    Seigneur  purge  moy  de  mes    maux 
occultes. 


224  CHAPITRE    Y. 

Oultre  plus,  en  ce  quilz  afferment  les  péchez  n'estre  point  re- 
miz  sinon  soubz  condition  qu'on  ayt  certains  propoz  de  se  confes- 
ser •  et  que  la  porte  de  Paradis  est  close  à  ceux  qui  en  auront 
obmiz  ropportunité  :  Ja  n'advienne  que  nous  leur  accordions  ce 
5  poinct  Car  la  remission  des  péchez  n'est  pas  mamtenant  autre, 
qu'elle  a  tousjours  esté.  Tous  ceux  que  nous  lisons  avoir  obtenu 
de  Christ  la  remission  de  leurs  péchez,  ne  sont  pas  dictz  s  estre 
confessez  en  l'aureille  de  quelque  messire  Jean.  Et  certes  ilz  ne  se 
pouvoient  confesser  :  veu  qu'il  n'y  avoit  lors  ne  confesseurs  ne 
,0  confession  mesmes  :  et  encores  longues  annéez  aprez,a  este  ceste 
confession  incongneûe,  auquel  temps,  les  péchez  ont  esté  remiz 
sans  la  condition  qu'ilz  requièrent.  Mais  à  fin  que  nous  ne  dispu- 
tions comme  d'une  chose  doubteuse  :  la  parolle  de  Dieu,  laquelle 
demeure  éternellement,  est  manifeste.  Toutes  les  fois  que  le  pe- 
i5cheur  se  repentira,  je  oublieray  toutes  ses  iniquitez.  Celuy  qm  E.ec 
ose  adjouster  à  ceste  parolle,  nelye  pas  les  péchez,  mais  la  misé- 
ricorde de  Dieu. 

Ce  n'est  pas  donc  de  merveille,  si  nous  rejettons  ceste  con- 
fession auriculaire,  chose  si  pestilente,  et  en  tant  de  manières 
sopernitieuse  à  l'Eglise.  Et  mesmes,  quand  se  seroit  une  chose 
indiferente  :  toutesfois,  veu  qu'elle  n'apporte  aucun  frmct  ne 
utilité  •  au  contraire  a  esté  cause  de  tant  d'erreurs,  sacrilèges  et 
impietez  :  qui  sera  celuy  qui  ne  dise  qu'elle  doibt  estre  abolye? 
Bien  est  vray  quilz  racomptent  aucuns  profitz,  lesquelz  ilz 
25  disent  en  provenir,  et  les  font  valloir  le  plus  qu'ilz  peuvent  : 
mais  ilz  sont  tous,  ou  controuvez,  ou  frivoles.  Hz  en  ont  un 
en  singulière  recommendation  par  dessus  les  autres  :  c'est 
à  scavoir  que  la  honte  de  celuy  qui  se  confesse,  est  une  gnefve 
peine  •  par  laquelle  il  est  faict  plus  advisé  pour  le  temps  ad- 
venir :  et  prévient  la  vengeance  de  Dieu  en  se  punissant 
soymesme  :  comme  si  nous  ne  confondions  point  l'homme  d'une 
assez  grande  honte,  quand  nous  l'appelions  à  ce  hault  Siège 
céleste,  et  au  Jugement  de  Dieu  :  et  comme  si  c'estoit  beau- 
coup proffité,  quand,  pour  honte  d'un  homme,  nous  laissons  de 
pécher,  n'ayantz  honte  aucune,  d'avoir  Dieu  tesmoing  de  nostre 
mauvaise  conscience.  Combien  que  leur  dire  mesmes  soit  tres- 
faulx.  Car  on  voit  communément  à  l'œil,  que  les  hommes  ne 
se  acquièrent  si  grande  hardiesse  ne  licence  de  mal  faire, 
d'autre  chose  :  sinon  quand,  ayantz  faict  leur  confession  au  Pres- 


se venir 


DR    PEiNITENCE. 


325 


tre,  ils  estiment  qu'ilz  peuvent  torcher  leur  bouche,  et  dire  qu'ilz 
n'ont  rien  faict.  Et  non  seulement  sont  faictz  plus  hardiz  à  pé- 
cher tout  au  lonfj^  de  l'an  :  mais  ne  se  soucyans  de  confession 
pour  le  reste  de  l'année,  ne  souspirans  point  à  Dieu,  jamais  ne 
.i  reviennent  à  se  considérer  en  eux  mesmes.  Mais  assemblent  pé- 
chez sus  péchez,  jusques  à  ce  que,  comme  il  leur  est  advis,  ilz 
les  desg-orgent  tous  ensemble  une  fois.  Or  quand  ilz  les  ont  des- 
gorgez  ilz  se  pensent  bien  estre  deschargez  de  leur  fardeau,  et 
avoir  osté  le  Jugement  de  Dieu  :  lequel  ilz  ont  donné  et  transféré 

10  au  Prestre  :  et  cuydent  avoir  faict,  que  Dieu  ajt  oublié  ce  qu'ilz 
ont  faict  congnoistre  au  Prestre.  D'avantage  qui  est  celuy,  qui  de 
bon  courage  voit  approcher  le  jour  de  confesse?  Qui  est  celuy  qui 
y  va  d'un  franc  cœur  ?  et  non  plustost  ;  comme  si  on  le  tiroit  en 
prison  par  le  colet  ;  y  vient  maugré  son  cœur  et  par  force  ?  (Fors 

15  possible  les  Prestres  qui  se  délectent  joyeusement  de  racompter 
leurs  faictz  les  uns  aux  autres,  comme  de  faire  plaisans  comptes). 
Je  ne  souilleray  beaucoup  de  papier  à  reciter  les  horribles  abo- 
minations, desquelles  est  pleine  la  confession  auriculaire  :  seule- 
ment je  dictz  :  Si  le  Sainct  homme  Nectarius  (duquel  nous  avons 

20  cy  dessus  parlé)  ne  fist  pas  inconsidérément  en  ostant  de  son 
Eglise  ceste  confession  ou  plustost  l'abolissant  de  toute  mémoire, 
pour  un  seul  bruit  de  paillardisse  :  nous  sommes  aujourd'huy  assez 
advertiz  d'en  faire  autant,  pour  les  infîniz  maquerelages,  paillar- 
dises, adultères,  et  incestes  qui  en  procèdent. 

25  Maintenant  il  fault  voir  de  la  puissance  des  clefz,  en  laquel- 
le les  Confessionnaires  colloquent  toute  la  force  de  leur  règne. 
Les  clefz  donc  (disent-ilz)  auroient  elles  esté  données  sans  cause  ? 
auroit-il,  sans  cause,  esté  dict  :  Tout  ce  que  vous  aurez  deslyé 
sur   Terre  ;    sera   deslyé    au   Ciel  ?  Rendons    nous   donc    la   pa- 

3orolle  de  Christ  frustratoire  ?  Je  respondz,  qu'il  y  a  eu  assez 
grand  cause,  pourquoy  les  clefz  furent  données.  Et  fault  noter 
qu'il  y  a  deux  lieux  où  le  Seigneur  testifie,  que  ce  que  les  siens 
auront  lyé  ou  deslyé  en  Terre,  sera  lyé  et  deslyé  au  Ciel.  Les- 
quelz  lieux  combien  qu'ilz  ayent  divers   sens,   sont  ineptement 

35  confonduz  par  l'ignorance  de  ces  pourceaux  :  comme  ilz  ont  acous- 
tumé   de  faire  en  toutes  choses.   L'un  est  en  Sainct  Jehan  :    où 
Christ,  envoyant  ses  Apostres  prescher,  souffle  sur  eux  et  dist  :  je/,a„  20. 
Recevez  le  Sainct   Esprit  :   A  quiconques    vous  pardonnerez  les 
péchez,  il    leur  seront  pardonnez  :    et    de    quiconques    vous  les 


326  chapitrf:  v. 

retiendrez,  ilz  leurs  seront  retenuz.  Les  clefz  du  Royaume  des 
Cieux,  qui  avoient  auparavant  esté  promises  à  Sainct  Pierre,  luy 
sont  maintenant  livrées  avec  les  autres  Apostres  :  et  ne  luy  avoit 
rien  esté  promis,  qu'il  ne  receoyve  icy  esg-allement  avec  tous  les 
5  autres.  11  luy  avoit  esté  dict  :  Jeté  donneray  les  clefz  du  Royaume 
des  Cieux.  Il  y  est  icy  dict  à  eux  tous,  qu'ilz  preschent  l'Evan- 
gile. :  Ce  qui  est  ouvrir  la  porte  du  Royaume  céleste,  à  ceux  qui 
chercheront  accez  au  Père  par  Christ  :  et  la  fermer  et  barrer  à 
ceux  qui  se  destourneront  de  ceste  voye.  Il  luy  avoit  esté  dict  : 

10  tout   ce  que  tu  lyeras  en  Terre,  sera  lyé  au  Ciel  :  et  tout  ce  que  Malt.    16. 
tu  deslyeras,  sera  deslyé.  Il  leur  est  icy  dict   à    tous    en  com- 
mun :  A  ceux  ausquelz  vous  aurez  pardonné  les  péchez,  ilz  leur 
seront  pardonnez  :  et  à  ceux  desqiielz  vous    les  aurez    retenuz, 
ilz  seront  retenuz.  Lyer  donc,  c'est  retenir  les  péchez  :  deslyer, 

15  c'est  les  pardonner .  Et  certainement,  par  la  remission  des  péchez 
les  consciences  sont  délivrées  de  vrayes  enferg-es  :  et  d'autre  part 
par  la  rétention,  sont  estroictement  enserrées. 

J'ameneray  une  interprétation  de  ce  passage  non  trop  subtile 
ne  contreinte  ou  forcée  :  mais  simple,  vraye  et  convenante.  Ce 

20  mandement  de  remettre  et  retenir  les  péchez,  et  la  promesse  faicte 
à  Sainct  Pierre  de  lyer  et  deslyer,  ne  se  doivent  rapporter  à  autre 
fin,  que  au  ministère  de  la  parolle  :  Lequel  nostre  Seigneur  ordon- 
nant à  ses  Apostres,  pareilement  leur  commettoit  l'office  de  lyer 
ou   deslyer.   Car,   quelle  est    la  somme  de    l'Evangile  ;    sinon, 

25 que  nous  tous  ;  estans  serfz  de  péché  et  de  mort;  sommes  déli- 
vrez et  affranchiz  par  la  rédemption  qui  est  en  Christ  Jésus  ? 
Aucontraire  que  ceux  qui  ne  recongnoissent  et  ne  receoivent 
Christ  pour  leur  Libérateur  et  rédempteur,  sont  condamnez  à 
éternelle  prison  ?  Nostre  Seigneur  baillant  à  ses  Apostres  ceste 

30  ambassade  à  porter  par  toutes  les  nations  de  la  Terre,  pour 
monstrer  qu'elle  estoit  sienne,  procédante  et  ordonnée  de  soy  : 
l'a  honorée  de  ce  noble  tesmoignage.  Et  ce  pour  une  singu- 
lière consolation,  tant  des  Apostres,  que  des  auditeurs,  aus- 
quelz ceste  ambassade  devoit  estre  apportée.  Il  convenoit  certes 

33  que  les  Apostres  eussent  une  grande  et  ferme  asseurance 
de  leur  prédication,  laquelle  ilz,  avoient  non  seulement  à  en- 
treprendre et  exécuter  avec  infiniz  labeurs,  solicitudes,  tra- 
vaulx,  et  dangers  ;  mais  finalement  à  signer  et  séeller  de 
leur    propre    sang.    C'estoit    donc    raison    qu'ilz   eussent    ceste 


UE    l'EMTENr.F. 


327 


certitude,  qu'elle  n'estoit  pas  vaine  ne  frivole  :  mais  pleine  de 
vertu  et  puissance.  Et  estoit  bien  besoing  qu'en  telles  eng-oisses, 
diflîcultez  et  perilz,  ilz  feussent  asseurez  qu'ilz  faisoient  l'œuvre 
de  Dieu  à  tin  que  tout  le  monde  leur  contrevenant  et  résistant, 
5  ilz  eongneussent  que  Dieu  estoit  pour  eux  :  et  que  n'ayantz  point 
lanj^ueur  de  leur  doctrine,  Christ  présent  à  l'œil  en  terre,  ilz  en- 
tendissent qu'il  estoit  au  Ciel,  pour  confermer  la  vérité  d'icelle. 
D'autrepart  il  failloit  qu'il  fust  trescertainement  testifié  aux  au- 
diteurs, que  icelle  doctrine  n'estoit  pas   parolle   des    Apostres, 

10  mais  de  Dieu  mesme  :  et  que  ce  n'estoit  pas  une  voix  née  en 
Terre  :  mais  procédante  du  Ciel.  Car  ces  choses  ne  peuvent  estre 
en  la  puissance  de  l'homme  :  c'est  à  scavoir  la  remission  des 
péchez,  promesse  de  vie  éternelle,  message  de  salut.  Christ  donc 
a  testifié,  qu'il  n'y  avoit  en  la  prédication  Evangelique,  rien  des 

13  Apostres,  sinon  le  ministère  :  que  c'e.stoit-il,  lequel  par  leurs 
bouches,  comme  par  instrumens,  parloit  et  promettoit  tout  :  que 
la  rémission  des  péchez  laquelle  ilz  annonceoient,  estoit  vraye 
promesse  de  Dieu  :  La  damnation,  laquelle  ilz  denonceoient, 
estoit  certain  Jug-ement  de  Dieu.  Or  ceste  testification  a  esté  don- 

20  née  pour  tous  temps,  et  demeure  encores  ferme  :  pour  nous  rendre 
tous  certains  et  asseurez,  que  la  parolle  de  l'Evangile,  de  qui 
qu'elle  soit  preschée,  est  la  propre  sentence  de  Dieu,  publiée  en  son 
siège,  escrite  au  livre  de  vie,  passée,  ratiffîée,  et  confermée  au 
Ciel.  Ainsi  nous  entendons,  que  la  puissance  desclefz,  est  simple- 

25  ment  la  prédication  de  l'Evangile;  et  mesmes  n'est  pas  tant  puis- 
sance,  que  ministère  :   si  nous  avons  esgard  aux  hommes.  Car 
Christ  n'a  pas  donné  proprement  aux  hommes  ceste  puissance  : 
mais  à  sa  parolle,  de  laquelle  il  a  faict  les  hommes  ministres. 
L'autre  passage  :   lequel    nous   avons  dict  devoir  estre  prins 

30  en  autre  sens,  est  escrit  en  Sainct  Matthieu,    où  il  est  dict  :  Si 
quelqu'un  de  tes  frères  ne  veult  escoiiter  l'Eglise  :  qu'il  te  soit  Malt.    18. 
comme  Gentil  et  profane.  En  vérité,   en  vérité  je  vous  diz,  que 
tout  ce  que  vous  aurez  lyé  en  Terre,  sera  lyé  au  Ciel  :  et  ce  que 
vous  aurez  deslyé,   sera  deslyé.   Toutesfois  nous  ne  faisons   pas 

35  ces  deux  lieux  tellement  divers,  qu'ilz  n'ayent  grande  affinité 
et  similitude  ensemble.  Premièrement  cela  est  semblable  en 
tous  les  deux  :  que  l'une  sentence  et  l'autre  sont  générales  : 
et  la  puissance  de  lyer  et  deslyer,  est  par  tout  une  :  c'est  à 
scavoir  par  la  parolle   de    Dieu,   un  mesme  mandement  de  lyer 


328  CHAPITRE     V. 

et  deslyer,  une  mesme  promesse.  Mais  en  cela  ilz  différent,  que 
le  premier  spécialement  appartient  à  la  prédication,  à  laquelle 
sont  ordonnez  les  ministres  de  la  parolle  :  Le  second  s'entend 
de  la   discipline  des  excommunications,  laquelle  est  permise   à 

5  lEg-lise.  Or  l'Eg-lise  lye  celuy  qu'elle  excommunie  :  non  pas 
qu'elle  le  jette  en  ruyne  et  desespoir  perpétuel  :  mais  pourtant 
qu'elle  condamne  sa  vie  et  ses  meurs,  et  desja  l'advertit  de  sa 
damnation,  s'il  ne  retourne  en  lavoye.  Elle  deslye  celuy  qu'elle 
receoit  en  sa  communion  :  d'autant  quelle  le  faict  comme  parti- 

locipant  de  l'unité  qu'elle  ha  en  Jésus  Christ.  A  fin  donc  que  nul  ne 
contemne  le  Jugement  de  l'Eglise,  et  estime  chose  légère  destre 
condamné  de  la  sentence  des  fidèles  :  nostre  Seigneur  testifie  que 
tel  Jugement,  n'est  autre  chose,  que  la  publication  de  sa  sentence  : 
et  que  tout  ce  qu'ilz  auront  faict  en  Terre,  sera  ratifïié  au  Ciel. 

15  Car  ilz  ont  la  parolle  de  Dieu,  par  laquelle  ilz  condamnent  les 
mauvais  et  pervers  :  et  ilz  ont  la  mesme  parolle  pour  recevoir  en 
grâce  ceux  qui  retournent  à  amendement  :  et  ne  peuvent  faillir 
ne  discorder  du  Jugement  de  Dieu  :  puis  qu'ilz  ne  jugent  que 
par  sa  loy,   laquelle   n'est  pas  opinion  incertaine  ou   terrienne, 

20  mais  sa  saincte  volunté,  et  Oracle  céleste.  D'avantage  il  appelle 
l'Eglise,  non  aucuns  tondus  et  rasez  :  Mais  la  compaignie  du 
peuple  fidèle,  congregée  en  son  Nom.  Et  ne  doibt  en  escouter 
aucuns  moqueurs,  qui  arguent  en  ceste  forme.  Comment  pour- 
roit    on    présenter    quelque  complaincte    à  l'Eglise  laquelle  est 

23  esparse  et  espandue  par  tout  le  monde?  Car  Christ  monstre  assez 
évidemment  en  ce  qui  s'ensuit  qu  il  parle  de  toute  congrégation 
Chrestienne,  selon  que  les  Eglises  se  peuvent  ordonner  en  chas- 
cun  lieu  ou  Province.  Par  tout  (dit-il)  où  deux  ou  troys  seront 
assemblez  en  mon  Nom,  je  seray  là  au  milieu  d'eux. 

30  De  ces  deux  passages,  lesquelz  il  me  semble  que  j'ay  briefvement 
et  familièrement  exposez  :  ces  furieux,  sans  quelque  discrétion,  se- 
lon leur  phrenesie,  s'efforcent  d'approuver  maintenant  leur  confes- 
sion, maintenant  leurs  excommunications,  maintenant  leurs  juris- 
dictions,  maintenant    la   puissance  de  imposer  loix,  maintenant 

33  leurs  indulgences.  Mais  que  sera-ce  si  d'un  seul  Cousteau  je  couppe 
la  broche  à  toutes  telles  demandes  nyant  que  leurs  Prestres  soient 
Vicaires  ne  successeurs  des  Apostres?  Toutesfois  ce  poinct  sera 
traicté  en  une  autre  lieu.  Maintenant,  de  ce  dont  ilz  se  veu- 
lent bien  munir,  ilz  dressent  une  machine  pour   renverser  tou- 


DE    PEMTENCK. 


a  29 


tes  leurs  forteresses.  Car  Christ  n'ha  pas  ottroyé  k  ses  Apostres 
la  puissance  de  lyer  et  souldre,  devant  que  leur  avoir  eslargy  le 
Sainct  Esprit.  Je  nye  donc  que  la  puissance  des  clefz  conipete  à 
aucun,  sinon  à  celuy  qui  a  receu  le  Sainct   Esprit.    Et    nye  que 

5  quelqu'un  puisse  user  des  clefz,  sinon  que  le  gouvernement  et 
conduicte  du  Sainct  Esprit  procède,  et  enseigne  ce  qu'il  est  de 
faire.  Hz  se  vantent  d'avoir  le  Sainct  Esprit  :  mais  par  leurs  faictz 
ilz  le  nyent  :  si  ce  n'est  d'aventure  quilz  songent  le  Sainct  Esprit 
estre  une  chose  vaine  et  de  néant,  comme  ilz  veulent  faire  à  croire  : 

10  mais  on  ne  leur  adjoustera  point  de  Foy.  Par  ceste  machine  ilz 
sont  du  tout  subvertiz.  Car  de  quelque  huys  qu  il  se  vantent  avoir 
la  clef:  nous  avons  tousjoursà  les  interroguer  :  à  scavoir  s'ilz  ont 
le  Sainct  Esprit,  qui  est  directeur  et  modérateur  des  clefz  ?  S'ilz 
respondent  qu'ilz  l'ont  :  il    leur  fault  de  rechef  demander,  si  le 

15  Sainct  Esprit  peut  faillir?  Ce  qu'ilz  n'oseront  appertement  con- 
fesser :  combien  que  par  leur  doctrine,  couvertement  ilz  le 
confessent.  11  fauldra  donc  conclure,  que  nulz  Prestres  n'ont  la 
puissance  des  clefz  :  lesquelz  témérairement  et  sans  discrétion 
lyent    ceux   que  nostre  Seigneur  vouloit  estre  délivrez:  et  deli- 

:!o  vrent  ceux  (ju  il  vouloit  estre  lyez.  Quand  ilz  se  voyent  con- 
vaincuz  par  expérience  évidente,  qu'ilz  lyent  et  deslyent  indife- 
remment  les  dignes  et  indignes  :  ilz  se  attribuent  la  puissance 
sans  science.  Et  combien  qu'ilz  n'osent  nyer  que  la  science  ne 
soit  requise  à   bon  usage  :  toutesfois  ilz   enseignent  (jue  la  puis- 

25  sance  est  aussi  bien  baillée  aux  mauvais  dispensateurs.  Mais  puis- 
que ceste  est  la  puissance:  Ce  que  tu-auras  lyé  ou  deslyé  enterre, 
sera  lyé  et  deslyé  ez  cieulx  :  Il  fault  que  la  promesse  de  Jésus  Christ 
mente:  ou  que  ceux  qui  sont  constituez  en  ceste  puissance  lyent 
et  deslyent  comme  ilz  doibvent.  Et  ne  peuvent  tergiverser,  disans 

30  que  la  promesse  de  Christ  est  limitée  selon  les  mérites  de  celuy 
qui  est  lié  ou  absoult.  Nous  certes  aussi  bien  de  nostre  part, 
confessons,  que  nul  ne  peut  estre  lié  ou  absoult  :  sinon  celuy 
qui  en  est  digne.  Mais  les  messagers  de  l'Evangile  et  l'Eglise, 
ont    la    parolle  pour    mesurer    ceste   dignité.    En   icelle  parolle 

35  les  messagers  Évangeliques  peuvent  promettre  à  tous  la  re- 
mission des  péchez  en  Christ  par  Foy  :  et  peuvent  dénoncer 
damnation  à  tous  et  sur  tous  ceux  qui  n'auront  embrassé  Christ. 
En  icellé  parolle  l'Eglise  prononce ,  que  tous  scortateurs, 
adultères,  larrons,    homicides,    avaritieux,    iniques,    n'ont  nulle 


330  CHAPITRE    V. 

part  au  Royaume  de  Dieu  :  et  les  estreinct  de  tresfors  lyens.  En 
icelle  mesme  parolle,  elle  deslie  ceux,  lesquelz,  retournans  à 
pénitence  elle  console.  Mais  quelle  sera  ceste  puissance  :  de  ne 
scavoir  ce  qui  est  à  lyer  ou  deslier  ;  veu  qu'on  ne  peut  lyer  ou 
5  deslyer  ;  si  on  ne  le  scait  ?  Pourquoi  donc  disent-ilz  ;  qu'ilz 
donnent  absolution  par  authorité  à  eux  octroyée,  puis  que  la 
solution  est  incertaine  ?  Dequoy  sert  ceste  puissance  imaginaire  ; 
de  laquelle  lusage  est  nul?  Or  j'ay  desja  obtenu,  ou  qu'il  est  du 
tout    nul  :    ou  qu'il   est  tant  incertain,    qu'il  doibt    estre  réputé 

10  pour  nul.  Car  puis  qu'ilz  confessent  que  la  plus  grande  partie 
des  Prestres  n'use  pas  droictement  des  clefz  :  D  autrepart  que  la 
puissance  des  clefz  :  sans  l'usage  légitime,  est  sans  efficace,  qui 
me  fera  Foy  ;  celuy  duquel  je  suis  absoult  estre  bon  dispensa- 
teur des  clefz  ?  Et  s'il  est  mauvais  ;  qu'ha-il  autre  chose  ;   sinon 

15  ceste  frivole  absolution  ?  Je  ne  scay  ce  qui  est  à  lyer  ou  deslyer  en 
toy  :  veu  que  je  n'ay  nul  usage  des  clefz,  mais  si  tu  le  mérites, 
je  te  absoulz.  Et  autant  en  pouroit,  je  ne  diz  pas  un  Layz,  pour- 
tant que  cela  les  irriteroit  trop  fort  :  mais  un  Turc  ou  un  Diable. 
Car  cela  vault  autant  comme  qui  diroit  :  Je  n'ay  point  la  parolle 

20  de  Dieu,  qui  est  la  certaine  reigle  de  lyer  ou  deslyer  :  mais  1  au- 
thorité m'est  donnée  de  te  absouldre,  si  tu  le  mérites  ainsi. 
Nous  voyons  donc  où  ilz  ont  voulu  tendre,  quand  ilz  'ont  déter- 
miné que  les  clefz  estoient  l'authorité  de  discerner,  et  puisrsance 
d'exécuter  :    et  que  la  science   intervient  comme   un    conseiller, 

23  pour  le  bon  usage  :  c'est  à  scavoir  que  intemperement  et  licen- 
cieusement ilz  ont  voulu  régner  sans  Dieu  et  sans  sa  parolle. 

Touchant  ce  qu'ilz  approprient  leurs  clefz  à  tant  d'huys  et  de 
serrures,  pour  les  faire  servir,  maintenant  à  leurs  Jurisdictions, 
maintenant  à  leurs  confessions,  maintenant  àleursdecretz,  main- 

30  tenant  à  leurs  excommunications  :  je  diray  enbrief  ce  qui  en  est. 
Au  mandement   que  Christ  donne  à  ses  Disciples  en  l'Evangile  Jehan  20. 
S.  Jean  de  remettre  et  retenir  les  péchez,  il  ne  les  fait  point  Lé- 
gislateurs, Officiaulx,  Dataires,  ne  Copistes,  ne  porteurs  de  Roga- 
tons :  mais,  les  ayant  faictz  ministres  de  sa  parolle,  il  les  honore 

35  d'un  singulier  tesmoignage.  En  S.  Matthieu,  quand  il  ottroye  à  son 
Eglise  la  puissance  de  lyer  et  deslyer  :  il  ne  commande  point  que  de  Mat.  16. 
l'authorité  de  quelque  révérend  Myttré  et  cornu,  soyent  excom- 
muniez et  à  chandelle  esteincte  et  cloches  sonnantes  soyent  aggra- 
vez les  povres  gens,  qui  ne  peuvent  satisfaire  leurs  créditeurs  :  mais 


DE    PE.MTF.N(.r:. 


331 


il  veut  que  par  la  discipline  d'excommunication,  la  perversité 
des  mauvais  soit  corrigée  :  et  ce  par  lauthorité  de  sa  parolle,  et 
le  ministre  de  son  Eglise.  Davantage  ces  enragez  qui  feignent  les 
clef[z]  de  l'Eglise  estre  la  dispensation  des  mérites  de  Jésus  Christ 
5  et  des  Martyrz,  laquelle  le  Pape  distribue  par  ses  bulles  et  indul- 
gences :  ont  plus  à  faire  de  médecine  pour  purger  leur  cerveau, 
que  de  raisons  pour  estre  convaincuz  :  Et  n'est  pas  grand  mes- 
tierde  confuter  diligemment  les  indulgences  :  lesquelles,  esbrans- 
lées   par   plusieurs  assaulx,    commencent   d'elles  mesmes  à  de- 

10  cheoir  et  defîaillir.  Certes  ce  qu'elles  se  sont  si  longuement 
maintenues  et  conservées,  mesmes  en  si  grande  licence  et  intem- 
pérance :  nous  donne  à  congnoistre  en  quelles  ténèbres  et  erreurs 
les  hommes  ont  esté  enseveliz  par  quelques  années.  Hz  se  voient 
appertement  moquer  et  tromper  du  Pape  et  de  ses  porteurs  de 

ir.  Rogatons.  Hz  voient  marchandise  estre  faicte  du  salut  de  leurs 
âmes  :  que  lachapt  de  Paradis  estoit  taxé  h  certains  deniers  : 
que  rien  ne  se  donnoit  gratuitement  :  que  soubz  ceste  couleur  on 
tiroit  de  leurs  l)(»urces  les  oblations  qui  estoient  après  mescham- 
ment  despendues  en  paillardises,  maquerelages,  et  gourmandises  : 

20  que  les  plus  grandz  recommandeurs  d'indulgences,  en  estoient, 
pour  leur  endroit,  les  plus  grandz  contempteurs  :  que  ce  monstre 
de  plus  en  plus  croissoit  tous  les  jours,  et  plus  furieusement  s'es- 
levoit  sans  fin  :  qu'on  apportoit  de  jour  en  jour  plomb  nouveau, 
pour  tirer  nouvel   argent  :  neantmoins  ilz  recevoient   les  indul- 

25gencesen  grand  honneur,  ilz  les  adoroient  et  achetoient.  Et  ceux 
qui  voyent  plus  cler  que  les  autres,  pensoyent  encores  que  c'es- 
toient  fraudes  salutaires  :  desquelles  ilz  pouvoient  estre  trompez 
avec  quelque  fruict.  En  la  fin,  quand  le  monde  [s]"est  maintenant 
permis  d'estre  un  peu  plus  sage  :  les  indulgences  se  refroidissent 

30 et  se  gèlent,  jusques  à  ce  qu'elles  s'esvanoyssent  du  tout.  Mais 
pourtant  que  plusieurs  qui  congnoissent  les  trafiques,  trompe- 
ries, larecins,  rapacitez  lesquelles  ont  exercé  jusques  icy  les  fac- 
teurs et  traffiqueurs  des  indulgences  :  ne  voient  point  la  source 
de  l'impiété   qui  y  est  :    il    est  expédient  de  monstrer  icy,  non 

35  seullement  quelles  sont  les  indulgences,  comme  ilz  en  usent  : 
mais  du  tout  que  c'est  à  les  prendre  en  leur  propre  et  meilleure 
nature,  sans  quelque  qualité  du  vice  accidentai.  Or,  pour  les 
descrire  au  vray,  nous  disons  que  c'est  une  polution  du  sang 
de  Christ,  et  une  faulseté  du  Diable,  pour  destourner  le  peuple 


332  CHAPITRE    V. 

Chrestien  de  la  grâce  de  Dieu,  et  de  la  vie  qui  est  Christ  :  et 
pour  le  desvojer  du  chemin  de  salut.  Car  comment  povoit  estre 
le  sang-  de  Christ  plus  villainement  pollué  et  deshonoré,  que  en 
nyant  qu'il  suflise  à  la  remission  des  péchez,  reconciliation  ;  et 
5  satisfaction  ;  sinon  que  le  deffault  dicelluy  soit  supplié  d'aultre 
part?  La  Loy  et  tous  les  Prophètes  (dit  S.  Pierre)  portent  tes-  Act.  10. 
moignage  à  Christ,  que  en  luy  doibt  estre  receuë  la  remission 
des  péchez.  Les  indulgences  ottroyentla  remission  des  péchez  par 
S.  Pierre,    S.   Paul,  et    autres  martirs.  Le    sang  de  Christ  nous 

10  purge  des  péchez,  dit  S.  Jehan.    Les  indulgences  font  du  sang  l.Jehani. 
des  martirs  ablution  des  péchez.  Christ  (dit  S.  Pauli,   qui  n'avoit  2.  Cor.  o. 
congneu  nul  péché,  a  esté  faict  péché  pour  nous  :  c'est  à  dire  satis- 
faction de  péché  :  à  fin  qu'en  luy  nous  fussions  faictz  justice  de 
Dieu.  Les  indulgences  colloquent  la  satisfaction  de  péché  au  sang 

13  des  martirs.  S.  Paul  cryoit  testifîant  aux  Corinthiens  qu'un  seul  /.  Cor.  /. 
Christ   estoit  cniciiîé  et  mort  pour  eux.    Les  indulgences  deter-  | 

minent,  S.  Paul  et  les  autres  estre  mortz  pour  nous.  En  un  autre 
passage  il  disoit,  que  Christ  s'est  acquis  son  Eglise  par  son  sang. 
Les  indulgences  mettent  un  autre  pris  de  l'acquisition  au  sang 

20 des  martirs.    Christ,  dit  l'Apostre,  a  éternellement  parfaictz  par  HeL.  10. 
uneoblation,  ceux  qu'il  a  sanctifiez.  Les  indulgences  contredisent, 
affirmantz  que  la  sanctification  de  Christ,  qui  autrement  ne  suffî- 
soit  point,  est  parfaicte  au  sang  des  martirs.  S.  Jehan  dit  que  tous 
les  Sainctz  ont  lavé  leurs  robbes  au  sang  de  l'Aigneau.  Les  indul- 

25  gences  nous  enseignent  de  laver  noz  robbes  au  sang  des  Sainctz. 

Certainement    combien    que   toute  leur    doctrine    soit   cousue 

et   tissuë    d'horribles    blasphèmes    et  sacrilèges  :   toutesfois  ce 

blasphème    est    oultrageux    par  dessus  tous    les    autres.   Qu'ilz 

recongnoissent  si  ce  ne  sont   pas  icy  leurs  conclusions  ?  que  les 

30  martirs,  par  leur  mort,  ont  plus  deservy  de  Dieu,  qu'il  n'estoit 
besoing  :  et  qu'ilz  ont  eu  telle  habondance  de  mérite,  qu'il  en 
puisse  redonder  une  partie  aux  autres  :  et  pourtant  à  fin  qu'un 
tel  bien  ne  soit  vain  et  perdu,  que  leur  sang  est  mis  avec  celuy 
de  Christ  et  que  de  tous  ensemble  est  faict  et  accumulé  le  thre- 

35Sor  de  l'Eglise,  pour  la  remission   et  satisfaction  des  péchez  :   et 
qu  il  faut  ainsi  prendre  ce  que  dit   Sainct  Paul  :  Je   supplie,  en  Colos.    /. 
mon  corps,  ce  qui  deffault  aux  passions  de  Christ,  pour  son  corps, 
qui  est  l'Eglise.    Qu'est  cela  autre   chose,   sinon  laisser  le  nom 
à    Christ,    au   reste   le  faire   un  petit    Sainct   vulgaire  ;    qui   se 


DE    PENITENCE.  333 

puisse  à  grand'peine  congnoistre,  en  l;i  multitude  des  autres  ? 
Mais  il  convenoit  qu'il  fust  luv  seul  presché,  demonstré,  nommé, 
regardé,  quand  il  est  question  d'obtenir  la  remission  des  péchez, 
purgation,    et   satisfaction.    Considérons  toutesfois   leurs   argu- 

smentz.  A  fin  (Disent-ilz)  que  le  sang  des  martirs  n'ayt  pas  esté 
inutilement  espandii,  qu'il  soit  communiqué  au  bien  commun  de 
l'Eglise.  Comment?  N'a-ce  pas  esté  assez  grande  utilité,  d'avoir 
glorifié  Dieu  par  leur  mort?  d'avoir  signé  sa  vérité  par  leur 
sang?  d'avoir  testifié  par  le  contemnement  de  ceste  présente  vie; 

10  qu'ilz  en  cherchoient  une  meilleure  ?  D'avoir,  par  leur  constance  ; 
confirmé  la  Foy  de  l'Eglise  ;  et  estonné  l'obstination  des  enne- 
mvz?  Mais  certes  c'est  ce  que  je  vois  dire.  Hz  ne  recongnoissent 
nul  proffit,  si  Christ  seul  est  Propiciateur,  s'il  est  luy  seul  mort 
pour  noz. péchez,  s'il  a  esté  seul  offert  pour  nostre  rédemption.  Or 

15  combien  malicieusement  corrumpent-ilz  le  lieu  de  Sainct  Paul  ;  où 
il  a  dict,  qu'il  supplioit  en  son  corps  ce  qui  delfailloit  des  passions  jehander- 
de  Christ?  Car  il  ne  rapporte  point  ce  dellault  ne  ce  supplyement  k    '"^'■• 
la  vertu  de  la  rédemption,  purgation,  ou  satisfaction  :  mais  aux 
afflictions,  desquelles  il  convient  que  les  membres  de  Christ,  c'est 

2oàscavoir  les  fidèles,  soient  exercitez,  tant  qu'ilz  seront  en  ceste 
chair.  Il  dit  donc  cela  rester  aux  passions  de  Christ  :  qu'en  ayant 
une  foissouifert  en  soymesme,  il  souffre  tous  les  jours  en  ses  mem- 
bres. Car  Christ  nous  faict  tant  d'honneur,  qu'il  estime  et  appelle 
noz   afflictions,   siennes.    Et   ce  que   Sainct  Paul  adjouste    qu'il 

2.)  souffroit  pour  l'Eglise  :  il  n'entend  pas  pour  la  rédemption,  re- 
conciliation, ou  satisfaction  de  l'Eglise:  mais  pour  l'édification 
ou  accroissement  d'icelle  :  comme  il  dit  en  un  autre  passage, 
qu'il  soustient  tout  pour  les  esleuz  ;  à  fin  qu'ilz  parvienent 
au  salut  qui  est  en  Christ  Jésus  :  Et  comme  il  escrit  aux  Corin- 

30  thiens,   que  pour  leur  consolation  et  salut  il  enduroit  voluntiers 
les  tribulations  qu'il  portoit.     Mais   n'estimons  pas  que  Sainct  2.  Tim.2. 
Paul  ayt  pensé  quelque  chose  deffaillir  aux  passions  de    Christ,  2.  Cor.  L 
en  tant    qu'il  appartient   à    tout    accomplissement  de    Justice , 
salut,    et  vie  :    ou  qu'il  y   ayt   voulu  adjouster  quelque  chose  : 

35  veu  que  tant  clairement  et  magnifiquement  il  tesmoigne , 
que  la  plénitude  de  grâce,  par  Christ,  a  esté  espandue  en 
telle  largesse,  qu'elle  a  amplement  surmonté  toute  abondance 
de  péché.  Par  icelle  seulle  tous  les  Sainctz  ont  esté  sauvez  : 
non  par   le  mérite  de    leur   vie,  ou  leur  mort,    comme    Sainct 


834  CHAPITRE    V. 

Pierre  en  rend  évident  tesmoig-nage  :  Tellement  que  celuj  fait  Ac/.  /o. 
injure  à  Dieu  et  k  son  Christ,  qui  constitue  la  dignité  de  quelque 
Sainet,  autre  part,  qu  en  la  miséricorde  de  Dieu.  Mais  pourquoy 
m'arresté-je  icy  tant  long-uement  ;  comme  en  une  chose  doub- 
oteuse;  puis  que  seulement,  descouvrir  telz  monstres  ;  c'est  les 
vaincre  ?  Finalement,  encores  que  nous  dissimulions  telles  abo- 
minations, qui  est  ce  qui  a  enseing^né  le  Pape  de  enclorre  la 
grâce  de  Jésus  Christ  en  plomb  et  parchemin  :  laquelle  le  Seigneur 
a   voulu  estre  distribuée  par  la  parolle  de  TEvangile  ?  Certes  il 

10  fault,  ou  que  la  parolle  de  Dieu  soit  mensongère  :  ou  que  les  indul- 
gences soyent  mensongères.  Car  Christ  nous  est  offert  en  l'Plvan- 
gileavec  toute  l'aftluence  des  biens  célestes,  avec  tous  ses  mérites, 
toute  sa  Justice,  sapience  et  grâce,  sans  exception  aucune.  Sainet 
Paul  en  est  tesmoing  quand  il  dit  que  la  parolle  de  reconciliation 

11  a  esté  mise  en  la  bouche   des  Ministres  :  à  fin  qu'ilz  portassent 
ceste  ambassade  au  monde  de  par  Christ  ;  nous  vous  prions  de  vous 
reconcilier  à  Dieu  :    car  il  a  faict  sacrifice  pour    le  péché,  celuy  2.  Cor.  3. 
qui  n'estoit  point  pécheur  :  à  fin  qu'en  luv  nous  eussions  justice. 
Aucontraire  les  indulgences  tirent  de  l'armoire  du  Pape  la  grâce 

20  de  Christ  en  certaine  mesure,  et  l'affichent  à  plomb,  parchemin, 
et  certain  lieu,  la  divisant  de  la  parolle  de  Dieu. 

Hz  donnent  à  la  satisfaction  le  troysieme  lieu  en  pénitence, 
de  laquelle  tout  ce  qu'ilz  babillent  se  peut  par  un  mot  ren- 
verser.  Hz    disent    qu'il    ne   suffist    point  au  pénitent  de  s'abs- 

25  tenir  des  maulx  passez,  et  de  amender  en  mieux  sa  vie,  s'il 
ne  satisfaict  à  Dieu  de  ce  qu'il  a  commiz.  Or  ilz  mettent  beau- 
coup de  moyens  pour  racheter  les  péchez  :  c'est  à  scavoir  les 
larmes,  jeusnes,  oblations,  aumosnes,  et  autres  œuvres  de  cha- 
rité. Par  lesquelz  ilz  disent  que  nous  devons  appaiser  Dieu,  payer 

30  ce  qui  est  deu  à  sa  justice,  recompenser  noz  faultes,  et  acqué- 
rir pardon.  Car  combien  que  nostre  Seigneur  par  la  libéralité 
de  sa  miséricorde  nous  ayt  remiz  la  coulpe  :  toutesfois  que 
par  la  discipline  de  sa  Justice  il  retient  la  peine.  Neantmoins 
tout  revient  à  ceste  somme,  que  par  la  clémence  de   Dieu  nous 

35  obtenons  pardon  de  noz  péchez,  mais  que  cela  ce  faict  moyen- 
nant le  mérite  de  noz  œuvres,  lesquelles  sont  pour  recompense 
des  faultes  commises  :  à  fin  que  la  justice  de  Dieu  soit  satis- 
faicte,  laquelle  il  fault  racheter  par  satisfactions.  A  telz  men- 
songes je  oppose   la    remission    des    péchez    gratuite,    laqvielle 


DE    PEMTKNCE. 


33?î 


est  si  clerenient  exposée  en  TEscriture,  que  rien  plus.  Première-  lésa.   52. 
ment  qu'est-ce  que   remission  :  sinon  un  don  de  pure  libéralité  ?  Q^i^g'  2. 
Car  un  Créditeur  n'est  pas  dict  remettre  :  qui  par   sa  quitance,  TU.  3. 
confesse  le  payement  luy  avoir  esté  faict  :  mais  celuy  qui,  sans  rien 
5  recevoir,  liberallement  et  franchement    quite  la  debte.  Pourquoy 
d'avantage  est-il  adjousté  gratuitement  en  l'Escriture  ;  sinon  pour 
oster  toute    phantasie  de  satisfaction  ?  De  quelle  hardiesse  donc 
erigent-ilz  encores  leurs  satisfactions;  lesquelles  sont  si  puissaiii- 
ment  fouldroyées  ?  Et  quoy?  quand  le  Seigneur  crie  par  lesaie  : 

10  Ce  suis-je,  Ce  suis-je  qui  efface  tes  iniquitez^  pour  l'amour  de  moy  :  Esn.  43. 
et  ne  me  souviendray  plus  de  tes  péchez  :  ne  denonce-il  pas  ouver- 
tement; que  la  cause  et  fondement  de  ceste  remission,  vient  de  sa 
seule  bonté  :  Oultreplus  puis  que  toute  l'Escriture  porte  tesmoi- 
gnage  à  Jésus  Christ,  qu'il  fault  par  son  Nom  recevoir  remission  ^l<''-  l^^- 

li  des  péchez  :  ne  exclud  elle  pas  tous  autres  noms?  Comment  donc 
enseignent-ilz  de  la  recevoir  par  le  nom  des  satisfactions  ?  Et  ne 
fault  pas  qu'ilz  disent,  que,  combien  que  les  satisfactions  en  soyent 
moyens  :  neantmoins  ce  n'est  pas  en  leur  nom,  mais  au  Nom 
de  Jésus  Christ.   Car  en  ce  que   l'Escriture  dit   par  le   Nom  de 

20  Christ  :  elle  entend  que  nous  n'y  apportons  rien  et  n'y  préten- 
dons rien  du  nostre  :  mais  que  nous  y  venons  pour  l'amour 
d'un  seul  Christ  :  comme  Sainct  Paul  dit,  que  Dieu  se  recon- 
cilioit  le  monde  en  son  filz,  pour  l'amour  de  luy  :  ne  imputant 
point  les  péchez  aux  hommes. 

25  Je  crains  que  selon  leur  perversité  ilz  ne  répliquent,  que 
la  reconciliation  et  remission  est  une  fois  faicte  :  quand  nous 
sommes  par  Christ  receuz  en  grâce  au  Baptesme  :  mais  que  si 
après  le  Baptesme  nous  recheons,  qu'il  nous  fault  relever  par 
satisfactions  :  et  qu'en  cela   le  sang  de  Christ  ne   nous  proffite 

30  de  rien,  sinon  d'autant  qu'il  nous  est  administré  par  les  clefz 
de  l'Eglise.  Mais  qu'est-ce  que  je  diz  que  je  le  crains;  veu  qu'ilz 
déclarent  apertement  leur  impieté  en  cest  endroit;  et  non  seu- 
lement un  ou  deux  d'entre  eux  ;  mais  toutes  leurs  Escoles?  Car 
leur  maistre  après  avoir  confessé,  selon  le  dire  de  Sainct  Pierre,  2.  Pie.  3. 

35  que  Christ  a  payé  en  la  croix  la  debte  de  noz  péchez  :  par  une 
exception  incontinent  corrige  ceste  sentence  :  A  scavoir,   que  au 
Baptesme  toutes  les  peines  temporelles  des  péchez  ne  sont  relas-  2.  Cor.  5. 
chées  mais   après  le  Baptesme  sont  diminuées  par  le  moyen   de 
pénitence  :  tellement  que  à  ce  faire  la  croix  du  Christ,  et  nostre 


330  CHAPITRE    V. 

Pénitence    coopèrent    ensemble.    Mais    Sainct    Jehan  parle  bien  /.  7e/i. 2. 
antrement.  Si  quelqu'un,  dit-il,  a  péché  :  nous  avons  un  Advocat 
envers  le  Père,  Jésus  Christ:  et  iceluy  est  propiciation  pour  noz 
péchez.  Item,  je  vous  ecritz  petiz  enfans.  pource  que  par  son  Nom 
5  vous  sont  remiz  les  péchez.  Certes  il  parle  aux  fidèles,  ausquelz 
quand  il  propose  Jésus  Christ  pour  propiciation   des    péchez,  il 
monstre  qu'il  n'v  a  autre  satisfaction  par  laquelle  Toffence  à  ren- 
contre de  Dieu  puisse  estre  appaisée.  Il  ne  dit  pas.  Dieu,  vous  a 
esté  une  fois  reconcilié  par  Christ  :  maintenant  cerchez  d'autres 
10  moyens  de  vous  reconcilier.  Mais  il  le  faict  perpétuel  Advocat  : 
lequel  par  son  intercession  nous  remet   tous]  ours  à  la    grâce  du 
Père  :  et  une  perpétuelle  propiciation,  par  laquelle   les    péchez 
sont  continuellement  purgez.    Car    ce    que    disoit   Sainct  Jehan 
Baptiste  est  vraj  pour  tousjours  :  Voic}^  l'Agneau  de  Dieu,  voicy  Jehan  I. 
15  celuv  qui  oste  les  péchez  du  monde.  C'est  luv,  dy-je,  qui  les  oste , 
non  autre  :  c'est  à  dire,  puisqu'il  est  seul  l'Agneau   de    Dieu  :  il 
est  aussi  seul  oblation  pour  les  péchez,  purgation,  et  satisfaction. 
Il  v  a   icv    deux    choses    à   considérer.      Premièrement    que 
l'honneur,    qui    appartient    à    Christ,    luy    soit    gardé    en    son 
20  entier.  Secondement  que  les  consciences,  asseurées  du  pardon 
de  leurs  péchez,  ayent  repoz  avec  Dieu.  lesaïe  dit  que  le  Père  a  lesaip  o3. 
miz  en  son  filz  les  iniquitez  de  nous  tous  :  à  lin  que  par  sa  plaie  i.Pier.  2. 
fussions  gueriz.   Ce  que  Sainct    Pierre  répétant    en  autres  motz  Roma.  S. 
dit  :  Que  Christ   a  soustenu  en  son  corps   sur  le  boys    tous  noz 
25  péchez.  Sainct  Paul  enseigne  que  le  péché   a  esté  condamné  en 
sa  chair  :  quand   il  a  esté   faict  péché  pour    nous  :  c'est  à  dire, 
que  toute  la  force  et  malédiction  de  péché  a  esté  occise  en  sa  chair  : 
quand  il   a  esté    donné    pour   nous   en   sacrifice,  sur  lequel  tout 
le  fardeau  des    péchez,  avec  sa  malédiction  et   exécration,  avec 
30 le  Jugement  de  Dieu,  et  damnation  de  mortj  fust  jette.   Icy  on 
n'oyt  point  ces    fal)les  et    mensonges,  que   depuis    le    Baptesme 
nul  de  nous    n  est  participant  de  la   vertu  de  la  mort  de  Christ, 
sinon  entant  qu'il  satisfaict  par  pénitence   de    ses   péchez.  Mais 
l'Escriture  nous  rappelle,  toutesfois  et  quantes  que  nous  avons 
35  péché,  à  la  satisfaction  unique  de  Christ.  Que  leur  maudicte  doc- 
trine soit   considérée  :  à  scavoir  que  la  grâce  de  Dieu  besongne 
seule    en    la     première    remission  :     s'il    nous     advient    après 
de  cheoir,   que  noz   œuvres  coopèrent   pour  obtenir  pardon  :  Si 
cela  avoit  lieu  :    comment  pourroient  convenir  à  Christ  les    tes- 


DE    PENITENCE.  337 

moic^naiJi'es  que  nous  avons  recitez  ?  Combien  jurande  différence 
y  a  il  ;  de  dire,  que  noz  iniquitez  ayent  esté  mises  en  Christ  ; 
pour  estre  purg^ées  en  luy  ;  et  qu'elles  soient  nettoiées  par  noz 
iKUvres  ?  Que  Christ  soit  propiciation  pour  noz  péchez  ;  et  qu'il 
5  faille  appaiser  Dieu  par  noz  œuvres?  Or  s'il  est  question  de  don- 
ner repoz  à  la  conscience  :  quelle  tranquillité  luy  sera-ce  ;  d'en- 
tendre qu'il  faille  rachepter  les  péchez  par  satisfaction  ?  Quand 
sera-ce  qu'elle  sera  asseurée  de  l'accomplissement  de  sa  satisfac- 
tion? Elle  doubtera  donc  toujours  si  elle  ha  Dieu  propice  :  et  sera 

10  en  torment  et  horreur  perpétuel.  Car  ceux  qui  se  contentent  de 
satisfactions  leg-ieres,  mesprisenttrop  la  justice  de  Dieu:  et  nerepu- 
tent  pas  assez,  combien  est  griefvc  la  faulte  de  péché  :  comme  nous 
avons  dict  en  un  autre  passage.  Et  encores  que  nous  leur  accordis- 
sions,  que  quelques  péchez  se  peussent  rachepter,  toutesfois  que 

ts  feroient-ilz  ;  estans  chargez  de  tant  ;  à  la  satisfaction  desquelz 
cent  vies,  k  ne  faire  autre  chose,  ne  pourroyent  suffire  ? 

Hz  prennent  icy  un  refuge  d'une  frivole  distinction  :  C'est  à 
scavoir,  (jue  des  péchez  les  uns  sont  mortelz,  les  autres  venielz. 
Que  aux  premiers  il  gist  une  grande  satisfaction  :  que  les  secondz 

20  se  peuvent  purger  par  remèdes  faciles,  comme  par  l'oraison 
Dominicale,  en  prenant  de  l'eaûe  benicte,  et  par  l'absolution  de 
la  Messe.  En  ceste  manière  ilz  se  jouent  et  se  moquent  de  Dieu. 
Mais  combien  qu'ilz  ayent  sans  cesse  en  la  bouche  les  noms 
de  péché  mortel  et  véniel  :  ils  n'ont  encores  sceu  toutesfois  discer- 

2ï  ner  l'un  de  l'autre  :   sinon  que  do  l'impiété  et  souilleure  du  cœur 
humain  iqui  est  le  plus  horrible  péché    devant  Dieu)  ilz  font  un  Rom.  6. 
péché  véniel.  Nous  au  contraire,  comme l'Escriture  (qui  est  rei^-le 
du  bien  et  du  mal)  nous  enseigne  :   prononceons,  que  le  lover  de 
péché  est  mort  :  et  que  l'ame  qui  aura  péché,  est  digne  de  mort. 

30  Au     reste,     que    les    péchez    des    fidèles    sont    venielz,    non  Ezec.  18. 
pas    qu'ilz    ne    méritent    la    mort    :   mais   d'autant    que   par  la 
miséricorde  de    Dieu,    il    n'y  a  nulle    condemnation    sur    ceux 
qui    sont    en    Christ    Jésus    :    d'autant    que    leurs    péchez    ne  Bum.  5. 
leur  sont  imputez  :  mais   sont  effacez   par  grâce.   Je  scay  com- 

»3  bien  ilz  calumnient  ceste  doctrine  :  disans  que  c'est  le  Paradoxe 
des  Stoïques,  qui  faisoient  tous  les  péchez  pareilz.  Mais  ilz 
seront  aysement  convaincuz  par  leur  bouche  mesme.  Car  je 
demande,  si  entre  les  péchez,  qu'ilz  confessent  estre  mortelz 
ilz  n'en  recongnoissent  pas  un  plus  grand  que  l'autre  ?  Une  s'en- 
Instilution.  .,.^ 


338  CHAPITRE   V. 

suyt  pas  donc  que  les  péchez  soient  pareilz  pourtant  s'ilz  sont 
pareillement  mortelz.  Or  puis  que  l'Escriture  détermine,  que  la 
mort  est  le  loyer  de  péché  :  et  comme  Tobeyssance  de  la  Loy  est 
la  voye  de  vie,  aussi  que  la  transg-ression  est  mort  :  ilz  ne  peuvent 
ôeschapper  ceste  sentence.  Quelle  yssue  donc  trouveront-ilz  ;  de 
satisfaire  en  telle  multitude  de  péchez  ?  satisfaction  d'un  péché  se 
peut  faire  en  un  jour:  cependant  qu'ilz  seront  à  la  faire  ilz  en 
commettront  plusieurs  :  veu  qu'il  ne  se  passe  jour,  que  le  juste  ne 
pèche  plusieurs   fois.   Et  quand  ilz  vouldront  satisfaire  pour  plu- 

10  sieurs,  ilz  en  commettront  encores  davantaige  :  jusques  à  venir  à 
un  abysme  sans  fin.  Je  parle  encore  des  plus  justes.  Voylà  la 
tiance  de  satisfaire,  desja  oslée.  Qu'est  ce  qu'ilz  songent  ou  at- 
tendent? comment  osent-ilz  penser  encores  de  satisfaire? 

Hz  s'efforcent  de  se  despestrer  ;  mais  ilz   n'en  peuvent  venir  à 

la  bout.  Hz  se  forgent  une  distinction  de  peine  et  coulpe  :  et  con- 
fessent, que  la  coulpe  se  remet  par  la  miséricorde  de  Dieu  :  mais 
la  coulpe  remise,  ilz  disent,  que  la  peine  reste  :  laquelle  la 
justice  de  Dieu  requiert  estre  payée  :  et  pourtant,  que  les  satis- 
factions appartiennent  à  la  remission  de  la  peine.  Quelle  leg-iereté 

20  est  ce  là?  Hz  font  maintenant  la  remission  de  coulpe  gratuite  : 
laquelle  ilz  commandent  en  autre  lieu  de  mériter  par  prières, 
larmes,  et  autres  préparations.  Mais  encores  tout  ce  qui  nous  est 
enseigné  en  l'Escriture  combat  directement  contre  ceste  distinc- 
tion.   Laquelle  chose,  combien  que  je  pense  avoir   esté  tresbien 

2o  prouvée  cy  dessus  toutesfois  je  produyray  encores  quelques  tes- 
moignages  :  lesquelz,  comme  j'espère,  estreindront  tellement  ces 
serpens,  qu  ilz  ne  pourront  pas  seulement  plj'er   le    bout   de  la  Jere.  31 . 
queue.    Ainsi  que  dit  Jeremie,  ceste  est  l'alliance  nouvelle,  que 
Dieu  a  faicte  avec  nous  en  son  Christ  :  qu'il  ne  se  souviendra  plus 

30  de  noz  iniquités.  Nous  apprendrons  de  l'autre  Prophète  ce  qui  est 
entendu  par  cela,  où  le  Seigneur  dit.   Si  le  juste  desvoye  de  sa.  Ezec.  18. 
justice  :  il   ne  me  souviendra  plus   de  toute  sa  justice.    Si  le 
pécheur  se    retire  de    son   iniquité  :    il  ne  me  souviendra    plus 
de  toutes  ses  faultes.  En  ce  qu'il  dit,  qu'il  ne  se  souviendra  plus 

35  de  la  justice  :    il   veut   donner    à    congnoistre    qu'il   n'aura    nul  lésa.  38. 
esgard  k  la  justice,  pour  la  rémunérer.  Aucontraire  donc  ne  se 
point  souvenir  des  péchez  :  c'est  n'en   prendre   point   punition. 
Ce  qui  est  dict   en  un    autre    lieu    les    jetter  derrière    le  doz ,  Mich.  7. 
les    effacer    comme    une    nuée,     les    jetter    au    profond    de    la  Psa/.  .32. 


DE    PENITENCE.  339 

Mer,  ne  les  imputer  point,  et  les  avoir  cachez.  Par  telles  formes 
de  parler  le  Sainct  Esprit  nous  avoit  assez  clairement  expli- 
qué son  sens  :  si  nous  nous  rendions  dociles  k  l'escouter. 
Certes  si  Dieu  punit  les  péchez,  il  les  impute  :  s'il  en  faict  ven- 
o  geance,  il  s'en  souvient  :  s'il  les  appelle  en  jugement,  il  ne  les 
tient  point  cachez  :  s'il  les  examine,  il  ne  les  met  point  derrière 
le  doz  :  s'il  les  reg-arde,  il  ne  les  a  point  effacez  comme  une 
nuée  :  s'il  les  met  en  avant,  il  ne  les  a  point  jettez  au  fond  de  lesaie  i . 
la  Mer.  Or  oyons  en  un  autre  lieu  du  Prophète,  en  quelle  condi- 

10  tion  le  Seigneur  remet  les  péchez.  Si   voz  péchez  (dit-il)  estoient 
comme    pourpre,  ilz    seront    blanchiz  comme  neige  ;    s'ilz    sont 
rouges   comme  un  verms,   ilz  seront  faictz   comme   laine.  Et  en 
Jeremie  il  est   dict  comme  il  s'ensuyt  :  En  ce  jour  là    on  cher-  Jere.  69. 
chera   l'iniquité  de  Jacob  :    et  elle  ne  sera  point  trouvée.  Car  de 

15  faict    elle    sera    nulle  :    d'autant   que   je  prendray  à    mercy   les 
reliques  que  je  garderay.  Si  nous  voulons    briefvement    scavoir 
quel  est  le  sens  de  ces  parolles  :    considérons   au  contraire  que 
signifient  ces    locutions,    quand  le   Seigneur  dict,  qu'il   lye  les  Job  14. 
iniquitez  en  un  sac,  qu'il  les  plye  en  un  faisseau,  et  les  engrave  Osée  23. 

2odedens  de  l'aymant  du  pinceau  de  fer.  Certes  si  cela  est  à  dire 
que  le  Seigneur  en  fera  la  punition  (dont  il  n'y  a  nul  doubte) 
aussi  me  faut-il  doubter  que  les  premières  sentences  ne  promettent, 
que  Dieu  ne  punira  point  les  faultes  qu'il  remettra.  Il  me  fault 
icy  adjurer  les  lecteurs,  non  pas  d'escouter  à  mes  gloses  :    mais 

2o  de  donner  quelque  lieu  à  la  parollede  Dieu.  Qu'est-ce  que  Christ  2.Pier.  i. 
nous  auroit   apporté  :    si  la  peine  estoit   tousjours  requise  pour 
noz  péchez  ?  Car  quand  nous  disons  qu'il  a  porté  en  son  corps 
tous    noz    péchez  sur  le  boys  :    nous  n'entendons  autre   chose, 
sinon  qu'il  a  receu  toute  la  peine   et    vengeance  qui  estoit  deuë  lesaieoS. 

30  à  noz  péchez.  Ce  que  lesaïe  a  exprimé  plus  au  vif,  quand  il 
a  dict,  que  le  chastiement,  ou  la  correction  de  nostre  paix 
avoit  esté  sur  luy.  Et  qu'est-ce  la  correction  de  nostre  paix  ; 
sinon  la  punition  deue  à  noz  péchez  ?  et  laquelle  nous  devions 
porter  ;    devant   que   peussions   estre    reconciliez    à    Dieu  ;    si 

35  Christ  ne  s'en  fust  acquité  pour  nous  ?  Nous  voyons  icy  évi- 
demment, que  Christ  a  souffert  les  peines  des  péchez,  pour 
en  délivrer  les  siens.  Et  quand  Sainct  Paul  faict  mention  de  la 
rédemption  par  luy  faicte,  il  appelle  comunement  en  grec  apo- 
LYTROSis  :   qui    ne    signifie    pas    simplement    rédemption,    com- 


340  CHAPITRE    V. 

me  le  vulgaire  l'entend  :  mais  le  pris  et   satisfaction,  que    nous  Rom.  3. 
apellons  ranceon  en  françois.  Pour  laquelle  cause  il  dit  en  quelque  /.  Cor.  1 
lieu,  que  Christ  s'est  faict  ranceon  pour  nous  :  c'est  à  dire,  qu'il  Ephe.  I. 
s'est  constitué  pleige  en  nostre  lieu  à  lin  de  nous   délivrer  plei-  Colos.  /. 

snement  de  toutes  les  debtes  de  noz  péchez.    Mais  sur  tout,  nous  /.  Tim.2. 
avons  un    ferme    argument  :    en  ce  qu'il  est  ordonné  en  la  Loy 
Mosaïque  de  la  manière  d'expier,  c'est  à  dire,    purgez  les  péchez. 
Carie  Seigneur  n'enseigne  pas  là,  plusieurs  faceons  de  satisfaire  : 
mais  constitue  pour  toute  recompense,  les  sacrifices    seulement. 

10  Combien  qu'il  montre  diligemment  par  ordre  tous  les  sacri- 
fices qu'il  failloit  faire,  selon  la  diversité  de  péchez.  Que  veut 
donc  dire  cela  :  qu'il  ne  commande  point  au  pécheur  de  satis- 
faire par  bonnes  oeuvres  et  mérites  ;  à  fin  d'obtenir  pardon  ; 
mais  pour  toute  expiation  ;  requiert  qu'il  sacrifie  :   sinon,  qu'en 

13  cela  faisant,  il  veut  testifier  qu'il  n'y  a  qu'un  genre  de  satisfac- 
tion ;  par  lequel  sa  justice  est  appaisée  ?  Car  les  sacrifices,  que 
immoloyent  pour  lors  les  Israélites,  n'estoient  pas  estimez  comme 
œuvre  d'homme  :  mais  prenoient  leur  estime  de  leur  vérité  :  c'est 
à  dire    du   sacrifice  unique  de  Christ.    Touchant  la  recompense 

20  que    receoit  Dieu  de  nous,    le    Prophète    Osée   la  élégamment 
notée  en  un  mot,  disant  :  Seigneur  tu  aboliras  toutes  noz  iniqui-  Osée  li. 
tez.  Voylà  la  remission  des  péchez  :  et  nous  te   rendrons    sacri- 
fices de   noz    lèvres.  Voylà  la  satisfaction,  qui   nest  que  action 
de  grâces. 

2o      Mais  pourtant  que,   de  leur   part,    ilz   s'arment  aussi  des  tes- 
moignages  de  lEscriture  :  voyons  quelz  sont  les  argumentz  qu'ilz 
nous    objectent.    David,    disent-ilz,   reprins    de   son  adultère  et  2. Roy. 12. 
homicide    par    le    Prophète    Nathan,     receoit    pardon    de    son 
péché  :   et    neantmoins  depuis    il    est  puny  par  la  mort  de  son 

30  filz  qu  il  avoit  engendré  de  adultère.  Nous  sommes  aussi  ensei- 
gnez de  rachapter   par  satisfactions   telles  peines    et   punitions 
que   nous  aurions   à  endurer  après  la  remission   de  noz  péchez. 
Car  Daniel    exhortoit    Nabuchadnezer   de  rachepter  ses  péchez  Dan.  i. 
par  aulmosnes.Et  Salomon  escrit,  que  les  iniquitez  sont  remises  Pfover . 

35  à  l'homme,  à  cause  de  sa  justice  et  pieté.  Item,  que  la  multitude  Prover. 
des    péchez   est   couverte   par    charité   :    laquelle  sentence  est    '^• 
aussi   confermée    de  Sainct   Pierre.    Et    en    Sainct   Luc    nostre  /.  Pie.  4. 
Seigneur  dit,  de  la    femme  pécheresse,    que    plusieurs    péchez  ^'"^  '• 
luy  avoient  esté  remiz,  pourtant  qu'elle  avoit  aymé  beaucoup. 


DE    PENITENCE. 


341 


Comment  ilz  considèrent  tousjours  perversement  les  œuvres  de 
Dieu  ?  Au  contraire  s'ilz  eussent  bien  noté  ce  qui  ne  se  doibt 
point  mespriser,  qu'il  y  a  deux  manières  de  Jugement  de  Dieu  : 
ilz  eussent  bien  apperceu  autre  chose  en  ceste  correction  de 
5  David,  que  vengeance,  ou  punition  de  péché.  Or  pource  qu'il 
nous  est  fort  expédient  d'entendre  à  quelle  fin  tendent  les  chasti- 
mens,  que  Dieu  nous  envoyé,  pour  corriger  noz  péchez  :  et  com- 
bien ilz  dillerent  des  punitions  lesquelles  il  envoyé  sur  les 
reprouvez  :  ce  ne  sera  pas  chose  superflue,  comme  je  pense,  d'en 

10  toucher  briefvement  ce  qui  en  est.  Nous  signifierons  donc  en 
gênerai  toutes  punitions  par  le  mot  de  jugement  :  duquel  nous 
ferons  deux  espèces  :  et  appellerons  l'une  jugement  de  ven- 
geance, l'autre  jugement  de  correction.  Par  le  jugement  de 
vengeance,     le    Seigneur    punit    tellement    ses    ennemys,    qu'il 

13  demonstre  son  ire  à  l'encontre  d'eux,  pour  les  perdre,  destruire, 
et  rédiger  à  néant.  Pourtant  la  vengeance  de  Dieu  est,  quand 
la  punition  qu'il  envoyé,  est  conjoincte  avec  son  ire.  Parle  juge- 
ment de  correction  il  ne  punit  pas  tellement  qu'il  soit  cou- 
roucé  :  et  ne  chastie  point  pour  perdre  ou  confondre.  Pourtant  il 

20  ne  se  doibt  point,  à  parler  proprement,  nommer  vengeance  : 
mais  admonition  et  remonstrance.  L'un  appartient  k  un  juge  : 
l'autre  à  un  père.  Car  le  juge,  en  punissant  un  malfaicteur,  punit 
sa  faulte  et  maléfice.  Un  père,  en  corrigeant  son  filz,  ne  tend  point  à 
ce  but  de  faire  vengeance  de  sa  faulte  :  mais  plustost  taschede  l'en- 

25  seigner,  et  le  rend  plus  advisé  pour  le  futur.  Chrysostome  use  de 
ceste  similitude  un  peu  autrement:  toutesfois  il  revient  à  un  poinct. 
Le  filz  est  battu,  dit-il,  comme  le  serviteur  :  mais  le  serviteur,  en 
ce  faisant  est  puny  à  cause  qu'il  a  péché  recevant  ce  qu'il  a  mérité. 
Le  filz  est  chastié  de  discipline  amyable.  Pourtant  le  chastiement 

30  est  faict  au  filz,  pour  l'amender  et  le  réduire  en  bonne  voye  :  le 
serviteur  receoit ,  ce  qu'il  a  desservy,  pource  que  le  maistre  est 
indigné  contre  luy.  Mais  pour  plus  facilement  entendre  le  tout,  il 
nous  fault  faire  deux  distinctions.  La  première  est,  que  par  tout  où 
la  punition  tend  à  vengeance  :  là  se   declaire  l'ire  et  la  malédiction 

3,5  de  Dieu,  laquelle  il  n'adresse  jamais  sur  ses  fidèles.  Auçontraire,  job  o. 
correction,  est  bénédiction  de  Dieu,  et  lesmoignage  de  son  amour,  Prover. 
comme  dit  l'Escriture.  Ceste  difl'erence  est  souventesfois  notée.  Hebr.  12. 
Car  tout  ce  que  les  iniques  endurent  d'afflictions  en  ce  monde, 
leur  est  comme  un  portail  et  entrée  d'Enfer  :  dont  ilz  aperceoivent 


342  CHAPITRE    V. 

comme  de  loing,  leur  damnation  éternelle.  Et  tant  s'en  fault  qu'ilz 
sen  amendent  ou  en  receoivent  aucun  fruict  :  que  plustost  par  cela, 
nostre  Seigneur  les  appreste  à  receveoir  l'horrible  peine  qui  leur 
doibt  advenir  finalement.  Aucontraire  le  Seigneur  chastie  ses  ser-  Psal.ilS. 

5  viteurs  :  mais  ce  n'est  point  pour  les  livrera  mort.  Parquoy,  estans  Psal.  U9. 
battuz  de  ses  verges,  ilz  recongnoissent  que  cela  leur  tourne  k 
bien  pour  les  instruire.  A  ceste  cause  comme  nous  voyons  que  les 
fidèles  ont  tousjours  patiemment  et  d'un  couraige  paisible  receu 
telz  chastiementz  :  aussi  ilz  ont  eu  tousjours  en  horreur  telles 

10  punitions,  où  l'ire  de  Dieu  leur  fust  demonstrée.  Ghastye  moy  Sei-  Jere.  10. 
gneur  (dit  Jeremie)  mais  pour  mon  amendement  et  non  pas  en  ton 
ire,  de  peur  que  je  ne  soiz  accablé,  et  espandz  ta  fureur  sur  les 
peuples  qui  ne  te  congnoyssent  point  et  sur    les  Royaumes  qui  Psal.  6.  et 
n'invoquent  point  ton  Nom.  Item,  David  :  Seigneur  ne  m'argue    ^*' 

15  point  en  ta  fureur,  et  ne  me  reprens  point  en  ton  ire. 

Et  ne   contrevient   point  à  cela,  qu'il  est  souvent  dict  que  le 
Seigneur  se  courouce  à  ses  serviteurs,  quand  il  les  punit  et  chastie 
de  leurs  faultes.  Gomme  en  lesaie,  Je  te  loiieray  Seigneur:  car  tu /esa.  12. 
as  esté  courouce  contre  moy  :  mais  ta  fureur  s'est  convertie,  et  m'as 

20  consolé,  Item,  en  Habacuh  :  Quand  tu  auras  esté  courouce  il  te  Ilaba.  3. 
souviendra  de  miséricorde.  Car  par  mesme  raison  il  est  dict  qu'il 
prophane  son  héritage  :  lequel,  comme  nous  scavons.  il  ne  pro- 
phanera  jamais.  Cela  donc  ne  se  réfère  point  à  la  volunté  de  Dieu,  lésa.  42. 
ou  à  son  conseil,  qu'il  ha,  en  chastiant  les  siens  :  mais  k  la  douleur    ^'      • 

25  véhémente,  dont  sont  touchez  tous  ceux  ausquelz  il  monstre  quelque 
rigueur  ou  sévérité.  Or  est-il  ainsi  que  non  seulement  il  poinct 
aucunefois  ses  serviteurs  de  petiz  aiguillons  ;  mais  il  les  navre 
tellement  au  vif  qu'il  leur  semble  bien  advis  qu'ilz  ne  sont  point 
loing  des  Enfers.  En  quoy  faisant,  il  les  advertit  qu'ilz  ont  mérité 

30  son  ire  :  mais  ce  pendant  il  leur  certifie  plus  amplement  sa  clé- 
mence que  sa  rigueur.  Car  l'alliance  qu'il  a  une  fois  faicte  avec  Jé- 
sus Christ  et  ses  membres,  demeure  comme  il  a  promis,  que  ja-  Psal.  89. 
mais  elle  ne  pourroitestre  cassée.  Sises  enfans,  dit-il,  délaissent  ma 
Lo}',  et  ne  cheminent  point  en  ma  justice  :  s'ilz  transgressent  mes 

35  commandemens  et  ne  gardent  point  mes  ordonnances  ;  je  visiteray 
leurs  iniquitez  avec  verges,  et  leurs  péchez  avec  discipline  :  neant- 
moins  je  ne  retireray  point  ma  miséricorde.  Et  de  faict.  pour  nous 
rendre  plus  certains  de  cela,  il  dit  que  les  verges  dont  il  nousfrap-  /.  Jeanl . 
pera,  seront  vergesd'homme.  Parlequel  mot,  en  signifiant  qu'il  nous 


DE    PENITENCE. 


343 


traictera  doulcement  et  en  bénignité,  il  demonstre  que  ceux  qu'il 
veut  frapper  de  sa  main ,  ne  peuvent  sinon  estre  du  tout  con- 
fuz  et  esperduz.  Geste  doulceur  qu'il  tient  envers  son  peuple, 
est  pareillement  demonstrée  par  le  Prophète.  Je  t'ay  (dit-il)  lesa.iS 
0  purgé  par  feu  :  mais  non  pas  comme  l'argent  :  car  tu  eusses 
esté  du  tout  consumé  :  c'est  à  dire,  combien  que  les  tribulations 
qu'il  envoyé  à  son  peuple,  soient  pour  le  péché  de  ses  vices  : 
neantmoins  qu'il  les  modère  à  ce  qu'elles  ne  le  raclent  oultre 
mesure. 

10  L'autre  distinction  est,  que  quand  les  meschans  sont  battuz  de 
tleaux  de  Dieu  en  ce  monde,  ilz  commencent  desja  à  endurer  la 
rigueur  de  son  Jugement.  Et  combien  qu'il  ne  leur  sera  point  par- 
donné de  n'avoir  point  faict  leur  proffît  de  telz  advertissemens  de 
lire  de  Dieu  :  toutesfois  ilz  ne  sont  point  puniz  pour  leur  amende- 

15  ment  :  mais  seulement  à  fin  de  leur  donner  k  congnoistre  qu'ilz  ont 
un  juge,  lequel  ne  les  laissera  point  eschapper,  qu'il  ne  leur  rende 
selon  leurs  mérites .  Aucontraire,  les  fidèles  sont  battuz  non  point 
pour  satisfaire  à  l'ire  de  Dieu,  ou  payer  ce  qui  est  deu  à  son  Juge- 
ment, mais  à  fin  de  proffiter  à  repentance  et  se  reduyre  en  bonne 

2ovoye.  Parquoy  nous  voyons  que  telz  chastiemens  se  rapportent 
plustost  au  futur,  que  au  passé.  J'ayme  mieux  exprimer  cela  par 
les  parolles  de  Chrysostome  que  par  les  miennes.  Le  Seigneur, 
dit-il,  nous  punit  de  noz  faultes,  non  point  pour  prendre  quelque 
recompense  de  noz  péchez  :  mais  en  nous  advisant  pour  le  futur. 

25  Selon  ceste  différence,  quand  il  despouilloit  Saiil  de  son  Royaume, 
il  le  punissoit  à  vengeance  :  mais  en  ostant  à  David  son  enfant,  il  le 
corrigeoit  pour  l'amender.  Il  fault  en  ceste  sorte  prendre  ce  que 
dit  Sainct  Paul  :  que  quand  le  Seigneur  nous  afflige,  il  nous  corrige,  i.Cor.i  I. 
à  tin  de  ne  nous  point  condamner  avec  ce  monde.  C'est  à  dire,  que 

30  les  afflictions,  qu'il  nous  envoyé  ne  sont  point  punitions  pour  nous 
confondre  :  mais  chastiemens  pour  nous  instruire.  En  quoy  Sainct 
Augustin  accorde  tresbien  aussi  avec  nous,  quand  il  dit  :  qu'il  nous 
fault  diversement  considérer  les  chastiemens  dont  nostre  Seigneur 
visite  tant  ses  esleux  que  les  reprouvez.  Car  aux  premiers,  dit-il,  ilz 

35  sont  exercices  après  avoir  obtenu  grâce,  auxsecondz,  ilz  sont  con- 
demnatioo  sans  grâce.  Puis  après  il  réfère  les  exemples  de  David  : 
et  des  autres,  disant  que  nostre  Seigneur  en  les  chastiant,  n'a  eu 
autre  fin,  que  de  les  exerciter  en  humilité.  Et  ne  fault  point  de  ce 
que  dit  lesaïe,  à  scavoir  que  l'iniquité  a  esté  remise   au  peuple  lesa.  40. 


344  CHAPITRK    V. 

Judaïque,  d'autant  qu'il  avoit  receu  de  la  main  du  Seigneur  pleine 
correction  :  que  nous  inferions  :  que  la  remission  de  nez  péchez 
dépend  des  chastiemens  que  nous  en  recevons.  Mais  cela  signifie 
autant,  que  si  Dieu  eust  dict  :  Je  vous  ay  assez  puny  et  affligé  : 

5  en  telle  sorte  que  vostre  cœur  est  du  tout  oppressé  de  tristesse  et 
angoisse  :  il  est  donc  temps  qu'en  recevant  le  message  de  miséri- 
corde, voz  cœurs  soient  remiz  en  lyesse.  I.Pier.  I. 

11  est  nécessaire  que  les  fidèles  se  mimissent  deceste  cogitation, 
en  l'amertume  de  leurs  afflictions.  Le  temps  est,  que  le  Jugement 

10  commence  à  la  maison  du  Seigneur  :  en  laquelle  son  Nom  a  esté 
invoqué.  Que  feroient  les  fidèles,  s'ilz  estimoyent  que  la  tribula- 
tion,  quilz  endurent;  fust  une  vengeance  de  Dieu  sur  eux?  Car 
celuv  qui  estant  frappé  de  la  main  de  Dieu  le  repute  envers  soy 
comme  un  juge  punissant  :  il  ne  le  peut  concevoir  autre  que  cou- 

15  roucé  et  contraire  à  soy.  Et  ne  peut  sinon  détester  la  verge  de 
Dieu,  comme  malédiction  et  damnation.    En  somme,  celluy  qui 
pensera  Dieu  avoir  telle  volunté  envers  soy.  qu'il  veuille  encores 
punir,  ne  se   pourra  jamais  persuader  qu'il  soit  aymé  de  luy.  Or  I.Pier.  /. 
nous  ne   pouvons  proffiter  en  sa  discipline,   sinon  qu'en  pensant 

2ù  qu'il  est  indigné  à  noz  vices ,  nous  l'estimions  propice  envers 
nous,  et  nous  portant  affection  d'amoiu*.  Et  n'y  a  point  de  diffé- 
rence, sila  peine  est  éternelle  ou  temporelle.  Car  tant  les  guerres, 
famines,  pestilences  et  maladies,  sont  malédictions  de  Dieu  :  que 
le  Jugement  mesme  de  la  mort  éternelle  :  quand  nostre  Seigneur 

Soles  envoyé  à  ceste  fin,  pour  en  user  comme  d'instrumentz  de  son 
ire  et  vengeance  sur  les  iniques . 

Chascun  voit,  comme  je  pense,  à  quelle  lin  tend  ceste  correc- 
tion de  Dieu  sur  David  :  c'est  pour  luy  estre  un  enseignement, 
comment  homicide  et  adultère  desplaisent  griefvement  à  Dieu  : 

30  contre  lesquelz  il  declaire  un  tel  couroux  :  pour  luy  estre  un  ad" 
vertissement  de  ne  oser  commettre  au  temps  advenir,  un  tel 
faict  :  non  pas  pour  estre  une  punition,  par  laquelle  il  fist  quelque 
recompense  à  Dieu  de  sa  faulte.  Il  fault  pareillement  estimer 
de  l'autre  correction,  par   laquelle   Dieu   affligea  le  peuple    Ju- 

Sridaïque  d'une  terrible  pestilence,  par  la  desobeyssance  de  David 
laquelle  il  avoit   commise  en  faisant  faire  la  monstre  du  peuple.  /.  Sam. 
Car    il   pardonna    la    faulte    du    delict    à   David    :   mais    pour- 
tant    qu'il   appartenoit,    tant    à   l'exemple    de   tous    les    eages, 
que    à    l'humiliation    de    David,    qu'un     tel    faict     ne     demeu- 


DE    PENITENCE,  34?) 

rast  pas   impuny  :    nostre   Seigneur   le  chastia  asprement  de  sa 
ver*i^e.  A  ce  mesme  but  tend  la  malédiction  universelle,  que  nos- 
tre Sei<i^neur  a  dénoncée  à  tout  le  genre  humain.  Car  quand,  après  Gène.  3. 
avoir  obtenu  grâce,  nous  portons  encores  les  misères,  lesquelles 

5  furent  imposées  à  nostre  père  Adam  pour  sa  trangression,  par  cela 
nostre  Seigneur  nous  admoneste,  combien  ce  luy  est  une  chose 
fort  desplaisante,  que  la  transgression  de  sa  Loy  :  à  ce,  que  estans 
humiliez  et  abbatuz  par  la  recongnoissance  de  nostre  povreté, 
nous  aspirions  d'un  plus  ardant  désir  k  la  A'raye  béatitude.  Et  si 

10  quelqu'un  vouloit  dire,  que  toutes  les  calamitez  que  nous  endu- 
rons en  ceste  vie  mortelle  sont  recompenses  envers  Dieu  pour 
noz  faultes  :  à  bon  droit  on  Testimeroit  despourveu  d'entende- 
ment. C'est  ce  qu'a  voulu  dire  Sainct  Chrysostome,  comme  il.  me 
semble,  en  escrivant    comme  il  s'ensuyt.  Si  la   cause  pourquoy 

«T  Dieu  nous  chastie  est  à  fin  que  nous  n'espérions  point  en  mal 
faisant,  ou  demeurions  endurciz,  quand  il  nous  a  reduictz  à  jie- 
nitence,  la  punition  n'ha  plus  de  lieu.  Pourtant  selon  qu'il  con- 
gnoist  estre  convenable  à  la  nature  d'un  chascun,  il  traicte 
les  uns  plus    asprement,  et  les  autres  en  plus   grande  doulceur, 

2oToutesfois  pource  qu'il  n'y  a  celuy  de  nous  qui  ne  desvoye,  et 
que  nous  avons  tous  besoing  de  chastiement  :  ce  bon  Père 
aymant  nostre  proflit,  nous  visite  tous,  sans  exception  par  ses 
verges.  Or  c'est  merveille  comment  ilz  s'arrestent  ainsi  au 
seul  exemple  de  David  :   et  né  s'esmeuvent  de  tant  d'exemples, 

25  lesquelz    nous    demonstrent    la    remission   des  péchez  gratuite. 

On   list  que   le    Publicain    est    descendu    du   Temple  justifié    :  Luc  S.  et 
nulle  peine  ne   s'ensuyt.    Sainct  Pierre  a  obtenu  pardon  de  son    *"■• 
péché  :  Nous  lisons  ses  larmes  (dict  Sainct  Ambroise)  de  satis- 
faction,   nous    n'en   lisons    point.    Il    fut    dict   au    Paralitique  : 

30  Lieve    toy  :    tes    péchez    te    sont   remis  :    et   ne     luy    fust   im-  Malt.  9. 
posée  nulle  peine.    Toutes  les  absolutions,  desquelles  est  faicte 
mention  en   l'Escriture,  nous   sont  descrites  gratuites.  De  ceste 
multitude  d'exemples  se  debvoit  plustost  prendre  la  reigle,  que 
de  cestuy-là    seul  qui  contient  je  ne  scay  quoy  de  spécial. 

35      Daniel    en    son     exhortation,     par    laquelle   il    conseilloit    k  Dnn .  4. 
Nabuchadnezer    de   rachepter   ses    péchez    par    justice,    et   ses 
iniquitez    par    pitié   des    povres,    n'a  pas    voulu    entendre    que 
justice  et  miséricorde   fussent  propitiation  de  Dieu,  et  rédemp- 
tion  des  peines.  Car   il  n'y   a  jamais   eu  autre  ranceon    que  le 


346  CHAPITRE    V. 

sang  de  Christ.  Mais  en  parlant  de  rachepter.  il  le  rapporte  aux 
hommes  plustost  qu'à  Dieu  :  comme  s'il  eusl  dict,  0  Roy,  tu  as 
exercé  une  domination  injuste  et  oultrageuse  :  tu  as  opprimé  les 
foibles,  pillé  les  povres,  mal  et  iniquement  traicté  ton  peuple. 

a  Pour  les  injustes  rapines,  oppressions,  et  violences  que  tu  leur 
as  faictes,  rendz  leur  maintenant  miséricorde  et  justice. 

Pareillement  Salomon,  quand  il  dit  que  la  multitude  des  péchez 
est   couverte    par   charité  :    il   n'entend   pas    envers  Dieu,  mais  Pro.  10. 
entre  les  hommes.  Car  la  sentence  entière  est  comme  il  s'ensuyt, 

lohavne  esmeut  contentions  :  mais  charité  couvre  toutes  iniquitez. 
Enquoy  Salomon,  selon  sa  manière  acoustumée,  par  comparai- 
son des  contraires  compare  les  maulx  qui  s'engendrent  de  haynes, 
avec  les  fruictz  de  charité:  et  est  le  sens  tel.  Ceux  qui  s'entre- 
hayssentse  mordent  reprennent  et  injurient  l'un  l'autre,  tournent 

13  tout  à  vice  et  reproche.  Ceux  qui  s'entreayment  dissimulent  entre 
eux,  tolèrent  et  pardonnent  beaucoup  de  choses  non  pas  que  l'un 
approuve  les  vices  de  l'autre  :  mais,  pourtant  qu'il  les  endure,  et 
y  remédie  plustost  par  advertissemens,  qu'il  ne  les  irrite  par 
accusations.  Et  ne  fault  doubter  que  ce  lieu  n'ayt  esté  allégué  en 

20  mesme  sens  de  Sainct  Pierre  :  si  nous  ne   luy  voulons   imputer 
qu'il  ayt  corrompu  et  mal  tiré  l'escriture.    Quand   Salomon  dit,  I.Pie.4. 
que  par  miséricorde  et  benefîcence  les  péchez  nous  sont  remiz  :  Pro.  16, 
il  n'entend  point  qu'ilz    soyent  recompensez   devant  Dieu  :   à  ce 
que  luy,  estant  satisfaict  et    contenté,   nous   remette  les  peines, 

2a  qu'il  nous  eust  autrement  envoyées.  Mais,  selon  la  manière  com- 
mune de  l'Escriture,  signifie  que  tous  ceux  le  trouveront  pro- 
pice, qui  delaissans  leur  vie  mauvaise,  se  convertiront  à  luy  en 
saincteté  et  bonnes  œuvres.  Comme  s'ildisoit,  que  l'ire  de  Dieu 
cesse,  et  est  appaisée,  quand  nous  cessons  de  mal  faire.  De  la- 

30  quelle  locution  il  a  esté  traicté  autrepart. 

Touchant  du   lieu  de  Sainct  Luc,  ceux  qui  auront  leu  de  sain  Luc  7 . 
jugement  la  parabole  qui  est   là  proposée   de  nostre  Seigneur, 
ilz   ne  nous  en    feront  nul   combat.    Le    Pharisien    pensoit  en 
soymesme,    que     la   femme  pécheresse    n'estoit   point    congnue 

Sade  nostre  Seigneur  :  puis  qu  il  avoit  si  facilement  advisé  à 
soy.  Car  il  estimoit  qu'il  ne  l'eust  jamais  receûe  s'il  l'eust  con- 
gnue pécheresse  comme  elle  estoit.  Et  de  cela  il  inferoit  qu'il 
n'estoit  pas  Prophète  puis  qu'il  se  pouvoit  ainsi  abuser.  Nostre 
Seigneur,   pour   monstrer  qu'elle  n'estoit    pas   plus   pécheresse 


DE    PENITENCE.  347 

depuis  que  ses  péchez  luy  avoient  esté  remiz  :  luy  proposa  ceste 
similitude.  Un  usurier  avoit  deux  debteurs  :  dont  l'un  luy  debvoit 
cinquante  francs,  l'autre  cinq  cens.  Il  remist  la  debte  à  tous  deux  : 
lequel  luy  debvoit  scavoir  plus  de  gré?   Le    Pharisien    respond. 

5  Celuy  certes  auquel  la  plus  «grande  a  esté  quictée.  Nostre  Seigneur 
réplique.  Décela  considère,  que  beaucoup  de  péchez  ont  esté  remiz 
à  ceste  femme  :  veu  qu'elle  a  beaucoup  aymé.  Par  lesquelles 
parolles  comme  on  voyt  clairement,  il  ne  fait  pas  la  dilection 
dicelle  femme,  cause  de  la  remission  de  ses  péchez  :  mais  proba- 

lotion  seulement.  Car  elles  sont  prinses  de  la  similitude  du  debteur, 
auquel  avoient  esté  quictez  cinq  cens  francz .  Or  il  ne  dit  pas  qu'ilz 
luy  eussent  esté  quictez.  pource  qu'il  eust  bien  aymé  :  mais  il  dit 
qu'il  doibt  bien  aymer,  pour  tant  qu'ilz  luy  ont  esté  quictez.  Et 
fault  appliquer  celles  parolles  à  la  similitude    en  ceste  manière. 

15  Tu  estimes  ceste  femme  icy  pécheresse  :  mais  tu  la  debvois  recon- 
gnoistre  pour  autre,  puis  que  ses  péchez  luy  ont  esté  par- 
donnez. Or  la  remission  de  ses  péchez  te  debvoit  estre  manifestée 
par  sa  dilection  :  de  laquelle  elle  rend  grâces  pour  le  bien  qui  luy 
a  esté  faict.  Et  est  un  argument  qu'on  appelle  Des   choses  sub- 

20  sequentes  :  par  lequel  nous  demonstrons  quelque  chose,  par  les 
signes  qui  s'en  ensuyvent.  Finalement  nostre  Seigneur  testifie 
évidemment,  par  quel  moyen  la  dicte  pécheresse  obtinst  pardon 
de  son  péché.  Ta  foy  (dit-il)  t'a  sauvée.  Nous  impetrons  donc  par 
foy  remission,  et  par  charité  nous  rendons  grâces  et  recongnois- 

25  sons  la  libéralité  de  nostre  Seigneur. 

Je  ne  m  estonne  pas  fort  des  sentences  qu'on  voit  aux  livres 
des  Anciens,  touchant  la  satisfaction.  Pour  dire  vray,  je  voy 
que  aucuns  deux,  et  quasi  tous  ceux  desquelz  les  œuvres  sont 
parvenues     à    nostre     congnoissance.     ou    ont    failly    en    cest 

30  endroit  :  ou  bien  ont  parlé  trop  durement.  Mais  je  n'accorderay 
pas  que  encores  ilz  ayent  esté  si  rudes  et  ignorans,  qu'ilz  ayent 
escrit  ce  qu'ilz  en  ont  dict  en  tel  sens,  que  le  prennent  ces  nou- 
veaux satisfactionaires.  Chi'ysostome  en  quelque  passage  parle 
en   ceste   manière.    Quand    on    demande    miséricorde  :   c'est    à 

35  fin  de  n'estre  examiné  de  son  péché  :  à  fin  de  n'estre  point  traicté 
selon  la  rigueur  de  justice  :  à  fin  que  toute  punition  cesse.  Car 
où  il  y  a  miséricorde  :  il  n'y  a  plus  de  géhenne,  n'examen,  ne 
rigueur,  ne  peine.  Lesquelles  parolles,  en  quelque  sorte  qu'on 
les  veuille  caviller  :  jamais  ne  se  pourront  accorder  avec  la  doc- 


348  CHAPITRE    V. 

trine  des  Scholastiques.  D'avantage  au  livre  qui  est  intitulé,  De- 
dogmatibus  ecclesiasticis.  qu'on  attribue  à  S' Augustin,  il  est  dict 
:au  chapitre  cinquante  quatriesme  :   La  satisfaction  de  pénitence, 
est  d'ester  les  cause  de  péché,  et  ne  s'adonner  point  aux  sugges- 
5  tions  dicelle.  Dont  il  appert  qu'en  ce  temps  là,  ceste  opinion  a  esté 
rejettée:  de  dire  qu'il  fault  par  satisfaction,  recompenser  les  faul tes 
passées.  Car  toute  satisfaction  est  là  rapportée  à  se  donner  garde 
pour  1  advenir,  et  s'abstenir  de  mal  faire.  Je  ne  veulx  point  allé- 
guer ce  que  dit  Chrysostome  :  Que  le  Seigneur  ne  requiert  autre 
10  chose  de  nous,  sinon  que  nous  confessions  devant  luy  noz  faultes 
avec  larmes  :  veu  que  telles  sentences  sont  souvent  répétées  par 
les  Anciens.  Sainct  Augustin  appelle  bien  en  quelque  lieu,  les 
œuvres  de  miséricorde  envers  les  povres,  remèdes  pour  obtenir 
pardon  envers  Dieu.  Mais  à  tin  que  personne  ne  s'empesche  ou 
15  s'enveloppe,  il  explique  en  un  autre  lieu  plus  amplement  sa  sen- 
tence. La  chair  de  Christ,  dit-il,  est  le  vray  et  unique  Sacrifice 
pour  les  péchez,  non  seulement  pour  ceux  qui  nous  sont  remiz  au 
Baptesrae  :  mais  qui  nous  adviennent  après  par  l'infirmité  de  la 
chair:    pour  lesquelz  l'Eglise  prie  journellement,   remetz  nous 
20  noz  debtes.  Et  de  faict  elles  sont  remises  par  ce  Sacrifice  unique. 
Or  le  plus  souvent  ilz  ont   appelle  Satisfaction,  nompas  une  re- 
compense qui  fust  rendue  à  Dieu  :  mais  une   protestation  publi- 
que, par   laquelle  ceux  qui  avoient  esté  corrigez   d'excommuni- 
cation, quand  ilz  venoient  à  rentrer  à  la  communion  de  l'Eglise, 
25  rendoyent  à  la  compagnie  des  fidèles  un  tesmoignage   de  leur 
pénitence.    Car  on   leur    ordonnoit   certains  jeusnes    et    autres 
choses,    par  lesquelz  ilz  donnassent  à  congnoistre,   que   vérita- 
blement et  de  cœur  ilz  se  repentoient  de  leur  vie  passée  :  ou  plus- 
tost  par  lesquelles  ilz  effaceassent  la  mémoire  de    leur  mauvaise 
30  vie.  Par  ainsi  ilz  estoient  dictz  satisfaire  :  nompas  à  Dieu,  mais 
à  l'Eglise.  De  ceste  coustume  ancienne  sont  descendues  les  con- 
fessions et  satisfactions,  qui  sont  aujourd'huy  en  usage  :  qui  ont 
vravement  esté  une  lignée  serpentine  :  laquelle  a  tellement  suf- 
foqué tout  ce  qui  estoit  bon  en  icelle  forme  ancienne,  que  mesme 
33  Tumbre  n'en  est   point  demeurée.  Je  scay  bien  que  les  Anciens 
parlent  aucunesfois  assez  cruement  :   et  comme  j'ay  n'a  gueres 
dict  :  je  ne   veux    pas  nyer    qu'ilz  n'ayent  par  avanture  aucune- 
ment   failly  :  mais  leurs  livres  qui  estoient  seulement  entaschez 
de  petites  tasches,  sont  du  tout  souillez,   quand  ilz  sont  maniez 


DE    PENITENCE.  349 

pur  ces  porceaux.  Et  s'il  est  question  de  combattre  par  Tautho- 
rité  des  Anciens  quelz  Anciens  nous  mettent-ilz  en  avant?  La 
plus  grand  part  des  sentences,  desquelles  Pierre  Lombard  leur 
capitaine  a  remply  son  livre,  a  esté  prinse  de  je  ne  scay  quelles 

5  resveries  de  folz  Moynes,  qui  sont  divulguées  soubz  le  nom  de 
Sainct  Ambroise,  Hyerome,  Augustin,  et  Chrysostome.  Comme 
en  ceste  présente  matière,  il  emprunte  quasi  tout  ce  qu'il  dit  d'un 
livre  intitulé  de  pénitence  :  lequel,  estant  cousu  confuseement  par 
quelque  ignorant  de  bons  et  de  mauvais  autheurs,  est  attribué  à 

10  Sainct  Augustin.  Mais  il  est  tel,,  qu'un  homme  moyennement 
docte  ne  le  daigneroit  recongnoistre  pour  sien. 

Maintenant  pareillement  qu  ilz  ne  nous  rompent  plus  la  teste  de 
leur  purgatoire  :  lequel  est  par  ceste  coignée  couppé,  abbatu,  et 
renversé  jusques  à  la  racine.  Car  jen'appreuve  point  l'opinion  d'au- 

iicuns,  qui  pensent  qu  on  doibve  dissimviler  ce  point,  et  se  garder 
de  faire  mention  du  purgatoire  :  dont  grandes  noyses,  comme  ilz 
disent,  sesmeuvent,  et  peu  d  édification  en  vient.  Certes  je  serois 
bien  aussi  d'advis,  qu'on  laissast  telz  fatras  derrière  :  s'ilz  ne 
tiroient  grande  conséquence  après  eux.  Mais  veu  que  le  purgatoire 

20  est  construict  de  plusieurs  blasphèmes,  et  est  de  jour  en  jour 
appuyé  encores  de  plus  grandz,  et  suscite  de  grandz  scandales  :  il 
n'est  pas  mestier  de  dissimuler.  Cela  possible  se  pouvoit  dissimu- 
ler pour  un  temps,  qu  il  a  esté  sans  la  parolle  de  Dieu,  par  folle 
et  audacieuse  témérité,  inventé  qu'il  a  esté  receu  par  révélations 

23  je  ne  scay  quelles  forgées  de  l'astuce  de  Sathan  :  que,  pour  le  con- 
firmer, on  a  meschamment  corrumpu  aucuns  lieux  de  l'Escriture. 
Combien  que  notre  Seigneur  ne  repute  point  une  faulte  legiere, 
que  l'humaine  audace  entre  ainsi  témérairement  au  secretz  de 
ses  jugemens  :  et   a    rigoureusement  defl'endu  de   demander   la 

30  vérité  aux  mors,  en  contemnant  sa  voix  :  et  ne  permet  pas  que 
sa  parolle  soit  si  irreveremment  traictée.  Donnons  neantmoins 
que  toutes  ces  choses  se  puissent  tollerer  pour  quelque  temps 
comme  si  elles  estoient  de  petite  importance.  Mais  quand  la 
purgation  des  péchez  se  cerche  ailîieurs  qu'en  Christ  :  quand  la 

3ï  satisfaction  est  transférée  autre  part,  qu'à  luy  :  il  est  dangereux 
de  se  taire.  Il  fault  donc  cryer  à  haulte  voix,  que  purgatoire  est 
une  fiction  pernicieuse  de  Sathan  :  laquelle  faict  un  opprob[r]e 
trop  grand  à  la  miséricorde  de  Dieu  :  anéantit  la  croix  de 
Christ  :  dissipe  et    subvertit  nostre  foy.   Car  qu'est-ce  que  leur 


3o0  CHAPITRE    V. 

est  purgatoire,  sinon  une  peine  que  souffrent  les  âmes  des  tres- 
passez  :  en  satisfaction  de  leur  péchez  ?  Tellement  que  si  on  oste 
la  phantasie  de  satisfaire  :  leur  purgatoire  s'en  va  bas.  Or  si  de 
ce  que  nous  avons  par  cy  devant  disputé,  il  est  faict  plus  que 
5  manifeste,  que  le  sang  de  Christ  est  une  seule  purgation,  obla- 
tion  et  satisfaction  pour  les  péchez  des  fidèles  :  que  reste-il  plus 
sinon  que  le  purgatoire  soit  un  pur  et  horrible  blasphesme  contre 
Jésus  Christ  ?  Je  passe  beaucoup  de  mensonges  et  sacrilèges, 
desquelz  il  est  tous  les  jours  soustenu  et  deffendu  :  les  scandales 
10  qu'il  engendre  en  la  Religion  :  et  autres  maulx  innumerables, 
qui  sont  sortiz  de  ceste  source  d'impiété. 

Toutesfois  il  est  besoing  de  leur  arracher  des  mains  les  tesmoi- 
gnages  de   l'Escriture,   que  faulsement  ilz  ont  coustume  de  pre-  Mat  t.   ei 
tendre.  Quand  le  Seigneur disent-ilz,  prononce,  que  lepeché  contre        ^    "' 
15  le  Sainct  Esprit  ne  sera  remiz  n'en  ce  monde  n'en  l'autre  :  il  de-  Marc  3. 
note  que  aucuns  péchez  seront  remiz  en  l'autre  monde.  Pour  res- 
ponse  je  demande  :  s'il  n'est  pas  évident,  que  le  Seigneur  parle 
là  de  la  coulpe  de  péché  ?  Si  ainsi  est  :   cela  ne  sert  de  rien  h   leur 
purgatoire  :  car  ilz  disent,  qu'on  y  receoit  la  punition  des  péchez, 
20  dont  la  coulpe  a  esté  remise  en  ceste  vie  mortelle.  Neantmoins  à 
tin  de  leur  fermer  du  tout  la  bouche:  je   leur   bailleray  encore 
solution  plus  clere.  Pource   que  le   Seigneur  vouloit  oster  toute 
espérance  de  pouvoir  obtenir  pardon  d'un  crime  tant  exécrable  : 
il  n'a  pas  esté  content  de  dire  qu'il  ne  seroit  jamais  remiz  :  mais 
23  pour  plus  amplifier,  il  a  usé  de  ceste  division  :  mettant  d'une  part 
le  jugement  que  la  conscience  d'un  chascun  sent  en  la  vie  pré- 
sente :  et  d'autre  part  le  jugement  dernier,  qui  sera  publié  au  jour 
de  la  résurrection.  Comme  s'il  disoit.    Gardez  vous  de  combatre 
contre   Dieu  d'une  malice  destinée  :  car  une  telle  rébellion  em- 
30  porte  la  mort  éternelle.    Car  quiconque  se  sera  efforcé  de  propoz 
délibéré  d'esteindre  la  lumière  de  l'Esprit  à  luy  présentée,  n'ob- 
tiendra pardon,  ne  en  ceste  vie,  laquelle  est  assignée  aux  pécheurs 
pour  se  convertir  :  ne  au  dernier  jour,  auquel  les  Anges  de  Dieu 
sépareront  les  aigneaux  des  boucz  et  purgeront  le  Royaume  de 
33  Dieu   de  tout  scandale.    Hz  ameinent  aussi  ceste    parabole   de 
Sainct  Matthieu.   Accorde  avec  ta  partie  adverse  :   à  fin  qu'il  Matt .  3 
ne  t'ameine   devant  le  juge,    et  le  juge  ne  te  livre  au  sergent, 
et  le  sergent  ne  te  mette    en  prison  dont  tu  ne  puisses  après 
sortir,    devant    qu'avoir  payé   jusques  à  la  dernière    maille.    Je 


DE    PENITENCE.  351 

respondz  que  si  juge  signifie  Dieu  en  ce  passage  :  la  partie  ad- 
verse signifie  le  Diable  :  le  sergent  un  Ange  :  la  prison  Purga- 
toire :  je  leur  donne  gaigné.  Mais  si  c'est  une  chose  notoire,  que 
Christ  a  voulu  la   monstrer,   à   combien  de  dangiers  s'exposent 

5  ceux  qui  ayment  mieux  poursuyvre  leurs  querelles  et  procès 
jusques  au  dernier  bout,  que  de  transiger  amiablement  :  à 
fin  de  nous  inciter,  par  cet  advertissement,  à  demander  tous- 
jours  concorde  avec  tout  le  monde  :  où  est-ce  que  sera  là 
trouvé  purgatoire  ?   Brief  que  le   passage  soit  regardé,  et    prins 

10  en  sa  simple  intelligence  :  et  il  n'y  sera  rien  trouvé  de  ce  qu  ilz 
prétendent. 

Hz  prennent  aussi  une  probation  de    ce  que    dit  Sainct  Paul.  Phili.   2. 
Que  tout  genoil  se  lleschira    devant   Christ  :  tant  de   ceux    qui 
sont  au  Ciel,  comme  en  Terre,  et  aux   Enfers.  Car  ilz  prennent 

15  cela  pour  résolu  :  que  par  ceux  d'Enfer  on  ne  peut  entendre 
ceux  qui  sont  en  la  mort  éternelle  :  pourtant  il  reste  que  ce 
soient  les  âmes  de  purgatoire.  Ce  ne  seroit  point  mal  argué  à 
eux  si  par  le  mot  d'agenouillement,  l'Apostre  signifioit  la  vraye 
adoration   que   rendent    les    fidèles  à  Dieu.  Mais  veu  que   sim- 

20  plement  il  enseigne,  que  Jésus  Christ  a  receu  la  seigneurie  sou- 
veraine du  Père  sur  toutes  créatures  :  Quel  mal  y  a  il  ;  que  par 
ceux  d'Enfer  ;  nous  entendions  les  Diables,  lesquelz  certes  com- 
paroistront  au  Throsne  du  Seigneur  ;  pour  recongnoistre  leur 
juge  avec    terreur  et  tremblement?  comme  Sainct  Paul  mesme  Rom.  13. 

25  expose  en  un  autre  lieu  ceste  Prophétie.  Nous  viendrons  tous 
(dit-il)  au  Throsne  de  Christ.  Car  le  Seigneur  dit  que  tout 
genoil  fleschira  devant  luy  etc.  Hz  répliqueront,  qu'on  ne  peut 
ainsi  exposer  ce  qui  est  en  l'Apocalypse.  J'ai  ouy  toutes  créa- 
tures, tant  célestes  que  terrestres,  et  qui  sontsoubz  terre  et  en  la  Apoc.  3. 

30  Mer,  disans  :  Louange,  honneur  et  gloire,  et  puissance  au  siècle 
des  siècles  à  celuy  qui  est  assiz  au  Throsne  et  à  l'Aigneau.  Cela 
je  leur  concède  voluntiers.  Mais  de  quelles  créatures  pensent-ilz 
qu'il  soit  icy  parlé  ;  que  ceux  qui  n'ont  ame  ne  intelligence  y 
sont  comprinses  ?   Pourtant  il   n'est  autre  chose   signifié  sijion 

35  que  toutes  les  parties  du  monde,  depuis  le  comble  du  Ciel  jus- 
ques au  centre  de  la  Terre  :  chascun  en  son  endroit  magnifient 
la  gloire  de  leur  créateur.  Je  ne  donneray  nulle  responce  à  ce 
qu'ilz  produisent  de  l'histoire  des  Machabées  à  fin  qu'il  ne  semble 
que  je  veuille  advouer  ce  livre  là  pour  canonique. 


352  CHAPITRE    Y. 

Mais  ilz  ont  une  forteresse  invincible  en  S.  Paul  quand  il  dit  :  /.  Cor.  3. 
Si  quelqu'un  en  édifiant,  met  sur  ce  fondement  or  ou  arg-ent,  ou 
pierres  précieuses,  ou  boys,  ou  foin,  ou  chaume  :    l'œuvre  d  un 
chascun  sera  manifestée  par  le  jour  du  Seigneur  :  d'autant  qu'il 
5  sera  révélé,  en  feu  :  et  le  feu  discernera  quelle  sera  l'œuvre  d'un 
chascun  :  Si  l'œuvre  de  quelqu'un  brusle,  il  en  fera  perte  :  quant 
à  luy.  il  sera   saulvé  toutesfois    par    le  feu.  De  quel    feu  parle 
(disent-ilz)    Sainct  Paul  ;   sinon  de  purgatoire  ;  par    lequel    noz 
macules  sont  lavées  ;  à  fin  que  nous  entrions  purs  au  Royaume 
iode  Dieu?  Je  respons  que  plusieurs    mesmes   des    Anciens  l'ont 
autrement  exposé  :  prenantz  le  nom  de  feu,  pour  croix  et  tribu- 
lation  :  par  laquelle  le  Seigneur  examine  les  siens  pour  les  purger 
de  toutes  leurs  ordures.  Et  de  faict  cela  est  beaucoup  plus  vray- 
semblable,  que   d'imaginer  un    purgatoire.    Combien  que  je   ne 
loreceois  ceste  opinion  :  pource  qu'il  me  semble  advis  que  j'en  ay 
une  plus  certaine  et  plus  claire.  Premièrement  nous  voyons  que 
l'Apostre  a  usé  de  métaphore,  ou  similitude,  en  appelant  les  doc- 
trines forgées  au  cerveau  des  hommes,  foin,  et  boys  et  chaume. 
La  raison  aussi  de  ceste  similitude  est  évidente,   à   scavoir,   que 
20  comme  le  boys,  incontinent  qu'on  l'approche  du  feu,  est  consu- 
mé :  ainsi  telles  doctrines  humaines  ne  pourront  consister  nulle- 
ment quand  elles  viendront  en  examen.  Or  c'est  chose  notoire, 
que  cest  examen  se  faict  par  le  Sainct  Esprit.  A  fin  donc  de  pour- 
suvvre  ceste  similitude,  et  approprier  une  partie  à  l'autre  :   il  a 
2ï  appelle  l'examen  du  Sainct  Esprit,  feu.  Car  tout  ainsi  que  l'or  et 
l'argent,  d'autant  plus  qu'on  les  approche  du  feu,  sont  plus  cer- 
tainement esprouvez.  à  ce  qu'on  puisse  congnoistre  leur  pureté  : 
en  telle  sorte   la  vérité    de  Dieu,    d'autant  qu'elle  est  plus  dili- 
gemment  considérée   par    examen   spirituel  est  par   cela  mieux 
3oconfermée    en    son    authorité.    Gomme  boys,    chaume    et    foin, 
quand  on   les  met  au  feu,    sont   incontinent  esprins  pour  estre 
rédigez  en  cendre  :    ainsi   toutes  inventions  humaines,    qui    ne 
sont   establies    à  la  paroUe  de   Dieu,    ne   peuvent  porter  l'exa- 
men de   l'Esprit,  quelles   ne  soient  destruictes  et  anéanties.  En 
33  somme,   si  les  doctrines  controuvées  sont  à  comparager  au  boys, 
au  chaume  et  au  foin  d'autant  que  comme  boys,  chaume  et  foin 
elles    sont  bruslées  par  le    feu    et  reduictes  à   néant  :   et   qu'il 
soit  ainsi   qu'elles    ne  sont   destruictes   et  dissipées    sinon  par 
l'Esprit  de  Dieu  :  il  s'ensuyt  donc  que  l'Esprit  est  le  feu,  par  le- 


r)È    PENITENCE.  3o3 

.  ([uel  elles  sont  esprouvées.  Ceste  espreuve  est  nommée  de  Sainct 
Paul,  Jour  du   Seigneur  :  selon  l'usaji^e  de    rEscriture  :    laquelle 
parle  ainsi   toutesfois    et  quantes  que  le    Sei^rneur,   en  quelque 
manière  que   ce  soit,    manifeste   aux   hommes    sa    présence.  Or 
0  principalement  sa    face    nous    reluist,    cjuand  sa  vérité  nous   est 
esclarcie.  Nous  avons   desja   jirouvé  que    le  feu  ne  signifie  autre 
chose  en  Sainct  Paul,  que  l'examen  du  Sainct  Esprit.  Maintenant 
il  reste  d'entendre  comment  seront  saulvez,  par  ce  feu,  ceux  qui 
feront  la  perte  de  leur  ouvrage.  Ce  qui  ne  sera  point  difficile  :  si 
10  nous  considérons  de  quel  genre  d'honnnes  il  parle  là.  Car  il  faict 
mention  de  ceux  qui  en  voulant  édifier  l'Eglise,  retiennent  le  bon 
fondement:  mais  y  adjoustent  matière  diverse,  et  laquelle  ne  res- 
pond  point:  c'est  à  dire,  qu'ilz  ne  se  détournent  point  des  prin- 
cipaulx  et  nécessaires  articles  de  la  Foy  :  Xeantmoins  en  d'aucunes 
15  choses  s'abusent,  en  meslant  les  songes  humains  parmy  la  vérité 
de  Dieu.  Il  fault  donc  que  telle  manière  de  gens  facent  la  perte 
de  leur  ouvrage  :  c'est  à  dire,  que  ce  qu'ilz  ont  adjousté  du  leur 
parmy  la  parolle  de  Dieu,  périsse  et  soit  miz  soubz   le  pied.  Ce 
pendant  leur  personne  sera  saulvée  :  c'est  à  dire,  non  point 
20  que    leur  erreur  et    ignorance  soit  approuvée  de   Dieu, 

mais  que  nostre  Seigneur  par  la  grâce  de  son  Es- 
prit, les  en  retire  et  délivre.  Parquoy  tous 
ceux  qui  ont  contaminé  la  sacrée  pure- 
té des  Escritures  par  ceste  fiente  et 
25  ordure  de  purgatoire,  il  fault 

qu'ilz   laissent  périr  leur 
ouvrage . 


Insliliition.  53 


DE  LA  JUSTIFICATION 

DE  LA  FOY  ET  DES  MERITES  DES  ŒUVRES. 

CHAP.  VI. 

Il  me  semble  advis  que  j'ay  assez  dilig-emment  exposé  cy 
dessus,  comment  il  ne  reste  qu'un  seul  refug'e  de  salut  aux 
hommes,  à  scavoir  en  la  Foj  :  puis  que  par  la  Loy  ils  sont  tous 
mauldictz.  11   me   semble    aussi    que  j'ay  suffisamment   traicté, 

5  que  c'est  que  Foy  :  et  quelles  grâces  de  Dieu  elle  communique 
à  l'homme,  et  quelz  fruictz  elle  produit  en  luy.  Or  la  somme 
a  esté,  que  nous  recevons  et  possédons,  par  Foy,  Jésus 
Christ,  comme  il  nous  est  présenté  par  la  bonté  de  Dieu,  et 
qu'en     participant   à     luy,    nous    en  avons    double    grâce.     La 

10 première  est,  que  estans  par  son  innocence  reconciliez  à 
Dieu,  au  lieu  d'avoir  un  juge  au  ciel  pour  nous  condamner, 
nous  y  avons  un  père  tresclement.  La  seconde  est,  que  nous 
sommes  sanctifiez  par  son  Esprit,  pour  méditer  saincteté 
et  innocence  de   vie.    Or  quant   à  la  régénération,  qui   est    la 

13  seconde  grâce,  il  en  a  esté  dit  selon  qu'il  me  sembloit  estre 
expédient.  La  justification  a  esté  plus  legierement  touchée  : 
pource  qu'il  estoit  mestier  d'entendre,  premièrement  combien  la 
Foy  n'est  point  oysive,  et  sans  bonnes  œuvres  :  combien  que  par 
icelle  nous  obtenions  justice  gratuite  en  la  miséricorde  de  Dieu  : 

20  aussi  d'entendre  quelles  sont  les  bonnes  œuvres  des  Sainctz, 
esquelles  gist  une  partie  de  la  question  que  nous  avons  à  traic- 
ter.  Il  fault  donc  maintenant  considérer  plus  au  long  ce  poinct 
de  la  justification  de  Foy  :  et  tellement  considérer,  qu'il  nous  sou- 
vienne bien,  que  c'est  le  principal  article   de  la  religion  Chres- 

23  tienne  :  à  fin  qu'un  chascun  mette  plus  grand  peine  et  diligence 
à  en  scavoir  la  resolution.  Car  comme  nous  n'avons  nul 
fondement  pour  establir  nostre  salut,  si  nous  ne  scavons 
quelle  est  la  volunté  de  Dieu  envers  nous  :  aussi  nous  n'avons 
nul   fondement  pour  nous  édifier  en   pieté  et    crainte   de  Dieu. 


DE    LA    JUSTIFICATION.  355 

Mais  la  nécessité  de  bien  entendre    ceste    matière    apparoistra 
niyeulx  de  l'intelligence  d'icelle.  Or    de    peur  de  chopper  dez  le 
premier  pas  (ce  qui  adviendroit  si  nous  entrions  en  dispute  d'une 
chose  incertaine)  il  nous  fault  premièrement  expliquer,  que  signi- 
5  lient  ces  locutions,  estre   justifié  devant  Dieu,    et   estre  justifié 
par  Foy,  ou  par  les  œuvres.  Celuj  est  dict  estre  justifié  devant 
Dieu,  qui  est    réputé  juste  devant  le  jugement  de   Dieu   et    est 
aggreable  pour  sa  justice.  Car  comme  l'iniquité  est  abominable  à 
Dieu  :  aussi  le  pécheur  ne  peut  trouver  grâce  devant  sa  face.  Pour- 
10  tant  où  le  péché  est,  là  se  declaire  l'ire  et  la  vengeance  de  Dieu. 
Celuy  donc  est  justifié,  qui  n'est  point  estimé  comme  pécheur, 
mais  comme  juste  :  et  à  ceste  cause  peut  consister  au  Throsne  judi- 
cial  de  Dieu,  auquel  tous  pécheurs   tresbuchent  et  sont  confuz. 
Comme  si  quelque  homme  accusé  à  tort,  après  avoir  esté  examiné 
lo  du  juge,  est  absoult  et  declaire  innocent,  on  dira  qu'il  est  justifié 
en  justice  :  ainsi  nous  dirons  l'homme  estre  justifié  devant  Dieu, 
lequel,  estant  séparé  du  nombre  des  pécheurs,  ha  Dieu  pour  tes- 
moing  et  approbateur  de  sa  justice.  En  ceste  manière  nous  dirons, 
l'homme  estre  justifié  devant  Dieu  par  ses   œuvres    :    en  la   vie 
2ii  duquel  il  y  aura  une  telle  pureté  et  saincteté,  qu'elle    méritera 
filtre  de  justice  devant  Dieu  :  ou  bien,  lequel  par  intégrité  de  ses 
(euvres,  pourra  respondre  et  satisfaire  au  jugement  de  Dieu.  Au 
contraire,  celuy  sera  dict  justifié  par  Foy  :  lequel  estant  excluz  de 
la  justice  des  œuvres,  appréhende  par  Foy,  la  justice  de    Jésus 
25  Christ  :  de  laquelle  estant  vestu,  apparoist  devant  la  face  de  Dieu 
nompas  comme  pécheur,  mais  comme  juste. 

Toutesfois  pource  que  la  pluspart  des  hommes  imaginent  une  jus- 
tice meslée  de  la  Foy  et  des  œuvres  :  monstrons  aussi,  devant  que 
passer  oultre,  que  la  justice  de  Foy  diffère  tellement  de  celle  des  œu- 
30  vres,  que  si  l'une  est  establie,  l'autre  est  renversée.  L'Apostredit  Philip.  3. 
qu  il  a  réputé  toutes  choses  comme  fiente,  pour  gaigner  Christ,  et 
estre  trouvé  en  luy  n'ayant  point  sa  propre  justice,  qui  est  de  la  Loy, 
mais  celle  qui  est  de  la  Foy  en  Jésus  Christ:  à  scavoir  la  justice  qui 
est  de  Dieu  par  Foy.  Nous  voyons  icy  qu'il  les  comparage  comme 
35  choses  contraires,  et  monstre  qu'il  fault  que  celuy  qui  veut  obtenir 
la  Justice  de  Christ  :  abandonne  la  sienne  propre.  Pourtant  en  un 
autre  lieu  il  dit,  que  cela  a  esté  cause  delà  ruy  ne  des  Juifz:  que  vou-  Rom.  10. 
lans  ériger  leur  propre  justice,  ilz  n'ont  pas  esté  subjectz  àcellede 
Dieu.  Si  en  dressant  nostre  propre  justice  nous  rejettons  celle  de 


356  CHAPITRE  VI. 

Dieu,  pour  obtenir  la  seconde,  il  fault  que  la  première  soit  du 
tout  abolie.  C'est  aussi  ce  qu'il  entend,  disant,  que  nostre  g-loire 
n'est  pas  excluse  par  la  Loy,  mais  par  la  Foy.  Dont  il  s'ensuyt  que 
jusques  à  ce  qu'il  nous  demeure  quelque  goutte  de  justice  en 
3  noz  oeuvres,  nous  avons  quelque  matière  de  nous  glorifier.  Par- 
quov  si  la  Foy  excludtout  glorifiement  :  la  justice  de  Foy  ne  peut 
nullement  consister  avec  celle  des  oeuvres.  [Cje  ont  esté  les  Théo- 
logiens Sorboniques  qui  ont  abreuvé  le  monde  de  ceste  faulse  opi- 
nion, qu'on  tient  communément  :  mais  ilz  s'abusent  doublement. 

10  C'est  qu'ilz  appellent  Foy,  une  certitude  d'attendre  la  rémunéra- 
tion de  Dieu  :  et  que  par  le  nom  de  grâce  ilz  n'entendent  point  le 
don  de  Justice  gratuite,  que  nous  recevons  :  mais  l'ayde  du  S.  Es- 
prit, pour  bien  et  sainctement  vivre.  Hz  lisent  en  l'Apostre,  que  Heb.  IL 
celuy  qui  approche  de  Dieu,  doibt  croire,  qu'il  est  rémunérateur  de 

15  ceux  qui  le  cerchent.  Mais  ilz  ne  voyent  point  quelle  est  la  manière 
de  le  cercher  :  laquelle  nousdemonstrerons  tantost.  Qu'ilz  s'abusent 
en  ce  mot  de  grâce,  il  appert  de  leur  livres.  Car  leur  Maistre  des 
sentences  expose  la  Justice,  que  nous  avons  par  Christ,  en  double 
manière.  Premièrement,  dit-il,    la  mort  de  Christ  nous  justifie, 

20  quand  elle  engendre  en  noz  coeurs  charité.par  laquelle  nous  sommes 
faictz  justes.  Secondement  entant  que  par  icelle  le  péché  est  es- 
teinct,  soubz  lequel  le  Diable  nous  tenoit  captifz,  tellement  qu'il  ne 
nous  peut  surmonter  maintenant.  Nous  voyons  qu'il  ne  considéré  la 
grâce  de  Dieu  que  jusques  là,  entant  que  nous  sommes  dirigez  en 

25  bonnes  oeuvres  par  la  vertu  du  S.  Esprit.  11  a  voulu  ensuyvre 
l'opinion  de  S.  Augustin  :  mais  il  la  suyt  de  bien  loing,  et  mesme 
se  destourne  grandement  de  la  droicte  imitation.  Car  ce  qui  estoit 
dict  clairement  par  ce  S. homme,  il  l'obscurcist  :  et  ce  qui  estoit  un 
petit  entasché  de  vice,  il  le  corrompt  du  tout.    Les  escholes  Sor- 

30  boniques  sont  tousjours  allées  de  mal  en  pis:  jusques  à  ce  qu'elles 
sont  en  la  fin  tresbuchées  en  l'erreur  de  Pelagius.  Combien  encores 
que  nous  ne  debvons  du  tout  recevoir  la  sentence  de  Sainct  Au- 
gustin. Car  combien  qu'il  despouille  tresbien  l'homme  de  toute 
louenge  de  Justice,  et  l'attribue  toute  à  Dieu  :  neantmoins  il  réfère 

33  la  grâce  à  la  sanctification,  dont  nous  sommes  régénérez  en  nou- 
veauté de  vie.  Or  l'Escriture  parlant  de  la  justice  de  Foy  nous 
meine  bien  ailleurs  :  c'est  qu  elle  nous  enseigne  de  nous  des- 
tourner du  regard  de  noz  oeuvres ,  pour  regarder  seulement 
la    miséricorde    de    Dieu,    et   la  parfaicte    .saincteté   de   Christ. 


DE    LA    JUSTIFICATION.  3o7 

Car  elle  nous  monstre  cest  ordre  de  santification  :  que  du  commen- 
cement Dieu  receoit  le  pécheur  de  sa  pure  et  gratuite  bonté,  ne 
regardant  rien  en  luy,  dont  il  soit  esmeu  à  miséricorde,  que  la 
misère,  d  autant  qu'il  le  voit  desnué  entièrement  et  vuide  de  bonnes 
5  oeuvres  :  et  pourtant  il  prend  de  soymesme  la  cause  de  luy  bien 
faire .  En  après  il  touche  le  pécheur  du  sentiment  de  sa  bonté  : 
à  lin  que  se  deffîant  de  tout  ce  qu  il  ha,  il  remette  toute  la  somme 
de  son  salut  en  ceste  miséricorde  qu'il  luy  faict.  Voylà  le  senti- 
ment de   Foy,  par  lequel  l'homme  entre    en  possession  de  son 

10  salut  :  quand  il  se  recongnoist  par  la  doctrine  de  l'Evangile,  estre 
reconcilié  à  Dieu  :  entant  que  par  le  moyen  de  la  justice  de 
Christ,  ayant  obtenu  remission  de  ses  péchez,  il  est  justifié.  Et 
combien  qu'il  soit  régénéré  par  l'Esprit  de  Dieu  :  si  ne  se  repose- 
il  pas  sur  les  bonnes  œuvres,  lesquelles  il  fait  :  mais  est  asseuré 

13  que  sa  justice  perpétuelle  gist  en  icelle  Justice  de  Christ.  Quand 
toutes  ces  choses  auront  esté  espeluchées  particulièrement  :  ce 
que  nous  tenons  de  ceste  matière  sera  facilement  expliqué.  Com- 
bien qu'elles  seront  mieux  digérées,  si  nous  les  mettons  en  autre 
ordre  que  nous  ne  les  avons  proposées  ;  mais  il  n'en  peut  gueres 

jo  chaloir,  moyennant  qu'elles  soient  tellement  deduictes,  que  toute 
la  chose  soit  bien  entendue. 

Il  nous  fault  ici  souvenir  de  la  correspondance,  que  nous 
avons  mise  cy  dessus,  entre  la  F'oy  et  l'Evangile.  Car  nous 
disons   que  la  Foy  justifie ,  d'autant    qu'elle  receoit  la  Justice 

25  offerte   en    l'Evangile.    Or  si  en  l'Evangile   la  Justice  nous   est 
offerte  :    par    cela  est    forclose  toute  considération  des  œuvres. 
Ce  que    Sainct    Paul   monstre  souventesfois  ;    mais  principale- 
ment   en   deux    lieux.    Car    en   l'Espistre     aux  Romains,    com-  /^^ 
parant  la  Loy  avec  l'Evangile,  parle  ainsi.  La  justice  qui  est  de 

30  la  Loy,  dit-il,  est  que  quiconques  fera  les  commandemens  de 
Dieu,  vivra  :  mais  la  Justice  de  Foy  dénonce  salut  à  celuy  qui 
croyra  de  cœur  et  confessera  de  bouche  Jésus  Christ  :  et  que  le 
Père  l'a  ressuscité  des  mortz.  Ne  voyons  nous  pas  bien  :  qu'il  met 
ceste  différence  entre  la  Loy  et  l'Evangile,   que  la   Loy  assigne 

35  la  Justice  aux  œuvres,  l'Evangile  la  donne  gratuitement,  sans 
avoir  esgard  aux  œuvres  !  C'est  certes  un  lieu  notable,  et  qui 
nous  peut  despescher  de  beaucoup  de  diffîcultez  :  car  c'est  beau- 
coup faict,  si  nous  entendons  que  la  Justice  qui  nous  est  don- 
née en  l'Evangile,  soit  délivre   des    conditions   de  la  Lov.  C'est 


10. 


358  CHAPITRE    VI. 

la  raison  pourquoy  il  oppose  tant  souvent  la  Loy,  et  la  promesse, 
comme  choses  répugnantes.  Si  Theritaige,  dit-il,  vient  de  la  Loy: 
ce  n'est  point  de  la  promesse  :  et  autres  sentences  semblables, 
qui  sont  au  mesme  chapitre.  Il  est  certain  que  la  Loy  ha  aussi  ses  Galat.  3 
5  promesses.  11  fault  donc  que  les  promesses  de  l'Evangile  ayent 
quelque  chose  de  spécial  et  divers  :  si  nous  ne  voulons  dire  que 
la  comparaison  soit  inepte.  Or  que  sera-ce  ;  sinon  qu'elles  sont 
gratuites  :  et  appuyées  sur  la  seule  miséricorde  de  Dieu  ;  comme 
ainsi  soit  que  les  promesses  légales  dépendent  de   la  condition 

iodes  œuvres?  Le  second  passage  est  cestuy  cy.    Que  nul  ne  soit  Galat.  3. 
justifié  devant  Dieu  par  la  Loy,  il  appert  :  Car  le  juste  vivra  de 
Foy.   Or  la  Loy  n'est  pas  selon  la  Foy  :    Car  elle  dit  :   qui  fera 
les  choses  commandées   vivra  en   icelles.    Gomment   l'argument 
consisteroit-il  ;    sinon    qu'il   fust  résolu   premièrement    que    les 

15  œuvres  ne  viennent  point  en  compte  ?  La  Loy,  dit-il,  est  diverse 

de  la  Foy,  En  quoy  cela?  11  adjouste,  que  c'est  d'autant  qu'elle 

eqniert  les  œuvres  pour  justifier  l'homme.  Il  s'ensuyt  donc,  que 

les  œuvres  ne  sont  point  requises,  quand  l'homme   doibt    estre 

justifié  par  Foy.  Il  est  notoire  de  ceste  relation,  que  celuy   qui 

20  est  justifié  par  Foy,  est  justifié  sans  aucun  mérite  de  ses  œuvres: 
et  mesmes  hors  de  tout  mérite.  Car  la  Foy  receoit  la  Justice 
que  présente  l'Evangile  :  et  est  dit  que  l'Evangile  ne  cela  est 
différent  d'avec  la  Loy,  pource  qu'il  ne  lye  point  la  Justice  aux 
œuvres:  mais  la  colloque  en  la  seule  miséricorde  de  Dieu,  C'est 

23 une  semblable  déduction,  dont  il  use  en  l'Epistre  aux  Romains  : 
que   Abraham  n'ha    point  matière  de  se  glorifier,  entant  que   la  Rorn.  4. 
Foy  luy  a  esté  imputée  à  Justice.  Et  adjouste  consequemment  la 
raison  :  que  lors  la  Justice  de  la  Foy  ha  lieu,  quand  il  ny  a  nulles 
œuvres  ausquelles  aucun  loyer  soit  deu.   Là  où  sont  les  œuvres, 

30  dit-il,  le  loyer  est  rendu  comme  deu  :  ce  qui  est  donné  à  la  Foy, 
est  gratuit.  Ce  qui  s'ensuyt  après,  aussi  bien  tend  à  un  mesme 
but  :  à  scavoir,  que  nous  obtenons  l'héritage  céleste  par  Foy  :  à 
lin  que  nous  entendions  qu'il  nous  vient  de  grâce.  Il  infère 
que  l'héritage  céleste  est  gratuit,  d'autant  que  nous  le  recevons 

33  par  Foy.  Pourquoy  cela  ?  sinon  pour  ce  que  la  Foy  sans  avoir 
aucun  appuy  sur  les  œuvres  ;  se  repose  du  tout  sur  la  miséri- 
corde de  Dieu  ? 

Maintenant    les    Lecteurs    peuvent    voir,    de     quelle    équité 
sont  aujourd'huy    les    Sophistes  en   cavillant    nostre    doctrine  : 


DE    LA    .ILSTIFICATION.  359 

c'est  que  l  homme  est  justifié  par  la  seule  Foy.  Hz  n'osent  pas 
nyer,  que  l'homme  ne  soit  justifié  par  Foy:  pour  ce  que  ce  mot 
seul,  n'y  est  point  exprimé,  ilz  nous  reprochent  qu'il  est  adjousté 
du  nostre.  Si  ainsi  est  :  que  respondront-ilz  à  ces  parolles  de 
5  Sainct  Paul  :  où  il  argue  que  la  Justice  n'est  point  de  la  Foy,  Bom.  I. 
sinon  quelle  soit  gratuite  :  comment  conviendra  ce  qui  est  gratuit 
avec  les  œuvres  ?  Et  par  quelle  calumnie  pourront-ilz  se  desve- 
lopper  de  ce  qu'il  dit  ailleuis,  que  la  Justice  de  Dieu  est  manifes- 
tée en  l'Evangile?  Si  elle  y  est  manifestée  :  ce  n'est  pas  à  demy, 

10  ne  pour  quelque  portion  :  mais  pleine  etparfaicte.  lls'ensuyt  donc, 
que  la  Loy  en  est  excluse.  Et  de  faict  non  seulement  leur  tergi- 
versation est  faulse  :  mais  du  tout  ridicule  :  quand  ilz  disent,  que 
nous  adjoustons  du  nostre,  en  disant  la  seule  Foy:  Car  celuy  qui 
oste  toute  vertu  de  justifier  aux  œuvres,  ne   l'attribue-il  pas  en- 

•'tierement  à  la  Foy?  Que  veulent  dire  autre  chose  ces  locutions 
de  Sainct  Paul  ;  que  la  Justice  nous  est  donnée  sans  la  Loy  :  que 
l'homme  est  gratuitement  justifié  sans  ayde  de  ses  œuvres  ?  Hz 
ont  icy  un  subterfuge  bien  subtil  :  c'est  que  les  œuvres  ceremo- 
niales  par  cela  sont  exclues  :  et  non  pas  les  œuvres   morales.  Ce 

2i'qui  est  tresinepte  :  [jajsoit  qu'ilzle  tiennent  d'Origene  et  aucuns 
autres  Anciens.  Hz  prolTitent  tellement  en  abbayant  sans  cesse 
en  leurs  escholes,  qu'ilz  ne  scavent  pas  les  premiers  rudimentz 
de  Dialectique.  Pensent  ilz  que  l'Apostre  soit  hors  du  sens  ;  en 
amenant  ces  tesmoignages  pour  approuver  sa  sentence?  Qui  fera 

2">ces  choses,  vivra   en  icelles.    Item,  maudit  sera   l'homme,    qui  Ho.  3.  10. 
n'acomplira  toutes  les  choses  icy  escrites  ?  Mais  s'ilz  ne  sont  du  Gala.  4. 
tout  enragez  :  ilz  ne  diront  pas  que  la  vie  éternelle  soit  promise 
à  ceux  qui  observent    les  cérémonies  et  qu'il    n'y   ayt   que    les 
transgres.seurs  d'icelles    mauldictz.  S'il  fault   entendre  ces  pas- 

30  sages  de  la  Loy  morale  :  il  n'y  a  nulle  doubte  que  les  œuvres 
morales  sont  exclues  de  pouvoir  justifier.  Les  raisons  dont  il 
use,  tendent  à  une  mesme  fin.  Comme  quand  il  dit.  Si  la  con- 
gnoissance  de  péché  vient  de  la  Loy  :  la  Justice  n'en  vient  pas . 
La  Loy  engendre  ire  de   Dieu  :  elle  ne  nous  apporte  point  donc 

35  salut  :  Hem,  Puis  que  la  Loy  ne  peut  asseurer  les  consciences  :  fto.  3.  4. 
elle  ne  peut  donner  justice  :   Item,  puis  que  la  Foy  est  imputée  à    ^°"'   ^" 
Justice  :  ce  n'est  pas  pour  salaire  des  œuvres,  que  la  justice  nous 
est  donnée  :  mais  c'est  don  de  Dieu  gratuit.  Item,  si  nous  sommes 
justifiez  par  Foy  :  toute  gloire  est  abbatue.  Item,  si  la  Loy  nous 


360  CHAPITRE    VI. 

pouvoit  vivifier,  nous  aurions  Justice  en  icelle  :  mais  Dieu  a 
encloz  toutes  créatures  soubz  péché,  à  tin  de  donner  le  salut  pro- 
mis auxcroyans.  Qu'ilz  allèguent,  s'ilz  osent,  cela  estre  dict  des 
cérémonies  et  non  pas  des  œuvres  morales  :  mais  les  petiz  en- 

5  fans  se  moqueroient  de  leur  impudence.  Que  cela  donc  nous 
demeure  résolu  :  que  quand  la  vertu  de  justifier  est  ostée  à  la  Loy, 
il  fault  entendre  la  Loy  universelle.  Or  si  quelqu'un  s'esmerveille, 
pourquoy  lApostre  a  voulu  adjouster  les  œuvres  de  la  Loy, 
n'estant   point  content    de  dire    simplement    les   œuvres  :    nous 

lo  avons  la  responce  en  main.  Car  à  ce  que  les  œuvres  soient  en 
quelque  priz  elles  prennent  leur  estime  plustost  de  ce  qu'elles 
sont  approuvées  de  Dieu,  que  de  leur  propre  dignité.  Car  qui 
osera  [s^e  vanter  de  quelque  Justice  envers  Dieu  ;  sinon  qu  elle  soit 
de  luy  acceptée  ?  et  qui  osera  luy  demander  aucun  loyer,  sinon 

13  qu'il  l'ayt  promis  ?  C'est  donc  de  la  benefîcence  de  Dieu;  que  les 
œuvres  seront  dignes  du  tiltre  de  Justice,  et  auront  loyer:  si  au- 
cunement elles  en  peuvent  estre  dignes.  Et  de  faict  toute  la 
valeur  des  œuvres  est  fondée  en  ce  poinct,  quand  l'homme  tend, 
par  icelles,   de   rendre  obeyssance  à  Dieu.   Pourtant  TApostre,  Gala.  4. 

20  voulant  prouver  en  un  autre  lieu  que  Abraham  ne  pouvoit  estre 
justifié  par  ses  œuvres  allègue  que  la  Loy  a  esté  publiée  environ 
quatre  cens  ans  après  que  l'alliance  de  grâce  luy  avoit  esté  don- 
née. Les  ignorans  se  moqueroient  de  cest  arg-ument  :  pensant  qu'il 
y  pouvoit  bien  avoir  de  bonnes  œuvres  devant  que  la  Loy  fust 

23  publiée.  Mais  pource  qu'il  scavoit  bien  que  les  œuvres  n'ont 
autre  dignité,  que  entant  qu  elles  sont  acceptées  de  Dieu  :  il 
prend  cela  comme  une  chose  notoire,  qu'elles  ne  pouvoient  jus- 
tifier devant  que  les  promesses  de  la  Loy  fussent  données.  Nous 
voyons  pourquoy  nommeement  il  exprime  les  œuvres  de  la  Loy  : 

3(1  voulant  oster  aux  œuvres  la  faculté  de  justifier  :  à  scavoir  pource 
qu'il  n'y  pouvoit  avoir  controversie  que  d'icelles.  Combien 
que  aucunesfois  simplement  et  sans  addition  il  exclud  toutes 
œuvres.  Comme  quand  il  dit,  que  David  attribue  la  béatitude  à 
l'homme    auquel  Dieu    a   imputé  Justice   sans  aucunes  œuvres. 

33  Ilz  ne  peuvent  donc  faire  par  toutes  leurs  cavillations,  que  nous 
ne  retenions  la  diction  exclusive  en  sa  généralité.  C'est  aussi 
en  vain  qu'ilz  cerchent  une  autre  subtilité  :  c'est  qu'ilz  disent 
que  nous  sommes  justifiez  par  la  seule  Foy,  laquelle  œuvre 
par    charité    :    voulant    par    cela    signifier    que   la   Justice    est 


DE   LA    JUSTIFICATION.  301 

appuyée  sur  charité.  Nous  confessons  l)ien  avec  Sainct  Paul,  qu'il 
n'y  a  autre  Foy  qui  justifie,  sinon  celle  qui  est  conjoincte  avec 
charité.  Mais  elle  ne  prend  point  de  charité  la  vertu  de  justifier  : 
mesnies  elle  ne  justifie  pour  autre  raison,  sinon  qu'elle  nous  in- 

:i  troduit  en  la  communication   de  la  Justice  de  Christ.  Autrement 
seroit  renversé  l'arji^ument  de  l'Apostre,  lequel  il  poursuyt  tant 
vivement,  quand  il   dit  qu'à  celuy  qui  beson^ne,  le  loyer  n'est  7^//».  ^. 
pas  imputé  selon  la  «^race,   mais  selon  la  debte.    Aucontraire  à 
celuy  qui  ne  besongne  point,  mais  qui  croit  en  celuy  qui  justifie 

lu  l'inique,  la  Foy  est  imputée  à  Justice.  Pouvoit-il  parler  plus 
clerement  ;  qu'en  disant  cela?  C'est  qu'il  n'y  a  nulle  justice  de 
Foy  ;  sinon  quand  il  n  y  a  nulles  œuvres  ;  ausquelles  soit  deu 
aucun  loyer  ;  et  que  lors  finalement  la  Foy  est  imputée  à  justice  ; 
quand  la  justice  nous  est  donnée  par  grâce  non  deuë  ? 

15  Maintenant  regardons,  si  ce  qui  a  esté  dict  en  la  difïînition 
par  nous  mise,  est  vray  :  c'est  que  la  Justice  de  Foy  n'est  autre 
chose,  que  réconciliation  avec  Dieu,  laquelle  consiste  en  la 
remission  des  péchez.  Il  nous  fault  tousjours  revenir  à  ceste 
maxime   :    c'est,    que  l'ire    de   Dieu   est    préparée  à   tous    ceux 

20  qui    persistent    d'estre    pécheurs.  Ce    que  lesa'ie  a  bien  déclaré 
parlant  ainsi.    La  main  de  Dieu  n'est  point  accoursie,   qu'il  ne  lésa.  59. 
nous  puisse  saulver  :    et  son  aureille  n'est  point  estouppée,  qu'il 
ne   nous   puisse  oyr.    Mais   noz    iniquitez   ont   faict    un  divorse 
entre  luy  et  nous  :  et  noz  péchez  ont  destourné  sa  face  de  nous, 

25  à  ce  qu'il  ne  nousexaulce  point.  Nous  oyons  que  le  péché  est  une 
division  entre  Dieu  et  l'homme,  et  destourne  la  face  de  Dieu 
du  pécheur.  Et  de  vray  il  ne  se  peut  autrement  faire  :  car  c'est 
une  chose  qui  ne  convient  nullement  à  sa  Justice,  d'avoir  alliance 
avec  le  péché.  Pour  laquelle  cause  Sainct  Paul  dit,  que  l'homme  nom.  o. 

30  est  ennemy  de  Dieu,  jusques  à  ce  qu'il  soit  restitué  en  sa  grâce 
par  Christ.  Celuy  donc  que  Dieu  receoit  en  amour,  est  dict 
estre  justifié  :  pource  qu'il  ne  peut  recevoir  personne  pour  estre 
conjoinct  avec  soy,  que  de  pécheur,  il  ne  le  face  juste.  Nousad- 
joustons  que  cela  est  faict  par  la  remission  des  péchez.  Car  si  on 

35  considère  ceux  qui  sont  reconciliez  à  Dieu  selon  leurs  œuvres, 
on  les  trouvera  j^echeurs  :  et  neantmoins  il  fault  qu  ilz  soyent 
du  tout  purs  et  netz  de  péché.  Il  appert  donc,  que  ceux  que 
Dieu  receoit  en  grâce,  ne  sont  autrement  faictz  justes , 
sinon    quilz    sont    purifiez   :     entant    que   leurs    macules    sont 


362  CHAPITRE    VI. 

effacées  par  la  rémission  que  Dieu  leur  faict,  tellement  qu'une 
telle  justice  se  peut  en  un  mot  appeller  remission  des  péchez. 
L'un  et  l'autre  est  tresbien  déclaré  par  ces  parolles  de  Sainct  2.  Cor.  5. 
Paul,  où  il  dit,  que  Dieu  estoit  en  Christ,  se  reconciliant  au 
5  monde,  n'imputant  point  aux  hommes  leurs  faultes  :  et  nous  a 
commis  la  parolle  de  reconciliation.  Après  il  adj ouste  la  somme 
de  son  ambassade  :  c'est  que  celuv  qui  estoit  pur  et  net  de  péché, 
a  esté  faict  péché  pour  nous  :  c'est  à  dire  Sacrifice,  sur  lequel 
tous   noz   péchez    ont  esté  transferez  :   à  fin  que    nous  fussions 

10 justes  en  luy  devant  Dieu.  Il  nomme  indiferemment  Justice  et 
Reconciliation  en  ce  passage  :  tellement  que  nous  entendons 
l'un  estre  contenu  soubz  l'autre.  La  manière  d'obtenir  ceste 
justice  est  aussi  expliquée,  quand  il  dit,  qu  elle  gist  en  ce  que 
Dieu  ne  nous  impute  point  noz  péchez.  Gomme  aussi  en  l'Epistre 

15  aux  Romains,  il  prouve  que  justice  est  imputée  à  l'homme   sans  Boni.  4. 
les  œuvres,  par  le  tesmoig-nage  de  David  :  pource  qu'il  prononce 
l'homme  bien  heureux,  duquel  les  iniquitez  sont  remises  :  duquel 
les  péchez  sont  cachez  :    et  auquel  les    faultes    ne  sont   point 
imputées.  Il   n'y  a    point  de  double,    que    David    n'ayt    signifié 

20  Justice  par  le  nom  de  Béatitude.  Puis  qu'il  afferme  quelle  con- 
siste en  remission  des  péchez,  il  n'est  ja    mestier,  que   nous  la 
deffinissions  autrement.  Pourtant  Zacharie,  père  de  Jean  Baptiste, 
constitue  la  congnoissance  de  salut  en  la  remission  des    péchez.  Luc  1 . 
Sujvant  laquelle  reigle,  Sainct  Paul  conclud  la  prédication,  qu'il 

2ofist  aux    Anthiochiens,  de   la    somme   de    leur    salut,   en    ceste 
manière.    Par    Jésus  Christ  la    remission  des    péchez    vous  est 
annoncée,    et    de    toutes  les  choses  dont  vous  ne  pouviez  estre 
justifiez  par  la  Loy  de  Moyse.  Quiconques  croit  en  luy,  est  jus-  Actes  13 . 
tilié.   Il  conjoinct    tellement  la   Justice  avec    la    remission  des 

30  péchez,  qu'il  monstre  que  c'est  une  mesme  chose.  C'est  donc  à 
bon  droit,  qu'il  argue  tousjours  la  justice,  que  nous  obtenons 
par  la  bonté  de  Dieu,  estre  gratuite. 

De  cela  aussi    bien   s'ensuyt,  que  c'est  par  le  seul  moyen  de 
la  Justice  de  Christ  que   nous  sommes  justifiez  devant  Dieu,  ce 

33  qui  vault  autant,  comme  qui  diroit,  l'homme  n'estre  pas  juste 
de  soymesme  :  mais  pource  que  la  Justice  de  Christ  luy  est 
communiquée  par  imputation.  Ce  qui  est  une  chose  digne 
d  estre  diligemment  observée.  Car  ainsi  s'esvanouyst  ceste  phan- 
taisie,  de  dire  que  l'homme  soit  justifié  par  Foy,  entant  que  par  .  j 


df:  la  justification. 


363 


icelle  11  receoit  de  TEsprit  de  Dieu,  duquel  il  est  rendu  juste. 
Cecy  est  fort  contraire  à  la  doctrine  cy  dessus  mise,  car  il  n'y  a 
nulle  double,  que  celuy  qui  doibt  cercher  justice  hors  de  soymesme, 
ne  soit  desnué  de  la  sienne  propre.  Or  cela  est  clairement  monstre  \2.]Cor.5. 

:>  de  l'Apostre,  quand  il  dit.  Que  celuy  qui  estoit  innocent  a  sous- 
tenu  noz  forfaictz,  estant  présenté  en  Sacrifice  pour  nous  à  lin 
que  feussions  en  luy  justes  de-vant  Dieu.  Nous  voyons  (ju'il 
met  nostre  justice  en  Christ,  non  pas  en  nous  :  que  la  Justice 
ne  nous  appartient  d'autre  droict,  sinon  en  ce  que  nous  sommes 

lu  participans  de  Christ.  Car  en  le  possédant,  nous  possédons  avec 
luy  toutes  ses  richesses.   Et  ne  répugne  rien  à  cela  ce  qu'il  dit 
en  un  autre  lieu  :  que  le  péché  a  esté  condamné  de  péché  en  la 
chair  de  Christ,  k  fin  que   la  Justice  de  Dieu  fust  accomplie   en  Boni.  8. 
nous.    Où  il  ne   sig-nifie   autre  accomplissement,  que  celuy  que 

15  nous  obtenons  par  imputation.  Car  le  Seigneur  Jésus  nous  com- 
munique en  telle  sorte  sa  Justice,  que  par  une  vertu  inénarrable, 
elle  est  transférée  en  nous,  entant  qu'il  appartient  au  jugement 
(le  Dieu.  Qu'il  n'ayt  voulu  autre  chose  dire,  il  appert  de  la  sen- 
tence qu  il  avoit  mise  un  peu  au  paravant.  C'est  que  comme  par 

2ii  la  desobeyssance  d'un  nous  sommes  constituez   pécheurs  :    aussi  Bom.  5. 
par  l'obeyssance    d'un  nous  sommes  justifiez.   Qu'est-ce    autre 
chose  ;    de  colloquer  nostre  justice   en  l'obeyssance  de  Christ, 
sinon  aiTermer  que  nous  sommes  justes  ;  parce  que  l'obej'ssance 
de  Christ  nous  est  alouée,  et  receue  en  payement  ;  comme  si  elle 

2.i  estoit  nostre  ?  Pourtant  il  me  semble  que  Sainct  Ambroise  a 
tresbien  prins  l'exemple  d'icelle  justice  en  la  bénédiction  de 
Jacob.  C'est  que  comme  Jacob,  n'ayant  point  mérité  de  soy- 
mesme la  primogeniture,  estant  caché  soubz  la  personne  de  son 
frère,  et  vestu  de  sa  robe  laquelle  rendoit  bon  odeur,  s'est  insinué 

30  à  son  père,  pour  recevoir  la  bénédiction  en  la  personne  d'autruy  : 
ainsi  qu'il  nous  fault  cacher  soubz  la  robe  de  Christ,  nostre  frère 
premier  nay,  pour  avoir  tesmoignage  de  justice  devant  la  face  de 
nostre  Père  céleste.  Et  certes  c'est  la  pure  vérité.  Car  pour  com- 
paroistre  devant  Dieu  en  salut,  il  fault  que  nous  sentions  bon  de 

35  sa  bonne  odeur,  et  que  noz  vices  soyentenscveliz  de  sa  perfection. 

Combien    qu'il   appert    par    clairs    tesmoignages,    toutes    ces 

choses  estre  tresveritables   :   toutesfois   on  ne   pourra  bien  voir 

combien  elles  sont  nécessaires ,  jusques  à  ce  que  nous    aurons 

remonstré   à   l'œil,    ce    qui    doibt    estre    comme    le    fondement 


364  CHAPITRE    VI. 

de  toute  cette  dispute.  Pour  le  premier,  qu'il  nous  souvienne,  que 
nous  ne  tenons  point  propoz  comment  1  homme  se  trouvera 
juste  devant  le  siège  de  quelque  jug-e  terrien  :  mais  devant  le 
Throsne  céleste  de  Dieu  :    à  fin  que  nous  ne  mesurions  point  à 

ânostre  mesure,  quelle  intégrité  il  faut  avoir,  pour  satisfaire  au 
Jugement  de  Dieu.  Or  c'est  merveille,  de  quelle  témérité  et 
audace  on  y  procède  communément.  Et  mesmes  c'est  chose 
notoire,  qu'il  n'y  en  a  nulz,  qui  osent  plus  hardiment,  et  avec 
plus  grande  oultrecuydance  babiller  de    la   justice  des    œuvres, 

10  que  ceux  qui  sont  apertement  meschans  :  ou  bien  crèvent  au 
dedans  de  vices  et  concupiscences.  Cela  advient  de  ce  quilz  ne 
pensent  point  à  la  Justice  de  Dieu  :  de  laquelle  s'ilz  avoient  le 
moindre  sentiment  du  monde,  jamais  ilz  ne  s'en  moqueroient 
ainsi.  Or  elle  est  mesprisée  et  moquée  oultre  raison,    quand  on 

13  ne  la  recongnoist  point  si  parfaicte,  qu'elle  n'ayt  rien  acceptable, 
sinon  ce  qui  est  du  tout  entier,  pur  de  toute  macule,  et  d'une 
perfection,  où  il  n'y  ayt  rien  du  tout  à  redire.  Ce  qui  ne  s'est 
jamais  peu  trouver  en  homme  vivant,  et  jamais  ne  s'y  trouvera. 
Il  est  facile  à  un  chascun  de  gasouiller  en  un  anglet   d'eschole, 

20  quelle  dignité  ont  les  œuvres  pour  justifier  l'homme  :  mais 
quand  on  vient  devant  la  face  de  Dieu,  il  faut  laisser  là  tous 
ces  fatras  :  car  la  chose  est  là  démenée  à  bon  escient,  et  non 
point  par  contentions  frivoles.  C  est  là  qu'il  fault  dresser  nostre 
entendement  si  nous  voulons  avec    fruict    enquérir    de  la  vraye 

25  justice.  C'est,  dy-je,  là  qu'il  nous  fault  penser,  comment  nous 
pourrons  respondre  à  ce  Juge  céleste,  quand  il  nous  appellera 
à  rendre  compte.  Il  fault  donc  que  nous  lestablissions  en  son 
siège  :  non  pas  tel  que  nostre  entendement  l'imagine  de  soy- 
mesmes  mais  tel  qu'il  nous  est  depeinct  en  l'Escriture  :  à  scavoir  i 

30  par  la  clarté   duquel  les    estoilles    sont  obscurcies  par    la  vertu 
duquel  les  montaignes  descoulent  comme  la  neige   au   soleil  :   à 
l'ire  duquel  la  terre  est  esbranlée  :    par    la  sagesse    duquel  les 
sages    sont   surprins  en  leurs  finesses  :  duquel  la   pureté  est    si  Sinon  vo- 
grande,  que  à  la  comparaison  d'icelle  toutes  choses  sont  souillées    y^^  ■  ^^* 

'..et  contaminées  :  duquel  les  Anges  ne  peuvent  porter  la  Justice  :    tes,     et 
lequel  ne  pardonne  point  au  meschant  :  duquel  quand  la  vengeance  P'''«ctpa- 
est  une  fois   enflambée,  elle  pénètre  jusques  au  plus  profond  de    Uvre  de 
la  terre.    Qu'il    soit  donc   assiz  pour  examiner  les    œuvres  des    •^°^- 
hommes.  Qui  osera  approcher  de  son  Throsne    sans   trembler  ? 


DE   LA    JUSTIFICATION.  365 

Quand  le  Prophète  en  parle.  Qui  habitera,  dit-il;  avec  un  feu  con-  lésa.  33. 
.sumant  toute.s  cho.ses  ;  avec  une  tlanime  qui  ne  se  peut  esleindre? 
celuy  qui  fait  justice  et  vérité,  qui  est  pur  et    entier  en  toute  sa 
vie.Quiconques  sera  cestuy  là,  qu'il  vienne  en  avant.  Mais  ceste 

.ï  response  fait  que  nul  ne  s'v  oseroit  monstrer.  Car  de  l'autre  costé 
ceste  horrible  voix  nous  doibt  faire  trembler.  Si  tu  prendz  garde 
aux    iniquité/    Seigneur,  qui  sera-ce,  o  Seigneur  ;    qui  pourra  Psa.  130. 
subsister  ?    Il    seroit    certes    question,    qu  incontinent    tout    le 
monde  perist.    Car   comme   il   est  escrit  autre  part.    Se    peut-il  Job  i. 

10  faire  que  l'homme  ;  estant  comparé  à  son  Dieu  ;  soit  justifié  ? 
ou  soit  trouvé  plus  pur  (jue  son  créateur  ?  Voicy  ceux  qui  le 
servent[:j  ne  sont  point  entiers  :  et  trouve  à  redire  en  ses  Anges. 
Combien  plus  ceux  qui  habitent  maisons  de  fange,  et  sont  déte- 
nu/  en    tabernacles    terriens,    seront-ilz   abbatuz  ?    Item,    voicy  Job  46. 

i.i  entre  ses  sainctz[:]  il  n'y  en  a  nul  qui  soit  pur  :  et  les  cieux  ne 
sont  point  netz  devant  son  regard.  Combien  est  plus  abominable 
et  inutile  l'homme  ;   qui  boit  1  iniquité  comme  eaiie. 

C'estoil   donc   là    qu'il   nous   falloit    dresser   les    yeux,    à   fin 
d'apprendre    plustost   de   trembler,  que  de  concevoir  une   vaine 

20  hardiesse.  Car  il  nous  est  aysé  (ce  pendant  qu'un  chascun  de 
nous  s'arreste  à  se  comparager  avec  les  hommes)  de  penser 
([ue  nous  avons  quelque  chose,  que  les  autres  ne  doibvent  point 
mespriser  :  mais  quand  nous  venons  à  nous  eslever  à  Dieu, 
ceste  fiance  est  en  un  moment  destruicte  et  anneantye.    Et  pour 

2a  dire  vray,  il  en  advient  autant  à  nostre  ame  envers  Dieu,  qu'à 
nostre  corps  envers  le  ciel.  Car  ce  pendant  que  l'homme  s'arreste 
à  contempler  ce  qui  est  à  l'entour  de  luy,  il  estime  sa  A'euë 
bonne  et  forte  :  mais  s'il  dresse  l'œil  au  Soleil,  il  sera  tellement 
esbloûy  de  sa  clarté,  que  ce  regard  luy  fera  sentir  une  plus  grande 

;!o  débilité  de  sa  veuë ,  quelle  ne  sembloit  avoir  de  vertu  à  re- 
garder les  choses  intérieures.  Ne  nous  décevons  point  donc  en 
vaine  fiance.  Quand  nous  serons,  oupareilz,  ou  supérieurs  à  tous 
autres  hommes  :  cela  n'est  rien  envers  Dieu  :  auquel  se  doibt 
rapporter    la   considération    de     nous    mesmes.    Que    si    nostre 

33  oultrecuydance    ne  se  peut    dompter  par    telles    admonitions    : 
il  nous  respondra  ce  qu'il  disoit  aux  Pharisiens.  [C'Jestes   vous 
qui    vous  justifiez  devant  les  hommes  :    mais  ce   qui  est  hault  Luc  16. 
aux     hommes,     est     abominable    à     Dieu.     Allons     donc,     et 
nous  glorifions    orgueilleusement     entre    les    hommes   de  nos- 


366  CHAPITRE   VI. 

tre  Justice  :  ce  pendant  que  Dieu  l'aura  en  abomination  au  ciel. 
Mais  que  font  au  contraire  les  serviteurs    de  Dieu  :  vrayement 
instruictz  de  son  Esprit?  Certes  ilz  diront  avec  David.  Seigneur  Psa.  143. 
n'entre  point  en  jugement  avec  ton  serviteur  :   car  nul  vivant  ne 

5  sera  justifié  devant  ta  face.  Item,  avec  Job.  L'homme  ne  pourra  job  9. 
estre  juste  envers  Dieu  :   s'il  veult  plaidoyer  contre  luy,    estant 
accusé  en   mil'  poinctz  il  ne  pourra  respondre  à  un  seul.   Nous 
oyons  maintenant  clairement,  quelle  est  la  Justice  de  Dieu,  à  sca- 
voir  laquelle  ne  sera  point  satisfaicte  d'aucunes  œuvres  humaines, 

10  et  laquelle  nous  accusera  de  miFcrimes,  sans  que  nous  en  puis- 
sions purger  un.  Sainct  Paul  certes,  qui  estoit  vaisseau  eslu  de  i.  Cor.  i 
Dieu,  l'avoit  bien  conceu  tel  en  son  cœur  :  quand  il  confessoit 
que  n'ayant  point  mauvaise  conscience,  il  n'estoit  point  en  cela 
justifié.  Car  si  les  Estoilles  lesquelles  semblent  durant  la  nuict, 

13  très  claires  et  reluysantes,  perdent  toute  leur  lumière,  quand  elles 
viennent  au  Soleil  :  que  pensons  nous  qu'il  adviendra  à  la  plus 
grande  innocence,  qu'on  puisse  imaginer  en  l'homme  :  quand  elle 
sera  comparée  avec  la  pureté  de  Dieu  ?  Car  lors  sera  un  examen 
rigoreux  à  merveilles  :  lequel  atteindra  jusques  aux  plus  secrettes 

20  cogitations  du  cœur  :  et  comme  dit  Sainct  Paul,  révélera  tout  ce  /.  Cor.  i 
qui  est  caché  en  ténèbres,  et  descouvrira  ce  qui   est  occulte  au 
profond  du  cœur  contreignant  la  conscience,  quoy qu'elle  résiste 
ou  recule,  de  produire  en  avant  ce  que  mesmes  elle  a  maintenant 
oublié.  Le  Diable  d'autre  part,  comme  accusateur,  poursuyvra, 

25  pressant  de  près  l'homme  :  et  scaura  bien  luy  alléguer  tous  ses 
forfaictz  ausquelz  il  l'aura  incité.  Là  toutes  les  pompes  et  appa- 
rences de  bonnes  œuvres  extérieures,  qu'on  a  maintenant  seules 
en  estime,  ne  profiteront  de  rien.  11  sera  question  seulement  de 
la  seule  syncerité  du  cœur.  Pourtant  toute  hypocrisie,  non  seu- 

3olement  celle,  dont  ceux  qui  se  congnoissent  secrettement  mes- 
chans  se  contrefont  devant  les  hommes  :  mais  aussi  celles  dont 
un  chascun  se  flatte  devant  Dieu  (comme  nous  sommes  enclins 
à  nous  décevoir,  par  trop  estimer  de  nous)  sera  confuse  et  tres- 
buchera    :     combien    qu'elle    soit    maintenant    comme    enyvrée 

33  d'orgueil  et  oultrecuydance .  Ceux  qui  n'eslevent  point  leur 
sens  et  pensée  à  tel  spectacle  ;  se  peuvent  bien  amyeller  pour 
une  minute  de  temps,  s'attribuant  justice.  Mais  telle  justice, 
qui  leur  sera  incontinent  escousse  au  jugement  de  Dieu, 
ainsi   qu'un    homme,    après   avoir    songé    de  grandes  richesses 


DE    LA    JISTIFICATION.  367 

se  trouve  vuide  quand  il  est  esveillé.  Aucontraire,  tous  ceux  qui 
cercheront,  comme  devant  Dieu,  la  vraye  reigle  de  justice  :  trou- 
veront pour  certain  que  toutes  les  œuvres  des  hommes  si  on 
les  estime  selon  leur  dignité,  ne  sont  que  ordure  et  vilanie  :  et 

5  que  ce  qu'on  juge  communément  estre  justice,  n'est  que  pure 
iniquité  devant  Dieu  :  que  ce  qu'on  juge  intégrité,  n'est  que  polu- 
tion  :  ce  qu'on  juge  gloire,  n'est  qu'ignominie. 

Après  avoir  contemplé  ceste  perfection  de  Dieu,   il  nous  fault 
lors  descendre,  sans  nous  flatter  et  sans  nous  décevoir,  en  l'amour 

10  de  nous  mesmes,  à  nous  regarder.  Car  ce  n'est  point  de  mer- 
veilles, si  nous  sommes  aveugles  en  cest  endroit,  ce  pendant  que 
nul  de  nous  ne  se  garde  de  ceste  folle  et  dangereuse  affection  que 
nous  avons  à  nous  aymer  :  laquelle  l'Escriture,  monstre  estre 
naturellement  enracinée  en  nous.  La  voye  d'un  chascun,  ditSalo- 

15  mon,  est  droicte    devant   ses  yeux.   Item,  tous  hommes  pensent  P/ou.  21. 
leurs  voyes  estre  bonnes.  Maisquoy?  Par  cest  erreur  un  chascun    ^ 
est-il  absoult?   Plustost  aucontraire,  comme  il   dit   consequem- 
ment,  le  Seigneur  poyse  les  cœurs.  C'est  à  dire,   ce  pendant  que 
l'homme  se  llatte  en  l'apparence  extérieure   de  Justice  qu'il  ha  : 

20  Le  Seigneur  examine  en  sa  ballance  toute  l'iniquité  et  ordure  ca- 
chée au  cœur.  Puys  donc  qu'ainsi  est  cpi'on  ne  proffite  de  rien  en 
se  flattant  :  ne  nous  trompons  point  nous  mesmes  voluntairement 
en  nostre  ruyne.  Or  pour  nous  droictement  espelucher  il  fault 
tousjours    rappeller   nostre    conscience    au  Throsne   judicial  de 

23  Dieu.  Car  su  lumière  est  bien  requise,  pour  reveller  et  descouvrir 
les  cachettes  de  nostre  perversité,  lesquelles  sont  autrement  trop 
profondes  et  obscures.  Si  nous  faisons  cela,  lors  nous  verrons 
que  veult  dire  ceste  sentence  :  qu'il  s'en  fault  beaucoup  que 
l'homme  soit  justifié  devant  Dieu:  veu  qu'il  n'est  que  pourriture,  Joh  io. 

30 et  vermine  inutile  et  abominable;  et  qu'il  boit  l'iniquité  comme 
l'eaûe.  Car  qui  est-ce  qui  fera  pur  et  munde,  ce  qui  est  conceu 
de   semense  immunde  ?  non  pas  un  seul.  Nous  expérimenterons 
aussi  ce  que  disoit  Job  de  soy.   Si  je   me  veux    monstrer  inno- Job  9. 
cent,   ma  bouche  propre    me   condemnera  :   si  je  me  veux    dire  lésa.  o3. 

35  juste,  elle  me  prouvera  meschant .  Car  la  complaincte  que 
faisoit  le  Prophète  de  son  temps  n'appartient  point  à  un  Siècle 
seulement  :  mais  communément  à  tous  eages.  C'est  que  tous  ont 
erré  comme  brebis  esgarées,  un  chascun  a  décliné  en  sa  voye. 
Car   il  comprend  là  tous  ceulx,  ausquelz  doibt  estre  communi- 


368  CHAPITRE    VI. 

quée  la  g^race  de  rédemption.  Or  la  rig-ueur  de  cest  examen  se 
doibt  poursuyvre jusques  à  ce  quelle  nous  ayt  domptez  d'un  es- 
tonnement  de  nous  mesmes,  pour  nous  disposer  à  recevoir  la 
grâce  du  Seigneur.  Car  celuy  qui  pense  estre  capable  d'en  jouyr, 
3 sinon  cpiil  se  soit  demis  de  toute  haultesse  de  cœur,  se  trompe 
grandement.  Geste  sentence  est  notoire,  que  Dieu  confond  les  i.Pie'ô. 
orgueilleux  et  donne  grâce  aux  humbles. 

Mais  quel  est  le  moyen  de  nous  humilier:  sinon  que  estantzdu 
tout  vuides  et  povres  ;  nous  donnons  lieu   à  la  miséricorde  de 

10  Dieu?  Car  je  n'appelle  pas  humilité,  si  nous  pensons  avoir  quel- 
que chose  de  résidu.  Et  de  faict,  on  a  enseigné  par  cy  devant  une 
liN'pocrisie  pernicieuse,  en  conjoingnant  ces  deux  choses  :  qu'il 
nous  falloit  sentir  humblement  de  nous  devant  Dieu  ;  et  avoir  neant- 
moins  nostre  justice  en   quelque  estime.  Car  si  nous  confessons 

15 autrement  devant  Dieu,  que  nous  ne  pensons  en  nostre  cœur: 
nous  luv  mentons  meschamment.  Or  nous  ne  pouvons  pas  sen- 
tir de  nous  comme  il  appartient  ;  que  tout  ce  qui  semble  adviz 
estre  excellent  en  nous  ne  soit  entièrement  mis  soubz  le  pied. 
Quand  nous  oyons  donc  delà  bouche  du  Prophète,  que  le  salut  est  Psal.    18. 

20  appareillé  aux  humbles  :  d'autrepart  ruyne  à  la  liereté  des  orgueil- 
leux. Premièrement  pensons  que  nous  n'avons  nul  accez  à  salut, 
sinon  en  nous  demettans  de  tout  orgueil,  et  en  prenant  vrave  humi- 
lité. Secondement  que  ceste  humilité  n'est  point  une  modestie,  par 
laquelle  nous  quittions  un  seul  poil  de  nostre  droict,  pour  nous 

25abbaisser  devant  Dieu  (comme  nous  appelions  entre  les  hommes 
ceux  là  humbles,  qui  ne  s'eslevent  pas  en  fiereté,  et  ne  desprisent 
point  les  autres,  combien  qu'ilz  se  pensent  valoir  quelque  chose) 
mais  que  c'est  une  déjection  de  nostre  cœur  sans  feinctise,  pro- 
cédante d'un  droit  sentiment  de  nostre  misère  et  povreté,  dont 

30  nostre  cœur  soit   ainsi   abbatu.  Car  l'humilité  est  ainsi  descrite 

tousjours    en   la    paroUe   de   Dieu.     Quand   le    Seigneur    parle  Zach.  3. 
ainsi  par   Zacharie  :    J'osteray    du  milieu   de    toy    tout  homme 
s'esgayssant,  et  ne   laisseray   sinon   les  affligez   et  les  povres  : 
et  iceux   espéreront  en  Dieu  :  ne   demonstre   il  pas  clerement 

33  qui  sont  les  humbles  ;  à  scavoir  qui  sont  affligez  par  la  con- 
gnoissance  de  leur  povreté  ?  Aucon traire  il  signifie  les  orgueil- 
leux, par  ceux  qui  s'esgayent  :  par  ce  que  les  hommes,  estans 
en  prospérité,  ont  coustume  de  s'esgayer.  D'avantage  il  ne 
laisse   rien    aux    humbles    qu'il   veut    sauver,    sinon    la    seule 


DE   LA    .ILSTIKICATION.  369 

espérance  en  Dieu.  Pareillement  en  lesaie.  A  qui  re^artleray-je  ;  lesaie  66. 
sinon  au  povre  brisé  et  affligé  en  son  esprit,  et  qui  tremble  à  mes  ^'  ^^• 
parolles?  Et  de  rechef.  Le  Seigneur  hault  et  eslevé,  habitant  en  son 
siège  éternel,  habitant  en  sa  magnificence,  Cj^sjt  pareillement  avec 
h  les  humbles  et  aftligez  en  leurs  espritz  :  à  (in  de  vivifier  l'esprit 
des  humbles,  et  le  cœur  des  afflige/.  (Juand  nous  oyons  tant  de 
fois  le  nom  d'affliction  :  il  nous  fault  entendre  comme  une  playe, 
dont  le  cœur  soit  tellement  navré,  que  tout  l'homme  en  soit 
abatu  en  terre,  sans  se  pouvoir  eslever.  Il  est  besoing  que  nostre 

10  cœur  soit  navré  d'une  telle  affliction  :  si  nous  voulons  estre  exal- 
tez avec  les  humbles.  Si  cela  ne  se  fait,  nous  serons  humiliez  par 
la  main  puissante  de  Dieu,  en  nostre  confusion.  D'avantage  nostre 
bonmaistre,  non  content  de  parolles,  nous  a  depeinct  en  une  simi- 
litude, comme  en  un  tableau,   la  vraye  image  d'humilité.  Crt  il  Luc  IS. 

i^>  nous  propose  le  Publicain,  lequel  se  tenant  loing,  et  n'osant  point 
lever  les  yeux  en  hault,  avec  grans  gemissemens  prie  en  ceste 
sorte.  Seigneur,  .sois  moy  propice,  à  moy  qui  suis  povre  pécheur. 
Ne  pensons  point  que  se  soient  signes  d'une  modestie  feincte  qu'il 
n'ose  regarder  le  ciel  approcher  près,  et  qu'en  frappant  sa  poic- 

20  trine  il  se  confesse  pécheur  :  mais  ce  sonttesmoignages  de  lalfec- 
tion  du  cœur.  Il  propose  de  l'autre  costé  le  Pharisien,  lequel 
rend  grâces  a  Dieu,  de  ce  qu'il  n'est  point  tel  que  les  autres,  lar- 
ron, ou  injuste,  ou  paillard  :  (pi'iljeusne  deux  fois  la  sepmaine, 
et  donne   les  décimes  de  tous  ses  biens.  Il  confesse  ouvertement 

2j  qu'il  tient  sa  justice  de  la  grâce  de  Dieu  :  mais  pour  ce  qu'il 
se  confie  estre  juste  par  œuvres,  il  s'en  retourne  abominable 
à  Dieu  :  aucontraire  le  Publicain  est  justifié  par  la  recon- 
gnoissance  de  son  iniquité.  Nous  pouvons  voyr  de  cela,  com- 
bien est  plaisante  à  Dieu  nostre  humilité  :  tellement   qu'un  cœ>ur 

30  n'est  point  capable  de  recevoir  la  miséricorde  de  Dieu,  qu'il  ne 
soit  vuide  de  toute  opinion  de  sa  propre  dignité  :  de  laquelle  il 
ne  peut  estre  occupé,  que  l'entrée  ne  soit  fermée  à  la  grâce  de 
Dieu.  Et  à  fin  qu'il  n'y  eust  double  aucune  de  cela  :  le  Seigneur 
Jésus  a  esté  envoyé  de  son  Père  en  terre,  avec  ce  mandement, 

35  d'apporter  bonnes  nouvelles  aux  povres  :  medeciner  ceux 
qui  sont  affligez  en  leur  cœur  :  prescher  liberté  aux  captifz  : 
ouverture  aux  enserrez  :  consoler  les  languissans,  leur  donner 
gloire  au  lieu  de  cendres,  de  l'huyle  au  lieu  de  pleur,  robbe 
de  joye,  au  lieu  de  tristesse.  Suyvant  ce  mandement,  il 
Inslilution.  24 


370  CHAPITRE    VI. 

n'invite  à  recevoir  sa  beneficence,  sinon  ceux  qui  sont  charg'ez  et 
travaillez.  Parquoy  si  nous  voulons  donner  lieu  à  la  vocation  de 
Christ  :  il  fault  que  toute  arrogance  et  presumption  soit  loing  de 
nous.  Par  arrogance,  j'entens  l'orgueil  qui  s'engendre  dune  folle 
g  persuasion  de  justice  :  quand  l'homme  pense  avoir  quelque  chose, 
dont  il  mérite  estre  aggreable  à  Dieu.  Par  presumption,  j'entens 
une  sécurité    charnelle,  qui  peut   estre  sans   aucune  fiance  des 
œuvres.  Car  il    y  a  plusieurs  pécheurs,  lesquelz,  d'autant  qu'es- 
tans  enyvrez  de  la  doulceur  de  leurs  vices   ne   pensent  point  au 
lojugement  de  Dieu  :  pareillement  estans  comme    estourdiz,  n'as- 
pirent nullement  à  la  miséricorde  qui   leur  est  présentée.   Or  il 
ne  fault  pas   moins  chasser  une   telle   nonchalance,   que    abatre 
toute  confiance   de    nous    mesmes    :    si    nous    voulons  estre   à 
délivre  pour  courir  à   Christ    :    à  fin  qu'il  nous  remplisse  de  ses 
15  biens.  Car  jamais    nous  ne   nous  confierons  bien    en   luy,  sinon 
en  nous  défiant  du  tout   de  nous  mesmes  :  jamais  nous  ne  lève- 
rons bien  nostre   cœur   en  luy,    qu'il  ne    soit  premier   abatu  en 
nous  :  jamais  nous  ne  receverons  droite  consolation  de  luy,  sinon 
que  nous  soyons  désolez  en  nous.  Nous  sommes  donc  lors  dispo- 
20  sez  à  recevoir  et  obtenir  la  grâce  de  Dieu   :  quand  nous  estans 
desmiz  de  toute  fiance  de  nous  mesmes,  nous  avons  nostre  seul 
appuy   sur   sa   bonté    :  et   comme  dit  Sainct   Augustin,    ayans 
oublié    noz  mérites,   recevons    les    grâces    de   Christ.    Afin    de 
ne  nous  arrester  point   icy  trop,    que  nous    ayons   ceste   reigle, 
25  qui  est  briefve,    mais   est    générale  et    trescertaine  :   C'est,    que 
celuy  qui  s'est  du  tout  anneanty  et  demis  (je  ne   dy  pas    de   sa 
justice  qui    est   nulle  :    mais  de    ceste    umbre  de    justice ,    qui 
nous  deceoit),  est  deûement  préparé  à  recevoir  les  fruictz  de  la 
miséricorde    de    Dieu.    Car    d'autant  qu'un   chascun    se   repose 
30  plus  en   soymesme  :    d'autant  met-il  plus   d'empeschement  k  la 
grâce  de   Dieu. 

Nous  avons  icy  deux  choses  principales  à  regarder  :  c'est, 
que  la  gloire  de  Dieu  soit  conservée  en  son  entier  :  et  que  noz 
consciences  puissent  avoir  repoz  et  asseurance  devant  son  Juge- 
as ment.  Nous  voyons  combien  de  fois,  et  en  quelle  diligence, 
l'Escriture  nous  exhorte  de  rendre  confession  de  louënge  à 
Dieu,  quand  il  est  question  de  justice.  Mesmes  l'Apostre  tes 
moigne ,  que  Dieu  a  regardé  ceste  fin ,  en  nous  conférant 
Justice  en    Christ,   de   faire  apparoistre    sa  Justice.   Puis    après 


Di:    LA    JUSTIFICATION.  371 

il  adj ouste,  quelle  est  ceste  démonstration  :  k  scavoir  s'il  est 
seul  reconcfneu  juste,  et  justifiant  celuy  qui  est  de  la  Foy  de 
Jésus  Christ.  Voyons  nous  bien  que  la  Justice  de  Dieu  n'est  point 
assez  esclarcie,  sinon  qu'il  soit  seul  estime  juste  :  et  communique 

5  le  don  de  justice  à  ceux  qui  ne  l'ont  point  mérité?  A  ceste  cause  il 
veult,  que  toute  bouche  soit  fermée,  et  que  tout  le  monde  luy  soit 
déclaré  redevable  :  pour  ce  que  ce  pendant  que  l'homme  ha  de 
quoy  se  defîendre,  la  gloire  de  Dieu  est  d'autant  diminuée.  Pour- 
tant  il  monstre  en  Ezechiel,  combien  son  Nom  est  glorifié,    de  Ezec  20. 

10  ce  que  nous  recongnoissons  nostre  iniquité.  Il  vous  souviendra 
dit-il,  de  voz  œuvres,  et  de  tous  voz  forfaictz,  ausquelz  vous  avez 
esté  polluz  :  et  vous  desplairez  en  vous  mesmes,  en  tous  les  péchez 
que  vous  avez  commiz.  Et  lors  vous  scaurez  que  je  suis  le  Sei- 
gneur, quand  je  vous  auray  faict   miséricorde  à   cause   de  mon 

15  Nom,  et  non  pas  selon  voz  péchez  et  œuvres  meschantes.  Si  cela 
est  contenu  en  la  vraye  congnoissance  de  Dieu,  qu'estans  abatuz, 
et  comme  menuysez  de  la  congnoissance  de  nostre  propre  ini- 
quité, nous  reputions  que  Dieu  nous  faict  bien,  sans  ce  que  nous 
en  soyons  dignes  :  qu'est-ce  que  nous  tentons  ;  avec  nostre  grand 

20  niai  ;   de  desrobber  à    Dieu    la    moindre    goutte    du  monde     de 

ceste  louenge  de  bonté  gratuite  ?  Semblablement  Jeremie  cryant,  Jere.  9. 
que  le  sage  ne  se  glorifie  point  en  sa    sagesse,  ne  le  riche  en  ses 
richesses,  ne  le  fort  en  sa  force  :  mais  que  celuy  qui  se  glorifie, 
se  glorifie   en  Dieu  :  ne  denotte-il  point    par  cela  :  qu'il   perist 

25  quelque  partie  de  la  gloire  de  Dieu  ;  si  l'homme  se  glorifie  en 
soy  mesme  ?  Certes  il  est  ainsi,  que  jamais  nous  ne  nous  glori- 
fions en  Dieu  droictement,  sinon  estans  desmiz  de  nostre  propre 
gloire.  Plustost  il  nous  fault  avoir  ceste  reigle  générale  :  que  qui- 
conques   se  glorifie   en  soy,  se    glorifie  contre  Dieu.  Car  Sainct 

30  Paul  dit,  que  lors  finalement  les  hommes  sont  assubjectiz  à  Dieu,  Hom.    3. 
quand  toute    matière    de  gloire    leur  est  ostée.  Pourtant    lesaie, 
en    denonceant   que   Israël    aura    sa  justice   en    Dieu,    adjouste /e.saie  4. 
qu'il    y    aura    aussi   sa    louënge.    Comme    s'il  disoit,    que    c'est 
la   fin    pour  laquelle    sont  justifiez  les    esleuz   de    Dieu    à     ce 

35qu'ilz  se  glorifient  en  luy,  et  non  aillieurs.  Or  la  manière 
d'avoir  nostre  louënge  en  Dieu,  il  l'avoit  enseignée  en  la  sen- 
tence prochaine.  C'est,  que  nous  jurions  nostre  justice  et 
nostre  force  estre  en  luy.  Notons  qu'il  n'y  a  point  une  simple 
confession    requise    :     mais     confermée     de    jurement   ;    à    fin 


372  CHAPITRE    VI. 

qu'il  ne  nous  semble  que  nous  nous  puissions  aquicter  de  je  ne 
scay  quelle  humilité  feincte.  Et  ne  fault  point  que  quelqu'un 
allègue,  qu'il  ne  se  glorifie  point  quand  il  repute  sa  propre  jus- 
tice sans  arrogance.  Car   une  telle    estime  ne  peut    estre  qu'elle 

sn'eno-endre  confiance  :  et  confiance  ne  peut  estre,  qu'elle  n'en- 
fante o-loire.  Qu'il  nous  souvienne  donc  que  nous  avons  tousjours 
à  regarder  ce  but,  en  disputant  de  la  justice  :  c'est  que  la  louenge 
d'icelle  demeure  solide  et  entière  à  Dieu  :  puis  que  pour  demons- 
trer  sa  Justice,  comme  dit  l'Apostre,  il  a  espandu  sa  grâce   sur  Rom.  3. 

10  nous  :  à  fin  d'estre  juste,  et  justifiant  celuy  qui  est  de  la  Foy  de 
Christ.  Pourtant  en  un  autre  lieu,  après  avoir  dict,  que  Dieu  nous 
a  donné  salut,   pour  exalter  la   gloire  de  son  Nom,  comme  repe-  Ephe.  I. 
tant  une  mesme  sentence,  il  dit  derechef:  vous  estes  sauvez  gra-  Ephe.  2. 
tuitement,  et  ce  du  don  de  Dieu,  non  pas  de  voz  œuvres,  à  fin  que 

13  nul  ne  se  glorifie.  En  somme,  il  fault  conchire,  que  l'homme  ne  se 

peut  attribuer  une  seule  goutte  de  justice,  sans  sacrilège  :  veu  que 

c'est  autant  amoindrir  et  abaisser  la  gloire  de  la  Justice  de  Dieu. 

Maintenant  si  nous  cerchons,  comment  la  conscience  peut  avoir 

repoz  et  rejouyssance  devant  Dieu  :    nous  ne    trouverons  point 

20  d'autre    moyen   sinon    qu'il   nous    confère  justice    de   sa   béni- 
gnité gratuite.    Que  nous  ayons    tousjours  en  mémoire   ce  dire 
de  Salomon.    Qui  est-ce   qui   dira;  j'ay  nettoyé  mon  cœur;  je  Prov.  20. 
suis  purifié   de  mes  péchez  ?   Certes   il   n'y  en  a   pas  un,  qui  ne 
soit  chargé  d'ordures  infinies.  Que  les  plus  parfaicts  donc  des- 

25  cendent  en  leur  conscience,  et  ameinent  leurs  œuvres  à 
compte  :  qj^uejlle  yssue  auront-ilz  ?  Se  pourront-ilz  reposer,  et 
avoir  lyesse  de  cœur  ;  comme  ayans  faict  avec  Dieu  :  Ne  seront- 
ilz  pas  plustost  deschirez  d'horribles  tormens  ;  sentant  toute 
matière    de   damnation   estre    résidente    en    eux  ;   s'ilz   sont    es- 

30  timez  par  leurs  œ^uvres  ?  11  fault  certes  que  la  conscience,  si 
elle  regarde  Dieu,  ayt  paix  et  concorde  avec  son  jugement  :  ou 
bien  qu'elle  soit  assiégée  des  terreurs  d'Enfer.  Nous  ne  profïi- 
tons  donc  rien  en  disputant  de  justice,  sinon  que  nous  establis 
sions  une  telle  justice,  en  la  fermeté  de    laquelle  l'ame  estant 

3o  fondée,  puisse  consister  au  Jugement  de  Dieu.  Quand  nostre 
ame  aura  de  quoy,  pour  apparoistre  devant  Dieu,  sans 
estre  estonnée,  et  attendre  et  recevoir,  sans  doubte  et  sans 
crainte ,  son  jugement  :  lors  nous  pouvons  penser,  que 
nous    avons    troxivé  une   justice     qui    n'est    point    contrefaicte. 


DE   LA    JUSTIFICATION.  373 

Ce  n'est  point  donc  sans  cause,  que  l'Apostre  presse  et  poursuyt  Hom.  4. 
tant  fort  ceste  raison  des  parolles  duquel  j'avme  mieux  user  que 
des  miennes.  Si  nous  avons  dit-il,  par  la  Loy  la  promesse  de 
nostre  héritage  :  la  Foy  est  anneantye,  la  promesse  est  abolye.  11 
5  infère  premièrement  que  la  Foy  est  évacuée  et  anneantye,  si  la 
justice  regarde  les  mérites  de  noz  œuvres,  ou  si  elle  dépend  de 
l'observation  de  la  Loy.  Car  nul  ne  pourroitseurement  acquiescer 
en  icelle  :  veu  que  jamais  ne  se  trouvera  personne,  qui  s'ose  pro- 
mettre d'avoir  satisfaict  à  la  Loy  :  comme  de  faict,  nul  n'y  satis- 
lofaict  pleinement  par  ses  œuvres.  De  laquelle  chose  à  fin  que 
nous  ne  cerchons  pas  loinj^  les  probations,  un  chascun  se  peut 
servir  de  tesmoing-  en  son  endroit,  quand  il  se  vouldra  regarder 
de  droit  œil.  Un  chascun  donc  seroit  vexé  de  double,  puis  après 
accablé  de  desespoir  ;  en  reputant  en  soy  mesme,  de  combien 
15  gros  fardeau  de  debtes  il  seroit  grevé,  et  combien  il  seroit  loing 
de  la  condition  qui  luy  seroit  proposée.  Voylàdesjala  Foy  oppri- 
mée et  esteincte.  Car  vaquer,  varier,  estre  agité  hault  et  bas, 
doubler,  vaciller,  estre  tenu  en  suspend,  finalement  désespérer, 
n'est  pas  avoir  fiance  :  mais  c'est  de  confermer  son  cœur  en  une 
20  certitude  constante  et  arrestée,  et  avoir  un  appuy  solide,  où  on 
se  puisse  reposer.  11  adjouste  en  second  lieu,  que  la  promesse  seroit 
cassée  et  anneantye.  Car  si  l'accomplissement  dicelle  dependoit 
de  nostre  mérite  quand  serions  nous  venuz  jusques  à  ce  point  de 
mériter  la  grâce  de  Dieu?  Mesmes  ce  second  membre  se  peut 
23  déduire  de  l'autre.  Car  la  promesse  ne  sera  point  accomplie, 
sinon  à  ceux  qui  l'auront  receuë  en  Foy.  Pourtant  si  la  Foy 
est  decheuë  la  promesse  n'ha  plus  de  vertu.  Pourtant  nous 
obtenons  l'héritage  en  Foy  :  à  fin  qu'il  soit  fondé  sur  la  grâce 
de  Dieu  :  et  que  ainsi  la  promesse  soit  establie.  Car  elle  est  tres- 
se bien  confermée,  quand  elle  est  appuyée  sur  la  seule  miséricorde 
de  Dieu  :  d'autant  que  sa  miséricorde  et  vérité  sont  conjoinctes 
ensemble  dun  lyen  perpétuel  :  c'est  à  dire  tout  ce  que  le  Sei- 
gneur nous  promet  de  sa  bénignité,  il  nous  le  tient  fidèle- 
ment. C'est  donc  cy  qu'il  nous  fault  arrester  et  profundement 
33  ficher  toute  nostre  espérance  :  non  pas  destourner  le  regard  à 
noz  œuvres,  pour  en  avoir  quelque  secours.  Brief,  il  nous 
fault  ainsi  conclure.  L'Escriture  dénonce  que  les  promesses 
de  Dieu  n'ont  nulle  vigueur,  et  efPect,  qu'elles  ne  soient  receuës 
de  certaine  fiance  de  cœur  :  d'autrepart  elle  déclare,  que  s'il  y  a 


374  chapitrp:  vi. 

double  ou  incertitude  au  cœur,  qu'elles  sont  rendues  vaines. 
Puis  après  elle  enseigne,  que  nous  ne  pouvons  autre  chose  que 
vaciller  et  trembler,  si  icelles  promesses  sont  appuyées  sur  noz 
œuvres.  Il  fault  donc,  ou  que  toute  justice  leur  soit  ostée,  ou  que 
0  les  œuvres  ne  viennent  point  en  considération  :  mais  plustost  que 
la  seule  Foy  ayt  lieu  :  de  laquelle  la  nature  est  de  fermer  les 
veux,  et  dresser  les  aureilles.  C'est  à  dire,  d'estre  fichée  du  tout 
en  la  seule  promesse  de  Dieu,  sans  avoir  esgard  à  aucune  dignité 
ou  mérite  de  l'homme.  Ainsi  est  vérifiée  ceste  belle  promesse  de 

loZacharie.  Que  quand  l'iniquité  de  la  terre  aura    esté  etîacée,  un  Zach.3. 

chascun  appellera  son  voisin  soubz  sa  vigne  et  sous  son  figuier  : 

Auquel  lieu  le  Prophète  signiiie  que  les  fidèles  n'ont  autre  jouys- 

sance  de  paix,  que  après  avoir  obtenu  remission  de  leurs  péchez. 

Pour    esclarcir    encores  plus    la   matière,    examinons    quelle 

15  peut  estre  la  justice  de  l'homme,  pour  tout  le  cours  de  sa  vie. 
Or  il  nous  fault  icy  mettre  quatre  degrez.  Car  ou  l'homme, 
estant  destitué  de  la  congnoissance  de  Dieu,  est  enveloppé  en 
ydolatrie  :  ou  ayant  receu  la  parolle  et  les  sacremens  et  ce  pen- 
dant vivant   dissoluëment,  renonce  en  ses  œuvres  le    Seigneur, 

20  lequel  il  confesse  de  bouche  :  et  par  ainsi  n'est  Chrestien  que 
de  tiltre  et  profession  :  ou  il  est  hypocrite  cachant  sa  perversité 
soubz  couverture  de  preud'hommie  :  ou  estant  régénéré  par  l'Es- 
prit de  Dieu,  s'adonne  de  cœur  à  suyvre  saincteté  et  innocence. 
Quant  au  premier  genre,  d'autant  qu'il  fault   estimer  telle  ma- 

2o  niere  de  gens  en  leur  naturel,  depuis  le  couppet  de  la  teste, 
jusques  à  la  plante  des  piedz,  on  n'y  trouvera  un  seul  grain 
de  bien  :  si  ce  n'est  que  nous  veuillons  arguer  l'escriture  de 
faulseté  quand  elle  donne  ces  tiltres  à  tous  enfans  d'Adam  : 
A  scavoir    qu'ilz  sont   d'un  cœur  pervers  et  eudurcy  que   tout  jere.  1 7 

30  ce    qu'ilz   peuvent  forger   de  leur  première  jeunesse    n'est    que  Gène.  S. 
malice  :  que  toutes  leiu^s  cogitations  sont    vaines  :    qu'ilz   n'ont  Psa.    49. 
point  la  crainte  de  Dieu  devant  leurs  yeux   que    nul  d'eux  n'ha    et  H. 
intelligence,    que   nul    ne  cerche  Dieu  :    en   somme    qu'ilz  sont  Gène.  6. 
chair  :   soubz  lequel  vocable  sont  entendues  toutes  les  œuvres,  Galat.o.et 

35  que   Sainct  Paul  recite,  paillardise,  ordure,    impudicité,    super-    '^"^"''s- 
fluité,  ydolatrie,  empoisonnemens,   inimitiez,  contentions,   ému- 
lations,  ires,  noyses,   dissentions,  sectes,  envies,   homicides,  et 
tout  ce  qui  [s]e  peut  penser  de  vilenie  et  abomination.  Voylà  la 
belle  dignité,  en  fiance  de  laquelle  ilz  se  doivent  enorgueillir.  S'il 


DE    LA    JUSTIFICATION. 


375 


y  en  a  aucuns  entre  eux,  qui  ajent  quelque  apparence  d'honnes- 
teté  en  leurs  meurs,  dont  ilz  puissent  acquérir  opinion  de  sainc- 
teté  entre  les  hommes  :  puis  que  nous  scavons  que  Dieu  ne  se 
soucye  de  la  pompe  extérieure,  si  nous  voulons  que  telle  hon- 
5  nesteté  vaille  quelque  chose  pour  les  justifier,  il  faut  venir  à  la 
fonteine  et  source  des  œuvres.  Il  fault  dy-je,  reg;arder  de  près 
de  quelle  affection  procèdent  telles  œuvres.  Or  combien  que  la 
matière  me  face  grande  ouverture  à  parler  :  toutesfois  pource 
que  la  chose  se  peut  despecher  en  peu  de  parolles  je  suyvray  la 
10  briefveté  tant  qu'il  me  sera  possible. 

Pour  le  commencement  je  ne  nye  pas  que  toutes  les  vertus  qui 
apparoissent  en  la  vie  des  infidèles  et  ydolatres,  ne  soient  dons 
de  Dieu.  Et  ne  suis  si  eslongné  de  jugement  humain,  que  je 
veuille  dire  qu'il  n'y  ayt  nulle  différence  entre  la  justice,  mode- 
la ration  et  équité  de  Tite  et  de  Trajan  :  qui  ont  estez  bons  Empe- 
reurs Romains  :  et  entre  la  rage,  intempérance  et  cruauté  de  Cali- 
gula,  Néron  ouDomitian,  qui  ont  régné  comme  bestes  furieuses[;] 
entre  les  vilaines  paillardises  de  Tyberius  :  et  la  continence  de  Ves- 
pasian.  Et  à  fin  de  ne  nous  arresteren  chascuns  vices  ou  vertus, 
20  entre  l'observation  des  loix,  et  le  contemnement.  Car  il  y  a  telle 
diversité  entre  le  bien  et  le  mal,  qu'elle  apparoist  mesmes  en  ceste 
image  morte.  Car  quel  ordre  resteroit  au  monde  ;  si  ces  choses  es- 
toient  confondues  ensemble  ?  Pourtant  le  Seigneur  non  seulement 
a  imprimé  au  cœur  d'un  chascun  ceste  distinction  entre  les  œuvres 
25  honnestes  et  vilaines  :  mais  aussi  l'a  confermée  souvent  par  sa 
providence.  Car  nous  voyons  comment  il  donne  plusieurs  béné- 
dictions de  la  vie  présente  à  ceux  qui  s'estudient  à  vertus  entre 
les  hommes.  Non  pas  que  ceste  umbre  et  image  de  vertu  mérite 
le  moindre  de  ses  bénéfices  :  mais  il  luy  plaist  de  monstrer 
30  ainsi,  combien  il  ayme  la  vraye  vertu  :  en  ce  qu'il  ne  laisse 
point  sans  quelque  rémunération  temporelle  celle  qui  n'est  que 
extérieure  et  simulée.  Dont  il  s'ensuyt  ce  que  nous  avons 
n'a  gueres  confessé  :  ces  vertus  telles  quelles,  ou  plustost  ces 
simulachres  de  vertus,  estre  dons  procedans  de  luy  :  veu  qu'il 
35  n'y  a  rien  de  loiiable,  qui  n'en  procède.  Neantmoins  ce  que  es- 
crit  Sainct  Augustin  ne  laisse  point  d'estre  vray.  C'est  que 
tous  ceux  qui  sont  estranges  de  la  Religion  d'un  seul  Dieu, 
combien  qu'on  les  ayt  en  admiration,  pour  l'estime  qu'on 
ha   de  leur  preud'hommie,  non   seulement    ne   sont   dignes  de 


376  CHAPITRE    VI. 

nulle  rémunération  :  mais  plustost  sont  dignes  de  punition,  en 
ce  qu'ilz  contaminent  les  dons  de  Dieu  par  la  pollution  de  leur 
cœur.  Car  combien  qu'ilz  soient  instrumens  de  Dieu,  pour  con- 
server et  entretenir  la  compaignie  des  hommes,  en  justice,  con- 
tinence, amvtié,  prudence,  tempérance,  et  force  :  toutesfois  ilz 
exécutent  ces  bonnes  œuvres  de  Dieu  tresmal.  Car  ilz  sont  rete- 
nuz  de  mal  faire,  non  point  de  pure  atlection  d'honnesteté,  ou 
de  justice  :  mais  par  ambition  ou  amour  d'eux-mesmes  ou  quel- 
que autre  considération  oblique  et  perverse.  Puis  donc  que  leurs 

10  œuvres  sont  corrompues  de  l'impureté  du  cœur,  comme  de  leur 
première  origine,  elles  ne  méritent  non  plus  d'estre  mises  entre 
les  vertus,  que  font  les  vices,  qui  pour  quelque  similitude  et 
affinité  qu'ilz  ont  avec  les  vertus,  deceoivent  les  hommes.  Et 
pour  le  faire  court,   puis  que  nous  scavons  que  ceste  est  la  fin 

15  unique  et  perpétuelle  de  justice  et  droicture,  que  Dieu  soit  hono- 
ré :  tout  ce  qui  tend  alieurs  ;  à  bon  droict  pert  le  nom  de  droic- 
ture. Puis  donc  que  telle  manière  de  gens  ne  regardent  point  le 
but,  que  la  sagesse  de  Dieu  a  ordonné  combien  que  ce  qu'ilz 
font  semble  advis  bon  en  l'action  externe  :  toutesfois  pour  la  mau- 

sovaise  fin,  est  péché.  Davantage  si  ce  que  dit  Sainct  Jean  est  vray: 
c'est  qu'il  n'y  a  point  de  vie  hoi^s  le  filz  de  Dieu  :  tous  ceux  qui  I  .Jean  o, 
n'ont  point  de  part  en  Christ  quelz  qu'ilz  soient,  ou  qu'ilz  facenl, 
ou   s'efforcent  de  faire,   tout  le  cours  de  leur  vie,  ne  tend  qu'à 
ruine  et  confusion,  et  jugement  de  mort  éternelle.  Pourtant  Sainct 

25  Augustin  parle  tresproprement,  quand  il  accomparage  la  vie  de 
telles  gens  à  une  course  esgarée.  Car  d'autant  qu'un  homme 
court  plus  hastivement  hors  du  chemin  :  d'autant  plus  se  recule- 
il  hors  de  son  but.  et  à  ceste  cause  est  plus  misérable.  11  con- 
clud  donc,  qu'il  vaut  mieux  clocher  en  la  voye,  que  courir  lege- 

3oremeiit  hors  de  la  voye.  Finalement  il  est  certain  que  ce  sont 
mauvais  arbres,  veu  qu'il  n'y  a  nulle  sanctification,  sinon  en  la 
communion  de  Christ.  Hz  peuvent  donc  produire  de  beaux 
fruictz,  et  mesmes  de  doulce  saveur  :  mais  ilz  n'en  peuvent 
nullement  produire  de  bons.  De  cela  nous  voyons  clerement  que 

35  tout  ce  que  pense,  médite,  entreprend  et  fait  l'homme  devant 
qu'estre  reconcilié  à  Dieu,  est  mauldit,  et  non  seulement  n'ha 
aucune  valeur  à  le  justifier  :  mais  plustost  mérite  certaine 
damnation.  Et  comment  disputons-nous  comme  d'une  chose 
doubteuse,  puis  que   desja  il  a  esté  disputé  par  le  tesmoignage 


DE    LA    JlSTlFlCATHtN. 


377 


de  l'Apostre,  qu'il  est  impossible  de  plaire  à  Dieu  sans  Foy. 

Mais  la  chose  sera  encores  plus  liquidée,  si  nous  mettons  la 
grâce  de  Dieu  d  une  part,  et  la  condition  naturelle  de  l'autre. 
L'escriture  dénonce  partout  hault  et  clair,  que    Dieu   ne  trouve 

5 rien  en  lliomme,  dont  il  soit   incité   à  luv  bien  faire,  mais  qu'il 
le  prévient  de  sa  bénignité  gratuite.  Car  qu'est-ce  que  pourroit 
avoir  un  mort,  pour  estre  restitué  en  vie?  Or  quand  Dieu   illu-  Jean  o.  et 
mine  l'homme,  et  luy  donne  à  congnoistre  sa  vérité,  il  est  dict    ^^^gg^^^^ 
qu'il  le  suscite  des  mortz,  et  le  fait  nouvelle  créature.  Car  nous 

10  voyons  que  souvent  la  bénignité  de  Dieu  nous  est  recommandée 
parce  filtre,  et  principalement  de  l'Apostre.  Dieu,  dit-il,  qui  est 
riche  en  miséricorde,  pour  sa  grande  charité,  dont  il  nous  aaymez, 
du  temps  que  nous  estions  mortz  en  péché  :  nous  a  vivifiez  en 
Christ,   etc.  En  un  autre  lieu  traictant  soubz  la    figure  d'Abra-  Ephe.  2. 

laham  la  vocation  générale  des  fidèles.  C'est  Dieu,  dit-il,  qui  vivi- 
fie les  mortz,  et  appelle  les  choses  qui  ne  sont  point,  comme  si 
elles   estoient.    Si  nous    ne   sommes  rien  ;    que  pouvons-nous  ? /Jo»!.  4. 
Pourtant  Dieu  rabat  fort  et  ferme  toute  notre  presumption  en 
l'histoire  de  Job.  Qui  m'a  prévenu  ;  et  je  le  remunereray  ?  Toutes  Job  4L 

20 choses    sont    miennes.     Laquelle   sentence    Sainct  Paul    exipli-  liom.   II. 
quant,     l'attire    à  ce   ([ue   nous   ne    pensions    apporter    quelque 
chose  à  Dieu,  sinon  pure  confusion.  Pourtant  au  lieu  preallegué, 
pour  monstrer   que  nous  sommes  venuz  en  espérance  de  salut 
par  la  seule  grâce  de  Dieu,  et  non  par  noz  œuvres  :  il  remonstre 

23  que  nous  sommes  ses  créatures,  estans  régénérez  en  Jésus 
Christ  à  bonnes  œuvres,  lesquelles  Dieu  a  préparées,  à  fin  que 
cheminions  en  icelles.  Comme  s'il  disoit,  Qiii  sera-ce  de  nous; 
qui  se  vantera  d'avoir  prévenu  Dieu  par  sa  justice  ;  veu  que 
nostre  première  faculté  à  bien  faire,  procède  de  sa  régénération? 

30  Car  selon  que  nous  sommes  de  nature,  on  tireroit  plustost  de 
l'huvle  d'une  pierre,  que  de  nous  une  seule  bonne  œuvre.  C'est 
merveilles,  si  l'homme  estant  condamné  dune  telle  ignominie, 
s'ose  encores  attribuer  quelque  chose  de  reste.  Confessons  donc 
avec  i^cje  noble  instrument  de  Dieu  Sainct  Paul,  que  nous  som- 

35  mes  appeliez  d'une  vocation  saincte  :  non  pas  selon  noz  œuvres,  2.  Tim.  1. 
mais  selon  son   eslection  et   grâce.    Item,   Que  la  bénignité    et  Tit.  3. 
dilection  de  Dieu  nostre   Sauveur  est  apparue,  en  ce  qu'il  nous 
a  sauvez  :  non  pas  pour  les  œuvres   de  justice  que  nous  ayons 
faictes,   mais    selon    sa   miséricorde  :   à    fin    qu'estans    justifiez 


378  CHAPITRE    VI. 

par  sa  grâce,  nous  fussions  héritiers  de  la  vie  éternelle.  Par  ceste 
confession,  nous  despoillons  rhonime  de  toute  justice,  jusques  à 
la  dernière  goutte,  pour  tout  le  temps  qu'il  n'est  point  régénéré 
en  espérance  de  vie  par  la  miséricorde  de  Dieu  :  veu  que  si  les 
5  œuvres  vallent  quelque  chose  à  nous  justifier,  il  seroit  faulse- 
ment  dict,  que  nous  sommes  justifiez  par  grâce.  Certes  l'Apostre  Boni,  i  /. 
n'estoit  pas  si  oublieux,  qu'en  affermant  la  justification  estre  gra- 
tuite, il  ne  se  souvinst  bien  de  ce  qu'il  argue  en  un  autre  lieu  : 
c'est,  que  la  grâce  n'est  plus  grâce,  si  les  œuvres  ont  quelque  A^a- 

10  leur.  Et  qu'est-ce  que  veut  dire  autre  chose  le  Seigneur  Jésus  ; 
disant   qu'il  est  venu  pour  appeller  les  pécheurs,  et  non  pas  les  Mat.  9. 
justes?  Si  les  pécheurs  tant  seulement  sont  introduictz  à  salut  : 
qu'est-ce  que  nous  y   cerchons  entrée  par    noz  justices  contre- 
faictes?  Ceste  pensée  me  revient  souventesfois  en  l'entendement, 

15  qu'il  y  a  danger  cjue  je  ne  face  injure  à  la  miséricorde  de  Dieu, 
de  mettre  si  grand'peine  à  la  defïendre  :  comme  si  elle  estoit 
doubteuse  ou  obscure.  Mais  pource  que  nostre  malignité  est  telle, 
que  jamais  elle  ne  concède  à  Dieu  ce  qui  est  sien,  sinon  qu'elle 
soit  contreincte   par  nécessité  :   il  me  fault  icy  arrester  im  petit 

20  plus  longuement  que  je  ne   vouldroie.   Toutesfois  pour  ce  que 
l'Escriture  est  assez  facile  en  cest  endroit,  je  combattray  des  pa- 
rolles  d'icelle,  plustost  que  des  miennes.  lesaïe,  après  avoir  escrit  7esa.  39. 
la  ruine  universelle  du   genre  humain  :    expose   tresbien   après 
l'ordre  de  la  restitution.  Le  Seigneur  a  regardé,  dit-il,  et  luy  a 

25  semblé  advis  mauvais  :  et  a  veu  qu'il  n'y  avoit  pas  un  homme  : 
et  s'est  esmerveillé  qu'il  n'y  avoit  pas  un  seul  qui  intercedast. 
Pourtant  il  a  miz  le  salut  en  son  bras  :  et  s'est  confermé  en  sa 
justice.  Où  sont  noz  justices  ;  si  ce  que  dit  le  Prophète  est  vray? 
C'est  qu'il  n'y  en  a  pas   un  seul,  qui  ayde  à  Dieu    à  recouvrer 

30  salut.    En  telle  manière  l'autre  Prophète  introduyt  le   Seigneur  Osée  2. 
parlant  de  reconcilier  le  pécheur    à   soy.  Je  t'espouseray,  dit-il, 
à  perpétuité,  en  justice,  jugement,  grâce  et  miséricorde.  Je  diray 
à  celuy  qui  n'avoit   point  obtenu  miséricorde,  qu'il  l'aura  obte- 
nue.   Si    une   telle    alliance,    qui    est    la   première    conjonction  I 

35  de  Dieu  avec  nous,  est  appuyée  sur  la  miséricorde  de  Dieu  : 
il  ne  nous  reste  autre  fondement  de  nostre  justice.  Et  de  faict 
je  voudroie  bien  scavoir  de  ceux,  qui  veulent  faire  à  croire, 
que  l'homme  vient  au  devant  de  Dien  ave  quelques  mérites 
s'il  y  a  quelque  justice,  qui   ne   soit  point  plaisante  à  Dieu  ?  Si 


DE    LA    JUSTIFICATION. 


379 


c'est  une  rage  de  penser  cela  :  qu'est-ce  qui  procédera  des  enne- 
niys  de  Dieu  ;  qui  luy  soit  plaisant  ;  veu  c[u'il  les  ha  entière- 
ment en  abomination;  avec  toutes  leurs  œuvres?  La  vérité  tes-  Rom.  1 . 
moigne,  que  nous  sommes  tous  ennemys  mortelz  de  Dieu,  et  qu  il  Collas.  I . 
5  y  a  guerre  ouverte  entre  luy  et  nous,  jusques  à  ce  qu  estans  jus- 
tiliez,  nous  rentrions  en  sa  grâce.  Si  le  commencement  de  la 
dilection  de  Dieu  envers  nous  est  nostre  justification  :  quelles 
justices  des  œuvres  pourront  précéder  ?  Par  quoy  Sainct  Jean, 
pour  nous  retirer   de    ceste  pernitieuse   arrogance,   nous  admo-  I.  Jean  A. 

10  neste  diligemment,  comme  nous   ne  l'avons  pas    aymé  les  pre- 
miers. Ce  que  le  Seigneur  avoit  longtemps  au  paravant  enseigné 
par  son  Prophète  :    disant,  qu'il  nous    aymeroit  d'une  dilection  Osée  li. 
voluntaire,  pource  que  sa  fureur  est  destournée.    S'il  est  enclin 
de  son  bon  vouloir  à  nous  aymer  :  il  n'est  pas  certes  esmeu  par 

15  les  œ^uvres.  Le  rude  vulgaire  n'entend  autre  chose  par  cela, 
sinon  que  nul  n'avoit  mérité  que  Christ  list  nostre  rédemption  : 
mais  que  pour  venir  en  possession  d'icelle,  nous  sommes  aydez 
de  noz  œuvres.  Mais  aucontraire,  comment  que  nous  soyons 
racheptez    de    Christ,  si   est-ce   toutesfois  que   nous  demeurons 

20  tousjours  enfans  de  ténèbres,  ennemys   de  Dieu,  et   héritiers  de 
son  ire,  jusques  à    ce  que,    par  la   vocation  gratuite  du    Père, 
nous  sommes  incorporez  en  la  communion  de  Christ.  Car  Sainct  /.  Cor.  6. 
Paul  ne  dit  pas,  que  nous  soyons  purgez  et  lavez  de  noz  ordures  : 
sinon   quand  le   Sainct  Esprit  fait    ceste  purgation  en  nous.  Ce 

2.ique  voulant    dire  Sainct  Pierre,    enseigne  que   la  sanctification  I .  Pier.  I . 
du  Sainct  Esprit  nous  proffîte  en  obeyssance,  et  arrousement  du 
sang  de  Christ.  Si  pour  estre  purifiez,  nous  sommes  arrousez  du 
sang   de    Christ,  par   l'esprit  :    ne  pensons    point   estre    autres 
devant    cest   arrousement,  qu'est  un  pécheur  sans  Christ.  Que 

recela  donc  nous  demeure  certain  :  à  scavoir  que  le  commence- 
ment de  nostre  salut,  est  comme  une  résurrection  de  mort  à 
vie. 

Soubz  ce  ranc    sont  comprins  le  second   et   troisiesme    genre 
des  hommes,   que  nous    avons    mis  en  la    division  précédente. 

35  Car  la  souillure  de  conscience,  qui  est  tant  aux  uns  comme 
aux  autres,  est  un  signe,  qu'ilz  ne  sont  point  encores  régéné- 
rez de  l'Esprit  de  Dieu.  D'aA^antage  ce  qu'ilz  ne  sont  point 
régénérez,  est  signe  qu'ilz  n'ont  nulle  foy.  Dont  il  appert 
qu'ilz     ne     sont     encores     reconciliez    à     Dieu,      ne     justifiez 


380  CHAPITRE    VI. 

en  son  jugement  :  veu  qu'on  ne  parvient  à  telz  biens,  sinon  par 
Foy.  Qu'est-ce  que  feroient  les  pécheurs  aliénez  de  Dieu  ;  qui  ne 
fust  exécrable  à  son  jugement  ?  Il  est  bien  vray,  que  tous  infi- 
dèles, et  principalement  les  hypocrites,  sont  enflez  de  ceste  folle 

3  confiance  :  C'est,  combien  qu'ilz  congnoissent  leur  cœur  estre 
plaiii  d'ordure  et  de  toute  vilenie  ;  toutesfois  s'ilz  font  quelques 
bonnes  œuvres  en  apparence,  ilz  les  estiment- dignes  de  n'estre 
point  mesprisez  de  Dieu.  De  là  vient  cest  erreur  mortel,  que 
ceux  qui  sont  convaincuz  d'avoir  le  cœur  meschant  et  inique,  ne 

10  se  peuvent  amener  à  ceste  raison,  de  se  confesser  estre  vuides  de 
justice  :  mais  en  se  recongnoissant  injustes,  pource  qu'ilz  ne  le 
peuvent  nyer,  s'attribuent  neantmoins  quelque  justice.  Ceste 
Amanite  est  tresbien  refutée  de  Dieu  par  le  Prophète  Haggée. 
Interrogue,  dit-il.  les  Prestres.  Si  un  homme  porte  au  pan  de  sa  Hagg.  2. 

15  robbe  de  la  chair  sanctifiée,  ou  attouche  du  pain  sanctifié;  sera- 
il  pourtant  sanctifié  ?  Les  Prestres  respondent  que  non.  Hag- 
gée les  interrogue  puis  aprez,  Si  un  homme  poilu  en  son  ame, 
touche  quelqu'une  de  ces  choses  ;  s'il  ne  la  polluera  pas?  Les 
Prestres  respondent  que  ouy.  Lors  il  est  commandé  à  Haggée  de 

20  leur  dire  :  Tel  est  ce  peuple  devant  ma  face  :  et  telles  sont  les 
œuvres  de  leurs  mains,  et  tout  ce  qu  ilz  m'ofFreront  sera  conta- 
miné. Pleust  à  Dieu  que  ceste  sentence  fust  bien  receuë  de  nous,, 
ou  bien  imprimée  en  nostre  mémoire.  Car  il  n'y  en  a  nul, 
quelque  meschant  qu'il  soit  en  toute  sa  vie,  qui    se  puisse  per- 

25  suader  ce  que  le  Seigneur  dénonce  icy  clairement.  Si  le  plus 
meschant  du  monde  s'est  aquité  de  son  devoir  en  quelque  point, 
il  ne  double  pas  que  cela  ne  luy  soit  aloué  pour  justice.  Au 
contraire  le  Seigneur  proteste,  que  par  cela  on  n'acquiert  nulle 
sanctification,  que   le  cœur    ne   soit   premièrement    bien  purgé. 

30  Et  non  content  de  cela,  tesmoigne  que  toutes  œ^uvres  précé- 
dentes des  pécheurs  sont  souillées  par  limpurité  de  leur  cœur. 
Gardons  nous  donc  d'imposer  le  nom  de  justice  aux  œuvres  qui 
sont  condamnées  de  pollution  par  la  bouche  de  Dieu.  Et  par 
combien  de   belles  similitudes  demonstre-il  cela  ?   Car  on  pou- 

33  voit  objecter,  que  ce  que  Dieu  a  commandé,  est  inviolable- 
ment  sainct.  Mais  aucontraire  il  demonstre,  que  ce  n'est  pas  de 
merveilles,  si  les  œuvres  que  Dieu  a  sanctifiées  en  sa  Loy, 
sont  souillées  par  l'ordure  des  meschans  :  veu  que  par 
une    main    immunde   est  prophané  ce    qui   avoit   esté  consacré. 


DE    LA    JUSTIFICATION.  .  i^Si 

Il  pouisuyt   aussi  en  lesaïe  tresbien   ceste  matière.   Ne  m'offrez  Iesaie2. 
point,  dit-il,  sacrifices  en  vain  :  vostre  encens  m'est  abomination  :    ifs" aussi 
mon  cœur  hayt  toutes  vos  festes  et  solennitez  :  je  suis  fasché  à    le  58. 
merveilles   de  les   endurer.  Quand    vous   esleverez  voz  mains  je 

sdestourneray  mes  yeux  de  vous:  quand  vous  nmltiplierez  voz 
oraisons,  je  ne  les  exauceray  point  :  car  voz  mains  sont  pleines  de 
sang-.  Lavez  vous  et  soyez  purs,  et  ostez  voz  mauvaises  pensées. 
(^u"est-ce  que  veult  dire  cela  ;  que  le  Seigneur  rejette  et  abomine 
si  fort  lObservation  de  sa  Loy.  Mais  il  ne  rejette  rien,  qui  soit  de 

10  la  pure  et  vraye  observation  de  la  Loy  :  dont  le  commencement 
est,  comme  il  enseigne  par  tout,  une  crainte  cordiale  de  son 
Nom  :  icelle  ostéç,  toutes  les  choses,  qu'on  luy  présente,  non 
seulement  sont  fatras  :  mais  ordures  puantes  et  abominables. 
Voisent  maintenant  les  hypocrites,  et  s'efforcent  de  s'approuver 

15k  Dieu    par   leurs    bonnes  œuvres  :    ayans   ce  pendant  le    cœur 
enveloppé  en  cogitations  perverses.  Certes   en  ceste    manière  ilz 
l'irriteront  de  plus  en  plus.    Car  les  hosties  des  iniques  luy  sont  Prov.  15. 
exécrables  :  et   la    seule    oraison  des  justes  luy    est  plaisante. 
Nous  concluons  donc,   que  cela  doibt   estre  résolu,   entre  ceux, 

20  qui  sont  moyennement  exercitez  en  l'Escriture  c'est,  que  toutes 
œuvres  qui  procèdent  des  hommes  que  Dieu  n'a  point  sanctifiez 
par  son  Esprit,  quelque  belle  monstre  qu'elles  ayent,  sont  si 
loing  d'estre  réputées  pour  justice  devant  Dieu,  qu'elles  sont  esti- 
mées péchez.  Pourtant    ceux   qui  ont   enseigné,  que    les  œuvres 

2.>  n'acquièrent  point  grâce  et  faveur  à  la  personne  :  mais  aucon- 
traire  que  les  œuvres  sont  lors  agréables  à  Dieu  quand  la  per- 
sonne a  esté  acceptée  de  luy  en  sa  miséricorde  :  ont  tresbien  et 
véritablement  parlé.  Et  nous  fault  diligemment  observer  cest 
ordre  auquel  l'Escriture  nous  conduyt  quasi  par  la  main.  Moyse  Gène.  4. 

soescrit  que  Dieu  a  regardé  à  Abel,  et  à  ses  œuvres,  voyons  nous 
pas  qu'il  demonstre  Dieu  estre  propice  aux  hommes  ;  devant  qu'il 
regarde  à  leurs  œuvres  ?  Il  fault  donc  que  la  purification  du 
cœur  précède  :  à  ce  que  les  œuvres  provenantes  de  nous, 
soient    amyablement    receuës    de    Dieu.  Or    le  Sainct   Esprit   a 

33 une    fois    prononcé    par  la    bouche  de   Sainct    Pierre,   que  par  .4c/, /o. 
la    seule    Foy    noz     cœurs     sont    purifiez.     Il     s'ensuyt    donc, 
que    le    premier    fondement     est    en    la    vraye    et     vive    Foy. 
Regardons    maintenant     que     c'est    qu'ont     de      justice    ceux 
que  nous  avons  mis  au  quatriesme  ranc.    Nous  confessons  bien 


382  CHAPITRE    VI. 

que  quand  Dieu  nous  reconcilie  à  soy  par  le  moyen  de  la  justice 
de  Jésus  Christ  :  et  nous  ayant  faict  remission  gratuite  de  noz 
péchez,  nous  repute  pour  justes  :  que  avec  ceste  miséricorde  est 
conjoinct  un  autre  bénéfice  :  c'est   que  par  son    Sainct  Esprit  il 

o  habite  en  nous  :  par  la  vertu  duquel  les  concupiscences  de  nostre 
chair  sont  de  jour  en  jour  plus  mortifiées.  Et  par  ainsi  sommes 
sanctifiez  :  c'est  à  dire  consacrez  à  Dieu  en  vraye  pureté  de  vie  : 
entant  que  noz  coeurs  sont  formez  en  obeyssance  delà  Loy,  à  ce 
que    nostre  principale   volunté  soit,    de  servir  à  sa  volunté,  et 

10 avancer  sa  g-loire  en  toutes  sortes.  Neantmoins,  cependant 
mesmes,  que  par  la  conduicte  du  Sainct  Esprit,  nous  cheminons 
en  la  voye  du  Seigneur  :  à  fin  de  nous  oublier,  il  y  demeure  des 
reliques  d'imperfection  en  nous,  lesquelles  nous  donnent  occasion 
de  nous  humilier.  11  n'y  a  nul  juste,  dit  l'Escriture,  qui  face  bien 

15  et  ne  pèche  point.  Quelle  justice  donc  auront  les  fidèles  de  leurs 
œuvres?  Je  dy  premièrement,  que  la  meilleure  œuvre qu'ilz  puis- 
sent mettre  en  avant  est  toujours  souillée  et  corrumpue  de  quel- 
que pollution  de  la  chair  :  comme  un  vin  est  corrumpu,  quand  il 
est  meslé  avec  sa  lye.  Que  le  serviteur  de  Dieu,  dy-je,  eslise  la 

20  meilleure  œuvre  qu'il  pensera  avoir  faicte  en  toute  sa  vie  ;  quand 
il  aura  bien  espeluché  toutes  les  parties  d'icelle,  il  trouvera  sans 
doubte,  qu'elle  sentira  en  quelque  endroit  la  pourriture  de  sa 
chair  :  veu  qu'il  n'y  a  jamais  en  nous  une  telle  disposition  à  bien 
faire,  qu  elle  y  détroit  estre  :  mais  qu'il  y  a  grande  foiblesse  à  nous 

25  regarder.  Or  combien  que  nous  voyons  les  macules  dont  sont  en-  | 

taschées  les  œuvres  des  sainctz,  n'estre  point  obscures  ne  cachées  : 
toutesfois  encores  que  nous  posions  le  cas,  que  ce  soient  seule- 
ment de  petites  taches  et  menues  ;  à  scavoir  si  elles  n'offense- 
ront en   rien  les  yeux  du  Seigneur  devant  lesquelz   les  estoiles  Joh  i. 

30  mesmes  ne  sont  point  pures.  Nous  avons,  qu'il  ne  sorte  point 
une  seule  œuvre  des  fidèles  :  laquelle  ne  mérite  juste  confusion, 
si  on  l'estime  de  soy.  Davantage  s'il  se  pouvoit  faire,  que 
nous  feissions  quelques  œuvres  pures  et  parfaictes  :  toutesfois 
un   seul  péché  suffist,  pour  effacer  et  esteindre  toute  la  mémoire 

35  de   nostre  justice  précédente:   comme   dit  le  Prophète:  auquel  £';ec.  7  6' 
aussi  accorde  S.  Jacques  disant  que  celuy  qui  a  offensé  en  un  Jacq.  i. 
poinct    est  rendu  coulpable  de   tous.  Or   comme   ainsi  soit,  que 
ceste  vie  mortelle  ne  soit  jamais  pure  ou  vuide  de  péché  :  tout  ce 
que   nous  aurions    acquis   de  justice  seroit  corrumpu,  oppressé, 


DE    LA    JUSTIFICATION. 


383 


et  perdu  à  cluiscune  heure,  par  les  péchez  qui  s'eiisuyvroient  : 
ainsi  ne  viendroit  point  en  compte  devant  Dieu,  pour  nous  estre 
imputé  à  justice.  Finalement,  quand  il  est  question  de  la  jus- 
tice des  œuvres,  il  ne  fault  point  rejj^arder  un  seul  faict  :  mais  la 
ï  Lo V  mesme.  Et  pourtant  si  nous  cerclions  justice  en  la  Loy,  ce 
sera  en  vain  (jue  nous  produyrons  une  œuvre  ou  deux  :  mais  il 
est  recfuis  d'apporter  une  obeyssance  perpétuelle.  Ce  n'est  pas 
donc  pour  une  fois,  que  le  Seigneur  nous  impute  à  justice  la 
remission    gratuite  de  nos    péchez    :   comme  aucuns   follement 

11"  pensent  :  à  fin  que  ayans  impetré  une  fois  pardon  de  nostre 
mauvaise  vie,  nous  cerchions  après  justice  en  la  Loy  :  veu  que 
en  ce  faisant,  il  ne  se  seroit  que  mocquer  de  nous,  en  nous 
abusant  d'une  vaine  espérance.  Car  comme  ainsi  soit,  que  nous 
ne  puissions  avoir  aucune  perfection  ce  pendant  que  nous  sommes 

isen  ce  corps  mortel  :  dautrepart  que  la  Loy  dénonce  jugement 
et  mort  k  tous  ceux  qui  n  auront  accomply  d'œuvres,  parfaicte 
justice  :  elle  auroit  tousjours  de  quoy  nous  accuser  et  convaincre, 
sinon  que  la  miséricorde  de  Dieu  v[iejnt  au  devant  pour  nous 
absouldre    de  remission    de    péché    assiduelle.  Pourtant   ce  que 

20  nous  avons  dict  au  commencement  demeure  tousjours  ferme. 
C'est  que  si  nous  sommes  estimez  selon  nostre  dignité,  quelque 
chose  que  nous  taschissions  de  faire  :  nous  serons  tousjours 
dignes  de  mort  avec  noz  eil'ors  et  entreprinses.  Il  nous  fault  fer- 
mement arrester  h  ces  deux   poinctz.    Le    premier    est,   qu'il  ne 

2.Ï  [s' Jest  jamais  trouvé  œuvre  d'homme  lidelequi  ne  fust  damnable, 
si  elle  eust  esté  examinée  selon  la  rigueur  du  Jugement  de 
Dieu.  Le  second  est  que  quand  il  s'en  trouveroit  une  telle,  ce 
qui  est  impossible  k  l'homme  ;  ne;mtmoins  qu'estant  pollue  et 
souillée    par    les    péchez,   qui  seroient  en  la    personne,  perdroit 

30  toute  grâce  et  estime. 

Les  subterfuges  que  cerchent  icy  les  Sorbonistes  pour 
évader,  ne  les  despechent  point.  Hz  disent,  que  ce  que  les 
bonnes  œuvres  ont  quelque  valeur  k  justifier  l'homme,  cela 
vient  de    la  grâce  de    Dieu  qui  les  accepte  :   les  faultes  qui  se 

3,ï  commettent,  sont  compensées  par  œuvres  de  supererogation. 
Je  respondz,  que  la  grâce  qu'ilz  appellent  acceptante,  n'est 
autre  chose,  que  la  bonté  gratuite  du  Père  céleste,  dont  il  nous 
embrasse  et  receoit  en  Jésus  Christ  :  c'est  quand  il  nous  vest 
de  linnocence  d'iceluy,  et  nous  la  met  en  compte  :  k  ce  que,  par 


384  CHAPITKE    VI. 

le  bénéfice  d'icelle,  il  nous  tienne  pour  sainctz,  purs  et  innocens. 
Car  il  fault  que  la  Justice  de  Christ  se  présente  pour  nous,  et  soit 
comme  consignée  au  Jug:ement  de  Dieu  :  pource  que  icelle  seule, 
comme   elle    est    parfaicte,    aussi    peult   soustenir    son    regard. 
oNous  donc  estans  garniz   d'icelle,    obtenons  remission  assiduelle 
de  noz  péchez  en  Foy  :   par   la  pureté  d'icelle,   noz  macules    et 
les  ordures  de  noz   imperfections    estans  cachées,   ne   nous    sont 
imputées  :    mais    sont  comme   ensevelies,    à   fin  de  n'aparoistre 
point  devant  le  Jugement   de  Dieu  :  jusques    à  ce    que    l'heure 
10  vienne  qu'après  la  mort  de  nostre  viel   homme,  la  bonté  de  Dieu 
nous  retire   avec   Jésus    Christ,    qui  est  le  nouvel  Adam,   en  un 
repoz  bienheureux  :  où   nous  attendions  le  jour  de   la  Résurrec- 
tion, auquel   serons  transferez   en  la  gloire  céleste  ayans  receuz 
noz   corps    incorruptibles.    Si   ces  choses  sont  vrayes  :   il  n'y  a 
15  nulles  œuvres,  qui  nous  puissent  d'elles  mesmes  rendre  agréables 
à  Dieu.  Mesmes    ne    luy   sont  pas  plaisantes  :  sinon  entant  que 
l'homme  estant  couvert  de  la  Justice  de  Christ,   luy    plaist,    et 
obtient  la  remission  de  ses  vices.  Ce  qu'ilz   ont    accoustumé    de 
jaser,  de  recompenser  Dieu  par  œuvres  de    supererogation,  n'est 
2ocrueres  plus  ferme.   Car  quoy  ?  ne  reviennent   ilz  pas   tousjours 
là  ;  dont  ilz  sont  ja  excluz?  C'est  que  quiconques  garde  en  par- 
tie la  Loy,  est  d'autant  juste  par  [s]es  œuvres  ?  En  ce  faisant  ilz 
prennent  une  chose  pour  résolue,  que  nul  de    sain  jugement  ne 
leur  concederoit.  Le  Seigneur  tesmoigne  si  souvent,  qu'il  ne  re- 
25  cono-noist  autre  justice,  sinon  en  parfaicte  obeyssance  de  sa  Loy. 
Quelle  audace  est  ce  ;  quand  nous  go  mmesdenuez  d'icelle;  à  fin  qu'il 
ne   semble  advis,  que  nous  soyons  despouillez  de  toute  gloire, 
c'est  à  dire  que  nous  ayons  pleinement  cédé  à  Dieu  ;  de  produyre  je 
ne  scav  quelles  pièces  et  morceaux  d'un  peu  de  bonnes  œuvres  ?  et 
30  ainsi  vouloir  racheter  ce  qui  nous  detfault  par  satisfactions?  Les 
satisfactions  ont  esté  cy  dessus  puissamment  abatues  ;  tellement 
qu'ellefs  I  ne  nous  devroient  entrer  en  l'entendement,  et  ne  fust  ce 
que  par  songes.  Seulement  je  dy  que  ceux  qui  babillent  ainsi  in-  Autraict 
considerement  ;  ne  reputent  point,  combien  c'est  une  chose  exe-    /^^^f^' 
33  crable  àDieu  que  péché  ;  car  lors  certes  ilz  entendroient  que  toute 
la  justice  des   hommes   assemblée  en  un  monceau,    ne  suffiroit 
pas   à  la  recompense  d'un  seul    péché.  Nous  voyons,    l'homme 
avoir  esté  pour  un  seul  péché,  tellement  rejette  de  Dieu,  qu'il  a 
perdu  tout  moyen  de  recouvrer  salut.  La  faculté  donc  de  satisfai- 


DE    LA    JUSTIFICATION.  385 

re  nous  est  ostée  :  de  laquelle  ceux  qui  se  flattent,  jamais  ne 
satisferont  à  Dieu  :  auquel  il  n'y  a  rien  aji^reable  de  ce  qui  pro- 
cède de  ses  ennemyz.  Or  tous  ceux  ausquelz  il  veult  imputer 
les  péchez,  luy  sont  ennemyz.  Il  fault  donc  que  tous  péchez 
5  soient  couvers  et  remiz,  devant  qu'il  reg-arde  à  une  seule  œuvre 
de  nous.  Dont  il  s'ensuyt,  que  la  remission  des  péchez  est 
gratuite  :  laquelle  est  meschamment  blasphémée  de  ceux  qui 
mettent  en  avant  aucunes  satisfactions.  Pourtant  nous  à  l'exem- 
ple de  l'Apostre,  oublians  les  choses  passées,  et  tendans  à  ce  qui  Phili.  3. 

10  est  devant  nous,  poursuy vous  nostre  course,  pour  parvenir  au 
loyer  de  la  vocation  supernelle. 

De  prétendre  quelques  d'uvres  de  supererog-ation  :  comment 
conviendra-il  avec  ce  qui  est  dict  ;  que  quand  nous  aurons  faict 
tout  ce    qui  nous  est  commandé;   que    nous    disions    que   nous  Luc  /  7. 

15  sommes  serviteurs  inutiles;  et  que  nous  n'avons  faict  que  ce  que 
nous  debvions  faire  ?  Dire  devant  Dieu,  n'est  pas  feindre  ou  men- 
tir :  mais  arrester  en  soymesme  ce  qu'on  ha  pour  certain.  Le  Sei- 
gneur donc  nous  commande  de  juger  à  la  vérité,  et  recongnoistre 
de  cœur,    que   nous  ne  luy  faisons  nul  service  voluntaire  ;  mais 

20  seulement  luy  rendons  ceux  dont  nous  luy  sommes  redevables. 
Et  ce  à  bon  droict  :  car  nous  luy  sommes  serfz  et  adstreinctz  de 
nostre  condition,  à  tant  de  services,  qu'il  nous  est  impossible  de 
nous  en  aquiter  :  voire  quand  toutes  noz  pensées  et  tous  noz 
membres  ne  s'appliqueroient  à  autre  chose.  Pourtant  quand  il  dit, 

23  après  que  vous  aurez  faict  tout  ce  qu'il  vous  aura  esté  commandé  • 
c'est  autant  comme  s'il  disoit  :  Posez  le  cas,  que  toutes  les  justices 
du  monde  fussent  à  un  homme  seul,  et  encores  d'avantage.  Nous 
donc,  entre  lesquelz  il  n'y  en  a  nul,  qui  ne  soit  bien  loing  de  ce  but, 
comment  nous  oserions-nous  glorifier  ;  d'avoir  adjousté  quelque 

30  comble  à  la  juste  mesure?  Et  ne  fault  point  que  quelqu'un  al- 
lègue, qu'il  n'y  a  nul  inconvénient,  que  celuy  qui  ne  fait  pas  son 
devoir  en  quelque  partie,  face  plus  qu'il  n'est  requis  de  né- 
cessité. Car  il  nous  fault  avoir  ceste  reigle,  qu'il  ne  nous  peut 
rien  venir  en    l'entendement,  qui  face,  ou  à  l'honneur  de  Dieu 

33  ou  à  la  dilection  de  nostre  prochain,  qui  ne  soit  comprins 
soubz  la  Loy  de  Dieu.  Or  si  c'est  partie  de  la  Lov  :  il  ne  nous 
fault  vanter  de  libéralité  voluntaire ,  où  nous  sommes  ads- 
treinctz par  nécessité.  Et  est  mal  à  propoz  alléguée,  pour 
cela  prouver,  la  sentence  de  Sainct  Paul  :  C'est  qu'il  se  glorifie  L  Cor.  9. 
Institution.  25 


386  CHAPITRE    VI. 

qu'entre  les  Chorinthiens  il  a  cédé  de  son  droict,  duquel  il  pou- 
voit  user  s'il  eust  voulu.  Et  qu'il  ne  leur  a  point  seulement  rendu, 
ce  qu'il  leur  debvoit  de  son  office  :  mais  qu'il  s'est  amployé 
oultre  son  devoir,  en  leur  preschant  gratuitement  l'Evangile.  Il 
0  failloit  considérer  la  raison  qui  est  là  notée  :  c'est,  qu'il  a  faict 
cela,  à  fin  qu'il  ne  fust  point  en  scandale  aux  infirmes.  Car  les 
séducteurs,  qui  troubloyent  ceste  Eglise  là,  se  insinLioyent  par 
ceste  couverture,  de  ne  rien  prendre  pour  leur  peine:  àfind'aque- 
rir  faA^eur  à  leur  perverse  doctrine,  et  mettre  l'Evangile  enhayne. 

10  Tellement  qu'il  estoit  nécessaire  à  Sainct  Paul,  ou  de  mettre  en 
danger  la  doctrine  de  Christ,  ou  d'obvier  à  telles  cautelles.  Si 
c'est  chose  indifférente  à  l'homme  Chrestien,  d'encourir  scan- 
dale, quand  il  s'en  peut  abstenir  :  je  confesse  que  l'Apostre  a 
donné  quelque  chose  à  Dieu  plus    qu'il  ne   luy  debvoit.  Mais  si 

15  cela  estoit  requis  à  un  prudent  dispensateur  de  l'Evangile  :  je 
dy  qu'il  a  faict  ce  qu'il  devoit.  Finalement  quand  ceste  raison 
n'apparoistroit  point  :  neantmoins  ce  que  dit  Chrisostome  est 
tousjours  vray  :  que  tout  ce  qui  vient  de  nous  est  d'une  telle  con- 
dition, que  ce  que   possède   un    homme  serf  ;  c'est,  que  par   le 

20  droict  de  servitude,  il  appartient  à  son  maistre.  Ce  que  Christ 
n'a  point  dissimulé  en  la  parabole.  Car  il  inlerrogue  quel  gré 
nous  scaurons  ànostre  serviteur;  après  que  ayant  tr[avjaillé  tout 
au  long  du  jour;  il  retournera  au  soir  en  la  maison?  Or  il  se  peut 
faire,  qu'il  aura  pris  plus  de   peine    que  nous  ne  luy  en  eussions 

25  osé  imposer.  Quand  ainsi  sera  :  encores  n'a-il  faict  sinon  ce  qu'il 
nous  devoit  du  droict  de  servitude:  veu  qu'il  est  nostre,  avec 
tout  ce  qu'il  peut  faire.  Je  ne  dy  point  quelles  sont  les  superero- 
gations,  dont  ilz  se  veulent  priser  devant  Dieu  :  toutesfois  ce  ne 
sont  que  fatras,  lesquelz  il  n'a  point  commandez,  et  ne  les  appreu- 

30  ve  point  :  et  quand  ce  viendra  à  rendre   compte,  ne  les  alouera 
nullement.  En  ce  sens  nous  concéderons  bien  que  se  sont  œuvres 
de    supererogation  ainsi    qu'en    parle     le     Prophète,     disant    :Iesaie1.et 
Qui  a  requis  ces  choses   de  voz  mains  ?   Mais   il   fault  que   ces    '^ 
Pharisiens  se  souviennent  de  ce  qui  en  est  dict  en  un  autre  lieu. 

35  Pourquoy    délivrez  vous   vostre    argent  ;    et  n'en  achetez   point  lesaie  oo 
de  pain  ?  Pourquoy    prenez-vous  peine  en    choses  qui   ne    vous 
peuvent    rassasier?  Messieurs   noz  maistres  peuvent  bien,  sans 
grande  difficulté,    disputer  de  ces  matières   estans  en  leurs  es- 
cholles  assiz  mollement   sur  des  coyssins.    Mais  quand    le  sou- 


DE    LA    jrSïlKU.AIlON. 


387 


verain  Juge  apparoistra  du  ciol  en  son  Throsne  judicial  :  tout  ce 
{|u'il/,  auront  déterminé  ne  prolitera  gueres,  ains  s'esvanouyra 
comme  fumée.  Or  c'estoit  ce  cju  il  failloil  icy  cercher,  ([uelle 
fiance  nous  pourrons  apporter,  pour  nous  delVendre  en  cest  hor- 

5  rihle  jugement  :  et  non  pas  ce  qu'on  en  peut  babiller,  ou  mentir, 
en  quelque  anglet  d'une  Sorbonne. 

Il  nous  fault  chasser  icy  deux  pestes  de  noz  cœurs  :  C'est 
qu'il/  n'ayent  nulle  fiance  en  noz  œuvres  :  et  qu'il/ ne  leur  attri- 
buent aucune  louënge.  L'Escriture  ck  et  là  nous  en  oslo  la  liance  : 

10  disant  tjue  toutes  no/  justices  ne  sont  (|u'ordurc  et  })uantise 
devant  Dieu  :  sinon  qu  elles  tirent  bonne  odeur  de  la  Justice  de 
Jésus  Christ  :  qu'elles  ne  peuvent  sinon  provoquer  la  vengeance 
de  Dieu,  si  elles  ne  sont  supportées  par  la  doulceur  de  sa  miséri- 
corde. Ainsi  elle    ne  nous  laisse  rien    de    reste,  sinon  que  nous 

js  implorions  la  clémence    de    nostre    Juge,  pour    obtenir  mercy, 
avec  ceste  confession  de  David  :  ([ue  nul  ne  sera   justifié  devant 
sa  face,  s'il  appelle   à    compte  ses  serviteurs.    C  est   ce  qui    est 
dict  en  ceste  sentence  de  .lob.    Si  j'ay    mal    faict,    malheur  sur  Jub  10. 
moy  :   si  j'ay  bien  faict,  encores  ne  dresseray-je  point  la  teste. 

io  Car  Job  n'entend  point  qu'il  ayme  myeulx  de  son  bon  gré  céder 
à  Dieu,  ({ue  de  combattre  avec  péril  contre  sa  rigueur.  Mais 
il  signifie  qu'il  ne  recongnoist  justice  en  soy,  laquelle  ne 
decheut  incontinent  devant  Dieu.  (^)uand  la  fiance  est  dechas- 
sée,  il  fault  aussi  (jue  toute  gloire  soit  anneantie.  Car  qui   est-ce 

23  qui  assignera  la  louenge  de  justice  à  ses  a'uvres  ;  quand  en  les 
considérant  il  tremblera  devant  Dieu  ?  Nostre  cœur  donc  sera 
lors  droictement  purgé,  quand  il  ne  s'appuyera  nullement  en 
aucune  fiance  d'aaivres,  et  n'en  prendra  point  matière  de  s'es- 
lever  et  enorgueillir.  C'est  cest  erreur,  qui  induit  les  hommes  à 

30  ceste  fiance  frivole  et  mensongère,  qu'il/  establissent  tousjours 
la  cause  de  leur  salut  en  leurs  œ'uvres.  Mais  si  nous  regardons 
les  quattre  genres  de  causes,  que  les  Philosophes  mettent  :  nous 
n'en  trouverons  pas  un  seul,  qui  convienne  aux  œuvres,  quand  il 
est  question  de  nostre  salut.  L'Escriture  par  tout  enseigne,  que 

35  la  cause  elïiciente  de  nostre  salut  est  la  miséricorde  de  nostre 
Père  céleste,  et  la  dilection  gratuite  qu'il  ha  eu  envers  nous  ; 
pour  la  cause  matérielle,  elle  nous  propose  Christ  avec  son 
obéissance  :  par  laquelle  il  nous  a  acquis  justice.  De  la  cause 
qu'on  appelle    instrumentale  :    quelle    dirons-nous    qu'elle    est 


388  CHAPITRE    VI. 

sinon  la  Fov  ?  Sainct  Jean  a  comprins   toutes  ces  lois  ensemble  Jean  3. 
en  une  sentence,   quand  il  dit,  que  Dieu  a  tant  aymé  le  monde, 
qu'il  a  donné  son  filz  unique,  à  fin  que  quiconques  croira  en  luy, 
ne  périsse  point,  mais   ayt  la   vie  éternelle.  Quant   à    la  cause  Rom.  3. 

5  finale,  l'Apostre  dit,  que  ce  a  esté  pour  demonstrer  la  Justice  de  Ephe.  4 
Dieu,  et  glorifier  sa  bonté.  Quand  nous  voyons  toutes  les  parties 
de  nostre  salut  estre  hors  de  nous  :  qu'est-ce  que  nous  prenons 
aucune  confiance  ou  gloire  de  noz  œuvres  ?  Quant  est  de  la  cause 
efficiente  et  finale,  les  plus  grandz  adversaires  de  la   gloire  de 

10  Dieu  ne  nous  en  scauroient  faire  controversie  s'ilz  ne  veulent  re- 
noncer toute  l'Escriture.  Quand  ce  vient  à  la  cause  matérielle  et 
instrumentale,  ilz  cavillent  :  comme  si  noz  œuvres  partissoient  à 
demy  avec  la  Foy  et  la  Justice  de  Christ.  Mais  l'Escriture  con- 
tredit aussi   bien  à   cela  :  en   affermant   simplement  que  Christ 

13  nous  est  en  justice  et  en  vie  :  et  que  nous  possédons  un  tel  bien 
par  la  seule  Foy. 

Ce  que  les  Sainctz  se  conferment  et  se  consolent  souvent,  en  ré- 
duisant en  mémoire  leur  innocence  et  intégrité,  et  aucunesfois  la 
mettent  en  avant  :  cela  se  fait  en  deux  manières.  C'est  que  en  ac- 

20  comparant  leur  bonne  cause  avec  la  mauvaise  cause  des  iniques, 
ilz  conceoivent  de  cela  espérance  de  victoire  :  non  pas  tant  pour  la 
valeur  ou  estime  de  leur  justice,  que  pource  que  l'iniquité  de  leurs 
ennemyz  mérite  cela.  Secondement,  quand  en  se  recongnoissantz 
devant  Dieu,  sans   se  comparer  avec  les   autres,  ilz  receoivent 

23  quelque  consolation  et  fiance  de  la  pureté  de  leur  conscience. 
De  la  première  raison,  nous  en  voyrrons  cy  aprez.  Maintenant 
despeschons  briefvement  la  seconde,  comment  c'est  qu'elle  peut 
convenir  et  accorder  avec  ce  que  nous  avons  desja  dict  :  à 
scavoir   qu'il  ne  nous   fault  appuyer  sur  aucune   fiance  de  noz 

30  œuvres  au  jugement  de  Dieu,  et  ne  nous  en  fault  nullement  glo- 
rifier. Or  ceste  est  la  convenance  que  les  Sainctz ,  quand  il  est 
question  de  fonder  et  establir  leur  salut,  sans  avoir  regard  à 
leurs  œuvres,  fichent  les  deux  yeux  en  la  seule  bonté  de  Dieu. 
Etnon  seulement  s'adressent  à  icelle  devant  toutes  choses,  comme 

33  au  commencement  de  leur  béatitude  :  mais  l'ayant  aussi  bien  pour 
accomplissement,  y  acquiescent  du  tout,  et  s'y  reposent.  Après 
que  la  conscience  est  ainsi  fondée,  dressée  et  confermée  :  elle 
se  peut  aussi  fortifier  par  la  considération  des  œuvres  :  à  scavoir 
entant  que  ce  sont  tesmoignages  que  Dieu  habite  et  règne  en  nous. 


DE  LA    JUSTIFICAÏIO.N.  389 

Puis  donc  que  ceste  fiance  des  œuvres  n'a  point  lieu,  jusques  à 
ce  que  nous  ayons  remis  toute  la  fiance  de  nostre  cœur  en  la 
miséricorde  de  Dieu  :  cela  ne  fait  rien  pour  monstrer  que  les 
œuvres  justifient,  ou  d'elles  mesmes  puissent  asseurer  l'homme. 
5  Pourtant  quand  nous  excluons  la  fiance  des  œuvres  :  nous  ne 
voulons  autre  chose  dire,  sinon  que  l'ame  chrestienne  ne  doibt 
point  reg^arder  au  mérite  des  œuvres,  comme  à  un  refuge  de  sa- 
lut :  mais  du  tout  se  reposer  en  la  promesse  gratuite  de  justice. 
Ce  pendant  nous  ne  luy  delTendons  pas,  qu'elle  ne  se  soustienne 

10  et  conferme  par  tous  signes,  qu'elle  ha  de  la  benevolence  de 
Dieu,  (^ar  si  tous  les  dons,  que  Dieu  nous  a  faiclz  ([uand  nous  les 
réduisons  en  mémoire,  sont  comme  rayons  de  la  clairté  de  son 
visage,  pour  nous  illuminer  à  contempler  la  souveraine  lumière 
de  sa  bonté  :  par  plus  forte  raison  les  bonnes  œuvres,  qu'il  nous 

15  a  données,  doivent  servir  à  cela  :  lesquelles  demonstrent  l'Esprit 
d'adoption  nous  avoir  esté  donné.  Quand  donc  les  Sainct/  con- 
ferment  leur  Foy  par  leur  innocence,  ou  en  prennent  matière 
de  se  resjouyr  :  ilz  ne  fout  autre  chose,  sinon  reputer  que  les 
fruictz.  de  leur  vocation,  que  Dieu  les  a  adoptez  pour  ses  enfans. 

20  Ce  donc  que  dit  Salomon,  qu'en  la  crainte  du  Seigneur  il  y   a  Prov.  17. 
ferme  asseurance  :  ce  que  les  Sainctz  pour  estre  exaulcez  de  Dieu  Gen.  2i. 
usent    aucunesfois   de    ceste   remonstrance,  qu'ilz   ont    cheminé 
devant  sa  face  en  intégrité   et  simplicité  :  tout  cela  n'a  point  de  i.  Boys 
lieu  cl   faire   fondement,   pour  édifier  la   conscience  :    mais    lors 

25  seulement  peut  valoir,  quand  on  le  prend  comme  enseigne  de  la 
vocation  de  Dieu.  Car  la  crainte  de  Dieu  n'est  nulle  part  telle, 
qu'elle  puisse  donner  ferme  asseurance  :  et  tous  les  Sainctz  en- 
tendent bien  qu'ilz  n'ont  pas  pleine  intégrité,  ains  qui  est  meslée 
avec  beaucoup  d'irnperfections  et  reliques  de  leur  chair  :   mais 

30  pource  que  des  fruictz  de  leur  régénération  ilz  prennent  argument 
et  signe  que  le  Sainct  Esprit  habite  en  eux,  ilz  n'ont  pas  petite 
matière  à  se  confermer,  d'attendre  l'ayde  de  Dieu  en  toutes  né- 
cessitez :  veu  qu'ilz  l'expérimentent  Père  en  si  grandchose. 
Or  ilz  ne  peuvent  cela  faire,  que  premièrement  ilz  n'ayent  appre- 

sshendé  la  bonté  de  Dieu,  s'asseurans  d'icelle  parles  promesses  de 
l'Evangile  tant  seulement.  Car  s'ilz  conmiencent  une  fois  de  la 
reputer  selon  les  œuvres,  il  n'y  aura  rien  plus  incertain  ne  plus  in- 
firme. Veu  que  si  les  œuvres  sont  estimées  en  elles  mesmes  :  elles 
ne  menaceront  pas  moins  l'homme  de  l'ire  de  Dieu  par  leur  im- 


390  CHAPITRE    VI. 

perfection,  qu'elles  luy  tesmoig-neront  sa  benevolence  par  leur 
pureté  tellement  quellement  accommencée .  Nous  voyons  main- 
tenant que  les  Sainctz  ne  conceoivent  point  une  fiance  de  leurs 
œuvres,  qui  attribue  quelque  chose  au  mérite  d'icelles  (veu 
squ'ilz  ne  les  considèrent  point,  que  comme  dons  de  Dieu,  dont 
ilz  recongnoissent  sa  bonté  :  et  signes  de  leur  vocation,  dont  ilz 
reputentleur  eslection),  n'aussi  qui  derog-ue  rien  à  la  justice  gra- 
tuite que  nous  obtenons  en  Christ  :  veu  qu'elle  dépend,  et  y  est 
appuyée.    D'avantage    ce    que  FEscriture   dit,    que  les  bonnes 

10  œuvres  sont  cause  pourquoy  nostre  Seigneur  fait  bien  à  ses  ser- 
viteurs :  il  fault  tellement  entendre  cela,  que  ce  que  nous  avons 
dit  cy  dessus  demeure  en  son  entier.  C'est,  que  Torigine  et  efïect 
de  nostre  salut  gist  en  la  dilection  du  Père  céleste  :  la  matière 
et  substance,  en  l'obeyssance  de  Christ,  l'instrument,  en  l'illumi- 

15  nation  du  Sainct  Esprit,  c'est  à  dire  en  la  Foy  que  la  lin  est  à  ce 
que  la  bonté  de  Dieu  soit  glorifiée.  Cela  n'enpesche  point  que 
Dieu  ne  receoyve  les  œuvres,  comme  causes  inférieures.  Mais 
dont  vient  cela?  C'est  pour  ce  que  ceux  qu'il  a  prédestinez  par 
sa  miséricorde  à   l'Héritage  de  la  vie  éternelle,  il  les  introduit 

20  selon  sa  dispensation  ordinaire  en  la  possession  d'icelle  par 
bonnes  œuvres.  Ainsi  ce  qui  précède  en  l'ordre  de  sa  dispensa- 
tion, il  le  nomme  cause  de  ce  qui  s'ensuyt  après.  Pour  ceste 
mesme  raison  l'Escriture  semble  advis  signifier  aucunesfois, 
que  la  vie  éternelle  procède  des  bonnes  œuvres  :   non  pas  que 

25  la  louënge  leur  en  doive  estre  attribuée  :  mais  pource  que  Dieu 
justifie  ceux  qu'il  a  esleuz,  pour  les  glorifier  :  finalement  la 
première  grâce,  qui  est  comme  un  degré  à  la  seconde,  est  nom- 
mée cause  d'icelle.  Toutesfois  quand  il  fault  assigner  la  vraye 
cause,  l'Escriture  ne  nous  meine  point  aux  œuvres  :  mais    nous 

30  retient  en  la  seule  cogitation   de    la  miséricorde  de  Dieu.    Car 
qu'est-ce  que  veut  dire  ceste  sentence  de  l'Apostre  ;   que  le  loyer  Bom.  6. 
de  péché  c'est  mort  ;  la  A'ie  éternelle  est  grâce  de  Dieu  ?  Pourquoy 
n'oppose-il  la  justice  à  péché,  comme  la  vie  à  la  mort?  Pourquoy 
ne  met  il  la  justice  pour  cause  de  vie  ;  comme  il  dit  le  péché  estre 

35 cause  de  mort?  car  la  comparaison  eust  esté  ainsi  entière,  la- 
quelle est  aucunement  imparfaicte  comme  il  la  couche  :  Mais  il 
a  voulu  exprimer  en  ceste  comparaison  ce  qui  estoit  vray  :  à 
scavoir  que  la  mort  est  deuë  pour  ses  mérites  :  mais  que  la  vie 
est  située  en  la  seule  miséricorde  de  Dieu, 


DE    LA    .IL'STIIICATION. 


391 


Nous  avons  desja  despesché  le  principal  neiul  de  ceste  matière  : 
c'est  que  d'autant  qu'il  est  nécessaire,  que  toute  justice  soit  con- 
fondue devant  la  face  de  Dieu,  si  elle  est  appuyée  sur  les  leuvres 
elle  est  contenue  en  la  seule  miséricorde  de  Dieu,  et  en  la  seule 
5  communion  de  Christ  :  et  pourtant  en  la  seule  Foy.  Or  nous  avons 
diligemment  à  noter,  que  cestuy  est  le  principal  point,  à  fin  de  ne 
nous  envelopper  en  l'erreur  commun,  non  seulement  du  vulgaire, 
mais  aussi  des  scavans.  Car  (piand  il  est  question  si  la  Foy  ou 
les  ceuvres  justifient  :   ilz  aile^'-uent   les   passages    qui  semblent 

10  advis  attribuer  quelque  mérite  aux  œuvres  devant  Dieu,  comme 
si  la  justification  des  (euvres  estoit  par  cela  demonstrée,  quand 
il  seroit  prouvé  qu'elles  sont  en  quelque  estime  devant  Dieu.  Or 
il  a  esté  clairement  demonstré  que  la  justice  des  œuvres  consiste 
seulement  en   une  parfaicle  et  entière  observation   de    la  Loy  : 

15  dont  il  s'ensuyt,  que  nul  n'est  justifié  par  ses  oeuvres,  sinon 
celuy  qui  est  venu  à  une  telle  perfection,  qu'on  ne  le  scauroit 
redarguer  de  la  moindre  faulte  du  monde.  C  est  donc  une  autre 
question  et  séparée:  h  scavoir  si  les  œ'uvres,  combien  qu'elles  ne 
suiïîsent  point  à  justifier  l'homme,  luy  peuvent  acquérir  faveur 

20  envers  Dieu  ?  Premièrement  je  suis  contrainct  de  protester  cela 
de  ce  nom  de  mérite  :  que  quiconques  l'a  le  premier  attribué  aux 
œuvres  humaines,  au  regard  du  Jugement  de  Dieu,  n'a  pas  faict 
chose  expediente  pour  entretenir  la  syncerité  de  la  Foy.  Quant 
à  moy,  je   me   déporte  voluntiers  de  toutes  contentions,  qui  se 

2!i  font  pour  les  motz  :  mais  je  desirerois  que  ceste  sobriété  eust 
tousjours  esté  gardée. entre  les  Chrestiens  :  qu'ilz  n'eussent 
point,  sans  mestier  et  sans  propoz,  usurpé  vocables  estranges 
de  l'Escriture  :  qui  pouvoyent  engendrer  beaucoup  de  scan- 
dales, et  peu  de  fruict.  Car  quel  mestier  estoit-il,  je  vous  prie, 

30  de  mètre  en  avant  ce  nom  de  mérites  pui.sque  la  dignité  des 
bonnes  (euvres  pouvoit  autrement  estre  expliquée  sans  olfen- 
sion  ?  Or  combien  il  est  venu  de  scandales  de  ce  mot,  nous  le 
voyons  avec  grand  dommage  de  tout  le  monde.  Certes,  comme 
il  est  plain  d'orgueil,  il  ne  peut  sinon  obscurcir  la  grâce  de  Dieu, 

35  et  abreuver  les  hommes  d'une  vaine  oultrecuidance.  Je  con- 
fesse que  les  Anciens  docteurs  de  l'Eglise  en  ont  communé- 
ment usé.  Et  pleust  à  Dieu  que  par  un  petit  mot,  ilz  n'eussent 
point  donné  occasion  d'erreur  k  ceux  qui  sont  venuz  depuis. 
Combien  qu'en  d'aucuns  lieux  ilz  ont  testifié  comment  ilz  ne  vou- 


392  CHAPITRE    VI. 

lovent  point  prejudicier,  en  ce  faisant,  à  la  vérité.  Sainct  Augus- 
tin en  quelque  lieu  dit  :  Que  les  mérites  humains  se  taisent  icy 
lesquelz  sont  periz  en  Adam  :  et  que  la  grâce  de  Dieu  règne, 
comme  elle  règne  par  Jésus  Christ.  Item,  Chrysostome  :  Toutes 

snoz  œuvres  qui  suyvent  la  vocation  gratuite  de  Dieu,  sont  comme 
debtes  que  nous  luy  rendons  :  mais  ses  bénéfices  sont  de  grâce, 
beneficence,  et  pure  largesse.  Toutesfois  laissant  le  nom  derrière, 
considérons  plustost  la  chose. 

Que  c'est  que  méritent  noz  œuvres,  l'Escriture  le  monstre,  disant 

10  qu'elles  ne  peuvent  soustenir  le  regard  de  Dieu,  en  tant  qu'elles 
sont  pleines  dordure  et  immundicité.  Davantage  que  c'est  que 
meriteroit  Tobeyssance  parfaicte  de  la  Loy,  si  elle  se  pouvoit  quel- 
que part  trouver,  elle  le  declaire,  en  nous  commandant  de  nous  Luc  17. 
reput er  serviteurs  inutiles,  quand  nous  aurions  faict  toutes  choses 

15  qui  nous  sont  ordonnées  :  veu  qu'ainsi  mesmes  nous  n'aurions 
rien  faict  à  Dieu  de  gratuit  :  mais  nous  serions  seulement  acquic- 
tez  des  services  à  luy  deubz,  ausquelz  il  ne  doibt  nulle  grâce. 
Toutesfois  le  Seigneur  appelle  les  œuvres  qu'il  nous  a  données 
nostres  ;  et  non  seulement  tesmoigne  qu'elles  luy  sont  agréables, 

20  mais  qu'elles  seront  de  luy  rémunérées.  Maintenant  nostre  office 
est   de  prendre  courage,  et  estre  incitez  de  telles  promesses,  à  2.  Cor.  3. 
ce  que  nous  ne  nous  lassions  point  en  bien  faisant  :  et  aussi  de 
n'estre  pas  ingratz  à  une  telle  bénignité.  11  n'y  a  nulle  doubte 
que  tout  ce  qui  mérite  louenge  en  noz  œuvres,  ne  soit  grâce  de 

23  Dieu  :  et  qu'il  n'y  a  pas  une  seule  goutte  de  bien,  que  nous  devions 
proprement  nous  attribuer.  Si  nous  recongnoissons  cela  à  la  vé- 
rité :  non  seulement  toute  fiance  de  mérite  s'esvanouyra,  mais 
aussi  toute  phantasie.  Je  dy  donc,  que  nous  ne  partissons  point 
la  louenge  des  bonnes  œuvres  entre  Dieu  et  l'homme,  comme 

30  font  les  Sophistes,  mais  la  gardons  entière  à  Dieu.  Seulement 
nous  reservons  cela  à  l'homme,  qu'il  pollue  et  souille  par  son 
immundicité  les  œuvres,  qui  autrement  estoient  bonnes,  comme 
venantes  de  Dieu .  Car  du  plus  parfaict  homme  qui  soit  au 
monde  il  n'y  sort  rien,  qui  ne  soit  entaché  de  quelque  macule. 

3o  Que  Dieu  donc  appelle  en  jugement  les  meilleures  œuvres 
qu'ayent  les  hommes  :  et  en  icelle  il  trouvera  sa  justice,  et  la 
confusion  des  hommes.  Les  bonnes  œuvres  donc  plaisent  à 
Dieu,  et  ne  sont  pas  inutiles  à  ceux  qui  les  font  :  mais  plus- 
tost  en   receoivent  pour  loyer    tresamples  bénéfices   de  Dieu. 


DE    LA    JUSTIFICATION.  393 

Non  pas  qu'elles  le  méritent  :  mais  pource  que  la  bénignité  du 
Seigneur  de  soymesme  leur  ordonne  un  tel  priz.  Or  quelle  in- 
gratitude est-ce  ;  si  n'estans  point  contens  dune  telle  largesse 
de  Dieu,  laquelle  rémunère  les  œuvres  de  loyer  non  deubt  ;  sans 
3  aucun  mérite  d'icelles  ;  nous  passons  oultre  par  une  mauldicte 
ambition,  pretendans  que  ce  qui  est  de  la  pure  beneficence  de 
Dieu,  soit  rendu  au  mérite  des  œuvres  ?  J'appelle  icy  en  tes- 
moignage  le  sens  commun  d'un  cbascun  :  si  celuy  au([uel  l'usu- 
IVuict   d'un   chanqi   est  donné  se    veut  usurper  le  tiltre  de  pro- 

loprieté,  ne  merite-il  pas  par  ti'lle  ingratitude  de  perdre  mesme  la 
possession  qu  il  avoit  ?  Pareillement  si  un  serf,  délivré  de  son 
maistre,  ne  veut  j)oint  recongnoistre  sa  condition,  mais  s'attribue 
ingénuité  :  ne  merite-il  pas  d'estre  rédigé  en  servitude?  Car  ceste 
est  la  faceon    légitime  d'user  des  bénéfices  qu'on  nous  a  faictz, 

15  si  nous  n'entreprenons  pas  plus  que  ce  qui  nous  est  donné  : 
et  ne  fraudons  point  nostre  bienfaicteur  de  sa  louange  :  mais 
plustost  nous  portons  tellement,  (pie  ce  qu'il  nous  a  transféré, 
semble  aucunement  résider  en  luy.  Si  nous  devons  avoir  ceste 
modestie  envers  les  hommes  :    qu'un  thascun   regarde  combien 

20  plus  on  en  doibt  à  Dieu. 

Je  scay  bien  (jue  les  Sophistes  abusent  de  quelques  passages, 
pour  prouver  qu'on  trouve  ce  mot  de  mérite  en  l'Escriture.  Hz 
allèguent  une  sentence  de  l'Ecclesiasticpie.  La  miséricorde  don- 
nera lieu  à  un  chascun,    selon  le  mérite  de  ses  (ouvres.   Item,  de  Eccle.  16. 

îol'Epistre  aux  llebrieux.  Ne  mettez  point  en  oubly  beneficence  et 
communication  :    car  telz  sacrifices  méritent  la  grâce  de  Dieu.  H<-Jjr.  13. 
Combien  que  je  puisse  répudier  l'Ecclésiastique,  entant  que  ce 
livre  n'est  point  canonique  :  toutesfois  je  m'en  déporte.  Mais  je 
leur  nye  quilz  citent  fidèlement  ces  parolles  :  car  il  y  a  ainsi  de 

30  mot  à  mot  au  grec  :  Dieu  donnera  lieu  à  toute  miséricorde  ;  un 
chascun  trouvera  selon  ses  œuvres.  Que  [cje  soit  là  le  sens  naturel, 
et  que  le  passage  ayt  esté  corrompu  en  la  translation  latine,  il  se 
peut  voir  aysement  tant  par  ce  qui  s'ensuyt,  que  par  la  sentence 
mesme,  quand  elle  sera  prinse  seule.  Touchant  de  l'Epistre  aux 

3a  Hebrieux,  ilz  ne  font  que  caviller  :  veu  que  le  mot  grec,  dont 
use  l'Apostre,  ne  signifie  autre  chose,  sinon  telz  sacrifices  estre 
plaisans  à  Dieu.  Cela  seul  suffira  bien  pour  abatre  et  reprimer 
toute  insolence  d'orgueil  en  nous  :  si  nous  ne  passons  point  la  me- 
sure de  l'Escriture,  pour  attribuer  quelque  dignité  aux  œuvres. 


394  CHAPITRE    VI. 

Or  la  doctrine  de  l'Escriture  est,  que  noz  œuvres  sont  entachées 
de  plusieurs  macules,  desquelles  Dieu  seroit  à  bon  droict  ofîen- 
cé,  pour  se  courroucer  contre  nous  :  tant  s'en  fault  quelles  nous 
puissent   acquérir  sa  grâce  et  faveur,    ou  le  provoquer  à  nous 

5  bien  faire.  Neantmoins  pource  que  par  sa  grande  clémence  il 
ne  les  examine  pas  à  la  rigueur,  qu'il  les  accepte  comme  tres- 
pures  :  et  à  ceste  cause  qu'il  les  rémunère  d  infiniz  bénéfices, 
tant  de  la  vie  présente,  comme  future  :  combien  qu'elles  n'ayent 
point  mérité  cela.    Car  je    ne  puis  recevoir  la  distinction   que 

10  baillent  aucuns  personnages  :  c'est  que  les  bonnes  œuvres  sont 
méritoires  des  grâces,  que  Dieu  nous  confère  en  ceste  vie  :  mais 
que  le  salut  éternel  est  loyer  de  la  seule  Foy  :  veu  que  le  Sei- 
gneur nous  promect,  le  loyer  de  noz  labeurs,  et  la  couronne  de 
nostre  bataille  estre  au  Ciel.  D'autrepart  d'attribuer  au  mérite 

15  des  œuvres,  que  nous  recevons  journellement  nouvelles  grâces 
de  Dieu,  tellement  que  cela  soit  osté  à  la  grâce  :  c'est  contre  la 
doctrine  de  l'Escriture.  Car  combien  que  Christ  dise,  qu'il 
sera  donné  de  nouveau  à  celuy  qui  ha,  et  que  le  bon  serviteur, 
qui  s'est  porté  lîdele  en  petites  choses,  sera   constitué  sur  plus 

20 grandes  :    neantmoins   il   demonstre    pareillement,    que    les  ac- 
croissemens    des   tideles    sont  dons     de    sa    bénignité  gratuite. 
Tous  ayans  soif  (dit-il)  venez  à  l'eaûe  :  et  vous  qui  n'avez  point  lésa.  55. 
d'argent,  venez,  et  prenez  sans  argent  et  sans   recompense   du 
vin  et  du  laict.  Parquoy  tout  ce  qui  est  donné  aux  fidèles,  pour 

25  l'advancement  de  leur  salut,  est  pure  benefîcence  de  Dieu  : 
comme  la  béatitude  éternelle.  Toutesfois,  tant  en  ses  grâces  qu'il 
nous  fait  maintenant,  comme  en  la  gloire  future  qu'il  nous 
donnera,  il  dit  qu'il  ha  quelque  considération  de  noz  œuvres  : 
d'autant  que  pour  nous  testifier  sa  dilection  infinie  :  il  luy  plaist 

30  non  seulement  de  nous  honorer  ainsi  :  mais  les  bénéfices  que 
nous  avons  receuz  de  sa  main. 

Si  ces  choses  eussent  esté  traictées  et  exposées  le  temps  passé 
en  tel  ordre  qu'il  appartenoit  :  jamais  tant  de  troubles  et  dissen- 
tions ne  se  fussent   esmeuz.   Sainct   Paul    dit,   qu'il    nous  fault  /.  Cor.  3. 

35  pour  bien  édifier  l'Eglise,  retenir  le  fondement  qu'il  avoit  mis 
entre  les  Corinthiens  :  et  qu'il  n'y  en  a  point  d'autre  :  c'est 
Jésus  Christ.  Quel  fondement  avons-nous  en  Christ  ?  est-ce 
qu'il  a  esté  le  commencement  de  nostre  salut,  à  fin  que  l'accom- 
plissement s'ensuyvist  de  nous  ?  et  qu  il  nous   a  seulement  ou- 


DE    LA    JUSTIFICATION. 


395 


vert  le  chemin,  à  iin  que  nous  le  sua  vissions  après  de  nostre 
industrie?  Ce  n'est  pas  cela  :  mais,  comme  il  avoit  dict  au  para- 
vant,  quand  nous  le  recongnoissons  nous  estre  donné  en  justice. 
Nul  donc  n'est  bien  fondé  en  Christ,  sinon  qu'il  ayt  en  luy  en- 
5  tierement  sa  justice  :  veu  que  TApostre  ne  dit  point,  qu'il  a  esté 
envoyé  pour  nous  ayder  à  obtenir  justice  :  mais  à  fin  de  nous 
estre  justice.  A  scavoir  entant  que  de  toute  éternité,  devant  la 
création  du  monde,  nous  avons  esté  esleuz  en  luy  :  non  point 
selon  aucun  mérite,  mais  selon  le  bon  plaisir  de   Dieu  :   entant 

10  que  par  sa  mort  nous  avons  esté  racheptez  de  condemnation  de 
mort,  et  délivrez  de  perdition  :  que  nous  avons  esté  adoptez  en 
luv  du  Père  céleste,  pour  estre  ses  enfans  et  héritiers  :  que  nous 
avons  esté  reconciliez  à  Dieu,  par  son  sang  :  qu'estans  en  sa  sau- 
vegarde, nous  sommes  hors  des  dangers  de  jamais  périr  :  qu'es- 

13  tans  incorporez  en  luy,  nous  sommes  desja  aucunement  partici- 
pansde  la  vie  éternelle  :  estans  entrez  par  espérance  au  Royaume 
de  Dieu.  Encores  n'est-ce  pas  la  fin  :  mais  aussi  entant  qu'es- 
tans  receuz  en  sa  participation  (jasoit  que  nous  soyons  encores 
folz  en  nous  mesmes)  toutesfois  il  nous  est  sagesse  devant  Dieu  : 

20 combien  que  nous  soyons  pécheurs,  il  nous  est  justice  :  com- 
bien que  nous  soyons  immundes,  il  nous  est  pureté  :  combien 
que  nous  soyons  débiles  et  destituez  de  forces  et  d'armures, 
pour  résister  au  Diable,  que  la  puissance  qui  luy  a  esté  donnée 
au  Ciel  et  en  terre,  pour  briser  le  Diable,   et  rompre   les  portes 

25  d'Enfer,  est  nostre  :  coml)ien  que  nous  portions  encores  un  corps 
mortel,  qu'il  nous  est  vie  :  briȔf,  que  tous  ses  biens  sont  nostres, 
et  en  luy  nous  avons  tout,  en  nous  rien.  Il  fault  donc  que  nous 
soyons  édifiez  sur  ce  fondement,  si  nous  voulons  estre  temples 
consacrez  à   Dieu.   Mais  le  monde   a  bien  esté   autrement  en- 

soseigné  passé  longtemps.  On  a  trouvé  je  ne  scay  quelles  œuvres 
morales,  pour  rendre  les  hommes  agréables  à  Dieu,  devant 
qu'ilz  soyent  incorporez  en  Christ  :  comme  si  l'Escriture  men- 
toit,  quand  elle  dit,  que  tous  ceux  qui  ne  possèdent  point  le 
Filz,    sont  en   la  mort.    S'ilz  sont  en   la   mort,  comment  pour- 

35roient-ilz  engendrer  matière  de  vie.  Pareillement  comme  si  cela 
estoit  dict  pour  néant,  que  tout  ce  qui  est  faict  hors  Foy  est  pe-  Rom.  14. 
ché  :  et  comme  s'ilpouvoit  sortir  bon  fruict  d'un  mauvais  arbre  : 
Et  qu'est-ce    qu'ont  laissé  ces    meschans    Sophistes   à   Christ  ; 
en  quoy  il  desploye  sa  vertu  ?  Hz  disent  qu'il  nous  a  mérité  la 


396  CHAPITRE    VI. 

première  grâce  :  c'est  à  dire,  occasion  de  mériter  :  mais  que  c'est 
maintenant  à  nous  à  faire,  de  ne  défaillir  point  h  ceste  occasion 
qui  nous  est  donnée.  Quelle  impudence,  et  combien  effrénée  ? 
Qui  eust  attendu;  que  ceux  qui  font  profession  d'estre  chrestien; 

5  eussent  ainsi  despoillé  Jésus  Christ  de  sa  vertu  ;  pour  le  fouUer 
quasi  aux  j)iedz  ?  L'Escriture  luy  rend  par  tout  ce  tesmoignage, 
que  tous  ceux  qui  croyent  en  luy,  sont  justifiez  :  et  ces  canailles 
enseignent,  qu'il  ne  nous  provient  autre  bénéfice  de  luy,  sinon 
qu'il  nous  a  faict  ouverture  pour  nous  justifier.  0  s'ilz  pouvoient 

10  gouster  que  veuUent  dire  ces   sentences  :  que  quiconques  ha  le 
Filz  de  Dieu,  ha  aussi  la  vie  :  que    quiconques  croyt,   est  passé  I .  Jean  3. 
de  mort  en    vie,  et  est  justifié   par  sa  grâce,    à  fin    d'estre  faict  7ean  5. 
héritier  de  la  vie  éternelle  :   qu'il  ha  Christ  habitant    en   soy,  à  Tit.  3. 
fin  dTadh  erer  à  Dieu  par  luy  :  qu'il  est  participant  de  sa  vie  :  est  Ephe.  I . 

13  assis  au  Ciel  avec  luy,  est  desja  transféré  au  Royaume  de  Dieu,    ^  "' 
et  a  obtenu  salut  :   et   autres  semblables   qui  sont  infinies.   Car 
elles  ne  signifient  pas  seulement,  que  la  faculté   d'acquérir  jus- 
tice ou  salut  nous  adviennent  par  Jésus  Christ  :  mais  que  l'une 
et  l'autre  nous  est  en  luy  donnée.  Pourtant  incontinent  que  nous 

20  sommes  par  Foy  incorporez  en  Christ ,  nous  sommes  faictz 
enfans  de  Dieu,  héritiers  des  cieulx,  participans  de  justice,  pos- 
sesseurs de  vie  :  et  pour  redarguer  leurs  mensonges,  nous  n'a- 
vons pas  seulement  obtenu  l'opportunité  de  mériter  :  mais  tous 
les  mérites   de  Christ,   car   ilz  nous  sont  communiquez.   Voylà 

23  comme  les  Sophistes  des  escholles  Sorboniques,  mere[s]  de  tous 
erreurs,  nous  ont  destruictz  toute  la  justification  de  la  Foy  :  en 
laquelle  estoit  contenue  la  somme  de  toute  pieté.  Hz  confessent 
bien  de  parolles,  que  l'homme  est  justifié  de  Foy  formée  :  mais 
ilz  exposent  après,  que  c'est  pource  que  les  œuvres  prennent  de 

30  la  Foy  la  valeur  et  vertu  de  justifier  :  tellement  qu'il  semble 
advis,  qu'ilz  ne  nomment  la  Foy  que  par  mocquerie  :  d'autant 
qu'il  ne  s'en  pouvoient  du  tout  taire  :  veu  qu'elle  est  si  souvent 
répétée  en  l'Escriture.  Encores  n'estantz  point  contens  de  cela, 
ilz  desrobent  à  Dieu  en  la    louënge  des  bonnes  œuvres  quelque 

35 portion,  pour  la  transférer  à  l'homme.  Car  pource  qu'ilz  voyent 
que  les  bonnes  œuvres  ne  peuvent  gueres  à  exalter  l'homme,  et 
mesmes  qu'elles  ne  doibvent  point  proprement  estre  appellées  mé- 
rites, si  on  les  estime  fruictz  de  la  grâce  de  Dieu;  ilz  les  déduisent 
de  la  faculté  du  franc  arbitre  :  à  scavoir  de  l'huyle  d'une  pierre.  • 


UK    LA   .ILSTIFICATION.  31)7 

Bien  est  vray,  qu'ilz  ne  nyent  pas  que  la  principale  cause  ne 
soit  de  la  ^race  :  mais  ilz  ne  veulent  point  que  le  franc  arbitre 
soit  excludz,  dont  procède,  comme  ilz  disent,  tout  mérite.  Et 
n'est  pas  la  doctrine  des  Sophistes  nouveaux  seulement  :  mais 
r)  leur  grand  maistre  Pierre  Lombard  en  dit  autant:  lequel,  au 
priz  des  autres,  est  de  bien  sobre  entendement.  Ce  a  esté  certes 
un  merveilleux  aveuglement,  de  lire  en  S.  Augustin,  lequel  il 
ha  si  souvent  en  la  bouche:  et  ne  voyr  point  de  quelle  solicitude 
[c  |e   sainct  personnage  se  donne  garde  de  tirer  à  l'homme  une 

10  seule  goutte  de  la  louënge  des  bonnes  œuvres.  Nous  avons  cy 
dessus  en  traictant  du  libéral  arbitre,  recité  quelques  tes- 
moignages  de  luy  à  ce  propoz  :  ausquelz  on  en  trouvera  mil' 
semblables  en  ses  escriptz.  Conmie  quand  il  dit,  que  tout  nostre 
mérite  vient  de  grâce  :  et  qu'il  nous  est  entièrement  donné  par 

isicelle,  et  non  point  acquis  par  nostre  sulïisance,  etc.  Ce  n'est 
pas  si  grand'  merveille,  de  (juoy  il  n'a  point  esté  esclairé  par  la 
lumière  de  l'Escriture  :  d  autant  qu'il  n'y  estoit  gueres  exercité. 
Toutesfois  on  ne  pourroit  désirer  contre  luy  et  toute  sa  séquelle 
une  sentence  plus  claire  :    qu'est  celle  de  S.  Paul  :  quand  après 

20  avoir  interdict  aux  Chrestiens  toute  gloire,  il  adjouste  la  raison 
pourquoy  il  ne  leur  est  point  licite  de  se  glorifier.    Car  nous 
sommes,  dit-il,  l'œuvre  de  Dieu,  créez  à  bonnes  œuvres  :  lesquelles 
il  a  préparées,  à  lin  que  nous  cheminions  en   icelles.  Puis  (\xi"û  EpJie .  2 . 
n'y  sort  nul  bien  de  nous,  sinon  d'autant  que  nous  sommes  rege- 

25nerez  :  et  nostre  régénération  est  toute  de  Dieu,  sans  en  rien  excep- 
ter :  c'est  sacrilège,  de  nous  attribuer  un  seul  grain  de  la  louënge 
des  bonnes  œuvres.  Finalement  combien  que  [cjcs  Sophistes  sans 
lin  et  sans  cesse  parlent  des  bonnes  œuvres  :  toutesfois  ilz  instrui- 
sent tellement  les  consciences  ce  pendant,  que  jamais  elles  ne 

sos'oseroient  fier,  que  Dieu  fust  propice  à  leurs  œuvres.  Nous  au  con- 
traire, sans  faire  nulle  mention  de  mérite,  donnons  toutesfois  une 
singulière  consolation  aux  fidèles  par  nostre  doctrine  :  quand 
nous  leur  testifions  :  quilz  sont  plaisans  et  agréables  à  Dieu  en 
leurs  œuvres  :  mesmes  nous  requérons  que  nul  n'attente  ou  en- 

•^"^  treprenne  œuvre  aucune,  sans  Foy  :  c'est  à  dire  sans  avoir  déter- 
miné pour  certain  en  son  cœur,  qu'elle  plaira  à  Dieu, 

Pourtant  ne  souffrons  nullement,  qu'on  nous  destourne 
de  ce  fondement,  et  ne  fust  ce  que  de  la  poincte  d'une  espingle, 
car  sur   iceluy  doibt  reposer  tout  ce  qui  appartient  à  Tedifica- 


398  CHAPTTRE    VI. 

tion  de  l'Eg-lise.  Ainsi  tous  les  serviteurs  de  Dieu,  ausquelz  il  a 
donné  la  charge  d'édifier  son  Règne,  après  avoir  mis  ce.  fonde- 
ment, s'il  est  mestierde  doctrine  et  exhortation  :  ilz  admonestent  Jean  3. 
que  le  Filz  de  Dieu  est  apparu,  à  fin  de  destrujre  les  œuvres  du 
5  Diable  :  à  ce  que  ceux  qui  sont  de  Dieu  ne  pèchent  plus  :  qu'il  suf-  /.  Pier.  i. 
fist  bien  que  le  temps    passé    nous    ayons    suyvy  les  désirs   du 
monde  :  que  les  esleuz  de  Dieu  sont  instrumens  de  sa  miséricorde, 
et  séparez  à  honneur:  ainsi  quilz  doibvent  estre  purgez  de  toute  2.  Thi.  2. 
ordure.  Mais  soubz  ce  mot  tout  est  comprins,  quand  il  est  dict  que 

10  Christ  veult  avoir  des   disciples,   lesquelz  s'estans    renoncez,  et 
ayans  prins  leur  croix  pour  porter,  le   suyvent.    Celuy  qui  a  re- 
noncé à  soymesme,  a  desja  coppé  la  racine  de  tous  maulx  :  c'est 
de  ne  cercher  plus  ce  qui  luy  plaist.  Celuy  qui  a  prins  sa  croix  Luc  II. 
pour  la  porter,  sest  disposé  à  toute  patience  et  mansuétude.  Mais 

15  l'exemple  de  Christ  comprend,  tant  ces  choses,  que  tous  autres 
offices  de  pieté  et  saincteté.  Car  il  s'est  rendu  obeyssantà  son  Père  Phil.  2. 
jusques  à  la  mort:  il  a  esté  entièrement  occupé  à  parfaire  les  œu-  Jean  o. 
Ares  de  Dieu  de  tout  son  cœur  :  il  a  tasché  d'exalter  la  gloire  d'ice- 
luy  :  il  a  mis  sa  vie  en  abandon  pour  ses  frères  :  il  a  rendu  le  bien 

20  pour  le  mal  à  ses    ennemyz.  S'il  est  mestier  de  consolation,  les 
mesmes  serviteurs  de  Dieu  en  donnent  de  singulières  :  c'est  que 
nous  endurons  tribulations,  mais  nous  n'en  sommes  pas  en  an-  2.  Cor.  4. 
goisse,  nous  sommes  en  indigence,  mais  nous  ne  sommes  point  des- 
tituez :  nous  avons  de  grans  assaulx,  mais  nous  ne  sommes  point 

23  abandonnez:  nous  sommes  comme  abbatuz,  mais  nous  ne  périssons  2.  Thi.  2. 
point  ains  portons  la  mortification  de  Jésus  Christ  en  nostre  corps  : 
afin  que  sa  vie  soit  manifestée  en  nous  :  si  nous  sommes  mortz  avec  Philip.  3. 
luy,  nous  vivrons  aussi  avec  luy  :  si  nous  endurons  avec  luy,  nous 
régnerons  pareillement.  Que  nous  sommes  configurez  à  ses  pas- 

30  sions,  jusques  à  ce  que  nous  parvenions  à  la  similitude  de  sa  Resur-  Rom.  S. 
rection  :  veu  que  le  Père  a  ordonné,  que  tous  ceux  qu'il  a  esleuz  en 
Christ,  soient  faictz  conformes  à  son  image  :  à  fin  qu'il  soit  pre- 
mier nay  entre  tousses  frères.  Et  pourtant  qu'il  n'y  an'adversité,  ne 
mort,  ne  choses  présentes  ne  futures,  qui  nous  puissent  séparer  de 

35  l'amour  que  Dieu  nous  porte  en  Christ  :  mais  plustost,  que  tout  ce 
qui  nous  adviendra,  nous  tournera  en  bien  et  en  salut.  Suyvant 
ceste  doctrine  :  nous  ne  justifions  pas  l'homme  devant  Dieu  par  ses 
œuvres,  mais  nous  disons,  que  tous  ceux  qui  sont  de  Dieu  sont  ré- 
générez et  faictz  nouvelles  créatures,  à  ce  que  du  règne  de  péché 


DE    LA  JUSTIFTCATION.  399 

ilz  viennent  au  Royaume  de  justice  :  que  par  telz  tesmoignages 
ilz  rendent  leur  vocation  certaine,  et  comme  arbres  sont  jugez 
de  leurs  fruictz.  2.Pier.  I. 

Par  cela  se  peut  réfuter  limpudence  d'aucuns  meschans  qui 

5  nous  imposent  que  nous  abolissons  les  bonnes  œuvres,  et  reti- 
rons les  hommes  d'icelles,  quand  nous  enseig-nons  que  par  œuvres 
nul  n'est  justilié,  et  ne  mérite  salut.  Secondement  que  nous  faisons 
le  chemin  à  justice  trop  aisé,  disant  qu'elle  gist  en  la  remission  gra- 
tuite de  noz  péchez  :  et  (jue  par  ceste  flatterie  nous  aleischons  les 

10  hommes  à  mal  faire,  qui  autrement  y  sont  trop  enclins  de  nature. 
Ces  calumnies,  dj-je,  sont  assez  refutées  par  ce  que  nous  avons 
dict  :  toutesfois  je  respondray  briefvement  à  l'un  et  à  l'autre.  Hz 
allèguent  que  les  bonnes  d'uvres  sont  destruictes  quand  on 
presche  la  justification   de  la  Foy.  Et  qu'est-ce  :  si  plustost  elles 

la  sont  érigées  et  establies  ?  Car  nous  ne  songeons  point  une  Foy, 
qui  soit  vuide  de  toutes  ])onnes  (ouvres  :  ou  une  justification,  qui 
puisse  consister  sans  icelles.  Mais  voylà  le  neud  de  la  matière, 
que  jasoit  que  nous  confessions  la  Foy  et  les  bonnes  œuvres  estre 
nécessairement  conjoinctes  ensemble  :  toutesfois  nous  situons  la 

20 justice  en  la  Foy,  non  pas  aux  œuvres.  La  raison  pourquoy.  est 
facile  à  expliquer,  moyennant  que  nous  regardions  Christ,  auquel 
la  Foy  est  dirigée,  et  dont  elle  prend  toute  sa  force.  Car  dont 
vient  que  nous  sommes  justifiez  par  Foy  ?  C'est  pource  que  par 
icelle  nous  appréhendons  la  Justice  de  Christ  :  laquelle  seule  nous 

25  reconcilie  à  Dieu.  Or  nous  ne  pouvons  appréhender  ceste  justice, 
que  nous  n'ayons  aussi  sanctification.  Car  quand  il  est  dict,  que 
Christ  nous  est  donné  en  rédemption,  sagesse  et  justice,  il  est 
pareillement  adjousté  qu'il  nous  est  donné  en  sanctification.  De 
cela  s'ensuyt  que  Christ  ne  justifie  personne,  qu'il  ne  le  sanctifie 

30  quant  et  quant.  Car  ces  bénéfices  sont  conjoinctz  ensemble  comme 
d'un  lyen  perpétuel:  que  quand  il  nous  illumine  de  sa  sagesse,  il 
nous  rachette  :  quand  il  nous  rachette,  il  nous  justifie  :  quandil  nous 
justifie,  il  nous  sanctifie.  Mais  pource  qu'il  n'est  maintenant  ques- 
tion que  de  justice  et  sanctification,  arrestons-nous  en  ces  deux. 

35  Combien  donc  qu'il  les  faille  distinguer:  toutesfois  Christ  contient 
inséparablement  l'un  et  l'autre.  Voulons  nous  donc  recevoir  justice 
en  Christ  :  il  nous  fault  posséder  Christ  premièrement.  Or  nous  ne 
le  pouvons  posséder  que  nous  ne  soyons  participans  de  sa  sancti- 
fication :  veu  qu'il  ne  se  peut  deschirer  par  pièces.  Puis  qu'ainsi 


400  CHAPITRE    VI. 

est,  dy-je,  que  le  Seigneur  Jésus  jamais  ne  donne  à  personne  la 
jouyssance  de  ses  bénéfices,  qu'en  se  donnant  soymesme,  il  les 
eslargist  tous  deux  ensemble,  et  jamais  l'un  sans  l'autre.  Delà  il 
appert,  combien  est  ceste  sentence  véritable,  que  nous  ne  sommes 

5  point  justifiez  sans  les  œuvres  :  combien  que  ce  ne  soit  point  par 
les  œuvres;  d'autant  qu'en  la  participation  de  Christ,  en  laquelle 
gist  nostre  justice,  n'est  pas  moins  contenue  sanctification. 

C'est  aussi  une  menterie.  de  dire  que  nous  destournons  les 
cœurs  des  hommes  dalTection  de  bien  faire,  en  leur  ostant  la 
phantasie  de  mériter.  Car  ce  qu'ilz  disent  que  nul  ne  se  soucA'era 

10  de  bien  vivre,  sinon  qu'il  espère  quelque  loyer:  en  celailz  s'abusent 
trop  lourdement.  Car  si  on  ne  cerche  autre  chose  sinon  que  les 
hommes  servent  à  Dieu  pour  rétribution,  et  soient  comme  merce- 
naires :  quiluy  vendent  leur  service,  c'est  bien  mal  profïité.  Il  veult 
estre  honoré  etaymé  d'un  franc  courage  :  et  approuve  un  serviteur, 

13  lequel  quand  toute  espérance  de  loyer  luy  seroit  ostée  ne  laisse- 
roit  point  neantmoins  de  le  servir.  Or  si  mestier  est  d'inciter  les 
hommes  à  bien  faire  :  il  n'y  a  nulz  meilleurs  espérons  à  les  picquer, 
que  quand  on  leur  remonstre  la  fin  de  leur  rédemption  et  vocation. 
C'est  ce  que  fait  la  parolle  de  Dieu,  quand  elle  dit,  que  noz  cons- 

20  ciences  sont  nettoyées  des  œuvres  mortes,  par  le  sang  de  Christ  à 
fin  que  nous  servions  au  Dieu  vivant  :  que  nous  sommes  délivrez  de  Heb.  9. 
la  main  de  noz  ennemyz,  à  fin  que  nous  cheminions  devant  Dieu  en  Luc  1 . 
justice  et  saincteté  tous  les  jours  de  nostre  vie:  qu'en  ce  est  apparue 
la  grâce  de  Dieu,  à  fin  que  renonceans  à  toute  impieté  et  désirs  TH.  2. 

25  mondains,  nous  vivions  sobrement,  sainctement,  et  religieuse- 
ment en  ce  siècle,  attendans  l'espérance  bien  heureuse,  et  la  révé- 
lation de  la  gloire  de  nostre  grand  Dieu  et  Sauveur  :  que  nous  ne 
sommes  point  appeliez  pour  provoquer  l'ire  de  Dieu  contre  nous,  i, Thés.  5. 
mais  pour  obtenir  salut  en  Christ  :  que  nous  sommes  temples  du  Ephe.  2. 

30  S.  Esprit,    lesquelz  il  n'est  point  licite  de  poluer  :  que  nous  ne  [2.]Cor.6. 
sommes  pas  ténèbres,  mais  lumière  en  Dieu  :  et  pourtant  qu'il 
nous  fault   cheminer  comme   enfans    de  lumière  :   que  nous  ne 
sommes  point  appeliez  à  immundicité,    mais  à  saincteté  :  et  que  [i.]  The. 
la  volunté  de  Dieu,  est  nostre  sanctification,  à  lin  que  nous  nous    -^-^'l^-] 

35  abstenions  de  tous  désirs  pervers  :  que  puis  que  nostre  vocation 
est  saincte,  nous  ne  pouvons  respondre  à  icelle,  sinon  en  pureté  de 
vie:  que  nous  avons  esté  délivrez  de  péché,  afin  d'obéir  à  justice.  Y 
avoit-il  argument  plus  vif  pour  nous  inciter  à  charité,  que  celuy 


DÉ    LA  JLStlFlCATIOX.  40l 

dont  use  Sainct  Jean;  cost.  (juo   nous  nous  avniions   mutuelle-  I.  Jean  4. 
nient  ;  comme    Dievi   nous  ;i  avmez  ;  et  qu  en  cela  diirerent  les 
enfans  de  Dieu,  des  enlans  du  Diable;  les  enfans  de  lumière,  des 
enfans  de  ténèbres;  pource  ijuil  demeurent  en    dilection?  Item 
a  celuy  dont  use  Sainct  Paul  :  C  est  que  si  nous  adhérons  à  Christ,  Hom.  12. 
nous  sommes  membres  d'un  mesme  corps;  et  pourtant  qu'il  nous  I. Cor. 12. 
fault  appliquer  à  nous  ayder  mutuellement?  Pouvions  nous  avoir 
meilleure  exhortation  à  saincteté,  que  de  ce  que  dit  Sainct  Jean, 
que  tous  ceux  qui  ont  espérance  de  vie  se  sanctifieni  ;  puis  que 

•<>  leur  Dieu   est  sainct?    Item,  quand  nous  oyons  de  la  bouche   de  I .  Jean  3. 
Christ  ;  quil  se  propose  en  exemple  à  nous;  à  fin  qiu^  nous  ensuy- 
vions  ses    pas  ?    J'ay  voulu  briefvement    amener  ces   passa<^"es.  Jeun  to. 
comme  pour  monstre.   Car  si  je  voulois  assendjler  tous  les  sem- 
blables :  il  me  f'auldroit  faire  un  long  volume.  Les  Apostres  sont 

ij  tous  pleins  d  exhortations,  remonstrances,  reprehentions,  pour 
instituer  l'homme  de  Dieu  à  toute  bonne  œuvre  :  et  ne  font  aucune 
niention  de  mérite.  Plustost  aucontraire,  ilz  prennent  leurs  prin- 
cipales exhortations  delà,  que  nostre  salut  consiste  en  la  miséri- 
corde de  Dieu,  sans  que  nous  ayons  rien  mérité.  Comme  fait  Sainct 

20  Paul,  quand,  après  avoir  enseigné  par  toute  l'Epistre,  que  nous  lioni.  12. 
n'avons  nulle  espérance  de  salut,  sinon  en  la  grâce   de  Christ  : 
quand  il  vient    à   exhorter,    il  fonde  sa  doctrine  sur  ceste  misé- 
ricorde, qu'il  avoit  preschée.  Et  pour  en   bien  dire,  ceste   seule 
cause    nous   devroit    assez    esmouvoir  à  bien    vivre,    à    lin    (jue  Mat.  o. 

25  Dieu  soit  glorifié  en  nous.  Et  s'il  y  en  a  aucuns,  qui  ne  sovent 
pas  tellement  touchez  de  la  gloire  de  Dieu  :  si  est-ce  que  la 
mémoire  de  ses  bénéfices  les  doibt  suffisamment  inciter.  Mais 
ces  pharisiens,  pource  qu'en  exaltant  les  mérites,  arrachent  quasi 
par    force  du  peuple   quelques    (euvres   servîtes  :     ilz    nous   im- 

30  posent  faulsement,  que  nous  n'avons  rien  pour  exhortera  bonnes 
œuvres,  pource  que  nous  ne  su  wons  point  leur  train.  Comme 
si  Dieu  se  delectoit  beaucoup  de  telz  services  contrainctz  : 
lequel  déclare  qu'il  n'accepte  autre  sacrifice,  sinon  celuy  qui 
vient  de  franche  volunté  ;  et  deffend  de  rien  donner  en  tristesse 

33  ou  de  nécessité.  Je  ne  dy  pas  cela,  pource  que  je  rejette  ou  2.  Cor.  9. 
mesprise  la  manière  d'exhorter,  dont  l'Escriture  use  souvent  • 
à  fin  de  ne  laisser  nul  moyen  pour  esveiller  nostre  paresse. 
C'est  qu'elle  nous  propose  le  loyer  que  Dieu  rendra  à  un 
chascun  selon  ses  œuvres  :  mais  je  nye,  qu'il  n'v  en  avt 
Institution.  ->,; 


402  CHAPITRE    VI. 

point  d'autre  :  et  mesmes  que  ceste  soit  la  principale.  D'avantage 
je  n'accorde  pas,  qu'il  faille  commencer  par  là.  Finalement  je 
maintiens  que  cela  ne  fait  rien  pour  ériger  les  mérites,  telz  que  noz 
adversaires  les  forgent  :  comme  nous  verrons  cy  aprez.    Oultre- 

o  plus  je  dx  que  cela  ne  proffiteroit  de  rien,  sinon  que  ceste  doc- 
trine eust  préoccupé  :  c'est  que  nous  sommes  justifiez  par  le  seul 
mérite  de  Christ  :  auquel  nous  participons  par  Foy.  et  non  point 
d'aucuns  mérites  de  noz  œuvres.  Car  nul  n'est  disposé  à  saincte- 
ment  vivre,  qu'il    n'ayt  premier  receu  et  bien  gousté  ceste  doc- 

lotrine.  Ce  cpie  le  Prophète  enseigne  tresbien,  quand  il  dit,  parlant  Psal.130. 
à  Dieu  :  Il  y  a  mercy  envers  toy,  Seigneur:  à  fin  que  tu  soys  re- 
doubté.  Il  demonstre,  qu'il  n'y  a  nulle  révérence  de  Dieu  entre  les 
hommes,  sinon  après  que  sa  miséricorde  est  congnuë  :   laquelle 
en  est  le  fondement. 

la  C'est  aussi  une  caKmmie  trop  frivole,  de  dire  que  nous  con- 
vyons  les  hommes  à  péché,  en  preschant  la  remission  des  péchez 
gratuite  :  en  laquelle  nouscolloquons  toute  justice.  Car  en  parlant 
ainsi,  nous  la  poysons  de  si  grand  poix,  qu'elle  ne  peut  estrc 
compensée  d'aucuns  biens  procedans   de  nous  :  et  pourtant  que 

20  nous  ne  la  pourrions  obtenir,  sinon  quelle  fust  gratuite.  Or  nous 
disons  qu'elle  nous  est  gratuite,  mais  non  pas  à  Christ  :  auquel 
elle  a  cousté  bien  cher  :  car  il  l'a  rachetté  de  son  Iresjiretieux  et 
sacré  sang  :  pource  qu  il  n'y  avoit  nul  autre  pris,  par  lequel  le 
Jugement  de  Dieu  peut  estre  contenté.  Ft   enseignant    ainsi  les 

25  hommes,  nous  les  admonestons  qu'il  ne  tient  point  à  eulx,  que  ce 
sacré  sang  ne  soit  respandu,  toutesfois  et  quanies  quilz  pèchent. 
Davantage  nous  leur  remonstrons,  que  l'ordure  de  péché  est 
telle  qu  elle  ne  se  peut  laver  sinon  par  ceste  seule  fontaine.  En 
oyantcela,  ne  doivent-ilz  pas  concevoir  un  plus  grand  horreur  de 

30  péché  ;  que  si  on  leur  disoit  quilz  se  peussent  nettoyer  par  quel- 
ques bonnes  œuvres  ?  Ft  silz  ont  quelque  crainte  de  Dieu,  comment 
nauront-ilz  horreur  de  se  vfajultrer  encores  en  la  boue,  après 
avoir  esté  purgez  ;  pour  troubler,  entant  qu'en  eulx  est,  et  infecter 
ceste  fonteine  trespure  ;  en  laquelle  ilz  ont  leur  lavement  ?  J'ay 

35  lavé  mes  piedz  (ditl'ame  fidèle  en  Salomon),  comment  les  souille- 
ray-je    de  nouveau?    Il  est  maintenant  notoire,  lesquelz  font  la  CanlL  o. 
remission  des    péchez    plus   vile  et    lesquelz   anneantissent  plus 
la    dignité    de  justice.    Noz    adversaires   babillent,    qu'on    peut 
appaiser  Dieu  par  je  ne  scay  quelles  satisfactions  frivoles  :  c'est 


Di;    LA   .ILSTIFICATION. 


403 


à  ilirt'  p:ii'  CuMiU'  t't  ostrons.  Nous  disons  (juo  l'ofTenso  de  peclu' 
est  trop  «friefve,  pour  se  pou\ oir  ri'tonipenser  de  telz  fatras  :  que 
l'ire  de  Dieu  est  aussi  trop  •;iiervt\  pour  pouvoir  esti'C  remise  si 
le<i^erement.  Kt   pourtant  eest  honneur  et  prero^Mlive  appartient 

5  seulement  au  sang  de  (-luist.  11/  disent  (|ue  la  justiee,  si  elle 
delTault  en  cpielque  endroit,  peut  estre  reparée  par  ivuvres  satis- 
factoires.  Nous  disons  (pi'elle  est  trop  pretieuse,  pour  pouvoir 
estre  si  i'aeilement  ac(piise.  l'it  pourtant  (pie  pour  la  recouvrer, 
il  nous  l'iiull  a\()ir  aostie  refuse  à  la  seule  miséricorde   de  Dieu. 

1"  Le  resti' (pii  apparli»  nt  à  la  remission  des  péchez  a  est»'  sullisani- 
ment  deduict  au  cincpiiesme  Iraicté. 

Maintenant  poursuyvons  les  autrt's  ar^umens,  don!  Salhan 
se  11  orée  de  destruire,  ou  dimimier  par  ses  satellites,  la  juslili- 
cation  de  la  Fov.  Je  pense  (pie  cela  est  desja  osté'  aux  caluninia- 

ts  teurs.  (pi  il  ne  nous  puissent  imposer,  (pie  nous  soyons  enne- 
nnsdes  hoiuies  (envies.  (!ar  nous  nyons  (pie  les  (ruvres  jusli- 
lient  :  non  pas  ;'i  Mn  (pidn  ne  face  nuMes  bonnes  (euvres  :  ou 
(pi'on  ne  les  ayl  en  nulle  estime  :  mais  à  lin  (pi'on  ne  s"\  lie, 
(ju'on  ne  s'en  j^^lorilie.  (pidn  ne  leur  attribue  salul.   (lar  ceste  est 

îiinostre  liance,  nostre  {gloire,  et  port  uni([ue  de  ncstre  salut,  (jue 
Jésus  Christ  le  Fil/,  de  Dieu  est  nostii-  :  et  (ju'en  luy  nous 
sommes  enfans  de  Dieu,  el  héritiers  du  lîoyaume  céleste  : 
appelle/  en  l'espérance  de  heatilud»'  éternelle  :  non  poiiil  piir 
nostre  (li;^^nitt''.  mais  par  la   bénignité  de   Dieu.  Touteslois  jxturce 

i..(pril/  nous  assîiillent  encoi'es  d'autres  basions:  poursuyv(ms 
de  rabati'e  leurs  coups.  Fremieremenl  il/  produyscMil  les  ])ro- 
messes  légales,  (pie  Dieu  a  faictes  it  ceux  (pii  observeront  sa 
Loy.  11/,  demandent,  si  nous  voulons  quelles  soient  vaines, 
ou    de    (juelque    elFicace  ?    Pource   que    ce    seroit    chose   desrai- 

aosonnable  de  les  dire  vaines  :  il/  prennent  pour  certain,  qu ClIes 
sont  de  (juelque  valeur.  Et  de  cela  infèrent,  que  nous  ne 
sommes  pas  justilie/  par  la  seule  Foy  :  veu  ([ue  le  Seigneur 
parle  en  ceste  manière.  Si  lu  escoutes  mes  préceptes,  et  les 
retiens   pour  les  faire    :    le    Seigneur   le    gardera    sa    promesse 

1,  hujuelle  il  a  jurée    à  tes   pères.   Il   t'aymera,  et  te    multipliera,  Deui.  7 
ettebeniëra.  Item,  Si    tu    diriges   bien   tes   voyes   sans    decli- Je/e.  7. 
ner    aux    Dieux    estranges    et    fais    justice   et    droicture,    et    ne 
le    destournes    ])oint   à   mal  :     je    habiteray   avec  toy .    Je    n'en 
veux    point    reciter    mil     semblables,    lesquelles     .se    pourront 


404  CHAPITRE    VI. 

despescher  par  une  mesme  solution  :  veu  ([u'elles  ne  différent 
point  en  sens  d'avec  celles  cy.  La  somme  est,  que  Moyse  tes-  Dent.  il. 
mois-ne,  la  bénédiction  et  la  malédiction,  la  vie  et  la  mort,  nous 
estre  presentée^s^  en  la  Loy.  Ou  il  fault  ([ue  nous  facions  ceste 
5 bénédiction  oysive  et  infructueuse  :  ou  que  nous  confessions,  la 
justification  n  estre  point  en  la  seule  Foy.  Pour  response,  nous 
avons  cy  dessus  monstre,  comment  si  nous  demeurons  en  la 
Loy,  estans  excludz  de  toute  bénédiction,  nous  sommes  envelo- 
pez  en   la  malédiction,  qui   est    dénoncée  à  tous  transgresseurs. 

10  Car  Dieu  ne  promet  rien,  sinon  à  celuy  qui  est  parfaict  obser- 
vateur de  sa  Loy  :  ce  qui  n'advient  à  homme  du  monde .  Gela 
donc  demeure  tousjours  ferme,  que  la  Loy  oblig-e  tout  le  genre 
humain  à  malédiction  et  ire  de  Dieu.  De  laquelle  si  nous  vou- 
lons estre  délivrez,  il  nous   fault    sortir  hors  la    puissance  de  la 

i^Lov  :  et  estre  mis  comme  de  servitude  en  liberté.  Non  pas  en 
une  liberté  charnelle,  lacjuelle  nous  retire  de  l'obeyssance  de  la 
Lov.  et  nous  convye  à  dissolution  et  licence,  et  lasche  la  bride 
à  noz  concupiscences,  pour  se  desborder  :  mais  une  liberté  spiri- 
tuelle,   laquelle  console  et  conferme  la  conscience   troublée  et 

aoespouventée,  luy  remonstrant,  qu'elle  est  délivre  de  la  malé- 
diction et  condemnation,  dont  la  Loy  la  tcnoit  enserrée.  Nous 
obtenons  ceste  délivrance,  quand  en  Foy  nous  appréhendons 
la  miséricorde  de  Dieu  en  Christ  :  par  laquelle  nous  sommes 
renduz  certains    et   asseurez  de    la    rémission    des    péchez  :    du 

25  sentiment  desquelz  la  Loy  nous  poignoit  et  mordoit.  Par  ceste 
raison .  les  promesses  mesmes  qui  nous  sont  offertes  en  la 
Loy,  seroient  infructueuses  et  de  nulle  vertu  :  Si  la  bonté  de 
Dieu  ne  nous  secouroit  par  l'Evangile.  Car  ceste  condition, 
que  nous  accomplissions  la  volunté  de  Dieu,  dont  elles  des- 
pendent, ne  sera  jamais  accomplie.  Or  ce  que  le  Seigneur  nous 
survient,  n'est  pas  en  nous  laissant  une  partie  de  justice 
en  noz  œuvres  et  suppliant  ce  qui  deffault ,  par  sa  béni- 
gnité :  mais  en  nous  assignant  son  seul  Christ  pour  accom- 
plissement   de    justice.     Car    l'Apostre,    ayant  dict,    que    luy 

35  et  tous  autres     Juifz  ,    scachans    que    Thomme    ne    peut    estre 
justifié    par    les    œuvres    de   la    Loy  ,   avoient    creu    en   Jésus 
Christ,    adjouste    la    raison,     non    pas     à    fin     qu'ilz     fussent  Ga/a<.i. 
aydez    par   la   Foy    de   Christ ,    à    obtenir    perfection    de    jus- 
tice :  mais   à   fin  d'estre  justifiez  sans  les  Oeuvres    de  la   Loy. 


30 


UK    LA    ri  SIIFICATION.  lO.» 

Si  It's  fidèles  se  déparient  de  la  Loy,  et  viennent  à  la  Fo\ .  ptnir 
obtenir  justice,  hujuelle  il/,  ne  trouvoient  point  en  la  I.dv  :  il/ 
renoncent  certes  à  la  justice  des  iiuvies.  (JuOn  aniplilie  donc 
maintenant  tant  tpion  vouldra  les  rétributions,  cpu'  la  Loy  de- 
1  nonce  estre  préparées  à  ses  observateurs  :  moyennant  <|u"on  con- 
sidère aussi,  (jue  nostre  perversité  lait,  (pie  nous  n  en  rtcevions 
aucun  fruict,  jus(pies  après  avoir  obtenu  lUie  autre  juslici'.  En 
ceste  manière  David,  après  avoir  parlé  de  la  rétribution,  (pie 
Dieu    a    j)reparée   à    ses    serviteurs  :    incontinent    se  tourne  à  la 

t"  recon«fnoissance   des  pcclu'/.  j)ar   les(|uel7.  elle   est  anneanlic.  II/n,,/.   /.''. 
monstre  bien  donc,  les    biens,  cpii    nous    devi'oient    venir    de  la 
Loy:  mais  ({uand  il  adjouste  conse(piemnu'nt,  (pii   est-ce  (pii  en- 
tendra ses  faultes  ?  Item  en    ce  il   dcnotlc  rempcscliemcnt ,   (pi  il 
fait,  que  la  jouyssance   n  en    vient    point  jusipies  à  nous.    Item, 

i.en  un  autre   lieu,  après  avoir  dict.  cpie   toutes  les  voyes  du  Sei- 
j^neur  sont  bonté  et  vérité  à  ceux  cpii   le  crai'^'nenl  :  il    adjouste. 
à   cause  de  ton   Nom  Sei«;neur,  tu  seras  propice  à    iimii  inn|uilf.  /'s,,    J.;. 
car  «die   est  tres^Mandc    Kn    telle  nuiniere    il    nous    tault    recon- 
{^noistre  la  benevolence   de  Dieu  iKtus  estre  exposée  en  la  Loy  : 

«oSi  nous  la  jiouvions  accjueiir  par  ii«i/  «luvics  :  mais  (pu-  par  le 
mérite  dicelles  jamais  n(»us  ne  l'obtenons,  (juoy  donc  ?  tlira 
quelqu  un.  les  promesses  légales  sont  elles  données  en  vain;  à  fin 
de  s'esvanouir  .'  J'ay  desja  testilié  (pie  je  ne  suis  de  ceste  opi- 
nion.  Mais  je  dy  (pie  l'cllicace  nfn  vient    point    jus(jues   ;«   nous, 

ijcejtendant  (ju  elles  sont  référées  au  mérite  des  o'uvres  :  et  j»our- 
tant  (pie  si  (»n  les  considère  en  tdles   mesmes  (dles  sont  aucune- 
ment  abt)lies.    Kn  ceste  manière    lApostre  dit,  que  ceste   belle  Honi.  10. 
promesse,    où  Dieu  dit  qu'il    nous  a  donné  de    bons  préceptes,  (ialuf.  :i. 
lesquelz  vivifieront  ceux  qui  les  feront,  est  de  nulle  importance  : 

30  si  nous  nous  arrestons  à  icelle  :  et  qu'elle  ne  nous  profTitera  de 
rien  plus,  (jue  si  elle  n  avoit  point  esté  donnée.  Car  ce  qu'elle 
re(juiert,  ne  compete  point  mesmes  au  x  plus  sainct/  serviteurs 
de  Dieu  :  (jui  sont  tous  bien  loing  de  lacconqjlissement  de  la 
Loy,  et  sont  environnez  de  plusieurs  transgressions.  Mais  quand 

3.  les  promesses  Evangeliques  sont  mises  en  avant,  lesquelles  dé- 
noncent la  remission  des  péchez  gratuite  :  non  seulement  elles 
nous  rendent  agréables  à  Dieu,  mais  aussi  font  que  noz  <i'u- 
vres  luy  soyent  plaisantes.  l'.t  non  seulement  à  fin  qu'il  les 
accepte  :  mais  aussi  qu'il    les  rémunère    des   bénédictions,   les- 


U)t) 


CHAPITRi;    VI. 


cjuelles  estoient  deuës  à  l'observation  entière  de  sa  Lov.   par  la 
convenance  qu'il  avoit    faicle.   Je    confesse  donc,  que   le  loyer, 
qu'avoit  promis  le  Seicrneur  en  sa  Loy  à  tous  ol)servateurs  de  jus- 
tice et  saincteté  est  rendu  auz  œuvres  des  fidèles.   Mais  en  telle 
n  rétribution,  il  fault  dili-^^eniment  regarder  la  cause  qui  faict  les 
o'uvrt^s  estre  favora])les.  Or  il  y  a  trois  causes,  dont  cela  procède. 
La  première  est,  que   le  Seii,nunir,    destournant   son  re-ard  des 
(i-uvies  de  ses  serviteurs,  lesquelles  méritent  tousjours'  plustost 
confusion  quelouënge,  il  receoit  et  embrasse  iceulx  en  son  Christ  : 
1'.  et  par  le  moyen  de  la  seule  Foy,  sans  ayde  aucune  des  œuvres    il 
les  reconcilie  avec  soy.  La  seconde   est,   que  de  sa  beni-nité'et 
indul-ence   paternelle  il    fait  cest  honneur  à  leurs  œuvres,  sans 
regarder  si  elles  en  sont  di-nes  ou  non,  de  les  avoir  en  quelque 
pris  et  estime.  La  troisiesme  est,  qu'il  receoit  icelles  œuvres  en 
t,  miséricorde,  ne  mettant  point  en  compte  l'imperfection  qui  y  est  : 
de  laquelle  elles  sont  toutes  tellement  pollues,  qu'elles  merite- 
roientplus  d'estre  mises  au  nombre  des  vices  que  des  vertus.  Kt 
de  là  ilapert,  combien  se  sont  tronqnz  les  Sophistes  deSorbonne, 
entant  qu'ilz  ont  pensé   avoir   évité  toute   absurdité,    disans  (pu- 
20  les  œ'uvres  ne  sont  point  vallables  à  mériter  salut  de   leur  bonté 
intérieure:    mais    pource    que    Dieu    par  sa    bcui-nité   les    veult 
autant  estimer.  Mais  cependant  ilz  n'ont  pcinl  observé,  combien 
les  iL.uvres,  qu'ilz  veulent  estre  méritoires,  sont  loin-  de  hi  con- 
dition  requise   es   promesses   légales:    sinon  que  la  justice  gra- 
2-,  tuite,  qui  est  appuyée  sur  la   seule  Foy  precedast  :  et  la  remis- 
sion des  péchez,  par  laquelle  il  fault  que  les  bonnes  œuvres  mes- 
mes  soient  nettoiées,  de  leurs  macules.  Pourtant  des  trois  cau.ses, 
((ue  nous  avons  recitées,  qui  font  que  les  œuvres  des  fidèles  soient 
acceptées  de  Dieu,  ilz  n'en   ont  noté  que  l'une  :  et    se  sont  teuz 
30  des  deux  autres,  voire  des  principales. 

Hz  allèguent  la  sentence  de  Sainct  Pierre,  que  recite  Sainct 
Luc  aux  Actes.  Kn  vérité  je  trouve  que  Dieu  n'est  point  accep-  Ad.  lo. 
tateur  des  personnes  :  mais  en  toute  nation  celuv  (pii  fait 
justice  luv  est  plaisant.  De  ces  parolles  ilz  pensent  faire  un 
35  argument  bien  certain  :  que  si  l'homme  acquiert  fi.veur  en- 
vers Dieu  par  bonnes  œuvres,  ce  qu'il  obtient  salut  n'est  point 
de  la  .seule  grâce  de  Dieu  :  mais  plustost  que  Dieu  subvient 
tellement  de  sa  miséricorde  au  pécheur,  qu'il  est  esmeu  à  ce  faire 
par    ses  bonnes    œuvres.    Mais    nous    ne    i)ourrons    nullement 


I)i;    I.V    JLSTIFU.MION 


'iir 


accoriK'rplusiouiss.'nti'nccsaerEsciltuiv:    i[vu'   nous  ur  cnsi- 
a.'n..ns  aoul)U'aocvi)lati(Mi  iK'  Ihoiniiu-  .lovant    DiiU.    Car    selon 
.|uc  rhomnuTst  »!»•  natuiv.  Dion    ne  houvi'    rien  en  lu.v,  (U'nl   il 
soit   llescliy  à  misericorae,    sinon     pure    niiseiv.    S'il    esl    iloiie 
5  notoire,  .|uV  riu.nuue  quand  il  est  prennereinenl    receu  <le  Dieu. 
esl   vui.le  et     ilesnu.'    (le    tout  bien,  aucontraire   ehar-.-    .•!     plein 
,1e    loul    -enre    de    mal  :  pour  ipielle   vertu    le  dir..ns-nous  eshv 
di-ne  lie  ?a  vocation  do  Dii'U  ?  Pourtant  que  toute  vain.'    inia-i- 
nalion  de  mérite  soit  rejettée.  veu  (pie  le  Sei-neur  n..us  .lemons- 
i.«tre  tant  apperteiu.nt  sa  elemence  j^ratuite.  Car  ee  (pii  est  dit   au 
nu^sme  lieu  par  lAu^'e  à  Cornélius,  (pie  ses  oraisons  et  auinosiu-s 
estoient  venus  devant   la  faee  de  Dieu  :   il/    tirent    perv,'rseuunt 
à  leur  pr(.po/..  pour  pnuiv.'r  (pie  l'hounne  esl  pi.par.'  par  l.onnes 
œuvres   à    recevoir    la    -race    de   Dieu.  Car  il  lailloit  (pu-  Cune- 
r.lius  fust  desja  iUununé  de  l  Ksprit    de    sa-esse    puisqu'il    est.ut 
instruiclenla  vraye  s;«-esse,  à  scavoir  la  crainte  de  Dieu.  Pareil- 
lement qu'il  fust  sanctili(''  du  ine.sme  Ksprit   \nu^  .piil  otoit  ama- 
teur de  justice,  laquelle  est   fruiet  d'icduN  ,  cinme  dit  r.Vposlre. 
Il  avoit  donc  de   laf;race  de  Dieu  toutes    les  choses,  (pii  estoient 
S.a-realdes  à  Dieu  en  lu\   :  tant  s'en  l'ault(pril  ayt  este  pr.par.' à 
l;?  recevoir,  par  s.m  industrie.  CmIcs  mi  ne  scauroit  produire  une 
seule    syllabe    de    THscriture    lacpielle   ne    convienne    avec  ceste 
doctrine,  c'est   (|ue  Dieu  n'a  autre  cause  de  recevoir  l'homme  en 
son  amour.  sim)n  (ju'il  le  voit  du  tmil  perdu,  s  il  est  ;dMiMl..iméà 
jssoymesme.  Pourtant  donc  qu'il   ne   le  veull  laisser  en  perditi(»n, 
ilexerce  sa  miséricorde   en  le   délivrant.    Nous   voy.ns   mainte- 
nant (pie  ceste  acception  ne  vient  p(»int  de  la  justice  de  Ihoinme  : 
mais  est  un  pur  tesmoigna^-ede  la  l.oiit.-  de  Dieu  envers  les  misé- 
rables pécheurs,  et   (pii  autrement   sont   trop   plus  que   indignes 
3..d'untelbenelice.()r  apri-s  que  Diei.   ayant    retin'  l'homme  d'un 
tel  abysme  de  perdition,  l'a  sanctid.' par  la  grâce  da.loplioii  :  i»our 
.  ,■  (pi'il  la  régénéré    et   reformi-    en  une  nouvelle  vie,  aussi  il  le 
leceoil   et   embrasse  comme  nouvelle  créature,  ixxoc  les  dons  de 
son  Ksprit.  Ceste  est  l'acception  de  bupielle  parle  Sainct  Pierre. 
31  Car  les  fidèles  après  leur  vocation,  sont  agreabU^s  à  Dieu,  me-smes 
;,u  regard  de  leurs  (cuvres  :  pource  (ju'il  ne   se  peult    faire,   que 
Dieu  n'ayme    les    biens,  qu'il    leur  a   conférez    par  .son    Ksprit. 
XeantuKjins  il  nous  fault    tousjours  retenir  cela  :    ([u'ilz  ne  sont 
pas   autrement    agréables    à    Dieu    à    raison    de    leurs    o-uvres. 


408  CHAPITRE    VI. 

sinon  pour  tant  que  Dieu  à  cause  de  l'amour  gratuite  qu'il  leur 
porte,  accepte  leurs  œuvres.  Car  dont  leur  viennent  les  bonnes 
œuvres  :  sinon  d'autant  que  le  Seigneur,  comme  il  les  a  esleuz 
pour  instrumens  honorables,  aussi  il  les  veult  orner  de  vraye  pu- 
3  reté?  Et  dont  est-CjC  qu'elles  sont  réputées  bonnes  comme  s'il  n'y 
avoit  rien  à  redire  ;  sinon  pour  ce  que  ce  bon  Père  pardonne  les 
tasches  et  macules,  dont  elles  sont  souillées?  En  somme  Sainct 
Pierre  ne  signifie  autre  chose  en  ce  lieu,  sinon  que  Dieu  ayme 
ses  enfans  :   ausquelz   il  voit  la  similitude   de  sa  face  imprimée. 

if  Car  nous  avons  enseigné  cy  dessus,  que  nostre  régénération  est 
comme  une  réparation  de  son  image  en  nous.  Puis  donc  qu'ainsi 
est  :  que  le  Seigneur  à  bon  droit,  ayme  et  ha  en  honneur  son 
image  par  tout  où  il  la  contemple  :  non  sans  cause  il  est  dict  que 
la  vie  des  fidèles  estant  formée  et   reiglée  à  saincteté  et  justice, 

isluy  est  plaisante.  Mais  pource  que  les  lideles,  cependant  qu'ilz 
sont  environnez  de  leur  chair  mortelle,  sont  encores  pécheurs, 
et  leurs  œuvres  seulement  acommencées,  tellement  qu'il  y  a  beau- 
coup de  vices  :  Dieu  ne  peut  estre  propice,  [ny]  à  ses  enfans,  ny 
à  leurs  œuvres,  sinon  qu'il  les  receoive  en  Christ,  plustost  qu'en 

20  eux  mesmes.  11  nous  fault  en  ce   sens  prendre  les  passages,  qui 
tesmoignent  que   Dieu    est  propice  et  bening  à  cevix  qui    vivent 
justement.   Moyse  disoit    aux   Israélites,  Le  Seigneur   ton    Dieu  Deut.  7 . 
garde  en  mil'  générations  son  alliance   et  sa   miséricorde  à  ceux 
qui  l'ayment  :  et  gardent  ses  commandemens.  Laquelle  sentence 

ssestoit  visitée  entre  le  peuple,  comme  un  dicton  commun  :  comme  i.Roys  S. 
nous  voyons  en  la  prière  solennelle  que  fait  Salomon  :    Seigneur 
Dieu  d'Israël,  qui  garde  alliance  et  miséricorde  à  tes  serviteurs, 
qui  cheminent  devant  toy  de  tout  leur  cœur.  Autant  en  est-il  dict 
en  l'oraison  de  Nehemiah.  La  raison  est  comme  le  Seigneur  fai-  Xehe.  10. 

3osant  alliance  de  sa  grâce,  requiert  mutuellement  de  ses  serviteurs 
saincteté  et  intégrité  de  vie.  à  fin  que  sa  bonté  ne  soit  en  moque-  Deut.  29. 
rie   et  mespris,  et  que  personne  ne  s'enfle  d'une  vaine  confiance 
de  sa  miséricorde,   pour  estre  en   seureté,    cheminant  perverse- 
ment  ainsi  après  les     avoir  receuz  en    société  de    son  alliance, 

Soles  veult  retenir  en  office  par  ce  moyen.  Xeantmoins  l'alliance 
ne  laisse  point  de  se  faire  gratuite  du  commencement,  et  de- 
meurer tousjours  telle.  Il  sera  bon  de  noter  en  passant,  quelle 
diference  il  y  a  entre  telles  locutions,  et  les  promesses  légales.  J'ap- 
pelle promesses  légales,  non  pas   toutes  celles  qui  sont  couchées 


DE    LA    .11  STIFICATION. 


409 


cà  et  là  en  lu  Loy  de  Moyse  :  veu  qu'on  y  en  trouverti  plusieurs 
Evan^eliques  :  mais  jentendz  celles  t(ui  appartiennent  propre- 
ment à  la  doctrine  de  la  Loy,  Telles  promesses,  quelque  nom 
qu'on  leur  inqjose,  promettent  rémunération  et  loyer  soubz  con- 
>dition.  si  nous  faisons  ce  qui  est  commandé.  Mais  quand  il  est 
dicl.  (pic  le  Seij^neur  garde  la  promesse  de  sa  miséricorde  à  ceux 
(pii  laymenl  :  c'est  jjlustost  pour  demonstrer  c[uel7,  sont  les  ser- 
viteurs de  Dieu,  (pii  ont  receu  de  c<eur  son  alliance  :  qnc  pour 
exprinuM-  la  cause,   pouicpioy  Dieu    leur   est    propice.    La  raison 

10  pour  demonstrer  cela  est,  comme  le  Sei^nieur  par  sa  i)eni<.^nité 
nous  appelle  en  espérance  de  vie  éternelle  :  à  tin  désire  craint, 
aymé,  et  honoré  de  nous  :  aussi  toutes  les  promesses  de  sa  misé- 
ricorde, (ju'on  lit  en  ll^scriture,  à  bon  droict  sont  dirigées  à  ceste 
lin  :  c  est,  (pie  nous  l'ayons  en  honneur  et  reveience.  Toutesfoiset 

15  (piaules  donc,  (pie  nous  oyons  (jue  le  Seigneur  fait  bien  à  ceux 
(pii  observent  sa  Loy  :  (piil  nous  souvienne  qu'en  cesle  manière 
l'Kscriture  demoiistre  (pii  sont  les  enlans  de  Dieu,  par  la  mar([ue 
(pii  leur  doibl  eslre  perpétuelle.  Considérons  que  Dieu  nous  a 
adoptez  pour  ses  enfans  :  à  lin  que  nous  l'honorions  comme  nostre 

20 père.  A  lin  donc  de  ne  renoncer  au  droict  de  nostre  adoption  :  il 
nous  fault  eiforcer  de  tendre  où  nostre  vocation  nous  meine. 
Dautrepart  neantmoins  que  nous  tenions  cela  pour  asseuré,  (jue 
racc(tmplissement  de  la  miséricorde  de  Dieu  ne  despend  point 
des  (l'uvres  des  fidèles.   Mais    ce    que  le    Seigneur  acconijilit  la 

25  promes.se  de  salut  en  ceux,  cjui  par  droiclure  de  vie,  respondeiit 
k  leur  vocation  :  (jue  cela  est,  pource  qu'il  recongnoisl  en  eux  les 
vrayes  marques  et  enseignes  de  ses  enfans  :  à  scavoir  les  grâces 
(le  son  Esprit.  Il  nous  fault  à  cela  rapporter  ce  qui  est  dict  au 
quinziesme  Psalme,    des   citoyens   de  Jérusalem  :    Seigneur  qui 

30  habitera  en  ton  Tabernacle  ;  et  fichera  son  siège  en  ta  montaigne 
saincte  ?    Celuy    qui   est  innocent    en   ses  mains,    et  pur  en  son 
c(eur  etc.  Item,   en  lesaie.    Qui  est-ce   qui  habitera   avec  le  feu 
(|ui  consumme  tout?  Celuy  qui  fait  justice,  parle  en  vérité,  etc.  lesa.  33. 
Va  autres  semblables.  Car  cela  n'est  poinct  dict  pour  descrire  le 

3".  fondement,  sur  lequel  doivent  consister  les  iideles  devant  Dieu  : 
mais  seulement  la  manière,  par  laquelle  il  les  appelle  en  sa  com- 
pagnie, et  en  icelle  les  entretient  et  conserve.  Pource  qu'il  déteste 
le  péché,  et  ayme  la  justice  :  ceux  qfu'il]  veult  conjoindre  k  soy, 
il  les  purilie  de  son  Esprit  :  à  lin  de  les  rendre  conformes  à  sa  na- 


no  CHAPITRK    VI. 

ture.  Pourtant  si  on  demande  la  cause  première,  par  laquelle 
l'entrée  nous  est  ouverte  au  Royaume  de  Dieu,  et  avons  le  moyen 
d'y  persévérer  :  la  response  est  preste.  C'est  pource  que  le  Sei- 
gneur nous  a  une  fois  adoptez  par  sa  miséricorde,  et  nous  con- 
5  serve  tousjours.  Si  on  demande  de  la  manière  comment  cela  se 
fait,  lors  il  fault  venir  à  nostre  régénération,  et  aux  fruictz  d  icelle, 
dont  il  est  parlé  en  ce  Psalme  et  autres  passages. 

Mais  il  semble  advis,  qu'il  y  ayi  beaucoup  plus  de  difficulté  à 
souldre  les  tesmoignages  qui  honorent  les  bonnes  œuvres  du  filtre 

iode  justice:  et  disent  que  par  icelles  l'homme    est  justifié.  Quant 
est  du  premier  genre,  nous  voyons  que  cà  et  là  que  les  comman- 
demens  de  Dieu  sont  appeliez  justitications  et  justices.  Du  second 
nous  en  avons  exemple  en  Moyse,  quand  il  dit  :    Geste  sera  nostre  Deut.  6. 
justice,  si  nous  gardons  tous  ces  commandemens.  Et  si  on  repli- 

15  que  que  c'est  une  promesse  légale,  à  laquelle  est  adjoincte  une 
condition  impossible  :  il  y  en  a  d'autres,  dont  on  ne  scauroitdire  le 
mesme.  Gomme  quand  il  dit  :  Gela  te  sera  imputé  pour  justice,  si  Dent.  24. 
tu  rendz  au  povre  le  gage  qu'il  t'aura  donné.  Pareillement  le  Pro- 
phète dit,  que  le  zèle  qu'eust  Phinéesà  venger  l'opprobre  d'Israël  Paal.  106. 

2oluv  a  esté  imputé  à  justice.  Parquoy  les  Pharisiens  de  nostre  temps 
pensent  avoir  belle  matière  de  crier  contre  nous  en  cest  endroit. 
Gar  quand  nous  disons,  que  la  justice  de  Foy,  establie,  il  fault 
que  la  justice  des  œuvres  soit  abatue  :  aussi  ilz  arguent  aucon- 
traire  que  si  la  justice  est  par  les  œuvres,  qu'il  n'est  pas  vray 

25  que  nous  soyons  justifiez  par  la  seule  Foy.  Je  respondz,  que  ce 
n'est  point  de  merveilles  si  les  commandemens  de  la  Loy  sont 
appeliez  justice  :  car  ilz  sont  justice  à  la  vérité  et  nostons  point 
cela  à  la  Loy  de  Dieu,  qu'elle  ne  contienne  parfaicte  justice.  Gar 
combien  que  pource  que  nous  sommes  debteurs  de  tout  ce  qu'elle 

30  requiert,  quand  bien  nous  y  aurions  satisfaict,  encores  sommes 
nous  ser%dteurs  inutiles  :  ^outesfois  puis  que  le  Seigneur  a  faict 
cest  honneur  à  l'observation  d'icelle,  de  l'appeller  justice  :  ce 
n'est  pas  à  nous  de  luy  oster  ce  qu'il  luy  a  donné.  Nous  confessons 
donc  voluntiers,  que  lobeyssance  de  la  Loy  est  justice  :  l'observa- 

Sotiondun  chascun  commandement  est  partie  de  justice  :  moyen- 
nant que  nulles  des  autres  parties  ne  deffaillent.  Mais  nous  nyons 
qu'on  puisse  monstrer  en  tout  ce  monde  une  telle  justice.  Et  à 
ceste  cause  nous  abolissons  la  justice  de  la  Loy.  Non  pas  que  de 
soy  elle  soit  insuffisante  :  mais  pource  que  à  cause  de  la  débilité  de 


1)1-;  LA  .irsrinr\ii(»N.  il  1 

noslro  t'Iuiir,  vWc  ir;ij)|)ar()isl  milK'  part.  Mais  (juel(|u"un  pourra 
<lire,  quel  Escrituif  n  ;ippelle  j)assL'ulenient  les  préceptes  de  Dieu 
justice  :  mais  qu'elle  attribue  cetiltre  aussi  aux  (inivres  des  fidèles, 
('omme  quand  elle  recite.  (|ue  Zacharie  et  sa  femme  ont  ^ardé  les 
•  justices  du  Si'iiiiu'iw.  .le  respond/.,  (|u"t'n  parlant  ainsi,  (die  estime  [.ne  I. 
plus  les  (cuvres  île  la  nalui'c  île  la  Lovquede  leur  jiropre  condition. 
Bien  est  \  ray,  que  le  Sei^'neiw,  par  le  contenu  de  sa  Loy,  a  mons- 
tre aux  homini's,  quelle  est  la  justice  :  mais  nous  ne  mettons  point 
icelle  justice  en  exécution,  sinon  en  observant  toute  la  Loy:  car 

II' j)ar  chascune  trans<j^ression  elle  est  corrunqiue.  Puis  donc  que  la 
Loy  n'enseij^^ne  (pie  justice  :  si  nous  regardons  ;i  icelle,  tous  ses 
commandemcns  sont  justice.  Si  nous  considérons  les  hommes, 
pour  observer  un  l'ommandement  il/  ne  mériteront  point  la  lou- 
ën}j;e  de  justice,  estans  transi^i-resseurs  en  plusieui's  :  et  veu  mesmes 

15  qu'il/  ne  lont  ti'U\  rc  pnur  obevrà  Dieu,  (jui  ne  soit  vitieuse  aucune- 
ment, à  cause  de  son  inq)errection.  Xostri'  response  donc  est,  (jue 
quand  les  (l'uvres  des  Saincls  sont  nommées  justice,  cela  ne  vient 
point  de  leurs  mérites  :  mais  entant  ([u'elles  tendent  à  la  justice, 
que   Dieu    ncuis    a   conunandée.  laquelle   est  mdle,  si   elle    n'est 

1(1  pai-faicte.  Or  elle  ne  se  trouve  jjarlaicte  en  nul  honnne  du  momie  : 
pom- tant  lault  conclure,  (pi  une  bonne  (cuvre  de  soy  ne  mérite  pas 
le  nom  de  justice.  Je  \  icns  maintenant  au  second  g-enre,  oîi  gist  la 
principale  diiriculti'.  S.  Paul  n'a  nul  arjj;^ument  plus  ferme,  pour 
prouver  la  justice  de  la  Foy,  (jue  <|uand  il  allègue  ce  qui  est  escrit 

25  de  Moyse.  La  Foy  avoit  esté  inq)utée  à  Abraham  pour  justice.  Puis 
donc  ((ue  le  zelc  de  Phinées.  stdon  le  Pro|)hcte.  lu\  a  est('' inq)ul('' 
à  justice:  ce  (jue  S.  Paul  argue  de  la  bOy,  on  le  pourra  aussi  con- 
clure desd'uvres.  Pourtant  no/  advei'saires,  comme  ayans  la  vic- 
toire en  main,  determini'nt,  (jue  jasoil  que  nous  ne  soyons  point 

.10  justifie/ sans  Foy:  neantmoins  (jue  nous  ne  sommes  pas  justifie/ 
par  icelle  seule  :  mais  qu'il  fault  conjoindie  les  leuvres  avec,  pour 
parfaire  la  justice.  J'adjure  icy  tous  ceulx,  qui  craignent  Dieu, 
que  comme  ils  scavent  qu'il  fault  prendre  la  reigle  de  justice  de 
la  seule  Escriture  :  aussi  il/ veuillent  diligemment,  et  en  humilitiî 

15  de  cieur,  considérer  avec  moy,  C(mime  l'Escritiuc  se  peut  accor- 
der à  elle  mesme,  sans  aucune  cavillation.  S.  Paul  scachant  que 
la  justice  de  Foy  est  un  refuge  à  ceux  qui  sont  ilesnue/  de  leur 
propre  justice,  infère  hardiment,  que  quiconque  est  justifié  par 
la  Foy,  est  exclu/  de  la  justice  des  oeuvres.  Sachant  d'autrepart 


412  CHAPITRE    VI. 

que  la  justice  de  Foy  est  commune  à  tous  serviteurs  de  Dieu  :  il 
infère  de  rechef  d'une  mesme  confiance,  que  nul  nest  justifié  par 
les  œuvres:  mais  plustost  aucontraire,  que  nous  sommes  justifiez 
sans  aucune  ayde  de  noz  œuvres.  Mais  c'est  autre  chose  de  disputer 
de  quelle  valeur  sont  les  œuvres  en  elles  mesmes  :  et  en  quelle  es- 
time elles  s-ont  devant  Dieu,  après  la  justice  de  la  Foy  establie.  S'il 
est  question  de  priser  les  œuvres  selon  leur  dignité  :  nous  disons 
quelles  sont  indignes destre  présentées  devant  la  face  de  Dieu. 
Pourtant  qu'il  n'y  a  homme  du  monde,  qui  ayt  rien  en  ses  œuvres, 

m  dont  il  se  puisse  glorifier  devant  Dieu.  Ainsi  il  reste,  que  tous  estans 
desnuez  de  toute  ayde  de  leurs  œuvres,  soyent  justifiez  par  la  seule 
Foy.  Or  nous  exposons  ceste  justice  estre  telle  :  c'est,  que  le  pé- 
cheur estant  receu  en  la  communion  de  Christ,  est  par  sa  grâce  re- 
concilié à  Dieu:  d'autant  qu'estant  purifié  par  son  sang,  il  obtient 

15  remission  de  ses  péchez  :  et  estant  vestu  de  la  justice  d'iceluy, 
comme  delà  sienne  propre,  il  peut  consister  devant  le  Throsneju- 
dicial  de  Dieu.  Après  que  la  remission  des  péchez  est  mise,  les 
œuvres  qui  s'ensuyvent,  sont  estimées  d'ailleurs  que  de  leur  mé- 
rite. Car  tout  ce  qui  est  imparfaict  est  couvert  par  la  perfection  de 

20  Christ  :  tout  ce  qui  y  est  d'ordures  et  de  taches,  est  nettoyé  par  sa 
pureté,  pour  ne  venir  point  en  compte.  Après  que  la  coulpe  des 
transgressions  est  ainsi  effacée  :  laquelle  empeschoit  les  hommes 
de  produire  chose,  qui  fust  agréable  à  Dieu  ;  après  aussi  que  les 
vices  d'imperfections  sont  enseveliz,   dont  toutes  bonnes  œuvres 

23  sont  entachées  et  maculées  :  lors  les  bonnes  œuvres,  que  l'ont  les 
fidèles,  sont  estimées  justes:  ou  bien,  qui  vault  autant  à  dire,  sont 
imputées  à  justice.  Si  maintenant  quelqu  un  m'objecte  cela  pour 
mimpugner  la  justice  de  la  Foy  :  premièrement  je  linterrogue- 
ray,  si  un  homme  doibt   estre  réputé  juste  pour  deux   ou   trois 

30  bonnes  œuvres  :  estant  transgresseur  de  la  Loy  en  toutes  les 
autres  ?  Cela  seroit  trop  desraisonnable.  Puis  après  je  luy  de- 
manderay,  si  mesme  pour  plusieurs  bonnes  œuvres  il  est  juste  : 
quand  on  le  pourra  trouver  coulpable  en  aucune  chose.  En- 
cores  n'osera  pas  mon  adversaire  affermer  cela  :  veu  que  la  sen- 

astencede  Dieu  y  contredit  :  laquelle  prononce  tous  ceux,  qui  n'au- 
ront accomply  tous  les  préceptes,  estre  mauldictz.  Je  passeray 
encores  oultre,  demandant  s'il  y  a  une  seule  bonne  œuvre  ;  en 
laquelle  on  ne  puisse  noter  aucune  impureté  ou  imperfection  ? 
Or  comment  cela  se  pourroit-il  faire  devant  les  yeux  de  Dieu  ; 


\)E    LA    JLSIII-ICAriON.  413 

ausquelzles  Estoïlles  ne  sont  jioint  puros  ne  clairrs  ;  ne  les  An^es 
justes?  Pourtant  il  sera  eontieinct  de  confesser,  qu'on  ne  trouvera 
nulle  bonne  œuvre,  laquelle  ne  soit  pollue  et  corrumpuë,  tant  par 
les  transgressions  qu  aura  commis  l'homme  en  autre  endroit,  que 
0  par  sa  propre  imperfection:  tellement  qu'elle  ne  sera  pas  di^^ne 
d'avoir  le  ncmi  de  justice.  Or  si  c  est  chose  notoire,  que  cela  pro- 
cède de  la  justilication  de  la  Foy,  (jue  les  leuvres  (jui  autrenuMit 
estoient  à  demy  bonnes,  impures,  corrumpues,  indignes  de  com- 
paroistre  devant  Dieu  (tant  s'en  fault  (ju'elles  luy  fussent  plai- 

iii  santés)  soient  imputées  à  justice  :  pourquoy  alleguerons-nous  la 
justice  des  œuvres  ;  pour  destruire  la  justice  de  la  Foy.  de  la- 
quelle icelle  est  produicte,  et  en  laquelle  elle  consiste  ?  Voul- 
dri<»ns-nous  faire  une  lii^née  serpentine  ;  que  les  enfans  nu»ur- 
trissent  leur  mère?  Or  le  dire  de   noz  adversaires  tend  là.  Ils  ne 

lo  peuvent  nver.  (|ue  la  juslilicatioii  dv  la  l-'oy  ne  soit  commence- 
ment, fontlenient,  cause,  matière,  substance  de  hi  justice  des 
œuvres.  Xeantmoins  ilz  concluent  que  1  homme  n'est  pas  justifié 
de  Foy  :  pouice  que  les  bonnes  cx'uvres  sont  imputées  à  justice. 
Laissons  donc  ces  fatras  :  et  confessons  à  la  vérité  ce  qui  en  est. 

20  C'est  que  si  toute  la  justice  qui  peult  estre  en  noz  œuvres,  pro- 
cède et  despend  de  la  justilication  de  Foy  :  que  non  seulement 
ceste  cy  n'est  en  rien  diminuée  par  celle  lii  :  mais  plustost  confer- 
mée  :  d'autant  que  sa  vertu  apj)aroist  plus  ample.  D'avantage  ne 
pensons  ]>as  les  louvres  estre  tellement  prisées  après  la  justidca- 

25  tion  gratuite,  qu'elles  succèdent  au  lieu  dejustiliei-  l'homme,  ou 
bien  le  justifient  k  demy  avec  la  Foy.  Car  si  la  justice  de  Foy 
ne  demeure  tousjours  en  son  entier  :  l'immundicité  des  œuvres 
sera  descouverte,  tellement  qu'elles  ne  mériteront  que  condem- 
nation.  Or  il  n'y  a   nulle   absurdité   en  cela;   (jue  l'homme  soit 

3»  tellement  justifié  par  Foy,  que  non  seulement  il  soit  juste  en 
sa  personne,  mais  aussi  que  ses  œuvres  soient  réputées  justes, 
sans  ce  qu'elles  lavent  mérité.  En  ceste  manière  Sainct  Paul, 
voulant  prouver  que  nostre  béatitude  consiste  en  la  miséri- 
corde de  Dieu,  et  non  j)as  en  noz  œuvres,  presse  fort  ce  que  dit 

35  David.  Bien  heureux  sont  ceux,  ausquels  les  iniquitez  sont  re- Psal.  31 
mises,  desquelz  les  péchez  sont  cachez.  Bien  heureux  est  l'homme, 
auquel  le  Seigneur  n'a  [)oint  imputé  ses   faultes.    Si  quelqu'un 
vouloit    alléguer    aucontraire     intiniz     tesmoignages .     lesquelz 
semblent  advis  constituer   la    béatitude  en  noz  œuvres  :  comme 


41  i  CHAPITRE    V(. 

quand  il  est  dict.   Bien  heureux  est  l'homme  qui  craint  Dieu,  qui  Psal.  1 13 
a  pitié  du  povre  aftlig-é,  qui  n'a  point  cheminé  au  conseil  des  mes-  Pro.  14. 
chans,  qui  porte  tentation,  qui  garde  justice,  et  jugement.   Bien  Psal.  I . 
heureux  sont  les  povres  d'esprit,  etc.  tout  cela   ne  fera  pas,  que  Jaques   I 

3  ce  que  dit  Sainct  Paul  ne  demeure  vray.Car  veu  que  ces  vertus,  Psal.  i06 
quisont  là  recitées,  ne  sont  jamais  tellement  toutes  en  l'homme,    ^^        ■ 
quelles  puissent  estre  acceptées  de  Dieu  d'elles  mesmes  :  il  s'en-  Mail.  '.i. 
suvt  que  1  homme  est  tousjours  misérable  jusques  à  ce  qu  il  est 
délivré  de  misère   par   la    remission   de   ses   péchez.    Puis   donc 

Kiqu'ainsi  est,  cjue  toutes  les  espèces  de  béatitude,  que  recite  l'Es- 
criture,  sont  anneanties  et  peries,  tellement  que  le  fruict  d'une 
seule  n'en  revient  point  à  l'homme,  sinon  que  premièrement  il  ob- 
tienne béatitude  en  la  remission  de  ses  péchez,  laquelle  donne  lieu 
à  toutes  les  autres  bénédictions  de  Dieu  :  il  sensuyt,  que  ceste  béa- 
is titude  gratuite,  non  seulement  est  principale  et  souveraine,  mais 
unique  :  sinon  que  nous  veuillons  quelle  soit  destruicte  et  abolie 
par  les  bénédictions  qui  consistent  en  icelle  seule.  Il  n  y  a  pas 
maintenant  grand  propos,  que  cela  nous  doibve  troubler,  ou  en- 
gendrer quelque  scrupule,  que  les  fidèles  sont  souvent  nommez 

20  justes  en  l'Escriture.  Je  confesse  qu'ilz  ont  ce  tiltre  pour  leur  saincte 
vie.  Mais  comme  ainsi  soit  qu'ilz  appliquent  plus  leur  estude  à 
suyvre  justice,  qu'ilz  ne  l'accomplissent:  c'estbien  raison  que  ceste 
justice  des  œuvres  telle  quelle,  soit  submise  à  la  justice  de  la  Foy  : 
enlaquelle  elle  est  fondée  :  etde  laquelle  elletient  tout  cequelle  est. 

25      Mais  noz    adversaires    poursuyvent    oultre,   et  disent  que  S. 
Jaques  nous  contrarie  si    évidemment,  qu  il  nous  est  impossible  Ja<j.  2. 
de   nous  en    despescher.    Car  il  enseigne   que    Abraham   a  esté 
justifié  par  les  œuvres  :   et  que    nous  tous  aussi   sommes  justi- 
fiez par  les  œuvres  et  non  point  de  la  seule  Foy.  Mais  je  deman- 

30  de ,  s'ilz  veulent  tirer  en  combat  Saint  Jaques  avec  Sainct 
Paul  ?  S  ilz  tiennent  Sainct  Jaques  pour  ministre  de  Christ  : 
il  fault  tellement  prendre  sa  sentence,  qu'elle  ne  desaccorde 
point  d'avec  Christ  :  lequel  a  parlé  par  la  bouche  de  Sainct 
Paul.  Le  Sainct    Esprit    afferme  par  la    bouche  de  Sainct  Paul. 

35  que  Abraham  a  obtenu  justice  par  Foy,  et  non  point  par  ses 
œuvres  et  qu'il  fault  aussi  que  nous  soyons  tous  justifiez  sans 
les  œuvres  de  la  Loy.  Le  mesme  Esprit  dénonce  par  Sainct 
Jaques,  que  noslre  justice  consiste  en  œ'uvres,  et  non  seule- 
ment   en  Foy.    Il    est    certain    que    l'Esprit    n'est    point    repu- 


DE    LA    JLSTIFICÀTIUN.  '  41S 

gnaiit  à  soy.  Quelle  donc  sera  la  concorde  ?  Il  sulïlst  à  noz  ad- 
versaires, s'ilz  peuvent  desiaciner  la  justice  de  Foy,  laquelle  nous 
voulons  estre  plantée  au  profond  du  cœur.  De  donner  repoz  aux 
consciences,  ilz  ne  s'en  soucyent  point  beaucoup.  Et  pourtant  on 
5  voyt  comment  ilz  s'elîorcent  d'esbranler  la  justice  de  Foy  :  mais 
ce  pendiuit  ilz  ne  monstrent  nulle  certaine  reigle  de  justice,  à  la- 
cpielle  les  consciences  se  puissent  renger.  Qu'ilz  triumphent  donc 
tant  ([u'ilz  vouldront,  moyennant  qu'ilz  ne  se  puissent  vanter 
d'autre  victoire,   que  d'avoir  osté  toute  certitude   de  justice.  Or 

10 ilz  obtiendront  ceste  mauldicte  victoire,  aux  lieux,  où  ayans  es- 
teinct  toute  lumière  de  vérité,  ilz  auront  aveug-lé  le  monde  de 
leurs  ténèbres.  Mais  par  tout  où  la  vérité  de  Dieu  demeurera 
ferme,  ilz  ne  profiteront  rien.  Je  nye  donc  que  la  sentence  de 
Sainct  Jacpies  laquelle  ilz  ont  tousjours  en  la  bouche,  et  de  laquelle 

1  •  ilz  font  leur  grand  bouclier,  leur  favorise  aucunement.  Pour  li- 
quider cela,  il  nous  fault  jjremierement  regarder  le  but  où  il 
tend:  puis  après  observer,  en  quoy  c'est  qu'ilz  s'abusent.  Pour  ce 
qu'il  y  en  a  voit  lors  plusievn\s  (comme  ce  mal  est  coustumiere- 
ment  en   l'Eglise)  lescjuelz  demonstroient  leur  infidélité  en  mes- 

20  prisant  tout  ce  qui  est  propre  aux  fidèles  et  neantmoins  ne  ces- 
soient  de  se  glorifier  faul sèment  du  tiltre  de  Foy  :  Sainct  Jaques 
se  moque  de  ceste  foie  oultrecuydance.  Ce  n'est  pas  donc  son  in- 
tention de  detracter  en  rien  qui  soit  de  la  vraye  Foy  :  mais  décla- 
rer combien  estoient   ineptes    telz  baveurs,   de   tant  attribuer  à 

2.1  une  vaine  apparence  de  Foy  :  que  secontentans  d'icelle,  menoient 
ce  pendant  une  vie  dissolue.  Cela  considéré,  il  est  maintenant 
facile  de  juger,  en  quoy  se  trompent  noz  adversaires  :  car  ilz 
faillent  doublement.  C'est,  qu'ilz  prennent  mal  le  mot  de  Foy  : 
puis  aussi  de  jtistifier.  Sainct  Jaques  en  nommant  la   Foy,  n'en- 

30 tend  autre  chose,  qu'une  opinion  frivole,  qui  est  bien  différente 
de  la  vérité  de  Foy.  Ce  qu'il  fait  par  une  manière  de  concession  : 
comme  il  monstre  dez  le  commencement  par  ses  parolles.  Que 
proffite  cela  mes  frères  ;  Si  quelqu'un  dit  qu'il  ha  la  Foy,  et 
qu'il  n'ayt  point  les  œuvres?  Il  ne  dit  pas^  si  quelqu'un  ha  la 

35  Foy  sans  œuvres  :  mais  s'il  se  vante  de  l'avoir.  Puis  après  en- 
cores  plus  clairement,  en  faisant  par  moquerie  ceste  Foy  pire 
que  la  congnoissance  des  Diables.  Finalement  en  l'appellant 
morte.  Mais  on  poiura  suffisamment  entendre  ce  qu'il  veult 
dire,  par    la    définition    qu'il    en    met.    Tu    crois,   dit-il,    qu'il 


416  CHAPITRi:    VI. 

y  a  un  Dieu.  Certes  si  tout  le  contenu  de  ceste  Foy  est,  de  simple- 
ment croire  qu  il  y  a  un  Dieu  :  ce  n  est  pas  de  merveilles,  si  elle 
ne  peult  justifier.  Et  ne  fault  pas  que  nous  pensions,  que  cela  des-  i 

rogue  rien  à  la  Foy  Chrestienne  :  de  laquelle  la  nature  est  bien 

5  autre.  Car  comment  est-ce  que  la  vraye  Foy  justifie  ;  sinon  en 
nous  adjoignant  à  Jésus  Christ  ;  à  fin  questans  faictz  uniz  avec 
Luy  ;  nous  jouyssions  de  la  participation  de  sa  justice  ?  Elle  ne 
justifie  pas  donc,  pour  concevoir  quelque  intelligence  de  la  Divi- 
nité :  mais,  par  ce  qu'elle  fait  reposer  l'homme  en  la  certitude  de  la 

10  miséricorde  de  Dieu.  Nous  n'avons  point  encores  touché  le  but, 
jusques  à  ce  que  nous  aurons  descouvert  lautre  erreur.  Car  il 
semble  advis  que  Sainct  Jaques  mette  une  partie  de  nostre  justice 
aux  œuvres.  Mais  si  nous  le  voulons  faire  accorder,  et  à  toute  l'Es- 
criture,  et  à  soymesme  :  il  est  nécessaire  de  prendre  autrement  en  | 

15  ce  lieu  le  vocable  de  Justifier  qu'il  ne  se  prend  en  Sainct  Paul.  Car 
Sainct  Paul  appelle  justifier,  quand  la  mémoire  de  nostre  justice  ' 

effacée,  nous  sommes  reputez  justes.  Si  Sainct  Jaques  eust  là  re- 
gardé, il  eust  cité  mal  à  propos  le  tesmoignage  de  Moyse,  que 
Abraham  a  creu  à  Dieu  etc.  Car  il  adjouste  consequemment,  que 

20x\braham  a  obtenu  justice  par  ses  œuvres  :  en  tant  qu'il  n'a  point  , 

doubté  d'immoler  son  filz  au  commandement  de  Dieu  et  ainsi  que 

i 
lEscriture  a  esté  accomplie,  laquelle  dit,  qu'il  a  creu  à  Dieu,  et 

lui  a  esté  imputé   à  justice.  Si  c'est  chose  absurde,  que  l'efTect  j 

précède  sa  cause  :  ou  Moyse  tesmoigne  faulsement  en  ce  lieu  là,  I 

25  que  la  Foy  a  esté  imputée  pour  justice  à  Abraham  :  ou  il  n'a 
point  mérité  sa  justice  par  l'obeyssance,  qu'il  a  rendue  à  Dieu,  i 

en  voulant  sacrifier  Isaac.  Abraham  a  esté  justifié  par  sa  Foy, 
devant  que  Ismael  fust  conceu,  lequel  estoit  ja  grandy  devant  la 
nativité  de  Isaac.  Comment  dirons-nous  donc;  qu'il  s'est  acquis  ] 

30  justice  par  l'obeyssance  qui  a  esté  long  temps  après?   Pourtant  \ 

ou  Sainct  Jaques  a  renversé  tout  l'ordre  (ce  qui  n'est    licite  de  1 

penser)  ou  en   disant  qu'il  a    esté  justifié,   n'a  pas  entendu  qu'il  '^ '^ 

eust  mérité  d'estre  tenu  pour  juste.  Quoy  donc  ?  Certainement  il  ,    : 

appert,  qu'il  parle  de  la  déclaration,  et  non  pas  de  l'imputation  '    ) 

35  de  justice:  comme  s'il   disoit.  Ceux  qui  sont  justes  de  Foy  ap-  [    ; 

prouvent  leur  justice  par  obeyssance  et  bonnes  œuvres  :  et  non  j 

point  par  une  marque  nue  et  imaginaire  de  Foy.  En  somme, 
il  ne  dispute  point,  par  quel  moyen  nous  sommes  justifiez  : 
mais    il  requiert    des    fidèles   une  justice,  qui  se    declaire    par 


ni2    LA    JUSTIFICATION.  417 

œuvres.  Et  comme  Sainct  Paul  alTcrme,  que  l'homme  est  justifié 
sans  ayde  de  ses  œuvres  :  aussi  Sainct  Jaques  ne  concède  pas  que 
celuy  qui  se  dit  juste,  soit  despourveu  de  bonnes  otaivres.  Geste 
considération  nous  délivrera  de  tout  scrupule.  Car  noz  adversaires 
5  s'abusent  principalement  en  cela,  qu'ilz  pensent  que  Sainct  Jaques 
détermine,  quelle  est  la  manière  d'estre  justifié  :  comme  ainsi 
soit  qu'il  ne  tasche  à  autre  fin.  que  d'abatre  la  vaine  confiance  de 
ceux,  qui  pour  excuser  leurs  nonchaillance  de  bien  faire,  prétendent 
faulsement  le  tiltre  de  Foy.  Parquoy.  comment  quilz  tournent  et 
10  revirent  les  parolles  de  Sainct  Jaques,  ilz  n'en  pourront  tirer  que 
ces  deux  sentences.  C'est  qu'une  vaine  imagination  de  Foy  ne 
nous  justifie  pas.  Item,  Que  le  fidèle,  n'estant  point  content  d'une 
telle  imagination,  déclare  sa  justice  par  bonnes  œuvres. 

Ce   quilz  allèguent  de  Sainct   Paul   en  un  mesme  sens   ne  les  liom.  2. 
13  ayde  en  rien  :  à  scavoir  que  les  facteurs  de  la  Loy  seront  justi- 
fiez, non  pas  les  auditeurs.  Je  ne  veulx  point  évader  parla  solu- 
tion de  Sainct  Ambroise,   lequel   expose  cela  estre  dict,   pource 
que  l'accomplissement  de  la  Loy  est  la  Foy  en  Christ.  Car  il 
me  semble  que  c'est  un  subterfuge  :  duquel   il  n'est  ja  mestier 
20  quand  la  pleine  voye  est  ouverte.  En  ce  passage  là  Sainct  Paul 
rabat  l'orgueil  des  Juifz,  qui  se  glorifioient  en  la  seule  congnois- 
sance  de  la  Loy  :  combien  qu'ilz  en  fussent  grans  contempteurs. 
A  fin  donc  qu'ilz  ne  se  pleussent  pas  tant  en  une  congnoissance 
nue  :   il  les  admoneste,    que  si   nous  cerchons  nostre  justice  en 
2a  la   Loy,    il  fault  venir  en  l'observation,   et  non   pas   à   l'intelli- 
gence  d'icelle.  Certes  nous  ne  révoquons  pas    cela   en   double 
que  la  justice  de  la   Loy  ne  consiste   en    bonnes  œuvres.   Nous 
ne  nyons  pas  non  plus,  que   en  observation  entière    de   sainc- 
teté  et  innocence  il  n'y  ayt  pleine   justice.  Mais    il  n'est  pas  en- 
3ocores    prouvé,    que   nous    soyons   justifiez    par   œuvres   :   sinon 
qu'on  en  produise  quelqu'un,  qui  ayt  accomply  la  Loy.   Orque 
Sainct    Paul   n'ayt   voulu    autre    chose   dire,    sa    procédure    en 
rend    tesmoignage.     Après    avoir    condemné    d'injustice  ,    tant 
Juifz  que  Gentilz   indiferemment,    il   descend    après  à  particu- 
sôlariser,    et  dit  que  ceux    qui    ont  péché   sans  la  Loy,  périront 
sans  la   Loy  :   ce   qui   appartient   aux  Gentilz.   D'autrepart  que 
ceux  qui   ont  péché  en    la    Loy,  seront  jugez    par   la    Loy  :    ce 
qui  est  propre  aux  Juifz.   Or  pource  que  iceux,  fermans  les  veux 
à  leurs  transgressions,  se  glorifioient  de  la  seule  Loy:  il  adjouste 

Institution.  27 


418  CHAPITRE    VI. 

ce  qui  estoit  bien  convenable,  que  la  Loy  ne  leurestoil  pas  don- 
née, à  fin  que  escoutans  seulement  la  Aoix  d'icelle,  ilz  fussent  ren- 
duz  justes  :  mais  en  obeyssant  à  ses  conimandemens.  Gomme  sil 
disoit,  Cerche  tu  justice  en  la  Loy?  N'allègue  point  la  seule  oûye, 
o laquelle  ha  de  soy  peu  d'importance:  mais  produvs  les  œuvres, 
par  lesquelles  tu  puisses  monstrer,  que  la  Loy  ne  t'a  pas  esté 
donnée  en  vain.  Puis  que  tous  delfailloient  en  cela  :  il  s'ensuy- 
voit  qu'ilz  estoient  despouillez  de  la  gloire  qu'ilz  pretendoient. 
Pourtant  il  fault  plustost  du  sens  de  Sainct  Paul  former  un  argu- 

10  ment  contraire  à  celuy  que  font  noz  adversaires.  C  est  que  si  la 
justice  de  la  Loy  est  située  en  perfection  de  bonnes  œuvres  :  et 
nul  ne  se  peut  venter  d'avoir  satisfaict  à  la  Loy  par  ses  œuvres  : 
la  justice  de  la  Loy  est  nulle  entre  les  hommes. 

Après  noz  adversaires  nous  assaillent  des  passages,  où  les  fi- 

isdeles  offrent  hardiment  leur  justice  à  Dieu,  pour  estre  examinée  : 
et  désirent  de  recevoir  sentence  selon  icelle.  Comme  quand  David 
dit,  Juge  moy  Seigneur  selon  ma  justice  :  et  selon  l'innocence  qui  Psal.  29. 
est  en  moy.  Item,  Exauce,  Seigneur,  ma  justice:  tu  as  esprouvé 
mon  cœur  et  l'as  visité  de  nuict  :  et  n'a  point  esté  trouvé  d'ini- 

20  quité  en  moy.  Item,  Le  Seigneur  me  rétribuera  selon  ma  justice, 
et  me  rendra  selon  la  pureté  de  mes  mains  car  j'ay  gardé  la  droicte 
voye,  et  nay  point  décliné  de  mon  Dieu  etc.  Item,  Juge  moy. 
Seigneur,  car  j'ay  cheminé  en  innocence.  Je  ne  me  suis  point 
assis  au  renc   des   menteiu's,   et   ne  me  suis   point   meslé   avec 

25  les  meschans.  Ne  perdz  point  donc  mon  ame  avec  les  iniques, 
etc.  J'ay  dy  cy  dessus  de  la  confiance,  que  les  fidèles  sem- 
blent advis  simplement  prendre  de  leurs  œuvres.  Les  passages 
que  nous  avons  icy  amenez  ne  nous  empescheront  pas  beau- 
coup ,    si    nous  les  considérons   en  leur  circonstance  :   laquelle 

30  est  double.  Car  les  fidèles,  en  ce  faisant,  ne  veulent  pas 
que  toute  leur  vie  soit  examinée ,  à  fin  que  selon  icelle  ilz 
soient  absoudz  ou  condemnez  :  mais  présentent  à  Dieu  quel- 
que cause  particulière,  pour  en  juger.  Secondement  il  s'attri- 
buent justice,    non    pas   au  regard    de  la   perfection  de  Dieu  : 

35 mais  en  comparaison  des  meschans  et  iniques.  Premièrement 
quand  il  est  question  de  justifier  l'homme,  il  n'est  pas 
seulement  requis,  qu'il  ayt  bonne  et  juste  cause  en  quel- 
que affaire  particulière  :  mais  qu'il  ovt  une  justice  entière  en 
tout  le  cours  de    sa  vie  :   ce   ({ue  nul  n"a   jamais  eu    et  n'aura. 


DE    LA    JUSTIFICATION.  419 

Or  en  ces  oraisons,  où  les  Sainctz  invoquent  le. Tugement  de  Dieu, 
pour  approuver  leur  innocence  :  ilz  ne  se  veulent  pas  vanter  d'estre 
purs  et  netz  de  tout  péché,  et  qu'il  n'y  ayt  rien  à  redire  en  leur  vie  : 
mais  après  avoir  mis  toute  fiance  de  salut  en  la  bonté  de  Dieu, 

5  se  confiant  neantmoins  qu'il  est  le  protecteur  des  povres,  pour 
venger  les  injures  qu'on  leur  faict,  et  pour  les  detTendre,  ([uand 
on  les  afflige  à  tort  :  ilz  luv  recommandent  leur  cause,  en  laquelle 
ilz  sont  affligez,  estans  innocens.  D'autrepart  en  se  présentant 
avec    leurs  adversaires  devant   le   Throsne  de  Dieu  :   ilz  n'alle- 

loguent  point  une  innocence,  laquelle  puisse  respondre  à  sa  pu- 
reté, si  elle  estoit  espeluchée  selon  sa  rigueur  :  mais  pource 
([u'ilz  scavent  bien  que  leur  sincérité,  justice  et  simplicité  est 
plaisante  et  agréable  à  Dieu,  au  pris  de  la  malice,  meschanceté 
et  astuces  de  leurs  adversaires  :   ilz  ne  dovibtent   pas  d'invoquer 

13  Dieu   pour  juge   entre  eux,  et  iceux  iniques.   En  ceste  manière 
quand  David  disoit  à  Saûl  :    Que  le   Seigneur   rende  à  chascun  /.  .Sam. 
selon  la  justice  et  vérité  qu'il  trouvera  en  luy  :  il  n'entendoit  pas, 
que  Dieu  examinast  un  chascun  par  soy,  et  le  remunerast  selon 
ses  mérites  :    mais    il  protestoit  devant   Dieu  quelle    estoit   son 

20  innocence,  au  pris  de  l'iniquité  de  Saûl.  Sainct  Paul  aussi,  quand 
il  se  glorifie  au  bon  tesmoignage  de  sa  conscience,    qu'il  a  faict  2.  Cor.  I . 
son  office  en  simplicité   et  intégrité  :   il  n'entend  pas  s'appuyer 
et  reposer  sur  ceste   gloire,    quand   il   viendra  au  Jugement  de 
Dieu.  Mais  estant  contreinct  par  les  calumnies   des  meschans,  il 

2o  maintient  contre  leur  maledicence  sa  loyauté  et  preud'hommie  : 
laquelle  il  scavoit  estre  congneuë  et  agréable  à  Dieu.  Car  nous 
voyons  ce  qu'il  dit  en  un  autre  lieu  c'est,   qu'il  ne  se  sent  point  ^-  '^'o'-  ^• 
coulpable  :  mais  qu'en  cela  il  n'est  pas  justifié.  Certes  il  repu- 
toit  bien,  que  le  Jugement  de   Dieu  est  bien  autre  que  l'estime 

30  des   hommes.    Pourtant   combien   que  les  tideles  allèguent  Dieu 
pour  tesmoing  et  juge   de  leur  innocence,  contre  la  mauvaistié 
des  hypocrites  :  toutesfois  quand  ilz  ont  affaire  à  Dieu  seul,  ilz 
cryent   tous    dune  voix  :    Seigneur    n'entre  point   en  jugement  Psa/.  / /3. 
avec  tes  serviteurs  :  car  nul  Advant  ne  sera  justifié  devant  ta  face. 

33  Et    se  deifians   de    leurs  œuvres,    confessent  voluntiers  que  sa /^sa/.  63. 
bonté  est  meilleure  que  toute  vie. 

Il   y  a  d'autres    lieux  quasi  semblables  :   ausquelz    quelqu'un 
pourroit  estre  empesché.    Salomon  dit,  que  celuy  qui    chemine  Prov.  10. 
en    intégrité    est    juste.     Item,    Qu'en    la    voye    de  justice    on 


420  CHAPITRE    VI. 

trouvera   vie  :   et   qu'il  n'v  aura  point  de  mort.   Selon  laquelle  £=e.  IS. 
raison,  Ezechiel  dénonce,  que  celuy  qui  fera  justice  et  jugement, 
vivra   tousjours.  Je  respondz.  que   nous  ne   voulons  rien   nyer, 
ne  dissimuler,  ne  obscurcir  de  toutes  ces  choses.  Mais  qu'il  y  en 

s  vienne  un  seul  en  avant  avec  une  telle  intégrité.  S'il  ne  se 
trouve  nul  homme  mortel,  qui  le  puisse  faire  :  ou  il  fault  que 
tous  périssent  au  Jugement  de  Dieu  :  ou  qu'ilz  ayent  leur  refuge 
à  sa  miséricorde.  Ce  pendant  encores  ne  n^^ons  nous  pas,  que 
l'inteo-rité  qu'ont   les    fidèles,    combien  qu'elle   soit  imparfaicte, 

10  et  qu'il  y  ayt  beaucoup  à  redire,  ne  leur  soit  comme  un  degré  à 
l'immortalité.  Mais  dont  vient  cela  :  sinon  que  quand  le  Seigneur 
a  receu  un  homme  en  l'alliance  de  sa  grâce  ;  il  n'espeluche  point 
ses  œuvres  selon  leurs  mérites  ;  mais  les  accepte  d'une  béni- 
gnité  paternelle  ;    sans   ce  qu'elles   en   soient  dignes  ?  Par  les- 

13  quelles  parolles,  nous  n'entendons  pas  seulement  ce  qu'en- 
seio-nent  les  Scolastiques  :  c'est,  que  les  œuvres  ont  leur  valeur 
de  la  grâce  de  Dieu  qui  les  accepte.  Car  en  cela  disant,  ilz  en- 
tendent que  les  œuvres,  lesquelles  seroient  autrement  insuffi- 
santes   pour    acquérir    salut,    receoivent    leur    suffisance,   de  ce 

20  qu'elles  sont  prisées  et  acceptées  de  Dieu.  Mais  jedy  aucontraire, 
que  toutes  œuvres,  entant  qu'elles  sont  pollués,  tant  par  autres 
transgressions,  que  de  leurs  propres  macules,  ne  peuvent  rien 
valoir,  sinon  d'autant  que  nostre  Seigneur  n'impute  point  les 
macules    dont    elles    sont    entachées,    et   pardonne    à    l'homme 

25  toutes  ses  faultes.    Ce  qui  est  donné  de  justice  gratuite.  Et  n'y 
a  point  de  propos,  d'alléguer  icy  les  prières  que  fait  aucunesfois 
Sainct    Paul  où  il  désire  une    si   grande   perfection  aux  fidèles,  Ephe.  I. 
qu'ilz  soient  trouvez    irrépréhensibles   et  sans   coulpe   au  Juge-  / .  The.  3- 
ment  du  Seio-neur.  Les  Celestins  anciens  hérétiques,  s'aydoient 

30  de  telles  sentences,  pour  prouver  que  l'homme  peut  avoir  par- 
faicte  justice  en  la  vie  présente.  Nous  respondons  après  Sainct 
Auo-ustin  ce  que  nous  pensons  pouvoir  suffire.  C'est ,  que 
tous  fidèles  doibvent  bien  aspirer  à  ce  but ,  d'apparoistre  une 
fois  devant  Dieu  purs  et  sans  macule.  Mais  pource  que  le  meil- 

35  leur  estât  et  le  plus  parfaict  que  nous  puissions  avoir  en  la  vie 
présente  n'est  autre  chose,  que  de  proffiter  de  jour  en  jour  : 
lors  nous  parviendrons  à  ce  but,  quand  après  estre  despouillez 
de  nostre  chair  pécheresse,  nous  adhérerons  pleinement  à  nostre 
Dieu. 


DE    LA    JUSTIFICATION.  421 

Venons  maintenant  à  exposer  les  passages,  ausquelz  il  est  dict 
que  Dieu  rendra   à  un  chascun    selon  ses  œuvres.   Comme  sont  Matt.  6". 
ceux  qui  s'ensuyvent  :  un  chascun   recevra  selon  qu'il  aura  faict  2.  Cor.  3. 
en  son  corps  :    soit  bien    soit   mal.   Item,   Gloire   et  honneur   à  Boni.  2. 
jceluy,  qui  fera  bien  :  tribula'tion  et  angoisse  sur  Tame    du  per-  Jean  6". 
vers.  Item,    Et  iront  ceux  qui  auront  bien  vescu  en  la  resurrec-  Mat.  2.). 
tion  de  vie  :  Item,  Venez,    vous  qui  estes  ])enei/.  de  mon  Père  :  Pro.  13. 
j'ay  eu  faim,  et  vous  m'avez  repeu  :    j'ay  eu  soif,  et  vous  m'avez  Matl.  ii. 
donné  à  boire,  etc.  Ausquelz  il  sera  bon  de  conjoindre  aussi  ceux,  Luc  6. 
10  où  la  A'ie   éternelle  est  appellée  Loyer.  Comme  quand  il  est  dict, 
que  la  rémunération  sera  faicte  à  l'homme  selon  l'ci'uvre  de  ses  /.  Cor.  3. 
mains.  Item,   Celuy  qui  obeyst  au  commandement  de  Dieu  sera 
rémunéré.  Item,  Esjouyssez  vous,  car  vostre  loyer  est  grand  au 
ciel.  Item,    un  chascun  recevra  salaire  selon   son    labeur.    Tou- 
la chant  ce  qui    est  dict,    que    Dieu  rendra  à  un  chascun   selon  ses 
œuvres,  se  peult  souldre  sans  grande  dilïiculté,  Carceste  locution 
dénote  plustost  un  ordre  de  conséquence,  que  la  cause  pour  la- 
quelle Dieu  rémunère  les  hommes.  Or,  il  n'y  a  nulle  double,  que 
nostre  Seigneur  use  de  ses  degrez  en  acconq^lissant   nostre  salut:  Rom.  S. 
20  que  après  nous  avoir  esleuz,    il  nous  appelle,   après  nous  avoir 
appeliez  il  nous  justifie:  après  nous  avoir  justiliez,  il  nous  glorifie. 
Combien  donc  que  le  Seigneur  receoive  les  siens  en  vie  par  sa  seule 
misei'icorde  :  toutesfois  pour  ce  qu'il  les  conduyt  en  icelle  par  le 
chemin  des  bonnes  œuvres,  à  fin  d'accomplir  en  eux  son  vouloir 
25  par  l'ordre  qu'il  a  destiné  :  ce  n'est  point  de  merveilles,  s'il  est 
dict   qu'ilz  sont  couronnez  selon  leurs  œuvres  :  par  lesquelles  ilz 
sont  préparez  à  recevoir  la  couronne  d'immortalité.    Et  mesmes 
pour  ceste  cause  il  est  dict  quilz  font  leur  salut  :  quand  en  s'ap- 
pliquant  à  bonnes  œuvres,  ilz   méditent   la  vie  éternelle.  Néant 
30  moins  il  ne  s'ensuvt  pas  de  cela,  ou  qu'ilz  soient  autheurs  de  leur 
salut,  ou  que  leur  salut  procède  des  bonnes  œuvres.  Quoy  donc  ? 
Incontinent  après  que  parla  congnoissance  de  l'Evangile  etl'illu- 
mination  du  Sainct  Esprit,  ilz  ont  esté  appeliez  en  la  compagnie 
de  Christ  :  la  vie  éternelle  est  commencée  en  eux.  En  après  le  Sei- 
35  gneuracheve  son  œuvre  qu'il  a  commencé  en  eux  jusques  au  jour  de 
Jésus  Christ.  Or  l'œuvre  de  Dieu  est  accomplie  en  eux,  quand  en 
justice  et  saincteté  representans  l'image  de  leur  Père  céleste,  ilz  se 
déclarent estre  ses  enfans légitimes.  Quant  est  de  ce  mot  Loyer:  il 
ne  fault  pas  qu'il  nous  induise  à  faire  noz  œuvres  cause  de  nostre  sa- 


422  CHAPITRE    VI. 

lut.  Premièrement  que  cela  soit  arresté  en  nostre  cœur,  que  le 
Royaume  des  cieux  nest  pas  salaire  de  serviteurs  :  mais  héritage 
denfans  :  duquel  jouvront  seulement  ceux  que  Dieu  a  adoptez 
pour  ses  enfans  :  et  n'en  jouvront  pour  autre  cause,  que  pour  Ephe.  I. 
oceste  adoption.  Car  le  fîlz  de  la  chambrière  ne  sera  point  heri-  Gala.  i. 
tier,  comme  il  est  escrit:  mais  le  filz  de  la  femme  libre.  Et  de  faict, 
aux  mesmes  passages,  où  le  Sainct  Esprit  promet  la  vie  éter- 
nelle pour  loyer  des  œuvres,  en  l'appellant  nommeement  héri- 
tage, il  demonstre  quelle  ne  vient  d'ailleurs.  En  ceste  manière, 

10  Christ  en  appellent  les  esleuz  de  son  Père  à  posséder  le  Royaume 
céleste,  recite  bien  les  œuvres,  q^u'ir  veult  en  cela  recompenser: 
mais  il  adjouste  quant   et  quant,  quilz    le    posséderont  de  droit 
d'héritage.  Sainct  Paul  aussi  exhorte  bien  les  serviteurs,  qui  îont  Matt.  i.j'. 
lidelement  leur  devoir  desperer  rétribution  du  Seigneur  :    mais  Coloss.3. 

13  il  adjouste  incontinent,  que  c'est  rétribution  d'héritage. 

Nous  voyons  comme  par  parolles  expresses  Christ  et  ses  Apos- 
tres  se  donnent  de  garde,  que  nous  ne  referions  point  la  béa- 
titude éternelle  aux  œuvres  :  mais  à  l'adoption  de  Dieu.  Pour- 
quoi donc,  dira    quelqu'un,  font-ilz  mention  semblablement  des  Ge.l.'i  l(i. 

20  œuvres  ?  Ceste  question  se  pourra  vuider  par  un  seul  exemple 
de  l'Escriture.  Devant  la  nativité  de  Isaac,  il  avoit  esté  promis 
à  Abraham,  qu'il  auroit  semence,  en  laquelle  seroient  beneistes 
toutes  nations  de  la  terre  :  et  que  sa  lignée  seroit  semblable  aux 
Estoilles  du  ciel,  et  au  gravier  de  la  mer.  Long  temps  après  il 

2.=>  se  prépare    à  immoler   son  filz    Isaac,  selon   le   commandement 
de  Dieu.  Après  avoir  monstre  une  telle  obeyssance,  il  receoist 
ceste  promesse  :    J'ay  juré  par  moymesme,  dit  le  Seigneur,  puis  Gènes.  22. 
que  tu  as  faict  cela,  et  n'as  point   espargné   ton   propre  filz  uni- 
que,   pour  me    complaire  ;   je    te    beneiray,    et   multiplieray  ta 

30  semence  comme  les  Estoilles  du  ciel,  et  le  gravier  de  la  mer  : 
et  en  ta  semence  seront  beneistes  toutes  nations  de  la  terre, 
pource  que  tu  as  obey  à  ma  voix.  Qu'est-ce  que  nous  oyons  ? 
Abraham  avoit-il  mérité  par  son  obeyssance  ceste  bénédiction, 
laquelle    luy    avoit     esté    promise    devant    que    le    commande- 

33  ment  luy  fust  baillé  ?  Icy  certes  nous  avons  sans  circuit  et 
sans  ambiguïté,  que  le  Seigneur  rémunère  les  œuvres  des 
fidèles  par  les  mesmes  bénéfices,  qu'il  leur  avoit  ja  donnez, 
devant  qu'ilz  eussent  pensé  à  rien  faire  :  et  pour  le  temps  qu'il 
n  avoit   nulle  cause  de    leur   bien  faire,  sinon    sa    miséricorde. 


DI-;    LA    JISTIFICATION.  123 

Et  toutesfois  ce  n'ost  pas  frustration  ne  moquerie,  quand  il  dit 
qu'il  rétribue  aux  œuvres  ce  qu'il  avoit  gratuitement  donné  de- 
vant les  ivu\Tes,  Car  d'autant  qu'il  veult  que  pour  méditer  la  ré- 
vélation des  choses  qu'il  a  promises,  nous  nous  exercitions  en 
5  bonnes  œuvres  :  et  que  par  icelles  nous  cheminions,  pour  parve- 
nir à  res[)erance  bien  heureuse,  iju'il  nous  a  proposée  au  ciel, 
c'est  à  bon  droit  que  le  fruict  des  promesses  leur  est  assigné,  puis 
qu'elles  sont  comme  moyens,  pour  nous  conduyre  à  la  jouyssance. 
L'un  et  l'autre  a  esté   tresbien  exprimé   de   l'Apostre,  quand  il 

l'i  dit,  que  les  Colossiens  sappliquoient  à  suyvre  Charité,  pour  Tes-  Coluxs.  I 
l)erance  qui  leur  estoit  coloquée  au  ciel  :  de  laquelle  ilz  avoient 
entendu  par  la  doctrine  véritable  de  l'Evangile.    Car  en  disant 
(ju'il/  ont  congneu  par  l'Evangile,  (jue  l'héritage  céleste  leur  es- 
toit  prej)aré  :    il  dénote  que  l'espérance  en  est    fondée  en  un  seul 

15  Christ,  non  point  en  nulles  ceuvres.  (Kiand  il  dit  que  à  ceste  cause 
il  s'esforce  de  bien  faire  :  il  demonstre  que  les  fidèles  tout  le  temps 
de  leur  vie,  doibvent  courir  pour  appréhender.  Or  à  fin  que  nous  ne 
pensissions  que  le  salaire,  que  nous  promet  le  Seigneur,  se  doibve  Mail.  20. 
mesurer  selon  les  mérites  :  il  nous  propose  ime  parabole,  en   la- 

2(1  cpielle  il  se  compare  à  un  père  de  famille,  lequel  envoyé  en  sa 
vigne  tous  ceux  qu'il  rencontre:  les  uns  en  la  première  heure  du 
jour  :  les  autres  à  la  seconde  :  les  autres  à  la  troisiesme  rfaucuns 
à  l'unsiesme.  (juand  ce  vient  au  soir,  distribue  à  tous  salaire  es- 
gal.  De  laquelle  parabole  l'exposition  est  tresbien  et  briefvement 

25  couchée  au  livre  intitulé  de  Vocatione  gentium,  qu'on  attribue  à 
S.  Ambroise.  Pour  ce  que  c'est  un  docteur  ancien,  j'ayme  myeux 
user  de  ses  parolles,  que  des  miennes.  Par  ceste  similitude, 
dit-il,  le  Seigneur  a  voulu  monstrer,  que  la  vocation  de  tous 
fidèles,  combien  qu'il  y  ayt  quelque  variété  en  l'apparence  exte- 

aorieure,  appartient  à  sa  seule  grâce.  Ceux  donc  qui  après  avoir 
besongné  une  heure  seulement,  sont  esgalez  à  ceux  qui  ont  tra- 
vaillé tout  au  long  du  jour,  représentent  la  condition  de  ceux 
que  Dieu  pour  magnifier  l'excellence  de  sa  grâce,  appelle  sur 
la  fin   de  leur  vie,    pour  les  rémunérer  selon  sa  clémence  :  non 

35  pas  leur  payant  le  salaire  de  leur  labeur,  mais  espandant  sur  eux 
les  richesses  de  sa  bonté,  comme  il  les  a  esleuz  sans  leurs  œuvres  : 
à  fin  que  ceux  mesmes,  qui  ont  long  temps  travaillé  et  ne  receoi- 
vent  non  plus  que  les  derniers,  entendent  qu  ilz  receoivent  tout 
du  don  de  sa  grâce  :  et  non  pas  pour  salaire  de  leurs  labeurs. 


424  CHAPITRE  VI. 

Pourtant  ne  j^ensons  point,  que  le  Sainct  Esprit,  par  les  pro- 
messes cy  dessus  recitées,  veuille  priser  la  dignité  des  œuvres, 
comme  si  elles  meritoient  tel  loyer.  Car  TEscriture  ne  nous  l;iisse 
rien  de  reste  dequoy  nous  nous  puissions  exalter  devant  la  face 
3  de  Dieu.  Plustost  aucontraire  est  du  tout  k  cela,  de  confondre 
nostre  orsueil,  nous  humilier,  abatre  et  anneantir  du  tout.  Mais 
le  Sainct  Esprit,  par  les  promesses  susdites,  subvient  à  nostre 
imbécillité  :  laquelle  autrement  decherroit  et  defïauldroit  incon- 
tinent si  elle  n'estoit  ainsi  soustenue  et  consolée.  Premièrement 

10  qu'un  chascun  repute  en  son  endroit,  combien  c'est  une  cho.se 
dure,  de  renoncer  et  habandonner.  non  seulement  toutes  les 
choses  qu'il  ayme,  mais  aussi  soymesmes.  Et  toutesfois  c'est  la 
première  leçon,  que  baille  Christ  à  ses  disciples,  c'est-à-dire  à 
tous  fidèles  :  et  tout  au  long  de  leur  vie  il  les  tient  soubz  la  dis- 

15  cipline  de  la  croix  :  à  fin  qu'ilz  naddonnent  point  leur  cœur  à  la 
cupidité    ou  fiance   des  biens  terriens.  Brief  il  les  traicte  en  telle 
sorte,  que  de  quelque  costé  qu'ilz  se  tournent,  tant  que  ce  monde 
se  peult  estendre,  ilz  ne  voient  sinon  désespoir.    Tellement  que  I. Cor.  13. 
Sainct  Paul  dit  que  nous  sommes  les  plus  misérables  de  tous  les 

20  hommes,  si  nous  espérons  seulement  en  ce  monde.  A  fin  donc 
que  nous  ne  perdions  courage  en  telles  angoisses  :  Le  Seigneur 
nous  adsiste  et  admoneste  de  lever  la  teste  en  hault,  et  regarder 
plus  loing  ;  nous  promettant  que  nous  trouverons  en  luy  nostre 
béatitude,  laquelle  nous  ne  voyons  pas  en  ce  monde.  Or  il  lap- 

25  pelle  loyer,  salaire  et  rétribution,  non  pas  estimant  le  mérite  de 
noz  œuvres  :  mais  signifiant  que  c'est  une  recompense  pour  les 
misères,  tribulations  et  opprobres  que  nous  endurons  en  terre. 
Pourtant  il  n'y  a  point  de  mal,  d'appeller,  à  l'exemple  de  l'Es- 
criture,  la  vie  éternelle,  rémunération  :  A-eu  que  par  icelle  le  Sei- 

sogneur  transfère  ses  serviteurs  de  travail,  en  repoz  :  d'affliction,  en 
consolation  :  de  tristesse,  en  joye  :  de  povreté,  en  affluence  :  d'i- 
gnominie, en  gloire  :  finalement  qu'il  change  tous  les  maulx  qu'ilz 
ont  enduré,  en  plus  grans  biens.  11  n'y  aura  aussi  nul  inconvénient, 
d'estimer  saincteté   de  vie.  estre  la  voye  :  non  pas  laquelle  nous 

35  face  ouverture  en  la  gloire  céleste  :    mais  par  laquelle  Dieu  con-  Rom.  <S. 
duyt  ses  esleuz  en    la  manifestation  d'icelle  :  veu  que  c'est  son 
bon  plaisir  de  glorifier   ceux   qu'il  a  sanctifiez.    Seulement  que 
nous    n'imaginions    point    aucune    correspondance    entre    mé- 
rite et   loyer.    A   quoy   s'abusent    perversement  les  Sophistes  : 


DE    LA    JUSTIFICATION. 


425 


pource  qu'ilz  no  considèrent  point  ceste  lin,  que  nous  avons 
exposée.  Or  quelle  moquerie  est-ce  ;  quand  Dieu  nous  appelle 
à  un  but  ;  de  destourner  les  yeux  d'un  autre  costé  ?  Il  n'y  a  rien 
plus  clair,  que  le  loyer  est  promis  aux  bonnes  œuvres  :  non  pas 

5  pour  enfler  de  gloire  nostre  cœur,  mais  pour  soulager  la  foi- 
blesse  de  nostre  chair.  Celuy  donc  qui  veult  par  cela  inférer 
quelque  mérite  des  œuvres,  se  destourne  du  droit  but.  Pourtant, 
quand  l'Escriture  dit,  que  Dieu,  comme  juste  juge,  rendra  la 
couronne  de  justice  à  ses  serviteurs  :  non  seulement  je  respondz 

lu  avec  Sainct  Augustin,  Comment  rendroit-il  la  couronne  comme 
juste  juge,  s'il  n'eust  premier  donné  la  grâce  ;  comme  père  misé- 
ricordieux ?  Et  comment  y  auroit-il  justice  aucune  ;  sinon  que  la 
grâce  eust  précédé  ;  laquelle  justifie  l'inique?  Et  comment  ceste 
couronne  seroit-elle  rendue  comme  deuë  ;  sinon  que  tout  ce  que 

15  nous  avons  nous  eust  esté  donné  sans  estre  deu  ?  Mais  j  ad- 
jouste  aussi  avec  cela  :  comment  imputoroit-il  justice  à  noz 
œuvres  ;  sinon  qu'il  cachast  par  son  indulgence  ce  qui  est  d'in- 
justice en  icelles?  Comment  les  reputeroit-il  dignes  de  loyer; 
sinon  qu'il  eifaceast  par  sa  bénignité  infinie,  ce  qui  est  en  icelles 

20  digne  de  peine?  J'adjouste  cela  au  dire  de  Sainct  Augustin  : 
pource  qu'il  a  accoustumé  de  nommer  la  vie  éternelle,  grâce, 
d'autant  qu'elle  nous  est  donnée  pour  les  dons  gratuit/,  de  Dieu, 
quand  elle  est  rendue  à  noz  œuvres.  Mais  l'Escriture  nous  humi- 
lie d'avantage.  Car  oultre  ce  qu'elle  nous  deffend  de  nous  glori- 

25  fier  en  noz  œuvres,  pource  que  ce  sont  dons  gratuitz  de  Dieu  : 
pareillement  elle  nous  monstre,  qu'elles  sont  tousjours  entachées 
d'ordures  :  tellement  qu'elles  ne  peuvent  satisfaire  ne  plaire  à 
Dieu,  si  elle  sont  examinées  selon  sa  rigueur. 

Il     y  a  d'autres    passages,    qui   ont    quasi  semblable    sens  à 

30  ceux  que  nous  venons  d'expliquer.    Comme  quand  il  est  dict  : 
Faictes-vous  des  amys  des  richesses  d'iniquité,  à  tin  que  quand 
vous   detfauldrez,    ilz   vous   receoivent    au   Royaume    de    Dieu.  Luc  16. 
Item,   Enseigne     les   riches    de    ce    monde,  de    ne    senorgueil-  /.  n?».  (>. 
lir,    et    n'espérer   point   en    l'incertitude    de    leurs    richesses    : 

35  mais  en  Dieu  vivant.  Exhorte  les  de  bien  faire,  d'estre  riches 
en  bonnes  œuvres,  et  de  se  faire  un  bon  thresor  pour  l'ad- 
venir  :  à  fin  d'appréhender  la  vie  éternelle.  Nous  voyons 
que  les  bonnes  œuvres  sont  accomparées  à  richesses  :  des- 
quelles il  est  dict    que    nous    jouyrons  en    la  béatitude  future. 


426  CHAPITRE    VI. 

Je  respondz,  que  jamais  nous  n'aurons  la  vraye  intelligence  de 
tout  ce  qui  est  là  dict,  si  nous  ne  convertissons  noz  yeux  au  but, 
auquel  le  Sainct  Esprit  dirige  ses  parolles.  Si  ce  que  dit  Christ 
est  vray,  que  nostre  cœur  s'arreste  là  où  est  nostre  thresor  : 
5  comme  les  enfans  de  ce  siècle  s'empeschent  et  s'appliquent  du 
tout  à  amasser  les  choses  qui  appartiennent  à  la  félicité  de  la 
vie  présente  :  ainsi  fault  il  que  les  fidèles  voyans  que  ceste  vie 
s'esvanouyra  comme  un  songe,  envoyent  les  choses  dont  ilz 
veulent   droictement  jouyr  à  tousjours,  au   lieu  là  où  ilz  ont  à 

10  vivre  éternellement.  Pourtant  il  nous  fault  ensuyvre  l'exemple  de 
ceux,  qui  se  départent  d'un  lieu  à  l'autre,  pour  y  habiter  à  per- 
pétuité. Hz  envoyent  devant  tout  leiir  bien  :  et  ne  leur  fait  point 
mal  de  s'en  passer  pour  un  petit  de  temps  :  mais  plustost  sesti- 
ment  d'autant  plus  heureux,  qu'ilz  ont  plus  de  bien  au  lieu  où  ilz 

lodoibvent  finir  leur  vie.  Si  nous  croyons  que  le  ciel  est  nostre 
pays,  et  nostre  propre  habitation  :  il  convient  plustost  dey  trans- 
mettre noz  richesses,  que  de  les  retenir  icy,  pour  les  abandon- 
ner, quand  il  nous  en  fauldra  partir  subitement.  Or  la  manière 
de  les  transmettre,  q[ue]lle  est  elle  ?  C'est  de  communiquer  aux  Matt.  2o. 

20  nécessitez  des   povres  :  ausquelz  tout  ce  qu'on  eslargist,  le  Sei-  Pro.  19. 
gneur  se  l'advouë  estre  donné.  Dont  vient  ceste  belle  promesse;  2.  Cor. 9. 
Que  quiconques  donne  aux  povres,  preste  à  Dieu  à  usure?  Item, 
Celuy  qui  sèmera   largement,    aura  large   moisson.  Car  toute  la 
charité  que  nous  faisons  à  noz  frères,  est  comme  mise  en  garde 

25  entre  les  mains  de  Dieu.  Luy  donc,  comme  il  est  fîdele  gardien, 
nous  rendra  une  fois  le  tout,  avectresample  usure.  Quoy  donc? 
dira  quelqu'un,  les  œuvres  de  charité  sont  elles  de  telle  estime 
envers  Dieu  ;  que  ce  soient  comme  richesses  à  luy  commises  ? 
Et  qui  auroit  horreur  d'ainsi  parler  ;  puis  (jue  l'Esciiture  le  tes- 

3omoigne  tant  apertement?  Mais  si  quelqu'un,  pour  obscurcir  la 
bénignité  de  Dieu,  veult  establir  la  dignité  des  œuvres  :  ces  tes- 
moignages  ne  luy  ayderont  de  rien  pour  confermer  son  erreur . 
Car  nous  n'en  scaurions  autre  chose  inférer,  sinon  que  la  bonté 
et    l'indulgence   de  Dieu    est   merveilleuse  envers  nous  veu  que 

35  pour  nous  inciter  à  bien  faire,  il  nous  promet  que  nulle  bonne 
œuvre  que  nous  ferons  ne  sera  perdue  :  combien  qu'elles  soient 
toutes  indignes,  non  seulement  d'estre  recompensées,  mais 
aussi  acceptées  de  luy. 

Mais  ilz  pressent  plus  fort  les  parolles  de  l'Apostre  :  lequel 


DE  LA    JUSTIFICATION. 


427 


consolant    les  Thessaloniciens  en  leurs  tribulations,  dit  qu'elles  2.  The.  I. 
leur  sont  envoyées,  à  fin  qu'ilz  soient  trouvez  dignes  du  Royaume 
de   Dieu,  pour    lequel  ilz  soutirent.  Car   c'est   dit-il,  une  chose 
équitable  envers  Dieu,  de  rendre  aflliction  à  ceux  qui  vous  afîli- 

sg-ent  :  et  à  vous  repoz,  quand  le  Seigneur  Jésus    sera  révélé  du  Ilebr.  6. 
Ciel.  Item,  l'autlieur  de  TEpistre  aux  Hebrieux,  Dieu   n'est  pas 
tant  injuste,  qu'il  oublie   la  peine  que  vous   avez  prinse  :  et  la 
dilection  que  vous  avez  monstrée  en    son  Nom,  en  eslargissant 
de  voz  biens  à   ses  fidèles.   Je  respondz    au  premier  lieu  :    que  Rom.  S. 

10  Sainct  Paul  ne  signifie  là  aucune  dignité  de  mérite  :  mais  veult 
seulement  dire,  que  comme  le  Père  céleste  nous  a  esleuz  pour 
ses  enfans  :  aussi  il  veult  que  nous  soyons  faictz  conformes  à  son 
Filz  premier  nay.  Comme  donc  Christ  a  premier  soufTert,  que 
d'entrer  en  la  gloire  qui  luy  estoit  destinée  :    ainsi  fault-il,  que 

15  par  plusieurs  tribulations  nous  entrions  au  Royaume  des  cieux. 
Pourtant  quand  nous  endurons  afflictions  pour  le  Nom  de 
Christ  :  les  marques,  desquelles  nostre  Seigneur  a  accoustumé 
de  seigner  les  brebis  de  son  troupeau,  sont  imprimées  en  nous. 
Selon  ceste  raison  donc  nous  sommes  estimez  dignes  du  Royau- 

20  me  de  Dieu  :  pource  que  nous  portons  en  nostre  corps  les  mar- 
ques de  Jésus  Christ  qui  sont  enseignes  des  enfans  de  Dieu.  A 
quoy  aussi  se  réfèrent  ces  sentences  :  que  nous  portons  en  nostre 
corps  la  mortification  de  Christ,  à  fin  que  sa  vie  soit  manifestée 
en  nous  :  que  nous  sommes  configurez  à  ses  passions  pour  par- 

25  venir  à  la  similitude  de  sa  résurrection.  La  raison  qui  est  adjous- 
tée  de  Sainct  Paul,  à  scavoir  que  c'est  chose  juste  envers  Dieu, 
de  donner  repos  à  ceux  qui  auront  travaillé,  n'est  pas  pour  prou- 
ver aucune  dignité  des  oeuvres  :  mais  seulement  pour  confer- 
mer  l'espérance  de  salut.  Comme  s'il  disoit,  Ainsi  qu'il  convient 

30  au  juste  jugement  de  Dieu,  de  faire  vengeance  sur  voz  enne- 
mys  des  oultrages  et  molestes  qu'il  vous  auront  faictz  :  pareil- 
lement il  convient  qu'il  vous  donne  relasche  et  repoz  de  voz  mi- 
sères. L'autre  passage,  qui  dit,  tellement  les  bonnes  œuvres 
ne  debvoir  estre   mises  en   oubly   de  Dieu,    qu'il  signifie   quasi 

3a  que  Dieu  seroit  injuste  s'il  les  oublyoit  :  se  doibt  prendre  en  ce 
sens.  C'est  que  le  Seigneur,  pour  resveiller  nostre  paresse  nous 
a  donné  espérance  :  que  tout  ce  que  nous  ferions  pour  son 
Nom  ne  seroit  point  perdu.  Qu'il  nous  souvienne  que  ceste 
promesse,  comme  toutes  les  autres,  ne  nous  proffîteroit  de  rien 


428  CHAPITRE   YI. 

sinon  que  l'alliance  gratuite  de  sa  miséricorde  precedast  :  sur  la- 
quelle reposast  toute  la  certitude  de  nostre  salut.  Ayans  cela, 
nous  devons  avoir  certaine  confiance,  que  la  rétribution  ne  sera 
point  déniée  de  la    bénignité  de  Dieu  à  noz    œuvres  :    combien 

5  qu'elles  en  soient  plus  qu'indignes.  L'Apostre  donc,  pour  nous 
confermer  en  ceste  attente,  dit  que  Dieu  n'est  pas  injuste,  qu  il 
ne  nous  tienne  promesse.  Pourtant  ceste  justice  de  Dieu  se 
réfère  plus  à  la  vérité  de  sa  promesse,  que  à  l'équité,  de  nous 
rendre  ce  qui  nous  est  deu.   Au  quel  sens  il  y  a  un  dire  notable 

10  de  Sainct  Augustin  :  lequel  comme  ce  Sainct  personnage  n'a 
pas  doubté  de  repeter  souventesfois  :  aussi  il  doibt  bien  estre 
imprimé  en  nostre  mémoire.  Le  Seigneur,  dit-il,  est  fidèle  :  lequel 
s'est  faict  debteur  à  nous  non  pas  en  prenant  de  nous  quelque 
chose,  mais  en  nous  promettant  tout  libéralement. 

15      Noz  Pharisiens  aussi  allèguent  ces  sentences  de  Sainct  Paul  : 
Si   j'avoye   toute    la    Foy  du  monde,  jusques    à   transférer   les  /.  Cor.  3. 
montaignes,   et  que  je  n'aye  point  de  charité,    je  ne  suis  rien.  Colo.3. 
Item,    Maintenant  ces  trois   demeurent,   Foy,    Espérance,  Cha- 
rité :  mais  charité  est  la  plus  grande.  Item,   Sur  tout  ayez  cha- 

20  rite  en  vous  :  laquelle  est  le  lyen  de  perfection.  Des  deux  pre- 
miers ilz  s'efforcent  de  prouver  que  nous  sommes  justifiez  par 
charité,  plustost  que  par  Foy  :  puis  que  c'est  une  vertu  plus 
excellente.  Mais  ceste  subtilité  est  aysée  à  réfuter.  Car  nous 
avons  desja   exposé  autrepart,  que   ce   qui   est  dict  au  premier 

25  lieu  n'appartient  de  rien  à  la  vraye  Foy.  Nous  confessons  que 
le  second  se  doibt  entendre  de  la  vraye  Foy  :  à  laquelle  il  pré- 
fère charité,  comme  plus  grande,  non  pas  comme  si  elle  estoit 
plus  méritoire  :  mais  d'autant  qu'elle  est  plus  fructueuse,  qu'elle 
s'estend  plus  loing,  qu'elle  sert  à  plusieurs,  qu'elle  ha  tousjours 

30  sa  vigueur,  comme  ainsi  soit  cpie  l'usage  de  la  Foy  soit  pour 
un  temps.  Si  nous  regardons  l'excellence,  à  bon  droit  la  dilec- 
tion  de  Dieu  auroit  le  premier  degré  :  de  laquelle  S.  Paul  ne 
touche  point  icy.  Car  il  ne  tend  à  aultre  fin.  sinon  qu'on  s'édifie 
en  Dieu  mutuellement  les  uns  les  autres  par  charité.  Mais  po- 

35  sons  le  cas,  que  Charité  soit  plus  excellente  que  Foy  en  toutes 
manières  :  qui  sera  l'homme  de  sain  jugement  ;  et  mesnies  de  cer- 
veau rassiz,  qui  infère  de  cela  ;  qu'elle  justifie  plus?  La  force  de 
justifier,  qu'ha  la  Foy,  ne  gist  point  en  quelque  dignité  de  l'œu- 
vre :  car   nostre  justification   consiste    en    la   seule   miséricorde 


DE    LA    JUSTIFICATION  .  429 

de  Dieu,  et  au  mérite  de  Christ.  Ce  que  la  Foy  est  dicte  justifier  : 
ce  n'est  sinon  pource  qu'elle  appréhende  la  justice  qui  luy  est 
olVerte  en  Christ.  Maintenant  si  on  interrompue  noz  adversaires,  en 
quel  sens  ilz  assignent  à  Charité  la  force  de  justifier  :  ilz  respon- 
adront,  que.  pour  ce  que  c'est  une  vertu  plaisante  à  Dieu,  par  le 
mérite  d'icelle,  entant  quelle  estacceptée  par  la  bontédivine,  jus- 
tice nous  est  imputée.  De  là  nous  voyons  comment  leur  argument 
procède  bien.  Nous  disons  que  la  Foy  justifie  non  point  qu'elle 
nous  mérite  justice  par   sa    dignité  :    mais   pource   que   c'est  un 

10  instrument  par  lequel  nous  obtenons  gratuitement  la  Justice  de 
Christ.  Eux  laissans  derrière  la  miséricorde  de  Dieu,  et  ne  faisant 
nulle  mention  de  Christ,  où  gist  toute  la  somme  de  justice  :  main- 
tenant que  nous  sommes  justifiez  par  le  moyen  de  Charité,  pource 
qu'elle  est  plus  excellente.  Comme  si  quelqu'un  disputoit,  qu'un 

lo  Roy  est  plus  propre  à  faire  un  soulier  qu'un  cordonnier:  pource 
qu'il  est  beaucoup  plus  digne  et  plus  noble.  Ce  seul  argument  est 
suffisant  pour  nous  donner  à  congnoistre,  que  toutes  les  esclioles 
Sorboniques  n'ont  jamais  gousté  que  c'est  justification  de  Foy. 
Or    si    quelque  riotteur  réplique  contre  ce  que  j'ay  dict,  que  je 

2oprendz  le  nom  de  Foy  en  diverse  signification,  en  Sainct  Paul, 
prétendant  qu'il  n'y  a  nul  propos  de  l'exposer  ainsi  diversement 
en  un  mesme  lieu  :  j'ay  tresbonne  raison  de  ce  faire.  Car 
comme  ainsi  soit,  que  tous  les  dons  qu'il  avoit  recitez  :  se 
reduysent  aucunement  à  Foy  et  Espérance,  pource  qu'ilz  appar- 

25  tiennent  à  la  congnoissance  de  Dieu  :  en  faisant  un  sommaire 
en  la  fin  du  chapitre,  il  les  comprend  tous  soubz  ces  deux 
motz.  Comme  s'il  disoit  :  et  la  Prophétie,  et  les  langues,  et 
le  don  d'interpréter,  et  la  science,  tendent  à  ce  but,  de  nous 
mener  à   la   congnoissance  de  Dieu.  Or   nous    ne   congnoissons 

30  Dieu  en  ceste  vie  mortelle,  que  par  Foy  et  Espérance.  Pourtant 
quand  je  nomme  Foy  et  Espérance,  je  comprens  tous  ces  dons 
ensemble.  Ces  trois  donc  demeurent,  Foy,  Espérance  et  Cha- 
rité, c'est  à  dire,  quelque  variété  de  dons  qu'il  y  ayt  :  ilz  se  rap- 
portent tous  à  ces  trois  :  entre  lesquelz    Charité    est   la  princi- 

33  pale.  Du  troisiesme  passage  ilz  infèrent,  que  si  Charité  est  le 
lien  de  perfection  :  aussi  est  elle  de  justice  :  laquelle  n'est  autre 
chose  que  perfection.  Premièrement,  encores  que  nous  laissions 
à  dire,  que  Sainct  Paul  appelle  la  perfection,  quand  les  mem- 
bres d'une  Eglise  bien  ordonnée   sont  conjoinctz  ensemble  :   et 


430  CHAPITRE    VI. 

aussi  que  nous  confessions  Thomme  estre  parfaict  devant  Dieu 
par  charité  :  que  conclueront-ilz  neantmoins  de  nouveau  par  cela? 
Car  je  repliqueray  tousjours  aucontraire,  que  nous  ne  parvenons 
jamais  à  ceste  perfection:  que  nous  n'accomplissions  Charité.  Et 

5  de  cela  pourray  inférer,  puis  que  tous  hommes  du  monde  sont 
bien  loing-  de  l'accomplissement  de  Charité  :  que  toute  espérance 
de  perfection  leur  est  ostée. 

Je  ne  veulx  point   poursuyvre   tous  les  tesmoig-nag-es  que  ces 
accariastres  Sorboniques   prennent    inconsidérément  cà  et  là  de 

loTEscriture,  pour  batailler  contre  nous.  Car  ilz  font  d'aucunes  allé- 
gations si  ridicules,  que  je  ne  les  puys  toucher,  si  je  ne  veulx 
estre  inepte  comme  eux.  Je  mettray  donc  fin  à  ceste  matière, 
après  avoir  expliqué  une  sentence  de  Christ,  en  laquelle  ilz  se 
plaisent  merveilleusement:   C'est  quand  il  respond   au  Docteur  3/a//.  19. 

15  de  la  Loy,  lequel  l'avoit  interrogué,  quelles  choses  sont  nécessaires 
à  salut?  Si  tu  veulx  entrer  en  la  vie,  garde  les  commandemens. 
(^ue  voulons-nous  davantage  ;  disent-ilz  ?  Puis  que  l'autheur  de 
grâce  mesmes  nous  commande  d'acquérir  le  Royaume  de  Dieu 
par    l'observation    des    commandemens  ?  Comme  si    ce   n'estoit 

20  point  chose  notoire,  que  Christ  a  tousjours  accommodé  ses  res- 
ponses  à  ceux  ausquelz  il  a  voit  à  faire.  Or  en  ce  passage  il  a  voit 
esté  interrogué  par  un  Docteur  de  la  Loy  du  moyen  d'obtenir  la 
béatitude  éternelle  :  et  ce  non  pas  simplement  mais  en  ceste 
forme  de  parler  :  Que  c'est  que  doibvent  faire  les  hommes  pour 

25 parvenir  à  la  vie?  Tant  la  personne  de  celuy  qui  parloit,  que 
la  question  induysoit  le  Seigneur  d'ainsi  respondre.  Car  ce  Doc- 
teur, estant  enflé  d'une  faulse  opinion  de  la  justice  légale  :  es- 
toit  aveuglé  en  la  fiance  de  ses  œuvres.  D'avantage  il  ne  deman- 
doit  autre  chose,   sinon  quelles  sont  les  œuvres  de  justice  :  par 

30  lesquelles  on  acquiert  salut?  C'est  donc  à  bon  droict  qu'il  est  ren- 
voyé à  la  Loy  :  en  laquelle  nous  avons  un  miroir  parfaict  de  jus- 
tice. Nous  aussi  bien  preschons  hault  et  clair,  qu'il  fault  garder 
les  conmiandemens,  si  on  cerche  justice  aux  œuvres  :  et  est  une 
doctrine  nécessaire  de  congnoistre  à  tous  Chrestiens.  Car  comment 

3b  auroient-ilz  leur  refuge  à  Christ  :  s'ilz  ne  congnoissoient  qu'ilz  sont 
tresbuchez  en  ruyne  de  mort  ?  Et  comment  congnoislroient-ilz 
comment  ilz  sont  esgarez  loing  du  chemin  de  vie,  sans  avoir 
entendu  quel  il  est  ?  Pourtant  ilz  ne  sont  pas  droictement 
instruictz  d'avoir  leur  refuge    en  Christ,   pour  recouvrer  salut  : 


DE    LA    JUSTIFICATION.  431 

jusques  à  ce  qu'ilz  entendent,  quelle  répugnance  il  y  a  entre  leur 
vie  et  la  Justice  de  Dieu,  laquelle  est  contenue  en  la  Loy.  La 
somme  est  telle  :  Si  nous  cerclions  salut  en  noz  œuvres,  il  nous 
fault  garder  les  commandemens,  lesquelz  nous  instruisent  à  pai - 
ï  faicte  justice.  Mais  il  ne  nous  fault  pas  icy  arrester  si  nous  ne 
voulons  défaillir  au  milieu  du  chemin  :  car  nul  de  nous  n'est  ca- 
pable de  les  garder.  Puis  donc  que  nous  sommes  tous  excluz  de  la 
justice  de  la  Loy  ;  il  nous  est  mestier  d'avoir  une  autre  retraicte 
et  secours  :  à  scavoir  en  la  Foy    de   Christ.    Pourtant  comme  le 

10  Seigneur  Jésus  en  ce  passage  renvoyé  à  la  Loy  le  Docteur  d'icelle, 
lequel  il  congnoissoit  estre  enflé  de  vaine  confiance  de  ses  œuvres, 
à  fin  qu'il  se  congnoisse  povre  pécheur,  subject  à  condemnation  : 
aussi  en  un  autre  lieu  il  console  par  promesse  de  sa  grâce  ceux 
qui  sont  humiliez  par  telle  recongnoissance  :  et  les  console  sans 

I")  faire  mention  de   la   Loy.    Venez    à  moy,   dit-il,    vous   tous   ([m  M.tlt.  N 
estes  chargez  et  travaillez  :  et  je  vous  soulageray. 

Finalement  après  que  noz  adversaires  sont  las  de  renverser 
l'Escriture  :  ilz  taschent  de  nous  surprendre  par  captions  et 
vaines  sophisteries.  Hz   cavillent    premièrement,  que  la  Foy  est 

20  nommée  œuvre  :  et  pourtant  que  nous  faisons  mal,  de  l'opposer 
aux  ouvres,  comme  chose  diverse.  Gomme  si  la  Foy,  entant  que 
c'est  une  obeyssance  de  lavolunté  de  Dieu,  nous  acqueroit  jus- 
tice par  son  mérite  :  et  non  plustost,  entant  que  en  recevant  la 
miséricorde  de  Dieu,  elle  nous   rend   certains   de   la  Justice   de 

25  Christ  :  laquelle  par  la  bonté  gratuite  du  Père  céleste,  nous  est 
offerte  en  l'Evangile.  Si  je  ne  m'amuse  point  à  réfuter  telles 
inepties  les  Lecteurs  me  pardonneront  :  Car  elles  sont  tant 
légères  et  frivoles,  qu'elles  se  peuvent  rompre  d'elles  mesmes. 
Toutesfois  il  me   semble  advis  bon,  de  respondre  à  une    objec- 

aotion  qu'ilz  font  :  laquelle,  pource  qu'elle  ha  quelque  apparence 
et  couleur  déraison,  pourroit  faire  quelque  scrupule  aux  simples. 
Comme  ainsi  soit  disent-ilz,  que  les  choses  contraires  passent 
par  une  mesme  reigle  :  puis  qu'un  chascun  péché  nous  est  im- 
puté à   injustice  :    il  est    convenable   que   une   chascune    bonne 

33  œuvre  soit  imputée  à  justice.  Ceux  qui  respondent,  que  la  dam- 
nation des  hommes  procède  proprement  de  seule  infidélité,  et  non 
point  des  péchez  particuliers,  ne  me  satisfont  point  :  je  leur 
accorde  bien  que  la  fontaine  et  racine  de  tous  maux  est  incré- 
dulité. Car  c'est  le  commencement  d'abandonner,  et  quasi  renon- 


432  CHAPITRE    VI. 

cer  Dieu  :  dont  s'ensuyVènt  toutes  les  transgressions  de  sa  vo- 
lunté.  Mais  touchant  ce  qu'ilz   semblent  ad  vis  contrepoiser  en 
une  mesme  balance  les  bonnes  œuvres  et  mauvaises,  pour  esti- 
mer la  justice   ou  l'injustice  de  Thomme  :    en  cela  je  suis  con- 
5  treinct  de  leur  répugner.  Car  la  justice  des  œuvres  est  une  par- 
faicte  obeyssance  de   la  Loy.  Pourtant  nul  ne  peult   estre  juste 
par  œuvres,   s'il  ne   suyt,    comme    de   droite  ligne,  la    Loy   de 
Dieu  tout   le  cours  de  sa  vie.    Incontinent  qu'il  est  décliné   cà 
et  là,  il  est  decheut  en  injustice.  De  là  il  appert  que  la  justice 
10  ne  gist  point   en   quelque  peu  de  bonnes  œuvres  :  mais  en  une 
observation    entière  et  consommée  de    la  volunté  de   Dieu.  Or 
c'est  bien  autre  raison,  que   de  juger  l'iniquité.   Car  quiconques 
a    paillarde,    ou  desrobé.    par  un  seul  delict    est    coulpable    de 
mort  :   entant  qu'il   a  olîensé   la   majesté   de   Dieu.    C'est   à   ce 
ispoinct  que  s'abusent  noz  Sophistes,   qu'ilz  ne  considèrent  point 
ce  que  dit  Sainct  Jaques.    C'est  que  celuy  qui  a  transgressé   un  Jnq.  4. 
commandement,   est  coulpable  de  tous  :  pource  que  Dieu,  qui  a 
deffendu   de  meurtrir,  a  aussi  bien   deii'endu  de  desrober,    etc. 
Pourtant  il  ne  doibt  point  sembler   advis  absurde,  quand  nous 
20  disons  que  la   mort  est  juste   loyer    d'un   chascun  péché  :    a'cu 
qu'ilz    sont   tous    dignes   de    l'ire   et    vengeance   de    Dieu. 
Mais  ce  seroit  mal  argué,  de  tourner  cela  au  rebours: 
c'est   que    l'homme    puisse    acquérir    la   grâce    de 
Dieu   par  une    seule    bonne   œuvre   :    ce 
25  pendant  que  par  plusieurs  faultes 

il    provoquera    son 
ire. 


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^o2        pratique  des  hautes 
fr.n   17A    e^u^es.  Section  des 
iasc.j./D    sciences  historiques 
et  philologiques 


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