UfilVOF
llORARY
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University of Ottawa
http://www.archive.org/details/bibliothquedel176ecol
INSTITUTION
RELIGION CHRESTIENNE
MAÇON, PROTAT FRERES, IMPRIMEURS.
DONATION Alphonse PEYRAT
Ce volume, divisé en deux fascicides, a été publié avec laide
du fonds spécial mis à la disposition de l'Ecole pratique des
Hautes Etudes par Madame la marquise Arconati A'isgonti, en
mémoire de son père Alphonse Peyrat.
JEAN CALVIN
INSTITUTION
D K L A
RELIGION CHHESTIENNE
TEXTE
r>E
LA PREMIÈRE ÉDITIOX FRANÇAISE
réinipiimé sous la direclion
(le
Ahf.i. LEPHANC
Pi-otVssciii- au C')llcf;e de France
Diiecteur-acljoint à l'École pratique des Hautes Etudes
PAU
HtNiu chati:lai\
r.T
Jaca-uks PAXMEH
Af;régé, Hoeleur es lettres
Pasteur
Professeur à l'Université lie Birminxliam
Licencié es lettres
I*f('inioi' fusciciile.
Intruduction par Abel Lkeranc.
Préface et texte de l'Institution jusqu'à la pa^c 432.
\^
PARIS
LIBRAIRIE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR
O, QUAI MALAnl Aïs, O
1911
Tous droits réserves.
Cet ouvrage torme le 176' fascicule de la Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes
K'
BIBLIOTHÈQUE
DF I.'KCOMÎ
DES HAUTES ÉTUDES
PT'RrTFF -^nt's r.FS auspices
Dr MiMsiKHi-: 1)1-: i/insthl trrioN imMi.igrE
SCIKNCES HISTOHIQUKS l.T PHILOLOGIQUES
CENT SOIXANTE -SEIZIÈME FASCICULE
INSTITUTION DK I.A KRI.U.ION CIIRI'.STIKNNE DH CAI>V1>
Texte orij;inal de lôll réiniprinié sous la directidii
DE
Ahel li- franc:
l'A U
Henri CHATKLAI.N n Jacques PANNIER
l^roinicr /uscirule.
Introduction par Abc! Lefranc.
Préface et Texte de l'Institution jusqu'à la page 432.
PARIS
LIBRAIRIE HONORE CHAMPION, ÉDITEUR
5 , QUAI 11 A L A (J U A I S
1911
Tous droits réservi's.
A\^
INTRODUCTION
Depuis bientôt ([uatre siècles, la voix unanime de la postérité
a consacré le texte français de Y Institution chrétienne comme
l'un des plus nobles et des plus parfaits chefs-d'œuvre de notre
littérature. Le livre de Calvin demeure, avec celui de Rabelais,
comme un monument incomparable de la langue nationale pen-
dant la première partie du wi" siècle, et c est avec raison que les
meilleurs, parmi les critiques et les historiens littéraires de notre
temps, ont reconnu au puissant écrivain picard et à son célèbre
ouvrage, « le premier de nos livres que l'on puisse appeler clas-
sique », la gloire certaine d'avoir créé l'éloquence française. Il
n'existe aucune production antérieure qui puisse lui être com-
parée, et l'on peut alïirmer, d'autre part, qu'il est nécessaire de
descendre jusqu'à la seconde moitié du xvii'' siècle, c'est-à-dire
jusqu'à Pascal et Bossuet, pour rencontrer une prose littéraire
aussi ample, aussi grave, une armature aussi fortement ordonnée
et logique et peut-être même une langue aussi émouvante, mises
au service des problèmes les plus élevés de la philosophie mo-
rale et religieuse. Nul doute que la philosophie sociale elle-
même, cette belle création des temps modernes, puisse en partie
découvrir ses origines dans les derniers chapiti'es de \ Institution
(texte de loil) qui s'appellent : « de la liberté chrétienne; de la
puissance ecclésiastique ; du gouvernement civil et de la vie chré-
tienne », pendant que l'éloquence politique française revendique
à bon droit son premier et authentique modèle dans l'immortelle
épître au roi François P"". Après cela, est-il téméraire de deman-
der si l'on trouverait dans toute notre littérature une œuvre qui
puisse, par l'étendue des proportions, la liaison de ses parties,
autant que par l'unité et la grandeur du plan, être comparée à
celle de Calvin ? Que l'on cherche bien et l'on constatera que
le Réformateur français a réalisé une construction unique en
son genre, qu'aucune autre, depuis, n'a égalée^ en ce qui touche
Institution. a
2* INTRODUCTION
lampleur du dessein, la clarté et l'enchaînement des divisions,
et je ne sais quelle passion intérieure qui anime d'un bout à
l'autre ce vaste exposé, au point d'en faire comme un véri-
table drame, comme une tragédie grandiose dont Ihomme et
son salut éternel fournissent le pathétique sujet. La connais-
sance de Dieu, sa grandeur, et par contraste, la misère morale
de l'homme corrompu par le péché d'Adam : voilà l'expo-
sition ; la rédemption par Jésus-Christ constitue, si l'on peut
dire, l'intrigue; la grâce, la foi, et l'élection éternelle forment le
nœud : enfin l'exposé du rôle de l'Eglise et « des moyens exté-
rieurs dont Dieu se sert pour nous convier à son Fils et nous
retenir en lui » amène le dénouement naturel de ce drame extra-
ordinaire, divin et humain tout ensemble, qui se découvre sous la
trame de V Institution.
Mais le grand ouvrage de Calvin n'apparaît pas seulement
comme un monument essentiel et tout à fait à part de notre litté-
rature, on doit reconnaître par ailleurs qu'il domine et résume
toute l'activité intellectuelle et religieuse du Réformateur : si
Calvin n'avait pas composé son Institution, il ne serait pas ce qu'il
fut. Pendant trente ans, toutes ses pensées tournèrent autour de
ce livre ; il le remania sans cesse, modifiant la disposition des
matières et ce qu'on peut appeler l'architecture extérieure, mais
non point la doctrine ni les idées fondamentales. Si son œuvre
française, contrairement à une affirmation récente', constitue
beaucoup plus qu'une petite portion de son œuvre parlée et écrite,
elle en représente sûrement aussi la partie la plus significative. On
peut donc soutenir, dans ce sens, que l'Institution chrétienne, à
elle seule, c'est presque le Réformateur tout entier '. c Aussi, dans
l'œuvre entière de Calvin, ne trouverait-on pas une seule idée qui
ne se rapporte à ce livre, comme à son centre d'attraction. Ni contre
les Anabaptistes, ni contre les Libertins, ni contre les Nicodé-
mites, il n'a rien écrit qui ne fût en germe ou en puissance dans
l'Institution chrétienne; et ses Sermons sur la Genèse, ou sur le
Deutérononie, ou sur les Psaumes ne sont, en vérité, que le récit
des « expériences » bibliques sur lesquelles il a fondé sa doctrine.
Il n'y a pas jusqu'à sa Correspondance, française ou latine, dont
le principal intérêt ne soit d'éclairer, par les renseignements
1. F. Brunelière, Hist. de la litt. fr. clussiqiie, I, p. 223-226.
2. Ibid
LES ORIGINES DE L INSTITUTION 3*
dont elle abonde, quelques points douteux, ou pour mieux dire,
quelques intentions de Y Institution chrétienne ; et sa personna-
lité même, son caractère, le fond de sa pensée ne s'y révèlent
point avec plus d'évidence que dans ce livre capital. Homo unius
libri! Pour connaître Calvin, on n'a besoin que de l'Institution
chrétienne; et son œuvre française, en ce sens, est plus qu'une
partie de son œuvre littéraire : elle est vraiment cette œuvre
entière. »
I
Les origines de V « Institution chrétienne ».
Ce fut à Bàle, dans le courant du mois de mars lo3(i, que
Jean Calvin, alors âgé de vingt-six ans, publia en latin la pre-
mière édition de l'œuvre qui, sans cesse reprise et développée
par lui pendant un quart de siècle, devait demeurer comme le
monument par excellence de sa foi religieuse en même temps que
de son génie littéraire. Avant lui, certes, plusieurs théologiens pro-
testants avaient songé à offrir à leurs coreligionnaires des manuels
de la nouvelle foi : les Loci communes rerum theologicarum de
Mélanchthon avaient vu le jour dès 1521 , le Commentarius de vera
et fnlsa reli<jione de Zwingli, en lo2o, la Summaire brie fve décla-
ration dauscuns lieux fort nécessaires à ung chrcsfien de Guil-
laume Farel i, avant 1533, sans parler du grand et du petit Caté-
chisme de Luther, mais aucun de ces essais n'atteignit à la popu-
larité qu'allait conquérir l'Institution. Ce livre, appelé à exercer,
dès son apparition, une action si profonde, sans seconde dans l'his-
toire de la Réforme, avait été commencé, selon toute vraisem-
blance, à Angoulême, en 1531. Arrivé à Bâle au début de l'année
suivante, le futur Réformateur, caché sous le nom de Lucanms,
acheva assez rapidement la composition de son traité qui parut
seulement l'année suivante, en raison de nombreux retards de
l'imprimeur. C'était un petit octavo de 520 pages '', avec vingt-
d. Il fut suivi de la Brevis et clara fïdei expositioad Reyem Cfiristianum,
mais cet opuscule ne fut publié qu'en 1536.
2, En voici le titre complet : Christianae Religionis Instiliitio, tolam fere
4* INTRODUCTION
quatre lignes à la page, susceptible de se porter aisément dans
la poche. L'auteur déclarait du reste que son livret ihic nos-
ter Uhellus) avait été rédigé avec une concision voulue : i< Je
m'exprimerai en très peu de mots, disait-il en commençant,
de peur que ce petit ouvrage, que je veux réduire à la brièveté
d'un manuel, ne s'étende d'une façon démesurée. » Quelles
étaient donc les circonstances récentes et aussi les motifs d'ordre
général qui avaient amené le jeune protestant de Noyon, l'étu-
diant d'hier, fugitif et encore si obscur, à risquer une entreprise
de si haute portée ? Il est assez aisé de les reconstituer.
Quelques mois auparavant, le I"' février io3o, le roi de France
avait adressé aux Etats de l'Empire un mémoire ' dans lequel il
se justitîait des accusations répandues par ses ennemis, en Alle-
magne. François I"" proteste contre la rumeur propagée en pays
germanique, d'après laquelle les envoyés du sultan Soliman sont
très favorablement accueillis en France, dans le temps même où
les Allemands y sont indistinctement emprisonnés et mis à mort
pour otfense à la religion. Ce n'est point, assure-t-il, contre les
Allemands qu'il a fallu sévir, mais contre certains séditieux qui se
proposaient de bouleverser la société, et dont les pareils, s ils
existaient jamais dans les Etats delEmpire, seraient assurément
pour ceux-ci un objet d'horreur. Aucun Allemand n'a perdu la
liberté ou la vie ; tous les hommes de cette nation jouissent dans
le royaume des mêmes avantages que les Français. En somme,
dans ces pages destinées à une grande diffusion. François F'""
représentait les protestants de ses Etats comme des fous, des
pietalis suniinam, et quicquiJ est in doctrina salulis cognitu necessariuin,
complectens : omnibus pietatis studiosis lectii dignissimum opiis, ac recens
ediium. Praefalio ad christianissiniuni Regem Franciae, qua hic ei liber pro
confessione fidei offerlur. loanne Calvino Noviodonensi autore. Basileae.
MDXXXVI. A la fin du volume se trouvent l'indication des imprimeurs et la
date exacte du volume : Basileae, per Thomam Plalleriun et Balthasarem
Lasium, inense Martio, anno lo36. La préface, écrite après le livre, est datée
du 23 août 1535. La date du l'''' août 1536 que portent certaines éditions
résulte d'une erreur. L'éditeur qui soutenait les imprimeurs Thomas Flat-
ter et Balthasar Lasius n'était autre que Jean Oporin. Les dimensions du
volume étaient d'environ 15 centimètres et demi sur 10. — Voy. Ilermin-
jard, Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française,
IV, p. 23, note 9.
1. Ilerminjurd, t. 111, p. 249-254.
LES ORIGINES DE L'iNSTlTUTION 5*
furieux, furiosos ma(/is quani amenées, excités « par rennemi
de la vérité et du repos, par le père des discussions et du
mensong'e ». Les hérétiques français se voyaient dénoncés de
la sorte comme de dangereux révolutionnaires et assimilés du
même coup aux bandes anabaptistes de Mûnzer dont les excès
avaient laissé un souvenir si épouvantable. Nulle accusation ne
pouvait être, à leur égard, plus grosse de périls. Ce rôle de sédi-
tieux universels qui leur était attribué risquait d'écarter d'eux
les sympathies qui commençaient à leur venir d'Allemagne et
d'ailleurs, en les transformant en ennemis publics, indignes de
toute pitié.
Ainsi se produisit l'émouvante conjoncture qui décida Calvin
à hâter l'achèvement de son ouvrage et à le faire précéder de
l'admirable épître à l'aide de laquelle il espérait ramener Fran-
çois I''' à des dispositions plus bienveillantes, tout en révélant
au grand public le caractère véritable des réformés français,
odieusement travestis en malfaiteurs. Le danger qu'il s'agissait
de détourner était redoutable pour ces derniers. Une fois iso-
lés et abandonnés par l'opinion européenne, rien ne pourrait
plus conjurer leur écrasement. Avec cette claivoyance supérieure
qui devait faire de lui, à trente ans, un chef et un conducteur
d'âmes, le jeune Réformateur dénonça le péril imminent ; il se fit
hardiment le porte-parole de ses coreligionnaires calomniés, et,
première belle victoire de l'éloquence moderne, réduisit à néant
les accusations qui devaient ravir aux persécutés leurs alliés natu-
rels en même temps que l'estime universelle.
Tel fut le fait qui détermina l'achèvement, puis l'apparition de
l'Institution chrétienne. Mais il n'était lui-même qu'un épisode
de la lutte poignante qui s'était engagée depuis l'affaire mémo-
rable des Placards. Ces fameuses affiches clandestines qui déchaî-
nèrent la persécution contre les jjrotestants, supprimant toutes
les velléités favorables du gouvernement royal, sont du 18 octobre
1534 ; les édits ordonnant ces poursuites et la procession expia-
toire datent du 2o et du 29 janvier lo35 ; la lettre de François 1'''
aux Etats de l'Empire fut publiée, comme on vient de le voir, le
!•''■ février suivant. Pour comprendre toute la signification de
l'attitude du Père des Lettres dans cette circonstance, il faut
tenir compte de l'histoire des négociations qu'il poursuivit
durant toute cette période avec les princes protestants d'Aile-
6* I.NTUODLCTION
magne, au point de vue d'une entente politique, et avec plusieurs
réformés notoires du même pays, avec Mélanchthon surtout et
avec Bucer, dans le sens de la concorde religieuse, par l'inter-
médiaire de lévèque de Paris, Jean du Bellay, bientôt cardinal,
et de Guillaume, son frère, seigneur de Langey,
Même après les édits du 2o et du 29 janvier, ces deux hommes
supérieurs, en rappelant à François I*"" ses grands desseins de
politique extérieure en Allemagne et les tentatives de rapproche-
ment entreprises avec certains Réformateurs, parmi les plus en
vue, réussirent à contre-balancer pendant quelque temps encore
l'action du parti catholico-espagnol et à ramener l'esprit du roi
à une notion plus juste de la réalité.
Chose singulière et qui montre bien la complexité de tous les
problèmes d'ordre religieux ou politique qui s'agitaient alors en
Allemagne aussi bien qu'en France, ce fut Guillaume du Bellay
lui-même, ce cœur si noble et si généreux, qui. rédigea le texte
de la lettre du l*"'" février aux princes et Ailles impériales d'Alle-
magne, interprétée aussitôt comme la manœuvre la plus nuisible
à leurs intérêts par les Réformés français et en particulier par
Calvin. Le désir d'arriver du côté allemand à une conciliation
religieuse en même temps qu'à une alliance politique avait en
quelque sorte trompé son jugement de diplomate, et il dut être
le premier surpris de l'émotion soulevée par le mémoire royal.
Langey était alors si connu pour ses sympathies à l'égard de la
Réforme que le bruit de son incarcération avait couru en Alle-
magne au même moment. Ce fut donc pour tranquilliser les Etats
de l'Empire que le grand capitaine pria François F"" de leur
envoyer la lettre où le monarque essayait de se disculper de
toutes les imputations que les Impériaux répandaient sur son
compte en pays germanique. Cette lettre dont, je le répète, la
diffusion fut très grande, « assurait la continuité de la politique
royale en Allemagne »> : elle devait, dans la pensée du souverain
et de ses conseillers, rassurer les partisans de la cause de la
conciliation des Eglises catholique et protestante et les engager à
persévérer '. Pendant que la persécution continuait en France à
1. On doit consulter pour toute cette histoire le solide travail de
V.-L. Bourrilly et N. Weiss, Jenn du Bellay, les Protestants et la Sorbnnne
[tirage à part du Bull, delà Soc. de l'hiat. du protest, français, années 1903
Li:s ORIGINES DE L LNSTITLTION 7
l'égard des hérétiques (février et mois suivants de 1535), Fran-
çois P"", par l'intermédiaire de Barnabe de Voré, sieur de la Fosse,
et de Sturm, faisait pressentir, en mars, Mélanchthon et Bucer,
dans le but de décider le premier à venir en France.
On voit par une lettre de Jean Sturm, écrite de Paris, à Bucer,
le 40 mars lo3o, que les Réformés espéraient encore à cette date
en un revirement favorable du roi, « Jamais, dit-il, je n'ai mieux
compris ce mot des saintes Ecritures : le cœur du roi est dans la
main de Dieu, que par le temps qui court, car au milieu des
bûchers il songe à une réforme de l'Eglise... Si vous voyiez ces
emprisonnements, ces tortures, ces bûchers et ces larmes, vous
sentiriez vous-même que ce n'est pas en vain que j'insiste sur la
nécessité de votre voyage et de celui de Mélanchthon. 11 faut
absolument un remède à ces dangers imminents, car les adver-
saires assiègent et importunent le roi dont l'esprit flotte encore
dans l'incertitude. En effet, peut-on s'imaginer des choses plus
contraires que la condamnation à mort de ceux qui professent
l'Evangile et l'exil de Bède, leur plus grand adversaire? Avant-
hier, ce dernier a été obligé de crier merci, publiquement et
pieds nus, à Dieu et au roi, pour ce qu'il avait écrit contre lui
contrairement à la vérité. Après-demain, im autre théologien de
la même sorte subira la même peine. Tout ceci me fait espérer
encore que ce n'est pas tant la volonté du roi que l'effet du rap-
port calomnieux qu'on lui fait, qui met les fidèles en de tels dan-
gers. On ne fait aucune distinction entre Erasmiens, Luthériens
et Anabaptistes. Tous, indistinctement, sont arrêtés et menés en
prison ; il n'y a de sûreté que pour les papistes. Je crois que le
roi serait disposé à faire une distinction entre les séditieux et
ceux qui ne professent point la doctrine reçue, relativement à
l'Eucharistie. Faites donc tous vos efforts pour délivrer des pri-
sons et pour arracher aux bûchers tous ceux dont la vie est
menacée parce qu'ils professent la même doctrine que vous.
Certes, tous ne sont pas également coupables, mais on a confondu
à dessein, en un même procès, la cause des fidèles et celle des
séditieux. Je vous conjure donc, par ces flammes que nous sommes
forcés de voir s'allumer tous les jours, par le deuil de tous les
et 1904) et V.-L. Bourrilly, Guillaume du Bellay (Paris, 190.-i, 8" , livre III.
Beaucoup de textes sont fournis par Herminjard, t. IIL
8* INTRODUCTION
g^ens de bien, par la gloire du Christ et de son saint nom, de
prendre pitié de nous et de faire votre possible pour éloigner cette
épée de Damoclès qui menace notre tête K »
Vers la même époque, une autre épître de BuUing-er à Bucer,
datée du 28 mars ly.Sri, contenait ceci : «. Vous nig-norez pas ce
que le roi a écrit aux princes allemands. On soupçonne Guil-
laume du Bellay d'être l'auteur de cette apologie. Mais ce qui
met le comble à l'impudence, à la perversité souverainement
indigne de la majesté royale, c'est que ce prince a publié en
même temps, en français, un édit par lequel il proscrit nommé-
ment les Luthériens. Une copie de cette pièce a été communi-
quée à nos seigneurs pour leur faire toucher du doigt cette con-
tradiction infâme et mensongère. L'apologie latine, il l'envoie
aux princes allemands, l'édit français aux ennemis de notre reli-
o'ion, et voilà comment il chevauche sur deux selles"-. »
Le 23 juin, le souverain écrivait à Mélanchthon pour inviter offi-
ciellement le célèbre réformateur à se rendre dans son ro^^aume.
Jean du Bellay unissait ses instances à celles du roi et se pro-
mettait les plus heureux résultats de ce voyage.
Mais la Sorbonne refusa de discuter oralement et en public
avec les réformateurs allemands et, d'autre part, l'électeur de
Saxe ne permit point a Mélanchthon de se rendre à l'invitation
royale. Une occasion unique de tenter un essai de concorde s'éva-
nouit par suite de cet échec. (( S'il est vrai, observent deux his-
toriens judicieux, que jusqu'en 1538 jusqu'à l'entrevue de Nice,
François L'', bien qu'il y inclinât, ne soit pas tombé irrévocable-
ment et sans retour dans le parti de la réaction, il est non moins
vrai qu'à partir de io3o il n'y avait plus autour du roi un groupe
assez nombreux, assez cohérent, assez uni pour essayer de le
ramener à ses vues. Le divorce entre les humanistes et les nova-
teurs religieux, entre les adeptes de la Renaissance des Belles-
Lettres seules et les partisans de la Réforme religieuse se pro-
duit et va s'accentuant de plus en plus ^. » 11 fallait une ligne de
démarcation : ce fut Calvin qui se chargea de la tracer devant le
monde chrétien, attentif et surpris.
1. Herrainjard, Corresp. des Réfoivn., III, 271 et suiv. Vov. encore ihid.,
306 et 362.
2. Corpus Reforniatorum. Calvini Opéra, III. p. xix.
3. Bourrilly et Weiss, op. cit., p. 113-H4. Voy. aussi Hauser, Etudes
sur la Réforme française (Paris, 1909, in-12), p. 42 cl suiv.
II
But ef plan do T (( Institution » do 1oS6.
Voilà ce que l'on peut apprendre touchant la cause occasion-
nelle de la publication de lo36. Mais il est bien évident que le
premier l)ut du Réformateur français, celui qui l'avait incité à
entreprendre précédemment son livre, était d'un ordre plus géné-
ral. Il s agissait essentiellement de mettre en lumière l'enseifirne-
ment scripturaire et d'expliquer aux fidèles la doctrine des Livres
saints. Le jeune réformé se constituait comme l'interprète de la
parole de Dieu. D'après sa propre déclaration, les Ecritures con-
tiennent une doctrine parfaite à laquelle on ne peut rien ajouter;
toutefois, à son sens, une personne qui ne sera pas fort exercée
à son étude, a bon besoin de quelque conduite et direction pour
savoir ce qu'elle y doit chercher. Or, cela ne se peut mieux faire
qu'en traitant les matières principales et de conséquence, les-
quelles sont comprises en la Philosophie chrétienne. Car celui
qui en aura l'intelligence sera préparé à profiter en l'école de
Dieu en un jour, plus qu'un autre en trois mois. C'est à cette
fin qu'il a composé l'Institution chrétienne.
Continuons notre enquête sur les origines de ce livre et
appelons-en au témoignage de l'auteur lui-même. Au moment
où il entreprit la rédaction de son œuvre, très probablement
en France, le futur Réformateur ne songeait point à s'adresser
au roi ; il voulait seulement écrire un livre de piété pour les
Français. C'est dans ce dessein, déclare-t-il, qu'il accommoda la
première Institution à la plus simple forme d'enseigner qu'il lui
fût possible de réaliser. Mais " la fureur d'aucuns iniques »
s'étant élevée, il lui parut expédient, dit-il au roi, de faire servir
ce présent livre, « tant d'instruction à ceux, que premièrement
j'avoye délibéré d'enseigner, que aussi de confession de foy envers
toy : dont tu congnoisses quelle est la doctrine, contre laquelle,
d'une telle rage, furieusement sont enflambez ceux qui par feu
et par glaive troublent aujourd'huy ton Royaume ».
Ecoutons maintenant la déclaration décisive de la Préface mise
par Calvin en tête de son Commentaire sur les Psaumes, publié en
10* IKTRODLCÏIO>
io58 : « ...Cependant que je demeuroye à Basle-, estant là comme
caché et cognu de peu de gens, on brusla en France plusieurs
fidèles et saincts personnages, et... le bruit en estant venu aux
nations estranges, ces bruslemens furent trouvez fort mauvais
par une grande partie des Allemans, tellement qu'ils conceurent
un despit contre les autheurs de telle tyrannie : pour lappaiser
on feit courir certains petits livres mal-heureux et pleins de
mensonges, qu'on ne traitoit ainsi cruellement autres qu'anabap-
tistes et gens séditieux, qui par leurs resveries et fausses opi-
nions renversoyent non seulement la religion, mais aussi tout
ordre politique. Lors moy, voyant que ces prattiqueurs de Cours
par leurs desguisemens taschoyent de faire non seulement que
l'indignité de ceste effusion du sang innocent demeurast ensevelie
par les faux blasmes et calomnies desquelles ils chargeoyent
les saincts martyrs après leur mort, mais aussi que par après il
y eust moyen de procéder à toute extrémité de meurtrir les
povres fidèles, sans que personne en peust avoir compassion, il
me sembla que sinon que je m'y opposasse vertueusement, en
tant qu'en moy estoit, je ne pouvoye m'excuser qu'en me taisant
je ne fusse trouvé lasche et desloyal. Et ce fut la cause qui m'in-
cita à publier mon Institution de la religion chrétienne : premiè-
rement à fin de respondre à ces meschans blà^smes que les autres
semoyent, et en purger mes frères, desquels la mort estoit pré-
cieuse en la présence du Seigneur : puis après afin que d'autant
que les mesmes cruautez pouvoyent bien tost après estre exer-
cées contre beaucoup de povres personnes, les nations estranges
fussent pour le moins touchées de quelque compassion et solici-
tude pour iceux. Car je ne mis pas lors en lumière le livre tel
qu'il est maintenant copieux et de grand labeur, mais c'estoit
seulement un petit livret [brève enchirkiion) contenant sommai-
rement les principales matières : et non à autre intention, sinon
afin qu'on fust adverti quelle foye tenoient ceux lesquels je
voyoye que ces meschans et desloyaux tlatteui's dilTamoient
vilenement et mal-heureusement ^ »
Ainsi, donner aux fidèles un traité de Philosophie chrétienne
qui distinguât la croyance protestante de tout ce qui n'était pas
elle, et en même temps défendre ces mêmes fidèles en prouvant la
1. Corpus Reforinatorum. Calvini Opéra, t. XXXT, p. 24.
1!LT KT PLAN DE l'iNSTITUTION 11*
dignité de leur caractère et la légitimité de leur foi, tel fut fina-
lement le double but de la première Institution. L'un dérivait d'un
dessein prémédité, l'autre de circonstances qui se rattachaient à
la politique intérieure et extérieure du gouvernement royal.
Fait remarquable, qui prouve éloquemment la continuité de la
pensée religieuse du Réformateur français : de 1536 à 1564, date
de sa mort, la doctrine de YInstitution n'a guère changé. « De
petite ébauche qu'il avait été d'abord, le chef-d'œuvre de Calvin
a fini par devenir un gros volume. L'esquisse toute populaire se
changea en savant système et pourtant à travers toutes ces
métamorphoses, qui ne laissèrent pas une seule page absolument
intacte, l'idée, la conception théologique est restée la même, les
principes n'ont pas varié, ^^ainement, les adversaires aux yeux
desquels le changement était par lui-même la plus grave erreur,
se sont-ils efforcés de découvrir des variations dans la doctrine
enseignée dans ce livre. Calvin a ajouté, développé, précisé, il
n'a rien retranché ni rétracté. Et c'était avant d'avoir accompli
sa vingt-sixième année qu'il se trouvait en possession de toutes
les vérités génératrices de sa théologie ; et jamais après, durant
une vie de méditation et de travail d'esprit incessant, il n'a
trouvé dans son œuvre, ni des principes à renier, ni des éléments
à changer foncièrement ^. »
Toutefois déjà, un critique averti a pu noter entre le texte de
1336 et les rédactions suivantes une certaine différence d'allure
qui mérite d'être relevée : (* Dans la première Institution^ comme
dans le catéchisme qui la suivit, on trouve un exposé du calvi-
nisme moins dur, moins sombre, moins écrasant que lorsque le
temps, la réflexion, la contradiction, l'inflexibilité dogmatique,
eurent amené à sa dernière expression cette vaste construction
théologique, plus propre à "provoquer l'admiration des penseurs
qu'à faire naître dans les âmes les sentiments qu'inspirent une
foi simple et une piété sympathique -. »
Comme on l'a fait remarquer avec justesse, Calvin suit l'an-
cien ordre d'instruction religieuse populaire qui avait déjà servi
à Luther dans son (( Petit catéchisme » de 1529. Il adopte l'ordre
de l'enseignement élémentaire que, depuis des siècles, chaque
1. Corpus Reforniatoruin. Cahini Opéra, t. lïî, p. xi.
2. W. Walker, Jean Calvin, trad. Weiss (1909), p. 146-14';
12* INTRODUCTION
enfant chrétien était supposé avoir appris par cœur. L'ouvrage
est divisé en six chapitres. L'auteur traite successivement de la
Loi telle qu'elle est exposée dans les Dix commandements (ch. P'),
de la Foi, résuniée dans le symbole des Apôtres (II), de la Prière,
dont rOraison dominicale fournit le type parfait (IIIi, des Sacre-
ments du baptême et de la Sainte-Cène (IV). Dans le chapitre V,
il étudie les (( faux sacrements » que l'enseignement de Rome a
ajoutés aux deux primitifs; enfin, dans le dernier, il s'occupe de la
(( Liberté chrétienne, du Pouvoir ecclésiastique et de l'Adminis-
tration civile ». Lue telle disposition devait être traditionnelle-
ment accessible à chacun ; d'autre part, pour l'esprit de Calvin,
formé parla culture juridique, elle offrait ce grand avantage de le
mettre à même de fonder son exposé sur des documents acceptés
par l'immense majorité comme empreints d'une autorité indiscu-
table. La diffusion de l'œuvre fut rapide ; elle dut être pour
Calvin im singulier encouragement. Un an après la mise en
vente de l'ouvrage, Oporin pouvait mander à l'auteur qu'on n'en
trouvait plus d'exemplaires à Bâle, et qu'à Francfort il en restait
à peine cinquante de l'envoi considérable qu'on y avait fait en
vue de la grande foire annuelle (mars 1537).
III
L histoire de V « Institufion » après 1d36.
Préparation de la traduction française.
Un texte, auquel on n'a pas accordé encore toute l'attention
qu'il mérite, nous renseigne, d'une manière qui semble probante,
sur la première origine de la traduction française, faite par Cal-
vin, de son Institution. Cette origine remonte plus haut qu'on
ne le pense communément. Dès l'automne de 1530, au moment
même où commençait à se fonder son autorité spirituelle sur
Genève, qu'il habitait depuis le mois de juillet, après un dernier
voyage en France, Calvin s'occupait d'élaborer cette traduction.
Le fait est important à retenir pour l'histoire littéraire de notre
pays. Quatre ans après l'apparition du Pantagruel, et moins de
deux après celle du Gargantua, le jeune Noyonnais songeait à
l'histoire de l'institution 13*
donner en français une œuvi*e qui eût été, à sa manière, une
aussi grande nouveauté. Voici le document qui permet de l'éta-
blir : c'est une lettre écrite par le Réformateur, le 13 octobre
lo36,de Lausanne, à François Daniel, d'Orléans^ Calvin explique
à son ami comment une succession de circonstances plus ou moins
fortuites Tont amené à retarder sa lettre jusqu'à la date à laquelle
il lui écrit. Il songeait à correspondre avec lui vers la fin de juil-
let, en profitant de l'occasion fournie par la foire de Lyon qui
se tenait du 4 au 19 août ' ; mais pour avoir séjourné à Genève et
visité quelques églises en se rendant à Bàle, il a laissé échapper
cette date favorable-^. Revenu à Genève, vers le milieu d'août,
il a été arrêté dans son travail une dizaine de jours, par une vio-
lente indisposition catarrhale. A la suite de cette alerte, dont
il n'est pas encore bien remis, il a recouvré quelque loisir dont
il aurait pu profiter pour écrire k Orléans, mais il s'occupait
alors activement de préparer l'édition française de son livre et il
avait tout lieu d'espérer de joindre cette dernière à l'envoi de sa
lettre 4.
1. Calvini Opéra, X, 2'' partie, p. 03 et suiv., et Herrninjard, IV, p. 86 et
suiv.
2. Ceux qui, de rintérieur de la Suisse, voulaient envoyer leurs lettres
en France, les remettaient vers la fin de juillet aux marchands qui se ren-
daient à Lyon pour la foire (Herrninjard).
3. On ne saurait trop insister sur l'importance des dates des grandes
foires de Lyon et de Francfort en ce qui touche l'époque de publication des
livres de ce temps et même la correspondance entre lettrés (voy. plus bas
p. *16). Nous avons eu l'occasion de montrer récemment tout le parti
qu'on peut tirer des foires lyonnaises pour fixer le moment de l'apparition
des premiers ouvrages de Rabelais. On trouvera cité dans notre article
{Revue des Éludes Rabelaisiennes, 1911, l'^'" fasc.) : Sur les dates de publica-
tion du Pantagruel, un texte important emprunté à Calvin lui-même. Il
serait aisé de multiplier les faits de ce genre.
4. « Post amissam illam occasionem, tametsi ocii satis fuit ad scribendum,
neque penitus clausa erat literis nostris via, quia lanien simjulis niomentis
de gallica libelli nostri editione cogitabamus, et spes prope certa jam esse
cœperat, literas ejus accessione dotatas venire ad vos malebam quara ina-
nes. >) Il faut comprendre littéralement : « parce que je m'occupais de l'édition
française démon livre à tous mes moments de loisir». Libellus est le terme
dont Calvin se sert en parlant de l'Institution de 1536, dans cette édition
même {Calviniopera, I, p. loO) : «...ne hic noster libellus, quem ad enchiri-
dii brevitatem exigere volo, in immensum extrahatur. » On peut être assuré
que, dans le passage de sa lettre de 1536 à Daniel qui vient d'être évoqué,
14* i:STR0DUCT10.N
Il est infiniment probable que Calvin se trouva détourné de cette
tâche par la composition, que les circonstances durent rendre sans
doute plus urgente, de son Catéchisme français^ formulaire abrégé
de la religion chrétienne destiné aux fidèles qui commencent à
s"en instruire. On sait que ce précieux texte, publié pour Téglise
de Genève au commencement de l'année lo37, n'a été retrouvé
et réimprimé qu'en 1878. En réalité, ce catéchisme était un résumé
et comme la quintessence de VInstilution plutôt qu'un manuel
vraiment approprié à la portée des jeunes esprits qu'il s'agissait
d'initier à la connaissance de la nouvelle doctrine. On peut le con-
sidérer comme une sorte d'adaptation française du premier texte
de y Institution. Les savants éditeurs modernes de ce livret ont
remarqué avec raison que si ÏInstruction et confession de foy
dont on use en l'Eglise de Genève paraît construite sur le plan du
grand catéchisme de Luther, c'est que Y Institution de io36 elle-
même avait déjà adopté ce plan et que l'Instruction l'avait suivie
pas à pas. « Entre les deux écrits le début seul diffère ; tout le
reste de l'abrégé est extrait et même, dans la seconde moitié, tex-
tuellement traduit de l'ouvrage principal. La lin de l'un et de
l'autre se rapporte à l'Eglise et à l'Etat, double sujet que n'ont
pas abordé les catéchismes de Luther -», et qui nous révèle l'as-
pect le plus original du génie de Calvin.
Au moment de Pâques de lo38, Calvin dut quitter Genève, on
siit assez pour quelles raisons, et se retirer à Bàle puis à Stras-
bourg. On n'a pas à raconter quels événements remplirent la vie
le Réformaleur ne vise pas l'édition française de sa Psychopannychia qui ne
parut qu'eu 1558 et qui n'est pas de Calvin lui-même. La première édition
latine de cet opuscule ne parut d'ailleurs qu'en l.")42. Depuis le mois de
mars 1336, date de l'apparition àe\' Institution, ]v\i(\n au mois d'août suivant,
époque de son arrivée à Genève, Calvin avait circulé continuellement ; il
avait visité Ferrare, le Val d'Aoste, Bâie et Paris. Retrouvant quelque tran-
quillité, pour la première fois, à Genève, après sa maladie, en août, il est
tout naturel qu'il se soit occupé de traduire le livre qui venait d'avoir un
si vif succès.
1. Le cati'cliisnie français de (Calvin publié en I '631 , réimprimé pour la
première fois d'après un exemplaire nouvellement retrouvé et suivi de la
plus ancienne confession de foi de l'Église de Genève, avec deux notices, par
Albert Rilliet et Théophile Dufour, Genève, H. Georg, 1878. Ce volume est
un modèle remarquable de critique et d'érudition.
2. Ihid., p. xLii.
l'histoire de l'institution 15*
de l'exilé pendant son éloignement qui dura jusqu'au 13 septembre
1541. Ce fut durant cette période, que le Réformateur fit paraître
à Strasbourg-, au mois d'août 1539, une seconde édition latine,
revue avec soin et sensiblement augmentée, de son Institution K
Sans doute, ce nouveau texte, qui maintenait les principes essen-
tiels développés en 1536. ne réalisait pas encore la perfection dans
Tarrangement logique des matières à laquelle l'édition de 1559
devait atteindre, mais on s'accorde à reconnaître cependant que,
dès ce premier remaniement, l'exposé doctrinal de Y Institution
avait conquis sa forme définitive'^. L'œuvre gag-nait en ampleur;
elle témoignait d'une plus haute maturité d'esprit, d'une compré-
hension plus nette et plus sûre des croyances dont le nom de
Calvin devait rester désormais inséparable. Suivant le mot d'un
biographe récent, le théologien donne maintenant toute sa mesure.
Un commerce assidu avec les Pères lui fournit les moyens de
mettre en lumière de nouveaux arguments. Ses attaques à l'égard
des philosophes deviennent plus fréquentes. En même temps,
son style latin devient plus coulant et plus châtié. Toutefois, des
additions et remaniements si nombreux n'allèrent point sans
nuire quelque peu à la simplicité et à la clarté du plan général.
L'ordre naturel des choses se trouva, par endroits, moins satis-
faisant peut-être.
Nous ne pouvons insister ici sur les divisions ou chapitres qui
se trouvaient notablement augmentés puisque leur nombre passe
de 6 à 17. Deux chapitres nouveaux, consacrés à la connaissance
de Dieu et de l'Homme ouvrent le volume. Les pages relatives
à la chute et au péché qui formaient le début en 153(5 sont
reportées au troisième chapitre . Une telle disposition réalisait un
1. Voy. sur la préparation de cette édition, Ilerminjard, t. IV, p. 208,
211; t.V, p. 134, 211, 227, 287 et t. VI, 37; — et Doumergue, Calvin, t. IV,
p. 2-3.
2. Il est assez piquant de constater, à ce propos, combien librement le
Réformateur jugea, après ce remaniement, le premier état de son œuvre.
Aux formules quelque peu prétentieuses ajoutées par les imprimeurs
sur le titre de la première édition, Calvin répondit par ce passage de la
seconde édition: u Comme je ne m'attendais nullement au succès que Dieu,
dans sa bonté, a accordé à la première édition de cet ouvrage, je n'avais
pas apporté beaucoup de soins dans la rédaction de la plupart de ses
parties, ainsi que cela arrive ordinairement quand il s'agit d'écrits de peu
d'importance. . . »
16* INTRODUCTION
grand progrès puisqu'elle présentait, ainsi qu'on Ta dit plus haut,
l'histoire de l'humanité comme une sorte de drame grandiose. La
condition première de l'homme et les conséquences de la chute
étaient exposées avec un relief singulièrement plus saisissant. Cal-
vin précisait, d'autre part, la distinction entre la théologie naturelle
et la révélation. Il fondait l'autorité finale des Saintes-Lettres sur
le témoignage intérieur du Saint-Esprit, assurant le lecteur que
c'est Dieu lui-même qui s'y fait entendre; l'élection et la répro-
bation, proclamées avec énergie et démontrées avec détail, étaient
données comme découlant de la parole révélée. L'ouvrage s'ache-
vait par vine sorte de traité entièrement nouveau sur la vie de
l'homme chrétien, l'une des plus émouvantes parties de ce magni-
fique ensemble.
De cette édition de 1339, il existe deux titres, l'un destiné à la
France où les mots authore Joanne Calvino étaient remplacés par
authore Alcuino : c'est ce dernier titre qui se trouve visé dans
l'arrêt du !''■' juillet 1542, qui condamne Vlnstitution latine de
1339 et la traduction française de 1341.
A propos de cette seconde édition, une remarque curieuse du
Jean Calvin de M. E. Doumergue mérite de nous retenir un ins-
tant: «Les livres, dit-il (I, 393), sortis des presses allemandes,
se publiaient et se débitaient au moment des foires de Francfort,
lesquelles se tenaient au printemps et à l'automne de chaque
année. De là vient que presque tous les ouvrages finissent d'être
imprimés en février et mars pour la foire du printemps, ou bien
en août et septembre pour la foire d'automne. Une attestation
curieuse de ce fait nous est fournie par l'histoire de la seconde
édition de Vlnstitution elle-même. En janvier 1339, Calvin écrit
à Farel : « Pendant que je croyais être sûr que l'édition de mon
livre se préparait, voici qu'on me renvoie mon manuscrit tel que
je l'avais envoyé. 11 faut donc l'ajourner à la seconde foire [in
altéras nundinas). » En effet, le livre parut en août 1339, chez
Rihel, à Strasbourg. Or, ce qui arriva certainement pour la seconde
édition se passa sans doute aussi pour la première. Lorsque
Calvin donna son manuscrit à l'imprimeur, après le 23 août 1533,
c'était trop tard. On ne pouvait plus l'imprimer pour la foire
d'automne : on le renvoya à la foire du printemps 1336. Ces
particularités attestent l'utilité que présentent les dates des foires
de Lyon et de Francfort, au xv!*" siècle, pour aider à fixer le
l/ÉDlTlON DE lo41 17*
moment de la mise en vente d'une foule d'ouvrages notoires de
cette époque.
IV
Lédilion de 1541. Baisons de sa publication.
Aussitôt rentré à Genève, en septembre 1541, le Réformateur
dut s'occuper de l'achèvement de la traduction de son Institution.,
commencée, selon toute vraisemblance, à Strasbourg-, pendant
son exil; il la publia avant la fin de Tannée, en un petit volume
in-S", qui ne porte ni nom de lieu ni d'imprimeur. Comme on en
ti'ouvera la reproduction plus loin, avec un fac-similé du titre et
de huit pag-es, contentons-nous de dire que ce volume comprend
22 feuillets liminaires non numérotés (A-E); le texte est donné
en quatre alphabets et onze feuilles (a-z ; A-Z ; Aa-Zz ; AAa-ZZz ;
AAaa-LLU); la feuille est de 8 pages à 40 lignes, les deux der-
nières pages en blanc, ensemble 822 pages numéi-otées.
L'impression paraît plutôt négligée ; les caractères sont petits,
assez fatigués ; l'alignement n'est pas irréprochable. Seule,
VEpistre au lioij, par son impression beaucoup plus soignée au
point de vue de la beauté des caractères comme à celui de l'arran-
gement, fait exception et rappelle les chefs-d'œuvre de la typogra-
phie du XVI'' siècle.
Notre édition ayant suivi la disposition de l'original page pour
page, et même assez souvent ligne pour ligne, il est inutile de
donner de plus amples détails sur l'ordonnance matérielle du
volume puisqu'on la trouvera reproduite plus loin et qvie la série
de nos fac-similés, placés à la suite de la présente introduction,
en donnera, en outre, l'idée la plus exacte.
D'après une conjecture formulée par les éditeurs des Calvini
Opéra, V Institution française de 1S41 serait sortie des presses d'un
imprimeur appelé Michel Du Bois, qui pratiqua son art à Genève
à partir de l'automne 1539 et qui était originaire de Villers-en-
Arthies, bourg situé non loin de Mantes. Michel Du Bois avait
déjà publié la première œuvre française de Calvin offrant un carac-
tère littéraire, nous voulons parler de sa célèbre « Response» au
Cardinal Sadolet, qui, par son style alerte et incisif, le sacra
Institulioii. b
18* LNTRODUCTION
écrivain'. En 1541, le même Du Bois publia le Petit traictc de la
Saincte Cène de Calvin'. Mais, contrairement à Thypothèse for-
mulée par MM. Baum, Cunitz et Reuss, ce personnage ne doit
pas être considéré comme limprimeur de V Institution de loil -.
En effet, une série de comparaisons neuves et probantes a permis
tout récemment à notre collaborateur M. Jacques Pannier de
découvrir le nom du véritable éditeur.
Ce dernier n'est autre que Jean Gérard, qui imprima par la suite
quatre autres éditions de l'Institution (notamment les seconde,
lo4o, troisième, lool et quatrième, loo3, du texte français),
et précédemment la Bible française de 1340, à laquelle Calvin,
quoique absent de Genève, prit certainement une grande part. Fait
curieux et ignoré jusqu'à présent, ce fut donc au même imprimeur
que le Réformateur confia les quatre premières éditions fran-
çaises de son Institution 3.
Il est aisé de constater que le texte français suit de très près
et même calque à beaucoup d'égards le texte latin, rendant l'ori-
ginal de 1539 phrase pour phrase, et avec une telle fidélité, qu'il
risque de devenir obscur en certains endroits pour le lecteur peu
familiarisé avec la construction latine. Jusqu'au XIP chapitre
inclusivement, lequel traite de la Sainte Cène, aucun change-
ment n'est à relever. Mais à la suite de celui-ci, figure immédia-
tement le seizième de l'original, intitulé : Des cinq autres céré-
monies c/u'on a faussement appellées Sacremens... C'était là un
changement heureux, qui donnait plus de régularité au plan de
l'ouvrage et améliorait la disposition des matières. Cet arrange-
ment parut si rationnel qu'il fut conservé dans toutes les éditions
postérieures. Après cette intercala tion, l'ordre de lo3y reste suivi
avec les chapitres de la Liberté chrétienne, de la Puissance ecclé-
1. Epistre de laques Sadolet Cardinal, envoyée au Sénat el Peuple de
Genève par laquelle il tasche le réduire soabz la puissance de VEvesque de
Romme, avec la Response de lehan Calvin : translatées du Latin en Françoys.
Imprimé à Genève par Michel Du Bois. MDXL (Réimpr. Fick, Genève,
1860).
2. On trouvera dans la réédition du Calée fiisme français de Calvin donnée
par MM. Rillict 'et Dufour (1876),p. clxxxix el suiv., d'utiles renseif^nements
sur Michel Du Bois.
3. La démonstration de cette intéressante identification sera faite par
M. Pannier dans notre 3« fascicule.
l'édition de loil 19*
siastique et du Gouvernement civil. Le chapitre XVII et dernier:
« de la X'ie chrestienne »^ porte la même numérotation en 1539
et en lo4l.
Il existe une édition séparée de VEpistre au Boy, imprimée
avec les mêmes caractères, mais qui ne constitue pas un simple
tirage à part. On y trouve quelques petits changements dans le
texte et des modifications typographiques. Elle ne contient natu-
rellement ni r « Argument du présent livre », ni le « Sunimaire
et brief recueil des principaux poinctz et chapitres... », D'après
une note obligeamment fournie par M. Théophile Dufour, il
existe trois exemplaires de cette plaquette actuellement connus :
1" celui de la collection Gaitle-Strœhlin ; 2" celui de la Stadt-
Bibliothek de Zurich ; 3° celui de la Bibliothèque nationale de
Paris, coté Ld'^'' 1041. La collation du texte de 1541 avec cet
exemplaire a été faite par M. Pannier ; nous publierons dans
notre troisième fascicule toutes les différences relevées.
Il n'est pas besoin de longues considérations pour expliquer
les raisons générales et particulières qui ont conduit le Réforma-
teur à préparer la traduction de son traité dogmatique. « Dési-
rant de communiquer ce qui en pouvoit venir de fruict à notre
nation franyoise, l'ay aussi translaté en notre langue », déclare-
t-il dans l'Argument qui ouvre le texte de 1541. Nul n'ignore
combien la Réforme, dès son apparition dans le monde, favorisa
avec ardeur les traductions des textes de la Bible, et avec
quelle continuité d'efîorts elle s'appliqua en même temps à ac-
croître la part des langues vulgaires dans la vie religieuse de ses
Eglises et de ses fidèles. Dès 1515 du reste, avant Luther, Erasme
avait proclamé que la doctrine de Jésus pouvait être comprise du
peuple comme des théologiens, et que ceux-ci ne le privaient de
cette lecture que pour se réserver le rôle d'oracles. Le Réfor-
mateur de Wittemberg comprit de bonne heure toute la portée de
la question et donna coup sur coup, tant par la publication de nom-
breux ouvrages en allemand que par l'adoption de la même langue
pour les actes du culte, une impulsion puissante au progrès géné-
ral, en pays protestant, de l'idiome vulgaire. La cause de ce der-
nier se trouva ainsi rapidement associée à celle de la révolution
religieuse. En France, un mouvement analogue se produisit de
bonne heure tant dans les groupes protestants que chez les amis
des idées de réforme. Lefèvré d'Etaples, Briçonnet, Caroli, parmi
20* INTRODUCTION
ces derniers, ag-irent résolument en faveur d'un emploi aussi
large que possible de la langue française dans la vie chrétienne.
On commença à répandre dans le peuple les traductions des textes
sacrés, contrairement aux conclusions de la Sorbonne et aux avis
de quelques personnages influents. Certaines de ces publications
eurent même l'appui du roi dont on sait la tendresse pour la
lansfue nationale. Nombre de traductions des ouvraoes des réfor-
mateurs allemands, de ceux de Luther notamment, accrurent
encore, dans les milieux réformés, la vogue fort explicable du
parler maternel appliqué aux choses saintes. Farel, Berquin et
un peu plus tard Olivetan, cousin de Calvin, travaillèrent à cette
expansion du français dans le domaine spirituel. Mais il faut
reconnaître que l'auteur de Y Institution a fait plus que personne
en son temps pour accroître à cet égard le prestige de notre
idiome et assurer son tinomphe en tant qu'organe de l'activité
religieuse des protestants de langue française. Ajoutons que dans
l'ensemble, le mouvement de la Renaissance eut pour résultat,
en France, de favoriser singulièrement les destinées de la langue
nationale, au détriment du latin, dans les sciences médicales et
mathématiques, dans la philosophie et dans les sciences morales
et historiques, aussi bien que dans la littérature proprement dite.
Grâce à la situation prise par Calvin, « grâce aussi à sa valeur
propre, l'Institution, écrite dans une langue si voisine de notre
langue scientifique quelle semble avancer de cent ans sur la plu-
part des ouvrages contemporains, eut un immense retentissement,
et il est hors de donte que la nécessité de répondre à Calvin et
aux autres protestants dans un idiome qui fût, comme le leur,
compris de tous, contribua puissamment à faire accepter le fran-
çais, même des théologiens catholiques ^ ».
V
L'interdiction de l'a Institution ». Le livre est hrùlé.
Le 1'^' juillet lo42, im arrêt du Parlement de Paris - prononça
1. F. Brunol, Ilist. de la lanijue franc., t. II, p. 14-15.
2. Archives nationales, X2"93, registre criminel du Parlement de Paris
l'interdiction de l'institution 21*
la suppression et l'interdiction du texte latin et du texte français
de Y Institution chrétienne. Il n'est pas douteux que la publication
en langue vulg-aire de l'ouvrag-e de Calvin ait été la cause occasion-
nelle de cette condamnation. Tant que le livre n'avait été répandu
que sous sa forme latine on ne s'était pas occupé de le pour-
suivre. Le texte qui nous fait connaître cette prohibition pré-
sente, à divers ég-ards, le plus haut intérêt. Il contient, en effet,
une véritable ordonnance fort détaillée, et remarquablement
rédigée, sur l'impression et le commerce des livres tant à Paris
que dans le reste du ressort du Parlement . La Cour constate
« qu'il s'est trouvé que en tous livres, mesme de g'rammaire, dia-
lectique, médecine, de droict civil et canon, et mesme en alpha-
betz que l'on imprime pour les petitz enfans, sont nouvellement
imprimez quelques postilles, préfaces, arg-umens ou epistres limi-
naires contenans aulcunes erreurs de la secte luthérienne pour
tousjours plus publier leur maulvaise et damnée doctrine de ceulx
qui sont de ceste secte luthérienne et en imbuer de jeunesse les
enfans poura jamais leur sentir desd. erreurs et y persévérer toute
leur vie ». L'arrêt indique ensuite comment se fait, en F'rance,
la propagande des « livres erronés, blasphèm[atoir]es et here-
ticques ». Il expose « que l'on apporte en ceste ville de Paris plu-
sieurs livres imprimez en Alemaigne, Lyon ou ailleurs contenans
doctrines erronées et blasphèmes contre la foy catholicque »,
remarque qui, par parenthèse explique que les livres de Rabelais
aient d'abord vu le jour, impunément, dans la grande cité lyon-
naise. Sous peine des derniers châtiments^ les détenteurs devront
apporter au greffe criminel de la Cour « tous et chacuns les livres
quilz ont devers eulx contenans aulcunes doctrines nouvelles,
luthériennes et aultres contre la foy catholicque et doctrine de
notre mère saincte église, etentre autres un Livre intitulé Institu-
tio religionis christiame authore Alcuino, et en langaige vulgaire,
l'Institution de la religion chrestienne composée par Jehan Calvin ».
Le livre du Réformateur français est le seul qui soit nommé-
ment cité au cours de cet arrêt dune portée absolument générale,
véritable code de procédure à l'égard des livres suspects : c'est
pour l'année 1542. Cet arrêt, publié ijour la première fois par M. N. Weiss
dans le Bull, de la Soc. de rhist. du protest . frdnc, 1884, p. 15 et suiv., a
été reproduit depuis à diverses reprises.
22* INTRODUCTION
indiquer quelle sig-nification exceptionnelle lui attribuaient les
magistrats du Parlement parisien. Ce n'est pas le lieu d'insister
à cette place sur la série des mesures prises par la Cour suprême
à l'égard des livres de toute nature susceptibles de renfermer des
doctrines hérétiques. Qu'il nous suffise de constater que l'Insti-
tution de 1541, par son retentissement et par le fait même qu'elle
atteignait un public beaucoup plus étendu que l'édition latine, a
été le point de départ et le prétexte de toute une organisation
minutieuse qui atteste à quel point la dilfusion du récent chef-
d'œuvre de lécrivain français avait rendu de nouvelles précau-
tions nécessaires. 11 est donc certain que le livre que nous étu-
dions ici a marqué une date décisive dans l'histoire de la lutte
contre les publications hétérodoxes.
Grâce à une découverte de M. N. Weiss', nous connaissons
le nom et la destinée du libraire colporteur qui réussit à intro-
duire en France et k vendre à Paris les deux éditions de Vlnsti-
tiition. Il s'appelait Antoine Lenoir et venait de Genève, après
avoir passé par Anvers. Condamné à faire amende honorable
dans la forme ordinaire devant le portail de Notre-Dame de
Paris, puis en la ville de Saint-Quentin- « devant la principalle
porte de la principalle église dudict lieu », il fut banni du royaume
à perpétuité, en vertu d'un arrêt du Parlement daté du l^"" juillet,
comme le précédent. Les exemplaires saisis des deux éditions
de V Institution furent brûlés au parvis Notre-Dame -^
1. Bull, de la Soc. de Ihist. du prolest, fr., 15 oct. 189.3, p. 8 et suiv.
2. Comme «plus prochaine ville royale, de l'issue de ce royaume du côté
d'Anvers » .
3. Ulnslilulion chrétienne a été probablement le livre protestant français
qui a été, si j'ose dire, traqué de la manière la plus continue et la plus
rigoureuse. C'est ce qui explique que beaucoup de ses éditions soient
devenues si rares. Certains des exemplaires les plus i-echerchés qui sub-
sistent aujounTluii ont connu des destinées singulières. On en a retrouvé
jusque dans des étables ou des poulaillers où les fidèles protestants les
avaient cachés pour les faire échapper à une surveillance incessante; tel
de ces volumes y est resté enfoui pendant de longues années.
. VI
Lea états successifs de l\( Institution)).
Le texte latin de 1543, qui a succédé au texte français de
1341, était augmenté d'environ un cinquième ; il comprenait 17
chapitres au lieu de 21 ; on y relève plusieurs transpositions heu-
reuses. Ace texte correspond la traduction française de 1545, si
rare qu'on n'en connaît que deux exemplaires. En 1550, nouvelle
révision, rééditée en 1553 et 1554, et traduite en français en 1551 ;
elle est augmentée de trois paragraphes nouveaux sur la résur-
rection de la chair. L'édition française de 1551, dont nous possé-
dons un exemplaire, est une des plus belles impressions du milieu
du XVI'' siècle; la justification en est des plus heureuses et le for-
mat des mieux réussis. Peu de livres réformés se présentent sous
un aspect plus séduisant.
En 1559, nouvelle révision, «augmentée de tel accroissement,
dit le titre, qu'on la peut presque estimer, un livre nouveau»,
et divisée en quatre livres, divisés à leur tour en chapitres et en
paragraphes. Il s'agissait en réalité d'une véritable réorganisation
de toute la matière. La traduction française parut en 1560 ; c'est
le texte reçu jusqu'à présent.
Les savants éditeurs des Opei'a ont divisé avec raison en trois
familles les 20 éditions de V Institution publiées du vivant de Cal-
vin : la première famille représentée parle petit manuel de 1 530 ; la
troisième donnant la rédaction définitive en quatre livres, publiée
pour la première fois en 1559 et reproduite dans toutes les édi-
tions postérieures ; enfin les éditions intermédiaires, analogues à
la première par l'absence d'une division strictement systématique,
mais se rapprochant de la dernière par une richesse croissante
des matériaux. Cette seconde famille se subdivisait encore en
trois catégories, distinguées l'une de l'autre par les additions plus
ou moins considérables, introduites successivement. Pour bien
faire connaître les rapports existant entre l'original et la traduc-
tion, laquelle a suivi le développement de l'ouvrage à mesure
qu'il se produisait, il convient donc d'établir simultanément une
classification analogue des éditions françaises.
24' INTRODUCTION
Première famille : Edition latine de lo3*); il n'en existe pas de
traduction.
Seconde famille :
Première révision : Edition latine de 1539 ; traduction
de 1541.
Seconde révision: Edition latine, de 15i3 (répétée en
1545) ; traduction de 1545 : Y Épître au Roi n'a pas
été remaniée d'après le latin de 1543 cpii contient
plusieurs changements et additions notables. Elle
reproduit dans l'ensemble le texte de 1541.
Troisième révision : Edition latine de 1 550 (répétée en
1553 et 1554) ; traduction de 1551 ^ (répétée en 1553,
1554 et 1557).
Troisième famille : Rédaction définitive, édition latine de 1559
(répétée en 1561 deux fois) ; traduction de 1560 répétée en 1561
deux fois, en 1562 trois fois, en 1563 et en 1564). Cette rédaction
définitive est divisée en 4 livres. On n'a pas à s'occuper ici des
éditions publiées après la mort de Calvin.
VII
L' « Institution » et l'évolution intellectuelle de la Renaissance.
Au cours de leçons professées récemment au Collège de France,
nous avons cru devoir insister sur la nécessité de distinguer
plusieurs périodes très différentes dans l'histoire de la Renais-
sance française. Ces distinctions sont essentielles : faute d'y
recourir, une synthèse de cette magnifique époque risque de
1 . Cette édition manque à la plupart de nos grandes bibliothèques. On
ne la trouve ni à la Bibliothèque Mazarine, ni à celle de la rue des Saints-
Pères. Les rares exemplaii-es que nous en connaissons méritent d'être
cités comme de remarquables spécimens de la typographie genevoise du
milieu du xvi" siècle. Ils font grand honneur à l'imprimeur Jean Gérard, dont
on vient d'apprendre le rôle dans la publication de l'édition de 1541.
l'institution et la renaissance 25*
manquer à peu près complètement de clarté et, si j'ose dire, de
vérité. La période dans laquelle prend place le texte français de
1541 est celle qui va de lo30 à 1550. Avec l'année 1530, en effet,
nous assistons à ce qu'on peut appeler le premier épanouisse-
ment de la Renaissance. Avec elle s'ouvre la période du grand
réveil; tout le monde, malgré les difficultés (pii s'annoncent, se
sent joyeux, allègre. Chacun crie à sa façon : « A boire », comme
Gargantua naissant ! Une curiosité infinie embrase les esprits.
Les luttes mêmes qui s'engagent apportent la preuve de la réno-
vation qui s'accomplit dans la plupart des branches du savoir
humain ; elles sont comme le signe de la prodigieuse vitalité qui
s'affirme. Entre 1530 et 1540, la marche en avant est marquée
surtout par un progrès décisif des études savantes et de la philo-
logie antique. François I''' fonde le Collège de France en 1530,
pour encourager, en même temps que la connaissance des langues
classiques et orientales, l'humanisme qui a définitivement conquis
droit de cité dans notre pays. Mais, dès ce moment aussi, notons-
le, la Renaissance et la Réforme tendent à se séparer. Des con-
troverses s'ouvrent un peu partout, qui passionnent les esprits
cultivés ou les mettent aux prises avec les défenseurs obstinés
du pas.sé. Cependant, on voit apparaître, en 1532, ï Adolescence
clémentine de Marot, le premier poème de Marguerite d'Angou-
lème, et le Pantarfvucl de Rabelais, bientôt suivi du Gargantua ;
Calvin, en 153fi, publie le texte latin de son Institution ; en 1538,
paraissent le Cymbalum niundi de des Périers et les Conunen-
taires de Dolet. En 1539, le roi promulgue ledit de Villers-
Cotterets, si important pour le développement et la dilfusion de
la langue française. Un peu partout, à Toulouse, à Lyon, à Mont-
pellier, en Poitou, à Orléans, à Bourges, des cénacles littéraires
se forment, qui contribuent au progrès du goût. Période d'organi-
sation, durant laquelle les bonnes volontés communes se groupent,
les fins se précisent, les premiers efforts sont tentés pour consti-
tuer une pensée originale. C'est ainsi que le platonisme réapparaît
avec Ramus, Heroët et plusieurs autres ; puis, quoique timide-
ment, le rationalisme et toute une doctrine indépendante dont
les traces se retrouvent dans plusieurs ouvrages ou documents,
et que la lettre d'Antoine Fumée à Calvin, vers 1542, a si forte-
ment caractérisée. Il semble même qu'à cet égard l'année qui pré-
cède celle-là ait marqué l'apparition d'une véritable crise. En même
26* INTRODUCTION
temps la vie de société commence à s'organiser sur de nouvelles
bases : la querelle des Femmes, de l'Amour et du Mariage, est
rouverte avec un retentissement extraordinaire ; les droits de la
passion sont proclamés et défendus; la vie est brillante, les fêtes
nombreuses et splendides, les mœurs, plus polies que jamais.
Dans tous les milieux mondains, le goût de la conversation fleurit :
VHeptaniéron nous en offre de piquants modèles. C'est alors, en
réalité, que se forme l'idéal mondain de l'honnête homme, cette
fleur de la sociabilité française. A Lyon, une civilisation particu-
lière s épanouit, pénétrée de pétrarquisme et d'italianisme. Mais,
par contre, le christianisme perd du terrain : n'oublions pas que
dans l'abbaye de Thélème, il n'y a place ni pour une église, ni
même pour une chapelle. La pensée tend à se laïciser, à s'élargir ;
elle acquiert plus de souplesse et de variété. D'ailleurs, les Français,
au lieu de rester attachés à leurs seules traditions, voyagent et
s'inquiètent des mœurs étrangères ; des missions sont envoyées en
Italie et en Orient ; les Italiens s'implantent plus nombreux sur
notre sol. Le culte de l'antiquité se trouve ainsi favorisé par des
causes multiples ; les Français tendent à s'assimiler ses principes
de vie et à en pénétrer leur existence. Mais voici que devant ces
menaces de paganisation, en face des platonisants, sto'iciens, épi-
curiens et « lucianistes », Y Institution française se dresse, enga-
geant le combat contre la pensée antique et faisant éclater à tous
les yeux le conflit qui existe entre le christianisme et la philoso-
phie ; elle montre celle-ci s'insinuant dans toute la vie intellec-
tuelle, sous couleur de littérature. L'attaque sera reprise dans
Y Excuse aux Nicodémites (1549), où Calvin dénoncera à nouveau
le péril avec une clairvoyance ironique et en malmenant assez
rudement les « gens de lettres », et ensuite dans le traité Des
Scandales (1550). Son œuvre française s'insère donc, en 1541,
au milieu d'une période de crise et d'organisation tout ensemble.
A la faveur de la lutte, les théories vont par nécessité devenir
plus précises ; elles s'opposeront fortement les unes aux autres.
La doctrine esthétique va se fixer, cependant que la science
poursuivra ses conquêtes avec Fernel, Paré, Fine, Gilles, Ron-
delet, Belon, Ruel, Vésale et Copernic. Que de conquêtes réa-
lisées entre 1540 et 1550 ! On peut donc dire que Y Institution est
venue à son heure et que toute cette ambiance profane que l'on
vient d'indiquer sommairement l'explique autant que les circon-
stances politiques ou proprement religieuses et théologiques.
l'ins'iitction kt la renaissance 27*
Avec la période qui suit, et qui s'étend de 1550 à 1580, on
verra s'affirmer le retour au paganisme, le triomphe des idées
antiques. La philosophie a parfait l'œuvre commencée à l'époque
précédente. Ce caractère païen se révèle aussi bien dans l'art
que dans les lettres et les sciences morales et spéculatives. Culte
de la forme, souci de lélég-dnce. religion de la Beauté et de la
Nature, tels sont l'idéal et les qualités suprêmes auxquels aspirent
les poètes, avec Ronsard et la Pléiade, les sculpteurs avec Jean
Goujon et ses émules. La Fontaine des Innocents qui est des
environs de 1550, semble le symbole de ce temps aussi bien que
les Odes ou les Amours des poètes. Même tendance en architec-
ture où les ordres antiques se substituent à la vieille construc-
tion française. La philosophie chrétienne des Lefèvre d'Etaples
ou des Erasme est bien oubliée, sinon dédaignée ; un homme
surtout la remplace : c'est le philosophe grec Plutarque qui, tra-
duit par Amyot, apporte .aussi bien dans ses Moralia que dans
ses Vies parallèles, la vraie moelle de la pensée antique. On voit
renaître l'épicurisme, le stoïcisme et l'ancien rationalisme. Mon-
taigne achèvera l'évolution, commencée cinquante ans plus tôt,
avec ses Essais, imprégnés d'une morale toute païenne, qui va
devenir celle de l'honnête homme. Le xvii" siècle continue, à cet
égard, le xvi" siècle, beaucoup plus qu'on ne l'a supposé en général.
On ne saurait trop insister, en effet, sur le caractère laïque et,
malgré tout, peu chrétien de la littérature du xvii*' siècle, même
en dehors des libertins. Du point de vue qui dominait sa pensée,
Calvin avait donc aperçu et dénoncé le danger avec une clair-
voyance extraordinaire ; il devinait plus nettement que personne
en son temps, le dualisme moderne que la Renaissance était en
train de créer.
Vlll
La forma f ion littéraire de Calvin.
Comment Calvin a-t-il acquis le goût et la culture littéraire
qui ont fait de, lui un des maîtres les plus admirés de notre
lansrue ? Certes, il faudrait d'abord demander le secret d'une telle
28* INTRODUCTION
perfection, si surprenante à l'aurore de la littérature moderne, a
son génie naturel, fait d'ordre et de clarté, en même temps qu'à
son tempérament passionné. Essayons toutefois de dég-ager les
causes qui ont dû favoriser sa formation d'écrivain. En premier
lieu, il importe plus spécialement de rappeler son éducation de
juriste, ronqju à l'art des délinition's et des divisions, haliitué à
sérier les questions, à disposer les arguments et à tirer dun texte
tout ce qu'il est susceptible de donner. N'oublions pas, d'autre
part, que le Réformateur sortait d'une famille de procureurs et
d'hommes d'affaires. 11 y eut une autre influence dont il y a lieu
de tenir compte au. plus haut point : nous voulons parler de
l'action personnelle d'un éducateur incomparable auquel Calvin
n'a cessé, pendant toute sa vie, de prodiguer les marques émues
d'une tendre reconnaissance. Il s agit de Mathurin Cordier, son
ancien professeur au collège de la ^larche. Je ne reviendrai pas
sur ce qui a été dit ailleurs touchant ce maître unique, 1 un des
grammairiens les plus distingués de l'époque, professeur conscien-
cieux et dévoué entre tous, qui, dans un domaine modeste, sut
réaliser quelques-unes des innovations les plus heureuses de l'en-
seignement. Sans les soins éclairés d'un Cordier, Calvin n'aurait
pu suivre plus tard les leçons des Danès et des Wolmar avec le
même fruit. Qui sait, écrivions-nous il y a quelque vingt-cinq
ans, si ce prodigieux talent littéraire, qui fut pour son œuvre de
réformateur une arme si puissante, se fût développé à ce point
sans l'initiative de ce profond éducateur ' ?
Depuis, notre conviction n'a fait que s'accroître. Si l'auteur
de Y Institution a été un latiniste si remarquable, s'il a su profi-
ter de cette connaissance de la langue antique pour appliquer sa
langue maternelle à des matières hautes et graves qu'elle igno-
rait jusqu'alors, c'est grâce à son premier maître de grammaire
qui lui communiqua le goût des belles lettres. Plus tard, le con-
tact prolongé avec Sénèque et aussi avec les textes juridiques les
mieux élaborés qui soient, acheva l'initiation commencée sous
des auspices si favorables.
Demandons une fois de plus à Calvin lui-même un témoignage
dont la portée sera d'autant plus grande qu'il a été amené à le
1. A. Lt'franc, l^a Jeunesse de Calvin, p. .")9 el suiv. Voy. aussi E. Dou-
merguo, Jean Calvin. I, p. iiS et suiv.
LA FORMATION LITTÉRAIRE DE CALVIN 29*
préciser une seconde fois. C'est dans ses célèbres Comme ni aires
sur les epistres de lApostre S. Paul que nous rencontrerons ces
deux textes.
Voici d'abord un passage emprunté à Tépître dédicatoire du
Commentaire sur la seconde epistre aux Corinthiens (1547) ;
« Premièrement, il me souvient de quelle alTection vous avez
entretenu et augmenté ce commencement d'amitié que j'avoye
avec vous de long temps; combien vous avez esté prest d'eiTi-
ployer franchement et vous et vostre pouvoir pour moy, quand
vous avez pensé que l'occasion se presentoit de monstrer vostre
amour envers moy : comment vous m'avez offert vostre crédit
pour m'avancer, si la vocation, à laquelle jestoye lors attaché,
ne m'eust empesché de l'accepter. Mais il ny a rien que j'aye
trouvé si bon, que la souvenance de ce premier temps, quand
estant envoyé par mon père pour apprendre le Droict civil, je
conjoigni, vous ayant pour conducteur et maistre, avec l'estude
des loix les letres Grecques, lesquelles lors vous enseigniez avec
grande louange. Et certes il n'a point tenu à vous que je n'y
proutltasse d'avantage : car de vostre grâce vous estiez prest de
me tendre la main, jusques à ce ({ue j'eusse parachevé le cours
de l'estude, et veu ce qui en est d'un bout en autre, n'eust esté
que la mort de mon père entreveint, laquelle fut occasion de me
distraire lorsqu'il n'y a voit pas longtemps que j'estoye en train.
Tant y a toutesfois que je me recognoy grandement obligé à
vous, de ce que pour le moins j'ay apprins sous vous les com-
mencemens, lesquels m'ont depuis aidé. Parquoy je n'ay peu
autrement contenter mon désir, qu'en laissant à ceux qui vien-
dront après nous, un tesmoignage que je n'ay point voulu estre
ingrat envers vous : par mesme moyen faisant aussi que vous
receussiez quelque fruit, avant moindre, de vostre labeur ancien,
duquel je sens encore aujourd'huy le proufît. » (!"" août 1546.)
Quelques années plus tard, dans le Commentaire sur la pre-
mière epistre aux T hessaloniciens (1550), nouvel hommage
exprimé en termes non moins touchants :
« C'est bien raison, que vous aussi ayez part en mes labeurs,
veu que sous vostre conduite et addresse, ayant premièrement
commencé le train d'estudier, j'ay pour le moins avancé jusques
à ce poinct, de pouvoir en quelque sorte proufîter a l'Eglise de
Dieu. Lorsque mon père m'envoya jeune enfant à Paris, n'ayant
30* INTRODUCTION
seulement que quelques petis commenceniens de la Langue
Latine, Dieu voulut que je vous rencontray pour mon précepteur
quelque peu de temps afin que par vous je fusse tellement
addressé au vray chemin et droite façon d'apprendre, que j'en
peusse puis après aucunement mieux proufiter. Car comme ainsi
soit que vous eussiez tenu la première classe, et là enseigné
avec grand honneur, toutesfois pour ce que vous voyiez que les
enfans façonnez par les autres maistres par ambition et bravade,
n'estoyent point fondez à bon escient, et n'apportoyent rien de
ferme, mais avoyent seulement quelques bouffées pour faire
mine, en sorte qu'il vous faloit recommencer à les façonner de
nouveau, vous estant fasché d'une telle peine, estiez ceste année-
la descendu à la quatrième classe. Voyla bien quelle estoit votre
intention : mais cependant ce me fut un singulier bénéfice de
Dieu, de rencontrer un tel commencement d'instruction. Et com-
bien qu'il ne me fust pas permis d'en jouir longtemps, pour ce
qu'un homme estourdi et sans jugement, lequel disposoit de nos
estudes à son vouloir, ou plutost selon sa foie fantasie, nous feit
incontinent monter plus haut : toutesfois l'instruction et addressé
que vous m'aviez donnée me servit si bien depuis, qu'à bon droict
je confesse et recognoy estre tenu à vous du proutît et avance-
ment tel qu'il s en est ensuyvi. De laquelle chose j'ay bien voulu
rendre tesmoignage à cens qui viendront après nous, afin que
s'il leur revient quelque utilité de mes escrits, ils sachent qu'elle
est en partie précédée de vous. » (17 fév. looO.)
Ces dernières lignes, si explicites, constituent un témoignage
précieux sur les origines de la formation littéraire du Réforma-
teur ; elles prouvent par ailleurs que le cœur, chez Calvin, quoi
qu'on ait pu dire, était à la hauteur de l'intelligence. Autrement,
la séduction infinie qu'il exerça autour de lui ne s'expliquerait pas.
Un texte peu connu, qui appartient au plus ancien ouvrage de
Calvin et à ses années de jeunesse studieuse, nous révèle ce
qu'étaient, vers l'âge de vingt-trois ans, ses idées en matière de
style. Calvin nous a laissé, en latin, une étude de critique litté-
raire, la seule qui soit sortie de sa plume : c'est la préface de son
Commentaire sur le De Clementia de Sénèque, publié en lo32,
son premier volume. On en trouvera la traduction dans une
remarquable étude due à un écrivain regretté, Henri Lecoultre '.
1. Heni'i Lecoultre, Mélanges (Lausanne, Bridel), s. d., p, 87-126 : Calvin
LA FORMATION LITTÉRAIRE DE CALVIN 31*
J'en citerai ici un extrait caractéristique. Après avoir protesté
contre les injustes attaques dirigées contre le philosophe latin,
il cherche à dégager ses mérites plus proprement littéraires :
« Pour autant que j'ai quelque intelligence de ces questions,
Sénèque fut un homme d'une grande érudition et d'une éloquence
remarquable. Quel genre de connaissances a été inaccessible à
cet heureux génie? ... Il possède toute la dialectique nécessaire
à l'ornement dé son discours. Sa mémoire lui fournissait des traits
de l'histoire ancienne toutes les fois qu'il en avait besoin ; il s'y
est pourtant parfois trompé, faute d'avoir été assez exigeant
envers lui-même. Sa langue est pure et brillante, on sent qu'elle
est de la bonne époque. Sa manière de parler est élégante et
fleurie, son style n'est pas recherché, il coule sans effort ; le ton
de son discours est modéré, comme il convient à un philosophe;
il s'élève pourtant parfois, et l'on peut s'assurer que la veine
sublime ne lui aurait pas manqué, s'il l'avait recherchée. Presque
tout le monde lui reproche son luxe de paroles et sa prolixité ;
je conviens qu'à cet égard il en fait trop, et je pense que ce sont
là les défauts agréables dont il est rempli au jugement de Quin-
tilien. Je regrette aussi chez lui l'absence de l'ordre, cette lumière
du discours. Mais combien ces défauts nous paraîtront peu
importants en comparaison de ses qualités ! Qu'on se souvienne
seulement que jamais aucun génie n'a pu nous plaire sans que
nous y missions de l'indulgence. Je ne veux pas m'arrêter plus
longtemps, disons-le une fois pour toutes : Sénèque est le premier
après Gicéron, il est une colonne de la philosophie et de l'élo-
quence romaines. Car nous avons perdu Brutus et ses pareils.
C'est ce qu'apprendront ceux qui consacreront leurs meilleures
heures à le lire ; je réponds qu'aucun d'eux ne regrettera sa
peine, à moins qu il ne soit né sous la colère des Muses et des
Grâces. »
Si l'on examine attentivement le commentaire qui suit cette
préface, on est étonné de constater l'ample et solide érudition de
ce jeune homme de vingt-trois ans : il cite déjà couramment
Homère, Platon, Aristote, Plutarque et d'autres ; il connaît la
d'après son Commentaire sur le De Clementia de Sénèque (1532). L'auleur
donne en appendice la liste des classiques latins et grecs, des Pères de
l'Église et des humanistes cités par Calvio dans son Commentaire.
32* INTRODUCTION
littérature latine d'une manière à peu près complète, non seu-
lement les moralistes, les philosophes, les orateurs, les poètes,
les historiens, mais encore les jurisconsultes, les grammairiens et
les écrivains les plus spéciaux, sans omettre les commentateurs
ni les érudits modernes.
IX
Le style de Calvin '.
De très bonne heure, le jeune Réformateur eut conscience de
la puissance merveilleuse de linstrument de propagande que
lui conféraient ses dons exceptionnels d'écrivain. « Que je sois
déclamateur, il (Westphal) ne le persuadera à personne; et tout
le monde sait combien je sais presser un argument, et combien
est précise la brièveté avec laquelle j'écris. » 11 écrit même à
Farel, en septembre lo49 : « Certes, je ne me dissimule pas
combien est déplaisante la prolixité d'Augustin, mais je me
demande par contre si ma propre brièveté n'est pas trop conden-
sée. » 11 semble qu'il ait apprécié.. avec sa clairvoyance ordinaire,
ce que cette qualité incontestable pouvait olfrir d'excessif. Quoi
qu'il en soit, dans la dédicace à Simon Grynée, qui figure en tête
de son commentaire de l'Epître aux Romains (lo39), le Réfor-
mateur a exalté avec une visible prédilection les dons de clarté,
de facilité, de sobriété et aussi de brièveté qu'il préconise pour la
rédaction des Commentaires des Livres saints : «... Or combien que
je scache que ceste opinion n'est pas receue de tous, et que ceux
qui ne la reçoyvent, ont aussi quelques raisons qui les induisent
à estre d'autre avis, toutesfois quant à moy on ne me peut destour-
ner d'aimer ceste briefveté... Cela fera que d'un costé, nous qui
approuvons plus une briefveté, ne rejetterons point ou mesprise-
rons les labeurs de ceux cpii sont longs et copieux... : et d autre
1. L'étude que nous faisons plus loin des cai'actéristiques du style de Cal-
vin, dans l'édition originale de 1341, nous amènera nécessairement à formu-
ler toute une série d'autres considérations sur la lanirue du Réformateur,
LE STYLE DE CALVLN 33*
part aussi ceux-là nous supporteront mutuellement, encore qu'il
leur semble que nous soyons par trop briefs et serrez... J'ay pris
peine de tellement modérer et compasser mon st\le, qu'on peut
apercevoir que je me suis proposé ce moyen-là comme mon patron
pour me régler dessus. » Il blâme ensuite la prolixité de Bucer
(i qui ne peut s'estancher et faire fin » et conclut avec insistance
qu'il faut « user de ji;rande sobriété » dans l'interprétation de la
parole de Dieu.
Tous ses coreligionnaires se rendirent aisément compte, dès
ses premières publications, des dons qu'il ne refusait pas de
s'avouer à lui-même. Nombreux sont les témoignages que l'on
pourrait recueillir dans ce sens. Près du moment où la pre-
mière édition de la version française de \ Institution venait de
paraître, Farel reconnaissait hautement la supériorité littéraire
et théologique de son jeune collaborateur et, comparant son
propre ouvrage avec celui de son collègue, il écrivait : « Jean
Calvin, mon bon et entier frère, a, en son Institution, si ample-
ment traité tous les points touchés en mon livret que, surmon-
tant non seulement ce que j'ay touché, mais ce que je pourroye
toucher, il a osté l'occasion à moy et aux autres d'en vouloir
plus ^ileinement escrire. Que tous ceux qui auront vu mon petit
livre regardent donc cette belle Institution, laquelle regardant,
ils n'ont plus besoin de ma petitesse, ni de prendre peine à lire
mon petit livret. » {Epître aux lecteurs fidèles,)Fare\l\emeni, Jean
Sturm déclare en tête de l'édition française de 1 S5i : a Jean Calvin,
c'est un homme d'un jugement qui pénètre jusques au bout, et
d'une doctrine admirable, et d'une mémoire singulière : et lequel
en ses escrits, c'est merveille comment il parle de tout, et abon-
damment, et purement. Dont, son Institution de la Religion
Chrestienne, en est un tesmoignage évident. Laquelle une fois
l'ayant mise en lumière, puis après l'enrichit, mais maintenant
l'a rendue toute parfaite. Tellement que je ne sache nully qui
ait onc plus parfaitement escrit, ny pour demonstrer la vraye
Religion, ny pour corriger les meurs, ny pour abatre les abuz.
Et quiconques auront atteint jusque aux poinctz des choses qu'il
enseigne en ce Livre la, que telz croyent hardimant qu'ilz sont
parfaitement establiz. » Il serait facile de citer ici d'autres
déclarations de même nature.
De même que chez Jean Lemaire de Belges, trente ans plus tôt.
Institution c
34* INTRODUCTION
et chez Rabelais, au même moment, on ne constate pas chez Calvin
considéré comme écrivain, l'existence d'un style unique. Si Fau-
teur du P fin f a f/ruel emploie tour à tour, suivant les besoins de son
exposé, le style oratoire, le style narratif et descriptif et ce qu'on
pourrait appeler d'un mot commode le style dramatique, c'est-à-
dire celui de ses merveilleux dialogues, Calvin, de même, tour à
tour, sait recourir au style oratoire ou philosophique, ample et
grave, aussi bien qu'à celui de la polémique, incisif, rapide et
empreint d'une ironie redoutable. Cette distinction apparaît déjà
nettement dans la première Institution. On a remarqué, en
effet, que la première partie est moins polémique, plus simple,
d'un ton relativement calme et mesuré. Dans les trois derniers
chapitres, au contraire, l'ardeur de la controverse amène l'écri-
vain à employer une forme plus vive, plus âpre même; l'in-
dignation n'en est pas absente, mais jamais elle ne dépasse
un certain degré. Il e.st avéré que les termes violents s'y ren-
contrent en beaucoup moins grand nombre que dans les édi-
tions suivantes. A l'aurore de sa vie d'apôtre, le Réformateur
cherche à se contenir ; il semble cependant échapper à l'influence
de sa formation classique, telle qu'elle se révèle dans son com-
mentaire de Sénèque. Platon, Ambroisé, Augustin sont assuré-
ment cités en lo36, mais, d'une façon générale, on remarque dans
cette édition un emploi beaucoup moins fréquent des grands
écrivains grecs et romains, des Pères et même des philosophes du
moyen âge, que dans les éditions postérieures du même livre.
L'occasion est bonne, semble-t-il, pour protester contre l'erreur
trop répandue qui représente, depuis le jugement de Bossuet, le
style de Calvin comme essentiellement « triste ». H suffit d'évo-
quer le Traité des Reliques, l'Excuse à M. de Falais, Y Excuse à
Messieurs les Xicodémites, les divers traités contre les Libertins,
les Commentaires sur les Epîtres de Saint Paul, les Sermons sur
V Harmonie évangélique ou sur la Passion, nombre de ses préfaces
et lettres françaises et dune manière générale les œuvres de polé-
mique ou de circonstance, conçues et composées en français. On
jugera en les lisant, combien dans les écrits qui ne sont pas
traduits du latin et qui offrent un caractère moins dogmatique,
moins oratoire. Calvin sait renoncera la hauteur et à la gravité de
la phrase latine. On admirera cette aisance familière, ces rappels
constants à la réalité concrète, ces comparaisons pleines de relief,
LE STYLE DE CALVIN 35*
ces imag-es empruntées au monde extérieur et à l'ambiance quo-
tidienne, ces apologues malicieux, goguenards même, qui com-
muniquent aux pages citées plus haut tant de mouvement et
de vie. On oublie les préoccupations dogmatiques pour se laisser
entraîner par la verve du polémiste et la forte séduction du psy-
chologue. Point de tension, point d'efTort calculé vers la poésie;
on voit, au contraire, se révéler à chaque pas les indices du voisi-
nage de la vie, les preuves d'une expérience alerte et variée. C'en
est assez, comme on l'a dit, pour dissiper la tristesse des déduc-
tions les plus tendues. Et quelle éloquence simple, alerte et
pénétrante dans ses lettres !
Il y a sûrement une grande part de légende dans cette réputa-
tion d'austérité continue qui est devenue l'apanage de Calvin
écrivain. Le Picard avisé et réaliste, aussi bien ([ue le juriste
habitué à distinguer les espèces et à tenir compte des faits, ne
moururent jamais en lui. Tous ceux qui ont eu l'occasion d'étu-
dier les aspects divers de son génie littéraire savent combien le
profond connaisseur d'hommes qu'était le Réformateur, sensible
aux côtés sociaux des choses et épris d'action, sut éviter l'ennui
et la monotonie dans toutes les productions où il eut à cœur de
déployer les ressources de son style.
« Quant à la syntaxe de Calvin, observe Petit de Julleville',
quoique un peu plus lente que la nôtre, et plus amie d'une phrase
qui se déploie, et des tours périodiques, elle reste, pour nous-
mêmes, parfaitement claire et intelligible, grâce à la netteté des
constructions. Bien plus, quoique sa phrase périodique soit au
fond toute latine, il sait bien que le génie des deux langues n'est
pas tout à fait le même, ni surtout leurs ressources, la nôtre
étant pauvre en relatifs, et manquant de flexions casuelles : aussi
prend-il soin de n'embarrasser point sa période française de trop
longues incises, comme on en trouve encore, cent ans plus tard,
dans Descartes. Calvin, par la syntaxe, est en avance sur
Descartes. » Mais, si le style de Calvin est « bien conduit », cet
ordre, cette méthode, cette mille vigueur que l'on y admire ne se
traduisent pas seulement par l'enchainement des pensées, par la
subordination des idées secondaires à la principale: la même maî-
trise se révèle dans la contexture interne des propositions, dans
1. /ils/, de la langue et de la lUl. fr., III, p. 346.
36* INTRODUCTION
le groupement des mots qui les constituent, dans lordonnance
intérieure et la juste proportion de cliaque membre de phrase.
Il est visible que le Réformateur a diminué autant qu'il a pu les
termes de relation, les locutions accessoires, simplifiant la marche
de ses périodes, pour développer et mettre en relief, comme l'a
noté M. Châtelain, les mots de valeur, aug-menter la cadence de
la phrase, la rendre plus aisée, plus harmonieuse à réciter. A cet
égard, son goût pour la musique et la pratique de la parole, qui lui
a communiqué une abondance parfois excessive, ont accru certai-
nement chez lui le sens musical des mots et des phrases. Il a
recherché d'instinct les résonances pleines et agréables. « Il en
est arrivé à apprécier dans les vocables qu'il emploie la matière
sonore, et, peu consciemment ou pas du tout, il a, lui qu'on
jugeait monotone, lui qui ne cherchait jamais à plaire, fait des
concessions au plaisir de l'oreille ; il a, en recherchant dans une
mesure à peine sensible la variété des consonances, observé une
des lois musicales de la belle prose ^. » Par là Calvin s'est montré
beaucoup plus qu'on ne l'a cru un véritable artiste : artiste, il l'a
été par la manière dont il a compris la construction et le vocabu-
laire, et dont il a usé des images et des comparaisons, tour à tour
pittoresques et savoureuses. Clarté, concision, vie et mouvement :
il a tendu, par un effort continu et volontaire, vers ces qualités
souveraines qui devaient conférer à la prose française la plus
enviable des couronnes : l'universalité '.
1. Revue Foi et Vie, 1909, p. 668. Un rapprochement curieux s'impose à
cet égard. Je suis persuadé que le style aisé et coulant de Ylleptainéron de
Marguerite d'Angoulènie, d'une allure si moderne et si en avance sur celui
de tous les prosateurs contemporains, par sa claire syntaxe et l'absence
des archaïsmes, s'explique tout naturellement par l'influence de la conver-
sation des milieux polis de cour. Marguerite excella dans l'art de diri-
ger ces entretiens, et il parait bien évident que si la langue de ses contes
témoigae d'une telle facilité, c'est que la conversation l'avait épurée, assou-
plie et débarrassée de toutes les complications inutiles auxquelles tant
d'autres écrivains restaient asservis. Il y a donc entre le style de Calvin,
formé par la prédication, et celui de Marguerite, formé par la conversa,
tion élégante, un rapport intéressant qui mériterait d'être étudié avec quelque
détail.
2. Pour apprécier, en toute connaissance de cause, la place de ïlnsiitu-
tion dans notre histoire littéraire, il serait toutefois nécessaire que l'his-
toire du o-enre de la traduction au xvi'= siècle fût écrite; or, nous sommes
encore loin de posséder une telle étude. J'estime qu'elle suggérera, quand
elle sera élaborée, des comparaisons qui nous man([uent actuellement.
Histoire du fevte de V Inslitulion. Vnleur et niithenticité compa-
ratives des éditions de foîf et de 1.j(t(}.
Abordons maintenant une question très importante que nous
avons réservée jusqu'à ce moment. Quelle est la valeur littéraire
propre du texte français de 1541 et quels sont les motifs qui nous
ont décidé aie rééditer à part? Par quelles considérations avons-
nous été amené à concevoir la nécessité d'entreprendre cette
réimpression particulière ?
Quand les admirables éditeurs des Opéra (Jalvini dans le Cor-
pus 7'eformaforuni (Brunswick) donnèrent en IStio, au tome III
de leur recueil, le texte français de Y Institution, voici comment
ils comprirent et réalisèrent leur tâche. Après avoir remarqué
qu'il n'existe pas de texte français correspondant à la première
édition latine et que les autres recensions de l'ouvrage, toutes
représentées par les éditions françaises qu'ils avaient sous la
main, pouvaient se combiner aisément au moyen de renvois et de
notes marginales, surtout après le soin qu'ils avaient mis, en
les publiant d'abord en latin, à les distinguer à l'aide des res-
sources typographiques, ils continuaient ainsi : « Il s'agissait
donc seulement de choisir, parmi les éditions existantes, celle qui
devait servir de base à la nôtre. Car tout d'abord nous adoptâmes
le principe de réimprimer, non un texte combiné, c'est-à-dire
offrant pêle-mêle des leçons empruntées à diverses éditions, mais
le texte propre et particulier d'une seule édition, sauf à y joindre
les variantes des autres. Notre choix ne pouvait être douteux.
Nous dûmes prendre un exemplaire de la dernière recension, de
la rédaction définitive dans laquelle l'Institution a passé à la pos-
térité. Il est vrai que les textes antérieurs sont, dans un certain
sens, plus authentiques, comme nous l'avons démontré plus haut.
Mais si nous nous en étions tenus à ceux-ci, il aurait fallu relé-
guer en marge la plus grande partie de l'ouvrage, dans sa forme
actuelle, ce qui aurait été bien peu rationnel, tandis qu'en procé-
dant de la manière opposée les notes devenaient plus courtes et
plus rares. Enfin, parmi les éditions de la dernière recension, nous
38* INTKODLCTION
dûmes choisir la toute première, comme la seule qui pouvait
encore passer, dans une certaine mesure, pour avoir été publiée
sous les yeux mêmes de Calvin, la plupart des autres n'étant
positivement que des entreprises privées de divers libraires, nous
dirions aujourd'hui des contrefaçons. Ainsi ce que nous offrons
ici au lecteur, c'est l'édition de lo6(J, imprimée k Genève par
Jean Crespin. »
Tel fut le sA^stème adopté par les auteurs des Opéra. Ce n'est
donc qu'à regret, pour ainsi dire, que les savants éditeurs stras-
bourgeois n'ont pas pris pour base de leur travail le texte de
1541. L'hommage qu'ils se sont plu à rendre à sa valeur excep-
tionnelle se justifiait par les déclarations qu'ils avaient été ame-
nés à formuler queUjues pages plus haut. '< Ayant réussi, disent-
ils (page xxv), à nous entourer de toutes les éditions publiées du
vivant de Tauteur, nous les avons minutieusement comparées
entre elles et avec les textes originaux correspondants. Ce tra-
vail nous a fait faire des découvertes assez importantes sur la
nature de la traduction, sur ses rapports avec le texte latin, sur
le degré de fidélité qu'on peut lui reconnaître, enfin sur la part
même que Calvin peut y avoir prise. Nous avons reconnu qu'on
ne peut attribuer k l'auteur lui-même, avec une entière certitude,
que la première rédaction du texte français, tel qu'il parut en
1o41, peut-être encore le remaniement remarquable et tout
exceptionnel des premiers chapitres de la dernière rédaction
publiée en 1560. En effet il ne peut y avoir de doute à l'égard de
la première édition, puisque Calvin en fait la déclaration expresse
k deux reprises différentes, sur le titre et dans la préface. Les
mêmes raisons décideront la chose à l'égard des éditions subsé-
quentes, lesquelles, à quelques additions près, reproduisent le
texte primitif. Il en est autrement de la dernière recension qui
s'annonce elle-même (dans les exemplaires des deux langues)
comme au ffmenfée de Ici accroissement qu'on la peut presque esti-
mer un livre nouveau. A en juger par le commencement de ce
texte définitif il paraît que l'auteur a voulu donner lui-même
une traduction entièrement refondue. Car ce commencement ne
correspond avec aucune des traductions antérieures, pas même
dans les parties ou phrases qui n'ont point été changées dans
loriginal. Aussi avons-nous cru devoir faire imprimer les deux
textes de cette partie de Touvrage. Cet essai d'une traduction
IIISTOIIIE DU TEXTE DE L'INSTITUTION ' 39*
nouvelle s'arrête au septième chapitre du premier livre. Tout le
reste se compose de fragments de l'ancienne traduction, là où le
texte latin est resté le même (quoique dans ce cas aussi il y ait
des changements assez fréquents), et d'une traduction nouvelle
des additions complémentaires qui forment presque la moitié du
texte actuel. Or, c'est cette partie très notable de la traduction que
nous ne saurions attribuer k la plume de Calvin. Il est même
peu probable qu'il ait seulement revu les épreuves. Car non seu-
lement nous avons rencontré un grand nombre d'inexactitudes,
d'omissions, d'additions oiseuses et embarrassantes, mais encore
des passages où il est évident que le traducteur n'a pas même
compris le texte latin. Un simple coup d'ceil sur les notes cri-
tiques que nous avons jointes à notre texte convaincra le lecteur
de la justesse de notre assertion. Mais on nous permettra de la
justifier ici par un petit nombre d'exemples choisis au hasard
dans les notes du présent volume. »
Les éditeurs (p. xxvi) énumèrent ensuite les principales fautes
relevées par eux dans le texte de 1560. En voici seulement
quelques exemples : Ch. 13, §8. D'après le passage de Jacques, I,
17, il n'y a pas en Dieu Iransmutalio vel conversionis ohuinhra-
iio (ombre de changement) ; au lieu de cela le traducteur met :
ny ombrage tournant. — Ch. 15, §8. En parlant d'Adam l'au-
teur dit : Nulla imposita fuit Deo nécessitas, quin illi daret....
le traducteur met la phrase absurde : nulle nécessité ne luy a
esté imposée de Dieu, etc. — Livre II, ch. 3, § 4 : Plato reguni
filios creari dicit aliqua singulari nota insignes ; Platon dit que
les enfants des Rois sont composez d'une masse précieuse. —
Ch. 8, § 31. Le Sabbat a été institué comme un mystère, c'est-
à-dire comme une préfiguration de perpétua nostrorum operum
quiète, de notre repos futur et éternel. La traduction dit : que le
peuple fust instruit de se démettre de ses œuvres. — Ch. 2, § 42 :
Calvin, par allusion à 1 Tim. I, 19 compare une bonne cons-
cience à l'arche de Noë, arcae in qua custoditur fides, le traduc-
teur y substitue, un coffre, parce qu'il ne s'est pas rendu compte
de l'image. — Livre III, ch. 3, § 1. Calvin établit la thèse que
la foi doit précéder la pénitence. C'est là pour lui une partie
intégrante de son système, et il combat ceux qui sont d'un avis
contraire. Cette polémique commence par la phrase : Quihus
autem videtur fidem prœcedere pœnilentia etc., ce qui veut dire
40* ' INTRODUCTION
à la lettre : ceux au contraire auxquels la pénitence apparaît
comme précédant la foi. Mais le traducteur a mis tout juste le
contraire : ceux qui cuydentque la foi/ précède la pénitence... etc.
Voici la conclusion de MM. Baum, Cunitz et Reuss : « Nous
espérons qu'après avoir lu et apprécié ces passages, nos lecteurs
trouveront i[ue notre jugement sur le degré d'authenticité de la
traduction française de l'Institution, telle qu'elle a été imprimée
depuis lo60, n'est pas trop hasardé. Il est de toute impossibilité
que Calvin se soit rendu coupable d'une légèreté telle que nous
l'avons rencontrée dans maint endroit de ce texte ; il est impos-
sible de supposer que l'auteur ne se soit plus compris lui-même
en traduisant, ou ({uil n'ait pas su exprimer en français ce qu'il
avait écrit en latin. Au besoin, sa première traduction elle-
même viendrait à l'appui de notre thèse, par sa scrupuleuse
exactitude.
(( Ce sera donc un fait désormais établi que la traduction
française de l'Institution, dans sa forme définitive et reçue, en
exceptant les parties conservées de l'ancienne rédaction, a été
rédigée avec une certaine incurie, par des mains moins habiles et
sans le contrôle de l'auteur. Ce fait nous expliquera mieux
encore la différence déjà signalée entre l'original et la traduc-
tion. Le premier est, pour le style, un chef-d'œuvre de simpli-
cité, d'élégance, de concision et de mâle vigueur. Ces mêmes
qualités ne se retrouvent qu'à un faible degré dans la rédaction
française et seulement dans les chapitres qui traitent des sujets
populaires de religion et de morale. Bien souvent, dans les
autres, pour comprendre la phrase française, il faut avoir
recours au latin et rien qu'en comptant les pages des deux textes
on peut mesurer la distance qui les sépare et apprécier la diffé-
rence entre la clarté serrée de l'un et la prolixité obscure de
l'autre. C'est au premier seul que Calvin a imprimé le cachet de
son génie ; le second, inspiré d'abord par le sentiment du devoir,
n'a jamais été à ses yeux qu'une œuvre en sous-ordre, à l'égard
de laqiielle il renonça bientôt à ses droits d'auteur. Hàtons-nous
cependant d'ajouter que nous sommes bien loin de méconnaître
la valeur propre de cette traduction, même dans sa dernière
forme. On ne saurait nier qu'en bien des endroits la version de
1560 est positivement meilleure que celle de 1541. Et si nous
comparons l'ouvrage en général aux autres productions litté-
HISTOIRE DU TEXTE DE l'iNSTITUTION 41*
raires du temps qui ont quelque analogie avec lui, nous en
constatons facilement les qualités supérieures . C'est le premier
essai, aussi heureux que courageux, de faire parler science et
théologie à la langue des .loin ville, des Monstrelet et des Clé-
ment Marot. »
Près de trente ans plus tard, les considérations émises par les
éditeurs àixCorpus rcformaiorum attirèrent l'attention d'un péné-
trant historien des lettres. M. Lanson, dans la Revue historique de
1894 (p. GOetsuiv.), reprit la question posée en 1865. Résumant
la thèse de ses prédécesseurs : « On aperçoit, disait-il, toute la
gravité de cette conclusion. Près de la moitié de Y Institution
française de I06O ne saurait être attribuée à Calvin. Or, c'est
la traduction de I06O qui a toujours été réimprimée. C'est
d'après l'édition de 1560, ou une de ses dérivées, qu'a été
faite l'édition de 1859 (Paris, Meyrueis et C'') ; c'était l'édition
de I06O, que reproduisait M. Baumgartner à Genève en 1887.
Et naturellement l'Institution qu'étudient et jugent tous nos
critiques, YInstitution dont nos éditeurs de Morceaux choisis,
M. Marcou, M. Hatzfeld, M. Cahen, donnent des extraits, c'est
YInstitution de 1560, c'est-à-dire im ouvrage où la moitié du
texte à peu près n'est pas de Calvin. Vous voyez le désastre, si
les éditeurs du Corpus ne se sont pas trompés. — Ils ne se sont
pas trompés tout à fait, mais ils n'ont pas aperçu l'entière,
l'exacte vérité. »
Le même critique montre d'abord que certaines des fautes, d'où
les éditeurs strasbourgeois concluent à l'inauthenticité de l'en-
semble de la traduction, se rencontrent dans des morceaux dont
ils ne songent pas à nier l'authenticité. De plus, ceux-ci relèvent,
semble-t-il, des contresens qui n'en sont pas. Les inadvertances qui
les étonnent sont de celles qu'un auteur même peut commettre.
On ne saurait compter comme contresens un certain nombre de
passages où il y a substitution de métaphore, changement de
tour ou d'expression. Quantité de fautes, inexactitudes, omis-
sions, additions semblent bien être le fait d'un auteur sûr de son
sens, et qui ne s'inquiète pas outre mesure de rendre la physio-
nomie de chaque expression latine, dédaignant de s'asservir à
un texte qui est le sien. <( On peut objecter que la version fran-
çaise de 1541 est au contraire très littérale. Oui, mais compte-
t-on pour rien les vingt années qui séparent les deux traductions ?
42* INTRODUCTION
Vingt années, pour Calvin, de prédication incessante, et, si je puis
dire, de multiples écritures ; vingt années pendant lesquelles de
sa bouche et de sa plume il n'a cessé de rompre le français et
de se rompre au français. En 1541, le latin le soutenait ; en
1560, le latin le gênait, du moins il s'en affranchissait; il allait
à l'esprit, non à la lettre ; il achevait sa pensée presque sans
regarder son texte, et il trouvait sans peine des mots qui ne
devaient rien au latin, et parfois n'y ressemblaient guère. »
Il est tel genre d'infidélité qui, loin d'autoriser le doute, trahit
plutôt la main de Calvin. Quand nous constatons que cette expres-
sion les reigles de la doctrine chresiienne a été substituée aux
règles de Ticonius du texte latin, c'est qu'en réalité une indica-
tion vague, mais claire, a remplacé \me indication de source,
précise, mais sans signification pour la plupart. En traduisant
son livre, le Réformateur a eu pour but d'en faire avant tout un
livre d'instruction et d'édification destiné non aux savants à qui
convient le latin, mais aux humbles, au menu peuple, au grand
public à qui l'érudition n'est pas familière. De là, comme l'a
ingénieusement noté l'auteur de l'article, toute une catégorie
d'inexactitudes qui adoucissent en quelque sorte l'érudition du
livre original, quand il s'agit de particularités trop curieuses, et
surtout, de littérature profane : ex Arato traduit par « d'un poète
païen » ; « selon Aristote », donné par le texte français, sans que
cette indication ait été jugée nécessaire dans le texte latin ;
apud Xenophontem traduit par « Xenophon, philosophe païen
bien estimé » ; impuri canis Lucre fii traduit par a d'un autre
vilain poète nommé Lucrèce », pour ceux qui ne sauraient pas
que Lucrèce est poète.
On doit observer encore que nombre d'additions oiseuses sont
de celles qui ont pu échapper, en 1560, à l'écrivain plus exercé,
plus abondant. 11 y a des redondances qui s'expliquent d'elles-
mêmes. Ainsi, il apparaît que les éditeurs des Opéra se sont sou-
vent exagéré la portée des fautes de la traduction. « 11 reste
cependant dans la traduction de 1560 assez de contresens,
même de non-sens incontestables, pour qu'on répugne à y voir
l'œuvre de Calvin, qui eût été incapable de telles légèretés. »
Voilà la difficulté de nouveau posée.
Un passage de la Préface, en forme de lettre, que Golladon
mit en tète d'une édition de VInstifiition donnée par lui en
IIISTOIUK l)\J TKXTE DE l'iNSTITUTION 43*
1576', va, comme la vu avec raison M. Lanson, nous expliquer
bien des choses :
Gomme celui-ci (Calvin) préparait la version française de son Insti-
lulion conformément à la nouvelle édition [latinej qu'il allait donner,
il dicta une foule de choses, tant à son frère Antoine qu'à un domes-
tique faisant office de secrétaire, il inséra aussi en maint endroit des
pag;es arrachées d'un exemplaire français précédemment imprimé ;
aussi lui fallut-il souvent donner ses papiers à relier, mais, à la fin,
il était absolument nécessaire que quelqu'un revisât l'ouvrag'e. En
elîet. il y avait eu, dans un très grand nombre de passages, des chan-
gements considérables ; les ratures et les additions embrouillaient
d'un bout à l'autre le texte, le rendaient difficile à lire, souvent fau-
tif, d'autant que des secrétaires ne saisissent pas toujours les mots
qu'on leur dicte. Donc, à la prière d'Antoine Calvin, aux frais de
qui l'édition française devait bientôt s'imprimer chez Jean Cres-
pin, qui fut jadis notre hùte (comme Henri Kstienne fut chargé de
l'édition latine), j'ai revu tous ces brouillons, latins et français, tels
qu'ils étaient dans les papiers de l'auteur, et je me suis chargé de
les relire, corriger, collationner, afin de rendre tout plus sûr, plus
clair, plus facile, moins embrouillé tout au moins pour l'impression '^.
A la lumière de ce récit, toutes les difficultés s'éclairent : les
erreurs de la traduction trouvent leur explication naturelle.
Calvin a refait, en la dictant, la traduction des sept premiers
chapitres, puis il se contenta, pour aller plus vite, de traduire
seulement les additions et découpa le reste dans son ancienne
traduction. De là, les défaillances de la traduction qui viennent
des secrétaires ou du réviseur : erreurs de doctrine, jjrossières
ignorances.
De tout cela résulte cette conclusion que Calvin a fait la tra-
1. Joannis Calvini Opéra, I, p. xli.
2. Il faut rapproctier de ce texte celui de Bèze sur l'organisation du tra-
vail de Calvin. « Estant de si petite vie ildormoit aussi fort peu. Mais pour
cela quelque lassitude qui s'en ensuivist, il ne laissoit pas d'estre toujours
prest au ti-avail et à l'exercice de sa charge ; car les jours que ce n'estoit
pas à lui à prescher, estant au lict, il se faisoit apporter, dès les cinq ou six
heures, quelques livres, afin de composer, ayant quelqu'un qui escrivoit sous
/uj. . .Voilà comment il a dicté les matins la plupart de ses livres, estant
en continuel et treslieureux travail d'esprit. » (Bèze, Vie de Calvin, éd.
Franklin, p, 211.)
44* INTRODUCTION
duction de 1560; seulement toute la partie matérielle d'écriture,
de révision, de correction d'épreuves n'a pas été faite par lui.
Très fautive sans doute, la traduction de I06O est cependant de
Calvin. Ici. ]M. Lanson rejoint les éditeurs du Corpus, en affir-
mant que cette traduction a beau être l'œuvre du Réformateur,
elle manque absolument d'autorité au point de vue littéraire.
Exécutée dans des conditions de précipitation et d' « incurie »,
elle est le produit d'une besogne matérielle, non point d'un véri-
table travail littéraire.
Une conséquence assez inattendue découle do ces faits : la
règle qui veut que pour les œuvres classiques, on reproduise
d'ordinaire le dernier texte publié et revu par Fauteur, soutfre,
en ce qui touche YInstitiitio?i, une éclatante exception. Le texte
de io60 n'enregistre nullement les derniers progrès du goût et
de la réflexion de l'auteur. Il ne s'est agi que de mettre hâtive-
ment l'édition française au courant des améliorations et addi-
tions — doctrinales et confessionnelles — déjà introduites dans
le texte latin. Nul motif ici pour donner la préférence à la der-
nière édition. « Toutes les raisons, au contraire, engagent à
préférer la première à la dernière. On ne saurait trop y insister;
le vrai texte, au point de vue littéraire. — le vrai texte de
1 Institution française, le seul dont il y ait à tenir compte, c'est le
texte de 1541 . Non pas seulement à cause des fautes de l'édition
de I06O, mais pour des motifs plus graves et plus généraux.
Mais écartons d'abord une objection. Si on prend le texte de
1S41, oxv mvXWQ y Institution ; on la réduit de près de moitié.
L'objection serait grave si l'on se plaçait au point de vue reli-
gieux, s'il s'agissait de faire une édition confessionnelle. Elle
tombe dès qu'il s'agit de littérature, car les additions portent
surtout sur des questions de dogme ; ce qu'il y a de plus
humain, de plus littéraire, ce qui est vue profonde de l'àme
humaine, haute doctrine morale, le plus important du moins et
le plus beau, se trouve déjà dans l'édition de 1541 . Ce n'est pas
par un hasard que, des extraits choisis par MM. Marcou, Hatz-
feld, Cahen, aucun ne répond aux additions du texte latin de
1559. On pourra toujours, quand on voudra pénétrer toute la
pensée et toute l'àme de Calvin, se reporter à l'ouvrage complet
ainsi qu'on lit les Méditations de Descartes après son Discours
de la Méthode, mais comme texte littéraire et, si j'ose dire, clas-
î
HISTOIHE DU TEXTE DE l'iNSTITL'TION 45*
sique, il n"v a que le texte de loil qui compte. » Après cela, la
grande raison qui milite en faveur du texte de 1541, c'est assuré-
ment sa date. Au moment où il parut, notre prose n'avait encore
à offrir que les deux premiers livres de Rabelais de tiers livre
est de 1546) et les quelques pag-es du Cymbalum niiindi. Vingt
ans plus tard, la production littéraire était devenue intensive
dans tous les domaines :1e Tiers et le Quarf Livre du Panfai/ruel,
les Propos rustiques de Du Fail, laZ)e/c>/is<? el illustration, avaient
paru et la Pléiade avait accompli son œuvre ; un grand nombre
de traductions avaient vu le jour-: philosophiques, morales, reli-
gieuses, scientifiques sans parler de celles qui venaient de
mettre à la portée du grand public la plupart des œuvres notables
des. littératures antiques et étrangères ; citons seulement les
traductions données par Louis Le Roy, les Vies de Plutarque
d'Amvot, VAmadis dllerberay des Essarts. Les Joyeux Devis
et Y Heptanieron se trouvaient dans toutes les mains, le Traité
de la Servitude volontaire était composé : l'Hôpital faisait entendre
sa noble parole ; Charles de Sainte-Marthe avait déjà prononcé
ses Oraisons funèbres, Ramus, Pasquier et Ambroise Paré
étaient connus, et plus d'un écrivain préparait déjà des œuvres
morales, à la manière des Anciens, en attendant Montaigne ;
enfin Calvin lui-même avait mis au jour une série considérable
et singulièrement variée d'ouvrages en français : livres de polé-
mique, lettres, sermons, commentaires, etc., et d'autres écrivains
réformés l'avaient suivi dans cette voie : les noms de Viret et
d'Estienne suffisent à le rappeler.
On peut donc assurer qu'en 1560, V Institution perd à peu
près toute signification littéraire. Elle se noie, comme on Ta
dit, au milieu de la prédication, de l'apologétique, de l'exégèse
protestantes, elle a l'air de continuer un mouvement bien anté-
rieur, alors que vingt ans plus tôt, en \ 541 , elle avait glorieusement
innové. Or, si tous les historiens de notre littérature placent
l'Institution à cette dernière date, c'est toujours à l'édition de
1560 que toutes les citations sont empruntées. On nous fait
juger de la grandeur de l'œuvre réalisée par Calvin en 1541 par
un texte élaboré dix-neuf ans après cette date mémorable. Et
cependant les différences présentées par les deux textes s'ac-
cusent profondes et continues ; elles ne consistent pas seule-
ment, comme on pourrait le supposer, en simples nuances
46* INTRODUCTION
d'expression : en réalité, nous avons aiîaire à deux styles dis-
tincts que séparent et différencient vingt années d'évolution
de la langue française, vingt années pendant lesquelles la pen-
sée, la conception de l'art et de la science ont été transformées,
renouvelées avec plus de rapidité peut-être que pendant nulle
autre période de l'histoire intellectuelle de notre pays.
Notre but est donc de restituer aux amis des lettres françaises
un ouvrage qui a marqué une date inoubliable dans l'évolution
de notre littérature et qui, ne subsistan-t qu'en un nombre in-
fime d'exemplaires, ne saurait être admiré et étudié avec fruit
à une époque qui, comme la nôtre, est de plus en plus avide de
connaître ses origines. Il est nécessaire de remarquer en effet
que l'édition critique du Corpus Reformatoruin ne prétend en
aucune façon nous redonner le chef-d'œuvre original de Calvin,
puisque le texte de I06O lui sert de base, et qu'il comporte
une disposition totalement différente de celle de loil. Il faudrait
un labeur extrêmement long et compliqué pour retrouver à tra-
vers les variantes et les notes de chaque page, tous les éléments
qui pourraient permettre une reconstitution du texte primitif.
En réalité, on ne parviendrait à réaliser cette reconstitution
qu'en transcrivant çà et là, à l'aide d'un travail de marqueterie
qui demanderait de longs mois, tous les passages et fragments
qui appartiennent au texte de 1541, pour les grouper ensuite
dans leur ordre véritable ' . Grâce à la réimpression qu'on trou-
vera plus loin, l'ouvrage reparaîtra dans sa splendeur première,
'- — comme un beau bronze net de tout alliage et produit d'une
coulée unique, — tel qu'il fut donné avant les remaniements
qui le transformèrent. On admirera ainsi une œuvre d'une seule
venue, ainsi qu'elle apparut à sa vraie date, grave et gauche à la
fois, sans aucun ornement d'emprunt.
1. " Pour diverses raisons, les éditeurs du Corpus ont préféré ou dû
suivre comme texte principal la traduction de 1560, quils estimaient inau-
thentique ; il faut aller chercher au bas des pages la traduction primitive,
déchiquetée, l'ompue en mille tronçons pour l'ajuster au plan déflnitif de
Calvin qui a bouleversé l'ordi'e primitif de son ouvrage. Il est impossible
dès lors de se représenter la suite et le naturel développement de la véri-
table Institution îviMiçaise ; impossible d'en faire ni étude ni usage sérieux.»
[Revue historique, art. cité, p. 76.;
XI
Les différences entre V édition de 1541 et celle de 1560
au point de vue de la langue et du style.
C'est qu'en effet le texte de 1541 révèle la nouveauté de l'effort
accompli, par son allure archaïque même. Il est, dans la pleine
acception du terme, une traduction, où la phrase française semble
moulée sur la phrase latine, et où l'auteur n'a pas cherché à atté-
nuer les subordinations et coordinations qu'implique la langue
ancienne, féconde en incidentes. Chose dig-ne d'être notée, ce
style se rapproche étrangement de toutes les parties oratoires
ou épistolaires du roman rabelaisien, si proches elles aussi de la
prose latine, qu on les croirait par endroit traduites dun texte
antérieur. Ainsi, d'un côté comme de l'autre, les commencements
de l'éloquence française restent intimement associés et, si l'on
ose dire, soudés à la langue mère. L'émancipation, l'allure indé-
pendante ne viendront que plus tard.
Quand nous comparons le texte de 1541 avec celui des éditions
postérieures ', nous découvrons sans peine la trace de l'assou-
plissement que l'habitude d'écrire et le perfectionnement de la
langue apportent au style de l'écrivain. On saisit sur le fait la
volonté constante de Calvin de rajeunir, ou si l'on veut, de
rafraîchir son style. Sa tendance visible est de s'écarter du
latin, au fur et à mesure que les années s'écoulent, et de don-
ner à ses phrases un tour plus conforme au génie de sa langue
maternelle. Cela est si vrai que l'éloignement des expressions
trop sensiblement latines se marque même dans des détails de
formules de politesse : dans la préface adressée à François I"",
le tutoiement, calqué sur celui du latin, disparaît dès 1545; de
même, les titres de : 0 très noble Roy, très excellent Roy, très
illustre Roy, etc., sont remplacés par celui de Sire. Les mots qui
1. Nous renvoyons aux variantes du Corpus Reformatorum qui rendront
sensibles les modifications successives apportées par Calvin à son style,
nous réservant de revenir sur ce sujet avec détail dans le 3^ fascicule. On
trouvera dans l'article de M. Lanson cité plus haut [Revue historique, p. 71
et suiv.) un choix d'exemples de ces différences.
48* INTRODUCTION
ont gardé lenipreinte latine, comme convertir^ cogitation^ abjec-
tion, abnégation, sapience, oraison, génération, etc., sont rem-
placés par tourner, pensée, petitesse, renoncement, sagesse, propos,
secte. Les exemples abondent : tantôt les mots dérivés du latin
sont remplacés par des synonymes, tantôt par des locutions com-
posées, dans d'autres cas par des verbes. Cet elFort vers une forme
plus souple, plus vivante, n'est pas moins sensible dans la cons-
truction : inversions évitées, voix active ou pronominale substi-
tuée à la voix passive, emploi plus fréquent de on, de c'est de,
c'est que, il y a, voicy ; simplification des locutions, telles que
jusques là où qui devient jusques, — et si encores il estoit ainsi
remplacé par et encores qu'ainsi fust, — qUe nous vous me trans-
formez pavpour estre transformez, — car quelquonques qu'ilz par
quels qu'ils, — mais s'unissanf avec nous, par mais se donnant et
communiquant à nous /suppression de mots explétifs : rien d'avan-
taige devient davantagetontcouvt. Onoljserve, d'une manière g-éné-
rale, l'élimination des complications inutiles ; ce début de phrase
du chapitre. II (livre II, ch. ii, en 1560) : Or nous congnoistrons
à quel but nous devons tendre en considérant devient Or voicy
le moyen qui nous gardera d'errer, c'est déconsidérer; — et de faict
nous voyons comment il confesse, que le combat dont nous avons
parlé, d'entre l'Esprit et la chair, estoit en sa personne devient ^^^
qui ne parloit, par feintise, en descrivant ce combat de la chair
et de l'esprit qu'il sentoit en sa personne ; — nous avons pensé estre
du devoir de nostre office de confermer (1541 et 1545) devient
en 1560 : j'estime qu'il viendra bien à pjropos de confermer.
Notons encore le remplacement par l'indicatif de la proposition infî-
nitive :ces/e estre la vie éternelle devient: [nous croyons que c'est la
vie e/erne//e; l'emploi du relatif à la manière moderne : cestuy estoit
un Père qui est remplacé par c estoit aussi un Père qui disait ;
ceste de 1541 est remplacé par celle, dans certains cas, pendant
que /ce//e remplace, en 1560, celle de 1541; et de celle corru-
ption de 1541 est remplacé, en 1560, par e/ de la corruption.
Il arrive que le texte latin est traduit en 1541 avec plus d'exac-
titude qu'en 1560 : ainsi (chap. 15 du livre IV de 1560) : ut
amplius non sit, aut nohis negotium non facessat est rendu, en
1541 et 1545, par: qu'il ne sert plus et qu'il ne 7ious face, etc.,
tandis que nous trouvons plus tard : qu'il ne nous face, tout court.
Il advient cependant que pour renforcer une déclaration, Calvin,
((IMI'MSAISON KI'S lanIKiNS 49'
dans le Icxto do l'IOO, coinpliijuo une loiinule {|ui élail plus
simple eu loil : ainsi (livre III, chapitre U de l'iliOi: Pour rnii/ il
es/ ainsi, c'osf qu'il faut est représenlé en lo'tl el loi"», par
ces simples mots : // [nul (/uc De même, il arii\e que la traduc-
tion IVançaise aussi bien en l'I'il (ju'en I .")(>(), supprime des
nuances (pu> fournit le texte latin : vpIu/ rem omnium ffiusfis-
.s///irt/» est traduit jjai' : comme une e/iose /rè.s heureuse, tournure
nidiiis éneri4i((ue. lu'ciprorcpuMnent . le texte français accentue en
plus duncas l'iina^-e fournie parle latin : dans cette phrase par
lu vertu duquel les moninqnes déroulent lo/n/ne lu neii/e au
soleil, les (piatre derniers nu)ts (|ui é\0(pu>nt la conij)araison ne
figurent pas dans le texte latin. On })eut assurer qu'il est en
matière de style, peu de compai aisons aussi instructives (jue
celle des deux textes de l'iil et dv ioliO.
Kapproclions (juehjues phrases t'nq)runtées aux trois textes
latin et français chapitri' 1'' :
I rj39 : (( .\itJji.s su.icissi/iw /jhinduii iir cl hinluni non semidei
cidemur. ■
loi! : ■• .\nus nous flu/ons et a/ilundissons et //eut s'en fault que
nous ne nous es/iniinns dcni 1/ I)icu.c. "
ITiGÛ : <■ .\ous sommes bien aises et nous haiynn/is à nous flû-
te/' Jusques à nous priser comme demi dieux. >< —
1."^>.'{Î) : H .Vo/( sccus atque oculus, cui nihil alias nljversaiur
nisi niqri coloris, candidissimum esse judicat. quod tamen suh-
oLscura est alhedine, cel nonnulla etiam fuscedine aspersum. »
1">4I : « Tout ainsi que l'œil, lequel ne voit riens que choses
de couleur noire, juqe ce qui est d'une hlanc/ieur obscure, ou
bien encores à deini/ gris, estre le plus blanc du monde. »
l'JdO : « (Jomme un œil qui ne roit que du noir, estime que
ce qui est brun ou de couleur obscu/e et moi/enne est de souve-
raine blancheur, pour ce qu'il t/ est ainsi accoustumé. » —
lo39 : (f .Si creperimus coqitationem in Deum erigere et expcndere
qualis sit et quam e.racta... (sit justitiae perfectio) ». traduit en
l."(41 (p. 2 par : « Si nous nous dressons une fois notre cogita-
tion au seigneur et recongnoissons quelle est la perfection de sa
Justice ». devient ensuite : « .S7 nous commençons à élever nos
pensées à Dieu, el bien po'iser quel il est, et combien la perfection
de sa justice est exquise ».
Institution. d
50" IMI'.nlHCTiriN
Il n'i'sl pris lU'trssairc d'insister plus lonytonips siula dilVérence
des deux styles.
Nul doute qu'en procédant de la. sorte Calvin nail cherché à
rendre son style j)lus coulant, plus familier aussi, plus conforme en
un mol au vocabulaire et à ha syntaxe populaires. Lintérèt de la
propagande était lié ;i ses yeux à lemploi d'un lant^age accessible
au plus j>rand nombre des fidèles. Son sens si profond et si
juste des réalités l'a 'évidemment inspiré en cela comme en tant
d'autres cas.
Suivant une remaïque faite déjà par M. H. Châtelain, on
devine, à travers les traductions successives, un souci manifeste
de rendre avec une exactitude plus rig-om-euse, on pourrait dire
presque religieuse, le texte latin, comme s'il s'agissait d'un texte
classique consacré. Ainsi ces mots de la seconde p.'ige : « Xatn
si rcl /erra/Il (Icspici/iiiis incdia die. rrl in/iiciiiiir qiuc aspec/lli
nnsirn circiuiici/iH jia/cn/. sont traduits de la sorte en loi!
i). '2. ligne 27 : ■ (^n/- si nous rcf/ardons en plain jour bas en
/(■/■/■(■ : ou si nous con/cinjtlons les choses r/ui son/ it ienlour de
nous 11. et sous cette autre rurnie plus coiu'le. en J-^iliO Opcrii,
III. col. il !" (^ai- si nous jcllons la veue en Las en plein jour
el (lue nous veijnrdiiuis à ICn/ourpar ri/ par là. <> La correction
qui peut paraître au K-cteur non averti lui sinqdi' ra jcimissenu'nt
français, corre.spond en réalité à une ti'aduction plus littérale. Il
arrive .aussi que telle expression latine, traduite d abord par un
terme français, tout h fait adé([uat. se trouve renforcée, dans la
dernière traduction, par un terme plus imagé. Ainsi Jioniines...
oJjser/uenfiores. d'abord traduit par populaire... jtlus ohei/.^sanL
est rendu, en lotlO par jtopulaire... jtlus ductible. Quasi nulli
sun/. d'abord traduit par presfjue.<i redii/ez a neanl. est rendu
ensuite par qua.si s'esvanouisseii/ (ipera. III. col. ï'I).
11 convient de noter encore plusieurs changements caractéris-
tiques : la locution // nous semble advis devient // nous semble :
le Sei(/neur est remplacé en nuiints endroits par le simple nom de
Dieu, et au lieu du .singulier collectif /"/)07?îm<'. est mis le pluriel /<'.s
hommes ip. 2. 1. S. 10, 14. 29; p. i. 1. •'». 33, etc.) ; /erriennes
devient terrestres : il es/, il // a; il apjier/. on roid ; ieeu.c. /elles
yens; (h'duire un arg^ument . /irer (p. 2, 1. 3i ; p. 3. 1. 23 ; p. i.
I. 7. 2M. :!9 . Mais, contrairement à ce qu'on pourrait attendre,
COMPARAISON DKS ÉDITIONS 51*
ces/ est une fois remplacé par /c/: cette phrase : Or de cesi espoven-
temenl nous avons plusieurs exemples débute en 1560 par: Or de tel
estonnenien/, qui fournit en même temps une expression atténuée.
Visiblement, en certains endroits, la concision est sacrifiée à
l'aisance. Cependant c tout balancé, remarque le même érudit,
les cas où Calvin substitue à une syntaxe lente une syntaxe
plus rapide sont les plus nombreux, et la différence est sen-
sible en particulier en ce qui concerne les particules conjonc-
tives. Elles sont d'ordinaire moins massives en 1560 qu'en 1541.
Mais économisant des mots pour les jointures et les attaches de
ces propositions, Calvin prend plus de liberté pour déployer,
selon la tendance analytique de notre langue, les éléments de
la proposition plus chargés de sens ; au besoin un substantif,
s'il est par lui-même un mot de valeur, sera divisé en plusieurs
éléments qui composeront une proposition complète. Souvent,
il répartit le contenu sémantique d'un seul mot latin entre deux
mots français appariés (adjectifs, substantifs ou verbes). Mais
ce qui est plus intéressant encore à faire observer, ce sont les
corrections qui ajoutent au premier texte la couleur et l'énergie
d'un équivalent plus concret ». Une telle constatation contribue
à faire mieux saisir combien les reproches d'austérité excessive,
dirigés contre le style de Calvin, sont peu justifiés. Petit de Jul-
leville s'est trompé en affirmant que le Réformateur français écri-
vait « sans images », qu'il était (( pauvre en métaphores » et
que « toute poésie lui était étrangère ». Plus Calvin avance en
âge, et plus son vocabulaire s'enrichit, usant de termes plus puis-
sants de sens ou plus colorés. Pendant que sa pensée acquiert
plus de force et plus d'éclat au contact de l'expérience, sa phrase
gagne en nombre, en équilibre et en relief. Entre un certain nombre
de détails caractéristiques qui ont été relevés dans ce sens, on
peut signaler le suivant: Calvin use en 1541 d un certain nombre
de mots de formation savante en tion. Bien qu'un grand nombre
de ces mots abstraits — une bonne moitié, — aient fait fortune
dans la langue, le Réformateur tend à les éliminer pour échapper
à la lourdeur et à la monotonie de leur suffixe. Quelques-uns
d'entre eux ont été remplacés par l'infinitif correspondant, avec un
léger changement dans la construction des mots voisins.
Une curieuse tendance que révèle encore la comparaison des
deux textes, c'est la substitution d'équivalents aux adverbes en
52* INTRODUCTION
ment. Ainsi pareillement se trouve remplacé, en 1560, par aussi
hien^ naturellement par de nature '.
XII
Supériorité du texte de 1541. Justification de notre édition.
Comment elle a été réalisée.
Quoi qu'il en soit, ainsi que l'ont reconnu déjà les éditeurs du
Corpus et M. Lanson, « non seulement le texte de 1560 n'est
pas celui qui marque un soudain et considérable gain de notre
langue et de notre littérature, mais, littérairement, il est infé-
rieur au premier et authentique texte de loil ». Le second ajoute
à cette déclaration : « Le texte de 1560, considéré comme « pre-
mier monument » de l'éloquence religieuse des temps modernes,
est un document faux, bien qu'il soit de Calvin, le texte de 1541
seul est vrai. Le texte de 1560 est sans valeur historique ; tout
ce qu'on dit de l'influence de Calvin sur la littérature se rapporte
au texte de 1541. Le texte de 1560 est, littéraii'ement, inférieur ;
le texte de 1541 a la forme d'un chef-d'œuvre. Le texte de 1560 est
incohéi'entet disparate; il contient sept chapitres (liv. I, ch. 1 à 7),
qui sont du Calvin de 1560 ; toutes les additions [traduites] du texte
latin de 1559 sont aussi du Calvin de 1560 ; là dedans s'insère et
s'éparpille la version de 1541 ; le Calvin de la première manière
et le Calvin de la dernière manière s'amalgament confusément ;
et. })our achever le désordre, une foule de corrections passent en
quelque sorte une couche du style de 1560 sur les morceaux de
1541, ce qui n'empêche pas que sous le badigeon ne reparaisse la
couleur primitive du vieux langage. Au contraire, la version de
1541 est homogène, toute d'une venue, d'une parfaite unité de
ton et d allure... Il est inadmissible que l'on continue à lire un
ouv âge de cet ordre dans un texte, non pas inauthentique, si
l'on veut, mais informe et, en somme, faux pour l'usage qu'on
en fait. »
l. Sur les adverbes en ment, on peut consulter utilement le relevé très
consciencieux de M. H. Vaganay dans les années 1903 et suivantes de la/îeuue
(les Etudes rahohiisiennes .
COMMENT NOTRE ÉDITION A ÉTÉ RÉALISÉE 53*
Il nous a donc paru qu'une réimpression (idèle du livre de
1541 rendrait un service véritable aux lettres françaises. Ayant
eu roccasion, il y a quelques années, de faire une série de con-
férences sur Calvin écrivain à l'Ecole pratique des Hautes Etudes,
je me suis décidé à entreprendre ce travail '. Une personne qui,
par une modestie singulière et infiniment touchante, que Calvin
eût admirée, m'a demandé de ne pas imprimer son nom, s'est
vouée à la tâche si longue et si délicate que représentait la copie
intégrale de l'édition de 1541. Exécutée avec une conscience et
une fidélité incomparal)les, cette copie, qui a demandé plusieurs
années de labeur, a servi de base à l'impression de notre texte.
Son auteur a prêté, en outre, le concours le plus zélé à la révi-
sion des épreuves. Deux auditeurs des plus distingués de ma Con-
férence d'Histoire littéraire de la Renaissance, M. Henri Châte-
lain, agrégé, docteur es lettres, professeur à l'Université de
Birmingham, et M.- Jacques Pannier, pasteur, licencié es lettres,
et dont la thèse de doctorat va prochainement voir le jour, ont
bien voulu se charger de la correction des épreuves avec un
dévouement auquel je ne saurais trop hautement rendre hom-
mage. Ils ont donc assumé la responsabilité de la reproduction
complète du texte de Calvin, page pour page-, suivant un certain
nombre de règles que j'ai cru devoir adopter et dont on trouvera
le détail dans les Xoies et index fijpor/raphiques, rédigés par
M. Châtelain, qui terminent le présent volume. Une série de révi-
nions tenues pendant la durée du travail et une certaine quantité
de pages révisées en commun, nous ont permis de rester
en contact et de grouper pkisieurs observations intéressantes.
M. Jacqvies Pannier a ajouté à l'édition un Résumé nnalij tique des
matières contenues dans l « Institution », rédigé avec un soin
extrême, et qui donne en quelques pages, pour l'utilisation du
livre de Calvin, un instrument de travail et de recherche dont on
n'avait pas l'équivalent.
1. Une première lentative avait élé railo antériouremenl, sur l'inilialive
de M . Mathias Morhardt, du journal Le Temps, pour trouver les ressources
matérielles nécessaires à la réalisation d'une réédition dont le soin m était
confié. Ln comité fut même formé, mais le projet n'aboutit pas. -- On trou-
vera dans VAnniiaire do l'Kcole praticjue des Hautes Études (Section des
sciences histor. et philol.), années 1907 et 1908, le plan de ce cours.
2. Les abréviations du texte original rendaient difficile une reproduction
ligne pour ligne. En i"ésolvant les abréviations, en imprimant les J et les v,
nous avons cherché à rendre notre texte plus facile et plus agréable à lire.
54" INTRODUCTION
Nous réservons pour un troisième fascicule, qui paraîtra dans
quelque temps, une réunion d'études relatives à V Institution
et à son auteur : glossaire, étude sur le vocabulaire et sur la
syntaxe de Calvin et sur les caractères de son style; sur le véri-
table imprimeur de l'Institution ; comparaison de ï Institution
avec les ouvrages théologiques antérieurs ; étude comparative sur
les différents textes de l'Institution ; l'évolution de la pensée reli-
gieuse du Réformateur à travers son principal ouvrage; le plan
de l'Institution au point de vue de la forme littéraire et du déve-
loppement de la pensée de Calvin; étude psychologique sur Calvin;
la diffusion de ses livres au xvi'" siècle, etc.
Nous espérons donner, dans notre troisième fascicule, les sept
premiers chapitres de 1560, outre la concordance des quatre
recensions françaises de l'Institution ', avec les variantes des pas-
sagres communs aux textes de io41 et de 1560 et des extraits du
textelatin de 153!j, destinés à montrer comment l'expression latine,
suivant une heureuse comparaison, est en quelque sorte l'échelon
qui permet au français d'atteindre la hauteur de la pensée reli-
gieuse.
Il me reste à remplir l'agréable devoir d'adresser des remer-
ciements à toutes les personnes qui ont aidé à l'accomplisse-
ment de notre entreprise. En première ligne, nous offrons Ihom-
mage de notre vive gratitude à Madame la Marquise Arconati
Visconti qui a fait généreusement tous les frais de cette édition.
On sait assez quel culte touchant et éclairé, je veux dire basé sur
une connaissance approfondie de cette époque, elle a voué au
siècle delà Renaissance. Nos fascicules, en attendant l'édition de
Rabelais qui se prépare, en apporteront un nouveau témoignage.
Nous exprimons une reconnaissance particulière à Madame Alfred
André qui, avec tant de bonne grâce, a mis à notre disposition,
à la Bibliothèque de la Société de l'histoire du protestantisme
français, le précieux exemplaire de l'édition de 1341 qu'elle pos-
sède et qui a été acquis par le remarquable bibliophile que fut
son mari. Je remercie M. N. Weiss dont tous les travailleurs
connaissent l'inépuisable obligeance en même temps que la
science si sûre et si variée, et M. Théophile Dufour, l'impeccable
et libéral érudit genevois qui nous ont transmis plusieurs ren-
1. Cf. Calvini opéra éd. du Corpus Reformatoruin, t. IV, p. 1260-1261.
LKS EXEMPLAIRES DU TEXTE DE 1541 55*
seignements et avis utiles, et entin laimable auditeur de l'École
qui, après avoir mis à notre disposition pendant quelque temps sa
solide compétence en matière de textes, trouve à tort que ce
service ne mérite pas d'être mentionné ici. Mon éminent collègue,
M. Rodolphe Reuss, a bien voulu faire quelques recherches à
notre intention.
XIII
Les exemplaires du texte de 15i1 .
Pendant très longtemps, les plus anciennes éditions françaises
de V Institution ont été considérées comme introuvables; les
persécutions subies par les protestants durant plus de deux
siècles avaient contribué à faire disparaître à peu près tous les
exemplaires de ces textes, considérés comme les plus suspects
et les plus dangereux parmi ceux qui circulaient chez les hugue-
nots français. Vers le milieu du xix'" siècle, on n'avait encore
signalé aucun volume de l'édition de 1541 dans une bibliothèque
publique, et ce n'est qu'aune époque assez récente que plusieurs
exemplaires de ce texte ont été successivement retrouvés. En
1865, les éditeurs des Calvini Opéra en citent un seul, celui qui
servit pour leur édition. Dans ces dernières années, quatre
autres ont été signalés. Deux seulement, parmi les cinq exem-
plaires connus, se trouvent en France. En voici la liste établie
d'après les données les plus récentes :
l'' Exemplaire de la Bibliothèque de Genève, en très bel état,
ayant appartenu aux Capucins d'Orléans — ville où Calvin
posséda plusieurs amis intimes — , et provenant de la vente
Adert, 1887, n° 75, adjugé 1176 francs à M. Durel et racheté à
ce libraire.
2« Exemplaire de la Bibliothèque de l'Université de Strasbourg,
provenant de M. Othon Guvier, pasteur à Metz, qui l'avait cédé
en 1865 à Edouard Reuss (voy. Calvini Opéra, t. III, p. xxviii;
t. IV, p. vin).
3« Exemplaire de Madame Alfred André, qui a été mis gra-
56' INTRODUCTION
cieusement à notre disposition pour notre travail ;'il a été porté
par M. Durel libraire sur son catalog-ue Le hihliophile hiiffuenot,
n° 149, en novembre 1894, et coté 800 francs. h'Epitre au Boi
olîre des interversions de pages qui semblent résulter dune
erreur de mise en pages.
4" Exemplaire de la Bibliothèque de la Faculté libre de Théo-
logie de Montauban, provenant (1903) de M. Vielles, qui l'avait
trouvé en novembre 1893. Il est incomplet du titre, lequel est
remplacé par un fac-similé.
o° Exemplaire de feu M. Ernest Stroehlin, à Genève, prove-
nant de la collection Gaifïe, acquise en 1900. Dans cet exemplaire,
qui appartenait en 1671 au couvent bordelais de Sainte-Croix,
congrégation de Saint-Maur, les feuillets préliminaires sont ceux
de l'édition séparée de YEpistre au Roy que nous avons signalée
plus haut p. 19*;.
XIV
Xotes bibliographiques.
En dehors des travaux cités au cours de cette introduction
nous pourrions multiplier sans peine les indications bibliogra-
phiques, mais cela ne nous a pas paru nécessaire. Notre troisième
fascicule contiendra une énumération des principaux jugements
littéraires formulés sur Calvin; en attendant, on trouvera plu-
sieurs appréciations résumées dans l'article de M. Jacques Pan-
nier : Calvin écrivain, quelques appréciations anciennes et
modernes (Paris, Fischbacher, 1909j, notamment les jugements
de Bossuet, de Brunetière et de Lanson. Il faudra y joindre ceux
de Faguet et de Petit de Julie ville.
Il nous suffira de signaler le chapitre xiii : « Calvin humaniste,
orateur et écrivain», du Calvin de A. Bossert (Paris, 1900 i. qui
renferme plusieurs relevés utiles, et le n° de Foi et Vie du
16 octobre 1909 qui contient quelques pages précises de M. Henri
Châtelain sur le style de Calvin ; la première étude sur le style et
la syntaxe de Calvin est celle de M. K. Grosse, publiée dans les
Archives de Henig en 1879; elle a été réimprimée avec des chan-
NOTKS lîIHI.IOiiHAl'llIQUES 5T
gements en 1888 sous le titre : Sijn/n/,/isc/u' S/iidion zii Calvin,
dissertation de Giessen, in-S". Ctl paj^es. Ce travail a été critiqué
dans la Zeitschrifl fur fnuiziisischi' Spracho und Litlcrafur,
t. XI, p. 177, par M. Ilaase. Kn 1890, M. Haase a entrepris
dans le même recueil (t. XII, p. 193-230) de corriger et de com-
pléter les remarques de syntaxe faites par M. Grosse. En ce qui
touche les idées de VInstitulion, nous devons citer Kostlin,
Calvin s Insfifutio nach Forni und Inhalt dans Studien und Kri-
tiken, 18G8, p, 7-62, 410-486 et l'important tome IV de la grande
et savante biographie de Jeun Calvin : Ica honunea et les chosea
de Sun temps, par K. Doumergue. Ce volume qui porte comme
sous-titre : La pensée religieuse de Calvin et qui a paru en 191 I,
est le travail le plus étendu ({ui ait été consacré k la substance
religieuse et théologique de V Inslilution.
On trouvera dans le Bulletin de la Société de l'histoire du protes-
tantisme français toutes les indications désirables sur la bibliogra-
phie récente de Calvin, notamment sur les publications si nom-
breuses suscitées par le jubilé de 1909 ' (i" centenaire de sa nais-
sance). Le tome IV de M. Doumergue contient également un
appendice sur « le jubilé de 1909 et la théologie de Calvin ». La
BihlKxjrapliia Calviniana de M. Alfred Krichson est toujours utile
à consulter.
L'aspect politique de la vie de Calvin a été, dans ces dernières
années, l'objet de nombreuses études, principalement en Alle-
magne. Je renvoie aux travaux bien connus de E. H. Cornélius,
au livre de Choisy, La Théocratie à Genève au temps de Cal-
vin, s. d., à celui de Wipper : L'Eglise et l'Etat à Genève au A'IY'"
siècle, à l'époque du Calvinisme (en russe, résumé sommaire
dans le Bulletin de la Société d'hist. et d'archéol. de Genève,
tome L''", livr. o), et au travail de Francis de Crue : IJ' action
politique de Calvin hors de Genève d'après sa correspondance,
Genève, 1909. Comme précis de la vie de Calvin, la biographie
due à Williston Walker, de l'Université de Yale (trad. par
E. et N. Weiss, 1909], est toujours à recommander.
Abel Lefranc.
1. Un fascicule provisoire comprenant les 288 premières pages de la
présente édition a été présenté en hommage, au cours des cérémonies de
ce jubilé, à Genève, en juillet 1909.
FAC-SIMILK
DK IjlKl-UL KS l'AGKS Dl- I/ÉDITiUN OHJGINAI.E
Promiôro pajjo do lÉpilrp au roi François I".
Une |)at.t> inlerniédiaire de rKpitrt'.
Page finale do rKpîlro.
Chapilio I. paf^o I .
Chapilrc II. pa^c Mi.
Clhapitro IH. pat^c I 'l't.
Ciliapilic XIII, pajii" f.Kii, ;i\i'o nolos niarginalos.
Chapiliv XVII, page 822 el dernière.
Titre de l'édition de 1î)4l servant de titre à la présente réimpression.
T R E SH A V LT. T RE 'S-
PVïSSANT, ET TRESIL-
luftre Prince .francoys Roy de Fran-
ce trefchreftien,fon Prince 6f fouuerain
Seigneur,
lean Caluifi paix & falut ca Dieu .
V commence:
ment que le m appli
quayaefcrirecepre
{entliure:ienepm
foye rien moins , o
Trefnoblc Roy,que
d'efcrire chofes qui
fuiïcnt prefentées a
ta Maiefté . Seule-
ment mon propos eftoit , d enfeigner quelques
rudimens : par lefquelz , ceux qui feroient tou-
chez d'aucune bonne afFedion de Dieu , feuf-
fent inftruidz a vraie pieté. Et principalement
vouloye,par ce mien labeur, feruir a nôz Fran-
çois-.defquelzi en voyois plufieurs auoiîfain
&foifde lefus Chrift : ^ bien peu,qui en euf-
fent receu droidle congnoifTance . Laquelle
mienne délibération on pourra facilement ap-
perceuoirduliure: entant quelay accomode
i^ 5 ala
V i '1
E P I S T R Ê.
dication de Saille PauUft ancienne, ccft que R00.4,
lefus Chrift eft morr pour noz péchez ô^ rcffu^
fcirépour noftre iuftification : ilnçfrouuerra ^^^^^
rien de nouueau entre nous . Ce qu elle a efté ^^^^
!ong.temps cachce êi incongneuè: le crime en
eft a imputer a l'impiété des hommes . Mainte-
nant quand elle nous elt rendue,par la bonté de
Dieuipourle moins ellcdcaoiceftrereceuëcn
fon audorité ancienne .
DVne mcrmcfource d'ignorance prouiet,ce i^^^^,
qu ilz la reputet doubteufe & incertaine Vraye taioe
ment c eft ce que noftre Seigneur fe coplaindl ^
parfonProphete.Queleboeufa congneufon ^w-»:
, pofleiïeur, ô^rafnereftablede Tes maiftresiô:
luy qu'il eft mefcongneu de fon peuple . Mais
comment qu ilz fe moquent de Tincertitude
d'icelle:f ilz auoient a figner la leur de leur pro^ ^^^^^^
prefang^ô^auxdefpcnsdeleurvieron pourroit
voir, combien ilz la prifent. Noftre fiance eft
bien autre : laquelle ne craint ne les terreurs de
lamort,neleIugementdeDieu.
En ce qu'ilz nous demandent miracles: Mira -
ilz font defraifonnables . Car nous ne forgeons des
point quelque nouueau Euangile : mais nous
retenons celuy, pour la vérité duquel confrr*-
mcr/cf uent tous les miracles que iamais 6: le -
fus Chrift^a: fes Apoftres ont faidz . O" po^r-
C roic
^^^
[F P I s T R E
gnarion & courroux^lire cefte noftre cofeffion,
laquelle nous voiilôs eftre pour deffenfe enuers
ta Maierté . Mais fi au côrrairc, les decradions
des malueuillans empefchent tellemenr res au-
reilles , que les accufcz n'aycnt aucun lieu de fe
dcffcndrcDaurreparcfrces impetueufes furies,
fans que ru y mettes ordre , exercent toufiours
cruauté par prifon, fouetz , géhennes, coupeu-
res , breufleures : nous certes comme brebis de-
uouees ala boucherie, ferons iettez en toute ex
iuc XI tremitc. Tellement ncantmoins, qu'en noftre
patienncenous poffederons noz âmes, ô^ atten-
drons la main forte du Seigneur: laquelle , fans
doubte,fe monftrcra en faifon,&r apparoiftra ar-
mée , tant pour deliurcr les poures de leur affli -
dion , que pour punir les contempteurs .
Le Seigneur Roy des Roys vueillcefta,
blir ton Throfne en iuftice,ô^ ton Siège en equi
té , TrefFort &^ TrefiUuftre Roy .
De Baffe le vingtrroyfiefme Daouft
mil cinq cent trente cuiq .
t
INSTITVTION DE LA
RELIGION CHRESTIENNE.
PAR lEAN CALVIN.
De la CongnoifTancc de Dieu.
CHAR I.
OVTE la fommftîenoftrcfaîgcfîè.Iaquenc
mcrite d eftre appellfc vrakA certaine faigcfle,
T cft quafi comprinfe en deux parties,à fcauoir la
côgnoifTance de Dieu,& de nourmermes-Donç
la première doibt monftrer.non feuleinct qu'il
«ft vn feul Dieu.lequel il fault que tous adorent & honorent:
Mais aufii quiceluy eft la fonteine de toute vérité', fapience,
bonre',iuftice,iugement,mirericorde, puiiïance , & fainûetc'.*-
va fin que deluy nous aprenions d'attendre & demider toutes
ces chofes. Dauantaige de les recongnoiftre auec Iouenge,&
aOio de grâce procéder deluy. La (ecôdeen nous montrant
noftreimbecilitc',mirere,vanite',& vilanie. nousameineàde-
icûion.deffiâce.éc haine Ue noufmefmes: en aprez enflambe
en nous vndefirde chercher Dieu dautant qu'en luy repo-
Te tout noftre bicn.duquel nous nous trouuons vuides & def-
nuez. Or il n'.ft pas facile de difccrnerlaquelle des deux precc
àeôc produitlautrc. Car veu qu'il fetrouuevnmôdedetou
te mi/ere en l'hôme: n ous ne nous pouuôspas droiÛemct rc-
garder^que nous ne foions touchez Ôc poinûz de la cognoif.
fance denoiire malheurte', pourincontinetefleuerle'syeuJic
à Dieu, & venir pour le moins en quelc^ue congnoiflance de
luy. Ainfi parle fentiment de noftre petitc(îè,rudefl"e,. vanité*,
mefmesaursiperueriite'j& corruption ,nous recongnoiflbns
que la vraie grandeur, fapience, vérité", iuftice, & pureté' gi(J
en Dieu. Finalement nous {bmracsefmeuz par noz mifere&a
«îonf derer les biens du Seigneur, Se ne pouuous pas afFeûu-
cufement afpirer à luy, deuant que nous aions commence' de
nous defplaire du tout en noufmefmes . Car qui eft cduy des
hoipmes qui ne repo6ô voluntierseafoy mefinfs^quieuce-
a luy
DE LA CONGNOISSANCE
de Lhomme^a: du libéral Arbitre.
CHAP, II.
£ N'EST pas fans caure,q\itf parle prouef'
bc ancien à toulîours eût! tant rccon mîdc'c à
C l'homme la congaoiffancc de foymcfme . Car
li nousertimons , que ce foit honte d'ignorer
les chofes.qui appartiennent à la vie humaine:
la mcfcongnoinancc de nourmefmes eftencores beaucoup
phis dcihonefte.parljqutlle il aduienr, qu'en prenant confeil
Oc toutes, clibfcs ncceflaires, nousnous abufons paourcmcnc
& mcfmcs Tommes du tout aueugler . Mais d'autant que ce
commandement eft plus vtile , d'autant nous faulril plus
diligemment garder de ^c^tend^e mal , Ce que nous voyôs
cftre aduenu à d'aucuns philofophes . Car quand ilz admo
ncftent l'homme de (c congnoiftre, ilzl'ameinent quatu &
quant a ce but, de conCdcrer fa digaite* & excellence: & ne
luy font rien contempler , finon dont il fe puiiTe cfieacrc»
\<.inc confiance,& {*eniîer en orgudl .
Or la vcritc' de Dieu nous ordône bien de chercher aurre
chofe en nous coniîderancà fcauoir vne confiance . laquelle
nous retire loing de toute prefumption de iloftrc propre
•vertu , & nous defpoulle déroute matière de gloire , pour
cous amener à humilité'. Laquelle reiglç il nous conuicnt
fuyurc.fi nous voulons parucniraubut de bien feiîtir5< bié
Émc * le fcay combien il eft plus aercable à l'iiommc de
voir qfon l'induifc à rccongnoiftre (es grâces & louences:
.^u'a c ntédrc Ôi voir fa paourct^,ignonrinie,turpirude&roy*
WciTc . Caril n'y à rien que l'elprit humain appcttc plus»
«jued'eftrcamyellc'dc doulccs paroles d flateries. Pouu
tant quand il entend qu'on prifc fes biens, iln'cft que trop
cndin à croire tout et qui fe dit à fon auantage . Ainû ce
liViipasdc merucille, que la plufpartdu monde aainfi errf
jtn ccft cndroiû . Car comme itinû foit que les hommes
«yent vnc amour d*cuxmefnies defordonn< 6c auenglc' . il»
4f feioot voloiiiicrs^ aolrc, qu*il n'y a rien en çux digne
\\\
144 DE 1 A 1 0 Y.
tenir la gloire de Dieu , où conCenicr chante cnucTi U% hom
mes : àquoy tend le comnuadement • ■
Le cjuattriefmc CommanJcmcnr.
Qu'iltcfouuicnnedefan^ifîer leiourdu rc-
pox . Tu befongneras iix iours > & feras toutes tes'
ceuurcs. Le feptiefmetrft le repoz du Seigneur ton
Dieu . Tu ne feras aucune tienne œuure: ne toy ,
ne ton filz, ne ta fillct ne ton feruiteur,ne ta cham-
brière , ne ton beftial , ne l'edranger qui cfl: encre
tes portes . Car en fix lours & c.
La fin du précepte cft.que eftans mors a noz propres af*
ferions & ocuurcs , nous mtdidonsile Royaume de Dieu : Se
qu'a celle méditation nous nous exercior^s p^Ics moyens
qu'il a ordoanez.Neantmoins pource qu'il ha vnc confîdera*
tion partîciilierc de diftinûe des autres, il requiert vnc expo'»
fition vn peu diuerfc. Les anciens doreurs ont couftume de
le nommer Vmbratile: pource qu'il contient obferuation ex,
terne du iour: laquelle a efttf abolie à l'aduenement de Chrift,
comme lesautrtsfijgtires.C^qui eil bien véritable; mais il nç
touche la chofc qu'a demy : pourtantil faulc prendre lexjpo-
fition de plus hault : & cooiîderer trois cauGrs.lefquellcs (ont
comemies foubz ce commandem€t • Car Je Seigneur.fcAibz
le repos du {eptiéTmeiour , a voulu figurer au peuple d'Ifracl
le itpos fpiritutl . C'eftquc les fidèles fedoibuent repôftrdc
leurs propres oeuures: à fin de lainerbefongner Dieu en culx.
Secondement ii a voulu , -qu'il y euft vn iour arreftC, auquel
ilz conuinfleht pour oiryrla Loy,& vfer <ie fes cérémonies.
Tiercement il a voulu donner vn lourde reposauxferuittur»
New.ir. ^ ^çns de rrauaîl , qui font foubz la pui (Tance d'autruy : à fin
Exotf iu ^.gyojr quelque relafche de Icurlabeur. Toutelîbisil nous cft
^! ^^ ' monôrC en pluûeurs paflages que cefte figure du repos rpiri"
^cxej-7 j^i }j3 çu |g principal lico en ce précepte. Car Dieu n'a iamais
£zcc, io yçq^j^ p|^5 cftroiftem^ntl'obey fiance d'aucun précepte que
5^* '^* dece(hjy-cy. Quand il veult dénoter en fes Prophètes, tou.
«V-** f^' te 4a religion cftxçdetoiuûcilifcconïpLtDtqilçfonSabbac
I
12> )
^^^ DES V. C^REM. SVR^OMMEES
^mltin' ckansla tonfure,tnettcnt Archcuefchc? entre Irt ordres. lûdoit
^^/(juc les'di.tingue aurremctcar ii faiû IcsPfalmirtcs & UÛcursdi-
rPA^^^^ • ucrs,ordo:untIe$ premiers à la châtcrie : & les fecondz à lire
yî4ore les £fcritur«,pour I enfcign.emet <itt'peuplt;laqucllc diilinâia
— ...Icigr
gU€ «ïw dcccrmincntabtrcmêr.Dc rechef iceux DoÛeur» dilcordc^c
.ilcirccdi enfcmble . Oulcreplus le» facrez Canons nous monftxcntvn
fii 2t. c auf rc clicmif» . Voilà quel coafcntemécil y açntré les homes,'
deros , quand ilz <ltiputentdes chofesdiuiaes fanslj pirollc de Dieu»
Au De - D'auantaige quan j ilz parknr de l'origine de leurs ordres ,
ttadiji. combien (e reodent-ilz ridicules i metnesauxpetiseafansîLcs
3) -cLf- clerc2i disent-ilz ) ont 'ear nom de fon : pourtant quilz fone
Hor .Cf cfchcùzai^foitdc Dieu :ou qu'ilz fontciioinzde Dieu, ou
c hoftiu pourtât qu'ilz ont Dieu pour leur portiô.Mais cc/a ellefvn fa-
» ^^' » crilfge a eux , de (c vfurper fp<rcialeaient ce nom icy , qui ap«
Att^ifwpartcnoitàtoutcl'EgliUi Car il iîgniiie beriragc & lEglift
Jin.dijt. eft l'Héritage de Chrit|,quiluy acûe^doriOCdu i'ere,& S.l^ier*
2^ .Cl. rena'pelle pas cierge' (came ilz ont glofd par leurs roenfonges)
çcsdikX quelques Rafez: maivil amibuece ti]tj-eà tout k peuple de
picmie* Dieu. ' fl f'cnfujt en leurs regiftres» que les clcrcz font irafez
rcs r^ir au forâmct de la tcfte, à fin que la courônc fîgniôc vnc excel#
J'onsfont leacc Roy alk: d'autant quelesclcrczdoiucnt eftre Roys,ayan$
«M De- àgouueraer eux & les autres: comme leur dit Sainû Pierre,
trctdijl' Vouseftcsgcneratiô eleuë, Preiirifc Royjlîe,nation fai^î^e,
2i.c.CC' Peuple d'aiquitition . lelestiens encoresicy vnçfoyscon»'
^s. uaincu7 de taulfae': '5ainC Pierre parleà'tou^e i'£glîi^& iJz
Ccfte.3' deltoumcnt fon dire à icne fcay quciic PreÔraiIlé,corurac TiJ
t<ij o ejt auoic eû«idiâ à eux fculeraét : Soyez (ainûz . Comme û eux
MUDccr. tous (eulz qui auoyct tild acquis du fang de Chrift.Cotnniç fi
c dao^u eux tant feulement euflcnt etlef foi dz Royaume & Preilrife à
(^ucjt . i Dieu,& nonp as tous les tîdelcs generallemér. corne L*£fcriturc
i.Pic'. s tefmoïgne. ilz ails^ent apresd'autrts raifons de Lur couron
1 Px/. 2 nc.QvclefommetdeleurrctUcfzdefcouuert.pourmonftrei
hiuUip que leur pcnfée fantcmpcfchement d^yj^c contcnipler la gloire
l.Picr. 1 dcDieuhce àfacc-ou pour monffrierque les vices des yeux
^pocui de la teite doiuent eftre couppez: ou pour iîgnifier le dilaiik--
■ A« 4. m€t& renonciation des biens temporelz& que le circuytdc$
. des Cent, chcuçux, qoi dcniLcurej^gurc Iç rcfte dc& bknj qu'ilz rctiennçi
!^'3
Ui DELA VIE C n R £ S T .
i vn chjfcuri ce cju'il auroit à Éiirc . Et à fin que nu] n'oultrc
, pafTaft Ifgeremct (cilimires.ii àflppcllc' telles mauic m d<: viurr,
vocatioxii . Chafcun donc doibr rrpurer à fon endroit que foti
cttat luy e(T cûmc vnc dari5 afiignecdc Dicu,àcequ»jlnevoI
tige S: circuiÇf. cà& là incôfide remet tout le coimde fa vicOr
ceiïcdidinâion cfr târneccfîairc, que coures noz œuuresfout
cûitne'esdeuant Dieu puricfllc. ^ fouentelfois autrement que
ne porte îciug^mcnt de Ij raifoo humaine.ou philofophicque.
Non fculfruentiecommun.muislcs Phi/ofoph«,reput<;ntquc
c'cft lade le plus noble & excellent qu'on fcauroit faire, que
de dtliurcrfon pin de tiranoie. Aucontrairc tout homme pri-
uc'^quiaura viole? vn tirant, eft appcrtemcnt condamnt^ parla
voix de Dieu . ToutcjTojs ie ne me veux pas arerter à recirer
tous les exemple» qu'onpourroit alléguer. Il Ajffîftquenous
c6gnoiiron5!avocatiôdeDicunoij$e{lrecôrT:cvnprincipe&
fondemct de nous bien gouuerner en toutes chofts: 3.'que ce-
luy'qui ne fe dirigera ù iccl!,%iamais ne ticdra le droiO chemia
pourdeùeraétfacquitter de Ton ofâce.!] pourra bien fairequci
que aôc aucuneffois loilibJe en apparcce extérieure, mais il ne
icra point accepte' au Throfne de Dieu, quelque eftime qu'il •
ayt deuant les homes . D'auantage.fî nous n'auoni noftre vo-
cation comme vne rcigle pcrpctutlle.il n*y aura pointdc cet-''
taine tenue ne correfpondancc entre les parties de noftre vie .
Pourtant ccluy qui aura dirige* (a vie à ce but , l'aura trcsbien
ordonnée .De là nous reuiendra vne fingulierc côfolation.qu'il
117 aura œuure û vile ne fordide , Ijcjuelle ncreluyfedc
liant Dieu , & ne foit fort precicufe , moyen,
nant qu'en icellc nous fcruioDs à
Doitre vocatioa .
F ï >ï
INS TIT V
TION DE LA RELI
G I O N C H R E S T I E N K E : E N L A.
quelle eftcomprinfevne fonirrré de pfeté,
6i quafi tout ce qui eft neccfTairc a congnoi-
ftre en la doctrine de fàlut.
Compofée en latin par i E a N Calvin, ôf"
tranflatée en fTancois,par luyniermé.
AVEC LA PREFACE AD D RE S.
fée au Trcfchreftien Roy de France, Françoyç
premier de ce nom.par laquelle ce prefent liuf ç
luy eft offert pour confefsion de Foy •
Uabac, i.
X V S Q^V E S A Q^V A IH O
S E I G N E V R?
M. D. XLI.
i
TEXTE DE 1541
ARGUMENT DU PRESENT LIVRE
A fin que les Lecteurs puissent mieux faire leur
proffit de ce présent livre, je leur veux bien mons-
trer en brief Futilité qu'ilz auront à en prendre. Car,
en ce faisant, je leur monstreray le but, auquel ilz
5 devront tendre et diriger leur intention, en le lisant.
Combien que lasaincte Escriture contienne une doc-
trine parfaicte,à laquelle on ne peut rien adjouster :
comme en icelle nostre Seigneur a voulu desployer
les Thresors infiniz de sa Sapience : toutesfois, une
10 personne qui n'y sera pas fort exercité[e] , a bon mes-
tier de quelque conduicte et addresse, pour scavoir ce
qu'elle y doibt cercher : à fin de ne Fesgarer point cà
et là, mais de tenir une certaine voye, pour attaindre
tousjours à la fin, oii le Sainct Esprit l'appelle. Pour-
15 tant l'office de ceux qui ont receu plus ample lumière
de Dieu que les autres, est, de subvenir aux simples
en cest endroict : et quasi leur prester la main, pour
les conduire et les ayder à trouver la somme de ce
que Dieu nous a voulu enseigner en sa parolle. Or
20 cela ne se peut mieux faire par Escritures, qu'en
traictant les matières principales et de conséquence,
lesquelles sont comprinses en la philosophie chres-
tienne. Car celuy qui en aura Tintelligence, sera pré-
paré à proffiter en l'eschole de Dieu en un jour, plus
25 qu'un autre en trois mois : d'autant qu'il scait à peu
près, où il doibt rapporter une chascune sentence : et
ha sa reigle pour compasser tout ce qui luy est
présenté. Voyant donc que c'estoit une chose tant
nécessaire, que d'ayder en ceste façon ceux qui
30 désirent d'estre instruictz en la doctrine de salut, je
me suis efforcé , selon la faculté que le Seigneur
lit
m'a donnée, de m'employer à ce faire : et à
cesle fin j'ay composé ce présent livre. Et pre-
mièrement l'ay mis en latin : à ce qu'il peust
5 servir à toutes gens d'estude, de quelque nation
qu'ilz feus[sjent : puis après désirant de commu-
niquer ce qui en povoit venir de fruict à nostre
Nation Françoise : l'ay aussi translaté en nostre
langue. Je n'ose pas en rendre trop grand tes-
lomoignage, et declairer combien la lecture en
pourra estre proffitable, de peur qu'il ne semble
que je prise trop mon ouvrage : toutesfois je puis
bien promettre cela, que ce pourra estre comme
une clef et ouverture, pour donner accès à tous
enfans de Dieu, à bien et droictement entendre
isl'Escriture saincte, Parquoy si d'ores en avant nostre
Seigneur me donne le moyen et opportunité de faire
quelques commentaires : je useray de la plus grande
brièveté qu'il me sera possible : pource qu'il ne
20 sera pas besoing de faire longues digressions, veu
que j'ay icy desduict, au long, quasi tous les articles
qui appartiennent à la Chrestienlé. Et puis qu'il
nous fault recongnoistre, toute vérité et saine doc-
trine procedder de Dieu : j'oseray hardiment pro-
23 tester, en simplicité, ce que je pense de cest œuvre,
le recongnoissant estre de Dieu, plus que mien :
comme, à la vérité, la louenge luy en doibt estre
rendue. C'est que j'exhorte tous ceux qui ont rêve
rence à la parolle du Seigneur, de le lire, etimpri-
30 mer diligemment en mémoire, s'ilz veulent, premiè-
rement avoir.une somme de la doctrine chrestienne :
puis une entrée à bien proffîter en la lecture tant
du vieil que du nouveau Testament. Quand ilz
auront cela faict : ilz congnoistront, par expérience,
IV
que je ne les ay point voulu abuser de paroUes.
Si quelqu'un ne peut comprendre tout le contenu,
il ne fault pas qu'il se désespère pourtant : mais
qu'il marche tousjours oultre. espérant qu'un
passage luy donnera plus familièrement expo-
sition de l'autre. Sur toutes choses, il fauldra
avoir en recommandation, de recourir à TE-
scriture, pour considérer les tesmoi-
gnages que j'en allègue.
A3
20
A TRESHAVLT, TRES-
P V I S S A N T, ET T R E S I L-
lustre Prince, françoys Roy de Fran-
ce Ircschrestien, son Prince et souve-
rain Seigneur,
Jean Calvin paix et salut en Dieu.
u commencement que je m'appli-
quay à escrire ce présent livre :
je ne pensoye rien moins, o
Tresnoble Roy, que d'escrire
choses qui fussent présentées à
ta Majesté. Seulement mon pro-
pos esloit, trenseigner quelques rudimens : par
lesquelz, ceux qui seroient touchez d'aucune bonne
affection de Dieu, feussentinstruictz à vraie pieté.
Et principalement vouloye, par ce mien labeur,
servir à noz François: desquelz j'en voyois plu-
sieurs avoir fain et soif de Jésus Christ : et bien peu,
qui en eussent receu droicte congnoissance. La-
quelle mienne délibération on pourra facilement
appercevoir du livre : en tant que l'ay accommodé
VI EPISTRE
à la plus simple forme d'enseigner , qu'il m'a
esté possible . Mais voyant que la fureur d'au-
cuns iniques s'estoit tant eslevée en ton Royaume,
quelle navoit laisTsJé lieu aucun à toute saine
5 doctrine: il ma semblé estre expédient, de faire
servir ce présent livre, tant d'instruction à ceux,
que premièrement j'avoye délibéré d'enseigner :
que aussi de confession de Foy envers toy : dont
tu congnoisses quelle est la doctrine, contre la-
to quelle, d'une telle rage, furieusement sont enflam-
bez ceux, qui par feu et par glaive troublent au-
jourd'huy ton Royaume. Car je n'auray nulle
honte de confesser, que j'ay icy comprins quasi
une somme de ceste mesme doctrine , laquelle
loilz estiment devoir estre punie par prison, ban-
nissement , proscription et feu : et laquelle ilz
crient devoir estre deschas[s]ée hors de terre et
de mer. Bien scay-je de quelz horribles raportz
ilz ont rempli tes aurailles et ton cœur : pour te
20 rendre nostre cause fort odieuse. Mais tu as à
reputer, selon ta clémence et mansuétude, qu'il ne
resteroit innocence aucune, n'en ditz n'en faictz,
s'il suffisoit d'accuser. Certainement, si quel-
qu'un, pour esmouvoir hayne à l'encontre de
25 ceste doctrine, de laquelle je me veulx efforcer
de te rendre raison, vient à arguer, qu'elle est
desja condamnée par un commun consentement
EPISTRE VII
de tous estatz, qu'elle a receu en jugement plu-
sieurs sentences contre elle : il ne dira autre
chose, sinon qu'en partie elle a esté violente
ment abbatue, par la puissance et conjuration
odes adversaires : en partie malitieusement oppri-
mée par leurs mensonges, tromperies, calumnies
et trahisons. C'est force et violence, que cruelles
sentences sont prononcées à l'encontre d'icelle,
devant qu'elle ayt esté deffendue. C'est fraude
10 et trahison, que sans cause elle est notée de
sédition et maléfice. A fin que nul ne pense, que
nous complaignons de ces choses à tort, toy
mesme nous peuz estre tesmoing, Tresexcel-
lenl Roy, par combien faulses calumnies elle est
15 tous les jours diffamée envers toy . C'est à
scavoir, qu'elle ne tend à autre fin, sinon que
tous règnes et polices soient ruinées, paix soit
troublée, les loix abolies, les seigneuries et pos-
sessions dissipées : brief, que toutes choses
20 soient renversées en confusion. Et neantmoins
encores tu n'en oys que la moindre portion .
Car entre le populaire sont semez contre icelle,
horribles raportz : lesquelz s'ilz estoient véri-
tables, à bon droit tout le monde la pourroit
25 juger, avec tous ses autheurs, digne de mille
feuz et mille gibbetz. Qui s'esmerveillera mainte-
nant, pourquoy elle est tellement haye de tout le
vin EPISTRE
monde, puis qu'on adjouste Foy à telles iniques
detractions? Voilà pourquoy tous les estatz, d'un
commun accord, conspirent en la damnation de
nous et de nostre doctrine. De ceste alFection
sravizet transportez ceux qui sont constituez pour
en juger, prononcent, pour sentence, la concep-
tion qu'ilz ont apportée de leur maison. Et pensent
tresbien s'estre acquittez de leur office, s'ilz ne
jugent personne à mort, sinon ceux qui sont,
10 ou par leur confession, ou par certain iesmoi-
gnage, convaincuz. Mais de quel crime ? De
ceste doctrine damnée, disent-ilz. Mais par quelle
loy est elle dannée ? Or c'estoit le poinct de la
deffence : non pas desadvouër icelle doctrine,
15 mais la soustenir pour vraye. Icy est osté le congé
d'ouvrir la bouche. Pourtant, je ne demande
point sans raison, Tresillustre Roy, que tu
vueilles prendre la congnoissance entière de ceste
cause : laquelle, jusques icy, a esté démenée
20 confusément, sans nul ordre de droit, et par un
ardeur impétueux, plustost que par une mo-
dération et gravité judiciaire. Et ne penses
point que je tasche à icy traicter ma deffence
particulière, pour impetrer retour au pays de
25 ma naissance : auquel, combien que je porte
telle affection d'humanité qu'il appartient :
toutesfois comme les choses sont maintenant
EPISTRE IX
disposées, je ne souffre pas grand dueil d'en
estre privé. Mais j'enlreprens la cause comme
de tous les fidèles, et mesme celle de Christ :
laquelle au jour d'huy est en telle manière du
5 tout descirée, et foullée en ton Royaume, quelle
semble advis désespérée. Ce qui est certes
advenu par la tyrannie d'aucuns Pharisiens,
plustost que de ton vouloir. Mais comment cela
se faict, il n'est point mestier de le dire icy.
loQuoy que ce soit elle est grandement affligée.
Caria puissance des adversaires de Dieu a obtenu
jusques là, que la vérité de Christ, combien
qu'elle ne soit perdue et dissipée, toutesfois soit
cachée et ensevelie comme ignominieuse : et oultre
15 que la povrette Eglise soit, ou consumée par
mortz cruelles, ou par bannissemens dechassée,
ou tellement par menasses et terreurs estonnée,
qu'elle n'ose mot sonner. Et encores il insistent
en telle rage qu'ilz ont acoustumé : pour abbatre
20 la paroy qu'ilz ont ja esbranlée, et parfaire la
ruyne qu'ilz ont encommencée. Cependant nul
ne s'advance, qui s'oppose en defences contre
telles furies. Et s'il y en a aucuns qui veulent estre
veuz tresfort favoriser à la vérité : ilz disent qu'on
25 doibt aucunement pardonnera l'imprudence et
ignorance des simples gens : car ilz parlent en
ceste manière : appellans la trescertaine vérité de
B
EPISTRE
Dieu imprudence et ignorance : et ceux que
nostre Seigneur a tant estimez, qu'il leur a com-
muniqué les secrelz de sa sapience céleste, gens
simples. Tellement tous ont honte de l'Evan-
ogile. Or à toy appartient, Tresgratieux Roy, de
ne destourner ne tes aureilles, ne ton couraige,
d'une si juste deffence : Principalement quand
il est question de si grand'chose. C'est à sca-
voir comment la gloire de Dieu sera maintenue
10 sur terre : comment sa vérité retiendra son
honneur et dignité : comment le Règne de Christ
demourera en son entier. 0 matière digne de
tes aureilles : digne de ta jurisdiction, digne de
ton Throne Royal ? Car ceste cogitation faict un
lôvray Roy: s'il se recongnoit estre vray ministre
de Dieu, au gouvernement de son Royaume. Et
au contraire celuy n'exerce point Règne, mais
briganderie : qui ne règne point à ceste fin, de ser-
vir à la gloire de Dieu. Or celuy est abusé, qui
20 attend longue Prospérité en un Règne, qui n'est
point gouverné du sceptre de Dieu : C'est à dire
sa saincte parolle : Car l'edict céleste ne peut Prov. 29.
mentir : Par lequel il est dénoncé, que le peuple
sera dissipé quand la Prophétie defauldra. Et ne
25 te doibt destourner [cje contemnement de nostre
abjection. Certes nous recongnoissons assez com-
bien nous sommes povres gens et de mespris :
EPISTRE XI
c'est à scavoir, devant Dieu misérables pecheus,
envers les hommes contemnez et dejectez, et
mesme si tu veux, Tordure et ballieure du monde :
ou si on peut encores nommer quelque chose
5 plus vile. Tellement qu'il ne nous reste rien
de quoy nous glorifier devant Dieu, sinon sa
seule miséricorde : par laquelle sans quelque 2. Co.
mérite nostre, nous sommes sauvez. Ne envers
les hommes sinon nostre infirmité, c'est à dire, Tite.
10 ce que tous estiment grande ignominie. Mais 2. Cor. et 12
toutesfois il fault que nostre doctrine consiste
eslevée et insuperable par dessus toute la gloire
et puissance du monde. Car elle n'est pas nostre :
mais de Dieu vivant et de son Christ : lequel
15 le Père a constitué Roy, pour dominer d'une Psal. 7.
mer à l'autre, et depuis les fleuves jusques aux
fins de la terre. Et tellement dominer, qu'en frap-
pant la terre de la seule verge de sa bouche, il
la casse toute , avec sa force et sa gloire comme lesa. l.
20 un pot de terre : ainsi que les Prophètes ont
predict de la magnificence de son Règne ,
qu'il abbatroit les Royaumes durs comme fer
et erain , et reluisans comme or et argent. Psal. 2.
Bien est vray que noz adversaires contredisent: D[a]ni. 2.
2oreprochans que faulsement nous prétendons la
paroUe de Dieu, de laquelle nous sommes, comme
ils disent, pervers corrupteurs. Mais toymesme
XII EPISTRE
selon ta prudence pourras juger, en lisant nostre
confession, combien ceste reproche est, non
seulement malitieuse calumnie, mais impudence
trop effrontée. Neantmoins il sera bon de dire
5 icy quelque chose, pour tapprester voye à icelle
lecture. Quand S. Paul a voulu que toute pro- Rom. 12.
phetie feust conforme à l'analogie et similitude
de la FoY ; il a mise une trescertaine reigle pour
esprouver toute interprétation de l'Escriture. Or
10 si nostre doctrine est examinée à ceste reigle de
Foy, nous avons la victoire en main. Car quelle
chose convient mieux à la Foy, que de nous
recongnoistre nudz de toute vertu, pour estre
vestuz de Dieu ? vuides de tout bien, pour estre
isempliz de luy ? serfz de péché, pour eslre deli-
ATez de luy ? aveugles, pour estre de luy illumi-
nez ? boyteux, pour estre de luy redressez?
débiles, pour estre de luy soustenuz ? de nous oster
toute matière de gloire, à fin que luy seul soit glo-
2orifi[é], et nous en luy? Quand ces choses et sem-
blables sont dictes par nous , noz adversaires
crient, que par ce moyen, seroit subvertye je ne
scay quelle aveuglée lumière de nature, pre23a-
rations sainctes, le Libéral arbitre, les œuvres
23 méritoires de salut éternel, avec leurs supereroga-
tions : pourtant qu'ilz ne peuvent souffrir que la
louenge et gloire entière de tout bien, de toute
EPISTRE XIII
vertu, justice et sapience, réside en Dieu. Mais
nous ne lisons point, ceux avoir esté reprins,
qui ayent trop puysé de la source d'eaues vives.
Au contraire sont asprement corrigez ceux Jerc. 9,
5 qui se sont fouyz des puis arides, et qui ne
peuvent tenir Teaue, En oultre, qu'est-il plus
propre à la Foy, que se prometre Dieu pour un
Père doux et bening, quand Christ est recon-
gneu pour frère et propiciateur ? que d'attendre Rom. 8.
10 tout bien et toute prospérité de Dieu, duquel la
dilection s'est tant estendue envers nous , qu'il Au dici lieu.
n'a point espargné son propre F'ilz qu'il ne l'ayt
livré pour nous ? Que de reposer en une cer-
taine attente de salut et vie éternelle : quand on
15 pense que Christ nous a esté donné du Père, au-
quel telz thresors sont cachez? A ces choses ilz ré-
pugnent, et disent qu'une telle certitude défiance,
n'est pas sans arrogance et presumption. Mais,
comme il ne fault rien présumer de nous , aussi 2. Co. 10.
2" nous devons présumer toutes choses de Dieu, et en Jeie. 9.
sommes pour autre raison, despouillez de toute
vaine gloire : sinon à fin de nous glorifier en Dieu. i. Thi. 4.
Que diray-je plus ? Considère, O Roy très ver-
tueux, toutes les parties de nostre cause : et nous
25 juge estre les plus pervers des pervers , si tu ne Jean 17.
trouve manifestement, que nous travaillons et
recevons injures et opprobres , pourtant que
XIV EPiSTftE
nous mettons nostre espérance en Dieu vivant :
pourtant que nous croyons ceste estre la vie éter-
nelle, congnoistre un seu-l vray Dieu, et celuy
qu'il a envoyé Jésus Christ. A cause de ceste
5 espérance aucuns de nous sont detenuz en pri-
sons, les autres fouëtez, les autres menez à faire
amandes honorables, les autres banniz, les autres
cruellement affligez , les autres eschappent par
fuitte : tous sommes en tribulation tenuz pour
lomaudictz et exécrables, injurieî^, et traictez inhu-
mainement. Contemple d'autrepart noz adver-
saires, je parle de Testât des Prestres : à l'aveu et
appétit desquelz tous les autres nous contrarient,
et regarde un petit avec moy, de quelle affection
loilz sont menez. Hz se permettent aysement, et à
eux et aux autres, d'ignorer, négliger etmespriser
la vraye Religion, qui nous est enseignée par
l'Escriture, et qui devoit estre résolue et arres-
tée entre tous : et pensent qu'il n'y a pas grand
2ointerest, quelle Foy chascun tient ou ne tient
pas de Dieu et de Christ : mais que par Foy,
comme ilz disent, implicite, il submette son sens
au jugement de l'Eglise. Et ne se soucient pas
beaucoup, s'il advient que la gloire de Dieu
assoit polluée par evidens blasphèmes: moyen-
nant que personne ne sonne mot contre l'auc-
torité de nostre mère saincte Eglise. Pourquoy
EPISTRE XV
combatent-ilz d'une telle rigueur et rudesse pour
la Messe ! le Purgatoire ! les pèlerinages ! et telz
fatras ? tellement qu'ilz nyent la vraye pieté
povoir consister ! si toutes ces choses ne sont
5creuës et tenues par Foy très explicite, combien
qu'ilz n'en prouvent rien par la parolle de Dieu?
Pourquoy? sinon pourtant que leur ventre leur
est pour Dieu, la cuisine pour religion ? lesquelz Phili. 3.
ostez, non seulement ilz ne pensent pas qu'ilz
10 puissent estre chrestiens : mais ne pensent plus
estre hommes . Car combien que les uns se
Iraictent délicatement en abondance, les autres
vivotent en rongeant des croustes : toulesfois ilz
vivent tous d'un pot : lequel, sans telles aydes,
15 non seulement se refroidiroit, mais geleroit du
tout. Pourtant, celuy d'eux qui se soucie le plus
de son ventre est le meilleur zélateur de leur F^oy.
Brief, ilz ont tous un mesme propoz ou de conser-
ver leur règne, ou leur ventre plain. Et n'y en a
20 pas un d'eux, qui monstre la moindre appa-
rance du monde de droit zèle. Et neantmoins
ilz ne cessent de calumnier nostre doctrine, et
la descrier et diffamer par tous moyens qu'il
leur est possible : pour la rendre, ou odieuse,
23 ou suspecte. Hz l'apellent Nouvelle, et forgée puis
n'a gueres. Hz reprochent qu'elle est doubteuse
et incertaine. Hz demandent, par quelz miracles
XVI EPIStRE
elle est confermée? Hz enquierent, s'il est expé-
dient, qu'elle surmonte le consentement de tant
de Pères Anciens, et si longue coustume ? Hz
insistent, que nous la confessions estre schisma-
g tique, puis qu'elle faict la guerre à l'Eglise:
ou que nous respondions que TEglise a esté
morte par tant longues années, ausquelles il n'en
estoit nulle mention. Finalement, ilz disent qu'il
n'est ja mestier de beaucoup d'argumens, veu
10 qu'on peut juger des fruictz, quelle elle est. C'est
à scavoir, qu'elle engendre une telle multitude
de sectes, tant de troubles et séditions, et telle
audace de mal faire. Certes il leur est bien facile
de prendre leur advantage contre une cause
15 déserte et délaissée : principalement quand il
fault persuader au populaire ignorant et cré-
dule. Mais si nous avions aussi bien lieu de par-
ler: j'estime que leur ardeur, dont ilz escument
si asprement contre nous, seroit un peu refroi-
2odye.
Premièrement, en ce qu'ilz l'appellent nou-
velle, ilz font moult grand injure à Dieu : du- Nouvelle
quel la sacrée paroUe ne meritoit point d'estre
notée de nouvelleté. Certes je ne doubte point,
25 que touchant d'eux, elle ne leur soit nouvelle, aus-
quelz et Christ mesmes, et son Evangile sont nou-
veaux. Mais celuy qui scait que ceste prédication
ÈPiSTRÈ XVlt
de Sainct Paul, est ancienne, c'est que Jésus
Christ est mort pour noz péchez et ressuscité Rom. 4.
pour noslre justification : il ne Irouverra rien de
nouveau entre nous . Ge qu'elle a esté long Incongneuë
5 temps cachée et incongneuë : le crime en est à
imputer à l'impiété des hommes. Maintenant
quand elle nous est rendue, par la bonté de
Dieu; pour le moins elle devoit estre receuë en
son auctorité ancienne.
10 D'une mesme source d'ignorance provient, incertaine.
ce qu'ilz la reputent doubteuse el incertaine.
Vrayement c'est ce que nostre Seigneur se com- lésa. i.
plainct par son Prophète. Que le bœuf a con-
gneu son possesseur, et l'asne l'estable de ses
'^maistres : et luy qu'il est mescongneu de son
peuple. Mais comment qu'ilz se moquent de l'in-
certitude d'icelle : s'ilz a voient à signer la leur
de leur propre sang, et aux despens de leur vie : Rom. 8.
on pourroit voir, combien ilz la prisent. Nostre
20 fiance est bien autre : laquelle ne craint ne les
terreurs de la mort, ne le Jugement tie Dieu.
En ce qu'ilz nous demandent miracles : ilz Miracles,
sont desraisonnables. Car nous ne forgeons point
quelque nouveau Evangile : mais nous rete-
25nons celiiy, pour la vérité duquel confirmer,
servent tous les miracles que jamais et Jésus
Christ, et ses Apostres ont faictz. On pourroit
G
XVin EPISTRE
dire qu'ilz ont cela particulier oultre nous, qu'ilz
peuvent confirmer leur doctrine par continuelz mi-
racles . qui se font jusques au jour d'huy. Mais
plustost ilz allèguent miracles, qui pourroient
3 esbranler et faire doubter un esprit, lequel
autrement seroit bien en repos : tant sont ou
frivoles, ou mensongiers. Et neantmoins quand
ilz seroient les plus prodigieux et admirables
qu'on scauroil penser : si ne doivent-ilz aucune-
10 ment valoir contre la vérité de Dieu : veu
qu'il appartient que le nom de Dieu soit tous-
jours et par tout sanctifié, soit par miracles,
soit par l'ordre naturel des choses. Ilz pourroient
icy avoir plus d'apparence, si l'Escriture ne
15 nous eust adverty, quel est l'usage légitime des
miracles. Car S. Marc dit, que ceux qu'ont faictz Marcdernier.
les Apostres, ont esté faictz pour confirmer leur
prédication. Pareillement Sainct Luc dit, que
noslre Seigneur en ce faisant, a voulu rendre
20 tesmoignage à la parolle de sa grâce. A quoy
respond ce que dit l'Apostre . Que le salut Actes u.
adnoncé par l'Evangile a esté confirmé en ce que
Dieu en a testifié par signes et vertuz miracu-
leuses. Quand nous oyons que ce doivent estre
25 seaux pour séeller l'Evangile I les convertirons-
nous à destruire son authorité ? Quand nous
oyons qu'ilz sont destinez à establir la vérité I
Et>[STRE XlX
les appliquerons-nous à fortifier le mensonge ?
Pourtant il faull que la doctrine, laquelle précède
les miracles, comme dit TEvangeliste, soit exa-
minée en premier lieu. Si elle est approuvée :
5 lors elle pourra bien prendre confirmation par
les miracles. Or c'est une bonne enseigne de
vraye doctrine, comme dit Christ, si elle ne tend Jean 5.
point en la gloire des hommes, mais de Dieu.
Puis que Christ afferme que telle doibt estre
lorespreuve : c'est mal prendre les miracles, que
de les tirer à autre fm, que pour illustrer le Nom
de Dieu. Et nous doibt aussi souvenir que Levit.13.
Satan ha ses miracles : Lesquelz combien qu'ilz 2.Thessalo.2.
soient illusions plustost que vrayes vertus : tou-
iotesfois ilz sont de telle sorte, qu'ilz pourroient
abuser les simples et rudes. Les Magiciens et
Enchanteurs ont esté tousjours renommez de
miracles. L'ydolatrie des Gentilz a esté nour-
rie par miracles merveilleux : lesquelz toutes-
20 fois ne sont suffîsans pour nous approuver
la superstition ne des Magiciens ne des ydo-
latres.
Les Donastistes estonnoient anciennement la
simplicité du populaire de ceste mesme machine,
25 qu'ilz faisoient plusieurs miracles. Nous fai-
sons donc maintenant une mesme response à
noz adversaires, que faisoit lors Sainct Augustin
^X EPISTRE
aux Donaiistes : que nostre Seigneur nous a Sur S. Jean,
renduz a^^sez advisez contre ces miracleurs :
prédisant que faux Prophètes viendroient qui Matt. 23.
par grandes merveilles et prodiges tireroient en
5 erreur mesmes les esleuz si faire se povoit. Et
Sainct Paul a adverty que le règne d'Antéchrist
seroit avec toute puissance, miracles, et prodiges 2.Thessal. 2.
mensongiers. Mais noz miracles, disent-ilz, ne se
font ne par ydoles, ne par enchanteurs, ne par
u'faulx Prophètes, mais par les Sainctz. Gomme
si nous n'entendions point que c'est la finesse de 2. Cor. H.
Satan, se transfigurer en Ange de lumière. Les
Egiptiens autresfois ont faict un Dieu de Jere-
mie, qui estoit ensepvely en leur région : luy
...sacrifians et faisans tous autres honneurs, q^'iiz «n^S. Hieros-
avoient accoustumé faire à leurs Dieux. N'abu- face.
soient-ilz pas du Sainct Prophète de Dieu à leur
ydolatrie? Et toutesfois, par telle vénération
de son sepulchre, ilz obtenoient qu'ilz estoient
io guéris de morsures de serpens. Que dirons-
nous ? sinon que ceste a tousjours esté et
sera, une vengeance de Dieu tresjuste ! d'en- 2.Thessal. 2.
voyer efficace d'illusion à ceux qui n'ont pomt
receu la dilection de vérité I pour les faire
25 croyre à mensonge ? Donc les miracles ne nous
deli'aillent point qui sont mesmes trescertains
et non subjectz à mocquerie. Au contraire
EPISTRE XXt
ceux, que noz adversaires prétendent pour eux,
sont pures illusions de Satan : quand ilz retirent
le peuple de Tlionneur de son Dieu à vanité. Deui. 13.
Oultre, injustement ilz nous objectent les an-
sciens Pères, j'entends les escrivains du premier
temps de l'Eglise, comme s'ilz les a voient favo- Autoriié des
risans à leur impieté : par l'auctorité desquelz si ^^^^'
la noyse estoit à desmeller entre nous, la meil-
leure partie de la victoire viendroit à noslre
10 part. Mais comme ainsi soit, (pu' plusieurs choses
ayent esté escriptes sagement et excellentement
de ces anciens Pères : d'autrepart, (pi'il leur soit
advenu, en d'aucuns endroictz, ce (|ui advient à
tous hommes, c'est de faillir et errer, ces bons
15 et obeissans fdz, selon la droicture qu'ilz ont, et
d'esprit, et de jugement, et de volunté, adorent
seulement leurs erreurs et faultes. Au contraire,
les choses qui ont esté bien escriptes d'eulx : ou
ilz ne les apperceoivent point, ou ilz les dissi-
20 mutent, ou ilz les pervertissent tellemeni, qu'il
semble qu'ilz n'ayent autre soing, sinon de recueil-
lir de la fiante parmy de l'or. Et après ilz nous
poursuivent par grand'clameur, comme contemp-
teurs et ennemis des Pères. Mais tant s'en fault
23 que nous les contemnions, que si c'estoit
nostre présent propoz : il me seroit facile d'ap-
prouver, par leurs tesmoignages la plus grand'
XXII EPISTRE
part de ce que nous disons au jourd'huy. Mais
nous lisons leurs escriptz avec tel jugement, que
nous avons tousjours devant les yeux ce que dit
Sainct Paul. C'est, que toutes choses sont i.Cor. 3.
snostres, pour nous servir, non pour dominer sur
nous : et que nous sommes tous à un seul Christ,
auquel il fault sans exception, obéir du tout.
Ceux qui n'observent point cest ordre, ne
peuvent rien avoir de certain en la Foy : veu que
10 ces sainctz personnages desquelz il est question,
ont ignoré beaucoup de choses : sont souvent
divers entre eux : et mesmes aucunesfois se con-
treviennent à eux-mesmes. Salomon, disent-ilz,
ne nous commande point sans cause, de n'oultre- Piov. 22.
15 passer les bornes qui ont esté mises de noz pères.
Mais il n'est pas question d'observer une mesme
reigle en la borneure des champs, et en l'obéis-
sance de la Foy : laquelle doibt tellement estre
ordonnée, qu'elle oublie son peuple et la maison
20 de son père. D'avantage puis qu'ilz ayment tant
les allégories : que ne prennent-ilz les Apostres
plustost pour leurs pères ! que nulz autres ! des-
quelz ilz ne soit licite arracher les bornes? Car
ainsi la interprété Sainct Hierome, duquel ilz ont
25 allégué les paroUes en leurs canons. Et encores
s'ilz veulent que les limites des Pères, qu'ilz en-
tendent, soient observez! pourquoy eux mesmes,
EPISTRE XXIll
quand il leur vient à plaisir, les ouUrepassent- Achatius en
.,., . .V. • . 1 1 l'IIvst. Iri-
ilz SI audatieusement ? Ceux estoient du nombre par.
des pères, desquelz l'un a dit, que Dieu ne beu- i tiësomcès!
voit ne mengeoit : et pourtant qu'il n'avoit que
5 faire ne de platz, ne de calices. L'aulre, que les
Sacremens des Chrestiens ne requièrent ne or ne
argent, et ne plaisent point à Dieu par or. Hz
oultrepassent donc ces limites, quand en leurs
cérémonies ilz se délectent tant d'or, d'argent,
10 marbre, yvoere, pierres pretieuses, et soyes : et
ne pensent point que Dieu soit droitement hon-
noré, sinon en afïluence et superfluité de ces
choses. Cestuy estoit un père, qui disoit, que
librement il osoit menger chair en quaresme, Sipirido au
15 quand les autres s'en abstenoient, d'autant qu'il iripai. c.io
estoit Ghrestien. Hz rompent donc les limites
quand ilz excommunient la personne, qui aura
en quaresme gousté de la chair. Ceux estoient
pères, desquelz l'un a dict, qu'un Moyne, qui ne
20 laboure point de ses mains, doibt estre réputé Voyés le c. l
comme un brigand. L'autre, qu'il n'est pas licite del'kist.tri-
aux Moynes de vivre du bien d'autruy : mesmes P^''-
quand ilz seroient assiduelz en contemplations, Sainct Au-
,, 1 Ti -1 gust.del'œu-
en oraisons et a 1 estude. Hz ont aussi oultrepasse vredesMoy-
25ceste borne, quand ilz ont mis des ventres oysifz de "^^'
Moynes, en des bordeaux, ce sont leurs cloistres,
pour estre saouliez de la substance d'autruy.
X XIV EPISTRE
Celny estoit Père, qui a dict que c'estoit une Ephiphanius,
horrible abomination de voir une Image ou de Lst^eaesté
Christ, ou de quelque Sainct aux temples des translatée
^ ^ * par S. Hier.
Chrestiens. Hz s'en fault b[e]aucoup qu'ilz ne
3 gardent ces limites : quand ilz ne laissent anglet
vuide de simulacre en tous leurs temples. Un
autre père a conseillé, que après avoir, par
sépulture, exercé office d'humanité envers les Ambro . au
morlz, on les laissast reposer. Hz rompent ces Abraham.
10 limites, quand ilz requièrent qu'on ayt perpé-
tuelle solicitude sur les trespassez, Cesluy estoit
au nombre des Pères, qui a nyé qu'au Sacrement
de la Gène, soubz le pain feust contenu le vray
corps de Christ, mais que seulement c'estoit un Lauth. de
j -1 1 • • 1 . ■ lœuvr.imp.
15 mystère de son corps, il parle amsi de mot a sur S. Math.
mot. Hz excédent donc la mesure, quand ilz V.?"\'jij.e i^^s
disent que le corps du Christ est là encloz locale- œuvres de
^ . Chrisosto.
ment. Ceux estoient pères, desquelz l'un ordonna, Gelasius au
que ceux feussent du tout rejettez de l'usaige de niusdecons.
20 la Cène : lesquelz, prenans l'une des espèces^ ^''^i^"- -•
s'abstenoient de la seconde. L'autre maintient qu'il
ne fault denier au peuple Chrestien le sang de
son Seigneur : pour la confession duquel il doibts. Cipr. eu
espandre son sang. Hz ont osté ces limites, quand nVre i "pe-
25 rigoureusement ilz ont commandé la mesme ^'^^"''•
chose, qufc l'un de ceux la punissoit par excom-
munication, l'autre par forte raison reprouvoit.
EPISTRE XXV
Cestuy esloit Père, qui afîirmoit estre une leme- s. Au<;ustin
rilé, de déterminer de quelque chose obscure en o^iace du
une partie ou en Taulre, sans clairs et evidens ^o"^<^'*"
l ' Testa. c.der-
lesmoignages de TEscriture. Hz ont oublyé ceste "i^îr.
5 borne : quand ilz ont conclud tant de constitu-
tions, canons, et déterminations magistrales, sans
quelque parolle de Dieu. Cestuy estoit Père, qui Apolonius en
h-. ' \,T • • L 1 • l'histoire Ec-
^ Oit a Montanus, entre autres hérésies, ^i^, ^ Y^ c.
qu'il avoit le premier imposé loix de jeusner. Hz ^ -J-
10 ont aussi oultrepassé ces limites, quand par
estroicte loy, ilz ont ordonné les jeunes. Cestuy
estoit Père, qui a soustenu le mariage ne devoir paph[nu]tius
estre deffendu aux Ministres de l'Eglise : et a T^ipar^^nb'
declairé la compaignie de femme légitime estre -• ^- **•
15 chasteté : et ceux estoient Pères, qui se sont
accordez à son auctorité. Hz sont eschappez
oultre de ceste borne, quand ilz ont ordonné
l'abstinence de mariage à leurs Prestres. Cestuy
estoit Père, qui a escript qu'on doibt escouter un s. Cyprianen
20 seul Christ : duquel il est dict, de par le Père o^^Hv des
Céleste : Escoustez-le. Et qu'il ne fault avoir ^P'-
esgart à ce qu'auront faict, ou dict, les autres
devant nous : mais seulement à ce qu'aura com-
mandé Christ, qui est le premier de tous. Hz
25 ne se sont point tenuz entre ces barres, et n'ont
permis que les autres s'y tinssent : quand
ilz ont constitué tant par dessus eux que par
D
XXVI EPISTRE
dessus les autres, autre maistre que Christ, Tous
les Pères d'un mesme couraige ont eu en abomi-
nation, et d'une mesme bouche ont détesté, que
la saincte paroUe de Dieu feust contaminée par
5subtilitez Sophistiques, et enveloppée de combatz
et contentions Philosophiques. Se gardent-ilz
dedens ses marches 1 quand ilz ne font autre
chose en toute leur vie ! que d'ensepvelir et
obscurcir la simplicité de l'Escriture par conten-
10 lions infinies! et questions plus que Sophis-
tiques? Tellement que si les Pères estoient main-
tenant suscitez, et oyoient un tel art de combatre,
qu'ilz appellent Théologie spéculative, ilz ne
penseroient rien moins, que telles disputations
13 estre de Dieu. Mais comment s'espandroit au
large nostre oraison ! si je voulois ennombrer !
combien hardiment ilz rejettent le joug des
Pères ! desquelz ilz veulent estre veuz obeissans
enfans ? Certes moys et années se passeroient
20 à reciter ce propoz. Et neantmoins ilz sont
d'une impudence si effrontée : qu'ilz nous osent
reprocher, que nous oultrepassons les bornes
anciennes.
En ce qu'ilz nous renvoient à la coustume,
25 ilz ne font rien. Car ce seroit une grande ini-
quité, si nous estions contreinctz de céder à la
coustume. Certes si les jugemens des hommes
suetudi.
EPISTRE XXVU
esloient droictz : la coustiime se devroit prendre
des bons. Mais il en est souventesfois advenu
autrement. Car ce qu'on voyt estre faict de plu-
sieurs, a obtenu droict de coustume. Mais la
5 vie des hommes n'a jamais esté si bien reiglée,
que les meilleures choses pleussent à h\ plus
grand'part. Donc des vices particuliers de plu-
sieurs, est provenu un erreur publiq, ou plus-
tost un commun consentement de vice : lequel
10 ces bons preudhommes veulent maintenant estre
pour Loy. Ceux qui ne sont du tout aveugles, VoyezauDec.
, . , dist. S.c.fin.
appercoyvent que quasi plusieurs mers de maux extiadocon-
sont desbordez sur la terre, et que tout le monde
est corrompu de plusieurs pestes mortelles, brief
i.ï que tout tombe en ruyne, tellement qu'il fault
ou du tout désespérer des choses humaines, ou
meltre ordre à telz maulx, et mesmes par
remèdes violens. Et neanlmoins on rejette le
remède non pour autre raison, sinon que nous
20 sommes desja de longue main acoustumez aux
calamitez. Mais encores que l'erreur publicq ayt
lieu en la police des hommes : Toutesfois au
Règne de Dieu, sa seule éternelle vérité doibt
estre escoutée : et observée ; contre laquelle ne
2.5vault aucune prescription ne de longues années,
ne de coustume ancienne, ne de quelconque con-
juration. En telle manière jadis lesaye instruisoit
XXVIII EPISTRE
les esleux de Dieu, de ne dire Conspiration : lesaieS.
par tout où le peuple disoit, Conspiration, c'est
à dire qu'ilz ne conspirassent ensemblemenl en
la conspiration du peuple, et qu'il/ ne crai-
sgnissent de leur crainte, ou s'estonnassent : mais
plustost qu'ilz sanctifiassent le Seigneur des
armées, et que luy seul feust leur crainte. Main-
tenant donc que noz adversaires nous objectent
tant d'exemples qu'ilz vouldront, et du temps
10 passé et du temps présent : si nous sanctifions
le Seigneur des armées, ilz ne nous estonneront
point fort. Car soit que plusieurs eages ayent
accordé à une mesme impieté : le Seigneur est
fort pour faire vengeance, jusques en la troi-
losiesme et quattriesme génération : soit que tout
le monde conspire en une mesme meschanceté,
ilz nous a enseignez par expérience, quelle est
la fin de ceux, qui pèchent avec la multitude ;
quand il a discipé tout le monde par le déluge. Gène 7.
20 réservé Xoé, avec sa petite famille: qui, par Hebi. il.
sa Foy de luy seul, condamna tout le monde.
En somme, mauvaise coustume n'est autre chose,
qu'une peste publique : en laquelle ceux qui
meurent entre la multitude, ne périssent pas
25 moins, que s'ilz perissoient seulz.
Ilz ne nous pressent pas si fort par leur argu-
ment qu'ilz nous contreignent de confesser, ou que
EPISTRE XXIX
TEglise ayt esté morte par quelques années :
ou que maintenant nous ayons combat contre
l'Eglise. Certes TEglise de Christ a vescu, et
vivra tant que Christ régnera à la dextre de son
5 Père : de la main duquel elle est soustenuë, de
la garde duquel elle est armée, de la vertu duquel
elle est fortifiée. Car sans dou])te il accomplira ce
qu'il a une fois promis. C'est qu'il assisteroit Math. 28.
aux siens jusques à la consummation du siècle.
10 Contre ceste Eglise nous n'entreprenons nulle
guerre. Car d'un consentement, avec tout le
peuple des fidèles, nous adorons et honorons un
Dieu, et un Christ le Seigneur, comme il a esté
tousjours adoré de ses serviteurs. Mais eux, ilz i.Cor. 8.
15 sont bien loing de la vérité, quand ilz ne recon-
gnoissent point d'Eglise, si elle ne se voit présen-
tement à l'œil : et la veulent enclorre en cer-
tains limites, ausquelz elle n'est nullement com-
prinse. En ces poinctz gist nostre controversie.
20 Premièrement qu'ilz requièrent tousjours une
forme d'Eglise visible et apparente. Secondement,
qu'ilz constituent icelle forme au siège de l'Eglise
Romaine, et en Testât des Prelatz. Nous, au con-
traire affirmons que l'Eglise peut consister, sans
23 apparence visible : et mesmes que son apparence
n'est à estimer de ceste magnificence extérieure,
laquelle follement ilz ont en admiration : mais
XXX EPISTRE
elle ha bien autre marque, c'est à scavoir la pure
prédication de la paroUe de Dieu, et Fadminis-
tration des Sacremens bien instituée. Hz ne sont
pas contens si l'Eglise ne se peut tousjours
smonstrer au doigt : mais combien de fois est-il
advenu ; qu'elle a esté tellement déformée entre
je peuple Judaïque ! qu'il n'y restoit nulle appa-
rence ? Quelle forme pensons-nous avoir reluy
en l'Eglise 1 lors que Helye se complaignoit 3. Ro. 19.
10 d'avoir esté réservé seul? Combien de fois,
depuis l'advenement de Christ ! a elle esté cachée
sans forme? Combien souvent a elle esté telle-
ment opprimée par guerres ! par séditions ! par
hérésies ! qu'elle ne se monstroit en nulle partie?
15 Si donc ces gens icy eussent vescu de ce temps
là ! eussent-ilz creu estre quelque Eglise? Mais il
feust dit à Hèlye, qu'il y avoit encores sept mille
hommes de reserve, qui n'avoient point fleschy
le genouil devant Baal. Et nous doibt estre aucu-
2onement incertain, que Jésus Christ n'ayt tous-
jours régné sur terre, depuis qu'il est monté au
ciel. Mais si entre telles désolations, les fidèles
eussent voulu avoir quelque certaine apparence :
n'eussent-ilz point perdu couraige? Et de faict
25 S. Hylaire reputoit cela estre un grand vice
en son temps, que estans aveuglez par la folle
révérence qu'ilz portoient à la dignité de leurs
EPISTRE XXXI
xentius.
Evesques, ne consideroient point quelles pestes
estoient aucunesfois cachées dessoubz telles
masques. Car il parle en caste sorte . Je vous Contre Au-
admonneste, gardez vous d'Antéchrist. Vous
o vous arrestez trop au murailles, cherchans l'Eglise
de Dieu en la beauté des édifices : pensans que
l'union des fidèles soit là contenue. Doubtons-
nous que Antéchrist doive là avoir son siège ?
Les montaignes, et bois, et lacqs, et prisons, et
lodesertz me sont plus seurs, et de meilleure fiance.
Car les Prophètes y estans cachez ont prophétisé.
Or qu'est-ce que le monde honore aujourd'huy
en ces Evesques cornuz ! sinon qu'il pense estre
les plus excellens ! ceux qui président au plus
13 grandes villes? Ostons donc une si folle estime.
Au contraire permettons cela au Seigneur, que
puis qu'il est seul congnoissant qui sont les siens :
que aussi aucunefois il puisse oster la congnois-
sance extérieure de son Eglise de la veuë des
20 hommes. Je confesse bien que c'est une hor-
rible vengeance de Dieu sur la terre. Mais si
rimpieté des hommes le mérite ainsi ! pour-
quoy nous efforceons-nous de contredire à la
Justice divine? En telle manière le Seigneur
23 quelques eages par cy devant, a puny l'ingrati-
tude des hommes. Car pourtant qu'ilz n'a voient
voulu obeyr à sa vérité, et avoient estainct
kxjcii ËMstRË
sa lumière : il a permis qu'en sens aveuglé, ilz
faussent abusez de lourdes mensonges, el enseve-
liz en profondes ténèbres : tellement qu'il n'ap-
paroissoit nulle forme de vraye Eglise. Cepen-
sdant neantmoins il a conservé les siens au
milieu de ces erreurs et ténèbres : comment qu'ilz
feussent espars et cachez. Et n'est pas de mer-
veilles : car il a aprins de les garder et en la con-
fusion de Babylone, et en la flambe de fornaise
10 ardente. En ce qu'ilz veulent la forme de l'Eglise
estre estimée par je ne scay quelle vaine pompe:
à fin de ne faire long propoz, je loucheray seu-
lement, en passant, combien cela seroit dange-
reux. Le Pape de Romme, disent-ilz, qui tient le
15 siège Apostolique, et les autres Evesques, repré-
sentent l'Eglise, et doivent estre reputez pour l'B]-
glise : parquoy ilz ne peuvent errer. Pour quelle
cause? Pource, respondent-ilz, qu'ilz sont pas-
teurs de l'Eglise, et consacrez à Dieu. Aaron, et les
20 autres conducteurs du peuple d'Israël, estoient
aussi pasteurs. Aaron et ses fîlz, estoient ja Exod. 32.
esleuz Prestres de Dieu : neanlmoins ilz fail-
lirent, quand ilz forgèrent le veau. A qui, selon
ceste raison , n'eussent représenté l'Eglise les
y quatre centz Prophètes qui decevoient Achab ?
Mais l'Eglise estoit de la partie de Michée seul
certes et contemptible , de la bouche duquel 3. Roys22.
I
i
EPISTRE XXXIII
loutesfois sortoit la vérité? Les Prophètes qui
s eslevoienl contre Jeremie, se vantans que la Jere. 18.
Loy ne pourroit défaillir aux Prestres ! ne le
Conseil aux sages ! ne la parolle aux Prophètes !
sue portoient-ilz pas le Nom de TEglise ? Une
niesme apparence ne reluysoit-elle point au Con-
cile ! qu'assemblèrent les Prestres ! Docteurs! etJfanH.
religieux ! pour prendre conseil de la mort de
Jésus Christ ? Voisent maintenant noz adver-
losaires, et s'arrestent en ces masques extérieures,
pour faire Christ, et tous les Prophètes de Dieu
vivant schimatiques : au contraire les ministres
de Satan, organes du Sainct Esprit. D'avantage
s'ilz parlent à bon escient, qu'ilz me respondent
iT en bonne foy : en quelle Région ou en quel
peuple ilz pensent que l'Eglise réside ! depuis que,
par sentence deffinitive du Concile de Basle !
Eugenius Pape de Rome feust déposé ! et Ame-
deus substitué en son lieu? S'ilz devoyent crever,
20 ilz ne pourront nyer, que le Concile, quant aux
solemnitez extérieures, ne feusl bon et lesfi-
lime : et ordonné, non seulement par un Pape,
mais par deux. Eugenius feust là condamné
pour schismatique, rebelle et contumax, avec
25 toute la compagnie des Cardinaux et Evesques.
qui avoient machiné avec luy, la dissolution du
Concile. Neantmoins estant depuis supporté par
E
XXXIV EPISTRE
la faveur des Princes, il demoura en la posses-
sion de sa Papauté : et celle élection d'Amedeus.
solemnellement parfaicte, par Fauthorité du sacré
et gênerai Concile, s'en alla en fumée, sinon que
sledict Amedeus feust appaisé par un chappeau
de Cardinal, comme un chien abbayant, par une
pièce de pain. De ces hérétiques rebelles et con-
tumax, sont yssuz tous les Papes, Cardinaux,
Evesques. Abbez et Prestres qui ont esté depuis.
10 II est nécessaire qu'ilz soyent icy surprins au
passage. Car auquel costé meltront-ilz le nom de
lEglise? Nyeront-ilz le Concile avoir esté gêne-
rai ! auquel il ne deffailloit rien ! quand à la
Majesté extérieure ? veu que solemnellement il
15 avoit esté dénoncé par double bule I dédié par le
Légat du Sainct Siège Apostolique ? lequel y
presidoit ! bien ordonné en toutes cérémonies 1
et persévéra jusques en la fin en une mesme
dignité ? Confesseront-ilz Eugenius schismati-
20 que! avec toute la bende 1 par laquelle ilz ont
esté consacrez? Il fault donc qu'ilz diffinissent
autrement la forme de TEg^ljise : ou tant
quilz sont, selon leur doctrine mesme, seront
reputez de nous , schismatiques : lesquelz ,
23 sciemment et de leurs vouloir, ont esté ordon-
nez, par hérétiques. Et s'il n'eust jamais esté
expérimenté par cy devant, que l'Eglise n'est
EPISTRE XXXV
point Ijée à pompes extérieures : ilz nous en
baillent assez certaine expérience : quand soubz
le tillre et couleur de l'Eglise, ilz se sont orgueil-
leusement faictz craindre au monde : combien
squ'ilz feussent pestes mortelles de TEglise. Je ne
parle point de leurs meurs, et actes exécrables :
desquelz toute leur vie est remplie : puis qu'ilz
se disent estre Pharisiens, lesquelz il faille escou-
ter, et non pas ensuyvre. Mais si tu veux depar-
10 tir un peu de ton loysir à lire noz enseignemens
tu congnoistras clairement, que leur doctrine
mesme, pour laquelle ilz veulent estre recon-
gneuz pour l'Eglise, est une cruelle Géhenne et
boucherie des âmes, un flambeau, une ruyne,
15 et une dissipation de l'Eglise.
Finalement c'est perversement faict à eux, de Sectes
reprocher, combien d'esmeuttes, troubles, et ^ ®,^,
. Troubles,
contentions a après soy attiré la prédication de
nostre doctrine : et quelz fruictz elle produit
20 maintenant en plusieurs. Car la faulte de ces
maux est iniquement rejettée sur icelle : qui
devoit estre imputée à la malice de Satan. C'est
quasi le propre de la paroUe de Dieu : que
jamais elle ne vient en avant, que Satan ne s'es-
23 veille et escarmouche. Ceste est une marque très-
certaine : pour la discerner des doctrines men-
songieres : lesquelles facilement se monstrent
XXXVI EPISTRE
en ce qu'elles sont receuës voluntairement de
tous, et viennent à gré à tout le monde. En telle
faceon par quelques années cy devant, quand
tout estoit ensepvely en ténèbres, ce Seigneur
5 du mo[nJde, se jouoit des hommes à son plaisir:
et comme un Sardanapalus, se reposoit et pre-
noit son passetemps en bonne paix. Car qu'eust-
il faict ! sinon jouer et plaisanter ! estant en pai-
sible et tranquile possession de son Règne ? Mais
10 depuis que la lumière, luysante d'en hault, a
aucunement dechassé ses ténèbres : despuis que
le fort, a assailly et troublé son Règne : incon-
tinent il a commencé à s'esveiller de la paresse,
et prendre les armes. Et premièrement a concité
15 la force des hommes, pour par icelle, opprimer
violentement la vérité commenceante à venir. Et
quand il n'a rien proffité par force : il s'est con-
vertyaux embusches. Adoncpar sesCatabaptistes
et telles manières de gens, il a esmeu plusieurs
20 sectes et diversité/ d'opinions : pour obscurcir
icelle vérité, et finalement l'esteindre. Et encores
maintenant il persévère à esbranler par toutes
les deux machines. Car par violence et mains
des hommes, il s'efforce d'enracher ceste vraye
23 semence : et d'autant qu'il est en luy, il tasche,
par sonyvroye, de la supplanter, à fin del'empes-
cher de croistre, et rendre son fruict. Mais tous ses
EPISFRE XXXVII
effors seront vains, si nous oyons les adverlisse-
mens du Seigneur : qui nous a long temps devant
deseouvers ses finesses, à fin que ne feussions
surprins : et nous a armez d'assez bonnes gardes
3 contre ses machines. Au reste combien grande
perversité est-ce ! de charger la parolle de Dieu
de la hayne ! ou des séditions ! qu'esmeuvent
à rencontre les folz et escervelez? ou des sectes!
que sèment les abuseurs? Toutesfois ce n'est pas
10 nouvel exemple. On demandoil à Helie, s'il
n'estoil pas celuy qui troubloil Israël . Christ 3. Ro. 18.
estoit estimé séditieux des Juifz . On accusoit Luc 23.
les Apostres comme s'ilz eussent esmeu le popu- Jean J9.
laire à sédition. Que font aujourd'huy autre Act. 24.
1» chose ceux qui nous imputent les troubles !
tumultes! et contentions! qui s'eslevent encontre
nous? Or Helie nous a enseigné, quelle response il
leur fauit rendre. C'est, que ce ne sommes nous
pas, qui semons les erreurs, ou esmouvons les
20 troubles : mais eux mesmes qui veulent résister à
la vertu de Dieu. Mais comme ceste seule raison
est suffisante pour rabatre leur témérité : aussi
d'autrepart, il est mestier d obvier à l'infirmi-
té d'aucuns, ausquelz souventesfois il advient
2o d'estre estonnez par telz scandales : et en leur
estonnement, de vaciller. Iceux donc, afin
qu'ilz n'ayent matière de se desconforter, et
XXXVllI EPISTRE
perdre couraige, doivent penser, que les mesmes
choses que nous voyons maintenant, sont adve-
nues aux Apostres de leur temps. Il y en avoit
lors des ignorans et inconstans : lesquelz comme
^Sainct Pierre recite, corrompoient, à leur perdi- 2. Pier. 3.
tion, ce qui estoit divinement escript par S. Paul.
Il y avoit des contempteurs de Dieu : lesquelz,
quand ilz oyoient que le péché avoit abondé, afin
que la grâce abondast d'avantage: incontinent ilz
10 objectoient : nous demourerons donc en péché, Rom. 6.
à fin que la grâce abonde. Quand ilz oyoient que Au dict lieu,
les fidèles n'estoyent point soubz la Loy : ilz
respondoient, nous pécherons, puis que nous ne
sommes point soubz la Loy, mais soubz la
15 grâce . Il y en avoit qui Tappelloient hortateur à Rom. 3.
mal. Des faux Prophètes s'ingeroient pour des- l- Cor. i.
truire les Eglises, qu'il avoit édifiées. Aucuns Galat.i.
preschoient l'Evangile par hayne et contention, Au'x'^Epist
non en sincérité, et mesmes malicieusement : ^*^1,.^"'- ^^
2. lim.
sopensans de le grever plus en sa prison. En aucuns Philip. 2.
lieux l'Evangile ne proffitoit pas beaucoup. Chas- 2. Pier. 2.
cun cerchoit sonproffit, et non point de servir à Au dict lieu.
Jésus Christ. Les autres se revoltoient, comme 2. Cor. il.
chiens retournans à leurs vomissemens , et Act.6. il. et
25 pourceaux à leurs fanges. Plusieurs tiroient la
liberté de l'Esprit, en licence charnelle. Plusieurs
faux frères s'insinuoient : desquelz provenoient
EPISTRE XXXIX
après grandz dangiers aux fidèles. Mesmes entre
les frères, divers debaiz sesuscitoient. Qu'avoient
icy à faire les Apostres ? leur estoit-il expédient
ou de dissimuler pour un temps ! ou du tout quic-
Uer et renoncer cest Evangile! lequel ilz voyoient
estre semence de tant de noyses ! matière de
tant de dangiers! occasion de tant de scandales?
Mais entre telles angoisses il leur souvenoit, que lesaie 8.
Christ est pierre d'offense et de scandale , mis Rom. 9.
10 en ruyne et résurrection de plusieurs : et pour Luc i.
un but auquel on contredira. De laquelle fiance
estans armez, ils passoient hardiment, et mar-
choient par tous dangiers de tumultes et scan-
dales. Nous avons à nous conforter d'une mesme
13 pensée : puis que Sainct Paul tesmoigne ce
estre perpétuel à l'Evangile, qu'il soit odeur
de mort, pour mort, à ceux qui périssent : 2. Cor. 2.
et odeur de vie pour vie, à ceux qui sont sau-
vez.
20 Mais je retourne à toy, O Roy Tresmagnanime.
Tu ne te doibs esmouvoir de ces faux rapportz :
par lesquelz nos adversaires s'esforcent de te
jetter en quelque crainte et terreur : c'est à sca-
voir, quece nouvel Evangile, ainsi Tappellent-itz,
25 ne cerche autre chose, qu'occasion de séditions,
et toute impunité de malfaire. Car Dieu n'est i. Cor. 14.
pomt Dieu de division, mais de paix : et le
XL EPISTRE
Filz de Dieu n'est point ministre de péché, Gala. 2.
qui est venu pour rompre et destruire les œuvres i. jean 3.
du Diable. Et quant à nous, nous sommes injus-
tement accusez de cupiditez : desquelles nous
5 ne donasmes jamais la moindre suspition du
monde. Il est bien vray semblable, que nous
machinons de renverser les Royaumes : desquelz
jamais n'a esté ouye une seule parolle séditieuse :
et desquelz la vie a tousjours esté cong^neuë
10 simple et paisible, quand nous vivions soubz toy :
et maintenant chassez de noz maisons, nous ne
laissons point de prier Dieu pour ta prospérité,
et celle de ton Règne. 1\ est bien à croyre, que
nous pourchassons un congé de tout mal faire,
13 sans estre reprins ; desquelz combien que les
meurs soient reprehensibles en beaucoup de
choses : toutesfois il n'y a rien digne de si grand
reproche. Et d'avantaige, gracesàDieu, nous n'a-
vons point si mal proffité en l'Evangile, que nostre
20 vie ne puisse estre à iceux détracteurs, exemple
de chasteté, libéralité, miséricorde, tempérance,
patience, modestie, et toutes autres vertus.
Certes la vérité tesmoigne évidemment pour
nous, que nous craignons et honorons Dieu
25 purement : quand par nostre vie et par nostre
mort, nous desirons son Nom estre sanctifié. Et
la bouche mesme des envieux a esté contreincte
EPISTRE XLI
de donner tesmoignage d'innocence et justice
civile à aucuns de nous : ausquelz ce seulement
esloit puny par mort, qui meritoit d'estre réputé
à louenge singulière. Or s'il y en a aucuns, qui,
5 soubz couleur de l'Evangile, esmeuvent tumultes,
ce qu'on n'a point veu jusques icy en ton
Royaume, ou qui veulent couvrir leur liberté
charnelle, du nom de la liberté, qui nous est
donnée par la grâce de Dieu, comme j'en con-
lognois plusieurs, il y a loix, et punitions ordon-
nées par les loix, pour les corriger asprement,
selon leurs delictz. Mais que ce pendant l'Evan-
gile de Dieu ne soit point blasphémé, pour les
maléfices des meschans. Tu as, O Roy tresmagni-
isfique, la venimeuse iniquité de noz calumniateurs
exposée par assez de parolles : à fin que tu n'en-
clines pas trop l'aureille, pour adjouster foy à
leurs rapportz. Et mesme je doubte que je n'aye
esté trop long : veu que ceste préface a quasi la
20 grandeur d'une deffense entière. Combien que par
icelle, je n'aye prétendu composer une defPense,
mais seulement adoulcir ton cœur, pour donner
audience à nostre cause. Lequel tien cœur, com-
bien qu'il soit à présent destourné et aliéné
25 de nous, j'adjouste mesme enflambé : toutes-
fois j'espère que nous pourrons regaigner sa
grâce, s'il te plaist une fois, hors d'indignation
XLIl EPISTRE
et courroux, lire ceste nostre confession, laquelle
nous voulons estre pour deffense envers la
Majesté. Mais si au contraire, les detractions des
malveuillans empeschent tellement tes aureilles,
5 que les accusez n'ajent aucun lieu de se def-
fendre. D'autrepart si ces impétueuses furies,
sans que tu y mettes ordre, exercent tousjoiirs
cruauté par prison, fouëlz, géhennes, coupeures,
i^reusleures : nous certes comme brebis devouëes
loà la boucherie, serons jettez en toute extrémité. Luc 21. t
Tellement neantmoins, qu'en nostre patience f
nous posséderons noz âmes, et attendrons la
main forte du Seigneur : laquelle, sans double,
se monstrera en saison, et apparoistra armée,
15 tant pour délivrer les povres de leur affliction,
que pour punir les contempteurs.
Le Seigneur Roy des Roys vueille establir ton
Throsne en justice, et ton Siège en équité, Très-
fort et Tresillustre Roy.
20 De Basle le vingt troysiesme D'aoust
mil cinq cent trente cinq.
SUMMAIRE ET BRIEF RECUEIL
DES PHINCIPAl'X POINCTZ ET CHAPITHES, CONTE-
NUZ EN CE PRESENT LlVllE
De la congnoissance de Dieu. Chap. 1 Fol. i
De la congnoissance de l'homme, et du
libéral Arbitre. Chap. 2 Fol. 30
Delà Loy. Chap. 3 Fol. 113
De la Foy, où le Symbole des Apostres
est expliqué. Chap. 4 Fol. 187
De Pénitence. Chap. 5 Fol. 300
De la Justification delà Foy, et des mé-
rites des œuvres. Chap. (\ Fol. 3.^1-
De la Similitude et différence du vieil et
nouveau Testament. (^hap. 7 Fol. 433
De la Predest. et prov. de Dieu. Chap. 8 Fol. 467
De Oraison, où loraison de noslre Sei-
gneur est expliquée. " Chap. 9 Fol. 519
Des Sacrements. Chap. 10 Fol. 565
DuBaptesme. Chap. 11 Fol. 582
De la Cène du Seigneur. Chap. 12 Fol. 625
Des cinq Cérémonies qu'on a fausement
appellées Sacremens. Chap. 13 Fol. 670
De la Liberté Chrest. Chap. 14 Fol. 707
Delà puissance Eccles. Chap. 15 Fol. 720
Du gouvernement Civil. Chap. 16 Fol. 753
De la vie chreslienne. Chap. 17 Fol. 784
I
INSTITUTION
D E LA
RELIGION CIIRESTIENNE
PAR JEAN CALVIN
DE LA CONGNOISSANCE DE DIEU
CHAPITRE I
Toute la somme de nostre saigesse, laquelle mérite d'estre
appellée vraie et certaine saigesse, est quasi comprinse en deux
parties, à scavoir la cong^noissance de Dieu, et de nousmesmes.
Dont la première doibt monstrer, non seulement qu'il est un seul
5 Dieu, lequel il fault que tous adorent et honorent : mais aussi
qu'iceluy est la fonteine de toute vérité, sapience, bonté, justice,
jugement, miséricorde, puissance, et saincteté : à fin que de luy
nous aprenions d'attendre et demander toutes ces choses, D'avan-
taige de le[sj recongnoistre avec louëng-e et action de grâce pro-
10 céder de luy. La seconde en nous monstrant nostre imbecilité,
misère, vanité, et vilanie, nous ameine à déjection, deffîance, et
haine de nousmesmes : en aprez enflambe en nous un désir de
chercher Dieu d'autant qu'en luy repose tout nostre bien : duquel
nous nous trouvons vuides et desnuez. Or il n'est pas facile de
15 discerner laquelle des deux précède et produit l'autre. Car veu
qu'il se trouve un monde de toute misère en l'homme : nous ne
nous pouvons pas droictement regarder, que nous ne soions touchez
et poinctz de la congnoissance de nostre malheurté, pour incon-
tinent eslever les yeulx à Dieu, et venir pour le moins en quelque
20 congnoissance de luy. Ainsi par le sentiment de nostre petitesse,
rudesse, vanité, mesmes aussi perversité et corruption, nous
recongnoissons que la vraie grandeur, sapience, vérité, justice,
et pureté gist en Dieu. Finalement nous sommes esmeuz par noz
misères à considérer les biens du Seigneur, et ne pouvons pas
25 affectueusement aspirer à luy, devant que nous aions commencé
de nous desplaire du tout en nousmesmes. Car qui est celuy des
hommes, qui ne reposast voluntiers en soy mesmes? qui est celuy
Iiistitulion. 1
2 DE LA CONGNOISSANCE
qui n'y repose pour le temps que se mescong-noissant il est
content de ses propres facultez ; et ne voit point sa calamité?
Parquoy un chascun de nous n'est seulement incité k cher-
cher Dieu par la congnoissance de soymesme : mais est con-
âduict et quasi mené par la main k le trouver. D'autre part il
est notoire, que l'homme ne vient jamais k la claire congnois-
sance de soy mesme, sinon que premièrement il ait contemplé
la face du Seig-neur, et aprez l'avoir considéré, descende k se
regarder. Car ceste arrogance est enracinée en nous tous : que
10 tousjours il nous semble advis que nous sommes justes, et
véritables, saiges et sainctz, sinon que par signes evidens nous
soyons convaincuz d'injustice, mensonge, folie, et immundicité.
Or nous n'en sommes point convaincuz si nous regardons seule-
ment k nous, et non au Seigneur pareillement : qui est la reigle
lounicque, k laquelle il fault que ce jugement soit conforme. Car
d'autant que nous sommes tous naturellement enclins k hypo-
crisie : une vaine apparence de justice nous contente amplement au
lieu de la vérité, et pource qu'il n'y a riens alentour de nous qui
ne soit gr;indement contaminé : ce qui est un peu moins souillé
20 est accepté de nous pour trespur, ce pendant que nous conte-
nons nostre esprit entre les limites de nostre humanité, qui
est toute pollue. Tout ainsi que l'œil lequel ne voit riens que
choses de couleui- noire, juge ce qui est d'une blancheur obscure,
ou bien encores k demy gris, estre le plus blanc du monde. Il se
23 pourra encores de plus prez comprendre, combien nous sommes
abusez en estimant les vertus de l'ame, par une similitude de la
veuë corporelle. Car si nous regardons en plain jour bas en terre :
ou si nous contemplons les choses qui sont alentour de nous : il
nous semble bien advis que nous avons la veuë tresferme et
30 claire. Mais quand nous venons k eslever les yeulx droict au soleil,
la force laquelle se monstroit en la terre, est confuse et esbloiiye
d'une si grande lumière : tellement que nous sommes contrainctz
de confesser, que la bonne veuë que nous avons k considérer les
choses terriennes est bien foible et debille pour regarder le soleil.
35 Ainsi en advient-il en reputant noz facultez spirituelles. Car tant
que nostre contemplation ne passe point la terre : estant tresbien
contensde nostre propre justice, saigesse et vertu, nous nous fia-
tons et aplaudissons, et peu s'en fault que nous ne nous estimions
demy Dieux, mais si nous dressons une fois nostre cogitation
DE DIEU. CFIAl'lTHE I. 3
au Seigneur, et recongnoissons quelle est la perfection de sa justice,
sapience, et vertu, à la mesure de laquelle il nous fault reigler : ce
qui nous plaisoit au para vaut soubz couleur de justice, apparoistra
estre souillé de tresg;rande iniquité : ce qui nous trompoit merveil-
àleusement soubz umbre de saigesse, se nionstrera estre extrême
folye ; ce qui avoit apparence de vertu, se declairera estre misérable
foiblesse, tant s'en fault que mesmes ce qu'il semble advis estre
tresparfaict en nous responde à la pureté qui est en Dieu. De là vient
Ihorreur et estounement duquel l'escriture souvent recite que les
10 fidèles ont esté frappez, toutesfois et quantes qu'ilz sentoient la
présence de Dieu. Pource ([uand nous voyons queceulx, qui en
labsence du Seigneur consistoient comme fermes et asseurez, sont
ainsi esbranlez et espouvantez, incontinent qu'iceluy leur manifeste
sa gloire, jusques à estre quasi engloutis de l'horreur de la mort,
i-> et presques rédigez à néant : de cela on peut appercevoir, que
riiomme n'est jamais assez touché de la congnoissance de son
infirmité, sinon après qu'il s'est comparé à la majesté de Dieu. Et
de cest espoventement nous avons plusieurs exemples, tant aux
Juges comme aux Propiietes : tellement que cestc sentence estoit Josué. 13.
20 fort vulgaire entre le peuple de Dieu : Nous mourrons, puis que Josué. 6.
le Seigneur nous est apparu. Parquoy aussi l'histoire de Job, Ezec. 1. et
pour abatre les hommes par la recongnoissance de leur folye, ^"y''^
foiblesse, et polution, déduit tousjours le principal argument de
la description de la sapience, puissance, et pureté de Dieu : et ce
25 non sans cause. Car nous voyons comment Abraham se recongnoist Gen. 18.
myeux estre terre et poudre : d'aultant plus qu'il est approché de
contempler la gloire du Seigneur . Comment Helye ne peut atendre / .Reg.l9.
sa présence à face descouverte, telle crainte il ha de le regarder. Et
que feroit l'homme, qui n'est que pourriture et vermine, quand Esaie. 6.
30 mesmes il fault que les Chérubins couvrent leur face, de grand'
crainte et révérence? Et c'est ce que dit le Prophète Esaie, que Esa. 2i.
le soleil aura honte, et que la lune sera confuse, quand le Seigneur
des armées régnera : c'est à dire quand, il aura eslevé et mis en
avant sa clarté : que tout ce qui est autrement le plus reluysant
33 au pris d'icelle, sera obscurcy. Neantmoins comment que ce soit
que la congnoissance de Dieu et la congnoissance de nous so vent en-
semble mutuellement conjoinctes : si est ce que l'ordre requiert,
4 DE LA CONGNOISSANCE
que nons metions celle de Dieu premièrement : puis après que
nous descendons à l'autre .
Nous metons hors de doubte, qu'il y a en l'esprit humain
d'une inclination naturelle quelque sentiment de divinité, afin
oque nul n'eust son refuge à prétendre ignorance. Le Seigneur a
inspiré à tous quelque intelligence de sa majesté : afin que tous
avans entendu qu'il est un Dieu, et qu'iceluy est leur créateur,
soient condemnez par leur propre tesmoignage, de ce qu'ilz ne
l'auront point honoré, et qu'ilz n'auront point dedyé leur vie à
10 faire sa volunté. Certes si on cherche quelque part entre les
hommes telle ignorance, que Dieu ne soit point congneu du tout :
il est vray semblable que l'exemple ne s'en debvroit trouver nulle
part plustost qu'entre les peuples les plus rudes, et les plus
eslongnez de civilité et humanité. Or comme les payens mesmes
15 confessent, il n'y a nation si barbare, nulle gent si sauvaige,
laquelle n'ait ceste impression au cœur, qu'il y a quelque Dieu.
Et ceux qui aux autres endroitz de la vie semblent ne dilFerer
gueresdes bestes brutes retiennent neantmoins tousjours quelque
semence de religion : tellement ceste conception universelle a
20 pris racine en tous espris, et est fichée en tous cœurs. Pourtant
veu que depuis le commencement du monde il n'y a eu ne région,
ne ville, ne mesmes maison aucune, laquelle se soit peu passer
de religion : en cela nous avons comme une confession tacite,
qu'il y a un sentiment de divinité engravé aux cœurs de tous
23 hommes, Mesmes l 'ydolatrie nous est tresample argument de
ceste pensée. Car nous scavons combien l'homme s'humilie
maulgré soy: et ha en honneur au pris de soy les aultres créa-
tures. Puis donc qu'il ayme myeulx honorer le boys et la pierre,
que destre en réputation de n'avoir point de Dieu : il appert
30 combien est véhémente ceste impression de la Majesté divine,
laquelle tellement ne se peut effacer de l'esprit humain, qu'il
est plus aisé de rompre son affection naturelle. Comme certes elle
est rompue, quand 1 homme de sa haultesse et presumption
s'abaisse voluntairement soubz les plus viles créatures de la
3o terre, à fin de porter révérence à Dieu. Parquoy c'est une
faulse oppinion, de dire avec aucuns, que la religion a esté
anciennement controuvée par l'astuce et finesse de peu de
gens : à fin de contenir par ce moyen le simple populaire
en modestie. Combien que iceulx qui incitoient les aultres,
DE DIEr. CIIAPITRK I. 5
à honorer Dieu n'eussent aucune imagination de la divinité. Je
confesse l)ien que certains hommes fins et cauteleux entre les
pavens ont forgé beaucoup de choses en la religion, pour donner
crainte au simple peuple et engendrer scrupules : pour l'avoir plus
sobeyssant et myeux à commandement : mais jamais ilz n'eussent
gaigné ce point, sinon que premièrement les espris des hommes
eussent esté resoluz en ceste ferme persuasion, qu'il y avoit lui
Dieu. De laquelle source procedoit toute l'inclination à croire ce
qui en estoit dict! Mesmes il ne fault estimer que ceulx qui soubz
iûuml)re de religion abusoient les plus simples feussent du tout
vuides et desnuez de ceste pensée, qu'il y eust un Dieu. Car
combien que anciennement il y en ait eu aucuns, et qu'aujour-
dhuy il y en ait plusieurs, qui nyent toute divinité : toutesfois
bongré malgré, si fault il qu'ilz sentent assiduellcment ce qu'ilz
15 désirent d'ignorer. Nous ne lisons point que personne jamais se
soit desbordé en un conlemnent de Dieu plus audacieux ou
outrageux que Caiiis Caligula empereur romain. Toutesfois nul
n'a jamais tremblé plus misérablement à chacune fois que
quelque signe de l'ire de Dieu apparoissoit. Ainsi malgré qu'il
20 en eust, il avoit horreur de Dieu : lequel de propoz délibéré il
s'esforcoit de contemner. Vous verrez communément en advenir
autant à ses semblables. Car d'autant que un chacun est plus
hardy contempteur de Dieu, aisément il s'estonne en ovant une
feuille tomber de l'arbre. Dont vient cela ; sinon que la majesté
25 de Dieu se venge d'eulx ; en espouventant d'autant plus leurs
consciences ; qu'ilz s'esforcent de la fouyr? Hz regardent bien
toutes les cachetés qu'il est possible pour se retirer de la pré-
sence de Dieu : et tachent d'effacer la mémoire d'icelle de leur
entendement, mais bongré malgré, ilz sont tenuz enserrez. Et
30 combien qu'il semble aucunesfois qu'elle s'esvanouysse pour
petit de temps : neantmoins elle revient tousjours, et les presse
de nouveau plus que par avant, tellement que s'ilz ont quelque
relâche de l'angoisse de leur conscience, elle ne diffère gueres
du dormir des yvrougnes ou freneticques: lesquelz mesmes en
35 dormant ne reposent point en tranquilité. D'autant qu'ilz sont
inquiétez assiduellcment de visions et songes espouventables.
Pourtant les plus iniques mesmes nous sont en exemple, que la
congnoissance de Dieu ha quelque vigueur universellement au
cœur de tous les hommes.
b DE LA CONGNOISSANCE
Nous avons desja touché que la congnoissance de Dieu doibt
avoir en nous ceste efficace, de planter en noz cœurs quelque
semence de religion. Premièrement pour nous instruire à une
crainte et révérence de Dieu : en aprez pour nous aprendre que
5 c'est enluy qu'il fault chercher tout bien, et à luy auquel en est
deuë la recongnoissance. Car comment quelque pensée de Dieu
peut elle entrer en ton entendement; qu'incontinent tu ne
repute, puisque tu es sa facture ; que par le droict de création
que tu es subject et submis à sa domination? que ta vie doibt
10 estre adonnée à son service ? que tout ce que tu propose ; que tu
ditz ; et faitz ; se doibt à luy ra porter? S'il est ainsi, il s'ensuit bien
que ta vie est mauvaisement corrumpue sinon qu'elle soit rei-
glée à l'obeyssance de sa saincte volunté. D'autre part tu ne
peuz pas clairement le comprendre, sinon que tu recongnoisse
15 qu'il est la fonteine et source de tout bien. De laquelle considé-
ration se produiroit un désir d'estre conjoinct avec luy et une
fiance de sa bonté, nestoit que l'entendement humain par sa
perversité est retiré de la droicte inquisition. Mais en l'un et en
l'autre endroit apparoist une merAeilleuse vanité et insipience de
20 nous tous. Car au lieu qu'en toute nostre vie debvroit estre
entretenue une obéissance perpétuelle envers luy, quasi en
toutes noz œvres: luy résistant nous le voulions appaiser seule-
ment de quelques petites satisfactions. Au lieu qu'il luy failloit
complaire en saincteté et inocence de cœur, nous forgeons je ne
25 scay quelz fatras et cérémonies de néant, espérant l'amuser.
D'avantage au lieu que nostre fiance debvroit estre du tout fichée
en luy, elle repose en nous ou aux autres créatures. Finalement
nous sommes envelopez de tant d'erreurs et meschantes opinions,
que ceste estincelle de vérité, laquelle nous escleroit pour nous
30 conduire à contempler la majesté de Dieu, est couverte et estaincte
tellement, qu'elle ne nous maine point jusques à droicte congnois-
sance, seulement en demeure la première semence, qui ne peut
estre jamais du tout arrachée : c'est àscavoirde congnoistre qu'il
3^ a quelque divinité. Et encores icelle semence est tellement cor-
35rumpue, qu'elle ne produict que tresmauvais fruictz. Et en ceste
endroict on pèche principalement en deux sortes. La première
est, que les paovres hommes, pour chercher la vérité de Dieu,
n'outrepassent point leur nature, comme il estoit convenable,
mais mesurent sa g^randeur selon la rudesse de leurs sens et ne
Di'. Dii:r. CHAPITRE i. i
le comprenent point tel qu'il se donne à congnoistre; mais l'imagi-
nent comme ilz l'ont forgé par leur outrecuydance. En ce faisant, ilz
ouvrent un goufre, lequel ouvert, il est nécessaire, de quelque costé
qu'ilz se tournent, qu'ilz tresbuchent toujours en damnation. Car
3 quekjue chose qu'ilz s'elVorcenl à faire ])uis aprez pour servir à Dieu,
ilz ne luy peuvent mettre en compte, d'avitant (juilz ne l'honorent
point : mais en son lieu l'imagination de leur ccrur. Par ainsi la
vaine couverture, que beaucoup ont accoustumé de prétendre, pour
excuser leur superstition, est abatue. Car ilz pensent que toute
10 affection de religion, quelle qu'elle soit, mesme quand elle sera
desordonnée, est suffisante, mais ilz ne considèrent point que la
vraye religion doibt estre conformée au plaisir de Dieu : comme
Il sa reigle perpétuelle. D'avantage que Dieu demeure tousjours
semblable à soy : et n'est point un phantosme cpii se transforme
15 au vouloir d'un chascun. Et de vray, on peut voir par combien
vaines illusions la superstition se joue de Dieu : quand elle tache
de luy complaire. Car en prenant quasi seulement les choses,
desquelles il tcstifîe qu^il ne se soucye nullement, elle néglige
celles qu'il a ordonnées, et declaire luy estre acceptables, ou
20 mesmes elle les rejecte ouvertement. Pourtant tous ceux qui
dressent religions inventées en leur esprit pour honorer Dieu
n'adorent que leurs propres resveries, veu que jamais ilz n'ose-
roient ainsi se jouera Dieu sinon (jue premièrement ilz l'eussent
forgé semblable à leurs fantasies. Parquoy l'Apostre enseigne Gala. 4.
2ï qu'ime telle opinion qu'on ha de Dieu incertaine et desreiglée,
est ignorance de Dieu. Du temps dit-il, que vous ne congnoissiez
point Dieu, vous serviez à ceux qui de nature ne sont point
Dieux, En im autre passage il dict que les Ephesiens ont esté
sans Dieu, du temps qu'ilz estoient estrangez de la droicte con- Ephé. 2.
30gnoissance d'iceluy, et n'y a point grand différence quant à ce
point, si on imagine un Dieu ou plusieurs ; veu que tousjours on
délaisse et abandonne le vray Dieu, lequel laissé il ne reste plus
que excecrable ydolatrie. Parquoy nous avons à conclurre
avec Lactance, qu'il n'y a nulle religion licite, laquelle ne
3a soit conjoincte avec la vérité, La seconde faulte que com-
mectent les hommes est qu'ilz sont tirez par force et maugré
leur volunté à avoir considération de Dieu : et ne sont
point touchez d'une crainte qui procède de la révérence de
sa Majesté : mais seulement pour paour de son jugement.
8 DE LA CONGNOISSANCE
duquel ilz ont horreur, entant qu'ilz ne le peuvent fouyr. Telle-
ment neantmoius, qu'ilz l'ont en abomination. Car ce que dist un
poëte payen convient proprement à l'impiété, et à icelle seule c'est
à scavoir que la crainte a premièrement introduict la révérence de
5 Dieu au monde. Certes tous ceulx qui ont le cœur eslongné de la
justice de Dieu souhait croient vouluntiers que son Throsne, lequel
ilz cong-noissent estre dressé pour punir toutes transgressions à
rencontre d'icelle, feust renversé. Par lequel désir ilz font la
guerre à Dieu : lequel ne peut consister sans son jugrtnent. Mais
10 en congnoissant sa puissance estre sur eulx inévitable, d'autant
qu'ilz ne la peuvent ny chasser, ny éviter, ilz la craignent. Parquoy
à fin qu'ilz ne semblent point estre du tout contempteurs de sa
majesté, ilz s'acquictent d'une manière de religion telle quelle.
Toutesfois ce pendant ilz ne laissent pas de se contaminer en
13 toutes sortes de vices, et assembler péchez sur péchez, jusques à
ce qu'ils ayent violé entièrement la saincte loy du Seigneur et
dissipé toute sa justice, ou bien pour le moins ilz ne sont pas
tellement reprimez par ceste crainte simulée, qu'ilz ne se reposent
seulemen en leur péché, se flatant et aymant myeulx lascher la
20 bride à l'intempérance de lem* chair, que de la restraindre au gou-
vernement du sainct Esprit. Mais pource que tout cela n'est que
une umbre vaine de religion, voire à grand peine digne d'estre
nommée umbre, il nous fault briefvement declairer quelle est la
congnoissance spéciale de Dieu, laquelle est seulement inspirée
25 au cœur des fidèles : quelle est aussi l'affection de pieté qui s'en
ensuit.
Premièrement le cœur fidèle ne se forge point im Dieu tel
quel à la volée : mais il regarde celuy qui est seul et vray Dieu, et
ne luy attribue point tout ce que bon luy semble : mais est con-
30 tent de l'avoir tel qu'il se manifeste, se gardant tousjours diligem-
ment de ne sortir point hors de sa volunté par audacieuse
oultrecuydance. L'ayant ainsi congneu, pource qu'il entend
que par sa providence il modère toutes choses, il se confie de
l'avoir pour tuteur et protecteur : et pourtant se commet en
35 sa garde, d'autant qu'il le congnoist estre autheur de tout
bien : s'il est pressé de quelque nécessité, incontinent il se
retire à son secoin^s : et ayant invocqué son nom attent ayde
de luy, d autant qu il est persuadé de sa bonté et bénignité,
il se repose seurement en sa clémence : et ne doubte point
DI-: DIEU. r.HAPiTRi-: I. y
d'avoir tousjours à toutes ses misères remède appareillé à la
miséricorde d'iceluy. Entant qu'il le recongnoist Seigneur et
père, il le repute estre digne, du(juel au commandement il
s'adonne, duquel il révère la majesté, duquel il tache d'avan-
scerla gloire, duquel il suive la volunté. En tant qu'il le voit
estre juste juge, lequel fera uni' fois rude vengeance sur tous
transgresseurs. il se propose tousjours son Throsne devant
les veulx, à lin destre retiré de tout ce qui provoque son ire.
Neantmoins il nest pas tellement estonné en pensant à son
10 jugement, (ju'il s'en veuille substraire : mesmes quand il
y auroit nioyen d'évader. Mais aucontraire ne le recoyt pas
moins voluntiers pour correctein- des meschans que pour rému-
nérateur des bons, veu ({uil con<^n()ist n'appartenir moins à sa
gloire, qu'il face punition des mauvais it iniques, (pie de retri-
15 buer le loier delà vie cteinelle aux iideles. D'avantage il n'est
pas reprimé parla seule ciaintedesa vengeance pour ne point
pécher : mais d'autant qu'il l'arme et révère comme son père, et
le craint comme son Seigneur, mesmes qunnd il n'y auroit nul
enfer, si ha-il horreur de l'oHencer. Voila que c'est de pure et
2ovraye religion, c est à scavoir la foy conjoincte avec crainte de
Dieu non faincte, telliment que .«-oub/ le nom de crainte soit
conqjrinse tant la dilection de sa justice qu'il a ordonnée par sa
loy, que la révérence qui est voluntairement et de courage
entier portée à sa majesté. Or donc si nous sommes tous naiz à
25 ceste condition de congnoistre Dieu : et la congnoissance d'ice-
luy est vaine et infructueuse, sinon qu'elle vienne jusques à ce
point là : il est manifeste que tous ceulx qui n'adressent point à
ce but toutes les cogitations et actions de leur vie, déclinent et
delTaillent de l'ordre de leur création. Ce qui n'a mesmes esté
30 incongneu des philosophes, car autre chose n'a entendu dire
Plato, quand par plusieurs fois il a enseigné que le souverain
bien de l'ame est la similitude de Dieu : quand estant parvenue
à la vraye contemplation d'iceluy, est en luy du tout transfor-
mée. Parquoy Grylus aussi argue tressaigement en Plutarche, InPhsedo-
35 quand il tient que si la religion estoit ostée de la vie des hommes, "^/^joi ^'
non seulement ilz n'auroient nulle excellence par dessus les
bestes brutes : mais en plusieurs manières seroient beaucoup plus
misérables. A scavoir d'autant que estans subjectz à tant d'espèces
de maulx mainent une vie laborieuse et sans repoz. Pource,
•JO DE LA CONGNOISSANCE
qu'il n'y a que la seule cougnoissance de Dieu qui les rende
supérieurs : par laquelle ilz peuvent aspirer à Timmorta-
lité.
Veu que Dieu a voullu que la fin principale de la vie bien heu-
5 reuse feust située en la cougnoissance de son nom à lin qu il ne
semble point advis qu'il veuile forclore à aucuns l'entrée à féli-
cité, il se manifeste à tous clairement. Car comme ainsi soit que
de nature il soit incompréhensible et caché à rinlelligence
humaine : il -a. engravé en un chacun de ses œuvres certains
10 signes de sa majesté : par lesquelz il se donne à congnoistre à
nous selon nostre petite capacité. Je ditz signes si notoires et
evidens, que toute excuse d'ignorance est ostée aux plus
aveugles et aux plus rudes du monde. Parquoy combien que son
essence nous soit oculte : neantmoins ses vertus, lesquelles
13 apparoissent assiduellement devant nos yeulx, le demonstrent
tel, qu'il nous est expédient de le congnoistre pour nostre salut.
Premièrement de quelque costé qu'on tourne les yeulx, il n'y a
nulle si petite portion du monde, en laquelle ne reluyse pour le
moins quelque estincelle de sa gloire. Singulièrement on ne peut
20 d'un regard contempler ce beau chefd'œuvre du monde univer-
sel en sa longeur et largeur, qu'on ne soit, par manière de dire,
tout esblouy d'abondance infinie de lumière. Pourtant l'Apostre
aux Hebrieux a proprement appelle les siècles miroirs des Heh.i [i],
choses invisibles : pource que la composition du monde nous est
23 au lieu de miroir pour contempler Dieu : qui autrement est invi-
sible. Pour laquelle raison aussi le Prophète attribue aux créa- Psal. 19.
tures célestes un langaige eongneu à toutes nations ; veu qu'en
icelles il y a un tesmoignage tant évident de la divinité, qu'il ne
peut estre incongneu mesmes aux plus rudes et barbares. Ce que
30 Sainct Paul exposant plus ouvertement dist, que ce qu'il estoit
besoing de congnoistre de Dieu a esté manifesté, puis que les Rowa. I.
choses invisibles de luy. jusques à son éternelle vertu et divi-
nité, apparoissent quand elles sont considérées par la création
du monde. 11 y a infiniz argumens,tant au ciel qu'en la terre, qui
35 testifient sa merveilleuse sapience : non pas tant seulement
ceulx qui sont difficiles à comprendre, et à l'intelligence des-
quel z on ne peut parvenir que par le moyen d'Astrologie, Méde-
cine, et Phisicque : mais qui sont evidens au regard des plus
simples idiotz : tellement que les yeulx ne se peuvent ouvrir,
DE DIEU. CHAPITRE I. 1 !
qu'ilz ne soient conlrainct/ d'en eslre tesmoings. Bien est vray
que ceulx qui sont instruict/ es disciplines libérales ou qui en
ont gousté quelque chose, ont un ayde spécial pour entrer plus
profondément à contempler les secretz de la sapicnce divine :
5toutesfois nul n'est empesché par l'ignorance d'icelles, qu'il ne
vove beaucoup d'artifice aux œuvres de Dieu, dont il soit esmeu
en admiration de l'ouvrier. Comme par manière d'exemple, il
fault avoir art et industrie singulière à chercher les movemens des
astres, ordonner les circules, mesurer la distance, noter la pro-
loprieté d'un chascun (par laquelle considération, comme la pro-
vidence de Dieu se monstre plus clairement, aussi il est conve-
nable que le cœur soit eslevé plus haultement à recongnoistre sa
gloire) neantmoins veu que ceulx qui n'ont autre ayde que des
yeulx ne peuvent ignorer l'excellence de la saigesse divine,
15 laquelle se donne facilement à congnoistre en la variété des
cstoilles tant infinie et bien ordonnée : il est certain qu'il n'y a
nul auquel Dieu ne declaire assez suffisamment sa sapience.
Pareillement d'apparcevoir en la composition du corps humain
une telle conjonction, proportion, beaulté, et usaige que
20 Galyen y demonstre, n'est pas de petite subtilité. ïoutesfois
si ne laisse point le corps humain d'avoir à la veuë de tout
le monde une composition tant ingénieuse, que pour icelle
l'ouvrier mérite d'estre jiigé admirable. D'avantaige la puis-
sance de Dieu par combien d'exemples nous atire-elle à la con-
25 sideration de soy ? car autrement ne se peut il faire : si ce
n'est que nous ignorions quelle vertu c'est de soustenir ceste
grandeur infinie du ciel et de la terre par sa seule parole :
de faire à son commandement maintenant trembler le ciel de
tonnoirres, bruller ce que bon luy semj^le de fouldre, enflamber
30 l'air d'esclairs, estouner le monde par diverses espèces de
tempestes : incontinent que bon luy send)le, luy rendre .sa
sérénité toute paisible, soustenir tellement la mer, pendue en
l'air, qu'elle ne puisse faire nuysance à la terre, combien
que par sa haulteur elle la menace de la destruire, et mainte-
35 nant l'esmouvoir horriblement par grande impétuosité des
vens, incontinent appaiser ses vagues, et la rendre tranquille.
Mesmes icelle puissance nous doibt conduire à reputer son
éternité, veu qu'il fault que celuy soit éternel, et ait son com-
mencement de soy mesmes, dont toutes choses prengnent
12 DE LA CONGNOISSANCE
leur origine. Oultreplus si on cherche la cause, par laquelle
il a esté induict tant à créer une fois toutes choses, que
à les conserver aprez leur création : on trouverra qu'il n'a
autre cause que sa bonté, laquelle quand elle seroit seule,
5 nous debvroit amplement suftire à nous atraire à son amour.
\eu qu'il n y a nulle créature, comme le Prophète enseigne,
sur laquelle ne soit espandue sa miséricorde.
Semblablement en la seconde espèce de ses oeuvres, lesquelles
adviennent oultre le cours ordinaire de nature, apparoissént
10 signes aussi manifestes de ses vertus. Car quand au gouverne-
ment du genre humain, il modère tellement sa providence, que
combien qu'il soit envers tous generallement bening et libéral en
toutes manières : neantmoins il demonstre journellement aux
bons sa justice, en les gouvernant : aux maulvais son jugement.
15 Car les vengeances qu'il fait des péchez ne sont point cachées
n'incongneiies : comme il se demonstre sans double aucune,
estre tuteur et jirotecteur de l'innocence, en faisant prospérer
la vie des bons par sa bénédiction, secourant à leurs nécessitez,
soulageant leurs douleurs, remédiant à leurs adversitez, pro-
se curant entout et par tout leur salut. Et ce qu'il souffre les
meschans et malfaicteurs pour quelque temps impunis : au-
contraire endure que les bons et innocens soient grevez
de plusieurs adversitez : et mesmes oppressez par l'iniquité
des maulvais : en cela la reigle perpétuelle de sa justice ne
25 doibt estre obscurcie. Mais au contraire nous debvons avoir
une toute aultre pensée. C est que quand manifestement son
ire se declaire sus quelque péché, il fault recongnoistre que
tous péchez luy sont détestables. Et d'autant qu'il en laisse
beaucoup impunis, il fault atendre un aultre jugement, au-
30 quel la punition en est dilTerée. Semblablement quelle ma-
tière nous donne-il de considérer sa miséricorde ; quand il
ne laisse point de poursuyvre sa clémence sur les misérables
pécheurs ; les réduisent à soy par sa clémence plus que
paternelle ; jusques à ce que leur obstination soit rompue
35 par ses bénéfices? Sa puissance aussi et sa stpience ne sont
nomplus cachées. Dont la prtmiere se monstre clairement,
quand souventesfois la cruaulté des meschans, laquelle au
jugement humain estoit inexpugnable, est en un moment brisée et
anéantie, leur arrogance est subjuguée, toutes leurs munitions
DE DIEU. r.HAlMTRi: I. 13
deslruictes, leurs armées cassées et mises en pièces, leurs
forces dissipées, leurs entreprises renversées, et de leur propre
impétuosité confuses, leur audace qui s'eslevoit jusques sus
les cieulx, abatue jusques au centre de la terre. De rechef les
5 comtemptibles sonteslevez de la pouldre, les paovres suscitez de
la lionte, les oppressez et afni<^ez retirez d'extrême angoisse,
cevdx qui esloient désespérez remis en bonne espérance, ceulx
quisont sans armes fen| petit nombre, contre plusieurs armez, les
foibles contre les fortz. La seconde apparoist en ce qu'elle dis-
10 pence toute choses selon son oportunité, en ce qu'elle confond
toute saigesse mondaine, en ce qu'elle surprent les saig-es en
leurs linesses, et modère par singulière raison tout le gouverne-
ment du monde. Nous voyons qu'il n'est ja mestier de faire
longue ne curieuse démonstration, pour mettre en avant les
15 tesmoignages, qui servent à esclarcir et approuver la majesté
de Dieu. Car de si peu que nous en avons touché il appert,
qu'ilz sont tant notoires : et tellement de toutes pars qu'on se
puisse tourner viennent au devant : qu'il est aisé de les mer-
quer à l'œil et à toucher du doigt. Et fault icy observer, que
20 nous sommes convvez à une conf^noissance de Dieu, (lui ne
gist point seulement en vaine spéculation : mais laquelle est
utile et fructueuse, si elle est une fois comprise de nous. Car
Dieu nous est manifesté par ses oeuvres : desquelles quand
nous sentons la force en nous, et en recepvons le proffit,
25 il est nécessaire que nous soyons touchez plus au vif d'une
telle congnoissance, que si nous imaginions Dieu en l'air,
sans en avoir en nous le sentiment par expérience. Dont
nous voyons que ceste est la droicte voye pour chercher
DieUj et le meilleur ordre qu'on y puisse tenir : que de le
30 contempler en ses œuvres : par lesquelles il se rend prochain et
familier à nous, et mesmes se communicque. Nompas d'atenter
par audacieuse curiosité de vouUoir espelucher la grandeur de
son essence : laquelle nous debvons plustost adorer que trop
curieusement enquérir. A quoy regardoit l'Apostre, quand il
sôdisoit qu'il ne le fault pas chercher loing : veu qu'il habite
en chascun de nous par sa vertu. Pour ceste cause David,
ayant confessé sa haultesse inénarrable, après qu'il vient à
commémorer ses œuvres, il proteste de le declairer. Pour-
tant nous aussi metons peine à ceste inquisition de Dieu :
14 DE LA CONGNOISSANCE
laquelle tient tellement nostre esprit en admiration, qu'elle le
touche semblablement, et luy en donne vray sentiment. Or une
telle congnoissance non seulement nous doibt esmouvoir à l'hon-
neur et service de Dieu : mais aussi inciter et poindre à Fesperance
5 de la vie future. Car puis que nous apercevons que les enseignes
que nostre Seigneur baille, tant de sa clémence que de sa vérité,
ne sont que à demy et en partie : nous avons à recongnoistre
que Te le sont comme monstres de ce qui sera une fois plainne-
ment révélé, au jour qui est ordonné pour ce faire. D'autre part
10 puis que nous voious les bons et innocens estre grevez d'afflic-
tions, vexez d'injures, oppressez de calumnies, mal traictez par
contumelies et opprobres : aucontraire les meschans florir, pros-
pérer, estre en repoz et en honneur sans aucune fascherie : nous
avons à penser qu'il y aura une autre vie en laquelle l'iniquité
15 aura sa punition et le loyer sera rendu à la justice. Outreplus
puis que nous voyons comment les fidèles sont souventesfois
chastiez par les verges du Seigneur : nous debvons prendre
ceste resolution, que beaucoup moins les iniques éviteront ses
chastiemens. Il fault donc confesser, qu'en chacune des œvres
20 du Seigneur, mais principalement en la multitude totalle
d'icelles, ses vertus sont représentées, comme en painctures, par
lesquelles le monde universel est convié à la congnoissance de
Dieu : et par icelle à la jouissance delà félicité souverainne. Or
combien quicelles vertus apparoissent là tresclairement : sou-
23 ventesfois nous ne comprenons point où elle tendent, que c'est
qu'elles emportent, et à quelle fin elles doibvent estre enten-
dues ; jusques à ce que nous descendons en nousmesmes, et
considérons en quelle sorte Dieu demonstre en nous sa vie,
sapience, et vertu : et envers nous exerce sa justice, bonté, et cle-
3omence.
Neantmoins quelque clarté qui nous soit alumée en la contem-
plation des œvres de Dieu, pour représenter et luy et son royaume
immortel nostre esprit est tellement charnel, que nous en voyons
rien nonplus que aveugles à ces tesmoignages tant manifestes. Car
35 quand est de la composition universelle du monde : combien y en
a il de nous lesquelz eslevent les yeulx au ciel; ou bien les jec-
tant à regarder toutes les régions de la terre, réduisent leur enten-
dement à la mémoire du créateur ; et non plustost laissant l'ou-
vrier derrière, s'arestent à la contemplation des créatures ?
DK DIEU. CIIAPITRt; 1. 45
Quand est des choses qui adviennent ordinairement outre le
cours de nature : Combien y en a-il qui n'estiment plustost
la fortune y dominer, pour agiter et démener les hommes yà et
là, que la providence de Dieu, pour les bien gouverner? Et si
5 quelque fois nous sommes contrainctz de revenir à la consi-
dération de Dieu en cest endroict (ce qui advient néces-
sairement à tous hommes) incontinent aprez avoir conceu
quelque petit sentiment d'une divinité incertaine, nous retom-
bons aux folies de nostre chair : et corrompons par hostre vanité
10 la pure vérité de Dieu, bien est vray qu'en cela sommes nous
dilTerens, que un chacun se forge en soymesme particulièrement
quelque erreur nouveau, mais en ce point nous sommes tressem-
blables, que jusques au dernier nous délaissons le seul vray
Dieu, pour prendre noz imaginations mensongères. Auquel mal
15 non seulement le simple populaire et les gens de lourdz espris
sont subjectz : mais aussi les plus excellens en prudence et doc-
trine. Combien toute la génération des philosophes a elle mons-
tre sa folye et bestise en cest endroict ? car encores que nous par-
donnions aux autres, lesquelz se sont abusez par trop desor-
2odonneement:Plato mesmes, qui est entre tous le plus sobre et le
plus raisonnable, et approchant le plus de religion, y est tout
es[t]ourdy, car il cherche un Dieu corporel : ce qui est indi"-ne et
très mal convenable à la majesté divine. Maintenant donc que
pourroit-il advenir aux autres ; veu que les principaulx, ausquelz
25 il appurtenoit de esclairer et donner lumière au reste du peuple*
se sont ainsi lourdement trompez? Semblablement quand le gou-
vernement des choses humaines monstre tant clairement la pro-
vidence qu'il est impossible de la nyer : toutesfois par cela on ne
profite de riens plus, que si on estimoit toutes choses estre revi-
aorées et témérairement tournées par la fortune. Telle est nostre
inclination à vanité et erreur. Je parle tousjours des plus excel-
lens : nonpas des vulgaires, desquelz la folye s'est desbordée
outre mesure à poluer et contaminer la vérité de Dieu.
C'est donques en vain que tant de lampes nous reluisent en
35redifîcedu monde, pour esclarcir la gloire du Créateur veu que
tellement elles nous jectent leurs rays, qu'elles ne nous peuvent
conduire en la droicte voye. Bien est vray, qu'elles jectent
quelques estincelles mais icelles sont estainctes devant que venir
à pleine lumière. Pourtant l'Apostre au mesme passage, où
16 DE LA CONCiNOlSSANCE
il appelle le monde image des choses invisibles, conjoinct en aprez
que c'est par foy, que l'homme peut entendre que par la paroUe de
Dieu il a esté construict. signifiant que la divinité invisible est
représentée par la figure du monde : mais que les yeulx nous
o défaillent pour la regarder, sinon quen foy ilz soyent illuminez
par la révélation intérieure de Dieu. Mesmes Sainct Paul, ensei-
gnant que ce qui se doibt congnoistre de Dieu, est manifesté
par la création du monde : n'entend pas une telle manifestation
qui puisse estre comprinse de l'entendement humain. Mais plus-
10 tost donne à entendre, qu'icelle ne procède point plus avant, que à
rendre les hommes inexcusables. Luymesme aussi combien que
en quelque passage il dye qu'il ne fault pas chercher Dieu bien
loing d'autant qu'il habite en nous : toutesfois autre part il
enseigne de quelle importance est ceste proximité. Par cy devant, Ad.
lodict-il. Dieu a permis que les gens cheminassent en leurs voyes.
Toutesfois qu'il ne se soit pas laissé sans tesmoignages envoyant
ses bénéfices du ciel, donnant pluyes et fertilitez de biens, rem-
plissant les hommes de viande et de joye. Combien donc que
Dieu ne soit point despourveu de tesmoignages, entant que par
20 sa largesse il invite doucement les hommes à la congnoissance
de soy : neantmoins ilz ne laissent point de suyvre leurs voyes,
c'est à dire de cheminer en erreur damnable. Or combien que la
puissance naturelle nous défaille, pour monter jusques à la pure
et saine congnoissance de Dieu .• toutesfois pource que la faulte
2.. de l'ignorance est en nous : toute tergiversation nous est ostée.
Car il ne nous est pas loisible de tellement prétendre ignorance
que nous ne soyons tousiours convaincuz de négligence et ingra-
titude. C'est certes une paovre defTence, et indigne d'estre
admise, si l'homme propose que les aureilles luy ont deffailly
30 à escouter la vérité, pour laquelle exposer les créatures invi-
sibles ont la voix tresclaire et haulte. S'il allègue qu'il n'a
point eu d'yeulx pour voir ce que les créatures qui n'ont
point de veuë demonstrent. S'il s'excuse par l'imbecilité de
son esprit de n'avoir congneu ce que toutes créatures sans
3j intelligence enseignent. Parquoy nous sommes justement
déboutez de toute excuse en ce que nous errons à travers champs
comme esgarez, où toutes choses nous demonstrent la droicte
voye. Neantmoins combien que cecy doibve estre imputé
au vices des hommes, que incontinent ilz corrumpent
DE UIEU. CHAriTRE I. 17
la semence de la congnoissanee de Dieu, espandue sur
leur entendement par l'artifice admirable de nature, telle-
ment qu'il ne peut parvenir à bon fruict. Neantmoins c'est
chose Iresveritable, que nous ne sommes pas suffisamment
5 instruictz (juand à nous, par le tesmoignage simple et nud
. que rendent les créatures à la grandeur de Dieu. Car inconti-
nent que nous avons conceu quelque petit goust de la divinité
par la contemplation du monde : délaissant le vray Dieu, au
lieu d'iceluy, nous dressons les songes et imaginations de nostre
10 cerveau, leur transférant la louenge de justice, saigesse, bonté,
et puissance. Davantaige nous obscurcissons tellement ses
œuvres quotidiennes ou par les mal reputer nous les renver-
sons, que la louenge et grâce qui luy en est deuë luy est ravye
et ostée.
15 Pourtant comme le Seigneur propose à tous sans exception la
clarté de sa majesté, figurée en ses créatures, pour desnuer
l'impiété des hommes de toute defîence, aussi d'autre part il se
couvre par un remède plus certain à l'imbecilité de ceulx, aus-
quelz il luy plaist se donner à congnoistre en salut. Car pour
20 leur instruction il n'use point seulement des créatures muettes :
mais il oiivre aussi sa bouche sacrée, et non seulement leur
dénonce qu'il fault adorer quelque Dieu : mais aussi leur
demonstre qu'il est le Dieu, lequel il fault adorer: non seule-
ment leur enseigne qu'il fault recongnoistre un Dieu : mais d'a-
23 vantaige se présente à eulx comme celuy auquel ilz se doibvent
arrester. Et de faict le Seigneur dès le commencement a tenu
cest ordre en la vocation de ses serviteurs, que oultre tous les
enseignemens susdictz, il a usé de sa parole : laquelle est une
marque plus certaine et familière pour le congnoistre. En ceste
30 manière sont entrez en droicte congnoissance de luy Adam, Noé,
Abraham et les aultres pères, estans illuminez par sa paroUe :
soit qu'elle leur ait esté communiquée par oracles et visions : soit
que ayant esté révélée premièrement à leurs prédécesseurs,
elle leur ait esté baillée par la prédication d'iceulx, comme de
35 main en main. Car c'estoit tout un comment ilz feussent faictz
participans de la parole divine : moyennant qu'ilz entendissent
qu'elle estoit procedée de Dieu : de laquelle chose le Sei-
gneur les a tousjours renduz certains, quand il a voullu don-
ner lieu à la révélation d'icelle. Il s'est donc descouvert à
InsLitiilion. 2
18 t)E LA CONGNOISSANCE
peu de gens, leur donnant signe manifeste de sa présence :
et leur a commis le thresor de sa doctrine salutaire, à fin
quilz en feussent dispensateurs envers leur postérité. Comme
nous voyons que Abraham a communiqué à sa famille
s l'alience de la vie éternelle, qui luj a voit esté baillée : et a
mis peine quelle feust conservée jusques à la génération
future. Parquoy dès ce temps là, la lignée d'Abraham estoit
séparée des autres nations par ceste différence : que par
une singulière gïace de Dieu elle avoit esté receuë en
10 ceste communion de la parole. Or quand il a semblé bon
au Seigneur de dresser une Eglise encores plus segregée :
il a publié icelle mesme parole plus solennellement, et a
voullu cpi'elle feust rédigée par escrit, comme en instrument.
Pourtant de ce temps là commencèrent les oracles ou reve-
lôlations de la parole de Dieu estre reduictes en escriture,
lesquelles avoient esté auparavant entretenues entre le peuple
fidèle, en les baillant des uns aux autres. Enquoy le Seigneur
a subvenu au bien des successeurs par une singulière provi-
dence. Car si nous considérons combien l'entendement humain
20 est enclin à tomber en oubliance de Dieu, combien il est
aisé à mener en erreur, combien il est volaige à songer à
chascune heure nouvelles religions et contrefaictes : nous pour-
rons facillement congnoistre, combien il estoit nécessaire que
la doctrine céleste feust ainsi couchée par escrit : à fin qu'elle
2o ne périt point par oubliance, ou s'esvanoyst par erreur, ou
feust corrumpue par l'audace des hommes. Puis donc qu'il est
manifeste, que Dieu s'est aydé de sa parole envers ceulx lesquelz
il a voullu instruire avec fruict, d'autant qu'il voyoit que sa
figure et image qu'il avoit imprimée en lediftice du monde nes-
30 toit point suffisante : il nous fault cheminer par ceste voye, si'
nous aspirons de bon cœur à la droicte contemplation de sa vérité,
il fault dis-je, revenir à la parole en laquelle Dieu nous est très
bien monstre et despainct au vif par ses œuvres : quand icelles
sont estimées, non pas selon la perversité de nostre jugement:
35 mais selon la reigle de la vérité éternelle. Si nous nous destour-
nons d'icelle parole : quelque viste que soit nostre course,
jamais nous ne parviendrons au but, puis que nous courons
hors du chemin. Car nous avons à estimer que la lumière
de Dieu, laquelle est nommée par l'Apostre inaccessil)le,
DE DllîL". ('.IIAPITRIC I. 19
nous est comme un Labyrinthe pour nous perdre : sinon
que par l'adresse de la parole nous y soyons conduictz.
Tellement qu'il est meilleur de clocher en ceste voye, que
de courir bien viste hors dicelle. Parquoy David, ayant
3 recité comment la gloire de Dieu est preschée par les cieulx,
que les œvres de ses mains sont annoncées par le firma-
ment, que par la succession tant bien ordonnée du jour et
de la nuict sa majesté est manifestée : puis aprez descent Psal. 19.
à la commémoration de sa parole. La loy du Seigneur, dist-il Psal. 20.
10 est sans macule, convertissant les âmes : le tesmoignage du
Seigneur est véritable, donnant saigesse aux petis : les jus-
tices du Seigneur sont droictes, resjoyssant leurs cœurs ; le pré-
cepte du Seigneur est clair, illuminant les yeulx. Enquoy
il signifie que la doctrine par les créatures est universelle à
lï tous : l'instruction de la parole est l'escolle particulière des
enfans de Dieu.
Or quand il seroit résolu, que la parole qui est proposée est
de Dieu : il n'y a celuy d'une audace si désespérée, si ce n'est
qu'il soit du tout despourveu et de sens naturel, et mesmes d'hu-
2omanité, qui osast desroguer foy à icelle. Mais pource qu'il n'y
a pas journellement nouveaulx oracles, qui soient apportez du
ciel : ains avons la seule escriture, en laquelle il a pieu à Dieu
de coucher sa vérité à éternelle mémoire, il fault briefvement
toucher, par quelle raison icelle ha mesme autorité envers les
2o fidèles, que pourroit avoir la voix ouye de la propre bouche de
Dieu. Laquelle chose est bien digne d'estre traictée plus ample-
ment, et plus diligemment considérée. Toutesfois les lecteurs me
pardonneront, si j'ay plus d'esgard à ce que peut souffrir la procé-
dure du présent livre, que ce que requiert la grandeur de cest
30 argument. Il y en a plusieurs en cest erreur trespernitieux, que
l'Escriture n'a nomplus d'importance, qui luy en est don-
née par le consentement de l'Eglise, comme si la vérité de
Dieu éternelle et inviolable estoit fondée sur le plaisir des
hommes, car ilz font ceste demande, non sans grand opprobre
35 contre le Sainct Esprit. Qui est celuy qui nous certifîra
que l'Escriture est procedée de Dieu ? et qui nous asseurera,
qu'elle a esté gardée en son entier jusques à nostre temps ?
qui nous persuadera, que l'un des livres doibt estre receu
en obeyssance, et l'aultre peut estre rejecté ? n' estoit que
20 DE LA CONGNOISSANCE
l'Eglise baille certaine reigle de toutes ces choses? Pourtant
ilz concluent que cela gist en la détermination de l'Eglise,
de scavoir quelle révérence nous debvons à l'Escriture : et
quelz livres doibvent estre compris en icelle. En ceste
5 manière ces blasphémateurs, voulions eslever une tyrannie
desbordée soubz la couverture de l'Eglise, ne se soucyent
de quelles absurditez ilz s'envelopent eulx et les aultres,
moyennant quilz puissent gaigner ce point entre les simples,
que toutes choses sont loisibles à l'Eglise, Or si ainsi estoit,
10 que deviendroient les paovres consciences ; qui cherchent cer-
taine asseurance de la vie éternelle, quand elles verroient toutes
les promesses d'icelle consister et estre appuyées sur le seul
jugement des hommes ? ayant telle réputation ; comment cesse-
roient elles de trembler et vaciller? D'autrepart à quelle moc-
15 querie des infidèles nostre foy seroit elle exposée ? En quelle sus-
jDitionviendroit elle envers tout le monde? si onavoitcelle opinion;
quelle eust son fondement au mercy et bon plaisir des hommes ?
Alais telz menteurs sont aisément réfutez par unseul motdeSainct
Paul, lequel testifîe, l'Eglise estre soustenue sus le fondement des
20 Prophètes et Apostres. Si la doctrine des Prophètes et Apostres £/)/»?. 2.
est le fondement de l'Eglise : il fault qu'elle ait premièrement sa
certitude, que l'Eglise commence d'apparoistre. Et ne peuvent pas
caviller,que combien que l'Eglise ait son origine de là, neant-
moins qu'il est incertain quelz livres on doibt attribuer aux Pro-
25pheteset Apostres, sinon qu'elle en ait assis son jugement. Car
si l'Eglise chrestienne a dès le commencement esté fondée sur
les escritz des Prophètes, et la prédication des Apostres : par-
tout où icelle doctrine est trouvée, il fault que l'approbation ait
précédé l'Eglise, veu que sans icelle, jamais l'Eglise n'eust esté.
30 C est doncques rêverie et mensonge, de dire que l'Eglise ait la
puissance de juger tellement de l'Escriture, qu'elle luy octroyé
selon son bon plaisir toute la certitude qu'elle peut avoir. Parquoy
quand elle la reçoit et approuve, elle ne la rend point auten-
icque : comme si auparavant elle eust esté doubteuse et incer-
sotaine. Mais d'autant qu'elle la recongnoist estre la vérité de son
Seigneur: selon son debvoir sans dilayer elle la révère. Touchant
ce qu'ilz interroguent, comment nous congnoistrons que l'Escri-
ture est sortie de Dieu, si nous n'avons nostre recours au décret
de l'Eglise? Autant vault, comme si cpielqu'un demandoit, dont
21
DE DIEU. CHAriTRE I. '^^
nous apprendrons k discerner la lumière des ténèbres, le
blanc du noir, l'aigre du doulx. Car l'Escriture ne inons re pas
moindre évidence de sa vérité, que les choses blanches ou
noires de leurs couleurs, les choses doulces ou ameres de leurs
5 saveurs'. Combien que si nous voulions bien pourvoir aux cons-
ciences • si qu'elles ne soient point agitées en perpétuelle doubte,
il nous fault prendre rauctonté de l'Escriture de plus hault, que
des raisons ou indices ou conjectures humaines. L est à scayoïr
crue nous la fondions sur le tesmoignage inteneur du bainct
u. Esprit. Car jacoit qu'en sa propre majesté elle ait assez dequoy
estre révérée : neantmoins elle nous conmience lors à nous vraye-
ment toucher, quand elle est séellée en noz cœurs par le Sainct
Esprit Estans donc illuminez par la vertu diceluy, de^-ja nous
ne crovons pasouànostre jugement, ou à celuy des aultres, que
,5 l'Escriture est de Dieu : mais par dessus tout jugement humain
nous arrestons indubitablement, qu'elle nous a esté donnée de
la propre bouche de Dieu, par le ministère des hommes : tout
ainsi que si nous contemplions à l'œil l'Essence de Dieu en
icelle Nous ne cherchons point ou argumens ou vensimihtudes,
20ausquelles nostre jugement repose : mais nous luy submettons
nostre jugement et intelligence, comme à une chose eslevee
par d'essus la nécessité d'estre jugée. Nompas comme aucuns
ont acoustumé de recevoir legierement une chose incongneue :
laquelle après avoir esté congneuë leur desplaist. Mais pource
25 oue nous sommes trescertains d'avoir en icelle la venté mexpu-
lable : nompas aussi comme les hommes ignorans ont acous-
tumé de rendre les espris captifz aux superstitions : mais pource
cnie nous sentons là une expresse vertu de la divinité monstrer
sa vigueur, par laquelle nous sommes attirez et enflambez à obeyr
30 sciemment et voluntairement, neantmoins avec plus grand et i-
cace que de volunté ou science humaine. C'est donc une telle
persuasion, laquelle ne requiert point de raisons : toutesfois une
telle congnoissance, laquelle est appuyée sur une tresbonne rai-
son C'est à scavoir d'autant que nostre esprit ha plus certain et
3. asseuré repos, que en aucunes raisons. Finalement c'est un tel sen-
timent, qu'il ne se peut engendrer que de révélations célestes. Je
ne dit/ aultre chose que ce qu'un chascun fidèle expenmente en
sov • sinon que les paroles sont beaucoup infeneures à la dignité
de l'argument : et ne sont suffisantes pour le bien explicquer.
22 DE LA CO>iGNOISSANCE
Sv nous n'avons ceste certitude plus liaulte et plus ferme que
tout jugement himiain : en vain l'auctorité de Fescriture sera
approuvée par raisons, en vain elle sera astablie par le consente-
ment de 1 Eg-lise, ou confermée par autres argumens. Car si ce
5 fondement n'est premièrement mis, elle demeure toujours en
suspendz. Comme au contraire, aprez qu'elle aura esté receuë
en obéissance selon qu'il appartient, et exemptée de toute doubte:
les raisons, qui au paravant n'a voient point grand'force pour
ficher et planter en nostre cœur la certitude d'icelle, seront lors
10 tresbonnes aides. Car il ne se peut dire quelle confirmation luy
donne ceste considération : Quand nous reput ons diligemment,
comment Dieu a en icelle bien disposé et ordonné la dispensa-
tion de sa saigesse: quand nous recongnoissons combien la doc-
trine d icelle se monstre partout céleste, n'ayant rien de terrien:
15 combien il y a une bonne convenance entre toutes les parties :
et les autres choses qui sont propres pour donner auctorité à
quelques escris. D'avantage noz cœurs sont encores plus fort
corroborez, quand nous considérons que c'est la majesté de la
matière plus que la grâce des parolles qui nous ravit en admira-
aotion d'icelle. Et de faict cela n'a point esté faict sans une grande
providence de Dieu, que les baux secretz du royaulme céleste
nous ayent esté baillés soubz paroles contemptibles sans grand'
éloquence : de peur que s'ilz eussent esté fondez et enrichiz
d'éloquence, les iniques eussent calumnié qu'en icelle toute sa
25 vertu eust esté coUoquée. Or maintenant puisque telle simplicité
rude et quasi agreste nous esmeut en plus grande révérence, que
toute la faconde des Rethoriciens du monde : que pouvons nous
estimer ; sinon que l'Escriture contient en soy telle vertu de
vérité; qu'elle n'a aucun besoing d'artifice de paroles? Pourtant
30 ce n'est pas sans raison, que l'Apostre argue la foy des
Corinthiens n'estre pas fondée sur sapience humaine : mais ■
en la vertu de Dieu. D'autant que sa prédication entre eulx
n'avoit pas esté en parolles persûasibles de sagesse humaine :
mais avoit esté approuvée par demonstrances d'esprit, et
33 de puissance. Car la vérité est exempte de toute doubte, puis /.
que sans autres aydes elle est de soymesme suffisante pour
se soubstenir. Or combien ceste vertu est propre à l'Escri-
ture, il apparoyst en ce que de tous humains escritz il n'y en
a nul, de quelque artifice qu'il soit poly et aorné, qui ait
2ÎÎ
1)K I.IKI-. (IIAIMTHK (.
telle videur à nous osnvouvou- . ()ue nous lisions Demc^-
tene ou" Cicero, Platon ou Aristote, ou quelques autres de
leur l>ando. je confesse bien qu ilz attn^eront morveiUeusemen ,
et délecteront, et esmouveront jusques à ravir mesmes 1 espnt.
. Ma.s si de là nous nous transferons à la lecture des Samctes
Escritures : veuillons ou non, elles nous peindront - vn-"-"^; •
.lies perceront tellement nostre cœur, elles se ficheront tellement
au dedens de nous, que toute la force qu'ont les Uethonciens ou
Plulosophes, au pris de Tefficace d'icelles, ne sera que fumée
.Dont il est a.sé d'appercevo.r, que les Sainctes Escntures on
quelque propriété divine à inspirer les hommes \ eu que de s
îl.in.^ elles surmontent toutes les grâces de l'industrie human.e.
D-autrepart le consentement de l'Eglise n'est pas sans m.por-
tance. Car il ne favdt pas estimer conmie rien, que par tant
,d"eages qui ont esté depuis qu'elles ont esté publiées il y a eu un
perpauel consentement en lobeyssance dicelles. Et combien
,ue le Diable, se soit elîorcé par plusieurs manières de les oppn-
n.er ou renverser : voire mesmes de les eiVacer du tout de la
mémoire des hommes : neantmoins qu'elles sont tousjours
,0 comme la palme, demourées inexpugnables et victorieuses. Car
il n'v a eu gueres de Philosophes ou Rethonciens d excellent
entei^dement, qui n'avt applicqué sa subtilité à l'encontre d icelles.
Neantmoins tous n'v ont rien profité. Toute la puissance de la
terre c'est armée pour destruire la vérité d'icelles : et tous ses
,5elTorssont tournez en fumée. Comment eussent elles résiste
estant si durement assaillies de toutes pars ; si elles n eussent
esté deffendues que de support humain? Parquoy d est plus-
tost à conclure que l'Escriture saincte que nous tenons est de
Dieu : puis que malgré toute la sagesse et vertu des hommes
30 elle est neantmoins venue en avant par sa vertu. Oultreplus il
n'v a pas eu une seule cité ou nation, qui ayt conspire a a
recevoir : mais tant que s'estend au long et au large toute la
terre elle a obtenu son authorité par un conforme consente-
ment de tous les peuples : qui autrement n'avoient rien entre
35eulx de commun. Or comme ainsi soit, qu'une telle conve-
nance de peuples tant divers, et qui autrement discordent en
façon et manière de vivre, nous doibvent esmouvoir (veu que
c'est une chose apparente , que la vertu de Dieu a beson-
gné à les acorder ) : Toutesfois encores aura ceste conside-
24 DE LA r.ONGNOlSSANCE
ration plus de poix : quand nous contemplons la preudlio-
mie et saincteté de ceux qui sont convenus à recevoir TEs-
criture. Je ne dictz pas de tous : mais de ceulx que nostre
Seig^neur a constituez comme lampes en son Eglise, pour
3 Tesclairer par la lumière de leur saincteté. Davantaig-e en
quelle Certitude debvons nous recepvoir ceste doctrine la-
quelle nous voyons avoir esté séellée et testitiée par le sang de
tant de Sainctz personnages ? Iceulx n'ont point fait de difficulté
de mourir couraigeusement, et mesmes joyeusement pour icelle,
10 aprez l'avoir une fois receuë. Et nous comment ne la recepvrons
nous avec une persuasion certaine et invincible ; puis qu'elle
nous a esté donnée avec une telle arre et conlirmation? Ce n'est
point donc une petite approbation de l'Escriture, de ce qu'elle a
esté signée par le sang de tant de tesmoings. Principalement
lô quand nous recongnoissons qu'ilz n'ont pas souiîert la mort
pour le tesmoignage de leur foy par furie et frénésie (comme
font aucunefois les espris d'erreurs transportez de raisons) mais
par un zèle de Dieu autant sobre et tempéré, comme ferme et
constant. Il y a plusieurs autres raisons, et icellesbien appa-
20 rentes, par lesquelles la majesté et dignité de l'Esôriture non
seulement peut estre acertenée aux cœurs des fidèles : mais aussi
puissamment maijitenue contre la malice des calumniateurs.
Lesquelles neantmoins ne sont jDoint de soy suffisantes, pour
fonder droictement sa certitude, jusques à ce que le Père céleste,
25 faisant là reluire sa divinité, l'exempte de toute doubte et ques-
tion, luy donnant ferme révérence. Pourtant lors finalement
1 Ecriture nous satisfera à la congnoissance salutaire de Dieu,
quand la certitude d'icelle sera appuyée sur la persuasion inté-
rieure du Sainct Esprit. Les tesmoignages humains qui servent
30 pour la confermer, lors ne seront jjoint vains : quand ilz suyvront
ce tesmoignage principal et souverain, comme aydes et moyens
secondz pour subvenir à nostre imbecilité.
Or ceulx là qui en délaissant l'Escriture, imaginent je ne scay
quelle voye pour parvenir à Dieu, ne sont point tant abusez
35 d'erreur, qu'ilz sont agitez de pure rage. De telle manière de
gens sont venuz en avant je ne scay quelz accariastres,
lesquelz prétendent orguilleusement la doctrine de l'Esprit,
mesprisans quant à eulz toute lecture, et se mocquent de
la simplicité de ceulx qui suyvent encore la lettre morte
DK DIEU. CHAIMTKK 1.
2o
et murtrissante, comme ilz l'appellent. Mais je voudroyc
bien scavoir d'eux, qui est cest e.sprit, par l'inspiration duquel
ilz sont si hault ravys, qu'ilz osent coutemner toute doctrine
de l'Escriture, comme puerille et trop vile? Car s'ilz respondent
ique c'est l'Esprit de Christ : leur asseurance est par trop
ridicule. Car je pense qu'ilz concéderont, les Apostres et les
fidèles de l'Eglise primitive avoir esté inspirez par l'Esprit de
Christ. Or il est ainsi, que nul d'eulx n'a pourtant apris de
contemner la parole de Dieu, mais un chascun plustost en a esté
loinduict à plus yrand' révérence, comme leurs escritz en rendent
clers tesmoignages. D'avantage je desirerois qu'ilz me respon-
dissent à ce point : à scavoir s'ilz ont receu un aultre esprit,
que celuy que promettoit le Seigneur à ses disciples? Combien
c[u'ilz soient enragez tout oultre : neantmoins je ne les pense
13 point transportez de telle phrenesie, qu'ilz s'osent vanter de
cela. Or quel denoncoit-il son Esprit debvoir estre, en le pro-
mettant ? A scavoir qu'il ne parleroit point de soymesme : J<'--in-
mais suggereroit en l'entendement des Apostres ce que par sa
parole il leur avoit enseigné. Ce n'est pas donc l'office du
aoSainct Esprit (tel (piil nous est promis) de songer nouvelles
révélations et incongneûes auparavant, ou forger nouvelle
espèce de doctrine, pour nous retirer de la doctrine de l'Evangile,
après l'avoir une fois receu. Mais plustost de sceller et confer-
mer en noz cœurs la doctrine qui nous est dispensée par l'Evan-
25gile, dont nous entendons facillement, qu'il fault diligemment
travailler, tant à ouyr que à lire l'Escriture, si nous voidlons
recevoir quelque fruict et utilité de l'Esprit de Dieu. Aucontraire
si quelque esprit, délaissant la saigesse contenue en la parole de
Dieu, nous apporte diverse doctrine: qu'il nous doibt estre à bon
30 droict suspect de vanité et mensonge. Car aultrement que seroit
ce ; comme ainsi soit que Satan se transfigure en Ange de lumière ;
quelle autorité aura l'Esprit envers nous; s'il n'est discerné par
une marque trescertaine? Et de vray il nous est assez clairement
demonstré par la voix du Seigneur : n'estoit que ces misérables
35 appetent voluntairement de faillir en leur confusion, cherchans
l'Esprit d'eulx mesmes plustost que d'iceluy. Mais ilz allèguent,
que ce seroit grand'absurdité, que l'Esprit de Dieu; auquel toutes
choses debvroient estre assubjecties, feust subject à l'Escri-
ture. Voire, comme si c'estoit une ignominie au Sainct Esprit,
IC
26 DE LA CO>G>OISSA>CE
d'estre partout semblal)le et conforme à soy, estre perpétuel-
lement constant, ne varier nulle part. Certes si on le redui-
soit à quelque reigle ou humaine, ou Angelicque. ou aultre :
on pourroit dire que lors il seroit abaissé, et rédigé en servi-
stude.Mais quand il est comparé à soymesme, et en soy considéré :
Qui pourra dire, qu'en cela on luy face injure ?Mais il est,disent-
ilz, en ceste manière examiné. Je le confesse. ]SIais d un examen,
par lequel il a vouUu que sa majesté feust establye envers nous.
11 nous doibt bien suffire quand il se descouvre à nous. Mais à
10 fin cpie soubz son umbre l'esprit de Satan nait entrée : il veult
estre recongneu de nous en son image, laquelle il a imprimée
aux escritures. Il est l'autheur d icelles : il ne peut pas estre
variable ne dissemblable à soy. Parquoy il fault qu'il demeure
tousjours tel qu'il s'est là une fois declairé. Cela ne luy tourne
15 pas en opprobre : sinon que nous disions que ce luy feust hon-
neur de dégénérer de soymesme. Touchant ce quilz nous taxent
de trop nous arrester à la lettre qui occit : En cela ilz monstrent
comment ilz n'eschappent point la punition de Dieu, d'avoir con-
temné 1 Escriture. Car assez il appert que Sainct Paul combat en
20 ce passage contre les séducteurs, qui exaltent la loy nue sans
Christ, destournant le peui^le de la grâce du Nouveau Testament:
auquel le Seigneur promet qu'il engravera aux entrailles des
fidèles sa loy, et l'escrira en leurs cœurs. La loy de Dieu donc
est lettre morte, et occit ses disciples, quand elle est séparée de
25 la grâce de Christ : et sonne tant seulement aux aureilles sans
toucher le cœur. Mais si par l'Esprit de Dieu elle est vivement
imprimée en la voulunté : et si elle nous communicque Jésus
Christ : elle est parole de vie, convertissant les am^s, donnant
saigesse aux petis. Et de faict au mesme passaige l'Apostre i Cor. 5.
30 appelle sa prédication ministère de l'Esprit. A scavoir signifiant
que l'Esprit de Dieu est tellement conjoinct et lié à sa vérité,
laquelle il a exprimée aux escritures, que lors fînallement il
declairé sa vertu, quand la parole est receuë en telle révérence
qu il appartient. Ce qui ne répugne rien à ce qui a esté naguerès
35 dit. C'est que la parole ne nous est gueres certaine, sinon qu'elle
soit approuvée par le tesmoignage de l'Esprit. Car le Seigneur
a assemblé, comme par un lyen mutuel, la certitude de
son Esprit et de sa parole : à fin que nostre entendement
reçoive icelle parole en obeyssance, en y voyant reluire
I)K UUZV. CHAIMTHK I. 27
l'Esprit, qui luy est connue une clarté, pour luy faire là contem-
pler la face de Dieu à lin aussi que sans crainte de tromperie ou
erreur nous recevions l'Esprit de Dieu, le recongnoissant en son
imai:;:e-: c'est à dire en sa parole. Et certes il est ainsi. Car Dieu
:. n'a point communicqué une parole aux hommes, laquelle il voul-
sit incontinent abolir par l'adA'enement de son Esprit. Mais plus
tost il a envoyé son Esprit, par la vertu ducjuelil avoit aupara-
vant dispensé sa parole,, pour achever son ouvrage en icelle,
confermant avec efficace. En ceste manière Christ ouvroit
10 l'entendement à .ses deux disciples : nompas pour les rendre Z.j;r. iî,
saiges par eulx , en rejectant l'Escriture : mais à fin qu'il/, en
eussent intelligence. Pareillement Sainct Paul, en exhortant les
The.s.saloniciens de ne ])()int estaindre l'Esprit, ne les transporte /. 771^-. :;.
point en l'air à vaines sj)eculations hors la parole : mais conse-
i.iquemment adjouste, (pi'ils ne doibvent point mespriser les pro-
phéties. Enquoy certainement il signifie, que lors la lumière de
l'Esprit est sutl'ocquée, quand les proj)heties viennent en mes-
pris. Que diront à cela ces orguilleux phantasticques, qui ne
reputentaultre illumination estrevallable, sinon quand en delais-
2osant et contemnant la parolle de Dieu, il/ prengnent téméraire-
ment tout ce qu'en ronfiant leur vient à la phantasie? Certes il
y doibt bien avoir une aultre sobriété aux enfans de Dieu : lesquelz,
comme ils se voyent desnuez de toute lumière de vérité, quand ilz
sont sans l'Esprit de Dieu, pour ceste cause ilz n'ignorent pas que
23 la parole est comme instrument, par lequel le Seigneur disj)ense
aux fidèles l'illumination de son Esprit. Car ilz ne congnoissent
point d'autre Esprit, que celui qui a habité aux Apostres, et a
parlé par leur bouche, par lequel ilz sont tousjours reduictz et
ramenez à donner audience à la parole.
30 Mais puis que nous avons enseigné, que la congnoissance de
Dieu, laquelle autrement est demonstrée en la composition du
monde, et en toutes créatures assez amplement : neantmoins est
plus familièrement declairée par sa parole. Nous avons mainte-
nant à considérer, se Dieu se représente tel en son Escri-
35ture, comme nous l'avons par cy devant veu estre figuré en
ses œuvres. Qui seroit certes une longue matière, si quel-
qu'un se vouloit arrester à la traicter diligemment. Mais moy
je seray content d'en avoir proposé seulement quelque som-
maire : par lequel les consciences fidèles soient admonestées.
28 DE LA CONC.NOISSANCE
de ce qu'il fault principallement chercher de Dieu aux Escritures :
et soient adressées à un certain ])ut pour y parvenir. Premièrement
donc le Seigneur se dénonce estre le Dieu, lequel après avoir créé
le ciel et la terre, a espandu sa grâce et beneficence infinie sur le
5 genre humain. Toutesfoisa tousjourset perpétuellement noxirryet
sustenté, maintenu de sa grâce particulière les fidèles : et a mutuel-
lement aussi esté congneu et honnorépar eidx. Pareillement ilmect
devant les yeulx, par les histoires de tout temps, comme par
manière de dire, en paincture, quelle est la constance de sa bonté
10 envers les fidèles : de quelle providence il veille sur eidx : combien
il est enclin à leur bien faire: quelle est la vertu de son ayde :
combien il les ayme ardamment: combien est grande sa patience
à supporter leurs faultes : quelle clémence paternelle il monstre
en les punissant : combien il leur tient ses promesses certaines
15 à perpétuité. D'autrepart quelle est la riguevu- de sa vengeance
sur les pécheurs : combien, après avoir longuement enduré,
rinflanimation de son ire est espouventable : quelle est la
puissane de sa main à les confondre et dissiper. Geste des-
cription convient tresbien et accorde avec celle que nous avons
20 dit apparoistre en la figure universelle du monde. Toutesfois en
certain lieu sa pro])rieté est exprimée : par laquelle sa face nous
est représentée au vif pour la contempler évidemment. Car en la
description que faict ^loyse, il semble advis qu'il ait voullu brief-
vement comprendre tout ce qui est loysible aux hommes de con-
25gnoistre de luy. Il dict en ceste manière : Seigneur, Seigneur £'jo. 54.
Dieu, miséricordieux et clément, patient, et de grande bonté, et
véritable, qui garde miséricorde en mile générations, qui oste
1 iniquité et les péchez, envers lequel l'innocent ne sera point
innocent, qui punys l'iniquité des pères sur les enfants et nepveux.
3oEnquoy nous avons à considérer, que son éternité et son Essence
résidente en luy mesme, est annoncée parcencm, qui luy est
attribué en premier lieu : lequel est deux fois répété en Hebrieu : qui
vault aultant à dire, comme celuy qui est seul. En après que ses
vertus nous sont commémorées, par lesquelles il nous est demons-
35 tré non pas quel il est en soymesme : mais tel qu'il est envers
nous. Tellement que ceste congnoissance consiste plus en vive
expérience, qu'en vaine spéculation, D'avantaige nous voyons que
les vertus nous sont icy ennombrées que nous avons noté reluire
au ciel et en la terre: à scavoir clémence, bonté, miséricorde,
justice, jugement, et vérité. Car sa puissance est comprise soubz
DE DIi:U. CHAPITRE 1. 20
le mot hel)raicque, qui luy est donné j)Our son troisiesme tiltre, qui
vaut autant k dire connue contenant les vertus en soy. Les Pro-
phètes aussi luy baillent niesnies tiltres : quand il veullent illus-
trer à plain son SainctNoni. A fin (jue nous ne soyons point con-
j trainctz d'accumuler beaucoup de passaig'es : pour le présent un
pseaulme nous suflira, auquel toute la somme de ses proprietez
est sidilig-emment recitée, qu'il n'y arien laissé derrière. Et néant- i'snl. I Ui.
moins il n'y a rien de nommé, que Ion ne puisse contempler aux
créatures : tellement se donne Dieu à sentir tel par expérience,
10 qu'il se declaire par sa parole. En Jeremie, où il dénonce qu'il veut
estre cong^neu de nous, il ne mect pas une description si plaine. •/<''■<'"'• ^•
Neantmoins elle revient tout à un. Quiconque se j^lorifie, dit-il,
qu'il se g-lorifieen cela. C'est de me congnoistre le Dieu, qui faictz
miséricorde, justice, et jug-ement en la terre. Certes ces trois
la choses nous sont principallement nécessaires à cong'uoistre : sa
miséricorde, en laquelle consiste le salut de nous tous : sonjug'e-
ment, le(pi(^l journellement il exerce sur les iniques, et lequel il
leur reserve plus rigoreux à confusion éternelle : sa justice, par
laquelle ses fidèles sont benignement entretenuz. Ces choses com-
2oprinses, le Pixiphete tesmoigne que nous avons abondamment de
quoy nous glorifier en Dieu. Neantmoins en cela faisant, n'est pas
obmise ne sa puissance, ne sa vérité, ne sasaincteté, ne sa bonté.
Car conunent consisteroit lintelligence de sa justice, miséricorde
et jugement (comme elle est là requise) sinon qu'elle feust appuyée
2osur sa vérité immuable? Et comment pourroit on croire qu'il
gouverne la terre en justice et jugement; sans avoir entendu sa
vertu ? Dont est ce que procède sa miséricorde ; sinon de sa bonté ?
Finalement si toutes ses voyes sont miséricorde, jugement, et jus-
tice : en icelles pareillement reluyt sa saincteté. Or la congnois-
30 sance de Dieu, laquelle nous est présentée en l'Escriture, ne tend k
autre fin, que celle qui nous est donnée par les créatures k scavoir
pour nous inciter premièrement à la crainte de Dieu : en après que
nous ayons fiance en luy : k fin que nous apprenions de le servir et
honorer par innocence de vie, et obeyssance non faincte : et du
35 tout nous reposer en sa bonté. Toutesfois pource que Dieu ne se
baille point droictement et de près k contempler, sinon en la face de
son Christ, laquelle ne se peut regarder que des yeulxdela foy. Ce
qui reste k dire de la congnoissance de Dieu se ^îomTa myeulx diffé-
rer jusques au lieu , où nous aurons k dire de l'intelligence d'icelle foy.
30 DE LA CONGNOISSANCK
DE LA CONGNOISSANGE
DE LIIOMME, ET DU LIBERAL ARBITRE
CHAPITRE II
Ce n'est pas sans cause, que par le proverbe ancien a tousjours
esté tant recommandée à riiomme la congnoissance de soymesme.
Car si nous estimons, que ce soit honte d'iti^norer les choses, qui
appartiennent à la vie humaine : la mesconj^noissance de nous-
5 mesmes est encores beaucoup plus deshoneste, par laquelle il
advient, qu'en prenant conseil de toutes choses nécessaires, nous
nous abusons paovrement et mesmes sommes du tout aveug-lez.
Mais d'autant que ce commandement est plus utile, d'autant
nous fault-il plus dilig^emment garder de l'entendre mal. Ce que
10 nous voyons estre advenu à d'aucuns philosophes. Car quand ilz
admonestent l'homme de se congnoistre, ilz l'ameinent quant et
quant à ce but, de considérer sa dignité et excellence : et ne luy
font rien contempler, sinon dont il se puisse eslever en vaine
confiance, et s'enfler en orgueil.
i.ï Or la vérité de Dieu nous ordonne l)ien de chercher autre
chose en nous considérant, à scavoir une confiance, laquelle
nous retire loing de toute presumption de nostre propre vertu,
et nous despouUe de toute matière de gloire, pour nous amener à
humilité. Laquelle reigle il nous convient suyvre, si nous vou-
20 Ions parvenir au but de bien sentir et bien faire. Je scay com-
bien il est plus agréable à l'homme de voir qu'on l'induise à
recongnoistre ses grâces et louenges : qu'à entendre et voir sa
paovreté, ignominie, turpitude et foyblesse. Car il n'y a rien
que l'esprit humain appette plus, que d'estre amyellé de doulces
2o paroles et flateries. Pourtant quand il entend qu'on prise ses biens,
il n'est que trop enclin à croire tout ce qui se dit à son avantage.
Ainsi ce n'est pas de merveille, que la pluspart du monde a
ainsi erré en cest endroict. Car comme ainsi soit que les hommes
ayent une amour d'euxmesmes desordonné et aveviglé, ilz
30 se feront voluntiers à croire, qu'il n'y a rien en eux digne
DE i.'llO.MME. CHAPITRE II. 31
d'estre desprisé. Ainsi, sans avoir autre advocat, tous reçoivent
ceste vaine opinion, que Thomme est sullisant de soymesme k
bien et heureusement , vivre. S il y en a quelques uns qui
veuUent plus modestement sentir , combien qu'ilz concèdent
5 quelque chose à Dieu, à tin qu il ne semble qu ilz s'attribuent le
tout. Neantmoins ilz partissent tellement entre Dieu et eux, que
la principale partie de vertu, sagesse, et justice leur demeure.
Puis qu'ainsi est, que Thomme estant enclin de soymesme à se
flatter : il n'y a rien qui luy puisse estre plus plaisant que quand
i«) on le chatouille de vaines flateries. Parquoy celuy qui a le plus
exalté l'excellence de la nature humaine, a tousjours esté le
mi(Hix venu. Neantmoins telle doctrine , laquelle enseigne
l'homme d'acquiescer en soymesme, ne le faict qu'abuser : et
tellement abuser , que quiconque y adjouste foy , en est
15 ruiné. Car quel proflit avons nous de concevoir une vaine
fiance, pour délibérer, ordonner, tenter, et entreprendre ce que
nous pensons estre bon; et ce pendant deiraillir, lant en saine
intelligence, qu'en vertu d'accomplir? Deiraillir, diclz-je, dès
le commencement : et neantmoins poursuyvre d'un cœur ob-
sostiné jusques à ce que soyons dn tout confonduz ? Or il
n'en peut autrement advenir k ceux , qui se confient de
pouvoir quelque chose par leur propre vertu. Si quelqu'un
donc escoute telle manière de docteurs qui nous amusent
k considérer nostre justice et vertu, il ne profitera point en
25 la congnoissance de soymesme : mais sera aveuglé d'ignorance
trespernitieuse. Pourtant, combien que la vérité de Dieu con-
vient en cela avec le jugement commun de tous les hommes,
que la seconde partie de nostre sagesse gist en la congnois-
sance de nousmesmes : toutesfois en la manière de nous con-
aognoistre il y a grand'difFerence. Car selon l'oppinion de la
chair, il semble bien advis que l'homme se congnoisse lors
tresbien, quand en [s^e confiant en son entendement et en sa
vertu il prend courage pour s'applicquer k faire son debvoir :
et renonceant k tous vices, s'efforce de faire ce qui est bon
35 et honeste. Mais celuy qui se considère bien selon la reigle
du jugement de Dieu : ne treuve rien qui puisse eslever son
cœur en bonne fiance, et d'autant qu'il s'examine plus pro-
fondement, d'autant est il plus abatu : tant qu'entièrement
dejecté de toute espérance, il ne se laisse rien, panpioy il puisse
32 DE LA CONGNOISSANCE
droictement instituer sa vie. Toutesfois nous ne nyons pas,
qu'il n'y ayt quelque semence de noblesse en nostre nature,
laqvielle nous doibve inciter à suyvre justice et honnesteté.
Car nous ne pouvons penser nv à nostre première orig-ine, nj
ôklalîn à laquelle nous sommes créés, que ceste cog-itation ne
nous soit comme un ag^uillon, pour nous stimuler et poindre à
méditer Timmortalité du royaimie de Dieu. Mais tant s'en fault
que ceste recongnoissance nous doibve eslever le cœur : que
plustost elle nous doibt amener à humilité et modestie. Car quelle
10 est ceste origine ? Ascavoir de laquelle nous sommes descheuz ;
quelle est la fin de notre création ? Celle de laquelle nous
sommes du tout destournez : tellement qu'il ne nous reste rien :
sinon que aprez avoir réputé nostre misérable condition, nous
gémissions et en gémissant souspirions aprez nostre dignité per-
1j due. Or quand nous disons qu'il ne fault point que l'homme
regarde rien en soy qui luy esleve le cœur : nous entendons qu'il
n'y a rien en luy. pourquoy il se doibve enorgueillir. Pourtant
s'il semble bon à chacun, d[i] visons ainsi la congnoissance que
l'homme doibt avoir en soymesme. C'est qu'en premier lieu il
20 considère k quelle fin il a esté créé, et doué des grâces singu-
lières que Dieu luy a faictes. Par laquelle cogitation il soit incité
à méditer la vie future, et désirer de servir à Dieu. En aprez
qu il estime ses richesses, ou plustost son indigence. Laquelle
congneûe, il soit abatu en extrême confusion : comme s'il estoit
25 rédigé à néant. La première consid^Cjration tend à cela, qu'i con-
gnoisse quel est son debvoir et office. La seconde, qu'il congnoisse
combien il est capable de faire ce qu'il doibt. Nous dirons
de lun et de l'autre çà et là, comme le portera l'ordre de la
dispute.
30 Or devant ([u'entrer k descrire ceste misérable condition de
l'homme, il est expédient de scavoir, quel il a esté premièrement
créé. Car il est k craindre, quand nous monstrons k l'homme
ces vices naturelz, qu'il ne semble advis que nous les
veuillons imputer k l'autheur de nature, qui est Dieu, car
35 l'impiété pense avoir assez de deffence soubz ceste couver-
ture, si elle peut prétendre que tout ce qu'elle ha de vice
est procédé de Dieu. Et si on la redargue, elle ne faict
nulle double de plaider contre Dieu, et transférer sur luy toute
la coulpe dont elle est accusée. Et mesmes ceux qui font
t)i: L HOMME. CHAPITkE 11. 33
Semblant de parler plus sobrement de Dieu prengnent volun-
tiers occasion d'excuser leurs vices en accusant nature : ne
considérant point (pi'il/. diffament Dieu, en ce faisant : com-
bien que ce soit plus obscurément, veu cpie s'il y avoit quelque
o vice en nostre nature, entant qu'elle a esté formée de luy,
il en recevroit une partie du vitupère. Attendu donc que
nous voyons la chair désirer tous eschappatoires, par lesquelz
elle pense la coulpe de ses vices pouvoir estre transférée ailleurs:
il fault obvier àceste malice. Il est donc besoing de traicter tel-
lolement la calamité du genre humain, que nous couppions la
broche à toutes tergiversations de nostre chair : et que la justice
du Seigneur soit délivrée, non seulement d'accusation : mais
aussi de toute reproche et murmure. Neantmoins que cela se
face en telle sorte, que nous ne déclinions point de la pure vérité.
13 Laquelle tant s'en fault qu'elle donne faveur à telles absurditez
que si tost qu'elle est bien entendue, elle sufïistpour les réfuter.
Car il est certain, que Adam père de nous tous a esté créé à
l'image et semblance de Dieu. Enquoy il est monstre, qu'il a été
faict particii)ant de la sapience divine, justice, vertu, saincteté,
20 et vérité. Car on ne peut nullement soustenir l'erreur de ceux,
qui collo({uent ceste image de Dieu en la seigneurie et préémi-
nence qui luy feust baillée sur les bestes, comme si par ceia
seulement il eust esté faict semblable à Dieu, qu'il en estoit
constitué seigneur. Ceste sentence, qu'il a esté créé à l'image
25 de Dieu , ne seroit si souvent répétée de Moyse : sinon qu'il
y eust un plus grand poix. Et raesmes Sainct Paul nous oste
toute difficulté de ceste question, quand il parle en ceste
manière. Soyez renouveliez par l'Esprit de vostre pensée , ^p/ie 4,
et vestez l'homme nouveau, lequel est formé selon Dieu, en
30 justice et vraye saincteté. Item : ne mentez point les uns Collo. i.
contre les aultres, entant que vous avez despouillé le viel
homme, avec toutes ses œuvres, et avez vestu le nouveau, lequel
a esté reparé en congnoissance, à l'image de celuy qui l'a créé.
On voit comme il expose l'image de Dieu, la conformité que ha
35 nostre Esprit avec le Seigneur, alors qu'estant netoyé de toute
ordure terrienne, ne souhaiste plus que la pureté spirituelle.
L'homme donc, estant créé à limoge de Dieu, a esté doué de grâces
et prééminences, lesquelles povoient testifîer une singulière lar-
gesse de son créateur envers luy. Car il adheroit à iceluy par
Institalion. 3
34 DE LA CONGNOTSSA>'CE
la participation de tous biens, pour vivre perpétuellement,
s'il eust persévéré en l'intégrité qu'il a voit receuë. Mais il
n'y est point demejiré longuement. Car il s'est rendu soudain,
par son ingratitude, indigne de tous les bénéfices que Dieu luy
5 avoit donnez. Ainsi a esté elTacée l'image céleste qu'il portoit :
d'autant qu'estant aliéné de Dieu par le péché, semblablement
il a esté estrangé de la communion de tous biens, lesquelz ne se
peuvent avoir qu'en iceluy. Pourtant au lieu de sapience, vertu,
saincteté, vérité, justice, desquelz ornemens il estoit vestu, ayant
10 la semblance de Dieu, sont survenues horribles pestes, à scavoir
ignorance, faiblesse, ordure, vanité, injustice : desquelles non
seulement il a esté enveloppé en sa personne : mais aussi a
empesché toute sa postérité. Car tous ses successeurs sont sem-
blables à luy : duquel ilz tiennent leur origine, et nayssent
15 souillez de sa pollution.
Geste est la corruption héréditaire, laquelle les anciens ont
appellée péché originel denotans par ce mot de péché la dépra-
vation de nostre nature, laquelle auparavant avoit esté bonne et
nette. De laquelle chose ilz ont eu grande altercation avec les
soPelagiens. Car iceulx hereticques, estans convaincuz par mani-
festes tesmoignages de l'Escriture, que le péché estoit descendu
du premier homme en toute sa postérité, ilz cavilloient qu'il
estoit descendu par imitation : et non point par génération.
Pourtant ces sainctz personnaiges se sont efîorcez de monstrer,
25 que nous ne sommes point corrumpuz de malice que nous atti-
rions d'ailleurs par exemple : mais que nous apportons nostre
perversité du ventre de la mère. Laquelle chose ne se peut nyer
sans grande impudence. Toutesfois nul ne se esmerveillera de la
témérité des Pellagiens en cest endroit, qui aura veu par les
30 escritz de Sainct Augustin, quelles bestes ont esté, et combien il
y avoit peu de vergongne en eux. Certes ce que confesse David Psal. iil
est indubitable c'est qu'il a esté engendré en iniquité, et que
sa mère l'a conceu en péché. 11 n'accuse point là les faultes de
ses parens : mais pour myeulx glorifier la bonté de Dieu envers
35 soy, il réduit en mémoire sa perversité des sa première nays-
sance. Or cela n"a pas esté particulier à David. 11 s'ensuit donc,
que la condition universelle de tous hommes est demonstrée par
son exemple. Nous tous donc, qui sommes produitz de semence
immunde, nayssons souillez d'infection de péché, et mesmes
DE L HOMME. CHAPITRE II.
35
devant que sortir en lumière, nous sommes contammez devant
la face de Dieu. Car qui est ce qui pourra faire une chose pure^
qui est produicte tlimmundicité ? comme il est dict au livre de
Job ? Certainement il nous fault avoir cela résolu, que Adam Joh 14.
a n'a pas seulement esté père de 1 humaine nature mais comme
souche ou racine, et pourtant qu'en la corruption d'iceluy le
^enre humain par raison a esté corrumpu. Ce que l'Apostre plug
clairement demonstre, en raccomparageant avec Christ. Tout
ainsi (dit-il) que le péché est entré par un homme au monde
10 universel, et par le péché la mort : laquelle a esté espandue sur
tous hommes : entant que tous ont péché : semblablement par lioma. iî.
la grâce de Christ Justice et vie nous est restituée. Que babille-
ront icy les Pellagiens ; que le péché a esté espars au monde par
1 imitation d'Adam? N'avons nous donc autre proffit de la grâce
Iode Christ? sinon qu'elle nous est proposée en exemple pour
ensuy vre ? Et qui pourroit endurer tel blasphème ? Or s'il n'y a
nulle double, que la grâce de Christ ne soit nostre, par communi-
cation : et que par icelle nous ayons vie : il s'ensuit pareille-
ment, que l'une et l'autre a esté perdue en Adam, comme nous
20 les recouvrons en Christ : et que le péché et la mort ont esté
engendrez en nous par Adam, comme ilz sont abolis par Christ.
Et n'est ja mestier, pour entendre cela, de nous envelopper en
ceste fâcheuse dispute, laquelle a grandement tormenté les
anciens docteurs. A scavoir si lame du fdz procède de la
2", substance de lame paternelle : veu que c'est en lame, que
réside le péché originel. Il nous fault estre contens, de sca-
voir que le Seigneur avoit mis en Adam les grâces et dons,
qu'il vouloit conférer à la nature humaine, pourtant qu'i-
celuy, quand il les a perduz, ne les a point perduz seule-
30 ment pour soy : mais pour nous tous. Qui est ce qui se
soucyera de l'origine de l'ame , après avoir entendu que
Adam avoit receu les ornemens qu'il a perduz ; nompas
moins povir soy que pour nous ? entant que Dieu ne les luy
avoit point baillés, comme à un seul homme en particulier :
35 mais à fin que toute sa lignée en jouyst avec luy communee-
ment ? Il n'y a point donc d'absurdité : si luy ayant esté des-
pouillé : la nature humaine en a esté desnuée, si luy estant
souillé par péché : l'infection en a esté espandue sur nous
tous . Parquoy , comme d'une racine pourrie ne procèdent
â6 DE LA CONGiNÔISSANCE
que rameaulx pourris, lesquelz transportent leur pourriture
en toutes les branches et feuilles qu'ilz produisent : ainsi les
enfans d'Adam ont esté contaminez en leur père, et sont
cause de pollution à leurs successeurs . C'est à dire , le
5 commencement de corruption a tellement esté en Adam : qu'elle
est espandue, comme par un perpétuel decours, des pères aux
enfans, et est facile de réfuter ce que cavillent les Pellagiens.
Hz disent qu'il n'est pas vray semblable, que les enfans, qui
nayssent de parens fidèles, en attirent corruption : veu qu'ilz
10 doibvent plustost estre purifiez par leur pureté. A cela nous
respondons. que les enfans ne descendent point de lag-eneration
spirituelle qu'ont les serviteurs de Dieu du Sainct Esprit : mais
de la génération charnelle qu'ilz ont d'Adam. 11 est bien vray,
que Dieu sanctifie les enfans des fidèles à cause de leurs parens :
15 mais cela n'est point par vertu de leur nature : mais de sa grâce.
C'est donc une bénédiction spirituelle, laquelle n'empêche point
que ceste première malédiction ne soit universellement en la
nature humaine.
Or à fin que cecy ne soit dict à la volée, il nous fault difinir
sole péché originel. Toutesfois mon intention n'est point, d'exa-
miner toutes les définitions de ceulx qui en ont escrit. Mais
seulement j'en donneray une, laquelle me semble estre conforme
à la vérité. Nous dirons donc, que le péché originel est une
corruption et perversité héréditaire de nostre nature, laquelle
25 nous faict coulpables, premièrement de l'ire de Dieu, puis après
produit en nous les oeuvres, que l'Escriture appelle oeuvres
de la chair, et est proprement cela que Sainct Paul appelle
souventesfois péché, sans adjouster originel. Les œuvres qui
en sont, comme sont, adultaires, paillardises, larcins, haynes,
.^0 meurtres, et gourmandises, il les appelle selon ceste raison
fruitz de péché. Combien que toutes telles oeuvres sont dénom-
mées péché en l'Escriture. 11 nous fault donc distinctement con-
sidererces deux choses : C'est à scavoir que nous sommes tel-
lement corrumpus en toutes les parties de nostre nature . que
33 pour ceste corruption nous sommes à bonne cause dam-
nables devant Dieu : auquel rien n'est agréable, sinon justice,
innocence, et pureté. Et ne fault dire, que ceste obliga-
tion soit causée de la faulte d'autruy seulement : comme si nous
respondions pour le péché de nostre premier père , sans
DE L HOMME. CHAPITRE II.
37
avoir rien mérité. Car en ce qu'il est dict, que par Adam nous
sommes faictzredebvables au jugement de Dieu : ce n'est pas à dire
que nous sommes innocens : et sans avoir mérité aucune peine, nous
portions la folle enchère de son péché. Mais pource que par sa trans-
5 gression nous sommes tous enveloppez de confusion, il est dict, nous
avoir tous obligez. Toutesfois nous ne debvons entendre, qu'il nous
ait constitués seulement redebvables de la peine, sans nous avoir
communiqué son péché. Car à la vérité le péché descendu de luy
réside en nous ; auquel justement la peine est deuë. Pourtant Sainct
10 Augustin, combien qu'il l'appelle aucunesfois le péché d'autruy,
pour monstrer plus clairement que nous l'avons de race, toutes-
fois il asseure qu'il est propre h un chascun de nous. Et mesmes
l'Apostre tesmoigne, que la mort est venue sur tous hommes,
pource que tous ont péché, c'est à dire, que tovis sont enveloppez
15 du péché originel, et souillez des macules d'iceluy. Pour ceste
cause les enfans mesmes .sont encloz en ceste condemnation.
Nompas simplement pour le péché d'autruy : mais j)our le leur
propre. Car combien qu ilz n'ayent encore produict fruictz de
leur iniquité : toutesfois ilz en ont la semence cachée en eulx,
20 Et qui plus est, leur nature est une semence de péché : Pourtant
elle ne peut estre que desplaisante et abominable à Dieu.
L autre point que nous avons à considérer, c est, que cette per-
versité n'est jamais oysive en nous : mais engendre continuelle-
ment nouveaulx fruictz; à scavoir iceulx (euvres de la chair,
25 que nous avons n'agueres descritz, tout ainsi qu'une fornaise
ardente sans cesse jette flambe et estincelles : et une source jette
son eauë. Parquoy ceulx qui ont defïîny le péché originel estre
un deiïault de justice originelle, combien qu'en ces paroles ilz
ayent compris toute la substance : toutesfois ilz n'ont suffisam-
30 ment exprimé la force d'iceluy. Carnostre nature n'est seulement
vuide et destituée de tous biens : mais elle est tellement fertille
en toute espèce de mal, qu'elle ne peut estre oysive. Ceulx qui
l'ont appellée concupiscence n'ont point usé d'un mot trop imper-
tinent : moyennant qu'on adjoustast ce qui n'est concédé de plu-
35 sieurs : C'est que toutes les parties de Ihomme, depuis l'enten-
dement jusques à la volunté, depuis lame jusques à la chair,
sont souillées et du tout remplies de cette concupiscence, ou
bien, pour le faire plus court, que l'homme n'est aultre chose de
soymesme que corruption.
38 DE LA CONGNOISSANCE
Voisent maintenant ceux , qui osent attribuer la cause de
leur péché à Dieu : quand on dit que les hommes sont naturel-
lement vicieux. Hz font perversenient, de contempler l'ouvrage
de Dieu en leur pollution : lequel ilz debvoient plustost cher-
5 cher et contempler en la nature qua receu Adam , devant
qu'estre corrumpu. Nostre perdition donc procède de la coulpe
de nostre chair : et non pas de Dieu. Attendu que nous ne
sommes periz pour autre cause, que pour estre déclinez de
notre première création. Et ne fault icy repplicquer que Dieu
loeust bien peu myeulx pourvoir à nostre salut, s'il feust venu
au devant de la faute d'Adam. Car ceste oblation est si
audatieuse et téméraire, qu'elle ne doibt nullement entrer en
l'entendement de l'homme fidelle. D'avantag-e elle appartient
à la prédestination de Dieu : laquelle sera cy aprez traictée en
15 son lieu. Pourtant , qu'il nous sovienne d'imputer tousjours
nostre ruyne à la corruption de nostre nature ; et non point
à icelle nature, qui avoit esté donnée premièrement à l'homme,
afin de n'accuser Dieu : comme si nostre mal venoit de luy.
Il est bien vray, que ceste mortelle playe de péché est fichée
20 en nostre nature : mais [cje sont choses bien diverses, qu'elle
ayt esté navrée des son origine, ou qu'elle l'ayt esté depuis
et d'ailleurs. Or est il certain , qu'elle a esté navrée par le
péché qui est survenu. Nous n'avons donc cause de nous
plaindre de nousmesmes. Ce que l'Escriture denotte dili-
23 gemment. Car TEcclesiaste dict : Je scay que Dieu avoit créé
l'homme bon : mais qu'il sjest forgé plusieurs inventions mau-
vaises. Par cela il apparoist, qu'il fault imputer à l'homme
seulement sa ruyne, veu qu'il avoit eu de la grâce de Dieu
une droicture naturelle : et que par sa folie il est tresbuché
30 en vanité. Nous disons que 1 homme est naturellement cor-
rumpu en perversité. Mais que ceste perversité n'est point
en luy de nature. Nous nyons qu'elle soit de nature : à fin
de monstrer, que c'est plustost une qualité survenue à l'homme,
quune propriété de sa substance, laquelle ayt esté des le
35Commancement enracinée en luy. Toutesfois nous l'appelions
naturelle : à fin que aucun ne pense qu'elle s'acquiert d'un cha-
cun par mauvaise coustume et exemple , comme ainsi soit
qu elle nous enveloppe tous des nostre première nayssance. Et ne
parlons pas ainsi sans autheur. Car par mesme raison l'Apostre
DE l'homme, chapitre 11. 39
nous appelle tous héritiers de lire de Dieu. Gomme Dieu seroit
il courroucé à la plus noble de ces créatures? Veu que les
moindres oeuvres qu'il a faictez luy plaisent. Mais c'est que
plustost il est courroucé à l'encontre de la corruption de son
soevre, que contre son oeuvre. Si doncques riioiunie ntni sans
cause est dict naturellement estre abominable à Dieu : à l)on
droict nous pourrons dire, que naturellement il est vicieux et
mauvais. Comme S. Augustin ne faict point de difficulté,
à cause de nostre nature corrumpue, d'appeler péchez natu-
lorelz, lesquelz régnent nécessairement en nostre chair, quand
la grâce de Dieu nous detfault. Par ceste distinction est refu-
tée la folie des Manichéens : lesquelz imaginantz une per-
versité essentielle en l'homme , le disoient estre créé d'un
autre que de Dieu : à fin de n'attribuer à Dieu aucune origine
15 de mal.
Puis que nous avons veu, que la seigneurie de péché, aprez
avoir subjugué le premier homme, a reduict en servitude tout
le genre humain. Il reste à scavoir si depuis que nous sommes
venuz en telle captivité nous sommes destituez de toute liberté
20 et franchise, ou bien, si nous en avons quelque portion de reste,
jusques Ik ou elle s'estent. Mais à fin que la vérité de ceste
question nous soit plus facillement esclarcie : il nous fault pre-
mièrement mettre un but, auquel nous adressions toute nostre
dispute. Or nous congnoistrons à quel but nous debvrons tendre,
2". en considérant les dangiers qui sont d'une part et d'autre. Car
quand l'homme est desnué de tout bien : de cela il prent soudaine
occasion de nonchaillance. Et pource qu'on luy dit, que de soy-
mesme il n'a nulle vertu à bien faire, il ne se soucye de s'i applic-
quer : comme si cela ne luy appartenoit de rien. D'autre part on
ne luy peut donner le moins du monde, qu'il ne s'esleve en vaine
confiance et témérité : et aussi qu'on ne desrobe autant à
Dieu de son honneur. Pour ne tomber donc en ces incon-
veniens , nous aurons à tenir ceste modération : C'est que
l'homme estant enseigné qu'il n'y a nul bien en luy,- et qu'il
35 est environné de misère et nécessité : il entende toutes-
fois comment il doibt aspirer au bien, duquel il est vuide :
et à liberté dont il est privé. Et soit mesmes plus vivement
picqué et incité à cela faire : que si on luy faisoit à croire qu'il
eust la plus grand' vertu du monde. Il n'y a celuy qui ne
30
40 DE LA CONGNOISSANCE
veoye, combien est nécessaire ce second point. A scavoir de
resveiller l'homme de sa négligence et paresse. Quant au
premier, de luy monstrer sa paouvreté, plusieurs en font plus
grand'doubte qu'il ne debvroient. Il n'y a nulle doubte.
5 qu'il ne faidt rien oster à Ihomme du sien : c'est à dire qu'il ne
luv fault moins attribuer que ce qu'il ha . Mais c'est aussi une
chose évidente, coml)ien il est expédient de le despoiller de
fauce et vaine gloire. Car si ainsi est, qu'il ne luy ayt point esté
licite de se glorifier en soymesme, lors que par la beneficence de
10 Dieu il estoit vestu et aorné de grâces souveraines : combien
maintenant convient-il plus qu'il s'humilie, puis que pour son
ingratitude il a esté abaissé en extrême ignominie ; ayant perdu
l'excellence qu'il avoit pour lors ? Poiu" entendre cela plus aisé-
ment, je ditz que l'Escriture, pour le temps que l'homme estoit
15 exalté au plus hault degré d'honneur qu'il pouvoit estre, ne luy
attribue rien d'avantage, que de dire qu'il estoit créé à l'image
de Dieu. Enquoy elle signifie, qu'il n'a point esté riche de ses
propres biens : mais que sa béatitude estoit en la parti^pation
de Dieu. Que luy reste-il donc maintenant ; sinon qu'il recon-
20 gnoisse son Dieu ; en estant desnué et despourveu de toute
gloire? Duquel il n'a peu recongnoistre la bénignité et lar-
gesse, ce pendant qviil ahondoit des lichesses de sa grâce?
Et puis qu'il ne l'a point gloritié par recongnoissance des
biens, qu il en avoit receu : que pour le moins il le glorifie
25 maintenant en la confession de sa paovreté. D'avantage il n'est
pas moins utile pour nous, de nous démettre de toute louenge
de sagesse et vertu, qu'il est requis pour maintenir la gloire
de Dieu. Tellement que ceulx qui nous attribuent quelque chose
oultre mesure, en blasphémant Dieu, nous ruynent aussi. Car
30 qu'est ce autre chose, quand on nous enseigne de cheminer
en nostre force et vertu, que de nous eslever au debout d'un
roseau, lequel ne nous peut soustenir qu'il ne rompe inconti-
nent, et que nous ne tresbuchions ? Combien encores qu'on
faict trop d'honneur à noz forces, les accomparageant à un
35 roseau. Car ce n'est que fumée, tout ce que les hommes
en imaginent. Pourtant ce n'est pas sans cause que ceste
belle sentence est si souvent répétée en Sainct Augustin.
Que ceulx qui maintiennent le libéral Ari itre, le jectent
bas en ruyne plustost qu'ilz ne l'establissent . 11 m'a
DK l'homme. CIlAPirUE II. 41
lalleu faire ce proesme, k cause d'aucuns, qui ne peuvent porter que
la vertu de Ihomme soit destruiete et anichillée, pour ediffîeren luy
celle de Dieu : d'autant quilz jugent, toute ceste dispute estre non
seulement inutile : mais fort dang-ercuse, laquelle toutesfois nous
5 congnoistrons estre tresutile : et qui plus est, estre un des fon-
demens de la relig'ion.
Pour bien considérer les facultez de l'homme, nous commen-
cerons par la division d'icelles, laquelle nous ferons la plus
simple qu'il sera possible. Car il n'est ja mesticr de suyvre la
10 subtilité des Philosophes. Je confesse bien ce que dit Platon
avoir apparence de raison : qu'il y a en l'homme cinq sens, les-
quelz il appelle instrumens, par lesquelz le sens commun, qui
est comme un réceptacle imiversel, conçoit toutes les choses
externes, qui se présentent ou à la veuë, ou à l'oyë, ou au goust,
15 ou au flair, ou à l'attouchement. En après que la phantasie
discerne, ce que le sens commun a conceu et appréhendé, puis
que la raison faict son ofiice en jug-eant de tout. Finalement que
par dessus la raison est l'intellig-ence : -laquelle contemple d'un
regard posé et arrêté toutes les choses, que la raison demeine
20 par ses discours. Ainsi cfu'il y a trois vertus en lame, qui appar-
tiennent à congnoistre et entendre : lesquelles, pour ceste cause,
sont nommées cognitives. A scavoir la raison, lintelligence, et
la phantasie, ausquelles il y en a trois aultres correspondentes,
qui appartiennent à appeler, à scavoir la volunté, de laquelle
23 l'office est d'appeter ce que l'intelligence et la raison luy
proposent : la colère, laquelle suyt ce que luy présentent
la raison et phantasie : la concupiscence, laquelle appréhende
ce qui luy est objecté par la phantasie. Quand toutes ces choses
seront vrayes, ou pour le moins vray semblables : encores n'est
30 il ja mestier de nous y amuser : pource qu'il y a danger qu'elles
ne nous pourroient ayder de gueres, et nous pourroient beaucoup
tormenter par leur obscurité. Nous pourrions amener d autres
distinctions, comme celle que baille Aristote, qu'il y a une partie
en lame, laquelle ne contient point raison en soymesme, toutes-
35 fois peut estre conduicte par raison, l'autre qui est mesme parti-
cipante de raison. Item, qu'il y a trois choses, dont procèdent toutes
les actions humaines. A scavoir, sens, entendement, et appétit.
Mais il nous fault user de manière de parler, laquelle soit enten-
due de tous. Ce qu'on ne peut prendre des Philosophes. Car iceulx
42 DE LA CONGNOISSANCE
quand ilz veulent parler bien simplement, ilz divisent lame
en deux parties, à scavoir, intelligence et appétit. Mais ilz
font l'un et Taultre double : Car ilz disent qu'il y a ime intelli-
gence contemplative, qui ne vient point juscpies en action :
5 mais s'arreste seulement à contempler, ce qui est signifié par le
mot d'engin, comme dict Cicero. L'aultre gist en praticque :
laquelle après avoir appréhendé le bien ou le mal, mect la vou"
lunté à le suyvre, ou fuyr, soubz laquelle espèce est contenue
la science de bien vivre. Pareillement ilz divisent lappetit en
10 concupiscence et volunté, appellant volunté, quand le désir de
l'homme obtempère à raison : concupiscence, quand il se desborde
en intempérance, rejectant le joug de modestie. En ce faisant,
ilz imaginent tousjours qu'il y a une raison en l'homme, par
laquelle il se peut bien gouverner. Pourtant nous, qui disons la
15 raison humaine estre dépravée, ne pouvons accorder du tout avec
eulx. Il nous fault prendre donc une autre division. C'est qu'il
y a deux parties en nostre ame : intelligence, et volunté. L'intel-
ligence, est pour discerner entre toutes choses qui nous sont
proposées, et juger ce qui nous doibt estre approuvé ou con-
aodemné. L'office de la volunté est, d'eslire et suyvre ce que l'en-
tendement aura jugé estre bon : au contraire, rejecter et fuyr ce
qu'il aura reprouvé. Il ne nous fault icy arrester à ce que dispute
Aristote trop subtilement, qu il n'y a nul mouvement propre-
ment en l'intelligence , mais que c'est l'eslection qui meut
25 1 homme. Il nous doibt suffire, sans nous empestrer en questions
superflues, que l'entendement est comme gouverneur et capi-
taine de l'ame : que la volunté despend de son plaisir, et ne
désire rien jusques après avoir eu son jugement. Pourtant Aris-
tote dit bien vray en un autre passage, que fuyr ou appeter, est
30 une semblable chose en l'appétit, que nyer ou approuver en
l'entendement. Or nous verrons cy après, combien est certaine
la conduicte de l'entendement, pour bien diriger la volunté. Icy
nous ne prétendons autre chose, sinon de monstrer que toutes
les vertus de lame humaine se réduisent à l'un de ces deux
35 membres. En ceste manière nous comprenons le sens soubz
l'entendement, lequel est séparé des Philosophes, qui disent que
le sens encline à volupté, l'entendement à honesteté et vertu.
Davantage que pour le nom d appétit nous usons du mot de
volunté, lequel est le plus usité.
DE L HOMME. CHAPITRE
43
Maintenant considérons, quelle faculté il y a en une partie ou
en l'autre. Les Philosophes d'un consentement commun estiment,
qu'en l'ame humaine réside la raison : laquelle est comme une
lampe pour conduire l'intelligence, et comme ime Hoyne pour
5 modérer la volunté. Car il/, imag^inent qu'elle est tellement rem-
plie de lumière divine, qu'elle peut bien discerner entre le bien
et le mal : et qu'elle ha telle vertu, qu'elle peut bien imperer.
Aucontraire que le sens est plain d'ignorance et de rudesse, ne
se pouvant eslever à considérer les choses haultes et excellentes :
10 mais s'arrestant tousjours k la terre. Que l'appétit, s'il veut
obtempérer à raison, et ne se laisse point subjuguer par le sens,
a un mouvment naturel, à chercher ce qui est bon et honneste :
et ainsi peut tenir la droicte voye. Aucontraire s'il s'adonne en
servitude au sens, il est par iceluy corrumpu et dépravé, pour se
15 desborder en choses deshonnestes. Pourtant ilz disent que l'en-
tendement humain ha en soy raison, pour conduire l'homme à
bien et heureusement vivre : moyennant qu il se maintienne en
sa noblesse, et donne lieu à la vertu qui luy est naturellement
enracinée. Ce jjendant ilz disent bien , qu'il y a un mouvment
20 inférieur, lequel est appelle, sens, par lequel il est diverty et dis-
traict en erreur et ignorance : neantmoins lequel peut estre dompté
par raison, et petit à petit anyanty. Hz constituent la volunté
comme moyenne entre la raison et le sens. C'est à scavoir ayant
liberté d'obtempérer k raison si bon luy semble: ou de s'adonner
23 au sens. Bien est vray que l'expérience les a contrainct de confes-
ser aucunesfois, combien il est difficil' k l'homme, de eslabliren
soymesme le règne à la raison : d'autant que maintenant il est
chastouillé de volupté, maintenant abusé par vaine espèce de bien,
maintenant agité d'affections intempérantes, lesquelles sont
30 comme cordes (ainsi que dit Platon) pour le tirer et esbranler ck et
là. Pour laquelle raison Cicero dit, que nous avons seulement des
petites estincelles de bien, alumées de nature en nostre esprit, les-
quelles nous corrumpons aisément par faulses opinions et mau-
vaises meurs. D'avantage ilz confessent, que quand telles mala-
35 dies ont une fois occupé nostre esprit , qu'elles y régnent si
fort qu'il n'est pas facil' de les restraindre , et ne doubtent
point de les accomparer à des chevalx rebelles. Car comme
un cheval rebelle, disent-ilz, ayant jette bas son conducteur,
regibe sans mesure : ainsi l'ame ayant rejette la raison, et s'es-
tant adonnée k ses concupiscences, est du tout desbordée.
44 DE LA CONGNOISSAXCE
Au reste ilz ont cela pour résolu, que tant les vertus que les
vices sont en nostre puissance. Car s'il n'estoit, disent-ilz, en
nostre eslection de faire le bien ou le mal : il ne seroit point
aussi de nous en abstenir. Aucontraire, s il nous est libre de nous
5 en abstenir : aussi est il de le faire. Or est-il ainsi, que nous
faisons de libre eslection tout ce que nous faisons : et nous abste-
nons librement de ce dont nous abstenons : il s'ensuit donc qu'il
est en nostre puissance de laisser le bien que nous faisons, et
aussi le mal : et pareillement de faire ce que nous laissons. Et
iode faict, aucuns d'eulx sont venuz jusques à ceste folie, de se
vanter d'avoir bien la vie par le bénéfice de Dieu. Mais d'avoir
d'eulx mesmes de bien vivre. Voila donc en somme la sentence
des Philosophes, c'est que la raison, qui est en l'entendement
humain, suffist à nous bien conduire, et monstrer ce qui est bon de
15 faire, que la volunté estant soubz icelle, est tentée et sollicitée par
le sens à mal faire : neantmoins, entant qu'elle ha libre eslection,
qu'elle ne peut estre empeschée de suyvre la raison entièrement.
Quant est des docteurs de l'Esglise chrestienne, combien qu'il
n'y en ait eu nul d'entre eulx, qui n'ayt recongneu la raison estre
20 fort abbatue en 1 homme par le péché, et la volunté estre sub-
jecte à beaucoup de concupiscences : neantmoins la pluspart a
plus suyvy les Philosophes qu'il n'estoit mestier. Il me semble
qu'il y a eu deux raisons qui ont meu les anciens pères à ce faire.
Premièrement ilz craignoient : s'ilz ostoient à l'homme toute
25 liberté de bien faire, que les Philosophes ne se mocquassent de
leur doctrine. Secondement que la chair, laquelle est assez
prompte à nonchallance , ne print occasion à contemner les
bonnes œuvres : Parquoy à lin de ne rien enseig-ner. qui feust
contrevenant à l'opinion commune des hommes, ilz ont voulu à
sodemy accorder la doctrine de l'Escriture avec celle des Philo-
sophes. Toutesfois il appert de leurs paroles, qu'ilz ont principal-
lement regardé le second poinct. Chrysostome dict en quelque
passage : Dieu a mis le bien et le mal en nostre faculté, nous don- Homélie
nant libéral Arbitre de choisir l'un ou 1 autre : et ne nous tire point */? lapro-
dition des
35 par contraincte : mais nous reçoit, si nous allons voluntairement juifz.
à luy. Item : Celuy qui est mauvais, peut devenir bon, s'il veult : Homélie
etceluv qui est bon se chang'eet devient mauvais. Car Dieu nous a J^ ^"
■ ^ . " . . Genèse.
donné franc Arbitre en nostre nature, et ne nous impose point néces-
sité : mais il nous ordonne les remèdes, dont nous usions si
10
i)K l'homme, chapitre 11. 18
Don nous semble. Item : Comme nous ne pouvons rien bien
faire sans estre aydez de la grâce de Dieu : aussi si nous
n'apportons ce qui est de nous, sa grâce ne nous subvien-
dra point. Or il avoit dit auparavant, que tout ne gist point en
sl'ayde de Dieu : mais que nous ap|)ortons de nostre part. Et de
faict, ceste sentence luy est familière, apportons ce qui est de
nous: et Dieu suppliera le reste. A quoy convient ce que dict
Sainct Hyerosme, que c'est à nous à faire de commencer, et à Dieu
de parfaire. Que c'est nostre office d'offrir ce que nous povons :
le syen d'accomplir ce que ne povons. Nous voyons certes qu'en
ces sentences ilz ont attribué plus de vertu à l'homme qu'il/, ne
debvoint, pource qu'il/, ne pensoient point autrement reveiller
nostre paresse, qu'en remonstrant qu'il ne tient qu'à nous, que
nous ne vivions bien. Nous verrons cy après s'ilz ont eu bonne
15 raison de ce faire. Certes il apparoistra que leurs paroles, que
nous avons recitées, soit faulses, pour en dire franchement ce
qui en est. Combien que les Docteurs Grecz pardessus les autres,
et entre eulx singulièrement Sainct Chrysostome ait passé mesure,
en magnifiant les forces humaines, toutesfois quasi tous les
20 anciens pères, excepté Sainct Augustin, sont tant variables en
ceste matière, ou parlent si doubteusement . ou obscurément,
qu'on ne peut quasi prendre de leurs escritz aucune certaine
resolution. Pourtant nous ne nous arresterons à référer particu-
lièrement l'oppinion d'un chascun : mais seulement en passant
25 nous touchei-ons ce que les uns et les autres en on dit, selon
que l'ordre le requerra. Les autres escrivains, qui sont venuz
après, affectent chascun pour soi de monstrer quelque subtilité,
en deffendant les vertus humaines, successivement sont tombez
de mal en pis, jusques à ce qu'ilz ont amené le monde en ceste
30 opinion, de penser que l'homme ne feust corrumpu, sinon en la
partie sensuelle : et que ce pendant il eust la raison entière : et
pour la plus grand part liberté en son voloir. Le nom de franc
Arbitre a esté tousjours entre les Latins. Les Grecz ont encores un
mot plus arrogant, par, lequel ilz signifient que l'homme a puis-
se sance de soymesme. Puis donc qu'ainsi est, que jusques au
simple populaire tous sont abreuvez de ceste opinion, que nous
avons tous franc Arbitre, et que la pluspart de ceulx qui veulent
estre veuz bien scavans n'entendent point jusques là ou ceste
liberté s'estend : considérons en premier lieu, que ce mot veut
dire, puis nous despecherons par la pure doctrine de l'Escriture,
46 DE LA CONCtNOISSAXCE
quelle faculté ha l'homme à bien ou mal faire.
Or combien que ce vocable soit souvent usurpé de tout
le monde : neantmoins il y a bien peu qui le difînissent.
Toutesfoys il semble que Orig-ene a mis une difinition qui
estoit receuë de tout le monde pour son temps, quand il
a dit que c'est une faculté de raison, à discerner le bien et
le • mal : et de volunté, à eslire l'un ou l'autre. A quoy ne
discorde point Sainct Augustin, disant que c'est une faculté
de raison et volunté, par laquelle on eslist le bien, quand la
log'race de Dieu assiste : et le mal, quand icelle désiste. Sainct
Bernard, voulant parler subtilement, a esté plus obscur, disant :
que c'est un consentement pour la liberté du vouloir, qui
ne se peut perdre : et un jug-ement indéclinable de raison.
La difinition d'Anselmus n'est guère plus clere : qui dit que
13 c'est une puissance de garder droicture à cause d'elle mesme.
Pom-tant le Maistre des Sentences et les docteurs scolastiques
ont plustost receu celle de S. Augustin, pource qu'elle estoit C. 2. Sen-
plus facile, et n'excluoit point la grâce de Dieu, sans laquelle ^2^' ' '
il congnoissoient bien que la volunté humaine n'a nul pou-
20 voir. Toutesfois ilz ameinent quelque chose du leur, pensant
myeulx dire , ou pour le moins mjeulx explicquer le dire
des autres. Premièrement ilz accordent que le nom d'Abitre se
doibt rapporter à la raison : de laquelle l'office est de discerner
entre le bien et le mal, que le tiltre de libre ou franc, lequel on
25 adjouste avec, appartient proprement à la volunté : laquelle
peut estre fleschie à une partie ou à l'aultre. Comme donc ainsi
soit, que la liberté convienne proprement à la volunté, Thomas
Dacquin pense que ceste difinition seroit bonne, de dire que le
franc Arbitre est une vertu élective : laquelle estant moyenne
30 entre intelligence et volunté, encline toutesfois plus à volunté.
Nous avons en quoy gist la force du libéral Arbitre. Ascavoir
en la raison et volunté. Maintenant il reste de scavoir quelle
estandue elle ha. Communément on attribue les choses externes,
qui n'appartiennent de rien au royaume de Dieu, au conseil et
35 eslection des hommes. La vraye justice, on l'attribue k la grâce
spirituelle de Dieu, et régénération de son Esprit. Ce que voulant
signifier celuy qui a escrit le livre de la vocation des Gentilz,
dit qu'il y a trois espèces de vouloir. La première il la nomme
* Sensitive. La seconde Animale. La troisiesme Spirituelle.
DE L HOMME. CHAPITRE II.
47
Quand aux deux premières, il les faict libres à l'homme. La
troisiesme, il dict que c'est opperation du Sainct Esprit. Nous
disputerons cy aprez si ceste sentence est vraye. Ce que nous
avons maintenant à faire, est de briefvement reciter les sen-
stencesdes autres. De là vient, que les escrivains, en traictant
du libéral Arbitre n'ont point grand esgard à toutes œvres
externes appertenantes à la vie corporelle : mais regardent prin-
cipallement l'obéissance de la volunté de Dieu. Or je confesse bien
que ceste seconde question est la principalle : mais quant et quant
10 je ditz, que l'autre n'est point k négliger : et espère bien d'ap-
prouver mon opinion : quand nous viendrons là.
Oultreplus il y a une distinction receûe des escoUes de théo-
logie : en laquelle sont nombrées trois espèces de liberté. La
première est délivrance de nécessité. L'autre de péché. La troi-
15 siesme de misère. De la première, ilz disent qu'elle est telle-
ment enracinée en l'homme de nature, qu'elle ne luv peut
estre ostée. Hz confessent que les deux autres sont perdues par
le péché. Je recois voluntiers ceste distinction : sinon qu'en
icelle la nécessité est mal confondue aveccontraincte. Or il appa-
20 roistra en temps et en lieu, que se sont deux choses bien
diverses. C'est donc une chose résolue, que l'homme n'a point
libéral Arbitre à bien faire, sinon qu'il soit aydé de la grâce de
Dieu : et de grâce spirituelle, qui est donnée aux esleuz tant
seulement, par régénération. Toutesfoisil n'appert point encores,
25 si l'homme est privé du tout de faculté de bien faire : ou bien s'il
en ha encores quelque portion de résidu : mais petite et infirme ;
laquelle ne puisse rien sans la grâce de Dieu. Toutesfois estant
aAdé d'icelle, besoigne de son costé. Le Maistre des sentences
voulant décider ce point dit, qu'il y a double grâce nécessaire à
30 l'homme, pour le rendre ydoine à bien faire. Il appelle l'une
besongnante : laquelle fait que nous veuillions le bien avec effi-
cace. L'autre coopérante : laquelle suit la bonne volunté pour
luy ayder. En laquelle division, cela me desplaist, que quand
il attribue à la grâce de Dieu, de nous faire désirer le bien
33 avec efficace, il signifie, que de nostre nature nous appetons
aucunement le bien: jacoit que nostre désir n'ayt point d'effect.
Car S. Bernard parle quasi ainsi, disant que toute bonne
volunté est oevre de Dieu : neantmoins que l'homme de son
4S DK LA CONGNOiSSANCË
propre mouvement peut appeter bonne volunté. Mais le Maistfe
des sentences a mal entendu S. Augustin : lequel il a pensé
ensuyvre en mettant ceste distiction. Il y a d'avantage au second
membre une doubte qui moffence, veu qu'elle a engendré une
5 opinion perverse. Caries scolastiques ont pensé, que pour ceste
cause il dist que nous coopérons avec la grâce de Dieu, qu'il
est en nostre pouvoir d'anéantir la première grâce, qui nous
est offerte, en la rejectant : ou la confermer, en y obéissant.
Ce que tient mesmes celuy qui a escrit le livre de la vocation des
loGentilz. Car il dit qu il est libre à ceulx qui ont jugement de
raison de se eslongner de la grâce, tellement que cela leur est
imputé k vertu, de ne s'en point départir, à fin quilz ayent
quelque mérite, d'avoir faict ce (pii pouvoit neslre point faict
s'ilz eussent voulu : combien qu'il ne se peut faire sans la
13 grâce de Dieu coopérante. J'ay bien voulu notter en passant ces
poinctz : à fin que le lecteur entende, en quoy je discorde d'avec
les docteurs scolastiques qui ont tenu une doctrine plus entière
que n'ont faict les Sophistes qui sont venuz après : avec les-
quelz nous avons plus de différent, à scavoir en tant qu'ilz ont
20 beaucoup décliné de la pureté de leurs prédécesseurs. Quoy
qu'il en soit, par ceste division nous pourrons entendre, qui les
a meu de concéder à 1 homme le libéral Arbitre. Car finale-
ment le maistre des Sentences prononce, que l'homme n'est
point dict avoir le Libéral Arbitre, pource qu'il soit suffisant à
25 penser, ou faire le bien, autant comme le mal: mais seulement
pource qu'il n'est point subject à contraincte ; laquelle liberté
n'est point empeschée : combien que nous soyons mauvais et
serfz de péché, et que nous ne puissions autre chose que mal
faire. Nous voyons donc qu'ilz confessent l'homme nestre point
30 dit avoir Libéral Arbitre, pource qu'il ayt libre eslection tant
de bien, comme de mal : mais pource qu'il faict ce qu'il faict
de volunté, et non par contrainte. Laquelle sentence est bien
vraye. Mais quelle mocquerie est ce de orner une chose
si petite d'un filtre, tant superbe? Voila une belle liberté,
35 de dire que l'homme ne soit point contrainct de servir à
péché : mais que tellement il soit en servitude voluntaire :
que sa volunté soit tenue captive des liens de péché.
Certes j'ay en horreur toutes contentions de paroles : des
quelles l'Eglise est troublée en vain. Mais je serois d'advis
DE L'iIUMMIi. CHAI'ITIU: 11. 49
qu'on evitast tous vocables, esquelz il y a quel(|ue absurdité, et
principallement là où il j a danger d'errer. Or quand on assigne
libéral Arbitre à riioinme : combien y en a-il, qui ne conçoivent
incontinent qu'il est maistre, et de son jug-enient , et de sa
5Volunté; pour se pouvoir tourner de sa propre vertu, et d'une
part et d'autre? Mais on ])ourra dire, (jue ce danger sera osté,
moyennant qu'on advertisse bien le peuple , que signifie le
mot de franc Arbitre. Je dictz aucontraire, que veu l'inclination
naturelle qui est en nous à suyvre faulseté et mensonge, nous
10 prendrons plustost occasion de faillir en un seul mot, que nous
ne serons instruitz à la vérité par une longue oraison. De laquelle
chose nous avons plus certaine expérience en ce vocable qu'il ne
seroitde besoing. Car après qu'il a esté une fois inventé, on l'a
tellement receu, qu'on n'a tenu compte de l'exposition qui en a
15 esté faicte par les anciens : et en a on pris cause de s'enor-
gueillir en soymesme. D'avantage si l'auctorité des pères nous
meut : combien qu'ilz ayent tousjours ce mot en la bouche, ce
peiulant neantmoins ilz monstrent en quelle estime ilz en ont
l'usage. Principallement Sainct Augustin, lequel ne doubte point
20 de l'appeller serf. Il est bien vray qu'il contredict en quelque lieu
à ceulx qui [ny lent qu'il y ait libéral Arbitre mais il demonstre
quant et quant à quoy il prétend quand il dit ainsi : Seulement
que nul n'entrenpregne de nyer tellement le franc Arbitre, qu'il
veuille excuser le péché. Mais d'autrepart il confesse que la
25volunté de l'homme, n'est pas libre sans l'Esprit de Dieu : veu
qu'elle est vaincue de ses concupiscences. Item que après que la
volunté a esté vaincue, par le vice auquel elle est tombée : que
nostre nature a perdu sa liberté. Item que l'homme en usant mal
du franc Arbitre, l'a perdu, et s'est perdu soymesme. Item. Que
soie franc Arbitre est en captivité, et qu'il ne peut rien à bien
faire. Que dirons nous, mesmes cju'en un autre lieu il semble
qu'il se veuille mocquer de ce mot, en disant, qu'il y a bien
libéral Arbitre en l'homme : mais nompas à délivre, et qu'il est
libre de justice, et serf de péché. Celuy qui tesmoigne n'avoir
35 autre opinion de la liberté de l'homme, sinon qu'il est esgaré de
justice, ayant rejette le joug d'icelle pour servir à péché : ne se
mocque-il pas purement du tiltre qu'on luy baille ; luy baillant
le franc Arbitre ? Pourtant si quelqu'un se permet user de ce mot
en saine intelligence Je ne luy en feray pas grande controversie.
InstUution.
50 DE LA CONGNOISSANCE
Mais pource que je vois , qu'on n'en peut user sans grand
danger, au contraire, que ce seroit grand proflît à lEg-lise
qu'il feust aboly: je ne le vouldrove point usurper : et si quel-
qu'un m'en demandoit conseil, je luy dirois qu'il s'en abstint.
5 II semblera advis à d'aucuns que je me suis faict un grand
préjudice en confessant que tous les docteurs Ecclesiasticques
excepté Sainct Augustin, ont parlé si doubteusement ou incons-
tamment de ceste matière, qu'on ne peut rien avoir de certain de
leur doctrine. Car ilz prendront cela comme si je les voulois
10 débouter, d autant qu'ilz me sont contraires. Mais je n'ay autre
chose regardé sinon d advertir simplement en bonne fov les lec-
teurs pour leur proftît de ce qui en est : à lin qu'ilz n'attendent
d'avantage d'eux qu ilz y trouveront, c'est qu'ilz demeureront
tousjours en incertitude, veu que maintenant ayant despouillé
ira 1 homme de toute vertu, ilz enseignent d'avoir son refuge à la
seule grâce de Dieu. L'autre fois il luy attribuent quelque faculté,
ou pour le moins semblent advis leur attribuer. Toutesfois il ne
m'est pas difticile de faire apparoistre par aucunes de leurs sen-
tences que quelque ambiguïté qu'il y ait en leurs paroles, neant-
20 moins ilz n'ont du tout rien estimé des forces humaines, ou pour
le moins qu'ilz en ont bien peu estimé, en donnant toute la lou-
enge des bonnes œuvres au Sainct Esprit. Car que veut autre
chose dire ceste sentence de Saint Ciprien tant souvent alléguée
de Sainct Augustin ; Il ne nous fault en rien glorifier, car il n'y
25 a nul bien qui soit nostre? Certes elle aneantyt du tout l'homme,
à iîn de luy apprendre de chercher tout en Dieu. Autant y en y a
il en ce que dict Enchère ancien Evesque de Lyon, disant que
Christ est l'arbre de vie. auquel quiconques tendra la main il
vivra: Que l'arbre de congnoissance de bien et de mal est le
30 franc Arbitre, de laquelle quiconques vouldra gouster mourra.
Item ce que dict Sainct Chrysostome, que l'homme non seulement
de nature est pécheur, mais entièrement n'est que péché. S'il n'y
a rien de bien en nous ; si l'homme depuis la teste jusques au
pied n'est que péché ; s'il n'est pas mesmes licite de tenter; que
:i5 vault le franc Arbitre ? comment sera-il licite de diviser entre
Dieu et l'homme ; la louenge des bonnes œuvres ? Je pourrois ame-
ner des autres Pères beaucoup de tesmoignages semblables, mais
à lin que nul ne puisse caviller que j'aye choisi ^ seulement ce
qui servoit à mon propoz , et laissé derrière ce qui me pouvoit
DE l/llOM.MK. CUAI'HUI-: h. ol
nuvre, j(? m'abstiens d'en faire plus long- récit. Neantmoiiis
j'ose affermer cela, combien qu'ilz passent aucunesfois mesure
en exaltant le franc Arbitre, qu'il/, tendent tousjours à ce but,
de destourner Ihomme de fiance de sa propre vertu, à lin de
b l'enseigner que toute sa force gist en Dieu seul. Maintenant
venons à considérer simplement , et à la vérité quelle est la
nature de l'homme.
Je suis contrainct de repeter encores icy de rechef, ce que
j ay touché au commencement de ce traicté, à scavoir que celuv
1 a tresbien profité en la cong-noissance de soymesme, lequel par
l'intelligence de sa calamité, paovreté, nudité, et ignominie, est
abbatu et estouné. Car il n'y a nul danger que l'homme se
démette trop fort, moyennant qu'il entende, qu'il luy fault
recouvrer en Dieu ce qui luy deffault en soymesme. Au-
1, contraire il ne se peut attribuer un seul g-rain de bien oultre
mesure, qu'il ne se ruyne de vaine confiance, qu'il ne soit cou-
pable de sacrileg-e, en ce (juil usurpe la g'ioire de Dieu. Et de
vray, toutes fois et quantes que ceste ciq)idité nous vient en
l'entendement, d'appeler d'avoir quelque chose propre à nous :
_oà scavoir ([ui réside en nous plus qu'en Dieu: il nous fault
entendre que ceste pensée ne nous est présentée d'autre conseil-
lier, que de celuy qui a induict noz premiers Pères vouloir estre
semblables à Dieu, scachans le bien et le mal. Si c'est parole
diabolicque celle qui exalte l'homme en soymesme, il ne nous
2ô luy fault donner lieu, sinon cpie nous veuillons prendre conseil
de nostre ennemy. C'est bien une chose plai.sante de penser avoir
tant de vertu en nous, que nous soyons contens en nous mesmes.
Mais il y a trop de sentences en l'Escriture pour nous destour-
ner de ceste vaine confiance, comme sont celles qui s'ensuivent.
:io Maudict est celuy qui se confie en Ihomme, et met sa vertu en /ère. //.
la chair. Item, Dieu ne prent point de plaisir en la force du che- p&al. lAU.
val, ne aux jambes de l'homme robuste, mais a son affec-
tion à ceulx, qui le craignent et recongnoissent sa bonté.
Item, C'est luy qui donne force à celuy qui est las, et restaïu-e
35 celuy auquel le courage deffault. Item, Lasse et abat ceulx qui
sont en fleur d'eage, il meine en décadence les fors et fortifie Esa. iO.
ceulx qvii espèrent en luy. Lesquelles tendent toutes à ce
but, que nul ne se repose en la moindre opinion du monde,
de sa propre vertu, s'il veut avoir Dieu en son ayde, lequel
o2 I)E LA CONCiNOISSANCE
résiste aux or^uilleux, et donne grâce aux humbles. Après
que nous réduisions en mémoire toutes ces promesses : J'es-
pandray des eaues sur la terre, qui aura soif, et arrouseray
de fluves la terre seiche. Item, Tous ceulx qui avez soif
5 venez puyser de Teauë, et les autres semblables, Lesquelles
tesmoi^nent que nul autre n'est admis à recevoir les béné-
dictions de Dieu, sinon celuv qui deschoit et detîault par le
sentiment de sa povreté. Et ne fault aussi oublier les autres,
comme est celle qui s ensuit de Esaie. Tu n'auras plus le
10 Soleil pour te luire le jour, ne la Lune pour te luire de nuict,
mais ton Dieu te sera en lumière perpétuelle. Certes le Sei-
gneur n'oste point à ses serviteurs la clarté du Soleil ou
de la Lune, mais d'autant qu il veut apparoistre luy seul
glorieux en eulx, il destruict loing leur fiance, des choses
15 qui sont les plus excellentes à nostre opinion. Pourtant
ceste sentence de Chrysostome, m'a tousjours fort pieu, où
il dict, que le fondement de nostre Philosophie est humi-
lité. Et encores plus celle de Sainct Augustin quand il dit,
comme Demostené orateur Grec, estant interrogué quel estoit
20 le premier précepte deloquence, respondit que c'estoit pro-
nonciation : estant interrogué du second respondit autant,
et autant du troisiesme. Ainsi si tu m interrogué des pré-
ceptes de la religion Chrestienne, je te respondray, que le
premier, le second, et le troisiesme est humilité. Or il n'entend
25 pas humilité quand l'homme pensant avoir quelqiie vertu ne
s'enorgueillit point pourtant, mais quand il se congnoist tel à
la vérité ([u'il n a nul refvige sinon en se humiliant devant Dieu,
comme il le declaire en un autre lieu. Que nul, dict-il, ne se
flatte de soymesme, chascun est Dial>le, tout le bien qu'il ha il
.30 l'ha de Dieu. Car qu'est ce que tu as de toymesme sinon péché?
Si tu veux prendre ce qui est tien, prens le péché, car la justice
est dieu. Item. Qu'est ce que nous présumons tant de la puis-
sance de nostre nature? elle est navrée, elle est abatue, elle est
dissipée, elle est destruicte, elle a mestier de vraye confes-
uôsion et non point de faulse defTence. Ne debatons donc point
contre Dieu de nostre droict, comme si nous estions apovriz.
Car comme nostre humilité est sa haultesse, aussi la confession
de nostre humilité ha tousjours sa miséricorde preste pour remède.
Combien que je ne pretendz point que l'homme quitte de son
UK i/iiOMME. ciiAriini: 11. 53
droict à Dieu, et c[u"il destourne sa pensée pour ne recon-
gnoistre sa vertu si aucune il en a voit, à fin de se réduire à
humilité. Mais je requiers seulement, que se demetant de
toute folle amour de soymesme, et de haultesse et ambition,
.-, desquelles affections il est par trop aveuglé, il se contemple au
miroir de TEscriture.
A tin que l'ordre de nostre dispute, procède selon la distinc-
tion que nous avons mise, en laquelle nous avons divisé l'ame
humaine en intelligence et volunté, il nous fault premièrement
10 examiner quelle force il y a en rintelligence. De dire qu'elle soit
tellement aveuglée, qu'il ne luy reste aucune congnoissance en
chose du monde, ce seroit chose répugnante non seulement à la
parole de Dieu, mais aussi ;\ l'expérience commune. Car nous
vovons qu'en l'esprit humain il y a quelque désir d'encjuerir la
15 vérité, à laquelle il ne seroit point tant enclin, sinon qu'il en
eust quelque goust premièrement, (^'est donc desja quelque
estincelle de clarté en l'esprit humain, ([u'il ha une amour natu-
relle k la vérité, le contemnement de laquelle es bestes brutes,
monstre qu'elles sont pleines de stupidité et sans aucun senti-
2(1 ment de raison. Combien {[ue ce désir, tel quel, devant que se
mettre en train, delfault, pource qu'il déchoit en vanité. Car
l'entendement humain, à cause de sa rudesse, ne peut tenir cer-
taine voye pour chercher la vérité, mais extravague en divers
erreurs, et comme un aveugle qui chemine en ténèbres se heurte
?5cà et là, jusques à s'esgarer du tout : x\insi en cherchant la
vérité, il monstre combien il est mal propre et idoine à la cher-
cher et trouver, qu'il ne discerne point le plus souvent quelles
choses il se doibt applicquer à congnoistre. Ainsi il se tormente
d'une folle curiosité à chercher choses superflues et de nulle
:îii valleur. Ouant est des choses nécessaires , ou il les mes-
prise du tout, ou au lieu de les regarder, il les guygne comme
en passant, ce que ne luy advient encores. Certes il n'avient
quasi jamais qu'il y applicque son estude à bon escient. De
laquelle perversité, combien que tous les escrivains payens se
35Complaignent, neantmoins on voit qu'ilz si sont tous enve-
lopés. Pourtant Salomon en son Ecclesiaste, aprez avoir
racompté toutes les choses, esquelles les hommes se plaisent
et pensent estre bien sages, en la fin il les prononce estre
vaines et frivoles. Toutesfois quand l'entendement humain
DE l.A CONriNOISSANCK
s'elTorcp à cfiielque estude, il ne labeure pas tellement en vain,
qu'il ne proffite aucunement, principallement quand il se convertit
vers les choses inférieures. Et mesmes n'est pas tellement stu-
pide, qu'il ne gouste quelque petit des choses supérieures, com-
5 bien qu'il Aacque négligemment à les chercher: mais il n'a point
pareille faculté aux unes et aux autres. Car quand il se Aeut esle-
ver par dessus la vie présente, il est lors principallement con-
vaincu de son imbécillité. Pourtant à fin de mveulx entendre
jusques k quel degré il peut monter en chacune chose, il nous
10 fault user d'une distinction.
Geste donc sera la distinction, que l'intelligence des choses
terriennes est autre que des choses célestes. J'appelle choses
terriennes, lesquelles ne touchent point jusques à Dieu et son
Royaulme, ne k la vraye justice et immortalité de la vie future,
]5 mais sont conjoinctes avec la vie présente , et quasi encloses
soubz les limites d'icelle. Les choses célestes je les appelle, la
reigle et raison de vraye justice, et les misteres du Royaulme
céleste. Soubz la première espèce, sont contenues, la doctrine
politicque, la manière de bien gouverner sa maison, les ars
2(1 mecanicques, la Philosophie, et toutes les disciplisnes qu'on
appelle libérales. A la seconde se doibt référer la congnoissance
de Dieu, et de sa volunté, et la reigle de conformer sa vie k
icelle. Quant au premier genre, il nous fault ainsi confesser
cela : C'est que entant que l'homme est de nature compagnable,
25 il est aussi enclin d'une affection naturelle k entretenir et con-
server société. Pourtant nous voyons qu'il y a quelques cogita-
tions generalles d'une honnesteté et ordre civil, imprimées en l'en-
tendement de tous hommes. De là vient qu il ne s'en trouve nul
qui ne recongnoisse que toutes assemblées d'hommes, se doibvent
30 reigler par quelques loix et qu'il n'ayt quelque principe d'icelles
loix en son entendement. De là vient le consentement qu'ont eu
tousjours tant les peuples que les hommes particuliers k accepter
loix, pource qu'il y en a quelque semence en tous qui procède
de nature sans maistre ou législateur. A cela ne répugnent point
35 les dissentions et combatz cpii surviennent incontinent, quand les
uns voudroient toutes loix estre cassées, toute honnesteté ren-
versée, toute justice abolye, pour se gouverner selon leur cupi-
dité, comme larrons et brigans. Les autres (ce qui advient com-
munément) pensent estre inique ce qu'un législateur ordonne
|)K L ll(IM>ir:. CM Al'l I liK II. i)0
pour bon et juste, et jugent estre bon ce qu'il délient comme
mauvais. Car les premiers ne hayssent point les loix, pource
qu ilz ignorent qu'elles soient bonnes et sainctes, mais eslans
ravis et transportez de leur cupidité, comme d'une rage com-
5 bâtent contre la raison, et ce qu'ilz approuvent en leur enten-
dement, ilz le hayssent en leur c(pur : aucjuel reg-ne la mau-
vaistié. Lessecondz au dilîerent qu'ilz ont, ne répugnent pas telle-
ment ensemble qu'ilz n'ayent tous ceste première apprehention
d'équité que nous avons dict. Car puis que leur contrariété gist
10 en cela, quelles loix seroientles meilleures, c'est sig^ne qu'ilz con-
sentent en quelque somme d'équité. En quoy aussi se monstre la
débilité de l'entendement humain , lequel pensant suvvre la
droicte voye, cloche et vacille. Neantmoins cela demeure tous-
jours ferme, qu'il y a en tous hommes (piehjue semence d'ordre
i:>politicque, ce qu'est un grand argument que nul n'est destitué
de la lumière de raison, quant au gouvernement de la vie présente.
Quant est des ars tant mecaniccjues que liberaulx, entant que
nous avons quelque dextérité à les apprendre : en cela il appa-
roist qu'il y a quelque vertu en cest endroict en l'entendement
20 humain. Car combien (ju'un chacun ne soit pas propre et ydoine
à les apprendre toutz, toutesfois c'est un signe suffisant que l'en-
tendement humain n'est pas destitué de vertu en cest endroit,
veu qu il ne s'en trouve pas un lequel n'ayt quelque promptitude
à en apprendre quelque un. D'avantaige, il n'y a pas seulement
25 la vertu et facilité à les apprendre, mais nous voyons que cha-
cun en son art, le plus souvent invente quelque chose de nou-
veau, ou bien augmente et polit ce qu'il a apris des autres. En
quoy combien que Platon se soit abusé, pensant que telle appre-
hention ne feust qu'une recordation de ce que lame scavoit devant
30 qu estre mise dedens le corps, toutesfois la raison nous contrainct
de confesser, qu'il y a quelque principe de ces choses inprimé en
l'entendement de l'homme. Ces exemples donc nous monstrent
qu'il y a quelque apprehention universelle de raison impri-
mée naturellement en tous hommes : et toutesfois cela est
3.) tellement universel, qu'un chacun pour soy en son intelligence
doibt recongnoistre une grâce specialle de Dieu. A laquelle
recongnoissance. Dieu nous exhorte suffisamment, en créant
des folz et in[s]ensez, esquelz il représente, comme en un
miroir, quelle excellence auroit lame de l'homme, si elle
o6 DE LA CON(iNOISSANCE
n'estoit esclarcie de sa lumière, laquelle est tellement natu-
relle à tous, que c'est un bénéfice gratuit de sa largesse envers
un chacun. L'invention des ars. la manière de les ensei-
gner, [rjordre de doctrine, la congnoissance singulière et excel-
5lence d'icelle, pource que ce sont choses qui adviennent
à peu de gens, ne nous sont point pour argumens certains,
quelle ingéniosité ont les hommes de nature : toutesfois
qu'elles sont commîmes aux bons et aux mauvais, nous les
pouvons reputer entre les g-races naturelles. Pourtant quand
id nous voyons aux escrivains payens ceste admirable lumière de
vérité, laquelle apparoist à leurs œvres, nous doibt admonester
que la nature de l'homme, combien qu'elle soit decheute de son
intégrité, et fort corrumpue, ne laisse point toutesfois d'estre
ornée de beaucoup de dons de Dieu si nous recongnoissons
15 l'Esprit de Dieu comme une fontaine unicque de vérité , nous
ne contemnerons point la vérité par tout où elle apparoistra,
sinon que nous veuillons faire injure à l'Esprit de Dieu. Car les
dons de l'Esprit ne se peuvent vilipender, sans le contemnement
et opprobre d'iceluy. Or maintenant pourrons nous nyer que les
20 anciens Jurisconsultes n'ayent eu grande clarté de prudence, en
constituant un si bon ordre et une jDolice si équitable ? Dirons
nous que les Philosophes ayent esté aveugles, tant en considé-
rant les secretz de nature si diligemment, qu'en les escrivant
avec tel artifice? Dirons nous que ceulx (jui nous ont enseigné
25 l'art de disputer, qui est la manière de parler avec raison,
n'ayent eu nul entendement? Dirons nous que ceulx qui ont
inventé la Medicine ont esté insensés? Des autres disciplines,
penserons nous que. ce soient folies ? Mais au contraire nous ne
pourrons lire les livres, qui ont été escritz de toutes ces matières,
30 sans nous esmerveiller. Or nous nous en esmerveillerons, pource
que nous serons contrainctz, d'y recongnoistre la prudence qui
y est. Or est il ainsi, que nous ne debvons rien estimer excel-
lent ne louable, que nous ne recongnoissions venir de Dieu.
Car autrement ce seroit une trop grande ingratitude en nous,
35 laquelle n'a point esté aux j^oetes payens , qui ont confessé
la Philosophie , les Loix , la Medicine , et autres doctrines
estre dons de Dieu. Puis donc qu'ainsi est, que ces person-
nages qui n'avoient autre ayde que de nature, ont esté si ingé-
nieux en l'intelligence des choses mondaines et inférieures ,
D1-: l/llOMME. CIIAl'lTHE II. 57
telz exemples nous doibvent instruire, combien nostre Sei-
g^neur a laissé de grâce à la nature luimaine, après qu'elle a
esté despoullée du souverain bien. Si est ce toutesfois, qu'il
ne fault point oublier que toutes telles "races sont dons de
■^l'Esprit de Dieu, lescpiel/, il distribue à qui bon luv semble,
pour le bien commun (bi g-enre humain. Car s'il a faillu
([ue science et artilice ayent esté donnez speciallement par
l'Esprit de Dieu, à ceulx qui construisoient le Tabernacle au
désert, ce n'est point de merveille si nous disons que la con-
lognoissance des choses principales de la vie humaine, nous est
communicquée par l'Esprit de Dieu. Si quehpi'un objecte,
cpi'est ce (pi'a à faire l'Esprit de Dieu avec les iniques ; qui
sont du tout estrangez de Dieu ? Je respondz que cest argu-
ment n'est pas suffisant. Car ce qu'il est dict ([ue l'Esprit
i'^ habite seulement aux hommes iideles, cela s'entend de l'Es-
prit de sanctification, par lequel nous sommes consacrez à
Dieu pour eslre ses Temples. Ce pendant toutesfois, Dieu ne
laisse point de remplir, mouvoir, vivifier, par la vertu de ce
mesme Ivsprit toutes créatures, et cela faict-il selon la pro-
2n prieté d'une chascuiu^. telle qu'il luv a donnée en la créa-
tion. Or si le Seigneur a voulu, que les iniques et infidèles
nous servent à entendre la Phisicque, Dialectique, et aultres
disciplines, il nous fault user d'eulx en cela, de paour que
nostre négligence ne soit punie, si nous mesprisons les dons de
2"' Dieu, là où ilz nous sont offers. Toutesfois à fin que nul ne pense
l'homme eslre fort heureux, en ce que nous luv concédons une
si g^rande vertu, de comprendre les choses inférieures, et conte-
nues en ce monde corruptible, il nous fault semblablement notter
toute ceste faculté, qu'il ha d'entendre, et l'intelligence qui s'en
:îo ensuit, estre chose frivole et de nulle importance devant Dieu,
quand il n'y a point ferme fondement de vérité. Car la sentence
de Sainct Augustin est tresvraye, laquelle le Maistre des Sen-
tences a esté contrainct d'approuver. C'est que comme les g-races
données à l'homme dès le commencement, oultre sa nature, luv
35 ont esté données après qu'il est tresbuché en péché, aussi que les
g-races naturelles qui luv sont demourées, ont esté corrumpues,
nompas qu'elles se puissent contarniner, en tant qu'elles procèdent
de Dieu, mais elles ont laissé d'estre pures à l'homme, après
qu'il a esté poilu à ce qu'on ne luy en attribue aucune louëng-e.
o8 DE LA CONGNOISSAXCE
Araintenant il reste d'exposer, que c'est que peut veoir la rai-
son humaine en cherchant le Royaulme de Dieu, et quelle capa-
cité elle ha de comprendre la sagesse spirituelle, laquelle g-ist en
trois choses : à savoir, de congnoistre Dieu, sa volunté, et com-
5 ment il nous fault reigler nostre vie selon icelle. Quant aux deux
premières et principallement à la seconde, ceulx qui^ont le plus
subtil entendement entre les hommes y sont plus aveuglez, que
les aveugles mesmes. Je ne nye pas que par cy, par là, on ne
voye aux livres des Philosophes, des sentences dictes de Dieu
10 bien couchées : mais en icelles il y apparoist tousjours telle
inconstance, qu'on voit bien qu'ilz en ont eu seulement des
imaginations confuses. 11 est bien vray, que Dieu leur a donné
quelque petite saveur de sa divinité, à ce qu'ilz ne prétendissent
ignorance pour excuser leur impieté, et les a poulsez aucune-
15 ment à dire des sentences, par lesquelles ilz peussent estre
convaincuz. Mais ilz ont tellement veu ce qu'ilz en voyoient, que
cela ne les a peu diriger à la vérité, tant s'en fault qu'ilz soyent
parvenuz à vraye congnoissance. Nous pourrons explicquer
cela par similitudes. En temps de tounoirre, si un homme est
20 au meilleu d'un champ, en la nuict, par le moyen de l'esclair,
il Aoirra bien loing à l'entour de soy, mais ce sera pour une
minutte de temps : Ainsi cela ne luy servira de rien, pour le
conduire au droict chemyn. Car ceste clarté est si tost esva-
nouye, que devaiit qu'avoir peu jette l'œil sur la voye , il
25 est de rechef opprimé de ténèbres, tant s'en fault qu'il soit
conduict en la maison. D'avantage ces petites gouttes de vérité,
que nous voyons esparses aux livres des Philosophes , par
combien d'horribles mensonges sont elles obscurcies ? Mais,
comme j'ay dict, au second article, leur ignorance est qu'ilz
30 n'ont jamais le moins du monde gousté aucune certitude
de la volunté de Dieu, sans laquelle l'entendement humain
est remply de merveilleuse confusion. Parquoy la raison
humaine ne peut jamais n'approcher , ne tendre , ne dres-
ser son but à ceste vérité, d'entendre qui est le vray Dieu,
35 et quel il veut estre entre nous. Mais pource qu'estans
enyvrez de faulse presumption. nous ne pouvons croire sinon
avec grande difficulté que nostre raison soit tant aveugle et
stupide à entendre les choses de Dieu, il sera meilleur, comme
il me semble , prouver cela par tesmoignages de 1 Escriture
DE l/llbM-Mi:. CHAPITRE M. TiO
({uo par raisons. Ce cjui nous est bien nionslré de Sainct Jean
quand il dicl. (jue dès le commenoenient la vie a esté en
Dieu, et qu'icelle vie estoit la lumière des hommes, que ceste
lumière luyt en ténèbres, et n'est point receuë des tenejjres. Jean /.
5 Car par ces mot/ il enseigne bien que lame de lliomme est
aucunement esclarcle de la lumière de Dieu, tellement ([u'elle
nest jamais destituée de quelque flaml)e. ou pour le moins de
quelque estincelle. Mais semblablement il notte que par ceste
illumination elle ne peut comprendre Dieu. Pourquoy cela?
in Pource que tout son engin, quant à la congnoissance de Dieu,
est pure obscurité. Car quand le Sainct Esjjrit appelle les hommes
ténèbres , il les despouille de toute faculté d'intelligence
spirituelle. Pourtant il allerme que les fidèles qui reçoivent
Christ, ne sont point naiz de sang-, ne de volunté de chair, ne
ir.de volunté d'homme, mais de Dieu seulement : Comme s'il
disoit. cjue la chair n'est point capable d inu' si liaulle sagesse,
({ue de comprendre Dieu, et ce qui est de Dieu, sinon qu'elle soit
illuminée par le Sainct Esprit : Comme Jésus Christ testifîoit à
Sainct Pierre que c'estoit une révélation spirituelle de Dieu son Mal. Hi.
20 père, ({uil l'avoit peu congnoistre. Si nous avions pour résolu,
ce qui nous doibt estre sans doul)te, c'est que tout ce que nostre
Seigneur confère à ses esleu/ par l'Esprit de régénération, def-
fault à nostre nature, nous n'aurions nulle matière de A'aciller
en cest endroit. Car le peuple fidèle parle en ceste manière, par
25 la bouche du Prophète : Pardevers toy Seigneur est la fontaine Psal. 36.
de vie, et en ta lumière nous verrons clair. Et Sainct Paul
tesmoigne, que nul ne peut bien parler de Christ sinon par le
Sainct Esprit. Item Jean Baptiste voyant la rudesse de ses dis- Jean 3.
ciples, s'escrye que nul ne peut rien comprendre sinon qu'il luy
30 soit donné du ciel. Or par ce mot de don, qu'il entende une
révélation spirituelle et non point une intelligence commune de
nature, il appert bien en ce qu'il se complainct, qu'il n'a rien
proffîté entre ses disciples par tant de prédications qu'il leur
avoit faict de Christ. Je vois bien (dict-il) que mes paroles n'ont
35 nulle vertu à instruire les hommes des choses divines, sinon que
Dieu les instruise par son Esprit. Pareillement Moyse reprochant
au peuple son oubliance, notte quant et quant qu'il ne peut rien
entendre aux mystères de Dieu, sinon que la grâce luy soit donnée. Deu. 29.
Tesyeulx (dict-il) ont veu des signes et mirables tresgrans, et le
fin DE LA CON(iNOISSA>CE
Seio^neur ne ta point donné entendement pour comprendre,
ne aureilles pour ouyr, ne yeulx pour veoir. Qu'est ce ;'
qu il exprimeroit d avantag-e, s'il les appeloit huches à consi-
dérer les (Puvres de Dieu? Pour ceste raison le Seigneur
-, par son Prophète promect aux Israélites par une s^race singu-
lière, qu'il leur douera entendement, par lequel ilz le congnois-
tront, signiffiant que l'entendement de l'homme ne peut avoir //;>/•. 2 î
davantage de prudence spirituelle, sinon entant qu'il est illuminé
de luy. Mais Sainct Paul parle encores plus clerement que tous §
10 les autres, lequel déduisant ceste matière, faict une telle conclu- /. Cor
sion : Que l'homme sensuel ne peut comprendre les choses qui "•
sont de l'Esprit, que ce luy est folie et qu'il n'y peut rien mordre.
Qui est ce qu'il appelle homme sensuel? A scavoir celuy qui se
fonde sur la lumière de nature. Voilà donc comment l'homme
!.-> naturellement ne peut congnoistre des choses spirituelles. Si on
demande la raison, ce n'est pas seulement pource qu'il les
néglige, mais quand il s'eiîorcera le plus fort du monde encores
n'y peut il nullement atteindre, pource qu'il les favilt discerner
spirituellement, dist Sainct Paul. Enquoy il signifie que estans
20 cachées à l'intelligence humaine, elles sont esclarcies par la
révélation de l'Esprit, tellement que toute la sagesse de Dieu
n est que folie à l'homme, jusques à ce qu'il soit illuminé par
grâce. Or Sainct Paul auparavant avoit eslevé par dessus la veuë,
l'ouye, et la capacité de nostre entendement, la congnoissance
25 des choses, que Dieu a préparées à ses serviteurs: et mesmes
avoit testifié, que la sapience humaine est comme un voisle qui
nous empesche de bien contempler Dieu, (jue voulons nous plus?
1 Apostre prononce que la sagesse de ce monde doibt estre
faicte folie, comme à la vérité Dieu l'a voulue faire : Et nous luy
30 attribuerons une grande subtilité ; par laquelle elle puisse péné-
trer à Dieu; et à tous les secretz de son royaulme? Que ceste
raige soit loingde nous.
Il reste à parler du troisiemme membre, à scavoir de congnoistre
la reigle de bien ordonner nostre vie, c est à dire de congnoistre la
35 vraye justice des œuvres, enquoy il semble advis que l'entendement
humain ait quelque subtilité davantage que es choses dessus recitées.
Carl'Apostretesmoigne que les gens lesquelz n'ont point de Loy sont Hom. 2
loy à eux mesmes, et monstrent les œuvres de la loy estre escrites
en leur cœur, en ce cpie leur conscience leur rend tesmoignage.
DE l'homme. CHAPITIU-: II. 61
et (jue leurs cogitations les accusent, ou deiïenclent devant
le jugement Je Dieu, en ce qu'il/ l'ont. Or si les Gentil/,
naturellement ont la justice de Dieu imprimée en leur
esprit, nous ne les dirons pas du tout aveuglez, quant est
ode scavoir comment il fault vivre. Et de faict c'est une chose
vulgaire, que l'homme est suflisamnuMit instruict h la droicte
reigle de bien vivre par ceste loy naturelle dont parle l'Apostre:
Toutesl'ois il nous fault considérer à (pielle lin ceste congnois-
sance de la Loy a esté donnée aux hommes, et lors il appa-
loroistra jusques où elle nous peut diriger au but de raison et
vérité. Cela nous peut estre notoire des paroles de Sainct Paul
si nous considérons la procédure du passaige. Il avoit dict un
peu devant que ceulx qui ont péché soubz la Loy seront jugez
par la loy, et que ceulx qui ont péché sans la loy périront sans
lôlaloy. Pource que ce dernier point sendjloit advis desraisonnable,
à scavoii- que les povres peuples ignorans, sans avoir aucune
lumière de vérité périssent incontinent, il adjouste que leur
conscience leur peut servir de loy, pourtant qu'elle suflist pour
les justement condamner. La (in donc de la Loy naturelle, est
20 de rendre l'homme inexcusable. Pourtant nous la pourrons ainsi
diflinir proprement. Que c'est un sentiment de la conscience, par
lequel elle discerne entre le bien et le mal suffisamment, pour
oster à l'homme couvi-rture d'ignorance, entant qu'il est redargué
par son tesmoingnaige mesme. Il y a une telle inclination en
ir> 1 homme de se flatter, qu'il appette tousjours voluntiers,
tant (ju il luy est possible, de destourner son entendement de la
recongnoissance de son péché. Ce qui a meu Platon, comme il
semble, à dire que nous ne péchons sinon par ignorance. Cela
eust esté bien dict à luy, si l'hypocrisie de l'homme povoit faire,
liiien couvrant ses vices, que la conscience ce pendant ne fust
point poursuyvye du jugement de Dieu. Mais puis qu'ainsi
est, que le pécheur déclinant de la discrétion du bien et du
mal qu'il ha en son cœur, y est à chascune fois retiré par
force, et ne peut tellement fermer les yeulx, qu'il ne soit
:55 contrainct, veuille-il ou non, de les ouvrir aucunesfois :
C'est une chose faulse de dire qu'on pèche par ignorance.
Themistius donc, qui est un autre Philosophe, dict plus
vray, enseignant que l'entendement de l'homme ne s'abuse
gueres souvent en considération générale, mais qu'il se trompe
62 DE LA CÛNGNOISSANCE
en considérant particvilierement en ce qui concerne sa per-
sonne. Exemples : Qu'on demande en gênerai, si homicide
est mauvais : il n"v aura nul qui ne dise que oy. Neantmoins
celluv qui machine la mort à son ennemy en délibère comme
5 d'une bonne chose. Pareillement un adultaire condemnera pail-
lardise en gênerai, ce pendant il se flattera en sa paillardise.
Voilà donc en quoy gist l'ignorance, c'est que quand l'homme
après avoir assis un bon jugement universel, enveloppant puis sa
personne avec la chose, oublie la reigle qu'il suyvoit au para-
10 vaut , sans avoir esgard à so^^mesme. De laquelle matière
S. Augustin traicte fort bien, en l'exposition du Psalme 57.
Combien que le dire de cest Themistius ne soit point universel.
Car aucunefois la turpitude du maléfice presse de si près la cons-
cience du pécheur, qu'il ne tombe point, parce qu'il se déçoive
issoubz faulse imagination de bien, mais sciemment et voluntai-
rement il s'adonne au mal. De ceste affection procèdent les
sentences que nous voyons es livres des paj'ens. Je vois le meil-
leur et l'appreuve : mais je ne laisse pas de suyvre le pire : et
autres semblables. Pour oster tout sci'upule de ceste question,
2i>il V a une bonne distinction en Aristote, entre Incontinence et
Intempérance. Là oîi Incontinence règne (dit-il) l'intelligence
particulière de bien et de mal est ostée à l'homme par sa concu-
piscence desordonnée, entant qu'il ne recongnoist point en son
péché le mal qu'il condemne généralement en tous autres, mais
25 après que sa cupidité ne l'aveugle plus, la pénitence vient au
lieu qui luv faict congnoistre. Intempérance est une maladie plus
dangereuse. C'est quand Ihomme voyant qu'il faict mal ne
désiste pas pourtant mais poursuit tousjours obstinéement son
mauvais vouloir.
30 Or quand nous voyons qu'il y a un jugement universel en
l'homme, à discerner le bien et le mal, il nous fault estimer qu'il
soit du tout sain et entier. Car si leur entendement ha la dis-
crétion de bien et de mal, seulement à ce quilz ne puissent pré-
tendre excuse d'ignorance, il n'est ja nécessité que la vérité leur
35 soit notoire en chacun point, mais il suffit qu'ilz la congnoissent
iusques là , de ne pouvoir tergiverser sans estre convain-
cuz du tesmoignage de leur conscience. Et de faict si nous
voulons examiner quelle intelligence de justice nous avons
selon la Loy de Dieu, laquelle est un patron de parfaicte
î
DE l'iIO-MME. CIIVriTUE 11. G3
justice , nous trouverons en combien de façons elle est
aveugle. Certes elle ne congnoist nullement, ce (jui est prin-
cipal en la première Table, comme de mettre nostre fiance en
Dieu, et luy donner la vertu de louange et justice, d'invoc-
5quer son Nom, et observer son repos. Quel entendement
humain par son sens naturel a jamais, (je ne dis pas con-
gneuj mais imaginé, que le vray honneur et service de Dieu
gist en ces choses? Car (juand les iniques veulent honorer Dieu,
combien qu'on les retire cent mil fois de leurs folles phan-
10 tasies, toutesfois ilz y retombent tousjours, et ne leur peut on
nullement persuader, qu'il n'y a autre service agréable à Dieu,
que spirituel. Pourrons nous louer un entendement, lequel ne
peut de soymesme comprendre n'escouter bonnes admonitions?
Or rentendement humain a esté tel en cest endroict. Nous apper-
i5cevons donc qu'il est du tout stupide. Quant est des préceptes
de la seconde Table, il y a quelque petit plus d'intelligence, d'au-
tant qu'ilz approchent plus à la vie humaine et civile : combien
qu'il delVault mesnies aucunefois en cesLe partie. 11 semble advis
aux plus excellens espritz estre une chose absurde de toUerer une
20 supériorité lro[) dure, quand on la ])eut repoulser en quelque
manière que ce soit : Et n'y peut avoir autre jugement en la rai-
son humaini; sinon que c'est à faire à un cceur failly et abatu de
porter patienmVent une telle supériorité, et que de la repoulser
c'est faict honestement et virilement. Aucontraire le Seignevir
25Condemnant ceste trop grand'hautesse de cœur, commande aux
siens la patience que les hommes condemnent et vitupèrent.
D'avantage nostre entendement est aussi si aveuglé en ce point
de la Loy de Dieu, qu'il ne peut recongnoistre le mal de sa con-
ciq^iscence. Car l'homme sensuel ne peut estre mené à cela, de
:io recongnoistre sa maladie intérieure : et la clarté de sa nature
est suffocquée, devant qu'il jDuisse approcher de l'entrée de
son abysme. Car quand les Philosophes parlent des immo-
dérés mouvemens de nostre cœur, il s'entend de ceulx qui
apparoissent par signes visibles. Quant est des mauvais désirs
35 qui incitent le cœur plus secrètement, il les repute pour
néant. Pourtant comme Platon a cy dessus esté à bon droict
repris, en ce qu'il impute tous péchez à ignorance : ainsi il
nous faidt rejecter l'opinion de ceulx qui pensent cju'en tous
péchez il y ayt une malice délibérée. Car nous expérimentons
64 DE LA CONGNOISSANCE
plus quil ne seroit mestier, combien nous faillions souvent
avec nostre bonne intention. Car nostre raison et intelli-
g-ence est enveloppée en tant de manières d'ignorances, et
est subjecte à tant d'erreurs et achoppe a tant d'empes-
j chemens , et si souvent tombe en perplexité , qu'elle est
bien loing^ de nous dirig-er certainement. Certes Sainct Paul
monstre combien elle est infirme pour nous conduire en toute
nostre vie, quand il dict, que de nousmesmes nous ne sommes
pas ydoines de penser quelque chose comme de nous. 11 ne parle
10 point de la volunté ou affection, mais il nous oste aussi cela qui
ne nous peut pas venir en l'entendement que c'est qu'il est bon
de faire. Comment donc, dira quelqu un, toute nostre industrie,
sagesse, cong-noissance, et sollicitude est elle tellement dépravée,
que nous ne puissions rien penser ne méditer de bon devant Dieu?
1.1 Je confesse que cela nous semble bien dur, entant quil nous
fâche grandement qu on nous despouille de prudence et sagesse,
laquelle nous pensons estre nostre principalle excellence : Mais
il semble advis très équitable au Sainct Esprit, lequel congnoist
toutes les cogitations du monde estre vaines, et prononce claire-
20 ment tout ce que peut forger le cœur humain estre mauvais. Sy
tout ce que conçoit, agite, délibère, et machine nostre entende-
ment, est toujours mauvais ; comment viendroit il en pensée de
délibérer chose qui plaise à Dieu; auquel il n y a rien d ag-reable
que justice et saincteté ? Ainsi on peut veoir que la raison de
2:, nostre entendement, de quelque costé qu'elle se tourne, est pure-
ment subjecte à Aanité. Ce que recongnoissoit David en soymesme,
qu'entendement luy fust donné de Dieu, pour aprendre droicte-
ment ses préceptes. Car celuy qui désire nouvel entendement,
signifie que le sien n'est pas suffisant. Or Sainct Augustin a tel-
solement congneu ce delTault de nostre raison, à entendre les
choses qui sont de Dieu, qu'il confesse la grâce et illumination du
S. Esprit n'estre pas moins nécessaire à nostre entendement,
qu'est la clarté du Soleil à noz yeulx. Mesmes ne se contentant
point de cela, il adjouste, que nous ouvrons bien nos yeulx cor-
35 porelz pour recevoir la lumière, mais que les yeulx de nostre
entendement demeurent fermez, sinon que nostre Seigneur les
ouvre.
Il nous fault maintenant examiner la volunté, en laquelle
gist la liberté, si aucune y en a en l'homme. Car nous avons veu
1)1-; L lIO.M.Mi;. CIIAI'I I lu:
65
quo leslection appartient à icelle plus quà lentendemcnt. Pour
le premier, à fin (juil ne semble que ce qui a esté dict des
Philosophes, et reeeu communément, serve pour approuver
quelque droicture estre en la volunté humaine : c'est que toutes
5 choses appetent naturellement le bien, il nous fault notter, que
la vertu du franc Arbitre ne doibt pas estre considérée en un tel
appétit, qui j)r()cede [)lustost dinclinalion de nature <[ue de cer-
taine délibération. Car les théologiens Scolasticques mesmes
confessent, qu'il n'y a nulle action du franc Arbitre, sinon là
10 où la raison regarde d'une part et d'autre. Par laquelle sentence
ilz entendent, l'object de l'appétit debvoir estre tel qu'il soit
soubzmis à eslection, et la délibération debvoir précéder, pour
donner lieu à l'eslection. Et de faict si nous reputons quel est ce
désir naturel de bien, en l'honiine. nous trouverons qu'il luy est
15 commun avec les bestes brutes. Car elles désirent toutes leur
proflit, et quand il y a quel{|ue apparence de bien qui touche
leur sens, elles le suyvent. Or l'homme en cest appétit naturel,
ne discerne point par raison selon l'excellence de sa nature
immortelle, ce qu'il doibt chercher : et ne le considère pas en
20 vraye prudence, mais sans raison et sans conseil, il suyt le mou-
vement de sa nature comme une beste. Cela n'appartient donc
de rien au franc Arbitre, à scavoir si l'homme est incité d'un
sentiment naturel à appeter le bien, mais il fauldroit ({u il le dis-
cernast par droicte raison , l'ayant congneu qu'il 1 esleust , et
25 Payant esleu qu'il le poursuyvyst. Et à fin d'oster toute difficulté
il nous fault notter qu'il y a deux poinctz, où on s'abuse en cest
endroit. Car en ce dire commun, le nom d'appétit n'est pas pris
pour le propre mouvement de la volunté, mais pour une incli-
nation naturelle. Secondement le nom de bien, n'est pas pris
30 pour justice et vertu, mais c'est que toutes créatures appetent
d'estre à leur aise, selon que leur nature porte. Puis donc
cpi'ainsi est, que ce désir naturel n'a nulle importance, pour
prouver qu'il n'y a nulle liberté en l'homme : non plus que Pin-
clination qu'ont toutes créatures insensibles, de tendre à la
35 perfection de leur nature ne sert de rien , pour monstrer
cpi'il y ait quelque liberté. Il nous fault maintenant consi-
dérer aux autres choses, si la liberté de l'homme est telle-
ment du tout corrumpue et viciée, quelle ne puisse engen-
drer c{ue mal : ou bien, s'il y en a quelque portion entière, dont
Inslilutiun. j
gg DE LA CONG.NOISSA.NCE
procèdent quelques bons désirs. Ceulx qui attribuent k la
première grâce de Dieu, que nous puissions vouloir avec
efficace, semblent advis sig^nifier par leurs paroles, qu'il y
a quelque faculté en l'ame pour aspirer voluntairement au
5 bien, mais qu'elle est si imbecille , qu'elle ne peut venir
iusques à une ferme affection, pour esmouvoir l'homme k
s'efforcer. Et n'y a point de doubte que les scolasticques
n'avent communément receu ceste opinion , comme elle leur
estoit baillée de Origene , et aucuns des anciens , veu que
10 quand ilz considèrent l'homme en sa pure nature, ilz le des-
crivent selon les paroles de Sainct Paul, au septiesme des
Romains. Je ne faictz pas le bien que je veulx, mais je faictz le Rom. 7.
mal que je ne veulx point : J'ay bien le vouloir mais le parfaire
me deffault. Or en ceste manière ilz pervertissent toute la dis-
15 pute laquelle Sainct Paul poursuit en ce passage là. Car il traicte
de la luicte chrestienne, laquelle il touche plus briefvement aux
Gallatiens. C'est que les fidèles sentent perpétuellement en eulx,
un combat de l'Esprit et de la chair. Or ilz n'ont point l'Esprit
de nature, mais par la régénération : Qu'il parle de ceux qui sont
2oreo-enerez, il appert, de ce que ayant dict qu'il n'habitoit aucun
bien en soy, il adjouste pour exposition, qu'il entend cela de sa
chair, et pourtant il nye que ce soit luy qui face mal, mais que
c'est le péché habitant en luy. Qu'est ce que signifie cela en
mov • c'est à dire en ma chair ? certes cela vault autant comme
25s'il disoit, il n'habite nul bien en moy de moymesme, veu qu'on
n'en scauroit rien trouver en ma chair. De Ik s'ensuit ceste
manière d'excuse : Ce ne suis je pas qui faictz le mal mais le
péché habitant en moy, laquelle compete seulement aux fidèles
qui s'efforcent au bien de la principalle partie de leur ame.
30 D'avantage la conclusion qui s'ensuit demonstre cela tout clai-
rement : Je me délecte (dict-il) en la loy de Dieu selon l'homme
intérieur, mais je vois une autre loy en mes membres répugnante
k la lov de mon entendement. Qui est ce qui auroit un tel com-
bat en sov : sinon celuy qui estant régénéré de l'Esprit de Dieu,
35 porte tousjours les reliques de sa chair? Pourtant Sainct
Auo-ustin ayant pris quelque fois ce passage de la nature de.
l'homme, a depuis retracté son exposition comme faulse et mal
convenante. Et de faict si nous concédons cela, que l'homme
avt le moindre mouvement du monde k bien , sans la grâce
DE l/llOMMi:. CIlAIMIKi; II. 07
de Dieu, ([lie respondrons nous à L Apostre; lequel nye que nous
soyons ydoines seulement à penser quelque chose de bien? Que
respondrons nous au Seigneur, lequel dénonce par Moyse ; que
tout ce que forge le cœur humain, est entièrement pervers? Puis Genm. S.
5 donc qu'ilz se sont abusez par mauvaise intelligence d'un passage,
il ne nous faiilt ja arrester à leur phantasie. Plustost il nous
fault i-ecevoir ce que dict Christ, c'est que quiconques faict
péché, est serf de péché. Or nous sommes tous pécheurs de Jnan S.
nature, il s'ensuit donc que nous sommes soubz le joug de
10 péché. Davantage, si tout Ihomme est détenu en la servitude
de péché ; il est nécessaire que la volunté, laquelle est la princi-
palle partie diceluy, soit estraincte et enserrée de tresfermes
lyens.
Toutesfois l'homme ne peut estre myeulx congneu selon l'une
15 et l'autre partie, c[ue quand nous luy aurons donné les tiltres
dont il est orné en 1 Escriture. Si tout l'homme nous est descrit
en ces paroles du Seigneur, ([uand il dict. ({ue ce qui estnay de
chair, est de chair, comme il est facil' de le prouver, il appert Jr.ui :i.
que c'est une misérable créature. Car toute affection de chair,
2otesmoing l' Apostre, est mort, veu que c'est inimitié à l'encontre
de Dieu, entant qu'elle nest point subjecte et ne se peut assub-
jectir à la Loy de Dieu. Si la chair est tant perverse que de toute Rum. 8.
son aifection elle exerce inimitié à l'encontre de Dieu : si elle ne
peut avoir consentement avec la justice divine; en somme ; si
25 elle ne peut produire que matière de mort ; maintenant présup-
posé qu il n'y a en la nature de 1 homme que chair ; comment en
pourrons nous tirer quelque goutte de bien ? Mais ce vocable
(dira quelqu'un) se réfère seulement à l'homme sensuel, et
nompas à la partie supérieure de lame. Je respondz, que cela
30 se peut aisément réfuter par les paroles de Christ et de l'Apostre.
L'argument du Seigneur est, qu'il fault que l'homme renaysse,
pource qu'il est chair. Il ne veult point qu'il renaysse selon le Jean S.
corps. Or lame ne sera pas dicte renaystre, estant corrigée en
quelque portion, mais si elle est du tout renouvellée. Ce
35 qui est confermé par la comparaison, c[ui est faicte, tant
là comme en Sainct-Paul : car l'Esprit est tellement com-
paré à la chair, qu'il n'y a rien laissé de moyen : pour-
tant tout ce qui n'est point spirituel en l'homme, selon ceste
raison est charnel. Or nous n'avons point une seule goutte
^^ DE l.A CUMtMUSSANCE
de cest esprit, sinon par régénération. Tout ce donc que
nous avons de nature est chair. Je ne reciteray point parti-
culièrement tout ce qui est dict de la vanité de l'homme, tant
de David, que de tous les Prophètes. Mais c'est un grand
5 mot que nous avons au Psalme, que si l'homme estoit
contrepoisé avec la vanité, qu'il seroit trouvé plus vam
qu'icelle mesme. C'est une grande condemnation contre son Psal. 6-
entendement . .jne toutes les cogitations qui en procèdent
sont moquées comme sottes, frivoles, enragées, et perverses.
10 Ce n'est point une moindre condemnation sur le cœur,
quand il est dict estre plain de fraulde et de perversité,
plus ciue toutes choses. Mais pource que je m'estudie k Hier. 17
estre brief, je seray content dun lieu lequel sera comme
un miroir tresclair pour nous faire contempler toute l'image
iode nostre nature. Car quand l'Apostre veut abbatre l'arro-
gance du genre humain, il use de ces tesmoignages : Qu'il Rom. 3
n'v a nul juste, nul bien entendu, nul qui cherche Dieu : que
tous ont décliné, tous sont inutiles, qu'il n'y en a point qui
face bien, pas jusques à un seul : que leur gosier est comme un
30sepulchre ouvert, que leurs langues sont cauteleuses, que vemn hme o/
d'aspic est soubz leurs lèvres, que leur bouche est pleine de
maledicense et amertume, que leurs piedz sont légers k espandre
le sang, qu'en leurs voyes il n'y a que perdition et dissipation,
que la^crainte de Dieu n'est point devant leurs yeulx. Il foudroie
r,de ces paroles rigoreuses, nompas certains hommes, mais toute
la li-née d'Adam, et ne reprent point les mœurs corrumpuz de
quelque eage, mais il accuse la corruption perpétuelle de nostre
nature. Car c'est son intention en ce lieu là, nompas de simple-
ment reprendre les hommes, afin qu'ilz s'amendent, mais plus-
30tost de les enseigner qu'ilz sont tous, depuis le premier jusques
u dernier, enveloppez en telle calamité, de laquelle ilz ne
peuvent sortir, .sinon que la miséricorde de Dieu les en délivre.
Pource que cela ne • se pouvoit prouver, qu'il n'apparast que
nostre nature est tombée en ceste ruyne, il aUegue ces
35 tesmoignages, où il est monstre que nostre nature est plus
que perdue. Que cela donc soit résolu, que les hommes ne
sont pas telz que Sainct Paul les descrit seulement par
coustume perverse , mais aussi d'une perversité naturelle ,
autrement ne pourroit consister l'argument dont
cur
m: i/miM.MK. ciiAi'iriu; ii. GM
il use. C'est pour moustrer, que nous n'avons nul salul,
sinon de la miséricorde de Dieu, veu cjue tout homme est en
soy perdu et ruyné. Je ne me soucye point icy d'appliquer
les tesmoignages au propos de Sainct Paul, car je prens
5 ces sentences, comme si elles avoient esté premièrement dictes
de luy, et non point esté alléguées des Prophètes. Premiè-
rement il despoulle l'homme de justice, c'i'st à dire d'inte-
g-rité et pureté, puis après d'intelligence, de laquelle s'en-
suit après le signe, c'est que tous homnu's se sont destour-
10 nez de Dieu, lequel chercher, est le premier degré de
sapience. S'ensuyvent après les fruictz dinlidelité, que tous
ont décliné, et ont esté faictz quasi comme pourriz, telle-
ment qu'il n'y en a pas un qui face bien. D'avantage il
mect toutes les meschancetez, dont contaminent toutes les
Imparties de leurs corps, ceulx qui se sont débordez en injus-
tice. Finalement il tesmoigne, que tous honunes sont sans
crainte de Dieu, à la reigle de laquelle nous debvions diriger
toutes noz voyes. Si ce sont là les richesses héréditaires du
genre humain, c'est en vain qu On lequierl (juelque bien en
sonostre nature. Je confesse que toutes ces meschancetez, n'appa-
roissent point en chascun homme, mais nul ne peut nver qu'un
chascun n'en ait la semence enclose en soy. Or comme un corps,
quand il y a des-ja la cause et matière de maladie conceuë en
soy, ne sera point nommé sain, combien que la maladie ne se
25 soit encores monstrée, et qu'il n'y ait nul sentiment de doleur :
aussi lame ne sera point réputée saine, ayant telles ordures en
soy. Combien que la similitude ne soit pas du tout propre, car
quelque vice qu'il y ait au corps, si ne laisse-il point de retenir
vigueur de vie : mais l'ame estant submergée en ce goulfre d'ini-
3oquité, non seulement est vicieuse, mais aussi vuide de tout
bien.
Il se présente quasi une semblable question à celle, qui a esté
despechée cy dessus. Car en tous siècles il y en a eu quelques
uns, qui par la conduicte de nature ont aspiré en toute leur
35 vie à vertu : et mesmes quand on trouvera beaucoup à
redire en leurs meurs, si est ce, qu'en l'all'éction d'honnesteté
qu'ilz ont eu, ilz ont montré qu'il y avoit quelque pureté en
leur nature . Combien que nous explicquerons plus ample-
ment en quelle estime sont telles vertus devant Dieu, quand
70 I^E LA CONOOISSANCE
nous traicterons du mérite des œuvres, toutesfois il en fault dire à
présent, ce qui sera nécessaire pour la matière que nous avons en
main. Les exemples donc nous admonestent, que nous ne debvons
point reputer la nature de l'homme du tout vicieuse, veu que par
5 l'inclination d'icelle, aucuns non seulement ont faict plusieurs actes
excellens, mais se sont portez honestement en tout le cours de leur
vie. Mais nous avons à considérer qu'en la corruption imiverselle,
dont nous avons parlé, la grâce de Dieu ha quelque lieu : non
pas pour amender la perversité de la nature, mais pour la repri-
10 mer et restraindre au dedans. Car si Dieu permettoit à tous
hommes de suyvre leurs cupiditez à brides avallées, il n'y en
auroitnul, qui ne demonstrast par expérience, que tous les vices
(dont S. Paul condamne la nature humaine) seroient en luy.
Car qui sera celuy qui se pourra séparer du nombre des
ir, hommes ? ce qu'il fault faire si quelqu'un se veut exempter de
ce que dict Sainct Paul de tous, à scavoir que leurs piedz sont
le£fers à espandre le sang, leurs mains soillées de rapines et
homicides, leurs gosiers semblables à sepulchres ouvers, langues
cauteleuses, lèvres venimeuses, œuvres inutiles, iniques, pourries,
20 mortelles, que leur cœur est sans Dieu, quilz n'ont au dedans
que malice, que leurs yeulx sont à faire embusches, leurs cœurs
eslevez à oultrage, en somme, toutes leurs parties apprestées à
mal faire. Sy une chacune ame est subjecte à tous ces monstres
de vices, comme l'Apostre prononce hardiment, nous voyons cjue
2.5 c'est qu'il adviendroit, si le Seigneur laissoit la cupidité humaine
vaguer selon son inclination. Il n'y a beste enrag-ée, qui soit
transportée si desordonnéement, il n'y a liviere si violente et si
royde, de laquelle l'exundation soit tant impétueuse. Telles
maladies sont purgées par le Seigneur en ses esleuz, en la
30 manière que nous exposerons : aux reprovez elles sont seule-
ment reprimées, comme par une bride, à ce qu'elles ne se des-
bordent point selon que Dieu congnoist estre expédient , pour
la conservation du monde universel. De là vient que aucuns
par honte , aucuns par crainte des loix , sont retenuz à ce
:;5 quilz ne saddonnent à beaucoup de meschancetez, combien
qu en partie ilz ne dissimulent pas leurs mauvaises concupis-
cences. Les autres, pource quilz pensent honneste manière
de vivre, leur estre protitable, tellement quellement aspirent
à icelle. Les autres outrepassent encores et monstrent
|)K I. HOM.Mi:. CllAl'ITHi; 11.
une excellence spociiiUe, pour retenir le vulgaire en leur obeys-
sance, par une espèce de majesté. En telle manière le Seigneur res-
trainct par sa providence la perversité de nostre nature, mais il ne
la purp^e pas. (Kiek[u un pourra dire que cela ne suffît pas à soudre
■' la (juestion : Car ou il fault que nous lacions Catilina seml)lal)le
à (^amillus, ou nous aurons un exenq)K' en Camillus, (|ue la
nature, quand elle est bien menée, n'est pas du tout despourveue
de bonté. Je confesse que les vertus qui ont esté en Camillus,
ont esté dons de Dieu, et qu'elles pourroient estre vëues louables,
m si on les repute en elles mesmes. Mais comment seront elles
enseig-nées ; qu'il ha eu en sa nature, une preud'homie ? Pour
cela monstrer, ne l"ault-il pas revenir au cœur? en faisant cest
argument, que si un homme naturel a esté dou[é] d'une telle in-
tégrité de cieur, (jue la faculté d'aspirer à bien, ne deffault point
i'>à la nature humaine, et que sera ce, si le C(eur a esté pervers et
oblique, et qu'il nayt rien moins cherché ({ue droicture ? Or si
nous concédons qu'il ayt esté homme naturel, il n'y a nulle
double que son cœur a esté tel. Quelle puissance maintenant
establirons nous en la nature humaine de s'applicquer à bien,
2(1 .si en la plus grandapparence d'intégrité qu'on y treuve, on voit
qu'elle tend tousjours à corruption ? Pourtant comme on ne pri-
sera point un homme pour vertueux, lecjuel n'aura que vices,
qui le couvriront soubz umbre de vertus : ainsi nous n'attribue-
rons point à la volunté humaine, faculté d appeler le bien, du
25 temps qu'elle sera tichée en sa perversité. Combien que ceste
est la plus certaine, et facile solution : de dire, que telles vertus
ne sont point communes à la nature, mais sont grâces specialles
du Seigneur, lesquelles il distribue mesmes aux meschans,
selon la mani e re et mesure que bon luy semble. Pour laquelle
30 cause en nostre langage A^ulgaire, nous ne doubtons point de
dire, que l'un est bien nay, et l'autre mal nay, l'un de bonne
nature, et l'autre de mauvaise, et neantmoins nous ne laissons
point d'enclorre l'une et l'autre soubz la condition univer-
selle de la corruption humaine, mais nous signifions quelle
35 grâce Dieu a donnée particulièrement k l'un, qu'il a déniée à
l'autre. La volunté donc selon qu'elle est liée et tenue captive,
en servitude de péché, ne se peut aucunement remuer à
bien, tant s'en fault qu'elle si applicque. Car un tel mouve-
ment est le commencement de nostre conversion k Dieu ,
DE I.A CONGNOISSA.NC.E
laquelle est du tout attribuée à la grâce du Sainct Esprit par
l'Escriture, comme Jeremie prie le Seigneur cjuil le conver-
tisse s'il veut qu'il soit converty. Pour laquelle raison, le Pro-
phète au mesme chappitre, descrivant la rédemption spirituelle
ôdeslideles, dit qu'ilz ont esté racheptés delà main d'un plus
fort, denottant par cela combien le pécheur est lié estroicte-
ment , pour le temps qu'estant délaissé de Dieu , demeure
soubz le joug du Diable : neantmoins la voulunté demeure tous-
jours à l'homme, laquelle de sa pure affection est encline à
10 péché. Car quand l'homme est tombé en ceste nécessité, il n'a
point esté despouUé de sa vokmté, mais de saine volunté. Et
pourtant ne parle point mal Sainct Bernard en disant, que le
vouloir est en tous hommes, mais que vouloir le bien, est d'amen-
dement, vouloir le mal, est de nostre deffault, ainsi que simple-
15 ment vouloir, est de 1 homme, voidoir mal est de la nature cor-
rumpiie. vouloir le bien, est de grâce. Or ce que je dictz la
volunté estre despoullée de liberté, et nécessairement estre tirée
au mal, c'est merveille si quelqu un trouve ceste manière de
parler estrange, laquelle n'a nulle absurdité : et a esté usitée
50 des anciens docteurs. Aucuns s'offencent de ce qu'ilz ne peuvent
distinguer entre nécessité, et contraincte ; mais si quelqu'un les
interrogue, à scavoir si Dieu n'est pas nécessairement bon, et si
le Diable n'est pas nécessairement mauvais, que respondront-ilz?
Il est certain que la jjonté de Dieu est tellement contraincte avec
2.1 sa divinité, qu'il ne luy est pas moins nécessaire destre bon,
que d'estre Dieu. Et le Diable par sa cheute s'est tellement
aliéné de toute communication de bien, cju'il ne peut autre chose
que mal faire. Or si quelque blasphémateur murmure, que Dieu
ne mérite pas grande louenge pour sa bonté, \eu cju'il est con-
liotreinct à icelle garder, la response ne sera elle pas facile ? c'est
que cela advient de sa bonté infinie, qu'il ne peut mal faire,
et non pas de contraincte violente. Sy cela donc n'empesche
point la Aolunté de Dieu, estre libre en bien faisant, qu'il est
nécessaire qu'il face bien : Sy le Diable ne laisse point de pécher
35 voluntairement ; combien qu'il ne puisse sinon mal faire : qui
est ce qui arguera le })eché n'estre point voluntaire en l'homme :
pource qu'il est subject à nécessité de péché ? Comme ainsi soit
que Sainct Augustin enseigne par tout ceste nécessité, il n'a
pas laissé de l'acertener à 1 heure, que Celestius calumnioit
I)i: l/llOMMK. CIIAlMTIii: 11. YA
ceste doctrine, pour la rendre odieuse. Il use donc de ces paroles,
.|u-il est advenu par la liberté de l'homme, qu'il soit tombé en
péché, maintenant que la corruption qui s'en est ensuvvie, a
laict de liberté, nécessité. Il nous fault donc observer ceste dis-
ôtinction: c'est que l'homme après avoir esté corrumpu par sa
cheute, pèche voluntairement, et non pas malgré son cœur, ne
par contraincte : qu'il pèche, dis-je, par une allection 'très
enchne, et nompas estant contrainct de violence : qu'il pèche du
mouvement de sa propre cupidité, et nompas estant contrainct
10 d ailleurs : et neantmoins que sa nature est si perverse, qu'il ne
peut estre esmeu, poulsé, ou mené, sinon au mal. Sv'cela est
vray, il est notoire qu'il est subject à nécessité de pécher.
II est maintenant temps, de parler du remède de la g-race de
Dieu, par latjuelle nostre nature vicieuse est corrio:'ée. Car
lo comme ainsi soit, que le Sei-neur en nous aydant, nous eslar-
.STisse ce qui nous delTault, quand il apparoistra quelle est son
œuvre en nous : il sera aussi aisé d'entendre quelle est nostre
poureté. Quand l'Apostre dit aux Philippiens, qu'il ha bonne Philip 2
conhance, que celuj qui a commencé une bonne (ruvre en eulx
:'o l'achèvera jusques au jour de Jésus Christ : il n'v a nulle doubte,'
que par ce commencement de bonne œuvre, il signifie l'origine
de leur conversion, c'est quand leur volunté a^esté tournée à
Dieu. Parcjuoy le Seigneur commence en nous son œuvre, ins-
pirant en no/, cd'urs l'amour, le désir et estude de bien, et de
25 justice : ou pour parler plus proprement, enclinant, formant, et
adressant noz canirs à justice, il parachevé son œuvre • nous
confermant k persévérance. Et à fin que personne ne càville,
que le bien est commencé en nous de Dieu, d'autant que
nostre volunté, laquelle seroit de soy trop infirme, seroit aydée
30 de luy. Le Sainct Esprit declaire en un autre lieu : que vault
nostre volunté à l'abandonner à soymesme. Je vous donneray,
dit-il, un nouveau cœur, je créeray un esprit nouveau en f-pc 3G
vous, j osteray le cœur de pierre qui est en vous, et vous en
donneray un de chair: Je mettray mon esprit en vous, et vous
•.ôferay cheminer en mes commandemens. Qui est ce mainte-
nant qui dira, que seulement l'infirmité de la volunté humaine
est confermée, k fin d'aspirer vertueusement, à eslire le bien
quand nous «yons qu'il fault qu'elle soit du tout reformée
et renouvellée? Si la pierre est si molle, qu'en la maniant
i'i- DE LA CONGNOISSANCE
on la puisse fleschir en telle forme qu'on vouldra, je ne nye point
que le cœur de l'homme n'ayt quelque facilité et inclination pour
obeyrà Dieu, moyennant que son infirmité soit confermée : Mais
si nostre Seigneurpar ceste similitude a voulu monstrer, qu'il est
5 impossible de rien tirer de bien de nostre cœur, s'il n'est faict tout
autre, ne partissons point entre luy et nous la louënge, laquelle
il s'attribue à luy seul. Si donc quand le Seigneur nous convertit
à bien, c'est comme si on transmuoit une pierre en chair, il est
certain que tout ce qui est de nostre propre volunté est aboly, et
10 tout ce qui succède est de Dieu. Mais il y en aura possible, qui
concéderont bien que la volunté de l'homme est convertie à justice
et à droicture, parla seule vertu de Dieu, et quede soymesmeelle
en est destournée : neantmoins qu'estant préparée, ellebesongne
pour sa part, comme Sainct Augustin escrit, que la grâce précède
15 toute bonne œuvre, et qu'en bien faisant la volunté est conduicte
par la grâce, et ne la conduict pas : elle suyt et ne précède pas.
Mais je considère, que les paroles du Prophète emportent deux
choses : C'est que le Seigneur corrige, ou plustost abolit nostre
volunté perverse, puis après nous en donne de soymesme une
2i> lionne. Entant donc que nostre volunté est prévenue de la grâce,
je permetz qu'elle soit nommée comme chambrière : mais en ce
que estant reformée, elle est œuvre de Dieu, cela ne doibt point
estre attribué à l'homme, que par sa volunté, il obtempère à la
grâce prévenante. Parquoy ce n'a pas esté bien parlé à Sainct
25 Chrysostome, de dire, que la grâce : ne peut rien sans la
volunté, comme la volunté ne peut rien sans la grâce : comme
si la volunté mesmes n'estoit point engendrée, et formée de la
grâce . Touchant de Sainct Augustin, ce n'a pas esté son intention,
de donner à la volunté de l'homme, une partie de la louënge des
:?o bonnes œuvres quand il la nommée chambrière de la grâce:
mais il pensoit seulement à réfuter la meschante doctrine de
Pelagius, lequel mettoit la première cause de salut es mérites
de l'homme. Pourtant ce qui estoit convenable à ce propos là il
demonstre que la grâce précède tous mérites, laissant l'autre
3ô question derrière, quel est son etTect perpétuel en nous; laquelle
il traicte tresbien aillieurs. Car quand il dict par plusieurs fois,
que le Seigneur j^revient celuy, lequel ne veut poi[n]t, à fin
qu'il veuille : et qu'il assiste à celuy qu[ij veut, à tîn qu'il ne
veuille en vain , il le faict entièrement autheur de tous biens.
DK l'homme. CHAPITRK 11. 7o
Et pource que nous sommes maintenant au principal poinct
de la matière, rédigeons la chose sommairement, et approuvons
nostre sentence par tesmoignages de lEscriture : Puis après, à
fin que personne ne calumnie que nous renversons l'Escriture,
5monstrons que la vérité que nous tenons, a esté aussi enseig-née
par ce sainct personnage. Car je ne pense pas, qu'il soit expé-
dient, de produire tous les tesmoignages l'un après l'autre, qui
se peuvent amener de l'Escriture, pour confermer nostre sentence,
movennant que nous choisissions ceux qui pourront faire ouver-
loture, pour entendre les autres. D'autrepart je pense, qu'il ne sera
point mauvais de monstrer évidemment , quelle convenance
j'ay avec ce sainct homme, auquel l'Eglise, à bon droit t, porte
révérence. Le Seig-neur donc quand il met ces deux choses en
la conversion de son peuple, qu'il luy ostera son cœur de pierre,
i") et luy en donnera un de chair : tesmoigne appertement qu'il
faull, que tout ce qui est de nous soit aboly, pour nous amener
à bien, et (pie tout ce qui est substitué au lieu, procède de sa
grâce. Et ne dit pas cela seulement en un lieu, car nous avons
aussi en Hieremie : Je leur donneray un cd'ur et une voye, à lin [{ia-. 32.
20 qu'ilz me craignent toute leiu" vie. puis après je mettray la
crainte de mon Nom en leurs coeurs, à ce quilz ne se des-
tournent point de moy : Item en Ezechiel . Je donneray un
mesme cœur à tous, et créeray un nouA'el esprit en leurs entrailles: Ecec / /.
Je leur osteray leur C(eur de pierre, et leui' donneray un cœur
2.ôde chair. Il ne nous pourroit myeulx oster la louënge de tout ce
qui est de bon et de droict en nostre volunté, pour le s'attribuer,
que quand il appelle nostre conversion, une création de nou-
vel esprit, et de nouveau cœur. Car il s'ensuit toujours, qu'il
ne peut rien procéder de bon de nostre volunté, jusques à ce
:îo qu'elle soit reformée, et après la reformation, entant qu'elle est
bonne, qu'elle est de Dieu, nonipas de nous. Ainsi nous voyons
que les Sainctz ont prié, comme quand Salomon disoit : Que
le Seigneur encline noz ca^urs à soy, à fin que nous le crai-
gnions, et g-ardions ses commandemens. Il monstre la con-
;ôtumace de nostre ca^ur, en ce que naturellement il le confesse
estre rebelle contre Dieu et sa Loy, sinon qu'il soit fleschy
au contraire. Pareillement David quand il requiert au Sei- Psal. 6'/.
gnetir, qu'il crée en soy un nouveau cœur, et qu'il renouvelle
un droict esprit en ses entrailles , ne recongnoist-il point
7fi DE LA CONdNOlSSANCK
que toutes les parties de son cœur sont pleines d ininiundieité
et de souilleure ? et que son esprit est envelopé en perver-
sité? D'avantag-e, la pureté qu'il désire, en Tappellant créa-
ture de Dieu, il luy attribue toute la vertu. C'est une chose
5 merveilleuse que de nostre orgueil. Dieu ne requiert rien plus
estroictement, sinon que nous observions son Sabbat, à scavoir
en nous reposant de toutes noz œuvres, et il n'y a rien qu'on
tire de nous avec plus grande difîiculté que cela. C'est qu'en
quittant toutes noz œ^uvres, nous donnions lieu aux siennes.
1(1 Si ceste rage ne nous empeschoit, le Seigneur Jésus adonné
assez ample tesmoignage à ses grâces, à ce qu'elles ne soient
obscurcies. Je suis (dit-il) la Vigne, vous estes les ceptz, et joun l.'i.
mon père le Vigneron. Comme le cept ne peut porter fruict
de soy, sinon qu'il demeure en la vigne, ainsi vous, si vous
15 ne demeurez en moy. car sans moy vous ne pouvez rien faire.
Si nous ne fructifions de nous, nomplus que faict un cept
arraché de la terre, et privé de toute humeur : il ne fault plus
maintenant enquérir, combien nostre nature est propre à bien
faire, et aussi ceste conclusion n'est point doubteuse. que sans
20 luy nous ne pouvons rien faire. 11 ne dit pas que nous soyons tel-
lement infirmes, que nous ne pouvons suffire, mais en nous
réduisant du tout à néant il exclud toute phantasie de la moindre
puissance du monde. Si estans entez en Christ, nous fructifions
comme un cept de vigne, lequel prend sa vigueur, tant de l'hu-
2.ômeur de la terre, comme de la rousée du ciel, et de la challeur
du Soleil, il me semble qu'il ne nous reste aucune portion en
toutes bonnes œuvres, si nous voulons conserver à Dieu son
honneur entièrement. Pourtant l'Apostre luy en donne toute la
louënge : C'est Dieu, dit-il, qui faict en nous et le vouloir et le
30 parfaire. La première partie des bonnes œuvres est la volunté,
l'autre est, de s'efforcer à l'exécuter: et le pouvoir faire. Dieu p/(///y>. 2.
est autheur et de l'im et de l'autre. 11 s'ensuit donc que si l'homme
s'attribue aucune chose, ou en la volunté, ou en l'exécution qu'il
desrobe autant à Dieu. S il estoit dict, que Dieu baille secours à
35 nostre volunté infirme, il nous seroit laissé quelque chose. Mais
quand il est dict, qu'il faict la volunté, en cela il est monstre que
tout ce qui y est de bon, est d'ailleurs que de nous. Et pource
que la bonne volunté. mesme par la pesanteur de nostre chair,
est retardée et opprimée . il dit consequemment, que pour
DK i/iioM.Mi:. ciiai'itkl: h. 77
surmonter toute difïîculté, nostre Seig'neur nous donne la cons-
tance et vertu d'exécuter. Et de faict ce qu'il enseii^ne ailleurs,
ne peut autrement estre vray, c'est (ju il n'y a qu'un seul
Dieu, qui faict toutes choses en tous. En ceste manière donc,
5 Dieu commence et parfaict le bon œuvre en nous : C est que
par sa grâce la volunté est incitée à aymer le bien, inclinée à
le désirer, et esmeuë à le chercher, et s'y adonner. D'avan-
tage que cest amour, désir, et elîort, ne delTaillent point, mais
durent jusques à leur elVect : finalement que 1 homme poursuit
mie bien, et y persévère jusques à la lin. Or il ne esmeut pas
nostre volunté, comme on a long'temps imaginé et enseig'né,
tellement qu'il soit après en nostre eslection, d'obtempérer à son
mouvement, ou résister : mais il la meut avec telle efficace,
qu'il fault qu'elle suyve. Pourtant ce qu'on lict souvent en
ijChrvsostome, ne doibt point estre receu, c'est que Dieu n'atire
sinon ceulx qu'il veut estre atirez. Enquoy il signifie que Dieu,
en nous tendant la main, attend s'il nous sendjlera bon de nous
ayder de son secours. Nous concédons bien, que du temps que
1 homme estoit encores entier, .sa condition estoit telle, qu'il se
2(1 pouvoit incliner d'une part et d'autre. Mais puis que Adam a
declairé par son exemple, combien est povre et misérable le
franc Arbitre ? Sinon que Dieu veuille en nous, et puisse tout :
quel profit aurons nous, quand il nous départira sa grâce en telle
manière ? Mais comme ainsi soit, (ju'il espande sur nous la ple-
25nitude de sa grâce, nous luv en ostons la louënge par nostre
ingratitude. Car l'Apostre n'enseigne pas seulement que la
grâce de bien vouloir nous est offerte : si nous l'acceptons, mais
que Dieu faict et forme en nous le vouloir, qui n'est autre
chose dire, sinon que Dieu par son Esprit, dresse, iïeschit,
:î() modère nostre cœur, et qu'il y règne comme en sa possession.
Et ne se peut autrement entendre ceste sentence de Christ, Jean 2.
Quiconque a esté instruict de mon Père, vient à moy, sinon
que par icelle on entende, que la grâce de Dieu est de soy-
mesme vertueuse, pour accomplir et mettre en effect son œuvre,
:{5 comme Sainct Augustin le maintient. Laquelle grâce Dieu
ne départit point à un chascun, comme porte le proverbe
commun, qu'elle n'est denyée à personne qui faict ce qui est
en soy. Bien fault-il enseigner, que la bonté de Dieu est expo-
sée à tous ceulx qui la cherchent, sans aucune exception.
78 DE LA CONGNOISSANCE
Mais comme ainsi soit, que nul ne commence à la chercher,
devant qu'il ait esté inspiré du ciel , il ne failloit en cest
endroict, mesmes, aucunement diminuer la grâce de Dieu.
Certes ce previleii^e appartient aux esleuz seulement, qu'estans
5 régénérez par lEsprit de Dieu, ilz soient de luy conduictz et
gouvernez. Il ne failloit non plus doubler de la persévérance,
qu'elle ne deust estre estimée don gratuit de Dieu, mais il y
a une faulse opinion au contraire, enracinée au cœur des
hommes, qu'elle est dispensée à un chacun selon son mérite,
10 c'est à dire comme il se monstre n'estre point ingrat à la pre-
mière grâce. Mais pource qu'elle est venue, de ce qu'on ima-
ginoit qu'il fust en nostre povoir de refuser ou accepter la
grâce de Dieu, quand elle nous est présentée, il est facile de la
réfuter, veu que ceste raison a esté monstrée faulse. Combien
15 qu'il y a icy double erreur. Car oultre ce qu'il disent, qu en bien
usant de la premiei'e grâce de Dieu, nous méritons que j)ar
autres grâces suivant, il rémunère nostre bon usage, il a dj ouste
aussi que ce n'est point la grâce de Dieu seule qui besongne en
nous mais seulement qu'elle coopère. Quant au premier il
20 en fault avoir ceste resolution : Que le Seigneur Dieu en multi-
pliant ses grâces en ses serviteurs, et leur en conférant tous les
jours de nouvelles, d'autant que 1 œuvre qu'il a desja commencé
en eulx, luy est agréable, qu'il trouve en eulx matière et occa-
sion de les enrichir, et augmenter en telle sorte. Et à cela se
25 doibvent rapporter les sentences suyvantes : A celuy qui aura,
il luy sera donné : Item, Puis que tu t'es monstre serviteur lidele
en petites choses, je te constitueray en plus grand'charge. Mais
il nous fault icy donner garde de deux vices : C'est (|u'on n'attribue
point à l'homme en telle sorte le bon usage de la grâce de Dieu,
30 comme si par son industrie, il la rendoit vaillable. Puis après
qu'on ne dye point que les grâces qui sont conférées à l'homme
fidèle, soient tellement pour rémunérer, ce qu'il a bien usé de la
première grâce, comme si tout ne luy provenoit point de la bonté Philip. 2.
gratuite de Dieu. Je confesse donc que les fidèles doibvent
35 attendre ceste bénédiction, que d'autant qu'ilz auront myeulx usé
des grâces de Dieu, que d'autres nouvelles et plus grandes leur
seront journellement adjoustées. Mais je dis d'autrepart que
ce bon usage est de Dieu, et que ceste rémunération procède de
sa benevolence gratuite. Ce que Sainct Paul nomméement a
DE LHU.MMK. CllAl'llKL: 11. 79
déclaré. Car après quil a dit que c'est Dieu qui laict en nous
le vouloir et le parfaire, incontinent il adjouste qu'il faict l'un
et l'autre, selon sa bonne volunté, par ce mot signifiant sa
benig-nité "gratuite. Quant à ce qu'il disent, que après avoir
ô donné lieu à la prenù[^e]re grâce, nous coopérons avec Dieu: Je
respondz. S'il entend que après avoir esté reduictz par la vertu
de Dieu, en obéissance de justice, nous suyvons vouluntairement
la conduicte de sa grâce, je leur confesse. Car il est trescertain,
que là où règne la grâce de Dieu, il y a une telle promptitude
10 d'obtempérer. Mais dont est ce que cela vient ; sinon d'autant
que l'Esprit de Dieu, estant conforme à soyniesme, nourrit et
conferme en nous, l'alfection d'obéissance ; laquelle il a engen-
drée dès le commencement? Aucontraire s'ilz veulent dire que
l'homme ha cela de sa propre vertu, qu'il coopère avec la grâce
lôde Dieu: je dis que c'est un erreur pestilent. Mais ils allèguent:
Qu'est ce donc que veut dire l'Apostre parlant ainsi? J'ay plus
tra veillé que tous les autres, non pas moy, mais la grâce de
Dieu avec moy. Pource disent-ils, qu'il eust semblé, que c'estoit
trop arrogamment parlé, de se préférer à tous les autres, il
20 modère cela, rendant la louënge à la grâce de Dieu, en telle,
sorte neantmoins, qu'il se dit compagnon de Dieu en ouvrant.
C'est merveille, quand tant de personnages qui n'estoient point
autrement mauvais, ont achoppé à ce fe.stu, Car Sainct Paul ne
dit point, que la grâce de Dieu ayt besongné avec soy, pour se
25 faire compagnon d'icelle, mais plustot il luy attribue toute la
louenge de l'œuvre. Ce ne suis je point, dit-il, qui ay travaillé,
mais la grâce de Dieu, laquelle m'asistoit. Toute la fable est
venue, qu'ilz s'arrestent à la translation commune, laquelle est
doubteuse, mais le texte grec de Sainct Paul, est si cler qu'on
30 n'en peut doubter.
Oyons maintenant Sainct Augustin parler, à fin que les Pela-
giens de nostre temps, c'est à dire les Sophistes de Sor-
bonne, ne nous reprochent, comme ilz ont de coustume, que
tous les docteurs anciens nous sont contraires. En quov ilz
ssensuyvent leur père Pelagius, lequel a molesté Sainct Augus-
tin d'une mesme calumnie. Or il poursuit ceste matière au
long, au livre qu'il a intitulé de correction et grâce, dont je
reciteray en brief aucuns passages, usant de ses propres motz.
Il dit que la grâce de persister en bien a esté donnée
80 DE LA CONGNOISSANCt;
à Adam s'il en eust voulu user, quelle nous est donnée k lin
que nous veuillons, et qu'en veuillant, nous surmontions les
concupiscences : Ainsi qu'Adam a eu le pouvoir s'il eust
voulu, mais qu'il n'a point eu le vouloir, à fin qu'il peust. Que
ô à nous, tant le vouloir que le pouvoir, nous est donné.
Que la première liberté, a esté de pouvoir non point pécher,
que celle que nous avons maintenant est beaucoup plus grande,
c'est de ne pouvoir pécher. Les Sorbonistes exposent cela
de la perfection qui sera en la vie future, mais c'est une
10 moquerie, veu que Saine t Augustin se declaire puis après, en
disant, que la volunté des fidèles est tellement conduicte par
le Sainct Esprit, qu'ilz peuvent bien faire, k cause qu'il veullent,
et qu'ilz IcAcullent, à cause que Dieu crée en eulx le vouloir.
Car si en si grande inli[rjmité, dit-il, leur volunté leur estoit
ir) laissée, qu'ilz peussent bien faire par l'ayde de Dieu, si bon
leur sembloit, et que Dieu ne leur donnast point la volunté
entre tant de tentations, leur volunté, laquelle est infirme, suc-
conberoit, ainsi ne pourroient persévérer. Dieu a donc survenu
k l'infirmité de la volunté humaine, la dirigeant sans qu'elle
20 peust fleschir ck ne là, et la gouvernant sans ce qu'elle se peust
destourner. Car en telle sorte, combien qu'elle soit infirme, elle
peut faillir. Tantost après il traicte comme il est nécessaire que
noz cœurs suvvent le mouvement de Dieu, quand il les tire,
disant que Dieu tire bien les hommes selon leur volunté, et non
25 par contraincte, mais que la volunté, est cela qu'il a formé en
eulx. Nous avons maintenant le point, que nous debatons prin-
cipallement, approuvé par la bouche de Sainct Augustin. C'est
que la grâce n'est point seulement présentée de Dieu, pour estre
rejectée ou acceptée, selon qu'il semble bon k un chascun, mais
30 que c'est icelle grâce seule, laquelle induict noz cœurs k suyvre
son mouvement, et y produict, tant l'eslection que la volunté,
tellement que toutes bonnes œuvres qui s'ensuyvent après,
sont fruictz d'icelle, et n'est point receuë d'honmie vivant, sinon
d'autant qu'elle a formé son cœur en obéissance. A ceste cause
35 le mesme docteur dit en un autre lieu, qu'il n'y a que la grâce
de Dieu, qui face tout bon a^uvre en nous. Touchant ce qu'il dit
quelque part, que la volonté n'est point destruicte par la grâce,
mais de mauvaise, changée en bonne, et après avoir esté faicte
bonne, qu'elle est aydée, en cela seulement, il signifie que
DE L UII.M.ML;. CUAl'lTKE 11.
rhoninie n'est pas tiré de Dieu, comme mie pierre sans aucun
mouvement de son cœur, par une force de dehors, mais qu'il
est tellement poulsé, qu'il obeyst de bon vouloir. D'avantage
que la grâce soit spécialement donnée aux esleuz, et de don
5 gratuit, il le dit escrivant à Bohiface en ceste manière . Nous
scavons que la grâce de Dieu n'est point donnée à tous hommes,
et que quand elle est donnée à aucun, ce n'est point selon les
mérites de sa volunté, mais selon la bonté gratuite de Dieu :
quand elle est denyée, que cela se fait par le juste jugement de
10 Dieu. Et en ceste niesme epistre il condamne fort, et ferme,
l'opinion de ceulx qui estiment la grâce seconde, estre rétribuée
aux mérites des hommes, d'autant qu'en ne rejectant point la
première, ilz se sont montrez dignes d'icelle. Car il veut que
Pelagius confesse la grâce nous estre nécessaire à une chascune
15 œuvre, et qu'elle n'est j)oint rendue à noz mérites, à lin qu'elle
soit recongneuë pure grâce. Mais on ne peut plus sommairement
despecher ceste question, (pie par ce qu'il en dit en son livre de
correction et grâce, au huytiesme chapitre : où premièrement
il enseigne que la volunté humaine n'obtient point grâce par sa
20 liberté, mais obtient liberté par la grâce de Dieu. Seconde-
ment que par icelle grâce elle est conformée au bien, à lin de
l'aymer et y persévérer. Tiercement qu'elle est fortifiée dune
vertu invincible, pour résister au mal. Quartement qu'estant
gouvernée d'icelle, jamais elle ne delfault : estant délaissée,
2' incontinent elle trébuche. Item, Que par la miséricorde gratuite
de Dieu, la volunté est convertie à bien ; et estant convertie, y
persévère. Item, Que quand la A^olunté de l'homme est conduicte
à bien, et après y avoir esté adressée, qu'elle y est confermée,
que cela vient de la seule volunté de Dieu et non d'aucun
30 mérite. En ceste manière il ne reste à l'homme autre libéral
Arbitre, que tel qu'il descrit en un autre lieu. C'est qu'il ne se Epi. 46.
peut convertir à Dieu, ne persister en Dieu, sinon de sa grâce,
et que tout ce qu'il peut, c'est d icelle.
Ceste grâce de Dieu est aucunesfois appellée délivrance, par
3 i laquelle nous sommes affranchiz de la servitude de péché :
maintenant une réparation de nous, par laquelle, délaissant
le vieil homme, nous sommes restaurez à limage de Dieu :
maintenant régénération , par laquelle nous sommes faictz
nouvelles créatures : maintenant résurrection , par laquelle
Insdlutian. •'»
82 L)t: LA CO.NGMUSiSANCL; ,
Dieu, nous faisant mourir à nous mesmes, nous ressuscite de
sa vertu. Toutesfois il nous fault icy observer, que la déli-
vrance n'est jamais si entière , qu'une partie de nous , ne
demeure soubz le joug de péché : que la réparation n'est jamais
• telle, qu'il n'y demeure beaucoup de trace de l'homme terrien:
que la réparation n'est jamais telle, que nous ne retenions
quelque chose du viel homme. Car ce pendant que nous
sommes encloz en ceste prison de nostre corps, nous portons
tousjours avec nous les reliques de nostre chair : lesquelles
nuliminuent d'autant nostre liberté. Parquoy lame fidèle, depuis
la régénération, est divisée en deux parties entre lesquelles il
y a un âifferent perpétuel. Car d'autant qu'elle est régie et
gouvernée par 1 Esprit de Dieu, elle ha un désir et amour
d'immortalité, lequel l'incite et meine à justice, pureté, et
lo saincteté : et ainsi ne médite autre chose, que la béatitude du
Royaume céleste : et aspire entièrement à la compaignie de
Dieu, d'autant qu'elle demeure encores en son naturel, estant
empeschée en fange terrienne, envelopée en mauvaises cupiditez,
elle ne voit point ce qui est désirable, et où gist la vraye bea-
20 titude : estant détenue par le péché elle est destournée de Dieu,
et de sa justice. De là vient un combat, lequel exercite l'homme
fidèle toute sa vie : entant que par l'Esprit il est eslevé en hault,
par la chair destourné en bas : selon l'Esprit il tend d'un
désir ardent à l'immortalité, selon la chair il est desvoyé en
25voye de mort : selon l'Esprit il pense à justement vivre, selon
la chair il est sollicité à iniquité : selon l'Esprit il est conduict
à Dieu, selon la chair il est retiré en arrière : selon TEsprit il
contemne le monde, selon la chair il appete les délices mon-
daines. Ce n'est point une spéculation frivole, dont nous n'ayons
30 nulle expérience en la vie, mais c'est une doctrine de pra-
ticque, laquelle nous expérimentons de vray en nous, si nous
sommes enfans de Dieu. Nous voyons donc, que la chair et
l'Esprit sont comme deux combatans , lesquelz séparent en
diverses parties l'ame fidèle : faisans en elle une bataille : dont
33 toutesfois l'issue est telle, que l'Esprit est supérieur. Car quand
il est dict, que la chair destourne lame de Dieu, la retire d'im-
mortalité, l'empesche d'ensuyvre saincteté et justice, l'esloigne
du Rovaume de Dieu : il ne fault pas entendre, qu'elle ait si
g and vigueur en ses tentations, qu'elle renverse et destruise
DL LIlO.M.Mi:. CIIAITIIll-; 11. 83
l'œuvre de l'Esprit, et qu'elle estaiugiie sa vertu. Ja n'advienne.
Quoy donc ? quand la chair s'efforce d'abatre l'homme^ elle l'ap-
pesantit : quand elle le veut destourner de son chemin, elle la
retarde et empesche : quand elle veut estaindre d'iceluy, toute
3 amour de justice, elle la diminue aucunement: quand elle s'ell'orce
de la supprimer du tout, elle la faict aucunement flescliir. En
telles diffîcultez, il fault c[ue le serviteur de Dieu soit tellement
animé, que du principal désir de son ccrur, et de la principalle
affection, il aspire à Dieu, s'estudie et efforce de le chercher, et
10 continuellement gémisse et souspire, de ce qu'il est empesche
de sa chair, k ne poursuyvre sa course comme il debvroit. C'est
ce qu'entend Sainct Paul, quand il dit, que si nous sommes filz
de Dieu, nous ne cheminons point selon la chair : mais selon
l'Esprit. Ayant descrit le combat il signifie (|ue l'Esprit de Dieu
i.doibt avoir du meilleur, pour obtenir victoire. Maintenant, il est
facil' de voir, quelle différence il y a entre l'homme naturel,
et reg-eneré. L'homme naturel est bien piqué et aig"uillonné en
sa conscience, pour ne s'endormir point du tout en ses vices ;
neantmoins il ne laisse point de s'y complaire de tout son cœur,
20 y prendre sa volupté, leur lascher voluntiers la bride : ne
craignant autre chose que la peine , laquelle il voit estre
préparée à tous pécheurs. L'homme régénéré, de la principalle
partie de son cœ>ur, adhérant à la justice de la lov, haist et a
en exécration le péché qu'il commet par son imbecilité, il s'y
jo desplaist, et n'y a point son consentement, mais plustost prend
plaisir et délectation en la loy de Dieu, et y trouve plus de
doulceur, qu'en toutes les voluptez du monde : D'avantage
jamais ne pèche de son propre sceu. que ce ne soit contre son
ca'ur. Car non seulement sa conscience répugne au mal, mais
:;ii aussi une j^artie de son affection.
Aucuns Anabaptistes imaginent je ne scay quelle intem-
pérance phrenetique , au lieu de la régénération spirituelle
des fidèles. C'est que les enfans de Dieu (comme il leur
semble) estans reduictz en estât d'innocence, ne se doibvent
x; point soucyer de refréner les concupiscences de leur chair :
mais doibvent suyvre l'Esprit pour conducteur , soubz la
direction duquel on ne peut errer. Ce seroit une chose incre-
dible, que l'entendement de l'homme peust tomber en telle
rage : sinon qu'ilz publiassent arrogamnieut ceste doctrine.
84 DE LA CONGNOISSANCE
Et de faict c'est un monstre horrible. Mais c'est bien raison,
que l'audace de ceux, qui entreprennent de changer la vérité
de Dieu en mensonge, soit ainsi punye. Je leur demande
donc, si toute différence de turpitude et honnesteté ; de justice
5 et injustice ; de bien et de mal ; de Acrtu et de vice, sera
ostée ? Celle diffei-ence, disent-ilz. vient de la malédiction
du vieil Adam : de laquelle nous sommes délivrez par Christ.
Il n'y aura donc rien à dire entre paillardise et chasteté ,
simplicité et astuce, Acrité et mensonge, équité et rapine.
lu Qu'on oste, disent-ilz, toute crainte frivole, et qu on suyve
hardiment l'Esprit, lequel ne demandera rien de mal : moyen-
nant qu'on s'addonne à sa conduicte. Qui ne s'estouneroit de
ces propos si desraisonnables ? Neantmoins c'est une phi-
losophie populaire et amyable entre ceux, qui estans aveuglez
15 de la folie de leurs concupiscences, ont perdu le sens com-
mun ? Mais, je vous prie, quel Christ nous forgent ilz ; et
quel esprit? Car nous recongnoissons un Christ, et son Esprit,
tel que les Prophètes l'ont promis, et que l'Evangile dénonce
qu'il a esté révélé : duquel nous n'oyons rien de semblable.
20 Car cest esprit, que l'Escriture nous monstre, ne favorise
point à homicides, paillardises, yvrougneries, orgueil, conten-
tion, avarice, et fraude : mais est autheur de dilection,
chasteté, sobriété, modestie, paix, tempérance, et vérité.
Ce n'est pas un esprit de resverie. ne de tourbillons, et qui se
25 transporte cà et là inconsidérément, tant au mal qu'au bien :
mais plein de sagesse et intelligence, pour discerner entre le
bien et le mal. Il ne poulse point l'homme à une licence
dissolue et etfrenée : mais, comme il discerne le bien du mal,
aussi il enseigne de suyvre l'un, et fuyr l'autre. Mais qu'est-
30 ce que je me metz si grand peine à réfuter ceste rage brutale ?
L'Esprit de Dieu n'est point aux Chrestiens une imagination
folle, laquelle ilz se soient forgée en songeant, ou prise
des autres ; mais ilz le congnoissent tel, que l'Escriture le
monstre : en laquelle il en est dict, qu'il nous est donné en
3j sanctification, pour nous conduire en obeyssance de la justice
de Dieu, nous ayant purgé d'immundicité et ordure. Laquelle
obeyssance ne peut estre, que les concupiscences (ausquelles
ceulx-cy veulent lascher la bride) ne soient domptées et subju-
guées. En après il en est dict aussi, qu'il nous purge tellement
I>F 1,'lHlM.Mi:. CIIAI'iritl", 11. 80
par sa sanctitication, ([ue neanlinoins il nous reste tousjours
beaucoup dinfinuité, ce pendant que nous sommes encloz
en nostre corps mortel : dont il advient, ([ue entant que
nous sommes encore bien loing" de la perfection, il nous est
.)mestier de profHter journellement : et entant que nous sommes
enveloppez en beaucoup de vices, qu'il nous est mestier de
batailler à l'encontre. De là s'ensuit, ([u'il nous fault veiller
dilii^emment, pour nous garder destre surpris des trahisons
de nostre chair : et qu'il ne nous fault point reposer comme
I" si nous n'estions point en danger : sinon que nous pen-
sions avoir plus avancement que Sainct Paul, en saincteté
de vie : lequel estoit molesté des aiguillons de Satan , à
lin (|u"en infirmité il fust parfaict en vertu. Et de faict^- (^or
nous voyons comment il confesse, que le combat, dont
li nous avons parlé entre Ib^sprit et la chair, estoit en sa per- Rom.7.
sonne.
Je pense que nous avons suffisamment prouvé, comme
l honniie est tellement tenu captif soubz le joug' de péché, qu'il
ne peut , de sa propre nature , ne désirer le bien en sa
20 volunté . ne s'y appli|(pu'r. D'avantage nous avons mis la
distinction entre contreincte et nécessité : dont il appert, que
quand l'homme pèche nécessairement, il ne laisse point de
pécher de sa volunté. Mais pource (pie quand on le met
en servitude du Diable, il semble qu'il soit mené au plaisir
2.i d'icelu}', plustot que du sien, il reste de despecher en quelle
sorte cela se fait. Après il fault souldre la question, dont
on doubte communément : c'est, si on doibt attribuer quelque
chose k Dieu, aux ct'uvres mauvaises, ausquelles l'Escriture
signifie que sa vertu y besongne aucunement. Quant au pre-
3u mier, Sainct Augustin acomparage en quelque lieu la volunté
de l'homme à un chenal, (|ui se gouverne par le plaisir de
celuv qui est monté dessus. Il accomparage d'aidtre part Dieu
et le Diable à des chevaucheurs : disant, que si Dieu a occupé
le lieu en la volunté de l'homme, comme un bon chevaucheur
S3 et bien entendu, qu'il la conduict de bonne mesure, il l'incite
quand elle est trop tardive, il la retient si elle est trop aspre,
si elle s'escarmouche trop fort, il la reprime, il corrige sa
rébellion, etl'ameine en droicte voye. Au contraire si le Diable a
gaigné la place, comme un mauvais chevaucheur et estourdv.
80 DE LA CONGNMISSANCi:
il l'esgare à travers champs : il la faict toml)er dans des fosses,
il la faict tresbucher et revirer par les vallées, il racconstume à
rébellion et désobéissance. De ceste similitude nous nous conten-
terons pour le présent, puis que nous n'en avons point de meil-
nleure. Ce qu'il est donc dict. que la volunté de l'homme naturel
est subjecte à la Seigneurie du Diable, pour en estre menée : cela
ne signifie point qu'elle soit contraincte par force et malgré qu'elle
en avt, à obtempérer, comme on contraindroit un serf à faire
son office. Combien qu'il ne le voulust point. Mais nous enten-
10 dons, qu'estant abusée des tromperies du Diable, il est nécessaire
qu'elle se submette à obtempérer à ce que bon luv semble, com-
bien qu'elle le face sans contraincte. Car ceulx. ausquelz nostre
Seigneur ne faict point la grâce de les gouverner par son Esprit,
sont abandonnez à Sathan. pour estre menez de luy. Pour ceste
15 cause dit Sainct Paul, que le Dieu de ce monde (qui est le
Diable) a aveuglé l'entendement des infidèles, à ce qu'ilz n'ap-
percoivent point la lumière de l'Evangile. Et en un autre lieu il 2. Cor. 4
dit qu'il règne en tous iniques et desobeissans. L'aveuglement £"/>/(. 2.
donc des meschans. et tous les maletices qui s'en ensuyvent.
2(1 sont nommez ceuvres du Dial)le. et toutesfois il n'en fault point
chercher la cause hors de leur volunté, de laquelle procède
la racine de mal. et en laquelle est le fondement du règne du
Diable, c'est à dire le péché. Quant est de l'action de Dieu,
elle est bien autre en iceulx. Mais pour la bien entendre, nous
2ï prendrons l'injure que firent les Caldéens à Job. C'est que
ayant tué ses bergers, ilz luy ravirent tout son bestial. Nous
voyons desja à l'œil les autheurs de ceste meschanceté. Car Joh I.
quand nous voyons des voUeurs, qui ont commis quehjue
meurtre ou larrecin, nous ne doubtons point, de leur imputer la
sofaulte et de les condamner. Or est-il ainsi, que l'histoire
recite, que cela provenoit du Diable. Nous voyons donc qu'il
y besongne de son costé. D'autrepart Job recongnoit que
c'est œuvre de Dieu, disant que Dieu l'a despoullé du bien
qui luy avoit esté osté par les Caldéens. Comment pourrons
33 nous dire, qu'une mesme œuvre ayt esté faicte de Dieu, du
Diable et des hommes; que nous n'excusions le Diable entant
qu'il semble conjoinct avec Dieu ; ou bien que nous disions
Dieu estre autheur du mal ? Facilement, si nous considé-
rons premièrement la fin , puis après la manière d'opérer.
i>i; I. iKiM.Mi:. ciiAi'i I ish: ii.
87
Le conseil de Dieu esloit, (rexerccr son serviteur en patience
par adversité : Sathan s'elTorcoit de le mettre en desespoir :
Les Chaldéens taschoient de s'enrichir du ]>ien d'autruv par
rapine. Une telle différence de conseil distingue bien entre
> l'oeuvre de l'un et de l'autre. En la manière de faire il n y a
pas moins de dissimilitude. Le Seigneur abandonne son servi-
teur Job à Sathan pour l'afïliger : D'autrepart il luy baille les
Chaldéens, qu'il avoit ordonnez pour estre ministres de ce
faire, et luy commet de les poulser et mener : Sathan stimule
10 par ses aiguillons venimeux, à commettre ceste iniquité, les
cœurs des Chaldéens. qui autrement estoient mauvais. Les Chal-
déens, s'addonnantz à mal faire, contaminent leurs âmes et leur
corps. C'est donc proprement parlé , de dire que Sathan
besongne es reprouvez, esquelz il exerce son règne, c'est à dire
13 le règne de perversité. On peut bien aussi dire, que Dieu aucu-
nement y besongne, d'autant que Sathan, lequel est instrument
de son ire, selon son vouloir et ordonnance les poulse ck et là, pour
exécuter ses jugemens. Je ne parle point icy du mouvement
universel de Dieu, duquel comme toutes créatures sont souste-
20nueJ5, aussi elles en prennent leur vertu, p(»ur faire ce qu'elles
font. Je parle de son action particulière, hupielle se monstre en
chacun œuvre. Parquoy nous voyons (pi'il n'est pas inconvénient,
qu'une mesme œuvre soit attribuée à Dieu, et au Diable, et à
l'homme. Mais la diversité, qui est en l'intention et au moyen,
r. faictque la justice de Dieu par tout apparoist irrépréhensible. La
malice du Diable et de l'homme se monstre avec sa confusion.
Les anciens docteurs craignent aucunesfois de confesser la
vérité en cest endroict, pource qu'ilz ont poi'ur de donner occa-
sion aux mauvais de mesdire, ou parler irreveremment des
30 œuvres de Dieu. Laquelle sobriété j'approuve tellement, que je
ne pense point toutesfois qu'il y ayt aucun danger de tenir sim-
plement ce que nous en monstre l'Escriture. Sainct Augustin
mesme ha aucunefois ce scrupule : comme quand il dit que
l'aveuglement et endurcissement des mauvais, ne se rapporte
35 point à l'opération de Dieu, mais à sa prescience. Or ceste
subtilité ne peut convenir avec tant de locutions de l'Es-
criture : lesquelles monstrent évidemment, qu'il y a autre
chose que la providence de Dieu. Semblablement ce que
aucuns ameinent. que Dieu permet le mal, mais ne l'envoyé
88 DE LA CONONOISSANCK
point . ne peut subsister. Souvent il est dict , que Dieu
aveugle et endurcit les mauvais, qu'il tourne, et fleschit.
et poulse leurs cœurs. Ce nest point explicquer telles formes
de parler, que de recourir à la prescience ou permission.
5 Pourtant nous respondons, que cela se fait doublement. Car
comme ainsi soit , que la lumière de Dieu ostée , il ne reste
sinon obscurité et aveuglement en nous : son Esprit osté,
noz cœurs soient endurciz comme pierre : sa conduicte ces-
sant, nous ne puissions cjue nous esgarer à travers champs :
10 à bonne cause il est dict, quil aveugle, endurcit, et poulse
ceulx, ausquelz il oste la faculté de voir, obéir, et faire bien.
La seconde manière , qui approche plus à la propriété des
motz. c'est que Dieu, pour exécuter ses jugemens par le Diable,
qui est ministre de son ire, dirige où bon luy semble, le conseil
lides mauvais, et meut leur volonté, et conferme leur esfort. Selon
la première raison, se doibt entendre ce qui est dict en Job : Il
oste la langue à ceulx qui parlent bien : et le conseil aux anciens
et sages. 11 oste le cœur à ceulx qui président en la terre : et job 12.
les faict errer hors de la voye. Item ce que dit S. Paul : Dieu
20 leur envoyé efficace de tromperie, à fin c[u"ilz croyent à men- 2 The. 2.
songe. Item en lesaye. Pourquoy (Seigneur^ nous as tu osté le hsa. 63.
sens ? Pourquoy nous as tu endurcy le cœur ; à ce que nous ne
craignissions point ? Car toutes ces sentences sont plus pour
signifier, que c est que Dieu fait des hommes, en les abandon-
25 nant et délaissant : que pour monstrer comment il besongne
en eulx. Mais il y a d'autres tesmoignages qui passent oultre.
Gomme quand il est parlé de l'endurcissement de Pharaon, Exo. 1.
J'endurciray (dit le Seigneur) le co'ur de Pharaon; à lin qu'il 7. ef 10.
ne vous escoute point, et quil ne délivre le peuple. Puis après
30 il dit, quil luy a cnnfermé et corroboré son cœur. Faut-il
entendre qu'il luy a endurcy ; en ne luy amollissant point ? Cela
est bien vray : Mais il a faict d'avantage : c'est qu'il a livré Exo. 3.
son cœur à Sathan, pour le confermer en obstination. Pourtant
il avoit dict dessus. Je tiendray son coeur. Pareillement quand
33 le peuple d'Israël sort d'Egypte , les habitans du pais où ilz Den. 2.
entrent viennent au devant de mauvais courage : d'où dirons
nous quilz sont incités? Certes Moyse disoit. que ce avoit esté le Psa. lOii.
Seigneur, qui avoit conferme leurs coeurs. Le Prophète recitant
la mesme histoire, dit que le Seigneur avoit tourné leur cœur en
DE l/llOAniE. r.llAPITRF II. 89
la havnc de son poupli'. On ne pourroit niainlenant dire, ([u'ilz
ont failly seulement, à cause qu'il/, estoient desnuez du conseil
de Dieu, car s'il/ sont conferme/ et conduictz à cela : le Sei-
jj^neur aucunement les y incline et nieine. D'avantag-e toutes les
3 fois qu'il luy a pieu chastier les transgressions de son peuple ;
comment l'a-il exécuté par les meschans ? Certes en telle sorte
qu'on voit bien ([ue la vertu et efficace de l'œuvre procedoit de
luy : et qu'iceulx estoient seulement de ses ministres. Pourtant
aucunesfois il menace, qu'en sihlant il fera venir les peuples in-
10 fidèles pour destruire Israël : aucunesfois les accomparageant à
lui ret/, aucunesfois à un marteau. Mais principallement il a Esa. !>. 7.
demonstré, combien il n'estoit point oysif en eulx, en acompa- Ezec. 42.
raj^eant Sennacherib, homme meschant et pervers, à une coi- .J.^ ^"..^
gnée : disant cpiil le conduisoit et poulsoit de sa main, pour /esaJe/0.
ncoupper selon son bon plaisir. Sainct Augustin en quelque lieu
mect une distinction qui n'est point mauvaise : C'est que ce que
les iniques pèchent, cela vient de leur j)ropre : que en péchant
ilz font'une chose ou autre, cela est de la vertu de Dieu, lequel
divise les ténèbres comme bon luy semble. Or que le ministère
20 de Sathan entreviene, à inciter les mauvais, quand Dieu par sa
providence les veut fleschir cà et là : il apparoistra assez par un
passage. Car il est souventesfois dict, cpie le mauvais esprit I . Samuel
de Dieu a invadé ou laissé Saul. 11 n'est pas licite de référer ,,''„'
, , et IV.
cela au Sainct Esprit. Pourtant nous voyons que 1 Esprit
2iimmunde est nommé de Dieu, entant qu il respond au plaisir et
pouvoir de Dieu : il est instrument de sa volunté, plustost que
autheur de soymesme. Neantmoins, comme il a esté dict, il y a
tousjours grande distance entre ce que Dieu faict, ou ce que faict
le Diable, ou les meschans, en une mesme œuvre. Dieu faict
30 servir à sa justice les mauvais instruments qu'il ha en sa main,
et qu'il peut fleschir par tout où bon luy semble. Le Diable et
les iniques, comme ilz sont mauvais, produisent et enfantent
par œuvres, la meschanceté qu ilz ont conceuë en leur esprit
pervers. Le reste qui appartient k detfendre la Majesté de Dieu
3o contre toutes calumnies, et réfuter les subterfuges, dont usent
les blasphémateurs en cest endroit, sera exposé au traicté de la
providence de Dieu, car icy j'ay voulu seulement monstrer en
brief , comment le Diable règne en un meschant homme, et
comment Dieu besongne , tant en l'un comme en l'autre .
!M) DE LA r.ONONOISSANCr-:
Quant est des actions, lesquelles de soy ne sont ne bonnes ne
mauvaises, et appartiennent plustost à la vie terrienne que spiri-
tuelle, il n'a pas esté encores declairé, quelle est la liberté de
riiomme en icelles. Aucuns ont dict, que nous avons en icelles
o eslection libre, ce qu'il/, ont faict. comme je pense, pource qu'il/,
ne A'ouloient debatre une chose, qu'il/ ne pensoient pas estre
de grande importance : que pour asseurer cela comme certain.
Quant à moy, comme je confesse, que ceulx qui recong-noissent
leurs forces estre nulles pour se justifier, entendent ce qui est
10 nécessaire à salut: toutesfois je pense cpie cela n'est pas à
neg-lio^er. d'entendre que c est une grâce spéciale de Dieu, quand
il nous vient en l'entendement deslire ce qui nous est profi-
table, et de le désirer : et aussi d'autrepart quand nostre esprit
et nostre cœur fuyent ce qui nous est nuysible. Et de faict, la
i> providence de Dieu s'estend jusques là. non seulement de faire
advenir ce qu'il congnoit estre expédient : mais aussi de incliner
la volunté des hommes à un mesme but. Bien est vray, cjue si
nous reputons la conduicte des choses externes selon* nostre
sens, nous jugerons qu'elles sont en l'arbitre et puissance de
20 l'homme. Mais si nous escoutons tant de tesmoignages . qui
dénoncent que nostre Seigneur mesme en cest endroit gouverne
les cœurs des hommes, nous soub/mettons la jouissance humaine
au mouvement spécial de Dieu. Qui est ce qui a esmeu les
cœurs des Egiptiens ; à ce qu'il/ prestassent au peuple d'Israël iTa^or/. / /.
Soles plus précieux vaisseaux qu'il/ eussent? Jamais d'eulx
mesmes n'eussent esté induict/ à cela . Il s'ensuit donc que
leurs cœurs estoient plus mené/ de Dieu, que de leur propre
mouvement ou inclination. Qui est ce qui destourna le cœur
d'Absalon, pour faire qu'il ne receust point le conseil de Achi-
sotophel; qui avoit accoustumé d'estre receu comme Evangile? 2. Sann/e/
()ui est ce qui induict Roboan : pour le faire obevr au conseil , J^' ,
des jeunes gens? (Juelqu'un répliquera, que ces exemples sont \2.
particuliers : dont on ne doibt pas faire une reigle commune.
Mais je dit/ quilz suffisent pour prouver ce que je prétend/.
-^ C'est que Dieu, toutesfois et quantes qu il veut donner voye
à sa providence, mesme es choses externes, fleschit et tourne
la volunté des hommes à son plaisir : et que leur eslection
n'est pas tellement libre , cjue Dieu ne domine par dessus ,
veuillons ou non : l'expérience journelle nous contraindra
Kl. I. iiiiMMi:. ciiAi'i IRI-; 11. :n
d'estimer, que noslre cœur est plustost conduict par le
mouvement de Dieu, que par son eslection et liberté, veu
((ue souvent la raison et entendement nous defl'ault, en choses
qui ne sont point trop diiriciles à con^i^noistre, et perdons
.courag'e, en choses qui sont aisées à l'aire. Aucontraire en
choses très obscures et douliteuses nous délibérons sans diffi-
culté, et scavons comment nous en debvons sortir. En choses
de grande conséquence et de j^rand dang-er, le courag-e nous
demeure ferme et sans crainte. Dont procède cela ; sinon que
to Dieu besongne, tant d'une part que d'autre? Et de faict,
j'entends en ceste manière ce que dit Salomon. Le Seigneur faict Prorerho
que l'aureille oye, et que l'oeil voye. Car il ne me semble point " '
advis (jue lîi il parle de la création, mais de la j^race spéciale, que
Dieu faict aux hommes de jour en jour. D'avantaj^e quand il dit,
i;i c[ue le Seij^neur tient le C(eur des Hoys en sa main , comme
un ruysseau d'eaue : et qu'il les faict coulei- quelque part ([ue PrnverLo
bon luy semble, il n'y a point de doid)te cpiil ne comprenne tous
hommes soubz une espèce. Car s il y a homme duquel la
volunté soit exemptée de toute subjection ce privilège appartient
ji> au Hoy par dessus tous : du(juel la volunté gouverne les autres.
Si donc la volunté du P«oy est conduicle par la main de Dieu :
la nostre ne sera point exemptée de ceste condition : dequoy il
y a une belle sentence en Sainct Augustin. L'escriture, dit-il, si
on la regarde diligemment, monstre que non seulement les
2i bonnes voluntez des hommes, lesquelles Dieu a crées en leur
cœur, et les ayant crées les conduict k bonnes œuvres, et à la
vie éternelle, sont en la puissance de Dieu ; mais aussi toutes
celles qui appartiennent à la vie présente : et tellement y sont,
qu'il les incline selon son plaisir cà ou lii, ou pour profiter
■wk leurs prochains : ou pour leur nuyre, quand il veut faire
quelques chatiemens. Et tout cela faict-il par son jugement
oculte, et neantmoins juste. Or il fault icy que les lecteurs se
souviennent, qu'il ne fault pas estimer la faculté du libéral
Arbitre de l'homme par l'advenement des choses comme font
: i aucuns ignorans. Car il leur semble bien advis, qu'ilz peuvent
prouver la volunté des hommes estre en servitude, d'autant que
les choses ne viennent point au souhait des plus grans princes
du monde : et que le plus souvent ilz ne peuvent venir k bout
de levu's entreprises. Or la puissance et liberté , dont il est
. 92 DF LA CO>r,Nf)lSSA>T,E
question maintenant, doibt estre considérée en l'homme, et nom-
pas estimée par les choses de dehors. Car quand on dispute du
libéral Arbitre, on ne débat point. s"il est lovsible à l'homme
d'acomplir et exécuter ce qu'il a délibéré , sans que rien le
3 puisse empescher : mais on demande si en toutes choses il ha
libre eslection en son jugement pour discerner le bien et le mal,
et approuver l'un et rejecter l'autre : ou pareillement s'il ha libi-e
atïection en sa volunté, pourappeter, chercher, et suyvre le bien:
ha^r et éviter le mal. Car si cela pouvoit estre en l'homme, il
10 ne seroit pas moins libre, estant enfermé en une prison, que
dominant toute la terre.
Nous aurions assez parlé de la servitude de l'ame humaine,
n'estoit que ceux qui taschent de la séduire d'une faulse opinion
de liberté, ont leurs raisons aucontraire, pour impugner nostre
15 sentence. Premièrement ilz objectent quelques absurditez, pour
la rendre odieuse : comme si elle repugnoit au sens commun
des hommes. Puis ilz usent de tesmoignages de l'Escriture, pour
la convaincre. Selon cest ordre nous leur respondrons. Il
arguent donc ainsi, que si le péché est de nécessité : ce n'est
20 plus péché. S'il est voluntaire : qu'il se peut éviter. C'estoit le
baston qu'avoit Pelagius pour combatre Sainct Augustin, et
toutesfois nous ne voulons point pour cela, que leur raison n'ayt
point d'audience, jusques à ce que nous l'aurons refutée. Je nye
donc, que le péché laisse d'estre imputé pour péché, d'autant
•^s qu'il est nécessaire. Je nye d'autrepart, qu'il sensuyve, qu'on
puisse éviter le péché, s'il est voluntaire. Car si quelqu'un veut
s'avder de ceste couverture, pour plaider contre Dieu, comme
si c'estoit un bon subterfuge, de dire qu'il n'a peu autrement
faire : il aura incontinent sa response preste. La perdition Osée 13.
:iii vient de toy Israël, en moy seulement est ton salut. Car
dont vient ceste impuissance qu'il prétend ; sinon de la
perversité de sa nature ? et dont est ceste perversité ; sinon
pource que l'homme a décliné de son créateur ? Or si tous
hommes sont coulpables de ceste cheute, il ne fault point
io qu ilz se pensent excuser par nécessité qu'ilz ont de mal
faire : veu qu'en icelle est contenue juste cause de leur damna-
tion. L'autre partie de leur argument n'est pas vaillable, entant
qu'ilz prétendent, que tout ce qui se faict voluntairement, soit
faict en pleine liberté. Car cy dessus nous avons prouA^é
dl; l iiu.M.Mi:. ciiAi'iiut; ii.
!>3
que plusieurs choses se font voluntairement, desquelles l'es-
lection n'est pas libre. Hz disent après, que si les vices et
vertus ne procèdent de libre eslection, qu'il n'est pas conve-
nable que l'homme soit rémunéré ou puny. Combien que cest
5 argument soit prins de Aristote : toutesfois je confesse que
Sainct Chrysostome et Sainct Hyerosme en usent quelque part.
Combien que Hyerosme ne dissimule pas, qu'il a esté familier
aux Pelai^'iens : dosquelz il réfère les paroles qui s'ensuyvent.
Que si la grâce de Dieu besongne en nous, icelle sera rémunérée :
10 et nonq)as nous qui ne travaillons point . Quant est des puni-
tions que Dieu faict des maléfices : Je respondz (ju elles nous
sont justement deuës, puis que la coulpe de péché réside en
nous. Car il ne chault, si nous péchons d'un jugement libre, ou
servile, moyennant que ce soit de cupidité voluntaire, principal-
lalement veu que l'homme est convaincu d'estre pécheur, entant
qu ilz est soul)z la servitude de péché, (^uant est du loyer de
bien faire : quelle absurdité est ce ; si nous confessons qu'il
nous soit donné plus par la bénignité de Dieu , que rendu
pour noz mérites ? Combien de fois est répétée ceste sen-
20 tence en Sainct Augustin ; que Dieu ne couronne point noz
mérites en nous, mais ses dons ? et que le loyer qui nous vient
n'est pas ainsi appelle, pource ({u'il soit deu à noz mérites ; mais
pource qu il est rétribué aux grâces, (|ui nous avoient esté aupa-
ravant conférées ? C'est bien regardé à eulx, d'entendre que les
2u mérites n'ont plus de lieu, sinon que les lionnes œuvres pro-
cèdent de la propre vertu de l'homme. Mais de trouver cela tant
estrange, c'est une moquerie. Mais l'Apostre les délivrera de
ceste folle phantasie, s'ilz veuUent escouter, de quel principe il
desduict nostre béatitude, et la gloire éternelle que nous atten-
30 dons. Ceux que Dieu a esleus, dit-il, il les a appelez, ceux qu'il
a appeliez, il les a justifiez: ceux qu'il a justifiez, il les a glorifiez.
Pourquoy donc sont couronnez les fidèles? Certes, selon l'Apostre,
d'autant que par miséricorde du Seigneur, et non parleur indus-
trie, ils ont esté esleuz, appeliez, et justifiez. Pourtant que ceste
3o folle crainte soit ostée, qu'il n'y aura plus mérite, si le franc Ar-
bitre n'est soustenu. Car c'est une moquerie de fuyr ce à quov
l'Escriture nous meine. Si tu as receu toutes choses (dit Sainct
Paul), pourquoy te glorifie tu, comme si tu ne les avois point /. Cor. 4.
receues. Nous voyons qu'il oste toute vertu au libéral Arbitre,
Di DI-: LA C.UNGNOlSSA>CE
à fin de destruire tous mérites. Neantmoins selon que Dieu est
riche et libéral à bien faire, il rémunère les grâces qu'il nous a
conférées, comme si c'estoient vertus venans de nous pource
qu'en nous les donnant, il les a faictes nostres.
Hz allèguent consequemment une objection, laquelle semble
estre prinse de Sainct Chrisostome : Que s'il estoit en nostre
facvdté d eslire le bien et le mal : qu il faudroit que tous hommes
fussent bons, ou tous meschans : veu quilz ont une mesme
nature. A quoy s'accorde le dire de celluy qui a escrit le livre,
10 intitulé de la vocation des Gentilz , qu'on attribue l\ Sainct
Ambroise. C'est que nul jamais ne declineroit de la Foy, sinon
que la grâce de Dieu laissast la volunté de l'homme nmable.
En quoy je m'esmerveille comment si grandz personnages se
sont abusez. Car comment Chrisostome n'a il i-ejDuté, que c'est
i;> l'eslection de Dieu ; laquelle discerne ainsi entre les hommes ?
Certes nous ne debvons avoir honte de confesser, ce que Sainct
Paul afferme tant certainement : que tous sont pervers et adon-
nez à malice : mais nous adjoustons quant et quant avec luy,
que la miséricorde de Dieu subvient à aucuns, à fin que tous ne
20 demeurent point en perversité. Comme ainsi soit donc, que natu-
rellement nous soyons attains d'une mesme maladie : il n'y en a
de garantis sinon ceulx, ausquelz il plaist à Dieu de remédier.
Les autres, que par son juste jugement il abandonne, demeurent
en leur pourriture, jusques après quilz soient consummez. Et ne
ii procède d'ailleurs, que les uns poursuivent jusques à la fin, les
autres deffaillent au milieu du chemyn. Car de faict la persé-
vérance est un don de Dieu : lequel il n'eslargit pas à tous indif-
féremment : mais k qui bon luy semble. Si on demande la raison
de ceste différence, pourquoy les uns persévèrent constamment, et
sa les autres sont ainsi muables ; il ne s'en trouvera point d'autre,
sinon que les premiers sont maintenuz par la vertu de Dieu, à
ce qu'ilz ne périssent point: Les secondz n'ont point une mesme
force : d'autant qu'il veut monstrer en eulx exemple de l'incons-
tance humaine. Hz arguent aussi, que toutes exhortations seront
33 frustratoires, qu'il n'y a nulle utilité en admonitions, que les
reprehensions sont ridicules, s'il n'est en la puissance du pécheur
d'y obtempérer. Pource qu'on objectoit jadis ces choses à
Sainct Augustin, il fust contrainct de publier le livre, intitulé
de Correction et Grâce : Auquel combien qu'il responde
bE l'hu.m.mi:;. ciiai'Iihl: ii. !>o
aiupK'iiienl à tout, neantmoins il réduit la (juestiou à ceste somme.
0 homme recong-nois en ce qui est commandé, que c'est que tu
doibz faire : En ce que tu es repris de ne l'avoir faict, cong-nois
que la vertu te deirault par ton vice, en priant Dieu, congnois
jdont il te fault recevoir ce qu'il t'est mestier. Premièrement nous
ne sommes point seulz à soubstenir ceste cause, mais Christ et
tous ses Apostres. Pourtant que nos adversaires regardent
comment ilz viendront au dessus, entreprenante ce combat
contre telles parties. Combien que Christ ayt déclaré, que sans
10 luy nous ne pouvons rien : neantmoins il ne laisse pour cela de
reprendre ceulx qui font mal hors luy : en ne laissant d'exhor-
ter un chascun à bonnes œuvres. Combien S. Paul i-eprend-il
asprement les Corinthiens; pource qu'ilz ne vivoyent point
charitablement? Toutesfois après. il prie Dieu de les rendre
la charitables. Il testilie aux Romains, que la justice n'est point au
vouloir ny en la course de l'homme : mais en la miséricorde de
Dieu. Toutesfois il ne laisse pas après de les admonester,
exhorter et corriger. Que n'advertissent-il/. donc le Seig-neur, de
ne perdre sa peine, en requérant des hommes sans propos, ce
20 que luy seul leur peut donner: en les reprenant de ce qu'ilz
commettent par le seul delVault de sa grâce ? (Jue ne remonstrent-
ilz à Sainct Paul : qu'il doibt pardonner à ceulx qui n'ont
point en leurs mains de vouloir le bien, ou l'accomplir, sinon
par la miséricorde de Dieu ; laquelle leur delFault, quand ilz
2o faillent ? Mais toutes ces folies n'ont point de lieu, veu que
la doctrine de Dieu est fondée en trop bonne raison : mais
qu'elle soit bien considérée. Il est bien vray, que Sainct Paul
monstre que la doctrine, et exhortation, et objurgation ne pro-
fitent gueres de soy à changer le cœur de l'homme, quand il dit,
30 que celuy qui plante n'est rien, et celuy qui arrouse n'est rien : / Cor. :i.
mais que toute l'efficace gist au Seigneur qui donne accroisse-
ment. De quoy donc servent les exhortations ; dira quelqu'un ?
Je respondz, que si elles sont mesprisées d'un cœur obstiné : elles
luy seront en tesmoignage pour le convaincre, quand ce sera au
35 jugement de Dieu. Et mesmes la mauvaise conscience en est tou-
chée et pressée en la vie présente. Car combien qu'elle s'en moque,
elle ne les peut pas reprouver. Si on objecte : que fera donc le
paouvre pécheur; veu que la promptitude de cœur, laquelle
estoit requise pour obéir, luy est denyée ? Je respondz à cela :
yO Uli LA CO.NLi.NOlSSANCE
Gomment pourra-il tergiverser ; veu qu il ne peut imputer la
durté de son cœur, sinon à soymesme? Parquoy les meschans,
combien quilz desireroient d'avoir en illusion les préceptes et
advertissemens de Dieu, s'il leur estoit possible, sont confonduz,
o veuillent-ilz ou non, par la vertu d'iceulx. Mais la principale
utilité doibt estre considérée es fidèles, ausquelz jacoit que le
Seigneur face tout par son Esprit : toutesfois il use de l'instru-
ment de sa parole, pour accomplir son œvre en eidx et en use
avec efficace. Quand donc cela sera résolu, comme il doibt estre,
10 que toute la vertu des justes est située en la grâce de Dieu : si
quelqu'un demande, pourquoy on les admoneste de leur debvoir,
et pourquoy on ne les laisse à la conduicte du Sainct Esprit :
pourquoy on les poulse par exortation, veu quilz ne se peuvent
haster davantage que l'Esprit les incite : pourquoy on les cor-
lorige, quand ilz ont failly, veu qu'il sont nécessairement tresbu-
chez par 1 infirmité de leur chair. Nous avons à respondre :
Homme, qui es tu qui veulx imposer loy à Dieu? S'il nous veut
préparer par exhortation, à recepvoir la grâce dobeyr à son
exhortation ; qu'est ce que tu as à reprendre ou mordre en cest
20 ordre et manière ? Si les exhortations ne profitoient d'aultre
chose entre les fidèles, sinon pour les redarguer de péché :
encores ne debvroient elles estre réputées inutiles. Or mainte-
nant, puis qu'elles profitent grandement à emflamber le cœur en
amour de justice : au contraire à haine et desplaisir de péché,
25 entant que le Sainct Esprit besongne au dedans, quand il use
de cest instrument extérieur, au salut de l'homme : qui osera les
rejecter ; comme superflues ? Si quelqu'un désire une response
plus claire, je luy donneray la solution en brief. C'est que Dieu
besongne doublement en nous : au dedans, par son Esprit, au
30 dehors par sa parole. Que par son Esprit en illuminant les enten-
demens, formans les cœurs en amour de justice et innocence, il
régénère l'homme en nouvelle créature. Par sa parole, il esmeut
et incite l'homme à désirer et chercher ceste rénovation. En
l'une et en l'autre il demonstre la vertu de sa main, selon l'ordre
3a de sa dispensation. Quand il adresse icelle mesme parole aux
iniques, et reprouvez, combien qu'elle ne leur tourne à correc-
tion, neantmoins il la faict valloir à autre usage. C'est à fin qu'ilz
soient à présent pressez en leurs consciences, et au jour du
jugement soyent d'autant plus inexcusables.
DE L HOMMK. CIIAl'IThl': 11.
97
Hz mettent g^rand 'peine à recueillir force tesmoignages de
rKscriture, à fin que silz ne peuvent vaincre par en avoir de
meilleurs et plus pi'opres que nous : que pour le moins ilz nous
puissent accabler de la multitude. Mais c'est comme si un
s capitaine assembloit force g'ens, qui ne fussent nullement duictz
à la g-uerre, pour espouventer son ennemy : Devant que les
mettre en œuvre , ilz feroient grand'monstre : mais s'il fail-
loit venir en bataille, et joindre contre son ennemy, on les
feroil fuyr du premier coup. Ainsi il nous sera facil' de ren-
III verser toutes leurs objections, qui n'ont qu'apparence et osten-
tation vaine. Et pource que tous les passages qu'ilz allèguent,
Si' peuvent réduire en certains ordres, quand nous les aurons
ainsi distribuez soubz une rosponse, nous satisferons à plusieurs.
Par ainsi ne sera point nécessaire de les souldre l'un après
1 , 1 autre. Hz font un grand bouclier des préceptes de Dieu : les-
(juelz ilz pensent estre tellement proportionnez à nostre force,
([ue tout ce qui y est reijuis, nous le puissions faire. Hz en
assemblent donc un grand nombre : et par cela mesurent les
forces humaines. Car ilz arguent ainsi. Ou Dieu se moque de
20 nous, quand il nous commande saincteté, pieté, obeyssance,
chasteté, dilection, et mansuétude : et quant il nous detîend im-
mundicité, ydolatrie, impudicité, ire, rapine, orgueil, et choses
semblables : ou il ne requiert sinon ce qui est en nostre puis-
sance. Or tous les préceptes qu'ilz amassent ensemble se peuvent
2.J distinguer en trois espèces, les ims commandent que l'homme
se convertisse à Dieu : les autres simplement recommandent
l'observation de la Loy : les autres commandent de persévérer
en la grâce de Dieu desja receuë. Traictons premièrement de
tous en gênerai : puis nous descendrons aux espèces. Je confesse
;.„ qu'il y a long temps, que c'est une chose vulgaire, de mesurer
les facultez de l'homme, par ce que Dieu commande : et que
cela ha quelque couleur de raison. Neantmoins je dictz qu'il
procède d'une grand' ignorance. Car ceux qui veullent monstrer
que ce seroit chose fort absurde, si l'observation des comman-
3.i démens estoit impossible à l'homme, usent d'un argument trop
infirme. C'est que autrement la Loy seroit donnée en vain. Voire
comme si Sainct Paul n'avoit jamais parlé d'icelle. Car, je vous
prie, que veulent dire les sentences qu'il nous en baille? Que la
Loy a esté donnée pour augmenter les transgressions : par la Lov
Institution. ■ -,
08 DE LA COXiNOlSSANCK
vient la congnoissance de péché : que la Loy engendre péché :
qu'elle est survenue pour multiplier le péché. Est ce à dire
(pi'il faillust qu'elle eust une correspondance avec noz forces,
pour nestre point donnée en vain ? Plustost Sainct Paul
3 monstre en tous ces passages, que Dieu nous a commandé ce
qui estoit par dessus nostre vertu, pour nous convaincre de
nostre impuissance. Certes siTEscriture n'enseignoit autre chose,
sinon que la Loy est reigle de vie, à laquelle noz œuvres
doibvent estre compassées : jaccorderois incontinent sans diffi-
10 culte à leur opinion. Mais puis qu'elle nous explicque dili-
gemment plusieurs et diverses utilitez d'icelle : nous debvons
plustost nous arrester à eeste interprétation, qu'à noz phan-
tasies. Entant qu'il appartient à ceste question, sitost ({ue la Loy
nous a ordonné ce que nous avons à faire, elle enseigne quant
13 et quant que la faculté dobeyr procède de la grâce de Dieu.
Pourtant elle nous enseigne de la demander par prières. Si
nous ne voyons que simples commandemens, et nulle promesse :
il nous fauldroit esprouver noz forces : voir .si elles seroient
suffisantes pour cela faire. Mais puis qu'avec les commande-
20 mens sont conjoinctes les promesses, lesquelles declairent non
seulement que nous avons mestier d'avoir l'ayde de Dieu pour
nostre support, mais qu'en sa grâce gist toute nostre vertu :
elles demonstrent assez, que non seulement nous ne sommes
pas suffisans : mais du tout ineptes à observer la Loy. Pourtant
2 i qu on ne s'arreste plus à ceste proposition de noz forces avec
les commandemens de Dieu, comme si Dieu eust compassé
à nostre imbécillité et petitesse la reigle de justice, qu'il vou-
loit donner. Mais plustost que par les promesses nous repu-
tions combien nous sommes mal prestz. Veu qu'en tout et
30 partout nous avons si grand besoing de sa grâce. Mais à qui
persuadera on. disent-ilz, que Dieu ait adressée sa loy ? A des
trônez ou des pierres? Je dictz que nul ne veut persuader cela :
car les meschans ne sont point pierres, ou trônez : quand
estans enseignez par la Loy, que leurs concupiscences contra-
:;'i rient à Dieu, ilz se rendent coul])ables en leurs consciences
propres : ne pareillement les fidèles quand estans advertis de
leur foibloisse. ont recours à la grâce de Dieu. A quoy appar-
tiennent ces sentences de Sainct Augustin, que Dieu commande
ce que nous ne pouvons faire, à fin que nous scachons ce que
\)i: l'hommi;. ciiapiïrk h. 99
nous debvons demander de luv. Item, L'utilité des préceptes
est grande, si le libéral Arbitre est tellement estimé, que la
grâce de Dieu on soit plus honorée. Item, La foy impetre ce
que la Loy impere. Mesmes Dieu requiert la foy do nous : et
0 ne trouve point ce (pi'il requiert, sinon qu'il y ait mis pour
l'y trouver. Item, Que Dieu donne ce qu'il commande, et qu'il
commande ce qu il vouldra.
Gela apparoistra mieux, en considérant les trois espèces de
commandemens, dont nous avons parlé. Le Seig'neur requiert
10 souvent, tant en la Loy comme aux Prophètes, qu'on se
convertisse à luy. Mais le Prophète respond d'un autre costé.
(-onvertis moy Seigneur, et je seray converty. Depuis que Hier, lil .
tu m'as converty, j'ay faict pénitence, etc. Il nous com-
mande aussi de circuncir noz cœurs : Mais il dénonce par />(/. ;iO.
i>Moyse, que ceste circuncision est faicte de sa main. l\ Ezec II
requiert plusieurs fois des hommes nouveau cœur : Mais il '^^
tosmoig-ne que c'est lui seul, qui le renouvelle. Que ànoni Hier. SI .
maintenant ceux, qui allèguent les préceptes do Dieu, pour
extoller la puissance de l'homme, et esteiiulro la grâce de Dieu ;
20 par laquelle seule nous voyons {|ue les préceptes sont accom-
plis? La seconde manière des préceptes, que nous avons dict,
est simple. A scavoir d'honorer Dieu, servir et adhei-er à sa
volunté, observer ses mandemens, suyvre sa doctrine. Mais
il y a des tesmoingnages intiniz : que tout ce (jue nous pouvons
2d avoir de justice, saincteté, pieté, pureté, est don gratuit venant
de luv. Quant au troisiesme genre, nous en avons exemple en
l'exhortation de Saint Paul et Barnabas, qu'ilz faisoient aux Acif. i:i.
tideles, de persévérer en la grâce de Dieu. Mais en un autre lieu
Sainct Paul monstre dont procède ceste vertu. Soyez, dit-il,
311 fermes mes frères, par la vertu du Seigneur. II delTend d'au- Eplie. G.
trepart de contrister l'Esprit de Dieu, duquel nous sommes 2. Thés. I .
séellez en attendant nostre rédemption. Mais ce qu'il commande
là, en un autre lieu il le demande par prière du Seigneur, D'au-
tant qu'il n'est pas en la faculté des hommes : suppliant le Sei-
Sogneur, de rendre les Thessaloniciens dignes de sa vocation, et
accomplir en eulx ce qu'il avoit déterminé par sa bonté, et
mener à fin l'œuvre de la foy. Les plus lins et malicieux cavillent
ces tesmoignages, pour ce que cela n'empesche pas, comme ilz
disent, que nous ne conjoingnions noz forces avec la grâce de Dieu :
100 DE LA CONGNOISSANCE
et que ainsi il ayde nostre infirmité. Hz ameinnent aucuns
lieux des Prophètes, où il semble que Dieu partisse la
vertu de nostre conversion entre luy et nous, comme cestuy
ci. Convertissez vous à moy ; et je me convertiray à vous.
5 Nous avons cy dessus monstre, quelle ayde nous avons de Dieu,
et n'est ja besoin^ de le repeter en cest endroict : veu qu il
n'est icy question, que de monstrer, que c'est en vain que noz
adversaires mettent en l'homme la faculté d'accomplir la Loy :
à cause que Dieu nous commande l'obeyssance d'icelle. Veu
10 qu'il appert que la grâce de Dieu est nécessaire pour accomplir
ce qu'il commande : et qu'elle nous est promise à ceste fin.
Quant est de ceste sentence dernière : convertissez vous à moy,
et je me convertiray à vous ; elle ne profite de rien pour con-
fermer leur erreur. Car par la conversion de Dieu , il ne fault
lo pas entendre la grâce dont il renouvelle noz cœurs à saincte vie:
mais celle dont il testifie son bon vouloir et dilection envers nous
en nous faisant prospérer comme il est dict, qu'il s'esloingne de
nous, quand il nous afflige. Pource donc que le peuple de Israël,
ayant esté longuement en misère et calamité, se complaignoit
20 que Dieu estoit destourné de luy : 11 respond, que la bénignité
ne leur detïauldra point, s'ilz se retournent à droicture de vie,
et à luy mesme, qui est la reigle de toute justice. C'est
donc dépraver ce lieu, que de le tirer à ceste sentence, comme
si par cela lefticace de nostre conversion estoit partie
23 entre Dieu et nous. Nous avons passé légèrement ceste ques-
tion : à cause qu'il lu fauldra encores desduire au traicté de
la Loy.
Le second ordre de leurs argumens ne diffère pas beaucoup
du premier. Hz allèguent les promesses, esquelles il semble
30 que Dieu face paction avec nostre volunté, comme sont celles
qui s'ensuyvent. Cherchez droicture, et non point malice : et Amos. 5.
vous vivrez. Item, si vous voulez m'escouter : je vous donneray lesaie. I.
affluence de bien. Mais si vous ne le voulez faire : je vous feray Hier. i.
périr par le glaive. Item, Si tu ostes les abominations de devant Deu. 28.
33 ma face, tu ne seras point deschassé. Si tu escoutes la voix de ton Levit. 21
Seigneur, pour faire et garder tous ses préceptes, il te fera le plus
excellent peuple de la terre. Et autres semblables. Hz pensent
donc que Dieu se moqueroit de nous, en remettant à nostre
volunté ces choses, si elles estoient plainementen nostre pouvoir.
DR I, 'homme, chapitre II. 101
Et do fuict, ceste raison ha grand" apparence humainement.
Car on peut desduire, que ce seroit une cruaulté à Dieu,
de faire semblant qu'il ne tienne qu'à nous , que nous ne
soyons en sa grâce, pour recevoir tous biens de luv : et cepen-
ï dant que nous n'ayons nul pouvoir en cela, que ce seroit une
chose ridicule , de nous présenter tellement les bénéfices ,
que nous en puissions avoir aucune joyssance. Brief, on peut
alléguer, que les promesses de Dieu n'ont nulle certitude, si
elles dépendent d'une impossibilité pour estre accomplies.
I" Quant est de telles promesses, lesquelles ont une condition
impossible adjoincte, nous en parlerons ailleurs; tellement
qu'il apparoistra , combien que l'accomplissement en soit
impossible, neantmoins il n'y a nulle absurdité. (Juant est
de la (fuestion présente : je nye que le Seigneur soit cruel ou
15 inhumain envers nous, quand il nous exhorte à mériter ses
grâces et bénéfices ; combien qu'il nous congnoisse impuis-
sans à ce faire. Car comme ainsi soit, que les promesses
soient ofTertes au.x fidèles et aux meschans : elles ont leur uti-
lité, tant envers les uns que les autres. Car comme le Seigneur
20 par ses préceptes poinct et resveille les consciences des iniques,
à fin qu'ilz ne se flattent point en leurs péchez, par nonchallance
de son jugement : ainsi aux promesses il les faict tesmoings,
combien ilz sont indignes de sa bénignité. Qui est ce qui nyera
cola estre convenable : que Dieu face bien à ceux qui l'honorent ;
25 et qui se vonge rigoreusement des contempteurs de sa majesté ?
Nostre Seigneur donc faict droictemont, en exposant ceste condi-
tion aux iniques, qui sont detenuz captifz soubz le jou^- de
péché : que quand ilz se retireront de leur mauvaise vie, qu'il
leurenvoyera tous biens : et n'y eust-il que ceste raison, à fin
30 qu'ilz entendent, que c'est à bon droict qu'ilz sont excluz des
biens deubz aux serviteurs de Dieu. D'autrepart puis qu'il veut
stimuler ses fidèles en toutes sortes à implorer sa grâce : ce ne
doibt pas estre chose fort estrange, s'il en faict autant en ses
promesses, comme nous avons n'agueres monstre qu'il en faict
-i en ses commandemens. Quand il nous enseigne, par ses pré-
ceptes, de sa volunté : il nous admoneste de nostre misère, nous
donnant à congnoistre , combien nous répugnons à icelle :
ensemble il nous poulse à invoquer son Esprit , pour estre
dirigez en droicte voye. Mais pource que nostre paresse
102 DE LA CUXiNOISSANCE
n'est pas assez esmeuë par ces préceptes , il adjouste ses
promesses : par la doulceur desquelles il nous induict à aj^mer
ce qu'il nous commande. Or d'autant que nous aymons plus la
justice, d'autant sommes nous plus fervens à chercher la g-race
., de Dieu. Voyla comment par ces protestations , que nous
avons dict. Dieu ne nous attribue point la faculté de faire ce
qu'il dit : et neantmoins ne se moque point de nostre foyblesse :
veu qu'en cela il faict le proffit de ses serviteurs, et rend les
iniques inexcusables.
1(1 Le trovsiesme ordre ha quelque aflînité avec les precedens.
Car ilz produisent les passages, esquelz Dieu reproche au
peuple d'Israël, qu'il n'a tenu qu'à luy qu'il ne s'entretint en
bon estât. Comme quand il dit : Amalech et les Cananéens sont
devant vous, par le glaive desquelz vous perirés ; entant que
lïvous n'avés point voulu acquiescer au Seigneur. Item, Pource
que je vous ay appeliez et n'avés respondu, je vous destruiray
comme j'ay faiet Sillo. Item, ce peuple n'a point escouté la voix
de son Dieu, et n'a point receu sa doctrine, pourtant il a esté
rejecté. Item. A cause que vous avez endurcy vostre cœur, et
211 n'avés point voulu obéir au Seigneur, tous ces maulx vous sont
advenuz. Comment, disent-ilz, toutes ces reproches convien-
droient-ilz à ceulx, qui pourroient incontinent respondre ? Nous
ne demandions que prospérer, nous craignions la calamité : ce
que nous n'avons point obtempéré au Seigneur , et n'avons
23 point escouté sa Voix, pour éviter le mal, et avoir meilleure for-
tune : cela sj'est faict d autant qu'il ne nous estoit point libre :
à nous qui sommes detenuz en captivité de péché. C'est donc à
tort, que Dieu nous reproche le mal que nous endurons .* lequel
il n'estoit pas en nostre pouvoir d'éviter. Pour respondre à cela :
.30 laissant ceste couverture de nescessité, laquelle est frivole et de
nulle importance : je demande s'ilz se peuvent excuser, qu'ilz
n'ayent faict faulte ? Car s'ilz sont convaincuz d'avoir failly, ce
n'est pas sans cause, que Dieu dit, qu'il a tenu à leur perversité,
qu'il ne les a entretenuz en bonne fortune. Qu'ilz me respondent
35 donc ; s'ilz peuvent nyer, que la cause de leur obstination n'ayt
esté leur volunté perverse ? S'ilz trouvent la source de mal en
eux , qu'est-ce qu'ilz tachent de chercher des causes d'iceluy
ailleurs; pour faire à croyre qu'ilz ne sont point autheurs de leur
ruyne ? S'il est donc vray, que les pécheurs, par leur propre vice
DE L IlOM.Mi:. (HAl'lllii: II.
108
sont privez des bénéfices de Dieu et reçoivent punition de
sa main : c'est à bon droict que ces reproches leur sont objectez,
à lin (|ue s'ilz persistent en leur mal, ilz appreuvent d'accuser
leur iniquité, comme cause de leur misère : plustosl que vitupe-
' rer Dieu, comme trop rigoreux. Silz ne sont point du tout
endurcis, et se peuvent rendre dociles : quilz conçoivent desplai-
sir et haine de leurs péchez,. à cause desquelz il se voient misé-
rables, ainsi se réduisent en bonne voye, et confessent estre
véritable ce que Dieu remonstre en les reprennant. Car il appa-
10 roist par loraison de Daniel, que telles remonstrances ont
profité à ceste tin envers les fidèles, (^uant à la première utilité, Dani. .9.
nous en voyons l'exemple aux Juifz, ausquelz Jeremie, par le
commandement de Dieu, remonstre la cause de leurs misères : H[i\ere.l .
combien qu'il n'en peut advenir que ce qui avoit esté predict de
is Dieu : C'est à scavoir qu'il leur diroit sa parole, et ne l'escoute-
roient point : qu'il les appelleroit, et ne luy respondroient point.
Mais quel propos, dira quelqu'un, y a-il de parler au[x] sourdz ?
C'est à lin que malo^ré qu'ilz en ayent, ilz entendent ce (ju'on
leur dict estre vray, que c est un sacrilège abominable, d'imputer
2"> à Dieu la cause de leurs calamitez : laquelle réside en eux. Par
ces trois solutions un chascun se pourra facilement despecher de
tesmoingnages infiniz, que assemblent les ennemys de la grâce
de Dieu, tant des préceptes, que des promesses Legalles, et des
reproches que faict Dieu aux pécheurs : voulans establir un libe-
iiral Arbitre en l'homme, lequel ne s'y peut trouver.
Hz aleguent toutesfois un tesmoignage de la Loy de Moyse, qui
semble advis fort répugner à nostrc solution. Car après avoir
publié la Loy, il protesta devant le peuple, ce qui s'ensuit. Le
commandement, que je te baille aujourd'huy, n'est point caché: Deu. 30.
:;oet n'est pas loing de toy, ne eslevé par dessus le ciel, mais il est
près de toy, en ta bouche, et en ton cœur, à ce que tu le face. Si
cela estoit dict des simples commandemens : je confesse que nous
aurions granddifficulté à y respondre. Car combien qu'on pourroit
alléguer, que cela est dict de la facilité d'entendre les commande-
i. mens, et non pas de les faire : neantmoins encores y auroit-il
quelque scrupule. Mais nous avons un bon expositeur, qui nous en
oste toute doubte. C'est Sainct Paul; lequel afferme que Moyse a
icy parlé de la doctrine de l'Evangile . S'il y avoit quelque opiniastre , Rum .10.
qui replicquast que Sainct Paul a destourné ce passage de son sens
loi DE i.A congnoissancf:
naturel, pour le tirer de lEvangile : combien qu'on ne debvroit
point porter une si meschante parole : toutesfois nous avons
dequoy deffendre l'exposition de l'Apostre. Car si Moyse parloit
seulement des préceptes : il decevoit le peuple d'une vaine con-
fiance : Car qu'eussent ilz peu faire, que seruyner; s'ilz eussent
voulu observer la Loy de leur propre vertu, comme facile ? Où
est ce que sera nostre facilité ; veu que nostre nature succombe
en cest endroict, et n'y a celui qui ne tresbuche, voulant marcher ?
C'est donc chose trescertaine, que Moyse par ces paroles a com-
10 pris l'aliance de miséricorde, qu il avoit publiée avec la Loy.
Sainct Paul reputant cela, à scavoir que le salut nous est pré-
senté en l'Evang-ile, non pas soubz ceste condition tant dure et
difficile, et mesme du tout impossible, dont use la Loy : mais
soubz condition facile et aisée : applique le présent tesmoi-
lïi^nage. pour confermer combien la miséricorde de Dieu nous est
exposée. Pourtant ce tesmoig-nage ne sert de rien pour establir
une liberté en la volunté de l'homme.
Hz ont coustume d'objecter aucuns autres passag-es : ausquelz
il est monstre que Dieu retire quelquefoys sa grâce des hommes,
20 pour considérer de quel costé ilz se tourneront. Comme quand
il est dict en Osée : Je me retireray à part, jusques à tant qu'ilz
délibèrent en leurs cœurs de me suyvre. Ce seroit, disent-ilz, Oséeo.
une chose ridicule, que le Seigneur considerast, à scavoir si les
hommes suyvront sa voye : n'estoit que leurs cœurs feussent
2.J capables d'encliner à l'un ou à l'autre, par leur propre vertu.
Comme si cela n'estoit point acoustumé à Dieu, de dire par [s]es
Prophètes, qu'il rejectera son peuple, et l'abandonnera, jusques
à ce qu'il s'amende. Et de faict . regardons qu'ilz veulent
inférer de cela. Car s'ilz disent, que le peuple estant délaissé
sodé Dieu, peut de soymesme se convertir, toute l'Escriture leur
contredict. S'il confessent que la grâce de Dieu soit nécessaire
à la conversion de l'homme : ces passages ne leur servent
de rien, pour battailler contre nous. Mais il diront qu'ilz la
confessent tellement nécessaire, que ce pendant la vertu de
ni l'homme y peut quelque chose. Dont est ce qu ilz le preuvent ?
Certes ce n'est point de ce lieu, ne de semblal)les : car ce
sont deux choses bien diverses : s'esloi^-ner de la o^race de
l'homme, pour considérer ce qu'il fera, estant délaissé : et
subvenir à son infirmité . pour confermer ses forces débiles.
DR L HOMME. CHAPITRE II.
I o:;
Mais ilz demanderont : Que signifient donc telles formes de
parler? Je responds quelles vallent autant, comme si Dieu
disoit. Puis que je ne profite de rien envers ce peuple rebelle,
ne par admonitions, ne par exhortations, ne par reprehensions :
sje me retireray pour un peu, et en me taisant soufPriray qu'il
soit affligé. Ainsi je verray, si après longue calamité il se
souviendra de moy, pour me chercher. Or quand il est dict,
que Dieu se reculera : c'est à dire qu'il retirera sa parole.
Quand il est dict, qu'il considérera ce que feront les hommes
10 en son absence : c'est à dire que sans se manifester, il les affli-
gera pour quelque temps. Il faict l'un et l'autre pour nous
plus humilier. Car il nous aneantiroit plustost cent mil fois par
ses chastiemens et pvmitions, qu'il ne nous corrigeroit, sinon
qu'il nous rendist dociles par son Esprit. Puis qu'ainsi est :
13 c'est mal inféré, dédire que l'homme ait quelque vertu de
se convertir k Dieu, entant qu'il est dict, que Dieu estant
ofTencé de nostre durté et obstination, retire sa parole de nous :
en laquelle il nous comnumicque sa présence, et considère ce
que nous pourrons faire de nous. Car il ne fait tout cela, sinon
20 pour nous donner à congnoistre, que nous ne sommes et ne
pouvons rien de nous mesmes.
Hz prennent aussi argument de la manière commune de par-
ler : dont non seulement usent les hommes, mais aussi 1 Escriture.
C'est que les bonnes œuvres sont appellées nostres : et cpi'il est
2"> dict c[ue nous faisons le bien comme le mal. Or si les péchez
nous sont imputez à bon droict, ccmime venans de nous : par
mesme raison les bonnes œuvres nous doibvent estre attribuées.
Car ce ne seroit point parlé par raison, de dire que nous faisons
les choses, ausquelles Dieu nous meut, comme pierres : entant que
so nous ne les pouvons faire de nostre propre mouvement. Pourtant
ilz concluent, que combien que la grâce de Dieu ait la principalle
vertu : neantmoins telles locutions signifient, que nous avons
quelque vertu naturelle à bien faire. S il ny avoit que la pre-
mière objection, à scavoir que les bonnes œuvres sont appellées
3ï nostres : je respondroie d'autre costé, que nous appelions le
pain quotidien, nostre : lequel nous demandons nous estre donné
de Dieu. Qu'est ce donc qu'on pourra prétendre de ce mot,
sinon que ce qui ne nous estoit nullement deu est faict nostre,
par la bénignité infinie de Dieu ? Il fauldroit donc qu'ilz
106 DK LA r.ONGNOISSANCE
roprinsent nosti^e Seigneur en ceste forme de parler : ou qu ilz
nestimassent pas chose fort estrange, que les bonnes œuvres
soient appellées nostres : esquelles nous n'avons rien sinon
par la largesse de Dieu. Mais la seconde objection est un peu
j plus forte. A scavoir que l'Escriture aiferme souvent, que les
lideles servent Dieu, gardent sa justice, obeyssent à sa Loy,
et applicquent leur estude à bien faire. Comme ainsi soit, que
cela soit le propre otrice de l'entendement et volunté humaine :
comment conviendroit-il, que cela fust attribué semblablement
m à l'Esprit de Dieu et à nous, s'il nv avoit quelque conjonction
de nostre puissance avec la grâce de Dieu ? 11 nous sera facil'
de nous despestrer de tous ces argumens : si nous reputons
droictement. en quelle manière c'est que Dieu besongne en
ses serviteurs. Premièrement la similitude, dont ilz nous veulent
ngriefver. est importune. Car qui est celuy si enragé, qui estime
l'homme estre poulsé de Dieu, comme nous jettons une pierre?
(Certes cela ne s'ensuit point de nostre doctrine. Nous disons,
([ue c'est une faculté naturelle de 1 homme, d'approuver, rejec-
ter, vouloir, ne point vouloir, setforcer. résister : à scavoir,
20 d'approuver vanité, rejecter le vray bien : vouloir le mal, ne
vouloir point le bien : s'efforcer à péché, résister à droicture.
(Qu'est ce que faict le Seigneur en cela? S'il veut user de la per-
versité de l'homme, comme dun instrument <le son ire, il la
tourne et dresse oii bon luy semble : à fin d'exécuter ses
2;i (euvres justes et bonnes, par niauvaise main. Quand nous ver-
rons donc un meschant homme ainsi servir à Dieu, quand il
veut complaire à sa meschanceté : le ferons nous sembla-
ble à une pierre ; laquelle est agitée par une impétuosité de
dehors, sans aucun sien mouvement, ne sentiment, ne volunté ?
:i(i Nous voyons combien il y a de distance. Que dirons nous des
bons, desquelz il est principallement icy question? (kiand le
Seigneur veut dresser en eux son règne, il refrène, et modère
leur volunté, k ce i|u"elle ne soit point ravie par concupiscence
desordonnée, selon que son incHnation naturelle autrement
:!5 porte. D'autre part il la flesclht . forme, dirige, et conduict
à la reigle de sa justice : à fin de lui faire appetter saincteté
et innocence. Finalement il la conferme et fortifie par la vertu
de son Esprit, à ce qu'elle ne vacille ou deschée. Par cela il
apparoist , que la grâce de Dieu est comme une conduicte
DK l/llOM.MK. (IIAIMTRIO 11. 107
et bride de son Esprit, pour dresser et modérer la volunté de
l'homme. Or il ne la peut modérer, sans la corriger, reformer,
et renouveller. Pour laquelle cause nous disons, que le com-
mencement de noslre régénération est, que ce qui est de nous
< soit aboly. Pareillement il ne la peut corriger, sans la mou-
voir, poulser, conduire, et entretenir. Pourtant nous disons,
que toutes les actions, qui en procèdent, sont entièrement de
luv. Cependant nous ne nyons pas estre tresveritable, ce q\ie
dit Sainct Augustin : (|ue nostre volunté nest pas destruicte
II' par la grâce de Dieu : mais plustost reparée. Car l'un convient
tresbien avec l'autre : de dire que la volunté de l'homme est
reparée, quand après avoir corrigé la perversité d'icelle, elle
est dirigée à la reigle de justice : et de dire, qu'en ce faisant,
il y a une nouvelle volunté crée en l'homme : veu que la
1 ' volunté naturelle est si corrumpue et pervertie, qu'il fault
qu'elle soit du tout renouvellée. Maintenant il n'y a rien,
qui empesche qu'on ne puisse dire, que nous faisons les œuvres,
lesquelles l'Esprit de Dieu faict en nous : (Combien que nous
ne coopérions point par nostre vertu avec sa grâce. La rai-
2ii .son est, premièrement d'autant que tout ce que Dieu faict
en nous, il veut qu'il soit nostre, moyennant que nous enten-
dions qu'il n'est point de nous. Puis aussi d'autant que nous
avons de nostre nature l'entendement, vojunté, et poursuite,
lesquelles il dirige en bien, pour en faire sortir (juelque chose
2ï de bon.
Les autres argumens, qu'ilz empruntent cà et là, ne pourront
pas beaucoup troubler les gens de médiocre entendement : moyen-
nant qu'ilz aient bien recordé leurs solutions cy dessus mises.
Hz allèguent ce qui est escrit en Genèse. Ton appétit sera par Gènes. 1.
311 dessoubz toy : et tu domineras sur iceluy. Ce qu'ilz inter-
prètent estre dict du péché. Comme si Dieu promettoit à Cain,
que le péché ne pourroit point dominer en son cœur, s'il vouloit
travailler à le vaincre. Aucontraire nous disons, que cela doibt
estre plustost dict de Abel. Car en ce passage, l'intention de Dieu
33 est, de redarguer l'envye, que Cain avoit conceuë contre son
frère. Ce qu'il faict par double raison. La première est, qu'il se
trompoit, en pensant acquérir excellence par dessus son frère,
devant Dieu : lequel n'a rien en honneur, que justice et intégrité.
La seconde, qu'il estoittrop ingrat, envers le benelice qu'il avoit
108 DE LA r.ONGNOISSANCE
receu de Dieu, entant qu'il ne pouvoit porter son frère, qui
estoit son inférieur, et dont il avoit le g-ouvernenient. Mais
encores, à fin qu'il ne semble advis, que nous choisissions
ceste interprétation, pource que l'autre nous soit contraire :
3 concédons leur que Dieu parle du péché. Si ainsi est : ou Dieu
luy promect qu'il sera supérieur, ovi il luy commande de
l'estre. S il luv commande : nous avons desja, que de cela
ilz ne peuvent rien prouver, pour fonder le franc Arbitre. Si
c'est promesse : où en est l'accomplissement ; Veu que Gain a
ic esté vaincu du péché, auquel il debvoit dominer? Hz diront,
possible, qu'il y a une condition tacite, enclose soubz la pro-
messe, comme si Dieu eust dict : Si tu combas, tu remporte-
ras la victoire. Mais qui pourra tolérer telles tergiversa-
tions ? Car si on expose cela du péché, il n'y a nulle doubte,
1^ que c'est une exhortation que Dieu luy faict : en laquelle il
n'est pas monstre quelle est la faculté de l'homme : mais
quel est son debvoir, encores qu'il ne le puisse faire. Hz
s'aydent aussi du tesmoignage de l'Apostre, quand il dit, que
le salut n'est pas en la main de celuy qui veut, ne de celuy fiom. .9.
20 qui court : mais en la miséricorde de Dieu. Car de cela ilz
infèrent, qu'il y a quelque partie en la volunté, et en la course
de l'homme : et que la miséricorde de Dieu supplie le reste.
Mais s'ilz consideroient avec raison ce que traicte l'Apostre en
ce passage là : ilz n'abuseroient pas tant inconsidérément de son
2> propos. Je scay bien, ([u'ilz peuvent alléguer Origene et Sainct
Hyerosme pour deffenseurs de leur exposition. Mais il ne
nous fault soucyer, que c'est quiceulx en ont pensé : moyen-
nant que nous entendions ce qu'a voulu dire Sainct Paul :
A scavoir, que celuy seul obtiendra salut, auquel Dieu aura
30 faict miséricorde : que ruvne et confusion sont apprestées à
tous ceulx qu'il n'aura esleuz. 11 avoit monstre la condition
des resprouvez, soubz l'exemple de Pharaon. 11 avoit prouvé
l'eslection gratuite des fidèles, par le tesmoignage de Moyse,
où il est dict, J'auray pitié de celuy lequel j'auray receu en
33 miséricorde. Il conclud donc, que cela ne gist point au veuil-
lant ne au courant, mais en Dieu qui faict miséricorde. Si on
argue de ces paroles, qu'il y a quelque volunté en l'homme,
et quelque vertu, comme si Sainct Paul disoit, que la seule
vohmté et industrie humaine ne suffit point de soy : c'est
DE l.'nOMML-. CIIAIMIIUO II. 109
mal et sottement argué. 11 fault donc rejecter ceste subtilité,
laquelle n'a nulle raison. Car quel propos y a-il, de dire ; le
salut n'est pas en la main du veuillant ne du courant ? 11 y a
donc quelque volunté, et quelque course. La sentence de Sainct
li Paul est plus simple : C'est qu'il n'y a ne volunté ne course,
qui nous meine à salut : mais que la seule miséricorde règne
en cest endroict. Car il ne parle pas icy autrement, qu'en un
autre passage : où il dit, que la bonté de Dieu et dilection
envers les hommes est apparue, non pas selon les œuvres de jus-
10 tice, que nous ayons faictz : mais selon sa miséricorde infinie. Si
je voulois arguer de cela, que nous ayons faict quelques bonnes
ci'uvres, entant que Sainct Paul nye ([ue nous ayons obtenu la
grâce de Dieu par les teuvres de justice, que nous ayons faictz :
eulx mesmes se moqueront de moy. Neantmoins leur argument
loest semblable. Parquoy qu'ilz pensent bien à ce qu'ilz disent :
et ilz ne se fonderont point en raison tant frivole. Hz produisent
en après le tesmoignage de l'Eclesiastique : lequel autheur on
congnoist n'avoir point certaine auctorité. Mais encores que nous
ne le refusions point (ce que nous pourrions faire à bon droict)
2odequoy leur peut-il aider à leur cause ? 11 dit que l'homme, après
avoir esté créé, a esté laissé à sa volunté : et que Dieu luy a
tlonné des commandemens, lesquelz s'il gardoit. il seroit gardé
l)ar eulx. Que la vie et la mort, le bien et le mal, a esté mis
devant l'homme : à fin quil choisist lequel luy sembleroit.
io Ainsi soit, que l'homme, en sa création, ayt eu la faculté d'es-
lire la vie ou la mort : Mais que sera ce, si nous respondons,
qu'il l'a perdue? Certes je ne veulx point contredire à Salo-
mon : lequel afferme, que l'homme a esté créé du commence-
ment bon, et qu'il a forgé des mauvaises inventions de soy-
{'I mesme. Or puis que Ihomme, en dégénérant et se desvoyant de
Dieu, s'est ruyné avec tous les siens : tout ce qui est dict de sa
première création ne se doibtpas tirer à sa nature vitieuse et cor-
rumpue. Parquoy je respondz, non seulement à eux, mais aussi
à l'Eclesiastique, quiconque il soit, en ceste manière. Si tu veulx
:J5 enseigner l'homme de chercher en soy la faculté d'aquerir salut :
ton authorité ne m'est pas en telle estime, qu'elle puisse pre-
judicier à la parole de Dieu : laquelle contrarie évidemment.
Si tu veulx reprimer seulement les blasphèmes de la chair,
laquelle en transférant ses vices à Dieu, tasche de s'excuser, et
llO DE LA CONCtNOISSANCE
à ceste cause que tu monstre comme l'homme ha eu une bonne
nature de Dieu, et qu'il a esté cause de sa ruyne : je t'accorde
voluntiers cela, moyennant que nous convenions ensemble en ce
point, que maintenant il est despouillé des ornemens et grâces
s qu'il avoit receues de Dieu premièrement.
Mais noz adversaires n'ont rien plus souvent en la bouche,
que la parabole de Christ : où il est parlé de l'homme, lequel
fust laissé au chemin demj mort par les brigans. Je scay bien
que c'est une doctrine commune, de dire que soubz la personne
11' de cest homme est représentée la calamité du genre humain. De
cela il prennent un argument tel. L'homme n'a pas esté telle-
ment occis par le péché, et le Diable, qu'il ne luy reste encores
quelque portion de vie : d'autant qu'il n'est dict qu'à demymort.
Car oîi seroit, disent-ilz, ceste demye vie; sinon qu'il luy restast
15 quelque portion de droicte intelligence et volunté? Premièrement
si je ne veulx point admettre leur alegorie ; que feront-ilz ? Car
il nv a nulle double, qu'elle n'ayt esté excogitée par les pères
anciens, oultre le sens littéral et naturel du passage. Les alego-
ries ne doibvent estre receuës, sinon d'autant qu'elles sont fon-
:!fdées en l'Escriture, tant s'en fault qu'elles puissent approuver
aucune doctrine. D'avantage les raisons ne nous défaillent point,
par lesquelles nous pouvons réfuter tout ce qu'ilz disent, Car
la parole de Dieu ne laisse point une demye vie à l'homme,
mais dit qu'il est du tout mort, quant à la vie bien heu-
2o reuse. Quand Sainct Paul parle de nostre rédemption, il ne dit Eph. 2.
point que nous ayons esté .garantis dune demye mort : mais
que nous avons esté ressuscitez de la mort. 11 n'appelle point
à recevoir la grâce de Christ ceux qvii sont à demy vivans :
mais ceux qui sont mors et ensevelis. A quoy est conforme
:!o ce que dit le Seigneur, que l'heure est venue, que les mors
doibvent ressusciter à sa voix. N'auroient-ilz point de honte,
de mettre en avant je ne scay quelle allégorie légère ; contre
tant de tesmoignages si clers ? Mais encore que leur allegovie Jean .'>.
soit vaillable; qu'en peuvent-ilz conclure à l'encontre de nous?
35 L'homme, diront-ilz est à demy vivant : il s'ensuit donc qu'il
V reste quelque portion de vie. Je confesse certes, qu'il ha son
ame capable d'intelligence : combien qu'elle ne puisse pénétrer
jusques à la sapience céleste de Dieu. Il ha quelque jugement
de bien et de mal, il ha quelque sentiment, pour congnoistre
bi; LIKt.MMi:. CII.MMTUK II. H I
qu'il y a un Dieu : combien qu'il n'en ayt point droicte congnois-
sance. Mais où est ce que toutes ces choses reviennent? Certes
elles ne peuvent faire, que ce que dict Sainct Augustin ne
soit véritable, (^est que les dons gratuit/, qui appartiennent
>à salut, ont esté ostez à l'homme aprez sa clieute : ([ue les dons
naturelz, qui ne le peuvent conduire à salut, ont esté corrom-
pus et poilus. Pourtant que ceste sentence, laquelle ne peut
estre aucunement es])ranlée, nous demeure ferme et certaine :
à vScavoir que l'entendement de l'homme est tellement
i"du tout aliéné de la justice de Dieu, qu'il ne peut rien imagi-
ner, concevoir, ne comprendre, sinon toute meschanceté,
iniquité, et corruption. Sondjlal)lement que son cœur
est tant envenimé de péché, qu il ne peut pro-
duire que toute jierversité. Kt s'il advient
Il qu'il en sorte quelque chose, qui ait appa-
rence de bien : neantmoins que [en-
tendement demeure tousjours
envelopé en hypocrisie et
vanité : le co'ur adon-
2" né à toute ma-
lice.
DE LA LOY
CHAPITRE III
En explicquant les choses requises à la vraye congnoissance
(lo Dieu, nous avons monstre, qu on ne le peut concevoir selon
sa g-randeur, que incontinent ceste pensée ne vienne en l'enten-
dement : qu'il est seul, à la majesté duquel appartient souverain
. lionneur. En la con^noissance de nous mesmes nous avons dict
({ue le principal poinct estoit, qu'estans vuides de toute phantasie
de nostre propre vertu, estans dépouillez de toute fiance de
nostre justice : au contraire abbattuz de la considération de
nostre paouvreté, nous apprenons parfaicte humilité, pour nous
lit abbaisser et démettre de toute gloire. L'un et l'autre nous est
monstre en la Loy de Dieu : où le Soigneur, s'estant attribué
premièrement la puissance de commander, nous enseigne de
porter révérence à sa divinité: dcmonstrant en quoy gist et est
située icelle révérence. Puis après, ayant ordonné la reigle de
lojustice, nous redargue, tant de nostre faiblesse, comme d'injus-
tice : d'autant qu'à icelle justice, nostre nature, selon qu'elle
est corrumpue et perverse, entièrement est contraire et répu-
gnante : et que à laperfection d'icelle nostre faculté, selon qu'elle
est débile et inutile à bien faire, ne peut respondre. Pour-
20 tant l'ordre, que nous avons mis au commencement de cest
œuvre, nousmeine là, que nous traictions à présent de la Loy de
Dieu. Or tout ce qu[']i nous fault attendre d'icelle nous est au-
cunement enseigné par la loy intérieure : laquelle nous avons
cv dessus dict estre escrite et quasi imprimée au cœur d'un
2.)chascun. Car nostre conscience ne nous laisse point dormir un
somme perpétuel, sans aucun sentiment, qu'elle ne nous rende
tesmoignage au dedens, et admoneste de ce que nous devons à
Dieu : qu'elle ne nous monstre la différence du bien et du mal :
ainsi qu'elle ne nous accuse, quand nous ne faisons nostre
30 devoir. Toutesfois l'homme est tellement embrouillé en obscurité
d'ignorance, qu'à grand'peine peut-il par ceste loy naturelle un
bien petit gouster, quel service est plaisant à Dieu : pour le
Institution. 8
114 CHAPITRE m.
moins il est bien loing de la droicte congnoissance diceluy.
D avantage il est tant enflé de iierté et ambition, tant aveug-lé
de l'amour de soymesme : qu'il ne peut encores se regarder, et
quasi descendre en soy. pour apprendre de s'abbaisser et con-
5 fesser sa misère. Pourtant, selon qu'il estoit nécessaire à la gros-
seur de nostre esprit, et à nostre arrogance : Le Seigneur nous
a baillé sa Lov escrite. pour nous rendre plus certain tesmoignage
de ce qui estoit trop obscur en la loy naturelle : et en chassant
la nonchallance, toucher plus vivement nostre esprit et me-
ic moire.
Maintenant il est aisé d'entendre, que c'est qu'il fault apprendre
de la Lov : c'est à scavoir que Dieu, comme il est nostre créa-
teur, ainsi à bon droict tient envers nous le lieu de Seigneur et
Père : et que à ceste cause nous luy devons rendre gloire, reve-
isrence, amour et crainte. Par ainsi, que nous ne sommes pas
libres, pour suvvre Li cupidité de nostre esprit, par tout où elle
nous incitera : mais que du tout despendons de nostre Dieu, et
devons nous arrester seulement en cela qui luy plaira. Davan-
tage, que justice et droicture luy sont plaisantes : aucontraire
20 iniquité abominable. Parquoy si nous ne voulons d'une perverse
ingratitude nous destourner de nostre créateur : il nous fault
toute nostre vie aynier justice, et applicquer nostre estude à
icelle. Car si lors tant seulement nous luy rendons la révérence
qu'il fault, quand nous préférons sa volunté à la nostre : il s'en-
25 suvt qu'on ne luy peut porter autre honneur légitime, qu'en
observant justice, saincteté et pureté. Kt n'est loysible à l'homme
de s'excuser, entant qu'il n'a point la puissance : et comme un
paovre debteur n'est pas suffisant de payer. Car il n'est pas con-
venable de mesurer la gloire de Dieu selon nostre faculté : veu
30 que quelz que nous soyons, il est tousjours semblable à soy-
mesme : amy de justice, ennemy d'iniquité : et (quelque chose
qu'il nous demande, veu qu'il ne peut rien demander que juste-
ment nous sommes par naturelle obligation tenuz d'obeyr. Ce
que nous ne le pouvons faire, c'est de nostre vice : car si nous
35 sommes detenuz, comme lyez, de nostre cupidité, en laquelle
re"-ne péché, pour n'estre libres à obeyr à nostre Père : il ne
nous fault, pour nostre deffence, alléguer ceste nécessité :
de laquelle le mal est au dedens de nous, et nous est à impu-
ter. Quand nous aurons profiité par la doctrine de la Loy
Di: LA LUV. 1 lo
jusques là, alors ioelle niesme nous conduisant, il lault des-
cendre en nous : dont rapporterons deux choses. Premièrement en
comparageant la justice de la Loy avec nostre vice, comment il y
a beaucoup à dire, que ne satisfacions à la volunté de Dieu : et
;i pourtant que nous sonmies indijj^nes de retenir nostre lieu et
ordre entre ses créatures, tant s'en fault que méritions d'estre
reputez ses enfans : Puis en considérant noz forces, que non seu-
lement ne les reput ions suffisantes à l'accomplissement de la
Loy, mais du tout nulles : De là nécessairement s'ensuit une
10 defliance de nostre propre vertu : puis une an<j^oisse et tremble-
ment d'esprit : car la conscience ne peut soustenir le faiz de
péché, qu incontinent le jugement de Dieu ne vienne en avant :
et le jugement de Dieu ne se peut sentir, (|u il n'apporte une
horreur de mort. Semblablement la conscience estant convaincue
i;i par expérience de sa faiblesse, ne peut qu'elle ne tombe en deses-
poir de ses foi-ces. L'une et l'autre alVection engendre déjection et
humilité. Ainsi advient en la lin, ([ue l'homme estouné du senti-
ment de la mort i-ternelle, hupielle il se voit i)rocliaine, pour les
mérites de son injustice, se convertit à la seule miséricorde de
i^Dieu, comme à un port unique de salut : et que sentant qu'il
n'est pas en sa puissance de payer ce qu'il doibt à la Loy, déses-
pérant de soy : respire pour attendre et demander ayde aillieurs.
Mais le Seigneur, non content d'avoir monstre, en (pielle révé-
rence nous devons avoir sa justice, à lin aussi d'adonner noz
2a cœurs à l'amour dicelle, et hayne d'iniquité, il adjoinct des pro-
messes et menaces. Car pource que l'œil de nostre entendement
voit si trouble, qu'il ne se peut esmouvoir de la seule beauté et
honnesteté de vertu : le Seigneur, selon sa bénignité, nous a voulu
attirer à l'aymer et désirer, par la doulceur du loyer qu'il nous
:îo propose. 11 nous dénonce donc, qu'il veult rémunérer la vertu :
et que celuy ne travaillera en vain, qui obeyra à ses comman-
demens. Aucontraire il fait à scavoir, que injustice non seule-
ment luy est exécrable : mais aussi qu'elle ne pourra eschap-
per, qu'elle ne soit punye, pource qu'il a déterminé de ven-
35ger le contemnement de sa majesté. Et pour en toutes sortes
nous inciter, il promet tant les bénédictions de la vie pré-
sente, que l'éternelle béatitude k ceulx, qui garderont ses com-
mandemens : et d'autre costé ne menace pas moins les trans-
gresseurs des calamitez corporelles , que du torment de
H6 CHAPITRE III.
la mort éternelle. Car ceste promesse, à scavoir. Qui fera ces Levi. 18.
choses vivra en icelles : et aussi la menace correspondante : L'ame Ezec 18.
qui aura péché mourra de mort: sans aucune double appartient
à la mort ou immortalité future, qui jamais ne finera. Combien
5 que par tout où il est faict mention de la benevolence, ou ire du
Seigneur, soubz la première est contenue éternité de vie : soubz la
seconde perdition éternelle. OrenlaLoy est recité un grand rolle Levi. 26.
des bénédictions et malédictions présentes. Es peines qu'il Deu. 28.
dénonce, il apparoist combien il est d une grand'pureté : veu
10 qu'il ne peut souffrir iniquité. D'autrepart aux promesses il est
demonstré, combien il ayme justice : veu qu'il ne le veut point
laisser sans rémunération. Pareillement y est demonstré une mer-
veilleuse bénignité. Car veu que nous et tout ce qui est nostre,
sommes obligez à sa majesté : k bon droit tout ce quil requiert de
15 nous, il le demande comme ce qui luy est deu. (3r le payement
dune telle debte n est pas digne de rémunération aucune : Par-
quoy il quicte de son droict, quand il nous propose quelque loyer
pour nostre obeyssance : laquelle nous ne luy rendons pas de
nostre bon gré, comme une chose qui ne luy seroit point deuë.'Or
20 que c'est que nous peuvent profliter les promesses d'elles mesmes,
il apparoistra tantost. 11 suffit pour le présent, que nous enten-
dions et reputions, que aux promesses de la Loy y a une singu-
lière recommendation de Justice : à fin qu'on voye plus certaine-
ment, combien 1 observation d'icelle plaist à Dieu. D'autrepart
23 que les peines sont mises en plus grande exécration d'injustice :
à fin que le pécheur ne s'enyvre en la doulceur de son péché
jusques à oublier que le jugement de Dieu luy est appareillé.
Or ce que le Seigneur, voulant donner la reigle de parfaicte
justice, a reduict toutes les parties d'icelle à sa volunté : en cela
30 il est demonstré, qu'il n'a rien plus aggreable qu'obeyssance.
Ce qu'il fault d'autant plus diligemment noter : pource que la
hardiesse et intempérance de l'entendement humain est trop
inclinée à excogiter nouveaux honeurs et services pour luy
rendre, à fin dacquerir sa grâce. Car en tout temps ceste irre-
35 ligieuse affectation de religion, pource qu'elle est naturellement
enracinée en nostre esprit, sest tousjours monstrée : et se monstre
encores de présent, en tout le genre humain. C'est, que les
hommes appetent tousjours de forger quelque manière d'acqué-
rir justice, sans la parole de Dieu. Dont il advient, qu'entre
DE LA LOV. 117
les bonnes ix^uvres que communément on estime, les conmiande-
mens de la Loy tiennent le plus petit lieu : ce pendant une
multitude infinie de préceptes humains occupent le premier
ranc et la plus grand'place. Mais, qu'est-ce que Moyse a
5 plus voulu refréner, que ceste cupidité, quand après la publi-
cation de la Loy il parla ainsi au peuple ? Note et escoute ce
que je te commande; à ce que tu prospere[s], toy et tes enfnns Deut.'l2.
après toy, c[uand tu auras faict ce qui est bon et plaisant devant
ton Dieu. Faictz seulement ce que je te commande, sans y
loadjouster ne diminuer. Et auparavant, après avoir protesté,
que ceste estoit la sagesse et intelligence du peuple d'Israël
devant toutes les nations de la terre, d'avoir receu du Seigneur
les jugemens, justices et cérémonies : il leur dit quant et
quant: Garde toy et ton ame songneusement : n'oublie point les Deut. 4.
v; parolles que tes yeulx ont veu, et que jamais elles ne tombent
de ton cœur. Certes pource que le Seigneur prevoyoit, que les
Israélites ne se tiendroient point, après avoir receu la Loy,
qu'ilz ne désirassent d'inventer nouvelles manières de le ser-
vir, sinon qu'il leur tinst la bride roide : il prononce, qu'en
20 sa parolle est contenue toute perfection de justice : ce qui les
devoit tresbien retenir. Et neantmoins ilz n'ont point désisté de
ceste audace, qui leur avoit esté tant defïendue. Et nous quoy ?
Certes nous sommes estrainctz de ceste mesme parolle. Car il
n'y a doubte que cela n'ayt tousjours lieu, que le Seigneur a
2o voulu attribuer à sa Loy une parfaicte doctrine de justice. Et
toutesfois non contenz d'icelle, nous travaillons à merveilles à
controuver et forger de bonnes œuvres, les unes sur les autres.
Le meilleur remède qui soit, pour corriger ce vice, est d'avoir
ceste cogitation plantée en nostre cœur : que la Loy nous a esté
30 baillée du Seigneur, pour nous enseigner parfaicte justice: et
qu'en icelle n'est point enseignée autre justice, sinon de nous
reigler et conformer à la volunté divine. Ainsi c'est pour néant,
que nous imaginons nouvelles formes d'œuvres, pour acquérir la
grâce de Dieu : duquel le légitime service consiste seulement en
3o obeyssance. Plustost aucontraire, que l'estude des bonnes œuvres,
qui sortent hors la Loy de Dieu, et une pollution intollerable de •
la divine et vraye justice.
Mais quant la loy du Seigneur nous aura esté expliquée : alors
plus proprement, et avec plus grand fruict, on disputera de l'office
I IS CHAPITRE m.
et usag-e dicelle. Or avant qu'entrer à traicter particulièrement
un chascun chapitre : il est bon de premièrement congnoistre
ce qui appartient à la cong-noissance imiverselle d'icelle. Pour
le premier, que cela soit arresté, que la vie de l'homme doibt
> estre reiglée par la Loy. non seulement à une honesteté
extérieure : mais aussi à la justice intérieure et spirituelle.
Laquelle chose, combien qu'elle ne se puisse nyer : neantmoins
est considérée de bien peu. Gela se fait, pource qu'on ne regarde
point le législateur, de la nature duquel celle de la loy doibt
10 estre estimée. Si quelque Roy defîendoit par edict de paillarder,
de meurtrir, et desrober: je confesse que celuy qui auroit seule-
ment conceu en son cœur quelque cupidité de paillarder, ou des-
rober. ou meurtrir, sans venir jusques à l'œuvre, et sans s'effor-
cer d'y venir, ne sera point tenu de la peine, laquelle sera cous-
is tituée. Car pource que la providence du législateur mortel ne
s'estend que jusques à l'honesteté externe : ses ordonnances ne
sont point violées, sinon que le mal vienne en effect. Mais Dieu,
devant l'a^il duquel rien n'est caché, et lequel ne s'arreste point
tant k l'apparence extérieure de bien, que à la pureté de cœur :
2" en deffendant paillardise, homicide, et larrecin, deffend toute
concupiscence charnelle, hayne, convoytise du bien d'autruv,
tromperie, et tout ce qui est semblable. Car entant qu'il est
législateur spirituel, il ne parle pas moins à lame, qu'au corps.
Or ire et hayne. est meurtre, quant à l'ame : convoitise, est
2"j larrecin : amour desordonnée, est paillardise. Mais quelqu'un
pourra dire, que aussi bien les loix humaines regardent le conseil
et la volunté des hommes, et non pas les evenemens fortuitz.
Je le confesse : mais cela s'entend des voluntez, lesquelles viennent
en avant ; car elles considèrent à quelle intention une chascune
30 œuvre a esté faicte : mais elles n'enquierent point les cogitations
secrettes. Pourtant celuy qui se sera abstenu de transgresser
extérieurement, aura satisfaict aux loix politiques. Au con-
traire, pource que la Loy de Dieu est donnée à noz âmes,
si nous la voulons bien observer, il fault que nos âmes soient
35 principalement reprimées. Or la pluspart des hommes, mesmes
quand il veulent dissimuler d'estre contempteurs d'icelle ,
forment aucunement leurs yeux, leurs piedz, leurs mains et les
autres parties de leurs corps, à observer ce qu'elle commande :
cependant leur cœur demeure tout aliéné de l'obéissance
DE LA I.OY
119
d'icollo. Ainsi ilz se pensent bien acquitez, s'ilz ont caché devant
les hommes ce qui apparoist devant Dieu. Hz oyent : Tu ne meur-
triras point : Tu ne paillarderas point : Tu ne desroberas point.
Pourtant ilz nedesi^ainuenl point leur espée pour meurtrir, ilz ne
;i se meslent point avec paillardes, il ne jettent point la main sur les
biens d'autruy. Tout cela est bon : mais leur cœur est plein de
meurtre, et brusle de concupiscence charnelle : ilz ne peuvent
regarder le bien de leur prochain que de travers, le dévorant par
convoytise. En cela, ce qui estoit le principal de la Loy leur de-
lofault. Dont vient, je vous prie, une telle stupidité; sinon, que
laissant derrière le lei,''islateur; il accommodent la justice à leur
entendement? A Tencontre de ceste opinion Sainct Paul crie fort
et ferme, disant : que la Loy est spirituelle. En quoy il signifie, n„ni. 7.
(jue non seulement elle requiert obéissance de l'ame, de Tentende-
ir. ment, et volunté : mais une pureté Angélique : laquelle estant
purgée de toute macule charnelle, ne sent autre chose qu'esprit.
En disant que le sens de la Loy est tel. nous n'apportons point
une nouvelle exposition de nousmesmes : mais nous suyvons
Cjhrist, qui en est tres'bon i-xpositeur. Car pource que les Pha-
20 risiens avoient semé entre le peuple une opinion perverse : à sca-
voir. cjue celuy qui ne commettoit rien par œuvre externe contre
la Loy, estoit bon observateur d'icelle : il redargue cest erreur : à Mnt. H
scavoir, qu'un regard impudique d'une femme, est paillardise :
et que tous ceulx qui hayssent leur frère, sont homicides. Car
2;i il fait coulpables de jugement tous ceulx qui auront con-
ceu seulement quelque ire en leur cœur : coulpables devant le
consistoire tous ceulx qui, en murmurant, monstrent quelque
offension de courage : et coulpables de géhenne de feu tous
ceulx, qui par injure, auront apertement declairé leur malveil-
30 lance. Ceulx qui n'entendoient point cela, ont imaginé, que
Christ estoit un second Moyse : qui avoit apportéjla loy Evan-
gelique, pour supplier le desfault de la loy Mosaique. Dont est
procedée ceste sentence comme vulgaire que la perfection de
la Loy Evangelique est beaucoup plus grande, qu'elle n'estoit
33 en l'ancienne Loy. Qui est un erreur trespervers. Car quand
nous réduirons cy après en somme les préceptes de Moyse,
il apparoistra par ses parolles mesmes, combien on fait grand'
injure à la Loy de Dieu , en disant cela. D'avantage de ceste
opinion il s'ensuyAroit , que la saincteté des Pères anciens ne
120 CHAPITRE III.
differoit gueres d'une hypocrisie. Finalement ce seroit pour nous
destourner de la reigle unique et perpétuelle de justice, que
Dieu a lors baillée. Or l'erreur est facil' à réfuter : pource que
telle manière de g^ens ont pensé, que Christ adjoustast à la
5 Loy : où tant seulement il la restituoit en son entier : à sca-
voir, en la purgeant des mensonges, et du levain des Phari-
siens dont elle avoit esté obscurcie et souillée.
11 nous fault secondement observer, que les préceptes de Dieu
contiennent quelque chose plus que nous n'y voyons exprimé par
loparolles. Ce qu'il fault neantmoins tellement modérer, que nous
ne leur donnions point tel sens que bon nous semblera, les
tournant cà et là à nostre plaisir. Car il en y a d'aucuns, qui par
telle licence , font que l'auctorité de la Loy est vilipendée ,
comme si elle estoit incerteine. ou bien qu'on désespère d'en
15 avoir saine intelligence. Il fault donc s'il est possible, trouver
quelque voye, laquelle nous conduise seurement, et sans doubte,
à la volunté de Dieu. C est à dire, il fault regarder combien
l'exposition se doibt estendre oultre les paroUes : tellement qu'il
apparoisse, que ce ne soit point une addition adjoustée à
20 la Loy de Dieu des gloses humaines : mais que ce soit le pur
sens naturel du législateur, fidèlement declairé. Certes en tous
les préceptes il est si notoire, qu une partie est mise pour le
tout, que celuy qui en vouldroit restreindre l'intelligence selon
les parolles, seroit digne d'estre mocqué. Il est donc notoire, que
23 l'exposition de la Loy, la plus sobre qu'on la puisse faire, passe
oultre les parolles : mais il est obscur jusques à où ; sinon qu'on
diffînisse quelque mesure. Or je pense que ceste cy sera très-
bonne : si on dirige sa pencée à la raison, pour laquelle le pré-
cepte a esté donné : à scavoir, qu'en un chascun précepte on
:{o considère, à quelle fin il nous a esté donné de Dieu. Exemple.
Tout précepte est pour commander, ou pour deffendre. Nous
aurons la vraie intelligence de l'un et de l'autre, en regardant la
raison ou la tin où il tend. Comme la fin du cinquiesme précepte
est, qu'il fault rendre honneur à ceulx, ausquelz Dieu l'a voulu
35 attribuer. Ceste sera donc la somme, qu'il plaist à Dieu, que
nous honorions ceulx, ausquelz il a donné quelque prééminence :
et que contemnement et contumace à l'encontre d'iceulx luy
est en abomination. La raison du premier précepte est, que
Dieu seul soit horioré. La somme donc sera , que la vraye
DF LA LOY.
121
pieté est a<î^reable à Dieu : c'est à dire, rhonneur que nous
rendons à sa majesté, aucontraire que impieté luy est al)omi-
nahle. Ainsi fault-il regarder en tous préceptes, dequoy il est
traicté : Après il fault chercher la fin, jus(|ues à ce que nous
5 trouvions, que c'est que Dieu veut testifier luv estre plaisant,
où desplaisant. Puis, de ce qui est dict au précepte, il nous
fault former ini argument aucontraire, en ceste manière. Si
cela plaist à Dieu : le contraire luy desplaist. Si cela luv des-
plaist : le contraire luy plaist. S'il commande cela : il deffend
10 le contraire. S'il delTend cela : il commande le contraire. Ce
qui est maintenant obscur en le touchant briefvement, sera
plus familièrement esclaircy par l'expérience, quand nous
exposerons les préceptes. Pourtant il suffira de l'avoir touché :
sinon qu'il nous fault confermer le dernier que nous avons
15 dict, qui autrement ne seroit point entendu, ou sembleroit advis
desraisonnable. Ce que nous avons dict, que là où le bien est
commandé, le mal, qui est contraire, est defîendu : n'a ja mes-
tier de probation, car il n'y a personne cjui ne le concède. Pa-
reillement le jugement commun recevra voluntiers, que quand
20 on deffend le mal, on commande le bien, qui est au contraire.
Car c'est une chose vulgaire, que quand ou condamne les vices,
on recommande les vertus. Mais nous demandons quelque
chose d'avantage, que les hommes n'entendent communément
en confessant cela. Car par la vertu contraire au vice, ilz
25 entendent seulement s'abstenir de vice. Mais nous passons oultre :
à scavoir, en exposant que c'est faire le contraire du mal. Ce qui
s'entendra myeulx par exemple. Car en ce précepte, Tu ne tueras
point : le sens commun des hommes ne considère aultre chose,
sinon qu'il se fault abstenir de toute oultrage et de toute cupidité
30 de nuyre. Mais je diz qu'il y fault entendre plus : à scavoir que
nous aydions à conserver la vie de nostre prochain , par tous
moyens qu'il nous sera possible. Et à fin qu'il ne semble que je
parle sans raison, je veulx approuver mon dire. Le Seigneur nous
deffend de blesser et oultrager nostre prochain, pource qu'il veut
3> que sa vie nous soit chère et précieuse : il requiert donc sembla-
blement les offices de charité, par lesquelz elle peut estre conser-
vée. Ainsi on peut appercevoir, comment la fin du précepte nous
enseigne ce qui nous y est commandé ou defîendu de faire. Si on
demande la raison, pourquoy le Seigneur a seulement à demy
122 CHAPITRE III.
signifié son vouloir, plustost que l'exprimer clairement. Pour
response à cela, on peut alléguer plusieurs raisons : mais il y
en a une, qui me contente par dessus toutes. C'est, pource
que la chair s'efforce tousjours de colorer ou de cacher par
r. vaines couvertures la turpitude de son péché, sinon qu'on la
puisse toucher au doigt : il a voulu proposer pour exemple ce
qui estoit le plus villain et desordonné en chascun genre de
péché : à fin que l'ouye mesme en eust horreur, pour nous
faire détester le péché de plus grand courage. Cela nous trompe
10 souvent en estimant les vices, que nous les exténuons, s'ilz
sont quelque peu couvers. Le Seigneur donc nous retire de
ceste tromperie, nous accoustumant k réduire une chascune
faulte à un genre, dont nous puissions myeulx congnoistre,
en cjuelle ahomination elle nous doibt estre. Exemple. Il ne
i.i nous semble point advis, que ce soit un mal fort exécrable que
hayne ou ire : quand on les nomme de leurs noms. Mais quand
le Seigneur les delfend soubz le nom d'homicide, nous voyons
myeulx en quelle abomination il les ha : veu qu'il leur donne
le nom d'un si horrible crime. Par ainsi estans advertiz par
soie jugement de Dieu, nous apprenons de myeulx reputer la
grandeur des faultes : lesquelles auparavant nous sembloient
legieres.
Tiercement nous avons à considérer, que c'est que veut dire
la division de la Loy en deux Tables : desquelles il n'est point
23 faict si souvent mention en l'Escriture sans propos : comme tout
homme de bon esprit peut juger. Or la raison est si facile à
entendre, qu'il n'est ja mestier d'en faire nulle doubte. Car le
Seigneur, voulant enseigner toute justice en sa Loy, l'a tellement
divisée, qu'il a assigné la première aux offices, dont nous luy
30 sommes redevables, pour honorer sa majesté : la seconde à ce
que nous devons k nostre prochain, selon charité. Certes le pre-
mier fondement de justice est. l'honneur de Dieu : lequel ren-
versé, toutes les autres parties sont dissipées , comme les
pièces d'un édifice ruyné. Car, quel édifice sera-ce de ne nuyre
33 point k nostre prochain, par larrecins et rapines; si cependant
par sacrilège nous ravissons k la majesté de Dieu, sa gloire ?
Item, de ne point maculer nostre corps par paillardise ; si
nous polluons le Nom de Dieu par blasphèmes ? Item, De ne
point meurtrir les hommes ; si nous taschons d'esteindre la
DK LA LOV.
12a
mémoire de Dieu ? Ce seroit donc en vain, que nous préten-
drions justice sans religion : tout ainsi comme si quelqu'un
vouloit faire une belle monstre d'un corps sans teste. Com-
])ien, qu'à dire vray, religion nonseulement est le chef de
.justice et vertu : mais en est quasi lame, pour luv donner
vigueur. Car jamais les hommes ne garderont entre eulx équité
et dilection, sans la crainte de Dieu. Nous appelions donc le
service de Dieu, principe et fondement de justice : veu que
celuy osté tout ce que peuvent méditer les hommes pour vivre
10 en droicture, continence, et tempérance, est vain et frivole
devant Dieu. Pareillement nous l'appelions la source et esprit
de justice : pource c[ue les hommes, en craignant Dieu, comme
juge du bien et du mal, apprennent de cela à vivre purement
et droictement. Pourtant le Seigneur en la première Table nous
• i instruict à pieté et religion : pour honorer sa majesté. En la
seconde, il ordonne, comment, à cause de la crainte que nous
luv portons, il nous fault gouverner ensemble. Pour laquelle
raison nostre Seigneur Jésus, comme recitent les Kvangelistes,
a reduicl toute la Loy sonmiairement en deux articles : à scavoir,
20 que nous aymions Dieu de tout nostre c(eur, de toute nnsire M.iii. 21.
ame et de toutes noz forces : que nous aymions nostre prochain, Luc tO.
comme nous mesmes. Nous voyons comment des deux parties,
esquelles il comprend toute la Loy, il en addresse l'une à Dieu,
et l'autre aux hommes. Toutesfois, combien que la Loy soit
2.i entièrement contenue en deux poinctz, si est ce que nostre Sei-
gneur, pour oster toute matière d'excuse, a voulu plus ample-
ment et facilement declairer en dix préceptes, tant ce qui appar-
tient à la crainte, amour, et honneur de sa divinité : comme à
la charité, laquelle il nous commande d'avoir à nostre prochain
wpour l'amour de soy. Pourtant ce n'est pas une estude inutile,
que de chercher, quelle est la division des préceptes : moyen-
nant qu'il nous souvienne, que c'est une chose, en laquelle chas-
cun peut avoir son jugement libre : et pourtant que nous n'es-
mouvions point contention contre celuy, qui n'accordera point
35 à nostre sentence. Cecy diz-je , à fin que personne ne s'es-
merveille de la distinction que je suyvray : comme si elle
estoit nouvellement forgée. Quant au nombre des préceptes,
il n'y a nulle doubte : d'autant que le Seigneur a osté toute
controversie par sa paroUe : la dispute est seulement à
124 CHAPITRE m.
la manière de les diviser. Geulx qui les divisent tellement,
qu'il y ayt en la première Table trois préceptes, et sept en
la seconde , effacent le précepte des images du nombre des
autres , ou bien le mettent soubz le premier : comme ainsi
3 soit, que le Seigneur l'ayt mis comme un commandement spé-
cial. D'avantage ilz divisent inconsidérément en deux Tables
le dixiesme précepte : qui est de ne point convoyter les biens
de nostre prochain. Il y a une autre raison pour les refutpr :
que leur division a esté incongneuë en l'Eglise primitive,
10 comme nous verrons tantost après. Les autres mettent bien,
comme nous, quatre articles en la première Table : mais ilz
pensent que le premier soit une simple promesse, sans com-
mandement. Or de ma part, pource que je ne puis prendre les
dix parolles, dont Moyse fait mention autrement que pour dix
15 préceptes, sinon que je sois convaincu du contraire par rai-
son évidente : D'avantage, pource qu'il me semble, que nous
les pouvons distinctement par ordre marquer au doigt : leur
laissant la liberté d'en penser, comme ilz vouldront : je suyvray
ce qui me semble le plus probable. C'est que la sentence, dont
20 ilz font le premier précepte, tienne comme un lieu de proesme
sur toute la Loy : puis après que les dix préceptes sensuyvent :
quattre en la première Table, et six en la seconde, selon
l'ordre que nous les coucherons. [Cejste division est mise de
Origene sans difficulté, comme receuë communément de son
2. temps : Sainct Augustin aussi l'approuve au troisiesme livre ad
Bonifacium. Il est bien vray, qu'en un autre lieu la première
division luy plaist myeulx. Mais c'est pour une raison trop
légère, à scavoir. pource que si on mettoit seulement trois
préceptes en la première Table : cela representeroit la Tri-
3onité : combien qu'en ce lieu là mesme il ne dissimule pas, que la
nostre Im' plaist plus quant au reste. Nous avons aussi un
autre ancien Père, qui accorde à nostre opinion : celuy qui a
escrit les commentaires imparfaictz sur Sainct Mathieu. Josephe
attribue à chascune Table cinq préceptes : laquelle distinc-
35 lion estoit commune en son temps comme on peut conjec-
turer. Mais, oultre ce que la raison contredit à cela, veu que
la différence entre l'honneur de Dieu et la charité du pro-
chain y est confondue, lauctorité de Jésus Christ bataille
aucontraire : lequel mect le précepte d honnorer père et
DE LA LOY
125
mère au cathalogue de la seconde Table. Maintenant escou-
tons le Seigneur parler.
Le premier Commandement.
Je suis rKternel Ion Dieu, qui t'ay retiré de la terre
5 d'Egypte, de la maison de servitude. Tu n'auras point de
Dieux eslranges devant ma face. Mait.l").
Il ne peut challoir, si nous prenons la première sentence
comme partie du premier précepte, ou si nous la mettons sépa-
rément : moyennant que nous entendions, que c'est comme un
loproësme sur toute la Loy. Premièrement, quand on faict
quelques loix, il fault donner ordre qu'elles ne s'abolissent par
mespris ou contemnement. Four ceste cause le Seigneur au
commencement remédie à ce danger : prévoyant que la majesté
de sa Loy ne soit contemnée : ce qu il fait, la fondant sur trois
lo raisons. Car il s'attribue le droict et puissance de commander :
en quoy il nous astreinct en la nécessité d'obeyr. Puis après il
nous promet sa grâce, pour nous attirer par doulceur, à suyvre
sa volunté. Finalement il réduit en memoyre le bien qu'il nous
a faict : pour nous redarguer d'ingratitude, si nous mesprisons
211 ce qu'il nous commande. Soubz ce Nom d'Eternel, est signi-
lié son Empire, et seigneurie légitime, qu'il ha sur nous. Car si
toutes choses viennent de luy, et consistent en luy : c est raison
(qu'elles luy soient référées, comme dit Sainct Paul. Par ce mot
donc il nous est monstre, qu'il nous fault submettre au joug
2.J du Seigneur : veu que ce seroit un monstre, de nous retirer
du gouvernement de celuy, hors lequel nous ne pouvons
estre. Après qu'il a enseigné le droict qu'il ha de commander,
et que toute l'obeyssance luy est deuë : à fin qu'il ne semble
qu'il nous veuille contraindre seulement par nécessité, il nous
:;n ameine aussi par doulceur, se declairant estre nostre Dieu.
(]ar en ceste locution, il y a une correspondance mutuelle,
laquelle est exprimée en ceste promesse, où il dit : Je seray
leur Dieu, et ilz me seront pour peuple. De laquelle Jésus
(Christ approuve, que Abraham, Isaac et Jacob, ont obtenu
■xj salut et vie éternelle : pource que Dieu leur avoit promis,
126 CHAPITRE Hl.
qu'il seroit leur Dieu. Pourtant ce mot vault autant, comme
s'il disoit : Je vous ay esleuz pour mon peuple : non seulement
pour vous bien faire en la vie présente : mais pour vous con-
duire à rEterne]le béatitude de mon royaume. Or à quelle fin
5 tend ceste g-race. il est dict en plusieurs passages. Car quand Deut. 7.
nostre Seig-neur nous appelle en la compagnie de son peuple, '^
il nous eslit. ainsi que dit Moyse, pour nous sanctifier à sa
gloire, et à fin que nous gardions ses commandemens. Dont Levit. 19
vient ceste exhortation que fait le Seigneur à son peuple.
10 Soyez sainctz : car je suis sainct. Or de ces deux est desduicte 3/a/ac. /.
l'obtestation que fait Dieu par son Prophète : Le filz honore le
père, et le serviteur son maistre. Si je suis vostre maistre ;
où est la crainte"? Si je suis vostré père; où est l'amour? Con-
sequemment il recite le bien, qu'il a faict à ses serviteurs :
13 ce qui les doibt d'autant plus esmouvoir, que ingratitude est
un crime plus détestable que tous autres. Or il remonstroit lors
au peuple d'Israël le bénéfice qu'il leur avoit faict : lequel
estoit si grand et admirable, quec'estoit bien raison, qu'il fust en
éternelle mémoire. D'avantage la mention en estoit convenable
2u du temps que la Loy debvoit estre publiée. Car le Seigneur
signifie, que pour ceste cause il les a délivrez, à fin qu'ilz le
recongnoissent autheur de leur liberté, luy rendans honneur et
obéissance. Mais k fin qu'il né nous semble, que cela ne nous
appartient de rien : ilnousfault reputer, que la servitude d'Egipte,
25 où a esté le peuple d'Israël, estoit une figure de la captivité spiri-
tuelle, en laquelle nous sommes tous detenuz : jusques à ce que
le Seigneur, nous délivrant par sa main forte, nous transfère au
règne de liberté. Tout ainsi donc que anciennement, voulant
remettre son Eglise sus en Israël, il a délivré ce peuple là, de la
ao cruelle seigneurie de Pharaon, dont il estoit opprimé : en telle
manière il retire aujourdhuy tous ceulx, desquelz il se demonstre
estre Dieu, de la malheureuse servitude du Diable : laquelle a
esté figurée par la captivité corporelle d'Israël. Pourtant il n'y a
nulle créature, dont le cœur ne doibve estre emflambé à escouter
35 ceste Loy : entant qu'elle procède du souverain Seigneur : duquel,
comme toutes choses ont leur origine : aussi c'est raison que leur
fin y soit dirigée. D'avantage il n'y a nul qui ne doibve estre
singulièrement incité à recevoir ce législateur : pour les com-
mandemens duquel observer, il se congnoist estre esleu : et de la
Di: lA Lov. 127
grâce duquel il attend, non seulement, tous biens teniporelz :
mais aussi la gloii^e de la vie immortelle. Finalement cela nous
doibt bien aussi esmouA^oir à obtemj3erer à nostre Dieu : quand
nous entendons, que par sa miséricorde et vertu nous avons
5 esté délivrez du gouffre d'Enfer.
Après avoir fondé et estably Tauctorité de sa Loy, il donne le
premier précepte, que
Nous n'ayons point de Dieux estranges devant sa face.
La lin duquel est, que Dieu veult avoir seul prééminence : et
loveultestre exalté entre son peuple. Pour ce faire, il veult que
toute impieté et superstition, par laquelle la gloire de sa divi-
nité est amoindrie ou obscurcie, soit loing de nous : et par
mesme raison, il veult estre honoré de nous par une vraye aifec-
tion de pieté : ce que emporte quasi la simplicité des parolles. Car
15 nous ne le pouvons pas avoir pour nostre Dieu, sans luy attri-
buer les choses qui luy sont propres. Pourtant, en ce qu'il nous
tlelTend d'avoir les Dieux estranges : en cela il signifie, que nous
ne transferions ailleurs ce qui luy appartient. Or combien que les
choses que nous debvons à Dieu soyent innumerables : toutes fois
Moelles se peuvent bien rapporter à quattre poinctz : k scavoir
adoration, fiance, invocation, et actions de grâces. J'appelle ado-
ration, la révérence que luy fait la ci-eature, se soubzmettant à
sa grandeur : fiance, l'asseurance de cœur que nous avons en
luy, par le bien congnoistre : quand luy attribuant toute sagesse,
25 justice, bonté, vertu, vérité, nous estimons que nostre béatitude
est, de communiquer avec luy. Invocation, est le recours que
nostre ame ha à luy, comme à son espoir unique : quand elle
est pressée de quelque nécessité. Action de grâces est, la recon-
gnoissance, par laquelle la louénge de tous biens luy est
30 rendue. Comme Dieu ne peut souffrir qu'on transfère rien de
cela : aussi il veult que le tout luy soit rendu entièrement.
Car il ne suffiroit point de nous abstenir de tout Dieu estrange,
sinon que nous nous reposions en luy : comme il y en a au-
cuns meschans, lesquelz pensent estre leur plus court, d'avoir
35 en mocquerie toutes religions. Au contraire si nous voulons
bien observer ce commandement, il faut que la vraye religion
précède en nous: par laquelle noz âmes soient dirigées à Dieu:
128 CHAPITRE lli.
et l'ayant cong-neu, soient induictes à honorer sa majesté, à
mettre leur fiance en luy, à requérir son ayde. à recongnoistre
toutes ses grâces, et magnifier toutes ses œuvres : finalement
entendre à luy comme à leur but unique. Après, que nous nous
5 donnions garde de toute mauvaise suspition : à ce que noz âmes
ne soient transportées cà et là à divers Dieux. Or il nous fault
icy diligemment notter la nature d'impiété cachée, comme elle
nous decoit par ces couvertures. Car elle ne nous fait pas telle-
ment décliner à Dieux estranges, qu'il semble advis que nous
10 délaissons du tout le Dieu vivant. Mais en luy laissant le souve-
rain honneur, elle luy adjoinct ime multitude de petiz Dieux :
entre lesquelz elle partit sa vertu. Et ainsi la gloire de sa divi-
nité est esparse cà et là, tellement quelle est toute dissipée. En
ceste manière les anciens Idolâtres, tant Juifz, comme Gentilz,
15 ont imaginé un Dieu souverain, qui fust Seigneur et Père dessus
tous : auquel ilz ont assubjectiz un nombre d'autres Dieux :
ausquelz ilz attribuoient le gouvernement du monde en commun
avec iceluy. C'est ce quon a faict par cy devant des Sainctz
trespassez : car on les a exaltez jusques à les faire compaignons
20 de Dieu : en les honorant comme luy, et invocant, et leurs ren-
dant grâces de tous biens. Il ne nous semble point advis, que
la gloire de Dieu soit en rien obscurcie par ceste abomination.
Combien qu'elle soit pour la plus grand' part supprimée et
estaincte : sinon que nous avons quelque imagination, qu'il ha
23 souveraine vertu pardessus les autres. Pourtant si nous voulons
avoir un seul Dieu : qu'il nous souvienne que sa gloire ne doibt
estre nullement amoindrie : mais que toutes choses, qui luy
sont propres, luy soient gardées. 11 s'ensuyt après au texte, que
nous ne devons point avoir ces Dieux estranges devant sa face.
30 Enquoy il nous admoneste , que nous ne pouvons révolter à
impieté, qu'il ne soit tesmoing et spectateur de nostre sacrilège.
Car limpieté est plus audatieuse, d'autant qu'elle pense pouvoir
tromper Dieu en ses cachettes secrettes. Mais le Seigneur aucon-
traire dénonce, que tout ce que nous machinons et méditons
s3 luy est notoire. Pourtant, si nous voulons approuver nostre
religion à Dieu, que nostre conscience soit pure de toutes mau-
vaises cogitations : et qu'elle ne reçoive nulle pensée, de décli-
ner à supers' tition et Idolâtrie. Car le Seigneur ne requiert
point seulement que sa gloire soit conservée par confession
DE LA LOY.
129
externe, mais devant sa face : à laquelle il n y a rien qui ne
soit visible et manifeste.
Le second Commandement.
Tu ne te feras point image taillée, ne semblance aucune
5 des choses, qui sont en hault au ciel, ne cà bas en la
terre, ne es eaûes dessoubz la terre. Tu ne les adoreras,
ne honoreras.
Comme il s'est declairé au prochain commandement estre le
seul Dieu oultre lequel il n'en fault point avoir ne imaginer
10 d'autre : ainsi il demonstre plus clairement quel il est, et com-
ment il doibt estre honoré : à fin que nous ne forg-ions nulle cogi-
tation charnelle de luy. La fin du précepte est, que Dieu ne veult
point le droict honneur, que nous luy debvons. estre prophané
par observations siiperstiti[e|uses. Pourtant en somme, il nous
15 veult revocquer et retirer de toutes façons charnelles de faire,
lesquelles nostre entendement controuve, après qu'il a conceu
Dieu selon sa rudesse : et cdnsequemment il nous reduict au
droict service qui luy est deu : à scavoir spirituel, et tel qu il l'a
institué. Or il marque le vice, qui estoit le plus notable en cest
20 endroit : c'est lydolatrie externe, Toutesfois le commandement
ha deux parties. La première reprime nostre témérité : à ce que
nous ne présumions d'assubjectir Dieu, qui est incompréhensible,
à nostre sens : ou de le représenter par aucune imag-e. La seconde
partie deffend d'adorer aucunes imag-es par manière de religion.
25 La raison de la première partie est notée en Moyse, quand il Deul. i.
est dict : Qu'il te souvienne, que le Seigneur a parlé à toy en la
vallée de Horeb. Tu as ouy sa voix, tu n as point veu son corps :
garde toy donc de luy faire aucune similitude, etc. lesaye aussi
use souvent de cest argument : que c'est deshonorer la majesté /esa.40.^/.
30 de Dieu, si on le veult représenter par matière corporelle, ou ^-^-^^ •
image visible, ou insensible, luy qui est spirituel, invisible, et
qui donne mouvement à toutes créatures : pareillement si on
accomparaige son essence infinie à une petite pièce de boj-s, de
pierre, or ou d'argent. Geste me; me raison est alléguée de
35 Sainct Paul en sa prédication aux Athéniens. Puis que nous .4c/e. -/7.
Institution. ;•
130 CHAPITRE m.
sommes, dit-il, la lignée de Dieu : nous ne debvons pas esti-
mer que sa divinité soit semblable, ny à l'or, n\ à l'argent, ny
à pierre taillée, ny à rien qui se puisse faire d'artifice d'homme.
Dont il appert, que toutes statues, qui se font pour figurer Dieu,
5 luy desplaisent du tout : comme opprobres de sa majesté. Il est
bien vray, que Dieu a quelque fois declairé sa présence par cer-
tains signes, si évidemment, qu'il est dict avoir esté veu face à
face. Mais toutes telles manières de signes, demonstroient pareil-
lement, son essence estre incompréhensible : car il est quasi
10 tousjours apparu en nuée, en flambe, et en fumée. Dont il estoit
signifié, que le regard de l'homme ne peut pénétrer jusques à le
contempler clairement. Et pourtant Moyse, auquel il s'est com-
muniqué plus famillierement qu à tous autres, ne peust jamais
obtenir de voir sa face. Mais auconlraire luy feust respondu. que
13 rhomme n'est point capable d'une si jurande clarté. Mesmes le Exo. Si
Propitiatoire (dont le Seigneur demonslroit la vertu de sa pré-
sence) estoit tellement composé : qu'il denotoit, que le meilleur
regard que nous puissions avoir de sa divinité, est de nous en
esmerveiller, comme d une chose surmontant nostre sens. Car
20 les Chérubins estoienl pour le couvrir de leurs aesles, il y avoit un
voisle pour le cacher : et le lieu estoit tellement retiré, et obscur,
qu'il estoit assez secret de soymesme. Pourtant il appert, que
ceux qui, pour deffendre les images de Dieu et des Sainctz,
allèguent les Chérubins, que Dieu commanda de faire, ne sont
25 pas en leur bon sens. Car, que signifioient autre chose ces
images là; sinon qu'il n y a nulle image propre à figurer les
mystères de Dieu? veu qu'elles estoient tellement faictes ; qu'en
couvrant tout de leurs aesles ; elles reprimoient la curiosité de
l'œil humain de la contemplation de Dieu ? D'avantage il fault
30 noter, que toute semblance n'est pas moins delfendue que image
titillée : enquoy est refutée la sotte différence que font les Grecz.
Car ilz se pensent estre bien acquitez, s'ilz ne taillent point
Dieu au marteau : mais cependant ilz ont jilus de supersti-
tion aux images j ainctes, que nul au re peuple. Aucontraire
33 le Seigneur, non seulement defl'end, que nul Tailleur ne le
figure : mais du tout il ne permect qu'on luy face image :
pource qu'on ce faisrnt. on le contrefait avec opprobre de sa
majesté. Oultreplus les formes sont exprimées en ce texte,
dont les Pavens avoient de coustume de figurer Dieu. Par les
DE LA LOY, 131
choses qui sont au ciel, il entend le Soleil, la Lune, et les
Estoiles, et possible les oyseaulx : comme au quattriesnie
de Deuteronome, exposant son intention, nomme, tant les
oyseaulx, comme les Estoilles. Ce que je n'eusse point noté,
5 sinon que j'en vois d'aucuns rapporter cela aux Anges, et
pourtant je laisse les autres parties comme assez congneuës.
S'ensuit la seconde partie du précepte, qui est de l'adoration :
laquelle est meschante en toutes images de Dieu : en autres
images, comme de Salnctz et de Sainctes, est doublement exe-
locrable. Car voicj les degrez d'Idolâtrie. Premièrement l'enten-
dement de l'homme, comme il crevé d'orgueil et de témérité,
ose imaginer Dieu selon son appréhension : et comme il est plein
. de rudesse et ignorance, au lieu de Dieu, il ne conceoit que
vanité et un phantasme. Il s'ensuyt après une autre audace, que
t^ l'homme attente de représenter Dieu nu dehors tel qu'il l'a con-
ceu au dedens : pour tant l'entendement engendre l'Idole, et la
main l'enfante. Que ce soit là l'origine d'Idolâtrie, que les
hommes ne peuvent croirre, que Dieu leui- soit prochain, sinon
qu'il y ayt une présence charnelle : il appert par l'exemple du
20 peuple dlsraël : lequel disoit à Aaron. Nous ne scavons qu'il
est advenu à ce Moyse : fais nous des Dieux qui nous précèdent.
Certes ilz congnoissoient bien, que celuy estoit Dieu, duquel ilz
avoient esprouvé la vertu en tant de miracles. Mais ilz ne pen-
soient point qu'il leur fust prochain, sinon qu'ilz en vissent à
2ô l'œil quelque apparence corporelle, qui leur fust tesmoignage,
que Dieu les precedoit. Pourtant par (juelque image précédente
ilz vouloient congnoistre, que Dieu les conduysoit en leur chemin.
Nous voyons aussi tous les jours cela par expérience : que la
chair n'est jamais à repoz, jusques à ce qu'elle ayt trouvé quelque
30 fainctise semblable à sa nature, en laquelle elle se resjouvsse,
comme en l'image de Dieu. Parquoy quasy en tous temps, depuis
que le monde a esté, les hommes, suyvantz ceste cupidité se
sont forgez des images, pour s'asseurer que Dieu estoit près
d'eulx, quand ilz en avoient quelque signe à l'œil. Or d'au-
33 tant qu'ilz ont pensé voir Dieu en telles images, ilz l'y ont
adoré. Finalement fichans là toute leur veuë et pensée, se
sont encores plus abbrutiz : c'est que. comme s'il y eust eu
quelque divinité dedens la pierre ou le boys, ilz ont esté
esmeuz à révérence et admiration. 11 appert maintenant, que
132 CHAPITRE ni.
jamais l'homme ne se mect à adorer les imagées, qu'il n'avt con-
ceu quelque phantasie charnelle et perverse : nompas qu'il les
estime estre Dieux : mais pource qu'il imagine que quelque vertu de
divinité y est contenue. Pourtant, soit que quelqu'un veuille figurer
o Dieu par quelque simulachre, ou une créature: quand il s'encline
devant, pour luy l'aire honneur, desja il est abbreuvé de quelque
superstition. A ceste cause le Seigneur non seulement a def-
fendu de forger des statues pour le figurer : mais aussi de consa-
crer filtres ou pierres, où on feist révérence. Que ceulx donc, qui
10 cherchent vaines couvertures, pour excuser l'vdolatrie exécrable,
dont la religion a esté perdue et destruicte ex devant par longues
années, dressent icy les aureilles et leur entendement. Nous
ne reputons point, disent-ilz, les images pour Dieux : et aussi
les Juifz n'esloient pas tant hors du sens, qu'ilzne se souvinssent,
15 qu'il yavoit eu un Dieu, lequel lesavoit délivrez de la servitude Levi. 20.
d'Egypte, devant quilz forgeassent les veaulx.Etde faict, quand
Aaron leur dénonce, après avoir forgé les veaux, quilz viennent
adorer les Dieux, qui les ont délivrez de la terre d'Egypte : ilz
accordèrent voluntairement à son dire. Enquoy ilz signifioient.
2oqu"ilz vouloient liien s arrester au Dieu vivant, qui les avoit
délivrez : moyennant quilz en eussent une remembrance au veau.
Pareillement il ne fault penser, les Payens avoir esté si rudes,
quilz n'entendissent bien qu'il y avoit un autre Dieu que de boys
et des pierres fpour ceste cause ilz changeoient leurs simulachres,
23 quand bon leur sembloit, retenans tousjours les mesmes Dieux
en leurs cœurs. D'avantage ilz faisoient à un mesme Dieu plu-
sieurs simulachres : et par cela ne pensoient point cpie ce l'eussent
Dieux divers. Finalement ilz consacroient tous les jours des
statues nouvelles : et ne pensoient point que ce feussent nou-
suveaulx Dieu. Quoy donc ? Certes tous ydolatres, tant Juifz
comme Payens, ont eu la phantasie que nous avons dicte :
c'est, que n estans point contens d'une congnoissance spirituelle
de Dieu : ont pensé qu'il en auroient une plus certaine, en
faisant des simulachres. Or depuis que ceste faulse et perverse
3o remembrance de Dieu a esté introduicte. il n'y a eu nulle
fin : jusques à ce que concevantz erreur sus erreur, ilz ont
pensé finalement que Dieu declairoit sa vertu en ses images.
Neantmoins les Juifz ont pensé honorer le Dieu Eternel,
créât eur du ciel et de la terre . adorantz les images : et
DE LA LOY. 133
les Payons ont pensé adorer leurs Dieux, qu'ilz ima^inoient
habiter au ciel. Ceulx qui nyeront le semblable avoir esté
faict le temps passé, et estre faict en la Papisterie : mentiront
iaulsement. Car pourquoy s'ag-enoillent-ilz devant les images ?
iPourquoy viennent-ilz là devant pour \n\ev ; comme s"ilz appro-
choient, en ce faisant, des aureilles de Dieu? Pom'([uov y
a-il si o-pande diderence entre les imag'es d'un mesme Dieu,
(pie l'une est mesprisée du tout, ou leg-ierement honorée ;
l'autre est en principale estime et honneur? Pourquoy prennent-
iMilz tant de peine à faire pèlerinage, pour visiter les ydoles, dont
ilz ont les semblables en leurs maisons ? Pourquoy en prennent
ilz aujourd'hui autant de combat ; comme s'il estoit question
. de combatre pour femmes ; et enfans ; et leurs propres vies ?
tellement qu'ilz soulîriroient plus aysement ((u'on leur ostast
13 Dieu ; que leurs images ? Et neantmoins je ne recite pas
encores les lourdes superstitions du poj)ulaire : lesquelles sont
quasi inh'nies, et sont eniacinées au co'ur de la pluspart du
monde: seulement je monstre, en passant, ce qu'ilz allèguent,
quand ilz se veulent dell'endre et purger d'ydolatrie. Mais nous
20 n'appelions pas, disent-ilz, les images noz Dieux : aussi ne fai-
soient pas anciennement les Juifz ne les Payens. Et toulesfois les
Prophètes leur reprochent assiduellement, et mesme toute l'Escri- Qu\>n lisr
ture : qu'ilz paillardoient avec le bovs et les pierres: non pour P""'''/'^-
^ l & fil f* fl t
autre cause, que pour ce que font aujourd'huy ceulx, qui se Hier, oi
25 vantent d'estre Chrestiens. A scavoir, d'autant qu'ilz adoroient ^=^^^'-
charnellement Dieu, en remembrance de pierre et de boys. Leur
dernier refuge est, de dire que ce sont les livres des Idiotz. Quand
nous leur concéderons cela, combien que ce soit menson"-e, veu
qu'on ne les ha en toute la Papisterie que pour les adorer • je ne
30 vois point toutefois, quel fruict peuvent recevoir les Idiotz des
images : esquelles Dieu n'est figuré, sinon pour les rendre Anthro-
pomorphites, c'est-à-dire qu'ilz conceoivent un Dieu corporel.
Qu'on lise ce qu'en ont escrit Lactance et Eusebe : lesquelz ne
doubtent point de conclurre, que tous ceulx, qu'on peut repre-
sosenter par simulachres, ont été hommes mortelz. Dont Sainct
Augustin ne va pasloing, prononceant que c'est chose meschante,
non seulement d'honorer les images : mais d'en ériger à Dieu
aucunement. Celles qu'on faict pour figurer les sainctz de quoy
peuvent elles servir ; sinon d'estre exemple de pompe et turpitude ?
134 CHAPITRE m.
Et telz exemples, que si quelqu'un les vouloit ensuivre, il
seroit digne d'avoir le fouet. C'est une grand'honte, de le
dire, mais il est vray : que les paillardes d'un Bordeau sont plus
chastement, et modestement parées, qu'on ne voit les images des
5 vierges aux temples. L'ornement des martirs n'est rien de plus
convenable. Qu'il y ayt donc quelque peu d'honnesteté en leurs
images, h fin que leurs mensonges ne soient pas si inipudens :
quand ilz prétendront que ce soient livres de saincteté. Mais
encores nous respondrons, que ceste n'est point la manière d'en -
10 seigner le peuple Chrestien au temple : lequel Dieu a voulu estre
instruict en bien autre doctrine, que de ces fatras. Car il a voulu
que la prédication de sa parolle, et la communication de ses
sacremens fust proposée à tous, comme une doctrine commune :
à laquelle n'ont gueres bonne affection tous ceulx, qui ont loisir
Iode jetter les yeulx cà et là, pour contempler les images. Dequoy
donc servoit-il d'eslever tant de croix de boys ; de pierre ; d'ar-
gent ; et d'or ; si cela eust esté bien imprimé au peuple ; que
Christ a esté crucifié pour noz péchez; à fin de soubstenir nostre
malédiction en la croix, et d'effacer noz transgressions ? Car de
20 ceste simple parolle les simples eussent plus profité, que de mil'
croix de boys ou de pierre. Quant à celles d'or et d'argent, je
confesse que les avaricieux y prendront plus goust, qu'à nulle
parolle de Dieu. Finalement je leur dem£^nde ; qui sont ceulx
qu'ilz appellent Idiotz ; desquelz la rudesse ne peut estre ensei-
25 gnée que par image? Certes nostre Seigneur a dict, que tous les
membres de son Eglise seront enseignez de son Esprit et de sa
parolle, pour estre renommez disciples de Dieu. Voylà le bien
singulier, qui procède des images : lequel on ne scauroit nulle-
ment recompenser.
30 Or pour declairer plus expressément, combien est exécrable
toute Idolâtrie au Seigneur, il est consequemment adjousté au
précepte, Qu'il est l'Eternel nostre Dieu, Fort, Jaloux, etc. Ce
qui est autant, comme s'il disoit : qu'il est luy seul, auquel
il nous fault arrester. Et pour nous induire à cela : il nous
35 monstre sa puissance, laquelle il ne peut soutfrir estre mespri-
sée. Puis il se nomme Jaloux , pour signifier qu d ne peut
endurer compaignon. Tiercement il dénonce . qu'il vengera
sa majesté et sa gloire, si quelqu'un la transfère aux créa-
tures, ou aux Idoles : et que ce ne sera point une simple
DE LA LOY. 135
veng-e^nce mais qu'elle s'estendra sur les enfans, nepveux,
et ariere nepveux, lesquelz ensuyviont l'impiété de leurs
prédécesseurs : comme d autrepart il promet sa miséricorde et
bénignité en mil' générations à ceux qui laymeront, et gar-
sderont sa Loy. Ce n'est pas chose nouvelle au Seigneur, de
prendre la personne d'un mary envers nous. Car la con-
jonction, par laquelle il nous conjoinct à soy, en nous rece-
vant au sein de 1 Eglise, est comme un mariage spirituel,
lequel requiert mutuelle loyauté. Pourtant co.unie le Seigneur
10 en tout et partout fait l'office d'un fidèle mary . aussi de nostre
part, il demande que nous luy gardions amour et chasteté du
mariage : C'est à dire, que noz âmes ne soient point abamlo'n es
. au Di.ible et aux conc ipiscences de la chair : qui est une espec
de paillardise. Pour laquelle cause quand il leprend les Juifz de
13 leur infidélité : il se complainct, quilz ont adultéré, rompans la
loy du mariage. Parquoy comme un bon mary, d'autant qu'il est
plus fidèle et loyal, est d'autant plus courroucé, s'il voit sa
femme décliner à quelque paillard : en telle sorte le Seigneur,
lequel nous a espousez en vérité tesmoigne qu'il ha une jalousie
20 merveilleuse, toutesfois et quantes, qu'en mesprisant la chasteté
de son mariage, nous nous contaminons de mauvaises concupis-
cences : et principalement q land nous transferons ailleurs sa
gloire, laquelle sur toute chose luy doibt estre conservée en son
entier : ou bien que nous la polluons de quelque superstition, Car
25 en ce faisant, non seulement nous rompons la Foy donnée au
mariage : mais aussi nous polluons nostre ame par paillardise.
11 fault voir que c'est qu'il entend en la menace, quand il dit,
qu'il visitera l'iniquité des pères sur les enfans, en la tierce et
quattriesme génération. Car oultre, que cela ne conviendroit
30 point à l'équité de la justice divine, de punir l'innocent pour la
faulte d'autruy : le Seigneur mesme dénonce, qu'il ne souf-
frira que le filz porte l'iniquité du père. Et neantmoins ceste
sentence est souvent répétée, que les péchez des pères seront
punys en leurs enfans. Car Moyse parle souvent en ceste Exo. Si.
assorte. Seigneur, seigneur, qui rétribue le loyer à l'iniquité des iVom. ti.
pères, sur les enfans. Pareillement Jeremie. Seigneur, c\m Jerm.Si.
fais miséricorde en mil' générations, et rejettes l'iniquité des
pères au sein des enfans. Aucuns, ne se pouvantz despescher
de cette difïïculté, entendent cela des peines temporelles :
136 CHAPITRE III.
lesquelles il n'est pas inconvénient que les enfans souffrent
pour leurs pères : veu que souvent elles sont salutaires. Ce
qui est bien vray : Car lesaye denonceoit au Roy Ezechias,
que à cause du péché par luy commis, le Royaume seroit lésa. 39.
oosté à ses enfans: et seroient transportez en pays estrange.
Pareillement les familles de Pharaon et Abimelech ont esté affli-
gées, à cause de l'injure qu'avoient faict les maistres à Abraham.
Et plusieurs autres exemples semblables. Mais cela est un sub-
terfuge, plustost qu'une vraye exposition de ce lieu Ctir le Sei-
10 gneur dénonce icy une vengeance si griefve : qu'elle ne se peult
restraindre à la vie présente : 11 fault donc ainsi prendre ceste
sentence. Que la malédiction de Dieu non seulement tombe sur
la teste de l'inique : mais est espandue sur toute sa famille. Quand
cela est, que peut-on attendre ; sinon que le père, estant délaissé
Iode l'Esprit de Dieu ; vive meschamment ? Le filz, estant aussi
abbandonné de Dieu; pour le péché de son père ; suyve un mesme
train de perdition ? Le nepveu et les autres successeurs ; estans
exécrable lignée de meschans gens : aillent après en mesme
ruyne ? Premièrement voyons, si telles vengeances répugnent
20 à la justice de Dieu. Or puis c{ue toute la nature des hommes est
damnable : il est certain que la ruyne est appureillée à tous
ceulx. ausquelz le Seigneur ne communique point sa grâce : et
neantmoins ilz périssent par leur propre iniquité, et non point
par hayne inique de Dieu. Et ne se peuvent plaindre de ce que
23 Dieu ne les ayde point de sa grâce en salut, comme les autres.
Quand donc ceste punition adviend aux meschans pour leurs
péchez, que leurs maisons par longues années sont privées de la
grâce de Dieu : qui pourra vitupérer Dieu pour cela ? Mais le
Seigneur, dira quelqu'un, prononce au contraire, que l'enfant ne Eze. is.
30 souffrira point la peine pour le péché de son père. Il nous fault
noter ce qui est là traicté. Les Israélites, ayantzesté longuement
affligez de diverses calamitez, avoient un proverbe commun,
que leurs pères avoient mangé du verjiis, et que les dens des
enfans en estoient aycées. Enquoy ilz signifioient, que leurs
35parens avoient commis les faultes, pour lesquelles ilz endu-
roient tant de maulx, sans les avoir méritez : et ce par une ire
de Dieu trop rigoreuse, plustost que par une sévérité modé-
rée. Le Prophète leur dénonce, qu'il n'est pas ainsi : mais
quilz enduKcnt pour leurs propres faultes : et qu il ne convient
DE LA LOY. 137
pas à la justice de Dieu, que l'enfant juste et innocent soit puni
pour les faultes de son j)ere. Ce qui nest pas aussi diot en ce pas-
sage. Car si la visitation, dont il est icy parlé, est lors accomplie,
quand le Seig-neur i-etire de la maison des iniques sa g-race, la
r, lumière de sa veiité. et toutes autres aydes de salut : en ce que
les enfans estans abbandonnez de Dieu en aveug-lement, suivent
le train de leurs prédécesseurs : en cela ilz sousliennent la malé-
diction de Dieu. Ce que après Dieu les punit, tant par calamitez
temporelles, que par la mort éternelle : cela n'est point pour les
10 péchez dautruy : mais pour les leurs D autre costé est donnée
une promesse, que Dieu estendra sa miséricorde en mil'genera-
tions sur ceulx qui lavmeront : laquelle est souventesf(jis mise
. en l'Escriture : et est insérée en l'alliance solennelle, que tait
Dieu avec son Ej^lise. Je seray ton Dieu, et le Dieu de ta lignée nror. 10.
15 après toy. Ce que a regardé Salomon. disant, que ajn'ès la mort
des justes, leurs enfans seront bien heureux : non seulement à
cause de la bonne nourriture et instruction, la(juelle de sa part ayde
beaucoup ;i la félicité d'un homme, mais aussi pour ceste bénédic-
tion, que Dieu a promis à ses serviteurs : ([ue sa g-race résidera
20 éternellement en leurs familles. Ce qui apporte une sing'uliere
consolation aux fidèles, et doibt bien estouner les iniques. Car
si la memoyre, tant de justice comme d'iniquité, ha telle vigueur
envers Dieu, après la mort de l'homme : que la bénédiction de
la première, s'estende jusques à la postérité, et la malédiction
25 de la seconde : par plus forte raison, celuy ({ui aura bien vescu,
sera beneictde Dieu sans fin : et celuy qui aura mal vescu, maul-
dict. Or à cela ne contrevient point, que de la race des mes-
chans, aucunesfois il en sort des bons ; et aucontraire, de la
race des fidèles qu'il en sort des meschans : car le Seigneur n'a
30 pas voulu icy establir une reigle perpétuelle, laquelle desro-
gast à son élection. Car il suffit, tant pour consoler le juste,
que pour espouventer le pécheur, que ceste dénonciation n'est
pas vaine ne frivole : combien qu'elle n'ayt pas tousjours lieu.
Car comme les peines temporelles, que Dieu envoyé à d'au-
35cuns, sont tesmoignages de son ire contre les péchez, et signes
du jugement futur, qui viendra sur tous pécheurs : combien
qu'il en demeure beaucoup impuniz en la vie présente : ainsi le
Seigneur, en donnant un exemple de ceste bénédiction : c'est
de poursuyvre sa grâce et bonté ^ur les enfans des fidèles, à
138 CHAPITRE m.
cause de leurs psres : il donne tesmoignige , comment sa
miséricorde demeure ferme éternellement sur ses serviteurs.
Aucontràîre, quand il poursuyt une fois l'iniquité du père
jusques au filz : il monstre quelle rigueur de jugement est
sapprestée aux iniques pour leurs propres péchez : ce qu il a
principalement regardé en ceste sentence. D'avantage il nous
a voulu (comme en passant) signifier la grandeur de sa misé-
ricorde, l'estendant en mil' générations : comme ainsi soit
qu'il n'eust assigné que quattre générations à sa vengeance.
10 Le troysiesme Commandement.
Tu ne prendras point le Nom de l'Eternel ton Dieu en vain.
La fin du précepte est. que le Seigneur veult la majesté de
son Nom nous estre saincte et sacrée. La somme donc sera,
que icelle ne soit point prophanée de nous, par mespris ou
13 irrévérence. A laquelle detTence respond le précepte d'autre-
part : quelle nous soit en recommendation, et honneur singu-
lier. Et pourtant il fault, tant de cœur comme de bouche, que
nous soyons instruictz à ne penser et ne parler rie n de Dieu ou
de ses mystères, sinon reveremment, et avec grande sobriété :
20 et qu'en estimant ses œuvres, nous ne concevions rien, qui ne
soit à son honneur. Il fault diligemment observer ces trois
poinctz. C'est que tout ce que nostre esprit conceoit de Dieu,
ou qu'en parle nostre langue, soit convenable à son excellence,
et à la saincteté de son Nom : et tende à exalter sa grandeur.
25 Secondement que nous n'abusions point de sa saincte paroUe
témérairement : et que nous ne renversions point ses mystères,
pour servir à nostre avarice, ou à ambition, ou à noz folies.
Mais comme la dignité de son Nom est imprimée en sa pai'oUe
et ses mystères : que nous les ayons tousjours en honneur et
30 en estime. Finalement que nous ne mesdisions ne detractions
de ses œuvres : comme aucuns meschans ont coustume d en par-
ler par contumelie : mais à tout ce que nous recongnoissons faict
de luy, que nous donnions la louenge de sagesse, justice,
et vertu. Voilà que c'est sanctifier le Nom de Dieu. Quand
35 il en est autrement faict, il est meschamment pollué : pource
DR LA LOY.
139
qu'on le tire hors de son usage légitime auquel il estoit con-
sacré : et quand il n'y auroit autre mal, il est amoindry de
sa dignité, et est rendu contemptible. Or si c'est si mal faict,
d'usurper trop legierement le Nom de Dieu par témérité : ce
osera beaucoup plus grand péché, de le tirer en usage du tout
meschanl : comme de le faire servir à Sorcellerie, Nécromancie,
conjurations illicites, et telles manières de faire. Toutesfois
il est icy parlé en especial du jurement, auquel l'abus du
Nom de Dieu est sur toutes choses détestable. Ce (\m est
10 faict pour nous engendrer un plus grand horreur de toutes
autres espèces d'en abuser. Premièrement il fault entendre,
que c'est jurement. Jurement est une attestation de Dieu, pour
confermer la vérité de nostre parolle. Car les blasphèmes
manifestes, qui se font comme pour despiter Dieu, ne sont
15 pas dignes qu'on les appelle juremens. Or il est monstre en
plusieurs passages de TEscriture, que telle attestation, quand
elle est deuëment faicte, est une espèce de glorilier Dieu.
Comme quand lesaïe dit, que les Assiriens et Egyptiens seront /e.sat>/9.
receuz en l'Eglise de Dieu, Hz parleront (dit-il) la langue de
20 Canaan, et jureront au Nom du Seigneur, c'est-à-dire, en
jurant par le Nom du Seigneur qu'ilz declaireront qu'dz le
tiennent pour leur Dieu . Item , quand il parle comme le losaieUS.
Royaume de Dieu sera multiplié : quiconques, dit-il, deman-
dera prospérité, il la demandera en Dieu : et quiconques
23 jurera, jurera par le vray Dieu. Item, Hieremie. Si les doc- Hier. I -2.
teurs enseignent mon peuple de jurer en mon Nom, comme ilz
l'ont enseigné de jurer par Baal, je les feray prospérer en ma
maison. Et est à bon droict^ qu'en invoquant le Nom de Dieu en
tesmoignage, il est dict que nous testifions nostre religion envers
3oluy. Car en telle sorte nous le confessons estre la vérité éter-
nelle et immuable : veu que nous l'appelions, non seulement
comme tesmoing ydoine de vérité : mais comme celuy, auquel
seul appartient de la maintenir, et faire venir en lumière les
choses cachées : d'avantage comme celuy, qui congnoit seul les
35 cœurs. Car quaml les tesmoignages humains nous deffaillent,
nous prenons Dieu pour tesmoing : et mesmes quand il est ques-
tion d'affermer ce qui est caché dedens la conscience. Pourtant
le Seigneur se courrouce amèrement contre ceulx, qui jurent par
les Dieux estranges : et prend une telle manière de jurement.
140 CHAPITRE m.
comme un sig'ne de renoncement de son Nom. Comme quand
il dit : Tes enfans m'ont abl)andonné : et jurent par ceulx qui nicrp. o
ne sont point Dieux. D'avantage il dénote par la grandeur Zp/^/î a. /.
de la peine, combien ce péché est exécrable : quand il dit,
5 qu'il destruyra tous ceux qui jurent au Nom de Dieu, et au
nom de leur Idole. Or puis que nous entendons, que le Seigneur
veult l'honneur de son Nom estre exalté en noz sermens :
nous avons d'autant plus à nous garder, que, au lieu de l'ho-
norer, il n'y soit mesprisé ou amoindry. C'est une contunielie
10 trop grande, quand on se parjure par son Nom : et pourtant
cela est appelle en la Loy, prophanation . (]ar que restera Levi. 19.
il à Dieu ; s'il est despouillé de sa vérité ? 11 ne sera plus
Dieu. Or on l'en despouillé, en le faisant tesmoing et appro-
bateur de faulseté. Pourtant lehosva , voulant contraindre
13 Acham de confesser vérité, luy dist : Mon enfant, donne Jp/? os. 7
gloire au Dieu d'Israël. Enquoy il dénote, que Dieu est griefve-
ment deshonoré, si on se parjure en son Nom. Ce qui n'est point
de merveille : car en ce faisant, il ne tient point à nous, qu'il
ne soit diffamé de mensonge. Et de faict, par une semblable
20 admiration que font les Pharisiens en lEvangile Sainct Jean,
il appert qu'on usoit de ceste forme de jiarler communément Jean 9.
entre les Juifz, quand on vouloit ouyr quelqu'un par serment.
Aussi les formelles de l'Escriture nous enseignent, quelle crainte
nous devons avoir de mal jurer : comme quand il est dict :
25 Le Seigneur est vivant : Le Seigneur m'envoye tel mal et tel.
Item. Que Dieu en soit tesmoing sur mon ame. Lesquelles
dénotent, que nous ne pouvons appeller Dieu pour tesmoing
de noz parolles : qu'il ne venge le parjure, si nous jurons faulce-
ment. Quand nous prenons le Nom de Dieu en serment véritable,
30 mais superflu, combien qu'il ne soit pas prophané du tout :
toutesfois il est rendu contemptible, et abbaissé de son honneur.
C'est donc la seconde espèce de serment, par laquelle il est
prins en vain. Pourtant il ne sullist pas, de nous ab.stenir de
parjure : mais il faidt aussi qx\"\\ nous souvienne, que le serment
35 n'a pas esté institué pour le plaisir deshordonné des hommes :
mais pour la nécessité, et qu'autrement il n'est permis. Dont
s'ensuyt, que ceux qui le tirent à chose de nulle importance :
oultrepassent le bon usage et licite. Or on ne peult prétendre
autre nécessité, sinon qu'en servant à la religion ou à charité.
I
DE LA LOV
141
Enquoy on pèche aujourd'hui trop desordonnement. Et ce
d'autant plus, que par trop grande accoustuniance cela est
estimé pour néant : combien qu'il ne soit point de petit poix
au jug'ement de Dieu. Car indifféremment on abuse du Nom
3 de Dieu en propos de folie et vanité : et pense-on que ce n'est
point mal faict, pource que les hommes, par leur licence,
sont venuz quasi en possession de ce faire. Neantmoins le
mandement de Dieu demeure tousjours : la menace, qui y
est adjoustée, demeure inviolable, et aura une fois son elî'ect :
10 par laquelle une vengeance spirituelle est dénoncée sur tous
ceux, qui auront prins le Nom de Dieu en vain. 11 y a une
mauvaise faulte d'autre costé, que les hommes en leur jure-
. ment prennent le nom des Sainctz, pour le nom de Dieu
jurantz par Sainct Jaques ou Sainct Anthoine. Ce qui est une
15 impieté évidente : veu que la gloire de Dieu leur est ainsi
transférée. Car ce n'est point sans cause, que Dieu nommée- DeiiL 6.
ment a commandé, qu'on jurast par son Nom, et par mandement
spécial nous a delfendu de jurer par Dieux estranges. Et c'est Exod. 23.
ce que lApostre dit, en escrivant, que les hommes en leurs
20 sermens appellent Dieu comme leur supérieur : mais que Dieu llcbr. 6.
jure par soymesme, à cause qu'il na nul plus grand (|ue luy.
Les Anabaptistes, non contentz de ceste modération, con-
damnent sans exception tous juremens : d'autant que la def-
fence de Christ est générale : oii il dit : Je vous deifenz de Matf. 5.
23 ne jurer du tout, mais que vostre parolle soit, ouy, ouy, non,
non : ce qui est oultre, est mauvais. Mais en ce faisant, ilz
font injure à Christ, le faisant adversaire de son Père : comme
s'il estoit venu en terre pour anéantir ses commandemens.
Car le Seigneur en sa Loy non î-eulement permet le jurement,
30 comme chose licite, ce qui debvroit bien suftîre, mais com-
mande den user en nécessité. Or Christ tesmoigne, qu'il est Exo. 22.
un avec son Père : qii'il n'apporte rien, que son Père n'ayt
commandé : que sa doctrine n'est point de luy mesme , etc.
Qu'est-ce donc qu'ilz diront ? Feront-ilz Dieu répugnant à
:5.isoy, pour deffendre et condamner, ce qu'il a une fois approuvé,
en le commandant? Pourtant leur sentence ne peut estre receuë.
Mais pource qu'il y a quelque ditïiculté aux parolles de Christ,
il nous les fault regarder de plus près. Desquelles certes nous
n aurons point l'intelligence, sinon que nous considérions
142 CHAPITRE m.
son but, et dirigions nostre pensée à ce qu'il prétend en ce
passage là. Or est-il ainsi : qu'il ne veut point amplifier ne
restreindre la Loy : mais seulement la réduire en son sens
naturel : lequel avoit esté grandement corrumpu par les
5 faulses gloses des Scribes et Pharisiens. Si nous tenons cela :
nous ne penserons point, que Christ ayt voulu condamner
toussermens universellement : mais seulement ceulx qui trans-
gressent la reigle de la Loy. Il appeit de ses parolles, que le
peuple ne se^ardoit pour lors sinon de se parjurer : comme ainsi
10 soit que la Loy ne defîende pas seulement les parjures : mais les
juremens superfluz. Parquoy le Seigneur Jésus, vray exposi-
teur de la Loy, admoneste, que non seulement c'est mal faict
de se parjurer : mais aussi de jurer. Comment jurer ? A scavoir
en vain. Mais les sermens que la Loy appreuve, il les laisse
15 libres et en leur entier. Mais ilz sarrestent à ceste diction du
tout : laquelle toutesfois ne se rapporte point aux verbes : mais
aux formes de juremens qui sensuyvent après. Car c'estoit là
une partie de l'erreur, qu'en jurant, par le Ciel, et par la Terre,
ilz ne pensoient pas attoucher le Nom de Dieu. Le Seigneur donc,
20 avant corrigé la principale transgression, leur oste après tous
substerfuges : à fin qu'ilz ne pensent pas estre eschappez, si en
supprimant le Nom de Dieu, ilz jurent par le Ciel, et par la
Terre. Pourtant ce ne peut estre chose doubteuse à gens de sain
entendement, que le Seigneur ne reprouve en ce passage autres
23 sermens, sinon ceulx qui estoient defîenduz par la Loy. Car luy
mesme qui a représenté en toute sa vie la perfection qu'il a com-
mandée, n'a point eu horreur de jurer, quand la chose le reque-
roit : et ses disciples, que nous ne doubtons point avoir gardé
sa reigle, ont suyvy un mesme exemple. Qui oseroit dire, que
30 S. Paul eust voulu jurer ; si le jurement eust esté du tout def-
fendu ? Or quand la matière le requiert, il jure sans aucun scru-
pule, adjoustant mesmes aucunesfois imprécation. Toutesfois la
question n'est pas encore soluë : pource que aucuns pensent,
qu'il n'y a que les sermens publiques, qui soient exceptez : comme
33 sont ceulx que le Magistrat requiert de nous : ou que le peuple
fait à ses supérieurs: ou bien les supérieurs au peujDle: les gens
d'armes à leurs capitaines : et les Princes entre eux, en faisant
quelque alliance. Auquel nombre ilz comprennent (et à bon droictj
tous les sermens qui sont en Sainct Paul : veu que les Apostres
DE LA LOY. 143
en leur ofïice, n'ont point esté hommes particuliers: mais offi-
ciers publiques de Dieu. Et de faict je ne nye pas, que les ser-
mens publiques ne soient les plus seurs : d'autant qu'ilz sont
approuvez de plus fermes tesmoi^na^es de l'Escriture. Il est
5 commandé au Magistrat, de contraindre un tesmoing- à jurer
en chose doubteuse : et le tesmoing' est tenu d'en respondre.
Pareillement l'Apostre dit, que les controversies humaines sont Ilebr. 6.
décidées par ce remède. Pourtant l'un et l'autre ha bonne appro-
bation de ce qu'il fait. Et de faict, on peut observer, que les
10 Payens anciennement avoient en grande religion les sermens
publiques et solemnelz. Aucontraire, qu'ilz n'estimoient pas beau-
coup ceulx, qu'ilz faisoient en leur privé : comme si Dieu n'en
eust tenu compte. Neantmoins de condamner les sermens
particulie s, qui se font sobrement es choses nécessaires avec
15 révérence, c'est une chose trop périlleuse : veu qu'il/ sont fondez
sur bonne raison, et exemples de l'Escriture. Car s il est licite à
personnes privées, d'invoquer Dieu pour Juge sur leurs propos :
par plus forte raison il leur sera permis de l'invoquer pour tes-
moing. Exemple. Ton prochain t'accusera de quelque desloyauté :
20 tu tascheras par charitr de le purger: il n'acceptera aucune rai-
son en pa\ement. Si larenomnue vient en danger, pour l'obsti-
nation qu'il ha en a mauvais ephanlasie : sans offense tu pourras
appeller au jug'ement de Dieu : à lin qu'il declaire ton innocence.
Si nous reg-ardons les | aroUes : ce n'est pas si grand 'chose d'ap-
sspeller Dieu en tesmoinj.- que pour Juge. Je ne voiz point donc,
pourquoy nous debvions reprouver une forme de serment où
Dieu soit appelle en tesmoignage. Et pour cela nous avons plu-
sieurs exemples : C'est que Abraham et Isaac ont faict serment
à Abimelech. Si on allègue que se soient sermens publiques :
30 pour le moins Jacob et Laban estoient personnes privées, et Qen. 31.
neantmoins ont confermé leur alliance par jurement. Booz estoit
homme privé : qui a ratiflié par serment le mariage promis à
Ruth. Pareillement Abdias, homme juste et craignant Dieu Ruth 3.
(comme dit l'Escriture) lequel testifie par jurement ce qu'il
35 veut persuader à Helie. Je ne vois point donc meilleure reigle 2. Roys
sinon que nous modérions noz sermens en telle sorte, qu'ils ^^•
ne soient point téméraires, legeremens faictz, ny en matière
frivole, ny en affection desordonnée : mais qu'ilz servent à
la nécessité : à scavoir, quand il est question de maintenir
144 CHAPITRE 111.
la o-loiie de Dieu, ou conserver charité envers les hommes : à
quov tend le commandement.
Le quattriesme Commandement.
Qu'il te souvienne de sanctifier le jour du repoz. Tu beson-
5 gneras six jours, et feras toutes tes œuvres. Le septiesme
est le repoz du Seigneur ton Dieu. Tu ne feras aucune
tienne œuvre : ne toy. ne ton filz, ne ta fille, ne ton
serviteur, ne ta chambrière, ne ton bestial, neleslranger
qui est entre tes portes. Car en six jours etc.
lu La tin du précepte est, que estanz mors à noz propres affec-
tions et œuvres, nous méditions le Royaume de Dieu : et qu'à
ceste méditation nous nous exercions par les moyens qu'il a ordon-
nez. Neantmoins pource qu'il ha une considération particulière
et distincte des autres, il requiert une exposition un peu diverse.
13 Les anciens docteurs ont coustume de le nommer Umbratile :
pource qu'il contient observation externe du jour : laquelle a
esté abolie à l'advenement de Christ, comme les autres ligures.
Ce qui est bien véritable : mais il ne touche la chose qu'à demy :
pourtant il fault prendre l'exposition déplus hault : et considérer
20 trois causes, lesquelles sont contenues soubz ce commandement.
Car le Seigneur, soubz le repos du septiesme jour, a voulu figurer
au peuple d Israël le repos s])irituel. C'est que les fidèles se
doibvent reposer de leurs propres œuvres : à tin de laisser
besongner Dieu en eulx. Secondement il a voulu, qu il y eust
25 un jour arresté, auquel ilz convinssent pour ouyr la Loy. et user
de ses cérémonies. Tiercement il a voulu donner un jour de
repos aux serviteurs et gens de travail, qui sont soubz la puis-
sance d'autruy : à fin d'avoir quelque relasche de leur labeur. Nom. 13.
Toutesfovs il nous est monstre en plusieurs passao^es que ceste Exod^.il.
. . r o T et .3o.
30 figure du repos spirituel ha eu le principal lieu en ce précepte. Hiere. 17.
Car Dieu n'aiamais recruis plus estroistementlobevssance d'aucun ^^^c. :.().
•' ' ^ . ' el I >f .
précepte que de cestuycy. Quand il veult dénoter en ses Prophètes, lésa. 36.
toute la religion estre destruicte : il se complaint que son Sabbat
DE LA LOY. 145
a esté pollué et violé : ou cju'il n a pas esté bien gardé ne
sanctifié. Comme si en délaissant ce poinct, il ne restoit plus
rien, en quov il peust estre honoré. Dautrepart, il magnifie
grandement l'observation diceluy : pour laquelle cause les
s fidèles estimoient par dessus tout le bien qu'il leur avoit faict,
un bien singulier, en leur révélant le Sabbath. Car ainsi parlent
les Lévites en Nehemiah. Tu as monstre à noz Pères ton sainct Nehe. .9.
Sabbath, tes commandemens, et cérémonies : et leur as donné la
Loy par la main de Movse. Nous voyons comment ilz l'ont en
10 singulière estime par dessus tous les autres préceptes. Ce qui
nous peut monstrer la dignité et excellence du Sabbath :
biquelle est aussi clairement exposée par Moyse et Ezechiel :
car nous lisons ainsi en Exode. Observez mon Sabbath, cav Exo. 31 .
c'est un signe entre moy et vous en toutes voz générations :
15 pour vous donner k congnoistre, que je suis le Dieu qui vous
sanctifie : gardez donc mon Sabbath, car il vous doibt estre
sainct. Que les enfans d'Israël le gardent, et le célèbrent en
leurs générations : car c'est une alliance perpétuelle, et un signe
k toute éternité. Cela est encores plus amplement dict de Eze- Ezec. 20.
io chiel : toutesf'ois la somme de ses parolies revient là, que c'es-
toit un signe, dont Israël debAoit congnoistre, que Dieu estoit
son sanctificateur. Or si nostre sanctification consiste au renonce-
ment de nostre propre volunté : de là desja apparoist la simili-
tude entre le signe externe, et la chose intérieure. Il nous fault
râ du tout reposer, k fin que Dieu besongne en nous : il nous fault
céder de nostre volunté, resigner nostre cœur, renoncer et quicter
toutes les cupiditez de nostre chair : brief il nous fault cesser de
tout ce qui procède de nostre entendement, k fin que, ayans
Dieu besongnant en nous, nous acquiesceons en luv : comme
iii aussi l'Apostre nous enseigne. Cela estoit représenté en Israël
par le repos du septiesme jour. Et k fin qu'il y eust plus grande Ileh. :i el
religion k ce faire : nostre Seigneur confermoit cest ordre par
son exemple. Car c'est une chose qui ne doibt point esmouvoir
petitement l'homme : quand on l'enseigne de suyvre son Crea-
35 teur. Si quelqu'un requiert une signification secrette au nombre
de sept : il est vray semblable, puis que ce nom en l'Escriture si-
gnifie perfection ; qu'il a esté esleu en cest endroit, pour desnoter
perpétuité : k quoy se rapporte ce que nous voyons en Moyse. Car
après nous avoir dict, que le Seigneur s'est reposé au septiesme
InslUulion. JO
146 CHAPITRE m.
jour : il n'en mect plus d'autre après, pour luy déterminer sa
fin. On pourroit aussi amener quant à cela, une autre conjec-
ture probable. C'est que le Seigneur par ce nombre a voulu
signifier, que le Sabbath des fidèles ne sera jamais parfaicte-
5 ment accomply, jusques au dernier jour. Car nous le commen-
ceons icv, et le poursuyvons journellement : mais pource que
nous avons encores bataille assiduelle contre nostre chair, il
ne sera point achevé, jusques à ce que la sentence de lesaie soit i^^^^^/^'''-
verifiée : quand il dit que au Royaume de Dieu, il y aura un Sab-
lobath continué éternellement : à scavoir quand Dieu sera tout en
tous. Il pourroit donc sembler advis, que par le septiesme jour I. Cor. 13.
le Seigneur ayt voulu figurer à son peuple la perfection du Sab-
bath qui sera au dernier jour, à fin de le faire aspirer à icelle
perfection, d'une estude continuelle, durant ceste vie. Si ceste
15 exposition semble trop subtile, et pourtant que quelqu'un ne la
veuille recevoir : je n'empesche pas, qu'on ne se contente d'une
plus simple. C'est que le Seigneur a ordonné un jour : par lequel
le peuple fust exercité soubz la pédagogie de la Loy, à méditer
lerepoz spirituel, qui est sans fin. Qu'il a assigné le septiesme
20 jour, ou bien pensant qu'il suffiroit : ou bien pour myeulx inci-
ter le peuple à observer ceste cérémonie, luy proposant son
exemple : ou plustost pour luy monstrer, que le Sabbath ne ten-
doit à autre tin, sinon pour le rendre conforme à son Créateur.
Car il n'en peut gueres challoir, moyennant que la signification
25 du mystère demeure : c'est que le peuple fust instruict : de se
démettre de ses œuvres. A laquelle contemplation les Prophètes
reduisoient assiduellement les Juifz : à fin qu'ilz ne pensassent
s'acquicter, en s'abstenant d'oeuvres manuelles . Oultre les pas- le^aiehS.
sao-es que nous avons alléguez il est dict en lesaie : Si tu te
30 retire au Sabbath, pour ne point faire ta volunté en mon Sainct
jour, et célèbre un Sabbath sainct et délicat au Seigneur de
gloire, et le glorifie, en ne faisant point tes œuvres, et ta propre
volunté n'est point trouvée : lors tu prospéreras en Dieu. Or il
n'v a doubte, que ce qui estoit cérémonial en ce précepte, n'ayt
ssesié aboly par l'advenement de Christ : car il est la vérité, qui
fait, par sa présence, esvanouyr toutes les figures. 11 est le corps,
au reo-ard duquel les umbres sont laissées. Il est, diz-je, levray Rom. 6.
accomplissement du Sabbath. Car estans ensepveliz avec luy par
le Baptesme, nous sommes entez en la compaignie de sa mort : à
DE LA LOY. 147
fin qu'estans faictz participans de sa résurrection, nous cheminions
en nouveauté de vie. Pourtant dit TApostre, que le Sabbath a Collos. 3.
esté umbre de ce qui debvoit advenir : et que le corps en est en
Christ : c'est k dire la vraye substance et solide de la vérité :
5 laquelle il explicque bien en ce lieu là. Or icelle n'est point
contente d'un jour : mais requiert tout le cours de nostre vie :
jusques à ce qu'estans du tout mortz k nous mesmes nous soyons
rempliz de la vérité de Dieu. Dont il s'ensuyt, que toute obser-
vation supersticieuse des jours, doibt estre loing- des Ghrestiens.
10 Neantmoins d'autant cpie les deux dernières causes ne se
doibvent point mettre entre les umbres anciennes : mais con-
viennent egallement à tous siècles : combien que le Sabbath soit
abrogué, cela ne laisse point d'avoir lieu entre nous, que nous
ayons certains jours, pour nous assembler à ouyr les predica-
15 lions, k faire les oraisons publiques, et célébrer les Sacremens.
Secondement pour donner quelque relâche aux serviteurs et
gens mécaniques. Il n'y a nulle double, que le Seigneur n'avt
regardé l'un et l'autre, en commandant le Sabbath. Quant au
premier : il est assez approuvé par l'usage mesme des Juifz, Le
20 second a esté noté par Moyse au Deuteronome en ces paroUes. Dent. o.
A fin que ton serviteur, et ta chambrière se reposent comme
toy : Qu'il te souvienne que tu as esté serviteur en Egvpte.
Item, en Exode. A fin que ton beuf, et ton asne, et ta mey- Exo. 23.
gnye se repose. Qui pourra nyer, que ces deux choses ne nous
25 conviennent aussi bien qu'aux Juifz ? Les assemblées Ecclésias-
tiques nous sont commandées par la parolle de Dieu : et l'ex-
périence mesme nous monstre , quelle nécessité nous en
avons. Or s'il n'y a jours ordonnez : quand se pourra-on assem-
bler? l'Apostre enseigne, que toutes choses se doibvent faire /. Cor.
30 decentement et par ordre entre nous. Or tant s'en fault que ' ^^-
l'honnesteté et l'ordre se puisse garder sans ceste police des
jours: que si elle nestoit, nous verrions incontinent merveilleux
troubles et confusion en l'Eglise. Or s'il y a une mesme néces-
sité entre nous, k laquelle le Seigneur a voulu remédier, en
33 ordonnant le Sabbath aux Juifz : que nul n'allègue ceste loy ne
nous appartenir de rien. Car il est certain, que nostre bon Père
n'a pas moins voulu pourvoir à nostre nécessité, qu'à celle des
Juifz. Mais que ne nous assemblons-nous tous les jours, dira
quelqu'un, pour oster ceste différence ? Je le desirerois bien : et de
148 CHAPITRE 111.
faict, la sao^esse spirituelle estoit bien digne, d'avoir quelque
heure au jour, qui luy fust destinée. Mais si cela ne se peut obte-
nir de linfirmité de plusieurs, qu'on s'assemble journellement :
et la charité ne permet point de les contraindre plus oultre :
:, pour quoy ne suyvons-nous la raison , laquelle nous a esté
monstrée de Dieu ? 11 nous fault estre un peu plus longz en cest
endroit, pource qu'aucuns entendemens legiers se tempestent
aujourd huy, à cause du Dimenche : car ilz se plaignent que le
peuple Chrestien est entretenu en un Judaisme : veu qu'il retient
10 encores quelque observation des jours. A cela je respondz, que
sans Judaisme nous observons le Dimenche : veu qu'il y a grande
différence entre nous et les Juifz. Car nous ne l'observons point
d^une religion estroicte, comme d'une cérémonie, en laquelle
nous pensions estre comprins un mystère spirituel : mais nous
i=ien usons comme d'un remède nécessaire, pour garder bon ordre
en l'Eglise. Mais Sainct Paul, disent ilz, nye que les Chrestiens
doibvent estre jugez en l'observation des jours : veu que c'est
un umbre des choses futures : et pour ceste cause craint d'avoir
travaillé en vain entre les Galatiens : d'autant qu'ilz observoient Collos. 2.
20 encores les jours . Et aux Romains il afferme que c'est supers- Gai. 4.
tition , si quelqu'un discerne entre jour et jour. Mais qui est Rom. 14.
l'homme d'entendement ras.sis, qui ne voye bien de quelle obser-
vation parle l'Apostre? Car ilz ne regardoient point à ceste fin,
que nous disons, d'observer la police et ordre en l'Eglise : mais
25 en retenant les festes, comme umbres des choses spirituelles, ilz
obscurcissoient d'autant la gloire de Christ, et la clarté de l'Evan-
gile : ilz ne s'abstenoient point d'œuvres manuelles, pource qu'elles
Jes empêchassent de vacquer à méditer la paroUe de Dieu : mais
par une folle dévotion, d'autant qu'ilz imaginoient, en se reposant,
30 faire service à Dieu. C'est donc contre ceste perverse doctrine que
crie Sainct Paul : et non pas contre l'ordonnance légitime, qui
est mise pour entretenir paix en la compaignie des Chrestiens.
Car les Eglises qu'il avoit edifiéez gardoient le Sabbath en cest
usage : ce qu'il monstre en assignant ce jour là aux Corinthiens, i.Cor. 16
Ci '^our apporter leurs aumosnes en l'Eglise. Si nous craingnons la
superstition : elle estoit plus à craindre aux festes Judaiques,
qu'elle n'est maintenant au Dimenche. Car comme il estoit expé-
dient, pour abbatre la superstition, on a délaissé le jour observé
des Juifz : et comme il estoit nécessaire pour garder ordre, police et
DE LA LOY.
149
paix en l'Eglise on en a mis un autre au lieu. Je ne m'arreste point
au nombre septiesme, pour assubjectir l'Eglise en quelque servi-
tude : car je ne condamnerois point les Eglises qui auroient d'autres
jours solemnelz pour s'assembler, moyennant qu'il n'y ayt nulle
5 superstition : comme il n'y en a nidle, quand on regarde seulement
à entretenir la discipline. Que la somme donc du précepte soit
telle. Comme la vérité estoit demonstrée aux Juifz soubz figure,
ainsi, sans figure, elle nous est declairée : c'est que nous médi-
tions en toute nostre vie un perpétuel repoz de noz oeuvres, à ce
10 que Dieu besongne en nous par son Esprit. Secondement que
nous observions l'ordre légitime de l'Eglise, à ouyr la parolle,
célébrer les sacremens, et faire les prières solemnelles. Tierce-
ment, que nous ne grevions point par trop, ceux qui sont en
nostre puissance. Ainsi seront renversez les mensonges des faux
15 Docteurs, qui ont abbreuvé du temps passé le povre populaire
d'opinion Judaique, ne discernantz entre le Dimenche et le Sab-
bath autrement : sinon que le septiesme jour estait abrogué,
qu'on gardoit pour lors : mais qu'il en failloit neantmoins garder
un. Or cela n'est aultre chose dire, qu'avoir changé le jour en
20 despit des Juifz : et neantmoins demeurer en la superstition que
Sainct Paul condamne : c'est d'avoir quelque signification secrette,
ainsi ({u'elle estoit soubz le viel Testament. Et de faict, nous
voyons ce qu'a proflité leur doctrine. Car ceux qui la suyvent,
surmontent les Juifz en opinion charnelle du Sabbath : tellement
23 que les reprehensions, que nous avons en lesaie, leur con vien- /esaie /,
droient myeulx, qu'à ceux que le Prophète reprenoit de son ^ ** •
temps.
Le cinquiesme Commandement.
Honore ton père et ta mère, à fin que tes jours soient
30 prolongez sur la terre, laquelle le Seigneur ton Dieu te
donnera.
La fin est : pource que Dieu veut, que l'ordre qu'il a consti-
tué soit entretenu : qu'il nous fault observer les degrez de pré-
éminence comme il les a mis, Pourtant Ifi somme sera : que
loO CHAPITRE m. '
nous poi"tions révérence à ceulx que le Seigneur nous a ordonnez
pour supérieurs : et que nous leur rendions honneur, et obéis-
sance, avec recongnoissance du bien qu'il nous ont faict. De cela
s'ensuyt la deffense, que nous ne desroguions à leur dignité, ne
T par contemnement, ne par contumace, ne par ingratitude : car le
nom d'honneur s'estend ainsi amplement en lEscriture. Comme
quand TApostre dit, que les Prestres, qui président bien, sont
dignes de double honneur : non seulement il parle de la révé-
rence qui leur est deuë : mais aussi de la rémunération que mérite
10 leur labeur. Or pource que ce commandement, lequel nous
assubjectit à noz supérieurs, est fort contraire à la perversité de
nostre nature : laquelle, comme elle crevé d'ambition et orgueil,
ne se soubzmet pas vouluntiers : à ceste cause la supériorité,
laquelle estoit la moins odieuse et plus amvable de toutes, nous
.lo a esté proposée pour exemple : pource qu'elle pouvoit myeulx
fleschir et amollir noz cœurs à se soubzmettre en obéissance. Par
quoy le Seigneur, petit à petit, par la subjection qui est la plus
doulce et la plus facile à porter, nous accoustume à toutes sub-
jections : pource que c'est une mesme raison. Car quand il donne
20 prééminence à quelqu'un, entant que mestier est pour la conser-
ver, il luy communicque son Nom. Les tiltres de Père, de Dieu,
et Seigneur, luy sont tellement propres : que quand il en est
faicte mention, il fault que nostre coeur soit touché de la recon-
gnoissance de sa Majesté. Pourtant quand il en fait les hommes
asparticipans, il levir donne comme quelque estincelle de sa clarté :
à fin de les anoblir, et les rendre honorables selon leur degré,
Parquoy en celui qui est nommé Père, il fault recongnoistre
quelque honneur divin : veu qu'il ne porte point le tiltre de
Dieu sans cause. Pareillement celuy qui est Prince ou Sei-
3ogneur : communique aucunement à l'honneur de Dieu. Par-
quoy il ne fault doubter, que le Seigneur ne constitue icy
une reigle universelle. C'est, que selon que nous congnois-
sons un chascun nous estre ordonné de Dieu pour supérieur :
que nous luy portions honneur, révérence, et amour : et que
35 nous luy facions les services qu'il nous sera possible. Et
ne fault point regarder si noz supérieurs sont dignes de
cest honneur, ou non. Car quelquonques qu'ilz soient ilz ne
sont point venuz sans la volunté de Dieu en ce degré : à
cause duquel nostre Seigneur nous commande les honorer.
DE LA LOY.
151
Toutesfois noniméement il nous commande de révérer noz
parens, qui nous ont engendrez en ceste vie : ce que nature mesme
nous doibt enseigner. Car tous ceulx qui violent Tauctorité pater-
nelle, ou par mespris, ou par rébellion : sont Monstres et non
5 pas hommes. Pourtant nostre Seigneur commande de mettre à
mort tous ceulx qui sont desobeyssans à père et à mère : et ce à
bonne cause. Car puis qu'ilzne recongnoissent point ceulx, par
le moyen desquelz ilz sont venuz en ceste vie : ilz sont certes
indignes de vivre. Or il appert par j)lusieurs passages de la Loy,
10 ce que nous avons dict estre vray : à scavoir, que l'honneur, dont
il est icv parlé, a trois parties, révérence, obeyssance, et amour
procédant de la recongnoyssance des biensfaictz. La première .
est commandée de Dieu, quand il commande de mettre à mort E.rod. •>•>.
celuv, qui aura detracté de père et de mère . Car en cela il punit Lcvi. 20.
15 tout contemnement et mespris. La seconde en ce qu'il a ordonné Pmv. 20.
que l'enfant rebelle et desobeyssant fust aussi mis à mort. La
troysiesme est approuvée en ce que dit Jésus Christ au lo de
Sainct Matthieu que c'est du commandement de Dieu, de servir
et bien l'aire à noz parens. Toutesfois et qualités que Sainct Paul /-Jpiie. 6 .
2u fait mention de ce précepte, il nous exhorte à obeyssance , ce qui Col. 3.
appartient à la seconde partie.
La promesse est quant et quant adjoustée, pour plus grande
recommendation : à fin de nous admonester, combien ceste sub-
jection est aggreable à Dieu. Car Sainct Paul nous incite par cest
23 aguillon : quand il dit, que ce précepte est le premier avec pro-
messe. Car la promesse, que nous avons eu cy dessus en la
première Table, n'estoit pas spéciale à un précepte seulement :
mais s'estendoit à toute la Loy. Quand est de l'intelligence de
ceste-cy, elle est telle : C'est que le Seigneur parloit propre-
:io ment aux Israélites, de la terre qu'il leur avoit promise en
héritage. Si donc la possession de ceste terre estoit une arre
de la bénignité de Dieu : il ne nous fault esmerveiller. s'il
leur a voulu testifier sa grâce, en leur promettant longue
vie : par laquelle ilz pouvoient plus longuement jouyr de son
33 bénéfice. C'est donc comme s'il disoit : Honore père et mère:
à fin qu'en vivant longuement tu puisse jouyr plus long
temps de la terre : laquelle te sera pour tesmoignage de ma
grâce. Au reste, pource que toute la terre est benicte aux
fidèles : à bon droict nous mettons la vie présente entre
152 CHAPITRE III.
les bénédictions de Dieu. Parquoy, entant que la longue vie
nous est argument de la benevolence de Dieu sur nous : ceste
promesse aiissi nous appartient. Car la longue vie ne nous
est point promesse : comme elle n'a point esté promise aux
ojuit'z. pource qu'elle -contienne en soy béatitude : mais pource
que c'est aux justes une enseigne delà bonté de Dieu. S'il advient
donc, que quelque enfant bien obeyssant k [sles parens trespasse
en sa jeunesse (comme souvent il advient) Dieu ne laisse pas de
demeurer constamment en sa promesse : mesmes ne l'accomplit
10 pas moins, que s'il donnoit cent arpens de terre àquelquun,
auquel il en auroit promis deux arpens. Le tout gist en cela, que
la longue vie nous est icy promise, entant qu'elle est bénédiction.
D'avantage quelle est bénédiction de Dieu, entant qu'elle nous
testitîe sa grâce : laquelle il declaire k ses serviteurs cent mil'
13 fois plus en la mort. Aucontraire quand le Seigneur promet sa
bénédiction en la vie présente k ceulx, qui se seront renduz
obeissans k pères et k mères : semblablement il signifie, que sa
malédiction adviendra k tous ceulx qui auront esté desobeissans.
Et k fin que son jugement soit exécuté : il ordonne en sa Loy.
20 qu on en face justice. Et s ilz eschappentde la main des hommes,
en quelque manière que se soit : il en fera la vengeance. Car nous
voyons de ceste manière de gens combien il en meurt, ou en
guerres, ou en noyses, ou en autre faceon : tellement qu on
apperceoit que Dieu y besongne, les faisantz mourir malheureu-
23 sèment. Et si aucuns y en a qui eschappent jusques k la vieil-
lesse : veu qu'estans privez en ceste vie de la bénédiction de
Dieu, ne font que languir, et pour le futeur sont reservez k plus
grand' peine : il s'en fault beaucoup qu'ilz soient participans de
ceste promesse. Pour faire fin, il fault briefment notter, qu'il ne
30 nous est point commandé d'obéir à noz parens, sinon en Dieu :
ce qui n'est point obscur par le fondement que nous avons mis. Ephe. 6.
Car ilz président sur nous, entant que Dieu les a eslevez : leur
communiquant quelque portion de son honneur. Pourtant la
subjection, qui leur est rendue, doibt estre comme un degré,
33 pour nous conduyre k la révérence de Dieu, qui est souverain
Père. Parquoy s ilz nous veullent faire transgresser sa Loy, ce
n'est pas raison que nous les ayons pour pères : mais nous
doibvent estre lors pour estrangers, qui nous veullent destour-
lier de l'obevssançe de iiostre vrav Pepe. Il fault avoir un
DE LA LOY. 153
mesme jug-ement de noz Princes, Seig'neurs, et Supérieurs.
Car ce seroit une chose trop desraisonnable, que leur préé-
minence vausist quelque chose pour ahbaisser la haultesse de
Dieu : veu qu'elle en despend, et la doibt plustost augmenter,
3 que amoindrir : confermer, que violer.
Le sixiesme Commandement.
Tu ii'occiras poinl.
La fin est : d'autant que Dieu a conjoinct en unité tout le g-enre
humain : que le salut et la conservation de tous doibt estre en
10 reconmiandation à un chascun. Parquoy, en somme, toute vio-
lence et injure et nuysimce, par laquelle le corps de nostre pro-
chain est blessé, nous est interdicte. De là novis fault venir au
connnandement : c'est, (|ue si nous pouvons ([uelque chose pour
conserver la vie de nostre prochain, il nous y fault fidèlement
15 employer : tant en procurant les choses qui y appartiennent,
qu'en obviant à tout ce qui y est contraire : pareillement s'ilz
sont en quelque danger ou perplexité, de leur ayderet subvenir.
Or s'il nous souvient, que Dieu est le législateur qui parle en
cest endroit : il fault penser, (ju'il donne ceste reigle à nostre
2oame. Car ce seroit chose ridicule, que celuy qui contemple les
pensées du coeur, et s'arreste principalement à icelles : n ins-
truist k vraye justice, que nostre corps. Parquoy l'homicide du
coeur est icy defîendu : et nous est commandée l'alfection inté-
rieure de conserver la vie de nostre prochain. Car combien que
25 la main enfante l'homicide : toutesfois le coeur le conceoit,
quand il est entaché d'ire et de hayne. Reg-arde si tu te
peux courroucer à ton frère, que tu n'appetes de luy nuyre.
Si tu ne te peux courroucer : aussi ne le peux-tu hayr,
que tu n'ayes ce mesme désir : veu que hayne n'est que ire
30 enracinée. Combien que tu dissimules, et tasches par cou-
vertures obliques d'eschapper : il est certain, que hayne et
ire ne peuvent estre sans cupidité de mal faire. Si tu veux
encores tergiverser : desja il a esté prononcé par le Sainct
Esprit : que tout homme qui hayt son frère en son coeur,
35 est homicide. Il est prononcé par la bouche de Christ : I .Jean 9.
que celuy qui hayt son frère, est coulpable de jugement ,* Qui Matth, o,
154 CIIAPlTRf] III.
monstre signe de courroux, est coulpable destre condamné
par tout le Consistoire : Quiconques luy dit injure, est coul-
pable de la Géhenne du feu. L'Escriture note deux raisons,
sur lesquelles est fondé ce précepte. C'est, que l'homme est
■ï image de Dieu : puis aussi est nostre chair. Pourtant si nous ne
voulons violer l'image de Dieu : nous ne devons faire aucune
offense à nostre prochain. Et si nous ne voulons renoncer toute
humanité : nous le devons entretenir comme nostre propre chair.
L'exhortation qui se peut tirer pour cela du bénéfice de la redemp-
lotion de Christ, sera traictée aillieurs. Mais le Seigneur a voulu,
que nous considérions naturellement ces deux choses ja dictes
en l'homme : lesquelles nous induisent à luy bien faire : c'est
qu'en un chascun, nous rêverions son image, laquelle y est
imprimée : et aymions nostre propre chair. Parquoy celuy qui
lo s'est abstenu d'efTusion de sang : n'est pas pourtant' innocent du
crime d'homicide. Car quiconques, ou commet par œuvre, ou
s'efforce et estudie, ou conceoit en son cœur aucune chose con-
traire au bien de son prochain, est tenu de Dieu pour homicide.
D'autrepart, sinon que nous nous employons selon nostre
20 faculté, et l'occasion qui nous sera donnée de bien faire à nostre
prochain : par telle cruauté nous transgressons ce précepte. Or
si le Seigneur se soucye tant du salut corporel d'un chascun : de
cela nous pouvons entendre, combien il nous oblige à procurer
le salut des âmes, lesquelles sont sans comparaison plus pre-
25 cieuses devant luy.
Le septiesme Commandement.
Tu ne paillarderas point.
La fin est : Pource que Dieu ayme pureté et chasteté : que
toute immundicité doibt estre loing de nous. La somme donc
3û sera : que nous ne soyons entachez d'aucune ordure ou intem-
pérance de la chair. A quoy respond le précepte afïîrmatif.
C'est que nostre vie en toutes ses actions soit reiglée à chas-
teté et continence. Or il deffend nommément paillardise, à
laquelle tend toute incontinence : à fin que par la turpitude et
sadeshonnesteté, qui est en paillardise, plus visible et appa-
DE LA LOV.
155
rente, entant quelle deshonore nostre corps : il nous rende toute
incontinence abominable. Pource que l'homme a esté créé à ceste
condition, de ne vivre point solitaire : m;iis avoir une ayde sem-
blable à soy. D'avantagée que par la malédiction du péché il a
5 esté encores plus assubjecty à ceste nécessité : d'autant qu'il estoit
expédient, le Seigneur nous a donné remède en cest endroit, en ins-
tituant le mariage : lequel après l'avoir ordonné de son auctorité,
l'a sanctifié de sa bénédiction. Dont il appert, que toute compai-
gnie d'homme et de femme, hors mariage, est maudicte devant
10 luv : et que la compaignie de mariage nous est donnée pour remède
de nostre nécessité : k lin que nous ne laschions la bride à notre
concupiscence. Ne nous flattons point donc, quand nous oyons
que l'homme ne peut cohabiter avec la femme hors mariage
.sans la malédiction de Dieu. Or comme ainsi soit, que nous ayons
13 doublement mestier de ce remède : à scavoir tant pour la con-
dition de nostre première nature, (jue pour le vice qui y est sur-
venu : et que de cela nul ne soit excepté, sinon celuy à qui Dieu
a faict particulièrement grâce : qu'un chascun regarde bien ce
qui luy est donné. Car ceux qui n'ont point receu ce don spécial
20 de continence, s'ilz n'usent du remède qui leur est concédé
et ofl'ert, ilz combattent contre Dieu, et re.sistent à son
ordonnance. Et ne fault que quelqu'un objecte icy, ce qu ont
accoustumé plusieurs de faire : que par layde de Dieu il
pourra toutes choses. Car ceste ayde n'est point donnée sinon Paal. 91.
23 à ceux , qui cheminent en leurs voyes : c'est-à-dire en leur
vocation. De laquelle se retirent tous ceux, qui en délais-
sant tous les moyens que Dieu leur baille, veulent, par foie
témérité, surmonter leur nécessité. Le Seigneur prononce
que continence est un don singulier, lequel n'est point donné
:!o indifféremment à toute son Eglise : mais à bien peu de ses
membres. Car il nous propose un certain genre d'homme, lequel
s'est chastré pour le Royaume des Cieux : c'est à dire pour ^f.lt. 19.
vacquer plus librement à servir à la gloire de Dieu. Et à fin
que nul ne pensast , que cela fust en nostre vertu : il avoit
35 auparavant dict, que tous n'en sont point capables, mais
tant seulement ceux, ausquels il est donné du Ciel. Dont il
conclud, que celuy qui en pourra user, en use. Sainct Paul
enseigne de mesme plus clairement quand il dit : Qu'un chas-
cun a receu sa jjropre grâce de Dieu : l'un en une sorte, /. Cor. 7.
156 CHAPITRE III.
l'autre en l'autre. Ornoz Prebstres, Moynes, et Moynesses, lais-
sans ceste considération derrière, se confient bien qu'ilz se
pourront contenir. Et qui leur a révélé, qu'ilz pourront garder
chasteté toute leur vie ; à laquelle ilz s'oblig-ent à tousjours? Hz
5 oyent la sentence de Dieu, touchant la condition universelle des
hommes : c'est, qu'il n'est point bon à l'homme d'estre seul. Hz
entendent (et pleust à Dieu qu'ilz ne le sentissent point; combien
les aiguillons d'incontinence sont aspres en leur chair. De quelle
hardiesse osent-ilz rejetter pour toute leur vie ceste vocation
10 generalle ; veu que le don de continence est le plus souvent
donné à certain temps ; selon que l'opportunité le requiert ? En
telle obstination, qu'ilz n'attendent point que Dieu leur doibve
ayder : mais plustost qu'ilz se souviennent de ce qui estescrit. Tu
ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. Or cela est tenter Dieu,
15 de s'efforcer contre la nature qu il nous a donnée, et contemner
les moyens qu'il nous présente : comme s'ilz ne nous apparte-
n oient de rien. Ce que ceux-cy non seulement font : mais n'ont
point honte d'appeller le mariage pollution : duquel nostre Sei- Gènes. 2.
gneur n'a point pensé l'institution estre indigne de sa Majesté : Hehr. 13.
20 lequel il a prononcé estre honorable en tous: lequelJesus Christ Jean 2.
a sanctifié par sa présence, et honoré par son premier miracle.
Et font cela seulement pour magnifier lestât qu'ilz tiennent, c'est
de s'abstenir de mariage : comme s'il n'apparoissoit point par leur
vie mesme, que c'est bien autre chose d'abstinence de mariage,
23 et de virginité. Etneantmoins ilz sont si effrontez, que d'appeller
leur vie Angélique. Enquoy certes ilz font trop grandinjure aux
Anges de Dieu : ausquelz ilz accomparagent paillardz et adul-
tères, et encores beaucoup pires. Et de faict, il ne fault pas icy
grans argumens : veu qu'ilz sont convaincuz par la vérité . Car
30 nous voyons à l'œil, combien par horribles punitions nostre Sei-
gneur punit une telle arrogance et contemnement de ses dons :
et ay vergongne de descouvrir ce qui est plus occulte, combien
qu'on en scayt trop la moytié : tellement que l'Air en put. Hz
ont une couverture, pour monstrer que les Prebstres ne se
35 doibvent point marier. C'est que s'il a fallu que les Prebstres Le-
vitiques, quand ilz approchoient de l'Autel, ne cohabitassent
pointavec leurs femmes, à fin de faire plus purement leurs sacri-
fices : que ce ne seroit point raison, que les Sacremens de Chres-
tienté, qui sont plus nobles et plus excellens, fussent admi-
DE LA LOY. 157
nistrez par gens mariez. Comme si cestoit un mesme office,
du Ministère Evangelique, et de la Prebstrise Levitique. Aucon-
traire les Prebstres Levitiques representoient la personne de
Jésus Christ : lequel estant Médiateur de Dieu et des hommes,
:; nous devoit reconcilier au Père par sa pureté tresaccomplie .
Or comme ainsi soit, qu'iceux, estans pécheurs, ne peussent
respondre en toute manière à sa saincteté : à (in de la repré-
senter aucunement en fig-ure, il leur estoit commandé de [s]e
purifier oultre la coustume humaine, quand ilz approchoient du
10 Sanctuaire, d'autant que lors proprement ilz portoient la figure
de Christ : en ce que, comme moyenneurs, ilz apparoissoient
devant Dieu, au nom du peuple, au Tabernacle, qui estoit comme
image du Throsne Céleste. Or puis que les pasteurs Ecclesias-
ticques n'ont point cest office et personne : la comparaison n'est
15 point à propoz. Pourtant l'Apostre, sans aucune exception,
afferme que le mariage est honorable entre tous : mais que Dieu
punira les paillardz et adultères . D'avantage ce a esté une Uebr. 13.
grande impudence, qu'ilz ont exigé une telle chasteté pour chose
nécessaire. Enquoy ilz ont faict grand opprobre à l'Eglise an-
20 cienne : laquelle, combien qu'elle ayt esté excellente en pure
doctrine : neantmoins a encores plus fleury en saincteté. Car
que diront-ilz, je vous prie, de tous les Pères anciens : lesquelz
on voit non seulement avoir toléré le mariage entre les Evesques,
mais aussi l'avoir approuvé? Il s'ensuyvroit, qu'ilz ont entre-
25 tenu une prophanation des mystères de Dieu : pviis que, selon
l'opinion de ceux-cy, ilz ne les traictoient point purement. Bien
est vi^ay que ceste matière fust agitée au Concile de Nice : et
(comme il s en trouve tousjours quelques superstitieux, qui
songent quelque resverie nouvelle pour se rendre admirables) il
30 y en avoit qui eussent voulu le mariage estre interdict aux
Prebstres. Mais qu'est-ce qu'il y fust constitué ? C'est, que la
sentence de Paph[nu]tius fust receuë : lequel declaira, que chas-
teté estoit cohabitation de l'homme avec la femme. Parquoy
le sainct mariage demeura en son entier, et ne fust point
3o réputé à deshonneur aux Evesques qui estoient mariez : et ne
jugea-on point que cela tournast à quelque macule au Minis-
. tere. Pareillement les Pères, qui ont esté depuis, excepté
Hierosme, n'ont point detracté si fort de l'honnesteté du
mariage. Nous serons contens d'un tesmoignage de Sainct
158 CHAPITRE m,
Chrisostome : veu qu'il n'est point suspect d'avoir trop favo-
risé au mariag-e : mais au contraire a trop encline à priser
et magnifier la virginité. Or il parle en ceste manière. Le
premier degré de chasteté, est virginité immaculée. Le second,
5 est mariage loyallement gardé. C'est donc une seconde espèce
de virginité, que l'amour du mary et de la femme quand
ilz vivent bien en mariage. Maintenant si les gens mariez
recongnoissent, que leur compagnie est benicte de Dieu :
cela les doibt admonester, de ne la point contaminer par
10 intempérance dissolue. Car combien que l'honnesteté du mariage
couvre la turpitude d'incontinence : ce n'est pas à dire, que
ce en doibve estre une incitation. Pourtant ilz ne doibvent
pas penser que toutes choses leur soient licites : mais un
chascun se doibt tenir sobrement avec sa femme, et la femme
lo mutuellement avec son mary : se gouvernans tellement qu'ilz ne
facent rien contraire à la saincteté du mariage. Car ainsi doibt
estre reiglée, et à telle modestie se doibt réduire l'ordonnance de
Dieu : et nompas se desborder en dissolution. Finalement il
nous fault regarder, quel législateur c'est qui condamne paillar-
20 dise : c'est à scavoir celuy qui nous possède entièrement. Et
pourtant à bon droict requiert de nous intégrité, tant au corps,
qu'en lame, et en l'esprit. Quand donc il deffend de paillarder :
il deffend aussi, ou par habillemens immodestes, ou par gestes
et contenances impudiques ou par villaines parolles , tendre à
25 induire les autres à mal. Car un Philosophe nommé Archelaûs,
ne dist point sans raison à un jeune homme trop délicatement
vestu, que c'estoit tout un, en quelle partie du corps il monstrast
son impudicité. Cela diz-je, ha raison devant Dieu, lequel ha
en abomination toute ordure, en quelque partie qu'elle soit, ou
:!0 de l'ame ou du corps. Et à fin que nul ne double de cela : consi-
dérons que Dieu nous recommande icy chasteté. S'il l'a comman-
dée : il condamne tout ce qui y contrarye. Parquoy, si nous vou-
lons obej'r à ce commandement : il ne fault point que le cœur
brusle intérieurement de mauvaise concupiscence, ou que le
33 regard soit impudique, ou que la face soit ornée, comme pour
macquerellages, ou cpie la langue par villaines parolles attire à
paillardise, ou que la bouche par intempérance en donne matière.
Car tous ces vices sont comme macules, par lesquelles chasteté
et incontinence est entachée, et sa pureté est souillée.
DE LA LOY. Io9
Le huitiesme Commandement.
Tu ne desroberas point.
La fin est, pource que toute injustice est desplaisante à Dieu :
que nous rendions à unchascun ce qui luy appartient. La somme
5 donc sera: qu'il nous deffend de tascher à attirer à nous les
biens dautrm- : et pourtant nous commande de nous employer
fidèlement à conserver le sien à un chascun. Car il nous fault
estimer, que ce qu'un chascun possède ne luy est point advenu par
cas fortuit : mais par la distribution de Dieu : et à ceste raison,
10. qu'on ne peut frauder personne de ses richesses, que la dispensa-
tion de Dieu ne soit violée. Or il y a plusieurs espèces de larre-
cin. L'une gist en violence : quand par force, et quasi par une
manière de briganderie, on voile et pille le bien d'autruy. L'autre
g^ist en fraude et malice : quand cauteleusement on appovrist
15 son prochain, en le trompant et décevant. L'autre en une astuce
encores plus couverte : quand, soubz couleur de droict, on prive
quelqu'un de ses biens. L'autre en flatterie : quand par belles
parolles on attire à soy, ou soubz tiltre de donation, ou autre-
ment, ce qui debvoit appartenir à un autre. Mais pour ne point
20 trop nous arrester k racompter les genres divers : il nous fault
brièvement noter, que tous moyens dont nous usons pour nous
enrichir au dommage d'autruy, quand ils déclinent de la sincérité
Chrestienne, laquelle doibt estre g-ardée en dilection : et se des-
voyent à quelque obliquité d'astuce, ou de toute autre nuysance,
25doibvent estre tenuz pour larrecins. Car, combien que ceulx,
qui y procèdent en telle faceon, souventesfois gaig-nent leur
cause devant le Juge : neantmoins Dieu ne les ha pour autres
que larrons. Car il voit les embusches, que font de loing
les fines gens, pour attrapper les simples en leurs retz : il voit
30 la rig-ueur des exactions que font les plus g-rans aux plus
petitz, pour les fouller : il voit combien sont venimeuses les
flatteries, dont usent ceux qui veullent emmieller quelqu'un
pour le tromper : lesquelles choses ne viennent point à con-
gnoissance des hommes. D'avantage la transgression de ce
35 précepte ne gist pas seulement en cela : quand on faict tort
à quelqu'un en son argent, en marchandise, ou possession :
160 CHAPITRE 111.
mais aussi en cjiielque droict que ce soit. Car nous fraudons
nostre prochain de son bien, si nous luy desnions les offices,
ausquelz nous luj sommes tenuz, Parquoy si un Receveur,
ou Metaier, ou Fermier, au lieu de veiller sur le bien de son
omaistre, vit en oysiveté, sans se soucyer de procurer le bien
de celuy qui le nourrit : s il dissipe mal ce qui luy est com-
mis, ou en abuse en superfluité : si un serviteur se mocque
de son maistre, s'il divulgue ses secretz, s'il machine rien
contre son bien, ou sa renommée, ou sa vie : si dautrepart
10 le maistre traicte inhumainement sa famille : c'est larrecin
devant Dieu. Car celuy qui ne s'acquicte point envers les autres
du debvoir que porte sa vocation, retient ce qui appartient à
autruy. Nous obeyrons donc au commandement : si, estans con-
tens de nostre condition, nous ne taschons à faire gain, sinon
15 que honeste et légitime : si novis n'appelons point d'enrichir, en
faisant tort à nostre prochain : si nous ne machinons point de le
destruire, pour attirer à nous son bien : si nous ne mettons
point nostre estude à assembler richesses du sang de la sueur
d'autruy : si nous n'attirons point deçà et delà à tort, et à travers
20 tout ce qu'il est possible, pour remplir nostre avarice, ou des-
pendre en superfluité. Mais aucontraire, si nous avons tousjours
ce but d'ayder à un chascun, tant que nous pouvons, de nostre
conseil, et de nostre substance, à conserver le sien. Et s'iladvient
que nous ayons à faire avec meschans gens et trompeurs : que
25 nous soyons prestz plustost de quicter du nostre, que de com-
batre avec eulx par mesme malice. Et non seuUement cela :
mais quand nous verrons aucuns en povreté nous commu-
niquions à leur indigence, et soulagions leur nécessité par
nostre abondance . Finalement qu'un chascun regarde en quoy
30 il est obligé du debvoir de son office envers les autres, à fin
de s'en acquitter loyaument. Par ceste raison, l'honneur que
porte le peuple à ses supérieurs, se soubzmettant à eux de bon
cœur, obéissant à leurs loix et commandemens, ne refusant
rien qu il puisse faire sans offenser Dieu. Dautrepart que les
35 siiperieurs ayent soing et sollicitude de gouverner leur peuple,
de conserver la paix partout, deffendre les bons, chas^tier
les mauvais , et gouverner, comme ayantz à rendre compte
de leur office à Dieu souverain Juge. Que les Ministres
Ecclésiastiques administrent fidèlement la parolle de Dieu, ne
bË LÀ Lov. 164
corrompantz point la doctrine de salut, mais conservant/, la
pureté d'icelle. Et que non seulement ilz instruisent le peuple
en bonne doctrine : mais aussi en exemple de vie. Brief qu'ilz
président comme bons pasteurs sur les brebis : D'autrepart
3 que le peuple les receoive pour mcssagiers et Apostres de
Dieu : leur rendant l'honneur que nostre Seigneur leur attri-
bue, et leur donnant à vivre : Que les parens s'emploient à
nourrir, instruire, et g-ouverner leurs enfans, comme leur
estans commis de Dieu, ne les traictantz point trop rigoreuse-
10 ment, pour leur faire perdre courage : mais les entretiennent en
douceur et bénignité convenable à leur personne : comme il a
esté dict que mutuellement les enfans leur doibvent révérence et
subjection : Item, Que les jeunes portent honneur aux vielles
gens, comme nostre Seigneur a voulu cest eage là estre honno-
13 rable : et aussi que les Anciens taschent de dresser les jeunes par
leur prudence, ne les traictantz point par trop grande rigueur,
mais usantz d'une gravité tempérée avec douceur et facilité :
Que les serviteurs se rendent serviables à leurs maistres, et dili-
gens à leur complaire : et non point seuUement à l'œil : mais
20 aussi de cœur comme servantz à Dieu. Que les maistres aussi ne
se rendent point trop difficiles et intraictables à leurs serviteurs :
les oppi'imantz de trop grande rigueur, ou les traictantz con-
tumelieusement : mais plustost qu'ilz les recongnoissent pour
frères et leurs compaignons au service de Dieu : à lin de les
2o entretenir humainement. Qu'en ceste manière donc un chas-
cun repute ce qu'il doibt a ses prochains, en son ordre et
degré : et leur rende ce qu'il leur doibt. D'avantage il fault
que tousjours nostre memoyre soit dressée au législateur :
à fin qu'il nous souvienne, que ceste reigle n'est pas moins
:jo ordonnée au corps, qu'à l'ame : à ce qu'un chascun appbque
sa volunté à conserver et advancer le bien et utilité de tous
hommes.
Le neufiesme Commandement.
Tu ne seras point faulx tesmoing contre Ion prochain.
Institution. Il
162 CHAPITRE m.
La fin est : pource que Dieu, qui est vérité, ha mensonge en
exécration : qu'il nous fault garder a érité sans feintise. La somme
donc sera, que nous ne blessions la renommée de personne par
calumnies ou faulx rapportz : ou que nous le grevions en sa
5 substance. Brief. que nous ne facions tort à personne : ny en
médisant, ni en nous mocquant. A ceste deffense respond le
précepte affirmatif : que nous aydions un chascun fidèlement à
maintenir la vérité: soit pour conserver son bien, ou sa renom-
mée. Il appert que nostre Seigneur a voulu exposer le sens de ce
10 précepte au 23. chapitre d'Exode, Disant, Tu ne maintiendras
parolle de mensonge et ne te conjoyndras à porter faulx tesmoi-
gnage pour le mensonge. Item. Tu fuyras tous mensonges. Et
en un autre lieu, non seulement il nous detTend d'estre rappor- Levi. 19.
teurs, détracteurs, et medisans : mais aussi de decepvoir nostre
15 frère : car il parle de lun et l'autre nomméement. Certes il n'y
a doubte, que, comme cy dessus il a voulu corriger cruauté,
impudicité, et avarice : aussi qu'il veult icy reprimer fausseté:
laquelle est comprise en ces deux parties, que nous avons dictes.
Car ou en médisant nous blessons la renommée de nostre pro-
20 chain : ou par mensonges et paroUes obliques nous empeschons
son proffit. Or il ne peut challoir, si on entend icy serment solen-
nel, qui se fait en jugement : ou qui se fait en parolles privées :
car il fault tousjours là revenir : que d'un chascun genre de
vices, nostre Seigneur nous propose une espèce pour exemple :
i., à laquelle il fault apporter toutes les autres. D'avantage qu'il
chovsist celle, en laquelle il apparoist plus de turpitude. Combien
que j'avme myeulx prendre ce commandement en gênerai : d'au-
tant que faulx tesmoignage en justice n'est jamais sans parjure.
Or du parjure il en a esté parlé en la première Table. Mainte-
30 nant nous vovons, que, pour bien observer ce précepte, il fault
que nous facions servir nostre bouche à nostre prochain en véri-
té : tant pour luy conserver son estime, que son proffit. L'équité
est bien évidente. Car si bonne renommée est plus précieuse que
thresor quelconque : on ne fait point moindre tort à l'homme,
3oen luv ostant sa bonne estime, qu'en le despouillant de sa sub-
stance. D'autrepart on fait aucunesfois plus de dommage au
prochain par mensonge, que par larrecin. Xeantmoins c'est
merveilles, comment on ne se soucye point d'offenser en cest
endroit. Car il y en a bien peu qui ne soient entaschez bien
DE LA LOV. 163
fort de ce vice : comme tout le monde est enclin à espelu-
cher et descouvrir les vices d'autruy. Et ne fault penser,
que ce soit excuse vaillable, si nous ne mentons point : car
celuv qui deffend de diffamer le prochain en mentant, veult
5 que son estime soit conservée, entant qu'il se peut faire avec
vérité. Car combien quil ne deffende sinon de la blesser par
mensonge : toutesfois en cela il signifie qu'il l'ha en recom-
mendation. Or il nous doibt bien suffire, quand nous vovons
que nostre Seigneur prent ceste solicitude, que nostre pro-
lochain ne soit point diffamé. Parquoy toute detraction est icv
condamnée sans doubte. Par detraction, nous entendons, non
point reprehension qui se fait pour corriger l'homme : non
point accusation judiciaire, qui se fait pour remédier aux vices :
non point correction publique, qui se fait de quelqu'un pour
li donner crainte aux autres: non point advertissement, qu'on
fait de la meschanceté d'un homme à ceux ausquelz il est expé-
dient de la congnoistre, à fin de n'en estre point abusez : mais
injure odieuse, laquelle se fait de mauvais vouloir, ou de cupi-
dité de mesdire. D'avantage ce précepte s'estend jusques là,
20 que nous n'affections point une plai.santerie d'honnesteté, et
une grâce de brocarder et mordre, en riant les uns et les autres :
comme font aucuns, qui se baignent, quand ilz peuvent faire ver-
gongne à quelqu'un. Car par telle intempérance souventesfois
quelque marque demeure sur l'homme qu'on a ainsi noté. Main-
2.) tenant si nous considérons le législateur, lequel ne doibt pas
moins dominer sur les aureilles et sur les cœurs, que sur les
langues : nous congnoistrons qu'icy la cupidité d'ouyr les détrac-
teurs, et la promptitude de leur prester l'aureille, et de croyre
legicrement à leurs mauvais rapportz, n'est pas moins deffendue,
30 que de detracter. Car ce seroit une mocquerie, de dire que Dieu
hayst le vice de malefîcence en la langue : et qu'il ne reprouvast
point la malignité du cœur. Pourtant si nous portons vraye
crainte et amour à Dieu : mettons peine, tant qu'il est possible
et expédient, et entant que la charité requiert, de ne point accom-
3omoder, ne les aureilles, ne la langue, à blasme, detraction, ou
broucardise : de ne donner point facilement lieu en nostre cœur
à mauvaises suspicions : mais prenantz en bonne part les faictz
et dictzde tout le monde, conservons en toute manière l'honneur
à un chascun.
164 CHAPITRE m.
Le dixiesme Commandement.
Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, et ne
désireras point sa femme, ne son serviteur, ne sa cham-
brière, ne son beuf, ne son asne, ne nulle des choses qui
5 sont à luy.
La fin est : Pource que Dieu veult que toute nostre ame soit
remplie et possédée d'afTection de charité : qu'il fault jetter hors
de nostre cœur toute cupidité contraire. La somme donc sera,
qu'il ne nous vienne aucune pensée en l'entendement, pour
10 esmouvoir nostre cœur à concupiscence : laquelle emporte nuy-
sance ou détriment à nostre prochain. A quoy respond d'autre-
part le précepte affirmatif. C'est, que quelque chose que nous
concevions, délibérions, ou appetions, ou poursuivions : que cela
soit conjoinct avec le bien et utilité de nostre prochain. Mais il y
15 a icy une grande difficulté. Car si ce que nous avons dict par cy
devant est vray : que nostre Seigneur, en delTendant paillardise
et larrecin, par cela deffendoit impudicité, et tout vouloir de
nuyre, tromper, et desrober : il sembleroit advis estre superflu,
de maintenant interdire séparément la concupiscence des biens
2od'autruy. Toutesfois nous pourrons souldre ceste question, en
considérant quelle différence il y a entre conseil et concupis-
cience. Car nous appelions conseil, un propoz délibéré de la
volunté : quand le cœur de l'homme est vaincu et subjugué par
la tentation. Concupiscence peut estre sans telle délibération
25 ou consentement : quand le cœur est seulement chatouillé et
picqué de commettre quelque meschanceté. Parquoy, comme
cy dessus, le Seigneur a voulu, que les voluntez, entre-
prinses, et œuvres de l'homme fussent modérées selon la
reigle de charité : ainsi maintenant il veult, que les pensées de
30 l'entendement y soient aussi rapportées : à ce qu'il n'y en
ayt nulle qui incite au contraire. Comme auparavant il a
deffendu, que le cœur ne fust induit à ire, hayne, paillardise,
rapine, mensonge : ainsi à présent il deffend, qu'il n'y soit
provoqué ou esmeu. Et n'est pas sans cause, qu'il requiert une
33 si grande droiture. Car, qui est-ce qui nyera que ce ne
DE LA LOY. 165
soit raison que toutes les vertuz de l'a me soient applic-
quées à charité ? Et si aucune en est destournée, qui est-ce
qui nyera qu'elle ne soit vicieuse ? Or, dont vient cela, que
quelque cupidité dommageuse à Ion prochain entre en ton
5 entendement ; sinon d'avitant, qu'en neglig^eant les autres, tu
cherches seulement ton protTict ? Car si tout ton cœur estoit
occupé de charité : nulle telle imagination n'y auroit entrée. Il
fault donc dire, qu'il est vuide de charité, entant qu'il receoit
telles concupiscences. Quelqu'un objectera, qu'il n'est pas toutes-
10 lois convenable que les phantasies, qui voltigent au cerveau, et
après s'esvanouyssent, soient condamnées pour concupiscences :
lesquelles ont leur siège dedens le cœur. Je respondz, qu'il est
icy question des phantasies. lesquelles non seulement passent au
travers du cerveau : mais aussi poignent le cœur de concupis-
iscence: veu que jamais nous ne concevons en la pensée quelque
désir ou souhayt, que le cœur n'en soit touché et emflambé.
Nostre Seigneur donc commande une merveilleuse ardeur de
charité : laquelle il ne veult estre empeschée de la moindre con-
cupiscence du monde. 11 requiert un cœur merveilleusement
20 tempéré : lequel il ne veult estre aucunement picqué d'un seul
aiguillon contre la loy de charité. Sainct Augustin m'a faict
ouverture à entendre ce précepte : à fin qu il ne semble à quel-
qu'un que je soye seul en mon opinion. Or combien que l'inten-
tion de Dieu a esté, de delFendre toute mauvaise cupidité :
25neantmoins il amis pour exemple les objectz, qui ont accous-
tumé le plus souvent de nous attirer et décevoir. Enquoy faisant,
il ne permet rien à la cupidité de l'homme quand il la retire des
choses, esquelles elle est principalement enclinée. Nous avons
maintenant la seconde Table de la Loy : laquelle nous admoneste
30 amplement de ce que nous debvons aux hommes pour l'amour
de Dieu : sur lequel est fondée la charité. Parquoy on
auroit beau inculquer les choses qui sont enseignées en ceste
seconde Table : sinon que telle doctrine fust premièrement
appuyée sur la crainte et révérence de Dieu, comme sur son fon-
35 dément.
Il ne sera pas maintenant difficile à juger, quel est le but
de la Loy : à scavoir une justice parfaicte, à ce que la vie de
l'homme soit conformée à la pureté de Dieu, comme à un
patron. Car nostre Seigneur a tellement depeinct sa nature
166 CHAPITHK m.
en la Loy, que si quelqu'un accomplissoit ce qui est com-
mandé , il representeroit en sa vie limage de Dieu . Pour-
tant Moyse , voulant sommairement reduyre en mémoire au Deui. 20.
peuple d'Israël ses commandemens : Et qu'est-ce Israël (disoit-
5 il) que te commande ton Dieu : sinon que tu le craig-nes et
chemines en ses voyes ? que tu l'aymes ; et que tu le serves
en tout ton cœur; de toute ton ame ; et garde ses commande-
mens ? Et ne cessoit de leur repeter cela toutesfois et quantes
qu'il vouloit remonstrer la fin de la Loy. Voylà donc à quoy
10 regarde la doctrine de la Loy : c'est de conjoyndre 1 homme
par saincteté de vie à son Dieu : et comme Moyse dit en Deu. II.
un autre lieu, le faire adhérer avec luy. Or l'acomplissement
de ceste saincteté gist en ces deux articles : que nous armions
le Seigneur Dieu de tout nostre cœur, de toute nostre ame, et Mal. 22.
15 de toutez noz forces : en après nostre prochain comme nous-
mesmes. Le premier donc est, que nostre ame soit entièrement
remplie de la charité de Dieu. De là après s'ensuyvra la dilec- l.Timo.l
tion de nostre prochain. C'est ce qu'entend l'Apostre, quand il
dit, que la fin des commandemens est charité, de conscience
20 pure, et foy non faincte. Nous \oyons comment la bonne cons-
cience et la Foy, c'est à dire en un mot la pieté et crainte de
Dieu, est mise au dessus, comme au chef: et delà après est des-
duicte charité. Ce seroit donc folie, de penser que la Loy n'en-
seignast sinon quelque petiz rudimens de justice, pour introduire
2 ■ seulement les hommes à un commencement : et nompas pour
les conduire en parfaicte voye : veu que nous ne scaurions
désirer une plus grande perfection, que celle qui est comprinse
en la sentence de Moyse, et celle de Sainct Paul. Car où voudra
tendre celuy. qui ne sera point content de l'instruction ; par
30 laquelle l'homme est dressé et formé à la crainte de Dieu; au
service spirituel de sa majesté ; à l'obeyssance des commande-
mens ; à la droicture de Dieu ; et de sa voye ; finalement à
pureté de conscience ; syncerité de foy ; et dilection ? Par laquelle
raison est confermée l'exposition que nous avons mise, en rédui-
ts sant aux commandemens de la Loy tout ce qui est requis à piété
et charité. Car ceulx qui s'arrestent à je ne scay quelz elemens,
comme si elle n'enseignoit qu'à demy la volunté de Dieu, ne
tiennent point bien la fin d icelle, comme dit l'Apostre.
Toutesfois pource que Christ et ses Apostres aucunesfois
HE LA l,OV. I(>7
en recitant la somme de la Loy, ne font nulle mention de la pre-
mière Table : il fault que nous touchions un mot de cela ; à
cause que plusieurs si abusent, refferans les parolles k toute la
Loy, lesquelles sont dictes de la moitié. Christ en Sainct Mathieu Mut .2'i .
3 dit. que le principal de la Loy, gist en miséricorde, jug^ement,
et Foy. Par ce mot de Foy. il n'y a doubte qu'il ne signifie
vérité. Neantmoins pour estendre cette sentence à la Loy uni-
verselle, aucuns prennent le mot de Foy, pour relig-ion. Ce qui
est frivole : car Christ parle là des œuvres par lesquelles
10 l'homme doibt faire apparoistre sa justice. Si nous observons
ceste raison, il ne nous sera point de merveille, pourquoy en un
autre lieu, estant interrogué, quelz sont les commandemens
qu il fault observer pour entrer en la vie éternelle : il respond,
que [c]e sont ceulx qui s'ensuyvent. Tu ne tueras point. Tu ne
13 paillarderas point. Tu ne desroberas point. Tu ne diras point V.//. 19.
faulx tesmovguag-e. Tu honoreras père et mère. Tu aymeras ton
prochain comme toymesme. Car l'observation de la première
Table estoit située ou en l'affection intérieure du cœur ou en
cérémonies. Lall'ection du cœur n'apparoissoit point. Les hypo-
2ocrites observoient les cérémonies plus diligemment que tous
autres. Ce sont donc les œuvres de charité, qui rendent plus
certain tesmoignage de la justice. Mais quelqu'un demandera, s'il
y a plus grand'importance, pour obtenir justice, de vivre bien et
loyaument entre les hommes, que de craindre Dieu, et l'honorer
25 par pieté ? A cela je respondz que non. Mais pource que nul ne
peut facilement garder charité du tout, que premièrement il ne
craigne Dieu : Les œuvres de charité font approbation mesme
de la pieté de l'homme. D'avantage, comme ainsi soit que
Dieu ne puisse recevoir aucun bien faict de nous, comme il dit
30 par son Prophète : il ne requiert point que nous nous employons Psal. 16.
à luy faire du bien : mais il nous exerce en bonnes œuvres
envers nostre prochain. Parquoy ce n'est point sans cause , que Ephe. I .
Sainct Paul constitue toute la perfection du fidèle en charité. Rom. 13.
Et en autre passage, il l'appelle l'accomplissement de la Loy :
33 disant que celuy qui ayme son prochain, a accomply la Loy.
Puis après dit, qu'elle est entièrement comprinse soubz ce mot . Gai. 3.
Tu aymeras ton prochain comme toymesme. Car il n'enseigne
rien d'avantage, que ce que dit le Seigneur en ceste sentence ;
Tout ce que vous voulez que vous facent les hommes, faictes
168 CHAPITRE ni.
leur : car en cela g-ist la Loy et les Prophètes. Il est certain, que
tant la Loy que les Prophètes, donnent le premier lieu à la Foy, Matih.S.
et à la révérence du nom de Dieu : puis après recommandent la
dilection envers le prochain. Mais le Seigneur entend, que là il
5 nous est seulement commandé d'observer droicture et équité
envers les hommes, pour testifier la crainte de Dieu, si elle est
en nous. Arrestons nous donc à ce point : que lors nostre vie
sera bien ordonnée à la Aolunté de Dieu, et au commande-
ment de la Loy si elle est profTitable en toute manière à noz
10 frères. Au contraire en toute la Loy on ne lit point ime seule
syllabe, qui donne reig-le à l'homme de ce qu'il doibve faire ou
laisser pour son profïît. Et certes puis que les hommes, de leur
naturel, sont trop plus enclins à s'aymer qu'il ne seroit de mes-
tier : il ne failloit ja leur donner commandement pour les
15 enflamber à cest amour qui de soymesme excedoit mesure. Dont
il est évident, que non point Tamour de nousmesmes, mais de
Dieu, et de nostre prochain, est l'observation des commande-
mens. Et pourtant, que cestuy-là vit tresbien, qui le moins qu'il
luy est possible vit à soymesme : D'autrepart que nul ne vit
20 plus desordonnéement, que celuy qui vit à soy, et ne pense qu'à
son proffit. Mesmes le Seigneur, à tîn de myeux exprimer, quelle
affection d'amour nous debvons à nostre prochain, nous renvoyé
à l'amour de nous mesmes : et nous le propose pour reigle et
patron. Ce qui est diligemment à considérer. Car il ne fault point
25 prendre ceste similitude, comme d'aucuns Sophistes : qui ont
pensé qu'il commandoit à chascun de s'aymer en premier lieu,
puis après son prochain. Mais plutost il a voulu transférer aux
autres l'amour que nous attirons à nous. Parquoy l'Apostre dit, I. Cor. 13.
que charité ne cherche point son proftît particulier. Et ne vault
30 pas un festu la raison qu ilz allèguent : c'est que la reigle précède
la chose, qui est compassée à icelle. Or il est ainsi, disent-ilz,
que nostre Seigneur compassé la charité de nostre prochain à
l'amour de nous mesmes. Je respons, que nostre Seigneur ne
constitue point cest amour de nous mesmes comme une reigle,
35 à laquelle soit reduicte la dilection de nostre prochain, comme
inférieure. Mais au lieu que de nostre perversité naturelle nostre
amour reposoit en nous, il monstre qu'il fault quelle s'espande
aillieurs : à fin que nous ne soyons point moins prestz à bien faire
aux autres qu'a nous mesmes ,
DE LA LOY. 169
Oultreplus, puis que soubz le nom de prochain lesus Christ,
en hi parabole du Samaritain, a monstre que le plus estrange Luc 10.
du monde est contenu : il ne nous t'ault restreindre le pré-
cepte de dilection à ceux, qui ont quelque alliance ou affinité
5 avec nous. Je ne nye point, que d'autant qu'un chascun nous est
plus conjoinct, nous ne luy debvions ayder plus familièrement.
Car la reigle d'humanité porte cela, que d'autant que nous
sommes conjoinctz de plus prochains liens, ou de parentag-e, ou
d'amytié, ou de voysinage : que nous ayons d'autant plus à faire
10 les uns aux autres : et cela sans offenser Dieu, duquel la provi-
dence nous meine à ainsi faire. Mais je diz ce pendant, qu'il nous
fault embrasser en affection de charité tous hommes générale-
ment, sans en excepter un, sans faire différence entre le Grec et
le Barbare, sans reg^arder s'ilz en sont dij:çnes ou indignes, s'ilz
13 sont amis ou ennemis ; car il les fault considérer en Dieu : non
pas en eulx mesmes : Duquel regard quand nous nous destour-
nons : ce n'est point merveille, si nous tombons en plusieurs
erreurs. Pourtant si nous voulons tenir la droite voye de dilec-
tion, il ne nous fault point jetter l'œil sur les hommes : desquelz
20 la considération nous contraindroyt le plus souvent à les hayr
qu'à les aymer. Mais il nous fault regarder Dieu : lequel nous
commande d'estendre lamour, que nous luy portons, envers tous
hommes : Tellement que nous ayons tousjours ce fondement.
Quel que soit l'homme, il nous le fault toutesfois aymer, si nous
25 aymons Dieu. Parquoy ce a esté une ignorance, ou malice per-
nitieuse, que les docteurs scholastiques, des commandemens que
nostre Seigneur a baillez, de ne point appeter vengeance, et
d'aymer noz ennemis, en ont faict des simples conseilz : aus-
quelz ils disent qu'il est libre d'obtempérer, ou ne point obtem-
soperer. Et ont dict, qu'il n'y avoit que les Moynes, qvii fussent
subjectz à les tenir nécessairement : ausquels ilz ont attribué
une justice plus parfaicte qu'aux Chrestiens à cause qu'ilz s'obli-
geoient de garder les conseilz tlvangeliques, comme ilz les
appellent. Hz allèguent la raison, pourquoy ilz ne le receoyvent
35 point pour préceptes. C'est à cause qu'ilz sont trop griefz et
difficiles : mesmes au Chrestiens, qui sont soubz la loy de grâce.
Mais est-ce ainsi qu'ilz osent abolir la Loy de Dieu éternelle ;
touchant d'aymer le prochain ? Pourra-on trouver une telle dif-
férence en toute l'Escriture ; et non plustost le contraire ;
170 CHAPITKE in.
à scavoir plusieurs comniandemens, qui nous «^njoyno^nent
estroictement d'aymer noz ennemis ? Car, qu'est-ce que veult Prov. 2S.
dire cela ; que nous debvons repaistre nostre ennemy quand il Exod. 23.
aura fain ? que nous debvons redresser en la voye son beuf et son
3asne quand ilz seront esg-arez ? et que nous les devons relever ;
silzsont tomlîez soul^z quelques fardeaulx ? Ferons nous bien aux
bestes de noz ennemis ; en ne leur portant nul amour ? Ouoy ? Dent. 32.
Nest-ce pas une parolle éternelle de Dieu ; qu'à luy seul appar-
tient la vengeance ; et qu il rendra à un chascun ce qui luy
10 appartient. Ce qui est dict plus expressément en un autre lieu :
Tu ne chercheras point vengeance : et ne te souviendra point Levi. 19.
des injures que t'auront faict tes prochains. Ou qu'ilz effacent
ces articles de la Foy : ou quilz confessent, qu'il a voulu estre
Législateur ou commandant cela, et non point un conseiller,
li comme ilz songent. D'avantage que veulent dire ces parolles,
quilz ont dépravées par une sotte glose ? Aymez vos ennemis,
dit nostre Seigneur : faictes bien à ceux qui vous hayssent, priez
pour ceux qui vous persécutent, dictes bien de ceux qui vous
detractent, à fin que vous soyez enfans de vostre père, qui est
20 au ciel. Qui est-ce qui ne pourra conclurre avec Chrysostome
que dune cause si nécessaire ; il appert que ce ne sont point
exhortations : mais préceptes ? Qu'est-ce qu'il nous reste plus ;
si nostre Seigneur nous efface du nombre de ses enfans ?
Selon l'opinion de ces Rabbins, il n y aura que les Moynes, qui
2"< soient enfans de Dieu : qui osent invoquer Dieu pour leur
père. Que deviendra ce pendant l'Eglise ? Par ceste raison elle
sera renvoyée avec les Payens et Publicains. Car nostre Sei-
gneur dit consequemment ; Si vous aymez seulement vos enne-
mys ; quelle grâce en attendez vous? Les Payens et Publicains
30 en font bien autant. Nous serons donc bien arrivez, d'avoir
le tiltre de chrestiens ; et que l'héritage céleste nous soit
osté. Pourtant telle manière de gens se monstrent bien estre
enfans de Sathan : quand il rejectent ainsi hardiment le joug,
qui est commune tous enfans de Dieu. Et de faict, je ne scay
35 si je me doibz plus esmerveiller de leur bestise. ou impu-
dence, en ce quilz ont publié ceste doctrine. Car il n'y a nul
des anciens, qui ne prononce sans doubte, comme d'une chose
résolue, que ic]e sont tous préceptes. Mesmes on voit bien
que du temps de Sainct Grégoire on n'en doul)toit point :
M-: LA LOV
171
veii que, sans en faire difficulté, ilz les compte pour préceptes.
Mais voyons combien ilz arguent folement. Ce seroit, disent-
ilz, un fardeau trop grief aux Chrestiens. Comme s'il se pou-
voit rien imaginer plus grief, que d'aymer Dieu de tout nostre
">ca'ur, de toute nostre ame, et de toutes noz forces. Au pris de
ce commandement, il n'y a rien qui ne soit facile : soit qu'il
faille aymer nostre ennemy, soit qu'il faille nous démettre
de toute cupidité de vengeance. Certes tout ce (jui est en la Loy,
jusques au moindre poinct, est hault et difficile à nostre imbe-
10 cilité : il n'y a que Dieu seul, par lequel nous cheminions ver-
tueusement, (|u'il donne de faire ch' cju'il connnande : et qu il
commande ce qu'il vouldra. Ce quilz allèguent, que les Chres-
tiens sont soubz la Loy de grâce, cela n'est [)as à dire quilz
doibvent cheminer desordonnement, comme à bride avallée :
limais c'est qu'ilz sont inserez en (Christ ; par la grâce duquel ilz
sont libres de la malédiction de la Loy : et par l'esprit duquel
ilz ont la Loy escrite en leurs C(eurs. Sainct Paul appelle
ceste grâce, loy. improprement : voulant retenir la simili-
tude qu'il avoit prinse, accomparant 1 une avec l'autre. Ces
îofolastres, sans propoz, prennent un grand mystère en ce mot de
Loy.
Il y a autant de j)ropoz à ce qu'ilz ont dict du péché originel :
appellantz péché originel, tant l'inqDieté cachée contre Dieu,
laquelle contrevient à la première Table de la Loy : comme la
25 transgression évidente du dernier commandement. Car ceste est
leur deffinition, que, péché originel est cupidité mauvaise, sans
consentement délibéré : laquelle ne repose point long temps
dedens le cœur. Or je diz au contraire, que nulle mauvaise cupi-
dité ne peut entrer dedens le cœur : sinon en deffault de ce qui
30 est requis en la Loy. Il nous est detTendu, d'avoir des Dieux
estranges. Quand l'ame, tentée de deffiance, regarde cà et là, et
vacille : quand elle est esmeuë de chercher sa béatitude aillieurs
qu'en Dieu : Dont viennent ces mouvemens, quelc[ues legiers
qu'ilz soient : sinon qu'il y a quelque chose vuide en lame ;
3o pour recevoir telles tentations ? Et à fin qu'il ne faille point
longuement argumenter : il nous est commandé d'aymer Dieu
de tout nostre cœur, de toute nostre ame, et de toute nostre
pensée. Parquoy si toutes les forces et parties de l'ame ne sont
appliquées à l'amour de Dieu : nous déclinons de l'obeyssance
172 CHAPITRE III.
de la Loy. Car quand les tentations, qui sont ennemies et
contraires au Règne de Dieu, ont quelque vigueur à nous
esbranler, ou mettre le moindre empeschement du monde
en nostre pensée, à ce que Dieu ne soit entièrement obey.
5 et sa volunté observée sans aucun contredict : C'est signe
que son règne n'est pas bien confermé en nostre conscience.
D'avantage nous avons monstre, que le dernier commande-
ment se réfère proprement à cela Y a-il donc quelque mau-
vais désir qui nous ayt picqué le cœur ? Desja nous sommes
lotenuz coulpables de concupiscence : et par conséquent trans-
gresseurs de la Loy. Car le Seigneur non seulement a defîendu
de délibérer et machiner ce qui est au détriment du prochain :
mais aussi destre stimulé ou emflambé d'aucune concupis-
cence. Or. où il y a transgression de la Loy, là est apprestée
15 malédiction de Dieu. Il ne fault point donc que nous exemp-
tions de condemnation de mort les moindres concupiscences
qui puissent estre. Je voudroye que telles gens reputassent, que
c'est que veult dire ceste parolle de Christ ; que celuv qui
aura transgressé l'un des plus petis commandemens, et aura
20 ainsi enseigné les hommes, ne sera en nulle estime au Royaume .
des cieulx. Ne sont-ilz pas de ce nombre là ; quand ilz osent
tellement exténuer la transgression de la Loy ; comme si elle
n'estoit pas digne de mort? Mais ilz debvoient considérer, nompas
seulement ce qui est commandé : mais qui est celuy qui com-
as mande. Car il n'y a si petite transgression, en laquelle on ne
derogue à son auctorité. Est ce peu de chose, à leur opinion?
que la majesté de Dieu soit violée en quekjue endroit ? D'avan-
tage, si le Seigneur a declairé en la Loy sa volunté : tout ce qui
contrevient à la Loy luy deplaist. Et pensent-ilz que l'ire de Dieu
30 soit si foyble et desarmée : que la vengeance ne s'en ensuyve
incontinent ? Et de faict, il l'a assez declairé, s'ilz se pouvoient
renger à escouter sa voix, plustost que par leurs subtilitez frivoles
obscurcir sa vérité. L'ame, dit-il, laquelle aura péché, mourra Ezec 11
de mort. Item, Le loyer de péché, c'est mort. Ceulx-cy, confes- Rom. 6.
35 santz concupiscence estre péché, pource qu'ilz ne le peuvent
nyer : maintiennent toutesfois que ce n'est point péché mortel.
Puis qu'ilz ont si longuement tenu bon en leur folie : pour le
moins qu'ilz s'amendent maintenant. Que s'ilz veulent tous-
jours persévérer en leur obstination : que les enfans de Dieu
DE LA LOY, 173
les laissent là, et recongnoissent que tout péché est mortel :
veu que c'est rébellion contre la volunté de Dieu, laquelle
nécessairement provocque son ire : veu que c'est transgres-
sion de la Loy, sur laquelle est dénoncée la mort eter-
■ïnelle, sans exception aucune. Touchant des péchez, que
commettent les sainctz et fidèles, ilz sont bien venielz :
mais c'est de la miséricorde de Dieu, et non point de leur
nature.
De ce que nous avons arresté ex dessus, que la Loy nous
ii^instruict en perfection de justice, il s'ensuyt pareillement, que
l'observation entière de la Loy, est entière justice devant Dieu :
par laquelle l'homme puisse estre réputé juste devant son
Throsne céleste. Pourtant Moyse, ayant publié la Loy, ne fait
point de doubte d'appeller en tesmoing le Ciel et la Terre, qu'il Dent. 30.
lîa proposé au peuple d'Israël la vie et la mort, le bien et le mal.
Et ne pouvons contredire, que l'obeyssance entière de la Loy ne
soit rémunérée de la vie éternelle: comme le Seigneur l'a promis.
Toutesfois il nous fault d'autrepart considérer, à scavoir si nous
accomplissons telle obeyssance : de laquelle nous puissions con-
20 cevoir quelque confiance de salut. Car, dequoy sert-il, d'entendre,
qu'en obeyssant à la Loy on peut attendre le loyer de la vie éter-
nelle ; si quant et quant nous ne congnoyssons, que par ce moyen
nous pouvons parvenir à salut ? Or en cest endroit se demonstre
l'imbécillité de la Loy. Car d'autant que ceste obeyssance n'est
2=) trouvée en nul de nous : par cela estans excluds des promesses
de vie, nous tombons en malédiction éternelle. Je ne diz pas
seulement ce qui ce fait : mais ce qui est nécessaire qu'il advienne.
Car comme ainsi soit, que la doctrine de la Loy surmonte de
beaucoup la faculté des hommes : nous pouvons bien de loing
30 regarder les promesses qui y sont données : mais nous n'en pou-
vons recevoir aucun fruict. Pourtant il ne nous en revient rien,
sinon que par cela nous voyons d'autant myeulx nostre misère :
entant que toute espérance de salut nous est ostée, et la mort
révélée. D'autre costé se présentent les horribles menaces qui
3=) y sont mises ; lesquelles ne pressent pas aucuns de nous : mais
tous généralement. Elles nous pressent donc, et d'une sévé-
rité inexorable nous poursuyvent tellement que nous vovons
une certaine malédiction en la Loy. Pourtant si nous ne regar-
dons que la Loy : nous ne pouvons autre chose, que perdre
174 CHAPITRE m.
du tout courage, estre confuz. et nous désespérer : veu qu'en
icelle nous sommes tous mauldictz et condamnez : et n'y a
celuy de nous, qui ne soit forclos de la béatitude promise à ceulx
qui lobservent. (Quelqu'un demandera, si Dieu se délecte à
3 nous tromper. Car il semble bien advis que c'est une mocque-
rie, de monstrer quelque espérance de félicité à l'homme,
lappeller et exhorter à icelle, promettre qu'elle luy est appa-
reillée : et ce pendant que l'accez soit fermé. Je respondz, que,
combien que les promesses de la Loy, d'autant qu'elles sont
10 conditionnelles, ne doibvent point estre accomplies, sinon
à ceulx qui auront accomply toute justice (ce qui ne se trouve
entre les hommes) toutesfois quelles n'ont point esté don-
nées en vain. Car aprez que nous avons entendu, quelles
n'ont point de lieu ne efficace envers nous, sinon que Dieu
13 par sa bonté gratuite nous receoive, sans aucun esgard de noz
œuvres : et aussi que nous avons receu par Foy icelle bonté
laquelle il nous présente par son Evangile : Ces mesmes pro-
messes, avec leur condition, ne sont point vaines. Car lors le
Seisrneur nous donne o^ratuitement toutes choses : en telle sorte
20 que sa bénignité s'estend jusques k ce poinct, de ne rejetter pas
nostre obéissance imparfaicte : mais en nous remettant et par-
donnant ce qui y delTault, l'accepter pour bonne et entière : et
par conséquent nous faire recevoir le fruict des promesses légales,
comme si leur condition estoit accomplie. Mais d'autant que
23ceste question sera plus pleinement traictée, quand nous parle-
rons de la justification de la Foy : je ne la veulx point pour main-
tenant poursuyvre pjus oultre. Ce que nous avons dict, l'obser-
vation de la Loy estre impossible : il nous le fault plus briefve-
ment expliquer et confermer. Car il semble advis, que [cje soit
30 une sentence fort absurde : tellement que sainct Hyerosme n'a
point faict dou])te de la condamner pour meschante. Touchant
de la raison qui la meu k ce faire, je ne m'en soucye : il nous
doibt souffire d'entendre la vérité. Je ne feray point icy grandes
distinctions des manières de possibilité. J'appelle impossible, ce
35 qui n"a jamais esté veu, et est ordonné par la sentence de Dieu,
que jamais ne sera. Quand nous regarderons depuis le commen-
cement du monde: je diz qu'il n'y a eu nul de tous les Sainctz,
lequel estant en ceste prison de corps mortel, ayt eu une dilec-
tion si parfaicte, jusques k aymer Dieu de tout son cœur, de toute
DE LA I.OY. 175
son urne, et de toute sa vertu. Je diz davantage, qu il n v en a eu
nul, qui n ayt esté entaché de quelque concupiscence. Qui con-
tredira à cela? Je voiz bien quel/. Sainctz imag'ine la .superstition :
c'est à scavoir dune telle pureté, qu'à grand'peine les Anges du
5 ciel soient semblables : mais cela repug^ne, tant à l'Escriture,
qu'à l'expérience. Je diz encores plus, qu il n y en aura jamais,
qui vienne jusques à un tel but de perfection : jusques à ce qu'il
soit délivré de son corps. Ce qui est prouvé de plusieurs evidens
tesmoygnag;es de l'Escriture. Salonion disoit, en dédiant le l.lloi/. S.
10 Temple, qu'il n'y a homme sur la terre qui ne pèche. David dit,
que nul des vivans ne sera justifié devant Dieu. Ceste sentence Psa/. / 4."^.
est souvent répétée au livre de Job. Sainct Paul l'afTerme plus (ialal.o.
clairement que tous les autres. La chair, dit-il, convoyte
contre l'esprit, et l'esprit contre la chair. Et ne prend autre rai-
lïson, pour prouver que tous ceulx. qui sont soubz la Loy, sont GaLtl. i.
mauldictz : sinon pource qu'il est escrit, que tous ceulx qui ne
demeureront point en 1 obéissance des commantlemens seront
mauldictz. En quoy il signifie, ou plustost met comme une chose
résolue : que nul n'y peut demeurer. Or tout ce qui est predict
20 en l'Escriture, il le fault avoir pour éternel : et mesmes pour
nécessaire. Les Pelagiens molestoient Sainct Augustin de ceste
subtilité. Luy, pour éviter leur calumnie, confessoit que le Sei-
g'ueur pourroit bien, s'il vouloit, exalter un homme mortel en
perfection Angélique : mais que jamais ne l'avoit faict, et ne
25 le feroit point à 1 advenir : pource qu'il a dict du contraire. Je
ne contrediz point à ceste sentence : mais j'adjou.ste, qu il n'y a
nul pi'opoz de disputer de la puissance de Dieu contre sa vérité.
Et pourtant je diz, que ceste sentence ne se peut caviller : si
quelqu'un dit estre impossible, que les choses adviennent,
30 lesquelles nostre Seig-nem* a dénoncé qu'elles n'adviendront
point. Mais encores si on dispute du mot : Jésus Christ, Mat/. 61 .
estant interrogué de ses disciples, qui pourroit estre sauvé ,
respond. que cela est impossible aux hommes : mais à Dieu
que toutes choses sont possibles. Sainct Augustin monstre par
io bonnes raisons, que jamais nous ne rendons en la vie présente
l'amour à Dieu que nous luy debvons. L'amour, dit-il, procède
tellement de la congnoissance : que nul ne peut parfaicte-
ment aymer Dieu, qu'il n'ayt cong^neu premièrement sa bonté.
Or ce pendant que nous sommes en ce pelerinag"e terrien , I. Cor. 13.
176 CHAPITRE 111.
nous ne la voyons sinon obscurément, et comme en un miroir :
il s'ensuvt donc, que l'amour que nous luy portons est impar-
faict. Que nous ayons donc cela pour certain, que l'accom-
plissement de la Loy nous est impossible, ce pendant que
5 nous conversons en ce monde, comme il sera demonstré ail-
lieurs par Sainct Paul.
Mais à fin que le tout s'entende plus clairement : recueillons
en un sommaire l'office et l'usage de la Loy : duquel, selon que
je puis juger, il y a troys parties. La première est, qu'en
10 demonstrant la justice de Dieu, c'est à dire celle qui luy est
aggreable : elle admoneste un chascun de son injustice, et l'en
rend certain, jusques à l'en convaincre et condamner. Car il est
besoingque l'homme, lequel est autrement aveuglé et enyvré en
l'amour de soymesme : soit contrainct à congnoystre et confes-
laser, tant son imbecilité, que son impurité. Si la vanité n'est
redaro-uée à l'œil : il est enflé d'une folle oultrecuydance de ses
forces : et ne peut estre induict à recongnoystre la foiblesse et pe-
titesse d'icelles, quand il les mesure à sa phantasie. Mais quand
il les esprouve à e[xejcuter la Loy de Dieu, par la difficulté
20 qu'il y trouve, il ha occasion d'abbatre son orgueil. Car quelque
grande opinion qu'il en ayt conceu au paravant. il sent lors
combien elles sont grevées d'un si pesant fardeau : jusques à
chanceler, vaciller, decheoir, et finalement du tout deffaillir.
Ainsi l'homme, estant instruict de la doctrine de la Loy, est
2b retiré de son oultrecuydance, dont il est plain de sa nature. Il a
aussi besoingd' estre purgé de l'autre vice d'arrogance, dont nous
avons parlé. Car ce pendant qu'il s'arreste à son jugement, il
foro-e, au lieu de vraye justice, une hypochrisie : en laquelle se
complaisant il s'enorguillit, contre la grâce de Dieu, soubz
3i'umbre je ne scay quelles observations inventées de sa teste.
Mais quand il est contrainct d'examiner sa vie selon la balance
de la Loy de Dieu : laissant sa phantaisie, qu'il avoit conceuë,
de ceste faulse justice, il voit qu'il est esloigné à merveilles de la
vraye saincteté : et au contraire qu'il est plain de vices, desquelz
35 il se pensoit estre pur au paravant. Car les concupiscences sont
si cachées et entortillées, que facilement elles trompent la veuë
de l'homme. Et n'est point sans cause que l'Apostre dit, qu il
n'a sceu que c'estoit de concupiscence, sinon que la Loy luy dist : Rom. 7
Tu ne convoiteras point. Car si elle n'est descouverte par la Loy,
DE LA LOV. 177
et tirée hors de ses cachettes : elle meurtrit le malheureux
homme, sans ce qu'il en sente rien. Pourtant la Loy est comme
un miroir, auquel nous contemplons, premièrement nostre foy-
blesse, en après 1 iniquité qui procède d'icelle. Finalement la
5 malédiction qui est faicte des deux : comme nous appercevons
en un miroir les taches de nostre visage. Car celuy, auquel def-
fault toute faculté à justement vivre, ne peut autre chose faire,
que demeurer en la houë de péché. Après le péché, s'ensuit malé-
diction. Parquoy d autant que la Loy nous convainct de plus
10 grande transgression ; d'autant elle nous monstre plusdamnables,
et dignes de plus grand'peine. C'est ce qu'entend l'Apostre,
quand il dit, que par la Loy vient la congnoissance du péché.
Car il note là le premier office d'icelle : lequel se monstre aux
pécheurs, qui ne sont point régénérez. A un mesme sens rtomn. 3.
11 reviennent aussi ces sentences : que la Loy est survenue, à lin ^^ '•
d'augmenter le péché : et pourtant qu'elle est administration de
mort, laquelle produyt l'ire de Dieu, et nous meurtrit. Car il 2.Ci>r.:i.
n'y a nulle doubte, que d'autant plus que la conscience est tou-
chée de près de l'intelligence de son péché, l'iniquité croist quant
20 et quant : veu qu avec la transgression lors est conjoincte la
rébellion à l'encontre du Législateur. Il reste donc, qu'elle arme
la vengeance de Dieu en la ruyne du pécheur : d autant qu'elle
ne peut sinon accuser, condamner, et perdre. Et, comme dit
Sainct Augustin, si l'Esprit de grâce est osté : la Loy ne proffîte
2.Ï d'autre chose que d'accuser et occire. Or en disant cela, on ne
fait nulle injure à la Loy, et ne desrogue on rien à son excel-
lence. Certes si nostre volunté estoit du tout fondée et reiglée
en l'obeyssance d'icelle : il nous suffiroit de congnoistre sa doc-
trine pour nostre salut. Mais comme ainsi soit, que nostre
30 nature, comme elle est corrumpuë et charnelle, soit directement
répugnante à la Loy spirituelle de Dieu, et ne se puisse corriger
par la discipline d'icelle : il s'ensuyt, que la Loy, qui avoit esté
donnée à salut, si elle eust esté bien receuë, nous tourne en occa-
sion de péché et de mort. Car puis que nous sommes tous con-
35 vaincuz d'estre transgresseurs d'icelle : d'autant plus qu'elle nous
révèle la justice de Dieu, d'autre costé elle descouvre nostre ini-
quité : d'autant plus qu'elle nous certifie du loyer préparé à la jus-
tice : elle nous asseure pareillement de la confusion préparée aux
iniques. Parquoy tant s'en fault, qu'en ees propoz nous facions
Institution. 12
478 CHAPITRE HT.
quelque injure à la Lo}' : que nous ne scaurions myeulx
recommander la bonté de Dieu. Car par cela il appert, que
nostre seule perversité nous erapesche d'obtenir la béatitude
éternelle, laquelle nous estoit présentée en la Loy. Par cela nous
savons matière de prendre plus grande faveur à la grâce de
Dieu, laquelle nous subvient au detTault de la Loy : et aymer
davantage sa miséricorde, par laquelle ceste grâce nous est con-
férée : entant que nous voyons qu'il ne se lasse jamais en nous
bien faisant, et adjouste tousjours bénéfice sur bénéfice. Or ce
10 que nostre iniquité et condemnation est convaincue, et signée
par le tesmoignage de la Loy : cela ne se fait point à fin que
nous tombions en desespoir, et ayantz du tout perdu courage,
nous abandonnions en ruyne : car cela n'adviendra point, si nous
en faisons bien nostre proffict. Bien est vray, que les meschans se
13 desconfortent en ceste faceon ; Mais cela advient de l'obstina-
tion de leur cœur. Mais il fault que les enfans de Dieu viennent
à autre fin : c'est, d'entendre ce que dit Sainct Paul : lequel
confesse bien , que nous sommes tous condamnez par la Loy, à Roma. 3.
fin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit rendu
20 redevable à Dieu. Encores en un autre lieu il enseigne, que
Dieu a tout encloz soubz incrédulité , non pas pour perdre, ou Rom. il.
mesmes pour laisser périr : mais à fin de faire miséricorde à
tous : à scavoirque se demettans de toute vaine estime de leur
vertu, ilz recongnoissent, qu'ilz ne sont soustenus, sinon de sa
25 main. D'avantage qu'estans du tout vuydes et desnuez : ilz
recourent à sa miséricorde, se reposantz entièrement en icelle,
se cachantz soubz l'umbre d'icelle, la prenantz seule pour justice
et mérite, comme elle est exposée en Jésus Christ, à tous ceux
qui la cherchent, désirent, et attendent par vraye Foy. Car le
30 Seigneur n'apparoist point en la Loy rémunérateur sinon de
parfaicte justice de laquelle nous sommes tous despourveuz.
Aucontraire se monstre severe exécuteur des peines deuës à noz
faultes. Mais en Christ sa face nous reluist pleine de grâce et
de doulceur : combien que nous soyons povres pécheurs et indi-
35gnes. Quant est de l'instruction, que nous devons prendre en la
Loy, pour nous faire implorer l'ayde de Dieu, Sainct Augus-
tin en parle souvent : comme quand il dit : La Loy com-
mande, à fin que nous estantz efforcez de faire ses commande-
mens, et succombans par nostre infirmité, nous apprenions
DE LA LOV. 179
dimplorer l'ayde de Dieu. Item', L'utilité de la Loy est,
de convaincre l'homme de son infirmité, et le contreindre de
requérir la médecine de grâce, laquelle est en Christ. Item,
La Loy commande : la g^race donne force de bien faire. Item,
5 Dieu commande ce que nous ne pouvons faire : à fin que
nous scachions ce que nous luy devons demander. Touchant
du second profllt, il ne le declaire pas si expressément : pos-
sible à cause qu'il pensoit que l'un se pourroit entendre par
l'autre : ou bien qu'il n'en estoit pas si résolu. Or combien
10 que l'utilité, dont nous avons parlé, convient proprement aux
enfans de Dieu : toutesfois elle est commune aux reprouvez.
Car combien qu'ilz ne viennent point jusques à ce poinct,
comme font les fidèles, d'estre confuz selon la chair, pour
recevoir vigueur spirituelle en l'Esprit, mais deffaillent du tout
15 en estounement et desespoir : neantmoins cela est bon pour
manifester l'équité du jugement de Dieu, que leurs consciences
soient agitées de tel torment. Car, tant qu'il leur est possible,
ilz taschent tousjours de tergiverser contre le jugement de Dieu.
Maintenant combien que le jugement de Dieu ne soit point
20 manifeste : neantmoins par le tesmoignage de la Loy, et de leur
conscience, ilz sont tellement abbatuz, qu'ilz demonstrent ce
qu'ilz ont mérité.
Le second office de la Loy est, à ce que ceux qui ne sesoucyent
de bien faire que par contraincte, en oyant les terribles menaces
25 qui y sont contenues : pour le moins, par crainte de punition,
soient retirez de leur meschanceté. Or ilz en sont retirez, non pas
que leur cœur soit intérieurement esmeu ou touché : mais seule-
ment ilz sont estrainctz, comme d'une bride, pour ne point exé-
cuter leurs mauvaises cupiditez : lesquelles autrement ilz accom-
3opliroient en licence desbordée. Par cela ilz ne sont de rien plus
justes ne meilleurs devant Dieu. Car combien qu'ilz soient rete-
nuz par crainte ou par honte, tellement qu'ilz n'osent pas exé-
cuter ce qu'ilz ont conceu en leur cœur, et ne jettent hors la rage
de leur intempérance : neantmoins ilz n'ont point le cœur rengé
35 à la crainte et obeyssance de Dieu. Mais plustost, d'autant plus
qu'ilz se retiennent, ilz sont d'autant plus emflambez et eschauf-
fez en leur concupiscence : estans prestz de commettre toute vile-
nie et turpitude, sinon que l'horreur de la Loy les restrainct. Et
non seulement le cœur demeure tousjours mauvais : mais aussi
180 CHAflTRE III.
ilz hayssent mortellement la Loy de Dieu : et d'autant que
Dieu en est autheur. ilz l'ont en exécration. Tellement que s'il
leur estoit possible, ilz l'abolyroient voluntiers : veu quilz
ne le peuvent endurer, commandant ce qui est bon, et sainct,
set droict, et se vengeant des contempteurs de sa majesté.
Geste afîection se monstre plus apertement en d'aucuns, aux
autres elle est plus cachée : neantmoins elle est en tous ceux
qui ne sont point régénérez. C'est qu'ils sont induictz à se soubz-
mectre tellement quellement à la Loy ; non pas d'un franc vou-
10 loir : mais par contreincte, et avec grande resistence ; et n'y a
autre chose qui les y astreigne, sinon quilz craignent la rigueur
de Dieu. Neantmoins ceste justice, contreincte et forcée, est
nécessaire à la communauté des hommes : à la tranquillité de
laquelle nostre Seigneur pourvoit, quand il empesche que toutes
15 choses ne soient renversées en confusion. Ce qui seroit. si
tout estoit permis à un chascun. D'avantage il n'est point inu-
tile aux enfans de Dieu, d'estre regiz, par ceste doctrine puérile,
du temps qu'ilz n'ont point encores l'Esprit de Dieu, mais vivent
selon la folie de leur chair : comme aucunesfois il advient, que
20 nostre Seigneur ne se révèle point du premier coup à ses fidèles :
mais les laisse cheminer quelque temps en ignorance, devant
que les appeller. Car lors, estans restreinctz de toute dissolution
par ceste terreur servile, combien qu'ilz ne proflitent pas beau-
coup présentement, veu que leur cœur n'est encores dompté ne
25 subjugué ; neantmoins ilz s'accoustument ainsi petit à petit à
porter le joug de nostre Seigneur : à fin que quand il les aura
appeliez, ilz ne soient du tout rudes à se soubzmettre à ses com-
raandemens, comme à une chose nouvelle et incongneuë. Il est
vray semblable, que l'Apostre a voulu toucher cest office de
30 la Loy : en disant qu elle n'est point donnée pour les justes ;
mais pour les injustes, et rebelles, infidèles et pécheurs, mes-
chans, et polluz, meurtriers de leurs parens, homicides, paillardz,
larrons, menteurs, et parjures, et entachez de telz vices, qui
contreviennent à saine doctrine. Car il monstre en cela, que la
35 Loy est comme une bride, pour refréner les concupiscences de
la chair : lesquelles autrement se desborderoient sans mesure.
Le troysiesme usage, qui est le principal, et proprement ap-
partient à la iîn, pour laquelle elle a esté donnée, ha lieu entre
les fidèles : au cœur desquelz l'Esprit de Dieu ha desja son
DF LA I.OY. ISI
Règne et sa vigueur. Car, combien qu'ilz ayent la Loy escrite
en leurs cœurs du doigt de Dieu : c'est à dire, combien qu'ilz
ayent ceste alfoclion, par la conduite du Sainct Esprit, qu'ilz
désirent d'obtempérer à Dieu, toutesfois ilz proflitent encores
5 doublement en la Loy. Car ce leur est un tresbon instrument,
pour leur faire myeulx et plus certainement de jour en jour
entendre, quelle est la volunté de Dieu, à laquelle ilz aspirent :
et les confermer en la congnoissance dicelle. Comme un
serviteur, combien qu'il soit délibéré en son cœur de servir
10 bien à son maistre, et luy conq)laire bien du tout : toutes-
fois il a besoing de congnoistre familièrement et bien consi-
dérer ses meurs et conditions, à fin de s'y accommoder. Et
ne se doibt personne de nous exempter de ceste nécessité.
Car nul n'est encores parvenu à telle sagesse, qu'il ne puisse,
15 par la doctrine quotidienne de la Loy, s'advancer de jour en
jour, et proffiter en plus claire intelligence de la volunté de
Dieu. D'avantage pource que nous n'avons pas seulement
mestier de doctrine, mais aussi d'exhortation : le serviteur
de Dieu prendra ceste utilité de la Loy, que par fréquente
20 méditation dicelle, il sera incité en l'obeyssance de Dieii, et en
icelle confermé, et retiré de ses faultes. Car il fault qu'en ceste
manière les sainctz se solicitent eulx mesmes : à cause que
quelque promptitude qu'ilz ayent de s appliquer à bien faire,
neantmoins ilz sont tousjours retardez de la paresse et pesanteur
2, de leur chair : tellement qu ilz ne font jamais pleinement leur
debvoir. A ceste chair la Loy est comme un fouet, pour la chas-
ser à l'œuvre : comme un asne lequel ne veult tirer avant, si
on ne frappe assiduellement dessus. Ou, pour parler plus
clairement, puis que 1 homme spirituel n'est point encores
:io délivré du fardeau de sa chair : la Loy luy sera un aguillon
perpétuel, pour ne le laisser point endormir ny appesantir. En
cest usage regardoit David, quand il celebroit la Loy de Dieu
de si grandes louënges : comme quand il dit : La Loy de Dieu Psal. 19.
est immaculée, convertissant les âmes : Les commandemens
33 de Dieu sont droictz, resjom'ssans les coeurs, etc. Item. Ta
parolle est une lampe à mes piedz, et clarté pour dresser mes
voyes : et tout ce qui s'ensuyt au mesme Psalme . Et ne Psal. 1 19.
répugne rien cela aux sentences de Sainct Paul cy dessus allé-
guées : où il est monstre, non pas quelle utilité apporte la
182 CHAPITRE m.
Lo}' à l'homme fidèle, et desja régénéré : mais ce qu'elle peut
de soymesme apporter à l'homme. Aucontraire le Prophète
monstre avec quel proffit nostre Seigneur instruit ses servi-
teurs en la doctrine de sa Loy : quand il leur inspire inte-
5rieurement le courage de la suyvre. Aucuns ignorans, ne
pouvans discerner ceste différence, rejectent témérairement
Moyse, et veulent que la Loy soit là laissée : pource qu'ilz
ne pensent point que ce soit chose convenable aux Chrestiens,
de s'arrester à une doctrine, laquelle contient en soy admi-
10 nistration de mort. Ceste opinion doibt estre loing de nous : veu
que Moyse a tresbien declairé, que la Loy, combien qu'en
l'homme pécheur elle ne puisse qu'engendrer mort, toutesfois
elle apporte bien une autre utilité et proffit aux fidèles. Car
estant prochain de la mort, il fist ceste protestation devant le
15 peuple : Retenez bien en vostre mémoire et vostre cœur les
parolles que je vous testifie aujourd'huy :.à fin de les enseigner Deu. 32.
à voz enfans, et les instruire à garder, et faire toutes les choses,
qui sont escrites en ce livre. Car ce n'est point en vain qu'elles
vous sont commandées : mais à fin que vous viviez en icelles.
20 Et de faict si nul ne peut nyer, qu'en la Loy il n'y ayt comme
une image entière de parfaicte justice : ou ilfauldra dire que nous
ne devons avoir nulle reigle de bien vivre : ou qu il nous fault
tenir à icelle. Car il n'y a point plusieurs reigles de bien vivre ;
mais une seule, qui est perpétuelle et immuable. Pourtant ce que
25 dit David, que l'homme juste médite jour et nuict en la Loy, ne Psal. I.
doibt estre rapporté à un siècle : mais convient à tous eages
jusques en la fin du monde. Et ne fault point que cela nous
estonne, qu'elle requiert une plus parfaicte saincteté, que nous
ne pouvons avoir, ce pendant que nous sommes en la prison de
30 nostre corps : tellement que pour cela nous quiclions sa doctrine.
Car quand nous sommes soubz la grâce de Dieu : elle n'exerce
point sa rigueur, pour nous presser jusques au bout : tellement
que ce ne soit point satisfaict, sinon que nous accomplissions tout
ce qu'elle dit. Mais en nous exhortant à la perfection où elle nous
35 appelle : elle nous monstre le but, auquel nous devons tendre
toute nostre vie. Auquel si nous ne laissons point de tendre, c'est
assez. Car toute ceste vie est comme une course : de laquelle
quand nous viendrons à la fin : le Seigneur nous fera ce bien, que
nous parviendrons à ce but, lequel nous poursuyvons maintenant :
DF LA LOY.
183
combien que nous en soyons encore loing-.
Maintenant donc, à cause que la Loy sert d'exhortation aux
lîdeles. non pas pour lier leurs consciences en malédiction •
mais pour les resveiller de paresse, en les sollicitant, et chastier
5 leur imperfection : aucuns, voulantz signifier ceste délivrance de
la malédiction d'icelle, disent que la Loy est abroguée et cassée
aux fidèles, nompas qu'elle ne leur doibve tousjours commander
ce qui est bon et sainct : mais d'autant qu'elle ne leur est plus
ce qu'elle estoit au paravant : c'est à dire, qu'elle ne confond
10 point leurs consciences de terreur de mort. VA de faict, Sainct
Paul demonstre bien clairement une telle abi-ogation de la Loy.
D'avantage il appert, qu'elle a esté preschée de Jésus Christ : Mal. o.
veu qu'il se delfend, de ne vouloir point destruyre ne dissiper la
Loy : ce qu'il n'eust faict, sinon qu'on l'en eust accusé. Or ceste
15 opinion ne fust point venue en avant sans aucune couleur. Pour-
tant il est vray semblable, qu'elle estoit procedée d'une faulse
exposition de sa doctrine : comme tous erreurs quasi prennent
leur occasion de vérité. Or à fin que nous ne tombions en cest
inconvénient, il nous fault diligemment distinguer ce qui est
20 abrogué en la Loy, et ce qui y demeure encores ferme . Quand
le Seigneur Jésus dit, qu'il n'est point venu pour abolir la Loy, Làmesme.
mais pour l'accomplir ; et qu'il n'y en passera une seule lettre,
jusques à tant que Ciel et Terre seront, que tout ce qui y est escrit
ne se face : en cela il monstre, que par son advenement, la reve-
asrence et obéissance de la Loy n'est en rien diminuée. Et ce à
bonne cause : veu qu'il est venu pour donner remède aux trans-
gressions d'icelle. La doctrine donc de la Loy n'est en rien vio-
lée par Jésus Christ ; qu'elle ne nous dresse à toute bonne
œuvre, en nous enseignant, admonestant, reprenant, et chastiant.
30 Touchant ce que Sainct Paul dit, de la malédiction, cela n'ap-
partient point à l'office d'instruire : mais de estreindre et capti-
ver les consciences. Car la Loy, quant à sa nature, non seule-
ment enseigne : mais requiert estroictement ce qu'elle com-
mande. Si on ne le faict, et mesme si on n'en vient à bout
35 jusques au dernier poinct, elle jette incontinent la sentence hor-
rible de malédiction. Par ceste raison l'Apostre dit, que tous
ceux qui sont soubz la Loy, sont mauldictz : d'autant qu'il est
escrit : Mauldictz seront tous ceux, qui n'accompliront tout ce
qui est commandé. Consequemment il dit, que tous ceux-là
184 CHAPITRE 111.
sont soubz la Loy, qui n'establissent point leur justice en
la remission des péchez : laquelle nous délivre de la rigueur
de la LoY. Il nous fault donc sortir de ces lyens, si nous
ne voulons misérablement périr en captivité. Mais de quelz
ôlvens? de ceste rig-oreuse exaction, de laquelle elle nous pour-
suyt sans rieii remettre, et sans laisser une seule faulte
impunye. Pour nous racheter de ceste malheureuse malédic-
tion. Christ a esté faict mauldict pour nous : comme il est
escrit . Mauldict sera celuy qui pendra au boys. Au cha- Gai. S. eti.
10 pitre suyvant Sainct Paul dit, que Christ a esté assubjecty à
la Loy, pour racheter ceux qui estoient en la servitude d'icelle.
Mais il adjouste quant et quant, à fin que nous jouyssons
du previlege d'adoption, pour estre enfans de Dieu. Qu'est-ce
à dire cela ? C'est, que nous ne fussions point tousjours enser-
15 rez en captivité : laquelle tinst noz consciences liées en angoisse
de mort. Neantmoins cela demeure tousjours ce pendant, que
lauthorité de la Loy n'est en rien enfreinte, que nous ne la
debvions tousjours recevoir en mesme honneur et révérence.
Il y a un peu plus de difficulté en un autre lieu , qui est en Coloss. 2.
20 l'Epistre aux Colossiens. Du temps que vous estiez mors en voz
péchez, et au prépuce de vostre chair, Dieu vous a viAifiez avec
Christ : vous pardonnant toutes voz faultes, effaceant l'obligé
des decretz, qui estoit à l'encontre de vous, et vous estoit con-
traire, et fichant à la croix, etc. Car il semble advis, qu'il veuille
23 estendre plus oultre l'abrogation de la Loy : tellement que ses
decretz ne nous appartiennent plus de rien. Aucuns prennent
cela seulement de la loy morale : de laquelle neantmoins ilz
exposent que la sévérité trop rigoreuse a esté abolie non pas la
doctrine. Les autres, considerantz de plus près les paroUes de
30 Sainct Paul vo^-ent bien que cela proprement compete à la Loy
ceremoniale : et monstrent que Sainct Paul a accoustumé d'user
de ce mot de decretz, quand il en parle. Car aux Ephesiens il Ephe. 2.
dit ainsi : Jésus Christ est nostre paix, lequel nous a conjoinctz
ensemble, abolissant la loy des ordonnances, laquelle gist en
35 decretz, etc. Il n'y a nulle doubte, que ce propoz ne se doibve
entendre des cérémonies. Car il dit que ceste Loy estoit comme
une muraille, pour séparer les Juifz d'avec les Gentilz. Je confesse
donc, que la première exposition à bon droict est reprinse des
secondz ; toutesfois il me semble qu'eulx mesmes n'expliquent
DE LA LOV. 185
pas encoros du tout bien la sentence de l'Apostre. Car je
n'approuve point, qu'on confonde ces deux passages, comme
si l'un estoit tout semblable à l'autre. Quant est de celuy qui est
en l'Epistre aux Ephesiens, le sens est lel. Sainct Paul, les vou-
5 lant acertener, comme ilz estoient receuz en la communion du
peuple d'Israël, leur dit : que l'empeschement, qui estoit aupara-
vant pour les diviser, a esté osté. G'estoient les cérémonies. Car
les ablutions et sacrifices, par lesquels les Juifz se sanctifioient
k Dieu, les separoient d'avec les Gentilz. Mais en l'Epistre aux
10 Colossiens, il n'y a celuy qui ne voye, qu'il touche un plus hault
Mystère. Il est là question des observations Mosaiques : aus-
quelles les séducteurs vouloient contreindre le peuple chrestien.
Comme donc en l'Epistre aux Galatiens, ayant ceste mesme
dispute à démener, il la tire plus loing-, et la reduict à sa source :
15 ainsi fait-il en cest endroit. Car si on ne considère autre chose
aux cérémonies, sinon la nécessité de s'en acquicter ; pourquoy
les appelle-il un oblij>é ? et un obligé contraire ii nous ? Et à
quel propoz eust-il quasi constitué toute la somme de nostre
salut, en ce qu'il fust cassé et mis à néant ? Parquoy on voit
20 clairement, qu'il nous fault icy regarder autre chose, que l'exté-
riorité des cérémonies. Or je me confie d'avoir trouvé la vraye
intelligence : si on me confesse estre vray ce que escrit en
quelque lieu très véritablement Sainct Augustin. C'est qu'aux
cérémonies Judaiques il y avoit plustost confession des péchez,
2ique purgation. Car, qu'est-ce quilz faisoient en sacrifiant ; sinon
qu ilz se confessoient estre coùlpables de mort ; veu qu ilz sub-
stituoient en leur lieu la beste, pour estre tuée? Par leurs lave-
mens qu'est-ce quilz faisoient : sinon se confesser immundes et
contaminez ? Parquoy ilz confessoient la debte de leur impureté
30 et de leurs offenses. Mais en ceste protestation le payement n'en
estoit point faict. Pour laquelle cause, l'Apostre dit, que la
rédemption des ofTenses a esté faicte par la mort de Christ : les-
quelles demeuroient soubz l'ancien Testament, et n'estoient
point abolies. C'est donc à bon droict, que Sainct Paul appelle Hehr.7.9.
35 les cérémonies des Scedules contraires à ceux qui en usoient : ^'^0.
veu que par icelles ilz testifioient et signoient leur condemna-
tion. A cela ne contrevient rien, que les anciens Pères ont
esté participans d'une mesme grâce avec nous : car ilz ont
obtenu cela par Christ ; non point par les cérémonies :
186 CHAPITRE m.
lesquelles Sainct Paul en ce passage sépare de Christ, d'autant
qu'elles obscurcissoient lors sa gloire, après que l'Evangile avoit
esté révélé. Nous avons, que les cérémonies, si elles sont considé-
rées en elles mesmes, sont à bonne raison nommées Scedules
5 contraires au salut des hommes : veu que ce sont comme
instrumens authentiques, pour obliger les consciences à con-
fesser leurs debtes. Pourtant veu que les séducteurs vou-
loient adstreindre l'Eglise Ghrestienne à les observer :
Sainct Paul à bon droit, regardant l'origine première, ad-
10 moneste les Colossiens, en quel danger ilz tresbucheroient,
s'ilz se laissoient subjuguer en telle sorte. Car par un
mesme moyen la grâce de Christ leur estoit ravye :
d'autant que par la purgation, qu'il a faicte
en sa mort, pour une fois, il a abolv
15 toutes ces observations externes : par
lesquelles les hommes se confes-
soient redebvables à Dieu :
et n'estoient point ac-
quitez de leurs
debtes.
DE LA FOY, OU LE SYM-
BOLE DES APOSTRES EST EXPLICQUÉ.
GHAP. IIIL
Il est maintenant aisé à entendre du traicté précèdent, quelles
5 choses i-iHjuiert do nous le Sci|^iieur on sa Loy : desquelles si
nous l'aillions au moindre poinct, il nous dénonce son ire, et ter-
rible jugement de la mort éternelle. D'avantage il a esté declairé,
combien non seulement il est difficile aux hommes d'accomplir
la Loy : mais que c'est une chose du tout pardessus leur puis-
losance. Parquoy si nous ne regardons que nous seulement, con-
sidérant/ dequoy nous sommes dignes, il ne nous reste une
seule goutte de bonne espérance, mais certaine confusion de
mort : entant que nous sommes du tout rejette/ do Dieu, Puis
après il a esté monstre, qu'il n'y a qu'une seule voye d'éviter
isceste calamité : à scavoir la miséricorde de Dieu, moyennant que
nous la recevions en ferme Foy, et reposions en icelle de certaine
espérance. Maintenant il nous reste à exposer, quelle doibt estre
ceste Foy : par le moyen de laquelle tous ceux que nostre Sei-
gneur a esleu/ pour sesenfans, entrent en possession du Royaume
2u Céleste : veu que c'est chose notoyre, qu'une opinion telle quelle,
ou persuasion qu'on auroit de Dieu, ne seroit suffisante pour
engendrer un si grand bien. Et fault que de tant plus grande
diligence nous nous appliquions à chercher quelle est la vraye
nature de la Foy : d'autant que nous voyons combien en est
2oaujourd'huy l'ignorance pernicieuse. Car une grande partie du
monde par le nom de la Foy n'entend autre chose, sinon une
crédulité vulgaire : par laquelle l'homme assentist à ce qui est
narré en l'Evangile. Lequel mal, comme autres innumerables,
se doibt imputer aux Sophistes et Sorbonistes : lesquelz, oultre
30 ce qu'il/ amoyndrissent la vertu d'icelle par leur obscure et
ténébreuse diffinition, en adjoustant je ne scay quelle dis-
tinction frivole de la foy formée et informe, ilz attribuent
le filtre de Foy à une opinion vaine et vuide de la crainte de
Dieu, et de toute pieté. A quoy contredit toute l'Escriture. Je
!88 CHAPITRE IIII.
ne veulx autrement impugner leur diftînition, qu'en declairant
simplement la nature de la Foy : comme elle nous est demons-
trée par la parolle du Seigneur : dont il apparoistra clairement,
combien sottement ilz babillent dicelle. Leur distinction ne vault
5 pas une nèfle d'avantag-e. Car combien que, par forme d'enseigner,
nous concédons qu il y a deux espèces de Foy, quand nous vou-
lons monstrer. quelle est la congnoissa'nce de Dieu aux iniques:
neantmoins nous recongnoissons et confessons avec Sainct Paul
une seule Foy aux enfans de Dieu. Il est bien vray, que plusieurs
10 croyent qu'il y a un Dieu, et pensent que ce qui est comprins en
l'Evangile et l'Escriture est véritable : d'un mesme jugement
qu'on a accoustumé de juger estre véritable ce qu'on lit aux
hystoires, ou ce qu'on a veu à l'œil. 11 y en a qui passent encores
oultre : car ilz ont la parolle de Dieu pour un oracle indubitable, et
i?i ne contemnent point du tout les commandemens dicelle, et sont
aucunement esmeuz des promesses. Nous disons que telle manière
de gens n'est pas sans Foy : mais c'est en parlant improprement :
à cause qu'ilz nimpugnent point d'une impieté manifeste la
parolle de Dieu, et ne la rejettent ne méprisent : maisplustost
20 donnent quelque apparence d'obeyssance.
Toutesfois comme ceste umbre ou image de Foy est de nulle
importance : aussi elle est indigne d un tel tiltre. Et combien
que nous verrons tantost plus amplement, combien elle diffère
de la vérité de la Foy : neantmoins il ne nuyra de rien,
25den faire maintenant une briefve demonstrance. 11 est dit, que
Symon ^lagus a creu : lequel manifeste tantost après son incre- Actes 8.
dulité. Ce que le tesmoignage de Foy lui est donné, nous n'en-
tendrons pas avec aucuns, qu il layt seulement simulée par
parolles, combien qu il n'en eust rien au cœur : mais plustost
30 nous pensons, que, estant surmonté par la majesté de l'Evan-
gile, il y avoit adjousté une foy telle quelle : recongnoissant
tellement Christ pour autheur de vie et salut, que voluntiers il
l'acceptoit pour tel. En ceste manière nostre Seigneur dit au
hm'tiesme Sainct Luc, Que ceux là croyent pour un temps :
ssesquelz la semence de la parolle est sutïoquée. devant que fruc-
tifier, ou bien descheichée, et perdue, devant qu'avoir prins
racine. Nous ne doubtons pas que telz ne soient touchez de
quelque goust de la parolle, pour la recevoir avec désir : et ne
soient frappez de sa vertu, tellement que en leur Hypocrisie
(
DE I.A l'OV
89
non seulement ilz deceoivent les hommes : mais aussi leurs cœurs
propres. Car ilz se persuadent que la révérence qu'ilz portent
à la parolle de Dieu est la plus vraye pieté qu'ilz puissent
avoir : pource qu'ilz ne reputent autre impieté au monde, sinon
5 quand ceste parolle est manifestement, ou vitupérée ou mespri-
sée. Or quelle que soit ceste réception de l'Evangile elle ne
pénètre pas jusques au cœur, pour y demeurer fichée: et combien
qu'elle semble advis aucunesfois prendre racines, neantmoins
elles ne sont pas vives : tant a de vanité le cœur humain, tant il
10 est remply de diverses cachettes de mensonges : de telle Hypocri-
sie il est enveloppé : qu il se trompe soymesme. Toutesfois ceux
qui se glorifient d'un tel simulachre de la Foy, qu'ilz entendent,
qu'ilz ne sont en rien supérieurs au Diable en cest endroit. Jaques 2.
Certes les premiers dont nous avons parlé sont beaucoup infe-
15 rieurs : d autant qu'ilz demeurent estourdiz, en oyant les choses,
lesquelles font trembler les Diables. Les autres sont en cela
pareilz, que le sentiment ({u'ilz en ont, finalement sort en terreur
et espouvantement.
Aucontraire la vraye Foy chrestienne, laquelle seule mérite
2od'estre appellée Foy : n'est pas contente d'une simple congnois-
sance de l'hystoire : et prend siège au cœur de l'homme, le
nettoyant de fard, de fiction, et Hypocrisie : et l'occupant telle-
ment, qu'elle ne s'en evanouyst pas de legier. Premièrement
il fault que nous soyons advertiz, pour bien entendre sa force
25 et propriété, d'avoir recours à la parolle de Dieu : avec laquelle
elle a telle affinité et corrélation, qu'elle ne se peult pas myeulx
estimer d'aillieurs. Caria parolle est comme son object et son but,
auquel elle doibt perpétuellement regarder : et dont si elle se
destourne, elle n'est plus desja Foy, mais une crédulité incertaine,
30 et erreur fluctuant. Icelle mesme parolle est le fondement, dont
elle est soutenue et appuyée : duquel si elle est retirée, inconti-
nent elle trébuche. Qu'on oste donc la parolle : et il ne restera
plus nulle Foy. Nous ne disputons pas icy, à scavoir non : si le
Ministère de l'homme est nécessaire, pour semer la parolle dont
35 la Foy soit conceuë : ce que nous traicterons en un autre lieu.
Mais nous disons que la parolle, de quelque part qu'elle nous soit
apportée, est comme un miroir, auquel la Foy doibt regarder et
contempler Dieu. Pourtant soit que Dieu s'ayde en cela du service
de l'homme, soit qu'il besongne par la seule vertu : neantmoins
190 CHAPITRE IIII.
il se représente tousjours par sa paroUe à ceux, qu'il veut
tirer à soy. Car il n'est pas question seulement en l'intelli-
gence de la Foy, que nous congnoissions estre un Dieu : mais
principalement il est requis d'entendre, de quelle volunté il est
5 envers nous. Car il ne nous est pas seulement utile, de scavoir
quel il est : mais quel il nous veut estre. Nous savons donc desja,
que la Fov est une congnoyssance de la volunté de Dieu prinse
de sa paroUe. Le fondement d'icelle, est la persuasion qu'on ha
de la vérité de Dieu : de laquelle ce pendant que ton cœur n'ha
10 point la certitude résolue, la paroUe ha son authorité bien débile,
ou du tout nulle en toy. D'avantage il ne suffit pas de croyre,
que Dieu est véritable, qu'il ne puisse mentir ne tromper : si tu
n'has ceste resolution, que tout ce qui procède de luy, est vérité
ferme et inviolable. Mais d'autant que le cœur de l'homme n'est
15 point confermé en Foy par une chascune parolle de Dieu : il
fault encores chercher, que c'est que la Foy proprement regarde
en la parolle. C'estoit une voix de Dieu, celle qui fut dicte à
Adam : Tu mourras de mort. C'estoit une voix de Dieu, qui fut
dicte à Cavn : Le sang de ton frère crye à moy de la Terre. Mais
20 toutes telles sentences ne pouvoient sinon esbranler la Foy :
tant s'en fault qu'elles fussent pour l'establir. Nous ne nyons
pas cependant, que l'office de la Foy ne soit de donner consen-
tement à la vérité de Dieu, toutesfois et quantes qu'il parle, et
quoy qu il dise, et en quelque manière que ce soit. Mais nous
25 cherchons à présent, que c'est que la Foy trouve en icelle parolle,
pour s'appuyer et reposer. Si nostre conscience ne voit autre
chose que indignation et vangeance, comment ne tremblera elle
d'horreur? Et si elle ha une fois Dieu en horreur ; comment ne
le fuvra-elle ? Or la Foy doibt chercher Dieu non pas le
sofuyr. 11 appert donc, que nous n'avons pas encores la deffini-
tion pleine: puis que cela ne doibt point estre réputé Foy, de
congnoistre une chascune volunté de Dieu. Et que sera-ce ;
si au lieu de volunté nous mettons benevolence, ou miséri-
corde ? Certes en ceste manière nous approchons plus de
35 la nature de Foy. Car lors nous sommes esmeuz de chercher
Dieu, après que nous avons apprins, nostre bien estre en
luv : ce qu il nous declaire en nous assurant qu il ha soing de
nostre salut. Parquoy il nous est besoin d'avoir promesse de sa
grâce : en laquelle, il noustestifie qu'il nous est Père propic e:
DE LA FOY. 191
pource que le cœur de l'homme ne se peut reposer, que sur
icelle. D'avantage, puis que la congnoissance de la bonté de
Dieu, ne peut pas avoir g:rande importance, sinon qu'elle
nous face reposer en icelle : il faut exclurre toute intelligence,
5 qui soit meslée avec doubte, qui ne consiste fermement, et
vacille, comme débattant de la chose. Or il s'en fault beaucoup,
que l'entendement de l'homme, ainsi qu'il est aveuglé et obscursi,
puisse pénétrer et attaindre jusques à congnoystre la volunté de
Dieu, que le cœur, au lieu qu'il a accoustumé de vaciller en
10 doubte et incertitude, ne soit asseuré pour reposer en telle per-
suasion. Parquoy il fault que l'entendement de l'homme soit
d'aillieurs illuminé, et le cœur confermé, devant que la parolle
de Dieu obtienne pleine Foy en nous. Maiintenant nous avons
une pleine deflînition de la Foy : si nous déterminons, que c'est
i^une ferme et certaine congnoyssance de la bonne volunté de
Dieu envers nous : laquelle estant fondée sur la promesse gra-
tuite donnée en Jésus Christ, est révélée à nostre entendement,
et scellée en nostre cœur par le Sainct Esprit.
Poursuyvons maintenant d'ordre un chascun mot : lesquelz
20 après avoir diligemment espluschez, il ne restera plus, comme
je pense, aucune difficulté. Quand nous l'appelions congnois-
sance de la volunté de Dieu : nous n'entendons pas une appré-
hension, telle qu'ont les hommes des choses qui sont soubz-
mises à leur sens. Car elle surmonte tellement tout sens hu-
25 main, qu'il fault que l'esprit monte par dessus soy, pour
attaindre à icelle. Et mesme y estant parvenu, il ne comprend
pas ce qu'il entend : mais ayant pour certain et tout persuadé
ce qu'il ne peut comprendre, il entend plus par la certitude de
ceste persuasion, que s'il comprenoit quelque chose humaine
30 selon sa capacité. Pourtant Sainct Paul parle tresbien, disant
qu'il nous fault comprendre qu'elle est la longueur, laro-eur
profondité, et haultesse de congnoistre la dilection de Christ, Enhe 3
laquelle surmonte toute congnoissance. Car il a voulu en-
semble signifier l'un et l'autre. C'est à scavoir que ce que
33 nostre entendement comprend de Dieu par Foy, est totale- Ihhr.l.
ment infiny : et que ceste manière de congnoystre oultrepasse
toute intelligence. Neantmoins , pource que nostre Seigneur /. /ea/j 3
a manifesté à ses serviteurs le secret de sa volunté qui estoit
caché à tous siècles et générations : que pour ceste cause la
192 CHAPITRE 111 1.
Foy est justement nommée congnoyssance. Sainct Jean aussi
l'appelle science, quand il dit, que les fidèles scaivent qu'ilz Jean 3.
sont enfans de Dieu. Et de faict ilz le scaivent pour ' certain :
mais estantz confermez en persuasion de la vérité de Dieu, 2. Cor. 3
3 plus qu'enseignez par demonstrance, ou argument humain. Ce
que signifient aussi les parolles de Sainct Paul. C'est , que
habitantz en ce corps, nous sommes comme en pèlerinage,
loing de Dieu : pource que nous cheminons par Foy, et non par
regard. Enquoy il demonstre, que les choses que nous entendons
10 par Foy, nous sont absentes et cachées à nostre veuë. Donc
nous concluons que l'intelligence de la Foy consiste plus en cer-
titude, qu'en apprehention.
Nous adjoustons, que ceste congnoyssance est certainne et
ferme, à fin d'exprimer combien la constance en est solide. Car
13 comme la Foy ne se contente point d'une oppinion doubteuse et
volage : aussi ne fait elle dune cogitation obscure et perplexe :
mais requiert une certitude pleine et arrestée, telle qu'on a cous-
tume d'avoir des choses bien esprouvées et entendues. Il y en a
plusieurs, qui conceoivent tellement la miséricorde de Dieu
2oqu ilz en receoivent bien peu de consolation. Car ce pendant ilz
sont estreinctz en angoisse misérable, d'autant qu ilz doubtent
s'il leur sera miséricordieux : pource qu'ilz limitent trop estroic-
tement sa clémence, laquelle ilz pensent bien congnoistre.
Voicy comme il la considèrent : C'est, qu'ilz la reputent bien
ssestre grande et large, espandue sur plusieurs, appareillée à
tous : mais d'autrepart ilz doubtent si elle parviendra jusques à
eux, ou plustost. s'ilz pourront parvenir à elle. Ceste cogitation,
d'autant qu'elle demeure au milieu du chemyn, n'est que demye :
parquoy elle ne conferme point tant l'esprit en tranquilité et
îoasseurance, qu'elle l'inquiète de double et sollicitude. Il y a
bien un autre sentiment en la certitude, laquelle est tousjours en
l'Escriture conjoincte avec la Foy : à scavoir pour mettre hors de
double la bonté de Dieu, comme elle nous est proposée. Or cela
ne se peut faire que nous n'en sentions vrayement la doulceur,
33 et l'expérimentions en nousmesmes. A ceste cause l'Apostre,
de la Foy, déduit confiance, et de confiance hardiesse, en disant, Ephe. 3.
que par Christ nous avons hardiesse et entrée en confiance,
qui est par la Foy en Jésus Christ. Ce qui est tellement vray,
que le nom de Foy est souvent prins pour confiance. Icy gist le
IJ1-: LA KOV.
193
principal poinct de la Foy : que nous ne pensions point les
promesses de miséricorde, qui nous sont offertes du Seigneur,
estre seulement vrayes hors de nous, et non pas en nous :
mais plustost qu'en les recevant en nostre cœur, nous les fa-
5 cions nostres. D'une telle réception procède la confiance, que
Sainct Paul appelle en autre lieu, paix : sinon que quelqu'un jioni. 5.
aymast myeulx desduyre icelle paix de confiance, comme une
chose conséquente. Or ceste paix est une sécurité, laquelle
donne ref)os et liesse à la conscience devant le jugement de
10 Dieu. Laquelle conscience, sans icelle, nécessairement est trou-
blée merveilleusement, et à peu près deschirée : si ce n'est,
qu'en oublyant Dieu et soymesme, elle s'endorme pour un peu
de temps. Je parle bien, en disant pour un peu de temps : car
elle ne jouyst point longuement de ceste misérable oubliance,
15 qu'incontinent elle ne soit poincte et picquée au vif du juge- Uom.8.
ment de Dieu, dont la memoyre d'heure en heure vient au
devant. En somme il n y a nul vrayement fidèle, sinon celuy
qui, estant asseuré de certaine persuasion que Dieu luy est père
propice et bien vueillant, attend toutes choses de sa bénignité :
20 sinon celuy, qui, estant appuyé sur les promesses de la bonne
volunté de Dieu, conceoit une attente indubitable de son salut :
comme l'Apostre demonstre par ces paroUes : si nous tenons
jusques à la fin la fiance, et le glorifiement de nostre espérance. Ilrbr. 3.
Car en cela disant, il tesmoigne que nul n'espère droitement en
25 Dieu : sinon qu'il s'ose hardiment glorifier d'estre héritier du
Royaume Céleste. Il n'y a, diz-je, de rechef, nul fidèle, sinon
celuy, qui, estant appuyé sur l'asseurance de son salut, ose
insulter, sans doubte, au Diable et à la mort : comme l'Apostre
enseigne en la conclusion qu'il en fait aux Romains. Je suis
30 asseuré, dit-il, que ne la mort, ne la vie, ne les Anges, ne les Rom. 8.
Principautez, ne les Puissances, ne. les choses présentes, ne les
choses futures, ne nous pourront retirer de la dilection, que nous
porte Dieu en Jésus Christ. A ceste cause luy mesme n'estime
pas, que lesyeulx de nostre entendement soient bien illuminez :
35 si ce n'est que nous contemplions quelle est l'espérance de l'hé-
ritage éternel, à laquelle nous sommes appeliez : Et telle est sa Ephes. I
doctrine par tout, que nous ne comprenons pas bien la bonté de
Dieu, sinon qu'en icelle nous ayons une grande asseurance.
Mais quelqu'un objectera, que les fidèles ont bien autre
Institution. 13
194 CHAPITRE IIII.
expérience : veu que non seulement, en recongnoissant la grâce
de Dieu envers eulx, ilz sont inquiétez et agitez de doubtes, ce
qui leur advient ordinairement : mais aussi aucunesfois sont
grandement estounez et espouventez : telle est la véhémence
5 des tentations, pour les esbranler. Laquelle chose semble
n'estre g-ueres convenante avec une telle certitude de Foy, dont
nous avons parlé. Pourtant il fault que ceste difficulté soit
solue de nous : si nous voulons que la doctrine cy dessus baillée
demeure en son entier. Quand nous enseig-nons que la Foy
lodoibtestre certaine et asseurée : nous n'imag-inons point une
certitude, qui ne soit touchée de nul le doubte : ny une telle sécu-
rité, qui ne soit assaillie de nulle solicitude : mais plustost
aucontraire, nous disons que les fidèles ont une bataille perpé-
tuelle à rencontre de leur propre deffîance. Tant s'en fault que
13 nous colloquions leur conscience en quelque paisible repoz qui
ne soit ag'ité d'aucune tempeste. Neantmoins, comment que ce
soit qu'ilz soient assailliz : nous nyons que jamais ilz tombent ou
deschoient de la fiance qu'ilz ont une foys conceuë certaine de la
miséricorde de Dieu. Pour mveulx entendre cecy, il est nécessaire
2u de recourir à la division de l'Esprit et de la chair, dont nous
avons tenu propoz ailleurs : laquelle se demonstre clairement
en cest endroit. Pourtant le cœur du fidèle sent en soy ceste
division : que en partie il est remply de lyesse, pour la con-
gnoissance qu il ha de la bonté de Dieu : en partie il est picqué
25 d'amertume, pour le sentiment de sa calamité: en partie il se
repose sur la promesse de l'Evang-ile, en partie il tremble de la
veuë de son iniquité, en partie il appréhende la vie avec joye, en
partie il ha horreur delà Mort. Laquelle diversité advient d'im-
perfection de la Foy : d'autant que jamais, durant la vie pre-
30 sente, nous ne parvenons à ceste félicité, que, estantz purgez de
toute deffiance, nous ayons plénitude de Foy en nous. De là pro-
cède ceste bataille : quand la deffîance qui reste encores en la chair
se dresse pour impugner et renverser la Foy. Mais icy on me
dira : si une telle doubte est meslée avec certitude au cœur du
35 fidèle : ne revenons-nous point tousjours à cela ; que la F'oy n a
pas certaine et claire congnoissance de lavolunté de Dieu: mais
seulement obscure et perplexe? A cela je respondz que non. Car
combien que nous soyons distraictz de cog-itations diverses : il ne
s'ensuytpas pourtant que nous soyons séparez de la Foy. Si nous
i)i: LA rov. !*)')
sommes agile/, cà et là par les assaulx d'incrédulité : il ne s en-
suyt pas que nous soyons jettez en l'abysme d'icelle. Si nous
sommes esbranlez : ce n'est pas à dire que nous tresbuchions.
Car la fin de ceste bataille est tousjours telle, que la Foy vient
3 au dessus de ces diflicultez : desquelles estant assiégée, il semble
ad vis quelle soit en péril.
En somme, doz que la moindre goutte de Foy, qui se puisse
imaginer, est mise en nostre ame : incontinent nouscommenceons
à contempler la face de Dieu bénigne et propice envers nous.
I" Bien est vray, que c'est de loing: mais c'est d'un regard si indubi-
table, que nous scavons bien qu'il n'y a nulle tromperie. Après,
d'autant que nous proffitons (comme il convient que nous protïï-
tions assiduellement) comme en nous advanceans, nous en appro-
chons de plus près, pour en avoir la veuë plus certaine. D'avan-
istage la continuation fait, que la congnoyssance en est plus fami-
lière. Par ainsi nous voyons que l'entendement, estant ilkmiiné,
de la congnoyssance de Dieu, est du commencement enveloppé
de grande ignorance : laquelle petit à petit est ostée. Neant-
moins pour son ignorance, ou pour voir plus obscurément ce
20 qu'il voyoit : il nest pas empesché, qu'il ne jouysse d'une
congnoissance évidente de la volunté de Dieu. Ce qui est le pre-
mier poinct et principal en la Foy. A scavoir, comme si quel-
qu'un estant encloz en basse prison, n'avoit la clarté du Soleil
que obliquement et à demy, par une fenestre haute et estroicte,
25 il n'auroit pas la veuë du Soleil pleine ne à délivre : toutesfois
il ne laisseroit pas d'avoir la clarté certaine, et en recevoir l'u-
sage. En ceste manière, combien que nous, estans enfermez en
la prison de ce corps terrien, ayons de toutes pars beaucoup d'obs-
curité : si nous avons la moindre estincelle du monde de la
30 lumière de Dieu, qui nous descouvre sa miséricorde, nous en
sommes suffisamment illuminez pour avoir ferme asseurance.
L'un et l'autre nous est proprement demonstré de l'Apostre en
divers lieux. Car en disant que nous congnoissons en partie, pro-
phétisons en partie, et voyons en énigme comme par un miroir : f .Cor. 13.
35 il dénote combien petite portion de la sagesse divine nous est
distribuée en la vie présente. Mais luy mesme demonstré en
un autre passage, combien est grande la certitude de la
moindre goutte que nous en ayons : en testifiant que par 2. Cor. 3.
l'Evangile nous contemplons tellement à descouvert la gloire
196 CHAPITRE un.
de Dieu et sans aucun empeschement : que nous sommes trans-
formez en une mesme image. Il est bien nécessaire que en telle
ignorance, il y ayt beaucoup de scrupules et de craintes : veu
mesmes que nostre cœur de son naturel est enclin à incrédulité.
oOultreplus les tentations surviennent, infinies en quantité, et de
diverses espèces : lesquelles d'heure en heure font de merveilleux
assaulx. Principalement la conscience estant pressée de la charge
de ses péchez, maintenant se complainct et gémit en soymesme:
maintenant elle s'accuse, aucunesfois tacitement est picquée,
10 aucunesfoys est appertement tormentée. Pourtant, soit que les
choses adverses donnent quelque apparence de l'ire de Dieu, soit
que la conscience en trouve occasion en soymesme: l'incrédu-
lité s'arme de cela, pour combatre la Foy : dirigeant toutes ses
armes à ce but, de nous faire estimer que Dieu nous est adver-
15 saire et courroucé : à fin que nous n'espérions nul bien de luy,
et que nous le craignions, comme nostre ennemy mortel. Pour
soustenir telz assaulx, la Foy est garnie de la parolle de Dieu.
Quand elle est assaillie de ceste tentation, que Dieu est contraire
et ennemy, entant qu'ir afflige : elle oppose aucontraire ceste
deffense, qu'il est miséricordieux mesmes en l'aflligeant : d'au-
tant que les chastiemens qu'il fait, procèdent de dilection plus-
tost que d'ire. Estant battue de ceste cogitation, que Dieu est
juste Juge pour punir toute iniquité : elle met au devant ce
bouclier, que la mercy est appareillée à toutes faultes, quand
25 le pécheur se retourne par devers la clémence du Seigneur. En
ceste manière l'ame fidèle, comment qu'elle soit tormentée mer-
veilleusement : neantmoins surmonte en la fin toutes difficul-
tez : et n'endure jamais que la iiance qu'elle ha à la miséricorde
de Dieu, luv soit ostée et escousse : plustost aucontraire toutes
30 les doubtes, dont elle est exercée, tournent en plus grande cer-
titude de ceste fiance. Nous avons expérience de cela, en ce que
les Sainctz, quand ilz se voyent fort pressez de la vengeance de
Dieu, ne laissent point toutesfois de luy addresser leurs com-
pleinctes : et quand il semble advis qu'ilz ne doibvent estre nul-
33 lement exaucez : encores ilz l'invoquent. Car, à quel propoz se
plaindroient-ilz à celuy ; duquel ilz n'attendroient nul soulage-
ment ? Et comment seroient ilz induit z à l'invoquer ; sinon
qu'ilz espérassent avoir quelque ayde de luy? En telle manière
les disciples : esquelz Jésus Christ reprend l'imbécillité de Malt. S
20
DK LA FOY. n>7
Foy, crioyent bien qu'ilz perissoient : toutesfois ilz imploroient
son ayde. Nous all'ei-mons donc de rechef ce qui a esté cy dessus
dict : c'est que la racine de Foy n'est jamais du tout arrachée
du cœur fidèle, qu'elle n'y demeure ton sj ours fichée : combien
s qu'estant esbranlée, elle semble advis encliner cà et là : Que la
lumière d'icelle n'est jamais tellement esteincte, que pour le
moins, il n'y en demeure tousjours quelque estincelle. Ce que
demonstre Job, quand il dit, qu'il ne laissera point d'espérer j^i 73
en Dieu, encores mesmes cju'il l'occist . Or est-il ainsi, que ^Q^i^Cor.lO.
10 Sainctz n'ont jamais plus g'rande matière de desespoir : que
quand ilz sentent la main de Dieu dressée pour les confondre,
selon qu ilz en peuvent estimer par lestât des choses présentes.
Il y a une autre espèce de crainte et tremblement : de la-
quelle tant s'en fault que la certitude de Foy soit diminuée,
15 que plustost elle en est confermée. C'est quand les fidèles,
reputantz que les exemples de la vengeance de Dieu exécutée
sur les iniques, leur doibvent estre pour enseignementz : à fin
de ne provocjuer point l'ire de Dieu par mesmes delictz, se
donnent plus songneusement garde de mal faire. Ou bien,
20 quand recongnoissantz leur misère, ilz apprennent de totalle-
ment dépendre de Dieu : sans lequel ilz se voient estre plus
caduques et incertains, qu'une bouffée de vent. Car l'Apostre,
en ce que après avoir proposé les chastiemens que Dieu avoit tîohj. //.
faictz sur le peuple d'Israël : il baille une crainte aux Corin-
2r, thiens de ne tomber point en mesme péché. Par cela ne renverse
aucunement leur fiance : mais seulement les reveille de leur
paresse : laquelle plustost a coustume d'ensevelir la Foy, que
de l'establir. Pareillement quand de la ruyne des Juifz ilz prend
occasion d'exhorter celuy qui est debout, qu'il se garde bien de
30 cheoir, il ne nous commande point de vaciller, comme si nous
estions incertains de nostre fermeté : mais seulement il oste
toute arrogance et confiance téméraire de nostre propre vertu
à fin que nous, qui sommes Gentilz, n'insultions aux Juifz,
desquelz nous avons esté substituez en la place. Pareillement
:!5 quand il enseigne que nous travaillons pour nostre salut Philip. 2.
avec crainte et tremblement : il ne demande autre chose,
sinon que nous accoustumions de nous arrester à la vertu dvi
Seigneur, en grande déjection de nous mesmes. Or est il
ainsi, que rien ne nous peut tant esmouvoir, à reposer la
198 CHAPITRE un.
certitude et fiance de nostre Foy en Dieu, que la deffîance de
nousmesmes : et la destresse que nous avons après avoir recon-
g-neu nostre calamité : Et en ce sens il fault prendre ce qui est
dict par le Prophète : J'entreray en ton Temple en la multitude Psal. 3.
5 de ta bonté : et y adoreray en crainte : où il conjoinct fort pro-
prement la hardiesse de Foy, qui s'appuye sur la miséricorde de
Dieu, avec la crainte et saincte tremeur : de laquelle il est néces-
saire que nous soyons touchez : quand en comparoyssant devant
la majesté de Dieu, par la clarté d'icelle, nous entendons quelles
10 sont noz ordures. Pourtant Salomon dit bien vray : Que bien Pror. 28.
heureux est l'homme, qui assiduellement faict craindre son cœur :
d'autant que par endurcissement on tombe en ruyne. Mais il en-
tend une crainte, laquelle nous rende plus song-neux et prudens :
non pas qui nous afflige jusques à desespoir. A scavoir quand
13 nostre courag'e, estant en soy confuz, se reconforte en Dieu estant
abatuensoy, se redresse en iceluy: sedeffiantde soy, consiste en
l'espérance qu'il ha en luy. Pourtant il n'y a nul empeschement,
que les fidèles ne sentent crainte et tremblement, et ensemble
jouvssent de consolation très seure : entant que d'une part ilz
20 considèrent leur vanité, de Tautre ilz regardent la vérité de Dieu.
Or la crainte de Dieu, laquelle est attribuée aux fidèles en Prover. I .
toute l'Escriture, et laquelle est maintenant appellée commence- p^^'^ y^^
ment de sagesse, maintenant la sagesse mesme : combien qu'elle
soit une, toutesfois elle procède de double affection. Car Dieu
25 ha en soy la révérence tant d'un père, que de maistre. Pourtant
quiconque le voudra droictement honorer : se estudiera de se Prov. 16.
rendre envers luy filz obeyssant , et serviteur prompt îi faire jo/,_ 28.
son debvoir. L'obéissance qui luy est rendue comme à nostre
père: il l'appelle par son Prophète honneur. Le service qui luy 3/3/3 /.
3ûest faict comme à nostre maistre : il l'appelle crainte. Le filz, dit-
il, honore son père, et le serviteur son maistre. Si je suis vostre
père; où est l'honneur que vous me debvez? Si je suis vostre
maistre; où est la crainte? Toutesfois combien qu'il les distingue :
il les confond au commencement, comprenant l'un et l'autre
35 soubz le nom d'honorer. Parquoy, que la crainte de Dieu nous soit
une révérence meslée de tel honneur et crainte. Et n'est point de
merveille, si un mesme cœur receoit ensemble ces deux affections.
11 est bien vray, que celuy qui repute quel père nous est Dieu :
qu'il ha suffisante raison, voire qu'il n'y eust nul Enfer, d'avoir
DE LA FOY. 199
plus g^rand'horreur de l'ofFenser, que de mourir. Mais aussi
d'autrepart, selon que nostre chair est encline à se lascher la
bride à mal faire : il est nécessaire, pour la restraindre, d'avoir
ceste cogitation en l'esprit que le Seigneur, soubz la puissance
5 duquel nous sommes, ha toute iniquité en abomination : duquel
ceulx qvii auront provoqué l'ire, en vivant meschamment, n'é-
viteront point la vengeance. Ce que Sainct Jean dict, que la t . Jean
crainte n'est point avec charité : mais que charité parfaicte
jette hors la crainte, ne répugne rien à cela : veu qu'il parle du
10 tremblement d'incrédulité, duquel est bien loing ceste crainte
des fidèles. Car les iniques ne craignent point Dieu, pource
qu'ilz ajent crainte d encourir son oiTence, s'ilz le pouvoient
faire sans punition : mais pource qu'ilz scaivent qu'il est puis-
sant à se venger, ilz ont horreiu* toutesfois et quantes qu'on leur
15 parle de son ire. Et mesmes ilz craignent son ire, d autant qu'ilz
la pensent estre prochaine, et que d'heure en heure ilz attendent
qu'elle les vienne accabler. Aucontraire les fidèles, comme dict
a esté, premièrement craignent plus son offense que la punition :
et ne sont pas estonnez de crainte d'estre puniz, comme si l'En-
20 fer leur estoit desja présent pour les angloutir ; mais par icelle
ilz sont retirez, à fin de n'encourir point au danger. Pourtant
l'Apostre en parlant aux fidèles : Ne vous trompez point, dit-il, Ephe. 5.
pour ces choses : l'ire de Dieu a accoustumé de venir sur les
enfans rebelles. Il ne les menace point que l'ire de Dieu des-
23 cendra sur eux : mais il les exhorte de penser, que 1 ire de Dieu
est appareillée aux meschans, à cause des péchez qu'il avoit
paravant recitez : à fin qu'ilz n'attentent point de les ensuyvre,
pour venir en une mesme perdition.
Oultreplus soubz la bienveuillance de Dieu, laquelle nous disons
3û que la Foy regarde, il faut entendre que nous obtenons la pos-
session de salut et vie éternelle. Car si rien ne nous peut faillir
quand nous avons Dieu propice : il nous doibt bien suffire, pour
certitude de salut, que Dieu nous rende certains de sa dilec-
tion envers nous. Qu'il demonstre sa face (dit le Prophète) et Psal. 8.
35 nous serons à sauveté. Pourtant l'Escriture met la somme de Ephes. 2.
nostre salut en ce poinct : Que le Seigneur ayant aboly toutes
inimitiez, nous ayt receuz en sa grâce. Enquoy elle signifie,
que Dieu estant reconcilié à nous, il ne nous reste nul
danger, que toutes choses ne nous tournent à bien. Parquoy
200 CHAPITRE llll.
la Foy en appréhendant la dilection de Dieu, comprend en
icelle les promesses de vie présente et futiu^e, et ferme asseurance
de tous biens : voire telle qu'on la peut avoir par la paroUe de
l'Evangile. Car la Foy ne se promet point certainement, ou
3 longues années, ou grandz honneurs, ou abondance de richesses
en la vie présente : d'autant que le Seigneur n'a pas voulu que
nulle de ces choses ne nous feust arrestée : mais elle est con-
tente de ceste certitude : Que, combien que plusieurs aydes de
ceste vie nous detïaillent, que Dieu ne nous detîaudra jamais.
10 La principalle asseurance d'icelle repose en l'attente de la vie
future : laquelle nous a esté mise par la paroUe de Dieu hors de
toute incertitude. Toutesfois quelque calamité et misère qui
puisse advenir à ceulx que nostre Seigneur a une fois receuz en
son amour : elle ne peut empescher, que la seule benevolencede.
15 Dieu ne leur soit pleine félicité. Pourtant quand nous avons
voulu exprimer la somme de toute béatitude, nous avons mis la
grâce de Dieu : de laquelle source toutes espèces de bien nous pro-
viennent. Et cela est facile à noter en l'Escriture, laquelle nous
rappelle tousjours à la charité de Dieu, quand elle fait mention,
20 non seulement du salut éternel : mais de quelconque bien que
nous ayons. Pour laquelle raison David tesmoigne, que la bonté Psal. 63
de Dieu, quand elle est sentue du cœur fidèle, est plus doulce et
désirable que nulle vie.
Nous mettons pour fondemens de la Foy la promesse gra-
25 tuite : d'autant qu'en icelle consiste proprement la Foy. Car,
combien qu'elle se propose Dieu véritable en tout et par tout :
soit qu'il commande, ou deffende, ou promette, ou menace :
combien aussi qu'elle receoive en obeyssance ses comman-
demens, qu'elle garde ses deffenses, et craigne ses menaces :
30 neantmoins proprement elle commence par la promesse, s'ar-
reste en icelle, et y prend sa fin: car elle cherche vie en Dieu.
Laquelle ne se trouve point aux commandemens, ny aux me-
naces : mais en la seule promesse de miséricorde, et icelle
encore gratuite. Veu que les promesses conditionelles, entant
35 qu'elles nous reiavoyent à noz œuvres : ne promettent pas autre-
ment vie, sinon que nous la trouvions en nousmesmes. Si
nous ne voulons donc que la Foy tremble et vacile duncosté et
d'autre : il nous la fault appuyer sur une telle promesse de
salut, laquelle nous soit voluntairement et de pure libéralité
DR LA FOY. 201
olFerte du Seigneur : plustost en considération de nostre misère,
que de nostre dignité. Pour ceste cause l'Apostre attribue ce
tiltre particulièrement à l'Evang-ile, qu'il soit nommé paroUe de
la Foy : lequel il ne concède point ny aux commandemens, ny Boni. 10.
5 aux promesses de la Loy : pource qu'il ny a rien qui puisse
assevu'er la Foy, sinon ceste ambassade envoyée de la beni-
g"nité de Dieu, par laquelle il reconcilie le monde à soy. De là
vient la correspondance, que souventesfois il met entre la Foy
et l'Evangile. Comme quand il dit que l'Evangile luy a esté i{om. I.
10 commis, en obeyssance delà Foy. Item, Qu'il est la vertvi de
Dieu en salut à tous croyans. Item, Qu'en iceluy la justice de
Dieu est révélée de Foy en Foy. Et n'est point de merveilles.
Car, comme ainsi soit cpie l'Evangile soit le Ministère de recon-
ciliation de nous avec Dieu : il n'y a nul autre sufïisant tesmoi- 2. Cor. :].
1". gnagede la benevolence de Dieu envers nous, de laquelle la con-
gnoissance est requise en la Foy. Quand donc nous disons, que
la Foy doibt estre appuyée sur promesses gratuites : nous ne
nyons pas que les fidèles ne receoivent et révèrent la parolle
de Dieu en tous endroictz : mais destinons à la Foy la promesse
20 de miséricorde pour son propre but. Comme, k la vérité, les
fidèles doibvent bien recongnoistre Dieu pour Juge et punisseur
des malfaictz : toutesfois qu'ilz regardent spécialement sa clé-
mence, entant qu'il leur est descriten telle sorte : c'est qu'il est Psnl. S6.
bening et miséricordieux, tardif à ire, enclin à bonté, débonnaire '"'^- ' '^^•
25 à tous, et espandant sa miséricorde sur toutes ses œuvres.
D avantage ce n'est pas sans cause, que nous encloiions toutes
promesses en Christ : veu que l'Apostre enclost tout l'Evangile Rom. I.
en la congnoissance d'iceluy. Et un autre passage il enseigne, 2. Cor. I.
que tant qu'il y a de promesses de Dieu, elles sont en luy,
soouy, et Amen : c'est à dire ratiffiées. De laquelle chose la
raison est évidente. Car quelque bien que promet le Seigneur,
en cela il testifie sa benevolence : tellement qu'il n'y a
nulles promesses de luy, qui ne soient tesmoignages de sa
dilection. Et à cela ne contrevient point que les iniques, d'au-
35 tant plus qu'ilz receoivent de bénéfices de sa main, se rendent
coulpables de plus grief jugement. Car d'autant qu'ilz ne
pensent et ne recongnoissent que les biens qu'ilz ont, ne leur
viennent de la main de Dieu, ou bien s'ilz le recongnoissent, ne
reputent point sa bonté en leurs cœurs : par cela ne peuvent non
202 CHAPITRE IIIl.
plus comprendre sa vérité, que les bestes brutes, lesquelles selon
la qualité de leur nature receoivent mesme fruict de sa largesse,
sans toutesfois en rien recong-noistre. Pareillement ne répugne
point à nostre dire, que en rejettantles promesses, qui leur sont
3 adressées : s'assemblent par telle occasion plus griefve vengeance.
Car, combien que lors finalement se declaire l'efficace des pro-
messes, quand elles sont receues de nous : toutesfois leur vérité et
propriété n est jamais esteincte par nostre infidélité ou ingratitude.
Pourtant, puis que ainsi est, que le Seigneur par ses promesses
10 invite et convye les hommes, non seulement à recevoir les fruictz
de sa bénignité, mais aussi à les reputer et estimer : pareillement
il leur declaire sa dilection. Pourtant il fault revenir à ce poinct,
que toute promesse est testification de l'amour de Dieu envers
nous. Or il est indubitable, que nul n'est aymé de Dieu hors de Mat. 1~.
15 Christ : veu qu'il est le filz bien aymé, auquel repose l'affection du
père. 11 fault donc que par son moyen ceste amytié parvienne
jusques à nous. Pour laquelle raison l'Apostre l'appelle nostre Ephe. 2.
paix : et en un autre passage le propose comme lyen, par lequel Bom. 8.
la volunté du père est conjoincte à nous. De là s'ensuyt, que nous
20 devons tousjours regarder en luy : quand quelque promesse nous
est offerte. Et que S. Paul ne dit point mal, enseignant que toutes
les promesses de Dieu sont en luy conformées et accomplies.
Or ceste simple déclaration, que nous avons la paroUe de
Dieu, debvoit bien souffire à engendrer la Foy en nous : nestoit
25 que nostre aveuglement et obstination y donnast empesche-
ment. Mais, comme nostre esprit est enclin à vanité, il ne
peut jamais adhérer à la vérité de Dieu : et comme il est esbesté,
il ne peut voir la lumière d'iceluy. Pourtant la paroUe nuë
ne proffite de rien, sans l'illumination du Sainct Esprit. Dont
30 il appert que la Foy est par dessus toute intelligence hu-
maine. Et encores ne suffist-il point, que l'entendement soit il-
luminé par l'Esprit de Dieu : sinon que le cœur soit confemié par
sa vertu. En laquelle chose les Théologiens Sorboniques faillent
trop lourdement : qui pensent que la Foy soit un simple consen-
tement à la parolle de Dieu, lequel consiste en intelligence : lais-
35santz derrière la fiance et certitude du cœur. C'est donc \m singu-
lier don de Dieu, que la Foy, en deux manières. Premièrement,
entant que l'entendement de l'homme est illuminé, poiu* entendre
la vérité de Dieu : puis après que le cœur est en icelle fortifié.
DE LA FOY. 203
Il est bien vray, que c'est une opinion fort estrange au monde :
quand on dit, que nul ne peut croyre en Christ, sinon celuy auquel
il est donné particulièrement. Mais c'est en partie à cause que les
hommes ne considèrent poinct, comment ne combien est haulte
set dilïicile à comprendre la sapience céleste, ne quelle est leur
rudesse et imbécillité à comprendre les Mystères de Dieu : en
partie aussi pource qu'ilz n'ont point esg-ard à ceste fermeté de
cœur, qui est la principale partie de la Foy. Lequel erreur est
facir à convaincre. Car (comme dit Sainct Paul) s'il ne peut i,(:or.2.
avoir nul tesmoing de la volunté de l'homme, sinon l'Esprit de
10 l'homme qui est en luy : comment la créature seroit elle certaine
de la volunté de Dieu ? Et si la vérité de Dieu nous est doub-
teuse, es choses mesmes que nous voyons présentement à l'œil :
comment nous seroit-elle ferme et indubitable, quand le Seigneur
nous promet les choses que l'œil ne voit point, et 1 entendement
15 ne peut comprendre ? Et tellement la prudence humaine est icy
esbestée et estourdie : que le premier degré pour proffîter en l'es-
colle du Seigneur, est, de y renoncer. Car par icelle, comme par
un voyle interposé, nous sommes empeschez de comprendre les
Mystères de Dieu: lesquelz ne sont point révélez, sinon aux Mat. 1 1 .
2opetiz. Mesmes ce n'est point la chair et le sang, qui les révèle : et Luc 10.
l'homme naturel n'est point capable d'entendre les choses spiri- Mat. 16.
tuelles. Mais aucontraire ce luy est folie de la doctrine de Dieu :
d'autant quelle ne peut estre congneue que spirituellement.
Pourtant layde du Sainct Esprit nous est en cest endroit neces-
25 saire : ou plustost il n'y a que sa seule vertu qui règne ici. Il n'y
a nul homme qui ayt congneu le secret de Dieu, ou ayt esté son /. Cor. 2.
conseillier : mais l'Esprit enquiert de tout, jusques aux choses
cachées : par lequel nous congnoyssons la volunté de Christ. Nul
ne peut venir à moy, dit le Seigneur Jésus, sinon que le père, Jean 6.
30 qui m'a envoyé, l'attire. Quiconques donc a escouté mon père, et
a apprins de luy, il vient à moy : nompas que personne ayt veu
le père, sinon celuy qui est envoyé de Dieu. Comme donc nous ne
pouvons approcher de Christ, sinon estantz tirez par l'Esprit de
Dieu : aussi quand nous sommes tirez nous sommes totalement
35 ravyz par dessus nostre intelligence. Car l'ame, estant par luy illu-
minée receoit quasi un œil nouveau, pour contempler les secretz
célestes : de la lueur desquelz elle estoit auparavant esblouyë. Par
ainsi l'entendement de l'homme, estant esclarcy par la lumière du
204 CHAPITRE 1111.
Sainct Esprit, commence lors à gousterles choses qui appartiennent
au Royaume de Dieu : desquelles il ne pouvoit auparavant avoir
aucun sentiment. Parquoy nostre Seigneur Jésus Christ, combien
qu'il declaire les Mystères de son Royaume tresbien et proprement
5 aux deux disciples, dont fait mention S. Luc : toutesfois il ne Luc. 22.
proffîte de rien,jusques à ce qu'il ouvre le sens pour entendre les
Escritures. En ceste manière, après que les Apostres ont esté Jean / 6.
instruictz de sa bouche divine : encores est-il besoing- que l'Es-
prit de vérité leur soit envoyé, lequel donne entrée en leurs enten-
111 démens à la doctrine, qu'ilz avoient receuë des aureilles para-
vant. La parolle de Dieu est semblable au Soleil : car elle reluyt
à tous ceux, ausquelz elle est annoncée : mais c'est sans efficace
entre les aveugles. Or nous sommes tous aveugles naturellement i
en cest endroit : pourtant elle ne peut entrer en nostre esprit :
ir, sinon que l'Esprit de Dieu, qui est le maistre intérieur, luy donne
accez par son illumination .
Il reste en après, que ce que l'entendement a receu, soit planté
dedens le cœur. Car si la parolle de Dieu voltige seulement en
la teste : elle n'est point encores receuë par Foy. Mais a lors sa
20 vraye réception, quand elle a prins racine au profond du cœur:
pour estre une forteresse invincible à soustenir et repoulser
tous assaulx des tentations. Or s'il est vray que la vraye
intelligence de nostre esprit soit illumination de l'Esprit de
Dieu : sa vertu apparoist beaucoup plus évidemment en une
îo telle confirmation du cœur. A scavoir d'autant qu'il y a plus de
deffîance au cœur, que d'aveuglement en l'esprit : et qu'il est
plus difficile de donner asseurance au cœur, que dinstruyre
l'entendement. Parquoy le Sainct Esprit sert comme d'un seau :
pour sceller en noz cœurs les mesmes promesses, lesquelles il a
30 premièrement imprimées en nostre entendement ; et comme
d'une arre, pour les confirmer et ratifier. Après que vous
avez creu, dit l'Apostre, vous avez esté scellez par l'Esprit de Ephes.1 .
promesse : qui est l'arre de vostre Héritage. Voyez-vous com-
ment il monstre : que les ca^urs des fidèles sont marquez du
35 Sainct Esprit, comme d'un seau : et qu'il l'appelle Esprit de
promesse, à cause qu'il nous rend l'Evangile indubitable ? Sem-
blablement aux Corinthiens : Dieu, dit-il, qui nous a oinctz, et 2. Co-
nous a marquez et donné l'arre de son Esprit en noz cœurs. '""* ' •
Item, en un autre lieu, parlant de la confiance et har-
DK I.A InV. 20,*)
diesse de nostre espérance : met pour fondement d'icelle, l'arre i. Cor. S.
de son Esprit.
De là peut-on jug-er, combien lu doctrine des Théologiens
Sophistes est pernitieuse. C'est que nous ne pouvons rien arres-
s ter en nous de la grâce de Dieu, sinon par conjecture morale :
selon qu'un chascun se repute n'estre indigne d'icelle. Certes s'il
lault estimer par les œuvres quelle affection ha Dieu envers nous
je confesse que nous ne le pouvons pas comprendre, voyre par
la moindre conjecture du monde. Mais d'autant que la Foy doiht
1" respondre à la simple et gratuite promesse de Dieu : il ne reste
plus de lieu à aucune doubte. Car, de quelle liance serons-nous
armez contre le Diable : si nous pensons seulement soubz ceste
condition Dieu nous estre propice ; si nous méritons, qu'il nous
le soit? Mais d'autant que nous avons destiné à ceste matière
tïson traicté à part : nous ne la poursuivrons d'avantage pour
le présent : veu principalement que c'est une chose manifeste,
qu'il n'y a rien plus contraire à la Foy que conjecture, ou autre
sentiment i)rochain à doubte et anibiguité. Pour confermer cest
erreur, il/, ont tousjours en la bouche un passage del'Ecclesiaste, Eccle. 9.
20 lequel ilz corrompent meschamment : à scavoir, Que nul ne
scait s'il est digne de hayne ou d'amour. Encores que je laisse à
(lire, que ceste sentence a esté mal rendue en la translation com-
mune, toutesfois les petiz enfans peuvent voyr ce que Salomon a
voulu dire. C'est que si quelqu'un veult estimer par les choses
25 présentes, lesquelz sont aymez, et lesquelz sont hayz de Dieu,
qu'il travaillera en vain : veu que prospérité et adversité sont
communes, tant au juste qu'à l'inique : tant à celuy qui sert à
Dieu, qu'à celuy qui n'en tient compte. Dont il s'ensuyt, que
Dieu ne testifie point tousjours son amour envers ceux qu'il fait
30 fructifier temporellement : et aussi ne declaire sa hayne envers
ceux qu'il afïïige. Laquelle chose il dit, pour redarguer la vanité
de l'entendement humain : veu qu'il est si esbeté à considérer les
choses tant nécessaires (comme peu devant il avoit dit) qu'on ne
peut pas discerner en quoy diffère l'ame de l'homme, d'une ame Eccle. 3.
3=i brutale : pource qu'il semble advis que l'une et l'autre meurt
dune mesme mort. Si quelqu'un vouloit de cela inférer, la
sentence, que nous tenons de l'immortalité des hommes,
n'estre fondée que sur conjecture : ne le jugerions-nous pas
à bon droit estre enragé ? Ceux cy donc sont-ilz de sain
206 CHAPITRE llll.
entendement en arguant qu'il n'y a nulle certitude de la grâce
de Dieu entre les hommes, d'autant qu'elle ne se peut com-
prendre par le regard charnel des choses présentes.
Mais ilz allèguent que cela est une presumption téméraire, que
0 s'attribuer une congnoissance indubitable de la volunté divine.
Ce que je leur concederoys, si nous entreprenions de vouloir
assubjectir à la petitesse de nostre entendement le conseil incom-
préhensible de Dieu. Mais quand nous disons simplement avec
Sainct Paul, que nous avons receu im Esprit qui n'est point de
10 ce monde, ains procédant de Dieu: par lequel nous congnoys-
sons les biens que Dieu nous a donnez : qu'est-ce qu'il peuvent
murmurer àFencontre ; qu'ilz ne facent injure à l'Esprit de Dieu?
Or si c'est un sacrilège horrible, de souspeceonner aucune révé-
lation venant de luy, ou de mensonge, ou d'incertitude, ou d'am-
lo biguité : qu'est-ce que nous faillons afFermantz la certitude de ce
qu'il nous a révélé ? Mais il prétendent de rechef, que c'est témé-
rairement faict à nous, de nous oser ainsi glorifier de l'Esprit de
Christ. Enquoy il demonstrent grandement leur bestise. Qui
penseroit qu'il y eust une telle ignorance en ceux qui se veullent Hom. 8.
20 faire docteurs de tout le monde ; de faillir si lourdement aux
premiers elementz de la Chrestienté ? Certes ce me seroit une
chose incredible, sinon que leurs escritures en fissent foy. Sainct
Paul dénonce qu'il n'y a point d'autres enfans de Dieu sinon ceulx Là mes-
qui sont menez par l'Esprit d'iceluy. Ceulx-cy veullent que les '"^* ^
25 enfans de Dieu soient conduictz par leurs propres espritz : estans
vuides de celuy de Dieu. Sainct Paul enseigne que nous
ne pouvons appeller Dieu nostre Père, sinon que l'Esprit
imprime ceste appellation en nous : lequel seul, peut rendre
tesmoignage à nostre ame, que nous sommes enfans de
30 Dieu. Ceulx-cy, combien qu'ilz ne nous deffendent point l'in-
vocation de Dieu : neantmoins nous ravissent l'esprit, par
la conduicte duquel il le failloit invoquer. Sainct Paul nye
que celuy qui n'est mené par l'Esprit de Christ, soit serviteur
d'iceluy. Ceulx-ci forgent une Chrestienté, laquelle nayt que
35 faire de l'Esprit de Christ. Sainct Paul ne nous fait nulle espé-
rance de la résurrection bien heureuse : sinon que nous sentions
le Sainct Esprit résident en nous. Ceulx-c}' imaginent une espé-
rance vuide d'un tel sentiment. Hz respondront, possible, qu'ilz
ne nyent point que le Sainct Esprit ne nous soit neces-
dp: la foy. 207
saire : mais cpie par humilité et modestie nous debvons penser que
nous ne l'avons point. Mais qu'est-ce donc que veult l'Apostre;
quand il commande aux Corinthiens de s'examiner et esprouver i.Cur.HL
s'ilz ont Jésus Christ habitant en eux ; adjoustant que quiconque
5 n a ceste congnoissance est reprouvé ? Or nous congnoyssons par
l'Esprit qu'il nous a donné, qu il demeure en nous : ainsi que dict
vSainct Jean. Et qu'est-ce que nous faisons autre chose ; (jue revo- l.jean.'i.
quer les promesses de Jésus Christ en double ; quand nous vou-
lons estre .ses serviteurs sans son Esprit ; veu qu'il a dénoncé
10 qu'il l'espandroit sur tous les siens ? Que faisons-nous autre chose joel 2.
([ue desrober au Sainct Esprit sa gloire, en séparant de luy la
Foy ; qui est œuvre proprement venant de luy ? Veu que ces
choses sont les premières leceons {[ue nous devons apprendre en
nostre religion : C'est un grand aveuglement de noter les Chres-
15 tiens d'arrogance, quand ilz se glorifient de la présence du S. Es-
prit : sans laquelle il n'y a nulle chrestienté. Certes ilz demonstrent
parleur exemple, combien est vray ce que dit, le Seigneur : com-
bien son Esprit est incongneu au monde et qu'il n'y a que ceulx-la,
dedens lesquelz il habite, qui le congnoyssent.
20 l'^t à fin de renverser de toutes })ars les fondemens de la Fov,
il/, les assaillent encores d'un autre costé. C'est, combien (pie nous
puissions asseoir jugement de la grâce de Dieu selon la justice en
laquelle nous consistons présentement : toutesfois que la certitude
de nostre espérance demeure en suspendz. Mais il nous resteroit
23 une belle confiance de salut, si nous ne pouvons autre chose, que
reputer par conjecture, qu'ilz appellent morale, que nous sommes
à présent en la grâce de Dieu, ne scachantz ce qui doibt demain
advenir. L'Apostre parle bien autrement, disant : qu'il est certain,
queny Anges, ny Puyssances, ny Principautez, ne mort, ne vie, Rom. S.
30 ne les choses présentes, ne les futures ne nous pourront sejîarer
de la dilection, de laquelle Dieu nous embrasse en Jésus Christ,
Hz s'efforcent deschapper par une solution frivole : disantz que
l'Apostre avoit cela de révélation spéciale. Mais ilz sont de trop
près tenuz, pour pouvoir si facilement eschapper : Car là il
35 traicte quelz biens proviennent de la Foy generallement à tous
fidèles non point ce qu'il experimentoit particulièrement en
soy. Voire mais luy mesme, disent-ilz, tasche de nous faire
craindre, en nous remonstrant nostre imbecilité et inconstance,
quand il dit, que celuy qui est debout se doibt garder qu'il ne
208 CHAPITRE iiii.
tombe. Il est bien vray : toutesfois il ne nous baille point une
crainte pour nous estonner : ains seulement pour nous apprendre /. Pier. o.
de nous humilier soubz la main puissante de Dieu : comme
Sainct Pierre le declaire. D'avantage, quelle resverie est-ce, de
5 limiter la certitude de Foy k un petit de temps ; à laquelle il
convient proprement doultrepasser la vie présente ; pour s'es-
tendre à l'immortalité future ? Pourtant quand les fidèles recon-
gnoyssent cela venir de la grâce de Dieu, que estans illuminez
de son Esprit, ilz jouyssent, par Foy, de la contemplation de la
10 vie future : tant s'en fault que telle gloire doibve estre accusée
d'arrogance : que si cjuelquun ha honte de confesser cela, il
demonstre ime extrême ingratitude, plustost que modestie ou
humilité : d'autant quil supprime et obscurcit la bonté de Dieu,
•laquelle il debvoit magnifier.
lo Par une mesme raison semblablement sont renversez deux
autres mensonges des Sophistes. Le premier est qu'ilz imaginent
que la Foy soit formée, quand à la congnoyssance de Dieu est
adjoustée une bonne affection. Le second, que en attribuant le
filtre de Foy à ignorance et mescongnoyssance de Dieu, ilz
20 abusent le simple populaire : car il font à croire que l'igno-
rance n'empesche point qu'on n'ayt une Foy, qu'ils appellent
implicite. Quant est du premier, ilz declairent assez qu'ilz
n entendent point, quel est le consentement de la Foy à rece-
voir la vérité de Dieu : quand il forgent une Foy informe d'un
25 simple et frivol consentement. Car nous avons ja declaire, que
le consentement de la Foy est plustost du cœur que du cer-
veau : et de l'afîection plustost que de l'intelligence. Pour /jom.-/.
laquelle cause la Foy est nommée obeyssance : à laquelle le Sei-
gneur ne préfère nul autre service. Et ce à bon droit : veu qu'il
3on'ha rien plus précieux que sa vérité : laquelle Jésus Christ dit Jeano,
estre signée et approuvée par lescroyans. Parquoy, puis que c'est
une chose quin'ha pas grand doubte : nous concluons en un mot,
que les Sorbonistes parlent follement, en disant, que la Foy est
formée quand avec le consentement est conjoincte la bonne affec-
33 tion : veu que le consentement, tel qu'il est demonstre en l'Escri-
ture, ne peut estre sans bonne affection. Mais il y a encores une Jean 3.
autre raison beaucoup plus évidente. Car veu que la Foy receoit
Christ tel qu'il est offert du Père : et il est offert, non seulement
pour justice, remission des péchez, et paix : mais aussi pour sancti-
Di: LA FOY.
209
lication et fontaine d'eaûe vive : elle ne le peut certes deuëment
recongnoistre, sans appréhender la sanctification de son Esprit.
Ou bien, si quelqu'un veult avoir encores cela plus clairement.
La Fov est située en la conj;^noissance de Christ : et Christ ne
5 peut estre congneu sans la sanctification de son Esprit : il s'ensuyt
que la Fov ne doibt estre nullement séparée do bonne affection.
Ceux qui ont coustume d'alléguer ce que dit Sainct Paul : à sca-
voir, si quelqu'un avoit si parfaicte Foy, que de pouvoir trans- I. Cor. 13.
ferer les montaignes, et quil n'eust point de charité, que cela n'est
10 rien : voulans par cesparolles faire une foy informe, qui soit sans
charité. Hz ne considèrent point que signifie le vocable de Foy
en ce passage. Car comme ainsi soit, que Sainct Paul eust dis-
puté des divers dons de l'Esprit entre lesquelz il avoit nommé les
langues, vertus, et Prophéties : et qu'il eust exhorté les chres- I. Cor. 12.
li tiens d'appliquer leur estude aux plus excellens et plus proffi-
tables, c'est à scavoir dont il pouvoit venir plus de fruict et uti-
lité à tout le corps de TEglise : Il adjouste, qu'il leur demons-
Irera encores une plus excellente voye : à scavoir (jue tous ces
dons, combien qu'ilz soyent tous excellens en leur nature, neant-
20 moins ne sont comme à rien estimer, s'ilz ne servent à charité :
d'autant qu'ilz sont donnez à ledilication de l'Eglise : à laquelle
s'ilz ne se rapportent, ilz perdent leur grâce et leur pris. Pour
cela prouver, il use d'une division, répétant ces mesmes grâces
dont il avoit faict mention auparavant : mais il les nomme de
23 divers noms. Ainsi ce qu'il avoit premièrement appelle vertu, il
le nomme Foy : signifiant par l'un et l'autre vocable, la puissance
de faire miracles. Or d'autant que celle puissance, soit qu'on la
nomme Foy ou vertu, est un don particulier de Dieu, lequel peut
avoir un meschant homme, et en abuser (comme sont le don des
3u langues. Prophéties, et autres semblables) ce n'est pas merveilles,
si elle est séparée de charité. Mais toute la faulte de ces povres
gens, est, que nonobstant que le vocable de Foy ayt diverses
significations nobservantz point ceste diversité ; ilz combatent
comme s'il estoit tousjours prins en vine mesme manière. Le lieu
35 de Sainct Jaques, qu'ilz ameinent pour confermer aussi leur
erreur, sera aillieurs expliqué.
La resverie qu'ilz ont de Foy implicite, non seulement ense-
velit la vraye Fo}- : mais la destruyt du tout. Est ce cela
croyre ; de ne rien entendre, moyennant qu'on submette son
Institution. 14
210 CHAPITHE llll.
sens à l'Eglise ? Certes la Foy ne gist point en ignorance : mais
en congnoissance : et icelle non seulement de Dieu, mais aussi
de sa volunté. Car nous n'obtenons point salut, à cause que nous
soyons prestz de recevoir pour vray tout ce que l'Eglise aura
s déterminé ou pource que nous luy remettions la charge d'enquérir
et congnoistre : mais entant que nous congnoissons Dieu nous
estre père bien-veuillant, pour la reconciliation qui a esté faicte
en Christ : et pource que nous recevons Christ, comme à nous
donné en justice, sanctification, et vie. C'est par ceste congnois-
10 sance, et non point en sul)mettant nostre Esprit aux choses incon-
gneuës, que nous obtenons entrée au Royaume céleste . Car
l'Apostre, en disant qu'on croyt de cœur à justice, et qu'on fait Rom. 10.
confession de bouche à salut : n'entend point qu'il suffise si
quelqu'un croyt implicitement ce qu il n'entend pas : mais il
15 requiert une pure et claire congnoissance de la bonté de Dieu,
en laquelle consiste nostre justice. Bien est vray que je ne nye
pas, que, comme nous sommes enveloppez d'ignorance, beaucoup
de choses ne nous soyent cachées, et seront : jusques à ce, que
ayantz despouillé ce corps mortel, nous soyons plus approchez
20 de Dieu. Ez quelles choses je confesse qu'il n'est rien plus expé-
dient, que de suspendre nostre jugement : et ce pendant arrester
nostre vouloir de demourer en unité avec l'Eglise. Mais c'est une
moquerie, d'attribuer soubz ceste couverture le tiltre de Foy à
une pm'e ignorance. Car la Foy gist en la congnoissance de Dieu
2o et de Christ : nompas en la révérence de l'Eglise. Et de faict
nous voyons quelle abysme ilz ont ouvert par une telle implica-
tion : c'est que les ignorans, tout ce qui leur est présenté soubz
le tiltre de l'Eglise, le receoivent, sans aucune discrétion :
mesmes les plus lourdz erreurs qu'on leur puisse bailler. Laquelle
30 facilité tant inconsidérée, combien qu'elle face tresbucher
l'homme en ruyne, est neantmoins excusée par eulx : d'autant
qu'elle ne croyt rien avec détermination, mais soubz ceste condi-
tion adjoincte : si la Foy de l'Eglise est telle. En ceste manière
ilz faignent qu on tient la vérité en erreur, la lumière en aveu-
33 o-lement. et la science en ignorance. Or à fin de ne nous arrester
longuement à réfuter ces folies : nous admonestons seulement
les lecteurs de les comparer avec nostre doctrine : car la clarté
mesmes de la vérité, donnera assez d'argumens pour les con-
fondre.
DE LA FOY. 211
Pource qu'il m'estoit advis, que la nature de Foy ne se pouvoit
m\ eulx declairer, que par la sentence des promesses : sur lesquelles
elle est tellement fondée, que, ieelles ostées, elle est ruynée, ou
plustost esvanoùye : à ceste cause nous avons de Ici prins nostre
3 définition : laquelle neantmoins n'est pas diverse de celle de
l'Apostre : où il enseigne que Foy est la subsistence des choses Hehr. II.
que nous espérons, et la monstre des choses qui n'apparoissent
point. Car par le nom d'Hypostase, duquel il use, il entend
comme un appuy, sur lequel se repose lame du fidèle : comme
10 s'il disoit, que la Foy est une possession certaine et asseurée des
choses qui nous sont promises de Dieu. Aucontraire, pour signi-
fier que ces choses, sont plus haultes, qu'elles puissent estre
comprinses par nostre sens, ou regardées par noz yeulx, ou estre
touchées des mains, jusques au dernier jour, que la pleine reve-
1 . lation en sera faicte : et que cependant nous ne les possédons
autrement, que en surmontant toute la capacité de nostre esprit
et eslevantz nostre intelligence par dessus tout ce qui est au
monde : finalement que en nous surmontantz nous mesmes : Il
adjouste, que ceste asseurance est des choses qui gisent en Hom. S.
2(1 espoir, et pourtant ne se voit point. Car évidence, dit Sainct
Paul, n'est pas espérance : et n'espérons pas ce que nous voyons.
En la nommant monstre ou probation des choses non appa-
rentes : il parle tout ainsi comme s'il disoit, que c'est une évi-
dence de ce qui napparoist, une vision de ce qui ne se voyt
2.i point, une perspicuité des choses obscures, une présence des
choses absentes, une demonstrance des choses obscures. Car les
Mystères de Dieu et principallement ceux qui appartiennent à
nostre salut, ne se peuvent contempler en leur nature : mais
nous les regardons seulement en la parolle de Dieu : de laquelle
30 la vérité nous doibt estre tellement persuadée, que nous tenions
pour faict et accomply tout ce qu'elle dit. Comment donc s'esle-
vera un courage : à recongnoistre et gouster une telle bonté de
Dieu; qu'il ne soit pareillement enflambé à aymer Dieu? Car
une telle abondance de doulceur, comme est celle que Dieu a
3o cachée à ceux qui le craignent : ne se peut vrayement entendre,
qu'elle nesmeuve le cœur. D'avantage elle ne peut esmou-
voir, qu'elle ne l'attire et esleve à soy. Pourtant ce n'est
point de merveilles, si ceste atrection n'entre jamais en un
cœur pervers et oblique : veu qu'elle nous ouvre les veulx
212 CHAPITRE IIII.
pour nous donner accez à tous les thresors de Dieu, et les Sainctz
secretz de son Royaume : lesquelz ne se doibA^ent point polluer
par rentrée d'un coeur immunde. Or ce que les Sorboniques
enseig-nent, que la charité précède la Foy et l'espérance, n'est
5 que pure resverie : veu qu'il n'y a que la seule Foy laquelle
premièrement engendre charité en nous. Toutesfois ce poinct et
les autres semblables se traicteront aillieurs : maintenant qu'il
nous suffise d'entendre que c'est de Foy.
Combien que c'est chose véritable, que la propriété de Foy ■
10 lors est clairement demonstrée, quand elle est dirigée à l'Evan- ^
gile comme à son but : Neantmoins si fault il chercher, que c'est
que la Foy doibt principalement reg-arder en iceluy evang-ile : ce i
que nous avons briefvement touché, en demonstrant comment la 1
somme de l'Evangile est contenue en Jésus Christ. Car par cela 2. Cor. I.
15 nous avons voulu signifier, que toutes les promesses non seule-
ment sont.comprinses en luy: mais aussi représentées. Mais d'au-
tant que c'est chose digne de plus claire exposition : il nous la
fault maintenant poursuyvre. Céste est la vie éternelle, de con-
gnoistre un seul Dieu, et celuy qu'il a envoyé, Jésus Christ. Or Jean 17.
20 c'est chose de grande conséquence, d'avoir droite congnoissance
du Père, et de Christ. Ce qui se doibt entendre du Père, ne se
voit point sinon au Filz : car il habite une lumière inaccessible :
mais il espand sur nous la splendeur d'icelle lumière par son
Filz. Il est invisible non seulement à l'œil, mais aussi à Penten-
23 dément : neantmoins il nous donne au vif à contempler son
image en son Filz. Pourtant 1 Apostre constitue l'illumination
de la congnoissance de Dieu en la face de Jésus Christ. Et 2. Cor. 4.
autrement ne s'appelleroit pas Christ à bon droit, la lumière du jg^n S. a
monde : sinon que par luy la lueur de la gloyre divine se decla- '^•
3orast aux hommes. Parquoy non seulement ce que dit l'Apostre
est vray : à scavoir que Christ est la splendeur de la gloyre Heh. I .
de son Père, et l'image vive de sa substance : mais il fault
aussi adjouster, que en luy la gloyre du Père se demonstre à
nous, et l'image de sa substance nous apparoist. Car tout
3o ce qu'avoit le Père, il l'a voulu colloquer en luy : à fin que
par luy il se communiquast à nous , et glorifiast son Nom. Jean 13.
Si nous cherchons donc accez au Père : il fault que nous Jean 13.
nous retournions par devers celuy, qui seul le nous peut
manifester . Quand il s'appelle la Voye : il demonstre que
DE LA FOV. 213
à luy seul appartient de nous adresser. Quand il se nomme
L'huis : il declaire que c'est son office de nous donner entrée :
et, comme il est dict en un autre lieu, nul ne congnoist le Filz, Jean I. 0
sinon le Père : ne le Père, sinon le Filz, et celuy auquel le Filz Malt. II.
■'\e vouldra révéler. Car, comme il a esté dict, qu'il nous fault estre Luc 10.
tirez de l'Esprit du Père, pour estre incitez à chercher et rece-
voir Jésus Christ : ainsi d'autrepart il fault entendre que nous
ne debvons chercher autre part le Père, qui est invisible, sinon
en Jésus Christ, qui est son image. Or ceste est la vraye con-
lognoissance de Christ, quand nous le recevons tel qu'il nous est Jean I.
oiïert du Père : à scavoir avec toute plénitude des richesses
célestes ; tellement qu'il nous soit vm thresor de félicité et de
tous biens. Toutesfois pour entrer en possession de ses richesses,
il nous fault premièrement scavoir la manière, par laquelle elles
15 nous ont esté acquises : c'est l'obeyssance de Christ, laquelle il a
demonstrée en faisant et accomplissant tout ce qui estoit néces-
saire à nostre salut, selon le conseil éternel de Dieu. Pourtant,
comme l'Evangile est le but de nostre Foy, et Christ, par l'Evan-
gile, est assigné comme le but particulier d'icellc : aussi en Christ
20 elle ha pour son object et regard ce qu'il a faict et souffert pour
nostre salut. Pour avoir donc une parfaicte explication de
la Foy : il fault avoir devant les yeulx ce qui est en Christ,
appartenant à la confirmation dicelle. Car après avoir con-
gneu la matière et la substance d'icelle : il sera aisé d'en-
25 tendre toute sa nature et propriété, comme en une peincture.
Or le Symbole des Apostres nous sera au lieu d une telle
peincture : auquel toute la dispensation de nostre salut est
tellement exposée en toutes ses parties, qu'il n'y a point un
seul poinct obmis. Je le nomme, des Apostres : ne me soucyant
30 pas beaucoup qui en a esté l'Autheur. Certes d'un grand con-
sentement il a esté attribué aux Apostres par les Anciens
soit qu'ilz estimassent qu'il avoit esté escrit par eulx en
commun : ou bien pensantz que ce feust un recueil de
leurs doctrine digérée par quelques autres, ilz luy ayent
35 voulu donner auctorité par ce tiltre. Quoy qu'il soit, je ne
doubte nullement, de quelque part qu'il soit procédé, qu'il
n'ayt esté dez le premier commencement de l'Eglise , et
mesmes dez le temps des Apostres, receu, comme une con-
fession publique et certaine de la Foy, Et n'est pas vray-
214 CHAPITRE IIII.
semblable, qu'il ayt esté composé par quelque particulier : veu
que de tout temps il ha eu authorité inviolable entre les fidèles.
Ce qui est le principal, nous est indubitable : à scavoir que
toute l'histoire de nostre Foy y est brièvement et en bel ordre
5 comprinse : et qu'il n'y a rien contenu, qui ne soit approuvé par
certains tesmoignages de l'Escriture. Laquelle chose congneue,
il n'est ja besoing- de se beaucoup tormenter qui en a esté l'au-
theur : ou d'en combattre avec les autres : sinon possible qu'il
ne suffist point à quelqu'un d'avoir la vérité du Sainct Esprit
m résolue : mais qu'il voulust entendre pareillement par quelle
bouche elle auroit esté dénoncée, ou par quelle main elle auroit
esté escrite. Toutesfois devant que A'enir à l'exposition : nous
avons deux poinctz à considérer. Le premier est, que quand
l'histoire nous y est proposée : ce n'est pas à fin que nous nous
15 arrestions en la simple congnoyssance d'icelle : mais plustost
que par icelle nostre entendement s'esleve en l'intelligence de
chose plus haulte. Car, comme ainsi soit, qu'il y ayt deux
espèces des choses qui nous y sont recitées, les unes visibles, et
les autres invisibles : ce que nous disons apparoist en toutes les
20 deux. La puissance de Dieu, le Sainct Esprit, la remission des
péchez, et autres semblables, sont choses spirituelles qui ne se
voient point à l'œil. Quand elles nous sont recitées, il ne suffit
pas de les croire estre véritables, sinon que de ceste croyance,
nous prenions matière de fiance et espérance : tellement que
23 non seulement nous estimions Dieu tout puissant : mais que
nous le recongnoissons comme celuy qui nous maintient par
sa puissance : Que nous ne recevions point seulement par
imagination le Sainct Esprit, mais avec sa vertu. Laquelle
reigle doibt valoir aux autres Articles semblables : lesquelz,
30 pource que nous les expliquerons en temps et lieu, nous n'avons
voulu à présent sinon en donner brièvement exemple. De rechef
la nativité, la mort, la résurrection de Christ, et son ascen-
sion au Ciel, ont esté choses manifestes à la veuë des hommes.
Or quant elles nous sont référées, il ne fault point que
^"' lame fidèle demeure fichée à les regarder extérieurement : mais
pource qu'elle scait que toutes les œuvres de Dieu sont faictes
en sagesse : elle doibt reputer et estimer la cause pourquoy
elles ont esté faictes. Ainsi le but et le regart de nostre Fov,
c'est l'histoire : la fin et la raison, est, la contemplation des
DE l.A FOY. 21 0
choses invisibles et incompréhensibles, laquelle se prend de
l'histoire : comme nostre ame conceoit de la mort de Christ,
fiance de la satisfaction : et de sa résurrection, espérance d'im-
mortalité.
s Le second poinct que j'ay dict qu'il nous failloit observer,
est la division du symbole : auquel va troys membres, qui com-
prennent la description du Père et du Fils et du Sainct Esprit :
dont tout le mystère de toute nostre rédemption dépend. Le
quattriesme demonstre en quelles choses nostre salut est situé.
10 Lequel ordre n'est point à ne^lig-er. Car pour venir en con-
gnoyssance de nostre salut, il fault premièrement considérer
ces trois poinctz, qui en sont le fondement et la somme : à
scavoir la grande bonté et doulceur du Père céleste, et la
dilection envers le genre humain : laquelle est approuvée en /. Jc.m :}.
i;i ce qu'il n'a point pardonné à son propre Filz : niais l'a livré
à la mort pour nous, à fin de nous restituer la vie. Seconde-
ment l'obeyssance du Filz : laquelle est l'accomplissement de
la miséricorde de Dieu, pour parfaire nostre salut. La vertu
de l'Esprit par lequel le fruict de la bonté de Dieu en Jésus
20 Christ nous est communiqué. Et à cela regardoit Sainct Paul,
souhaittant aux Corinthiens la charité de Dieu, la grâce de
Christ, et la communication du Sainct Esprit. Car tout ce 2. Cor. 13.
que nous avons de bien, procède de la charité de Dieu : et
nous est donné et offert en Jésus Christ, comme en la fontaine
23 unique de grâce, et sommes faictz participans de tous les
biens, que la bonté de Dieu nous présente, par la vertu de
l'Esprit. De là s'ensuyt la Foy, que nous avons touchant
l'Eglise, la remission des péchez, la résurrection de la chair,
et la vie éternelle, qui est la quattriesme partie du Symbole.
30 Or pource que Sathan, voulant destruyre toute la Foy des-
puis la racine, a tousjours esmeu de grandz troubles, partie
en la divinité de Jésus Christ, partie en la distinction per-
sonnelle qui est en Dieu : Et a quasi en tout temps incité
des espritz malings, qui ont inquiété les fidèles de ses debatz,
35 taschant mesmes de renverser toute lEscriture : il m'est advis
que ce sera bien faict de commencer l'explication du Symbole
par ce poinct. Toutesfois pource que j'ay délibéré plustost
d'instruyre ceux qui se rendent dociles, que de combattre contre
les rebelles, je ne ferai pas si longue disputation, comme
216 CHAPITRE un.
l'importance de la cause requerroit bien. Mais je me contenteray
de monstrer ce qu'il fault suyvre ou fuyr en cest endroict : en telle
sorte neantmoins, que la vérité puisse estre maintenue contre les
calumnies des meschans. Combien, ainsi que j'ay dict, que ma
5 principale estude tendra à ce but d'instruire, en vraye et ferme
doctrine, ceulx qui voluntairement se rendront obeyssans à la
vérité. Premièrement, s'il est besoing de sobrement enquérir
autant qu'il y a de haultz mystères en l'Escriture : il nous faul*
en cestuy-cy, par dessus tous, garder une singulière sobriété :
10 en nous gardant bien que nostre cogitation, ou nostre langue ne
passe oultre les limites de la paroUe de Dieu. Car comment un
entendement humain reduyra-il à sa petitesse l'Essence infinie
de Dieu ; veu qu'il n'a encores peu comprendre quel est le corps
du Soleil ; lequel se voit assiduellement à l'œil ? Et mesmes,
13 comment pourra-il chercher la subsistance de Dieu ; veu qu'il
ne congnoist pas la sienne propre ? Pourtant que nous permet-
tions à Dieu la congnoyssance de soymesme. Luy seul, comme
dict Sainct Hilaire,peut rendre ydoine tesmoignage de soy : veu
qu'il n'est congneu que par soy. Or nous luy permettrons lors,
^^ quand nous le concevrons tel qu'il se manifeste à nous : et n'en-
querrons de luy par sa parolle. Il y a cinq belles Homélies
de Chrisostome de cest argument, contre une secte d'Here-
liques, qui se nommoient Anoméens, par lesquelles toutesfois
l'audace des Sophistes n'a peu estre reprimée, qu'ilz n'ayent
23tasché la bride à leur langue, à babiller sans propoz de la majesté
de Dieu. Hz ne se sont nomplus modestement portez icy, qu'ilz
ont de coustume en toutes choses. Puis donc que nostre Sei-
gneur a puny leur témérité, permettant qu'ilz tombassent en
beaucoup de folies : il nous fault estre advertiz par leur exemple,
30 de nous contenter d'apprendre ce que l'Escriture nous enseigne,
sans accepter aucune subtilité : et mesmes qu'il ne nous vienne
en l'entendement de rien chercher de Dieu, sinon en sa parolle :
d'en rien penser, sinon avec sa parolle : d'en rien parler, sinon
par sa parolle.
35 L'Escriture tant souvent et tant clairement prononce, qu'il
y a un seul Dieu, d'une Essence Eternelle. Infinie, et Spirituelle :
qu'il n'est ja mestier d'en faire longue probation. Car ce
que les Manichéens ont abusé d'aucuns tesmoignages, pour
constituer deux principes : a esté une folie trop oultr;'a,geuse.
DE LA FOY. 217
Pareillement, les Antropomorphites, qui ont imaginé Dieu estre
corporel : k cause que l'Escriture luy attribue bouche, aureilles,
mains et piedz : ont par trop lourdement failly. Car, qui est
celuv de si petit entendement : qui ne voye bien que nostre Sei-
5 gêneur s'attribue ces choses ; pour condescendre h nostre capacité ;
comme une nourrice bégaye avec son petit enfant, pour se démet-
tre à sa rudesse? Pourtant telles formes de parler n'exprime[nt]
pas tant quel est Dieu : qu'elles accommodent la congnois-
sance de luy à nostre ignorance. Pour laquelle chose faire, il est
*'' besoing de descendre de beaucoup au dessoubz de sa grandeur et
haultesse. Pourtant il apparoist assez, combien radottent ceux
qui veulent mesurer son Essence par telles descriptions. Nous
tenons donc comme chose résolue, ce qui a esté dict d'un seul
Dieu, et son Essence Infinie, Eternelle, et Spirituelle. Mais la
15 distinction du Père et du Filz et de l'Esprit, laquelle est en la
divinité, n'est pas si facile à congnoistre : et tormente beaucoup
d'Espritz. Parti.ssons donc ceste question en deux articles : dont
le premier sera pour confermer la divinité du Filz et de l Esprit :
le .second, pour expliquer la manière de la distinction, qui est
20 entre le Père, le Filz et l'Esprit. Or il n'y a point faulte de tes-
moignages en l'Escriture, pour approuver l'un et l'autre. Car
quand nous oyons qu'il est là parlé de la parolle de Dieu : ce
seroit une grande absurdité, de imaginer une voix jettée en
l'air, et qui s'esvanoûist incontinent : comme ont esté, quant à
25 la prononciation extérieure, les Oracles et les Prophéties données
anciennement aux Pères. Mais plustost est dénotée la sapience
perpétuelle qui réside en Dieu : dont tous les Oracles et les
Prophéties anciennes sont sorties. Car comme Sainct Pierre tes-
moigne, les Prophètes n'ont pas moins parlé au vieil Testament -• Pi^er.L
30 par l'Esprit de Christ : qu'ont faict depuis eulx les Apostres,
et tous ceux qui ont administré la vérité de Dieu aux hommes ,
Et combien que Moyse demonstre-suffisamment que ce n'a point
esté une volunté subite et temporelle en Dieu, par laquelle le
monde a esté créé : mais que ce a esté son conseil Eternel : et
33 s'il est licite d'ainsi parler, son cœur permanent et immuable :
toutesfois si cela estoit doubteux ou obscur k quelqu'un, il est
encores plus clairement exprimé en Salomon : quand il introduyt Prov. 8.
la sagesse de Dieu : laquelle estant engendrée de toute éternité a
présidé k la création du monde, et préside k toutes les œuvres de
21 8 CHAPITRE IIII.
Dieu. Mais Sainct Jean le declaire plus familièrement que tous Jean t.
les deux, en disant que la paroUe, qui a esté en Dieu dez le com-
mencement, est elle mesmes Dieu. Car en chascune de ces deux
particules, il attribue à la parolle Essence permanente. Parquoy,
3 comme toutes révélations procédantes du Ciel ont à bon droit ce
tiltre, d'estre nommées parolles de Dieu : toutesfois nous avons
à recongnoistre la parolle essencielle, qui est l'origine et la source
de toutes révélations : laquelle nest subjecte à aucune mutation.
Laquelle demeure tousjours en Dieu, et mesmes est Dieu.
K' Toutesfois il y en a aucuns, lesquelz n'osantz point ouverte-
ment ravir au Filz de Dieu sa divinité, taschent de luy desrober
en cachette son Eternité. Car ilz disent que la parolle a com-
mencé destre, quand Dieu, en la création du monde, a ouvert
sa bouche, pour commander que toutes choses se fissent. Mais
13 ilz pèchent trop inconsidérément contre la Majesté de Dieu :
en imag-inant quelque nouvelleté en sa substance. Car, comme
les Noms de Dieu, qui se rapportent à ses œuvres, luy ont esté
lors premièrement attribuez, quand les œuvres ont commencé
d'estre (comme de le nommer Créateur du Ciel et de la Terre)
20 aussi au contraire la pieté ne recongnoist aucun nom, qui
signifie quelque chose estre survenue à Dieu en soymesme.
Mais ilz cavillent en ceste manière : que Moyse, en recitant
que Dieu a lors commencé à parler, dénote que auparavant
il n'y avoit nulle parolle en luy. Mais à scavoir mon, si pource
23 qu'une chose a commencé à estre manifestée en certain temps ;
il fault de cela inférer, qu'elle n'avoit point auparavant esté ?
Je concludz bien aucontraire : c'est, que veu qu'en la mesme
minute de temps que la lumière a esté faicte, la vertu de sa
parolle s'est monstrée : que icelle parolle estoit auparavant. Si
30 on veult chercher de combien : on n'y trouvera nul commence-
ment : car Jésus Christ, qui est icelle parolle, ne détermine
point certaine espace de temps, quand il dit, Père glorifie ton
Filz, de la gloyre, que j'ay eu avec toy éternellement, devant Jean 11.
que le monde feust créé. Or en parlant ainsi, il oultrepasse tout
35 temps, et toutes années. Nous concluons donc de rechef, que la
parolle de Dieu, ayant, sans aucun commencement, esté conceuë
en luy. y a tousjours esté permanente : dont est approuvée son
Eternité, Sa Majesté, et vraye Essence divine. Mais d'autant
que après avoir prouvé sa Divinité, le reste s'en ensuyt : il
DR LA FOY. 219
nous fault principalement arrester en l'approbation d'icelle :
ayant toutesfois premièrement touché briefvement, en quelle
sorte il est appelle Filz de Dieu. Les Anciens, qui estimoient
Jésus Christ avoir esté eng-endré du Père par une génération
5 Eternelle, se sont elVorcez de le monstrer par le tesmoignage de
lesaïe : Qui expliquera sa génération ? en l'intelligence duquel lesaie 53.
ilz se sont abusez. Car le Prophète ne traicte point là, comment
le Filz a esté engendré du Père : mais par quelle abondance de
lignée le Règne de Jésus Christ doibt estre multiplié. Ce qu'ilz
if^ allèguent des Psalmes n'est gueres plus certain : à scavoir ce
qui est dict. Je t'ay engendré de mon ventre, devant l'Estoylle Panl.ltO.
du matin : veu que cela est prins seulement de la translation
commune, qui ne respond point à la vérité hébraïque en cest
endroit. Car il y a en hebrieu en ceste manière. La rousée de ta
ir. nativité est, comme la sortie de l'Estoylle du matin. L'argument
donc qui ha la plus grande apparence, est celuy qu'on prend des
parolles de l'Apostre, où il est dict (jue toutes choses sont Cullos. /.
crées par le Filz. Car si le Filz n'eust esté pour lors : il n'eust
pas peu declnirer sa vertu. Neantmoins il apparoist par autres
20 semblables formes, que ceste raison n'est pas trop ferme : car
nul de nous ne concédera, que le tiltre de Christ appartinst à
nostre Seigneur Jésus, du temps que lesjuifz estoient au Désert :
veu qu'il ha une propriété, qui convient particulièrement à sa
nature humaine. Et neantmoins, S. Paul luy a attribué pour ce 1. Cor. 10.
25 temps là. Semblablement quand il dit en un autre passage, que
Jésus Christ a esté hier, est aujourd'huy. et sera à tousjours. Si llehr. 13.
par cela quelqu'un vouloit convaincre, que le Nom de Christ a
esté tousjours convenable à nostre Sauveur : il ne proffitera
rien. Que faisons-nous autre chose, en abusant des tesmoignages
30 de l'Escriture, lesquelz en leur sens naturel ne servent de gueres
à nostre cause, sinon que nous exposons les articles de nostre
Foy à la moquerie des Hérétiques? Quant à moy, ce seul argu-
ment me suffira tousjours, autant comme nulle, pour confermer
ma conscience en l'Eternité du Filz de Dieu. C'est que Dieu
35 n'est point Père aux hommes, sinon par le moyen de son Filz
unique : auquel seul cest honneur est proprement deu, et par le
bénéfice duquel il nous est communiqué. Or est il ainsi, que Dieu
a tousjours voulu estre invoqué comme Père : il s'ensuvt donc,
que le Filz estoit desja lors, par lequel ceste accoinctance estoit
220 CHAPITRE IlII.
establie. Venons maintenant h monstrer sa Divinité : laquelle
g-ist en double espèce de probation. Car le Nom et l'honneur de
Dieu est clairement attribué au Filz de Dieu, par evidens tes-
moignages de TEscriture ; et il est approuvé tel par la vertu de
=»ses œuvres.
Premièrement David parle à luy ainsi. Ton Throsne, o Dieu,
demeurera éternellement : le sceptre de ton Règne est un sceptre Psal. 43.
de droiture. Quelque meschant, possible, tergiversera icy, disant
que le nom de ELOHIM, lequel est là mis, convient aussi bien
10 aux Anges et aux Superioritez. Mais il ny a nul passage en
l'Escriture, où un Throsne éternel soit ainsi érigé à la créature :
car il n'est pas simplement appelle Dieu : mais aussi Eternel
dominateur. D'avantage ce tiltre n'est jamais donné à personne,
sinon avec une queue : comme Moyse est nommé Dieu de
lï Pharaon : tellement qu en ce passage le tidele ne peut concevoir
sinon le vray Dieu unique. Or que cela soit dict du Filz de
Dieu, il appert de ce qui s'ensuyt. A ceste cause ton Dieu t'a
oinct de Ihuyle de joye. Celuy donc, dont il est icy parlé, est
Dieu, et ha Dieu par dessus soy. C est Jésus Christ : lequel en
20 son humanité, a voulu apparoistre comme serviteur, se soubz-
mettant à Dieu son Père. En lesaïe il est introduict comme lesaie 9.
Dieu, et comme garny de puissances : laquelle chose n'appar-
tient que au Dieu vivant. Voicy, dit-il. le nom dont on l'appel-
lera : Le Dieu puissant, Père du siècle futur. Et ne fault que les
25 Juifz. pour caviller, viennent à renverser le passage du Prophète, le
tournantz en ceste faceon : Voicy le nom dont le nommera le Dieu
puissant. Père du siècle futur : pour ne laisser rien à Jésus Christ, l
sinon qu'il soit Prince de paix. Car, à quel propoz le Prophète,
contre toute la coustume de l'Escriture, eust-il tant assemblé
3û de tiltres; pour donner à Dieu ; en un seul passage? Aucontraire
c'est chose claire, qu'ila voulu orner Jésus Christ des filtres qui luy
appartiennent. Encores est plus manifeste ce qui est dict en Hyere-
mie : qu'il sera appelle le Germe de David, eslevé pour le salut du Hyer.23.
peuple, et l'Eternel de nostre justice. Car veu mesmes que les Juifz
33 enseignent, les autres Noms de Dieu estre comme tiltres pour hono-
rer sa gloire cestuy-ci, dont use le Prophète, estre le propre Nom
de sa substance : nous avons que le Filz de Dieu est aussi nostre
Dieu unique et Eternel. Lequel en un autre lieu tesmoigne. qu'il lésa. H .
ne donnera sa gloyre à autre. Les Juifz malicieusement taschent de
DE LA FOY. 221
renverser ce passage : alleguans que Moyse a imposé aussi bien
ce nom à l'Autel, qu'il avoit édifié : et que Ezechiel l'attribue à
l'Eglise de Dieu : mais ceste cavillation est trop vaine. Car qui
est celuy qui ne voit bien; que l'Autel est dressé en monuement
5 et enseigne ; que Dieu est l'exaltation de Moyse ? Pareillement que
le Nom de Dieu n est point proprement assigné à lEglise ; mais
plustost est signifiée la présence de Dieu en icelle? Car les
parolles du Prophète sont telles : Le nom de la Cité sera, que le
Seigneur y habite : et Moyse parle en ceste sorte, qu'il a édifié
10 un Autel k Dieu, et luy a donné à nom, le Seigneur est mon
exaltation. Qu'est ce que veult dire autre chose Hyeremie ; que
Jérusalem est le lieu où habite le Seigneur ? et que veult autre
chose Moyse, sinon que Dieu est sa force? en tesmoignage de quoy
il dresse un Autel. Mais on pourra dire, qu'il y a plus grande
15 difficulté en un autre passage, qui est au 33 de Hyeremie, où ce
qui avoit esté auparavant dict de Jésus Christ est transféré à
l'Eglise. Les parolles sont. Voicy le nom, dont elle sera nommée,
l'Eternel nostre justice. Je respondz, que tant s'en fault que ce
passage nous soit contraire, que plustost il est propre pour def-
20 fendre nostre cause. Car le Prophète, ayant premièrement testifié,
que Jésus Christ est nostre vray Dieu, duquel nous doibt procéder
toute justice : adjouste consequemment que l'Eglise aura si cer-
taine congnoissance de cela, que mesmes elle se pourra glorifier
du nom.
25 Le nouveau Testament est plein de tesmoignages infiniz : pour-
tant il me fault mettre peine d'en choysir aucuns des plus propres,
plustost que de les assembler tous. Premièrement cela est digne
d'estre observé, que les Apostres monstrent les choses, qui avoient
esté predictes du lieu Eternel, avoir esté accomplies, ou bien devoir
soestre une fois vérifiées en Jésus Christ. Comme quand lesaïe pré-
dit, que le Dieu des armées sera en scandale aux Juifz et aux lexaie S.
Israélites. Sainct Paul dit que cela a esté accomply en Christ : en Rom. 9.
quoy il dénote, que Christ est le mesme Dieu des armées, duquel
parloit lesaïe. Semblablement en un autre lieu : Il nous fault, dit-il,
35 tous venir au Throsne judicial de Christ : car il est escrit, que tout
genoil se ployra devant moy, et toute langue jurera en mon Nom. Rom. H.
Or comme ainsi soit, que Dieu ayt dict cela de soymesme en lesaïe : lésa. iîi.
d'autant qu'il est vérifié en Jésus Christ, il sensuyt qu'il est le mes-
me Dieu, duquel la gloire ne peut estre aillieurs transférée. D'avan-
222 CHAPITRE un.
tag^e ce qu'il allègue aux Ephesiens, estre dict de Jésus Christ, il
appert qu'il compete singulièrement à Dieu : c'est que s'esle- Eph. i.
vant en hault. il a mené ses adversaires en captivité. Le Prophète Psal. 95.
disoit cela de Dieu, lequel avoit donné la victoire à son peuple
a contre ses ennemys. S. Paul congnoyssant, que cela n'estoit
qu'une umbre, et que laccomplissement est en Jésus Christ : il
luy attribue. En telle sorte Sainct Jean tesmoigne, que cestoit Jean 12.
la gloire du Filz de Dieu qui apparust à lesaïe : combien que le lésa. 6.
Prophète dit que cestoit la Majesté du Dieu vivant. Oultre plus
ii^il n"v a nulle doubte, que les passages que cite l'Apostre en
l'Epistre aux Hebrieux n'appartiennent au seul Dieu: à scavoir, Hebr.1.
Seigneur tu as fondé dez le commencement le Ciel et la Terre.
Item, Adorez-le, vous tous ses Anges. Combien que ces tiltres
soient pour honorer la Majesté de Dieu : toutesfois de les appli-
lo quer à Jésus Christ, ce n'est point en abuser : car c'est chose
notoire, que tout ce qui est là predict, a esté accomply en luy
seul. C est luy, qui s'est mis en avant, pour faire miséricorde à
Svon. C'est luy qui a prins possession de tous peuples, etde toutes
régions du monde, en dilatant son Royaume par tout. Et pour-
2(iquov Sainct Jean eust-il doubté d attribuer la Majesté de Dieu Je;i/i /.
à Jésus Christ; ayant affermé au commencement de son Evangile
qu'il estoit Dieu éternel ? Pourquoy eust craint Sainct Paul de
le coUoquer au Throsne de Dieu ; ayant si clairement auparavant
parlé de sa divinité ; en disant qu'il est le Dieu benict éternelle- Rom. 9.
2o ment ? Et à fin que nous voyons comment il persévère constam-
ment en ce propoz : en un autre lieu il dit, qu'il est Dieu mani-
festé en chair. S'il est le Dieu benict éternellement : c'est celuy 2.Thim.3.
auquel en un autre passage le mesme Apostre enseigne que toute \
gloire est deuë. Ce que de faict il monstre ouvertement : escri- Philip. 2.
30 vant que Jésus Christ, entant qu'il avoit la gloire de Dieu, n'eust
point estimé rapine de se faire esgal à Dieu, mais qu'il s'est l . Jean 3.
voulu anneantir. Et à fin que les meschans ne murmurassent,
que ce feust quelque Dieu faict en haste : Sainct Jean passe oultre,
disant qu'il est le vray Dieu et la vie éternelle. Combien toutes-
3o fois qu'il nous doibt suffire, quand nous entendons qu'il est nom- l.Cor. 8.
mé Dieu : principallement par la bouche de Sainct Paul, qui
ouvertement dénonce, qu'il n'y a point plusieurs Dieux : mais
un seul. Combien, dit-il, qu'on renomme plusieurs Dieux au
Ciel et en la Terre : nous n'avons toutesfois qu'un seul Dieu
DE LA FOY. 223
duquel sont toutes choses. Quand nous oyons de luymesme que
Dieu a esté manifesté en chair, que Dieu a acquis son Eglise par ^ .Thi. ;i.
son sang : pourquoy imaginerions-nous un second Dieu, lequel Ad. 2. et
il ne recongnoist point ? Finalement si c'est chose certaine (comme ^^•
5 c'est) que tous les fidèles ajent eu ce mesme sentiment : certes
Sainct Thomas, confessant qu'il est son Dieu et son Seigneurj
declaire qu'il est le Dieu unique, qu'il avoit tousjours adoré, Jean 20.
D avantage si nous estimons sa divinité par ses œuvres
lesquelles luy sont attribuées en TEscriture : elle apparoistra
loencores plus chdrement. Car en ce qu'il dit, que despuis le
commencement jusques à ceste heure il a tousjours ouvré avec l.Jean 3
son Père : les Juifz, combien qu'ilz fussent autrement bien stu-
pides, entendirent bien que par cela il se attribuoit la puissance
de Dieu. Et à ceste cause, comme dict Sainct Jean, cherchaient
15 plus que devant de le meurtrir : veu que non seulement il vio-
loit le Sabbat, mais se portoit pour Filz de Dieu, se faisant
esgal à Dieu. Quelle sera donc nostre stupidité ; si nous ne
congnoyssons que sa divinité est en ce passage pleinement
certifiée? Et de vray, gouverner le monde par sa providence
20 et vertu, et tenir toutes choses en son commandement (ce que llebr. I.
TApostre dit luy appartenir) ne convient qu'au seul Créateur.
Et non seulement l'office de gouverner le monde luy compete
communément avec le Père : mais tous autres offices, qui ne
peuvent estre transferez à créature aucune. Le Seigneur dénonce
25 par le Prophète: Ce suis-je, ce suis-je : Israël, qui efface /e.sa. 4^.
tes iniquitez à cause de moy. En suyvant ceste sentence. Mat. 9.
les Juifz pensoient que Jésus Christ faisoit injure à Dieu
prenant l'authorité de remettre les péchez. Mais luy aucon-
traire non seulement de parolles maintinst ceste puissance
30 à soy : ains l'approuva par miracle. Nous voyons donc, que
non seulement le ministère de remettre les péchez est par-
devers Jésus Christ : mais aussi la puyssance, laquelle Dieu
a une fois dénoncée devoir demeurer à soy éternellement
Quoy? de scavoir et entendre les secretz et cogitation des
35 hommes, n'est-ce pas le propre d'un seul Dieu? Or est-il ainsi,
que cela a esté en Jésus Christ : dont la divinité est demonstrée. Jean 2.
Quant aux miracles, elle y est approuvée quasi à l'œil. Car,
combien que les Prophètes et Apostres en ayent faict de sem-
blables : toutesfois il y a grand'difference : en ce qu'ilz ont esté
224 CHAPITRE IIII.
seulement ministres des dons de Dieu : Jésus Christ ha eu en
sovmesme la vertu. Il a bien aucunesfois usé de prières, pour Jean //
référer la gloire k son Père : mais nous voyons que le plus sou-
vent il a demonstré la puissance estre sienne. Et comment celuy
5 ne seroit-il le vray autheur des miracles ; qui de son authorité
octrove aux autres la faculté d'en faire ? Car TEvangeliste Marc 6.
recite, qu'il a donné à ses Apostres la puyssance de ressusciter
les mors, ^^uerir les ladres, chasser les Diables, etc. Et les
Apostres de leur part en ont tellement usé, qu'ilz demonstroient
10 assez, que la vertu ne procedoit point d'ailleurs que de Jésus
Christ. Au Nom de Jésus Christ, dict Sainct Pierre au Parali- Act. 3.
tique, lieve tov et chemine. Parquoy ce n'est point de merveille,
si Jésus Christ a objecté ses miracles pour convaincre l'incrédu-
lité des Juifz : comme ainsi soit que estans faictz de sa propre
15 vertu ilz rendoient ample tesmoignage de sa divinité. Oultreplus,
si dehors Dieu il n'y a nul salut, mdle justice, nulle vie : certes
en contenant toutes ces choses en soy, est demonstré estre Dieu.
Et ne fault point que quelqu'un allègue, que ces choses luy ont
esté concédées de Dieu : car il n'est pas dict qu'il ayt receu le
20 don de salut : mais que luy mesme est le salut. Et s'il n'y a
nul bon, fors qu'un seul Dieu ; comment pourroit estre. l'homme,
je rie dis pas bon et juste, mais la bonté et la justice luy mesme ?
Et que dirons-nous à ce qu'enseigne l'Evangeliste : que dès le
commencement du monde la vie estoit en luy ; et que luy estant
25 la vie estoit aussi la lumière des hommes ? Pourtant ayantz
telles expériences de sa majesté divine, nous osons mettre nostre
Fov et espérance en luy : comme ainsi soit que nous scachons
estre un blaphesme, de mettre sa fiance en la créature : et ne
faisons point cela témérairement, mais selon sa parolle. Croyez-
30 vous en Dieu, dict-il, croyez aussi en moy. Et Sainct Paul, je.i„ I4.
nous croyons en Jésus Christ, k fin d'estre justifiez par la Foy Gai. 2.
de Jésus. Et en ceste manière il expose deux passages de lesaïe, nom. 10
Quiconque croit en luy, ne sera point confuz. Item. 11 y ''' ''^■
sortira de la racine de Jessé un Prince, pour régir les Peuples,
Soles Gens espéreront en luy. Et quel mestier est-il d'en racompter
beaucoup de tesmoignages ; veu que ceste sentence est si souvent
répétée ? Quiconque croit en moy, il ha la vie éternelle ? D'avan-
tage l'invocation , qui dépend de la Foy, luy est aussi deue : EnVEvan
laquelle neantmoins est propre k la Majesté de Dieu, si elle ha ^^^^^^
m: LA FOY. 22o
quelque chose de propre. Le Prophète dit. Quiconques invoquera Joel 2.
le Nom de Dieu, sera sauvé. Item, Salomon, Le Nom de Dieu est
une bonne fortresse : le juste y aura son refuge, et sera sauvé. Prov. IS.
Or le Nom de Christ est invoqué à salut. Il s'ensuyt donc qu'il
5 est Dieu. Nous avons exemple de ceste invocation en Sainct
Estienne quand il dit : Seigneur Jésus, recois mon Esprit. Puis Actes 7.
après, comme tesmoigne Ananias au mesme livre : Seigneur
Jésus, dit-il, tu scais combien il a afïïigé tous les Sainctz qui Avt. 9.
invoquent ton Nom. Et à fin qu'on entende que toute plénitude
10 de Divinité habite corporellement en Jésus Christ : Sainct Paul
confesse, qu'il n"a voulu scavoir autre doctrine entre les Corin-
thiens, que la congnoissance de son Nom : et ([u'il n'a presché /. Cor. 2.
autre chose cjut' luy seul. (Ju'est-ce cela : de ne prescher autre
chose que Jésus Christ aux lideles ; ausquelz Dieu dellend de ne
15 se glorifier en autre Nom que au sien ? Qui osera maintenant
dire ; que celuy est une simple créature ; du(|uel la congnois- Hyer. 9.
sance est nostre gloire unique ? Cela aussi n'est point de petite
importance, que les Apostres aux salutations qu ilz ont accous-
tumé de mettre au commencement de leurs escrit/ : requièrent
soles mesmes ])enefices de Jésus Christ, qu il/ font de Dieu son
Père. Enquoy ilz den\onstrent, que non seulement par son inter-
cession et moyen nous o])tenons les bénéfices de Dieu : mais que
de luy mesme nous les recevons. Ceste congnoissance, qui gist
en pratique et expérience : est beaucoup plus certaine, que toutes
25 spéculations oysives. Car l'ame fidèle recongnoist indubitable-
ment, et par manière de dire, touche à la main la présence de
Dieu : là où elle se sent vivifiée, illuminée, sauvée, justifiée, et
sanctifiée.
Pourtant il fault user de mesme probation, pour confermer
:iola Divinité du Sainct Esprit. Car les choses que l'Escriture
luy assigne, sont beaucoup par dessus les créatures : et aussi
l'expérience que nous en avons. Premièrement c'est luy, lequel
estant par tout espandu, soustient, conserve, et vivifie toutes
choses au Ciel et en Terre : desja, en ce qu'il n'a point de fin ne
:jo de limites, il est exempté du nombre des créatures : car c'est
une chose pleinement Divine, que estendre sa vigueur par tout,
inspirant à toutes choses Essence, vie, et mouvement. Oultre-
plus si la régénération, en la vie incorruptible, est plus noble
et plus excellente que toute vertu corporelle ; que nous fault-il
Institution. 15
226 CHAPITRE llll.
estimer du Sainct Esprit; duquel elle procède? Or qu'il soit
autheur de la régénération par sa propre vertu, et non point d une
vertu empruntée, l'Escriture nous l'enseigne en plusieurs lieux,
et mesme luy attribue la louenge de Vimmortalité future. En
5 somme, tous les offices qui appartiennent proprement à la Divi-
nité, elle les luy attribue comme au Filz. Car elle dit, qu'il con-
"•noit les profondz secretz de Dieu : lequel n'ha nul conseiller /. Cor. 2
entre les créatures. Elle luy assigne la faculté de sagesse et /esaie H
d'éloquence : ce que nostre Seigneur a dict à Moyse estre propre Exod. i.
If» à sa Majesté seule. Pareillement nous venons par son moyen en
la participation de Dieu : et ainsi nous sentons que sa vertu
nous vivifie : nostre justification, est son opération : de luy pro-
vient toute sanctification : vérité, grâce, et tout ce qui se peut 2. Cor. /i
estimer de bon. Car il n'y a qu'un seul Esprit, dit Sainct Paul,
15 duquel nous recevons toutes espèces de bien. Mesmes quand
l'Escriture parle de luy ; elle use bien du Nom de Dieu. Car
Sainct Paul infère que nous sommes Temples de Dieu : d'au- I . Cor. 3
tant que son Esprit habite en nous : ce qui ne se doibt point ^'^-^^
leo-ierement passer. Car comme ainsi soit que nostre Seigneur
20 nous promet tant de fois, qu'il nous a esleuz pour son Temple et
Tabernacle : ceste promesse n'est pas autrement accomplie en
nous, sinon d'autant que son Esprit y habite. Et de faict l'Apostre
en un mesme sens nous appelle maintenant Temple de Dieu,
Temple de son Esprit. Et Sainct Pierre reprenant Ananias, de Actes 3.
25 ce qu'il avoit menty au Sainct Esprit, dit qu'il n'a point Jean o.
menty aux hommes, mais à Dieu, Item, Où lesaïe introduyt Actes der
le Seigneur des Armées parlant : Sainct Paul dit que c'est ^"'''■
le Sainct Esprit qui parle. Et là où Dieu se complainct, qu'il lésa. 63.
a esté provoqué à ire par l'obstination du peuple : lesaie dit,
3.. que l'Esprit de Dieu a esté contristé. Pour faire fin à ce pro-
poz : un seul argument nous doibt amplement contenter pour ap-
prouver la Divinité du Père, du Filz, et du Sainct Esprit. C'est,
que si nous sommes consacrez par le Baptesme en la Foy et
religion d'un seul Dieu : nous avons pour nostre Dieu celuy ;
35 au Nom duquel nous sommes Baptisez. Dont il appert, que le
Père, le Filz et le Sainct Esprit sont comprins en une mesme
Essence Divine : veu que nous sommes Baptisez au Nom du
Père, du Filz, et du Sainct Esprit. Car Sainct Paul conjoinct Eph. i.
tellement ces trois ensemble : Dieu, la Foy, et le Baptesme, qu'il
i)i: r,A FOY. 227
argumente de l'un ii l'autre, en ceste sorte. De ce qu'il n'y a
qu'une Foy : par cela il prouve qu'il n'y a qu'un seul Dieu. De
ce qu'il n'y a qu'un seul Baptesme, il prouve qu'il n'y a qu'une
seule Foy. Car connne ainsi soit, que la Foy ne doibve point
5 extra vag-uer, ne regarder cà et là : mais se reposer et acquiescer
à un seul Dieu : de cela nous pouvons inférer, que s'il v avoit
diverses Foyz, il fauldroit qu'il y eust plusieurs Dieux. Or puis
que le Baptesme est Sacrement de Foy : en ce qu'il est unique,
il nous conferme en l'unité dicelle. De cela il est aisé de con-
loclurre, que nous ne pouvons estre Baptisez qu'en un seul Dieu :
veu que nous recevons la Foy de celuy, au Nom duquel nous
sommes Baptisez. Qu'est-ce donc qu'a voulu dire Christ, en com-
mandant de Baptiser au Nom du Père, et du Fil/., et du Sainct
Esprit ; sinon qu'il fault croyre et au Père, et au Filz, et au
li Sainct Esprit ? Et qu'est-cela autre chose, que tesmoigner claire-
ment les trois, estre un seul Dieu? Or si cela doibt estre résolu
entre nous, qu'il n'y a qu'un seul Dieu : nous concluons, que le
Filz et le Sainct Esprit sont la propre Essence Divine. Pourtant
les Arriens estoient fort esgarez en leur sens : lesquelz, en con-
20 cédant à Jésus Christ le tillre de Dieu, hiy ostoient la substance
Divine. Les Macédoniens aussi estoient transportez de semblable
rage ; lesquelz ne vouloient entendre par le Sainct Esprit, que les
dons de grâce que Dieu distribue aux hommes. Car comme sages-
se, intelligence, prudence, force, et autres vertus procèdent deluv :
25 aussi d'autrepart la source uni(iue de prudence, sagesse, force, et
toutes autres vertus : et n'est pas divisé selon la distribution di-
verse des grâces : mais demeure tousjours en son entier: combien t .Cor. 12.
que les grâces se distribuent diversement, comme dit l'Apostre.
D'autrepart l'Escriture nous demonstre quelque distinction
30 entre Dieu et sa paroUe, entre la parolle et le Sainct Esprit :
laquelle toutesfois devons considérer avec grande révérence et
sobriété : comme la grandeur du Mystère nous admoneste. Pour-
tant la Sentence de Gregoyre Nazianzene me plaist fort : Je
n'en puis, dit-il, concevoir un, que trois ne reluysent à l'entour
33 de moy ; et n'en puis discerner trois, que incontinent je ne sois
reduyct à un seul. 11 nous fault donc garder de imaginer
une trinité de personnes en Dieu : laquelle détienne nostre
intelligence, ne la reduysant point à ceste unité. Certes ces
vocables du Père, du Filz, et de l'Esprit, nous dénotent une
228 CHAPITRE 1111.
vraye distinction : à fin que aucun ne pense que ce sont divers
tiltres, qui s'attribuent à Dieu, pour le signifier simplement en
plusieurs manières : mais nous avons à observer, que c'est une
distinction, et nompas une division. Pareillement le Père céleste
sdemonstre, qu'il ha une propriété distincte de son Filz : quand Zach. lî
il l'appelle en Zacharie, son compaignon ou prochain. Car comme
il n'y a point de parentale entre Dieu et les créatures : aussi
aucontraire, ce nom ne seroit point attribué au Filz, n'estoit pour
marquer quelque distinction, entre luy et le Père. De rechef, le
10 Filz se distingue du Père, quand il dit, qu'il y en a une autre, Jean S.
duquel il ha tesmoignage. Et ainsi se doibt prendre ce qui est
dict : que le Père a créé toutes choses par sa paroUe : ce qui ne
se pouvoit faire, qu'il n'y eust quelque différence entre le Père et
le Filz. Davantage le Père n'est pas descendu enterre, mais celuy
loqui estoitsorty de luy : il n'est pas mort ne ressuscité, mais celuy
qui avoit esté par luy envoyé. Et ne fault pas dire que ceste dis-
tinction a eu son origine, depuis que le Filz a prins chair : veu
qu'il est notoyre, que auparavant le Filz unique a esté au sein du
Père. Car qui osera dire qu'il y soit lors entré ; quand il est des- Jean 2.
20 cendu du Ciel, pour prendre nostre humanité? Il y estoit donc
dez le commencement, régnant en gloyre. La distinction du Sainct
Esprit d'avec le Père nous est signifiée, quand il est dict, qu'il
procède du Père : d'avec le Filz, quand il est nommé autre : comme
quand Jésus Christ dénonce qu'il y viendra un autre Consola- Jean 13.
25 teur : et en plusieurs autres passages. Or, pour exprimer la
nature de ceste distinction, je ne scay s'il est expédient d'em-
prunter similitudes des choses humaines. Les Anciens le font
bien . aucunesfois : mais semblablement ilz confessent que tout
ce qu'ilz en peuvent dire, n'approche pas beaucoup. Pourtant je
3ocrainz d'entreprendre rien en cest endroit : de peur que si je
disois quelque chose qui ne vinst pas bien à propoz, je donnasse
occasion de mesdire aux meschantz, ou aux ignorans de s'abuser.
Xeantmoins il ne convient pas dissimuler la distinction, laquelle
est exprimée en l'Escriture. C est que au Père le commencement
3o de toute action, et la source et origine de toute chose est attri-
buée. Au Filz, la sagesse, le conseil, et l'ordre de tout disposer.
Au S. Esprit, la vertu, et efficace de toute action. Oultreplus, com-
bien que l'Eternité du Père, soit aussi l'Eternité du Filz et de son
Esprit, d'autant que Dieu n'a jamais peu estre sans la sapience et
DE LA FOY. 229
vertu, et que en TP^ternité il ne fault chercher premier ne second :
toutesfois cest ordre, qu'on observe entre le Père et le Filz n'est
pas superflu. Que le Père soit nommé le premier, après le Filz
comme venant de luy, puis le Sainct Esprit comme procédant des
5 deux. Car mesmes l'entendement d'un chascun incline là natu-
rellement,de considérer premièrement Dieu: en après sa sapience :
finalement sa vertu, par laquelle il met en exécution ce qu'il a
déterminé par sa sapience. Pour laquelle cause le Filz estdictestre
produict du Père : l'Esprit de l'un et de l'autre, ce qui est souventes-
10 fois répété en l'Escriture, mais plus clairement au 8 des Romains,
qu'en nul autre passage : où le Sainct Esprit est indifféremment
appelle maintenant l'Esprit de Christ, maintenant de celuv qui a
ressuscité Christ des morz . Et ce à bon droict. Car Sainct Pierre
aussi tesmoigne, que ce a esté l'Esprit de Christ par lequel ont
15 parlé les Prophètes: comme ainsi soit que l'Escriture souvent I.Pier.l.
enseigne que ce a esté l'Esprit du Père. Or tant s'en fault que
ceste distinction contrevienne à l'unité de Dieu, que plustost on
peut prouver le Filz estre un mesme Dieu avec le Père, d'autant
qu'ilz ont un mesme Esprit : et que l'Esprit n'est point une diverse
20 substance du Père et du Filz : d'autant qu'il est leur Esprit. Car
en chascune personne toute la nature divine doibt estre entendue,
avec la propriété qui leur compete. Le Père est totalement au
Filz : et le Filz est totalement au Père, comme luymesme l'afferme,
disant : Je suis en mon Père, et mon Père en moy. Pourtant tous
25 les Docteurs ecclésiastiques n'admettent aucune différence quant
à l'Essence entre les personnes : selon lequel sens il fault accor-
der les sentences des Anciens, lesquelles sembleroient autrement
advis contredire. Car aucunesfois ilz appellent le Père, commence-
ment du Filz : aucunesfois ilz enseignent que son Filz ha sa
30 Divinité et Essence de soymesme. Touchant ce que les Sabelliens
cavillent, que Dieu n'est appelle Père, Filz, ou Esprit, sinon
comme on le nomme puissant, bon, sage et miséricordieux : il est
facile de les réfuter : veu que ces tiltressecondz, sont Epithetes,pour
monstrer quel est Dieu envers nous. Les premiers vocables sont
35 noms, qui demonstrent qu'il est en soymesme. D'avantage il ne
fault pas que cela nous induyse à confondre l'Esprit avec le Père
et le Filz, d'autant que Dieu est nommé Esprit : car il n'y a nul
inconvénient, que l'Essence entière de Dieu soit spirituelle : et que
en icelle Essence ne soient comprins le Père, le Filz, et l'Esprit:
230 CHAPITRE IIII.
ce qui est declairé par TEscriture. Car comme là nous oyons
Dieu estre nommé Esprit : aussi nous oyons que l'Esprit est de
Dieu, et procède de Dieu. Ceux quinesontpoint contentieux, voyent
bien comment en une simple Essence divine, le Père avec sa
3 parolle et son Esprit est comprins. A quoy mesmes les plus
rebelles ne scauroient contredire : car le Père est Dieu, le Filz
pareillement, et le Sainct Esprit. Et toutesfois il n'y peut avoir
qu'un Dieu. D'autre part l'Escriture en nomme trois, en marque
trois, et en distingue trois. 11 y en a donc trois, et un : à scavoir
loun seul Dieu, une Essence. Qui sont les trois ? non pas trois
Dieux, ny trois Essences, mais trois proprietez.
Les Anciens, pour signifier l'un et l'autre, ont dict, qu'il y avoit
une Essence, et trois Hypostases enicelle. Les latins, convenans,
quant au sens, ont retenu l'un desmotz, en l'autre ilzont exprimé
15 une explication un peu différente. Car ilz ont dict, qu'il y avoit
une Essence, et trois personnes : entendans par ce dernier vocable
une correspondance. Les Hérétiques abbayent après : aucuns
aussi qui ne sont point du tout mauvais murmurent, que ces
noms d'Essence et d'Hypostase ont esté forgez par les hommes :
20 et ne se trouvent nullement en l'Escriture. Mais puis qu'ilz ne
nous peuvent oster cela^ qu'il y en a trois en une mesme Deité :
quelle obstination est-ce de reprouver les motz, qui ne signifient
autre chose, que ce qui est testifié en l'Escriture ? Hz disent qu'il
seroit plus expédient de contenir non seulement nostre entende-
25 ment, mais aussi nostre bouche entre les limites de l'Escriture :
que de publier motz estranges, qui soient semences de noyses et
dissentions : car il advient en telle manière, qu'on languist en
combat de parolles : que la vérité en altercant est perdue : et la
charité destruicte. Mais s'ilz nomment motz estranges, tous ceux
30 qui ne se peuvent trouver syllabe à syllabe en l'Escriture, ilz
nous imposent une dure condition : veu qu'en ce ftiisant ilz
nous condamnent toutes prédications, qui ne sont composées
mot à mot de l'Escriture. S'ilz estiment motz estranges ceulx qui
ont esté curieusement inventez et se deffendent superstitieuse-
3> ment, faisantz plus à contention qu'à édification : lesquelz ont
usurpé sans nécessité et sans fruict: et dont il se suscite quelque
offence entre les fidèles : ou bien qui nous pourroient retirer de
la simplicité de l'Escriture : j'approuve grandement leur sobriété.
Car j'estime qu'il ne nous fault point parler de Dieu avec
DR LA FOV.
231
moindre révérence, que penser de sa Majesté : veu que tout ce
que nous en pensons de nousmesmes n'est que folie : et tout ce
que nous en pouvons parler est inepte Neantmoins il nous fault
icv garder quelque moyen. Bien est vray, qu'il nous fault prendre
3 de l'Escriture la reigle tant de noz pensées que de noz parolles :
à laquelle nous rapportions et toutes les compilations de nostre
esprit, et toutes les parolles de nostre bouche. Mais qui est-ce
qui nous enipeschera d'exposer par motz plus clers ; les choses
qui sont obscurément monstrées en l'Escriture ? moyennant que
1(1 ce que nous dirons serve à exprimer fidèlement la vérité de
l'Escriture ; et que cela se face sans trop grande licence ; et
pour bonne occasion ? Nous avons journellement exemple de
cela. Et que sera-ce quand il sera prouvé que l'Eglise a esté
contraincte de user de ces vocables de Trinité et de personnes .
15 Si lors aucun les reprouve soubz umbre de nouvelleté ; ne pourra-on
pas juger qu'il ne peut porter la lumière de vérité ; à scavoir,
d'autant qu'il n'y peut rien reprendre, sinon plus claire expli-
cation de ce qui est comprins en l'Escriture? Or ceste nouvelleté
de motz (si ainsi se doibt appeller) est lors principalement
20 nécessaire : quand il fault maintenir la vérité contre les calum-
niateurs, qui la renversent en tergiversant. Ce que nous expé-
rimentons aujourd huy, plus qu'il ne seroit de mestier, ayantz
grande ditliculté à convaincre les ennemis de la vérité : d'autant
que [s]e virans cà et là comme serpens, trouvent manière d'es-
2ï chapper, sinon qu'on les presse de près : et quasi qu'on les tienne
en serre. En ceste manière les Anciens, estanz inquiétez de mau-
vaises doctrines, ont esté contrainctz de expliquer facilement et
familièrement ce qu'ilz sentoient : à fin de ne laisser aucun subter-
fuge aux meschans ausquelz toute obscurité de parolles eust esté
30 comme cachetter pour couvrir leurs erreu[r]s. Arrius confessoit
Jésus Christ estre Dieu et Filz de Dieu : pource qu'il ne pouvoit
résister à tant de tesmoignages de l'Escriture : et comme s'es-
tant acquité, faisoit semblant de consentir avec les autres :
mais ce pendant il ne laissoit pas de dire, que Christ avoit
35 esté, créé et qu'il avoit eu commencement comme les autres
créatures. Les Anciens Pères, pour retirer ceste cautelle mali-
tieuse de ces ténèbres, ont passé oultre : et ont declairé Christ estre
Filz Eternel de Dieu, et d'une mesme substance avec son Père.
Lors est venue en avant l'impiété des Arriens : en ce qu'ilz
232 CHAPITRE IIII.
n'ont peu porter ceste doctrine, mais l'ont eu en exécration.
Que si du commencement ilz eussent confessé sans feintise
Jésus Christ estre Dieu : ilz n'eussent point nyé son Essence divine.
Qui sera celuy, qui osera accuser les bons Pères ; comme cupides
5 de noyses et dissentions : d'autant que, pour un petit mot, ilz se
sont tellement eschauffez en combat ; jusques à troubler latran-
quilité de l'Eglise? Car ce petit mot monstroit la différence entre
les vrais Clirestiens, et les Hérétiques. Sabellius vint en avant :
lequel disoit ces vocables, de Père, Filz, et Sainct Esprit, estre
ïo de nulle importance : et n'avoir nulle propriété ou signification,
sinon celle que ont les autres tiltres de Dieu. Si on venoit à
disputer, il recongnoyssoit le Père estre Dieu, le Filz pareille-
ment, et le Sainct Esprit. Mais puis après il trouvoit une eschap-
patoire : qu'il n'avoit autre chose confessé, que s'il eust appelle
*^ Dieu, bon, sage, puissant, etc. Et ainsi retournoit à une autre
chanson, que le Père estoit le Filz. et le Filz le Sainct
Esprit sans aucune distinction. Ceulx qui avoient en ce temps
là l'honneur de Dieu en recommandation, pour abbatre la
malice de cest homme, contredisoient : remonstrantz qu'il
20 fault recongnoystre trois proprietez en un seul Dieu. Et pour
se garnir de simple vérité et ouverte, contre ses cavillations
et son oblique astuce, affermoient qu'il y a trois personnes
résidentes en un Dieu : ou bien, qui vault autant, qu'en une
seule Essence divine il y a Trinité de personnes. Si donc ces
25 noms n'ont point esté inventez témérairement : il nous fault
garder d'estre redarguez de témérité, si nous les redarguons.
Je voudroye qu'ilz fussent ensevelyz : moyennant que ceste Foy
fust en tout le monde, le Père, le Filz, et le Sainct Esprit, estre
un seul Dieu : et toutesfois que le Filz n'est point le Père, ne
30 l'Esprit n'est point le Filz : mais qu'il y a distinction de pro-
priété, Combien que le nom d'Hypostase soit en l'Apostre, en Ebr. /.
une mesme signification, comme il me semble, que les Anciens
l'ont prins, quand il nomme le Filz, image de l'Hypostase de
Dieu son Père. Car je n'accorde point avec ceulx, qui en ce
35 lieu là prennent Hypostase pour Essence : l'exposans comme
si Christ representoit la face de son Père en soy, comme la
cire fait la figure du cachet : mais j'estime plustost cestuy estre
le sens de l'Apostre : que le Père, combien qu il ayt sa propriété
distinguée, s'est neantmoins tellement exprimé au vif en son
DE LA FOY, 233
Filz, que son Hypostase mesmes, c'est à dire sa personne, y reluyst
et V est manifestée. Car ce seroit improprement parlé de le nom-
mer image de l'Essence de son Père : veu qu'il la contient en
soy entièrement : non point par portion, ne qu'elle luy ayt esté
5 transférée, mais parfaictement.
Au reste je ne suis pas si rude et extrême, de vouloir susciter
de grand/ combatz pour les simples motz. Car j'apperceoiz que
les Anciens Pères, combien qu'il/ s'estudient de parler fort reve-
remment, en cest endroit, ne conviennent point ensemble par
i^'tout : et mesmes que aucuns d'eulx ne parlent point tousjours en
mesme manière. Car, quelles sont les locutions et formes de
parler des Conciles, que Sainct Hylaire excuse ? Quelle hardiesse
de parler prend aucunesfois Sainct Augustin ? Quelle dilVerence
y a il entre les Grecz et les Latins? Mais un exemple seul suf-
isfira pour monstrer ceste variété. Les Latins pour interpréter le
mot Grec. iiOMorsios, ont dict que le Filz estoit consubstantiel au
Père : signifians qu'il estoit d'une mesme substance: et ainsi ilz
ontprins substance, pour Essence. Et aucontraire on lit en Sainct
Hylaire plus de cent fois, qu'il y a trois substances en Dieu :
20 et de faict Sainct Hylaire reproche pour un grand crime aux
Hérétiques, que par leur témérité, il est contreinct de submectre
au péril de la paroUe humaine, les choses qui se doibvent con-
tenir dedens le cœur : ne dissimulant point, que cela est entre-
prendre choses illicites, présumer choses non concédées, exprimer
25 choses inénarrables. L^n peu après il s'excuse, qu'il est con-
treinct de mettre en avant nouveaux vocables. Car après
qu'il a mis les noms naturelz, le Père le Filz et le Sainct
Esprit, il adjouste, que tout ce qu'on peut chercher d'avantage,
est par dessus toute éloquence, par dessus l'intelligence de
30 nostre sens, et la conception de nostre entendement. Et en
un autre passage il estime les Evesques de Gaule bien heureux,
de ce qu'ilz n'a voient ne forgé ne receu, ne mesmes congneu
autre confession, que la première et la plus simple, qui avoit
esté baillée à toutes les Eglises depuis le temps des Apostres.
33 Une telle modestie de ce Sainct personnage nous doibt admo-
nester, que nous ne condamnions point trop legierement
ceux, qui ne voudront soubscrire à tous noz motz. Mais il
fault enseigner les simples, de quelle nécessité nous sommes
contrainctz à parler ainsi : et petit à petit les accoustumer à
23i CHAPITKE llll.
nostre manière : les admonester aussi amiablement, que là où il
est question d'obvier d une part aux Arriens, et d'autre aux
Sabelliens : que en empeschant le moyen de cela faire, ilz ne
donnent quelque suspition, qu'ilz favorisent à leurs erreurs.
5 Arrius dit bien, que Christ est Dieu: mais en cachette il caville
qu'il a esté créé, et qu'il a eu commencement. Il le confesse
estre un avec le Père : mais il souffle après aux aureilles de ses
disciples, qu'il est uny au Père comme les autres fidèles :
combien que cela soit par un privilège singulier. Qu'on dise
10 qu'il est dune mesme substance : on aura couppé la broche à sa
malice, sans rien adjouster à l'Escriture. Sabellius dit que ces
noms, de Père, Filz, et Sainct Esprit, ne signifient aucune dis-
tinction en Dieu. Qu'on dise qu'il y ayt trois choses en Dieu : il
criera qu'on veult faire trois Dieux. Qu'on dise qu'il y ait en
15 une seule Essence divine, Trinité de personnes : on expliquera
simplement ce que l'Escriture enseigne : et fermera on la bouche
à cest Hérétique. S'il y en a quelques uns qui soient detenuz en
telle superstition, qu'ilz ne puissent souffrir ces vocables : toutes-
fois nul ne pourra nyer, quand nous oyons 1 Escriture denonceant
20 qu'il y a un seul Dieu : qu'il ne faille entendre unité en l'Essence
Divine : quand elle nomme trois, qu'il ne faille considérer trois
proprietez diverses. Quand cela sera confessé simplement et
sans fraude : il ne nous fault soucyer des paroUes. Maintenant
donc venons à L'explication du Symbole.
25 LA PREMIERE PARTIE.
Je croy en Dieu le Père tout puissant.
Or il fault premièrement noter la forme de parler. Car croyre
en Dieu vault autant à dire, comme le recevoir et advouër
pour nostre Dieu : à fin que nous adhérions à luy et à sa
3oparolle. Car c'est une locution prinse de la langue Hebraique :
laquelle prend croyre en Dieu pour croyre à Dieu, et luy
adjouster Foy, combien qu'elle signifie quelque chose plus
haulte en parlant ainsi. Icy donc les fidèles protestent,
qu'ilz receoivent et congnoissent Dieu, pour leur Dieu : à fin
DE LA FOY. 235
d'eslre advoûez de luy pour ses serviteurs : à ce qu'ilz se puissent Habac. 1.
glorifier avec tout son peuple, eu disant : Tu es nostre Dieu dez
le commencement. Nous ne mourrons point donc. Car quand
nous l'avons pour nostre Dieu, nous avons en luy vie et salut.
5 Pour laquelle fiance confermer, le tiltre de Père est icy con- Mat l. 1.
joinct. Car par le moyen de son Filz bien aymé, auquel repose
son bon plaisir, il s'est declairé estre nostre Père : et pourtant il
nous receoit en luy establissant un parentaj^e Spirituel, dont tout
parentale est nommé au Ciel et en la Terre, dict Sainct Paul. Ephes. 3.
10 Incontinent donc que la Foy s'esleve à Dieu, elle l'ha pour Père :
d'autant qu'elle ne le peut comprendre sans son Filz : par lequel
un si grand bien nous est communiqué. Or s'il nous est pour
Père, nous luy sommes comme enfans : et si nous sommes ses
enfans, nous sommes quant et quant ses Héritiers. Nous luy
ir. attribuons toute puissance : non pas telle que les Sophistes l'ima-
ginent, vaine, assopie, et oysive : mais pleine d'efficace et d'ac-
tion. Car Dieu est nommé tout puissant : nompas pource qu'il
puisse faire toutes choses, et neantmoins se repose : mais d'au-
tant qu'il tient tout en sa main, gouverne le Ciel et la Terre par Psal.llo.
20 sa providence, fait et dispose toutes choses selon son conseil et
volunté. Car s'il fait tout ce que bon luy semble, et n'y a rien
de caché à sa providence : il s'ensuyt que tout se fait par sa vertu
et commandement. Mais nous touchons ce propoz briefvement
pour maintenant ; pource que nous différons d'en traicter plus
2) amplement en un autre lieu . Or la Foy s'arme de double con-
solation en la puissance de Dieu : d'autant qu'elle congnoist qu il
ha assez ample faculté de bien faire : veu que son bras s'estend à
régir et gouverner toutes choses, que le Ciel et la Terre sont sa
possession et Seigneurie : que toute créature dépend de son plai-
30 sir, pour advancer le salut des lîdeles. Secondement d'autant
qu'elle voit qu'il y a assez d'asseurance en sa protection : veu
que toutes les choses, qui pourroient nuyre, sont subjectes à sa
volunté; veu que le Diable est reprimé par sa volunté, comme
d'une bride, avec toutes ses machinations : brief que tout ce qui
:î5peut contrevenir à nostre salut est soubmis à son commande-
ment.
Créateur du Ciel et de la Terre
236 CHAPITRE Illl.
Combien que l'entendement des meschans par le seul reg-ard
du monde soit contreinct de recongnoistre le Créateur : neant-
moins la Foy ha une manière particulière de contempler Dieu
Créateur du Ciel et de la Terre. Pour laquelle cause dit l'Apostre,
5 que nous entendons par Foy comment les Siècles ont esté cons- Hebr. H.
truictz par la parolle de Dieu. Et, k la vérité, nous ne pouvons
entendre, sinon par Foy, que cela vault : de nommer Dieu, Créa-
teur du monde : comment qu'il semble ad vis que nous le com-
prenions d'esprit, et le confessions de bouche. Car Tintellig-ence
10 de nostre chair, après avoir conceu la vertu de Dieu une fois en la
création, elle s'arreste là : et quand elle procède bien loing, seu-
lement elle considère sa puissance et sagesse, dont il a usé à
faire une telle œuvre . Puis après elle comprend quelque action
générale, à conserver et diriger les choses qu'il a crées : à laquelle
15 elle attribue le mouvement de toutes créatures. Mais la Foy
passe plus hault. Car après avoir entendu que Dieu est Créa-
teur du monde ; elle le recongnoit aussi pour Conservateur et
Gouverneur perpétuel. Et ce non point par je ne scay quel mou-
vement universel, par lequel il conduyse tant l'édifice universel
20 du monde, que toutes les parties : mais elle comprend sa provi-
dence singulière, par laquelle il maintient, conserve, et vivifie
toutes choses qu'il a crées, jusques aux plus petis oy seaux de
l'air. Et combien que la différence n'apparoisse pas grande : si
est-ce que la sagesse humaine ne monte jamais jusques à ceste Psalme
25 méditation, laquelle poursuyt David au Psalme 104, princi- *'
paiement en la conclusion, où il dit, toutes choses attendent
après toy Seigneur : et tu leur donne Amande en leur temps.
Quand tu leur donne, elles la recueillent : quand tu ouvre ta
main, elles sont rassasiées de tous biens. Si tu retires ta
30 face arrière d'elles, elles sont estounées : si tu destournes
ton Esprit, elles périssent et retournent en cendres. Si tu
envoyés ton Esprit, tout se ressuscite, et la face de la Terre
est renouvellée . Semblables sentences sont par toute l'Es-
criture : comme quand il est dict. que en Dieu nous consis- Actes il .
35 tons et avons mouvement et vie. Que de sa main la rou-
sée et la pluye sont esparses pour arrouser les champs : que
par son commandement le Ciel s'endurcit comme fer : que
de luy viennent paix et guerre . vie et mort , lumière et
ténèbres, pestilence et santé, abandance et famine, et toutes au-
DE LA FOY. 237
très choses, selon que bon luy semble, ou demonstrer sa bonté
en bien faisant : ou declairerla rig-ueur de son jugement par sévé-
rité. Or de ce vient une singulière consolation à la conscience
fidèle : c'est que s'il élargit et donne pasture aux petis cor-
5 beaux qui implorent son ayde ; par plus forte raison il nous
donnera nourriture, à nous qui sommes son peuple, et brebis
de son troupeau. Si un petit passereau ne tombe point en
terre, sinon par son sceu et volunté : par plus forte rai-,
son il veille pour nostre salut, et en ha la solicitude : veu
10 (ju'il nous promet de nous conserver, comme la prunelle
de son œil. Si 1 homme ne vit point seulement de pain : Z;t<h. 2.
mais plustost en la vertu de la paroUe qui procède de la
. bouche de Dieu ; qu'il nous doibt bien sudre de ce qu'il Matl. i,
nous promet, que jamais son ayde ne nous delfauldra : veu
lo que icelle seule sufiit à nous pouvoir nourrir. Aucontraire
l'homme fidèle, voyant quelque stérilité, famine, ou pestilence,
recongnoistra plustost 1 ire de Dieu, qu'il n'attribuera cela
à la fortune. Finalement entendant qu'il est nostre Créateur,
nostre Tuteur, et Nourrissier : il conclurra que nous sommes à
20 luy, et nompas à nous : qu'il nous fault vivre à sa vokinté et nom-
pas à la nostre : que c'est à luy que nostre vie se doibt reiîerer
avec toutes les actions d'icelle : veu qu'elle consiste en son entier,
par sa grâce. Or à fin que personne ne se trouble, de ce que la
gfoire de la création de toutes choses est icy particulièrement assi-
25 gnée au Père : comme si par cela le Filz et le Sainct Esprit en
estoient excludz : Nous avons à notter, que cela se doibt prendre
selon les proprietez personnelles, que nous avons exposez estre
en Dieu. Car d'autant que le commencement de tovit est attribué
au Père ; à proprement parler, nous disons qu'il fait tout : mais
30 c'est en sa sagesse, et par son Esprit. Si nous voulons donc
avec utilité, recongnoistre Dieu Créateur du Ciel et de la Terre
et Père tout puissant : il nous fault dépendre de sa provi-
dence : puis après considérer sa clémence et bénignité pater-
nelle en nostre cœur, et le magnifier de bouche : honorer,
35 craindre, et aymer un si bon Père ; nous addonner du tout
à son service, prendre bien toutes choses de sa main, mesmes
celles qui nous semblent les plus contraires à nostre proffit :
estimantz que sa providence fait cela pour nostre salut, quand
nous souffrons adversitez et afflictions. Pourtant, quelque chose
238 CHAPITRE llll.
qui advienne, il ne nous faudra jamais doubler qu'il ne nous
soit propice, et qu'il ne nous ayme : ayant en recommandation
l'advancement de nostre salut : car pour nous instruyre à telle
fiance, a esté faicte la première partie du Symbole.
5 LA SECONDE PARTIE.
Et en Jésus Christ, son Filz unique, nostre Seigneur.
Ce que nous avons dict. que Jésus Christ est le propre
but et object de nostre Foy. apparoist facilement, de ce que
toutes les parties de nostre salut sont icy nombrées et conclues
10 en luy. Car le Seigneur, comme dit le Prophète, est sorty pour
sauver son peuple : pour le sauver il est sorty avec son Christ.
Car par la main d'iceluy il a accomply l'œuvre de sa mise- Habac. 3.
ricorde : c'est à dire la rédemption de son peuple. Première-
ment nostre Rédempteur est appelle Jésus : lequel tiltre luy a
i-iesté donné par la bouche du Père : d'autant qu'il a esté envoyé
pour sauver son peuple, et le délivrer de péché. En luy donc,
et non autre part, nous trouverons salut. Car ce n'a pas esté3/a//./.
par cas fortuit ou par humaine témérité, que ce Nom luy a
esté imposé : et n"a pas esté sans cause que par l'ordonnance
20 de Dieu l'Ange l'a ainsi appelle : mais cela a esté faict, à fin
que estans retirez de toutes phantaisies de chercher aillieurs
salut, nous le tenions luy seul pour nostre Sauveur. Pour la-
quelle cause l'Escriture dénonce qu'il n'y a point d'autre
Nom donné soubz le Ciel aux hommes, où il puissent trouver
23 salut. Ce Nom donc signifie à tous fidèles, qu'en luy seul Ac/. i.
ilz doibvent chercher salut : et les asseure qu'ilz l'y trouveront.
Le tiltre de Christ c'est à dire Oinct, est adjousté avec :
lequel combien qu'il soit attribué aux autres avec quelque
raison : toulesfois il luy appartient d'un privilège singulier : Car
30 le Seigneur oinct tous ceulx sur lesquelz il espand les grâces
de son Esprit. Or c'est chose certaine, qu'il n'y a eu jamais
fidèle, qui n'ayt esté arrousé de ceste unction spirituelle :
dont il sensuyt que tous fidèles sont oinctz de Dieu . Les
Prophètes aussi ont eu leur unction . aussi ont les Roys et
35 Sacrificateurs : non pas seulement l'extérieure et ceremoni-
DE LA FOY. 239
aie, dont il est faict mention au viel Testament : mais une unc-
tion spirituelle. Car il convient qu'un Prophète, qui doibt estre
messager de Dieu entre les hommes, soit doué de «j^races singu-
lières du Sainct Esprit : pareillement un Sacrificateur, qui est
3 nommé, Ange du Dieu vivant : finalement les Roys, qui portent
l'Image de Dieu en terre. Parquoy l'huyle matérielle, dont
estoient oinctz tant les Prophètes et Sacrilicateurs, que les Roys,
pour estre consacrez en leurs offices, n'estoit pas un signe vain
et de nulle importance : mais estoit Sacrement de la vraye unc-
10 tion spirituelle. Neantmoins toutes telles unctions ne sont rien
au pris de celle de nostre Sauveur : car tous les autres hommes
ont receu diverses portions de grâces, selon la mesure qu'il a
pieu à Dieu de leur en dispenser : tellement que nul ne les ha
eu toutes ensemble, sinon luy seul, qui en ha eu la plénitude.
15 Car Sainct Jean explicquant plus ouvertement, ce qui avoit esté
predict de luy : à scavoir que Dieu le devoit oindre de l'huyle de Psal.i5.
lyesse par dessus tous ses compagnons : dit, que le Père ne luv Jean 3.
a point donné de son Esprit par mesure. Et y adjouste la raison :
c'est à fin que nous puysyons tous de son abondance, et rece-
20 vions grâce pour grâce. Et pour ceste cause l'autre Prophète /csa. //.
avoir predict, que sur luy reposeroit l'Esprit du Seigneur : et ce,
pour luy conférer non pas une grâce seulement, mais pour l'ar-
mer de sagesse, intelligence, force, conseil, science et pieté.
Laquelle Prophétie a esté visiblement confermée, quand lEs-
25 prit apparust au Baptesme descendant sur luy, et en luy, repo-
sant. Parquoy c'est à bon droict, que le tiltre de Christ est
attribué par excellence à nostre Sauveur. Or il y a bonne rai-
son, pourquoy l'Esprit de Dieu est nommé unction : et ses
grâces sont appellées huyle : D'autant que si nous ne sommes
soarrousez par luy, nous deffaillons : pource qu'en nousmesmes
nous n'avons que stérilité et seicheresse : et sommes desnuez
de toute vigueur de vie. L'Esprit donc de Dieu, ayant esté es-
pandu en pleine largesse sur Jésus, a choysi son ame, comme
son propre siège : à fin de découler sur nous d'icelle, comme
33 d'une fontaine unique. Pourtant ce que tous les fidèles sont
arrousez de l'huyle du Sainct Esprit, cela est faict par la .seule
participation de Jésus : et en receoit un chascun autant, d'au-
tant qu'il a communiqué avec luy. Nous avons en peu de
paroUes la différence, qui est entre l'unction de nostre Sau-
240 CHAPITRE IIII.
veur, et la nostre. C'est, que notre Seig-neur luy a entièrement
eslargy, sans mesure, tous les thresors de ses richesses Spiri-
tuelles : desquelles il en départit à chascun de nous quelque por-
tion. D'avantag-e qu'il a fait reposer tout son Esprit en luy : à fin
5 que ce nous fust une source, de laquelle, il procedast après, pour
nous estre distribué : à fin que nous puysyons tous de son abon-
dance : et ayantz société avec luy, nous participions des grâces
du Sainct Esprit par icelle communication.
(3ultreplus Jésus Christ, par ceste unction a esté ordonné Roy,
m de son Père: pour se assubjectir toute puissance au Ciel et en
Terre : comme nous enseigne le Psalmiste. Pareillement il a Psal. 2.
esté consacré Sacrificateur : pour faire loffice d'Intercesseur
envers son Père. Lesquelles choses ont grande importance,
pour confermeret ayder nostre Foy. Car quand est du Royaume,
15 il n'est point charnel ou terrien, pour estre subject à corrup-
tion : mais spirituel, et par ce appartennant plustost à la vie
future, et au Royaume céleste. D'avantage la manière qu'il ha
de régner n'est pas tant de son proffît, que pour le nostre : car
il nous arme et fortifie de sa puyssance, il nous orne de sa
.,0 magnificence , il nous enrichit de ses biens; brief, il nous
esleve et exalte de la Majesté de son Royaume. Car au moyen
de la communication, pour laquelle il s'est conjoinct avec
nous, il nous faict estre Roys : nous armant de sa vertu,
pour batailler k l'encontre du Diable, du Péché, et de la Mort :
25 nous vestant et ornant des paremens de sa Justice, en espérance
d'immortalité : nous remplissant des richesses de sa Saincteté,
pour fructifier à Dieu par bonnes œuvres. Quant à son office
de Sacrificature, nous n'en avons point moins de protïit : non
pas seulement à cause qu'il nous rend par son intercession
sole Père propice, en vertu de la reconciliation éternelle qu'il
a faicte par sa mort : mais d'autant qu'il nous receoit en
société et participation d'icelle Sacrificature : tellement que
l'avantz pour nostre Intercesseur et Médiateur, nous puys-
sions offrir au Père Céleste prières, actions de grâces, nous-
ssmesmes, et tout ce qui procède de nous. Pourtant ce que £"^0. 19.
nostre Seigneur promettoit anciennement à son peuple , à
scavoir qu'ilz seroient Roys et Sacrificateurs, nous est aujour-
d'huy accomply en nostre Sauveur : lequel seul faict que
nous avons entrée au Rovaume de Justice, et au Sainct
DE LA KOY. 241
Tabernacle de Dieu. En somme, par le Nom de Jésus, la fiance
de rédemption et salut, nous est confermée : par le tiltre de
Christ, nous sommes convyez à recevoir la communication du
Sainct Esprit, et le fruict de sanctification qui en procède : entant
5 qu'il s'est sanctifié pouf nous, comme il declaire par sa bouche. Je;in 17.
Puis après il est nommé Filz de Dieu : nompas comme les autres
fidèles, par adoption et grâce, mais vray et naturel : et pour
ceste cause, unique : à fin d'estre discerné de tous autres. Car
Dieu en l'Escriture nous fait cest honneur, à nous tous qui
10 sommes régénérez en nouvelle vie, de nous appeller enfans de
Dieu. Et neantmoins il attribue cela particulièrement à un seul
Je.sus Christ, qu'il soit nommé vray Filz et unique. Comment
seroit-il vray et unique en si grande multitude de frères : sinon
qu'il possedast de nature ; ce que les autres ont par don ? Et nous
1") fault garder de consentira aucuns, lesquelz confessent tellement
Jésus Christ estre Filz unique de Dieu, que si on les presse de
près, on trouvera qu'ilz ne confessent cela pour autre cause,
sinon d'autant qu'il a esté conceu du Sainct Esprit au ventre de
la Vierge. Comme jadis les Manichéens iniaginoient l'homme i»/,*/; /(•/((!-
20 estre de la substance de Dieu : d'autant qu'on lit, que Dieu a ^"■''•
inspiré à Adam l'Esprit de vie. Car, aucontraire, l'Escriture
nous monstre, que le Filz de Dieu, est sa parolle, engendrée de
luy devant tous les Siècles. Il est bien vray, que telle manière
de gens ameinent ce tesmoignage pour deffendre leur erreur : Rom. 3 et
25 que Dieu n'a point pardonné à son propre Filz: que l'Ange a''" /.'."."
dénoncé, que ce, qui naystroitde la Vierge, debvoit estre appel- sa/ycs.
lé Filz de Dieu. Mais à fin qu'ilz ne s'enorguillissent point trop,
en telles objections: qu'ilz considèrent un peu avec moy, que cela
vault à dire. Car si c'est un bon argument, que Jésus Christ a Luc I .
30 commencé d'estre Filz de Dieu, du temps de sa conception au
ventre de la Vierge, pource que luy, estant conceu en elle, est
nommé Filz de Dieu : il s'ensuyvra aussi, qu'il a commencé à
estre parolle de vie, depuis qu'il a esté manifesté en chair : veu
que Sainct Jean dit, qu'il annonce la parolle de Dieu, que les mains
33 des hommes ont touchée, et que lesyeulx ont apperceuë. Sembla- /. Jean I .
blement s'ilz veulent suyvre ceste manière d'argumenter : com-
ment exposeront-ilz ce qui est dict au Prophète: Toy Bethleen
terre de Juda, tu es petite en la multitude de Juda : néant- 3/K/je..j".
moins de toy je feray najstre un Capitaine, qui gouvernera mon
Institution. 16
242 CHAPITRE Illl.
peuple d'Israël, duquel 1 yssue est dez le commencement des Mich. 3.
jours d'Eternité. Mais un seul passage de Sainct Paul pourra
souldre toutes telles cavillations : quand il dit, qu'il a esté segregé
en l'Evangile de Dieu, qu'il avoit promis par les Prophètes, de iîom. /,
3 son Filz qui a esté faict de la semence de David selon la chair :
et a esté declairé Filz de Dieu en vertu. A quel propoz le diroit-
il Filz de David selon la chair notamment : et de l'autre costé
avoir esté declairé Filz de Dieu ; sinon qu'il voulust noter ceste
déclaration avoir esté faicte hors la considération de la chair ?
10 Certes ceste sentence est si claire, que de répliquer à l'encontre,
ce ne seroit pas ignorance, mais obstination. Neantmoins si ne
fault-il pas nyer, qu'il ne soit Filz de Dieu, en la chair qu'il a
prise. Mais plustost, si nous voulons parler pour édifier nostre
Foy : quand nous l'appelions Filz de Dieu, il ne nous fault pas
15 seulement entendre la parolle de Dieu éternelle par soy : mais
la fault prendre avec l'humanité, dont elle a esté vestue, comme
il sera tantost declairé plus à plain. Finalement le tiltre de Sei-
gneur est donné à Jésus Christ : d autant qu'il a esté ordonné
du Père, pour estre nostre Seigneur, Roy, et I^egislateur. Aussi
20 d'autrepart quand il a manifesté son Filz en chair : il a declairé
que c'estoit celuy, par lequel il vouloit régner et gouverner.
Pourtant, dit lApostre, nous avons un seul Dieu, duquel sont
toutes choses, et nous en luy : et un seul Seigneur Jésus Christ, /. Cur. S.
par lequel sont toutes choses, et nous par luy. Or par cela il
25 est signifié, non seulement qu'il est nostre protecteur et maistre,
duquel il nous fault escouter et suyvre la doctrine : mais aussi
qu'il est nostre Chef et Prince : à la puissance duquel, il nous
fault soubzmettre : au plaisir duquel, il nous fault obtempérer :
à la volunté duquel, il fault diriger toutes nez œuvres. Car le
30 Père luy a donné le droit de Primogeniture en sa maison : à fin
qu'il domine sur ses frères avec puissance, et qu'il dispense les
biens de son Héritage selon sa volunté.
Qui a esté conceu du Sainct F^sprit, nay de la Vierge
Marie.
35 Pource que le Mystère de l'incarnation, comme il es-
bloûyt l'entendement des simples par sa grande lumière, aussi
DE LA FOY. 243
il les trouble et travaille, s'il n'est droitement entendu : il fault,
devant que passer oultre, que nous l'expliquions aucunement.
Pour le premier point, il nous estoit bien expédient, que celuy
qui devoit estre nostre Médiateur, fust vray Dieu et homme. Car
3 puis que noz iniquitez, ayantz miz un empeschement entre Dieu
et nous, nous avoient aliénez du Royaume des cieulx, et avoient
destourné Dieu de nous : il n'y avoit nul qui peust estre moyen
de nous reconcilier, sinon qu'il parvinst jusques à luy. Or qui
estoit la créature ; qui y peust parvenir ? Eust-ce esté l'un des
10 enfans d'Adam ? Mais tous avec leur premier Père avoient hor-
reur de comparoistre devant sa face. Eust-ce esté quelqu'un des
Ang-es ? Mais tous aussi avoient affaire d'un chef par lequel il
fussent parfaictement conjoinctz avec leur Dieu. Quoy donc ?
Certes la chose estoit du tout désespérée, si la Majesté de Dieu
15 ne fust descendue à nous : veu qu'il n'estoit point en nous de
monter à icelle. A ceste cause il a faillu que le Filz de Dieu nous
fust faict iMMAM EL, c'est à dire Dieu avec nous : et ce, en telle
sorte, que, comme il conjoingnoit avec nous sa Divinité, aussi
qu'il conjoingnist nostre humanité à icelle : autrement il n'y
20 avoit point alliance assez prochaine, ne ferme laquelle nous
donnast espérance, que Dieu habitast en nous, et nous assis-
tast : telle différence il y avoit entre nostre petitesse et la gran-
deur de la Majesté Divine. Pourtant Sainct Paul en nous lepro- ,/. Tim. 2.
posant pour Médiateur, nommément l'appelle homme. Il le
25 pouvoit aussi bien dire Dieu, ou, pour le moins, il povoit laisser
derrière le nom d'homme, sans en parler, comme il laisse le
Nom de Dieu en ce passage là. Mais il congnoissoit nostre infir-
mité. A fin donc que personne ne se tormentast, doubtant où
il fauldroit chercher ce Médiateur, ou par quel chemin il
iofauldroit venir à luy : il adjouste consequemment qu'il est
homme : comme s'il disoit, qu'il nous est prochain voysin,
adhérant à nous, veu qu'il est nostre chair : voulant signifier
ce qui est plus amplement declairé ailleurs. A scavoir que nous
n'avons point un Sacrificateur, qui ne puisse avoir compas- iiebr. A.
; i sion de noz infirmitez : veu qu'il a esté en tout et par tout
tenté comme nous, excepté de péché. Ce que nous avons dict
sera plus évident : si nous reputons combien ce n'estoit pas une
chose vulgaire que l'office de Médiateur. A scavoir de nous
restituer tellement en la grâce de Dieu, que de nous faire ses
244 CHAPITRE 1111.
enfans, qui estions enfans des hommes : de nous faire Héritiers
du Royaume Céleste, qui estions Héritiers d'Enfer. Qui eust peu
faire cela; sinon que le Filz de Dieu eust esté faict Filz d'homme,
et eust tellement prins nostre condition, qu'il nous eust transféré
5 la sienne ? Ce qui luy estoit propre de nature ; qu'il l'eust faict
nostre par grâce ? Nous avons donc confiance que nous sommes
enfans de Dieu, ayant z ceste Arre : que le Filz naturel de Dieu
a prins corps, de nostre corps, chair, de nostre chair, os. de
noz os, pour estre uny avec nous : ce qui nous estoit propre,
10 il l'a receu en sa personne : à fin que ce qu'il avoit de propre,
nous appartint : et ainsi qu'il fust communément avec nous, et
Filz de Dieu, et Filz dhonime. Pour ceste cause nous espérons
que l'Héritage Céleste est nostre, pource que le Filz de Dieu,
auquel il estoit entièrement deu, nous a adoptez pour ses frères.
15 Or si nous sommes ses frères : nous sommes ses cohéritiers. Il
y a autre raison, pour laquelle il failloit que celuy qui de voit
estre nostre Rédempteur, fust vray Dieu et homme. C'estoit à
luv à faire d'engloutir la mort. Qui povoit faire cela sinon la
vie? C'estoit à luy à faire de vaincre le péché. Qui povoit faire
20 cela sinon la justice ? C'estoit son office de subjuguer les puis-
sances de l'air, qui sont les Diables. Qui povoit faire cela sinon
une vertu supérieure à l'air, et au monde? Or en qui repose la
vie, la justice, et la puissance du Ciel; sinon en un seul Dieu?
Parquoy le Seigneur par sa grande Clémence s'est faict nostre
23 Rédempteur : quand il nous a voulu racheter. L'autre article de
nostre Rédemption estoit, que l'homme, qui s'estoit perdu et
ruyné par sa desobeyssance, etîaceastpar obeyssance sa confusion ; Rom. o.
satisfaisant au jugement de Dieu, et souffrant la peine deuë à
son péché. Le Seigneur Jésus donc est venu en avant, a vestu
30 la personne d'Adam, a pris le nom : à fin de se rendre obeys-
sant au Père pour luy : à fin de présenter nostre humanité en
satisfaction au jugement de Dieu : à fin de porter la peine du
péché en la mesme chair qu'il avoit esté commis. Finalement,
comme ainsi soit, que Dieu seul ne peust sentir la mort, et
33 l'homme seul ne la peust surmonter : il a accompaigné la Divinité
avec l'humanité : à fin de soubzmettre l'imbécillité de l'une,
pour endurer la peine de mort : et en la vertu de l'autre, batail-
ler à rencontre, jusques à obtenir victoyre. Ceux donc qui des-
pouillent Christ ou de sa Divinité , ou de son humanité ,
DE LA FOY.
245
non seulement blasphèment contre sa grandeur, ou obscurcissent
sa bonté : mais aussi d'autrepart font grand'injure aux hommes,
desquelz, en ce faisant, ilz renversent la Foy : laquelle ne peut
consister fermement, sinon estant appuyée sur ce fondement.
5 De nous arrester d'avantage à prouver sa Divinité : ce seroit,
comme j'estime, chose supertlue. La vérité de sa nature humaine
a esté assaillie tant des Manichéens que des Marcionites : lesquelz
ont tasché de la renverser. Les premiers imaginoient qu'il avoit
apporté du Ciel, un corps SpiritueL Les secondz estimoient qu'il
ion avoit point un vray corps : mais seulement un Phantasme et Gène. 17.
apparence de corps. Or il y a plusieurs tesmoignages de l'Es- *^'''^''^'"'^-
criture, pour résister fermement à ces deux erreurs. Car la bé-
nédiction n'a pas esté anciennement promise en une semence Psa/. /32.
Céleste, [ny] en une Masque d'homme: mais en la semence d'A-
isbraham et de Jacob. VA le Throsne Eternel n'a pas esté pro-
mis à un homme forgé en l'air : mais au Filz de David, et au Mail. /.
fruict de son ventre. Pour laquelle cause, estant manifesté en
chair, il est nommé Filz d'Abraham et de David : nompas pource
qu'il est [na]y de la Vierge, comme s'il avoit esté premièrement Rom. 1 .et
20 créé en l'air : mais d'autant que, selon la chair, il a esté formé de *
la semence de David, comme Sainct PauU'expose. Lequel aussi
en un autre lieu tesmoigne, qu'il est descendu des Juifz. Parquoy
luymesme, ne se contentant point de s'appeller homme, s'appelle
Filz d'homme : voulant signifier qu'il est homme engendré de
25 semence humaine. Puis que le Sainct Esprit tant de fois par diverses
bouches tant diligemment, et en telle simplicité avoit exprimé cela,
qui de soymesme n'est pas trop difficile ; qui eust attendu, qu'il y
eust peu avoir hommes si effrontez, que de tergiverser en cest en-
droit? Toutesfois nous avons encores d'autres tesmoignages, pour
30 convaincre telles calumnies : comme est celuy de S. Paul: que Galat. i.
Dieu a envoyé son Filz, créé d'une femme. Item, innumerables
passages, par lesquelz il appert qu'il a esté subject à froit, à chault,
et fain, et autres infirmitez de nostre nature. Mais il fault choysir Hebr. 2.
ceux là qui peuvent édifier noz cœurs en vraye fiance. Comme
3o quand il est dict, qu'il n'a point porté tant d'honneur aux Anges,
que de prendre leur nature, mais qu'il a prins la nostre : à fin que
en nostre chair, et en nostre sang, il destruisist par la mort, celuy
qui avoit la Seigneurie de la mort. Item, que par le moyen Hebr. i.
de ceste communication , il nous repute ses frères. Item,
246 CHAPITRE 1111.
({u"il a faillu cju'il fust semblable à ses frères, pour estre fidèle
Intercesseur, et enclin à miséricorde. Item, que nous n'avons point Hehr, 4.
un Sacrificateur, qui ne puisse avoir compassion de noz infirmi-
tez : veu qu'il en a esté tenté, et autres semblables. Les passages
3 que prennent les Hérétiques, pour confermer leurs erreurs : ilzles
attirent trop ineptement à leurs phantaisies. Marcion avec ses
consors disoit, que Christ avoit prins un Phantasme au lieu d'un
corps : pource qu'il est dict quelque part, qu'il a esté faict en simi-
litude d'homme, et a esté trouvé en apparence comme homme. Philip. 2i
10 Mais il s'abusoit, en ce qu'il ne consideroit pas que veut là dire
Sainct Paul. Car il ne veut pas exposer q[uelj corps Jésus Christ a
prins : mais seulement il remonstre, que combien que Jésus Christ
se peust attribuer la gloire de la Majesté divine, qu'il s'est porté
comme homme, se humiliant en apparence extérieure. Les Mani-
15 chéens luy forgeoientun corps en l'air ; pource qu'il est appelle le
second Adam céleste, venant du Ciel. Mais l'Apostre en ce pas- I.Cor.Hi.
sage là ne parle point d'une Essence céleste : mais de la vertu spiri-
tuelle, qui luy a esté donnée pournous vivifier. Plustost au contraire
la sentence que tiennent les fidèles de la vraye nature humaine de
20 Jésus Christ, est tresbien confermée en ce passage là. Car s'il
n'avoit une mesme nature avec nous : l'argument que Sainct Paul
poursuyt tant fort, seroit frivol. C'est à scavoir, que puis que
Jésus Christ est ressuscité, nous ressusciterons: et que si nous ne
ressuscitions point, il s'ensuyvroit que Christ n'est point ressus-
25 cité. Or ce qu'il est dict, que la parolle a esté faicte chair, ne se
doibt tellement entendre, comme si elle avoit esté convertie en
chair ou confusément meslée : mais d'autant qu'elle a prins
du ventre de la Vierge corps humain, pour un Temple, auquel
elle habîtast. Et celuy qui estoit Filz de Dieu, a esté faict filz
30 d'homme : non point par confusion de substance, mais par
unité de personne : c'est à dire, qu'il a tellement conjoinct et
uny sa Divinité avec l'humanité qu'il a prinse, qu'une chas-
cune des deux natures a retenu sa propriété : et neantmoins
Jésus Christ n'ha point deux personnes distinctes, mais une
33 seule. Si on peut trouver quelque chose semblable au mystère :
la similitude de l'homme y semble propre : lequel nous
voyons estre composé de deux natures : desquelles toutesfois
l'une n'est tellement meslée avec l'autre, qu'elle ne retienne sa
propriété, car l'ame n'est pas corps, et le corps n'est pas
I
DE LA FOY. 247
anie. Parquoy on dit de l'ame particulièrement, ce qui ne peut
convenir au corps : et pareillement du corps, ce qui ne peut conve-
nir à lame. De Ihomme, ce qui ne peut competer à l'une et à
l'autre à part soy . Finalement les choses qui sont particulièrement
o à lame, sont transférées au corps, et du corps à lame mutuelle-
ment. Ce pendant la personne qui est composée de ces deux sub-
stances, est un homme seul, et non plusieurs. Telle manière de
parler signilie, qu'il y a une natvu'e en l'homme composée de
deux conjoinctes : et neantmoins qu'entre ces deux il y a diffe-
lorence. L'Rscriture parle selon ceste forme, de Jésus Christ. Car
aucunesfois elle luy attribue ce qui ne se peut rapporter qu'à
l'humanité : aucunesfois ce qui compete particulièrement à la
Divinité : aucunesfois ce qui est convenable à toutes les deux
natures conjoinctes : et non pas à une seule. Et mesmes exprime
1 i si diligemment ceste union des deux natures, qui est en Jésus
Christ : qu'elle communique à Tune, ce qui appartient à l'autre,
laquelle forme de parler a esté nommée par les Anciens docteurs,
communication des propriété/. Quand j'auray prouvé toutes
ces choses par bons tesmoignages de l'Escriture : il se trouvera
20 que je ne diz rien du myen. Ce que Jésus Christ disoit de sov-
mesme, qu'il estoit devant que Abraham fust créé, ne se pouvoit Jeun S.
entendre de l'humanité : car il n'a point esté faict homme, sinon
plusieurs siècles après la mort d'Abraham. Ce qu'il est nommé
Premier nay de toutes créatures, lequel a esté devant tout, et Coloss.l.
25 par lequel toutes choses consistent, ne peut convenir à l'homme.
Telles et semblables loueng-es donc, sont propres à la Divinité. les.i. 43.
Ce qu'il est nommé serviteur du Père, qu'il est dict qu'il a creu Luc 2.
en eage et sagesse envers Dieu et les hommes ; qu'il se confesse
estre moindre que le Père ; qu'il ne cherche point sa gloire ; qu'il
30 ne scait point quand sera le dernier jour : qu'il ne parle point Mal. 24.
de soymesme : qu'il ne cherche pas sa voiunté : qu'il se peut voir
et toucher : tout cela convient à son humanité. Car, entant qu'il
est Dieu, il est esgal au Père : il ne peut en rien croistre : il
fait toutes choses à cause de soy mesme : rien ne luy est caché :
35 il fait tout selon son plaisir : et est invisible, et ne se peut tou-
cher. Il y a communication de proprietez en ce que dit Sainct Aci. 20.
Paul, que Dieu a acquis son Eglise par son sang, et que le /. Cor. 2.
Seigneur de gloire a esté crucifié. Certes Dieu n'a point de
sang et ne souffre point. Mais pource qne Christ, qui estoit
248 CHAPITRE 1111.
vray Dieu et vray homme, a esté crucifié et a espandu son sang
pour nous : ce qui a esté faict en son humanité, par une locution
impropre, et toutesfois raisonnable, est transféré à sa nature
Divine. C'est un mesme exemple de ce que dit S. Jean, que Dieu
sa mis son ame pour nous : car là il communique à l'humanité, ce
qui est particulier à la nature Divine. D'autrepart quand Christ I . J^an 5.
disoit, que nul n'estoit monté au Ciel, sinon le Filz de l'homme, Jean S.
qui estoit au Ciel : pour lors il n'estoit pas au ciel selon le corps :
mais pource qu'il estoit Dieu et homme, à cause de l'union de ses
10 deux natures, il attribuoit à Tune, ce qui convenoit à l'autre. Mais
nous ne pouvons myeux entendre la vraye substance de Christ,
que par les passag^es qui comprennent ensemble toutes les deux
natures : comme il y en a plusieurs en l'Evangile de Sainct Jean.
Car les choses qui y sont dictes, ne conviennent ny à son
15 humanité, ny à sa Divinité particulièrement : mais à sa per-
sonne, entant qu'il est Dieu et homme. C'est que l'authorité luy
a esté donnée du Père, de remettre les péchez, de ressusciter
ceux q[u'ill vouldra, eslargir justice, saincteté, et salut : qu'il a
esté ordonné Juge sur les vifz et les mortz, à fin qu'il soit honoré
20 comme le Père : qu'il est la Lumière du monde, bon Pasteur,
Huys unique, et Vigne. Car il a receu ces privilèges quand il
a esté manifesté en chair : lesquelz il possedoit de soymesme
devant la création du monde. Or il est certain qu'ilz ne peuvent
convenir à l'homme, qui n'ha que l'humanité. Il fault aussi
25 prendre en ce sens ce que nous avons en Sainct Paul : c'est I.Cor.lS.
qu'il doibt rendre le Royaume à Dieu son Père, après avoir
faict le jugement. Certes le Règne du Filz de Dieu, qui n'ha eu
nul commencement, ne peut aussi avoir fin. Mais, comme il
a esté aucunement caché soubz l'humilité de la chair, et [s^est
soanneanty, ayant prins la figure de serviteur, et s'estant extérieu-
rement desmis de sa Majesté, pour se rendre obeyssant au
Père : comme après ceste subjection il a esté coronné de gloire
et honneur, et estant exalté, a receu un Nom par dessus tous Phil. 2.
Noms, auquel tout genoil se doibt ployer : aussi pareillement
35 il soubzmettra lors à son Père, tant ceste couronne de gloire,
que tout ce qu'il ha eu de luy, en la chair : à fin qu'un seul Dieu
soit tout en toutes choses. Ceste observation sera grande-
ment utile, pour nous despescher de beaucoup de scrupules.
Car c est merveille, comment aucunes simples gens se tourmen-
DE LA KOY. 249
tent, quand telles formes de parler leur sont proposées : ou sont
attribuées à Christ, les choses lesquelles ne conviennent propre-
ment [ny] à son humanité, [ny] k sa Divinité : d'autant qu'ilz
ne considèrent pas qu'elles sont convenables à sa personne, en
^> laquelle il a esté manifesté Dieu, et homme. Et de faict, on peut
voir comment toutes les choses susdictes s'accordent bien en-
semble : moyennant que nous veuillions considérer un tel Mys-
tère avec révérence deuë à sa grandeur. Mais il n'y a rien
que les espritz furieux et phrenetiques ne troublent. Hz prennent
10 ce qui est approprié à l'humanité de Jésus Christ, pour destruyre
sa Divinité : et ce qui est de sa Divinité, pour destruyre son huma-
nité : et ce cjui est dict de toutes les deux natures ensejnble,
pour renverser l'une et l'autre. Or cju'est cela autre chose, sinon
vouloir debatre que Christ n'est pas homme : d'autant qu'il est
iriDieu? et qu'il n'est pas Dieu; d'autant qu'il est homme? et qu'il
n'est ne Dieu ne homme ; d'autant qu'il contient toutes les deux
natures en soy? Nous concluons donc, que Christ, en tant qu'il
est Dieu et homme, composé de deux natures unyes et non point
confuses, est nostre Seig-neur et vray Filz de Dieu, mesmes selon
2i' l'humanité ; combien que ce ne soit point à raison de l'humanité
simplement. Car il nous fault avoir en horreur l'heresie de Nes-
torius, lequel divisant plustost que distinguant les natures de
Jésus Christ, imaginoit ainsi un Christ double. Aucontraire
nous voyons comment l'Escriture nous chante hault et cler, que
25 celuy qui doibt naystre de la Vierge Marie sera nommé, Filz
de Dieu et que icelle Vierge est mère de nostre Seigneur.
Nous confessons donc qu'il est nay de la Vierge Marie : à
fin d'estre recongneu pour le vray Filz d'Abraham et de David :
lequel avoit esté promis par la Loy et les Prophètes : dont la
30 Foy receoit double utilité. C'est, qu'elle voit le Filz de Dieu,
par ce qu'il a prins nostre chair, eslre appareillé à parfaire le
salut des hommes : veu que par ce moyen il nous a appel-
iez en société et communion de soymesme et de tous ses biens :
et que voulant surmonter le Diable et la mort, il a vestu
33 nostre personne, en laquelle il l'a voulu vaincre et triumpher :
à fin que la victoyre et triumphe fust nostre. Li'autre fruict,
c'est, que en deduysant la lignée de Jésus Christ jusques à Matt. I.
David et Abraham, nous avons plus grande certitude, que
nostre Rédempteur est celuy, qui avoit esté si long temps
250 CHAPITRK llll.
auparavant predict de Dieu. Consequemment il est dict, qu il
a esté conceu du Sainct Esprit : pource qu'il ne convenoit point, Gène. 17.
que celuy qui estoit envoyé pour purifier les autres, eust une ^
origine impure et contaminée. Parquoy ce n'estoit pas raison, Psnl. 132.
3 que le corps humain, que l'Essence de Dieu prenoit pour son
habitacle, fust pollué delà corruption universelle des hommes. Le
Sainct Esprit donc a icy besongné, et a surmonté la loy ordinaire
de nature, par sa vertu admirable, et à nous incompréhensible.
Car il a faict cfue Jésus Christ ne fust maculé d'aucune tache,
10 ne pollution charnelle : mais qu'il naquistavec parfaicte saincteté
et pureté. Par cela donc la Foy est enseig-née de chercher seu-
rement toute saincteté en Jésus Christ, et la chercher en luy
seul : d'autant que luy, sans autre, a esté exempté en sa concep-
tion, de la corruption humaine.
13 II s'ensuyt après, comment il a accomply nostre rédemption :
pour laquelle il avoit esté faict homme mortel. Car pource
que par la desobeyssance de l'homme. Dieu avoit esté provoqué
à ire : il a faict la recompense par son obeyssance, se rendant
subject au Père jusques à la mort. Parquoy en la réparation de
20 nostre salut, il fault avoir son obeyssance en principale estime,
comme dict Sainct Paul. Tout ainsi, dit-il. que par la transgres- Ram. j'.
sion d'un, tous ont esté constituez pécheurs : aussi par l'obeys-
sance d'un, plusieurs sont reputez justes. En cela donc gist
la somme de nostre salut : que le Filz de Dieu, nous estant
25 donné, laissant sa volunté derrière, non seulement a desdyé
sa vie au bon plaisir de son Père : Mais aussi n'a pas refusé
de souffrir l'horreur de la mort, quand il luy a commandé
de ce faire : à fin d'appaiser sa Majesté, laquelle avoit esté
irritée par nostre rébellion. Il est donc advenu par le mérite
30 de ceste obevssance, que le Père (déleste a esté reconcilié au
Genre humain : lequel il hayssoit auparavant entièrement.
Car Christ par sa mort a offert au Père un sacrifice de bonne
odeur : pour satisfaire à son juste jugement, et acquérir à ses
fidèles éternelle sanctification. Il a espandu son sacré sang,
35 pour le pris de nostre rédemption : à fin d'esteindre la fureur de
Dieu, qui estoit enflambée contre nous, et de purger nostre
iniquité. Pourtant, quand il est question de chercher asseurance
de salut : il fault venir à ceste rédemption, par laquelle Dieu
nous a esté rendu propice, l'ouverture nous a esté faicte au Ciel, et
DE LA FOY. 251
justice nous a esté acquise. Car l'Escriture ne nous enseigne
rien plus souvent que cela. C'est, que Christ nous a mérité, par
la vertu de son Sacrifice, la benevolence du Père, en laquelle
gist la principale Arre et fiance de nostre vie : que les ordures
5 et macules de noz péchez (par lesquelles la volunté de Dieu est
destournée et aliénée de nous) ont esté lavées et nettoyées par
son sang", ainsi que porte la sentence de Sainct Jean , que son Jean I .
sang nous purge de tous péchez. Vojlà donc la somme de nostre
rédemption, que estans délivrez par la satisfaction de Christ
10 des liens de péché : en ceste manière nous sommes restituez en
justice et'saincteté, et reconciliez à Dieu, lequel ne hayt rien en
nous que nostre iniquité.
A souffert soubz Ponce Pilate, a esté crucifié.
Icy est exprimé tant le nom du Juge, par lequel il a esté
1.) condamné, que le genre de mort qu'il a soulTert : non seulement
pour confermer la vérité de l'hystoire : mais pource que cela
appartenoit au Mystère de nostre rédemption. Car comme ainsi
soit qu'il faillust que par la mort de Christ les péchez fussent
eifacez, et la damnation qui s'en ensuyvoit fust ostée : il
20 n'eust pas suffit qu'il eust soutTert toute autre espèce de mort.
Mais pour s'acquiter droitement de toutes les parties de nostre
rédemption, il failloit choysir une espèce certaine : par
laquelle, transférant sur soy nostre rédemption, et la recom-
pense deuë à lire de Dieu, il nous delivrast de l'une et l'autre.
23 Premièrement donc il a souffert soubz le Gouverneur de la
Province, estant condamné par sentence de Juge : à fin de
nous deslivrer de damnation devant le Throsne Judicial du
Juge souverain. Si les brigans luy eussent couppé la gorge,
s'il eust esté meurtry en tumulte, par les mains de gens parti-
ui culiers : il n'y eust eu en telle mort aucune apparence de satis-
faction. Mais où il est amené en justice pour estre accusé : où
il est redargué pas tesmoignages : condamné par la bouche du
Juge : par cela nous voyons qu'il a prins la personne d'un
malfaicteur. Et fault icy considérer deux choses, lesquelles
3o avoient esté predictes des Prophètes : et apportent une sin-
gulière consolation à nostre Foy. Car quand nous oyons que
Christ a esté mené du Consistoyre à la mort, pendu entre
2S2 CHAPITRE IIII.
des brigans : en cela nous avons laccomplissement de la Pro-
phétie, laquelle est alléguée par lEvangeliste : qu'il a esté mis
au ranc des nialfaicteurs. Pourquoy cela ? C'estoit à fin de lesaie 53.
s'acquiter de la peine, que dévoient les pécheurs, et se mettre
5 en leur lieu, comme, à la vérité, il ne souffroit point la mort
pour la justice : mais pour le péché. Aucontraire quand nous Jean IS.
oyons qu'il a esté absoulz de la bouche mesme, de laquelle il
estoit condamné (car Pilate a esté contreinct par plusieurs fois {
de rendre publiquement tesmoignaj^e à son innocence) ce qui a
loesté dict par un autre Prophète nous doibt venir en memoyre.
C'est, qu'il a payé ce qu'il n'avoit point ravy. Ainsi nous con- Psnl. 69.
templerons la personne d'un pécheur et malfaicteur représentée •
en Jésus Christ : et ce pendant nous congnoistrons, par son
innocence, qu'il a esté chargé du péché des autres, et non point
li du sien. Il a donc souffert soubz Ponce Pilate. estant condamné
par sentence juridique du Gouverneur du pays comme malfaic-
teur : et neantmoins n'estant pas tellement condamné, qu'il
n'ayt esté prononcé juste : entant qu'il disoit qu'il ne trouvoit
aucune cause en luy. D'avantage le genre de la mort n'est pas
20 sans Mvstere. La croix estoit maudicte : non seulement par
humaine opinion, mais par le décret de la Loy de Dieu. Quand Z>e(i/. 21.
donc Christ est attaché à icelle, il se rend subject fi malédiction.
Et failloit qu'il fust ainsi faict : c'est, que la malédiction, qui nous
estoit deuë et apprestée pour noz iniquitez, fust transférée en
23 luy à fin que nous en fussions délivrez. Ce qui avoit esté aupa-
ravant figuré en la Loy. Car les Hostyes. qu'on ofTi'oit pour les
péchez, estoient appellées du nom mesme de péché. Par lequel
nom, le Sainct Esprit a voulu signifier, qu'elles recevoient toute
la malédiction deuë au péché. Ce qui a esté donc par figure
30 représenté aux Sacrifices Mosaiques, a esté à la vérité accomply
en Jésus Christ : qui est la substance des figures. Pourtant, à
fin de s'acquicter de nostre rédemption, il a mis son ame en
sacrifice de péché, comme dict le Prophète, à fin que toute l'exe- lesaie 53.
cration qui nous estoit deuë, comme à pécheurs, estant rcjettée
33 sur luy, ne nous fust plus imputée. L'Apostre declaire plus apper-
tement cela, quand il dit, que celuy qui n'avoit jamais congneu
péché, a esté faict du Père, péché pour nous : à fin qu'en luy
nous obtinssions justice devant Dieu. Car le Filz de Dieu, 2. Cor. o.
estant pur et net de tout vice, a prins et vestu la confusion et
DE LA FOY. 253
ignominie de noz iniquitez : et d'autre part nous a couvert de
sa pureté. Ce qui est aussi demonstré en un autre passage de
Sainct Paul : où il est dict, que le péché a esté condamné de
péché, en la chair de Jésus Christ. Car le Père Céleste a aboly nom. S.
5 la force du péché: quand la malédiction diceluy a esté trans-
férée en la chair de Jésus Christ. 11 appert maintenant que
veult dire ceste sentence du Prophète, que toutes noz iniqui- lésa. o3.
tez ont esté posées sur luy : c'est fi scavoir, que voulant effacer
les macules d'icelles, les a premièrement receues en sa per-
10 sonne : à Un qu'elles luy fussent imputées. La croix donc a
esté une enseigne de cela : en laquelle Jésus Christ estant atta-
ché, nous a délivrez de 1 exécration de la Loy (comme dit l'A-
postre) entant qu'il a esté faict exécration pour nous. Car il est
escrit. Mauldict celuy qui pend au bois. Et ainsi la bénédiction, GaUii. 3.
la promise à Abraham, a esté espandue sur tous peuples. Neant-
moins il ne fault pas entendre, qu'il ayt tellement receu nostre
malédiction, qu'il en ayt esté couvert et accablé : mais aucon-
traire, en la recevant, il la déprimée, rompue, et dissipée. Pour-
tant la Foy, en la damnation de Christ, appréhende absolution :
20 et en sa malédiction, appréhende bénédiction.
Mort et ensevely.
Icy on peut appercevoir comment depuis un bout jusques
à l'autre il s'est submis à rendre le debvoir pour nous : pour
payer le pris de nostre rédemption. La mort nous avoit liez
S'isoubz son joug, il s'est livré en sa puissance, pour nous en reti-
rer. Ce que entend l'Apostre, quand il dit. qu'il a gousté la
mort pour tous. Car en mourant, il a faict que nous ne mourions
point : ou bien, ce qui vault autant à dire, par sa mort il nous Hehr. 2.
a acquis la vie. Or il a eu cela divers de nous, qu'il s'est permis
3" à la mort, comme pour estre englouty d'icelle : non point toutes-
fois pour estre du tout dévoré : mais plustost pour la dévorer, à
fin qu'elle n'eust plus de puissance sur nous comme elle avoit.
Il a permis d'estre comme subjugué par icelle : non point
pour en estre opprimé et abbatu : mais plustost pour renverser
33 son Règne, lequel elle exerceoit par dessus nous. Finalement il
est mort, à fin qu'en mourant il destruysist celuy qui a la Sei-
gneurie de la mort, c'est à dire le Diable : et delivrast ceux qui
234 CHAPITRE IlII.
tout le temps de leur vie pour crainte de la mort, estoient en
servitude. Voilà le premier fruict que sa mort nous apporte.
L'autre, c'est que par sa vertu elle mortifie noz membres ter-
riens, à ce que d ores en avant ilz ne facentplus leurs opérations:
oet tue le viel homme qui est en nous, à fin qu'il n'ayt plus sa
vigueur, et ne fructifie de soymesme. A laquelle fin tend aussi
la sépulture de Jésus Chinst : à scavoir, que ayantz la société
d'icelle, nous soyons enseveliz à péché. Car quand l'Apostre
dit. que nous sommes entez en la similitude de la mort de ^y,,, 5.
10 Christ, que nous sommes enseveliz avec luv en la mort de ^ , ' ^
1 , • 1 , " Galat. 6.
pèche, que par sa croix le monde nous est crucifié, et nous ^ ,
1 , ' Loloss. o.
au monde, que nous sommes mortz avec luy : non seulement il
nous exhorte à imiter l'exemple de sa mort : mais il demonstre
qu'une telle efficace est en icelle, laquelle doibt apparoir en
15 tous Chrestiens , s'ilz ne veullent rendre la mort de leur
rédemption inutile, et infructueuse. Pourtant il v a double
grâce qui nous est proposée en la mort et sépulture de Jésus
Christ, à scavoir la délivrance de la mort, et la mortification de
nostre chair.
2" Est descendu aux Enfers.
Combien qu'il apparoisse par les livres des Anciens doc-
teurs, qui ont exposé le Symbole, que ceste particule n'estoit
pas du tout arrestée entre les Eglises : J'estime toutesfois qu'il
ne la fault obmettre, d'autant ([u'elle comprend un grand et "
2.Ï excellent Mistere. Il y en a bien aussi des Anciens, qui ne la
laissent point derrière. Dont on peut conjecturer, qu'elle a esté
tantost après le temps des Apostres adjoustée : mais que petit
à petit elle est venue en usage. Quoy qu'il soit, cela est indu-
bitable qu'elle a esté prinse de ce que doibvent tenir et sentir
30 tous vrays fidèles. Car il n'y a nul des Pères anciens, qui ne
face mémoire de la descente de Jésus Christ aux Enfers : com-
bien que ce soit en divers sens. Or ce n'est pas chose de
grande conséquence, de scavoir par qui et en quel temps ceste
sentence a esté insérée au Symbole. Plus tost il nous fault
35 regarder d'avoir icy une pleine et entière somme de nostre
Foy en laquelle il ne deffaille rien, et en laquelle il n'y ayt rien
de proposé, qui ne 'soit prins de la paroUe de Dieu. Quant à
DE LA FOY. 255
cest article, il apparoistra tantost qu'il est de telle importance,
quand à l'accomplissement de nostre salut, qu'il ne se doibt
nullement obmettre. L'exposition est diverse : car il y en a
aucuns, qui ne pensent pas qu'il soit icy rien dict de nouveau :
T mais seulement que en diverses parolles, est répété ce qui avoit
esté dict auparavant de la sépulture : veu que souvent le nom
d'Enfer est prins pour Sepulchre. Touchant ce qu'ilz prétendent
de la signification du mot, je leur confesse estre vra}-, que pour
Sepulchre souvent le nom d'Enfer est prins : mais il y a deux
io raisons, lesquelles contredisent à leur opinion, qui me semblent
estre suffisantes pour la convaincre. Car c'eust esté une chose
de grand loysir, après avoir clairement et par parolles familières
demonstré une chose, laquelle n'ha nulle diiricuUé en soy :
de le repeter par parolles beaucoup plus obscures. Car quand
lion conjoinct deux locutions, pour signifier une mesme chose:
il convient que la seconde soit comme déclaration de la première.
Or quelle déclaration sera-ce là; si nous voulons exposer que
c'est à dire la sépulture de Jésus Christ ; qu'il est descendu aux
Enfers ? D'avantage il n'est vray semblable, qu'en ce sommaire,
20 où les principaux Articles de nostre Foy sont brièvement et en
peu de parolles comprins. l'Eglise ancienne ayt voulu mettre
une chose ainsi superflue et sans propoz : laquelle n'eust point
eu de lieu en beaucoup plus long traicté. Et ne doubte pas, que
ceux qui examineront la chose de près n'accordent avec moy. Les
2) autres par ce mot d'Enfer entendent quelque lieu soubz terre,
auquel ilz imposent je ne scayquel nom de Ljmbe : où ilz pensent
que les Pères, quiavoient vescu soubz l'ancien Testament, estoient
encloz comme en prison : et disent que Christ y est descendu
pour les délivrer : ainsi qu'il a rompu les portes d'ttrain, et les
iîoverroilz de fer. Laquelle fable, combien qu'elle ayt de grandz
autheurs et soit pour le jourd'hm' encores soustenue pour vérité:
toutesfois elle n'est que fable. Et ne sert rien à ce propoz qu'ilz
allèguent, de Zacharie, et de Sainct Pierre. Car quand le Pro- Zach. 9.
phete dit, que le Seigneur par le sang de son alliance qu'il a
sofaicte avec Syon, a délivré les prisonniers du puys où il n'v
avoit point d'eaûe : il ne parle point des mortz ne du Lymbe :
mais par le puys sans eaûe, il entend le goulfre et abisme de
misère, où sont tous pécheurs : par les prisonniers, il entend
le peuple qui est détenu enserré en extrême calamité et
256 CHAPITRE 1111.
angojsse. Sainct Pierre disant que Jésus Christ est veau, et I.Pier.S.
a presché en esprit, aux espritz qui estoient en prison : ne veut
autre chose dire, sinon que h\ vertu de la rédemption faicte par
Jésus Christ, a esté notifiée aux espritz de ceux qui estoient
5 trespassez au paravant. Car les fidèles qui avoient tousjours
espéré salut en luy, ont lors, pleinement et comme à l'œil, con-
gneu sa Visitation et sa présence. Au contraire les reprouvez,
voyans que luy seul estoit le salut de tout le monde, et qu'ilz en
estoient excludz : ont esté plus clairement acertenez, qu'il ne
10 leur pouvoit rester aucune espérance. Et ce, que sans différence,
Sainct Pierre constitue, tant les justes que les fidèles en prison,
ne se doibt pas tellement prendre : comme si les justes eussent
esté enserrez en quelque estroicte captivité, devant que Jésus
Christ vint. Mais pource qu'il voyoient leur rédemption deloing,
15 et comme en umbre obscure : l'attente qu ilz en avoient, d'au-
tant qu'elle ne pouvoit estre sans sollicitude, est accomparagée à
une prison. Il nous fault donc chercher une plus certaine expo-
sition de cest article. Or la parolle de Dieu nous en monstre une :
non seulement bonne et saincte. mais pleine de grande conso-
solation. Ce n'estoitrien si Jésus Christ se fust seulement acquité
d'une mort corporelle : mais il failloit aussi qu'il sentist la sévé-
rité du Jugement de Dieu : à fin d'intercéder, et comme s'oppo-
ser, que son ire ne tombast sur nous, en satisfaisant à icelle.
Pour ce faire, il estoit expédient qu'il bataillast, comme main à
25 main, à l'encontre des puyssances d'Enfer et de l'horreur de la
mort éternelle. Le prophète dit. que la discipline requise à nostre lésa. .'iS.
paix, a esté mise sur luy, qu'il a esté battu et frappé du Père
pour noz crimes, affligé pour noz iniquitez. En quoy il signifie,
qu'il a esté substitué au lieu des pécheurs, comme respondant
30 et pleige, ou plustost. comme debteur principal : pour rece-
voir les peines qui leur debvoient estre imposées. 11 n'y a autre
différence, sinon qu'il ne pouvoit estre détenu et subjugué des Ac<.o.
douleurs de la mort. Ce n'est point donc de merveilles, s'il est
dict qu'il est descendu aux Enfers : veu qu'il a enduré la mort,
35 laquelle est imposée par l'ire de Dieu aux malfaicteurs. A fin
d'entendre plus facilement cela : n'est-ce pas une abysme terrible
et misérable ; que de se sentir estre délaissé et abandonné de
Dieu? n'en recevoir ayde quand on l'invoque; et n'attendre autre
chose; sinon qu il ayt conspiré à nous perdre etdestruyre? Or nous
DE LA FOY.
257
voyons Jésus Christ en ostrevenii jusques là : tellement qu'il a
esté contreinct, tant Tang-oisse le pressoit, de cryer, mon Dieu,
mon Dieu, pourquoy m'as-tu laissé? Car ce que aucuns exposent
qu'il a dict cela plus tost selon l'opinion des autres, que de sa
a propre aiîection, n'est point vray semblable: veu qu'on apper-
ceoit clairement, que ceste parolle venoit d'une profonde amer-
tume de cœur. Toutosfois par cela nous ne voulons inférer, que
Dieu ayt jamais esté, ou adversaire, ou courroucé à son Christ.
Car comment se coui'rouceroit le Père à son Filz bien aymé ;
10 auquel il dict qu'il a prins tout son plaisir? ou comment Christ
appaiseroit-il le Père envers les hommes par son intercession ;
s'il l'avoit courroucé contre soy? Mais nous disons qu'il a sous-
tenu la pesanteur de la vengeance de Dieu : en tant qu'il a esté
frappé et aflli^i^é de sa main et a expérimenté tous les signes que
13 Dieu monstre aux pécheurs, en se courrouceant contre eulx et les
punissant. Pourtant, S. Ilylaire dit, que par la mort de Jésus
Christ nous avons obtenu ce bien. (|ue la mort soit maintenant
abolye. Et en d'autres passages il ne va point loing de nostre
propoz : comme quand il dit, que la croix, la mort, et les Enfers
20 sont nostre vie. Item, le Filz de Dieu est aux Enfers: mais
l'homme est exalté au Ciel. En somme, Jésus Christ, combatant
contre la puissance du Diable, contre l'horreur de la mort, contre
les douleurs d'Enfer, en a obtenu victoyre, et en a triumphé : à
lin que nous ne craignions plus, en la mort, les choses, que nostre
25 Prince a abolyes et anneanties.
Le tiers jour est ressuscité des mortz.
D'autant qu'en la croix, en la mort, et en la sépulture de
Christ n'y apparoist que infirmité : il fault que la Foy passe
oultre, pour estre pleinement corroborée. Pourtant, combien
:!«» qu'en sa mort nous ayons entier accomplissement de salut,
veu que par icelle nous sommes reconciliez à Dieu, il a esté
satisfaict à son juste jugement, la malédiction a esté abolye, et
avons esté acquitez de toutes les peines dont nous estions rede-
vables : neantmoins il n'est pas dit, que par la mort nous ayons
33 esté ressuscitez en espérance de vie : mais par la résurrection. I.Pier. I,
Car comme luy, en ressuscitant, s'est monstre vainqueur de
la mort : ainsy la victoyre de nostre mort consiste en sa re-
Institulion. 17
258 CHAPITRE UTl. ■
surrection. Les motz de S. Paul monstreront myeulx que cela
veult dire • quand il dit. qu'il est mort pour noz péchez, ressus-
cité pour nostre justification. Comme sil disoit . que par sa 7îo,h. 4.
mort, le péché a esté osté : par sa résurrection la justice a esté
5 instaurée. Car comment en mourant nous eust-il peu délivrer de
la mort : s'il eust succombé à icelle? comment nous eust-il acquis
la victoyre: s'il eust defailly au combat? Pourtant nous partis-
sons tellement la substance de nostre salut, entre la mort de
Christ et sa Résurrection : que nous disons par la mort le péché
10 avoir esté destruict, et la mort elVacée : par la résurrection, la
justice establie, et la vie remise au dessus : et ce en telle sorte,
que c'est par le moyen de la Résurrection, que la mort a son
efticace. D'avantage, comme nous avons cy devant exposé, que
la mortification de nostre chair dépend de la communication de
15 la croix de Christ : aussi il fault entendre, qu'il y a un autre
fruict correspondant à cestuy là, provenant de sa résurrection.
Car nous sommes, comme dit TApostre, ente/, en la similitude
de sa mort : à fin que, estans participans de sa résurrection, nous
cheminions en nouveauté de vie. Parquoy en un autre lieu, Rom. 6
20 comme il deduvt un ar-ument, de ce que nous sommes mortz
avec Christ, (luil nous fault mortifier noz membres sur la terre :
aussi de ce que nous sommes ressuscitez avec Christ, il infère
qu'il nous fault chercher les choses Celestielles. Par lesquelles Coloss. ^
parollesnon seulement il nous exhorte à nouvelle vie, à l'exemple
,5 de Christ ressuscité: mais il enseigne que cela se fait par sa
vertu, que nous soyons régénérez en justice. Nous avons une
troysiesme utilité de ceste résurrection . C'est, que comme
avantz une Arre de nostre résurrection, nous en sommes renduz
plus certains de la nostre : d'autant que celle de Christ en est le LCor.l.
30 fondement et la substance. Il fault aussi, en passant, noter, qu il
est dict estre ressuscité des mortz : en quoy la vérité de sa mort et
résurrection est signifiée : comme s'il estoit dict. qu'il a souffert
une mesme mort que les autres hommes, et qu'il a leceu immor-
talité en la mesme chair qu'il avoit prinse. mortelle.
35
Il est monté es Cieulx : est assis à la dexlre de Dieu le
Père tout puissant.
Combien que Christ ayt commencé , en ressuscitant , à
DE LA FOV. 2."0
. ninL,^nilior sa ^loyre et ^ertu, ayant despDuilk' I humilité de sa
nature mortelle, et l'ii^nominie de la croix : toutesl'ois il a vrav-
ment lors exalté son He^ne, (|u;ind il est monte au f>iel. Ce que
TApostre demonslii- (|uand il dit : cju il est monté poiu- accom-
5 plir toutes choses, (lar nous voyons coiid)it'n il a plus lai ;;ement
espandu les ^M'act-s de son Esprit, combien il a plus amplifié sa /•;/./(.■. {.
Majesté. cond)ien \\ a declairc d axanta^c sa Puissance, tnnt en
aydanl les siens (jue en ahhatant ses ennemis. Estant donc
receu au (>iel. il a hien osté la présence de son corps de nostre
loveué: mais nompas pour laisser d'assister aux lidel(\s, qui ont
encores à cheminer en ti-rre : ains |)onr f^ouverner le monde par
une vertu plus présente, cpii' au|)aiavant. Et de tiiict. ce cpiil
avoit promis d'estre avec nous jus(pies à la consummation du
Siècle, a esté acconij)ly par cesie ascension : en hunielle,
i"> comme le corps a esté eslev»- sur tous les cieulx : ainsi la \('r(u
et efficace s'est espandue oultre tous les limites du (^iel et de la
Terre. Parquoy il est incontinent adjousté, qu'il est assis à la
dextre du Père. Laquelle simililude est piiust' des Hovs : dont
les Lieutenans. auscpiel/. il/. d<»nnent la ch;iii;e de <.,^ouverner, sont
2oc<jnnne leurs assesseurs. Ainsi (>lirist. au(juel le Père veult estre
exalté, et p;ir la m;iin duipul il vi-ut exercei- sa Seigneurie : est
dict estre assis à la dextre du Perc. Par hnpielle parolle il fault
entendre, qu'il a esté ordonné Seigneur du Ciel et de la Terre :
et qu'il en a pris solennellement la possession: et non seulement
îiqu'il la prinse une l'ois: iu;iis cpi il la maintien!, jusques à tant
qu'il descendia au jourdu .Ingénient. (>ar ainsi l'expose l'Apostre^ Kphfs. I .
(juant il dit, (pie le Père l'a constitué;! sa dextre, sur toute prin-
cipauté, et puissance, et vertu, cl domination, et tout nom qui
est renommé, non seulement en ce Siècle, mtds aussi en l'autre :
30 et qu il a assubjecty toutes choses soubz ses jjiedz et qu'il l'a mis
Chef en l'Eglise sur toutes choses. Nous voyons à quov tend ce qui
est dict, que Jésus Christ est assis : à scavoir que toutes créatures,
tant Célestes que terriennes, honorent sa Majesté, sont gouvernées
par sa main, obeyssent à son plaisir, et sont subjectes à sa vertu.
35 Et ne veulent autre chose dire les Apostres, quand ilz en font si
souvent mention : sinon que toutes choses ont esté permises
à son commandement. Pourtant ceux qui pensent que par ce AcIps2.3.
mot est simplement signifiée la béatitude, en laquelle a esté '"' '^■
receu Jésus Christ : s'abusent en cela. Or il ne doibt challoir
2g() CHAPITRE llll.
que Sainct Estienne. aux Actes, tesmoigne quHl Va veu comme Actes 7.
estant debout : car il est icy question, nompas de la disposition
du corps, mais de la Majesté de son Empire : tellement que estre
assis ne' sio-nilie autre chose, que présider au Throsne Céleste.
5 De cela reviennent divers proffitz à nostre Foy. Car nous enten- Jean 14.
dons que le Sei-neur Jésus, par son Ascension au Ciel, nous y
a faict ouverture : laquelle estoit fermée par Adam. Car puis
qu il y est entré en nostre chair, et comme en nostre nom : de Ephe. 2.
cela il s'ensuvt ce que dit TApostre : que desja aucunement nous
10 sommes assis avec luy aux lieux célestes : à scavoir d'autant que
nous n'en avons point une espérance nue : mais en avons desja
la possession en nostre Chef. D'avantage nous recongnoissons
que ce n'est pas sans nostre grand bien qu'il réside avec le Père.
Car estant entré au Sanctuaire qui n'est point faict de main
15 d'homme, il apparoist Ik continuellement pour nostre Advocat //^/^. 7.
et Intercesseur: convertissant tellement les yeulx du Père en sa
justice, qu'il les destourne du regard de noz péchez : nous recon-
ciliant tellement son coeur, qu'il nous donne accetz par son Bom. <y
intercession à son Throsne : nous y préparant grâce et clémence,
20 et faisant qu'il ne nous soit horrible, comme il doibt estre à tous
pécheurs. Tiercement en cest article nous concevons la puissance
de Jésus Christ : en laquelle est située nostre force et vertu, nostre
ayde, et la gloyre que nous avons contre les Enfers. Car en mon-
tant au Ciel, il a mené ses adversaires captifs : et les ayant des- ^P''^- -'■
23pouillez, il a enrichy son peuple, et de jour en jour l'enrichit de
grâces spirituelles. Il est donc assis en hault, à lin que de là,
espandant sur nous sa vertu, il nous vivifie en vie spirituelle, et
nous sanctifie par son Esprit : à fin de orner son Eglise de plu-
sieurs dons précieux : à fin de la conserver par sa protection,
30 à rencontre de toute nuysance : à fin de reprimer et confondre par
sa puissance tous les ennemis de sa croix, et de nostre salut : Psal. 10
finalement à fin d'obtenir toute puissance au Ciel et en Terre,
jusques à ce qu'il aura vaincu et destruict tous ses ennemis, qui
sont aussi les nostres : et qu'il aura parfaict son Eglise.
35 De là viendra juger les vifz et les mortz.
Dez maintenant les serviteurs de Jésus Christ ont assez de
signes, pour congnoistre la présence de sa vertu. Mais d au-
DE LA FOY. 261
tant que son Règne est encores obscurcy et caché soubz Ihumi-
lité de la chair : ce n'est pas sans cause que la Foy est icy diri-
gée à sa présence visible, laquelle il manifestera au dernier jour.
Car il descendra en forme visible, comme on l'aveu monter : et Actes I.
5 apparoistra à tous avec la Majesté inénarrable de son Règne, avec
la lumière d'immortalité, avec puissance infinie de Divinité, en la Mat. 24.
compaignie de ses anges. De là donc il nous est commandé d'at-
tendre nostre Rédempteur, au jour qu'il séparera les aigneaulx
des boucz, les esleuz des reprouvez : et n'y aura nul, ne vivant ne
10 mort, qui puisse eschapper son Jugement. Car le son de la /. The. 4.
Trompette sera ouy de tous les boutz du monde : par laquelle
tous hommes seront appeliez et citez à son Throsne Judicial :
tant ceux qui seront pour lors en A'ie que ceux qui seront tres-
passez auparavant. 11 y en a aucuns qui exposent, par les vivans
15 et les mortz, les bons et les mauvais. Et de faict, nous voyons
que aucuns des Anciens ont doubté, quand ilz debvoient exposer
ces vocables. Mais le premier sens est beaucoup plus conve-
nable : d'autant qu'il est plus simple, et moins contreinct : et
est prins de la manière accoustumée de l'Escriture. Et ne contre-
20 vient point ce qui est dict par l'Apostre, qu'il est une fois esta- Ilehr. 8.
bly à tous hommes de mourir. Car combien que ceux qui seront
pour lors en la vie mortelie, quand le Jugement viendra, ne
mourront point selon l'ordre naturel: toutesfois la mutation I.Cor.lo.
qu'il soutTriront, d'autant qu'elle aura grande convenance à la
23 mort, n'est pas sans raison appellée mort. l\ est certain que
tous ne reposeront pas longuement, ce que l'Escriture appelle
dormir, mais tous seront muez et changez. Qu'est-ce à dire cela?
C est, que leur vie mortelle sera abolye en une minute de temps,
et transformée en une nouvelle nature. Nul ne peut nyer qu'un
30 tel abolyssement de la chair, ne soit mort. Neantmoins ce pen-
dant demeure tousjours cela vray, que les viA^ans et les mortz
seront citez en jugement. Car les mortz qui sont en Christ res-
susciteront les premiers : puis après ceux qui seront survivans,
viendront au devant du Seigneur en l'air : comme dit Sainct /. The. 4.
3o Paul. Et de faict, il est vray semblable, que [ce]st article a esté
prins de la prédication de Sainct Pierre au dixiesme des Actes :
et de l'adjuration notable que faict Sainct Paul à Timothée : 2. Tim. 4.
où il est nommément parlé des vivans et des mortz. De là nous
revient une singulière consolation : que nous oyons la puissan-
262 CHAPITRE IIII.
ce de juger estre donnée à celuy qui nous a ordonnez, comme
participans de son honneur, à faire jugement : tant s'en fault qu'il
monte en son Throsne pour nous condamner. Car, comment un
Prince de si grande clémence perdroit-il son peuple ? comment
5 le Chef dissiperoit-il ses membres ? comment l' Advocat con-
damneroit-il ceux dont il a prins la deffense ? Et si l'Apostre Rom. S.
ose se glorifier, qu'il n'y a nul qui puisse condamner, quand
Jésus Christ intercède pour nous : il est encores plus certain,
que Christ, estant nostre Intercesseur, ne nous condamnera
10 point : A'eu qu'il a prins nostre cause en main, et a promis de
nous soustenir. Ce n'est pas certes une petite asseurance : de
dire que nous ne comparoistrons point devant autre siège judicial,
que celuy de nostre Rédempteur : duquel nous attendons salut.
D'avantage nous avons icy, que celuy qui nous promet mainte-
15 nant par son Evangile béatitude éternelle, ratifiera lors sa pro-
messe, en faisant jugement. Le Père donc, a tellement honoré
son Filz en luy attribuant authorité de juger : qu'en ce faisant
il a proveu à consoler les consciences de ses serviteurs : les-
quelles pourroient trembler de l'horreur du Jugement . Si
20 elles n'y avoient certaine espérance. Or puis que nous voyons
toute la somme, et toutes les parties de nostre salut estre com-
penses en Jésus Christ : il nous fault garder d'en transférer
aillieurs la moindre portion qu'on scauroit dire. Si nous cherchons Act.4.
salut : le seul Nom de Jésus nous enseigne qu'il est en luy. Si
25 nous de.sirons les dons du Sainct Esprict : nous les trouverons
en sonunction. Si nous cherchons force : elle est en sa Seigneurie.
Si nous avons à faire de pureté : elle nous est proposée en sa
conception. Si nous voulons trouver doulceur et bénignité : sa
Nativité nous la présente, par laquelle il a esté fiiict semblable à
30 nous, pour apprendre d'estre pitoyable. Si nous demandons rédemp-
tion : sa passion nous la donne. En sa damnation, nous avons
nostre absolution. Si nous desirons que la malédiction nous soit Hehr. I
remise: nous obtenons ce bien là en sa Croix. La satisfac- ^' "*■
tion, nous l'avons en son sacrifice : purgation, en son sang:
35 nostre reconciliation a esté faicte par sa descente aux Enfers.
La mortification de nostre chair, gist en son Sepulclire : la nou-
velleté de vie, en sa résurrection en laquelle aussi nous avons
espérance d'immortalité. Si nous cherchons l'Héritage céleste
il nous est asseuré par son Ascention. Si nous cherchons avde
DE LA FOY.
263
et confort, et abondance de tous biens : nous lavons en son
I^eg-ne. Si nous desirons d'attendre le Jugement en seureté :
nous avons aussi ce bien, en ce qu'il est nostre Juge. En som-
me, puis que les thresors de tous biens sont en luy : il nous les
0 fault de là puyser, et non d'aillieurs. Car ceux, qui non contentz
de luy, vacillent cà et là en diverses espérances : mesmes quand
ilz auroient leur principal esgard en luy : si ne tiennent-ilz pas
la droicte voye, d'autant qu'ilz destournent une partie de leurs
pensées ailleurs. Combien que ceste deffiance ne peut entrer
10 en nostre entendement, quand nous avons une fois bien congneu
ses richesses.
LA TROYSIESME PARTIE
Je croy au Saincl Espril.
Maintenant s'ensuyt la Foy au Sainct Esprit : laquelle /. Cor. 6,
15 est bien requise en l'accomplissement de nostre salut. Car ce
qu'il a esté dict, que nous devons chercher nostre ablution et
sanctification en Jésus Christ : ne se peut autrement obtenir :
sinon qu'il nous soit communiqué par le Sainct Esprit. Ce que
l'Apostre signifie, en disant, que nous avons esté lavez et
20 sanctifiez au Nom de Jésus Christ, et par l'Esprit de nostre
Dieu : comme s'il disoit, que les grâces de Jésus Christ sont
imprimées par le Sainct Esprit, en noz consciences. Pourtant
après la Foy au Père et au Filz, à bon droict est adjoustée la
Foy au Sainct Esprit : par lequel le fruict de la miséricorde
25 Divine, et de la grâce acquise par Jésus Christ, nous est . con-
formé. Or quand nous oyons ce Nom d Esprit, il nous fault
reduyre en mémoire, tous les offices que l'Escriture luy attribue,
et en attendre les bénéfices qui nous en procèdent, selon le
tesmoignage d'icelle. Car elle nous enseigne, que toute grâce
30 de Dieu est l'opération de son Esprit : d'autant que le Père par
jceluy, en son Filz fait toutes choses. Par iceluy il crée, nnain-
tient, vivifie, et conserve toutes ses œuvres. Par iceluy il appelle
et attire à soy tous ses fidèles, il les justifie, les sanctifiant à
tme nouvelle vie : il les enrichit de diverses espèces de grâces : il
264 CHAPITRE IIII.
les fortifie de sa vertu céleste, jusques à ce quilz sont parve-
nuz à leur but. Pourtant le Sainct Esprit, quand il habite en
ceste manière en nous, est celuy qui nous esclaire de sa lumière,
pour nous faire entendre quelles largesses de la bonté de Dieu
0 nous possédons en Jésus Christ : tellement que k bon droict on
le peut appeller une clef, par laquelle les thresors du Royaume
céleste nous sont ouvers : et son illumination, l'oeil de nostre
entendement, pour nous les faire contempler. Pour laquelle
cause il est maintenant nommé Arre et Seau : d autant, qu'il
10 scelle dedans noz cœurs la certitude des promesses de Dieu.
Maintenant il est dict maistre de vérité, autheur de lumière, fon- /. Cor. 6.
taine de sagesse, science, et intelligence. C'est celuy, lequel, nous
purgeant de toutes ordures, nous consacre en sainct sj Temples
à Dieu : nous ornant tellement de sa saincteté , que nous
15 sommes faictz Habitacles de Dieu. C'est celuy, qui par son
arrousement nous rend fertiles, pour produyre fruictz de jus-
tice. Par laquelle raison il est souvent nommé eaûe, comme en
ces passages du Prophète : Vous tous qui avez soif, venez à/esa.o.j.
leaûe. Item, J'espandray de l'eaûe sur la terre stérile, et àes Jcsa. ii.
20 fleuves sur la terre seiche. A quoy se rapporte la sentence de
Christ, oîi il appelle à puyser eaiie vive tous ayans soif. Com- Jean 7.
bien qu'il est aucunesfois aussi appelle pour l'efficace de purger Ezec.36.
et nettoier, comme en Ezechiel : où le Seigneur promect des
eaûes claires, pour purger son peuple. C'est celuy, lequel nous
25 rafrechissant de sa liqueur, nous distile la vigueur de vie : pour
laquelle cause il est nommé huyle et unction. C'est celuy. lequel
bruslant et consumant les vices de notre concupiscence, enflambe
noz cœurs en charité : pour laquelle vertu il est nommé feu.
G est celuy, qui nous inspire la vie divine : à tin que nous ne
30 vivions plus de nous : mais que nous suyvions son mouvement
et .sa conduicte. Pourtant s'il y a quelque bien en nous : tout
cela est faict de sa grâce et vertu. Au contraire ce que nous
avons du nostre, n'est que aveuglement d'esprit, et perversité
de cœur. Maintenant il apparoist, combien il nous est profitable
35 et nécessaire, que nostre Foy soit dirigée au Sainct Esprit •
veu qu en luy nous trouvons l'illumination de nostre ame,
nostre régénération, la communication de toutes grâces : et
mesmes l'efficace de tous les biens qui nous proviennent de
Jésus Christ.
DE LA FOY
265
LA QUAÏTRIESME PARTIE
Je croy la saincte Eglise catholique : la comniunioii des
Sainctz.
Nous parlerons aillieurs plus amplement de l'Eg-lise. Pour le
5 présent nous toucherons les choses que la Foy doibt contempler,
pour en recevoir consolation. Premièrement, ce que nous disons
plustost l'Eglise, que en l'Eglise : n'est pas sans raison. Je scav
bien que le second est plus accoustumé aujourd'huy : et que
d'ancienneté il a esté en usage : et mesmes le Symbole de Nice,
iQ comme il est recité en l'hysiovre Ecclésiastique, dit, croyre en
l'Eglise. Neantmoins il appert aussi jiar les livres des Anciens
pères, que cela estoit receu sans difficulté, de dire, croyre TEglise,
et nompas en l'Eglise. Car Sainct Cyprien et Sainct Augustin
non seulement parlent ainsi : mais notamment enseignent que la
15 locution seroit impropre, si on adjoustoit ceste préposition, en.
Et conferment levir opinion par une raison qui n'est pas frivole.
Car nous tesmoignons que nous croyons en Dieu : d'autant que
nostre cœur se remet sur luy comme véritable : et nostre fiance
repose en luy. (le qui ne conviendroit point à l'Eglise, nomplus
20 qu'à la remission des péchez, et à la résurrection de la chair.
Pourtant, combien que je ne veuille point estriver pour les
mot/, : toutesfois j'ayme myeulx suyvre la propriété, par laquelle
la chose soit bien declairée : que d'affecter formes de parler, qui
induysent obscurité sans propoz. Or il nous fault reduyre en
25 memoyre ce que nous avons par cy devant admonesté : c'est,
que jusques icy la matière, le fondement, et la cause de nostre
salut, nous a esté demonstrée: maintenant l'efïect s'ensuyt. Car
celuy qui entend la puissance de Dieu, et sa bonté Paternelle,
la justice de Christ, et l'efficace du Sainct Esprit : il tient la cause
30 de son salut. Mais il ne voit point encores comment le salut
est accomply aux hommes : sinon qu'il descende à l'Eglise, à la
remission des péchez, et à la vie éternelle. Api'ès donc avoir esté
enseigné, que Dieu nous est autheur de vie : cela se faictpar bon
ordre, que de là nous venons à recongnoistre son œuvre, lequel
35 se fait en nous. Premièrement l'Eglise nous est icy propo-
sée à croyre : à fin que nous croyons, toute la multitude des
266 CHAPITRE IIIl.
Ghrestiens estre conjoincte par le bien de Foy, et assemblée en
un peuple, duquel le Seigneur Jésus soit Prince et Capitaine :
mesines qu'elle est unve en un corps, duquel Christ est le Chef: Ephe. 1 .
comme Dieu a éternellement esleu tous les siens en iceluy : à fin
5 de les assembler et recueillir, en son Règne. Or il nous apparoist
combien il nous est nécessaire de croyre l'Eglise : de ce que Galat. i.
pour estre régénérez en vie immortelle, il fault qu'elle nous
conceoive, comme la mère conceoit ses enfans : pour estre con-
servez, il fault qu'elle nous entretienne et nourrisse en son sein.
10 Car c'est la mère de nous tous : à laquelle nostre Seigneur a
commis tous les thresors de sa grâce : à fin qu'elle en soit la gar-
dienne, et qu'elle les dispense par son ministère. Pourtant, si
nous voulons avoir entrée au Royaume de Dieu : il nous fault
recongnoistre, par Foy, l'Eglise. Or cela est, non seulement de
15 concevoir en nostre entendement le nombre des esleuz : mais de
recongnoistre une telle unité de l'Eglise, en laquelle nous ne
doubtions point d'estre inferez. Car nous ne pouvons avoir espé-
rance aucune de 1 Héritage Céleste : sinon que premier nous
adhérions à Jésus Christ nostre Chef par ceste communion,
20 avec tous ses membres : veu que l'Escriture prononce, qu'il n'y
a point de salut hors ceste unité de l'Eglise. Car ainsi fault-il lesaie 2.
entendre ces Prophéties : Que en Syon et Jérusalem il y aura joel 2.
sauvement . Pourtant quand le Seigneur veult dénoncer la mort Ezec 13
éternelle à aucuns, il dit quilz ne seront point en la compaignie
25 de son peuple: et qu'ilz ne seront point enrouliez entre les
enfans d'Israël. D "avantage ceste compaignie est appellée catho-
lique, ou universelle : pource qu'il n'y a ne deux ne trois Kglises:
mais aucontraire, tous les esleuz de Dieu sont tellement uniz et
liez en Christ : que, comme ilz depend[entj d'un Chef, aussi ilz
30 sont incorporez en un corps, s'entretenans ensemble comme
vrays membres. Et à la vérité, ilz sont bien faictz tous un, en-
tant qu'en une mesme Foy, Espérance et Charité, ilz vivent d'un
mesme Esprit de Dieu : et sont appeliez non seulement à un
mesme Héritage : mais à une mesme communication de Dieu et
3a de Jésus Christ.
L'Eglise oultreplus est nommée saincte . Car tous ceux
qui ont esté esleuz par la providence de Dieu, pour estre incor-
porez en icelle ; sont sanctifiez de Dieu par régénération spiri-
tuelle. Pourtant Sainct Paul nous met cest ordre de la mise-
DE LA FOY.
267
ricorde de Dieu : c'est, que ceux qu'il a esleuz, il les appelle :
ceux qu'il a appeliez, il les justitie : à fin de les glorifier une Boni. S.
fois. Ainsi nostre vocation et justilication, n'est autre chose,
qu'un tesmoignage de l'eslection Divine : entant que le Seigneur
5 introduyt en la communion de son Eglise, ceux qu'il avoit preor-
donnez devant qu'ilz fussent nayz. Pour ceste cause souventes-
fois l'Escriture ne repute point estre de l'Eglise, sinon ceux aus-
quelz le Seigneur a en telle sorte approuvé son élection. Car il
est expédient que les enfans de Dieu nous soient descritz, selon
10 que nostre entendement les peut comprendre: c'est à scavoir
qu'ilz sont menez de l'Esprit de Dieu. Toutesfois il nous fault
bien considérer, quelle saincteté il y a en l'Eglise. Car si nous
ne voulons reputer nulle Eglise, sinon laquelle fust parfaicte
depuis un bout jusques à l'autre, nous n'en trouverions nulle
is telle. Ce que dit Sainct Paul est bien vray : que Jésus Christ
s'est livré pour l'Eglise, à fin de la sanctifier : et qu'il l'a purgée
du lavement d'eaûe, en la parolle de vie, pour la rendre son Ephe. o.
espouse glorieuse, n'ayant macule ne ride. Mais ceste sentence
n'est pas moins vraye : que le Seigneur œuvre de jour en jour,
20 pour effacer les rides d'icelle, et nettoier les macules. Dont il
s'ensuyt, que sa saincteté n'est pas encores parfaicte. L'Eglise
donc est tellement saincte, que journellement elle proffîte, et n a
pas encores sa perfection : journellement elle va en avant, et
n'est pas encores venue au but de saincteté, comme il sera
25autrepart plus amplement expliqué. Pourtant ce que les Pro-
phètes prédisent de Jérusalem, qu'elle sera saincte. et que les
estrangers ne passeront point par icelle et que le Temple de Dieu
sera sainct, tellement que tous immundes n'y entreront point •
il ne nous le fault pas tellement prendre, comme s'il n'y avoit
30 nulle tache aux membres de l'Eglise. Mais, d'autant que de vraye
alTection de cœur les fidèles aspirent à entière saincteté et pureté :
la perfection, qu'ilz n'ont pas encores, leur est attribuée par la
bonté de Dieu. Or combien que souvent il advienne, qu on n'ap"
perceoit point entre les hommes grandz signes de ceste sanctifi-
33 cation : il nous fault neantmoins resouldre, qu'il n'y a eu nul eage,
depuis le commencement du monde, auquel le Seigneur n'ayt
eu son Eglise : et que jamais il n'adviendra, qu'il n'en ayt
tousjours. Car, combien que dez le commencement du monde,
tout le genre humain a esté corrompu et perverty par le péché
268 CHAPITRE un.
d'Adam : si est ce qu'il n"a jamais failly de sanctifier de ceste
masse corrompue, des instrumens en honneur : tellement qu'il
n'v a nul Siècle, qui n'ayt expérimenté sa miséricorde. Ce qu'il a
testifié parcertaines promesses. Comme quand il dit : J"ay ordon- Psal. 89.
5né une alliance à mes esleuz. J'ay juré à David mon serviteur : psal. 132.
que éternellement je conserveray sa semence : en éternelle g-ene-
ration j'establyray son siège. Item, Le Seigneur a esleu Syon, il la
esleiie pour son habitacle : c est son repoz éternel. Item, Voicy Hi/er. 31.
que dit le Seigneur lequel fait luyre le Soleil au jour, et la Lune
10 en la nuict. Quand cest ordre deffauldra, lors périra la semence
d'Israël : et non point devant.
L'article qui s'ensuvt de la communion des Sainctz, a esté
communément délaissé derrière des Anciens : lequel toutesfois
n'est pas à mépriser. Car comme il nous est nécessaire de crovre
l'Eglise : aussi ce n'est pas chose superflue, de scavoir quelle nous
la croyons. Pourtant j estime que ceste particule est déclaration
de l'Eglise : laquelle nous signifie, quelle est sa nature, et propriété.
C'est à scavoir que la conjonction, en laquelle Jésus Christ unit
ses fidèles, est de telle importance, qu'il communiquent ensemble
20 à tous biens. Par laquelle parolle toutesfois, il ne fault pas en-
tendre qu'un chascun n'ayt diverses grâces: veu que Sainct Paul I. Cor. 12.
dit, que les dons de l'Esprit sont divisez. Et ne fault pas estimer, J
que l'ordre Politique, lequel est, qu un chascun possède sa sub- >
stance à pari, doibve estre renversé. Veu qu'il est nécessaire que j,
25 les Seigneuries et possessions soient ainsi particulièrement dis- |
tinctes, durant ceste vie mortelle, pour conserver paix et tran- i
qmllité entre les hommes. Mais nous entendons une telle commu- i
nauté, laquelle convienne avec ceste division de biens et de grâces. !
Car tout ce que un a receu de la main de Dieu, il convient qu il
30 en face les autres participans : combien que cela luy soit donné
en particulier, et non aux autres : comme entre les meml)res d'un
corps il y a bien diverses facultez et offices dilferens, et toutesfois
il y a une telle unité, qu'un chascun sert aux autres. Car. comme
Sainct Paul aux Corinthiens et aux Ephesiens remonstre, ce ^. Cor. 12.
35 qu'un chascun a receu de grâce, doibt estre rapporté et contribué Ephe. 4.
à l'utilité commune de l'Eglise : pource que nostre Seigneur
veult, que la dispensation en soit telle. Aussi en un autre lieu
il argumente que les vocations sont diverses, pource que
la communion que nous avons ensemble, doibt estre ordon-
DE LA FOV,
26d
née selon la diversité des grâces.
Or d'autant que nous croyons la saincte Eglise, par la com-
munion d'icelle, à telle condition, que par le moyen que nous
avons de la Foy en Christ, nous avons confiance d'en estre
5 membres : il est expédient de considérer quel fruict nous en re-
vient. Or ce n'est pas petite chose, de recongnoistre que nous
sommes appeliez en l'unité de l'Eglise : laquelle a esté esleûe et Ephes. I.
segregée du Seigneur Dieu, pour estre le corps et plénitude de
Christ, pillier et fondement de vérité, et perpétuel habitacle de sa /. Tiiu.3.
10 Majesté divine. Car quand nous avons cela : nostre salut QsiPsal.i6.el
soustenu d'un si ferme appuy : que quand toute la machine du ''
monde seroit esbranlée, il demeureroit ferme et immuable. Pre- J>»'l '^- e<
■ mierement il est fondé en l'eslection de Dieu : et ne peut deffail- '
lir, sinon que sa providence éternelle soit dissipée. Davantage
15 il est confermé, en tant qu'il fault que Christ démeure en son
entier : lequel ne soullVira ses lideles estre distraictz de sov. non
plus que ses membres estre déchirez par pièces. En oultre, nous
sommes certains, que, entant que nous demeurons dedens le sein
de l'Eglise, la vérité demeure avec nous. Finalement nous en-
20 tendons que ces promesses nous appartiennent : oii ilest dictque
Dieu demeurera à tousjours à Jérusalem, et ne bougera jamais du
milieu d'icelle. Telle vertu ha l'unité de l'Eglise : qu'elle nous
peut retenir en la compaignie de Dieu. Pareillement ce mot de Psal. 46.
communion, nous peut grandement consoler. C est, que puis que
25 tout ce que nostre Seigneur a conféré de grâces à ses membres
et aux nostres, nous appartient : nostre espérance est confermée
par tous les biens quilz ont. Au reste, pour [s]e tenir en l'unité
d'icelle Eglise : il n'est ja mestier que nous voyons une Eglise à
l'œil, ou que la touchions à la main. Plustost, entant que nous
30 la devons croyre : en cela il nous est signifié, qu'il ne nous la
fault point moins recongnoistre, quand elle nous est invisible,
que si nous la voyons évidemment. Et n'en est nostre F'oy de
rien pire : quand elle recongnoit l'Eglise, que nostre intelligence
ne peut comprendre : d'autant que icy il ne nous est point com-
:{o mandé de discerner les esleuz des reprouvez (qui appartient à
Dieu seul et non à nous) mais d'avoir ceste certitude en noz
cœurs, que tous ceux, qui, par la clémence de Dieu le Père,
et la vertu du Sainct Esprit, sont venuz en la participation
de Christ sont segregez pour le propre Héritage de Dieu : et
270 CHAPITRE IIII.
d'autant que nous sommes en leur nombre : nous sommes héri-
tiers d'une telle grâce.
Maintenant il est temps de parler de TEgflise visible, et la-
quelle nous pouvons comprendre de nostre sens, pour monstrer
5 quel jugement nous en debvons avoir. Carie Seigneur nous a
marqué son Eglise de certains signes et enseignes : entant qu'il
nous appartient de la congnoistre. Bien est vray que ce privilège
appartient k luy seul, de scavoir lesquelz sont les siens, comme
dict Sainct Paul. Et de faict, à fin que la témérité des hommes
in ne s'advanceast jusques là, il va mis bon ordre: nous adver- Ma/. 18.
tissant journellement par expérience, combien ses jugemens
secretz surmontent nostre sens. Car d'une part, ceulx qui sem-
. bloient advis du tout perduz, et qu'on tenoit pour désespérez :
sont reduictz au droict chemyn. D'autre costé, ceux qui sem-
is bloient advis estre bien fermes, tresbuchent : et n'y a que Dieu
qui voit lesquelz doibvent persévérer jusques en la fin : ce qui
est le principal de nostre salut. Toutesfois, pource que le Sei-
gneur voyoit estre expédient, de scavoir lesquelz nous debvons
avoir pour ses enfans : il [sj'est accommodé à cest endroict, à
20 nostre capacité. Et d'autant qu'il n'estoit ja besoing en cela de
certitude de Foy : il a mis au lieu un jugement de charité : selon
lequel nous debvons recongnoistre pour membres de 1 Eglise,
tous ceux qui par confession de Foy, par bonne exemple de vie,
et participation des Sacremens, advouent un mesmeDieu, et un
25 mesme Christ avec nous. Par cela il nous est aisé d'appercevoir
quelle est l'Eglise. Car partout où nous voyons la paroUe de Dieu
estre purement preschée et escoutée, les Sacremens estre admi-
nistrez selon l'institution de Christ : là il ne fault doubler nulle-
ment qu'il n'y ayt Eglise : d'autant que la promesse qu'il nous a
30 baillée, ne nous peut faillir : par tout où deux ou trois seront
assemblez en mon Nom, je seray au milieu d'eux. Mais, pour Mat. IS.
bien entendre la somme de ceste matière : il nous fault procéder
parles degrez qui s'ensuyvent, C'est que l'Eglise universelle, est
toute la multitude, laquelle accorde à la vérité de Dieu, et k la
35 doctrine de sa parolle, quelque diversité de nation qu'il y ayt, ou
distance de région: d'autant qu'elle est unie par lelyen de Religion.
Que soubz ceste Eglise imiverselle, les Eglises qui sont distribuées
par chascune ville et village, sont tellement comprinses, qu'une
chascune ha le filtre et authorité d'Eglise : et que les personnes
DE LA FOY. 271
lesquelles sont advoûées estre d'icelle par profession de Foy, com-
bien que à la vérité elles ne soyent point de l'Eglise, neantmoins
elles sont estimées y appartenir, jusques à ce qu'on les ayt rejec-
tez par jugement public. Combien qu'il y ait diverse raison à
5 estimer des Eglises, et des personnes particulières. Car il peut
advenir, qu'il nous fauldra traicter comme frères, et avoir pour
fidèles ceulx, que nous ne penserons pas dignes d'estre de ce
nombre : à cause du consentement commun de l'Eglise, laquelle
les souifrira et endurera encores au corps de Christ. Nous n'ap-
10 prouverons pas donc telles gens comme membres de lEglise,
quant à nostre estime privée. Mais nous leur laisserons le lieu
qu il tiennent entre le peuple de Dieu : jusques à ce qu'il leur
• soit osté par voye légitime. Envers une multitude, il nous y
fault autrement procéder. Car si elle ha le ministère de la parolle,
15 et si elle l'honore, si elle retient l'administration desSacremens :
elle doibt estre, sans doubte, recongneuë pour Eglise : d'autant
qu'il est certain que la parolle et les Sacremens ne peuvent estre
sans fruict. En telle sorte nous conserverons l'unité de l'Eglise
universelle, laquelle les espritz diaboli(|ues ont tousjours tasché
20 de dissiper : et ne esterons jjoint l'authorité qui appartient aux
as.semblées ecclésiastiques, lesquelles sont en chascun lieu, pour
la nécessité des hommes.
Nous avons mis pour enseignes de l'Eglise, la prédica-
tion de la parolle de Dieu, et l'administration des Sacremens.
25 Car ces deux choses ne peuvent estre, qu'elles ne fructifient, et
qu'elles ne prospèrent par la bénédiction de Dieu. Je ne diz
pas. que par tout où il y a prédication, que le fruict incon-
tinent apparoisse : mais j'entendz, qu'elle n'est nulle part
receuë, pour y avoir comme certain siège, qu'elle ne produvse
30 quelque efficace. Comment que ce soit, partout où la prédica-
tion de l'Evangile est reveremment escoutée, et les Sacremens
ne sont point négligez : là apparoist, pour le temps, cer-
taine forme d'Eglise, dont on ne peut doubler, et de laquelle
il n'est pas licite de contemner l'authorité, ou mespriser
35 les admonitions, ou rejetter le conseil, ou aA'oir les casli-
gations en moquerie. Beaucoup moins est-il permis de s'en
diviser, ou de rompre l'unité d'icelle. Car Dieu estime tant
de la communion de son Eglise : qu'il tient pour un traistre de
la Chrestienté, celuy qui s'estrange de quelque compagnie
272 CHAPITRE iiii.
Chrestienne; en laquelle il y a le ministère de sa paroUe, et de
ses Sacremens. 11 ha en telle recommendation Tauthorité d'icelle :
que quand elle est violée, il dit, que la sienne propre l'est.
Pourtant il nous fault diligemment retenir les marques cv-des-
5 sus mises : et les estimer selon le jugement de Dieu. Car il n'y
a rien que Sathan machine plus de faire, que de nous amener
à l'un de ces deux poinctz : c'est que, en abolissant ou etTaceant
les vrays signes, dont nous pouvons discerner l'Eglise, il nous
en este toute vraye distinction : ou bien de nous induire à nous
10 les faire contenaner, à fin de nous séparer et révolter de la com-
munauté de l'Eglise. Il a esté faict par son astuce, que la pure
prédication de l'Evangile a esté cachée par longues années : Ephe. i.
et maintenant par mesme malice il s'efforce de renverser le
ministère : lequel Jésus Christ a tellement ordonné en son
15 Eglise, que iceluy abattu, l'édification de l'Eglise perist. Or com-
bien est-ce une périlleuse tentation ; ou plustost pernitieuse ;
quand il entre au cœur de l'homme ; de se diviser d'une congré-
gation ; en laquelle apparoissent les enseignes ; dont nostre
Seigneur a suffisamment pensé marquer son Eglise ? Nous
20 voyons combien il est mestier de se donner garde d'une part
et d'autre. Car à ce que nous ne soyons point trompés soubz
le filtre de l'Eglise, il nous fault examiner à ceste espreuve,
que Dieu nous baille, toute congrégation, qui prétend le nom
d'Eglise : comme on espreuve l'or à la touche. C'est, que si elle
23 ha 1 ordre que nostre Seigneur a mis en sa parolle, et ses Sacre-
mens : elle ne nous trompera point, que nous ne luy puyssions
rendre seurement Ihonneur qui appartient à l'Eglise. Aucon-
traire, si sans parolle de Dieu et ses Sacremens, elle veult estre
recongneuë Eglise : il ne nous fault point moins garder de trom-
3operie, que éviter témérité en l'autre endroict.
Quant à ce que nous disons, que le pur ministère de la
parolle, et la pure manière d'administrer les Sacremens, est
un bon gage et Arre, pour nous asseurer qu'il y a Eglise en
toutes compagnies où nous verrons l'un et l'autre : cela doibt
3oavoyr telle importance, que nous ne debvons rejetter nulle
assemblée, laquelle entretienne l'un et l'autre, combien qu'elle
soit subjecte à plusieurs vices. Qui plus est, il y pourra
avoir quelque vice, ou en la doctrine, ou en la faceon d'ad-
ministrer les Sacremens, qui ne nous devra point du tout alie-
DE LA FOY. 273
ner de la communion d'une Eg'lise. Car tous les articles de la doc-
trine de Dieu, ne sont point d'une mesme sorte. Il y en a aucuns,
dont la congnoissance est tellement nécessaire, que nul n'en
doibt doubler : non plus que d'arrestz, ou de principes de la
5 Ghrestienté. Comme pour exemple qu'il est un seul Dieu, que
Jésus Christ est Dieu, et Filz de Dieu, que nostre salut g-ist en sa
seule miséricorde, et autres semblables. Il y en a d'autres, les-
quelz sont en dispute entre les Eglises et neantmoins ne rompent
pas l'unité d'icelles. Pour donner exemple. S'il advenoit qu'une
•" Egalise tint, que les âmes, estans séparées du corps, fussent trans-
férées au Ciel incontinent : un autre, sans oser déterminer du
lieu, pensast simplement qu'elles vivent en Dieu, et que telle
diversité fust sans contention et sans opiniâtreté : pourquoy se
diviseroient elles d'ensemble? Ce sont les parolles de 1 Apostre :
loque si nous voulons estre parfaictz, il nous fault avoir un mesme PhilL j.
sentiment : au reste, que si nous avons quelque diversité. Dieu
nous révélera ce qui en est. En cela ne monstre-il pas, que si les
Chrestiens ont aucune dissention des matières qui ne sont point
grandement nécessaires; que cela ne doibt point faire de trouble
20 ne sédition entre eux? Bien est vray, que c'est le principal, d'ac-
corder en tout et par tout. Mais d'autant qu'il n'y a nul qui ne
soit enveloppé de quelque ignorance : il fauldra, ou que nous ne
laissions nulle Eglise : ou que nous pardonnions l'ignorance
à ceux qui fauldront ez choses, lesquelles se peuvent ignorer sans
23 péril de salut, et sans que la Religion soit violée. Je n'entendz
icy de maintenir aucuns erreurs, voyre les moindres du monde :
et ne vouldroiz qu'on les nourrist par les dissimuler et flatter.
Mais je diz quil ne fault pas, par dissention, legierement aban-
donner une Eglise, en laquelle est gardée en son entier la
30 doctrine principale de nostre salut , et les Sacremens , comme
nostre Seigneur a ordonné . Ce pendant si nous taschons
de corriger ce qui nous y deplaist : nous ne faisons que
nostre debvoir. Et à cela nous induyt la sentence de Sainct
Paul : que si celuy qui a quelque meilleure révélation, qu'il I.Cur.li.
35 se levé pour parler : et que le premier se taise. Car par cela
il appert, qu'à un chascun membre de l'Eglise est donnée la
charge d'edifîer les autres, selon la mesure de grâce qui est
en luy : moyennant que cela se face decentement et par
ordre. C'est à dire que nous ne renoncions point la commu-
Instilution. 18
274 CHAPITRE 1111.
nioii de l'Eglise : et aussi que, demeurans en icelle, nous ne
troublions point la police ne la discipline. Quant à Fimperfec-
tion des meurs, nous en devons beaucoup plus endurer. Car il est
facir de trébucher en cest endroit : et le Diable ha de merveil-
sleuses machinations pour nous sedujre.^l y en a eu tousjours
aucuns, lequelz, se faisantz à crojre qu'ilz avoient une saincteté
parfaicte, comme s'ilz eussent esté quelques Anges de Paradis, ont
mesprisé toute compaignie des hommes, en laquelle ilz apperce-
voient quelque infirmité humaine. Telz ont esté jadis ceux qu'on
lonommoit CATHAR[E]S, c'est à dire les purs: et aussi les Dona-
tistes, qui approchoientde la folye des autres. Aujourd'huy il y
a quelques x\nabaptistes semblables : à scavoir ceux qui veulent
apparoistre les plus habilles, et qui se pensent avoir proffité par
dessus les autres. Il y en a d'autres qui pèchent plus par un
lo zèle de justice inconsidéré, que par telle oultrecuydance. Car
(ruand ilz voyent que entre ceux, ausquelz l'Evangile est annoncé,
le fruict n'est pas correspondant à la doctrine : incontinent
ilz jugent qu'il n'y a là nulle Eglise. Quant à levir offense,
elle est tresjuste et certes nous en donnons trop de matière,
20 et ne povons aucunement excuser nostre mauldicte paresse,
laquelle Dieu ne laissera point impunye : comme desja il com-
mence à la chastier d'horribles verges. Malheur donc sur nous,
qui faisons, par nostre licence desordonnée, que les cons-
ciences débiles sont navrées et scandalizées en nous. Neant-
23 moins ceux, dont il est question, faillent aussi de leur part :
entant qu'ilz oui trépassent la mesure. Car là où nostre Seigneur
requiert qu'ilz usent de clémence : la laissant derrière, ilz
s'adonnent du tout à rigueur et sévérité. Car, en estimant
qu'il n'y a nulle Eglise , sinon où ilz voyent une parfaicte
30 pureté et saincteté de vie : soubz umbre de hayr les vices, ilz se
départent de l'Eglise de Dieu : pensans se retirer de la compai-
gnie des meschans. Hz allèguent que l'Eglise de Jésus Christ est
saincte. Mais il fault qu'ilz escoutent ce que luymesme en dit :
Qu'elle est meslée de bons et de mauvais. Car la parabole est Mail. lo.
35 vraye : où il l'acomparage à un retz , lequel attire toute ma-
nière de poyssons : qui ne sont point choysiz jusques à ce
qu'ilz viennent à rive. Qu'ilz escoutent ce qu'il en dit en une
autre parabole : c'est, qu'elle est semblable à un champ :
lequel, après avoir esté semé de bon froment, est aussi gasté
DE LA FOY. 275
d'yvraye : de laquelle la bonne moysson ne peut estre purgée,
jusques à ce quelle soit amenée à la grange. Puis que le Sei-
gneur prononce que son Eglise sera subjecte à ceste misère, jus-
ques au jour du Jugement, d'estre tousjours chargée de mauvais
5 hommes : c'est en vain qu'ilz la cherchent du tout pure et nette.
Mais ilz disent, que c'est une chose intoUerable, que les vices
régnent ainsi par tout. Je leur concède qu'il seroit à désirer
autrement : mais pour response, je leur metz en avant la sen-
tence de Sainct Paul. Entre les Corinthiens il n'y avoit pas
10 quelcpie petit nombre de gens, qui eust failly : mais tout le corps
estoit quasi corrompu : et n'y avoit pas une espèce de mal, mais
plusieurs. Les faultes n'estoient pas petites : mais grandes et
énormes transgressions. La corruption n estoit pas seulement
aux meurs : mais aussi en la doctrine. Que fait sur cela le Sainct
la Apostre ; c'est-à-dire un instrument esleu du Sainct Esprit ;
sur le tesmoignage duquel est fondée l'Eglise ? Cherche-il de
se diviser d'eux? Les rejette-il du Règne de Christ ? Leur de-
nonce-il une dernière malédiction, pour les exterminer du tout ?
Non seulement il ne fait rien de tout cela : mais plustost il les
20 advouë pour Eglise de Dieu, et compaignie de Sainctz : et les
confesse estre telz. S'il y demeure Eglise entre les Corinthiens,
ce pendant que les contentions, sectes et envies y régnent, ce
pendant qu il y a force procez et noyses, que la malice y est en
vigueur, que meschanceté, laquelle devoit estre exécrable entre
ri les Payens, est publiquement approuvée, ce pendant que Sainct
Paul y est diffamé, qu'ilz dévoient honorer comme leur Père,
que aucuns se moquent de la résurrection des mortz, laquelle
aneantye, tout l'Evangile est ruyné, ce pendant que les grâces
de Dieu servent à ambition, et non point à charité, que plu-
30 sieurs choses se font deshonnestement et sans ordre : Si donc
pour ce temps là il y demeure Eglise entre eux, et y demeure
d'autant qu ilz retienent la prédication de la parolle et le^
Sacremens ; qui osera oster le nom de l'Eglise à ceux : ausquelz
on ne peut point reprocher la dixiesme partie de telles faultes ?
:r. Ceux qui examinent d'une telle rigueur les Eglises présentes ;
je vous prie, qu'eussent-ilz faict aux Galatiens ; lesquelz s'es-
toient presques révoltez de l'Evangile ? Toutesfois Sainct Paul
recongnoyssoit entre eux quelque Eglise. Il faut que les fidèles se
munissent de telles armes, de paour qu en voidant apparoistre
276 CHAPITRE ini.
trop ardans zélateurs de justice, ilz ne se séparent du Royaume
desCieux: lequel est le Royaume unique d'icelle justice. Car
d'autant que nostre Seigneur a voulu que la communion de son
Eglise fust observée de nous, en nous entretenant ez assemblées
5 publiques ou nous avons sa parolle et ses Sacremens : quiconque
pour haine des meschans, se sépare et divise de telle société, il
entre en un chemyn dont il est bien aysé de se diviser de la com-
munion des Sainctz. Quilz reputent donc, qu'en une grande mul-
titude il y en a plusieurs qui sont vrayement bons et inocens
10 devant Dieu: lesquelz ilz ne peuvent appercevoir à Tœil. Quilz
pensent aussi, que du nombre des vicieux, il y en a beaucoup qui
ne se plaisent et ne se flattent point en leurs vices : mais souvent
estans touchez de la crainte de Dieu, taschent de se reduyre en
une meilleure voye. Qu'ilz pensent, combien il n'est pas question
15 de juger d'un homme pour un faict, ou deux, ou trois : veu quil
advient aucunesfois aux plus Sainctz de faillir bien lourdement.
Qu ilz estiment, que la parolle de Dieu et ses Sainctz Sacremens,
ont plus de vertu et d'importance à conserver une Eglise , que
les vices d'aucuns membres pourriz n'ont à la dissiper. Finale-
20 ment qu'ilz reputent, que le jugement de Dieu doibt avoir plus
d'authorité à déterminer où il y a Eglise, et où il ny en a point
que l'opinion des hommes.
Xeantmoins si les Eglises sont bien reiglées : elle ne nour-
riront point en leurs seins les meschans, quand elles les con-
25gnovstront estre tellement enyvrez en leurs vices, qu'ilz s'y
complairont. Car le Seigneur a obvié d'un bon remède, à ce
que telz membres pourriz n'espandent leur corruption sur tout
le corps de l'Eglise. A cest usage sont ordonnées les excom-
munications, par lesquelles ceux qui prétendent faulsement la
soFoy de Christ, et cependant, par vie deshoneste et meschante,
scandalisent son Nom, doibvent estre exterminez et chassez
d'entre le peuple de Dieu : veu qu'ilz ne sont pas dignes de se
glorifier du Nom de Christ. Parquoy l'Eglise, quand elle dé-
boute de sa compagnie tous manifestes adultères , paillars ,
35 larrons, abuseurs, volleurs , rapineurs, homicides, séditieux,
batteurs, noyseurs, faulx tesmoingz, iniqiies, yvrongnes, gour-.Va/. IS
mans, dissipateurs de biens, parjures, blasphémateurs, et
autres telles manières de gens, quand ilz ne se veulent cor-
riger par admonitions : elle n'entreprend rien oultre raison :
DE LA FOY.
277
mais seulement elle exécute la juridiction que Dieu luy a bail-
lée. Et à fin que nul ne mesprise un tel jugement de l'Eglise, ou
estime petite chose d'estre condamné par la sentence des fidèles :
le Seigneur a testifié, que cela n'est autre chose, qu'une declara-
3 tion de sa propre sentence : et que ce qu'ilz auront dict en Terre
sera ratifié au Ciel. Car ilz ont la parolle de Dieu, pour condam-
ner les pervers, ilz ont la mesme parolle, pour recevoir à mercy
tous vrays repentans. Ceux qui pensent que les Eglises puyssent
longuement consister sans estre lyées et conjoinctes par ceste
10 discipline, s'abusent grandement veu qu'il n'y a double, que
nous ne nous pouvons passer dun remède, que le Seigneur a
preveu nous estre nécessaire. Et de faict, l'utilité qui en vient,
monstre myeulx quelle nécessité nous en avons. La première
est, que gens de mauvais gouvernement ne soyent, avec grand
15 opprobre de Dieu, comptez au nombre des Chrestiens, comme
si l'Eglise estoit un réceptacle de meschans et mal vivans. Car
puis que l'Eglise est le corps de Christ : elle ne peut estre con-
taminée par membres pourriz, qu'une partie de la honte n'en re-
vienne au chef. A fin donc qu'il n'y ayt rien en l'Eglise, dont le
20 Nom de Dieu receoive quelque ignominie : il en fault dechasser
tous ceux, qui par leur turpitude, diffament et deshonorent la
Chrestienté. La seconde utilité est, à ce que les bons ne soyent
corrompus par la conversation des mauvais : comme il en advient
souventesfois. Car selon que nous sommes enclins à nous desvojer,
25 il ne nous est rien plus facile que de suyvre mauvais exemple.
Ceste utilité a esté nottée par l'Apostre, quand il commandoit
aux Corinthiens de bannir de leur compagnie celuy qui avoit com-
mis inceste. Un petit de levain, dit-il, aigrit toute la paste. Et t. Cor. 3,
mesme le Sainct Apostre voyoit un si grand danger en cela, qu'il
30 deffendoit aux bons toute compagnie et familiarité des mes-
chans. Si celuy dit-il, qui se renomme frère entre vous est
paillard, ou avaricieux, ou idolâtre, ou maldisant, ou yvron-
gne, ou rapineur : je ne vous permetz point de manger avec
luy. La troysiesme utilité est, que ceux qu'on chastie par
33 excommunication, estans confus de leur honte, se repentent :
et par telle repentance viennent à amendement. Et ainsi il est
expédient, mesmes pour leur salut, que leur meschanceté soit
punye : à fin que, estantz advertis par la verge de l'Eglise, ilz
recongnoyssent leurs faultes : esquelles ilz se nourrissent et en-
278 CHAPITRE IIII.
durcissent quand on les traicte doucement. Ceux donc qu'on
sépare du trouppeau de l'Eglise, ne sont point déboutez d'es-
pérance de salut : mais sont punyz de correction temporelle :
jusques à ce qu'ilz se retirent de mauvaise vie pour vivre saincte-
gment et honestement. C'est ce que veut dire l'Apostre. en ce qui
s'ensuyt. Si quelqu'un n'obeist point à nostre doctrine, nottez-le
et ne vous meslez point avec luv, à fin qu'il ayt xergongne.^.Theas.o.
Item en un autre passage, quand il dit, qu'il a livré l'inceste de
Corinthe à Sathan : en perdition de la chair, à fin que l'esprit /. Cor. o.
10 fust sauvé au jour du Seigneur : c'est à dire, selon mon advis,
qu'il Fa chastié d'une condemnation temporelle : à fin que l'esprit î
fust éternellement sauvé. Car ce que aucuns entendent cela de
quelque certain torment temporel, qui se faisoit par le Diable :
cela me semble advis fort incertain : mais plustost se doibt ainsi
13 entendre comme je diz. Nous ne debvons point donc effacer du
nombre des esleuz les excommuniez : ou en désespérer, comtne
s'ilz estoient desja perduz. Bien est-il licite de les juger estrangers
de l'Eglise : selon la reigle que j'ay mise cy dessus : encorescela
se doibt faire pour le temps de leur séparation seulement. Et en-
aocores que nous appercevions en eux plus d'orgueil et d'obstina-
tion que d'humilité : si les devons nous encores remettre en la
main de Dieu, et recommander à sa bonté, esperans myeux pour
le futur, que nous n'y voyons de présent. Et pour plus briève-
ment parler, il ne nous fault point condamner à mort éternelle
25 la personne qui est en la main d un seul Dieu : mais nous
debvons estimer par la Loy de Dieu, quelles sont les œuvres d'un
chascun. Quand nous suyvons ceste reigle : cela est plustost se
tenir au jugement que Dieu nous a declairé, que de mettre en
avant le nostre. 11 ne nous fault point entreprendre plus de licence
30 à juger, sinon que nous veuillons limiter la vertu de Dieu : et
assubjectir à nostre phantaisie sa miséricorde : à laquelle, toutes-
fois et quantes qu'il luy semble bon, les plus meschans sont con-
vertis en gens de bien, les estrangers sont receuz en l'Eglise. A ce
que l'oppinion des hommes soit frustrée, et leur audace repri-
sa mée : laquelle ose tousjours s'attribuer plus qu'il n'appartient, si
elle n'est corrigée. Touchant de ce que Christ dit, que ce que les
ministres de sa paroUe auront lyé ou délivré en Terre, sera lyé et
délivré au Ciel : de cela il ne s'ensuyt point, que nous puissions
discerner lesquelz sont de son Eglise ou n'en sont point. Car comme
DE LA FOV. 279
ainsi soit que ceste promesse soit répétée deux fois : c'est en di-
verse intelligence. Au premier lieu le Seigneur ne veut point
donner quelque marque visible, pour donner à congnoistre à
l'œil ceux qui sont lyez ou absoubz : mais simplement il testifie,
"■ que ceux qui auront en terre, c'est à dire en ceste vie, receu par
Foy la doctrine de l'Evangile, par laquelle Christ nous est offert
en rédemption et délivrance : ilz seront vrayement deslyez et
absoubz au (uel : c'est à dire devant Dieu en son Throsne céleste.
Aucontraire ceux qui l'auront mesprisée et rejettée : auront en
loicelle tesmoignage, qu'ilz demeurent au Ciel et devant Dieu en
leurs lyens, et mesmes y sont plus estroictement enserrez. Au se-
cond passage, où il est parlé de l'excommunication, la puyssance
de lier et deslier est mise en la censure Ecclésiastique par laquelle
ceux qui sont excommuniez, ne sont point jettez en ruyne éternelle
15 et en desespoir: mais seulement en ce que leur vie est condam-
née, ilz sont advertiz, que la damnation éternelle les attend, s'ilz
ne s'en repentent. Car c'est la ditrerence qui est entre excommu-
nication et l'exécration, que les docteurs Ecclésiastiques appellent
Anathema : qu'en Anathematisant un homme, on luy oste toute
20 espérance de pardon, et les donne on au Diable, en l'excommu-
niant on punit plustost ses meurs. Et combien qu'on punisse
aussi sa personne : toutesfois cela se faict en telle sorte, qu'en
luy denonceant sa damnation future, on le retire en voye de
salut. S'il obeist. l'Eglise est preste de le recevoir en amytié: et
2ile faire participant de sa communion. Parquoy combien qu il ne
soit point lovsible, si nous voulons deuëment observer la disci-
pline Ecclésiastique, de hanter privement et avoir grande fami-
liarité aux excommuniez : neantmoins, si nous debvons nous
elTorcer, entant qu'en nous est, soit par exhortation et doctrine,
:io soit par clémence et doulceur, soit par noz prières envers Dieu,
de faire qu'ilz se reduysent en bonne voye: et estans reduictz 2. The. S.
reviennent en la communion de l'Eglise : comme aussi l'Apos-
tre nous enseigne. Ne les réputés point, dit-il, comme enne-
mys : mais reprenez les comme frères. Il requiert aussi une
35 telle mansuétude en toute l'Eglise, quant est de recevoir ceux
qui monstrent quelque signe d'amendement. Car il ne veut
point qu'elle exerce une sévérité trop rigoureuse, qu'elle pro-
cède estroictement jusques au bout, et soit comme inexo-
rable : mais plustost qu'elle vienne au devant, et se présente vo-
280 CHAPITRE IlII.
luntairenient à le recevoir : à fin qu'il ne soit accablé de trop
grand'tristesse. Si ceste modération n'est diligemment gardée,
iî V a danger que de discipline, nous ne tombions en une manière i. Cor. 2.
de Géhenne : et que de correcteurs, nous ne devenions bourreaux.
5 II a desja esté exposé, quelle importance doibt avoir entre
nous, le ministère de la paroUe de Dieu et des Sacremens : et
jusques à où nous luy debvons porter cest honneur : pour le
tenir comme enseigne et marque de TEglise : c est à dire, que
par tout où il est en son entier, qu'il n'y a nulz vices touchant
10 les meurs, qui empeschent que là il n'y ayt Eglise. Seconde-
ment, que encores qu'il y ayt quelques petites faultes, ou en
la doctrine où ez Sacremens : qu'ilz ne laissent point d'avoir
leur vigueur. D'avantage il a esté monstre, que les erreurs,
ausquelz on doibt ainsi pardonner, sont ceux qui ne touchent
15 point la principalle doctrine de nostre religion : et ne con-
treviennent aux articles de la Foy : esquelz doibvent consen-
tir tous fidèles. Et quand aux Sacremens, que les faultes qu'on
peut toUerer sont celles, qui n'abolissent point et ne renver-
sent l'institution du Seigneur. Mais s'il advient que le men-
20 songe s'esleve pour destruyre les premiers poinctz de la doc-
trine Chrestienne, et destruyre ce qui est nécessaire d'entendre,
que l'usage des Sacremens soit anneanty : lors s'ensuyt la
ruyne de l'Eglise : tout ainsi que c'est faict de la vie de l'homme,
quand le gosier est couppé, ou que le cœur est navré. Or
25 comme ainsi soit, qu'il en aille ainsi au Royaume du Pape :
on peut entendre que c'est qu'il y reste là de l'Eglise. Pour le
ministère de la parolle, il y a une Prestrise «perverse et forgée
de mensonge. Au lieu de la Cène de nostre Seigneur, un sacri-
lège abominable. Le service de Dieu est obscure}' et contaminé
30 de superstitions infinies. Quasi toute la doctrine, sans la-
quelle ne peut consister la Chrestienté, est ensevelie et mise
soubz le pied. Les assemblées pid)liques sont comme Escholes
d'Idolâtrie et impieté. Pourtant il n"}- a nul péril, qu'en nous reti-
rans de la participation de tant de vilannies et sacrilèges, nous
35 nous séparions de l'Eglise de Christ. Car la communion de l'Eglise
n'est pas ordonnée à ceste fin, qu'elle soit un lyen pour nous con-
joindre en Idolâtrie, impieté, ignorance de Dieu, et autre chose
meschante : mais plustost pour nous retenir en la crainte
de Dieu : et l'obeyssance de sa vérité. Mais il apparoistra plus
DE LA FOY
281
clairement, en quelle estime nous debvons avoir les Eglises,
qui sont opprimées de la tyrannie de cest Idole de Rome : si
nous les comparons à l'Eglise ancienne d'Israël, telle, qu elle
nous est figurée par les Prophètes. Du temps qu'en Judée et en
5 Israël, l'aliance de Dieu estoit gardée purement, il y avoit pour
lors vraye Eglise : d'autant que les choses, esquelles est l'Eglise
fondée, y apparoissoient. Hz avoient en la Loy la doctrine de
vérité : la dispensation d'icelle estoit commise aux Prestres et
Prophètes. Hz estoient receuz entre le peuple de Dieu par le
10 Sacrement de Circoncision. Hz avoient les autres Sacremens pour
exercices : à fin de se confermer en la Foy. Pourtant il n y a
point de doubte, que les tesmoignages et les tiltres, dont nostre
Seigneur a honoré son Eglise, ne leur convinssent pour lors.
Après que ayans délaissé la Loy de Dieu, ilz se abastardirent k
15 Idolâtrie et sui)erstition : ilz commencèrent en partie à perdre
ce privilège. Car (jui oseroit oster ou desnyer le tiltre de l'Eglise
à ceux, ausquelz nostre Seigneur a donné la prédication de sa
pjirolle ; et l'usage de ses Sacremens? D'autrepart qui osera
simplement, et sans exception; tenir pour Eglise ; une assem-
20 blée ; où la parolle de Dieu est ouvertement conculquée ; ou le
ministre d'icelle ; qui est comme la force et mesme l'ame de
l'Eglise; est dissipé? Quoy donc; pourra dire quelqu'un. N'y
avoit-il plus nulle forme d'Eglise entre les Juifz ; despuis qu'ilz
sont déclinez à Idolâtrie ? La response est facile. Si nous consi-
25derons l'Eglise, selon que nous en parlons maintenant: à scavoir
au jugement de laquelle il faille porter révérence : de laquelle il
faille avoir en estime l'authorité, recevoir les admonitions, ne
mespriser point les chastiemens et disciplines et n'abandonner
point la communion: les Prophètes crient à haulte voix, qu'il
30 ne failloit point avoir telles compagnies pour Eglises : mais
pour Synagogues prophanes et poluës. Car si se eussent esté
Eglises : Helie, Michée et les autres serviteurs de Dieu, eussent
esté bannyz de l'Eglise : veu que tant les Prophètes et Sacrifica-
teurs, que le peuple, les avoit en plus grande exécration que les in-
3.. circoncis. Si[cle eussent esté Eglises : il s'ensuyvroit, que l'Eglise
ne seroit point coulonne de vérité : mais pilier de mensonge :
qu'elle ne seroit point Tabernacle du Dieu vivant : mais récepta-
cle des Idoles. Neantmoins il y restoit entre eux quelques préro-
gatives et privilèges, qui appartiennent singulièrement à l'Eglise,
282 CHAPITRE 1111.
et principalement l'aliance de Dieu : laquelle s'entretenoit plus-
tost de sa propre fermeté, en combattant contre limpieté du
peuple, qu'elle n'estoit confermée pariceluy. Pourtant à cause de
la certitude et constance que tient Dieu en sa grâce et bonté :
> l'aliance divine demeuroit là ferme, et ne se pouvoit abolir la
vérité d'icelle, par la desloyauté du peuple. La Circoncision aussi
ne pouvoit estre tellement poluée par leurs mains impures et
souillées : qu'elle ne fust signe et Sacrement de ceste aliance. Ezcc 16.
Pour laquelle cause nostre Seigneur disoit, que les enfans qui
lonavssoient de ce peuple là, estoient siens. Par mesme raison, si
quelqu'un recongnoyst aujourd'hui pour Eglises de Dieu, celles
qui sont soubz le Pape : comme nous les voyons pleines d'idolâ-
trie et superstitions et meschantes doctrines : et qu'il pense
qu'il faille persister du tout en leur communion, jusques à se
15 rendre consentant en la doctrine, il sera lourdement trompé. Car
si [c]e sont Eglises : la puyssance des clefz leur est commise. Or
est-il ainsi, que les clefz sont conjoinctes avec la parolle de Dieu
inséparablement : laquelle parolle en est exclue et exterminée.
D'avantage si [c]e sont Eglises : promesse de Christ y a lieu : ce
20 qui y sera lyé ou absoulz sera lyé et absoulz au Ciel. Or tous
ceux qui se renomment franchement serviteurs de Jésus Christ,
en sont jettez hors et excommuniez : il s'ensuyt donc que la
promesse de Jésus Christ soit frivole et vaine : ou qu'elles ne
soient point Eglises : pour le moins selon ce regard. Finalement,
sipour le ministère de la parolle, il n'y a là que escolles d'impiété,
ettoutes espèces d'erreurs. Pourtant, ou cène sont point Eglises,
selon ceste considération : ou il ne nous restera plus nulle
marque, pour discerner entre les assemblées des tîdeles, et les
Synagogues des Turcz. Cependant toutesfois nous leur laissons
30 les reliques et apparences d'Eglise, que nostre Seigneur y a lais-
sé, despuis qu'elles ont esté dissipées. C'est premièrement l'alian-
ce de Dieu, qui est inviolable : et le Baptesme. qui est Sacrement
d'icelle, lequel, estant consacré par la bouche du Seigneur, re-
tient sa vertu maugré l'impiété humaine. En somme nous ne
35nyons pas du tout qu'il n'y ayt là Eglise, et aussi ne le concédons
pas simplement : car ce sont Eglises, entant que nostre Seigneur
y conserve les reliques de son peuple : lesquelles sont misérable-
ment dispersées : et aussi qu'il y reste encores quelques enseignes
d'Eglises : et principalement celles, dont leiïicace ne peut estre
UE LA FOY
283
destruicte : ne par l'astuce du Diable, ne par la meschanceté
des hommes. Aucontraire, pource que les marques qui sont
requises en l'Eglise, comme nous en parlons à présent, sont là
efVacées : si nous cherchons une Eglise deuëment ordonnée, je
r. di2 qu'il n'y a point là forme légitime d'Eglise. En telle manière
l'Antéchrist y a troublé et renversé tout : que c'est plustost une
figure de Babylon : que la Cité saincte de Dieu. Or si c'est chose
notoire que l'Antéchrist y règne : de cela il nous fault inférer,
que ce sont Eglises de Dieu : veu que l'Escriture nous prédit'
10 qu'il sera assiz au Sanctuaire de Dieu. Mais il fault entendre i. 71ie.2.
que ce sont Eglises contaminées et pollues de ses abominations.
La remission des péchez,
La remission des péchez est conjoincte bien à propoz à
l'Eglise : veu qu'elle ne se peut obtenir, sinon de ceux qui sont
15 membres de l'Eglise, comme dit le Prophète. Il fault donc lésa. 33.
que ceste Jérusalem Céleste soit premièrement édifiée : en
laquelle après ayt lieu ceste grâce, que quiconque en seront ci-
toyens, leur iniquité sera effacée. Or je diz qu'il fault qu'elle
soit premièrement édifiée : non pas que l'Eglise puisse aucune-
20 ment estre sans la remission des péchez : mais d'autant que le
Seigneur n'a point promis sa miséricorde, sinon en la commu- »
nion des Sainctz. C'est donc nostre première entrée en l'Eglise
et au Royaume de Dieu, que la remission des péchez (sans
laquelle nous n'avons aucune aliance ne appartenances avec Dieu)
2ï comme il est monstre par le Prophète Osée. En ce jour là, dit Osée 2.
le Seigneur, je feray aliance avec les be.stes de la terre, et les
oyseaux du ciel. Je rompray arc et glaive ; et feray cesser toute
bataille de la terre, et feray dormir tous les hommes sans
crainte. Je feray avec eux aliance à tousjours. L'aliance sera en
rojustice, jugement, en miséricorde et en pitié. Nous voyons
comment nostre Seigneur nous reconcilie à soy par sa misé-
ricorde. Pareillement en un autre lieu, quand il prédit qu'il
recueillera le peuple, lequel il avoit dissipé en son ire. Je les Jere. 33.
purgeray, dit-il, de toute iniquité: en laquelle ilz m'ont offensé.
35 Pourtant nous sommes receuz en la compagnie de l'Eglise
de première enti'ée par le signe de lavement : dont il nous
284 CHAPITRE mi.
est monstre, que nous n'avons nul accez en la famille de Dieu,
sinon que premièrement, par sa bonté, noz ordures soient
nettoyées. Or quelle est ceste remission des péchez, et comment
elle faict, nous l'exposerons autrepart plus diligemment. Toutes-
3 fois si fault-il icy noter, ce qui nous est monstre par l'ordre du
Symbole, qu'elle ne nous est point donnée pour nostre mérite :
mais par la seule grâce de Dieu. Car après qu'il a esté declairé,
que par la justice de Christ, Dieu nous est rendu propice, et nous
Veut estre bon Père : qu'il a aussi esté parlé du Sainct Esprit,
10 par lequel nous sommes sanctifiez, pour communiquer avec Christ :
finalement de l'Eglise : laquelle est produicte de cela. Main-
tenant consequemment il est faict mention de la remission des
péchés : par laquelle nous sommes faictz membres de l'Eglise.
Par lequel ordre il est signifié, que ceste remission ne dépend
isd'aillieurs, et ne consiste en aulre, qu'en un seul Christ, par la
vertu du Sainct Esprit. Et ne fault entendre que nostre Seigneur
par icelle nous receoive tant seulement pour une fois en son
Eglise : mais aussi que par icelle il nous y entretient et con-
serve. Car à quel propoz nostre Seigneur nous feroit-il un pardon ;
20 qui ne nous apporteroit nulle utilité ? Or est-il ainsi, que la
miséricorde de Dieu seroit vaine et frustatoire, si elle nous estoit
pour une seule fois concédée. De laquelle chose un chascun
fidèle se peut rendre tesmoignage : veu qu'il n'y a nul. qui ne se
sente en toute sa vie coulpable de beaucoup d'infirmitez les-
23 quelles ont besoing de la miséricorde de Dieu. Parquoy comme
nous sommes tousjours chargez, cependant que nous vivons, de
reliques de péchez : il est certain que nous ne pourrions consis-
ter une seule minute de temps en l'Eglise, si la grâce de Dieu
ne nous subvenoit assiduellement, en nous remettant noz faultes.
30 Au contraire, le Seigneur a appelle les siens à salut éternel: ilz
doibvent donc estimer, que sa grâce est tousjours preste à leur
faire mercy de leurs offenses. Par quoy nous sommes icy adver-
tiz de croyre, que par la clémence de Dieu, moyennant le mérite
de Jésus Christ, par la sanctification de son Esprit, la remis-
35 sion de noz péchez nous a esté faicte , et nous est faicte
journellement : entant que nous sommes uniz au corps de
l'Eglise.
Or d'autant qu'il y en a d'aucuns, qui s'efforcent d'oster à
l'Eglise ceste retraicte unique de salut : il nous fault d'avantage
DE LA FOY.
28:;
confermer les consciences à Tencontre de cest erreur si pestilent.
Les Novatiens ont troublé l'Eglise Ancienne de ceste faulse doc-
trine : mais nostre eage présent, ha quelques Anabaptistes, qui
ne leur ressemblent point mal en ceste phantaisie. Car ilz ima-
3 ginent que le peuple de Dieu est par le Baptesme régénéré en
une vie pure et Angélique : laquelle ne doibt estre contaminée
de macules de la chair. Et s'il advient que aprez le Baptesme ilz
déclinent : ilz ne luy laissent nulle attente, que la rigueur de
Dieu inexorable. En somme, ilz ne font nul espoir au pécheur,
10 qui est tresbuché en faulte, après avoir receu grâce de Dieu,
d'obtenir pardon et mercy. Car ilz ne recongnoyssent autre
remission de péchez, sinon celle par laquelle nous sommes pre-
mièrement régénérez. Or, combien qu'il n'y ayt nul mensonge
plus clairement refuté en l'Escriture que cestuy-cy : neantmoins
I i pource que telle manière de gens trouvent des simples per-
sonnes pour abuser (comme Novatus ha eu anciennement plu-
sieurs sectateurs) monstrons brièvement combien leur erreur est
dangereux, tant pour eux, que pour les autres. Premièrement,
puis que par le commendement de Dieu, tous les Sainctz usent
20 journellement de ceste requeste, que leurs péchez leurs soyent
remiz : en cela ilz confessent estre pécheurs. Et ne le demandent
pas en vain : Car le Seigneur Jésus ne nous a point ordonné de
demander chose, qu'il ne la nous veuille donner. Et mesmes
ayant promis en gênerai, que toute l'oraison qu'il nous a baillée
2o seroit exaucée du Père : il donne iine promesse spéciale pour
ceste demande. Que voulons nous d'avantage ? Le Seigneur veut
que tous ses Sainctz de jour en jour toute leur vie se confessent
pécheurs, et leur promet pardon. Quelle audace est-ce donc ; ou
de nyer qu'ilz soyent pécheurs : ou quand ilz ont failly ; les
30 exclurre de toutes grâces ? Davantage, à qui veut-il que nous
pardonnions septante fois sept fois ; c'est à dire, toutesfois et
quantes ? N'est-ce pas à nos frères? Et pourquoy veut-il cela : M,ii. 18.
sinon à fin que nous ensuyvions sa clémence ? Il pardonne donc,
non pas pour un coup ovi deux : mais à chascune fois que le
35 pouvre pécheur, estant abbatu et navré de la recongnoyssance
de ses faultes, souspire après luy.
Et à fin que nous commencions dez l'origine de l'Eglise : les
Patriarches estoient circonciz, receuz en l'aliance de Dieu :
et n'y a point de doubte qu'ilz ne fussent aussi enseignez par
286 CHAPITRE un.
leur père de suyvre justice et intégrité, quand ilz conspirèrent k
tuer leur frère. C'estoit un chrime abominable : voire aux plus
désespérez brig^andz du monde. En la fin estans adoulciz par Gène. 31.
ladmonition de Judas, ilz le vendirent. Mais c'estoit encores une ^[ ^"^
c rt dtp 1 1 / cô
ocruaulté intoUerable. Svmeon et Levi meurtrirent tout le peuple suyvans.
de Sychen. pour faire la vengeance de leur sœur, laquelle ne
leur estoit licite : et de faict, fust condamnée par leur père.
Ruben commist un inceste exécrable avec la femme de son père.
Judas, voulant paillarder, contrevient à l'honesteté de nature :
10 ayant compagnie de sa belle fille. Or tant s'en fault qu'il soient
effacez d'entre le peuple esleu : qu'ilz sont aucontraire constituez
pour chefz. Que dirons nous de David : lequel estant Chef de jus-
tice; combien offenceoit-il grièvement: voulant satisfaire à sa pail-
lardise; en espandant le sang inocent ? 11 estoit desja régénéré,
lo etavoit eu mesmes par dessus les autres enfans de Dieu excellent
tesmoignage. Il commist neantmoins une meschanceté, dont les
Payens mesme eussent eu horreur. Gela ne faict point qu'il n'ob-
tienne merc}'. Et à fin de ne nous arrester pas trop aux exemples
particuliers : combien avons nous de promesses de la miséricorde
20 de Dieu envers les Israélites? Combien de fois y est-il monstre:
que le Seigneur leur a tousjours esté propice ? Car, qu'est-ce
que promet Moyse au peuple ; quand il se retournera à Dieu ;
après avoir décliné en Idolâtrie ; et abandonné le Dieu vivant ? Le
Seigneur, dit-il, te retirera de captivité, et aura pitié de toy. Deul. .32.
25 et te rassemblera d'entre le peuple où tu auras esté dispersé.
Si tu estois espars aux quattre boutz du monde : il te recueillira.
Mais je ne veulx point commencer k faire un récit, qui n'auroit
jamais fin. Car les Prophètes sont pleins de telles promesses :
esquelles ilz présentent miséricorde au peuple, qui a voit com-
:jo miz crimes inlîniz. Quelle iniquité y a-il plus griefve, que
rébellion ? Pour ceste cause elle est nommée divorce entre
Dieu et son Eglise. Et neantmoins icelle est pardonnée par
la bonté de Dieu. Qui est l'homme, dit-il par la bouche
de Jeremie, duquel si la femme se abandonne k paillardise ; il la JeremieS.
3o veuille après recevoir ? Or tous les chemyns sont infectz de tes
paillardises, peuple de Judée : la terre en est toule pleine :
neantmoins retourne toy à moy, et je te recevray. Reviens k moy.
peuple rebelle et obstiné, je ne destourneray point ma face de
toy. Car je suis Sainct, et ne sera point mon courroux perpétuel.
DE LA FUV. 287
Et certes il n'y pourroit avoir autre affection en celuj qui dit,
qu'il ne désire pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse,
et vive. Pourtant Salomon, en dédiant le Temple, le destinoit à
cest usage, que les oraisons faictes, pour obtenir pardon des
5 péchez y fussent exaucées. Quand tes enfans, dit-il, Ruroni s. Roijs S.
péché (comme il n'y a nul homme qui ne pèche) et qu'en ton
ire tu les ayes livrez à tes ennemyz : et puis qu ilz se soyent
repentiz en leurs cœurs, et estans convertiz, te prient en leur
captivité, disantz : Seigneur nous avons péché, et avons mal
10 vescu : et que ainsi supplians, ilz regardent vers la terre que tu
as donnée à leurs Pères, et vers ton Sainct Temple où nous
sommes : tu exauceras du ciel leurs prières, et seras propice à
ton peuple, lequel t'aura olfencé : et luy pardonneras toutes les
transgressions qu'il aura commises contre toy. Ce n'a pas
ij» aussi esté en vain, que Dieu en sa Loy a ordonné sacrifices pour
les péchez entre son peuple. Car s'il n'eust congneu que les
serviteurs sont assiduellement entachez de vices il ne leur eust
point baillé ce remède. Or je demande, si par la venue de Christ,
en laquelle toute plénitude de grâce a esté desployée, cela a esté
2"osté aux fidèles, de n'oser plus prier pour obtenir pardon de leurs
faultes, et quand ilz auront offensé Dieu, de ne trouver nulle
miséricorde? Et que seroit cela dire autre chose ; sinon que
Christ est venu pour la ruyne des siens ; plutost que pour le
salut ; si la bénignité de Dieu ; qui estoit tousjours appareillée
25 aux Sainctz en l'ancien Testament ; est maintenant ostée du 2. Tim. I .
tout? Mais si nous adjoustons foy à l'Escriture, laquelle crye TiLl.elS.
hault et cler, que la grâce de Dieu, et l'amour qu'il porte aux
hommes, est pleinement apparue en Christ: que les richesses de
sa miséricorde ont esté en luy desployées, et la reconciliation
30 avec les hommes accomplie : il ne nous fault doubler, que sa clé-
mence ne nous soit maintenant plustost exposée en plus grand'
abondance, que accoursie et diminuée. Dequoy aussi nous avons
les exemples à l'œil. Sainct Pierre, qui avoit ouy de la bouche i/,,/. /o.
de Jésus Christ, que quiconque ne confesseroit son Nom devant les
3o hommes, ne seroit point de luy recongneu devant les Anges du yat. 26.
Ciel, le renoncea trois fois : voire avec blasphème mesme.Neant-
moins il n'est point débouté d'avoir grâce. Ceux qui vi voient
desordonnément entre les Thessaloniens, sont tellement chastiez
de Sainct Paul, qu'il les convye à repentance. Mesmes S. Pierre ^ Thés-
^3.
288 CHAPITRE llll.
ne met point en desespoir Synion Magus : mais piustost luy
donne bonne espérance : luy conseillant de prier Dieu pour son
péché. Qui plus est : n'y a-il pas eu de grosses faultes ; qui ont
5 autresfois occupé toute une Eglise entièrement ? Qu est ce que
faisoit Sainct Paul en cest endroit ; sinon de redujre piustost
tout le peuple en bonne voye ; que l'abandonner en extrême
malédiction ? Le revoltement quavoient faict les Galatiens de
l'Evangile, n'estoit pas une légère faulte. Les Corinthiens estoient
loencores moins excusables qu'eux ; d'autant qu'il/, avoient plus de
vices et autant énormes. X^elantmoins ne les uns ne les autres
ne sont excluz de la bonté de Dieu. Mais aucontraire, ceux qui
avoient plus grièvement offensé que les autres par paillardise. 2.Cor,l2.
impudicité, et toute vilenie : nomméement sont appeliez à repen,
15 tance. Car l'aliance, que nostre Seigneur a faicte avec Christ et
tous ses membres, demeure et demeurera tousjours inviolable ;
c'est à scavoir quand il dit : S'il advient qvie ses enfans délaissent
ma Loy, et ne cheminent point en mes préceptes, s'ilz pro-
phanent ma Justice, et ne gardent point ma doctrine : je visite- PsaLS9.
20 rav avec verges leurs iniquitez, et leurs péchez avec chastie-
ment : toutesfois ma miséricorde n'en départira point. Finale-
ment par l'ordre du Symbole il nous est monstre, que ceste
grâce et clémence demeure et réside tousjours en l'Eglise : d'au-
tant que, après avoir constitué l'Eglise, la remission des péchez
25 est consequemment adjoustée. Pourtant il fault qu'elle ayt lieu
en ceux qui sont de l'Eglise.
Aucuns, un peu plus subtilz. quand ilz voyent la doctrine des
Novatiens estre si clairement reprouvée par l Escriture, ne font
point chascun péché irrémissible : mais seulement les transgres-
se sions voluntaires, esquelles un homme sera cheut de son propre
sceu et vouloir. Or en parlant ainsi, ilz ne pensent point que
aucun péché se remette, sinon celuy qui aura esté commiz
par ignorance. Mais puis que le Seigneur en la Loy a or-
donné aucuns Sacrifices pour elfacer les péchez voluntaires
35 de son peuple : les autres pour purger les ignorances : quelle Levii. 6.
témérité est-ce ; de ne laisser nulle espérance de pardon à un
péché voluntaire ? Je maintiens qu'il n'y a rien plus clair que
cela : c'est que le Sacrifice unique de Jésus Christ ha la vertu de
remettre les péchez voluntaires des fidèles : veu que Dieu, par
les Hosties charnelles, l'a ainsi tesmoigné : lesquelles en estoient
DK LA l'OV. 289
figures. D'avantage qui excusera David soubz couleur d'igno-
rance ; veu que c'est chose notoire ; qu'il estoit si bien instruict
en la Loy ? Ne scavoit-il pas quel crime c'estoit d'adultère et
homicide ; luy qui les punissoit tous les jours en ses subjectz ?
5 Les Patriarches pensoient-ilz que ce fust chose bonne et honeste
de meurtrir leur frère ? Les Corinthiens avoient-ilz si mal pro-
fité ; qu'ilz estimassent incontinence ; paillardise ; haine ; conten-
tion ; estre choses plaisantes à Dieu? Sainct Pierre, après avoir
esté si diligemment admonesté ; ignoroit-il quelle faulte c'estoit
iode renoncer son maistre? Ne fermons point donc par nostre
inhumanité la porte à la miséricorde de Dieu : laquelle si libéra-
lement se présente à nous. Ce ne m'est pas chose incongneuë,
que aucuns anciens docteurs ont interprété les péchez, qui se
remettent journellement, estre les faultes legieres qvii sur-
lo viennent par infirmité de la chair. D'avantage qu'il leur a semblé
advis, que la pénitence solemnelle, laquelle estoit lors requise
pour les grandes olFenses, ne se devoit nomplus réitérer que le
Baptesme. Laquelle sentence ne se doibt tellement prendre :
comme s'ilz eussent voulu jetter en desespoir celuy qui estoit
20 retombé, despuis avoir esté une fois receu à repentance, ou bien
qu'ilz eussent voulu amoindrir les faultes quotidiennes, comme
petites devant Dieu. Car ilz scavoient bien, que les Sainctz
tresbuchent souvent en quelque infidélité, qu'il leur advient de
jurer sans mestier, de se courrousser oultre mesure : voire
23 aucunesfois venir jusques à injures manifestes, et cheoir en
d'autres vices, que nostre Seigneur n'ha pas en j^etite abomi-
nation. Mais ilz usoient de ceste manière de parler, à fin de
mettre différence entre les faultes privées, et les crimes pu-
bliques, qui emportoient grandz scandales en l'Eglise. D'avantage
30 ce qu'ilz pardonnoient avec si grande difficulté à ceulx quiavoient
commiz quelque cas digne de correction Ecclésiastique, n'estoit
pas qu'ilz pensassent les pécheurs obtenir difficilement pardon de
Dieu : mais par telle sévérité, ilz vouloient déterrer les autres,
à fin qu'ilz ne cheussent point en telles offenses, dont ilz meri-
33 tassent d'estre excommuniez de l'Eglise. Combien que la paroUe
de Dieu, laquelle nous devons seule icy tenir pour nostre reigie,
requiert une plus grande modération et humanité. Car elle enseigne
que la rigueur de la discipline Ecclésiastique ne doibt point
aller jusques là, que celuy, dont on doibt chercher le proffit soit
Instilution. 19
290 CIIAP1TRI-: iiii.
accablé de tristesse.
Toutesfois ceux qui sont si rudes et inexorables contre les
péchez voluntaires, prétendent Tauthorité de l'Apostre : lequel llehr. 6.
(comme il semble advis) este toute espérance de pardon en cest
5 endroit. Car il dit, qu'il est impossible, que ceux qui ont esté
une fois illuminez et receuz en la g^race du ciel, ayantz esté faictz
participans du Sainct Esprit, et ayantz gousté la parolle de Dieu
et les vertus de la vie future : s'ilz retombent de rechef, soient
reduictz à pénitence, acu que cela est crucifier pour la seconde
10 fois le Filz de Dieu, et lavoir en moquerie. Item, en un autre
lieu : Si nous péchons, dit-il. après avoir receu la congnoyssance Hef)r. 10
de vérité, il ne nous reste plus de sacrifice : mais une horrible
attente de jugement. Ce sont les passages, par la mauvaise in-
telligence desquelz, les Novatiens ont avitresfois troublé l'Eglise.
15 Et pource qu'ilz sont durs de première apparence, aucuns bons
personnages ont estimé que ceste epistre estoit supposée :
laquelle neantmoins, de vray, monstre par tout un esprit Apos-
tolique. Et pource que nous n'avons disputé sinon avec ceux qui
la receoivent : il est aisé de monstrer combien ces sentences ne
20 font rien pour confermer leur erreur. Premièrement il est néces-
saire, que l'Apostre consente avec son maistre : lequel certifie,
que tout péché et blasphème sera remiz excepté le péché contre
le S. Esprit, qui n'est remiz n'en ce monde n'en l'autre. Il est
certain que l'Apostre s'est contenté de ceste exception : si nous
25 ne le voulons faire adversaire de la grâce de Christ : dont il s'en-
suyt, que ce qu'il dit en tous les deux lieux, se doibt entendre du
seul péché contre le S. Esprit. Et si ceste déduction ne leur est
suffisante : je monstreray encores comment ses parolles viennent
là. Laquelle chose pour niA'eux expliquer, il convient scavoir quel
30 est ce crime tant abominable, lequel n'aura nulle remission. Ce que
S. Augustin en quelque lieu définit, que c'est un endurcissement et
obstination jusques à la mort, avec une défiance d'obtenir grâce, ne
convient pas avec ces parolles de Christ : qu'il ne sera point remiz en
ce siècle. Car, ou cela seroit dict en vain : ou il se peut commettre en
35 ce monde. Or selon le dire de S. Augustin, il ne se commet point,
sinon quand il y a persévérance jusques à la mort. Ce que les autres
disent, que avoir envye sur les grâces de son prochain, est pécher
contre le Sainct Esprit : je ne scay sur quoy il est fondé. Mais il
nous fault amener la vraye diffinition : laquelle quand elle sera
DE LA KOY. 291
approuvée par bons tesmoig-nages, elle annichilera facilement
les autres. Je diz donc, que cestu^-là pèche contre le Sainct Esprit,
lequel, estant tellement touché delà lumière de la vérité de Dieu,
qu'il ne peut prétendre ignorance : neantmoins résiste de malice
5 délibérée, seulement pour j résister. Car le Seigneur Jésus, Accu-
lant expliquer ce qu'il avoit dict, adjouste consequemment : que
celuy qui aura dict parolle contre luv, obtiendra pardon : mais Mui. 12.
celuy qui aura blasphémé contre l'Esprit n'aura nulle g'race. Et Marc 3.
Sainct Matthieu, au lieu de nommer blasphème contre l'Esprit, Luc 12.
10 met esprit de blasphème. Comment se peut-il faire ; que quel-
qu'un face opprobre auFilz de Dieu ; que cela ne redonde .sur son
Esprit ? C'est quand un homme par ignorance contredit à la
vérité de Dieu qu'il n'a point congneuë : et par ignorance,
detracte de Christ : ayant ce pendant neantmoins telle affection,
la qu'il ne vouldroit nullement esteindre la vérité de Dieu, quand
elle luy seroit révélée : ou dire une seule mauvaise parolle contre
celuy, qu'il estimeroit estre Christ. Telle manière de gens pèchent
contre le Père et contre le Filz. Comme aujourd'huy il y en a
beaucoup, qui hayssent et rejettent la doctrine de l'Evang-ile :
20 laquelle, s'ilz pensoient estre l'Evangile, ilz auroient en grand
honneur, et l'adoreroient de tout leur cœur. Mais ceux qui sont
convaincuz en leurs consciences, que la doctrine qu'ilz com-
batent est de Dieu : et toutesfois ne laissent point d'y résister,
et tascher de la destruyre, iceux blasphèment contre l'Es-
25 prit : d'autant qu'ilz bataillent à l'encontre de la lumière, qui
leur estoit présentée par la vertu du Sainct E.sprit. Il y
en avoit de telz entre les Juifz : lesquelz, combien qu'ilz ne
peussent résister à l'Esprit parlant par la bouche de S. Estienne : Actes 7.
neantmoins s'efforceoient d'y résister. Il n'y a point de doubte
30 que aucuns ne feussent meuz par zèle inconsidéré de la
Loy. Mais il appert qu'il y en a eu d'autres : qui de certaine
malice et impieté, enrageoient contre Dieu : c'est à dire, contre
la doctrine, laquelle ilz ne pouvoient ignorer estre pro-
cedée de Dieu. Telz estoient les Pharisiens, lesquelz Jésus
3o Christ redargue : qui, pour renverser la vertu du S. Esprit,
la diffamoient, comme si elle eust esté de Beel-zebuth. Voylà
donc que c'est, Esprit de blasphème : à scavoir, quand l'audace
de l'homme, de propoz délibéré, tasche à anneantir la gloire
de Dieu. Ce que Sainct Paul signifie, quand il dit qu'il 2. Tim.l
292 CHAPITRE 1111.
a obtenu miséricorde, entant que par mesgard et ignorance il
avoit esté incrédule. Si l'ignorance conjoincte avec incrédulité)
a faict qu'on obtint pardon : il s'ensuyt qu'il n'y a nulle mercy,
quand l'incrédulité vient de science et malice déterminée. On
5 pourra veoir que l'Apostre parle en ce sens si on y regarde
bien. Car il adresse sa parolle contre ceux, qui pensoient bien
pouvoir retourner à la Chrestienté après qu'ilz l'auroient une
fois renoncée. Les voulant retirer de ceste phantaisie et perni-
tieuse opinion, il dit une chose, qui est bien vraye : que ceux
10 qui ont une fois renoncé Jésus Christ de leur sceu et bonne vo-
lunté, ne peuvent jamais avoir part en luy. Or ceux-là le re-
noncent, nompas qui simplement par vie desordonnée tran-
gressent sa parolle : mais qui de propoz délibéré la rejettent du
tout. Les Novatiens et leurs sectateurs donc, s'abusent en ces
i^motz, de cheoir et tomber. Car ilz entendent que celuy tombe,
lequel estant enseigné par la Loy de Dieu qu'il ne fault point
desrober, neantmoins ne s'en abstient pas. Mais je diz qu'il fault
icy entendre une comparaison de choses contraires. A scavoir
quand il dit, que ceux qui sont tresbuchez, après avoir esté illu-
20 minez, après avoir gousté la parolle de Dieu, et sa grâce céleste,
et les vertuz de la vie future, et avoir esté illuminez du Sainct
Esprit : qu'il fault entendre, s'ilz ont esteinct la lumière de
l'Esprit par malice déterminée, et ont rejette la parolle de
Dieu, et la saveur de sa grâce, et se sont aliénez de son Esprit.
23 Et de faict, pour exprimer plus clairement qu'il parloit d'une
impieté malicieuse et délibérée : il adjouste nommeement en un
lieu ce mot, voluntairement. Car quand il dit, qu il ne reste plus
nul sacrifice à ceux qui de certaine volunté, après avoir congneu
la vérité, pèchent : il ne nye pas que Christ ne soit un sacrifice
30 perpétuel pour effacer les iniquitez des fidèles (ce qu'il avoit traicté
auparavant quasi en toute l'epistre, en expliquant la Prestrise
de Christ). Mais il entend qu'il n'y en reste nul autre, quand on
rejette cestuy-lk. Or on le rejette, en conculquaut de propoz délibéré
la vérité de l'Evangile. Touchant ce que aucuns objectent, que
33 c'est une trop grande cruauté, et laquelle ne convient point à la
clémence de Dieu, d'exclurre aucun pécheur de la remission des
péchez, quand il requerra miséricorde : la response est facile.
Car il ne dit pas, que Dieu leur denyera pardon s'ilz se conver-
tissent à soj : mais il dit notamment, que jamais ne se retour-
DE LA FOY.
293
neront à repentance : entant, que Dieu par son juste jugement,
à cause de leur ingratitude, les frapera d'un aveuglement éter-
nel. Et ne contrevienent point à cela, ce qu il applique k ce pro-
poz l'exemple d'Esaû : lequel en vain a tasché par larmes et cryz Hehr. 12
ode recouvrer sa primogeniture, qu'il avoit perdue : non plus /ie/j/-. / / .
que ce que dit le Prophète, que quand ilz cryeront, le Seigneur Mich. 3.
ne les exaucera point. Car par telles manières de parler, l'Es-
criture ne denotte pas ou une vraye repentance, ou invocation de
Dieu : mais plustost signifie la destresse : de laquelle quand les
io iniques sont pressez en leur extrême calamité, ilz sontcontrainctz
de recongnoistre ce qu'ilz pensoient auparavant estre moquerie
et fable : C'est, que tout leur bien gist en l'ayde de Dieu. Or ilz
ne la peuvent pas implorer ne demander de cœur : mais seule-
ment gémissent, qu'elle leur est ostée. Parquoy le Prophète par
15 ce mot de clameur, et l'Apostre par le mot de larmes, ne signi-
fie autre chose, que l'horrible torment dont les iniques sont agi-
tez en desespoir et desconfort, voyans qu'ilz n'ont nul remède
de leur malheureté, synon la bonté de Dieu, en laquelle ilz ne se
peuvent aucunement fier.
20 La résurrection de la chair: la vie éternelle.
Icy nous avons le but et accomplissement de nostre béatitude.
Et pour le premier poinct, la résurrection de la chair nous est cer-
tifiée : par laquelle nous entrons en possession de la vie eter- j. Cor. 13.
nelle ; veu que nostre chair et nostre sang ne peuvent posséder le
25 Royaume de Dieu : et la corruption n'est point capable d'incorrup-
tion. Laquelle chose non seullement estdifficille à croire : mais du
toutincredible, si nous la voulons estimer selon la raison humaine.
Pourtant, combien que plusieurs Philosophes n'ayent point esté
du tout ignorans de l'immortalité de l'ame : toutesfois il n'y en a
30 pas un seul lequel ayt eu le moindre pensement du monde de la
résurrection de la chair. Car, qui est-ce qui se pourroit adviser ;
que les corps que nous avons ; dont aucuns pourrissent en
terre ; aucuns sont mengez des verms ; les autres des oiseaulx ;
les autres des bestes ; aucuns sont rédigez par feu en cendres ;
35 doibvent une fois estre remiz en leur entier? Toutesfois le Seigneur
a tresbien obvié à ceste difficulté : non seulement en testifîant
par certaines parolles ceste résurrection future : mais en nous
204 CHAPITHE im.
en donnant certitude visible en Jésus Christ. Pourtant ainsi, ce
qui sembleroit autrement incredible, nous a esté montré à l'œil.
Parquoy si nous voulons bien entendre quelle sera ceste résur-
rection : il nous fault tousjours regarder en Jésus Christ, qui en
3 est le miroir, et la substance : comme aussi TApostre nous admo-
neste, quand il appelle la réparation de nostre corps, une con- Philip.3.
formité avec le corps glorieux du Seigneur Jésus. Comme donc
luy a esté ressuscité au mesme corps auquel il avoit souffert :
lequel neantmoins a eu après la résurrection bien autre gloire
10 que auparavant : nous aussi ressusciterons en la mesme chair
que nous portons : et neantmoins serons autres après la résur-
rection. Laquelle variété Sainct Paul declaire par aucunes simi-
litudes.Car c'est une mesme substance de la chair des hommes t. Cor. 15.
et des bestes : toutesfois la qualité est diverse. Les estoilles
15 sont dune mesme essence : non pas d'une mesme qualité. En
telle faceon nous retiendrons la substance de nostre corps : mais
la qualité sera changée. Pourtant ce corps que nous avons corrup-
tible, ne périra point en nostre résurrection : mais, laissant sa
corruption, sera faict incorruptible : et, laissant sa mortalité,
20 sera faict immortel. 11 n'y aura donc nulle difficulté qui em-
pesche le Seigneur, qu'il ne retire de corruption tous ceux qui
auront esté consumez par la mort devant le jour du Jugement :
par la mesme puissance, laquelle il a demonstrée en ressusci-
tant son Filz. Car ceux qui seront pour lors en vie, viendront en
25 immortalité, plus par une mutation subite, que par une forme
naturelle de mort. Or pource que la Prophétie sera lors accom-
plie entièrement, où il est predict que la mort doibt estre en-
gloutie en victoire : à ceste cause la ^ ie éternelle est mise quant
et quant. De l'excellence de laquelle quand on aura dict tout ce
30 que pourront exprimer toutes langues humaines : à grand'
peine en aura on touché la moindre partie. Car combien que
l'Escriture enseigne que le Royaume de Dieu est plein de
clarté, joye, et félicité : neantmoins tout ce quelle en dit est
bien loing de nostre intelligence, et quasi envelopé en figure :
sojusques à ce que viendra le jour, auquel le Seigneur se declai-
rera à nous face à face. Parquoy les Prophètes, pource qu'ilz
ne pouvoient exprimer de parolles ceste béatitude spirituelle
en sa substance : l'ont descripte et quasi depeincte soubz figu-
res corporelles. Neantmoins pource qu'il est besoing que no-
DE LA FOV. 29?>
stre cœur soit enflambé en l'amour, et attente d'icelle : il nous
fault principalement arrester en ceste cogitation. C'est que si
Dieu, comme nostre fontaine vive, contient en soy la plénitude
de tous biens, que ceux qui tendent au souverain bien et à toutes
5 les parties de félicité, ne peuvent rien désirer oultre luy. Or
Sainct Pierre dénonce, que les fidèles sont appeliez à ce qu'ilz 2.Pier. /,
soient quelque fois participans de la nature divine . Comment 2. The. / .
cela? C'est, que le Seigneur sera g-lorifié en ses Sainctz, et exalté
en ceux qui ont cœur à son Evangile. Si le Seigneur doibt de-
10 partir à ses esleuz de sa gloire, vertu et justice, voire se commu-
niquer soymesme à eux : il nous fault considérer, que soubz cette
grâce tous biens sont comprins. Et encores quand nous aurons
bien profité en ceste méditation : si nous fault-il entendre que nous
sommes encores tout au bas et à la première entrée : et que jamais
15 nous n'approcherons durant ceste vie à la grandeur de ce mystère.
Ce n'est point de merveilles qu'il n'est icy faicte nulle men-
tion, ne de la résurrection des meschans, ne de la mort éter-
nelle, laquelle leur est préparée. Car icy sont seulement pro-
posées les choses dont se doibt consoler la conscience du li-
2odele, et se nourrir et confermer en fiance de salut. Toutesfois si
ne fault-il pas, que les espritz curieux pensent pourtant que
les iniques ne ressusciteront point : pource que au Symbole il
n'y a nul tesmoignage de leur résurrection. La condition des
iniques, après ceste vie, est assez demonstrée ailleurs : et tout
25 ce qui les doibt faire trembler, est assez declairé : pourtant il ne
fault point qu'on les cherche au Symbole, qui ne contient sinon
matière pour fonder et édifier nostre fo}-. Le Seigneur Jésus
ne testifie-il point assez clairement la résurrection universelle ;
quand il dit qu'il assemblera devant sa face tous peuples ; et Mat. 25.
30 les séparera en leur ordre ; comme un pasteur sépare les brebis Jean 5.
des boucz ? Item en un autre lieu : que ceux qui auront bien
vescu, entreront en la résurrection de vie : ceux qui auront mal
vescu, en la résurrection de mort. Qu'est-ce que nous deman-
dons plus apert ; que la confession de Sainct Paul ; qu'il feist
35 devant Félix gouverneur de Judée ; c'est qu'il attendoit la résur-
rection future ; tant des iniques, comme des justes? Puis donc Act. 24.
que la résurrection universelle est si bien approuvée par tant
de tesmoignages : il ne fault point qu'un tas d'espritz frivoles la
remettent en doubte. Combien que la rémunération des justes
296 CHAPITRE IlII.
et punition des iniques soient tellement conjoinctes, que l'une
emporte l'autre. Pourtant quiconque tesmoigne que l'une sera, il
présuppose l'autre quant et quant. Ce que le Seigneur note bien
par le Prophète, quand il dit. Le jour de vengeance est en mon Iesa.63.et
j cœur, et le temps de rédemption est venu. Item en un autre lieu, ^i^^
Vous verrez et vostre cœur sera esjouy, et voz os verdoieront
comme l'herbe : et sera congneuc- la main du Seigneur sur ses les.t. 66.
serviteurs, et son indignation sur ses ennemys. Or d autant que
cela ne se fait point en ce monde synon obscurément, et mesmes
10 ne s'y accomplist jamais du tout : il convient proprement au
dernier jour de rétribution, auquel apparoistra le Jugement et
la Justice de Dieu. Mais pource qu'il n'y a nulle description
suffisante, pour demonstrer combien seront horribles les peines
des meschans : les tourmens qu ilz doibvent endurer nous sont
15 figurez par choses corporelles : à scavoir par ténèbres, pleurs, lésa, pre-
grincemens de dentz, feu éternel, et verms rongeans le cœur ""^'•
incessamment. Car il est certain que le Sainct Esprit, par telles
manières de parler, a voukt dénoter une extrême horreur, qui
esmeuve tous les sens. Comme quand il dit, qu'une Géhenne pro-
ko fonde leur est préparée de toute éternité : laquelle est ardante
en ieu, pour lequel entretenir, il y a tousjours boys appareillé ; lésa. 30.
et que l'Esprit de Dieu est comme soullfre pour lentlamber. Com-
bien donc que par telles formes de parler nous debvions estre
instruictz à concepvoir aucunement la misérable condition des
25 iniques : toutesfois si nous fault-il là principalement fischer nostre
pensement : quelle malheureté c'est d'estre séparé de toute com-
paignie de Dieu. Et non seullement ce, mais sentir sa Majesté
contraire à nous, laquelle nous ne puissions fouyr, cju'elle ne
nous persécute tousjours. Car premièrement son indignation est
30 comme un feu embrasé : lequel, de son attouchement, dévore
et engloutist toutes choses. Puis après toutes créatures servent
tellement à icelle, pour exécuter sa rigueur, que tous ceux aus-
quelz Dieu a révélé son ire, sentent le Ciel, la Terre, la Mer,
toutes bestes et toutes autres choses, comme armées en leur
35ruyne et perdition. Pourtant l'Apostre n'a pas dit une chose de
petite conséquence, disant, que les infidèles seront puniz éter-
nellement, en ce que la face du Seigneur, et la gloire de sa 2. The. 4
vertu, les persécutera. Car si la povre conscience, se voyant
en la présence de Dieu et sentant son ire, est tellement deschi-
DE LA FOY.
297
rée, piquée, abatvie, angoissée, transpercée, dissipée, brisée, que
ce luj seroit une chose plus doulce d'estre engloutie en mil
goulfres et abismes, que de soustenir ce torment une seule mi-
nute : combien luy est-il grief d'estre enserré sans fin et sans
3 cesse en lire de Dieu ?
Au reste, l'erreur des Chiliastes, qui ont déterminé le Royaume
de Christ et la confusion du Diable et de ses membres à mil ans,
est si frivole et puérile : qu'il n'a ja mestier et n'est pas digne
mesmes d'estre refuté. Toute l'Esc riture crye haidt et cler, qu'il
10 n'y aura nulle fin ny à la béatitude des esleuz, ny au torment des
iniques. Ou il nous fault prendre en la parolle de Dieu la certitude
des choses qui ne sont point visibles à l'œil, et ne se peuvent
comprendre par raison humaine : ou il n'en faidt rien croire du
tout. Ceux qui assignent mil ans aux enfans de Dieu, pour la
15 béatitude de la vie future : ne voyent point quelle injure ilz font
et à Christ et à son Règne. Car si ainsi estoit, que les fidèles ne
deussent point estre vestuz d'immortalité : il s'ensuyvroit que
Christ (à la gloire duquel ilz seront faictz conformes) n'auroit
point esté receu en gloire immortelle. Si leur béatitude ha quel-
20 que fin : il s'ensuyt que le Règne de Christ, auquel ilz sont, est
temporel. Finalement, ou telle gens sont fort ignorans des choses
Divines : ou il s'efforcent, d'une grande malice, à renverser toute
la grâce de Dieu et la vertu de Christ : desquelles l'accomplisse-
ment ne peut estre, sinon que le péché estant aboly et la mort
25 engloutie, la vie éternelle soit plainement restaurée. Ce quilz
craignent d'attribuer trop grande cruauté à Dieu, en disant,
que les meschans seront puniz de torment éternel : Les aveu-
gles mesmes voyent bien quelle folie c'est que cela : comme si
le Seigneur faisoit grande injure, en privant de son Royaume
30 ceux, qui par leur ingratitude, s'en sont renduz indignes.
Mais les péchez, disent-ilz : sont temporelz. Je leur confesse :
mais la Majesté de Dieu, laquelle ilz ont offensé, est éternelle.
C'est donc à bon droict, que la mémoire de leur iniquité ne périt
point. Mais si ainsi est, disent-ilz, la correction surmontera
33 la mesure du péché . Je respondz que cela est un blasphè-
me intollerable : quand la majesté de Dieu nous est en si
petite estime, que d'estimer moins le contemnement d'icelle, que
la perdition d'une anie. Parquoy laissons telz babillars : à fin
qu'il ne semble que nous les jugeons dignes de responses, con-
298 CHAPITRE un.
tre ce que nous avons dict au commencement.
Or par tout où sera ceste vive Foy : il est impossible qu'elle
n'emporte tousjours avec soy l'Espérance de saKit éternel : ou
plustost qu'elle ne l'engendre et produyse. Car si ceste Espérance
0 n'est en nous : quelque beau babil et parolles fardées que nous
ayons de la Foy, il est certain que nous n'en tenons rien. Car si
la Foy, comme dict a esté, est une certaine persuasion de la vérité
de Dieu, que ycelle vérité ne peut mentir, tromper, ne frustrer :
quiconques a conceu ceste certitude, il attent pareillement que le
10 Seigneur accomplira ses promesses : lesquelles il tient pour véri-
tables : tellement, qu'en somme, Espérance n'est autre chose
qu'une attente des biens, que la Foy a creu estre véritablement
promiz de Dieu. Ainsi la Foy croyt que Dieu est véritable : Espé-
rance attend qu'il révélera en temps sa vérité. La Foy croyt qu'il
15 est nostre Père : Espérance attend qu'il se révélera estre tel
envers nous. La Foy croyt que la vie éternelle nous est donnée:
Espérance attend que nous l'obtiendrons une fois. La Foy est le
fondement sur lequel Espérance repose : Espérance nourrist et
maintient la Foy. Car, comme nul ne peut rien attendre de Dieu,
20 sinon celuy qui a premièrement creu à ses promesses : aussi de
rechef il fault que l'imbécillité de nostre Foy soit entretenue, en
attendant et espérant patiemment, à fin de ne point deffaillir. Par- Rom. S.
quoy Sainct Paul parle tresbien, quand il constitue nostre salut
en Espérance : laquelle, en attendant Dieu avec sillence, retient lésa. 36.
25 la Foy, à ce qu'elle ne tresbuche par se trop haster : elle la con-
ferme, à ce qu'elle ne vacile point ez promesses de Dieu, ou enayt
quelque doubte : elle la recrée et reconforte à ce qu'elle ne se
lasse point : elle la conduyt jusques à son dernier but, à ce quelle
ne deffaille point au milieu du chemyn, ou mesmes en la pre-
30 miere journée : Finalement, en la renouvellant et restaurant de
jour en jour, elle luy donne vigueur assiduelle pour persévérer,
Encores verrons-nous plus clairement, en combien de sortes il est
mestier que la Foy soit confermée par Espérance : si nous considé-
rons de combien d'espèces de tentations sont assailliz ceux, qui
35 ont une fois receu la paroUe de Dieu. Premièrement le Seigneur,
en différant ses promesses, souventesfois nous tient en suspendz
plus que nous ne vouldrions. En cest endroit c'est l'oftîce de la Foy
de faire ce que dit le Prophète : a scavoir, si les promesses de Dieu Abac.2.
sont tardives : que nous ne laissions point de les attendre. Aucunes-
DE LA FOY
299
fois aussi non seulement Dieu nous laisse languir : mais donne
apparence d'estre courroucé contre nous : à quoy il fault que la
Foy nous subvienne : à fin que suyvantz la sentence de l'autre
Prophète, nous puissions attendre le Seigneur, combien qnil lesaie.
aayt caché sa face de nous. Hz se dressent aussi des moqueurs,
comme dit Sainct Pierre, qui demandent : Où sont les promesses?
et où est la venue de Jésus Christ? veu que depuis la création du 2.Pier.3.
monde toutes choses vont en mesme train ; voire mesmes la chair
et le monde nous suggèrent cela en l'entendement? Icy il fault
10 que la Foy, estant soustenue et appuyée sur l'Espérance, soit
fichée et s'arreste du tout à contempler l'éternité du Royaume
de Dieu, à fin de reputer mil* ans comme un jour.
Pour ceste affinité et similitude, l'Escriture aucunesfois con-
ond l'un avec l'autre de ces deux vocables, Foy, et Espérance.
13 Comme quand Sainct Pierre dit, que la vertu de Dieu nous con- / Pier.
serve par Foy, jusques à la révélation de salut. Ce qui estoit plus '^^•
convenable à Espérance qu'à Foy. Neantmoins celane se faict point
sans raison: veu que nous avons monstre, Espérance n'estre autre
chose, sinon fermeté et persévérance de Foy. Or il n'est pas main-
20 tenant difficile à voir, combien lourdement s'abuse le Maistre des
Sentences, en faisant double fondement d'Espérance : à scavoir la
grâce de Dieu, et le mérite des œuvres. Certes elle ne peut avoir
autre but que la Foy. Or nous avons clairement monstre, que la
Foy ha pour son but unique, la miséricorde de Dieu, et que du
2ï tout elle s'y arreste, ne regardant nullement aillieurs. Mais il est
bon d'ouyr la belle raison qu'il allègue. Si tu oses, dit-il, espérer
quelque chose sans l'avoir mérité : ce n'est point Espérance, mais
presumption. Je vous prie, mes amyz, qui sera celuyqui se tiendra
de maudire telles bestes : lesquelles pensent que c'est temeraire-
30 ment et presumptueusement faict, de croire certainement que
Dieu est véritable ? Car comme ainsi soit que Dieu nous comman-
de d'attendre toutes choses de sa bonté : ilz disent que c'est pre-
sumption de se reposer et acquiescer en icelle. Mais un tel mais-
tre est digne des disciples qu'il ha eu ez escolles des Sophistes.
35 c'est à dire Sorboniques. Nous, aucontraire, quand nous voyons
que Dieu apertement commande aux pécheurs d'avoir certaine
Espérance de salut, présumons hardiement tant de sa vérité que,
moyennant sa miséricorde, rejettantz toute fiance de noz œuvres,
nous espérions sans aucune doubte, ce qu'il nous promet.
DE PENITENCE
CHAP. V.
IL NOUS FAULT après la Fov, consequemment dire de Pé-
nitence : veu que non seulement elle est conjoincte à la Foy,
mais aussy en est engendrée. Car comme ainsi soit que grâce et
remission soit présentée au pécheur par la prédication de TEvan-
5 gile : à fm qu'estant délivré de la misérable servitude de péché
et de mort, il soit transféré au Royaume de Dieu : il s'ensuit
que nul ne peut recevoir grâce de l'Evangile par Foy, qu'il ne
se réduise de sa vie esgarée en la droicte voye : et mette toute
son estude à méditer une vraye repentance. Ceux qui pensent
10 que la Pénitence précède plustost la Foy qu'elle ne procède
d'icelle, sont meuz à cela dire, d'une raison trop legiere. Christ,
disent-ilz et Jehan, en leurs sermons exhortent premièrement
à repentance : puis après disent que le Royaume de Dieu est
approché. Un tel mandement, disent ilz, a esté baillé aux Apos-
15 très, et un tel ordre a esté gardé par Sainct Paul: comme recite
Sainct Luc. Mais en s'arrestant trop superstitieusement à l'ordre
des syllabes, ilz ne regardent point à quel propoz tendent les
sentences, et comment elles sont conjoinctes. Car quand Jésus
Christ, et Jehan Baptiste font ceste exhortation : Repentez
20 vous, veu que le Royaume de Dieu est approché, ne desdui-
sent-ilz pas la cause de repentance, de ce que Jésus Crist,
nous présente grâce et salut ? Parquoy ces parolles vallent
autant comme s'ilz disoient. Puis que le Royaume de Dieu est
approché : à ceste cause faictes Pénitence. Mesmes Sainct
25 Mathieu, ayant recité ceste jiredication de Sainct Jehan, dit 3/a//i. 3.
qu'en cela a esté accomplye la Prophétie d'Esaie, touchant la Jeh. 40.
voix qui crye au Désert : préparez la voye au Seigneur, dressez-
luy ses sentiers. Or Tordre du Prophète est, que ceste voix
doibt commencer par consolations et joyeuse nouvelle. Neant-
30 moins quand nous disons que l'origine de repentance vient de
Foy : nous ne songeons point qu'il faille quelque espace de temps,
auquel il faille qu'elle soit engendrée : mais nous voulons signi-
DE PENITENCE. 301
fier que 1 homme ne se peut droictement adonner k repentence,
sinon qu'il se recong-noisse estre à Dieu. Or nul ne se peut re-
souldre estre à Dieu : sinon qu'il ayt premièrement recongneu
sa grâce. Mais ces choses seront plus clerement deduictes en la
5 procédure. Au reste ceux qui inventent une nouvelle manière de
Ghrestienté, c'est que, pour recevoir le Baptesme, on ayt certains
jours ausquelz on se exerce en Pénitence, devant qu'estre receuz
à communiquer à la grâce de l'Evangile, n'ont nulle apparence
en leur erreur et folie. Je parle de plusieurs Anabaptistes : et
10 principallement de ceux qui appetent estre dictz spirituelz. Mais
ce sont les fruictz que produict cest esprit de phrenesie : d'or-
donner quelque peu de jours à faire Pénitence : laquelle doibt
èstre continuée de l'homme chrestien toute sa vie.
Aucuns hommes scavans par cy devant long temps voulantz
15 simplement et purement parler de Pénitence selon la reigle de
l'Escriture, ont dict qu'elle consistoit en deux parties : C'est
à scavoir mortification et vivitication. Et interprètent mortifica-
tion une douleur et terreur de cœur, qui se conceoit par la con-
gnoissance de péché et le sentiment du Jugement de Dieu. Car
20 quand quelqu'un est amené à la vraye congnoissance de son
péché, adonc il commence k le hayr et détester : adonc vraye-
ment il se desplaist en son cœur, et se confesse misérable et con-
fuz, il se souhaite estre autre qu'il n'est. Oultre, quand il est tou-
ché du sentiment du jugement de Dieu (car l'un incontinent s'en-
25 suit de l'autre lors humilié, espoventé et abbatu, il tremble et se
desconforte, et pert toute espérance. Voylà la première partie de
Pénitence, qui est appellée contrition. Hz interprètent une viviti-
cation estre une consolation produycte de la Foy ; c'est quand
l'homme, confondu par la conscience de son péché, et frapé delà
30 crainte de Dieu, jettant son regard sur la bonté et miséricorde de
Dieu, sur la grâce et salut qui est en Jésus Crist, se relieve, res-
pire, reprend couraige, et quasi retourne de mort en vie.
Les autres, pourtant quilz voyent ce nom icy estre diver-
sement prins en l'Escriture, ont mis deux espèces de Pénitence.
35 Et pour distinguer en ont appelle l'une légale : par laquelle le
pécheur navré du cautère de son péché , et comme brisé de
terreur de l'ire de Dieu , demeure lyé en ceste perturbation ,
sans s'en pouvoir despetrer. L'autre ilz ont nommée Evange-
lique : par laquelle le pécheur, estant griefvement afligé en sov
302 cdAi'iTKh; V.
mesme, se esleve neantmoins plus hault : embrassant Jésus
Christ, pour la médecine de sa playe, la consolation de sa ter-
reur, le port de sa misère. Cayn, Saul, Judas, sont exemples de Gène. A.
la pénitence légale: desquelz quand FEscriture nous descrit la /. Roy s
0 Pénitence, elle entend, que après avoir cong-neu la pesanteur de ^^•
leur péché, ilz ont eu crainte de Tire de Dieu: mais ne pensans Mal. 27.
sinon à la vengeance et au Jugement de Dieu, ont esté abismez
en ceste cogitation. Donc leur pénitence n'a esté autre chose,
qu'un portail d'Enfer : auquel desja entrez en ceste présente vie,
10 ilz ont commencé à soutl'rir l'ire de la Majesté de Dieu. Nous
voyons la pénitence Evangelique en tous ceux, qui, après avoir
esté poinctz en euxmesmes de l'aiguillon de péché, érigez neant-
moins en fiance de la miséricorde, se sont retournez à luy, Eze-
chias fust troublé ayant receu le message de mort, mais, plorant
lo il pria, et regardant à la miséricorde Dieu, reprind liance. Les i. Boys
Ninivites furent espoventez de l'horrible dénonciation de leur ~ '
ruyne : mais couyers de sacz et de cendres ilz prièrent, esperans lesaie 36.
que le Seigneur se pourroit convertir et destourner de la fureur
de son ire. David confessa qu'il avoit trop griefvement péché, en Jonas 2.
20 faisant les monstres du peuple : mais il adjousta, Seigneur oste 2. Roy s
l'iniquité de ton serviteur. A l'objurgation de Nathan il recon- a ^Ç"'^^*
gneust le crime d'adultère, il se prosterna devant Dieu : mais Actes 2.
pareillement il attendit pardon. Telle fust la pénitence de ceux,
qui à la prédication de Sainct Pierre furent navrez en leur cœurs, Luc 22.
25 mais se confians à la bonté de Dieu adjousterent : Que ferons
nous hommes frères ? Telle fut aussi celle de Sainct Pierre, qui
pleura amèrement, mais ne laissa point d'espérer.
Combien que toutes ces choses soient vrayes : neantmoins,
d'autant que je le puis comprendre par l'Escriture, il fault autre- .4c/. 20.
30 ment entendre le nom de Pénitence. Car ce qu'ilz confondent la
Foy avec la pénitence, est répugnant à ce que dit Sainct Paul auz
Actes : Qu'il avoit testifîé aux Juifz et Gentilzla Pénitence envers
Dieu, et la Foy en Jésus Crist. Auquel lieu, il met la Foy, et la
Pénitence comme choses diverses. Quoy donc ? La vraye Peni-
3atence peut elle consister sans Foy? Nenny pas. Mais combien
qu'elles ne se puissent diviser : toutesfois il les fault distin-
guer. Car comme la Foy ne peut estre sans Espérance : néan-
moins Foy et Espérance sont choses différentes : aussi pareille-
ment la Pénitence et la Foy, combien qu'elles s'entretiennent
DE I'ElNITENC.I';.
303
d'un lyen indivisible : toutesfois elles se doivent plustost con-
joindre, que confondre. Je n'ignore pas, que, soubz le nom de
Pénitence, toute la conversion à Dieu est comprinse : dont la
Foy est une des principales parties. Mais quant la nature et pro-
Dprieté d'icelle aura esté expliquée, il apparoistra en quel sens
cela est dict. Le mot qu'ont les Hebrieux pour signifier Pénitence,
signifie conversion. Celuy qu'ont les Grecz signifie changement
de conseil, et volunté,et de faict. La chose ne respond point mal
à ces vocables : veu que la somme de Pénitence est, que nous
10 estans retirez de nous mesmes, soyons convertiz à Dieu : et ayans
délaissé nostre première cogitation et volunté, en prenions une
nouvelle. Parquoy, à mon jugement nous la pourrons proprement
diffinir en ceste sorte : Que c'est une vraye conversion de nostre
vie à suyvre Dieu et la voye qu'il nous monstre, procédante A>:;<'c. / .
15 d'une crainte de Dieu droicte et non feiucte : laquelle consiste en
la mortification de nostre chair, et nostre vieil homme, et vivi-
fication de l'Esprit. Auquel sons il fault prendre toutes les exhor-
tations qui sont contenues tant aux Prophètes que aux Apostres
par lesquelles ilz admonnestent les hommes de leur temps k faire
20 pénitence. Car ilz les vouloient mener à ce poinct, que estans con-
fuz de leurs péchez, et navrez de la crainte du Jugement de Dieu,
ilz se humiliassent et prosternassent devant sa Majesté, qu'ilz
avoient offensée, et se retirassent en la droicte voye. Pourtant
quand ilz parlent de se convertir et se retourner au Seigneur, de
2o se repentir et faire pénitence : ilz tendent tousjours à une mesme
fin. Et Sainct Paul et Sainct Jehan disent, qu'on produise fruictz
dignes de repentance : entendantz qu'il fault mener une vie qui
monstre et testifie, en toutes ses actions, un tel amendement.
Mais devant que procéder oultre il sera expédient d expliquer
30 davantaige la deffinition cy dessus mise : en laquelle il y a
principalement trois articles à considérer. Pour le premier
quand nous appelions Pénitence une conversion de vie à Dieu,
nous requérons un changement, non pas seulement aux œuvres
externes : mais aussi en l'ame, à ce que, s'estant despouillée
33 de sa vieille nature produise après fruictz dignes de sa réno-
vation. Ce que voulant le Prophète exprimer, commande à ceux Ezec. S.
qu'il exhorte à repentance, d'avoir un nouveau cœur. Parquoy
Moyse par plusieurs fois voulant renionstrer au peuple d'Israël,
quelle est la vraye conversion : les enseigne de se convertir de
30i CHAPITRE V.
tout leur cœur et de toute leur ame. Laquelle locution est souvent
répétée des Prophètes. Toutesfois il n j a lieu dont nous puis-
sions myeux entendre, q[ue]lle est la vraye nature de Pénitence,
q\ie du quattriesme de Jeremie, où Dieu parle en ceste manière.
5 Israël si tu te convertiz, convertiz toi à moy. Cultive bien la terre
de ton cœur, et ne semé point sus les épines. Sois circonciz au
Seigneur, et oste toute immundicité de ton cœur. Nous voyons
comment il dénoncé, cpie, pour se mettre à bien vivre, ilz ne
peuvent prendre autre commencement, sinon de desraciner toute
10 impieté du cœur. Pour ceste cause lesaïe se mocque de toutes lesaie 38.
les entreprinses des hypocrites : lesquelz de son temps seffor-
ceoient à amender leur vie extérieurement : mais ce pendant ne
se soucioient de rompre le lyén d'impiété, duquel estoit envelopé
leur cœur. Et aussi en ce passag^e là mesme, il demonstre bien,
15 quelles sont les œuvres qui se doibvent ensuy vre de la vraye
Pénitence. Le second article a esté, que nous avons dit qu'elle
procède d'xuié droicte crainte de Dieu. Car devant que la cons-
cience du pécheur soit amenée à repentance il fault qu'elle soit
premièrement touchée du jugement de Dieu. Car quand ce pen-
20 sèment sera une fois fiché au cœur de l'homme : que Dieu doibt
une fois monter en son Throsne judicial, pour demander compte
de toutes œuvres et parolles : elle ne laissera point reposer le
povre pécheur, ne respirer une seule minute de temps, quelle ne
picque et stimule tousjours à mener une nouvelle vie : à fin qu'il
25 se puisse seurement représenter à ce jug-ement. Parquoy l'Escri-
ture souvent quand elle nous exhorte à repentance, nous
reduyt en mémoire que Dieu jugera une fois le monde. Comme
en ce passage de Jeremie : Afin que ma fureur ne sorte comme Jere. 4.
feu : et n'y ayt nul qui la puisse esteindre, à cause de vostre
30 perversité. Item, en la prédication de Sainct Paul qu il fist k Actes 17.
Athènes. Comme ainsi soit que Dieu ayt laissé cheminer les
hommes en ignorance : maintenant il leur dénonce de faire
pénitence, d'autant qu'il a déterminé un jour auquel il jugera
le monde en équité. Et en plusieurs autres lieux. Aucunesfois,
35 par les corrections qui sont desja advenues, elle demonstre que
Dieu est juge : à fin que les pécheurs reputent, que beaucoup
plus griefve peine les attend , s'ilz ne se corrigent de bonne
heure. Dequoy nous avons l'exemple au vingtunniesme du Deu-
teronome. Or d'autant que le commencement de nostre con-
DE l'Ii.MTENCE. 30o
version à Dieu est, quand nous avons hayne et horreur du péché.
A ceste cause TApostre dit, que la tristesse, qui est selon Dieu, 2. Cor. 7.
est cause de repentance : appellant tristesse selon Dieu, quand non
seulement nous avons crainte destre puniz, mais hayssons et
5 avons en exécration le péché, d'autant que nous entendons qu'il
desplaist à Dieu. Il nous fault maintenant expliquer le troisiesme
article. C'est, que nous avons dict, que la Pénitence consiste en
deux parties : en la mortification de la chair, et la vivifîcation
de l'Esprit. Ce que les Prophètes, combien qu'ilz parlent sim-
loplement selon la rudesse du peuple, auquel ilz avoient à faire :
neantmoins, l'exposent assez bien, quand ilz disent. Cessez de
mal faire: et adonnez-vous à bien. Nettoyez-vous de voz ordures, Psal.Si.
délaissez vostre vie perverse, apprenez de bien faire, appliquez- hak I .
vous à justice, miséricorde, etc. Car en rappelant les hommes de
15 malice, ilz requièrent que toute leur chair, c'est à dire leur
nature, soit mortifiée : laquelle est pleine d'iniquité. Or c'est
un commandement bien difïicile d'autant qu'il emporte que
nous nous démettions de nous-mesmes, et délaissions nostre
propre nature. Car il ne fault pas estimer que la chair soit bien
20 mortifiée, sinon que tout ce que nous avons de nous, soit
anneanty et aboly. Mais veu que toutes les cogitations, et ail'ec- Rom. 8.
tions de nostre nature sont répugnantes à Dieu, et ennemyes de
sa justice : la première entrée en l'obeyssance de la Loy est , de
renoncer à nostre nature et à toute nostre volunté. En après est
25 signifié en ce passage du Prophète le renouvellement de vie par
les faictz qui s'en ensuyvent : à scavoir, justice, jugement, et
miséricorde. Car il ne suffiroit point de faire les œuvres
extérieurement : sinon que l'ame fust premièrement adonnée à
l'amour et affection dicelles. Or cela se fait, quand l'Esprit de
30 Dieu, ayant transformé noz âmes en sa saincteté, les dirige
tellement à nouvelles pensées et affections, qu'on puisse dire
qu'elles sont autres, qu'elles n'estoient auparavant. L'une et
l'autre nous vient de la communication que nous avons avec
Christ. Car si nous sommes vrayement participans de sa mort : Rom. 6.
33 par la vertu d'icelle nostre vieil homme est crucifié, et la masse
de péché qui réside en nous est mortifiée : à ce que la corruption
de nostre première nature n'ayt plus de vigueur. Si nous sommes
participans de sa résurrection par icelle nous sommes ressuscitez
en nouvelleté de vie : laquelle respond à la Justice de Dieu. Pour
Inslilnlion. 20
3(j(; CHAPITRE V.
parler donc à un mot, je diz que Pénitence est une régénération
spirituelle de laquelle le but est, que l'Image de Dieu, qui avoit
esté obscurcie et quasi effacée en nous, par la transgression
d'Adam, soit restaurée. Ainsi l'appelle l'Apostre, quand il dit, 2. Cor. 3.
5 que ayantz le voille osté, nous représentons la gloire de Dieu, Ephe. 4.
estans" transformez en une mesme image, de gloire en gloire,
comme par l'Esprit de Dieu. Item, Sovez renouveliez en vostre
ame : et vestez le nouvel homme : lequel est créé selon Dieu en-
justice, et vrave saincteté. Item, en un autre lieu, ayant vestu le Coloss. 3
10 nouvel homme, lequel est renouvelle à la congnoyssance et image
de celuy qui Ta créé. Ainsi donc par ceste régénération nous
sommes de la grâce de Christ reparez en la justice de Dieu : de
laquelle nous estions descheuz par Adam : comme il plaist à
Dieu de restituer en leur entier tous ceux, lesquelz il adopte en
13 l'Héritage de la vie éternelle.
Maintenant aussi il se peut entendre quelz sont les fruictz de
Pénitence. Mais pource que auctms, voyantz que les Prophètes font
mémoire qu'on se doibt repentir avec pleursetjeusnes. ayantz un
sac vestu, et les cendres sur la teste (ce qui est principalement mons-
20 tré en Joeljpar cela estiment que le principal de Pénitence soit de
jeusner et pleurer : il nous fault obvier à leur erreur. En ce passage Joël 2.
là donc de Joël, ce qui est dict, en la conversion entière de nostre
cœur au Seigneur, et de rompre, nompas noz habillemens, mais
nostre cœur, est du tout propre à la Pénitence. Les pleurs et les
23jeusnes ne sont pas mises comme conséquences perpétuelles :
mais comme circonstances qui convenoient spécialement alors.
Car d'autant qu'il avoit dénoncé une vengeance de Dieu espouven-
table aux Juifz : il les admoneste de la prévenir, non seulement en
amendant leur vie : mais aussi en se humiliantz et monstrantz signe
30 de tristesse. Car comme anciennement un homme accusé de crime,
pour impetrer miséricorde du juge, laissoit croistre sa barbe, ne se
pignoit point et se vestoit de dueil : aussi il convenoit que ce peuple,
qui estoit accusé devant le Throsne de Dieu, testifiast par signes
extérieurs qu'il ne demandoit que d'obtenir pardon de sa clémence,
35 Or combien que la manière de se vestir d'un sac, et se jetter cendres
sur la teste, fust la coustume de ce temps là, et ne nous appartient
aujourd'huy de rien : toutesfois les pleurs et les jeusnes ne nous
seroient point aujourd'huy impertinentz, toutesfois et quantes
que le Seigneur nous demonstré apparence de quelque calamité.
DK PENITENCE.
-'307
Car quand il nous faict apparoistre quelque danger : il dénonce
qu'il est appareillé à faire vengeance, et quasi desja armé. Le
Prophète donc parle tresbien, en exhortant à pleurs, et jeusnes :
c'est à dire, k tesmoignage de tristesse, ceux ausquelz il avoit pre-
5 dict que le jugement de Dieu est appareillé pour les perdre. En
telle sorte les Pasteurs Ecclésiastiques ne seroient point mal au-
jourd'huy : si toutesfoiset quantesquilz voyent quelque calamité
prochaine, soit de guerre, de famine, ou de pestilence : ilz i-emons-
troient à leur peuple, qu'il seroit bon de prier le Seigneur avec
10 pleurs et jeusnes : moyennant qu'ilz s'arrestassent au principal,
qui est de rompre les cœurs et non les vestemens. C'est donc une
chose certaine, que le jeusne n'est, pas tousjours conjoinct avec
repentance, mais convient particulièrement à ceux, qui veulent
testiiîer qu'ilz se recongnoyssent avoir mérité l'ire de Dieu : et
lïneantmoins requièrent pardon de sa clémence. Pour ceste cause,
Jésus Christ le met avec angoisse et tribulation. Car il excuse les
Apostres qui ne jeusnoyent point du temps qu'ilz estoient en sa
compagnie, pource que c'estoit le temps de joye, disant, qu'ilz Mat. 9.
auroient opportunité de jeusner au temps de tristesse quand il
20 les auroit privez de sa compagnie. Je parle de jeusne solennel et
public. Car la vie du Chrestien doibt estre tempérée en telle so-
briété (ju il y apparoisse, depuis le commencement, jusques à la
fin, comme une espèce de jeusne perpétuel. Or s'il est vray que
toute la somme de l'Evangile soit comprinse en ces deuxpoinctz :
25 H scavoir en repentance et remission des péchez (comme c'est une
chose notoire) ne voyons-nous pas bien que le Seigneur justifie
gratuitement ses serviteurs : à fin de les restaurer quant et quant
en vraye justice ; par la sanctification de son Esprit? Jean Baptiste,
lequel estoit Ange envoyé pour préparer la voye à Christ, avoit cela
30 pour somme de sa prédication : Faictes pénitence, car le Royaume Mat. 3.
de Dieu est approché . Induisant les hommes à Pénitence, il les admo-
nestoit de serecongnoistre pécheurs, et se rendre damnables devant
Dieu, avec toutes leurs œuvres, à fin de souhaiter de tout leur cœur,
la mortification de leur chair, et nouvelle régénération de l'Esprit
33 de Dieu, En annonceant le Royaume de Dieu, il les appelloit à la
Foy . Car par le Royaume de Dieu lequel il annonceoit estre près, il
signiiioit remission des péchez, salut et vie, et tout ce que nous re-
cevons en Christ. Parquoy il est dict ez autres Evangelistes : Jean Marc 1.
est venu, preschant le Baptesme de Pénitence, pour la remission Luc 3.
30{^ CHAPITRE V.
des péchez. Ce qui n'est autre chose, sinon qu'il a enseigné les
hommes, que se sentans lassez de la charge de leurs péchez, ilz se
retournassent à Dieu et conceussent espérance de grâce et salut.
En ceste manière pareillement Christ a commencé ses prédications :
5 Le Royaume de Dieu est près : faictes pénitence, et croyez à l'Evan-
gile. Premièrement il declaire les Thresors de la miséricorde de
Dieu estre ouvers en soy. Secondement il requiert pénitence. Luc 24.
Finalement certaine fiance des promesses de Dieu. A ceste cause
en un autre passage, voulant briefvement comprendre tout ce qui
10 apartient à l'Evangile, il dit, qu'il falloit qu'il souffrit, qu'il ressus-
citast des mortz, et qu'en son Nom fust preschée Pénitence et
remission des péchez. Ce que ont annoncé les Apostres après sa
résurrection : comme quand ilz ont dit, qu'il estoit ressuscité de
Dieu, pour donner Pénitence au peuple d'Israël, et la remission Actes 5
Iodes péchez. La Pénitence est preschée au Nom de Christ, quand
par la doctrine Evangelique, les hommes entendent toutes leurs
pensées, affections, et opérations estre corrumpues et vicieuses : et
pourtant qu'il leur est nécessaire d'estre régénérez : s'ilz veulent
avoir entrée au Royaume de Dieu. La remission des péchez est
20 preschée, quand on remonstre aux hommes, que Christ leur est
faict rédemption, justice, salut, et vie : et que par son moyen et
à son adveu ilz sont reputez justes et inocens devant Dieu : et
ainsi que sa justice leur est gratuitement imputée. Or comme ainsi
soit que nous recevions l'un et l'autre par Foy : neantmoins que le
25 propre object de Foy, est la bonté de Dieu, par laquelle noz péchez
nous sont remiz : il a esté mestier de mettre la différence que
nous avons mise entre Foy et Pénitence.
Or comme la hayne du péché, laquelle est le commencement
de Pénitence, nous donne premièrement entrée à la congnoys-
aosance de Christ (lequel ne se communique point que aux povres lesaie 61
pécheurs affligez, qui gémissent, travaillent, sont chargez et3/a/. //.
comme affamez, deffaillent, estans accablez de douleur et mi- I
sere). Aussi d'autre part, après avoir commencé la Pénitence,
il nous la fault poursuyvre toute nostre vie : et ne la lais-
sa ser jusques à la mort, si nous Avouions consister et demeurer
en Christ. Car il est venu pour appeller les pécheurs : mais }iat. 4.
c'est pour les appeller à repentance. Il a porté bénédiction aux Act. 6.
hommes qui en estoient indignes : mais c'est à fin qu'un chascun
se convertisse de son iniquité. L'Escriture est pleine de telles sen-
DE PEMTENCE.
309
tences. Parquoy quand le Seigneur nous otTre remission de péché,
il a aeoustumé de requérir mutuellement, amendement de vie,
sif^nifiant que sa miséricorde nous doibt estre cause et matière de
nous amender. Faictes, dit-il, iu"ement et justice : carie salut est lesaie 57.
5 approché. Item, Le Salut viendra à Zion, et à ceux qvii se con- ^ • '^^■
vertissent de leur iniquité en Israël. Item, cherchez le Seigneur
quand il se peut trouver : invoquez-le, ce pendant qu'il est près.
Que le meschant délaisse sa voye, et ses cogitations perverses, et
qu'il se retourne au Seigneur : et il aura pitié de luy. Item, Retour-
10 nez vous au Seig-neur en amendement de vie : à fin que voz péchez
soient ellacez. Auquel lieu toutesfois il fault noter, que ceste con- Actes 2.
dition est adjoustée, non pas à cause que nostre amendement soit
comme fondement pour obtenir pardon. Mais plustost aucontraire,
d'autant que le Seigneur veult faire miséricorde aux hommes : à
15 ceste fin qu'ilz amendent leur vie, il nous est là monstre à quel
but il nous fault tendre, si nous voulons obtenir pardon de Dieu.
Parquoy, ce pendant que nous habiterons en ceste prison de nostre
corps, il nous fauldra tousjours et sans cesse combatre avec la
corruption de nostre nature, et tout ce qui est de naturel en nous.
20 Platon dit quelquefois, que la vie d'un Philosophe est méditation
de mort. Nous pouvons dire plus véritablement, que la vie
d'un chrestien,est un estude et exercitation perpétuelle de mor-
tifier la chair, jusques à ce que icelle estant amortie, l'Esprit de
Dieu règne en nous. Parquoy j'estime que celuy a beaucoup
25 proffité, qui a apprins à se desplaire beaucoup : non pas à ce
qu'il se arreste en cela, et ne passe poinct oultre : mais plustost
à fin qu'il souspire, et tende à Dieu : et que, estant planté en la
mort et résurrection de Christ, il mette son estude à faire conti-
nuelle pénitence : comme certes ceux qui sont droictement tou-
30 chez de hayne de péché, ne peuvent autrement faire. Car nul ne
haist jamais le péché, qu'il n'ayt prins en amour la Justice. Cette
sentence, comme elle est la plus simple de toutes m'a semblé
adviz tresbien accorder à la vérité de l'Escriture.
Je viens maintenant à discuter ce que les Sophistes ont
35 enseingné de Pénitence : ce que je feray le plus briefvement
qu'il sera possible. Car mon conseil n'est pas de poursuyvre le
tout : de peur que ce présent livret, lequel je veux rédiger en
briefveté, ne croisse en trop grande longueur. Et d'autre part
ilz ont enveloppé ceste matière, laquelle autrement n'estoit pas
310 CHAPITRE V. '
trop difficile, par si longues disputations : que Tyssue ne seroit
poinct aisée, si nous voulions entrer fort avant en leurs Labjrintes.
Premièrement en donnant la diffînition de Pénitence, ilz monstrent
évidemment qu'ilz nont jamais entendu que c'estoit. Car ilz
5 tirent des livres des Anciens quelques sentences, lesquelles n'ex-
priment nullement la force et la nature de Pénitence. Comme
sont celles qui s'ensuyvent. Que faire Pénitence, c'est pleurer les
péchez commis auparavant : et ne point commettre ceux qu'il
faille après pleurer. Item, que c'est gémir pour les maulx passez :
10 et ne plus commettre ceux q[u"il] faille gémir. Item, que c'est une
vengeance triste punissant en soy, ce qu'elle vouldroit n avoir
point commiz. Item, que c'est une douleur de cœur et amertume
de l'ame, pour les maulx que quelqu'un a commiz, ou ausquels il
a consentu. Car quand nous accorderons que ces choses auront
13 esté bien dictes des Anciens (ce qui ne seroit pas difficile à un con-
tentieux de nyer) toutesfois elles n'ont pas esté dictes en ce sens,
cpi'ilz vouleussent par icelles declairer que c'estoitque Pénitence :
mais pour exhorter seulement les penitens, de ne recheoir aux
mesmes faul tes, desquelles ilz avoient esté délivrez. Et s'il failloit
20 faire diffinitions de tout ce que on trouve que les Anciens en ont
dict : ilz en pouvoient encores amener d'autres qui n'ont point
moins d'apparence : comme est celuy de Ghrisostome.Que Péni-
tence est une médecine, esteignant le péché, un don descendu du
Ciel, une vertu admirable, une grâce surmontant la force des loix.
25 Après avoir si subtilement diftlny que c'est que Pénitence, ilz
la divisent en trois parties : en contrition de cœur, confession
de bouche, et satisfaction dœvre. Laquelle division n'est
nonplus propre que leur diftinition. Combien qu'ilz n'estudient
autre chose en toute leur vie que la Dialectique, qui est l'art de
30 bien diffinir et partir. Mais si quelqu'un vient à arguer par la
diffînition, lequel argument est receu entre les Dialecticiens, que
on peut pleurer les péchez commis auparavant, et ne les plus
commettre : combien qu'il n'y ait nulle confession de bouche :
comment deffendront-ilz leur partition? Car si celuy qui ne se
33 confesse point de bouche ne laisse pas d'estre vray pénitent : la
Pénitence peut consister sans cette confession. S 'ilz respondent
que ceste partition se doibt rapporter à Pénitence, entant qu'elle
est Sacrement, ou bien qu'elle se doibt entendre de toute la
perfection de Pénitence : laquelle ilz ne comprennent point
DF, PENITENCE.
'M
par leurs diffînitions : ilz n'ont dequoy me accuser : mais en
doibvent imputer la faulte à ce qu'ilz ne deffinissent plus clairement
et purement. Mot certes selon ma capacité quand il est question de
quelque chose, je me tiens à la diffmition, qui doibt estre le fon-
5 dément de toute la disputation. Mais accordons leur ceste licence
Magistrale et venons à espelucher les parties par ordre.
Les lecteurs doibvenficy estre advertiz, que nous ne sommes
pas en un combat frivole : mais qu'il est question d'une chose,
par dessus toutes les autres, de grand 'importance : c'est à scavoir
iode la remission des péchez. Car quand ilz requièrent ces trois
choses à Pénitence, compunction de cœur, confession de bouche, et
satisfaction d'œvre : semblablement ilz déterminent qu'elles sont
nécessaires pour impetrer remission des péchez. Or s'il nous est
mestier de congnoistre quelque chose en toute nostre Religion :
15 il est requiz principalement que nous entendions cecy. C'est par
quel moyen, en quelle sorte, par quelle condition et en quelle faci-
lité, ou difficulté e.st obtenue la remission des péchez. Si ceste con-
gnoissance n'est certaine et arrestée : la conscience ne peut avoir
aucun repoz, ne aucune paix avec Dieu, ne aucune fiance ou asseu-
20 rance : Mais continuellement elle tremble, elle est agitée, esmeue.
tormentée, transportée, elle ha en horreur hayne, le Jugement de
Dieu, et le fuyt tant qu'elle peut. Et si la remission des péchez
dépend de ces conditions ausquelles ilz la lyent : il n'y a rien plus
misérable ne plus désespéré que nous.
25 La première partie qu'ilz mettent pour obtenir pardon et grâce,
est Contrition : laquelle ilz requièrent deuëment faicte, c'est à dire
pleinement, et entièrement. Mais ce pendant ilz ne constituent
point quand quelqu'un pourra estre asseuré, qu'il se soit bien
acquité de ceste contrition. Icy les povres consciences sont
30 merveilleusement vexées et afligées : quand elles voyent que
ceste contrition deuë, leur est imposée : et ne entendent point
la mesure de la debte, pour pouvoir estre certaines quand
elles auront payé ce quelles dévoient. S'ilz disent qu'il
fault faire ce qui est en nous : nous tournerons tousjours en
35 un mesnie circuit. Car quand sera-ce que quelqu'un se osera
promettre qu'il ayt employé toutes ses forces, à pleurer ses
péchez? La fin donc en est, que les consciences, après s'estre
long temps debatues en elles mesmes, quand elles ne trou-
vent point Port où elles puissent reposer, pour adoulcir
312 CHAPITRE Y.
aucunement leur mal : elles se contraignent à quelque douleur
et tirent par force quelques larmes pour accomplir ceste contrition.
S'ilz me veullent accuser de calumnie qu'ilz en monstrentun seul
qui par ceste doctrine de contrition, n'ayt esté jette en desespoir :
sou bien n'ajt opposé une feintise de douleur au jugement de Dieu
pour vraye compunction. Nous aussi bien avons dict en quelque
lieu, que la remission des péchez ne nous est jamais octroyée, sans
Pénitence : d'autant que nul ne peut vrayement et en syncerité de
cœur implorer la miséricorde de Dieu, sinon celuy qui est affligé
10 et navré de la conscience de ses péchez. Mais nous adjoustions
pareillement, que la Pénitence n'est pas cause d'icelle remission :
et ostionsces tormentz des âmes, c'est à scavoir que la contrition
doibtestre deuëment accomplie. D'avantaige nous enseignions le
pécheur de ne point regarder sa compunction ne ses larmes :
15 mais de ficher tous les deux yeux en la miséricorde de Dieu.
Seulement nous déclarions que ceux sont appeliez de Christ, les-
quelz sont chargez et travaillez: veu qu'il a esté envoyé pour Matt. 11.
annoncer bonnes nouvelles aux povres. pour guérir ceux qui sont lesaie 61.
navrez en leurs cœurs, pour annoncer aux captifz leur délivrance,
20 pour deslier les prisonniers, et consoler ceux qui pleurent. En
quoy estoient excludz, tant les Pharisiens, qui estans saoulz et
contens de leur justice, ne recongnoissoient point leur povreté :
que les contempteurs de Dieu, qui ne se souciantz de son ire, ne
cherchent aucun remède à leur mal. Car toutes telles manières de
23 gens ne travaillent point et ne sont navrez en leur cœurs, ne
lyez ne captifz et ne pleurent point. Car il y a grande différence
d'enseigner un pécheur de mériter la remission de ses péchez
par pleine et entière contrition, de laquelle il ne se puisse jamais
acquiter : ou de l'instruire d'avoir fain et soif de la miséricorde
30 de Dieu, par la congnoissance de sa misère : de luy remonstrer
son travail, angoisse, et captivité, pour lui faire chercher conso-
lation, repoz et délivrance. En somme l'enseigner de donner
gloire à Dieu en son humilité.
Touchant la Confession : il y a tousjours eu grande controver-
33sie entre les Canonistes et les Théologiens scolastiques. Caries
premiers ont dict qu'elle estoit seulement ordonnée de droit
positif, c'est à dire par les constitutions Ecclésiastiques. Les
secondz ont maintenu qu'elle estoit ordonnée par comman-
dement divin. En ce combat s'est monstrée une iJ:rande
DE PENITENCE.
313
impudence des Théologiens : lesquelz ont autant dépravé et cor-
rumpu de lieux de l^Escriture, quilz en citoient à leurpropoz. Et
encores. voyans qu'en ceste manière ilz ne venoient point à leur
intention : ceux qui ont voulu estre les plus subtilz entre eux, ont
5 trouvé ceste évasion pour eschapper. C'est, que la confession est
descendue de droit divin, quant à sa substance : mais que depuis
elle a prins sa forme du droit positif. En ceste manière ceux qui
sont les plus ineptes entre les Légistes, ont accoustumé de réfé-
rer la citation au droit divin : pourtant qu il fiist dict à Adam :
10 Adam où es-tu? Pareillement l'exception : pourtant que Adam
respond[a]it, comme se detl'endant : La femme que tu m'as don-
née etc. Neantmoins que la forme a esté donnée à tous les deux
par le droit civil.
Mais voyons par quelz argumens ilz prouvent, que ceste con-
15 fession ou formée ou informe, soit commandée de Dieu. Nostre
Seigneur (disent-ilz) a envoyé les Lépreux aux Prestres. Quoy ? Mat. S.
Les a-il envoyez à confesse? Qui est-ce qui ouyt jamais parler Luc 5. et
que les Prestres Levitiques fussent ordonnez pour ouyr les con-
fessions? Pourtant ilz ont recours aux allégories : et disent, qu'il
2oestoit institué par la Loy Mosayque,que les Prestres discernas- Deut. 11.
sent entre lèpre et lèpre : que péché est lèpre spirituelle : de la-
quelle il appartient au Prestre de juger. Devant que respondre, je
demande, si par ce passage ilz sont constituez juges de la lèpre
spirituelle ; pourquoy tirent-ilz à eux la congnoyssance de la na-
îôturelle et charnelle ? N est-ce pas bien se jouer des Escritures ;
de les torner en ceste faceon ? La Loy défère aux Prestres Levi-
tiques le jugement de lèpre : prenons-le donc pour nous. Péché
est lèpre spirituelle : soyons donc juges des péchez. Maintenant Hebr. 7.
je respondz : que la Prestrise translatée, il est nécessaire qu'il y
30 ayt translation de Loy. Or puis que foutes Prestrises sont trans-
latées à Jésus Christ, accomplies et cessées en luy : il fault que
toute la dignité et prérogative de Prestrise soit aussi translatée à
luy. S'ilz prennent si grand plaisir à faire les allégories : qu'ilzse
proposent Christ pour seul Prestre. et quilz assemblent à son sie-
33 ge toute jurisdiction : nous le souffrirons ayséement. D'avantage,
l'allégorie est importune : qui mesle une Loy, purement civile,
entre les cérémonies. Pourquoy donc Christ envoye-il aux Pres-
tres les Lépreux ? A fin que les Prestres n'eussent à calumnier
qu'il violoit la Loy : qui commandoit que celuy qui estoit guery
S\l CHAPITRE V.
de lèpre fust représenté devant le Prestre, et purgé par certaine
oblation, il commande aux lépreux, lesquelz il avoit ^ueriz, de
faire le contenu de la Loy. Allez, dit-il, monstrez-vous aux Pres-
tres : et offrez le présent que Moyse a commandé en la L03', à
5 fin que ce leur soit en tesmoignage. Et vrayement ce miracle leur
debvoit estre en tesmoignage. Hz les avoient declairez estre lé-
preux : depuis ilz prononcent quils sont g-ueriz. Ne sont-ilz pas
contreinctz : veulent-ilz ou non : d'estre tesmoingz des miracles
de Christ ? Christ leur permet son miracle à esprouver, ilz ne le
10 peuvent nyer : mais pourtant que encores ilz tergiversent, cest
œuvre leur est en tesmoignag'e. En ceste manière il est dict en
un autre lieu : Cest Evangile sera presché en tout le monde, en
tesmoignage à toutes gens. Item : Vous serez menez devant les Mat. 2i.
Roys et Princes, en tesmoignage pour eux : cest à dire, à fin Mat. 27.
isquilz en soyent d'autant plus convaincuz au jugement de Dieu. En Vho.
Que s'ilz avment mveux s'arrester à Tauthorité de Chrisostome : r'^l^î
iceluv enseigne que Christ a faict cela, à cause des Juifz, à fin
de nestre estimé prévaricateur de la Loy.
Hz tirent le second argument dune mesme source : c'est à
20 scavoir, de allégorie : comme si allégories avoient grand force
à prouver quelque doctrine. Mais je veux bien quelles soyent
suffisantes : si je ne monstre que je les pourroye prétendre
avec plus grande couleur qu'ilz ne font. Hz disent donc que
nostre Seigneur commanda à ses Disciples, après que Lazare Jean //.
s.ïcust esté par luy ressuscité, qu'ilz le delyassent et desvelopas-
sent. Premièrement ilz mentent de cela : car il n'est dict nul-
le part, que nostre Seigneur ayt commandé cela à ses Disciples.
Et est beaucoup plus vray semblable, qu'il le dist aux Juifz là
assistans : afin que sans quelque suspition de fraude, le miracle
30 fust faict plus évident : et que sa vertu apparust plus grande,
d'autant que sans attouchement, par sa seule paroUe il sus-
citoit les mortz. Certainement je l'entendz ainsi. Que nostre
Seigneur pour oster toute mauvaise suspicion aux Juifz, voulut
qu'eux mesmes levassent la pierre, sentissent la mauvaise odeur,
35 apperceussent les certains indices de mort, qui vissent le Lazare
ressusciter par la seule vertu de sa voix, et qu'ilz le touchassent
les premiers. Mais concédons que cela ayt esté dict aux Dis-
ciples. Que concluront-ilz? Combien pouTrJrons-nous plus clai-
rement traicter ce lieu par allégorie ; Si nous disons que nostre Sei-
DE PENITENCE. 3io
gneur, par ce, a voulu enseigner ses fidèles ; de deslier ceux qui
avoient esté par luy ressuscitez? c'est à dire, de ne réduire point
on mémoire les péchez qu'il auroit oublié ; de ne condamner point
pour pécheurs, ceux qu'il auroit absoulz ; de ne reprocher les
5 choses qu'il auroit pardonnées? de n'estre point sévères et diffi-
ciles H punir ; là où il seroit miséricordieux ; doux ; et bening à
pardonner ? Qu'il voysent maintenant et facent un bouclier de
leurs allégories.
Hz combatent un peu de plus près, en confermant leur dire
10 par sentences de FEscriture, lesquelles ilz estiment manifestes.
Ceux, disent-ilz, qui venoient au Baptesme de Jean confessoient
leurs péchez. Et S. Jacques commande, que nous confessions noz ^fat. 3.
pechezlesunsauxautres. Jerespondz, c|ue ce n'est point merveille, jaques i
si ceux qui vouloient estre baptisez confessoient leurs péchez. Car
ir. il a esté dit au paravant, que Jean a presché le Baptesme de Péni-
tence, et a Baptisé d'eaûe en Pénitence. Lesquelz donc eust-il bap-
tisez ; sinon ceux qui se confessoient pécheurs? Le Baptesme est un
signe de la remission des péchez : lesquelz seroient admiz à ce signe;
sinon les pécheurs ; et ceux qui se recongnoyssent telz? ilz confes-
20 soient donc leurs péchez pour estre baptisez. S. Jaques ne com-
mande pas sanscause, que nous nous confessions lesunsauxautres;
mais s'ilz consideroient ce qui s'ensuyt prochainement, ilz trouve-
roient que cela ne fait gueres pour eux. Confessez, dit-il, vospechez
l'un à l'autre et priez les uns pour les autres. Il conjoinct ensemble
25 oraison mutuelle, et confession mutuelle. S'il se faultconfesseraux
Prestres seulement : il fault prier pour eux seulement. Et mesme
il s'ensuy vroit des motz de S. Jaques, qu'il n'y auroit que les Pres-
tres qui se peussent confesser. Car, en voulant que nous nous con-
fessions l'un à l'autre, il parle seulement à ceux qui peuvent ouyr
30 la confession des autres. Car il dit mutuellement: ou s'ilz ayment
myeulx, réciproquement. Or nul ne se peut mutuellement confes-
ser, sinon celuy qui oyt la confesse de son compaignon. Lequel
privilège il concède seulement aux Prestres. Pourtant suyvantz
leur sentence, nous leur laissons voluntiers la charge de se con-
35 fesser. Ostons donc telz fatras: et entendons le sens de l'Apostre,
qui est simple et manifeste. C'est à scavoir que nous communi-
quions et descouvrions noz infirmitez les uns auz autres, pour rece-
voir conseilz, compassion, et consolation mutuelle. D'avantage que
ainsi congnoyssans les infirmitez de noz frères, chascun de sa
.316 CHAPITRE V.
part prie Dieu pour icelles. Pourquoj donc alleguent-ilz S. Jaques
contre nous ; veu que nous requérons si instamment la confes-
sion de la miséricorde de Dieu ; laquelle ne se peut confesser ;
sinon de ceux : qui premièrement ont confessé leur misère ? Mes-
5 mes nous déclarons tous ceux estre maudictz et damnez, qui ne Gai. 3.
se confessent devant Dieu, devant ses Anges, devant l'Eglise : Rom. 3.
brief, devant tous les hommes, estre pécheurs. Car Dieu a toutcon-
clud soubz péché : à fin que toute bouche soit fermée, et toute chair
soit humiliée devant luy : et que luy seul soit justifié et exalté.
10 Mesmes je mesmerveille de quelle hardiesse ilz osent asseurer,
que la confession, de laquelle ilz parlent, soit de droit divin : de la-
quelle certes nous confessons que l'usage est très ancien. Mais nous
pouvons facilement prouver, qu'il a premièrement esté libre. Et de
faict leurs hystoires recitent, qu'il n'y en a eu aucune loy ou consti-
13 tution, devant le temps de Iiiocence Iroysiesme, et y a evidenstes- Lequel a
moignages, tant des hystoires, que des autres anciens escrivains, ^^^y^'y^*
qui monstrent que ce a esté une discipline politique, instituée seu-
lement par les Evesques, nonpas ordonnance mise de Christ ou ses
apostres. J'en proposeray un seulement: lequel pourra suffire am-
20 plement à prouver ce que je diz. Sozomenus l'un des autheurs de
l'hystoire Ecclésiastique, racompte, que ce a esté une constitution
des Evesques diligemment observée par les Eglises Occidentales :
et mesmes à Rome principalement. En quoy il monstre, que ce n'a
pas esté une ordonnance uniAcrselle de toutes les Eglises. Après il
25 monstre qu'il y avoit un des Prestres peculierement destiné à cest
office. Enquoy il confute pleinement ce que ceux cy ont feinct des
clefz données indiferemment à tout l'ordre des Prestres. Car ce
n'estoit pas un office commun de tous : mais singulièrement la
charge d'un seul, qui avoit de l'Évesque esté esleu à ce faire. Il dit
30 encores oultre, queceste usance estoit à Constantinoble, jusques à
ce qu'une femme faisant semblant de se confesser, fust trouvée
a^'ant prins ceste couverture pour cohabiter avec l'un des Diacres
d'icelle Eglise . A cause de ce maléfice Nectar ius E vesque dudict lieu,
homme renommé de saincteté et grande doctrine, abolist ceste
35 observance de confession. Que ses Asnes dressent les aureilles. Si
la confession auriculaire estoit loy de Dieu, comment eust estéNec-
tarius sihardy de la rompre et abolir ?Accuseront-ilz d'il eresie et de
Schisme ce sainct personnage; prisé et approuvé par tous les An-
ciens? Mais par une mesme sentence, ilz condamneront l'Eglise
DE l'EMIE.NCE. 317
de Constantinoble, voire mesme toutes les Eglises Orientales les-
quelles ontcontemné une loy (s'ilz disent vray) inviolable et com-
mandée à tous Chrestiens. Mesme ceste abrogation est si souven-
tesfois demonstrée par Chrisostome : lequel estoit aussi Evesque
5 de Constantinoble : que c'est merveille comment ilz osent ouvrir
la bouche pour répliquer à l'encontre. Si tu veux effacer tes pé-
chez, dit-il, confesse-les. Si tu as honte de les descouvrir à un
homme : confesse-les tous les jours en ton ame. Je ne diz pas que
tu les descouvre à personne qui t'en face après reproche. Confesse-
10 les à Dieu, lequel les peut purger. Confesse-les en ton lict : à fin
que ta conscience recongnoisse journellement son mal. Item, Il
n'est pas nécessaire de se confesser devant tesmoing: seullement
■fais la recongnoissance en ton cœur : cest examen ne requiert
point de tesmoing: il suflist que Dieu seul te voye et escoute,
15 Item. Je ne t'appelle point devant les hommes, pour leur des-
couvrir tes péchez : espeluche ta conscience devant Dieu: monstre
ta playe au Seigneur, lequel en est le médecin : et le prie de y
remédier. C'est celuy qui ne reproche rien : et humainement
guérit le povre malade. Item, Je ne veux point que tu te con-
20 fesse à un homme, lequel te puisse reprocher après, ou te diffa-
mer, en publiant tes faultes : mais monstre tes playes à Dieu,
qui en est le bon médecin. Puis après il introduit Dieu parlant
en ceste manière. Je ne te contreinctz point de venir en assem-
blée publique : confesse à moy seul tes péchez, à fin que je te
25 garantisse. Dirons-nous que Sainct Crisostome en parlant ainsi,
ayt esté si téméraire, de délivrer les consciences des hommes des
lyens ; dont elles estoient estreinctes par la volunté de Dieu ? II
n'est pas ainsi : Mais ce qu'il entendoit n'estre point ordonné de
Dieu, il ne l'ose requérir comme nécessaire.
30 Mais pour mievix encores despescher toute la chose premiè-
rement nous enseignerons fidèlement, quelle espèce de con-
fession nous a esté baillée par la parole de Dieu : après nous
monstrerons leurs inventions de la confession : non pas toutes,
(Car qui pourrait espuyser une si grande Mer) mais seulement
35 celles qui appartiennent à la somme de leur doctrine. Je ne
ferois pas icy mention, que l'Escriture a de coustume de prendre
le mot de confession pour louënge : n'estoit qu'ilz sont si effron-
tez qu'ilz se osent mesmes armer de telz passages. Comme
quand ilz disent, que la confession engendre joye au cœur :
318 CIIAPIIKE V. '
selon qu'il est dict au Psalme. En voix de joye et de confession. Psal. 42.
Que les simples donc notent bien ceste signification : et la sachent
discerner de l'autre : k ce qu'ilz ne soient point facilement abusez
de telz mensonges. Touchant la Confession des péchez, lEscri-
oture nous enseigne ainsi. Puisque c'est le Seig-neur, qui remet,
oublie, et efface les péchez : cp.ie nous luy confessions, pour obte-
nir grâce et pardon. C'est le médecin : monstrons luy donc noz
playes. C'est celuy qui a esté offensé et blessé : Demandons luy
donc mercy et Paix. C'est celuy qui congnoist les cœurs, et voit
10 toutes les pensées: ouvrons donc noz cœurs devant luy. C'est
celuy qui appelle les pécheurs : Retirons-nous donc par devers luy.
Je tay donné à congnoystre mon péché (dict David) et n'ay pas Psal. 32.
caché mon iniquité. J'ay dict, je confesseray à l'encontre de moy
mon injustice au Seigneur, et tu m'as pardonné l'iniquité de mon
13 cœur. Telle est vme autre confession de David mesme : Ajes Psal. dl.
pitié de moy. Seigneur, selon ta grande miséricorde. Telle est Dan. 9.
pareillement celle de Daniel. Nous avons péché Seigneur, nous
avons faict perversement, nous avons commiz impieté, et avons
esté rebelles en reculant de tes commandemens. 11 y en a assez
20 d'autres semblables qui se voyent en lEscriture. Si nous confes-
sons noz péchez (dict Sainct Jehan; le Seigneur est fidèle pour les I .Jehan! .
nous pardonner. A qui les confesserons-nous? A luy certes.
C'est à dire, si d'un cœur affligé et humilié nous nous proster-
nons devant luy : si en vraye synceriténous accusans et condem-
25 nans devant sa face, nous demandons estre absoulz par sa bon-
té et miséricorde. Quiconques fera de cœur et devant Dieu ceste
confession, il aura sans doubte aussi la langue preste à confes-
sion, quand mestier sera de annoncer entre les hommes la misé-
ricorde de Dieu. Et non seulement pour descouvrir le secret de
30 son cœur à un seul, une fois, et en l'aureille : mais pour declai-
rer librement, tant sa povreté, que la gloire de Dieu par plu-
sieurs fois, publiquement et tout le monde oyant. En ceste ma-
nière David après avoir esté redargué de Nathan, estant piqué
d'un aiguillion de conscience, confessa son péché, et devant
3o Dieu, et devant les hommes. J'ay péché, dit-il, contre le Sei-
gneur. C'est à dire: je ne me veux plus excuser ne tergiverser,
que chascun ne me juge pécheur: et que ce que j'ay voulu estre
caché à Dieu, ne soit mesmes manifesté aux hommes. En 2. Roys
ceste manière il nous fault prendre la confession solemnel- '*•
DE PEMTENCi:.
31!)
le, qui se fîst par tout le peuple, à ladmonition de Nehemiah et
Esra. Lequel exemple doibvent ensuyvre les Eglises, quand elles
demandent pardon à Dieu, comme certes la coustume est entre
les Eglises, qui sont bien ordonnées.
3 D'avantage TEscriture nous recommande deux autres espèces
de confession. L'une qui se face pour nous. A quoy tend le dire
de Sainct Jaques, que nous confessions noz péchez l'un à l'autre.
Car il entend, que declarans noz infîrmitez les uns aux autres,
nous nous aydions mutuellement de conseil et consolation,
10 L'autre qui se face pour l'amour de nostre prochain : lequel au-
roit esté offensé par nostre faulte, jDour le reconcilier et appai-
ser. De laquelle Christ parle en Sainct Matthieu, disant. Si ixiMalLo.
présente ton oblation à l'Autel : et là il te souvyenne que ton frère
ha quelque chose à l'encontre de toy : laisse là ton oblation et va
15 te reconcilier à ton frère premièrement, et puis après tu la pré-
senteras. Car il fault ainsi rejoindre Charité, qui auroit esté dis-
soulte, par nostre faulte, en recongnoissant nostre coulpe, et en
demandant pardon. Quant est de la première espèce : combien
que l'Escriture, en ne nous assignant persone auquel nous nous
'20 deschargions, nous laisse la liberté de choisir d'entre les fidèles
qui bon nous semblera pour nous confesser à luy : Toutesfois
pource que les pasteurs doibvent estre par dessus les autres
propres à cela, c'est le meilleur de nous adresser plustost à eux.
Or je dictz qu'ilz sont ydoines par dessus les autres, d'autant
23 que du devoir de leur office, ilz sont constituez de Dieu pour
nous instruyre comment nous devons vaincre le péché : et pour
nous certifier de la bonté de Dieu, à fin de nous consoler. Pour-
tant qu'un chascun fidèle, quand il se sentira en telle perplexité
de conscience, qu'il ne se pourra ayder sans ayde d'autruy, aye
30 ceste considération de ne point négliger le remède qui luy est
offert de Dieu. C'est que, pour se soulaiger et délivrer de scru-
pule, il se confesse particulièrement à son pasteur, et receoive
consolation de luy : veu que son office est de consoler, tant en
particulier comme en public, le peuple de Dieu par la doctrine de
35 l'Evangile. Toutesfois il fault tousjours tenir ce moyen, que les
consciences ne soient point lyées et reduictes soubz quelque
joug, quant ez choses que Dieu a laissées en liberté. On ne trouve
en l'Escriture aucune autre manière ne forme de confession que
celles quej'ay dictes.
320 CllAl-lTKE V.
Eux quoy? Hz ordonnent que tous, tant hommes que femmes,
incontinent qu'ilz seront parvenuz en eage de discrétion confessent
atout le moins une fois l'an, tous leurs péchez à leur propres curez.
Et que le péché n'est pas remiz, sinon à ceux qui ont ferme propoz
o desoy confesser. Lequel propoz s'il n'est accomply quand l'occa-
sion est présentée, il ne reste plus d'entrée en Paradis. Oultre
que le Prestre ha la puissance des clefz, pour lyer ou deslyer le
pécheur : d'autant que la paroUe de Christ ne peut estre vaine :
par laquelle il a dict, que ce qu'ilz auront lyé en Terre, sera lyé Mat. 16.
1(1 au Ciel etc. Or ilz se combattent entre eux de ceste puissance.
Les uns disent, qu'il n'y a qu'une clef essentielement : c'est à
scavoir la puissance de lyer et deslyer : que la science est bien
requise pour le bon usage : mais qu'elle n'est que comme un
accessoire, et non pas de l'essence. Les autres voyans que ceste
13 licence estoit trop desordonnée ont ennombré deux clefz discré-
tion, et puissance. Les autres voyans que par ceste modération,
la témérité des Prestres estoit refrénée, ont forgé nouvelles clefz :
c'est à scavoir autorité de discerner (de laquelle ilz usent en don-
nant sentences diffinitives) et puissance (de laquelle ilz usent en
20 exécutant leurs sentences) et ont adjoinct la science comme un
conseiller. Hz n'osent pas simplement interpréter, que lyer et des-
lyer soit remettre et elTacer les péchez : pourtant qu'ilz oyent le
Seigneur denonceant par son Prophète : Ce suis-je, ce suis-je lésa. 43.
moy, qui efface tesiniquitez, Israël. Ce suis-je, et n'y a autre que
25moy, Mais ilz diseat que c'est à faire au Prestre de prononcer
esquelz sont lyez oudeslyez et déclarer desquelz les péchez son,
retenuz ou remiz. Et que le Prestre faict ceste déclaration, ou et-
la confession, quand il absoult ou retient les péchez : ou par senn
tence, quand il excommunie ou absoult d'excommunication :
30 Finalement, voyans qu'ilz ne se peuvent encores despescher,
que tousjours on ne leur objecte, que ceux qui sont indignes
souventesfois sont lyez ou deslyez par leurs Prestres, lesquelz
pourtant ne sont pas lyez ne deslyez au Ciel. Pour leur dernier
refuge, ilz respondent qu'il fault prendre le don des clefz avec
35 certaine limitation, c'est, que Christ ayt promis, que la sen-
tence du Prestre justement prononcée, selon que requeroient les
mérites de celuy qu'il lye ou deslye, sera approuvée de luy
au Ciel. Oultreplus que ces clefz ont esté données par Christ
à tous les Prestres, lesquelles leur sont conférées des Eves-
DE l'EMTENCE. 321
quesen leur promotion : mais que l'usag-e en appartient seulement
à ceux qui sont en offices Ecclésiastiques. Et par ainsi que lesdictes
clefz demeurent tousjours aux excommuniez et suspenduz : mais
erouillées et empêtrées. Et ceux qui disent ces choses, pourroient
5 estre veuz sobres et modestes, au pris des autres, qui, sus une
nouvelle forge, ontfaict nouvelles clefz : soubz lesquelles ilz disent
que le Thresor de TEg-lise est enfermé : appellans le Thresor de
l'Eglise, les mérites de Jésus Christ, des Apostres, Martirs et
autres Sainctz. Et feignent que la principale garde de ce grenier,
io a esté commise à TEvesque de Rome : par devers lequel soit la
première dispensation de telz biens : tellement qu'il les puisse
eslargir par soy, et déléguer aux autres la jurisdiction de les eslar-
gir. Dont sont sorties les indulgences, lesquelles le Pape octroyé
aucunesfois plenieres, aucunesfois de certains ans : les Cardinaulx
15 de cent jours: les Evesques de quarante jours.
Je respondray briefvement k tous ces poinctz, laissant toutes-
fois pour le présent à dire par quel droit ou quelle injure ilz
assubjectissent à leurs loix les âmes des fidèles ; car cela sera
considéré en son lieu. Mais touchant ce qu'ilz imposent loy de
20 enombrer tous les péchez : et qu'ilz nyent que les péchez sovent
remiz, sinon que l'on ayt ferme propoz de soy confesser. Que
aussi ilz disent, l'entrée de Paradis estre fermée à ceux, qui ont
condamné l'occasion de soy confesser : cela ne se doibt nulle-
ment souffrir. Car comment entendent-ilz qu'on puisse enombrer
23 tous ses péchez; veu que David, lequel, comme j'estime, avoit
très bien prémédité la confession de ses péchez ; ne pouvoit néant- Psal. 19.
moins autre chose faire ; sinon cryer : Qui comprendra ses faultes? ^^
Seigneur purge moy de mes maux occultes. Et en un autre lieu :
Mes iniquitez ont outrepassé ma teste : et comme un pesant far-
sodeauont surmonté mes forces. Certainement il entendoit combien
estoit grande Tabysme de noz péchez : et combien d'espèces de
crimes il y a en l'homme : combien de testes porte ce monstre de
péché : et combien longue queue il tire après soy. Il ne se mettoit
point donc à en faire un récit entier : mais du profond de ses maulx
33 il crioit à Dieu: Je suis submergé, ensevely, suffoqué, les portes
d Enfer m'ont circu}' : que ta dextre me lire hors de ce puys,
auquel je suis noyé : et de ceste mort, en laquelle je deffaulx.
Qui sera maintenant celuy ; qui pensera tenir le compte de
ses péchez ; quand il voit David ne pouvoir trouver le nombre
Inslitiilion. 21
322 CHAPITKK V.
des siens ? Par ceste Géhenne ont esté cruellement tormentées les
consciences de ceux, qui estoient touchez de quelque sens de Dieu.
Premièrement ilz vouloient venir à compte et pour ce faire, ilz
disting^uoient les péchez en bras, branches, et feuilles, selon les
5 distinctions des Docteurs confessionnaires. Aprez ilz pesoient les
qualitez, quantitez, et circonstances. La chose leur procedoit au
commencement assez bien : mais quand ilz estoient entrez un peu
plus avant, ilz ne voyent plus que Ciel et Mer : sans trouver
quelque Port ne Station. Et d'autant plus qu'ilz venoient en avant,
10 d'autant plus le nombre croissoit : et comme haultes montaignes
s'eslevoient devant leurs yeulx, qui leur ostoient la veûe, et ne
apparoissoit aucune espérance d'en pouvoir à la fin sortir. Hz demeu-
roient donc en ceste angoisse : et ne trouvoient finalement autre
yssue que desespoir. Adonc ces bourreaux inhumains, pour guérir
15 les playes qu'ilz avoient faictes : ont apporté un remède : c'est à
scavoir que chascun fîst ce qu'il seroit en soy. Mais encore nou-
velles sollicitudes poignoient : ou plustost nouveaux tormens
escorchoient les povres âmes : quand ces pensées leur venoient au
devant: Je n'y ay pas assez mis de temps : Je n'y ay pas colloque
20 mon estude deuëment : J'ay obmis une partie par nonchaillance :
et Fobliance, qui provient de négligence, n'est pas excusable. Hz
adjoustoient d'autres remèdes, pour adoulcir ces maux. Faictz
Pénitence de ta négligence : si elle n'est trop grande, elle te sera
pardonnée. Mais toutes ces choses ne peuvent fermer la playe : et
25 ne sont pas tant remèdes pour adoulcir le mal, que venins arrou-
sez de miel : afin de n'otîenser point trop par leur rudesse le premier
goust : ains tromper et entrer aux parties cordiales, devant qu'estre
sentuz. Geste voix terrible donc presse tousjours, et-torne aux au-
reilles : Gonfesse tous tes péchez : et ne s'en peut l'horreur appaiser,
30 sinon par certaine consolation. Et ce qu'une grande partie du mon-
de a acquiescé à telz amyelemens, desquelz un venin si mortel estoit
adoulcy : Gela ne s'est pointfaict, pourtantque leshommes pensas-
sent Dieu estre satisfaict : ou qu'il se contentassent eux mesmes:
mais comme les Nautonniers fichans l'Ancre au milieu de la mer,
35 reposent du travail de leur navigation : ou, comme un pèlerin lassé
ou deffaillant, se sied au milieu de la voye, pour reposer : en telle
manière ilzprenoientcerepoz, combien qu'il ne leur fust suffisant.
Je ne mettray pas grand'peine à monstrer cela estre vray : chascun
s en peut estre tesmoing en soymesme : mais je diray en som-
m: PEMTE.NCE. 323
me, quelle a esté ceste loy. Premièrement elle est simplement
impossible, parquoy elle ne peut que perdre, damner, confondre,
jetter en ruvne et desespoir. D'avantage, ayant destourné les pé-
cheurs du vray sentiment de leurs péchez : elle les fait hypocrites,
o et i-norans de Dieu et d'eux mesmes. Car en s'occupans du tout
à l'ennombrement de leurs péchez : ce pendant ilz oublient le
secret abysme de vice qu'ilz ont au profond du cœur, leurs ini-
quitez intérieures et ordures cachées. Pour la congnoyssance
de quoy, principalement ilz a voient à reputer leur misère.
10 Aucontraire, ceste estoit la droitte reigle de confession : con-
fesser et recongnoistre un tel abysme de mal en nous, qui sur-
monte mesmes nostre sens. De laquelle forme nous vovons la Luc IS.
confession du Publicain estre composée. Seigneur, sois propice à
moy qui suis pécheur. Comme s'il disoit : Tout ce qui est en
•o moy, n'est autre chose que péché : tellement que ma pensée ne
ma langue n'en peut comprendre la grandeur. Que Fabvsme donc
de ta miséricorde engloutisse l'abysme de mes péchez. Quoy
donc ? dira icy quelqu'un. Ne fault-il pas confesser chascun pé-
ché ? N'y a il donc confession aggreable à Dieu ; sinon celle qui
20 est enclose en ces trois motz ? Je suis pécheur. Je respondz, que
plustost il nous fault estudier d'exposer, d'autant qu'il est en
nous, tout nostre cœur devant Dieu, et nompas seulement de
nous confesser pécheurs ; mais pour nous reputer véritablement
telz, de recongnoistre, de toute nostre cogitation, combien est
25 grande et diverse l'ordure de nos péchez : de nompas seule-
ment nous recongnoistre immundes : mais de reputer quelle
est, et en combien grande, et en combien de parties, nostre
immundicité : de nompas seulement nous recongnoistre deb-
teurs : mais reputer de combien de debtes nous sommes chargez
30 et oppressez : de nompas seulement nous recongnoistre blessez •
mais de combien et griefves et mortelles plaves nous sommes
navrez. Neantmoins quand un pécheur se sera descouvert à
Dieu en telle congnoyssance : encores fault-il qu'il pense
pour vray, et que en syncerité il juge, que beaucoup plus de
35 maulx luy restent, qu'il ne peut estimer : et que la profondité
de sa misère est telle, qu'il ne la scauroit bien esplucher
ne en trouver la fin. Et pourtant qu'il s'escrie avec Daxid- Psal 19
Qm entendra ses faultes ? Seigneur purge moy de mes maux
occultes.
224 CHAPITRE Y.
Oultre plus, en ce quilz afferment les péchez n'estre point re-
miz sinon soubz condition qu'on ayt certains propoz de se confes-
ser • et que la porte de Paradis est close à ceux qui en auront
obmiz ropportunité : Ja n'advienne que nous leur accordions ce
5 poinct Car la remission des péchez n'est pas mamtenant autre,
qu'elle a tousjours esté. Tous ceux que nous lisons avoir obtenu
de Christ la remission de leurs péchez, ne sont pas dictz s estre
confessez en l'aureille de quelque messire Jean. Et certes ilz ne se
pouvoient confesser : veu qu'il n'y avoit lors ne confesseurs ne
,0 confession mesmes : et encores longues annéez aprez,a este ceste
confession incongneûe, auquel temps, les péchez ont esté remiz
sans la condition qu'ilz requièrent. Mais à fin que nous ne dispu-
tions comme d'une chose doubteuse : la parolle de Dieu, laquelle
demeure éternellement, est manifeste. Toutes les fois que le pe-
i5cheur se repentira, je oublieray toutes ses iniquitez. Celuy qm E.ec
ose adjouster à ceste parolle, nelye pas les péchez, mais la misé-
ricorde de Dieu.
Ce n'est pas donc de merveille, si nous rejettons ceste con-
fession auriculaire, chose si pestilente, et en tant de manières
sopernitieuse à l'Eglise. Et mesmes, quand se seroit une chose
indiferente : toutesfois, veu qu'elle n'apporte aucun frmct ne
utilité • au contraire a esté cause de tant d'erreurs, sacrilèges et
impietez : qui sera celuy qui ne dise qu'elle doibt estre abolye?
Bien est vray quilz racomptent aucuns profitz, lesquelz ilz
25 disent en provenir, et les font valloir le plus qu'ilz peuvent :
mais ilz sont tous, ou controuvez, ou frivoles. Hz en ont un
en singulière recommendation par dessus les autres : c'est
à scavoir que la honte de celuy qui se confesse, est une gnefve
peine • par laquelle il est faict plus advisé pour le temps ad-
venir : et prévient la vengeance de Dieu en se punissant
soymesme : comme si nous ne confondions point l'homme d'une
assez grande honte, quand nous l'appelions à ce hault Siège
céleste, et au Jugement de Dieu : et comme si c'estoit beau-
coup proffité, quand, pour honte d'un homme, nous laissons de
pécher, n'ayantz honte aucune, d'avoir Dieu tesmoing de nostre
mauvaise conscience. Combien que leur dire mesmes soit tres-
faulx. Car on voit communément à l'œil, que les hommes ne
se acquièrent si grande hardiesse ne licence de mal faire,
d'autre chose : sinon quand, ayantz faict leur confession au Pres-
se venir
DR PEiNITENCE.
325
tre, ils estiment qu'ilz peuvent torcher leur bouche, et dire qu'ilz
n'ont rien faict. Et non seulement sont faictz plus hardiz à pé-
cher tout au lonfj^ de l'an : mais ne se soucyans de confession
pour le reste de l'année, ne souspirans point à Dieu, jamais ne
.i reviennent à se considérer en eux mesmes. Mais assemblent pé-
chez sus péchez, jusques à ce que, comme il leur est advis, ilz
les desg-orgent tous ensemble une fois. Or quand ilz les ont des-
gorgez ilz se pensent bien estre deschargez de leur fardeau, et
avoir osté le Jugement de Dieu : lequel ilz ont donné et transféré
10 au Prestre : et cuydent avoir faict, que Dieu ajt oublié ce qu'ilz
ont faict congnoistre au Prestre. D'avantage qui est celuy, qui de
bon courage voit approcher le jour de confesse? Qui est celuy qui
y va d'un franc cœur ? et non plustost ; comme si on le tiroit en
prison par le colet ; y vient maugré son cœur et par force ? (Fors
15 possible les Prestres qui se délectent joyeusement de racompter
leurs faictz les uns aux autres, comme de faire plaisans comptes).
Je ne souilleray beaucoup de papier à reciter les horribles abo-
minations, desquelles est pleine la confession auriculaire : seule-
ment je dictz : Si le Sainct homme Nectarius (duquel nous avons
20 cy dessus parlé) ne fist pas inconsidérément en ostant de son
Eglise ceste confession ou plustost l'abolissant de toute mémoire,
pour un seul bruit de paillardisse : nous sommes aujourd'huy assez
advertiz d'en faire autant, pour les infîniz maquerelages, paillar-
dises, adultères, et incestes qui en procèdent.
25 Maintenant il fault voir de la puissance des clefz, en laquel-
le les Confessionnaires colloquent toute la force de leur règne.
Les clefz donc (disent-ilz) auroient elles esté données sans cause ?
auroit-il, sans cause, esté dict : Tout ce que vous aurez deslyé
sur Terre ; sera deslyé au Ciel ? Rendons nous donc la pa-
3orolle de Christ frustratoire ? Je respondz, qu'il y a eu assez
grand cause, pourquoy les clefz furent données. Et fault noter
qu'il y a deux lieux où le Seigneur testifie, que ce que les siens
auront lyé ou deslyé en Terre, sera lyé et deslyé au Ciel. Les-
quelz lieux combien qu'ilz ayent divers sens, sont ineptement
35 confonduz par l'ignorance de ces pourceaux : comme ilz ont acous-
tumé de faire en toutes choses. L'un est en Sainct Jehan : où
Christ, envoyant ses Apostres prescher, souffle sur eux et dist : je/,a„ 20.
Recevez le Sainct Esprit : A quiconques vous pardonnerez les
péchez, il leur seront pardonnez : et de quiconques vous les
326 chapitrf: v.
retiendrez, ilz leurs seront retenuz. Les clefz du Royaume des
Cieux, qui avoient auparavant esté promises à Sainct Pierre, luy
sont maintenant livrées avec les autres Apostres : et ne luy avoit
rien esté promis, qu'il ne receoyve icy esg-allement avec tous les
5 autres. 11 luy avoit esté dict : Jeté donneray les clefz du Royaume
des Cieux. Il y est icy dict à eux tous, qu'ilz preschent l'Evan-
gile. : Ce qui est ouvrir la porte du Royaume céleste, à ceux qui
chercheront accez au Père par Christ : et la fermer et barrer à
ceux qui se destourneront de ceste voye. Il luy avoit esté dict :
10 tout ce que tu lyeras en Terre, sera lyé au Ciel : et tout ce que Malt. 16.
tu deslyeras, sera deslyé. Il leur est icy dict à tous en com-
mun : A ceux ausquelz vous aurez pardonné les péchez, ilz leur
seront pardonnez : et à ceux desqiielz vous les aurez retenuz,
ilz seront retenuz. Lyer donc, c'est retenir les péchez : deslyer,
15 c'est les pardonner . Et certainement, par la remission des péchez
les consciences sont délivrées de vrayes enferg-es : et d'autre part
par la rétention, sont estroictement enserrées.
J'ameneray une interprétation de ce passage non trop subtile
ne contreinte ou forcée : mais simple, vraye et convenante. Ce
20 mandement de remettre et retenir les péchez, et la promesse faicte
à Sainct Pierre de lyer et deslyer, ne se doivent rapporter à autre
fin, que au ministère de la parolle : Lequel nostre Seigneur ordon-
nant à ses Apostres, pareilement leur commettoit l'office de lyer
ou deslyer. Car, quelle est la somme de l'Evangile ; sinon,
25 que nous tous ; estans serfz de péché et de mort; sommes déli-
vrez et affranchiz par la rédemption qui est en Christ Jésus ?
Aucontraire que ceux qui ne recongnoissent et ne receoivent
Christ pour leur Libérateur et rédempteur, sont condamnez à
éternelle prison ? Nostre Seigneur baillant à ses Apostres ceste
30 ambassade à porter par toutes les nations de la Terre, pour
monstrer qu'elle estoit sienne, procédante et ordonnée de soy :
l'a honorée de ce noble tesmoignage. Et ce pour une singu-
lière consolation, tant des Apostres, que des auditeurs, aus-
quelz ceste ambassade devoit estre apportée. Il convenoit certes
33 que les Apostres eussent une grande et ferme asseurance
de leur prédication, laquelle ilz, avoient non seulement à en-
treprendre et exécuter avec infiniz labeurs, solicitudes, tra-
vaulx, et dangers ; mais finalement à signer et séeller de
leur propre sang. C'estoit donc raison qu'ilz eussent ceste
UE l'EMTENr.F.
327
certitude, qu'elle n'estoit pas vaine ne frivole : mais pleine de
vertu et puissance. Et estoit bien besoing qu'en telles eng-oisses,
diflîcultez et perilz, ilz feussent asseurez qu'ilz faisoient l'œuvre
de Dieu à tin que tout le monde leur contrevenant et résistant,
5 ilz eongneussent que Dieu estoit pour eux : et que n'ayantz point
lanj^ueur de leur doctrine, Christ présent à l'œil en terre, ilz en-
tendissent qu'il estoit au Ciel, pour confermer la vérité d'icelle.
D'autrepart il failloit qu'il fust trescertainement testifié aux au-
diteurs, que icelle doctrine n'estoit pas parolle des Apostres,
10 mais de Dieu mesme : et que ce n'estoit pas une voix née en
Terre : mais procédante du Ciel. Car ces choses ne peuvent estre
en la puissance de l'homme : c'est à scavoir la remission des
péchez, promesse de vie éternelle, message de salut. Christ donc
a testifié, qu'il n'y avoit en la prédication Evangelique, rien des
13 Apostres, sinon le ministère : que c'e.stoit-il, lequel par leurs
bouches, comme par instrumens, parloit et promettoit tout : que
la rémission des péchez laquelle ilz annonceoient, estoit vraye
promesse de Dieu : La damnation, laquelle ilz denonceoient,
estoit certain Jug-ement de Dieu. Or ceste testification a esté don-
20 née pour tous temps, et demeure encores ferme : pour nous rendre
tous certains et asseurez, que la parolle de l'Evangile, de qui
qu'elle soit preschée, est la propre sentence de Dieu, publiée en son
siège, escrite au livre de vie, passée, ratiffîée, et confermée au
Ciel. Ainsi nous entendons, que la puissance desclefz, est simple-
25 ment la prédication de l'Evangile; et mesmes n'est pas tant puis-
sance, que ministère : si nous avons esgard aux hommes. Car
Christ n'a pas donné proprement aux hommes ceste puissance :
mais à sa parolle, de laquelle il a faict les hommes ministres.
L'autre passage : lequel nous avons dict devoir estre prins
30 en autre sens, est escrit en Sainct Matthieu, où il est dict : Si
quelqu'un de tes frères ne veult escoiiter l'Eglise : qu'il te soit Malt. 18.
comme Gentil et profane. En vérité, en vérité je vous diz, que
tout ce que vous aurez lyé en Terre, sera lyé au Ciel : et ce que
vous aurez deslyé, sera deslyé. Toutesfois nous ne faisons pas
35 ces deux lieux tellement divers, qu'ilz n'ayent grande affinité
et similitude ensemble. Premièrement cela est semblable en
tous les deux : que l'une sentence et l'autre sont générales :
et la puissance de lyer et deslyer, est par tout une : c'est à
scavoir par la parolle de Dieu, un mesme mandement de lyer
328 CHAPITRE V.
et deslyer, une mesme promesse. Mais en cela ilz différent, que
le premier spécialement appartient à la prédication, à laquelle
sont ordonnez les ministres de la parolle : Le second s'entend
de la discipline des excommunications, laquelle est permise à
5 lEg-lise. Or l'Eg-lise lye celuy qu'elle excommunie : non pas
qu'elle le jette en ruyne et desespoir perpétuel : mais pourtant
qu'elle condamne sa vie et ses meurs, et desja l'advertit de sa
damnation, s'il ne retourne en lavoye. Elle deslye celuy qu'elle
receoit en sa communion : d'autant quelle le faict comme parti-
locipant de l'unité qu'elle ha en Jésus Christ. A fin donc que nul ne
contemne le Jugement de l'Eglise, et estime chose légère destre
condamné de la sentence des fidèles : nostre Seigneur testifie que
tel Jugement, n'est autre chose, que la publication de sa sentence :
et que tout ce qu'ilz auront faict en Terre, sera ratifïié au Ciel.
15 Car ilz ont la parolle de Dieu, par laquelle ilz condamnent les
mauvais et pervers : et ilz ont la mesme parolle pour recevoir en
grâce ceux qui retournent à amendement : et ne peuvent faillir
ne discorder du Jugement de Dieu : puis qu'ilz ne jugent que
par sa loy, laquelle n'est pas opinion incertaine ou terrienne,
20 mais sa saincte volunté, et Oracle céleste. D'avantage il appelle
l'Eglise, non aucuns tondus et rasez : Mais la compaignie du
peuple fidèle, congregée en son Nom. Et ne doibt en escouter
aucuns moqueurs, qui arguent en ceste forme. Comment pour-
roit on présenter quelque complaincte à l'Eglise laquelle est
23 esparse et espandue par tout le monde? Car Christ monstre assez
évidemment en ce qui s'ensuit qu il parle de toute congrégation
Chrestienne, selon que les Eglises se peuvent ordonner en chas-
cun lieu ou Province. Par tout (dit-il) où deux ou troys seront
assemblez en mon Nom, je seray là au milieu d'eux.
30 De ces deux passages, lesquelz il me semble que j'ay briefvement
et familièrement exposez : ces furieux, sans quelque discrétion, se-
lon leur phrenesie, s'efforcent d'approuver maintenant leur confes-
sion, maintenant leurs excommunications, maintenant leurs juris-
dictions, maintenant la puissance de imposer loix, maintenant
33 leurs indulgences. Mais que sera-ce si d'un seul Cousteau je couppe
la broche à toutes telles demandes nyant que leurs Prestres soient
Vicaires ne successeurs des Apostres? Toutesfois ce poinct sera
traicté en une autre lieu. Maintenant, de ce dont ilz se veu-
lent bien munir, ilz dressent une machine pour renverser tou-
DE PEMTENCK.
a 29
tes leurs forteresses. Car Christ n'ha pas ottroyé k ses Apostres
la puissance de lyer et souldre, devant que leur avoir eslargy le
Sainct Esprit. Je nye donc que la puissance des clefz conipete à
aucun, sinon à celuy qui a receu le Sainct Esprit. Et nye que
5 quelqu'un puisse user des clefz, sinon que le gouvernement et
conduicte du Sainct Esprit procède, et enseigne ce qu'il est de
faire. Hz se vantent d'avoir le Sainct Esprit : mais par leurs faictz
ilz le nyent : si ce n'est d'aventure quilz songent le Sainct Esprit
estre une chose vaine et de néant, comme ilz veulent faire à croire :
10 mais on ne leur adjoustera point de Foy. Par ceste machine ilz
sont du tout subvertiz. Car de quelque huys qu il se vantent avoir
la clef: nous avons tousjoursà les interroguer : à scavoir s'ilz ont
le Sainct Esprit, qui est directeur et modérateur des clefz ? S'ilz
respondent qu'ilz l'ont : il leur fault de rechef demander, si le
15 Sainct Esprit peut faillir? Ce qu'ilz n'oseront appertement con-
fesser : combien que par leur doctrine, couvertement ilz le
confessent. 11 fauldra donc conclure, que nulz Prestres n'ont la
puissance des clefz : lesquelz témérairement et sans discrétion
lyent ceux que nostre Seigneur vouloit estre délivrez: et deli-
:!o vrent ceux (ju il vouloit estre lyez. Quand ilz se voyent con-
vaincuz par expérience évidente, qu'ilz lyent et deslyent indife-
remment les dignes et indignes : ilz se attribuent la puissance
sans science. Et combien qu'ilz n'osent nyer que la science ne
soit requise à bon usage : toutesfois ilz enseignent (jue la puis-
25 sance est aussi bien baillée aux mauvais dispensateurs. Mais puis-
que ceste est la puissance: Ce que tu-auras lyé ou deslyé enterre,
sera lyé et deslyé ez cieulx : Il fault que la promesse de Jésus Christ
mente: ou que ceux qui sont constituez en ceste puissance lyent
et deslyent comme ilz doibvent. Et ne peuvent tergiverser, disans
30 que la promesse de Christ est limitée selon les mérites de celuy
qui est lié ou absoult. Nous certes aussi bien de nostre part,
confessons, que nul ne peut estre lié ou absoult : sinon celuy
qui en est digne. Mais les messagers de l'Evangile et l'Eglise,
ont la parolle pour mesurer ceste dignité. En icelle parolle
35 les messagers Évangeliques peuvent promettre à tous la re-
mission des péchez en Christ par Foy : et peuvent dénoncer
damnation à tous et sur tous ceux qui n'auront embrassé Christ.
En icellé parolle l'Eglise prononce , que tous scortateurs,
adultères, larrons, homicides, avaritieux, iniques, n'ont nulle
330 CHAPITRE V.
part au Royaume de Dieu : et les estreinct de tresfors lyens. En
icelle mesme parolle, elle deslie ceux, lesquelz, retournans à
pénitence elle console. Mais quelle sera ceste puissance : de ne
scavoir ce qui est à lyer ou deslier ; veu qu'on ne peut lyer ou
5 deslyer ; si on ne le scait ? Pourquoi donc disent-ilz ; qu'ilz
donnent absolution par authorité à eux octroyée, puis que la
solution est incertaine ? Dequoy sert ceste puissance imaginaire ;
de laquelle lusage est nul? Or j'ay desja obtenu, ou qu'il est du
tout nul : ou qu'il est tant incertain, qu'il doibt estre réputé
10 pour nul. Car puis qu'ilz confessent que la plus grande partie
des Prestres n'use pas droictement des clefz : D autrepart que la
puissance des clefz : sans l'usage légitime, est sans efficace, qui
me fera Foy ; celuy duquel je suis absoult estre bon dispensa-
teur des clefz ? Et s'il est mauvais ; qu'ha-il autre chose ; sinon
15 ceste frivole absolution ? Je ne scay ce qui est à lyer ou deslyer en
toy : veu que je n'ay nul usage des clefz, mais si tu le mérites,
je te absoulz. Et autant en pouroit, je ne diz pas un Layz, pour-
tant que cela les irriteroit trop fort : mais un Turc ou un Diable.
Car cela vault autant comme qui diroit : Je n'ay point la parolle
20 de Dieu, qui est la certaine reigle de lyer ou deslyer : mais 1 au-
thorité m'est donnée de te absouldre, si tu le mérites ainsi.
Nous voyons donc où ilz ont voulu tendre, quand ilz 'ont déter-
miné que les clefz estoient l'authorité de discerner, et puisrsance
d'exécuter : et que la science intervient comme un conseiller,
23 pour le bon usage : c'est à scavoir que intemperement et licen-
cieusement ilz ont voulu régner sans Dieu et sans sa parolle.
Touchant ce qu'ilz approprient leurs clefz à tant d'huys et de
serrures, pour les faire servir, maintenant à leurs Jurisdictions,
maintenant à leurs confessions, maintenant àleursdecretz, main-
30 tenant à leurs excommunications : je diray enbrief ce qui en est.
Au mandement que Christ donne à ses Disciples en l'Evangile Jehan 20.
S. Jean de remettre et retenir les péchez, il ne les fait point Lé-
gislateurs, Officiaulx, Dataires, ne Copistes, ne porteurs de Roga-
tons : mais, les ayant faictz ministres de sa parolle, il les honore
35 d'un singulier tesmoignage. En S. Matthieu, quand il ottroye à son
Eglise la puissance de lyer et deslyer : il ne commande point que de Mat. 16.
l'authorité de quelque révérend Myttré et cornu, soyent excom-
muniez et à chandelle esteincte et cloches sonnantes soyent aggra-
vez les povres gens, qui ne peuvent satisfaire leurs créditeurs : mais
DE PE.MTF.N(.r:.
331
il veut que par la discipline d'excommunication, la perversité
des mauvais soit corrigée : et ce par lauthorité de sa parolle, et
le ministre de son Eglise. Davantage ces enragez qui feignent les
clef[z] de l'Eglise estre la dispensation des mérites de Jésus Christ
5 et des Martyrz, laquelle le Pape distribue par ses bulles et indul-
gences : ont plus à faire de médecine pour purger leur cerveau,
que de raisons pour estre convaincuz : Et n'est pas grand mes-
tierde confuter diligemment les indulgences : lesquelles, esbrans-
lées par plusieurs assaulx, commencent d'elles mesmes à de-
10 cheoir et defîaillir. Certes ce qu'elles se sont si longuement
maintenues et conservées, mesmes en si grande licence et intem-
pérance : nous donne à congnoistre en quelles ténèbres et erreurs
les hommes ont esté enseveliz par quelques années. Hz se voient
appertement moquer et tromper du Pape et de ses porteurs de
ir. Rogatons. Hz voient marchandise estre faicte du salut de leurs
âmes : que lachapt de Paradis estoit taxé h certains deniers :
que rien ne se donnoit gratuitement : que soubz ceste couleur on
tiroit de leurs l)(»urces les oblations qui estoient après mescham-
ment despendues en paillardises, maquerelages, et gourmandises :
20 que les plus grandz recommandeurs d'indulgences, en estoient,
pour leur endroit, les plus grandz contempteurs : que ce monstre
de plus en plus croissoit tous les jours, et plus furieusement s'es-
levoit sans fin : qu'on apportoit de jour en jour plomb nouveau,
pour tirer nouvel argent : neantmoins ilz recevoient les indul-
25gencesen grand honneur, ilz les adoroient et achetoient. Et ceux
qui voyent plus cler que les autres, pensoyent encores que c'es-
toient fraudes salutaires : desquelles ilz pouvoient estre trompez
avec quelque fruict. En la fin, quand le monde [s]"est maintenant
permis d'estre un peu plus sage : les indulgences se refroidissent
30 et se gèlent, jusques à ce qu'elles s'esvanoyssent du tout. Mais
pourtant que plusieurs qui congnoissent les trafiques, trompe-
ries, larecins, rapacitez lesquelles ont exercé jusques icy les fac-
teurs et traffiqueurs des indulgences : ne voient point la source
de l'impiété qui y est : il est expédient de monstrer icy, non
35 seullement quelles sont les indulgences, comme ilz en usent :
mais du tout que c'est à les prendre en leur propre et meilleure
nature, sans quelque qualité du vice accidentai. Or, pour les
descrire au vray, nous disons que c'est une polution du sang
de Christ, et une faulseté du Diable, pour destourner le peuple
332 CHAPITRE V.
Chrestien de la grâce de Dieu, et de la vie qui est Christ : et
pour le desvojer du chemin de salut. Car comment povoit estre
le sang- de Christ plus villainement pollué et deshonoré, que en
nyant qu'il suflise à la remission des péchez, reconciliation ; et
5 satisfaction ; sinon que le deffault dicelluy soit supplié d'aultre
part? La Loy et tous les Prophètes (dit S. Pierre) portent tes- Act. 10.
moignage à Christ, que en luy doibt estre receuë la remission
des péchez. Les indulgences ottroyentla remission des péchez par
S. Pierre, S. Paul, et autres martirs. Le sang de Christ nous
10 purge des péchez, dit S. Jehan. Les indulgences font du sang l.Jehani.
des martirs ablution des péchez. Christ (dit S. Pauli, qui n'avoit 2. Cor. o.
congneu nul péché, a esté faict péché pour nous : c'est à dire satis-
faction de péché : à fin qu'en luy nous fussions faictz justice de
Dieu. Les indulgences colloquent la satisfaction de péché au sang
13 des martirs. S. Paul cryoit testifîant aux Corinthiens qu'un seul /. Cor. /.
Christ estoit cniciiîé et mort pour eux. Les indulgences deter- |
minent, S. Paul et les autres estre mortz pour nous. En un autre
passage il disoit, que Christ s'est acquis son Eglise par son sang.
Les indulgences mettent un autre pris de l'acquisition au sang
20 des martirs. Christ, dit l'Apostre, a éternellement parfaictz par HeL. 10.
uneoblation, ceux qu'il a sanctifiez. Les indulgences contredisent,
affirmantz que la sanctification de Christ, qui autrement ne suffî-
soit point, est parfaicte au sang des martirs. S. Jehan dit que tous
les Sainctz ont lavé leurs robbes au sang de l'Aigneau. Les indul-
25 gences nous enseignent de laver noz robbes au sang des Sainctz.
Certainement combien que toute leur doctrine soit cousue
et tissuë d'horribles blasphèmes et sacrilèges : toutesfois ce
blasphème est oultrageux par dessus tous les autres. Qu'ilz
recongnoissent si ce ne sont pas icy leurs conclusions ? que les
30 martirs, par leur mort, ont plus deservy de Dieu, qu'il n'estoit
besoing : et qu'ilz ont eu telle habondance de mérite, qu'il en
puisse redonder une partie aux autres : et pourtant à fin qu'un
tel bien ne soit vain et perdu, que leur sang est mis avec celuy
de Christ et que de tous ensemble est faict et accumulé le thre-
35Sor de l'Eglise, pour la remission et satisfaction des péchez : et
qu il faut ainsi prendre ce que dit Sainct Paul : Je supplie, en Colos. /.
mon corps, ce qui deffault aux passions de Christ, pour son corps,
qui est l'Eglise. Qu'est cela autre chose, sinon laisser le nom
à Christ, au reste le faire un petit Sainct vulgaire ; qui se
DE PENITENCE. 333
puisse à grand'peine congnoistre, en l;i multitude des autres ?
Mais il convenoit qu'il fust luv seul presché, demonstré, nommé,
regardé, quand il est question d'obtenir la remission des péchez,
purgation, et satisfaction. Considérons toutesfois leurs argu-
smentz. A fin (Disent-ilz) que le sang des martirs n'ayt pas esté
inutilement espandii, qu'il soit communiqué au bien commun de
l'Eglise. Comment? N'a-ce pas esté assez grande utilité, d'avoir
glorifié Dieu par leur mort? d'avoir signé sa vérité par leur
sang? d'avoir testifié par le contemnement de ceste présente vie;
10 qu'ilz en cherchoient une meilleure ? D'avoir, par leur constance ;
confirmé la Foy de l'Eglise ; et estonné l'obstination des enne-
mvz? Mais certes c'est ce que je vois dire. Hz ne recongnoissent
nul proffit, si Christ seul est Propiciateur, s'il est luy seul mort
pour noz. péchez, s'il a esté seul offert pour nostre rédemption. Or
15 combien malicieusement corrumpent-ilz le lieu de Sainct Paul ; où
il a dict, qu'il supplioit en son corps ce qui delfailloit des passions jehander-
de Christ? Car il ne rapporte point ce dellault ne ce supplyement k '"^'■•
la vertu de la rédemption, purgation, ou satisfaction : mais aux
afflictions, desquelles il convient que les membres de Christ, c'est
2oàscavoir les fidèles, soient exercitez, tant qu'ilz seront en ceste
chair. Il dit donc cela rester aux passions de Christ : qu'en ayant
une foissouifert en soymesme, il souffre tous les jours en ses mem-
bres. Car Christ nous faict tant d'honneur, qu'il estime et appelle
noz afflictions, siennes. Et ce que Sainct Paul adjouste qu'il
2.) souffroit pour l'Eglise : il n'entend pas pour la rédemption, re-
conciliation, ou satisfaction de l'Eglise: mais pour l'édification
ou accroissement d'icelle : comme il dit en un autre passage,
qu'il soustient tout pour les esleuz ; à fin qu'ilz parvienent
au salut qui est en Christ Jésus : Et comme il escrit aux Corin-
30 thiens, que pour leur consolation et salut il enduroit voluntiers
les tribulations qu'il portoit. Mais n'estimons pas que Sainct 2. Tim.2.
Paul ayt pensé quelque chose deffaillir aux passions de Christ, 2. Cor. L
en tant qu'il appartient à tout accomplissement de Justice ,
salut, et vie : ou qu'il y ayt voulu adjouster quelque chose :
35 veu que tant clairement et magnifiquement il tesmoigne ,
que la plénitude de grâce, par Christ, a esté espandue en
telle largesse, qu'elle a amplement surmonté toute abondance
de péché. Par icelle seulle tous les Sainctz ont esté sauvez :
non par le mérite de leur vie, ou leur mort, comme Sainct
834 CHAPITRE V.
Pierre en rend évident tesmoig-nage : Tellement que celuj fait Ac/. /o.
injure à Dieu et k son Christ, qui constitue la dignité de quelque
Sainet, autre part, qu en la miséricorde de Dieu. Mais pourquoy
m'arresté-je icy tant long-uement ; comme en une chose doub-
oteuse; puis que seulement, descouvrir telz monstres ; c'est les
vaincre ? Finalement, encores que nous dissimulions telles abo-
minations, qui est ce qui a enseing^né le Pape de enclorre la
grâce de Jésus Christ en plomb et parchemin : laquelle le Seigneur
a voulu estre distribuée par la parolle de TEvangile ? Certes il
10 fault, ou que la parolle de Dieu soit mensongère : ou que les indul-
gences soyent mensongères. Car Christ nous est offert en l'Plvan-
gileavec toute l'aftluence des biens célestes, avec tous ses mérites,
toute sa Justice, sapience et grâce, sans exception aucune. Sainet
Paul en est tesmoing quand il dit que la parolle de reconciliation
11 a esté mise en la bouche des Ministres : à fin qu'ilz portassent
ceste ambassade au monde de par Christ ; nous vous prions de vous
reconcilier à Dieu : car il a faict sacrifice pour le péché, celuy 2. Cor. 3.
qui n'estoit point pécheur : à fin qu'en luv nous eussions justice.
Aucontraire les indulgences tirent de l'armoire du Pape la grâce
20 de Christ en certaine mesure, et l'affichent à plomb, parchemin,
et certain lieu, la divisant de la parolle de Dieu.
Hz donnent à la satisfaction le troysieme lieu en pénitence,
de laquelle tout ce qu'ilz babillent se peut par un mot ren-
verser. Hz disent qu'il ne suffist point au pénitent de s'abs-
25 tenir des maulx passez, et de amender en mieux sa vie, s'il
ne satisfaict à Dieu de ce qu'il a commiz. Or ilz mettent beau-
coup de moyens pour racheter les péchez : c'est à scavoir les
larmes, jeusnes, oblations, aumosnes, et autres œuvres de cha-
rité. Par lesquelz ilz disent que nous devons appaiser Dieu, payer
30 ce qui est deu à sa justice, recompenser noz faultes, et acqué-
rir pardon. Car combien que nostre Seigneur par la libéralité
de sa miséricorde nous ayt remiz la coulpe : toutesfois que
par la discipline de sa Justice il retient la peine. Neantmoins
tout revient à ceste somme, que par la clémence de Dieu nous
35 obtenons pardon de noz péchez, mais que cela ce faict moyen-
nant le mérite de noz œuvres, lesquelles sont pour recompense
des faultes commises : à fin que la justice de Dieu soit satis-
faicte, laquelle il fault racheter par satisfactions. A telz men-
songes je oppose la remission des péchez gratuite, laqvielle
DE PEMTKNCE.
33?î
est si clerenient exposée en TEscriture, que rien plus. Première- lésa. 52.
ment qu'est-ce que remission : sinon un don de pure libéralité ? Q^i^g' 2.
Car un Créditeur n'est pas dict remettre : qui par sa quitance, TU. 3.
confesse le payement luy avoir esté faict : mais celuy qui, sans rien
5 recevoir, liberallement et franchement quite la debte. Pourquoy
d'avantage est-il adjousté gratuitement en l'Escriture ; sinon pour
oster toute phantasie de satisfaction ? De quelle hardiesse donc
erigent-ilz encores leurs satisfactions; lesquelles sont si puissaiii-
ment fouldroyées ? Et quoy? quand le Seigneur crie par lesaie :
10 Ce suis-je, Ce suis-je qui efface tes iniquitez^ pour l'amour de moy : Esn. 43.
et ne me souviendray plus de tes péchez : ne denonce-il pas ouver-
tement; que la cause et fondement de ceste remission, vient de sa
seule bonté : Oultreplus puis que toute l'Escriture porte tesmoi-
gnage à Jésus Christ, qu'il fault par son Nom recevoir remission ^l<''- l^^-
li des péchez : ne exclud elle pas tous autres noms? Comment donc
enseignent-ilz de la recevoir par le nom des satisfactions ? Et ne
fault pas qu'ilz disent, que, combien que les satisfactions en soyent
moyens : neantmoins ce n'est pas en leur nom, mais au Nom
de Jésus Christ. Car en ce que l'Escriture dit par le Nom de
20 Christ : elle entend que nous n'y apportons rien et n'y préten-
dons rien du nostre : mais que nous y venons pour l'amour
d'un seul Christ : comme Sainct Paul dit, que Dieu se recon-
cilioit le monde en son filz, pour l'amour de luy : ne imputant
point les péchez aux hommes.
25 Je crains que selon leur perversité ilz ne répliquent, que
la reconciliation et remission est une fois faicte : quand nous
sommes par Christ receuz en grâce au Baptesme : mais que si
après le Baptesme nous recheons, qu'il nous fault relever par
satisfactions : et qu'en cela le sang de Christ ne nous proffite
30 de rien, sinon d'autant qu'il nous est administré par les clefz
de l'Eglise. Mais qu'est-ce que je diz que je le crains; veu qu'ilz
déclarent apertement leur impieté en cest endroit; et non seu-
lement un ou deux d'entre eux ; mais toutes leurs Escoles? Car
leur maistre après avoir confessé, selon le dire de Sainct Pierre, 2. Pie. 3.
35 que Christ a payé en la croix la debte de noz péchez : par une
exception incontinent corrige ceste sentence : A scavoir, que au
Baptesme toutes les peines temporelles des péchez ne sont relas- 2. Cor. 5.
chées mais après le Baptesme sont diminuées par le moyen de
pénitence : tellement que à ce faire la croix du Christ, et nostre
330 CHAPITRE V.
Pénitence coopèrent ensemble. Mais Sainct Jehan parle bien /. 7e/i. 2.
antrement. Si quelqu'un, dit-il, a péché : nous avons un Advocat
envers le Père, Jésus Christ: et iceluy est propiciation pour noz
péchez. Item, je vous ecritz petiz enfans. pource que par son Nom
5 vous sont remiz les péchez. Certes il parle aux fidèles, ausquelz
quand il propose Jésus Christ pour propiciation des péchez, il
monstre qu'il n'v a autre satisfaction par laquelle Toffence à ren-
contre de Dieu puisse estre appaisée. Il ne dit pas. Dieu, vous a
esté une fois reconcilié par Christ : maintenant cerchez d'autres
10 moyens de vous reconcilier. Mais il le faict perpétuel Advocat :
lequel par son intercession nous remet tous] ours à la grâce du
Père : et une perpétuelle propiciation, par laquelle les péchez
sont continuellement purgez. Car ce que disoit Sainct Jehan
Baptiste est vraj pour tousjours : Voic}^ l'Agneau de Dieu, voicy Jehan I.
15 celuv qui oste les péchez du monde. C'est luv, dy-je, qui les oste ,
non autre : c'est à dire, puisqu'il est seul l'Agneau de Dieu : il
est aussi seul oblation pour les péchez, purgation, et satisfaction.
Il v a icv deux choses à considérer. Premièrement que
l'honneur, qui appartient à Christ, luy soit gardé en son
20 entier. Secondement que les consciences, asseurées du pardon
de leurs péchez, ayent repoz avec Dieu. lesaïe dit que le Père a lesaip o3.
miz en son filz les iniquitez de nous tous : à lin que par sa plaie i.Pier. 2.
fussions gueriz. Ce que Sainct Pierre répétant en autres motz Roma. S.
dit : Que Christ a soustenu en son corps sur le boys tous noz
25 péchez. Sainct Paul enseigne que le péché a esté condamné en
sa chair : quand il a esté faict péché pour nous : c'est à dire,
que toute la force et malédiction de péché a esté occise en sa chair :
quand il a esté donné pour nous en sacrifice, sur lequel tout
le fardeau des péchez, avec sa malédiction et exécration, avec
30 le Jugement de Dieu, et damnation de mortj fust jette. Icy on
n'oyt point ces fal)les et mensonges, que depuis le Baptesme
nul de nous n est participant de la vertu de la mort de Christ,
sinon entant qu'il satisfaict par pénitence de ses péchez. Mais
l'Escriture nous rappelle, toutesfois et quantes que nous avons
35 péché, à la satisfaction unique de Christ. Que leur maudicte doc-
trine soit considérée : à scavoir que la grâce de Dieu besongne
seule en la première remission : s'il nous advient après
de cheoir, que noz œuvres coopèrent pour obtenir pardon : Si
cela avoit lieu : comment pourroient convenir à Christ les tes-
DE PENITENCE. 337
moic^naiJi'es que nous avons recitez ? Combien jurande différence
y a il ; de dire, que noz iniquitez ayent esté mises en Christ ;
pour estre purg^ées en luy ; et qu'elles soient nettoiées par noz
iKUvres ? Que Christ soit propiciation pour noz péchez ; et qu'il
5 faille appaiser Dieu par noz œuvres? Or s'il est question de don-
ner repoz à la conscience : quelle tranquillité luy sera-ce ; d'en-
tendre qu'il faille rachepter les péchez par satisfaction ? Quand
sera-ce qu'elle sera asseurée de l'accomplissement de sa satisfac-
tion? Elle doubtera donc toujours si elle ha Dieu propice : et sera
10 en torment et horreur perpétuel. Car ceux qui se contentent de
satisfactions leg-ieres, mesprisenttrop la justice de Dieu: et nerepu-
tent pas assez, combien est griefvc la faulte de péché : comme nous
avons dict en un autre passage. Et encores que nous leur accordis-
sions, que quelques péchez se peussent rachepter, toutesfois que
ts feroient-ilz ; estans chargez de tant ; à la satisfaction desquelz
cent vies, k ne faire autre chose, ne pourroyent suffire ?
Hz prennent icy un refuge d'une frivole distinction : C'est à
scavoir, (jue des péchez les uns sont mortelz, les autres venielz.
Que aux premiers il gist une grande satisfaction : que les secondz
20 se peuvent purger par remèdes faciles, comme par l'oraison
Dominicale, en prenant de l'eaûe benicte, et par l'absolution de
la Messe. En ceste manière ilz se jouent et se moquent de Dieu.
Mais combien qu'ilz ayent sans cesse en la bouche les noms
de péché mortel et véniel : ils n'ont encores sceu toutesfois discer-
2ï ner l'un de l'autre : sinon que do l'impiété et souilleure du cœur
humain iqui est le plus horrible péché devant Dieu) ilz font un Rom. 6.
péché véniel. Nous au contraire, comme l'Escriture (qui est rei^-le
du bien et du mal) nous enseigne : prononceons, que le lover de
péché est mort : et que l'ame qui aura péché, est digne de mort.
30 Au reste, que les péchez des fidèles sont venielz, non Ezec. 18.
pas qu'ilz ne méritent la mort : mais d'autant que par la
miséricorde de Dieu, il n'y a nulle condemnation sur ceux
qui sont en Christ Jésus : d'autant que leurs péchez ne Bum. 5.
leur sont imputez : mais sont effacez par grâce. Je scay com-
»3 bien ilz calumnient ceste doctrine : disans que c'est le Paradoxe
des Stoïques, qui faisoient tous les péchez pareilz. Mais ilz
seront aysement convaincuz par leur bouche mesme. Car je
demande, si entre les péchez, qu'ilz confessent estre mortelz
ilz n'en recongnoissent pas un plus grand que l'autre ? Une s'en-
Instilution. .,.^
338 CHAPITRE V.
suyt pas donc que les péchez soient pareilz pourtant s'ilz sont
pareillement mortelz. Or puis que l'Escriture détermine, que la
mort est le loyer de péché : et comme Tobeyssance de la Loy est
la voye de vie, aussi que la transg-ression est mort : ilz ne peuvent
ôeschapper ceste sentence. Quelle yssue donc trouveront-ilz ; de
satisfaire en telle multitude de péchez ? satisfaction d'un péché se
peut faire en un jour: cependant qu'ilz seront à la faire ilz en
commettront plusieurs : veu qu'il ne se passe jour, que le juste ne
pèche plusieurs fois. Et quand ilz vouldront satisfaire pour plu-
10 sieurs, ilz en commettront encores davantaige : jusques à venir à
un abysme sans fin. Je parle encore des plus justes. Voylà la
tiance de satisfaire, desja oslée. Qu'est ce qu'ilz songent ou at-
tendent? comment osent-ilz penser encores de satisfaire?
Hz s'efforcent de se despestrer ; mais ilz n'en peuvent venir à
la bout. Hz se forgent une distinction de peine et coulpe : et con-
fessent, que la coulpe se remet par la miséricorde de Dieu : mais
la coulpe remise, ilz disent, que la peine reste : laquelle la
justice de Dieu requiert estre payée : et pourtant, que les satis-
factions appartiennent à la remission de la peine. Quelle leg-iereté
20 est ce là? Hz font maintenant la remission de coulpe gratuite :
laquelle ilz commandent en autre lieu de mériter par prières,
larmes, et autres préparations. Mais encores tout ce qui nous est
enseigné en l'Escriture combat directement contre ceste distinc-
tion. Laquelle chose, combien que je pense avoir esté tresbien
2o prouvée cy dessus toutesfois je produyray encores quelques tes-
moignages : lesquelz, comme j'espère, estreindront tellement ces
serpens, qu ilz ne pourront pas seulement plj'er le bout de la Jere. 31 .
queue. Ainsi que dit Jeremie, ceste est l'alliance nouvelle, que
Dieu a faicte avec nous en son Christ : qu'il ne se souviendra plus
30 de noz iniquités. Nous apprendrons de l'autre Prophète ce qui est
entendu par cela, où le Seigneur dit. Si le juste desvoye de sa. Ezec. 18.
justice : il ne me souviendra plus de toute sa justice. Si le
pécheur se retire de son iniquité : il ne me souviendra plus
de toutes ses faultes. En ce qu'il dit, qu'il ne se souviendra plus
35 de la justice : il veut donner à congnoistre qu'il n'aura nul lésa. 38.
esgard k la justice, pour la rémunérer. Aucontraire donc ne se
point souvenir des péchez : c'est n'en prendre point punition.
Ce qui est dict en un autre lieu les jetter derrière le doz , Mich. 7.
les effacer comme une nuée, les jetter au profond de la Psa/. .32.
DE PENITENCE. 339
Mer, ne les imputer point, et les avoir cachez. Par telles formes
de parler le Sainct Esprit nous avoit assez clairement expli-
qué son sens : si nous nous rendions dociles k l'escouter.
Certes si Dieu punit les péchez, il les impute : s'il en faict ven-
o geance, il s'en souvient : s'il les appelle en jugement, il ne les
tient point cachez : s'il les examine, il ne les met point derrière
le doz : s'il les reg-arde, il ne les a point effacez comme une
nuée : s'il les met en avant, il ne les a point jettez au fond de lesaie i .
la Mer. Or oyons en un autre lieu du Prophète, en quelle condi-
10 tion le Seigneur remet les péchez. Si voz péchez (dit-il) estoient
comme pourpre, ilz seront blanchiz comme neige ; s'ilz sont
rouges comme un verms, ilz seront faictz comme laine. Et en
Jeremie il est dict comme il s'ensuyt : En ce jour là on cher- Jere. 69.
chera l'iniquité de Jacob : et elle ne sera point trouvée. Car de
15 faict elle sera nulle : d'autant que je prendray à mercy les
reliques que je garderay. Si nous voulons briefvement scavoir
quel est le sens de ces parolles : considérons au contraire que
signifient ces locutions, quand le Seigneur dict, qu'il lye les Job 14.
iniquitez en un sac, qu'il les plye en un faisseau, et les engrave Osée 23.
2odedens de l'aymant du pinceau de fer. Certes si cela est à dire
que le Seigneur en fera la punition (dont il n'y a nul doubte)
aussi me faut-il doubter que les premières sentences ne promettent,
que Dieu ne punira point les faultes qu'il remettra. Il me fault
icy adjurer les lecteurs, non pas d'escouter à mes gloses : mais
2o de donner quelque lieu à la parollede Dieu. Qu'est-ce que Christ 2.Pier. i.
nous auroit apporté : si la peine estoit tousjours requise pour
noz péchez ? Car quand nous disons qu'il a porté en son corps
tous noz péchez sur le boys : nous n'entendons autre chose,
sinon qu'il a receu toute la peine et vengeance qui estoit deuë lesaieoS.
30 à noz péchez. Ce que lesaïe a exprimé plus au vif, quand il
a dict, que le chastiement, ou la correction de nostre paix
avoit esté sur luy. Et qu'est-ce la correction de nostre paix ;
sinon la punition deue à noz péchez ? et laquelle nous devions
porter ; devant que peussions estre reconciliez à Dieu ; si
35 Christ ne s'en fust acquité pour nous ? Nous voyons icy évi-
demment, que Christ a souffert les peines des péchez, pour
en délivrer les siens. Et quand Sainct Paul faict mention de la
rédemption par luy faicte, il appelle comunement en grec apo-
LYTROSis : qui ne signifie pas simplement rédemption, com-
340 CHAPITRE V.
me le vulgaire l'entend : mais le pris et satisfaction, que nous Rom. 3.
apellons ranceon en françois. Pour laquelle cause il dit en quelque /. Cor. 1
lieu, que Christ s'est faict ranceon pour nous : c'est à dire, qu'il Ephe. I.
s'est constitué pleige en nostre lieu à lin de nous délivrer plei- Colos. /.
snement de toutes les debtes de noz péchez. Mais sur tout, nous /. Tim.2.
avons un ferme argument : en ce qu'il est ordonné en la Loy
Mosaïque de la manière d'expier, c'est à dire, purgez les péchez.
Carie Seigneur n'enseigne pas là, plusieurs faceons de satisfaire :
mais constitue pour toute recompense, les sacrifices seulement.
10 Combien qu'il montre diligemment par ordre tous les sacri-
fices qu'il failloit faire, selon la diversité de péchez. Que veut
donc dire cela : qu'il ne commande point au pécheur de satis-
faire par bonnes oeuvres et mérites ; à fin d'obtenir pardon ;
mais pour toute expiation ; requiert qu'il sacrifie : sinon, qu'en
13 cela faisant, il veut testifier qu'il n'y a qu'un genre de satisfac-
tion ; par lequel sa justice est appaisée ? Car les sacrifices, que
immoloyent pour lors les Israélites, n'estoient pas estimez comme
œuvre d'homme : mais prenoient leur estime de leur vérité : c'est
à dire du sacrifice unique de Christ. Touchant la recompense
20 que receoit Dieu de nous, le Prophète Osée la élégamment
notée en un mot, disant : Seigneur tu aboliras toutes noz iniqui- Osée li.
tez. Voylà la remission des péchez : et nous te rendrons sacri-
fices de noz lèvres. Voylà la satisfaction, qui nest que action
de grâces.
2o Mais pourtant que, de leur part, ilz s'arment aussi des tes-
moignages de lEscriture : voyons quelz sont les argumentz qu'ilz
nous objectent. David, disent-ilz, reprins de son adultère et 2. Roy. 12.
homicide par le Prophète Nathan, receoit pardon de son
péché : et neantmoins depuis il est puny par la mort de son
30 filz qu il avoit engendré de adultère. Nous sommes aussi ensei-
gnez de rachapter par satisfactions telles peines et punitions
que nous aurions à endurer après la remission de noz péchez.
Car Daniel exhortoit Nabuchadnezer de rachepter ses péchez Dan. i.
par aulmosnes.Et Salomon escrit, que les iniquitez sont remises Pfover .
35 à l'homme, à cause de sa justice et pieté. Item, que la multitude Prover.
des péchez est couverte par charité : laquelle sentence est '^•
aussi confermée de Sainct Pierre. Et en Sainct Luc nostre /. Pie. 4.
Seigneur dit, de la femme pécheresse, que plusieurs péchez ^'"^ '•
luy avoient esté remiz, pourtant qu'elle avoit aymé beaucoup.
DE PENITENCE.
341
Comment ilz considèrent tousjours perversement les œuvres de
Dieu ? Au contraire s'ilz eussent bien noté ce qui ne se doibt
point mespriser, qu'il y a deux manières de Jugement de Dieu :
ilz eussent bien apperceu autre chose en ceste correction de
5 David, que vengeance, ou punition de péché. Or pource qu'il
nous est fort expédient d'entendre à quelle fin tendent les chasti-
mens, que Dieu nous envoyé, pour corriger noz péchez : et com-
bien ilz dillerent des punitions lesquelles il envoyé sur les
reprouvez : ce ne sera pas chose superflue, comme je pense, d'en
10 toucher briefvement ce qui en est. Nous signifierons donc en
gênerai toutes punitions par le mot de jugement : duquel nous
ferons deux espèces : et appellerons l'une jugement de ven-
geance, l'autre jugement de correction. Par le jugement de
vengeance, le Seigneur punit tellement ses ennemys, qu'il
13 demonstre son ire à l'encontre d'eux, pour les perdre, destruire,
et rédiger à néant. Pourtant la vengeance de Dieu est, quand
la punition qu'il envoyé, est conjoincte avec son ire. Parle juge-
ment de correction il ne punit pas tellement qu'il soit cou-
roucé : et ne chastie point pour perdre ou confondre. Pourtant il
20 ne se doibt point, à parler proprement, nommer vengeance :
mais admonition et remonstrance. L'un appartient k un juge :
l'autre à un père. Car le juge, en punissant un malfaicteur, punit
sa faulte et maléfice. Un père, en corrigeant son filz, ne tend point à
ce but de faire vengeance de sa faulte : mais plustost taschede l'en-
25 seigner, et le rend plus advisé pour le futur. Chrysostome use de
ceste similitude un peu autrement: toutesfois il revient à un poinct.
Le filz est battu, dit-il, comme le serviteur : mais le serviteur, en
ce faisant est puny à cause qu'il a péché recevant ce qu'il a mérité.
Le filz est chastié de discipline amyable. Pourtant le chastiement
30 est faict au filz, pour l'amender et le réduire en bonne voye : le
serviteur receoit , ce qu'il a desservy, pource que le maistre est
indigné contre luy. Mais pour plus facilement entendre le tout, il
nous fault faire deux distinctions. La première est, que par tout où
la punition tend à vengeance : là se declaire l'ire et la malédiction
3,5 de Dieu, laquelle il n'adresse jamais sur ses fidèles. Auçontraire, job o.
correction, est bénédiction de Dieu, et lesmoignage de son amour, Prover.
comme dit l'Escriture. Ceste difl'erence est souventesfois notée. Hebr. 12.
Car tout ce que les iniques endurent d'afflictions en ce monde,
leur est comme un portail et entrée d'Enfer : dont ilz aperceoivent
342 CHAPITRE V.
comme de loing, leur damnation éternelle. Et tant s'en fault qu'ilz
sen amendent ou en receoivent aucun fruict : que plustost par cela,
nostre Seigneur les appreste à receveoir l'horrible peine qui leur
doibt advenir finalement. Aucontraire le Seigneur chastie ses ser- Psal.ilS.
5 viteurs : mais ce n'est point pour les livrera mort. Parquoy, estans Psal. U9.
battuz de ses verges, ilz recongnoissent que cela leur tourne k
bien pour les instruire. A ceste cause comme nous voyons que les
fidèles ont tousjours patiemment et d'un couraige paisible receu
telz chastiementz : aussi ilz ont eu tousjours en horreur telles
10 punitions, où l'ire de Dieu leur fust demonstrée. Ghastye moy Sei- Jere. 10.
gneur (dit Jeremie) mais pour mon amendement et non pas en ton
ire, de peur que je ne soiz accablé, et espandz ta fureur sur les
peuples qui ne te congnoyssent point et sur les Royaumes qui Psal. 6. et
n'invoquent point ton Nom. Item, David : Seigneur ne m'argue ^*'
15 point en ta fureur, et ne me reprens point en ton ire.
Et ne contrevient point à cela, qu'il est souvent dict que le
Seigneur se courouce à ses serviteurs, quand il les punit et chastie
de leurs faultes. Gomme en lesaie, Je te loiieray Seigneur: car tu /esa. 12.
as esté courouce contre moy : mais ta fureur s'est convertie, et m'as
20 consolé, Item, en Habacuh : Quand tu auras esté courouce il te Ilaba. 3.
souviendra de miséricorde. Car par mesme raison il est dict qu'il
prophane son héritage : lequel, comme nous scavons. il ne pro-
phanera jamais. Cela donc ne se réfère point à la volunté de Dieu, lésa. 42.
ou à son conseil, qu'il ha, en chastiant les siens : mais k la douleur ^' •
25 véhémente, dont sont touchez tous ceux ausquelz il monstre quelque
rigueur ou sévérité. Or est-il ainsi que non seulement il poinct
aucunefois ses serviteurs de petiz aiguillons ; mais il les navre
tellement au vif qu'il leur semble bien advis qu'ilz ne sont point
loing des Enfers. En quoy faisant, il les advertit qu'ilz ont mérité
30 son ire : mais ce pendant il leur certifie plus amplement sa clé-
mence que sa rigueur. Car l'alliance qu'il a une fois faicte avec Jé-
sus Christ et ses membres, demeure comme il a promis, que ja- Psal. 89.
mais elle ne pourroitestre cassée. Sises enfans, dit-il, délaissent ma
Lo}', et ne cheminent point en ma justice : s'ilz transgressent mes
35 commandemens et ne gardent point mes ordonnances ; je visiteray
leurs iniquitez avec verges, et leurs péchez avec discipline : neant-
moins je ne retireray point ma miséricorde. Et de faict. pour nous
rendre plus certains de cela, il dit que les verges dont il nousfrap- /. Jeanl .
pera, seront vergesd'homme. Parlequel mot, en signifiant qu'il nous
DE PENITENCE.
343
traictera doulcement et en bénignité, il demonstre que ceux qu'il
veut frapper de sa main , ne peuvent sinon estre du tout con-
fuz et esperduz. Geste doulceur qu'il tient envers son peuple,
est pareillement demonstrée par le Prophète. Je t'ay (dit-il) lesa.iS
0 purgé par feu : mais non pas comme l'argent : car tu eusses
esté du tout consumé : c'est à dire, combien que les tribulations
qu'il envoyé à son peuple, soient pour le péché de ses vices :
neantmoins qu'il les modère à ce qu'elles ne le raclent oultre
mesure.
10 L'autre distinction est, que quand les meschans sont battuz de
tleaux de Dieu en ce monde, ilz commencent desja à endurer la
rigueur de son Jugement. Et combien qu'il ne leur sera point par-
donné de n'avoir point faict leur proffît de telz advertissemens de
lire de Dieu : toutesfois ilz ne sont point puniz pour leur amende-
15 ment : mais seulement à fin de leur donner k congnoistre qu'ilz ont
un juge, lequel ne les laissera point eschapper, qu'il ne leur rende
selon leurs mérites . Aucontraire, les fidèles sont battuz non point
pour satisfaire à l'ire de Dieu, ou payer ce qui est deu à son Juge-
ment, mais à fin de proffiter à repentance et se reduyre en bonne
2ovoye. Parquoy nous voyons que telz chastiemens se rapportent
plustost au futur, que au passé. J'ayme mieux exprimer cela par
les parolles de Chrysostome que par les miennes. Le Seigneur,
dit-il, nous punit de noz faultes, non point pour prendre quelque
recompense de noz péchez : mais en nous advisant pour le futur.
25 Selon ceste différence, quand il despouilloit Saiil de son Royaume,
il le punissoit à vengeance : mais en ostant à David son enfant, il le
corrigeoit pour l'amender. Il fault en ceste sorte prendre ce que
dit Sainct Paul : que quand le Seigneur nous afflige, il nous corrige, i.Cor.i I.
à tin de ne nous point condamner avec ce monde. C'est à dire, que
30 les afflictions, qu'il nous envoyé ne sont point punitions pour nous
confondre : mais chastiemens pour nous instruire. En quoy Sainct
Augustin accorde tresbien aussi avec nous, quand il dit : qu'il nous
fault diversement considérer les chastiemens dont nostre Seigneur
visite tant ses esleux que les reprouvez. Car aux premiers, dit-il, ilz
35 sont exercices après avoir obtenu grâce, auxsecondz, ilz sont con-
demnatioo sans grâce. Puis après il réfère les exemples de David :
et des autres, disant que nostre Seigneur en les chastiant, n'a eu
autre fin, que de les exerciter en humilité. Et ne fault point de ce
que dit lesaïe, à scavoir que l'iniquité a esté remise au peuple lesa. 40.
344 CHAPITRK V.
Judaïque, d'autant qu'il avoit receu de la main du Seigneur pleine
correction : que nous inferions : que la remission de nez péchez
dépend des chastiemens que nous en recevons. Mais cela signifie
autant, que si Dieu eust dict : Je vous ay assez puny et affligé :
5 en telle sorte que vostre cœur est du tout oppressé de tristesse et
angoisse : il est donc temps qu'en recevant le message de miséri-
corde, voz cœurs soient remiz en lyesse. I.Pier. I.
11 est nécessaire que les fidèles se mimissent deceste cogitation,
en l'amertume de leurs afflictions. Le temps est, que le Jugement
10 commence à la maison du Seigneur : en laquelle son Nom a esté
invoqué. Que feroient les fidèles, s'ilz estimoyent que la tribula-
tion, quilz endurent; fust une vengeance de Dieu sur eux? Car
celuv qui estant frappé de la main de Dieu le repute envers soy
comme un juge punissant : il ne le peut concevoir autre que cou-
15 roucé et contraire à soy. Et ne peut sinon détester la verge de
Dieu, comme malédiction et damnation. En somme, celluy qui
pensera Dieu avoir telle volunté envers soy. qu'il veuille encores
punir, ne se pourra jamais persuader qu'il soit aymé de luy. Or I.Pier. /.
nous ne pouvons proffiter en sa discipline, sinon qu'en pensant
2ù qu'il est indigné à noz vices , nous l'estimions propice envers
nous, et nous portant affection d'amoiu*. Et n'y a point de diffé-
rence, sila peine est éternelle ou temporelle. Car tant les guerres,
famines, pestilences et maladies, sont malédictions de Dieu : que
le Jugement mesme de la mort éternelle : quand nostre Seigneur
Soles envoyé à ceste fin, pour en user comme d'instrumentz de son
ire et vengeance sur les iniques .
Chascun voit, comme je pense, à quelle lin tend ceste correc-
tion de Dieu sur David : c'est pour luy estre un enseignement,
comment homicide et adultère desplaisent griefvement à Dieu :
30 contre lesquelz il declaire un tel couroux : pour luy estre un ad"
vertissement de ne oser commettre au temps advenir, un tel
faict : non pas pour estre une punition, par laquelle il fist quelque
recompense à Dieu de sa faulte. Il fault pareillement estimer
de l'autre correction, par laquelle Dieu affligea le peuple Ju-
Sridaïque d'une terrible pestilence, par la desobeyssance de David
laquelle il avoit commise en faisant faire la monstre du peuple. /. Sam.
Car il pardonna la faulte du delict à David : mais pour-
tant qu'il appartenoit, tant à l'exemple de tous les eages,
que à l'humiliation de David, qu'un tel faict ne demeu-
DE PENITENCE, 34?)
rast pas impuny : nostre Seigneur le chastia asprement de sa
ver*i^e. A ce mesme but tend la malédiction universelle, que nos-
tre Sei<i^neur a dénoncée à tout le genre humain. Car quand, après Gène. 3.
avoir obtenu grâce, nous portons encores les misères, lesquelles
5 furent imposées à nostre père Adam pour sa trangression, par cela
nostre Seigneur nous admoneste, combien ce luy est une chose
fort desplaisante, que la transgression de sa Loy : à ce, que estans
humiliez et abbatuz par la recongnoissance de nostre povreté,
nous aspirions d'un plus ardant désir k la A'raye béatitude. Et si
10 quelqu'un vouloit dire, que toutes les calamitez que nous endu-
rons en ceste vie mortelle sont recompenses envers Dieu pour
noz faultes : à bon droit on Testimeroit despourveu d'entende-
ment. C'est ce qu'a voulu dire Sainct Chrysostome, comme il. me
semble, en escrivant comme il s'ensuyt. Si la cause pourquoy
«T Dieu nous chastie est à fin que nous n'espérions point en mal
faisant, ou demeurions endurciz, quand il nous a reduictz à jie-
nitence, la punition n'ha plus de lieu. Pourtant selon qu'il con-
gnoist estre convenable à la nature d'un chascun, il traicte
les uns plus asprement, et les autres en plus grande doulceur,
2oToutesfois pource qu'il n'y a celuy de nous qui ne desvoye, et
que nous avons tous besoing de chastiement : ce bon Père
aymant nostre proflit, nous visite tous, sans exception par ses
verges. Or c'est merveille comment ilz s'arrestent ainsi au
seul exemple de David : et né s'esmeuvent de tant d'exemples,
25 lesquelz nous demonstrent la remission des péchez gratuite.
On list que le Publicain est descendu du Temple justifié : Luc S. et
nulle peine ne s'ensuyt. Sainct Pierre a obtenu pardon de son *"■•
péché : Nous lisons ses larmes (dict Sainct Ambroise) de satis-
faction, nous n'en lisons point. Il fut dict au Paralitique :
30 Lieve toy : tes péchez te sont remis : et ne luy fust im- Malt. 9.
posée nulle peine. Toutes les absolutions, desquelles est faicte
mention en l'Escriture, nous sont descrites gratuites. De ceste
multitude d'exemples se debvoit plustost prendre la reigle, que
de cestuy-là seul qui contient je ne scay quoy de spécial.
35 Daniel en son exhortation, par laquelle il conseilloit k Dnn . 4.
Nabuchadnezer de rachepter ses péchez par justice, et ses
iniquitez par pitié des povres, n'a pas voulu entendre que
justice et miséricorde fussent propitiation de Dieu, et rédemp-
tion des peines. Car il n'y a jamais eu autre ranceon que le
346 CHAPITRE V.
sang de Christ. Mais en parlant de rachepter. il le rapporte aux
hommes plustost qu'à Dieu : comme s'il eusl dict, 0 Roy, tu as
exercé une domination injuste et oultrageuse : tu as opprimé les
foibles, pillé les povres, mal et iniquement traicté ton peuple.
a Pour les injustes rapines, oppressions, et violences que tu leur
as faictes, rendz leur maintenant miséricorde et justice.
Pareillement Salomon, quand il dit que la multitude des péchez
est couverte par charité : il n'entend pas envers Dieu, mais Pro. 10.
entre les hommes. Car la sentence entière est comme il s'ensuyt,
lohavne esmeut contentions : mais charité couvre toutes iniquitez.
Enquoy Salomon, selon sa manière acoustumée, par comparai-
son des contraires compare les maulx qui s'engendrent de haynes,
avec les fruictz de charité: et est le sens tel. Ceux qui s'entre-
hayssentse mordent reprennent et injurient l'un l'autre, tournent
13 tout à vice et reproche. Ceux qui s'entreayment dissimulent entre
eux, tolèrent et pardonnent beaucoup de choses non pas que l'un
approuve les vices de l'autre : mais, pourtant qu'il les endure, et
y remédie plustost par advertissemens, qu'il ne les irrite par
accusations. Et ne fault doubter que ce lieu n'ayt esté allégué en
20 mesme sens de Sainct Pierre : si nous ne luy voulons imputer
qu'il ayt corrompu et mal tiré l'escriture. Quand Salomon dit, I.Pie.4.
que par miséricorde et benefîcence les péchez nous sont remiz : Pro. 16,
il n'entend point qu'ilz soyent recompensez devant Dieu : à ce
que luy, estant satisfaict et contenté, nous remette les peines,
2a qu'il nous eust autrement envoyées. Mais, selon la manière com-
mune de l'Escriture, signifie que tous ceux le trouveront pro-
pice, qui delaissans leur vie mauvaise, se convertiront à luy en
saincteté et bonnes œuvres. Comme s'ildisoit, que l'ire de Dieu
cesse, et est appaisée, quand nous cessons de mal faire. De la-
30 quelle locution il a esté traicté autrepart.
Touchant du lieu de Sainct Luc, ceux qui auront leu de sain Luc 7 .
jugement la parabole qui est là proposée de nostre Seigneur,
ilz ne nous en feront nul combat. Le Pharisien pensoit en
soymesme, que la femme pécheresse n'estoit point congnue
Sade nostre Seigneur : puis qu il avoit si facilement advisé à
soy. Car il estimoit qu'il ne l'eust jamais receûe s'il l'eust con-
gnue pécheresse comme elle estoit. Et de cela il inferoit qu'il
n'estoit pas Prophète puis qu'il se pouvoit ainsi abuser. Nostre
Seigneur, pour monstrer qu'elle n'estoit pas plus pécheresse
DE PENITENCE. 347
depuis que ses péchez luy avoient esté remiz : luy proposa ceste
similitude. Un usurier avoit deux debteurs : dont l'un luy debvoit
cinquante francs, l'autre cinq cens. Il remist la debte à tous deux :
lequel luy debvoit scavoir plus de gré? Le Pharisien respond.
5 Celuy certes auquel la plus «grande a esté quictée. Nostre Seigneur
réplique. Décela considère, que beaucoup de péchez ont esté remiz
à ceste femme : veu qu'elle a beaucoup aymé. Par lesquelles
parolles comme on voyt clairement, il ne fait pas la dilection
dicelle femme, cause de la remission de ses péchez : mais proba-
lotion seulement. Car elles sont prinses de la similitude du debteur,
auquel avoient esté quictez cinq cens francz . Or il ne dit pas qu'ilz
luy eussent esté quictez. pource qu'il eust bien aymé : mais il dit
qu'il doibt bien aymer, pour tant qu'ilz luy ont esté quictez. Et
fault appliquer celles parolles à la similitude en ceste manière.
15 Tu estimes ceste femme icy pécheresse : mais tu la debvois recon-
gnoistre pour autre, puis que ses péchez luy ont esté par-
donnez. Or la remission de ses péchez te debvoit estre manifestée
par sa dilection : de laquelle elle rend grâces pour le bien qui luy
a esté faict. Et est un argument qu'on appelle Des choses sub-
20 sequentes : par lequel nous demonstrons quelque chose, par les
signes qui s'en ensuyvent. Finalement nostre Seigneur testifie
évidemment, par quel moyen la dicte pécheresse obtinst pardon
de son péché. Ta foy (dit-il) t'a sauvée. Nous impetrons donc par
foy remission, et par charité nous rendons grâces et recongnois-
25 sons la libéralité de nostre Seigneur.
Je ne m estonne pas fort des sentences qu'on voit aux livres
des Anciens, touchant la satisfaction. Pour dire vray, je voy
que aucuns deux, et quasi tous ceux desquelz les œuvres sont
parvenues à nostre congnoissance. ou ont failly en cest
30 endroit : ou bien ont parlé trop durement. Mais je n'accorderay
pas que encores ilz ayent esté si rudes et ignorans, qu'ilz ayent
escrit ce qu'ilz en ont dict en tel sens, que le prennent ces nou-
veaux satisfactionaires. Chi'ysostome en quelque passage parle
en ceste manière. Quand on demande miséricorde : c'est à
35 fin de n'estre examiné de son péché : à fin de n'estre point traicté
selon la rigueur de justice : à fin que toute punition cesse. Car
où il y a miséricorde : il n'y a plus de géhenne, n'examen, ne
rigueur, ne peine. Lesquelles parolles, en quelque sorte qu'on
les veuille caviller : jamais ne se pourront accorder avec la doc-
348 CHAPITRE V.
trine des Scholastiques. D'avantage au livre qui est intitulé, De-
dogmatibus ecclesiasticis. qu'on attribue à S' Augustin, il est dict
:au chapitre cinquante quatriesme : La satisfaction de pénitence,
est d'ester les cause de péché, et ne s'adonner point aux sugges-
5 tions dicelle. Dont il appert qu'en ce temps là, ceste opinion a esté
rejettée: de dire qu'il fault par satisfaction, recompenser les faul tes
passées. Car toute satisfaction est là rapportée à se donner garde
pour 1 advenir, et s'abstenir de mal faire. Je ne veulx point allé-
guer ce que dit Chrysostome : Que le Seigneur ne requiert autre
10 chose de nous, sinon que nous confessions devant luy noz faultes
avec larmes : veu que telles sentences sont souvent répétées par
les Anciens. Sainct Augustin appelle bien en quelque lieu, les
œuvres de miséricorde envers les povres, remèdes pour obtenir
pardon envers Dieu. Mais à tin que personne ne s'empesche ou
15 s'enveloppe, il explique en un autre lieu plus amplement sa sen-
tence. La chair de Christ, dit-il, est le vray et unique Sacrifice
pour les péchez, non seulement pour ceux qui nous sont remiz au
Baptesrae : mais qui nous adviennent après par l'infirmité de la
chair: pour lesquelz l'Eglise prie journellement, remetz nous
20 noz debtes. Et de faict elles sont remises par ce Sacrifice unique.
Or le plus souvent ilz ont appelle Satisfaction, nompas une re-
compense qui fust rendue à Dieu : mais une protestation publi-
que, par laquelle ceux qui avoient esté corrigez d'excommuni-
cation, quand ilz venoient à rentrer à la communion de l'Eglise,
25 rendoyent à la compagnie des fidèles un tesmoignage de leur
pénitence. Car on leur ordonnoit certains jeusnes et autres
choses, par lesquelz ilz donnassent à congnoistre, que vérita-
blement et de cœur ilz se repentoient de leur vie passée : ou plus-
tost par lesquelles ilz effaceassent la mémoire de leur mauvaise
30 vie. Par ainsi ilz estoient dictz satisfaire : nompas à Dieu, mais
à l'Eglise. De ceste coustume ancienne sont descendues les con-
fessions et satisfactions, qui sont aujourd'huy en usage : qui ont
vravement esté une lignée serpentine : laquelle a tellement suf-
foqué tout ce qui estoit bon en icelle forme ancienne, que mesme
33 Tumbre n'en est point demeurée. Je scay bien que les Anciens
parlent aucunesfois assez cruement : et comme j'ay n'a gueres
dict : je ne veux pas nyer qu'ilz n'ayent par avanture aucune-
ment failly : mais leurs livres qui estoient seulement entaschez
de petites tasches, sont du tout souillez, quand ilz sont maniez
DE PENITENCE. 349
pur ces porceaux. Et s'il est question de combattre par Tautho-
rité des Anciens quelz Anciens nous mettent-ilz en avant? La
plus grand part des sentences, desquelles Pierre Lombard leur
capitaine a remply son livre, a esté prinse de je ne scay quelles
5 resveries de folz Moynes, qui sont divulguées soubz le nom de
Sainct Ambroise, Hyerome, Augustin, et Chrysostome. Comme
en ceste présente matière, il emprunte quasi tout ce qu'il dit d'un
livre intitulé de pénitence : lequel, estant cousu confuseement par
quelque ignorant de bons et de mauvais autheurs, est attribué à
10 Sainct Augustin. Mais il est tel,, qu'un homme moyennement
docte ne le daigneroit recongnoistre pour sien.
Maintenant pareillement qu ilz ne nous rompent plus la teste de
leur purgatoire : lequel est par ceste coignée couppé, abbatu, et
renversé jusques à la racine. Car jen'appreuve point l'opinion d'au-
iicuns, qui pensent qu on doibve dissimviler ce point, et se garder
de faire mention du purgatoire : dont grandes noyses, comme ilz
disent, sesmeuvent, et peu d édification en vient. Certes je serois
bien aussi d'advis, qu'on laissast telz fatras derrière : s'ilz ne
tiroient grande conséquence après eux. Mais veu que le purgatoire
20 est construict de plusieurs blasphèmes, et est de jour en jour
appuyé encores de plus grandz, et suscite de grandz scandales : il
n'est pas mestier de dissimuler. Cela possible se pouvoit dissimu-
ler pour un temps, qu il a esté sans la parolle de Dieu, par folle
et audacieuse témérité, inventé qu'il a esté receu par révélations
23 je ne scay quelles forgées de l'astuce de Sathan : que, pour le con-
firmer, on a meschamment corrumpu aucuns lieux de l'Escriture.
Combien que notre Seigneur ne repute point une faulte legiere,
que l'humaine audace entre ainsi témérairement au secretz de
ses jugemens : et a rigoureusement defl'endu de demander la
30 vérité aux mors, en contemnant sa voix : et ne permet pas que
sa parolle soit si irreveremment traictée. Donnons neantmoins
que toutes ces choses se puissent tollerer pour quelque temps
comme si elles estoient de petite importance. Mais quand la
purgation des péchez se cerche ailîieurs qu'en Christ : quand la
3ï satisfaction est transférée autre part, qu'à luy : il est dangereux
de se taire. Il fault donc cryer à haulte voix, que purgatoire est
une fiction pernicieuse de Sathan : laquelle faict un opprob[r]e
trop grand à la miséricorde de Dieu : anéantit la croix de
Christ : dissipe et subvertit nostre foy. Car qu'est-ce que leur
3o0 CHAPITRE V.
est purgatoire, sinon une peine que souffrent les âmes des tres-
passez : en satisfaction de leur péchez ? Tellement que si on oste
la phantasie de satisfaire : leur purgatoire s'en va bas. Or si de
ce que nous avons par cy devant disputé, il est faict plus que
5 manifeste, que le sang de Christ est une seule purgation, obla-
tion et satisfaction pour les péchez des fidèles : que reste-il plus
sinon que le purgatoire soit un pur et horrible blasphesme contre
Jésus Christ ? Je passe beaucoup de mensonges et sacrilèges,
desquelz il est tous les jours soustenu et deffendu : les scandales
10 qu'il engendre en la Religion : et autres maulx innumerables,
qui sont sortiz de ceste source d'impiété.
Toutesfois il est besoing de leur arracher des mains les tesmoi-
gnages de l'Escriture, que faulsement ilz ont coustume de pre- Mat t. ei
tendre. Quand le Seigneur disent-ilz, prononce, que lepeché contre ^ "'
15 le Sainct Esprit ne sera remiz n'en ce monde n'en l'autre : il de- Marc 3.
note que aucuns péchez seront remiz en l'autre monde. Pour res-
ponse je demande : s'il n'est pas évident, que le Seigneur parle
là de la coulpe de péché ? Si ainsi est : cela ne sert de rien h leur
purgatoire : car ilz disent, qu'on y receoit la punition des péchez,
20 dont la coulpe a esté remise en ceste vie mortelle. Neantmoins à
tin de leur fermer du tout la bouche: je leur bailleray encore
solution plus clere. Pource que le Seigneur vouloit oster toute
espérance de pouvoir obtenir pardon d'un crime tant exécrable :
il n'a pas esté content de dire qu'il ne seroit jamais remiz : mais
23 pour plus amplifier, il a usé de ceste division : mettant d'une part
le jugement que la conscience d'un chascun sent en la vie pré-
sente : et d'autre part le jugement dernier, qui sera publié au jour
de la résurrection. Comme s'il disoit. Gardez vous de combatre
contre Dieu d'une malice destinée : car une telle rébellion em-
30 porte la mort éternelle. Car quiconque se sera efforcé de propoz
délibéré d'esteindre la lumière de l'Esprit à luy présentée, n'ob-
tiendra pardon, ne en ceste vie, laquelle est assignée aux pécheurs
pour se convertir : ne au dernier jour, auquel les Anges de Dieu
sépareront les aigneaux des boucz et purgeront le Royaume de
33 Dieu de tout scandale. Hz ameinent aussi ceste parabole de
Sainct Matthieu. Accorde avec ta partie adverse : à fin qu'il Matt . 3
ne t'ameine devant le juge, et le juge ne te livre au sergent,
et le sergent ne te mette en prison dont tu ne puisses après
sortir, devant qu'avoir payé jusques à la dernière maille. Je
DE PENITENCE. 351
respondz que si juge signifie Dieu en ce passage : la partie ad-
verse signifie le Diable : le sergent un Ange : la prison Purga-
toire : je leur donne gaigné. Mais si c'est une chose notoire, que
Christ a voulu la monstrer, à combien de dangiers s'exposent
5 ceux qui ayment mieux poursuyvre leurs querelles et procès
jusques au dernier bout, que de transiger amiablement : à
fin de nous inciter, par cet advertissement, à demander tous-
jours concorde avec tout le monde : où est-ce que sera là
trouvé purgatoire ? Brief que le passage soit regardé, et prins
10 en sa simple intelligence : et il n'y sera rien trouvé de ce qu ilz
prétendent.
Hz prennent aussi une probation de ce que dit Sainct Paul. Phili. 2.
Que tout genoil se lleschira devant Christ : tant de ceux qui
sont au Ciel, comme en Terre, et aux Enfers. Car ilz prennent
15 cela pour résolu : que par ceux d'Enfer on ne peut entendre
ceux qui sont en la mort éternelle : pourtant il reste que ce
soient les âmes de purgatoire. Ce ne seroit point mal argué à
eux si par le mot d'agenouillement, l'Apostre signifioit la vraye
adoration que rendent les fidèles à Dieu. Mais veu que sim-
20 plement il enseigne, que Jésus Christ a receu la seigneurie sou-
veraine du Père sur toutes créatures : Quel mal y a il ; que par
ceux d'Enfer ; nous entendions les Diables, lesquelz certes com-
paroistront au Throsne du Seigneur ; pour recongnoistre leur
juge avec terreur et tremblement? comme Sainct Paul mesme Rom. 13.
25 expose en un autre lieu ceste Prophétie. Nous viendrons tous
(dit-il) au Throsne de Christ. Car le Seigneur dit que tout
genoil fleschira devant luy etc. Hz répliqueront, qu'on ne peut
ainsi exposer ce qui est en l'Apocalypse. J'ai ouy toutes créa-
tures, tant célestes que terrestres, et qui sontsoubz terre et en la Apoc. 3.
30 Mer, disans : Louange, honneur et gloire, et puissance au siècle
des siècles à celuy qui est assiz au Throsne et à l'Aigneau. Cela
je leur concède voluntiers. Mais de quelles créatures pensent-ilz
qu'il soit icy parlé ; que ceux qui n'ont ame ne intelligence y
sont comprinses ? Pourtant il n'est autre chose signifié sijion
35 que toutes les parties du monde, depuis le comble du Ciel jus-
ques au centre de la Terre : chascun en son endroit magnifient
la gloire de leur créateur. Je ne donneray nulle responce à ce
qu'ilz produisent de l'histoire des Machabées à fin qu'il ne semble
que je veuille advouer ce livre là pour canonique.
352 CHAPITRE Y.
Mais ilz ont une forteresse invincible en S. Paul quand il dit : /. Cor. 3.
Si quelqu'un en édifiant, met sur ce fondement or ou arg-ent, ou
pierres précieuses, ou boys, ou foin, ou chaume : l'œuvre d un
chascun sera manifestée par le jour du Seigneur : d'autant qu'il
5 sera révélé, en feu : et le feu discernera quelle sera l'œuvre d'un
chascun : Si l'œuvre de quelqu'un brusle, il en fera perte : quant
à luy. il sera saulvé toutesfois par le feu. De quel feu parle
(disent-ilz) Sainct Paul ; sinon de purgatoire ; par lequel noz
macules sont lavées ; à fin que nous entrions purs au Royaume
iode Dieu? Je respons que plusieurs mesmes des Anciens l'ont
autrement exposé : prenantz le nom de feu, pour croix et tribu-
lation : par laquelle le Seigneur examine les siens pour les purger
de toutes leurs ordures. Et de faict cela est beaucoup plus vray-
semblable, que d'imaginer un purgatoire. Combien que je ne
loreceois ceste opinion : pource qu'il me semble advis que j'en ay
une plus certaine et plus claire. Premièrement nous voyons que
l'Apostre a usé de métaphore, ou similitude, en appelant les doc-
trines forgées au cerveau des hommes, foin, et boys et chaume.
La raison aussi de ceste similitude est évidente, à scavoir, que
20 comme le boys, incontinent qu'on l'approche du feu, est consu-
mé : ainsi telles doctrines humaines ne pourront consister nulle-
ment quand elles viendront en examen. Or c'est chose notoire,
que cest examen se faict par le Sainct Esprit. A fin donc de pour-
suvvre ceste similitude, et approprier une partie à l'autre : il a
2ï appelle l'examen du Sainct Esprit, feu. Car tout ainsi que l'or et
l'argent, d'autant plus qu'on les approche du feu, sont plus cer-
tainement esprouvez. à ce qu'on puisse congnoistre leur pureté :
en telle sorte la vérité de Dieu, d'autant qu'elle est plus dili-
gemment considérée par examen spirituel est par cela mieux
3oconfermée en son authorité. Gomme boys, chaume et foin,
quand on les met au feu, sont incontinent esprins pour estre
rédigez en cendre : ainsi toutes inventions humaines, qui ne
sont establies à la paroUe de Dieu, ne peuvent porter l'exa-
men de l'Esprit, quelles ne soient destruictes et anéanties. En
33 somme, si les doctrines controuvées sont à comparager au boys,
au chaume et au foin d'autant que comme boys, chaume et foin
elles sont bruslées par le feu et reduictes à néant : et qu'il
soit ainsi qu'elles ne sont destruictes et dissipées sinon par
l'Esprit de Dieu : il s'ensuyt donc que l'Esprit est le feu, par le-
r)È PENITENCE. 3o3
. ([uel elles sont esprouvées. Ceste espreuve est nommée de Sainct
Paul, Jour du Seigneur : selon l'usaji^e de rEscriture : laquelle
parle ainsi toutesfois et quantes que le Sei^rneur, en quelque
manière que ce soit, manifeste aux hommes sa présence. Or
0 principalement sa face nous reluist, cjuand sa vérité nous est
esclarcie. Nous avons desja jirouvé que le feu ne signifie autre
chose en Sainct Paul, que l'examen du Sainct Esprit. Maintenant
il reste d'entendre comment seront saulvez, par ce feu, ceux qui
feront la perte de leur ouvrage. Ce qui ne sera point difficile : si
10 nous considérons de quel genre d'honnnes il parle là. Car il faict
mention de ceux qui en voulant édifier l'Eglise, retiennent le bon
fondement: mais y adjoustent matière diverse, et laquelle ne res-
pond point: c'est à dire, qu'ilz ne se détournent point des prin-
cipaulx et nécessaires articles de la Foy : Xeantmoins en d'aucunes
15 choses s'abusent, en meslant les songes humains parmy la vérité
de Dieu. Il fault donc que telle manière de gens facent la perte
de leur ouvrage : c'est à dire, que ce qu'ilz ont adjousté du leur
parmy la parolle de Dieu, périsse et soit miz soubz le pied. Ce
pendant leur personne sera saulvée : c'est à dire, non point
20 que leur erreur et ignorance soit approuvée de Dieu,
mais que nostre Seigneur par la grâce de son Es-
prit, les en retire et délivre. Parquoy tous
ceux qui ont contaminé la sacrée pure-
té des Escritures par ceste fiente et
25 ordure de purgatoire, il fault
qu'ilz laissent périr leur
ouvrage .
Insliliition. 53
DE LA JUSTIFICATION
DE LA FOY ET DES MERITES DES ŒUVRES.
CHAP. VI.
Il me semble advis que j'ay assez dilig-emment exposé cy
dessus, comment il ne reste qu'un seul refug'e de salut aux
hommes, à scavoir en la Foj : puis que par la Loy ils sont tous
mauldictz. 11 me semble aussi que j'ay suffisamment traicté,
5 que c'est que Foy : et quelles grâces de Dieu elle communique
à l'homme, et quelz fruictz elle produit en luy. Or la somme
a esté, que nous recevons et possédons, par Foy, Jésus
Christ, comme il nous est présenté par la bonté de Dieu, et
qu'en participant à luy, nous en avons double grâce. La
10 première est, que estans par son innocence reconciliez à
Dieu, au lieu d'avoir un juge au ciel pour nous condamner,
nous y avons un père tresclement. La seconde est, que nous
sommes sanctifiez par son Esprit, pour méditer saincteté
et innocence de vie. Or quant à la régénération, qui est la
13 seconde grâce, il en a esté dit selon qu'il me sembloit estre
expédient. La justification a esté plus legierement touchée :
pource qu'il estoit mestier d'entendre, premièrement combien la
Foy n'est point oysive, et sans bonnes œuvres : combien que par
icelle nous obtenions justice gratuite en la miséricorde de Dieu :
20 aussi d'entendre quelles sont les bonnes œuvres des Sainctz,
esquelles gist une partie de la question que nous avons à traic-
ter. Il fault donc maintenant considérer plus au long ce poinct
de la justification de Foy : et tellement considérer, qu'il nous sou-
vienne bien, que c'est le principal article de la religion Chres-
23 tienne : à fin qu'un chascun mette plus grand peine et diligence
à en scavoir la resolution. Car comme nous n'avons nul
fondement pour establir nostre salut, si nous ne scavons
quelle est la volunté de Dieu envers nous : aussi nous n'avons
nul fondement pour nous édifier en pieté et crainte de Dieu.
DE LA JUSTIFICATION. 355
Mais la nécessité de bien entendre ceste matière apparoistra
niyeulx de l'intelligence d'icelle. Or de peur de chopper dez le
premier pas (ce qui adviendroit si nous entrions en dispute d'une
chose incertaine) il nous fault premièrement expliquer, que signi-
5 lient ces locutions, estre justifié devant Dieu, et estre justifié
par Foy, ou par les œuvres. Celuj est dict estre justifié devant
Dieu, qui est réputé juste devant le jugement de Dieu et est
aggreable pour sa justice. Car comme l'iniquité est abominable à
Dieu : aussi le pécheur ne peut trouver grâce devant sa face. Pour-
10 tant où le péché est, là se declaire l'ire et la vengeance de Dieu.
Celuy donc est justifié, qui n'est point estimé comme pécheur,
mais comme juste : et à ceste cause peut consister au Throsne judi-
cial de Dieu, auquel tous pécheurs tresbuchent et sont confuz.
Comme si quelque homme accusé à tort, après avoir esté examiné
lo du juge, est absoult et declaire innocent, on dira qu'il est justifié
en justice : ainsi nous dirons l'homme estre justifié devant Dieu,
lequel, estant séparé du nombre des pécheurs, ha Dieu pour tes-
moing et approbateur de sa justice. En ceste manière nous dirons,
l'homme estre justifié devant Dieu par ses œuvres : en la vie
2ii duquel il y aura une telle pureté et saincteté, qu'elle méritera
filtre de justice devant Dieu : ou bien, lequel par intégrité de ses
(euvres, pourra respondre et satisfaire au jugement de Dieu. Au
contraire, celuy sera dict justifié par Foy : lequel estant excluz de
la justice des œuvres, appréhende par Foy, la justice de Jésus
25 Christ : de laquelle estant vestu, apparoist devant la face de Dieu
nompas comme pécheur, mais comme juste.
Toutesfois pource que la pluspart des hommes imaginent une jus-
tice meslée de la Foy et des œuvres : monstrons aussi, devant que
passer oultre, que la justice de Foy diffère tellement de celle des œu-
30 vres, que si l'une est establie, l'autre est renversée. L'Apostredit Philip. 3.
qu il a réputé toutes choses comme fiente, pour gaigner Christ, et
estre trouvé en luy n'ayant point sa propre justice, qui est de la Loy,
mais celle qui est de la Foy en Jésus Christ: à scavoir la justice qui
est de Dieu par Foy. Nous voyons icy qu'il les comparage comme
35 choses contraires, et monstre qu'il fault que celuy qui veut obtenir
la Justice de Christ : abandonne la sienne propre. Pourtant en un
autre lieu il dit, que cela a esté cause delà ruy ne des Juifz: que vou- Rom. 10.
lans ériger leur propre justice, ilz n'ont pas esté subjectz àcellede
Dieu. Si en dressant nostre propre justice nous rejettons celle de
356 CHAPITRE VI.
Dieu, pour obtenir la seconde, il fault que la première soit du
tout abolie. C'est aussi ce qu'il entend, disant, que nostre g-loire
n'est pas excluse par la Loy, mais par la Foy. Dont il s'ensuyt que
jusques à ce qu'il nous demeure quelque goutte de justice en
3 noz oeuvres, nous avons quelque matière de nous glorifier. Par-
quov si la Foy excludtout glorifiement : la justice de Foy ne peut
nullement consister avec celle des oeuvres. [Cje ont esté les Théo-
logiens Sorboniques qui ont abreuvé le monde de ceste faulse opi-
nion, qu'on tient communément : mais ilz s'abusent doublement.
10 C'est qu'ilz appellent Foy, une certitude d'attendre la rémunéra-
tion de Dieu : et que par le nom de grâce ilz n'entendent point le
don de Justice gratuite, que nous recevons : mais l'ayde du S. Es-
prit, pour bien et sainctement vivre. Hz lisent en l'Apostre, que Heb. IL
celuy qui approche de Dieu, doibt croire, qu'il est rémunérateur de
15 ceux qui le cerchent. Mais ilz ne voyent point quelle est la manière
de le cercher : laquelle nousdemonstrerons tantost. Qu'ilz s'abusent
en ce mot de grâce, il appert de leur livres. Car leur Maistre des
sentences expose la Justice, que nous avons par Christ, en double
manière. Premièrement, dit-il, la mort de Christ nous justifie,
20 quand elle engendre en noz coeurs charité.par laquelle nous sommes
faictz justes. Secondement entant que par icelle le péché est es-
teinct, soubz lequel le Diable nous tenoit captifz, tellement qu'il ne
nous peut surmonter maintenant. Nous voyons qu'il ne considéré la
grâce de Dieu que jusques là, entant que nous sommes dirigez en
25 bonnes oeuvres par la vertu du S. Esprit. 11 a voulu ensuyvre
l'opinion de S. Augustin : mais il la suyt de bien loing, et mesme
se destourne grandement de la droicte imitation. Car ce qui estoit
dict clairement par ce S. homme, il l'obscurcist : et ce qui estoit un
petit entasché de vice, il le corrompt du tout. Les escholes Sor-
30 boniques sont tousjours allées de mal en pis: jusques à ce qu'elles
sont en la fin tresbuchées en l'erreur de Pelagius. Combien encores
que nous ne debvons du tout recevoir la sentence de Sainct Au-
gustin. Car combien qu'il despouille tresbien l'homme de toute
louenge de Justice, et l'attribue toute à Dieu : neantmoins il réfère
33 la grâce à la sanctification, dont nous sommes régénérez en nou-
veauté de vie. Or l'Escriture parlant de la justice de Foy nous
meine bien ailleurs : c'est qu elle nous enseigne de nous des-
tourner du regard de noz oeuvres , pour regarder seulement
la miséricorde de Dieu, et la parfaicte .saincteté de Christ.
DE LA JUSTIFICATION. 3o7
Car elle nous monstre cest ordre de santification : que du commen-
cement Dieu receoit le pécheur de sa pure et gratuite bonté, ne
regardant rien en luy, dont il soit esmeu à miséricorde, que la
misère, d autant qu'il le voit desnué entièrement et vuide de bonnes
5 oeuvres : et pourtant il prend de soymesme la cause de luy bien
faire . En après il touche le pécheur du sentiment de sa bonté :
à lin que se deffîant de tout ce qu il ha, il remette toute la somme
de son salut en ceste miséricorde qu'il luy faict. Voylà le senti-
ment de Foy, par lequel l'homme entre en possession de son
10 salut : quand il se recongnoist par la doctrine de l'Evangile, estre
reconcilié à Dieu : entant que par le moyen de la justice de
Christ, ayant obtenu remission de ses péchez, il est justifié. Et
combien qu'il soit régénéré par l'Esprit de Dieu : si ne se repose-
il pas sur les bonnes œuvres, lesquelles il fait : mais est asseuré
13 que sa justice perpétuelle gist en icelle Justice de Christ. Quand
toutes ces choses auront esté espeluchées particulièrement : ce
que nous tenons de ceste matière sera facilement expliqué. Com-
bien qu'elles seront mieux digérées, si nous les mettons en autre
ordre que nous ne les avons proposées ; mais il n'en peut gueres
jo chaloir, moyennant qu'elles soient tellement deduictes, que toute
la chose soit bien entendue.
Il nous fault ici souvenir de la correspondance, que nous
avons mise cy dessus, entre la F'oy et l'Evangile. Car nous
disons que la Foy justifie , d'autant qu'elle receoit la Justice
25 offerte en l'Evangile. Or si en l'Evangile la Justice nous est
offerte : par cela est forclose toute considération des œuvres.
Ce que Sainct Paul monstre souventesfois ; mais principale-
ment en deux lieux. Car en l'Espistre aux Romains, com- /^^
parant la Loy avec l'Evangile, parle ainsi. La justice qui est de
30 la Loy, dit-il, est que quiconques fera les commandemens de
Dieu, vivra : mais la Justice de Foy dénonce salut à celuy qui
croyra de cœur et confessera de bouche Jésus Christ : et que le
Père l'a ressuscité des mortz. Ne voyons nous pas bien : qu'il met
ceste différence entre la Loy et l'Evangile, que la Loy assigne
35 la Justice aux œuvres, l'Evangile la donne gratuitement, sans
avoir esgard aux œuvres ! C'est certes un lieu notable, et qui
nous peut despescher de beaucoup de diffîcultez : car c'est beau-
coup faict, si nous entendons que la Justice qui nous est don-
née en l'Evangile, soit délivre des conditions de la Lov. C'est
10.
358 CHAPITRE VI.
la raison pourquoy il oppose tant souvent la Loy, et la promesse,
comme choses répugnantes. Si Theritaige, dit-il, vient de la Loy:
ce n'est point de la promesse : et autres sentences semblables,
qui sont au mesme chapitre. Il est certain que la Loy ha aussi ses Galat. 3
5 promesses. 11 fault donc que les promesses de l'Evangile ayent
quelque chose de spécial et divers : si nous ne voulons dire que
la comparaison soit inepte. Or que sera-ce ; sinon qu'elles sont
gratuites : et appuyées sur la seule miséricorde de Dieu ; comme
ainsi soit que les promesses légales dépendent de la condition
iodes œuvres? Le second passage est cestuy cy. Que nul ne soit Galat. 3.
justifié devant Dieu par la Loy, il appert : Car le juste vivra de
Foy. Or la Loy n'est pas selon la Foy : Car elle dit : qui fera
les choses commandées vivra en icelles. Gomment l'argument
consisteroit-il ; sinon qu'il fust résolu premièrement que les
15 œuvres ne viennent point en compte ? La Loy, dit-il, est diverse
de la Foy, En quoy cela? 11 adjouste, que c'est d'autant qu'elle
eqniert les œuvres pour justifier l'homme. Il s'ensuyt donc, que
les œuvres ne sont point requises, quand l'homme doibt estre
justifié par Foy. Il est notoire de ceste relation, que celuy qui
20 est justifié par Foy, est justifié sans aucun mérite de ses œuvres:
et mesmes hors de tout mérite. Car la Foy receoit la Justice
que présente l'Evangile : et est dit que l'Evangile ne cela est
différent d'avec la Loy, pource qu'il ne lye point la Justice aux
œuvres: mais la colloque en la seule miséricorde de Dieu, C'est
23 une semblable déduction, dont il use en l'Epistre aux Romains :
que Abraham n'ha point matière de se glorifier, entant que la Rorn. 4.
Foy luy a esté imputée à Justice. Et adjouste consequemment la
raison : que lors la Justice de la Foy ha lieu, quand il ny a nulles
œuvres ausquelles aucun loyer soit deu. Là où sont les œuvres,
30 dit-il, le loyer est rendu comme deu : ce qui est donné à la Foy,
est gratuit. Ce qui s'ensuyt après, aussi bien tend à un mesme
but : à scavoir, que nous obtenons l'héritage céleste par Foy : à
lin que nous entendions qu'il nous vient de grâce. Il infère
que l'héritage céleste est gratuit, d'autant que nous le recevons
33 par Foy. Pourquoy cela ? sinon pour ce que la Foy sans avoir
aucun appuy sur les œuvres ; se repose du tout sur la miséri-
corde de Dieu ?
Maintenant les Lecteurs peuvent voir, de quelle équité
sont aujourd'huy les Sophistes en cavillant nostre doctrine :
DE LA .ILSTIFICATION. 359
c'est que l homme est justifié par la seule Foy. Hz n'osent pas
nyer, que l'homme ne soit justifié par Foy: pour ce que ce mot
seul, n'y est point exprimé, ilz nous reprochent qu'il est adjousté
du nostre. Si ainsi est : que respondront-ilz à ces parolles de
5 Sainct Paul : où il argue que la Justice n'est point de la Foy, Bom. I.
sinon quelle soit gratuite : comment conviendra ce qui est gratuit
avec les œuvres ? Et par quelle calumnie pourront-ilz se desve-
lopper de ce qu'il dit ailleuis, que la Justice de Dieu est manifes-
tée en l'Evangile? Si elle y est manifestée : ce n'est pas à demy,
10 ne pour quelque portion : mais pleine etparfaicte. lls'ensuyt donc,
que la Loy en est excluse. Et de faict non seulement leur tergi-
versation est faulse : mais du tout ridicule : quand ilz disent, que
nous adjoustons du nostre, en disant la seule Foy: Car celuy qui
oste toute vertu de justifier aux œuvres, ne l'attribue-il pas en-
•'tierement à la Foy? Que veulent dire autre chose ces locutions
de Sainct Paul ; que la Justice nous est donnée sans la Loy : que
l'homme est gratuitement justifié sans ayde de ses œuvres ? Hz
ont icy un subterfuge bien subtil : c'est que les œuvres ceremo-
niales par cela sont exclues : et non pas les œuvres morales. Ce
2i'qui est tresinepte : [jajsoit qu'ilzle tiennent d'Origene et aucuns
autres Anciens. Hz prolTitent tellement en abbayant sans cesse
en leurs escholes, qu'ilz ne scavent pas les premiers rudimentz
de Dialectique. Pensent ilz que l'Apostre soit hors du sens ; en
amenant ces tesmoignages pour approuver sa sentence? Qui fera
2">ces choses, vivra en icelles. Item, maudit sera l'homme, qui Ho. 3. 10.
n'acomplira toutes les choses icy escrites ? Mais s'ilz ne sont du Gala. 4.
tout enragez : ilz ne diront pas que la vie éternelle soit promise
à ceux qui observent les cérémonies et qu'il n'y ayt que les
transgres.seurs d'icelles mauldictz. S'il fault entendre ces pas-
30 sages de la Loy morale : il n'y a nulle doubte que les œuvres
morales sont exclues de pouvoir justifier. Les raisons dont il
use, tendent à une mesme fin. Comme quand il dit. Si la con-
gnoissance de péché vient de la Loy : la Justice n'en vient pas .
La Loy engendre ire de Dieu : elle ne nous apporte point donc
35 salut : Hem, Puis que la Loy ne peut asseurer les consciences : fto. 3. 4.
elle ne peut donner justice : Item, puis que la Foy est imputée à ^°"' ^"
Justice : ce n'est pas pour salaire des œuvres, que la justice nous
est donnée : mais c'est don de Dieu gratuit. Item, si nous sommes
justifiez par Foy : toute gloire est abbatue. Item, si la Loy nous
360 CHAPITRE VI.
pouvoit vivifier, nous aurions Justice en icelle : mais Dieu a
encloz toutes créatures soubz péché, à tin de donner le salut pro-
mis auxcroyans. Qu'ilz allèguent, s'ilz osent, cela estre dict des
cérémonies et non pas des œuvres morales : mais les petiz en-
5 fans se moqueroient de leur impudence. Que cela donc nous
demeure résolu : que quand la vertu de justifier est ostée à la Loy,
il fault entendre la Loy universelle. Or si quelqu'un s'esmerveille,
pourquoy lApostre a voulu adjouster les œuvres de la Loy,
n'estant point content de dire simplement les œuvres : nous
lo avons la responce en main. Car à ce que les œuvres soient en
quelque priz elles prennent leur estime plustost de ce qu'elles
sont approuvées de Dieu, que de leur propre dignité. Car qui
osera [s^e vanter de quelque Justice envers Dieu ; sinon qu elle soit
de luy acceptée ? et qui osera luy demander aucun loyer, sinon
13 qu'il l'ayt promis ? C'est donc de la benefîcence de Dieu; que les
œuvres seront dignes du tiltre de Justice, et auront loyer: si au-
cunement elles en peuvent estre dignes. Et de faict toute la
valeur des œuvres est fondée en ce poinct, quand l'homme tend,
par icelles, de rendre obeyssance à Dieu. Pourtant TApostre, Gala. 4.
20 voulant prouver en un autre lieu que Abraham ne pouvoit estre
justifié par ses œuvres allègue que la Loy a esté publiée environ
quatre cens ans après que l'alliance de grâce luy avoit esté don-
née. Les ignorans se moqueroient de cest arg-ument : pensant qu'il
y pouvoit bien avoir de bonnes œuvres devant que la Loy fust
23 publiée. Mais pource qu'il scavoit bien que les œuvres n'ont
autre dignité, que entant qu elles sont acceptées de Dieu : il
prend cela comme une chose notoire, qu'elles ne pouvoient jus-
tifier devant que les promesses de la Loy fussent données. Nous
voyons pourquoy nommeement il exprime les œuvres de la Loy :
3(1 voulant oster aux œuvres la faculté de justifier : à scavoir pource
qu'il n'y pouvoit avoir controversie que d'icelles. Combien
que aucunesfois simplement et sans addition il exclud toutes
œuvres. Comme quand il dit, que David attribue la béatitude à
l'homme auquel Dieu a imputé Justice sans aucunes œuvres.
33 Ilz ne peuvent donc faire par toutes leurs cavillations, que nous
ne retenions la diction exclusive en sa généralité. C'est aussi
en vain qu'ilz cerchent une autre subtilité : c'est qu'ilz disent
que nous sommes justifiez par la seule Foy, laquelle œuvre
par charité : voulant par cela signifier que la Justice est
DE LA JUSTIFICATION. 301
appuyée sur charité. Nous confessons l)ien avec Sainct Paul, qu'il
n'y a autre Foy qui justifie, sinon celle qui est conjoincte avec
charité. Mais elle ne prend point de charité la vertu de justifier :
mesnies elle ne justifie pour autre raison, sinon qu'elle nous in-
:i troduit en la communication de la Justice de Christ. Autrement
seroit renversé l'arji^ument de l'Apostre, lequel il poursuyt tant
vivement, quand il dit qu'à celuy qui beson^ne, le loyer n'est 7^//». ^.
pas imputé selon la «^race, mais selon la debte. Aucontraire à
celuy qui ne besongne point, mais qui croit en celuy qui justifie
lu l'inique, la Foy est imputée à Justice. Pouvoit-il parler plus
clerement ; qu'en disant cela? C'est qu'il n'y a nulle justice de
Foy ; sinon quand il n y a nulles œuvres ; ausquelles soit deu
aucun loyer ; et que lors finalement la Foy est imputée à justice ;
quand la justice nous est donnée par grâce non deuë ?
15 Maintenant regardons, si ce qui a esté dict en la difïînition
par nous mise, est vray : c'est que la Justice de Foy n'est autre
chose, que réconciliation avec Dieu, laquelle consiste en la
remission des péchez. Il nous fault tousjours revenir à ceste
maxime : c'est, que l'ire de Dieu est préparée à tous ceux
20 qui persistent d'estre pécheurs. Ce que lesa'ie a bien déclaré
parlant ainsi. La main de Dieu n'est point accoursie, qu'il ne lésa. 59.
nous puisse saulver : et son aureille n'est point estouppée, qu'il
ne nous puisse oyr. Mais noz iniquitez ont faict un divorse
entre luy et nous : et noz péchez ont destourné sa face de nous,
25 à ce qu'il ne nousexaulce point. Nous oyons que le péché est une
division entre Dieu et l'homme, et destourne la face de Dieu
du pécheur. Et de vray il ne se peut autrement faire : car c'est
une chose qui ne convient nullement à sa Justice, d'avoir alliance
avec le péché. Pour laquelle cause Sainct Paul dit, que l'homme nom. o.
30 est ennemy de Dieu, jusques à ce qu'il soit restitué en sa grâce
par Christ. Celuy donc que Dieu receoit en amour, est dict
estre justifié : pource qu'il ne peut recevoir personne pour estre
conjoinct avec soy, que de pécheur, il ne le face juste. Nousad-
joustons que cela est faict par la remission des péchez. Car si on
35 considère ceux qui sont reconciliez à Dieu selon leurs œuvres,
on les trouvera j^echeurs : et neantmoins il fault qu ilz soyent
du tout purs et netz de péché. Il appert donc, que ceux que
Dieu receoit en grâce, ne sont autrement faictz justes ,
sinon quilz sont purifiez : entant que leurs macules sont
362 CHAPITRE VI.
effacées par la rémission que Dieu leur faict, tellement qu'une
telle justice se peut en un mot appeller remission des péchez.
L'un et l'autre est tresbien déclaré par ces parolles de Sainct 2. Cor. 5.
Paul, où il dit, que Dieu estoit en Christ, se reconciliant au
5 monde, n'imputant point aux hommes leurs faultes : et nous a
commis la parolle de reconciliation. Après il adj ouste la somme
de son ambassade : c'est que celuv qui estoit pur et net de péché,
a esté faict péché pour nous : c'est à dire Sacrifice, sur lequel
tous noz péchez ont esté transferez : à fin que nous fussions
10 justes en luy devant Dieu. Il nomme indiferemment Justice et
Reconciliation en ce passage : tellement que nous entendons
l'un estre contenu soubz l'autre. La manière d'obtenir ceste
justice est aussi expliquée, quand il dit, qu elle gist en ce que
Dieu ne nous impute point noz péchez. Gomme aussi en l'Epistre
15 aux Romains, il prouve que justice est imputée à l'homme sans Boni. 4.
les œuvres, par le tesmoig-nage de David : pource qu'il prononce
l'homme bien heureux, duquel les iniquitez sont remises : duquel
les péchez sont cachez : et auquel les faultes ne sont point
imputées. Il n'y a point de double, que David n'ayt signifié
20 Justice par le nom de Béatitude. Puis qu'il afferme quelle con-
siste en remission des péchez, il n'est ja mestier, que nous la
deffinissions autrement. Pourtant Zacharie, père de Jean Baptiste,
constitue la congnoissance de salut en la remission des péchez. Luc 1 .
Sujvant laquelle reigle, Sainct Paul conclud la prédication, qu'il
2ofist aux Anthiochiens, de la somme de leur salut, en ceste
manière. Par Jésus Christ la remission des péchez vous est
annoncée, et de toutes les choses dont vous ne pouviez estre
justifiez par la Loy de Moyse. Quiconques croit en luy, est jus- Actes 13 .
tilié. Il conjoinct tellement la Justice avec la remission des
30 péchez, qu'il monstre que c'est une mesme chose. C'est donc à
bon droit, qu'il argue tousjours la justice, que nous obtenons
par la bonté de Dieu, estre gratuite.
De cela aussi bien s'ensuyt, que c'est par le seul moyen de
la Justice de Christ que nous sommes justifiez devant Dieu, ce
33 qui vault autant, comme qui diroit, l'homme n'estre pas juste
de soymesme : mais pource que la Justice de Christ luy est
communiquée par imputation. Ce qui est une chose digne
d estre diligemment observée. Car ainsi s'esvanouyst ceste phan-
taisie, de dire que l'homme soit justifié par Foy, entant que par . j
df: la justification.
363
icelle 11 receoit de TEsprit de Dieu, duquel il est rendu juste.
Cecy est fort contraire à la doctrine cy dessus mise, car il n'y a
nulle double, que celuy qui doibt cercher justice hors de soymesme,
ne soit desnué de la sienne propre. Or cela est clairement monstre \2.]Cor.5.
:> de l'Apostre, quand il dit. Que celuy qui estoit innocent a sous-
tenu noz forfaictz, estant présenté en Sacrifice pour nous à lin
que feussions en luy justes de-vant Dieu. Nous voyons (ju'il
met nostre justice en Christ, non pas en nous : que la Justice
ne nous appartient d'autre droict, sinon en ce que nous sommes
lu participans de Christ. Car en le possédant, nous possédons avec
luy toutes ses richesses. Et ne répugne rien à cela ce qu'il dit
en un autre lieu : que le péché a esté condamné de péché en la
chair de Christ, k fin que la Justice de Dieu fust accomplie en Boni. 8.
nous. Où il ne sig-nifie autre accomplissement, que celuy que
15 nous obtenons par imputation. Car le Seigneur Jésus nous com-
munique en telle sorte sa Justice, que par une vertu inénarrable,
elle est transférée en nous, entant qu'il appartient au jugement
(le Dieu. Qu'il n'ayt voulu autre chose dire, il appert de la sen-
tence qu il avoit mise un peu au paravant. C'est que comme par
2ii la desobeyssance d'un nous sommes constituez pécheurs : aussi Bom. 5.
par l'obeyssance d'un nous sommes justifiez. Qu'est-ce autre
chose ; de colloquer nostre justice en l'obeyssance de Christ,
sinon aiTermer que nous sommes justes ; parce que l'obej'ssance
de Christ nous est alouée, et receue en payement ; comme si elle
2.i estoit nostre ? Pourtant il me semble que Sainct Ambroise a
tresbien prins l'exemple d'icelle justice en la bénédiction de
Jacob. C'est que comme Jacob, n'ayant point mérité de soy-
mesme la primogeniture, estant caché soubz la personne de son
frère, et vestu de sa robe laquelle rendoit bon odeur, s'est insinué
30 à son père, pour recevoir la bénédiction en la personne d'autruy :
ainsi qu'il nous fault cacher soubz la robe de Christ, nostre frère
premier nay, pour avoir tesmoignage de justice devant la face de
nostre Père céleste. Et certes c'est la pure vérité. Car pour com-
paroistre devant Dieu en salut, il fault que nous sentions bon de
35 sa bonne odeur, et que noz vices soyentenscveliz de sa perfection.
Combien qu'il appert par clairs tesmoignages, toutes ces
choses estre tresveritables : toutesfois on ne pourra bien voir
combien elles sont nécessaires , jusques à ce que nous aurons
remonstré à l'œil, ce qui doibt estre comme le fondement
364 CHAPITRE VI.
de toute cette dispute. Pour le premier, qu'il nous souvienne, que
nous ne tenons point propoz comment 1 homme se trouvera
juste devant le siège de quelque jug-e terrien : mais devant le
Throsne céleste de Dieu : à fin que nous ne mesurions point à
ânostre mesure, quelle intégrité il faut avoir, pour satisfaire au
Jugement de Dieu. Or c'est merveille, de quelle témérité et
audace on y procède communément. Et mesmes c'est chose
notoire, qu'il n'y en a nulz, qui osent plus hardiment, et avec
plus grande oultrecuydance babiller de la justice des œuvres,
10 que ceux qui sont apertement meschans : ou bien crèvent au
dedans de vices et concupiscences. Cela advient de ce quilz ne
pensent point à la Justice de Dieu : de laquelle s'ilz avoient le
moindre sentiment du monde, jamais ilz ne s'en moqueroient
ainsi. Or elle est mesprisée et moquée oultre raison, quand on
13 ne la recongnoist point si parfaicte, qu'elle n'ayt rien acceptable,
sinon ce qui est du tout entier, pur de toute macule, et d'une
perfection, où il n'y ayt rien du tout à redire. Ce qui ne s'est
jamais peu trouver en homme vivant, et jamais ne s'y trouvera.
Il est facile à un chascun de gasouiller en un anglet d'eschole,
20 quelle dignité ont les œuvres pour justifier l'homme : mais
quand on vient devant la face de Dieu, il faut laisser là tous
ces fatras : car la chose est là démenée à bon escient, et non
point par contentions frivoles. C est là qu'il fault dresser nostre
entendement si nous voulons avec fruict enquérir de la vraye
25 justice. C'est, dy-je, là qu'il nous fault penser, comment nous
pourrons respondre à ce Juge céleste, quand il nous appellera
à rendre compte. Il fault donc que nous lestablissions en son
siège : non pas tel que nostre entendement l'imagine de soy-
mesmes mais tel qu'il nous est depeinct en l'Escriture : à scavoir i
30 par la clarté duquel les estoilles sont obscurcies par la vertu
duquel les montaignes descoulent comme la neige au soleil : à
l'ire duquel la terre est esbranlée : par la sagesse duquel les
sages sont surprins en leurs finesses : duquel la pureté est si Sinon vo-
grande, que à la comparaison d'icelle toutes choses sont souillées y^^ ■ ^^*
'..et contaminées : duquel les Anges ne peuvent porter la Justice : tes, et
lequel ne pardonne point au meschant : duquel quand la vengeance P'''«ctpa-
est une fois enflambée, elle pénètre jusques au plus profond de Uvre de
la terre. Qu'il soit donc assiz pour examiner les œuvres des •^°^-
hommes. Qui osera approcher de son Throsne sans trembler ?
DE LA JUSTIFICATION. 365
Quand le Prophète en parle. Qui habitera, dit-il; avec un feu con- lésa. 33.
.sumant toute.s cho.ses ; avec une tlanime qui ne se peut esleindre?
celuy qui fait justice et vérité, qui est pur et entier en toute sa
vie.Quiconques sera cestuy là, qu'il vienne en avant. Mais ceste
.ï response fait que nul ne s'v oseroit monstrer. Car de l'autre costé
ceste horrible voix nous doibt faire trembler. Si tu prendz garde
aux iniquité/ Seigneur, qui sera-ce, o Seigneur ; qui pourra Psa. 130.
subsister ? Il seroit certes question, qu incontinent tout le
monde perist. Car comme il est escrit autre part. Se peut-il Job i.
10 faire que l'homme ; estant comparé à son Dieu ; soit justifié ?
ou soit trouvé plus pur (jue son créateur ? Voicy ceux qui le
servent[:j ne sont point entiers : et trouve à redire en ses Anges.
Combien plus ceux qui habitent maisons de fange, et sont déte-
nu/ en tabernacles terriens, seront-ilz abbatuz ? Item, voicy Job 46.
i.i entre ses sainctz[:] il n'y en a nul qui soit pur : et les cieux ne
sont point netz devant son regard. Combien est plus abominable
et inutile l'homme ; qui boit 1 iniquité comme eaiie.
C'estoil donc là qu'il nous falloit dresser les yeux, à fin
d'apprendre plustost de trembler, que de concevoir une vaine
20 hardiesse. Car il nous est aysé (ce pendant qu'un chascun de
nous s'arreste à se comparager avec les hommes) de penser
([ue nous avons quelque chose, que les autres ne doibvent point
mespriser : mais quand nous venons à nous eslever à Dieu,
ceste fiance est en un moment destruicte et anneantye. Et pour
2a dire vray, il en advient autant à nostre ame envers Dieu, qu'à
nostre corps envers le ciel. Car ce pendant que l'homme s'arreste
à contempler ce qui est à l'entour de luy, il estime sa A'euë
bonne et forte : mais s'il dresse l'œil au Soleil, il sera tellement
esbloûy de sa clarté, que ce regard luy fera sentir une plus grande
;!o débilité de sa veuë , quelle ne sembloit avoir de vertu à re-
garder les choses intérieures. Ne nous décevons point donc en
vaine fiance. Quand nous serons, oupareilz, ou supérieurs à tous
autres hommes : cela n'est rien envers Dieu : auquel se doibt
rapporter la considération de nous mesmes. Que si nostre
33 oultrecuydance ne se peut dompter par telles admonitions :
il nous respondra ce qu'il disoit aux Pharisiens. [C'Jestes vous
qui vous justifiez devant les hommes : mais ce qui est hault Luc 16.
aux hommes, est abominable à Dieu. Allons donc, et
nous glorifions orgueilleusement entre les hommes de nos-
366 CHAPITRE VI.
tre Justice : ce pendant que Dieu l'aura en abomination au ciel.
Mais que font au contraire les serviteurs de Dieu : vrayement
instruictz de son Esprit? Certes ilz diront avec David. Seigneur Psa. 143.
n'entre point en jugement avec ton serviteur : car nul vivant ne
5 sera justifié devant ta face. Item, avec Job. L'homme ne pourra job 9.
estre juste envers Dieu : s'il veult plaidoyer contre luy, estant
accusé en mil' poinctz il ne pourra respondre à un seul. Nous
oyons maintenant clairement, quelle est la Justice de Dieu, à sca-
voir laquelle ne sera point satisfaicte d'aucunes œuvres humaines,
10 et laquelle nous accusera de miFcrimes, sans que nous en puis-
sions purger un. Sainct Paul certes, qui estoit vaisseau eslu de i. Cor. i
Dieu, l'avoit bien conceu tel en son cœur : quand il confessoit
que n'ayant point mauvaise conscience, il n'estoit point en cela
justifié. Car si les Estoilles lesquelles semblent durant la nuict,
13 très claires et reluysantes, perdent toute leur lumière, quand elles
viennent au Soleil : que pensons nous qu'il adviendra à la plus
grande innocence, qu'on puisse imaginer en l'homme : quand elle
sera comparée avec la pureté de Dieu ? Car lors sera un examen
rigoreux à merveilles : lequel atteindra jusques aux plus secrettes
20 cogitations du cœur : et comme dit Sainct Paul, révélera tout ce /. Cor. i
qui est caché en ténèbres, et descouvrira ce qui est occulte au
profond du cœur contreignant la conscience, quoy qu'elle résiste
ou recule, de produire en avant ce que mesmes elle a maintenant
oublié. Le Diable d'autre part, comme accusateur, poursuyvra,
25 pressant de près l'homme : et scaura bien luy alléguer tous ses
forfaictz ausquelz il l'aura incité. Là toutes les pompes et appa-
rences de bonnes œuvres extérieures, qu'on a maintenant seules
en estime, ne profiteront de rien. 11 sera question seulement de
la seule syncerité du cœur. Pourtant toute hypocrisie, non seu-
3olement celle, dont ceux qui se congnoissent secrettement mes-
chans se contrefont devant les hommes : mais aussi celles dont
un chascun se flatte devant Dieu (comme nous sommes enclins
à nous décevoir, par trop estimer de nous) sera confuse et tres-
buchera : combien qu'elle soit maintenant comme enyvrée
33 d'orgueil et oultrecuydance . Ceux qui n'eslevent point leur
sens et pensée à tel spectacle ; se peuvent bien amyeller pour
une minute de temps, s'attribuant justice. Mais telle justice,
qui leur sera incontinent escousse au jugement de Dieu,
ainsi qu'un homme, après avoir songé de grandes richesses
DE LA JISTIFICATION. 367
se trouve vuide quand il est esveillé. Aucontraire, tous ceux qui
cercheront, comme devant Dieu, la vraye reigle de justice : trou-
veront pour certain que toutes les œuvres des hommes si on
les estime selon leur dignité, ne sont que ordure et vilanie : et
5 que ce qu'on juge communément estre justice, n'est que pure
iniquité devant Dieu : que ce qu'on juge intégrité, n'est que polu-
tion : ce qu'on juge gloire, n'est qu'ignominie.
Après avoir contemplé ceste perfection de Dieu, il nous fault
lors descendre, sans nous flatter et sans nous décevoir, en l'amour
10 de nous mesmes, à nous regarder. Car ce n'est point de mer-
veilles, si nous sommes aveugles en cest endroit, ce pendant que
nul de nous ne se garde de ceste folle et dangereuse affection que
nous avons à nous aymer : laquelle l'Escriture, monstre estre
naturellement enracinée en nous. La voye d'un chascun, ditSalo-
15 mon, est droicte devant ses yeux. Item, tous hommes pensent P/ou. 21.
leurs voyes estre bonnes. Maisquoy? Par cest erreur un chascun ^
est-il absoult? Plustost aucontraire, comme il dit consequem-
ment, le Seigneur poyse les cœurs. C'est à dire, ce pendant que
l'homme se llatte en l'apparence extérieure de Justice qu'il ha :
20 Le Seigneur examine en sa ballance toute l'iniquité et ordure ca-
chée au cœur. Puys donc qu'ainsi est cpi'on ne proffite de rien en
se flattant : ne nous trompons point nous mesmes voluntairement
en nostre ruyne. Or pour nous droictement espelucher il fault
tousjours rappeller nostre conscience au Throsne judicial de
23 Dieu. Car su lumière est bien requise, pour reveller et descouvrir
les cachettes de nostre perversité, lesquelles sont autrement trop
profondes et obscures. Si nous faisons cela, lors nous verrons
que veult dire ceste sentence : qu'il s'en fault beaucoup que
l'homme soit justifié devant Dieu: veu qu'il n'est que pourriture, Joh io.
30 et vermine inutile et abominable; et qu'il boit l'iniquité comme
l'eaûe. Car qui est-ce qui fera pur et munde, ce qui est conceu
de semense immunde ? non pas un seul. Nous expérimenterons
aussi ce que disoit Job de soy. Si je me veux monstrer inno- Job 9.
cent, ma bouche propre me condemnera : si je me veux dire lésa. o3.
35 juste, elle me prouvera meschant . Car la complaincte que
faisoit le Prophète de son temps n'appartient point à un Siècle
seulement : mais communément à tous eages. C'est que tous ont
erré comme brebis esgarées, un chascun a décliné en sa voye.
Car il comprend là tous ceulx, ausquelz doibt estre communi-
368 CHAPITRE VI.
quée la g^race de rédemption. Or la rig-ueur de cest examen se
doibt poursuyvre jusques à ce quelle nous ayt domptez d'un es-
tonnement de nous mesmes, pour nous disposer à recevoir la
grâce du Seigneur. Car celuy qui pense estre capable d'en jouyr,
3 sinon cpiil se soit demis de toute haultesse de cœur, se trompe
grandement. Geste sentence est notoire, que Dieu confond les i.Pie'ô.
orgueilleux et donne grâce aux humbles.
Mais quel est le moyen de nous humilier: sinon que estantzdu
tout vuides et povres ; nous donnons lieu à la miséricorde de
10 Dieu? Car je n'appelle pas humilité, si nous pensons avoir quel-
que chose de résidu. Et de faict, on a enseigné par cy devant une
liN'pocrisie pernicieuse, en conjoingnant ces deux choses : qu'il
nous falloit sentir humblement de nous devant Dieu ; et avoir neant-
moins nostre justice en quelque estime. Car si nous confessons
15 autrement devant Dieu, que nous ne pensons en nostre cœur:
nous luv mentons meschamment. Or nous ne pouvons pas sen-
tir de nous comme il appartient ; que tout ce qui semble adviz
estre excellent en nous ne soit entièrement mis soubz le pied.
Quand nous oyons donc delà bouche du Prophète, que le salut est Psal. 18.
20 appareillé aux humbles : d'autrepart ruyne à la liereté des orgueil-
leux. Premièrement pensons que nous n'avons nul accez à salut,
sinon en nous demettans de tout orgueil, et en prenant vrave humi-
lité. Secondement que ceste humilité n'est point une modestie, par
laquelle nous quittions un seul poil de nostre droict, pour nous
25abbaisser devant Dieu (comme nous appelions entre les hommes
ceux là humbles, qui ne s'eslevent pas en fiereté, et ne desprisent
point les autres, combien qu'ilz se pensent valoir quelque chose)
mais que c'est une déjection de nostre cœur sans feinctise, pro-
cédante d'un droit sentiment de nostre misère et povreté, dont
30 nostre cœur soit ainsi abbatu. Car l'humilité est ainsi descrite
tousjours en la paroUe de Dieu. Quand le Seigneur parle Zach. 3.
ainsi par Zacharie : J'osteray du milieu de toy tout homme
s'esgayssant, et ne laisseray sinon les affligez et les povres :
et iceux espéreront en Dieu : ne demonstre il pas clerement
33 qui sont les humbles ; à scavoir qui sont affligez par la con-
gnoissance de leur povreté ? Aucon traire il signifie les orgueil-
leux, par ceux qui s'esgayent : par ce que les hommes, estans
en prospérité, ont coustume de s'esgayer. D'avantage il ne
laisse rien aux humbles qu'il veut sauver, sinon la seule
DE LA .ILSTIKICATION. 369
espérance en Dieu. Pareillement en lesaie. A qui re^artleray-je ; lesaie 66.
sinon au povre brisé et affligé en son esprit, et qui tremble à mes ^' ^^•
parolles? Et de rechef. Le Seigneur hault et eslevé, habitant en son
siège éternel, habitant en sa magnificence, Cj^sjt pareillement avec
h les humbles et aftligez en leurs espritz : à (in de vivifier l'esprit
des humbles, et le cœur des afflige/. (Juand nous oyons tant de
fois le nom d'affliction : il nous fault entendre comme une playe,
dont le cœur soit tellement navré, que tout l'homme en soit
abatu en terre, sans se pouvoir eslever. Il est besoing que nostre
10 cœur soit navré d'une telle affliction : si nous voulons estre exal-
tez avec les humbles. Si cela ne se fait, nous serons humiliez par
la main puissante de Dieu, en nostre confusion. D'avantage nostre
bonmaistre, non content de parolles, nous a depeinct en une simi-
litude, comme en un tableau, la vraye image d'humilité. Crt il Luc IS.
i^> nous propose le Publicain, lequel se tenant loing, et n'osant point
lever les yeux en hault, avec grans gemissemens prie en ceste
sorte. Seigneur, .sois moy propice, à moy qui suis povre pécheur.
Ne pensons point que se soient signes d'une modestie feincte qu'il
n'ose regarder le ciel approcher près, et qu'en frappant sa poic-
20 trine il se confesse pécheur : mais ce sonttesmoignages de lalfec-
tion du cœur. Il propose de l'autre costé le Pharisien, lequel
rend grâces a Dieu, de ce qu'il n'est point tel que les autres, lar-
ron, ou injuste, ou paillard : (pi'iljeusne deux fois la sepmaine,
et donne les décimes de tous ses biens. Il confesse ouvertement
2j qu'il tient sa justice de la grâce de Dieu : mais pour ce qu'il
se confie estre juste par œuvres, il s'en retourne abominable
à Dieu : aucontraire le Publicain est justifié par la recon-
gnoissance de son iniquité. Nous pouvons voyr de cela, com-
bien est plaisante à Dieu nostre humilité : tellement qu'un cœ>ur
30 n'est point capable de recevoir la miséricorde de Dieu, qu'il ne
soit vuide de toute opinion de sa propre dignité : de laquelle il
ne peut estre occupé, que l'entrée ne soit fermée à la grâce de
Dieu. Et à fin qu'il n'y eust double aucune de cela : le Seigneur
Jésus a esté envoyé de son Père en terre, avec ce mandement,
35 d'apporter bonnes nouvelles aux povres : medeciner ceux
qui sont affligez en leur cœur : prescher liberté aux captifz :
ouverture aux enserrez : consoler les languissans, leur donner
gloire au lieu de cendres, de l'huyle au lieu de pleur, robbe
de joye, au lieu de tristesse. Suyvant ce mandement, il
Inslilution. 24
370 CHAPITRE VI.
n'invite à recevoir sa beneficence, sinon ceux qui sont charg'ez et
travaillez. Parquoy si nous voulons donner lieu à la vocation de
Christ : il fault que toute arrogance et presumption soit loing de
nous. Par arrogance, j'entens l'orgueil qui s'engendre dune folle
g persuasion de justice : quand l'homme pense avoir quelque chose,
dont il mérite estre aggreable à Dieu. Par presumption, j'entens
une sécurité charnelle, qui peut estre sans aucune fiance des
œuvres. Car il y a plusieurs pécheurs, lesquelz, d'autant qu'es-
tans enyvrez de la doulceur de leurs vices ne pensent point au
lojugement de Dieu : pareillement estans comme estourdiz, n'as-
pirent nullement à la miséricorde qui leur est présentée. Or il
ne fault pas moins chasser une telle nonchalance, que abatre
toute confiance de nous mesmes : si nous voulons estre à
délivre pour courir à Christ : à fin qu'il nous remplisse de ses
15 biens. Car jamais nous ne nous confierons bien en luy, sinon
en nous défiant du tout de nous mesmes : jamais nous ne lève-
rons bien nostre cœur en luy, qu'il ne soit premier abatu en
nous : jamais nous ne receverons droite consolation de luy, sinon
que nous soyons désolez en nous. Nous sommes donc lors dispo-
20 sez à recevoir et obtenir la grâce de Dieu : quand nous estans
desmiz de toute fiance de nous mesmes, nous avons nostre seul
appuy sur sa bonté : et comme dit Sainct Augustin, ayans
oublié noz mérites, recevons les grâces de Christ. Afin de
ne nous arrester point icy trop, que nous ayons ceste reigle,
25 qui est briefve, mais est générale et trescertaine : C'est, que
celuy qui s'est du tout anneanty et demis (je ne dy pas de sa
justice qui est nulle : mais de ceste umbre de justice , qui
nous deceoit), est deûement préparé à recevoir les fruictz de la
miséricorde de Dieu. Car d'autant qu'un chascun se repose
30 plus en soymesme : d'autant met-il plus d'empeschement k la
grâce de Dieu.
Nous avons icy deux choses principales à regarder : c'est,
que la gloire de Dieu soit conservée en son entier : et que noz
consciences puissent avoir repoz et asseurance devant son Juge-
as ment. Nous voyons combien de fois, et en quelle diligence,
l'Escriture nous exhorte de rendre confession de louënge à
Dieu, quand il est question de justice. Mesmes l'Apostre tes
moigne , que Dieu a regardé ceste fin , en nous conférant
Justice en Christ, de faire apparoistre sa Justice. Puis après
Di: LA JUSTIFICATION. 371
il adj ouste, quelle est ceste démonstration : k scavoir s'il est
seul reconcfneu juste, et justifiant celuy qui est de la Foy de
Jésus Christ. Voyons nous bien que la Justice de Dieu n'est point
assez esclarcie, sinon qu'il soit seul estime juste : et communique
5 le don de justice à ceux qui ne l'ont point mérité? A ceste cause il
veult, que toute bouche soit fermée, et que tout le monde luy soit
déclaré redevable : pour ce que ce pendant que l'homme ha de
quoy se defîendre, la gloire de Dieu est d'autant diminuée. Pour-
tant il monstre en Ezechiel, combien son Nom est glorifié, de Ezec 20.
10 ce que nous recongnoissons nostre iniquité. Il vous souviendra
dit-il, de voz œuvres, et de tous voz forfaictz, ausquelz vous avez
esté polluz : et vous desplairez en vous mesmes, en tous les péchez
que vous avez commiz. Et lors vous scaurez que je suis le Sei-
gneur, quand je vous auray faict miséricorde à cause de mon
15 Nom, et non pas selon voz péchez et œuvres meschantes. Si cela
est contenu en la vraye congnoissance de Dieu, qu'estans abatuz,
et comme menuysez de la congnoissance de nostre propre ini-
quité, nous reputions que Dieu nous faict bien, sans ce que nous
en soyons dignes : qu'est-ce que nous tentons ; avec nostre grand
20 niai ; de desrobber à Dieu la moindre goutte du monde de
ceste louenge de bonté gratuite ? Semblablement Jeremie cryant, Jere. 9.
que le sage ne se glorifie point en sa sagesse, ne le riche en ses
richesses, ne le fort en sa force : mais que celuy qui se glorifie,
se glorifie en Dieu : ne denotte-il point par cela : qu'il perist
25 quelque partie de la gloire de Dieu ; si l'homme se glorifie en
soy mesme ? Certes il est ainsi, que jamais nous ne nous glori-
fions en Dieu droictement, sinon estans desmiz de nostre propre
gloire. Plustost il nous fault avoir ceste reigle générale : que qui-
conques se glorifie en soy, se glorifie contre Dieu. Car Sainct
30 Paul dit, que lors finalement les hommes sont assubjectiz à Dieu, Hom. 3.
quand toute matière de gloire leur est ostée. Pourtant lesaie,
en denonceant que Israël aura sa justice en Dieu, adjouste /e.saie 4.
qu'il y aura aussi sa louënge. Comme s'il disoit, que c'est
la fin pour laquelle sont justifiez les esleuz de Dieu à ce
35qu'ilz se glorifient en luy, et non aillieurs. Or la manière
d'avoir nostre louënge en Dieu, il l'avoit enseignée en la sen-
tence prochaine. C'est, que nous jurions nostre justice et
nostre force estre en luy. Notons qu'il n'y a point une simple
confession requise : mais confermée de jurement ; à fin
372 CHAPITRE VI.
qu'il ne nous semble que nous nous puissions aquicter de je ne
scay quelle humilité feincte. Et ne fault point que quelqu'un
allègue, qu'il ne se glorifie point quand il repute sa propre jus-
tice sans arrogance. Car une telle estime ne peut estre qu'elle
sn'eno-endre confiance : et confiance ne peut estre, qu'elle n'en-
fante o-loire. Qu'il nous souvienne donc que nous avons tousjours
à regarder ce but, en disputant de la justice : c'est que la louenge
d'icelle demeure solide et entière à Dieu : puis que pour demons-
trer sa Justice, comme dit l'Apostre, il a espandu sa grâce sur Rom. 3.
10 nous : à fin d'estre juste, et justifiant celuy qui est de la Foy de
Christ. Pourtant en un autre lieu, après avoir dict, que Dieu nous
a donné salut, pour exalter la gloire de son Nom, comme repe- Ephe. I.
tant une mesme sentence, il dit derechef: vous estes sauvez gra- Ephe. 2.
tuitement, et ce du don de Dieu, non pas de voz œuvres, à fin que
13 nul ne se glorifie. En somme, il fault conchire, que l'homme ne se
peut attribuer une seule goutte de justice, sans sacrilège : veu que
c'est autant amoindrir et abaisser la gloire de la Justice de Dieu.
Maintenant si nous cerchons, comment la conscience peut avoir
repoz et rejouyssance devant Dieu : nous ne trouverons point
20 d'autre moyen sinon qu'il nous confère justice de sa béni-
gnité gratuite. Que nous ayons tousjours en mémoire ce dire
de Salomon. Qui est-ce qui dira; j'ay nettoyé mon cœur; je Prov. 20.
suis purifié de mes péchez ? Certes il n'y en a pas un, qui ne
soit chargé d'ordures infinies. Que les plus parfaicts donc des-
25 cendent en leur conscience, et ameinent leurs œuvres à
compte : qj^uejlle yssue auront-ilz ? Se pourront-ilz reposer, et
avoir lyesse de cœur ; comme ayans faict avec Dieu : Ne seront-
ilz pas plustost deschirez d'horribles tormens ; sentant toute
matière de damnation estre résidente en eux ; s'ilz sont es-
30 timez par leurs œ^uvres ? 11 fault certes que la conscience, si
elle regarde Dieu, ayt paix et concorde avec son jugement : ou
bien qu'elle soit assiégée des terreurs d'Enfer. Nous ne profïi-
tons donc rien en disputant de justice, sinon que nous establis
sions une telle justice, en la fermeté de laquelle l'ame estant
3o fondée, puisse consister au Jugement de Dieu. Quand nostre
ame aura de quoy, pour apparoistre devant Dieu, sans
estre estonnée, et attendre et recevoir, sans doubte et sans
crainte , son jugement : lors nous pouvons penser, que
nous avons troxivé une justice qui n'est point contrefaicte.
DE LA JUSTIFICATION. 373
Ce n'est point donc sans cause, que l'Apostre presse et poursuyt Hom. 4.
tant fort ceste raison des parolles duquel j'avme mieux user que
des miennes. Si nous avons dit-il, par la Loy la promesse de
nostre héritage : la Foy est anneantye, la promesse est abolye. 11
5 infère premièrement que la Foy est évacuée et anneantye, si la
justice regarde les mérites de noz œuvres, ou si elle dépend de
l'observation de la Loy. Car nul ne pourroitseurement acquiescer
en icelle : veu que jamais ne se trouvera personne, qui s'ose pro-
mettre d'avoir satisfaict à la Loy : comme de faict, nul n'y satis-
lofaict pleinement par ses œuvres. De laquelle chose à fin que
nous ne cerchons pas loinj^ les probations, un chascun se peut
servir de tesmoing- en son endroit, quand il se vouldra regarder
de droit œil. Un chascun donc seroit vexé de double, puis après
accablé de desespoir ; en reputant en soy mesme, de combien
15 gros fardeau de debtes il seroit grevé, et combien il seroit loing
de la condition qui luy seroit proposée. Voylàdesjala Foy oppri-
mée et esteincte. Car vaquer, varier, estre agité hault et bas,
doubler, vaciller, estre tenu en suspend, finalement désespérer,
n'est pas avoir fiance : mais c'est de confermer son cœur en une
20 certitude constante et arrestée, et avoir un appuy solide, où on
se puisse reposer. 11 adjouste en second lieu, que la promesse seroit
cassée et anneantye. Car si l'accomplissement dicelle dependoit
de nostre mérite quand serions nous venuz jusques à ce point de
mériter la grâce de Dieu? Mesmes ce second membre se peut
23 déduire de l'autre. Car la promesse ne sera point accomplie,
sinon à ceux qui l'auront receuë en Foy. Pourtant si la Foy
est decheuë la promesse n'ha plus de vertu. Pourtant nous
obtenons l'héritage en Foy : à fin qu'il soit fondé sur la grâce
de Dieu : et que ainsi la promesse soit establie. Car elle est tres-
se bien confermée, quand elle est appuyée sur la seule miséricorde
de Dieu : d'autant que sa miséricorde et vérité sont conjoinctes
ensemble dun lyen perpétuel : c'est à dire tout ce que le Sei-
gneur nous promet de sa bénignité, il nous le tient fidèle-
ment. C'est donc cy qu'il nous fault arrester et profundement
33 ficher toute nostre espérance : non pas destourner le regard à
noz œuvres, pour en avoir quelque secours. Brief, il nous
fault ainsi conclure. L'Escriture dénonce que les promesses
de Dieu n'ont nulle vigueur, et efPect, qu'elles ne soient receuës
de certaine fiance de cœur : d'autrepart elle déclare, que s'il y a
374 chapitrp: vi.
double ou incertitude au cœur, qu'elles sont rendues vaines.
Puis après elle enseigne, que nous ne pouvons autre chose que
vaciller et trembler, si icelles promesses sont appuyées sur noz
œuvres. Il fault donc, ou que toute justice leur soit ostée, ou que
0 les œuvres ne viennent point en considération : mais plustost que
la seule Foy ayt lieu : de laquelle la nature est de fermer les
veux, et dresser les aureilles. C'est à dire, d'estre fichée du tout
en la seule promesse de Dieu, sans avoir esgard à aucune dignité
ou mérite de l'homme. Ainsi est vérifiée ceste belle promesse de
loZacharie. Que quand l'iniquité de la terre aura esté etîacée, un Zach.3.
chascun appellera son voisin soubz sa vigne et sous son figuier :
Auquel lieu le Prophète signiiie que les fidèles n'ont autre jouys-
sance de paix, que après avoir obtenu remission de leurs péchez.
Pour esclarcir encores plus la matière, examinons quelle
15 peut estre la justice de l'homme, pour tout le cours de sa vie.
Or il nous fault icy mettre quatre degrez. Car ou l'homme,
estant destitué de la congnoissance de Dieu, est enveloppé en
ydolatrie : ou ayant receu la parolle et les sacremens et ce pen-
dant vivant dissoluëment, renonce en ses œuvres le Seigneur,
20 lequel il confesse de bouche : et par ainsi n'est Chrestien que
de tiltre et profession : ou il est hypocrite cachant sa perversité
soubz couverture de preud'hommie : ou estant régénéré par l'Es-
prit de Dieu, s'adonne de cœur à suyvre saincteté et innocence.
Quant au premier genre, d'autant qu'il fault estimer telle ma-
2o niere de gens en leur naturel, depuis le couppet de la teste,
jusques à la plante des piedz, on n'y trouvera un seul grain
de bien : si ce n'est que nous veuillons arguer l'escriture de
faulseté quand elle donne ces tiltres à tous enfans d'Adam :
A scavoir qu'ilz sont d'un cœur pervers et eudurcy que tout jere. 1 7
30 ce qu'ilz peuvent forger de leur première jeunesse n'est que Gène. S.
malice : que toutes leiu^s cogitations sont vaines : qu'ilz n'ont Psa. 49.
point la crainte de Dieu devant leurs yeux que nul d'eux n'ha et H.
intelligence, que nul ne cerche Dieu : en somme qu'ilz sont Gène. 6.
chair : soubz lequel vocable sont entendues toutes les œuvres, Galat.o.et
35 que Sainct Paul recite, paillardise, ordure, impudicité, super- '^"^"''s-
fluité, ydolatrie, empoisonnemens, inimitiez, contentions, ému-
lations, ires, noyses, dissentions, sectes, envies, homicides, et
tout ce qui [s]e peut penser de vilenie et abomination. Voylà la
belle dignité, en fiance de laquelle ilz se doivent enorgueillir. S'il
DE LA JUSTIFICATION.
375
y en a aucuns entre eux, qui ajent quelque apparence d'honnes-
teté en leurs meurs, dont ilz puissent acquérir opinion de sainc-
teté entre les hommes : puis que nous scavons que Dieu ne se
soucye de la pompe extérieure, si nous voulons que telle hon-
5 nesteté vaille quelque chose pour les justifier, il faut venir à la
fonteine et source des œuvres. Il fault dy-je, reg;arder de près
de quelle affection procèdent telles œuvres. Or combien que la
matière me face grande ouverture à parler : toutesfois pource
que la chose se peut despecher en peu de parolles je suyvray la
10 briefveté tant qu'il me sera possible.
Pour le commencement je ne nye pas que toutes les vertus qui
apparoissent en la vie des infidèles et ydolatres, ne soient dons
de Dieu. Et ne suis si eslongné de jugement humain, que je
veuille dire qu'il n'y ayt nulle différence entre la justice, mode-
la ration et équité de Tite et de Trajan : qui ont estez bons Empe-
reurs Romains : et entre la rage, intempérance et cruauté de Cali-
gula, Néron ouDomitian, qui ont régné comme bestes furieuses[;]
entre les vilaines paillardises de Tyberius : et la continence de Ves-
pasian. Et à fin de ne nous arresteren chascuns vices ou vertus,
20 entre l'observation des loix, et le contemnement. Car il y a telle
diversité entre le bien et le mal, qu'elle apparoist mesmes en ceste
image morte. Car quel ordre resteroit au monde ; si ces choses es-
toient confondues ensemble ? Pourtant le Seigneur non seulement
a imprimé au cœur d'un chascun ceste distinction entre les œuvres
25 honnestes et vilaines : mais aussi l'a confermée souvent par sa
providence. Car nous voyons comment il donne plusieurs béné-
dictions de la vie présente à ceux qui s'estudient à vertus entre
les hommes. Non pas que ceste umbre et image de vertu mérite
le moindre de ses bénéfices : mais il luy plaist de monstrer
30 ainsi, combien il ayme la vraye vertu : en ce qu'il ne laisse
point sans quelque rémunération temporelle celle qui n'est que
extérieure et simulée. Dont il s'ensuyt ce que nous avons
n'a gueres confessé : ces vertus telles quelles, ou plustost ces
simulachres de vertus, estre dons procedans de luy : veu qu'il
35 n'y a rien de loiiable, qui n'en procède. Neantmoins ce que es-
crit Sainct Augustin ne laisse point d'estre vray. C'est que
tous ceux qui sont estranges de la Religion d'un seul Dieu,
combien qu'on les ayt en admiration, pour l'estime qu'on
ha de leur preud'hommie, non seulement ne sont dignes de
376 CHAPITRE VI.
nulle rémunération : mais plustost sont dignes de punition, en
ce qu'ilz contaminent les dons de Dieu par la pollution de leur
cœur. Car combien qu'ilz soient instrumens de Dieu, pour con-
server et entretenir la compaignie des hommes, en justice, con-
tinence, amvtié, prudence, tempérance, et force : toutesfois ilz
exécutent ces bonnes œuvres de Dieu tresmal. Car ilz sont rete-
nuz de mal faire, non point de pure atlection d'honnesteté, ou
de justice : mais par ambition ou amour d'eux-mesmes ou quel-
que autre considération oblique et perverse. Puis donc que leurs
10 œuvres sont corrompues de l'impureté du cœur, comme de leur
première origine, elles ne méritent non plus d'estre mises entre
les vertus, que font les vices, qui pour quelque similitude et
affinité qu'ilz ont avec les vertus, deceoivent les hommes. Et
pour le faire court, puis que nous scavons que ceste est la fin
15 unique et perpétuelle de justice et droicture, que Dieu soit hono-
ré : tout ce qui tend alieurs ; à bon droict pert le nom de droic-
ture. Puis donc que telle manière de gens ne regardent point le
but, que la sagesse de Dieu a ordonné combien que ce qu'ilz
font semble advis bon en l'action externe : toutesfois pour la mau-
sovaise fin, est péché. Davantage si ce que dit Sainct Jean est vray:
c'est qu'il n'y a point de vie hoi^s le filz de Dieu : tous ceux qui I .Jean o,
n'ont point de part en Christ quelz qu'ilz soient, ou qu'ilz facenl,
ou s'efforcent de faire, tout le cours de leur vie, ne tend qu'à
ruine et confusion, et jugement de mort éternelle. Pourtant Sainct
25 Augustin parle tresproprement, quand il accomparage la vie de
telles gens à une course esgarée. Car d'autant qu'un homme
court plus hastivement hors du chemin : d'autant plus se recule-
il hors de son but. et à ceste cause est plus misérable. 11 con-
clud donc, qu'il vaut mieux clocher en la voye, que courir lege-
3oremeiit hors de la voye. Finalement il est certain que ce sont
mauvais arbres, veu qu'il n'y a nulle sanctification, sinon en la
communion de Christ. Hz peuvent donc produire de beaux
fruictz, et mesmes de doulce saveur : mais ilz n'en peuvent
nullement produire de bons. De cela nous voyons clerement que
35 tout ce que pense, médite, entreprend et fait l'homme devant
qu'estre reconcilié à Dieu, est mauldit, et non seulement n'ha
aucune valeur à le justifier : mais plustost mérite certaine
damnation. Et comment disputons-nous comme d'une chose
doubteuse, puis que desja il a esté disputé par le tesmoignage
DE LA JlSTlFlCATHtN.
377
de l'Apostre, qu'il est impossible de plaire à Dieu sans Foy.
Mais la chose sera encores plus liquidée, si nous mettons la
grâce de Dieu d une part, et la condition naturelle de l'autre.
L'escriture dénonce partout hault et clair, que Dieu ne trouve
5 rien en lliomme, dont il soit incité à luv bien faire, mais qu'il
le prévient de sa bénignité gratuite. Car qu'est-ce que pourroit
avoir un mort, pour estre restitué en vie? Or quand Dieu illu- Jean o. et
mine l'homme, et luy donne à congnoistre sa vérité, il est dict ^^^gg^^^^
qu'il le suscite des mortz, et le fait nouvelle créature. Car nous
10 voyons que souvent la bénignité de Dieu nous est recommandée
parce filtre, et principalement de l'Apostre. Dieu, dit-il, qui est
riche en miséricorde, pour sa grande charité, dont il nous aaymez,
du temps que nous estions mortz en péché : nous a vivifiez en
Christ, etc. En un autre lieu traictant soubz la figure d'Abra- Ephe. 2.
laham la vocation générale des fidèles. C'est Dieu, dit-il, qui vivi-
fie les mortz, et appelle les choses qui ne sont point, comme si
elles estoient. Si nous ne sommes rien ; que pouvons-nous ? /Jo»!. 4.
Pourtant Dieu rabat fort et ferme toute notre presumption en
l'histoire de Job. Qui m'a prévenu ; et je le remunereray ? Toutes Job 4L
20 choses sont miennes. Laquelle sentence Sainct Paul exipli- liom. II.
quant, l'attire à ce ([ue nous ne pensions apporter quelque
chose à Dieu, sinon pure confusion. Pourtant au lieu preallegué,
pour monstrer que nous sommes venuz en espérance de salut
par la seule grâce de Dieu, et non par noz œuvres : il remonstre
23 que nous sommes ses créatures, estans régénérez en Jésus
Christ à bonnes œuvres, lesquelles Dieu a préparées, à fin que
cheminions en icelles. Comme s'il disoit, Qiii sera-ce de nous;
qui se vantera d'avoir prévenu Dieu par sa justice ; veu que
nostre première faculté à bien faire, procède de sa régénération?
30 Car selon que nous sommes de nature, on tireroit plustost de
l'huvle d'une pierre, que de nous une seule bonne œuvre. C'est
merveilles, si l'homme estant condamné dune telle ignominie,
s'ose encores attribuer quelque chose de reste. Confessons donc
avec i^cje noble instrument de Dieu Sainct Paul, que nous som-
35 mes appeliez d'une vocation saincte : non pas selon noz œuvres, 2. Tim. 1.
mais selon son eslection et grâce. Item, Que la bénignité et Tit. 3.
dilection de Dieu nostre Sauveur est apparue, en ce qu'il nous
a sauvez : non pas pour les œuvres de justice que nous ayons
faictes, mais selon sa miséricorde : à fin qu'estans justifiez
378 CHAPITRE VI.
par sa grâce, nous fussions héritiers de la vie éternelle. Par ceste
confession, nous despoillons rhonime de toute justice, jusques à
la dernière goutte, pour tout le temps qu'il n'est point régénéré
en espérance de vie par la miséricorde de Dieu : veu que si les
5 œuvres vallent quelque chose à nous justifier, il seroit faulse-
ment dict, que nous sommes justifiez par grâce. Certes l'Apostre Boni, i /.
n'estoit pas si oublieux, qu'en affermant la justification estre gra-
tuite, il ne se souvinst bien de ce qu'il argue en un autre lieu :
c'est, que la grâce n'est plus grâce, si les œuvres ont quelque A^a-
10 leur. Et qu'est-ce que veut dire autre chose le Seigneur Jésus ;
disant qu'il est venu pour appeller les pécheurs, et non pas les Mat. 9.
justes? Si les pécheurs tant seulement sont introduictz à salut :
qu'est-ce que nous y cerchons entrée par noz justices contre-
faictes? Ceste pensée me revient souventesfois en l'entendement,
15 qu'il y a danger cjue je ne face injure à la miséricorde de Dieu,
de mettre si grand'peine à la defïendre : comme si elle estoit
doubteuse ou obscure. Mais pource que nostre malignité est telle,
que jamais elle ne concède à Dieu ce qui est sien, sinon qu'elle
soit contreincte par nécessité : il me fault icy arrester im petit
20 plus longuement que je ne vouldroie. Toutesfois pour ce que
l'Escriture est assez facile en cest endroit, je combattray des pa-
rolles d'icelle, plustost que des miennes. lesaïe, après avoir escrit 7esa. 39.
la ruine universelle du genre humain : expose tresbien après
l'ordre de la restitution. Le Seigneur a regardé, dit-il, et luy a
25 semblé advis mauvais : et a veu qu'il n'y avoit pas un homme :
et s'est esmerveillé qu'il n'y avoit pas un seul qui intercedast.
Pourtant il a miz le salut en son bras : et s'est confermé en sa
justice. Où sont noz justices ; si ce que dit le Prophète est vray?
C'est qu'il n'y en a pas un seul, qui ayde à Dieu à recouvrer
30 salut. En telle manière l'autre Prophète introduyt le Seigneur Osée 2.
parlant de reconcilier le pécheur à soy. Je t'espouseray, dit-il,
à perpétuité, en justice, jugement, grâce et miséricorde. Je diray
à celuy qui n'avoit point obtenu miséricorde, qu'il l'aura obte-
nue. Si une telle alliance, qui est la première conjonction I
35 de Dieu avec nous, est appuyée sur la miséricorde de Dieu :
il ne nous reste autre fondement de nostre justice. Et de faict
je voudroie bien scavoir de ceux, qui veulent faire à croire,
que l'homme vient au devant de Dien ave quelques mérites
s'il y a quelque justice, qui ne soit point plaisante à Dieu ? Si
DE LA JUSTIFICATION.
379
c'est une rage de penser cela : qu'est-ce qui procédera des enne-
niys de Dieu ; qui luy soit plaisant ; veu c[u'il les ha entière-
ment en abomination; avec toutes leurs œuvres? La vérité tes- Rom. 1 .
moigne, que nous sommes tous ennemys mortelz de Dieu, et qu il Collas. I .
5 y a guerre ouverte entre luy et nous, jusques à ce qu estans jus-
tiliez, nous rentrions en sa grâce. Si le commencement de la
dilection de Dieu envers nous est nostre justification : quelles
justices des œuvres pourront précéder ? Par quoy Sainct Jean,
pour nous retirer de ceste pernitieuse arrogance, nous admo- I. Jean A.
10 neste diligemment, comme nous ne l'avons pas aymé les pre-
miers. Ce que le Seigneur avoit longtemps au paravant enseigné
par son Prophète : disant, qu'il nous aymeroit d'une dilection Osée li.
voluntaire, pource que sa fureur est destournée. S'il est enclin
de son bon vouloir à nous aymer : il n'est pas certes esmeu par
15 les œ^uvres. Le rude vulgaire n'entend autre chose par cela,
sinon que nul n'avoit mérité que Christ list nostre rédemption :
mais que pour venir en possession d'icelle, nous sommes aydez
de noz œuvres. Mais aucontraire, comment que nous soyons
racheptez de Christ, si est-ce toutesfois que nous demeurons
20 tousjours enfans de ténèbres, ennemys de Dieu, et héritiers de
son ire, jusques à ce que, par la vocation gratuite du Père,
nous sommes incorporez en la communion de Christ. Car Sainct /. Cor. 6.
Paul ne dit pas, que nous soyons purgez et lavez de noz ordures :
sinon quand le Sainct Esprit fait ceste purgation en nous. Ce
2.ique voulant dire Sainct Pierre, enseigne que la sanctification I . Pier. I .
du Sainct Esprit nous proffîte en obeyssance, et arrousement du
sang de Christ. Si pour estre purifiez, nous sommes arrousez du
sang de Christ, par l'esprit : ne pensons point estre autres
devant cest arrousement, qu'est un pécheur sans Christ. Que
recela donc nous demeure certain : à scavoir que le commence-
ment de nostre salut, est comme une résurrection de mort à
vie.
Soubz ce ranc sont comprins le second et troisiesme genre
des hommes, que nous avons mis en la division précédente.
35 Car la souillure de conscience, qui est tant aux uns comme
aux autres, est un signe, qu'ilz ne sont point encores régéné-
rez de l'Esprit de Dieu. D'aA^antage ce qu'ilz ne sont point
régénérez, est signe qu'ilz n'ont nulle foy. Dont il appert
qu'ilz ne sont encores reconciliez à Dieu, ne justifiez
380 CHAPITRE VI.
en son jugement : veu qu'on ne parvient à telz biens, sinon par
Foy. Qu'est-ce que feroient les pécheurs aliénez de Dieu ; qui ne
fust exécrable à son jugement ? Il est bien vray, que tous infi-
dèles, et principalement les hypocrites, sont enflez de ceste folle
3 confiance : C'est, combien qu'ilz congnoissent leur cœur estre
plaiii d'ordure et de toute vilenie ; toutesfois s'ilz font quelques
bonnes œuvres en apparence, ilz les estiment- dignes de n'estre
point mesprisez de Dieu. De là vient cest erreur mortel, que
ceux qui sont convaincuz d'avoir le cœur meschant et inique, ne
10 se peuvent amener à ceste raison, de se confesser estre vuides de
justice : mais en se recongnoissant injustes, pource qu'ilz ne le
peuvent nyer, s'attribuent neantmoins quelque justice. Ceste
Amanite est tresbien refutée de Dieu par le Prophète Haggée.
Interrogue, dit-il. les Prestres. Si un homme porte au pan de sa Hagg. 2.
15 robbe de la chair sanctifiée, ou attouche du pain sanctifié; sera-
il pourtant sanctifié ? Les Prestres respondent que non. Hag-
gée les interrogue puis aprez, Si un homme poilu en son ame,
touche quelqu'une de ces choses ; s'il ne la polluera pas? Les
Prestres respondent que ouy. Lors il est commandé à Haggée de
20 leur dire : Tel est ce peuple devant ma face : et telles sont les
œuvres de leurs mains, et tout ce qu ilz m'ofFreront sera conta-
miné. Pleust à Dieu que ceste sentence fust bien receuë de nous,,
ou bien imprimée en nostre mémoire. Car il n'y en a nul,
quelque meschant qu'il soit en toute sa vie, qui se puisse per-
25 suader ce que le Seigneur dénonce icy clairement. Si le plus
meschant du monde s'est aquité de son devoir en quelque point,
il ne double pas que cela ne luy soit aloué pour justice. Au
contraire le Seigneur proteste, que par cela on n'acquiert nulle
sanctification, que le cœur ne soit premièrement bien purgé.
30 Et non content de cela, tesmoigne que toutes œ^uvres précé-
dentes des pécheurs sont souillées par limpurité de leur cœur.
Gardons nous donc d'imposer le nom de justice aux œuvres qui
sont condamnées de pollution par la bouche de Dieu. Et par
combien de belles similitudes demonstre-il cela ? Car on pou-
33 voit objecter, que ce que Dieu a commandé, est inviolable-
ment sainct. Mais aucontraire il demonstre, que ce n'est pas de
merveilles, si les œuvres que Dieu a sanctifiées en sa Loy,
sont souillées par l'ordure des meschans : veu que par
une main immunde est prophané ce qui avoit esté consacré.
DE LA JUSTIFICATION. . i^Si
Il pouisuyt aussi en lesaïe tresbien ceste matière. Ne m'offrez Iesaie2.
point, dit-il, sacrifices en vain : vostre encens m'est abomination : ifs" aussi
mon cœur hayt toutes vos festes et solennitez : je suis fasché à le 58.
merveilles de les endurer. Quand vous esleverez voz mains je
sdestourneray mes yeux de vous: quand vous nmltiplierez voz
oraisons, je ne les exauceray point : car voz mains sont pleines de
sang-. Lavez vous et soyez purs, et ostez voz mauvaises pensées.
(^u"est-ce que veult dire cela ; que le Seigneur rejette et abomine
si fort lObservation de sa Loy. Mais il ne rejette rien, qui soit de
10 la pure et vraye observation de la Loy : dont le commencement
est, comme il enseigne par tout, une crainte cordiale de son
Nom : icelle ostéç, toutes les choses, qu'on luy présente, non
seulement sont fatras : mais ordures puantes et abominables.
Voisent maintenant les hypocrites, et s'efforcent de s'approuver
15k Dieu par leurs bonnes œuvres : ayans ce pendant le cœur
enveloppé en cogitations perverses. Certes en ceste manière ilz
l'irriteront de plus en plus. Car les hosties des iniques luy sont Prov. 15.
exécrables : et la seule oraison des justes luy est plaisante.
Nous concluons donc, que cela doibt estre résolu, entre ceux,
20 qui sont moyennement exercitez en l'Escriture c'est, que toutes
œuvres qui procèdent des hommes que Dieu n'a point sanctifiez
par son Esprit, quelque belle monstre qu'elles ayent, sont si
loing d'estre réputées pour justice devant Dieu, qu'elles sont esti-
mées péchez. Pourtant ceux qui ont enseigné, que les œuvres
2.> n'acquièrent point grâce et faveur à la personne : mais aucon-
traire que les œuvres sont lors agréables à Dieu quand la per-
sonne a esté acceptée de luy en sa miséricorde : ont tresbien et
véritablement parlé. Et nous fault diligemment observer cest
ordre auquel l'Escriture nous conduyt quasi par la main. Moyse Gène. 4.
soescrit que Dieu a regardé à Abel, et à ses œuvres, voyons nous
pas qu'il demonstre Dieu estre propice aux hommes ; devant qu'il
regarde à leurs œuvres ? Il fault donc que la purification du
cœur précède : à ce que les œuvres provenantes de nous,
soient amyablement receuës de Dieu. Or le Sainct Esprit a
33 une fois prononcé par la bouche de Sainct Pierre, que par .4c/, /o.
la seule Foy noz cœurs sont purifiez. Il s'ensuyt donc,
que le premier fondement est en la vraye et vive Foy.
Regardons maintenant que c'est qu'ont de justice ceux
que nous avons mis au quatriesme ranc. Nous confessons bien
382 CHAPITRE VI.
que quand Dieu nous reconcilie à soy par le moyen de la justice
de Jésus Christ : et nous ayant faict remission gratuite de noz
péchez, nous repute pour justes : que avec ceste miséricorde est
conjoinct un autre bénéfice : c'est que par son Sainct Esprit il
o habite en nous : par la vertu duquel les concupiscences de nostre
chair sont de jour en jour plus mortifiées. Et par ainsi sommes
sanctifiez : c'est à dire consacrez à Dieu en vraye pureté de vie :
entant que noz coeurs sont formez en obeyssance delà Loy, à ce
que nostre principale volunté soit, de servir à sa volunté, et
10 avancer sa g-loire en toutes sortes. Neantmoins, cependant
mesmes, que par la conduicte du Sainct Esprit, nous cheminons
en la voye du Seigneur : à fin de nous oublier, il y demeure des
reliques d'imperfection en nous, lesquelles nous donnent occasion
de nous humilier. 11 n'y a nul juste, dit l'Escriture, qui face bien
15 et ne pèche point. Quelle justice donc auront les fidèles de leurs
œuvres? Je dy premièrement, que la meilleure œuvre qu'ilz puis-
sent mettre en avant est toujours souillée et corrumpue de quel-
que pollution de la chair : comme un vin est corrumpu, quand il
est meslé avec sa lye. Que le serviteur de Dieu, dy-je, eslise la
20 meilleure œuvre qu'il pensera avoir faicte en toute sa vie ; quand
il aura bien espeluché toutes les parties d'icelle, il trouvera sans
doubte, qu'elle sentira en quelque endroit la pourriture de sa
chair : veu qu'il n'y a jamais en nous une telle disposition à bien
faire, qu elle y détroit estre : mais qu'il y a grande foiblesse à nous
25 regarder. Or combien que nous voyons les macules dont sont en- |
taschées les œuvres des sainctz, n'estre point obscures ne cachées :
toutesfois encores que nous posions le cas, que ce soient seule-
ment de petites taches et menues ; à scavoir si elles n'offense-
ront en rien les yeux du Seigneur devant lesquelz les estoiles Joh i.
30 mesmes ne sont point pures. Nous avons, qu'il ne sorte point
une seule œuvre des fidèles : laquelle ne mérite juste confusion,
si on l'estime de soy. Davantage s'il se pouvoit faire, que
nous feissions quelques œuvres pures et parfaictes : toutesfois
un seul péché suffist, pour effacer et esteindre toute la mémoire
35 de nostre justice précédente: comme dit le Prophète: auquel £';ec. 7 6'
aussi accorde S. Jacques disant que celuy qui a offensé en un Jacq. i.
poinct est rendu coulpable de tous. Or comme ainsi soit, que
ceste vie mortelle ne soit jamais pure ou vuide de péché : tout ce
que nous aurions acquis de justice seroit corrumpu, oppressé,
DE LA JUSTIFICATION.
383
et perdu à cluiscune heure, par les péchez qui s'eiisuyvroient :
ainsi ne viendroit point en compte devant Dieu, pour nous estre
imputé à justice. Finalement, quand il est question de la jus-
tice des œuvres, il ne fault point rejj^arder un seul faict : mais la
ï Lo V mesme. Et pourtant si nous cerclions justice en la Loy, ce
sera en vain (jue nous produyrons une œuvre ou deux : mais il
est recfuis d'apporter une obeyssance perpétuelle. Ce n'est pas
donc pour une fois, que le Seigneur nous impute à justice la
remission gratuite de nos péchez : comme aucuns follement
11" pensent : à fin que ayans impetré une fois pardon de nostre
mauvaise vie, nous cerchions après justice en la Loy : veu que
en ce faisant, il ne se seroit que mocquer de nous, en nous
abusant d'une vaine espérance. Car comme ainsi soit, que nous
ne puissions avoir aucune perfection ce pendant que nous sommes
isen ce corps mortel : dautrepart que la Loy dénonce jugement
et mort k tous ceux qui n auront accomply d'œuvres, parfaicte
justice : elle auroit tousjours de quoy nous accuser et convaincre,
sinon que la miséricorde de Dieu v[iejnt au devant pour nous
absouldre de remission de péché assiduelle. Pourtant ce que
20 nous avons dict au commencement demeure tousjours ferme.
C'est que si nous sommes estimez selon nostre dignité, quelque
chose que nous taschissions de faire : nous serons tousjours
dignes de mort avec noz eil'ors et entreprinses. Il nous fault fer-
mement arrester h ces deux poinctz. Le premier est, qu'il ne
2.Ï [s' Jest jamais trouvé œuvre d'homme lidelequi ne fust damnable,
si elle eust esté examinée selon la rigueur du Jugement de
Dieu. Le second est que quand il s'en trouveroit une telle, ce
qui est impossible k l'homme ; ne;mtmoins qu'estant pollue et
souillée par les péchez, qui seroient en la personne, perdroit
30 toute grâce et estime.
Les subterfuges que cerchent icy les Sorbonistes pour
évader, ne les despechent point. Hz disent, que ce que les
bonnes œuvres ont quelque valeur k justifier l'homme, cela
vient de la grâce de Dieu qui les accepte : les faultes qui se
3,ï commettent, sont compensées par œuvres de supererogation.
Je respondz, que la grâce qu'ilz appellent acceptante, n'est
autre chose, que la bonté gratuite du Père céleste, dont il nous
embrasse et receoit en Jésus Christ : c'est quand il nous vest
de linnocence d'iceluy, et nous la met en compte : k ce que, par
384 CHAPITKE VI.
le bénéfice d'icelle, il nous tienne pour sainctz, purs et innocens.
Car il fault que la Justice de Christ se présente pour nous, et soit
comme consignée au Jug:ement de Dieu : pource que icelle seule,
comme elle est parfaicte, aussi peult soustenir son regard.
oNous donc estans garniz d'icelle, obtenons remission assiduelle
de noz péchez en Foy : par la pureté d'icelle, noz macules et
les ordures de noz imperfections estans cachées, ne nous sont
imputées : mais sont comme ensevelies, à fin de n'aparoistre
point devant le Jugement de Dieu : jusques à ce que l'heure
10 vienne qu'après la mort de nostre viel homme, la bonté de Dieu
nous retire avec Jésus Christ, qui est le nouvel Adam, en un
repoz bienheureux : où nous attendions le jour de la Résurrec-
tion, auquel serons transferez en la gloire céleste ayans receuz
noz corps incorruptibles. Si ces choses sont vrayes : il n'y a
15 nulles œuvres, qui nous puissent d'elles mesmes rendre agréables
à Dieu. Mesmes ne luy sont pas plaisantes : sinon entant que
l'homme estant couvert de la Justice de Christ, luy plaist, et
obtient la remission de ses vices. Ce qu'ilz ont accoustumé de
jaser, de recompenser Dieu par œuvres de supererogation, n'est
2ocrueres plus ferme. Car quoy ? ne reviennent ilz pas tousjours
là ; dont ilz sont ja excluz? C'est que quiconques garde en par-
tie la Loy, est d'autant juste par [s]es œuvres ? En ce faisant ilz
prennent une chose pour résolue, que nul de sain jugement ne
leur concederoit. Le Seigneur tesmoigne si souvent, qu'il ne re-
25 cono-noist autre justice, sinon en parfaicte obeyssance de sa Loy.
Quelle audace est ce ; quand nous go mmesdenuez d'icelle; à fin qu'il
ne semble advis, que nous soyons despouillez de toute gloire,
c'est à dire que nous ayons pleinement cédé à Dieu ; de produyre je
ne scav quelles pièces et morceaux d'un peu de bonnes œuvres ? et
30 ainsi vouloir racheter ce qui nous detfault par satisfactions? Les
satisfactions ont esté cy dessus puissamment abatues ; tellement
qu'ellefs I ne nous devroient entrer en l'entendement, et ne fust ce
que par songes. Seulement je dy que ceux qui babillent ainsi in- Autraict
considerement ; ne reputent point, combien c'est une chose exe- /^^^f^'
33 crable àDieu que péché ; car lors certes ilz entendroient que toute
la justice des hommes assemblée en un monceau, ne suffiroit
pas à la recompense d'un seul péché. Nous voyons, l'homme
avoir esté pour un seul péché, tellement rejette de Dieu, qu'il a
perdu tout moyen de recouvrer salut. La faculté donc de satisfai-
DE LA JUSTIFICATION. 385
re nous est ostée : de laquelle ceux qui se flattent, jamais ne
satisferont à Dieu : auquel il n'y a rien aji^reable de ce qui pro-
cède de ses ennemyz. Or tous ceux ausquelz il veult imputer
les péchez, luy sont ennemyz. Il fault donc que tous péchez
5 soient couvers et remiz, devant qu'il reg-arde à une seule œuvre
de nous. Dont il s'ensuyt, que la remission des péchez est
gratuite : laquelle est meschamment blasphémée de ceux qui
mettent en avant aucunes satisfactions. Pourtant nous à l'exem-
ple de l'Apostre, oublians les choses passées, et tendans à ce qui Phili. 3.
10 est devant nous, poursuy vous nostre course, pour parvenir au
loyer de la vocation supernelle.
De prétendre quelques d'uvres de supererog-ation : comment
conviendra-il avec ce qui est dict ; que quand nous aurons faict
tout ce qui nous est commandé; que nous disions que nous Luc / 7.
15 sommes serviteurs inutiles; et que nous n'avons faict que ce que
nous debvions faire ? Dire devant Dieu, n'est pas feindre ou men-
tir : mais arrester en soymesme ce qu'on ha pour certain. Le Sei-
gneur donc nous commande de juger à la vérité, et recongnoistre
de cœur, que nous ne luy faisons nul service voluntaire ; mais
20 seulement luy rendons ceux dont nous luy sommes redevables.
Et ce à bon droict : car nous luy sommes serfz et adstreinctz de
nostre condition, à tant de services, qu'il nous est impossible de
nous en aquiter : voire quand toutes noz pensées et tous noz
membres ne s'appliqueroient à autre chose. Pourtant quand il dit,
23 après que vous aurez faict tout ce qu'il vous aura esté commandé •
c'est autant comme s'il disoit : Posez le cas, que toutes les justices
du monde fussent à un homme seul, et encores d'avantage. Nous
donc, entre lesquelz il n'y en a nul, qui ne soit bien loing de ce but,
comment nous oserions-nous glorifier ; d'avoir adjousté quelque
30 comble à la juste mesure? Et ne fault point que quelqu'un al-
lègue, qu'il n'y a nul inconvénient, que celuy qui ne fait pas son
devoir en quelque partie, face plus qu'il n'est requis de né-
cessité. Car il nous fault avoir ceste reigle, qu'il ne nous peut
rien venir en l'entendement, qui face, ou à l'honneur de Dieu
33 ou à la dilection de nostre prochain, qui ne soit comprins
soubz la Loy de Dieu. Or si c'est partie de la Lov : il ne nous
fault vanter de libéralité voluntaire , où nous sommes ads-
treinctz par nécessité. Et est mal à propoz alléguée, pour
cela prouver, la sentence de Sainct Paul : C'est qu'il se glorifie L Cor. 9.
Institution. 25
386 CHAPITRE VI.
qu'entre les Chorinthiens il a cédé de son droict, duquel il pou-
voit user s'il eust voulu. Et qu'il ne leur a point seulement rendu,
ce qu'il leur debvoit de son office : mais qu'il s'est amployé
oultre son devoir, en leur preschant gratuitement l'Evangile. Il
0 failloit considérer la raison qui est là notée : c'est, qu'il a faict
cela, à fin qu'il ne fust point en scandale aux infirmes. Car les
séducteurs, qui troubloyent ceste Eglise là, se insinLioyent par
ceste couverture, de ne rien prendre pour leur peine: àfind'aque-
rir faA^eur à leur perverse doctrine, et mettre l'Evangile enhayne.
10 Tellement qu'il estoit nécessaire à Sainct Paul, ou de mettre en
danger la doctrine de Christ, ou d'obvier à telles cautelles. Si
c'est chose indifférente à l'homme Chrestien, d'encourir scan-
dale, quand il s'en peut abstenir : je confesse que l'Apostre a
donné quelque chose à Dieu plus qu'il ne luy debvoit. Mais si
15 cela estoit requis à un prudent dispensateur de l'Evangile : je
dy qu'il a faict ce qu'il devoit. Finalement quand ceste raison
n'apparoistroit point : neantmoins ce que dit Chrisostome est
tousjours vray : que tout ce qui vient de nous est d'une telle con-
dition, que ce que possède un homme serf ; c'est, que par le
20 droict de servitude, il appartient à son maistre. Ce que Christ
n'a point dissimulé en la parabole. Car il inlerrogue quel gré
nous scaurons ànostre serviteur; après que ayant tr[avjaillé tout
au long du jour; il retournera au soir en la maison? Or il se peut
faire, qu'il aura pris plus de peine que nous ne luy en eussions
25 osé imposer. Quand ainsi sera : encores n'a-il faict sinon ce qu'il
nous devoit du droict de servitude: veu qu'il est nostre, avec
tout ce qu'il peut faire. Je ne dy point quelles sont les superero-
gations, dont ilz se veulent priser devant Dieu : toutesfois ce ne
sont que fatras, lesquelz il n'a point commandez, et ne les appreu-
30 ve point : et quand ce viendra à rendre compte, ne les alouera
nullement. En ce sens nous concéderons bien que se sont œuvres
de supererogation ainsi qu'en parle le Prophète, disant :Iesaie1.et
Qui a requis ces choses de voz mains ? Mais il fault que ces '^
Pharisiens se souviennent de ce qui en est dict en un autre lieu.
35 Pourquoy délivrez vous vostre argent ; et n'en achetez point lesaie oo
de pain ? Pourquoy prenez-vous peine en choses qui ne vous
peuvent rassasier? Messieurs noz maistres peuvent bien, sans
grande difficulté, disputer de ces matières estans en leurs es-
cholles assiz mollement sur des coyssins. Mais quand le sou-
DE LA jrSïlKU.AIlON.
387
verain Juge apparoistra du ciol en son Throsne judicial : tout ce
{|u'il/, auront déterminé ne prolitera gueres, ains s'esvanouyra
comme fumée. Or c'estoit ce cju il failloil icy cercher, ([uelle
fiance nous pourrons apporter, pour nous delVendre en cest hor-
5 rihle jugement : et non pas ce qu'on en peut babiller, ou mentir,
en quelque anglet d'une Sorbonne.
Il nous fault chasser icy deux pestes de noz cœurs : C'est
qu'il/ n'ayent nulle fiance en noz œuvres : et qu'il/ ne leur attri-
buent aucune louënge. L'Escriture ck et là nous en oslo la liance :
10 disant tjue toutes no/ justices ne sont (|u'ordurc et })uantise
devant Dieu : sinon qu elles tirent bonne odeur de la Justice de
Jésus Christ : qu'elles ne peuvent sinon provoquer la vengeance
de Dieu, si elles ne sont supportées par la doulceur de sa miséri-
corde. Ainsi elle ne nous laisse rien de reste, sinon que nous
js implorions la clémence de nostre Juge, pour obtenir mercy,
avec ceste confession de David : ([ue nul ne sera justifié devant
sa face, s'il appelle à compte ses serviteurs. C est ce qui est
dict en ceste sentence de .lob. Si j'ay mal faict, malheur sur Jub 10.
moy : si j'ay bien faict, encores ne dresseray-je point la teste.
io Car Job n'entend point qu'il ayme myeulx de son bon gré céder
à Dieu, ({ue de combattre avec péril contre sa rigueur. Mais
il signifie qu'il ne recongnoist justice en soy, laquelle ne
decheut incontinent devant Dieu. (^)uand la fiance est dechas-
sée, il fault aussi (jue toute gloire soit anneantie. Car qui est-ce
23 qui assignera la louenge de justice à ses a'uvres ; quand en les
considérant il tremblera devant Dieu ? Nostre cœur donc sera
lors droictement purgé, quand il ne s'appuyera nullement en
aucune fiance d'aaivres, et n'en prendra point matière de s'es-
lever et enorgueillir. C'est cest erreur, qui induit les hommes à
30 ceste fiance frivole et mensongère, qu'il/ establissent tousjours
la cause de leur salut en leurs œ'uvres. Mais si nous regardons
les quattre genres de causes, que les Philosophes mettent : nous
n'en trouverons pas un seul, qui convienne aux œuvres, quand il
est question de nostre salut. L'Escriture par tout enseigne, que
35 la cause elïiciente de nostre salut est la miséricorde de nostre
Père céleste, et la dilection gratuite qu'il ha eu envers nous ;
pour la cause matérielle, elle nous propose Christ avec son
obéissance : par laquelle il nous a acquis justice. De la cause
qu'on appelle instrumentale : quelle dirons-nous qu'elle est
388 CHAPITRE VI.
sinon la Fov ? Sainct Jean a comprins toutes ces lois ensemble Jean 3.
en une sentence, quand il dit, que Dieu a tant aymé le monde,
qu'il a donné son filz unique, à fin que quiconques croira en luy,
ne périsse point, mais ayt la vie éternelle. Quant à la cause Rom. 3.
5 finale, l'Apostre dit, que ce a esté pour demonstrer la Justice de Ephe. 4
Dieu, et glorifier sa bonté. Quand nous voyons toutes les parties
de nostre salut estre hors de nous : qu'est-ce que nous prenons
aucune confiance ou gloire de noz œuvres ? Quant est de la cause
efficiente et finale, les plus grandz adversaires de la gloire de
10 Dieu ne nous en scauroient faire controversie s'ilz ne veulent re-
noncer toute l'Escriture. Quand ce vient à la cause matérielle et
instrumentale, ilz cavillent : comme si noz œuvres partissoient à
demy avec la Foy et la Justice de Christ. Mais l'Escriture con-
tredit aussi bien à cela : en affermant simplement que Christ
13 nous est en justice et en vie : et que nous possédons un tel bien
par la seule Foy.
Ce que les Sainctz se conferment et se consolent souvent, en ré-
duisant en mémoire leur innocence et intégrité, et aucunesfois la
mettent en avant : cela se fait en deux manières. C'est que en ac-
20 comparant leur bonne cause avec la mauvaise cause des iniques,
ilz conceoivent de cela espérance de victoire : non pas tant pour la
valeur ou estime de leur justice, que pource que l'iniquité de leurs
ennemyz mérite cela. Secondement, quand en se recongnoissantz
devant Dieu, sans se comparer avec les autres, ilz receoivent
23 quelque consolation et fiance de la pureté de leur conscience.
De la première raison, nous en voyrrons cy aprez. Maintenant
despeschons briefvement la seconde, comment c'est qu'elle peut
convenir et accorder avec ce que nous avons desja dict : à
scavoir qu'il ne nous fault appuyer sur aucune fiance de noz
30 œuvres au jugement de Dieu, et ne nous en fault nullement glo-
rifier. Or ceste est la convenance que les Sainctz , quand il est
question de fonder et establir leur salut, sans avoir regard à
leurs œuvres, fichent les deux yeux en la seule bonté de Dieu.
Etnon seulement s'adressent à icelle devant toutes choses, comme
33 au commencement de leur béatitude : mais l'ayant aussi bien pour
accomplissement, y acquiescent du tout, et s'y reposent. Après
que la conscience est ainsi fondée, dressée et confermée : elle
se peut aussi fortifier par la considération des œuvres : à scavoir
entant que ce sont tesmoignages que Dieu habite et règne en nous.
DE LA JUSTIFICAÏIO.N. 389
Puis donc que ceste fiance des œuvres n'a point lieu, jusques à
ce que nous ayons remis toute la fiance de nostre cœur en la
miséricorde de Dieu : cela ne fait rien pour monstrer que les
œuvres justifient, ou d'elles mesmes puissent asseurer l'homme.
5 Pourtant quand nous excluons la fiance des œuvres : nous ne
voulons autre chose dire, sinon que l'ame chrestienne ne doibt
point reg^arder au mérite des œuvres, comme à un refuge de sa-
lut : mais du tout se reposer en la promesse gratuite de justice.
Ce pendant nous ne luy delTendons pas, qu'elle ne se soustienne
10 et conferme par tous signes, qu'elle ha de la benevolence de
Dieu, (^ar si tous les dons, que Dieu nous a faiclz ([uand nous les
réduisons en mémoire, sont comme rayons de la clairté de son
visage, pour nous illuminer à contempler la souveraine lumière
de sa bonté : par plus forte raison les bonnes œuvres, qu'il nous
15 a données, doivent servir à cela : lesquelles demonstrent l'Esprit
d'adoption nous avoir esté donné. Quand donc les Sainct/ con-
ferment leur Foy par leur innocence, ou en prennent matière
de se resjouyr : ilz ne fout autre chose, sinon reputer que les
fruictz. de leur vocation, que Dieu les a adoptez pour ses enfans.
20 Ce donc que dit Salomon, qu'en la crainte du Seigneur il y a Prov. 17.
ferme asseurance : ce que les Sainctz pour estre exaulcez de Dieu Gen. 2i.
usent aucunesfois de ceste remonstrance, qu'ilz ont cheminé
devant sa face en intégrité et simplicité : tout cela n'a point de i. Boys
lieu cl faire fondement, pour édifier la conscience : mais lors
25 seulement peut valoir, quand on le prend comme enseigne de la
vocation de Dieu. Car la crainte de Dieu n'est nulle part telle,
qu'elle puisse donner ferme asseurance : et tous les Sainctz en-
tendent bien qu'ilz n'ont pas pleine intégrité, ains qui est meslée
avec beaucoup d'irnperfections et reliques de leur chair : mais
30 pource que des fruictz de leur régénération ilz prennent argument
et signe que le Sainct Esprit habite en eux, ilz n'ont pas petite
matière à se confermer, d'attendre l'ayde de Dieu en toutes né-
cessitez : veu qu'ilz l'expérimentent Père en si grandchose.
Or ilz ne peuvent cela faire, que premièrement ilz n'ayent appre-
sshendé la bonté de Dieu, s'asseurans d'icelle parles promesses de
l'Evangile tant seulement. Car s'ilz conmiencent une fois de la
reputer selon les œuvres, il n'y aura rien plus incertain ne plus in-
firme. Veu que si les œuvres sont estimées en elles mesmes : elles
ne menaceront pas moins l'homme de l'ire de Dieu par leur im-
390 CHAPITRE VI.
perfection, qu'elles luy tesmoig-neront sa benevolence par leur
pureté tellement quellement accommencée . Nous voyons main-
tenant que les Sainctz ne conceoivent point une fiance de leurs
œuvres, qui attribue quelque chose au mérite d'icelles (veu
squ'ilz ne les considèrent point, que comme dons de Dieu, dont
ilz recongnoissent sa bonté : et signes de leur vocation, dont ilz
reputentleur eslection), n'aussi qui derog-ue rien à la justice gra-
tuite que nous obtenons en Christ : veu qu'elle dépend, et y est
appuyée. D'avantage ce que FEscriture dit, que les bonnes
10 œuvres sont cause pourquoy nostre Seigneur fait bien à ses ser-
viteurs : il fault tellement entendre cela, que ce que nous avons
dit cy dessus demeure en son entier. C'est, que Torigine et efïect
de nostre salut gist en la dilection du Père céleste : la matière
et substance, en l'obeyssance de Christ, l'instrument, en l'illumi-
15 nation du Sainct Esprit, c'est à dire en la Foy que la lin est à ce
que la bonté de Dieu soit glorifiée. Cela n'enpesche point que
Dieu ne receoyve les œuvres, comme causes inférieures. Mais
dont vient cela? C'est pour ce que ceux qu'il a prédestinez par
sa miséricorde à l'Héritage de la vie éternelle, il les introduit
20 selon sa dispensation ordinaire en la possession d'icelle par
bonnes œuvres. Ainsi ce qui précède en l'ordre de sa dispensa-
tion, il le nomme cause de ce qui s'ensuyt après. Pour ceste
mesme raison l'Escriture semble advis signifier aucunesfois,
que la vie éternelle procède des bonnes œuvres : non pas que
25 la louënge leur en doive estre attribuée : mais pource que Dieu
justifie ceux qu'il a esleuz, pour les glorifier : finalement la
première grâce, qui est comme un degré à la seconde, est nom-
mée cause d'icelle. Toutesfois quand il fault assigner la vraye
cause, l'Escriture ne nous meine point aux œuvres : mais nous
30 retient en la seule cogitation de la miséricorde de Dieu. Car
qu'est-ce que veut dire ceste sentence de l'Apostre ; que le loyer Bom. 6.
de péché c'est mort ; la A'ie éternelle est grâce de Dieu ? Pourquoy
n'oppose-il la justice à péché, comme la vie à la mort? Pourquoy
ne met il la justice pour cause de vie ; comme il dit le péché estre
35 cause de mort? car la comparaison eust esté ainsi entière, la-
quelle est aucunement imparfaicte comme il la couche : Mais il
a voulu exprimer en ceste comparaison ce qui estoit vray : à
scavoir que la mort est deuë pour ses mérites : mais que la vie
est située en la seule miséricorde de Dieu,
DE LA .IL'STIIICATION.
391
Nous avons desja despesché le principal neiul de ceste matière :
c'est que d'autant qu'il est nécessaire, que toute justice soit con-
fondue devant la face de Dieu, si elle est appuyée sur les leuvres
elle est contenue en la seule miséricorde de Dieu, et en la seule
5 communion de Christ : et pourtant en la seule Foy. Or nous avons
diligemment à noter, que cestuy est le principal point, à fin de ne
nous envelopper en l'erreur commun, non seulement du vulgaire,
mais aussi des scavans. Car (piand il est question si la Foy ou
les ceuvres justifient : ilz aile^'-uent les passages qui semblent
10 advis attribuer quelque mérite aux œuvres devant Dieu, comme
si la justification des (euvres estoit par cela demonstrée, quand
il seroit prouvé qu'elles sont en quelque estime devant Dieu. Or
il a esté clairement demonstré que la justice des œuvres consiste
seulement en une parfaicle et entière observation de la Loy :
15 dont il s'ensuyt, que nul n'est justifié par ses oeuvres, sinon
celuy qui est venu à une telle perfection, qu'on ne le scauroit
redarguer de la moindre faulte du monde. C est donc une autre
question et séparée: h scavoir si les œ'uvres, combien qu'elles ne
suiïîsent point à justifier l'homme, luy peuvent acquérir faveur
20 envers Dieu ? Premièrement je suis contrainct de protester cela
de ce nom de mérite : que quiconques l'a le premier attribué aux
œuvres humaines, au regard du Jugement de Dieu, n'a pas faict
chose expediente pour entretenir la syncerité de la Foy. Quant
à moy, je me déporte voluntiers de toutes contentions, qui se
2!i font pour les motz : mais je desirerois que ceste sobriété eust
tousjours esté gardée. entre les Chrestiens : qu'ilz n'eussent
point, sans mestier et sans propoz, usurpé vocables estranges
de l'Escriture : qui pouvoyent engendrer beaucoup de scan-
dales, et peu de fruict. Car quel mestier estoit-il, je vous prie,
30 de mètre en avant ce nom de mérites pui.sque la dignité des
bonnes (euvres pouvoit autrement estre expliquée sans olfen-
sion ? Or combien il est venu de scandales de ce mot, nous le
voyons avec grand dommage de tout le monde. Certes, comme
il est plain d'orgueil, il ne peut sinon obscurcir la grâce de Dieu,
35 et abreuver les hommes d'une vaine oultrecuidance. Je con-
fesse que les Anciens docteurs de l'Eglise en ont communé-
ment usé. Et pleust à Dieu que par un petit mot, ilz n'eussent
point donné occasion d'erreur k ceux qui sont venuz depuis.
Combien qu'en d'aucuns lieux ilz ont testifié comment ilz ne vou-
392 CHAPITRE VI.
lovent point prejudicier, en ce faisant, à la vérité. Sainct Augus-
tin en quelque lieu dit : Que les mérites humains se taisent icy
lesquelz sont periz en Adam : et que la grâce de Dieu règne,
comme elle règne par Jésus Christ. Item, Chrysostome : Toutes
snoz œuvres qui suyvent la vocation gratuite de Dieu, sont comme
debtes que nous luy rendons : mais ses bénéfices sont de grâce,
beneficence, et pure largesse. Toutesfois laissant le nom derrière,
considérons plustost la chose.
Que c'est que méritent noz œuvres, l'Escriture le monstre, disant
10 qu'elles ne peuvent soustenir le regard de Dieu, en tant qu'elles
sont pleines dordure et immundicité. Davantage que c'est que
meriteroit Tobeyssance parfaicte de la Loy, si elle se pouvoit quel-
que part trouver, elle le declaire, en nous commandant de nous Luc 17.
reput er serviteurs inutiles, quand nous aurions faict toutes choses
15 qui nous sont ordonnées : veu qu'ainsi mesmes nous n'aurions
rien faict à Dieu de gratuit : mais nous serions seulement acquic-
tez des services à luy deubz, ausquelz il ne doibt nulle grâce.
Toutesfois le Seigneur appelle les œuvres qu'il nous a données
nostres ; et non seulement tesmoigne qu'elles luy sont agréables,
20 mais qu'elles seront de luy rémunérées. Maintenant nostre office
est de prendre courage, et estre incitez de telles promesses, à 2. Cor. 3.
ce que nous ne nous lassions point en bien faisant : et aussi de
n'estre pas ingratz à une telle bénignité. 11 n'y a nulle doubte
que tout ce qui mérite louenge en noz œuvres, ne soit grâce de
23 Dieu : et qu'il n'y a pas une seule goutte de bien, que nous devions
proprement nous attribuer. Si nous recongnoissons cela à la vé-
rité : non seulement toute fiance de mérite s'esvanouyra, mais
aussi toute phantasie. Je dy donc, que nous ne partissons point
la louenge des bonnes œuvres entre Dieu et l'homme, comme
30 font les Sophistes, mais la gardons entière à Dieu. Seulement
nous reservons cela à l'homme, qu'il pollue et souille par son
immundicité les œuvres, qui autrement estoient bonnes, comme
venantes de Dieu . Car du plus parfaict homme qui soit au
monde il n'y sort rien, qui ne soit entaché de quelque macule.
3o Que Dieu donc appelle en jugement les meilleures œuvres
qu'ayent les hommes : et en icelle il trouvera sa justice, et la
confusion des hommes. Les bonnes œuvres donc plaisent à
Dieu, et ne sont pas inutiles à ceux qui les font : mais plus-
tost en receoivent pour loyer tresamples bénéfices de Dieu.
DE LA JUSTIFICATION. 393
Non pas qu'elles le méritent : mais pource que la bénignité du
Seigneur de soymesme leur ordonne un tel priz. Or quelle in-
gratitude est-ce ; si n'estans point contens dune telle largesse
de Dieu, laquelle rémunère les œuvres de loyer non deubt ; sans
3 aucun mérite d'icelles ; nous passons oultre par une mauldicte
ambition, pretendans que ce qui est de la pure beneficence de
Dieu, soit rendu au mérite des œuvres ? J'appelle icy en tes-
moignage le sens commun d'un cbascun : si celuy au([uel l'usu-
IVuict d'un chanqi est donné se veut usurper le tiltre de pro-
loprieté, ne merite-il pas par ti'lle ingratitude de perdre mesme la
possession qu il avoit ? Pareillement si un serf, délivré de son
maistre, ne veut j)oint recongnoistre sa condition, mais s'attribue
ingénuité : ne merite-il pas d'estre rédigé en servitude? Car ceste
est la faceon légitime d'user des bénéfices qu'on nous a faictz,
15 si nous n'entreprenons pas plus que ce qui nous est donné :
et ne fraudons point nostre bienfaicteur de sa louange : mais
plustost nous portons tellement, (pie ce qu'il nous a transféré,
semble aucunement résider en luy. Si nous devons avoir ceste
modestie envers les hommes : qu'un thascun regarde combien
20 plus on en doibt à Dieu.
Je scay bien (jue les Sophistes abusent de quelques passages,
pour prouver qu'on trouve ce mot de mérite en l'Escriture. Hz
allèguent une sentence de l'Ecclesiasticpie. La miséricorde don-
nera lieu à un chascun, selon le mérite de ses (ouvres. Item, de Eccle. 16.
îol'Epistre aux llebrieux. Ne mettez point en oubly beneficence et
communication : car telz sacrifices méritent la grâce de Dieu. H<-Jjr. 13.
Combien que je puisse répudier l'Ecclésiastique, entant que ce
livre n'est point canonique : toutesfois je m'en déporte. Mais je
leur nye quilz citent fidèlement ces parolles : car il y a ainsi de
30 mot à mot au grec : Dieu donnera lieu à toute miséricorde ; un
chascun trouvera selon ses œuvres. Que [cje soit là le sens naturel,
et que le passage ayt esté corrompu en la translation latine, il se
peut voir aysement tant par ce qui s'ensuyt, que par la sentence
mesme, quand elle sera prinse seule. Touchant de l'Epistre aux
3a Hebrieux, ilz ne font que caviller : veu que le mot grec, dont
use l'Apostre, ne signifie autre chose, sinon telz sacrifices estre
plaisans à Dieu. Cela seul suffira bien pour abatre et reprimer
toute insolence d'orgueil en nous : si nous ne passons point la me-
sure de l'Escriture, pour attribuer quelque dignité aux œuvres.
394 CHAPITRE VI.
Or la doctrine de l'Escriture est, que noz œuvres sont entachées
de plusieurs macules, desquelles Dieu seroit à bon droict ofîen-
cé, pour se courroucer contre nous : tant s'en fault quelles nous
puissent acquérir sa grâce et faveur, ou le provoquer à nous
5 bien faire. Neantmoins pource que par sa grande clémence il
ne les examine pas à la rigueur, qu'il les accepte comme tres-
pures : et à ceste cause qu'il les rémunère d infiniz bénéfices,
tant de la vie présente, comme future : combien qu'elles n'ayent
point mérité cela. Car je ne puis recevoir la distinction que
10 baillent aucuns personnages : c'est que les bonnes œuvres sont
méritoires des grâces, que Dieu nous confère en ceste vie : mais
que le salut éternel est loyer de la seule Foy : veu que le Sei-
gneur nous promect, le loyer de noz labeurs, et la couronne de
nostre bataille estre au Ciel. D'autrepart d'attribuer au mérite
15 des œuvres, que nous recevons journellement nouvelles grâces
de Dieu, tellement que cela soit osté à la grâce : c'est contre la
doctrine de l'Escriture. Car combien que Christ dise, qu'il
sera donné de nouveau à celuy qui ha, et que le bon serviteur,
qui s'est porté lîdele en petites choses, sera constitué sur plus
20 grandes : neantmoins il demonstre pareillement, que les ac-
croissemens des tideles sont dons de sa bénignité gratuite.
Tous ayans soif (dit-il) venez à l'eaûe : et vous qui n'avez point lésa. 55.
d'argent, venez, et prenez sans argent et sans recompense du
vin et du laict. Parquoy tout ce qui est donné aux fidèles, pour
25 l'advancement de leur salut, est pure benefîcence de Dieu :
comme la béatitude éternelle. Toutesfois, tant en ses grâces qu'il
nous fait maintenant, comme en la gloire future qu'il nous
donnera, il dit qu'il ha quelque considération de noz œuvres :
d'autant que pour nous testifier sa dilection infinie : il luy plaist
30 non seulement de nous honorer ainsi : mais les bénéfices que
nous avons receuz de sa main.
Si ces choses eussent esté traictées et exposées le temps passé
en tel ordre qu'il appartenoit : jamais tant de troubles et dissen-
tions ne se fussent esmeuz. Sainct Paul dit, qu'il nous fault /. Cor. 3.
35 pour bien édifier l'Eglise, retenir le fondement qu'il avoit mis
entre les Corinthiens : et qu'il n'y en a point d'autre : c'est
Jésus Christ. Quel fondement avons-nous en Christ ? est-ce
qu'il a esté le commencement de nostre salut, à fin que l'accom-
plissement s'ensuyvist de nous ? et qu il nous a seulement ou-
DE LA JUSTIFICATION.
395
vert le chemin, à iin que nous le sua vissions après de nostre
industrie? Ce n'est pas cela : mais, comme il avoit dict au para-
vant, quand nous le recongnoissons nous estre donné en justice.
Nul donc n'est bien fondé en Christ, sinon qu'il ayt en luy en-
5 tierement sa justice : veu que TApostre ne dit point, qu'il a esté
envoyé pour nous ayder à obtenir justice : mais à fin de nous
estre justice. A scavoir entant que de toute éternité, devant la
création du monde, nous avons esté esleuz en luy : non point
selon aucun mérite, mais selon le bon plaisir de Dieu : entant
10 que par sa mort nous avons esté racheptez de condemnation de
mort, et délivrez de perdition : que nous avons esté adoptez en
luv du Père céleste, pour estre ses enfans et héritiers : que nous
avons esté reconciliez à Dieu, par son sang : qu'estans en sa sau-
vegarde, nous sommes hors des dangers de jamais périr : qu'es-
13 tans incorporez en luy, nous sommes desja aucunement partici-
pansde la vie éternelle : estans entrez par espérance au Royaume
de Dieu. Encores n'est-ce pas la fin : mais aussi entant qu'es-
tans receuz en sa participation (jasoit que nous soyons encores
folz en nous mesmes) toutesfois il nous est sagesse devant Dieu :
20 combien que nous soyons pécheurs, il nous est justice : com-
bien que nous soyons immundes, il nous est pureté : combien
que nous soyons débiles et destituez de forces et d'armures,
pour résister au Diable, que la puissance qui luy a esté donnée
au Ciel et en terre, pour briser le Diable, et rompre les portes
25 d'Enfer, est nostre : coml)ien que nous portions encores un corps
mortel, qu'il nous est vie : briȔf, que tous ses biens sont nostres,
et en luy nous avons tout, en nous rien. Il fault donc que nous
soyons édifiez sur ce fondement, si nous voulons estre temples
consacrez à Dieu. Mais le monde a bien esté autrement en-
soseigné passé longtemps. On a trouvé je ne scay quelles œuvres
morales, pour rendre les hommes agréables à Dieu, devant
qu'ilz soyent incorporez en Christ : comme si l'Escriture men-
toit, quand elle dit, que tous ceux qui ne possèdent point le
Filz, sont en la mort. S'ilz sont en la mort, comment pour-
35roient-ilz engendrer matière de vie. Pareillement comme si cela
estoit dict pour néant, que tout ce qui est faict hors Foy est pe- Rom. 14.
ché : et comme s'ilpouvoit sortir bon fruict d'un mauvais arbre :
Et qu'est-ce qu'ont laissé ces meschans Sophistes à Christ ;
en quoy il desploye sa vertu ? Hz disent qu'il nous a mérité la
396 CHAPITRE VI.
première grâce : c'est à dire, occasion de mériter : mais que c'est
maintenant à nous à faire, de ne défaillir point h ceste occasion
qui nous est donnée. Quelle impudence, et combien effrénée ?
Qui eust attendu; que ceux qui font profession d'estre chrestien;
5 eussent ainsi despoillé Jésus Christ de sa vertu ; pour le fouUer
quasi aux j)iedz ? L'Escriture luy rend par tout ce tesmoignage,
que tous ceux qui croyent en luy, sont justifiez : et ces canailles
enseignent, qu'il ne nous provient autre bénéfice de luy, sinon
qu'il nous a faict ouverture pour nous justifier. 0 s'ilz pouvoient
10 gouster que veuUent dire ces sentences : que quiconques ha le
Filz de Dieu, ha aussi la vie : que quiconques croyt, est passé I . Jean 3.
de mort en vie, et est justifié par sa grâce, à fin d'estre faict 7ean 5.
héritier de la vie éternelle : qu'il ha Christ habitant en soy, à Tit. 3.
fin dTadh erer à Dieu par luy : qu'il est participant de sa vie : est Ephe. I .
13 assis au Ciel avec luy, est desja transféré au Royaume de Dieu, ^ "'
et a obtenu salut : et autres semblables qui sont infinies. Car
elles ne signifient pas seulement, que la faculté d'acquérir jus-
tice ou salut nous adviennent par Jésus Christ : mais que l'une
et l'autre nous est en luy donnée. Pourtant incontinent que nous
20 sommes par Foy incorporez en Christ , nous sommes faictz
enfans de Dieu, héritiers des cieulx, participans de justice, pos-
sesseurs de vie : et pour redarguer leurs mensonges, nous n'a-
vons pas seulement obtenu l'opportunité de mériter : mais tous
les mérites de Christ, car ilz nous sont communiquez. Voylà
23 comme les Sophistes des escholles Sorboniques, mere[s] de tous
erreurs, nous ont destruictz toute la justification de la Foy : en
laquelle estoit contenue la somme de toute pieté. Hz confessent
bien de parolles, que l'homme est justifié de Foy formée : mais
ilz exposent après, que c'est pource que les œuvres prennent de
30 la Foy la valeur et vertu de justifier : tellement qu'il semble
advis, qu'ilz ne nomment la Foy que par mocquerie : d'autant
qu'il ne s'en pouvoient du tout taire : veu qu'elle est si souvent
répétée en l'Escriture. Encores n'estantz point contens de cela,
ilz desrobent à Dieu en la louënge des bonnes œuvres quelque
35 portion, pour la transférer à l'homme. Car pource qu'ilz voyent
que les bonnes œuvres ne peuvent gueres à exalter l'homme, et
mesmes qu'elles ne doibvent point proprement estre appellées mé-
rites, si on les estime fruictz de la grâce de Dieu; ilz les déduisent
de la faculté du franc arbitre : à scavoir de l'huyle d'une pierre. •
UK LA .ILSTIFICATION. 31)7
Bien est vray, qu'ilz ne nyent pas que la principale cause ne
soit de la ^race : mais ilz ne veulent point que le franc arbitre
soit excludz, dont procède, comme ilz disent, tout mérite. Et
n'est pas la doctrine des Sophistes nouveaux seulement : mais
r) leur grand maistre Pierre Lombard en dit autant: lequel, au
priz des autres, est de bien sobre entendement. Ce a esté certes
un merveilleux aveuglement, de lire en S. Augustin, lequel il
ha si souvent en la bouche: et ne voyr point de quelle solicitude
[c |e sainct personnage se donne garde de tirer à l'homme une
10 seule goutte de la louënge des bonnes œuvres. Nous avons cy
dessus en traictant du libéral arbitre, recité quelques tes-
moignages de luy à ce propoz : ausquelz on en trouvera mil'
semblables en ses escriptz. Conmie quand il dit, que tout nostre
mérite vient de grâce : et qu'il nous est entièrement donné par
isicelle, et non point acquis par nostre sulïisance, etc. Ce n'est
pas si grand' merveille, de (juoy il n'a point esté esclairé par la
lumière de l'Escriture : d autant qu'il n'y estoit gueres exercité.
Toutesfois on ne pourroit désirer contre luy et toute sa séquelle
une sentence plus claire : qu'est celle de S. Paul : quand après
20 avoir interdict aux Chrestiens toute gloire, il adjouste la raison
pourquoy il ne leur est point licite de se glorifier. Car nous
sommes, dit-il, l'œuvre de Dieu, créez à bonnes œuvres : lesquelles
il a préparées, à lin que nous cheminions en icelles. Puis (\xi"û EpJie . 2 .
n'y sort nul bien de nous, sinon d'autant que nous sommes rege-
25nerez : et nostre régénération est toute de Dieu, sans en rien excep-
ter : c'est sacrilège, de nous attribuer un seul grain de la louënge
des bonnes œuvres. Finalement combien que [cjcs Sophistes sans
lin et sans cesse parlent des bonnes œuvres : toutesfois ilz instrui-
sent tellement les consciences ce pendant, que jamais elles ne
sos'oseroient fier, que Dieu fust propice à leurs œuvres. Nous au con-
traire, sans faire nulle mention de mérite, donnons toutesfois une
singulière consolation aux fidèles par nostre doctrine : quand
nous leur testifions : quilz sont plaisans et agréables à Dieu en
leurs œuvres : mesmes nous requérons que nul n'attente ou en-
•^"^ treprenne œuvre aucune, sans Foy : c'est à dire sans avoir déter-
miné pour certain en son cœur, qu'elle plaira à Dieu,
Pourtant ne souffrons nullement, qu'on nous destourne
de ce fondement, et ne fust ce que de la poincte d'une espingle,
car sur iceluy doibt reposer tout ce qui appartient à Tedifica-
398 CHAPTTRE VI.
tion de l'Eg-lise. Ainsi tous les serviteurs de Dieu, ausquelz il a
donné la charge d'édifier son Règne, après avoir mis ce. fonde-
ment, s'il est mestierde doctrine et exhortation : ilz admonestent Jean 3.
que le Filz de Dieu est apparu, à fin de destrujre les œuvres du
5 Diable : à ce que ceux qui sont de Dieu ne pèchent plus : qu'il suf- /. Pier. i.
fist bien que le temps passé nous ayons suyvy les désirs du
monde : que les esleuz de Dieu sont instrumens de sa miséricorde,
et séparez à honneur: ainsi quilz doibvent estre purgez de toute 2. Thi. 2.
ordure. Mais soubz ce mot tout est comprins, quand il est dict que
10 Christ veult avoir des disciples, lesquelz s'estans renoncez, et
ayans prins leur croix pour porter, le suyvent. Celuy qui a re-
noncé à soymesme, a desja coppé la racine de tous maulx : c'est
de ne cercher plus ce qui luy plaist. Celuy qui a prins sa croix Luc II.
pour la porter, sest disposé à toute patience et mansuétude. Mais
15 l'exemple de Christ comprend, tant ces choses, que tous autres
offices de pieté et saincteté. Car il s'est rendu obeyssantà son Père Phil. 2.
jusques à la mort: il a esté entièrement occupé à parfaire les œu- Jean o.
Ares de Dieu de tout son cœur : il a tasché d'exalter la gloire d'ice-
luy : il a mis sa vie en abandon pour ses frères : il a rendu le bien
20 pour le mal à ses ennemyz. S'il est mestier de consolation, les
mesmes serviteurs de Dieu en donnent de singulières : c'est que
nous endurons tribulations, mais nous n'en sommes pas en an- 2. Cor. 4.
goisse, nous sommes en indigence, mais nous ne sommes point des-
tituez : nous avons de grans assaulx, mais nous ne sommes point
23 abandonnez: nous sommes comme abbatuz, mais nous ne périssons 2. Thi. 2.
point ains portons la mortification de Jésus Christ en nostre corps :
afin que sa vie soit manifestée en nous : si nous sommes mortz avec Philip. 3.
luy, nous vivrons aussi avec luy : si nous endurons avec luy, nous
régnerons pareillement. Que nous sommes configurez à ses pas-
30 sions, jusques à ce que nous parvenions à la similitude de sa Resur- Rom. S.
rection : veu que le Père a ordonné, que tous ceux qu'il a esleuz en
Christ, soient faictz conformes à son image : à fin qu'il soit pre-
mier nay entre tousses frères. Et pourtant qu'il n'y an'adversité, ne
mort, ne choses présentes ne futures, qui nous puissent séparer de
35 l'amour que Dieu nous porte en Christ : mais plustost, que tout ce
qui nous adviendra, nous tournera en bien et en salut. Suyvant
ceste doctrine : nous ne justifions pas l'homme devant Dieu par ses
œuvres, mais nous disons, que tous ceux qui sont de Dieu sont ré-
générez et faictz nouvelles créatures, à ce que du règne de péché
DE LA JUSTIFTCATION. 399
ilz viennent au Royaume de justice : que par telz tesmoignages
ilz rendent leur vocation certaine, et comme arbres sont jugez
de leurs fruictz. 2.Pier. I.
Par cela se peut réfuter limpudence d'aucuns meschans qui
5 nous imposent que nous abolissons les bonnes œuvres, et reti-
rons les hommes d'icelles, quand nous enseig-nons que par œuvres
nul n'est justilié, et ne mérite salut. Secondement que nous faisons
le chemin à justice trop aisé, disant qu'elle gist en la remission gra-
tuite de noz péchez : et (jue par ceste flatterie nous aleischons les
10 hommes à mal faire, qui autrement y sont trop enclins de nature.
Ces calumnies, dj-je, sont assez refutées par ce que nous avons
dict : toutesfois je respondray briefvement à l'un et à l'autre. Hz
allèguent que les bonnes d'uvres sont destruictes quand on
presche la justification de la Foy. Et qu'est-ce : si plustost elles
la sont érigées et establies ? Car nous ne songeons point une Foy,
qui soit vuide de toutes ])onnes (ouvres : ou une justification, qui
puisse consister sans icelles. Mais voylà le neud de la matière,
que jasoit que nous confessions la Foy et les bonnes œuvres estre
nécessairement conjoinctes ensemble : toutesfois nous situons la
20 justice en la Foy, non pas aux œuvres. La raison pourquoy. est
facile à expliquer, moyennant que nous regardions Christ, auquel
la Foy est dirigée, et dont elle prend toute sa force. Car dont
vient que nous sommes justifiez par Foy ? C'est pource que par
icelle nous appréhendons la Justice de Christ : laquelle seule nous
25 reconcilie à Dieu. Or nous ne pouvons appréhender ceste justice,
que nous n'ayons aussi sanctification. Car quand il est dict, que
Christ nous est donné en rédemption, sagesse et justice, il est
pareillement adjousté qu'il nous est donné en sanctification. De
cela s'ensuyt que Christ ne justifie personne, qu'il ne le sanctifie
30 quant et quant. Car ces bénéfices sont conjoinctz ensemble comme
d'un lyen perpétuel: que quand il nous illumine de sa sagesse, il
nous rachette : quand il nous rachette, il nous justifie : quandil nous
justifie, il nous sanctifie. Mais pource qu'il n'est maintenant ques-
tion que de justice et sanctification, arrestons-nous en ces deux.
35 Combien donc qu'il les faille distinguer: toutesfois Christ contient
inséparablement l'un et l'autre. Voulons nous donc recevoir justice
en Christ : il nous fault posséder Christ premièrement. Or nous ne
le pouvons posséder que nous ne soyons participans de sa sancti-
fication : veu qu'il ne se peut deschirer par pièces. Puis qu'ainsi
400 CHAPITRE VI.
est, dy-je, que le Seigneur Jésus jamais ne donne à personne la
jouyssance de ses bénéfices, qu'en se donnant soymesme, il les
eslargist tous deux ensemble, et jamais l'un sans l'autre. Delà il
appert, combien est ceste sentence véritable, que nous ne sommes
5 point justifiez sans les œuvres : combien que ce ne soit point par
les œuvres; d'autant qu'en la participation de Christ, en laquelle
gist nostre justice, n'est pas moins contenue sanctification.
C'est aussi une menterie. de dire que nous destournons les
cœurs des hommes dalTection de bien faire, en leur ostant la
phantasie de mériter. Car ce qu'ilz disent que nul ne se soucA'era
10 de bien vivre, sinon qu'il espère quelque loyer: en celailz s'abusent
trop lourdement. Car si on ne cerche autre chose sinon que les
hommes servent à Dieu pour rétribution, et soient comme merce-
naires : quiluy vendent leur service, c'est bien mal profïité. Il veult
estre honoré etaymé d'un franc courage : et approuve un serviteur,
13 lequel quand toute espérance de loyer luy seroit ostée ne laisse-
roit point neantmoins de le servir. Or si mestier est d'inciter les
hommes à bien faire : il n'y a nulz meilleurs espérons à les picquer,
que quand on leur remonstre la fin de leur rédemption et vocation.
C'est ce que fait la parolle de Dieu, quand elle dit, que noz cons-
20 ciences sont nettoyées des œuvres mortes, par le sang de Christ à
fin que nous servions au Dieu vivant : que nous sommes délivrez de Heb. 9.
la main de noz ennemyz, à fin que nous cheminions devant Dieu en Luc 1 .
justice et saincteté tous les jours de nostre vie: qu'en ce est apparue
la grâce de Dieu, à fin que renonceans à toute impieté et désirs TH. 2.
25 mondains, nous vivions sobrement, sainctement, et religieuse-
ment en ce siècle, attendans l'espérance bien heureuse, et la révé-
lation de la gloire de nostre grand Dieu et Sauveur : que nous ne
sommes point appeliez pour provoquer l'ire de Dieu contre nous, i, Thés. 5.
mais pour obtenir salut en Christ : que nous sommes temples du Ephe. 2.
30 S. Esprit, lesquelz il n'est point licite de poluer : que nous ne [2.]Cor.6.
sommes pas ténèbres, mais lumière en Dieu : et pourtant qu'il
nous fault cheminer comme enfans de lumière : que nous ne
sommes point appeliez à immundicité, mais à saincteté : et que [i.] The.
la volunté de Dieu, est nostre sanctification, à lin que nous nous -^-^'l^-]
35 abstenions de tous désirs pervers : que puis que nostre vocation
est saincte, nous ne pouvons respondre à icelle, sinon en pureté de
vie: que nous avons esté délivrez de péché, afin d'obéir à justice. Y
avoit-il argument plus vif pour nous inciter à charité, que celuy
DÉ LA JLStlFlCATIOX. 40l
dont use Sainct Jean; cost. (juo nous nous avniions mutuelle- I. Jean 4.
nient ; comme Dievi nous ;i avmez ; et qu en cela diirerent les
enfans de Dieu, des enlans du Diable; les enfans de lumière, des
enfans de ténèbres; pource ijuil demeurent en dilection? Item
a celuy dont use Sainct Paul : C est que si nous adhérons à Christ, Hom. 12.
nous sommes membres d'un mesme corps; et pourtant qu'il nous I. Cor. 12.
fault appliquer à nous ayder mutuellement? Pouvions nous avoir
meilleure exhortation à saincteté, que de ce que dit Sainct Jean,
que tous ceux qui ont espérance de vie se sanctifieni ; puis que
•<> leur Dieu est sainct? Item, quand nous oyons de la bouche de I . Jean 3.
Christ ; quil se propose en exemple à nous; à fin qiu^ nous ensuy-
vions ses pas ? J'ay voulu briefvement amener ces passa<^"es. Jeun to.
comme pour monstre. Car si je voulois assendjler tous les sem-
blables : il me f'auldroit faire un long volume. Les Apostres sont
ij tous pleins d exhortations, remonstrances, reprehentions, pour
instituer l'homme de Dieu à toute bonne œuvre : et ne font aucune
niention de mérite. Plustost aucontraire, ilz prennent leurs prin-
cipales exhortations delà, que nostre salut consiste en la miséri-
corde de Dieu, sans que nous ayons rien mérité. Comme fait Sainct
20 Paul, quand, après avoir enseigné par toute l'Epistre, que nous lioni. 12.
n'avons nulle espérance de salut, sinon en la grâce de Christ :
quand il vient à exhorter, il fonde sa doctrine sur ceste misé-
ricorde, qu'il avoit preschée. Et pour en bien dire, ceste seule
cause nous devroit assez esmouvoir à bien vivre, à lin (jue Mat. o.
25 Dieu soit glorifié en nous. Et s'il y en a aucuns, qui ne sovent
pas tellement touchez de la gloire de Dieu : si est-ce que la
mémoire de ses bénéfices les doibt suffisamment inciter. Mais
ces pharisiens, pource qu'en exaltant les mérites, arrachent quasi
par force du peuple quelques (euvres servîtes : ilz nous im-
30 posent faulsement, que nous n'avons rien pour exhortera bonnes
œuvres, pource que nous ne su wons point leur train. Comme
si Dieu se delectoit beaucoup de telz services contrainctz :
lequel déclare qu'il n'accepte autre sacrifice, sinon celuy qui
vient de franche volunté ; et deffend de rien donner en tristesse
33 ou de nécessité. Je ne dy pas cela, pource que je rejette ou 2. Cor. 9.
mesprise la manière d'exhorter, dont l'Escriture use souvent •
à fin de ne laisser nul moyen pour esveiller nostre paresse.
C'est qu'elle nous propose le loyer que Dieu rendra à un
chascun selon ses œuvres : mais je nye, qu'il n'v en avt
Institution. ->,;
402 CHAPITRE VI.
point d'autre : et mesmes que ceste soit la principale. D'avantage
je n'accorde pas, qu'il faille commencer par là. Finalement je
maintiens que cela ne fait rien pour ériger les mérites, telz que noz
adversaires les forgent : comme nous verrons cy aprez. Oultre-
o plus je dx que cela ne proffiteroit de rien, sinon que ceste doc-
trine eust préoccupé : c'est que nous sommes justifiez par le seul
mérite de Christ : auquel nous participons par Foy. et non point
d'aucuns mérites de noz œuvres. Car nul n'est disposé à saincte-
ment vivre, qu'il n'ayt premier receu et bien gousté ceste doc-
lotrine. Ce cpie le Prophète enseigne tresbien, quand il dit, parlant Psal.130.
à Dieu : Il y a mercy envers toy, Seigneur: à fin que tu soys re-
doubté. Il demonstre, qu'il n'y a nulle révérence de Dieu entre les
hommes, sinon après que sa miséricorde est congnuë : laquelle
en est le fondement.
la C'est aussi une caKmmie trop frivole, de dire que nous con-
vyons les hommes à péché, en preschant la remission des péchez
gratuite : en laquelle nouscolloquons toute justice. Car en parlant
ainsi, nous la poysons de si grand poix, qu'elle ne peut estrc
compensée d'aucuns biens procedans de nous : et pourtant que
20 nous ne la pourrions obtenir, sinon quelle fust gratuite. Or nous
disons qu'elle nous est gratuite, mais non pas à Christ : auquel
elle a cousté bien cher : car il l'a rachetté de son Iresjiretieux et
sacré sang : pource qu il n'y avoit nul autre pris, par lequel le
Jugement de Dieu peut estre contenté. Ft enseignant ainsi les
25 hommes, nous les admonestons qu'il ne tient point à eulx, que ce
sacré sang ne soit respandu, toutesfois et quanies quilz pèchent.
Davantage nous leur remonstrons, que l'ordure de péché est
telle qu elle ne se peut laver sinon par ceste seule fontaine. En
oyantcela, ne doivent-ilz pas concevoir un plus grand horreur de
30 péché ; que si on leur disoit quilz se peussent nettoyer par quel-
ques bonnes œuvres ? Ft silz ont quelque crainte de Dieu, comment
nauront-ilz horreur de se vfajultrer encores en la boue, après
avoir esté purgez ; pour troubler, entant qu'en eulx est, et infecter
ceste fonteine trespure ; en laquelle ilz ont leur lavement ? J'ay
35 lavé mes piedz (ditl'ame fidèle en Salomon), comment les souille-
ray-je de nouveau? Il est maintenant notoire, lesquelz font la CanlL o.
remission des péchez plus vile et lesquelz anneantissent plus
la dignité de justice. Noz adversaires babillent, qu'on peut
appaiser Dieu par je ne scay quelles satisfactions frivoles : c'est
Di; LA .ILSTIFICATION.
403
à ilirt' p:ii' CuMiU' t't ostrons. Nous disons (juo l'ofTenso de peclu'
est trop «friefve, pour se pou\ oir ri'tonipenser de telz fatras : que
l'ire de Dieu est aussi trop •;iiervt\ pour pouvoir esti'C remise si
le<i^erement. Kt pourtant eest honneur et prero^Mlive appartient
5 seulement au sang de (-luist. 11/ disent (|ue la justiee, si elle
delTault en cpielque endroit, peut estre reparée par ivuvres satis-
factoires. Nous disons (pi'elle est trop pretieuse, pour pouvoir
estre si i'aeilement ac(piise. l'it pourtant (pie pour la recouvrer,
il nous l'iiull a\()ir aostie refuse à la seule miséricorde de Dieu.
1" Le resti' (pii apparli» nt à la remission des péchez a est»' sullisani-
ment deduict au cincpiiesme Iraicté.
Maintenant poursuyvons les autrt's ar^umens, don! Salhan
se 11 orée de destruire, ou dimimier par ses satellites, la juslili-
cation de la Fov. Je pense (pie cela est desja osté' aux caluninia-
ts teurs. (pi il ne nous puissent imposer, (pie nous soyons enne-
nnsdes hoiuies (envies. (!ar nous nyons (pie les (ruvres jusli-
lient : non pas ;'i Mn (pidn ne face nuMes bonnes (euvres : ou
(pi'on ne les ayl en nulle estime : mais à lin (pi'on ne s"\ lie,
(ju'on ne s'en j^^lorilie. (pidn ne leur attribue salul. (lar ceste est
îiinostre liance, nostre {gloire, et port uni([ue de ncstre salut, (jue
Jésus Christ le Fil/, de Dieu est nostii- : et (ju'en luy nous
sommes enfans de Dieu, el héritiers du lîoyaume céleste :
appelle/ en l'espérance de heatilud»' éternelle : non poiiil piir
nostre (li;^^nitt''. mais par la bénignité de Dieu. Touteslois jxturce
i..(pril/ nous assîiillent encoi'es d'autres basions: poursuyv(ms
de rabati'e leurs coups. Fremieremenl il/ produyscMil les ])ro-
messes légales, (pie Dieu a faictes it ceux (pii observeront sa
Loy. 11/, demandent, si nous voulons quelles soient vaines,
ou de (juelque elFicace ? Pource que ce seroit chose desrai-
aosonnable de les dire vaines : il/ prennent pour certain, qu ClIes
sont de (juelque valeur. Et de cela infèrent, que nous ne
sommes pas justilie/ par la seule Foy : veu ([ue le Seigneur
parle en ceste manière. Si lu escoutes mes préceptes, et les
retiens pour les faire : le Seigneur le gardera sa promesse
1, hujuelle il a jurée à tes pères. Il t'aymera, et te multipliera, Deui. 7
ettebeniëra. Item, Si tu diriges bien tes voyes sans decli- Je/e. 7.
ner aux Dieux estranges et fais justice et droicture, et ne
le destournes ])oint à mal : je habiteray avec toy . Je n'en
veux point reciter mil semblables, lesquelles .se pourront
404 CHAPITRE VI.
despescher par une mesme solution : veu ([u'elles ne différent
point en sens d'avec celles cy. La somme est, que Moyse tes- Dent. il.
mois-ne, la bénédiction et la malédiction, la vie et la mort, nous
estre presentée^s^ en la Loy. Ou il fault ([ue nous facions ceste
5 bénédiction oysive et infructueuse : ou que nous confessions, la
justification n estre point en la seule Foy. Pour response, nous
avons cy dessus monstre, comment si nous demeurons en la
Loy, estans excludz de toute bénédiction, nous sommes envelo-
pez en la malédiction, qui est dénoncée à tous transgresseurs.
10 Car Dieu ne promet rien, sinon à celuy qui est parfaict obser-
vateur de sa Loy : ce qui n'advient à homme du monde . Gela
donc demeure tousjours ferme, que la Loy oblig-e tout le genre
humain à malédiction et ire de Dieu. De laquelle si nous vou-
lons estre délivrez, il nous fault sortir hors la puissance de la
i^Lov : et estre mis comme de servitude en liberté. Non pas en
une liberté charnelle, lacjuelle nous retire de l'obeyssance de la
Lov. et nous convye à dissolution et licence, et lasche la bride
à noz concupiscences, pour se desborder : mais une liberté spiri-
tuelle, laquelle console et conferme la conscience troublée et
aoespouventée, luy remonstrant, qu'elle est délivre de la malé-
diction et condemnation, dont la Loy la tcnoit enserrée. Nous
obtenons ceste délivrance, quand en Foy nous appréhendons
la miséricorde de Dieu en Christ : par laquelle nous sommes
renduz certains et asseurez de la rémission des péchez : du
25 sentiment desquelz la Loy nous poignoit et mordoit. Par ceste
raison . les promesses mesmes qui nous sont offertes en la
Loy, seroient infructueuses et de nulle vertu : Si la bonté de
Dieu ne nous secouroit par l'Evangile. Car ceste condition,
que nous accomplissions la volunté de Dieu, dont elles des-
pendent, ne sera jamais accomplie. Or ce que le Seigneur nous
survient, n'est pas en nous laissant une partie de justice
en noz œuvres et suppliant ce qui deffault , par sa béni-
gnité : mais en nous assignant son seul Christ pour accom-
plissement de justice. Car l'Apostre, ayant dict, que luy
35 et tous autres Juifz , scachans que Thomme ne peut estre
justifié par les œuvres de la Loy , avoient creu en Jésus
Christ, adjouste la raison, non pas à fin qu'ilz fussent Ga/a<.i.
aydez par la Foy de Christ , à obtenir perfection de jus-
tice : mais à fin d'estre justifiez sans les Oeuvres de la Loy.
30
UK LA ri SIIFICATION. lO.»
Si It's fidèles se déparient de la Loy, et viennent à la Fo\ . ptnir
obtenir justice, hujuelle il/, ne trouvoient point en la I.dv : il/
renoncent certes à la justice des iiuvies. (JuOn aniplilie donc
maintenant tant tpion vouldra les rétributions, cpu' la Loy de-
1 nonce estre préparées à ses observateurs : moyennant <|u"on con-
sidère aussi, (jue nostre perversité lait, (pie nous n en rtcevions
aucun fruict, jus(pies après avoir obtenu lUie autre juslici'. En
ceste manière David, après avoir parlé de la rétribution, (pie
Dieu a j)reparée à ses serviteurs : incontinent se tourne à la
t" recon«fnoissance des pcclu'/. j)ar les(|uel7. elle est anneanlic. II/n,,/. /.''.
monstre bien donc, les biens, cpii nous devi'oient venir de la
Loy: mais ({uand il adjouste conse(piemnu'nt, (pii est-ce (pii en-
tendra ses faultes ? Item en ce il dcnotlc rempcscliemcnt , (pi il
fait, que la jouyssance n en vient point jusipies à nous. Item,
i.en un autre lieu, après avoir dict. cpie toutes les voyes du Sei-
j^neur sont bonté et vérité à ceux cpii le crai'^'nenl : il adjouste.
à cause de ton Nom Sei«;neur, tu seras propice à iimii inn|uilf. /'s,, J.;.
car «die est tres^Mandc Kn telle nuiniere il nous tault recon-
{^noistre la benevolence de Dieu iKtus estre exposée en la Loy :
«oSi nous la jiouvions accjueiir par ii«i/ «luvics : mais (pu- par le
mérite dicelles jamais n(»us ne l'obtenons, (juoy donc ? tlira
quelqu un. les promesses légales sont elles données en vain; à fin
de s'esvanouir .' J'ay desja testilié (pie je ne suis de ceste opi-
nion. Mais je dy (pie l'cllicace nfn vient point jus(jues ;« nous,
ijcejtendant (ju elles sont référées au mérite des o'uvres : et j»our-
tant (pie si (»n les considère en tdles mesmes (dles sont aucune-
ment abt)lies. Kn ceste manière lApostre dit, que ceste belle Honi. 10.
promesse, où Dieu dit qu'il nous a donné de bons préceptes, (ialuf. :i.
lesquelz vivifieront ceux qui les feront, est de nulle importance :
30 si nous nous arrestons à icelle : et qu'elle ne nous profTitera de
rien plus, (jue si elle n avoit point esté donnée. Car ce qu'elle
re(juiert, ne compete point mesmes au x plus sainct/ serviteurs
de Dieu : (jui sont tous bien loing de lacconqjlissement de la
Loy, et sont environnez de plusieurs transgressions. Mais quand
3. les promesses Evangeliques sont mises en avant, lesquelles dé-
noncent la remission des péchez gratuite : non seulement elles
nous rendent agréables à Dieu, mais aussi font que noz <i'u-
vres luy soyent plaisantes. l'.t non seulement à fin qu'il les
accepte : mais aussi qu'il les rémunère des bénédictions, les-
U)t)
CHAPITRi; VI.
cjuelles estoient deuës à l'observation entière de sa Lov. par la
convenance qu'il avoit faicle. Je confesse donc, que le loyer,
qu'avoit promis le Seicrneur en sa Loy à tous ol)servateurs de jus-
tice et saincteté est rendu auz œuvres des fidèles. Mais en telle
n rétribution, il fault dili-^^eniment regarder la cause qui faict les
o'uvrt^s estre favora])les. Or il y a trois causes, dont cela procède.
La première est, que le Seii,nunir, destournant son re-ard des
(i-uvies de ses serviteurs, lesquelles méritent tousjours' plustost
confusion quelouënge, il receoit et embrasse iceulx en son Christ :
1'. et par le moyen de la seule Foy, sans ayde aucune des œuvres il
les reconcilie avec soy. La seconde est, que de sa beni-nité'et
indul-ence paternelle il fait cest honneur à leurs œuvres, sans
regarder si elles en sont di-nes ou non, de les avoir en quelque
pris et estime. La troisiesme est, qu'il receoit icelles œuvres en
t, miséricorde, ne mettant point en compte l'imperfection qui y est :
de laquelle elles sont toutes tellement pollues, qu'elles merite-
roientplus d'estre mises au nombre des vices que des vertus. Kt
de là ilapert, combien se sont tronqnz les Sophistes deSorbonne,
entant qu'ilz ont pensé avoir évité toute absurdité, disans (pu-
20 les œ'uvres ne sont point vallables à mériter salut de leur bonté
intérieure: mais pource que Dieu par sa bcui-nité les veult
autant estimer. Mais cependant ilz n'ont pcinl observé, combien
les iL.uvres, qu'ilz veulent estre méritoires, sont loin- de hi con-
dition requise es promesses légales: sinon que la justice gra-
2-, tuite, qui est appuyée sur la seule Foy precedast : et la remis-
sion des péchez, par laquelle il fault que les bonnes œuvres mes-
mes soient nettoiées, de leurs macules. Pourtant des trois cau.ses,
((ue nous avons recitées, qui font que les œuvres des fidèles soient
acceptées de Dieu, ilz n'en ont noté que l'une : et se sont teuz
30 des deux autres, voire des principales.
Hz allèguent la sentence de Sainct Pierre, que recite Sainct
Luc aux Actes. Kn vérité je trouve que Dieu n'est point accep- Ad. lo.
tateur des personnes : mais en toute nation celuv (pii fait
justice luv est plaisant. De ces parolles ilz pensent faire un
35 argument bien certain : que si l'homme acquiert fi.veur en-
vers Dieu par bonnes œuvres, ce qu'il obtient salut n'est point
de la .seule grâce de Dieu : mais plustost que Dieu subvient
tellement de sa miséricorde au pécheur, qu'il est esmeu à ce faire
par ses bonnes œuvres. Mais nous ne i)ourrons nullement
I)i; I.V JLSTIFU.MION
'iir
accoriK'rplusiouiss.'nti'nccsaerEsciltuiv: i[vu' nous ur cnsi-
a.'n..ns aoul)U'aocvi)lati(Mi iK' Ihoiniiu- .lovant DiiU. Car selon
.|uc rhomnuTst »!»• natuiv. Dion ne houvi' rien en lu.v, (U'nl il
soit llescliy à misericorae, sinon pure niiseiv. S'il esl iloiie
5 notoire, .|uV riu.nuue quand il est prennereinenl receu <le Dieu.
esl vui.le et ilesnu.' (le tout bien, aucontraire ehar-.- .•! plein
,1e loul -enre de mal : pour ipielle vertu le dir..ns-nous eshv
di-ne lie ?a vocation do Dii'U ? Pourtant que toute vain.' inia-i-
nalion de mérite soit rejettée. veu (pie le Sei-neur n..us .lemons-
i.«tre tant apperteiu.nt sa elemence j^ratuite. Car ee (pii est dit au
nu^sme lieu par lAu^'e à Cornélius, (pie ses oraisons et auinosiu-s
estoient venus devant la faee de Dieu : il/ tirent perv,'rseuunt
à leur pr(.po/.. pour pnuiv.'r (pie l'hounne esl pi.par.' par l.onnes
œuvres à recevoir la -race de Dieu. Car il lailloit (pu- Cune-
r.lius fust desja iUununé de l Ksprit de sa-esse puisqu'il est.ut
instruiclenla vraye s;«-esse, à scavoir la crainte de Dieu. Pareil-
lement qu'il fust sanctili('' du ine.sme Ksprit \nu^ .piil otoit ama-
teur de justice, laquelle est fruiet d'icduN , cinme dit r.Vposlre.
Il avoit donc de laf;race de Dieu toutes les choses, (pii estoient
S.a-realdes à Dieu en lu\ : tant s'en l'ault(pril ayt este pr.par.' à
l;? recevoir, par s.m industrie. CmIcs mi ne scauroit produire une
seule syllabe de THscriture lacpielle ne convienne avec ceste
doctrine, c'est (|ue Dieu n'a autre cause de recevoir l'homme en
son amour. sim)n (ju'il le voit du tmil perdu, s il est ;dMiMl..iméà
jssoymesme. Pourtant donc qu'il ne le veull laisser en perditi(»n,
ilexerce sa miséricorde en le délivrant. Nous voy.ns mainte-
nant (pie ceste acception ne vient p(»int de la justice de Ihoinme :
mais est un pur tesmoigna^-ede la l.oiit.- de Dieu envers les misé-
rables pécheurs, et (pii autrement sont trop plus que indignes
3..d'untelbenelice.()r apri-s que Diei. ayant retin' l'homme d'un
tel abysme de perdition, l'a sanctid.' par la grâce da.loplioii : i»our
. ,■ (pi'il la régénéré et reformi- en une nouvelle vie, aussi il le
leceoil et embrasse comme nouvelle créature, ixxoc les dons de
son Ksprit. Ceste est l'acception de bupielle parle Sainct Pierre.
31 Car les fidèles après leur vocation, sont agreabU^s à Dieu, me-smes
;,u regard de leurs (cuvres : pource (ju'il ne se peult faire, que
Dieu n'ayme les biens, qu'il leur a conférez par .son Ksprit.
XeantuKjins il nous fault tousjours retenir cela : ([u'ilz ne sont
pas autrement agréables à Dieu à raison de leurs o-uvres.
408 CHAPITRE VI.
sinon pour tant que Dieu à cause de l'amour gratuite qu'il leur
porte, accepte leurs œuvres. Car dont leur viennent les bonnes
œuvres : sinon d'autant que le Seigneur, comme il les a esleuz
pour instrumens honorables, aussi il les veult orner de vraye pu-
3 reté? Et dont est-CjC qu'elles sont réputées bonnes comme s'il n'y
avoit rien à redire ; sinon pour ce que ce bon Père pardonne les
tasches et macules, dont elles sont souillées? En somme Sainct
Pierre ne signifie autre chose en ce lieu, sinon que Dieu ayme
ses enfans : ausquelz il voit la similitude de sa face imprimée.
if Car nous avons enseigné cy dessus, que nostre régénération est
comme une réparation de son image en nous. Puis donc qu'ainsi
est : que le Seigneur à bon droit, ayme et ha en honneur son
image par tout où il la contemple : non sans cause il est dict que
la vie des fidèles estant formée et reiglée à saincteté et justice,
isluy est plaisante. Mais pource que les lideles, cependant qu'ilz
sont environnez de leur chair mortelle, sont encores pécheurs,
et leurs œuvres seulement acommencées, tellement qu'il y a beau-
coup de vices : Dieu ne peut estre propice, [ny] à ses enfans, ny
à leurs œuvres, sinon qu'il les receoive en Christ, plustost qu'en
20 eux mesmes. 11 nous fault en ce sens prendre les passages, qui
tesmoignent que Dieu est propice et bening à cevix qui vivent
justement. Moyse disoit aux Israélites, Le Seigneur ton Dieu Deut. 7 .
garde en mil' générations son alliance et sa miséricorde à ceux
qui l'ayment : et gardent ses commandemens. Laquelle sentence
ssestoit visitée entre le peuple, comme un dicton commun : comme i.Roys S.
nous voyons en la prière solennelle que fait Salomon : Seigneur
Dieu d'Israël, qui garde alliance et miséricorde à tes serviteurs,
qui cheminent devant toy de tout leur cœur. Autant en est-il dict
en l'oraison de Nehemiah. La raison est comme le Seigneur fai- Xehe. 10.
3osant alliance de sa grâce, requiert mutuellement de ses serviteurs
saincteté et intégrité de vie. à fin que sa bonté ne soit en moque- Deut. 29.
rie et mespris, et que personne ne s'enfle d'une vaine confiance
de sa miséricorde, pour estre en seureté, cheminant perverse-
ment ainsi après les avoir receuz en société de son alliance,
Soles veult retenir en office par ce moyen. Xeantmoins l'alliance
ne laisse point de se faire gratuite du commencement, et de-
meurer tousjours telle. Il sera bon de noter en passant, quelle
diference il y a entre telles locutions, et les promesses légales. J'ap-
pelle promesses légales, non pas toutes celles qui sont couchées
DE LA .11 STIFICATION.
409
cà et là en lu Loy de Moyse : veu qu'on y en trouverti plusieurs
Evan^eliques : mais jentendz celles t(ui appartiennent propre-
ment à la doctrine de la Loy, Telles promesses, quelque nom
qu'on leur inqjose, promettent rémunération et loyer soubz con-
>dition. si nous faisons ce qui est commandé. Mais quand il est
dicl. (pic le Seij^neur garde la promesse de sa miséricorde à ceux
(pii laymenl : c'est jjlustost pour demonstrer c[uel7, sont les ser-
viteurs de Dieu, (pii ont receu de c<eur son alliance : qnc pour
exprinuM- la cause, pouicpioy Dieu leur est propice. La raison
10 pour demonstrer cela est, comme le Sei^nieur par sa i)eni<.^nité
nous appelle en espérance de vie éternelle : à tin désire craint,
aymé, et honoré de nous : aussi toutes les promesses de sa misé-
ricorde, (ju'on lit en ll^scriture, à bon droict sont dirigées à ceste
lin : c est, (pie nous l'ayons en honneur et reveience. Toutesfoiset
15 (piaules donc, (pie nous oyons (jue le Seigneur fait bien à ceux
(pii observent sa Loy : (piil nous souvienne qu'en cesle manière
l'Kscriture demoiistre (pii sont les enlans de Dieu, par la mar([ue
(pii leur doibl eslre perpétuelle. Considérons que Dieu nous a
adoptez pour ses enfans : à lin que nous l'honorions comme nostre
20 père. A lin donc de ne renoncer au droict de nostre adoption : il
nous fault eiforcer de tendre où nostre vocation nous meine.
Dautrepart neantmoins que nous tenions cela pour asseuré, (jue
racc(tmplissement de la miséricorde de Dieu ne despend point
des (l'uvres des fidèles. Mais ce que le Seigneur acconijilit la
25 promes.se de salut en ceux, cjui par droiclure de vie, respondeiit
k leur vocation : (jue cela est, pource qu'il recongnoisl en eux les
vrayes marques et enseignes de ses enfans : à scavoir les grâces
(le son Esprit. Il nous fault à cela rapporter ce qui est dict au
quinziesme Psalme, des citoyens de Jérusalem : Seigneur qui
30 habitera en ton Tabernacle ; et fichera son siège en ta montaigne
saincte ? Celuy qui est innocent en ses mains, et pur en son
c(eur etc. Item, en lesaie. Qui est-ce qui habitera avec le feu
(|ui consumme tout? Celuy qui fait justice, parle en vérité, etc. lesa. 33.
Va autres semblables. Car cela n'est poinct dict pour descrire le
3". fondement, sur lequel doivent consister les iideles devant Dieu :
mais seulement la manière, par laquelle il les appelle en sa com-
pagnie, et en icelle les entretient et conserve. Pource qu'il déteste
le péché, et ayme la justice : ceux qfu'il] veult conjoindre k soy,
il les purilie de son Esprit : à lin de les rendre conformes à sa na-
no CHAPITRK VI.
ture. Pourtant si on demande la cause première, par laquelle
l'entrée nous est ouverte au Royaume de Dieu, et avons le moyen
d'y persévérer : la response est preste. C'est pource que le Sei-
gneur nous a une fois adoptez par sa miséricorde, et nous con-
5 serve tousjours. Si on demande de la manière comment cela se
fait, lors il fault venir à nostre régénération, et aux fruictz d icelle,
dont il est parlé en ce Psalme et autres passages.
Mais il semble advis, qu'il y ayi beaucoup plus de difficulté à
souldre les tesmoignages qui honorent les bonnes œuvres du filtre
iode justice: et disent que par icelles l'homme est justifié. Quant
est du premier genre, nous voyons que cà et là que les comman-
demens de Dieu sont appeliez justitications et justices. Du second
nous en avons exemple en Moyse, quand il dit : Geste sera nostre Deut. 6.
justice, si nous gardons tous ces commandemens. Et si on repli-
15 que que c'est une promesse légale, à laquelle est adjoincte une
condition impossible : il y en a d'autres, dont on ne scauroitdire le
mesme. Gomme quand il dit : Gela te sera imputé pour justice, si Dent. 24.
tu rendz au povre le gage qu'il t'aura donné. Pareillement le Pro-
phète dit, que le zèle qu'eust Phinéesà venger l'opprobre d'Israël Paal. 106.
2oluv a esté imputé à justice. Parquoy les Pharisiens de nostre temps
pensent avoir belle matière de crier contre nous en cest endroit.
Gar quand nous disons, que la justice de Foy, establie, il fault
que la justice des œuvres soit abatue : aussi ilz arguent aucon-
traire que si la justice est par les œuvres, qu'il n'est pas vray
25 que nous soyons justifiez par la seule Foy. Je respondz, que ce
n'est point de merveilles si les commandemens de la Loy sont
appeliez justice : car ilz sont justice à la vérité et nostons point
cela à la Loy de Dieu, qu'elle ne contienne parfaicte justice. Gar
combien que pource que nous sommes debteurs de tout ce qu'elle
30 requiert, quand bien nous y aurions satisfaict, encores sommes
nous ser%dteurs inutiles : ^outesfois puis que le Seigneur a faict
cest honneur à l'observation d'icelle, de l'appeller justice : ce
n'est pas à nous de luy oster ce qu'il luy a donné. Nous confessons
donc voluntiers, que lobeyssance de la Loy est justice : l'observa-
Sotiondun chascun commandement est partie de justice : moyen-
nant que nulles des autres parties ne deffaillent. Mais nous nyons
qu'on puisse monstrer en tout ce monde une telle justice. Et à
ceste cause nous abolissons la justice de la Loy. Non pas que de
soy elle soit insuffisante : mais pource que à cause de la débilité de
1)1-; LA .irsrinr\ii(»N. il 1
noslro t'Iuiir, vWc ir;ij)|)ar()isl milK' part. Mais (juel(|u"un pourra
<lire, quel Escrituif n ;ippelle j)assL'ulenient les préceptes de Dieu
justice : mais qu'elle attribue cetiltre aussi aux (inivres des fidèles,
('omme quand elle recite. (|ue Zacharie et sa femme ont ^ardé les
• justices du Si'iiiiu'iw. .le respond/., (|u"t'n parlant ainsi, (die estime [.ne I.
plus les (cuvres île la nalui'c île la Lovquede leur jiropre condition.
Bien est \ ray, que le Sei^'neiw, par le contenu de sa Loy, a mons-
tre aux homini's, quelle est la justice : mais nous ne mettons point
icelle justice en exécution, sinon en observant toute la Loy: car
II' j)ar chascune trans<j^ression elle est corrunqiue. Puis donc que la
Loy n'enseij^^ne (pie justice : si nous regardons ;i icelle, tous ses
commandemcns sont justice. Si nous considérons les hommes,
pour observer un l'ommandement il/ ne mériteront point la lou-
ën}j;e de justice, estans transi^i-resseurs en plusieui's : et veu mesmes
15 qu'il/ ne lont ti'U\ rc pnur obevrà Dieu, (jui ne soit vitieuse aucune-
ment, à cause de son inq)errection. Xostri' response donc est, (jue
quand les (l'uvres des Saincls sont nommées justice, cela ne vient
point de leurs mérites : mais entant ([u'elles tendent à la justice,
que Dieu ncuis a conunandée. laquelle est mdle, si elle n'est
1(1 pai-faicte. Or elle ne se trouve jjarlaicte en nul honnne du momie :
pom- tant lault conclure, (pi une bonne (cuvre de soy ne mérite pas
le nom de justice. Je \ icns maintenant au second g-enre, oîi gist la
principale diiriculti'. S. Paul n'a nul arjj;^ument plus ferme, pour
prouver la justice de la Foy, (jue <|uand il allègue ce qui est escrit
25 de Moyse. La Foy avoit esté inq)utée à Abraham pour justice. Puis
donc ((ue le zelc de Phinées. stdon le Pro|)hcte. lu\ a est('' inq)ul(''
à justice: ce (jue S. Paul argue de la bOy, on le pourra aussi con-
clure desd'uvres. Pourtant no/ advei'saires, comme ayans la vic-
toire en main, determini'nt, (jue jasoil que nous ne soyons point
.10 justifie/ sans Foy: neantmoins (jue nous ne sommes pas justifie/
par icelle seule : mais qu'il fault conjoindie les leuvres avec, pour
parfaire la justice. J'adjure icy tous ceulx, qui craignent Dieu,
que comme ils scavent qu'il fault prendre la reigle de justice de
la seule Escriture : aussi il/ veuillent diligemment, et en humilitiî
15 de cieur, considérer avec moy, C(mime l'Escritiuc se peut accor-
der à elle mesme, sans aucune cavillation. S. Paul scachant que
la justice de Foy est un refuge à ceux qui sont ilesnue/ de leur
propre justice, infère hardiment, que quiconque est justifié par
la Foy, est exclu/ de la justice des oeuvres. Sachant d'autrepart
412 CHAPITRE VI.
que la justice de Foy est commune à tous serviteurs de Dieu : il
infère de rechef d'une mesme confiance, que nul nest justifié par
les œuvres: mais plustost aucontraire, que nous sommes justifiez
sans aucune ayde de noz œuvres. Mais c'est autre chose de disputer
de quelle valeur sont les œuvres en elles mesmes : et en quelle es-
time elles s-ont devant Dieu, après la justice de la Foy establie. S'il
est question de priser les œuvres selon leur dignité : nous disons
quelles sont indignes destre présentées devant la face de Dieu.
Pourtant qu'il n'y a homme du monde, qui ayt rien en ses œuvres,
m dont il se puisse glorifier devant Dieu. Ainsi il reste, que tous estans
desnuez de toute ayde de leurs œuvres, soyent justifiez par la seule
Foy. Or nous exposons ceste justice estre telle : c'est, que le pé-
cheur estant receu en la communion de Christ, est par sa grâce re-
concilié à Dieu: d'autant qu'estant purifié par son sang, il obtient
15 remission de ses péchez : et estant vestu de la justice d'iceluy,
comme delà sienne propre, il peut consister devant le Throsneju-
dicial de Dieu. Après que la remission des péchez est mise, les
œuvres qui s'ensuyvent, sont estimées d'ailleurs que de leur mé-
rite. Car tout ce qui est imparfaict est couvert par la perfection de
20 Christ : tout ce qui y est d'ordures et de taches, est nettoyé par sa
pureté, pour ne venir point en compte. Après que la coulpe des
transgressions est ainsi effacée : laquelle empeschoit les hommes
de produire chose, qui fust agréable à Dieu ; après aussi que les
vices d'imperfections sont enseveliz, dont toutes bonnes œuvres
23 sont entachées et maculées : lors les bonnes œuvres, que l'ont les
fidèles, sont estimées justes: ou bien, qui vault autant à dire, sont
imputées à justice. Si maintenant quelqu un m'objecte cela pour
mimpugner la justice de la Foy : premièrement je linterrogue-
ray, si un homme doibt estre réputé juste pour deux ou trois
30 bonnes œuvres : estant transgresseur de la Loy en toutes les
autres ? Cela seroit trop desraisonnable. Puis après je luy de-
manderay, si mesme pour plusieurs bonnes œuvres il est juste :
quand on le pourra trouver coulpable en aucune chose. En-
cores n'osera pas mon adversaire affermer cela : veu que la sen-
astencede Dieu y contredit : laquelle prononce tous ceux, qui n'au-
ront accomply tous les préceptes, estre mauldictz. Je passeray
encores oultre, demandant s'il y a une seule bonne œuvre ; en
laquelle on ne puisse noter aucune impureté ou imperfection ?
Or comment cela se pourroit-il faire devant les yeux de Dieu ;
\)E LA JLSIII-ICAriON. 413
ausquelzles Estoïlles ne sont jioint puros ne clairrs ; ne les An^es
justes? Pourtant il sera eontieinct de confesser, qu'on ne trouvera
nulle bonne œuvre, laquelle ne soit pollue et corrumpuë, tant par
les transgressions qu aura commis l'homme en autre endroit, que
0 par sa propre imperfection: tellement qu'elle ne sera pas di^^ne
d'avoir le ncmi de justice. Or si c est chose notoire, que cela pro-
cède de la justilication de la Foy, (jue les leuvres (jui autrenuMit
estoient à demy bonnes, impures, corrumpues, indignes de com-
paroistre devant Dieu (tant s'en fault (ju'elles luy fussent plai-
iii santés) soient imputées à justice : pourquoy alleguerons-nous la
justice des œuvres ; pour destruire la justice de la Foy. de la-
quelle icelle est produicte, et en laquelle elle consiste ? Voul-
dri<»ns-nous faire une lii^née serpentine ; que les enfans nu»ur-
trissent leur mère? Or le dire de noz adversaires tend là. Ils ne
lo peuvent nver. (|ue la juslilicatioii dv la l-'oy ne soit commence-
ment, fontlenient, cause, matière, substance de hi justice des
œuvres. Xeantmoins ilz concluent que 1 homme n'est pas justifié
de Foy : pouice que les bonnes cx'uvres sont imputées à justice.
Laissons donc ces fatras : et confessons à la vérité ce qui en est.
20 C'est que si toute la justice qui peult estre en noz œuvres, pro-
cède et despend de la justilication de Foy : que non seulement
ceste cy n'est en rien diminuée par celle lii : mais plustost confer-
mée : d'autant que sa vertu apj)aroist plus ample. D'avantage ne
pensons ]>as les louvres estre tellement prisées après la justidca-
25 tion gratuite, qu'elles succèdent au lieu dejustiliei- l'homme, ou
bien le justifient k demy avec la Foy. Car si la justice de Foy
ne demeure tousjours en son entier : l'immundicité des œuvres
sera descouverte, tellement qu'elles ne mériteront que condem-
nation. Or il n'y a nulle absurdité en cela; (jue l'homme soit
3» tellement justifié par Foy, que non seulement il soit juste en
sa personne, mais aussi que ses œuvres soient réputées justes,
sans ce qu'elles lavent mérité. En ceste manière Sainct Paul,
voulant prouver que nostre béatitude consiste en la miséri-
corde de Dieu, et non j)as en noz œuvres, presse fort ce que dit
35 David. Bien heureux sont ceux, ausquels les iniquitez sont re- Psal. 31
mises, desquelz les péchez sont cachez. Bien heureux est l'homme,
auquel le Seigneur n'a [)oint imputé ses faultes. Si quelqu'un
vouloit alléguer aucontraire intiniz tesmoignages . lesquelz
semblent advis constituer la béatitude en noz œuvres : comme
41 i CHAPITRE V(.
quand il est dict. Bien heureux est l'homme qui craint Dieu, qui Psal. 1 13
a pitié du povre aftlig-é, qui n'a point cheminé au conseil des mes- Pro. 14.
chans, qui porte tentation, qui garde justice, et jugement. Bien Psal. I .
heureux sont les povres d'esprit, etc. tout cela ne fera pas, que Jaques I
3 ce que dit Sainct Paul ne demeure vray.Car veu que ces vertus, Psal. i06
quisont là recitées, ne sont jamais tellement toutes en l'homme, ^^ ■
quelles puissent estre acceptées de Dieu d'elles mesmes : il s'en- Mail. '.i.
suvt que 1 homme est tousjours misérable jusques à ce qu il est
délivré de misère par la remission de ses péchez. Puis donc
Kiqu'ainsi est, cjue toutes les espèces de béatitude, que recite l'Es-
criture, sont anneanties et peries, tellement que le fruict d'une
seule n'en revient point à l'homme, sinon que premièrement il ob-
tienne béatitude en la remission de ses péchez, laquelle donne lieu
à toutes les autres bénédictions de Dieu : il sensuyt, que ceste béa-
is titude gratuite, non seulement est principale et souveraine, mais
unique : sinon que nous veuillons quelle soit destruicte et abolie
par les bénédictions qui consistent en icelle seule. Il n y a pas
maintenant grand propos, que cela nous doibve troubler, ou en-
gendrer quelque scrupule, que les fidèles sont souvent nommez
20 justes en l'Escriture. Je confesse qu'ilz ont ce tiltre pour leur saincte
vie. Mais comme ainsi soit qu'ilz appliquent plus leur estude à
suyvre justice, qu'ilz ne l'accomplissent: c'estbien raison que ceste
justice des œuvres telle quelle, soit submise à la justice de la Foy :
enlaquelle elle est fondée : etde laquelle elletient tout cequelle est.
25 Mais noz adversaires poursuyvent oultre, et disent que S.
Jaques nous contrarie si évidemment, qu il nous est impossible Ja<j. 2.
de nous en despescher. Car il enseigne que Abraham a esté
justifié par les œuvres : et que nous tous aussi sommes justi-
fiez par les œuvres et non point de la seule Foy. Mais je deman-
30 de , s'ilz veulent tirer en combat Saint Jaques avec Sainct
Paul ? S ilz tiennent Sainct Jaques pour ministre de Christ :
il fault tellement prendre sa sentence, qu'elle ne desaccorde
point d'avec Christ : lequel a parlé par la bouche de Sainct
Paul. Le Sainct Esprit afferme par la bouche de Sainct Paul.
35 que Abraham a obtenu justice par Foy, et non point par ses
œuvres et qu'il fault aussi que nous soyons tous justifiez sans
les œuvres de la Loy. Le mesme Esprit dénonce par Sainct
Jaques, que noslre justice consiste en œ'uvres, et non seule-
ment en Foy. Il est certain que l'Esprit n'est point repu-
DE LA JLSTIFICÀTIUN. ' 41S
gnaiit à soy. Quelle donc sera la concorde ? Il sulïlst à noz ad-
versaires, s'ilz peuvent desiaciner la justice de Foy, laquelle nous
voulons estre plantée au profond du cœur. De donner repoz aux
consciences, ilz ne s'en soucyent point beaucoup. Et pourtant on
5 voyt comment ilz s'elîorcent d'esbranler la justice de Foy : mais
ce pendiuit ilz ne monstrent nulle certaine reigle de justice, à la-
cpielle les consciences se puissent renger. Qu'ilz triumphent donc
tant ([u'ilz vouldront, moyennant qu'ilz ne se puissent vanter
d'autre victoire, que d'avoir osté toute certitude de justice. Or
10 ilz obtiendront ceste mauldicte victoire, aux lieux, où ayans es-
teinct toute lumière de vérité, ilz auront aveug-lé le monde de
leurs ténèbres. Mais par tout où la vérité de Dieu demeurera
ferme, ilz ne profiteront rien. Je nye donc que la sentence de
Sainct Jacpies laquelle ilz ont tousjours en la bouche, et de laquelle
1 • ilz font leur grand bouclier, leur favorise aucunement. Pour li-
quider cela, il nous fault jjremierement regarder le but où il
tend: puis après observer, en quoy c'est qu'ilz s'abusent. Pour ce
qu'il y en a voit lors plusievn\s (comme ce mal est coustumiere-
ment en l'Eglise) lescjuelz demonstroient leur infidélité en mes-
20 prisant tout ce qui est propre aux fidèles et neantmoins ne ces-
soient de se glorifier faul sèment du tiltre de Foy : Sainct Jaques
se moque de ceste foie oultrecuydance. Ce n'est pas donc son in-
tention de detracter en rien qui soit de la vraye Foy : mais décla-
rer combien estoient ineptes telz baveurs, de tant attribuer à
2.1 une vaine apparence de Foy : que secontentans d'icelle, menoient
ce pendant une vie dissolue. Cela considéré, il est maintenant
facile de juger, en quoy se trompent noz adversaires : car ilz
faillent doublement. C'est, qu'ilz prennent mal le mot de Foy :
puis aussi de jtistifier. Sainct Jaques en nommant la Foy, n'en-
30 tend autre chose, qu'une opinion frivole, qui est bien différente
de la vérité de Foy. Ce qu'il fait par une manière de concession :
comme il monstre dez le commencement par ses parolles. Que
proffite cela mes frères ; Si quelqu'un dit qu'il ha la Foy, et
qu'il n'ayt point les œuvres? Il ne dit pas^ si quelqu'un ha la
35 Foy sans œuvres : mais s'il se vante de l'avoir. Puis après en-
cores plus clairement, en faisant par moquerie ceste Foy pire
que la congnoissance des Diables. Finalement en l'appellant
morte. Mais on poiura suffisamment entendre ce qu'il veult
dire, par la définition qu'il en met. Tu crois, dit-il, qu'il
416 CHAPITRi: VI.
y a un Dieu. Certes si tout le contenu de ceste Foy est, de simple-
ment croire qu il y a un Dieu : ce n est pas de merveilles, si elle
ne peult justifier. Et ne fault pas que nous pensions, que cela des- i
rogue rien à la Foy Chrestienne : de laquelle la nature est bien
5 autre. Car comment est-ce que la vraye Foy justifie ; sinon en
nous adjoignant à Jésus Christ ; à fin questans faictz uniz avec
Luy ; nous jouyssions de la participation de sa justice ? Elle ne
justifie pas donc, pour concevoir quelque intelligence de la Divi-
nité : mais, par ce qu'elle fait reposer l'homme en la certitude de la
10 miséricorde de Dieu. Nous n'avons point encores touché le but,
jusques à ce que nous aurons descouvert lautre erreur. Car il
semble advis que Sainct Jaques mette une partie de nostre justice
aux œuvres. Mais si nous le voulons faire accorder, et à toute l'Es-
criture, et à soymesme : il est nécessaire de prendre autrement en |
15 ce lieu le vocable de Justifier qu'il ne se prend en Sainct Paul. Car
Sainct Paul appelle justifier, quand la mémoire de nostre justice '
effacée, nous sommes reputez justes. Si Sainct Jaques eust là re-
gardé, il eust cité mal à propos le tesmoignage de Moyse, que
Abraham a creu à Dieu etc. Car il adjouste consequemment, que
20x\braham a obtenu justice par ses œuvres : en tant qu'il n'a point ,
doubté d'immoler son filz au commandement de Dieu et ainsi que
i
lEscriture a esté accomplie, laquelle dit, qu'il a creu à Dieu, et
lui a esté imputé à justice. Si c'est chose absurde, que l'efTect j
précède sa cause : ou Moyse tesmoigne faulsement en ce lieu là, I
25 que la Foy a esté imputée pour justice à Abraham : ou il n'a
point mérité sa justice par l'obeyssance, qu'il a rendue à Dieu, i
en voulant sacrifier Isaac. Abraham a esté justifié par sa Foy,
devant que Ismael fust conceu, lequel estoit ja grandy devant la
nativité de Isaac. Comment dirons-nous donc; qu'il s'est acquis ]
30 justice par l'obeyssance qui a esté long temps après? Pourtant \
ou Sainct Jaques a renversé tout l'ordre (ce qui n'est licite de 1
penser) ou en disant qu'il a esté justifié, n'a pas entendu qu'il '^ '^
eust mérité d'estre tenu pour juste. Quoy donc ? Certainement il , :
appert, qu'il parle de la déclaration, et non pas de l'imputation ' )
35 de justice: comme s'il disoit. Ceux qui sont justes de Foy ap- [ ;
prouvent leur justice par obeyssance et bonnes œuvres : et non j
point par une marque nue et imaginaire de Foy. En somme,
il ne dispute point, par quel moyen nous sommes justifiez :
mais il requiert des fidèles une justice, qui se declaire par
ni2 LA JUSTIFICATION. 417
œuvres. Et comme Sainct Paul alTcrme, que l'homme est justifié
sans ayde de ses œuvres : aussi Sainct Jaques ne concède pas que
celuy qui se dit juste, soit despourveu de bonnes otaivres. Geste
considération nous délivrera de tout scrupule. Car noz adversaires
5 s'abusent principalement en cela, qu'ilz pensent que Sainct Jaques
détermine, quelle est la manière d'estre justifié : comme ainsi
soit qu'il ne tasche à autre fin. que d'abatre la vaine confiance de
ceux, qui pour excuser leurs nonchaillance de bien faire, prétendent
faulsement le tiltre de Foy. Parquoy. comment quilz tournent et
10 revirent les parolles de Sainct Jaques, ilz n'en pourront tirer que
ces deux sentences. C'est qu'une vaine imagination de Foy ne
nous justifie pas. Item, Que le fidèle, n'estant point content d'une
telle imagination, déclare sa justice par bonnes œuvres.
Ce quilz allèguent de Sainct Paul en un mesme sens ne les liom. 2.
13 ayde en rien : à scavoir que les facteurs de la Loy seront justi-
fiez, non pas les auditeurs. Je ne veulx point évader parla solu-
tion de Sainct Ambroise, lequel expose cela estre dict, pource
que l'accomplissement de la Loy est la Foy en Christ. Car il
me semble que c'est un subterfuge : duquel il n'est ja mestier
20 quand la pleine voye est ouverte. En ce passage là Sainct Paul
rabat l'orgueil des Juifz, qui se glorifioient en la seule congnois-
sance de la Loy : combien qu'ilz en fussent grans contempteurs.
A fin donc qu'ilz ne se pleussent pas tant en une congnoissance
nue : il les admoneste, que si nous cerchons nostre justice en
2a la Loy, il fault venir en l'observation, et non pas à l'intelli-
gence d'icelle. Certes nous ne révoquons pas cela en double
que la justice de la Loy ne consiste en bonnes œuvres. Nous
ne nyons pas non plus, que en observation entière de sainc-
teté et innocence il n'y ayt pleine justice. Mais il n'est pas en-
3ocores prouvé, que nous soyons justifiez par œuvres : sinon
qu'on en produise quelqu'un, qui ayt accomply la Loy. Orque
Sainct Paul n'ayt voulu autre chose dire, sa procédure en
rend tesmoignage. Après avoir condemné d'injustice , tant
Juifz que Gentilz indiferemment, il descend après à particu-
sôlariser, et dit que ceux qui ont péché sans la Loy, périront
sans la Loy : ce qui appartient aux Gentilz. D'autrepart que
ceux qui ont péché en la Loy, seront jugez par la Loy : ce
qui est propre aux Juifz. Or pource que iceux, fermans les veux
à leurs transgressions, se glorifioient de la seule Loy: il adjouste
Institution. 27
418 CHAPITRE VI.
ce qui estoit bien convenable, que la Loy ne leurestoil pas don-
née, à fin que escoutans seulement la Aoix d'icelle, ilz fussent ren-
duz justes : mais en obeyssant à ses conimandemens. Gomme sil
disoit, Cerche tu justice en la Loy? N'allègue point la seule oûye,
o laquelle ha de soy peu d'importance: mais produvs les œuvres,
par lesquelles tu puisses monstrer, que la Loy ne t'a pas esté
donnée en vain. Puis que tous delfailloient en cela : il s'ensuy-
voit qu'ilz estoient despouillez de la gloire qu'ilz pretendoient.
Pourtant il fault plustost du sens de Sainct Paul former un argu-
10 ment contraire à celuy que font noz adversaires. C est que si la
justice de la Loy est située en perfection de bonnes œuvres : et
nul ne se peut venter d'avoir satisfaict à la Loy par ses œuvres :
la justice de la Loy est nulle entre les hommes.
Après noz adversaires nous assaillent des passages, où les fi-
isdeles offrent hardiment leur justice à Dieu, pour estre examinée :
et désirent de recevoir sentence selon icelle. Comme quand David
dit, Juge moy Seigneur selon ma justice : et selon l'innocence qui Psal. 29.
est en moy. Item, Exauce, Seigneur, ma justice: tu as esprouvé
mon cœur et l'as visité de nuict : et n'a point esté trouvé d'ini-
20 quité en moy. Item, Le Seigneur me rétribuera selon ma justice,
et me rendra selon la pureté de mes mains car j'ay gardé la droicte
voye, et nay point décliné de mon Dieu etc. Item, Juge moy.
Seigneur, car j'ay cheminé en innocence. Je ne me suis point
assis au renc des menteiu's, et ne me suis point meslé avec
25 les meschans. Ne perdz point donc mon ame avec les iniques,
etc. J'ay dy cy dessus de la confiance, que les fidèles sem-
blent advis simplement prendre de leurs œuvres. Les passages
que nous avons icy amenez ne nous empescheront pas beau-
coup , si nous les considérons en leur circonstance : laquelle
30 est double. Car les fidèles, en ce faisant, ne veulent pas
que toute leur vie soit examinée , à fin que selon icelle ilz
soient absoudz ou condemnez : mais présentent à Dieu quel-
que cause particulière, pour en juger. Secondement il s'attri-
buent justice, non pas au regard de la perfection de Dieu :
35 mais en comparaison des meschans et iniques. Premièrement
quand il est question de justifier l'homme, il n'est pas
seulement requis, qu'il ayt bonne et juste cause en quel-
que affaire particulière : mais qu'il ovt une justice entière en
tout le cours de sa vie : ce ({ue nul n"a jamais eu et n'aura.
DE LA JUSTIFICATION. 419
Or en ces oraisons, où les Sainctz invoquent le. Tugement de Dieu,
pour approuver leur innocence : ilz ne se veulent pas vanter d'estre
purs et netz de tout péché, et qu'il n'y ayt rien à redire en leur vie :
mais après avoir mis toute fiance de salut en la bonté de Dieu,
5 se confiant neantmoins qu'il est le protecteur des povres, pour
venger les injures qu'on leur faict, et pour les detTendre, ([uand
on les afflige à tort : ilz luv recommandent leur cause, en laquelle
ilz sont affligez, estans innocens. D'autrepart en se présentant
avec leurs adversaires devant le Throsne de Dieu : ilz n'alle-
loguent point une innocence, laquelle puisse respondre à sa pu-
reté, si elle estoit espeluchée selon sa rigueur : mais pource
([u'ilz scavent bien que leur sincérité, justice et simplicité est
plaisante et agréable à Dieu, au pris de la malice, meschanceté
et astuces de leurs adversaires : ilz ne dovibtent pas d'invoquer
13 Dieu pour juge entre eux, et iceux iniques. En ceste manière
quand David disoit à Saûl : Que le Seigneur rende à chascun /. .Sam.
selon la justice et vérité qu'il trouvera en luy : il n'entendoit pas,
que Dieu examinast un chascun par soy, et le remunerast selon
ses mérites : mais il protestoit devant Dieu quelle estoit son
20 innocence, au pris de l'iniquité de Saûl. Sainct Paul aussi, quand
il se glorifie au bon tesmoignage de sa conscience, qu'il a faict 2. Cor. I .
son office en simplicité et intégrité : il n'entend pas s'appuyer
et reposer sur ceste gloire, quand il viendra au Jugement de
Dieu. Mais estant contreinct par les calumnies des meschans, il
2o maintient contre leur maledicence sa loyauté et preud'hommie :
laquelle il scavoit estre congneuë et agréable à Dieu. Car nous
voyons ce qu'il dit en un autre lieu c'est, qu'il ne se sent point ^- '^'o'- ^•
coulpable : mais qu'en cela il n'est pas justifié. Certes il repu-
toit bien, que le Jugement de Dieu est bien autre que l'estime
30 des hommes. Pourtant combien que les tideles allèguent Dieu
pour tesmoing et juge de leur innocence, contre la mauvaistié
des hypocrites : toutesfois quand ilz ont affaire à Dieu seul, ilz
cryent tous dune voix : Seigneur n'entre point en jugement Psa/. / /3.
avec tes serviteurs : car nul Advant ne sera justifié devant ta face.
33 Et se deifians de leurs œuvres, confessent voluntiers que sa /^sa/. 63.
bonté est meilleure que toute vie.
Il y a d'autres lieux quasi semblables : ausquelz quelqu'un
pourroit estre empesché. Salomon dit, que celuy qui chemine Prov. 10.
en intégrité est juste. Item, Qu'en la voye de justice on
420 CHAPITRE VI.
trouvera vie : et qu'il n'v aura point de mort. Selon laquelle £=e. IS.
raison, Ezechiel dénonce, que celuy qui fera justice et jugement,
vivra tousjours. Je respondz. que nous ne voulons rien nyer,
ne dissimuler, ne obscurcir de toutes ces choses. Mais qu'il y en
s vienne un seul en avant avec une telle intégrité. S'il ne se
trouve nul homme mortel, qui le puisse faire : ou il fault que
tous périssent au Jugement de Dieu : ou qu'ilz ayent leur refuge
à sa miséricorde. Ce pendant encores ne n^^ons nous pas, que
l'inteo-rité qu'ont les fidèles, combien qu'elle soit imparfaicte,
10 et qu'il y ayt beaucoup à redire, ne leur soit comme un degré à
l'immortalité. Mais dont vient cela : sinon que quand le Seigneur
a receu un homme en l'alliance de sa grâce ; il n'espeluche point
ses œuvres selon leurs mérites ; mais les accepte d'une béni-
gnité paternelle ; sans ce qu'elles en soient dignes ? Par les-
13 quelles parolles, nous n'entendons pas seulement ce qu'en-
seio-nent les Scolastiques : c'est, que les œuvres ont leur valeur
de la grâce de Dieu qui les accepte. Car en cela disant, ilz en-
tendent que les œuvres, lesquelles seroient autrement insuffi-
santes pour acquérir salut, receoivent leur suffisance, de ce
20 qu'elles sont prisées et acceptées de Dieu. Mais jedy aucontraire,
que toutes œuvres, entant qu'elles sont pollués, tant par autres
transgressions, que de leurs propres macules, ne peuvent rien
valoir, sinon d'autant que nostre Seigneur n'impute point les
macules dont elles sont entachées, et pardonne à l'homme
25 toutes ses faultes. Ce qui est donné de justice gratuite. Et n'y
a point de propos, d'alléguer icy les prières que fait aucunesfois
Sainct Paul où il désire une si grande perfection aux fidèles, Ephe. I.
qu'ilz soient trouvez irrépréhensibles et sans coulpe au Juge- / . The. 3-
ment du Seio-neur. Les Celestins anciens hérétiques, s'aydoient
30 de telles sentences, pour prouver que l'homme peut avoir par-
faicte justice en la vie présente. Nous respondons après Sainct
Auo-ustin ce que nous pensons pouvoir suffire. C'est , que
tous fidèles doibvent bien aspirer à ce but , d'apparoistre une
fois devant Dieu purs et sans macule. Mais pource que le meil-
35 leur estât et le plus parfaict que nous puissions avoir en la vie
présente n'est autre chose, que de proffiter de jour en jour :
lors nous parviendrons à ce but, quand après estre despouillez
de nostre chair pécheresse, nous adhérerons pleinement à nostre
Dieu.
DE LA JUSTIFICATION. 421
Venons maintenant à exposer les passages, ausquelz il est dict
que Dieu rendra à un chascun selon ses œuvres. Comme sont Matt. 6".
ceux qui s'ensuyvent : un chascun recevra selon qu'il aura faict 2. Cor. 3.
en son corps : soit bien soit mal. Item, Gloire et honneur à Boni. 2.
jceluy, qui fera bien : tribula'tion et angoisse sur Tame du per- Jean 6".
vers. Item, Et iront ceux qui auront bien vescu en la resurrec- Mat. 2.).
tion de vie : Item, Venez, vous qui estes ])enei/. de mon Père : Pro. 13.
j'ay eu faim, et vous m'avez repeu : j'ay eu soif, et vous m'avez Matl. ii.
donné à boire, etc. Ausquelz il sera bon de conjoindre aussi ceux, Luc 6.
10 où la A'ie éternelle est appellée Loyer. Comme quand il est dict,
que la rémunération sera faicte à l'homme selon l'ci'uvre de ses /. Cor. 3.
mains. Item, Celuy qui obeyst au commandement de Dieu sera
rémunéré. Item, Esjouyssez vous, car vostre loyer est grand au
ciel. Item, un chascun recevra salaire selon son labeur. Tou-
la chant ce qui est dict, que Dieu rendra à un chascun selon ses
œuvres, se peult souldre sans grande dilïiculté, Carceste locution
dénote plustost un ordre de conséquence, que la cause pour la-
quelle Dieu rémunère les hommes. Or, il n'y a nulle double, que
nostre Seigneur use de ses degrez en acconq^lissant nostre salut: Rom. S.
20 que après nous avoir esleuz, il nous appelle, après nous avoir
appeliez il nous justifie: après nous avoir justiliez, il nous glorifie.
Combien donc que le Seigneur receoive les siens en vie par sa seule
misei'icorde : toutesfois pour ce qu'il les conduyt en icelle par le
chemin des bonnes œuvres, à fin d'accomplir en eux son vouloir
25 par l'ordre qu'il a destiné : ce n'est point de merveilles, s'il est
dict qu'ilz sont couronnez selon leurs œuvres : par lesquelles ilz
sont préparez à recevoir la couronne d'immortalité. Et mesmes
pour ceste cause il est dict quilz font leur salut : quand en s'ap-
pliquant à bonnes œuvres, ilz méditent la vie éternelle. Néant
30 moins il ne s'ensuvt pas de cela, ou qu'ilz soient autheurs de leur
salut, ou que leur salut procède des bonnes œuvres. Quoy donc ?
Incontinent après que parla congnoissance de l'Evangile etl'illu-
mination du Sainct Esprit, ilz ont esté appeliez en la compagnie
de Christ : la vie éternelle est commencée en eux. En après le Sei-
35 gneuracheve son œuvre qu'il a commencé en eux jusques au jour de
Jésus Christ. Or l'œuvre de Dieu est accomplie en eux, quand en
justice et saincteté representans l'image de leur Père céleste, ilz se
déclarent estre ses enfans légitimes. Quant est de ce mot Loyer: il
ne fault pas qu'il nous induise à faire noz œuvres cause de nostre sa-
422 CHAPITRE VI.
lut. Premièrement que cela soit arresté en nostre cœur, que le
Royaume des cieux nest pas salaire de serviteurs : mais héritage
denfans : duquel jouvront seulement ceux que Dieu a adoptez
pour ses enfans : et n'en jouvront pour autre cause, que pour Ephe. I.
oceste adoption. Car le fîlz de la chambrière ne sera point heri- Gala. i.
tier, comme il est escrit: mais le filz de la femme libre. Et de faict,
aux mesmes passages, où le Sainct Esprit promet la vie éter-
nelle pour loyer des œuvres, en l'appellant nommeement héri-
tage, il demonstre quelle ne vient d'ailleurs. En ceste manière,
10 Christ en appellent les esleuz de son Père à posséder le Royaume
céleste, recite bien les œuvres, q^u'ir veult en cela recompenser:
mais il adjouste quant et quant, quilz le posséderont de droit
d'héritage. Sainct Paul aussi exhorte bien les serviteurs, qui îont Matt. i.j'.
lidelement leur devoir desperer rétribution du Seigneur : mais Coloss.3.
13 il adjouste incontinent, que c'est rétribution d'héritage.
Nous voyons comme par parolles expresses Christ et ses Apos-
tres se donnent de garde, que nous ne referions point la béa-
titude éternelle aux œuvres : mais à l'adoption de Dieu. Pour-
quoi donc, dira quelqu'un, font-ilz mention semblablement des Ge.l.'i l(i.
20 œuvres ? Ceste question se pourra vuider par un seul exemple
de l'Escriture. Devant la nativité de Isaac, il avoit esté promis
à Abraham, qu'il auroit semence, en laquelle seroient beneistes
toutes nations de la terre : et que sa lignée seroit semblable aux
Estoilles du ciel, et au gravier de la mer. Long temps après il
2.=> se prépare à immoler son filz Isaac, selon le commandement
de Dieu. Après avoir monstre une telle obeyssance, il receoist
ceste promesse : J'ay juré par moymesme, dit le Seigneur, puis Gènes. 22.
que tu as faict cela, et n'as point espargné ton propre filz uni-
que, pour me complaire ; je te beneiray, et multiplieray ta
30 semence comme les Estoilles du ciel, et le gravier de la mer :
et en ta semence seront beneistes toutes nations de la terre,
pource que tu as obey à ma voix. Qu'est-ce que nous oyons ?
Abraham avoit-il mérité par son obeyssance ceste bénédiction,
laquelle luy avoit esté promise devant que le commande-
33 ment luy fust baillé ? Icy certes nous avons sans circuit et
sans ambiguïté, que le Seigneur rémunère les œuvres des
fidèles par les mesmes bénéfices, qu'il leur avoit ja donnez,
devant qu'ilz eussent pensé à rien faire : et pour le temps qu'il
n avoit nulle cause de leur bien faire, sinon sa miséricorde.
DI-; LA JISTIFICATION. 123
Et toutesfois ce n'ost pas frustration ne moquerie, quand il dit
qu'il rétribue aux œuvres ce qu'il avoit gratuitement donné de-
vant les ivu\Tes, Car d'autant qu'il veult que pour méditer la ré-
vélation des choses qu'il a promises, nous nous exercitions en
5 bonnes œuvres : et que par icelles nous cheminions, pour parve-
nir à res[)erance bien heureuse, iju'il nous a proposée au ciel,
c'est à bon droit que le fruict des promesses leur est assigné, puis
qu'elles sont comme moyens, pour nous conduyre à la jouyssance.
L'un et l'autre a esté tresbien exprimé de l'Apostre, quand il
l'i dit, que les Colossiens sappliquoient à suyvre Charité, pour Tes- Coluxs. I
l)erance qui leur estoit coloquée au ciel : de laquelle ilz avoient
entendu par la doctrine véritable de l'Evangile. Car en disant
(ju'il/ ont congneu par l'Evangile, (jue l'héritage céleste leur es-
toit prej)aré : il dénote que l'espérance en est fondée en un seul
15 Christ, non point en nulles ceuvres. (Kiand il dit que à ceste cause
il s'esforce de bien faire : il demonstre que les fidèles tout le temps
de leur vie, doibvent courir pour appréhender. Or à fin que nous ne
pensissions que le salaire, que nous promet le Seigneur, se doibve Mail. 20.
mesurer selon les mérites : il nous propose ime parabole, en la-
2(1 cpielle il se compare à un père de famille, lequel envoyé en sa
vigne tous ceux qu'il rencontre: les uns en la première heure du
jour : les autres à la seconde : les autres à la troisiesme rfaucuns
à l'unsiesme. (juand ce vient au soir, distribue à tous salaire es-
gal. De laquelle parabole l'exposition est tresbien et briefvement
25 couchée au livre intitulé de Vocatione gentium, qu'on attribue à
S. Ambroise. Pour ce que c'est un docteur ancien, j'ayme myeux
user de ses parolles, que des miennes. Par ceste similitude,
dit-il, le Seigneur a voulu monstrer, que la vocation de tous
fidèles, combien qu'il y ayt quelque variété en l'apparence exte-
aorieure, appartient à sa seule grâce. Ceux donc qui après avoir
besongné une heure seulement, sont esgalez à ceux qui ont tra-
vaillé tout au long du jour, représentent la condition de ceux
que Dieu pour magnifier l'excellence de sa grâce, appelle sur
la fin de leur vie, pour les rémunérer selon sa clémence : non
35 pas leur payant le salaire de leur labeur, mais espandant sur eux
les richesses de sa bonté, comme il les a esleuz sans leurs œuvres :
à fin que ceux mesmes, qui ont long temps travaillé et ne receoi-
vent non plus que les derniers, entendent qu ilz receoivent tout
du don de sa grâce : et non pas pour salaire de leurs labeurs.
424 CHAPITRE VI.
Pourtant ne j^ensons point, que le Sainct Esprit, par les pro-
messes cy dessus recitées, veuille priser la dignité des œuvres,
comme si elles meritoient tel loyer. Car TEscriture ne nous l;iisse
rien de reste dequoy nous nous puissions exalter devant la face
3 de Dieu. Plustost aucontraire est du tout k cela, de confondre
nostre orsueil, nous humilier, abatre et anneantir du tout. Mais
le Sainct Esprit, par les promesses susdites, subvient à nostre
imbécillité : laquelle autrement decherroit et defïauldroit incon-
tinent si elle n'estoit ainsi soustenue et consolée. Premièrement
10 qu'un chascun repute en son endroit, combien c'est une cho.se
dure, de renoncer et habandonner. non seulement toutes les
choses qu'il ayme, mais aussi soymesmes. Et toutesfois c'est la
première leçon, que baille Christ à ses disciples, c'est-à-dire à
tous fidèles : et tout au long de leur vie il les tient soubz la dis-
15 cipline de la croix : à fin qu'ilz naddonnent point leur cœur à la
cupidité ou fiance des biens terriens. Brief il les traicte en telle
sorte, que de quelque costé qu'ilz se tournent, tant que ce monde
se peult estendre, ilz ne voient sinon désespoir. Tellement que I. Cor. 13.
Sainct Paul dit que nous sommes les plus misérables de tous les
20 hommes, si nous espérons seulement en ce monde. A fin donc
que nous ne perdions courage en telles angoisses : Le Seigneur
nous adsiste et admoneste de lever la teste en hault, et regarder
plus loing ; nous promettant que nous trouverons en luy nostre
béatitude, laquelle nous ne voyons pas en ce monde. Or il lap-
25 pelle loyer, salaire et rétribution, non pas estimant le mérite de
noz œuvres : mais signifiant que c'est une recompense pour les
misères, tribulations et opprobres que nous endurons en terre.
Pourtant il n'y a point de mal, d'appeller, à l'exemple de l'Es-
criture, la vie éternelle, rémunération : A-eu que par icelle le Sei-
sogneur transfère ses serviteurs de travail, en repoz : d'affliction, en
consolation : de tristesse, en joye : de povreté, en affluence : d'i-
gnominie, en gloire : finalement qu'il change tous les maulx qu'ilz
ont enduré, en plus grans biens. 11 n'y aura aussi nul inconvénient,
d'estimer saincteté de vie. estre la voye : non pas laquelle nous
35 face ouverture en la gloire céleste : mais par laquelle Dieu con- Rom. <S.
duyt ses esleuz en la manifestation d'icelle : veu que c'est son
bon plaisir de glorifier ceux qu'il a sanctifiez. Seulement que
nous n'imaginions point aucune correspondance entre mé-
rite et loyer. A quoy s'abusent perversement les Sophistes :
DE LA JUSTIFICATION.
425
pource qu'ilz no considèrent point ceste lin, que nous avons
exposée. Or quelle moquerie est-ce ; quand Dieu nous appelle
à un but ; de destourner les yeux d'un autre costé ? Il n'y a rien
plus clair, que le loyer est promis aux bonnes œuvres : non pas
5 pour enfler de gloire nostre cœur, mais pour soulager la foi-
blesse de nostre chair. Celuy donc qui veult par cela inférer
quelque mérite des œuvres, se destourne du droit but. Pourtant,
quand l'Escriture dit, que Dieu, comme juste juge, rendra la
couronne de justice à ses serviteurs : non seulement je respondz
lu avec Sainct Augustin, Comment rendroit-il la couronne comme
juste juge, s'il n'eust premier donné la grâce ; comme père misé-
ricordieux ? Et comment y auroit-il justice aucune ; sinon que la
grâce eust précédé ; laquelle justifie l'inique? Et comment ceste
couronne seroit-elle rendue comme deuë ; sinon que tout ce que
15 nous avons nous eust esté donné sans estre deu ? Mais j ad-
jouste aussi avec cela : comment imputoroit-il justice à noz
œuvres ; sinon qu'il cachast par son indulgence ce qui est d'in-
justice en icelles? Comment les reputeroit-il dignes de loyer;
sinon qu'il eifaceast par sa bénignité infinie, ce qui est en icelles
20 digne de peine? J'adjouste cela au dire de Sainct Augustin :
pource qu'il a accoustumé de nommer la vie éternelle, grâce,
d'autant qu'elle nous est donnée pour les dons gratuit/, de Dieu,
quand elle est rendue à noz œuvres. Mais l'Escriture nous humi-
lie d'avantage. Car oultre ce qu'elle nous deffend de nous glori-
25 fier en noz œuvres, pource que ce sont dons gratuitz de Dieu :
pareillement elle nous monstre, qu'elles sont tousjours entachées
d'ordures : tellement qu'elles ne peuvent satisfaire ne plaire à
Dieu, si elle sont examinées selon sa rigueur.
Il y a d'autres passages, qui ont quasi semblable sens à
30 ceux que nous venons d'expliquer. Comme quand il est dict :
Faictes-vous des amys des richesses d'iniquité, à tin que quand
vous detfauldrez, ilz vous receoivent au Royaume de Dieu. Luc 16.
Item, Enseigne les riches de ce monde, de ne senorgueil- /. n?». (>.
lir, et n'espérer point en l'incertitude de leurs richesses :
35 mais en Dieu vivant. Exhorte les de bien faire, d'estre riches
en bonnes œuvres, et de se faire un bon thresor pour l'ad-
venir : à fin d'appréhender la vie éternelle. Nous voyons
que les bonnes œuvres sont accomparées à richesses : des-
quelles il est dict que nous jouyrons en la béatitude future.
426 CHAPITRE VI.
Je respondz, que jamais nous n'aurons la vraye intelligence de
tout ce qui est là dict, si nous ne convertissons noz yeux au but,
auquel le Sainct Esprit dirige ses parolles. Si ce que dit Christ
est vray, que nostre cœur s'arreste là où est nostre thresor :
5 comme les enfans de ce siècle s'empeschent et s'appliquent du
tout à amasser les choses qui appartiennent à la félicité de la
vie présente : ainsi fault il que les fidèles voyans que ceste vie
s'esvanouyra comme un songe, envoyent les choses dont ilz
veulent droictement jouyr à tousjours, au lieu là où ilz ont à
10 vivre éternellement. Pourtant il nous fault ensuyvre l'exemple de
ceux, qui se départent d'un lieu à l'autre, pour y habiter à per-
pétuité. Hz envoyent devant tout leiir bien : et ne leur fait point
mal de s'en passer pour un petit de temps : mais plustost sesti-
ment d'autant plus heureux, qu'ilz ont plus de bien au lieu où ilz
lodoibvent finir leur vie. Si nous croyons que le ciel est nostre
pays, et nostre propre habitation : il convient plustost dey trans-
mettre noz richesses, que de les retenir icy, pour les abandon-
ner, quand il nous en fauldra partir subitement. Or la manière
de les transmettre, q[ue]lle est elle ? C'est de communiquer aux Matt. 2o.
20 nécessitez des povres : ausquelz tout ce qu'on eslargist, le Sei- Pro. 19.
gneur se l'advouë estre donné. Dont vient ceste belle promesse; 2. Cor. 9.
Que quiconques donne aux povres, preste à Dieu à usure? Item,
Celuy qui sèmera largement, aura large moisson. Car toute la
charité que nous faisons à noz frères, est comme mise en garde
25 entre les mains de Dieu. Luy donc, comme il est fîdele gardien,
nous rendra une fois le tout, avectresample usure. Quoy donc?
dira quelqu'un, les œuvres de charité sont elles de telle estime
envers Dieu ; que ce soient comme richesses à luy commises ?
Et qui auroit horreur d'ainsi parler ; puis (jue l'Esciiture le tes-
3omoigne tant apertement? Mais si quelqu'un, pour obscurcir la
bénignité de Dieu, veult establir la dignité des œuvres : ces tes-
moignages ne luy ayderont de rien pour confermer son erreur .
Car nous n'en scaurions autre chose inférer, sinon que la bonté
et l'indulgence de Dieu est merveilleuse envers nous veu que
35 pour nous inciter à bien faire, il nous promet que nulle bonne
œuvre que nous ferons ne sera perdue : combien qu'elles soient
toutes indignes, non seulement d'estre recompensées, mais
aussi acceptées de luy.
Mais ilz pressent plus fort les parolles de l'Apostre : lequel
DE LA JUSTIFICATION.
427
consolant les Thessaloniciens en leurs tribulations, dit qu'elles 2. The. I.
leur sont envoyées, à fin qu'ilz soient trouvez dignes du Royaume
de Dieu, pour lequel ilz soutirent. Car c'est dit-il, une chose
équitable envers Dieu, de rendre aflliction à ceux qui vous afîli-
sg-ent : et à vous repoz, quand le Seigneur Jésus sera révélé du Ilebr. 6.
Ciel. Item, l'autlieur de TEpistre aux Hebrieux, Dieu n'est pas
tant injuste, qu'il oublie la peine que vous avez prinse : et la
dilection que vous avez monstrée en son Nom, en eslargissant
de voz biens à ses fidèles. Je respondz au premier lieu : que Rom. S.
10 Sainct Paul ne signifie là aucune dignité de mérite : mais veult
seulement dire, que comme le Père céleste nous a esleuz pour
ses enfans : aussi il veult que nous soyons faictz conformes à son
Filz premier nay. Comme donc Christ a premier soufTert, que
d'entrer en la gloire qui luy estoit destinée : ainsi fault-il, que
15 par plusieurs tribulations nous entrions au Royaume des cieux.
Pourtant quand nous endurons afflictions pour le Nom de
Christ : les marques, desquelles nostre Seigneur a accoustumé
de seigner les brebis de son troupeau, sont imprimées en nous.
Selon ceste raison donc nous sommes estimez dignes du Royau-
20 me de Dieu : pource que nous portons en nostre corps les mar-
ques de Jésus Christ qui sont enseignes des enfans de Dieu. A
quoy aussi se réfèrent ces sentences : que nous portons en nostre
corps la mortification de Christ, à fin que sa vie soit manifestée
en nous : que nous sommes configurez à ses passions pour par-
25 venir à la similitude de sa résurrection. La raison qui est adjous-
tée de Sainct Paul, à scavoir que c'est chose juste envers Dieu,
de donner repos à ceux qui auront travaillé, n'est pas pour prou-
ver aucune dignité des oeuvres : mais seulement pour confer-
mer l'espérance de salut. Comme s'il disoit, Ainsi qu'il convient
30 au juste jugement de Dieu, de faire vengeance sur voz enne-
mys des oultrages et molestes qu'il vous auront faictz : pareil-
lement il convient qu'il vous donne relasche et repoz de voz mi-
sères. L'autre passage, qui dit, tellement les bonnes œuvres
ne debvoir estre mises en oubly de Dieu, qu'il signifie quasi
3a que Dieu seroit injuste s'il les oublyoit : se doibt prendre en ce
sens. C'est que le Seigneur, pour resveiller nostre paresse nous
a donné espérance : que tout ce que nous ferions pour son
Nom ne seroit point perdu. Qu'il nous souvienne que ceste
promesse, comme toutes les autres, ne nous proffîteroit de rien
428 CHAPITRE YI.
sinon que l'alliance gratuite de sa miséricorde precedast : sur la-
quelle reposast toute la certitude de nostre salut. Ayans cela,
nous devons avoir certaine confiance, que la rétribution ne sera
point déniée de la bénignité de Dieu à noz œuvres : combien
5 qu'elles en soient plus qu'indignes. L'Apostre donc, pour nous
confermer en ceste attente, dit que Dieu n'est pas injuste, qu il
ne nous tienne promesse. Pourtant ceste justice de Dieu se
réfère plus à la vérité de sa promesse, que à l'équité, de nous
rendre ce qui nous est deu. Au quel sens il y a un dire notable
10 de Sainct Augustin : lequel comme ce Sainct personnage n'a
pas doubté de repeter souventesfois : aussi il doibt bien estre
imprimé en nostre mémoire. Le Seigneur, dit-il, est fidèle : lequel
s'est faict debteur à nous non pas en prenant de nous quelque
chose, mais en nous promettant tout libéralement.
15 Noz Pharisiens aussi allèguent ces sentences de Sainct Paul :
Si j'avoye toute la Foy du monde, jusques à transférer les /. Cor. 3.
montaignes, et que je n'aye point de charité, je ne suis rien. Colo.3.
Item, Maintenant ces trois demeurent, Foy, Espérance, Cha-
rité : mais charité est la plus grande. Item, Sur tout ayez cha-
20 rite en vous : laquelle est le lyen de perfection. Des deux pre-
miers ilz s'efforcent de prouver que nous sommes justifiez par
charité, plustost que par Foy : puis que c'est une vertu plus
excellente. Mais ceste subtilité est aysée à réfuter. Car nous
avons desja exposé autrepart, que ce qui est dict au premier
25 lieu n'appartient de rien à la vraye Foy. Nous confessons que
le second se doibt entendre de la vraye Foy : à laquelle il pré-
fère charité, comme plus grande, non pas comme si elle estoit
plus méritoire : mais d'autant qu'elle est plus fructueuse, qu'elle
s'estend plus loing, qu'elle sert à plusieurs, qu'elle ha tousjours
30 sa vigueur, comme ainsi soit cpie l'usage de la Foy soit pour
un temps. Si nous regardons l'excellence, à bon droit la dilec-
tion de Dieu auroit le premier degré : de laquelle S. Paul ne
touche point icy. Car il ne tend à aultre fin. sinon qu'on s'édifie
en Dieu mutuellement les uns les autres par charité. Mais po-
35 sons le cas, que Charité soit plus excellente que Foy en toutes
manières : qui sera l'homme de sain jugement ; et mesnies de cer-
veau rassiz, qui infère de cela ; qu'elle justifie plus? La force de
justifier, qu'ha la Foy, ne gist point en quelque dignité de l'œu-
vre : car nostre justification consiste en la seule miséricorde
DE LA JUSTIFICATION . 429
de Dieu, et au mérite de Christ. Ce que la Foy est dicte justifier :
ce n'est sinon pource qu'elle appréhende la justice qui luy est
olVerte en Christ. Maintenant si on interrompue noz adversaires, en
quel sens ilz assignent à Charité la force de justifier : ilz respon-
adront, que. pour ce que c'est une vertu plaisante à Dieu, par le
mérite d'icelle, entant quelle estacceptée par la bontédivine, jus-
tice nous est imputée. De là nous voyons comment leur argument
procède bien. Nous disons que la Foy justifie non point qu'elle
nous mérite justice par sa dignité : mais pource que c'est un
10 instrument par lequel nous obtenons gratuitement la Justice de
Christ. Eux laissans derrière la miséricorde de Dieu, et ne faisant
nulle mention de Christ, où gist toute la somme de justice : main-
tenant que nous sommes justifiez par le moyen de Charité, pource
qu'elle est plus excellente. Comme si quelqu'un disputoit, qu'un
lo Roy est plus propre à faire un soulier qu'un cordonnier: pource
qu'il est beaucoup plus digne et plus noble. Ce seul argument est
suffisant pour nous donner à congnoistre, que toutes les esclioles
Sorboniques n'ont jamais gousté que c'est justification de Foy.
Or si quelque riotteur réplique contre ce que j'ay dict, que je
2oprendz le nom de Foy en diverse signification, en Sainct Paul,
prétendant qu'il n'y a nul propos de l'exposer ainsi diversement
en un mesme lieu : j'ay tresbonne raison de ce faire. Car
comme ainsi soit, que tous les dons qu'il avoit recitez : se
reduysent aucunement à Foy et Espérance, pource qu'ilz appar-
25 tiennent à la congnoissance de Dieu : en faisant un sommaire
en la fin du chapitre, il les comprend tous soubz ces deux
motz. Comme s'il disoit : et la Prophétie, et les langues, et
le don d'interpréter, et la science, tendent à ce but, de nous
mener à la congnoissance de Dieu. Or nous ne congnoissons
30 Dieu en ceste vie mortelle, que par Foy et Espérance. Pourtant
quand je nomme Foy et Espérance, je comprens tous ces dons
ensemble. Ces trois donc demeurent, Foy, Espérance et Cha-
rité, c'est à dire, quelque variété de dons qu'il y ayt : ilz se rap-
portent tous à ces trois : entre lesquelz Charité est la princi-
33 pale. Du troisiesme passage ilz infèrent, que si Charité est le
lien de perfection : aussi est elle de justice : laquelle n'est autre
chose que perfection. Premièrement, encores que nous laissions
à dire, que Sainct Paul appelle la perfection, quand les mem-
bres d'une Eglise bien ordonnée sont conjoinctz ensemble : et
430 CHAPITRE VI.
aussi que nous confessions Thomme estre parfaict devant Dieu
par charité : que conclueront-ilz neantmoins de nouveau par cela?
Car je repliqueray tousjours aucontraire, que nous ne parvenons
jamais à ceste perfection: que nous n'accomplissions Charité. Et
5 de cela pourray inférer, puis que tous hommes du monde sont
bien loing- de l'accomplissement de Charité : que toute espérance
de perfection leur est ostée.
Je ne veulx point poursuyvre tous les tesmoig-nag-es que ces
accariastres Sorboniques prennent inconsidérément cà et là de
loTEscriture, pour batailler contre nous. Car ilz font d'aucunes allé-
gations si ridicules, que je ne les puys toucher, si je ne veulx
estre inepte comme eux. Je mettray donc fin à ceste matière,
après avoir expliqué une sentence de Christ, en laquelle ilz se
plaisent merveilleusement: C'est quand il respond au Docteur 3/a//. 19.
15 de la Loy, lequel l'avoit interrogué, quelles choses sont nécessaires
à salut? Si tu veulx entrer en la vie, garde les commandemens.
(^ue voulons-nous davantage ; disent-ilz ? Puis que l'autheur de
grâce mesmes nous commande d'acquérir le Royaume de Dieu
par l'observation des commandemens ? Comme si ce n'estoit
20 point chose notoire, que Christ a tousjours accommodé ses res-
ponses à ceux ausquelz il a voit à faire. Or en ce passage il a voit
esté interrogué par un Docteur de la Loy du moyen d'obtenir la
béatitude éternelle : et ce non pas simplement mais en ceste
forme de parler : Que c'est que doibvent faire les hommes pour
25 parvenir à la vie? Tant la personne de celuy qui parloit, que
la question induysoit le Seigneur d'ainsi respondre. Car ce Doc-
teur, estant enflé d'une faulse opinion de la justice légale : es-
toit aveuglé en la fiance de ses œuvres. D'avantage il ne deman-
doit autre chose, sinon quelles sont les œuvres de justice : par
30 lesquelles on acquiert salut? C'est donc à bon droict qu'il est ren-
voyé à la Loy : en laquelle nous avons un miroir parfaict de jus-
tice. Nous aussi bien preschons hault et clair, qu'il fault garder
les conmiandemens, si on cerche justice aux œuvres : et est une
doctrine nécessaire de congnoistre à tous Chrestiens. Car comment
3b auroient-ilz leur refuge à Christ : s'ilz ne congnoissoient qu'ilz sont
tresbuchez en ruyne de mort ? Et comment congnoislroient-ilz
comment ilz sont esgarez loing du chemin de vie, sans avoir
entendu quel il est ? Pourtant ilz ne sont pas droictement
instruictz d'avoir leur refuge en Christ, pour recouvrer salut :
DE LA JUSTIFICATION. 431
jusques à ce qu'ilz entendent, quelle répugnance il y a entre leur
vie et la Justice de Dieu, laquelle est contenue en la Loy. La
somme est telle : Si nous cerclions salut en noz œuvres, il nous
fault garder les commandemens, lesquelz nous instruisent à pai -
ï faicte justice. Mais il ne nous fault pas icy arrester si nous ne
voulons défaillir au milieu du chemin : car nul de nous n'est ca-
pable de les garder. Puis donc que nous sommes tous excluz de la
justice de la Loy ; il nous est mestier d'avoir une autre retraicte
et secours : à scavoir en la Foy de Christ. Pourtant comme le
10 Seigneur Jésus en ce passage renvoyé à la Loy le Docteur d'icelle,
lequel il congnoissoit estre enflé de vaine confiance de ses œuvres,
à fin qu'il se congnoisse povre pécheur, subject à condemnation :
aussi en un autre lieu il console par promesse de sa grâce ceux
qui sont humiliez par telle recongnoissance : et les console sans
I") faire mention de la Loy. Venez à moy, dit-il, vous tous ([m M.tlt. N
estes chargez et travaillez : et je vous soulageray.
Finalement après que noz adversaires sont las de renverser
l'Escriture : ilz taschent de nous surprendre par captions et
vaines sophisteries. Hz cavillent premièrement, que la Foy est
20 nommée œuvre : et pourtant que nous faisons mal, de l'opposer
aux ouvres, comme chose diverse. Gomme si la Foy, entant que
c'est une obeyssance de lavolunté de Dieu, nous acqueroit jus-
tice par son mérite : et non plustost, entant que en recevant la
miséricorde de Dieu, elle nous rend certains de la Justice de
25 Christ : laquelle par la bonté gratuite du Père céleste, nous est
offerte en l'Evangile. Si je ne m'amuse point à réfuter telles
inepties les Lecteurs me pardonneront : Car elles sont tant
légères et frivoles, qu'elles se peuvent rompre d'elles mesmes.
Toutesfois il me semble advis bon, de respondre à une objec-
aotion qu'ilz font : laquelle, pource qu'elle ha quelque apparence
et couleur déraison, pourroit faire quelque scrupule aux simples.
Comme ainsi soit disent-ilz, que les choses contraires passent
par une mesme reigle : puis qu'un chascun péché nous est im-
puté à injustice : il est convenable que une chascune bonne
33 œuvre soit imputée à justice. Ceux qui respondent, que la dam-
nation des hommes procède proprement de seule infidélité, et non
point des péchez particuliers, ne me satisfont point : je leur
accorde bien que la fontaine et racine de tous maux est incré-
dulité. Car c'est le commencement d'abandonner, et quasi renon-
432 CHAPITRE VI.
cer Dieu : dont s'ensuyVènt toutes les transgressions de sa vo-
lunté. Mais touchant ce qu'ilz semblent ad vis contrepoiser en
une mesme balance les bonnes œuvres et mauvaises, pour esti-
mer la justice ou l'injustice de Thomme : en cela je suis con-
5 treinct de leur répugner. Car la justice des œuvres est une par-
faicte obeyssance de la Loy. Pourtant nul ne peult estre juste
par œuvres, s'il ne suyt, comme de droite ligne, la Loy de
Dieu tout le cours de sa vie. Incontinent qu'il est décliné cà
et là, il est decheut en injustice. De là il appert que la justice
10 ne gist point en quelque peu de bonnes œuvres : mais en une
observation entière et consommée de la volunté de Dieu. Or
c'est bien autre raison, que de juger l'iniquité. Car quiconques
a paillarde, ou desrobé. par un seul delict est coulpable de
mort : entant qu'il a olîensé la majesté de Dieu. C'est à ce
ispoinct que s'abusent noz Sophistes, qu'ilz ne considèrent point
ce que dit Sainct Jaques. C'est que celuy qui a transgressé un Jnq. 4.
commandement, est coulpable de tous : pource que Dieu, qui a
deffendu de meurtrir, a aussi bien deii'endu de desrober, etc.
Pourtant il ne doibt point sembler advis absurde, quand nous
20 disons que la mort est juste loyer d'un chascun péché : a'cu
qu'ilz sont tous dignes de l'ire et vengeance de Dieu.
Mais ce seroit mal argué, de tourner cela au rebours:
c'est que l'homme puisse acquérir la grâce de
Dieu par une seule bonne œuvre : ce
25 pendant que par plusieurs faultes
il provoquera son
ire.
i
w
tL Bibliothèque de l'École
^o2 pratique des hautes
fr.n 17A e^u^es. Section des
iasc.j./D sciences historiques
et philologiques
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