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Full text of "Bibliothèque de l'École pratique des hautes études. Section des sciences historiques et philologiques"

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n^ 


BIBLIOTHEQUE 

DE  L'ÉCOLE 


DES  HAUTES  ÉTUDES  ^ 

PUBLIÉE   SOUS   LES    AUSPICES 

DU  MINISTÈRE  DE  L'INSTRUCTION  PUliLIOUK 


SCIENCES  PHILOLOGIQUES  ET  HISTORIQUES 


QUATRE-VINGT-DIXIÈME  FASCICULE 

LK    POÈME    BE    GUDUUX 
PAR     ALBERT     F  É  C  A  M  P 


PARUS 
EMILE  BOUILLON,   ÉDITEUR 

67,   RUE   RICHELIEU,    67 

1893 


LE 


POÈME  DE  GUDRUN 

SES  ORIGINES 
SA  FORMATION  ET  SON  HISTOIRE 


Albert    FÉCAMP 


ANCIEN'     ELEVE     DE     L  ÉCOLE      PRATIQUE     DES     HAUTES    ÉTUDES, 

BIBLIOTHÉCAIRE   UNIVERSITAIRE, 

CHARGÉ    DE   COURS    COMPLÉMENTAIRE 

A      LA      FACULTÉ     DES      LETTRES      DE      MONTPELLIER 


PARIS 

EMILE  BOUILLON,  ÉDITEUR 

67,    RLE   RICHELIEU,    67 
1892 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/bibliothquedel90ecol 


LE 


POEME  DE  GUDRUN 


INTRODUCTION 


CHAPITRE  I 

r.E  CYCLE  DES   LÉGENDES  DE   LA  MER  DU  NORD. 

Vers  le  temps  où  se  formait  le  cycle  de  la  grande  légende 
héroïque  allemande,  cycle  commun  à  tous  les  peuples  d'origine 
germanique,  il  s'en  constituait  un  autre  plus  restreint,  qui  resta 
toujours  renfermé  sur  un  terrain  plus  borné  et  vécut  d'une 
existence  indépendante  du  premier.  C'est  le  cycle  des  légendes 
de  la  mer  du  Nord. 

Tandis  que  l'un  embrasse  dans  son  vaste  ensemble  et  dans 
ses  ramifications  multiples  les  destinées  et  les  croyances  de 
toutes  les  peuplades  germaniques  jusqu'après  l'époque  critique 
des  invasions,  tandis  que  la  grandeur  des  événements  qu'il 
résume  en  a  fait  le  patrimoine  commun  de  tous  les  Germains 
et  en  a  favorisé  la  diffusion  dans  tous  les  pays  du  Nord,  l'autre 
cycle,  retraçant  des  croyances  particulières  à  certaines  peupla- 
des, des  événements  dont  le  contre-coup  fut  insensible  pour  le 
reste  de  la  race,  demeura  toujours  confiné  sur  les  bords  de  cette 
mer  du  Nord,  où  il  était  né,  jusqu'au  jour  où,  par  une  destinée 
extraordinaire,  des  deux  légendes,  qui  survécurent  seules  à 
sa  disparition  graduelle,  l'une,  le  Beoivulf,  trouva  en  Angleterre 
un  poète  anglo-saxon  pour  la  fixer,  l'autre,  la  Gudrun,  alla 
recevoir  sa  dernière  forme  au  fond  de  la  Styrie,  à  l'autre  extré- 
mité du  territoire  germanique  et  presque  au  pied  des  Alpes. 

De  bonne  heure  les  nations  Scandinaves,  frisonnes,  saxonnes 
furent  en  rapports  tantôt  pacifiques,  tantôt  hostiles  les  unes  avec 
les  autres  ;  de  bonne  heure  elles  se  trouvèrent  portées,  dans 
leurs  courses  aventureuses ,  jusqu'aux  lies  Britanniques  ,  où 

Fégamp,  Gudrun.  1 


—  2  — 

une  partie  d'entre  elles  finirent  par  se  fixer.  La  mer  du  Nord, 
dès  les  premiers  temps  de  fimmigration  des  (iermains  sur  ses 
côtes,  devint  comme  un  grand  lac,  dont  les  bords  n'avaient  plus 
de  secrets  pour  aucun  de  leurs  habitants. 

On  connaît  assez  la  vie  aventureuse  de  ces  pirates  normands 
ou  Rois  des  mers  (Saekongr,  Vikingr),  devenus  la  terreur  des 
populations  de  l'Europe  occidentale  au  moyen  âge.  Essaim 
innombrable  et  sans  cesse  renaissant,  ils  passent  sur  les  vagues 
la  meilleure  partie  de  leur  existence.  Préférant  aux  jouissances 
et  aux  bienfaits  de  la  paix  la  piraterie,  le  pillage  et  les  combats 
incessants,  chassés  au  reste,  pour  la  plupart,  de  leur  pays,  s'il 
faut  en  croire  la  tradition,  par  une  loi  implacable,  qui  déshé- 
rite les  puinés  (1),  ou  tout  au  moins  exclus,  en  tant  que  reje- 
tons d'unions  illégitimes,  de  toute  participation  à  l'héritage 
paternel,  contraints  aussi,  à  l'époque  de  la  réunion  des  petits 
États,  de  céder  la  place  à  un  rival  plus  puissant  queux,  il  ne 
reste  le  plus  souvent  à  ces  guerriers  de  profession,  à  ces  roitelets 
minuscules  qu'un  seul  moyen  de  vivre  :  se  grouper  autour  d'un 
chef  renommé,  monter  avec  lui  sur  un  navire  et  aller,  sous  sa 
conduite,  chercher  fortune  dans  des  contrées  plus  riches,  sous 
un  ciel  moins  inhumain. 

«  Tout  chef,  qui  se  trouve  à  l'étroit  sur  son  domaine  ou  qui 
en  est  expulsé  par  quelque  rival,  se  fait  guerrier  errant  et 
pirate  avec  les  kampe  ou  champions  dévoués  à  sa  personne  ;  qui 
ne  peut  être  roi  de  terre  se  fait  roi  de  mer,  et,  poussé  par  l'attrait 
des  aventures,  plus  d'un  roi  de  terre  échange  volontairement  sa 
royauté  pour  l'autre  (2).  » 

Dès  le  IV''  siècle,  soas  la  domination  romaine,  les  allées  et 
venues  incessantes  de  ces  pirates  du  Nord,  dont  une  partie,  sous 
le  nom  de  Saxons,  s'est  cantonnée  sur  les  côtes  de  la  Gaule, 
depuis  l'embouchure  du  Rhin  jusqu'à  celle  de  la  Loire,  forcent 

i.  L'existence  de  celte  loi  a  été  niée  à  l'aide  d'arguments  d'un  grand 
poids,  entre  autres  par  K.  von  Amira  {Die  Anfdnge  des  Normannischen 
Rechts,  dans  S.  Z.,  39,  241 -268),  après  avoir  été  formellement  admise  par 
J.  Steenslrup  dans  son  Inledning  i  Normannertiden  (Copenhague,  1876, 
in-S").  Il  ne  nous  appartient  point  de  prendre  parti  dans  cette  discussion 
d'un  ordre  tout  juridique;  mais,  si  la  susdite  loi  n'a  pas  existé  formelle- 
ment, la  densité  d'une  population  toujours  croissante  dans  un  pays  de 
ressources  très  limitées  a  dû  forcément  l'introduire  de  bonne  heure  dans 
la  pratique. 

2.  Cf.  II.  Martin,  Histoire  de  France,  2«  éd.,  Il,  42o-426. 


—  3  — 

les  Romains  à  prendre  des  mesures  de  défense  et  à  les  resserrer 
dans  ce  qu'on  a  appelé  le  Litus  Saxonicum  (1). 

Des  relations  suivies  existaient  donc  déjà  à  ce  moment  entre 
les  peuplades  établies  sur  les  diverses  côtes  de  la  mer  du  Nord: 
depuis  combien  de  temps,  c'est  ce  qu'il  est  difficile  de  déter- 
miner; toutefois,  en  remontant  beaucoup  plus  haut  et  jusqu'aux 
premières  années  de  l'ère  chrétienne,  nous  trouvons  la  mention 
d'une  population  batave,  adonnée  au  commerce,  les  «  Galedin  », 
qui,  chassée  de  son  pays  par  une  inondation,  aurait  émigré  en 
Angleterre  et  se  serait  fixée  dans  l'île  de  Wight  (2). 

Strabon  parle  déjà  d'inondations,  qui  auraient  contraint  les 
Cimbres  à  émigrer,  et  des  relations  commerciales  qui  existaient 
entre  l'Angleterre  et  le  continent,  entre  autres,  par  les  bouches 
du  Rhin  (3). 

A  dater  de  ce  moment,  et  l'impulsion  une  fois  donnée,  l'An- 
gleterre est  devenue  et  restera  pendant  de  longues  années  le 
premier  but  des  courses  des  pirates  nordiques.  Parties  des  bou- 
ches de  l'Elbe  et  de  l'Eider,  des  rives  du  Jûtland  et  de  la  Sée- 
lande  danoise,  des  troupes  abordent  de  toutes  parts  sur  les  côtes 
de  la  Grande-Bretagne^  s'établissent  dans  les  anses,  remontent 
le  cours  des  fleuves  et  peu  à  peu  prennent  pied  dans  toute  l'île. 

Venus  au  secours  de  Vortigern,  le  héros  de  la  légende  bre- 
tonne, Hengist  et  Horsaa, fondent  en  449  le  royaume  de  Kent; 
de  477  à  490,  le  saxon  ^îôlla  s'empare  du  Sussex,  Gerdic  du 
Wessex  ;  et,  en  495,  ils  conquièrent  Wiglit.  En  560,  les  Anglo- 
Saxons  fondent  le  royaume  de  Deira  ;  en  547,  ils  avaient  fondé 
celui  de  Bernicie  (4). 

Une  période  de  calme  semble  alors  se  produire  :  le  Nord 
paraît  avoir  rejeté  son  trop  plein  et  retrouvé  son  équilibre.  Ce 
ne  devait  point  être  pour  longtemps.  Les  Normands  ne  tardent 
pas  à  succéder  aux  Saxons. 

Au  ix^  siècle  les  incursions  recommencent.  En  805,  Ragnar 

1.  Cf.  A.  LongQon,  Géographie  de  la  Gaule  au  vi^  siècle,  p.  172,  et  la 
Notilia  dignitatum  (éd.  Bockiog,  Notitiu  Occidentis,  p.  106-108  et  ii46  sqq.), 
qui,  écrite  au  commencement  du  v^^  siècle,  relate  des  faits  devenus  cons- 
tants à  tout  le  moins  dès  le  milieu  ou  à  la  fin  du  iv"^. 

2.  Cf.  Warrington,  History  of  Wales,  p.  6  (Post  Ghr.,  40-45);  Davies, 
Celtic  researches,  p.  Jbo  et  200. 

3.  Cf.  Strabon  (éd.  Mûller  et  Diibner,  Paris,  Didot,  1833,  in-4°),  p.  84, 
32;  166,  il;  167,  8;  243,  21. 

4.  Cf.  Lingard,  Histoire  d'Angleterre,  trad.  fr.,  2''  éd.,  p.  91;  97-121; 
235;  238;  251-253. 


_  4  — 

Lodbrog  débarque  en  Angleterre  ;  en  867  les  Danois  s'établis- 
sent à  l'embouchure  de  la  Tyne  ;  bientôt  toute  l'Angleterre  est 
entre  leurs  mains  ;  les  côtes  fourmillent  de  leurs  innombrables 
escadres  et,  en  1017,  le  danois  Canut  Unit  par  réunir  l'île 
entière  sous  sa  domination  et  par  monter  sur  le  trône  d'Angle- 
terre. 

Les  Orcades  aussi  attirent  de  bonne  heure  les  pirates  du  Nord  ; 
avec  leurs  îles  innombrables,  où  chaque  troupe  peut  se  cantonner 
et  se  défendre  au  besoin,  avec  leurs  anses  aussi  sûres  et  multi- 
pliées que  faciles  d'accès,  elles  deviennent  bientôt  le  rendez-vous 
de  tous  les  rois  de  mer.  Puis  les  contrées  plus  méridionales  exci- 
tent aussi  leurs  convoitises,  et,  d'étape  en  étape,  le  ix*  siècle  les 
voit  infester  toute  l'Europe  occidentale^  sans  en  excepter  le 
bassin  de  la  Méditerranée. 

Leurs  incursions,  d'abord  passagères,  prennent,  à  mesure 
qu'elles  se  renouvellent,  uu  caractère  plus  durable  et  plus  sta- 
ble. Après  avoir  pillé  et  rançonné  un  pays,  ils  s'établissent  aux 
bouches  du  fleuve,  qui  leur  y  a  donné  accès,  et,  de  ce  point  de 
ralliement,  s'élancent  à  de  nouvelles  courses. 

Dans  ces  expéditions,  les  rudes  champions  du  Nord  empor- 
tent avec  eux  tout  ce  qui  leur  rappelle  la  patrie,  leurs  légendes, 
leurs  chants  populaires,  leurs  scaldes^  qui,  soldats  au  moment 
du  combat,  célèbrent,  dans  les  instants  de  repos,  les  dieux  ger- 
mains, la  gloire  des  ancêtres  et  les  exploits  des  chefs  fameux, 
morts  ou  vivants.  Au  milieu  des  longues  orgies,  quand  l'hydro- 
mel coule  à  larges  flots,  le  chantre  inspiré  retrace  les  souvenirs 
et  les  croyances  de  la  nation,  et  le  guerrier,  se  levant  aux  sons 
de  la  harpe,  énumère  ses  hauts  faits  ou  lance  un  défi  hautain  à 
son  ennemi. 

Parfois  toute  la  famille  a  pris  place  à  bord  ;  mais  le  plus  sou- 
vent c'est  dans  les  hasards  des  combats  que  le  guerrier  trouvera 
une  femme.  Aussi  l'enlèvement  d'une  jeune  fille  célèbre  par  sa 
beauté  ou  par  sa  naissance  est-il  le  sujet  le  plus  aimé  de  leurs 
chants,  de  même  que  le  mobile  le  plus  fréquent  de  leurs  expé- 
ditions. 

Quel  guerrier  n'aurait  fait  des  prodiges  de  valeur  pour  enlever 
une  fille  de  roi,  dont  les  attraits  étaient  proclamés  par  la  renom- 
mée ?  Qui  d'entre  eux  ne  se  fût  surpassé  pour  mériter  son 
amour  ?  Les  histoires  de  ce  genre  abondent  dans  les  récits  légen- 
daires du  Nord  :  citons,  comme  un  des  exemples  les  plus  frap- 
pants, celle  d'Harald  Harfager.  Épris  de  la  beauté  de  Gidda, 
fille  d'Éric  d'Hadaland,  il  envoie  des  messagers  demander  en 


son  nom  la  main  de  la  jeune  princesse.  Mais  Gidda  refuse  de 
condescendre  aux  désirs  d'Harald  eL  répond  que  jamais  elle  ne 
consentira  à  l'épouser,  s'il  ne  se  rend  digne  d'elle,  en  acquérant 
sur  la  Norwège  entière  une  autorité  égale  à  celle  qu'exerce 
Gormon  sur  le  Danemark.  Loin  de  s'offenser  d'une  réponse  si 
hautaine,  Harald  jure  de  mériter  par  ses  exploits  la  main  de 
Gidda;  et  en  effet,  l'amour  excitant  au  plus  haut  degré  son  ambi- 
tion, il  conquiert  en  peu  de  temps  la  Norwège  entière  :  tout  plie 
sous  ses  efforts  et  Gidda,  fière  de  la  gloire  de  son  amant,  n'hé- 
site plus  à  se  donner  à  lui  (1). 

Mais,  le  plus  souvent,  le  roi  de  mer  ne  s'inclinait  pas  aussi 
bénévolement  devant  un  refus.  Plus  d'une  fois,  s"il  condescen- 
dait à  briguer  la  main  d'une  jeune  princesse,  à  demander  l'as- 
sentiment des  parents,  ses  propositions  hautaines  avaient  plutôt 
l'air  d'un  ordre.  Éprouvait-il  un  refus,  à  l'amour  venait  se 
joindre  le  désir  de  la  vengeance  ;  il  avait  reçu  un  affront,  il 
n'avait  plus  de  repos  jusqu'à  ce  qu'il  eût  lavé  cet  outrage  et 
conquis  la  belle  dédaigneuse  à  la  force  de  son  poing.  S'il  réus- 
sissait alors  dans  son  expédition,  c"était  pour  lui  double  victoire  ; 
il  avait  vengé  son  honneur  et  satisfait  son  amour.  Car,  ainsi  que 
le  remarque  Depping  (2),  il  n'y  avait  guère  de  Ghimènes  en 
Scandinavie,  et,  le  plus  souvent,  le  mariage  d'un  roi  de  mer 
avec  une  jeune  princesse  était  le  résultat  d'un  combat  à  mort 
contre  le  père  de  celle-ci. 

Ces  luttes  incessantes,  ce  va-et-vient  continuel  eurent  pour 
résultat  de  confondre  peu  à  peu  jusqu'à  un  certain  point  des 
peuplades  diverses,  sinon  par  la  race,  du  moins  par  la  natio- 
nalité, et  il  se  forma  rapidement  entre  elles  un  fonds  commun 
de  mythes  et  de  légendes,  d'autant  plus  facilement  accepté  et 
propagé,  qu'à  de  faibles  nuances  près  tous  avaient  la  même 
religion  ;  tous,  du  moins,  reconnaissaient  Odin  (le  AVuotan  ou 
Wôdan  allemand)  comme  leur  dieu  suprême. 

Enfin  les  mœurs  de  ces  barbares,  hospitaliers  jusqu'au  milieu 
de  leurs  courses  les  plus  furieuses,  ne  devaient  pas  peu  contri- 
buer à  la  diffusion  et  à  l'accroissement  de  ce  patrimoine  com- 
mun. Au  sein  même  des  horreurs  de  la  guerre,  ils  étaient  sen- 
sibles aux  charmes  de  la  poésie,  et,  semblables  aux  peuples  de 

1.  Torfeus,  Norvegiae  histor.,  II,  I,  cap.  3-6,  cité  par  Capefigue,  Inva- 
sions des  Normands,  p.  76. 

2.  Expéditions  maritimes  des  Normands,  I,  54;  cf.  également  Saint- 
Marc  Girardin,  Cours  de  littérature  dramatique,  7"  éd.,  II,  358  sqq. 


—  6  — 

l'Orient,  ils  étaient  passionnés  pour  les  récits  et  les  contes.  C'é- 
tait une  coutume  religieusement  observée  parmi  eux  de  racon- 
ter, partout  où  l'on  s'arrêtait,  les  légendes  que  l'on  connaissait. 
11  n'y  avait  pas  de  plus  noble  manière  de  reconnaître  l'hospita- 
lité reçue,  et  cette  habitude  commune  à  tous  les  peuples  du  Nord, 
comme  à  ceux  de  l'antiquité  en  général,  subsistait  encore  parmi 
les  Normands  français  longtemps  après  leur  soumission  et  leur 
assimilation  à  la  population  primitive.  Nous  en  avons  la  preuve, 
entre  autres,  dans  ce  passage  du  Fabliau  du  Sacristain  de  Cluny  : 

Usage  est  cd  Normandie 

Que  qui  herbergicz  est  qu'il  die 

Fable  ou  chanson  die  à  Ihosle*. 

C'est  grâce  à  ces  échanges  réciproques  que,  par  exemple,  les 
faits  principaux  du  poème  de  Beoiculfei  du  Chant  du  Voyageur  (2) 
furent  introduits,  dés  le  viii^ou  ix"  siècle,  par  les  Danois  chez 
les  Anglo-Saxons,  que  mainte  légende  allemande,  comme  celle 
de  Tliidrek  ou  Dielricli  de  Berne  pénétra  en  Scandinavie,  que  la 
légende  d'Hilde  au  contraire  passa  des  côtes  de  la  Séelande  da- 
noise à  celles  de  la  Frise  et  de  la  Séelande  hollandaise,  et,  plus 
tard,  des  bouches  de  l'Escaut  et  du  Rhin  en  Autriche  et  en 
Styrie. 

Puis,  comme  il  arrive  toujours  en  pareil  cas,  des  événements 
réels,  particuliers  à  telle  ou  telle  peuplade,  vinrent  s'ajouter  au 
fonds  commun,  et  les  récits  des  mêmes  faits,  diversifiés  selon  le 
goût  ou  les  souvenirs  personnels  de  chaque  nation,  allèrents'é- 
cartant  de  plus  en  plus  les  uns  des  autres,  à  mesure  que  ces  na- 
tions, prenant  une  assiette  plus  fixe,  virent  des  lignes  de  démar- 
cation plus  tranchées  s'établir  entre  elles.  Il  devait  d'autant  plus 
fatalement  en  être  ainsi,  ({ue,  moins  heureux  que  d'autres  cycles, 
celui  des  légendes  de  la  mer  du  Nord  n'avait  pas  de  centre  im- 
portant, autour  duquel  elles  pussent  se  grouper  et  se  coordonner. 

i.  Cité  par  K.  Maurer,  Islands  iind  Norivegens  Verkehr  mit  dem  Sùden 
im  9.  bis  W.  Jahrhundert  (Z.  Z.,  II,  446-453). 

2.  Ces  légendes  et  d'autres  semblables  étaient  populaires  en  Grande- 
Bretagne  dès  le  ix"  siècle  :  cf.  par  exemple,  ces  passages  des  Annales 
d'Asser,  qui  vont  jusque  vers  910-914  et  qui  ont  été  écrites  dans  les  pre- 
mières années  du  x"  siècle  au  plus  tard  :  (Le  roi  Alfred)  saxonica  poemata 
die  nocluque  solers  auditor  relatu  aliorum  saepissime  audiens  docilis 
memoriter  retinebat...  et  :  Saxonicos  libros  recitare  et  maxime  carmina 
saxonica  memoriter  dicere  non  desiuebat  (ap.  Thom.  Gale,  Histor.  britlon. 
script,  quindecim). 


Divers  de  dates  et  d'origine,  les  débris  épars  de  la  poésie  de  ces 
peuples  mobiles  n'avaient  ni  un  Gharlemagne,  ni  un  Dietrich, 
ni  un  Artus,  qui  pût  les  concentrer  et  les  retenir  autour  de  son 
nom. 

Bientôt  enfin  vint  pour  ces  souvenirs  l'instant  fatal;  l'intro- 
duction du  christianisme  leur  porta  le  coup  de  grâce.  Dès  995 
(pour  ne  parler  que  des  populations  tout  à  fait  septentrionales, 
de  celles  qui,  le  plus  longtemps  soustraites  aux  influences  du 
dehors,  avaient  dû  conserver  le  plus  fidèlement  les  traditions 
communes),  dès  995  Olaf  Tryggvason  essaie  de  l'implanter  en 
Norwège  ;  dès  l'an  1000  il  est  formellement  et  légalement  ac- 
cueilli en  Danemark.  A  partir  de  ce  moment,  outre  que  le  clergé 
catholique  fait  une  guerre  acharnée  aux  légendes  païennes,  la 
vie  des  peuples  du  Nord  change  du  tout  au  tout.  Au  témoignage 
d'Adam  de  Brème  (1),  un  grand  nombre  de  rois  de  mer  renon- 
cent à  leurs  courses  de  pirates  ;  des  peines  sévères  menacent,  à 
leur  retour  dans  la  patrie,  ceux  qui  s'obstinent  à  continuer  cette 
vie  d'aventures.  Les  nationalités  s'étant  du  reste  définitivement 
constituées  sur  le  continent,  ceux  qui  voudraient  rester  fidèles  à 
l'existence  errante  et  vagabonde  de  leurs  ancêtres  ne  trouvent 
plus  la  même  inertie  passive  dans  les  contrées  autrefois  ouver- 
tes sans  défense  à  leurs  incursions;  ils  se  casent  donc  peu  à  peu 
le  long  du  rivage  ;  ils  acceptent  le  christianisme  avec  l'investi- 
ture des  terres  qu'ils  occupent,  et,  sous  l'influence  des  nouvelles 
relations  qui  s'établissent  entre  eux  et  la  population  primitive 
du  sol,  ils  s'intéressent  bientôt  à  d'autres  récits,  oublient  ou  dé- 
naturent ceux  que  leur  ont  légués  leurs  pères.  Ainsi  devait  for- 
cément s'arrêter  la  propagation  des  vieilles  légendes  du  Nord, 
ainsi  devaient  périr  la  plupart  d'entre  elles.  Heureuses  celles 
qu'une  curiosité  trop  rare  recueillait  à  temps  pour  les  sauver  de 
l'oubli  ! 

Dans  celte  disparition  presque  universelle,  au  milieu  de  ce 
dépérissement  général,  la  légende  de  Beowulf  d'un  côté,  celle 
d'Bilde  et  de  Gudrun  de  l'autre  forment  une  heureuse  et  brillante 
exception.  Longtemps  conservée  dans  la  mémoire  des  popula- 
tions frisonnes  et  flamandes,  cette  dernière  a  eu  la  bonne  for- 
tune de  servir  de  base  à  un  poème  allemand,  qui,  poumons  être 
parvenu  dans  une  rédaction  tardive,  n'en  occupe  pas  moins  un 
rang  éminent  dans  la  littérature  allemande.  Le  poème  de  Gudrun, 

\.  Gesta  hamburg.  Eccles.,  IV,  cap.  30,  p.  381-382,  cité  par  K.  Maurer, 
ibid..  p.  45+-4o5. 


—  8  — 

de  l'avis  de  tous  les  historiens  littéraires,  ne  le  cède  en  effet 
qu'aux  Nibelungen  pour  la  grandeur  de  la  conception,  l'intérêt 
des  événements  et  la  vigueur  du  style  ;  dans  le  détail  et  pour 
le  fini  de  la  composition  artistique,  il  leur  est  même  supérieur 
en  plus  d'un  endroit. 

De  plus,  il  a  pour  nous  un  charme  que  n'ont  pas  les  Nibelun- 
gen :  dans  ces  derniers,  en  efîet,  l'histoire  a  absorbé  la  légende,  à 
tel  point  que  l'on  a  discuté  et  ({ue  l'on  discutera  longtemps  en- 
core la  tentative  de  ceux  qui  leur  attribuent  une  origine  mytho- 
logique; dans  la  Gudrun.  au  contraire,  nous  nous  retrouvons  en 
pleine  mythologie  germanique  ;  sous  le  manteau  chrétien  et  che- 
valeresque (|ue  lui  a  imposé  le  moyen  âge,  on  aperçoit  presque 
inaltérées  les  légendes  et  les  traditions  païennes  les  plus  anti- 
ques. A  travers  les  transformations  que  lui  a  fait  subir  le  chan- 
gement parallèle  des  mœurs,  des  idées  et  des  relations  sociales, 
on  distingue  encore  nettement  les  mœurs,  les  idées,  les  coutu- 
mes d'un  âge  primitif. 

Pour  peu  que  l'on  soulève  le  voile  moderne,  on  se  trouve  re- 
porté aux  conceptions  naïves  de  ces  époques  reculées,  où  les 
premiers  Germains  prirent  possession  des  îles  et  des  anses  de 
la  mer  du  Nord.  Descendus  des  hauteurs  de  l'Asie  centrale  et 
poussés  en  avant  par  le  flot  toujours  croissant  qui  se  formait 
derrière  eux^  peut-être,  avant  d'arriver  à  ces  rivages  brumeux, 
n'avaient-ils  jamais  vu  la  mer  :  le  poème  de  Gudrun  nous  permet 
de  retrouver  l'impression  que  fit  sur  leur  imagination  jeune  et 
novice  encore  l'aspect  de  cet  océan  sans  bornes,  tour  à  tour 
sombre  et  lumineux,  calme  et  agité,  séducteur  et  terrible. 

Nul  doute  que  le  cycle  de  légendes  auquel  se  rattache  la 
Gudrun  ne  fût  autrefois  très  important  et  que  cette  légende  elle- 
même,  celle  d'Hille  surtout,  ne  fût  très  répandue.  Nousen  avons 
encore  la  preuve  indirecte  dans  les  nombreuses  allusions  faites 
par  notre  poète  à  des  événements,  qu'il  se  contente  malheureu- 
sement d'évoquer,  en  passant,  à  l'esprit  de  ses  auditeurs,  soit 
qu'il  jugeât  inutile  d'interrompre  son  récit  par  l'énumération  de 
faits  bien  connus  de  ses  contemporains,  soit  qu'il  se  contentât 
de  répéter,  sous  la  forme  concise  où  ils  lui  étaient  parvenus,  des 
faits  dont  il  ignorait  lui-même  les  détails  précis  (1).  Il  semble- 

1.  Cf.  sir,  9,  166,  338  :  aho  ii^t  uns  geseit;  sir.  5i-9  :  jâ  saget  man  daz; 
sir.  22,  288,  1500  :  so  ivir  hœren  sagen;  str.  \91  :  davon  man  das  macre 
wol  erk'imet;  sir.  1686  :  daz  man  lang  davon  sayte  macre;  sir.  617  :  davon 
man  noch  den  recken  wol  erkennet,  etc.  —  Toutes  les  cilalions  sont  faites 
d'après  l'édilion  de  E.  Martin. 


—  9  — 

rait  même,  s'il  fallait  prendre  tout  à  fait  à  la  lettre  le  passage 
où  il  s'appuie  sur  un  livre  (1),  que  certaines  légendes  de  ce  cy- 
cle avaient  fait,  dès  avant  lui,  l'objet  de  poèmes  écrits. 

En  tout  cas, plus  d'un  passage  tendrait  àprouver  que  les  chants, 
ou  du  moins  une  partie  des  chants  accueillis  et  fondus  dans  le 
poème  qui  nous  est  resté,  existaient  d'une  manière  indépendante 
à  l'époque  où  l'ouvrage  reçut  sa  première  forme  épique.  Un  au- 
teur écrivant  d'un  seul  jet  n'eût  point  usé  de  transitions  aussi 
primitives  que  celles-ci  :  Am  làzen  dà'm  maere  |^str.  563,  1.],  ou  : 
sich  liuoben  ander  maere  [str.  617,  2\  Ce  sont  précisément  ces 
brusques  passages  d'un  récit  à  un  autre  qui  ont  fourni  à  Mûl- 
lenhoff  et  à  EtmuUer  leurs  plus  forts  arguments  pour  restaurer 
dans  la  Gudrun  les  chants  primitifs. 

Quoi  qu'il  en  soit  et  bien  qu'on  ait  voulu  considérer  ces  diver- 
ses références  à  la  tradition  orale  ou  écrite  comme  des  termes 
de  remplissage  (2),  certains  passages  montrent  d'une  manière 
irréfutable  l'existence  d'autres  chants,  où  étaient  célébrés  les 
exploits  de  tel  ou  tel  personnage  de  notre  Gudrun,  exploits  que 
le  poète  rappelle  en  passant,  à  la  façon  épique,  mais  qu'il  né- 
glige comme  ne  pouvant  rentrer  dans  le  cadre  de  son  œuvre  et 
comme  n'ayant  pas  un  rapport  assez  direct  avec  l'action  géné- 
rale du  poème. 

Ainsi,  strophe  610,  quand  Hartmut  fait  demander  la  main  de 
Gudrun,  Hilde  signifie  au  messager  du  prétendant  son  refus  en 
ces  termes  : 

«  Dame  Hilde  dit  :  «  Gomment  serait-elle  sa  femmiO  ?  Mon  père 
»  Hagen  a  donné  à  son  père  l'investiture  de  cent  et  trois  villes  (3) 
»  dans  le  pays  de  Garadîne;  mes  amis  ne  pourraient  sans  honte 
»  recevoir  un  llef  des  mains  de  Ludwig. 

»  Il  régnait  dans  le  pays  des  Frideschottes;  il  eut  le  malheur 
»  de  s'attirer  à  juste  titre  la  haine  du  frère  du  roi  Otte,  qui  te- 

\.  Str.  30o  :  Ah  dlu  buoch  uns  kimt  tiiont. 

2.  Ce  que  contredit  tout  au  moins  d'une  façon  implicite,  mais  pc- 
remptoire,  la  violence  avec  laquelle  le  poète,  dans  la  str.  288,  proteste 
contre  l'exagération  d'un  fait  qu'il  déclare  reproduire  selon  la  tradition, 
mais  sans  y  croire. 

3.  Ce  nombre  semble  jouir  d'une  faveur  particulière  auprès  des  poètes 
allemands  du  mo3'en  âge;  on  le  rencontre  fréquemment  pour  indiquer, 
comme  ici,  une  grande  quantité.  —  Sur  l'emploi  des  nombres  en  général 
dans  l'épopée  allemande  au  moyen  âge,  cf.  Ktidrun,  éd.  Martin,  str.  39, 
4;  J.  Grhnm,  liechtsalterlkûmer,  '3'  éd.,  220  et  R.  von  Muth,  Vntersuchun- 
genund  Excurse  (1878),  p.  2l-3'(-. 


—  10  — 

»  nait  aussi  un  lief  de  mon  père  Hagen.  Alors  il  quitta  le  pays 
»  et  par  là  il  excita  aussi  le  mécontentement  du  roi. 

»  Bref,  vous  pouvez  le  dire  à  Hartmut,  jamais  elle  ne  devien- 
»  drasa  femme;  il  n'a  pas  besoin  de  se  flatter  de  l'espoir  que 
»  ma  fille  l'aimera  jamais;  s'il  lui  faut  des  reines  pour  son 
»  pays,  qu'il  s'adresse  ailleurs  (1).  » 

De  même,  lorsqu'on  vient  annoncera  Hetel  que  Ludwig  et 
Hartmut  ont  pillé  son  royaume  et  enlevé  Gudrun,  il  explique 
ainsi  à  ses  compagnons  d'armes  la  cause  d'une  agression  aussi 
subite  : 

«  Alors  le  roi  Hetel  parla  :  «  C'est  parce  que  je  lui  ai  refusé 
»  ma  fille,  la  belle  Gudrun  ;  je  sais  bien  qu'il  a  reçu  en  fief  la 
»  Normandie  de  mon  beau-père  Hagen  ;  aussi  n'aurais-je  pu  sans 
»  déshonneur  lui  accorder  la  main  de  ma  fille  (2).  » 

Sans  doute,  les  événements  auxquels  il  est  fait  allusion  ici 
sont  loin  d'être  rappelés  en  termes  clairs  ;  sans  doute  ce  roi  Otte, 
dont  il  était  question  plus  haut,  n'est  connu  dans  aucune  autre 
légende,  sauf  une  apparition  insignifiante  dans  le  B'derolf  et  Dict- 
leib  (3).  Mais,  de  ce  que  nous  n'en  savons  pas  plus  sur  les  faits 
rappelés  incidemment  par  Hilde  et  par  Hetel,  s'en  suit-il  que 
notre  poète  les  ait  inventés  ? 

Lorsque  J.  Grimm,  dans  les  Altdeutsche  Wàlder  (4),  recueillait 
les  allusions  au  chant  d'Horand  devant  Hilde  (allusions  si  fré- 
quentes dans  la  littérature  allemande  du  moyen  àge,etqui  prou- 
vent la  faveur  dont  jouissait  autrefois  la  légende  d'Horand  en 
Allemagne  comme  dans  les  pays  plus  septentrionaux),  le  poème 
de  Gudrun  n'avait  pas  encore  été  retrouvé.  A  quelle  légende 
pouvaient  bien  s'appliquer  ces  passages  ?  C'est  ce  que  J.  Grimm 
se  demandait  sans  trouver  de  réponse  à  la  question  :  Hilde 
ne  lui  était  connue  que  par  Saxo  et  Snorri  ;  et  dans  leurs  récits 
Horand  n'apparaît  pas.  Lui  est-il  venu  pour  cela  la  pensée  de 
mettre  en  doute  la  réalité  des  traditions  évoquées  et  par  Boppo, 
et  par  l'auteur  du  Weinschwelg,  et  par  celui  du  Combat  de  la 
Wartburg,  et  par  celui  de  Salomon  et  Morolfl  Loin  de  là,  il  se 
contenta  d'observer  que  les  faits  rappelés  par  ces  poètes  n'étaient 
pas  arrivés  jusqu'à  nous  ;  il  n'hésita  pas  à  en  admettre,  malgré 
cela,  l'existence  et  quelques  moisplustard  ladécouvertedu  ma- 

\.  Stp.  610-612. 

2.  Str.  819. 

3.  Deulsches  Heldenbuch  (Leipzig,  1866-1870,  5  vol.  in-8").  Tome  I  : 
Biterolf  und  Dietleib,  v.  1239. 

4.  J.  Grimm,  Altdeutsche  Wàlder  (1816),  III,  31  sqq. 


—  H  — 

nuscrit  de  la  Gudrun  venait  lui  donner  raison.  N'est-il  pas  ad- 
missible que  le  même  fait  se  soit  produit  au  sujet  du  roi  Otte, 
bien  que  nous  n'ayons  guère  l'espoir  de  retrouver  désormais 
quelque  autre  trace  de  la  légende  spéciale  dont  il  a  pu  être 
l'objet? 

N'est-ce  point  chose  encore  plus  vraisemblable  en  ce  qui  tou- 
che le  vieux  Wate  ?  Il  n'apparaît  dans  notre  poème  qu'à  titre  de 
personnage  secon  laire.  mais  deux  passages  de  la  Gudrun  prou- 
vent que  lui  aussi  avait  une  légende  bien  remplie  et  qu'avant 
de  venir  jouer  son  rôle  dans  notre  poème  il  avait  accompli 
maint  exploit  et  sur  terre  et  sur  mer. 

Lorsque,  mandé  par  Hetel,  il  arrive  à  la  cour  d'Hegelingen, 
le  roi  le  reçoit  en  ces  termes  : 

«  Seigneur  Wate^  soyez  le  bienvenu;  voilà  bien  des  années 
que  je  ne  vous  ai  vu,  depuis  le  temps  où,  assis  l'un  près  de 
l'autre,  nous  combinions  le  plan  de  mainte  expédition  contre 
nos  ennemis  (d).  » 

De  même,  lorsqu'à  la  prière  d'Hilde,  il  consent  à  panser  les 
blessés  du  combat  de  \\'âleis,le  poète  rappelle,  comme  une  chose 
connue  de  tous,  que  Wate  possédait,  par  un  don  surnaturel,  de 
profondes  connaissances  en  médecine  :  «  on  avait  entendu  dire 
»  depuis  longtemps  que  Wate  avait  été  initié  aux  secrets  de 
»  l'art  de  guérir  par  une  ondine  (2).  »  Gomme  nous  le  verrons 
plus  tard,  cette  ondine  n'était  autre  que  sa  mère  Wâchilt,et  l'on 
sait  que,  dans  la  mythologie  germanique,  l'art  de  guérir  est  l'a- 
panage des  Alfes  et  autres  génies  intermédiaires  entre  les  dieux 
et  les  hommes,  mais  plus  spécialement  encore  des  génies  ma- 
rins, dont  fait  partie  Wâchilt. 

Au  reste,  s'il  pouvait  subsister  quelque  doute  à  ce  sujet,  la 
grande  quantité  d'allasions  à  la  légende  de  Wate  que  l'on  ren- 
contre dans  les  diverses  littératures  du  Nord,  mais  en  particu- 
lier dans  la  littérature  anglo-saxonne  et  anglaise,  suffirait  à  nous 
convaincre. 

On  a  conclu,  avec  moins  de  preuves  et  sur  le  vu  d'une  simple 
allusion,  à  l'existence  de  mainte  épopée  perdue  dans  notre  litté- 
rature du  moyen  âge,  et  le  plus  souvent  on  a  eu  raison  de  le 
faire.  Aussi  ne  pouvons-nous  que  nous  associer  aux  regrets 
exprimés  par  Walter  Scott,  Tyrwhitt  et  Weber,  lorsqu'ils  déplo- 
rent la  perte  de  la  Geste  de  Wate.  Peut-être  Walter  Scott  va-t-il 

1.  Str.  236. 

2.  Str.  o29. 


—  12  - 

un  peu  loin  en  prétendant  que  le  roman  de  Wate  était  originaire 
des  frontières  de  l'Ecosse  et  nous  n'oserions  pas  non  plus  cer- 
tifier avec  Conybeare  que  sa  romance  était  écrite  en  anglo- 
saxon  (1). 

Mais,  sans  être  aussi  affirmatif,  on  ne  peut  s'empêcher  de 
remarquer  que  voilà  un  héros  cité  un  peu  partout  dans  les  pays 
septentrionaux,  introduit  dans  mainte  légende  à  titre  épisodique 
ou  secondaire,  mais  en  raison  de  certaines  qualités  typiques,  de 
certains  attributs  traditionnels  qui  semblent  inhérents  à  sa  nature 
mythique.  N'y  a-t-il  pas  là  toute  raison  de  sui)poser  qu'alors 
même  que  ses  aventures  n'auraient  point  fait  l'objet  d'un  poème, 
au  sens  étroit  du  mot,  sa  légende  existait  tout  d'une  pièce,  bien 
constituée,  vivace  et  indépendante,  au  moins  dans  les  temps 
les  plus  reculés,  parmi  les  peuples  riverains  de  la  mer  du 
Nord  ? 

On  le  voit,  rien  qu'au  point  de  vue  mythologique,  notre  poème 
et  par  ce  qu'il  a  conservé  et  par  ce  qu'il  nous  engage  à  recher- 
cher, offre  une  vaste  et  attrayante  carrière  à  l'étude  de  quicon- 
que s'intéresse  aux  vieilles  légendes  du  Nord  et  spécialement 
aux  antiques  traditions  maritimes  des  (iermains. 

Il  a  encore  un  autre  attrait  à  une  époque  où  il  semble  que  la 
portion  jusqu'ici  réputée  la  plus  ancienne  et  la  plus  pure  de  la 
mythologie  germanique  menace  ruine  (2). 

En  cherchant  à  faire  revivre  les  fictions  sous  lesquelles  les 
Germains  ont  symbolisé  les  impressions  diverses  que  fit  sur 
eux  leur  première  connaissance  avec  la  mer^  nous  aurons  occa- 
sion de  constater  que  c'est  peut-être,  de  tout  le  patrimoine  mytho- 
logique du  Nord,  la  partie  qui  est  restée  la  plus  indemne  de 
toute  influence  étrangère,  classique  ou  chrétienne  ;  c'est  là,  dans 
le  poème  de  Gudnin  et  dans  les  diverses  légendes  qu'il  a  suc- 
cessivement absorbées,  que  nous  trouverons  reproduites  avec  le 
plus  de  naïveté  et  de  fidélité  les  croyances  primitives  de  la  por- 
tion maritime  de  la  race  germanique,  ses  mœurs  si  curieuses  et 
si  différentes  de  celles  des  Germains  de  la  terre  ferme,  sa  vie 
errante  et  agitée,  pleine  d'imprévu,  de  hardiesse  et  de  grandeur. 

Le  fait  est,  à  un  autre  point  de  vue,   d'autant  plus  digne 

1.  Cf.  Fr.  Michel,  Wade  (1837),  p.  6  sqq. 

2.  Cf.  les  travaux  récents  de  Chr.  Bang,  Volus'pa  imcl  die  Sibyllinischen 
Orahel,  ùbersetzt  V07i  J.  C.  Pœstion  (Wien,  1880,  in-S")  et  de  S.  Bugge, 
Studien  ûber  die  Entstehung  der  nordischen  Gôtter-und  Heldensarjeii,  ùber- 
setzt von  0.  Brenner  (MûDchen,  Kaiser,  1881-1889,  in-8°);  cf.  aussi  Revue 
Critique,  1880,  l"'  semestre,  p.  82. 


—  d3  - 

d'attention  que  cette  peinture  si  vraie,  si  vive,  si  animée  de 
l'existence  des  pirates  du  Nord,  nous  la  devons,  selon  toute 
vraisemblance,  à  un  poète  né  bien  loin  des  rivages  de  l'Océan  ; 
que  le  chantre  dont  nous  allons  étudier  l'œuvre  eut  assez  de 
génie  pour  s'inspirer,  au  pied  des  Alpes  et  peut-être  plus  loin 
encore  dans  le  fond  de  l'Autriche,  de  tout  un  monde  d'idées  et 
de  légendes  complètement  étranger  au  milieu  dans  lequel  il 
vivait;  qu'il  a  su  enfin  rendre,  avec  un  art  merveilleux  et  sans 
les  affaiblir,  ces  échos  qui  lui  venaient  de  si  loin. 


CHAPITRE  II 


ANALYSE   DU    POEMK    DE   GUDRUN. 


I.  AVENTURES  d'hAGEN. 

En  Irlande  vivait  un  roi  puissant,  Sigeband,  fils  de  Gère  et 
d'Ute.  Resté,  après  la  mort  de  son  père,  maître  d'un  grand 
royaume  et  cédant  aux  instances  de  sa  mère,  il  avait  pris  pour 
femme  Ute  de  Norwège.  De  ce  mariage  naquit  un  fils,  Hagen. 
Idole  de  ses  parents,  il  fut  élevé  avec  tout  le  soin  possible  et  on 
ne  négligea  rien  pour  le  préparer  àdevenir  plus  tard  unchevalier 
accompli.  Il  était  à  peine  âgé  de  sept  ans  et  faisait  déjà  concevoir 
les  plus  belles  espérances,  lorsqu'un  fatal  événement  vint  chan- 
ger en  tristesse  la  joie  qu'il  causait  à  ses  parents. 

Un  jour  que  le  roi  et  la  reine  étaient  assis  sur  la  terrasse  du 
palais,  Ute,  ne  pouvant  cacher  plus  longtemps  les  désirs  secrets 
de  son  cœur,  parla  en  ces  termes  à  son  époux  : 

((  Lorsque  j'étais  encore  jeune  fille,  ô  roi,  écoutez  mes  paroles 
»  sans  déplaisir,  dans  mon  pays  des  Frideschottes,  je  voyais 
»  tous  les  jours  les  vassaux  de  mon  père  se  disputer  de  nobles 
»  récompenses  ;  jamais  je  n'ai  rien  vu  de  tel  ici. 

»  Un  roi  aussi  riche  que  vous  devrait  se  montrer  plus  sou- 
»  vent  au  milieu  de  ses  vassaux  ;  je  les  entendais  eux-mêmes 
»  l'avouer  ;  il  devrait  fréquemment  paraître  avec  eux  dans  les 
»  tournois  ;  ainsi  il  s'honorerait,  lui  et  le  royaume  dont  il  a 
»  hérité  (2).  » 

Ute  n'a  pas  de  peine  à  convaincre  son  époux  et  Sigeband  fait 
annoncer  dans  son  royaume  et  dans  les  contrées  voisines  son 
intention  d'organiser  une  fête  splendide  dès  le  retour  du  prin- 
temps: tournois,  jeux,  festins,  musique,  chants,  récits,  distri- 
butions de  riches  présents,  rien   n'y  doit  manquer.  Aussi  de 

1.  Nous  avons  indiqué  en  marge  le  début  de  chacune  des  32  aventures 
dont  se  compose  le  poème. 

2.  Str.  30,  31. 


—  d5  — 

toutes  parts  son  invitation  est-elle  accueillie  avec  empressement 
et  les  plus  nobles  chevaliers  d'Irlande  et  de  Norwège  sont  bien- 
tôt réunis  à  sa  cour  avec  tous  leurs  vassaux.  Somptueusement 
reçus,  les  hôtes  se  livrent  aux  divertissements  les  plus  variés. 
Depuis  dix  jours  déjà  la  fête  durait,  depuis  dix  jours  chacun  ban- 
quetait, buvait,  riait  et  s'amusait;  cependant  le  moment  appro- 
chait où  la  joie  universelle  allait  faire  place  à  la  plus  amère  tris- 
tesse. 

Au  milieu  de  l'entrain  général,  les  chevaliers  auxquels  étaient 
confiées  l'éducation  et  la  garde  du  jeune  Hagen  se  relâchèrent 
de  leur  vigilance.  Unjongleur  déployait  ses  talents  devant  le  roi 
et  ses  convives  ;  chacun  se  précipitait  pour  admirer  son  adresse. 
Tout  à  coup  un  bruit  sinistre  retentit  et  fait  trembler  la  forêt 
voisine  ;  un  oiseau  monstrueux  s'abat  sur  le  jeune  Hagen,  resté 
sous  la  garde  d'une  seule  des  suivantes  de  la  reine.  C'était  un 
griffon,  qui,  saisissant  l'enfant  dans  ses  serres,  l'enlève  au  plus 
haut  des  airs  et  disparaît  avec  sa  proie. 

La  terrible  nouvelle  se  répand  bientôt  de  proche  en  proche  et 
remplit  d'effroi  cette  réunion  tout  <à  l'heure  si  gale.  Bien  que 
frappés  dans  leurs  plus  chères  affections,  Slgeband  et  Ute  n'ou- 
blient pas  un  instant  les  devoirs  de  l'hospitalité;  mais  c'est  en 
vain  qu'ils  s'efforcent  de  retenir  leurs  convives  ;  ceux-ci  com- 
prennent qu'après  un  tel  malheur  toute  continuation  des  fêtes 
est  impossible  ;  ils  se  retirent,  comblés  de  présents,  mais  le 
cœur  brisé  par  la  tristesse. 

Cependant  Hagen  n'était  pas  mort;  le  griffon  l'avait  emporté  2»  Avent. 
dans  son  aire,  située  sur  une  île  lointaine  et  déserte,  pour  le  li- 
vrer en  pâture  à  ses  petits.  L'un  d'eux  le  saisit  et  s'envole  sur 
un  arbre  pour  le  dévorer  ;  mais,  cédant  sous  ce  double  fardeau, 
la  branche  sur  laquelle  il  s'était  posé  casse  et,  dans  sa  chute,  il 
laisse  échapper  l'enfant. 

Égratigné  et  meurtri,  celui-ci  tombe  au  milieu  des  broussail- 
les et  s'y  tient  coi  ;  puis,  lorsqu'il  est  sur  que  le  griffon  a  renoncé 
à  le  trouver,  il  se  glisse  dans  l'herbe  jusqu'à  une  caverne  qu'il  a 
aperçue  non  loin  de  là. 

Dans  cette  caverne  se  trouvaient  déjà  trois  princesses,  que  les 
griffons  avaient  aussi  enlevées  et  qui  avaient  également  échappé 
d'une  manière  miraculeuse  à  la  mort.  D'abord  effrayées  à  l'ap- 
proche d'Hagen,  qu'elles  prennent  pour  un  nain  malfaisant 
ou  pour  un  monstre  marin,  elles  l'accueillent  avec  empresse- 
ment, quand  il  leur  a  expliqué  son  aventure  et  donné  l'assu- 
rance qriil  est  chrétien. 


—  46  — 

Élevé  et  soigné  par  elles,  partageant  l'humble  nourriture  qu'el- 
les trouvent  avec  bien  de  la  peine  parmi  les  plantes,  les  baies  et 
les  racines  de  la  forêt,  il  grandit  et  acquiert  une  force  surprenante. 

Un  jour,  un  vaisseau  poussé  par  la  tempête  fait  naufrage  en 
vue  de  la  côte,  l'équipage  est  englouti  et  Hagen  aperçoit  de  la 
caverne  le  corps  d'un  des  marins,  que  la  mer  a  rejeté  tout  armé 
sur  le  rivage.  A  cet  aspect  son  instinct  chevaleresque  se  réveille  : 
s'élancer,  dépouiller  le  cadavre,  revêtir  sa  cotte  de  mailles  et 
s'emparer  de  ses  armes,  tout  cela  est  pour  lui  l'affaire  d'un  ins- 
tant, et  pourtant  il  a  déjà  trop  tardé.  Un  bruit  sinistre  se  fait 
entendre  dans  les  airs,  c'est  l'un  des  griffons  qui  l'a  aperçu  et 
qui  fond  sur  lui.  Surpris  à  l'improviste,  Hagen  ne  se  déconcerte 
pas  et,  quand  sa  main  inexpérimentée  a  épuisé  contre  le  mons- 
tre toutes  les  flèches  qu'il  vient  de  trouver,  il  se  précipite  sur 
lui  l'épée  à  la  main.  La  lutte  est  longue  et  acharnée,  mais  Hagen 
en  sort  vain({ueur;  tous  les  autres  grillons,  qui  surviennent  suc- 
cessivement, ont  le  même  sort  et  tombent  jusqu'au  dernier  sous 
ses  coups. 

Plein  de  joie,  étonné  lui-même  de  sa  force  et  de  sa  bravoure, 
Hagen  appelle  les  jeunes  filles  et  tous  quatre  abandonnent  cette 
sombre  caverne,  où  ils  ont  végété  jusqu'ici  :  dès  lors  ils  peuvent 
jouir  en  paix  et  en  liberté  de  l'air  et  de  la  lumière,  qui  leur 
avaient  fait  si  longtemps  défaut.  Quant  à  la  nourriture,  elle  ne 
leur  manquera  pas  non  plus;  Hagen  ne  tarde  pas  à  déployer  à 
la  chasse  une  adresse  et  une  agilité  surprenantes;  aucun  oiseau 
n'échappe  à  ses  tlèclies  et  les  bêtes  de  la  forêt  ne  peuvent  le  dé- 
passer à  la  course. 

Sa  vigueur  croit  de  jour  en  jour  avec  une  rapidité  merveil- 
leuse ;  une  fois,  entre  autres,  un  monstre  horrible  l'attaque  au 
bord  de  la  mer  :  c'était  un  gabUun.  Hagen  l'abat  d'un  seul  coup 
d'épée,  le  dépouille,  se  revêt  de  sa  peau  et  boit  son  sang,  ce  qui 
lui  donne  la  force  de  douze  hommes.  Il  a  bientôt  l'occasion  d'en 
fournir  une  nouvelle  preuve;  un  lion  s'était  approché  de  lui,  il 
l'étreint  et  le  dompte,  et  le  lier  animal  le  suit  désormais  avec  la 
docilité  d'un  chien. 

Cependant,  il  ne  pouvait  toujours  rester  dans  cette  île  déserte; 
il  se  résout  à  gagner  avec  les  jeunes  filles  le  bord  de  la  mer,  dans 
l'espoir  d'y  apercevoir  quelque  vaisseau.  Après  avoir  erré  pen- 
dant vingt-quatre  jours  dans  les  bois,  ils  arrivent  à  la  côte  et 
voient  en  effet  un  navire  que  les  vents  contraires  retenaient  en 
vue  de  l'île.  Il  hèle  les  matelots,  et,  en  dépit  de  la  tempête  et  du 
bruit  des  flots,  sa  voix  formidable  parvient  jusqu'à  eux. 


I 


—  17  -- 

Tout  dabord,  en  voyant  le  héros  enveloppé  dans  sa  peau  de 
bête  et  les  jeunes  filles  vêtues  de  mousse,  l'équipage  les  prend 
pour  des  monstres  marins.  Mais,  quand  ils  ont  affirmé  qu'ils 
sont  chrétiens,  le  capitaine  s'approche  en  barque  et  consent  à  les 
laisser  monter  sur  son  navire. 

C'était  un  comte  de  Salmê  ;  après  leur  avoir  fait  donner  des  3»  Avent. 
vêtements  et  de  la  nourriture,  il  les  questionne  sur  leur  patrie 
et  sur  les  aventures,  à  la  suite  desquelles  ils  se  trouvaient  dans 
cette  île  déserte. 

Nous  apprenons  ainsi  que  les  trois  jeunes  liUes  sont  de  race 
royale  :  l'une  est  Hilde,  fille  du  roi  des  Indes  ;  l'autre  Hilde- 
bourg,  fille  du  roi  de  Portugal  ;  la  troisième  enfin,  dont  le  poète 
ne  nous  dit  pas  le  nom,  est  fille  du  roi  de  l'Iserland. 

Quant  à  notre  jeune  héros,  à  peine  a-t-il  dit  qui  il  est,  que  le 
comte  de  Salmê  (ou  de  Garadê,  car  il  porte  indifféremment  et 
alternativement  ces  deux  noms)  cherche  à  lui  enlever  ses  armes. 
11  se  trouve,  en  effet,  qu'il  a  été  en  guerre  avec  le  père  d'Hagen 
et  qu'il  a  eu  beaucoup  à  souffrir  des  incursions  des  Irlandais 
dans  son  pays.  Aussi  se  félicite-t-il  du  hasard  qui  a  fait  tomber 
entre  ses  mains  un  otage  d'un  tel  prix.  Il  l'annonce  même  bru- 
talement à  Hagen. 

A  ces  mots,  la  fureur  de  ce  dernier  se  déchaîne  ;  il  ordonne  im- 
périeusement au  comte  et  à  l'équipage  de  faire  voile  sur-le-champ 
pour  l'Irlande,  et,  sur  leur  refus^  ayant  pour  la  première  fois 
conscience  de  sa  force  surhumaine,  il  se  jette  sur  les  hommes 
auxquels  le  comte  avait  commandé  de  l'enchaîner,  en  saisit 
trente  par  les  cheveux  et  les  lance  par  dessus  bord.  Les  autres 
effrayés  n'ont  rien  de  plus  pressé  que  de  se  soumettre,  et,  après 
une  heureuse  et  courte  traversée^,  on  arrive  en  Irlande. 

Parvenu  en  vue  des  côtes,  Hagen  envoie  une  ambassade  à  la 
cour  d'Irlande  pour  annoncer  son  retour.  Mais  Sigeband  a  re- 
connu ses  ennemis  de  Garadê  ;  il  craint  une  ruse  et  refuse  d'a- 
bord de  croire  à  la  réalité  de  leur  mission.  Alors  ceux-ci  s'adres- 
sent à  la  reine,  et,  à  un  signe  qu'ils  doivent  lui  transmettre  sur 
la  recommandation  d'Hagen,  Ute  reconnaît  que  c'est  bien  son 
fils  qui  les  envoie.  En  effet,  Hagen  porte  encore  au  cou  la  croix 
d'or,  que  sa  mère  y  avait  attachée,  lorsqu'il  était  petit.  Pleins  de 
joie  à  cette  nouvelle  inespérée,  Sigeband  et  Ute  se  rendent  donc, 
suivis  de  toute  leur  cour,  sur  le  rivage  au  devant  d'Hagen. 

Le  roi  souhaite  la  bienvenue  au  héros  ;  et  pourtant  il  n'est  4«  Avent. 
pas  encore  convaincu.  Quant  à  la  reine,  il  lui  suffit  de  voir  la 
croix  pendue  au  cou  d'Hagen  pour  que  toute  incertitude  s'éva- 

Fécamp,   Gudrun.  2 


—  18  — 

nouisse.  Alors  ce  sont  de  part  et  d'autre  des  transports  de  joie  : 
Sigeband  et  Ute  ne  peuvent  se  lasser  de  contempler,  dans  toute 
la  beauté  et  la  vigueur  de  l'adolescence,  ce  fils  qu'ils  ont  si  long- 
temps pleuré.  Mais  Hagen  n'est  pas  égoïste  ;  il  faut  que  tous  les 
nouveaux  arrivés  participent  à  l'allégresse  de  la  famille  royale 
et  de  la  cour.  Les  trois  jeunes  princesses  reçoivent  de  brillants 
habits,  et,  grâce  à  l'intervention  d'Iiagon,  Sigeband  se  réconcilie 
avec  le  comte  de  Garadê,  promet  de  réparer  tout  le  dommage 
causé  à  ses  gens  par  les  Irlandais  et  conclut  avec  lui  un  traité 
d'alliance.  Bien  plus,  il  l'invite  à  venir  à  la  cour  d'Irlande 
avec  ses  compagnons  et  à  prendre  part  aux  réjouissances  qui 
vont  avoir  lieu  pour  célébrer  le  retour  d'Hagen.  Naturellement 
cette  offre  est  acceptée  avec  empressement  et  tout  le  monde  se 
rend  à  Bâlian,  capitale  du  royaume  de  Sigeband.  Quinze  jours 
durant,  les  fêtes  les  plus  splendides  retiennent  les  nouveaux  al- 
liés d'Hagen  et  de  Sigeband;  ce  laps  de  temps  écoulé,  le  comte  de 
Garadê  et  sa  suite  quittent  l'Irlande,  comblés  de  présents  par 
Sigeband  et  pleins  de  reconnaissance  pour  llagen,  dont  ils  ad- 
mirent à  la  fois  la  force,  la  vaillance  et  la  magnanimité. 

Cepi^ndant,  notre  jeune  héros  a  repris  avec  ardeur  son  éduca- 
tion chevaleresque  si  tôt  et  si  longtemps  interrompue;  en  peu 
de  temps  il  est  devenu  le  seigneur  le  plus  accompli  de  la  cour 
d'Irlande  ;  il  ne  lui  manque  plus  que  d'être  armé  chevalier;  c'est 
ce  qui  ne  tarde  pas  à  avoir  lieu  ;  cette  cérémonie  est  l'occasion 
de  nouvelles  fêtes  dans  lesquelles  il  épouse  l'une  des  jeunes 
filles  sauvées  par  lui,  Hilde  des  Indes.  La  princesse  diserland 
se  marie  avec  le  roi  de  Norwège,  qui  l'a  remarquée  pendant  les 
fêtes;  elle  prend  avec  lui  le  chemin  du  Nord  et  disparaît  dés  lors 
du  poème  ;  quant  à  Hildebourg,  elle  reste  à  la  cour  d'Irlande. 

Quelque  temps  après  Sigeband  abdique  en  faveur  d'Hagen, 
qui,  par  sa  vaillance  et  sa  justice,  devient  un  souverain  aimé  de 
ses  peuples  et  craint  au  loin  de  ses  ennemis.  Pour  comble  de 
bonheur,  Hilde  des  Indes  ne  tarde  pas  à  lui  donner  une  fille, 
que,  du  nom  de  sa  mère,  on  appelle  également  Hilde.  A  peine 
âgée  de  douze  ans,  la  jeune  princesse  est  déjà  d'une  beauté  qui 
devient  célébra  au  loin  ;  aussi  de  toutes  parts  les  princes  deman- 
dent-ils à  l'envi  sa  main.  Mais  Hagen  repousse  dédaigneuse- 
ment leurs  prétentions  ;  bien  plus,  dans  son  orgueil  farouche, 
il  va  jusqu'à  faire  pendre  leurs  ambassadeurs  ;  il  est  bien  décidé 
à  ne  donner  la  main  de  sa  tille  qu'à  un  prince  aussi  fort  et  aussi 
puissant  que  lui. 


—  19  — 

II.    AVENTURES   d'hETEL  ET  D'HILDE. 

En  Danemark  vivait  un  roi  puissant  nommé  Hetel;  ses  Etats  5» 
étaient  vastes  et  tlorissants  et  sa  domination  s'étendait  sur  de 
nombreuses  villes  fortes.  Une  foule  empressée  de  vassaux  aussi 
fidèles  que  braves  ornait  sans  cesse  sa  cour.  Mais  une  chose 
manquait  à  son  bonheur;  ayant  perdu  tout  enfant  ses  père  et 
mère,  il  sentait,  malgré  le  mouvement  continuel  de  la  cour,  tout 
le  poids  de  la  solitude,  et  ses  vassaux  eux-mêmes  voyaient 
avec  peine  le  trône  de  Danemark  privé  d'une  reine  :  aussi  lui 
conseillaient-ils  tous  de  se  choisir  une  épouse.  Mais  il  avait  beau 
chercher  dans  tous  les  Etats  voisins,  nulle  part  il  ne  trouvait  une 
jeune  princesse  qui  lui  semblât  digne  de  lui  et  «  qu'il  crût  pou- 
voir, sans  honte,  asseoir  sur  le  trône  d'Hegelingen.  » 

«  Alors  Morung  de  Nifland,  le  jeune  héros,  dit  :  «  J'en  con- 
)>  nais  une  aussi  noble  et  plus  belle,  à  ce  qu'on  m'a  rapporté, 
»  qu'aucune  autre  sur  terre  ;  nous  ferons  volontiers  tous  nos 
»  elïorts  pour  qu'elle  devienne  ta  femme.  » 

«  Il  demanda  qui  elle  était  et  comment  on  l'appelait.  Morung 
»  reprit  :  «  Elle  s'appelle  Hilde  ;  elle  est  d'Irlande,  issue  de  race 
»  royale  ;  son  père  se  nomme  Hagen  ;  si  elle  vient  dans  ce  pays, 
»  tu  goûteras  une  joie  et  un  bonheur  sans  mélange  (1).  » 

Hilde  est  bien  en  elïet  telle  que  l'a  dépeinte  Morung  et  nulle 
autre  ne  pourraitplus  complètement  réaliser  les  désirsd'Hetel  et 
de  ses  vassaux  ;  mais  le  jeune  roi  sait  comment  Hagen  traite  les 
ambassadeurs  des  princes  qui  envoient  solliciter  la  main  de  sa 
fille,  et,  pour  rien  au  monde,  il  ne  consentirait  à  causer,  afin  de 
satisfaire  un  caprice,  la  mort  d'un  de  ses  vassaux.  Toutefois,  sur 
l'avis  de  Morung,  il  mande  près  de  lui  Horand,  roi  de  Dane- 
mark, qui  connaît  de  visu  la  cour  d'Irlande. 

Horand  et  Frute,qui  arrive  avec  lui,  trouvent  également  l'en- 
treprise téméraire  :  cependant  ils  pensent  que,  si  Wate  voulait 
s'en  charger  avec  eux,  elle  pourrait  réussir.  Wate  est  donc  mandé 
à  son  tour.  Il  arrive  cà  la  hâte,  suivi  d'une  nombreuse  escorte  et 
convaincu  qu'Hetel,  attaqué  par  quelque  puissant  ennemi,  se 
trouve  dans  une  situation  critique.  Mais  à  peine  a-t-il  appris  ce 
qu'on  attend  de  lui  qu'il  entre  dans  une  colère  terrible.  Il  n'a 
pas  de  peine  â  deviner  qui  a  inspiré  à  Hetel  cette  résolution; 
;f  rute  seul  a  pu  suggérer  cette  idée.  Toutefois,  telle  est  sa  fidélité 
de  vassal  que,  tout  en  donnant  libre  carrière  à  sa  mauvaise  hu- 

i.  Str.  2ii,  212. 


—  20  — 

ineur,  il  ne  songe  pas  un  instant  à  refuser  ses  services  au  roi. 
Il  est  prêt  à  se  charger  du  message,  mais  <à  une  condition,  c'est 
que  Frute  et  Horand  l'accompagneront.  Assurés  du  concours  et 
de  la  direction  de  Wate,  ceux-ci  n'hésitent  plus. 

Il  s'agit  maintenant  de  savoir  comment  on  s'y  prendra  :  car 
avec  Hagen  on  ne  peut  procéder  par  les  voies  ordinaires;  la  ruse 
seule  peut  faire  réussir  cette  tentative.  Frute,  qui  dans  notre 
poème  personnifie  la  prudence  et  l'adresse,  a  bientôt  imaginé  un 
plan  de  campagne.  Les  trois  héros  se  donneront  pour  de  riches 
marchands,  qui  ont  dû  fuir  précipitamment  la  colère  d'Hetel  ; 
puis,  par  des  largesses  bien  entendues,  ils  gagneront  tout  d'abord 
la  faveur  et  la  confiance  d'Hagen.  Ils  trouveront  bien  alors  le 
moyen  de  parvenir  jusciu'à  Hilde  ;  le  reste  dé])endra  de  la  tour- 
nure que  prendront  les  événements. 

Horand  approuve  de  suite  ce  plan  :  mais  Wate  s'en  déclare 
moins  satisfait.  Le  commerce  ne  lui  va  guère,  à  lui  vieux  guer- 
rier blanchi  dans  les  combats.  Il  n'a  confiance  (ju'en  son  épée. 
Qu'il  soit  fait  néanmoins  selon  que  Frute  et  Horand  le  désirent, 
mais  <à  une  condition  :  pour  l'heure  du  danger,  il  cachera  dans 
les  flancs  d'un  des  navires  que  l'on  va  fréter  une  troupe  de  guer- 
riers d'élite,  tous  choisis  par  lui. 

Ces  diverses  combinaisons  obtiennent  le  plein  assentiment 
d'Hetel,  qui  se  hâte  d'éjuiper  plusieurs  navires.  Rien  n'est  ou- 
blié pour  donner  à  l'expédition  tout  le  luxe  et  l'éclat  que  com- 
porte son  but  apparent  :  chevaux,  vivres,  marchandises  rares, 
bijoux  étincelants,  pierres  précieuses,  encombrent  le  vaisseau 
principal.  Entre  temps,  Wate  n'a  pas  négligé  non  plus  la  part 
qu'il  s'est  réservée  dans  les  préparatifs,  et,  lorsque  les  héros  met- 
tent à  la  voile,  le  navire  est  aussi  soigneusement  garni  à  l'inté- 
rieur pour  parer  à  une  attaque  possible,  qu'orné  à  l'extérieur 
pour  éblouir  les  yeux  d'Hagen  et  de  ses  vassaux. 

Poussés  par  un  vent  favorable,  nos  héros  arrivent  rapidement 
en  vue  des  côtes  d'Irlande.  A  peine  ont-ils  abordé  que  Frute, 
fidèle  à  sa  mission,  débarque  et  étale  sur  le  rivage  les  étoffes 
précieuses  dont  le  navire  est  chargé.  Quant  à  AVate,  sa  nature 
chevaleresque  perce  de  suite,  pour  ainsi  dire,  à  son  insu  :  il 
envoie  des  présents  à  Hagen  et  lui  fait  demander  un  sauf-conduit 
pour  lui  et  ses  compagnons.  Hagen  l'accorde,  non  sans  avoir 
manifesté  quelque  défiance.  Mais  Horand  et  Irolt  ont  facilement 
raison  de  ses  soupçons:  ils  lui  exposent  que  les  étrangers  sont 
de  riches  seigneurs,  qui,  réduits  à  fuir  leur  pays  pour  se  sous- 
traire à  la  colère  d'Hetel,  ont  emporté  à  la  hâte  avec  eux  leurs 


~  21  — 

biens  les  plus  précieux,  et,  désormais  sans  foyer  et  sans  abri, 
se  livrent  au  commerce  (1). 

Au  reste,  la  magniticence  des  nouveaux  venus  a  déjà  frappé 
d'étonneraent  tous  les  Irlandais  :  il  n'est  bruit  que  des  riches 
étrangers  débarqués  sur  le  rivage,  chacun  veut  les  voir  et  ac- 
court sur  le  bord  de  la  mer  pour  contempler  les  trésors  inap- 
préciables étalés  par  Frute.  Par  une  largesse  pleine  d'à-propos, 
celui-ci  achève  de  se  concilier  la  faveur  générale  :  il  donne  ses 
marchandises  plutôt  qu'il  ne  les  vend.  On  ne  parle  plus  d'autre 
chose  à  la  cour;  bref,  Hagen  est  assailli  des  sollicitations  de  la 
reine  et  de  la  jeune  Hilde,  qui  veulent  voir  les  nobles  étrangers, 
et  il  les  invite  à  venir  à  Bâlian,  sa  capitale. 

Frute  s'est  admirablement  acquitté  de  son  rôle  :  celui  de 
Wate  va  commencer.  Dès  l'arrivée  des  Danois  à  la  cour,  c'est 
sur  lui  que  tous  les  regards  se  sont  portés.  Vêtu  d'habits  ma- 
gnifiques, les  cheveux  ornés  de  tresses  dorées,  il  s'avançait  en 
tète  du  cortège  d'un  pas  majestueux  :  son  air  imposant  et  fier 
trahissait  en  lui  le  guerrier  et  lui  acquit  dès  l'abord  la  sympathie 
d' Hagen. 

On  les  questionne  sur  leur  pays,  et  là  encore  Wate,  par  ses 
réponses  moitié  plaisantes,  moitié  bourrues,  excite  au  plus  haut 
point  la  curiosité  des  femmes.  Présenté  à  la  reine  et  à  la  jeune 
Hilde,  il  produit  sur  elles  une  impression  mêlée  de  crainte  et 
d'intérêt;  «  la  jeune  lille  aurait  eu  peur  de  l'embrasser,  tant  il 
»  avait  la  barbe  épaisse,  mais  elle  prenait  plaisir  à  l'inter- 
»  roger.  » 

«  Dame  Hilde  et  sa  fille  commencèrent  en  plaisantant  à 
»  demander  à  Wate,  s'il  lui  était  agréable  de  se  trouver  dans  la 
»  compagnie  de  belles  dames,  ou  s'il  préférait  être  dans  un 
»  combat  au  plus  fort  de  la  mêlée. 

»  Alors  Wate,  le  vieux  héros,  répondit  :  «  Une  seule  chose 
»  me  convient;  bien  que  je  n'aie  jamais  eu  jusqu'ici  autant  de 
»  plaisir  à  m'asseoir  auprès  des  belles  dames,  une  chose  m'est 
»  cependant  encore  plus  agréable,  c'est  de  me  voir  environné 
»  d'une  troupe  de  braves  guerriers,  et,  quand  l'heure  est  venue, 
»  de  m'élancer  au  combat,  » 

«  A  ces  mots,  l'aimable  jeune  fille  éclata  de  rire;  elle  voyait 
»  bien  qu'il  n'était  pas  à  son  aise  auprès  des  belles  dames.  Puis 

1.  Cette  confidence  n'est  pas  de  trop  pour  préparer  l'attitude  de  Wate, 
auquel,  comme  il  l'a  dit  et  comme  il  ne  tardera  pas  à  le  prouver,  ce 
nMe  de  marchand  ne  convient  cuèrc. 


—  22  — 

»  on  continua  encore  longtemps  d'échanger  ainsi  des  plaisan- 
»  teries  dans  la  salle.  Dame  Hilde  et  sa  fille  s'adressèrent  aux 
»  gens  de  Morung  ; 

«  Elles  s'informèrent  du  vieux  héros  :  «  Quel  est  son  nom; 
»  a-t-il  aussi  des  serviteurs,  des  villes  fortes  et  un  fief?  A-t-il 
»  dans  son  pays  une  femme  et  des  enfants?  Je  parie  qu'il  em- 
»  brasse  et  qu'il  caresse  rarement  ceux  qu'il  a  laissés  à  la  mai- 
»  son.  » 

«  Alors  un  des  vassaux  reprit  :  «  Il  a  une  femme  et  des  en- 
»  fants  dans  son  pays;  mais  il  risque  volontiers  ses  biens  et  sa 
»  vie  pour  l'honneur;  il  l'a  prouvé  plus  d'une  fois.  C'est  un 
»  vaillant  héros,  il  s'est  montré  tel  depuis  sa  jeunesse  (1).  » 

Vaincu  lui-même  par  tant  de  magnificence  unie  à  tant  de 
noblesse,  Hagen  ne  sait  quelles  fêtes  organiser  en  l'honneur  de 
ses  hôtes.  Un  jour,  entre  autres,  il  demande  à  Wate  s'il  a  déjà 
vu  une  joute,  et,  avec  une  gaucherie  charmante,  celui-ci,  restant 
à  moitié  dans  son  rôle,  fait  l'étonné  à  cette  question  et  déclare 
qu'il  verrait  volontiers  ce  que  le  roi  lui  propose,  qu'il  appren- 
drait même  avec  plaisir  à  combattre  à  la  manière  des  chevaliers. 
Sans  tarder,  le  roi  saisit  une  armure  et  déclare  qu'il  va  sur-le- 
champ  donner  à  Wate  sa  première  leçon  d'armes.  Mais  ici  Wate 
achève  presque  de  se  trahir,  et,  dès  les  premières  passes,  le  roi 
s'aperçoit  qu'il  a  affaire  à  un  rude  ciiampion;  il  déclare  en 
riant  qu'il  n'a  jamais  vu  d'élève  faire  d'aussi  rapides  progrès. 
Toutefois  Wate  est  assez  prudent  pour  lui  laisser  l'apparence 
delà  supériorité,  et  le  roi  n'en  conçoit  que  plus  d'estime  pour 
lui. 

Les  voies  ainsi  préparées,  le  plus  difficile  reste  à  faire;  il  faut 
gagner  secrètement  Hilde,  lui  faire  savoir  par  ruse  la  mission 
véritable,  dont  les  a  chargés  Hetel  et  lui  faire  agréer  la  demande 
du  roi  d'Hegelingen.  Ce  sera  l'œuvre  d'Horand  :  c'est  à  lui,  en 
apparence  le  moins  fort  des  trois,  qu'est  réservé  le  plus  beau 
triomphe. 

Un  soir,  le  roi  de  Danemark  se  mit  à  chanter,  et  sa  voix  réson- 
nait si  mélodieusement  que  tous  les  assistants  en  furent  char- 
més; le  farouche  Hagen  lui-même,  attendri  par  la  douceur  de 
ces  accents  suaves,  déclare  que  rien  de  si  beau  n'a  jamais  frappé 
'  son  oreille.  L'impression  n'est  pas  moins  vive  sur  la  reine  et 
sur  la  jeune  Hilde,  et,  lorsque,  le  lendemain  matin,  continuant 
ses  exploits,  Horand  fait  de  nouveau  résonner  dans  la  cour  du 

\.  Str.  343-347. 


—  23  — 

palais  ses  mélodies  enchanteresses,  tout  ce  qui  dormait,  se  levant 
à  la  hâte,  se  précipite  pour  l'écouter  (1). 

Mais  la  jeune  Hilde  surtout  (et  c'est  bien  elle  qu'Horand  avait 
en  vue)  se  sent  pénétrer  d'une  douce  langueur,  qu'elle  n'avait 
jamais  connue  jusqu'ici;  elle  voudrait  que  le  noble  héros  ne 
cessât  jamais  de  chanter  sous  la  fenêtre  de  son  appartement; 
enfin,  poussée  par  un  irrésistible  désir,  dont  elle-même  ne  se 
rend  pas  compte,  elle  le  fait  mander  secrètement  le  soir  dans  la 
partie  du  palais  qui  lui  est  réservée. 

A  sa  prière  de  répéter  devant  elle  ses  plus  belles  mélodies, 
Horand  répond  d'abord  par  un  habile  refus  el  trouve  moyen 
d'introduire  de  suite  dans  la  conversation  une  allusion  à  son 
souverain. 

«  Si  j'osais  chanter  devant  vous,  belle  dame,  il  m'en  coûterait 
»  la  tête;  ce  serait  le  prix  de  mon  audace,  si  votre  père  Hagen 
»  l'ordonnait.  Ah!  si  c'était  dans  notre  pays.  Dieu  m'en  est  té- 
»  moin,  rien  ne  pourrait  me  détourner  de  votre  service  (2).  » 

Cependant  il  entonne  une  mélodie  d'Amilê,  que  seuls  les  Elfes 
connaissent  et  dont  le  pouvoir  est  irrésistible  sur  toute  la  na- 
ture. Hilde  complètement  fascinée  lui  prend  la  main,  le  remercie 
avec  effusion  et  veut  le  combler  des  plus  riches  présents.  Mais 
Horand,  toujours  attentif  à  son  rôle,  se  refuse  à  rien  accepter, 
si  ce  n'est  une  ceinture  qu'a  portée  la  jeune  fille  :  «  Si  quelqu'un 
»  me  blâme  d'avoir  accepté  un  présent  trop  considérable,  qu'il 
»  songe  que  je  la  porte  à  mon  seigneur  :  ce  sera  le  plus  beau 
»  cadeau  et  la  plus  précieuse  nouvelle  qu'il  puisse  recevoir  (3).  » 

Cette  seconde  allusion  à  Hetel  produit  enfin  sur  Hilde  l'effet 
désiré;  elle  reprend  : 

«  Quel  est  ton  maître?  Gomment  s'appelle-t-il?  Porte-t-il  une 
»  couronne?  Possède-t-il  un  royaume  en  propre?  A  cause  de 
»  toi  je  me  sens  animée  de  bienveillance  envers  lui.  »  —  Alors 
»  le  brave  Danois  répondit  :  «  Je  n'ai  jamais  vu  un  roi  aussi 
»  riche.  » 

»  n  continua  :  «  Si  tu  veux  ne  pas  nous  trahir,  belle  jeune 
))  fille,  je  te  le  dirai  volontiers,  c'est  à  cause  de  toi  que  notre 
»  maître  nous  a  fait  partir,  nous  a  envoyés  ici,  dans  les  états  et 
»  à  la  cour  de  ton  père  (4).  » 

Le  moment  si  impatiemment  attendu  est  arrivé  :  Horand  s'ac- 

1.  Cf.  plus  loin.  Liv.  II,  chap.  3,  la  Iraduclion  complète  de  ce  passage. 

2.  Sir.  296. 

3.  Sir.  400. 

4.  Str.  401  et  suiv. 


—  24  - 

quitte  envers  Hilde  du  message  d'Hetel.  Il  répond  à  toutes  ses 
questions,  calme  toutes  ses  inquiétudes.  Elle  peut,  sans  déro- 
ger, agréer  son  amour  :  Hetel  est  un  prince  aussi  puissant  que 
brave,  aussi  noble  que  riche  :  à  sa  cour  douze  chanteurs  non 
moins  habiles  qu'Horand  lui-même  font  sans  cesse  retentir  les 
salles  des  plus  douces  mélodies;  mais,  quelle  que  soit  leur 
adresse,  Hetel  les  surpasse  tous  dans  cet  art  divin. 

Ainsi  séduite  et  circonvenue,  la  jeune  fille  cède;  une  seule 
chose  la  tourmente  encore  :  comment  arriver  à  obtenir  pour  cette 
union  le  consentement  d'Hagen?  comment  oser  même  lui  pré- 
senter la  demande  d'Hetel?  Alors  Horand  se  découvre  complè- 
tement à  elle  :  uno  troupe  d'élite  est  cachée  dans  le  vaisseau, 
qu'Hilde  paraisse  seulement  sur  le  rivage  et  les  amis  d'Hetel 
sauront  bien  la  mener,  sans  ({u'Hagen  puisse  s'y  o[)poser,  vers 
celui  qui  l'attend  anxieusement.  Sans  plus  réfléchir,  Hilde  donne 
son  approbation  au  plan  que  lui  développe  Horand,  et  celui-ci, 
fier  de  son  succès,  se  retire  à  la  hâte,  secrètement  reconduit  par 
le  chambellan  d'Hilde,  et  va  annoncer  à  ses  compagnons  l'heu- 
reux résultat  de  son  audacieuse  tentative. 

Rien  ne  les  retenant  plus  dès  lors  à  la  cour  d'Irlande,  le  len- 
demain matin  les  Danois  vont  trouver  Hagen  et  lui  annoncent 
qu'il  leur  faut  prendre  congé  de  lui.  Le  roi,  qui  ne  s'attendait  à 
rien  moins  qu'à  une  telle  nouvelle,  cherche  en  vain  à  les  retenir: 
il  leur  rappelle  la  faveur  avec  laquelle  il  les  a  accueillis,  les 
honneurs  dont  il  les  a  comblés;  il  leur  en  promet  de  plus  grands 
encore.  Mais,  tout  en  manifestant  leur  vive  gratitude,  les  Danois 
lui  représentent  que  leur  résolution  est  inébranlable.  Hetel, 
revenu  à  de  plus  justes  sentiments,  a  levé  l'interdit  jeté  naguère 
sur  eux,  il  les  rappelle  :  leur  pays  leur  est  enfin  rouvert,  ils 
vont  retrouver  leurs  familles  et  revoir  leurs  amis.  Rien  de  plus 
naturel  que  de  tels  sentiments  ;  aussi  Hagen  n'insiste  plus  :  il 
n'a  plus  qu'une  seule  pensée  :  répondre  à  la  libéralité  qu'ont 
jadis  montrée  ses  hôtes,  les  combler  à  son  tour  de  présents 
aussi  riches  que  ceux  qu'ils  ont  prodigués  lors  de  leur  arri- 
vée. 

Mais  ni  les  étoffes  précieuses,  ni  les  bijoux,  ni  l'or,  ni  les 
chevaux  qu'il  leur  offre  ne  peuvent  les  tenter.  Trop  fiers  pour 
accepter  aucun  don,  ils  ne  demandent  au  roi  qu'un  dernier  et 
suprême  honneur  avant  la  séparation  :  qu'Hagen  vienne,  accom- 
pagné de  la  reine  et  de  sa  fille  et  suivi  de  toute  son  escorte, 
contempler  les  richesses  immenses  accumulées  dans  leur  vais- 
seau, c'est  la  seule  faveur  qu'ils  lui  demandent,  aucune  autre  ne 


—   20   — 

pourra  leur  être  plus  agréable  ni  les  rendre  plus  tiers.  Hagen 
y  consent  volontiers  et  l'on  prend  jour  pour  le  lendemain. 

Pendant  la  nuit  les  héros  préparent  tout  pour  l'enlèvement  :  t  Avkx t. 
toutes  les  richesses  que  renferment  les  navires  sont  débarquées 
et  étalées  sur  le  rivage,  en  apparence  alin  de  les  disposer  pour 
la  visite  du  roi,  mais  en  réalité  pour  alléger  d'autant  la  Hotte 
et  rendre  la  fuite  plus  rapide.  A  l'heure  dite,  le  roi  arrive  suivi 
de  toute  sa  cour  et  accompagné  de  son  épouse  et  de  sa  fille. 
Tandis  qu'on  a  détourné  son  attention  en  lui  faisant  visiter  l'un 
des  vaisseaux  de  transport,  et  celle  de  la  reine  en  soumettant  à 
son  examen  les  étoffes  et  les  pierres  précieuses  amoncelées  sur 
le  rivage,  la  jeune  Hilde  est  conduite  avec  ses  suivantes  et  les 
chevaliers  de  son  escorte  sur  le  navire  principal.  Tout  à  coup, 
sur  un  signe  de  Wate,  ces  derniers  sont  refoulés  vers  le  rivage 
ou  jetés  par  dessus  bord.  Le  roi,  témoin  de  ce  tumulte  soudain, 
comprend  enfin  le  piège  qu'on  lui  a  tendu  et  tremble  pour  sa 
fille  chérie  :  il  se  précipite  vers  le  navire  et  une  légion  de  che- 
valiers armés  s'élancent  à  l'instant  sur  ses  traces.  Mais  il  est 
déjà  trop  tard  :  la  troupe  si  longtemps  tenue  cachée  par  Wate 
fait  irruption  sur  le  pont,  l'ancre  est  levée,  les  voiles  sont  his- 
sées. Vainement  Hagen,  dont  la  fureur  ne  connaît  plus  de 
bornes,  réclame  à  grands  cris  sa  lance,  vainement  il  la  brandit 
contre  les  ravisseurs  ;  elle  retombe  dans  la  mer  et  les  héros 
d'Hegelingen  disparaissent,  jetant  au  roi  comme  adieu  une  der- 
nière plaisanterie  ironique.  Morung  du  haut  du  tillac  '^leur  dit 
d'un  air  railleur  : 

«  Ne  vous  hâtez  pas  trop,  ([uel([ue  ardeur  qui  vous  pousse  au 
combat  ;  fussiez-vous  mille  chevaliers  bien  armés,  il  vous  fau- 
drait faire  le  plongeon;  alors  vous  pourriez  aller  redire  aux 
autres  s'il  fait  bon  au  fond  de  la  mer  (1).  » 

Hngen,  dont  la  flotte  est  à  sec  sur  le  rivage,  en  est  réduit  à 
les  regarder  fuir,  le  cœur  débordant  d'une  rage  impuissante. 

La  traversée  des  Hegelingen  s'effectue  heureusement  et  rapi- 
dement, et  l'on  voit  bientôt  apparaître  les  côtes  de  Wàleis.  Wate 
envoie  alors  en  avant  quelques-uns  de  ses  hommes  pour  pré- 
venir Hetel  de  leur  retour  et  du  succès  de  leur  expédition.  Le 
roi  accueille  avec  une  joie  exubérante  ce  message,  qui  vient 
enfin  le  tirer  de  son  incertitude  et  calmer  ses  soucis.  Il  se  met 
sur-le-champ  en  route  avec  une  brillante  escorte  pour  venir 
recevoir  sa  fiancée  à  son  entrée  sur  la  terre  d'Hegelingen.  Hjitre 

1.   Stf.  448. 


—  26  — 

temps,  Wate  et  ses  compagnons  ont  débarqué  sur  la  côte  de 
Wâleis  et  l'on  décide  d'y  rester  quelques  jours,  tant  pour  se 
reposer  des  fatigues  de  la  traversée,  que  pour  fêter  dignement 
l'arrivée  de  la  jeune  princesse  dans  les  états  sur  lesquels  elle 
est  appelée  à  régner. 

Mais  le  lendemain,  vers  le  soir,  une  flotte,  qu'Horand  reconnaît 
de  suite  pour  celle  d'Hagen,  paraît  à  l'horizon.  A  celte  nouvelle, 
Hetel  songe  tout  d'abord  à  mettre  Hilde  en  sûreté  ;  il  la  fait  con- 
duire sous  bonne  escorte  à  bord  do  l'un  des  vaisseaux  ;  puis  il 
se  prépare  au  combat  et  harangue  ses  troupes.  Sur  ces  entre- 
faites, les  Irlandais  sont  arrivés  en  vue  du  rivage  ;  une  lutte 
furieuse  s'engage,  l'eau  se  teint  du  sang  des  combattants;  enfin 
le  roi  d'Irlande  et  les  siens  réussissent  à  prendre  pied  sur  le 
bord.  Ilagen  et  Hetel  ne  tardent  pas  à  se  rencontrer  face  à  face  : 
après  un  duel  acharné,  Hetel  est  blessé,  mais  le  flot  mouvant 
des  guerriers  le  sépare  d'Hagen,  qui  se  trouve  bientôt  vis-à-vis 
du  terrible  Wate.  Hagen  à  son  tour  est  blessé  par  le  vieux  héros; 
serré  de  près  par  lui,  il  reçoit  un  coup  terrible  que  son  casque 
n'amortit  qu'à  moitié  et  qui  létourdit.  Il  chancelle  et  va  suc- 
comber :  à  ce  moment;,  sur  les  instances  d'Hilde  qui,  du  haut  du 
vaisseau,  suit  avec  angoisse  les  péripéties  de  la  lutte,  Hftel 
intervient,  sépare  les  deux  combattants,  se  fait  reconnaître 
d'Hagen  et  lui  offre  la  paix.  A  mesure  que  la  lutte  devenait  plus 
ardente,  Hagen,  à  la  colère  qui  l'animait,  avait  senti  se  mêler 
peu  à  peu  une  profonde  estime  pour  des  adversaires  si  valeu- 
reux. Il  est  bien  certain  maintenant  d'avoir  affaire  non  à  des 
brigands,  mais  à  un  roi  aussi  puissant  et  aussi  brave  que  lui- 
même,  à  des  guerriers  aussi  courageux  que  ses  propres  vassaux. 
Il  n'a  donc  plus  aucune  raison  de  repousser  les  offres  d'Hetel 
ni  de  craindre  une  mésalliance.  La  paix  est  facilement  conclue, 
et  les  deux  rois,  tout  à  l'heure  acharnés  l'un  contre  l'autre,  con- 
fondent amicalement  leurs  troupes,  que  l'ardeur  même  déployée 
dans  la  lutte  a  préparées  à  ce  rapprochement.  Il  y  a  bien  eu 
quelques  blessés  :  mais  Wate  se  révèle  sous  un  aspect  nouveau  ; 
initié  par  une  nixe  aux  secrets  des  plantes,  il  a  bientôt  pansé 
les  plaies  des  héros  et  achevé  de  faire  disparaître  les  dernières 
traces  de  la  lutte.  Toutefois,  dans  sa  franchise  mêlée  de  bonho- 
mie et  de  brusquerie,  il  refuse  de  donner  ses  soins  à  Hagen^ 
avant  d'avoir  reçu  de  lui  l'assurance  formelle  qu'il  pardonne  à 
sa  fille  et  qu'il  l'accorde  de  bon  cœur  à  Hetel. 

Alors  aux  combats  succèdent  les  fêtes  :  Hagen  accompagne 
Hilde  à  la  capitale  d'Hetel,  où  le  mariage  est  célébré  ;  puis,  au 


—  27  — 

bout  de  douze  jours,  il  repart  pour  l'Irlande,  charmé  de  voir  sa 
fille  reine  d'un  si  puissant  empire,  épouse  d'un  si  vaillant  héros. 
A  son  retour  à  Bàlian,  il  annonce  à  Hilde  des  Indes  l'heureuse 
issue  de  son  expédition  et  lui  fait  un  tableau  enchanteur  de  la 
brillante  destinée  de  leur  fille  ;  sa  joie  et  son  contentement  se 
résument  dans  une  sîule  exclamation,  qui  termine  son  récit  : 
«  s'il  avait  d'autres  enfants,  il  n'aspirerait  qu'à  les  marier  tous 
dans  le  pays  d'Hegelingen.  » 

Du  reste,  Hilde  ne  sera  pas  isolée  dans  ce  pays  nouveau  pour 
elle  ;  outre  ses  suivantes,  sa  fidèle  Hildebourg  est  restée  auprès 
d'elle  et  continue  vis-à-vis  de  la  jeune  princesse  le  rôle  de  com- 
pagne fidèle  et  dévouée,  qu'elle  a  déjà  joué  autrefois  vis-à-vis 
d'Hilde  des  Indes  dans  l'île  des  Grifi"on3,  et  plus  tard  à  la  cour 
d'Irlande. 


III.    AVENTURES   DE    GUDRUN. 

Après  les  fêtes,  Wate,  Morung,  Horand  et  Irolt  regagnent  9«  Avext. 
respectivement  leurs  États.  Hetel,  dès  ce  moment,  passe  avec 
Hilde  dss  jours  pleins  de  joie,  entrecoupés  de  temps  à  autre  par 
quelques  guerres  qu'il  a  à  soutenir  et  d'où  il  revient  toujours 
victorieux.  Enfin,  pour  comble  de  bonheur,  Hilde  lui  donne 
deux  enfants  :  un  fils,  Ortwin,  dont  l'éducation  est  confiée  à 
Wate,  qui  en  fera  un  chevalier  accompli;  une  fille,  Gudrun,  qui 
ne  tarde  pas  à  surpasser  en  beauté  sa  mère  et  sa  grand'mère 
mêmes.  Aussi^  dès  qu'elle  arrive  à  l'adolescence,  les  princes 
accourent-ils  de  toutes  parts  à  la  cour  d'Hegelingen,  pour  briguer 
à  l'envi  sa  main.  Mais  Hetel  éconduit  tous  les  prétendants; 
comme  autrefois  Hagen,  il  n'en  trouve  aucun  digne  de  lui.  Sieg- 
fried lui-mêma,  le  puissant  roi  de  Morland,  n'est  pas  plus  heu- 
reux que  les  autres.  Bien  qu'il  ait  réussi,  par  sa  bravoure  cheva- 
leresque, à  faire  sur  la  jeune  fille  une  impression  favorable,  il 
es'suifî  également  un  refus  de  la  part  d'Hetel,pt  se  r.etire  irrité  et 
proférant  tout  haut  des  menaces  qu'il  ne  tardera  pas  à  mettre  à 
exécution. 

Après  Siegfried,  un  prince  non  moins  illustre  vient  à  son  tour  io«  Avext. 
présenter  sa  demande.  Le  renom  de  la  beauté  merveilleuse  de 
(jrudrun  a  pénétré  jusqu'en  Normandie  :  sur  le  conseil  de  sa 
mère  Gerlinde,  Hartmut  d'Ormanie  se  décide,  lui  aussi,  à  bri- 
guer la  main  de  la  jeune  princesse.  En  vain,  son  vieux  père,  le 
roi  Ludwig,  lui  représente  les  difficultés  de  l'entreprise  et  lui 


—  28  — 

prédit  qu'il  court  au  devant  d'un  affront;  en  vain,  il  lui  rappelle 
l'humeur  altière  d'Hetel  et  de  son  beau-père  Hagen.  Soutenu 
par  sa  mère,  Hartmut  reste  inébranlable  dans  sa  résolution,  et 
Ludwig  linit  par  céder  à  ses  instances.  Soixante  héros,  chargés 
de  présents  de  toute  sorte,  reçoivent  mission  d'aller  porter  au 
roi  Hetel  une  lettre  d'Hartmut,  dans  laquelle  il  lui  demande  la 
main  de  sa  lille.  Somptueusement  reçus  à  la  cour  dHegelingiMi, 
ils  n'en  échouent  pas  moins  dans  leur  démarche.  Le  malheur 
veut  qu'autrefois  Ludwig,  père  d'Hartmut,  ait  reçu  l'investiture 
d'un  lief  des  mains  d'Hagen,  père  d'Hilde.  D'après  les  idées 
de  l'époque,  ce  seul  fait  constitue  pour  le  prétendant  une  infé- 
riorité irrémédiable  vis-à-vis  de  celui  dont  il  aspire  à  devenir 
le  gendre,  et  Gudrun  ne  saurait,  sans  déroger,  entrer  dans  la 
famille  d'un  prince  dont  le  père  a  naguère  prêté  serment  à  un 
roi  étranger.  Hilde  l'annonce  en  termes  hautains  aux  ambas- 
sadeurs d'Hartmut  (d)  et  c'est  avec  cette  réponse  humiliante 
qu'ils  reviennent  à  la  cour  de  Normandie. 

Sans  se  laisser  décourager  par  l'insuccès  de  ceux  qui  l'ont 
précédé,  Herwig  de  Séelande  se  présente  à  son  tour  ;  mais  sa 
demande  a  le  même  sort  que  celles  des  autres  prétendants. 
Hetel  la  repousse,  bien  qu'Herwig  ait  plus  que  tous  les  autres 
réussi  à  plaire  à  Gudrun.  Il  se  retire  donc,  non  moins  froissé 
que  ses  prédécesseurs  et  décidé,  sitôt  qu'il  le  pourra,  à  se  ven- 
ger de  l'afiront  qu'il  a  subi. 

Cependant,  Hartmut  avait  reçu,  avec  une  douleur  facile  à  con- 
cevoir, la  réponse  que  lui  rapportaient  ses  messagers.  Toute  la 
famille  royale  de  Normandie  avait  profondément  ressenti  l'in- 
jure faite  à  leur  honneur  :  mais,  loin  de  décourager  Hartmut, 
ce  refus  n'avait  réussi  qu'à  surexciter  son  désir  et  il  avait  juré 
d'arriver,  quoi  qu'il  dût  lui  en  coûter,  à  posséder  (iudrun. 

Quelques  années  se  passent  :  un  jour  de  nobles  étrangers  ar- 
rivent cà  la  cour  d'Hegelingen  ;  ils  y  reçoivent  l'accueil  magni- 
fique et  empressé  qu'Hetel  réserve  à  tous  ses  hôtes,  connus  et 
inconnus.  Au  bout  de  quelques  jours,  Hartmut  (car  c'est  lui 
escorté  de  ses  vassaux)  est  mis  en  présence  de  (îudrun  et  peut 
se  convaincre,  par  lui-même,  qu'on  n'avait  rien  exagéré  en  lui 
vantant  la  beauté  incomparable  de  la  jeune  princesse.  Il  trouve 
moyen  de  lui  faire  savoir  qui  il  est  et  dans  quel  but  il  a  tenté 
cette  démarche  périlleuse.  Son  air  chevaleresque,  l'éclat  de  sa 
suite,  sa  constance,  la  hardiesse  même  de  sa  tentative,  tout  est 

1.  <;!'.  ci-dessus,  p.  '.)-IO,  les  paroles  (luo  leur  adi"t'ss<!  IliUic. 


—  ^9  — 

fait  pour  pro;luii'e  sur  (iudrun  une  profonde  et  favorable  im- 
pression. Mais  elle  n'ignore  pas  les  raisons  pour  lesquelles  ses 
parents  ont  une  première  fois  rejeté  les  propositions  d'Hartmut, 
elle  est  de  trop  noble  race  pour  déchoir,  et  sa  fierté  lui  interdit, 
en  dépit  de  toute  inclination,  de  songer  jamais  à  une  alliance 
avec  Hartmut.  Elle  le  fait  donc  prier,  pour  son  propre  repos, 
de  quitter  au  plus  vite  le  royaume  d'Hegelingen,  s'il  tient  à  sa 
vie  et  à  celle  de  ses  compagnons.  Déçu  une  seconde  fois  dans 
son  espoir,  Hartmut  abandonne  donc  le  pays  d'Hetel,  bien  dé- 
cidé à  n'y  revenir  qu'à  la  tête  d'une  armée  et  à  conquérir  Gu- 
drun  par  la  force  des  armes,  puisque  tout  moyen  d'obtenir  de 
bon  gré  sa  main  a  échoué.  A  peine  rentré  en  Normandie,  il  pré- 
pare donc  tout  pour  une  prochaine  expédition. 

Il  estdevancépar  fferwig,  qui,  à  la  tête  de  trois  mille  hommes,   12-  Avent. 
envahit  le  pays  d'Hegelingen  et,  un  b  'au  matin,  se  présente  sous 
les  murs  de  la  capitale  d'Hetel.  Un  violent  combat  s'engage; 
Hetel  et  Herwig  y  font  chacun  de  leur  côté  des  prodiges  de  va- 
leur et  se  trouvent  bientôt  face  à  face. 

«  Plus  d'une  fois,  le  vaillant  Herwig  fait  jaillir  des  casques 
»  une  gerbe  d'étincelles  ;  la  belle  Oudrun,  la  fille  du  roi,  le 
»  suit  des  yeux;  elle  ne  peut  en  détacher  ses  regards  ;  le  héros 
»  lui  paraissait  vaillant;  cela  lui  faisait  plaisir  et  peine  tout  à 
»  la  fois  (1)  ». 

Les  deux  guerriers  ne  tardent  pas  à  se  reconnaître  pour  des 
adversaires  dignes  l'un  de  l'autre  : 

«  Quand  le  roi  Hetel  s'aperçut  que  le  fier  Herwig  était  si 
»  merveilleusement  brave,  il  pensa  en  lui-même  tout  en  com- 
»  battant  :  ceux  qui  ne  m'ont  pas  souhaité  d'avoir  ce  héros  pour 
»  ami,  ceux-là  l'ont  bien  mal  connu;  aucun  bouclier  ne  résiste 
»  à  la  vigueur  de  ses  coups  (2)  ». 

i^lors  Gudrun,  qui,  du  haut  de  la  terrasse  du  palais,  a  suivi 
toutes  les  péripéties  de  la  lutte,  intervient  et  les  décide  à  con- 
clure une  trêve.  Herwig  paraît  à  la  cour,  suivi  d'une  nombreuse 
et  brillante  escorte.  Après  avoir  reçu  de  la  bouche  même  de 
Gudrun  l'aveu  de  son  amour,  il  s'adresse  à  Hetel,  qui,  ayant 
apprécié  sa  puissance  et  sa  valeur,  n'a  plus  d'objection  à  opposer 
à  l'union  des  deux  amants.  Les  tiançailles ont  lieu  sur-le-champ; 
mais,  sur  la  demande  d'Hilde,  on  convient  que  Gudrun  passera 
encore  un  an  à  la  cour  d'Hegelingen,  avant  que  le  mariage  ne 
soit  célébré. 

1.  Str.  644-. 
1.  Str.  04-8. 


—  30  — 

Siegfried  n'a  pas  plutôt  appris  les  fiançailles  de  Gudrun  et 
d'Herwig,  que,  poussé  par  le  dépit,  il  envahit  les  états  de  son 
heureux  rival  à  la  tête  de  quatre-vingt  mille  hommes.  Herwig 
résiste  avec  courage  ;  mais,  accablé  par  le  nombre,  il  est  con- 
traint de  se  retirer  dans  une  forteresse,  et,  pendant  que  l'en- 
nemi met  la  Séelande  à  feu  et  à  sang,  il  envoie  prévenir  Gudrun 
de  la  situation  critique  à  laquelle  il  se  trouve  réduit. 

(iudrun  n'a  pas  besoin  de  beaucoup  d'instances  pour  décider 
son  père  à  voler  au  secours  de  son  fiancé,  lletel  réunit  à  la  hâte 
ses  vassaux  et  débarque  quelques  jours  après  en  Séelande,  ac- 
compagné de  son  tils  Ortwin  et  suivi  de  Wate,  d'Horand,  de 
Frute  et  de  Morung.  Pendant  douze  jours  ce  n'est  qu'une  suite 
non  interrompue  de  combats;  enlln  les  troupes  combinées  d'He- 
tel  et  d'Herwig  mettent  l'armée  de  Siegfried  en  déroute  et  l'ac- 
culent dans  une  forteresse  au  bord  d'un  grand  tleuve,  où  ils 
l'assiègent. 

Aussitôt  Hetel  envoie  des  messagers  à  Matelàne,  sa  capitale, 
pour  faire  savoir  le  succès  de  leurs  armes,  mettre  tin  à  l'anxiété 
de  ceux  qui  sont  restés  au  pays  et  annoncer  un  prochain  retour. 

Mais  Ilartmut,  qui,  depuis  son  échec,  entretenait  toujours  des 
espions  dans  le  pays  d'IIegelingen,  a  été  averti  jour  pour  jour 
de  ce  qui  se  passait.  Instruit  des  fiançailles  de  (Judrun,  instruit 
de  l'absence  d'Hetel,  il  juge  l'occasion  propice  pour  mettre  à 
exécution  les  projets  de  vengeance  qu'il  nourrit  depuis  long- 
temps dans  son  cœur.  Gerlindeet  Ludwig  entrent  avec  empres- 
sement dans  ses  vues  et  les  deux  rois  apparaissent  subitement 
à  la  tête  d'une  nombreuse  armée  dans  le  pays  d'Hegelingen. 

La  capitale  d'Hetel,  privée  de  ses  meilleurs  défenseurs,  n'est 
pas  en  état  de  résister  aux  Normands.  Toutefois,  avant  d'en 
venir  à  la  violence,  Hartmut  essaie  d'une  dernière  tentative 
amicale.  î\  envoie  encore  une  fois  deux  de  ses  barons  à  la  cour 
d'Hegelingen,  avec  mission  d'assurer  Gudrun  de  la  constance 
de  son  amour  et  de  lui  demander  sa  main.  Il  serait  heureux  de 
la  voir  se  décider  de  bonne  grâce  à  la  lui  accorder  :  mais  il  est 
bien  résolu,  si  elle  persiste  dans  son  dédain,  à  user  de  la  force 
et  à  profiter  des  avantages  que  lui  offrent  les  circonstances. 

Quelque  désagréable  que  soit  leur  arrivée,  les  envoyés  d'Hart- 
mut  sont  reçus  â  Matelàne  avec  tous  les  égards  dus  à  de  nobles 
étrangers.  Introduits  devant  Hilde  et  Gudrun,  ils  exposent 
l'objet  de  leur  démarche.  Inutile  de  dire  la  réponse  de  Gudrun. 
Un  seul  mot  la  résume  :  elle  appartient  tout  entière  et  pour 
toujours  â  Herwig,  â  qui  elle  a  engagé  sa  foi. 


—  31  — 

A  peine  les  messagers  sont-ils  rentrés  au  camp  et  ont-ils  fait 
part  de  rinsuccès  de  leur  mission,  que,  sans  perdre  un  instant, 
Hartniut  et  Ludwig  font  avancer  leurs  troupes  et  investissent 
Matelâne. 

Entraînés  par  une  bravoure  inconsidérée,  les  défenseurs  de 
la  forteresse  font  uno  sortie  et  viennent  offrir  la  bataille  en  rase 
campagne  à  l'armée  innombrable  des  Normands.  Mais  ils  sont 
écrasés  par  la  supériorité  numérique  de  leurs  adversaires  et 
refoulés  dans  la  forteresse^  dont  ils  ne  parviennent  pas  à 
défendre  l'entrée.  Matelâne  est  pillée,  la  bannière  d'Hartmut 
flotte  sur  le  palais  d'Hetel,  et  Gudrun,  accompagnée  d'Hilde- 
bourg  et  de  soixante -deux  autres  jeunes  filles,  est  emmenée  en 
captivité  par  les  Normands,  qui  se  retirent  chargés  de  bu- 
tin. 

Hilde,  d'une  fenêtre  du  palais,  suit  leur  départ  d'an  œil  désolé, 
en  se  tordant  les  mains  dans  son  désespoir  impuissant.  Il  ne  lui 
reste  qu'à  faire  parvenir  au  plus  vite  à  Hetel  et  à  Herwig  la 
nouvelle  de  ces  tristes  événements  et  de  l'alïreux  malheur  qui 
les  frappe  tous  les  trois  dans  leurs  plus  chères  affections. 

Hetel  n'a  pas  plus  tôt  appris  ce  qui  s'est  passé,  qu'il  ras  16°  Avent. 
semble  les  chefs  de  l'armée  et  leur  fait  connaître  le  désastre  ar- 
rivé au  paysd'Hegelingen  :  un  cri  unanime  de  vengeance  s'élève 
de  toutes  parts.  Mais,  avant  de  se  mettre  à  la  poursuite  des 
Normands,  il  faut  en  finir  avec  les  Mores.  Wate,  toujours  fer- 
tile en  expédients,  a  bientôt  trouvé  le  moyen  de  les  amener  à 
composition.  Sur  son  conseil^  on  feint  de  préparer  tout  à  grand 
bruit  et  ostensiblement,  pour  livrer  le  lendemain  un  assaut  dé- 
cisif àla  forteresse  dans  laquelle  ils  se  sont  réfugiés.  Dès  l'aube, 
on  commence  même  l'attaque  avec  une  fureur  qui  leur  donne 
le  change  :  ils  sentent  bien  que  c'en  est  fait  d'eux  et  que  ce  jour 
verra  l'anéantissement  définitif  de  leur  armée. 

Or,  selon  ce  qui  avait  été  convenu  entre  les  chefs,  pendant 
qu'il  donnait  le  signal  de  la  lutte,  Hetel  faisait  proposer  une 
dernière  fois  à  Siegfried  de  conclure  la  paix,  alors  qu'il  en 
était  temps  encore.  Les  Mores  ont  prouvé,  par  leur  longue  et 
vaillante  résistance,  qu'ils  n'étaient  pas  moins  braves  que  leurs 
adversaires  ;  aussi  Hetel  est-il  prêt  à  tout  oublier,  et  l'attaque 
injuste  contre  Herwig  et  les  dévastations  commises  en  Séelande  : 
il  n'exige  qu'une  chose,  que  Siegfried  devienne  désormais  son 
allié  fidèle. 

Devant  une  proposition  aussi  honorable,  Siegfried,  qui  a 
pleine  conscience  de  la  situation  désespérée  de  son  armée,  n'hé- 


—  32  — 

site  pas  :  il  jure  un  attachement  inébranlable  aux  deux  rois  et 
la  lutte  prend  fin  sur-le-champ. 

Alors  Hetel  lui  fait  part  du  malheui'  arrivé  à  sa  famille  et  à 
son  royaume:  Siegfried  se  déclare  i)rêtà  le  suivre  et  à  l'assister 
dans  ses  projets  de  vengeance  contre  les  Normands.  Mais  les 
rois  confédérés  n'ont  pas  de  vaisseaux  pour  se  mettre  à  la  pour- 
suite de  Ludwig  et  d'Hartmut.  C'est  encore  Wate  qui  les  tire 
d'embarras.  Une  troupe  de  pèlerins  fait  justement  relâche  non 
loin  de  là,  on  s'empare  des  soixante-dix  vaisseaux  qui  les  ont 
amenés,  et,  sans  s'inquiéter  de  leurs  gémissements  et  de  leurs 
imprécations,  on  met  aussitôt  à  la  voile;  Hetel  devait  plus  tard 
chèrement  expier  ce  sacrilège. 

Cependant  les  Normands,  après  avoir  quitté  à  la  hâte  le  pays 
d'Hegelingen,  où  ils  craignaient  à  chaque  instant  de  voir  repa- 
raître Hetel,  regagnaient tramiuillement  la  Normandie,  heureux 
du  succès  de  leur  entreprise  et  se  félicitant  du  riche  butin  qu'ils 
avaient  enlevé.  Après  quelques  jours  de  navigation,  se  croyant 
désormais  hors  do  toute  atteinte,  ils  avaient  abordé  sur  une  île, 
le  Wûlpensand,  située  à  peu  de  distance  de  la  Normandie,  et 
ils  étaient  descendus  à  terre  pour  se  refaire  des  fatigues  de  la 
lutte  et  du  voyage  et  pour  se  préparer  à  rentrer  triomphale- 
ment à  Cassiâne,  capitale  du  royaume  de  Ludwig. 

Un  soir,  une  flotte  apparaît  tout  à  coup  à  l'horizon  ;  en  voyant 
la  croix  peinte  sur  les  voiles,  les  Normands  se  figurent  d'abord 
que  ce  sont  des  pèlerins;  mais  bientôt  les  vaisseaux  deviennent 
plus  visibles,  on  aperçoit  distinctement  ce  qui  s'y  passe  et  les 
Normands  reviennent  de  leur  erreur  :  le  tumulte  qui  régne  sur 
le  pont  des  navires,  les  casques  et  les  armes  qui  y  brillent  de 
toutes  parts  ne  leur  laissent  plus  de  doute  :  ce  sont  les  armées 
d'Hetel  et  d'Herwig. 

En  effet,  à  peine  arrivés  à  portée  de  la  côte,  les  Danois  et  leurs 
alliés  se  précipitent  sur  le  rivage  ;  Herwig  n'attend  même  pas 
que  l'on  ait  jeté  l'ancre  et  s'élance  dans  la  mer  pour  atteindre 
plus  vite  les  ravisseurs  de  sa  fiancée.  En  vain,  les  Normands 
disputent  le  terrain  pied  à  pied;  en  vain,  leurs  traits  volent 
serrés  comme  des  flocons  de  neige  et  teignent  la  mer  du  sang 
des  assaillants;  l'armée  tout  entière  aborde,  une  lutte  furieuse, 
implacable,  s'engage  et  ne  s'arrête  que  lorsque  l'obscurité  sépare 
les  combattants. 

Le  lendemain  matin,  Hetel  et  Ludwig  se  rencontrent  enfin  face 
à  face.  Après  maint  coup  d'éclat  accompli  de  part  et  d'autre, 
Hetel  est  mortellement  frappé  et  tombe  pour  ne  plus  se  relever. 


—  33  — 

A  cette  vue,  Gudrun,  captive  dans  le  camp  des  Normands, 
pousse  un  cri  lamentable  ;  de  leur  côté,  les  vassaux  d'Hetel  se 
précipitent  pour  le  venger  :  la  rage  de  Wate  ne  connaît  plus  de 
bornes;  le  carnage  redouble  et  dure  toute  la  journée.  Mais  la 
nuit  vient  surprendre  les  combattants  et,  à  mesure  qu'elle  de- 
vient plus  épaisse,  la  confusion  se  met  dans  les  rangs  de  l'armée 
d'Hegelingen  :  croyant  avoir  affaire  aux  Normands,  les  Danois 
et  leurs  alliés  s'attaquent  et  se  massacrent  les  uns  les  autres. 
Alors  Herwig  fait  cesser  le  combat,  sauf  à  le  reprendre  dès  que 
l'aurore  aura  paru. 

Mais,  pendant  la  nuit,  les  Normands,  effrayés  à  la  vue  des 
vides  causés  dans  leurs  rangs  par  cette  lutte  acharnée,  effrayés 
à  l'idée  de  se  retrouver  le  lendemain  en  face  d'adversaires 
rendus  encore  plus  furieux  et  plus  implacables  par  la  perte  de 
leur  roi  et  de  tant  de  leurs  compagnons,  s'embarquent  sans 
bruit  et  mettent  secrètement  à  la  voile.  Les  plus  terribles  me- 
naces imposent  silence  à  Gudrun  et  à  ses  suivantes  ;  et,  quand 
le  jour  paraît,  les  Hegelingen  et  leurs  alliés  ne  trouvent  plus 
personne  en  face  d'eux  :  Hartmut  et  Ludwig  ont  disparu  avec 
leurs  captives. 

Ortwin  veut,  sans  tarder,  s'élancer  de  nouveau  sur  leurs 
traces  ;  Wate  et  tous  les  autres  ne  demandent  qu'à  le  suivre. 
Seul,  Frute  fait  entendre  les  conseils  de  la  prudence  :  les  Nor- 
mands ont  déjà  une  avance  considérable,  ils  sont  sur  le  point 
d'atteindre  leur  pays  ;  à  peine  pourra-t-  on  les  rejoindre  avant 
leur  débarquement,  et  l'armée  des  rois  alliés  a  subi  des  pertes 
trop  considérables  pour  songer  à  attaquer,  le  cas  échéant, 
Ludwig  et  Hartmut  dans  leurs  propres  états.  On  se  résigne  donc 
à  attendre. 

Tout  d'abord  on  s'occupe  d'ensevelir  les  morts  :  on  rend  les 
derniers  devoirs  à  tous  sans  exception,  ennemis  aussi  bien 
qu'amis.  Toutefois,  on  enterre  séparément  les  chrétiens  et  les 
païens  :  une  place  à  part  est  également  réservée  aux  Normands. 
Puis,  à  la  mémoire  d'Hetel,  des  Danois  et  de  leurs  alliés  tombés 
sur  le  Wùlpensand  et  en  expiation  du  crime  commis  lorsqu'on 
a  ravi  aux  pèlerins  leurs  vaisseaux,  on  y  fonde  un  couvent  que 
l'on  dote  richement  et  dans  lequel  on  laisse  un  grand  nombre 
de  moines  avec  mission  de  prier  pour  les  morts  :  après  quoi  les 
princes  et  leurs  vassaux  reprennent  tristement  le  chemin  de 
Matelâne. 

11  s'agit  maintenant  d'apprendre  à  Hilde  la  funèbre  nouvelle   i")-  Avext 
de  la  mort  d'Hetel  et  de  la  défaite  de  ses  armées  ;  Wate  seul  ose 

Fégamp,  Gudrun.  3 


—  34  — 

se  charger  de  cette  pénible  et  délicate  mission.  Son  entrée  dans 
la  forteresse  fait  déjà  pressentir  tous  les  malheurs  qu'il  va  avoir 
à  raconter:  lui  d'ordinaire  si  bruyant  au  retour  d'une  expédi- 
tion, il  arrive  morne  et  silencieux.  Aussi,  avant  d'avoir  pu  l'in- 
terroger, Hilde  ne  soupçonne  déjà  que  trop  ce  qu'il  va  lui  ré- 
pondre. Wale  ne  peut  que  conlirmer  ses  tristes  pressentiments. 
Hetel  est  mort,  mort  aussi  l'honneur  d'Hegelingen  ;  Gudrun  est 
irrévocablement  perdue.  La  douleur  d'Hilde  ne  connaît  plus  de 
bornes. 

Avant  de  songer  à  rien  d'autre,  Wate  rappelle  qu'on  a  une 
lourde  faute  à  expier,  une  injustice  à  réparer.  On  rend  aux  pè- 
lerins leurs  vaisseaux  et  on  les  dédommage  abondamment  de 
tout  le  mal  qu'on  leur  a  causé. 

Puis,  les  chefs  se  réunissent  en  conseil  et  délibèrent  avec  Hilde 
sur  les  résolutions  que  commande  la  situation.  Tous  seraient 
prêts  à  recommencer  de  suite  la  guerre,  et  Hilde,  qui  a  l'honneur 
de  sa  race  à  venger,  mais  qui  aspire  par  dessus  tout  à  tirer 
sa  chère  Gudrun  de  la  captivité,  donnerait  volontiers  son  assen- 
timent à  ce  projet.  Néanmoins  Wate  et  Frute  s'y  opposent  :  la 
fleur  des  guerriers  d'IIegolingen  a  été  fauchée;  il  faut  attendre 
qu'une  nouvelle  génération  soit  en  état  de  porter  les  armes. 
L'expédition  vengeresse  et  libératrice  ne  doit  être  entreprise 
qu'avec  toutes  chances  de  succès.  On  est  bien  forcé  de  se  ren- 
dre à  leurs  raisons,  et  Hilde  se  résigne  à  attendre  le  moment 
désiré.  D'ici  là,  elle  fera  équiper  une  flotte  nombreuse  et  solide, 
et  la  pourvoira  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  une  armée.  Les 
choses  ainsi  convenues,  tous  prennent  congé  d'Hilde,  promettant 
de  s'assembler  au  premier  signal.  Avant  de  quitter  Matelâne, 
Siegfried  lui-même  demande  à  être  averti  de  l'époque  de  l'ex- 
pédition; il  ne  se  le  fera  pas  dire  deux  fois  et  accourra  se  join- 
dre à  ses  alliés.  iVprès  leur  départ  ;,  Hilde  envoie  de  riches 
offrandes  au  couvent  bâti  sur  le  Wiilpensand,  elle  y  fait  cons- 
truire une  église  et  un  hôpital. 
AvENT.  Entre  temps,  les  Normands  approchaient  de  leur  pays  :  quand, 
du  pont  de  son  navire,  Ludwig  aperçoit  ses  forteresses,  il  les 
montre  avec  orgueil  à  Gudrun  ;  il  veut  lui  faire  admirer  les  ri- 
ches et  vastes  plaines  sur  lesquelles  elle  est  appelée  à  régner  ; 
qu'elle  consente  à  donner  sa  main  à  Hartmut,  et  tout  cela  lui 
appartient. 

«  Alors  la  fille  d'Hilde  lui  répondit  :  «  Laissez-moi  en  re- 
pos ;  plutôt  que  d'aimer  Hartmut,  je  préférerais  être  morte  ;  il 
n'est  pas  d'une  race  qui  puisse  m'inspirer  de  l'amour;  oui,  j'aime 


—  35  — 

mieux  perdre  la  vie,  plutôt  que  d'avoir  jamais  de  l'amitié  pour 
lui  (1).  » 

Furieux  de  cette  réponse  hautaine,  le  vieux  roi  la  saisit  par 
les  cheveux  et  la  lance  à  la  mer  :  mais  Hartmut  s'y  jette  à  sa 
suite  et  la  ramène  saine  et  sauve,  non  sans  laisser  violemment 
éclater  l'indignation  que  lui  cause  la  brutaUté  de  son  père. 

Cependant,  avertie  par  des  messagers  qu'on  a  envoyés  en 
avant,  (ierlinde  est  accourue  sur  le  rivage  au-devant  des  héros, 
avec  sa  fille  Ortrun  et  toute  sa  suite.  Hartmut  débarque,  con- 
duisant Gudrun  par  la  main  ;  il  la  présente  d'abord  à  sa  sœur, 
la  belle  et  douce  Ortrun  ;  et  Gudiun,  heureuse, au  milieu  de  sa 
détresse,  de  rencontrer  un  visage  sympathique,  l'embrasse  ten- 
drement. Oerlinde  s'avance  et  veut  faire  de  même  ;  mais  au- 
tant Gudrun  s'est  sentie  instinctivement  attirée  vers  Ortrun, 
autant,  au  premier  aspect,  Gerlinde  lui  inspire  de  répulsion. 
Elle  la  repousse  d'un  air  farouche,  lui  reprochant  amèrement 
d'être  la  cause  de  son  malheur. 

Au  milieu  de  la  joie  universelle  causée  en  Normandie  par  le 
retour  de  la  flotte,  Gudrun  reste  morne  et  désolée  ;  tous  ceux 
qui  l'entourent  sont  pour  elle  un  objet  d'aversion  ;  Ortrun  est 
la  seule  vers  laquelle  elle  se  sente  portée. 

Hartmut  conduit  Gudrun  dans  une  de  ses  forteresses,  et  or- 
donne qu'on  la  traite  avec  tous  les  égards  dus  à  sa  future 
épouse.  Puis,  après  avoir  encore  une  fois  tenté  en  vain  de  la 
fléchir,  il  part  pour  une  expédition,  la  laissant  à  la  garde  de  sa 
mère  qui  se  fait  forte  de  lui  inspirer  d'autres  sentiments.  Ger- 
linde essaie  d'abord  d'employer  la  douceur  :  mais  en  vain; 
alors  elle  s'abandonne  à  ses  instincts  mauvais  et  la  maltraite 
d'une  façon  odieuse,  elle  la  sépare  de  ses  compagnes  et  la  con- 
damne aux  travaux  les  plus  humiliants.  Mais  rien  n'y  fait,  trois 
ans  et  demi  durant,  elle  l'opprime  sans  parvenir  à  la  dompter. 
Au  bout  de  ce  temps,  Hartmut,  que  plusieurs  expéditions  avaient 
retenu  loin  du  pays,  revient  et  il  est  tout  indigné  de  trouver  Gu- 
drun dans  un  tel  état;  mais  ses  recommandations  restent  lettre 
morte,  il  est  forcé  de  repartir,  et  Gerlinde  n'en  continue  pas 
moins  à  humilier  sa  captive  :  elle  l'oblige  à  balayer  les  cham- 
bres, à  entretenir  les  poêles,  et  cela  toujours  sans  plus  de  suc- 
cès :  Gudrun  reste  inébranlable. 

Son  exil  durait  depuis  neuf  ans,  lorsqu'Hartmut  reparait  en- 
core à  la  cour  et  fait  une  nouvelle  tentative;  repoussé  avec  non 

I.  sir.  939. 


—  36  — 

moins  d'énergie,  il  finit  par  s'irriter  de  cette  obstination  invinci- 
ble,etmenace  mêrae  (indrun  de  la  prendre  de  force;  mais,  avec 
une  noble  fierté,  lajeune  fille  le  défie  de  se  déshonorer  en  met- 
tant ses  menaces  à  exécution  :  elle  lui  rappelle  les  lois  de  la 
chevalerie,  qui  veulent  qu'homme  et  femme  ne  se  marient  que 
d'un  consentement  mutuel;  en  effet,  Hartmut  n'ose  passer  outre, 
et,  changeant  de  tactique,  il  ordonne  formellement  d'en  revenir  à 
l'emploi  de  la  douceur.  On  rend  à  (indrun  ses  vêtements  et  ses 
parures;  on  la  réunit  à  ses  compagnes  ;  puis,  Hartmut  décide 
Ortrun  à  s'interposer  :  seule  elle  a  su  inspirer  de  la  sympathie 
à  Gudrun,  seule  elle  peut,  par  ses  conseils,  entreprendre  de  la 
fléchir. 

Mais  les  bons  traitements  qui  succèdent  à  ces  longues  années 
de  souffrance,  les  soins  et  les  attentions  dont  on  l'entoure,  les 
représentations  amicales  d'Ortrun,  rien  ne  peut  modifier 
la  résolution  de  Gudrun  :  Hartmut  la  retrouve  aussi  inflexi- 
ble que  jamais.  Alors,  dans  son  dépit,  il  l'abandonne  défi- 
nitivement à  (ierlinde  et  la  persécution  reprond  avec  plus  de 
violence  :  comme  dernier  degré  d'abaissement,  la  vieille  reine 
la  condamne  <à  aller  tous  les  jours  laver  le  linge  au  bord  du  ri- 
vage. Hildebourg,  touchée  de  l'humiliation  à  laquelle  on  abaisse 
sa  jeune  maîtresse,  ne  peut  retenir  l'indignation  dont  son  cœur 
déborde,  et  (Tcrlindo  ayant  ironiquement  répondu  que,  si  elle 
prend  tant  de  part  aux  peines  de  (ludrun,  il  lui  est  loisible  de 
les  partager,  la  jeune  fille  accueille  avec  empressement  cette 
permission  :  cela  dure  encore  ainsi  cinq  ans  et  demi. 

Pendant  ces  longues  années,  Hilde  n'avait  pas  perdu  un  seul 
instant  de  vue  le  but  désormais  unique  de  sa  vie,  la  délivrance 
de  sa  fille.  Attendant  patiemment  que  la  jeunesse  du  pays  eût 
grandi,  elle  s'étuit,  dans  l'intervalle,  constamment  occupée  d'é- 
quiper la  flotte  et  de  préparer  tout  ce  qui  était  nécessaire  à  l'ex- 
pédition. Enfin  Fheuro  de  la  revanche  a  sonné,  elle  avertit  tout 
d'abord  Herwig  qui  arrive  sur-le-champ;  Horand,  Frute,  Wate 
ne  tardent  pas  aie  suivre.  Ortwin  n'a  pas  plutôt  reçu  la  nouvelle 
du  rassemblement,  qu'il  se  met  en  route  avec  ses  fidèles  guerriers. 
Avant  le  départ,  Hilde  place  sous  la  protection  des  chefs  de 
l'armée  ce  cher  fils,  qui  entre])rend  sa  première  campagne,  et 
l'on  met  à  la  voile  sous  le  commandement  d'Horand.  On  fait 
une  courte  halte  au  Wùlpensand,  pour  permettre  aux  fils  de 
ceux  qui  y  sont  tombés  d'aller  visiter  le  tombeau  de  leurs  pè- 
res; c'est  là  que  Siegfried  rejoint  l'expédition.  Mais,  à  leur  départ 
du  Wùlpensand,  les  confédérés  sont  saisis  par  des  vents  con- 


—  37  — 

traires  et  poussés  vers  la  montagne  aimantée,  dont  Wate  leur 
raconte  la  légende  (1).  Ils  y  sont  longtemps  retenus  par  un  calme 
désespérant;  enfin  un  bon  vent  du  nord  s'élève,  les  délivre  et 
les  amène  après  quelques  jours  de  navigation  en  vue  des  côtes 
d'Ormanie.  Ils  abordent  prèsd'une  montagne^  au  pied  de  laquelle 
s'étend  une  vaste  forêt,  dont  l'épaisseur  les  dérobera  aux  yeux 
de  leurs  ennemis  jusqu'au  moment  de  l'attaque. 

Aussitôt  qu'on  a  jeté  l'ancre,  on  débarque  les  armes  et  les  :23'' Avknt. 
chevaux  et  l'on  se  prépare  au  combat.  Mais,  avant  de  se  lancer 
à  l'assaut^  les  chefs  de  l'armée  jugent  prudent  de  faire  recon- 
naître le  terrain.  Ortwin  et  Herwig  s'offrent  à  aller  à  la  décou- 
verte et  se  mettent  en  route,  après  avoir  fait  jurer  à  leurs  amis 
de  les  délivrer,  s'ils  tombent  au  pouvoir  des  Normands,  de  les 
venger,  s'ils  périssent. 

On  était  arrivé  au  carême^,  et  le  printemps  ramenait  des  jours  24«  Aviixr. 
plus  doux:  une  après-midi,  tandis  que  Gudrun  et  Hildebourg 
s'acquittent  de  leur  tâche  pénible  sur  le  rivage,  un  ange,  envoyé 
de  Dieu,  leur  apparaît  sous  la  forme  d'un  oiseau  et  leur  annonce 
l'approche  de  leur  délivrance.  Après  avoir  donné  à  Gudrun  des 
nouvelles  de  sa  mère,  de  son  frère,  de  son  fiancé  et  de  tous  ses 
amis,  il  s'envole  en  lui  promettant  que  le  lendemain  matin  elle 
verra  arriver  deux  messagers.  Toutes  préoccupées  de  cette  heu- 
reuse nouvelle,  les  deux  jeunes  filles  sont  moins  attentives  à 
leur  ouvrage  ;  et,  le  soir  en  rentrant  au  palais,  elles  sont  dure- 
ment réprimandées  par  Gerlinde. 

Mais,  le  lendemain  matin,  par  un  de  ces  changements  si  fré- 
quents au  printemps,  il  était  tombé  de  la  neige;  Gudrun  envoie 
Hildebourg  prier  Gerlinde  de  leur  permettre  de  mettre  des  sou- 
liers pour  aller  au  rivage  ;  mais  la  vieille  reine  repousse  impi- 
toyablement leur  demande,  et  elles  partent  nu-pieds  pour  le 
bord  de  la  mer. 

A  peine  y  étaient-elles  arrivées,  qu'elles  voient  apparaître  20»  avent. 
une  barque  montée  par  deux  hommes;  elles  ne  doutent  pas  que 
ce  ne  soient  les  deux  messagers  annoncés  par  l'oiseau  ;  néan- 
moins, n'écoutant  que  sa  pudeur,  Gudrun,  honteuse  d'être  sur- 
prise dans  un  costume  aussi  misérable  et  dans  une  occupation 
aussi  humiliante,  entraîne  Hildebourg  et  s'enfuit.  Mais  les  deux 
inconnus  les  menacent,  si  elles  ne  reviennent,  de  s'emparer  des 
riches  habits  qu'elles  lavent  :  en  même  temps  ils  les  rassurent  et 
leur  adressent  de  bonnes  paroles  ;  les  deux  jeunes  filles  se  déci- 

1.  Pour  plus  de  détails  sur  cet  épisode,  cf.  ci-après,  Livre  II,  chap.  iv. 


—  38  — 

dent  donc  à  retourner  sur  leurs  pas.  Alors  les  deux  héros  com- 
mencent par  s'informer  des  maîtres  du  pays;  puis,  voyant  les 
jeunes  filles  grelotter  sous  les  haillons  qui  les  couvrent  à  peine, 
ils  leur  offrent  leurs  manteaux.  Mais  Gudrun  repousse  cette  of- 
fre. Ils  demandent  ensuite  aux  belles  laveuses  si  elles  n'ont  pas 
entendu  parler  d'une  certaine  Gudrun,  qu'Hartniut  aurait  enlevée 
autrefois  dans  une  expédition  et  ramenée  captive  en  Normandie. 
Sur  leur  réponse  affirmative,  Herwig  fait  remarquera  Ortwin, 
combien  l'une  des  jeunes  filles  ressomble  à  Gudrum. 

A  ce  nom  d'Ortwin,  Gudrun  a  reconnu  ses  libérateurs;  vou- 
lant éprouver  la  fidélité  d'Herwig,  elle  se  fait  passer  pour  une 
des  compagnes  de  Gudrun,  enlevée  avec  elle  parles  Normands, 
et  raconte  que  Gudrun  est  morte.  Cette  nouvelle  inopinée  frappe 
les  deux  héros  au  cœur  et  leurs  yeux  se  remplissent  de  lar- 
mes. A  cette  vue,  elle  leur  demande  s'ils  ont  connu  cette  (iu- 
drun  dont  la  mort  les  impressionne  si  fort.  Alors  Herwig  mon- 
tre son  anneau:  il  était  le  fiancé  de  celle  dont  il  vient  d'appren- 
dre la  fin  malheureuse.  En  reconnaissant  ce  signe,  qui  lui  rap- 
pelle un  passé  si  cher,  Gudrun  cesse  de  feindre  et  montre  à  son 
tour  l'anneau  qu'Herwig  Ini  donna  autrefois:  la  reconnaissance 
s'achève  au  milieu  d'embrassements  réciproques. 

Cependant  Orlwin,  avec  une  brutalité  quelque  peu  déplacée, 
émet  le  doute  que  Gudrun  soit  restée  si  longtemps  fidèle  à  son 
fiancé  :  elle  a  dû,  de  gré  ou  de  force,  devenir  la  femme  d'Hart- 
mut.  A  cette  insinuation,  la  fierté  de  Gudrun  se  révolte  et,  d'une 
voix  entrecoupée  de  sanglots,  elle  fait  le  récit  des  souffrances 
qu'elle  a  eu  à  endurer,  et  raconte  aux  héros  la  cause  de  l'état 
humiliant  auquel  ils  la  trouvent  réduite:  c'est  précisément  pour 
punir  sa  constance  inébranlable  qu'on  l'a  condamnée  à  ces  vils 
travaux. 

En  entendant  cela,  Herwig  ne  peut  se  contenir  plus  longtemps, 
il  presse  Ortwin  de  partir  et  d'emmener  les  deux  jeunes  filles. 
Mais  Ortwin  s'y  oppose  ;  d'abord,  cela  serait  contraire  aux  lois 
de  l'honneur  chevaleresque;  il  serait  indigne  de  lui  de  dérober 
lâcheme.it  celles  qu'on  a  loyalement  enlevées  par  la  force,  les 
armes  à  la  main;  puis,  il  faut  songer  aux  autres  suivantes  de 
(îudrun  dont  le  sort  serait  compromis  par  sa  fuite. 

Ces  paroles,  dont  Gudrun  comprend  toute  la  justesse,  ne  lais- 
sent pas  que  de  retentir  douloureusement  au  fond  de  son  cœur. 
Mais  Herwig  lui  apprend  que  toute  l'armée  est  dans  le  voisi- 
nage. L'aurore  du  jour  suivant  verra  la  prise  de  Cassiâne  et  la 
délivrance  des  captives  ;  sur  cette  assurance,  on  se  sépare  et 


—  39  — 

les  deux  héros  rejoignent  à  la  hâte  le  camp  des  Hegelingen  :  un 
plus  long  séjour  sur  le  rivage  pourrait  dévoiler  leur  présence 
aux  Normands. 

Gudrun  suit  d'un  œil  inquiet  la  barque  qui  emporte  ses  libé- 
rateurs :  rappelée  à  son  travail  par  Hildebourg,  elle  refuse  de 
s'abaisser  désormais  à  ces  viles  occupations  et,  dans  un  élan 
d'orgueil,  lance  à  la  mer  le  linge  qu'elle  devait  laver. 

A  leur  retour  au  palais,  Gerlinde  les  réprimande  durement 
sur  le  peu  d'activité  qu'elles  ont  déployé  dans  leur  travail  ;  elle 
réclame  les  vêtements  précieux  qu'elle  avait  remis  à  Gudrun, 
et,  sur  la  réponse  de  celle-ci,  qui  déclare  qu'elle  les  a  trouvés 
trop  lourds  et  les  a  abandonnés  sur  le  rivage,  elle  s'apprête  à  la 
faire  fustiger  en  punition  de  sa  négligence. 

A  la  pensée  de  subir  ce  traitement  indigne,  la  fierté  de  Gu- 
drun se  révolte  :  elle  défie  Gerlinde  d'abaisser  à  ce  point  celle 
qui  est  destinée  prochainement  à  réégner  sur  la  Normandie  et  menace 
de  faire  cruellement  expier  leur  audace  à  ceux  qui  oseraient  la 
toucher.  Gerlinde,  toujours  à  l'affût  du  moment  où  Gudrun  flé- 
chira dans  sa  résistance,  prend  ces  paroles  pour  un  commence- 
ment de  conversion  et  Gudrun  n'a  garde  de  la  tirer  d'erreur  : 
elle  se  déclare  prête  à  se  conformer  aux  désirs  d'Hartmut.  On 
envoie  chercher  le  jeune  héros  qui  arrive  aussi  heureux  que 
surpris. 

Alors  tout  change  :  on  rend  à  Gudrun  son  escorte  ;  on  l'en- 
toure de  soins  et  d'attentions  ;  toutes  sont  conduites  au  bain  et 
somptueusement  parées.  Par  une  nouvelle  ruse,  Gudrun  con- 
seille à  Hartmut  d'envoyer  de  toutes  parts  et  sur-le-champ  des 
messagers  à  ses  vassaux  pour  les  inviter  «  aux  fêtes  qui  vont 
être  célébrées.  »  Plein  d'illusion,  Hartmut  y  consent  volontiers, 
et  il  expédie  de  suite  la  fleur  de  ses  chevaliers  dans  toutes  les 
directions,  ce  qui,  dans  la  pensée  de  Gudrun,  doit  affaiblir  d'au- 
tant la  force  de  résistance  des  Normands  pour  l'attaque  du  len- 
demain. 

Cette  métamorphose  subite  surprend  les  compagnes  de  Gu- 
drun :  convaincues  que  leur  jeune  maîtresse  a  définitivement 
succombé  aux  longs  tourments  dont  on  l'a  accablée,  elles  s'aban- 
donnent à  la  douleur.  Mais,  rentrée  dans  ses  appartements  et 
restée  seule  avec  elles,  Gudrun  leur  dévoile  l'heureuse  nou- 
velle et  rit  à  haute  voix  avec  elles  de  l'erreur  des  Normands. 

Ce  rire  est  rapporté  à  (ierlinde,qui  commence  àconcevoirdes 
doutes  sur  ce  brusque  revirement,  mais  qui  ne  parvient  pas  à 
faire  p;ii*tager  son  inquiétude  à  Hartmut. 


—  40  — 

Lfi  nuit  est  avancée  et  chacun  ne  songe  plus  qu'à  se  livrer  au 
repos.  Ouant  à  (iudrun,  avant  de  se  mettre  au  lit,  elle  promet 
une  riclie  récompense  à  cell*'  de  ses  suivantes  qui  lui  annoncera 
le  lever  de  l'aurore  :  elle  veut  être  debout  avec  le  jour  pour  voir 
apparaître  l'année  d'Hegelingen. 
AvENT.  En  quittant  G udrun  et  Hildebourg,  Ortwinet  Herwig  avaient 
regagné  le  camp  :  ils  font  part  aux  chefs  de  l'armée  du  résultat 
de  leur  reconnaissance,  et  l'on  tient  conseil  sur  ce  qu'il  y  a  à 
entreprendre.  Conformément  à  l'avis  de  Wate,  on  profite  du 
beau  temps  et  de  la  clarté  do  la  lune  pour  faire  voile  sur-le- 
champ  et,  avant  le  lever  de  l'aurore,  toute  la  flotte  des  princes 
alliés  est  déjà  à  l'ancre  devant  la  forteresse  de  Ludwig  :  silen- 
cieusement l'armée  débarque  et  se  range  en  ordre  de  bataille. 

A  peine  le  premier  rayon  du  jour  perce-t-il  à  travers  les  fenê- 
tres du  palais^  qu'une  suivante  de  (îudrun  aperçoit  les  guerriers 
rangés  au  pied  des  murs,  et  court  faire  part  de  sa  découverte  à 
(  iudrun.  Du  haut  de  la  tour,  le  veilleur  les  a  également  aper- 
çus :  il  donne  l'alarme  ;  Ludwig  se  précipite  au  balcon  de  ses 
appartements  et,  prenant  la  troupe  qui  s'étale  dans  la  plaine 
pour  des  pèlerins,  il  fait  appeler  Hartmut. 
ÂvENT.  Mais  celui-ci  n'a  pas  plutôt  rejoint  Ludwig  sur  la  terrasse, 
qu'il  reconnaît,  au  milieu  des  rangs  de  ces  prétendus  jiélerins, 
l'étendard  d'Hegelingen  :  plus  de  doute,  ce  sont  leurs  ennemis 
qui  viennent  tirer  vengeance  de  l'échec  subi  naguère  et  de  la 
honte  infligée  à  leurs  armes.  Passant  en  revue  les  troupes  éche- 
lonnées sous  les  murs,  il  montre  à  son  père  les  guerriers  de 
Wate,  les  Sarrasins  de  Siegfried,  les  Danois  d'Horand  et  d'Ort- 
win,  les  Séelandais  d'Herwig,  et  lui  nomme  successivement  tous 
leurs  autres  alliés.  Puis,  il  donne  des  ordres  pour  préparer  une 
vigoureuse  sortie  contre  les  assaillants. 

Gerlinde  intervient  :  il  lui  sembleiait  i)lus  prudent  et  plus 
sûr  d'attendre  l'ennemi  derrière  les  remparts  et  de  soutenir  un 
siège  pour  lequel  on  a  toutes  les  ressources  nécessaires.  Mais 
Hartmut  repousse  loin  de  lui  une  telle  suggestion,  comme  in- 
digne de  son  honneur;  il  entraîne  son  père,  et  tous  deux,  se  met- 
tant à  la  tête  des  Normands,  s'élancent  hors  de  la  forteresse.  Un 
combat  acharné  s'engage.  Gudrun  en  suit  les  péripéties  du  haut 
de  la  terrasse  du  palais. 

En  apercevant  Hartmut,  Ortwin  se  jette  furieux  à  sa  rencon- 
tre ;  mais  il  est  encore  trop  jeune  pour  soutenir  la  lutte  contre  un 
tel  adversaire;  il  est  blessé  et  ne  doit  son  salut  qu'à  l'interven- 
tion d'Horand.  Celui-ci,  du  reste,  n'est  pas  plus  heureux  et  il  est 


—  41  -^ 

également  atteint  par  Hartmut.  Rien  ne  résiste  aux  Normands. 
Herwig  lui-même,  ((ui  s'est  attaqué  à  Ludwig,^  reçoit  un  coup 
d'épée  qui  le  renverse  ;  et  c'en  serait  fait  de  lui,  si  ses  vassaux 
ne  le  dérobaient  à  son  adversaire  et  ne  l'emportaient  à  l'écart. 

Cependant,  il  ne  tarde  pas  cà  reprendre  ses  sens  et  rougit  de  sa  '^S'  Atent. 
défaite;  quelle  honte  pour  lui,  si,  des  fenêtres  du  palais,  (iudrun 
a  été  témoin  de  sa  retraite  humiliante!  Aussi,  à  peine  remis  de 
sa  chute,  il  rentre  dans  la  mêlée  et  se  retrouve  bientôt  en  face 
de  Ludwig.  Le  combat  reprend  avec  plus  de  fureur  que  jamais 
et  se  termine  rapidement  par  la  mort  do  Ludwig,  à  qui  Herwig 
emporte  la  tête  d'un  coup  de  sa  redoutable  épée. 

En  apprenant  cet  échec  fatal,  Hartmut  reconnaît  trop  tard  la 
justesse  des  conseils  de  (îerlinde,  il  veut  se  replier  avec  ses 
troupes,  mais  il  n'est  plus  temps  ;  on  s'est  avancé  trop  loin, 
Wate  lui  barre  le  passage  et  une  nouvelle  lutte  s'engage  entre 
les  deux  héros. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  de  Ludwig,  (irerlinde  éclate  en  plain- 
tes et  en  imprécations  :  brûlant  du  désir  de  se  venger  à  tout 
prix,  elle  donne  l'ordre  de  massacrer  Gudrun  et  sa  suite. 

Aux  cris  des  jeunes  filles,  Hartmut  devine  ce  qui  se  passe, 
et  fait  fuir  l'assassin  envoyé  par  Gerlinde,  en  le  menaçant  du 
gibet,  s'il  touche  à  Gudrun  et  à  ses  compagnes.  Au  même  ins- 
tant, Ortrun  se  précipite  en  pleurs  aux  pieds  de  Gudrun  :  elle  a 
déjà  perdu  son  père,  Hartmut  ne  résiste  plus  qu'avec  peine  aux 
attaques  incessantes  de  Wate  ;  qu'au  moins  Gudrun  lui  conserve 
son  frère  et  l'arrache  aux  étreintes  du  terrible  Wate. 

Gudrun  s'avance  donc  sur  le  bord  de  la  terrasse  et  appelle  à 
grands  cris  l'un  des  chefs  danois  :  Herwig  se  présente  et  ne  l'a 
pas  plutôt  reconnue,  qu'il  s'empresse  d'acquiescer  à  sa  demande. 
Mais  Wate  n'est  pas  homme  à  lâcher  ainsi  sa  proie  ;  irrité  de 
l'intervention  de  cet  importun,  qui  cherche  à  le  séparer  de  son 
adversaire,  et,  dans  son  aveugle  colère,  ne  reconnaissant  pas 
Herwig,  il  le  renverse  d'un  formidable  coup  d'épée  et  fait  Hart- 
mut prisonnier. 

Désormais  rien  ne  l'arrête  plus  ;  après  avoir  confié  le  héros  29"  Avent. 
normand  à  ses  vassaux  qui  l'emmènent  sur  l'un  des  navires, 
Wate,  se  mettant  à  la  tête  des  Hegelingen,  force  l'entrée  de  la 
forteresse  et  prend  le  palais  d'assaut.  Sa  rage  ne  connaît  plus 
de  bornes:  partout  où  il  passe,  on  pille  et  on  massacre,  sans 
même  épargner  les  enfants  au  berceau.  Ortrun,  etfrayée  de  ce 
carnage,  a  cherché  avec  ses  suivantes  asile  auprès  de  Gudrun; 
Gerlinde  aussi  vient  se  mettre  sous  sa  protection.  Malgré  son 


—  42  — 

juste  ressentiment,  Gudrun  ne  la  repousse  pas;  elle  fait  preuve 
de  la  même  bonté  envers  l'infidèle  Hergard,  qui^  sur  ce  sol 
étranger^  avait  noué  des  relations  coupables  avec  l'échanson  du 
roi  de  Normandie.  Mais  Gerlinde  est  trahie  par  une  de  ses  sui- 
vantes et  tombe  sous  la  main  du  terrible  Wate.  En  vain  Gudrun 
s'interpose  en  faveur  de  celle  dont  elle  n'a  éprouvé  que  des  hu- 
miliations ;  AVate  repousse  brutalement  sa  jeune  maîtresse,  en- 
traîne Gerlinde  et  lui  coupe  la  tête  ainsi  qu'à  Hergard. 

Enfin,  las  de  carnage,  les  héros  vainqueurs  se  rassemblent  au- 
près de  Gudrun.  On  tient  conseil  et  l'ondècide  qu'une  partie  de 
l'armée  restera  dans  la  forteresse  avec  Gudrun,  sa  suite  et  les 
prisonniers,  tandis  que  l'autre  fera  une  incursion  dans  l'inté- 
rieur de  la  Normandie,  llorand  demeure  donc  à  la  garde  de 
Cassiàne^  pendant  que  le  reste  des  troupes  confédérées  envahit 
ie  pays,  met  tout  à  feu  et  à  sang  et  pille  tout  sur  son  passage. 

Au  retour,  on  charge  le  butin  sur  les  navires,  Gudrun  s'em- 
barque avec  Ortrun,  leurs  suivantes,  Hartmut  elles  prisonniers, 
et  l'on  repart  pour  Matelâne,  laissant  la  Normandie  à  la  garde 
d'Horand  et  de  Morung. 

Prévenue  de  leur  arrivée,  Hilde  accourt  pleine  de  joie  au  de- 
vant d'eux.  On  lui  présente  sa  fille  qu'elle  reconnaît  à  peine 
après  une  si  longue  séparation  ;  elle  l'embrasse  tendrement,  et 
salue  ensuite  avec  enthousiasme  tous  les  héros  vainqueurs  : 
Wate,  Ortwin,  Herwig,  etc....  Sur  les  instances  de  Gudrun,  elle 
se  décide,  bien  qu'avec  peine,  à  recevoir  amicalement  Ortrun, 
puis  vient  le  tour  d'Hildebourg. 

Durant  cinq  jours,  on  se  repose  au  milieu  des  réjouissances 
et  des  fêtes.  (4udrun,  dont  la  générosité  éclate  en  toute  circons- 
tance, intercède  si  bien  auprès  de  sa  mère,  qu'Hilde  finit  par 
pardonner  même  à  Hartmut;  sur  sa  promesse  de  ne  pas  cher- 
cher à  s'enfuir,  il  est  mis  en  liberté  avec  les  siens. 

Cependant,  Herwig  brûle  du  désir  de  revoir  ses  états;  après 
une  si  longue  absence,  il  lui  tarde  de  rentrer  dans  son  royaume. 
Néanmoins,  il  reste  encore  quelque  temps  à  INIatelâne  pour  y  cé- 
lébrer son  mariage  avec  Gudrun.  Ici  se  manifeste  une  fois  de 
plus  la  noblesse  des  sentiments  qui  animent  Gudrun  ;  son  frère 
Ortwin  est  aussi  en  âge  de  se  marier  :  telle  est  la  force  de  per- 
suasion de  la  jeune  princesse,  qu'elle  amène  son  frère  et  sa  mère 
à  choisir  Ortrun  comme  épouse  pour  le  jeune  roi.  De  même,  elle 
offre  à  Hartmut  la  main  d'Hildebourg  qu'il  accepte  avec  em- 
pressement. Reste  Siegfried,  on  convient  de  lui  donner  pour 
femme  la  sœur  d'Herwig;  Wate  et  Frute  vont  la  chercher  en 


—  43  — 

Séelaiide  et  la  ramènent  à  Matelâne,  où  cette  dernière  union 
est  aussi  consommée  sur-le-champ. 

De  grandes  fêtes,  de  brillants  tournois  ont  lieu  à  cette  occa-  SU'  avkxt. 
sion  dans  la  capitale  d'Hegelingen.  Les  princes  rivalisent  de 
bravoure^  de  générosité  et  de  magnificence.  Enfin,  les  réjouis- 
sances teriuinées,  Hartmut  quitte  Matelâne  avec  sa  nouvelle 
épouse  et  reprend  le  chemin  de  la  Norm  indie,  dont  Hilde  a  con- 
senti à  lui  rendre  l'apanage.  Horand  retourne  alors  en  Dane- 
mark. 

Siegfried  aussi  prend  congé  de  ses  alliés  et  repart  pour  le  32«  Aven-t. 
Morland  avec  la  sœur  d'Herwig.  Enfin  Ortwin  et  Hervvig  font 
leurs  adieux  à  Hilde,  à  laquelle  Gudrun  promet  d'envoyer  trois 
fois  par  an  des  messagers,  et  se  séparent,  après  avoir  conclu 
une  alliance  off"ensive  et  défensive  et  s'être  juré  de  rester  tou- 
jours unis. 


LIVRE  PREMIER 


RECHERCHES  SUR  L'ORIGINE  ET  LA  COMPOSITION 
DU  POÈME. 


CHAPITRE  I 

SÉPARATION    DES   TROIS    PARTIES;    LA    PREMIÈRE    EST   APOCRYPHE. 

Gomme  oti  le  voit  par  l'analyse  qui  précède,  notre  poème  se 
compose  en  réalité  de  trois  parties  distinctes,  qui  ne  sont  unies 
l'une  à  l'autre  par  aucun  lien  intime. 

Dans  les  quatre  premières  Aventures,  il  n'est  question  que 
d'Hagen,  fils  de  Sigeband,  de  ses  destinées  merveilleuses,  de 
son  enlèvement  par  le  griffon,  de  son  retour  miraculeux  et  de 
son  mariage  avec  Hilde  des  Indes,  la  jeune  princesse  arrachée 
par  lui  à  la  mort  imminente  dont  il  était  lui-même  menacé. 

Dans  la  seconde  partie  (Aventures  5  à  8),  nous  voyons  se  dé- 
rouler l'histoire  de  la  fille  d'Hagen  et  d'Hilde  des  Indes.  Appe- 
lée Ililde  comme  sa  mère,  elle  est,  dès  l'âge  de  douze  ans,  d'une 
beauté  tellement  irrésistible,  que  tous  les  princes  de  l'univers 
se  disputent  sa  main.  Elle  se  laisse  enlever  par  les  émissaires 
d'Hetel,  roid'Hegelingen;  et,  après  un  combat  acharné  entre  ses 
ravisseurs  et  son  père,  qui  s'est  mis  à  leur  poursuite,  on  fait  la 
paix  et  la  querelle  se  termine  par  un  mariage. 

C'est  seulement  dans  la  troisième  partie  que  nous  voyons  ap- 
paraître l'héroïne  véritable  du  poème.  Fille  d'Hetel  et  d'Hilde  II, 
Gudrun,  dont  la  beauté  éclipse  celle  de  sa  mère  elle-même,  est 
fiancée  à  Herwig,  roi  de  Danemark;  mais  elle  est  enlevée,  avant 
le  mariage,  par  Hartmut,  roi  des  Normands,  qui  lui  aussi  avait 
brigué  sa  main,  et  dont  les  démarches  avaient  échoué.  Après 
une  longue  et  douloureuse  captivité,  elle  est  délivrée  par 
les  siens  et  finit  par  épouser  son  fiancé  Herwig,  non  sans  avoir 
amené  une  réconciliation  générale  entre  tous  les  peuples,  qui 
avaient  pris  part  à  cette  grande  lutte. 

On  le  voit,  chacune  de  ces  parties  forme  à  elle  seule  un  tout 
complet  ;  elle  est  animée  d'un  esprit  particulier  et  a  en  elle- 
même  sa  raison  d'être,  indépendamment  des  faits  qui  peuvent 


—  46  — 

précéder  ou  suivre.  Les  aventures  d'Hilde  II,  par  exemple,  n'of- 
friraient pas  un  tableau  moins  complet,  si  on  les  détachait  du 
cadre  dans  lequel  le  poète  nous  les  offre. 

C'est  qu'en  effet  nous  touchons  ici  du  doigt  l'un  des  princi- 
paux défauts  de  presque  tous  les  grands  poèmes,  que  nous  a 
légués  le  moyen  âge  allemand.  Comme  le  dit  très  bien  M.  Bos- 
sert  (-1),  «  la  formation  épique,  dans  les  poomos  du  moyen  âge, 
»  est  incomplète;  c'est  un développementqui  n'est pointarrivé  ;i 
»  terme.  Nous  sommes  en  présence  de  fragments  d'épopée,  réu- 
»  nis  par  l'analogie  des  sujets,  plutôt  que  d'épopées  véritables.  » 

Ce  n'est  point  à  dire  pourtant  qu'on  doive  faire  à  notre  auteur 
un  reproche  individuel  de  ce  manque  d'unité,  qu'il  nous  faut 
bien  constater  dans  son  œuvre.  Il  était  de  son  temps,  il  en  a 
suivi  les  errements  et  a  tout  simplement  composé  son  poème 
sur  le  modèle  des  productions  on  vogue. 

On  avait  tiré  de  chaque  héros  tout  ce  que  sa  légende  j)Ouvait 
fournir  ;  il  fallait  du  nouveau  pour  continuer  de  charmer  et  de 
retenir  les  auditeurs  ;  abandonner  ces  figures  consacrées  par  la 
tradition  et  le  succès  était  dangereux;  il  y  fallait  bien  de  l'ima- 
gination et,  sorti  du  cercle  habituel  de  .ses  chants,  le  poète  eût 
bientôt  vu  sa  veine  se  tarir. 

On  se  mit  donc,  pour  ainsi  dire,  à  glaner  autour  des  grands 
noms  de  la  légende  héroïque,  à  raconter  leurs  enfances  dans  nos 
poèmes  du  moyen  âge,  à  leur  créer  des  généalogies  dans  ceux 
de  l'Allemagne, 

Sitôt  qu'un  héros  est  devenu  célèbre  dans  la  légende  ou  dans 
la  poésie,  on  lui  cherche  des  ancêtres.,  on  s'occupe  de  lui  dres- 
ser un  arbre  généalogique.  Se  rencontre-t-il  une  légende  qui 
offre  quelque  analogie  avec  le  récit  principal? on  la  soude  sans 
hésiter  à  l'histoire  du  héros  ;  quand  il  ne  s'en  trouve  pas,  on 
en  forge  de  toutes  pièces,  et,  pour  garnir  les  branches  du  nou- 
vel arbre  généalogique,  on  emprunte  de  ci  et  de  là  des  noms 
plus  ou  moins  fameux  déjà.  Mais  jamais  un  poète  du  moyen 
âge  n'entreprend  de  raconter  les  aventures  d'un  héros,  avant 
de  nous  avoir  fait  connaître,  au  moins  en  résumé,  les  destinées 
de  ses  parents  (2). 


1.  A.  Bossert,  La  Littérature  allemande  au  mot/en  rf^e  (Paris,  Hachette, 
\SH,  in-8o),  p.  119. 

2.  Cf.,  pour  l'applicalion  de  ce  procédé  dans  la  littérature  française 
du  moyen  âge,  P.  Mcycr,  Bibl  de  l'Ecole  des  Chartes,  T.  28  (1867), 
p.  42,  et  G.  Paris,  Histoire  poétique  de  Charlemagne,  Livre  T,  chap.  iv. 


I 


—  47  — 

Nous  pourrions  ciler,  comme  un  des  exemples  les  plus  frap- 
pants de  cette  tendance,  la  légende  du  Saint-Graal.  Dans  le 
Grand  Saint-Graal,  par  exemple,  tous  les  gardiens  du  Graal  ont 
leur  arbre  généalogique  qui  les  fait  dûment  et  authentiquement 
descendre  de  Joseph  d'Ârimathie  ou  de  ses  compagnons.  Mais, 
pour  rester  dans  le  domaine  de  la  littérature  allemande,  que  fait 
Wolfram  d'Eschenbach,  avant  de  retracer  les  épreuves  multiples 
de  Parcival?  Il  nous  entretient  tout  au  long  de  son  père  Ga- 
muretet  de  sa  mère  Herzéloïde.  De  même,  ouvrons  G otfried  de 
Strasbourg  :  ce  n'est  qu'après  avoir  assisté  aux  aventures  de 
Rivalin  ot  de  Blanchefleur,  que  nous  arrivons  à  celles  de  Tris- 
tan. On  pourrait  multiplier  les  exemples  ;  ceux-ci  nous  semblent 
suffisants. 

Le  procédé  employé  est  le  même  dans  tous  ces  poèmes  ;  la 
ressemblance  est  frappante  jusque  dans  le  sans-gêne  avec 
lequel  l'auteur,  une  fois  son  introduction  achevée,  se  débarrasse 
de  personnages  devenus  superflus.  Le  père  de  Parcival  est 
mort  peu  avant  sa  naissance  ;  le  jour  où  le  jeune  héros  part  à 
son  tour  pour  chercher  aventures,  sa  mère  meurt  de  chagrin. 
De  même,  à  la  nouvelle  que  Rivalin  vient  de  périr  dans  une  ba- 
taille, Blanchefleur  s'affaisse  muette  de  douleur  ;  quatre  jours 
durant,  elle  reste  étendue  sans  mouvement;  au  bout  de  ce  temps 
elle  expire  en  donnant  le  jour  à  Tristan. 

Il  n'en  va  pas  autrement  dans  notre  poème.  Du  moment  où 
Hilde  II  est  mariée  à  Hetel,  où,  par  conséquent,  la  cour  de  ce 
dernier  va  devenir  le  point  central  autour  duquel  gravitera  la 
nouvelle  action,  Hagen  fait  ses  adieux  ;  il  disparaît  et  on  n'en- 
tend plus  parler  de  lui  ;  en  même  temps  s'évanouit  toute  la  pré- 
tendue généalogie  de  Gudrun.  Désormais,  il  ne  sera  plus  ques- 
tion ni  de  Sigeband,  ni  d'Ute,  ni  de  leurs  ancêtres,  ni  de  la  cour 
d'Irlande.  Antérieurement  déjà  la  troisième  des  jeunes  princesses 
sauvées  par  Hagen,  la  fille  du  roi  d'Iserland,  avait  disparu  avec 
la  même  soudaineté.  Remarquée  par  le  roi  de  Norvvège  pendant 
les  fêtes  données  à  l'occasion  du  mariage  d'Hilde  et  d'Hagen, 
elle  l'épouse  sur-le  champ  et  prend  avec  lui  le  chemin  du  Nord, 
sans  qu'il  en  soit  plus  jamais  question  (i). 

l.  Dans  les  Sagas  islandaises  le  conteur  agit  encore  plus  simplement 
et  plus  franchement  :  dès  qu'un  héros  est  devenu  inutile  à  l'action,  il 
s'en  débarrasse  par  cette  courte  mention  :  celui-ci  est  désormais  hors 
de  la  Saga.  Cf.  X.  Marmier,  Lettres  sur  llslande  [éd.  de  Bruxelles,  1837, 
in-16),  p.  2o9.  — Scherer,  Geschichte  der  deutschen  Litteratur,  p.  70,  cite 
un  fait  du  même  genre  dans  le  Ruodlieb. 


—  48  — 

Dans  les  poèmes,  que  nous  avons  cités  plus  haut,  cette  espèce 
d'introduction,  réduite  aux  proportions  que  sait  lui  donner  un 
poète  habile,  n'a  rien  de  choquant  ;  elle  sert  même  en  quelque 
sorte  à  préparer  et  à.  augmenter  l'intérêt  (|ue  doit  inspirer  le 
héros  principal.  Sa  destinée  semble  comme  marquée  par  avance 
dans  celle  de  ses  parents,  et,  si  parfois  il  en  résulte  un  peu  de 
monotonie,  on  la  pardonne  volontiers  à  l'écrivain. 

Malheureusement  notre  poème,  comme  on  le  verra  plus  tard, 
a  eu  une  existence  très  accidentée  et,  grâce  à  la  maladresse  du 
dernier  interpolateur  qui  l'a  remanié,  nous  y  trouvons  non  plus 
un  nouvel  exemple,  mais,  si  j'ose  dire,  la  caricature  des  usages, 
auxquels  nous  venons  de  faire  allusion. 

Non  content  de  transmettre  le  poème  sous  la  forme  commune 
à  toutes  les  œuvres  épiques  de  la  môme  époque,  tel  qu'il  était 
venu  entre  ses  mains  et  tel  que  nous  le  retrouverons  après  l'éli- 
mination de  la  première  partie,  il  a  cru  se  distinguer  en  remon- 
tant dans  la  généalogie  de  l'héroïne  b'ien  plus  haut  que  n'avait 
fait  aucun  de  ses  devanciers.  Pour  cela  il  n'a  point  eu  de  grands 
efforts  à  faire,  il  lui  a  suffi  d'exagérer  un  peu  la  méthode  suivie 
par  tous  les  poètes  du  moyen  âge. 

Ramassant  çà  et  là  des  lambeaux  de  contes  de  fées,  de  supers- 
titions populaires^  de  traditions  héroïques  dérobées  au  cycle  des 
Nibelungen  et  au  roman  du  Duc  Ernest,  et  les  entremêlant  de 
quehjues  lieux  communs,  de  quelques  descriptions  aussi  inter- 
minables que  rebattues,  il  en  a  composé  cette  histoire  insipide 
d'Hagen  et  d'Hilde  1,  qu'il  donne  pour  parents  à  Hilde  II  et 
pour  grands-parents  à  Gudrun.  Puis,  en  si  beau  chemin,  son 
zèle  ne  s'est  pas  arrêté  là:  avec  un  soin  minutieux,  il  a  dressé 
au  début  du  poème  un  arbre  généalogique  des  ancêtres  de 
Gudrun  et  a  fait  défiler  devant  nous,  dans  une  énumération 
aussi  monotone  que  ridicule,  les  parents  d'Hagen,  Sigeband  et 
Ute  II,  et  ses  grands-parents,  Gère  et  Ute  I.  Ainsi,  plus  heu- 
reuse qu'aucune  autre  héroïne  du  moyen  âge,  Gudrun  peut 
remonter,  teste  poeta,  jusqu'à  la  cinquième  génération  de  sa 
famille. 

Il  est  inutile  d'insister  sur  la  puérilité  d'un  tel  procédé;  il  suf- 
firait à  lui  seul  pour  faire  rejeter  cette  première  partie  comme 
apocryphe.  Jamais  un  poète,  même  pour  obéir  aux  coutumes  les 
plus  respectaldes  et  les  plus  invétérées,  n'a  manqué  à  ce  point 
à  toutes  les  régies  de  l'art  ;  jamais  un  écrivain  intelligent,  capa- 
ble de  livrer  à  la  postérité  une  œuvre  aussi  fortement  conçue  et 
aussi  attachante  que  l'ensemble  des  deux  dernières  parties,  ne 


—  49  — 

l'aurait  ainsi  défigurée  comme  à  plaisir  dès  le  début.  Il  fallait 
toute  la  présomption  et  l'incapacité  d'un  scribe  de  second  ordre, 
pour  gâter  par  ce  prologue  interminable  l'un  des  ouvrages  les 
plus  vivants  et  les  mieux  coordonnés,  qui  existent  dans  la  litté- 
rature allemande  du  moyen  âge. 

Au  reste,  la  manière  dont  il  a  accolé  ce  conte  à  la  suite  du 
poème  donne  déjà  la  mesure  de  son  talent  et  de  son  intelligence. 
C'est  par  une  simple  juxtaposition  qu'il  l'a  doté  de  cet  appen- 
dice hétérogène  :  il  n'a  pas  même  songé  à  faire  disparaître,  à 
l'aide  des  plus  légères  modifications,  les  traces  de  la  soudure 
qu'il  opérait  ;  et,  en  dépit  de  l'introduction  ajoutée  par  lui,  la 
strophe  204  a  conservé  mot  pour  mot  la  forme  sous  laquelle 
elle  ouvrait  autrefois  le  poème  ;  elle  commence  en  ces  termes^ 
début  ordinaire  d'un  récit  : 

Ein  helt  der  was  erwahsen  in  Tenelanl(l). 

Tout  au  plus  a-t-il  essayé  de  relier  son  élucubration  au  reste 
de  l'oiivrage  à  l'aide  de  quelques  allusions  placées  dans  les 
dernières  strophes  de  la  A"  Aventure  :  mais  il  est  loin  d'avoir  eu 
la  main  heureuse  et;,  au  lieu  de  dissimuler  les  additions  opérées 
par  lui,  il  n'est  arrivé  qu'à  les  rendre  plus  visibles. 

Reportons-nous  en  effet  aux  strophes  199  et  suivantes,  nous 
y  trouvons  une  peinture  détaillée  de  la  beauté  d'Hilde  II  et  de 
l'orgueil  farouche  de  son  père  Hagen.  Or,  le  même  tableau  se 
trouve  reproduit  presque  intégralement,  mais  en  termes  beau- 
coup plus  expressifs,  quelques  strophes  plus  loin  (2),  dans  l'en- 
tretien d'Hetel  avec  Morung,  Horand  et  ses  autres  vassaux. 
Dans  ce  dernier  passage,  Hilde  et  Hagen  sont  même  présentés 
par  le  poète  avec  des  détails  tels  qu'il  a  cru  certainement  les 
placer  ici  pour  la  première  fois  sous  les  yeux  du  lecteur  :  et  l'on 
ne  peut  que  rendre  hommage  à  la  netteté  avec  laquelle  il  les 
fait,  dans  l'espace  de  quelques  vers,  apparaître  subitement  à  nos 
regards. 

Est-il  donc  supposable,  qu'au  moment  de  nous  donner  une 

i.  G'est-à-dire  :  un  héros  avait  grandi  en  Danemark,  etc..  Cette  en- 
trée en  matière,  qu'on  retrouve  du  reste  en  quelques  autres  endroits  du 
poème  et  qui  a  fourni  à  M.  MùUenlioff  un  de  ses  principaux  arguments 
pour  diviser  la  Gudrun  en  romances  ou  lieds  originairement  séparés, 
rappelle  par  sa  naïveté  le  début  de  tous  nos  contes  :  il  y  avait  une  fois 
un  héros...  —  (De  tous  les  commentateurs  de  la  Gudrun,  M.  Mûllenhoff 
est  celui  qui  a  fait  le  mieux  ressortir  le  peu  de  liaison  des  trois  parties 
entre  elles  ;  cf.  son  édition,  p.  5  et  suiv.). 

2,  Cf.   Str.  2H  sqq.,  au  début  de  la  5^  Aventure. 
Fégamp,  Gudrun.  4 


—  50  — 

telle  preuve  de  son  talent  comme  peintre  et  comme  narrateur, 
il  ait,  de  propos  délibéré,  gâté  l'effet  qu'il  pouvait  à  bon  droit 
espérer  de  cette  vigoureuse  entrée  en  matière  ?  C'est  cependant 
ce  qu'il  aurait  fait,  s'il  fallait  lui  attribuer  la  paternité  des  stro- 
phes 199  et  suivantes.  Après  l'allusion  contenue  dans  ces  stro- 
phes, par  lesquelles  le  scribe  clôt  la  première  partie,  non  seule- 
ment la  description  qui  ouvre  la  5«  Aventure  perd  toute  sa  valeur, 
mais  elle  devient  une  répétition  oiseuse,  une  maladresse  qui 
jure  avec  l'art  déployé  par  le  poète  dans  tout  le  cours  de  son 
ouvrage. 

Et,  dans  cette  hypothèse,  ce  ne  serait  pas  la  seule  inconsé- 
quence qu'on  aurait  à  lui  reproclier.  Les  contradictions  les  plus 
choquantes  ont  été  accumulées  comme  à  plaisir  dans  cette  pre- 
mière partie.  Obéissant  à  un  besoin  inconscient  de  rattacher  au 
reste  du  poème,  par  le  plus  d'artifices  possible,  cette  production 
médiocre  de  son  cerveau  en  détresse,  notre  scribe  n'a  trouvé 
rien  de  mieux  que  d'y  introduire,  autant  que  faire  se  pouvait, 
les  personnages  appartenant  à  l'ouvrage  primitif.  Après  Hagen 
et  Hilde,  Hildebourg  a  donc  dû  aussi  venir  y  jouer  son  rôle. 

Ce  n'était  pas  assez  que,  par  une  inadvertance  du  poète, 
Hildebourg  eût  vécu  d'abord  à  la  cour  d'Irlande,  eût  accompa- 
gné Hilde  H  à  la  cour  d'Hegelingen  et  fût  devenue  la  compagne 
de  Gudrun,  toujours  jeune,  toujours  du  même  âge  que  les  prin- 
cesses aux  côtés  desquelles  elle  est  élevée  et  dont  elle  partage 
les  jeux,  les  joies  et  les  douleurs.  Bien  loin  de  remarquer  et  de 
pallier  la  faute  échappée  à  son  prédécesseur,  notre  scribe  réussit 
à  l'aggraver  encore.  Grâce  à  lui,  Hildebourg  devient  la  compa- 
gne d'Hilde  I,  partage  sa  captivité  dans  l'Ile  des  Griffons,  est, 
comme  elle,  délivrée  par  Hagen  et  le  suit  plus  tard  à  la  cour 
d'Irlande  (1).  Enfin,  en  opposition  complète  avec  tous  les  autres 

i.  11  faut  croire  pourtant  que  l'ua  des  derniers  interpolateurs  a  été 
frappé  de  ces  contradictions  accumulées,  car  il  a  essayé,  avec  assez  de 
maladresse  et  de  timidité  il  est  vrai,  de  les  atténuer  en  supposant  qu'Hil- 
debourg  était  bien  plus  jeune  qu'Hilde  I  et  avait  été  élevée  par  elle  dans 
riie  des  Griffons.  Cf.  Str.  484- f85.  —  Au  reste,  ce  mépris  de  toute  chro- 
nologie semble  inhérent  à  la  nature  même  de  l'épopée  germanique  et  à 
la  iaron  dont  elle  s'est  constituée.  Ou  en  trouve  un  autre  exemple  dans 
notre  poème  à  propos  d'Ortwin.  Quand  l'expédition  libératrice  met  à 
la  voile,  il  nous  est  représenté  comme  un  jeune  guerrier  qui  fait  ses 
premières  armes,  et  Hilde,  en  le  recommandant  aux  chefs  de  l'armée, 
dit  expressément  qu'il  vient  à  peine  d'atteindre  sa  vingtième  année 
(Str.  m3);  pourtant,  quatorze  ans  plus  tôt,  il  avait  vaillamment  com- 


—  51  — 

passages  du  poème,  où  elle  est  appelée  «  la  noble  fille  d'Iber- 
nie  (1)  »,  il  lui  donne  pour  père  le  roi  de  Portugal  (2),  change- 
ment qui  s'explique  facilement,  si  l'on  songe  aux  sources  aux- 
quelles il  a  puisé  la  plupart  de  ses  matériaux  et  à  la  tendance 
qui  pousse  toujours  les  écrivains  d'une  époque  de  décadence  à 
faire  étalage  de  leur  érudition.  A  partir  du  xii*  siècle  en  effet, 
les  romans  d'aventure  commençaient  à  être  en  vogue,  et,  avec 
eux,  les  récits  merveilleux  et  l'énumération  de  contrées  loin- 
taines et  de  royaumes  fabuleux.  De  plus,  dès  cette  époque,  les 
guerres  avec  les  Sarrasins  avaient  donné  une  certaine  célébrité 
au  Portugal,  et,  plus  d'une  fois,  des  pèlerins  allemands  avaient 
pris  part  aux  croisades  contre  ces  infidèles. 

Enfin,  dernier  détail,  mais  non  le  moins  caractéristique  :  on 
ne  trouve  pas,  dans  toute  la  suite  du  poème,  la  plus  petite  allu- 
sion aux  aventures  merveilleuses  qu'aurait  eues  Hagen  dans  sa 
jeunesse.  Et  pourtant  Hagen  joue  un  rôle  des  plus  importants 
dans  la  seconde  partie  ;  maintes  fois,  à  propos  des  combats  qu'il 
livre,  l'occasion  se  présenterait  de  rappeler  ceux  bien  autre- 
ment terribles  qu'il  a  eu  autrefois  à  soutenir.  Une  telle  compa- 
raison, outre  qu'elle  s'offrirait  d'elle-même  à  l'esprit,  est  tout  à 
fait  dans  les  habitudes  du  poème  épique  ;  nous  pourrions  en 
citer  plusieurs  exemples  dans  les  deux  parties  suivantes,  à  propos 
d'autres  personnages  qui  pourtant  jouent  un  rôle  moins  consi- 
dérable dans  notre  poème  (3).  Gomment  donc  expliquer  ce 

battu  à  Wâleis  (Str.  698).  —  De  même,  dans  les  Nibelungen,  c'est  une 
Ghriemhilde  toujours  jeune  et  belle  qui  nous  apparaît  à  la  cour  d'Etzel. 
Combien  d'années  cependant  se  sont  écoulées,  depuis  que  le  renom  de 
sa  beauté,  parvenu  Jusqu'à  Xanten,  avait  enflammé  l'àme  de  Siegfried  ! 
Pour  s'en  tenir  aux  données  du  poème,  elle  avait  été  dix  ans  sa  femme 
et  elle  le  pleurait  depuis  vingt-six  ans,  quand,  pour  le  venger,  elle  se  dé- 
cida à  donner  sa  main  au  roi  des  Huns.  —  M.  Rœdiger  (H.  Z.,  31,  282- 
287)  a  supposé  qu'Hildeburg-Ortrun  ne  faisaient  qu'une  seule  personne  à 
l'origine  et  s'étaient  dédoublées  postérieurement  ;  cela  expliquerait  l'a- 
nacbronisme;  mais  le  fait  nous  semble  peu  probable. 
i.  Cf.  Str.  1267,  1339,  1650,  etc.. 

2.  Cf.  Str.  118. 

3.  Nous  avons  déjà  cité  plus  haut  (p.  M)  les  termes  dans  lesquels 
Hetel  souhaite  la  bienvenue  à  Wate  lors  de  son  arrivée  à  la  cour  d'He- 
gelingen.  Ces  paroles  peuvent  faire  allusion  à  des  événements  imagi- 
naires; on  l'a  prétendu  et  aucun  témoignage  explicite  ne  permet  de 
prouver  le  contraire.  Toujours  est-il  qu'elles  n'en  montrent  pas  moins 
la  tendance,  qui  pousse  le  poète  épique  à  rappeler,  sous  forme  d'allu- 
sion, les  faits  accomplis  antérieurement  par  le  ou  les  héros  qu'il  met 


—  52  — 

silence  à  son  égard,  sinon  encore  nne  fois  par  le  motif  tout  sim- 
ple que  ces  prétendues  aventures  lui  ont  été  attribuées  après 
coup  1 

A  toutes  ces  raisons  il  resterait  à  ajouter  celles  qu'on  peut 
tirer  de  l'examen  de  cette  première  partie  considérée  en  elle- 
même  et  dans  ses  éléments  constitutifs.  Il  y  aurait  également 
lieu  de  faire  valoir  les  arguments  que  fournit  la  métrique  du 
poème.  Mais  cette  dernière  (Question  nous  entraînerait  trop  loin 
pour  le  moment  ;  elle  sera  examinée  plus  tard,  lors({ue  nous 
étudierons  la  versification  de  l'ouvrage  entier.  Quant  à  la  pre- 
mière, elle  fera  robjet  du  chapitre  suivant.  Quoi  qu'il  en  soit, nous 
nous  pensons  amplement  autorisés,  dès  maintenant,  à  rejeter  cette 
partie,  comme  étant  un  tissu  de  fables,  qui  n'ont  rien  de  com- 
mun avec  les  données  primitives  de  notre  poème  et  qu'a  inter- 
polées tardivement  un  scribe,  désireux  de  renchérir  sur  ses 
modèles  et  de  faire  montre  de  son  savoir. 

C'est  la  première  et  non  la  moins  insipide  des  Robinsonades, 
dont  les  siècles  suivants  et  le  nôtre  ont  usé  et  abusé. 

Au  reste,  nous  n'avons  pas  à  regretter  ce  récit.  Sa  présence  en 
tète  du  poème  de  Gudrun  ne  peut  que  déparer  l'ouvrage  entier 
au  point  de  vue  esthétique;  et,  au  point  de  vue  des  éléments 
mythologiques,  que  nous  espérons  retrouver  dans  le  poème,  sa 
suppression  ne  nous  prive,  comme  nous  le  verrons  ci-après, 
d'aucune  donnée  vraiment  nationale  et  antique. 

en  scène.  Et  cela  est  si  vrai  que  notre  scribe  lui-même  a  usé,  comme 
nous  l'avons  vu  plus  haut,  de  ce  procédé  habituel  pour  donner,  au  moins 
en  un  point,  une  apparence  d'authenticité  h.  son  récit  apocryphe.  Nous 
voulons  parler  de  l'allusion  aux  aventures  d'IIildebourg  dans  l'Ile  des 
Griffons,  si  toutefois  c'est  à  lui  et  non  ù  d'autres  interpolateurs  qu'il 
faut  faire  honneur  de  cet  essai  de  correction. 


CHAPITRE  II 


ORIGINE  ORIENTALE  ET  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  LA  PREMIERE  PARTIE. 


H.  von  dér  Hagen  a  relevé  tous  les  passages  de  la  Gudrun 
imités  desNibeiungen  (1);  leur  nombre  est  très  considérable  ;  mais 
c'est  surtout  dans  la  première  partie  de  notre  poème  que  ces 
emprunts  (pour  ne  pas  dire  ces  plagiats)  abondent.  Ils  forment 
presque  les  trois  quarts  du  nombre  total  signalé  par  H.  v.  d. 
Hagen.  Sans  doute,  une  bonne  partie  des  coïncidences  indiquées 
ont  leur  explication  toute  simple  dans  la  nature  même  du 
style  épique  :  mais,  dans  la  première  partie,  ce  n'est  pas  seule- 
ment une  similitude  générale  de  style  que  nous  trouvons,  nous 
avons  affaire  à  une  copie  servile.  Situations  et  noms  des  person- 
nages, tournures,  épithétes,  expressions,  membres  de  phrases 
et  jusqu'à  des  vers  entiers  ont  passé  directement  des  Nibelungen 
dans  ce  prologue. 

C'est  le  cas  tout  d'abord  pour  le  début  de  notre  poème  : 

«  En  Irlande  vivait  un  roi  riche  et  puissant,  il  s'appelait  Si- 
geband  ;  son  père  se  nommait  Gère  et  sa  mère  Ute,  etc....  » 

La  deuxième  aventure  du  Chant  des  Nibelungen  débute  d'une 
façon  absolument  identique  (2)  : 

«  En  Néerlande  vivait  le  fils  d'un  roi  puissant  ;  son  père  s'ap- 
pelait Sigemund  et  sa  mère  Sigelinde,  etc....  » 

Mais  ce  n'est  là  que  le  premier  et  le  moindre  emprunt  de  no- 
tre scribe.  Après  avoir  indroduit  le  père  de  son  héros,  il  restait 
à  lui  créer  une  généalogie;  nous  avons  indiqué  plus  haut  le 
procédé  généralement  employé  dans  ce  cas  par  les  poètes  du 
moyen  âge,  lorsque  leur  propre  imagination  se  trouvait  en  dé- 
faut, ou  qu'ils  voulaient  donner  plus  d'éclat  à  leur  héros  et  plus 
de  créance  à  ses  exploits,  en  le  rattachant  à  des  héros  déjà  con- 

\.  Au  sujet  de  l'influence  des  Nibelvngen  sur  le  poème  de  Gudrun,  cf. 
un  article  tout  récent  de  E.  Keltner,  Ber  Eivflvss  des  ISibehngenliede?. 
auf  die  Gudrun  (Z.  Z.,  23,  145  217.). 

2.  Cf.  Bas  Nibeluvgcnlied,  éd.  p.  K.  Bartsch  (Leipzig,  Orockhaus. 
1866,  in-8°),  str.  20. 


—  54  — 

nus.  Il  nous  reste  à  montrer  que  notre  scribe  n'a  pas  agi  autre- 
ment que  la  plupart  de  ses  contemporains. 

Deux  noms  s'imposaient  tout  d'abord  à  lui  par  la  légende 
même  à  laquelle  son  récit  devait  servir  de  prologue  :  c'étaient 
ceux  d'Hagen  et  d'Hilde  sa  fille.  Nulle  part,  ni  dans  Snorri,  ni 
dans  Saxo  Grammaticus,ni  dans  la  Saga  d'IIogni  et  d'Hedhin, on  ne 
fait  mention  de  l'épouse  d'Hagen,  à  plus  forte  raison  de  ses  pa- 
rents et  de  ses  aïeux.  Le  plus  vaste  champ  était  donc  ouvert  à 
sa  fantaisie  :  on  ne  peut  pas  dire  qu'il  ait  abusé  de  cette  latitude. 
Il  a  été  au  plus  près,  et  trois  noms,  en  tout  et  pour  tout,  emprun- 
tés au  cycle  des  Nibelungen,  lui  ont  suffi  pour  dresser  son  arbre 
généalogique  tout  entier. 

Gère,  le  père  de  Sigeband  et  le  grand  père  d'Hagen,  nous  est 
connu  par  la  plupart  des  poèmes  de  la  grande  légende  héroïque. 
Dans  les  Nibelungen,  il  porte  le  titre  de  margrave,  il  est  parent 
des  rois  de  Burgondie  :  c'est  lui  qui  va  inviter  Siegfried  et 
Ghriemhilde  aux  fêtes  que  Giinther  et  Briinhilde  préparent  h. 
Worms  (1).  Dans  le  Biterolf  et  Dielleib,  auquel,  nous  le  verrons 
plus  tard,  notre  poème  doit  plus  d'un  emprunt,  il  s'appelle  le 
duc  Gère;  il  est  parmi  les  champions  de  Giinther;  il  est  désigné 
pour  combattre  contre  \Yolfhart,  mais  celui-ci  refuse  un  tel 
adversaire  comme  n'étant  pas  assez  illustre.  Enfin,  c'est  lui  qui 
conduit  les  vassaux  de  Studenfuss.  Dans  un  autre  passage  du 
poème,  nous  trouvons  un  prince  Gère,  père  de  Gotelinde,  qui 
n'est  cité  qu'une  seule  fois  et  qui  parait  bien  être  le  même  per- 
sonnage 2). 

Nous  le  retrouvons  parmi  les  champions  de  Dietrich  de  Berne 
dans  la  Fuite  de  Dietrich  et  avec  le  titre  de  margrave,  comme 
dans  les  Nibelungen  (3).  Enfin,  dans  le  poème  de  la  Mort  dWlphart, 
il  apparaît  comme  frère  de  Studenfuss,  qui  combat  pour  p]r- 
menrich  contre  Hildebrand,  et  il  est  tué  dans  la  lutte  par 
Eckehart(4).  Notons  de  plus  que,  dans  le  Rosengarien  C,  le  poète 
lui  assigne  l'Irlande  pour  patrie  (o). 

d.  Cf.  Nibelungenlied,  sir.  9;  74 i -777. 

2.  Cf.  Deutsches  Heldenbuch,  I  :  Biterolf  und  Dietleib,  v.  9649  ;  7779- 
7784;  9884;  10149;  10134;  6089;  et  W.  Griram,  Die  deutsche  Heldensage 
(1829),  p.  131  et  346. 

3.  Cf.  Deutsches  Heldenbuch,  II  :  Dietrichs  Flucht,  v.  8312  et  W. 
Grimm,  Heldensage,  p.  202. 

4.  Cf.  Deutsches  Heldenbuch,  II:  Alpharts  Tod,  sir.  358  sqq.,  375  sqq. 
et  W.  Grimm,  Heldensage,  p.  136  et  238. 

5.  Cf.  Kudrun,  éd.  par  K.  Mùllenhoff  (1843),  Préface,  p.  84. 


—  55  — 

On  sait  qu'il  a  réellement  existé  un  margrave  Gêro.  Il  vivait 
sous  Otton  I"  et,  comme  mainte  figure  marquante  de  la  même 
époque,  il  a  passé  de  l'histoire  dans  la  grande  légende  héroïque. 
Introduit  d'abord  dans  les  Nihelungen,  il  a  été  transporté  de  là 
dans  les  autres  poèmes  que  nous  venons  d'examiner  (1). 

C'est  bien  là  en  effet  un  de  ces  héros,  comme  les  chanteurs  de 
la  grande  légende  nationale  aimaient  à  en  grouper  autour  des 
figures  principales.  Personnage  peu  important  au  point  de 
vue  de  l'action,  il  pouvait  facilement  faire  partie  de  ce  cortège 
de  champions  plus  ou  moins  obscurs,  plus  ou  moins  vaguement 
déterminés,  que  les  poètes  se  plaisaient  à  énumérer  partout  où 
une  lutte  sérieuse  allait  s'engager.  Notre  scribe  avait  donc  toute 
latitude  pour  lui  faire  prendre  place  dans  sa  généalogie,  sans 
choquer  aucune  tradition  formellement  reçue. 

Quant  à  Ute,  que  notre  auteur  lui  donne  pour  épouse,  elle 
était  au  contraire  très  célèbre  dans  la  légende  héroïque.  C'est 
la  mère  des  rois  de  Burgondie  et  de  Ghriemhilde  (2).  Malgré 
cela,  la  femme  d'Hildebrand  porte  le  même  nom  (3),  et,  dans  la 
Wilkma-Saga,  la  mère  d'Hagen  s'appelle  aussi  Oda  (forme  nor- 
dique équivalente  à  l'ancien  allemand  Uota)  (4).  Or,  au  témoi- 
gnage de  Biorn  (5),  en  ancien  nordique,  oda  signifie  la  grande 
aïeule,  l'aïeule  par  excellence,  et  J.  Grimm  a  prouvé,  par  diver- 
ses considérations  littéraires  et  phonétiques,  qu'on  se  l'est  en 
effet  toujours  représentée  dans  la  légende  héroïque  comme  la 
mère  du  héros,  qui  formait  le  centre  du  cycle.  Rien  donc  de 

i.  Cf.  L.  von  Leutsch,  Markgraf  Géro.  Ein  Beitrag  zum  Verstàndniss 
der  deutschen  Reichsgeschichte  unter  den  Ottonen,  etc..  (Leipzig,  Serig, 
1828,  in-8o)  et  R.  Kôpke  dans  les  Jahrbùcher  des  deutschen  Reichs  (Ber- 
lin, Duncker,  in-8o),  I  (1838),  2«  partie,  H8-124.  —  Gêro  est  la  forme 
du  nom  en  ancien-haut-allemand. 

2.  Cf.  ISibelungenlied,  sir.  7  et  passim  ;  diu  Klage,  éd.  p.  K  Bartsch 
(Leipzig,  187o,  in-S»),  str.  28. 

3.  Cf.  W.  Grimm,  Heldensage,  p.  24,  63,  H4,  190  et  240;  Wolfram 
von  Eschenbach,  Wilhelm  von  Oranse,  éd.  p.  K.  Lachmann,  439,  10-19. 

4.  Cf.  Wilkina-Saga.  éd.  p.  Peringskjôld  (Stockholm,  1715,  in-fol.), 
p.  235  (cap.  151). 

5.  Cf.  J.  Grimm,  Uota,  Ano,  Ato  (H.  Z.,  l,  21-26).  —  Cf.  encore  les 
mois  odal  (fundus  avitus),  odaldraiigr  (qui  jure  hcredilario  aliquid  pos- 
sidet),  etc.,  dans  lesquels  la  signification  d'ancêtre,  aïeul  est  encore  sen- 
sible. Faut-il  en  rapprocher  le  mot  Edda?  Les  lois  phonétiques  du  nor- 
dique ne  le  permettent  guère  et  cependant,  pour  le  sens,  la  parenté  des 
deux  mots  semble  bien  incontestable. 


—  56  — 

plus  facile  encore  pour  notre  scribe  que  d'en  faire  la  femme  de 
Gère  et  la  grand'mère  d'Hagen. 

Il  semble  même  avoir  eu  pour  ce  nom  un  goût  tout  particu- 
lier, ou  plutôt  il  était  bien  à  court  de  souvenirs  légendaires,  car 
il  ne  s'est  pas  donné  la  peine  d'en  chercher  un  autre  pour  l'é- 
pouse de  Sigeband.  Elle  aussi  s'appelle  Ute  ;  seulement,  distinc- 
tion bien  digne  de  notre  scribe,  elle  s'appelle  Ute  de  Nonvège. 

Nous  arrivons  donc  au  père  d'Hagen,  à  Sigeband.  Lui  encore 
appartient  au  même  groupe  de  légendes  et  se  retrouve  à  peu 
près  dans  les  mêmes  poèmes.  Le  cycle  des  Nibehmgen  connaît 
trois  Sigeband,  faisant  partie  tous  trois  de  ces  catalogues  arbi- 
traires de  champions,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

Dans  la  Fuite  de  Dietrich,  dans  la  Morl  d'Alphart  et  dans  la 
Bataille  de  Ravenne,  Sigeband  est  au  nombre  des  champions  de 
Dietrich  (1).  Un  Sigeband  de  Mèran  apparaît  aussi  dans  la 
Fuite  de  Dietrich  (2),  il  est  envoyé  par  Sigehère  en  Normandie 
comme  ambassadeur  pour  demander  en  mariage  la  fille  du  roi 
Ballus.  Enfin,  dans  la  Bataille  de  Havonne,  on  rencontre,  parmi 
les  champions  d'Ermenricli,  un  troisième  héros  dumême'nom, 
Sigeband  d'ierland  (3).  W.  Grimm  a  rapproché  avec  raison  ce 
dernier  du  Sigeband  de  la  Gudrum  (4).  Dans  notre  poème  en 
effet  il  s'appelle  aussi  Sigeband  d'Irlande^  ou,  comme  porte  le 
manuscrit,  d'Eyrland.  Enfin,  J.  Mone  a  rassemblé  une  série 
de  témoignages  cpii  prouvent  que,  dès  le  xii'=  siècle,  ce  nom 
était  devenu  populaire  en  Bavière  (5). 

Restait^  pour  compléter  l'arbre  généalogique,  à  donner  une 
épouse  à  Hagen,  auquel,  nous  l'avons  dit,  aucune  des  formes 
primitives  de  la  légende  n'en  attribue  nommément.  A  moins  de 

1.  Cf.  W.  (Irimin,  Heldensagc,  p.  192. 

2.  Cf.  id.  ibid.,  p.  192. 

3.  Cf.  id.  ibid.,  p.  211. 

4.  Cf.  id.  ibid.,  p.  332.  —  Cf.  encore  K.  MùUenholT,  Zewjnisse  iind 
Excuj'se  zur  deutscheii  Heldensagc  (186o),  p.  317. 

5.  Untersuchimgen  zur  Geschichte  der  teut^chen  Heldensage  (1836), 
p.  83.  —  On  peut,  selon  toute  vraisemblance,  faire  pour  Sigeband  la 
même  remarque  que  pour  Gère.  Un  seul  personnage  historique  ou  légen- 
daire a  donné  naissance,  dans  les  divers  poèmes,  aux  trois  héros,  qui  ne 
diffèrent  que  par  leur  lieu  d''origine  et  par  le  parti  dans  lequel  on  les  a 
rangés.  Sur  Gère  et  Sigeband,  cf.  encore  J.  Haupt,  Untersuchimgen  zur 
Gudrun  (1866;  2^  éd.,  1874),  p.  3-14,  où,  au  milieu  des  arguments  les 
plus  étranges  et  des  assertions  les  plus  hasardées,  il  y  a,  çk  et  là,  quel- 
ques bonnes  remarques  à  glaner. 


—  57  — 

tomber  dans  l'absurde  et  de  se  condamner  pour  la  suite  à  des 
équivoques  sans  fin,  notre  scribe  ne  pouvait  plus  guère  em- 
ployer une  troisième  fois  le  nom  d'Ute.  Mais  il  n'a  pas  pour  cela 
abandonné  son  procédé  :  fidèle  cà  ses  errements^  il  a  tout  simple- 
ment pris  le  nom  d'Hilde,  que  lui  offrait  la  seconde  partie  du 
poème,  et  ainsi  la  femme  d'Hagen  s'est  appelée  Hilde  comme 
sa  fille.  Mais  ici  encore  il  pouvait  arriver  que  l'on  confondît  les 
deux  Hilde.  Notre  scribe  s'est  hâté  d'obvier  à  ce  danger:  tan- 
dis que  l'héroïne  de  la  seconde  partie  du  poème  est  née  en  Ir- 
lande, sa  mère  est  fille  du  roi  des  Indes.  Nous  verrons  dans  un 
instant  pourquoi  les  Indes  ont  été  choisies  de  préférence  à  tout 
autre  pays. 

En  résumé  donc,  deux  noms  d'hommes,  Gère  et  Sigeband,  un 
seul  nom  de  femme,  qui,  avec  celui  d'Hilde  emprunté  au 
poème  primitif,  suffit  aux  quatre  générations  de  la  ligne  fémi- 
nine, voilà  à  quoi  se  réduisent  tous  les  efforts  d'imagination  de 
notre  scribe. 

Après  ce  coup  d'œil  jeté  sur  les  personnages,  examinons  les 
faits  mêmes  qui  remplissent  les  quatre  premières  aventures.  A 
peine  les  parents  de  Sigeband  nous  ont-ils  été  présentés  que  Gère 
disparaît  aussi  subitement  qu'il  était  venu.  Dés  la  stroplie  5, 
il  meurt;  Sigeband  lui  succède  et  la  reine  conseille  à  son  fils  de 
se  chercher  une  épouse. 

Il  semble  que  les  poètes  du  moyen  âge  aient  eu  de  la  peine  à 
se  figurer  un  roi  occupant  seul  le  trône  :  dans  leur  idée,  quelque 
chose  manquait  à  la  majesté  royale,  tant  qu'une  reine  n'était  pas 
assise  à  son  côté.  Aussi  voyons- nous  très  souvent,  dans  les 
poèmes  allemands  de  l'époque,  la  mère  ou  les  proches  d'un  jeune 
roi  lui  conseiller,  dès  son  avènement  au  trône,  de  se  chercher 
une  femme.  Et  tout  d'abord,  sans  sortir  de  notre  poème,  repor- 
tons-nous aux  premières  strophes  de  la  deuxième  partie.  A  peine 
avons-nous  fait  connaissance  avec  Hetel^  qu'il  nous  apparaît 
entouré  de  ses  cousins  et  de  ses  vassaux,  qui  le  pressent  de 
faire  un  choix  et  de  placer  enfin  une  reine  sur  le  trône  d'Hege- 
Ihigen  :  nous  n'aurions,  pour  multiplier  les  exemples,  qu'à  ou- 
vrir les  Nibelungen,  le  Roi  Rother,  le  poème  d'Ortnit.  C'est  donc 
encore  ici  un  lieu  commun  qu'a  repris  notre  scribe  et  il  n'a 
réussi  qu'à  reproduire,  dans  une  fastidieuse  répétition,  un  mo- 
tif déjà  traité  par  le  poème  primitif. 

Naturellement,  Sigeband  suit  le  conseilde  sa  mère:  il  (demande 
la  main  d'Ute  (do  Norvège).  Il  l'obtient;  et  nous  assistons  à  l'ar- 
rivée de  la  jeune  princesse  et  aux  fêtes  données  à  l'occasion  de 


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ses  fiançailles  avec  Sigeband.  Puis,  ce  dernier  est  armé  cheva- 
lier, sans  cela  il  n'aurait  pu  décemment  l'épouser  :  or,  bien  qu'il 
eût  déjà  pris  en  main  le  gouvernement  du  royaume,  il  lui  man- 
quait encore,  du  moins  au  dire  de  notre  scribe,  cette  consécra- 
tion suprême  de  tout  héros  du  moyen  âge.  De  là  prétexte  à  de 
nouvelles  fêtes  et,  pour  l'auteur,  prétexte  à  de  nouvelles  des- 
criptions, qui  ne  lui  coûtent  pas  plus  d'effort  que  tout  le  reste. 
Il  emprunte  simplement  à  divers  passages  des  Nibelungen  et  la 
liste  des  divertissements,  et  le  tableau  des  solennités,  en  les  co- 
piant servilement,  cela  va  sans  dire  (i). 

Puisque  nous  sommes  sur  ce  chapitre  des  fêtes  et  des  tour- 
nois, disons,  pour  n'avoir  plus  à  y  revenir,  que  notre  scribe  en 
abuse  d'une  manière  vraiment  irritante.  Nous  n'avons  encore 
parcouru  que  les  vingt-cinq  premières  strophes  environ,  et  déjà 
nous  avons  assisté  aux  fêtes  des  fiançailles,  au  tournoi  donné 
lorsque  Sigeband  est  armé  chevalier,  aux  cérémonies  de  son 
mariage  avec  Ute. 

Deux  strophes  plus  loin,  nous  avons  franchi  plusieurs  années, 
et,  à  l'instigation  d'Ute,  Sigeband  invite  ses  vassaux  et  les  prin- 
ces voisins  à  ces  fêtes,  pendant  lesquelles  Hagen  est  enlevé  par 
le  griffon. 

Puis,  lorsqu'Hagen  sera  de  retour  en  Irlande,  pendant  quinze 
jours  les  fêtes  recommenceront  de  plus  belle;  enfin,  il  en  sera 
encore  de  même,  lorsqu'aprés  quelque  temps  il  sera  à  son  tour 
armé  chevalier,  épousera  Hilde  (des  Indes)  et  prendra  en  main 
le  gouvernement  du  royaume. 

Ce  n'est  pas  seulement  leur  retour,  pour  ainsi  dire  périodique, 
qui  rend  ces  fêtes  monotones.  Ce  qui  choque  surtout,  c'est  que 
l'auteur  n'a  pas  su  varier,  en  quoi  que  ce  fût,  ses  descriptions. 
Partout  nous  voyons  constammment  les  mêmes  moyens  mis  en 
œuvre  :  la  beauté  des  dames,  la  multitude  des  vassaux,  la  bra- 
voure des  chevaliers,  l'éclat  des  armures,  la  richesse  des  costu- 
mes et  enfin  la  libéralité  du  couple  royal  en  font  tous  les  frais. 
Les  vêtements  et  les  riches  parures  distribuées  aux  dames  tien- 
nent surtout  une  grande  place  dans  les  préoccupations  de  notre 
scribe.  Dans  son  ardeur  aies  décrire,  il  y  revient  sans  cesse,  il 
ne  peut  s'en  détacher,  il  en  parle  à  tort  et  à  travers. 

Ainsi,  strophe  449,  lorsque  les  gens  de  Garadê,  envoyés  par 
Hagen  pour  annoncer  à  Sigeband  son  retour,  arrivent  à  la  cour 

1,  Sur  ce  motif  favori  des  chanteurs  errants,  la  réception  des  convi- 
ves, cf.  une  étude  intéressante  de  M.  E.  Kettner,  Ber  Empfanrj  der  Giiste 
(1883). 


—  59  — 

d'Irlande  une  des  premières,  recommandations  qu'ils  font  à  Ute 
est  de  ne  pas  oublier,  en  venant  au  devant  d'Hagen,  d'apporter 
de  riches  vêtements  pour  les  jeunes  filles.  Quel  ne  doit  pas  être 
l'étonnement  de  la  reine  à  ce  conseil,  qui  semble  tomber  des 
nues  !  Car  notons  que  les  messagers,  dans  leur  hâte,  n'ont  pas 
encore  dit  à  Ute  un  seul  mot  des  princesses  qu'Hagen  ramène, 
après  les  avoir  délivrées. 

Combien  différent  est  le  style  du  poète  primitif  I  Là  aussi  des 
fêtes  sont  célébrées,  soit  quand  Hetel  se  marie,  soit  quand  Gu- 
drun  est  fiancée  à  Herwig.  Mais  le  poète  a  conscience  de  la  vaste 
carrière  qu'il  lui  faut  fournir  :  il  se  contente  de  les  indiquer  avec 
sobriété,  et,  sans  s'attarder  à  des  amplifications  banales,  il  s'at- 
tache à  faire  sans  cesse  progresser  l'action  et  entraîne  le  lecteur 
à  sa  suite. 

Une  seule  fois,  il  entre  dans  de  plus  amples  détails:  c'est  lors- 
qu'après  le  retour  de  l'expédition  libératrice  Gudrun  amène  une 
réconciliation  générale  entre  les  deux  partis,  et  finit  par  épouser 
son  fiancé  Herwig.  Sa  douceur,  sa  persuasion  ont  rapproché  les 
ennemis  d'hier  :  Hilde  elle-même  n'a  pu  résister  aux  prières  de 
sa  fille,  elle  a  dû  déposer  tout  ressentiment.  En  même  temps 
que  les  noces  de  Gudrun  et  d'Herwig,  on  célèbre  celles  d'Har- 
tmut  et  d'Hildebourg,  celles  d'Oitwin  et  d'Ortrun.  Il  est  donc 
bien  naturel  qu'au  moment  de  clore  son  poème  l'auteur  nous 
arrête  un  moment  sur  cette  idylle,  destinée  à  nous  reposer  des 
scènes  de  carnage  auxquelles  nous  venons  d'assister  :  il  tient  à 
adoucir,  par  la  vue  de  son  bonheur  présent,  l'impression  dou- 
loureuse que  pourrait  laisser  en  nous  le  souvenir  des  épreuves 
si  longues  et  si  terribles  de  Gudrun. 

Revenons  à  notre  première  partie  :  comme  nous  le  disions 
plus  haut,  c'est  sur  les  conseils  de  sa  femme,  Ute  de  Norwège, 
que  Sigeband  organise  les  réjouissances  au  milieu  desquelles 
Hagen  disparaîtra.  Ce  passage  est  relativement  assez  bien  réussi. 
Le  poète  a  su  nous  montrer  la  reine  partagée  entre  le  regret 
qu'elle  éprouve  de  ne  pas  revoir  dans  sa  nouvelle  patrie  les 
brillantes  joutes  chevaleresques,  auxquelles  elle  était  habituée  à 
la  cour  de  son  père,  et  la  crainte  d'humilier  et  d'offenser  le  roi 
son  époux,  en  lui  faisant  part  de  ses  réflexions. 

Sigeband,  de  son  côté,  nous  apparaît  sous  les  plus  aimables 
couleurs  :  l'excès  seul  de  son  bonheur  domestique  a  pu  assoupir 
un  moment  ses  instincts  chevaleresques.  Un  mot  de  la  reine 
suffit  pour  les  réveiller  en  lui,  et,  avec  la  meilleure  grâce  du 
monde,  il  s'empresse  d'accéder  à  ses  vœux. 


--  60  — 

Malheureusement,  ici  encore  nous  ne  pouvons  laisser  à  notre 
scribe  l'honneur  d'avoir  imaginé  et  retracé  cette  scène;  ce  motif 
était,  pour  ainsi  dire,  devenu  banal  dans  les  légendes  du  cycle 
héroïque.  Sans  aller  plus  loin  que  les  Nibelungen  (car  c'est,  pour 
sûr,  encore  laque  notre  auteur  a  puisé),  c'est  à  l'instigation  de 
Brûnhilde  que  Gûnther  invite  Siegfried  à  venir  à  sa  cour  ;  c'est 
poussé  par  Ghriemhilde  que  plus  tard  P^tzel  (Attila)  engage  les 
frères  de  cette  dernière  à  une  grande  fète(l). 

Nous  arrivons  entinà  la  partie  priiicii)ale  du  récit,  à  l'enlève- 
ment d'Hagen,  qui  forme  comme  le  pivot  de  toute  l'action  dans 
les  quatre  premières  aventures.  Nous  n'avons  pas  à  rechercher 
ici  l'origine  et  le  mode  de  propagation  en  Occident  de  la  légende 
des  grillons.  Nous  renverrons  nos  lecteurs,  pour  ce  qui  con- 
cerne spécialement  son  introduction  dans  la  littérature  alle- 
mande, à  l'excellente  préface  mise  par  M.  K.  Bartsch  en  tête  de 
son  édition  du  Duc  Ernest  (2).  Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  no- 
tre scribe  a  tout  simplement  changé  de  modèle  et  qu'après 
avoir  copié  les  Nibelnngen,  il  s'est  mis  à  copier  le  Duc  Ernest. 

(\e  poème  est  peut-être,  après  les  Nibehmgen,  celui  de  tous  les 
ouvrages  allemands  qui  a  eu  la  plus  forte  influence  sur  les  diver- 
ses rédactions  de  la  Gudrun.  Nous  aurons  occasion  de  voir  plus 
tard  combien  la  peinture  du  séjour  de  Gudrun  chez  les  Nor- 
mands doit  de  traits  au  récit  des  souffrances  qu'endura  la  reine 
Adélaïde  àCôme;  de  même,  le  conte  de  la  montagne  de  Gîvers, 
dont  nous  aurons  à  nous  occuper  plus  loin,  n'est  pas  sans  quel- 
que analogie  avec  les  aventures  d'Ernest  dans  l'Ile  aimantée  : 
pour  le  moment,  bornons-nous  à  ce  qui  concerne  les  griffons. 

Dès  1180,  il  existait  une  rédaction  allemande  des  aventures  du 
Duc  Ernest,  et  cette  rédaction'jouit  durant  de  longues  années 
d'une  vogue  immense.  Pendant  les  xiii%  xiv"  et  xv"  siècles,  les 
rajeunissements  de  l'ouvrage  se  succèdent  avec  une  rapidité 
presque  unique  dans  l'histoire  de  la  littérature  allemande.  Pareil 
])onheur  n'est  guère  échu  qu'au  Wolfdietrich,  aux  petits  poèmes 
du  Livre  des  Héros  et  avant  tout  à  l'épopée  satirique  de  lîeineke 
Fuchs  et  au  recueil  de  Maximes  de  Freidank  (3). 

1.  Oa  retrouve  d'autres  exemples  d'une  situation  analogue  dans  le 
Roi  Rother  {  éd.  de  Rlassmanu),  v.  ISSO  sqq..,  et  dans  la  Kaiscrchronik 
(^Is.  de  Vorau),  str.  397,  13. 

2.  Wien,  lîraumùller,  1869,  in-8°;  cf.  le  compte-rendu  de  M.  G.  Paris, 
dans  la  Revue  Critique,  i869,  n°  40, 

3.  Cf.  R.  von  Raumer,  Geschichte  der  germanischen  Philologie  (Miin- 
chen,  1870,  in-8''),  p.  4  sqq.  —  Outre  le  poème  de  Gudrun,  ceux  d'Henri- 


—  61  — 

Or,  en  quittant  le  pays  de  G-rippia;,  Ernest  arrive  dans  la  mer 
bêtée,  où  se  trouve  la  montagne  aimantée.  Tout  vaisseau  qui  passe 
à  une  certaine  distance  de  l'île  est  irrésistiblement  attiré  par 
l'aimant  qui  agit  sur  ses  ferrements.  Clelui  d'Ernest  n'échappe 
pas  à  cette  attraction  et  le  voilà  comme  rivé  dans  une  mer  im- 
mobile. Les  jours  se  passent,  les  vivres  s'épuisent,  la  famine 
décime  les  compagnons  du  duc,  et,  sous  les  yeux  des  survivants, 
des  griffons  viennent  enlever  les  cadavres  et  les  portent  dans 
leur  aire  à  leurs  petits.  Alors  une  idée  lumineuse  jaillit  dans  le 
cerveau  d'Ernest:  il  se  fait  coudre,  ainsi  que  trois  de  ses  compa- 
gnons, dans  des  peaux  de  bœufs:  les  griffons  arrivent  et  les  em- 
portent. Mais,  grâce  aux  peaux  dont  ils  sont  enveloppés,  Ernest 
et  ses  compagnons  n'éprouvent  aucune  atteinte  de  leurs  serres  ; 
arrivés  à  l'aire,  ils  se  dégagent,  échappent  aux  griffons  et  se 
mettent  à  errer  dans  la  forêt. 

Les  aventures  d'Hagen  se  rapprochent  beaucoup  de  celles  d'Er- 
nest. Gomme  lui,  il  est  enlevé  (involontairement,  il  est  vrai)  par 
un  griffon  et  porté  à  l'aire  du  monstre  ;  comme  lui,  il  s'échappe 
et  erre  dans  la  forêt  voisine.  Mais,  auparavant,  il  a  trouvé  et  dé- 
livré trois  jeunes  princesses,  parmi  lesquelles  la  fille  du  roi  des 
Indes.  Or,  lorsqu'il  est  arrivé  à  l'Ile  aimantée,  le  duc  Ernest  quit- 
tait le  pays  de  Grippia,  où  il  avait  lutté  contre  le  roi  et  ses  su- 
jets, peuple  au  bec  d'oiseau,  pour  délivrer  la  fille  durot  des  Indes, 
que  le  roi  de  Grippia  venait  d'enlever  à  son  père.  Nul  doute 
que  la  similitude  (qui  du  reste  repose  sur  une  étymologie  popu- 
laire) des  noms  de  Griffon  et  Grippia  (et  de  plus  le  fait  que  les 
habitants  de  Grippia  ont  un  bec  d'oiseau)  n'ait  amené  la  confu- 
sion, à  la  suite  de  laquelle  notre  scribe  fait  enlever  Hagen  et  la 
fille  du  roi  des  Indes  par  les  mêmes  Griffons  (1).  En  résumé, 
Hagen  et  Ernest  passent,  dans  un  ordre  un  peu  différent,  par 
la  même  série  d'aventures,  et  Ton  voit  facilement  du  même 
coup  pourquoi,  dans  sa  généalogie,  notre  poète  fait  de  la  pre- 

au-Lion  et  de  Reinfried  de  Brunswick  ont  largement  puisé  aussi  dans  le 
Duc  Ernest.  La  littérature  française  elle-même  en  a  subi  l'influence  et 
l'on  en  retrouve  des  traces  dans  Huon  de  Bordeaux.  Cf.  à  ce  sujet,  outre 
le  compte-rendu  de  M.  G.  Paris  cité  plus  haut,  la  préface  de  H.  von  der 
Ilagen,  en  tête  de  son  édition  du  Duc  Ernest  dans  ses  Deutsche  Gedichte 
des  Mittelalters,  I,  (Berlin,  1808,  in-i"),  et  le  compte-rendu  de  cet  ou- 
vrage par  W.  Grimm  dans  les  Heidclberger  Jahrbâcher,  1809,  V,  2"  par- 
tie, 210-224. 

(1)  Cf.  H.  von  der  Hagen,  Deutsche  Gedichte  des  Mittelalters,   I,  Préface 
du  Duc  Ernest,  p.  XI. 


—  62  — 

mière  Hilde,  qu'il  donne  pour  femme  à  Hagen,  la  fille  du  roi 
des  Indes. 

Après  sa  victoire  sur  les  griffons  et  au  cours  de  ses  pérégrina- 
tions dans  la  forêt,  Hagen  est  un  jour  attaqué  par  un  monstre 
horrible,  un  gabilàn.  11  en  triomphe  facilement,  le  tue,  le  dé- 
pouille et  se  revêt  de  sa  peau.  Puis  il  boit  son  sang^  ce  qui  lui 
donne  la  force  de  douze  hommes.  Il  a  bientôt  occasion  de  l'em- 
ployer :  un  lion  se  présente  à  lui,  il  l'étreint,  le  dompte  et  le 
force  à  suivre  docilement  ses  pas. 

On  a  beaucoup  discuté  sur  la  signification  du  mot  gabilûn  : 
quelle  est  son  origine  et  quel  animal  désigne-t-il?  Les  uns  ont 
cru  y  voir  une  corruption  d'un  diminutif  français  cavalot,  petit 
cheval  (1)  ;  à  tort,  selon  nous  :  la  ])éte  féroce  qui  attaque  Hagen 
n'a  rien  de  commun  avec  un  cheval,  ce  cheval  eût-il  des  ailes 
comme  Pégase.  Ainsi  que  l'a  très  bien  montré  M.  F.  Lie- 
brecht  (2),  nous  avons  affaire  à  une  espèce  de  monstre  ailé  sem- 
blable au  dragon,  si  commun  dans  les  légendes  germaniques. 
Il  est  probable  que  le  scribe  a  emprunté  ce  mot  au  poème  du 
Roi  Rother,  composé  avant  1150  par  un  chanteur  errant,  et  écrit 
en  Bavière,  c'est-à-dire  à  peu  prés  dans  la  même  contrée  où  le 
poème  de  Gudrun  a  reçu  sa  dernière  forme  (3). 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  combat  même  et  la  propriété  merveilleuse 
attribuée  au  sang  du  monstre  rappellent,  point  pour  point,  la 
lutte  de  Siegfried  contre  le  dragon,  dont  le  sang  le  rend  invul- 
nérable, lorsqu'il  s'y  est  baigné. 

D'autre  part,  la  présence  du  lion  nous  reporte  à  la  légende 
à' H  envi- au- Lion,  où  nous  retrouvons  un  mélange  identique  d'é- 
léments empruntés  au  Duc  Ernest  et  au  cycle  des  ISibelungen.  Au 
cours  de  ses  aventures,  non  moins  merveilleuses  que  celles  d'Er- 

1.  Cf.  San  Marte,  Gudrun,  p.  229.  J.  Grimm  (H.  Z.,  II,  i)  l'a  rap- 
proché du  grec  yJ.uTToq,  iT:T:iy.a^r.oç,;  mais  il  partait  de  l'idée  fausse 
qu'Hagenle  reocontranl  au  bord  de  la  mer,  le  gabilùn  doit  être  un  mons- 
tre marin,  semblable  à  celui  qui  effraie  les  chevaux  d'Hippoljte. 

2.  Cf.  P.  G.,  I,  479-480.  —  M.  0.  Jânicke  a  proposé  (H.  Z.,  XVI, 
323),  une  autre  explication;  il  rapproche  les  deux  mots  gabilùn  et 
caméléon.  Mais  quel  rapport  peut-il  y  avoir  jamais  eu  entre  le  monstre 
terrible  qui  attaque  Hagen  et  un  animal  aussi  inoffensif  que  le  camé- 
léon? De  toute  manière,  et  c'est  ce  qui  ressort  le  plus  clairement  des 
diverses  discussions,  les  rares  poètes  du  moyen  âge  qui  connaissent  le 
gabilùn  en  font  un  monstre  ailé  et  nullement  un  monstre  marin. 

3.  Cf.  Eonig  Rother,  éd.  p.  H.  Rùckert  (Leipzig,  Brockhaus,  \^1\,  iE-8°), 
V.  4938. 


—  63  — 

iiest,  sur  lesquelles  elles  sont  en  partie  calquées,  Henri-au-Lion 
se  trouve  un  jour  réduit  à  la  famine  sur  son  vaisseau.  Lui  seul 
survit  avec  un  de  ses  domestiques.  Gomme  Ernest,  il  se  fait  cou- 
dre dans  une  peau  de  bœuf,  s'échappe,  lorsque  le  gritïon  qui  l'a 
emporté  arrive  à  son  aire_,  et  se  cache  dans  la  forêt  voisine.  Là 
il  aide  un  lion  à  triompher  d'un  dragon  :  l'animal  reconnaissant 
s'attache  à  lui  et  le  suit  dés  lors  docilement  :  c'est  de  là  que  lui 
est  venu  son  nom  ù." Henri-au-Lion. 

Tout  nous  donne  donc  lieu  de  supposer  que  notre  poète  ou 
bien  ne  connaissait  que  vaguement  les  légendes  de  Siegfried  (1) 
et  d'Henri-au-Lion,  ou  bien,  ce  qui  est  plus  vraisemblable,  n'a 
réussi  qu'à  donner  une  nouvelle  preuve  de  son  peu  d'habileté,  en 
essayant  d'en  fusionner  les  éléments.  Car  la  présence  du  lion, 
qui  suit  le  héros  immédiatement  après  sa  victoire  sur  le  gabilûn, 
s'explique  aussi  peu  dans  notre  poème  qu'elle  est  naturelle  dans 
celui  ù! Henri-au-Lion.  Délivré  du  dragon, 'grâce  à  l'intervention 
d'Henri,  le  lion  s'attache  à  lui  par  reconnaissance.  Dans  la  Gu- 
drun,  au  contraire,  on  ne  sait  j)as  au  juste  ce  que  vient  faire  ce 
lion  qui  apparaît  tout  à  coup.  Hagen  le  dompte-t-il  à  la  force  du 
poignet  ?  La  seule  strophe  où  il  soit  question  de  lui  semblerait  le 
donner  à  entendre  :  mais  comme  de  toute  manière  il  n'en  est 
plus  question  par  la  suite,  ce  trait,  destiné  à  rehausser  les  ex- 
ploits d'HageU;,  en  les  rapprochant  de  ceux  d'Henri-au-Lion, 
se  trouve  être  en  fin  de  compte  une  nouvelle  maladresse  du 
scribe. 

Quant  au  reste  des  aventures  d'Hagen  dans  l'île  des  Griffons, 
on  l'a  dit  avec  raison,  c'est  une  véritable  robinsonade.  Aventures 
de  chasse,  aventures  de  pêche,  emploi  de  peaux  de  bêtes,  des 
feuilles  et  de  la  mousse  pour  se  faire  des  habits,  cuisine  rusti- 
que, longues  courses  dans  les  forêts  et  au  bord  de  la  mer,  enfin 
arrivée  du  vaisseau  libérateur,  rien  n'y  manque.  De  même  son 
retour  avec  les  pèlerins  de  Garadê,  sa  reconnaissance  avec  sa 
mère,  quand  il  arrive  en  Irlande,  son  mariage  avec  Hilde,  tout 
cela  n'offre  rien  de  bien  particulier,  ni  rien  surtout  que  l'auteur 
n'ait  pu  trouver  dans  les  récits  d'aventures  en  vogue  à  l'époque 
où  il  a  remanié  le  poème  de  Gudrun. 

Deux  points  seulement  méritent  encore  de  fixer  notre  atten" 
tion  :  ce  sont,  d'une  part,  les  passages  qui  nous  permettent  quel- 
ques hypothèses  vraisemblables  touchant  la  personnalité  du 

i.  Ce  qui  n'est  guère  supposable  pour  la  légende  de  Siegfried,  qu'il 
trouvait  narrée  tout  au  long  dans  les  Nibelungen. 


—  64  — 

poète,  et  d'autre  part  les  divers  noms  géographiques  disséminés 
dans  ce  prologue.  Commençons  par  ces  derniers. 

L'action  se  passe  à  la  cour  d'Irlande  :  l'auteur  n'avait  rie.n  à 
changer  à  cette  désignation  qui  lui  était  fournie  par  le  poème 
primitif.  Certains  critiques  ont  bien  essayé,  en  torturant  les 
textes,  de  trouver  une  autre  signification  au  mot  Eyrlant,  Eyer- 
lanndl  que  fournit  le  manuscrit  (d).  Mais  celle-ci  est  tellement 
simple,  tellement  naturelle  et  concorde  si  bien  avec  la  suite  des 
faits  racontés  dans  la  seconde  partie,  qu'il  n'y  a  aucune  raison 
pour  la  repousser.  D'autre  part,  la  capitale  du  royaume  de  Sige- 
band  s'appelle  lîâlian  :  or,  ce  nom  n'est  pas  sans  quelque  analogie 
avec  celui  de  Ballyghan,  que  portent,  suivant  L.  Ettmûller  (2), 
un  assez  grand  nombre  de  localités  irlandaises.  Enfin,  le  vaisseau 
dont  Hagen  force  l'équipage  à  le  ramener  dans  le  royaume 
paternel  appartient  à  un  comte  de  Oaradô  et  vient  de  Salmô  : 
quelques  strophes  plus  loin  le  chef  du  navire  s'appelle  lui-même 
comte  de  Salmé,  de  sorte  que  Salmè  et  Garadê  semblent  ne  faire 
qu'un.  Quelle  est  l'origine  du  nom  de  Salmê,  où  doit-on  se 
figurer  ce  pays?  C'est  ce  qu'on  a  cherché  en  vain  (3).  Mais,  pour 
Garadê,  J.  Grimm  et  K.  Miillenhoff  l'ont,  avec  toute  vraisem- 
blance, rapproché  de  Cardighan  (4),  et  cela  nous  reporte  encore 
dans  le  voisinage  de  l'Irlande.  Le  pays  de  Cardighan  est,  en 
etfet,  une  étroite  bande  de  terre,  située  en  face  de  l'Irlande,  à 
l'extrémité  sud-ouest  du  Pays-de  Galles,  et  formant  encore 
aujourd'hui  un  comté.  De  plus,  et  ceci  nous  explique  comment 
le  scribe  a  pu  avoir  connaissance  de  ce  nom^  Cardighan  est 
célèbre  dans  les  romans  de  la  Table-Ronde  :  c'est  le  royaume 
d'Artus,  dont  la  capitale  est  Karidœl  (5). 

Enfin,  dans  la  Bataille  de  liavenne,  où  apparaît  le  Sigeband 
d'Ierland,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  le  passage  dans 

i.  Cf.,  entre  autres,  J.  Mone,  Heldensage,  p.  51. 

2.  Préface  de  son  édition  de  Gudrun,  p.  IX  {Gudrunlieder,  dSM).  —  Ce 
rapprochement  est  tout  au  moins  plus  vraisemblable  que  celui  qu'on  a 
proposé  avec  Balinghem,  petit  village  près  d'Ardres  (cité  deux  fois  dans 
la  Chronique  de  Guines  et  d'Ardre  [éd.  de  Godefroj  Menilglaise],  p.  8o  et 
335). 

3.  Dans  le  poème  de  SalmaJi  ei  Morolt,  Salmè  est  un  nom  de  femme  : 
noire  scribe  aurait-il  pris  le  Pirée  pour  un  homme? 

4.  Cf.  11.  Z.,  I,  8  et  K.  Miillenhoff,  Kudrun,  Préface,  p.  105. 

5.  Le  nom  de  Caradoc  revient  à  chaque  instant  dans  les  romans  de 
la  Table-ltoude, 


-^  —  65  — 

lequel  il  est  cité  nous  reporte  également  vers  les  Iles  Britanni- 
ques ;  car  il  est  conçu  en  ces  termes  : 

«  L'un  s'appelait  Seigneur  Helperich  de  Lunders  (Londres), 
l'autre  était  un  riche  prince  né  en  Irlande,  Sigeband  était  le 
nom  du  noble  héros  (1).  » 

Or,  si  l'on  songe  que  la  Bataille  de  Ravenne  n'est  guère  posté- 
rieure à  la  Gudrun  que  de  vingt  ou  trente  ans,  on  sera  forcément 
amené  à  reconnaître  que  les  auteurs  des  deux  poèmes  ont  été 
chercher  Sigeband  d'Irlande  à  une  seule  et  même  source,  sans 
doute  dans  quelque  légende  du  cycle  d'Artus,  venue  en  Allema- 
gne par  l'intermédiaire  des  poètes  français  :  bref,  dans  ce  pays 
d'Ierland  aussi  bien  que  dans  celui  d'Eyrland,  tous  deux  ont 
bien  eu  l'Irlande  en  vue.  Dans  la  Gudrun.  en  effet,  le  pays  du 
comte  de  Salmê  ou  deGaradè  est  situé  non  loin  de  l'Irlande  et  les 
sujets  du  comte  ont  eu  souvent  à  souffrir  des  incursions  des 
Irlandais. 

Il  fallait  bien  du  reste  que  le  scribe  eût  trouvé  ces  désigna- 
tions, si  complètement  en  accord  avec  la  géographie,  dans 
quelque  légende  originaire  de  la  Grande-Bretagne;  car,  en  géné- 
ral, celles  qu'il  a  inventées  manquent  absolument  de  netteté  et 
d'exactitude.  On  voit  que,  vivant,  selon  toute  apparence,  au  fond 
de  la  Styrie  ou  de  la  Bavière,  il  n'avait  qu'une  idée  très  confuse 
des  contrées  où  doit  se  passer  l'action  imaginée  par  lui. 

Ainsi,  l'épouse  de  Sigeband,  Ute  II,  est  fille  du  roi  de  Norwège, 
et,  lorsqu'elle  vient  à  la  cour  d'Irlande,  son  navire  arrive  poussé 
par  le  vent.d'owes/  et  il  est  monté  par  des  gens  du  pays  des  Fri- 
deschottes.  Faut-il  entendre  par  Norwège  une  des  stations 
établies  par  les  Norwégiens  sur  les  côtes  écossaises  et  par  suite 
les  Norwégiens  de  la  Gudrun  ne  font-ils  qu'un  avec  les  Fride- 
schottes?  Ou  bien  l'auteur  a-t-il  voulu  réellement  parler  de  la 
Norwège  Scandinave  ?  C'est  ce  qu'on  ne  peut  guère  décider.  De 
toute  manière,  il  n'a  qu'une  notion  très  imparfaite  de  la  situa- 
tion respective  dans  laquelle  se  trouvent  les  royaumes  de  Sige- 
band et  du  père  d'Ute  II,  puisqu'il  fait  naviguer  celle-ci  de 
l'ouest  vers  l'est  pour  se  rendre  dans  le  pays  de  son  fiancé. 

Parmi  les  trois  jeunes  filles  sauvées  par  Hagen,  nous  avons 
vu  plus  haut  pourquoi  l'une  est  fille  du  roi  des  Indes  et  l'autre 
fille  du  roi  de  Portugal.  La  troisième,  à  laquelle  le  poète  n'a  pas 
même  donné  de  nom,  épouse  à  la  fin  de  la  quatrième  aventure 

\.  Deutsches  Heldenbuch,  II:  Rabenschlncht,  str.  248.  — Cf.  San  Marte, 
Gudrun,  p.  2.^1-253. 

Fégamp,  Gudrun.  5 


—  66  — 

un  prince  de  Norwège  et  disparaît  avec  lui.  Tout  ce  que  le  poète 
nous  apprend  sur  elle,  c'est  qu'elle  était  fille  du  roi  de  l'Iser- 
land.  Les  uns  ont  voulu  voir  dans  ce  mot  l'Islande,  d'autres 
une  contrée  située  aux  bouches  de  l'Escaut.  Il  est  probable  que 
c'est  encore  un  nom  pris  par  le  scribe,  sans  grand  souci  de 
l'exactitude,  dans  quelque  b'^gende  contemporaine.  Nous  ne  nous 
arrêterons  donc  pas  plus  longtemps  à  discuter  ces  données, 
desquelles,  en  tout  état  de  cause,  il  y  a  bien  peu  de  résultats 
positifs  et  assurés  à  tirer. 

Nous  arrivons  enfin  à  un  motif  qui  appartient  bien  en  propre 
à  notre  scribe.  Après  les  récits  de  fêtes^  entremêlés  par  lui  avec 
tant  de  profusion  aux  exploits  d'Hagen,  ce  qui  occupe  le  plus 
de  place  dans  les  ({uatre  premières  aventures,  ce  qui  obsède 
avec  le  plus  d'insistance  l'esprit  du  poète,  ce  sont  les  cérémo- 
nies religieuses,  les  formules  de  piété,  les  maximes  édifiantes, 
les  invocations  à  la  Providence,  les  louanges  de  la  bonté  divine 
opposée  à  la  dureté  de  cœur,  à  la  perversité  des  hommes. 

Ces  préoccupations  religieuses  nous  amènent  à  supposer  que 
la  première  partie  de  la  Gudrun  est  l'œuvre  d'un  de  ces  clercs 
errants,  plus  zélés  qu'habiles,  qui  parcouraient  les  couvents,  les 
villes  et  les  villages,  refaisant  ou  plutôt  gâtant  trop  souvent 
les  poèmes  qu'ils  accommodaient  partout  au  goût  de  leurs  audi- 
teurs. 

Nous  n'irons  pas  accuser  l'auteur  de  manquer  à  la  couleur 
locale  ;  le  moyen  âge  n'a  jamais  su  ce  que  c'était.  Mais  on  ne 
peut  s'empêcher  d'avouer,  qu'introduites  dans  un  poème  essen- 
tiellement païen  ses  [.réoccupations  religieuses  se  font  jour  en 
maint  endroit  d'une  façon  vraiment  comique.  Ainsi,  le  fils  de 
Sigeband  est  baptisé  sous  le  nom  d'Hagen  ;  quand  l'enfant, 
échappé  aux  serres  du  griffon,  se  glisse  dans  la  caverne  et  y 
trouve  les  trois  jeunes  filles,  celles-ci  effrayées  le  prennent 
d'abord  pour  un  nain  malfaisant  :  elles  ne  se  rassurent  qu'en 
l'entendant  affirmer  qu'il  est  chrétien.  Les  gens  de  Garadê,  qui 
accueillent  Hagen  et  ses  compagnes,  ne  s'y  décident  qu'après 
s'être  assurés  qu'il  est  chrétien  ;  eux-mêmes  sont  des  pèlerins  : 
«  Êles-vovs  baptisé  n  ?  lui  crie  le  comte  de  Salmê,  avant  d'accos- 
ter au  rivage  et  de  le  laisser  monter  dans  sa  barcpe.  Naturelle- 
ment, lorsqu  Hagen  épouse  Hilde,  le  mariage  est  célébré  à  l'é- 
glise, selon  les  coutumes  chrétiennes. 

Enfin,  comme  nous  le  faisions  remarquer  tout  â  l'heure,  le 
moindre  événement  est  accompagné  d'une  réflexion  sur  la  bonté 
de  Dieu.  Quand  Hagen  est  enlevé  par  le  griffon,  c'est  que  «  le 


—  67  — 

diable  avait  envoyé  ses  messagers  en  Irlande  ».  La  reine,  en 
cette  triste  circonstance,  fait  preuve  d'une  grande  résignation; 
elle  console  son  époux  en  lui  rappelant  qu'un  tel  malheur  n'a 
pu  arriver  sans  la  permission  de  Dieu  et  qu'il  faut  se  soumettre 
aux  décrets  du  ciel.  Au  reste,  la  bonté  divine  se  manifeste  de 
suite  à  l'égard  d'Hagen  et,  grâce  à  elle,  il  échappe  sain  et  sauf 
aux  serres  du  griffon.  Nous  ne  poursuivrons  pas  plus  loin  l'énu- 
mération  des  circonstances  où  elle  continue  à  protéger  notre 
héros.  Il  nous  suffit  d'avoir  indiqué  avec  quelle  naïve  bonhomie 
le  scribe  transporte  ses  sentiments,  très  louables  du  reste,  dans 
un  milieu  où  ils  n'avaient  que  faire. 

De  ces  considérations  diverses,  de  cet  examen  auquel  nous 
avons,  à  tous  les  points  de  vue,  soumis  la  première  partie  du 
poème,  il  résulte,  jusqu'à  l'évidence,  que  nous  avons  devant  nous 
une  élucubration  aussi  peu  poétique  que  possible,  aussi  maigre 
que  mal  combinée,  et  rattachée  après  coup  à  l'ouvrage  primitif. 
Tout  donc  nous  autorise,  comme  nous  le  disions  à  la  fin  du 
chapitre  précédent,  à  la  séparer  du  poème  original  qu'elle  dé- 
pare. C'est  à  l'examen  de  celui-ci  que  désormais  nous  consa- 
crerons exclusivement  la  suite  de  cette  étude. 


CHAPITRE    III 


ORIGINE  DES  DELX   DEUMERES  PARTIES; 

ELLES  ONT  EXISTÉ  PRIMITIVEMENT  A  l'ÉTAT  INDÉPENDANT; 

LA  LÉGENDE  D'HILDE  EST  d'oRIGINE  MYTHOLOGIQUE,  CELLE  DE  GUDRl'N 

D'ORIGINE    INCERTAINE. 


Débarrassé  de  cet  appendice  parasite,  le  poème  de  Gudrun 
s'offre  à  nous  sous  la  forme  commune  à  la  plupart  des  œuvres 
épi(iues  du  moyen  âge.  C'est  assez  dire  qu'ici  encore  nous  avons 
affaire  à  deux  ou  plusieurs  légendes  originairement  séparées, 
qu'a  réunies  et  fondues  en  un  tout  uniforme  un  poète,  habile 
sans  doute,  mais  trop  faible  encore  pour  triompher  des  difhcul- 
tés  inhérentes  à  la  forme  lâche  et  imparfaite  de  l'épopée  ger- 
manique et  pour  donner  à  son  œuvre  celte  unité  de  conception, 
cette  homogénéité,  qui  semblent  le  privilège  des  auteurs  de  l'an- 
tiquité classique. 

Nous  avons  déjà  fait  observer  plus  haut  à  quel  point  chacune 
des  parties  de  la  Gudrun  possède  en  elle  même  son  unité  propre, 
est  inspirée  d'un  souftle  particulier.  Tandis  que  les  aventures 
d'Hilde  H  nous  offrent  un  drame  sanglant  analogue  à  celui  des 
Nibelungen,  dans  la  partie  consicrée  à  Gudrun  nous  sentons  par- 
tout l'esprit  plus  doux  du  christianisme  opposé  à  l'esprit  rude 
et  farouche  du  paganisme,  l'esprit  d'apaisement  et  de  réconci- 
liation substitué  à  l'esprit  de  vengeance  et  de  haine. 

Si  maintenant  nous  passons  à  l'examen  de  la  forme  extérieure, 
tout  en  rendant  hommage  à  l'art  plus  raffiné  du  poète,  nous  de- 
vrons aussi  reconnaître  que  maints  traits  épars  témoignent  en- 
core de  l'indépendance  antérieure  des  deux  légendes  et  permet- 
tent de  saisir  les  procédés  employés  par  l'auteur  dans  leur 
fusion.  Moins  violents  et  moins  primitifs  que  ceux  mis  en  usage 
par  le  scribe,  auquel  nois  devons  la  première  partie,  ils  n'en 
sont  pas  moins  restés  visibles,  en  dépit  des  efforts  tentés  par  le 
poète  pour  les  dissimuler. 

C'est  d'abord  la  singulière  destinée  prêtée  à  Hildebourg  dans 
tout  le  poème  et  sur  laquelle  nous  avons  déjà  assez  insisté  plus 
haut  pour  n'avoir  pas  à  y  revenir  longuement.  Nous  assistons, 


—  69  — 

pour  ainsi  dire,  de  visu  à  la  réunion  et  à  la  fusion  de  diverses 
légendes  originairement  étrangères  les  unes  aux  autres. 

Hildebourg  était  anciennement  l'objet  d'une  légende  parti- 
culière et  très  répandue;  c'est  ce  qu'atteste,  indépendamment 
des  traits  épars  dans  notre  poème  (1),  la  légende  d'Herbort  et 
d'Hildebourgdans  le  Biterolf  et  Dieileih  (2),  où  elle  joue  le  prin- 
cipal rôle.  Gomment  a-t-elle  été  mêlée  à  notre  légende;  comment 
surtout,  en  s'y  confondant,  a-t-elle  perdu  le  rôle  principal  que 
lui  assigne  celle  d'Herbort?  C'est  ce  qu'il  est  difficile  d'expli- 
quer :  tout  ce  qu'on  peut  affirmer  avec  certitude,  comme  nous  le 
verrons  plus  loin,  c'est  qu'Hildebourg  était  dans  l'origine  étran- 
gère à  la  2°  partie  de  la  Gudrun  et  qu'elle  n'a  été  introduite  que 
très  tard  dans  la  3%  d'où  le  poète,  par  une  inspiration  peu  heu- 
reuse, l'a  fait  passer  ensuite  dans  tout  son  ouvrage. 

Même  incertitude,  au  reste,  et.  mêmes  contradictions  en  ce 
qui  touche  la  personnalité  d'Horand  et  celle  d'Ortwin.  La  stro- 
phe 564  nous  représente  Horand  comme  le  Seigneur  de  Gîvers, 
et  cependant,  d'après  la  strophe  1126,  quand  la  flotte  se  trouve 
poussée  vers  Gîvers  par  les  vents  contraires,  une  terreur  indi- 
cible s'empare  de  l'équipage.  Dans  ce  dernier  passage,  Gîvers 
nous  est  dépeint  comme  un  lieu  d'épouvante,  où  les  navigateurs 
ne  pénètrent  que  pour  leur  malheur.  Une  mer  noire  et  sans  bor- 
nes retient  les  vaisseaux  sur  ses  eaux  immobiles;  la  sonde 
n'en  peut  trouver  le  fond  :  dans  cette  situation  désespérée,  les 
meilleurs  matelots  n'entrevoient  plus  la  possibilité  de  sortir 
vivants  des  profondeurs  mystérieuses  de  cet  océan  inexploré, 
tous  se  tordent  les  mains,  pleurent  de  désespoir  et  ne  voient 
plus  aucune  chance  de  retour.  Gomment  admettre  cette  terreur 
unanime,  si  Horan  l  règne  à  Gîvers  même  et  comment  s'imagi- 
ner qu'un  seul  et  même  poète  eût  pu  commettre  une  telle  incon- 
séquence dans  une  œuvre  issue  d'un  seul  jet  de  son  cerveau? 

De  même,  d'après  la  strophe  1113,  quand  l'armée  libératrice 
part  pour  la  Normandie,  Ortwin  est  représenté  comme  un  tout 
jeune  homme  qui  prend  part  pour  la  première  fois  à  une  cam- 
pagne ;  c'est  bien  ainsi  que  nous  nous  le  figurons  d'après  la  stro- 
phe 1096,  qui  nous  le  montre,  au  moment  où  les  ambassadeurs 

1.  Au  nombre  de  ces  allusions  à  la  légende  particulière  d'Hildebourg 
nous  ne  comptons  naturellement  pas  celles  que  J.  Grimm  (Die  deutsche 
Heldensage,  p.  326)  avait  voulu  voir  dans  les  str.  484-485  :  nous  avons 
déjà  exprimé  ci-dessus  notre  opinion  sur  l'origine  toute  récente  de  ces 
strophes  et  sur  leur  introduction  arbitraire  dans  le  poème. 

2.  Pour  plus  de  détails,  cf.  la  dernière  partie  du  présent  chapitre. 


—  70  — 

de  sa  mère  arrivent,  charmant  ses  loisirs  parla  chasse  au  faucon. 
On  le  sait,  cette  chasse,  exempte  de  dangers  et  de  fatigues,  était 
abandonnée,  dans  les  temps  héroïques  du  moins,  aux  femmes 
et  aux  enfants  (1).  Et  pourtant  la  strophe  698  nous  l'avait  déjà 
fait  voir  marchant  à  la  tête  de  troupes  puissantes  contre  Sieg- 
fried de  Morland  et  venant  au  secours  d'Herwig;  et,  dans  la  stro- 
phe 885,  il  nous  apparaissait  brûlant  du  désir  de  venger  la  mort 
de  son  père  et  attaquant  le  redoutable  Ludwig  de  Normandie, 
exploit  qu'on  ne  peut  prêter  qu'à  un  héros  ayant  déjà  fait  ses 
preuves  et  jouissant  de  toute  la  force  d'un  homme  mûr. 

D'autre  part,  tous  les  documents  encore  existants  dans  les- 
quels se  retrouvent  quolques  traces,  emprunts  ou  mentions  de 
nos  légendes,  témoignent  d'une  façon  non  moins  évidente  de 
leur  indépendance  primitive. 

Tous  les  poèmes  anglo-saxons  ou  nordiques  du  viii*  ou  ix® 
siècle,  qui  contiennent  quoique  allusion  à  notre  ouvrage,  ne  se 
rapportent  en  elTet  qu'à  la  seconde  partie  (2).  VEdda  de  Snorri 
reproduit  la  légende  d'Hilde  II  presque  sous  forme  de  mythe  et 
ne  reproduit  qu'elle;  Snorri  ignore  complètement  notre  troisième 
partie.  A  son  tour.  Saxo  Grammaticus,  dans  son  Histoire  Da- 
noise, fidèle  à  son  système  évhémériste,  nous  retrace  les  mêmes 
faits,  sous  forme  d'événements  historiques  et  sans  qu'il  soit  en 
rien  question  de  Gudrun. 

Quant  aux  témoignages,  que  l'on  a  cru  recueillir  dans  des  ou- 
vrages allemands  des  xii""  et  xm"  siècles  et  dans  lesquels  on  a 
voulu  voir  des  allusions  à  notro  poème  tout  entier,  ils  ne  peu- 
vent, pour  deux  raisons,  être  pris  en  considération.  Les  uns  ne 
s'appliquent  qu'à  la  deuxième  partie  et  ont  principalement  pour 
objet  léchant  d'Horand.  Tel  est  surtout  le  passage  du  Combat  de 
la  Wart bourg,  qui  nous  représente  Horand  chantant  devant 
Hilde(3).  Il  ne  prouve  qu'une  chose,  c'est  qu'à  l'époque  où  fut 
composé  le  Combat  de  la  Warlbourg,  Horand  avait  déjà  sa  place 
et  son  rôle  marqués  dans  l'enlèvement  d'Hilde  par  les  messa- 

1.  Ainsi  Bilerolf  encore  tout  jeune  [Biterolfund  Dietleib,\.  2225  sqq.; 
2263]  s'éloigne  du  cliàteau  sous  prétexte  d'aller  à  la  ctiasse  au  faucon. 
—  Cf.  Weinhold,  Die  deutschen  Frauen  in  dern  Mittelalter  (Wien,  1851, 
in-8°),  p.  344-345. 

2.  Sur  les  diverses  rédactions  de  cette  légende,  cf.  le  chapitre  sui- 
vant. 

3.  Les  allusions  au  chant  d'Horand  sont  du  reste  excessivement  nom- 
breuses dans  la  littérature  allemande  du  moyen  âge  et  il  en  sera  ques- 
tion plus  loin  d'une  manière  toute  spéciale. 


—  71  —  • 

gers  d'Hetel.  De  la  troisième  partie,  pas  un  mot;  qu'elle  ait 
existé  ou  non,  l'auteur  du  Combat  de  la  Wartbourg  n'a  pas  même 
l'air  de  le  savoir. 

Pour  ce  qui  est  des  autres  allusions,  elles  sont  tirées  de 
poèmes,  qui  tous,  à  l'exception  de  la  Chanson  d'Alexandre,  du  Bi- 
lerolf  et  Dietleib  et  de  la  Plainte,  sont  postérieurs  à  la  Gudrun  elle- 
même,  dont  on  place  généralement  la  composition  (sous  sa  se- 
conde forme,  c'est'à-dire  comprenant  les  deux  dernières  parties) 
entre  1190  et  1200(1);  d'où  il  suit  qu'en  fin  de  compte  elles  s'ex- 
pliqueraient facilement  par  des  emprunts  ou  des  allusions  de 
poètes,  qui  auraient  connu  notre  ouvrage  dans  sa  rédaction  dé- 
finitive. 

Voyons  d'abord  le  passage  si  souvent  cité  et  commenté  de  la 
Chanson  d Alexandre  par  le  moine  Lamprecht  :  en  l'examinant 
de  près,  on  arrive  à  se  convaincre  que,  de  toute  manière^  il  ne 
fait  allusion  qu'à  la  légende  d'Hilde  II  et  ne  peut,  en  aucun  cas, 
s'appliquer  à  celle  de  Gudrun. 

La  Chanson  d'Alexandre,  composée  dans  la  première  moitié  du 
xii^  siècle,  nous  est  parvenue  dans  deux  rédactions  distinctes, 
que,  pour  plus  de  clarté,  nous  devons  mettre  l'une  et  l'autre 
sous  les  yeux  de  nos  lecteurs,  en  reproduisant  dans  chacune 
d'elles  le  passage  qui  concerne  notre  poème.  Racontant  le  com- 
bat de  Darius  et  d'Alexandre  à  Arbelles,  Lamprecht  1="  compare 
aux  batailles  les  plus  gigantesques  qui  aient  jamais  été  livrées 
de  mémoire  d'homme,  et,  entre  autres,  à  la  lutte  sur  le  Wulpen- 
sand.  La  rédaction  la  plus  ancienne,  fournie  par  le  manuscrit  de 
Vorau,  est  conçue  en  ces  termes  : 

«  On  parle  du  combat  qui  eut  lieu  sur  le  Wûlpenwert  et  dans 
»  lequel  le  père  d'Hilde  succomba  entre  Hagen  et  Wate;  il  ne 
»  peut  se  comparer  à  celui-là  (c'est-à-dire  à  celui  d'Arbelles)  ;  il 
»  n'y  eut  aucun  héros,  ni  Herwig,  ni  Wolfwin,  qui  livra  là  un 
»  combat  gigantesque  comparable  à  celui  du  roi  Alexandre  (2).  » 

\.  Ou,  selon  d'autres,  au  plus  tard  avant  1215.  Nous  aurons  naturel- 
lement à  revenir  plus  loin  sur  cette  question. 

2.  Le  manuscrit  de  Vorau  a  été  publié  par  J.  Dieiner  (Deutsche  Ge- 
dichte  des  XL  iind  Xll.  Jahrhunderts,  Wien,  Braumùller,  1849,  in-S").  Le 
passage  traduit  ci-dessus  se  trouve  à  la  page  220,  ligne  21  et  suiv.  Il  est 
ainsi  conçu  : 

man  sagèt  von  dem  sturm 
der  ûf  Wolfenwerde  gescach. 
dà  Hilten  vater  tôt  gelach, 
zewisken  Hagenen  unde  Waten. 


—  72  — 

Dans  le  manuscrit  de  Strasbourg,  qui  est  de  date  beaucoup 
plus  récente,  on  lit,  à  propos  de  la  même  comparaison,  ce  qui 
suit  : 

«  Nous  avons  entendu  parler  d'une  mêlée  des  peuples,  qui  eut 
»  lieu  sur  le  Wûlpenwert  et  dans  laquelle  le  père  d'Hilde  suc- 
»  comba  entre  Hagen  et  Wate  ;  il  ne  peut  se  comparer  à  celui- 
»  là;  ni  Herwig,  ni  Wolfram,  ni  aucun  autre  héros  ne  pourrait 
»  lui  être  comparé,  tant  Alexandre  était  terrible  (1).  » 

Qu'une  allusion  à  des  passages  de  notre  poème  soit  contenue 
dans  ces  vers,  c'est  ce  qui  est  évident.  Nous  y  retrouvons  plu- 
sieurs noms  de  personnes  et  de  lieu  que  nous  connaissons  déjà  : 
Hilde,  Hagen.  Wate,  Herwig,  le  Wûlpensand  ou  Wûlpenwert. 
Un  seul  d'entre  les  guerriers  nommés  est  inconnu  au  poème  de 
Gudrun,  c'est  Wolfram  ou,  selon  l'autre  leçon,  Wolfwin. 
J.  Grimm  (2),  qui  ne  connaissait  pas  la  leçon  du  manuscrit  de  Vo- 
rau,  l'avait  déjà,  sans  hésiter,  changé  en  Ortwin,  s'appuyant  sur 
la  remarque  toute  naturelle  qu'au  point  lie  vue  de  la  rime  il  y 
avait  là  une  faute  évidente.  La  leçon  très  correcte  du  manuscrit 
de  Vorau  ne  permet  pas  ce  changement  ;  et  pourtant,  il  est  tout 
à  fait  vraisemblable  que,  dans  l'esprit  de  Lamprecht,  Ortwin  a 
été  celui  auquel  il  pensait  réellement  en  écrivant.  Car,  dans  no- 
tre poème,  Ortwin  est  le  compagnon  d'armes  d'Herwig,  le  frère 
de  sa  fiancée.  Or,  c'est  précisément  à  côté  d'Herwig,  que  Wolf- 

sô  ne  mohter  hèrzù  nieht  katen. 
iedoch  ne  mohle  nehain  sin, 
noch  Herewich  noch  Wolfwîa 
der  der  ie  gevaht  volcwîch 
dem  chunige  Alexander  gelich. 

1.  Le  manuscrit  de  Strasbourg  a  été  édité  par  F.  Massraann  {Deut- 
sche Gedichte  des  XII.  Jahrh.,  QucdJinburg,  1837,  in-8).  Voici  le  texte  du 
passage  ci-dessus  : 

V.  1830.  von  einem  volcwige  hùre  wir  sagen, 

der  ùf  Wulpinwerde  gescach, 

dàr  Hilten  vater  tôt  lach 

inzwischen  Ilagenen  unde  Waten. 

der  ne  mohte  sih  hîzô  niht  gegaten. 
V.  d83o    Herwîch  unde  Wolfi'am 

ne  raohten  ime  niwit  gelîch  sin, 

noch  nehein  man  ander. 

alsô  freislich  was  Alexander. 

2.  Die  deutschc  Heldensage,  p.  330. 


—  73  — 

win  appciraît  dans  le  passage  de  la  Chanson  d'Alexandre.  D'autre 
part,  Wolfwin  était  un  héros  célèbre  dans  la  grande  légende  hé- 
roïque (1),  neveu  d'Hildebrand  et  vassal  de  Dietrich  (2)  ;  une 
confusion  de  noms,  facilitée  par  la  presque  homonymie,  a  donc 
bien  pu  se  produire,  soit  sous  la  plume  de  Lampreclit  lui-mê- 
me, soit  sous  celle  d'un  scribe  plus  au  courant  des  faits  et  gestes 
de  Wolfwin  que  de  ceux  d'Ortwin. 

Mais  deux  points  surtout,  dans  ce  passage,  diffèrent  de  noire 
poème  :  le  père  d'Hilde  et  Hagen  semblent  y  être  considérés 
comme  deux  personnes  distinctes  ;  puis  le  père  d'Hilde  tombe 
sur  le  Wûlpensand,  c'est-à-dire  dans  un  combat,  où,  selon  notre 
poème,  il  ne  paraît  même  pas.  J.  Grimm  supposait  ici  soit  une 
corruption  du  texte,  soit  une  confusion  dans  les  souvenirs  de 
Lamprecht.  La  première  hypothèse  a  contre  elle  l'accord  des 
deux  rédactions  :  quant  à  la  seconde,  nous  espérons  montrer 
qu'elle  n'est  pas  plus  fondée. 

Laissons  provisoirement  de  côté  la  question  accessoire  con- 
cernant la  non-identité  du  père  d'Hilde  avec  Hagen  :  ce  que  le 
passage  de  Lamprecht  dit  clairement,  c'est  qu'il  se  livra  sur  le 
Wûlpensand  un  combat  acharné  et  meurtrier,  combat  auquel 
prirent  part  Wate,  Hagen,  Herwig  et  Wolfwin  (Ortwin);  de  plus 
l'introduction  du  nom  d'Hilde  laisse  suffisamment  comprendre 
que  ce  combat  se  livrait  pour  la  possession  de  la  jeune  fille; 
enfin, sans  avoir  à  préjuger  la  signification  exacte  du  mot  inzwis- 
chen  [zewisken),  nous  apprenons  tout  au  moins  d'une  manière 
indubitable  qu'Hagen  tomba  dans  cette  bataille. 

Sans  doute,  cela  nous  reporte  à  une  forme  de  la  légende  bien 
différente  de  ce  qu'elle  est  maintenant  dans  la  Gudrun  ;  mais  il 
ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  la  mort  d'Hagen  dans  sa  lutte 
avec  Hetêl  a  pour  elle  le  témoignage  des  récits  de  Snorri,  de 
Saxo  Grammaticusetde  Id^Saga  d'Olaf  Tryggvason,  comme  nous 
le  verrons  plus  loin. 

Or,  nous  n'hésitons  pas  à  le  dire,  la  mort  d'Hagen,  bien  plus, 
sa  mort  sur  le  Wûlpensand  terminait  la  rédaction  de  notre 
poème  antérieure  à  la  fusion  des  deux  légendes  d'Hilde  et  de  Gu- 
drun. Dans  la  conception  primitive  de  la  légende  d'Hilde,  telle 
qu'elle  nous  apparaît  dans  Snorri,  Saxo  et  la  Saga  d'Olaf,  Ha- 

1.  Cf.  Deutsches  Heldenbuch,  I  :  Biterolf  und  Dietleib,  v.  12932  et  pas- 
sim. 

2.  Cf.  Biterolf  und  Dietleib,  loc.  cit.;  Deutsches  Heldenbuch,  II  :  Al- 
pharts  Tod,  str.  80;  Diu  Klage,  éd.  p.  K.  Bartsch,  v.  Io20-Io30;  Der 
Nibelunge  Nôt,  éd.  p.  K.  Bartscli    (Leipzig,  1870,  in-S"),  sir.  2259. 


—  74  — 

gen  et  Hetel  succombent  sous  les  coups  l'un  de  l'autre  après  un 
combat  acharné. 

Rien  d'étonnant  à  ce  que  le  souvenir  de  cette  lutte  sanglante, 
qui  clôt  d'une  manière  si  tragique  les  narrations  de  Snorri  et 
de  Saxo,  se  soit,  dès  le  commencement  du  xi'=  siècle  ou 
même  plus  tôt,  localisé  pour  les  Allemands  du  Nord  sur  le  Wùl- 
penwert,  devenu  ainsi  le  théâtre  légendaire  d'une  mêlée  gigan- 
tesque. Car,  ne  l'oublions  pas,  dans  la  légende,  non  seulement 
les  deux  héros  tombent  sous  les  coups  l'un  de  l'autre,  mais  tous 
les  guerriers  des  deux  armées  s'entretucnt  jusqu'au  dernier;  nul 
doute  qu'il  ne  se  soit  formé  de  très  bonne  heure  des  chants  popu- 
laires, dont  cette  lutte  colossale  faisait  le  sujet,  et  que  ces  chants, 
se  transmettant  de  bouche  en  bouche,  n'aient  servi  de  base  à  la 
première  rédaction  que  subit  notre  poème  sur  le  sol  de  la  Basse- 
Allemagne. 

Ce  fait  n'a  rien  que  de  très  ordinaire  et  de  très  naturel,  et 
presque  toujours  nous  voyons  une  légende  héroïque  allemande 
se  localiser,  à  chacune  de  ses  transformations,  dans  la  contrée 
habitée  par  le  peuple  qui  s'en  empare.  C'est  ainsi  que,  dans  les 
JSibclungen,  Dietrich  est  tour  à  tour  de  Berne,  de  Vérone  et  de 
Bonn;  c'est  ainsi,  pour  prendre  un  exemple  dans  les  différentes 
rédactions  de  la  légende  d'Hilde  elle-même,  que  chez  Snorri, 
représentant  la  tradition  nordique,  le  combat  a  lieu  sur  l'île  de 
Haey,  une  des  Orcades,  tandis  que  dans  Saxo,  écho  des  chants 
danois,  l'action  se  passe  à  Hithinsô  (actuellement  Hiddensee), 
petite  île  située  à  l'ouest  de  Riigen. 

Mais,  quand  les  deux  légendes  d'Hilde  et  de  Gudrun  se  trou- 
vèrent en  contact,  quand,  par  leur  fusion,  l'une  devint  l'intro- 
duction de  l'autre,  l'issue  meurtrière  de  la  bataille  entre  Hagen  et 
Hetel  ne  pouvait  plus  subsister.  Si  Hagen  et  Hetel  tombent  dans 
le  combat,  il  n'y  a  plus  de  réconciliation,  plus  de  mariage,  par- 
tant plus  de  Gudrun  et  plus  de  suite  possible.  En  réunissant  les 
deux  légendes,  le  poète  était  donc  fatalement  amené  à  modifier 
l'issue  de  la  première  :  car,  dans  sa  conception,  Hagen  et  Hetel 
ne  doivent  combattre  que  juste  assez  pour  apprendre  à  se  con- 
naître et  à  s'estimer  réciproquement.  Ce  résultat  obtenu,  la  lutte 
n'a  plus  aucune  raison  de  se  prolonger  :  tout  au  contraire,  pour 
rendre  la  réconciliation  vraisemblable  et  facile,  il  faut  qu'elle 
cesse  avant  qu'aucun  des  héros  ne  soit  tombé  de  part  et  d'au- 
tre. 

C'est,  en  effet,  ce  qui  a  lieu  dans  ce  simulacre  de  combat  dont 
"Wâleis  est  le  témoin;  c'est  ce  que  n'aurait  pu  faire  le  poète. 


—  75  — 

sans  choquer  les  traditions  reçues,  s'il  avait  conservé  le  Wiil- 
pensand  comme  théâtre  de  cette  lutte  passagère. 

Fallait-il  donc  qu'il  supprimât  purement  et  simplement  et  la 
bataille  du  Wûlpenwert,  et  la  légende  qui  s'y  rattachait,  et  la 
sombre  mais  magnifique  scène  que  devait  immanquablement  lui 
fournir  la  tradition  populaire?  Nullement  :  si  le  tableau  gran- 
diose de  la  «  mêlée  des  peuples  »  sur  le  Wûlpenwert  faisait  dé- 
sormais disparate  dans  l'espèce  d'idylle,  par  laquelle  le  poète 
terminait  maintenant  la  légende  d'Hilde,  la  nouvelle  légende 
de  Gudrun,  qu'il  fondait  avec  la  première,  lui  offrait  pour  cette 
magnifique  scène  un  cadre  tout  tracé  d'avance.  Là  du  moins  se 
livrait  une  bataille  acharnée,  furieuse,  meurtrière  ;  là,  au  mo- 
ment où  les  Normands  sont  aux  prises  avec  les  guerriers  d'He- 
gelingen  et  leurs  alliés,  on  retrouvait  cette  «  mêlée  des  peu- 
ples »,  dont  la  tradition  populaire  ne  devait  parler  qu'avec  ter- 
reur. 

Qu'a  donc  fait  notre  poète  ?  Une  transposition  aussi  facile  à 
opérer  qu'à  comprendre.  Wâleis  devient  le  théâtre,  non  plus 
d'un  combat  véritable,  mais  d'une  joute  chevaleresque,  d'une 
brillante  passe  d'armes,  à  la  suite  de  laquelle  les  adversaires, 
comme  dans  un  tournoi,  se  serrent  cordialement  la  main  et  se 
séparent  pleins  d'estime  l'un  pour  l'autre.  Ils  se  sont  sans  doute 
fait  mutuellement  quelques  blessures,  mais  on  a  bien  vite  fini 
de  les  panser,  et  de  vrais  héros  ne  s'inquiètent  pas  pour  si  peu. 
Témoin  la  lutte  entre  Gûnther,  Hagano  et  Walther,  dans  le 
Walther  d'Aquitaine;  au  moment  où  les  adversaires  se  réconci- 
lient, on  voit  sur  le  terrain  le  pied  de  Gûnther,  l'œil  d'Hagano 
et  la  main  de  Walther,  ce  qui  n'empêche  pas  les  héros  de  s'atta- 
bler et  de  faire  assaut  de  plaisanteries.  Comme  le  remarque  très 
bien  M.  Heinrich,  «  pour  avoir  perdu  un  membre  à  la  bataille, 
les  héros  de  ces  vieilles  fables  n'en  soupent  pas  moins  gaie- 
ment (1).  » 

Quant  au  Wûlpenwert,  avec  son  cortège  de  souvenirs  lugu- 
bres, il  devient  le  théâtre  sur  lequel  Hetel  tombe,  sur  lequel  la 
fleur  des  guerriers  d'Hegelingen  est  moissonnée  par  les  Nor- 
mands qui,  aussi  lâches  que  sanguinaires,  se  dérobent  pendant 
la  nuit  à  ce  carnage,  renonçant  à  poursuivre  une  victoire  si  chè- 
rement achetée  qu'elle  semble  les  effrayer  eux-mêmes. 

Naturellement,  dans  cette  substitution,  la  description  employée 

1.  Histoire  de  la  littérature  allemande  (Paris,  1870-73,  3  vol.  in-8), 
I,  32. 


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par  le  poète,  tout  en  gardant  les  traits  légendaires,  auxquels 
elle  doit  sa  force,  a  subi  quelques  modifications  nécessaires. 

Reportons-nous  à  notre  poème  :  dans  le  premier  combat,  celui 
deWâleis,  la  lutte  a  pour  objet  la  possession  d'Hilde;  elle  a  lieu 
entre  Hagen  et  Hetel  ;  mais,  pour  les  motifs  que  nous  venons 
d'exposer,  elle  se  termine  par  une  réconciliation  générale.  Dans 
la  seconde  bataille,  celle  du  Wulpenwert,  Gudrun  a  remplacé 
Hilde  dans  le  rôle  de  joune  fille  enlevée  ;  Hetel  paraît  à  la  place 
d'Hagen  dans  celui  de  père  de  la  jeune  fille  ;  et,  de  même  qu'o- 
riginairement Hagen  tombait  dans  le  premier  combat,  de  même 
Hetel  tombe  dans  le  second.  Quant  au  ravisseur,  il  s'est  dédou- 
blé, sans  doute  parce  que  la  légende  de  Gudrun,  sous  la  forme 
sous  laquelle  elle  se  présentait  au  moment  de  la  fusion,  avait 
déjà  opéré  ce  dédoublement  et  offrait,  soit  par  suite  des  données 
primitives,  soit  par  suite  d'un  développement  interne,  les  deux 
personnages  de  Ludwig  et  d'Hartmut.  Wate,  au  contraire,  qui, 
dans  la  Gudrun,  joue  un  rôle  prépondérant  l't  apparaît  partout, 
après  s'être  introduit  de  bonne  heure  dans  la  légende  d'Hilde, 
où  Lamprecht  le  connaît  déjà,  passade  là  dans  celle  de  Gudrun. 
Enfin,  en  ce  qui  concerne  les  personnages  secondaires  d'Herwig 
et  de  Wolfwin  (Ortwin),  transportés  de  la  légende  d'Hilde  dans 
celle  de  Gudrun  avec  l'ensemble  même  du  récit  relatif  au 
Wûlpensand,  ils  y  devinrent  l'un  le  frère,  l'autre  le  fiancé  de  la 
jeune  fille  (1). 

Au  reste,  ce  qui  prouve  que  les  deux  batailles  dérivent,  pour 
ainsi  dire,  l'une  de  l'autre,  c'est  l'air  d'étroite  parenté  qu'elles 
gardent  encore  dans  la  Gudrun.  A  l'acharnement  de  la  lutte  près, 
le  combat  de  Wâleis  reproduit  traits  pour  traits  celui  du  Wûl- 
pensand. Dans  l'un  et  l'autre  l'action  s'engage  à  la  tombée  du 
jour;  l'apparition  des  voiles  de  la  flotte  ennemie  est  racontée 
de  part  et  d'autre  dans  les  mêmes  termes  ;  Hetel  et  Ludwig, 
au  moment  où  le  père  de  la  jeune  fille  enlevée  atteint  les  ravis- 
seurs, adressent  absolument  les  mêmes  encouragements  à  leurs 
troupes  ;  enfin,  le  débarquement  des  assaillants  est  raconté  en 

1.  Cette  substitution  des  deux  combats  l'un  à  l'autre  avait  déjà  été 
entrevue  par  J.  Mone  {Qiiellen  und  Forschungen  zur  Geschichte  der  teut- 
schen  Literatur  und  Sprache,  1830),  qui  s'exprime  ainsi,  p.  ilO  :  «  D'après 
la  forme  actuelle  du  poème,  la  première  partie  se  termine  par  la  9«  aven- 
ture; dans  une  rédaction  antérieure,  elle  se  terminait  par  la  17"  aven- 
ture et  il  n'y  avait  pas  de  continuation.  »  —  A.  Jonckbloet  (Geschichte 
der  niederldndischen  Literatur,  ùbersetzt  von  W.  Berg,  l,  33),  admet  la 
même  hypothèse. 


—  77  — 

termes  identiques  dans  chaque  cas.  Tous  ces  rapprochements 
montrent  bien  que  les  deux  récits  ont  eu  une  seule  et  même 
source  dans  les  chants  primitifs  (1). 

Une  difficulté  resterait  maintenant  à  résoudre,  celle  concer- 
nant le  fait  que,  d'après  la  version  de  Lamprecht,  Hagen  et  le 
père  d'Hilde  semblent  former  deux  personnes  distinctes,  Or^ 
si  Ton  admet  notre  hypothèse  et  si  l'on  attribue,  dans  l'état  pri- 
mitif de  la  légende,  le  combat  du  Wûlpenwert  à  la  deuxième 
partie  du  poème  actuel,  cette  contradiction  apparente  est  facile 
à  eiîacer. 

A  l'époque  où  la  bataille  du  Wûlpenwert  terminait  la  légende 
d'Hilde,  cette  bataille  ne  pouvait  avoir  lieu  qu'entre  deux  héros 
bien  déterminés  :  d'un  côté  le  père  d'Hilde,  de  l'autre  son  ravis- 
seur. Or,  dans  l'état  actuel  du  texte  de  Lamprecht,  le  père 
d'Hilde  se  trouve  nommé  deux  fois  :  au  vers  3  du  passage 
cité  H'dden  vater,  au  vers  4  Hagen;  son  adversaire  Hetel  au  con- 
traire n'est  pas  même  mentionné.  N'est-il  pas  évident  qu'il  y 
a  ici  une  corruption  du  texte  et  qu'il  faut  lire,  comme  l'ont  pro- 
posé J.  Grimm(2)  et  L.  Ettmiiller  (3),  inzwischen  Hetelen  unde 
Walen?L,e  fait  d'une  corruption  aussi  facile  du  texte  ne  nous 
paraît  pas  douteux,  et  la  concordance  de  cette  correction  avec 
ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  est  telle  que  nous  n'hésitons 
pas  à  l'adopter  (4). 

Au  reste,  tous  ceux  qui  ont  examiné  ce  passage  de  Lamprecht 
ont  bien  senti  qu'il  contenait  une  corruption  :  tous  ont  compris 
qu'Hetel  a  nécessairement  son  rôle  dans  la  bataille  à  laquelle 
Lamprecht  fait  allusion;  aussi  M.  K.  Mullenhofî (5)  proposait-il 
de  lire,  au  vers  3,  H'dden  vriedel  au  lieu  de  Hilden  vater,  et 
M.  E.  Wilken  (6),  pour  le  même  passage,  Hilden  gâte.  Sans 
doute,  par  l'une  ou  l'autre  de  ces  corrections,  on  arrive  au  même 
résultat  que  par  le  changement  de  Hagenen  en  Hetenen  ou  Hete- 

1.  Cf.  Gudrun,  str.  488,  493,  518  et  883-888. 

2.  Cf.  H.  Z.,  Il,  4. 

3.  Gudrunlieder,  Préface,  p.  V,  note  4. 

4.  M.  0.  ErdraaoQ  {Lamprechts  Alexander  und  die  Hilde-Kudrun-Dich- 
tung,  dans  Z.  Z.,  17,  223-226)  a  proposé  un  autre  mojen  d'accorder  le 
texte  avec  la  tradition,  c'est  de  mettre  entre  parenthèses  les  mots  ;  dâ 
Hilten  vater  tôt  gelach,  et  de  faire  rapporter  z^wishen  à  gescach.  Mais  il 
resterait  toujours  à  expliquer  pourquoi  Hagen  et  Wate  luttent  l'un  con- 
tre l'autre. 

5.  Kudrun,  Préface,  p.  98. 

6.  Gôttingische  Gelehrte  Anzeigen,  i875,  p.  308. 


—  78  — 

len.  Toutefois  la  faute  supposée  par  ces  critiques  nous  semble 
moins  naturelle,  que  celle  qui  consiste  à  substituer  au  nom  peu 
connu  d'Hetel  celui  d'Hagen,  si  fameux  dans  la  légende  héroïque 
allemande.  Un  scribe,  plus  au  courant  de  cette  dernière  que  de 
celle  d'Hegelingen,  pouvait  bien  agir  par  inadvertance  envers 
Hetel  comme  il  a  agi  envers  Ortwin. 

Enfin,  on  a  bien  discuté  sur  la  valeur  du  mot  inzwischcn  (ze- 
ivisken),  sans  arriver  à  un  résultat  définitif.  Signifie-t-il  qu'Ha- 
gen  tombe  sous  les  coups  de  Wate  et  dHetel  (1;,  ou  qu'il  tombe 
entre  eux  pendant  la  lutte,  ou  enfin  qu'il  tombe  en  môme  temps 
qu'eux?  (2)  La  dernière  solution  nous  semble  la  plus  probable; 
car^,  si  Hetel  et  Wate  sont  nécessaires  à  la  suite  du  poème  de 
Gudrun,  tous  doivent,  d'après  les  anciennes  formes  de  la  légende, 
succomber  dans  la  lutte  suprême  qui  suit  l'enlèvement  d'Hilde. 

Dès  lorS;  le  témoignage  de  Lamprecht  s'explique  facilement  : 
il  a  connu  la  légende  d'Hilde,  alors  qu'encore  séparée  de  celle 
de  Gudrun  elle  avait  conservé  son  issue  tragique,  et,  voulant 
rehausser  les  exploits  d'Alexandre,  il  s'écrie  que  le  combat  qui 
eut  lieu  entre  Darius  et  lui  est  encore  bien  plus  terrible  que  cette 
fameuse  bataille  livrée  sur  le  Wûlpensand  entre  Hagen,  Hetel 
et  leurs  vassaux,  et  dans  laquelle  les  guerriers  s' entretuent  dans 
une  mêlée  formidable.  De  toute  manière  donc  l'allusion  conte- 
nue dans  la  Chanson  d'Alexandre  ne  peut  s'appliquer  qu'à  la  lé- 
gende d'Hilde,  et  à  cette  légende  sous  la  forme  qu'elle  avait 
avant  sa  fusion  avec  celle  de  Gudrun. 

On  trouvera  peut-être  que  nous  avons  discuté  bien  longuement 
le  témoignage  fourni  par  Lamprecht;  c'est  qu'il  a,  comme  nous 
le  verrons  plus  tard,  une  valeur  capitale  pour  la  fixation  de  l'é- 
poque où  la  Gudrun  subit  ses  diverses  rédactions. 

Si  maintenant  nous  examinons  les  quel(]ues  passages,  dans 
lesquels  on  a  cru  voir  soit  une  reproduction,  soit  une  mention 
de  la  légende  de  Gudrun,  la  scène  change  du  tout  au  tout.  Au 
lieu  de  ces  témoignages  nombreux,  explicites  et  concordants  que 
nous  fournissent,  pour  celle  d'Hilde,  les  récits  de  Snorri,  de 
Saxo  et  de  la  Saga  d'Olaf,  nous  nous  heurtons  à  la  plus  grande 

1.  C'est  la  solution  qui  résulterait  de  la  correction  de  M.  0.  Erd- 
mann. 

2.  Nous  n'avons  évidemment  pas  à  examiner  une  quatrième  solution, 
qui  pourtant  a  été  également  présentée  :  Hagen  tombe  pendant  qu'Hetel 
et  Wate  se  battent  l'un  contre  l'autre.  —  Quelle  que  soit  la  forme  de  la 
légende  que  l'on  suppose  avoir  été  connue  de  Lamprecht,  Wate  est  du 
côté  d'Hetel  et  ne  peut  se  battre  avec  lui. 


—  79  — 

incertitude,  à  la  plus  complète  pénurie  de  documents.  Ici  il  y  a 
absence  presciue  totale  de  concordance,  pour  tout  esprit  non  pré- 
venu, entre  les  témoignages  invoqués  et  la  légende,  à  laquelle 
ils  doivent  s'appliquer.  Les  rapprochements,  qu'avec  beaucoup 
de  bonne  volonté  on  peut  tenter,  se  bornent  en  fait  à  une  simi- 
litude plus  ou  moins  réelle  entre  quelques  nomS;,  à  une  vague 
ressemblance  entre  les  aventures  chantées  par  les  différents 
poètes. 

Le  texte  le  plus  important  que  l'on  invoque  est  la  légende 
d'Herbort  et  d'Hildebourg  dans  le  poème  de  Biterolf  et  Dietleib. 
Venu  au  grand  tournoi  de  Worms  parmi  les  vassaux  de  Giin- 
tlier  et,  par  conséquent,  au  nombre  des  ennemis  de  Dietrich  de 
Berne,  Herbort  raconte  en  ces  termes  ses  exploits  contre  Die- 
trich : 

«  Eh  bien,  dit  le  héros  intrépide,  il  a  su  ce  qu'il  en  coûte  (de 
»  s'attaquer  à  moi),  lorsque  j'ai  quitté  la  Normandie,  où,  à  la 
»  force  de  mon  bras,  j'avais  conquis  la  fille  du  roi  Ludwig.  Oui, 
»  j'enlevai  alors  par  la  violence  la  jeune  fille  du  royaume  de  Nor- 
»  mandie,  après  avoir  soutenu  l'assaut  d'Hartmut  et  de  ses  cheva- 
»  tiers.  La  jeune  fille  et  moi,  nous  n'avions  plus  personne  (qui 
»  put  me  résister),  il  n'était  aucun  de  ceux,  dont  Ludwig  n'avait 
»  jamais  pu  triompher,  que  je  n'eusse  abattu  d'un  seul  revers 
»  de  main.  C'est  ainsi  que  je  chevauchai  à  travers  le  pays;  ce- 
»  pendant  j'avais  été  blessé  ;  alors  j'entendis  parmi  les  hem- 
»  mes  et  les  femmes  circuler  le  bruit,  qu'un  géant  faisait  la 
»  terreur  de  la  contrée.  Je  n'eus  plus  de  repos  jusqu'à  ce  que 
»  j'eusse  aperçu  cet  épouvantait  (1)  :  je  vengeai  sur  lui  le  peuple 
»  et,  en  vérité,  je  l'étendis  roide  mort.  Quelques  maux  qu'il  eût 
))  causés  à  Ludwig  et  à  son  peuple,  nul  n'avait  osé  se  mesurer 
»  avec  lui.  J'en  délivrai  le  pays.  Puis,  continua  le  héros,  je  tuai 
»  là  aussi  Goltwart  et  Seewart.  Rapportez  ce  récit  à  Dietrich; 
»  que  cela  lui  fera  donc  plaisir  t  Ensuite  je  partis  pour  Berne  : 
»  que  de  travaux  j'eus  encore  à  surmonter,  jusqu'au  jour  où 
»  Dietrich  et  son  vieil  llildebrand  m'y  virent(apparaître)!  Gomme 
))  je  conduisais  seul  ma  femme  à  travers  le  pays,  subitement 
»  ils  m'attaquèrent.  S'ils  avaient  pu  y  réussir,  ils  m'auraient 
»  volontiers  ravi  la  riche  Hildebourg  ;  mais  leur  grande  audace 

\.  Valant  (vers  6483),  le  même  mot  par  lequel  l'auteur  de  la  pre- 
mière partie  de  la  Gudrun  caractérise  Hagen,  l'épouvantail  de  tous 
les  rois.  Valant  aller  kùnege  (str.  168,  2).  Ce  mot  se  rencontre  encore 
quatre  fois  dans  VErec  d'Hartmann  d'Aue. 


—  80  — 

»  ne  tarda  pas  à  se  calmer.  Je  lui  fis  traverser  le  pays,  continua 
»  le  brave  héros,  sans  la  laisser  prendre.  Maître  Hildebrandle 
»  sait  bien,  c'est  ma  femme,  ma  femme  qui  est  encore  ici  près 
»  de  moi  aux  bords  du  Rhin  (1).  » 

Herbert  de  Ténélant  se  vante  ici  d'actions  qui  n'ont  aucun 
rapport  avec  le  reste  du  poème  de  Blterolf  et  Dietleib,  mais  qui, 
par  contre,  ne  sont  pas  sans  quelque  analogie  avec  la  légende  de 
Gudrun.  Et  pourtant  que  de  changements!  Ce  n'est  plus  Gudrun, 
qui  est  l'héroïne,  c'est  Hildebourg,  son  amie  d'enfance.  La  jeune 
fille  enlevée  est  ici  la  sœur  d'Hartmut  (2),  c'est-à-dire  de  son  ra- 
visseur dans  notre  poème  ;  Hartmut  lui-même  a  cédé  son  rôle 
de  ravisseur  à  Herbert  ;  enfin,  c'est  en  Normandie  qu'a  lieu  le 
rapt  et  l'heureux  guerrier,  qui  enlève  la  jeune  fille,  est  de  Té- 
nélant, c'est-à-dire  de  Danemark. 

On  le  voit,  pour  admettre  un  rapport  quelconque  entre  la  lé- 
gende de  Gudrun  et  cet  épisode  du  Biterolf  et  Dietleib,  il  faudrait 
supposer  ({u'en  passant  d'une  rédaction  à  l'autre  la  structure  de 
la  légende  tout  entière  a  été  bouleversée  de  fond  en  comble. 
Est- il  besoin  d'invoquer  de  plus  les  autres  actions  fabuleuses 
tlont  se  vante  Herbert  et  dont  notre  poème  n'ofî're  pas  la  plus 
petite  trace?  Si  jamais  les  faits,  qui  font  le  sujet  de  ce  récit,  ont 
été  traités  dans  une  légende  indépendante,  comme  tout  donne 
en  effet  lieu  de  le  croire,  cette  légende  d'Hildebourg  ne  pouvait 
avoir  aucun  rapport  avec  celle  de  Gudrun  et  n'a  influencé  en 
rien  la  formation  de  la  nôtre.  Elle  nous  apparaît  plutôt  comme 
une  des  nombreuses  transformations,  dans  lesquelles  se  perpé- 
tua le  souvenir  du  mythe,  d'où  est  issue  la  légende  d'Hilde  elle- 
même  ;  c'est  là  le  seul  lien  de  p.irenté  que  nous  puissions  ad- 
mettre entre  elles.  Nous  aurons  occasion  par  la  suite  de  revenir 
plus  en  détail  sur  cette  légende;  qu'il  nous  suffise,  pour  le  mo- 
ment, d'avoir  montré  qu'elle  n'a  rien  de  commun  avec  celle  de 
Gudrun. 

Reste  un  dernier  passage,  dans  lequel  on  a  voulu  reconnaître 
Gudrun  elle-même.  On  lit  dans  la  Plainte  : 

<(  Alors  s'avança,  pour  contempler  ce  triste  spectacle^  Goldrun 
»  la  noble  dame,  fille  illustre  d'un  roi,  qui  s'appelait  Liudiger 
»  et  qui  régnait  en  France;  Helche  lui  avait  tendrement  élevé 
»  sa  fille;  avec  elle  s'avancèrent  ensuite  Hildebourg  et  Herlint, 
»  enfants  de  deux  riches  princes  ;  Hildebo  urg  au  renom  imma- 

1.  Deutsches  Heldenbuch,  I,  93  sqq.  (vers  6459-6510). 

2.  Gomme  dans  le  poèm»  de  la  Plainte,  vers  2217-2218;  cf.  plus  loin. 


—  81  — 

»  culé  était  née  en  Normandie  ;  Herlint  était  originaire  de  la 
»  Grèce  (1).  » 

Si,  ce  qui  nous  semble  pour  le  moins  douteux  (2),  nous  devons 
considérer  cette  Goldrun  et  notre  Gudrun  comme  une  seule  et 
même  personne,  la  situation  qui  lui  est  attribuée  ici  serait  en 
contradiction  formelle  avec  celle  qu'elle  occupe  dans  notre 
poème.  Elle  est  à  la  cour  de  la  bonne  reine  Helche,  la  douce  et 
vertueuse  épouse  d'Attila,  et,  par  une  singularité  qui  serait  en- 
core bien  plus  inexplicable^,  si  nous  avions  réellement  affaire  à 
la  même  héroïne,  elle  est  fille  de  Liudiger,  roi  de  France  (3). 
Notons  en  passant  qu'ici,  comme  dans  le  Biterolf  et  Dietleib, 
Hildebourg  est  originaire  de  Normandie  et  sœur  d'Hartmut. 

En  résumé,  tous  les  témoignages,  d'où  l'on  peut  tirer  avec 
certitude  quelque  conclusion,  nous  montrent  que  les  deux  lé- 
gendes d'Hilde  et  de  Gudrun  ont  été  primitivement  indépendantes 
l'une  de  l'autre.  Le  plus  grand  nombre  s'accorde  à  nous  repor- 
ter, pour  la  légende  d'Hilde,  à  une  origine  mythologique  bien  et 
dûment  constatée,  comme  nous  le  verrons  ci-après  plus  en  détail. 
Ceux,  et  ils  sont  peu  nombreux,  qui  pourraient,  à  la  rigueur, 
se  rapporter  à  la  légende  de  Gudrun,  vagues,  contradictoires  et 
obscurs,  ne  nous  permettent  de^  rien  affirmer  sur  la  provenance 
de  cette  partie  du  poème.  Est-elle  également  d'origine  mytholo- 
gique? Rien  ne  nous  autorise  jusqu'ici  aie  prétendre.  Dans  quel 
rapport  se  trouve-t-elle  avec  la  légende  d'Hilde,  quelle  est  sa 
source  probable  et  comment  s'est-elle  unie  à  cette  dernière  ?  Tri- 
ple question,  qui  a  suscité  les  débats  les  plus  vifs,  a  donné  lieu 
aux  solutions  les  plus  diverses  et  souvent  les  plus  bizarres  :  nous 
l'examinerons  dans  le  chapitre  suivant. 

1.  Dm  Klage,  éd.  p.  K.  Bartsch,  v.  2207-2220. 

2.  M.  E.  Sommer  paraît  être  du  même  avis  que  nous;  car,  dans  un 
travail  sur  les  Nibelungen  (Die  Nibelungensage  in  der  Klage,  H.  Z.,  III, 
193-218),  éQuméraat  les  héros  qui  paraissent  dans  la  Plainte,  il  fait 
la  remarque  suivante,  à  propos  de  Goldrun,  Liudigers  von  Frankreich 
Tochter,  (p.  203)  :  «  aussi  bien  le  père  que  la  fille  sont  inconnus  à  tout 
autre  poème.  »  —  De  môme,  M.  E.  Wilken  (Gôttingische  Gelehrte  Anzei- 
gen,  1872,  p.  2029,  note  2),  observe  expressément  que  la  Goldrun  de  la 
Plainte  doit  être  rapprochée  non  de  notre  Gudrun,  mais  de  la  Gullrônd, 
qui  paraît  dans  le  premier  chant  de  Gudhrun  de  VEdda  de  Saemund. 

3.  Sur  ce  nom  de  Liudiger  de  France  comme  représentant  typique 
des  rois  de  France  dans  la  légende  héroïque  allemande,  cf.  Kudrun,  éd. 
p.  K.  Mûllenhoff,  Préface,  p.  100. 


Fégamp,  Gudrun.  6 


CHAPITRE  IV. 


LA  LÉGENDE  DE  GUDRUX  :  SES  RAPPORTS  AVEC  LA  LÉGENDE  d'hILDE  SONT 
PUREMENT  extérieurs;  ELLE  N'eST  PAS  d'oUIGLNE  MYTHOLOGIQUE;  PEUT- 
ÊTRE  EST-ELLE  HISTORIQUE,  CONCLUSION  :  TROIS  PARTIES  DANS  LE  POÈME  : 
UNE  APOCRYPHE,  UNE  D'ORIGINE  INCERTAINE,  UNE  MYTHOLOGIQUE,  BASE  DE 
TOUT  LE  POÈME. 


C'est  surtout  à  partir  de  4845  que  l'on  a  commencé  à  se  livrer 
à  des  recherches  concernant  l'origine  du  poème  de  Gudrun  (i); 
le  caractère  essentiellement  mythologique  de  la  seconde  partie 
étant  évident,  il  semblait  naturel  de  voir  tout  d'abord  si  la  troi- 
sième ne  pouvait  pas  être  rattachée  aux  mêmes  sources.  Aussi 
les  hypothèses  les  plus  diverses  se  sont-elles  produites  dans  ce 
sens,  malgré  l'absence  de  tout  document  de  nature  à  les  con- 
firmer directement,  absence  que  nous  avons  constatée  dans  le 
chapitre  précédent. 

La  plus  ancienne,  comme  la  plus  hardie,  parmi  ces  hypothèses 
est  celle  de  M.  A.  Schott,  auteur  de  l'introduction  mise  en  tête 
de  l'édition  du  poème  publiée  par  M.  A.  Vollmer  (2).  Dépouil- 
lant chacune  des  deux  légendes,  que  dis-je?  des  trois  légendes 
(car  il  n'hésite  pas  à  comprendre  dans  sa  discussion  l'histoire 
d'Hilde  des  Indes)  de  ce  qu'il  appelle  les  faits  accessoires,  il 
arrive  à  ne  trouver  comme  noyau  de  toutes  trois  que  ce  seul 
fait  :  la  jeune  fille  est  enlevée  à  son  fiancé,  qui  la  délivre  après 
plus  ou  moins  de  luttes. 

Partant  de  là,  il  en  conclut  que  nous  avons  affaire  dans 
chaque  cas  à  une  seule  et  même  légende,  qui  s'est  dédoublée  ou 
scindée  intérieurement  ;  suivant  lui,  pour  employer  une  expres- 
sion qu'il  semble  aâ"ectionner,  nous  avons  tout  simplement  de- 
vant nous  un  redoublement  de  la  légende. 

Certes  l'explication  est  simple  et  commode  ;  mais  il  serait 
plus  difficile,  selon  nous,  de  prouver  qu'elle  est  fondée,  et  sur- 
tout de  montrer  par  quels  procédés  a  pu  s'opérer  ce  redouble- 

i.  La  seule  tentative  antérieure  à  celle  de  M,  A.  Schott  est  celle  de 
M.  Mone,  dont  nous  nous  occuperons  plus  loin. 
2.  184S. 


—  83  — 

ment  ou  cette  scission.  M.  A.  Schott  invoque  bien  cette  tendance 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut  et  en  vertu  de  laquelle  les 
poètes  allemands  du  moyen  âge  aiment  à  préparer  l'histoire  de 
leurs  héros,  par  une  sorte  de  prologue,  dans  lequel  ils  retracent 
les  destinées  de  leurs  parents.  Nous  ne  ferons  pas  difficulté  de 
le  reconnaître  avec  lui  (l'ayant  nous-même  posé  en  principe), 
dans  la  plupart  des  cas,  cette  esquisse  préliminaire  offre,  jusqu'à 
un  certain  point,  quelque  analogie  avec  les  destinées  du  héros 
principal.  Nous  l'admettrons  même  volontiers,  il  en  est  ainsi 
pour  ce  qui  concerne  la  Gudrun. 

Mais  comment  M.  A.  Schott  n'a-t-il  pas  senti  que  les  preuves 
invoquées  par  lui  à  l'appui  de  sa  théorie  se  retournent  contre 
cette  théorie  même  ?  Admettons  pour  un  instant  que  les  aventu- 
res d'Hilde  ne  soient  qu'un  appendice  artiliciel,  dû  à  la  tour- 
nure d'esprit  du  poète  ou  aux  habitudes  littéraires  de  son  épo- 
que. Si  ce  récit  a  été  formé  à  l'imitation  de  la  légende  principale 
à  laquelle  il  sert  d'introduction,  il  faudrait  en  conclure  que  la 
légende  d'Hilde  a  été  calquée  dans  une  certaine  mesure  sur  celle 
de  Gudrun,  dont  elle  ne  reproduirait  qu'une  partie,  et,  conclu- 
sion logique  et  nécessaire,  il  faudrait  attribuer,  gratuitement  et 
sans  preuves,  à  la  troisième  partie  de  notre  poème  une  antiquité 
ne  remontant  pas  moins  qu'au  vi^  ou  vu"  siècle. 

Telle  n'a  certes  pas  été  l'intention  de  M.  A.  Schott.  Car  si, 
dans  le  poème,  la  légende  de  Gudrun  occupe  la  plus  grande 
place  et  forme  comme  le  but  et  la  fin  vers  laquelle  tend  tout  ce 
qui  précède,  elle  doit  cette  espèce  de  prééminence  uniquement 
à  la  composition  poétique.  C'est  l'art  seul  du  poète  qui,  en  la 
réunissant  à  celle  d'Hilde,  en  a  fait  le  point  culminant  de  son 
œuvre  et  la  conclusion  de  ses  chants  :  c'est  l'art  seul  du  poète 
qui  a  donné  cette  ampleur  et  ce  développement  à  la  peinture  de 
ses  malheurs  et  de  sa  délivrance  ;  nous  verrons  plus  tard  d'où 
lui  était  venue  l'inspiration  et  où  il  était  allé  puiser  les  princi- 
paux traits  de  son  tableau. 

En  outre,  quand  M.  A.  Schott  dit  que  la  légende  d'Hilde  suit 
le  même  cours  que  celle  de  Gudrun,  mais  qu'elle  n'est  pas  con- 
duite jusqu'au  bout,  il  affirme  une  chose  qu'il  lui  serait  impos- 
sible de  prouver.  Tous  les  témoignages  connus  sont  au  contraire 
unanimes  à  le  démontrer,  jamais  la  légende  d'Hilde  n'a  été  plus 
développée  que  dans  notre  poème,  partout  elle  s'arrête  après  la 
tentative  du  père  pour  arracher  sa  fille  aux  mains  du  ravisseur  ; 
ici,  un  mariage  met  fin  à  la  lutte  ;  là,  le  combat  engagé  dure 
éternellement  par  suite  d'une  incantation  :  mais  partout  cette 


—  84  — 

lutte  forme  le  dernier  acte,  et,  dans  aucune  rédaction,  on  ne 
trouve  rien  d'équivalent  à  l'expédition  libératrice,  qui  va  met- 
tre fin  à  la  captivité  et  aux  humiliations  de  Gudrun. 

A  la  vérité,  de  même  que  le  nom  d'Hilde  se  retrouve  au 
nombre  des  Walkyries,  de  même  on  a  prétendu  reconnaître 
Gudrun  dans  la  Walkyrie  Gunr.  Or  les  Walkyries  sont,  comme 
l'on  sait,  des  dédoublements,  des  multiplications  d'une  seule  et 
môme  déesse,  Freya.  On  pourrait  donc  se  représenter  assez  fa- 
cilement l'histoire  de  ces  deux  Walkyries  comme  procédant 
l'une  de  l'autre,  et  leurs  noms  comme  alternant  indifféremment 
dans  deux  récits  de  provenance  identique. 

Quelque  apparence  spécieuse  qu'ait  ce  raisonnement,  il  suffit, 
pour  le  renverser^,  de  sortir  des  généralités  où  s'est  complu  son 
auteur.  L'illusion  produite  au  premier  abord  tient  surtout  à  une 
confusion  que  commettent  trop  volontiers  certains  critiques, 
lorsqu'ils  se  lancent  sur  le  terrain  mythologique.  On  ne  distin- 
gue pas  assez  en  général  entre  l'époque,  où  sont  nés  lesmythes 
qui  servent  de  base  à  la  légende  héroïque,  et  celle  où,  passés  à 
l'état  de  simples  récits,  ils  ont  été  fixés  définitivement  comme 
œuvre  d'art  par  un  poète  s'inspirant  de  la  tradition  orale  et  des 
chants  populaires  qu'il  entend  autour  de  lui. 

Que  le  mythe  se  transmette  de  bouche  en  bouche  et  de  gé- 
nération en  génération  pour  arriver  au  poète  à  l'état  de  légende 
toute  formée,  que  le  travail  du  poète  consiste  simplement  à 
disposer  avec  habileté  les  matériaux  qui  lui  arrivent  ainsi, 
nous  sommes  les  premiers  à  le  constater  et  la  transmission 
de  la  légende  d'Hilde,  que  nous  pouvons  suivre  presque  pas 
à  pas,  nous  en  ofî're  un  exemple  frappant.  Mais  ce  qu'elle 
nous  prouve  d'une  manière  non  moins  claire,  ce  qu'il  ne  faut 
jamais  perdre  de  vue,  c'est  qu'en  se  transmettant  de  siècles  en 
siècles  le  mythe  va  sans  cesse  se  dénaturant  :  il  ne  garde  pas 
longtemps  sa  valeur,  sa  signification  primitives.  Dès  qu'il  est 
arrivé  à  l'état  de  légende,  le  peuple  même  chez  lequel  il  est  né, 
au  sein  duquel  il  s'est  conservé,  n'a  plus  conscience  de  son  ori- 
gine. Les  noms  des  héros,  qui  primitivement  n'étaient  que  des 
abstractions  personnifiées,  des  forces  de  la  nature  ^divinisées, 
ne  disent  plus  rien  à  son  esprit,  ne  lui  rappellent  plus  en  rien 
leur  origine  mythologique.  Pour  lui,  ce  qui  continue  à  le  frap- 
per, c'est  la  grandeur  merveilleuse  attachée  à  leurs  actions  ;  il 
sent  peut-être  parfois  que  ce  sont  des  hommes  plus  grands,  plus 
forts  que  ceux  de  la  génération  actuello,  des  représentants  de  ce 
bon  vieux  temps,  où  tout  était  sinon  plus  parfait^  du  moins  plus 


—  85  — 

prodigieux,  où  les  actions  étaient  plus  éclatantes  :  mais  le  plus 
souvent  c'est  tout.  Quelquefois  même  le  héros  primitif  cède  ou 
partage  sa  place  :  un  guerrier  illustre,  réellement  historique,  se 
présente  et,  par  Teffet  de  ces  mille  caprices  auxquels  obéit  la 
transformation  des  légendes  et  leur  dégradation  jusqu'à  l'état 
de  conte,  il  est  associé  aux  hauts  faits  du  premier  et  finit  par  le 
supplanter. 

Sans  doute,  le  sens  primitif  du  mythe  gît  toujours  dans  les 
noms  et  les  faits  de  la  légende  ou  du  conte  ;  mais,  nous  le  répé- 
tons, il  n'est  plus  compris.  Seule  la  critique  scientifique,  à  l'aide 
de  ses  procédés  d'investigation,  remet  en  lumière,  souvent  non 
sans  peine,  les  affinités  originelles.  Mais  qui  donc,  au  xi"  ou 
XII''  siècle,  eût  pu  songer,  aux  bords  du  Rhin  ou  au  pied  des 
Alpes,  à  la  parenté  mythologique  d'Hilde  et  de  Gunr?  Et  quelle 
science  objective  ne  faudrait-il  pas  supposer  chez  un  chanteur 
de  cette  époque,  pour  le  croire  capable  d'avoir  opéré  le  dédou- 
blement de  la  légende  sous  l'empire  d'une  idée  de  ce  genre?  Que 
Snorri  qui  compilait  les  anciennes  traditions  mythiques  de  sa 
nation,  que  Saxo  même  qui  les  affublait  d'un  manteau  histori- 
que, aient  eu  encore  conscience  de  l'élément  primitif,  qui  fai- 
sait le  fond  de  cette  légende,  on  le  concevrait  à  la  rigueur.  Pour 
le  poète  allemand  du  xi''  ou  xii«  siècle,  de  même  que  pour  la 
grande  majorité  de  ses  contemporains,  Hilde  n'était  plus  que 
l'héroïne  d'une  histoire  d'aventures,  comme  toutes  celles  dont  les 
récits  charmaient  les  loisirs  des  dames  et  des  chevaliers  d'alors. 

Et  puis  enfin,  en  dehors  de  toutes  ces  impossibilités  logiques^ 
il  resterait  à  montrer  que  Gunr  et  Gudrun  sont  une  seule  et 
même  personne.  Où  sont  les  preuves  de  cette  identité  ?  Pour 
Hilde  et  la  Walkyrie  Hildr,  elles  abondent  ;  mais  pour  Gunr 
et  Gudrun,  on  n'en  a  pas  une  seule  à  produire.  En  l'absence 
de  tout  témoignage  direct,  fera-t-on  violence  à  la  linguistique 
pour  rapprocher  phonétiquement  les  deux  formes  Gunr  et 
Gudrun  ?  Prétendra-t-on,  au  contraire,  tirer  du  caractère  com- 
paré des  héroïnes  une  preuve  qui  fait  défaut  partout  ailleurs? 
Autant  le  caractère  démoniaque  de  la  Walkyrie  éclate  encore 
dans  Hilde,  autant  la  figure  douce,  aimable  et  pacifique  de 
Gudrun  forme  avec  celle  de  la  belliqueuse  Gunr  un  contraste 
frappant. 

Notons  en  outre  que  le  procédé  d'abstraction  employé  par 
M.  A.  Schott,  et  repris  plus  d'une  fois  depuis,  est  assez  violent. 
A  ce  compte,  combien  de  légendes  ne  pourrait-on  pas  invoquer 
ici  comme  issues  directement  et  tout  d'une  pièce  les  unes  des 


—  86  — 

autres  ?  Et  pourtant,  si  rigoureusement  qu'ait  procédé  M.  A. 
Schott  dans  l'élimination  de  ce  qu'il  appelle  «  les  circonstances 
accessoires  »,  les  destinées  des  trois  jeunes  filles,  réduites  à 
leur  plus  simple  expression,  n'en  restent  pas  moins  très  diffé- 
rentes. L'histoire  de  chacune  d'elles  ne  se  résume  pas,  comme 
le  voudrait  M.  A.  Schott,  dans  cette  simple  phrase  :  la  jeune 
lille  est  enlevée  violemment  à  son  liancé,  qui  la  délivre  après 
plus  ou  moins  de  luttes. 

Où  est  donc  ce  liancé  auquel  Hilde  des  Indes  est  enlevée  vio- 
lemment? llagen  la  rencontre  par  hasard  dans  l'île  des  Griffons 
et  l'épouse  après  l'avoir  délivrée.  Mais  avant  d'être  échappé  lui- 
même  des  serres  du  griffon,  jamais  il  n'avait  vu  Hilde,  jamais 
il  ne  lui  avait  été  fiancé. 

Hilde  H  est-elle  donc  enlevée  violemment  à  son  liancé  ?  Loin 
de  là,  c'est  son  amant  qui  l'enlève,  ou  plutôt  elle  suit  de  bon 
gré  ses  émissaires,  elle  s'enfuit  de  concert  avec  eux,  et  tous  deux 
s'attirent  par  là  le  courroux  d'Hagen. 

Seule,  on  le  voit,  Gudrun  est  bien  réellement  ravie  à  son 
fiancé,  seule  elle  souffre  de  longues  années  dans  un  véritable 
esclavage,  seule  elle  est  plus  tard  délivrée  par  lui. 

Sans  doute,  les  trois  récits  offrent  quelques  traits  de  ressem- 
blance; car  tous  trois  reposent  au  fond  sur  un  même  fait  :  l'en- 
lèvement d'une  jeune  fille  ;  sans  doute,  c'est  môme  cette  simili- 
tude qui  a  pu,  à  un  moment  donné,  pousser  un  poète  habile  à 
les  réunir  ;  mais  de  là  à  conclure  à  leur  identité,  il  y  a  loin  (1). 

A  la  vérité,  cette  identification  avait  quelque  chose  de  sédui- 
sant. Car,  il  faut  bien  l'avouer,  le  mythe  qui  sert  de  base  à  la 
légende  d' Hilde  s'expliquerait  encore  bien  plus  facilement  et 
bien  plus  complètement  à  l'aide  de  la  légende  plus  développée 
de  Gudrun.  Si,  en  effet,  la  jeune  fllle  enlevée  est,  comme  on  s'ac- 
corde à  l'admettre,  la  personnification  de  la  terre  renaissante, 
l'image  de  la  parure  qui  la  couvre  en  été,  sa  délivrance  au  prin- 
temps a  dû  être  précédée  d'un  rapt  en  automne. 

L'explication  une  fois  trouvée,  il  s'agissait  de  découvrir  à  la 
légende  ainsi  commentée  des  antécédents  mythologiques.  C'est 

1.  Oa  trouvera  peut-être  que  nous  avons  insisté  bien  longuement  sur 
la  tentative  de  M.  A.  Schott;  mais,  outre  qu'elle  est  une  des  plus  sérieuses 
qui  aient  été  faites  dans  ce  sens  et  qu'elle  jouit  encore  en  Allemagne 
d'un  certain  crédit,  elle  louchait  à  des  questions  de  principes  et  de  mé- 
thode, sur  lesquelles  il  nous  a  semblé  préférable  de  nous  expliquer  à  fond 
une  fois  pour  toutes. 


—  87  — 

ce  qu'a  tenté,  entre  autres,  M.  E.  Martin  (1)  et  il  a  proposé, 
comme  prototype  de  la  légende  de  Gudrun,  celle  d'Idun  telle 
que  la  rapporte  VEdda  de  Snorri  (2).  Mais  lui-même  n'apas  tardé 
à  convenir  que  sa  tentative  était  trop  hardie,  que  la  comparai- 
son essayée  reposait,  d'une  part^,  sur  des  ressemblances  trop 
vagues,  trop  générales,  que,  d'autre  part,  la  concordance  obser- 
vée dans  quelques  points  secondaires  pouvait  être  toute  fortuite, 
et  que  rien  enfin  n'autorisait  à  poser  avec  quelque  vraisem- 
blance une  telle  conclusion  (3). 

Ces  échecs  multipliés  n'ont  pas  arrêté  l'ardeur  des  critiques, 
et,  tout  récemment  encore,  une  nouvelle.hypothèse  a  été  produite 
par  M.  E.  Wilken.  Elle  a  au  moins  le  mérite  de  la  hardiesse  et 
de  la  singularité.  Partant  de  l'impossibilité  trop  constatée  de 
trouver  à  la  légende  de  Gudrun  une  origine  assurée  quelconque, 
M.  E.  Wilken  (4)  pose  en  principe,  qu'il  n'y  a  jamais  eu,  à  pro- 
prement parler,  de  légende  de  Gudrun,  et  que  notre  poème  se 
compose  d'une  fusion,  assez  compliquée  comme  on  va  le  voir, 
entre  diverses  rédactions  des  légendes  d'Hilde  et  d'Hildebourg. 

Pour  cela,  il  divise  tout  le  poème  en  quatre  parties  :  4"  les 

1.  Heidelberger  Jahrbùcher,  1867,  I,  50  sq. 

2.  EddaSnorra  Sturlusonar  (Hafniae,  1848-87,  3  vol.  iii-8°.  [Cette  édition 
nous  sert  pour  toutes  les  citations  de  VEdda  de  Snorri])  :  Bragarœdhur, 
I,  208;  cf.  Der  Mythus  von  Thor  par  L.  Uhland  dans  ses  Schriften  zur 
Geschichte  der  Dichtung  und  Sage,  VI,  66  sqq. 

3.  Avant  M.  E.  Martin,  un  autre  éditeur  de  notre  poème  avait  tenté  un 
rapprochement  du  même  genre  :  nous  nous  contenterons  de  le  citer  ici, 
pour  montrer  jusqu'où  peut  aller  l'arbitraire,  quand  on  s'en  tient  aux 
ressemblances  les  plus  douteuses  et  que,  de  propos  délibéré,  on  élimine 
comme  «  accessoire  »  tout  ce  qui  serait  en  contradiction  avec  le  résultat 
préconçu.  Dans  son  édition  de  la  Gudrun  (1858),  M.  W.  von  Plùnnies 
avait  essayé  (p.  233  sq.)  d'identifier  l'histoire  de  Gudrun  avec  celle  de 
Syritha,  telle  que  la  rapporte  Saxo  Grammaticus  (éd.  de  P.  E.  Mûller, 
I,  330  sq.).  Mais  ses  assertions  sont  aussi  peu  fondées  que  celles  de 
M.  Martin  à  propos  d'Idun  et  se  heurtent  aux  mêmes  objections.  —  Nous 
n'insisterons  pas  non  plus  sur  le  rapprochement  tenté  par  M.  Bugge, 
Untersuchungen  (p.  98  de  la  traduction  allemande)  entre  la  légende  des 
Hjadninge  et  les  légendes  de  Jason,  Médée  et  Aétès  d'une  part,  de  Cadmus, 
Europa  et  Agénor  d'autre  part.  L'auteur  a  promis  de  prouver  plus  tard 
le  bien-fondé  de  son  hypothèse  :  jusqu'à  plus  ample  informé,  nous  ne 
pouvons  qu'y  voir  un  résultat  de  la  tendance  qui  pousse  M.  Bugge  à  trou- 
ver partout  dans  la  légende  germanique  des  emprunts  ou  des  réminis- 
cences de  l'antiquité  chrétienne  ou  classique. 

4.  Cf.  Gottingische  Gelehrte  Anzeigen,  1872,  p.  2027-2029. 


—  88  — 

aventures  d'Hagen,  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici; 
2°  celles  d'Hilde  ;  3°  celles  de  Gudrun  jusqu'au  combat  du 
Wûlpensand  ;  4°  l'expédition  libératrice  et  le  retour  de  Gudrun. 
Mais  il  s'agit  maintenant  de  retrouver  la  légende  qui  fait  le  fond 
de  chacune  de  ces  parties;  dès  lors  M.  E.  Wilken  devient  beau- 
coup moins  aflirmatif.  Pour  lui  la  légende  n°  2  (les  aventures 
d'Hilde)  s'identilie,  non  plus,  comme  il  semblerait  naturel,  avec 
la  légende  d'Hilde  dans  Snorri,  Saxo  et  autres,  mais,  rappro- 
chement au  moins  hasarde,  avec  celle  d'Herbort  et  d'Hilde  dans 
la  Thidrekssaga  (1).  A  la  vérité,  il  avoue  que  la  Thidrekssarja  nous 
en  donne  le  fondement  historico-légendaire  très  obscurci.  Bien 
obscurci  en  cilet,  comnie  nous  le  verrons  plus  tard  :  qu'il  nous 
sunise,pour  le  moment,  de  faire  observer,  qu'indépendamment 
de  toutes  les  diliérences  que  l'on  peut  relever  dans  l'action, 
pas  un  des  personnages,  si  ce  n'est  llilde,  n'est  commun  aux 
deux  légendes. 

.  De  même,  la,  légende  d'Hilde  dans  YEdda  de  Snorri  devient, 
avec  M.  E.  Wilken,  la  source  de  l'histoire  de  Gudrun  jusqu'au 
combat  sur  le  Wiilpensand.  Sans  doute,  à  ne  considérer  que 
la  marche  de  l'action,  les  faits  ne  sont  pas  sans  offrir  quelque 
ressemblance  (2).  Mais  par  quel  effet  du  hasard  ou  par  quelle 
savante  combinaison  les  noms  d'Hilde,  Hetel,  Hagen,  qui  se 
retrouvent  dans  Snorri,  Saxo  et  Gunnlaug  d'une  manière  iden- 
tique à  notre  légende  n"  2,  auraient-ils  subitement  et  tous  ensem- 
ble disparu  de  la  légende  n°  3,  pour  faire  place  aux  noms 
nouveaux  de  (iudrun,  Herwig,  Ludwig,  et  aller  prendre  dans 
la  légende  n°  2  la  place  de  ceux  d'Herbort,  Dietrich,  Artus, 
Hildebourg,  etc..  ?  C'est  ce  que  M.  E.  Wilken  n'explique  pas 
et  pour  cause  :  car^  essayer  même  d'énoncer  ce  prétendu  chan- 
gement;,  c'est  en  montrer  suffisamment  toute  l'obscurité  et 
l'impossibilité. 

Même  remarque  pour  la  légende  n"  4,  qui  correspondrait  à 
celle  d'Hildebourg  dans  Biterolf  et  Dklleib. 

Avouons-le  donc,  en  terminant  cet  examen  peut-être  déjà  trop 
long^  jusqu'à  la  découverte,  malheureusement  bien  peu  probable 
maintenant,  d'autres  sources  ou  d'autres  documents,  rien  ne 

\.  Saga  Didriks  Konungs  af  Bern,  éd.  p.  R.  Uoger  (Christiania,  1833, 
in-8°),  chap.  233-239. 

2,  Sauf  ce  point  capital  qu'il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue,  à  savoir 
qu'Hilde  suit  volontairement  son  ravisseur,  tandis  que  Gudrun,  déjà 
fiancée,  est  brutalement  enlevée  par  un  rival  éconduit. 


—  89  — 

nous  autorise  à  attribuer  à  la  légende  de  Gudrun  une  origine 
mythologique,  rien  ne  nous  permet  de  déterminer  dans  quel 
rapport  elle  se  trouvait  vis-à-vis  celle  d'Hilde  avant  la  compo- 
sition de  notre  poème.  Le  plus  sûr  est  donc  de  considérer  ces 
deux  légendes  chacune  pour  soi  et  de  regarder  le  lien,  qui  les 
unit  maintenant,  comme  purement  extérieur,  conventionnel  et 
fortuit  (1). 

Il  ne  resterait  par  conséquent,  si  l'on  veut  expliquer  l'origine 
de  la  légende  de  Gudrun,  qu'à  admettre  pour  elle  un  fondement 
historique.  Or,  bien  que  sur  ce  terrain  aussi  tout  point  de  repère 
fasse  défaut,  les  plus  grandes  vraisemblances  sont  pour  le  bien- 
fondé  de  cette  solution. 

Néanmoins,  le  premier  essai  sérieux  tenté  dans  cette  direc- 
tion n'a  pas  été  heureux.  En  fouillant  l'histoire  des  Francs  et 
des  peuples  du  Nord  vers  le  ix^  siècle,  M.  Mone  a  cru  recon- 
naître l'origine  des  aventures  prêtées  à  Gudrun  dans  les  desti- 
nées de  Judith,  fille  de  Charles  le-Chauve,  qui  épousa  successi- 
vement Aethelwulf  d'Angleterre,  puis  son  fils  et  successeur 
Aethelbald  et  enfin  Baudouin  Bras-de-fer,  comte  de  Flandre.  Il 
part  de  la  supposition  que  les  faits  se  passent  entre  les  Anglo- 
Saxons  et  les  Frisons  de  la  terre  ferme;  or^,  il  est  pour  le  moins 
douteux  que  la  légende  de  Gudrun  ait  jamais  émigré,  ne  fût-ce 
que  temporairement,  des  côtes  de  la  Séelande  à  celle  de  l'Angle- 
terre. Quoi  qu'il  en  soit,  voici  les  faits  sur  lesquels  M.  Mone 
croit  pouvoir  s'appuyer  (2) . 

En  855,  le  roi  d'Angleterre  Aethelwulf  alla  à  Rome  avec  son 
fils  Aelfred,  et,  en  chemin,  s'arrêta  à  la  cour  du  roi  de  France 
Gharles-le-Ghauve.  A  son  retour,  en  856,  il  épousa  Judith,  fille 
de  Gharles-le-Ghauve,  et  le  mariage  eut  lieu  à  Verberie.  Mais, 
Aethelwulf  étant  mort  dès  858,  son  fils  et  successeur  Aethelbald 
épousa  sa  belle-mère  Judith  et  mourut  aussi  quelques  années 
plus  tard,  en  860.  Alors  Judith  revint  à  la  cour  de  France  avec 
de  grands  trésors,  mais  pour  se  remarier,  bientôt  après,  une  troi- 
sième fois.  Baudouin  Bras-de-fer,  comte  de  Flandre,  était  amou- 


1.  Nous  devons  repousser,  pour  des  raisons  analogues,  les  tentatives  du 
même  genre  faites  par  Wilmanns  [Die  Entwickelung  der  Kudrundichtung 
[1873],  p.  221  sqq.)  et  par  B.  Symons  (p.  H- 18  de  la  préface  de  son  édition 
de  Gudrun).  Ces  procédés  de  fusion  sont  trop  compliqués  pour  avoir  pu 
être  l'œuvre  de  la  poésie  populaire. 

2.  Mone,  Quellen  und  Forschungen,  etc.,  p.  102  sq.;  cf.  Hincmari  Hem. 
Annal,  ap.  Perlz,  Mon.  Germ.,  I,  450-4ol  ;  456-462. 


—  90  — 

reux  d'elle,  et  elle  de  lui  ;  il  se  concerta  avec  Louis,  frère  de 
Judith,  et  enleva  cette  princesse  déguisée.  Gharles-le-Ghauve  in- 
digné soumit  le  cas  à  une  assemblée  des  seigneurs  et  des  évè- 
ques  du  royaume  ;  mais  Baudouin  alla  trouver  à  Rome  le  pape, 
dont  les  conseils  opérèrent  la  réconciliation  du  roi  avec  sa  fille, 
qu'il  maria  solennellement  avec  Baudoin  à  Auxerre  en  863. 

Quel  point  de  rapprochement  peut-il  bien  exister  entre  cette 
histoire  et  celle  de  Gudrun?  M.  Mone  en  trouve  cependant,  et 
l'argument  le  plus  fort  qu'il  produise  consiste  à  dire  que,  Judith 
se  disant  en  allemand  .7 i///a,  et  Jutta  étant  dans  les  traditions  al- 
lemandes une  espèce  de  sorcière  ou  de  fée  malfaisante,  Judith 
ne  fait  qu'un  avec  Gudrun,  qu'on  s'est  habitué  à  regarder,  dès 
les  temps  les  plus  anciens  (du  moins  c'est  M.  Mone  qui  le  dit), 
commo  une  femme  portant  malheur  {unheilvoll).  Mais  c'est  préci- 
sément tout  l'opposé  du  caractère  de  Gudrun,  tel  qu'il  nous  appa- 
raît partout.  Et  puis,  comment  tous  les  personnages  ont-ils  pris 
ainsi  des  noms  nouveaux  ?  Comment  les  faits  qui  se  passent  en 
pleine  période  historique,  qui  sont  clairement  et  explicitement 
relatés  dans  les  annales  du  temps,  ont-ils  subi  tout  à  coup  la 
métamorphose  nécessaire  pour  concorder  avec  les  données  de 
notre  poème?  Que  font  dans  l'histoire  de  Judith  les  Danois  et  les 
Normands  que  nous  trouvons  dans  la  Gudrun'?  Gomment  ont-ils 
remplacé  les  Anglo-Saxons  et  les  Français  de  l'histoire?  Gom- 
ment, à  la  place  de  l'intervention  du  pape,  voyons-nous  la  que- 
relle se  continuer  pendant  treize  années  de  luttes?  Autant  de 
questions  que  M.  Mone  essaie  de  résoudre,  sans  y  parvenir;  au- 
tant d'objections  qu'il  s'efforce  en  vain  de  réfuter.  Enfin,  ces 
faits  intéressent  purement  l'histoire  de  France  et  l'on  ne  voit 
pas  comment  ils  auraient  pu  devenir  l'objet  de  chants  germa- 
niques et  aller  se  fondre  dans  les  légendes  héroïques  de  la  mer 
du  Nord. 

M.  Mone  nous  semble  plus  près  de  la  vérité,  lorsque,  parlant 
des  expéditions  des  Normands  le  long  des  côtes  de  la  Frise,  il 
ajoute  (p.  106)  :  «  L'enlèvement  de  Gudrun,  les  mauvais  traite- 
ments qu'elle  subit,  la  dévastation  de  son  pays,  ne  sont  évidem- 
ment que  de  fidèles  tableaux  empruntés  à  la  réalité.  Il  est  pos- 
sible que  les  Normands  aient  ainsi  enlevé  et  maltraité  mainte 
femme  frisonne.  »  —  Que  n'a-t-il  poursuivi  cette  idée,  qui  était 
la  bonne,  et  laissé  là  Judith  et  ses  noces  trois  fois  répétées? 

G'est,  en  effet,  dans  ces  luttes  incessantes  entre  les  populations 
frisonnes  et  normandes  des  côtes  de  la  mer  du  Nord  qu'il  faut 
chercher  le  premier  germe  des  aventures  de  Gudrun.  On  a  bien 


—  91  — 

signalé  la  ressemblance  qui  existe  entre  les  destinées  de  Gii- 
drun  et  celles  d'Adélaïde,  seconde  femme  d'Othon  1"  :  les  années 
de  captivité  de  Gudrun,  les  mauvais  traitements  que  lui  fait 
subir  Gerlinde,  dont  elle  se  refuse  à  épouser  le  fils,  la  fidélité 
d'Hildebourg  otTrent  certainement  de  frappantes  analogies  avec 
le  triste  sort  de  cette  malheureuse  princesse;  mais,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit,  ce  point  de  rapprochement  est  purement  exté- 
rieur ;  il  ne  touche  qu'à  la  forme  poétique,  œuvre  d'un  des  der- 
niers chanteurs  qui  nous  ont  légué  la  Gudrun  dans  son  état  actuel 
et  dans  laquelle  il  a  recueilli  un  écho  des  récits  émus  que  sus- 
citaient alors  de  toutes  parts  en  Allemagne  les  soutfrances 
d'Adélaïde.  Sans  doute,  la  triste  histoire  de  celle-ci  a  pu  lui 
servir  de  modèle  pour  élargir,  amplifier  et  embellir  le  récit  des 
épreuves  de  (îudrun;  sans  doute,  c'est  au  souvenir  des  traite- 
ments indignes  subis  par  Adélaïde  à  Gôme  que  nous  devons  la 
peinture  émouvante  de  la  captivité  de  Gudrun  chez  les  Nor- 
mands. Mais  les  faits,  qui  constituent  le  fond  de  notre  légende, 
sont  indépendants  de  ces  amplifications  poétiques  et  remontent 
à  une  bien  plus  haute  antiquité. 

On  peut,  avec  les  plus  grandes  probabilités  et  sans  aucune 
exagération,  les  reporter  au  x"  et  même  au  ix°  siècle.  A  cette  épo- 
que, sous  le  règne  de  Charlemagne,  et  plus  encore  sous  celui  de 
ses  faibles  successeurs,  un  petit  royaume  frison  ou  danois  avait 
bien  pu  se  constituer  d'une  manière  indépendante  sur  les  côtes 
de  la  mer  du  Nord,  entre  les  bouches  du  Rhin  et  de  l'Elbe  (1). 
Or,  vers  le  même  temps,  les  incursions  des  Danois  et  des  Nor- 
wégiens  dans  ces  parages  recommençaient  avec  plus  de  fureur 
que  jamais  et  leurs  flottes  infestaient  les  bouches  de  tous  les 
fleuves  qui  se  jettent  dans  la  mer  du  Nord  et  même  dans  l'Océan 
Atlantique,  depuis  le  Rhin,  laMeuse  et  l'Escaut  jusqu'à  la  Seine 
et  la  Loire.  On  sait  que,  par  le  traité  de  Saint-Glair-sur-Epte 
(912),  ils  obtinrent  la  Normandie  actuelle  où  ils  s'établirent. 
Vers  ce  temps  donc  une  princesse  frisonne  ou  danoise  du  nom 
de  Gudrun  a  bien  pu  être  enlevée  par  les  Normands,  maltraitée 
par  leur  chef,  aux  volontés  duquel  elle  refusait  de  se  rendre,  et, 
après  de  longs  tourments,  qui  avaient  mis  en  relief  sa  fidélité 

1.  Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  en  826,  Louis-Ie-Pieux  donna  au  Da- 
nois Harald,  qui  s'était  fait  baptiser,  le  comté  de  Rùstringen  en  b>iso, 
pour  protéger  la  cùle  contre  les  Normands;  de  môme,  Itorich  rcrut  le 
Kennemcrland  dans  la  Frise  occidentale  et  Hemming  une  partie  de  la 
Séelande  hollandaise. 


—  92  — 

envers  son  fiancé,  délivrée  par  les  Frisons  et  les  Danois  unis 
contre  les  éternels  dévastateurs  de  leurs  côtes. 

Si  nous  consultons  en  effet  les  récits  nordiques,  nous  y  trou- 
vons la  confirmation  indirecte  des  faits  que  nous  venons  d'a- 
vancer. Pendant  longtemps  les  Sagas  parlent  en  termes  vagues 
des  expéditions  des  hommes  du  Nord  contre  le  Valland.  Sous  ce 
nom  de  Valland,  elles  paraissent  entendre  les  contrées  situées 
aux  bouches  de  l'Escaut,  de  la  Meuse  et  du  Rhin,  et  plus  géné- 
ralement lo  pays  compris  entre  \o  lac  Flévo  et  la  côte  de  la  Bel- 
gique actuelle.  Ainsi,  Frothon  V  fit  une  expédition  contre  le 
pirate  frison  Vitthon,  pénétra  dans  les  terres  et  soumit  pour 
quelque  temps  la  Frise  Occidentale.  De  même,  quelques  siècles 
plus  tôt,  on  voit  Lofde,  fils  du  roi  de  Norwoge  Halfdan-le-Vieux, 
s'établir  dans  le  Jiitland  et  de  là  ravager,  avec  ses  frères  Audle 
et  Budle,  les  côtes  du  Valland  et  de  la  Saxe. 

Quant  aux  enlèvements  de  jeunes  princesses,  qui  étaient  le 
plus  souvent  le  but  ou  la  conséquence  de  ces  expéditions,  ils 
nous  sont  encore  attestés  par  maint  récit  des  Sagas  ou  de  Saxo. 
Ainsi,  Svafurlami,  roi  de  Gardariki,  avait  tué  en  duel  Jotun 
Thiassi  et  avait  épousé  sa  fille,  emmenée  prisonnière  avec  le 
butin;  il  lui  arriva  à  peu  près  la  même  chose.  Un  berserkir, 
Arndgrim,  débarqua  dans  son  royaume,  le  tua  et  épousa  sa  fille 
Eyvor  (1).  De  même,  Gunnar,  pirate  suédois,  attaqua  Regnald, 
roi  de  Norvvège.  Celui-ci,  avant  de  marchera  l'ennemi,  cache  sa 
fille  Moalde  avec  des  vivres  et  de  nombreux  trésors  dans  une 
grotte  écartée  ;  mais  il  est  vaincu  et  tué  dans  le  combat.  Le 
vainqueur  pénètre  alors  dans  la  retraite  de  la  jeune  fille,  s'em- 
pare des  trésors  accumulés  près  d'elle  et  l'épouse  (2). 

Que  Gudrun  ait  été  réellement  emmenée  en  esclavage  dans  la 
Normandie  française,  c'est  ce  que  notre  poème,  sous  sa  forme 
actuelle,  admet  sans  conteste.  Mais,  on  le  sait,  partout  où  les 
Normands  sont  cités  dans  la  légende  héroïque  allemande,  ou 
plutôt  dans  les  œuvres  plus  ou  moins  tardives  qui  nous  l'ont 
transmise,  c'est  toujours  de  cette  contrée  qu'il  est  question. 
Pour  le  poète  du  xi*'  au  xiii*  siècle,  aussi  bien  que  pour  ses 
auditeurs,  il  n'y  a  plus  d'autres  Normands  que  ceux  de  France. 

i.  Saxo  Grammaticus,  Livre  V,  cité  par  Depping,  Expéditions  maritimes 
des  Normands,  I,  54-55.  Inutile  de  faire  observer  qu'ici  encore  l'histoire 
s'est  rapidement  fondue  dans  la  légende  et  la  mythologie. 

2.  Kianesinga  Saga,  Chap.  iv,  citée  par  Depping,  ibid.,  I,  49.  —  Cf. 
d'autres  exemples  ci-dessus,  p.  4-5. 


—  93  — 

Cependant,  il  est  naturel  de  croire  qu'on  entendait,  à  l'origine, 
par  la  Normandie  où  se  passent  les  aventures  de  Gudrun,  une 
de  ces  stations  éphémères  (trop  petites  et  trop  peu  durables,  en 
réalité,  pour  mériter  le  nom  de  royaumes),  que  les  Normands 
fondèrent  de  temps  en  temps  aux  bouches  de  l'Escaut  jusqu'à 
leur  défaite  par  Arnulf  à  la  bataille  de  Louvain  (891),  et  d'où  ils 
poussaient  leurs  incursions  jusqu'à  Cologne,  Aix-la-Chapelle, 
Coblence  et  Trêves  (845-891)  (1).  C'est  tout  au  moins  ce  qu'in- 
diquent encore  assez  clairement  quelques-unes  des  localités 
nommées  dans  le  poème  et  dont  la  trace  s'est  conservée  à  peu 
près  inaltérée  à  travers  les  rédactions  successives.  Ainsi,  des 
noms  comme  Kassiàne  (Cadsand),  Wulpemvert,  Wàleis,  Mor- 
land,  Seeland  prouvent  assez  que  le  théâtre  primitif  des  aven- 
tures de  Gudrun  était  aux  bouches  de  l'Escaut  ;  plus  tard,  une 
fausse  érudition  a  dénaturé  ces  données,  déformé  les  noms, 
déplacé  les  villes  et  les  pays,  fait  des  Normands  pirates  nos 
Normands  de  France,  transformé  les  P'risons  en  Danois,  con- 
fondu la  Séelande  hollandaise  avec  la  Séelande  danoise  et 
identifié  gratuitement  les  guerriers  du  Morland  avec  les  Mores. 

Naturellement,  le  fait  matériel  et  ses  circonstances  réelles  et 
précises  furent  vite  oubliés  :  il  ne  resta  que  le  vague  souvenir 
d'une  grande  victoire  remportée  sur  les  Normands  à  telle  et 
telle  occasion;  puis,  en  perdant  de  leur  précision,  les  événe- 
ments perdirent  de  leur  simplicité  primitive,  ils  allèrent  gran- 
dissant dans  l'esprit  de  ceux  qui  en  gardaient  le  souvenir  ainsi 
que  l'honneur.  D'autres  faits  guerriers  du  même  genre  ne  tar- 
dèrent pas  à  se  mêler  aux  premiers  :  les  actions  prirent  plus 
d'éclat,  le  théâtre  de  la  guerre  fut  agrandi  ;  l'ennemi  fut  repré- 
senté plus  fort  et  plus  nombreux  ;  le  prix  de  la  victoire  n'en 
était-il  pas  augmenté  d'autant  ?  Tout  cela,  bien  que  nous  ne 
puissions  le  rétablir  que  par  induction,  concorde  de  tous  points 
avec  ce  que  l'on  observe  dans  la  formation  et  le  développement 
de  toute  légende  nationale. 

Notons  enfin  que,  parmi  les  restes  des  lois  anglo-saxonnes,  se 

i.  Ce  qui  tendrait  encore  à  le  prouver,  c'est  que  les  Normands  sont  sur 
le  point  de  rentrer  dans  leur  pays  au  moment  où  ils  font  halte  sur  le 
Wùlpensand.  —  C'est  aussi  à  l'époque  d'Arnulf  et  précisément  dans 
les  mêmes  parages  que  nous  reporte  Sifred  le  Danois,  dont  parle 
M.  Steenstrup  {Danske  Kolonier  i  Flandern,  etc..)  et  dont  il  sera  question 
plus  tard,  Livre  III,  Ghap.  1,  à  propos  de  la  géographie  du  royaume  de 
Siegfried  de  Morland. 


—  94  — 

trouvent  deux  traités  entre  Anglo-Saxons  et  Danois^,  où  l'on  voit 
apparaître  le  nom  de  Gudrun. 

Le  premier  de  ces  traités  (1)  aurait  eu  lieu,  selon  Kemble,  en 
878;  conclu  à  Wedmore  entre  Alfred,  au  nom  de  son  peuple, 
d'une  part,  et  Gudrun,  au  nom  des  Danois,  d'autre  part,  il  avait 
surtout  pour  but  la  délimitation  des  terres  occupées  sur  la  côte 
orientale  de  l'Angleterre  par  ces  derniers.  Quelques  années  plus 
tard,  vers  901-905,  un  autre  roi  danois  du  même  nom  conclut 
un  nouveau  traité  avec  Edouard-l'Ancien  (2). 

Sans  doute,  le  nom  de  Gudrun  s'applique  ici  à  un  homme  ; 
mais,  d'une  part,  il  s'applique  à  un  Danois,  et  prouve  après 
tout  que  le  nom  de  Gudrun  existait  réellement  vers  le  ix^  siècle 
parmi  les  Danois.  D'autre  part,  ce  transfert  d'un  nom  d'homme 
à  une  femme,  ou  réciproquement,  n'a  rien  de  surprenant;  on  en 
a  plus  d'un  exemple  dans  la  légende  héroïque  allemande.  Ainsi, 
dans  la  basse  Lorraine,  la  légende  a  transformé  Brunehault  en 
un  roi  (3). 

On  comprend  facilement  qu'une  histoire  de  ce  genre  devait 
offrir  un  certain  degré  de  ressemblance  avec  la  légende  d'Hilde; 
d'un  côté  comme  de  l'autre  c'est  un  enlèvement  qui  forme  la 
base  du  récit.  On  conçoit  donc  que  le  jour  où  les  deux  légendes 
arrivèrent  à  être  rapprochées,  assez  dissemblables  pour  pouvoir 
être  attribuées  à  deux  héroïnes  différentes,  elles  présentaient 
en  même  temps  ce  degré  d'analogie,  que  les  poètes  du  moyen 
âge  aiment,  comme  nous  l'avons  vu,  à  établir  jusqu'à  un  cer- 
tain point  entre  les  destinées  d'une  mère  et  celles  de  sa  fille. 

De  quelle  manière,  où  et  quand  s'opéra  cette  fusion  ?  C'est  ce 
qu'il  est  assez  difficile  de  déterminer  et  ce  que  nous  n'avons 
point  à  rechercher  actuellement.  Qu'il  nous  suffise,  pour  le 
moment,  d'avoir  bien  établi  ces  deux  points  :  que  la  légende  de 
Gudrun  n'a  certainement  pas  une  origine  mythologique,  mais 


1.  Cf.  R.  Schmid,  Die  Gesetze  der  Angelsachsen  {Leipzig,  2^  éd.,  1858, 
in-S"),  Introduction,  p.  xxxvm  et  Paix  d'Alfred  et  de  Gudhrun,  p.  i06. 
L'un  des  mss.  reproduits  par  M.  Schmid  donne  la  forme  Gùdhrùm,  mais 
l'autre  porte  Gùdhrùn  et  le  texte  latin  des  Pseudoleges  Alfredi  régis  et 
Godrini  (ibid.,  p.  424)  reporte  aussi  à  la  forme  Gùdhrùn.  Le  nom  de  Gu- 
drun  ou  Gudhrun,  appliqué  k  une  femme,  se  retrouve,  comme  l'on  sait, 
dans  maint  passage  de  VEdda  de  Saemund. 

2.  Cf.  R.  Schmid,  loc,  cit.,  Introduction,  p.  xlii  et  Lois  d'Edouard  et 
de  Gudhrun,  p.  H 8. 

3.  Mone,  Untersuchungen  zur  Geschichte  der  deutschen  Heldensage,  p.  69. 


-  95  — 

peut,  avec  toute  vraisemblance,  être  rapportée  à  un  fait  histori- 
que, et  que  seule  la  légende  d'Hilde  nous  ott're  un  reste  des 
mytheS;,  qui  vécurent  autrefois  dans  la  croyance  des  peuples 
dispersés  sur  les  bords  de  la  mer  du  Nord.  C'est  à  l'examen  de 
cette  dernière  légende  qu'il  nous  reste  à  passer  ;  après  être 
remonté  jusqu'au  mythe  qu'elle  renferme,  nous  grouperons  à 
la  suite  de  cette  étude  les  autres  et  trop  rares  débris  mythologi- 
ques épars  çà  et  là  dans  notre  poèmo  et  nous  les  rétablirons, 
autant  que  possible,  sous  leur  forme  primitive. 


LIVRE  II. 

LES  ÉLÉMENTS  MYTHOLOGIQUES  DANS  LE  POÈME 
DE  CUDRUX:  ORIGINE  DE  LA  LÉGENDE  D  HILDE  ;  LE 
MYTHE  PRIMITIF  ET  LES  LÉGENDES  QUI  EN  SONT 
ISSUES. 


CHAPITRE  I. 

DIVERSES  FORMES  DE  LA  LÉGENDE  d'iIILDE  :  LE  RÉCIT  DE  SAXO  GRAMMATICUS  ; 

LA  sxorra-edda;  la  saga  d'olaf  tryggvason. 

A  propos  de  l'histoire  de  Frothon  III,  roi  de  Danemark,  Saxo 
Grammalicus,  qui  vivait  dans  la  seconde  moitié  du  xii"  siècle, 
raconte  ce  qui  suit  : 

«  Cependant  Hithin,  roi  d'une  partie  de  la  Scandinavie,  vint 
»  se  joindre  à  la  flotte  de  Frothon  avec  150  vaisseaux...  Il  fut 
»  amicalement  reçu  par  le  roi,  dont  les  forces  se  trouvaient 
»  par  là  notablement  augmentées.  Dans  la  suite  il  s'éprit  d'un 
»  amour,  payé  de  retour,  pour  Hilde,  fille  d'Hogni,  roi  des  Jutes, 
»  jeune  princesse  d'une  beauté  célèbre.  Avant  de  s'être  vus,  leur 
»  renommée  mutuelle  les  avait  déjà  rendus  réciproquement 
»  amoureux.  Mais,  dès  qu'ils  eurent  Toccasion  de  se  voir,  ils  ne 
»  purent  plus  détacher  leurs  regards  l'un  de  l'autre,  tant  l'a- 
»  mour  avait  enchaîné  leurs  yeux...  L'hiver  passé,  Hithin  et 
»  H<)gni  entreprirent  ensemble  une  expédition  sur  mer.  Car 
»  H(">gni  ignorait  encore  l'amour  d'Hithin  pour  sa  fille.  Hngni 
»  était  d'une  haute  stature  et  d'un  esprit  subtil;  quant  à  Hi- 
»  thin,  il  était  beau  de  corps^,  mais  petit  de  taille...  Puis  Hogni 
»  fiança  sa  fille  à  Hithin,  après  que  les  deux  héros  se  furent  juré 
»  une  amitié  solennelle  et  réciproque  et  eurent  fait  serment  que 
»  celui  des  deux  qui  périrait  violemment  trouverait  dans  l'autre 
»  un  vengeur...  Cependant  Hithin  fut  desservi  auprès  d'Hogni 
»  par  les  délations  de  quelques  courtisans  et  accusé  d'avoir 
»  abusé  de  sa  fille  avant  le  mariage,  ce  qui  alors  passait  pour 
»  un  forfait  abominable  chez  ces  peuples.  Prêtant  à  ces  calom- 
»  nies  une  oreille  trop  crédule,  Hogni  attaqua  donc  Hithin,  qui, 

Fégamp,  Gudriin.  7 


—  98  — 

»  à  ce  moment,  recueillait  le  tribut  chez  les  Slaves.  Mais,  vaincu 
»  par  lui,  il  dut  se  réfugier  dans  le  Jiitland.  Ainsi  une  querelle 
»  privée  avait  porté  atteinte  à  la  paix  édictée  par  Frothon... 
»  Voyant  qu'il  ne  pouvait  les  réconcilier  et  que  le  père  récla- 
»  mait  plus  obstinément  que  jamais  sa  fille,  il  décida  que  la  con- 
»  testation  devait  se  dénouer  par  les  armes.  C'était  en  effet  le 
»  seul  remède  qu'il  vît  pour  terminer  le  différend.  A  peine  le 
»  combat  était-il  engagé  qu'il ithin,  frappé  d'une  grave  blessure, 
))  perdit  ses  forces  avec  son  sang;  cependant  il  éprouva  d'une 
»  manière  inespérée  la  clémence  de  son  ennemi.  Car  Hogni,  qui 
»  n'avait  plus  qu'un  mouvement  à  faire  pour  le  tuer,  touché  de 
»  sa  beauté  et  de  sa  jeunesse,  sentit  la  pitié  faire  place  en  lui  à 
»  la  haine.  Il  s'abstint  donc  de  trancher  par  le  fer  la  vie  du  jeune 
»  homme,  qui  ne  tenait  plus  qu'à  un  fil.  Alors  en  effet  il  était 
»  honteux  pour  un  guerrier  de  tuer  un  adversaire  à  peine  sorti 
»  de  l'enfance  ou  désarmé;  tant  l'antique  vaillance  des  héros 
»  savait  s'allier  à  la  noblesse  des  mœurs.  Conservé  parla  pitié 
»  de  son  ennemi,  Hithin  fut  donc  porté  par  les  siens  à  bord  de 
»  son  vaisseau.  Mais,  sept  ans  plus  tard,  ils  reprirent  la  lutte 
»  dans  l'île  d'Hithinso  et  se  tuèrent  l'un  l'autre.  Trop  heureux 
»  Hogni,  s'il  s'était  montré  plus  cruel  pour  Hithin  le  jour  où 
»  il  l'avait  vaincu.  On  rapporte- qu'Hilde  brûlait  d'un  tel  amour 
»  pour  son  époux  que,  pendant  la  nuit,  elle  ressuscitait  par 
»  ses  incantations  les  mânes  des  héros,  pour  recommencer  la 
»  lutte  (1).  » 

On  voit  de  suite  le  degré  de  conformité  qui  existe  entre  ce  ré- 
cit et  notre  légende  d'Hilde.  Seulement  ici  la  légende  nous  est 
rapportée  sous  une  forme  plus  simple  et  dégagée  de  toutes  les 
additions  ultérieures,  de  tous  les  embellissements  poétiques,  qu'y 
ont  ajoutés  les  âges  suivants.  C'est  ainsi  que  nous  ne  voyons 
dans  la  narration  de  Saxo  aucune  trace  des  trois  vassaux  d'He- 
tel  :  Wate,  Frute  et  Horand.  Leur  absence  s'explique  facile- 
ment par  ce  fait,  que  chacun  d'eux  avait  originairement  sa  lé- 
gende particulière  et  indépendante,  et  que  les  différents  récits, 
dont  ils  étaient  l'objet,  ne  se  sont  soudés  que  peu  à  peu  et  très 
tard  à  la  légende  d'Hilde.  L'un  d'entre  eux  pourtant  se  retrouve 
ici  ;  mais  il  occupe  dans  le  récit  de  Saxo  une  tout  autre  situation 
que  dans  notre  poème:  nous  voulons  parler  de  Frute,  qui  n'est 
rien  moins  que  le  roi  Frothon  lui-même, 

1.  Saxonis  Gramnmtki  Hlstoria  Dcmica,  éd.  p.  P.  E.  Mûller  (1839), 
Tome  I,  chap.  v,  p.  238  sqq. 


—  99  — 

Cette  coïncidence  peut  paraître  singulière  :  aussi  quelques 
critiques  ont-ils  essayé  d'en  tirer  parti  et  l'un  d'eux  a-t-il  tenté 
d'expliquer  l'une  par  l'autre  et  l'apparition  de  Frute  dans  la  Gu- 
drun  et  le  fait  que  Saxo  place  le  combat  d'Hugni  et  d'Hithin  sous 
le  régne  de  Frothon  (4).  L'influence  supposée  nous  semble  au 
moins  problématique  ;  la  forme,  sous  laquelle  la  légende  d'Hilde 
s'offrait  à  Saxo,  était  encore,  à  peu  de  chose  près,  comme  le 
prouve  son  récit,  celle  qu'elle  a  dans  VEdda  de  Snorri,  celle  qui 
se  rapproche  le  plus  du  mythe  primitif;  or,  à  l'époque  même  où 
nous  retrouvons  la  légende  d'Hilde  mentionnée  par  Lamprecht 
dans  sa  Chanson  d'Alexandre,  des  trois  messagers  d'Hetel,  Wate 
seul  s'est  déjà  mêlé  aux  destinées  d'Hilde.  Tout  nous  permet 
donc  de  supposer  qu'au  temps  où  Saxo  recueillit  la  légende, 
Frute,  aussi  bien  que  les  autres,  était  encore,  en  tant  (jue  mes- 
sager ou  vassal  du  prétendant,  complètement  inconnu  à  la  ré- 
daction qu'il  utilisait. 

Au  reste,  Frothon  paraît  jouer,  dans  le  recueil  des  chants  hé~ 
ro'iques  où  Saxo  a  puisé  les  éléments  de  son  Histoire  Danoise,  le 
même  rôle  qu'Artus  dans  le  cycle  breton,  Alexandre  dans  celui 
de  l'antiquité  et  Charlemagne  dans  le  cycle  carolingien.  C'est  à 
lui  que  se  rapportent  plus  ou  moins  naturellement  et  directe- 
ment tous  les  récifs  recueillis  par  l'auteur,  comme  tout  dans  l'é- 
popée carolingienne  se  groupe  autour  du  grand  nom  de  Char- 
lemagne. Et  puis  Saxo  en  a  tant  à  nous  dire  sur  Frothon,  que, 
de  l'unique  et  fabuleux  Frodhi,  il  a  fait  cinq  personnages  diffé- 
rents, intercalés  arbitrairement  par  lui  çà  et  là  dans  la  liste  de 
ses  rois  danois;  sans  compter  quelques  autres  Frodhis  ou  Fro- 
thons,  dont  il  ne  fait  pas  des  rois  et  sur  lesquels  il  semble  avoir 
reversé  le  trop-plein  de  ses  mémoires  :  tel  est  par  exemple  Fro- 
thon, fils  d'Ingeld.Iiien  d'étonnant  dés  lors,  que  la  lutte  (rH(')gni 
et  d'Hithin  ait  lieu  sous  le  règne  d'un  des  Frothons,  le  contraire 
seul  aurait  plutôt  lieu  de  surprendre. 

Revenons  à  notre  récit  ;  nous  y  découvrons,  entre  la  manière 
dont  Saxo  présente  les  faits  et  la  façon  dont  ils  sont  racontés 
dans  la  deuxième  partie  de  la  Gudrun,  une  petite  différence,  de 
peu  d'importance,  il  est  vrai,  mais  digne  néanmoins  d'être  no- 
tée. Hôgni,  dans  le  principe,  ne  fait  aucune  difficulté  d'accorder 
à  Hithin  la  main  de  sa  fille  Hilde  :  bien  plus,  les  deux  amants 
sont  fiancés  sur-le-champ.  C'est  seulement  plus  tard,  quand 
Hithin  a  été  calomnié  auprès  de  lui  et  accusé  d'avoir  déshonoré 

\.  Cf.  L.  Klee,  Zur  IlUdesage  (1873),  p.  IG. 


—  400  — 

sa  fiancée,  qu'il  le  provoque  en  combat  singulier;  faut-il  sup- 
poser que  Saxo  a  suivi  ici  une  forme  particulière  de  la  lé- 
gende, ou  attribuer  à  l'un  des  poùtes  qui  ont  remanié  la  légende 
d'Hilde,  et  avant  tous  à  Saxo  lui-même,  une  modification  arbi- 
traire dans  l'indication  des  causes  qui  provoquent  la  lutte  ?  La 
dernière  hypothèse  nous  semble  la  plus  probable,  et,  bien  que 
nous  ne  puissions  la  motiver  ici  de  suite,  nous  verrons  plus  loin 
qu'il  n'est  nullement  téméraire  d'accuser  Saxo  d'un  changement 
apporté,  de  propos  délibéré,  aux  données  traditionnelles. 

L'Edda  de  Snorri  nous  offre  également  une  version  du  même 
récit,  plus  courte  que  celle  de  Saxo,  mais  en  même  temps  plus 
conforme  à  l'ensemlile  de  noire  poème.  Ecrite  aussi  vers  la  fin 
du  XI i"  siècle,  VFddade  Snorri  est  une  collection  de  chants  et  de 
traditions,  dont  la  composition  remonte  à  une  époque  ])eaucoup 
plus  reculée,  et  tous  les  témoignages  recueillis  par  la  science 
permettent,  sans  exagération,  de  lui  assigner  pour  origine  le  ix" 
et  même  le  vin"  siècle. 

Énumérant  les  diverses  appellations  poétiques  usitées  par  les 
scaldes  pour  rendre  l'idée  do  combat,  le  poète  s'exprime  en  ces 
termes  au  sujet  de  l'une  d'elles  (i)  : 

('  Le  combat  s'appelle  la  tempête  des  Hjadninge;  les  armes 
»  s'appellent  les  flammes  ou  les  verges  des  Hjadninge.  Le  récit 
»  suivant  rend  compte  décos  dénominations: 

»  Un  roi,  appelé  H(')gni,  avait  une  fille  du  nom  d'Hilde,  qui 
»  fut  enlevée  par  un  autre  roi;,  nommé  Hedhin,fils  d'Hjarrandi, 
»  pendant  qu'Hr»gni  était  parti  à  l'assemblée  des  rois.  Sur  la 
»  nouvelle  que  son  royaume  avait  été  dévasté  par  l'ennemi  et 
»  sa  fille  ravie,  H()gni  se  mit  avec  sa  flotte  à  la  poursuite  d'He- 
»  dliin,  qui,  à  ce  qu'on  lui  avait  dit,  s'était  dirigé  vers  le  Nord. 
»  Arrivé  en  Norwége,  il  apprit  qu'Hedhin  s'était  tourné  vers 
»  l'ouest,  et,  l'ayant  poursuivi  jusqu'aux  Orcades,  il  l'atteignit 
»  enfin  avec  ses  troupes  en  vue  de  l'île  appelée  Hàey.  Alors 
n  Hilde  vint  trouver  son  père  et  lui  offrit  un  collier  comme  gage 
»  de  réconciliation  entre  Hedhin  et  lui;  mais,  d'autre  part,  elle 
»  luidonna  à  entendre  qu'Hedhin  était  prêt  à  la  lutte  et  qu'Hogni 
»  n'avait  aucune  concession  à  attendre.  Hogni  ayant  répondu 
»  par  de  dures  paroles,  elle  revint  vers  Hedhin,  lui  annonçant 
»  qu'Hogni  se  refusait  à  tout  arrangement  et  l'exhortant  à  se 
»  préparer  au  combat.  C'e.-;t  ce  que  firent  les  deux  héros;  ilsdé- 
»  barquèrent  dans  l'île  et  rangèrent  leurs  troupes  en  ordre  de 

1.  Edda-Snorra,  \,  432  sqq  :  Skaldskaparmâl,  chap.  50. 


—  101  — 

»  bataille.  Gela  fait,  Hedliiii  s'avança  vers  son  beau-père  Hogni 
»  et  lui  offrit  la  paix  avec  une  grande  somme  d'argent,  comme 
»  réparation  du  dommage  qu'il  lui  avait  causé.  Mais  H(")gni  lui 
»  répondit  :  «  Si  tu  avais  l'intention  de  faire  la  paix,  ton  offre  est 
»  venue  trop  tard  ;  car  j'ai  tiré  du  fourreau  l'épée  nommée 
»  Dainsleif  (1),  qui  a  été  forgée  par  les  nains  et  qui,  chaque  fois 
»  qu'elle  est  tirée,  réclame  mort  d'homme,  cette  épée  qui  ne 
»  trahit  jamais  et  dont  les  blessures  sont  inguérissables.  »  — 
»  Hedhin  repartit  :  «  Tu  te  vantes  de  ton  glaive,  mais  non  de  la 
))  victoire  (2)  ;  moi  j'appelle  une  excellente  épée,  celle  qui  fournit 
»  à  son  maître  un  service  fidèle.  »  —  Alors  ils  engagèrent  le 
»  combat  appelé  bataille  des  Hjadninge,  ils  luttèrent  tout  le 
»  jour,  et  le  soir  ils  regagnèrent  leurs  vaisseaux.  La  nuit  sui- 
»  vante  Hilde  descendit  sur  le  rivage  où  gisaient  les  morts  et 
»  les  rappela  à  la  vie  par  son  art  magique.  Le  lendemain  les 
»  rois  retournèrent  sur  le  champ  de  bataille  et  luttèrent  denou- 
»  veau  de  même  que  tous  ceux  qui  étaient  tombés  la  veille. 
»  Ainsi  ce  combat  se  prolongea  de  jour  en  jour,  et  chaque  fois 
»  ceux  qui  étaient  tombés,  ainsi  que  les  armes  éparses  sur  le 
»  champ  de  bataille  et  toutes  les  armures  étaient  changés  en 
»  pierre  ;  mais,  dès  les  premiers  rayons  du  jour,  tous  les  morts 
M  ressuscitaient  pour  reprendre  la  lutte  avec  leurs  armes  re- 
»  devenues  aussi  aptes  à  être  maniées.  Les  légendes  rapportent 
»  qu'il  est  dans  la  destinée  des  Hjadninge  de  rester  ainsi  jus- 
»  qu'au  crépuscule  des  Dieux.  » 

Enfin,  il  existe  une  troisième  version  encore  plus  détaillée  du 
même  récit,  version  qui  nous  a  été  conservée  dans  une  Saga 
islandaise  du  xiv"  siècle,  peut-être  même  de  la  fin  du  xiiic.  Cette 
légende  est  connue  sous  le  nom  de  Saga  ou  Geste  d" Hedhin  et 
d" Hogni  ou  encore  sous  celui  de  Geste  de  Suvli.  Bien  qu'ayant 
primitivement  existé  à  l'état  indépendant,  elle  ne  nous  est  par- 
venue qu'incorporée  par  l'un  des  rédacteurs  de  la  grande  Saga 
dOlaf  Trgggvason  à  l'histoire  de  ce  roi,  avec  laquelle  elle  n'avait 
rien  de  commun.  L'interpolateur  l'a  fait  servir  ici,  en  la  déna- 
turant un  peu,  selon  toute  vraisemblance,  à  la  glorification 
d'Ivar,  l'un  des  vassaux  d'Olaf.  Abstraction  faite  des  détails  et 
des  longueurs,  en  voici  la  substance  : 

«  11  arriva  un  jour  que  Freya,  dans  une  promenade,  passa 

\.  C'est-à-dire  :  Jaisséc  par  Dain. 

2.  C'esl-à-dire  :  vante  loa  épée  tant  que  tu  voudras,  lu  n'en  es  pas  pour 
cela  plus  sur  de  la  victoire. 


—  102  — 

»  près  de  l'atelier  souterrain,  où  travaillaient  quatre  nains;  à 
»  ce  moment,  ils  forgeaient  justement  un  collier  d'une  beauté 
))  merveilleuse  appelé  Brislnga  Men.  Cette  parure  plut  beaucoup 
»  à  Freya,  qui  essaya  de  l'acheter  aux  nains.  Mais  ceux-ci  ne 
»  consentirent  à  la  lui  céder  qu'à  une  condition,  c'est  que  Freya 
»  passerait  successivement  une  nuit  avec  chacun  d'eux  et  leur 
»  permettrait  de  jouir  de  ses  charmes.  Poussée  par  la  cupidité, 
»  la  déesse  accepta  ces  propositions  déshonorantes  et,  la  qua- 
rt trième  nuit  écoulée,  se  retira  toute  joyeuse  avec  sa  parure. 

»  Mais  ce  scandale  ne  resti  pas  longtemps  caché  :Loki,  chargé 
)»  par  Odhin  de  lui  rapporter  tout  ce  qu'il  apprenait,  vint  lui 
»  annoncer  l'action  honteuse  de  Freya.  Odhin  ordonna  alors  à 
»  Loki  de  dérober  adroitement  à  Freya  cette  parure  si  indigne- 
»  ment  acquise.  Quelque  diflicile  que  fût  l'entreprise,  Loki, 
»  forcé  d'obéir  à  l'ordre  d'Odhin,  la  tenta  et  réussit.  Il  se  glissa 
»  de  nuit,  sous  la  forme  d'une  mouche,  dans  la  Skemma  (1)  de 
»  Freya  et  détacha  adroitement  le  Brisinga  Men  pendant  son 
»  sommeil.  Le  lendemain  matin,  Freya  n'eut  pas  plutôt  aperçu 
»  le  vol  qu'elle  en  devina  l'auteur  (2)  et  alla  se  plaindre  à  Odhin. 
»  Accablée  de  reproches  par  son  époux,  qui  lui  fait  honte  de  la 
)>  manière  dont  elle  a  acquis  le  Brisinga  Men,  elle  en  obtient 
»  cependant  la  restitution,  mais  Odhin  y  met  une  condition  for- 
))  melle  :  Freya  devra  rendre  ennemis  deux  rois  puissants,  dont 
»  chacun  commande  à  vingt  rois  vassaux,  les  exciter  l'un 
»  contre  l'autre  et  faire  qu'ils  s'entre-tuent;  et  néanmoins  telle 
»  devra  être  leur  destinée  qu'à  peine  tombés  ils  ressusciteront 
»  chaque  fois  pour  recommencer  sur-le-champ  et  incessamment 
»  la  lutte  ;  et  ce  combat  implacable  durera  jusqu'à  ce  qu'un 
»  héros  chrétien  survienne,  les  immole  définitivement  avec  ses 
»  armes  et  leur  donne  enfin  le  repos  qu'ils  attendent  en  vain 
»  depuis  si  longtemps. 

»  Or,  en  ce  temps  vivait  dans  le  Serkland(ou  pays  des  Sarra- 
»  sins)  un  roi  puissant  nommé  Hedhin.  Vingt  autres  rois  étaient 

1.  C'est  à  proprement  parler  l'apparlemeot  des  femmes;  cf.  EddaSae- 
mundar  hinns  Froda  (Ilavniae,  1787-1828,  3  vol.  in-4),  Tome  I,  p.  662. 
[C'est  cette  édition  qui  nous  sert  pour  toutes  les  citations  de  VEdda  de 
Saemund.] 

2.  On  sait  en  eiTet  que  Loki  a,  dans  l'Olympe  nordique,  la  plus  détes- 
table réputation;  c'est  lui  qui  joue  aux  Dieux  et  aux  Déesses  les  tours  les 
plus  pendables;  c'est  une  espèce  de  Thersitc,  lâche  et  laid  comme  lui, 
médisant  et  calomniateur  comme  lui;  Freya  surtout  a  plus  d'une  fois  à 
se  plaindre  de  lui. 


—  103  — 

»  ses  vassaux  :  un  jour  d'hiver,  en  traversant  un  bois,  il  ren- 
»  contra  une  femme  d'une  beauté  merveilleuse,  assise  sur  une 
»  chaise.  C'était  la  Walkyrie  Gimdul.  Elle  se  fait  raconter  ses 
»  exploits  par  le  héros  ;  puis,  comme  il  lui  demande  si  elle 
»  connaît  un  roi  digne  de  lui  être  comparé,  elle  lui  nomme  le 
»  puissant  roi  de  Danemark,  H(')gni,  le  vainqueur  de  Sr)rli-le- 
»  Fort  (1).  Ensuite,  par  ses  discours  artificieux,  elle  arrive  si 
»  bien  à  lui  monter  l'esprit,  qu  il  ne  rêve  plus  qu'une  chose,  se 
»  mesurer  avec  Hrtgni.  Dès  le  printemps  suivant,  il  s'embarque 
)>  pour  lo  Danemark,  accompagné  d'une  suite  nombreuse.  Ami- 
»  Gaiement  accueilli  par  H()gni,  il  s'essaye  avec  lui  dans  toutes 
»  sortes  de  luttes  artistiques  et  chevaleresques  ;  mais  aucun 
»  des  deux  ne  peut  triompher  de  l'autre.  Alors  ils  se  lient  de 
»  l'amitié  la  plus  étroite  et  concluent  ensemble  un  pacte  de  fra- 
»  ternité  guerrière  (2). 

•  »  Un  jour  cependant  qu'H<'»gni  était  parti  en  expédition  et 
»  qu'Hedhin  était  resté  en  Danemark,  pour  veiller  sur  le  royau- 
»  me,  la  femme  merveilleuse  lui  apparaît  de  nouveau  dans  un 
))  bois  et  lui  présente  un  breuvage  enchanté.  A  peine  Hedhin  y 
»  a-t-il  porté  les  lèvres,  qu'il  oublie  tout  son  passé,  son  serment 
»  solennel  et  son  amitié  avec  Hogni.  x\lors  ({('uidul  enflamme 
»  ses  désirs  pour  la  belle  Hildr,  fille  d'Hitgni,  à  tel  point  qu'à 
»  peine  rentré  au  palais  Hedhin  tue  la  femme  d'HTigni,  pille  ses 
>»  trésors,  enlève  Hildr  et  s'embarque  à  la  hâte  avec  elle. 

»  De  retour  dans  son  royaume,  Hogni  apprend  ce  qui  s'est 
»  passé  et  s'élance  à  la  poursuite  du  ravisseur.  Mais  chaque 
»  soir  il  arrive  toujours  à  l'endroit  où  Hedhin  s'était  embarqué 
»  le  matin.  Une  après-midi  enfin  il  aperçoit  les  voiles  de  la  flotte 
»  d'Hedhin  et  l'atteint  sur  l'île  de  Hà.  Alors  s'engage  un  terrible 
»  combat.  Hildr  le  contemple,  assise  sur  le  haut  d'une  colline 
»  voisine.  L'ordre  d'Odhin  s'accomplit  ;  jour  et  nuit  ils  combat- 
^)  tent;  à  peine  tombés  dans  la  mêlée,  ils  ressuscitent  pour  con- 
»  tinuer  la  lutte. 

»  Or,  cela  durait  ainsi  depuis  ii-i  ans  (283  selon  d'autres  tra- 
»  ditlons),  lorsqu'un  jour  Ivar,  l'un  des  vassaux  d'Olaf,  aborda 
»  dans  l'île.  Chargé  pendant  la  nuit  suivante  de  monter  la 
»  garde  sur  la  plage,  il  aperçut  vers  minuit  les  combattants,  et, 
»  marchant  droit   sur  eux,  les  frappa  de  son  épée.  Ainsi  fut 

1.  C'est  de  ce  dernier  que  la  Saga  a  rei;u  son  second  litre  de  Geste  de 
Soiii  (Sorlathatlr). 

2.  C'est  ce  qu'on  appelle  eu  allemand  une  Bhitsbrudcrschaft. 


—  104  — 

»  rompu  le  charme  imposé  par  Odhin  :  subitement  tous  lombè- 
»  rent  frappés  d'une  mort  détinitive  et  rendus  pour  toujours  au 
M  repos  de  la  tombe,  qu'ils  avaient  attendu  si  longtemps  en 
»  vain.  Le  lendemain  matin,  il  n'existait  plus  aucune  trace 
»  d'eux  dans  l'île  ;  seul  le  sang  qui  souillait  répée  d'Ivar  témoi- 
»  gna  de  la  véracité  de  son  récit  et  de  la  réalité  du  terrible 
))  combat  qu'il  avait  livré  dans  la  nuit  (1).  » 

Avant  de  comparer  entre  elles  ces  trois  formes  de  noire  légende 
et  de  chercher  à  les  éclairer  l'une  par  l'autre,  il  nous  semble  à 
propos  de  dire  quelques  mots  en  particulier  de  cet  étrange  récit 
de  la  Saga  d'Olaf.  Go  qui  frappe  tout  d'abord  dans  cette  narra- 
tion, c'est  un  mélange  choquant  d'éléments  chrétiens  et  païens  : 
la  maladresse  avec  laquelle  les  détails  d'esprit  et  de  sources 
diverses  sont  entassés  les  uns  à  la  suite  des  autres  suflirail  cà 
nous  révéler,  à  défaut  d'autre  preuve,  la  main  d'un  moine  plus 
zélé  qu'habile.  C'est  en  effet,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut, 
à  un  moine  islandiis,  (lunnlaug,  que  nous  devons  ce  singulier 
assemblage.  Dès  lors  on  comprend  facilement  que  le  terme  du 
combat,  fixé  par  la  tradition  païenne  au  Crépuscule  des  Dieux, 
ait  été  remplacé  ici  par  l'intervention  d'un  héros  chrétien;  car, 
ainsi  que  l'a  fait  remarquer  Simrock  (2),  dans  l'imagination  des 
moines,  le  Crépuscule  des  Dieux,  dont  parlent  les  légendes  nordi- 
ques, leur  semblait  un  présage  de  la  chute  et  de  la  ruine  du 
monde  païen  et  se  trouvait  exactement  réalisé  par  l'avènement 
du  christianisme. 

Toutefois,  il  reste  encore  bien  surprenant  que  l'annonce  de  ce 
dénouement  soit  placée  dans  la  bouche  d'CJdhin  lui-même.  Peut- 
être  Gunnlaug,  quoique  devenu  chrétien,  n'était-il  pas  sans 
éprouver  encore  une  crainte  superstitieuse  pour  Odhin  et  sa 

1.  Saga  Olafs  Tryggvasonar  Norcgs  Kongs  {\689),  Tome  II,  chap.  xvn. 
Celte  rédaction  de  la  Saga  d'Olaf,  la  plus  détaillée  qui  nous  soit  parvenue 
est  attribuée  au  moine  Gunnlaug;  on  en  place  la  composition  vers  1330. 
Cf.  l'Introduction  de  l'édition  de  cette  Saga  par  le  moine  Oddr  (Chris- 
tiania, 1833),  p.  XV.  La  Ge^te  d'IIedkin  cl  d'Hogni,  qui,  ainsi  que  beaucoup 
d'autres,  a  clé  arbitrairement  incorporée  par  lui  à  la  Saga  d'Olaf,  a  élé 
réimprimée  séparément  dans  les  Fornaldar  Sogar  de  Rafn  (I,  3S9-409); 
P.  E.  MùUer  en  a  donné  une  analyse  en  danois  dans  sa  Sagabibliothek 
(1818),  II,  570  sqq.  Enfin  le  chapitre  concernant  le  Brisinga  Men  a  élé 
reproduit  par  Uask  en  appendice  à  la  suite  de  son  édition  de  YEdda  de 
Snorri  (1818),  p.  Soi  sqq. 

2.  Bertha  die  Spinnerm  (I8b3),  p.  100  sqq.  ;  Deutsche  Mythologie,  4^ 
éd.,  p.  363. 


—  105  — 

puissance,  que  tout  néophyte  considérait  volontiers  comme  une 
émanation  des  puissances  infernales,  et,  dans  sa  naïve  frayeur, 
il  lui  p:uMissait  sans  doute  tout  naturel  qu'un  héros  chrétien 
vînt  mettre  un  terme  aux  prodiges  et  aux  maléfices  des  divi- 
nités païennes. 

il  semble  même  assez  probable  qu'il  ait  eu  pour  but,  en 
compulsant  les  éléments  de  la  légende,  de  rendre  ces  prodiges 
méprisables  aux  yeux  des  néophytes.  Cette  tendance  se  montre 
surtout  dans  le  soin  minutieux,  avec  lequel  il  fait  ressortir 
les  circonstances  honteuses,  dans  lesquelles  Freya  acquit  son 
collier;  elle  apparaît  enfin  dans  la  disposition  tout  entière  de 
la  légende,  qui,  sous  la  forme  où  il  la  transmet,  peut  se  résu- 
mer dans  cette  idée  :  pour  satisfaire  à  un  caprice  inexplicable 
d'Odhin  et  racheter  le  déshonneur  de  Freya,  deux  générations 
entières  sont  maudites  et  condamnées  à  une  lutte  sans  fin. 

Mais  on  le  voit,  ce  qu'il  p^'ut  y  avoir  d'interpolations  dues  k 
l'intluence  chrétienne,  soit  pour  la  forme,  soit  pour  le  fond,  est 
facile  à  séparer,  et  si,  dans  cette  légende,  nous  faisons  abstrac- 
tion de  l'épisode  initial  relatif  au  Erisinga  Men  et  à  Gundul  et 
de  l'intervention  si  déplacée  par  laquelle  Ivar  vient  mettre  fin  au 
combat,  le  récit  de  la  rivalité  d'Hedhin  et  d'Hugni  concordepres- 
que  de  tous  points  avec  ceux  de  Saxo,  de  Snorri  et  de  l'auteur 
de  la  Gudrun. 

Passons  maintenant  à  l'examen  comparatif  de  ces  trois  rédac- 
tions, et,  pour  cela,  cherchons  d'abord  à  nous  représenter  à  quel 
point  de  vue  chacune  d'elles  a  été  écrite.  Nous  venons  de  voir 
dans  quels  sentiments,  et^  autant  qu'on  peut  le  présumer,  dans 
quelle  intention  un  moine  avait  composé  ou  plutôt  remanié  la 
Geste  d'Hedhin  et  d'flogni  ;  nous  n'avons  donc  pas  à  y  revenir. 

Quant  à  Snorri  et  à  Saxo,  ils  écrivent  dans  des  vues  diamé- 
tralement opposées  :  autant  on  peut  avoir  confiance  dans  le  pre- 
mier, autant  il  faut  se  défier  du  dernier.  Bien  que  chrétien  et 
lettré,  Snorri  n'a  pas  l'esprit  étroit  ni  le  zélé  indiscret,  qui  dis- 
tinguent trop  souvent  les  nouveaux  convertis;  il  éprouve  en- 
core une  certaine  tendresse  pour  le  culte  de  ses  pères;  il  ra- 
conte consciencieusement  et  sans  parti  pris  tout  ce  qu'il  a  en- 
tendu :  il  témoigne  même  d'un?  sorte  de  respect  pour  ces  restes 
vénérables  d'un  culte  mourant;  car  enfin,  s'il  les  recueille,  c'est 
uniquement  pour  les  arracher  à  l'oubli  dans  lequel  ils  com- 
mençaient à  tomber  et  à  la  proscription  dont  les  poursuivaient 
les  autres  membres  du  clergé  catholique.  C'est  là  le  seul  souci 
qui  le  guide  en  écrivant  :  aussi  n'éprouve-t-il  aucun  scrupule  à 


—  106  — 

accueillir  tout  ce  qu'il  rencontre  et  sous  la  forme  où  il  le  ren- 
contre. Il  ne  lui  vient  pas  à  l'idée  de  changer  ce  qui  lui  paraît 
incroyable,  de  commenter  ce  qui  lui  semble  obscur,  de  rectifier 
ce  qu'il  po.irrait  trouver  contradictoire  ou  d'expliquer  ce  qu'il 
lui  arrive  de  ne  pas  comprendre  de  prime  abord.  Il  compile  par 
amour  des  vieilles  légendes  en  elles-mêmes  et  pour  conserver 
aux  générations  à  venir  ce  trésor  de  récits,  qui  peut-être 
avaient  plus  d'une  fois  dans  son  enfance  égayé  les  longues  nuits 
d'hiver  autour  du  foyer  paternel. 

Au  contraire  Saxo  a  des  prétentions  à  la  science  et  il  aspire 
au  titre  d'historien;  bien  plus,  malgré  sa  crédulité,  attestée  par 
toutes  les  légendes  mêmes  qu'il  nous  a  heureusement  conser- 
vées, il  n'est  pas  sans  une  espèce  de  scepticisme.  Toutes  ces 
antiques  Sagas  qu'il  incorpore  incessamment  à  son  récit  sont  à 
ses  yeux  des  ornements  agréables,  de  brillantes  digressions, 
surtout  des  développements  intéressants  do  son  histoire  et  leur 
aliment  indispensable.  Car  il  reprend  son  récit  de  si  haut  qu'il 
lui  faut  bien  trouver  çà  et  là  les  faits  suffisants  pour  remplir  le 
cadre  de  ses  généalogies  royales  jusqu'à  Harald  Hildetand. 
Mais,  dans  cette  attribution  forcée,  tous  les  récits  prennent  fa- 
talement la  teinte  uniforme  d'un  événement  historique;  delà 
des  changements  aussi  considérables  qu'arbitraires.  Tout  ce 
qui  a  une  apparence  de  merveilleux  est  ramené,  rabaissé  au 
cours  ordinaire  des  choses  humaines;  ce  ({ui  paraîtrait  l'ellet 
du  hasard,  le  résultat  de  la  fatalité  (et  que  de  fois  n'en  est-il  pas 
ainsi  dans  les  récits  mythologiques?)  reçoit  un  motif  naturel, 
une  raison  d'être  plus  ou  moins  plausible^,  comme  nous  le 
verrons  plus  loin  à  propos  du  combat  d'Hedhin  et  d'Hogni. 

Bien  entendu,  avec  toutes  ces  prétentions,  il  n'en  est  pas 
moins  un  homme  de  son  temps;  il  croit  aux  revenants,  témoin 
l'histoire  d'Asmund  et  d'Aswit  (1),  et  aux  sorcières,  témoin  la 
réflexion  par  laquelle  il  termine  le  récit  de  la  légende  d'Hilde 
et  d'où  il  résulte  que,  pour  lui^  Hilde  est  une  sorcière  dont  les 
maléfices  ressuscitent  les  morts. 

Il  ne  faut  donc  point  le  perdr.^  de  vue,  autant  Snorri  s'appli- 
que à  conserver  fidèlement  la  tradition,  telle  qu'elle  lui  est  par- 
venue, autant  Saxo  s'étudie  à  la  dénaturer,  à  la  mutiler,  à  l'af- 
fubler d'un  manteau  historique. 

Ce  qui  frappe  tout  d'abord,  lorsque  l'on  compare  ces  divers  ré- 

i.  Cf.  Saxonis  Grammatici  Ilistoria  Danica  (éd.  P.  E.  MùIIer),  I,  2ir2- 
245. 


—  107  — 

cits  ny ec  la.  (j udr un,  c'est  le  changement  introduit  dans  l'issue  du 
combat  par  l'auteur  de  notre  poème.  Ainsi  qu'on  l'a  vu,  à  peine 
le  combat  est-il  engagé  que,  sur  la  prière  d'Hilde,  les  héros  se 
réconcilient.  X\i  contraire,  dans  les  trois  rédactions  qui  nous 
occupent  ici,  les  deux  combattants  se  tuent  l'un  l'autre,  après 
que  les  tentatives  plus  ou  moins  sincères  de  réconciliation  faites 
par  la  jeune  fille  ont  été  inexorablement  repoussées.  Tout  au 
.plus  Saxo  suppose-t-il  une  suspension  du  combat,  et  encore  la 
version  accueillie  par  lui  paraît-elle  peu  admissible,  soit  qu'elle 
lui  ait  été  transmise  ainsi,  soit,  ce  qui  est  plus  probable,  qu'il 
l'ait  arrangée  à  sa  façon.  Car  si  Hr»gni  a  épargné  Hedhin  au  mo- 
ment où,  enflammé  d'un  juste  courroux  contre  lui,  il  le  tenait 
sous  la  pointe  de  son  épèe,  quelle  raison  peut-il  bien  avoir  de 
recommencer  le  combat  sept  ans  plus  tard  ?  Saxo  a  beau  nous 
dire  qu'il  lui  lit  grâce  de  la  vie  «  parce  qu'à  cette  époque  il  était 
honteux  de  tuer  un  ennemi  jeune  et  sans  défense  »,  nous  avons 
ici  un  des  exemples  du  sans  gêne  avec  lequel  il  accommode  les 
récits  aux  nécessités  de  son  histoire  ou  aux  caprices  de  son  ima- 
gination; dans  le  second  combat  Hogni  et  Hedhin  tombent  sous 
les  coups  l'un  de  l'autre,  et  cette  fois,  nous  le  répétons,  rien  ne 
devait  logiquement  les  pousser  à  cette  extrémité  :  car  Saxo  lui- 
même  avoue,  sans  y  prendre  garde,  qu'Hedhin  était  devenu  le 
mari  d'Hilde,  et  la  faute  plus  ou  moins  réelle  qui  avait  pu  autre- 
fois motiver  le  courroux  d'H(»gni  était  réparée  depuis  sept  ans 
déjà  par  le  mariage  des  deux  amants. 

Sans  revenir  ici  sur  les  raisons  qui  ont  amené  le  poète  de  la 
Gudrun  à  modifier  la  lin  de  cette  légende,  nous  pouvons  donc 
répéter  avec  le  témoignage  des  trois  rédactions  nordiques  et  da- 
noise, que  cette  sombre  issue  est  bien  l'issue  primitive.  Aussi 
bien,  en  dehors  de  l'unanimité  avec  laquelle  on  la  retrouve 
dans  toutes  les  formes  les  plus  anciennes  de  la  légende,  répond- 
elle  plus  exactement  à  la  tendance  essentiellement  sombre  de 
l'ancienne  poésie  du  nord,  on  pourrait  ajouter  de  la  poésie  pri- 
mitive en  général. 

Il  n'est  pas  rare,  en  effet,  de  rencontrer  d'anciens  récits,  d'an- 
ciens mythes  surtout,  dont  l'issue,  terrible  et  sanglante  à  l'ori- 
gine, a  pris  dans  le  cours  des  temps  une  tournure  plus  riante 
et  plus  favorable.  1\  en  est  ainsi  par  exemple  de  la  légende 
ù: Hildebrand  et  Hadubrand.  Sous  la  forme  sous  laquelle  nous  la 
retrouvons   actuellement  dans  la   Wilkina-Saga  (1)   et  dans  le 

1.   Wilkina-Saga  (éd.  PeringskjOld),  chap.  376. 


—  108  — 

chant  papulaire,  elle  se  termine  d'une  manière  heureuse  par  une 
scène  de  reconnaissance  ;  originairement  au  contraire  elle  finis- 
sait par  la  chute  du  lils,  succombant  sous  les  coups  de  son 
propre  père  qui  le  reconnaît  trop  tard,  ainsi  que  l'a  fait  voir 
Uhland  (1)  et  de  la  même  manière  que  les  épopées  perse  de 
Rustem  et  de  Zorab,  grecque  d'Ulysse  et  de  Télégonos,  slave 
d'iljaet  de  son  lils,  celte  de  GuchuUin  et  de  Uonloch  (2). 

Or,  ce  qu'a  produit  peu  à  peu  dans  d'autres  légendes  l'adou- 
cissement des  mœurs  ou  le  changement  de  point  de  vue,  amené 
souvent  par  un  changement  de  religion,  les  nécessités  de  la 
composition  poétique  l'ont  fait  ici,  comme  on  l'a  vu,  pour  le 
poème  de  Gudrun: 

Mais,  il  faut  le  reconnaître,  en  modifiant  ainsi  l'issue  du  com- 
bat, notre  poète  a  obéi  à  des  raisons  plus  sérieuses  que  Saxo  et 
il  a  procédé  avec  plus  d'habileté  que  lui;  il  a  su,  avec  une 
grande  adresse,  en  changer  simultanément  le  motif.  Si  nous  nous 
reportons  à  nos  trois  légendes,  partout  nous  retrouvons  le  même 
prétexte  de  la  lutte  que  dans  notre  poème,  mais  partout  aussi 
il  est  accompagné  de  circonstances  (jui  rendent  le  combat  inévi- 
table et  toute  réconciliation  impossible,  même  la  réconciliation 
momentanée  supposée  par  Saxo.  L'olfense  y  a  quelque  chose  de 
brutal,  de  cruel  et  de  peu  motivé,  qui  concorde  bien  avec  la  ten- 
dance fataliste  du  mythe  primitif.  Dans  VEdda,  en  effet,  comme 
dans  laSoiia/hallr,  Hildo  est  enlevée  par  Hedhin,  qui,  non  con- 
tent de  cette  violation  des  droits  et  des  devoirs  de  l'amitié,  tue 
la  femme  d'Hogni,  dévaste  son  royaume  et  pille  ses  richesses. 
Or,  tous  ces  crimes,  il  s'en  rend  coupable  sans  raison,  sans  mo- 
tif plausible,  sans  provocation  aucune,  au  mépris  des  serments 
et  des  liens  les  plus  sacrés  (3).  Chez  Saxo,  il  est  vrai,  le  motif  est 
un  peu  différent  :  Hedhin  est  simplement  accusé  d'avoir  abusé 
de  sa  tiancée  avant  le  mariage,  et  c'est  cet  unique  soupçon 
qui  excite  la  colère  d'Hogni  ;  encore  Hedhin  a-t-il  été  accusé  à 


\.  Dans  SCS  Schriftca  zitr  Ceschichtc  dcr  Dichtung  und  Sage,  I,  16i  sqq. 

2.  Cf.  F.  Ozanam,  Les  Germains  avant  le  Christianisme,  p.  o09;  G. 
Eichhoff,  Littérature  du  Nord  au  moyen  âge  (18^7),  p.  122.  —  Nous  ren- 
contrerons plus  loin  un  autre  exemple  remarquable  du  même  change- 
ment ù  propos  d'une  des  ](5geudes  issues  du  même  mythe  que  celle 
d'IIilde,  ù  propos  de  la  légende  de  ^yallher  et  Hildigonde. 

3.  Tout  ce  qu'on  peut  dire,  pour  les  expliquer,  c'est  que  Gondul,  par 
son  breuvage,  lui  a  fait  perdre  la  mémoire  et  qu'il  entre  dans  les  vues 
d'Odhin  que  l'offense  soit  absolument  irréparable. 


—  109  — 

f?iu,x,,  comme  a  soin  de  l'ajouter  Saxo.  On  saisit  ici  sur  le  vif 
son  désir  de  tout  ramener  à  des  proportions  liumaines  et  vrai- 
semblables. Sans  s'inquiéter  s'il  ne  tombe  pas  lui-même  dans 
les  absurdités  les  plus  choquantes,  Saxo  rabaisse  le  motif  de 
cette  lutte  gigantesque  à  une  petite  intrigue  de  cour  et  de  cœur. 

On  a  desservi  Hedhin  auprès  d'Hogni  ;  on  a  fait  croire  à  ce 
dernier  que  le  jeune  héros  a  déshonoré  sa  fiancée,  ante 
sponsalium  sacra.  Or  notons  qu'Hugni  a  déjà  accordé  la  main 
d'Hilde  à  Hedhin  ;  sans  doute,  pour  le  chrétien  Saxo,  cela  ne 
suffisait  pas  :  ils  n'étaient  pas  mariés  à  l'église  I  C'est  par  ce 
trait  de  couleur  locale  que  Saxo  clôt  et  motive  les  accusations 
dirigées  contre  Hedhin! 

Mais  il  se  trahit  lui-même  quelques  lignes  plus  bas  ot  prouve, 
contre  sa  propre  affirmation,  que  le  combat  avait  bel  et  bien 
pour  motiî  l'enlèvement  d'Hilde.  Lorsque  Frothon  essaye  de  ré- 
concilier les  deux  adversaires  il  se  heurte,  et  c'est  Saxo  qui  le 
dit,  cà  r obstination  avec  laquelle  le  père  redemande  sa  fille  (1).  Or 
rien,  dans  la  partie  précédente  du  récit  de  Saxo,  ne  justifie  ce 
terme,  qui  contraste  avec  tout  le  reste  ;  c'est  en  effet  pendant 
une  absence  d'Hedhin  qu'il  est  accusé  :  au  moment  où  Hi)gni, 
ajoutant  foi  à  ces  calomnies,  part  plein  de  fureur  pour  aller 
attaquer  Hedhin,  ce  dernier,  c'est  toujours  Saxo  qui  nous  le  dit, 
est  en  Slavonie  occupé  à  lever  le  tribut  pour  le  compte  de 
Frothon.  De  deux  choses  l'une,  ou  bien  Hogni  n'a  aucune  rai- 
son de  redemander  sa  fille,  et  Saxo  s'est  perdu  lui-même  au 
milieu  des  changements  qu'il  voulait  faire  subir  au  récit,  ou  bien 
s'il  la  redemande,  c'est  qu'Hedhinl'a  non  seulement  séduite,  mais 
bien  réellement  enlevée  ;  et  nous  revenons  ainsi  à  la  tradition 
acceptée  par  toutes  les  formes  de  la  légende. 

Quant  au  poète  de  la  Gudrun,  il  a  su  rester  admirablement 
d'accord  avec  lui-même.  Transportant  dans  tout  le  cours  de  son 
récit  les  idées  et  les  mœurs  du  moyen  âge,  c'est  à  elles  qu'il 
fera  appel  pour  motiver  le  combat.  Pourquoi  Hagen  refuse-t-il 
sa  fille  aux  différents  princes  qui  briguent  sa  main?  Unique- 
ment parce  qu'il  craindrait  de  se  déshonorer  en  acceptant  pour 
gendre  un  roi  moins  puissant  que  lui.  Ce  motif  revient  souvent 
dans  les  poésies  du  moyen  âge.  Ortnit,  par  exemple,  ne  trouve 
aucune  fiancée  digne  de  lui  en  Europe,  parce  que  tous  les  rois 
de  ce  côté-ci  de  la  mer  (Méditerranée)  sont  ses  vassaux  ;  aussi 

\.  Loc.  cit.  :  ipatre  filiam  pertinacius  reposcente,  litem  ferro  deciden- 
dam  edixit. 


—  dlO  — 

part-il  pour  l'Orient  et  va-t-il  briguer  la  main  de  la  fille  du  roi 
de  Montabur.  Les  choses  se  passeront  donc  dans  notre  poème 
comme  elles  se  passaient  en  réalité  à  l'époque  où  il  a  été  com- 
posé. La  haute  dignité  se  prouvant,  selon  les  idées  du  temps,  par 
le  nombre  des  vassaux  et  par  les  troupes  dont  on  dispose,  les 
alliances  de  familles  y  sont  ordinairement  le  résultat  d'une 
guerre.  Le  solliciteur  n'a  qu'à  prouver  par  ses  faits  et  gestes  sa 
Ijravoure  et  la  noblesse  de  son  origine;  sitôt  qu'il  aura  montré 
à  son  futur  beau-père,  qu'il  ne  lui  est  inférieur  ni  en  courage/ 
ni  en  puissance,  rien  ne  motivera  plus  une  prolongation  de  la 
lutte,  rien  n'empêchera  plus  le  mariage  et  la  conclusion  d'une 
alliance  intime.  Ainsi  fait  Iletel  dans  la  Gudrun  ;  il  enlève  Hilde 
et  défend  énergiquement  contre  un  père  courroucé  sa  conquête, 
qui,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  l'a  suivi  volontairement.  Ilagen  ne 
tarde  pas  à  reconnaître  qu'il  a  enfin  trouvé  un  adversaire  digne 
de  lui  :  Hetel  ne  lui  cède  ni  en  puissance,  ni  en  richesse,  ni  en 
bravoure  ;  il  peut  donc,  sans  déchoir,  l'accepter  pour  gendre  ; 
sa  fille  n'aura  pas  à  rougir  de  l'époux  auquel  elle  a,  du  reste,  déjà 
donné  son  creur.  Dès  lors,  il  s'arrête,  trop  heureux  de  mettre 
fin  à  un  combat  devenu  superflu;  et  c'est  ainsi  que  maintenant 
là  VIII''  aventure  se  termine  par  un  joyeux  mariage,  après  le- 
quel Hagen,  charmé  de  voir  sa  fille  si  bien  établie,  prend  congé 
de  la  cour  d'Hegelingen,  et,  devenu  désormais  inutile  à  la 
marche  des  événements,  disparaît  pour  ne  plus  revenir. 

Une  dernière  question  reste  à  examiner  (i),  c'est  celle  con- 
cernant le  temps  où  a  lieu  le  combat.  Dans  VEdda,  si  l'on  s'en 
tient  à  la  lettre  du  récit,  cela  ne  peut  faire  de  doute  ;  le  premier 
combat  a  lieu  de  jour,  les  guerriers  tombent  et  renaissent  en- 
suite pour  recommencer  la  lutte  le  lendemain  matin.  Cependant 
Saxo,  Gunnlaug  et  l'auteur  de  la  Gudrnn  nous  semblent  avoir 
conservé  la  tradition  primitive  en  plaçant  ce  combat  de  nuit  (2). 

■1.  Nous  renvoyons  naturellement  au  chapitre,  où  il  sera  question  de 
la  géographie  du  poème  et  de  celle  de  la  légende,  les  détails  relatifs  à  la 
localisation  du  combat  sur  tel  ou  tel  point,  variable  selon  les  rédactions. 

2.  Bien  qu'à  la  str.  487  (.Martin,  str.  488)  M.  Bartsch  ail  adopté  la  le- 
çon dà  ez  tagen  begiinde,  qui  tendrait  à  faire  apparaître  la  flotte  d'Hagen 
à  l'aurore,  la  leçon  ûbenden  ne  peut  pas  faire  de  doute.  M.  K.  Bartsch 
n'a  pas  réfléchi  en  effet  que  le  mot  âlentwint,  conservé  par  lui  à  la 
sir.  493,  contredit  formellement  son  interprétation,  de  même  que  la 
str.  518,  où  nous  lisons  :  ez  ivas  gcgen  àbent.  Enfin  le  combat  sur  le 
Wiilpensand,  qui  originairement,  nous  l'avons  vu,  terminait  la  seconde 
partie,  a  lieu  aussi  au  crépuscule;  cf.  str.  883-888. 


—  111  — 

Saxo  nous  dit  en  effet  :  «  Onrappporte  qu'Hilde  était  enflammée 
d'un  tel  amour  pour  son  mari,  que  pendant  la  nuit  elle  ressusci- 
tait les  morts  par  ses  chants  magiques,  pour  recommencer  la 
bataille.  »  De  même,  c'est  à  minuit  que,  selon  la  Saga  d'Olaf, 
Ivar,  débarquant  dans  l'île,  entend  le  cliquetis  des  armes,  voit 
les  combattants  et  les  frappe  de  son  épéo.  Au  premier  abord,  il 
semblerait  donc  que  VEdda  se  place  ici  en  contradiction  for- 
melle avec  tous  les  autres  récits  :  il  n'en  est  rien  cependant,  loin 
-de  là,  elle  les  confirme  implicitement.  Snorri,  par  un  lapsus 
quelconque,  semble  bien  s'être  figuré  le  combat  comme  ayant 
lieu  de  jour  ;  mais  il  est  vraisemblable  qu'il  a  mal  compris  ou 
mal  rendu  ce  trait  de  la  légende  (1).  Car,  d'un  côté,  c'est  pendant 
la  nuit  que  lui  aussi  fait,  comme  Saxo,  ressusciter  les  morts  par 
Hilde;  et,  d'autre  part,  la  manière  morne  dont  il  nous  retrace 
cette  lutte  montre  bien  que,  dans  la  tradition  à  laquelle  il  a  puisé, 
elle  avait  lieu  la  nuit  aussi  bien  que  la  résurrection  des  héros. 
Que  dit  en  effet  son  récit  ?  «  Le  combat  se  continua  ainsi  de 
»  jour  en  jour,  de  telle  sorte  que  tous  les  guerriers  qui  tombaient, 
»  que  toutes  les  armes  gisant  sur  le  champ  de  bataille,  que  tous 
»  les  boucliers  étaient  changés  en  pierre  ;  mais  aux  premières 
»  lueurs  du  matin,  ils  ressuscitaient.  »  —  Or  ce  changement  en 
pierre  est  un  fait  très  commun  dans  la  mythologie  du  Nord. 
Seulement,  bien  loin  que  le  jour  vienne  mettre  fin  au  charme, 
c'est  lui  au  contraire  qui  le  provoque.  Dans  bon  nombre  de  lé- 
gendes nordiques,  des  êtres  de  nature  démoniaque,  souterraine 
surtout,  sont  métamorphosés  en  pierres,  s'ils  se  laissent  sur- 
prendre à  la  surface  de  la  terre  par  les  premiers  rayons  du  so- 
leil. Sans  multiplier  ici  les  citations,  inutiles  <à  propos  d'un  fait 
si  connu,  rappelons  seulement  l'histoire  du  nain  Alvis,  qui,  re-^ 
tenu  malicieusement  à  la  surface  de  la  terre  par  Thor,  est  subi- 
tement changé  en  pierre,  dès  que  le  soleil  paraît  à  l'horizon  (2). 

1..I1  est  encore  un  autre  point  sur  lequel  Snorri  semble  avoir  altéré 
ou  mal  compris  la  rédaction  d'après  laquelle  il  nous  a  transmis  la  lé- 
gende d'IIilde,  c'est  quand  il  excepte  les  deux  rois  de  cette  mort  et  de 
celte  résurrection  périodiques  et  les  fait  se  relirer  chaque  soir  sur  leurs 
vaisseaux.  Saxo,  évidemment  plus  fidèle  ici  à  la  tradition  primitive, 
dit  expressément  qu'ils  se  tuèrent  l'un  l'autre  et  que  c'était  pour  revoir 
son  mari  qu'Hilde  ressuscitait  les  morts.  De  môme,  dans  la  Saga  d'Olaf, 
les  deux  rois  tombent  sous  les  coups  l'un  de  l'autre  et  ressuscitent  cha- 
que nuit  avec  tous  les  autres  guerriers  pour  reprendre  la  lutte.  C'est, 
du  reste,  la  condition  imposée  par  Odhin  à  Freya. 

2.  Edda  Sacmundar,  I,  27 i  :  Alvismâl,  str.  33;  cf.  Uhlands  Schriften 
ZUT  Geschichie  dcr  Dichlung  und  Sage,  VH,  283. 


—  112  — 

Il  en  est  quelquefois  de  même  des  géants,  témoin  dans  VFdda 
de  Saemund  l'histoire  de  Hrimgerda  (i). 

Si  donc  nous  admettons  avec  l'auteur  de  la  Gud7nin,a\ec  celui 
de  la  Geste  d'Hcdhinel  d'IJugm  et  avec  Saxo,  que  le  combat  a  lieu 
de  nuit,  si,  de  plus,  nous  ajoutons  ce  trait  essentiel  et  autlien- 
tique,  gardé  par  V Edda  de  Snorri,  qu'aux  premiers  rayons  du 
jour  tous  les  combattants  avec  leurs  armes  sont  changés  en 
pierres,  nous  aurons  la  conclusion  de  notre  légende  dans  toute 
sa  pureté  primitive  et  avec  toute  sa  signitication  mythologique. 

Nous  avons  raisonné  jusqu'icisans  nousinquiéterde  la  forme 
diverse  qu'affectent  dans  chaque  récit  les  noms  des  héros  :  c'est 
qu'^^n  effet  Hilde,  Hagen,  Hetel;  Hildr,  Hugni,lledhin  ;  Plilda, 
Ib'ignius,  Ilithinus  no  sont  que  les  formes  diverses  des  mêmes 
noms,  et  cette  variété  tient  uniquement  à  des  lois  de  transfor- 
mation phonétique  bien  connues  et  aux  modifications  qu'ils  su- 
bissent forcément  en  passant  d'une  langue  dans  une  autre.  Leur 
parfaite  identité  étant  depuis  longtemps  hors  de  doute,  il  a 
paru  inutile  de  reprendre  une  question  déjà  résolue  parlesplii- 
lologues  les  plu.>  compétents  (2).  Voici  toutefois,  pour  plus  de 
clarté,  un  tableau  des  formes  diverses  qu'aiïecte  chacun  d'eux: 


Âncien-norditiue. 

Ancien -haut-alle- 
mand. 

Ilil.lr.  llildur.  (3) 

IInr;tli.(4) 

IIedliin(5),  Helhin. 

lliltia,  Ililta. 

Ilagano.IIaguno. 

...  —  Ilëtan  (Cl). 

Documents   latins 
du  moyen-àge. 

Hilda. 

Ilagano,  Ilageno. 

Hetilo,  Hedino, 
llettini,  lletin. 
Iledonus,  Hedinus. 

Ancien-saxon. 

Hild. 

)» 

Hédan. 

Anglo-saxon. 

1 

Hild. 

Ilagena,  Ilaguna. 

Ileoden.  Henden. 
Hœthenn,Hiadliin? 

Moyen- haut-alle- 
mand. 

llilde,  llilte   {!) , 
Holda,  Holle. 

Hagene. 

Hctele,  Iledene? 

Moyen  -bas -alle- 
mand. 

Hille. 

» 

» 

Suédois  et  Danois. 

Hilla,     Hille, 
Ilelle. 

llilda. 

Ilogen,  Hogene. 

« 

Chez  Saxo. 

Hôgnius,    Hogi- 
nus. 

Ililhinus. 

\.  T.  II,  p.  4i-4o  :  Helga  Qnda  Ilarldingia  Skata,  str.  29-30. 

2.  Cf.  J.  Grimni,  AUcrhand  zur  Cudrun  (II.  Z.,  II,  1-5)  ;  K.  Mûl- 
lenholT,  Zeugnisse  und  Excursc  (II.  Z.,  XII,  29o,  312  sqq.,  386);  J.  Mone, 
TJntersuchungen  (1836),  p.  62  el  8i. 

3.  Cf.  Graff,  Althochdeutschcr  Sprac.hschatz,  IV,  912. 

4.  Id.,  ibid.,  IV,  798. 

b.  Cf.  J.  Grimra,  Deutsche  Mythologie,  2«  éd.,  p.  1232, 

6.  Dans  les  composés  Wolfhctan,  Pcrnhètan. 

7.  Dans  les  composés  Uiltegrin,  Hiltedin,  Hillmatte, 


CHAPITRE  IL 


HILDE  DANS  LA  MYTHOLOGIE  DU  NORD  :  HILDE  WALKYRIE,  SORCIÈRE,  DÉESSE 
DE  LA  GUERRE  ;  RESTES  DU  CULTE  D'HILDE  ;  HILDE  GÉANTE,  HILDE  DANS 
LA  CHASSE  INFERNALE  ;  HILDE  ET  FREYA  ;  FREYA  ET  LE  BRISINGA  MEN  ; 
HOGNI  ET  LOKI  ,  HEDHIN  ET  HEIMDALLR.  MYTHE  FONDAMENTAL  CONTENU 
DANS  LA  LÉGENDE  D'HILDE. 


Nous  avons  dû,  dans  le  chapitre  précédent,  insister  particu- 
lièrement sur  le  motif  et  l'issue  du  combat,  parce  que  ce  sont 
les  deux  points  les  plus  importants  pour  l'étude  de  la  légende 
d'Hilde.  Il  est  encore  un  fait  sur  lequel  il  nous  faut  attirer  l'at- 
tention^ c'est  la  manière  dont  les  héros  tombés  ressuscitent. 
UEdda  de  Snorri  se  contente  de  noter  que  chaque  jour  (ou  plu- 
tôt chaque  nuit,  comme  nous  l'avons  vu)  ils  sortaient  de  leur 
immobilité  de  pierre  pour  reprendre  la  lutte.  La  Saga  d'Olaf 
nous  donne  déjà  en  plus  une  explication  de  ce  réveil  sans  cesse 
renouvelé  :  c'est  par  l'ordre  d'Odhin  que  Freya  doit  ainsi  arran- 
ger les  événements;  elle  n'intervient  pas  en  personne,  il  est 
vrai,  du  moins  dans  le  récit  tel  que  nous  l'a  transmis  Gunnlaug. 
De  même  que  dans  Saxo  elle  a  été  remplacée  par  Hilde,  de 
même  ici  elle  se  sert  de  l'intermédiaire  de  Gundul,  dont  le  breu- 
vage magique  et  les  excitations  perfides  amènent  Hedhin  au 
point  voulu  pour  que  la  rupture  éclate  entre  lui  et  Hr)gni.  Mais, 
en  ce  qui  concerne  le  dénouement,  Gundul  disparaît  et  implici- . 
tement  c'est  bien  Freya  qui  provoque  le  charme,  par  lequel, 
selon  la  volonté  d'Odhin,  le  combat  se  renouvelle  chaque  nuit. 

Saxo  enfin,  comme  nous  venons  de  le  rappeler^,  met  cette  ré- 
surrection sur  le  compte  d'Hilde  et  il  nous  dit  en  propres  termes 
qu'elle  était  due  aux  incantations  de  la  jeune  fille,  qui,  brûlant 
d'amour  pour  son  mari  et  désireuse  de  le  revoir,  ressuscitait 
chaque  nuit  les  guerriers  par  ses  chants  magiques,  afin  de  re- 
prendre la  lutte.  La  nature  surhumaine  et  démoniaque  d'Hilde 
nous  apparaît  donc  ici  en  pleine  lumière. 

Sans  doute,  son  caractère  mythologique  est  bien  affaibli,  bien' 
effacé,  puisque  nous  la  trouvons  rabaissée  au  rang  d'une  simple 
sorcière  (car  c'est  évidemment  ainsi  que  Saxo  se  la  représente)  ; 
mais  il  est  facile  de  lui  rendre  sa  véritable  physionomie  et  de 

Fégamp,  Gudrun.  S 


—  iU  — 

reconstruire  tout  son  être  mythique;  c'est  ce  que  nous  allons 
essayer  de  faire. 

Ouvrons  les  Eddas,  partout  nous  trouvons  son  nom  dans  les 
Catalogues  des  Walkyries  (1);  bien  plus,  elle  est  la  première 
des  Walkyries,  la  Walkyrie  par  excellence.  Au  témoignage  de 
Sturla  (2),  qui  vivait  au  xiii^  siècle,  on  appelait  anciennement 
les  Walkyries  Dises  (3)  ou  Nymphes  aériennes  de  la  fille  d'IJogni, 
donnant  ainsi  à  Hilde  une  prépondérance  marquée.  C'était  en 
effet  faire  des  Walkyries  comme  le  cortège,  les  suivantes 
d'Hilde  et  indiquer  en  outre  qu'elles  n'étaient  que  des  émana- 
tions de  la  Walkyrie  par  excellence.  Nous  retrouverons  au 
reste  le  même  fait  plus  loin,  à  propos  de  Freya,  De  même, 
pour  rendre  raison  de  son  propre  nom  et  expliquer  pourquoi  on 
la  range  au  noml)re  des  Walkyries,  Brùnhildo  nous  dit  que 
c'est  parce  qu'on  l'appelle  Hilde  sous  le  casque  (4). 

De  plus,  c'est  du  nom  d'Hilde  que  sont  dérivées  toutes  les 
dénominations  et  expressions  de  la  poésie  nordique  ayant  trait 
à  la  guerre  ou  aux  fonctions  guerrières  des  Walkyries.  En  qua- 
lité de  chef  des  Walkyries,  c'est  elle  qui  dirige  le  sort  des  com- 
bats (5),  selon  les  décisions  rendues  par  Odhin;  c'est  elle  qui 
accompagne  à  la  Walhalla  les  âmes  des  guerriers  tombés  dans 
la  bataille  et  qui  leur  tend  la  conie  pleine  d'hydromel  (6). 

Enfin  le  nom  même  d'Hilde  est  synonyme  de  Déesse  de  la 
guerre,  c'était  autrefois  la  BelUme  du  Nord  (7).  De  là  sont  déri- 
vées une  foule  d'images  et  de  métaphores,  très  employées  par 
les  poètes  norrois  et  qui  mettent  en  pleine  lumière  la  personna- 

1.  Edda  Sacmiindar  :  Volu-Spâ,  str.  28;  Grimnismdl,  str.  36.  —  Edda 
Snorra  :  Skaldskaparmâl,  chap.  7o.  —  Niais  Saga,  éd.  p.  0.  Olafsen 
(Copenhague,  1772,  iQ-4"),  str.  158. 

2.  Cité  par  P.  E.  MûUer  dans  son  édition  de  Saxo  Grammaticus,  II,  159. 

3.  Sur  ce  nom  de  Dises  (en  allemand  Idisen)  appliqué  aux  Walkyries, 
cf.  K.  Simrock,  Deutsche  Mythologie,  4"  éd.  p.  361. —  Dis  eu.  ancien  nor- 
dique signifie  d'abord  sœur,  puis  femme,  puis  jeune  fille  et  enfin  déesse. 
Il  s'applique  surtout  à  Freya  et  aux  Walkyries. 

4.  Edda  Saemundar  :  Helreid  BrynhUdar,  str.  7, 

5.  Edda  Snorra  :  Gylfaginning,  chap.  36. 

6.  Edda  Snorra  :  loc.  cit.  ;  Skaldskaparmâl,  chap.  75.  —  Edda  Saemun- 
dar :  Grlmnismâl,  str.  36. 

7.  Edda  Saemundar  :  Helreid  BrynhUdar,  str.  7;  Helga  Qvida  Hun- 
dingsbana  II,  str.  6.  —  Fornmanna  Sogur  (Kaupmannahufn,  1823  sqq., 
in-8).  Y,  246. 


—  115  — 

lité  d'Hilde.  Ainsi,  engager  le  combat  se  dit  arracher  Hilde  au 
sommeil  (1);  lorsque  la  bataille  est  dans  toute  sa  fureur,  on  dit 
qa' flilde  est  irritre  (2);  un  héros  distingué  ne  reçoit  pas  d'ap- 
pellation plus  llatteuse  que  celle  iVHlld'mgr,  c'est-à-dire  descen- 
dant d'Hilde.  Tout  ce  qui  touche  à  la  guerre  emprunte  d'elle  son 
nom  :  le  combat  est  la  tempête  (3)  ou  le  jeu  d'Hilde  (4),  les 
armes  en  général  la  flamme  d'Hilde  (5),  le  glaive  la  faux 
d'Hilde  (6),  le  bouclier  la  nue  ou  la  couverture  d'Hilde  (7). 

Cette  tendance  de  la  langue  nordique  à  user  et  à  abuser  des 
figures  de  mots  ne  fit  que  s'accentuer  de  plus  en  plus  sous  l'in- 
fluence corruptrice  des  Skaldes  :  grâce  à  eux,  elle  devint  de  plus 
en  plus  maniérée;  mainte  expression  concrète,  qui  parlait  vive- 
ment à  l'imagination,  prit  peu  à  peu  un  sens  abstrait,  et  c'est 
ainsi  que  nous  finissons  par  trouver  le  mot  kildr  synonyme  de 
combat  (8). 

Il  semblerait  pourtant  que  jamais  le  sens  personnel  et  primitif 
de  ce  terme  ne  s'effaça  complètement  de  la  conscience  des  an- 
ciens Germains,  soit  ceux  de  la  presqu'île  Scandinave,  soit  ceux 
des  îles  ou  du  continent.  Jamais  en  effet  le  mot  hildr  n'est  em- 
ployé par  eux  en  prose  pour  signifier  combat.  Seule  la  poésie  se 
permet  ce  terme  imagé,  qui  partout  semble  toujours  éveiller  la 
même  sensation  que  produit  sur  nous  l'expression  de  Bellone. 
Nous  le  retrouvons,  par  exemple,  dans  le  poème  anglo-saxon 
de  Judith  et  Holopherne  et  dans  le  Chant  d Hildebrand  écrit 
en  ancien-haut-allemand.     . 

Partout  donc  Hilde  se  présente  à  nous  avec  cette  physiono- 

1.  Edda  Saemundar  :  Helga  Qvida  Hundingsbana  II,  str.  6. 

2.  Egils  Saga,  éd.  p.  Arna  Magnaeus  (Copenhague,  1809,  in-4o),  str.  13. 

3.  Haralds  Saga,  chap.  10  (dans  la  Heimskringla,  éd.  de  1777,  I,  84.) 

4.  Edda  Saemundar  :  Sigurdar  Qvida  Fafnisbana,  II,  |3,  str.  31.  — 
Heimsknngla,U,  3i8  :  Sagaaf  Olafi  hinom  Helga,  chap.  220  (Biarkamdi) 
—  Krakumdl,  str.  13.  (Fornaldar  Sôgur,l,  301  sqq.). 

5.  Islendinga  Siigur  (Copenhague,  1843  sqq.,  in-8°),  I,  90. 

6.  Eyrbyggja  Saga  (Hal'niae,  1787,  in-4°),  chap.  19,  str.  6,  citée  par 
S.  Egilsson,  Lexicon  poeticum  antiques  linguss  septentrionalis  (Ilafniae,  1860, 
in-8°),  v°  Sigdhr  =  faux. 

7.  Edda  Snorra  :  Skaldskaparmdl,  chap.  64  et  passim.  —  Heimskringla, 
111,358  :  Sagan  af  Sigurdi,Inga  oc  Eysteini,  chap.  20,  str.  i.-—  Krakumdl, 
str.  21. 

8.  Edda  Snorra  :  Skaldskaparmdl,  chap.  49.  —  Edda  Saemundar:  Hdva- 
mal,  sir.  159.  —  Hakonarmdl,  cité  par  Finn  Magnusen,  Lexicon  Mythologi- 
cum,  à  la  suite  de  VEdda  Saemundar,  III,  431. 


—  116  — 

mie  d'excitatrice,  de  provocatrice  du  combat,  qui  est  le  trait 
caractéristique  des  Walkyries  :  témoin  encore  ce  chant  incor- 
poré à  Y Edda  de  Snorri,  attribué  à  Bragi  l'ancien  et  connu  sous 
le  nom  de  Ragnar  Drapa  (i).  Les  expressions  maniérées  et  re- 
cherchées, les  tournures  de  phrases  afFectées,  qui  rendent  ce 
morceau  très  obscur,  nous  forcent,  il  est  vrai,  à  .en  placer  la  ré- 
daction à  l'époque  de  décadence  de  la  poésie  scaldique  et  ne  nous 
permettent  guère  de  le  regarder  comme  contemporain  de  Bragi 
lui-même,  qui  passe  pour  avoir  vécu  au  temps  d'IIarald  à  la 
belle  chevelure,  c'est-à-dire  entre  853  et  936  (2).  Néanmoins  et  de 
toute  manière  son  antiquité  est  très  respectable  et  il  conserve  en 
tout  cas  une  grande  valeur  comme  écho  d'une  vieille  tradition. 
Racontant  les  scènes  guerrières  peintes  sur  un  bouclier,  dont 
lui  aurait  fait  présent  Ragnar  Lodbrog,  Bragi  dit  que  l'une  d'elles 
représentait  Hilde  au  moment  où  elle  offre  un  collier  à  son  père 
et  tente  d'amener  la  réconciliation  entre  les  deux  héros  :  tenta- 
tives peu  sincères,  ajoute-t-ii,  car  elle  s'exprime  de  telle  sorte 
que,  loin  d'apaiser  les  deux  princes,  elle  les  excite  encore  da- 
vantaga  l'un  contre  l'autre  et  rend  le  combat  inévitable. 

Puis  viennent  une  foule  de  Kcnnlngar  ou  recueils  de  déno- 
minations poétiques,  depuis  le  Biarkamàl  au  ix""  siècle  jusqu'à 
Thiodolf  Arnorson,  qui  vivait  et  écrivait  au  xi'=  siècle.  A  la  vé- 
rité, ils  n'apportent  rien  de  neuf,  mais  ils  ne  laissent  pas  que  de 
témoigner  de  la  diffusion  et  de  la  persistance  de  notre  légende 
dans  le  Nord  (3). 

Mais  pourrait-on  dire,  peut-être  n'ya-t-il  dans  ces  faits  qu'une 
homonymie  accidentelle,  de  même  que  la  Gudrun  qui  paraît 
dans  notre  poème  n'a  rien  de  commun  que  le  nom  avec  la 
Gudrun  des  Nlbelungen.  D'autres  témoignages  non  moins  nom- 
breux sont  là  pour  prouver  jusqu'à  l'évidence,  que,  partout  où 
l'on  parle  de  la  Walkyrie  Hilde,  c'est  bien  de  notre  Ililde  qu'il 
est  question. 

De  même,  par  exemple,  que  la  Bellone  du  Nord  s'appelle 

\.  Edda  Snorra  :  Skaldskjparmdl,  chap.  '60,  a  la  suite  de  la  légende 
d'Ililde. 

2.  Observons  au  reste  que  l'existence  même  de  Bragi  a  été  mise  en 
doute  et  que  la  réalité  historique  de  ce  personnage  n'est  rien  moins  que 
certaine  ;  Cf.  E.  Jessen,  Ueber  die  Edda-Lieder  (Z.  Z.,  IH,  i-8o  ;  surtout 
p.  21.)  et  S.  Bugge,  Hamdismdl,  (Z.  Z.,  7,391). 

3.  Ils  ont  été  rassemblés  par- P.  E.  Mùller  [Sagabibllothek,  II,  574-573) 
et  dans  SCS  Undersogelsc  af  Saxos  Historiés  (tS2i). 


—  H7  — 

Hilcle,demêine  elle  s'appelle  fille  d'H(>gni[\), épouse  d:Hedhmi%); 
de  même  qu'on  désigne  la  guerre  par  le  nom  de  tempête  d'Hilde, 
de  même  elle  s'appelle  tempête  des  Ujadningen  ou  tempête  d'^o- 
gni  et  d'Hedhin{3)  ;  à  côté  du  mot  flamme  d'flilde,  nous  trouvons 
le  mot  flamme  des  Hjadningen  (4)  pour  désigner  les  armes  ;  enfin 
le  bouclier,  qui,  nous  l'avons  vu,  s'appelle  poétiquement  la  nue 
ou  la  couverture  d'Hilde,  porte  aussi  le  nom  de  roue  de  la  fille 
d'/Jogni  (5).  De  même  dans  le  2°  Chant  d'Belgl  le  meurtrier  d'Hun- 
ding  (6),  Sigrun,  fille  d'Hr)gni,  ressuscite  son  fiancé  ;  or  Sigrun 
n'est  autre  qu'Hilde  sous  un  nom  différent;  car  tout  d'abord  il 
est  formellement  fait  allusion  à  la  légende  d'Hilde,  puis  le  nom 
du  père  de  la  jeune  fille  est  le  même  dans  les  deux  cas  et  enfin, 
pour  achever  la  ressemblance,  Sigrun,  que  Ton  représente  aussi 
comme  une  Walkyrie,  arrache  par  ses  larmes  son  fiancé  à  la 
demeure  d'Odhin  (la  Walhalla)  et  le  rappelle  à  la  vie  (7). 

Enfin,  non  contents  d'avoir  emprunté  des  dénominations  à 
Hilde,  les  poètes  ont  largement  mis  à  contribution  Hogni  et 
Hedhin  et  ils  emploient  indifféremment  dans  une  même  série  de 
tropes  les  noms  d'Hngni,d'Hedhin  et  d'Hilde  :  ainsi  la  cuirasse 
porte  aussi  le  nom  de  tunique  d'HedhiniS)  et  un  poète  appelle  les 
soldats  en  général  la  troupe  d'Hôgni  [Q). 

Du  reste  Hilde  paraît  avoir  joui,  comme  déesse,  d'un  culte 
autrefois  très  répandu  chez  les  Germains  :  partout  on  retrouve 

d.  Krdkumâl,  str.  4. 

2.  Saga  Olafs  Helga,  chap.  218  (Heimskringla,  II,  343). 

3.  Edda  Snorra  :  Skaldskapannâl,  chap.  '60. 

4.  Id.  ibid.  —  La  forme  nordique  est  Hjadningar,  que  l'on  rencontre 
aussi  non  diphlhonguiie  :  Hedningar  (cf.  Knlkumnl,  sir.  13;  Fornaldar 
S'Jgur,  III,  28i).  Primitivement  ce  mot  s'appliquait  seulement  aux 
vassaux,  aux  champions  d'IIcdliin;  puis  l'appellation  a  été  étendue  aux 
deux  armées  en  présence  dans  le  combat  pour  la  possession  d'Hilde. 

5.  Edda  Snorra  :  Skaldskaparwàt,  chap.  49. 

6.  Edda -Saemundar  :  Helga  Qiida  Hundingsbana  II;  cf.  K.  Simrock, 
Deutsche  Mythologie,  4*=  éd.,  p.  363. 

7.  Dans  l'Ynglinga  Saga,  chap.  42  {Heimskringla,  I,  dI),  il  est  également 
question  d'un  Hùgni,  roi  de  Norwège,  et  de  sa  fille  Hilde.  Mais  la  suite 
des  destinées  de  ce  prince  n'a  rien  de  commun  avec  celles  de  notre 
Hôgni. 

8.  Saga  Magnus  Goda,  chap.  31  {Heimskringla,  III,  38).  .\  côté  de  Hedhins 
Serkr  (la  tunique  d'Hedhin)  on  trouve  aussi  Hildar  Serkr  dans  Hakonar 
Saga,  chap.  234,  str.  i  (Heimskringla,  V,  250.) 

9.  Edda  Snorra:  Skaldskaparmâl,  chap.  ot. 


—  118  — 

des  traces  non  équivoques  de  la  vénération  dont  elle  était  l'objet 
parmi  eux  (1). 

Commençons  par  les  documents  anglo-saxons,  puisqu'on 
général  ce  sont  ceux  qui  remontent  à  la  plus  haute  antiquité. 
Le  poème  de  Beowulf  c'ûe  à  plusieurs  reprises  le  nom  d'Hilde, 
et,  ainsi  que  l'a  fait  remarquer  ïhorkelin,  ces  allusions  prou- 
vent qu'à  l'époque  où  fut  composé  le  poème  anglo-saxon  elle 
passait  parmi  les  peuples  de  la  Scandinavie  et  de  la  Grande- 
Bretagne  pour  une  sorte  de  BoUone  et  de  Fortune  tout  à  la 
fois  (2).  En  tout  cas,  il  existe  encore  dans  le  /Jeowulf,  même 
après  les  remaniements  chrétiens  qu'il  a  subis,  un  passage  où 
nous  la  retrouvons  véritablement  comme  déesse  du  paganisme, 
comme  la  représentante  d'Odhin,  chargée,  conformément  à  ses 
fonctions  de  Walkyrie,  de  choisir  ceux  qui  tomberont  dans 
la  mêlée  ;  et  les  paroles  prononcées  par  Beowulf  prouvent  bien 
que  l'on  avait  encore  conscience  de  son  caractère  surhumain. 
Au  moment  d'aller  combattre  Grendel,  Beowulf  prévoit  le  cas 
où  il  périrait  et  alors  il  ne  fait  au  roi  qu'une  seule  demande  : 

«  Si  Hilde  me  prend,  dit-il,  sois  le  protecteur  des  compagnons 
»  qui  se  sont  attachés  à  moi  par  serment  (3).  » 

De  même,  dans  le  fragment  du  poème  anglo-saxon  de  Judith 
et  Holopherne,  «  l'aigle  avide  de  nourriture,  aux  ailes  humides 
»  de  rosée,  au  plumage  fauve  et  au  bec  crochu,  chantait 
«  (en  planant  au-dessus  du  champ  de  bataille)  la  chanson 
))  d'Hilde  (4).  » 

Naturellement  ce  sont  là  de  rares  exceptions,  et,  la  plupart 
du  temps,  le  sens  concret  du  mot  ffilde  avait  cessé  d'être  perçu 
par  les  Anglo-Saxons  aussi  bien  que  par  les  Norrois.  Néan- 
moins, chez  les  uns  comme  chez  les  autres,  la   signification 

1.  J.  Grimm,  Deutsche  Mythologie,  2"  éd.  p.  393. 

2.  Par  exemple,  dans  ce  passage  du  poème  de  Beoiouif,  où  il  nous  semble 
que  l'on  devrait  bien  écrire  Hild  au  lieu  de  hild  :  Siddan  Heremôdes  Hild 
swedrode  {Beowulf,  éd.  p.  M.  Ilejne,  3'  éd.  [Paderborn,  1873,  in-S"],  v.  902, 
et  dans  lequel  en  tout  cas  hild  ne  peut  avoir  qu'un  sens,  celui  de  Fortune 
guerrière,  de  Déesse  des  combats  protégeant  le  béros. 

3.  Ibid.,  V.  1481  sqq.  —  Une  recommandation  analogue  se  retrouve 
au  vers  452,  et  Beowulf  termine  toujours  par  ces  mots  :  «  Si  Ililde  me 
prend.  »  Enfin,  au  v.  1848,  oii  se  rencontre  un  passage  du  môme  genre, 
elle  porte  même  l'épitbète  de  heorugrimme,  c'esl-à-dire  :  terrible  par  le 
glaive. 

4.  M.  Grein,  Bibliothek  de)'  angehâchsischen  Poésie  (Gœtlingen,  1857  sqq., 
in-S»),  I,  125,  V.  210-212. 


—  119  — 

abstraite  de  combat  resta  toujours  attachée  au  mot  Hilde  et 
l'anglo-saxon,  aussi  bien  que  le  nordique,  offre  une  riche 
variété  de  composés  poétiques  dérivés  du  mot  hild  =  combat. 
Sans  recommencer  ici  une  énumération  fastidieuse,  disons 
seulement  que  les  termes  anglo-saxons  correspondent  trait  pour 
trait  à  ceux  que  nous  avons  cités  plus  haut  à  propos  de  l'ancien 
nordique  (1). 

Si  maintenant  nous  passons  sur  le  continent,  mille  indices 
nous  prouvent  que  là  aussi  Hilde  était  autrefois  une  divinité 
très  respectée  et  dont  le  souvenir  est  resté  gravé  jusqu'à  une 
époque  récente  dans  l'esprit  des  Germains.  Ici,  comme  en  An- 
gleterre, l'introduction  du  christianisme  ayant,  de  bonne  heure, 
porté  une  atteinte  mortelle  à  la  religion  nationale,  le  culte  de  la 
déesse  a  disparu  très  vite,  et  c'est  surtout  dans  certaines  appel- 
lations (2)  et  dans  quelques  superstitions  et  traditions  popu- 
laires qu'on  retrouve  encore  les  preuves  de  l'antique  autorité 
dont  a  joui  son  nom  et  de  la  puissance  qu'on  lui  attribuait 
comme  déesse. 

Ainsi,  dans  ce  dicton  rapporté  par  J,  Grimm  : 

«  Sprach  Jungfrau  Hille  : 
»  Blut  stand  stille  !  »  (3) 

1.  Id.,  ibid.,  Glossaire,  Tome  II  :  v"  Ilild  et  ses  composés  (p.  72-75).  II 
est  toujours  très  difficile  de  déterminer  au  jaste  le  sens  qu'a  conservé  le 
mot  Hild  dans  ces  divers  composés  ;  toutefois  une  étude  attentive  de 
l'emploi  de  ces  termes  montrerait,  nous  en  sommes  convaincu,  que  la 
valeur  du  mot  Hild,  en  tant  que  personnelle,  subsiste  encore  dans  bon 
nombre  d'entre  eux.  —  Solou  Uliland  {Schriften  zur  Geschichte  der  Dich- 
tung  und  Sage^  I,  154),  Beowulf  aurait  même  reçu  un  casque  d'IIilde, 
malheureusement  il  nous  a  été  impossible  de  retrouver,  en  dépit  d'une 
lecture  complète  et  réitérée  du  Beowulf  dans  les  éditions  de  ïhorkelin  et 
de  Hejne,  le  passage  cité  par  Finn  Magnusen,  sur  l'autorité  de  qui  Uhland 
s'appuie  pour  avancer  ce  fait,  qui,  s'il  était  confirmé,  montrerait  bien 
avec  quelle  persistance  le  souvenir  de  la  déesse  Hilde  vivait  encore  au 
vu"  siècle  dans  l'esprit  des  Anglo-Saxons. 

2.  Nous  n'énumérerons  pas  ici  tous  les  noms  propres,  surtout  ceux  de 
femmes,  formés  de  celui  d'IIilde.  On  en  trouvera  une  liste  classée  mé- 
thodiquement dans  K.  Weinhold,  Die  deutschen  Frauea  in  dem  Mittelalter 
(Wien,  1851,  ia-8°,  p.  8-23  [2«  éd.  I,  9-27]),  où  l'auteur  donne  en  même 
temps  de  curieux  détails  sur  l'emploi  plus  ou  moins  fréquent  de  ces 
noms  dans  les  divers  siècles  et  selon  les  caprices  de  la  mode. 

3.  C'est-à-dire  :  «  Dame  Hilde  dit  :  «  Sang,  arrète-toi  !  »  —  Cf. 
Deutsche  Mythologie,  2»  éd.,  p.  1195.  —  Dans  Hille,  le  d  s'est  assimilé  à 
1'/  précédent. 


—  120  — 

on  retrouve  encore  distinctement,  comme  il  le  fait  remarquer 
avec  raison,  la  croyance  à  la  Walkyrie  Hilde  et  au  pouvoir 
qu'elle  a  de  faire  couler  et  d'arrêter  à  volonté  le  sang. 

Mais,  par  une  tendance  et  sous  l'empire  de  faits  analogues  à 
ceux  que  nous  avons  signalés  à  propos  des  Norrois  et  des 
Anglo-Saxons,  le  nom  d'Hilde  (en  vieux-liaut-allemand  Hiltia) 
devint  bientôt  aussi  chez  les  anciens  Germains  du  continent  un 
terme  abstrait,  synonyme  de  combat,  mais  réservé,  comme  nous 
l'avons  dit,  exclusivement  à  la  poésie  :  c'est  ainsi,  et,  pour  pré- 
ciser davantcige,  avec  le  sens  de  duel,  qu'on  le  retrouve  dans  le 
y iQM^  C liant  d' Hildebrand {{) .TowiQÎo'is  la  langue  ancienne-haute- 
allemande,  plus  sévère  dans  son  allure  que  ses  sœurs  du  Nord, 
a  moins  largement  qu'elles  développé  cette  légion  de  composés 
et  de  dérivés  où,  en  vieux-norrois  et  en  anglo-saxoU;,  nous 
avons  noté  le  souvenir  d'Hilde  ;  c'est  à  peine  si  elle  en  offre  quel- 
ques rares  exemples  ;  en  moyen-haut-allemand  on  n'en  pourrait 
citer  aucun,  à  l'exception,  bien  entendu,  des  noms  propres. 

Par  contre,  le  souvenir  d'Hilde,  avec  celui  du  pouvoir  qu'elle 
a  de  réveiller  les  morts,  s'est  conservé  à  l'état  latent  dans  une 
légende  du  mo^'en  âge.  Hilde  est  devenue  une  géante.  Dans  le 
poème  moyen-liaut-allemand  intitulé  Ecken  Lict,  Dietrich  de 
Berne  se  bat  avec  elle  ;  il  fond  sur  elle  et  d'un  coup  de  son  épée 
la  fend  en  deux  morceaux;  mais  (singulière  réminiscence  du 
pouvoir  magique  que  possédait  la  véritable  Hilde)  les  deux  tron- 
çons se  recollent  sur-le-champ  et,  à  peine  tombée,  elle  se  relève 
pour  reprendre  la  lutte.  Le  prodige  ne  cesse  que  lorsque  Die- 
trich, après  un  nouveau  coup  d'épéo,  s'interpose  entre  les  deux 
morceaux  (2) . 

Mais  c'est  surtout  dans  la  Chasse  hifcrnale  que  son  souvenir 
s'est  conservé  le  plus  longtemps  et  de  la  manière  la  plus  dis- 
tincte. Cette  Chasse,  comme  l'a  fait  remarquer  J.  Grimm  (3), 
n'est  qu'une  espèce  de  reflet  du  combat  des  Hjadninge,  qui  lui- 
même  n'est  autre  qu'une  forme  de  la  lutte  des  Einheriar  dans  la 
Walhalla,  lutte  rabaissée  à  des  proportions  humaines  et  terres- 

i.  V.  6;  cf.  Rraune,  Althochdeidsches  Lcsebuch  (Halle,  Lippert,  1875, 
in-8),p.78.  —  Notons  en  passant  que  le  nom  d'IIildebrand  lui-même,  en 
vieux^-haut-allemand  Hiltibrant,  est  formé  de  Ililde  {Hilta,  Hiltia.) 

2.  Cf.  Deutsches  Heldenbuch,  V,  220:  Ecken  Liet,  str.  7;  Wilkina-Saga, 
éd.  p.  J.  Peringskjold,  chap.  16,  p.  26-30,  où  le  combat  entre  Dietrich 
de  Berne  et  Ililde  est  raconté  tout  au  long. 

3.  Deutsche  Mythologie,  2"=  éd.,  p.  893. 


—  121  — 

très.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  des  détails  circonstan- 
ciés sur  les  divers  aspects  sous  lesquels  se  présente  cette  appa- 
rition :  il  nous  suffira  de  renvoyer  aux  travaux  qui  se  sont 
spécialement  occupés  de  la  Chasse  Infernale,  et  en  particulier  à 
ceux  de  J.  Grimm  (1),  de  K.  Simrock  (2)  et  de  W.  Mann- 
hardt  (3).  Les  résultats  de  leurs  recherches  s'accordent  à  nous 
montrer  Hilde  dans  la  Chasse  Infernale  tour  à  tour  sous  les 
noms  de  Holda,  Pharaildis  (4),  Berchta  (5).  Là  tantôt  elle  suit, 
comme  les  autres  Walkyries,  Wuotan  et  chevauche  derrière  lui 
sur  les  nues  ;  tantôt,  placée  à  la  tête  même  de  la  troupe,  c'est 
elle  qui  dirige  et  entraîne  sur  les  pas  de  son  brumeux  coursier 
tout  le  cortège  infernal. 

Enfin,  dans  la  Basse- Allemagne,  la  route  suivie  par  la  Chasse 
Infernale  est  devenue,  par  une  singulière  adaptation,  la  Voie 
lactée,  et  dans  le  nom  qu'on  lui  donne  alors,  Vroneldenstraet 
nous  retrouvons  encore  le  nom  d'Hilde;  car  Vroneldenstraet 
n'est  autre  qu'une  contraction  qui  aurait  pour  équivalent  en 
nouveau-haut-allemand  Frauen  Hilden  Strasse,  c'est-à-dire  la 
Voie  de  Dame  Hilde  (6) . 

Ainsi  qu'on  a  pu  le  remarquer  dans  l'énumération  des  fonc- 
tions attribuées  à  Hilde,  elle  usurpe  en  maint  endroit  la  place 
de  Freya.  Elle  n'est  en  elïet  qu'une  personnification  secon- 
daire, un  dédoublement  de  cette  déesse.  Freya,  le  chef  des 
Walkyries,  s'est  scindée  et  multipliée  en  la  phalange  sacrée  des 
Walkyries,  qui  personnifient  et  représentent  la  déesse  sous  son 

1.  Deutsche  Mythologie,  2"^  édit.,  p.  870  sqq. 

2.  Deutsche  Mythologie,  4"  éd.,  p.  191  sqq. 

3.  Germanische  Mythen ;  Forschungen  (Berlin,  1858,  in-8°),  p.  94  sqq.    . 

4.  Pharaildis  n'est  qu'une  forme  latinisée  pour  Verelde,  que  l'on  re- 
trouve en  bas-allemand  et  qui  est  une  contraction  de  Frau  Hilde,  c'est- 
à-dire  Dame  Hilde. 

li.  Sous  ce  nom  de  Berchta  ou  Bertha,  elle  a  même  conservé  plus  clai- 
rement que  partout  ailleurs  une  de  ses  principales  attributions  :  elle 
entraîne  à  sa  suite  les  âmes  des  enfants  morts  sans  baptême,  c'est-à-dire 
des  païens. 

6.  Nous  n'avons  pas  cru  devoir  faire  entrer  ici  en  ligne  de  compte  les 
diverses  légendes  où,  comme  dans  la  Wilkina-Saga,  Hilde,  ou  l'une  de 
ses  représentantes,  apparaît  dans  des  conditions  analogues  à  celles  où 
la  placent  Saxo  et  Snorri.  Ces  diverses  légendes,  simples  ramifications 
d'un  seul  et  même  mythe  primitif,  trouveront  plus  à  propos  leur  place 
dans  un  examen  comparatif  de  toutes  les  rédactions  qui  nous  sont  par- 
venues. 


~  122  — 

aspect  guerrier  (1).  Tous  les  noms  des  Walkyries  n'étaient 
à  l'origine  que  de  simples  appellations,  de  purs  qualificatifs  de 
la  déesse,  et  la  polyonymie,  dont  on  a  mainte  fois  eu  l'occasion 
de  constater  l'influence  sur  la  formation  des  légendes  mytho- 
logiques, a  eu  ici  pour  effet  de  constituer  en  autant  de  person- 
nalités distinctes  lesépitliètesqui,  dans  l'origine, s'appliquaient 
uniquement  à  Freya  considérée  comme  déesse  de  la  guerre  (2). 
Ce  qui  le  prouve  encore,  et  ce  qui  marque  en  même  temps  la 
prééminence  donnée  à  Hilde  dans  cette  formation  de  la  pha- 
lange sacrée  des  Walkyries,  c'est  que  toutes,  ou  presque  tou- 
tes, ont  dans  leur  histoire  une  aventure  analogue  à  celle 
d'Hilde.  De  même  que  leurs  noms  à  toutes  ont  une  signification 
guerrière,  de  même  toutes  suscitent  une  lutte  entre  les  héros 
qui  se  trouvent  mêlés  à  leurs  destinées. 

Pour  en  revenir  à  Hilde  et  à  Freya,  tout  nous  prouve  que  no- 
tre héroïne  est  la  représentante  la  plus  immédiate  de  la  déesse. 
Nous  avons  signalé  plus  haut  la  prédominance  que  lui  accor- 
dent la  plupart  des  légendes  parmi  les  autres  Walkyries;  or,  de 
même  que  c'est  elle  qui  guide  les  AValkyries  dans  les  combats 
et  qui  ramène  à  la  Walhalla  les  âmes  des  héros  choisis  par 
Odhin,  de  même  Freya  va  à  la  bataille  à  la  tête  des  Walkyries 
età  la  suite  d'Odhin;  dans  cette  circonstance  elle  s'appelle  Wal- 
freya  (3)  ;  elle  partage  avec  Odhin  les  âmes  des  guerriers  pré- 


\.  Cf.  K.  Simrock,  Deutsche  Mythologie,  p.  333  et  358.  Sur  toute  celte 
question,  cf.  aussi  L.  Frauer,  Die  Walkyrien  der  Skandinavisch-germani- 
schen  GOtter-und  Heldensage  aus  nordischen  Quellen  dnrgestellt  (Weimar, 
1846,  in-S").  Nous  ne  voulons  point  fatiguer  le  lecteur  par  l'énumération 
de  toutes  les  analogies  qu'on  peut  signaler  entre  Freja  et  les  Walkyries; 
elles  ont  été  presque  toutes  mises  depuis  longtemps  en  lumière.  Notons 
cependant  celle-ci,  sur  laquelle  nous  aurons  occasion  de  revenir  plus  tard: 
Quand  Freya  traverse  les  airs,  elle  revêt  un  vêtement  de  plumes,  c'est- 
à-dire  qu'elle  se  change  en  oiseau  (cf.  Edda  Saemundar  :  Trymshvida, 
str.  3);  de  même  les  Walkyries,  dans  leurs  courses  lointaines,  possèdent 
un  plumage  de  cygne  (cf.  Edda  Saemundar  :  Vohindar  Kvida,  Formdli; 
Uhland,  Schriften  zur  Geschichte  der  Dichtung  und  Sage,  1,  153.) 

2.  Par  exemple  Brûnhilde  est  simplement  Hilde  couverte  de  la  cuirasse 
(Brûnne),  et  l'origine  de  son  nom  est  encore  clairement  attestée  dans 
l'Edda  de  Saemund,  Helreid  Brynhildar,  str.  7  et  dans  le  Skaldskaparmdl, 
chap.  4t. 

3.  C'est-à-dire  :  Freya  qui  choisit  les  guerriers  dignes  du  bonheur 
céleste;  cette  racine  wal  forme,  comme  on  le  sait,  la  première  partie  du 
mot  Walkyrie,  où  elle  a  même  un  emploi  pléonastique,  la  seconde  partie 


—  123  — 

destinés  aux  joies  de  la  Walhalla  (1),  et,  détail  caractéristique, 
elle  chevauche  alors  sur  un  sanglier  appelé  HihUsvin  (2),  le  san- 
glier d'ffilde.  En  outre,  de  môme  qu'Hilde  doit  présenter  l'hydro- 
mel aux  Einheriar  dans  la  Walhalla,  de  même  c'est  Freya  qui 
sert  à  boire  aux  Ases  dans  l'Assemblée  des  Dieux  (3).  A  tous  ces 
points  de  vue  Hilde  et  Freya  se  confondent  donc  absolument  (4). 

Un  autre  terme  de  comparaison  nous  est  encore  fourni  par  le 
rapprochement  du  Brisinga  Men,  ce  collier  si  caractéristique 
pour  Freya,  avec  le  collier  qu'Hilde  offre  à  H(')gni  comme  gage 
de  réconciliation.  La  tradition  rapportée  par  l'auteur  de  la  Su?-- 
lalhaltr  sur  la  manière  dont  Freya  acquit  ce  collier  est  la  seule 
qui  nous  soit  restée  et  qui  rende  compte  de  son  origine.  Ainsi 
que  nous  l'avons  déjà  dit  plus  haut,  on  a  voulu  la  considérer 
comme  une  création  de  sa  fantaisie,  uniquement  destinée  à  ren- 
dre méprisable  aux  yeux  de  ses  compatriotes  nouvellement  con- 
vertis la  déesse  païenne  Freya.  Il  semble  en  effet  que  c'était  bien 
la  pensée  dans  laquelle  le  moine  l'a  reproduite  :  mais  s'en  suit- 
il  pour  cela  qu'il  l'ait  inventée  de  toutes  pièces  ?  Tel  n'est  pas 
notre  avis;  il  a  bien  pu  l'utiliser  avec  empressement  sans  pour 
cela  en  être  l'auteur. 

Car  enfin  il  y  a  une  chose  qu'il  faut  considérer  avant  tout, 
c'est  qu'il  devait  forcément  exister  des  traditions  sur  l'origine  de 
ce  Brisinga  Men  et  que,  si  nous  rejetons  le  récit  de  Gunnlaug, 
nous  ne  savons  plus  comment  Freya  fut  mise  en  possession  de 
ce  collier.  Or  on  ne  peut  raisonnablement  rejeter  une  légende 
comme  apocryphe,  sous  le  seul  prétexte  qu'elle  nous  est  parve- 
nue dans  une  rédaction  unique  et  tardive.  Le  fait  serait,  dans  le 

du  même  mot,  -Jtyrie,  se  rattachant  aune  autre  racine,  que  l'on  retrouve 
dans  le  gothique  kiiisan,  dans  l'allemand  moderne  Mesen,  erkiesen,  erkoren 
et  qui  signifie  aussi  choisir.  Enfin  celte  môme  racine  wal  forme  encore 
la  première  partie  du  mot  Walhalla,  la  salle  des  élus. 

i.  Edda  Snorra  :  Gylfaginning,  chap.  24;  Skaldskaparmdl,  chap.  20. 
—  Edda  Saemundar  :  Grimnismâl,  str.  14-. 

2.  Finn  Magnusen,  Lexicon  Mythologicinn,  p.  428.  Edda  Saemundar  : 
Hyndluliodh,  str.  7. 

3.  Edda  Snorra  :  Skaldskaparmàl,  chap.  17. 

4.  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  plus  haut  qu'en  réalité,  selon  la 
Sôrlathattr,  c'est  Freya  qui  opère  le  prodige  de  la  résurrection  des  morts, 
attribué  par  les  autres  rédactions  à  llilde.  Gondul,  qui  elle  aussi,  il  ne 
faut  pas  l'oublier,  est  une  Walkyrie  et  par  conséquent  une  des  personni- 
fications de  Freya,  n'apparaît  que  pour  faire  boire  à  Hedhin  le  breuvage 
magique  et  pour  l'exciter  contre  Hogui. 


—  124  — 

cas  présent,  d'autant  moins  excusable,  que  d'autres  récits  vien- 
nent, par  leur  analogie,  corroborer  celui  de  la  Sôrlalhatlr.  Ainsi 
une  honteuse  prostitution  de  ses  charmes,  consentie  dans  une 
circonstance  et  pour  une  raison  analogue  à  celle  qui  est  attri- 
buée à  Freya,  est  mise  par  Saxo  (1)  au  compte  de  Frigg  :  or 
Frigg  et  Freya  sont,  comme  on  l'a  reconnu  depuis  longtemps  (2), 
une  seule  et  même  déesse.  Pareille  action  cnhn  est  attribuée  à 
Frcid,  femme  de  Woud,  dans  une  légende  rapportée  par  Schœn- 
werth(3).  En  outre,  à  différents  endroits  de  la  Lohasenna,  Loki 
adresse  à  Freya  et  à  Frigg  des  sarcasmes  et  des  reproches  tout 
à  fait  en  rapport  avec  les  récits  de  Saxo  et  de  Ounnlaug  (4). 

Un  point  plus  obscur  est  celui  concernant  le  rapport  qu'il  peut 
y  avoir  entre  la  restitution  de  ce  collier  à  Freya  et  la  bataille 
des  ITjadninge.  L'Fdda  de  Snorri  nous  apprend  bien  que  Loki 
avait  dérobé  le  Men  à  Freya  et  lui  donne  l'épithéte  de  Voleur 
du  lirisingamen  (5).  A.  un  autre  endroit  elle  nous  apprend  même 
qu'un  cliant  eddique  perdu  retraçait  comment  Freya  rentra  en 
possession  de  son  collier.  Heimdallr  vint  au  secours  de  Freya 
et  le  reprit  à  Loki  dans  un  combat,  où  tous  deux,  sous  la  forme 
de  phoques,  luttèrent  sur  un  roclier  situé  au  milieu  de  la  mer  (6). 
La  lltisdràpa  (c'est  le  nom  de  ce  cliant)  nous  raconte  que  cet  épi- 
sode était  au  nombre  de  ceux  qu'avait  fait  peindre  Olaf  Pà  sur 
les  murs  de  sa  maison,  dont  elle  célèbre  la  magnificence  (7). 

Naturellement  ce  récit  a  pour  lui  l'avantage  de  nous  être  trans- 
mis par  VEdda  et  d'acquérir  ainsi  une  présomption  d'antiquité 
qui  fait  défaut  à  celui  de  Gunnlaug  ;  de  plus,  s'il  fallait  prendre 
à  la  lettre  les  affirmations  de  la  Laxdoda  Saga,  il  remonterait 
pour  le  inoins  au  x''  siècle.  Aussi  ceux  mêmes,  qui  concèdent 
les  faits  honteux  mis  à  la  charge  de  Freya  par  le  début  de  la 
Sorlathatlr,  accusent-ils  tout  au  moins  l'auteur  de  la  légende 

\.  Saxo  Grammaticus  (éd.  p.  P.  E.  Mùller)  I,  42-43. 

2.  Cf.  J.  Grimm,  Ucber  die  Gôttin  Freya  {Kleinere  Sc/in7<e??,V,  421-430, 
surtout  p.  423.) 

3.  Sitten  iind  Sagen  aus  dcr  Oberpfalz  (Augsburg,  }8o7,  3  vol.  in-S"), 
II,  315,  cité  par  Sinirock,  Deutsche  Mythologie,  p.  362. 

4.  Edda  Saemundar  :  Lokascnna,  str.  26  et  30  ;  Ilyndluliodh,  sir.  42 
sq.  —  Cf.  Ileimskringla  :  Ynglinga  Saga,  chap.  3. 

5.  Edda  Snorra  :  Skaldskaparmûl,  chap.  16. 

6.  Ibid.  chap.  S. 

7.  Cf.  FiuD  MagQuscn,  De  imaginihus  in  acdc  Olavi  Pavonis  f^acc.  X  ex- 
structa  scenas  mythologicas  repracsentantibus,  alasmlcda  son  édition  de  la 
Laxdœla  Saga  (Havniae,  i826,in-4o). 


—  125  — 

d'avoir  arbitrairement  établi  un  lien  factice  entre  l'histoire  du 
Men  et  celle  des  Hjadninge  et  d'avoir  remplacé  par  une  inven- 
tion absurde  (l'ordre  d'Odhin  à  Freya)  l'antique  et  simple  con- 
clusion que  fournit  VFdda. 

Est-il  donc  tout  d'abord  absolument  impossible  et  sans  exem- 
ple qu'un  seul  et  même  mythe  soit  parvenu  à  nous  sous  deux 
formes,  non  pas  même  opposées,  mais  simplement  divergentes? 
Et,  en  dépouillant  le  récit  de  la  SiJrlathaltv  de  tout  ce  qui  tient 
évidemment  à  l'immixtion  du  christianisme,  obtenons-nous  une 
rédaction  si  invraisemblable,  qu'il  faille  de  prime  abord  la 
rejeter  ?  Bien  au  contraire,  abstraction  faite  de  l'intervention 
malencontreuse  d'Ivar,  la  seconde  partie  de  notre  rédaction, 
nous  l'avons  déjà  vu,  concorde  de  tous  points  avec  celle  de 
VEdda. 

Or  comment  le  récit  de  VEdda  lui-même  nous  est-il  parvenu? 
A  propos  d'une  définition,  pour  expliquer  l'origine  de  quelques 
synonymes  poétiques,  Snorri  raconte  une  vieille  légende,  qui 
donne  la  raison  d'être  de  l'un  d'entre  eux.  Mais  cette  légende, 
d'où  l'a-t-il  tirée  ?  Comment  et  en  quel  état  est-elle  arrivée 
jusqu'à  lui  ?11  ne  nous  le  dit  pas.  Apparemment,  puisqu'il  nous 
la  transmet  telle  que  nous  l'avons  vue,  c'est  qu'il  l'avait  trouvée 
dans  cet  état;  sans  doute  qu'au  moment  où  il  l'a  recueillie,  elle 
était  ainsi  colportée  isolément  et  réduite  à  une  espèce  de  conte: 
s'ensuit-il  qu'elle  ait  toujours  été  ainsi  et  qui  pourrait  dire 
qu'antérieurement  elle  ne  se  rattachait  pas  d'une  façon  intime  au 
récit  concernant  le  Brisinga  Men?  Qui  pourrait  dire  si,  au  lieu 
d'accuser  Gunnlaug  d'avoir  arbitrairement  uni  deux  légendes 
étrangères  l'une  à  l'autre,  nous  ne  devons  pas  au  contraire  le  fé- 
liciter d'avoir  conservé  dans  leur  union  primitive  ces  deux  par- 
ties que  le  hasard  ou  un  de  ces  accidents  si  fréquents  dans 
l'existence  agitée  et  la  transmission  incertaine  des  légendes 
avait  un  jour  séparées  l'une  de  l'autre?  On  l'accuse  gratuite- 
ment et  sans  preuve  positive  :  de  fortes  raisons  nous  donnent 
lieu  de  supposer  qu'on  devrait  plutôt  lui  être  reconnaissant  de 
la  fidélité  avec  laquelle  il  a  reproduit  cette  tradition.  Pour  nous, 
le  combat  de  Loki  et  d'Heimdallr,  d'une  part,  celui  d'H(»gni  et 
d'Hedhin  de  l'autre,  sont  doux  formes  diverses  par  l'époque, 
mais  non  par  l'origine,  d'un  seul  et  même  mythe  primitif. 

De  toute  manière  la  narration  de  la  Sovlathaltr  est,  bien 
entendu,  plus  récente  que  celle  de  la  Hûsdrâpa.  Celle-ci  nous 
place  encore  en  pleine  légende  divine  ;  avec  celle-là  nous  som- 


—  126  — 

mes  déjà  descendus  d'un  degré  et  parvenus  à  la  légende  héroï- 
que. Le  passage  du  combat  entre  Helmdallr  et  Loki  à  la  lutte 
entre  Hedhin  et  H<)gni  ne  peut  en  effet  dater  que  du  temps  où 
le  dédoublement  entre  Freya  et  Hilde  était  déjà  un  fait  accom- 
pli. Mais,  si  nous  tenons  compte  des  modifications  inhérentes 
à  une  transformation  de  ce  genre,  nous  verrons  facilement 
que,  dans  la  Sorlalhaltr  comme  dans  la  Ilûsdrâpa,  c'est  une 
même  issue  de  la  légende  qui  reparaît  sous  des  traits  à  peine 
modifiés,  ce  sont  les  mêmes  combattants  qui,  sous  d'autres 
noms,  luttent  pour  le  môme  objet.  Hilde  a  remplacé  Freya  et 
simultanément  à  Loki  a  succédé  Hr)giii,  à  Heimdallr  Hedhin. 

Nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  l'identité  primitive  d'Hilde 
avec  Freya  ;  il  vient  d'en  être  question  assez  longuement;  il 
nous  reste  à  prouver  celle  d'Hedhin  avec  Heimdallr,  celle 
d'Hogni  avec  Loki. 

Commençons  par  Hogni.  Nous  le  retrouvons  dans  un  grand 
nombre  de  légendes  :  il  apparaît  dans  les  Nihelungen,  dans  la 
Gudrun,  dans  le  Waltharius,  dans  la  Saga  d'Helgi  ;  et  partout  il 
porte  avec  lui  les  mêmes  traits  mythiques,  partout  il  joue  le 
même  rôle,  partout  il  a  le  même  caractère.  Désigné  dans  la 
Gudrun  sous  le  nom  de  Démon  de  tous  les  7'ois  (Valant  aller 
kiinege)  (1),  marqué  par  elle  de  l'épithète  de  sauvage  (ivilde)  (2), 
il  s'appelle  le  féroce  (grimme)  dans  le  Nibelunge  Nôt  (3)  ;  la  Sor- 
lathaltr  lui  donne  l'épithète  de  très  violent  {allœfr)  (4),  Saxo  dit 
qu'il  était  ingenio  pervicax  (5)  ;  enfin  le  Waltharius,  voulant 
donner  l'étymologie  de  son  nom,  l'explique  par  spmosus  aut 
paliurus  (6),  ce  qui  s'accorde  bien  avec  le  sens  du  mot  moyen- 
haut-allemand  et  anglo-saxon  hagan -épine  {!)  QÏ  achève  de  pein- 

1.  Sir.  124,  198,  199,  etc.... 

2.  T)er  Nibelunge  Nôt,  éd.  p.  K.  Bartsch,  str.  993. 
:).  Chap.  8. 

4.  Str.  168,  i96,  516;  cf.  J.  Grimm,  Mythologie,  p.  943  sqq. 
^.  Tome  I,  p.  240. 

6.  Grimm  et  Schmeller,  Lateinische  Gedichte  des  X.  und  XL  Jahrhun- 
derts  (GotLingen,  1838,  in-8°)  :  M^altharius,  v.  1351  et  1421. 

7.  Cf.  G.  Graff,  Althochdeutscher  Sprachschatz,  V,  col.  798.  —  K. 
MùUenhoff  [Zeugnisse  und  Excurse  zur  deutschen  Heldensagef  p.  293  et 
386)  a  contesté  cette  étymologie  populaire  par  la  raison  que  le  change- 
ment de  l'a  allemand  en  un  6  nordique  suppose  en  ancien-haut-allemand 
une  forme  Haguna.  Mais  cette  objection,  fondée  en  principe,  supporte 
quelque  restriction  en  ce  qui  concerne  les  syllabes  de  dérivation  (cf.  L. 
KleCj  Zur  Hildesage,  p.  10),  et  du  reste  la  forme  Ilagano  est  parfaitement 
constatée  en  ancien-haut-allemand. 


—  127  — 

dre  le  caractère  redoutable  du  héros.  Tous  ceux  en  effet  que  les 
événements  rapprochent  de  lui  ont  à  souffrir  par  son  fait;  par- 
tout il  apparaît  en  hostilité  avec  un  jeune  et  noble  couple 
d'amants,  le  plus  souvent  il  leur  est  fatal  et  amène  leur  perte. 
Partout,  en  un  mot,  il  représente  le  mauvais  principe,  l'élé- 
ment funeste  et  destructeur.  Par  Là  il  se  rapproche  de  Loki 
et  occupe  dans  la  légende  héroïque  la  même  place  que  celui-ci 
dans  la  légende  divine  ;  il  a  en  outre  avec  lui  maint  autre  point 
de  comparaison,  comme  nous  Talions  voir.  La  similitude  entre 
le  dieu  et  le  héros  est  surtout  frappante,  quand  on  rapproche  du 
récit  de  l'Edda  (1),  où  Loki  essaye  d'apprendre  de  Frigg  com- 
ment Baldur  peut  être  tué,  le  passage  des  Nlbelungen,  où,  par 
une  ruse  analogue,  Hagen  parvient  à  savoir  comment  il  est 
possible  d'immoler  Siegfried.  De  même  que  Frigg  bavarde  sans 
songer  à  mal  et,  préparant  à  son  insu  la  perte  de  Baldur, 
raconte  que  le  gui  seul  n'a  pas  été  convoqué  et  n'a  pas  prêté 
serment  d'épargner  son  fils,  de  même,  trompée  par  la  sym- 
pathie simulée  d'Hagen,  Ghriemhilde  lui  livre  le  secret  de  l'en- 
droit où  Siegfried  est  vulnérable  (2).  Or  c'est  un  fait  constaté 
depuis  longtemps  que  Siegfried  trahit  par  maint  côté  son  iden- 
tité avec  Baldur  :  sans  parler  ici  d'autres  points  de  ressem- 
blance, à  la  mort  de  tous  deux  est  attachée  la  ruine  de  leur 
race.  Tout  concourt  donc  à  nous  faire  rapprocher  l'un  de 
l'autre  Loki  et  Hogni  (3). 

Au  reste  tous  deux  ont  même  origine  :  Loki  est  rangé  parmi 
les  Alfes  noirs  ;  Hogni  est  issu  d'un  Alfe,  qui  a  fait  violence  à  la 
reine,  épouse  d'Aldrian  (4).  De  même  que  Loki  est  souvent  con- 
sidéré comme  un  dieu  infernal,  de  même  Hogni  n'est  pas 
sans  avoir  quelque  parenté  avec  le  monde  souterrain  ;  le  Wal- 
tharius  l'appelle  Hagen  de  Troie  ;  or  Simrock  a  prouvé  par  de 
nombreux  exemples  et  de  frappantes  analogies  que,  dans  la 
mythologie  germanique,  sous  le  nom  de  Troie,  c'est  du  monde 
souterrain  qu'il  est  toujours  question  (5). 

1.  Eàda  Snorra  :  Gylfaginning,  chap.  49. 

2.  Der  Nibelungc  Nôt,  éd.  p.  Iv.  Barlsch,  lo«  aventure,  sir.  902  sqq. 

3.  Cf.,  pour  plus  de  détails,  Simrock,  Deutsche  Mythologie,  p.  87;  K. 
Weinhold,  Die  Sagen  von  Loki  (H.  Z.,  VII,  75  sqq.) 

4.  Wilkina-Saga,  éd.  p.  J.  Peringskjold,  chap.  ^.^0;  Saga  Didriks  Ko- 
nungs  af  Bern,  éd.  p.  R.  Unger,  chap.  169. 

3.  Simrock,  Deutsche  Mythologie,  p.  296  et  489;  der  Rosengarte,éd.  p. 
W.  Grimm  (Gottingen,  1836,  ia-8°),  préface,  p.  X. 


—  i28  — 

Il  nous  semble  donc  qu'on  peut  sans  témérité  identifier  Hogni 
et  Loki. 

Dès  lors  l'analogie  aussi  bien  que  la  symétrie  nous  amène- 
raient à  conclure  que  l'antagoniste  d'HOgni-Loki  a  tout  naturel- 
lement subi  un  développement  parallèle  et  qu'Hedhin  et  Heim- 
dallr  ne  sont  qu'une  seule  et  même  personne.  Or  pour  ces  deux 
derniers  les  preuves  directes  ne  font  pas  défaut  non  plus.  Seu- 
lement le  dédoublement  et  les  modifications  de  personnes  ont 
été  ici  un  peu  plus  compliqués,  tant  sous  l'influence  de  la  polyo- 
nymie  que  sous  celle  qui  tend  à  ériger  en  divinité  distincte 
chaque  attribut  d'un  Dieu  principal  et  à  donner  aux  puissances 
célestes  ainsi  créées  une  filiation  aboutissant  à  ce  Dieu. 

Selon  VEdda  de  Snorri  (1),  Hedhin  est  fils  d'Hjarrandi;  or, 
d'après  cotte  même  Edda  (2),  Hjarrandi  n'est  qu'un  des  noms 
d'Odhin.  Mais  de  même  qu'IIjarrandi  se  confond  avec  Odbin, 
de  mèmeHedhin  lui-même,  désigné  comme  son  fils,  n'est  aussi 
qu'un  nom  appellatif  de  ce  dieu  (3).  Car  Odhin  (le  Wuotan  alle- 
mand) porte  p:ir  essence  un  grand  manteau  sombre  et  précisé- 
ment Hedhin  signifie  -.celui  qui  porte  un  mayileau.  De  plus  Hjar- 
randi (Horand)  est  célèbre  dans  la  légende  héroïque  comme  un 
chanteur  merveilleux,  également  admiré  des  Germains  du  con- 
tinent et  des  Anglo-Saxons;  selon  le  poème  de  Gudrun  Hetel 
(Hedhin)  le  surpasse  cependant  encore  en  habileté  (4)  ;  n'est-ce 
pas  ici  le  lieu  de  remarquer  cpie  la  musique  rentre  précisément 
dans  les  attributions  d'Odhin  et  qu'il  est  le  dieu  du  chant  ? 
D'une  part  nous  avons  donc  la  généalogie  :  Odhin,  Bjarrandi, 
Hedhin,  dans  laquelle  le  fils  et  le  petit-fils  du  dieu  ne  sont  que 
ses  attributs  ou  ses  qualifications  personnifiés. 

D'autre  part  Odhin  se  confond  sous  maint  point  de  vue  avec 
Heimdallr.  C'est  à  lui,  en  réalité,  sous  le  nom  de  son  fils  Heim- 
dallr,  qu'appartient  prîhiilivement  le  Giallarhorn;  comme  dieu 
sidéral  et  solaire,  c'est  lui  qui  est  originairement  le  véritable 
gardien  du  ciel  (5)  et  qui  tient  en  main  ce  cor  retentissant  ;  le 
fait  est  encore  attesté  par  un  passage  du  llrafnagaldr  Odhins,  où 
Heimdallr  est  appelé  non  le  possesseur,  mais  le  gardien  du  cor 


1.  Skaldskaparmâl,  chap.  SO. 

2.  Sôgu-Brot  (II,  472  et  555). 

3.  Maonhardl,  Germanische  Mythen,  p.  289. 

4.  Sir.  4D6. 

b.  Cf.  Simroclv,  Mythologie  p.  208  et  213. 


—  129  — 

retentissant  (ï Ihrian  (autre  dénomination  d'Odhin)  (1).  Ici  encore, 
de  même  que  tout  à  l'heure,  le  tils  se  confond  avec  le  père. 

Rien  ne  nous  empêche  donc  de  considérer  comme  primitive- 
ment identiques  Hedhin  etHeimdalIr,  tous  deux /<7s  d'Odhin  (2), 
Seul  un  partage,  une  spécialisation  des  attributs  du  dieu  pri- 
mitif les  a  différenciés  plus  tard  et  le  divorce  s'est  surtout  accen- 
tué lorsque  le  mythe  est  passé  de  la  légende  divine  à  la  légende 
héroïque. 

Enfin,  dernier  trait  digne  de  remarque  et  qui  achève  d'établir 
la  parité  complète  des  deux  combats  entre  HOgni  et  Hedhin  d'une 
part,  entre  Loki  et  Heimdallr  de  l'autre,  outre  la  lutte  de  ces 
deux  derniers  au  sujet  du  Brisinga  Men,  VEdda  de  Snorri  raconte 
tout  au  long,  à  propos  de  la  fin  du  monde,  du  Crépuscule  des 
Dieux,  un  nouveau  combat  que  se  livrent  alors  Heimdallr  et 
Loki,  et  dans  lequel,  comme  Hedhin  et  Hogni_,  ils  se  tuent  mu- 
tuellement, pour  ressusciter  comme  eux  un  instant  après  (3). 
Sans  doute,  à  ce  moment  où  toute  la  création  va  renaître  à  une 
nouvelle  existence  (4),  les  deux  divinités  déposent  aussi  toute 
inimitié  en  ressuscitant  ;  mais,  à  part  ce  dernier  détail,  la  res- 
semblance n'en  est  pas  moins  frappante  et  prouve  que  partout, 
dans  la  légende  divine  comme  dans  la  légende  héroïque,  Heim- 
dallr et  Loki,  Hedhin  et  Hrigni  sont  toujours  intimement  associés 
l'un  à  l'autre  et  représentés  comme  d'irréconciliables  ennemis. 

Or  Simrock  (S)  a  fait  remarquer  que  tous  ces  combats  mythi- 

1.  Edda  Saemundar  :  Hrafnagaldr  Odhins,  str.  \6. 

2.  Edda  Snorra  :  Skaldskaparmâl,  chap.  8.  En  réalité  l'intermédiaire 
d'HjarraDdi,en  ce  qui  concerne  la  filiation  d'IIedhin,  est  purement  fictif  : 
comme  Dieu,  Hjarrandi  n'existe  pas;  c'est,  aussi  bien  qu'IIérian,  un 
simple  appellatif  d'Odhin;  et  si,  dans  la  légende  héroïque,  où  le  nom 
d'Odhin  se  trouve  souvent  remplacé  par  un  de  ses  synonymes  poétiques, 
il  a  pu  se  grouper  un  ensemble  de  récits  autour  du  nom  d'Hjarrandr 
(Horand),  rien  de  pareil  n'a  eu  lieu  dans  la  légende  divine,  où  de  l'aveu 
de  tous  les  scaldes,  qui  en  eurent  toujours  pleine  conscience,  Hjarrandi 
n'était  qu'un  simple  nom  appellatif  d'Odhin. 

3.  Edda  Snorra  :  Gylfagmning.  chap.  51. 

4.  On  sait  que,  dans  les  conceptions  eddiques,  le  Créf^uscule  des  Dieux 
marque  la  fin  de  ce  que, dans  la  terminologie  antique,  nous  appellerions 
Vûge  de  fer  ou  Voge  d'airain  et  l'avènement  de  l'âge  d'or.  Avec  la  résur- 
rection des  Dieux  Je  règne  de  la  justice,  de  l'abondance  et  de  la  paix 
s'établit  définitivement  et  sans  partage  dans  le  monde  purifié.  Les  âges 
se  succèdent  ici  à  l'inverse  de  ce  qui  a  lieu  dans  l'antiquité  classique. 

5.  Mythologie,  p.  63. 

Fégamp,  Gmh'un.  9 


—  130  — 

ques,  qui  ont  un  phénomène  naturel  pour  base  et  qui,  soit  dans 
les  superstitions  populaires  s'appli(iuent  aux  grandes  périodes 
de  l'histoire,  soit  dans  la  cosmogonie  eddique  ont  été  rattachés 
au  cycle  humain  (à  la  grande,  année  du  monde,  pour  employer  le 
langage  des  poètes  nordiques), s'appliquaient  originairement  aux 
phénomènes  de  notre  année  ordinaire. 

Ramenée  à  ces  termes,  la  question  de  l'origine  et  de  la  nature 
de  notre  mythe  se  résout  d'elle-même,  ou  plutôt  elle  a  été  résolue 
depuis  longtemps  par  les  mythologues.  Loki-H(")gni  symbolise 
partout  le  principe  de  la  destruction  :  il  est  dans  la  nature  le 
représentant  des  éléments  hostiles  et  dévastateurs  ;  au  contraire 
Heimdallr-Hedhin  représente  le  principe  bienfaisant  et  créateur, 
les  forces  productrices  de  la  nature  :  de  là  l'opposition  des  deux 
divinités,  de  là  leurs  luttes. 

Mais  c'est  au  changement  des  saisons  et  surtout  aux  équinoxes 
que  le  contraste  entre  ces  deux  principes  est  le  plus  frappant  : 
on  croit  assister  tantôt  à  la  destruction  et  à  l'anéantissement, 
tantôt  à  la  création  et  au  renouvellement  de  tout  ce  qui  vit  dans 
la  nature.  Quoi  de  plus  simple,  dès  lors,  que  de  personnifier  les 
combattants  sous  les  traits  du  sombre  et  rude  hiver  luttant  con- 
tre le  doux  et  agréable  été?  Dans  cette  conception  la  nature 
elle-même  semble  être  la  proie  qu'on  se  dispute,  l'enjeu  de  la 
bataille  qui  se  livre,  et  se  personnifie  sous  ses  aspects  les  plus 
sensibles,  sous  ceux  de  la  vierge  aux  fleurs  et  aux  fruits^,  que 
l'été  bienfaisant  arrache  aux  étreintes  du  sombre  hiver,  au 
milieu  de  combats  sans  cesse  renouvelés,  de  luttes  où  toujours 
et  tour  à  tour  vaincus  et  vainqueurs  les  deux  adversaires  se 
terrassent  sans  cesse  mutuellement  et  se  relèvent  sans  cesse 
pour  reprendre  ce  duel  sans  fin  (1). 

Tantôt  donc  elle  apparaît  en  personne,  comme  déesse  du  prin- 
temps, sous  les  traits  de  Freya,  de  Gerda  ou  d'Hilde,  tantôt  elle 
n'est  représentée  que  parle  Brisinga  Men  (2),  ce  brillant  collier, 
cette  verte  parure  dont  elle  s'orne  au  renouveau. 

\.  Cette  idée  de  la  force  productrice  et  rénovatrice  attribuée  à  la  déesse 
du  printemps  a  passé  de  Freya  non  seulement  à  Hilde,  mais  même 
à  toutes  les  Walkyries,  témoin  la  croyance  que  les  coursiers  des  Wallvy- 
ries  répandent  sur  leur  passage  la  fertilité  :  de  leurs  narines  tombe  une 
rosée  qui  se  dépose  en  pluie  dans  les  vallées,  en  grêle  sur  les  arbres, 
mais  dans  chaque  cas  apporte  l'abondance. 

2.  Cf.  Sur  le  Brisinga  Men  :  Simrock,  Mythologie,  p.  284;  Saxo  Gram- 
maticus  (éd.  P.  E.  Millier).  II,  62;  P.  G.,  I,  410;IV,  141  ;  Grimm,  My- 
thologie,^. 283  et  1227;  Iloltzraann,  Mythologie,   p.    134;  K.  Mullenhoff, 


—  131  — 

Un  trait  frappant,  qui  montre  bien  la  signification  primitive 
du  mythe,  nous  a  été  conservé  par  la  Sorlathallr.  Lorsqu'Hogni 
se  met  à  la  poursuite  du  ravisseur  de  sa  fille,  il  arrive  tous  les 
soirs  à  l'endroit,  d'où  Hedhin  est  parti  le  matin,  jusqu'au  mo- 
ment où,  accélérant  sa  course,  il  finit  par  le  rattraper.  Peut-on 
caractériser  d'une  manière  plus  expressive  la  lutte  de  l'hiver  et 
de  l'été,  qui,  pour  les  peuples  du  Nord  plus  que  pour  tous  les 
autres,  se  résume  dans  la  lutte  de  la  chaleur  et  du  froid,  surtout 
dans  celle  du  jour  et  de  la  nuit,  de  la  lumière  et  des  ténèbres  ? 
Sous  ces  hautes  latitudes^,  où  l'écart  des  jours  et  des  nuits  at- 
teint son  maximum,  ne  voit-on  pas  plus  sensiblement  que 
partout  ailleurs  le  dieu  du  jour  et  le  dieu  de  la  nuit  se  pour- 
suivre incessamment,  l'un  arrivant  le  soir  par  l'orient,  c'est-à- 
dire  par  le  point  d'où  l'autre  est  parti  le  matin,  jusqu'à  ce  qu'à 
un  moment  donné  ils  s'atteignent  mutuellement  et  se  confon- 
dent pendant  quelque  temps  dans  une  espèce  de  lutte  toujours 
incertaine  et  toujours  renaissante  ?  N'est-ce  pas  surtout  ce  qui 
arrive  aux  deux  solstices?  Tantôt  une  nuit  profonde,  troublée 
quotidiennement  par  un  retour  ofl'ensif  de  la  lumière,  tantôt  un 
jour  resplendissant  obscurci  de  temps  à  autre  par  une  tentative 
de  la  nuit  pour  reprendre  son  empire,  tel  est  le  spectacle  qu'ont 
sans  cesse  sous  les  yeux,  avec  une  intensité  plus  grande  que 
dans  toute  autre  contrée,  les  peuples  du  Nord;  telle  est  l'idée 
qu'ils  ont  symbolisée  dans  le  combat  des  Einheriar,  dans  le 
duel  entre  Loki  et  Heimdallr,  dans  la  lutte  entre  Hogni  et 
Hedhin, 

Frija  und  der  llalshandmythus  (II.  Z.,  30,  217-260),  qui  rapproche  Frija 
de  la  déesse  indienne  Sùryà  et  arrive  finalement  par  une  série  de  bril- 
lantes considérations  tirées  de  la  mythologie  comparée  à  la  conclusion 
à  laquelle  nous  nous  sommes  arrêté  ci-dessus.  Quant  à  l'étymologie 
du  mot  Bridnga,  ou  n'est  pas  d'accord  sur  celle  qu'il  faut  adopter.  Grimm 
(H.  Z.,  VII,oO)  eu  a  proposé  une  qui  parait  vraisemblable.  Il  prend  jBmingr 
pour  le  nom  patronymique  des  nains  qui  ont  forgé  le  collier  et  le  rat- 
tache  à  la  même  racine  que  le  verbe  moyen-haut-aJlemand  brisen,  qui 
signifie  forger.  Mais  les  quatre  nains,  dont  il  est  question  dans  la  Sor /a - 
thattr,  ont-ils  jamais  porté  ce  nom  générique?  Cf.  encore  Encyclopédie 
d'Ersch  et  (Iruber,  l'"  section,  48"^  partie,  p.  421^  sq.  —  Voir  une  au- 
tre interprétation  du  mythe  dans  L.  Béer.  Zur  Hildensage  (P.  13. 13.,  XIV, 
522-572),  p.  568  sqq. 


CHAPITRE  III. 


LES  DlEl'X  MARINS  DANS   i.F.  POÈME   DE  OUDRUN  :    WATK,  FRITE,    HORAND. 


Autour  du  mythe,  à  l'origine  duquel  nous  venons  de  remonter, 
se  sont  groupés  peu  à  peu,  après  son  passage  à  l'état  de  légende 
héroïque,  divers  autres  éléments  mythologiques,  qui  appellent 
maintenant  notre  attention  ;  et  cela  à  double  titre  :  d'abord  par 
la  place  qu'ils  ont  prise  insensiblomeid  dans  notre  épopée,  puis 
par  ce  fait  qu'ils  contiennent  les  dernières  traces  de  trois  divi- 
nités marines  autrefois  révérées  sur  les  bords  de  cette  même 
m^r  du  Nord,  oii  se  passe  l'action  de  la  Gndnm. 

I.  WATE  (i). 

Des  trois  héros  envoyés  par  Hetel  à  la  cour  d'Hagen,  celui 
qui  incontestablement  est  le  chef  de  l'expédition,  c'est  le  vieux 
Wate.  Déjà  la  manière  dont  il  nous  est  présenté  par  le  poète  suf- 
firait à  nous  montrer  que  nous  avons  affaire  à  un  personnage 
célèbre  et  d'importance,  et  Lien  que, par  le  fait  des  combinaisons 
poétiques,  il  se  trouve  dans  la  Gudrun  relégué  au  second  rang, 
il  y  brille  d'un  vif  éclat  entre  tous  les  autres.  Après  les  acteurs 
principaux,  Hagen,  Hetel,  Hilde'pour  la  première  partie,  Hetel, 
Hilde,  Gudrun  pour  la  seconde,  c'est  autour  de  lui  que  pivote 
l'action,  c'est  lui  qui  est  le  centre  de  toutes  les  entreprises,  Tins- 
pirateur  et  le  guide  de  toutes  les  expéditions,  le  point  de  soutien 
et.de  ralliement  dans  les  revers  et  dans  la  défaite. 

Jl  est  peut-être  de  tous  les  héros  de  notre  poème  celui  qui  aie 
moins  perdu  les  traits  distinctifs  de  son  origine.  Sa  nature  de 
géant  éclate  encore  et  dans  ses  actes  et  dans  toute  sa  personne, 

A.  M.  F.  Michel  a  réuni  dans  une  brochure  de  32  p.  in-8°  intitulée 
Wade  (1837)  la  plupart  des  passages,  qui  se  rencontrent  au  sujet  de  notre 
héros  dans  divers  auteurs  anglais,  les  chapitres  de  la  Wilkina-Saga  qui- 
racontent  son  origine,  et  la  liste  des  localités  anglaises  qui  portent  son 
nom;  mais  il  n'a  essayé  de  tirer  de. ces  documents  aucune  solution  sur 
la  nature  et  la  signification  primitive  de  ce  personnage. 


—  133  — 

telle  que  nous  la  décrit  le  poète.  Il  joue  dans  la  Gudrun  un  rôle 
analogue  à  celui  d'Elias  dans  Ortnit,  de  Widolf  (son  neveu)  dans 
le  Roi  Rotheret  d'Ilsan  dans  le  Rosengarlon,  tous  trois  apparte- 
nant également  à  la  race  des  géants.  Voyez-le  quand  il  parait 
dans  la  capitale  d'Hagen;  voyez-le  parmi  les  femmes  de  la  cour 
d'Irlande  ;  voyez-le  surtout  dans  les  combats,  lorsque  la  colère 
l'anime  et  qu'il  fait  retentir  son  cor  redoutable,  ou,  quand,  à 
travers  les  traits  et  l'incendie,  il  se  précipite  dans  le  palais  de 
Ludwig,  écumant  de  rage  et  brisant  tout  sur  son  passage  :  por- 
tes, murs,  hommes,  femmes  et  enfants.  Dans  sa  fureur,  digne 
d'un  véritable  berserker^  il  va  même  jusiiu'à  menacer  (ludrun^ 
qui  essaye  de  l'arrêter. 

C'est  qu'en  effet  par  ses  parents  Wate  appartient  à  la  race  des 
géants  ;  il  est  père  de  Wieland,  grand-père  de  Wittich,  frère  de 
Nordian  et  oncle  de  Widolf,  Aspilian,  Abentrot  et  Etgeir.  Il  est 
fils  du  géant  Wilkinus  et  sa  naissance  est  racontée  en  ces  termes 
dans  la  Wilkina-Saga  : 

«  Un  jour  que  Wilkinus  revenait  d'une  expédition  dans  la 
mer  Baltique,  il  jeta  l'ancre  sur  les  côtes  de  la  Russie.  Descendu 
seul  sur  le  rivage,  il  pénétra  dans  un  bois  voisin  et  y  rencontra 
un  monstre  marin,  une  de  ces  nixes  qui  une  fois  sur  terre  revê- 
tent la  forme  d'une  belle  jeune  fille.  Enflammé  à  la  vue  de  ses 
charmes,  il  s'approcha  d'elle  et  ello  céda  à  ses  désirs.  Puis  il 
regagna  son  vaisseau  et  mit  de  suite  à  la  voile.  Il  était  déjà  en 
pleine  mer,  quand  il  vit  surgir  une  nixe,  qui,  s'élançant  sur  le 
vaisseau,  en  arrêta  sur-le-champ  la  course.  Wilkinus  la  recon- 
naît de  suite,  la  supplie  de  ne  pas  retarder  plus  longtemps  la 
marche  de  sa  flotte  et  lui  propose  de  venir  le  rejoindre  dans  son 
palais,  où  elle  trouvera  toutes  les  attentions  et  toute  la  magni- 
ficence qu'elle  peat  désirer.  Elle  y  consent  et  disparaît  ;  le 
voyage  s'effectue  rapidement  et  l'on  arrive  bientôt  à  la  capitale 
de  Wilkinus.  Six  mois  après  une  femme  se  présente  au  roi,  pré- 
tendant être  enceinte  de  ses  œuvres.  Bien  accueillie  par  lui; 
elle  est  installée  dans  le  palais  de  Wilkinus  et  y  donne  le  jour 
à  un  fils,  Wate.  Mais,  ne  pouvant  supporter  plus  longtemps 
de  rester  loin  de  la  mer,  elle  ne  tarde  pas  à  disparaître,  sans 
qu'on  entende  plus  jamais  parler  d'elle  (1).  » 

Cependant  il  ne  semble  pas  que  l'épouse  passagère  de  Wil- 
kinus  ait   complètement  jjerdu  de  vue   sa  progéniture  :  car, 


i.  Wilkina-Haga,  éd.  p.  Periogskjnld,  cliap.  18. 


—  134  — 

d'une  part,  la  strophe  529  de  la  Gudrnn,  reproduisant  selon 
toute  apparence  un  trait  ancien  de  la  lôgende  de  Wate,  nous 
dit  qu'il  avait  appris  la  médecine  d'une  femme  marine,  ce  qui 
s'appliquerait  bien  à  sa  mère  :  les  êtres  surnaturels  et  surtout 
les  génies  marins  ont,  en  effet,  dans  la  mythologie  germani- 
que, le  renom  de  connaître  les  plantes  médicinales  et  leurs 
propriétés  (1).  D'autre  part,  longtemps  après,  Widek,  fils  de 
Wieland  et  petit-fils  de  Wate^  poursuivi  par  Dietrich  de  Berne, 
est  sauvé  par  cette  même  déesse  marine,  qui,  nouvelle  Gy- 
rène,lui  ouvre  les  ondes  d'un  lac.  Or,  en  racontant  ce  fait,  l'au- 
teur de  la  Thidrekssaga  (2)  nous  dit  expressément  que  Widek 
fut  sauvé  par  la  mère  de  son  aïeul.  Enfin,  à  propos  du  même 
événement,  la  Rabmschlacht  (3)  nous  donne  le  nom  de  la  mère 
de  Wate:  elle  s'appelait  Wàchîlt,  c'est  à-dire  Hildc  des  Vagues. 

On  le  voit  donc,  par  son  père  et  par  sa  mère,  Wate  appartient 
à  la  race  des  géants  ;  de  plus,  par  sa  mère,  il  est  en  étroite  pa- 
renté avec  les  divinités  marines. 

Le  lieu  habituel  de  sa  résidence  le  rapproche  aussi  du  monde 
de  la  mer.  D'après  notre  poème,  il  est  le  chef  de  la  marche  de 
Stiirmen  ou  du  Sturmland  (le  pays  des  Tempêtes).  Les  uns  ont 
rapproché  ce  mot  du  nom  de  Stormaren,  entre  l'Elbe,  laTrave, 
la  Stor  et  la  Bille,  et  des  Stormarii,  dont  parle  Adam  de  Brème 
et  qui  longtemps  encore  après  lui  étaient  connus  sous  le  nom 
de  Stormern  (4),  les  autres  ont  voulu  le  retrouver  chez  les 
Sturmi,  qui  habitaient  près  de  Verdon  et  étaient  voisins  des 
Frisons  (5);  de  toute  manière,  son  domaine  est  situé  sur  la 
côte.  La  VF^7/^ma  iSap'a  (6)  lui  assigne  douze  bourgs  de  la  Svio- 
nie  et  de  la  Séelande,  qu'il  avait  reçus  de  son  père.  L'auteur 
de  la  Saga  songe  évidemment  ici  à  la  Séelande  danoise  et  une 
fois  encore  la  tradition  a  confondu  les  deux  Séelandes.  Enfin 
un  ancien  poème  anglo-saxon,  remontant  au  viii%  peut-être 
même  au  vu''  siècle,  le  Chant  du  Voijageur,  lui  donne  pour 
royaume  Helsingas  (7).  Ce  nom,  il  est  vrai,  n'a  pu  être  iden- 

\.  Cf.  Grimm,  Mythologie,  \'"'  éd.,  p.  243  et  669. 

2.  Chap.  383-386;  cf.  A  Rassmanu,  Lie  deutsche  Heldensage  und  ihre 
Heimath  (Ilannover,  2"  éd.,  1863,    2  vol.  in-S"),  I],  689. 

3.  Str.  964-960. 

4.  Cf.  Gùdrùnlieder,  éd.  p.  L.  Eltmiillcr,  Préface,  p.  VIII. 

5.  Cf.Mùllenhoff,  ^Vado  (1848),  p.  63. 

6.  Chap.  18-19. 

7.  Cf.  H.  Léo,  Altsdchsische  und    Angelsachsische  Sprachproben  (Halle, 


—  135  — 

tifié  jusqu'ici,  mais  tout  nous  engage  à  le  cliercher  sur  les 
bords  de  la  mer  Baltique  ;  car,  d'abord,  l'ordre  assigué  au 
royaume  de  Wate  dans  le  Chanl  du  Voyageur  nous  reporte 
vers  ces  parages  et,  d'autre  part,  le  nom  d'Helsingas  a  de 
grandes  analogies  avec  ceux  de  quelques  localités  de  la  Scan* 
dinavie,  telles  que  Helsingiir,  Helsingborg,  Helsingland  (1), 
les  deux  premières  situées  sur  le  détroit  du  Sund,  l'une  en 
Suède,  l'autre  en  Danemark. 

Par  une  singulière  anomalie,  Wate,  que  tout  semblerait  donc 
rattacher  aux  côtes  du  Danemark,  est  resté  beaucoup  moins 
connu  dans  le  Nord  qu'on  Allemagne  et  surtout  en  Angleterre. 
A  en  juger  par  les  allusions  à  sa  légende  (pie  nous  fournit 
encore  la  littérature  anglaise,  par  les  appellations  de  lieux 
dans  lesquels  son  nom  survit,  son  souvenir  est  demeuré 
longtemps  vivant  parmi  les  Anglo-Saxons  et  même  parmi  les 
Anglais.  Non  seulement  Ghaucer  (1328-1400),  mais  même  son 
éditeur  et  commentateur  Speght  (1598)  en  savait  encore  long 
sur  Watc,  sur  son  bateau  merveilleux  et  sur  les  aventures 
aussi  nombreuses  que  surpronantes  qui  lui  arrivaient  dans  ce 
bateau  (2). 

Quant  à  son  caractère,  Wate  l'a  également  conservé  dans  la 


1838,  ia-8"),  p.  77.  — Rappelons  à  ce  propos  que  le  Chant  du  Voyageur 
mentioûnc  Vàda  en  mèine  que  llagcna,  llendën  et  Villa;  n'esl-ce  point 
une  siûgulière  coïncidence  de  retrouver,  au  milieu  de  celte  longue  liste 
de  [)rinces  qui  va  depuis  Alexandre  jusqu'à  UlTa,  nos  trois  héros  Ilagôn, 
Hetel  et  Wate,  cités  cùle  à  côte  et  pourvus  de  royaumes,  qui  semblent, 
à  en  juger  par  les  noms,  tous  voisins  les  uns  des  autres?  N'est-il  point 
permis  d"y  voir  un  indice  que,  dès  l'époque  reculée  à  laquelle  remonte 
le  Chant  du  Voyageur,  la  légende  d'Ililde  était  répandue  en  Angleterre 
sous  une  forme  comportant  déjà  le  rôle  de  ^^'ate  et  l'associant  à  Ilagen 
et  à  Iletel  dans  la  tradition  populaire  ?  Voici  les  deux  vers  dans  le  texte 
original  : 

Hagena  llolmricum  and  Ilendén  Glommum; 
Villa  véôld  Svaefum,  Vàda  Ilidsingum. 

Quant  à  Villa,  qui  ne  parait  pas  dans  la  Gudrun,  son  nom  se  retrouve 
associé  à  celui  d'un  certain  Valte,  dans  le  conte  de  Ville  et  Vatle,  re- 
produit par  Mùllenlioff,  Sagcn,  Marchen  iind  Liedvr  (IS4îi),  p.  'J92, 
n"  400.  Mais,  si  ce  sont  bien  les  mêmes  héros,  la  transformation  est 
aussi  complèle  qu'imprévue  ;  le  coule  en  fait  deux  nains. 

1.  Cf.  Gùdrùnlieder,  éd.  p.  Ettmiiller,  loc  cit. 

.2.  Cf.  F.  Michel,  Wade,  p.  6  sqq. 


—  i36  — 

Gudrun  (1)  et  tous  les  autres  témoignages  s'accordent  à  le  re- 
présenter comme  un  géant  malfaisant,  bourru,  redoutable  et 
fatal  à  ceux  qui  l'apprach  -nt.  D'après  notre  poème,  il  a  la 
force  de  vingt-six  hommes  (2)  ;  le  curé  Conrad,  dans  son  poème 
de  Roland  (3j,  lui  attribue  la  force  d'un  lion,  et  la  Williina- 
Saga  (4)  nous  rapporte  que,  dès  sa  jeunesse,  il  s'était  rendu 
insupportable  à  son  père  par  son  humeur  farouche. 

Il  n'est  pas  jusqu'à  sa  voix  qui  n'ait  quelque  chose  de  surhu- 
main; de  plus  il  possède  un  cor  merveilleux  dont  le  son  ébranle 
le  sol,  fait  crouler  les  murailles  et  remue  la  mer  jusqu'au  plus 
profond  de  ses  abîmes.  Par  ce  dernier  trait  il  a  quel(|ue  ana- 
logie avec  Heimdallr  et  son  (iiallarhorn. 

Mais, ce  qui  est  vraiment  caractéristique  pour  lui  restituer  sa 
vraie  natuie,  c'est  la  manière  dont  il  conduisit  son  fils  à  Kallov. 
Wate  avait  appris  que  deux  nains,  habitant  dans  une  grotte 
près  de  Kallov,  étaient  extrêmement  habiles  à  fabriquer  toute 
sorte  d'objets  en  fer,  en  or  et  en  argent;  il  l'ésolut  de  leur  con- 
fier son  fils  Wieland,  pour  l'initier  à  leur  art.  Il  partit  donc 
pour  Kallov;  mais,  arrivé  à  Grœnasund,  il  se  vit  arrêté  par  le 
détroit  et  obligé  de  séjourner  jusqu'à  ce  qu'il  aper(;ût  un  navire. 
Cependant  il  perdit  ])ien  vite  patience  et,  prenant  son  fils 
sur  ses  épaules,  il  traversa  à  pied  le  détroit  qui  était  profond 
de  neuf  aunes.  La  WUkina-Saga  ajoute  qu'il  refit  souvent  ce 
voyage^  tantôt  pour  aller  voir  son  fils',  tantôt  pour  retourner 
en  Séelande,  et  chaque  fois  il  traversait  le  Urœnasund  de  la 
même  manière  (5). 

Or  ces  allées  et  venues  continuelles  rentrent  on  ne  peut 
mieux  dans  son  caractère,  tel  qu'il  ressort  de  son  nom  :  car 
Wate  dérive  de  la  même  racine  que  le  verbe  Waien,  qui  signi- 


\.  Cf.  surtout  str.  I4G9,  lon.l,  1510,  lo20,  ri28. 

2.  Sir.  1469;  ce  fait  était  encore  connu  de  Thomas  Malorj  (cité  par 
W.  Mannhardt,  Zdtschrift  fur  deutsche  Mythologie,  II,  309),  qui  vivait 
à  la  fin  du  xv*  siècle. 

3.  Bus  Rolaiidslied  des  Pfaffen  Konrad,  éd.  p.  K.  Barlsch  (Leipzig, 
Brockhaus,  1874,  in-8°),  v.  7799  sqq.  Dans  ce  passage  Wate  est  intime- 
ment associé  à  Oigir,  que  certains  mythologues  rapprochent  d'Oegir,  le 
dieu  de  la  mer  par  excellence. 

4.  Ghap.  18. 

5.  (Ihap.  20.  —  On  ne  peut  s'empêcher  ici  de  songer  à  la  légende  de 
St.  Christophe;  lui  aussi  est  un  géant  de  douze  pieds,  doué  d'une  force 
irrésistible;  il  passe  l'enfant  Jésus  sur  ses  épaules  à  travers  un  torrent. 


—  137  — 

fie  :  traverser,  passer,  trans-porlcr  d'une  rive  à  Vautre  (1).  De  plus 
il  offre  par  là  une  analogie  frappante  avec  un  gr-nie  marin,  qui 
habite  l'embouchure  de  l'Elbe  et  dont  K.  MQllenlioff  a  re- 
cueilli l'histoire  dans  ses  Contes,  Légendes  et  Chants  des  duchés 
de  Schlesivig-Holstein-Lauenbourg  (2).  La  tradition  populaire, 
comme  il  est  arrivé  en  maint  autre  endroit,  en  a  fait  un  dé- 
mon. Or  ce  démon  habite  aux  bouches  de  l'Elbe,  et,  par  suite 
d'événements  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  ici,  il  est  con- 
damné, lorsque  le  temps  est  gros  et  qu'aucun  nautonnier  ne 
se  présente  pour  faire  passer  les  voyageurs,  à  les  porter  sur 
son  dos  d'une  rive  à  l'autre.  La  légende  ajoute  qu'il  n'a  le 
droit  de  réclamer  aucun  salaire,  qu'il  est  sans  cesse  occupé 
et  qu'il  va  continuellement  d'une  rive  à  l'autre.  N'est-ce  pas 
absolument  ce  que  fait  Wate  d'après  la  Wilkina-Saga  et  n'a- 
vons-nous pas  ici  un  souvenir  un  peu  effacé,  quoique  encore 
bien  distinct,  de  l'occupation  assignée  à  Wate  par  la  légende? 

Gomme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  les  traditions  anglaises  lui 
attribuaient  un  bateau,  dans  lequel  il  entreprenait  des  voyages 
aussi  multiples  que  merveilleux.  A  la  vérité,  dans  les  chants 
allemands,  une  confusion  's'est  opérée,  ce  bateau  est  devenu 
l'attribut  de  Wieland  :  mais  nul  doute  qu'originairement  il 
n'appartînt  à  Wate  ;  pour  Wieland  le  forgeron  il  n'a  aucun 
sens,  pour  Wate  le  marin  il  est  très  significatif  :  car,  malgré 
les  transformations  qu'il  a  subies,  notre  poème  lui-même  le 
connaît  encore  comme  un  marin  expérimenté  (3)  et  lui  attribue 
une  barbe  blanche,  longue  d'une  aune,  dans  laquelle  on  a  vu 
avec  raison  une  image  de  l'écume  de  la  mer  (4). 

Ces  divers  rapi)rochements  nous  paraissent  ne  laisser  aucun 
doute  sur  la  signification  mythique  de  Wate.  Ce  dieu  qui  va  et 
vient  sans  cesse  dans  l'onde,  passant  et  repassant  les  voyageurs 
sur  son  dos,  n'est-ce  pas  l'image  du  flux  et  du  reflux,  qui  ap- 
porte et  qui  emporte  les  vaisseaux  et  les  marins  ?  Gomme  le  re- 
marque ingénieusement  K.  Mûllenhoff,  cette  élévation  et  cet 
abaissement  alternatifs  du  niveau  de  l'onde  passaient  sur  les 
bords  de  la  mer  du  Nord  pour  l'effet  des  allées  et  venues  ré- 
gulières d'un  géant  habitant  sous  les  flots.  Mais  trop  souvent 
ce  géant  s'irrite;  car,  trop  souvent,  dans  ce  mouvement  conti- 

1.  Cf.  le  dictionnaire  allemand  de  Weigand,  \°  Waten. 

2.  Kiel,  1845,  in-8»;  cf.  N»  353,  p.  204. 

3.  Str.  1183. 
•i.  Str.   lolU. 


—  138  — 

nuel,  la  mer  vient  déferler  avec  violence  contre  les  côtes, 
ébranlant  les  di.uues  dans  sa  fureur  et  faisant  crouler  les  fa- 
laises; de  là  vient  l'aspect  terrible  de  Wate,  de  là  sa  voix  sur* 
humaine  et  son  cor  dont  le  bruit  fait  trembler  le  sol,  renverse 
les  murailles  et  soulève  les  flots  (1). 

II.    FRUTE. 

Frute  forme  avec  Wate  le  contraste  le  plus  complot  :  autant 
l'un  a  l'air  rébarbatif,  autant  l'autre  est  d'une  humeur  aimable 
et  paisible.  C'est  l'homme  doux  par  excellence  et  telle  est  en 
effet  l'épithète  qu'il  porte  le  plus  souvent  dans  le  poème  (2). 
Il  est  généreux  et  habile  à  se  concilier  les  hommes;  c'est  un 
vieillard  à  la  figure  vénérable  (3),  plein  do  sagesse  (4),  ami  de 
la  paix  et  de  la  concorde  (5),  toujours  prêt  à  donner  un  conseil 
et  donnant  toujours  le  meilleur  (6);  enfin  nul  n'est  plus  expé- 
rimenté que  lui  dans  la  navigation  (7).  Tel  est  l'aspect  sous 
lequel  nous  le  présente  le  poème  ;  tel  est  en  effet  son  caractère 
constant  dans  les  légendes  et  dans  la  mythologie.  Son  nom 
signifie  science,  prudence  (8). 

Il  apparaît  le  plus  souvent  dans  la  légende  héroïque  comme 
le  type  et  le  représentant  de  la  douceur,  de  la  richesse  et  de  la 
libéralité,  et  c'est  sans  doute  à  ces  qualités  qu'il  a  dû  de  se  voir 
attribuer  dans  l'enlèvement  d'Hilde  le  rôle  de  marchand.  Au 
reste  la  prodigalité  avec  laquelle  il  distribue  ses  trésors  et  tout 
l'ensemble  de  cette  scène  concernant  le  rapt  de  la  fille  d'Hagen 

1.  Cf.,  pour  plus  de  détails,  K.  MùUealioff,  \yado  (f848).  —  W.  Mann- 
hardi,  Wato  (18oi-),  a  essayé  de  le  rapprocher  de  Thôr;  Weinhold, 
d'autre  part,  {Die  Sagen  von  Loki  dans  H.  Z.,  YIl,  1-9  i-)  l'identifie  avec 
HeimdalJr,  qui  lui  aussi,  par  son  origine  et  par  plus  d'un  Irait,  appar- 
tient au  monde  de  la  mer.  De  ces  diverses  explications,  celle  de  Miillen- 
hoff  semble  tout  à  la  fois  la  plus  naturelle  et  la  plus  conforme  à  ce  qui 
nous  reste  d'allusions  à  sa  légende. 

2.  Str.  326  et  1686. 

3.  Str.  H82. 

4.  Str.  1537. 

5.  Str.  1624. 

6.  Str.  io3o. 

7.  Str.  903. 

8.  S.  Egilsson,  Lcxicon  poeticnm  antlqux  lingiœ  septentrionalis ,  vo 
Frodhi. 


—  139  — 

montrent  qu'il  n'a  dû  pi''nétrer  qu'assez  tard  dans  la  légende 
d'Hilde  et  sous  l'influence  de  la  poésie  des  jongleurs,  qui  af- 
fectionnaient surtout  ces  descriptions  pompeuses  (1). 

On  connaissait  de  lui  une  légende  indépendante,  mais  d'une 
précision  et  d'une  authenticité  douteuses,  du  moins  sous  la 
forme  qu'elle  avait  en  Allemagne.  C'est  ce  que  montre  déjà  la 
strophe  326  de  notre  poème  (2).  La  mention  la  plus  ancienne 
que  fasse  de  lui  un  auteur  allemand  se  rencontre  dans  un  chant 
de  Spervogel,  composé  un  peu  après  1173  (3)  et  dans  le  passage 
du  Bilerolf  et  Diellcih,  où  Biterolf  se  présente  à  la  reine  Helche 
sous  le  nom  supposé  de   Frute  (4). 

Mais,  de  môme  que  dans  le  poème  de  Gudrnn,  de  même  ici  et 
dans  d'autres  ouvrages,  il  ne  joue  qu'un  rôle  secondaire  et  sem- 
ble partout  introduit  par  la  fantaisie  d'un  chanteur  dans  des  lé- 
gendes, où  il  n'avait  primitivement  que  faire.  Ainsi,  dans  la 
Gudrun,  il  forme  presque  double  emploi  avec  Horand,  qui  en 
certains  endroits  se  voit  frustré  par  lui  de  son  titre  de  souve- 
rain de  Danemark,  auquel  il  a  tous  les  droits  possibles.  Ainsi, 
dans  le  Wolfdietrlch  A  (o),  il  nous  est  présenté  comme  le  ne- 
veu (Schwestersohn)  d'Hugdietrich  et  le  héros  contre  lequel 
Hugdietrich  est  parti  en  expédition  ;  mais  le  poète  ne  l'a  in- 
troduit que  pour  motiver  l'absence  de  ce  dernier.  11  en  est  en- 
core de  même  dans  la  Bataille  de  Ravenne  (6);  là  il  est  au  nom- 
bre des  héros  d'Ermenrich,  il  est  l'adversaire  de  Nuodunc  et 
l'ennemi  de  Gûnther.  Le  Rosengarte  D  (7)  lui  fait  jouer  le 
même  rôle,  le  place  aux  côtés  de  Dietrich  et  donne  à  son  ini- 
mitié contre  Gùnther  le  prétexte  que  ce  dernier  lui  aurait 
volé  son  royaume.  Mais,  par  une  étrange  contradiction  avec 
tous  les  autres  témoignages,  celui  de  V Appendice  au  Livre  des 
Héros  excepté,  le  Rosengarte  D  en  fait  un  jeune  homme. 

Ce  court  aperçu  montre  que  sa  légende  n'était  ni  très  répan- 


\.  K.  MiilleahofT  dans  II.  Z,  XII,  Zeugnisse,  23,  2. 

2.  Cf.  J.  (irimm,  Die  deutsche  Ileldcnsage,  p.  256. 

3.  K.  Lachmann  und  M.  Haupt,  Des  Minnegesangs  Frùhling,  p.  23,    v. 
19-20. 

4.  Deutsches  Heldenbuch,  I  :   Biterolf  und  Dielleib,  v.  1909,  1912,  1016, 
1930,  1966. 

5.  Deutsches  Heldenbuch,  III  :  Wolfdietrich  A,  str.  6. 

6.  Deutsches  Ileldeiibuoh,  II  :    Rabenschlacht,  str.  478  ;  865-  sqq.  ;  703; 
786  sqq. 

7.  Cf.  J.  Griram,  Die  deutsche  Heldensagr,  p.  2o6. 


—  140  — 

due,  ni  très  fixe  en  Allemagne  et  il  semble  y  avoir  été  surtout 
connu  de  nom  et  à  cause  de  la  douceur  de  son  caractère.  Car, 
de  même  que  le  nom  d'Horand  était  devenu  proverbial  pour 
signifier  un  bon  chanteur,  de  môme  celui  du  milde  Fruole  était 
dans  la  bouche  de  tous  les  poètes  du  xiii*  siècle  et  leur  servait 
à  tout  propos  de  terme  de  comparaison  (\). 

Au  contraire  les  pays  Scandinaves  n'ont  pas  de  héros  plus  cé- 
lèbre que  lui  ;  sa  douceur,  sa  richesse,  son  humeur  pacifique  y 
font  l'objet  d'un  nombre  infini  de  légendes.  Il  y  en  avait  môme 
tant,  que  Saxo,  pour  les  rapporter  toutes,  n'a  trouvé  rien  de 
mieux  que  de  multiplier  les  Frothon  et  d'en  intercaler  six  dans 
la  suite  de  ses  rois  danois  (2).  Dahlmann  a  montré  (3)  ce  qu'il 
y  avait  de  fictif  dans  toutes  les  actions  que  Saxo  lui  prête  ou 
plutôt  leur  prête,  et  Grimm  a  prouvé  d'une  façon  sommaire 
qu'elles  se  rapportaient  aux  dédoublements  d'un  seul  et  même 
héros  (4).  Un  roi  pourvu  d'une  aussi  riche  légende  était  vrai- 
ipent  une  bonne  trouvaille  pour  Saxo  :  commençant  son  his- 
toire bien  avant  l'ère  chrétienne,  il  avait  besoin  de  beaucoup 
de  noms  et  de  faits  pour  remplir  les  cadres  de  ses  dynasties 
royales  jusi^u'à  Harald  Hildetand. 

On  comprend  que  dans  ce  chapitre  nous  ne  pouvons  étendre 
notre  étude  à  cette  masse  immense  de  matériaux.  Nous  parti- 
rons donc  d'une  source  moins  abondante,  mais  plus  pure,  de 
VEdda  de  Snorri,  et  nous  ne  ferons  entrer  en  ligne  de  compte 
le  reste,  et  spécialement  les  récits  de  Saxo,  que  dans  la  me- 
sure où  la  suite  de  nos  recherches  l'exigera. 

C'est  encore  à  propos  d'une  définition  poétique  que  le 
Shaldskaparmàl  nous  a  conservé  la  légende  de  Frodhi  (5)  :  l'or 
s'appelait  la  farine  de  Frodhi,  et  voici  pourquoi  : 

«  P'rodhi  avait  deux  servantes,  nommées  Menja  et  Fenja, 
qui,  dans  un  moulin  gigantesque,  lui  broyaient  l'or,  la  paix  et 
la  félicité.  Jour  et  nuit  elles  étaient  occupées  à  moudre, et  le  roi 


1.  Cf.  Scifrled  Ilclbling  (II.  Z.,  IV,  2,  1302;  7,  363;  13,  i\\.)  — Engel- 
hard, eine  Erzaldung  von  Konrad  von  Wùrzburg,  éd  p.  M.  Ilaupt  (Leip- 
zig, 184'f,  in-8),  Préface,  p.  XI  oL  v.  809,  i60i,  409o.  —  Sigeher,  dans 
les  Minnesinger  d'H.  v.  d.  Hagen,  II,  362. 

2.  C'est  môme  sous  le  règne  de  l'un  d'eux,  nous  l'avons  vu,  qu'il  place 
le  récit  de  la  bataille  des  lljadninge. 

3.  Forschungen  auf  dem  Gebiete  dcr  Geschichte,  I,  237  sqq. 

4.  Mythologie,  2«  éd.,  p.  322. 

5.  Edda  Snorra  :  Shaldskaparmàl,  chap.  43. 


—  Ui  — 

ne  leur  laissait  pas  plus  de  repos  qu'il  ne  s'écoule  d'intervalle 
entre  deux  chants  du  coucou.  Une  fois,  fatiguées  de  ce  labeur 
incessant,  elles  se  mirent  à  entonner  un  chanl  magique  et  à 
moudre  au  roi  une  armée  ennemie,  de  sorte  que  la  nuit  même 
Frodhi,  surpris  par  le  roi  Mysing,  fut  tué  par  lui  et  le  roi  em- 
porta tous  ses  trésors.  Il  emporta  également  le  mouliu  et  les 
deux  servantes  et  il  leur  ordonna  de  moudre  du  sel.  Elles  se  re- 
mirent donc  à  tourner  la  meule  et  à  chanter.  Vers  minuit,  elles 
demandèrent  à  Mysing  s'il  avait  assez  de  sel;  il  leur  ordonna 
de  continuer  :  elles  poursuivirent  donc  leur  travail  et,  un  ins- 
tant après,  le  vaisseau  de  Mysing,  entraîné  par  la  masse  de  sel, 
s'abîma  dans  les  flots  ;  c'est  pour  cela  que  la  mer  est  salée.  » 

Saxo  a  conservé  aussi  un  vague  souvenir  de  ce  moulin  et  de 
la  farine  qu'il  fournissait  à  Frodhi;  car,  d'après  lui,  Frothon  I" 
mêlait  à  ses  aliments  de  l'or  broyé  et  moulu  ;  naturellement 
Saxo  explique  à  sa  manière  cette  singulière  habitude  :  c'était, 
paraît-il,  une  précaution  que  prenait  Frothon,  pour  se  mettre 
à  l'abri  des  tentatives  d'empoisonnement  de  ses  courtisans  (1). 

Au  reste,  tous  les  Frothons  de  Saxo  portent  ce  caractère  de 
richesse  et  d'abondance.  Les  trésors  immenses  de  Frothon  I" 
ont  été  enlevés  à  un  dragon,  qui  les  gardait  et  qu'il  a  tué  :  ce 
roi  lui-même  s'appelle  Frothon  le  Fertile  (2),  et,  de  même  que  le 
Frodhi  de  VEdda  pouvait,  sans  danger,  exposer  un  anneau  d'or 
sur  le  bord  d'un  chemin,  de  môme  Frothon  III,  au  dire  de 
Saxo  (3),  fit  suspendre  un  bracelet  d'or  dans  un  carrefour,  sans 
que  personne  s'avisât  d'y  toucher. 

Par  une  singulière  association  d'idées  et  uniquement  parce 
qu'il  passait  pour  avoir  rétabli  la  paix  dans  les  royaumes  qui 

1.  Tome  I,  p.  79. 

2.  Ibid.,  p.  61. 

3.  îbid.,  p.  2oo.  —  Ce  trait  l'ait  songer  à  une  action  sennblable  prêtée 
à  Rollon,  après  qu'il  eut  pacifié  et  repeuplé  la  Nornaandie,  que  venait  de 
lui  céder  Gharles-le-Simple.  Un  jour  qu'eu  revenant  de  la  chasse  il 
prenait  son  repas  près  d'une  mare,  dans  une  forêt  voisine  de  Rouen,  il 
suspendit  ses  bracelets  d'or  aux  branches  d'un  chêne;  les  bracelets  de- 
meurèrent là,  trois  années  durant,  sans  que  personne  osât  y  toucher. 
Cf.  H.  Martin,  Histoire  de  France,  4=  éd.,  H,  502,  et  Willelmus  Geme- 
ticus,  Historia  Normannorum  (ap.  Migne.  Patr.  lat.,  T.  149),  11b.  II,  cap. 
28  [Migne,  Col.  802  B.].  La  même  légende  se  trouve  rapportée  à  pro- 
pos d'Alfred-Ie-(irand  par  Guillaume  de  Malmesbury  {Gesta  Regum  An- 
glorum,  II,  4,  f.  23)  cité  par  Lingard,  Histoire  d'Angleterre,'!'^  éd.  fran- 
çaise, I,  288. 


—  142  — 

lui  étaient  soumis,  on  a  placé  sous  son  rogne  la  naissance  du 
Sauveur.  Selon  V Edda,  Frodhi  était  «  contemporain  d'Auguste, 
»  qui  fit  régner  la  paix  sur  toute  la  terre  :  c'est  alors  que  le 
»  Christ  naquit  (1).  » 

On  lit  de  même  dans  Saxo  :  «  A  cette  époque  le  Sauveur  du 
»  monde,  descendu  sur  la  terre  pour  racheter  les  humains,  dai- 
»  gna  revêtir  une  forme  mortelle,  et  la  terre,  où  toute  guerre  s'é- 
»  tait  éteinte,  jouit  de  la  tranquillité  et  du  repos  en  toute  sécu- 
»  rite  (2).  » 

V Histoire  de  Sven  Aggnn  (3)  s'exprime  dans  les  mêmes  termes 
et  les  Généalogies  des  rois  Scandinaves  (A)  emploient  une  formule 
analogue.  De  plus  ces  deux  dernières  exaltent  surtout  la  libé- 
ralité de  Frodhi. 

A  tous  ces  traits  on  reconnaît  facilement  que  l'original  com- 
mun des  Frothons  de  Saxo,  le  Frodhi  mythique,  que  nous  a 
conservé  Snorri^  se  rattache  étroitement  à  Freyr,  le  dieu  de  la 
douceur,  de  la  paix  et  de  la  prospérité.  Finn  Magnusen  (5)  ex- 
plique le  nom  de  Freyr  par  les  mots  seminator,  sator,  fruges  ac 
fruclus  largiens;  partout,  comme  Frodhi,  il  porte  l'épithéte  de 
mild  (doux).  L'Fdda  de  Snorri,  après  avoir  énuméré  ses  épi- 
thètes  et  noms  divers,  ajoute  qu'on  l'appelle  encore  le  dieu  de 
l'abondance  et  le  distributeur  des  richesses  (6).  Bien  plus, 
lorsque  Skadhi  engage  Skirnis  à  aller  trouver  Freyr,  elle  ap- 
pelle ce  dernier  Frodhi  (le  sage)  (7). 

Ainsi  rapprochés  par  leurs  attributs  et  leurs  noms,  ces  deux 
êtres  mythiques  ont  encore,  dans  leur  vie,  plus  d'une  aventure 
identique. 

Au  dire  de  Saxo,  Hadding,  père  de  Frothon  I",  avait  établi 
sa  résidence  à  Upsal  et  y  avait  institué  un  sacrifice  annuel 
nommé  Frodblott  (c'est-à-dire  sacrifice  offert  au  dieu  Freyr), 
dont  ses  descendants  gardèrent  religieusement  la  tradition  (8)  : 
au  témoignage  de  VYnglinga  Saga,  c'est  Odhin  lui-même  qui 

1.  Edda  Snorra  :  Skaldskaparmdl,  chap.  43. 

2.  Tome  I,  p.  272. 

3.  Scriptores  rerum  danicarum  medli  aevi,  éd.  p.  Langebeck  (Ilafniae, 
1772  sqq.,  ia-fol.),  I,    47. 

4.  Ibid.,  1,  32. 

5.  Lexicon  Mythologicum,  p.  361. 

6..  Edda  Snorra  :  Skaldskaparmdl,  chap.  7. 

7.  Edda  Saemimdar  :  Skirnis  for,  sir.  12. 

8.  Tome  I,  p.  50. 


—  U3  — 

aurait  choisi  Niordr  et  son  fils  Freyr  comme  prêtres  de  ses 
autels  à  Upsal,  et  c'est  pour  cela  que  plus  tard  eux  aussi  au- 
raient été  rangés  parmi  les  Dieux.  (1).  Ce  serait  même  sous  le 
règne  de  Freyr  à  Upsal  que  le  monde  aurait  joui  de  cette  paix 
universelle,  placée  par  les  autres  traditions  sous  celui  de 
Frodhi,  et,  pour  qu'aucun  trait  de  ressemblance  ne  fasse  dé- 
faut, cette  même  Saga  célèbre  les  trésors  que  Freyr  avait  ac- 
cumulés dans  le  temple  d'Upsal. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  circonstances,  dans  lesquelles  mouru- 
rent les  deux  personnages,  qui  n'offrent  les  plus  grandes  ana- 
logies. D'après  VYngUnga  Saga,  Freyr  ayant  succombé  à  lai 
maladie,  ses  courtisans  transportèrent  son  corps  dans  un  im- 
mense tombeau,  qu'ils  avaient  fait  construire  secrètement,  et 
ils  l'y  gardèrent  trois  ans  entiers,  faisant  croire  au  peuple  que 
Freyr  avait  choisi  pour  sa  demeure  ce  tombeau,  qui  avait  une 
porte  et  trois  fenêtres  :  grâce  à  cette  ruse,  ils  continuèrent  pen- 
dant trois  ans  à  lever  le  tribut,  comme  si  Freyr  était  encore  en 
vie,  et  ils  entassèrent  toutes  ces  richesses  dans  le  tombeau  (2). 

Un  subterfuge  analogue  aurait  été  employé,  selon  Saxo,  à  la 
mort  de  Frothon  III.  Les  courtisans,  ayant  embaumé  le  corps 
du  roi,  qui  avait  été  frappé  par  une  vache  d'un  coup  de  corne 
dans  le  côté,  le  conservèrent  trois  ans  dans  son  palais,  et,  con- 
tinuant à  s'abriter  derrière  l'autorité  dont  jouissait  Frothon,  ils  ' 
levèrent,  pendant  trois  années  encore;,  le  tribut  accoutumé  (3).  ' 

Enfin,  de  même  que  Loki  fait  allusion  à  une  inimitié  qui  au- 
rait éclaté  entre  Freyr  et  sa  sœur  Freya  et  reproche  à  la  déesse 
d'avoir  soulevé  les  Ases  contre  son  frère  (4),  de  même  Saxo  (5)' 
parle  d'une  dispute  qu'eut  Frothon  I"  avec  ses  sœurs  Svan- 
hvita  et  Ulvilda  et  accuse  la  dernière  d'avoir  poussé  son  mari  à 
tuer  Frothon.  ^ 

Déjà;,  on  le  voit,  ces  traits  communs  nous  autoriseraient  â 
identifier  Freyr  avec  Frodhi.  L'examen  de  leurs  généalogies  ne  ' 
fera  que  confirmer  et  rendre  absolument  irréfutable  cette  ma-  ' 
nière  de  voir.  Toutes   les  tables   généalogiques  leur  donnent 

1.  Heimskringla  edr  Noregs  Konungasoqur  af  Snorra  Sturlusyni  (Hav-  • 
niae,  1777-1818,  6  vol.  in-fol.),  Tome  I  :  Ynglinga  Saga,  chap.  4. 

2.  Ynglinga  Saga,  chap.  12.  —  Le  même  fait  se  trouve  reproduit  dans 
la  Saga  d'Olaf  Tryggvason  (éd.  de  Skallholte),  II,  190. 

3.  Tome  I,  p.  256  sqq. 

4.  Edda  Saemundar  :  Lokaseima,  sir.  32.  ,. 

5.  Tome  I,  p.  72.  


—  \u  — 

pour  grand-père  commun  Odhin  (1),  et  pour  père,  à  l'un  Had- 
ding,  à  l'autre  Niurdr.  Mais  ces  deux  fils  d'Odhin  ne  sont  eux- 
mêmes  qu'une  seule  personne. 

Si  nous  avions  le  loisir  de  faire  pour  Hadding  et  Niitrdr  ce 
que  nous  venons  de  faire  pour  Freyr  et  Frodlii,  la  comparaison 
de  leurs  légendes  nous  fournirait  une  foule  de  traits  identiques  : 
qu'il  nous  suffise  de  rapprocher  les  deux  récits  suivants,  où 
leur  caractère  mythique  de  dieux  marins  nous  apparaîtra  en 
même  temps  très  clairement. 

En  expiation  du  meurtre  du  géant  Thiassi,  les  Ases  avaient 
permis  à  sa  fille  Skadhi  de  se  choisir  un  époux  parmi  eux  :  ils 
avaient  mis  toutefois  pour  condition,  que  la  jeune  fille  devrait 
faire  son  choix  en  ne  voyant  que  les  pieds  de  ceux  entre  les- 
quels elle  avait  à  se  décider.  Au  jour  lixè,  elle  passe  en  re- 
vue les  Ases  alignés  et  recouverts  d'un  drap,  au  bord  duquel 
leurs  pieds  seuls  dépassent.  Elle  aperçoit  deux  pieds  si  beaux, 
qu'elle  n'hésite  pas  et  s'écrie:  «Je  choisis  celui-ci;  pour  sur  ce 
doit  être  Baldr(2).  »  Mais  c'était  Niurdr  de  Noatun.  Le  mariage 
ne  fut  pas  heureux;  Skadhi,  en  sa  qualité  de  géante,  n'avait 
jamais  habité  que  les  montagnes,  Niordr  n'avait  jamais  ((uitté 
le  bord  de  la  mer:  pour  satisfaire  par  des  concessions  mutuel- 
les leurs  goûts  inconciliables,  ils  convinrent  de  passer  neuf 
nuits  à  Thrymheim,  demeure  de  Skadhi  et  trois  nuits  ensuite 
à  Noatun.  Mais  quand  Niordr  revenait  de  la  montagne,  il  se 
lamentait  ainsi  : 

«  Les  montagnes  me  sont  insupportables,  je  n'y  suis  pas 
»  resté  longtemps,  je  n'y  ai  passé  que  neuf  nuits;  les  hurle- 
»  ments  des  loups  me  faisaient  regretter  le  chant  des  cygnes.  » 

Skadhi,  de  son  côté,  forcée  de  revenir  au  bord  de  la  mer, 
exhalait  ainsi  ses  plaintes  : 

«  Je  ne  puis  dormir  au  bord  de  la  mer  par  suite  du  chant  des 
»  oiseaux  :  chaque  matin  la  mouette  me  réveille  quand  elle 
»  vient  de  la  mer.  » 

Force  fut  aux  deux  époux  de  se  séparer  :  Niordr  resta  au 
bord  de  la  mer  ;  Skadhi  retourna  dans  ses  montagnes  (3). 

La  même  chose  arrive  dans  Saxo  à  Hadding  et  à  Regnhild. 
Ayant  appris  qu'un  géant  s'est  llancé  avec  Regnhild,  fille  d'Hâ- 
quin,  Hadding  part,  de  son  propre  mouvement,  pour  aller  arra- 

i.  Scriptores  rerum  danicarum-,  I,  1.  sqq. 

2.  Baldr  clail  réputé  le  plus  beau  des  Ases. 

3.  Edda  Snorra  :  Gylfaginning,  chap.  23. 


—  445  — 

cher  la  jeune  fille  à  une  alliance  aussi  honteuse,  attaque  le  géant 
et  le  tue.  Mais  grièvement  blessé  dans  la  lutte,  il  est  guéri  par 
Regnhild,  qui  ne  sait  pas  qu'elle  a  soigné  son  sauveur.  Toute- 
fois, éprise  des  charmes  du  héros  et  voulant  s'assurer,  par  la 
suite,  un  moyen  de  le  reconnaîtro,  elle  s'avise  d'introduire 
dans  une  des  plaies  de  sa  jambe  un  petit  anneau  qu'elle  portait 
au  doigt.  Quehiue  temps  après,  ayant  obtenu  de  son  père  la 
permission  de  se  choisir  un  mari,  elle  assemble  les  jeunes  gens 
parmi  lesquels  elle  doit  chercher  un  époux,  se  livre  sur  leurs 
jambes  à  un  examen  assez  singulier,  et,  ayant  senti  dans  la 
jambe  d'Hadding  l'anneau  qu'elle  y  avait  mis,  elle  l'embrasse 
en  s'écriant  qu'elle  ne  veut  pas  d'autre  mari.  Cependant  l'a- 
mour des  deux  époux  ne  dure  pas  longtemps.  Pour  plaire  à  sa 
femme,  Hadding  a  abandonné  sa  vie  de  pirate  ;  mais  le  repos 
lui  pèse,  et  il  exhale  ainsi  ses  plaintes  : 

«  Pourquoi  rester  plus  longtemps  dans  les  sombres  retraites 
»  des  bois,  emprisonné  dans  ces  collines  rocailleuses  ;  pourquoi 
»  ne  pas  suivre,  selon  mon  ancienne  habitude,  les  coursiers 
»  ailés  (les  voiles)  sur  la  mer  ?...  Les  hurlements  des  troupes 
»  de  loups  chassent  le  sommeil  de  mes  yeux.,.;  ces  collines 
»  boisées,  ces  rochers  abrupts  me  remplissent  de  sombres 
»  pensées...  » 

De  son  côté,  menacée  d'abandonner  ses  chers  vallons  pour 
aller  habiter  au  bord  de  la  mer,  Regnhild  s'écrie  dans  sa  tris- 
tesse : 

«  Quand  j'habite  le  rivage,  la  voix  éclatante  du  cygne  me 
»  remplit  d'angoisse,  et  son  cri^  frappant  mon  oreille  au  mo- 
»  ment  où  je  m'endors,  m'arrache  au  sommeil.  Le  bruit  sau- 
»  vage  des  flots  m'empêche  de  reposer  ;  et  le  plongeur  de  sa 
M  voix  babillarde  trouble  sans  cesse  mes  nuits  (Ij...  » 

Sans  doute  le  récit  est  conçu  en  termes  assez  bizarres  :  non 
seulement  il  est  presque  sans  exemple  qu'une  fille  de  roi,  en 
Scandinavie,  ait  eu  le  droit  de  se  choisir  librement  un  époux  ; 
c'était  son  père,  ou,  à  défaut  de  père,  son  frère  qui  se  chargeait 
pour  elle  de  ce  soin  :  mais  encore  l'idée  prêtée  par  Saxo  à  Re- 
gnhild d'introduire  un  anneau  dans  la  plaie  d'Hadding  est  pour 
le  moins  singulière,  de  même  que  l'examen  auquel  elle  se  livre 
sur  ses  prétendants  assemblés.  Mais  l'invraisemblance  même 
de  ces  faits  nous  est  un  garant  que  Saxo,  d'ordinaire  si  sage  et 
si  raisonneur,  ne  les  a  pas  inventés  :  il  a  tout  simplement  re^ 

1.  Tome  I,  p.  50  sqq. 
Fécamp,  Gudrun.  10 


—  446  — 

produit,  en  la  mutilant,  une  tradition  qu'il  connaissait  mal;  la 
valeur  de  cette  tradition  en  elle-même  n'en  reste  pas  moins 
tout  entière,  et,  chose  digne  de  remarque,  c'est  la  mort  d'un 
géant  qui  est  le  point  de  départ  des  deux  mariages. 

De  toute  manière  donc,  Hadding  et  Niordr,  issus  d'un  même 
père,  mais  séparés  en  apparence  par  les  généalogies,  ne  sont 
qu'une  seule  personne,  et  il  en  est  de  même  de  Frodhi  et  de 
Freyr  (1). 

Or,  parmi  les  attributs  de  Freyr,  qui  ordinairement  est  con- 
sidéré comme  le  dieu  de  la  paix,  de  l'abondance  et  de  la  fertilité, 
il  en  est  quelques-uns,  qui  ultérieurement  se  sont  transportés 
sur  Niordr,  de  sorte  que  le  père  et  le  fils  se  sont  partagé  le 
rôle  rempli  par  Freyr  seul  à  l'origine  (2).  Ce  fait,  que  nous 
avons  déjà  eu  l'occasion  de  constater  pour  Hilde  et  Freya,  est 
très  commun  dans  toutes  les  mythologies;  c'est,  pour  ainsi 
dire,  le  procédé  par  excellence  de  développement  de  toute  théo- 
gonie. Pour  Freyr  môme  on  peut  encore  en  citer  un  autre 
exemple  :  dans  la  Skimisfor,  Skirnir  parait  comme  le  serviteur 
de  Freyr  :  or  Skirnir  n'est  autre  qu'un  des  noms  do  Freyr  lui- 
même  (3).  Pour  revenir  à  Niordr  et  à  Freyr,  l'un  est. resté  plus 
spécialement  attaché  à  la  terre,  l'autre  l'a  presque  entièrement 
remplacé  sur  mer. 

Cependant  çà  et  là  on  retrouve  encore  la  trace  des  liens  qui 
unissaient  autrefois  Freyr  au  monde  marin.  Gomme  Niordr, 
Freyr  accorde  à  ceux  qui  le  prient  les  biens  meubles  et  immeu-, 
blés;  comme  lui  il  ouvre  au  printemps  la  mer  aux  navigateurs 
et  aux  pêcheurs,  il  préserve  les  uns  des  tempêtes  et  procure 
aux  autres  bonne  pêche  et  riche  butin  :  tous  ceux  qui  veulent 
entreprendre  un  voyage  sur  mer  l'invoquent  pour  obtenir  un 
vent  favorable  (4).  Enfin,  en  signe  de  domination  sur  la  mer,  il 
possède  un  vaisseau  merveilleux,  nommé  Skidbladnir,  sur  le- 

{.  On  sait  de  plus  que  le  soleil  est  souvent  représente  sous  la  forme 
d'un  cerf  consacré  à  Freyr;  or  ce  cerf  se  retrouve  dans  les  légendes  da- 
noises :  on  raconte  que  Frodhi  possédait  un  cerf  apprivoisé,  qu'il  lais- 
sait errer  en  liberté  et  qui  portait  au  cou  une  précieuse  chaîne  d'or,  sur 
laquelle  était  gravée  cette  inscription,  grâce  à  laquelle  personne  ne  lui 
fit  jamais  aucun  mal  :  «  Protège-moi,  roi  Frodhi,  protège-moi  ».  Cf. 
Kuhn,  Der  Schuss  auf  den  Sonnenhirsch  (Z.  Z.,  I,  106-107.) 

2.  Cf.  K.  MùllenholT,  Ueber  Tulsco  iind  seine  Nachkommen  {Zeilschrift 
fur  Geschichte  de  Schmidt,  VIII,  228  sqq.) 

3.  Simrock,  Mythologie,  p.  66. 

4.  Fornmanna  SOgur,  II,  16. 


—  147  — 

quel  il  parcourt  l'air  et  la  mer,  toujours  poussé  par  un  vent  fa- 
vorable vers  les  réglons  où  il  veut  aller  (1). 

C'est  à  ce  côté  de  sa  physionomie  que  correspondait  originai- 
rement Frodlii,  c'est  ce  caractère  essentiellement  marchand  et 
marin  qu'il  a  conservé  dans  notre  poème. 

D'après  ce  qui  précède,  il  s'offre  à  nous  comme  le  représen- 
tant de  la  mer  calme,  qui,  par  le  commerce  auquel  elle  sert  de 
véhicule,  accroît  les  richesses  et  le  bien-être  et  procure  toutes 
sortes  de  matières  précieuses,  surtout  la  poudre  d'or.  Mais  pré- 
cisément par  l'introduciion  de  l'or  les  mauvaises  passions  sont 
excitées  et  la  paix  se  trouve  bientôt  troublée.  De  là  la  fin  mi- 
sérable de  Fro;Ihi.  Cette  paix  n'était  qu'une  paix  trompeuse, 
absolument  comme  le  calme  de  la  mer,  auquel  personne  ne  doit 
se  lier.  C'est  l'élément  pertide  et  séduisant  par  excellence,  et  il 
correspond  bien  au  caractère  tentateur  et  non  moins  perfide 
de  Frute  dans  la  Gudrun. 

Quant  au  moulin  dont  il  est  question  dans  la  légende  de 
VEdda,  Finn  Magnusen  en  donne  très  bien  l'explication  (2)  :  les 
Scandinaves  se  sont  souvent  représenté  la  mer,  avec  son  éter- 
nelle agitation,  comme  un  moulin  sans  cesse  en  mouvement; 
les  pierres  meulières  sont  alors  figurées  par  les  rochers  du  ri- 
vage, les  écueils,  les  bas-fonds  ;  les  géantes  qui  font  sans  cesse 
tourner  ce  moulin,  ce  sont  les  vagues  ;  le  roi  Frodhi  a  acheté  ces 
géantes,  c'est-à-dire  que,  par  le  commerce,  il  a  réduit  la  mer 
à  le  servir  ;  longtemps  elles  ne  cessent  de  lui  moudre  de  l'or, 
longtemps  le  commerce  maritime  l'enrichit.  Dans  son  avidité 
il  ne  les  laisse  reposer  que  l'intervalle  de  deux  chants  du  cou- 
cou, c'est-à-dire  qu'il  interrompt  seulement  pendant  fhiver 
ses  courses  maritimes.  Mais  il  arrive  un  moment  où  celles  qui 
lui  ont  moulu  tant  d'or  et  de  bonheur  finissent  par  lui  moudre 
sa  perte  ;  la  mer  qui  l'a  longtemps  enrichi  se  déchaîne  un  jour 
et  il  périt,  victime  de  celle  qu'il  a  exploitée  avec  trop  d'avidité 
et  d'imprudence.  Quant  au  sel  que  leur  fait  moudre  Mysing, 
il  n'a  évidemment  pas  besoin  de  commentaire. 

Gomme  le  remarque  Uhland  en  reproduisant  cette  explica- 
tion, elle  est  en  parfait  accord  avec  les  idées  mythologiques, 

\.  Nous  avons  déjà  vu  plus  iiaul  que  Wale,  lui  aussi,  possédail  à  l'o- 
rigioe  uu  vaisseau  merveilleux,  devenu  plus  lard  l'attribut  de  son  fils 
Wieland.  La  coïncideace  est,  à  tout  le  moins,  digne  de  remarque. 

2.  Lexicon  Mythologiciim,  p.  509;  cf.  Uklanda  Schriften  zitr  Geschichte 
der  Dichtung  und  Sage,  VII,  106. 


—  448  — 

les  mœurs  et  les  vues  naturalistes  du  Nord.  Car,  si  la  mer 
calme  et  paisible  (Hait  pour  les  Germains  le  séjour  d'un  génie 
bienfaisant  qui  accueillait  les  hommes  dans  son  domaine,  les 
conduisait  à  des  rives  éloignées,  et  leur  donnait,  avec  la  paix, 
les  richesses  et  l'abondance,  dont  leurs  vaisseaux  revenaient 
chargés,  il  ne  fallait  pas  trop  se  fier  aux  promesses  de  cette 
divinité.  Jamais  le  dieu  n'allait  seul:  sous  la  paisible  surface 
des  eaux  étaient  cachées  les  tempêtes.  Soudain  son  compagnon 
tumultueux  apparaissait  ;  couvert  d'écume,  il  parcourait  impé- 
tueusement les  vagues,  ébranlant  à  sa  voix  les  rivages  et  sou- 
levant la  mer  jusque  dans  ses  fondements.  Ce  compagnon, 
Frute  le  possède  aussi  dans  la  Gudrun  et  nous  l'avons  vu  ap- 
paraître dans  la  première  partie  de  ce  chapitre  sous  les  traits 
du  redoutable  Wate.  Il  nous  reste  à  étudier  le  dernier  mem- 
bre de  ce  trio,  sous  lequel,  selon  les  aspects  du  moment,  les 
Germains  se  figuraient  le  Dieu  des  mers;  car  Horand  lui  aussi 
représente  un  des  aspects  de  l'Océan  :  il  personnifie  cette  musi- 
que grave  et  mélancolique,  que  produisent  les  flots  dans  leur 
éternel  mouvement  et  dont  les  accords  viennent  frapper  si 
agréablement  l'oreille  du  marin. 

III.  Horand. 

Après  avoir  ainsi  reconnu  dans  Wate  et  Frute  d'anciens  dieux 
marins,  nous  pourrions  déjà  conclure  avec  une  certaine  vrai- 
semblance que  le  troisième  de  ces  héros  inséparables  dans  no- 
tre poème  appartient  au  même  élément  qu'eux.  Ainsi  en  est-il  en 
effet  ;  toutefois,  nous  devons  l'avouer,  les  preuves  à  l'aide  des- 
quelles on  peut  établir  la  parenté  d'Horand  avec  le  monde 
marin,  bien  que  suffisantes  pour  permettre  de  l'affirmer,  sont 
moins  nombreuses  et  moins  décisives  que  pour  Wate  et  Frute. 

C'est  à  son  chant  qu'il  doit  la  place  importante  occupée  par 
lui  dans  le  poème  de  Gudrun  :  c'est  par  Là  qu'il  gagne  tous  les 
cœurs  à  la  cour  d'Irlande  (1)  : 

«  Un  soir  le  prince  de  Danemark  se  mit  à  chanter,  et  il  chanta 
»  d'une  voix  si  magnifique,  que  tout  le  monde  en  fut  charmé 
»  et  que  les  oiseaux  se  lurent  pour  l'écouter. 

»Le  roi  et  ses  hommes  prêtèrent  l'oreille  et  Horand,  ce  soir-là, 
»  gagna  beaucoup  d'amis.  La  reine  aussi  l'entendit  ;  car  le 

\.  Sir.  372  sqq. 


—  149  — 

»  chant  retentissait  jusqu'à  la  haute  fenêtre  où  elle  était  assise, 
))  Alors  la  belle  Hikle  dit  :  «  Qu'ai-je  entendu  ?  C'est  la  plus 
»  belle  mélodie  qui  ait  jamais  frappé  mes  oreilles  et  qui  soit  ja- 
»  mais  sortie  en  ce  monde  de  la  bouche  d'un  homme.  Plût  au 
»  ciel  que  mes  chambellans  la  connussent!  >> 

«  Gomme  la  nuit  s'en  allait  et  que  le  jour  commençait  à  pa- 
»  raitre,  Horand  chanta  de  nouveau,  et  tout  à  l'entour  dans 
»  les  bosquets  les  oiseaux  se  turent,  fascinés  par  son  chant,  et 
»  les  gens  qui  dormaient  se  levèrent  aussitôt. 

»  Son  chant  retentissait  toujours  pkis  beau  et  plus  haut.  Le 
»  roi  Hagen  lui-même,  couché  près  de  la  reine,  l'entendit.  Il 
»  leur  fallut  bien  sortir  de  la  chambre  et  s'avancer  au  balcon. 
»  Tout  allait  à  souhait  pour  l'étranger  ;  la  jeune  reine  était 
»  pénétrée  de  son  chant. 

»  La  fille  du  sauvage  Hagen  et  ses  compagnes  étaient  assises 
»  et  écoutaient,  tandis  que  les  oiseaux  oubliaient  leurs  chants 
y>  dans  la  cour  du  château.  Et  les  héros  entendaient  aussi  le 
»  Danois  qui  chantait  d'une  voix  si  belle. 

»  Les  animaux  de  la  forêt  quittèrent  leur  repaire  ;  les  vers 
»  qui  rampent  sous  le  gazon,  les  poissons  qui  nagent  sous  les 
»  flots  quittèrent  leur  route  accoutumée  ;  Horand  pouvait  bien 
»  être  fier  de  son  art. 

«  Quoi  qu'il  chantât,  on  ne  se  lassait  pas  de  l'entendre.  Le 
»  prêtre  élevait  en  vain  sa  voix  dans  le  chœur;  les  cloches 
»  elles-mêmes  semblaient  sonner  moins  harmonieusement 
»  qu'auparavant.  Tout  ce  qui  entendait  Horand  était  épris  de 
»  lui.  » 

On  sait  les  suites  de  cet  engouement  général  pour  Horand  ; 
appelé  secrètement  prés  d'Hilde,  il  la  fascine  complètement  et_, 
sur  l'assurance  que  son  suzerain  Hetol  chante  encore  mieux  que 
lui,  la  jeune  princesse  consent  à  le  suivre. 

Horand  le  chanteur  était  célèbre  dès  la  plus  haute  antiquité 
chez  tous  les  peuples  germains.  Dès  Tépoque  anglo-saxonne, 
nous  le  trouvons  mentionné  en  ces  termes  dans  un  poème  inti- 
tulé :  Comment  Deôr,  le  chanteur  drs  Heodninge,  se  consola  lui-même 
et  connu  généralement  sous  le  nom  de  Plainte  de  Deôr.  Ettmûl- 
1er  en  fait  remonter  l'origine  au  viii"  siècle  (1)  : 

1.  Engla  and  Seaxna  Scôpas  and  Bnceraî^,  éd.  p.  L.  Ettmùller  (Qued- 
linburg,  18o0,  ia-8"),  p.  212,  v.  35-41;  cf.  Ihmdbuch  der  deutsclœn  Li- 
teraturgeschichte  (Leipzig,   1847,  in-S»)  du  même  auteur,  p.  139.  —  Les 


—  150  — 

«  Je  veux  (lire  que  j'étais  autrefois  le  poète  des  Heodninge, 
»  cher  au  prince.  Je  m'appelais  De  jr  ;  durant  de  longues  années 
»  j'eus  un  liel  emploi,  un  miître  gracieux,  jusqu'à  ce  qu'Heor- 
»  renda  à  la  voix  harmonieuse  reçût  ces  fonctions  que  m'avait 
»  données  auparavant  le  noble  guerrier,  mon  recours.  » 

Comme  on  le  voit,  Deùr,  dans  cette  plainte,  déplore  la  perte 
de  son  emploi  de  clianteur  des  Heodninge  ou  Hjadninge,  c'est- 
à-dire  Ilr)gni  et  Hedhin,  emploi  qui  lui  avait  été  ravi  par 
Heorronda  ou  Horand  (1). 

Mais  c'est  surtout  dans  T Allemagne  proprement  dite  que  le 
nom  d'Horand  paraît  avoir  joui  d'une  célébrité  aussi  répandue 
que  durable  :  jusi^u'à  la  limite  extrême  du  moyen  âge  son  nom 
se  retrouve  sous  la  plume  de  tous  les  poètes  comme  terme  de 
comparaison  pour  caractériser  les  chanteurs  les  plus  habiles. 
■  Nous  avons  déjà  rapporté  plus  haut  le  passage  remarquable 
du  Combat  de  la  W'arl/jonrg,  dans  lequel  Horand  est  représenté, 
comme  dans  notre  poème,  chantant  devant  Hilde;  on  sait  que 
ces  vers  se  trouvent  reproduits  mot  pour  mot  dans  le  Lohen- 
grin  (2).  Le  chant  merveilleux  d'Horand  est  également  cité 
dans  toute  une  série  de  poèmes  contemporains  ou  appartenant 
à  la  période  suivante;  partout  Horand  est  représenté  comme 
l'idéal  du  chanteur.  Ainsi  on  lit  dans  le  Weinschwelg,  composé 
entre  d260  et  1300  (3)  : 

«  Il  chante  si  bien,  qu'Horand  ne  chantait  pas  le  tiers  aussi 
bien  que  lui.  » 

De  même  dans  le  manuscrit  de  Golmar  des  Meislerlieder  (4)  : 

«   Si  je  portais  la  couronne  romaine,  si  j'étais  aussi  beau 

rapports  continuels  do  l'Angleterre  avec  les  eûtes  du  Jûtland  et  les  émi- 
grations incessantes  de  celles-ci  vers  la  (irande-Bretagne  expliquent 
suffisamment  que  la  légende  d'Horand  se  trouve  à  une  époque  si  recu- 
lée en   Angleterre. 

\.  Les  diverses  formes  du  nom  d'Horand  sont  : 
ancien-nordique  :  Hjarrandi,  Hjarandi.  —  anglo  saxon  :  Heorrenda.  — 
ancien-haut-allcmand  :  Herrenda,  Héraut.  —  moyen-haut-allemand  :  Hë- 
rant,  Horant  (écrit  plus  tard  à  tort  Hùraul).  —  Sur  ces  diverses  formes 
et  sur  un  grand  nombre  d'autres  variantes,  Cf.  H.  Z.,  II,  4  ;  XII,  311  ; 
W .  Gvlmm,  Die  deutsche  Heldensage,  p.  327-330;  J.  Mone,  Untersuchungen 
zur  Geschichte  der  deutschen  Heldensage,  p.  39. 

2.  Cf.  Lohengrin,  éd.  p.  H.  Rùckert  (Qucdlinburg,  1858,  in-8»),  str.  30. 

3.  J.  Grimm,   Altdeutsche   Wnlder  (1816),  III,  23,    v.  276  sqq. 

4.  Meisterlieder  drr  Kolmarer  Handschrift,  éd.  p.  K.  Bartsch  (Publicaf. 
de  la  Société  littér.  de  Stuttgart,  1862,  in-8o),  p.  288,  XXVIII,  v.  22-25. 


—   loi   — 

»  qu'Absalon,  si  je  chantais  sur  un  ton  aussi  doux  qu'Horand, 
»  si  j'étais  aussi  fort  que  Samson  et  aussi  sage  qu(3  Saloraon, 
»  etc..  » 

Ces  trois  derniers  vers,  qui  résument  l'idéal  des  perfections 
auxquelles  un  mortel  pouvait  atteindre  en  toute  chose,  ont  en- 
core été  reproduits  d'une  façon  presque  identique  par  Maître 
Boppo  (1),  par  l'auteur  du  poème  de  Salomon  et  Morolf  (2)  et 
enfin  jusqu'au  début  du  xv'^  siècle  par  Eberhard  Gersne  de  Min- 
den  (3). 

Si  maintenant  nous  nous  demandons  d'où  venait  ce  chant 
magique,  où  Horand  avait  appris  un  art  si  merveilleux,  le  poème 
de  Gudrun  nous  répond  en  ces  termes  : 

«  Alors  il  entonna  une  mélodie  ;  c'était  un  chant  d'Amîlê, 
»  que  chrétien  n'a  jamais  appris,  à  moins  qu'il  ne  l'ait  entendu 
»  sur  les  ondes  sauvages  (4).  » 

On  a  bien  discuté  pour  savoir  quelle  était  cette  mélodie  d'A- 
mîlê, dont  il  est  ici  question  (5);  ce  qui  ressort  incontestable- 
ment de  cette  strophe,  c'est  qu'elle  avait  été  transmise  à  Horand 
par  les  génies  de  la  mer.  En  effet  chez  les  Germains  les  Elfes 
aquatiques  passaient  pour  être  en  possession  d'un  chant  ma- 
gique tout  puissant,  et  W.  Grimm  cite  un  fragment  d'un  lied 
danois,  dans  lequel  le  chant  d'un  elfe  produit  le  même  effet 
que  celui  d'Horand  : 

«  L'un  se  mit  à  chanter  une  ballade  si  jolie  sur  toutes  les  da- 
»  mes,  que  l'indomptable  torrent  s'en  arrêta,  lui  qui  aupara- 
»  vaut  était  accoutumé  de  couler  ; 

>)  Que  l'indomptable  torrent  s'en  arrêta,  lui  qui  auparavant 
»  était  accoutumé  de  couler  ;  que  tous  les  petits  poissons,  qui 
»  nageaient  dans  la  rivière,  jouaient  avec  leurs  nageoires  ; 

»  Que  tous  les  petits  poissons,  qui  nageaient  dans  la  rivière, 
))  jouaient  avec  leur  queue  ;  que  tous  les  petits  oiseaux,  qui 
»  étaient  dans  la  forêt,  se  mirent  à  gazouiller  dans  la  vallée  (6).  » 

1.  Minnesinger,  éd.  p.  H.  v.  d.  llagen  (I^eipzig,  1838  sqq.,  5  vol.in-4"), 
II,  233-23'f,  str.  22. 

2.  Deutsche  Gedichte  des  Mittelalters,  éd.  p.  H.  v.  d.  Hagen  (Berlin,  1808, 
iD-4o),  Salomo  und  Morolf,  p.  y,  v.  800  sqq. 

3.  Der  Minne  Regel  von  Eberhard  von  Ccrsne  aus  Minden,  éd.  p.  Wù- 
ber  (Wien,  1861,  ia-8o),v.  560-565. 

4.  Str.  397. 

5.  Cf.  une  tentative  d'explication  de  C.  Hofmann,  Zur  Gudrun  (1867), 
p.  363. 

6.  Danske  Viser  fra  Mittelahleren  (Copenhague,   1812-14,  5  vol.  in-8°)^ 


—  152  — 

Cette  puissance  du  chant  d'Horand  et  du  chant  de  l'Elfe  sur 
toute  la  nature  rappelle  la  belle  légende  d'Orphée,  et  se  retrouve 
dans  les  récits  finlandais  sur  Vœïiieniœïnen,  dont  le  chant  ar- 
rête les  cascades  et  les  vents  et  attendrit  les  ours  (i\  Le  rapport 
de  ce  chant  avec  celui  des  Sirènes  est  assez  frappant  pour  qu'il 
soit  inutile  d'insister.  11  est  toutefois  un  passage  curieux  d'un 
poème  français  que  nous   croyons  devoir  citer  ici. 

Dans  la  Bataille  de  Loquifers  (branche  du  roman  ancien  fran- 
çais de  Guillaume  dOrenge).  lorsque  les  Sirènes  qui  viennent  au 
secours  de  Renouart  se  mettent  à  chanter,  leur  mélodie  a  sur 
toute  la  nature  un  pouvoir  semblable,  que  le  poète  caractérise 
en  ces  termes  : 

«  Lors  comeocierent  trestoutes  a  chanter, 
))  Si  haut  si  bas,  si  seri  et  si  cler, 
,  ))  Que  li  oisel  en  Icssent  lo  voler 

»  Et  li  poisson  en  lessent  lo  noer  (2).  » 

Au  reste  cette  idée  que  certains  êtres  marins  sont  d'une  ma- 
nière spécial3  en  possession  d'un  chant  particulièrement  mélo- 
dieux se  retrouve  chez  tous  les  peuples;  l'exemple  suivant, 
cité  par  M.  C.  Hofmann,  est  emprunté  à  une  romance  espagnole 
et  reproduit  encore  à  peu  prés  les  mêmes  traits  que  les  précé- 
dents. 

Un  matin  de  la  Saint-Jean  le  comte  Arnaldo  eut  le  bonheur 
d'apercevoir  la  galère  partant  le  chantre  merveilleux,  et  l'in- 
fluence exercée  par  son  chant  est  ainsi  décrite  : 

«  Marinero  que  la  manda 

»  Diciendo  viene  un  cantar 

»  Oue  la  mar  facia  en  calma, 

»  Los  ventes  hace  araainar, 

»  Los  peces  que  andan'  nel  hondo 

»  Arriba  les  hace  andar, 

»  Los  aves  que  andan'  volando 

»  En  el  mastel  los  face  posar.  » 

I,  235  et  surtout  385,  où  une  note  très  détaillée  énumère  les  imitations 
de  ce  chant  par  Gerstenberg  et  autres  et  divers  chants  roulant  sur  le 
même  thème;  cf.  aussi  W.  Grimm,  Heldensage,  p.  327. 

4.  Cf.  X.  Marmier,  Chants  populaires  du  Nord,  Introduction,  p.  viii- 
xr. 

2.  Cité  par  L.  Holland  (P.  G.,  I,  124.) 


—  153  — 

Et,  comme  le  comte  lui  demande  de  lui  apprendre  son  chant, 
l'être  mystérieux  lui  répond  :  «  Je  ne  l'enseigne  qu'à  celui  qui 
vient  avec  moi  (1).  » 

Mais  bien  souvent  le  pouvoir  magique  du  chant,  si  fréquem- 
ment constaté  dans  la  poésie  nordiijue,  avait  des  effets  tout  op- 
posés et  les  suites  les  plus  funestes  ;  il  allait  jusqu'à  rendre  les 
esprits  furieux,  à  mettre  les  guerriers  en  délire  et  à  causer  des 
malheurs,  comme  nous  le  voyons  dans  Saxo  (2). 

Dans  la  Saga  d'Herraud  et  de  Basa  (3),  cette  mélodie  d'Horand 
s'appelle  de  son  nom  nordique  Hjarrandaliodh,  le  chant  d'Hjar- 
randi  ;  on  ne  peut,  absolument  comme  dans  la  Gudrun,  l'ap- 
prendre que  des  Elfes  et  des  Nixes  et  elle  possède  un  pouvoir 
magique;  elle  suscite  chez  tout  ce  ({ui  l'entend,  êtres  vivants  et 
objets  inanimés,  un  mouvement  désordonné,  furieux  et  irrésis- 
tible (4). 

Or,  nous  l'avons  vu  plus  haut,  Hjarrandi  n'est  autre  qu'Odhin 
lui-même  sous  une  de  ses  épithètes,  c'est  Odhin  considéré 
comme  le  dieu  du  chant  et  de  la  musique.  Mais,  en  cette  qua- 
lité, Odhin  se  présente  à  nous  sous  les  traits  d'un  esprit  des 
eaux,  de  Nichus,  dont  le  nom  n'est  lui-même  qu'un  des  prénoms 
d'Odhin  (5),  comme  l'a  très  bien  remarqué  Finn  Magiuisen  (6), 
qui  dit  que  :  «  Odhin,  naviguant  sur  la  mer  et  apaisant  les  flots 
et  la  tempête,  porte  en  cette  qualité  avant  tout  le  nom  de  Hni- 
kus.  » 

Par  là  se  manifeste  très  clairement  la  nature  d'Horand  et  son 
attribution  spéciale  dans  ce  trio  de  dieux  marins  que  nous  a 
conservés  la  Gudrun.  De  même  que  Wate  représente  les  flots 
en  courroux,  Frute  la  mer  paisible,  féconde  en  richesses, 
mais  en  même  temps  en  surprises  et  en  tromperies,  de  même 
Horand  personnifie  l'Océan  sous  son  aspect  le  plus  tangible, 
sous  celui  de  sa  mobilité  incessante,  de  son  éternel  murmure  : 

\.  Primavera  y  flor  de  romances,  p.  p.  J.  Woif  et  C.  Hofmana  (Ber- 
lin, 18o6,  2  vol.  io-8o),    II,    80  sqq. 

2.  I,  111  et  606;  II,  108  et  327, 

3.  Cf.  L.  EttmûJler,  Altnordischer  Sagenschatz  (Leipzig,  1870,  in-8o), 
p.  463  et  470.  —  Celte  Saga  date  probablement  du  xiv^  siècle. 

4.  Le  cor  de  Huon  et  la  flùle  enchantée  produisent  des  effets  analo- 
gues. 

5.  Grimra,  Mythologie,  3"=  éd.,  p.  457. 

6.  Lexicon  Mythologicum,  p.  438. 


—  454  — 

il  est  le  dieu  de  cette  musique  qui  jour  et  nuit  caresse  si  har- 
monieusement les  oreilles  des  marins  et  des  peuples  du  ri- 
vage :  il  forme  dans  ce  trio,  selon  l'heureuse  expression  de 
M.  Keck  (1),  Vêlement  fortepiano. 

I.  Die  Gudrunsage  (1867),  p.  58. 


CHAPITRE  IV. 


TRACES   DE   QUELQUES    AUTRES   LEGENDES    SEPTENTRIONALES   UTILISÉES 
ÉPISODIQUEMENT    PAR   LE   POÈTE. 


1,     l'oiseau     PROPHÉTIQUE. 

Pendant  que  Gudrun,  réduite  par  Gerlinde  aux  dernières  hu- 
miliations, lave  le  linge  avec  Hildebourg  sur  le  bord  de  la  mer, 
un  oiseau  s'abat  près  d'elles  et,  leur  parlant  avec  une  voix  hu- 
maine, leur  annonce  l'approche  de  leur  délivrance  (1).  D'après 
le  poète  de  la  Gudrun,  cet  oiseau  n'était  autre  qu'un  ange  en- 
voyé de  Dieu  aux  pauvres  affligées  pour  les  consoler,  et  en  efïet 
Gudrun  tombe  à  genoux  devant  lui. 

Mais,  sous  ce  déguisement  chrétien,  on  voit  encore  percer 
très  distinctement  la  légende  païenne.  Les  anges  de  la  religion 
chrétienne  n'ont  pas  l'habitude  de  se  métamorphoser  en  oi- 
seaux; si  Dieu  les  envoie  porter  sur  la  terre  ses  ordres,  ses 
consolations  et  ses  promesses,  on  les  voit  bien  apparaître  avec 
des  ailes,  mais  partout  ils  portent  un  visage  humain.  Au  con- 
traire c'était  une  croyance  particulièrement  enracinée  chez 
les  Germains  que  les  oiseaux  possèdent  le  don  de  prophétie  et 
s'entretiennent  fréquemment  des  destinées  des  hommes. 

Ainsi,  dans  Saxo,  un  soir  que  Fridlev  était  sorti  de  son  camp 
et  se  promenait  seul  le  long  du  rivage,  il  entend  un  grand  bruit 
dans  l'air,  lève  la  tête  et  aperçoit  trois  cygnes,  qui  causaient  en- 
tre eux  et  qui,  dans  un  langage  énigmatique,  lui  conseillent  de 
tuer  Hythin  (2). 

Dans  d'autres  contes  un  aveugle  apprend  de  trois  corbeaux 
comment  il  pourra  retrouver  la  vue  (3);  de  même  des  oiseaux 

I.  sir.  n66-H87. 

'>..  Tome  I,  p.  266.  Pour  toute  celte  question,  cf.  l'excellente  brochure 
de  W.  Wackernagel  intitulée  "ETrea  t: -laoz'jxa.,  (Bàle,    1860,  in-4°). 
3.  San  Marie,  Gudrun,  p.  267. 


—  156  — 

domestiques  s'enLretiennenl  de  la  chute  imminente  d'un  châ- 
teau (1)  ;  dans  le  conte  du  Fidèle  Jean,  ce  sont  encore  trois  cor- 
beaux qui  apparaissent  et  qui  permettent  d'éviter  un  grand  mal- 
heur. Lorsque  le  fils  du  roi  s'enfuit  sur  son  vaisseau  avec  la 
Princesse  du  Toit  d'or,  qu'il  vient  d'enlever,  le  fidèle  Jean  aper- 
çoit trois  corbeaux  qui  planent  au  dessus  du  mât  et  entretien- 
nent une  conversation  très  animée  ;  il  épie  leurs  discours,  il 
apprend  ainsi  tous  les  accidents  auxquels  le  fils  du  roi  et  sa 
fiancée  seront  exposés  lors  de  leur  déb:ir(|uement  et  en  même 
temps  le  moyen  d'en  conjurer  les  suites.  (2) 

Mais  le  plus  souvent  il  faut  une  circonstance  particulière,  un 
prodige,  un  acte  d'incantation  quelconciue,  pour  que  leur  lan- 
gage devienne  intelligible  à  l'homme.  Par  exemple,  quand  Si- 
gurd  a  porté  à  ses  lèvres  le  sang  de  Fafnir,  il  comprend  le  lan- 
gage des  oiseaux  et  apprend  ainsi  que  Regin  médite  de  le  tuer 
en  trahison  :  il  prévient  ses  mauvais  desseins  et  le  tue  (3).  Dans 
d'autres  légendes  l'homme  arrive  à  comprendre  le  langage  des 
oiseaux  en  mangeant  un  serpent  blanc  (4). 

Rien  de  plus  naturel  que  ce  don  de  prophétie  attribué  aux  oi- 
seaux, car,  s'ils  sont  les  serviteurs  et  les  messagers  des  dieux, 
ceux-ci  le  plus  souvent  paraissent  sous  leur  forme  et  se  méta- 
morphosent en  oiseaux  pour  accomplir  quelque  expédition  pé- 
rilleuse ou  lointaine,  ou  pour  se  mettre  directement  et  sans  être 
reconnus  en  communication  avec  les  hommes.  Dans  ce  cas  les 
Dieux  revêtent  le  plumage  d'un  aigle^  les  Déesses  celui  d'un 
faucon. 

Si  cette  transformation  n'est  qu'accidentelle  pour  les  Dieux  et 
les  Déesses,  elle  semble  être  au  contraire  l'état  normal  pour  les 
ondines,  qui  portent  toujours  un  plumage  de  cygne  et  qui  ne  le 
déposent  sur  le  rivage  que  lorsqu'elles  se  baignent  dans  les  lacs 
ou  dans  les  fleuves.  Alors  elles  apparaissent  sous  les  traits  de 
ravissantes  jeunes  filles;  mais  malheur  à  elles  si,  dans  cet  état, 
elles  se  laissent  surprendre  par  un  homme;  en  s'emparant  de  leur 
plumage,  celui-ci  se  rend  maître  des  belles  ondines,  privées  par 
là  de  tout  moyen  de  fuite.  Tantôt  elles  deviennent  les  épouses 
de  ceux  qui  les  ont  ainsi  surprises;  témoin  l'histoire  de  Wâ- 
chilt  et  du  roi  Wilkinus,   dont  nous  avons  parlé  à  propos  de 

\.  Grimra,  Deutscke  Sagen,  I,  202. 

2.  Grimm,  Kinder-iind  Hausmdrchen,  conte  n"  6. 

3.  Edda  Saemundar  :  Fafnismûl,  sir.  31  sqq. 

4.  San  Marie,  loc.  cit. 


—  157  — 

l'origine  de  Wate,  et  dont  la  rencontre,  au  lieu  de  s'effectuer, 
comme  le  rapporte  la  Wilkina  Saga,  au  milieu  d'un  bois,  devait- 
primitivement  avoir  lieu  au  bord  d'un  lac  ou  d'un  fleuve;  té- 
moin encore  l'iiistoiro  de  Volundr  et  de  ses  frères,  qui  rencon- 
trent au  bord  d'un  lac  Svanhvita  et  ses  deux  sœurs  (-1).  Tantôt, 
et  c'est  le  cas  le  plus  fréquent,  les  Nixes  ainsi  surprises  obtien- 
nent la  restitution  de  leur  vêtement  ailé  en  échange  d'une  pro- 
phétie. Ainsi  en  est-il  pour  celles  qu'Hagen  surprend  au  bord 
du  Danube  ;  contraintes,  pour  recouvrer  ce  précieux  plumage, 
de  lui  dévoiler  le  sort  qui  l'attend  dans  le  pays  des  Huns,  elles 
se  résignent,  après  mille  réticences^,  à  lui  avouer  que  toute  l'ar-' 
mée,  à  l'exception  du  chapelain  du  roi,  doit  périr  à  la  cour 
d'Etzel  (2). 

On  comprend  qu'un  trait  de  ce  genre  ait  pu  de  bonne  heure 
s'introduire  dans  le  récit,  môme  historique,  des  aventures  de 
Gudrun.  Mais,  quand  il  arriva  dans  les  mains  de  notre  poète, 
ce  dernier  ne  sut  pas  en  comprendre  la  valeur,  et,  imitant  les 
auteurs  d'Oswald  et  de  Loliengrin,  il  fit  un  ange  de  l'oiseau  pro- 
phétique ;  assez  maladroitement  du  reste.  Car,  si  les  instances 
de  Gudrun  et  ses  espèces  d'évocations  pour  forcer  le  messa- 
ger divin  à  parler  jusqu'au  bout  pouvaient  avoir  leur  raison 
d'être  dans  la  conception  païenne  et  en  sont  un  reste  évident, 
elles  se  trouvent  on  ne  peut  plus  déplacées  et  intempestives 
vis-à-vis  de  l'ange.  Envoyé  par  Dieu  précisément  pour  con- 
soler les  captives,  il  ne  devrait  même  pas  attendre  leurs  ques- 
tions pour  s'acquitter  de  son  message,  et,  dès  qu'il  a  rempli  sa 
mission  et  dit  tout  ce  que  Dieu  l'a  chargé  de  dire,  aucune  ob- 
jurgation ne  devrait  pouvoir  le  faire  parler  davantage. 


2.    l'ensevelissement    des    MOUTS. 

Lorsque  la  nouvelle  de  l'enlèvement  de  Gudrun  par  Hartmut 
arrive  au  camp  des  Hegelingen  devant  la  forteresse  où  Hetel 
et  ses  vassaux  assiègent  Siegfried,  on  conclut  la  paix  à  la  hâte 
et  les  deux  armées,  unies  désormais  par  un  traité  d'alliance,  se 
préparent  à  s'élancer  à  la  poursuite  des  Normands.  Pour  ne 
pas  retarder  le  départ,  on  prend,  sur  le  conseil  de  Wate,  les 
vaisseaux  d'une  troupe  de  pèlerins,  qui  relâchaient  près  de  là  : 

\.  Edda  Saemundar:  Vôlundar  Qvida,  Formdli. 

2.  Mbelungenlied  (éd.  p.  K.  lîartscli),  sir.  1533-1548. 


—  158  — 

crime  abominable,  que  l'on  ne  tardera  pas  à  expier,  dit  notre 
poète,  et  qui  attirera  sur  l'armée  confédérée  la  colère  du  ciel. 
En  effet,  dès  qu'on  a  rattrapé  les  Normands,  une  bataille  fu- 
rieuse s'engage,  les  Hegelingen  sont  défaits  et  leur  chef  He- 
tel  tombe  dans  la  mêlée.  Aussi,  à  peine  les  Normands  se  sont- 
ils  lâchement  esquivés  pendant  la  nuit  que,  toujours  au  dire 
du  poète,  on  se  met  en  devoir  d'élever,  en  signe  d'expiation, 
un  couvent  snr  le  champ  de  bataille. 

Tout  cela  est  certes  très  édifiant  et  très  bien  imaginé  ;  mais 
c'est  évidemment  une  invention  due  à  la  même  main  pieuse 
qni  a  doté  le  poème  du  prologue  concernant  les  aventures 
d'Hagen.  Sans  doute  Tinterpolateur  avait  éprouvé  le  besoin 
d'expliquer  la  défaite  effroyable  subie  par  les  Hegelingen  et  il 
avait  arrangé  un  motif  qui  pei^meltait  d'y  voir  un  châtiment  du 
ciel. 

C'était  bien  en  effet  en  punition  d'un  crime  que  ce  malheur 
était  arrivé  â  l'armée  d'Hetel  et  nul  doute  que  la  raison  de  sa 
mort  et  de  la  déroute  de  ses  troupes  ne  fût  nettement  indiquée 
dans  la  légende  primitive  ;  mais  un  auteur  chrétien  ne  pouvait 
plus  la  comprendre,  ou,  s'il  en  avait  encore  conscience,  le  zèle 
inconsidéré  dont  l'interpolateur  était  animé  lui  faisait  un  de- 
voir de  la  modifier. 

C'est  bien  lors  de  leur  embarquement  précipité  que  les  Hege- 
lingen se  sont  attiré  la  colère  du  ciel  :  c'est  bien  sur  les  con- 
seils de  Wate  qu'ils  se  sont  décidés,  pour  ne  point  retarder  leur 
départ,  à  commettre  un  crime  abominable.  Mais  ce  crime  ne 
consistait  nullement  â  enlever  leurs  vaisseaux  à  de  prétendus 
pèlerins,  qui  n'ont  pu  paraître  dans  la  légende  primitive;  il  con- 
sistait à  laisser  sans  sépulture  les  corps  des  guerriers  tombés 
pendant  les  dernières  luttes,  qui  avaient  précédé  la  conclusion 
de  la  paix  :  Wate  les  a  tout  simplement  fait  jeter  à  l'eau  (1). 

On  sait  quelle  malédiction  s'attachait  dans  toute  l'antiquité 
païenne  à  ceux  qui  négligeaient  de  s'acquitter  de  ce  pieux  et  su- 
prême devoir.  Or,  dans  le  Nord,  l'accomplissement  ponctuel  de 
cette  tâche  était  une  obligation  découlant  non  seulement  de 
principes  religieux  ou  moraux,  mais  encore  d'un  intérêt  gé- 
néral :  car  il  y  allait  de  la  conservation  ou  de  la  destruction  du 
monde,  ni  plus  ni  moins. 

Le  vaisseau  Naglfar,  sur  lequel  les  fils  de  Muspel  doivent 
traverser  les  mers  pour  venir  attaquer  les  Ases  et  détruire 

1.  Sir.  813-847;  cf.  str.  io37-lo38. 


—  159  — 

le  monde,  se  construit  lentement,  mais  incessamment,  avec  les 
ongles  des  morts.  Tant  qu'il  ne  sera  pas  terminé,  la  fin  du 
monde  sera  ditférée  :  mais,  le  jour  où  le  dernier  ongle  néces- 
saire viendra  en  compléter  l'achèvement,  tout  croulera  dans 
l'univers  au  milieu  du  feu  et  du  sang  et  le  crépuscule  des  Dieux 
aura  commencé.  Aussi  la  coutume  de  couper  les  ongles  aux 
morts  constituait-elle,  chez  les  anciens  Germains,  la  partie  la 
plus  essentielle  des  cérémonies  funèbres.  Par  là  on  venait  au 
secours  des  Dieux  eux-mêmes,  en  retardant  d'autant  le  mo- 
ment fatal  de  leur  chute. 

On  comprend  dès  lors  que,  négliger  de  rendre  aux  morts  les 
honneurs  funèbres,  c'était  non  seulement  manquer  à  tous  les 
devoirs  de  la  piété,  mais  encore  et  surtout  offenser  les  Dieux 
et  s'attirer  ajuste  titre  leur  courroux;  c'était,  en  un  mot,  faire 
cause  commune  avec  les  sombres  puissances  contre  les  Ases. 

Tel  est  le  motif  véritable  de  la  défaite  des  Hegelingen,  et  eux- 
mêmes  le  savent  si  bien,  que  la  seconde  fois  ils  se  gardent  soi- 
gneusement de  retomber  dans  la  même  faute.  Dès  que  les  Nor- 
mands ont  disparu,  ils  font  à  leurs  morts  des  funérailles  solen- 
nelles et,  pour  regagner  la  faveur  des  Dieux,  ils  rendent  les 
derniers  honneurs  à  tous  les  guerriers  tombés  sans  exception, 
ennemis  aussi  bien  qu'amis. 

3.    LE    CONTE    DE    LA    MONTAGNE    DE    GÎVERS. 

Treize  ans  après  le  fatal  combat  sur  le  Wûlpensand  une  nou- 
velle armée  est  enfin  équipée  ;  la  jeune  génération  a  grandi  et 
l'heure  de  la  revanche  a  sonné.  A  l'appel  d'Hilde,  les  confédérés 
se  rassemblent  à  Matelâne  et  font  voile  pour  la  Normandie.  Mais 
à  peine  ont-ils  perdu  la  terre  de  vue  qu'un  vent  du  sud  les  en- 
traîne hors  de  leur  route  et  les  pousse  dans  une  sombre  mer, 
au  pied  de  la  montagne  aimantée  de  Gîvers,  où  un  calme  plat 
les  arrête.  A  l'aspect  de  cet  océan  noir  et  sans  fond,  où  la 
sonde  descend  jusqu'à  mille  brasses  sans  rencontrer  de  résis- 
tance, une  panique  indiciljle  s'empare  de  l'équipage  ;  les  meil- 
leurs matelots  fondent  en  larmes  et  tous,  frappés  d'efi'roi,  se 
tordent  les  mains  de  désespoir. 

Alors  le  vieux  Wale  prend  la  parole,  et.  pour  calmer  leur 
frayeur,  leur  raconte  une  antique  légende  qu'il  a  entendue 
autrefois  concernant  la  montagne  devant  laquelle  ils  sont  ar- 
rêtés : 


—  d60  — 

«  Puisque  voici  la  flotte  de  dame  Hilde  immobile,  égarée  dans 
»  la  mer  ténébreuse,  écoutez  une  légende  marine,  que  j'ai  en- 
»  tendu  raconter  dans  mon  enfance  :  Dans  l'intérieur  de  cette 
))  montagne  de  Gîvers  est  un  vaste  royaume. 

»  Là  les  hommes  vivent  dans  l'abondance  :  rien  n'égale  la 
»  richesse  du  pays.  Au  fond  de  l'onde^  le  sable  est  d'or,  les  habi- 
M  tants  en  construisent  des  palais  :  les  pierres  chez  eux  sont  de 
w  l'or  le  plus  pur.  Le  pays  ne  connaît  pas  la  pauvreté. 

»  J'ai  entendu  dire  en  outre  (Dieu  fait  de  si  merveilleuses 
»  choses),  que  celui  qui  est  attiré  vers  cette  montagne  par  l'ai- 
»  mant  et  qui  peut  attendre  d'autres  vents  est  sûr  de  vivre  dés 
»  lors  dans  l'abondance  avec  les  siens. 

»  Ayons  confiance  en  nos  provisions,  peut-être  la  fin  de  l'a- 
»  venfure  sera-t-elle  heureuse,  dit  le  sage  Wate.  Alors  nous 
»  chargerons  nos  bons  vaisseaux  de  pierres  précieuses,  et,  si 
»  nous  regagnons  nos  foyers,  nous  jouirons  longtemps  de  jours 
»  heureux. 

»  Alors  Frute  le  Danois  dit  :  «  Plutôt  que  de  voir  le  calme 
»,  retenir  nos  compagnons  dans  cette  situation  critique,  je  fe- 
»  rais  mille  serments  de  renoncer  à  tout  cet  or,  pourvu  qu'un 
»  vent  favorable  nous  fasse  perdre  cette  montagne  de  vue.  » 

»  Ceux  qui  étaient  chrétiens  firent  leur  prière.  Cependant 
»  quatre  jours  durant,  sinon  plus,  les  vaisseaux  restèrent  immo- 
»  biles  et  les  Hegelingen  se  plaignaient,  désespérant  de  jamais 
»  sortir  de  là. 

»  Les  brouillards  montèrent,  dès  que  Dieu  le  commanda  :  les 
»  vagues  se  soulevèrent  :  leur  situation  cessa  d'être  critique  :  le 
»  soleil  perça  l'obscurité  :  un  vent  d'ouest  s'éleva  et  mit  fin  à 
»  leur  tourment  (1).  » 

Ce  conte,  dans  sa  brièveté,  repose  évidemment,  comme  l'a 
très  bien  fait  remarquer  M.  Bossert  (2),  sur  une  vieille  croyance  : 
«  Le  couronnement  de  toutes  les  fictions  relatives  à  la  mer,  c'est 
»  le  rêve  d'une  terre  bienheureuse,  située  au  delà  des  limites 
»  de  tout  horizon  visible.  Pour  former  ce  rêve,  que  faut-il? 
»  Rien  qu'un  homme,  placé  sur  le  rivage.  Une  ligne  tracée 
»  entre  la  mer  et  le  ciel  marque  la  distance  où  son  regard  peut 
»  atteindre.  Il  sait  cependant  que  plus  loin  sont  situées  des 
»  îles,  dont  les  navigateurs  lui  ont  parlé,  et  qui  ont  encore. 
»  devant  elles  des  horizons  immenses.  Et  ainsi  les  bornes  du 

_  1.  Sir.  1128- iJ3o. 
2.  La  littérature  allemande  au  moyen  âge,  p.  128  et  suiv. 


—  161  — 

»  monde  habité  reculent  toujours  devant  son  imagination.  Ne 
»  doit-il  pas  penser  qu'au  delà,  si  l'on  pouvait  aller  encore  au 
»  delà,  se  trouverait  enfin  une  rive,  où  l'on  aurait  échappé  à 
»  tout  ce  que  l'on  voudrait  voir  disparaître  des  lieux  où  l'on 
»  vit,  une  région  favorisée,  où  habiteraient  encore  des  honi- 
»  mes,  mais  des  hommes  purs  et  heureux  comme  des  Dieux, 
»  un  élysée  enfin,  situé  aux  e'xtrémités  du  monde,  entre  la 
»  terre,  la  mer  et  le  ciel  ?  Eh  bien  !  ce  rêve,  tous  les  peuples 
»  maritimes  l'ont  eu  ;  car  la  mer  a  toujours  donné  à  l'homme 
»  la  pensée  de  l'infini.  » 

M.  Bossert  appelle  ensuite  avec  raison  l'attention  sur  l'ana- 
logie qui  existe  entre  ce  royaume  souterrain  et  l'île  des  Phéa- 
ciens.  Évidemment  les  deux  légendes  dérivent  de  la  même 
idée  :  car  ce  rêve  d'une  terre  bienheureuse  située  au  delà  des 
limites  de  l'horizon  est  né  spontanément  dans  l'imagination 
de  tous  les  peuples  maritimes.  Mais  il  faut  bien  se  garder,  en 
signalant  ces  analogies,  de  vouloir  retrouver  dans  ces  concep- 
tions diverses  comme  les  ramifications  multiples  d'un  mythe 
unique  et  primitif,  à  la  source  duquel  on  puisse  en  faire  re- 
monter toutes  les  rédactions  postérieures. 

Chaque  peuple  a  eu  ce  rêve,  mais  il  l'a  eu  à  part  lui  pour 
ainsi  dire,  il  l'a  eu  à  son  heure,  en  dehors  de  toute  influence 
étrangère,  et  il  lui  a  donné  une  forme  particulière  adaptée  au 
milieu  dans  lequel  s'exerçait  son  activité,  une  forme  en  har- 
monie avec  ses  idées,  ses  croyances,  son  genre  de  vie,  son  cli- 
mat et  son  ciel. 

A  rencontre  de  ce  qui  se  passe  pour  toutes  les  légendes  de 
même  nature  issues  du  génie  des  peuples  de  l'antiquité,  au  lieu 
d'être  situé  sur  une  île  ou  un  groupe  d'îles,  Gîvers,  dans  le 
conte  de  Wate,  se  trouve  sous  une  montagne,  au  fond  de  la  mer. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  ce  soit  là  une  simple  variante, 
résultat  d'un  vain  caprice  de  notre  poète,  une  de  ces  fantaisies 
comme  s'en  permettaient  volontiers  les  auteurs  des  romans 
d'aventures,  pour  accroître  à  peu  de  frais  le  merveilleux  de 
leurs  récits.  C'est  au  contraire  le  trait  le  plus  caractéristique 
de  la  légende  telle  qu'elle  est  née  et  s'est  propagée  chez  les 
Celtes  et  les  Germains,  c'est  pour  ainsi  dire  sa  marque  na- 
tionale, la  preuve  qu'elle  a  surgi  tout  d'une  pièce  dans  l'esprit 
des  populations  riveraines  de  l'Océan  et  de  la  mer  du  Nord, 
spontanément  et  en  dehors  de  toute  influence  ou  réminiscence 
étrangère. 

De  tout  temps,  en  effet,  les  côtes  qui  s'étendent  de  l'embou- 

Fég.vmp,  Gudrun.  11 


—  162  — 

chure  de  l'Escaut  à  celle  de  l'Elbe  et,  en  remontant  plus  haut 
au  nord,  le  long  de  la  Ghersonèse  Giuibrique,  ont  été  expo- 
sées aux  inondations  des  Ilots,  qui,  à  difïérentes  reprises  vio- 
lemment soulevés  par  les  tempêtes,  envahirent  des  districts 
entiers,  détruisirent  de  riches  et  populeuses  localités  et  en- 
gloutirent leurs  habitants.  Nous  l'avons  vu  plus  haut,  Strabon 
parle  déjà  d'inondations  de  ce  genre,  et  c'est  à  un  fait  du  même 
ordre  que  la  tradition  attribuait  l'émigration  des  Gadelin  en 
Angleterre.  On  pourrait  en  citer  des  exemples  par  douzaines 
en  compulsant  les  vieilles  chroniques  :  pour  ne  rappeler  que 
les  principaux^,  c'est  ainsi  que  de  -1277  à  1287  se  forma  le  Dol- 
lard  à  l'embouchure  de  l'Eins  ;  dans  cette  catastrophe,  plus  de 
quarante  paroisses  et,  s'il  faut  en  croire  les  vieux  récits,  près 
de  100,000  habitants  disparurent.  C'est  ainsi  encore,  pour  re- 
monter quelques  années  plus  haut,  qu'en  1225  le  lac  Flévo 
se  trouva  réuni  à  la  mer  par  une  convulsion  dans  laquelle 
trente  lieues  de  pays  se  trouvèrent  subitement  sous  les  eaux. 
Rappelons  encore  la  disparition  de  Vineta,  près  de  Riigen. 
De  même,  des  trois  îles  saxonnes  Norlh  Strandt,  Busen  et 
Héligoland,  la  première  a  été  envahie  par  la  mer  en  1300, 
1483,  1532,  1615  et  presfjue  détruite  en  1834,  Héligoland  a 
été  dévastée  par  les  flots  on  800,  1300,  1500,  1649,  et  cette 
dernière  fois  si  terriblement  (juil  n'en  est  resté  qu'un  mor- 
ceau. En  1654,  lors  d'une  rupture  des  digues  du  Jûtland, 
15,000  personnes  périrent.  De  la  Plollande  au  Jûtland,  une  file 
de  petits  îlots  submergés  (  Walten,  Plalen,  Sande,  Dùneninsdn) 
témoignent  encore  des  ravages  des  flots  (1). 

Quoi  de  plus  propre  que  ces  disparitions  subites  de  popula- 
tions tout  entières  à  faire  naître  dans  l'imagination  des  peu- 
l)les  témoins  de  pareils  cataclysmes  l'idée  d'un  royaume  sou- 
terrain ou  plutôt  sous-marin,  situé  bien  loin  à  l'ouest  et  où  le 
flottes  aurait  transportées?  C'est  sous  l'impression  de  ces  ter- 
rifiants spectacles  qu'est  née,  par  exemple,  la  légende  de  l'é- 
glise perdue,  dont  on  entend  encore  les  cloches  au  plus  fort  de 
la  tempête  dans  la  baie  de  Douarnenez,  que  s'est  formée,  en 
Bretagne  également  et  non  loin  de  là,  celle  de  la  ville  d'Is,  la 
Babylone  bretonne  de  la  côte  de  Cornouaille,  engloutie  par 
l'Océan  avec  tout  son  peuple,  à  l'exception  du  bon  roi  Grallon. 
Détail  à  noter,  cette  dernière  a  été  localisée  par  les  Celtes  en 


1.  Cf.  Turner,  History  of  Ihe  Anglo-Saxons,  \,  \\8. 


—  163  — 

trois  endroits  divers  et  spécialement  sur  les  côtes   d'Angle- 
terre (1). 

Il  va  sans  dire  que,  dans  ce  nouveau  royaume  où  une  puis- 
sance mystérieuse  les  avait  ainsi  transportées  subitement,  on  se 
les  figurait  jouissant  d'une  félicité  sans  bornes;  leur  séjour 
était  doté  de  tout  ce  qui  peut  constituer  le  bonheur  aux  yeux  du 
vulgaire  et  op  les  entourait  en  particulier  de  toute  la  magnifi- 
cence et  de  tous  les  trésors  imaginables. 

Si,  à  ce  propos,  notre  poète  a,  pour  ainsi  dire,  habillé  son 
conte  des  riches  couleurs  propres  aux  fictions  de  l'Orient,  si, 
dans  le  décor  dont  il  l'a  orné,  la  tradition  des  Iles  d'or  et  d'ar- 
gent est  sensible,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'idée  d'accu- 
muler toutes  les  richesses  possibles  sous  cette  montagne  est 
encore  une  conception  essentiellement  germanique,  qui  n'a- 
vait pas  besoin,  pour  naître  et  se  propager,  de  l'intervention 
et  de  l'influence  des  conteurs  orientaux  ou  de  leurs  imita- 
teurs. C'est  sous  une  montagne  qu'habitent,  d'ordinaire,  dans 
la  croyance  des  Germains,  les  nains  habiles  ou  les  animaux 
gigantesques,  accumulant  par  leur  industrie  ou  gardant  avec 
un  soin  jaloux  les  trésors  les  plus  merveilleux  :  témoin  celui 
des  Nibelungen  défendu  par  le  nain  Albérich,  témoin  celui 
sur  lequel  veillait,  au  sein  d'une  colline,  le  dragon  tué  par 
Beowulf. 

Quant  à  la  mer  ténébreuse  dans  laquelle  se  trouve  la  monta- 
gne de  Gîvers,  sa  situation,  telle  qu'elle  résulte  des  données  du 
poème,  sa  description,  son  nom,  tout  nous  reporte  encore  aune 
légende  connue  de  toute  antiquité  des  marins  du  nord  et  pro- 
pagée par  eux  jusque  dans  l'antiquité  classique. 

Sans  doute,  dans  notre  poème,  elle  est  associée  à  celle  de  la 
montagne  aimantée,  et  cette  coïncidence  pourrait  faire  supposer 
au  premier  abord  qu'elle  y  est  venue  de  toutes  pièces  soit  de 
l'Orient,  soit  des  poèmes  d'aventures.  Mais  la  relation  arbitrai- 
rement établie  entre  ces  deux  légendes  est  un  pur  caprice  du 
poète;  c'est  encore  un  résultat  de  l'influence  exercée  sur  lui 
par  le  Duc  Ernest.  Elles  sont  originairement  étrangères  l'une 
à  l'autre,  comme  nous  le  verrons  plus  loin.  En  ce  qui  touche 
notre  poème,  il  suffit  du  reste  pour  s'en  convaincre;,  de  lire 
attentivement  les  quelques  strophes  dont  se  compose  le  conte 

1.  Cf.  E.  Desjardiûs,  Géographie  de  la  Gaule  romaine,  I,  307-308,  noie 
6  et  n.  de  la  Villemarqué,  Barzaz  Breiz,  Chants  populaires  de  la  Bretagne, 
4e  éd.,  I,  63-74. 


—    \C^A   — 

de  Wale  :  rien  de  plus  facile  que  de  le  reconstituer  sous  sa 
forme  primitive  et  de  constater  que  la  montagne  aimantée  n'y 
a  que  faire.  Les  vaisseaux  des  Hegelingen  sont  entraînés  bien 
loin  hors  de  leur  route  par  les  vents  du  sud,  c'est-à-dire  dans 
la  direction  du  Nord,  et  poussés  dans  la  mer  ténébreuse.  Là 
un  calme  plat  les  retient,  en  face  de  Gîvers,  dans  un  océan 
noir  et  sans  fond,  dont  les  eaux  sont  figées.  Lorsque  le  vent 
d'ouest  s'élève  enfin,  les  vagues  retrouvent  leur  mobilité,  les 
vaisseaux  remettent  à  la  voile  et  la  flotte  reprend  sa  course, 
sans  qu'il  soit  désormais  question  de  l'aimant  qui  ne  la  re- 
tient pas  plus  qu'il  ne  l'avait  attirée. 

On  s'est  évertué  à  déterminer  géographiquement  la  situation 
de  cette  mer  ténébreuse,  à  découvrir  le  lieu,  le  phénomène  qui 
avaient  pu  faire  naître  cette  conception  dans  l'esprit  des  Ger- 
mains. K.  Miillenholfa  voulu  retrouver  Gîvers  tout  simplement 
dans  le  Mont  Ltna  ou  Monte  (iibcllo,  dont  Césaire  d'Heislerbach 
parle  dans  son  Dialogue  sur  les  prodiges  et  qu'il  appelle  Mons  Cy- 
ber (1).  Que  le  nom  soit  emprunté  aux  récits  de  Césaire  d'Heis- 
lerbach, passe  encore.  Mais  ce  serait  s'abuser  que  de  vouloir 
tirer  de  plus  amples  conclusions  de  cette  hypothèse. 

D'autres  ont  voulu  y  voir  une  allusion  à  la  mer  de  Sargasse  et 
au  courant  du  Gulfstream.  Mais  le  Gulfstream,  lui  non  plus,  n'a 
rien  à  voir  en  cette  affaire  et  la  mer  de  Sargasse  nous  reporte 
vers  des  parages  trop  lointains  et  trop  méridionaux  pour  per- 
mettre de  supposer  (|u'elle  ait  pu  faire  l'objet  d'une  légende  ger- 
manique. 

Nous  ne  pouvons  également  que  rejeter,  mais  pour  des  rai- 
sons tout  opposées,  l'explication  proposée  par  M.  G.  Hofmann, 
qui  veut  identifier  Gîvers  avec  une  petite  île  des  Shetland,  celle 
de  Mainland.  Dans  les  eaux  qui  entourent  cette  île  se  passe  fré- 
quemment un  phénomène  que  M.  Hofmann  décrit  en  ces  ter- 
mes (2)  : 

«  Un  gentleman  m'a  raconté  qu'il  avait  été  retenu  cinq  jours 
dans  une  chaloupe  entre  Fitful  Head  et  Sumburgh  Head  par  un 
calme  plat,  sans  pouvoir  franchir  l'un  ou  l'autre  promontoire  ; 
un  courant  entraînait  la  barque  vers  l'ouest,  tandis  qu'un  autre 
la  ramenait  vers  l'est.  Bien  souvent  la  barque  fut  poussée  par 


1.  Cf.  H.  Z.,  XII,  317  sqq. 

2.  Sitzungfiberichte  der  kyl.    bayer.    Akademie  der    Wissenschaften  zu 
Mnnchen,  <867,  II,  218-22-2. 


—  165  — 

les  flots  tout  près  de  la  côte,  mais  toujours  le  courant  la  reje- 
tait au  large.  » 

M.  Hofinann  nous  semble  avoir  perdu  de  vue  deux  circons- 
tances importantes:  d'une  part,  il  est  question  ici  de  l'action 
d'un  courant  ou  plutôt  de  deux  courants  contraires,  qui  entraî- 
nent la  barque  tantôt  dans  une  direction,  tantôt  dans  une  au- 
tre, et  non  de  cette  immobilité  terrible  à  laquelle  les  vaisseaux 
des  Hegelingen  sont  condamnés.  D'autre  part,  la  cause  de 
cet  incident  est  toute  naturelle,  elle  provient  d'un  phénomène 
bien  connu,  bien  facile  à  constater,  et  les  parages  dans  les- 
quels il  se  produit  étaient  trop  familiers  aux  hardis  pirates  du 
Nord,  pour  qu'il  pût  jamais  venir  à  l'idée  de  n'importe  qui 
d'en  faire  le  siège  d'un  royaume  mystérieux  comme  celui  de 
Givers. 

Tous  ces  efforts,,  nous  le  répétons,  sont  à  tout  le  moins  super- 
flus. De  même  que  l'île  des  Phéaciens,  de  même  Givers  ne  peut 
se  concevoir  que  d'une  façon  très  vague  bien  loin  dans  le  Far- 
West,  au  delà  de  tout  horizon  connu.  G.  Welcker  l'a  prouvé  en 
ce  qui  concerne  l'île  des  Phéaciens  (1)  et  sa  démonstration  s'ap- 
plique également  bien  à  (iîvers. 

Seul  le  vaste  Océan  Atlantique,  avec  ses  profondeurs  ignorées 
des  peuples  de  l'antiquité  et  du  moyen  âge^  pouvait  être  le 
siège  de  cette  île  fabuleuse.  N'est-ce  point  là  qu'on  plaça  tour  à 
tour  et  la  mystérieuse  Thulé,  et  les  Iles  des  Bienheureux,  et  cel- 
les de  Saint-Brandan  ? 

N'est-ce  point  là  aussi,  vers  les  limites  de  l'Océan  arctique, 
que  l'on  retrouve  dés  les  temps  les  plus  anciens  cette  mer  téné- 
breuse, comme  l'appelle  notre  poète,  cette  mer  bèlée  à  laquelle  il 
fait  allusion  au  moment  où  la  flotte  des  Hegelingen  est  enfin 
délivrée  par  le  vent  d'ouest?  Et  n'est-il  pas  bien  plus  naturel 
d'en  chercher  l'origine  dans  les  longues  nuits  du  pôle  nord  et 
dans  les  glaces  éternelles,  qui  encombrent  de  plus  en  plus,  à 
mesure  que  la  latitude  s'élève,  les  régions  septentrionales  de 
l'Océan  Atlanti({ue? 

On  a  bien  essayé  d'établir  une  distinction  entre  la  mer  téné- 
breuse [mare  caligans)  et  la  mer  fi(iée  ou  bêtée  {mare  concretum)  ; 
distinction  aussi  subtile  que  superflue  et  peu  fondée  en  fait.  Les 
deux  idées,  comme  les  deux  phénomènes,  sont  associées  d'une 
façon  indissoluble  et  s'appliquent  aune  seule  et  même  mer. 

\.  Die  homprifichen  Pheaken  und  die  liiseln  der  Seligen  dans  le  Rheini- 
sches  Muséum  fur  Philolor/ie,  1833,  '219  sqq. 


Plutarque  parle  déjà  d'une  mer  de  ce  genre  et  la  place  bien 
loin  à  l'ouest  de  la  Gran  le-Bretagne  (d).  Sous  le  nom  de  mare 
pigrum,  Tacite  en  a  aussi  une  vague  idée  ;  selon  lui  elle  est  si- 
tuée au  nord  des  Orcades  (2).  K.  Midlenhoff  a  prouvé  qu'en  re- 
produisant ces  données  Tacite  s'appuyait  sur  Pytliéas  de  Mar- 
seille, qui  lui-même  ne  faisait  que  rapporter  des  récits  recueil- 
lis de  la  bouche  des  marins  du  nord,  de  la  Bretagne  entre  au- 
tres (3). 

N'est-ce  point  là  l'indice  le  plus  probant  de  l'origine  septen- 
trionale de  la  légende  qui  fait  la  base  du  conte  débité  par  Wate? 

Sans  doute,  notre  poète  n'a  pas  su  lui  conserver  sa  naïveté  et 
sa  simplicité  primitives;  sans  doute,  il  l'a  mêlée  à  d'autres  fic- 
tions d'un  caractère  très  différent  et  d'une  tout  autre  origine. 
C'est  qu'à  l'époiiue  où  il  écrivait,  il  la  retrouvait  dans  son  mo- 
dèle favori,  dans  le  Duc  Ernest,  intimement  associée  et  à  la 
montagne  aimantée  et  aux  îles  d'or  et  d'argent. 

Un  rapide  coup  dœil  sur  l'histoire  de  cette  mer  ténébreuse 
nous  montrera  comment  la  fusion  s'était  opérée. 

Après  les  courtes  mentions  de  Plutarque  et  de  Tacite,  les 
détails  deviennent  plus  précis  et  i)lus  circonstanciés  avec 
Pline  le  Jeune,  Solin  et  Marcianus  Gapella  (4),  dans  les  ouvra- 
ges desquels  Isidore  de  Séville  (5)  a  puisé  ce  qu'il  nous  en  dit. 
C'est  par  cette  source  savante  qu'elle  fit  rapidement  son  che- 
min et  se  répandit  dans  toutes  les  littératures  de  l'Europe  au 
moyen  âge. 

Nous  la  retrouvons  dans  les  diverses  rédactions  de  la  Vie  de 
St.  Iiran(lan{Q),  bientôt  après  dans  Huon  de  Bordeaux,  ^gXwA  tard 
enfin  dans  le  Roman  de  Berinus  et  de  son  fils  Aigres  de  l'aimant  (7), 
Elle  pénétra  même  jusqu'en  Espagne  et  en  Italie, 

En  Allemagne,  la  Lebermeer,  comme  on  la  nomme  tout  d'à- 

1.  Cf.  Revue  de  Géographie,  octobre  1881,  p.  242-243. 

2.  Mœurs  des  Germains,  ch.  45;  Vie  d'Agricola,  chap.  10. 

3.  Deutsche  Alterthumskunde,  I,  403.  410-426;  cf.  Weiohold,  Die  Polar- 
gegenden  Em^opas  nach  den  Vorstellungen  des  deutschen  Mittelalters  (Wien, 
1871,  in-8°),  p.  o,  9,  13  14. 

4.  Cf.  K.  MùlIenhofT  und  W.  Scherer,  Denkmàler  deutscher  Poésie  und 
Prosa  aus  dem  VlU-Xll.  Jakrhwidert  (Merlin,  1864,  in-So),  p.  348-349. 

5.  Isidori  Hispalensis  Opéra  omnia,  éd.  Arevalo  (Romae,  1801,  iD-4o), 
IV,  Etymolog.  lib.  14,  6,  4. 

6.  Cf.  Bt.  Brandan,  éd.  p.  Schrœdcr,  p.  19,  .")7,  6t. 

7.  Cf.  J.  Grimm  dans  les  Heldelberger  Jahrbacher,  1809,  T.  5,  2«  par- 
lie,  p.  212-221. 


—  167  — 

bord,  Ivi  vinsler  mer,  comme  l'appellent  ensuite  les  poètes  du 
moyen  âge,  apparaît  pour  la  première  fois,  au  xT  siècle,  dans 
le  poème  de  Merigarto  (1),  qui,  d'accord  avec  Isidore  de  Sé- 
ville  et  avec  le  Scholiaste  d'Adam  de  Brème  (2),  la  place  dans 
les  régions  extrêmes  du  Nord-Ouest. 

A  partir  de  ce  moment  elle  devient,  pour  ainsi  dire,  partie 
intégrante  du  bagage  littéraire,  du  répertoire  des  chanteurs 
errants  et  on  la  trouve  citée  un  pou  partout  dans  tous  les  poèmes 
d'aventures  (3).  C'est  ainsi  que  l'auteur  du  Duc  Ernest  s'en 
empare  (4),  la  transporte  en  Orient,  où  se  passent  les  aventures 
de  son  héros,  et  l'y  associe  au  conte  <le  la  montagne  aimantée  et 
à  celui  des  îles  d'or  et  d'argent. 

Nous  n'avons  pas  à  refaire  ici  l'histoire  des  deux  légendes  de 
la  montagne  aimantée  et  des  îles  d'or  et  d'argent.  Contentons - 
nous  de  rappeler  que,  partie  de  l'Orient,  la  première  se  propagea 
très  vite  dans  toute  l'Europe  au  moyen  âge  (5),  sous  la  double 
influence,  à  ce  qu'il  semble,  des  histoires  vraiment  populaires 
d'Apollonius  de  Tyr  et  du  Pseudo-Callisthène.  On  sait  que  le 
texte  latin,  qui  forme  actuellement  pour  nous  la  source  la  plus 
ancienne  de  l'histoire  d'Apollonius  de  Tyr,  est  généralement 
considéré' aujourd'hui  comme  la  traduction  et  le  remaniement 
d'un  roman  écrit  en  grec  à  l'origine  (6)  et  que  ce  texte  latin  a 
été,  à  son  tour,  traduit  maintes  fois  en  diverses  langues,  au 
moyen  âge,  entre  autres  par  Plenri  de  Neustadt. 

Quant  au  Pseudo-Callistliène,  c'est,  comme  on  ne  l'ignore 
pas,  la  source  à  laquelle  tout  le  moyen  âge  a  puisé  la  légende 
d'Alexandre.  Le  conte  de  la  montagne  aimantée  ne  pouvait  faire 
défaut  dans  le  ramassis  de  fables  et  de  récits  merveilleux  dont 
Siméon  Seth  a  farci  son  roman. 

C'est   naturellement  aussi  de   l'Orient  que  vient  la  légende 

I.  CI".  W.  Brauoe,  Althochdeutsches  Lcsebuch,  p.  147. 
1.  IV,  34,  schol.  144. 

3.  Cf.,  pour  plus  (le  détails,  la  préface  du  Duc  Ernest,  éd.  par 
K.  Bartsch,  où  l'on  trouvera  réunis,  classés  et  discutés  tous  les  passages 
des  auteurs  allemands  du  moyen  âge  qui  ont  rapport  à  ces  diverses 
légendes. 

4.  Cf.  K.  Bartsch  dans  l'Introduction  de  son  édition  du  Duc  Ernest, 
p.  CXLV. 

5.  Elle  fut  connue  de  très  bonne  heure  en  Allemagne  :  car  Lamprecht 
y  fait  déjà  allusion  dans  sa  Chanson  d' Alexandre. 

6.  Cf.  Heinrich  von  Neustadt,  Apollonius.  Von  Cotes  Zuokmifl,  heraus- 
gegeben  von  J.  Strobl  (W'ien,  1875,  in-So). 


—  468  — 

(les  îles  d'or  et  d'argent,  aussi  universellement  connue  dans 
l'antiquité  et  au  moyen  âge  que  celle  des  Iles  des  Bienheureux. 
Mais,  tandis  qu'on  s'est  toujours  figuré  ces  dernières  bien  loin 
à  l'ouest,  au  delà  des  Colonnes  d'Hercule,  souvent  même  à 
Thulé,  on  s'est  représenté  les  autres  de  préférence  au  sud  de 
l'Inde,  entre  le  Golfe  Persique  et  l'île  de  Geylan,  dans  les 
mêmes  parages  que  les  Mille  Iles  de  l'Océan  Indien,  dans  le 
même  horizon,  par  conséquent,  que  la  montagne  aimantée. 
Tous  les  auteurs  grecs,  latins,  alexandrins,  byzantins,  qui  en 
parlent;,  sont  d'accord  sur  ce  point  de  même  que  sur  les  sources 
auxquelles  ils  ont  puisé  leurs  récits  :  tous  se  réfèrent  à  de  sages 
Perses,  Médes,  Assyriens  ou  Indiens  (d). 

En  résumé;,  il  y  a  deux  parts  bien  distinctes  à  faire  dans  le 
conte  maritime  que  notre  auteur  place  dans  la  bouche  de  Wate. 

Pour  le  fond,  nous  avons  affaire  à  une  vieille  légende  mari- 
time, commune  de  tout  temps  à  l'ensemble  des  peuples  rive- 
rains de  l'Océan  Atlantique  et  de  la  Mer  du  Nord,  légende  qui 
peut  se  résumer  à  peu  prés  en  ces  termes:  bien  loin  à  l'ouest, 
au  delà  de  tout  horizon  connu,  se  trouve  la  mer  ténébreuse  ;  là 
s'élève,  dans  une  île  entourée  d'une  onde  presque  toujours 
figée,  une  montagne  sous  laquelle  existe  un  vaste  royaume.  Les 
habitants  de  ce  royaume  souterrain  vivent  dans  une  félicité 
sans  égale.  Mais  malheur  au  marin  que  des  vents  contraires 
poussent  vers  ces  parages  mystérieux  :  un  calme  plat  ne  tarde 
pas  à  survenir  et  retient  son  vaisseau  en  vue  de  l'île,  sans 
qu'aucune  force  puisse  l'en  éloigner.  Toutefois,,  s'il  peut  atten- 
dre un  vent  favorable,  sitôt  que  celui-ci  s'élève,  les  eaux  re- 
prennent leur  mobilité,  le  vaisseau  peut  remettre  à  la  voile  et 
l'heureux  navigateur  rentre  rapidement  dans  sa  patrie,  assuré 
désormais  de  vivre  longtemps  dans  la  joie  et  l'abondance. 

Ce  conte,  dans  sa  simplicité  naïve,  ne  faisait  évidemment 
plus  l'affaire  de  notre  poète.  Il  fallait,  coûte  que  coûte,  plus 
de  merveilleux  et  de  fantastique  pour  satisfaire  au  goût  de  son 
époque.  Il  lui  a  donc   donné  la  forme  de  bon  nombre  d'autres 

1.  Il  ne  pouvait  entrer  dans  notre  plan  de  refaire  ici  une  étude  com- 
plète et  détaillée  sur  l'origine  et  le  mode  de  propagation  des  diverses 
légendes,  dont  il  vient  d'être  question.  Le  lecteur  curieux  de  plus  de 
détails  consultera  avec  profit,  outre  les  ouvrages  cités  dans  les  notes  pré- 
cédentes, le  travail  très  instructif  de  F.  Peschel,  JJrsprung  und  Verbrei- 
tiing  geographischer  Mythen  im  Mittelalter  (Deutsche  Vierteljahrsschrift, 
18oi,  2*  livraison,'p.  22o-292). 


—  169  — 

récits  contemporains;  il  l'a  affublé  du  brillant  manteau  propre 
aux  fictions  de  l'Orient,  et  il  a  continué  de  suivre  docilement 
le  modèle  qui  l'avait  déjà  inspiré  plus  d'une  fois.  C'est  au  Duc 
Ernest  qu'il  devait  déjà  bon  nombre  des  traits  qui  lui  ont  servi 
dans  sa  narration  des  aventures  d'Hagen  dans  l'île  des  Grif- 
fons, c'est  à  ce  même  roman  qu'il  a  puisé  lorsqu'il  s'est  agi  de 
peindre  les  tourments  de  (iudrun  prisonnière  des  Normands, 
c'est  à  lui  encore  qu'il  s'adresse  cette  fois  et  qu'il  emprunte 
l'idée  de  la  montagne  aimantée,  ainsi  que  la  description  féeri- 
que du  royaume  souterrain  de  Gîvers. 


CHAPITRE  V. 


TRANSFOKMATIONS    KT    li.VMlFlCATlONS    DU    MYTHE  ;     DIVERSES   LÉGENDES  QUI 
EN  SONT  ISSUES  ;  DEliMERS  ÉCHOS  SOUS  FORME  DE  HALLADE  ET  DE  CONTE. 

Après  être  remonté,  dans  les  chapitres  précédents,  autant 
qu'il  était  possible,  jusqu'aux  sources  du  poème  de  Gudrun  et 
particulièrement  de  la  légende  d'Hilde,  il  nous  reste  à  voir  les 
diverses  transformations,  qu'a  subies,  dans  la  suite  des  temps 
et  chez  les  (liffèrents  peuples  germaniques,  le  mythe  dont  elle 
est  issue. 

Dans  cette  revue  nous  devons  nous  borner  à  relever  les  lé- 
gendes ou  les  allusions,  qui,  soit  par  les  noms,  soit  par  les  évé- 
nements, se  rattachent  directement  à  la  forme  du  mythe,  tel  qu'il 
a  vécu,  sinon  tel  qu'il  est  né,  sur  les  côtes  de  la  mer  du  Nord. 

Nous  nous  trouverions  entraînés  trop  loin,  si  nous  voulions 
prendre  en  considération  toutes  les  légendes  qui,  soil  en  Alle- 
magne, soit  ailleurs,  ont  pour  sujet  commun  l'enlèvement  d'une 
jeune  lille  renommée  pour  sa  beauté, par  un  jeune  héros  auquel 
son  père  la  refuse,  ou  qu'il  cherche  à  reconquérir  sur  lui.  Pour 
ne  parler  que  de  l'Allemagne,  c'est  le  sujet  des  poèmes  d'Os/vald, 
d'Ortnù,  d'Orendf'l,  du  Bai  Rallier  et  de  bien  d'autres  encore  (1). 

Ces  légendes  se  rattachent-elles  toutes  à  une  conception  my- 
thologique identique?  C'est  affaire  à  la  mythologie  comparée  de 
le  rechercher  lorsque  l'étude  complète  et  détaillée  de  chacune 
d'elles  en  particulier  pourra  être  considérée  comme  définitive. 

\.  Pour  l'ensemble  de  celle  question  on  peut  consulter  :  L.  Klee,  lur 
Hil'lesage  (1873);  A.  Rassmann,  Gudrun  (dans  l'Encyclopédie  d'Ersch  et 
Gruber,  f'^  Section,  Tome  96,  p.  131  sqq.);F.  Neumann,  Iron  und  Apol- 
lonius [P.  G.,  XXXVII,  1-22),  p.  6  sqq.;  L.  Béer,  Zur  Hildensage  (P.B.13, 
XIV,  b22-o72)  ;  les  préfaces  des  éditions  de  la  Gudrun  par  Bartsch, 
Martin  et  Sjmons.  En  particulier  pour  Osivald  :  A.  Berger,  Die  Osivaldle- 
gende  {V.B.B,  XI,  36b-470);  pour  Orendel:  L.  Béer  Ver  Stoff  des  Spiel- 
mannsgedichts  Orendel  (P.B.B.,  XIII,  1-120);  pour  le  Roi  Rother:  la  pré- 
face de  l'édition  de  Rùckert  (Leipzig,  Brockhaus,  1872,  in-8f>)  et  les  élu- 
des de  II.  Bùhrig,  Die  Sage  vom  Konig  Rolher  ((iollingen,  1889,  in-8o)  et 
de  L.  Singer,  Zur  Rolhcr-Sage  (Leipzig,  Fock,  1889,  in-8".) 


—  171  — 

Cette  investigation  sortirait  absolument  du  cadre  que  nous  nous 
sommes  tracé,  puisqu'elle  devrait  embrasser  au  moins  toutes 
les  légendes  analogues  actuellement  connues  chez  les  divers 
peuples  aryens  (1). 

Les  plus  anciens  monuments  de  la  poésie  germanique,  qui 
nous  soient  parvenus,  étant  dus  aux  Anglo-Saxons,  c'est  natu- 
rellement par  eux  qu'il  nous  faut  commencer  notre  examen. 

Nous  avons  cité,  à  propos  d'Horand,  un  passage  de  la  Plainte 
de  Deôr,  qui  atteste  dès  le  ix%  peut-être  même  dès  le  viii*  siècle, 
l'existence  de  la  légende  d'Hilde  parmi  les  Anglo-Saxons.  Il 
semblerait  que  dés  cette  époque  la  légende  n'eût  déjà  plus  la 
simplicité  d'action  et  de  personnages  que  nous  retrouverons 
dans  VEdda  de  Snorri.  La  mention  d'Horand  comme  chanteur 
des  Hjadninge  permet  de  supposer  que,  dès  ce  moment,  il  était 
intimement  associé  aux  deux  héros  principaux  et  qu'il  avait 
déjà  un  rôle  d  ins  leur  légende.  Quel  était-il  ?  Évidemment  un 
rôle  analogue  à  celui  qu'il  remplit  dans  la  Gudrun  et  approprié 
à  sa  renommée  de  chanteur  merveilleux. 

Un  autre  passage  d'un  ouvrage  contemporain  du  précédent, 
sinon  plus  ancien,  donnerait  même  à  croire  que  Wate  était  déjà 
à  cette  époque  entré,  lui  aussi,  dans  la  légende  d'Hilde.  Du  moins 
est-il  étroitement  associé  à  Hr)gni  et  à  Hedhin  dans  ces  deux 
vers  du  Chant  du  Voijagcur,  où  le  poète  énumère  les  différentes 

1.  Et  même  sémitiques,  comme  l'a  fait  avec  succès  M.  L.  Béer  dans 
son  étude  sur  Orendel  citée  plus  haut.  —  Nous  ne  pouvons  cependant 
passer  sous  silence  les  aventures  d'Oswald,  à  cause  des  analogies  frap- 
pantes qu'elles  offrent  avec  les  plus  anciennes  rédactions  de  la  légende 
d'Hilde  :  Pendant  que  le  roi  d'Arone  est  à  la  chasse,  Oswald  enlève  sa 
fille  Spange.  Rejoint  dans  sa  fuite  par  le  roi  qui,  dès  le  retour  de  la 
chasse,  s'était  élancé  à.  sa  poursuite,  il  lui  livre  un  combat  dans  lequel 
tous  les  guerriers  païens  tombent,  à  l'exception  du  roi.  Celui-ci  promet 
alors  de  se  faire  baptiser,  si  Oswald  lui  donne  une  preuve  éclatante  de 
la  puissance  du  Dieu  des  chrétiens.  A  la  prière  d'Oswald,  tous  les  païens 
tombés  dans  la  bataille  ressuscitent  sur-le-champ.  On  le  voit,  à  part 
l'intervention  du  merveilleux  chrétien,  la  situation  est  la  même  que  dans 
la  légende  d'Hilde  :  enlèvement  d'une  jeune  fille  jalousement  gardée 
par  son  père,  poursuite  du  ravisseur,  combat  sur  uue  ilo  déserte,  résur- 
rection des  guerriers  tombés  dans  la  bataille,  rien  n'y  manque.  Il  n'y 
manquerait  même  point,  s'il  ne  tenait  qu'au  roi  d'Arone,  la  reprise  im- 
médiate de  la  lutte.  Car,  oubliant  ses  promesses,  il  est  prêt  à  recom- 
mencer; mais,  dans  les  quelques  instants  de  leur  mort,  ses  soldats  ont 
vu  l'enfer;  ils  refusent  de  le  suivre  et  réclament  le  baptême. 


—  172  — 

contrées  qu'il  a  visitées  et  les  princes  auxquels  elles  sont  sou- 
mises : 

«  Hagen  régnait  sur  les  Holmreiche,  Hetel  sur  les  Glommen, 
»  Witta  régnait  sur  les  Swiifen,  Wate  sur  les  Balsingen  (4).  » 

D'autre  part,  nous  avons  constaté  dans  le  Beovulf  des  traces  qui 
attestent  l'existence  du  culte  d'Hilde  chez  les  Anglo-Saxons  (2)  : 
tels  sont  les  rares  témoignages  qui  nous  restent  de  la  vie  de 
notre  légende  dans  une  de  ses  périodes  les  plus  reculées. 

Moins  anciens,  les  témoignages  nordiques  sont  par  contre 
beaucoup  plus  nombreux  et  beaucoup  plus  explicites.  Nous 
avons  parlé  assez  longuement  plus  haut,  pour  n'avoir  pas  besoin 
d'insister  do  nouveau  ici,  des  récits  de  Snorri,  de  Saxo  et  de 
Gunnlaug.  Il  nous  reste  à  citer  un  passage  de  Y Edda  de  Sae- 
mund,  qui  remonte  certainement  à  une  antiquité  presque  égale 
à  celle  des  textes  anglo-saxons,  et  qui  prouve  à  quel  point  la  lé- 
gende d'Hilde  était  répandue,  car  on  ne  prend  d'ordinaire  pour 
terme  de  comparaison  qu'un  fait  assez  généralement  connu  pour 
que  l'allusion  soit  facilement  saisie. 

Quand  Sigrun  apprend  d'Helgi  la  mort  de  son  père  Hogni  et 
de  son  frère  Tîragi,  elle  fond  en  larmes,  surcpioi  (lelgilui  dit  (3): 

«  Ne  pleure  pas,  Sigrun  :  tu  as  été  Hilde  pour  nous;  les  prin- 
»  ces  ne  peuvent  vaincre  leur  destinée.  » 

Et  Sigrun.  faisant  à  son  tour  une  allusion  bien  évidente  à  la 
légende  d'Hilde,  lui  répond: 

«  Je  désirerais  bien  ressusciter  maintenant  ceux  qui  ne  sont 
»  plus  que  cadavres,  mais  en  même  temps  reposer  entre  tes 
»  bras.  » 

Si  maintenant  nous  rentrons  dans  l'Allemagne  proprement 
dite,  c'est  tout  d'abord  vers  les  pays  rhénans  que  doivent  se 
tourner  nos  regards:  car  c'est  évidemment  là,  comme  tout  nous 
le  prouve,  que  la  légende  a  reçu  ses  premiers  développements. 
Sans  parler  de  nouveau  de  l'allusion  de  Lam43recht,  dont  il  a  été 
question  tout  au  long  dans  un  chapitre  précédent  et  qui  se  rat- 
tache directement  à  la  légende  d'Hilde,  non  plus  que  de  cette  lé- 
gende elle-même,  puisqu'elle  a  reçu  sa  forme  définitive  dans  la 

1.  II.  Léo,  AUmchsische  und  angelsiichsische  Sprachprohen,  p.  77,  v.  9 
sqq. 

2.  Notons  toutefois  que  rexistcuce  du  nom  d'Hilde  au  vii«  siècle 
chez   les  Anglo-Saxons  nous  est  attestée  par  Tbistoire  :  Saintc-IIilde,  ab- 

■besse  d'IIeortea  (Durham),  née  en  617,  fut  baptisée  en  627  selon  les  uns, 
en  631  selon  d'autres. 

3.  Cf.  Edda  Saennmdar  :  Helga  Qvida  Hunding^ibana  onnur,  sir.  27-28. 


—  173  — 

Haute-Allemagne,  nous  rencontrons  aux  bords  du  Uhiii  la  lé- 
gende d'Herbort  et  d'Hildebourg,  arbitrairement  incorporée, 
comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  au  poème  de  BHerolfel  Dkt- 
leib  (1). 

Ce  sont  bien  évidemment  les  mêmes  faits  qui  lui  servent  de 
base;  comme  dans  l'histoire  d'Hilde,  la  jeune  fille  est  enlevée 
par  son  fiancé,  qui  doit  défendre  sa  conquête  contre  le  père,  le 
frère  et  les  parents  de  celle-ci  :  mais  on  a  pu  déjà  voir  quels 
changements  la  légende  avait  subis. 

Le  ravisseur,  au  lieu  de  se  nommer  Hetel,  s'appelle  Herbert  ; 
toutefois,  de  même  qu'Hetel,  il  règne  sur  le  Danemark.  La  jeune 
fille  enlevée,  au  lieu  de  s'appeler  Hilde,  porte  le  nom  de  sa  com- 
pagne dans  notre  poème,  Hildebourg:  le  père  et  le  frère  de  l'hé- 
roïne nous  apparaissent  précisément  avec  les  noms  qu'auront 
dans  l'histoire  de  Gudrun  ses  ravisseurs,  Hartmut  et  Ludwig. 
Cette  circonstance  nous  expliquerait  peut-être  comment  Hilde- 
bourg, Hartmut  et  Ludwig  ont  pénétré  plus  tard  dans  la  Gudrun  : 
si  l'on  songe,  en  effet,  que  notre  poème,  de  même  que  le  Blie- 
rolf  et  D'ietleib,  a  été  remanié  pour  la  dernière  fois  en  Styrie  pu 
dans  une  contrée  voisine,  on  ne  peut,  en  voyant  la  légende 
d'Herbort  et  d'Hildebourg  connue  de  l'auteur  du  Biterolfet  Dlet- 
leib,  s'empêcher  de  penser  que  sans  doute  l'auteur  de  la  Gudrun 
l'a  connue  également  et  a  pu  y  puiser  les  noms  et  les  rôles  des 
ravisseurs  de  Gudrun  (2).  11  y  aurait  eu  une  espèce  de  fusion 
déterminée  par  la  similitude  des  aventures  qui  arrivent  aux 
deux  héroïnes  et  les  héros  de  la  légende  la  moins  importante  se 
seraient  vus  répartir  à  titres  divers  dans  celle  de  Gudrun.  Ceci 
ferait  comprendre  surtout  le  rôle  effacé  que  joue  Hildebourg. 
Son  père  et  son  frère  devenant  les  ravisseurs  de  l'héroïne  ont 
une  place  prépondérante  dans  l'action;  elle  seule  se  trouve  dé- 
possédée par  Gudrun  et  réduite  au  rôle  de  compagne  et  de  confi- 
dente de  celle-ci  (3). 


\.  Nous  ea  avons  donné  la  traduction  au  chapitre  III  du  Hvre  I:  nous 
ne  croyons  donc  pas  devoir  la  reproduire  ici. 

2.  Le  poème  de  Biterolfet  Dletleib  a  été  composé  en  Slyrie  dans  la 
première  moitié  du  xiii"  siècle  d'après  d'anciennes  légendes  originaires 
pour  la  plupart  des  bords  du  Rhin  inférieur.  —  R.  von  Muth  (H.  Z.,  XXI, 
188)  lui  assigne  pour  patrie  la  cour  de  Vienne  et  pour  date  M92-1200. 

3.  Celte  hypothèse  expliquerait  en  outre  l'apparition  dans  notre 
poème  du  personnage  d'Ortrun  et  tendrait  à  confirmer  la  conjecture 
émise  par  M.  Rœdiger  (II.  Z.,  31,  282-287),  d'après  laquelle  Hildebourg- 


—  474  — 

En  remontant  plus  au  nord,  nous  trouvons,  à  la  même  époque 
à  peu  près,  une  autre  rédaction  qui  ofTre  les  plus  grandes  analo- 
gies avec  la  précédente,  et  qui,  beaucoup  plus  détaillée  qu'elle, 
semble  se  rapporter  très  exactement  à  une  même  forme  de  la  lé- 
gende ;  c'est  celle  que  contient  la  T/udrekssaga  ou  W'dkinasaga  : 

«  Le  roi  Dietrich  de  Berne  avait  jus(ju'alors  refusé  de  se  ma- 
rier, parce  qu'il  ne  trouvait  aucune  jeune  fille  digne  de  lui.  Mais, 
ayant  un  jour  entendu  vanter  la  beauté  merveilleuse  d'Hilde, 
lille  d'Artus,  roi  de  Bretagne,  il  envoie  quel([ues-uns  de  ses  vas- 
saux en  Bretagne  avec  mission  de  chercher  à  voir  Hilde  et  de 
lui  dire  si  elle  est  vraiment  aussi  belle  que  le  prétend  la  renom- 
mée. 

»  Ceux-ci  ne  tardent  pas  à  revenir  :  ils  n'ont  pu  apercevoir  la 
jeune  fille,  tant  son  père  la  tient  sous  une  garde  sévère  ;  mais  de 
toutes  parts  il  n'est  bruit  que  de  ses  charmes  et  les  dames  de  la 
cour  de  Bretagne  elles-mêmes  la  proclament  la  plus  ravissante 
de  toutes  les  créatures. 

«  Dietrich  n'hésite  plus  et  charge  son  neveu  Herbort,  fils  de 
sa  sœur  Isolde,  d'aller  en  son  nom  demander  la  main  de  la  jeune 
fill^.  Herbort  arrive  à  la  cour  d'Artus  avec  une  suite  de  vingt- 
quatre  chevaliers  et  présente  la  demande  de  Dietrich.  Artus  s'é- 
tonne que  Dietrich  n'ait  pas  fait  cette  démarche  lui-même  ;  tou- 
tefois, en  apprenant  qu'llerbort  est  le  neveu  de  Dietrich,  il 
n'insiste  pas  :  il  se  contente  de  lui  faire  observer  que  lui  non 
plus  ne  pourra  voir  Hilde,  si  ce  n'est  à  un  certain  jour  de  l'an- 
née, au  moment  où  elle  se  rend  à  l'église. 

»  Herbort  reste  donc  à  la  cour  d'Artus,  bien  décidé  à  attendre 
ce  jour  désiré  :  cependant  il  gagne  si  bien  la  faveur  d'Artus^,  que 
le  roi  le  prend  pour  échanson.  Un  jour  enfin,  à  l'occasion  d'une 
grande  cérémonie,  Hilde  strictement  voilée  et  suivie  d'une  nom- 
breuse escorte  se  rend  à  l'église  :  jugeant  l'occasion  bonne  pour 
la  voir,  Herbort  s'y  rend  aussi.  Mais  Hilde  était  tout  entière  à 
l'office,  ses  yeux  ne  quittaient  pas  son  livre  :  comment  faire  pour 
attirer  son  attention  au  milieu  d'une  telle  foule?  Heureusement 
Herbort  possédait  deux  souris  apprivoisées,  l'une  de  couleur 
d'or,  l'autre  de  couleur  d'argent  ;  il  lâche  la  première  qui,  trot- 
tant le  long  des  lambris,  passe  tout  près  de  la  jeune  fille  et  ne 
tarde  pas  à  revenir  près  de  son  maître.  Effrayée  à  la  vue  de 
l'animal,  Hilde  fait  un  brusque  mouvement  qui  écarte  son  voile 

Ortrun  n'aurait  été   à  l'origine  qu'un  seul  et  même  personnage,  qui  se 
serait  dédoublé  par  la  suite. 


—  175  — 

et  Herhort  peut  enfin  contempler  ses  traits.  Il  lâche  alors  sa  se- 
conde souris,  qui  suit  le  môme  chemin  que  la  première.  Moins 
elfrayée,  mais  cette  fois  très  intriguée  par  cette  nouvelle  appari- 
tion, Hilde  la  suit  des  yeux,  et,  comme  la  souris  revient  vers  son 
maître,  elle  aperçoit  le  mâle  visage  du  héros^,  qui  produit  de  suite 
sur  elle  une  profonde  impression.  Elle  lui  fait  demander  son 
nom  et  sa  condition.  Il  répond  à  l'envoyé  qu'il  se  nomme  Her- 
bert, mais  que  sa  condition,  il  ne  peut  la  dévoiler  qu'à  elle  seule. 
De  plus  en  plus  intriguée,  Hilde  s'arrange  pour  avoir,  au  sortir 
de  l'office,  un  court  entretien  avec  Herbert  derrière  la  porte  de 
l'église.  A  la  fin  du  festin  qui  suit  la  cérémonie  et  dans  lequel 
Herbert  a,  comme  d'habitude,  rempli  avec  une  grâce  parfaite 
ses  fonctions  d'échanson,  Hilde  demande  à  son  père  de  lui  ac- 
corder cet  échanson  d'une  adresse  et  d'une  élégance  sans  égales. 
Le  roi  n'a  naturellement  rien  à  refuser  à  sa  fille;  le  soir  Her- 
bert, faisant  partie  désormais  de  la  suite  d'Hilde,  quitte  le  pa- 
lais d'Artus  pour  accompagner  la  jeune  fille  dans  le  sien.  Le 
voilà  introduit  au  cœur  de  la  place;  il  renvoie  douze  de  ses  che- 
valiers à  Berne,  pour  annoncer  cette  bonne  nouvelle  à  Dietrich  : 
puis  ii  expose  à  Hilde  le  véritable  but  de  son  voyage.  Elle  lui 
ordonne  de  lui  dessiner  sur  un  panneau  la  ligure  de  Dietrich  : 
Herbert  obéit,  mais  il  le  représente  sous  des  traits  si  hideux, 
que  la  jeune  fille  effrayée  déclare  qu'elle  ne  veut  plus  en  enten- 
dre parler.  Puis  elle  demande  au  héros  pourquoi,  au  lieu  de  se 
charger  du  message  de  Dietrich,  il  ne  demande  passa  main  pour 
lui-même.  Herbert  qui,  bien  qu'issu  d'une  race  royale,  ne  porte 
pas  la  couronne,  répond  :  que  jamais  sa  pensée  ne  se  serait  éle- 
vée jusqu'à  un  rêve  si  audacieux;  mais,  si  Hilde  ne  le  dédaigne 
pas,  ses  vœux  les  plus  chers  seraient  réalisés.  Ainsi  convaincus 
de  leur  amour  mutuel,  ils  s'unissent  par  un  serment  solennel. 
Herbort  continue  encore  pendant  quelque  temjDS  à  remplir  ses 
fonctions  d'échanson,  puis  un  beau  jour  on  apprend  tout  à  coup 
qu'Hilde  s'est  enfuie  avec  lui.  A  cette  nouvelle,  Artus  lance  sur 
les  traces  des  fugitifs  Hermann  et  trente  chevaliers,  avec  ordre 
de  ne  pas  revenir  sans  lui  rapporter  la  tête  du  ravisseur.  Ils  l'at- 
teignent en  effet  à  l'entrée  d'un  bois  situé  non  loin  de  la  ville, 
mais  c'est  pour  leur  malheur.  Hermann  tombe  au  premier  choc 
avec  Herbort,  douze  chevaliers  et  quatorze  écuyers  éprouvent 
successivement  le  môme  sort  ;  les  autres  s'enfuient.  Dans  la 
lutte,  Herbort  avait  reçu  onze  blessures,  qu'Hilde  s'empresse  de 
panser.  Puis  ils  se  rendirent  chez  un  roi,  à  la  cour  duquel  Her- 
bort devint  duc.  La  Saga  s'arrête  subitement  ici,  en  faisant  re- 


—  476  — 

marquer  qu'il  y  aurait  encore  beaucoup  d'autres  exploits  d'Her- 
bort  à  raconter  (1).  » 

Bien  que  la  fin  des  aventures  d'Herbort  et  d'Hilde  soit  tron- 
quée, ce  récit  offre  évidemment  la  plus  grande  analogie  avec 
celui  du  Diterolf  p.t  Dictleib.  11  est  à  peine  nécessaire  de  faire  re- 
marquer que  la  légende  a  été  arbitrairement  mêlée  au  cycle 
d'Artus  et  qu'au  lieu  d'Artus  et  de  sa  cour,  c'est  bien  Ludwig 
et  la  cour  de  Normandie  qu'il  faut  lire,  comme  dans  le  liilerolf 
et  Dietb'ib.  De  môme  Hermann  a  pris  indûment  la  place  d'Hart- 
mut,  fils  de  Ludwig.  A  part  ces  quelques  points  de  détail,  le 
récit  de  la  Willdna  Saga  est  plus  complet  que  celui  du  Biterolf 
et  Dieileib  ;  en  certains  endroits  il  motive  même  des  faits  qui, 
au  premier  abord,  pouvaient  ])araître  étranges  dans  ce  dernier. 
Telle  est  par  exemple  l'agression  de  Dietrich  et  d'Hildebrand, 
lorsqu'Herbort  et  Hilde  arrivent  aux  bords  du  Rhin.  Sans  au- 
cun prétexte  dans  le  Biterolf,  elle  s'explique  tout  naturellement, 
lorsqu'on  sait  par  la  V/il/àna  Saga  de  quelle  tromperie  Herbort 
s'est  rendu  coupable  envers  son  oncle. 

Quant  à  la  ruse  employée  par  Herbort  pour  attirer  l'attention 
d'Hilde,  inutile  d'ajouter  qu'elle  est  complètement  étrangère  à 
la  forme  primitive  de  la  légende.  C'est  une  de  ces  subtilités 
auxquelles  se  plaisaient  les  jongleurs  de  l'époque,  toujours 
en  quête  de  moyens  propres  à  amuser  la  foule.  Par  son  étran- 
geté  elle  rappelle  le  procédé  non  moins  singulier  employé  par 
Morolf  dans  le  poénie  de  Salomon  et  Morolf  pour  mettre  en 
défaut  le  chat  savant  qui  tient  une  chandelle  pour  éclairer  le 
roi  Salomon.  Peut-être  même  ce  dernier  trait  a-t-il  été  la 
source  du  précédent,  car  de  part  et  d'autre,  une  souris  en  fait 
les  frais.  En  tout  cas  tous  deux  appartiennent  à  cette  même 
classe  d'effets  d'une  nature  triviale  et  souvent  bouffonne  aux- 
quels étaient  réduits  les  auteurs  d'une  époque  de  décadence, 
quand  l'imagination  ou  la  mémoire  leur  faisait  défaut.  Car 
la  présence  même  de  ce  moyen  de  séduction  prouve  que 
déjà  la  légende  d'Herbort  et  d'Hilde  n'avait  plus  la  sim- 
plicité du  récit  de  Snorri  :  là  en  effet  c'est  uniquement  le  renom 
de  bravoure,  dont  jouit  Hedhin,  qui  enflamme  l'amour  d'Hilde  : 
au  contraire,  dans  les  rédactions  postérieures, le  héros  a  recours 
à  des  ruses  et  cherche  à  frapper  d'une  façon  plus  matérielle 
l'esprit  de  celle  qu'il  désire  soit  pour  lui,  soit  pour  son  maître 
et  seigneur.   C'est  par  la  musique  qu'Horand  captive  la  fille 

{.  'Wilhina  Saga,  éd.  p.  J.  PeriogsUjôld,  chap.  210-218. 


—  177  — 

d'IIageu  dans  la  (îudrun  ;  c'est  np[)fireniinent  aussi  par  la  musi- 
que qu'Herbert  réussit  primitivement  à  fixer  sur  lui  l'attenlion 
d'Hilde.  C'est  ainsi  en  effet  que,  dans  la  lé^^ende  polonaise  de 
Walgerzs  et  Helgunda,  la  jeune  fille  devient  amoureuse  de 
Walgerzs  sans  jamais  l'avoir  vu  et  uniquement  pour  l'avoir 
entendu  pendant  trois  nuits  consécutives  chanter  du  haut  de  la 
tour  où  il  est  retenu  prisonnier  (1). 

Comment  cette  forme  de  la  légende  s'est-elle  ainsi  trans- 
portée, en  gardant  des  traits  si  importants,  jusqu'en  Pologne, 
où  on  la  trouve  au  xiii''  siècle  ?  c'est  ce  qu'il  est  difficile  dédire. 
Le  problème  devient  encore  plus  embarrassant,  lorsquon  la 
compare  à  une  autre  rédaction  dont  il  nous  reste  à  parler,  celle 
du  Walthariits,  avec  laquelle  elle  offre  de  grandes  ressemblances 
tant  au  point  de  vue  des  noms  que  des  événements  (2). 

Composé  à  la  fin  du  x''  siècle  par  Eckehard  I  de  Saint-Gall, 
ce  poème  contient  les  aventures  de  AYalther  d'Aquitaine  et  de 
sa  fiancée  Hildegonde.  Épris  d'un  amour  réciproque,  ils  s'en- 
fuient, en  emportant  de  grands  trésors,  de  la  cour  d'Attila,  où 
ils  étaient  retenus  comme  otages.  Après  avoir  victorieusement 
repoussé  les  attaques  des  chevaliers  envoyés  par  Attila  à  sa 
poursuite,  Walther  arrive  au  Rhin  avec  Hildegonde,  le  traverse 
et  pénètre  dans  les  Vosges,  où  il  est  attaqué  par  Hagano  etdun- 
thari,  aidés  d'une  troupe  nombreuse.  A  la  suite  d'un  combat 
qui  dure  deux  jours  et  dans  lequel  la  plupart  des  chevaliers  ve- 
nus sous  la  conduite  d'Hagano  et  de  Gunthari  succombent, 
Walther  et  ces  deux  derniers  se  réconcilient,  concluent  une 
alHance  et  se  séparent,  pour  retourner  Hagano  et  Gunthari  à 
Worms,  AValther  avec  Hildegonde  en  Aquitaine  (3). 

La  situation  dans  laquelle  la  légende  polonaise  place  \Yal- 
gerzs  et  Helgunda  et  les  péripéties  de  leur  fuite  sont  à  peu  près 
les  mêmes  que  dans  le  Waliharlua  ;  seulement,  conséquence 
assez  naturelle  de  l'émigration  de  la  légende,  la  fuite  n'a  plus 
lieu  de  l'est  vers  l'ouest.  C'est  à  la  cour  du  roi  de  France  que 
Walgerzs  devient  amoureux  de  la  belle  Helgunda,  fille  de  celui- 

i .  Lateinische  Gedichte  des  X.  und  XI.  Jahrhunderts,  éd.  p.  J.  Grimni 
et  Schmeller,  p.  H2  et  384. 

2.  Sur  celle  question  encore  très  obscure  et  fort  controversée,  cf.  les 
comptes  rendus  de  l'ouvrage  de  Knoop  [Die  deutsche  Walthersage  und  die 
polnische  Sage  von  Walther  und  Helgiinde,  Posen,  1887,in-8o)  par  E.  Mogk 
(L.  B.,  1888,  p.  113)  et  par  J.von  Anloniewicz  {H.  Z.,  Ans.,  XIV,  241-247). 

3.  Cf.  Waltharius  dans  les  La<ei?iisc/ie  Gedtc/i<e  citées  plus  haut,  p.  3-126. 
Fkgamp,  GudruH.  12 


—  178  — 

ci;  c'est  vers  la  Pologne  qu'il  s'enfuit  avec  elle  au  milieu  des 
mêmes  luttes  et  des  mêmes  victoires. 

Gomme  on  le  voit,  ces  deux  récits,  dont  on  ne  peut  mécon- 
naître l'analogie,  s'éloignent  plus  que  tous  les  autres  des  don- 
nées primitives  de  la  légende  :  seul  le  nom  de  l'héroïne  rappelle 
encore  celui  d'Hilde  et  il  est  avec  celui  d'IIagano  l'unique  lien 
qui  rattache  les  personnages  à  ceux  que  nous  connaissons  déjà. 
Nous  avons  cru  néanmoins  devoir  les  signaler  pour  marquer 
les  limites  extrêmes  entre  lesquelles  s'est  développée  et  trans- 
formée la  légende  dontSnorri  nous  offre  toujours  la  reproduc- 
tion la  plus  simple.  Le  Walthnr'nts  présente  de  plus  cet  intérêt 
qu'il  nous  montre  cette  branche  de  la  légende  d'Hilde  allant, 
par  une  singulière  destinée,  se  perdre  dans  le  cycle  des  Nibelun- 
(jen,  auquel  toutes  les  autres  sont  toujours  restées  étrangères. 

Mais  ce  mélange  des  deux  cycles  qu'aucune  rédaction  écrite, 
excepté  le  Waltharius,  n'a  opéré,  et  qui  même  dans  ce  dernier 
poème  se  borne  aux  noms  de  quelques  héros  secondaires,  la 
tradition  orale  l'a  accompli  dans  une  ballade  qui  se  chantait 
encore  sur  une  des  îles  Shetland  à  la  fin  du  siècle  dernier. 

En  1774  le  voyageur  écossais  Low  recueillit  la  ballade  sui- 
vante dans  l'île  de  Fula,  une  des  Shetland,  de  la  bouche  d'un 
vieux  pêcheur  Scandinave:  la  langue  s'en  ra])procho  de  l'ancien 
nordique,  la  persistance  d'un  dialecte  nordique  dans  l'île  de 
Fula  s'expliquant  suffisamment  par  sa  situation  écartée  et  assez 
éloignée  du  groupe  des  Shetland  proprement  dites  : 

«  Hiluge,  personnage  important  à  la  cour  de  Norwêge,  bri- 
gua la  main  de  la  fille  du  roi,  Hildina;  mais,  bien  que  le  père 
lui  fût  favorable,  il  fut  éconduit.  Un  jour  que  le  roi  et  Hiluge 
étaient  bien  loin  en  expédition  guerrière,  le  Jarl  des  Orkneys 
(Orcades)  aborda  en  Norwège,  parvint  jusqu'à  Hildina,  tomba 
amoureux  d'elle  et  elle  de  lui  :  bref,  d'un  commun  accord,  ils 
s'enfuirent  vers  les  Orcades.  Mais  ils  furent  bientôt  rejoints  par 
le  père  courroucé  et  par  Hiluge,  qui,  au  retour  de  leur  expé- 
dition, avaient  de  suite  mis  à  la  voile  avec  une  nombreuse 
armée  pour  venger  ce  rapt.  Hildina  persuada  au  Jarl  d'aller 
sans  armes  à  la  rencontre  du  roi  et  d'implorer  sa  grâce.  Celui-ci 
se  laissa  convaincre,  pardonna  et  accorda  même  son  approbation 
à  leur  union.  Mais,  à  peine  le  Jarl  s'était-il  éloigné  pour  porter 
à  Hildina  cette  bonne  nouvelle,  qu'Hiluge,  faisant  ressortir 
dans  les  termes  les  plus  acerbes  l'audace  du  Jarl,  excita  de 
nouveau  la  colère  du  roi  et  l'amena  à  retirer  toutes  ses  conces- 
sions. Il  en  résulta  entre  Hiluge  et  le  Jarl  un  duel,  dans  lequel 


—  179  — 

celui-ci  tomba.  Hiluge  jeta  sa  tête  aux  pieds  d'Hildina,  en  l'ac- 
cablant des  injures  les  plus  cruelles  et  celle-ci,  en  lui  répondant 
dans  les  mêmes  termes,  jura  dans  son  cœur  de  se  venger.  Il 
lui  fallut  donc  suivre  Hiluge  et  son  père  en  Norwège,  où  le 
premier,  dès  l'arrivée,  renouvela  ses  sollicitations.  Longtemps 
elle  lui  refusa  sa  main  :  mais,  devant  les  instances  de  son 
père,  elle  finit  par  céder  à  la  condition  que,  le  jour  des  no- 
ces, elle-même  verserait  le  vin  dans  les  coupes.  Cette  faveur 
lui  fut  facilement  accordée.  Lors  donc  que  les  convives  fu- 
rent assemblés  et  eurent  pris  place  à  table,  Hildina  leur  versa 
du  vin  mêlé  au  jus  d'herbes  soporifiques  et  bientôt  tous  furent 
plongés  dans  le  plus  profond  sommeil.  Alors  elle  fit  porter 
son  père  hors  de  la  salle  et  y  mit  le  feu.  Tous  y  furent  brû- 
lés. Hiluge,  qui  s'était  réveillé  au  crépitement  des  flammes, 
demanda  grâce  ;  mais  Hildina  lui  répondit  aussi  durement 
qu'il  avait  fait  lui-même  en  lui  apportant  la  tête  du  Jarl  et  le 
laissa  périr  dans  le  brasier  (i).  » 

Nous  retrouvons  dans  cette  ballade  les  principales  péripé- 
ties de  notre  légende  :  enlèvement  de  la  jeune  fille,  pour- 
suite du  père,  et,  comme  dans  Saxo,  après  une  réconciliation 
passagère^  lutte  acharnée  et  issue  fatale.  Toutefois  un  fait  dif- 
férencie surtout  la  ballade  de  toutes  les  autres  rédactions, 
c'est  l'introduction  d'un  rival,  soutenu  par  le  père  même  de 
la  jeune  fille  et  dont  la  présence  et  les  excitations  motivent 
le  dénouement  que,  dans  les  autres  formes  de  la  légende,  la 
fatalité  seule  provoque.  Enfin  toute  la  seconde  partie  de  la 
ballade  est  étrangère  à  la  légende  des  Hjadninge  et  nous  la 
montre,  comme  nous  le  disions  plus  haut,  opérant  une  fusion 
sans  exemple  entre  le  cycle  des  Hegelingen  et  celui  des  Ni- 
belungen.  La  vengeance  d'Hildina  rappelle  celle  de  Gudhrun 
dans  VEdda  de  Siemund,  poignardant  Atli  et  mettant  le  feu  à 
la  salle  du  festin,  ou  encore  celle  de  Chriemhilde  faisant  in- 
cendier la  salle  où  les  Burgondes  se  défendent  contre  l'attaque 
perfide  des  Huns. 

C'est  au  reste  tout  naturellement  dans  le  nord  que  le  sou- 
venir de  la  légende  d'Hilde  s'est  conservé  le  plus  longtemps 
dans  la  tradition  populaire  :  outre  la  ballade  que  nous  venons 
de  citer,  M.  L.  Klee  a  appelé  l'attention  sur  un  chant  encore 
populaire  aujourd'hui  dans  le  vrai  sens  du  mot  en  Danemark, 

1.  Sitzungsberichte  der  Mùnchener  Akademie  der  Wissenschaften^  iSQl 
II,    206. 


—  180  — 

en  Suède  et  en  Noinvôgo  :  c'est  la  chanson  iVHil/f/jrand  et 
cVIfilla,  dont  voici  le  résumé  d'après  M.  Klee  :  «  Plilla  est  as- 
sise dans  la  chambre  et  pleure.  Ce  fait  est  rapporté  à  la  reine 
et,  lorsqu'elle  questionne  Hilla  sur  la  cause  de  ses  larmes, 
celle-ci  lui  fait  le  récit  suivant:  Elle  est  fille  de  roi  et  elle  a 
eu  une  destinée  heureuse,  jusqu'au  jour  où  elle  s'est  laissé 
enlever  par  le  duc  Hillebrand.  Pendant  leur  fuite,  celui-ci 
exténué  voulut  dormir  un  instant.  Mais  bientôt  Hilla  enten- 
dit le  trot  d'une  troupe  de  cavaliers.  C'était  son  père  avec  ses 
frères.  Plillebrand  conjure  sa  bien-aimée  de  ne  pas  pronon- 
cer son  nom  pendant  la  lutte.  Puis  il  tue  le  père  et  les  frères 
<à  l'exception  du  dernier.  Au  moment  où  il  va  lui  donner  le 
coup  fatal,  Ililla,  s'onbliant,  l'appelle  et  lui  crie  grâce.  Mais  à 
peine  a-t-clle  prononcé  le  nom  d'Hillobrand,  qu'il  tombe  mor- 
lellement  blessé  et  expire.  Le  dernier  frère  prend  donc  Hilla 
avec  lui  et  la  ramène  auprès  de  sa  mère.  En  punition  de  sa 
fuite  on  la  vend  pour  une  cloche  d'église.  Mais  à  peine  la  mère 
infortunée  a-t-elle  entendu  le  premier  tintement  de  la  cloche  que 
son  cœur  se  brise.  Voilà  ce  que  la  petite  IHlla  raconte  à  la  reine, 
et,  aussitôt  qu'elle  a  terminé  ce  récit,  elle  tombe  à  ses  pieds  et 
rend  le  dernier  soupir  (d)  ». 

Nous  terminerons  ici  cette  revue  des  transformations  diver- 
ses subies  par  notre  légende.  Gomme  on  a  pu  le  remarquer,  tan- 
dis que  sa  rédaction  la  plus  importante,  celle  qui  devait  servir 
de  base  au  poème  de  Gudrun,  disparaît  avec  celui-ci  de  la  litté- 
rature allemande  au  commencement  du  xvi'"  siècle,  pour  ne  re- 
paraître que  dans  les  premières  années  du  xix%  elle  vit  dans  la 
mémoire  du  peuple  Scandinave  d'une  existence  non  interrompue 
sous  la  forme  de  ballade  ou  de  chant  populaire. 

MM.  Bartsch  et  Schrner  ont  même  cru  retrouver  quelques 
traces  isolées  de  sa  persistance,  également  à  l'état  do  chant  ou 
de  conte,  dans  certaines  régions  de  l'Allemagne;  mais  les  témoi- 
gnages recueillis  par  eux  sont  trop  incomplets,  trop  vagues  et 
trop  peu  convaincants  pour  que  nous  nous  y  arrêtions  plus 
longtemps.  Sans  élever  le  moindre  doute  sur  la  parfaite  authen- 
ticité de  leur  découverte  et  sur  la  probabilité  d'une  certaine 
corrélation  entre  la  légende  d'Hilde  et  les  documents  publiés 
par  eux,  nous  nous  contenterons  de  renvoyer  les  lecteurs  aux 

\.  L.  Klee,  Zur  Ihldesage,  p.  40- 'f2.  —  Remarquer  ce  trait  de  simiH- 
lude  avec  le  Waltharius  :  c'est  quand  Hillebrand  exténué  s'est  laissé 
aller  au  sommeil  qu'Hilla  entend  le  Irol  des  coursiers  et  l'éveille. 


—  184  — 

articles  que  MM.  Bartscli  et  Schrr)er  ont  publiés  à  ce  sujet  dans 
la  Germania  (1). 

En  résumé,  les  diverses  légendes  que  nous  venons  de  passer 
en  revue  peuvent  se  répartir  en  deux  groupes  ;  l'un,  qui  se 
rattache  plus  particulièrement  à  la  tradition  nordique,  a,  par  un 
singulier  caprice  du  hasard,  trouvé  son  expression  la  plus  com- 
plète dans  la  seconde  partie  du  poème  de  Gudrun  et  vit  encore 
actuellement  dans  la  mémoire  des  peuples  de  la  Scandinavie  à 
l'état  de  ballade  et  de  chant  :  l'autre,  qui  paraît  en  relation  plus 
directe  avec  l'Allemagne  proprement  dite,  ne  nous  a  été  trans- 
mis dans  aucune  œuvre  de  longue  haleine,  il  ne  nous  a  été  con- 
servé que  par  les  courts  résumés  des  légendes  d'Hilde,  Hilde- 
bourg  ou  Hildegonde  dans  le  Bilerolf,  dans  la  Thidrekssaga  (2) 
et  dans  le  Waltharlus.  Si  ce  dernier  groupe  n'a  pas  laissé  de 
trace  vivante  bien  déterminée^  il  semble  qu'il  ait  été  mis  à  con- 
tribution par  le  poète  de  la  Gudrun,  qui,  tout  en  suivant  pour  sa 
seconde  partie  la  tradition  venue  plus  ou  moins  directement  du 
nord,  parait  lui  avoir  fait  de  nombreux  emprunts  pour  sa 
troisième  partie,  surtout  en  ce  qui  concerne  les  données  géogra- 
phiques et  les  noms  des  personnages. 

Car,  si  l'on  embrasse  d'un  seul  coup  d'œil  toutes  ces  légendes 
et  toutes  les  allusions  plus  ou  moins  complètes  qui  s'y  rappor- 
tent, on  arrive,  en  puisant  tantôt  dans  l'une  tantôt  dans  l'autre, 
à  reconstituer  la  liste  complète  des  personnages  qui  jouent  un 
rôle  actif  dans  la  Gudrun  :  Hagen,  Hilde,  Hetel,  Herwig,  Hilde- 
bourg,  Hartmut,  Horand,  Ludwig,  Ortwin  (Wolfwin),  Frute, 
Wate.  Seule  l'héroïne  même  du  poème,  Gudrun,  fait  défaut  ; 
et  tous  à  l'exception  des  quatre  derniers  forment  allitération. 

N'avions-nous  pas ,  d'après  cela ,  raison  de  supposer  que 
Gudrun  ayant  fourni  le  fondement  historique  d'une  légende 
analogue  à  celle  d'Hilde,  a  peu  à  peu  absorbé,  soit  avant,  soit 
après  sa  réunion  avec  cette  dernière,  mahit  trait,  mainte  aven- 
ture, maint  héros  d'autres  légendes  roulant  sur  le  même  sujet 
et  qui,  moins  fortunées,  n'ont  pas  trouvé  un  poète  pour  les  fixer 
définitivement  avec  la  même  ampleur? 

I.P.  G.,  XII,  2-20-22i;  XIV,  323-336,  XVII.,  208-2M,  425-427.  Cf. 
Blatter  fur  literarische  Unterhallung,  1867,  no  39;  Leipziger  Zeitung, 
1867,  no  52  (Supplément). 

2.  Qui,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  a  été,  comme  son  auteur  nous  en  aver- 
tit formellement,  composée  d'après  les  récils  de  chanteurs  saxons. 


LIVRE  III. 


ETUDE  SUR  LA  FORMATION  ET  LA  TRANSMISSION 
DU  POÈME. 


CHAPITRE  I. 


LA    GEOGRAriUE    DU    POEME. 


On  conçoit  facilement  qu'il  ne  peut  être  question  ici  d'une 
étude  systématique  et  complète  de  tous  les  noms  géographiques, 
qui  apparaissent,  soit  dans  notre  poème, soit  dans  les  diverses  lé- 
gendes dont  ila  été  formé. Toutd'abord, celle  qui  lui  sert  de  base 
offre  naturellement,  et  par  cela  même  que  c'est  une  légende,  des 
données  essentiellement  variables  suivant  la  peuplade  chez  la- 
quelle s'est  localisée  telle  ou  telle  de  ses  formes.  C'est  ainsi,  pour 
ne  citer  qu'un  exemple,  que  le  théâtre  même  de  la  lutte  entre  les 
deux  héros  change, comme  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer,  sui- 
vant les  différentes  versions  que  l'on  consulte.  Dans  le  récit  de 
VEdda,où.  le  combat  a  encore  lieu  entre  les  dieux,  Heimdallr  et 
Loki  en  viennent  aux  mains  sur  une  île  élevée  située  au  milieu  de  la 
mer  (telle  est  la  vaguo  désignation  fournie  par  le  chant  eddique). 
Dans  Snorri,  le  combat  des  Hjadninge  s'est  déjà  localisé  d'une 
façon  plus  précise  et  s'engage  sur  l'île  de  Haey,  dans  laquelle 
on  veut  retrouver  l'île  de  Hoy,  une  des  Orcades.  Saxo  indique 
comme  emplacement  du  champ  de  bataille  Hithinsô  ou  Hedin- 
sey,  aujourd'hui  Hiddensee,  à  l'ouest  de  Rûgen.  D'après  la  Sôr- 
lalhatlr,  Hôgni  atteint  Hedhin  en  vue  de  l'île  de  Hâ  (ce  qui 
semble  se  rapprocher  du  nom  donné  par  Snorri).  Dans  la  Bal- 
lade Shetlandaise,  la  lutte  s'engage  sur  l'une  des  Orcades,  et 
enfin,  dans  la  Gudrun,  la  rencontre  entre  le  ravisseur  et  le  père 
de  la  jeune  fille  a  lieu  soit  à  Wâleis,  soit  sur  le  Wiilpensand. 

Ce  simple  aperçu  montre  déjà  qu'en  prenant  la  légende  même 
sous  sa  forme  la  plus  simple,  on  ne  peut  arriver  à  aucune  con- 
clusion uniforme  et  bien  définie.  Mais  il  y  a  plus  :  dans  la  Gu- 
drun nous  avons  affaire  à  une  œuvre  d'art  souvent  remaniée, 
modifiée  et  surtout  amplifiée,  à   un  poème   dans  lequel,  sans 


—  184  — 

compter  les  caprices  do  l'auteur  et  de  ses  successeurs,  maintes 
nécessités  ont  amené  les  changements  les  plus  divers,  maint 
emprunt  à  des  poèmes  en  vogue  a  introduit  arbitrairement  des 
noms  géographiques  sans  signification  précise. 

Tout  ce  que  l'on  peut  donc  raisonnablement  espérer  d'une 
étudesurce  terrain,  c'est  de  déterminer  en  général  l'horizon  as- 
signé par  le  poète  à  l'action  qu'il  retrace,  do  voir  sous  quelles 
influences  il  a  pu  le  choisir,  l'étendre,  le  déplacer,  trop  souvent 
aussi  en  fausser  les  données^  et  d'arriver  par  là  à  reconnaître  le 
cliemin  qu'a  suivi  la  légende  dans  sa  propagation  en  Allemagne, 

Nous  avons  déjà  eu  occasion  plus  haut,  à  propos  des  aventu- 
res d'Ilagen,  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  indications  géogra- 
phiques que  contient  la  première  partie  du  poème  :  nous  n'avons 
donc  i)lus  à  y  revenir  et  nous  ne  considérons  ici  que  les  royau- 
mes d'Hetel,  d'Herwig,  de  Siegfried  et  de  Ludwig,  entre  lesquels 
se  passent  successivement  les  luttes  qui  font  l'objet  des  deux 
dernières  parties  du  poème. 

A.  LE   U(3YAUME    d'hETEL. 

Hetel  règne  sur  si'pt  pays  (1)  :  Hegelingonland,  le  Danemark, 
la  Marche  de  Stiirmen,  le  Holstein,  les  Frisons  (Frisons  mariii- 
mes  du  Schleswig),  Nitland  (avec  les  Frisons  de  la  terre  ferme, 
situés  dans  le  Wàleis  et  Dietmers  au  bord  de  l'Elbe),  enfin  Ort- 
land  ou  Nortland  (2).  Seul  le  pays  d'Hegelingen  est  sous  sa  do- 
mination immédiate  (3)  :  Ortland,  qui  lui  obéissait  aussi,  passe 
sous  celle  d'Ortwin,  lorsque  ce  dernier  est  arrivé  à  l'âge  d'homme; 
tous  les  autres  sont  donnés  en  fiefs  à  ses  vassaux  :  Horand,  Wate, 
Frute,  Irolt  et  Morung. 

Le  mot  d'Hegelingen  ne  correspond  à  aucune  dénomination 
géographique  :  c'est  un  nom  patronymique  ;  seulement  il  a  été 
corrompu  par  la  tradition  qui  ne  le  comprenait  plus.  Sa  forme 

1.  Str.  550.  Nous  avous  déjà  signal»'  l'affeclion  du  poète  pour  ce 
nombre  sept:  (ière  (str.  2^)  était  roi  de  sept  pays;  Siegfried  (str.  580) 
règne  sur  sept  contrées.  Faut-il  y  voir,  comme  le  propose  M.  Schruder 
[Corpus  juris  germanici  poelicwn  [1869],  p.  257)  une  allusion  aux  sept 
princes  électeurs  ?  En  tout  cas  la  même  expression  se  retrouve  cinq  ou 
six  fois  dans  le  Bitcrolf  (cï.  Kadnin,  éd.  p.  K.  Mùllenhoff,  p.  7)  et  c'est 
apparemment  là  que  notre  poète  l'a  puisée. 

2.  Cf.  str.  204,208,  465,  469,  884,  938. 

3.  Cf.  str.  207,  432,  523. 


—  485  — 

primitive  devait  être  HeteUngen  dérivé  de  IJelcl  et  correspondant 
à  l'anglo-saxon  Heodeningas,  à  l'ancien  nordique  Hjadningar  et  à 
une  forme  hypotliéti({ue  de  l'ancien  haut  allemand  *  //elaninga, 
plus  tard  *  Hetalinga  (1). 

Hegelingen  est  donc  un  collectif  et  désigne  simplement  l'en- 
semble des  guerriers  qui  reconnaissent  Hetelpour  chef  suprême. 

Sa  capitale  porto  deux  noms  dans  le  poème  :  le  premier  et  le 
seul  authentique  est  celui  de  Matelàne  (2);  il  rappelle  une  loca- 
lité duDas-Rhin  désignée  par  Ptolémée  sous  le  nom  deMediola- 
num  et  que  d'anciennes  chartes  reproduisent  sous  celui  de  McUel- 
lia.  On  croit  la  retrouver  soit  dans  la  petite  ville  de  Metelen  sur 
le  Vecht,  entre  Horstmar  et  Bentheim,  soit  dans  celle  de  Mat- 
linge,  dans  le  pays  d'entre  Meuse  et  Rhin.  La  Table  de  Peutinger 
indique  dans  les  mêmes  régions  une  ville  appelée  Matilone, 
mentionnée  aussi  par  le  Géographe  de  Ravenne.  De  toutes  fa- 
çons, Matelàne  peut  être  considérée  comme  située  dans  le  pays 
des  Frisons,  plus  ou  moins  prés  d'un  bras  de  la  Meuse  ou  du 
Rhin  (3). 

Une  seule  fois  la  capitale  d'Hetel  est  appelée  Campatille  (4), 
et,  si  les  uns  avaient  songé  à  rapprocher  ce  mot  de  Campodu- 
7nm,  d'autres,  et  surtout  M.  Hofmann,  en  avaient  pris  texte 
pour  reporter  tout  le  local  de  la  légende  vers  les  Orcades.  Mais 
M.  Zingerle  a  montré  (5)  que  Gampil,  Campidell,  Kampedell, 
Gampenn,  est  un  nom  de  pays  très  commun  dans  le  Tyrol  et 

1.  Cf.  J.  Grimm,  Allerhand  zur  Gudrun  (1842),  p.  2.  —  Un  fait  digne 
de  remarque  c'est  qu'il  existe  encore  aujourd'hui  en  Hollande  une  com- 
mune du  nom  de  Ileckelingen.  D'autre  part,  à  l'extrême  limite  du 
Littus  Saxonicum,  entre  Calais  et  IJoulogne,  on  trouve  anciennement 
un  endroit  nommé  Iledensberg  et,  à  une  époque  plus  récente,  un  comté 
de  Hedin  (Hesdin,  Ilisdinum). 

2.  Cf.  str.  760,  763,  764,  771,  777,  798,  852,  881  etc.. 

3.  Cf.  J.  Grimm,  loc.  cit  .,  p.  3.  —  M.  Jonckbloet  {Geschiedenis  der 
middennederlandsche  Dichtkunst  [ISbl],  1,  70)  l'identifie  avec  Matters- 
burg  prés  de  Berg-op-Zoom.  D'autre  part  et  au  risque  de  paraître 
heurter  les  lois  de  la  linguistique,  on  ne  peut  s'empêcher  de  remar- 
quer que,  si  à  côté  du  mot  *  lletelingen,  Hegelingen,  on  trouve  en 
Hollande,  comme  nous  l'avons  dit  ci- dessus,  un  village  du  nom  de 
Heckelingen,  le  nom  flamand  de  Malines,  Mechelen,  n'est  pas  sans  quel- 
que analogie  avec  Malelàue  et  offrirait  le  même  changement  de  la  den- 
tale en  gutturale. 

4.  Str.  23o. 

o.  Campatille  {\>^6[),  p.  44. 


—  186  — 

qu'il  faut  voir  flans  la  substitution  accidentelle  de  ce  nom  à  la 
place  de  celui  de  Matelâne  un  caprice  du  copiste  à  qui  nous  de- 
vons le  manuscrit  d'Ambras  ou  celui  sur  lequel  ce  dernier  a  été 
fait  (i). 

Horand  est  le  plus  important  entre  les  vassaux  d'Hetel  :  proche 
parent  de  la  famille  royale,  il  occupe  le  premier  rang  à  la  cour, 
où  il  remplit  les  fonctions  d'échanson.  C'est  à  lui  qu'Hilde 
confie  Ortwin,  (piand  l'expédition  part  pour  la  Normandie  ;  c'est 
lui  qui,  dans  la  même  circonstance  porte  la  bannière  d'Hegelin- 
gen.  Il  règne  sur  le  Danemark  (2). 

A  côté  deluiapparaît  unhéros,  qui  semble  jouer  un  rôle  assez 
incertain  et  eiïacé  dans  la  légende  ;  se  signalant  seulement  par 
sa  largesse  proverbiale  et  par  sa  sagesse  dans  les  conseils,  il 
reste  en  lin  de  compte  dans  une  lumière  assez  douteuse,  c'est 
Frute.  Lui  aussi  est  de  Danemark  (3)  ;  il  faut  donc  qu'il  soit  pa- 
rent d 'Horand,  sans  qu'on  sache  au  juste  à  quel  degré.  Bien 
plus,  la  strophe  263  les  appelle  tous  deux  Seigneurs  de  Danemark, 
de  sorte  (|u'on  ne  peut  point  songer  ici  à  une  de  ces  contradic- 
tions si  communes  dans  les  poèmes  épiques.  Tout  ce  qu'il  est 
permis  de  dire,  c'est  qu'Horand  semble  avoir  la  prééminence 
et  ({ue  Frute,  en  même  temps  qu'il  est  pourvu  en  Danemark 
d'une  dignité  inférieure  à  celle  d'Horand,  parait  seulement  ap- 
pelé à  le  suppléer  en  cas  de  besoin,  dans  ses  divers  offices, 
comme  vassal  du  roi  d'Hegelingen  (4). 

Mais,  bien  que  présenté  comme  étant  de  Danemark,  Frute 
semble  avoir  pour  fief  spécial  le  Holstein  :  car,  dans  l'assaut 
de  la  forteresse  de  Ludwig,  c'est  lui  qui  est  à  la  tête  des  Holz- 
ssessen  (5),  et,  quand  Morung  lui  a  transmis  l'ordre  de  convo- 


1.  Coïncidence  à  tout  le  inoins  digne  do  remarque,  dans  la  vallée  de 
l'Elsch  (Adige),  où  le  manuscrit  qui  contient  la  Gudriin  a  été  écrit  et 
d'où  il  tire  son  nom  de  Heldenbuch  an  der  Etsch,  on  rencontre  un  village 
du  nom  de  Campidell. 

2.  Str.  8i4. 

3.  Str.  ^19,  220,  242. 

4.  Cf.  Str.  H21,  1467,  VôOI,  1556,  1612,  1613.  Ce  fait  est  d'autant 
plus  étrange  que  Frute  est,  comme  on  le  sait,  le  roi  de  Danemark  par 
excellence  dans  toutes  les  légendes  nordiques  ;  il  tendrait  à  prouver 
que  Frute  n'a  été  incorporé  que  très  tard  à  la  légende  d'IIilde  et  alors 
que  déjà  Horand  y  avait  et  son  rùle  et  son  rang  et  son  fief. 

5.  Str.  1415. 


—  187  — 

cation  d'Hilile,  il  était  en  Holtzâne  Lant  (1).  Cette  situation,  du 
reste,  n'offre  aucune  contradiction  avec  son  titre  de  Danois  ;  car, 
à  l'époque  où  écrivait  le  poète,  le  Holstein  était  compté  comme 
compris  dans  le  Danemark  et  l'auteur  lui-même  considère  plus 
d'une  fois  le  Holstein  et  le  Sturmland  comme  parties  intégrantes 
de  ce  pays  (2). 

Le  Sturmland,  ou  Sti'irmen,  ou  pays  des  Stûrmere  (3),  est  le 
fief  de  Wate.  Gomme  l'a  montré  Ettmûller,  il  faut  entendre  par 
là  le  pays  desStormarn,  situé  entre  l'Elbe,  la  Trave,  la  Stor  et 
la  Bille,  voisin  de  Dietmers  par  conséquent.  Le  Chant  du  Voya- 
geur le  fait  régner,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  sur  Halsingas,  ce 
qui  nous  reporte  sensiblement  dans  les  mêmes  parages. 

Les  Frisons,  que  l'histoire  divise  en  effet  à  cette  époque  en 
Frisons  maritimes  et  Frisons  de  la  terre  ferme,  sont  répartis  en- 
tre deux  fiefs.  Irolt  est  le  titulaire  de  l'un  d'eux;  outre  cela,  il 
gouverne  une  partie  du  Holstein  (4);  il  semble  donc  bien  qu'il 
faille  lui  attribuer  les  Frisons  du  Schleswig  et  des  îles  (Frisons 
maritimes).  Les  autres,  entre  le  Rhin  et  le  Weser,  sont  sous  la  do- 
mination de  Morung,  qui  est  en  même  temps  seigneur  de  Nifland 
et  de  Wâleis  (5).  Nifland  rappelle  le  pays  des  Nibelungen,  que 
la  grande  légende  héroïque  place  quelquefois  en  Norwège,  mais 
le  plus  souvent  sur  le  cours  inférieur  du  Rhin.  Quant  à  Wâleis, 
on  y  a  vu  avec  raison  le  pays  du  Waal,  situé  le  long  du  bras  du 
Rhiii  qui  porte  ce  nom.  C'est  là  que  les  émissaires  d'Hetel  abor- 
dent avec  Hilde,  c'est  là  qu'Hetel  vient  la  recevoir  à  l'entrée  de 
son  royaume  et  qu'Hagen  ayant  rejoint  les  ravisseurs  de  sa  fille 
un  combat  s'engage  entre  les  Irlandais  et  les  héros  d'Hegelin- 
gen.  Cette  situation  concorde  évidemment  de  tous  points  avec 
celle  que  nous  avons  adoptée  plus  haut  pour  Matelâne,  qui,  d'a- 
près cela,  se  serait  trouvée  un  peu  plus  à  l'est. 

Reste  enfin  le  pays  d'Ortland  ;  primitivement  il  était  sous  la 
domination  d'Hetel  lui-même.  Mais,  après  la  mort  du  roi,  la 
couronne  d'Hegelingen,  contrairement  à  tous  les  usages  germa- 
niques, reste  sur  la  tête  d'Hilde,  et  Ortland  est  attribué  à  Ort- 
win.  Ce  partage  semble  avoir  été  fait  assez  tardivement  et  sous 

d.  Str.  1089.  La  terminaison  étrangère  de  IloJlzàne  est,  comme  celle 
de  Gassiàne,  Matelâne  et  autres,  due  à  une  influence  française. 

2.  Str.  204  et  4o6. 

3.  Cf.  str.  223,  231,  263. 

4.  Str.  231.  1374. 

5.  Str.  211,  271,  480,  564,  641,  688,  697,  elc... 


—  188  — 

l'influence  du  rôle  important  qu'Hilde  avait  été  peu  à  peu  appe- 
lée à  jouer  dans  le  poème  etqui  nécessitait  jusqu'au  dénouement 
sa  présence  à  la  tête  des  afîaires.  Aussi  en  est-il  résulté  quelque 
indécision  au  sujet  d'Ortland;  certains  passages  l'attribuent 
même  à  Irolt  (4).  Quoi  qu'il  en  soit,  Ortwin  en  paraît  bien  le  vé- 
ritable maître  dans  la  forme  actuelle  du  poème  :  tout  d'abord 
son  nom  forme  allitération  avec  celui  du  pays,  puis  c'est  là  que 
les  messagers  d'Hilde  vont  le  chercher  pour  prendre  part  à  l'ex- 
pédition de  Normandie  (2);  c'est  là  encore  qu'après  la  paix  il 
retourne  avec  sa  jeune  épouse  Ortrun  (3).  Maintenant  où  placer 
Ortland? 

Ce  mot  apparaît  sous  trois  formes  dans  le  poème  :  Ortland, 
Nortland,  Hortland  (4).  On  avait  d'abord  supposé,  non  sans 
quelque  vraisemblance,  que  la  forme  Hortland  avait  pu  être  in- 
troduite par  analogie  avec  le  IJort  si  fameux  dans  la  légende  des 
Nibelungen.  Qu'un  copiste,  connaissant  cette  dernière  légende, 
se  soit  imaginé  faire  une  correction  et  ait  remplacé  Ortland  par 
Hortland,  la  chose  en  elle-même  n'a  rien  d'impossible,  ni  d'in- 
vraisemblable. Toutefois  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  le 
même  phénomène  orthographique  s'est  produit  à  propos  du  nom 
de  la  Normandie,  écrit  successivement  Ormanie,  Ilormanie, 
Normanie,  et  ici  aucune  influence  du  même  genre  ne  peut  être 
invoiiuée.  Il  y  a  donc  lieu  de  considérer  cet  H  comme  inorga- 
nique. Mais,  quelle  que  soit  l'origine  de  la  forme  Hortland,  la 
présence  de  l'H  initial  explique  parfaitement  la  forme  Nortland. 
Rien  de  commun  au  moyen  âge  comme  la  confusion  entre  les 
deux  lettres  majuscules  H  et  N,  nous  la  retrouvons  précisément 
dans  les  mots  Hormanie  et  Normanie,  et  il  était  d'autant  plus 
facile  à  un  copiste  de  changer  Hortland  en  Nortland,  que  la  pre- 
mière forme  ne  disait  sans  doute  rien  à  son  esprit,  tandis  que  la 
seconde  devait  faire  immédiatement  naître  en  lui  l'idée  de  Pays 
du  Aoj'd. 

Ortland  semble  donc  la  forme  primitive,  et,  comme  le  mot  or^ 
signifie  en  moyen  haut  allemand  promontoire,  pointe  de  terre,  ce 

1.  Str.  273,480,  o20,  565,  634. 

2,  Sir.  1096,  1099  sqq. 

3,  Str.  1704.  Iiemarquez  l'allitération  non  seulement  d'Ortland  et  Or- 
twin, mais  encore  d'Orlrun. 

4.  Sans  compter  les  formes,  où  la  terminaison  -land  est  remplacée 
par  -rictie,  ou  par  -marke.  Mais,  pour  un  grand  nombre  de  noms  de 
lieux,  ces  terminaisons  alternent  indifféremment. 


—  189  — 

serait,  selon  M.  K.  Bartsch  (i),  le  Jiitland  qui  serait  désigné  sous 
ce  nom. 

D'après  cela,  le  royaume  d'Hetel  s'étendrait  sur  toute  la  côte 
de  la  mer  du  Nord  depuis  les  bouches  de  l'Escaut,  de  la  Meuse 
et  du  Rhin  jusqu'à  l'extrémité  nord  du  Jùtland. 

B.   LE   ROYAUME    D"HER\VIG. 

C'est  encore  naturellement  aux  embouchures  de  l'Escaut  et  de 
la  Meuse  que  nous  chercherons  le  royaume  d'Plerwig,  le  fiancé 
de  Gudrun.  Il  règne  sur  la  Séolande  et  si,  ce  qui  est  pour  le 
moins  douteux,  bien  que  certains  critiques  l'aient  admis,  il  y  a 
eu  une  époque  où  la  tradition  entendait  par  Séelande  la  contrée 
danoise  du  même  nom,  il  est  bien  évident  que  le  poète  de  la 
Gudrun  n'a  eu  en  vue  que  la  Séelande  hollandaise;  ce  qui  achè- 
verait au  reste  de  le  prouver,  c'est  que  la  str.  641  désigne  Her- 
wig  comme  voisin  de  Wàleis  et  du  lief  de  Morung. 

G.    LE   ROYAUME    DE  LUDWIG  ;    LE   WULPENSAND. 

Bien  que  par  la  Normandie  le  poète  entende,  comme  nous  l'a- 
vons vu,  la  province  française  de  ce  nom,  il  est  hors  de  doute 
que,  dans  la  conception  primitive  de  la  légende,  il  ne  pouvait 
être  question  de  ce  pays,  et  cela  tout  d'abord  par  l'excellente 
raison  qu'à  l'époque  où  les  faits  sont  censés  se  passer  il  n'exis- 
tait pas  encore  de  province  de  ce  nom  en  France  :  les  Normands 
qui  enlevèrent  Gudrun  formaient,  sans  aucun  doute,  un  de  ces 
petits  royaumes  éphémères  fondés  par  eux  à  diverses  époques 
aux  bouches  de  l'Escaut.  Le  nom  de  la  capitale  de  Ludwig,  Gas- 
siâne,  nous  reporte  tout  d'abord  vers  ce  dédale  d'îlots  de  confi- 
guration et  d'aspects  changeants,  qui  s'étendent  de  Dordrecht  à 
Flessingue  et  sur  l'un  desquels  il  existait  en  effet  au  moyen 
âge  une  ville  du  nom  de  Cadsand  ou  Cassand.  Par  une  singulière 
coïncidence  c'est  aussi  dans  ces  parages  que  nous  retrouvons  le 
Wùlpensand  (2).  Une  charte  de  Bruges  de  l'année   1190  (3) 

1.  Kudrun,  p.  3o6.  — .T.  Mone  {Uiitcrsuchungcn,  p.  ol)  voit  dans  Ort- 
land  la  Norwège,  ce  qui  nous  paraît  beaucoup  moins  vraisemblable. 

2.  Les  formes  qui  se  rencontrent  dans  le  poème  sont  Wùlpensand 
€t  Wûlpen-wert  ;  les  variations  observées  dans  les  finales  de  tous  ces 
noms  montrent  qu'on  eut  longtemps  conscience  de  la  valeur  essentiel- 
lement topographique  des  composés  :  Sand  désigne  un  banc  de  sable, 
Wert  le  rivage  d'une  ile. 

3.  Cf.  Warnkunig,   2,  1,  p.  8o  cité  par  J.  Grimai,  loc.  cit.  p.  i  :  cf. 


—  490  — 

nomme  encore  les  Wulpingi,  hommes  de  Wulpia  s'we  de  Cassand. 
Enfin,  dans  ces  contrées  où  tour  à  tour  la  mer  engloutit  et  fait 
apparaître  presque  subitement  des  îles  entières,  il  existe  en- 
core, entre  Wûlpen  et  Walcheren,  une  bouche  de  l'Escaut  qui 
s'est  longtemps  appelée  Hedensee,  dénaturé  plus  tard  en 
Heidensee  et  qui  nous  montrerait  le  nom  d'Heden  (Hetel)  con- 
servé dans  le  voisinage  immédiat  de  celui  de  AViilpen. 

D.   LE  llOYAUME  DE   SlEGP^RIED. 

De  même  que  dans  VàSiirlalhaUr  Hedhin  est  devenu  un  roi  de 
Serkland,  le  pays  des  Sarrasins  ou  rAfri(iiie,  de  même  le  poète 
de  la  Gudrun  a  fait  du  roi  de  Môrlant,  Siegfried,  un  roi  des 
Mores.  Sous  rinflacncc  des  récits  orientaux  que  le  grand  mou- 
vement des  croisades  intro  luisait  alors  en  Allemagne,  où  ils 
conquéraient  sur-le-champ  une  vogue  universelle,  sous  l'in- 
iluence  surtout  des  aventures  du  Duc  Ernest  (d)  qui,  pour  la 
plupart,  se  passent  en  Orient,  les  poètes  furent  pris  d'une  véri- 
table manie  de  mêlera  leurs  récits  ce  pays  des  merveilles;  celui 
de  la  (hidrun  n'a  eu  garde  d'y  manquer  et  les  noms  orientaux 
abondent  dans  son  ouvrage.  Siegfried  régne  sur  Abakîe  et 
Alzabê  (2)  ;  sa  capitale  est  située  dans  ce  dernier  pays  (3);  il 
est  de  couleur  noire  (4)  et  ses  gens  chantent  une  mélodie 
arabe  (5).  Nous  avions  déjà  vu  dans  la  première  partie  un  comte 
de  Garadô  et  de  Salmê;  les  interpolateurs,  comme  il  arrive  le 
plus  souvent,  se  sont  donné  carrière  et  ont  continué  sans  ména- 
gement la  manière  inaugurée  par  le  poète.  Il  est  question  tour 
à  tour  de  pierres  précieuses  d'Abalîe  et  d'Agabî,  de  soie  d'Ara- 
bie et  d'Abakîe,  bref  d'une  foule  de  richesses  toutes  emprun- 
tées à  l'Orient.  Inutile  de  faire  remarquer  que  tous  ces  noms 
plus  ou  moins  bizarres  ne  représentent  aucune  localité  déter- 
minée, qu'ils  n'avaient  aucune   valeur   exacte  dans  l'idée  du 

les  deux  caries  des  côtes  de  Flandre  dans  l'iuonies,  Kudnin,  p.  303-307. 
Remarquer  que  la  proximité  de  Gassiàne  et  du  Wùlpensand,  réalisée 
dans  la  citation  ci-dessus,  s'impose  d'après  les  données  mêmes  du 
poème. 

i.  C'est  évidemment  aux  «  Moren  von  der  verrcn  India  »  du  Duc  Er- 
nest, que  les  Mores  de  la  Gudrun  doivent  leur  origine  orientale. 

2.  Str.  673,  829. 

3.  Str.  S79. 

4.  Str.  583. 

5.  Str.  lo88. 


—  191  — 

poète  ou  de  ses  continuateurs  et  que,  si  tous  ne  sont  pas  pure- 
ment imaginaires,  la  plupart  ont  été  défigurés  comme  à  plai- 
sir, tous  enfin  ont  été  employés  sans  le  moindre  discernement. 
Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  le  mot  de  Garadè,  Garadie, 
Garadine  désigne,  dans  la  première  partie,  le  fief  donné  par 
Hagen  à^Ludwig  (str.  610,  3);  dans  la  troisième  partie  il  est  em- 
ployé comme  synonyme  de  Morland  et  placé  bien  loin,  de  même 
que  le  royaume  de  Siegfried  (str.  731,  3)  et  la  même  attribu- 
tion se  retrouve  dans  la  dernière  partie  du  poème  (str.  1139,  4). 

Quant  au  véritable  royaume  de  Siegfried,  c'est  encore  sur  les 
côtes  de  la  Flandre  qu'il  se  trouvait.  Entre  Boulogne  et  Bruges 
s'étend  une  contrée  autrefois  habitée  par  les  Morins,  bien 
connus  de  César  entre  autres.  De  même  que  les  Holzsaes- 
sen  (habitants  des  bois)  s'appellent  ainsi  à  cause  des  forêts 
qui  couvraient  le  Holstein,  de  même  les  Mœre  ont  tiré  leur 
nom  de  la  nature  marécageuse  de  leur  pays  et  la  contrée  elle- 
même  en  avait  pris  le  nom  de  Moorlant  (pays  des  marais)  (1). 
De  là  à  transformer  les  Mœre  en  Mores,  il  n'y  avait  qu'un  pas 
et  Moorlant  était  phonétiquement  trop  près  de  Morenlant,  pour 
que,  le  goût  du  merveilleux  oriental  et  l'influence  du  Duc  Ernest 
aidant,  il  ne  fût  pas  facilement  franchi. 

Au  reste,  M.  Steenstrup  a  montré  qu'à  cette  époque  (x'=  siècle 
environ)  il  existait  en  elfet  en  Flandre  un  roi  danois  du  nom  de 
Siegfried,  dont  l'histoire  est  racontée  dans  la  Chronique  de  Guines 
et  d'Ardre  du  curé  Lambert  (2).  Son  royaume  n'était,  cela  va 
sans  dire,  qu'une  de  ces  stations  éphémères  analogues  à  celles 
dont  il  a  été  question  ci-dessus  dans  notre  introduction.  Le  fait 
n'en  est  pas  moins  intéressant  à  constater. 

Pour  nous  résumer,  on  voit  que,  sans  faire  aucune  conjecture 
hasardée,  sans  forcer  le  sens  d'aucun  texte,  le  théâtre  tout  entier 
de  l'action  de  la  Gudrun  se  groupe,  comme  de  lui-même,  le  long 
des  côtes  de  la  mer  du  Nord,  depuis  l'embouchure  de  l'Yser  à 
peu  près  jusqu'un  peu  au  Nord  de  celle  de  l'Elbe,  c'est-à-dire 

1.  Le  nom  de  Moorlant  se  retrouve  dans  le  passage  de  Mirseus  cité 
par  J.  Mone  {Untersuchiingen,  p.  46)  et  il  y  est  intimement  uni  à  ceux 
de  Wùlpen  et  de  Cadsant  :  totam  decimam  de  Radenborch,  de  Wulpia  et 
de  Cadsant,  tam  de  Moorlant  quam  de  Wc7'plant.  — ■  Cadsant,  à  cette 
époque,  se  composait  de  deux  parties,  l'une  basse  et  marécageuse,  le 
Moorlant,  l'autre  plus  élevée,  le  Werplant.  Cf.  Miraeus,  II,  972. 

2.  Cf.  J.  Steenstrup,  Danske  Kolonicr  i  Flandern  og  Nederlandene  i  det 
10  de  Aarhundrede  (Kjobenhavn,  1878,  in-8'')  et  Chronique  de  Guines  et 
d'Ardre  de  Lambert  p.  p.  Godefroy-Meailglaise,  p.  XXXI,  7,  29-4-3,  414. 


—  192  — 

daiîis  les  contrées  mêmes  où  s'exercèrent  tout  d'abord,  pendant 
les  neuf  premiers  siècles  de  notre  ère,  les  ravages  des  pirates 
danois,  frisons  et  norwégiens. 

Ce  n'est  au  contraire  qu'en  torturant  les  textes  et  les  noms 
({ue  l'on  pourrait  le  reporter  soit  sur  les  Orcades,  soit  à  plus 
forte  raison  en  Ecosse,  comme  a  essayé  de  le  faire  M.  G.  Hof- 
mann  (4). 

Que  la  tradition  nordique  ait  localisé  toute  la  légende  dans  ces 
régions,  nous  le  répétons,  rien  de  plus  naturel  ;  c'est  ce  qu'ont 
fait  chacun  de  leur  côté  Snorri,  Saxo,  Gunnlaug  et  la  ballade 
des  Iles  Shetland.  Pourquoi  donc  ne  pas  admettre  qu'il  en  ait  été 
de  même  pour  la  version  allemande  de  la  légende  d'Hilde  ? 
Lorsqu'elle  fut  apportée  ou  lorsqu'elle  se  fusionna  avec  celle 
de  Gudrun  sur  les  côtes  de  la  Basse- Allemagne,  qu'y  a-t-il  d'é- 
tonnant à  ce  <pi'elle  se  soit  ml if'r ornent  localisée  aux  bouches 
des  grands  fleuves  qui  viennent  s'y  jeter  dans  la  mer  du  Nord  ? 
Quand  on  voit  tout  le  royaume  d'Hetel,  les  fiefs  de  tous  ses 
vassaux,  le  AVùlpensand,  Wàleis,  se  grouper  comme  d'eux- 
mêmes  le  long  des  côtes  de  la  Flandre,  pourquoi  transporter 
inutilement  les  royaumes  de  Siegfried  et  de  Ludwig  dans  des 
parages  tout  différents  ?  Pourquoi  ne  pas  admettre  que  les  ter- 
ritoires de  tous  les  chefs,  que  nous  voyons  sans  cesse  faire  in- 
vasion à  l'improviste  les  uns  chez  les  autres,  étaient  voisins, 
comme  c'était  le  cas  pour  toutes  ces  stations  transitoires,  abu- 
sivement décorées  du  nom  de  royaumes,  formées  et  aban- 
données du  jour  au  lendemain  le  long  des  côtes  de  la  Flandre 
et  de  la  Frise  par  les  pirates  du  Nord?  Pourquoi  enfin  affecter 
de  croire  que  la  légende  ait  gratuitement  repoussé  les  données 
si  conformes  que  lui  fournissait  l'histoire?  C'est  là  qu'ont  dû 
se  passer  les  aventures  d'où  est  née  la  légende  de  Gudrun, 
c'est  là  qu'était  le  théâtre  tout  désigné  de  l'action  pour  celle 
d'Hilde,  quand  elle  se  fusionna  avec  la  première  (2). 

1.  Pour  lui  Cassiàne  rappelle  le  nom  du  Comté  de  Cailbness  (Norw. 
Katanes)  dans  le  Nord-Est  de  l'Ecosse. 

2.  M.  R.  Schroder  aboutit  aux  mêmes  conclusions  dans  son  élude 
géographique  sur  les  I-'rancs  [Die  Hcrkurtft  der  Franken,  dans  S.  Z., 
XLIII,  d-6o;  cf.  surtout  p.  10,  M,  16  sq.) 


CHAPITRE  IL 


LA    VERSIFICATION    DU    POKME. 


La  poésie  héroïque  populaire  était  essentiellement  disposée 
pour  le  chant  et  se  composait  de  strophes  (1).  Bien  que  les  pro- 
ductions littéraires  dans  lesquelles  elle  nous  est  parvenue 
n'aient  été  destinées,  autant  que  nous  pouvons  le  savoir,  qu'à 
être  récitées  ou  lues,  elles  n'en  ont  pas  moins  conservé  la 
forme  sous  laquelle  la  tradition  populaire  avait  transmis  les 
chants  qui  en  constituent  la  base. 

Parmi  les  strophes  épiques,  celle  des  Nibelungen  peut  être 
considérée  comme  le  modèle  du  genre  et  elle  a  en  effet  été 
imitée  plus  d'une  fois  :  la  strophe  de  la  Gudrun,  entre  autres, 
n'en  est  qu'un  développement  ou  une  variante. 

Jusqu'à  l'époque  où  les  Nibelungen  furent  composés,  la  strophe 
qui  avait  régné  dans  la  poésie  populaire  était  celle  employée 
par  Otfrid  dans  son  Évangile  :  elle  était  formée  de  quatre  vers 
comptant  chacun  quatre  arsis  et  accouplés  deux  à  deux  par  des 
rimes  plates  masculines.  La  première  modification  que  l'on 
introduisit  fut  de  composer  la  strophe  de  cinq  vers  au  lieu  de 
quatre,  le  premier  et  le  deuxième,  le  troisième  et  le  cinquième 
rimant  respectivement  ensemble  et  le  quatrième  restant  isolé  : 
c'est  celle  du  poème  de  Salman  et  Morolt,  qui  date  du  milieu  du 
xii^  siècle. 

Or,  c'était  une  règle  absolue  parmi  les  poètes  allemands  du 
moyen  âge  que  la  forme  d'une  strophe  appartenait  en  propre  et 
exclusivement  à  celui  qui  l'avait  inventée  :  elle  constituait, 
pour  ainsi  dire,  la  seule  propriété  littéraire  qu'on  connût  alors. 
On  pouvait  imiter  l'œuvre  d'un  chanteur  ou  d'un  écrivain,  lui 
emprunter  les  plus  belles  parties  de  son  récit,  ses  situations  les 

1.  Cela  n'implique  évidemment  pas  que  les  poésies  ainsi  chantées 
fussent  à  l'origine  formellement  divisées  en  strophes,  comme  celles  de 
la  poésie  épique  ou  lyrique  du  moyen  âge.  Mais  qui  dit  chant,  dit 
rythme,  alternance  déterminée  et  retour  périodique  d'une  mélodie,  ce 
qui  ne  va  pas  sans  une  séparation  de  fait,  un  groupement  par  strophes, 
sous  peine  de  remplacer  le  chant  par  une  mélopée  interminable,  par 
une  psalmodie  monotone. 

Fêcamp,  Gudrun.  13 


—  194  — 

mieux  réussies,  tout  jusqu'à  des  expressions  et  des  phrases 
entières;  mais  composer  un  autre  morceau  de  poésie  dans  une 
forme  de  strophe  qu'il  avait  le  premier  employée,  cela  eût  été 
considéré  comme  un  plagiat.  C'est  seulement  à  partir  de  la  fin 
du  xiii"=  siècle  que  ces  sortes  d'emprunts  furent  tolérés  et  fini- 
rent peu  à  peu  par  devenir  habituels  :  jusque-là  il  était  permis 
d'imiter  une  strophe  en  vogue,  mais  non  de  la  reproduire  inté- 
gralement. 

Il  suffisait  néanmoins  de  bien  petites  modifications  appor- 
tées à  une  strophe  déjà  connue,  pour  que  le  nouveau  modèle 
fût  accepté  comme  la  propriété  de  celui  qui  l'avait  imaginé. 
Le  point  sur  lequel  se  porta,  pour  commencer,  l'attention  des 
poètes  fut  le  dernier  vers  :  afin  de  séparer  plus  nettement  la 
fin  d'une  strophe  du  début  de  la  suivante,  on  songea  tout  d'a- 
bord à  donner  au  dernier  vers  une  structure  différente  de 
celle  des  autres,  et,  tandis  que  la  poésie  française  adoptait  en 
général  un  petit  vers  pour  clore  la  strophe,  la  poésie  allemande 
ne  pensa  qu'à  allonger  ce  dernier  vers:  ainsi  fut  formée  la 
strophe  des  I\'ibeliin;/cn  ;  ainsi  furent  formées  toutes  celles  qui 
l'imitèrent  plus  tard.  Celle  du  Salman  et  MoroU,  avec  son  qua- 
trième vers  isolé,  resta  toujours  une  exception. 

La  strophe  des  Nibelungen  se  compose  de  quatre  vers  rimant 
deux  à  deux,  le  premier  avec  le  deuxième,  le  troisième  avec  le 
quatrième,  et  ne  contenant  que  des  rimes  masculines.  Chaque 
vers  est  formé  de  deux  moitiés,  la  première  contenant  trois 
arsis  et  se  terminant  par  une  syllabe  féminine  qui  forme  cé- 
sure, la  seconde  contenant  également  trois  arsis  et  se  termi- 
nant par  une  syllabe  masculine  (]ui  forme  la  rime  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut  :  enfin,  pour  marquer  plus  distincte- 
ment la  fin  de  la  strophe,  la  seconde  moitié  du  quatrième  vers 
a  quatre  arsis  au  lieu  de  trois. 

En  voici  un  exemple  tiré  de  l'aventure  où  Gûnther  part  pour 
aller  demander  la  main  de  Brûnhilde  : 

str.  326    Ez  was  ein  kûneginne        gesezzen  ûber  se  : 
Ir  gelîche  eoheine        man  wesse  ninder  mè. 
Diu  was  uDmàzen  scœne,        vil  inichel  was  ir  kraft. 
Siu  scùz  mit  snellen  degenen        umbe  minne  den  scaft  (1). 

Entre  les  arsis  il  existe  le  plus  souvent  une  thésis,  qui  ce- 
pendant n'est  pas  absolument  obligatoire  :  deux  arsis  peuvent 

1.  Éd.  de  K.  Bartsch  (Leipzig,  Brockhaus,  1877,  iQ-8o). 


—  195  — 

se  suivre  immédiatement;  mais,  par  contre,  il  ne  peut  jamais 
exister  plus  d'une  thésis  entre  deux  arsis.  Enfin  la  marche  de 
chaque  demi-vers,  pouremployer  les  expressions  delà  prosodie 
classique,  peut  être  ïambique  ou  trochaïque  :  chaque  demi-vers 
peut  commencer  par  une  arsis  ou  par  une  thésis  ou  syllabe 
non  accentuée  qui  ne  compte  pas  et  que  l'on  appelle  Auftaki  : 
c'est  à  peu  près  Vanacrusis  des  Grecs.  Parfois  ï Auftaki  peut  se 
composer  de  deux  syllabes,  dont  la  première  même  peut  être 
longue  ;  mais  la  licence  ne  va  pas  au  delà,  tandis  que  dans 
Otfrid,  par  exemple,  il  n'est  pas  rare  de  trouver  un  Auftakt 
de  trois  et  même  de  quatre  syllabes. 

La  strophe  de  la  Gudrun  n'est,  comme  nous  le  disions  tout  à 
l'heure,  qu'un  développement  de  celle-ci.  Au  lieu  de  quatre 
arsis,  la  deuxième  partie  de  son  dernier  vers  en  contient  cinq, 
ce  qui  donne  encore  plus  d'ampleur  à  la  terminaison  de  la 
strophe.  De  plus,  un  autre  élément  de  variété  a  été  introduit 
dans  la  strophe  elle-même  par  ce  fait  que,  les  deux  premiers 
vers  conservant  leurs  rimes  masculines,  les  deux  derniers  ont 
des  rimes  féminines.  Par  là  elle  est  plus  douce  et  moins  mono- 
tone que  celle  des  jSibelungen  et  se  rapproche  plutôt  du  genre 
lyrique,  tandis  que  la  première  a  conservé  un  caractère  plus 
essentiellement  épique.  Le  rapport  des  arsis  et  des  thésis  y  est 
observé  avec  le  plus  grand  soin  :  souvent  il  arrive,  comme 
dans  les  Nibelungen,  que  deux  arsis  se  suivent  sans  thésis  in- 
termédiaire (1),  mais  jamais  deux  thésis  ne  se  succèdent  im- 
médiatement, et,  sous  certaines  conditions,  qu'il  serait  trop 
long  d'énumérer  ici,  le  poète  se  permet,  pour  éviter  cette  suc- 
cession défendue,  d'avoir  recours,  le  cas  échéant,  à  l'apocope, 
à  la  syncope  ou  à  l'élision. 

La  césure,  qui  est  ordinairement  formée,  comme  dans  les  Ni- 
belungen, d'une  syllabe  féminine,  se  présente  également  après 
la  troisième  arsis  : 

Str.  1.  sîn  mùoter  diu  hiez  Uôtè. 

Il  arrive  pourtant  aussi  parfois  qu'une  syllabe  masculine 
forme  la  césure.  C'est  surtout  le  cas  pour  les  noms  propres  et 
l'on  peut  dire  alors  que  le  demi- vers  contient  en  réalité  quatre 
arsis.  Au  reste,  si  l'on  veut,  comme  l'ont  fait  certains  critiques, 

1.  On  a  voulu  voir  dans  ce  fait  un  caractère  archaïque  pour  les  stro- 
phes ov'i  on  le  constate  :  ne  faut-il  pas  plutôt  l'attribuer  à  l'inhabileté  des 
scribes  qui  ont  remanié  le  poème? 


—  196  — 

compter  dans  tous  les  cas  la  césure  pour  une  arsis,  le  vers  de 
la  Gudrun  aurait  partout,  dans  sa  première  moitié,  quatre  arsis; 
car,  ainsi  que  l'a  fait  remarquer  M.  K.  Bartsch,  le  demi-vers 
cité  plus  haut,  par  exemple,  ne  diffère  du  suivant  : 

Sir.  1.  geheizen  wâs  er  Sigebànt 

qu'en  ce  que  dans  le  premier  la  tliésis  manque  entre  la  dernière 
arsis  et  la  césure. 

La  strophe  des  Nibclungcn  a  éprouvé,  du  fait  dos  différents  au- 
teurs, qui  ont  successivement  remanié  et  amplifié  ce  poème, 
certaines  modifications  que  l'on  retrouve  dans  celle  de  la  Gu- 
drun. (Vest  ainsi  qu'un  assez  grand  nombre  de  strophes  ont  une 
rime  intérieure  à  la  césure,  tantôt  du  premier  demi-vers  avec 
le  deuxième  : 

Str.  243.    1-z  isl  io  sollier  huote     diu  minncclîclie  meit. 
Ilôranl  unde  Fruole        die  dilze  hànl  geseit, 
daz  si  si  su  schœue,      ich  wil  ù  nihl  erwinden, 
dû  soit  mich  und  si  beide      in  dinem  dienste  geoendicliche 

[vioden  ; 

tantôt  du  troisième  avec  le  quatrième  : 

Sir.  749.    Si  enwislen,  wie  si  mohlen      dar  bekomen  sint. 
des  i<am  in  arbeile      maneger  muoter  kinl. 
jà  Iruogon  si  die  iinde      neben  Orllande, 
ê  Hetele  ez  erviinde,    daz  si  die  Hilden  biirge  wol  erkanden  ; 

tantôt  enfin  tout  à  la  fois  du  premier  avec  le  deuxième  et  du 
troisième  avec  le  quatrième  : 

Sir.  760.    Die  boten  rilen  vil  dràle     dannen  (aes  was  zit) 
nàch  Harmuoles  râle      vùr  eine  bure  wit. 
(liu  biez  ze  Malelùne  :      vrou  Ililde  saz  dar  inné 
und  diu  vil  wol  getàne,      ir  lohler  diu  junge  kùniginne. 

M.  Miillenhoff  a  prouvé  que  ce  procédé  doit  être  attri- 
bué aux  derniers  remanieurs  du  poème  et  que  la  présence 
de  cette  rime  intérieure  coïncide  le  plus  souvent  avec  des  con- 
tradictions ou  des  répétitions  qui  montrent  la  nature  apocryphe 
des  strophes  où  on  la  rencontre  (4), 

Ce  qui  indique  bien  en  effet  que  ces  remaniements  ont  été 
opérés  à  limitation  de  ceux  que  subissait  la  strophe  des  Nibe- 

\.  M.  B.  Symons  {Zur  Gudrun,  P.B.B.,  IX,  1-100)  prclend  au  coniraire 
que  celle  rime  inlérieure  ne  prouve  rien  contre  l'aulhenlicilé  et  l'anli- 
quité  des  slropbes  où  on  l'observe  el  a  élé  simplemenl  introduile  après 
coup  par  un  remanieur. 


—  197  — 

iungen,  c'est  que  les  scribes  auxquels  on  les  doit,  perdant  çà  et 
là  de  vue  leur  but,  ou  trop  peu  familiarisés  avec  la  strophe 
qu'ils  retouchaient,  ont  parfois  mêlé  au  poème  des  strophes  lit- 
téralement calquées  sur  le  modèle  de  celle  des  Nibdungen.  H. 
V.  d.  Hagen  les  avait  le  premier  relevées  dans  son  édition,  bien 
souvent  on  a  essayé  de  les  transformer  d'après  le  modèle 
adopté  dans  le  reste  du  poème,  mais,  après  toutes  les  tentatives 
de  restitution,  M.  Mûllenhoff  en  a  encore  reconnu  98.  La  pre- 
mière partie  du  poème  (Aventures  dHagen)  en  contient  à  elle 
seule  un  bon  tiers,  preuve  de  plus,  ajoutée  à  toutes  les  autres, 
qu'elle  date  d'une  époque  très  tardive  et  a  été  incorporée  après 
coup  au  poème. 

La  strophe  de  la  Gudrun  a  été  elle-même  imitée.  C'est  sur 
son  modèle  que  Wolfram  d'Eschenbach  a  construit  celle  dont  il 
s'est  servi  dans  son  Titurel.  Les  quatre  vers  de  la  strophe  du 
Titurel  se  composent  en  elFet  de  :  vers  1  et  2  =  vers  3  et  4  de  la 
Gudrun;  vers  3  -  la  deuxième  partie  du  vers  4  de  la  Gudrun  sans 
césure  ;  vers  4  =  encore  une  fois  le  vers  4  de  la  Gudrun.  Nous 
verrons  plus  tard  Pimporlance  de  ce  fait  pour  la  détermination 
de  l'époque  à  laquelle  la  Gudrun  fut  définitivement  composée 
sous  sa  forme  actuelle,  sauf  quelques  retouches  ultérieures  de 
peu  d'étendue  (d). 

1.  Cf.,  pour  plus  de  détails,  le  traité  de  métrique  du  mojen-haut- 
allemand  ajouté  par  M.  Rieger  à  l'édition  de  la  Gudrun  de  W.  von  Plon- 
nies  (18b3);  Wolfram  von  Eschenbadi,  éd.  par  K.  Lachmann,  préface, 
p.  xxviii  ;  P.  G.,  IV,  305  ;  J.  Strobl,  Die  Entstehung  der  Kudrunstrophe 
(1876),  et  enfin,  outre  le  travail  de  M.  B.  Symons  cité  plus  haut,  celui 
que  vient  de  publier  M.  E.  Kettner  sous  le  titre  :  Der  Einfluss  des  Ni- 
belungenliedes  auf  die  Gudrun  (Z.  Z.,23,  145-217). 


CHAPITRE   III. 


OUDRUX    ET    LA   POÉSIE   CONTEMPORAINE;    IMITATIONS   D'AUTRES   POÈMES; 

POÈMES   QUI    l/oNT    IMITÉE;    ALLUSIONS   HISTORIQUES;    ALLUSIONS 

A    DES   USAGES   FÉODAUX. 

Le  poème  qui  paraît  avoir  exercée  sur  la  Gudrun  l'action  la 
plus  considérable  est  celui  des  Nihrlungen.  C'est  à  lui,  comme 
nous  venons  de  le  voir,  que  l'auteur  a  emprunté  la  forme  de  sa 
strophe  et  les  noms  de  plusieurs  personnages  secondaires,  et, 
si  nombre  de  tournures  et  d'expressions  communes  aux  deux 
ouvrages  ont  été  fournies  au  poète  de  la  Gudrun  par  le  trésor 
devenu  banal  du  style  épique,  sous  ce  point  de  vue  encore  la 
conformité  absolue  qui  apparaît  en  maint  endroit  prouve  que 
notre  auteur  a  plus  d'une  fois  calqué  mot  pour  mot,  copié  pu- 
rement et  simplement  les  Nibelungen.  H.  von  der  Hagen  a  noté 
spécialement  dans  son  édition  de  la  Gudrun  tous  les  vers  qui 
coïncident  d'une  façon  complète  avec  les  Nibelungen;  le  nom- 
bre, surtout  dans  la  première  partie,  en  est  trop  considérable 
pour  que  leur  présence  dans  le  poème  puisse  être  attribuée  à 
une  coïncidence  fortuite  de  style;  ils  prouvent  au  contraire  que 
l'auteur  connaissait  à  fond  les  Nibelungen  et  les  avait  de  propos 
délibéré  choisis  pour  modèle. 

Les  remanieurs,  qui  ont  repris  son  travail  en  sous-œuvre, 
n'ont  que  trop  ardemment  marché  sur  ses  traces  et  ils  ont  copié 
si  servilement  les  Nibelungen  qu'en  plus  d'un  endroit  ils  n'ont 
plus  même  songé  à  rédiger  leurs  interpolations  dans  le  mètre 
propre  à  la  Gudrun  ;  le  poème  se  trouve  ainsi  parsemé  de  stro- 
phes, formées  de  débris  dérobés  aux  Nibelungen  et  écrites  dans 
le  mètre  particulier  à  ceux-ci. 

Est-ce  le  succès  marquant  des  Nibelungen  qui  a  décidé  le  poète 
et  ses  successeurs  à  se  rapprocher  le  plus  possible  d'un  modèle 
aimé  du  public?  Est-ce  le  défaut  de  génie  et  d'invention  person- 
nelle qui  leur  a  suggéré  ce  moyen  commode  de  se  tirer  d'em- 
barras, quand  leur  veine  poétique  venait  à  se  tarir?  Peut-être 
l'une  et  l'autre  raison  ont-elles  contribué  à  tenir  la  Gudrun  dans 
une  dépendance  regrettable  vis-à-vis  d'une  œuvre,  avec  laquelle 
elle  peut  avantageusement  lutter  sous  d'autres  rapports.  Mais 


—  199  — 

c'est  évidemment  au  premier  motif,  à  l'influence  de  la  mode, 
qu'il  faut  attribuer  l'action  exercée  sur  la  composition  de  la 
Gudrun  par  les  poésies  narratives  des  auteurs  chevaleresques. 
C'est  sans  aucun  doute  l'analogie  avec  les  œuvres  d'Hartmann 
d'Aue,  de  Wolfram  d'Eschenbach,  de  Gottfried  de  Strasbourg, 
c'est  le  désir  de  les  égaler  et  de  lutter  avec  eux  dans  la  fa- 
veur du  public,  qui  a  poussé  l'auteur  de  la  Gudrun  à  adopter 
la  forme  biographique  si  peu  en  rapport  avec  le  génie  de  la 
poésie  épique;  et  c'est  toujours  sous  la  même  influence,  comme 
nous  l'avons  montré,  que  l'un  des  plus  anciens  inlerpolateurs  a 
ajouté  la  première  partie,  les  aventures  d'Hagen,  et  dressé  ce 
fameux  arbre  généalogique,  que  nos  lecteurs  n'ont  pas  oublié. 

Pour  AYolfram  d'Eschenbach,  par  exemple,  l'imitation  est 
évidente  et  palpable  ;  l'auteur  ne  s'est  pas  borné  à  reproduire 
la  disposition  générale  de  ses  récits,  il  lui  a  emprunté  en  plus 
d'une  occasion  certains  mots,  certaines  locutions  qu'on  re- 
trouve textuellement  identiques  de  part  et  d'autre.  Ainsi,  quand 
Parcival  arrive  chez  Trévrizent,  l'ermite  le  reçoit  de  son  mieux, 
mais  il  l'avertit  de  ne  pas  s'attendre  à  faire  bonne  chère  avec 
lui,  «  car,  dit-il,  on  sent  rarement  l'odeur  de  ma  cuisine  (1)  ». 
De  même,  lorsque  l'auteur  des  aventures  d'Hagen  décrit  son 
existence  et  celle  des  jeunes  filles  dans  la  forêt,  il  dit  en  plai- 
santant : 

«  On  sentait  rarement  l'odeur  de  sa  cuisine  (2)  ». 

Le  vers  du  Parcival  a  donc  passé  de  toutes  pièces,  sauf  une 
modification  insignifiante  (changement  du  présent  en  imparfait 
et  de  ma  en  sa)  dans  le  prologue  de  la  Gudrun. 

C'est  encore  apparemment  au  Parcival  que  l'auteur  a  em- 
prunté le  nom  du  gabilùn,  ce  monstre  mystérieux  dont  nous 
avons  parlé  ailleurs  et  qui  s'appelle  gampelùn  dans  le  Parcival, 
où,  semblable  à  un  dragon,  il  orne  le  casque  et  l'écu  d'ilinot,  de 
Bertun  et  de  ses  compagnons. 

Enfin  c'est  de  toute  nécessité  par  l'intermédiaire  d'une  source 
française  et  par  conséquent,  selon  toute  vraisemblance,  par  l'in- 
termédiaire du  Parcival,  que  la  forme  francisée  de  Wdleis  a  été 
introduite  dans  la  Gudrun,  où  elle  désigne  le   Vahalis  ou  Waal. 

De  même,  pour  passer  à  un  autre  poème,  le  nom  de  Wi- 
galois  n'a  pu  être  connu  du  poète  que  par  le  Wigalois  dé  ^\'irnt 
de  Gravenberg.  Seul  le  succès  dont  cet  ouvrage  jouit  en  Alle- 

1.  Parzival,  str.  485,  7. 

2.  Gudnm,  sic.  99. 


—  200  — 

magne  vers  1210  peut  expliquer  l'introduction  de  ce  héros 
dans  le  cycle  d'Hegelingen,  auquel  il  est  étranger  et  où  il  joue 
un  rôle  aussi  effacé  que  court  et  inutile.  On  a  prétendu  que  la 
tradition  orale  avait  pu  faire  parvenir  ce  nom  à  la  connaissance 
du  poète  :  mais  rien  ne  prouve  que  les  aventures  de  Wigalois 
aient  jamais  été  populaires  en  Allemagne  avant  Wirnt;  nous  sa- 
vons au  contraire  que  AYirnt  composa  son  ouvrage  non  d'après 
des  traditions  populaires,  mais  d'après  le  récit  d'un  écuyer, 
qui  peut-être  avait  entendu  raconter  cette  histoire  dans  quelque 
château  de  France.  En  outre  une  coïncidence  insignifiante  en 
apparence,  mais  d'autant  plus  probante  en  pareil  cas  qu'elle 
porte  sur  un  petit  détail,  semble  montrer  que  l'auteur  de  la 
Gudrun  avait  bien  à  sa  disposition  le  poème  de  Wirnt  sous  la 
forme  sous  laquolle  nous  le  possédons.  Selon  la  strophe  610  de 
la  Gudrun,  Ludwig  aurait  reçu  cent  trois  villes  en  fief  de  la  main 
d'Hagen;  le  même  nombre  se  retrouve  dans  un  passage  analo- 
gue au  vers  4551  du  W}galo\s{\)  et,  si  c'est  par  hasard  que  l'au- 
teur de  la  Gudrun  a  employé  ce  nombre,  qui  pour  lui  n'a  aucune 
valeur  déterminée,  il  faut  avouer  que  le  hasard  a  d'étranges 
coïncidences.  Le  fait  serait  d'autant  plus  singulier  qu'il  y  a  dans 
la  poésie  allemande  du  moyen  âge  un  certain  nombre  de  dési- 
gnations de  ce  genre  qui  sont  réellement  passées  à  l'état  d'ex- 
pressions proverbiales  et  qu'on  retrouve  dans  une  foule  de  poè- 
mes, sans  qu'il  y  ait  lieu  de  conclure  à  l'imitation  de  tel  auteur 
par  tel  autre;  ainsi  en  est-il,  par  exemple,  du  nombre  sept.  Gère 
règne  sur  sept  pays  (str.  2.);  Hetel  est  maître  de  sept  royaumes 
(str.  550);  Siegfried  commande  à  sept  rois  (str.  580);  on  en  re- 
trouve d'autres  exemples  dans  le  poème  de  Biterolf  Qi  jusque 
dans  les  fragments  français  du  Tristan  ;  on  en  pourrait  noter 
de  plus  nombreux  encore  dans  la  vie  réelle  au  moyen  âge,  tels 
sont  les  sept  chandeliers  de  l'Apocalypse  en  l'honneur  desquels 
la  Bulle  d'Or  institua  les  sept  électeurs  de  l'empire,  les  sept 
catégories  de  l'enfer  correspondant  aux  sept  péchés  capitaux,  la 
confédération  des  sept  Séelandes  frisonnes  qui  portaient  sept 
feuilles  de  romarin  dans  leurs  armes  et  auxquelles  il  est  fait  al- 
lusion dans  la  Gudrun  (2),  tels  sont  une  foule  d'autres  qu'il  est 
inutile  d'énumérer  ici.  Voilà  bien  une  de  ces  désignations  pro- 
verbiales comme  l'usage  en  établit  dans  toutes  les  langues  (3). 

\.  Éd.  de  Benecke. 

2.  Cf.  Str.  1373  et  J.  Grimm,  Mythologie,  p.  620,  1147,  1221. 

3.  Inutile  de  rappeler   le  rôle  analogue  que  jouent  chez  nous  les  nom- 


—  201  — 

Mais,  à  propos  du  nombre  cent  trois,  rien  de  tel  ne  se  produit  : 
il  apparaît  uniquement  dans  la  Gudrun  et  dans  le  Wigalois,  on 
ne  le  retrouve  nulle  part  ailleurs  ;  sa  présence  dans  le  premier 
de  ces  deux  poèmes  suppose  donc  nécessairement  chez  son  au- 
teur la  connaissance  de  l'autre  (1). 

Au  reste  l'auteur  de  la  Gudrun  parait  avoir  possédé  des  no- 
tions assez  étendues  sur  la  littérature  de  son  temps,  et  les  prin- 
cipales productions  contemporaines  ont  laissé  dans  la  Gudrun 
des  traces  nombreuses  de  l'impression  qu'elles  avaient  faite  sur 
lui.  Ainsi^  dans  le  vaisseau,  sur  lequel  partent  les  émissaires 
d'Hetel,  Wate  a  caché  une  troupe  armée,  tandis  que  le  pont  est 
encombré  de  marchandises  et  que  tout  y  est  disposé  pour  faire 
illusion  et  confirmer  les  dires  des  trois  héros,  qui  se  donnent 
pour  des  marchands.  C'est  absolument  ce  qui  se  passe  dans  le 
Roi  Rolher,  lorsque,  sur  le  conseil  d'un  chanteur  errant,  Cons- 
tantin envoie  une  expédition  chargée  de  ressaisir  par  la  ruse  sa 
fille  que  Rother  a  enlevée;  et,  en  écoutant  le  chanteur  errant 
développer  son  plan,  on  croirait  entendre  parler  Wate  lui- 
même  (2).  Bien  plus  le  subterfuge  imaginé  par  Wate  et  ses 
compagnons  pour  s'introduire  sans  danger  à  la  cour  d'Irlande 
rappelle  trait  pour  trait  celui  qu'emploie  Rother,  lorsqu'il  se 
présente  devant  Constantin  :  de  même  que  Wate,  Horand  et 
Frute  se  font  passer  pour  de  riches  seigneurs^,  bannis  par  Hetel, 
réduits  à  fuir  son  courroux  et  à  exercer  le  négoce,  de  même 
Rother  arrive  à  Gonstantinople  sous  le  nom  de  Dietrich  et  vient 
implorer  la  protection  de  Constantin  contre  les  attaques  possi- 
bles du  roi  Rother,  qui,  dit-il;,  le  poursuit  de  sa  haine  (3).  De 

bres  trente-six  et  mille.  Sur  l'emploi  des  nombres  dans  la  poésie  épique 
du  moyen  âge  allemand,  cf.  J.  Grimm,  Deutsche  Rechtsalterthûmer, 
3"  éd.  (1881),  p.  207-225  et  R.  von  Mulh,  Untersuchungen  und  Excurse  zur 
Geschichte  und  Kritik  der  deutschen  Heldensage  und  Volksepik  (Wien, 
Gerold,  1878,  in-8o),  p.  23-24. 

1.  Si  nous  avons  insisté  sur  ce  détail  en  apparence  secondaire,  c'est 
qu'il  importe  beaucoup,  pour  fixer  la  date  de  la  composition  de  la  Gu- 
drun, de  bien  établir  que  son  auteur  connaissait  réellement  le  \Vï- 
galois  de  Wirnt  et  non  une  simple  tradition  orale  sur  le  même  sujet. 

2.  Cf.  Rother,  v.  3066  avec  Gudrun,  str.  256-258. 

3.  Le  souvenir  de  cette  ruse  s'est  conservé  jusqu'à  nos  jours  par  la 
tradition  populaire.  Dans  le  Coiite  du  Fidèle  Jean  (Grimm,  Kinder -und 
Hausmârchen,  Tome  I,  p.  32),  lorsque  le  fils  du  roi  et  son  fidèle  servi- 
teur partent  pour  aller  à  la  recherche  de  la  Princesse  du  Toit  d'or,  ils  se 
déguisent  aussi  en  marchands  et  chargent  sur  leur  vaisseau  les  objets 
les  plus  précieux. 


—  202  — 

part  et  d'autre  enfin  cette  précaution  a  les  mêmes  raisons  d'ê- 
tre ;  car,  de  même  qu'Hagen,  Constantin  fait  mettre  à  mort  tous 
ceux  qui  ont  l'audace  de  venir  briguer  la  main  de  sa  fille  (1).  Il 
n'est  pas  jusqu'à  la  manière  dont  Horand  s'acquitte  de  son  mes- 
sage envers  Hilde,  qui  n'ait  son  pendant  dans  la  scène  où  Ro- 
ther  arrive  enfin  à  voir  seule  à  seule  la  fille  de  Constantin.  De 
même  qu' Horand,  après  avoir  excité  au  plus  haut  point  la  cu- 
riosité et  les  sympathies  d'IIildC;,  est  mandé  secrètement  dans 
ses  appartements,  où  il  lui  avoue  le  véritable  but  de  son 
voyage,  de  même  Rother  sait^  par  l'envoi  d'un  soulier  d'or  et 
d'un  soulier  d'argent,  mettre  en  éveil  la  curiosité  de  la  fille  de 
Constantin,  qui  le  fait  appeler  près  d'elle  et  à  laquelle  il  déclare 
qui  il  est  et  pourquoi  il  est  venu  à  la  cour.  L'emploi  de  ces 
deux  souliers  rappelle  de  plus  les  deux  souris  d'or  et  d'argent  à 
l'aide  desquelles  Herbert,  dans  la  Wilkinasaga,  attire  pendant 
l'office  l'attention  d'Hilde,  fille  d'Artus  de  Bertengaland.  Enfin 
le  rire  mystérieux  de  Gudrun,  lorsqu'elle  sent  approcher  le 
moment  de  sa  délivrance,  ce  rire  qui  excite  à  si  haut  point  les 
défiances  et  les  soupçons  de  GerlindC;,  a  son  analogue  dans 
l'éclat  de  rire  que  pousse  la  fille  de  Constantin,  lorsqu'aprés 
mille  épreuves  Rother  est  enfin  revenu  à  la  cour  et  lui  fait 
connaître  sa  présence  en  lui  envoyant  un  anneau.  A  Constan- 
tinople  comme  en  Normandie  -des  espions  ont  bientôt  rap- 
porté à  qui  de  droit  ce  'fait  anormal,  et  c'est  ainsi  qu'on  dé- 
couvre le  retour  furtif  de  Rother. 

Une  invention  moins  heureuse  a  été  suggérée  à  l'auteur  par 
le  Charlemagne  du  Stricker  :  c'est  dans  cet  ouvrage  en  effet  qu'il 
a  puisé  la  fable  du  couvent  fondé  sur  le  Wùlpensand.  Lorsque 
l'on  rend  les  derniers  honneurs  aux  guerriers  tombés  dans  la 
grande  lutte  du  \Yùlpensand,  on  a  bien  soin  d'enterrer  à  part 
les  païens  et  les  chrétiens.  La  même  séparation  s'opère  d'elle- 
même  par  un  miracle  après  la  bataille  de  Roncevaux  dans  le 
Charlemagne  du  Stricker  (2).  Gomme  en  outre  Charlemagne 
fonde  sur  le  théâtre  de  la  lutte  un  couvent  et  un  hôpital  (3),  il 
est  permis  de  supposer  que  l'ouvrage  du  Stricker  a  été  la 
source  où  a  puisé  l'un  des  interpolateurs  de  la  Gudrun  {A). 

1.  Ce  dernier  trait  du  reste  était  devenu  populaire,  on  le  retrouve 
dans  OstJja/d  (éd.  de  Pfeiffer,  V.  97  et  110),  dans  Ortnit  (str.  11,  19)  et 
dans  Wolfdietrich  B  (str.  13  sqq.). 

2.  Cf.  Karl  der  Grosse  vom  Stricker,  éd.  p.  K.  Bartsch,  v.  10831. 

3.  Cf.  V.  10934,  10970. 

4.  Nous  disons:  l'un  des  interpolateurs;    caria  date  à   laquelle  fut 


—  203  — 

Nous  avons  eu  occasion  précédemment  en  plus  d'un  endroit 
de  montrer  l'influence  ({u'avait  exercée  le  poème  du  Duc  Ernest 
sur  la  composition  de  divers  épisodes  de  Id^Giidrun.  Il  nous  reste 
à  signaler  ici  un  autre  genre  d'action,  indirecte  il  est  vrai, 
mais  très  visible,  qu'a  eue  ce  même  poème  sur  la  description  de 
la  captivité  de  (iudrun  en  Normandie. 

L'arrivée  delà  jeune  fille  sur  celte  terre  étrangère  et  ennemie, 
où  l'attend  un  sort  si  cruel,  ouvre  un  des  épisodes  les  plus 
beaux  et  les  plus  touchants  de  tout  l'ouvrage;  nulle  part  le  poète 
n'est  plus  vrai  ni  plus  émouvant  que  dans  la  peinture  des  hu- 
miliations redoublées  qui  lui  sont  infligées  et  de  la  constance 
inébranlable  avec  laquelle  elle  les  supporte.  C'est  qu'ici  l'au- 
teur ne  s'est  plus  contenté  des  simples  et  vagues  réminiscences 
que  pouvait  lui  offrir  la  légende  ;  son  âme  émue  et  révoltée  au 
souvenir  d'un  fait  analogue,  authentique  et  récent,  a  fait  passer 
dans  son  œuvre  les  sentiments  dont  il  était  animé  et  y  a  fixé 
d'une  manière  vivante  les  traits  principaux  de  la  triste  histoire 
d'Adélaïde,  dont  retentissait  alors  toute  l'Allemagne  indignée. 

Le  souvenir  des  malheurs  de  cette  princesse  a  été  pieusement 
conservé  par  plusieurs  témoins  de  sa  vie  :  l'abbé  Odilon  de 
Gluny,  qui  l'approcha  de  près  dans  les  dernières  années  de  son 
existence,  nous  a  laissé  sur  elle  de  longs  détails  dans  sa  Vie 
de  V Impératrice  Sainte  Adélaïde  (1);  Hroswitha  a  consacré  quel- 
ques beaux  vers  à  sa  captivité  et  à  sa  fuite  miraculeuse  dans  son 
Chant  sur  les  faits  et  gestes  de  V Empereur  0 thon  I^^  (2)  ;  enfin  Luit- 
prandde  Crémone  a  stigmatisé  dans  son  Antapodosis  la  cruauté 
et  les  débauches  de  ^Yilla,  digne  épouse  de  Bérenger  d'Ivrée, 
dont  nous  allons  voir  le  rôle  odieux  dans  cette  triste  his- 
toire (3). 

Fille  du  roi  Conrad  de  Bourgogne,  Adélaïde  avait  été  mariée 
à  l'âge  de  dix-sept  ans  avec  Lothaire,  roi  d'Italie,  dont  elle  eut 
une  fille,  Emma,  qui  plus  tard  épousa  Lothaire,  roi  de  France. 

composé  le  Charlemagne  est  postérieure  à  celle  à  laquelle  la  première 
rédaction  de  la  Gudriin  fut  écrite;  on  le  place  généralement  vers  1240. 
Mais,  nous  l'avons  vu,  Tidée  de  motiver  par  un  sacrilège  (enlèvement  des 
vaisseaux  des  pèlerins)  la  défaite  subie  sur  le  Wûlpensand,  et  par  suite 
d'imaginer  ce  genre  d'expiation,  est  le  fait  d'un  des  derniers  remanieurs 
du  poème. 

\.  Bibliotheca  Cluniacensis,  p.  354  sqq. 

2.  Werke  der  Hroswitha,  éd.  p.  Barack  (Nûrnberg,  f8o7,  in-8«),  p. 
325  sqq.  ;  cf.  surtout  vers  .560-630. 

3.  Ap.  Pertz,  Mon.  (lerm.  Ilist.,  Script.,  Tome  III,  passiin. 


—  204  — 

Bérenger  II,  marquis  d'Ivrée,  après  avoir  forcé  Hugues,  roi 
d'Italie  et  père  de  Lothaire,  à  abdiquer  en  faveur  de  ce  dernier, 
avait  su  se  faire  remettre  la  tutelle  du  jeune  Lothaire  ;  dévoré 
par  l'ambition,  il  ne  tarda  pas,  selon  toute  apparence,  à  le  faire 
empoisonner  et,  le  22  novembre  950,  Adélaïde,  veuve  après 
moins  de  trois  années  de  mariage,  se  trouva  seule  et  sans 
appui  au  milieu  des  partis  qui  divisaient  l'Italie. 

S'imaginant  n'avoir  désormais  rien  à  craindre  d'une  femme 
isolée,,  jeune  et  sans  droits  réels  au  trône  d'Italie,  Bérenger, 
aussitôt  après  la  mort  de  Lothaire,  avait  réussi  à  se  faire  nom- 
mer roi,  ainsi  que  son  fils  Adalbert,  par  les  grands  italiens  réu- 
nis à  Pavie.  Mais  sa  cruauté  et  son  avarice  lui  aliénèrent  rapi- 
dement la  plupart  de  ses  partisans  qui,  mus  par  une  espèce 
d'accord  tacite,  se  retournèrent  vers  Adélaïde.  Légalement,  nous 
l'avons  dit,  Adélaïde  ne  pouvait  émettre  aucune  prétention  au 
trône  italien;  malgré  cela,  sa  jeunesse,  sa  beauté,  sa  douceur 
lui  avaient  concilié  tous  les  cœurs  et,  dans  le  désarroi  moral  et 
politique  qui  régnait  alors  en  Italie,  le  plus  grand  nombre  n'hé- 
sitèrent pas  à  lui  reconnaître  des  droits  à  la  couronne.  C'était 
un  terrible  danger  pour  Bérenger;  résolu  à  le  conjurer  à  tout 
prix,  il  conçut  le  projet  de  neutraliser  les  prétentions  possibles 
d'Adélaïde  et  de  ses  partisans  en  la  mariant  avec  son  fils  Adal- 
bert, prince  laid,  difforme  et  presque  aussi  décrié  que  son  père. 
Il  signifia  brutalement  ses  intentions  à  la  jeune  reine,  sans 
même  avoir  la  patience  ni  la  pudeur  d'attendre  qu'elle  eût  quitté 
le  deuil  de  Lothaire.  Éconduit  avec  indignation  par  Adélaïde,  il 
essaya  des  menaces,  et,  voyant  que  rien  ne  pouvait  la  fléchir,  il 
prit  de  suite  ses  mesures  pour  les  mettre  à  exécution.  11  se  sai- 
sit d'Adélaïde,  et  alors  commença  pour  elle  un  martyre  qui  n'a 
d'égal  que  celui  de  Gudrun  chez  les  Normands.  Insultée  par 
Bérenger,  maltraitée  par  sa  femme  Willa,  Adélaïde  fut  dépouil- 
lée de  tous  ses  trésors,  laissée  dans  le  dénûment  le  plus  com- 
plet, séparée  de  sa  suite,  privée  de  toute  communication  avec 
le  dehors  et  finalement  jetée  en  prison.  Là  son  supplice  devint 
encore  plus  terrible,  ses  bourreaux  lui  arrachèrent  les  cheveux, 
la  meurtrirent  de  coups  de  poing,  la  foulèrent  aux  pieds  ;  puis, 
quand  Bérenger  vit  que  rien  ne  pouvait  vaincre  sa  constance,  il 
la  livra  à  un  de  ses  comtes,  chargé  de  la  jeter  au  fond  d'une  tour 
dans  un  château  situé  au  bord  du  lac  de  Garde,  certainement 
avec  le  secret  espoir  que,  les  mauvais  traitements  et  l'isole- 
ment aidant,  il  s'en  verrait  bientôt  débarrassé. 

Quatre  longs  mois  Adélaïde  gémit  dans  ce  cachot,  n'ayant 


—  205  — 

pour  toute  compagnie  qu'une  fidèle  servante  qui  ne  l'avait  pas 
quittée  un  instant  et  un  digne  ecclésiastique,  auquel  on  avait 
permis  de  la  suivre  pour  lui  donner  les  secours  de  la  religion. 
Ce  vénérable  prêtre,  dont  l'histoire  a  conservé  le  nom  (c'était 
un  moine  du  nom  de  Martin),  sut  découvrir  et  remettre  en  état, 
en  creusant  le  sol  de  la  prison,  une  galerie  souterraine  qui  allait 
aboutir  au  bord  du  lac,  et  une  nuit  Adélaïde  disparut  avec  ses 
deux  infatigables  compagnons  d'infortune.  Lorsque  Bérenger 
averti  arriva  pour  se  mettre  à  sa  poursuite,  elle  était  déjà  sous 
bonne  garde  à  Canossa,  où  l'évêque  Adelhard  de  Reggio  lui 
avait  olFert  un  asile,  et  Othon  I",  informé  par  le  moine  Martin, 
s'avançait  avec  une  puissante  armée  pour  préserver  de  tout 
nouvel  outrage  la  jeune  princesse,  dont  il  avait  secrètement 
demandé  et  obtenu  la  main.  11  l'épousa  en  954.  Quant  à  Bé- 
renger;,  il  mourut  prisonnier  à  Bamberg  en  966,  après  avoir 
deux  fois  abusé  de  la  générosité  avec  laquelle  Othon-le-Grand 
lui  avait  pardonné  deux  révoltes  successives  (d). 

N'y  a-t-il  pas  une  analogie  évidente  entre  les  tristes  destinées 
d'Adélaïde  pendant  cette  année  et  celles  de  Gudrun  durant  sa 
captivité  chez  les  Normands  ?  La  ressemblance  devient  encore 
plus  frappante,  quand  on  entre  dans  le  détail  des  événements. 
Adélaïde  tombe  au  pouvoir  d'un  vieux  roi,  qui  veut  lui  faire 
épouser  son  fils,  absolument  comme  Gudrun  est  tombée  au  pou- 
voir de  Ludwig  de  Normandie,  qui  veut  la  forcer  à  accorder  sa 
main  à  Hartmut.  De  même  que  Bérenger  menace  Adélaïde,  puis 
la  maltraite,  parce  qu'elle  se  refuse  à  devenir  la  femme  d'Adal- 
bert,  de  même  Ludwig  menace  Gudrun  et  la  jette  même  bruta- 
lement à  la  mer,  lorsqu'on  vue  des  côtes  de  Normandie  elle  lui 
fait  cette  fière  réponse  :  «  Laissez-moi  en  repos;  plutôt  que  d'ac- 
cepter la  main  d'Hartmut,  j'aimerais  mieux  être  morte  ;  il  n'est 
pas  d'une  race  faite  pour  mlnspirer  de  l'amour  ;  oui,  je  périrai 
plutôt  que  d'avoir  jamais  la  moindre  amitié  pour  lui.  »  A  côté 
de  Bérenger,  et  non  moins  acharnée  que  lui  à  torturer  sa  captive, 
nous  trouvons  AYilla,  une  indigne  virago,  une  harpie,  comme 
l'appelle  Luitprandt;  elle  a  également  son  digne  pendant  dans 
la  Gudrun,  c'est  Gerlinde,  la  vieille  sorcière,  la  vieille  mégère, 
comme  la  nomme  notre  poète. 

Toutes  les  tortures,  toutes  les  humiliations  sont  prodiguées 
à  Gudrun  comme  à  Adélaïde,  et,  si  ses  bourreaux  n'en  viennent 

1.  Cf.  IL    Widmann,    Zur  Kudrun  (1873)  et  Giesebrecht,   Geschichte 
der  deutschen  Kaiserzeit,  I,  346-364. 


—  206  — 

pas  jusqu'aux  coups,  comme  ce  fut  le  cas  pour  Adélaïde,  c'est 
qu'au  moment  suprême  une  ruse  suspend  l'exécution  des  mena- 
ces proférées  par  Gerlinde  et  que  le  lendemain  matin  la  vieille 
furie,  après  avoir  en  vain  essayé  de  faire  tuer  (  iudrun,  expie  ses 
forfaits  sous  l'épée  vengeresse  de  Wate. 

Enfin,  dernier  trait  de  ressemblance,  les  deux  princesses  sont 
dépouillées  de  leurs  parures  et  séparées  de  leur  suite  :  une 
fidèle  servante  obtient  seule  la  permission  de  les  accompagner 
dans  leur  abaissement  et  de  partager  leurs  misères;  à  l'une 
Bérenger  fait  arracher  les  cheveux,  l'autre  est  saisie  par  les 
cheveux  au  moment  où  Ludwig  la  jette  à  la  mer. 

Les  traitements  odieux  infiigés  par  Bérenger  à  sa  captive 
avaient  soulevé  l'indignation  de  toute  l'Allemagne  et  les  récits 
d'Odilon  de  Gluny;,  de  Hroswitha  et  de  Luitprandt  sont  là  pour 
attester  le  long  retentissement  qu'eut  ce  lamentable  événement. 
Or,  si  l'on  songe  qu'une  bonne  partie  des  exploits  d'Othon-le- 
Grand  et  de  son  frère  Henri  de  Bavière,  perpétués  d'un  côté  par 
les  auteurs  que  nous  venons  de  nommer,  amplifiés  et  modifiés 
de  l'autre  par  la  tradition  populaire,  ont  passé  dans  le  Roman 
du.  Duc  Erncsl,  dont  ils  forment  la  partie  à  moitié  historique,  on 
ne  sera  pas  étonné  que  simultanément  le  souvenir  des  souf- 
frances d'Adélaïde  ait  été  recueilli  et  immortalisé  par  l'auteur 
de  la  Gudvun.  Le  fait  est  d'autant  plus  naturel,  que  ce  dernier, 
comme  nous  l'avons  vu,  a  beaucoup  emprunté  au  poème  du  Duc 
Ernest,  et,  que,  par  cette  source  même,  il  se  trouvait  amené  à 
connaître  et  les  légendes  qui  en  forment  la  base,  et  celles  qui, 
comme  l'histoire  d'Adéla'ïde,  s'y  rattachent  étroitement. 

C'est  du  reste  à  peu  prés  la  seule  allusion  historique  certaine 
quoique  très  indirecte  que  contienne  la  Gudvun.  On  a  bien  émis 
l'opinion  que  le  passage  (Str.  5j,  où  le  poète  déplore  la  mort  de 
Gère,  pouvait  être  une  allusion  à  celle  de  Léopold  VII  d'Autri- 
che (1230),  ce  qui  placerait  vers  cette  date  le  premier  remanie- 
ment de  la  Gudrun  ;  mais  rien  ne  vient  confirmer  cette  hypo- 
thèse. 

De  même,  on  avait  conclu  de  la  strophe  602,  où  Horand,  vas- 
sal d'Hetel,  accorde  un  sauf-conduit  à  Hartmut,  que  ce  passage 
ne  pouvait  être  antérieur  à  1231,  Car  c'est  seulement  cette  année- 
là  que  les  princes  allemands  se  virent  conférer  cette  préroga- 
tive par  l'empereur.  A  cela  il  y  a  plusieurs  objections:  d'abord 
la  strophe  peut  être  interpolée  ou  tout  au  moins  avoir  subi  un 
remaniement^  et  ce  qui  tendrait  à  le  prouver,  c'est  qu'à  partir 
de  la  strophe  607,  il  n'est  plus  question  de  ce  sauf-conduit,  c'est 


—  207  — 

au  contraire  Horand  en  personne  qui  amène  les  Normands  à  la 
cour  d'Hegelingen  et  qui  présente  Hartmut  au  roi.  D'autre  part, 
M.  E.  Martin  a  fait  avec  raison  observer  que  le  droit  de  donner 
sauf-conduit,  reconnu  seulement  en  1231  d'une  manière  offi- 
cielle aux  princes  allemands,  était  sans  aucun  doute,  dans  la 
pratique,  exercé  par  eux  depuis  longtemps,  puisque  dès  1120 
Berthold  de  Zaehriiigen  en  accordait  déjà  à  des  marchands.  Le 
rescrit  impérial  de  1231  ne  fit  donc  que  régulariser  l'exercice 
d'un  droit  entré  de  longue  date  dans  les  mœurs.  Ainsi  disparaît 
en  même  temps  tout  point  de  repère  pour  assigner  à  cette  stro- 
phe, ou  au  passage  qui  la  contient,  une  date  exacte. 

On  a  encore  essayé  de  découvrir  d'autres  allusions  historiques 
dans  la  mention  du  Portugal  faite  à  la  strophe  222,  dans  l'éten- 
due assignée  au  Danemark  par  le  poème,  dans  les  plaisanteries 
auxquelles  se  livre  Frute,  lorsqu'il  supplée  Horand  dans  ses 
fonctions  d'échanson,  et  dans  divers  autres  passages  qu'il  serait 
trop  long  et  tout  à  fait  inutile  d'énumèrer  ici;  car  tous  les  résul- 
tats que  l'on  croit  obtenir  à  un  moment  donné  ne  tardent  pas  à 
s'écrouler;,  lorsqu'on  examine  d'un  peu  plus  près  et  les  faits  et 
les  dates  auxquels  ils  doivent  se  rapporter. 

Après  avoir  énuméré  tout  au  long  les  emprunts  faits  par  la 
Gudrun  à  la  littérature  contemporaine,  il  n'est  que  juste  en  ter- 
minant d'indiquer  les  imitations  dont  elle-même  a  été  l'objet  et 
de  passer  en  revue  les  poèmes  dans  lesquels  on  retrouve 
quelque  trace  de  son  influence.  Aussi  bien  la  liste  n'en  est-elle 
pas  longue. 

Nous  avons  déjà  eu  occasion,  à  propos  de  Wate,  de  Frute  et 
d'Horand,  d'indiquer  les  œuvres  du  moyen  âge  allemand  dans 
lesquelles  leur  nom  se  présente  :  ces  trois  héros  ayant  été  peu 
connus  en  Allemagne  en  dehors  du  cycle  d'Hegelingen,  nul 
doute  qu'ils  n'aient  passé  de  la  Gudrun  dans  les  poèmes,  où  on 
les  retrouve.  Tel  est  certainement  le  cas  pour  le  personnage  in- 
signifiant, qui  apparaît  dans  la  Fuite  de  Dietrich  sous  le  nom  de 
Frute.  C'est  encore,  sans  aucun  doute,  par  une  réminiscence  de 
notre  poème  que  Conrad  de  Wûrzbourg  fait  remplir  à  Frute  dans 
son  Engelhard  un  rôle  analogue  à  celui  que  jouent  Gharlemagne 
dans  la  légende  à!Amicus  et  Amélius  et  le  duc  de  Lombardie  dans 
celle  d'Amys  et  Amyloun.  Car,  si  Frute  était  bien  connu  dans  les 
légendes  du  Nord  comme  roi  de  Danemark  et  comme  un  prince 
d'une  largesse  et  d'une  bonté  sans  égales,  il  n'est  devenu  tant 
soit  peu  célèbre  en  Allemagne  que  du  jour  où  le  poème  de  Gu- 
drun y  eut  propagé  le  renom  <le  sa  magnificence  et  de  sa  gêné- 


—  208  — 

rosité.  Jamais  les  nombreuses  légendes,  qui,  en  Scandinavie,  se 
sont  groupées  autour  de  son  nom,  n'ont  pénétré  dans  la  tradition 
populaire  allemande  ;  et,  à  part  une  ou  deux  exceptions,  tous 
les  ouvrages,  qui  en  font  mention,  le  représentent  sous  les 
deux  aspects  que  nous  lui  connaissons  dans  la  Gudrun  :  c'est 
toujours  le  vieux  Frute,  Frute  le  généreux. 

Quant  à  Horand,  le  passage  du  Combat  de  la  Wartbourg,  où  il 
est  représenté  chantant  devant  Hilde,  ne  peut  laisser  aucun 
doute  sur  la  source  à  laquelle  a  puisé  ce  poème  ;  et  c'est  évi- 
demment ensuite  de  la  Guerre  de  la  Wartbourg  que  son  nom  et 
sa  réputation  de  chanteur  ont  passé  dans  toutes  ces  comparai- 
sons, sans  cesse  répétées  par  les  poètes  de  l'âge  suivant  et  dans 
lesquelles  se  résumait,  sous  forme  proverbiale,  le  nec  plus  ultra 
des  choses  désirables  ici-bas  :  la  beauté  d'Absalon,  l'habileté 
d'Horand  pour  le  chant,  la  force  de  Samson,la  sagesse  de  Salo- 
mon,  etc..  C'est  à  peine  si  on  peut  encore  en  réalité  appeler 
cela  une  imitation  de  notre  poème,  car  les  chanteurs  qui  répé- 
taient ce  dicton  en  l'empruntant  au  Combat  de  la  Wartbourg 
soupçonnaient-ils  même  l'existence  du  poème  qui  en  avait 
fourni  l'un  des  termes  ?  On  peut  à  bon  droit  en  douter. 

Par  contre,  il  est  une  œuvre  de  la  fin  du  xiii*  siècle  qui  atteste 
une  profonde  influence  de  la  Gudrun  :  c'est  la  Bataille  de  Ha- 
venne.  Déjà  le  mètre  dans  lequel  est  écrit  ce  poème  prouve  que 
son  auteur  était  familier  avec  celui  de  la  Gudrun. D'autre  partie 
griffon,  qui  effraie  si  fort  la  reine  Helche  dans  son  rêve,  et  les 
noms  de  deux  héros  secondaires^  Sigeband  d'Irlande  etMorung, 
ont  certainement  passé  de  la  première  partie  de  la  Gudrun  dans 
la  Bataille  de  Ravenne.  Mais  c'est  surtout  sous  le  rapport  du 
style  que  les  deux  poèmes  accusent  une  étroite  parenté  :  une 
foule  d'expressions  et  de  tournures  qui  leur  sont  communes  ont 
été  relevées  par  M.  E.  Martin  dans  son  édition  de  la  Bataille  de 
Ravenne  (1)  et  rendent  l'imitation  de  la  Gudrun  par  cette  der- 
nière absolument  incontestable  (2). 

1.  Deutsches  Heldenbuch  :  II,  Préface,  p.  liv. 

2.  Nous  avons  parlé  à  un  autre  endroit  de  la  singulière  puissance  que 
possède  la  géante  Hilde  dans  le  Chant  d'Ecke  (cf.  Livre  II,  chap.  ii), 
puissance  dans  laquelle  il  faut  voir  sans  conteste  un  souvenir  soit  de 
notre  poème,  soit  de  la  légende  populaire  d'Hilde.  Nous  en  dirons  autant 
de  la  résurrection  des  combattants  qui  se  produit  à  la  prière  de  Saint 
Oswald  dans  le  poème  du  même  nom;  à  la  vérité  elle  est  devenue  ici 
un  miracle  chrétien  et  les  premières  rédactions  de  la  Vie  de  Saint  Oswald 
sont  antérieures  à  notre  poème  ;  mais  ce  trait  qui  est  de  toute  antiquité 


—  200  — 

Enfin  notre  poùmc  offre  avec  deux  autres  ouvrages  contem- 
porains, le  Bitevolf  et  la.  Plainte,  des  analogies  tellement  frap- 
pantes, qu'on  ne  peut  y  voir  autre  chose  si  ce  n'est  le  résultat 
d'une  imitation  de  chaque  instant.  Non  seulement  le  dialecte 
est  le  même  dans  les  trois  poèmes,  ce  qui  n'a  rien  d'étonnant, 
puisqu'ils  sont  originaires  de  la  même  contrée,  mais  encore  des 
expressions  qui  ne  se  retrouvent  nulle  part  ailleurs,  des  noms 
propres  étrangers  à  chacune  des  trois  légendes,  des  membres  de 
phrases  entiers  sont  communs  aux  trois  ouvrages.  Mais  qui  a 
été  le  modèle,  qui  a  copié  l'autre?  C'est  ce  qu'il  est  difficile  de 
dire,  surtout  en  ce  qui  concerne  la  Plainle.  Les  trois  poèmes 
sont  contemporains  et  l'on  n'a  pas  encore  pu  établir  d'une  ma- 
nière irréfutable  l'ordre  dans  lequel  ils  se  sont  succédé.  Pour 
j5i<ero//'cependant,  la  présence  dans  le  poème  du  nom  de  Frute, 
qui  en  réalité  n'y  a  que  faire,  donnerait  à  penser  que  son  auteur 
a  connu  la  première  rédaction  de  la  Gndrim  et  qu'à  son  tour  le 
chanteur,  auquel  nous  devons  le  prologue  de  notre  poème,  avait 
lorsqu'il  le  composa,  lo  poème  de  Bùcrolf  sous  les  yeux.  Hagen 
et  Biterolf  montrent  en  effet,  dès  leur  enfance  la  plus  tendre,  des 
dispositions  absolument  semblables,  que  les  deux  poètes  dé- 
peignent en  termes  presque  identiques.  Tous  deux  ont  des  ins- 
tincts très  belliqueux;  ils  préfèrent  la  société  des  hommes  d'ar- 
mes à  celle  de  leur  nourrice  (1)  et,  partout  où  ils  aperçoivent 
des  armes,  ils  se  précipitent  dessus  (2).  Nous  aurons  du  reste 
occasion  de  voir  plus  loin  que  là  ne  se  bornent  pas  les  analo- 
gies entre  la  Gudrunel  lo  Bilerolf  :  unis  jusqu'au  bout  dans  une 
destinée  commune,  ils  nous  sont  parvenus  tous  deux,  copiés  de 
la  même  main,  dans  un  seul  et  même  manuscrit. 

dans  la  légende  d'Hilde  a  pu  être  facilement  emprunté  à  la   tradition 
orale  par  le  chanteur  ambulant  qui  composa  la  Vie  de  Saint  Osrvald. 

1.  Cf.  Gudrun,  slt.  1i  et  Biterolf,  vers  2028. 

2.  »  »  »     2b  »  »     2117. 


Fkcv.mp,  Gudrun.  14 


CHAPITRE  IV. 


INTRODUCTION   ET    PRUI'AtiATlON    DE    LA    LEr.ENDK   D  IIILDE    EN    ALLEMAGNE. 
KORMATION,   REMANIEMENTS    ET   TRANSMISSION    DU    POÈME. 

Nous  abordons  ici  ruiie  des  questions  les  plus  controversées 
qui  aient  été  soulevées  à  propos  de  notre  poème,  celle  sur  la- 
quelle, à  l'époque  actuelle,  les  critiques  sont  encore  le  moins 
d'accord.  Gomment  et  quand  s'est  formé  le  poème  de  Gudrun? 
Aucun  témoignage  direct  et  explicite  ne  permet  de  répondre  à 
cette  question  d'une  manière  absolue.  Toutefois  des  études  aux- 
quelles nous  nous  sommes  livrés  dans  les  chapitres  précé- 
dents, des  résultats  obtenus  par  divers  critiques,  résultats  que 
nous  avons  résumés  et  discutés,  il  ressort  certaines  indications, 
certains  faits,  qui,  rapprochés  les  uns  des  autres,  groupés  et 
comparés  sans  parti  pris,  permettent  de  reconstituer  d'une  façon 
assez  plausible  et  satisfaisante*  l'histoire  do  la  formation  et  du 
développement  progressif  de  la  (ludrun.  Nous  allons  essayer  de 
les  exposer. 

Un  fait  qui  s'impose  tout  d'abord  avec  une  évidence  indiscu- 
table, c'est  que  la  rédaction  la  plus  ancienne  et  la  plus  simple 
de  la  légende  d'Hilde^,  base  de  tout  le  poème,  est  d'origine  nor- 
dique, qu'elle  s'est  conservée  le  plus  fidèlement  dans  la  Saga 
d'Hugni  et  d'Hedhin,  telle  que  Snorri  la  reproduit,  et  que,  sous 
cette  forme,  elle  remonte  au  moins  au  ix^ou  au  viii'=  siècle.  Les 
traces  nombreuses  qu'ont  laissées  Wate  et  Horand  en  Angle- 
terre prouvent  déplus  qu'elle  devait  être  le  patrimoine  commun 
des  populations  riveraines  de  la  mer  du  Nord  et  qu'en  tout  cas 
elle  était  familière  aux  Anglo-Saxons.  En  outre,  la  présence 
même  de  ces  deux  héros  dans  des  passages  oîi  il  est  fait  allu- 
sion évidente  au  cycle  des  Hegelingen  montre  le  développement 
rapide  qu'avait  subi  la  légende  colportée  de  rive  en  rive  par  les 
hardis  pirates  du  Nord  (1). 

1.  Au  point  de  vue  de  ]a  diffusion  de  la  légende  de  W'ale  en  Angle- 
terre et  sans  prétendre  qu'il  fût  déjà  alors  introduit  dans  la  légende 
d'Hilde,  il  ne  sera  pas  inditïérent  de  faire  remarquer  qu'un  Ealdormann 
du  nom  de  ^Vado  apparaît  déjà  dans  l'histoire  de  Norlhumbrie  eu  809 
(Cf.  Lingard,  2*  édition  française,  I,  181). 


—  211  - 

Leurs  établissements  sur  les  côtes  de  la  Frise  l'implantèrent 
dans  cette  partie  de  l'Allemagne,  où  elle  paraît  s'être,  pour  la 
première  fois,  localisée  d'une  manière  précise.  Ce  n'est  pas  en 
effet  un  nom  par  hasard,  c'est,  comme  nous  l'avons  vu,  tout 
l'ensemble  des  désignations  géographiques,  c'est  leur  exacte 
concordance  les  unes  par  rapport  aux  autres  et  avec  la  réalité, 
qui  atteste  que  la  légende  commença  bien  par  ce  point  ses 
longues  pérégrinations  sur  le  sol  allemand. 

A  quelle  époque  y  pénélra-t-elle  ?  Sans  pouvoir  le  dire  d'une 
manière  précise,  il  n'est  pas  téméraire  d'affirmer  que  ce  fut 
sans  aucun  doute  au  plus  tard  à  la  fin  du  x^  siècle.  Rien  d'in- 
vraisemblable naturellement  à  ce  qu'elle  y  soit  arrivée  beau- 
coup plus  tôt  ;  mais,  si  Ton  considère  les  nouveaux  développe- 
ments, les  transformations  internes  que  suppose  V Alexandre  de 
Lamprecht,  on  conviendra  qu'à  l'époque  où  Lamprecht  y  faisait 
allusion,  une  assez  longue  période  avait  déjà  dû  s'écouler  depuis 
son  entrée  sur  le  sol  néerlandais.  Ce  n'est  pas  en  un  jour  que 
de  telles  modifications  s'introduisent  dans  la  légende  populaire, 
c'est-à-dire  précisément  dans  ce  qu'il  y  a  de  plus  immobile, 
dans  ce  qui  conserve  le  plus' longtemps  et  le  plus  fidèlement  les 
idées  et  les  souvenirs  du  passé. 

Or,  quels  changements  n'a-t-elle  pas  subis  dans  l'espace  de 
ces  deux  ou  trois  siècles  !  Quelle  différence  entre  la  simplicité 
de  la  narration  eddique  et  le  récit  déjà  plus  chargé  de  person- 
nages que  supposent  le  Chant  du  Voyageur  et  la  Plainte  de  Deùr  ! 
Mais  quelle  plus  grande  différence  encore,  si  l'on  considère  la 
rédaction  que  laisse  soupçonner  V Alexandre  ù^e  Lamprecht! 
Avec  ce  dernier  nous  entrevoyons  déjà  la  seconde  partie  du 
poème  toute  formée  et  telle^  sauf  le  dénouement,  que  nous  la 
retrouverons  dans  l'œuvre  définitive  ;  et,  chose  importante  à 
noter,  Lamprecht  en  parle  par  voie  d'allusion,  s'en  sert  comme 
d'un  terme  de  comparaison,  qu'il  suppose  naturellement  bien 
connu  de  tous.  Un  autre  témoignage,  à  peu  près  contemporain 
de  celui  de  Lamprecht,  vient  encore  confirmer  la  vraisemblance 
de  la  date  proposée  par  nous  plus  haut.  Dans  sa  Chanson  de 
Roland,  Conrad  évoque,  sans  nécessité  aucune,  le  souvenir  de 
Wate  (1)  :  voilà  donc  le  vieux  guerrier  transporté,  dès  avant  le 
milieu  du  xn«  siècle,  au  centre  même  de  l'Allemagne,  en  Bavière. ~ 
Or,  comme  nous  l'avons  vu  dans  le  chapitre  qui  lui  a  été  spé- 

i.  Rolandslled,  éd.  de  K.  Bartsch,  vers  7799  sqq.  —  Le  poème  de  Con- 
rad est,  seloQ  toute  probabilité,  antérieur  à  l'année  1139.  ' 


—  M-2  — 

cialemeht  consacré,  sa  légende  ne  fut  jamais  très  répandue  en 
Allemagne;  seule  donc  celle  d'Hilde  avait  pu  étendre  aussi  loin 
son  renom. 

Mais  il  y  a  plus  :  en  relevant  les  noms  de  Gudrun,  Hetel, 
Horand,  dans  un  certain  nombre  de  chartes  de  la  Haute-Alle- 
magne, K.  Mûllenhoff  a  prouvé  quils  y  étaient  connus,  et  par 
conséquent  que  la  légende  dont  ils  font  partie  y  circulait  dès  la 
seconde  moitié  du  xi"  siècle  (1).  La  forme  morne  de  ces  noms 
prouve  qu'ils  n'avaient  pu  pénétrer  dans  la  Haute-Allemagne 
que  par  une  source  basse-allemande.  L'héroïne  du  poème  s'ap- 
pelle Gudruti,  Chulrnn,  Chautmn:  or  cette  forme  ne  ]^eut  appar- 
tenir au  haut-allemand.  En  regard  du  nordique  (nidhrun,  le 
haut-allemand  aurait  offert  une  forme  Gundrun,  Kundrun,  comme 
par  exemple  à  (iudhère  correspond  Gunlher.  De  même  encore  la 
forme  haute-allomande  du  nom  d'Jhrand  est  Hérirand,  Herrand; 
enfin  le  nom  d'I/egclingen  a  évidemment  été  corrompu  par  un 
peuple  ou  par  un  chanteur  qui  n'avait  plus  conscience  de  sa 
valeur  ni  de  son  origine,  et  à  l'anglo-saxon  Ifrodeningns,  au 
nordi({ue  I/jadningar  corrt'sportdait  certainement  en  bas-alle- 
mand un  'J/alcninge,  déformé  jjeut-ètre  plus  lard  on  HelcAingc. 

Quoiqu'il  en  soit,  vers  l'époque  ou  Lamprecht  composait  son 
Alexandre,  et  en  tout  cas  l)ien  peu  après,  la  légende  d'Hilde, 
mise  en  contact  avec  une  histoire  analogue,  celle  de  Gudrun, 
dont  le  fondement  était  peut-être  réel,  se  fusionna  avec  elle  et 
il  en  résulta  une  première  ébauche  de  notre  poème. 

Cette  rédaction  était-elle  écrite  ?  Contenait-elle  déjà  l'allusion 
au  Portugal,  que  présente  la  strophe  222  du  poème  actuel?  Deux 
nouvelles  questions  auxquelles  on  ne  peut  répondre  d'une  ma- 
nière précise.  Nous  l'avons  déjà  dit,  s'il  fallait  s'en  rapporter 
aux  assertions  du  poète  haut-allemand,  sa  source  ou  tout  au 
moins  l'une  de  ses  sources  aurait  été  un  livre  (str.  505).  En  ce 
qui  concerne  le  Portugal,  l'allusion,  si  elle  est  du  chanteur  bas- 
allemand,  placerait  cette  première  version  peu  après  4147.  Mais 
il  est  tout  aussi  possible  qu'elle  provienne  de  l'auteur  haut-al- 
lemand ou  même  d'un  de  ses  remanieurs  :  aussi  ne  voulons- 
nous  nullement  en  invoquer  l'autorité  ;  car  de  toute  manière  le  ' 
milieu  du  xir''  siècle  s'impose  à  nous  d'après  ce  qui  précède 
comme  étant  l'époque  extrême  de  ce  premier  arrangement  (2). 

\.  Cf.  H.  Z.,Xn,  313  sqq. 

2.  A  quelle  époque    Frule  fut-il  ù  son  tour  iûtroduit  dans   la  légende 
et  sous  quelle  influence?  C'est  ce  qu'il  est  bien  difficile   de  déterminer. 


—  213  — 

Écrit  ou  transmis  oralement,  le  nouveau  poème,  résultat  de 
la  fusion  des  deux  légendes,  fut  bien  vite  porté  jusqu'au  fond 
de  la  Haute-Allemagne  par  un  de  ces  chanteurs  qui  affluaient 
dans  les  petites  cours  du  Rliin  inférieur  et  qui,  aussi  entrepre- 
nants qu'habiles,  se  lançaient  volontiers  dans  de  longs  voyages 
à  l'est  et  au  sud,  pour  aller  faire  connaître  et  admirer  aux  con- 
trées moins  avancées  du  centre  de  l'Allemagne  les  productions 
intellectuelles  écloses  dans  les  régions  plus  civilisées  et  plus 
raffinées  du  Bas-Rhin.  Ce  fait  n'a  rien  de  surprenant  ni  d'anor- 
mal et  semblerait  plutôt  être  la  règle  pour  toute  une  série  de 
poèmes  de  la  même  période.  Pour  ne  citer  que  les  principaux, 
V Alexandre  de  Lamprecht,  dont  nous  parlions  il  n'y  a  qu'un 
instant,  est  originaire  de  la  Basse-Allemagne  :  or  nous  le  re- 
trouvons dans  une  rédaction  en  haut-allemand  conservée  par  le 
manuscrit  de  Vorau,  qui  fut  écrit  au  xii'=  siècle  et  qui  nous  re- 
porte en  Styrie  ;  le  Duc  Ernesi  qui,  par  son  origine,  se  rattache 
aux  mêmes  parages,  était  connu  vers  1180  dans  la  Haute-Ba- 
vière et  c'est  à  un  chanteur  errant  du  P3as-Rhin  que  nous  devons 
le  Roi  Rother,  composé  par  lui  en  Bavière  au  plus  tard  vers  le 
milieu  du  xii"  siècle.  La  Gudnin  se  trouve  encore,  par  rapport  à 
sa  double  patrie^  dans  la  même  situation  que  le  Beowulf  et  lu 
Wilkinasaqa:  de  même  que  l'un  a  été  composé  par  un  Anglo- 
Saxon  d'après  des  traditions  danoises,  de  même  l'autre  doit  le 
jour  à  un  Scandinave  qui  recueillait  des  chants  bas-allemands 
et  saxons. 

Quel  fut  maintenant  l'auteur  de  la  première  rédaction  en  haut- 
allemand  ?  Selon  toute  apparence  un  de  ces  chanteurs  errants, 
sinon  même  celui  qui  avait  apporté  la  légende  dans  la  Haute- 
Allemagne.  Mainte  trace  dans  le  poème,  maint  passage  prouve 
encore  que  son  auteur  appartenait  à  cette  classe  de  gens  aussi 
décriés  en  théorie  que  bien  accueillis  en  pratique,  aussi  insa- 
tiables dans  leur  avidité  qu'habiles  et  peu  scrupuleux  dans  le 
choix  des  moyens  propres  à  la  satisfaire.  Le  plaisir  qu'éprouve 
l'auteur  à  vanter  la  libéralité  des  grands,  la  largesse  de  Frute, 
la  générosité  de  tel  ou  tel  couple  royal,  nous  le  montre  assez.  \\ 
en  est  de  même  de  l'éclat  donné  au  rôle  d'Horand,  du  pouvoir 
attribué  au  chant  et  à  la  poésie,  du  soin  enfin  avec  lequel  il  rap- 

Avant  les  allusions  déjà  citées  et  qui  ne  se  rapportent  qu'à  sa  libéralité, 
devenue  proverbiale,  on  ne  trouve  point  pour  lui  de  ces  mentions  d'une 
signification  décisive,  comme  nous  eu  avons  rencontré  pour  \\'ale  et  Ho- 
rand. 


—  214  — 

pelle  dans  chaque  fête  la  présence  des  chanteurs  errants,  l'em- 
pressement avec  lequel  on  se  groupe  autour  d'eux  et  la  magni- 
ficence avec  laquelle  ils  sont  récompensés  de  leurs  bons  offices. 
Il  ne  méconnaît  pas  encore  la  dignité  de  son  art  au  point  de 
faire  directement  appel  aux  largesses  de  ses  auditeurs,  comme  ce 
sera  le  cas  pour  plus  d'un  de  ses  pareils  au  siècle  suivant,  mais 
peu  s'en  faut,  et  les  exemples  de  générosité  qui  abondent  dans 
le  poème  sont  présentés  dune  façon  instante  et  intentionnelle, 
suggestive  on  pourrait  dire,  qui  se  passait  facilement  de  com- 
mentaires. Inutile  d'ajouter  qu'on  ne  sait  pas  son  nom. 

S'appuyant  sur  le  ton  religieux  qui  règne  dans  certains  passa- 
ges, ou  a  même  cru  pouvoir  affirmer  que  l'auteur  était  un  de  ces 
clercs  vagabonds,  dont  l'Allemagne,  à  la  plus  grande  confusion 
des  membres  honnêtes  du  clergé,  mais  à  la  plus  grande  joie 
des  moines  et  des  paysans,  regorgeait  alors,  et  qui  parcouraient 
les  villes  et  les  campagnes,  mêlés  le  plus  souvent  aux  chanteurs 
errants,  dont  ils  s'appropriaient  les  talents  et  les  vices.  Sans 
aller  aussi  loin  dans  nos  affirmations,  nous  n'hésitons  pas  à  re- 
connaître que  le  poème  a  dû,  une  fois  au  moins  au  cours  de  ses 
remaniements,  passer  entre  les  mains  d'un  clerc  de  cette  espèce. 
Mais  il  nous  semble  que  son  rôle  a  plutôt  été  celui  d'un  inter- 
polateur,  et,  si  nous  devions  lui  assigner  une  part  absolument 
déterminée  dans  la  transmission  de  l'ouvrage,  nous  lui  attribue- 
rions l'adjonction  de  la  première  partie  et  l'introduction  de  l'épi- 
sode où  sont  racontés  l'ensevelissement  des  morts  sur  le  Wûl- 
pensand  et  la  fondation  du  couvent  et  de  l'hôpital  :  car  c'est  là 
surtout,  abstraction  faite  de  courtes  interpolations  répandues 
dans  tout  le  poème  et  conçues  dans  le  même  esprit,  que  les  sen- 
timents religieux  et  le  zèle  intempérant  d'un  clerc  se  sont  donné 
le  plus  librement  carrière. 

Revenons  maintenant  au  poème  primitif  :  il  est  naturelle- 
ment impossible  de  savoir  avec  quelle  liberté  l'auteur  a  usé 
des  traditions  orales  ou  écrites  qui  étaient  à  sa  disposition.  Tout 
ce  que  permettent  d'entrevoir  certaines  particularités  de  l'œu- 
vre actuelle,  c'est  que  ces  traditions  étaient  des  chants  conçus 
dans  la  forme  simple  et  libre  du  xii''  siècle,  des  chants  compo- 
sés de  vers  de  quatre  arsis,  accouplés  deux  à  deux  en  rimes 
plates  et  se  succédant  sans  interruption  ou  peut-être  déjà  grou- 
pés en  strophes  plus  ou  moins  longues.  Ce  fait  expliquerait 
d'une  manière  assez  plausible  la  présence  de  la  plupart  des  ri- 
mes que  l'on  rencontre  à  la  césure,  d'autant  plus  que,  dans 
mainte  circonstance  et  surtout  dans  les  cas  où  cette  rime  inté- 


—  215  — 

rieure  se  rencontre,  la  seconde  partie  des  vers  de  la  Gudrun 
n'est  qu'un  pur  remplissage.  Le  poète  aurait  donc  assez  souvent 
conservé  le  texte  même  des  chants  primitifs,  se  contentant,  quand 
cela  était  possible,  d'achever  chaque  vers  et  de  compléter  à  peu 
de  frais  la  strophe  dans  la  forme  adoptée  par  lui.  Toutefois  il 
serait  téméraire  d'accorder  à  cette  explication,  si  ingénieuse  et 
si  plausible  qu'elle  soit,  une  valeur  trop  absolue,  ou  de  la  trans- 
former en  une  règle  générale  :  car  il  faut  se  rappeler  que  très 
souvent  aussi  l'introduction  de  cette  rime  est  un  fait  postérieur, 
voulu  par  les  remanieurs,  le  résultat  d'une  espèce  de  mode  qui 
s'implante  vers  le  milieu  du  xiii''  siècle  et  dont  les  Nibelimgen 
ont  aussi  ressenti  l'influence  (1). 

Un  seul  poète  a  réuni  tous  ces  chants  dans  une  œuvre  unique, 
cela  ressort  évidemment  de  l'unité  relative  que  l'on  constate 
dans  le  plan,  dans  l'exposition  du  récit  et  dans  le  style,  mais 
cela  ressort  surtout  de  la  fermeté  et  de  la  fixité  qu'on  observe 
dans  la  peinture  des  caractères. 

D'où  viennent  donc  ces  strophes  en  rythme  des  Nibelungen 
que  l'on  rencontre  rà  et  là?  Nous  ne  pouvons  guère  admettre  la 
réponse  que  fait  M.  K.  Bartsch  à  cette  question.  D'après  lui 
l'auteur  se  serait  avisé  tout  d'abord  d'écrire  son  leuvre  dans  le 
rythme  des  Niùelungcn  ;  ce  serait  seulement  alors  qu'ayant 
imaginé  une  nouvelle  espèce  de  strophe,  il  aurait  repris  l'ou- 
vrage entier  et  se  serait  appliqué  à  transformer  chaque  strophe 
d'après  le  modèle  adopté  par  lui.  Quel  singulier  travail  de  pa- 
tience se  serait-il  imposé  là!  On  comprendrait  qu'il  n'eût  pas 
marché  d'un  pas  très  rapide  dans  ce  remaniement  fastidieux, 
qui  devait  porter  sur  chaque  rime  et  sur  chaque  quatrième 
vers,  et  que  la  mort  l'eût  surpris  avant  qu'il  eût  pu  l'achever. 
Mais  ce  que  l'on  comprendrait  moins,  ce  serait  le  but  dans  le- 
quel il  l'aurait  entrepris  :  comment  admettre  qu'il  lui  eût  pris 
fantaisie  de  composer  un  ouvrage  d'aussi  longue  haleine  que  la 
Gudrun  dans  une  forme  qui  ne  lui  en  permettait  pas  la  produc- 
tion en  public?  S'il  a  éprouvé  le  besoin  de  réunir  à  un  jour 
donné  les  chants  populaires  en  un  tout  harmonieux  et  uniforme, 
c'était  évidemment  pour  lutter  contre  la  concurrence  des  poètes 
chevaleresques  et  pour  être  admis  comme  eux  à  lire  ses  récits 
dans  les  cordes  de  la  liante  société,  où  les  romans  d'aventures 
supplantaient  de  i)lus  en  plus  la  poésie  populaire  nationale.  Or, 

1.  C'est  également  l'opinion  de  M.  Symons,  comme  nous  l'avons  vu 
plus  haut  à  propos  de  la  versification  du  poème. 


—  216  — 

aussi  longtemps  que  son  poème  était  écrit  en  strophes  des  Ni- 
behmrjcn,  il  ne  pouvait,  sans  être  accusé  de  plagiat,  le  produire 
nulle  part,  et  il  ne  l'aurait  même  jamais  produit,  puiscpi'à  ce 
compte  son  long  et  ingrat  travail  de  prosodie  est  resté  inachevé. 

Ce  qui  nous  semble  le  plus  rationnel,  c'est  d'admettre  que  les 
strophes  en  question  ont  été,  comme  on  en  convient  générale- 
ment, introduites  après  coup  par  un  interpolateur  plus  au  cou- 
rant du  j-ythme  resté  toujours  populaire  des  Nibchmgen  que  de 
celui  moins  connu  et  beaucoup  plus  compliqué  de  la  Gadrun. 

Ajoutons  que,  remaniant  le  poème  dans  la  seconde  moitié  ou 
peut-être  môme  à  la  tin  du  xiii*'  siècle,  un  interpolateur  pouvait 
profiter  du  relâchement  intervenu  dans  l'observation  de  la  règle 
à  laquelle  nous  faisions  allusion  plus  haut  et  usurper,  sans 
qu'on  s'(Mi  formalisât,  un  mètre  déjà  employé  par  d'autres  poè- 
tes. Quant  au  disparate  qui  pouvait  en  résulter,  les  divers  in- 
terpolateurs  de  la  Gudrun  ont  fait  preuve  d'un  goût  assez  peu 
scrupuleux  et  assez  peu  délicat,  pour  (j[u'il  soit  permis  sans  lui 
faire  injure,  de  croire  l'un  d'eux  capable  de  s'en  être  peu  in- 
quiété (d). 

Lepays  dans  lequel  fut  composé  lej^oème  ne  fait  aucun  doute  : 
c'est  en  Autriche  et,  selon  toute  i)robabilité,  plus  spécialement 
en  Styrie  qu'il  nous  faut  chercher  sa  patrie  :  tous  les  critiques 
sont  d'accord  sur  ce  point  (2).  L'allusion  aux  avalanches  des 
Alpes  (str.  861)  semble  bien,  en  effet,  indiipier  que  le  poète  était 

\.  En  essayant  de  reconstituer,  dans  les  lignes  qui  précèdent,  l'his- 
toire de  la  formation  de  notre  poème,  nous  avons  fait  abstraction  des 
théories  émises  sur  ce  point  par  M.  Wilmanns,  dans  son  très  intéressant 
travail  intitulé  :  Die  Entwickeliing  der  Kwlrwidichtimg  untersucht  (Halle, 
AVaisenhaus,  1873,  in-S").  C'est  qu'en  dépit  du  talent  très  réel  dépensé 
par  l'auteur  dans  celte  étude,  en  dépit  des  progrès  que  ses  recherches 
ont  fait  faire  yà  et  là  à  la  critique  de  notre  poème,  ses  théories  très 
compliquées,  dans  leurs  combinaisons  et  basées  sur  des  idées  préconçues 
n'ont  pas  réussi  à  nous  convamcre,  et  nous  sommes  sous  ce  rapport  en 
nombreuse  compagnie.  Sans  entrer  donc  dans  une  discussion  détaillée 
des  hypothèses  émises  par  lui,  nous  nous  bornerons  à  signaler,  entre 
autres,  deux  articles  de  MM.  Wilkcn  (P.  (i.,  XX,  249  sqq.)  et  Martin 
(Z.  Z.,  XV,  194-  sqq  ),  où  son  système  est  battu  en  brèche  et  démoli  à 
l'aide  d'arguments  qui  ne  peuvent  laisser  d'iiésitalion  dans  l'esprit  de 
tout  lecteur  impartial. 

2.  De  nouveaux  témoignages  réunis  et  discutés  par  IM.  R.  Millier  (H. 
Z.,  XXXI,  82-95)  tendraient  à  reporter  cette  patrie  un  peu  plus  au  cœur 
de  l'Autriche,  dans  la  Basse-Autriche.  Il  en  serait  de  même  du  Bitcrolf 
(Cf.  R.  von  Mulh  dans  H.  Z.,  XXI,  ISS). 


-  217  — 

originaire,  ou  tout  au  moins  habitant  de  cette  partie  de  l'Allema- 
gne :  seul  un  auteur  familier  avec  ce  spectacle  grandiose  pouvait 
placer  ex-abrupto  une  comparaison  de  ce  genre  dans  le  récit 
d'une  bataille,  qui  se  livre  sur  les  bords  de  la  mer  du  Nord. 

Au  reste  le  dialecte  à  lui  seul  suffirait  à  prouver  la  patrie  de 
la  Gudrun  :  elle  est  la  même  que  celle  du  Biterolf  et  delà  Plainte, 
tous  deux  originaires  de  ces  contrées.  Nous  avons  déjà  eu  occa- 
sion, dans  le  chapitre  précédent,  de  faire  remarquer  les  analo- 
gies qui  existent  entre  ces  trois  ouvrages;  mais  c'est  surtout  au 
point  de  vue  du  dialecte  que  la  conformité  est  frappante  :  dans 
chacun  d'eux,  outre  un  certain  nombre  d'expressions  et  de  locu- 
tions qu'on  ne  retrouve  pas  ailleurs^  pas  même  dans  les  i\ibe- 
lungen,  on  observe  les  mêmes  infractions  au  strict  moyen-haut- 
allemand  :  p.  ex.  :  >Hv  remplacé  partout  par  ouw,  etc..  (1).  Les 
noms  de  pays  orientaux,  qui  ont  été  accumulés  comme  à  plaisir 
dans  Biterolf  et  Gudrun  sont  en  général  les  mêmes  de  part 
et  d'autre.  La  forme  Ormanie  pour  Normcmdie,  qui  est  la  plus  fré- 
quente dans  notre  poème,  est  aussi  la  plus  familière  au  Biterolf. 
De  même  encore  on  trouve  dans  la  Gudrun  un  pays  appelé 
Garadin;  or  on  en  rencontre  un  du  nom  de  Baradin  dans  Bite- 
rolf^ où  il  est  aussi  peu  déterminé  que  le  premier  dans  la  Gu- 
drun :  on  a  supposé  avec  raison  qu'il  y  avait  une  faute  de  copiste 
dans  Biterolf  et  qu'il  fallait  lire  Garadin  comme  dans  Gudrun. 
Car,  dernier  trait  "qui  achève  de  rapprocher  ces  deux  poèmes, 
ils  ont  été  sauvés  par  la  main  d'un  seul  et  même  copiste,  celui  du 
manuscrit  d'Ambras. 

On  est  moins  d'accord  sur  l'époque  à  laquelle  fut  composée  la 
première  rédaction  en  haut-allemand,  et  cela  se  comprend  faci- 
lement :.car,  toute  autre  indication  faisant  complètement  défaut, 
la  langue  et  la  versification  permettent  seules  de  la  fixer  d'une 
manière  approximative.  Or  la  langue  ne  change  pas  ainsi  du 
jour  au  lendemain,  et,  d'autre  part,  sous  le  rapport  de  la  versifi- 
cation, la  Gudrun  dépend  absolument  des  Aibelungen.  Suivant 
donc  que  l'on  admettra  pour  ceux-ci  une  date  plus  ou  moins  an- 
cienne, celle  de  la  Gudrun  avancera  ou  reculera  d'autant. 

Pour  le  moment  deux  systèmes  sont  en  présence.  Les  uns, 
et  c'est  le  plus  grand  nombre,  admettent  que  la  rédaction  des  A^/- 
belumjen  sous  leur  forme  actuelle  daterait  au  plus  tôt  de  1210  ; 
la  Gudrun  ne  saurait  donc  être  antérieure  à  cette  époque.  L'allu 

1.  Pour  plus  de  di-tails,  cf.  K.  .Miillenboff,  Kudrun,  lutrod.  p.  101-102; 
W,  Grimm,  Die  deuliclic  Ueldensage.,  p.  ioO-lol. 


—  218  — 

sion  à  Wigalois,  dont  nous  avons  parlé  dans  le  chapitre  précé- 
dent, tendrait  à  confirmer  cette  hypothèse,  si  tant  est  qu'elle  ne 
doive  pas  être  attribuée  à  l'un  des  interpolateurs;  car  le  Wiga- 
lois de  Wirut  de  Gravenberg  est  en  tout  cas  postérieur  aux  cinq 
premières  années  du  xiii''  siècle.  Il  en  est  de  môme  du  mot  Wâ- 
leis,  qui,  lui  du  moins,  appartient  sans  conteste  à  la  rédaction 
primitive  et  que  l'auteur  n'a  pu  connaître  sous  cette  forme  avant 
l'apparition  du  Parcival  de  Wolfram  d'Eschenbach:  or  le  Parcivat 
fut  achevé  tout  au  plus  vers  121.").  De  plus  l'imitation  du  style 
de  Wolfram  est  visible  en  plus  d'un  endi'oit,  surtout  dans  les 
remarques  ironiques  qui  accompagnent  les  descriptions  de  com- 
bats. Nous  arrivons  donc  ainsi  à  l'année  1215,  comme  étant  au 
plus  tôt  celle  où  la  Gudrun  a  pu  être  composée.  D'autre  part,  la 
strophe  de  la  Gudrun  ayant  été  elle-même  imitée  par  Wolfram 
d'Eschenbach  dans  son  Tifnrcl,  et  cet  ouvrage  n'ayant  pas  été 
composé  beaucoup  plus  tard  que  1215,  c'est  assez  exactement 
entre  1212  et  1215  que  se  placerait  la  naissance  de  notre  poème. 

A  cela  quehjues  critiques,  et  surtout  M.  K.  Bartsch  (1),  ont 
fait  plusieurs  objections  :  d'abord  la  date  de  1210  admise  pour 
les  Nibelungen  n'est  nullement  certaine;  rien  ne  prouve  que  dés 
1190  il  n'existait  pas  déjà  une  rédaction  de  ce  poème  dans  la 
strophe  que  nous  connaissons.  De  môme,  selon  quelques  philo- 
logues, le  Tilurel  serait  une  œuvre  de  la  jeunesse  et  non  de  la 
maturité  de  Wolfram  et  devrait  être  reporté  vers  l'an  1200.  La 
Gudrun,  d'après  ces  nouvelles  données,  se  placerait  entre  1190 
et  1200  (2). 

Nous  concéderons  volontiers  à  M.  Bartsch,  comme  nous  l'a- 
vons fait  tout  à  l'heure,  que  la  présence  de  W^igalois  dans  la 
Gudrun  peut  être  mise  au  compte  d'un  des  interpolateurs  ;  il  n'en 
reste  pas  moins  que  celle  de  la  forme  francisée  de  Wâleis  con- 
serve toute  sa  valeur  et,  d'autre  part,  les  dates  nouvelles  propo- 
sées pour  les  Nibelungen  et  le  Tlturel  ne  sont  que  de  simples  hy- 
pothèses, auxquelles  la  grande  majorité  des  savants  sont  loin  de 
se  rallier.  Enfin,  quand  on  jette  un  coup  d'œil  rétrospectif  sur  le 
chemin  parcouru  par  la  légende,  depuis  son  introduction  en  Al- 
lemagne, et  sur  ses  accroissements  successifs  à  dater  de  ce  mo- 
ment, quand  on  voit  à  quel  point,  au  témoignage  de  Lamprecht, 

\.  P.  G.,  X,  148  sqq. 

2.  Ajoutons  que  celte  date  acquerrait  un  titre  de  vraisemblance  de 
plus,  si  on  adopte  celle  proposée  pour  le  Bitcrolfpar  R.  voa  l\Iulh  (II.  Z., 
'21,  18N),  c'csl-à-dire  1102  u  12U0. 


~  219  — 

elle  en  était  encore  vers  4150,  il  semble  un  peu  hâtif  de  la  sup- 
poser quarante  ans  plus  tard  déjà  implantée  en  Styrie,  ou  même 
plus  loin  encore,  sous  sa  forme  complète  (car  c'est  dans  l'inter- 
valle qu'a  dû  se  faire  la  fusion  avec  la  légende  de  Gudrun),  et 
déjà  assez  célèbre  et  recherchée,  pour  qu'un  chanteur  ambulant 
ait  cru  pouvoir  avec  protit  en  entreprendre  une  rédaction  écrite 
destinée  à  lutter  dans  la  faveur  de  la  haute  société  avec  les  ré- 
cits des  poètes  de  cour.  Cela  paraît  d'autant  plus  surprenant  en 
effet  que  notre  poème,  en  dépit  de  l'intérêt  qu'il  peut  et  doit  ins- 
pirer, n'a  jamais  exercé  sur  le  moyen  âge  cette  espèce  d'engoue- 
ment qu'inspirèrent  les  Nibelwujen  et  les  poèmes  d'aventures; 
nous  n'en  aurons  plus  loin  qu'une  preuve  trop  décisive. 

Le  plus  sur  semble  donc  être  de  s'en  tenir  à  l'opinion  com- 
mune et,  sans  chercher  à  faire  remonter  si  haut  l'origine  du 
poème  primitif,  d'admettre  les  années  1212  à  1215  comme  date 
approximative  de  sa  composition. 

Vingt  ou  trente  ans  plus  tard, il  subit  un  premier  remaniement 
dont  le  caractère  le  plus  marquant  parait  avoir  été  l'adjonction 
de  la  première  partie,  et,  çà  et  là,  quelques  interpolations  des- 
tinées à  la  relier  aux  deux  autres.  M.  Miillenhoff  le  place  vers 
1230,  et  il  n'y  a  pas  plus  de  raisons  de  repousser  cette  date  que 
de  l'admettre  avec  une  rigueur  absolue. 

Dans  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle,  une  main  peu  exercée 
lui  fit  encore  subir  une  transformation  :  c'est  à  elle  qu'il  faut 
attribuer  une  partie  des  rimes  à  la  césure  et  toutes  les  strophes 
écrites  dans  le  mètre  des  Nibelungen. 

Ce  devait  être  sa  dernière  métamorphose  :  moins  heureux  que 
certains  poèmes,  Freklank  et  Reineke  Fuchs  par  exemple,  qui,  à 
travers  des  dizaines  de  rajeunissements,  parvinrent  sans  aucune 
éclipse,  si  courte  qu'elle  fût,  jusqu'au  jour  où  l'imprimerie  les 
répandit  à  profusion  et  leur  rendit  une  nouvelle  vogue,  le  poème 
de  Gudrun  voit  à  partir  du  xiv**  siècle  disparaître  de  plus  en  plus 
ses  admirateurs.  A  peine  même  quelques  poètes  du  xiii'^  font-ils, 
par  hasard,  allusion  au  chant  d'Horand  :  et  encore  la  plupart 
citent-ils  ce  fait  comme  une  réminiscence  proverbiale  et  sans 
paraître  s'inquiéter  ni  se  douter  de  son  origine  :  la  Gudrun  tombe 
dans  le  plus  profond  oubli. 

C'est  l'honneur  de  l'empereur  Maximilien  I"  de  l'en  avoir  tirée 
et,  dans  son  zèle  éclairé  pour  les  lettres,  de  l'avoir  arrachée  à 
temps  à  une  destruction  irrémédiable.  Le  15  avril  1502,  il  char- 
gea son  trésorier  Guillaume  d'Oy  d'envoyer  un  secrétaire  dans 
la  vallée  de  l'Adige,  où  il  avait  appris  l'existence  d'un  manus- 


_  2-20  - 

crit  du  Livi^e  des  Héros  (1),  dont  il  désirait  avoir  une  copie.  En 
d504  (2),  Hans  Ried,  péagersur  l'Eisack  près  de  Botzen,  au  con- 
fluent de  l'Eisack  et  de  l'Adige,  fut  chargé  de  ce  travail  auquel 
il  paraît  s'être  appliqué  sans  relâche  jusque  peu  avant  sa  mort 
arrivée  en  1516.  On  possède  la  série  des  lettres  par  lesquelles 
Maximilien,  l'entourant  sans  cesse  de  sa  sollicitude,  veillait  à  ce 
qu'on  lui  payât  régulièrement  une  indemnité,  assez  maigre  il  est 
vrai  (3). 

Achevé  selon  toute  vraisemblance  vers  1515,  le  manuscrit  fut 
alors  confié  à  un  artiste  resté  inconnu,  qui  Torna  somptueuse- 
ment de  dessinset  de  miniatures.  La  seule  trace  qu'il  ait  laissée 
est  son  chiffre  V.  F.  et  la  date  de  1517,  qui,  dessinée  au  feuil- 
let 215,  semble  être  celle  où  il  termina  son  travail. 

Ce  splendide  manuscrit,  aussi  précieux  comme  œuvre  d'art 
que  comme  monument  littéraire,  fut  alors  déposé  dans  les  Archi- 
ves du  Château  dAmbras,  où  il  ne  tarda  pas  à  être  aussi  oublié 
que  l'était  le  poème  lui-même.  Il  n'en  devait  sortir  que  dans  les 
premières  années  de  notre  siècle  (4). 

1 .  C'est  de  ce  fameux  manuscrit  connu  sous  le  nom  de  Heldenbuch 
an  lier  Etsch  (nom  allemand  de  l'Adige)  que  dérive  également  le  ma- 
nuscrit de  IJerlin  des  ISibcbinQcn. 

2.  Au  sujet  de  cette  ilale,  voir  0.  Zingerle,  H,  Z.,  Adz.,  XiV,  291.  — 
Dans  un  autre  article  (H.  Z.,  XXVII,  I36-I4'0, M.  Zingerle  confirme  l'opi- 
nion d'après  laquelle  le  prototype  du  manuscrit  copié  par  H.  Ilied  datait 
de  la  1"  moitié  du  xiv»  siècle. 

3.  Cf.  P.  G.,  IX,  381  sqq. 

4.  On  en  trouvera  une  description  détaillée,  avec  la  liste  complète  des 
nombreux  poèmes  qu'il  contient,  dans  la  Description  de  lu  Collection 
d'Ambras  d'A.  Primisser  parue  en  1819  (p.  27G-279),  et  dans  E.  von 
Sacken,  Die  K.  K.  Ambraaer  Sammhtng  beschrieben  (W'ien,  Braumùller, 
iSbb,  2  vol.  in-H"),  II,  229.  —  Sur  Hans  Ried,  le  copiste  du  manuscrit, 
cf.  Schonherr,  Der  Schreiber  des  Htldcnbuchs  in  der  K.  K.  Ambraser 
Sawmhing  (P.  G.,  IX,  38t-384). 


CHAPITRE   V. 


DÉCOUVERTE   DU   MANUSCRIT   D  AMBRAS.    EDITIONS    DU   POÈME  ; 

TRAVAUX   CRITIQUES  ;    TENTATIVES   DE   RESTAURATION  ;    TRADUCTIONS  ; 

IMITATIONS  ;    ADAPTATIONS   A    LA    SCÈNE. 


Trois  siècles  s'étaient  écoulés  depuis  que  ce  beau  manuscrit 
reposait,  ignoré  de  tous,  dans  les  archives  du  château  d'Am- 
bras  en  Tyrol  :  tout  souvenir  du  poème,  toute  trace  de  la  lé- 
gende s'était  efïacée  de  la  mémoire  du  peuple:  pas  la  moindre 
ballade,  pas  le  plus  petit  conte  n'en  était  resté  et  J.  (Trimm,  re- 
levant dans  ses  Anciennes  Syîves  germaniques  certaines  allusions 
à  Hilde  et  à  Horand  éparses  dans  la  littérature  allemande  du 
moyen  âge,  en  était  réduit  à  supposer  qu'elles  se  rapportaient  à 
quelque  poème  perdu,  lorsqu'on  1816,  l'année  même  où  le 
travail  de  J.  Orimm  paraissait,  A.  Primisser,  qui  s'occupait  du 
classement  de  la  collection  d'Ambras,  dont  il  était  conserva- 
teur, reconnut  le  contenu  du  manuscrit  et  sa  haute  valeur.  11  fit 
sur-le-champ  part  au  monde  savant  de  sa  découverte  dans  ses 
Nouvelles  Hebdomadaires  de  1816  et  y  inséra  quelques  mois 
plus  tard  une  analyse  du  poème.  Cette  bonne  nouvelle  fut  re- 
produite presque  aussitôt  par  la  (7a-e//e  savante  de  Vienne,  qui, 
outre  l'analyse  du  poème,  en  donna  un  spécimen.  L'année  sui- 
vante, la  sixième  aventure,  la  plus  belle  de  tout  l'ouvrage,  fut 
publiée,  dans  une  langue  un  peu  rajeunie,  dans  les  Archives  de 
Géographie,  d'Histoire,  etc..  du  baron  de  Hormayr. 

Enfin,  en  ISiiO,  H.  von  der  Hagen  et  A.  Primisser  l'éditèrent 
dans  le  Tome  P""  de  leur  Livre  des  Héros.  Tout  en  se  bornant  à 
reproduire  intégralement  le  manuscrit,  H.  von  der  Hagen  se  per- 
mit quelques  corrections  évidentes  et  accompagna  son  édition 
d'un  certain  nombre  de  conjectures  (l).Les  multiples  citations 
dont  le  poème  fut  de  suite  l'objet  dans  la  Grammaire  allemande  et 
dans  les  Antiquités  du  droit  allemand  de  J.  Grimm,  la  collection 
des  témoignages  concernant  la  légende  et  la  première  et  en- 

1.  Une  nouvelle  collation  du  manuscrit  a  été  enlreprise  depuis  par 
M.  Fr.  Gartner,  qui  en  a  publié  les  résultats,  peu  importants  du  reste, 
dans  P.  G.,  IV,  106  sqq. 


—  222  — 

thousiaste  appréciation  de  W,  Grimm  dans  sa  Légende  héroïque 
allemande  témoignent  suffisamment  de  l'attention  qu'il  excita  dès 
l'abord  dans  le  monde  savant. 

Et  cependant  il  restait  ignoré  en  dehors  d'un  petit  cercle  de 
connaisseurs  :  dans  l'état  informe,  dans  lequel  le  manuscrit  l'a- 
vait transmis  et  dans  lequel  l'édition  de  H.  von  der  Hagen  le  re- 
produisait, la  lecture  en  était  difficile  et  pénible;  il  semblait  en- 
seveli plutôt  que  mis  au  jour  dans  le  Livre  des  Héros.  Heureuse- 
ment l'année  1835  vit  s'ouvrir  pour  lui  une  nouvelle  ère  :  Ger- 
vinus  en  donne  dans  son  Histoire  de  la  poésie  allemande  une 
description  presque  plus  enthousiaste  que  celle  de  W.  Grimm 
et  lui  assigne  son  rang  immédiatement  après  les  Nibelungen  (d); 
en  même  temps  A.Ziemann  en  publie  nue  édition,  dans  laquelle 
les  formes  du  moyen-haut-allemand  sont  rétablies,  non  sans 
quelque  violence  de  temps  à  autre,  et  qui,  toute  défectueuse 
qu'elle  est  encore,  a  du  moins  l'avantage  de  le  rendre  désormais 
plus  abordable  :  à  partir  de  ce  moment,  l'élan  est  donné  et  les 
travaux  consacrés  à  notre  poème  se  succèdent  avec  rapidité. 

Outre  les  éditeurs  successifs,  dont  il  serait  superflu  de  donner 
la  liste  ici,  et  dont  chacun  apporte  naturellement  son  contingent 
d'efforts  à  la  reconstitution  du  texte,  bon  nombre  de  savants  y 
ont  contribué  pour  leur  part  et  ont  exercé  leur  sagacité  sur  cer- 
tains passages,  qui  les  avaient  plus  spécialement  frappés. 
C'est  ainsi  que,  dans  son  Livre  de  lectures  (2),  Wackernagel  amé- 
liore considérablement  le  passage  de  notre  poème  qu'il  y  insère 
(str.  372-428).  De  même  M.  Haupt  propose  dans  son  Journal  pour 
l'antiquité  allemande  (3)  une  série  de  conjectures,  où  l'on  reconnaît 
la  sagacité  de  ce  grand  savant  et  que  la  critique  a  presque  una- 
nimement adoptées  depuis.  Citons  encore  une  brochure  de  M.  E. 
Martin,  Remarques  sur  la  Gudrun  (1867),  dont  les  résultats  ont 
passé  ensuite  dans  son  édition  du  poème  (1872). 

Malheureusement,  en  dépit  de  tous  les  efforts,  l'état  dans  le- 
quel le  manuscrit  nous  est  parvenu,  joint  à  cette  circonstance 
qu'il  est  unique  et  postérieur  de  trois  siècles  à  la  date  de  la  ré- 
daction du  poème,  ne  permettra  jamais  d'arriver  à  la  constitu- 
tion d'un  texte  absolument  satisfaisant  et  définitif.  W.  Grimm 
lui-même,  qui,  après  avoir,  de  1843  à  1849,  pris  à  diverses  re- 
prises le  poème  de  Gudrun  pour  sujet  de  ses  cours,  avait  long- 

1.  4<=  édition,  I,  3o3-359. 

2.  Dans  l'édition  de  1861,  col.  55a  sqq. 

3.  H,  280;  III,  186;  V,  504. 


—  228  — 

temps caressf'  l'idée  d'en  donner  une  édition,  a  fini  par  y  renon- 
cer et  il  n'est  resté  de  son  projet  qu'un  certain  nombre  de  con- 
jectures et  de  corrections  faites  par  lui  au  courant  de  la  plume 
dans  un  exemplaire  de  l'édition  d'Ettmiiller  et  utilisées  par 
M.  E.  Martin  dans  son  travail  (1). 

Actuellement  la  Gudrun  se  présente  pourtant  à  nous  sous  une 
forme  correcte  et  facile  à  lire  dans  deux  éditions  recommanda- 
bles  à  divers  titres  :  celle  de  M.  K.  Bartsch  (1865)  et  celle  de 
M.  E.  Martin  (1872),  la  première  pourvue  de  notes  explicatives 
abondantes,  la  seconde,  plus  strictement  scientifique  et  renfer- 
mant, outre  un  commentaire  très  substantiel,  tout  l'appareil  cri- 
tique (2). 

Outre  les  notes  et  introductions  de  ces  diverses  éditions,  on  a 
fait  également  beaucoup  pour  le  commentaire  du  pnème  dans 
bon  nombre  de  travaux  de  plus  ou  moins  longue  haleine.  In- 
dépendamment de  .T.  Grimm,  dans  ses  Antiquités  du  droit  alle- 
mand et  de  K.  Weinhold  dans  ses  Femmes  allemandes  au  moyen 
âge,  qui  le  citent  à  chaque  pas,  y  apportant  et  en  tirant  tour  à 
tour  maint  éclaircissement  sur  la  vie,  les  mœurs  et  les  coutumes 
du  moyen  âge,  on  ne  peut  omettre  les  travaux  plus  récents  de 
R.  Hildebrand  (1870),  G.  Hofmann  (1867),  A.  Birlinger  (1873)  et 
surtout  ceux  de  K.  Bartsch  et  E.  Martin  qui,  dans  leurs  édi- 
tions, ont  résumé  tous  ceux  de  leurs  devanciers  (3). 

Cependant  un  autre  ordre  de  questions  avait  de  bonne  heure 
attiré  l'attention  de  queL^ues  critiques.  Gomme  toute  épopée  po- 
pulaire en  général,  la  Gudninn'est  évidemment  pas  l'œuvre  d'un 
seul  auteur  ;  c'est  ce  que  nous  avons  eu  plus  d'une  fois  l'occasion 
de  reconnaître.  Aussi  devait-il  arriver  qu'à  l'imitation  de  ce  qu'a 
fait  Lachmann  pour  les  Nibelungen  on  tentât  de  restituer  le 
poème  primitif  de  Gudrun.  Dès  1841  en  effet,  Ettmiiller,  dans  son 
édition,  avait  essayé   de  séparer  les  parties  authentiques  des 

\.  L'Introduction  de  ce  cours  a  été  retrouvée  dans  les  papiers  de  W. 
Grimm  et  imprimée  dans  le  Tome  IV  de  ses  Kleinere  Schriftcn  ((iùtersloh, 
Bertelsmann,  1887,  in-8o),  p.  524-570. 

2.  A  ces  éditions  il  faut  ajouter  maintenant  celles  de  E.  Martin  (Tome  2 
de  la  Sammlung  gcrmanistischer  Hilfsmiltel  fur  den  praktischen  StudleU' 
zweck,  Halle,  Waiseuliaus,  1883,  in-S»),  de  15.  Sjmons  (Toaie  o  de  la  Alt- 
deatsche  Tcxlbibliothck,  Halle,  Niemeyer,  1883,  iu-S")  et  de  K.  Bartsch 
(Tome  6  de  la  Kûrschners  Deutsche  National-Litteratiir,  Berlin  uud  Stutt- 
gart, Spemaun,  188o,  in-8"). 

3.  Citons  en  outre  ceux  de  Klee  (P.  G.,  XXV,  39G-402),  Martin  (Z.  Z., 
XV,  194-222)  et  Symons  (P.B.B.,  IX,  1-100). 


•1-lk  — 


parties  interpolées  et  avait  même  cru  pouvoir  reconnaître  dans 
ces  dernières  la  main  de  trois  intcrpolateurs  différents,  entre 
lesquels  il  avait  réparti,  d'après  certains  principes,  tout  ce  qu'il 
considérait  comme  apocryphe.  Mais,  au  fond,  il  n'avait  su  se  tenir 
à  aucune  règle  fixe  et  s'était  le  plus  souvent  laissé  décider  dans 
l'attribution  de  telle  strophe  à  tel  interpolateur  par  les  raisons 
les  plus  variables  et  les  plus  arbitraires. 

K.  Mûllenhoff  reprit  avec  plus  de  rigueur  le  même  travail 
en  1845,  et,  à  la  suite  d'une  longue  et  scrupuleuse  étude  de  120 
pages,  il  publia  le  poème  restauré,  tel  qu'il  avait  dû,  selon  lui, 
sortir  des  mains  du  compositeur  original.  Sans  nier  qu'il  n'ait 
fait  preuve  dans  ses  discussions  d'une  science  très  vaste  unie  à 
une  grande  finesse  d'interprétation  et  à  une  profonde  intelli- 
gence de  la  poésie  épique  populaire,  on  ne  peut  s'empêcher  d'a- 
vouer que  son  argumentation  est  parfois  très  spécieuse  et  ses 
raisons  trop  souvent  toutes  subjectives.  La  meilleure  preuve  en 
est  que,  parmi  ceux  mêmes  qui  admettent  ses  principes  sans 
restrictions  et  ses  résultats  dans  leur  ensemble,  aucun  n'a  pu 
se  résoudre  à  conserver  le  poème  tel  qu'il  l'avait  restauré  :  et, 
depuis  W.  von  Plimnies,  (|ui,  en  1853.  a  donné  une  édition 
et  une  traduction  des  parties  aulhenliques,  jusqu'à  M.  Klee,  qui, 
dans  ces  derniers  mois,  en  a  publié  une  traduction,  chacun  a  cru 
pouvoir,  toujours  avec  les  meilleures  raisons  du  monde,  ajouter 
ici,  retrancher  là,  bref  refaire  un  poème  primitif  à  son  goût  (1). 
Car.  sans  vouloir  encore  une  fois  mettre  en  question  tout  le  ta- 
lent dépensé  dans  ces  sortes  d'études,  c'est  là  en  définitive  qu'a- 
boutissent tous  les  efforts  de  ce  genre.  On  peut  bien,  en  général, 
dégager  la  donnée  primitive  des  amplifications  ultérieures 
qu'elle  a  subies,  et  c'est  ce  que  nous  avons  essayé  de  faire;  on 
peut  montrer  en  gros  ce  que  chaque  siècle  a  successivement  ap- 
porté de  matériaux  à  l'œuvre  commune  et  anonyme.  Mais,  vou- 
loir faire  le  décompte  sévère  et  absolu  du  nombre  de  vers  ou  de 
strophes  que  tel  copiste  a  interpolées,  prétendre,  surtout  quand 
il  ne  reste  qu'un  manuscrit  du  xvi' siècle,  indiquer  la  date  précise 
où  tel  passage,  le  plus  souvent  insignifiant,  a  été  ajouté  par  un 
remanieur,  c'est  à  nos  yeux  une  pure  utopie,  qui  laisse  la  porte 
ouverte  à  tous  les  genres  de  tentatives  arbitraires,  comme  nous 
l'avons  montré  récemment  à  propos  du  travail  de  M.  Klee  (2). 

■I.  W.  voD  Plonnies,  par  exemple,  tout  en  déclarant  adhérer  com- 
plètement aux  résultats  de  K.  Mûllenhoff,  admet  dans  son  édition  p/ws  de 
deux  cents  strophes,  que  ce  dernier  rejetait. 

"2.  Cf.  Remie  criliQue,  1878,  art.  lo6. 


—  225  — 

Il  nous  reste^  pour  terminer  ce  rapide  coup  d'œil  rétrospectif, 
à  dire  un  mot  des  traductions  du  poème.  Elles  peuvent  se  ré- 
partir en  deux  groupes  ;  d'une  part,  celles  qui  ont  pour  but  de 
traduire  le  poème  tout  entier  :  à  leur  tête  se  place  par  l'ancien- 
neté, la  valeur  et  le  succès  constant  celle  de  K.  Simrock  (1843); 
on  peut  également  citer  avec  éloge  celle  de  Keller,  qui  précéda 
de  trois  années  le  travail  de  Simrock,  et  celle  toute  récente  de 
M .  Junghans ,  dans  \2i  Bibliothèque  Universelle  de  Reclam  (  1873)  (  1  ) . 

A  côté  de  cela,  quelques  traducteurs  se  sont  proposé  de  faire 
connaître  le  poème  au  grand  public,  qu'auraient  pu  rebuter  la 
longueur,  les  répétitions  et  les  incohérences  trop  fréquentes 
dans  les  ouvrages  de  ce  genre,  et,  dans  ce  but,  ils  l'ont  traduit 
tel  que  la  critique  l'avait  restitué  ou  tel  qu'ils  l'avaient  rétabli 
d'après  leur  idée.  Les  parties  authentiques  publiées  par  K.  Mûl- 
lenhoffont  été  traduites  par  F.  Koch  (1847)  (2).  W.  von  Plonnies 
a  également  donné  la  traduction  en  regard  du  texte  admis  par 
lui  (1853).  A.  Bacmeister,  à  son  lour,  a  arrangé  les  deux  der- 
nières parties  (1860),  enfin  A.  Niendorf  a  publié  une  traduc- 
tion de  la  troisième  partie  seule,  les  aventures  de  Gudrun  (1855). 

Enfin  quelques  savants,  sans  s'astreindre  à  suivre  un  texte 
déterminé,  ont  refait  ou  proposé  de  refaire  le  poème  sur  de  nou- 
velles bases  et  d'après  d'autres  modèles.  San  Marte  en  a  donné 
une  imitation  libre,  calquée  sur  la  Saga  de  Frithiofde  Tegner  et 
conçue  dans  ce  genre  un  peu  trop  sentimental  pour  un  sujet 
épique  (1839)  ;  Gervinus,  dans  une  brochure  anonyme  parue  en 
1836^  a  émis,  avec  un  spécimen  à  l'appui,  la  proposition  de  re- 
faire la  Gudrun  en  hexamètres,  sur  le  modèle  de  l'épopée  clas- 
sique et  dans  le  style  d'Homère  et  de  Virgile.  Quelque  ingénieux 
que  soit  le  plan  présenté  par  lui  et  reproduit  depuis  dans  ses 
parties  essentielles  par  M.  L.  Schmidt  (1873),  il  ne  nous  semble 
pas  qu'il  soit  réalisable.  On  n'obtiendra  jamais  autre  chose 
qu'un  pastiche,  une  caricature  de  l'épopée  classique,  quelque 
chose  dans  le  genre  faux  et  inintelligent  de  V Homère  de  Voss; 
et  c'était  bien  là  en  effet  le  caractère  saillant  du  spécimen  pu- 
blié par  Gervinus  à  l'appui  de  son  idée  (3). 

1.  Citons  en  outre  celle  de  L.  Frejtag  (1888),  qui  n'est  malheureuse- 
ment pas  toujours  heureux  dans  le  choix  de  ses  expressions  et  laisse 
également  beaucoup  à  désirer  au  point  de  vue  de  la  structure  du  vers. 

2.  M,  P.  Vogt  en  a  donné  à  son  tour,  en  1885,  une  traduction  à  l'u- 
sage des  classes. 

3.  D'autres  tentatives  ont  été  faites  depuis,  sans  beaucoup  plus  de  suc- 
cès, par  Weitbrecht  (1884)  et  L.  Schmidt  (1888). 

Fégamp,  Gudrun.  15 


—  226  — 

Les  tentatives  d'adaptation  à  la  scène  n'ont  guère  donné  non 
plus  jusqu'ici;,  à  une  ou  deux  exceptions  près,  de  résultats  bien 
satisfaisants  ;  et  pourtant  on  ne  peut  nier  que  les  aventures  de 
Gudrun,  sans  offrir  ce  mouvoment  violent  et  ces  péripéties  san- 
glantes, qui  caractérisent  celles  de  Ghriemhild(\  ne  fournissent, 
par  sa  situation  entre  son  fiancé  et  son  ravisseur,  un  sujet  bien 
tragique  et  bien  propre  à  la  scène. 

Aussi  lo  théâtre  s'est- il  emparé  de  ses  malheurs,  et,  pour  être 
presque  toutes  médiocres,  les  pièces  sur  Gudrun  n'en  ont  pas 
moins  été  relativement  nombreuses.  On  en  compte  jusqu'à  six 
de  1851  à  d877  (1).  De  ce  nomlire,  la  tragédie  de  M.  J.  Grosse  a 
seule  rencontré  un  accueil  bienveillantet  un  succès  durable  (2). 

L'opéra  lui-même  a  revendiqué  ses  droits  sur  la  Nausicaa  du 
Nord  et,  parmi  les  cinq  compositions  musicales  qu'a  suscitées 
la  légende  de  Gudrun  (3),  nous  devons  une  mention  spéciale 
aux  deux  opéras  de  A.  Reissmann  et  de  A.  Klughardt.  Si  le 
premier  n'a  pas  vu  s'affirmer  le  succès  que  permettait  de  présa- 
ger l'accueil  fait,  lors  de  la  première  représentation,  aux  acteurs 
et  à  l'auteur  (4),  le  second  compte  à  son  actif  une  série  de  re- 
présentations brillantes  données  sur  des  scènes  diverses  et  de 
nature  à  lui  assigner  un  bon  rang  parmi  les  pièce§  susceptibles 
de  rester  au  répertoire  (5). 

1.  Cf.  plus  loin,  Ribliographie  chronologique,  n°'  6o,  85,  96,  127,  139, 
175. 

2.  Cf.  ibid.,  no  139. 

3.  Cf.  ibid.,  n"  64,  145,  207,  218,  27f. 

4.  Cf.  ibid.,  no  145.  —  La  Gazette  gt^nérale  musicale  de  Leipzig  (1871, 
p.  668)  prétend  que  cet  opéra  a  été  accueilli  avec  une  certaine  froideur; 
par  contre  la  Revue  et  Gazette  musicale  de  Paris  (1870-1871,  p.  299)  af- 
firme qu'il  a  eu  un  très  grand  succès  ;  enfin  le  critique  théâtral  de 
VEuropa  (1871,  n»  41,  Chronique,  p.  648-649),  tout  en  faisant  Dombre 
de  réserves,  loue  la  pièce  dans  son  ensemble  et  constate  qu'à  la  pre- 
mière représentation  les  acteurs  ont  été  fort  applaudis  et  l'auteur  a  été 
appelé  sur  la  scène. 

5.  Cf.  Bibliographie  chronologique,  no  207. 


CONCLUSION. 


VALEUR    LITTÉRAIRE    DU    POÈME    DE    GUDRUN.   GUDRUN  ET    L^S  NIBELUNGEN. 

PLAN    DU     POÈME.     L'aCTION.    LES   CARACTÈRES.    LA    CONCLUSION. 

ANACIIRONISMES.    INFLUENCE  DU  CHRISTIANISME   ET   DE   LA   CHEVALERIE. 

Dans  les  recherches  auxquelles  nous  venons  de  nous  livrer, 
nous  avons  déterminé,  aussi  exactement  que  nous  le  permet- 
taient les  matériaux  dont  nous  disposions,  l'origine  du  poème 
de  Gudrun,  les  sources  auxquelles  ont  été  puisés  les  éléments 
qui  le  composent,  les  phases  par  lesquelles  il  a  passé  dans  sa 
formation  progressive.  Cette  étude  préliminaire  était  indispen- 
sable pour  le  placer  dans  son  vrai  jour  et  pour  permettre  d'en 
apprécier  la  signification  et  la  valeur,  non  d'après  les  règles 
d'une  critique  esthétique  abstraite  et  absolue,  mais  en  se  basant 
sur  les  enseignements  que  fournit  l'histoire  même  du  poème, 
la  connaissance  du  milieu  où  il  est  né  et  des  circonstances  dans 
lesquelles  il  s'est  développé. 

Il  resterait  maintenint,  pour  épuiser  toutes  les  questions  que 
peut  soulever  l'étude  d'une  œuvre  littéraire,  à  entreprendre  un 
examen  détaillé  de  la  Gudrun  au  point  de  vue  esthétique.  Ce  tra- 
vail, pour  être  fait  d'une  manière  complète,  exigerait  un  nou- 
veau volume  ;  on  comprend  qu'il  ne  pouvait  entrer  dans  notre 
plan  de  le  tenter  ici.  Aussi  bien  a-t  il  été  entrepris  déjà  par  un 
savant  dont  nous  nous  faisons  honneur  d'avoir  suivi  les  leçons 
et.dont  les  appréciations  aussi  délicates  qu'approfondies  devront 
servir  de  point  de  départ  à  (|uiconquo  voudra  désormais  se  livrer 
à  une  analyse  critique  et  littéraire  du  poème  de  Gudrun.  Dans 
son  étude  sur  la  Littérature  allemande  au  moyen  âge  et  les  origines 
de  l'épopée  germanique  (1),  M.  Bossert  a  donné  de  notre  poème 
une  appréciation  qui,  condensée  dans  le  petit  nombre  de  pages 
dont  le  plan  général  de  son  ouvrage  lui  permettait  de  disposer 
en  faveur  de  la  Gudrun,  définit  avec  netteté  et  précision  le  point 
de  vue  général  auquel  on  doit  se  placer  pour  en  comprendre 
les  beautés  et  en  expliquer  les  imperfections. 

Sans  prétendre  rien  ajouter  à  cette  brillante  esquisse,  nous 

i.  p.  108-137. 


—  228  — 

croyons  bon  toutefois  de  résumer  au  moins  à  grands  traits  les 
principales  impressions  qu'a  laissées  en  nous  un  long  commerce 
avec  la  Gudrun  et  d'essayer  en  quelques  pages  de  marquer  sa 
place  dans  la  littérature  allemande  à  côté  des  Nibelungen,  avec 
lesquels  tout  nous  convie  à  la  mettre  en  parallèle. 

On  ne  peut  guère  en  effet  tenter  d'apprécier  la  valeur  littéraire 
du  poème  de  Gudrun,  sans  qu'immédiatement  la  comparaison 
avec  les  Nibelungen  se  présente  spontanément  à  l'esprit  et  s'im- 
pose comme  d'elle-même.  Bien  que  différents  et  par  le  sujet 
qu'ils  traitent  et  par  l'horizon  qu'ils  nous  ouvrent,  les  deux  poè- 
mes ont  eu  des  destinées  à  peu  près  identiques,  si  l'on  consi- 
dère les  circonstances  au  milieu  desquelles  ils  se  sont  formés, 
les  influences  et  les  métamorphoses  (Qu'ils  ont  graduellement 
subies. 

Puisés  tous  deux  à  la  source  de  la  poésie  populaire,  consti- 
tués par  le  travail  lent  et  anonyme  de  plusieurs  siècles,  ils  ont 
éprouvé  presque  simultanément  leur  dernière  transformation, 
grâce  à  laquelle  ils  ont  été  à  jainais  fixés  comme  œuvre  d'art; 
et  si,  à  ce  dernier  point  de  vue,  la  Gudrun  est  dans  une  certaine 
dépendance  vis-à-vis  des  Nibelungen,  elle  rachète  amplement 
par  plus  d'un  côté  cette  infériorité  relative. 

Tout  d'abord^  en  ce  qui  concerne  la  langue  et  le  style,  l'avan- 
tage est  incontestablement  du  côté  de  la  Gudrun  :  expressions 
poétiques,  fluidité  de  la  langue,  richesse  de  pensées,  de  tournu- 
res, variété  dans  l'emploi  des  rimes,  habileté  dans  la  structure 
de  la  strophe,  en  un  mot  tout  ce  qui  distingue  un  ouvrage  au 
point  de  vue  de  la  forme,  nous  le  trouvons  dans  la  Gudrun  à 
un  état  de  perfection  bien  plus  grand  que  dans  les  Nibelungen. 

Le  récit  y  est  aussi  plus  vivant,  les  caractères  y  sont  en 
général  plus  personnels  et  plus  fortement  tracés,  encore  bien 
qu'ils  ne  soient  pas  conçus  dans  des  proportions  aussi  gran- 
dioses et  gigantesques. 

Mais  c'est  surtout  par  la  cohésion  de  l'ensemble  que  la  Gu- 
drun,  quoi  qu'on  en  ait  pu  dire,  l'emporte  sur  les  Nibelungen.  Il 
ne  saurait  évidemment  être  question  ici  de  cette  unité  absolue 
de  plan  et  d'intérêt,  qu'on  est  habitué  à  trouver  dans  les  épo- 
pées classiques  :  sous  ce  rapport  les  deux  poèmes  sont  aussi 
imparfaits  l'un  que  l'autre.  De  même  en  effet  que  dans  la  Gu- 
drun l'intérêt  se  porte  tour  à  tour  sur  Hilde  dans  la  première 
des  deux  parties  primitives,  sur  Gudrun  dans  l'autre,  de  même 
les  Nibelungen  se  divisent  en  deux  portions  bien  distinctes,  où 
tout  se  concentre  autour  de  Siegfried  dans  la  première,  autour 


—  229  — 

de  Ghriemhilde  dans  la  seconde.  Tout  au  plus  pourrait-on  dire 
que  le  trésor  des  Nibelungen,  dont  l'action  funeste  se  transmet  à 
toutes  les  générations  qui  passent  dans  le  poème,  établit  entre 
elles  un  lien  factice  ;  lien  bien  faible  en  tout  cas  et  auquel  le 
lecteur  ne  prend  pas  garde.  Gela  est  si  vrai  que  Bodmer;,  éditant 
la  seconde  partie  du  manuscrit  G,  pouvait  la  présenter,  sous  le 
nom  de  Vengeance  de  Chriemhilde,  comme  formant  un  tout  com- 
plet et  indépendant. 

De  plus,  tandis  que  dans  les  Nibelungen  on  rencontre  des  la- 
cunes ou  des  interpolations  qui  interrompent  en  plus  d'un  en- 
droit le  cours  de  l'action,  la  Gudrun,  malgré  le  dualisme  qui  y 
régne  forcément,  est  plus  formée  d'un  seul  jet.  On  voit  qu'elle 
a  dû  sans  conteste  recevoir  la  dernière  retouche  de  la  main 
d'un  poète  unique  :  le  récit  s'y  déroule  d'une  manière  plus 
suivie  ,  plus  régulière  et  plus  uniforme  ;  et ,  dans  chaque 
partie,  l'intérêt  va  sans  cesse  croissant  jusqu'au  dénouement, 
qui,  bien  moins  imposé  d'avance  par  les  événements  que  celui 
des  Nibelungen,  tient  jusqu'à  la  fin  le  lecteur  en  suspens. 

A  tout  bien  considérer,  tandis  que  les  Nibelungen  sont  nette- 
ment coupés  en  deux  portions  essentiellement  distinctes,  tandis 
que  l'intérêt  et  le  centre  de  l'action  s'y  déplacent  à  un  moment 
où  ils  devraient  être  depuis  longtemps  fixés  d'une  manière  dé- 
finitive, les  aventures  de  Gudrun  occupent  dans  notre  poème 
presque  toute  la  place  ;  et  l'introduction,  dans  laquelle  il  est 
question  d'Hilde,  outre  qu'elle  embrasse  à  peine  le  quart  j^e 
l'ouvrage  primitif,  forme  un  prologue,  une  entrée  en  matière, 
qui  n'est  pas  plus  déplacée  ici  que  les  récits  concernant  Gamu- 
ret  et  Herzéloïde  dans  le  Parcival  de  Wolfram  d'Eschenbach, 
Rivalin  et  Blanchefleur  dans  le  Tristan  de  Gottfried  de  Stras- 
bourg. 

En  ce  qui  concerne  la  marche  des  événements,  la  Gudrun  a 
un  avantage  marqué  sur  les  Nibelungen.  Dans  ceux-ci,  comme 
nous  le  disions  plus  haut,  l'avenir  est  trop  fixé  par  le  passé, 
pour  qu'il  puisse  en  résulter  autre  chose  qu'une  terrible  catas- 
trophe. Siegfried  une  fois  tombé,  Ghriemhilde  ne  peut  plus 
avoir  qu'une  idée,  venger  sa  mort  par  le  massacre  de  ses  meur- 
triers. La  perfidie  avec  laquelle  on  a  attenté  aux  jours  de  son 
époux  ne  lui  laisse  aucune  alternative  :  elle  doit  poursuivre 
l'œuvre  à  laquelle  elle  s'est  désormais  uniquement  vouée  et 
elle  est  autorisée,  par  les  précédents  mêmes,  à  choisir  les 
voies  les  plus  détournées,  pour  s'acquitter  de  ce  qu'elle  con- 
sidère comme  une  dette  sacrée . 


—  230  — 

Le  récit  des  pièges  et  des  embûches  qu'elle  dressera  aux 
meurtriers  de  Siegfried,  des  feintes  et  des  compromissions  par 
lesquelles  elle  endormira  leurs  défiances,  jusqu'au  jour  où, 
ayant  réussi  à  les  attirer  dans  ses  filets,  elle  clora  l'action  par 
une  horrible  tuerie,  voilà  le  thème  fatal  sur  lequel  roule  toute 
la  seconde  partie  des  JSibelunrjen,  pour  arriver  à  une  conclusion 
fatalement  prévue. 

Tout  autre  est  la  situation  dans  la  Gudrun  ;  sans  doute,  le  père 
de  notre  héroïne  a  été  tué  par  Ludwig  et  elle  le  reproche  assez 
souvent  au  roi  de  Normandie  ;  sans  doute,  cette  mort  a  allumé 
une  haine  furieuse  entre  les  deux  peuples;  mais,  c'est  dans  un 
combat  loyal  qu'Hetel  est  tombé  et  non  pas  en  trahison  comme 
Siegfried  ;  et  puis,  dans  les  idées  de  ce  monde  chevaleresque  où 
la  dette  du  sang  ne  s'expie  que  par  le  sang,  la  vengeance,  dans 
sa  nécessité  immédiate,  est  déjà  accomplie:  Ludwig  a  succombé 
à  son  tour  sous  les  coups  d'Herwig.  Aussi,  tandis  que  Ghriem- 
hilde  ne  respire  que  la  vengeance  sur  le  tombeau  de  Siegfried 
et  ne  voit  plus  dans  l'avenir  que  mort  et  carnage,  tandis  qu'elle 
contraint  Riideger  à  lui  promettre  par  serment  de  servir  ses 
ressentiments  en  aveugle,  tandis  qu'avec  une  sauvage  inquié- 
tude elle  attend  pour  savoir  si  Hagen  se  rendra  à  l'invitation 
d'Etzel;  Gudrun,  non  moins  fidèle  à  son  amour,  non  moins 
noble  dans  sa  résignation,  plus  grande  même  dans  sa  constance 
que  Chriemhilde  dans  sa  soif  de  vengeance,  n'a  plus,  au 
moment  du  triomphe  définitif,  que  des  paroles  de  paix  et  de 
pardon. 

Le  caractère  de  Gudrun  contraste  en  effet  du  tout  au  tout 
avec  celui  de  C-hriemhilde.  Des  deux  côtés  c'est  la  fidélité  à  un 
premier  amour  qui  fait  tout  l'intérêt  du  poème  :  mais  Gudrun, 
aussi  ferme  que  Chriemhilde,  n'oppose  à  ses  ennemis  que  la 
douceur;  c'est  l'un  des  plus  beaux  caractères  qu'ait  créés  la  poé- 
sie :  c'est  le  portrait  le  plus  complet  et  le  plus  pur  de  la  femme, 
dont  la  grandeur  et  l'énergie  se  montrent  moins  par  des  actions 
d'éclat  et  des  emportements  de  passion  que  par  la  fermeté 
d'âme,  l'égalité  du  caractère  et  l'intensité  des  sentiments  af- 
fectifs. Moins  majestueuse,  moins  bouillante  que  l'épouse  de 
Siegfried,  elle  a  sur  cette  dernière  l'avantage  de  s'offrir  tou- 
jours à  nous  dans  une  pureté  virginale  et  immaculée.  Nulle 
part  une  action  de  valeur  équivoque  ne  vient  se  placer  entre 
elle  et  l'objet  de  sa  passion.  Aussi  nous  attache-t-elle  profon- 
dément à  sa  destinée,  sans  rés;n've  et  sans  partage,  tandis  que, 
tout   en   admirant  Chriemhilde,    nous  nous   sentons    parfois 


-  234  — 

saisis  d'un  sentiment  d'effroi,  presque  d'aversion,  à  l'aspect 
des  fureurs  et  des  violences  auxquelles  la  pousse  son  dé- 
sespoir. 

Sans  jamais  rien  céder  de  sa  noble  et  légitime  fierté,  sans  ja- 
mais se  sentir  ni  paraître  rabaissée  par  les  plus  cruelles  hu- 
miliations, Gudrun  se  soutient  dignement  à  une  hauteur  toujours 
égale  par  un  seul  sentiment,  l'amour  de  sa  famille  et  l'oubli  de 
soi-même;  et,  de  même  que  l'amour  lui  a  donné  la  force  de  se 
résigner  et  de  souffrir,  de  même  encore  l'amour  la  préserve  de 
tout  orgueil  et  de  toute  pensée  de  vengeance,  lorsqu'un  juste 
retour  des  choses  d'ici-bas  la  rend  à  sa  patrie,  à  sa  mère,  cà  son 
fiancé  et  remet  entre  ses  mains  le  sort  de  tout  un  peuple  au 
milieu  duquel  elle  n'a  éprouvé  que  des  tourments. 

Alors  elle  n'intercède  pas  seulement  en  faveur  d'Ortrun,  en- 
vers qui  l'engage  une  dette  de  reconnaissance,  elle  veut  que 
son  bonheur  s'étende  à  tous  ceux  qui  l'entourent,  qu'Hartmut 
en  ait  sa  part  comme  les  autres  ;  elle  n'a  pas  de  repos  qu'une 
paix  durable  n'ait  cimenté  la  réconciliation  entre  tous  ces  peu- 
ples si  longtemps  ennemis  et  terminé  pour  toujours  cette  lutte 
terrible  qui  a  fait  couler  tant  de  sang  et  de  larmes.  C'est  cet 
admirable  caractère  de  femme  qui  donne  au  poème  un  charme 
particulier.  Humble  dans  la  prospérité  comme  dans  l'adversité, 
stoïque  et  noblement  fière  dans  la  souffrance,  inébranlable  dans 
sa  fidélité,  inflexible  dans  la  pureté  et  la  virginité  de  son  cœur, 
elle  rappelle,  comme  on  l'a  dit  avec  raison,  les  plus  gracieuses 
et  les  plus  brillantes  figures  de  la  poésie  antique.  Simple  et 
naïve  comme  Nausicaa,  dont  elle  évoque  l'image  sur  la  rive 
solitaire,  sa  douce  résignation  est  celle  d'Iphigénie,  son  amour 
de  la  famille  la  rapproche  d'Antigone,  sa  foi  inaltérable  n'a  d'é- 
gale que  celle  de  Pénélope. 

Les  autres  figures  que  le  poète  a  groupées  autour  d'elle  ne 
sont  pas  moins  heureusement  tracées.  La  tendresse  maternelle 
d'Hilde,  la  fidélité  d'Hildebourg,  l'amour  contenu,  mais  profond 
d'Hetel,  qui  se  sacrifie  pour  sa  fille,  sont  sobrement  et  adroite- 
ment mis  en  relief. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  rudes  champions  d'Hegelingen,  dont 
les  passions  ardentes  et  les  emportements  sauvages  au  sein  de 
la  lutte  ne  soient  rachetés  et  ennoblis  par  l'esprit  de  bravoure, 
d'abnégation  et  de  dévouement  qui  les  anime  en  toute  occa- 
sion. 

Parmi  eux  Wate  mérite  une  mention  toute  spéciale.  Inspira- 
teur des  princes,  guide  de  l'armée  dans  toutes  les  circonstan- 


—  232  - 

ces,  sa  personnalité  apparaît  partout  sans  jamais  absorber 
un  intérêt  qui  doit  rester  fixé  sur  l'héroïne  du  poème.  Toujours 
actif,  toujours  au  premier  rang,  toujours  prêt  à  tous  les  dé- 
vouements, il  s'efface  continuellement  devant  ceux  au  bonheur 
et  au  service  desquels  il  a  voué  son  existence. 

Portant  plus  que  tout  autre  le  cachet  héroïque  des  rudes 
champions  du  Nord,  il  se  trouve  plus  à  son  aise  au  fort  de  la 
mêlée  qu'auprès  des  belles  dames,  et,  si  parfois  sa  fureur  dé- 
chaînée nous  inspire  quelque  effroi,  l'attachement  aveugle  et 
absolu  qu'il  éprouve  pour  la  famille  d'Hegelingen  nous  récon- 
cilie facilement  avec  lui.  Nous  oublions  volontiers  les  excès 
du  guerrier  pour  ne  plus  nous  souvenir  que  de  la  fidélité 
du  vassal. 

Ce  dévouement  éprouvé  lui  donne  une  certaine  autorité  vis- 
à-vis  de  ceux  qu'il  ne  cesse  de  protéger,  sans  jamais  les  amoin- 
drir, et  autorise  ce  mélange  de  bonhomie  et  de  brutalité,  de 
sensibilité  et  de  rudesse  qui  choquerait  dans  tout  autre. 

Considérez-le  par  exemple  revenant  du  Wûlpensand  et  ren- 
trant à  la  cour  d'Hegelingen.  Nul  plus  que  lui  n'est  atterré  du 
désastre  éprouvé,  et  pourtant,  en  voyant  Hilde  fléchir  sous  le 
poids  des  nouvelles  accablantes  qu'il  lui  apporte,  son  énergie 
renaît,  il  sent  que  ce  n'est  pas  le  moment  de  s'abandonner  à  la 
douleur  :  d'autres  devoirs  plus  urgents  réclament  les  survi- 
vants, et  dans  une  brusque  apostrophe: 

«  Wate  le  hardi  parla  :  «  Dame,  laissez  là  les  pleurs:  ils  ne 
»  reviendront  plus.  Mais,  dans  un  jour  prochain,  quand  une 
))  nouvelle  génération  aura  grandi  dans  ce  pays,  nous  vengerons 
»  sur  Ludwig  et  sur  Hartmut  ma  douleur  et  notre  honte  (1).  » 

p]n  opposition  avec  le  groupe  formé  par  Hetel,  sa  famille  et 
ses  vassaux,  se  place  naturellement  la  famille  royale  de  Nor- 

1.  Str,  928.  — On  peut  mettre  en  regard  de  ce  passage  une  exhorta- 
tion analogue  adressée  par  Seguin  à  Gérin  dans  \a.  Chanson  des  Loherains. 
Arrivé  à  Bordeaux,  sans  savoir  que  Girbert  a  été  tué,  Gérin  aperçoit  son 
tombeau  et,  à  cette  vue,  ne  peut  retenir  ses  larmes.  Alors  Séguin  l'ex- 
cite en  ces  ternies  à  la  vengeance  : 

«  Estes-vous  femme,  que  tans  ensi  plourés? 
«  Li  mort  sont  mort,  et  del  siècle  passés. 
«  Jà  saves  vous,  et  si  est  vérités, 
«  Que  deuil  n'est  rien,  mais  del  vengier  pensés. 

(Cf.  Hist.  lut.  de  la  France,  XXIIj  637-638,  citée  par  W.  Ilolland,  P.  G., 

IV,  493-494). 


—  233  — 

mandie.  Ses  membres  n'ont  pas  le  beau  rôle  dans  l'action  et 
pourtant  sauf  Gerlinde,  ce  génie  du  mal,  qui,  dans  sa  cruauté 
perverse,  se  dessine  avec  vigueur  sur  le  fond  du  tableau  dont 
elle  vivifie  les  couleurs,  tous  s'offrent  à  nous  sous  des  traits  qui 
forcent  l'estime.  Ludwig  est  un  digne  adversaire  d'ffetel,  son 
égal  par  la  noblesse  des  sentiments  chevaleresques,  par  la 
vaillance  dans  les  combats,  par  son  amour  pour  sa  famille  et 
pour  son  peuple.  Une  certaine  rudesse  ne  lui  messied  pas, 
d'autant  plus  qu'elle  ne  met  que  mieux  en  lumière  la  délica- 
tesse d'âme  d'Hartmut. 

Réduit  au  rôle  de  soupirant  éconduit,  s'obstinant  dans  une 
poursuite  sans  espoir,  Hartmut  ne  devient  jamais  ni  ridicule, 
ni  odieux  :  on  sent  qu'il  a  conscience  de  sa  dignité  et  qu'il  sait 
respecter  celle  de  sa  captive.  Si  l'on  approuve  Gudrun  de  rester 
inébranlable  dans  son  refus,  on  ne  peut  s'empêcher  d'avouer 
crue,  tout  en  le  repoussant,  elle  doit  éprouver  pour  lui  une  es- 
time réelle  :  et  cette  estime,  il  la  mérite  d'un  bout  à  l'autre  du 
poème  par  sa  loyauté  et  ses  égards  pour  celle  que  les  hasards 
de  la  guerre  ont  mise  à  sa  merci,  par  son  attention  à  protéger 
contre  sa  mère  même  celle  qui  ne  lui  épargne  pas  les  refus  irri- 
tants. Ses  sentiments  sont  ceux,  non  d'un  chevalier  raffiné  et 
galant,  digne  de  figurer  dans  un  roman  d'aventures  à  une  épo- 
que de  décadence,  mais  d'un  vrai  et  parfait  héros,  d'un  homme 
d'honneur  et  de  cœur. 

Que  dire  de  l'aimable  Ortrun,  dont  la  tendre  sollicitude 
s'allie  si  bien  avec  la  fidélité  d'Hildebourg  pour  adoucir,  dans 
la  mesure  de  ses  forces,  les  douleurs  de  la  captive,  vers  la- 
quelle son  cœur  compatissant  s'est  senti  attiré  dés  le  premier 
moment  ? 

Il  n'est  pas  jusqu'à  Gerlinde  elle-même  dont  l'orgueil 
féodal  et  l'amour  aveugle  pour  son  fils  ne  tempèrent  dans 
une  certaine  mesure  l'impression  odieuse  que  produit  son 
caractère. 

Bref,  nous  sortons,  avec  le  poème  de  Gudrun,  du  cercle  ordi- 
naire de  personnages  conventionnels,  auxquels  nous  avaient 
habitués  les  Nibelungen  et  les  autres  poèmes  de  la  grande  lé- 
gende héroïque.  A  la  place  de  ce  caractère,  uniforme  et 
monotone  dans  sa  répétition  incessante,  du  guerrier  vaillant  et 
généreux,  mais  emporté  et  brutal,  nous  trouvons  des  carac- 
tères habilement  variés,  surtout  fortement  accentués,  indivi- 
duels et  conservant  leur  expression  propre  dans  quelque  milieu 
que  l'action  les  transporte. 

« 


—  234  — 

Partout  dans  le  poème  les  mœurs,  tout  on  gardant  encore 
mainte  trace  de  la  rudesse  des  temps  héroïques,  ont  été  habile- 
ment transformées  et  accommodées  aux  idées  chevaleresques 
et  chrétiennes  du  moyen  âge.  Sans  doute  il  y  a  là  un  anachro- 
nisme bien  visible,  plus  marquant  même  peut-être  que  dans  les 
Ni/jehingen;  mais  tel  a  été  l'art  du  poèto  que  cet  anachronisme 
n'a  ri(m  qui  nous  choque.  C'est  surtout  par  l'absence  de  tout 
respect  pour  la  couleur  locale  (dont,  on  le  sait,  le  moyen  âge 
n'eut  jamais  le  moindre  soupçon),  c'est  par  quelques  allusions 
purement  extérieures  à  des  usages  chrétiens,  parla  peinture  de 
quelques  scènes  chevaleresques  qui  viennent  inutilement  inter- 
rompre le  récit,  que  cet  anachronisme  se  trahit.  Partout  ailleurs 
l'intluence  du  christianisme  et  de  la  chevalerie  se  fait  discrète- 
ment sentir  d'une  façon  qui  ne  peut  qu'être  favorable  au  poème 
considéré  dans  son  ensemble  ;  on  en  soupçonne  la  trace  à  un 
certain  adoucissement  des  mœurs  et  des  caractères,  à  un  senti- 
ment plus  élevé  et  plus  tin  de  l'honneur,  enfin  à  cet  esprit  de 
concorde  et  de  réconciliation  qui  a  remplacé  cette  soif  inextin- 
guible de  vengeance,  cette  ardeur  de  représailles  propres  aux 
héros  païens. 

La  conclusion  adoptée  par  le  poète  est  particulièrement  due 
à  cette  influence  :  aussi  a-t-elle  été  l'objet  des  appréciations 
les  plus  diverses. 

D'après  nos  idées  modernes,  d'après  notre  goût  pour  les  situa- 
tions nettement  tranchées,  il  paraîtrait  peut-être  plus  convena- 
ble qu'Hartmut  trouvât  une  mort  honorable  dans  la  mêlée  et 
tombât,  comme  son  père^  les  armes  à  la  main,  puisqu'au  bout 
du  compte  il  ne  pouvait  posséder  la  fiancée  qu'il  avait  désirée. 
Seule  une  fin  glorieuse  pouvait  à  nos  yeux  lui  éviter  l'humilia- 
tion de  recevoir  des  propres  mains  de  celle  qui  le  repousse  une 
épouse  prise  dans  la  race  ennemie.  Nous  avons  peine  â  com- 
prendre qu'il  se  résigne  à  ce  compromis  et  continue  à  vivre 
heureux  et  satisfait  de  sa  nouvelle  condition,  comme  si  de  rien 
n'était.  Il  ne  nous  répugne  pas  moins  de  voir  Ortrun  épouser 
celui  dont  les  héros  lui  ont  ravi  père,  mère  et  patrie. 

Tout  autre  est  le  point  de  vue  auquel  se  place  notre  poète, 
fidèle  écho  des  mœurs  héroïques  qu'il  retrace.  Il  faut  apaiser  la 
haine  entre  les  générations  futures  ;  de  cette  grande  lutte  doit 
sortir  une  paix  durable  et  pour  cela  une  réconciliation  univer- 
selle est  nécessaire.  Pour  nos  idées  raffinées  ce  dénouement 
semble  rabaisser  la  plupart  des  héros  :  pour  les  peuples  du 
moyen  âge,  dont  après  tout  les  sentiments  n'étaient  pas  moins 


—  235  — 

délicats  que  les  nôtres  sur  le  point  d'honneur,  c'est  la  réconci- 
liation indispensable  et  désirée  de  deux  puissantes  races,  qui 
ont  pu  se  heurter  violemment  sur  les  champs  de  bataille,  se 
poursuivre  avec  acharnement  les  armes  à  la  main,  mais  qui,  au 
milieu  des  luttes  mêmes,  ont  appris  à  s'estimer  réciproque- 
ment, et  dont  les  survivants,  après  s'être  battus  les  uns  contre 
les  autres  en  vrais  et  dignes  chevaliers,  peuvent  sans  honte, 
quand  l'heure  est  venue,  se  tendre  loyalement  la  main. 


APPENDICE 


BIBLIOGRAPHIE  CHRONOLOGIQUE 

DES  OUVRAGES 

RELATIFS  AU  POÈME  DE  GUDRUN 


Tandis  que  la  bibliographie  des  ouvrages  ayant  rapport  aux 
Nibelungen  a  déjà  été  faite  plusieurs  fois,  jamais  on  ne  s'est  livré 
à  un  travail  du  même  genre  à  propos  du  poème  de  Gudrun.  Les 
éditions  de  cet  ouvrage  ne  contiennent  que  des  indications 
sommaires  sur  les  principales  publications  dont  il  a  été  l'objet. 

Il  nous  a  donc  paru  intéressant  de  réunir  ici  les  titres  des  ou- 
vrages que  nous  avons  dû  consulter  au  cours  de  nos  recherches 
sur  la  Gudrun.  Nous  n'avons  pas,  cela  va  sans  dire,  la  préten- 
tion d'être  absolument  complet;  mais  nous  avons  enregistré  avec 
soin  tout  ce  qui  est  venu  à  notre  connaissance  et  nous  nous  flat- 
tons seulement  de  n'avoir  laissé  échapper  aucune  publication 
de  quelque  importance,  aucun  travail  de  quelque  valeur. 

Partout  où  cela  nous  a  été  possible,  nous  avons  indiqué  les 
principaux  comptes  rendus  dont  chaque  travail,  livre- ou  article 
de  revue,  a  été  l'objet.  Si  bon  nombre  d'entre  eux  n'ont  qu'une 
importance  secondaire,  d'autres  n'ont  pas  laissé  que  d'apporter 
de  nouveaux  éléments  à  la  solution  des  questions  qui  nous  oc- 
cupent, et  tous  permettent,  le  cas  échéant,  suivant  que  l'on  a  tel 
ou  tel  recueil  périodique  sous  la  main,  de  se  renseigner  rapide- 
ment sur  la  valeur  ou  le  contenu  de  chaque  ouvrage  cité. 

Parmi  les  divers  modes  de  classement  usités  en  bibliogra- 
phie, nous  avons  choisi  l'ordre  chronologique.  Un  groupement 
méthodique  de  cet  amas  de  productions  diverses  à  tant  de  points 
de  vue  nous  eût  conduit  à  des  divisions  et  subdivisions  sans  fin. 
La  disposition  adoptée  par  nous  et  complétée  par  un  index  al- 


—  238  — 

phabétique  des  noms  d'auteurs  offre,  pour  les  recherches,  toutes 
les  facilités  de  l'ordre  alphabétique  et  a  l'avantage  de  présenter 
dans  leur  succession  naturelle  la  série  des  travaux  dont  la  Gu- 
drun  a  été  l'objet  :  ainsi  elle  met  en  pleine  lumière  l'intérêt  crois- 
sant qui  s'attache  d'année  en  année,  de  l'autre  côté  du  Rhin,  à 
l'étude  de  ce  beau  poème  et  permet  de  suivre  pas  à  pas  et  sans 
effort  les  progrès  que  la  critique  a  fait  faire  peu  à  peu  à  chacune 
des  questions  qui  le  concernent. 

Enfin,  pour  ne  pas  allonger  outi'e  mesure  cette  liste  biblio- 
graphique, nous  avons  laissé  complètement  de  côté,  k  deux  ou 
trois  exceptions  près,  les  innombrables  histoires  de  la  littéra- 
ture allemande,  dans  lesquelles  une  mention  plus  ou  moins  dé- 
taillée du  poème  a  nécessairement  sa  place  njarquée  d'avance. 

Quant  aux  ouvrages  à  l'usage  des  classes,  aux  essais  de  vul- 
garisation, aux  remaniements  en  prose,  dans  lesquels  la  légende 
est  librement  racontée  d'après  le  poème,  sans  les  exclure  systé- 
matiquement, nous  nous  sommes  contenté  de  noter  au  passage 
ceux  qui  se  sont  présentés  à  nous  au  cours  des  recherches  né- 
cessitées par  nos  travaux.  Nous  n'avons  pas  pensé  qu'il  y  eût 
une  utilité  sérieuse  à  dépouiller  anxieusement  les  bibliographies 
et  les  revues  spéciales  de  pédagogie,  pour  arriver  en  fin  de 
compte  à  dresser  un  catalogue  encombrant  et  forcément  toujours 
incomplet  de  publications  qui,  la  plupart  du  temps,  n'offrent 
qu'un  médiocre  intérêt  au  point  de  vue  scientifique. 

1689.  1.  Saga  Olafs  Tryggvasonar  Noregs  Kongs  prenlud  i  Skalhollte 
af  Jone  Snorrasyne.  —  Skalhollte,  1689-1690,  2  loraes  en  I  vol. 
ia-4°. 

[II.  49-58:  Saga  d'Hôgni  et  d'IIedhin.] 

1697.  2.  Historia  duorum  regum  Hediai  et  Hugonis,  ex  anliqua  lingua 
norvegica  per  D.  Jonam  Gudmundi  in  latiaam  translata,  opéra 
et  studio  01.  Rudbeckii  édita.  —  Upsal,  1697,  in-fol. 

1776.  3.  Suhm(P.F.).  —Cristisk Historié  af  Danmarkudi  den  hedenske 
Tid  fra  Odin  til  (iorm  den  Garnie.  —  Copenhague,  Berling, 
1774-1781,  4  vol.  in-4'>. 

[III,  22-30  :  Sur  la  Saga  d'Hôgni  et  d'Hedhin.] 

1796.     4.    Samsde  (0.  J.).  ~  Efterladte  digteriske  Skrifter  udgivne  ved 
L.  Rahbek.  —  Copenhague,  1796,  in-S». 
[Contient  :  Ilildur,  e?i  Forlaelling.] 

.  802.  5.  Ritson  (J.).  —  Aneient  engleish  noetrical  Romancées  selecled 
and  published.  — -  London,  1802,  3  vol.in-8". 


—  239  — 

1816.  6.  Bùscliing  (G.).  —  Wochentliche  Nachrichlen  fiir  Freunde  der 

Geschichte,  Kunst  und  Gelahrtheit  des  Alterthums.  —  Berlin, 
1816-1819,  4  vol.  ia-8°. 

[T,  385  sqq.  Première  mention  du  manuscrit  de  la  Gitrlriin  et 
description  de  ce  manuscrit  dit  lleldenhiich  anjler  Etscli.] 

7.  Grimin(J.u.  W.).  —  Altdeutsche  Wulder.  —  FranA:/"ur<-a.-M., 
1818-1816,  3  vol.  ia-8». 

[III  (1816),  31  sqq.  :  Collection  des  allusions  au  poème  de 
Giidrun,  qui  se  rencontrent  dans  la  poésie  allemande  du 
moyen  âge.] 

8.  Wienerische  Literaturzeitung.  —  Wien,  Heuhner,  1816,  in-4°. 

[181G,  Mai,  Nr.  18.  Intelligenzblatt  :  Annonce  de  la  décou- 
verte du  poème  de  Chvdrun  on  Chmttrun  ;  analyse  et  spé- 
cimens.] 

1817.  9.  Archiv  fur  Géographie,  Historié,  Staats  und  Kriegskunst,  he- 

rausgcgeben  von  Frbrn.  von  Hormayr.  —  Wien,  Schaumberg, 
1817,  in-4«. 

[ISn,  Nr.  31,  32  :  Publication  de  la  6«  Aventure  du  poème  de 
(iiidnin  dans  une  langue  un  peu  rajeunie.] 

10.  Mùller(P.  E.).  —  Sagabibjiolhek.  —  Copenhague,  Schulz,\8l~- 
1820,3  vol.  m-8°. 
[Cf.  II,  570-579.] 

1818.  11.  Rask  (K.).  —  Snorra-Edda  âsamt  Skalda.  —  Stockholm,  1818, 

in-8«. 

[Contient  en  appendice,  sous  le  titre  :  Om  Brisingamen,  les 
deux  premiers  chapitres  de  la  Saga  d'Hôgni  et  d'Hedhin.] 

1819.  12.  Primisser  (A.).  —  Die  k.  k.  Ambraser  Sammiung  beschrie- 

ben.  —  Wien,  Heubner,  1819,  10-8". 

[P.  275-279  :  Description  du  manuscrit  unique  dans  lequel 
nous  est  parvenu  le  poème  de  Gudrun.] 

1820.  13.  Grimm  (J.).  —  Konig  Fruole  [Ascania,  I,  154-1 57.  —  Réimp. 

dans  Kleincre  Schriften,  IV,  135-137). 

14.  Von  der  Hagen  (H.)  und  Primisser  (A.).  —  Gudrun  iu  der 
Ursprache  iierausgegeben.  —  Berlin,  Reimer,  1820,  in-4°. 
[Fait  partie  du  tome  I  du  Ileldenbuch  ou  du  tome  II  des  Deulsche 
Gedichte  des  Mittelallers  herausgegeben  von  H.  von  der  Ha- 
gen und  G.  Biisching. —  Première  édition  du  poème  :  trans- 
cription pure  et  simple  du  manuscrit  avec  quelques  correc- 
tions et  conjectures.] 

1824.     15.  Mûller  (P.  E).  —  Om  KiJderne  til  Saxos  ni  fôrste  Bôger  og 
deres  Trovaerdighed.  —  Copenhague,  1824,  \n-%°. 

[Tirage  à  part  de  :  Det  konr/elige  Danske  Videnskahernes  Sels- 
kabs  philos,  og  histov.  AfhandUngev,  III,  1  sqq.:  cf.  surtout 
p.  67-69.] 

1828.    16.  Grimm  (J.).    —   Deulsche  Rechtsalterthûmer.  —  Gôttingen, 


—  ^40  — 

Dieterich,   1828,  iQ-8".   —  2«  éd.,  ibid.,    1854,  in-S".  —  3«  ôd., 
ibid.,  1881,in.8o. 
[Cf.  3^  éd.,  p.  207-225.] 

17.  Wachter  (F.).  —  Hedin,  Heden.IIelhan(Bncj/dopérfie  d'Ersch 
et  Oruber,  2"  Section,  4<"  Partie,  p.  24.) 

1829.  18.  Grimm  (W.).  —  Die  deutsche    lleldensage.  —  Gottingen,  Die- 

terich, 1829,  in-8°.  —  2«  éd.,  Berlin,  Dùmmler,  1867,  ia-8°.  — 
3«éd.  Gtdersloh,  Bertehmann,  1889,  in-8<>. 
[Cf.  d"éd.,  p.  48,  325-332.  342,  370-371,  375-377.] 

19.  Rafn  (C).  —  Fornaldar  Sogur  Norlanda  eptir  gomlum  hand- 
riluni  utgefoar.  —  Kaupmannahnfn,  1829-1830,  3  vol. 
in-8". 

[I,  389-409  :   Saga  d'Hogni  et  d'iledhin,  —  Traduction  danoise 
dans  le  Tome  I  des  Noi'dùike  Fornlids  Sagaer.] 

20.  Wachter  (F.).  —  Das  Heldenbuch  [Encyclopédie  d'Ersch  et 
Gruber,  2"  Section,  5"=  Partie,  p.  64-tto). 

1830.  21.  Mené  (J.).  —  Uuellen   und  Forschungen  zur  Geschichte  der 

teulschen   Litcratur  und  Sprache.  I.  (einz.).  — Aachen,  1830, 
in-8o. 
[Gf.  p.  19,  97-108.] 

1 83 1 .  22.  Schincke.  —  Hildur,  Ilildr,  Hilda  (Encycloprdie  d'Ersch  et  Gru- 

ber, i""  Section,  8''  Partie,  p.  154). 

1832.  23.  Wachter  (F.).  —  Hogni,  Haugni  {Encyclopédie  d'Ersch  et  Gru- 

ber, 2«  Section,  9«  Partie,  p.  337-338). 

1833.  24.  Lachmaan  (K.).  —  UeberSingen  und  Sagen  (Abhandlungen  der 

hgl.  preuss.  Akad.  der  Wiss.,  1833,  p.  t05-l22.  —  Réimp.  dans 
Kleinere  Schriftcn,  I,  461-480). 
[Cf.  surtout  p.  467,  470-471.] 

25.  Wachter  (F.).  —  Horant  {Encyclopédie  d'Ersch  et  Gruber, 
2e  Section,  10=  Partie,  p.  449). 

1835.  26.  Jahrbuch  (Neues)  der  Berlinischen  Gesellschaft  fur  deutsche 

Sprache  und  Alterthumslvuûde.  — Berlin,  Plahn,  in-8". 

[I  (1833),  3<^  Livr.,  p.  266  :   Sur  le  manuscrit  dit  Heldenbuch  an 
der  Etsch.] 

27.  Ziemann  (A.).  —  Kutrun,  mittelhochdeutsch.  —  Quedlin- 
burg,  Basse,  1835,  in-8o  [Bibliolhek  der  gesammten  deutschen 
Nationalliteratiir,  1"  Section,  Tome  I.] 

[Cf.   Allg.    HaUische  LU.  Ztg.,    1837,  Ergunzungshlutter   11.    12  ; 

"  HaUische  Jahrbiicher,  1839,  n»  133;  B.  f.I.  U.,  1836,  n°  261.] 

1836.  28.  Gervinus  (G.).  —  Gudrun,  ein  episches  Gedicht.  Programm 

und  Probegesa,ng.  —  Leipzig,  Engelmann,  1836,  in  16. 


-  Ui  — 

29.  Mone  (J.)-  —   Ualersuchungeu  zur  Geschichte  der  leulschen 

Heldeasage.  —  Qucdlinburg,  Basse,   1836,  in-8"  [Bibliothek  der 

gesammten  deutschen  Nationalliteratur,  2"  Section,  Tome  1]. 

[Cf.  B.  f.  1.  U.,  1836,  n»  262  ;  Hallische  Lit.  Ztg.,  1836,   Ergiin- 

ziingsblutter  18-BQ  ;  Anzeiger  fur  Kunde  der  deutschen  Vorzeit, 

1839.  p.  281-282.] 

1837.  30.  Michel  (Fr.).  —  Wade.  Lettre  à  M.  Teroaux  Compans  sur 
uoe  tradition  angloise  du  moyen  âge.  —  Par/s,  S<7ues(re,  1837, 
iû-8°. 

1S38.     31.   Mone  (J.).  —  Uebersicht  der  niederlandischeu  Volksliteralur 
altérer  Zeit.  —  Tùbingen,  Fues,  1838,  in-80. 
[Cf.  surtout  p.  11  ;  13-18;  66-07.] 

32.  Wackernagel  (W.).  —  Einige  Worte  zum    Schutz  literari- 
schen  Eigentiiums.  —  Basel,  1838,  in-8°. 

[Cf.  Hallische  Jahrbûcher,  1839,  n»  133  sqq.] 

33.  Ziemann  (A.).  —  Rechtfertigung   gegea  Herrn  W.  Wacker- 
nageJ. —  Quedlinburg ,  Basse,  1838,  in-S". 

[Cf.  Hallische  Jahrbûcher,  1839,  n»  133  sqq.] 

1839.  34.  Burmeister  (H  ).— Zur  Erklârung  der  Gudrun  {Neues  Jahrbuch 
der  Berlinischen  Gesellschaft  fur  deutsche  Sprache  und  Alter- 
thumskunde,  m,  178-179). 

35.   MûUer  (P.  E.).    —  Saxonis  Grammatici  Historia  danica.  — • 
Havniae,  1839-1858,  2  Tomes  en  3  vol.  pet.  in-4°. 
[Cf.  I,  238-242  ;  II,  158-161.] 

38.  Samlinger  til  det  Norske  P'olks  Sprog  og  Historié.   —  Chris- 
tiania, in-8°. 
[Cf.  Tome  VI  (1839).] 

37.  San  Marte    (A.   Schulz).   —   Gudrun,    Nordseesage.   Nebst 
Abhandlung  ùber  das  mïttelhochdeustche  Gedicht  Gudrun  und 
den  Nordseesagenkreis.  —  Berlin,  Mittler,  1839,  in-8". 
[Cf.  Anzeiger  fur  Kunde  der  deutschen  Vorzeit,  1839,  p.  281-282.] 

1810.  38.  K«ller  (A.).  —  Gudrun  aus  dem  mittelhochdeutschen  ùber- 
setzt.  —  Stuttgart,  Ebner  undSeubert,  1840,  in-S". 

1841.     39.  Ettmûller  (L.).  — Gùdrùnlieder nebst  einem  Wôrterbuche.  — 
Zurich  und  Winterthur,  ISil,  in  8°. 
[Cf.  G.  G.  A.,  1842,  n»  139  sqq.] 

40.  Ettmûller  (L.).  —  Gùdrùnlieder,  Schulausgabe.  —  Leipzig, 
Verlagsbiireau,  1841,  in -8°. 

41.  Grimm  (J.).  —  Uota,  Ano,  Ato  (H.  Z.,  i,  21-26.  —  Réimp. 
dans  Klcinere  Schriften,  VII,  68-74). 

FÉG.4.MP,  Gudrun,  16 


-  242  — 

1842.     42.  Grasse  (Th.).  —  Die  grosseii  SageuUrcisedciS  Milielalters.  — 
Leipzig  und  Drcsdcn,  Arnuld,  d8i2,  iu-S". 
[Gf.  p.  84-86.] 

43.  Grimm    (J.).    —  Allcrhand   zur  Gudrun   (H.  Z.,  n,  \-o.  — 

Uéimp.  dans  Kleincre  Schriflen,  VII,  92-93). 
a.   Haupt  (M.).  —  Wato.  Zur  Gudrun  (H.  Z.,  u,  380-38i). 
I8i3.     45.   Haupt  (M.).  —  Zur  Gudrun  (H.  Z.,  m,  18G-I87). 

46.   Simrock  (K.).  —  Gudrun,  deutsches  Ileldengedichl  ùbersetzl. 

—  Stuttgart,  Cotta,  I8i3,  in-8».  —  10°  éd.,  1877,  in-8». 
[Tome  I  de  son  Ilelilcnbucli.] 

1845.  47.   Haupt  (M).  —  Zur  Gudrun  (H.  Z.,  v,  504-507). 

48.  MùUenhoff  (K.).  —  Sagen,  Marchen  und  Lieder  der  Herzog- 
Ihùmer  ScUleswig,  llolslein  und  Lauenburg.  —  Kiel,  Schwers, 
1845,  in-8". 

[Cf.  p.  XVJII  sq.] 

49.  MùUenhoff  (K.).  —  Kudrun,  die  echlon  Tlieile  des  Gedichtes 
mit  einer  krilischeu  Einlcitung  hcrausgcgebcn.  —  Kiel,  Schwers, 
184b,  in-8°. 

[Gf.  Neiie  JenaLsche  Alhj.  LU.  Zlfj.,  1847,  n»  10-11;  H.  A.,  i.  201- 
209.] 

50.  VoUmer  (J.).  —  Gùdrùn,  mit  eiuer  Kinleitung  von  A.  Schott. 

—  Leipzig,  Goschen,  1845,  in-8°.  [Dichtwigen  des  deutschen  Mit- 
telalters,  Tome  V), 

[Gf.  H.  A.,  I,  201-209.] 

1846.  51.  Vernaleken  (Th.).  —  Das  deutscho  Volksepos  nach  Wesen, 

Inhalt  und  (iescliichte.  mit  eiuer  Auswahl  aus  den  Nibelun- 
gcn  und  Gudrun.  —  Zurich,  Mey.r  und  Zeller,  1846,  in-8'». 

1847.  52.   Bonstetten  (de).  —  Romans  et  épopées  chevaleresques  de 

l'Allemagne  au  moyen  âge.  —  Paris,  Franck,  1847,  in-8». 
[Gf.  p.    90-100.] 
53.  Koch  (F.).  —  Gudrun,  nach  der  Mûllenhoff'schen  Ausgabe 
der  echlen  Theile  des  Gedichts  ûberselzt  und  mit  einer  Einlci- 
tung versehen.  —  Leipzig,  Wigand,  1847,  in-8°. 

1848.  54.    Edda    Snorra   Sturlusonar.    Edda    Snorronis    Sturlaei.    — 

Hafniae,  Quist,  1848-1887,  3  vol.  gr.  in-8°. 
[Gf.  I,  432  sqq.] 
55.   Weinhold  (K.).  —  Die  Sagen  von  Loki  (H.  Z.,  vu,  1-94). 
[Gf.  surtout  p.  48,  49,  76.] 

1849.  56.   MùUenhoff  vK.).  —  Wàdo  (H.Z.,  vi,  62-69). 

57.   Osterwald    (K.    W.).   —   Erzahlungen    aus   der  allen  deut- 

'• schea    Welt    fiir    die  Jugeud.   [Jugendbibliûthek   des   griechi- 


—  243  — 

schen  und  deutschen  Alterthums,  Tome  VU].  —  Halle,  Waisen- 
haus,  18i8-1849,  3  vol.  in-S".  —  3°  éd.,  1865.  —  5«  éd.,  1878, 
in-8<>. 

[Cf.  J.  P.  P.,  Lxi,  188.] 
I8.i0.     58.  Baeker  (L.  de).   —  Les  Flamands;  de  Frauce.  —  Gand,  Her- 
belynck,  1850,  ia-8''. 

[Cf.  p.  97:  L'oiseau  prophétique.] 

59.  Hagen  (H.  von  der).  —  Gesammtabenteuer.  Hundert  alt- 
deutsche  ErziihluDgen,  Riltcr-und  Pfaffeninirenj...  herausge- 
goben.  —Sttugart,  Cutta,  1850,  3  voL  in-8°. 

[Cf.  m,  777;  de  plus  un  fac-similé  du  manuscrit  de  Oudrun  se 
trouve  à  la  fin  de  ce  tome  III.] 

60.  Hense.  —  Nibelungen  undGudrun  (H.  A.,  vu,  129-163;  vin, 
1-35). 

61.  Klopp.  (0.).  —  Gudrun  der  deutschen  Jugend  erzâhlt, — 
Leipzig,  1850,  in -8". 

[Cf.  J.  P.  P.,  Lxi,  188.] 

1831.  62.   Barthel  (K.).  — Proben  aus  einer  Ueberselzung  des  altdeul- 

scheQ  Gedichls  Gudrun  (Hamburger  literarische  und  kritische 
Blâtter,  1851,  n»»  55-57;  1852,  n°«  8-H). 

63.  Jonckbloet  (A.).  —  Geschiedenis  der  mid  lennederlaadsche 
Dichtkunst.  —  Amsterdam,  1851-1855,  3  vol.  in-8''. 

[Cf.  I,  79  sqq.  —  Cf.  P.  G.,  i.  489.] 

64.  Mangold  (K.  A.).  —  Gudrun,  eine  Oper.  —  Darmstadt,  1851, 
in-8o. 

65.  Strauss  (V.).  —  Gudrun,  ein  Schauspiel.  —  Frankfurt, 
1851,  in-S». 

66.  Weinhold  (K.).  —Die  deutschen Frauen  in  dem  Mittelalter. 
—  Wien,  Gerold,  1851,  in-8°.  —  2«  éd.,  ibid.,  1882,  2  vol. 
in-8°. 

[Cf.  p.  3."jI-364  ou  :  2«  éd.,  I,  314  ;  IL  120-150.] 

1832.  67.  Mônnich  (B.).  —  Nibelungen- und  Kudrunlieder,  nebst  For- 

raenlehre,  Worterbuch,  etc..  —  Stuttgart,  1852,  in-8°.  —  2" 
éd.,  ibid.,  1860,  in-8''.  —  3^  éd.,  Gùtersloh,  Bertelsmann,  1872, 
in-8o.  —  4«  éd.,  ibid.,  1877,  in-8". 

[Cf.  Allg.  lit.  Anz..  1872,  n»  61;  A'.  Preuss.  Ztg..  1872,  n»  239; 
C.  B.  f.  Pddag.  Lit.,  1872,  n»  10  ;  Wilrt.  Schulwochenbl.,  1873, 
n»  12;  Sonntagsheilage  zur  N.  Preuss.  Ztg.,  1877,  n*  19;  Zs. 
/.  d.  ges.  luther.  Théologie,  xxxix,  3.] 

68.  Schmidt  (F.). —  Gudrun,  eine  Erzâhlung  aus  der  deutschen 
Heldenzeit,  fur  Jung  und  Alt  [Jugendbibliothek,  Tome  XV].  — 
Berlin,  Mohr,  1852,  in-16.  —  3«  éd.,  Berlin,  Kastncr,  1873,  in- 
16.  —  48  éd.,    ibid.,  1873,  in-16.  —  o«  éd.,  ibid.,  1873,  in-16. 

1833.  69.  Hahn  (K.  A  ).  —  Echte  Lieder  von  Gudrun  nach  Mùllenhoff's 


—  244  — 

Kritik,  als  Manuscript  fur  VorlesuQgeo.  —  MHen,  i8o3,  in-S". 
—  2*  éd.  sous  le  titre  :  Mittelhochdeutsche  Dichtungen  :  Echte 
Lieder  von  Gudrun  nach  Mùllenhoff's  Kritik  ;  Auswahl  aus 
Gotlfrieds  von  Slrassburg  Tristan  ;  2.  mit  einer  Biographie  des 
Verfassers  vermehrte  Auflage.  —  Wien,  18o9,  in-S". 

70.  Plônnies  (W.  von).  —  Kudrun,  Uebersetzung  und  Urtext,  mit 
erkUireuden  Abhandlungen  herausgegeben.  Mit  einer  sys- 
tematischen  Darstellung  der  mittellioclideulschen  epischen 
Verskunst  von  M.  Rieger.  Mit  einer  Karte  von  der  westlichen 
Scheldemùndung.  —  Leipzig,  Brockhaus.,  1853,  in-S". 
[Cf.  H.  A..  XV,  457.] 

71.  Simrock   (Karl).    —   Bertha  die   Spinnerin.  —    Franhfurt, 
Brônner,  1853,  in-16. 
[Cf.  p.  97-124.] 

1834.     72.  Godeke(Karl).  —  Deutsche  Dichtung  ira  Millelaller.  —  Dres- 
den,  Ehlermann,  18i4,  gr.  in-S"  —  2'-éd.,  ibid.,  1871,  gr.  in-8». 
[Cf.  2«  éd.:  339,  9;  344,  40;  349,  37;  395-430;  558.  41.] 

73.  Maanhardt  (W.).  —  Wato  [Wolfs  Zs.  f.  deutsche  Mythologie 
xnid  Siltcnkundc,  ii,  296-329). 

1855.     74.  Baecker.  (L.  de).   —  Chants  historiques  de  la  Flandre  (400- 
16o0).  —  Lille,  Vimackere,  185;),  in-8'>. 
[('-f.  p.  41-48:  Chant  de  Goedroen.] 

75.  Hagen(H.  von  der).  —  Das  Heldonbuch;  altdeutscheHelden- 
lieder  aus  dem  Sagenkreise  Dictrichs  von  Bern  und  der  Nibe- 
lungcn.  —  Leipzig,  Schultze,  18jo,  2  vol.  in-8''. 

[Cf.  Tome  I,  Introduction,  p.  XVI.] 

76.  Niendorf  (A.).  —  Das  Gudrunlied.  —  Berlin,  Barthel,  1855, 
in-i6.  —  3*  éd.,  Berlin,  Springer,  1867,  in-8°. 

[Cf.  A.  L.  Z.,  1867,  n»  25;  B.  f.  1.  U.,  1867,  n»  28;  Allg.  Schul- 

Zlg.,  1867,  n»  5.] 

77.  Sacken  (E.  von).  —  Die  k.  k.  Ambraser  Sammlungbeschrie- 
ben.  —  Wien,  Braumûller,  1855,  2  vol.  in-8''. 

[Cf.  II,  229  :   Description  du  manuscrit  qui   renferme   la  Gw- 

driuKl 

18.16.     78.  HoIIand  (L.).  —  Zur  Gudrun  (P.  G.,  i,  124). 

79.  Liebrecht  (F.).  —  Gabilùn,  Gampillûn,  Capelûn  (P.  G.,  i, 
479-480). 

80.  Weinhold  (K.).  —  Altnordisches  Leben.  —  Leipzig,  1856, 

in-8». 

81.  Zingerle  (I.  V.).  —  Die  Personennamen  Tirols  in  Bezie- 
hung  auf  deutsche  Sage  und  Litteraturgeschichte  (P.  G.,  i, 
290-295). 


—  245  — 

1857.     82.   Baecker  (L.  de).  —  Sagas  du  Nord.  —  Paris,  Didron,  iSol, 
in-8». 
[Cf.  Chap.  XII,  p.  119-230  :  Saga  de  Gudrune.] 

83.  Bartscii  (K.).  —  Der  Strophenbau  in  der  deutschen   Lyrik 
(P.  G.,  H,  237-298). 

[Cf.  surtout  p.  263  sqq.] 

84.  Eichhoff  (G.).  —  Tableau  de  la  littérature  du  Nord  au 
moyen  âge.  —  Paris,  Didier,  18b7,  in-8°. 

[Cf.  p.  334-344.] 

1838.  85.   Schôpf  (J.).  —  Gudrun,  eiu  Schauspiel  in  drei   Akten.   — 

Brixen,  Weger,  1858,  in-8°.  —  2«  éd.,  ibid.,  1863,  in-8°. 

1839.  86.   Benfey  (Th.). —  Panchatantra.  Fùnf  Bûcher  indischerFabeln, 

Marchen  und  Erzablungen.  Aus   dem  Sanskrit   ùbersetzt.  Mit 
Einleitung  und  Anmerkungen.  —  Leipzig,  1859,  2  vol.  in-8°. 
[Cf.  I,  418.] 

87.  Gartner  (F.).  —  Zur  Gudrun  (P.  G.,  iv,  106-108). 

88.  Grimm  (J.).  —  Ueber  die  Guttin  Freja  (M.  B.,  20.  Juni  1839, 
p.  413-423.  —  Réimp.  dans  Klèinere  Schriften,  V,  421-430). 

89.  Holland  (L.).  —  Zur  Gudrun  (P.  G.,  iv,  493  sqq.). 

1860.  90.   Bacmeister  (A.).  —    Gudrun.    Alldeutsches     Heldengedicht 

neudeutsch   bearbeitet.  —  heutlingen,   Palm,  1860,   in- 16.   — 
2«  éd.,  Stuttgart,  Neff,  1873,  in-16. 

91.  Martin  (N.).  —  Poètes  contemporains  en  Allemagne.  — 
Paris,  Poulet- Malassis,  1860,  in-12. 

[Cf.  p.  63-87  :    De  l'épopée  germanique,    et  surtout  p.  79  :    Sur 
Gudrun.] 

92.  Weinhold  (K.).  —  Ueber  den  Antheil  Steiermarks  an  der 
deutschen  Dichtkunst  des  Xlll.  Jahrhunderts.  (Dans  :  Die 
feierliche  Sitzung  der  kaiserlichen  Akademie  der  Wissen- 
schaften  am  30.  Mai  1860.  —  [\Yien,  Gerold,  1860,  in-8o], 
p.  203-237). 

1861 .  93.   Zingerle  (I.  V.).  ~  Campalille  (P.  (;.,  vu,  44). 

1862.  94.   Bartsch  (K  ).  —  Zur  Gudrun  (P.  ()  ,  vu,  270-271). 

95.  Regel  (K.).  —  Mbelungen,  Gudrun,  Parcival.  Drei  populiire 
Vorlesuugen.  —  Gotha,  Millier,  1862,  in- 12. 

96.  Rutenberg  (0.  von).  —  Gudrun,  ein  Schauspiel.  —  Leipiig, 
1862,  in-8°. 

97.  Wislicenus  (H).  —  Die  Symbolik  von  Sonne  und  Tag  in 
der  germanischen  Mythologie.  —  Zurich,  Schabelilz,  1862, 
in-8°.  —  2*  éd.,  ibid.,  1867,  in-8°. 

[Cf.  surtout  :  2'  éd.,  p.  21-30.] 


—  246  — 

J864.     98.  MùUenhoff  (K.^  und  Scherer  (W.).  —  Denkmaler  deutscher 
Poésie  und   Prosa  aus  dein  VIII. -XII.  Jahrhundert.  —  Berlin, 
Weidmann,  1864,  in-B".  —2=  éd.,  ibid.,  1873,  in-8«. 
[Cf.  p.  349  ou  :  2°  éd.,  p.  389  et  P.  G.,  ix,  55  sqq.J 

99.  Schônherr.  —  Der  Schreiber  des  Heldenbuchs    in  der  k.  k. 
Ambraser  SammluDg  (P.  G.,  ix,  381  sqq). 
[Cf.  Archlv  fur  Geschichte  Tirols,  i,  100-106.] 

1865.  100.  Bartsch  (K.).  — Kudruo,  mit  Wort-und  Sacherklarungen 

herausgegeben  [Tome  II  des  Deutsche  Klassiktr  des  Mittelal- 
ters].  —  Leipzig,  Brockhaus,  1863,  in -8°.  —  2«  éd.,  1867; 
3«  éd.,  1874;  4«  éd.,  1880,  in-8". 

[Cf.  R.  C.  1866,  art.  44;  Ein-opa,  1865,  art.  22;  Oesterr.  Wo- 
chemchrifl,  1867,  n»  25;  B.  f.  1.  U.,  1865,  n°  27;  Deutsches 
Muséum,  1865,  n"  23;  Lit.  Haiidueiser,  1865,  n"  37;  Ailg.  Augsb, 
Ztg.,  186.i.  Beilage2\'2\  St.  Galler  BWlter,  1865,  n»  43  ;  Lon- 
don  RevieWy  1865,  Siippl.  288  ;  Zs.  /'.  dus  Gymnasialwesen,  1866, 
u»  4;  L.  C.  B.,  1868,  n»  1.] 

101.  Bartsch  (K.).  —  IJeitrage  zur  Geschichte  und  Krilik  der 
Kudrun.  —  Wien,  Gerold,  1865,  in-8°  [Tirage  à  part  de  :  P. 
G.,  X,  41-90;  148-22.Ï]. 

[Cf.  B.  f.  1.    U.,  1865,  U0  47;  Zs.  f.  dus  Gymnasialwesen,  1866, 

n»  4.] 

102.  Mùlleuhoff  (K.).  —  Zeugnisse  und  Excursc  zur  deutschen 
Ileldensage  (H.  Z.,  xii,  253-386;  413-436). 

103.  Uhland  (L.).  —  Schriften  zur  Geschichte  der  Dichlung 
und  Sage.  —  Stuttgart,  Cotta,  1863  sqq.,  8  vol.  in-S". 

[Cf.  1,75-80;  88;  110-111;  154-155  ;  1.H7  ;  251  ;  272-273  ;  327-332  ; 
451-452;  VI,  58;  VII,  278-285;  536-538.] 

104.  Zingerle  (I.  V.).  —  Zur  Kudrun  (P.  G.,  x.  475-476). 

1866.  105.  Bacmeister  (A.).  —  Die    Kunigstochler    Gudrun   oder  die 

schone  Wilscherin.  Eine  anmulhige  und  unlerhallende 
Erziihlung  fur  das  Volk  bearbeitet.  —  Reutlingen,  Fleischhauer, 
1866,  in-S".  —  2«  éd.,  ibid.,  1874,  in-S». 

106.  Bibliothek  deutscher  Klassiker.  Eine  Auswahl  des 
Schonsten  und  Gediegensten  in  Poésie  und  Prosa  aus  ihren 
sàmmtlichen  Werken.  Fur  Schule  und  Haus.  —  Leipzig, 
Hartmann,  1866,  19  vol.  in-I6. 

[L'un  des  volumes  de  cette  collection  contient  le  poème  de 
Gudrun;  mais,  ne  l'ayant  pas  eue  entre  les  mains,  nous  ne 
pouvons  préciser  dans  lequel  il  se  trouve.] 

107.  Ettmiiller  (L.).  —  Herbstabende  und  Winternàchte.  Ge- 
sprâche  ûber  deutsche  Dichtungen  und  Dichtcr.  —  Stuttgart, 
Cotla,  1865-1867,  3  vol.  in-B». 

[Cf.  II,  383-417.] 


186' 


—  247  — 

108.  Haupt  (J.).  -  UnlersuchuDgea  zur  deutsclien  Sage.  I. 
Uotersuchungen  zur  Gudrun.  —  Wim,  Gerold,  1866,  ia-80. 
—  2e  éd.,  ibid.,  1874,  ia-S". 

[Cf.    Heidelberger   Jahrhiicher  der  Litemtnr,    1867    n»'  3  pt  4  • 
A.  L.  Z.,  1863,  n°  37.] 

109.  Hoffmann  von  Fallersleben  (H.  A.).  -  Zur  (ieschichte  der 
Philologie.  I.  Briele  von  Jacob  (irimm  (P.  G.,  xi,  381). 

[Impressions  de  J.  Grimm  à  la  lecture  du  poème  de  Gudrun.] 

110.  Saupe(J.).  ~  Der  alldeulsche  Heldensang  in  drei  Pro- 
ben  :  Nibeiungen,  (iudruo,  Parzival.  Fur  Schule  und  Haus. 
—  Géra,  Kanitz,  1866,  in- 8». 

111.  Bartsch  (K.).  —  Zur  Kudruosage  (P.  G.,  xii,  220-224). 

112.  Bartsch  (K.).  —  Die  deutsche  Treue  in  Sage  und  Poésie. 
Vortrag.  —  Leipzig,  Vogel,  1867,  in-80.  (Réimp.  dans  :  Ge- 
sammelle  Vorliàge  und  Aufsàlze  [Fniburg  und  Tùbingen, 
Mohr,  1883,  in-8<'],  p.  158-184). 

[Cf.  L.  G.  B.,  1867,  ^34;  Bl.  f.  Ut.  Unlhltq.,  1868.,  n»  12;  M. 
L.  A,  1867,  n»  26;  Wiss.  Beilage  der  Leipz.  Ztn.,  1R67  n»'66  • 
Europa,  1867,  n»  18. J 

113.  Bâssler(F.).  —  Die  schonsten  Heldensagen  des  Mittelal- 
ters  ihren  Sangern  nacherzahlt.  III.  Ileft  :  Gudrun,  fur  die 
Jugend  unddas  Volk  bearbeitet.  —  Leipzig,  Hariimg,  2«  éd., 
1867,  in-8°.  —  3«  éd.,  ibid.,  1880,  in-S». 

[Cf.  J.  B.,  ir  (1880),  II»  1398.] 

114.  Fortleben  der  Kudrunsage  in  Xorddeutschland  (B  f.  1  U., 
1867,  n»  39). 

115.  Freitag  (G.).  —  Bilder  aus  der  deutschen  Vergangenheit. — 
Leipzig,  Hirzel,  1867  sqq.,  3  vol.  in-S". 

[Cf.  Il,  1,  443-461.] 

116.  Hofmann  (C).  —  Zur  Gudrun  (Silzimgsber.  der  kgl.  bayer. 
Akad.  der  Wî.ss.  zu  Mùnchen,  1867,  II,  20.3-230;  3o7-374). 

H7.   Keck  (H.).  —  Die  Gudrunsage;  drei  Vorlràge  ûber  ihre  al- 
teste  Gestalt  und  ihre  Wiederbelebun^.  —  Leipzig,  Teubner 
1867,  in-S». 

[Cf.  L.  G.  B..  1867.  no  34;  A.  L.  Z.,  1867,  n»   39;   B.  f.   I.  U., 
1868,  n»  11';  Hcanburger  Nachric/tten,  1867,  n»  128.] 

118.  Martin  (E.).  —  Beinerkungen  zur  Gudrun.  —  Halle,  Wai- 
senhaits,  1867,  in-S". 

[Cf.  B.  f.  1.  U.,  1868,  n"  12.] 

119.  Neumann  (A.).  —  Die  Stellung  des  Attributs  oline  Flexion 
in  der  Gudrun.  —  Progr.  des  Coinm.  Rcal-Cynnias.  im  Bezirk 
Mariahilf  {Wim),  1867,  in-S". 


—  248  — 

120.  Pfeiffer  (Fr.).  —  Freie  Forschung.  Klcine  Schriflen  zur  Ge- 
achichte  der  deutschen  Lilteratur  und  Sprache.  —  Wt«n, 
Tendler,  1867,  in -8». 

[Cf.  p.  13  sqq.  et  90  sqq.] 

121.  Richter  (A.).  —  Das  Forlleben  der  deutschen  Heldensage  im 
XIX.  Jahrhundert  (Wtss.  Beilage  der  Leipziger  Zeitung,  1867, 
no  52). 

1868.  122.  Carrière  (M.). — Die  Kunst  im /usammenhangederKullur- 

enlwickelung    und  die    Idéale  der    Menschheit.   —  Leipzig, 
Brockhaus,  1863-1873,  5  vol.  in-8o. 
[Gf.  m,  II,  337-342.] 

123.  Hofmann  (C).  —  Zur  fiudrun  ;  mythischc  und  historische 
Heslaiidlheile  {Augsburger  Allg.  Ztg.,  1H68,  Beiloye  24). 

124.  Jonckbloet (A.).  — Geschiedenis  der  nederlandsche  Lelter- 
kunde.  —  Groningen,  Wolters,  1868,  2  vol.  in-8°. 

[Cf.  I,  '.^'2  sqq.  ou  I,  28  sqq.  dans  la  traduction  allemande  de 
W.  Berg  et  E.  Martin,  Leipzir/.  Voyel.  1870-1872,  2  vol.  in-8».] 

125.  Karze.  —  Ein  Beitrag  zur  Wiirdigung  unserer  Volksepen. 
Programm  der  Reaischule.  —  Lnndshiit,  1868,  in-4°. 

[Gf.  H.  A.,  XLv.  223  sqq.] 

126.  Richter  (A.).  — Deutsche  Heldensagen  des  Mitlelallers.Er- 
zâhlt  und  mit  Erliiuterungen  versehen.  —  Leipzig,  Brand- 
steltcr,  1868,  2  vol.  in-8°.  —  2«  éd.,  1870.  —  3«  éd.,  1873.  — 
4«  éd.,  ibid.,  1877,  2  vol.  in-8°. 

[Gf.  4=  éd.,  1,298-412.  —  Gf.  J.  P.  P.,xgviu.  316;  Wiss.  Beil. 
der  Leipz.Zlg.,  1867,  n»  101  ;  M.  L.  A.,  1868,  n»  18;  Allg.  Fa- 
rnilien-Ztg.,  1870,  n»  30  ;  Schulblatt  der  Provinz  Sachsen,  1871, 

n»  7-8.] 

127.  Wesendonck  (M.).  —  Gudruu.  Ein  Schauspiel.  —  Zurich, 
1868,  ia-8°. 

1869.  128.   Bartsch  (K.).  —  HerzogErnst  herausgegeben.  — Wien,  Brau- 

mùller,  1869,  in-8°. 

129.  Bartsch  (K.)  und  Schrôer  (J.).  —  Das  Fortleben  der  Ku- 
drunsage  (P.  G.,  xiv,  323-336). 

130.  Elmqnist  (G.).  —  Drei  Gudrunlieder  aus  dem  Mitlelhocb- 
deutschen  ins  Neuhochdeulsche  libersetzi  und  erklârt.  Mit 
einigen  philologischen  Bemerkungen.  —  Strengnds,  Lund- 
berg,  1869,  in-S". 

131.  Gerland  (G.).  —  Altgriechische  Mârchen  in  der  Odyssée.  — 
Magdeburg,  Kreutz,  1869,  in-8°. 

[Gf,  p.  25,  27,  30,  38,  47.] 

132.  Martin  (E.).  —  Uebersicht  der  miltelniederlandischen  Li- 


—  249  — 

teratur  in  ihrer  geschichtlichen  Entwickelung  (Z.  Z.,  i,  157- 
178). 

[Cf.  surtout  p.  163.] 

133.  Meyer  (K.).  —  Die  Wielandssage  (P.  G.,  iiv,  283-300). 
[Cf.  surtout  p.  288,  290-291,  294,  298.] 

134.  Reichel  (R.).  —  Zeugnisse  zur  deutschen  Heldensage  aus 
sleirischen  Urkunden.  —  Marburg  in  St.,  1869,  in-i". 

[Cf.  P.  G..  XVII,  65.] 

135.  Schrôder  (R.).  —  Corpus  Juris  Germanici  poeticum.  1.  Gu- 
druu  (Z.  Z.,  I,  257-272). 

1870.     136.  Bossert  (A.). —  La  littérature  allemaDde  au  moyen  âge  et 
les  origines  de  l'épopée  germanique.  —  Paris,  Hachette,  1870, 
in-S».  —  2«  éd.,  ibid.,  1882,  in-i2. 
[Cf.  p.  108-137  de  la  !■■«  éd.] 

137.  Dony.  —  Das  weibliche  Idéal  nacli  Homer,  mit  Rûcksiclit 
auf  unsere  Nationalepen.  Programm  der  Realschule.  —  Per- 
leberg,  1870,  in^». 

[Cf.  H.  A,  xLvii,  334.] 

138.  Ettmûller  (L.).  —  Allnordischer  Sagensclialz  in  ueun  Bii- 
chern.  —  Leipzig,  Fleischer,  1870,  gr.  in-S". 

[Cf.  p.  176-179  et  208.] 

139.  Grosse  (i.).  —  Gesammelle  draraatische  Werke.  —  Leipzig, 
Weber,  1870,  7  vol.  in-8''. 

[T.  VI  :  Gudrun.  Schauspiel  in  fllnf  Aufzûgen.  —  D'après  une 
communication  de  M.  J.  Grosse, cette  pièce  acte  représentée 
à  Leipzig  (Hoftheater)  à  la  fin  de  1872  et  au  commencement 
de  1873.  —  Cf.  R.  von  Gottschall,  Die  deutsche  NatlonallUte- 
ratur  des  19.  Jahrhunderts,  5.  Aufl.,  III,  401.] 

140.  Gûnther  (W.).  —  Die  deutsche  Heldensage  des  Millelalters, 
nebst  der  Sage  vom  Heiiigen  Graal  (Parcival,  Tilurel,  Lohen- 
grin).  —  Hannover,  Brandes,  1870,  in-8°.  —  2''  éd.,  Hunnover, 
Meyer,  1878,  in-8''.  —  3«  éd.,  ibid.,  1884,  in  8°. 

[Cf.  H.  Z.,  Anz.,  X,  415;  Zs.  f.  das  Gymnasialvexen,  Juni  1883  ; 
J.  B.,  VI,  n°  640  ;  P.  G.,  xvii,  240.] 

141.  Hildebrand  (R.).  —  Zur  Gudrun  (Z.  Z.,  ii,  468-478). 

142.  Klaiber  (J.).  —  Die  Frauen  der  deutschen  Heldensage.  — 
Stuttgart,  Grùninger,  1870,  in- 16. 

143.  Kôhler  (A.).  —  Ueber  den  Stand  berufsmassiger  Sànger  im 
nationalen  Epos  germanischer  Volker  (P.  G.,  xv,  27-50). 

[Cf.  surtout  p.  34.  39,  42.] 

144.  MûUenhoff  (K.).  —  Deutsche  Alterthumskunde.  —  Berlin, 
Weidmann,  I,  1870,  in-8°.  —  2«  éd.,  ibid.,  1890,  in-8». 

[Cf.  1"  éd.,  p.  410-426.  —  Cf.   Z.  Z.,  iv.  94  ;    K.  G.,  1816,  art. 
86.] 


—  250  — 

145.  Reissmann  (A.)-  —Gudrun.  Grosse  Oper  in  drei  Aklen.  Text- 
buch.  —  Leipzig,  Siegel,  1870,  in-S». 

[Représenté  à  Leipzig  (Stadttheater)  les  7  et  12  octobre  1871.  — 
Cf.  Fétis,  Biographie  universelle  des  tnusiciens,  Supplément, 
II,  402;  Martin,  Kudrun.p.  V;  Allg.,  musikalische  ZUj.,  1871, 
p.  668  ;  Revue  et  Gazette  musicale  (de  Paris),  1870-1871,  p.  299; 
Eiiropa,  1871,  n»  41,  Chronik,  col.  648-649.] 

146.  Schrôer  v'J.).  —  Weiterc  Miltheilungen  ûber  die  Muadart 
von  Gottschee  [Sitzungsber.  der  kaiseil.  Akad.  der  Wissensch. 
zu  Wien,  philos. -histor.  Classe,  lxv,  394  und  443). 

1871.  147.   Rûckert  (H.).   —  Ueber  deutsche   mundartliche  Litteralur 

(Z.  Z.,iii,  161-200). 
[Cf.  surtout  p.  184.] 
148.  Weinhold   (K.).   —  Die  Polargegenden  Europas  nach    den 
Vorslellungen  des  deulscheu    Millelallers.    —    Wien,  Gerold, 

1871,  in-8». 
[Cf.  p.  13-14.] 

1872.  149.   Frye  (Th.).  —  Macht  und  Ursprung  des  Gesanges  und  der 

Musik  nacli  den  Darslellungen  allclassischer  uud  deutscher 
Poésie.  —  Programm  der  Realschule  I.  0.  zu  Ruhrort,  187?, 
in-4°. 

[Cf.  II.  A.,  LU,  43o.] 

150.  Martin  (E.).  —  Kudrun  herausgegeben  und  crklàrt  [Tome  II 
de  la  Germanische  Handbibliothek  hrsg.  von  Zacher].  —  Halle, 
Waisenhaus,  1872,  in-8». 

[Cf.  Z.  Z.,  IV,  356  :  R.  C,  1872,  art.  156  ;  Zs.  f.  d.  bayer.  Gym- 
nasialwes.,  1872,  787  sqq.;  Zs.  f.  d.  osterr.  Gymnasien,  1872, 
Heft  11  ;  The  Academy,  1872,  n»  69  ;  G.  G.  A.,  1872,  n»  31.] 

151.  Martin  (E.)  und  Schrôer  (J.). — Zum  ForlJeben  der  Gudrun- 
sage  (P.  G.,  XVII,  208-211;  423-431). 

152.  MoUer  (P.  L.).  -  Det  oldljske  Heltedigt  Gudrun.  Efterladt 
arbeide    (skrevet  i  Tjdskland  1831).  —  Kjobenhavn,  Wagner, 

1872,  in-12. 

153.  Rùckert(H.).  — Koaig  Rother,  herausgegeben  [Tome  Ides 
Deutsche  Dichtungen  des  Mittelalters].  —  Leipzig^  Brockhaus, 
1872,  in-8°. 

[Cf.  Préface,  p.  XXVII  sq.  et  passim.J 

154.  Schrôer  (J.).  —  Zur  Heldensage  (P.  G.,  xvii,  65-71). 

155.  Stecher  (J.).  —  L'épopée  des  bouches  de  l'Escaut.  Discours 
prononcé  à  la  Distribution  des  Prix  au  Concours  général  de 
renseignement  supérieur  et  de  l'enseignement  moyen  (Mo- 
niteur Belge  d\i  29  septembre  1872). 

1873.  156.   Birlinger  (A.).  —  Zur  Kudrun  (Alemannia,  \,  285-287). 
157.  JâBicke(0.).  —  Gabilun  (H.  Z.,  xvi,  323-32'0- 


—  251  — 

158.  Junghans  (A.).  —  Gudrun,  ein  mittelhochdeutsches  Gedicht 
ùbersetzt  [Reclam's  Universalbibliothth ,  n""  465-466].  —  Leipzig^ 
Redam,  (1873),  in-16. 

159.  Klee  (G.  L.).  —  Zur  Hildesage.  —  Leipzig,  Breitkopf  uni  Hàr-r 
tel,  i8~3,  ia-8°. 

160.  Schmidt  (L.).  —  Das  Gudrunlied,  àslhelische  Unlersuchun- 
gen  nebst  Probe  freier  Umdichlung.  Programm  des  Gym- 
nasiams.  —  Bromberg,  Fischer,  1873,  iu-4°. 

[Cf.  H.  A.,  Lv,  120.] 

161.  Sôltl  (J.  M.).  —  Heldensagen  (Das  Nibelungenlied,  Rostem 
und  Suhrab,  Gudrun).  Fiir  Jung  und  AH  bearbeitet,  insbe- 
sondere  den  deulschen  Jungfrauen  und  Frauen  gewidniel. 
—  Wien,  Hartleben,  1873,  in -8". 

162.  Widmann  (H.).  — Zur  Kudrun.  Mjlhisches  undhistorisches. 
Programm  des  Gymnasiums.  —  Gôrz,  d873,  in-8". 

163.  Wilmanns  (W.).  —  Die  Entwickelung  der  Kudrundichlung 
unlersucht.  —  Halle,  Waisenhaus,  1873,  in-8°. 

[(.'.f.  P.  G.,  xx,  249-254;  Allg.  lit.  Anz.  f.  das  evang.  Deutschland, 
1874,  n"  83  ;  Bl.  f.  d.  bayer.  Gymnasialwes.,  x,  Heft  7;  Nordd. 
Allg.  Ztg.,  1874,  n»  31  ;  G.  G.  A.,  1875,  n»  10  ;  Z.  Z.,  xv,  194- 
222;  ci  dessous,  n*»  187.] 

187  î .     164.  Blume  (L.).  —  Das  Idéal  des  Helden  und  des  Weibes  bel  Ho- 
mer,  mit  Rùcksicht  auf  das  deutsche   Allerthum.  —  Wien, 
Hôlder,  1874,  gr.  in-8°. 
[Cf.  P.  G.  XXI,  117;  R.  C,  1876,  art.  33.] 

165.  Kirpicnikov  (A.  J.).  —  Kudrun,  une  épopée  nationale  [En 
langue  russe].  —  Charkov,  Trjp.  de  iUniversité,  1874,  in-8». 

[Cf.  J.  B.,  V,  n»  953;  H.  Z.,  Anz.,  ix,  241-244.] 

166.  Schrôer  (J.). —  Sonnenuntergang,  Geilàte,  Gustràte,  u.  A., 
Gott  folgen  gehen  (P.  G.,  xix,  430-432).. 

1S7.).     167.   Bartsch(K.).  —  Kudrun,  Schulausgabe  mit  einem  Worter- 
bucbe.  —  Leipzig,  Brochhaus,  1875,  in-8°. 
[Cf.  BL  f.  d.  bayer.  Gymnasialwesen,  xr,  Heft  7.] 

168.  Keck  (H).  —  Gudrun,  Nordseesage.  Nach  der  raittelalterli- 
chen  Ueberlieferung  wiedererzahlt  [Idinia,  Deutsche  Helden- 
sagen, Theil  JJ.  —  Leipzig,  Teubner,  187.J,  in-8°. 

[Cf.   Wiss.  Beil.  der  Leipz.  Ztg.,  1874,  n»  103.] 

169.  Mehl  (H.).  —  Die  schônsten  Sagen  des  classischen  Alter- 
thums  und  des  deutschen  Mittelalters.  Fur  die  Jugend  er- 
zàhlt.  —  Wien,  Pichler,  1875,  in  8°. 

[Cf.  J.  P.  P,  cxii,  98.] 

170.  Scherer  (W.).  —  Geistliche  Poeten  der  deutschen  Kaiser- 


—  252  — 

zeit.    StudieD  [Q.  F.,  Tome  7],  —  Strassburg,  Trùbner,  i875, 
in-8o. 
[Cf.  H.  Z.,  Anz.,1,  65;  L.  G.  B.,187C,  1105;  J.  L.  Z.,  1876,  n»  9  ; 
Z.  Z.,  VIII,  354.] 

171     Scherer  (W.)-  —  Geschichle  der  deulschen  Dichtung  im  XI. 
und  XII.  Jahrhundert  [Q.  F.,  Tome  12].  —Strassburg.  Trùb- 
ner, 187."),  in-8°. 
[Cf.  surtout  p.  47  et  79.  —  Cf.  S.  Z.,  xviii,  4;  L.  C.   B.,  1876, 
11°  5  ;   J.  L.  iZ.,  1876,  n»  9  ;    Theol.   LU.  BL,   xi,  10;  bn  neuen 
Reich,   1875,   n»  50  ;   Saturdcaj  Review,  n»  1051;    Z.  Z.,   viii, 
354;  H.  Z.  Anz.,  11,  234;  D.  R.,  Mai  1876. J 

1876.  172.   Gûnther  (W.).  —  Kurzer  Leilfaden  der  deulschen  Helden- 

sage  des  Millelalters,  nebst  einem  Ueberblick  ùber  die  Gôt- 
lerlehre  der  allen  Deulschen.  —  Hannover,  Meyer,  1876, 
in-8''.  —  2' éd.,  ibid.,  1878,  in-8». 

173.  Hahn  (J.  G.  von).  —  Sagwissenschaftliche  Sludien.  —  Jena, 
Mauke,  1873-1875,  gr.  10-8". 

[Cf.  L.  C.  B.,  1873,  n»  36;  Weslermanns  Monaslhefle,  Sept.  1877.] 

174.  Strobl  (J.).  —  Die  Kntstehung  der  Kudrunslrophe  {Zs.  f.  die 
(isterr.  Gymnasien,  xxvii  [1876],  881-886). 

1877.  175.  Caro  (C).  —  f.udrun,  Schauspiel  in  fûnf  Aufzugen.  —  Bres- 

lau,Trcicendt,  1877,  in-16. 

176.  Muth  (R.  von).  —  .\ller  und  Ileimat  des  Bilerolf  (H.  Z., 
ïxi,  182-189). 

177.  Rassmann  (A.).  —  Gùdrùn  {Encyclopédie  d'Ersch  et  Gruher, 
I"  Seclion,  Tome  96,  p.  121-144). 

[Cf.  Z.  Z.,  X,  374.]  -- 

178  Rùckert  (H.).  — ■  Ueher  das  Epos  von  Gudrun  (Dans:  H. 
Rùckerts  Kleinere  Schriflen,  hrsg.  von  A.  Sohr  und  A.  Reif- 
ferscheid.  —  Weimar,  Bôhlau,  1877  sqq..  3  voL  in-S».  Tome 
I,  p.  180-211). 

[Cf.  R.   C.    1877,   2«  Sem.,  p.   369;   P.    G.,   xxiii,  246;  Z.  Z., 
XIII,  243  sqq.] 

1878.  179.  Baumbach  (R.).  —  Horand  und  Hilde,  Gedichl.  — Leipzig  , 

Breitkopfund  Hdrtel,  1878,  in-8°. 

180.  Klee  (G.  L.).  —  Gudrun.  Fin  aldeulsches  Heldengedicht 
liberselzl.  —  Leipzig,  Hirzel,  1878,  in-8''. 

[Cf.  R.  C,  1878,  art.  156;  Z.Z.,  x,  374.] 

181.  Muth  (R.  von).  —  Untersuchungen  und  Excurse  zur  Ge- 
schichle und  Kritik  der  deulschen  Ileldensage  und  Volksepik 
(Sitzunr/sber.  der  k.  Akad.  der  Wiss.  zu  Wien,  xci,  223-254). 
—  Tirage  à  part:  Wien,  Gerold,  1878,  gr.  in-8°. 

,•     [Cf..  p.  23-24  du  tirage  à  part.  —  Cf.  J.  B.,  i,  n«  262.] 


—  253  — 

182.  Steenstrup  (J.).  —  Danske  Kolonier  i  Flaadern  og  Neder- 
landene  i  det  10''°  Aarhuadrede  [Saerlrjk  af  Historish  Tid- 
skrift,  IV.  Raekke,  Bd.  6,  S.  484-497J.  —  Kjubenhavn,  Lunos, 
1878,  in-8°. 

[Cf.  R.  H.,  Janvier-Février  1880,  p.  16;  J.  B.,  i,  n»  lo8.] 

183.  Wagner  (W.),  —  Unsere  Vorzeit.  Id  Schilderungen  fur  Ju- 
gend  und  Volk.  —  Leipzig,  Spamer,  1878,  2  vol.  in-8°. 

[Cf.  D.  R.,  XIV,  339.] 

184.  Wilken  (E.).  —  Unlersuchungen  zur  Snorra-Edda.  — 
Paderborn,  Schôningh,  1878,  in-8o. 

[Cf.  p.  143-147.  —Cf.  P.  G.,  XXIV.  363;  L.  C  B..  1878,  col. 
1448  ;  J.  B.,  I,  n»  353;  J.  L.  Z.,  1879,  509;  G.  G.  A.,  1878, 
1217;  Z.  Z.,  X,  351.] 

1 879 .  185 .   Bartsch  (K.).  —  Sagen,  Marchen  und  Gebrauche  aus  Mecklen- 

burg.  1.  Sagen  und  Marchen.  —  Wien,  Braumuller,  1879,  in-S". 

[Cf.  p.  469-474.-  Cf.  J.  B..  i.  n»  269;  L.  C.  B.,  1879.  col.  1425- 
1429;  P.  G.,  XII,  220-234;  The  Anliquary,  ix,  220-225;  x,  64-69.] 

186.  Groth.  — Vergleich,  Metapher,  Allégorie  und  Ironie  in  dem 
Nibeluagenlied  und  der  Kudrun.  —Programm  des  Gymnasiums 
zu  Charlottenburg,  1879,  iQ-4°. 

[Cf.  J.  B..  I,  n»  498;  H.  A.,  lxiii,  105.] 

187.  Eolisch  (A.).  —  Die  Kudrun-Dichtung  nach  Wilmann's 
Kritik.  Programm.  —  Stettin,  Bornemann,  1879,  in-4". 

[Cf.  J.  B.,  i,  n»  459,  n,  n»  846  ;  H.  A.,  lxiei,  106.] 

188.  Schnori  (K.).  —  Der  mythische  Hintergrund  im  Gudrun- 
liede  und  in  der  Odyssée.  —  Zurich,  SchuUhess,  1879,  in-S". 

[Ci.  Biirsians  Jahresbericht,  xxxiY,   143;   J.  B.,  ii,   n"  548  ;    vi, 
n»  580.] 

189.  Albers  (J.  H.).  —  Lebensbilder  aus  der  Gôtler-und  Helden- 
sage.  —  Metz,  1880,  in-8°. 

[Cf.  J.  B.,  m,  n»  1357.] 

1880.  190.   Ebner  (A.).  —  Die  Verba  auxiliaria  kunnennnd  soin  in  der 

Gudrun  (1-879).  Programm  des    k.   k.   Obergymnasiums.  — 
Melk,  1880,  in-8°. 
[Cf.  .J.  B.,  III,  n»  753;  Zs.  f.  d.  Realschulwesen,  vi.  508.] 

191.  Griesmann  (A.).  —  Einfûhrung  in  das  Nibelungenlied  und 
die  Gudrun.  —  Leipzig,  Webel,  1880,  in-8°. 

[Cf.  J.  B.,  II,  n»  910;  B.  f.  1.  U.,  1881,  n»  14.] 

192.  Klee  (G.  L.).  —  Zu  Kudrun  (P.  G.,  xxv,  396-402). 

193.  Kny  (H.).  —  Der  Gebrauch  der  Négation  im  Gudrunliede. 
Programm  der  Oberrealschule.  —  Bielitz,  1880,  in-8». 

[G.  J.  B.,  III,  n°  754;  Zs.  f.  d.  Realschulvesen,  tt,  508.] 


—  234  — 

194.  Kohlmann.  —  Das  Harlingerlaod  als  Millclpunkt  der  Gu- 
drunsage  {Ostfnesisches  Monatsblatt,  Vlll  [1880],  n»«  34-40). 

[Cf.  P.  G.,  XXVI,  487,  u"  1070.] 

195.  Martinius  (C).  —  Das  Land  der  Hegelinge  wiedergefunden 
im  oslfriesisclien  flarlingerlaode.  Beitrâge  zur  ErklàruDg  des 
Gudrungedichtes.  —  Norden,  Soltau,  1880,  ia-S". 

[Cf.  .T.  B.,  I,  n»  460;  ii.  n»  379;  H.  Z.,  Anz..  vi,  98  ;  P.  G^ 
xxv,^489;  Ostfries.  Monalsbl.,  i%l^,  518.] 

196.  Rischka  (R.).  — Verhaltniss  der  polnischen  Sage  von  Wal- 
gierz  Wdaly  zu  deii  deulschen  vod  Wallher  von  Aquitanien. 
—  Brody,  Rosenheiin,  1880,  in-8°. 

[Cf.  J.  B..  I,  noSiO;  m,  n»  1^34;  L.  G.  B..  1880,  n»  48  ;  H. 
A.,  LXiv.  201  ;  Ausland,  1880,  u»  21;  M.  L.  A.,  1880,  n"  8.] 

197.  Schrôder  (R).  —  Die  Herkunft  der  Franken  (S.  Z.,  xuii, 

1-65). 

[Cf.  surtout  p.  10,  11,  IG  sqq.  —  Cf.  J.  B.,  ii.  n»  295;  m, 
n"'  273  et  429  ;  Zs.  der  Savignij-Stiffung,  ii.  German.  Abthlg., 
1-32;  D.  L.  Z.,  1880,  col.  37'o.] 

198.  Stecher  (Chr.).  —  Das  Gudrun-Lied.  Ein  Ileldengedicht 
umgedichlet  [Deutsche  Dichtung  fur  die  christliche  Familie 
und  Schule,  Hefl  18-19].  —  Graz,  Styria,  1880  1882,  2  vol. 
in-S». 

[Cf.  .].  B.,  V,  n»  954.] 

1881 .  199.  Bugge  (S.).  —  Studier  over  de  Nordiske  Gude  -ok  Heltesagns 
Oprindelse.  Forste  Raekke.  —  Christiania,  Feilberg  og  Land- 
mark,  1881-1889,  io-S".  —  [Traduction  allemande  sous  le  ti- 
tre :  Studien  ùber  die  Entstehung  der  nordischen  Gotter- 
und  Ileldensage.  Ueberselzt  von  0.  Brenner.  I.  Reihe.  — 
Munchen,  Kaiser,  1881-1889,  in-S».] 

[Cf.  J.  B.,  n,  n»  515,  516;  m,  n"  478;  iv,  n»  410;  v,  n»  483; 
XI,  10,  96;  12,  171,  où  l'on  trouvera  réunie  la  bibliographie 
des  nombreux  articles  qu'a  suscités  l'apparition  de  ce  li- 
vre.] 

200.  Gibb  (J).  —  Gudrun  and  other  stories  from  the  Epies  of  Ihe 
Middle-Age.  —  London,  Marshall,  Japp  a.  Co.,  1881,  in-8°.  — 
2«  éd.  sous  le  titre:  Gudrun,  Beowulf  and  Roland;  with  other 
metrical  taies.  —  London,  1883,  in-8°. 

[Cf.  R.  G.,  1883,  n»  50.] 

201.  Gotzinger  (E).  —  Reallexikon  der  deutschen  Alterthùmer. 
—  Leipzig,  Urban,  1881,  in-8°.  —  2'^  éd.,  ibid.,  1884,  in-S". 

[Cf.  J.  B.,  iri,  n»  230  ;  xv,  n»  197;  v,  n»  207;   vi,    n»  185;  vu, 
n»  194;  vni.  n»  217;  ix,  7,  2;  Rev.  de  PhiL,  vi,  191-192.] 

202.  Reichardt  (Fr.).  —  Zur  Gharakteristik  des  Nibelungenliedes. 


—  255  — 

Vergleich  des  epischen  SliJs  der  Nibelungeo  mit  dem  der 
Kudrun.  Programm  der  ReaJschule.  —  Aschersleben.  Huch, 
1881,  in-8°. 

,,.-,  [<^f-  J-  1^-.  III,  n"  "63;  H.  A.,  Lxviir,  148.] 

203.  Wagner  (W.).  -  Deutsche  Heldensagen  fur  Schule  und 
Ilaus.  —  Leipzig,  Spamer,  1881,  in-8°.  —  2«  éd.,  ibid.,  1886, 
in-S». 

[Cf.  J.  B.,  iir,  n»'  513  et  1363  ;  iv,  n»  1445  ;  |viir,  n»  561  ;  Zs.  f. 

dns  Realschulwesen,  vir,  237.] 

204.  Zwitzers  (A.  E.).  —  Kudruo.  Nacli  Mulleuhoff  und  Martin 
verkiirzte  Ausgabe,  mit  grammalischer  und  metrischer  Ein- 
leitung  und  Worlerbuche.  Fur  Schule  und  zum  Selbstunter- 
richt.  —  Hannover,  Hahn,  1881,  in-8°. 

[Cf.  J.  B.,  m,  n»752.] 

1882.     205.  Fechtner  (G.).  — Kriemhild  und  Kudrun.  Charaklereaus  der 
deutschen  Heldensage.  Ein  Vorlrag.  —  Leipzig,  1882,  in-S». 
[Cf.  J.  B.,  IV,  n»  434.] 

206.  Hartung  (A.).  —  Deutsche  Alterthùmer  aus  dem  Nibelun- 
genliede  und  der  Gudrun.  Programm  des  Progymnasiums.  — 
JSeuhaldenslehen,  1882,  in-4o. 

[Cf.  J.  B..  IV,  n»  710  ;  H.  A.,  lxx,  217.] 

207.  Klughardt  (A.).  —  Gudrun,  einc  Opcr.  Text.  von  Cari  Nie- 
mann.  —  Berlin,  Bote  und  Bock,  1882,  in-8". 

[D'après  une  communication  de  M.  A.  Klughardt,  cet  opéra  a 
ele  successivement  représenté  à  Xeustrelitz  (Hoftheater) 
Berhn  (Opernhaus).  Leipzig  (Neues  Stadtheater)  et  Dessau 
(Hoftheater).] 

208.  Neumann  (F.).  —  Iron  und  Apollonius  (P.  G.,  xxvii,  1-22). 

[Cf.  surtout  p.  6  sqq.  —  Cf.  J.  B.,  iv,  n»  392.] 

1883.  209.  Kettner  (E.).  -  Der  Empfang  der  Giiste  im  Nibelungen- 
liede.  Ein  Beitrag  zur  Kulturgeschichte  des  XII.  und  XIII. 
Jahrhunderts.  Jahresbericht  des  Gvmnasiums.  —  Midhausen 

1883,  in-4«. 

[Traite  la  même  question  pour  les  poèmes  de  Gudrun, BUerolf 
et  Alphart.  —  Cf.  J.  B.,  v,  n»  319  ;  H.  A.,  lxxi,  224.] 

210.  Klee  (G.  L.).  —  Die  deutschen  Heldensagen  fur  Jung  und 
Alt  wiedererzahlt.  —  GiUersloh,  Bertelsmann,  1883,  in-8o. 

[Cf.  J.  B.,  VI,  n»  638;  L.  B.,  v.  col.  465;  ^%.  Ztg.,  1885,  Beil. 
57;  Haus  und  Schule,  1883,49  ;  Grenzboten.  1S84,  17;  Reichs. 
bote,  1883,288;  Cons.  Monatschrift,  1883.12;  Staatsanzeiqer 
fur  Wurtemberg,  1883,  n"  26.] 

211.  Martin  (E.).  —  Kudrun  herausgegeben.  Textabdruck   mit 
den    Lesarteu  der   Handschrift  und  Bezeichnung  der  echten 


—  256  — 

Tlieile  [Sammlung  germanistischer  Hilfsmiltel  fur  den  prakti- 
schen  Studienzyjeck,  Tome  II].  —  Halle,  Waisenhaus,  i883, 
in-8". 

[Cf.  J.  B.,  V.  n°949:  L.  C.  B.,  1883,  col.  127C  ;  L.  B.,  1884. 
col.  9J;  Z.  Z.,  XVI,  114;  Zs.  /'.  das  bayer.  Gymnasialschulwe- 
sen,  XX,  4o7.J 

212.  Martin  (E).  —  Zu  Kudruo  (Z.  Z.,  xv,  194-222). 
[Cf.  .J.  B..  V,  n-  951.] 

213.  Symons  (B.).  —  Kudruu  herausgegeben  [Altdeutsche  Texlbi- 
bliothek   hrsf/.   von   IL  Paul,  Tome   5J.  —   Halle,   Niemeyer, 

1883,  in-8». 

[Cf.  J.  B.,  V,  n»  950  ;  L.  C.  B.,  1883,  col.  127G;  L.  B.,  1884.  col. 
90  ;  Xordisk  Revy,   1883,  col.  19.] 

214.  Symons  (B.).  —  Zur  Kudrun  (P.  B.  B.,  ix,  1-100). 
[Cf.  J.  B.,  V.  n»  932.] 

215.  Zingerle  (0.).  —  Das  Ileldenbuch  an  der  Etsch  (H.  Z., 
xxvu,  13»M44). 

[Cf.  J.  B.,  V,  n»  929.] 

216.  Bahder  (K.  von).  —  Kônig  Rolher  herausgegeben  \^Altdeut- 
sche  Tcxtbibliothek  hrsg.  von  H.  Paul,  Tome  6].  — Halle, 
Niemeyer,  1884,  in-S", 

[Cf.  Préface,  p.  4.] 

217.  Dahn  (F.  und  Th.).  —  Walhall,  Germanische  Gôller-und 
Heldensagen.  Fur  .Vit  und  Jung  am  deutschen  Herd  erziihll. — 
Kreuznach,  Voigtlnnder,  1"  à  3»  éd.,  1884,  in-8°.  —  4«  et 
o^  éd.,  ibid.,  1885,  in-8°. 

[Cf.  J.  B.,  VI,  n»  639;  vu,  n»  747;  viii,   n»  559;  L.  C  B.,  1886, 
col.  733.] 

218.  Draeseke  (F.).  —  Gudrun,    eine  Oper.  —  Leipzig,  Kistner, 

1884,  in-8°. 

[D'après  P'étis,  Biographie  universelle  des  musiciens.  Supplément, 
I,  280,  cet  opéra  n'aurait  pas  été  représenté  (1881).] 

219.  Engelmann  (Em.).  —  Die  schonsten  Mâhren  und  Helden- 
sagen der  Vorzeit,  gelreu  nach  den  Quellen  geschildert.  — 
Stuttgart,  Neff,  1884,  in-8''. 

220.  Hallberg  (E.).  —  Les  grandes[|épopées  germaniques  {Revue 
de  l'Enseignement  des  langues  vivantes,  1884,  n°*  1-3). 

221.  Kettner  (E.).  —  Zur  Krilik  des  Nibelungenliedes.  II.  Die 
Hoffeste  (Z.  Z.,  xvi,  48-89). 

[Cf.  surtout  p.  58-61.  —  Cf.  J.  B.,  vi,  n»  954.] 

222.  Richter  (A.).  —  Gutter  und  Helden.  Griechische  und  deut- 


—  257  — 

solic    Sagon.  —  Lripzij,   linindf'liUUr,    1.  Udolin.,    3.  Aun.  ;  2. 
BJchn.,  2.  Aufl.,  J«8t-188:i,  2  vol.  iii-8°. 

223.  Schwarze  (M.).  —  Die  Frau  in  doin  Nibeluagenliodc  und  der 
Kudrun  (Z.  Z.,  xvi,  383-470).  —  Réimp.  comnio  disserlalion 
inaugurale:  Halle,  Waisenhaus,  18Si,  in-S". 

[Cf.  J.  B.,  VI,  n«  9.j9.] 

224.  Weitbrecht  (R.).  —  Das  Gudrunlicd  in  ncuhochdeutschen 
Vcrsen  Dacligedichtol.  —  Stuttgart,  Mctzler,  18Si,  iiî-8°. 

[Cf.  J.  B.,  VI,  no  9;{9;  D.  L.  Z.,  1881,  col.  .521.] 

ISSj.     225.  Bartsch  (K.).  —  Kudrun  herausgogcbcn  [Deutsche  National- 
Littcratur  hng.  von  J.  Kùrschner,  Tome  G]   —  Berlin  und  Stutt^ 
gart,  Spemann,  (I8S.)),  in-8". 
[Cf.  J.  B.,  vu.  11»  1170  ;  Centralorg.,  xiii,  4o9.] 

226.  Engelmann  (Em.).  —  Das  Gudrun-Lied  fur  das  deulsche 
Haus  nach  deu  bestea  Quellen  bcarbeitet.  Mit  ciDcm  Facsimilc 
der  Ambrascr  Ilandschrifl,  6  Liclildruckbildern  und  vielen  II- 
lustralioneû  im  Text.  —  Stuttgart,  Nfff,  1885,  in-S». 

[Cf.  Nord  and  Siid,  Januar  188G.] 

227.  Erdmann  (0.).  —  Lamprechls  Alexander  und  die  Hilde-Ku- 
druQ-Dichluûg  (Z.  Z.,  xvii,  224-226). 

[Cf.  J.  B.,  VII,  n»  1175.] 

228.  Erdmann  (0.).  —  Zur  Gudrun  (Z.  Z.,  xvii,  226-227). 
[Cf.  J.  B.,  Vil,  11°  1172.] 

229.  Heinrich  (0.).  —  Ueb3r  die  Kudrunsage  und  das  Kudrun- 
epjs  (Ungar.  H'iiue,  v,  29o-297). 

[Cf.  .J.  B.,  VII,  n»  1173.] 

230.  Otto  (Th.). —  liemerkungen  zum  Gudrunliede  {Bellettristi- 
sches  Familienblatt,  1885,  n°  1). 

231.  Vogt  (P.).  — Gudrun  im  Anschluss  an  Mûllenhoffs  Ausgabe 
fur  den  Schulgebraucb  ins  Xeuhochdeulsche  ùbersetzt  und  mit 
ciner  Einleitung  versehcu.  —  Leipzig,  Wigayid,  1885,  in-S". 

[Cf.  J.  B-,  VIII,  n°  212().] 

232.  Wanner  {E.\  —  Deutsche  GOller  und  Heldcn,  nebst  der 
Sage  von  Parzival.  —  Hannover,  Heliving,  \88'6,  in-8". 

1886.     233.   Berger  (A.).  —  Die  Oswaldlegende  in  der  deutschen  Litera- 
tur  :  ihre  EutwickeluQg  uod  ihre  Verbreilung  (P.  B.  B.,  xi, 
305-470). 
[Cf.  surtout  p.  377  et  450-439.  —  Cf.  J.  B.,  viii,  n»  530.] 

234.   Freytag  (L.).  —  Die  alteren  Theile  des  Kudrunliedes  ùber- 
setzt, II  (Schluss).  Programm.  —Berlin,  Gaertner,  1886,  in-4°. 
[Cf.  J.  B.,  xiu,  no  928  ;  L.  B.,  viir,  col.  63  et  242.J 
Vtc.\s:v,  Gudrun.  17 


—  258  — 

235.  Frick  (0.)  und  Polack  ^Fr.).  —  Aus  deulschen  Lcsebûchcru. 
Epischc,  Ijrische  imd  dramalische  DicliluogCQ  criiiulert.  — 
Ocra  wid  Leipzig,  Uofmann,  ISSi-IsSO,  4  vol.  in-S»:. 

[Tome  IV:  Gommentaire  sur  les  NlOeliaif/en,  Gudi-nn,  etc.  — 
Cf.  J.  B.  VIII,  n»  :2140.] 

236.  Hocker  (0.).  —  Deutsche  lleldensagcn.  —  Rcutlingen,  Enss- 
lin  und  Laiblin,  1886,  iu-8o. 

[Cf..].  B.,  vni,  11"  561'.] 

237.  Moerner  (J.  von).  —  Die  deutschcn  uad  frauzosischen 
Jleldeugediclile  des  Millclallcrs  als  Quelle  fiir  die  Kiillurge- 
scliiclite.  Aus  dem  liandsclirifLichea  Nachlass.  —  Leipzig, 
Wigand,  1886,10-8°. 

[Cf.  Z.  V.  L.,  T,  286.] 

238.  Mullenhoff  (K.).  —  Frija  und  der  Halsbandmyllms  (H.  Z., 
XXX,  217-260). 

[Cf.  .T.  B.,  vni,  n»  :\[2.] 

239.  MûUer  (0.).  —  Das  (Judrunlied  {Allg.  Osterr.  Literaturzei- 
tung,  1886,  uo  10,  1.  JuU,  p.  13-14). 

240.  Mûller  (W.).  —  Myliiologie  der  dculsclicn  Heldensagc.  — 
lirilbronn,  Ilenninger,   1886,  iii-8°. 

[Cf.  surtout  p.  215-240.  —  Cf.  .1.  B.,  viir,  n»  IM  :  ix,  10,91;  x. 
10,  112;  H.  Z.,  Anz.,  xin,  11);  L.  B..  ix,  250;  G.  G.  A.,  1886, 
4(J:!-i7G  :  Deutsc/ips  LU.  HL,  1886,  43  ;  Zs.  f.  das  Rcalschulwesen, 
18S6,  730  ;  D.  L.  Z.,  1887,  1617-1620.] 

241.  Osterwald  (W.).  —  Sang  und  Sage.  Erzilhlungen  aus  Dcul- 
sclilauds  Vorzeit  [Deutsche  Jugendbibliothek,  T.  70-71].  —  Krcuz- 
nach,  Voigtliindcr,  1886,  iu-8". 

[Cf.  J.  B.,  viii,  n°216i.] 

1887.     242.   Bech  (F.).  —  Za  Ivudruu  (P.  G.,  xxxii,  116). 

[Cf.  J.  B.,  IX,  14,  3!).] 

243.  Béer  (L.).  —  Der  Sloff  des  Spielmannsgedichts  Orendel 
(P.  B.  B.,  XIII,  1-120.)  —  Tirage  à  part:  Halle,  Karras,  1887, 
in-8o. 

[Cf.  J.  B.,  IX,  10,  101.] 

244.  Grimm  (W.).  —  Einleitung  zur  Vorlesung  ûber  Gudrun 
{Kleinere  Schriften,  IV,  b24-576). 

245.  Grimme  (Fr.).  —  Aukjange  an  das  deulsclie  Volksepos  in 
Ortsnamcn  (P.  G.,  xxxii,  6o-72). 

246.  Knoop  (0.).  —  Die  deulsclie  Walthersage  und  die  poluische 

Sage  von  Walther  uûd  Helgunde.  —  Posen,  Jolowicz,  1887,in-8°. 

[Cf.  J.  B.,  IX,  10,  99;  x.  10,  120;  H.  Z.,  Anz.,  xiv,  241;  L.  B., 
IX,  113.] 


—  i>59  — 

247.  Kohn  (M.).  -  Die  Meislorwerkc  der  deatschon  Lileralur  m 
•nus  ergulUgoa  lahaltsaagabcn.  Eine  Sammiung  cdesoa  r 
Uapslelluugeu.  -  Hamburg,  Rickter,  1887,  iu-S» 

248.  Lange  (A)  -  Doulscho  GoLler-  und  HeJdensagen  Fur 
Haus  uad  Schulo  nach  dea  beslen  Uaellen  dargeslellt  - 
Leipzig,  Teubner,  1887,  m-8o.  ^^r,^^itni. 

[Gf.  J.  B.,  IX,  10,  14;  X,  10.  lO.J 

249.  MûIIer  (R  ).  _  «eiinlge  zur  Geschichte  der  mhd.  Lillcralur 
io  Oesterreich.  I.  Zur  Kudrun  (H.  Z.,  xxxi,  82-93) 

[Cf.  J.  B.,  IX,  14,  37.]  '' 

250.  Prosch  (FrO  und  Wiedenhoffer  (Fr.).  -  Die  deutsche  Ilel- 

t^Z^r^nT'^'T''  '''  '''^^''  ^"--'Scherer,Keck 
und  khuU.  M,t  Aamerkungen.  -  Wien,  Graeser,  1887,  in-8o 
Lt.f.  J.  B.,  IX,  10,  92;  Zs.  f.dieôsterr.  Gymn.,  xxxyin,  085-687] 

251.   Rœdiger(M.).-niJdeburguodOrtrun(H.Z.,xxxi  '>8o..87) 
[Cf.  J.  B.,  IX,  14,  38.]  '       ~  -     ^- 

252      Schmitt   (H.).   -    Versuch   einer   Geschichte    der   Ililde- 
und  Kudrunsage.  Programm.  _  Wiesbaden,  1887,  in-4o. 

253.  .Sprenger  (R.).  _  Zu  Kudrun  (P.  G.,  xxx.r,  330-332). 

254.  Wangrin  (E.).  _  Die  Syntax  der  Causalsatze  in  der  Kudrun 
Programm.  —  1887,  in-K  '^uuiun. 

^^IJr'^^  (!■•)• -Gadrun,  ûbersetzt  nnd  mit  erlauternden  An- 
merUngen  versehen.  -  Berlin,  Friedberg  und  Mode,  1 888,  in-8o 
[Cf.  J.  B.,  X,  14,  40  ;  Zs.  f.  d.  Unterr.,  u,  177-179.] 

256.  Neumann  (F.).  _  Ueber  die  Entwickelung  der  Kudrundich. 
Zl\  !n-4'"""         ^°P^^'«'^g3^-'^-^--3.  -Berlin,  Gaertner, 

[Cf.  J.  B.,  X,  14,  41.] 

257.  Schmidt  (L.).  -  Gudrun,  eine  Umdichtung  des  mhd.  Gu- 
drunhedes.  -  Wittenberg,  Herrosé,  1888    iu-8o 

[Cf.  J.  B.,  :,  u,  42  ;  II.  Z.,Anz„  xv,  151  ;  .T.  P.  p.,  exi.ii,  125-12!).] 

258    Zingerle  (0.).  -  Zur  Geschichte  der  Ambraser  Handschrift 
(II.  /.,  Anz.,xiY,  291-293). 

259.  Béer  (L.).  -  Zur  Ilildensage  (P.  B.  B.,  xiv,  522-572) 
[Cf.  .1.  B.,  XI,  10,  103.] 

260    Bûhrig  (H.).  -  Die  Sage  vom   Kunig  Rolher.  _  Einbeck 
(Gottmgen,  Vandenhœck  wid  Ruprecht),  1889,  in-S» 
[Gf.  surtout  p.  06-75.  -  Cf.  .j.  b..  xi,  10,  104-  14   60  ] 


—  m)  — 

261.  MùUenhoff  (K.j.  —  Boovvulf.  Unlersucliungca  (ibcr  das  au- 
gelsachsischc  Epos  uad  die  iillcsle  Goschichlc  der  genuani- 
schcn  SoovoUvCr.  —  Berlin,  Wndmann,  1S89,  in-8". 

[Cf.  surlout  p.  Il)'î-t07.  —  Cf.  J.  B.,  xr,  16,  4)1;  AngUa,  xii, 
465;  Z.  Z.,  xxtii.  110;  II.  Z.,  Anz.,  xvi,  264;  L.  C.  13.,  1S!)0, 
col.  58  :  Enc/l.  Siud.,  xvr,  H-8"i.J 

262.  Mùller  (W.).  —  Ziir  Mvlliolcgic  der  griccliisclicn  uud  dciil- 
schcn  lleidensago.  —  llcilbronn,  (Icnninger,  1889,  in- 8°. 

[Cf.  surtout  p.  1.35-145  et  passim.  —  Cf.  L.  B.,  1890,  col.  89-91  ; 
J.  B.,  XII,  10,  66;  H.  Z.,  Anz.,  xvii,  86-91.] 

263.  Symons  (B.).  —  llcldcnsagc  (Dans:  Grundriss  der  germa- 
nischcn  Philologie,  hrsg.  von  II.  l'aul  [Strassburg,  Trûbncr,  1889 
sqq.,  gr.  in-So],  II,  51-36). 

[Cf.  J.  B.,  XI,  10,  93] 

1890.  264.   Golther  (W.).  —  Nibelungen  und  Kudrun  in  Auswahl,  und 

inhd.    (irommalik    mit   kurzem    Wurlerbuchc.  —    Stuttgart, 
Gôschen,  1890,  in  l->. 
[Cf.  II,  A.,  Lxxxtv,  :i41.] 

265.  Jellinek  (M.  H.).  —  Zur  Kudrun  (P.  B.  B.,  xv,  305-306). 

266.  Kamp  (H.).  —  Gudrun  in  nielrischcr  Ucberselzung,  —  Ber- 
lin, Maycr  iiml  Mùller,  1890,  in-8o. 

267.  Kettner  (E.).  —  Der  Eintluss  des  Nibclungenliedes  auf  die 
Gudrun  (Z.  Z.,  xxiii,  145-217). 

268.  Lemmermayer  (Fr.).  — Gudrun.  Ein  dculsches  Ileldenlicd 
iibcrselzt  iiud  eingcleilct.  —  Stuttgart,  Cotta,  1890,  in-8''. 

269.  Vogt  (F.).—  IMillcliiùclideulsclie  Lilleraturgescliiclile  (Dans  : 
Grundriss  der  gcrmanischen  Pliilologie,  hrsg.  \ou  II.  Paul 
[Straishiirg,  Trùbncr,  1889,  gr.  in-8''],  II,  1,  318-319). 

1891.  270.   Bornhak  (G.).  —  Das  Gudrunlied,  ùberselzt   und   bearbei- 

let.  —  Leipzig,  Teubner,  (1891),  in-16. 

271.  Legerlotz  (G.).  —  Gudrun.  Ncu  ùberselzt  und  herausgoge- 
ben  [Velh'igen  und  Klasings  Sammlung  deutscher  Schidausgaben, 
lleft  52].  —  Bielcfeld,  Velhagen  und  Klasivg,  1891,  in-12. 

272.  Lôschhorn  (H.).  —  Kudrun,  ûbcrtragen  uud  crlautert.  — 
Halle,  Waisenhaus,  1891.  in-8°. 

[Cf.  Z.  Z.,  XXIV,  287.] 

S.  1.  n.  d. 

273.  Bolck  (0  ).  —  Gudruu,  eine  Oper. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 

DES 

NOMS  D'AUTEURS   CITÉS 

DANS     LA     BIBLIOGRAPHIE     CHRONOLOGIQUE 

[N.B.  Les  chiffres  renvoient  aux  nnméros  dos  articles.] 


Albers  (J.  H.),  d89. 

Bacmcister  (A  ),  90,  iOo. 

Baecker  (L.  de),  58,  l'i,  82. 

Bassler  (F.),  113. 

Bahder  (K.  von),  216. 

BarLhcl  (K.  ),  62. 

Barlsch  (K.),  83,  95-,  100,  101,  111, 

112,  128,  129,  167,  185,  22;. 
Baumbach  (B.),  179. 
Bcch  (F.),  242. 
Becr  (L.),  243,  239. 
Bcnfey  (Th.),  80. 
Berger  (A.),  233. 
Birliogcr  (.\.),  lo6. 
Blume  (L.),  16k 
Bolck  (0.),  273. 
Bouslcl.len  (de),  52. 
Bornhak  (G.),  270. 
Bosscrl  (A.),  136. 
Buhrig  (H.),  200. 
Biiscliing  (G.),  6,  14, 
Buggc(S.),  190. 
Burmcisler  (H.),  3i. 
Caro  (G  ),  173. 
Carrière  (M.),  122. 
Dahû  (F.  cl  Th.),  217. 
Donj  (     ).  137. 
Draescke  (F.),  218. 
Ebncr  (A.),  190. 
Eirhhoff  ((î.).  84. 
FluKiiiisl  (G.),  130. 


Engclmann  (Em.),  219,  226. 

RrdmaDo  (O.j,  227,  228. 

EUmûller  (L.),  39,  40,  107,  138. 

Fechtner  (G.).  205. 

Freilag  (G.),  1 15. 

Frejlag  (L.),  234,  253. 

Frick  (0.),  233. 

Fryc  (Th.),  149. 

Gartner  {V .\  87. 

GcrJaod  (G.),  131. 

Gervinus  (G.),  28. 

Gibû  (J.j,  200. 

Godckc  (K.),  72. 

Golzingcr  (E.),  20 L 

Gollhcp  (W.),  264. 

(Jrasse  (Th.),  42. 

Gricsoiann  (A  ),  19  L 

Grimm  (J.),  7,  13,  16,  41,  43,  88 

G  ri  m  m  (W.),  7,  18,  24  i. 

Grinimc  (Fr.),  2i5. 

Grosso  (J.),  139. 

Groth*(     ),  186. 

Gudmundi  (J.),  2. 

Giinther  (W.),  l'.O,  172. 

Ilagen  (li.  von  der),  1 '^,  59,  73. 

Ilahn  (K.  A),  09. 

Haha  (J.  G.  von),  173. 

Ilallbcrg  (E.),  220. 

Hartung  (0.),  200. 

Fl.uipl  [h\  108. 

ILuipt  (JL),  4i-,  io,  i7. 


—  262  — 


Heinrich  (0.),  229. 

Ilonse  (     ),  (îO. 

Ilildebrand  (R.),  141. 

llocker  ^0.),  236. 

Hoffmann  von  Fallersleben  (H.  A.), 

109. 
Ilofmann  (C),  116,  123. 
IloUand  (L.),  78,  89. 
Hormajr  (Frhr.  von),  9. 
Jïinicke  (0),  157. 
Jellinek  (M.  H.),  263. 
Jonckbloet  (A.),  63,  124. 
Junglians  (A.),  158. 
Kamp  (II.),  266. 
Keck  (H.),  117,  168. 
Kcller  (A.),  38. 
Keltner  (E.),  209,  221,  267. 
Kirpicnikov  (A.  .T.),  165. 
Klaiber  (J.),  142. 
Klee  ((;.  L.),  159,  180,  192,  210. 
KIopp  (0.),  61. 
Klugbardl  (A.),  207. 
Knoop  (0.),  246. 
Kny  (H.),  193. 
Koch  (F.),  53. 
Kohier  (A.),  143. 
Koblmann  (     ),  194. 
Kohn  (M.),  247. 
Kolisch  (A.),  187. 
Kurze  (     ),  125. 
Lachmann  (K.),  24, 
Lange  (A,),  248. 
Legerlotz  (G.),  271. 
Lemmermayer  (Fr*),  268. 
Liebrccbt  (F.),  79. 
Luschhoi-n  (H.),  272. 
Mangold  (K.  A,),  64. 
Mannliardt  (W.),  73. 
Martin    (E.),    118,    132,    150,   151, 

211,212. 
Martin  (N.),  91. 
Marlinius  (C),  195. 
Mchl  (II.),  169. 
Mejer  (K.),  133. 
Michel  (Fr.),  30. 


Moller  [V.  L.),  152. 

Mimnich  (B.),  67. 

Mœrncr  (J.  von),  237. 

Mone  (J.),  21,  29,  31. 

MullcnholT  (K.),  48,  49,  36,  98,  102, 

144,  238,  201. 
Muller  (0.),  239. 
Mùilcr  (P.  E.),  10,  13,  33. 
Muller  (R.),  249. 
Muller  (W.),  240,  262. 
Mulh  (R.  von),  176,  181. 
Neumann  (A.),  119. 
Neumann  (F.),  208,  256. 
Niendorf  (A.),  76. 
Uslerwald  (K.  W.),  57,  241. 
Olto  (Th.),  230. 
Pfeiffer  (Fr.),  120. 
Plonnics  (W.  von),  70. 
Polack  (Fr.),  235. 
Primiàser  (A.),  12,  14. 
Prosch  (Fr.),  250. 
Hafn  (C),  19. 
Rask  (K.),  11. 
Rassmann  (A.),  177, 
Regel  (K.),  95, 
Reichardt  (Fr.),  202. 
Reichel  (R.),  134. 
Reissmann  (A.),  145. 
Richter  (A.),  121,  126,  222. 
Ricger  (M.),  70. 
Uischka  (R.),  196. 
Rilson  (J.),  5. 
Rœdiger  (M),  251. 
Rudbeck  (01.),  2. 
Rùckert  (II.),  147,  153,  178. 
Rutcnberg  (0.  von),  96. 
Sacken  (E.  von),  77. 
Sainsoe  (0.  J.)»  4. 
San  Marte  (A.  Schidz),  37. 
Saupc  (J.),  110. 
Schcrcr(W.),  98,  170,  171. 
Schincke  (     ),  22. 
Schmidt  (F.),  OS. 
Schniidt  (L.),  160,  237. 
Schiuitt  (ll.),2o2. 


Sclinorf  (K.),  188. 
Schoahcrr  (     ),  99. 
Scliôpf  (J.),  85. 
Scholl  (A.),  50. 
Schrr.der  (R.),  i35,  197. 
Schrùer  (J.),    129,    i46,    150, 

166. 
Schwarze  (M.),  223. 
Simroch  (K.),  46,  71. 
Sûorrasyne  (J.),  1. 
Snorri  (     ),  54. 
Soltl  (j!  m.),  161. 
Sprcnger  (R.),  253. 
Slecher  (Chr.j,  189. 
Stecher  (J.),  155. 
Steenslrup  (J.),  182. 
Strauss  (V.),  65. 
Strobl  (J.),  174. 
Suhm  (P.  F.),  3. 
Symons  (B.),  213,  214,  263. 
Uhlaad  (L.),  103. 


263  — 

Vernaleken  (Th.),  51. 
Vogt  (F.),  269. 
Vogt  (P.),  231. 
Vollmer  (J.),  50. 
Wachter  (F.),  17,  20,  23,  25. 
154,       Wackernagel  (W.),  32. 
Wagner  (W.),  183,  203. 
Wangria  (E.),  254. 
Wanner  (H.),  232. 
Weiohold  (K.),  55,  60,  80,  92,  148. 
Weitbrecht  (R.),  224. 
Wesendonck  (M.),  127. 
Widmann  (H.),  162. 
Wiedenhoffer  (Fr.),  250. 
Wilken  (E.),  184. 
Wilmaous  (W.),  163. 
Wislicenus  (H.),  97. 
Ziemann  (A.),  27,  33. 
Zingerlc  (I.  V.),  81,  93,  104. 
Ziûgcrlc  (0.),  215,  258. 
Zwilzcrs  (A.  E.),  204. 


LISTE  DES  ABRÉVIATIONS 

EMPLOYÉES 

DANS    LA    BIBLIOGRAPHIE    CHRONOLOGIQUE 

ET    DANS    LES    NOTES    DE    l'oUVRAGE 


A. 

L. 

Z. 

Anz. 

B. 

f. 

1.  II 

Bl 

C. 

B. 

D. 

L. 

Z. 

D. 

R. 

G. 

G. 

A. 

H. 

A. 

H. 

Z. 

H. 

Z., 

.  An 

=  AUgemeine  Litrratur-Zeitung. 

=  Anzeigcr. 

^=.  Blâttcr  fur  likrarische  Unterhaltung. 

=  Blatt,  Bldlter. 

=  Cenlralblatt. 

==  Deutsche  Litcratur-7jntung . 

=  BeuUche  Rundschau. 

=  GOttingische  Gclehrte  Anzeigen. 

=  Herrigs  Archiv  fàr  das  Sludium  der  neueren  Sprachcn  U7îd 

Literaturcn. 
=■  Haupls  Zeitschrift  fur  deutsches  Altcrlhum. 
=  Anzeigcr  fur  deutsches  Altcrthum  vnd  deutsche  Litcralnr 

(qui  parait  à  la  suite  du  précédent). 
J.  B.  =  Jahresbcricht  ùbcr  die  Erscheinungen  cnif  dcm  Gcbictc  dcr 

germanischen  Philologie. 
r-r  Jenaer  Literatiir-Zeitung. 
=  Xeue  Jalirl'ùcher  fur  Philologie  und  Padugogik. 
=  Litcraturblatt  fur  germanische  und  romauische  Philologie, 
— -  Litcrarischcs  Cenlralblatt  fur  Dcutschland. 
=  Monatsberichte  der  Bcrliner  Akadcmic  der  Wisscnschaften. 
=  Magazin  fi'ir  die  Literatur  des  Auslundcs. 
=■■  Paul  uud  Brauns   Beitrdge  zur  Gcschichte  der  deutschen 

Sprache  und  Literatur. 
■=  Pfeiffers  Germa  nia. 
=  Quel'en  und  Forschimgcn  zur  Sprach-  und  Culturgeschichtc 

der  germanischen  Vô.ker. 
=  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature. 
r^  R'  vue  ln^lori(iue- 


J. 

L. 

Z. 

J. 

P. 

P. 

L. 

B. 

L. 

C. 

B. 

M. 

B. 

M. 

L. 

A. 

P. 

B. 

B. 

P. 

G. 

Q. 

F, 

R, 

G. 

H. 

H 

—  2GG  — 

S.  Z.  =  Sybcls  Ilistorische  Zcifschrift. 

Z.  V.  L.        =  Zeitschrift  far  vergleichende  Liltcraturgcschichte  und  Re- 

naùfiance-Liitcratur. 
Z.  Z.  =  Zachcrs  Zcitschrift  fur  dcutsche  Philologie. 

Zs.  =  Zeilschrift. 

Zlg  =  Zcilung. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  ET  ANALYTIQUE 

DES    MATIÈRES 


[Les  chiffres  renvoient  aux  page's  ;  les  noms  de  personnages  historiques, 
mythologiques  ou  littéraires  sont  en  petites  capitales,  les  litres  d'ouvra- 
ges en  italiques,  toutes  les  autres  désignations  en  caractères  romains 
ordinaires.] 


A 

Abakic,  190. 

Abalîe,  190. 

Abentrot,  133. 

Absalon,  151,  208. 

Adalbert,  204-20o. 

Adam  de  Brème,  7,  13i-,  167. 

Adélaïde,  60,  91,  '203  206. 

Adelhard  de  Reggio,  205. 

Adige,  219-220. 

.(Ella,  3. 

AÉTÈS,  87. 

/Ethelbald,  89. 

^thelwulk,  89. 

Afrique,  190. 

Agéxor,  87. 

Aigles  (Dieux  rnélamorphosés  en), 

156. 
Aimant,  Voyez:  (iivers,  lie  aimaa- 

lée,  Montagne  aimantée,  Roman 

de  Bérinns. 
Aix-la-Chapelle,  93. 
Albéricii  (Nain),  163. 
Aldriax,  127. 
Alexandre,    71-72,   78,    99,    135, 

167. 


Alfes,  H.  —   Alfcs  noirs,  127.   — 

Voyez  aussi  :  Elfes. 
Alfred-le-Grand,  6,  89,  94,  141. 
Allemagne,   10,  65,   91,    121,    135, 

139-140,  150,  166,  170,  172-173, 

I80-.I81,  184,   190,  192,   199-200, 

203,  206-207,  211-214,  217. 
Alpes,  1,  13,  85.  — Avalanches  des 

Alpes,  216. 
Alphart    (Mort    d'I,    Voyez  :   Mort 

cVAlphart. 
Alvis,  lii. 
Alzabô,  190. 
Ambras  (Manuscrit  d'),   186,  217, 

220-221. 
Amiens  et  Amélius,  207. 
Amilè  (Mélodie  d'),  23,  15i. 
Amys  et  Amyloun,  207. 
Anachronismes   dans    les    poèmes 

épiques  du  moyen  âge,   51,  23 i-. 
Ange,  37,  155-157. 
Anglais.  135. 
Angleterre,  1,  3-4,  89,  94,  119,  135, 

162-163,210. 
Anglo-SaxoDs,  3,  6,   89-90,  9i-,  118 

120,  128,  135,    171-172,  210,  213. 
Anneau   d'or    exposé  sur    le    bord 

d'un  chemin,  141. 


368  - 


A.NTKIONE,  231. 

Apocalypse,  200, 

Apollonius    de    Tyr    {"Roman    iV) , 

107. 
AquHaiDe,  177. 
Arbelles  (IJataillc  d'),  71. 
Ardrcs,  Gk 
AUIMATIIIE  (JOSEPH   u'),    Vojcz  :  Jo- 

SEl'I!   o'Alil.MATHIE. 

Arnaldo  (Gomle),  1o2. 

AlUNDGRIM,   92. 

Arnulf,  93. 

Arone  (Roi  d'),  171. 

Artus,  7,  64.  88,  99,  \lt-\l'6.  — 
Arliis  de  ncrlonpaland,  202.  — 
Cycle  d'Arlus,  63,  99,  176. 

Ases,  123,  143-1  i'f,  ib8-lo9. 

Asie,  8. 

ASMUNI),  106. 

ASl'ILIAN,  133. 

AswiT,  106. 

Atli,   179. 

Attila,  Voyez:  Etzel  el  Atli. 

AUDLE,  92. 

Aufinkt,  19o. 

Aur.usTEj  coulcmporain  de  Frodhi, 

142. 
Aiilrichc,  6,  13,  216. 
Auxcrre,  90. 


iÎACMEISTEU  (A.),  22.). 
lÎALDR,   127,  14i-. 

Hàlian,  18,  21.  27,  64. 

lialinghem,  G'k 

Ballade  ShclUandaisc,  178-179,  183, 

192. 
Ballus,  56. 
Ballyghan,  0  4. 
iîiiinborg,  20o. 
Baplrmo,  6"). 
Baradiii,  217.- 
Bartsch   (K.),  60,  180,    189,    196, 

21.0,  218,  223. 
B'Jtaillc  l'ie  Loquifers,  152. 


Bahiillc  de  liavcniie,  iiO,  G4-Go,  134, 
139,  208. 

Balavcs,  3. 

Baloau  merveilleux,  Voyez  :  Vais- 
seau merveilleux. 

Baudouin  Bras-deker,  89-90. 

Bavière,  o6,  62,  6o,  211,  213. 

Belgiiiuc,  92. 

Bellone.   110-116,  118. 

Benllieim,  18:;. 

iÎEÔWULF,  1 18,  163, 

Bcôiculf,  1,  6,  7,  118,  172. 

Berchta,  121. 

lîÉRENC.ER  d'Ivrée,  203-206. 

Bcrg-op-Zoom,  18b. 

iJÉRiNUS,  Voyez  :  Roman  de  Bôrinus. 

Borne,  6,  o4,  74,  79,  17o. 

iîernicie,  3. 

Berscrkir,  92. 

Bertengaland,  202. 

Bertiioli)  de  Zaeiirlngen,  207. 

Beutun,  199. 

Bèlée  (Mer),  Voyez  ;  .Mer  Bèléc. 

Biarkamâl,  1 1 6. 

Bille,  134,  187. 

BloRN,  5J. 

BlRLl-NGER  (A.),  223. 

BiTEROLF,  70,  209.  —  Sous  le  nom 

cmprunlc  de  Frule,  139. 
B'tcrolf  et  Dictlcib,  10,  54,  69,  71, 

79-81,    88,    139,  .173,  176,    181, 

200,  209,  213,  216-218. 

BlANCIIEELEUR,   47,  229. 

BûDMER  (J.  J.),  229. 

i5onn,  74. 

BOPPO,  10,  151. 

Bordeaux,  232. 

BossERT  (A.).  46,  160-161,  227. 

Bulzcn,  220. 

Boulogne,  185,  191. 

Bracelets  suspendus  au  bord  d'un 

chemin,  141. 
i^RAHi  l'Ancien,   116. 

IVerc   de  Sigrun,  172. 

Brnndan  (Iles  de  Saint),  Voyez: 
Iles  de  Sainl-Brandan. 


-  269 


Brandan  (Vie  de  Saint-),  iG6. 
Brclagne,  162,   166,  174.  —  Voyez 

aussi:  Borlcngaland. 
brison,  131. 
Brisinga  Men,   100,102,    lOo,    110. 

123  123,  129-131. 
BaiiiNFiiLDE,    oi-,  60,   114,  122,  104. 
Bruges,  189,  191. 
Brunehault,  9i-, 

BODLE,  92. 
BUGGE  (S.),  87. 
Bulle  d'Or,  200. 
Burgondes,  179. 
Burgoodie,  oi-oa. 
Busen,  162. 


Cadmus,  87. 

Cadsand,  93,  189. 

Gailhness  (Comté  de),  192. 

Calais,  185. 

Callisthène  (Pseudo-),  167. 

Caméléon,  62. 

Campatille,  185. 

Campenn,  183. 

Campidell,  18o. 

Campil,  183. 

Campoduuum,  183. 

Cauossa,  203. 

Canut,  4. 

Caradoc,  64, 

CardighaQ,  64. 

Carême,  37. 

Cassand, 189-190. 

Cassiùne,  32,  38,  42,  93,  187,  189- 

190,  192. 
Catalogues  de  champions  dans  la 

légende  héroïque,  oi-36. 
Cavalot,  62. 
Celtes,  161-162. 
Cent-trois,  !:00-201. 
Cerdic,  3. 
Cérémonies    religieuses    dans    un 

poème  païen,  06,  149. 
Cerf,   image  du    soleil  consacré   à 


Frejr,    146.   —  Ccri"  de  Frodhi, 
146. 
Crrsxe  (EiiERiiARi)),  Vojez  :  Eiîer- 

(lAHD  CeRSNE. 

CiisAiRE  d'Heisterraoii,  16i. 

César  (.Iules),  191. 

Ceylan,  168. 

Chamon  dWlcxandre,  Voyez  :  Lam- 

l'REGHT. 

dllillebrand  et  Hilla,  180. 

de  Roland,  Voyez  :  Conrad. 

des  Lohcrains,  232. 

Chant,  apanage  des  génies  marins, 
loi -132.  —  Elîcts  du  chant,  22- 
23,  148-133. 
Chant  d'Eeke,  Voyez  :  Ecken  Lied, 

d'Hildcorand,  113,  120. 

du  Voyageur,  6,  134-135,  171- 

172,  187,  211. 
Chanteurs  errants,  201,  213-214. 
Charlemagne,  7,  91,  99,  202,  207. 
Charles-le-Ghauve,  89-90. 
Charles-le-Simple,  141. 
Chasse  au  faucon,  70. 
Chasse  infernale,  120-121. 
Chat  savant  de  Salomon,  176. 
Chaucer,  133. 

ClfAUTRUN,  212. 

Chcrsonèse  Cim brique,  162. 

Chevalerie  (Influence  de  la)  sur  la 
formation  de  l'épopée  germani- 
que, 234. 

Chevalier  (Héros  armé),  18,  38, 

ClIIMÈNE,    5. 

Chriemhilde,  31,  34-33,  60,  127, 
179,  226,  229-230. 

Christ,  né  sous  le  règne  de  Frodhi, 
142.  —  Né  sous  le  règne  de 
Freyr,  143. 

Christianisme.  Son  influence  sur 
les  légendes  païennes,  7,  68, 118- 
119.  —  Mention  dans  un  poème 
païen,  8,  13,  17,  32-3i,  37,  66-67, 
102-105,  123,  149,  133-138,  100, 
202,  214,  23i. 

Christophe  (Saint-),    136. 


270 


Chronique    de    Gitines    et   d'Ardre, 

Vojez  :  Lambkut. 
des  Empereurs,  Voyez  :  Kaiscr- 

chronik. 
Chronologie  (Mépris  de  la)  dans  les 

épopées  du  moyen  âge,  50. 
Chutrun,  '212. 
Cimbres,  3. 

Clercs  erranls,  66,  214. 
Coblence,  03. 

Collier,  Voyez  :  Brisinga  Men. 
Cologne,  93. 
Colonnes  d'Hercule,  168. 
Combat  de  la  Warlhounj,  \0,  70-71, 

130,  208. 
Côme,  60,  91. 

COXLOCH,   108. 

CoxR.\D,    Chanson   de  Roland,    136, 

211. 
CoxBAD  de   IJourgogne,  203. 

de  Wurzbourg,  Engelhard, ^0~. 

Constantin,  201-202. 
Constanlinople,  201-202. 
Conte  de  Wate,  Voyez  :  Gîvers. 

du  Fidèle  Jean,  156,  201. 

Contes.  Comment  ils  procèdent  des 

mythes  par  l'intermédiaire  des 

légendes,  85. 

CONVBEARE,    12. 

Cor  d'IIeimdallr,  Voyez  :  Giallar- 
horn.  —  Cor  de  Wate,  133,  136, 
138.  —  Cor  de  Iluon,  153. 

Corbeaux  (Don  de  prophétie  attri- 
bué aux),  1 55-1 56. 

Cornouaille,  162. 

Coucju  (Chant  du),  141,  147.—  In- 
tervalle entre  deux  chants  du 
coucou  =  hiver,  147. 

Couleur  locale  (Absence  de)  dans 
les  épopées  dn  moyen  âge,  66, 
234.  Voyez  aussi  :  Anachronis- 
mes,  Ange,  Baptême,  Carême, 
Cérémonies  religieuses  .Christia- 
nisme, Couvent,  Croisades,  Croix, 
Diable,  Église,  Ensevelissement 
des  morts,  Hôpital,  Mariage,  Mi- 


racles,   Pèlerins,     Résurrection 

des  morts. 
Couvcnl  fondé  sur  le  A\'ùlpensand, 

33-34,  158,  202,  214. 
Crépuscule    des   Dieux,    101,    104, 

129,  158-159. 
Croisades,  51,  190. 
Croix  d'or  comme  signe  de  recon- 
naissance, 17. 
Cucfin.LiN,  i08. 
Cygnes  (Don  de  prophétie  attribué 

aux),  155.  —  Ondînes  portent  un 

plumage  de  cygne,  156. 
Cyrkne,  134. 


D 


Daulmann  (F.  C),  140. 

Daiosleif,  101. 

Danemark,  5,  7,  19,  22,  43,  45,  49, 
80,  97,  103,  135,  139  148,  t73, 
179,  184,  186,  207.  —  Voyez 
aussi  :  Ténélant. 

Danois,  4,  6,  21,  23-24,  32-33,  40, 
90-94,  U9,  160. 

Danube,  157. 

Darius,  71,  78. 

Dédoublement,  procédé  de  forma- 
tion très  commun  dans  les  théo- 
gonies, 146. 

Deira,  3. 

Démon  nautonnier,  137. 

Deor,  149-150. 

Depping  (G.  B.),  5. 

Diable  dans  un  poème  païen,  67, 

Dietmers,  184,187. 

DiETRiCH  de  Berne,  6-7,  54,  56,  73- 
74,79,  88,120,  134,  139,174-176, 
201 .  —  Dietrich  de  Bonn,  74  ;  de 
Vérone,  74. 

Dietrich  (Fuite  de),  Voyez  :  Fuite  de 
Dietrich. 

Dises,  1 14. 

Distributions  de  présents  dans  les 
fêtes,  14,43,58,213-214. 

Dollard,  162. 


—  27i  — 


Dordrecht,  189. 

Douarnenez,  IG2. 

Dragon,  02-03,  l'99,  —  Trésors  en- 
levés à  un  dragon  {Beôwulf), 
163  ;  (Saxo),  141. 

Duc  Ernest,  i8,  60,  62,  163,  100- 
167,  169,  190-191,  203,  206,  213. 

Duc  Erxest,  Voyez  :  Ernest  (Uuc). 


E 


Eberiiard  Cersne  de  Minden,    Dcr 

Minne  Regel,  loi. 
EcKEHARD  I  de  Saint-Gall,  177. 
Eckehart,  oi-. 
Ecken  Lied,  120,  208. 
Ecosse,  12,  65,  192. 
Edda,  55. 
Edda  de  Saemiind,  81,  112, 114-115, 

172,  179,  183. 

de  Snorri ,  70,  87-88,  99-100, 

105,    108,    110-116,   124-125,    127- 

129,  140-142,  171,  183. 
Edouard-l'Angien,  9-^. 
Eglise  l'ondée  sur   le  Wûlpensand, 

34. 
Église  perdue  {Légende  de  /'),  Voyez  : 

Légende  de  l' èglis"  perdue. 
Eider,  3. 

Einheriar,  120,  123,  131. 
Eisack,  220. 
Elbe,  3,  91,  13 't,  137,  162,  184,  187, 

191. 
Elfes,  23,  151-153.  —  Voyez  aussi: 

Alfes. 
Elias,  133. 
Emma,  203. 
Ems,  162. 
Enfances  dans  les  poèmes  français 

du  moyen  âge,  46-47. 
Ensevelissement    des   morts,     33, 

157-159,  202,  214. 
Erdmaxx  (0.),  77. 
Erec,  Voyez  ;  Hartmann  d'Auè. 
Eric  d'Hadaland,  4-5. 
crkiesen,  123. 


erkorcn,  123. 

F.RMEXRir.if,  54,  56,  139. 

Ernest  (Drc),  00-63. 

Ernest  {Duc),  Voyez  :  Duc  Ernest. 

Escaut,    6,    66,    91-93,    162,     189- 

190. 
Eschenbach  (Wolfram  d').  Voyez  : 

Wolfram  d'Eschenbach. 
Espagne,  166. 
Etgeir,  133. 
Etna  (Mont),  164. 
Etscli,  Voyez  :  Adige. 
Ettmûller  (L.),  9,64,  77, 149,  187, 

223. 
Etzel,  50,  60,  81,  157,  177,230.— 

Voyez  aussi  :  Atli. 
Europa,  87. 

Europe,  2,  4,  109,  106-107. 
Eyerlanndt,  64. 
Eyrlaad    50,  6i-65. 
Eyvor,  92. 


Fabliau  du   Sacristain  de  Cluny,   6. 

Fafnir,  156. 

Far- West,  164. 

Faucon  (Cbasse  au).  Voyez  :  Gliasse 
au  faucon.  —  Déesse  métamor- 
phosée en  faucon,  li)6. 

Fée,  90. 

Fenja,  140. 

Fêtes  organisées  à  l'instigation  des 
dames,  14,  58-60  ;  données  à 
l'occasion  du  mariage  d'un 
prince,  57-59. 

Fidèle  Jean  {Conte  du),  Voyez  : 
Conte  du  Fidèle  Jean. 

Fin  du  monde.  Voyez  ;  Crépuscule 
des  Dieux. 

FiNN  Magnisen,   142,  147,  153. 

Fitful  Head,  164. 

Flandre,  89,  190-192. 

Flessingue,  189. 

Flévo  (Lac),  92,  162. 

Flûte  enchantée,  153. 


—   272 


Flux  et  reflux  roprcscnlés    par  un 

graul,  137. 
Force  dodouzo  Iioiiimes  acquise  en 

buvant  le  sang  d'un  monstre,  10, 

62. 

FoilTUNB,  \\8. 

Français,  90. 

France,  89-90,  92-93;  IH9,  200.  — 
Koi  de  France  dans  la  légende 
héroïque  allemande,  80-81  ;  dans 
la  légende  polonaise,  177. 

Francs,  89. 

Freid,  i24. 

Freidank,  Maximes,  60,  219. 

FliEYA,  8'^,  101-102,  10a,  IH,  113- 
lli,  121-126,    130-131,  1V3,    liO. 

—  Changée  en  oiseau,  122. 
Freyr,    U-Mit  ;  =    Frodhi,    142, 

146-147;  ancien  dieu  marin,  14G- 

147. 
Freytag  (L.),  225. 
FrideschoLles,  9,  14,  6.ï. 
Fridlev,  155. 
FRir.G,  12i,  127. 
Frija,  Voj'ez  :  Freya. 
Frise,  6,  90-92,   192,  211. 
Frisons,   89,    92-93,    134,    184-185, 

187. 
Frodbloll,  142. 
Frodhi,   99  ;  lils  d'Ingeld,  99  ;  = 

Frejr,146-147  \[Eddade  Snorri), 

140-144. 
Frodiiis  (Les)   chez  Saxo,  99,  140- 

142. 
Frothox  I,  141-143. 
Frothox  m,  97-99,  109,  141,  143. 
Frotiion  V,  92. 
Frothons  (Les)  chez  Saxo,  99, 140- 

142. 
Fruote,  Voyez  :  Frute. 
Frute,    19-21,   30,  33-3 i,    36,   42, 

98-99,138-148,153,160,181,184, 

186,  196,  201,  207-208,  212-213. 

—  (Saxo),  98-99;  (DUcrolfet  Dte- 
tleib),  139,  209;  {Fuite  de  Bic- 
trich),  207. 


Frulc  (Lt^gcndcclc),  Voyez  :  Li^gende 

de  Frute. 
Fuite  de  Dietrick,  54,  56,  207. 
Fula,  178. 
Funérailles  chez  les   anciens    peu- 

l)los  du  Nord,  158-159. 

G 

(lahilùn,  10,  02-63,  199. 

(Jale<lin,  3,  162. 

dalles  (l'ays  de),  04. 

(laïupelùn,  199. 

(iAMURET,  47,  229. 

(laradè,  17-18,  58,  63-66,    190-191. 

Garadie,  191. 

Garadine,  9,  191,  217. 

(iarduriki,  92. 

Garde  (Lac  de),  20  k 

Gaule,  2. 

(iéanles  r-   vagues,  147. 

Géants,  132-133,  136-137,  14^-146; 
changés  en  pierres,  112  ;  produi- 
sant le  flux  et  le  reflux,  137  ; 
géant  tué  par  Herbort.  79. 

Généalogies  dans  les  épopées  du 
moyen  âge,  46-47,  53-57,  61, 
199. 

Généalogies  des  '  rois  Scandinaves, 
142. 

GÉor.RAPiiE  de  Ravenne,  185. 

Gerda,  130. 

GÈRE,  14,  48,  53-54,  56-57,  200, 
206.  —  Duc  Gère  {Bilerolf  et  Die- 
tleib),  54  ;  Margrave  Gère  {Nibe- 
lungen.^  Fuite  de  Dietrich,  Mort 
dWlphait,  Roscngartem  C),  54  ; 
Prince  (ière  {Biterolf  et  Dietleib}' 
54. 

GÉRix,  232. 

Gerlinde,  27,  30,  35-37,  39-42,  91, 
155,  202,  205-206,  233. 

Germains,  1,2,  8,12,115,119-120, 
128,  148,  151,  159,161,  163-16*. 

Gèro,  55,  —  Voyez  aussi  :  Gère. 

Gerstenberg  (II.  W.  von),  152. 


—  273  — 


Gervinus(G.  g.),  222,225. 

Geste  dlledhin  et  d'Hôgni,  Voyez  : 

Saga  d'Hedhin  et  d'Hôgni. 
deSôrli,    101-103,    108,   111- 

H2,  123-126,  131,  183,  190. 
Giallarhorn,  128,  136. 
Gibello  (Monte),  164. 

GiDDA,  4-0. 
GiRBERT,  232. 

Gîvers,  37,  60,  69,  l.o9-lG9. 
Glommen,  i3o,  172. 
GôXDUL,  103,  105,  113,  123. 

GOLDRUN,  80-81. 

Golfe  Persique,  168. 
GOLTWART,  79. 
GORMON,  0. 
GOTELINDE,  54. 

GoTFRiED  de  Strasbourg,  Tristan, 
47,  199,  229. 

Graal,  Voyez  :  Grand  Saint-Graal 
et  Légende  du  Saint-Graal. 

Grallon, 162. 

Grand  Saint-Graal,  47. 

Grande-Bretagne,  3,65, 1 1 8, 1 50,1 66. 

Grèce,  81. 

Grendel,  118. 

Griffons,  15-16,  45,  58,  60-63,  66- 
67,  86,  208.  —  Voyez  aussi  :  Ile 
des  Griffons. 

Grimm  (J.),  10,  55,62,  6i-,  72-73, 
77,  119-121,  140,  221,  223. 

(W.),56,  151,222. 

Grippia,  61. 

Grœnasund,  136. 

Grosse  (J.),  226. 

Gudhère,  212. 

GuDHRUN,  212;  [Edda  de  Saemund), 
179. 

Gudhrun  (Chant  de),  81. 

GUDRUN,  9-10,  27-31,  33-34,  36-43, 
43,  47-48,  50,  39-60,  68,  70-71, 
73-76,  78,  80-81,  84-86,  88-93, 
116,  132-133,  155,  157,  169,  173, 
181,  189,202-206,  212,  225-226, 
228-231,    233.    —   {Nibelungeii), 

lie. 

Fécamp,  Gndrun. 


Gvdrun  {Légende  de),  Voyez  :  Lé- 
gende de  Gudrun. 

GUDRUN,  chef  danois,  94. 

GiiNTHER,  3i,  60,75,  79,  139,  194, 
212. 

Gui,  127. 

Guillaume  d'Orenge,  132. 

Guillaume  d'Oy,  219. 

de  Malmesbury,  141. 

Gulfstream,  164. 

Gullrônd, 81. 

GuxDRUx,  212. 

(iUNNAR,  92. 

GuNNLAUG,  88,  104,  110,  113,  123- 

123,  172,  192. 
GuNR,  84-85. 

GUNTHARI,  177. 

H 

Hà,  103,  183. 

Haddixg,  142,  144-146. 

Hadubraxd,  107-108. 

Halsingas,  134-133,  172,  187. 

Haey,  74,  100,  183. 

Hagano,  73,  112,  177-178. 

Hagen,  9-10,  14-28,  45,  47-51,  54, 
36-67,  71-74,  76-79,  86,  88, 
109-110,  132-133,  135,  138,  149, 
158,  169,177,  181,183,  187,  191, 
197,  199-200,202,  209.  —  (iVifte- 
lungeii),  126-127,  137,  230;  (Wil- 
kinasaga),  53;  (Vidsith),  172. 

Hagen  (H.  von  der),  53,  197-198, 
221-222. 

Hagëna,  112.  —  (Vidsith),  135,  171- 
172. 

Hagene,  h 2, 

Hageno,112. 

Haguna,  112. 

Haguno,  112. 

Halfdan-le-Vieux,  92. 

Haquin,  144. 

Harald,  91, 

TIarald  IIarfager,  4-3,  116. 
18 


—  274 


Harald  Hildetand,  106,  UO. 
Hartmann  d'Aue,  199.  —  Erec,  79. 
IIartmut,  9-10,   27-36,    38-43,   45, 
.^9,  76,79-81,  i;i7,  173,   176,  181, 
1 96, 20:3-207,  23 1  -234.  —  (  Diterolf 
et  Dietleib),  79-81,  173,  176. 
Haupt  (M.),  222. 
Heckelingen,  185. 
HÉDAN,  112. 
llEDEN,  190. 
Hedexe,  112. 
Iledensburg,  18b. 
Hedensee,  190. 
Hedenus,  112. 

IIEDHIN,  112,  131,    150.  —  Nature 
mythique,  126,  128-130—  Ileim- 
dallr,    126,    128-129  ;  =  Udliin, 
128.  —  (£dda  deSnorri),  100-101, 
108,  117,125-126,  128,  176,210; 
{Vidsith),  171-172  ;  (Saga  d'Olaf), 
102-103,  10;;,  108,  H3,  123,  12:i- 
126,  131,  183,  190. 
Ilédia  (Comté  de),  185. 
Hedino,  112. 
Hedinsey,  183. 
IIedinus,  112. 

Iledningar,  Voyez  :  lljadaingar. 
Hegelingen,  11,19,22,   25,   27-34, 
39-41,  43,  45,  50-51,   57,  75,  78, 
110,  157-160,  164-165,  179,  184- 
187,  200,  207,  210,  212,  231-232. 
Hegelingenland,  184. 
Heidensee,  190. 

•Heimdallr,  124-126,  130-131,    136, 
183;=  Odhin,128;  =HedhiD,129. 
Heinrich  (A.),  75. 
Helche,  80-81,  139,  208. 
Heldenbuch,  Voyez  :  Livre  desEéros 
Heldenbuch  an  der  Etsch,  220. 
Eelga  Qvida     Hundingsbana,    117 

126,  172. 
Helgi,  172. 
Helgunda,  177. 
Heligoland,  162. 
Helle,  112. 
Helperich,  65. 


Ilclsingas,  Voyez  :  Halsingas. 

Helsingborg,  135. 

Holsingland,  135. 

HeJsingor,   135. 

IIe.mmi.ng,  91. 

llENDEX,    112.    —    (Vidsilh),    135, 

171-172, 
IIengist,  3. 

Henri-au-Lion,  63,  206. 
Hcnri-au-Lion,  62-63. 
IIexiu  de  Neusladt,  167. 

IIËODEX,   112. 

Hëodeniogas,  Voyez  :  Hooduiagas. 
Hcodningas,  149-150,  185,  212. 
Hkorrexda,  150. 
Hkraxt,  150. 

HeriîORT,  69,  79-80,  88, 1 73-1 77, 202. 
Herbort  et  Hilde  {Légende  d').  Voyez  : 
Légende  d'IIerbort  et  llilde. 

et    Hildebourg    {Légende   d'), 

Voyez  :  Légende  d' Herbort  et  Hil- 
debourg. 
Hercule  (Colonnos  d').  Voyez  :  Co- 
lonnes d'Hercule. 
Hergard,  42. 

Herfan,  surnom  d'Odhin,  128. 
Heriraxd,  212. 
Herlixt,  80  81. 
Hermaxx,  175-176. 
Héros  {Livre des),  Voyez:  Livre  des 

Héros. 
Herraxd,  212. 
Herrexda,  150. 

Herwig,  28  33,  36-38,  40-43,  45,  59, 
70-73,  76,  88,  181,  184,  189,  230. 
Herzéloïde,  47,  229. 
Hesdin  (Comté  de),  185. 
Hetdlinga,  185. 
-hëtan,  112. 
Hetaninga,  185. 

Hetel,  10-11,  19-20,  22-34,  45,  47, 
49,  51,  57,  59,71,  73-78,  88,  98- 
99,  110,  128,  132,  135,  149,  157- 
158,  173,  181,  184-187,  189-190, 
192,  196,  200-201,  206,212,  230- 
233.  —  {Vidsith),  135,  172. 


—  275  — 


IIetele,  li"2. 

Hetelingen,    \So,     212.   —     Voyez 

aussi  :  llegolingen. 
IleteniQge,  212. 
Hetiiln,  H2. 
Hetilo,  112. 
IIetin,  112. 
IIettim,  112. 

HiADHIN,  112. 

Hiddensee,  74,  183. 

HiLD,  112,  119. 

HiLDA,  Voyez  :  Hilde. 

lIiLDE,  Déesse  de  la  Guerre,  114- 
113,  117,  119,  172;  Walkyrie, 
Hi-117,  120-123,  126,  130,  146; 
Géante,  120,208;  (Beôw;»//'),  118; 
{Sarja  d'Olaf),  103,  108;  {Edda 
de  Snorri),  100-101,  108,  111, 
116-117,  123,  176;  (Saxo),  97-99, 
106-107,  109,  111,113;  [Thidreks- 
saga),  174-177,  181,  202. 

Hilde  I  (des  Indes),  17-18,  22,  27, 
43,  48,  50,  57-39,  62-63,  66,  82,  86. 

Hilde  II,  9-M,  18-31,  33-34,  36, 
42-43,  43-50,  54,  57,  59,  68,  70- 
78,  80,  83-86,  88,  99,  107,  110, 
132,  138,  149-130,  159-160,  173, 
178,  181,  186-188,  196,  202,  208, 
221,  228-229,231-232. 

Eilde  (Légende  d').  Voyez  :  Légende 
d'Hilde. 

Hilde,  fille  d'IIogni,  roi  de  Nor- 
wège,  117. 

(Sainte-),  172. 

HiLDEBOURG,  17-18,  27,  31,  36-37- 
39-40,  42,  30-32,  39,  68-69,  79-81, 
88,  91,  153,  173,  181,  231,  233. 
—  {Biterolfet  Dietleib),  79-81,  88, 
173,  181  ;  {Plainte  des  Nibelun- 
gen),  80-81. 

Hildebourg  {Légende  d').  Voyez  ; 
Légende  d' Hildebourg. 

HiLDEBRAND,  3ir-55,  73,  79-80,  107- 
108, 120,  176. 

Hildebrand  {Chant  d').  Voyez  :  Chant 
d^Hildebrand. 


Hildebrand  et  Hadubrand  (Légende 
d'\  Voyez:  Légende  d'Hildebrand 
et  Hadubrand. 

Hildebrand  (R.)  223, 

HiLDEGONDE,    177,  181. 

Hildina,  178-179. 
Hildingr,  113. 
Hildisvin,  123. 
HiLDR,  83,  112. 

hildr  =  combat,  115,  119;=  duel, 
120. 

HiLDUR,  112. 
HiLLA,  112,  180. 
HiLLE,  112,  119. 

Hillebrand  [Chant  populaire  d'), 
180. 

HiLÏA,   112. 
HiLTE,   112. 
HiLTEDIN,    1  12. 
HiLTEGRIN,    112. 
HiLTIA,   112,   120. 

HiLTiBRAND,  Voycz  :  Hildebrand. 

HiLTMATTE,  112. 

HiLUGE,  178-179. 

HiPPOLYTE,  62. 

Hisdinura  (Comté),  183. 
HiTHiN,  {Saxo),  97-99,  106-109. 
Hithinsô,  74,  98,  183. 

HiTHINUS,   112. 

Hjadningar,  87,  100-101,  117,  120, 

124-125,  140,  130,  171,  179,  183, 

183,  212. 
lijadninge,  Voyez  :  Hjadningar. 
Hjarandi,  Voyez  :  Hjarrandi. 
HjaiTandaliodh,  133. 
Hjarrandi,   100,   130,  153;  {Edda 

de  Snorri),   128;=Horand,  128, 

130;  =  Odhin,  133. 
Hnikus,  Voyez:  NiCHUS. 

HÔGINUS,  112. 

HiiGNi,  112,  129-131,  150;  Nature 
mythique,  126-129  ;  =  Loki, 
126-129;  {Gudrun,  Nibelungen, 
Waltharius),  126;  (Vidsith),  171- 
172;  {Saxo),  97-99,  106-109,  126; 
{Sagad-Olaf),  103,  105,  108,  113, 


276  - 


123,  i2o-126,  131,  183;  [Edda 
de  Snorri),  iOO-101,  108,  il4, 
116-117,  123,  123-126,  210  ; 
{Edda  de  Saemund),  117;  {Saga 
d'ilelgi),  126,  172. 

HoGNij  roi  de  Norwège,  117. 

IliJGNIUS,  112. 

IIOETHIN,    112. 

HOFMANX  (G.),    ^32,   164-165,    183, 

192,  223. 
HOGEN,  112. 
HOGENE,  112. 
IIOLDA,  112,  121. 

Hollande,  162,  183. 

HOLLE,   112. 

Holmreiclie,  135,  172. 

HolsleiD,  184,  186-187,  191. 

Holtzàne  Lant,  187. 

Holzsaesscn,  186,  191. 

liùpilal  fondé  sur  le  Wiilpensand, 
34,  214,  223. 

HoRAND,  10,  19-20,  22-2  i,  26-27. 
30,  36,  40,  42-43,  49,  69-70,  98, 
139-140,  148-134,  171,  176,  181, 
184,  186,  190,201-202,  206-208, 
210,  212-213,  219,  11\  ;  =  Hjar- 
randi.  128. 

Horand  {Légende  d'), Voyez:  Légende 
d'Horand. 

HORANT,  130. 

Ilormanie,  188. 

HoRMAYR  (Baron  de),  221 . 

IIORSAA,  3. 

Horstmar,  183. 

Hort  des  iN'ibelungeo,  188. 

llortland,  188. 

Hospitalité,  6. 

Hoy,  183. 

Hrafnagaldr  Odhins,  128. 

Hrfmgerda,  1 12. 

Hroswitha,  203,  206. 

Hugdietrich,  139. 

Hugues,  roi  d'Italie,  204. 

Huns,  31,  137,  179. 

Huon  de  Bordeaux,  61,  166. 

Hùsdrdpa,  124-126. 


Hythin,  155. 


Ibernie,  31. 

Idun,  87. 

lorland,  56,  65-63. 

Ile  aimantée,  60-61,  159-169. 

des  (Iril'.ons,  13-16,  27,  50,  32, 

61-63,  86,  169. 

des  Plîéaciens,  161,  163. 

Iles-Britanniques,  1,  63. 

d'or    et    d'argent,  162,  166- 

168. 

de    l'Océan    Indien    (Mille), 

168. 

de  Saiut-Brandan,  163. 

des  Bienheureux,  163,  168. 

Orcades,  Voyez  :  Orcades. 

— —  Shetlland,  Voyez  :  Shettland. 

Ilixot,  199. 

Ilja,  108. 

Ilsan,  133. 

Incantation  rend  le  langage  des  oi- 
seaux intelligible  à  Thomme, 
150. 

Indes,  17-18,  22,  27,  57,  61-62,  63, 
168. 

Invasions,  1. 

Invulnérable  (Héros  rendu)  en  se 
baignant  dans  le  sang  d'un  mons- 
tre, 02. 

Iphigénie,  231. 

'l7ZTrrjy.Ky.T:oq,  32. 

Irlandais,  17-18,  21,  26,  63,  187. 

Irlande,    14-13,   17-20,    24,   26-27, 

47,  50,  33-54,   56-59,   63-63,  67, 

133,  201. 
Irolt,  20,  27,  184,  187-188. 
Is  {Légende  de  la  ville  d'),   Voyez  : 

Légende  de  la  ville  d'Js. 
Iserland,  17-18,  47,  66. 
Isidore  de  Séville,  166-167. 
Islande,  66. 
IsoLDE,  sœur  de  Dietrich  de  Berne, 

174. 


277 


Issue  d'une  légende   (Changement 

intervenu  dans  1'),  107-108. 
Italie,  t66,  20i. 
IVAR,  toi,  t03-tOo,  tll,  12o. 


Jardin  des  Roses,  Voyez  :  Rosengar- 

ten. 
Jarl  des  Orkneys,  178-179. 
Jason,  87. 
Jean   {Conte    du    Fidèle),    Voyez  : 

Conte  du  Fidèle  Jean. 

.TONCKBLOET  (A.),  76. 

Jongleurs,  to,  139,  176.  —  Voyez 
auss'*:  Chanteurs  errants,  Clercs 
errants. 

Joseph  d'Arimathie,  17. 

JoTUN  Thiassi,  Voyez  :  Thiassi. 

Joutes,  22. 

Judith,  89-90. 

Judith  et  Holopherne,  IKJ,  118. 

Jutland,  3,  92,  98,  loO,  162,  189. 

JUXGHAXS  (A.)  225. 

Jutes,  97. 

JUTTA,  90. 

K 

Kiimpe,  2. 

Kaiscrchronih,  60. 

Kallov,  136. 

Kampedell,  18o. 

Kc<u.7roç,  62. 

Karidœl,  64. 

Kassiàne,  Voyez:  Cassiàne. 

Keck  (H.),  134. 

Keller  (A),  22o. 

Kemble,  94. 

Keunemerland,  91. 

Keuningar,  114-116. 

Kent,  3. 

kiescn,  123. 

kiusan,  123. 

Klee  (L.),  179-180,  223-224. 

Klughardt  (A.),  226. 


KocH  (F.),  225. 

KUNDRUN,  212. 


Lachmann  (K.)  223. 

Lambert,   Chronique  de   Guincs   et 

d'Ardre,  64,  191. 
Lampreciit,   Chanson    d'Alexandre, 

71-73,76-78,99,  172,211-213,218. 
Laxdœla  Saga,  124. 
Lebermeer,  166-167. — Voyez  aussi  : 

Mer  bètée. 
Légende  d'Alexandre,  167. 
d'Herbort  et  Hilde  dans  la  Thi- 

drekssaga,  88,  174-178. 
d'Herbort  et  dllildebourg,  69, 

79-80,  88,  173. 
d'Hilde  (dans  la  Gudrun.),  6-8, 

70-71,  73-78,  80-81,  83-84,  86-89, 

94-93,93-100,  106,  111,  113,  117, 

133,  139,   170-171,  178-181,  186, 

192,  208-218. 

d'Hildebourg,  80,  87-88. 

d'Hildebrund  et  d'Hadubrand, 

107-108. 

d'Hôgyii  et  d'IIedhin,  210. 

d'Horand,  10,  69,  148-134. 

de  Frute,  138-148. 

de  Gudrun,  7,   71,  73-76,  78, 

80-93,  192,  226. 

de  l'église  perdue,  1 62. 

de  la  ville  d'Is,  162. 

de  Walgerzs  et  Helgunda,  177. 

de    Walther   et    Hildegonde, 

108. 

de  Wate,  11-12,  132-138. 

du  Saint-Granl,  47. 

Légendes.  En   quoi  elles   diffèrent 

des  mythes,  84-83;  Mode  de  pro- 
pagation, 5-6. 
LÉOPOLD  VII,  206. 
LiEBRECHT  (F.),  62. 

Lieds   (Théorie  de   Mùllenhoff  sur 

les),  49. 
Lion,  16,  62-63. 


278 


Lilus  SaxoDicum,  3,  185. 
LlUDIGER,  80-81. 

Livre  des  Héros,  60,  220  ;   Appen- 
dice au  — ,  139. 
LoFOE,  92. 
Lohengria,  150,  \'61. 
Loire,  2,  9d. 
Lokasenna,  i2i. 
LoKi,  102,  124-131,  143,  183. 

LOMB.\.RDIE  (Duc   de),  207. 

Londres,  65. 
Lorraine  (Basse),  94. 
LoTHAlRE,  roi  d'Italie,  203  'îOi-. 

,  roi  de  Frauce,  203. 

Louis,  frère  de  Judith,  90. 

LOUIS-LE-PIEU.K,  91. 

Louvaia  (lîalaille  de),  93. 

Low,  178. 

LUDWIG,  9-10,  27-28,  30-3 V,  40-41, 
70,  76,  79,88,133,  173,  176,181, 
184,  186,  189,  191-192,  200,  205- 

206,   230,    232-233;    {Biierolf  et 
Didleib),  79,  173,  176. 

LuiTPnAND  de  Crémone,  203,   205- 

206. 
LuDders,  65. 

M 

Mainland,  164. 
Maliues,  185. 

M.^NiNHARDT  (W.),   121.   138. 

Mariage  (Vassaux  d'un  prince  l'ex- 
hortant au),  19,  57.  —  Mariage 
religieux  dans  un  poème  païeu, 
66. 

Martianus  Capella,  166. 

Martin  (E.),  87,  207-208,  216,  222- 
223. 

Martin  (Moine),  205. 

Malelàne.  30-31,  33-34,  42-43,  159, 
185-187,  196. 

Malellia,  185. 

Malilone,  183. 

Mallinge,  185. 

Mallersburg,  185. 


Maures,  \oje7.  :  Mores. 

Maximiliex  I",  219-220. 

Mechelen,  185. 

Médecine,  apanage  des  génies  ma- 
rins, 11,  134 

MÉnÉE,  87. 

Mediolanum,  18.'). 

Méditerranée  (Mer),  Voyez  :  Mer 
Méditerranée. 

Meisterlieder  du  Manuscrit  de  Col- 
mar,  130. 

Menia,  140. 

Mer  Baltique,  133,  135. 

bèlée,  01,  163-109. 

de  Sargasse,  16t. 

du  Nord,  1-3,  6,  8,  12,  90-91, 

95,  132,  137,  161,  168,  170,  189, 
191-192,  210,  217. 

ligée.  Voyez:  Mer  bètéc. 

Méditerranée,  4,  109. 

ténébreuse.  Voyez:  Mer  bèlée. 

Méran  (Sigehand  de).  Voyez  :  Sige- 
BANi)  de  Méran. 

IMerigarlo,  167. 

Melelen,  185. 

Meuse,  91-92,  185,  189. 

Miracles.  171,  202. 

MOALDE,   92. 

Mœre,  191. 

Monde  (Fin  du).  Voyez  :  Crépuscule 

des  Dieux. 
MoNE  (J.),  56,  76,  82,  89-90. 
Moulabur,  110. 
^loulagne  aimantée,  37,  60-01,  159- 

169. 
Moorlanl,  191. 
Morenland,  191. 
Mores,  31,  93,  190-191. 
Morins,  191. 

Morlaud,  27,  43,  70,  93,  191. 
Mùrlant,  190. 

MOROLF,    176. 

Mort  d'Alphart,  54,  56. 

MoRUNG,  19,  22,  25,  27,  30,  42,  49, 

184,    186  187,    189;   [Bataille  de 

Ravcnne),  20S. 


—  279  — 


Moulin  de  Frodhi,  140-141  ;  =  les 

vagues,  147. 
MiJLLENHOFi.^    (K.),   9,    49,  64,   77, 

133,  137,  164,  166,  196-197,  212, 

219,  224-225. 
Mi;LLER(R.),  216. 
Musique,  attribut  d'Odhiu,  128  ;  et 

dos  Elfes  aquatiijues,  151. 
Muspel,  158. 
Mysixg,  141,  147. 
Mythes  (Mode  de  transmission  des), 


N 

Naglfar,  158. 

Nains,  15,66,  101,131,  133-136.— 
Changés  en  pierres,  M  I  ;  travail- 
lant sous  une  montagne,  136, 
163. 

Nausicaa,  226,  231. 

Néerlandj,  53. 

Nibelungen,  S,  48,  51,  53  55,  37-58, 
60,  62-63,  68,  74,  81,  116,  126, 
lo7,  163,  178-179,  188,  198,  215- 
219,  223,  228-230,  233-234.  — 
Versification,  193-197. 

Nibelungen  (Pays  des),  187;  trésor 
des  —,  163,  188,  229. 

Nichus,  153. 

NlEXDORF  (A.),  225. 

Nifland,  19,  184,  187. 

NiùRDR,   143-144,  146. 

Nixe,  26,  138,  153,  157.  —  Voyez 
aussi  :  Ondine. 

Noalun,  14i. 

Nombres  (Emploi  des)  dans  l'épo- 
pée germanique,  9,  184,  200- 
201.  " 

NORDIAN,   133. 

Normandie,  6,  10,  27-29,  32,  35, 
38-39,  42-43,  36,  69-70,  79-81, 
91-93,  141,  139,  176,  186,  188- 
189,  202-203,  205,  217,  230,  232- 
233. 

Normands,  3,  6,   10,  30  34,  37-41, 


45,  60,  75,  90-93,   137-139,  169, 

189,  200,  205,  207. 
Normanie,  188. 
Norrois,  118,  120. 
North  Strandt,  162. 
Nortland,  184,  188. 
Norwège,  5,   7,  14-15,  18,  -47,    36- 

57,     65-66,     92,    100,     178-180, 

187,  189. 
Norwégiens,  63,  91. 
NuoDUXc,  139. 


O 


Océan  Arctique,  165. 

.Vtlantique,    13,01,  148,  153, 

161-162,  165,  168. 

Indien,  168. 

Oda,  33. 

Odal,  53. 

Odaldraugr,  35. 

Odiiin,  5,  102-104,  111,  113-114, 
117-118,  122,  125,  128-129,  142, 
144,153;=  Heimdallr,  128  ;  = 
Horand,  153  ;  =  Nichus,  133. 

Odilon  de  Cluny,  203.  206. 

Oegir,  136. 

Offa,  133. 

OiGiR,  136. 

Oiseau  prophétique,. 37,  153-157, 

Olaf  Pa,  124. 

Olaf  Tryggvason,  7,  73,  101,  103., 

Olaf  Tryggvason  (Saga  d'),  Voyez:" 
Saga  d'Olaf  Tryggvason. 

Oudine,  M.  —  Métamorphosée  en 
oiseau,  156.  —  Voyez  aussi: 
Nixe. 

Ongles  coupés  aux  niorls  dans  les 
coutumes  funéraires  des  Scan- 
dinaves, 158-159. 

Orcades,  4,  74,  100,  166,  178,  183, 
185,  192. 

Orcndd,  170. 

Orient,  0,  110,163,   167,  169,   190. 

Orkneys,  Voyez  :  Orcades. 


£80 


Ormanie,  27,  37,  188,  217. 

Orphée,  152. 

ort,  188. 

Ortland,  184,  187-188,  189,  196. 

Ortnit,  109. 

Ortnit,  57,  133,  170. 

Ortrun,  35-36,  41-42,  51,   59,  173- 

174,  188,  231,  233-234. 
Ortwin,  27,  30,  33,  36-38,  40,  42- 

43,  50,  59,  69,72-73,  76,78,  181, 

184,  186-188. 
OSWALD,  171,  208. 

Osivald,  157,  170,  208-209. 

Otfrid,  £t'an(/i/es,  193. 

Othon  I",  Voyez:  Otton  I". 

Otte,  9-11. 

OtïOxN  I",  55,  91,  205-200. 

Oj  (GuiLL.\u.ME  d'),  Vojcz  :   (iuiL- 

L^UME  dOj. 


PÂ  (Olaf),  Voyez:  Olak  l'A 

Pape,  90. 

Pahcival,  47,  199. 

Pavie,  204. 

Pégase,  62. 

Pèlerins,  32- 3^5  40,51,03,  66,  157- 

158,  203. 
pénélui'e,  231. 
Pernhëtan,  112. 
Persique     (Golfe),     Voyez  :    Golfe 

Persique. 
Peulinger  {Table  de),  Voyez  :  Taide 

de  Peutinger 
Pharaildis,  121. 
Phéaciens  (Ile  des).  Voyez  :  Ile  des 

Phéaciens. 
Pierres  (Héros   chaagés  en),    101, 

111-112. 
Pirée,  64. 

Plainte  de  Deôr,  149-150,  171,  211. 
Plainte  {des  Nibelungeii),  71,  80  81, 

209,  217. 
Pline-le-Jeune,  166. 
Plonnies  (\V.  von),  87,  2-yt-225. 


Plutaroue,  160. 

Pologne,  177-178. 

Polyonymie.     Son    rôle     dans    la 

formation  des  légendes,  122,  128. 
Portugal,  17,  51,  6o,  207,  212. 
Primisser  (a.),  221. 
Princesse  du  Toit  d'or,  156,  201. 
Prophétie    (Don_  de)    attribué    aux 

oiseaux,  155. 
Ptolkmée,  185. 
Pytiiéas  de  Marseille,  166. 

R 

Habenschlachl,  Voyez  :  Bataille  de 
Havenne. 

Ragnar  Drapa,  116. 

Hagnar  Lodrrog,  3-'i-,  116. 

Havenne  (Géorraimie  de).  Voyez  : 
GÉoiiRArnE  de  Havenne. 

Ravenne  {Bataille  de),  Voyez  :  Ba- 
taille de  Ravenne. 

Hegin,  156. 

Regnald,  92. 

Hegnhild,  144-145, 

Rcineke  Fuchs,  60,  219. 

Reinfried  de  Britnswick,  61. 

Reiss.maxn  (A.),  226. 

Henouart,  152. 

Résurrection  des  morls,  208. 

Revenants,  106. 

Rliin,  2-3,  G,  80,  85,  91-92,  173, 
177,  185,  187,  189,  213. 

RlED  (Hans),  220. 

HlVALlN,  47,  229. 

Robinsonade,  52,  63. 

Roediger,  51 . 

Roi  Rothcr,  '61,  60,  62,  133,  170 
201,  213. 

Itois  de  mer,  2. 

Rijland  (  Chanson  de  ),  Voyez  : 
Conrad. 

ROLI.ON,    141. 
Romains,  3. 

Roman  de  Bérinus  et  de  son  fils  Ai 
grès  de  l'Aimant,  1 06. 


281 


Homances  (Théorie  de  Mùllcnlioff 
sur  les),  49. 

Romarin  (Feuilles  de)  dans  les  ar- 
mes des  Sept  Séelaudes,  200. 

Rome,  89-90. 

Roncevaux,  202. 

RORICH,  91. 

Rosengarten,  ai,  133,  139. 

Roses  {Jardin  des),  Voyez:  Rosen- 
garten. 

ROTHER,  201. 

Rother  (Roi),  Voyez  :  Roi  Rother. 

Rouen,  141. 

RiiDEGER,  230. 

Rûgen,  74,  162,  183. 
Rûstringen  (Comté  de),  91. 
Ruodlieb,  47. 
Russie,  133. 

RUSTEM,  108. 

s 

Saekongr,  2. 

Saemund,  81,  112,  172,  179. 

Saga  d'Hedhin  et  d'Hôgni,  oi,  101- 

lOo,  108,   111-113,  123-1 2G,   131. 
— —   d'Helgi,  Voyez  :  Helga  Qvida 

Hundingsbana. 

d'Herraud  et  de  Basa,  lo3. 

d'Olaf  Tryggvason,  73,  78,  88, 

lOl-lOo,  108,   111-113,    123-124, 

126,  131. 
Saint-Glair-sur-Epte  (Traité  de),  91. 
Salman  et  MoroU,  10,  6i,  liil,  176. 

—  Strophe,  193-194. 
SalmÈ,  17,  64-66,  190. 
Salomon,  131,  176,  20^. 
Salomo7i  et  Morolf,  Voyez:  Salman 

et  Morolt. 
Samson,  131,  208. 
San  Marte  (A.  Scholz),  223. 
Sargasse   (Mer  de),  Voyez  :  Mer  de 

Sargasse. 
Sarrasins,  40,  31,  102,  l'JO. 
Sauf-conduit,  20,  206-207. 
Saxe,  92. 


Saxo  Grammatigus,  10,  54,  70,  73- 
74,  78,  83,  87-88,  92,  97-99,  103- 
113,  124,  126,  140-143,153,  155, 
172,  179,  183,  192. 

Saxons,  2-4. 

Scaldes,  100,  115. 

Scandinaves,  147. 

Scandinavie,  3,  97,  118,  133,  143, 
181,  208,  213. 

Schleswig,  184,  187. 

SCHMIDT  (L.),  223. 

SCHOENWERTH    (F.X.  VOU),  124. 

ScHOTT  (A.),  82-83,  83-86. 
Scott  (Walter),  11. 

SCHRÔER  (J.),  180-181. 

Seeland,  93. 

Séelandais,  40. 

Séelande,  28,30-31,  43,  89,  134, 
189.  —  Séelande  danoise,  3,  6, 
93,  134,  136,  189;  Séelande  fri- 
sonne (Sept  Séelandes),  200  ;  Sée- 
lande hollandaise,  6,91,  93,  134, 
189. 

Seewart,  79. 

SÉGUIN,  232. 

Seine,  91. 

Sept,  184,  200. 

Serkland,  102,  190. 

Serpent  blanc,  156. 

Shettland  (lies),  d64,  178. 

Siegfried,  {Gudrim),  27,  30-32,  34, 
36,  40,  42-43,  70,  93,  137,  184, 
190-192,  200;  (Nibeluvgen),  31, 
54,  60,  62-63,  127,  228-230. 

,  roi  danois,  191. 

SiFRED  le  Danois,  93,  191. 

SiGERAND,  {Gudrun),  14-13,  17-18, 
43,  47-48,  53-54,  36-59,  64-66, 
196;  [Fuite de  Dielrich,  Mortd'Al- 
phart),  36;  {Bataille  de  Ravenne), 
36,  64-63,  208. 

d'Ierland,  36,  64. 

de  Méran,  36. 

SiGEflÈRE,  36. 
SiGELINDE,  33. 
SlGEMUND,  53. 


9«5   — 


SiGRUN,  H7,  172. 

SlGiiU),   Io6. 

SiMiiON  Seth,  167. 

Si.MROCK  (K.),  iOi,  121,  127,  129, 
225. 

Sirènes, lo2. 

Sk.vohi,  142,  14i. 

Skemma,  102. 

Skidbiaduir,  146. 

Skir.mr,  142,  146. 

Skirniifor,  1  i6. 

Slaves,  i»S. 

Siavoaie,  109. 

SxoRRl,  10,  oi-,  70,  73-7i-,  78,  85, 
88,99-100,105-106,  111-113,  116, 
124-125,  128-129,  140,  142,  171- 
172,  176,  178,  183,192,  210. 

Sodathaltr,  Vojcz  :  Geste  de  Sorli. 

S'ivlL  '{Ge.-ite  de),  Voyez  :  Geste  de 
Sorli. 

S()i!LM.E-FonT,  103. 

Soleil  représenté  par  un  cerf,   146. 

SOLIN,  166. 

Sommer  (E.),  81. 
Sorcières,  90,  106,  113. 
Souliers  d'or  et  d'argent,  202. 
Souris  apprivoisées,   174-175,   202. 
Sl'ANOE,    171. 
Sl'EllHT,  135. 

Spervogel,  139. 

Steenstrui-  (J.),  93,  191. 

Stor,  134,  187. 

SlormarcD,  134,  187. 

Stonnarii,  13i-. 

Slormeru,  134. 

Strarox,  3,  162. 

Strasbourg,  72. 

Strasbourg  (GoTFRiED  de).  Voyez: 

Gotfried  de  Strasbourg 
SïUicKER,  Chirlcmagne,  202. 
Stropbe    de   la   Giidrun,    193-197  ; 

des  Nibelungen,    193-197;   d'Ot- 

frid,  193,  195  ;  de  Salman  et  Mo- 

roll,  193-19'k 
Stl'denkuss,  54. 
Sluruieu,  134,  184.  187. 


Sturla,  1 14. 

Sturmi,  134. 

Sturmland,  134,  187. 

Styrie,  1,  6,65,  173,  213,216,  219. 

Suède,  135,  180. 

Sumburgh  Ilead,  164. 

vSuud,  135. 

Supertlus  à  l'action  (Comment  le 
poète  se  débarrasse  de  person- 
nages devenus),  18,  47,  57,  66. 

SùRY.v  =  Frcya,   131. 

Sussex,  3. 

SVAFIRLAMI,   92. 

SvANHViTA,  sœur  de  Frodlii  I""", 
143. 

,  ondine,  157. 

Svcn  Aggon  {Histoire  de),   142.    . 
Svionie,  134. 
Symons  (B.),  89,  223. 
Syritha,  87. 


Tcible  de  Peutinger,  185. 

Table- Ronde  [Romans  de  la),  64. 

Tagite,  166. 

Tegner  (E.),  Saga  de  Frithiof,  225. 

Tklégo.xos,  108. 

Tenelant,  49,  80.  —  Voyez  aussi  : 

Danemark. 
Thersite,  102. 
Thiassi,  géant,  92,  I4i-. 
Thidrek  af  Bern,  Voyez  :   Dietrich 

de  Berne. 
Thidrekssaga,  6,  88,    I3'^,    174-177, 

181. 
Thiodolf  Arnorson,  1 10. 
ThÔr,  111.  —  Bapports  avec  Wate, 

138. 

TUORKELIX,    118. 

Thrymlieim,  144. 

Thulé,  165,  168. 

Toit  d'or  (Prln'ce.'^se  du),  Voyez  : 

Princesse  du  Toit  d'or. 
Tournois,! 4,  43,  58,  79. 
Traité   de    Siiint-Clair-sur-Eple, 


-  283 


Voj'ez  :  Saint  -  Clair  -  sur  -  Epie 
(Traité  de).  —  Trailés  entre  An- 
glo-Saxoas  et  Danois,  9i-. 

Trave,  134,  187. 

Trésor  des  Nibelungeu,  IG3,  188, 
229  ;  trésors  caclics  sous  une 
montagne,  163. 

Trêves,  93. 

TaÉviuzENT,  199. 

Tristan,  47. 

Tristan  (Roman  français  de),  200. 

Troie  =  monde  souterrain,  127. 

Tjne,  4. 

Tyrol,  ISo,  221. 

Tyrwhitt,  11. 

U 

Uhland  (L.),  108,  147. 
Ulvilda,  143. 
Ulysse,  108. 

Unité  (absence  d')  dans  les  épopées 
du  moyen  âge,  46,  228. 

UOTA,  OJ. 

UoTE,  19a.  —  Voyez  aussi:  Ute. 
Upsal,  142-143. 

Ute  dans  la  légende   héroïque,  oo. 
Ute  1,  14,  48,  53,  33,  57. 
Ute  II,  14-15,  17-18,  47-48,  56 -59, 
63. 


V'da,  {Vidsith),  133, 

Vagantes,  Voyez:  Clercs  errants. 

Vahalis,  199. 

Vaisseau    merveilleux    attribué    à 

Wate  et  à    Wielaud,   133,    137, 

147  ;  il  Freyr,  146. 
Valant,  79,  126. 
Valland,  92. 
Vatte,  nain,  133. 
Vecht,  183. 
Verberie,  89. 
Vt'rden,  I3i-. 
Vérone,  7'k 


Vidsith,  Voyez  :    Chant   du    Voya- 
geur. 
Vikingr.  2. 
Vineta,  102. 

Vinster  mer,  Voyez  :  Lebermeer. 
Virgile,  223. 
Vitta,  (Vidsith),  133. 
Vitte,  nain,  133. 

ViTTHOX,  92. 
VOEÏ-\EM(œïXE.\,   132. 
VOLUNDR,  137. 

VoGT  (P.),  223. 
Voie  lactée,  121. 

VOLLMER  (A.),  82. 

Vorau,  71-72,  213. 

VORTIGERX,  3. 

Vosges,  177. 

Voss  (J.  H.),  Homère,  223. 

Voxjageur  (Chant  du),  Voyez  :  Chant 

du  Voyageur. 
Vroneldenstraet,  121. 

Waal,  187,  199. 
W.\CHILT,  11,  134,  136. 
Wackernagel  (W.),  222. 
Wade,  Voyez  :  Wate. 
Wado,  Voyez  :  Wate. 
Walcheren,  190. 

Wàleis,    U,   23-26,  31,  74-76,  93, 
183-184,  187,189,  192,  199,  218. 
Walfreya,  122. 

W^\LGERZS,   177. 

Walgerzs  et  Hclgunda  (Légende  de), 
Voj'ez  :  Légende  de  Walgerzs  et 
Helgunda. 

Wallialla,  114,  117,  120,   122-123. 

Walkyries,  84  83,  103,  114,  H6- 
118^,  120-123,  130.  —  Leur  plu- 
mage de  cygne,  122. 

Waltharim,  75,  126,  177-178,  180- 
181. 

Waltiier,  75. 

Walther  d'Aquitaine,  177. —  Voyez 
aussi  :  Wallhurius. 


—  284 


Walther  et  Hildegonde {Légende  de), 
Voyez  :  Légende  de  Walther  et 
Hildegonde. 

Wartbourg  {Combat  de  la),  Voyez  : 
Combat  de  la   Wartbourg. 

Wate,  li,  -19-22,  2o-27,  30-34,  36- 
37,40-42,  ")!,  71-73,  76-78,  98- 
99,  132-138,  148,  153,  157-161, 
164,  166,168,  171,  177,  181,154, 
187,  201,  206-207,  210-211,  231- 
232.  —  Géant,  132-133,  136,  148; 
Médecin,  11,  26,  133  ;  comparé 
àThôr,  138  ;  à  Heimdallr,  138,  — 
{Vidsilh),  13o,  172.  —  (ieste  de 
Wate,  1 1  ;  Roman  ou  Romance  de 
Wate,  12. 

Wate  (Légende  de),  Voyez  :  Lé- 
gende de  Wate. 

walcn,  136-137. 

Wato,  Voyez  :  Wate. 

Weber,  1 1 . 

Wedmore,  94. 

Weinhold  (K.),  138,  223. 

Weinschivelg,  10,  150. 

Weiihhecht  (R.),  225, 

Welcker  (G.),  164. 

Weser,  187. 

Wessex,  3. 

WiDEK,  Voyez  :  Wittich. 

WlDOLF,  133. 

WiELAND    le    Forgeron,    133-134, 

136-137. 
WiGALOis,  199-200,  218. 
Wight,  3. 

WiLKEN  (E.),  77,  81,  87-88,  216. 
Wilkinasaga,  55,  107,  133,  136-137, 

157,  17i-177,  202,  213.  —  Voyez 

aussi  :  Tkiirekssaga. 
WiLKiNUS,  133,  156. 
WiLLA,  203-205. 
WiLMANNS  (W.),  89,  216. 


WinNT  de   Gravenberg,    Wigalois, 

199-201,  218. 
WiTTA,  135,  172. 
Wittich,  133-134. 
WÔdan,  5.  —  Voyez  aussi  :  Odhin 

et  WUOTAN. 

Wolfdietrich,  60,  139. 

WoI.KHART,  5i. 
WOLl'li'ÉTAN.   112. 

WoLFRv.M,   (Chanson  d'Alexandre), 

72. 
Wolfram  d'Eschenbach, 47,  199.  — 

Parcival,  47,    199,  229  ;  Titurel, 

197,  218. 
WoLFVViN,  71-73,  76,  181. 
Worms,  54,  70,  177. 
WoUD,  124. 
Wiilpeo,  100. 
Wùlpensand,32-34,36,7l-73,75-76, 

78,  88, ,93,  110,    159,    183,   189- 

190,  192,  202-203,  214,  232. 
Wùlpenwert,     71-72,    74-77,     93, 

189. 
Wulpia,  190. 
Wulpingi,  190. 
Wlotan,   5,    121,    128.   —  Voyez 

aussi  :  Odhin  et  Wôdan. 


XaothcD,  51, 


Ynglinga  Saga,  14^-143. 
Yser,  191. 


ZlEM.\NN  (A.),  222. 
ZiNGERLE  (I.  V.),  185. 

Zorab,  108. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 

Préface v 

INTRODUCTION 

Chapitre  I.  —  Le  Cycle  des  légendes  de  la  Mer  da  Nord 1-13 

Cha?.  II.  —  Analyse  du  poème  de  Gudrun 14-43 


LIVRE  I 

Recherches  sur  l'origine  et  la  composition  du  Poème. 

Chapitre  I.  —  Séparation  des  trois  parties  ;  la  première  est 
apocryphe 45-o2 

Chap.  II.  —  Origine  orientale  et  éléments  constitutifs  de  la 
première  partie S3-67 

Chap.  III.  —  Origine  des  deux  dernières  parties;  elles  ont  existé 
primitivement  à  l'état  indépendant;  la  légende  d'Hilde  est  d'o- 
rigine mythologique,  celle  de  Gudrun  d'origine  incertaine...       68-81 

Chap.  IV.  —  La  légende  de  Gudrun  ;  ses  rapports  avec  la  lé- 
gende d'Hilde  sont  purement  extérieurs;  elle  n'est  pas  d'ori- 
gine mythologique;  peut-être  est-elle  historique.  Conclusion  : 
trois  parties  dans  le  poème  :  une  apocryphe,  une  d'origine  in- 
certaine, une  mythologique,  base  de  tout  le  poème 82-95 


LIVRE  II 

Les  éléments  mythologiques  dans  le  poème  de  Gudrun.  Origine  de  la  légende 
d'Hilde;  le  Mythe  primitif  et  les  légendes  qui  en  sont  issues. 

Chapitre  I.  —  Diverses  formes  de  la  légende  d'Hilde;  le  récit 
de  Saxo  Grammaticus  ;  VEdda  de  Snorri  :  la  Saga  d'Olaf  Tryg- 
gvason 97-1 12 


-  286    - 

CnAP.  II.  —  Ilildc  dans  la  mjdmlogic  du  Nord  :  Ililde  Walkyrio, 
Sorcière,  Déesse  de  la  guerre  ;  Hilde  Géante  ;  Ililde  dans 
la  Chasse  infernale  ;  Hiide  cl  Freya;  Freya  et  le  lirisinga 
Mon.  Hogni  et  Loki  ;  Hedhin  et  lleiindallr.  Mythe  fondainen- 
tal  contenu  dans   la  légende  d'IIilde H 3-131 

Chai>.  III.  — Les  dieux  marins  dans  le  Poème  de  Gxidrun:  Wale, 

Frute,  llorand i32-15i 

\.  Wate 132-138 

2.  Frute 138-148 

3.  llorand 148-lb4 

Chap.  IV.  — Traces  de  quelques  autres  légendes  septentrionales 
utilisées  épisodiquement  par  le  poète 1 5 j-1 69 

1.  L'oiseau  prophétique l;>o-liî7 

2.  L'ensevelissement  des  morts 157-159 

3.  Le  (>onte  de  la  Montagne  de  Gîvers Ib9-169 

Chai".  V.  —  Transformations  cl  ramifications  du  mythe;  diver- 
ses légendes  qui  en  sont  issues;  derniers  échos  sous  forme  de 
ballade  et  de  con  le 170-181 


LIVRE  III 

Étude  iur  la  formation  et  la  transmission  du  Poème. 

Chapitre  I,  —  La  Géographie  du  Poème 183-192 

A.  Le  royaume  d'Iletel 184-189 

I}.  Le  royaume  d'IIerwig 1 89 

C.  Le  royaume  de  Ludwig  ;  le  Wùlpensand. . . .   189-190 

D.  Le  royaume  de    Siegfried 1 90-1 92 

Chap.  II.  —  La  Versification  du  Poème • 193-197 

Chap.  III.  —  Gudrun  et  la  poésie  contemporaine  :  imitation 
d'autres  poèmes;  poèmes  qui  l'ont  imitée;  allusions  histori- 
ques ;  allusions  à  des  usages  féodaux 198-209 

Chap.  IV.  —  Introduction  et  propagation  de  la  légende  d'IIilde 
en  Allemagne.  Formation,  remaniements  et  transmission  du 
Poème 210-220 

Chap.  V.  —  Découverte  du  manuscrit  d'Ambras  ;  éditions  du 
Poème;  travaux  critiques  :  tentatives  de  restauration  ;  tra- 
ductions; imitations;  adaptations  à  la  scène 221-226 

Conclusion.  —  Valeur  littéraire  du  Poème  de  Gudrun.  Gudrun 
et  les  Nibelunyen.  Plan  du  Poème.  L'action,  les  caractères,  la 
conclusion.  Anachronismes,  influence  du  christianisme  et  de 
la  chevalerie 227-235 


—  287  — 
APPENDICE 

BiBLiofiRAPHtE  ciiRONOLOfiiQUE  dcs  ouvragcs  Tolatifs  au  Poème  de 
Gudrun 237-260 

Index  alphabétique  des  noms  d'auteurs  cités  dans  la  Bibliogra- 
phie chronologique 26i-2(33 

Liste  des  abréviations  employées  dans  la  Bibliographie  chrono- 
logique et  dans  les  notes. de  l'ouvrage 263-266 

Table  analytique  et  alphabétique  des  matières 267-284 

Table  des  matières 285-287 


288 


ERRATA 


Au  lieu  de  :  Lire  : 

P.  XXV,  1.  3:).  elle  été  elle  a  été 

»      9,  1.  12.  Etmùller  Etlmùller 

»    59,  »  \.    premières,  recommandations  premières  recommandations 

»     82,  »  2.  (iudruD  Gudrun 

»  d27,  »  12,  lo,  21.    Haldur  lîaldr 

»  d42,  »  23.  Skirnis  Skirnir 

»  162,  ))  8.  Gadelin  Galedin 

»     »  ,  »  i9.  North  Strandt  Nortli  Strandt 


ADDENDA 

À.    Li. 

BIBLIOGRAPHIE  CHRONOLOGIQUE 


i8o8.      84".  Rieger  (Max).  —Die  Nibelungensnge  (P.  G.,  m,  lCo-198). 

[Cf.  p.  170.] 
1891.     270".  Kuhlmann  (H.).  —  Die  Concessivsalze  im  Nibelungenliede 
und  in   der  Gudrun,  mit  Vergleichung   der  ùbrigen    mittel- 
hochdeutsclien  Volksepen.  — Leipzig,  Fock,  1891,  in-S». 
[Cf.  Z.  Z.,  XXIV,  40S  sq.] 


irriiiicriL-  Ctiidrale  de  Clialillonsiir  Seine.  —    Pic;i\t  et  Pépin. 


AS 

162 

ra3C,90 


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études.     Section  des 
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