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BIBLIOTHEQUE
DES
ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
FASCICULE CENT UNIÈME
LA VIERGE DE MISÉRICORDE
ÉTUDE D'UN THÈME ICONOGRAPHIQUE
Par P. PERDRIZET
MAÇON,
PROTAT FRÈRES,
IMPRIMEURS
B.
LA VIERGE DE MISERICORDE
ÉTUDE D'UN THÈME ICONOGRAPHIQUE
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
Les Fouilles de Delphes, tome Y (bronzes, vases, terres cuites, antiqui-
tés diverses . Paris, Fontemoing, 1906-1908.
La peinture religieuse en Italie jusqu'à la fin du XIV' siècle. Nancy,
Imprimerie de l'Est, 1 905.
La Galerie Campana et les musées français (en collaboration avec
M. René Jean). Bordeaux, Feret, 1907.
L'art symbolique du moyen âge, à propos des verrières de l'église
Saint-Étienne à Mulhouse. Leipzig, Cari Beck, 1908.
Spéculum humanae salvationis ! en collaboration avec M. Jules Lutz),
2 vol. f", en coins à Mulhouse chez Meininger depuis 1907,
Étude sur le Spéculum humanae salvationis. Paris, Champion, 1908.
Perdrizet, Lu Vierge <lc Miséricorde
PI.
Cliché rie Vauten
Notre-Dame de Bonsecours a Nancy
(Slalue de Mansin Gauvain)
LA
VIERGE DE MISÉRICORDE
ÉTUDE D'UJN THÈME ICONOGRAPHIQUE
PAU
Paul PERDRIZET
ANCIEN MEMBRE DE l'ÉCOLE d' ATHENES
DOCTEUR i)S LETTRES
MAITRE I>E CONFÉRENCES À L'UNIVERSITE DÉ -NANCY
OUVRAGE CONTENANT QUATRE [LLUSTRATIONS DANS LE TEXTE
ET TRENTE ET UNE PLANCHES HORS TEXTE
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE THORIN ET III.S
ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR
Libraire des Écoles françaises d'Athènes ef de Rome,
de l'institul français d'Archéologie orientale du Caire.
du Collège de France et de l'École Normale Supérieure.
't\ RUE LE GO F F, i
nos
aSYA
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b
AVERTISSEMENT
Sainte-Beuve parle quelque part <le ces historiens « qui
loin hent dans le dossier ». V 'archéologue , quand il entre-
prend un travail d'iconographie, doit se résigner d'avance à ce
reproche : l'iconographie ne consiste-t-elle pas d'abord, et sur-
tout, à rassembler les monuments, à les répartir par séries,
donc à classer des dossiers?
Pourtant, on peut souhaiter que, même dans des monogra-
phies du genre de celle-ci, le document non seulement nem-
pêche pas la synthèse, mais qu'il ne la masque pas trop. J'ai
tâché de distinguer, même à l'œil, mes dossiers de mes démon-
strations.
Un livre qui renferme une documentation assez malaisée
à réunir a toujours un grand nombre d'auteurs. J'ai
mentionné, chacun en son lieu, tous mes collaborateurs béné-
voles. Je tiens à remercier ici, d'une façon particulière, ceux
auxquels je dois le plus : MM. Léon Germain de Maidy,
lïmile Bertaux, Gaston May, Mené Jean. Albert Grenier.
René Harmand et Adrien Moureau. Je remercie aussi M. Hol-
leau.r. qui n'a /tas hésité à offrir à cette étude l'hospitalité de
la Bibliothèque des Ecoles, et mes imprimeurs MM. Protat.
F. P.
INTRODUCTION
G'esl une vieille statue lorraine qui a élé la cause occa-
sionnelle de celle élude.
La Vierge de Mansuv Gauvain (pi. I . dans l'église de
N. -D.de Bon-Secours à Nancy, intéresse ;i la fois l' archéo-
logue et l'historien : cet ex-voto, commémoratifde la vie-
toire de René II sur Charles le Téméraire, esl l'une des
rares sculptures lorraines qui aient échappé aux ravages de
la guerre de Trente Ans et de la Révolution; c'est, d'autre
part, Tune des répliques les plus connues d'un type ico-
nographique vraiment étrange, et aujourd'hui tout à l'ail
suranné. J'ai élé curieux de connaître l'origine et l'his-
toire de ce type singulier. Les livres qui en parlaient ne
m avant pas satisfait, j'ai cru qu'il pourrait être utile de
publier les résultats des recherches dont la statue de
Gauvain a élé pour moi le point de départ : ils ne seront
peut-être pas complètement indifférents à l'élude de
l'iconographie, ni môme à l'histoire critique du catholi-
cisme.
A quelle date le type de la Vierge au manteau —
Madonna del manto, Schutzmantelbild — a-l-il apparu?
Dans quel milieu religieux? Et quelles croyances expri-
maient les images de la Vierge de Miséricorde, de
Secours, de Bon-Secours, de Grâce, de Consolation —
Madonna délia Misericordia, del Soccorso, ou simple-
ment Misericordia i , Misericordiabild — ? Pourquoi le
1. .1 Lucca dipinse una misericordia, dil l'Anonyme florentin du Codex
Magliabechianus ('■<!. Frey, ]>. 107). Il s*a^il de Fra Bartolommeo et de
Perdrjzet, — ■ Lu Viergede Miséricorde. i
INTRODUCTION
manteau a-t-il été choisi comme symbole de protection?
Gomment ce type s'est-il propagé? Dans quelles con-
trées, à quelles époques, par quelles personnes ou par
quelles collectivités a-t-il été spécialement affectionné?
Dans quelles circonstances la dévotion y avait-elle
recours? Quand est-il tombé en désuétude, et pour
quelles raisons? Enfin, ce type présente sans doute des
variantes selon les temps et les lieux. Et il ne doit pas
être séparé de types dérivés, créés sur le modèle de la
Vierge de Miséricorde, les types des saints et saintes
abritant des priants sous leur manteau.
On voit combien nombreuses sont les questions qui
forment notre sujet. Il est assurément complexe, car il
touche à plusieurs points importants de l'histoire du
moyen âge, le développement du culte mariai, les rivali-
tés entre les grands Ordres religieux, la littérature mys-
tique et monacale, l'origine et la vogue de certaines pra-
tiques pieuses comme la flagellation et le rosaire, la nais-
sance et le rôle des Confréries de pénitence et de charité,
les conséquences religieuses des grandes épidémies. Mais
c'est la complexité même de celte élude qui en a fait
pour moi le profit et l'attrait.
Un aperçu des opinions émises sur l'origine du type
de la Vierge au manteau justifiera la présente élude.
Un auteur du xvne siècle, le P. Julet, provincial des
Minimes en Lorraine, dans son livre des Miracles et
(j races de N.-D.-de-Bon-Secours-lez-Nancy1, a consa-
cré un long chapitre à la statue de Mansuy Gauvain et,
son tableau de Lucques. L'expression dont se sert M. Pératé (Hist. de
l'art publiée sous la direction d'A. Michel, t. II, 2, p. 844), « Vierge de
Merci », ne saurait désigner que la Vierge des Mercédaires. M. S. Rei-
nach a inventé, sans nécessité, la dénomination de << Vierge tutélaire >>
[Répertoire des peintures, t. I, \>. 491 ; t. II, j>. 53S .
l. Imprimés du commandement de Monseigneur l'Illustrissime Cardinal
de Lorraine, ù Nancy, par S. Philippe, imprimeur de Son Altesse, 1630.
Réimprimés en style rajeuni à Nancy en 1734. Ci'. Jérôme, L'é<jlise X.-D.
de Bon-Secours à Nancy (Nancy, Vagner, 1898 , [>.37,
INTRODUCTION >\
accessoirement, au type qui nous occupe; il s'évertue
à en expliquer le symbolisme, mais les textes qu'il cite
ne sont pas pertinents, les légendes qu'il raconte n'ont
rien à voir avec la question : il allègue sainl Martin et
son manteau, ou encore l'histoire d' « un grand seigneur
el grand homme d'estat huguenot ' à qui bien prit, le
jour de la Saint-Barthélémy, de trouver à sa dévotion le
pan de la robe de la Reine Mère pour lui servir de bou-
clier" »; puis, comme s'il comprenait lui-même que tout
ce bavardage n'explique rien, il se réfugie dans l'histoire
naturelle, entendue comme l'entendaient, au moyen âge,
les auteurs de Bestiaires 3 : « Entre plusieurs choses
dignes de considération que l'on dit de la Baleine, celle-
cy me semble mémorable, c'est que, si quelque danger
survient, elle cache ses petits dans sa bouche... Quand
la Lamproye craint que quelque mal n'arrive à ses petits,
elle fait de mesme que la Baleine... La Canicle marine
l'ait davantage, recevant les siens non en sa bouche, mais
en son ventre... 4 »
Pas plus (pie le P. Julet, la plupart des archéologues
modernes n'ont su découvrir l'origine de la Vierere au
manteau.
M. Schreiber5, qui a souvent rencontré ce type icono-
graphique dans les gravures incunables et qui a dû y
revenir à propos des images relatives à la peste, le date
1. .le ne sais de quel seigneur huguenot Julet a voulu parler.
2. Julet, p. 467.
:5. Sur ce symbolisme, cf. Mâle, L'art rel. du XIIIe s. ,2e éd., p. 43-64.
i. I*. Hl-hil.
5. .Manuel de la gravure nu XVe siècle, t. I, p. 295 (cf. I. III, p. Mi :
m Au xve siècle, les (roubles des Hussites ainsi que le concile de Cons-
tance portèrenl le culte de Marie à son apogée; presque toute la chré-
tienté la prenait pour intercesseur, el dès lors ou voil apparaître dans
l'arl la Vierge de Miséricorde ou Madonna del Popolo. » M. Schreiber se
trompe : jamais les Italiens n'ont appelé la Vierge de Miséricorde
Madonna del Po polo ; l'article de Middleton auquel il renvoie {Maria
del l'opolo, dans le Portfolio de juin I8s.'i est consacré à la célèbre
église romaine de ce nom.
4 INTRODUCTION
du xve siècle. Bouchot1 ne le faisait pas remonter plus
haut que la Vierge de Miséricorde du musée du Puy
(pi. XXI, 1) qui semble de 1420 environ. D'après
M.Thode2, le type sérail d'origine italienne et plus pré-
cisément franciscaine; les plus anciens exemples en
seraient un tableau de Lippo Memmi, à la cathédrale
d'Orviéto, et le retable de Spinello, à Sainte-Marie-des-
Gràces d'Arezzo 3. D'après M. Moritz-Eiehborn ', Fri-
bourg-en-Brisgau posséderait les plus anciennes images
sculptées de la Vierge au manteau (pi. XXVI, 1 et 3) :
elles remonteraient au début du xive siècle. M. Leh-
mann 5 croit aussi que les plus anciennes représenta-
tions de la Vierge de Miséricorde sont allemandes : il
cite la slatue de la cathédrale de Fribourg, qu'il date
de la tin du xme siècle, et une fresque de l'an 1334, dans
la chapelle de Marienbourg, en Prusse, la célèbre forte-
resse des Teutoniques. Feu Helbig6 , en 1885, ne connais-
sait pas de Schutzmantelbîld aussi ancien qu'une pein-
ture de la tin du xnie siècle, qui représente sainte Odile,
l'une des compagnes de sainte Ursule, abritant sous son
manteau ses jeunes sœurs, Ima et Ida : en sorte que,
pour qui se rappelle tant d'images archaïques de sainte
Ursule avec les onze mille Vierges sous son manteau, la
question se pose de savoir si le manteau de protection
n'a pas appartenu d'abord à la patronne de Cologne.
C'est donc fort à propos que M. Brockhaus 7a signalé un
«-1. La peinture en France sous les Valois, notice delà pi. XXII (cf. les
additions) ; du même, Les primitifs /'nuirais, p. 203.
2. Franz von Assisi, 2e éd. (Berlin, 1004), p. 510.
3. o Au! dem Hauptaltar von S. Maria délia Miserieordia », dit
M. Thode. Il n'y a pas d'église de ce nom à Arezzo. La Miserieordia
d'Arezzo est l'ancien local d'une Confrérie charitable.
4. Der Skulpturencyklus in der Yorhalle des Freiburger Munsters
(Strasbourg-, 1899), |>. H 2.
5. Das Bildnis bei den altdeutschen Meistern bis au f Durer (Leipzig,
1900), p. 210.
6. Revue de Vart chrétien, 1 s 8 ■ > , p. 277.
7. Forschungen ùber /lurent iner Kunstwerke (Leipzig, 1902), p. 108.
I\ï R0DUC1 lOîi
texte qui l'ail remonter jusqu'au milieu du xme siècle le
type de la Vierge au manteau; mais il a été moins heu-
reux quand il en a expliqué la diffusion uniquement par
le développement des Confréries. M. Supino ' voit dans
la Vierge au manteau la traduction figurée des vers du
Dante :
Orribil furon H peccati miéi,
Mu In Bontà infinita ha si gran braccia,
Che prendc cio clic si rivolve ;i Ici -'.
Mais la « Divine Bonté » dont il s'agit dans ces vers
est la bonté de Dieu, non la bonté de Marie. Kraus '
voyait dans le type de la Vierge de Miséricorde la tra-
duction figurée de l'antienne du xie siècle. Salve Regina
misericordiae, ou d'une prière encore plus ancienne,
Suh (u u ni praesidium confugimus, d'où le nom de Sub
fit uni dont on a quelquefois désigné les Vierges au man-
teau '. Plus que tout autre, Barbier de Montault ■*■ s'est
approché de la vérité, en rappelant la vision de saint
Dominique dont nous parlerons plus loin, et même la
vision rapportée par Gésaire, laquelle est en fin de
compte l'origine du type en question; mais Barbier n'a
pas su tirer parti de ces indications : c'était un collec-
tionneur de menus faits, aussi incapable de synthèse que
de critique.
La plupart des opinions que nous venons de rapporter
contiennent, quant à l'histoire du thème, une part de
vérité, tpie nous aurons à dégager. Mais pour ce qui est
de l'origine du thème, les érudits n'auraient pas proposé
1. Les deux Lippi Florence, 1904 , p. 87.
■2. Purgat., III, 121-123.
3. Geschichte der christlichen Kunst (Fribourg, ÎN'.'T , t. II, p. V.Y-\.
4. Par exemple Drexler, Tafelbilder aus dem Muséum de* Stiftes
Klosterneuburg Vienne, Schenk, 1906), p. 2.
~.\. Traité d'iconographie chrétienne, nouvelle édition Taris, ISOs ,
t. 11. p. 239; Revue deVart chrétien, 1889, p. 24.
LNTHM|)l(THi>
des solutions si diverses et contradictoires, s'ils avaient
connu l'introduction critique qu'un Bollandiste du
xvme siècle, Guillaume Cuper, écrivit pour la Vie de
saint Dominique, dans les Acta Sanctorum l. Nous
avons, en 1905, M. Krebs 2 et moi 3, indépendamment
l'un de l'autre, signalé et exploité celte précieuse mine
de renseignements. Sous l'influence des documents domi-
nicains réunis par Cuper, et de ceux qu'il avait lui-même
mis au jour dans ses recherches sur le couvent domini-
cain d'Adelhausen4, M. Krebs s'est arrêté à l'opinion
que la diffusion du thème de la Vierge au manteau serait
due à l'Ordre des Prêcheurs. On verra que les meilleurs
arguments à faire valoir en faveur de cette théorie ont
échappé à M. Krebs. et que. même fortifiée de ces argu-
ments nouveaux, elle n'eu reste pas moins très exagérée
et inexacte : les Cisterciens, les Franciscains, les Con-
fréries ont autant contribué que les Dominicains à
répandre le thème en question '.
1. De S. Dominico comme ntarius praevius [Acta SS, août I, p. 358-
545). Ce volume des Acta est datéde 1733.
2. Maria mil <!<>m Schutzmantel am Freiburger Munster [Freiburger
Mùnsterblâtter, Heft I, 1905, p. 27-35).
3. Lorraine Artiste, t. X X 1 1 1 L 905), fascicules de mars et de juin,
p. 62-71, 109-117 ; Congrès archéologique de France, LXXIe srxxion tenue
au Puy en I90i (imprimé en 1905 , p. 570-584.
4. Die Mystik in Adelhausen, dans la Festgabe offerte à 11. Fincke, et
à part (Munster, 1894 .
5. Mon travail était depuis longtemps commencé et j'en avais déjà
publié les conclusions principales, quand il a paru dans la Gazette des
Beaux-Arts, n" de novembre 1905, sous la signature de M. Léon Silvy,
un court article sur l'Origine de la Vierge de Miséricorde, dont le point
de départ est le frontispice des Collecta de Jean de Cirey. Je ne dois
rien à cet article. Les documents dont s'est servi l'auteur m'étaient tous
connus; le frontispice des Collecta m'avait été indiqué par mon regretté
compatriote, feu Henri Bouchot.
CHAPITRE I '"•
LA CROYANCE A LA MISÉRICORDE DE MARIE
Cette croyance n'est pas très ancienne en Occident. — Le texte d'Iré-
née sur Maria advocata : la fresque du cimetière Ostrien. — Le récit
des noces de Cana fondemenl scripturaire de la croyance à la miséri-
corde de Marie. — Origine orientale du Sub tuiun praesidium. —
Saint Anselme. — Le Salve Regina misericordiae. — Les sermons de
saint Bernard pour l'octave de l'Assomption. — Les Cisterciens et la
mariolâtrie.
«Les privilèges de la sainte Vierge, écrit un théologien con-
temporain, vécurent plus ou moins longtemps d'une A'ie
latente ' .» Cette formule savoureuse revient à dire que la mario-
logie et la mariolâtrie se réduisaient à fort peu de chose pour
les chrétiens des premiers siècles.
Le même théologien écrit encore : « L'idée que le sentiment
chrétien se faisait de Marie s'est d'abord heurté à certains
textes qui étaient plutôt de nature à l'obscurcir, et qui, de
fait, ont égaré certains Pères-'. » Autrement dit. il a fallu,
pour (pie la mariolâtrie pût se développer, que la tradition fût
parvenue à se débarrasser, par une interprétation habile, des
textes scripturaires qui auraient gêné ce développement, celui
de Luc :!, sur la purification de Marie, celui de Matthieu '. sur
les rapports de Joseph et de Marie après la naissance de Jésus,
ou encore les nombreux passages concernant les frères de
Jésus. Ces textes sont en effet fort gênants pour la croyance à
la virginité de Marie. Or la question louchant Marie, qui a le
plus préoccupé les premiers siècles du christianisme, était celle
de sa virginité, avant, pendant et après l'Incarnation.
1. Turmel, Histoire de la théologie positive depuis l'origine jusqu'au Concile
<le Trenie Paris, L904), p. 286.
2. Ibid., p. 72.
3. h, 22-23.
4. 1, 25 : non cognoscebat eam doneepeperit filium suum primogenitum.
CHAPITRE 1
Ainsi, la mariologie de la première époque chrétienne a con-
sisté surtout à conformer le sens des Evangiles à la croyance
en la virginité de La Mère de Dieu. On n'avait pas encore l'idée,
en Occident du moins, de faire jouer à l'humble fille de Joa-
chim un rôle capital dans le drame de la rédemption.
A en croire les érudits catholiques, l'archéologie prouverait
le contraire. La Mère de Miséricorde aurait été représentée
déjà au ive siècle, dans une fresque du cimetière Ostrien ', qui
nous montre une femme dans l'attitude del'orante, avec un
enfant assis sur ses genoux;, et avec le monogramme du Christ,
à droite et à gauche, sur le fond. Cette fresque serait l'illus-
tration d'un mot d'Irénée, Virgo Maria advocata : ainsi la
crovance à la miséricordieuse intercession de la Vierge serait
attestée par un texte du 11e siècle et par un monument figuré
du IVe.
En réalité, si l'on se reporte au passage du Contra hacre-
scs d'où sont extraits ces troismots Virgo Maria advocata, on
constate qu'Irénée ne parle point de la Mère de Miséricorde,
avocate du genre humain, advocata nostra, comme l'appellent
le Salve Regina et les mystiques du moyen âge. La Vierge Marie,
dit saint Irénée, a racheté, par son obéissance '-' à faire la volonté
de Dieu, la désobéissance de la vierge Eve : l'ancienne Eve
avait perdu le monde, la nouvelle l'a sauvé en donnant le jour
à .lésas, et elle est, dans le ciel, l'avocate de l'ancienne Eve ;.
de même que les saints sont, devant le tribunal de Dieu, les
avocats des Ames chrétiennes qui se recommandent à eux:
cuique, dit une inscription du cimetière de Cyriaque, cuique
vitae suae testimonio sancti martyres apud Deum et Christum
1. Wilpert, Pitture délie Catacomhe Romane, p. 105, pi. L63, 207, l'on :
Marucchi, Éléments d'archéol. chrétienne, t. I, p. 319. C'est, je suppose, aux
peintures des catacombes que songeai) M. l'abbé Broussolle, quand il a risqué
cette assertion déconcertante : « L'iconographie de N.-D. de Bon-Secours est
des plus riches. On trouve déjà cette Madone clans les plus vieilles peintures
de l'Étal romain » La jeunesse du Pérugin, p. i7."> .
2. Lue. 1. 38: Ecce ancilla Domini, fuit mini secundumverbum tiuun.
■a. Irénée, Contra haereses, V, 19 Migne, /'. G.. VII, 117.) : Ea inobedie-
rat Deo, haec suasa est ohedire Deo, uti virginis Evae virgo Maria jieret
advocata. lit quemadmodum adstrictum est morti <fenus humanum per virgi-
nem, salvatur per virginem. Cf. Bossuet, ¥ sermon pour V Annonciation, lor
point (Œuvres oratoires, éd. Lebarcq,t. III. p. .°. : « Eve croit au serpent et
Marie à l'ange. Eve, séduite par le démon, est contrainte de fuir devant la face
de Dieu, et Marie, instruite par l'ange Gabriel, est rendue digne déporter
Dieu, afin, dit saint Irénée. que la Vierge Marie fût l'avocate de la Vierge
Eve .
I..\ CROYANI I \ LA M1SÉR1I ORDE DE MARIE •'
erunt advocati1. Une fresque du cimetière de Saint-Hermès
représente un tribunal où siège un juge qui esl le Christ ; au
pied du tribunal, deux avocats, sans doute les martyrs enter-
rés dans cette catacombe, saint Proie el sainl Hyacinthe,
défendent l'âme d'un fidèle, qui s'est recommandé à eux ; cette
âme fait les gestes de l'orante ; les deux saints font des gestes
d'orateur, qui conviennent" à leur rôle d'avocat. Donc la Vierge
du cimetière Ostrien n'est pas représentée comme advocata,
puisqu'elle fait les gestes de i'orante. Et il est aussi abusif de
L'interpréter comme une représentation de la Vierge de Misé-
ricorde, que de prétendre démontrer, par une citation tron-
quée de saint Irénée, la très haute antiquité de la croyance à
l'intercession miséricordieuse de Marie '■>. Dans les premiers
siècles du christianisme, l'idée de miséricorde est exprimée par
le type iconographique du Bon Pasteur, et l'idée d'interces-
sion donne naissance au culte des saints. 11 semble que les chré-
tiens d'Occident, pendant le premier millénaire, aient surtout
compté, pour être sauvés, sur la protection des saints dont ils
possédaient des reliques : c'est ce qui ressort, pour la période
mérovingienne, du De gloria martyrum de Grégoire de Tours
et des ouvrages spéciaux deMarignan 4 et de Bernoulli •'. Pins
tard, les saints tendent à se confiner chacun dans un rôle spé-
cial, l'un guérissant telle maladie, l'autre protégeant telle cor-
poration, faisant réussir telle sorte d'affaires : mais pour l'af-
faire principale, pour le salut, c'est à la Vierge, désormais, que
l'on s'adresse d'abord.
Bossuet, dans sa Lettre au pape Innocent XI sur V instruction
du Dauphin, écrit tranquillement ceci : « La lecture de l'Evan-
gile nous servoit aussi à lui (au Dauphin) inspirer une dévo-
1. Marucchi, op. cit., t . [, p. ls ■>■
2. Marucchi, op. cit., t. I. |>. -'507.
3. Siins autre preuve que ces trois mots de sainl Irénée, un théologien con-
temporain écrit : « Le rôle 'I A\ ocate par excellence esl attribué par les Pères
à Marie dès le second siècle » Terrien, La Mère de Dieu et la Mère des
hommes. 2" éd., (. IV, p. i i i .
i. Études sur la civilisation française, t. II le culte dessaints sous les
Mérovingiens . Paris, 1899.
.'). Die Heiligen der Merowinger, Fribourg, 1900. Cf. encore Bayet, dans
l'ifisl. de France de Lavisse, II. I, p. 240.
I 0 CHAPITRE I
tion particulière pour la sainte Vierge, qu'il voyoit s'intéresser
pour les hommes, les recommander à son fils comme leur
avocate, et leur montrer en même temps que ce n'est qu'en
obéissant à .T. -G. qu'on en peut obtenir des grâces. » Ces
assertions étonnent : on se demande en quel endroit des Ecri-
tures Bossuet a trouvé tout cela. Un théologien catholique
répondra sans hésiter que Bossuet avait en vue les premiers
versets du chapitre n de l'Evangile de Jean :
1. Et die tertia nuptiae factae sunt in Cana Galilaeae ; et
erat mater Je su ibi.
2. Vocatus est autem et Jésus, et discipuli ejus ad nuptias.
3. Et déficiente vino, dieit mater Jesu ad eum : Vinum non
ha Lent.
i. Et dieit ci Jésus: Quid mi lu et tiJ>i est, millier? Nondum
renit hora mea.
•"». Dieit mater ejus minisfris : Quodcumque direril vohis,
facite.
Ce texte est la base scripturaire de la croyance à la miséri-
corde de Marie. Il suffît d'y appliquer la méthode scolas-
tique.
La méthode de la théologie scolastique repose sur ce prin-
cipe implicite que tout ce qui est rapporté dans l'Ecriture doit
avoir un sens profond, par cela même que l'Ecriture le rapporte;
particulièrement, des paroles du Christ et de la Vierge ne sau-
raient être trop scrutées, méditées ; outre le sens littéral, histo-
rique, elles ont un sens mystique, allégorique. Le vin que la
Vierge demanda pour les gens de la noce signitie la grâce dont
manquent les hommes : en demandant ce vin à son Fils, la
Vierge a manifesté sa miséricorde envers nous : elle a. pour
emprunter la métaphore des anciens docteurs, plaidé notre
cause, elle s'est faite notre avocate.
Les mystiques d'aujourd'hui, si l'on en juge par l'ouvrage
du Père Terrien, ne disent plus, pour exprimer la miséricor-
dieuse médiation de Marie, que la Vierge s'est faite notre avo-
cate auprès du .luge. Cette vieille expression, qui fait songer
au préteur romain jugeant dans sa basilique, leur semble
sans doute une métaphore trop naïve. Le moyen âge. et Bos-
suet encore, comme on vient de le voir, la trouvaient excel-
lente. L'auteur inconnu du Salve Regina s'écriait : Eia ergo,
LA ( ROI w E A LA VIISÉRICORDE DE MARI] I 1
advocata nostra, illos tuos miséricordes oculos ad uns cou-
verte ! Cette comparaison de la Vierge avec un avocat, n'a
rien inspiré de plus curieux qu'un poème «lu xiV siècle,
VAdvocacie Notre-Dame, ({m montre La Vierge plaidant contre
le Diable, au tribunal de Jésus-Christ, la cuise du genre
humain : nous reviendrons plus Loin sur cette singulière pro-
duction.
Les textes qui parlent de La Vierge comme avocate, sont
réunis dans le recueil de Salzer '. Si l'on prend la peine de les
parcourir, on verra que les plus anciens, ceux qui sont anté-
rieurs au XIe siècle, sont tiréspresque tousdes auteurs orientaux,
des Pères Grecs, de la liturgie orthodoxe et de saint Ephrem,
le poète de L'Eglise syrienne.
La mariolàtrie, en effet, s'est développée beaucoup plus
vite en Orient qu'en Occident. Les Orientaux ont cru. bien
avant les Occidentaux, que les pécheurs seraient sauvés par la
toute-puissante miséricorde de la Vierge. La célèbre prière
Sub tuum praesidium confugimus, dont certains archéologues
ont vu l'illustration dans les représentations de la Vierge au
manteau protecteur, est d'origine orientale : elle aurait été tra-
duite du grec en latin sur le désir de Charlemagne '-'. On notera
que le texte grec invoquait la compassion ( Vjjzb'f/vâ) de la
Vierge, et que les traductions latines 3 font appel à sa pro-
tection [praesidium): la Vierge, pour les rudes chrétiens
d'Occident, à l'époque où se constitue La féodalité, est une
puissante Dame dont on veut devenir le vassal.
« Le xiii° siècle, a-t-on dit, est par excellence Le siècle de
la Vierge. Les cloches de la chrétienté sonnent l' Angélus.
Saint Dominique répand le rosaire en l'honneur de Marie.
Il faut lire le De laudihus beatae Marine du dominicain Albert
le Grand et Le Spéculum beatae Marine du franciscain Bona-
1. Die Sinnbilder und Beiworte Ma.rie.ns, dans les Programmes de l'Ober-
gymnasium des Bénédictins de Seitenstetten (Linz, 1886-1894 . p. 594-596 du
tirage à part. Cf. Mone, Lateinische Hymnen Fribourg, 1854 . t. 11. p. I7i.
2. Paléographie musicale de Solesmes, fascicule V, 1896, p. 13-15. Voici te
texte grec : Yr.'j rrjv utjv rJ7-Xay/vîay /.ataç: J-;vj.:v. ©êo-dxs,Tàç fl;j.<ôv [xïjata? ;j.t,
naç'»,; Èv JtspiaTàêaei, àXX' h xtvBuvwv Xutptoaat /,;j.à:, [aovt] ôcyvr), ;j.ovt, ij'/.o-r/j.v/r,
— et le texte Latin, tel qu'on le récite aujourd'hui : Sub tuum praesidium con-
fugimus, sancta Dei genitrix, nostras deprecationes ne despicias in nécessita-
tibus, sed a periculis cunctis libéra nos, semper virgo, gloriosa et benedicta.
3. Saut' dans l'antiphonaireambrosien ms. duxne s., au Musée britannique),
qui traduit : Sub luam misericordiam.
\~2 CHAPITRE T
venture pour se faire une juste idée des sentiments que
le mu" siècle professait pour la Vierge. » Personne ne con-
testera l'importance du culte mariai au xni° siècle ; mais peut-
être doit-on faire remarquer que l'Angelus ne date que du
xiv siècle ' et le rosaire que du xv°- ; que le De laudibus
beatae Marine n'est pas d'Albert le Grand3, ni le Spéculum
beatae Mariae de saint Bonaventure'1.
Ensuite, devons-nous appeler le xme siècle le siècle de
la Vierge, de préférence au xnf' et même au xi°?.Iene le
pense pas. Le xi° siècle qui a produit saint Anselme,
et qui a vu se vouer au service de Marie les Gamaldules, les
Chartreux et les Cisterciens ; le xne, qui a donné saint Bernard
et saint Norbert, qui a élevé la cathédrale de Notre-Dame de
Chartres et populariser Ave Maria' ont sans doute autant
fait que le xin° pour le développement du culte mariai.
L'étude complète de la mariologie aux XIe et xu° siècles
dépasserait le cadre de ce travail. Le développement de la
croyance à la miséricordieuse intervention de Marie est la
seule question qui doive nous occuper. Encore nous suffi ra-
t-il de quelques indications.
Au xi° siècle, le plus éloquent interprète de la croyance à
la miséricorde de Marie est assurément saint Anselme :
<( Parmi les terreurs qui me poursuivent, s'écrie-t-il(i, dans la
crainte qui me glace, ù Souveraine très clémente, quelle
médiatrice invoquerai-je avec plus de ferveur que celle dont
les entrailles ont porté la Piéconciliation du Monde ? Quelle
1. Vacant et Mangenot, Dicl. de Ihéol. catholique, s. v. Angélus.
2. Cf. infra. ch. v.
a. Le De laudibus a été imprimé dans le tome XX des Œuvres d'Albert le
Grand, édition de Lyon, l'éditeur Jammy (de l'Ordre des Prêcheurs; ayant jugé
bon de l'attribuer au grand docteur Dominicain. Mais cette attribution n'a été
admise par aucun de ceux qui se sont occupés de la question : même les Domi-
nicains y onl renoncé (Quétif et Echard, Script. <). P., t. I. p. 177). L'ouvrage
est précédé d'un prologue qui en fait connaître l'inspiration cistercienne : Et
quia rogatus sum ai amicis meis tam monachis quam monialibus de ordineCis-
terciensium, qui speciali affectu famulari soient Virgini gloriosae, non prout
dehui, sed proutpotui,proseculus sum laudes ejus. L'auteur parait avoir vécu
dans le deuxième quart du xin" siècle : on l'attribue généralement à un prêtre
séculier, Richard de Saint-Laurent, chanoine, archidiacre et pénitencier de
Rouen Daunou, dans VHist. litt. de la France, t. XIX, p. 23-27 : c'était l'attri-
bution reçue avant l'édition de Jammy Brunet, Manuel, t. IV, col. 1288 .
4. On l'attribue à Conrad de Saxe.
:>. Vacant etMangenot, Dicl. de Ihéol. ealh., s. v. Angélique salutation).
0. P. L.. CLVIII, 950.
L.\ CROYANCE A LA MISÉRICORDE DE MARIE I •>
intercession obtiendra plus facilement La grâce d'un criminel
comme moi, que la prière de celle qui a nourri de son lail
l'universel vengeur «les crimes et le miséricordieux auteur du
pardon ? »
Je nie contenterai de cette citation de saint Anselme. J'ai
hâte d'arriver aux textes qui ont le mieux exprimé pour le
moyen âge, la croyance en la miséricordieuse intervention de
Marie, et qui ont le plus contribué à la rendre populaire, les
sermons de saint Bernard et le Suivi- Regina.
La date et l'auteur du Salve Regina sont inconnus. Cette
antienne a été attribuée tantôt à Adhémar, évêque du Puy
(-J- 1080) — d'où le nom d'antiphonia de Podio — tantôt à
Pierre de Gompostelle, et, avec plus de vraisemblance, à
Hermannus Contractus '. Le succès en a été vraiment extraor-
dinaire : les paraphrases, les traductions en sont innom-
brables 2. On notera que, dans le texte ancien du Salve
Regina :!, le mot mater manque entre regina et misericordiae ;
il n'\ a été intercalé que plus tard : pour la mystique du
xn" siècle, la Vierge était, non pas Mère de miséricorde, mais
bien Reine de miséricorde, Regina misericordiae, par oppo-
sition au Christ, au Juge du monde, qui est le Roi de jus-
tice, Rex justitiae '.
1. Cf. Daniel. Thesaurum hymnologicam, I. II. p. 331 : Rohaull de Fleury,
La suinte Vierge, t. I. p. 392 ; Ulysse Chevalier, Repertorium hymnologicum
t. II. p. ôl9 ; Brambach, Die verlorene geglaubte Historia de S" Afra mar-
tyre und das Salve Regina des Hermannus Contractus, Karlsruhe, Ivi1. Sur
la tradition de l'église de Spire, concernant les prétendues additions faites
par saint Bernard au Snlce Regina, cf. Vacandard, Vie de saint Bernard. "Jc
éd.. t. II. [.. 83.
2. Cf. dans/'. L.. CLXXXIV, 1078, la Meditatioin Sal\ e Regina, qui n*est
pas de sainl Bernard. Les Gloires de Marie de saint Alphonse de Liguori
sont une paraphrase du Salée Regina. Mone Lateinische Hymnen, Fribourg,
1854, l. II. p. 204 dit qu'au moyen âge, en Allemagne, des fondations furent
instituées pour l'aire chanter le Salve Regina : il en publie p. 203-216 des para-
phrases en latin, en allemand, en italien et en français. Cf. Suchier, Marien-
gebete Halle. 1^77 . p. I i. cl la traduction versifiée dan-- I' idvocacie Notre-
Dame p. :>7 . Chassant . La plus curieuse des paraphrases se trouve dans les
apocryphes de saint Bonaventure opéra, éd. de Lyon, t. VI, p.
3. Voici le texte ancien : Salve. Regina misericordiae, cita, dulcedo et spes
noslva. salve ' Ad le clamamus, exules filii Evae, ad le suspiramus gementes
et fientes in h;<<- ralle lacryntarum. Eia ergo, advocata nostra, illos tuos misé-
ricordes oculos ad nos concerte, cl Jesum benedictum fruclum venlris lui
nohis post hoc exsilium ostende, o démens, o pia, o dulcis Maria .'
i. Sain! Thomas, préface des Épilres canonii[ues. cité par saint Alphonse
de Liguori, Les Gloires de Marie, ch. i. Le commentaire de- Épîtres cano-
niques, attribué communément à saint Thomas et publié souvent dan- ses
14 CHAPITRE I
Il y a dans les œuvres de saint Bernard une série de ser-
mons sur le Salve Regina '. C'est au premier de ces sermons
que M. Mâle emprunte le texte par lequel il établit le rôle de
Marie comme avocate des pécheurs-. En réalité, les sermons
sur le Salve Regina sont apocryphes. Mais il n'est pas surpre-
nant qu'ils aient été mis au compte de saint Bernard. Celui
qu'on a surnommé le dernier Père de l'Eglise, la grande
merveille du xne siècle, le chevalier de Marie, il suo fedele
Bernardo 3, son dévot chapelain, son cithariste, a contribué
plus que nul autre théologien à fonder la doctrine catholique
relative à Marie '* et plus spécialement, la doctrine relative à
la médiation de Marie et à sa miséricorde.
Dante a condensé en quelques vers inoubliables la doc-
trine de saint Bernard sur la miséricorde de Marie :
Donna, se1 tanto grande, e lanto vali,
Che quai vuol grazia, ed a te non ricorre,
Sua disianza vnol volar senz"1 ah. . .
In te mîsericordia ■'....
Cette doctrine est exposée surtout dans les quatre sermons
de saint Bernard pour l'octave de l'Assomption, qui consti-
tuent vraiment l'un des documents capitaux de la pensée
religieuse du moyen âge. Tous les mystiques les ont médités :
c'est de là que proviennent ces citations de saint Bernard,
qu'on retrouve dans tous les ouvrages qui exposent la misé-
ricorde de Marie :
Sileat miser icordiam tuam, Virgo beata, si quis est, qui
invocatam te in necessitatihus suis sibi meminerit defuisse.
Nos quidem servuli tui caeteris in virtutibus congaudemus
tibi, sed in hac potius nobis ipsis : laudamus virginitatem,
lui militai cm miramur, sed misericordia miseris sapit dulcius,
œuvres complètes par ex. dans l'éd. d'Anvers ou Cologne, 1612, 1. 18), paraît
être en réalité de Nicolas de Gorran : cf. Quétif el Echard, Script. U. P.,
1. 1, p. 343 el 1 il .
I. P.L., CLXXXIV. 1059-1077.
1. Uart religieux du XIII" siècle, 2e édition, p. 296.
3. Dante, Pa.ra.diso, XXVI, L02.
■i. Vacandard, Vie de saint Bernard. 2" éd., t. II. p. 80-98 ; du même. Saint
Bernard orateur, p. 281-321.
5. Parad., XXXIII, 12-19
I. \ i ROI ANI i: A LA «ISÉRU ORDE DE MARIE I •"»
misericordiam amplectimur carius, recordamur saepius, cre-
brius invocamus* .
Omnibus misericordiae sinum aperit, ut de plenitudine ejus
accipiant universi, captivus redempiionem, aeger curationem,
tristis consolationem, peccatorvenîam, justusgratiam, un 'jet us
laetitiam, deniquc tota Trinitas gloriam '-'.
Pour s'édifier à cel égard, qu'on se reporte, dans les éditions
lyonnaises du xvn'' siècle, au De laudibus beatae Mariae <>u au
Spéculum beatae Marine Virginis : il sut'til de parcourir Les
références indiquées en manchettes pour s'assurer que les ser-
mons de saint Bernard ont fourni la majeure partie des textes
qui composent ces vastes mosaïques. On en peut dire autant
des Méditât ioncs vitaeChristi, qu'une tradition erronée3 attri-
bue, comme le Spéculum beatae Mariae Virginis, à saint Bona-
venture, et qui, si on les débarrasse des interpolations du
début, paraissent sinon d'origine, au moins d'inspiration cister-
cienne 4.
1. //i Assump. sermo IVV',§ 8 /'./... CLXXXIII, 128). Cette citation se
retrouve par exemple dans le Spéculum b. Mariae Virginis S. Bonaventurae
Opéra, éd. de Lyon, 1668, t. VI, p. 143), cl dans le De laudibus h. Mariae, 1.
IV, ch. xxu Alberli Magni opéra, éd. de Lyon, 1651, t. XX. p. 138-139).
2. Sermon pour le dimanche après l'Assomption, § 2 P. L., CLXXXIII, 130).
Cette citation se retrouve deux lois dans le Spéculum 1>. Mariae Virginis,
p. 436 et 1 il .
.'î. Je dois dire qu'elle a encore clés défenseurs: «On a voulu, mais sans
grand succès, enlever les Méditations à sain! Bonaventure » Gazette îles Beaux-
Arts, Ier fév. 1904, p. 97 . Mais cette attribution n'est plus admise par les
spécialistes : le P. Ëgberl Smeets, président du Collège Saint-Bonaventure, à
Quaracchi, n'en a même poinl parlé dans son article sur saint Bonaventure
Dict. île théologie, publié sous la direction de Vacant cl Mangenol . cl les
Méditations ne figurent point dans l'édition des Opéra S. Bonaventurae
publiées à Quaracchi. Elles sont attribuées par Barthélémy de Pise, l'auteur
du fameux livre des Conformations, à un certain Fr. Joannes de Caulibus
cf. S. Bonav. opéra, éd. de Quaracchi, I. X. p. 2.") . Il eu subsiste plusieurs
manuscrit^, qui, d'après les renseignements que me fournil le 1'. Smeets,
contiennent de nombreuses interpolations, si bien qu'il paraît très difficile
de retrouver le texte original. Sur les apocryphes attribués à saint Bona-
venture, cf. .1. Y. Leclerc, dans VHist. litt. de In France, t. XX. p. 73 : Les
Franciscains, pour égaler le nombre des 73 opuscules imprimés par les Domini-
cains sous le nom de saint Thomas, en cherchèrent partout qu'ils pussent
donner A sainl Bonaventure ».
i- Cf. le prologue des Meditationes dans les Opéra S. Bonaventurae, éd. de
Lyon 1668 . I. VI, p. :;;; i : sanctorum Patrumauctoritatibus conspersum est,
praesertim s. Bernardi, cujus rei rationem c. 36reddit Auctor lus verbis :
« Ideo libenter Bernardi verba in hoc opusculo intersero et adduco, quia non
solum spiritualia sunl, et em- penetrantia, sed ei </<•< ;ore plena, el ad Dei ser-
vitium excitantia. (If. ch. u. p. 335: inler cas [misericordiam etpacem, veri-
16 CHAPITRE 1
L'une des meilleures preuves de l'influence immense ue saint
Bernard, c'est le nombre d'ouvrages apocryphes qui lui ont
été attribués, traités et sermons, prose et poésie ]. Beaucoup
dont les auteurs avaient tu leurs noms par humilité, ont été mis
au compte de saint Bernard, moins encore par fraude pieuse que
par conjecture sincère. Tels sont par exemple les Se?' nions et
la Méditation sur le Salve Rcgina ~ où l'on retrouve, exprimée
dans le style même de saint Bernard, la doctrine, bernardine
par excellence, de la miséricorde de Marie.
Saint Bernard était à ce point, pour le moyen âge, le théo-
logien delà miséricorde de Marie, que des ouvrages où cette
théologie était exposée ont fini par être enlevés à leur véri-
table auteur, dont le nom était pourtant connu, et ont été mis
au compte de l'abbé de Clairvaux : ainsi le De laudibus beatae
Mariae d'un contemporain et d'un admirateur de saint Ber-
nard, Arnaud de Chartres, abbé bénédictin de Bonneval.
Ce n'est pas seulement saint Bernard, c'est l'Ordre de
Cîteaux tout entier qui fait accomplir, au xnc siècle, un pro-
grès merveilleux à la mariolâtrie. Dès leur fondation, les Cis-
terciens placent leurs églises sous l'invocation de Notre-Dame;
ils empruntent aux Chartreux la pieuse habitude de réciter
avant l'office canonique le Petit Office de la Vierge; ils ter-
minent la journée par le chant solennel du Salve Regina mise-
ricordiae ;!. Cisterciens et Cisterciennes se considèrent comme
les familiers de Marie : speciali affectu famulari soient Virgini
gloriosac, écrit au milieu du xiu'' siècle, l'auteur du De laudibus
beatae Mariae '. « L'Ordre de Cîteaux, dit Jean de Cirey dans
la conclusion de ses Collecta, est sur terre la famille particulière
delà Mère de Dieu. Car, outre qu'elle lui prodigue les révé-
lations spirituelles et les consolations intimes, souvent elle
est venue en personne, accompagnée d'une suite brillante de
saintes et d'anges, le consoler, l'instruire, l'aider, le diriger.
Aussi l'appelle-t-on la patronne et la dame de cet Ordre, sa
tatem et justiliam) magna controversia facta est, prout narrai b . Bernardus
pulchro et longo stylo, sed ego succincte, utpolero, referamsummam, Fréquen-
ter enim ipsiusdicta rnelliflua inlendo adducere.
1. Pour les apocryphes attribués à saint Bernard, cf. Hisl. litt. île la l'r..
XIII, 211 : Pellechet, Cat. général des incunables, t. I, p. 508 ; Hauréau, Des
poèmes latins attribués à saint Bernard 'Paris, 1890, 8°).
•l. P. L., CLXXXIV, 1059-1079,
3. Vacandard, Vie de saint Bernard, t. II, p. 97.
i. Alberti Magni opéra, éd. de Lyon, (1651), t. XX. p. 2.
LA U.OJ AMI. \ l.\ U1SEUII OHDE DE M UUE 1 /
protectrice et son avocate : car il esl Le premier de tous ceux
qui sont dédiés à Ma rit'. Si. par impossible, le Diable ei Judas
lui-même se mettaient à suivre la règle de Gîteaux, humble-
ment ei entièrement, il ae faudrait pas désespérer de leur
salul final : La \ ierge, par sa miséricorde, saurail bien les
sauver ' ». Cette énergique hyperbole l'ail sentir, mieux que tout
autre texte. a\ ee quelle force 1 I )nliv cistercien s'est attaché à
la doctrine bernardine de la miséricorde de Marie.
Ces éclaircissements sur le rôle de saint Bernard et des
Cisterciens dans le développement de la mariolâtrie en géné-
ral et particulièrement de la dévotion à la Mère de Miséri-
corde étaient nécessaires pour expliquer que le type iconogra-
phique de la Vierge au manteau protecteur, imaginé par le
moyen âge occidental comme symbole de la miséricorde infinie
de Marie, soit né, comme on va le voir, dans un couvent de
( liteaux.
I. Peculiaris in terris familia gloriosissimae matris Domini... Nam ultra
spirituales revelationes intimasque consolationes saepins fulgidissimo caeli
eivium stipata comitatu eos visitabat, etiam visibiliter consolabat, edocebat,
adjuvabat, dirigebat. oh lux- et ipsa saeri hujus Ordinis patrona, domina,
protectrix et advocata nominatar, sicut Ordo primus est omnium Ordinum in
ejus honorem dedicatus.,. Siper possibile Daemon ;<ul etiam Judas humiliter
et integraliter sacri Ordinis observantias custodirent, de connu sainte finali
nequaquam desperandum videretur. Sur les Collecta de Jean do Cirey, voir
infra, p. 29. Ce texte est cité par Tissier, en tête de sa Bibliotheca Patrum
Cislerciensium Bonnefontaine, 1660 . dans la dédicace, oui est adressée à la
Vierge Marie, speciali Cisterciensis Ordinis patronae. Après cette citation,
Tissier poursuit ainsi : dileclionem luam in omnes ejusdem Ordinis personas
ea praecipue visione demonslrasti, qua eas sub chlamide tua te fovere cl pro-
tegere, quasi gallina pullos, ostendisti : el il raconte la vision rapportée par
Césaire, dont nous allons parler. Voir encore, dans le même ouvrage, t. VII,
p. 211, un sermon d'Hélinand de Froid nt, avec les remarques de Lecoy de
la Marehe. La chaire française au moyen âge, 2' éd., p. 37 1.
Perdrizet. — La Vierge de Miséricorde.
CHAPITRE II
LE THÈME DE LA VIERGE AU MANTEAU PROTECTEUR
EST D'ORIGINE CISTERCIENNE
Ce thème est inconnu à l'art d'Orient et, avant le xme siècle, à l'art
d'Occident. — lia sa source dans une légende Cistercienne, rappor-
tée par Césaire d'Heisterbach. — Le symbolisme du manteau. —
Succès du thème parmi les Cisterciens.
Le type de la Vierge au manteau est inconnu de l'art chré-
tien d'Orient : la Vierge de Miséricorde dans l'art byzantin
(r, 'EXsoycra) ne diffère en rien des Panaghias ordinaires '. Dans
l'art d'Occident, on ne le trouve qu'à une époque assez avan-
cée déjà du moyen âge. Rohault de Fleury, qui a réuni avec
tant de soin les représentations de la Vierge antérieures au
xme siècle-, n'a pas rencontré celle-là. Il y a dans l'église
Saint-Marc de Florence une mosaïque romaine du VIIIe siècle 3,
qui représenterait, d'après l'inscription placée au-dessus, la
Mater misericordiae : la Vierge est représentée dansle costume
d'impératrice byzantine et dans l'attitude de Forante ; l'ins-
cription d'ailleurs est assez récente. Je suppose que si l'on a
fait de cette Vierge orante une Mère de Miséricorde, c'est à
cause du geste des bras, mal compris : on aura vu dans les
bras écartés de Forante le geste habituel des Vierges de Misé-
ricorde, quipour étendre leur manteau sur les pécheurs écartent
les bras.
1. Pour les types de la Vierge dans l'art byzantin, cf. Brockhaus, Die Kunst
in denAthos Klostern Leipzig, 1n<ji . p. 105 sq ; Kondakoff, Les monuments
de V art chrétien au mont Alhos en russe), Pétersbourg, 1902; Perdrizet, Lu
Vierge qui baisela main de Venfant, dans Revue de Vart chrétien, 1907.
2. La Sainte Vierge, études archéologiques d'iconographie, l'aris, 1 sTîs-
187;». 2 vol. f". Le département des mss. de la Bibliothèque Nationale vient
d'hériter des documents réunis par les Rohault père etfds : je me suis assuré
qu'ils ne renferment rien concernant mon sujet.
3. Alinari, phol. 1571, reproduite dans Venturi, LaMadonedans Vart italien.
p. 1, et dans l&Storia delVarle italiana, du même. t. II, tig. Its8, p. 276. Elle se
trouvait à Rome dans l'oratoire de la Porta Santa (chapelle de Jean Vit,
pape de 705 à 708) et fui transportéeà Florence en 160P.
I.A VIERGE M VIANTEA1 PROTECTEUR ET LES CISTERCIENS I '•'
Au porcin1 de La cathédrale d'Autun où es< figuré Le Juge-
nuMil dernier1, on voit de petites âmes qui, pour échapper aux
griffes des diables, se cachenl sous La robe de L'archange. Mais
la ressemblance avec le type qui nous occupe esl superficielle.
L'auteur du Jugement dernier d'Autun était un artiste d'ima-
gination féconde : ce détail des âmes qui se réfugient sous la
robe de L'archange est une invention qui semble lui être
propre; autant que je sache, elle n'a été copiée nulle
part et ne repose sur aucun texte ; tandis que Les Vierges
abritant les pécheurs sous le manteau de protection forment
une série immense qui a certainement son origine, non dans
la fantaisie d'un artiste, mais dans quelque texte sacré, à
tout h' moins dans quelque légende pieuse.
Est-ce dans un passage de l'Ecriture? Une métaphore
biblique aura-t-elle donné naissance à ce type étrange, comme
on voit, par exemple, qu'une métaphore de l'Evangile a
donné naissance dans l'art d'Orient et dans l'art d'Occident,
aux représentations d'Abraham tenant dans un pan de son
manteau de petites figures nues qui sont les âmes des justes ;?
Le livre de Ruth, voulant signifier la protection dont l'Eter-
nel couvre ceux qu'il aime, parle des ailes de Jahvé ' :
Jahvé est comparé à une oiselle couvrant ses poussins de
ses ailes. Cette métaphore revient souvent dans les Psaumes :
« Aie pitié de moi, ô mon Dieu, dit le Psalmiste, protège-
moi à l'ombre de tes ailes contre les méchants qui me persé-
cutent ... ('/est l'Eternel qui m'a délivré du filet de l'oise-
leur ; il te couvrira de ses ailes, et tu trouveras l'espoir sous
ses plumes. >» Ces textes, où survit quelque chose de l'antique
1. Vers 1150. Reproductions dans Dehio, Kungstgeschichte in Bildern
Leipzig, L902 . I. II. pi. 38 : mieux dans Marcou, Album du musée de sculp-
ture comparée, l. I. pi. il. cl dans Vitry cl Brière, Documents ,lc sculpt. fr.
du moyen âge, \>\. XI. « De petites âmes s'accrochent à la robe de l'ange »,
écrit M. Mâle dans le Musée d'art, p. 7;; cf. L'art religieux du A'///- .s., 2° éd.,
p. 120, n. I).
2. Luc, w [,22-23.
3. Le sein d'Abraham esl le lien de repos des justes, jusqu'au Jugement der-
nier qui les fera entrer dans le paradis : << Dans certaines représentations
byzantines du Juge ni dernier, on voit, an milieu du paradis, Abraham
tenant lésâmes vertueuses dans son giron... Le peintre du couvent delà Pha-
néroméni, à Salamine, plus rigoureux cl plus savant, n'a nus dans le para-
dis, axant l'arrêl du Jugement dernier, ni ces âmes, ni ce patriarene » Didron,
Manuel d'iconographie chrétienne, p. 272 .
i. ii. L2 : plénum mercedem recipias a Domino sub cujus confugisti alas.
5. Ps. LVI, 2.
20 CHAPITRE 11
conception de Jahvé-chéroub1, sont la source où la mystique
a pris la comparaison de la Vierge protectrice avec une
oiselle -. Mais jamais la protection divine n'est comparée dans
la Bible à un manteau.
Cette comparaison se trouve-t-elle dans les Pères ou dans
la Liturgie ? Salzer, qui a recherché avec une patience admi-
rable les épithètes et les métaphores de la Vierge dans la
patristique grecque et latine, dans la liturgie, les hymnes et
les écrits mystiques, cite des centaines de textes sur la Mère
de Miséricorde : les métaphores sont ras, fons, latex, flumen,
sinus misericordiae* ; saint Bernard, par exemple, dans un
passage célèbre que nous avons déjà eu occasion de citer,
compare la Vierge de Miséricorde à une mère qui ouvre ses
bras à ses enfants : omnibus misericordiae sinum aperil, ut
de plenitudine ejus accipiant universi. Mais dans aucun des
textes collectionnés par Salzer, la miséricorde de Marie n'est
comparée à un manteau.
Le type iconographique de la Vierge au manteau, comme
celui de la Vierge Immaculée, ou Vierge de Lourdes, a sa
1. l's. XC, -S : Ipse libernvit me de laqueo venantium... Scapulis suis obum-
brabil tibi, et sub permis ejus sperabis. Cf. XVI, 8 :sub umbraalarumtuarum
protège me; XXXV, 8: fi lii hominum in tegmine alarum tuarum sperabunt;
LXII, 8 : in velamento alarum tuarum exultabo.
2. In Salveregina, II (sermon attribué à tort à saint Bernard, dans Migne,
CLXXXIY, 742) : le sermonnaire adresse à la Vierge la prière du Psalmiste
sub umbra alarum tuarum nos protège l's.. XVI. 8). Cf. P. L.. CLIX, 314.
Saint Ephrem, De laud. Mariae, t. III, p. 376 de l'éd. de Rome, 1732, cité par
Salzer, op. cit., p. 573 : sub alis pietatis atque misericordiae protège nos. Le
prieur Reitter dans une ode de son Morlilogus Augsbourg, 1308), sur laquelle
nous reviendrons plus loin, a cette strophe :
l'ande maternum gremium relictis !
Sub luis tuti latitemus alis,
Dira ne noliis noceant venena
l'es lis acerbae !
« L'âme de saint Hugues de Cluny se réfugia près de la Vierge comme sous
l'aile d'une mère » Sausseret, Apparitions et révélations de la T. S. Vierge.
t. I. p. 171;. Les Franciscains ont hardiment transféré cette métaphore de la
Vierge à leur fondateur : « Une femme singulière, sainte Douceline, agitait le
midi de la France. Elle appartenait au Tiers-ordre de saint François. On
recueillait sas paroles comme une révélation divine. A la question inquiète
d'une sœur, elle répondit : « Oui vraiment sous les ailes de saint François, vous
serez toutes sauvées » Gebhardt, L'Italie mystique, p. 209, d'après la Vie de
sainte Douceline. texte provençal, publié par Albanès, Marseille, 1879).
3. Salzer. op. cit., p. 553-556.
LA VIERGE AU MANTEAU PROTECTEUR ET LES CISTERCIENS 21
source dans une histoire d'apparition, dans un récit de
vision.
La vision dont il s'agit es! racontée par Césaire d'Heister-
bach ', Cistercien du diocèse de Cologne, dans son Diàlogus
miraculorum, qui fut écrit entre 1220 et 1230, au dernier
chapitre du livre VI, lequel est consacré en entier aux appa-
ritions de Marie. Entre tant de recueils consacrés aux appa-
ritions de la sainte Vierge, celui de Césaire est, je crois, Le
plus ancien. Les recueils ultérieurs2 lui ont tous emprunté,
directement ou non, le récit en question :
Du moine qui ri l (huis le royaume des deux
V Ordre de Cîteaux sous le manteau de Marie.
« Vn moine de notre Ordre, qui avait une dévotion parti-
culière pour Notre-Dame, fut, il y a quelques années, ravi en
esprit, et admis à contempler le ciel de gloire. Ayant vu les
divers Ordres de l'Église triomphante, les Anges, les
Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Con-
fesseurs, et. répartis selon leurs insignes, les Chanoines
réguliers, les Prémontrés, les Clunisiens, il s'inquiéta de son
Ordre à lui. Et il regardait de tous côtés, et ne découvrait
aucun des siens dans le royaume de gloire. Alors se tournant
vers la bienheureuse Mère de Dieu, il gémit et lui dit :
h Pourquoi donc, Dame très sainte, ne vois- je ici personne
de Cîteaux? Pourquoi les pins dévoués de vos serviteurs sont-
ils exclus de ces béatitudes ? » Et la reine du ciel lui répon-
dit : " Ceux de Cîteaux me sont au contraire si chers et si
familiers que je les réchauffe sous mes bras. » Et ouvrant le
manteau qui la couvrait et qui était d'une largeur merveilleuse.
1. Sur Césaire, voir Daunou dans l'Histoire littéraire de la France, I. XVIII,
l>. 194; Kaufmann, Caesarius von Heisterbach, Cologne, 1850; du même, Wun-
derbare Geschichten aus den Werken des C. aus //. (Annalen des Hist. Vereins
fur den Niederrhein, 1 1 «il '.: et 58, Cologne L888 el L891 : Potthast, Bibl.
Med. Aevi, t. II. p. 180 ; Wattenbach, Deutschlands Geschichtsquellen, II6,
p. 185. Pour les éditions, cf. Bibliotheca hagiographica latina Bruxelles,
L898 , t. I. p. xix el Analecta Bollandiana, I. XXI 1902 . p. i >.
2. Gonon, Chronicon S.Deiparae Lyon, 1637 ,p. 137; Bridoul, Letriomphe
annuel de la Sainte Vierge Lille, 1640), t. II, p. 743 ; Sausseret, [pparitions et
révélations de la T. S. Vierge depuis l'origine du christianisme jusqu'à nos
jours (Paris, 1 sj i . t. I, p. 197, d'après Chrysostomus Henriquez, Fasciculus
sanctorum Ordinis Cisterciensis, vie de S. Albin. Le texte de Césaire esl
cité d'après Sausserel par Rohaull de Fleury, La Sainte Vierge, I. 1. p. 319.
22 CHAPITRE II
elle lui montra une multitude innombrable de moines, de
frères convers et de nonnes. Lui, plein dune grande joie,
rendit grâces, et son esprit avant réintégré son corps, il
raconta à son abbé ce qu'il avait vu et entendu. Et l'abbé,
avant rapporté la chose aux abbés de l'Ordre assemblés en
chapitre, les remplit de joie et d'une ardeur plus grande à
aimer la sainte Mère de Dieu l ».
Pourquoi le moine par qui cette vision fut imaginée eut-il
l'idée de faire du manteau de Marie le symbole de la pro-
tection dont elle couvre l'Ordre de Gîteaux ? Nous avons vu
que ni dans la Bible ni dans la Liturgie, ni dans les Pères ni
même dans saint Bernard, la protection divine n'est com-
parée à un manteau. On dira que cette comparaison est
tellement naturelle, que le moine Cistercien peut bien l'avoir
inventée. Mais justement parce qu'elle est si naturelle, un
folk-loriste ne se résignera pas aisément à croire qu'elle ne
remonte pas plus haut. D'ailleurs, est-elle vraiment si
simple à trouver? Il est permis d'en douter. Qu'on n'objecte
pas qu'elle a été réinventée par tel écrivain contemporain 2 ;
car l'écrivain dont il s'agit était nourri de lectures pieuses,
1. Caesarii Heisterbachensis monachi Ordinis Cisterciensis dialogus mira-
culorum.Vll, 59, éd. Strange Cologne, 1851). t. II, p. 79.
De monacho qui Ordinem Cisterciensem sub Marine pallio vidit in regno
caelnrum.
Monachus quidam Ordinis nostri Dominant nostram plurimiim diligens
antepaucos annosmente excedens,ad contemplationem gloriae caelestis deduc-
tus est. Ubi dum diversos Ecclesiae triumphantis Ordines videret, Angelorum
videlicet, Patriarcharum, Prophetarum, Apostolorum, Martyrum, Confesso-
rum, et eosdem certis characteribas distinctos, item Canonicos Regulares,
Praemonstratenses, sire Cluniacenses, de suo Ordine sollicitus, cum staret et
circumspiceret, née aliquam de Mo personam in Ma gloria reperiret, ad bea-
tam DeiGenitricem cum gemitu respiciens, ait: Quid est, sanctissima Domina,
quod de Ordine Cisterciensi neminem hic video? Quare f'amuli tui, tibi tam
dévote servientes, a consortio tantae beatitudinis excluduntur ? Videns eum
turbatnm Regina caeli, respondit: Ita mihi dilecti ac familiares sunt hi qui de
Online Cisterciensi sunt. ut eos etiam sub ulnis meis foream. Aperiensque
pallium suum quo amicta videbatur, quod mirae erat latiludinis,innumerabi-
lem multitudinem monachorum, conversorum,etsanctimonialium illi ostendit.
Qui nimis exultans et gratias referens, ad corpus rediit, et quid viderit
quidve audierit Abbati suo narrant . Jlle vero insequenti Capitulo haec refe-
rais Abbatibus,omnes laetificavit, ad ampliorem sanctae Dei Genitricis amo-
rem ilios accendens.
2. Huysmans, En route, p. 20 description d'une messe d'enterrement) :
« Le prêtre fait à grands pas le tour du catafalque, le brode de perles d'eau
bénite, abrite la pauvre âme qui pleure, la console, la couvre en quelque sorte
de sa chape. »
LA VIERGE Al MANT1 U PROTEl n.i H l i LES CISTERCIENS 'l'-\
imbu de mysticité catholique, très instruit bVarl religieux, et
la phrase qu'on cite de Lui peut bien être une réminiscence.
Si le moine Cistercien a eu l'idée de faire du manteau de
Marie un symbole de la protection donl elle couvre l'Ordre
de Cîteaux, c'est, je émis, que le manteau était un symbole
tic protection dans certains rites juridiques e1 religieux dont
ce moine avait connaissance.
Jacob Grimm assure que pour les anciens Allemands, le
manteau des rois et des reines, des seigneurs et des dames
était un signe de protection : c'est à quoi feraient allusion les
mots qui se trouvent dans mainte vieille ballade : unter des
Mantels Ort '.
Les rites du mariage offrent quelque chose d'analogue.
Dans certaines parties de l'Allemagne, le marié, lors de la
cérémonie nuptiale, enveloppait sa femme dans son man-
teau '-'. Même usage en Russie 3 chez les Juifs. La mariée juive,
dit Reuss 4, est couverte d'un manteau, qui symbolise l'au-
torité protectrice du mari. « Veuille étendre le pan de ton
manteau sur ta servante ' » . dit Ruth à Booz, quand elle
invoque leur parenté pour qu'il l'épouse.
Le rôle du manteau dans les rites matrimoniaux explique
peut-être le rôle du manteau dans les rites d'adoption et de
légitimation. Au moyen âge, chez les peuples du Nord (Alle-
magne, France, Angleterre), celui qui adoptait ou légitimait
un enfant le couvrait solennellement de son manteau1'. Lorsque
le fils de Bernardone eut dépouillé ses vêtements devant son
père et devant l'évêque d'Assise pour montrer qu'il renonçait
aux biens de ce monde. c« l'évêque en fut réduit, disent les his-
toriens, à prendre sous son manteau le pauvre François trem-
1. Grimm, Deutsche Rechstalterthûmer3, p. 160. Cf. Chassa n, Essai surhi
symbolique 'lu droit Paris. 1847), p. 155 et 221.
2. Grimm, Po es ie im Hechl.i 6 Kleinere Schriften, t. VI, p. 164 .
3. Hutchinson, Marriage customs, ch. xiv (Russia . p. L99 : « another cus-
tom, now changea, had the like significance: after the marriage ceremony, the
bride used to knock her head on lier husband's shoe in token of obédience,
and he castthe lap of Iiis gown over her in token of lus duty to protect and
cherish her. »
i. Traduction de Rat h, p. 10.
5. Ruth, III, 19. Le même rite explique Ezéchiel, XVI, S : Ainsi parle
I Eternel a Jérusalem : «Tu étais nue: je passai près de toi, je te regardai, et
voici, ton temps .'(ail là, le temps de la puberté : j'étendis sur toi le pan de
ma robe, je couvris ta nudité, je te jurai fidélité et lu fusa moi. »
». Du Cange, 'Uns*, med. e( inf. /,</., s. v. Pallio cooperire.
24 CHAPITRE II
Liant d'émotion et de froid ' » : ce geste de l'évêque, que
l'art a popularisé '. était peut-être, au vrai, un rite d'adoption.
Le même rite existait chez les Juifs, comme le montre le pas-
sage de la Bible qui raconte comment Elie s'adjoignit Elisée :
cumque venisset Elias ad oui)}, misit pallium super illum'\
Peut-être aussi le moine qui a imaginé la vision rapportée
par Césaire, a-t-il transféré à la Vierge un miracle que les
peuples du Nord racontaient d'un de leurs saints, et plus
anciennement, d'un de leurs héros ou d'un de leurs dieux. On
lit dans la vie de saint Columba, qu'en 63o, pendant la unit
qui précéda la bataille où il devait battre les Bretons, Oswald
le Saxon eut ce rêve : saint Columba, le grand abbé d'Iona,
mort depuis trente-six ans, se trouvait devant lui ; la taille
du saint était si grande qu'il touchait le ciel de la tête; il était
vêtu d'un manteau resplendissant, dont il étendait les pans,
en sorte qu'ils couvraient tout le camp des Saxons. Et il dit à
Oswald ce que le Seigneur avait dit à Josué : « Aie bon cou-
rage, cai' voici, je serai avec toi ! 4 »
Ainsi, le thème du manteau protecteur paraît être d'origine
septentrionale — celte, ou germanique.
Césaire ne dit pus d'où était le moine qui vit la Vierge
abritant les Cisterciens sous son manteau. Il n'en savait rien,
probablement. Ne nous hâtons pas de conclure de la natio-
nalité de Césaire, que le moine qui fut favorisé de cette vision
était un moine allemand. C'est plutôt la conclusion contraire
qui d'abord semblerait juste : si le monachus quidam avait
été Allemand. Césaire aurait aisément pu savoir son nom et
le nom de son cornent.
Mais on peut dire, d'autre part, que si le type de sainte
Ursule abritant ses compagnes sous son manteau a été créé,
comme il est permis de le croire, à Cologne, au xmc* siècle, à
l'imitation du type de la Vierge de Miséricorde, c'est que le
thème du manteau protecteur était familier à la mystique alle-
mande5.
I. Sabatier, Vie de saint François d'Assise, p. 70.
•2. Fresque de Giotto à S. Francesco d'Assise Wormann, Kunstyeschichte,
t. II. p. 367) ; tableau flamand des environs de 1500, dans Friedlânder, Meis-
terwerke der niederl. Malerei, pi. 60; etc.
:i. III Rois, xix, l!>.
i. Acta SS, juin II. p. 199; The life of Si Columba, founder of Hy, wrilten
by Adamnan, éd. W. Reeses Dublin, L857 .p. 11. Cf. Montalembert, Moines
d'Occident, 2' éd. Paris 1888), t. IV, p. 11.
5. Cf. infra, ch. xm.
LA VIERGE AU MANTEAU PROTECTEUB ET LES CISTERCIENS 2-i
La fragilité de ces inductions contradictoires es1 évidente.
Nous nous scnloiis incapable de nous déciderdans un sens ou
dans l'autre.
Il est croyable que Césaire connaissait celte vision partra-
dition, <le son abbé, qui lui-même l'avait entendu raconter
par nn antre abbé Cistercien, dans un chapitre général de
L'Ordre. Elle aurait eu lieu ante paucos annos, aux environs de
l'an 1200.
Césaire la raconte tout à la fin de son livre sur les appari-
tions de Marie : il l'a gardée, si j'ose dire, pour la bonne
bouche. Evidemment, c'est qu'il la considérait comme la plus
belle de toutes. Il en jugeait en Cistercien. Et 1 Ordre de
Cîteaux a jugé comme Césaire : il n'a jamais oublié les paroles
de prédilection dont la Vierge consola l'humble moine. La
Vierge au manteau protecteur sert de type, dès le xrve siècle,
aux sceaux des détiniteurs de l'Ordre et à ceux de plusieurs
abbayes Cisterciennes (pi. II). Elle formerait, depuis une
date que je ne saurais préciser, le cimier des armoiries de
l'Ordre '. Sur un tableau italien du xive siècle, qui représente
les funérailles de saint Bernard, un moine porte une bannière1
où est peinte la Vierge au manteau (pi. III, 1). Un tableau
allemand du XVe siècle, dans l'église du couvent Cistercien
d'Heilsbronn en Eranconie, montre agenouillés sous le man-
teau de la Vierge treize moines Cisterciens avec leur abbé.
L'Ordre militaire de Montesa, de filiation Cistercienne -, s'est
l'ait représenter sous le manteau de Marie. Les Trappistes,
qui, eux aussi, descendent de Cîteaux !, auraient été repré-
sentés sous le manteau de la Mère de Miséricorde '. Le
frontispice des Collecta quorumdam privilegiorum Orclinis
Cisterciensis de .Jean de Cirey, abbé de Cîteaux, ouvrage paru
à Dijon en 1491, représente la Vierge nimbée, sans la cou-
I. J'emprunte, sous réserves, ce renseignement à Barbier de Montault.
Il ;i parlé plusieurs fois îles armoiries de Giteaux Annuaire ilu conseil héral-
dique de France, 1890, p. l.V. : Œuvres, 1. Il, p. -iis ; IV, p. \:j. : Revue de
l'art chrétien, 1889, p. -J i . mais sans jamais dire à quelle époque elles
remontent. Le seul exemple qu'il cite fresque dans la sacristie de Sainte-Croix
de Jérusalem à Rome doit être moderne.
•_'. Janauschek, Originum Cisterciens ium, t. I, p. v. Cet Ordre fui fondé en
L317 par Jacques II d'Aragon : il remplaça en Espagne celui du Temple, dont
il recueillit les biens; il a été rattaché depuis à l'Ordre de Calatrava.
.".. Hélyot, Hist. des Ordres religieux, t. V,p.362.
1. An dire de Barbier de Montault. OEuvres, I. V, p. 152.
21) CHAPITRE II
ronne et sans l'enfant, étendant son manteau sur l'Ordre de
Cîteaux ; à droite sont les moines, l'abbé en tête, à gauche
les moniales. Au-dessus de la Vierge, cette épigramme :
Quant iibi Cisterci placeat sanctissimus Ordo,
Haec nohis primum osletisin fada prohat :
Hrgo tuo maneat semper sub numine tutus,
Deditus unie alios, Virgo beata, tibi!
Pefidiuzet, La Vierge de Miséricorde
l'I. II
Sceaux cisterciens et authes
(Clichés de l'auteur)
GATAI («il i:
1. — Sceau des définiteurs de l'Ordre de » liteaux, mv siècle. La Viei ge,
debout, de face, couronnée, sans l'Enfant, abrite sous son manteau huil
abbés Cisterciens, agenouillés. S[igillum DIFFINITORV m) CAP itu Ll
GENERALI(s) CIST(erci'ensis) ORDI(m')S. Un dessin de ce sceau dans le
Recueil des t ruraux de In Société de sphragistique de Paris, 1 (1852 ,
p. 26; reproduit dans Cahier, Caractéristiques, I, p. 298. La matrice a été
exposée par Hoffmann en 1889 [Exposition rétrospective de Vart français
nu Trocadéro, p. 'M>, n° 29 ; elle se trouve maintenant au Musée de la
Côte-d'Or Catalogue, Dijon, 1904, n° 1805), où je l'ai fait mouler. Je
n'oserais en garantir l'authenticité. Mauvaise reproduction dans la
Gaz. des B.-A., 1905, II, p. 404. — PI. II, 1.
2. — Douët d'Arcq, Collection de sceaux, II, p. 10, n° 8195 : « Frag-
ment de sceau rond, d'environ 55 mm. Abbaye de Citeaux. Un person-
nage debout, vu de l'ace, et abritant sous les pans de son manteau deux
-roupes d'abbés agenouillés et portant des crosses. Légende détruite.
Àppendu à un acte du dernier avril liiO.'J. Datum in Diffinitorio nostro
Cisterciensi, sub sii/illn Diffinitorii ». Reproduction dans la Gaz. des
B.-A., 1905. t. II, p. iOk — PI. H, k
3. — Sceau de l'abbaye de Beaupré, monastère de femmes qui suivaient
la règle de Citeaux. Daté de 1335. La Vierge, debout, avec l'Enfant sur les
bras, et des nonnes sous le manteau. Au pourtour : tfr S. COVETVS.
BELL1 PRATI. Cf. Guignies, L'abbaye de Beaupré à Grimmingen, dans
les Annales du cercle archéologique d'Enghien, t. IV (1895 , p. 139.
4. — Sceau de N.-D. de Cercamp-lès-Frévent canton de Frévent,
arr. de Saint-Pol, Pas-de-Calais), abbaye Cistercienne, fondée en 1LÎ7
Janauschek, Originum Cisterciensium, t. I, p. 66). Apposé à un acte de
1352. La Vierge, debout, couronnée, l'Enfant dans les bras, huit Cister-
ciens sous le manteau. SIGILLVM CONVENTVS A.BBADIE CARI-
CAMPI. Moulage au Musée du Trocadéro, n° 1729. Reproduction dans
Demay, Sceaux </<• VArtois, n° 2601, et dans la Gaz. des B.-A., 1905,
t. II, p. 105. Cf. Douëtd'Arcq, l. I, p. lxxiii; t. III, n" 8174. —PI. 11,2.
5. — Gand. Sceau de Sainte-Marie de la Byloke : sur ce couvent de
nonnes ( usterciennes et sur son hôpital, cf. A. \ an Lakeren, Historique de
Vhôpital <h' In Biloke et de V abbaye </>• In Vierge Marie Gand, In'h> ;
28 CATALOGUE
Verhaegen, L'hôpital de la Byloke (Gand, 1889, f°). La Vierge debout,
l'Enfant dans les bras; sous sou manteau plusieurs rangées de nonnes
agenouillées. Acte daté de 1444, aux Archives du dép. du Nord, décrit
dans Demay, Sceaux de la Flandre, t. II, p. 230, n° G824 (j'en dois la
photographie à M. Jouguet) ; acte daté de 1456, au bureau central des
hospices de Gand. — PI II. 3.
6. — J'ai vu, au couvent de la Byloke, une gravure sans signature, ni
lieu, ni date, qui m*a paru du milieu du xix'' siècle, et qui représentait la
Vierge abritant l'Ordre cistercien sous son manteau; au-dessous était
reproduit le texte de Césaire d'IIeisterbach relatif à cette vision.
7. — Gand. L'abbaye des religieuses Cisterciennes du Nouveau-Bois (en
flamand Nieuwen-Bosche ou Nieul-Benbosse) a pour armoiries la Vierge
debout, couronnée, tenant l'Enfant, et abritant sous son manteau des
nonnes vêtues de blanc et coiffées de noir. Cf. aux Archives de la ville
de Gand, l'ouvrage manuscrit de P..I. Macs, Wappenschilden der Kloos-
ters in fient (Culte, n° 36), f° IGo.
8- — «Nous possédons l'empreinted'un sceau ovulaire dontla légende
paraît être * SIG. MONA. MONIA. S. MARIAE|| DE MIS. PADOL. S.
BEN. DE OB. Il offre l'image de la Vierge abritant sous son manteau
deux petites religieuses agenouillées, les mains jointes » (Germain,
Revue de l'art chrétien, 1885, p. 137), Le commencement de cette légende
se transcrit sans peine : Sigillum monasterii monialium Sanclae Mariae
de Misericordia. PADOL fait songer à la grande abbaye Cistercienne de
Padulo en Sardaigne (Janauschek, I. I, p. 211); mais c'était une abbaye
d'hommes. Le deuxième volume de Janauschek, qui contiendra la liste
des abbayes Cisterciennes de femmes, n'a pas encore paru.
9. — Musée chrétien du Vatican, 8e armoire, n° 4, tableau italien du
xive siècle, représentant les funérailles de saint Bernard. Un frère
porte une bannière blanche, où est peinte la Vierge debout, sans la
couronne et sans l'Enfant, abritant sous son manteau les religieux de
l'Ordre cistercien. Celte peinture avait été signalée plusieurs fois par
Barbier de Montault (Bibliothèque Valicane, p. 150; cf. Œuvres complètes,
t. II, p. 24N, et Revue de l'art chrétien, 1889, p. 2i). La tenace diploma-
tie de mon élève et ami Albert Grenier, membre de l'Ecole de Borne, a
obtenu l'autorisation de m'en faire exécuter la photographie. — PL III, 1.
10. — Heilsbronn, entre Nuremberg et Anspach, bourg connu par son
abbaye Cistercienne, magnificum et opulentuni jnonasteriu?n (Janauschek,
t. I, p. 28). Panneau peint, dans le troisième quart du xve siècle, par Pfen-
ning. de Nuremberg. Sous le manteau de la Vierge, une multitude de
moines cisterciens; au premier rang, à droite, est l'abbé. La Vierge porte
l'Enfant sur le bras gauche; de la main droite, elle tient le sceptre.
Deux anges la couronnent. L'Enfant s'amuse avec un oiseau attaché par
un fd. Cf. Thode, Die Mat rschule v*>n Nùrnberg (Frankfurt-a-M., 1891 .
pi. XIII, p. 67 ; Lehmann, op. cil., p. 155 et 211. Les Cisterciens du
tableau de Pfenningsont noir-vèlus. Il est vrai que l'Ordre de Cîteaux,
en l'honneur de la Vierge est voué au blanc, couleur virginale; mais il y
I'khiiiuzet, Lu Vierge de Miséricorde
PI. III
r.
CATAL0G1 1
29
a eu '!<"- exceptions, pour lesquelles nous renvoyons à V Histoire des
Ordres monastiques de Hélyot, t. V, p. 367, pi. 58 .:i 64.
11. — Gravure sur bois au recto du Ier feuillet des Collecta de Jean de
Cirey, imprimés à Dijon en 1491 par Pierre M eitlinger, le plus ancien livre
sorti des presses dijonnaises; cf. Brunet, Manuel du libraire, s. \.
Johannes Cisterciensis. La Bibliothèque Nationale en possède plusieurs,
exemplaires; le frontispice de celui que j'ai pu étudier Hés. H, 1053
porte les noms de deux possesseurs successifs; l'écriture étanl de la fin
du xv° siècle, ce sont probablement les deux premiers possesseurs : Ad
usum firai ris Pétri Jamaille Cisterciensis — cujus dono me h abet) f[ra-
te)r Nicolaus abbas Septemfontium (Septfontaines dans l'Allier: cf.
Janauschek, t. I, p. '!'■'■> . Le frontispice de l'exemplaire de la Bibl. de
Grenoble a été reproduit dans la Gaz. des B.-A., 1905, t. II, p. 103.
12. — Peinture sur bois, de la On du xve siècle, très repeinte, jadis au
château de Montesa, puis à Valence, dans l'église du Temple, qui appar-
tenait à l'Ordre de Sainte-Marie de Montesa, maintenant à Madrid, à la
Secrétaîrerie des Ordres de chevalerie. La Vierge, sans l'Enfant, abrite
sous son manteau les membres de l'Ordre. Pour donner une description
plus détaillée, il faudrait être fixé sur l'importance des repeints; je ne
connais ce tableau que par la chromolithographie publiée par Don
Valentin Carderera y Solano dans son Iconografia espanola Madrid, 1855 ,
t. I, pi. XVI, d'après laquelle a été exécuté le dessin publié dans la Vie
militaire et religieuse au moyen âge et à la Renaissance (Paris, 1876
de P. Lacroix, p. 2»t î .
CHAPITRE III
LES AUTRES ORDRES EMPRUNTENT AUX CISTERCIENS
LE THÈME DU MANTEAU PROTECTEUR.
Pauvreté d'invention de l'imagination populaire. — Pauvreté de la
légendede saint Dominique. — La vision de la Vierge au manteau pro-
tecteur dérobée aux Cisterciens par les Dominicains dès la pre-
mière moitié du xni'' siècle: vision de la recluse, vision de saint Domi-
nique. — La vision de la Vierge au manteau prolecteur et l'imagina-
tion monastique. — Les autres Ordres, à l'exemple des Dominicains,
se réfugient sous le manteau de Marie. — La dévotion du « Manteau
de Notre-Dame ».
L'imagination populaire est d'une surprenante pauvreté
d'invention '. Qu'il s'agisse de contes de fées ou de contes à
rire, de ba.eotia.na, ou de vies de saints, le nombre des thèmes,
si l'on en fait un classement systématique, apparaît finalement
comme des plus restreints.
En étudiant ailleurs'2 le miracle delà coupe cassée, depuis
Asclépios, qui l'a opéré à Epidaure quatre cents ans avant
notre ère, jusqu'il saint Antoine de Padoue,j'ai montré par un
curieux exemple, comment un thème de miracle se répète à
travers les siècles, comment il passe d'une religion a une
autre, comment les biographes d'un saint l'empruntent à la
vie d'un saint antérieur. Alfred Maurv dans des pages excel-
lentes3, et après lui, le Bollandiste Delehaye ont indiqué, d'après
1. Cf. Delehaye. Les légendes hagiographiques, 2e éd. (Bruxelles, 1006), p. 29.
2. Archiv fur Religionwissenschaft, 1905, p. 305-309. Aux textes rassem-
blés dans cet article, ajouter P. /.., CLXXII, 835, où Honorius d'Autun
attribue le miracle à saint Jean l'Évangéliste. Pour le miracle du verre dans
la légende et l'iconographie de saint Antoine de Padoue, cf. C. de Mandach,
Suint Antoine de Padoue dans ï;ui italien, p. 297.
3. Croyances et légendes du moyen âge, p. 9i sq. Maury s'est surtout atta-
ché à montrer comment les légendes des saints répètent celles que la Bible
raconte des prophètes, des patriarches, mais surtout du Christ. Comme
Jésus, les saints multiplient les pains, marchent sur les eaux, guérissent
les possédés, ressuscitent les morts : l'exemple le plus typique de l'imita-
LA VIERGE AI MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX .'51
la littérature hagiographique, beaucoup d'exemples analogues ;
on en trouverai! une foule d'autres en parcourant les Caracté-
ristiques desSaints du P. Cahier. Saint Denis n'est pas le seul
martyr qui, après avoir été « décollé »>, se relève, prend sa
tête el la |»<>rtc à l'église prochaine : saint Mitre1, a Aix, en
lit autant, el beaucoup d'autres dont Cahier donne la liste2.
Giotto, qui a peint le pape Honorius voyanl en songe sainl
François soutenir l'église ébranlée du Latran \ avait été
devancé par fra Gugliemo qui, sur l'arcade Bologne4, avait
raconté la même vision au profit de sainl Dominique, con-
formément à la tradition Dominicaine3. Dès le xme siècle, un
antre miracle de saint François, l'ordalie des livres jetés an l'eu,
est attribué à saint Dominique: il sert de type des \2~-\ au
sceau du prieur Dominicain de Douai1'. Sur le plus grand des
miracles dont ait été favorisé le poverello, le miracle des stig-
mates. Dominicains et surtout Dominicaines s'acharnent pour
le reproduire. « Depuis que les compagnons de saint François
avaient cru devoir relever la sainteté de leur maître par cette
similitude étrange avec le Christ, les stigmates passaient pour
un trait de la plus haute sainteté7 ». C'est par les stigmates
de sainte Catherine de Sienne que l'Ordre de saint Dominique
h, ,ii de J.-C. par les saints est la légende de saint François, telle que l'a
racontée Barthélémy de Pise dans son fameux ouvrage, Conformitates vitae
s. Francisci ad vitam ./. '.'. Comme Élie, saint François esl enlevé au ciel sur
un char de feu; comme Élie, sainl Vit, saint Modeste, sainl Crescenl sonl
nourris au désert par les oiseaux du ciel : comme Elisée, saint Leufroi l'ail
remonter sur l'eau un fer de hache qui était tombé dans un fleuve. La
légende de la conversion de Clovis à Tolbiac, celle de l'apparition de sainl
Bernard à Amaury, roi de Jérusalem, sont copiées sur l'apparition du laba-
ruin à Constantin.
1. Son martyre esl représenté sur un tableau de la cathédrale d'Aix Bou-
chot, La peinture en France sous les Valois, pi. LIY .
■J. Caractéristiques, t. II. p. 701.
3. Fresque d'Assise, Alinari 5256 : panneau giottesque provenant de S
Croce, au musée de l'Académie de Florence, Alinari I i*l : prédelle du Giotto
du Lou\ i-e n 1312 .
i. Alinari 10527 ; cf. Reymond, La sculpture florentine, t. I. p. 85. Prédelle
de L'Angclico au Louvre n " 1290 .
.">. Constantin d'Orviéto, VitaS. Dominici écrite entre 1242 el 124" ; Ber-
nard Gui, Libellusde magistris ord. Praed. dans Martène el Durand. Vet.scr.
el mon. ampliss. collectio : .'. Nys, O. P., Vita el miracula S. /'. Dominic.
Anvers, 1611 .
fi. Demay, Sceaux de la Flandre, n° 7463. Cf. Nys. u° 1^: Balme et Lelai-
dier, Cartulaire de saint Dominique, t. I. p. il'1.
',. Benan, Christine de Stommeln, dans VHist. lin. delà France, t. XXVIII,
p. "J réimprimé dans les Nouvelles études d'histoire religieuse .
',\2 CHAPITRE 111
prit définitivement sa revanche des stigmates de saint Fran-
çois. Encore ceux-là n'ont-ils pas suffi : ce n'est pas seulement
sainte Catherine, écrit un biographe de l'Ordre, c'est huit ou
neuf autres saintes Dominicaines qui furent décorées des stig-
mates du Christ1.
Les fils de saint Dominique ont donc beaucoup emprunté
à la merveilleuse légende franciscaine pour orner la légende
plus pauvre-, la ligure moins séduisante de leur fondateur.
L'Ordre dominicain, au xmc siècle, dans son étonnante
expansion, a exercé une telle influence, a joui d'une telle
réputation de piété, qu'il a pu s'attribuer presque de bonne foi
et sans susciter de trop fortes réclamations, des honneurs qui
étaient à d'autres.
Les Franciscains ne sont pas les seuls qui auraient a se
plaindre de cette sorte d'accaparement. Dès le milieu du xin-
siècle, les Dominicains se glissent, si l'on peut ainsi dire,
sous le manteau de la Vierge, ils y prennent la place des fils
de Cîteaux.
La vision de la Vierge au manteau est racontée de deux
façons par les anciens auteurs Dominicains : c'est tantôt saint
Dominique, tantôt une simple recluse qui voit la famille
Dominicaine sous le manteau de Marie. Sous l'une et l'autre
forme, cette vision est inconnue du premier biographe de
saint Dominique, Jourdain de Saxe (y 1237).
Des deux visions, c'est celle de la recluse qui est connue
par le texte le plus ancien.
On appelait reclus :! ou l'ecluscs des personnes dévotes et
pénitentes qui pour s'absorber dans la prière, la méditation
et les macérations, se retranchaient du siècle. Dès l'époque
mérovingienne 4, la France avait eu de ces solitaires qui, dans
les cités, vivaient comme avaient vécu au désert les ermites
de la Thébaïde5. Leur rccluscrie consistait d'ordinaire en
1. Nys, op. cit.. introduction. Cf. Maury, La Magie et l'astrologie dans
l'antiquité et au moyen âge, 3" éd. (Paris, lstii . p. 363 ; du même, Croyances
et légendes du moyen âge, p. 382.
2. Le P. Beurier (Sommaire des ries des fondateurs et réformateurs des
Ordres religieux, Paris. 1635 a dit très justement : « le plusgrand des miracles
de saint Dominique est l'institution et la propagation de son Ordre. »
3. Pour les textes, cf. Du Cange, s. v. inclusi.
i. Bayet, dans VHist. de France de Lavisse, I, 1, ]>. 228; Marignan, Etudes
sur la civilisation française, t. II, p. 13.
5. Cf. la note de Gussanvillaeus sur la lettre de Grégoire le Grand au
reclus Secundinus Episl.. IX, ô2 : Migne, P. L., LXXVII, 081 .
I.A VIEKGE Al MANTEAU Il LES ORDRES RELIGIEUX '-V-t
une logette dont la porte étail murée ou scellée : une baie de
dimensions exiguës, à hauteur d'appui, permettail de faire
parvenir aux reclus la nourriture corporelle el la nourriture
spirituelle1 : telles sont les logettes figurées dans les Thé-
baïdes des vieux peintres siennois2 : un moine assis à 1 exté-
rieur, près de la fenêtre, l'ail au réélus une lecture pieuse, une
exhortation. Les reclus choisissaient pour y bâtir leurs loge! les
les lieux les plus tristes des villes, les édifices en ruines. La
recluse rongée des vers qui aurait été pour saint Dominique
l'occasion d'un miracle dont nous avons peine à supporter le
récit3, habitait une ruine de Rome ; à la même époque, il y
avaità Lyon, dans les ruines de l'amphithéâtre, jusqu'à onze
rei luseries '. A Paris, au milieu du xvf' siècle, une recluse
vivait, si c'est cela vivre, dans une logette du charnier des
Innocents0.
Les fakirs d'Occident avaient une idée très étroite de la
perfection chrétienne. Etant morts au siècle, ils détestaient
comme un grand péché tout contact avec lui. Aussi ne durent-
ils d'abord rien comprendre à l'institution Dominicaine. Le
Frère Prêcheur n'avait pas pour but la vie contemplative, mais
1 action. Il allait au siècle, bravement, comme axaient fait les
apôtres, ('est la soif de l'apostolat qui explique que bien
des moines du XIIIe siècle aient dépouillé le froc noir de saint
Benoît6 pour revêtir la robe blanche de sainl Dominique. Les
I. l>;ms leSpeculum humanae salvationis, la première miniature du ch.
m.iii représente un reclus dans sa logette: Quidam homo Deo ilerulux in cel-
ln residebat. Sur le- reclus cl recluses eu Allemagne, cf. Basedov, Die
Inclusen in Deutschland Heidelberg, Hôrning, 1895 , dont la source principale
esl ( lésaire d'Heisterbach.
•J. Fresque du Gampo Santo de Pise, attribuée à Pietro Lorenzetti Alinari,
8819 : panneau du musée des Offices, attribué au même maître Alinari, 78"/ .
3. Thierry d'Apolda, dans Acta SS., août. I. p. 584.
i. Balme cl Lelaidier, Carlulaire </c saint Dominique, 11. 223.
:>. Hélyot, Histoire 'les Ordres monastiques, II. p. 294. La logette des Inno-
cents n'étail d'ailleurs pas la seule fie Paris : cf. Dulaure, Hisl. de Paris, éd.
«le 1821, t. II. ]>. -Ji. et Victor Hugo, Notre-Dame Je Paris, 1. VI, ch. •_'.
D'autres recluses vivaient dan-; de- ermitages inclusoria épars dan- les
campagnes : ces cluses s,- fondirent, aux xm el xn -.. dans les Ordres
mendiant- Ch. Schmidt, Précis de l'histoire de V Église d'Occident au moyen
âge, p. 1 19).
ti. L'un des fondateurs du couvenl Dominicain de Cologne, le F. Chrétien,
était un Cistercien: saint Dominique considérant le vif désir qu'avait ce reli-
gieux de se vouer à l'apostolat, obtint pour lui du pape l'autorisation de revê-
tir l'habil des Prêcheurs Analecta 0. P.. t. I. p.370 : Balme el Collomb, Car-
tulaiiede saint Dominique, t. III. p. 1 7 :t . l'n autre exemple dans Géraud de
Frachet, I. l. -i r^\. Reichert, p. 8 .
Perdrizet. — La Vierge de Miséricorde. 3
34 CHAPITRE III
Frères Prêcheurs laissaient les lils deCîteaux poursuivre leur
rêve mystique dans les monastères des vaux solitaires, dans
cespaisibles et poétiques oasis, où n'arrivaient pas les bruits
du monde ; leur vocation les appelait dans les villes popu-
leuses, où l'hérésie cathare cheminait souterrainement, dans
les Universités où disputaient les docteurs, où se produi-
saient les opinions téméraires, où se glissait comme un ser-
pent la doctrine athée d'Averroès, à Paris, à Montpellier, à
Bologne, à Florence, à Rome, partout où il y avait des
mécréants à confondre, des âmes chrétiennes à défendre. Les
Frères Prêcheurs, aux débuts del'Ordre, étaient pour la plupart
des jeunes gens qui gardaient sous le froc les qualités char-
mantes de leur âge, l'entrain, la gaîté, l'allure aisée et élé-
gante. Vidimus maxime in initio Ordinis Praedieatorum, écrit
vers 12601e Dominicain Thomas de Chantimpré ', vidimus et
nunc juvenes inexpertos, delicatos, récentes a saeculo venientes,
circuire terras sociabiliter combinâtes, inter perversos non
eversos, inter nocentes innocentes, simplices sicut columbas,
prudenter tamen sien/ serpentes, in sui custodiam ambu-
lantes : quis non miretur, ut olim, et magis nunc, istos pue-
ros in medio fornacis aestuantis non exuri ? Les reclus,
dans l'intransigeance de leur piété farouche, s'élevèrent
contre l'Ordre nouveau : le récit qu'on va lire a été inspiré par
le désir de leur fermer la bouche.
« Il y avait en Lombardie, raconte Géraud de Frachet, une
recluse dont la dévotion pour Notre-Dame était fervente.
Avant appris qu'un Ordre nouveau s'était fondé, elle désira
en connaître des membres. Justement Frère Paul et un autre
Frère, dans une tournée de prédication, vinrent à passer par
là. Ils allèrent voir la recluse et l'entretinrent , comme font
nos Frères, des choses de Dieu. Elle leur demanda de quel
Ordre ils étaient. Ils répondirent qu'ils étaient de l'Ordre des
Prêcheurs. El elle, voyant qu'ils étaient jeunes et beaux et
proprement vêtus, conçut d'eux: du mépris, pensant qu'ils ne
pourraient pas, encourant le monde, garder longtemps la con-
tinence. Mais la nuit d'après, elle eut une vision : la Vierge était
devant elle, qui lui disait d'une voix courroucée : «Ah! comme
tu m'as offensée, hier! Crois-tu donc que je ne puisse protéger
1. Bonum universale de proprietatibus apium, seu miracula cl exempta
memorabilia sui temporis, II. x, p. 170 de l'ëd. de Douai, 1605.
LA VIERGE Al VfANTEAl El LES ORDRES RELIGIEUX •>•»
mes jeunes serviteurs qui parcourent Le monde puni' Le salut
des âmes? Afin que tu saches que je les protège toul spéciale-
ment, vois, je te les montre, ceux que, hier, lu as méprisés. »
Et, levant son manteau, elle Lui montra une multitude de Frères
et dans Le nombre ceux dont la recluse avait mal pensé La
veille. La recluse, édifiée à cette vue, aima de ce jour les
Frères de tout son cœur, et c est <l elle-même que I '( Irdre tient
ce récit . »
Les Vitae Fratrum de Géraud <le Frachet furent termi-
nées en 12I»0'. De la même époque date le naît' recueil des
Abeilles, de Thomas de Chantimpré ~, et la Vie de saint Domi-
nique, par Barthélémy de Trente. La \ ië de saint Dominique,
par Thierry d' Apolda3, est un peu moins ancienne. Après
Jourdain de Saxe, ces quatre écrivains sont les plus anciens
biographes de l'Ordre des Prêcheurs : tous quatre racontent la
vision de la recluse. Barthélémy est le seul cpii ne sache pas
d'où était cette recluse. Thomas, qui était de la France du
Nord, en fait une Saxonne. Thierry, qui était Saxon, et Géraud,
que Thierry a copié presque mol ù mot, en l'ont une Lombarde :
e longinquo major rêver entia. Les indications de lieu, dans les
récits légendaires, n'ont en général aucune valeur. Le récit de
Thomas est le même, en plus bref, que celui de Géraud. Dans
celui de Barthélémy, qui raconte la vision comme une preuve
de l'efficacité des prières de saint Dominique, le parti pris de
la recluse contre les Prêcheurs est passé sous silence, et il
ne reste plus qu'une histoire assez plate d'apparition.
Gerardus de Fracheto, Vitae fra- Theodoricus de Apolda, Acta
triim O. P., I. t. c. 6, ii î- (Mu/m- ampliora S. Dominici, XXIII Acta
menta O.P. historica,éd. Reichert, SS., août, I, p. 607 .
I, p. i-0|. Feminaquaedam devotain Lom-
Fuit m Lombardia femina quae- bardia solitariam agens vilam, au-
1. Hist. litt. de la France, l. XXXII. p. 550. Géraud était Limousin; il entra
dans l'O. I'. en [225.
2. « Géraud de Frachel cl Thomas de Chantimpré sont des compilateurs
d'une excessive crédulité, très enclins à mettre leurs idées, leurs apprécia-
tions, leurs sympathies <•! leur- ressentiments sous le couverl de prédictions
cl d'interventions merveilleuses d'un caractère puéril » François Van Ortroy,
boll., dans Analecta Bollandiana, 1905, ]>. 115).
:;. Dietrich von Apolda (Saxe Weimar , né en li'^s. Il écrivit la Vie de saint
Dominique en 1292. Sur la foi que mérite ce! hagiographe, cf. ActaSS., août,
I. |>. :;:'_»: inter ipsos Praedicatores disceptatur, utrum prudenter credipossint
omnia Ma, quae Theodoricus ex testimonio sororis Caeciliae narrai.
36
CHAPITRE 111
dam,solitariam vitam gerens,admo-
(liim Dominae nostrae devota, quae
million* novum Ordinem Praedica-
lorum surrexisse, toto affectu desi-
derabat aliquosde illis videre. Cort-
tirjil autem Fratrem Paulum cum
socio suo per partes Mas praedican-
(h> Iransire. Cumque divertissent ad
illam et more Fratrum verbis divi-
nis alloquerentur eam, quaesivit il-
la, qui vel eu/us Ordinis essent. Et
cum dicerent se deOrdine Praedica-
torum esse, considerans eos juve-
nes et pulchros et in honesto habi-
tu, despexit eos, aestimans, quod
taies per mundum discurrentes, non
possent diii vivere continenter. Se-
quenli igitur nocte visa est sibiads-
tare Beala Virgo, turbata facie, di-
cens : « Ali heri me graviter offen-
disti ! An non j>u(es, credis, quod
en/o servos meos valeam custodire
juvenes et per mundum pr<> sainte
animarum currentes ? I I autem
scias me ipsos in specialem susce-
pisse tutelam, ecce ostendo, quos
heri contempsisli. » Et elevans pal-
lium, ostendit ei multitudinemfra-
Irnin magnam, et inter eos illos,
quos despexerat ante. Inde dicta
reclusa compuncta, extunc Fratres
dilexit ex corde, et hoc per Ordinem
enarravit.
diens novum Praedicatorum Ordi-
nem surrexisse, videre ex eis aliijuos
concupivit. Contigit mitent, duos
Fratres partes Mas praedicando
transire ; qui divertentes ad eam, ip-
sam more Fratrum verbis sacrisal-
loeu/i sunt. Quae eu m r/uaesissel,qui
ri de quo forent Online, responde-
runt, se de Praedicatorum Ordine
novoesse. Quae considerans eos pul-
chros et in hahitu deeenti juvenes
despexit, existimans quod sir non
possent in hoc nequam saeeulo suh-
sislere illibali. Cui nocte sequenti
Beata Dei Virgo Mater turbata facie
adstans, dixit : « Ah heri me gra-
viter offendisti ! Non credis, quod
valeam servos meos juvenes custo-
dire illaesos, pro sainte animarum
per mundum discurrentes '.' Ut au-
tem noveris, me in specialem eos
custodiam suscepisse, ecce ostendo
tibi, (/nos heri despicere praesump-
sisli. i) Et elevans pallium, ostendit
ei miilfi/iidinem Fratrum magnam,
et eos, (/nos despexerat, inter illos.
Thomas Cantimpretanus, Bonum
ii ni ver sa le de proprietatibus apium,
seu miracula et exempta memorabi-
lia, 1. II, c. 10, § 17 éd. de Douai,
1605, p. 170: Acta SS., août, I.
p. 468 .
Cum quaedam in Sa. conta ut no-
Lis F. Watt crus de Treviri <>. 1'.
relulit) sanctissimae opinionis re-
clusa, Praedicatorum nomine exci-
tata, videre Fratres in principio Or-
dinis vehementius affectasset, et tan-
dem duos juvenes Fratres, data
occasione, vidisset, attonita tnenlis
acie dixit ad Dominum : « Quid est ,
J)omine, quod praedicalio verbi tui
Barlholomaeus Tridentinus, Vi-
la S. Dominici (Acta SS., août, I,
I, p. 561).
li pro Deo incarceratam visitave-
rant, quorum juvenilem elegan-
tiam in t tiens, haesitare coepit, vix
laies, aul horum similes, immacnla-
tos ab hoc saeeulo posse cuslodiri.
Anxiatae pro talibus et dévote
oranti adslitil Regina, moerentium
consolatri.v, protectrix suortim,
Virgo Maria, et inenarrabile pal-
lium, quo ei lune amicta videbatur,
coram anxia expandens, pro qui-
tus erat sollicita, juxta se adstantes
ostendit, dicens : « Ne sis pro his
LA VIERGE \l MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX 31
/)'•/• tam infantiles et imperitos ho- anxia aut horum similibus, qui
mines usurpatur '.' » Cui mox ad mei xmii , et mihi eos servabo.
verba Christi Mater apparens, re-
levato pallio, ei Fratres Ordinis os-
tendit, dicens : Nedespicias quos
cumque taies ; ego sum, t/u;i<' rego
eos et protego,et eorum pedesdiri-
go in viam pietatis. »
La vision de la recluse avait été imaginée pour glorifier
l'Ordre (les Prêcheurs et plus encore pour le défendre contre
certaines attaques. Mais comme les Dominicains devinrent Mes
vite tout-puissants, ils n'eurent bientôt [dus besoin de réciter
cette apologie. Elle paraît vers le milieu du \nr siècle, puis
tombe en oubli1. Elle marque la première tentative de l'Ordre
dominicain pour mettre la main sur la légende cistercienne de
la Vierge au manteau. ( )ue les deux Ordres se soient en effet
dispute cette légende c'est ce qui résulte, je crois, de l'his-
toire suivante, que raconte Thomas de Chantimpré.
«Un moine Cistercien, d'une si grande sainteté que ce serait
une honte et une impiété de ne pas croire ce qu'ila raconté,
eut une vision étonnante : ravi en esprit, il vit la patronne de
son Ordre, la très douce mère de Jésus, et elle lui dit : « Aime
mes frères et mes lils sincèrement, prie pour eux de toutes tes
forces, je les recommande à ton amour. » Et lui de répondre
joyeusement oui. croyant qu il s'agissait des Frères de son
Ordre. >■ (Test que j'ai, reprit la Vierge, d'autres Frères que je
favorise de mon patronage et que j'enveloppe de ma protec-
tion. >■ Et disant ces nuits, elle ouvre son manteau et montre
au Cistercien les frères Prêcheurs blottis dessous : « Voici,
lui dit-elle, ceux qui tachent tout spécialement que le sang de
mon Fils chéri n'ait pas été versé en vain2. »
1. <>n en peul trouver un vague souvenir dans cette vision d'Elsbeth de
Falkenstein, nonne du couvent d'Adelhausen à Fribourg-en-Brisgau : « Deux
Vierges lui apparurent un cierge à la main ; derrière elles venait X.-I).
qui avait sous so anteau un novice de l'Ordre des Prêcheurs ; puis venaient
sainte Catherine el sainte Madeleine: «Vois, dit la Vierge, ce noviceesl mort,
je le conduis devant la face de mon Fils ; toi qui vois cela, tu en porteras
témoignage! » El la vision prit fin» Die Chronik der Anna von Munzingen,
entre I310cl 1320, publiée par J.Kônig, Freibùrger Diôzesanarchive, XIII. 1880,
p. 156. Citée par Krebs, Maria mit dem Schutzmantel, p. 33; cf. du même,
Die Mystik in Adelhausen, p. 58 .
2. Quidam Cisterciensis Ordinis monachus vitae tam sanctae, ni ei non cre-
dere flagitiosissimum et impium putaretur, visionem mirabilem vidit.Raptus
enim in spiritu patronam ipsins Cisterciensis Ordinis vidit Christi Jesu heni-
38 CHAPITRE III
Ce texte, d'un quart de siècle postérieur à celui de Césaire
et qui le contredit si audacieusement, ne s'explique que par
lui. Les Cisterciens n'y sont pas seulement dépouillés de leur
plus belle légende : c'est l'un d'eux qui confesse et révèle le
triomphe de l'Ordre nouveau. On saisit à merveille, dans ce
texte de Thomas, la façon dont les Dominicains s'y prenaient
pour supplanter les Cisterciens. Ils ne s'y sont pas pris autre-
ment pour éclipser les autres Ordres : témoin ce récit de
Géraudde Frachet, qui n'a pasdû faire plaisir aux Chartreux :
« Une fois que les Frères Prêcheurs de Paris étaient assem-
blés en chapitre, le sous-prieur, pour les exhortera dire dévo-
tement l'office de la sainte Vierge, leur raconta le fait sui-
vant. Un Chartreux, âgé, lettré, et dévot à la Vierge, lui
demanda de lui révéler ce qu'il devait faire pour lui être
agréable. File lui commanda de la louer, de l'aimer et de l'ho-
norer. « Apprenez-moi donc, dit-il, à vous louer, à vous
aimer et à vous honorer. » — « Va vers les Frères, répondit-
elle ; ils te l'apprendront. » — « Mais. Madame la Vierge,
répondit le Chartreux, il y a des Frères de bien des Ordres :
auxquels m'envoyez-vous? » — « Va chez les Frères Prê-
cheurs, lui répondit la Vierge: ceux-là sont mes frères ; ils
t'instruiront. Va.de ad Fratres Praedicatores, quia ipsi suri/
fratres mei, et ipsi te docehunt '. »
La vision de la recluse fut la première tentative de l'Ordre
des Prêcheurs pour s'approprier la légende cistercienne de la
Vierge au manteau. A la fin du xm1' siècle, nous voyons les tils
de saint Dominique l'attribuer tranquillement, malgré Césaire
et la tradition cistercienne, à leur père spirituel.
C'était, en 1218. pendant le concile du Latran. Saint Domi-
nique se trouvait à Home, au couvent de Saint-Sixte. Lue
gnissimam genitricem. Cui beata Virgo : « Ut sincère, inquil, diligas eos el
pro eis inientius ores, tuae caritati meos fratres et filios recommendo, »
Cumque ille laetus annuerel, fratres Ordinis sui hos confidens, beata Virgo:
« Habeo, inquil, et alios fratres, (jugs meo patrocinio fovendos et custodiendos
amplector. » Et haec dicens, relevato pallio, Fratres 0. P. sub eo coniutatos
ostendit el adjecit : Hi sunt, inquit, i/ui specialiter institnunt negotio, ne
dilecti Fiuimei sanguis inutiliter sil effusus Thomas de Ghantimpré, De Api-
bus, II, 10. § 16, éd. de Douai, 1605, p. 169). Il est curieux de voir l'usage que
t'ait de ce texte un Dominicain du xvne siècle, le P. Hyacinthe Chouquel
Marine Deiparae in Ordinem Praedicatorum viscera materna, Anvers, 1634,
p. 1 l-l.i : on croirait, à lire le 1'. Chouquet, que c'est l'hagiographe des Cis-
terciens, Césaire d'Heisterbach, qui raconte, à la plus grande gloire des Do-
micains, la vision ci-dessus.
1. Géraud de Frachet. 1,6, § â [éd. Reichert, p. i"2 .
LA VIERGE M MANTEA1 II LES ORDRES RELIGIEUX 39
nuit qu'il était en prière, il lui ravi en esprit, el vil le Sei-
gneur assis sur son trône, et la mère de Dieu assise à sa
droite, vêtue d'un manteau bleu comme le saphir. Devant I»'
Très-Haut, dans la lumière de gloire, se pressaienl Les Pères
spirituels, les fondateurs d'Ordres, qui onl enfanté au Chris!
des fils el des Biles selon l'esprit. Dominique, ne voyant
nulle pari ses fils à lui, lui saisi d'une grande douleur el se
mil à pleurer. Effrayé par l'éclal de la majesté divine, il
n'osait approcher du Dieu de gloire el de la Vierge. Celle-ci
lui l'ait de la main signe de venir à elle. Dominique était si
tremblant qu'il n'osa s'approcher (pie lorsque le Dieu de
majesté lui eut de même fait signe de venir. Il s'approche
donc, tout craintif, et pleurant amèrement ; il se prosterne
aux pieds du Fils et de Marie. Et le Consolateur des affligés,
le Dieu de gloire lui dit : « Lève-toi! Pourquoi pleures-tu si
amèrement ? » — « Parce que, Seigneur, je vois devant voire
face des religieux de tous les Ordres, sauf du mien. ■> LeSei-
g-neur lui dit : u Tu veux voir ton Ordre? - Alors touchanl de
la main le manteau de la Vierge : c< J'ai confié ton Ordre ;i
ma mère », déclara le Seigneur. Et comme Dominique persis-
tait dans son pieux désir et qu'il souhaitait voir ou étaient
ceux de son Ordre, le Seigneur lui demanda de nouveau :
« Veux-tu vraiment voir ton Ordre? » — « .le le désire de
toutes les forces de mon âme, Seigneur. Et voici, la Vierge
Mère, parce que cela plaisait à son Fils, ouvrit largement le
manteau dont elle était parée; et ce manteau était si ample.
>i \asle qu'il renfermait aisément toute la patrie céleste.
Sous ce sur abri, au giron de la piété, Dominique, contem-
plateur des secrets sublimes, voyant des choses de Dieu,
découvrit la foule innombrable des Frères de son Ordre1 .>>
l. Raptus esl in spiritn ante Deum,et vidit Dominum sedentem, cl Matrem
ipsius, quae sedebat ad dextram ejus, Virginem gloriosam, amictam cappa
coloris sapphirini. Aspiciens aulem in circuitu, vidit ex omni natione spiritua-
lium patrum, qui ex sacris Religionibus Christo filios et filias spirituales
genuerunt, mullitudmes innumeras in conspectu AUissimi gloriantes; et cum
nullum illii- suorum conspiceret filiorum, erubescens et compunctus ex inti-
mis, amarissime (1ère cœpit. Exlerritus ergo a gloria majestatis Domini, stetit
:i longe, nec audebai vultui gloriae et Virginis excellentiae propinquare. In-
nuil aulem ei manu Domina, ut ad se veniret . At ille tremens ac pavens non
praesumpsit accedere, quousque cum simtliter vocavil Dominus majestatis.
Accessit itaque homo compunctus et hnmili spiritu cl contrito corde, amaris-
simis totus perfusus lacrimis, Filii et Matris propitiis pedibus devotissime et
hiimillimc se prostravit : ac consolator flebilium, Dominus gloriae dixit ei :
40 CHAPITRE III ■
Dans cette narration traînante de Thierry, dans les répéti-
tions de ce dialogue entre le Christ et Dominique, on sent les
redites de la parole orale : certainement, la vision de saint
Dominique avait été plus d'une l'ois racontée en chaire par les
Prêcheurs, avant d'être écrite, vers la lin du XIIIe siècle, par
Thierry d'Apolda. C'est à Thierry que les hagiographes ulté-
rieurs ont emprunté ce récit, Galuagni de la Flamma au
xivc siècle1, saint Antonin de Florence-1, Joannes Garzo de
Bologne3 au xv'\ pour ne citer que les plus importants et les
plus anciens.
Les Cisterciens ne durent pas se laisser dépouiller sans
protestation. Ils objectaient aux Dominicains qu'en 121 (S,
année où Dominique aurait eu sa vision, l'Ordre des Prê-
cheurs n'était fondé que depuis peu, qu'il ne comptait encore
que deux Frères décèdes, et qu'à cette date, par conséquent,
la Vierge ne pouvait pas encore abriter sous son manteau les
Ames d'une multitude de Dominicains. A quoi les Domini-
cains ' répondaient (pie la vision de leur fondateur avait été
une vision prophétique. Le Bollandiste Cuper, dans ses
Surge. Qui eum slnret coram Domino, interrogavit eum dicens : Cur sic ama-
rissime ploras ? Qui ait : Quia in conspectu gloriae omnis Religionis homines
intueor ; de mei vero Ordinis filiis hic, proh dolor, nullum conspicio. Oui
Dominas : Vis videre Ordinem tuum ? Ai Me : Hoc desidero, Domine Dcus.
l'une Films Dei mnniiin suant supra scapulam Virginisponens,dixit adillum:
Ordinem tuum Matri mette commisi. Et eum àdhuc pio adhaereret aff'ectu,
Ordinem suum videre desiderans, Dominus iterum dixit et ■ Omnino vis eum
videre '.' Respondil : Hoc aff'et In. mi Domine. Et eeee Mater Virgo, dum placuit
Filin, cappam, qua decoratacernebatur, evidenter patef'aciens apernit, expan-
tlens ennun lacrimoso Dnminien servo suo : eraique hoc tantae capacitatis et
immensitatis vestimentum, quod lotam caelestem patriam amplexando dulci-
ler conlinebat. Snl> hoc securitatis tegumento. in hoc pietatis gremio vidit Me
contemplator suhlimium et prospector secretorum Dei Dominicus Fratrum
sui Ordinis innumeram mnltitudinem singularis prolectionis custodia cl bra-
chiis amoris pecularis complexam. Thierry d'Apolda, dans Acta SS., août, I.
p. :>x:;. Cf. Galuagni de la Flamma, Chron. 0. P.. p. 16 Reichert. Pour les
hagiographes plus récents, qui nul reproduit le récit de Thierry, cf. Acta SS.,
août, 1. p. 167 : Marrachi, Annales 0. P.. (. 1. p. 256; Balme et Collomb, Car-
lulaire île suint Dominique, III, p. 12. Les ouvrages de piété mil souvent
raconté cette vision : cf. le 1'. Bridoul, Le triomphe annuel de N.-D. Lille,
Kilo. (. II. p. lin: Lacordaire, Vie de suint Dominique, ch. 12: Maynard,
La sainte Vierge (Paris, 1877 . p. 102 : le P. Terrien, S. .1., La Mère de Dieu
et la Mère des hum mes. I. IV, p. L18; ele.
1. Chronica 0. P.. p. 16 Reichert.
2. Chronic, pars III. til . 2-".. cap. 2:;.
3. Acta SS.. aojût I. p. 166-467.
1. Malvenda, Annal. 0. P.. ad ann. 1218, cap. 31, cité dans [es Acta SS.,
aoùl 1 . p. i'iT .
I.\ VIERGE Al MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX il
recherches sur la vie de sainl Dominique, expose Le débat
avec une parfaite franchise el ne cache pas La force que
donne à la revendication des Cisterciens L'antériorité de
Césaire sur Thierry d'Apolda1. Il n'en concLuI pas moins
qu'on peut tenir les deux visions pour également authen-
tiques. Pourquoi, finalement, cette défaillance «lu sens critique
chez L'honnête Bollandiste ? C'esl que le P. Cuper était Jésuite
et qu'au xvie siècle, un Père Jésuite fut censé avoir été favo-
risé de la même vision. Si un Jésuite a reçu de la Vierge cette
faveur insigne — et le 1>. Cuper, Jésuite, ne peut songer à en
douter — c'est que la Vierge ne L'a pas réservée aux seuls
Cisterciens, saint Dominique a bien pu la recevoir aussi.
C'est ainsi qu'au xme siècle, Cisterciens et Dominicains se
disputaient les faveurs de Marie. La victoire devait rester aux
nouveaux venus, plus entreprenants, plus audacieux, plus
habiles dans la discussion scolastique et dans la prédication
populaire. Dès le xiV siècle, la légende racontée par Thierry
d'Apolda se répand partout.
Aucun hagiographe de l'Ordre des Prêcheurs n a eu autant
de succès que Thierry. La Vie de saint Dominique où le moine
de Thuringe a raconté les merveilleuses histoires qu'il tenait
de la nonne Cécile, éclipsa très vite les récits beaucoup plus
véridiques de Jourdain, de Barthélémy et de Géraud. Les
mystiques de l'Ordre dominicain, qui en a tant produit, se sont
nourris de ces pieuses histoires. Dès le xiv' siècle, les repré-
sentations figurées aidant, il n'est pas de tils ou de fille de
saint Dominique qui ne rêve du manteau de la Vierge2. Dans
les couvents de nonnes Dominicaines de l'Allemagne du Sud.
ces rêves sont notés et collectionnés avec une minutie toute
germanique.
Le cloître où elles vivaient était pour les nonnes un monde
1. Si ijiih ex simililudine utriusque historiae inferret, scriptores Domini-
canos hanc ecstasim ex Caesario accepisse, ac sanclo suo fundatori aptasse,
eadem suspicio in Cistercienses caderet, in<[iiil Jouîmes Jean de Sainte-
Marie, Acta S. Dominici, III. ch. 33 . et hoc nient argumentum m ipsos rétor-
queri posset. Al Cistercienses in eo casu responderent, Caesarium smim Heis
terbachensem antiquiorem esse Theodorico de Appoldia, qui inter biogra-
phos primus liane S. Dominici visionem litteris mandavit Acta SS., août, 1.
p. 168 .
2. Unegravure de Th. Galle (Bibl. Nat., Est., Œuvre des Galle, t. V, f B
représente, je ne sais d'après quel texte, le fameux mystique Dominicain
Henri Suso 1295-1365 suh Deiparae palla a parvulo Je.iu benedictus.
42 CHAPITRE III
merveilleux. Les choses réelles n'existaient à leurs yeux que
comme symboles des choses invisibles. Leur foi était récom-
pensée par des miracles et surtout par des apparitions. Elles
voyaient familièrement Jésus, la Vierge et tous les Saints et
Saintes du Paradis. Les récits de visions abondent dans les
livres qu'elles ont laisses. Ouvrons, par exemple, les Vies des
premières religieuses d'Unterlinden, à Colmar, par Catherine
de Guebwiller '. Marguerite de Brisach et Benoîte de Bogen-
heim, raconte leur biographe, furent admises à voir la Trinité;
Mechthilde de Wintzenheim, qui eut la même vision, en fut
transfigurée, et son corps flotta dans l'air comme celui d'un
ange. Une sœur vit Jésus célébrer la messe. D'autres lui furent
liancées. Agnès de Blozenheim assista à la Passion ; elle vit
couler le sang divin ; (die entendit distinctement le bruit des
coups de marteau qui clouaient le Christ sur la croix, et devant
tant de souffrance, elle tut saisie d'une telle douleur qu'elle
trépassa. Toutes n'avaient pas des visions aussi tragiques.
Aux nonnes dont l'imagination était puérile, le Seigneur appa-
raissait sous la forme d'un petit enfant, Jesulus : « J'étais
grand et tout-puissant, leur disait-il; mais je me suis fait petit
pour être aimé de toi. >»
On peut imaginer comme la vision de la Vierge au manteau
protecteur dut émerveiller ces pieuses filles quand elle leur
fut contée par leurs directeurs Dominicains. Plusieurs des
visions dont elles furent depuis favorisées ne s'expliquent que
par celle-là.
Sieur Elsbet Ortlieb, du couvent du Val-des- Anges, avait
un culte spécial pour la sainte Vierge : un jour, à l'octave de
l'Assomption, au moment où les nonnes entonnaient l'antienne
Salve, mater Salvatoris, Elsbet vit la Vierge planer au-dessus
d'elles et les envelopper toutes de son manteau-.
LTne nonne du Yal-Sainte-Catherine travaillait dans l'ou-
vroir. Elle avait le cœur triste. Mais voici, la Vierge lui appa-
1. Pez, Bibliotheca ascetien, t. VIII. Cf. Barthodi, Curiosités d'Alsace Col-
mar, 1864), t. I. p. 107 et Ingold, Notice sur V église et le couvent des Domini-
cains de Colmar, p. 11. Le ms. des Vies est à la bibliothèque de Colmar. Le
couvenf d'Unterlinden lui fondé en 1232; Catherine y entra en 1260, huit ans
après que- les Subtiliennes eurent passé de la règle de saint Augustin smis
celle île saint Dominique.
2. Der Nonne von Engelthal Bûchlein von der Gnaden Ueberlast [Le livret
du fardeau de la grâce], éd. Schrôder, dans la Bibliothek des liter. Vereins,
Stuttgart, t. CVIII,p. 25. Cet ouvrage est antérieur à 1355.
LA VIERGE M MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX ï-3
rut ; elle portait un beau manteau sur lequel étail écrit Ave,
Maria, enlettres d'or. Elle pril la nonne sous son manteau,
la conforta el lui promil la vie éternelle '.
Elsbet Bâchlin était une aonne de Thoss2, qui avait huit
ansà peine. Il lui sembla dans son sommeil que la Vierge
était devant elle ; et elle se jetait dans les bras de la Vierge ; et
celle-ci la prenait dans son manteau et lui disait : « Tu vois, je
ne te laisserai jamais sortir <le ce manteau. >> Le cœur <1 en-
fant de la petite Elsbetfut alors tellement fortifié par la grâce
que depuis, chaque fois qu'au couvent il lui arrivait quelque
chose de désagréable et qu'elle enressentait <lr l'impatience,
elle pensait aussitôt : m Las ! Elsbet, veux-tu donc t'éloigner
du manteau de la Vierge?3 »
J'emprunte ces trois histoires à M. Krebs, qui connaît si
bien la littérature pieuse de l'Allemagne au xi\"' siècle. Elles
ne contiennent d'ailleurs rien qui soit spécialement allemand.
On en trouverait d'autres toutes pareilles, à la même époque,
dans la littérature pieuse des autres pays. Une des com-
pagnes de sainte Claire de Montefalco4, ravie en esprit après
la mort de sainte Claire, vit la Vierge qui abritait la sainte
sous son manteau; et la Vierge disait : « Voici Claire, elle est
ma fille5. »
Sainte Gertrude d'Allemagne y 1290) voit la Vierge revê-
tue d'un manteau immense, qui recouvrait des lions, des
tigres, toutes sortes d animaux féroces et immondes; Gertrude
comprend que ces animaux sont les pécheurs, et qu'il n'est
pas d'âme si gâtée par le péché sur laquelle la Vierge ne
puisse étendre la protection de son infinie miséricorde6. Le
manteau de la Vierge est donc le symbole de sa miséricorde.
C'est ce (pie dit sainte Brigitte dans un passage souvent cité
au moven âtje de son fameux livre des Révélations11. Mlle
1. Leben heiliger Alemannischer Frauen im Mittelaller. ô. Die Nonnen von
Si Katharinenthal bei Dieszenhofen, éd. Birlinger (Alemannia, XV, 1887),
p. 181.
2. Couvent de nonnes près Winterthur. Cf. Schiller, Das mysticité Leben
der Ordensschivestern zu Thôss Berner philol. I»i-^.. 1903 .
3. G-reith, Die Mystik im Predigerorden Fribourg-en-Brisgau, 1861 . p. .v>!».
i. Augustine, f 1308. Cf. Potthast, />'. .1/. ./•:.. II. p. 1245.
5. Faloci, Vita di S. Chiara di Monlefalco, p. L34. Cité par Barbier de
Montault, Revue de l'art chrétien, issu, p. 25.
6. Sausseret, Apparitions et révélations de la T. S. Vie rge, t. II, p. 16.
7. L. III, cap. 17. Les Révélations de sainte Brigitte parlent encore «lu
manteau symbolique île la Vierge, mais d'une façon différente : Ego vocor ab
44 CHAPITRE III
raconte un entretien mystique que saint Dominique aurait eu
avec la Vierge, où il lui aurait demandé de protéger les Frères
de l'Ordre qu'il avait fondé : Suscipe Fratres nieos, quos edu-
cavietfovi sub stricto scapulari mco, et défende eos sub lato
mantello tuo. Rege eos, et refove, ne hostis antiquus prœvaleat
eis et nedissipet vineam novellam quant plantavit dextera Filii
tui! A quoi la Vierge aurait répondu : 0 Dominicc atnice
dilecte, quia dilexisti nie plus quant te ! Ego sublato mantello
mco défendant et regam filios tuos, neenon et omnes qui in
régula tint persévérant, salvabuntur. Mantellus vero meus
latus misericordia mea est, quam nulli féliciter petentidenego.
Toutes les âmes pieuses n'étaient pas capables de conce-
voir, avec sainte Brigitte, le manteau protecteur de Marie
comme un symbole, une allégorie, ou pour employer le terme
théologique, comme une « ligure » de la miséricorde infinie
de Marie. Beaucoup devaient se l'imaginer d'une façon tout à
fait matérielle. Il y avait dans le Béguinage de Bruxelles, à
l'infirmerie, une Béguine malade d'hydropisie. Sa tin sem-
blant imminente, on appela le curé ; quand il arriva, la
Béguine était guérie. Elle lui raconta qu'une femme d'aspect
imposant, et merveilleusement belle, était entrée dans l'infir-
merie et avait étendu son manteau sur elle, et que ce geste
l'avait guérie sur-le-champ1. Sophie de Neitstein, du cou-
vent du Val-des-Anges, étant morte, revint dire aux sœurs
que quand elle s'était mise à chanter sur son lit de mort le
Salve Hegina, la Heine de Miséricorde était arrivée, vêtue
d'un manteau violet, accompagnée de sainte Agnès et d'autres
vierges saintes ; et Marie tourna son manteau contre les
ennemis — contre les diables, qui attendaient autour du lit de
la moribonde le moment de s'emparer de son âme'2 — et ils
omnibus Mater misericordiae, misericordia Filii mei fecit me miser icordem..m
Ergo lu. filia mea, rem et absconde te sub mantello meo, hic est exterius con-
temptibilis, inlus vero ulilis propter tria : primo obumbrat ;il> aère tempes-
limsii, secundo munit a frigore urente, tertio défendit contra nubium imbrem.
Hic mantellus humilitas mea est.
1. Vita S. Beggae viduae... auctore J. G. a Ryckel ab Oorbeck (Louvain,
16:51, p. 135 : Fuit Beggina in Begginario Bruxellensi quae in Valeludinario
laborabat hydropisi... Curio, sollicitus pro ejus niorbo el morte imminente,
primo crepusculo ingressus ad eam, reperit eam in sohdum curatam ; sollici-
tusque tam repentinae salutis originem et causant, audioit ingressam min
decoris augustissimam mulierem, quae suum super infirmam extendisset ami-
culum, atque ita in momento sanasset.
2. Se rappeler les gravures du De arte moriendi.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PI. IV
itur totud, adumtui 'vim.iv
,L- ; imbi million planai •'■ (uum ■
Sifce , :• ; ucrcrc ncli,
En M ■ :..'• laMari
i?
ORPO BE \TISS1 W £ \ IRGINIS '.lAKI.t;
DE AVON II. C \K M ELO .
La Vierge de Miséricorde et les Ordres religieux
(Clichés de l'auteur]
I.\ VIERGE M MANTEAU ET LES ORDRES RELIGIEUX l>
s'enfuirent tous: da ivet unser frau den mantel gen den vin-
den, da fluhen sie aile hinwek1.
Sainte Brigitte, sainte Gertrude, sainte Claire de Montefalco,
ae sont, non plus que la Béguine de Bruxelles, ni des Cister-
ciennes ni des Dominicaines. Ainsi, peu à peu, dès le
xive siècle, la vision de la Vierge au manteau cesse d'être la
propriété exclusive des deux grands Ordres qui se relaient
disputée au xme. Elle devient un thème courantdela mystique
monastique2. La vision reste la même; il n'\ a de changé que
les noms, celui de la personne qui aurait été gratifiée de cette
vision, et celui de l'Ordre à la gloire duquel la vision est racon-
tée. Quelques exemples suffiront.
Au commencement du xvie siècle, une abbesse de Calabre
\oii la Vierge abritant sous son manteau un ordre qui allait
naître, celui des Capucins3. Kn 1563, comme sainte Thérèse
était avec ses compagnes en oraison dans le chœur après
complies, la Vierge lui apparut : elle était vêtue d'un man-
teau blanc dont elle couvrait toutes les religieuses du Car-
mel4. Dans la suite, plus d'une fille de suinte Thérèse, la
bienheureuse Marie de l'Incarnation, et en 1(>23. Catherine
de Jésus eurent la même vision que leur fondatrice0. Bieu
avant, du reste, que sainte Thérèse eût réformé le Carmel,
cet Ordre disputait aux Cisterciens et aux. Dominicains la
vision de la Vierge au manteau. Le Carmel est l'un des Ordres
qui se sont voués spécialement au culte de Marie ; il s appelle,
par privilège reçu d'Honorius III (1216-1217), l'Ordre de la
divine Vierge Marie, Ordo beatissimae V.M. de Moule Car-
melo, Divae Mariae Carmeli societas. T n tableau de Porde-
none représente la Vierge abritant sous son manteau les deux
saints du Carmel, saint Ange martyr et saint Simon Stock,
avec la famille des Ottoboni. Une gravure de Pierre de .Iode
représente la Vierge, en costume de Carmélite, abritant sous son
manteau tout le Carmel, à droite les hommes, à gauche les
I. Der Vonhevon Engeltal Bûchlein, p. 38.
O et* tvii' i'\- l:i in*ii''TV r 1 # . — j * ■ il 1 Tlu^ni.'w t\i> V
1. Der Wonhevon Engeltal Bûchlein, p. 38.
2. Cf. par ex. la prière de saint Thomas de Villeneuve I 188-1555, augus
archevêque de Valence : « Ainsi, ô Marie, nous nous réfugions sous votre n
teau... » J'ai trouvé celte prière dans L'enfant de Marie à la campagne, pa
P. Letierce, S. J., t. II. p. 76.
n t , . i.i i i _ , • i - i ; . \ m T : 1 1 . i .• ',, l II .,
lin.
man-
par le
p. Letierce, >. J., i. u, p. fo.
3. Le 1'. Bridoul, Le triomphe annuel de N.-D. Lille,
d'après Le t. I des innales Capuc. de Zach. Boverius.
'. Il*) l\ l> k"llll/i> 1' fit' i*t>K-l> l'Il 1"
1640), I. II. p. 9,
"i" ' - "" .<■/•■.- .
i. \'ie de sainte Thérèse, eh. 3"
r>. Sausseret, t. 11. i>. 279.
46 CHAPITRE III
femmes. Une gravure de G. Galle représente la Vierge abri-
tant sous son manteau des gens de diverses conditions, dont
un Carme et une Carmélite et leur distribuant des scapulaires '■
on sait que le port du scapulaire est une dévotion propre au
Carmel ; elle aurait été enseignée par la Vierge à saint Simon
Stock. Mercédaires, Servîtes, Prémontrés, Chartreux se sont
fait représenter, eux aussi, agenouillés sous le manteau de
Marie. 11 n'est pas jusqu'aux Jésuites, ces tard-venus du
monde monastique, qui n'aient tâché de s'approprier la vieille
légende cistercienne. Un de leurs plus récents auteurs1,
après avoir raconté sans chronologie ni critique et d'après
des ouvrages de deuxième ou troisième main, quelques-unes
des apparitions- dans lesquelles la Vierge s'est montrée abri-
tant un Ordre religieux sous les plis de son manteau, continue
ainsi : « La Mère de Dieu daigna faire à plusieurs reprises une
grâce semblable aux religieux de la Compagnie de Jésus...
Parmi les enfants de saint Ignace, un des plus célèbres par
son amour envers la très sainte Vierge et par les faveurs qu'il
en reçut, est sans contredit le P. Martin Gutierez... Marie se
lit voir à lui, racontent les Tableaux des personnages signalés
de ht Compagnie de Jésus3, « comme une Royne très riche-
« ment esquipée, toute parsemée de pierres et debrillans plus
« brillans que le soleil ; et sous sa robe royale, laquelle esten-
(( doit bien au large, elleembrassoit tous les enfans de laCom-
« pagnie, pour leur donner à entendre qu'elle estoit leur mère
« et qu'elle les couvoit tous dessous les esles de sa protection,
« comme la poule fait ses poussins'')) .
A la fin du xvi" siècle, le thème de la Vierge au manteau
donne naissance eu Allemagne à une dévotion extravagante.
1. Le P. Terrien, La Mère de Dieu et lu Mère des hommes (Paris, L900),
•2' pallie, t. II, p. 119.
2. « Rien, ce semble, n'autorise à en mettre en doute l'authenticité » : celte
appréciation du P. Terrien Dp. cil., p. 116) donne la mesure de sa critique.
11 commence par raconter d'après Lacord aire la vision de saint Dominique, puis
il passe à la vision rapportée par Thomas «le Chantimpré, qu'il cite d'après
un ouvrage de dévotion dominicain (les Lezioni morale sopra Giona du P.
Pacinchelli O. 1'. el qu'il apprécie ainsi: » Celle vision regarde l'Ordre de
saint Dominique plus encore que Cîteaux, quoiqu'elle soit très apte à mon-
trée la fraternelle alliance des différents Ordres sur le sein de leur com-
mune mère. »
:5. Attribué généralement, mais à tort, au P. Pierre d'Outreman : cf. Som-
mervogel, Bibl. de la C" île Jésus. VI. 37.
i. Cf. Acta SS., août. I. p. 168, d'après les Opuscul. spirit. de Lancinius. 1. II.
ch. 2, n° 1 Tfs ; Bridoul, t. I. p. I '>' ; Sausseret, t. II, p. lii. etc.
PerdrizeTj /.'/ Vierge de Miséricorde
PI. V
I.\ VIERGE M «ANTEA1 ET LES ORDRES RELIGIEUX M
LeP. Bridoul, Jésuite, raconte qu'Éléonore d'Autriche, qui fut
duchesse de Mantoue, « avoil pris goust en Allemagne à une
certaine dévotion qu'on nomme le Manteau de Xotre-Dame,
qui consiste à réciter ou à faire réciter 32.000 Ave Maria en
l'honneur de la Vierge Marie : mais parce que la qualité de
son étal lui dérobait les meilleures heures du jour, elle fui
contrainte de s'en décharger sur ceux de su cour et sur plu-
sieurs monastères, partageant entre eux le nombre des Ave
Maria que nous avons dit1 ... Expliquons, en passant, ce
chiffre do trente-deux mille : 32 et 33 sont des nombres aux-
quels la mystique chrétienne a prêté une vertu singulière,
parce que Jésus a été crucifié dans sa trente-troisième année,
après avoir passé trente-deux ans sur la terre. Les flagellants
du \i\' siècle quittaient leur maison pour une période de
32 jours et demi2. Les prophètes, à la clôture du chœur
de ia cathédrale d'Albi3, sont au nombre de 33. La Divine
Comédie se compose de trois poèmes de 33 chants chacun
(plus un prologue). Un roi de Danemark, étant venu à
Cologne pour apporter de riches offrandes au tombeau des rois
Mages, les vil en songe : ils le remercièrent et lui prédirent
qu'au bout de 33 ans. il mourrait et sciait sauvé4. En 1389,
Urbain VIstatua que le jubilé aurait lieu Ions les 33 ans. on
souvenir de la vie terrestre de Jésus-Christ. Le << chapelet de
N.-S. », institué vers 1516 par le Camaldule Michel de Flo-
rence, a 33 grains (30 petits et 3 gros en mémoire des 33 ans
que Jésus-Christ a passés sur la terre. Cette mystérieuse
1. Le 1'. Bridoul, Le Triomphe, annuel de Marie Lille, L640), t. II, p. i«i.î.
2. Ou de :;:; jours d demi : les témoignages varient. Les flagellants
disoienl qu'ilzles convenoil ainsy aler par l'espace de XXXII jours el demy
et qu'il le sçavoienl ainsy par la demonstrance divine a la remembrance de
X. S. qui nia par terre près de XXXII ans et demy » (Chronique de Jean /•<•
Bel. éd.Viard cl Déprez, I. 1. j>. ■_'■-'; . Froissart, la régula flagellatorum Ker-
vyn de Lettenhove, .'■il. «le Froissart, I. XVIII, p. 308 ; durabit fraternitas
XXXIII diebus cum dimidio . la Chronique publiée par Le Roux de Lincj
Recueil de chants historiques français, I. I. |>. 235 cl Kervyn Op. ctï.,p
parlent de 33 jours el demi : « XXXIII ans cl demi ala Dieus J.-C. par terre,
ensi que les saintes Escriptures tesmongnent : cl il alerent casqune compa-
gnie XXXIII jours et demi ■■ Froissart . éd. I. p. 330 . < If. encore Guiguc, éd. <\\\
Poèmesur la grande peste, parOlivierde la Haye Lyon, l^ss . p, si.
:>. Didron, Manuel d'iconographie chrétienne, p. I 17.
i. Gesta Romanorum, chap. xlvii. Il csl vrai qu'Oesterley imprime expie
lis Will annis jugiter in caelestibus nobiscum reg nabis ; mais Wlll esl
snil une faute d'impression, soil une mauvaise leçon ; car laversion Iran
çaise des Gesta Le violier des histoires romaines, éd. Brunet, p. Il<» traduit
ainsi : « Le tenue descripl ace plis de 33 ans, il mourut et fut sauvé. »
i8 CHAPITRE III
« Compagnie du Suint-Sacrement » dont nous commençons à
entrevoir l'action occulte, entretenait au milieu du xvn° siècle
un séminaire dit « des Trente-Trois », parce qu'il contenait
trente-trois écoliers, « en mémoire d'autant d'années que l'on
croit que N.-S. a passées sur la terre ' ». Au xvnT siècle se
tondent des « Associations à l'honneur des sacrés cœurs de
Jésus et de Marie-' », composées de 33 personnes en mémoire
des <« 33 années de la vie divinement humaine de notre ado-
rable Sauveur ». Une idée mvstique toute pareille explique le
« chapelet de sainte Brigitte », qui se compose de 63 dizaines
d'Ave, en souvenir des années que la sainte Vierge a vécues
en ce monde3.
Ainsi, par une suite de pieux larcins, la Vierge au manteau
protecteur a passé des Cisterciens aux Dominicains, puis aux
autres Ordres, et finalement aux Pères Jésuites.'
On sera surpris, peut-être, de n'avoir pas vu paraître les
Franciscains dans cette longue histoire. Il ne faudrait pour-
tant pas croire qu'ils n'aient pas cherché, eux aussi, à se blot-
tir sous le manteau de Marie
Il existe au musée de l'Académie, à Sienne, un petit tableau
([ne les critiques s'accordent à attribuer au grand maître sien-
nois, Duccio di Buoninsegna : ce tableautin serait donc de la
tin du xine siècle. Il représente la Vierge assise, tenant
l'Enfant sur son genou; aux pieds de la Vierge, beaucoup
plus petits qu'elle, sont agenouillés trois fratelli; le pre-
mier baise le pied de la Vierge, les deux autres l'implorent
les mains jointes : et la Vierge miséricordieuse ramène sur eux
le pan de son manteau. Cette représentation, unique à ma con-
naissance, montre qu à l'époque même où les Dominicains
s appropriaient la vision cistercienne, le symbole du manteau
protecteur de Marie n'était pas inconnu des Franciscains.
L'auteur du (initie de Vart chrétien, Grimoûard de Saint-
Laurent, possédait une miniature provenant d'un graduel
I. R. Allier, Le testament de M. Le Gauffre, dans la Revue de Paris du
1" sept. 1906, p. 177.
•2. Voir la plaquette publiée sous ce titre en 178] à Nancy, chez Pierre
Barbier.
3. Rouyer, dans la lierne belge de numismatique, J iS«.>7, p. 207. Cf. lî. de
Maulde, Jeanne de France, p. i63 : « Un bref de Léon X porta à 70.000 jours
l'indulgence de ceux qui oui reçu les 7^ insignes en l'honneur des 72 ans de
la vie de la sainte Vierge. » La tradition n'est pas unanime sur le nombre des
années que la Vierge a passées en ce monde.
LA VIERGE Al MANTEAU Kl LES ORDRES RELIGIEUX L9
franciscain, qui représentait La Vierge abritant sous les plis
de son manteau des Franciscains agenouillés. Cette fois,
c'est bien le type ordinaire de la Vierge de Miséricorde : ••M'-
est debout, les priants sont répartis en deux groupes symé-
triques, à droite et à gauche. Cette miniature, qu'on ne connaît
que par le calque publié par Grimoûard et que j'ai vainement
tâché de retrouver, est le seul exemple qui me soit connu
d'une Vierge abritant sous son manteau la famille séraphique.
Un l'ait isolé ne prouve rien. On a démesurément grossi l'im-
portance de la miniature de Grimoûard : reproduite par Bar-
bier de Montault, comme exemple du type iconographique de
la Vierge au manteau — c'était vraiment faire trop d'honneur
à une représentation médiocre et dont on ignore la date1
et la provenance — elle a été alléguée par Kraus d'après Bar-
bier comme 'preuve de l'origine franciscaine du thème en
question, lui réalité, pour montrer que ce thème n'est pas
resté indifférent à la mystique franciscaine, il y a de meil-
leures preuves que cette miniature. Dès le milieu du
xme siècle, les confréries de pénitence et de charité cherchent
lin refuge sous le manteau de la Vierge : or, ces confréries
sont presque toutes, plus ou moins directement, d'origine
franciscaine, et la première qui se soit fait représenter sous le
manteau de Marie tenait sa règle de saint Bonaventure. un
Franciscain. Plus tard, au xv° siècle, ce sont les prédications
d'un autre Franciscain, saint Bernardin de Sienne, qui
poussent les foules italiennes, affolées par la peur des pestes
et de l'Antéchrist, à se réfugier sous le manteau de Marie.
pour y chercher un abri contre les (lèches de la colère
divine.
I. Grimoûard et Barbier dataient cette miniature du xm* siècle ; elle ne
parait pas antérieure au \i\ ,
PiatiMu/i i . — La \ lerge tic Miséricorde.
CATALOGUE
DOMINICAINS
1. Florence. Bibliothèque de S. Marco. Miniature d'un graduel domini-
cain, portant au fol. 155 la signature de fra Beuedetto del Migello (1389-
1448. La Vierge abritant les Dominicains sous son manteau. Signalée
par Krebs, Maria mit dem Schutzmantel, p. 35.
2. Coblence, Musée municipal de peinture (Catalogue, 1874, n° 61).
Tableau à tond d'or; xve s. La Vierge tient l'enfant: sous son manteau,
deux Dominicains, tout petits, agenouillés. A dr. et à g. de ce groupe
central, saint Dominique et saint Thomas d'Aquin, agenouillés ;
derrière eux, debout, sainte Catherine de Sienne et saint Pierre
martyr.
3. Gravure deThéodore Galle (Nys, f° 17). En bas, sur la terre, saint
Dominique en extase, agenouillé, les yeux iixés au ciel. Dans le ciel, au
milieu de nuages, apparaît la Vierge; son manteau, soutenu par des
anges, abrite à dv. les Dominicains, à g. les Dominicaines. Le titre de
la gravure est : Regina caeli multitudinem Fratrum et Sororum sub
pallio latilantes i/li ostendit; le quatrain explicatif, dû à J. Nys, O. P.,
est :
Sensibus abripitnr folus, caelumque pererrat :
asl inibi nullum plangit adesse suum.
Siste, inquil Christus, lacrymas, et quaerere noli :
en Mariae cernis quos latitare togo .
PI. IV, 1.
FRANCISCAINS
1. Sienne. Académie, n" 20. Petit panneau archaïque. « Il est permis
d'attribuer à Duccio la jolie petite Madone, si grandement conçue, avec
trois Franciscains à ses pieds >> Burckhardt, Le Cicérone, t. II, p. 507
de la traduction). La Vierge est assise sur un trône, les pieds sur un
tabouret. Derrière elle, quatre anges à mi-corps. De la main g., elle
lient l'Enfant, de la dr., elle ramène le pan de son manteau sur trois
fratelli agenouillés; le premier lui baise le pied, les deux autres l'im-
plorent les mains jointes. Lombardi, 2436 ; phototypie dans Cavalca-
selle et Crowe, -1 history of painting in Ilaly, éd. Douglas (Londres,
1903 , t. 1, pi. à la p. 190.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
PL VI
Les prémontrés sous la protection de la Vierge
(Gravure d'£. Moreau)
CATALOGUE
:;i
2. Miniature détachée d'un gradue! franciscain du xiv' siècle. Cf. Gri-
moiiard de Saint-Laurent, Guide de Vari chrétien, l. III, p, ln7, pi. X.
D'après le calque publié par Grimouard ont ('■(('• exécutées les repro-
ductions encore plus médiocres de Barbier de Montault, Traité d'ico-
nographie, l. II, pi. 33, n° 343 cl Mu Saint François d'Assise publié par
les PP. Franciscains Paris, Pion , p. 38.
3. Milan, Brera. Peinture de Francesco Verla 1490-1520 . La Vierge
protège sous son manteau, que des anges tiennenl soulevé, deux saints
Franciscains, dont saint François. Signalée par Krebs, Maria mil dem
Schutzmantel, p. 35.
PRÉMONTRES
1. Panneau du musée de Budapest (i. de Terey, Catalogue, 1906, p. 170,
n us:; attribué au « Maître de la Vie de la sainte Vierge ». Dans un
édifice voûté, devant une de ces tentures qui caractérisent les tableaux
colonais, la Vierge debout, couronnée, tenant l'Enfant; sous son man-
teau, six religieux agenouillés, en manteau blanc et tunique sombre,
sans scapulaire, probablement des Prémontrés; l'abbé, coiffé d'une
calotte, est à la droite de la Vierge.
PI. V, 2.
12- Gravure d'Edme Moi-eau de Reims; vivait sous Louis XIII , qui
serl de frontispice aux deux volumes du catéchisme des Prémontrés de
PoLit-à-Monsson, publié en 1623- par le réformateui de l'Ordre, Servais
de Lairuels, abbé' de Sainte-Marie-Majeure sur ce personnage, cf.
Eug. Martin, Servais de Lairuelsetla réformedes Prémonlrés en Lorraine
i'l en France au XVIIe siècle, Nancy, 1893 .
Catechismi \ novitiorum et eorundem j magistri, | omnibus quorum-
cumqueOrdinum j religiosis utilissimi j tomus I (II), ( authore Reverendo
D(omino Servatio <!<• Lairuelz,doct. theologo,S. Mariae ! Majoris Mussi-
pontanae olim ml Nemus abbate et II everendissi mi I) omini Pétri | Gos-
setii ord inis Praeinonstraten sis generalis incommunitate ' antiquirigo-
ris neenon per Germaniam, Boemiam et J Poloniam vicario generali. \
Mussiponti, apud Sanclam Mariam Majorent , per Franciscum du
Bois serenissimi ducis Lotharingiae typographum | , anno Domini
MDCXXIII. | /•;. Moreau fec.
Ce beau frontispice représente la Vierge de Miséricorde protégeant
les Prémontrés; l'abbé des Prémontrés occupe la première place, à la
droite de la Vierge; la première place à gauche est occupée par le prieur
de Pont-à-Mousson. Deux >ainls soutiennenl le manteau, à droite'
sainl Augustin, créateur légendaire de l'Ordre des Chanoines auquel
appartient Prémontré, à gauche saint Norbert, fondateur de Prémontré,
reconnaissable a l'ostensoir qu'il tient à la main. Saint Augustin
dit : ecce ftlii nostri sien/ novellae olivarum in circuitu (ce texte, pris au
Psaume CXXVII, 3, a été souvent appliqué à tel ou tel Ordre monas-
tique : cf. Lecoyde la Marche, La chaire franc, au m. â., J' éd., p. SI .
Saint Norbert dit : monstra le esse matrem c'esl un vers de V Ave maris
,")2 CATALOGUE
Stella . De la bouche do L'abbé monte vers la Vierge cette prière
memor esio congregationis tuae ; le sous-prieur prononce ces mots
empruntés au Psaume LXXXVI, 7 (avec l'addition du mot nostrum ;
sicut laetantium omnium nostrum habilatio est in te, texte qui s'ap-
plique à la protection maternelle de la Vierge (et. Bréviaire romain,
office de la sainle Vierge. 2e nocturne, antienne du 3e Psaume). — PI. VI.
CARMES
1. Tableau d'un peintre viennois anonyme, du début du x\T siècle,
peint pour les ('.aunes de Vienne, aujourd'hui au musée du couvent
bénédictin de Kloslerneubourg. Ce tableau singulier sera étudié plus
loin, ch. xi.— PI. XXVIII, 1.
2. Venise, Musée de l'Académie, n° 321. Anderson, n° 12903. Tableau
du Pordenone, peint en 1525, jadis dans l'église de Pescincanna. La
Vierge, sans la couronne et sans l'Enfant, apparaît sur des nuages, les
bras ouverts d'un large el beau geste. Sous son manteau, que sou-
tiennent de petits anges, les deux saints du Carmel : à dr. le martyr de
l'Ordre, saint Ange, qui, comme saint Pierre de Vérone, porte un glaive
fiché dans son crâne; à g., saint Simon Stock, Anglais, troisième géné-
ral de l'Ordre ; il porte un lys, symbole de virginité. Les deux saints
montrent à la Vierge la famille Otloboni agenouillée, à dr. les hommes,
à g. les femmes dont deux Carmélites . Au bas du tableau, cette ins-
cription : Dive Marie Carmeli societas. Crowè et Cavalcaselle (Hhtory
of painting in north Ilalia, II, p. 265) et les récents éditeurs du Cicérone
(p. 882 de la 8e éd. ail.) admirent beaucoup ce tableau ; « dipinto molto
sciupato dai lavacri » (Paoletti, Catalogo, p. 102). Cf. encore Jameson,
Legends ofthe Madonna, 2' éd., p. 93.
3. Statue plus grande que nature, en bois, par Gregor Erhart (-J- 1540),
jadis dans un couvent du Carmel près Augsbourg, aujourd'hui au
musée de Berlin. Cf. le Catalogue de Bode-Tschudi, n" 357 ; repro-
duction dans la Kunstchronik, XXII (1887), col. 423. La tète de la
Vierge offre une grande analogie avec la tète du relief d'Olmutz (cf.
infra, ch. x). La tête est refaite. Six personnes sous le manteau, trois
moines à dr., trois nonnes à g. La Vierge porte l'Enfant. A ses pieds,
le croissant de la lune à tète féminine.
4. Gravure éditée à Anvers par Pierre de Jode. La Vierge, couronnée,
en costume de Carmélite, portant sur le scapulaire les armoiries de
l'Ordre (sur ces armoiries, cf. Cahier, Caractéristiques, t. I, p. 83 ,
abrite sous son manteau à dr. les Carmes, à g. les Carmélites. Deux
anges, dans les airs, tiennent au-dessus de sa tète une couronne de
fleurs. Au-dessous, celte légende : Ordo Beafissimae Virginis Mariae de
monte Carmelo .
PL IV, 3.
5. Gravure de C. Galle. La Vierge, couronnée, tenant l'Enfant, distribue
des seapulaiies à des priants agenouillés sous son manteau. A dr. les
i a i m.mi.i i. 53
hommes; au premier rang un Carme, puis un seigneur. A g. les femmes ;
au premier rang, une Carmélite. Le manteau delà Vierge est soutenu
par deux petits anges. Les scapulaires portent le chiffre delà Vierge
Mi A surmonté d'une couronne. En haut, dans le champ : DECOR CAR-
MELI. Sous la gravure, recipite hoc SANCTVM SCAPVLARE inqûo
(juis moriens aeternum non patietur incendium.
6. Anvers. Musée Plantin, salle II, n° •')'.). Dix-huit drains par Corn. Jos.
d'Heur 1707-1762 pourUn bréviaire m-{$,Breviarium fratrum H . V. Mariae
de Monte Carmeli. Le frontispice représente une vigne florissante, sym-
bole de l'( >rdre du Carmel, au pied de laquelle sont deux Carmes sans le
scapulaire, on verra plus loin pourquoi . Celui de droite s'appuie d'une
main sur la bêche avec laquelle il vient de travailler la terre au pied de
cette vigne; dans l'autre main, il tient une épée flamboyante : cet attri-
but le fait reconnaître pour le prophète Klie, que les Carmes assuraient
avoir été le fondateur de leur Ordre Cahier. Caractéristiques, t. [,
p. 111 et 363 : l'épée flamboyante rappelait que '< la parole d'Élie brûlai)
comme la flamme >. Ecclésiastique, xi.vm, 1 et qu'il « était enflammé de
zèle pour le Dieu des armées » III Rois, xix, 10, 14 . Le Canne qui
arrose la vigne est le disciple d'Elie, Klisée, reconnaissableà sa cruche
Cahier, t. I, p. 301). L'Ordre des Carmes, qui fut fondé vers 1156 par
un croisé calabrais sur le mont Carmel en Palestine, a toujours garde de
son origine orientale un faible très prononcé pour le merveilleux. « Les
Carmes semblent représenter assez bien ce qu'on pourrait appeler la
mythologie de l'histoire monastique : leur prétendue descendance des
anciens solitairesqui.dèsles premiers âges du monde, peuplaient, dit-on,
le mont Carmel ; les noms de quelques-uns de leurs chefs, parmi les-
quels ils se plaisent à compter le philosophe Pythagore, et dont ils
auraient persisté à donner une liste antérieure au déluge, si l'on ne leur
avait objecté que l'Écriture ne dit point qu'il y eûl des Carmes dans
l'arche de Noé ; leurs nombreux et inconcevables ouvrages [jour soute-
nir toutes ces fables, défendues le plus souvent par des injures gros-
sières ou par des menaces non moins ridicules que les injures; tout
cela n'a servi qu'à les faire descendre fort au-dessous de la puissante
congrégation de sainl Dominique, ou des illustres disciples de sainl
Benoît1. >> On sait à quelle polémique donnèrent lieu, à la lin du
xvir siècle, entre le Bollandiste Papebroch et les Carmes, les traditions
de ceux-ci louchant l'antiquité fabuleuse de leur Ordre 2. Le dessin du
musée Plantin montre que les Cannes, au XVIIIe siècle, n'avaient rien
rabattu de leurs prétentions. Aujourd'hui, les Cannes d'esprit avancé
pensent que le prophète Élie doit être considéré comme le père de leur
Ordre, parce qu'il aurait apparu à saint Berthold, leurpremier général,
t. .(.Y. Le Clerc, dans VHist. litt.de la Fr.A.XX. p. 511.Cf.Reu. des Biblio-
thèques, L905, p. 322.
2. Ces traditions expliquent la curiosité iconographique relevée par Sauvai
[Hist. ri recherches des antiquités de Paris, appendice du t. III. p. 35 : ■ ■ depuis
peu. aux Billettes, dans lachapelle de la Vierge, le P. Mathias de Saint-Jean,
provincial des Carmes Mitigés, a fait représenter Agabus, l'un des préten-
dants de la Vierge, rompant sa baguette et prenant l'habit du Carme ■
k-d. <ln Carmel . de dépit de voir la Vierge mariée à Joseph. »
54 CATALOGUE
et lui aurait commandé de réunir sur le mont Carmel les religieux qui
devaient former le noyau de l'Ordre nouveau (Anal. Boll., 1906, p. 195).
Au pied de la vigne resplendit dans une gloire le chiffre de Marie sur-
monté de la couronne royale, ce qui signifie que le Carmel est consacré
uniquement à la dévotion delà Reine du ciel — tandis que l'apparition
qu'on voit au-dessus de la vigne prouve que la dévotion du Carmel pour
Marie trouve au ciel sa récompense : Marie apparaît, portant l'Enfant
Jésus, et abritant sous son vaste manteau soutenu par des anges, à droite
les Carmes, à gauche les Carmélites ; au premier rang, à gauche, sainte
Thérèse tenant un crucifix, à droite saint Simon Stock, auxquels Marie
remet le scapulaire des religieux (sur l'apparition delà Vierge à saint
Simon Stock, voir la fameuse dissertation de Jean de Launoy). Pour les
deux sortes de scapulaires, celui des religieux et celui des laïques, cf.
Cahier, Caractéristiques, s. v. scapulaire; celui des religieux Carmes
ou Dominicains est une longue bande d'étoffe, qui tombe jusqu'aux
pieds et qui est de la même couleur que la tunique, blanche pour les
Dominicains, brune pour les Carmes. Si Élie et Elisée n'ont pas le sca-
pulaire, c'est que, quand ils furent sur la terre, la Vierge ne l'avait
pas encore octroyé aux Carmes.
PI. IV, 4.
7. Avila, dans la sacristie de l'église des capucins (cette église est
bâtie sur l'emplacement de la maison natale de sainte Thérèse). Enorme
tableau peuplé de centaines de personnages, qui représente les gloires
du Carmel. Toile en largeur. Vers 1600 (renseignements communiqués
par M. Bertaux).
CHARTREUX
1. Sceau du xive siècle, provenant de la Chartreuse du Val-Profond
(archidiocèse de Sens). Dans une arche gothique, la Vierge nimbée,
debout, de face, abritant sous son manteau deux Chartreux agenouillés,
qui tiennent un phylactère sur lequel on lit cette phrase de VAve maris
stella : MONSTRA (te) ESSE MX(trem). Le manteau de la Vierge est
tenu par deux saints qui seraient saint Christophe portant l'Enfant
Jésus sur les épaules, et saint Jacques de Compostelle. Cf. Vallier :
Sigillographie de l'Ordre des Chartreux et numismatique de saint
Bruno (Montreuil-sur-Mer, 1891, 8°), pi. XIV, n° 4.
2. Ee plus intéressant des monuments qui représentent la Vierge de
Miséricorde abritant les Chartreux sous son manteau, est une fresque
de la deuxième moitié du xve siècle, qui se trouve à l'ancienne Char-
treuse du Pesio, dans l'Apennin ligure, non loin du col de Tende. Elle
a été publiée par M. de Laigue dans le Bulletin archéologique du Comité
(1905, p. 166-167, pi. XIII). J'ai montré ailleurs (Bull, des antiquaires
de France, 1900, p. 136-139 «pie M. de Laigue s'est étrangement mépris
en voyant dans cette fresque l'œuvre d'un primitif français, dont il a cru
pouvoir dire le nom, et montrer le portrait parmi les moines agenouillés
sons le manteau de la Vierge. Cette fresque n'est pas un travail soigné;
c"csl un barbouillage fait à la diable, dans une niche en plein vent, à
i \ i \i ,OGUE -,,)
l'entrée d'un pont par où l'on accède au couvent. La Vierge esl debout
sur nu piédestal, où, probablement, avail été peinte une brève prière,
effacée aujourd'hui. Derrière la Vierge, une tenture en hauteur forme un
fond sombre; celte tenturese retrouve derrière beaucoup de Vierges ita-
liennes de la finduxv8 siècle, suri., ni .lu us la peinture ombrienne el véni-
tienne. La Vierge est coiffée d'un bonnel cylindrique, un peu évasé du
haut, analogue à celui de la Vierge de Miséricorde peinte en 1445 par
Piero délia Francesca pour l'hôpital de Borgo Sun Sepplcro : ce bonnet
est entouré, en bas, d'une couronne où les perles alternent avec les fleu-
rions : tel celui qu'on voit au dur Federigo d'Urbin, sur le portrait
du musée des Offices peint par le même Piero délia Francesca en 1 169.
Le manteau de la Vierge esl soutenu à gauche par saint Bruno, à
droite par saint Jean-Baptiste, reconnaissable à l'Agneau mystique
qu'il tient sur la main gauche. Pourquoi saint Jean-Baptiste .' Parce que
les fils de saint Bruno l'honorent d'un culte particulier, comme en
témoigne la formule de leurs vœux : « Moi, N., promets stabilité,
obéissance et conversion de mes mœurs, devant Dieu el ses saints et
les reliques de cet ermitage, qui est bâti en l'honneur de Dieu, de la
bienheureuse Vierge Marie et de saint Jean-Baptiste. » Hélyot l'édition
Migne, Dict. des Ordres religieux, t. I, col. sus . à qui j'emprunte cette
formule, ne dit pas pourquoi les Chartreux honorent spécialement le
Précurseur, mais la raison s'en voit assez : il est leur modèle, parce
qu'il a vécu par avance de leur vie ascétique et solitaire : « En ce
temps-là parut Jean-Baptiste dans le désert de Judée... 11 se nourris-
sait de sauterelles et de miel sauvage ; il avait un cilice de poil de
chameau, une ceinture de cuir autour des reins >> Matth., ni. 1-i). De
là le lumbar, cette ceinture de corde que les Chartreux portent conti-
nuellement sur la peau nue. De là vient encore que les Chartreuses
sont fréquemment placées sous l'invocation de saint Jean-Baptiste et
que l'image du Précurseur figure souvent sur les sceaux des Chartreux :
cf. Vallier, Sigillographie de l'Ordre des Chartreux, passim.
3. Cologne. Wallraf-Richartz Muséum n° i."»7 (Verzeichnis, p. 131 ;
Aldenhoven, Geschichte der Kôlner Malerschule, p. 263 . Tableau de
la fin du xve siècle, provenant delà Chartreuse de Cologne. La Vierge,
avec l'Enfant sur le bras, est debout sous un baldaquin gothique. Sous
son manteau sont agenouillés dix Chartreux. Il est tenu levé par saint
Hugues, évêque de Lincoln (f 1200) et par saint Hugues, évêque de
Grenoble, fondateur présumé de la Grande-Chartreuse f 1132; cf.
Cahier. Caractéristiques, t. I, p. :57 el 249).
4. Au musée de l'hospice de Villeneuve-lès-Avignon, dans l'escalier,
mauvaise peinture du XVIe siècle: la Vierge abritant les Chartreux SOUS
son manteau. Ce tableau provient, je suppose, de la Chartreuse du \ ai-
de bénédiction, fondée en 1356 par Innocent \ 1.
5. Tableau de Zu rbaran, au musée provincial de Séville, provenant de la
Chartreuse de las Cuevas. Sous le manteau que soutiennent deux ange-
lots, sont agenouillés des Chartreux. La Vierge pose les mains sur la
tête des deux premiers. Au-dessus d'elle, l'Esprit Saint, sous la forme
:')0 CATALOGUE
cl'uno colombe, entouré de chérubins. Photographie Laurent-Lacoste,
n" L088. Reproduction dans V, Maynavd, La Suinte Vierge Paris, 1894),
p. m,
SERVITES
1. Sienne, dans le chœur de Sainte-Marie des Servîtes. Tableau à fond
d'or, daté et signé d'un peintre siennois qui n'est pas autrement
connu : Opus Johannis d(e) Pétri S(enens)si MCCCCXXXVI. Lombardi,
461. » Probabilmente dev'essere stata rifatta sulfantica. Lu tempera è
scarsa e grigia ; la tavola ha sofferto per restauro » (Cavalcaselle et
Crowe, t. IX, p. V.\ . La Vierge abrite sous son manteau les membres
de l'Ordre des Servîtes. « L'on prétend, dit IlélyoL (t. III, p. 301), que
la Vierge s'apparut aux fondateurs de cet Ordre, en leur montrant un
habit noir qu'elle leur commanda de porter en mémoire de la passion
de son Fils. C'est en mémoire de cette apparition, qui, selon le
P. Archange Giani (Annales Ord. Serv. B. V. M.), arriva le vendredi
saint de l'an 1239, (pie les religieux Servîtes ont coutume de faire ce
jour-là une cérémonie qu'ils appellent les Funérailles de J.-C. » Gio-
vanni di Pietro a donné à la Vierge la robe noire des Servîtes (cf. Hélyot,
t. III, pi. 81-84), mais en l'ornant, sur les manches, de grandes brode-
ries qui représentent des prophètes ; le scapulaire que porte la Vierge
est couvert de broderies analogues : en haut, sur la poitrine, la Sainte
Face; au-dessous, trois prophètes tenant des banderoles où sont figurés
des caractères dénués de sens. Derrière le manteau de la Vierge, quatre
anges vus à mi-corps.
PL V, 3.
2. Relief de grandes dimensions, jadis au-dessus de la porte latérale de
l'église des Servîtes, à Venise, placé depuis 1900 au-dessus de la porte
d'entrée du Musée de peinture (anciennement Scuola délia Carità) ; don
Guggenheim (Diego Sant'Ambrogio, La colonno votiva di Cantù,p. 12).
3. Gravure romaine du xvme siècle, par N. Bangiorgi. La Vierge de
Sept Douleurs — VAddolorata — avec les sept glaives plantés dans le
cœur, abrite sous son manteau les Servîtes agenouillés, à droite les
hommes, à gauche les femmes. Au-dessous, cette inscription : Regina
servorum tuorum, ora pro nohis. Je ne connais cette gravure que par
une reproduction imprimée à Home, le 21 juin 1894-, au couvent des
Servîtes Sl-Marcel «lu Corso, cédé aux Servites par Grégoire XI en
1370 . et qui était en 1905 affichée à un pilier du chœur de Saint-Sau-
veur de Bruges. Une image analogue se trouve, parait-il, en tête des
bréviaires des Servites; ce serait en quelque sorte le stemma de l'ordre.
MERCÉDAIRES
1. Gravure éditée par Pierre de .Iode avec cette légende -.Ordinis beatae
M;iri;t<< Virginis <le m<>r<-o<Ie redemplionis cnptivorum (la planche usée
de celle gravure a été réemployée par P. Mariette le fils). La Vierge,
couronnée et nimbée, est vêtue de l'habit des Mercédaires : manteau,
robe, et large scapulaire sur lequel sont brodées les armes de l'Ordre:
CATALOGUE •"> i
pour ces armoiries, cf. Barbier de Montault, Traité d'iconogr., t. [V,
pi. XVII, n" 189 Œuvres, t. IV, p. 17:!. Deux anges soutiennent son
manteau, sous lequel sonl agenouillés les Mercédaires avec d'autres
personnes à dr. lepapeel des évoques; à g. l'empereur et le roi). A
terre, devant la Vierge, des fersde captifs. Dans le ciel apparaît Dieu
h> Père, qui fait le geste de la bénédiction.
PI. IV. i.
2. Gravure in- 12, non signée, du milieu du xvnc siècle, au Cabinet des
Kstampes /*'/>/. mi/xt. </<■ la Vierge, l.l. La légende est française :
« La très sainte Vierge, l'an 1218. le Ier jour d'aoust, apparut avec grand
esclat et déclara que son Fils vouloil que l'on instituai sons son oom
l'Ordre des Religieux de la Mercy pour le rachapl des Chrétiens
esclaves : ceux qui portent le scapulaire de leur confrérie ou qui font
l'aumosne pour les esclaves gaignent de grandes indulgences qu'ils
peuvent appliquer aux defuncts. » Dans un cadre ovale, où sont accro-
ches des fers et des chaînes, apparaît la Vierge dans le costume des
Mercédaires ; sous son manteau, que soutiennent les anges, sonl age-
nouillés, à droite le Pape, un saint en costume de mercédaire (sans
doute le fondateur de l'ordre, saint Pierre Nolasque, -j- 13 juin 12">N (>t une
sainte; à gauche un jeune roi et sa jeune femme (l'artiste a dû penser à
Louis XIV et à Marie-Thérèse . Au-dessus de la Vierge, une banderole
qui porte ces mots : Maior horum est charitas 1 Cor. xin, 13 . A terre,
devant la Vierge, une paire de « doubles boucles ». Au bas du cadre les
armoiries de l'ordre, et deux captifs agenouillés ; ils viennent d'être
rachetés et ils offrent leurs fers en ex-voto à la Vierge.
3. Musée de Valence, n° 49. Grande toile en longueur, par Antonio
Vergara début du xvne s.). Nueslra Sa de la Merced. La Vierge porte le
blanc costume des Mercédaires, manteau, robe et scapulaire, celui-ci
marqué des armoiries de l'Ordre. Au premier rang des priants qui
sont agenouillés sous le manteau protecteur, un Mercédaire tenant la
bannière de l'Ordre : c'est le donateur, d'ailleurs inconnu. A côté de
lui, une femme présente son enfant à la Vierge, et un captif racheté lui
offre ses (haines. Je dois cette description à M. Bertaux.
4. Musée de Valence, n° 54. Toile en hauteur, par Vicente Dopez 1772-
1n:;i» . La Vierge de la Merci, en blanc Les captifs, la femme et les
deux enfants agenouillés sous le manteau sont des portraits du peintre,
de sa femme et de ses fils Luis et Bernardo. Le manteau est soutenu
par des angelots. Tableau d'un joli ton clair; influence manifeste de
Tiepolo renseignements communiqués par M. Bertaux . — PL XXX, 2.
AUGUSTINES
1. Au musée de Pérouse,n° .536, tableau du XVIe s., provenant du cou-
vent des nonnes Augustiniennes de sancta Lucia in porta SanVAngelo.
La Vierge, sans l'Enfant et sans la couronne, abrite SOUS son manteau
deux groupes déjeunes filles, vêtues de robes de toutes couleurs, mais
portant chacune un voile blanc sur la tète.
CATALOGUE
BÉNÉDICTINS
1. Subiaco. Fresque du monastère du Sacro Speco, dans la crypte,
chapelle de la Dormition de la Vierge, peinte à la fin du xive s. « Marie
étend son large manteau pour abriter pape, évêques, cardinaux, reli-
gieux » (Barbier de Montault, dans Annales archéologiques, t. XIX,
p. 238). Je n'ai pas pu me renseigner sur cette fresque. Il est croyable
qu'elle représente la Vierge abritant la grande famille bénédictine.
JÉSUITES
i. On signale, chez un brocanteur de Lyon, un petit tableau repré-
sentant la Vierge Marie abritant 1rs Jésuites sous son manteau : cf. Réu-
nion dca sociétés des Beaux-Arts, 1907, p. 404.
ORDRES INDÉTERMINÉS
1. Petit tableau à fond d'or, giottesque ou siennois, de la fin du
xiv ou du début du xv siècle, au musée de l'Académie, à Florence
(n° 272). La provenance exacte n'est pas connue. Comme la plupart des
tableaux de l'Académie, il doit avoir appartenu à un couvent. Sur la
bordure inférieure est peinte cette inscription, qui se rapporte à la
Vierge : Advocata Universitafis, <■ Universitas » signifiant ici, non pas
l'universalité des humains ou des chrétiens, encore moins une Univer-
sité, mais seulement l'Ordre auquel appartenaient les nonnes, qui sont
représentées à genoux sous le manteau protecteur. En haut, dans le
ciel, paraît le Christ, qui, à la prière de la Vierge, bénit les nonnes. En
face du Christ, trois anges inclinés dans une attitude d'adoration. Notons
à titre de curiosité, que le Guida délia r. galeria antica e moderna (par
Pieraccini, 5e éd., p. 115 , croit que ce tableau représente, non pas la
Vierge «le Miséricorde, mais sainte Elisabeth de Hongrie.
PI. V, 1.
2. Marseille, musée Borély.
Broderie de provenance inconnue ; xvie siècle. La Vierge, sans la
couronne et sans l'Enfant, couvre de son manteau, dont elle tient les
pans à poignée, six religieuses agenouillées sur un dallage formé
de plaques carrées. Devant la Vierge est posé un coq.
PL VII, 1. v
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
CHAPITRE IV
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES
Fondation dos Confréries, au xme s., sous l'influence des Ordres men-
diants ; le Tiers-ordre franciscain. — Flagellants et Pénitents.
— Saint Bonaventure et la Confrérie romaine des Recommandati \'ir-
giniw _ Dévotion des Confréries pour la Mère de Miséricorde. — La
Viergeau manteau protecteur figurée sur les retables, les bannières q[
les enseignes de Confréries. -- Les Misericqrdie d'Italie, les Scuo/e
de Venise, les Pénitents de Provence, les Charités de Normandie.
— La Confrérie de Saint-Nicolas-des-Clercs à Toul.
Gomment, de monastique que le thème de la Vierge au
manteau était à L'origine, est-il devenu, au sens étymolo-
gique du mot, « catholique », c'est-à-dire universel? Com-
ment la Chrétienté tout entière a-t-elle réussi à s'agenouiller
sous le manteau protecteur, qui n'abritait au XIIe siècle qu'un
Ordre religieux? Comment s'est opéré le passage d'une con-
ception ;i l'autre, sous quelles influences, par quels intermé-
diaires et à quelle époque?
Je crois quecette évolution s'est accomplie, du milieu du
\iu'' siècle au milieu du xive, sous l'influence des Francis-
cains et des Dominicains, par l'intermédiaire des Con-
fréries.
Les Confréries, associations de laïques fondées pour pra-
tiquer certains exercices de dévotion, certaines œuvres de cha-
rité, pour honorer particulièrement un mystère ou un saint,
semblent avoir commencé à se développer au xiue siècle. Les
mêmes causes qui expliquent l'institution du Tiers-ordre
GO CHAPITRE IV
franciscain et du Tiers-ordre dominicain expliquent la nais-
sance el la vogue rapide des Confréries1.
L'Ordre franciscain, à son début, était animé d'un esprit si
différent de l'égoïsme, de la cupidité et de l'ambition qui ins-
piraient les autres familles religieuses, la vie et la prédication
des premiers frères Mineurs étaient si conformes à la pure
doctrine évangélique, les nouveaux prédicateurs étaient si
enthousiastes, ils savaient si bien le secret de toucher l'âme
populaire, que les foules chrétiennes furent saisies d'un
immense désir de devenir franciscaines. Tel était l'empresse-
ment à entrer dans l'Ordre nouveau que le fondateur craignit,
dit-on, de vider le monde et d'attirer la chrétienté entière dans
les cloîtres. Il eut l'idée de créer, au profit des postulants et
postulantes qu'il ne pouvait admettre, une affiliation de gens
vivant pieusement dans le siècle'2. Cette ramification de l'Ordre
franciscain parmi les séculiers s'est appelée depuis le Tiers-
ordre', les plus anciens documents l'appellent la Confrérie
de la Pénitence, Ordo poenitentium, Fratres de poenitentia.
Elle naquit spontanément de l'enthousiasme qu'excitèrent les
prédicateurs de François, dès 1210, après son retour de
Rome '.
Le Tiers-ordre franciscain, et d'une façon générale les Con-
fréries de pénitence, sont parmi les manifestations les plus
caractéristiques de ce «pieux laïcisme» ' dont les masses chré-
tiennes ont été agitées au XIIIe siècle. Elles tâchent de faire
elles-mêmes leur salut, elles ne l'attendent plus uniquement
1 . On a écrit que « les Confréries s'étaient extrêmement multipliées dès la fin
du \ir siècle » et cité, à l'appui de cette assertion, une décision d'un concile
qui avait été tenu à Rouen en ILS!» et dont les actes seraient publiés au t. II
du recueil de Labbe, \>. 585 ; eu réalité, le t. II de Labbe est consacré aux
conciles du iv- siècle, il n'y a pas eu de concile en 1189, ni à Rouen
ni ailleurs, et la décision citée, qui concerne les abus des Charités nor-
mandes, est empruntée aux actes d'un concile tenu à Rouen en 1 5s l (Concilia
Rolomagensis provincia, éd. dom Bessin, Rouen, 1717, p. 223 ; Labbe, Con-
cilia, t.' XV, p. 851). Cf. dans la Bibl. de l'École des Chartes, 1881, p. 5, la
charte d'érection d'une confrérie de saint Martin, dans le monastère de Cani-
pm.au diocèse d'Elne, datée du 2 avril 1293. — Sur les Confréries en général,
voir les auteurs cites par A. Matter, dans la Revue de Paris, 1906, II, p. 183.
2. Karl Millier, Die A nfiinge des Minoritensordens und der Bussbruder-
schaflen (Fribourg, 1885), p. 117, 134.
3. L'appellation fratres tertii ordinis S. Francisci paraît pour la première
fois en 1231 Millier, op. cit., p. 133).
4. Première vie de saint François par Thomas de Celano, dans Acla SS..,
oct. II, p. 694 B et la note m ; cf. dans le même tome des Acta, la p. 593 et
Sabatier, Vie de saint Français d'Assise, p. 303.
3. Kraus, Hisl . de ÏEçflise, trad. fr. (Paris, 1898), t. II, p. 318.
LA VIERGE Al MW l EAI El LES I 0NFRÉR1ES <»l
du prêtre. Les foules, à cette époque, ont une extraordinaire
faculté d'émotion; des enthousiasmes délirants s'emparenl
d'elles e1 leur inspirent toutes les saintes folies de La croix.
L'Eglise assiste à peu près impuissante à ces mouvements
désordonnés, qu'elle n'a pas créés : Croisades des enfants.
en 1212 et en 1237 ' ; Croisade des pastoureaux, en 1251 2.
Ce sont des pays entiers qui se lèvent et se rassemblent
autour des prédicateurs populaires : Berthold de Ratisbonne
parlai! à des foules de 60.000 personnes ; fra Giovanni
Schio de Vicence pacifia un instant, en 1238, tout le nord
de l'Italie et jeta Guelfes et Gibelins dans les bras les uns des
autres .
Saint François n'avait pas donné de règle aux Tertiaires'1.
Dans sa pensée, leur règle devait être l'Évangile; et leur but,
la paix et la concorde entre tous les hommes. Mais les
Frères et les Sœurs de la Pénitence dévièrent vite du che-
min que le fondateur leur avait tracé. Les Confréries de
pénitence tombèrent bientôt dans les pratiques extérieures et
la dévotion mécanique. Elles imitèrent les dehors et les façons
des Ordres. A partir de 1260, elles prennent modèle sur les
flagellants. Dans toutes les associations de pénitents, la disci-
pline prise en commun était dérègle"'. En Italie, les membres
de ces Confréries s'appelaient indifféremment Poenitentes ou
Disciplinati.
1. Hecker, Die grossen Volkskrankheiten des Mittelalters, réédition de
Hirsch (Berlin, 1865), p. 121-142.
2. Élie Berger, Histoire de Blanche de Castille, p. 393.
3. Sabatier, op. laud., p. 132. Le résultat le plus important des prédications
populaires dans l'Italie du xiv" et du \\ siècle aurait été. d'après Jacob Bur-
ckhardt, d'amener des réconciliations entre des ennemis déclarés : d ne
s'obtenail qu'à la fin d'une série de sermons, quand l'esprit de pénitence avait
gagné à peu près toute la ville, quand l'air retentissait du cri de tout le peuple :
Misericordia ! - Pareva che l'aria si fendesse, » dit un chroniqueur. < >n voyait
alors des familles se réconcilier et s'embrasser solennellement, même s'il y
avait eudu sang versé. <>n permettait aux bannis de rentrer dans la ville La
civilisai ion en Italie ,111 temps de lu Renaissance, Paris, 1885, t. II. p. 240 .
Les deux mouvements flagellants, de 1260 et de 1330. produisirent des effets
analogues.
i. La règle des Tertiaires, que la tradition attribue à saint François, dérive,
comme l'a montré Mùller (op. cit.. p. 117-129), de la huile de Nicolas l\ .
Supra montem 17 aoûl 1289).
5. « Il y aurait un grand profit à établir en l'honneur de La Mère de Dieu la
congrégation secrète des confrères les plus fervents. Voici en abrégé les ser-
vices qui s'y pratiquent : la discipline se prend l'espace d'un Miserere et d un
Salve etc Alphonse de Liguori, Les gloires de Marte, II, iv, § VII : Des
Confréries de la sainte Vierge .
62 CHAPITRE IV
La névrose de la flagellation paraît avoir pris naissance dans
l'Italie centrale. Un témoignage vraisemblable la fait commen-
cer a Pérouse1, dans des populations imbues d'idées francis-
caines. L'épidémie se déclara en 1259-1260 2, on ne sait à
quelle instigation : il est croyable qu'il n'y eut pas d'insti-
gateur, et cpie Jacques de Varazze a raison de dire que le
mouvement commença ;i pauperibus et simplicibus. Il devint
irrésistible très vite : sacrilegus habebatur qui id non ageret*.
Comme par enchantement, aux cris de : Pax, pa.r ! que pous-
saient les flagellants, les discordes publiques et privées s'apai-
saient, les exilés étaient rappelés dans les villes. Puis, non
moins vite, le mouvement tomba. L'ondulation de cet extraor-
1. Cf. Annales S. Justinae Patavinae dans Muratori, Rerum ilal. script..
t. VIII, col. 712 (sur ces Annales, cf. Potthast, Ilibl . M. .E.. t. I,
p. 72 :
(Anno MCCLIX), cum Iota Italia multis esset flagitiis el scelertbus inqui-
nata, quaedam subitanea compunctio et inaudita, invasit primitus Perusi-
nos, Homanos postmodum, deinde fere Italiae popvlos universos. In tantum
itaque timor Domini irruit super eo.s-, quod nobiles pariter, et ignobiles, senes
et juvenes, infantes etiam qninque annorum, nudi per plaleas civilatum,
opertis tantnmdem pudendis, hini et bini processionaliter incedebant : singuli
flagellum in manibus de corrigiis continentes, et cum gemitu el ploratu se
acriter super scapulis usque ad effusionem sanguinis cerberantes : et eff'usis
font i bu s lacrymarum,ac sicorporalibus oculis ipsam Saint loris cernèrent pas-
sionem, miser icordiam Dei et Genelricis ejus auxilium implorabant non
solum in die. veruin etiam in nocte cum cereis accensis, in hi/eme asperrima,
centeni. milleni, decem millia quoque per eivitates ecclesias cirenibant, et
se unie altaria humililer prosternebant, praecedentibus eos sacerdolibus cum
crucibus el vexillis. Super ista rero poenitenlia rejientina, r///ae ullra
etiam fines Italiae per diversas provincias est diffusa, non solum viri médio-
cres, sed et sapientes non irrationabililer mirabantur : cogitantes, unde
tantum fervoris imjiclns proveniret : maxime cum isle modns poenitentiae
inauditus non fuisse! a summo pontifi.ee instilutns, qui tune Anagniae resi-
debat : nec al> alicujus praedicatoris, vel auctorabitis personae industria vel
facundia persuasus, sed a simplicibus sumsit initium, quorum vestigia ilocli
panier et indocti subito sunt seculi.
2. En 1261, dit Jacques de Varazze. Cette date peut être exacte de Gènes,
dont Jacques étail évèque. Elle est fausse pour le reste de l'Italie.
3. Ricobaldi Ferrariensis historia imperatorum dans Muratori, Ber. liai,
script., t. IX, col. l-'il Ricobaldi écrivait au début du xiv siècle: cf. Potthast,
t. II, p. 972) :
(Anno MCCLX inaudita novitas fuit per omnes Italiae partes. Nam omnes
prima hyeme nudi longo agmine bini euntes tecto corpore infra umbilicum
per urbes, vicos el cillas viilicolae incedebant, se flagellis et loris caedenles
et psallentes Dei laudes el Beatae Mariae, clamitantes : Pax pax ! Ko infinitae
discordiae et hostititates pacatae sunt. Mulieresin turmishoc nocti]>nsfaciebant;
sacrilegus habebatur quicumque id non ageret, sed post Januarium paulatim
defecil ea novitas, quae appellata erat Verberamenlum. — Le mot verberamen-
tum rappelle le mot consolamentum, qui désignait l'initiation complète à
l'albigéisme,
LA VIERGE Al MANTEAU ET LES CONFRÉRIES 63
dinaire ébranlement s'étail propagée jusqu'en Allemagne1 el
en Pologne 2.
La première épidémie des flagellants semble avoir Laissé des
traces profondes en Italie. Les pénitents italiens conservèrent
les pratiques ascétiques des flagellants, la discipline reçue en
commun, les supplications processionnelles au Christ el à la
Vierge, la méditation fréquente et intense de la Passion ; ils
conservèrent aussi leur costume, le capuce qu'on rabattait sur
le visage, et leurs insignes, ces bannières, ces grandes croix
qu'on portait en tête des processions.
La plupart des Confréries qui se fondent au xme siècle se
placent, à l'instar des Ordres religieux, sous l'invocation de la
Vierge :i, et s'efforcent d'obtenir contre la malice du Diable et
la colère de Dieu la protection de Marie''. Se blottir sous le
manteau de Marie, ce rêve des Ordres religieux devait deve-
nir celui des Confréries. Dès le milieu du xme siècle, le
1. Henricus Stero, cité dans Raynaldus, Annales eccles., t. III, p. ."xi : Erat
modusipsius poenitentiae ad patiendum durus, horribiliset mirabilisad viden-
ilum : iiiiin aï umbilico sursum corpora dénudantes, quadam veste partent
corporis inferiorem usque ad talos tegentem habebanl, et ne quis eorum
agnosceretur, cooperto capite et facie incedebant. Procedebant etiam bini,
terni, tanquam clerici, vexillo i>r;teeit> vel cruce, flagellis semeptisos bis in die
per triginta 1res dies. et deinde in memoriam lemporis humanilatis Domini
nostriJesn Christi super terram apparentis tamdiu cruciantes, quousque ad
quasdam cantilenas, quas de passione ac morte Domini dictaverant, duobus
vel tribus praecinentibus circa ecclesiam vel in ecclesia compleverunt, nunc
in terram corruentes, nunc ad caelum nuda brachia erigentes, non obstante
lato vel nire. frigore vel calore. Miserabiles itaque gestus ipsorum et dira
verbera multos ad lacrymas et ad suscipiendam eamdem poenitentiam provo-
cabant. Sed (juin origo eiusdem poenitentiae nec a sede Itomana. nec ah aliqua
persona auctorabili fnlciebatur, a quibusdam episcopis et domino Henrico
duce Bavariae eoe/iit haberi conlemptni, unde tepescere in brevi coepit sieut
res immoderate concepta.
2. Joannes Longinus, Hist.Pol.. lil>. 7. cité dans Raynaldus, Ann. Eccles.,
t. III. p. :>:.
3. Voir les Annales <>. Praed., t. I. app., p. 165-183 1255-1288), poui les
Congregationes B. Marine Virginis. Cf. Bullarium <>. Praed., I (éd. Ripolli .
]>. -JCiii. 370, 392 (1258-59 . Humbert de Romans, général de l'Ordre Domini-
cain de I2'i."> à 1273, aurait écrit ceci : In aliquibus nationibus et maxime
in Italia fiunl interdum congregationes, seu confrariae, in honorem B. Vir-
ginis, vel alicujns Sancti, ex quibus sequilur multus fructus. Ce texte esl
cité par Choquet, Marine Deiparae in Ordinem Praedicatorum viscera
materna Anvers, l<i:''l . p. 166. Je crains qu'il ne soit empruntée à un pseudé-
pigraphe du sv siècle, le Liber sermonum de fraternitate Bosarii I>. Vir-
ginis (cf. Ilist. lilt. delaFr., XIX, 346 .
i. La plupart des confréries de pénitence qui se fondent après le xni* siècle
sont pareillement placées sims l'invocation de la Vierge: ainsi, la fameuse
confrérie des Pénitents établie en 1583, par Henri III, à l'église des Grands-
Augustins de Paris avait pour titre « Association Notre-Dame.»
64 CHAPITRE IV
thème de la Vierge au manteau protecteur est emprunté aux
Ordres religieux par une confrérie de Home, la plus célèbre
de toutes les associations de pénitents placées sous l'invocation
de Marie, la Confrérie des <» Recommandés à la Vierge »,
Recommandati Virgini : elle fait peindre sur sa bannière la
Vierge abritant les confrères sous son manteau : et cette
bannière paraît si bien imaginée que les Fratelli recommandati
en reçoivent le surnom populaire de Società del gonfalone.
M. Brockhaus1, qui a cité le passage des Annales de Raynal-
dus - où ces faits sont rapportés, n'a pas connu une circons-
tance essentielle, qui leur donne leur vrai caractère : cette
Confrérie romaine des Recommandati avait reçu sa règle de
saint Bonaventure, qui exerçait alors la charge d'inquisiteur
général du Saint-Office ?' ; la Confrérie dont il s'agit est donc
d'origine et d'inspiration franciscaines ; comme elle paraît
avoir servi de modèle à nombre d'associations similaires,
voilà donc bien les Confréries rattachées au Francisca-
nisme.
Je ne pense pas que l'antique gonfalon des Recommandati
subsiste encore. En revanche, il nous reste beaucoup de pein-
tures votives provenant de Confréries instituées sur le modèle
de celle de Rome. Or, le type choisi pour ces ex-voto est le
même que celui qui avait été figuré sur la bannière romaine :
ainsi, le tableau peint vers 1350, par Lippo Memmi pour les
Recommandati d'Orviéto. La Toscane et la Vénétie possèdent
1. Forschungen tiher (lorenliner Kunslwerke, p. 85-89.
2. T. III, p. 232: dicebalur confralernitas commendatorum Virgini, in cujus
collegiiinsignibus Deiparae pallio suo sodales tegenlis effigies expressa erat,
acsocietas Gonfalonis nuncupata oh vexillumhujusmodi imagineinsignitum,
quod religioso agmine solemnipompa incedenti praeferre soleret ;atquehujus
exemplo condita ;tli;i pin sodalitia.
3. Hélybt, Histoire des Ordres monastiques, t. VIII, p. 260-264. Cf., dans le
Dict. de théologie catholique de Vacant et Mangenot, p. 963. la notice sur Bona-
venture, par le P. Smeets, et S. Bonaventurae opéra, éd. de Quaracchi, t. X,
p. 56. La biographie de saint Bonaventure, de 1264 à 1265, est mal connue, faute
de documents certains. La tradition qui rapporte à l'année 1264 la règle
donnée à Y Arciconfraternità del Gonfalone a pour unique garant une consti-
tution de Grégoire XIII, du 12 octobre 1576 : eum itaque, sicut aceepimus.
superiorihus temporihus, videlicet de anno 1264 in aima Urhe noslra admodum
insignis soeietas regulae Recommendalorum ejusdem beatae Mariae \ irginis,
primo et deinde Gonfalonis nuncupata... canonice inslituta . . . . et inter
cetera pro illius felici directione. . . . per S. Bonaventuram pie statuta et
ordinata. Plusieurs érudits, notamment Raynaldus, datent de 1267 l'érection
de cette Confrérie ; les Bollandistes Aeta SS., 11, juillet. Yita S. Bonav.,§i,
n. 37 . de 1270.
I.A VIERGE AU \IA.\ll Al i i LES CONFRÉRIES (>.">
plusieurs peintures analogues, datanl du trecento, qui repré-
sentent des Confréries de pénitents agenouillés sous le
manteau de Marie. Sur le retable de Simone da Gusighe, qui
date de 1394, on voit la Vierge de Miséricorde abritant sous
son manteau une Confrérie de disciplinait ; l'un d'eux porte
leur gonfalone : l'image de la Vierge au manteau protecteur
y était peinte, comme sur la bannière des Recommandait
romains (pi. X, 1).
La plus curieuse de ces vieilles peintures est un tableau
siennois, jadis dans la collection Campana, aujourd'hui au
musée de Cherbourg (pi. III, 2). On y voit la Vierge de Miséri-
corde abritant sous son manteau de reine des gens de tout état.
Au premier plan sont agenouillés les membres d'une Confrérie
de pénitents : ils se frappent à grands coups de discipline; leur
robe a dans le dos une large ouverture circulaire, pour que le
fouet puisse mordre la peau nue1. Ce tableau paraît dater de
la lin du xive siècle : il semble à peu près du temps qui vit la
deuxième épidémie des flagellants. En tout cas, les Discipli-
nati qu'on y voit représentés sont bien du pays où les flagel-
lants parurent pour la première fois.
On trouvera, à la fin de ce chapitre, le catalogue descriptif
des Vierges de Miséricorde, sculptées ou peintes, qui pro-
viennent de Confréries. Il est riche surtout en monuments
italiens, parce que nulle part les Confréries n'ont autant pul-
lulé qu'en Italie2: « c'est, dit Flélyot3-, le pays du monde
où il y en a le plus grand nombre ; il faudrait un volume
entier pour parler de toutes, puisque dans la seule ville
de Rome où elles ont pris naissance, il y en a plus de
cent. » A l'instar des Recommandati de Rome, les Confréries
italiennes s'étaient placées sous la protection spéciale de la
Vierge miséricordieuse. Les monuments qui les montrent
agenouillés sous le manteau protecteur peuvent être classés
suivant trois ou quatre types principaux.
I . Même ouverture dans la robe des pénitents de Simone da Gusighe.
•2. Sur les Confréries de l'Italie actuelle, on trouvera de curieux renseigne-
ments dans la Statistica délie confraternité publiée par la Direction générale
de la statistique italienne Ier vol., Home. 1892). Elle en compte 13,216. Les
m.ms son) : confratria, fraleria, collecta, consortium, sodalitium, compagnia,
zongreghe : à Venise, en I ibardie scuole ; dans l'ancien royaume de
Naples, estaurite, staurite. Quand d une confraternilà en dépendenl d'autres
elle prend le nom d'arciconfraternità.
3. Op. cit., I. VIII, [>. 260.
Perdrizkt. — La Vierge de Miséricorde. :>
66 CHAPITRE IV
Une Confrérie était, avant tout, une association pieuse qui
se réunissait pour pratiquer certains exercices de dévotion.
Le premier et le plus important, celui qui donnait la force de
se plier aux autres, celui aussi qui permettait à la Confrérie
de déployer quelque pompe, c'était la participation au Saint
Sacrement de l'autel. Chaque Confrérie avait, pour y faire
dire la messe, son autel dans une chapelle d'église, parfois
dans un oratoire indépendant. L'autel des Confréries vouées
à la Vierge était orné d'un retable représentant d'ordinaire
la Mère de Miséricorde, avec les confrères à genoux sous
son 'manteau.
De bonne heure1, nombre de Confréries avaient pris à
tache l'accomplissement des œuvres de miséricorde. Les
Miséricordes comme on les appelait en Toscane -, les Senole
comme les désignait le dialecte vénitien :!, les Charités comme
on disait en Normandie, cumulaient les rôles que jouent
aujourd'hui l'assistance publique, l'administration des hos-
pices, le service des pompes funèbres. Cela exigeait des
locaux considérables. Les Scuole de Venise, les Miséricordes
de Toscane possédèrent, dès le xive siècle, de véritables
palais. A Florence, le Bignllo, ce bijou d'architecture, et le
délicieux palais de justice d'Arezzo sont d'anciens hôtels de
Confréries charitables \
Suivant l'usage du moyen àg-e, les locaux des Confréries
1. M"" Jameson s'est étrangement trompée en attribuant à saint Jean de
Dieu (1498-1550) la fondation des institutions de charité [Legends of the
monastic Orders, p. •'* i 1 .
2. Cf. Passerini, Storia <I<>uli stabilimenti ili beneficenza délia città di
Firenze. Florence, Lemonnier, 1853. ., La Toscane, dit la Statistique citée
plus haut, est caractérisée par ses Confréries de la Miséricorde, qui ont pour
but de secourir les infirmes, les pauvres, les malades, les gens frappés sur la
voie publique de mort subite ou violente, de doter les jeunes tilles pauvres et
d'accompagner les corps au lieu de leur sépulture » (p. xm.
:;. Sur les associations charitables à Venise, et*. Sansovino, Venezia descrit-
ta, p. 281.
4. « Une Confrérie charitable de Florence se plut à orner sa maison, de ses
deniers, le mieux possible, suivant la bonne coutume italienne, dans un temps
où il n'y avait endroit sacré ni public qui ne lut relevé par l'éclat de l'art.
Ce ne fui pas une façade de palais, comme dans plusieurs Scuole de Venise,
mais seulement une petitemaison ornementée, dont h1 charme est uniquement
dans l'exécution raffinée de formes liés simples. L'auteur inconnu du Bigallo
pourrait bien être un successeur d'Orcagna. Plus sévère et plus riche est la
façade delà Misericordia d'Arezzo : c'est un véritable monument de transition
ravissant en son genre, qui commence dans le style gothique et s'achève à
l'étage supérieur dans le style Renaissance » Burckhardt, Le Cicérone, t. II.
p. 60 de la traduction).
LA VIERGE AI MANTEAU II LES CONFRÉRIES
67
avaienl . comme toutes les maisons d'alors, leur enseigne sculp-
tée, placée au-dessus de la porte. Cette enseigne représentait
généralement la Mère il»' Miséricorde : la pluparl des reliefs
vénitiens qui figurent la Vierge au manteau sont des enseignes
de scuole : des reliefs analogues existent encore en place sur
la porte de l'église de la Miséricorde, à Ancône, e1 sur la porte
de la Miséricorde aujourd'hui palais de justice d'Arezzo pi. IX .
Une fresque de ce type avait été peinte, à Arezzo encore,
sur la façade de l'église Saint-Laurentin et Saint- Pergentin,
(jui servait d'oratoire aux confrères de la Miséricorde :< De
bons et honorables bourgeois d'Arezzo, écrit Vasari1, qui
s'étaient réunis pour rassembler des aumônes au profit des
pauvres honteux, acquirent un tel crédit, pendant la grande
peste de I3i8. en secourant les malades et les pauvres, en
ensevelissant les morts et en faisant d'autres œuvres de cha-
rité, que leur Confrérie se trouva posséder par donations et
testaments le tiers de la fortune d'Arezzo. Même chose advint
pendant la peste de \WA. Spinello, qui faisait partie delà
Confrérie, risqua sa vie à visiter les pestiférés, à enterrer les
morts et à rendre d'autres pieux services habituels aux
membres de telles Confréries : puis, pour conserver le souve-
nir des événements de 1383, il représenta, sur la façade de
l'église Saint-Laurentin et Saint-Pergentin, la Vierge abritant
sous son manteau le peuple d'Arezzo. On y voit, parmi les
Arétins, beaucoup de membres de la Confrérie, munis du
maillet de bois avec lequel ils allaient frapper aux portes, et de
la besace dans laquelle ils recueillaient les aumônes. »
La fonction la plus fréquemment assumée par les Confré-
ries, aussi bien de ce côté des munis qu'en Italie, était
l'ensevelissement des morts. Elles enterraient les pauvres
gratuitement : pour les riches, elles percevaient une taxe.
proportionnée, par exemple, au nombre des cierges réclamés
pour honorer le convoi 2. Ainsi, grâce aux Confréries. l'Italie
I. Éd. Milanesi, f. I. p. 682 Vie de Spinello). La fresque dont il s'agit l'ut
détruite au xvme siècle. La création de la Confrérie arétine de la Miséricorde
remonterait, d'après Mil.- -i. à 1263.
•J. Cf. L. Rostan, Un établissement du moyen âge à Saint-Maximin : con-
frériede V.-JD. d'Espérance et de Miséricorde, dite V.-D. des Grands Cierges
Draguignan, L869, extrait du /{;;//. de la soc. d'études scient, de Draguignan).
Cette Confrérie, qui datait du \m s., a duré jusqu'à la Révolution : au milieu
du \i\ >. encore, on désignai! à Draguignan le bureau de bienfaisance sous le
nom de Miséricorde. La Confrérie ensevelissait les morts : gratuitement, les
68 CHAPITRE IV
et plusieurs régions de la France ont ignoré, au moyen âge et
même depuis, la répugnante profession de croque-mort. A
tour de rôle, les confrères, anonymes sous le capuce baissé,
accomplissaient leur funèbre tâche : une forte solidarité
chrétienne rapprochait, devant la mort, les gens d'une même
ville, sans distinction de rang ni de fortune. D'autre part, le
spectacle des funérailles, dans le pays où elles étaient confiées
aux Confréries, était impressionnant, et bien fait pour inspi-
rer des pensées salutaires. Elles avaient lieu généralement la
nuit ; le costume des pénitents, cette grande robe J, ce
capuce percé de trous où brillaient les yeux, les cierges et les
torches qui éclairaient la scène, tout était calculé pour émou-
voir les assistants : ceux qui ont vu, à la nuit tombée, sur la
place déserte du dôme de Pise, les confrères de la Miséricorde
porter un mort au Campo Santo, en gardent un souvenir
qu'ils n'oublieront point.
Pour remplir leur pieuse besogne de nécrophores, les con-
frères avaient besoin d'un matériel. Certaines Confréries de
Sienne possèdent encore le leur, tel qu'il existait au xvc siècle :
la pièce essentielle en est un cercueil de bois, celui dans
lequel on portait les morts au cimetière. L'art, spéciale-
ment la peinture, à Sienne, au quattrocento, marquait tout
de son sceau : une foule d'humbles choses, que nous trouvons
naturel de condamner à la banalité et à la laideur, resplen-
dissaient alors d'un rayon de beauté ; les registres des
finances, qu'on relierait aujourd'hui en noire basane, étaient,
pauvres ; pour les riches, elle percevait une rétribution proportionnée au
nombre des cierges qui figuraient au convoi. Elle secourait les pauvres, les
malades, les visitait, leur donnait des vêtements, de la viande, du pain. Vers
1680, elle habillait de J0 à 60 pauvres par an ; la distribution des vêtements
avait lieu le dimanche avant la Noël. La Confrérie faisait elle-même, dans
sa maison, le pain des pauvres. Elle dotait les filles pauvres. Elle s'alimentait
par des quêtes, laites principalement à l'époque du battage du blé sur les aires.
Elle avait été tmuvée si édifiante, que les archevêques d'Aix l'honoraient
d"une approbation particulière. Les marguilliers de cette Confrérie ne furent
jamais que des artisans, tics cultivateurs aisés: les bourgeois, les notables de
la ville ne [lurent jamais parvenir à mettre la main sur cette association toute
plébéienne.
I . Elle portait le nombibliquedesac, d'où le nom d'ensachés qu'on donnait en
certains endroits aux membre- des Confréries. « L'habillement des Pénitents
consiste en une robe de toile '>u de sergequ'ils appellent sac, serrée d'une
ceinture, avec un capuce pointu qui leur couvre tout le visage, n'y ayant que
deux petits trous à l'endroit des yeux, afin qu'ils puissent voir et n'être point
vus» llélyol. <>i>. cil., t. VIII, p. 260 . Pour les ensachés de Nice, cf. Moris,
Au pays bleu Paris. 1900), \> . iT et additions.
!'i km'.i/i r, La i ■ rg n 1/ <; vorid
l'I. IX
I ai
LA VIERGE \l MANTEAU ET LES CONFRÉRIES li'.»
à Si. 'iiiic, reliés dans des ais de bois, donl les plats étaient
décorés de peintures. De même, les Confréries siennoises
avaient l'ait historier de peintures le cercueil commun où elles
portaient les morts. Quelle représentation choisirent-elles
pour ces teste di barra? La même que l'on voyait au retable
de l'autel de la Confrérie et sur l'enseigne de son local, l'image
de la Mère de Miséricorde, abritant la Confrérie sons son
manteau. Et cette image était singulièrement touchante, peinte
au bout du cercueil commun, où tous les confrères, l'un après
l'autre, chacun à son heure, devait être couché (pi. VIII, 1).
Mais c'est surtout pour leurs bannières que les Confréries
de pénitence et de Miséricorde ont affectionné le type de
la Vierge au manteau protecteur. La bannière des Con-
fréries était à la fois un emblème et un phylactère : la croix
qui la surmontait, la Vierge qui y était peinte, mettaient en
fuite les démons, écartaient des confrères les fléaux, les
péchés, les maladies et la mort '. Bouchot croyait que la
Vierge de Miséricorde du musée du Puy avait été d'abord une
bannière : vu la forme de cette toile, l'hypothèse parait
peu vraisemblable. Mais les documents d'archives ont prouvé
qu'au XVe siècle, dans le Midi de la France, furent peintes des
bannières de Confréries au type de la Vierge de Miséricorde.
Il est croyable qu'il faille voir là un phénomène d'influence
italienne, explicable par la proximité géographique, par les
relations commerciales, surtout par les rapports entre Avi-
gnon et Rome. La plupart, en effet, des bannières de Confré-
ries au type de la Vierge de Miséricorde qui sont parvenues
jusqu'à nous se trouvent en Italie. On a vu plus liant que dès
I2(ii les Recommandait de Rome avaient fait peindre la
Vierge au manteau sur leur fameux gonfalone. Le retable de
Simone da Cusighe prouve qu'au xiv siècle les confréries de
la Vénétie avaient suivi l'exemple de l'Archiconfrérie romaine.
1. Ces croyances superstitieuses sont naïvement formulées dans lnLégende
dorée, ch. i.\\ De letania tnajori ef minori : crucem deferimus et campanas
pulsamus, ut daemones terrili fugiant. ..Tempore tempestatis ,ru.r de ecclesia
extrahitur, ut scilicet daemones vexillum Summi Régis videani cl terrili
t"!ll:i"-1 Crux in processione defertar ut daemones in ipso itère e.rislentes
temti fugiant et a nostra infestatione désistant. Cf. saint Alphonse de Liguori
Les ,/t, uns de Varie, II, §3: « Le nom de Marie esi la terreur .1,-. esprits
infernaux. Ace nom. dit le bienheureux Alain [Alain de la Roche l'inven-
teur du Rosaire . Satan fuit et l'enfer tremble. Selon Richard de Saint-Lau-
rent, ce nom est comme une tour très forte, qui garantit les justes des assauts
de I enter.
70
CIIAl'ITRK IV
Les bannières italiennes de ce type qui nous sont parve-
nues ont presque toutes été peintes au xve siècle pour des
Confréries ombriennes (pi. XVII).
« La bannière, a dit Rio1, est un produit spécial de l'art
ombrien. » Cette assertion est fort exagérée. Les Confréries,
dès leur apparition, durent avoir chacune leur bannière. En
1260, quand les flagellants arrivèrent de Modène à Reggio,
les Confréries qui s'étaient jointes à eux avaient chacune leur
gonfanon2. En 1349 et sans doute déjà en 12IJ0, les flagellants,
comme les Confréries, portaient « gonfanons et grandes ban-
nières de cendal3 » (de taffetas). Les commandes de bannières
abondent dans les recueils documentaires publiés par Mila-
nesi pour Sienne, par Blancard pour Marseille, par Requin
pour Avignon'1. Mais, si l'on en réduit l'exagération, la
remarque de Rio devient juste : en aucun pays, les bannières
n'ont abondé comme en Ombrie. C'est sans doute qu'en
aucun pays il n'y a eu autant de Confréries. Et si les Confré-
ries ont été si nombreuses en Ombrie, c'est que nul pavs n'a
été aussi profondément imprégné d'influences franciscaines.
La Provence, le Comtat. le Niçois sont particulièrement
riches en représentations de la Vierge au manteau protecteur.
Le fait s'explique par le grand nombre de Confréries de péni-
tence qui, de très bonne heure, ont fleuri dans le Midi5. La
1. De l'art chrétien, t. II. p. 211.
2. Memoriale Potestatum Refjiensium, dans Muratori, Berum Italie, script.,
t. VIII, col. 1122 : (anno MCCLX) renerunl verberatores per universum orhem.
Kl die Lunae in festo omnium Sanctorum omnes illi de Mutina vénérant
Regium tain parut quam mur/ni : et omnes de Comitatu, et Potestas, et Episco-
pus cum Confalonibus omnium Societatum, et verberaverunt se per civitatem
et iverunt Parmam pro majori parle. Cf. Maasi dans les Annales de Raynal-
dus, t. III, p. 56.
3 Cf. Fr. Gosener, Slrasshuryer Chroniken, éd. Hegel (Leipzig, 1870),
t. I, p. 105 : Habehanl résilia de serico et purpura depicla, cum quibus pro-
cessionilms transibant.
i. Le S juin 1457, Enguerrand Charonton promet aux prieurs de la Confrérie
de N.-D. des Anges d'Aix de leur peindre une bannière de taffetas de 9 palmes
et demie de haut sur >s de large, vexillum sire banderiam de panno fi.no in et
super panno de tafj'etano. Il doit représenter d'un côté la Vierge entourée
d'Anges, tenant l'Enfant et adoré par les Mages ; de l'autre, saint François,
saint Louis de Marseille et saint Bernardin (Requin, Documents inédits,
dans la Réunion îles sm-iélés des beaux-arts, 1889, p. 134 et 180). —
Le i juillet 14s0. le trésorier de l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem com-
mande à Martin Pacaud, peintre d'Avignon, huit bannières. Sur les deux
premières, l'artiste devait peindre la sainte Vierge ; sur les deux sui-
vantes, saint Jean-Baptiste : sur deux autres, les armes du Pape ; sur les deux
dernières, les armes de France (Requin, op. laud., p. 199).
5. Hélyot, op. cit., p. 259. d'après Molinier. Institutions et exercices des
LA VIERGE Al MANTEAU ET LES CONFRÉRIES
71
plus ancienne sérail celledes Pénitents gris d'Avignon. Mlles
\ subsistent encore : L'un des deux témoins qui signèrenl
L'acte de vente du moulin de Pampérigouste s'appelail « Loui-
se!, dil le Quique, porte-croix des Pénitents blancs1 . A
Nice existe toujours la Confrérie des Pénitents noirs, qui lit
peindre à la fin du xvc siècle deux grands retables où la Mère
de Miséricorde occupe la place d'honneur; celte Confrérie
recrutait ses membres dans L'aristocratie; elle possédait, entre
autres privilèges, celui de gracier chaque année, Le jour de la
décollation de saint Jean-Baptiste, un condamnée mort2.
Ce ne sont pas seulement les Confréries de pénitence, i e
sont encore les Confréries charitables qui, dans Le Midi de la
France comme en Italie, cherchèrent un refuge sous le manteau
de la Vierge. En voici deux preuves, l'une pour l'Italie, l'autre
pour la Provence.
Le musée de Parme s'est enrichi naguère d'une fresque de
Pier Antonio Barnabei( 1567-1 630), précédemment au-dessus
de la porte extérieure de VOrfanotroflo femminile de Parme ;
cette fresque représente la Vierge abritant sous son manteau,
avec les orphelines, les recteurs et rectrices de l'orphelinat ;
la Vierge fait de la main droite un geste d'accueil, et dans la
main gauche, elle tient un pain3.
Un tableau de Granet (1775-1849), au musée d'Aix, repré-
sente l'intérieur d'un orphelinat provençal. Au mur de la salle
esl suspendu un grand tableau où l'on voit La Vierge de Misé-
ricorde, abritant sous son vaste manteau les quatre régentes
de l'institution : elles portent la fraise, le tableau reproduit par
Granel devait dater de la fin du xvie ou du début du
xvne siècle.
Confrairies de Pénitens, t. I, ch_ 23. Les Pénitents gris d'Avignon dateraient
de 1268. Au rapport de Molinier, il y en eut de blancs à Avignon en 1527,
de blancs, de bleus el de noirs à Toulouse en 1571 et 1577, de Lianes à Lyon
en 1577. Ils se multiplièrent fort dans la suite, principalement dans le Lan-
guedoc, la Provence el le Lyonnais. »
1. Alphonse Daudet, Lettres de mon moulin, avant-propos.
2. IL Moris, Au p<ii/s hleu Paris. 1900 . p. 17 etadditions. llélyot {op. cit.,
p. 263-265) rapporte qu'à Rome quelques confréries de Pénitents Noirsavaient
le même privilège ; il leur lui ôté par Innocent X. qui ne le laissa qu'à la plus
considérable, l'Archiconfrérie de la Miséricorde ou de Saint-Jean-Décollé,
instituée en I488pardes Florentins demeurant à Rome, pour assister les sup-
pliciés cl les aidera l'aire une bonne mort. Hélyot donne une gravure repré-
sentant un Pénitent Noir de Rome.
3. Bolletino d'arte del Ministerio délia pubbl. isirvzione, 1907, fasc. i, p. 19,
avec gravure.
72 CHAPITRE IV
Dans la France du Nord, les Confréries de pénitence ne
semblent pas avoir eu grand succès : sans doute, le bon sens
national ne goûtait pas beaucoup les manifestations auxquelles
se livraient les pénitents de Provence et d'Italie. Henri III,
lils d'une Italienne, lui-même plus italien que français, tache
vainement d'enrôler la Cour et Paris dans une Confrérie de
Disciplinati. Les pénitents eurent une vogue plus durable
dans le pays des Guise : Hélvot remarque au début du
xvme siècle, qu'il y en avait en Lorraine1. Mais, ni à Paris
ni en Lorraine, les pénitents ne semblent avoir pris pour
patronne, à l'instar de leurs confrères provençaux ou italiens,
la Vierge au manteau protecteur.
Les Confréries de charité ont eu plus de succès dans la
France du Nord que les Confréries de pénitence. C'est en
Normandie surtout qu'elles ont fleuri-. Plusieurs de ces
« Charités » normandes subsistent encore. Les plus anciennes
datent du xive siècle. Celle de Saint-Côme, Saint-Damien
et Saint-Lambert, en l'église Saint-Denis de Rouen, est de
1358 3. La plupart ont été fondées au xv° siècle. Au xvr, elles
donnèrent lieu à des abus criants, que les évêques de la contre-
réformation s'efforcèrent de supprimer : carum tamen aboli-
tionem non judicamus expedire, déclare le Concile tenu à
Rouen en I08I4, propter carum necessitatem in y)c.s/e et
publica calamitate. Or les « Charités» normandes, comme
les autres Confréries, aimaient à se placer sous la protection
de la Vierge : celle de l'Hôtel-Dieu de Bernay, l'une des
quatre « Charités >> qui existaient dans cette ville avant la
Révolution, avait pour armoiries : d'azur à une Notre-Dame
ayant plusieurs personnes à genoux sous le manteau, le tout
d'or'. Une fresque du troisième quart du xiv° siècle i;, dans le
1. Op. cit., t. VIII, p. 260. Sur les pénitents à Nancy, cf. Pfister, Histoire
de Nancy, t. I. p. 263 ; III. p. 342, 120.
2. VA'. R. Bordeaux, Des confréries de charité dans Miscellanées d'archéo-
logie normande relatives au dép. de l'Eure l'aris. 18sn . p. ni.") et suivantes,
et Langlois, dans la Revue critique de 1889, iv 11.
3 Statuts de In confrérie île Saint-Côme, publiés par Gh. de Beaurepaire,
Rouen. 1888.
-i. Concilia Rotomagensis provinciae, éd. Dom liessin Rouen, 1717), p. 223
= Labbe. Concilia, t. XV, p. 851.
3. R. Bordeaux, op. vit., p. 162 : Porée, Le registre de la Charité des Cor-
deliers de Bernay (Rouen, 1ns7 . p. ;;.
0. La Normandie monumentale et pittoresque, Orne Le Havre. 1896, f"),
p. 72 (notice de M. Ch. de Beaurepaire.
l.\ VIERGE Al MANTEAU ET LES CONFRÉRIES i •>
chœur de l'église paroissiale de Saint-Céneri-le-Gerei, arron-
dissement et canton d'Alençon, représente la Vierge abritant
sous son manteau un grand nombre de laïques agenouillés sur
quatre rangs de profondeur : chose curieuse, ils sont appa-
riés par couples. Je crois que cette fresque archaïque, dont
il ne paraît pas qu'on ait donné l'explication, représente une
de ces innombrables « Charités > normandes, celle qui s'était
fondée au village de Saint-Céneri ; les femmes y figurent à
col é de leurs maris : nous savons en effet par les statuts de
la Confrérie rouennaise de Saint-Côme, d'une vingtaine
d'années antérieurs à la fresque de Saint-Céneri. que les
femmes mariées pouvaient l'aire partie des « Charités », à
condition d'avoir l'agrément de leur époux. Notons, à propos
de la Vierge protectrice de Saint-Céneri, qu'à côté du groupe
qu'on vient de décrire, hors du manteau protecteur, le peintre
a représenté << un homme qui, malgré les efforts visibles qu'il
fait pour se retenir, paraît glisser sur une pente rapide au bas
de laquelle l'attendent deux bêtes immondes prêtes à le dévo-
rer », — deux diables (pi. XI, I |.
Plus ancienne encore que la fresque de Saint-Céneri est une
miniature touloise qui date de 1356, presque immédiatement
après la« Grande peste » (pi. XII).
La Confrérie dite de « Saint-Nicolas-des-Clercs » fut tout
d'abord établie dans l'église paroissiale de Saint-Jean-Baptiste,
située dans le cloître de la cathédrale, dont elle était l'ancien
baptistère. C'était la première et la plus ancienne paroisse de
la ville1. L'acte d'érection delà Confrérie est daté du 211 janvier
1356. Il porte le nom des fondateurs, Jean de Lunéville. officiai
de l'évêché de Toul, Otto, curé de l'église Saint-Jean, et de
64 autres personnages qui furent les premiers confrères. La
Confrérie était probablement d'origine, tout au moins d'inspi-
ration dominicaine, car le couvent des Frères Prêcheurs, bâti
vers 1240, se trouvait sur la paroisse Saint- Jean. La Confrérie,
placée sous le patronage de saint Nicolas, était réservée aux
ecclésiastiques, avocats, procureurs, notaires, tabellions.
clercs, tant de la ville de Toul que d'ailleurs. De là lui
vient son nom de Confrérie de Saint-Nicolas-des-Clercs.
Trois ans après la fondation, il fut permis aux confrères de
recevoir des bourgeois de la ville, et l'entrée de la Confrérie
1. Benoît Picart, ïïist. eecl. de Toul (Toul, 1:071. p. 20.
7i CHAPTTRE IV
fut également accordée aux femmes1. Chaque confrère acquit-
tait en entrant un droit fixe (2 francs en 1687), et était tenu
de s'engager, par serment, à garder et observer les règlements
insérés dans l'acte de fondation. Un procès-verbal du serment
est conservé dans les registres de la confrérie.
En 137ÎS, le curé de l'église paroissiale Saint- Vast, Jeàn-
Etienne, contraint, faute de paroissiens, d'accepter la cure de
Laye, iit abandon de son église aux confrères de Saint-Nico-
las, pour y célébrer le service de leur Confrérie. Cette transmis-
sion est faite moyennant une somme de quinque solidos par-
vos Turoncnses, que les confrères devaient payer annuelle-
ment au curé de Laye et à ses successeurs.
Le chapitre de la cathédrale donna son agrément tout en se
réservant le droit de se rendre en procession, plusieurs fois
l'an, selon son ancien usage, dans l'église Saint- Vast. Il lit en
outre ajouter aux clauses portées à la charge des confrères,
que ceux-ci devraient abandonner l'église au cas où il sur-
viendrait un nombre de paroissiens suffisant pour la rétablir.
Ils devaient également, et sur leur offre, rebâtir l'église ou
tout au moins y faire exécuter des changements et des répa-
rations équivalant presque à une reconstruction, y élever un
nouvel autel, un clocher qui devait être garni de cloches, etc.
Tous ces travaux devaient, en cas de reprise, faire retour aux
nouveaux paroissiens, sans aucune indemnité de leur part, et
les confrères ne pourraient enlever que les livres, ornements et
« tout ce qui se peut porter ».
Dans le courant de la même année 1378, Guilbertus, car-
dinal a latere du royaume de Bohême, en résidence à Trêves,
confirmait la cession faite par le curé de Laye, avec le con-
sentement de Messieurs du Chapitre de la cathédrale de Toul.
Un peu plus tard, par lettres datées de Metz, il accordait éga-
lement des indulgences aux confrères.
En 1400, un testament daté du 14 septembre, Regnault
Lampouel, confrère, laissait des biens à la Confrérie, pour per-
mettre la fondation d'une chapelle qui devait être placée sous
l'invocation de saint Nicolas et sainte Catherine.
Les Archives de Meurthe-et-Moselle, possèdent l'acte
d'érection de cette Confrérie-'. C'est une charte en parche-
1. Ces détails, et ceux qui suivent, sont empruntés aux archives de la Con-
frérie (Archives de Meurthe-et-Moselle, (1. 1201). Cf. E. Martin, Hist. des
diocèses de Toul, de iVancy et de Saint-Diè (Nancy. 1900), t. I. p. 308.
2. G, 1201 (réserve i.
LA VIERGE AI MANTEAU ET LES CONFRÉRIES i ■>
min, mesurant Om. (il de haul sur 0 m. 56 de Large, En tête,
la lettré C, initiale <lu mot Gloriosus, se détache en pourpre
sur fond bleu encadré de baguettes d'or formant un carré, des
angles et du milieu duquel se détachent «les rinceaux de feuil-
lage. Une guivre ailée vient mordre L'angle inférieur gauche.
L'intérieur de la lettre est à fond d'or. Sur le parvis de La
cour céleste, représenté par un carrelage rouge à dessins
blancs, la Mère de Miséricorde, de face, très hanchée, portant
les insignes des reines (couronne d'or à fleurons, manteau de
pourpre doublé d'hermine) tient L'Enfant Jésus sur le bras
gauche, et dans la main droite un rameau rouge. Le manteau
de protection, largement étendu, est tenu, adroite, par saint
Nicolas, patron de la Lorraine, à gauche par sainte Catherine,
patronne des clercs. Les deux saints protecteurs sont debout.
Saint Nicolas porte la mitre, la chasuble et la crosse : la main
droite est levée, bénissant. La sainte a la main gauche appuyée
sur L'épée, et, dans l'autre, elle tient une petite roue (les
bourreaux tentèrent de rouer sainte Catherine, et n'ayant pu
y parvenir, ils la décapitèrent).
Sous le manteau de la Reine des Cieux, des hommes age-
nouillés, les mains jointes, les uns barbus, les autres imberbes;
tous semblent tonsurés et portent le manteau à capuchon des
clercs et des moines. Manteaux et capuchons sont de couleurs
de fantaisie : rouge, bleu, vert, pourpre.
L'Enfant Jésus porte une robe verte rayée de blanc, avec
semis de fleurs rouges. La tête, selon l'usage, est nimbée du
nimbe crucifère, et dans chaque canton supérieur du nimbe
ligure un petit o : ce détail a son origine dans l'iconographie
grecque1, où le nimbe crucifère des personnes de la Trinité
porte toujours dans les cantons supérieurs () LiX « Je suis
celui qui suis » (Exode, m, li).
Dessin très lin, dont quelques couleurs sont légèrement
passées, mais dont quelques-unes, principalement les ors,
ont gardé une merveilleuse fraîcheur. Dimensions delà lettre:
100XH6 mm.
l. Le tiiiiili' ilt- la peinture (Didron, Manuel d'iconographie, p. 157) s'exprime
ainsi : « Dans la croix marquée sur le nimbe des trois personnes de la Trinité,
écrive/, ces lettres O CON, car c'est ainsi que Dieu a parlé à Moïse lorsqu'il
lui est apparu dans te buisson ardent : b,<,\ a.j.. ô &v. Disposez ainsi ces le) I res :
que V omicron soil sur la partie droite du nimbe, V oméga sur la partie supé
rieure. le ny sur la partie gauche. »
CATALOGUE
Ombrie
1. Triptyque autrefois dans la collection Campana, aujourd'hui au
musée de Perpignan (Perdrizet-René Jean, La galerie Campana et les
musées français, p. 33). Le Cat. des tableaux du musée Napoléon III, p. 88,
n° 324, le décrit ainsi : « Au milieu, Jésus sur la croix avec la Made-
leine à ses pieds ; d'un cùté des soldats, de l'autre la Vierge évanouie
dans les bras de Marie et de saint Jean. Au-dessus de la Crucifixion,
le Couronnement de la Vierge. Les volets représentent X.-D. de Misé-
ricorde, la Crèche, l'Annonciation, et dans le bas, six figures de saints.
A l'extérieur, les volets portent une inscription à demi effacée et dont
on ne peut lire distinctement que la date 1333. Style de Giotto, école
ombrienne. » M. Crouchandeau (Catalogue du musée de Perpignan,
1884, p. 107), transcrit ainsi cette inscription : « MCCCXX1I hoc opus...
factum per societatem devotam beatae M ariae) Virginis (jloriosae...
sanctum Vitalem ex impensis soeietatis predictae... Dei semper sit filin
sud in adjutorium... auxilium ad dictam tabulant. Requiescant in pace.
Amen ». — Il ne m'a pas été possible de trouvera Perpignan un photo-
graphe capable de faire la reproduction de ce tableau.
2. Pérouse. — - Fresque dans l'église de la Commanderie de Sainte-
Croix, par Bonfigli, datée de 1478. Cf. Cavalcaselle et Crowe, t. IX,
p. L5f> et 139 : « copia di una composizione troppo conosciuta e comune.
Le figure che stanno inginocchiate, ai lati délia pittura, sotto ai manlo
délia Vergine, portano il nome d'nna Confraternità. L'Fterno scaglia
dardi dalV allô. La pittura ha molto sofferto. >•
3. Baslia (près Assise . — Tableau peint par Bernardino di Mariotto
pour la confrérie de saint Antoine abbé et de saint Antoine de Padoue
(de Mandach, Saint Antoine de Padoue et l'art italien, p. 149). La Vierge
apparaît sur une nue. Son manteau est soutenu par des anges. Elle
descend vers la terre, pour protéger la Confrérie agenouillée, qui lui
est recommandée par les deux Antoine. Bernardino di Mariotto, qui pei-
gnait vers 1520, est un archaïque al lardé.
Bannières ni; confréries ombriennes
4. Permise. — Bannière peinte (par Bonfigli ?), aujourd'hui à .S. Fran-
cesen al Prato. Mentionnée par Thode. Franz von Assisi. 2e éd.. p. '117.
I A i \i ,0G1 i ' /
Photographiée par Alinarî. Publiée dans Les Arts, n° denov. 1907, p. I".
Pour La description, voir in fra, p. 114. Dans le bas de la bannière, esi
représentée Pérouse;on distingue, dans une rue, une procession de
pénitents blancs qui se dirige vers une église : ce détail donne à
croire que la bannière a> ail été commandée par une Confrérie — 1*1. X \ II.
5. Bannière peinte en 1472 parBonfigli? pour les Fratelli délia con-
fraternità di S. Benedetto, à l'église Sa Maria Nuova de Pérouse ;
Anderson, n° 15663; médiocres reproductions dans les médiocres livres
de l'abbé Broussolle, Pèlerinages ombriens, fig. i, et La Jeunesse du
Pérugin et 1rs origines de Vécole ombrienne, Bg. 301. Pour la description,
voir infra, p. 1 1 i.
6. Assise. — Bannière ruinée, autrefois à l'église Saint-Crépin. La
description de Cibo, p. 116, est visiblement inexacte ; je suis celle de
Milanesi Vasari, III, p. 510). Cette bannière, qui appartenait à une
Confrérie de Saint-Biaise, représente d'un côté la Madone, qui, à la
prière de saint François et de sainte Claire, accueille sous son manteau
la foule des confrères de saint Biaise, vêtus de blanc; de l'autre côté,
saint Biaise évèque, assis entre saint Bufin et saint Victorin, et au-des-
sous, deux épisodes de la légende de saint Biaise. Rumohr (II, p. 116
suggère que c'est peut-être la bannière dont parle Vasari dans la vie du
Pinturricchio III, p. 509 : in Ascesi fece VAlunno un gonfnlone che
si porta a processionc >
7. Bannière, autrefois dans la collection Campana Cal. des tableaux du
musée Napoléon III, n° \Mï ), depuis 1870 au musée d'Angoulême (Per-
drizet-René Jean, J.,t galerie Campana et les musées français, p. 35 .
Reisel la décrit ainsi Notice des tableaux <lu musée Napoléon III dans
les salles de la colonnade <lu Louvre, p. 48, n° 111 : « Niccolô Alunno.
Toile. II. 2. 52. L. I. 28. Cïande bannière peinte des deux côtés. Au
recto, Vierge de Miséricorde couronnée par des anges et entourée de
chérubins. File couvre de son manteau saint François d'Assise el sainte
Catherine de Sienne, qui lui présentent des pénitents agenouillés.
Dans le baut, le Christ en croix entre la Vierge et saint Jean. Au verso,
divisé en trois compartiments, se voient, en baut, l'Annonciation ; au
milieu, un évèque assis entre deux évoques debout ; dans le bas, le
martyre de saint Biaise. Nous supposons que cette bannière est relie
dont a parlé Vasari el qui avait été peinte à Assise. » Cf. Frenfanelli
Cibo, Niccolo Alunno e lu scuola Umbra Borne, 1872 , p. 163. Le Cata-
logue du musée d Angoulême dit qu'en 1 s 7 0 la bannière était en mauvais
état, et qu'elle a été restaurée. Cavalcaselle et Crowe, qui l'avaienl vue
quand elle était encore à Rome, chez Campana, oui uoté que la ligure
du Christ était molto danneggiata e rifatta, ainsi que plusieurs autres
personnages. — Il ne m'a pas été possible de trouver à Angoulême un
photographe capable de photographier cette bannière.
Borgo S. Sepolcro.
8. Retable de Piero délia Francesca, conservé aujourd'hui au muni-
cipio de Borgo San Sepolcro. L'une des plus anciennes œuvres du
maître; elle lui fui commandée le 11 juin 1445, moyennanl 150 florins
78 CATALOGUE
d'or, par la Compagnia délia Misericordia pour sa chapelle de l'hôpital
(Milanesi dans Vasari. II, p. 494). Alinari, 10504-5; Rosini, III, p. 37,
pi. 38; Jameson, Madonna, p. 33 (fig.) ; Cavalcaselle-Cixnve, VIII,
p. 193-199; Burckhardl '■', p. 677 ;Witting, Piero <l<-i Franceschi, p. 7, pi. 2.
Sur les volets, entre autres saints, saint Sébastien. La Vierge porte
un bonnet dont le bas est ceint d'une couronne, où les perles alternent
avec les fleurons; la forme du bonnet rappelle celui (pie porte le duc
Federigo d'Urbin sur le fameux portrait des Offices, peint par Piero
en 1469. Huit laïques, de condition moyenne, quatre hommes et quatre
femmes, sont agenouillés sous le manteau ; un des hommes porte le
costume noir de la Confrérie. Aux bouts de la prédelle, sur laquelle sont
peintes des scènes de la Passion, le monogramme de la Confrérie
mi-K = Wsericord)ia.
*9. Il ne faudrait pas identifier ce tableau avec la fresque dont parle
Vasari : « Al Borgo... in fresco lavoro ;il Piero] una Nostra Donna
délia Misericordia in una Compagnia ovvero, corne essi dicono, Confra-
ternité ». Cette fresque n'existe plus. Elle se trouvait dans les locaux
que la Confrérie occupait à l'hôpital. Elle fut peinte en 1478, et payée
S7 écus Milanesi dans Vasari, II, p. 494).
VlTERBE.
10. Via del orologio vecchio, n" 11, au-dessus de la ported'une maison
du moyen âge, médaillon haut d'environ un demi-mètre, représentant
la Vierge de Miséricorde, sans la couronne ni l'Enfant, abritant sous le
manteau de protection deux membres d'une Confrérie revêtus delà
cagoule.
Spolète.
11. ('.. Angelmi Rota, Spoleto e dintorni (Spolète, 1905), p. 6 : « Nella
via Cecili è la chiesa délia Misericordia, sulla quale poggia la maestosa
abside dell' ex-chiesa degli Agostiniani, S. Nicole.. La chiesa inferiore
trac il suo nome da uiio di 'quei communissimi dipinti, rappresentanti
la Virgineche accoglie sotto il manto i fralelli di una Compania di
disciplina, tavola che si vedeva nella chiesa superiore. »
Okviéto.
12 Vnderson, 15541. A la cathédrale, maintenant dans la chapelle du
sanlissimo Corporale. Tableau représentant la Vierge qui prie pour un
grand nombre de -eus agenouillés sous son manteau, les hommes a dr.,
Tes femmes à g. Derrière la Vierge se pressent les Anges: deux d'entre
eux tiennent les pans du manteau. Comme aucun des priants ne porte
de cagoule ni de bannière, on est tenté de croire qu'ils représentent
les habitants d'Orviéto ; le priant plus grand (pie les autres, à dr., qui
porte le costume ecclésiastique, serait le donateur. Mais d'après
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
pi. vu r
tylmt******.* m* , . nmmJfj
i.UMJ^00ffl(>r< ^. vv^ TtnnwMi
cm m ,ogi i 79
M. Fuini, les priants représenteraienl la Confrérie des Fratelli recom-
mandati, el l'ecclésiastique sérail leur cappellano. Parmi les femmes,
deux, jeunes el belles, portenl des couronnes a fleurons. La Vierge esl
deboul sur un degré où esl inscrit cc( hexamètre :
LIPVS DE SENA NATus INFOS PINXi7 AMENA
nos se rapportanl aux priants. Cavalcaselle el Crowe [III, p. 12" .
l'imii (// duomo di Orvieto e i suoi restauri, Rome, 1891, p. 361 .
rleywood el Olcotl Guide to Siena, p. 183 admettent que cette ins-
cription mérite créance. Ce tableau d'Orviéto présente en effel de
grandes analogies avec la Maestà peinte par Lippo Memmi à San
Gimignano. S'il esl de Lippo, il est antérieur à 1336, date de la morl
du peintre. Personne ne nie du reste, que le tableau d'Orviéto n'ait
subi d'importantes retouches : quelques-unes, par exemple celle de la
doublure du manteau, sont visibles même sur la photographie. Je ne
sais sur quoi se l'onde M. Thode [Franz von Assisi2, p. 516) pour attri-
buer ce panneau à un élève de Lippo. Reproduction excellente dans
V Histoire de l'art publiée par la librairie Colin, t. Il, 2, fig. 526 : l'auteur
du texte explicatif (p. 844) estime cette peinture « Lune des plus
suaves de Lippo ». Autre reproduction, pénible à voir, dans Reinach,
Répertoire de peintures, II, 536.
Sienne.
13. Tableau de la collection Campana (Catalogue des tableaux du
musée Napoléon 111, n" lit-, depuis 1876 au musée de Cherbourg
Rev. archéol.. 1905, I, p. 427 ; Perdrizet-René Jean, La galerie Campana
et les musées français, p. -'2:. Reiset le décrit ainsi (Notice des tableaux
du musée Napoléon 111 exposés dans les salles de la colonnade <lu Louvre,
Paris, lNii.'î, p. 34, n° 82 : « Lcolede Sienne, commencement du XVe siècle.
Bois. La Vierge de Miséricorde tenant l'Enfant Jésus. Sous son man-
teau se réfugienl \i\i grand nombre de personnes de toutes conditions.
Au premier plan, plusieurs pénitents se frappent avec leurs disciplines.
Leur vêtement est fendu de façon à laisser voir leur dos nu », ou plu-
tôt de façon à permettre à la discipline de frapper directement la peau.
Même ouverture au dos de la robe des Disciplinati délia confraternité
<li S. Domenico, sur un tableau de Boeeali da Camerino, au musée
de Pérouse Vlinari, 561 i-; Broussolle, Jeunesse <lu Pérugin, fig. -il ; Rei-
nach, Répertoire, t. I, p. 272 el des pénitents du retable de Simone de
Cusighe infra, p. 85 . - PI. III, 2.
14. Sous l'hôpital de Sienne sont des chapelles de Confréries. La plus
importante de ces Confréries, la Confraternité délia Madonna, possède
une petite collection de peintures, dont les plus curieuses ornaient
l'extrémité des bières donl se servaient les confrères pour transporter
les morts. L'une de ces teste di barra (Lombardi, 2401) représente la
Vierge de Miséricorde, trônant, avec l'Enfant qui bénil el la couronne ;
deux anges soutiennent le manteau sous lequel sont agenouillés les
80 CATALOGUE
confrères, nu-tête. A droite, saint Bernardin ; le pénitent qui est der-
rière lui, et les deux premiers à gauche sont couronnés de rayons : ce
sont, je pense, deux des douze compagnons de saint Bernardin, qui se
dévouèrent avec lui, pendant la peste de 1400, à l'hôpital de S. Maria
délia Scala. Bernardin avait alors vingt ans; deux ans après, il entra
dans l'Ordre Franciscain (cf. Acta Sanctorum, mai IV, p. 726-727;
Heywood. and Olcott, Guide to Siena, p. 97, 26b, 269 ; Analecta Bollan-
diana, XXI, p. 68; XXV, p. 307). La testa di barra photographiée par
M. Lombardi est d'un archaïque attardé, Guidoccio Cozzarelli ; la date,
MCCCCLXXXX1III, est inscrite sous la Vierge. D'autres teste di barra,
du même Cozzarelli, se trouvent à l'église de la Miséricorde, près
S. Martino : mais elles ne sont pas en aussi bon étal que celles de la
Confraternité délia Madonna (Heywood-Qlcott, p. 280). — PI. VIII, 1.
15. .< En 1444, Domenico di Bartolo peignit pour la chapelle de
l'bospiee délia Scala une fresque qui est connue sous le nom de Madonna
del Manto, parée qu'on y voit la Vierge étendant son manteau, pour
prendre le peuple siennois sous sa protection... Cette image, même
dans l'état de ruine où elle est aujourd'hui, nous apparaît encore suave
cl grandiose; elle suffirait à elle seule pour assigner à son auteur une
des premières places parmi les artistes siennois du xve siècle. C'est le
seul tableau de dévotion qui reste de Domenico à Sienne » (Bio, De l'art
chrétien, I, p. 82; cf. Heywood and Olcott, Guide to Siena, p. 2671.
* 16. Milanesi Documenti per la storia delV arte Senese, t. III, \>. 80) a
publié un document concernant une bannière peinte pour la Confrérie
de la Trinité par Benvenuto di Giovanni di Meo del Guasta : Memoria
chomea di XVIII di Magio anno i A9i fu finito il chonfalone che s'è fatto
nuovo délia Compagnia délia santa Eternitkeda una altrolatola grolioxa
Noslra Madré sempre vergine Maria, la quale lime sotto cl su<> sanlis-
simo manto lulti <• frategli e sorele di noslra Compagnia.
AltEZZO.
* 17. Spinello d'Arezzo (y 1410) avaitpeint pendant la peste de 1383, sur
la façade de l'église des saints martyrs arétins, Laurentin et Pergen-
lin, la Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau la population
d'Arezzo (Vasari, t. I, p. 682 . La petite église Sainl-Laurentin et
Saint-Pergentin servait d'oratoire à la Confrérie de la Miséricorde
(Vasari, t. II, p. 283 : Spinello faisait partie de cette puissante Con-
frérie ; c'est pour elle qu'il peignit la fresque en question. L'œuvre a été
détruite au xvme siècle, lors de la réfection de l'église. On n'en sait rien
.le plus ipie ce qu'en dit Vasari. Des peintures, œuvres de Parri (1387-
1452), le fils de Spinello, peuvenl donner idée de la fresque perdue.
Parri, qu'on a souvent confondu avec son père, fut de ces peintres attar-
dés qui, jusqu'au milieu du xv siècle, restèrent fidèles aux traditions
du xive. Ses œuvres sont caractérisées par la longueur démesurée des
personnages. Vasari, Arétin comme Parri, fait de lui, par esprit de clo-
cher, un éloge excessif 'colori benissimo a tempera ed in fresco perfetta-
mente, I. II. p. 276 .
l'i KMu/i i . La l ierffe de .1/ séi ova
l-l. X
I A rALOGUE 81
18- Grand tableau d'autel, parParri Spinello, décrit par Vasari t. II,
p. 283), aujourd'hui à la Pinacothèque d'Arezzo Alinari, 9975 . Il fui
voué, dil Vasari, par la Confrérie de la Miséricorde, donl Parri était
membre; en effet, le monogramme de la Miséricorde esl Gguré deux
fois, dans le champ. La Vierge, de taille gigantesque, vêtue d'une
somptueuse étoffe à ramages, porte l'Enfanl : celui-ci, dans la main
droite, tienl un petit oiseau. Deux anges volent autour de la Vierge,
avec des encensoirs : deux autres anges tiennent d'une main son manteau
soulevé; dans l'autre main, ils ont de-- tiges fleuries de lis et de rosier.
Le sol, aux pieds de la Vierg-e, est jonché de fleurs. Sous le manteau
sont agenouillés les gens d'Arezzo, à droite les hommes, à gauche les
femmes. Parmi les hommes, des bourgeois coiffés du chaperon, des
moines, et un roi, couronne en tête. A droite et à gauche, agenouillés,
intercédant autour de la Vierge, saint Laurentin et saint Pergentin.
Le martyre de ces saints est représenté sur la prédelle, en quatre com-
positions qui sont comme de grandes miniatures : « La predella con-
tiene di figure piccole il martirio <li </<"' due Santi, tanlo ben fatto, che
è cerlo, per cosa piccola, una maraviglia » Vasari . ('A'. Cavalcaselle-
Crowe, éd. Douglas, t. II. p. 27:'. . Vasari donne des détails sur la fête
que la Confrérie de la Miséricorde célébrait le 2 juin, natale des
saints Laurentin et Pergentin [Acta SS., juin I, p. 159 a . L'église des
deux martyrs, qui était l'oratoire de la confrérie, eût été trop petite
pour contenir la foule : sur la piazza alla croce, où se trouvait l'église,
on dressait une tente sous laquelle on élevait un autel ; sur cet autel.
on exposait à la vénération des fidèles la chasse de Forzore, dont nous
allons parler (n° 20 , et le tableau de Parri.
19. Fresque de Parri Spinello, dans lagrande salle de l'ancienne mai.
son des Confrères de la Miséricorde, maintenant salle du tribunal civil
Cf. Cavalca selle et Crowe, Storia, t. II, p. 467. Douglas, dan-, son édition
del'ouvragede Cavalcaselle et Crowe t. II, p. 272), confond cette fresque
avec celle de S. Maria délie Grazie infra, ch. x, cat. n° 12. Elle
représente la Vierge abritant sous son manteau les gens d'Arezzo pour
lesquels intercèdent saint Grégoire et saint Douât debout ; derrière la
Vierge, deuxangesqui volent. Vasari t. 11, p. 283) dit que beaucoup des
priants représentaient des personnages connus d'Arezzo, notammenl un
certain Braccio, qu'on appelait u le biche » et qui mourut en li.'.'i.
20. Reliquaire en bronze, très médiocre travail toscan de la première
moitié du xv' siècle, avi musée d'Arezzo Alinari, 9749 . Sur les côtés,
des scènes de la vie des saints Laurentin et Pergentin. Au sommet du
couvercle, une statuette de bronze, qui représente la Vierge.de Miséri-
corde, abritant sous son manteau, à droite les hommes, à gauche les
femmes. Ce serait l'œuvre de Forzore di Niccolô Spinello, cousin de
Parri Spinello. Vasari éd. Milanesi, t. II, p. 283 parle d'un reliquaire
de Forzore, en argent, qui contenait les corps des saints Laurentin et
Pergentin, et qui appartenait à la Confrérie de la Miséricorde ; or le
reliquaire du musée d'Arezzo serait en bronze. Mais Vasari, qui s'esl
trompé sur le degré de parenté entre Forzone et Parri, a bien pu se
romper aussi sur la matière du reliquaire. — PL VII, 2.
Perdrizkt. — La l ierge de Miséricorde. >>
82 CATALOGUE
21 . Lunette à arc mixtiligne (cf. Reymond, L'arc mixtiligne florentin,
dans Rivista d'arte, II, n° 12), en marbre blanc, suc la porte de l'an-
cienne maison des confrères de la Miséricorde. Perkins, Sculpteurs
italiens Paris, 1870), t. I, p. 156, dit à toit que ce relief orne le por-
tail de S. Maria délia Pieve. Reproductions dans Cicognara, Storia
délia scultura, pi. XVIII, et dans Bode, Denkmâler der Renaissance-
Seul pi ur Toscanas, pi. 313 ; cf. Alinari, 9739. Venturi Archivio storico
delVarte, 1889, p. 233 ; cf. Burckhardt, 9, p. i49) a démontré que ce
relief, attribué jusqu'alors, d'après Vasari, à Niccolô di Piero di
Lamberli, Arétin, qui commença en 1383 la construction delà Misé-
ricorde d'Arezzo, était de Bernardo di Matteo da Settignano, autre-
ment appelé Rossellino. La maquette, assez différente dans les détails,
esl au musée d'Arezzo (Alinari, 9743 ; Bode, pi. 316). Les proportions
1res élancées de la Vierge rappellent Spinello, avec l'exagération en
moins. La Vierge a l'Enfant sur les bras, dans une belle attitude mater-
nelle; elle regarde en haut, vins Dieu ; le visage, le regard expriment
la pitié, la tendresse miséricordieuse. Deux angelots écartent les pans du
manteau, sous lequel sont agenouillés des gens de toutes conditions ; à
droite, en haut, le pape ; derrière lui, sur la maquette, un moine enca-
puchonné ; derrière le moine, un soldat casqué ; devant le soldat, sur
la maquette, une femme. Bernardo a rompu avec la tradition, qui ne
manquait pas île mettre ;i la droite delaVierge les clercs ou les hommes,
à h) gauche les laïques ou les femmes. Aux extrémités du tympan, age-
nouilles, les deux martyrs locaux, Laurentin et Pergenlin, une main sur
la poitrine, dans un geste d'adoration ; l'autre main, qui tient la palme
du martyre, s'appuie sur une targe qui porte le monogramme crucifère
de la Confrérie, M(isericordi)A, le même que sur le tableau de Parri à
la Pinacothèque d'Arezzo. — PI. IX, t.
Florence.
* 22- Retable et sceau de la Compagnia di S. Maria délia Pietà o délia
Misericordia. Cette Confrérie, ordinairement appelée bucca di S. Giro-
lamo d'après l'endroil où elle fui l'ondée la grotte de sainl Jérôme à
Fiesole), se réunissait dans le sous-sol de l'hôpital S. Matteo. Ses
statuts, de 1410, révisés en 1414, sont conservés dans les archives de la
confrérie, piazza S. Annunziata, et contiennent cette mention : « Una
tavola di Nostra Donna délia Pietà overo Misericordia, sotto il cui amanto
si goda la brigata degli eletti... Ancora uno suggello colla figura di
S. Maria délia Pietà collo amanto steso al modo detto. -> Ces deux monu-
ments sont aujourd'hui perdus. Cf. Brockhaus, Forschungen, p. 111.
22 bis. Le manuscrit qui renferme ces statuts est orné de deux petites
miniatures (lettres ornées ?) qui représentent la Vierge abritant sous son
manteau des priants agenouillés. Cf. Brockhaus, op. laud., p. 114.
D'après M. Grenier, qui a bien voulu les examiner à mon intention, ces
miniatures ne présentent pas de particularités notables.
23. La maison des Enfants trouvés Spedale degli innocenti) possède
dans sa petite galerie de peinture une toile de Pontormo (1494-1357) qui
CATALOGUE 83
représente la Vierge couvrant de son manteau les enfants trouvés. Cel
institul de bienfaisance es! placé sous l'invocation de la Vierge Brock-
haus, "/;. I.iinl., p. I l.'i .
24. Prédelle de Ridolfo Ghirlandajo, au Bigallo. Alinari, 17095 ;
Poggi-Supino-Ricci, UBiffallo Florence, 1905, p. 29 .Cette prédelle orne
le retable de marbre blanc, exécuté au commencemenl du xvie siècle
pour loger les trois statues d'Alberto Arnoldi, qui sonl du xiv siècle.
k Dipinse anco Ridolfo nella chiesina délia Misericordia in sulla piazza di
S. Giovanni, in una predella, tre bellissime storie délia Nostra Donna,
che paiono miniate » Vasari, VI, p. 538). La Vierge de Miséricorde
occupe le milieu do la prédelle, cuire deux petits panneaux qui formenl
comme les volets d'un triptyque el qui représentenl la Nativité el la
Fuite en Egypte. Les pans du manteau sonl soutenus par des anges.
Sous le manteau, à droite, le pape, l'évêque, le moine et des laïques : à
gauche, les femmes, religieuses et séculières. Du groupe formé par la
Vierge et par ceux qui l'implorent s'approche le Christ ; de la main
dn.ile, il fait le geste delà bénédiction, les deux premiers doigts levés;
de la main gauche, il montre sur sa poitrine le lis de Florence. A l'une
des extrémités delà prédelle, saint Pierre de Vérone, massacré par les
hérétiques. A l'autre extrémité, Tobie el son père portent un mort;
dans le fond, un cortège de pénitents noirs : la scène se passe devanl
S. Giovanni, c'est-à-dire devant le Bigallo même. Ces deux composi-
tions rappellent la double origine de la Confrérie du Bigallo. En 1244,
sainl Pierre de Vérone l'onde l'ancienne Confrérie du Bigallo « ad onore
e reverentia délia nostra gloriosa madré Vergine Maria » texte cité par
Alinari, Eglises et couvents de Florence, p. 85), pour combattre l'albi-
géisme. En 1425, celle Confrérie se fond avec celle de. s. Maria délia
Misericordia, qui datait de 1292 Brockhaus, Forschungen, p. 108 , el qui
avait Tobie pour patron : c'est pourquoi dans l'une des chambres du
Bigallo est peinte à fresque, endouze tableaux, toute l'histoire de Tobie
Urbin 'environs d').
25. Giovanni Santi vers I ix.'îi reçut la commande d'une Madonna délia
Misericordia pour l'oratoire de l'hôpital de Montefiore, à quelques milles
d'Urbin. « La Vierge, deboul dans une niche, présente l'Enfant, qui bénit
d'une main, cl de l'autre lient le globe. Deux anges soulèvent les pans
du manteau. Au-dessous du groupe divin sont agenouillés à dn.ii,.
quatre confrères de la Miséricorde; a gauche, dois consorelle, devanl
lesquelles en esl une quatrième, jeune ci belle, qui encourage a l'adora-
tion son petit enfant. Ces ûgures, qui sont des portraits, ont beaucoup
d'animation et exprimenl avec une rare justesse une foi naïve cl un peu
bornée. Sainl Paul, sainl .Iran l'Évangéliste, sainl François el saint
Sébastien s,, ni groupés a l'entour. Dans le haut, deux petits anges age-
nouillés sur des nuages » Cavalcaselle el Crowe, VIII p 406 La
description ,1c Passavanl {Raphaël d'Urbin et son père Giovanni Santi
Pans, 1860, l. I, p. 24; cf. t. Il, p. 607 esl 1res inexacte.
Ancône.
26. Tvinpan cintré, sur la porte de l'église de Santa Maria délia Mise-
ricordia. La Vierge, sans la couronne et sans l'Enfant, couvre de s,,,,
CATALOGUE
manteau la foule des confrères de la Miséricorde (Alinari, 17666). Cette
porte est une œuvre élégante de la première Renaissance (Burckhardt,
Le Cicérone, t. II, p. 03 de la traduction); le relief, qui est de la même
époque, garde une forte saveur archaïque. — PI. IX, 2.
Bologne.
*27. Retable aujourd'hui perdu (Milanesi, Vasari, II, p. 140), jadis
sur le maître-autel de l'église de Mezzaratta, près Bologne. Cf. d'Agin-
court, t. III, p. 151, pi. 160, d'après un ouvrage anonyme que je n'ai
pu voir, Pitture, scolture ed archile/ture délie chiesc di Bologna, 1782,
p. 362. La Vierge est encore de type roman ou byzantin ; des deux mains,
elle tient devant elle l'Enfant qui bénit. Les priants sont échelonnés
les uns au-dessus des autres, à droite des femmes, à gauche des
hommes. Ce seraient, d'après d'Agincourt, les membres de la Confrérie
qui fit faire cet ex-voto. Au revers du tableau était cette inscrip-
tion :"XPOFORUS (Christoforus PINXIT. 1380.
Paume.
28. Fresque de la fin du trecento, dans une chapelle du Baptistère. Au-
dessous d'une Crucifixion, la Vierge de Miséricorde entre deux saints,
Zenexius S. ZENEXIVS qui joue du violon, et Zenon. La Vierge étend
son manteau sur une dizaine de personnes agenouillées, de tout âge et
condition, à droite les hommes, à gauche les femmes. Dans le champ,
une inscription ruinée : CSORTIYM VIVORVM et MORTVORVM
MCCCLXXXXVIII... La Vierge de Miséricorde était la patronne du
Consorzio dei Vivi e dei Morti auquel appartenait la chapelle, et qui
avait été fondé le 2."» février 130* Allodi, Série cronologica dei vescovi
di Parma, I, p. 576). Je dois la photographie de cette fresque à l'obli-
geance de M. L. Testi, directeur de la Galerie Je Parme. — PI. VIII, 2.
29. Madonna délia Misericordia, fresque de Pier Antonio Barnabei
; 1567-1630 , naguère au-dessus de la porte extérieure de YOrfanotrofio
femminilede Parme, récemment entrée au musée de Parme. IL 2,14; larg.
4,60. La Vierge abrite sous son manteau les orphelins et les recteurs
et rectrices de l'établissement; elle fait de la main droite un geste
d'accueil et dans la main gauche tient un pain. Cf. Bollettino d'ar/e dei
Ministerio délia Pub. Istruzione, 1907, fasc. IV, p. 10, avec gravure.
YhKONE.
30. L'église Sainte-Marie de la Miséricorde, plus lard église Saint-Eloi,
était celle de la Corporation (Université des orfèvres. La Vierge y était
représentée abritant six membres de la Corporation sous son manteau
dont deux anges tenaient les pans Biadego, L'arte degli orefici m
Verona, Vérone, Franchini, 1890, p. 20-30).
I \ l.\l ni.l'K S."»
Venisi .
Miniatures et peintures,
31. Musée Correr, salir XIV,na 106. Mariegola Mariae régula . Manu-
scril de la règle de la Confraternité de sainl Martin, dans l'église du
même nom. Date : I •'!•'!•">. Sur l'une des pages du Frontispice, la Crucifixion ;
sur l'autre, la Vierge abritant sous sou manteau une foule de bourgeois.
32. Musée Correr, salle XIV, n° 'M. Miniature qui a dû servir de fron-
tispice à une Mariegola. Sous le manteau de la Vierge sont agenouillés
des confrères en cagoule, ayant sur le cœur un médaillon avec les lettres
SMV [Societas Mariae Virginis entrecroisées.
33. Académie, n° 18. Retable de Simone da Cusighe, peintre vénitien
de la seconde moitié du xiv siècle; jadis dans l'église Saint-Barthélémy»
à Salce (Salce et Cusighe sont deux villages près de Bellune . Braun,
26798; Anderson, 13280. Cf. Cavalcasalle et Crowe, IV, p. 254; Lafe-
nestre et Richtenberger, \'eni*>\ p. 81; Paoletti, Cat. délie R. gallerie
di Venezia, p. 12. Sur le cadre on lit : M CCCL XXXXIIII INDIC tione
II DIE XX AVGVSTIFACTVMFVITH oc)0(pus ONESTO VIROD omino
X risto FORO CAPELL an)0 S ancti BA r 111 olomae) IS1MON FECIT.
Sur les panneaux latéraux, la vie de saint Barthélémy : on le voit
à droite : prêchant, exorcisant à gauche : devant le roi Astragès,
la fille du roi Polé- baptisant Astragès,
mios, jugé par Polé- écorché vif, décapité.
mios, battu de verges.
La Vierge, couronnée, ayant devant la poitrine l'Enfant dans une
mandorla, soulève d'un geste mièvre les plis de son manteau sous lequel
sont agenouillés les membres d'une Confrérie ; tous ceux dont on voil
la figure sont barbus; tous ont le chapelet à la main; deux tiennent de
grands cierges allumés, à grande bobèche; un autre, la bannière de la
Confrérie : ce gonfalone devait être surmonté d'une grande croix d'or-
fèvrerie, et sur l'étoffe <lc couleur rouge était peinte la Vierge de Miséri-
corde : la bannière a été représentée Ûottantau vent, mais on y distingue
très bien la partie supérieure d'une Vierge au manteau. — PI. X. I.
34. Académie. n° 270 (Phol. Salviati, 760 . Tableau du Tintoret. La
Vierge, sans la couronne et sans l'Enfant, est debout sur un piédestal,
autour duquel sont agenouillés, tète nue, les membres d'une Scuola.
Les premiers mots de la prière qu'ils récitent sont inscrits sur le pié-
destal : SVB TVVM PRAESIDIVM CONFVGIMVS
Reliefs.
35. Sur la porte delV antico albergo dé1 Confratelli délia Misericordia.
XIVe siècle. Tympan en arcade, divisé en trois compartiments par deux
86 CATALOGUE
colonnettes. Dans les compartiments latéraux, debout, saint Jean-Bap-
tiste et un apôtre. Dans celui du milieu, la Vierge debout, couronnée,
nimbée; devant elle, dans la mandorla, l'Enfant levant les deux mains
pour bénir. La Vierge étend sou manteau sur dix confrères agenouillés.
L'arcade trilobée au-dessus de la Vierge est ornée de fleurons d'où
sortent trois bustes : en baut, Dieu bénissant, avec le globe du monde ;
à droite et à gauche, saint Pierre et saint Paul.
36- Relief du xive siècle, à Santa Maria dell' Orlo. Cf. Zanotto, Guida di
Venezia, p. 321; Pe-kins, Sculpteurs italiens (Paris, 1870), II, p. 193;
Hans von der Gabelentz, Mittelalterliche Plastik in Venedig (Leipzig,
1903), p. 229.
37. A S. Stefano. Mentionné par Gabelentz, p. 22'.'.
38. Relief de forme ogivale attribué à batelier de Bartolomeo Buon
(commencement du xve siècle), autrefois sur la porte délia scuola délia
Misericordia, aujourd'hui au musée de South Kensington. Cicognara,
pi. 3'.», t. II, p. 171; Jameson, Madonna, p. 30; Saint François d'Assise
(Paris, Pion), p. 48; Kraus, Geschichte der christl. Kunst, II, fig. 268;
Gabelentz, p. 229. Derrière la Vierge, un figuier — l'arbre de Jessé -
dans les brandies duquel apparaissent ii mi-corps des personnages
barbus, tenant des banderoles : ce sont les ancêtres et les prophètes
du Christ : en haut, reeonnaissables à leur couronne, David (barbu) et
Salomon imberbe); les autres portent le bonnet phrygien, caractéris-
tique des Orientaux l'art chrétien archaïque en coiffait les rois Mages).
Deux anges aident la Vierge à soutenir les plis du manteau. Le premier
priant à gauche semble relever son eapuce pour mieux voir la Vierge.
Etant donné la provenance du relief, il est surprenant que les auteurs
du Saint François d'Assise aient voulu reconnaître « la famille francis-
caine » dans cette confrérie. — PI. X, 2.
39. La grande salle de la Scuola grande d<' Santa Maria délia Carità,
aujourd'hui la salle I de l'Académie, est ornée d'un plafond en bois, de
style « gothique », exécuté de Util à 1484, par Marco Cozzi di Giampe-
tro de Vicence. « Nel londo di mezzo, che in origine avea intagliata la
Madona accoglienle sollo il manlo dei confratelli, fu per ultimo collocata
una tavola di Alvise Vivarino représentante il Padre Eterno circondato
da cherubini » (Paoletti, Catalogo, p. 2).
40. Musée Correr, n° 16. Relief de IS01 ; >< era sopra la porta délia
Scuola dei Varotari a Sa Margherita ». Mentionné par Gabelentz, p. 229.
Niçois et Provence.
41. Marseille. — Bannière commandée en 1515 à Antoine Ronzen,
peintre d'Aix-en-Provence, par la Confrérie du Rosaire, pour l'église
des Dominicains de Marseille. Voir plus loin, p. 101.
Perdrizet, La Vierge de Misén'cordt
l'I. XI
CATA1 m, i l
S 7
42. Nice. Dans la sacristie de la chapelle de la Miséricorde, autre-
ment dite des Péaitents Noirs. Grand retable à onze compartiments,
signé : hoc pinxit Johanries Miraiheli vers 1475-1480 .Dans le compar-
timent du milieu, la Mater omnium, sans l'Enfanl ; dans les autres, des
Saints, donl trois antipesteux, Roch, Côme el Damien. Sur la prédelle,
des scènes de la Passion : Noli me tangere; la Déposition au tombeau :
les Saintes femmes au tombeau. Cf. Brun, Jean Miraiheli et les /rui*
Bréa, étude sur l;i peinture niçoise de la Renaissance Annales de l;>
Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes, t. XII. p. 9 «lu
tirage à pari ; H'. Moris, Au pays bleu (Paris, 1900), p. 48 avec planche ;
Palustre, De Paris à Sybaris, p. 77.
43. Nice. — Au même endroil que le précédent. Retable de Jean
Miraiheti ou de sou élève Louis Bréa, peint vers 1480, représentanl la
Mater omnium avec l'Enfant sur le bras gauche. Dans le fond une vue
de Nice (château, pont Saint-Antoine . Cf. Brun, op. cit., p. 20; Moris,
op. cit., p . i7.
44. Aix. — Tableau de Granet (né à Aix en 1775, -J- 1849 au musée
d'Aix, représentanl Y'intérieur d'une salle d'asile. Au mur de la salle est
suspendu un grand tableau représentant la Vierge de Miséricorde ; en
haut, dans chaque coin, un ange : sous le manteau de la Vierge quatre
femmes à mi-corps, la fraise au cou, probablement les régentes d'une
institution charitable.
l'Ii VNCE DU NORD.
45. Fresque dans le chœur de l'église paroissiale, à Saint-Céneri-le-
Gérei arr. et canton d'Alençou). La Vierge, couronnée, abrite sous s, m
manteau un grand nom lue de laïques agenouillés, placés sur quatre rangs,
appariés par couples, le maria coté de sa femme; ni vieillards, ni
enfants; tous sont nu-tête, sans attributs caractéristiques. Au-dessus de
la Vierge, deux anges font flotter une banderole quiportail une inscrip-
tion aujourd'hui illisible. Hors du manteau protecteur o un homme,
malgré tous les efforts qu'il l'ail pour se retenir, paraîl glisser sur une
pente rapide au bas de laquelle l'attendent deux bétes immondes, prêtes
à le dévorer. » Les fresques de celle église auraient été exécutées entre
1.362 el 1370. Cf. La Normandie monumentale et pittoresque, Orne Le
Havre. 1896, f°), p. 72 (notice de M. de Heaurepaire). — PL XI, I.
46. La Confrérie de l'Hôtel-Dieu, l'une des quatre Confréries de cha-
rité qui existaient à Bernay, avant la Révolution, avait pour armoiries :
d'azur à une N.-D. ayanl plusieurs personnes à genoux sous son man-
teau, le tout d'or lî. Bordeaux, Miscellanées d'archéologie normande
relatives au dép. de l'Eure, Paris, 1880, p. If>2 ; l'orée. Le registre de la
Charité des Cordeliers de Bernay, Rouen, 1887, p. 3).
47- Méreau de plomb trouvé dans la Seine, à Paris, sous le pont
Notre-Dame, en 1858. D'un coté-, la Vierge tenant l'Enfant et couvrant
de son manteau des priants agenouillés. De l'autre côté, saint André.
88 CATALOGUE
Ce méreau provient probablement d'une Confrérie de saint André qui
existait au xve siècle, dans la paroisse Saint-Eustache. Cf. Forgeais,
Plombs historiés trouvés tktns la Seine 'Paris, isii!'. , t. III, p. 128; l'objet
est conservé au musée de Clunv.
Lorraine.
48. Lettre initiale de la charte d'érection de la Confrérie de Saint-
Nicolas-des-Clercs, à Toul. Voir supra, p. 7o. — PL XII.
Alsace.
49. Fresque du début du xvie siècle, dans l'église de Vieux-Thann, au-
dessus de l'autel des Pfeiffer : les musiciens ambulants de la Haute-
Alsace formaient une Confrérie qui, annuellement, le jour de leur fête
[Pfeiffertag , se réunissait dans l'église de Vieux-Thann. La Vierge cou-
ronnée tient l'Enfant sur le liras gauche et, dans la main droite, une
fleur. Deux anges soulèvent le manteau sous lequel les Pfeiffer sont
agenouillés, chacun avec son instrument : guitare, violon, tambour. A
gauche, au premier rang, sont agenouillés trois personnages vêtus de
blanc, les dignitaires de la Confrérie (?). Cf. Straub, L'église de Vieux-
Thann Strasbourg, Schultz, i<S7"> , brochure in-8, avec une planche en
couleur, et deux Ici 1res d'indulgence de 1399, relatives à l'autel des
Pfeiffer. La planche publiée par Straub, d'après laquelle nous avons
dû faire exécuter notre reproduction, ne saurait passer pour un modèle
d'exactitude, pas plus que la copie récente, sur toile, en grandeur d'ori-
ginal, qui est exposée dans l'église de Vieux-Thann. — PL XI, 2.
Bavière.
50. A la cathédrale, dans la chapelle de la Mère de Miséricorde, « vom
Grabmal der Priesterbruderschaft », plaque de marbre rouge, datée de
1620. Marie, debout, couronnée, les mains jointes, le regard fixé avec
compassion sur les personnages agenouillés à ses pieds ; sous son man-
teau, que soutiennent deux anges, deux prêtres sont à genoux, en cos-
tume d'officiant ; l'un tient un calice sur lequel est l'hostie. Cf. Die
Kunstdenkmàler des Kônigreichs Bayern, t. I, p. 989, pi. 149.
l'i rdriz! r, /.n Vierge de Miséricorde
l'I. XII
■
Charte de la < îonfrérie de Saint-Nicolas-des Ci i rcs, \ Toui
CHAPITRE V
A VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES CONFRÉRIES
DU ROSAIRE
La dévotion du Rosaire inventée vers 1 170 par le Dominicain breton Main
de la Roche, et lancée à la fin du xv" siècle par l'Ordre des Prêcheurs.
— La Confrérie de Cologne, la première en date des Confréries du
Rosaire. — Le retable de celte Confrérie. — Pourquoi la Vierge au
Rosaire a-t-elle été figurée d'ordinaire, jusqu'à la lin du xvr siècle, en
Mater omnium ? — Description d'une curieuse gravure incunable.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que des Confréries de péni-
tence et de charité. A côté de celles-là. il en est d'autres qui
ont pour objet la méditation de certains mystères. Les plus
importantes de ces Confréries mystiques sont les Confréries
du Rosaire.
La dévotion du Rosaire a pour but d'honorer la sainte Vierge
et de méditer les principaux mystères de la vie de Jésus-Chrisl
et de Marie, auxiliaire de Jésus-Christ dans l'œuvre de la
rédemption. Il va deux sortes de rosaire, le grand et le petit,
celui-ci désigné communément aujourd'hui sous le nom de
chapelet. Le grand rosaire se compose de 150 Ave Maria, divi-
sés en 15 dizaines dont chacune commence par le Pater et se
termine par le Gloria Patri ; le petit rosaire est le tiers du
grand. Pour dire ces kyrielles de prières, le fidèle s'aide d un
chapelet composé de houles de deux sortes, plus petites pour
les .Ire, plus grosses pour les Pater ; il n'y a pas de houles
pour les Gloria Patri*. On ne sait pas exactement pourquoice
I. Sur le Rosaire et les indulgences qui y son) attachées, cf. S1 Alphonse de
Liguori, Gloires de Marie, IIe partie, ch. i\ . >3 : » Quiconque récite le tiers
du rosaire gagne l'indulgence de 70.000 ans ; quiconque le récite en entier,
celle de 90.000, el da\ antage s'il le récite dans la chapelle du Rosaire. De plus,
quiconque dil le rosaire gagne l'indulgence plénière à toutes les fêtes princi-
pales «le Marie, de l'Église el de sainl Dominique, en visitanl les ('--lises après
s'être confessé el avoir communié; mais ce qui précède ne doil s'entendre
que fies personnes inscrites au livre du Rosaire; à celles-là, le jour où elles
90 CHAPITRE V
chapelet a été appelé « couronne de roses », rosariurn, Hosen-
kranz. Il y a 150 Ave dans le grand Rosaire pour rappeler les
150 Psaumes : aussi le rosaire était-il appelé Psalterium hea-
tae Mariae, « Psautier de la Vierge Marie ».
Si l'on étudie le catholicisme à cette période morbide qui
précède la Réformation, un des phénomènes dont on est le
plus vite frappé est le prodigieux développement des Confré-
ries du Rosaire. Si, poussant plus avant, l'on étudie l'iconogra-
phie de cette dévotion, on constate quelle est en connexion
(droite avec le thème de la Vierge au manteau protecteur :
sur mainte gravure, sur maint retable de la fin du xve,
du XVIe et du commencement du xvne siècle, la Vierge au
manteau protecteur est figurée abritant les Confrères du
Rosaire, ou distribuant le rosaire, ou dans un encadrement
formé par le rosaire. Pour expliquer cette affinité et pour
rendre raison des particularités que présentent les images en
question, il faut rappeler d'abord à quelle époque apparaît la
dévotion du Rosaire et dans quel milieu religieux.
A en croire les Dominicains et la tradition catholique, le
Rosaire, dont 1 invention remonterait jusqu'à la sainte Vierge 1 ,
aurait été propagé par saint Dominique à la suite dune appa-
rition de la Vierge dont il aurait été favorisé en 1208 ou en
1211, près de Toulouse, pendant la croisade des Albigeois.
Cette thèse a été naguère encore soutenue au « Congrès scien-
tifique des catholiques »> tenu à Fribourg en 1898 '-'. Il est
remarquable et significatif qu'une erreur aussi certaine ait pu
se produire dans une réunion >< scientifique » sans être sur-le-
champ réfutée ni même contredite.
Le rosaire a été inventé à une date et par un personnage qui
sont parfaitement connus. Henri Estienne, dans son Apologie
pour Hérodote, a dit là-dessus l'essentiel. Il n'est pas mau-
s'inscrivent, confessées et communiées, est accordée l'indulgence plénière,
cent années, si elles portent le rosaire; et à celles qui font l'oraison mentale
une demi-heure par jour, sept années pour chaque fois, et l'indulgence plé-
nière à la fin du mois. »
1. « Le chapelet remonte à la Vierge. Il est probable, dit Benoît XIV, qu'elle
s'en servit pour réciter des versets de psaumes, et après l'Annonciation pour
répéter les paroles de l'ange » (Barbier de Montault, Manuel d'iconogr., t. II,
p. 242). Cette citation caractérise l'esprit dontl'œuvre de Barbier est inspirée.
2. Une hypothèse sur la date cl le lieu de l'institution du Rosaire, par l'abbé
Dufl'aul {Compte rendu du IV' congrès scientifique international <les catho-
liques, Fribourg, 1898, t. I, p, 42-64). Voir la critique qu'en ont faite les Ana-
lecta Bollandiana, 1899, p. 290.
I.\ VIERGE ET LES C0N1 RÉRI1 S ni ROSAIRE
91
vais, si L'on veut connaître el apprécier les choses religieuses
du xvc sied.-, de se renseigner auprès des libres esprits du
siècle suivant.
« Environl'an 1470, sous le pape Sixte IV. an nommé Alain
de la Roche, Jacopin, forgea un psautier de la Vierge Mane.
ce quia été nommé Rosarium, el lepreschaau lieu de 1 Esvan-
gile, et finalement en institua une Confrairie. Laquelle fut
approuvée par les bulles du dict pape, usant de grandes lar-
gesses d'indulgences. Et outre ce, Jaques Sprenger, provincial
d'Alemaigne, forgea plusieurs miracles pour l'autoriser. El qui
est bien d'avantage, on n'eut point honte de publier un livre
traitant de ceste Confrairie, au commencement duquel il estoil
récité qu'un jour la Vierge Marie estoit entrée en la chambrette
dudict Alain, etluy avoit faict un anneau de ses cheveux, avec
lequel el le l 'avoit épousé. Item qu'elle l'avoit baisé, et Luy avoit
présenté ses tetins pour les manier et les tetter. En somme.
quelle estoit aussi familière avec luy qu'une femme ha cous-
tume d'estre avec son mari '. »
Il n'y a rien, dans cette page terrible, qui ne soit vrai. A la
fin du xvne siècle. Les recherches deQuétif et d'Échard2 — qui
pourtant étaient des Dominicains — confirmées au xviii9, par
celles du Bollandiste Cuper 3 et, de notre temps, parles tra-
vaux du Jésuite Thurston k et du Franciscain Holzapfel5, onl
confirmé le réquisitoire d'Estienne. Le lecteur qui souhaite-
rait d'être complètement édifié sur Alain de la Roche et sur la
façon dont il a lancé la dévotion du Rosaire se reportera aux
textes cités par ces savants ou, à tout le moins, aux comptes
rendus critiques des Analecta Bollandiana qui ont clos Le
débat6.
1. Apologie pour Hérodote, ch. xxxv, éd. Ristelhuber, I. II. |> 239.
2. Scriptores Ordinis Praedicatorum, t. 1. p. 851. Quoi qu'en dise M. Jules
Guiraud Saint Dominique, dans la collection Les Saints, p. L2 el 210), on
n'avait pas attendu les Bollandistes pour émettre des doutes « assez graves »
sur' la légende relative à l'origine du Rosaire.
3. Acta SS., août. 1 (Anvers, 1733 . p. i -J T . Paquot, dans son édition de VHis
loria SS. imaginum de Molanus Louvain, 1771), p. 72. déclare, en s'autorisanl
de Quétif et d'Echard, ainsi que des Bollandistes, que les écrits d'Alain de la
Roche m- méritent aucun cit. lit. Cf. encore l'Hist. litt. delà Fr., XIX. 346.
i. TheMonth, d'octobre 1900 à avril 1901 : cf. la Revue 'lu clergé français,
décembre 1901, el V Oberrheinisches Pasioralblatt, 1901, n° 6 el 211.
5. si Domïnikus und der Rosenkranz, Munich. 1903 fasc. 13 des publica-
tions du Kunsthistorische Seminar de l'Université de Munich).
(i. \n;il. boll., IS!".>. p. '.".ai. compte rendu du travail delhdl'aut : 1902, p. 219
compte rendu des articles de Thurston : « Th. a démontré qu'Alain fui un
92 CHAPITRE V
Rien ne naît de rien. Il est certain que la dévotion inventée
par Alain se rattache à des pratiques antérieures. Il y a « une
préhistoire du Rosaire1 ». Comme tant d'autres inventeurs,
Alain a eu des devanciers, dont il a systématisé et développé
les idées. Le rosaire est une sorte de chapelet : or les chré-
tiens avaient pu voir le chapelet en Orient et en Espagne, aux
mains des Musulmans et des Juifs, et ils s'en sont servi avant
la fin du xve siècle : l'enfant Jésus de la fameuse « Madone
aux fleurs de pois », par un élève de Wilhelm (vers 1370), tient
un chapelet'. Le rosaire consiste dans la récitation d'un cer-
tain nombre d'Ave Marin : or la dévotion de Y Ave Marin
remonte au xne siècle. Plus précisément, il consiste dans la
récitation de 150 ou de 50 Ave Marin ; or, dès le xne siècle, il
est question de religieux et de religieuses qui avaient imaginé
de réciter de suite 150 Ave Maria, 150 à cause des 150
psaumes, 50 en considération de chacune des trois personnes
de la Trinité, 50 étant le tiers de 1503. Mais le Rosaire, tel
qu'il apparaît dans le dernier quart du xve siècle, avec ses
décades dJAve, avec le Pater qui forme l'incipit et le Gloria
Pat ri qui forme la clausule de chaque décade, avec la médi-
tation de certains mystères de la Vie du Christ et de la Vie
de Marie, avec les Confréries instituées pour le réciter, avec
l'influence qu'en devait tirer l'Ordre qui le répandit et qui
organisa les nouvelles Confréries — le rosaire est bien l'in-
vention du moine breton Alain.
Quoiqu'il convienne, en général, de se délier de l'argument
esprit morbide, inconscient; ses discours et ses écrits renferment mainte page
scandaleuse, qu'on a eu tort de préserver de l'oubli »: 1905, p. 303, compte
rendu de Holzapfel : « Alain est l'ardent et peu scrupuleux créateur de la
légende. Il s'est évertué par les moyens les plus extravagants à lui donner le
poids d'une tradition reculée. Le P. Holzapfel, pour porter le dernier coup à
ce rêveur déséquilibré, n'a pas hésité à insérer, au cours de sa dissertation,
des citations textuelles intraduisibles dans nos langues vivantes. »>
1. L'expression est du Bollandiste Poncelel Anal. BolL, 1002, p. 45).
2. Au musée de Cologne. Cf. Aldenhoven, Geschichle der Kôlnischen Malerei,
p. 71 et 339.pl. 17; Wôrmann, Geschichle der Kunst, t. II, p. 325. Sur le
retable de Simone de Cusighe (supra., p. 85 et pi. X, 1). qui date de 1 491, les
Discipl i nuti égrènent le chapelet.
3. Cf. Césaire d'Heisterbach, Libri \ III miraculorum, éd. Aloys Meister
(Rom. Quartalschrift, XIV Supplementband . 1. III. ch. 21 : Quidam mônachus
Cisterciensis ordinis tantum venerabaiur B. Virginem ut singulisdiebusquin-
quaginta Ave diceret. — Id.. ch. 37 : Quaedam sanctimonialis consueta fuit
}',. Mariae in omnidie centum quinquagenta Ave Maria dicere. — Thomas de
Cantimpré : Bonum universale de npibus. ch. xxix, § 6 et 8. — D'autres
textes dans Anal. BolL. 1902, p. 45, et dans Holzapfel, op. laud., ch. v.
I.A VIERGE ET LES CONFRÉRIES Dl ROSAIRE "3
e silentio, il se présente dans La question des origines du
Rosaire avec une force irrésistible. Même Les Dominicains
d'aujourd'hui sont obligés de confesser Leur surprise1 de ne
pas trouver la mention de cette dévotion dans Les anciennes
Viesdu saint qui en aurait été Le fondateur : pourtant il a 3 a
pas moins de dix Vies de saint Dominique datant du \in"
siècle, et elles sont remplies du détail complaisammenl énu-
tnéré des dévotions multiples de L'Ordre envers la Vierge. De
même, on chercherait en vain une allusion au rosaire, si loin-
taine et discrète fût-elle, soit dans les Acta ' des chapitres de
l'Ordre tenus au xin" siècle, soit dans les dépositions des trois
cents témoins du Toulousain qui turent entendus en 12:$2 au
procès de canonisation de saint Dominique. Dans les deux
premiers tiers du XVe siècle, les Dominicains qui écrivent la
vie de saint Dominique. Thomas -Antoine de Sienne f vers
1 ÏM) . saint Antoine de Florence (7 1 159), Jean Lopez y vers
1470), ne disent encore rien du Rosaire.
Telle est, depuis rilchard, L'argumentation des critiques. Au
temps d'Échard, l'historien n'employait d'autres matériaux
que des textes. On doit aujourd'hui, àl'argumenl négatif fourni
par les textes, ajouter l'argument négatif fourni par l'icono-
graphie. Le rosaire ne se trouve sur aucun monument figuré
antérieur au dernier quart du xv" siècle. Cette constatation ne
saurait être indifférente à l'archéologie, puisqu'elle lui pro-
cure un terminus post quem pour dater les représentations où
paraît le rosaire. Il est certain, par exemple, que le retable du
Garmel de Pérouse, qui représentait la Mater omnium cou-
vrant de son manteau toutes sortes de -eus occupés adiré le
rosaire, datait au plus tôt de la fin du xv" siècle et que la date
1119, quiy était inscrite, témoignait que les Carmes axaient
tenté de s'approprier l'invention de la nouvelle dévotion .
Alain de la Roche paraît avoir commencé à prêcher le
Rosaire à partir de 1465, dans la Flandre el la Frise, puis
dans le Nord de L'Allemagne4. En 1475, Jacques Sprenger,
prieur des Dominicains de Cologne — le sinistre auteur du
1. Cf. Mortier, O.P., Histoire des maîtres généraux de l'Ordre des Frères
Prêcheurs (Paris, Picard, 1903 , t. I, p. 15, et Le compte rendu de cel ouvrage
par le P. Van Ortroy, dans les Anal. Boll., XXIII L904), p. 116.
2. Publiés par Douais (Toulouse, L895 .
3. Mariotti, Lettere pittoriqhe perugine Pérouse, i>s , p- U.
1. Echard, op. Inud., t. I, p. SJ".
94 CHAPITRE V
Millions maleficarum — institue dans cette ville la première
Confrérie du Rosaire. Charles le Téméraire était venu mettre
le siège devant Neuss : les Colonais redoutaient qu'après la
prise de Neuss, il ne les attaquât à leur tour: dans ces con-
jonctures, Sprenger n'eut pas de peine à leur persuader de
recourir à la dévotion nouvelle ; il les enrôla tous dans une
Confrérie, qui fut inaugurée par une procession solennelle, à
la fête de la Nativité de la Vierge, le jour même où, par une
coïncidence dont la crédulité lit un « signe », mourait à
Rostockle soi-disant « rénovateur » du Rosaire. Alain de la
Roche. Sur ces entrefaites, la paix est conclue entre le due
de Bourgogne et l'Empereur : on y voit l'effet des prières de
la Confrérie nouvelle, la dévotion du Rosaire est désormais
consacrée1. Aussitôt le légat de Sixte IV confirme la Confrérie
et la dote d'indulgences '. Deux ans plus tard, le 30 mai 4478,
elle est approuvée et enrichie de nouveaux privilèges par
bulle pontificale3. Dès lors, le Rosaire se répand partout ;
dans tous les pays se fondent des Confréries sur le modèle de
celle de Cologne.
L'église Saint-André à Cologne possède un grand triptyque
attribué au maître de Saint-Séverin (pi. XIII, 1), qui com-
mémore la fondation de la Confrérie colonaise et la protec-
tion dont la Mère de Miséricorde, touchée par les prières de
cette pieuse société, couvrit alors Cologne. Au milieu, une
Vierge gigantesque, debout, portant l'Enfant qui égrène le
rosaire ; deux anges volant, tiennent au-dessus de la Vierge
trois couronnes de roses blanches et rouges. Sous le manteau
doublé d'herrnine sont agenouillés, les mains jointes, à droite
les clercs, à gauche les laïques, la plupart tenant le rosaire.
La dévotion du Rosaire, inventée par un Dominicain breton,
lancée par les Dominicains allemands, est essentiellement
dominicaine. Les monuments iconographiques ne manquent
pas de rappeler cette origine. Sur le tableau de Cologne, du
1. Echard, op. land., t. I, p. 881.
2. Cette confirmation est datée du 10 mars 1 17<ï. Cf. Mamachi, Annales 0. I .,
t, I (Home, 175(3), appendice, p. 207.
;\ Bullarium <>rd. Praed., III, 576. Il n'est pas question, dans cette bulle, de
saint Dominique. Plus tard. Pie V (| L572 et Benoit XIII (f 1730), tous deux
de l'Ordre des Prêcheurs, ont enrichi de nouvelles indulgences la dévotion
Dominicaine : mais, quoique fils de saint Dominique, ils n'attribuaient le
Rosaire à leur père spirituel que sous réserve, ul pie creditur, ut memoriae
proditum est.
Perdrizet, Lu Vierge <l<- Miséricorde
H. Mil
LA VIERGE ET LES CONFRÉRIES ni ROSAIRE
9!
côté des clercs, Prêcheurs el Prêcheresses sont en majorité ;
le gros abbé agenouillé en belle place, bien en vue, derrière
le pape, esl un prieur Dominicain, sans doute Jacques Spren-
gerlla figure, très individuelle, paraîl bien un portrait.
El si le spectateur ne faisait pas attention à tous ces Domi-
nicains et Dominicaines agenouillés parmi les priants,
il ne pourrait pas ne point remarquer que les deux interces-
seurs qui soutiennent le manteau de la Vierge sont des saints
Dominicains. Celui qui a la place d'honneur, à la droite de
Marie, est le fondateur de l'Ordre, reconnaissable à l'étoile de
son front ; il tient dans sa main gauche une grande croix
processionnelle. Près de lui, dans le champ, sont écrits ces
mots, qui visent l'hommage rendu à Marie par la récitation
du rosaire : diligite, salutate M{ariam)x. A gauche, saint
Pierre Martyr, près duquel sont écrits ces mots inspirés de la
première Épître aux Corinthiens (xm, 13) : charitas manet
in aeternum :1a « charité » dont il s'agit ici, est l'amour des
fidèles pour Dieu et pour Marie. — De même, sur la
bannière qui fut peinte en 1515 pour la Confrérie du Rosaire
établie par les Dominicains de Marseille, la Vierge au man-
teau protecteur avait à sa droite- saint Dominique, à sa gauche
saint Thomas d'Aquin.
En général, la Mère de Miséricorde, quand elle est représen-
tée comme Vierge du Rosaire, abrite sous son manteau, non pas
les membres d'une Confrérie, mais la Chrétienté tout entière:
autrement dit, la Vierge au rosaire est généralement figu-
rée comme Mater omnium. Pour s'expliquer cette anomalie,
il faut bien comprendre ce que la dévotion du Rosaire, dans sa
nouveauté, fut pour l'Ordre ambitieux qui l'avait lancée. Elle
offrait aux fidèles, a sibon marché, de si grandes indulgences,
elle avait une telle vogue, que les Dominicains purent espé-
rer que toute la ( chrétienté finirait par être inscrite à leurs ( Con-
fréries : Confraternitas Rosarii Ecclesiam fere implevit univer-
sarn1. La Confrérie du Rosaire fondée en I iSi par les Domini-
cains de Colmar, s'étendait sur toute l'Alsace, et hors d'Alsace,
jusqu'à Berne, Fribourg-en-Brisgau et Wiesbaden. Au début
du xvr3 siècle, à la veille de la Réformation, la liste de la
1. Je suis les lectures d'Aldenhoven, Geschichte der Kolner Malerschule,
p . 2'.>r>. Sur l'original j'ai lu : Diligite, salutate sans Mariam el : charitas maneat.
Le retable a été fortement repeint.
2. Quétif cl Echard, Script. <>. /'.. t. I. p. 881.
91) CHAPITRE V
Confrérie colmarienne comprenait 3000 noms, dont G00 de
Colmar '.
De même que les ouvrages composés par les Dominicains
du xvc siècle pour défendre la virginité de Marie2, la dévo-
tion du Rosaire témoigne des efforts de l'Ordre des Prêcheurs
pour rendre à Marie les honneurs qu'ils paraissaient lui dénier
par leur attitude obstinée clans la controverse de l'immaculée
conception. Le succès des Confréries du Rosaire dut compen-
ser, et au delà, pour les Dominicains, la défaveur qu'ils s'at-
tiraient d'autre part à soutenir, contrairement aux Francis-
cains et à la foi populaire, la théorie « maculiste » de saint
Thomas d'Aquin. Ces confréries, d'ailleurs, étaient une
invention admirable pour faire marcher en bon ordre le trou-
peau des ouailles sous la surveillance des « chiens du Sei-
gneur », Dotnini canes. C'est pour ces deux raisons que sur
les monuments figurés de la fin du xv' et du début du xvic
siècle, la Vierge au Rosaire abrite sous son manteau, non pas
les seuls membres de ses Confréries, mais l'universalité des
chrétiens.
Parmi les plus anciennes représentations de la Vierge au
Rosaire, il en est une qui montre, sous le manteau de Marie,
non pas l'universalité des chrétiens, ni les membres d'une
Confrérie du Rosaire, mais l'Ordre de saint Dominique. Je ne
connais aucun document iconographique qui atteste aussi
clairement le caractère Dominicain de la dévotion du Rosaire.
C'est une gravure enluminée, de la Bibliothèque de Bam-
berg (pi. XIV, 2). M. Schreiber, qui l'a décrite à deux reprises,
dit que sous le manteau de la Vierge sont agenouillés des ecclé-
siastiques. Il est vrai qu'un porte la tiare, un autre la mitre;
mais, comme tous ont l'habit Dominicain — manteau noir,
robe et scapulaire blancs — , le doute n'est pas possible : la
gravure de Bamberg représente bien l'Ordre des Prêcheurs
sous le manteau protecteur de la Vierge. Si le graveur a mis
1. Ingold, Xotice sur Véglise et le couvent des Dominicains de Colmar, p. 66.
2. ,T. von Schlusscr, clans le Jahrb. der kunslhist. Samml., Vienne. 1902,
P. 295.
I \ \ il ia,i ET LES CONFRÉRIES Ml ROSAIRE
97
dans la foule des moines un pape et un éyêque, c'esl que
L'orgueil Dominicain tenait à rappeler que l'Ordre avait fourni
a l'Église une infinité de prélats', cl plus d'un pape2.
La Mère de Miséricorde, couronnée par la Trinité, esl
debout dans un rosaire dont les 50 petits grains sont rem-
placés par autant de roses jaunes, cl dont les cinq gros grains
sont remplacés par autant de cercles portant chacun 1 image
dune des cinq plaies3. Devant la Vierge, à sa droite, est age-
nouillé saint Dominique; près de lui, un chien tenant dans la
gueule une torche allumée (allusion à une vision dont fut
favorisée la mère du saint). Aux quatre coins de la gravure,
les quatre personnages qui sont, après le fondateur, les prin-
cipales illustrations de l'Ordre Dominicain. M. Schreiber les
a dénommés tout de travers. En haut, a gauche, saint Pierre
Martyr, reconnaissable à la blessure du crâne, et au grand
coutelas : M. Schreiber croit qu'il s'agit de sainte Catherine
d'Alexandrie. A droite, saint Thomas d'Aquin, portant
l'Eglise sur la main droite, un livre dans la main gauche :
M. Schreiber croit qu'il s'agit de sainte Barbe. En bas. à
gauche, saint Vincent Ferrier, un livre dans une main, dans
l'autre une image du Juge du Monde : M. Schreiber croit
qu'il s'agit de saint Hyacinthe. Adroite, sainte Catherine de
Sienne, couronnée d'épines, et portant un cœur d'où sort un
crucifix : M. Schreiber croit qu'il s'agit de sainte Brigitte.
Cette curieuse gravure, qui sort évidemment de la même
officine qu'une gravure non moins intéressante dont nous par-
lerons plus loin1, est accompagnée dune longue légende alle-
mande, dont voici la traduction :
('< Apprenez comment le fondateur de l'Ordre des Prêcheurs,
le sain! l'ère Dominique a recommandé son Ordre et tous
ses frères ;i Marie, la reine du ciel, la mère de Dieu; et
J.-C. l'a ravi en esprit et lui a demandé s'il voulait voir son
1. En 23 ans. de l-.'-J7 à L252, il sorti) des rangs des Prêcheurs '" évèques, y
compris un cardinal, un patriarche el 0 archevêques (Mortier, Hist. des
maîtres généraux de i Ordre des F. /'., Paris, Picard, 1903, I. 1. p. 390
2. Pierre de Tarentaise, intronisé en l i2T »» . smis le nom d'Innocenl V : saint
Benoit XI. intronisé en 1303; etc.
:s. La Salutation angéliquede Voit Stnss.à l'église Saint-Laurenl de Nurem-
berg, est entourée d'un Rosenkranz de 50 petites ruses: les cinq gros grains
sonl remplacés par des reliefs circulaires qui représentent cinq des sept joies
delà Vierge; les deux antres joies sont placées symétriquemenl sur le liant de
la couronne, à l'extérieur.
1 . Ch. vin.
Perdrizkt. — La Vierge de Miséricorde. 1
98 CHAPITRE V
Ordre et ses frères ; ce qu'il désira du fond du cœur et avec
des larmes ; — comment il dit à tous les frères de son Ordre
que le Seigneur Jésus avait ouvert le manteau merveilleuse-
ment brodé de Marie, lequel était si vaste et si grand qu'il
abritait toute la milice, céleste ; et Jésus lui dit : « Voici ton
Ordre et tes frères que j'ai recommandés à ma très chère
mère, qui doit être votre mère et votre protectrice. » Mais
quand le saint père Dominique dut recevoir de Dieu sa
récompense, à son dernier jour (d'après ce que Marie elle-
même a révélé à sainte Brigitte, comme nous lisons au III0
livre [des Révélations], chapitre 17), il dit à Marie, la Mère de
Miséricorde : « 0 Marie, je vous recommande mes membres,
c'est-à-dire mes frères. Instruisez-les comme vos lils, et pro-
tège-les comme leur mère. «Alors Marie répondit : « 0 Domi-
nique,mon bien-aimé, parce que tu m'as aimé plus que moi-
même, je veux sous mon large manteau défendre et gouverner
tes fils, et tous ceux qui restent placés sous ta règle seront sau-
vés. Mon large manteau est ma miséricorde, que je ne veux
refuser a aucun homme qui la désire ardemment : tous ceux
qui cherchent protection sous les pans de ma miséricorde en
recevront protection. » C'est pourquoi nous devons tous, d'un
cœur recueilli et dans une attitude humble, crier vers elle et
dire : « Sous votre protection, nous nous réfugions, sainte mère
de Dieu; ne repoussez pas nos prières dans l'affliction, mais
délivrez-nous de tout danger, sainte Vierge bénie ! »
J'ai cru devoir traduire cette longue légende, parce qu'elle
donne une idée des sermons par lesquels les Frères Prêcheurs
répandirent la dévotion du Rosaire, à la fin du xve et au
début du x\tp siècle, dans les masses populaires.
Ainsi les Dominicains, pour représenter leur Vierge au
Rosaire, adoptèrent le type de la Vierge au manteau. C'est un
fait dont je m'étonne que M. Krebs, qui attribue la diffusion
de ce type à l'Ordre Dominicain, n'ait pas tiré argument.
CATALOGUE
1. Tableau votif de la Confrérie colonaise du Rosaire, dans l'église
Saint-André de Cologne, publié par Schnùtgen {Zeitschi iftfiir christlichen
Kunst, 1890, col. 18, |>. m. Voir supra, p. « Die Vorderseite isl stark
iibermalt, sodass man iiber den Stil kein sicheres Urtheil fallen kann »
(Aldenhoven, Geschichte der Kôlner Malerschule, p. 296), ce qui n'em-
pêche pas les érudits colonais d'adjuger cette peinture au Maître de
Saint-Séverin. Je ne puis comprendre par quel raisonnement Aldenho-
ven, qui croit, comme Schnùtgen, que l'Empereur figuré sous le manteau
delà Vierge est Frédéric III yl 193 . peut conclure que le tableau date
d'après 1511 : « In ter den Dominikanern soll ganz vorne Jacob Spren-
ger abgebildet sein ; er lebte noch in den neunziger Jahren des xv.
Jahrhunderts. Dagegen spricht die idéale Auffassung des Kaisers fur
spâtere Zeit : wenn der Maler sich nach der Darstellung des Weissku-
nigs gerichlel liai, so wûrde das Bild nach 1511 entstanden sein. ■■ -
PI. XIII, I.
2. Gravure enluminée, des environs de l'an 1500, à la Bibliothèque de
Bamberg, décrite dans Schreiber, Manuel del 'amateur de la gravure sur
bois au XV* siècle (Berlin, Cohn, 1893), t.I,p. 296, n" L012 el reproduite
dans Pestblâtter des XV. Jahrhunderts, herausg. von P. Ileitz mit einlei-
tendemTexl von W.L. Schreiber (Strasbourg, Ileitz, 1901 , pi. VII. Cf.
supra, p. 96. Sous la gravure est cette légende : Es isl zu merckenn so si >//'-
fter, und anheber prediger ordens der heylige vater SantDominicus sei-
nen orden und aile seine brudere marie der hymel kôngyn, der mutter
gotles bevolhen und Christus Jhesus in enlzuckt im geyst fraget ob er,
seinem orden und brudern sehen woldet des er ans grunth seynes herzen
und weinlich begerth So er ans allen ane seinem orden brudere sage das
der herre Jhesus den mantel marie seiner allerliebsten mutter erôffnet
wunderliche gezyret und also weyt und gross das er auch das ganze
hymelysche hère umbfinge und sprach zu ym sich deinen orden und bru-
dere ivelche ich meyner allerliebsten mutter bevolhen habe die ewer aller
beschutzerin und mutter sali seyn do aher der heylige vatler Dominicus
von got belonunge soll entphangen an seinem letzte ende wie dan
maria selberst erkundet liai die heylige brigittam a/s wir dan im dritten
buch am sibenzeenden capitellyreroffenbarungen lesen. Sagte er zu maria
der mutter aller barmherzigkeyt : <) maria ich bevelhe <lir meine glyth-
massen meyne brudere unther weysse sy als deyne sône und beschuze sy al
ire mutter. I)<> autworth maria : 0 dominice mein gelibter dorumb das du
mich hocher gelibet hast wan dich selberst So will ich unther meinen
breyten mantell vorfechten und regiren deine sône und aile dy unther
|()() CATALOGUE
deiner regell bestendich bleyben werden seylich. Mein breytter mantel
ist mein barmherzichkeyt die ich keynem menschen (1er sy eyliglich
begert wil vorsagen. Sonder aile <ly do suchen hulffe unter der schôsse
meiner bamrherzichkeyt dy werden von mir barmherziglich beschùt-
zet. Derhalben sollen wir aile mit andechtigen hertzen und demutigen
geberthe su yr schreyhen und sprechen : « Unifier deine beschuzunge
flyhen ivir 0 heylige t/ottes gebereryn unnser bytten in nôtenn nicht
vorschmehe sonder von allen ferligkeyten erlôse uns aile zeyt o gebened-
cyte Junckfrawe ! » — PI. XIV, 2.
3. Schreiber, Manuel, n° 1012 a ; Pestblâtter, pi. ">. Gravure enluminée,
de la collection Schreiber; 1500 environ. Elle a la forme d'un tondo, qui
pour cadre aurait un rosaire fait, non de grains, mais de roses, des roses
blanches pour les Ave, des roses rouges pour les Pater. La Mater
omnium, couronnée, prie les mains jointes pour les chrétiens agenouil-
lés sous son manteau : à droite de la Vierge, les laïques, Empereur, Roi.
Reine, etc., parmi lesquels une distraction du graveur a introduit un car-
dinal ;à gauche les clercs, Pape, Cardinal, Évêque, Abbé, etune moniale.
Deux anges soutiennent le manteau de Marie. Dieu apparaît à mi-corps
dans les nuées ; il brandit les trois traits, un dans la main droite, deux
dans la main gauche. Dans le fond, entre des montagnes que des châ-
teaux couronnent, un grand fleuve portant bateaux. Le paysage rappelle
les bords du Rhin entre Bingen et Cologne. M Schreiber dit cette gra-
vure alsacienne, sans expliquer pourquoi. Je suppose que c'est parce
que sur le frontispice du 7 ractatulus de fralernitate Rosarii, imprimé
à Strasbourg en 1500 (à la suite du De Sancta Anna et de universa ejus
progenie),la Vierge est représentée dans un rosaire fait de fleurs de roses
pareil à celui de la gravure en question.
4. Schreiber, Manuel, n° 1012 c ; Pestblâtter, pi. 8. Nuremberg, musée
Germanique. Médiocre gravure sur bois, non enluminée, rectangulaire,
découpée dans un livret incunable qu'il s'agirait de déterminer, encadrée
sauf en bas d'un chapelet, et divisée en deux registres.
En haut, la Mater omnium protégeant contre la colère de Dieu les
chrétiens agenouillés sous son manteau. Dieu apparaît à mi-corps dans
les nuées ; il tient les trois traits, deux dans la main droite, un dans la
main gauche. A droite de la Vierge, le Pape,l'Évêque et deux autres per-
sonnages; à gauche, l'empereur et deux autres personnages. Le Pape et
l'Empereur ont en main le rosaire.
En bas, sainte Anne, assise-, tenant sur le genou droit l'Enfant Jésus,
nu, sur l'autre genou la petite Vierge Marie en adoration devant l'En-
fant. Devant le groupe se tiennent debout les douze Apôtres : au pre-
mier rang, saint Pierre avec la clef, saint Simon avec la scie, saint Tho-
mas avec la lance.
Sur la dévotion à sainte Anne en Allemagne, à la fin du xve siècle, cf.
le petit traité de Trithemius, De laudibus sanctissimae matris Annae
(Mayence, 1494), qui préconise l'institution de Confréries du Rosaire de
sainte Anne, à l'instar des Confréries du Rosaire de Marie, et qui contient
un Rosaire de Sainte Anne calqué sur le Rosaire de Marie. Entre autres
vertus, sainte Anne aurait celle de préserver ses dévots delà peste (Thri-
Per.dr.izi i. Lu Vierge de Miséricorde
l'I. XIV
i \ i m.mi.i i:
0
themius.ch. I i . Schreiber II, p. 1 assure qu'en Allemagne sainte Anne
aurail été souvenl invoquée contre la peste à partir de 1494.
PI. XVI, 1.
5. Ueberlingen. Retable sculpté, dans I Saint-Nicolas. Il fui
exécuté en suite d'un vœu formé en 1632, à l'approche des Suédois,
par la veuve du bourgmestre Jean de Schultheiss, et terminé en 1640;
l'évêque de Constance m lit la dédicace le 30 avril : il avail coûté 1500
florins. La Vierge esl au centre d'un grand rosaire, o Die Madonna
hatte friiher einen Kopf, der durch eine Mechanik nickte ■■ Die Kunst-
denkmâler des Grossherzogthums Badens. 1. Konstanz, p. 604 .
6. Marseille1. Commande d'une grande bannière du Rosaire, pour
l'église des Dominicains de Marseille (28 janvier 1515), faite à Antoine
Ronzen d'Aix, dit le Vénitien, par la Confrérie du Chapelet. I.e texte esl
enlatin, mais la bannière est décrite in vulgari de colun.ta.le partium ipsa-
rumambarum cette langue vulgaire est un provençal mêlé de français :
V y mage de Nostre Dame au miechde la bandiera, regardant tout drech...
tendentson mantelestendut ambesus dos manslantde una part que d autre ;
et un'/ chappellet en cade man, pendant ; sota lodici mantel, so es -
a banda drecha3, V estât de la gleysa1", como es le pape, iemperador,
patriarche, cardinal, archevesque, evesque et autres prelatz et senhors
de gleyse, en nombre que porra estar en la dicta part drecha ; estans
agenolhas, ben proportionas : ht cappe del pape et imperador, d'or ou de
brocat; las mitre*, aussi d'or : et los autres personages, de riches et con-
venables collors5 a gens de gleyse; cascun personages tenant ung chap-
pellet en sas mans joynches, les sinquante Ave Marias d'or, et los sinq
Palenostresa manière de roses rouges... A la banda senestre sera Vestat
temporal,soes lo rey, la reyna, veslis d'or fin et en habit real, les cou-
rones, d'or, bien proportionadas; et après ellos,chivaliers et autres sen-
hors,et gens temporals, vestis de bones, sufficientes et convenables col-
lors, et riches; estans agenolhas, etcascun teneni son chappellet... Item,
sera tengut de faire lodict mestre Anthony al bout del mantel Nostre
Dame, après totes altres gens, d'una part, sanct Domenge ; et d'autre cos-
tal, sanct Thomas, de l'ordre des Predicadors, estans 'Ire, -h*, tenens lo
crucifix en las mans. Albanès, qui a publié ce document dans le Bull,
archéol. du Comité, 1884, p. 287, croyail à tort que le peintre Ronzen
avait inventé le plan de cette composition : « Ronzen, cent Albanès,
donna lui-même le plan de cette bannière, qui esl curieux el gran-
diose. » D'autre part, l'éditeur a omis d'expliquer la particularité la
plus intéressante de cette minutieuse description : l'empereur y figure
adroite, non à gauche de la Vierge, parmi les clercs, non parmi les
laïques.
7. Retable du Carmel, à Pérouse. Cf. plus haut, p. 93.
l . Sur le culte de la Vierge de Miséricorde à Marseille, cl'. V Explication des
usageset coutumes des Marseillais, par François Marchetti Marseille, 1683 .
t.I, p. 175. -2. so es : c'est-à-dire. 3. a banda drecha : du côté
droit. i. V estât de la gleysa : le monde ecclésiastique. ■">. col-
lors : couleurs.
1 02 CATALOGUE
8. Relief de terre cuite, à Genga (province d'Ancône). Je le décris d'à près
une photographie non signée, conservée à la Bibliothèque de l'Union cen-
trale des arts décoratifs. La Vierge, debout, tenant l'Enfant sur le bras
gauche, distribue des rosaires aux priants agenouillés sous son manteau;
à sa droite, les hommes et les garçons, à sa gauche, les femmes et les
fdles. Les costumes des priants indiquent le milieu du xvif- siècle. Le
manteau de la Vierge est soutenu par quatre saints, qui sont : à la droite
de la Vierge, c'est-à-dire à la place d'honneur, saint Dominique avec
le lis et saint Pierre Martyr avec la palme ; à gauche, un saint pape et
un saint évêque, ceux-ci sans caractéristiques. Ce relief, de forme
cintrée, est encadré dans un rosaire dont les quinze gros grains sont
remplacés par autant de grandes roses contenant chacune la repré-
sentation d'un des quinze mystères douloureux. — PI. XIII, 2.
9. Milan. Une peinture sur toile, de la fin du xvie siècle, servant de
retable dans la chapelle du Rosaire, à S'a Maria délie Grazie, repré-
sente la Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau le comte
Vimercati, sa femme et sa famille. Cf. Diego Sant'Ambrogio, dans la
Lega Lombarda, de Milan, nos du 16 et 21 octobre 1898.
10. Gravure intitulée Imago mirac. U. V. Rosarii MedioL, vulgo Gratia-
rum, représentant la Vierge couronnée, debout, au milieu du rosaire;
sous son manteau, que soulèvent deux petits anges, sont agenouillés,
à droite trois dames, à -anche, trois seigneurs. Au-dessous, cette
légende : A/ukj 1630,exeunte Julio ad médium usque Augusti, campanae
Ord.Praed.Mediol. noctu et interdiu sua sponte sonuerunt ; atque extunc
plurimi peste quae lune ibi saeviebat, oleo lampadis B. V. nullo alio
medicamento usi, curatisunt : quod certatim hodieque ltalia pêne tota
expetilur.
11. Frontispice d'un livre sans date imprimé à Milan, intitulé :
Délia virlù e del preggio délia divozione del ssmo Rosario (Guéné-
bault, I, vol. 736). La Vierge, debout, distribue des deux mains des
rosaires aux personnes agenouillées sous son manteau; le sujet est
entouré de roses qui sortent d'une tige. Titre : La glor3- Ve del Smo
Rosario délie Grazie, Milano.
CHAPITRE VI
LE SPECULUM HUMANAE SALVATI0N1S
Vogue immense de ce livre à images, du xiv siècle au xvie. - Son
inlluence iconographique. — Son origine Dominicaine. — La \
au manteau protecteur Tune des illustrations traditionnelles du S. //. S.
Le S. H. S. a dû contribuera la diffusion de ce théine figuré.
M. Krebs a eu raison de croire que les Dominicains ont
beaucoup fait pour répandre le thème de la Vierge au man-
teau protecteur. Maison peut reprocher aux raisonnements du
savant fribourgeois de reposer sur une documentation trop
restreinte, et pas toujours probante. Pour établir l'importance
de ce thème dans la mystique Dominicaine, il y avait à allé-
guer plus et mieux que des visions de nonnes et que Les
Mater omnium de la cathédrale de Fribourg : car pour les
visions rapportées par M. Krebs, elles n'ont certainement pas
été connues hors de l'Alémannie, et quant aux Mater omnium
de Fribourg, leurs relations avec la mystique Dominicaine est
possible, mais M. Krebs n'en n'a donné aucune preuve.
Pour montrer combien le thème qui nous occupe a été cher
à la mystique Dominicaine et pour en expliquer la diffusion, il
est nécessaire que nous résumions ici ce que nous avons dit
ailleurs d'un ouvrage Dominicain dont la vogue, depuis la
première moitié du XIVe siècle jusqu'au milieu du XVIe, a été
immense, le Spéculum humanae salvationis.
Cet ouvrage expose, selon la méthode figurative ou typolo-
gique, l'histoire «le la chute et de la rédemption. L'histoire uni-
verselle, jusqu'à la mort du Sauveur, n'aurait été qu'une pré-
figuration de La vie de Celui qui devait racheter le monde, et
aussi de celle de la Vierge Marie, son auxiliaire dans 1 œuvre
rédemptrice. Il se compose de io chapitres, comprenant
100 vers, ou plutôt KM) lignes, car il est écrit, comme le
Spéculum ecclesiae d'Honorius d'Autun et comme nombre
10't CHAPITRE VI
de sermons du xue et du xm''. siècle, en prose divisée en lignes
de longueur variable, mais rimées par rimes plates — par
« doublettes », comme on disait au moyen âge. Chaque
chapitre est divisé en quatre parties, la première consacrée à
l'un des principaux faits de l'histoire de la rédemption, les
trois autres à trois « types » ou préfigures de ce l'ait. Dans
les exemplaires" enluminés, un chapitre occupe deux pages, à
raison de deux colonnes de 2o lignes par page, chaque
colonne étant surmontée d'une miniature. Les chapitres com-
mencent au verso des feuillets et finissent au recto suivant.
Le livre ouvert montre donc toujours un chapitre complet :
il offre aux yeux, d'un coup, un des faits de l'histoire de la
rédemption, suivi du cortège de ses préfigures, il met en
regard trois « types >> de même sens, avec 1' « antitype » cor-
respondant.
Le Spéculum humanae salvationis est un résumé de la
doctrine catholique touchant la question de la rédemption.
C'est dire que la Vierge Marie n'y tient pas beaucoup moins
de place (pie le Rédempteur même. Particulièrement impor-
tants sont à eet égard les chapitres xxxvn-xxxix, qui exposent
le rôle de médiatrice, de protectrice et d' « avocate » que
joue la Vierge dans l'affaire de notre salut. Je ne parlerai pour
l'instant que du xxxvnr" : nous aurons plus loin à revenir sur
les deux autres.
Le chapitre xxxviu montre comment Marie nous protège
contre la vengeance de J.-C, contre les attaques du Diable,
contre les pièges du monde :
Défendit nos a Dei vindicta et ejus indignatione,
A diaboli infestalione, et a mundi teniatione.
A chacun de ces trois aspects sous lesquels peut être con-
sidérée la miséricordieuse protection de Marie correspond une
préfigure: Tarbis, princesse d'Ethiopie, qui sauva la ville de
Saba assiégée par Moïse, aurait préfiguré la Vierge en tant
qu'elle devait nous protéger contre la vengeance de J.-C. ; la
femme de Thèbes, qui cassa la tète d'Abimélech, aurait préfi-
guré la Vierge en tant qu'elle devait nous protéger contre les
attaques du Diable ; Michol, femme de David, qui fit échapper
David aux gens venus pour le prendre, aurait préfiguré la
Vierge en tant qu'elle devait nous protéger contre les pièges
du monde.
LE SPECULUM IH'M VN \r. SALVA1 lo\|s
103
Le Spéculum n'esl pas seulement un livre de piété, c'est
aussi un Livre à images. Son texte édifiail Les gens capables
,1,. 1,. lire, son illustration instruisait Les illettrés : picturae
quasi librilaicorum. Chaque chapitre estorné de quatre images:
la première représente Le fait de l'histoire de la rédemption
auquel le chapitre est consacré, les trois autres représentent
le^ tmis préfigures de ce fait.
Or la première image du ch. xxxvm, pour figurer La
protection dont Marie couvre Les pêcheurs, représente presque
toujours i la Mère de Miséricorde abritant l'humanité sous
son manteau.
On doit tenir compte de cela pour expliquer la diffu-
sion du thème qui nous occupe. Le Spéculum humanae
salvationis a eu dans les pays du Nord, en France, aux Pays-
Bas, en Allemagne un succès prodigieux : il subsiste du
texte Latin plus de 220 manuscrits, auxquels il faut ajouter
les manuscrits des traductions en langue allemande, française,
hollandaise, anglaise, tchèque, et les éditions incunables —
une trentaine environ — du texte latin ou des traductions.
Cette vogue est attestée encore par le nombre des œuvres
d'art inspirées par l'illustration traditionnelle du Spéculum "-':
dès le milieu du xiv'' siècle, les vitraux de l'église Saint-
Étienne à Mulhouse sont copiés jusque dans le plus menu
détail sur les miniatures de ce répertoire de l'art symbolique :
un demi-siècle plus tard, à Brixen en Tyroî, le cloître de La
cathédrale est décoré de fresques qui reproduisent 1 illustration
du Spéculum, et le texte du livre est peint à côté sur Le mur.
Le Spéculum fut écrit pendant la captivité de Babylone
(1309-1377), et plus précisément, s'il faut en croire deux
manuscrits de Paris, en H2i. On admettra facilement qu'un
ouvrage qui . pendant deux siècles, a été aussi répandu, dont
l'illustration a exercé une aussi grande influence sur 1 icono-
graphie, et dont l'une des images traditionnelles représentait
letype de la Vierge au manteau, a bien pu contribuera La
diffusion de ce type .
1 . Les exceptions sont très rares. La I raducl ion de Miélot, à la Bibliothèque
Nationale, en offre un exemple.
2. Cf. Mâle, dans la Revue de l'art ancien et moderne, sept. 1905 : Per-
drizet, L'art symb dique du moyen âge, à propos des verrières de V église Saint-
É tienne à Mulhouse, dans le Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse,
mai i"n" <■! à pari (Leipzig, Ch. Beck .
106 CHAPITRE VI
Ce qui rend l'hypothèse encore plus vraisemblable, si Ton
se rappelle combien les Dominicains ont affectionné le thème
de la Vierge au manteau protecteur, c'est que le Spéculum,
dont l'auteur, par humilité, n'a pas voulu se faire connaître —
nomen auctoris humilitate siletur. — a été écrit par un Domini-
cain. Pour la démonstration de ce dernier point, je renvoie
au deuxième chapitre de mon Etude sur le Spéculum humanae
salvationis. Je me contente de reproduire ci-contre quelques
Vierges de miséricorde empruntées à des exemplaires du Spé-
culum. L'une (pi. XV, 1 ) se trouve dans le manuscrit de Munich
(clm 23433), auquel devait certainement beaucoup ressembler
le manuscrit dont les miniatures ont servi de modèle pour
les verrières de Mulhouse. Une autre (pi. XV, 3) est extraite
d'un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Paris * : elle
représente la Vierge abritant sous son manteau une famille
monastique. Une troisième (pi. XV, 4) est extraite d'un incu-
nable, le Miroir de la rédemption, publié a Lyon à plusieurs
reprises, et dont les bois sont ceux de l'édition antérieure-
ment publiée à Baie, en 147. A titre de comparaison, j'ai rap-
proché de ces reproductions celle delà Vierge de Miséricorde,
telle qu'elle a été iigurée, d'après une miniature du manuscrit
de Munich dont je parlais tantôt, sur l'une des verrières de
Mulhouse (pi. XV, 2). On verra plus loin (pi. XIX, 1) la
reproduction d'une Vierge de Miséricorde contenue dans un
Spiegel der menschlichen Behaltniss qui paraît avoir été copié
vers 1400, par un Dominicain du couvent de Saint-Biaise,
à Ratisbonne. D'autres Vierges de Miséricorde empruntées à
divers manuscrits du Sj>eculum, ont été publiées dans notre
édition de cet ouvrage mystique-, dans un eatalog-ue de vente :i
et dans la Réunion des Sociétés des beaux-arts, 1907'*.
1. Ms. fr. 160, f° 149.
2. Lutz-Perdrizet, Spéculum humanae salvationis (Mulhouse, 1907), pi. 7">.
'■<>. Cataloyue J. Rosenlliul, XXXVI, n° 529.
i. PL 80, d'après le nis. du musée Condé, à Chantilly, qui contient la tra-
duction de Miélot (n° 1363, f° 38 v°). L'auteur de l'article paru dans la Réunion
des sociétés des beaux-arts, n'ayant pas vu le manuscrit de Chantilly, croit que
c'est un exemplaire du texte latin.
l'Fiu.mzET, La Vierge de Miséricorde
l'I. XV
•icch-u-
.xx cc\n •
i'firfhiroc î niunôi rfptr.roC
. •>. t. « v.
Munich, clm 23 433 (xive siècle)
Vitrail de Mulhouse (xiv° siècle)
MSSSBSSMSSSSSââêMÊÊâÊà
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ik->ic cm>iii|!>iiiv iiiorfct /»i'iiift'
Sii/xm :ï* «ouït lamia îwwj
atV.fâty^H^tfwft' fii.miw.ims
•il'lo ^i î\'ii>m n««>{inHiwir»HMOr
■ l'auteur
à] TTômcnt morfes a h b.itaillet
; contre laciteeefaba.
■ l'auteur
Bibl. liai., ms. fr. 46o (xv° siècle)
Miroir île la rédemption, Lyon, 1^78
CHAPITRE Vil
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE
La peste, pour le folklore, est produite par des Qèches invisibles :
traces de cette croyance chez les Grecs anciens, les Musulmans, les
Germains, danslaRome chrétiennedu \r siècle, dansla dévotion de
saint Sébastien. — Les flèches de la peste arrêtées par le manteau
protecteur de saint Sébastien [fresque de S. Gimignano) ou de
Marie bannières ombriennes, peintures italiennes et allemandes .
Ce thème date du x\,! siècle et semble se rattachera la prédication
de saint Bernardin de Sienne. — Il a été abandonné au xvie, connue
entaché de superstition.
On se rappelle le début de Y Iliade : pour se venger des
Grecs, Apollon, le dieu ambigu qui peut, à son choix, déchaî-
ner la peste sur les hommes ou les en guérir '. descend de
l'Olympe, « semblable à la nuit » — sans bruit, car la nuit
vient sans qu'on l'entende; pendant neuf jours, il tire sur le
camp des Grecs; et tous ceux que touchent ses flèches invi-
sibles, meurent de la peste.
Le mythe racontait qu'Apollon avait tué à coups de flèches
le serpent Python, le géant Tityos, la progéniture de Niobé.
Mais ce serait être la dupe de la mythologie que d'expliquer
par les mythes de 1*\ thon, de Tityos et des Niobides le surnom
d'éxYjêiXoç dont l'épopée saluait Apollon, ou l'arc et les flèches
qui. dans l'imagerie, étaient les caractéristiques de ce Dieu.
Les vieux sculpteurs Tektaeos et Angelion - l'avaient repré-
senté à Délos portant les Grâces sur une main et dans V autre
l'arc et les flèches, — les Grâces, dit Macrobe 3, parce que,
parfois, il fait grâce aux hommes, leur épargne les épidémies,
— l'arc et les flèches, parce que, d'autres fois, il les lue des
flèches invisibles de la pestilence4.
1. Sur ce caractère ambigu d'Apollon, cf. Macrobe, Saturnales, I, 17; sur
Apollon comme dieu des épidémies, cf. Roscher, Apollo inul Mars. p. 64.
2. Overbeck, Schriftquellen, n°" .s:>l-;w7: Collignon, Hist. de la sculpture
(jr..l,p. 224.
:>. S;d., I. 17: quia perpétuant praestat salubritatem et pestilens ub ipso
casus rarior esl, idèo Apollinis simulacra manu dextra gratias gestant,
arcum cum saf/iltis sinistra, <{uod ml noxam sit pigrior, et salutem manus
prompt i or largiatur.
î. Lycophron, 1205, Xoifnxà -oÇcy(xa-a.
108 CHAPITRE VII
Une maladie est lente ou rapide. Les unes consument le
malade peu à peu, le fondent pour ainsi dire : c'est ce que les
Grecs exprimaient par le verbe -év.evt. Les autres le terrassent
brusquement, ou, comme nous disons encore, le « frappent » ;
le grec avait une expression analogue : Hippocrate ' emploie
le mol (3Xy]to( pour désigner les gens frappés d'une maladie
aiguë. Dans ces expressions qui d'abord semblent décolorées,
la sémantique retrouve les traces de la vieille croyance qui
attribuait à des coups portés par un Invisible, à des flèches
mystérieuses lancées par un dieu méchant, les atteintes du « mal
qui répand la terreur », les ravages effrayants des épidémies.
L'idée d'expliquer les épidémies, leurs e%ups soudains,
multipliés, implacables, par la colère d'une divinité qui, pour
faire périr les vivants, les perce de flèches qu'on ne voit pas,
est une très vieille croyance, dont il serait possible, probable-
ment, de retrouver la trace dans les folk-lores les plus divers.
« LesMahométans,dit Ilerbelot-, croient qu'il y a des esprits ou
des lutins armés de flèches, que Dieu envoie pour punir les
hommes quand il lui plaît, et que les blessures que font ces
spectres sont mortelles lorsqu'ils paraissent noirs; mais
qu'elles ne le sont pas lorsque les flèches sont décochées par
des spectres qui paraissent blancs. C'est ainsi que les Maho-
métans raisonnent sur la peste, et c'est sur ce fondement
qu'ils ne prennent aucune précaution pour s'en garantir. »
D'après Grimm 3, les anciens Germains attribuaient aux
flèches des elfes, des sorcières ou des dieux, certaines mala-
dies subites, ylfa gescot, hâgtessen gescot, êsa gcscot. Ilono-
rius d'Aùtun ' et Jacques de Varazze ' rapportent que lors de
1. De victv in morbis acutis, II, p. 34 Kûhn.
2. Bibliothèque orientale Maestricht, 1776, f° . t. I. p. 596. Cité par Lie-
brecht, dans son édition des Otia imperialia île Gervais de Tilbury (Hanovre,
1856), p. i2.
3. Deutsche Mythologie, p. 1192; cf. Simrock, Handbnch der deutschen
Mythologie, 4e éd., p. 535.
4. llle dies qui Mujor Lelania dicitur ea de causa inslitutus legitur : Tybe-
ris plus solilo inundavit, Romain ingrediens ... multa aedificia cum populo
snbvertit, per cujus alvenm ingens draco cum magna multitudine serpentinm
mare ingreditur, cum quibns omnibus ibidem suffocatur. Qui in lilus pro-
jecli aerem suaputredine corruperunt et gravem mortalitatem humanogeneri
intulerunt. Sagittae namque caelitus venire conspiciebantur, de quibus
inguina hominum tacla sine mont moriebantur; primitus papa Pelagius
moritur, deinde populus Romanns pêne totus subita morle consumitur. Gre-
gorius itaque episcopus levatur qui populum, jejunare, crûtes porlare et
orare horlatur. Quod cum dévote peragunt, plaga cessât Spéculum Ecclesiae,
sermo in Rogationibus, P. L., CLXXI, 951 .
.">. Légende dorée, ch. xi. vi de S. Gregorio), p. 190.
LES II. M lll > Dl. LA I m i m. DIVINE I 09
la peste de Rome, en 590, qui donna lira à L'institution de La
grande Litanie, on vit pleuvoir des flèches, qui touchaieni les
gens à 1 aine e1 1rs faisaient mourir sur-le-champ.
L'église Saint-Pie rre-aux-Liens, à Rome, expose à la véné-
ration des Qdèles, presque en face du Moïse de Michel-Ange,
une vieille mosaïque de style byzantin '. qui représente sain!
Sébastien. Une inscription commémorative assure que cette
mosaïque aurait été dédiée en licSO, lors d'une peste qui rava-
geai Rome : ce serait le plus ancien témoignage du culte
rendu à saint Sébastien comme protecteur contre les épidé-
mies. En réalité, comme l'a démontré J.-B. de ltossi, celte
inscription, qui est du xv' siècle, de huit siècles environ moins
ancienne que la mosaïque, a été fabriquée au moyen d'un pas-
sade de Y Histoire des Lombards 2, dans lequel il ne s'agit
point de Home, mais de Pavie : en G80, une peste ravageant
Pavie, quelqu'un, on ne sait qui, apprit par révélation que
cette peste ne prendrait fin que lorsqu'on aurait élevé à saint
Sébastien un autel dans la basilique de Saint-Pierre-aux-
Liens de Pavie : comme, pour vouer un autel à un saint, il
fallait pouvoir y enfermer une relique de ce saint ;. les gens
de Pavie allèrent quérir à Rome, où il avait été martyrisé en
288, des reliques de saint Sébastien.
Pourquoi, [tendant la peste de 680, les gens de Pavie
eurent-ils l'idée d'invoquer saint Sébastien? Pourquoi, d'une
façon générale, la foi chrétienne, en cas de piste, a-t-elle eu
recours a cet intercesseur? Rien, dans la mosaïque de Rome, ne
nous met sur la voie de l'explication : le saint y est représenté
debout, nu-tête, vêtu de l'uniforme des officiers byzantins.
Pour trouver le mot de l'énigme, il faut se reporter à la
légende de ce brave soldat. Saint Sébastien mourut sous les
verges, par ordre de Dioclétien. Mais ce qui, dans la légende
du martyr, a frappé l'imagination populaire, ce n'est pas sa
mort même : •■ quantité de proses très répandues au moyen
1. Alinari, 7252; De Hossi. Musaici eristiani anteriori ni sec XV, pi. XX. 2.
2. Par Paul le Diacre : cf. I. VI, p. 166 dos Monuments Germaniae
cuidam per revelationem dictum est, quod pestis ipsa prius non quiescerei
<iu;tm in basilic;* beati Pétri quae ad Vincula dicitnr sancti Sebastiani marty-
res altarium poneretur. Factumque est, cl delatis afi urbe Roma beatiSebas-
tiani martyris reliqiiiis, pestis ipsa '/uievit. Cl', encore Légende dorée,
ch. x.mii [<\c S. Sebastiano . sub fine.
3. Marignan, /.(- culte 'les s;, mis sous les Mérovingiens, \>. -JJtï .
110 CHAPITRE VU
Age ne font aucune mention de son supplice1. » Quelque
temps avant d'être mis à mort, Sébastien avait été lié à un
arbre et criblé de flèches par les archers de Dioclétien : il en
reçut tant, dit la Légende dorée, qu'il ressemblait à un héris-
son, ita eum sagittis impleverunt ut quasi hcricius videretur ;
mais, par la grâce de Dieu, il avait réchappé de ses multiples
blessures. Voilà le fait dont s'est emparée l'imagination popu-
laire. La vieille croyance folk-lorique qui expliquait la peste
par les coups de flèches invisibles, subsistait, tenace, dans
l'esprit incroyablement superstitieux des gens de ce temps-
là "-'. On imagina que le saint qui avait réchappé de tant de
blessures produites par des flèches, pouvait sauver ses dévots
des flèches de la peste. Similia similihus curantur : c'est le
principe de la magie. Transposé en langage mystique, il
revient à dire que les saints compatissent de préférence aux
souffrances qu'ils ont eux-mêmes ressenties : censentur didi-
cisse ex ils, quae passi surit, compassionetn 3.
Ainsi s'explique — même les érudits catholiques en con-
viennent4 — la façon dont l'art du moyen âge et la Renais-
sance a représenté saint Sébastien •' ; ainsi s'explique aussi la
multiplicité vraiment prodigieuse de ses images : la plupart
1. Cahier, Caractéristiques, t. I. p. 414.
2. Pour juger de la superstition dans laquelle l'esprit humain était alors
tombé, il faut lire les Dialogues de saint Grégoire le Grand.
3. Raynaud, S. J., dans ses Opéra omnia (Lyon, 1665), t. VIII, p. 311.
1. « Ceux qui tiennent beaucoup à chercher des relations plus ou moins
étroites entre la mythologie et les dévotions populaires du christianisme,
peuvent se donner carrière pour assimiler les flèches d'Apollon aux traits qui
percèrent saint Sébastien, dans sou premier supplice. Le P. Théophile Ray-
naud (llagiologium Lugdunense. dans ses Opéra, t. VIII, p. 514) ne s'y oppose
pas très fort, lui qui ne capitule point volontiers devant les adversaires de
l'Eglise. Il se pourrait bien en effet que cette invocation ait eu son origine à
Rome par opposition à quelque vestige du paganisme qu'on voulait faire dis-
paraître en le détournant vers un but louable. L'Eglise a suivi cette marche
mainte fois en divers temps et lieux » (Cahier. Caractéristiques, t. II,
p. 661). Ce n'est pas Raynaud qui a eu l'idée de comparer aux flèches dont fut
percé saint Sébastien, celles dont Apollon accabla les Grecs : d'après Raynaud
lui-même, ce rapprochement avait déjà été fait par Joannes Pietus l. 42 Hie-
rogli. c. 17, et par Philibertus Marchinus in opère de hello divino probl. S.
5. Molanus, De historia sacrarum imaginum, 1. III, c. 6 ; Rio, De l'art chré-
tien, t. II, p. 188; Jameson, Sacred and legendarg art, p. 243: Detzel, Christ-
liche Ikonographie. t. II, p. 634; Cahier, Caractéristiques, t. I. p. ili: For-
geais, \Plombs historiés, t. IV, p. 166; Reinach, Répertoire, I. 583-590: II,
648-635; etc. Des flèches dont avait été percé saint Sébastien étaient con-
servées dans l'église des Augustins de Poitiers, à Lambesc en Provence, et
ailleurs (Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. xxxvm).
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE M\ IN] 111
des monuments1 qui montrent le bel éphèbe percé <lf (lèches
ont été voués dans la crainte (!«■ la peste, beaucoup en temps
de peste. Assurément saint Sébastien n'a pas étéle seul saint
« antipesteux » du moyen âge : on en vénérait beaucoup
d'autres, selon les pays2: en Flandre, saint Macaire de Gand,
saint Adrien, martyr3; en Italie, à partir de la lin du xvie siècle,
sainl Charles Borromée ; en France, sain! Christophe, saint
Nicaise ' et même saint Louis ', quoiqu'il lut mort de la peste,
ou plutôt parce qu'il en était mort, comme s'il avait dû être
pour la terrible maladie une victime suffisante. Plus impor-
tant fut, à cet égard, le culte d'un laïque, saint Pioch de Mont-
pellier, né à la lin du \ui° siècle, et qui, dès la (in du xiv". a
été regardé dans toute la chrétienté comme un puissant pro-
tecteur contre les contagions. Mais, quoi qu'on en ait dit ''.
l'antique réputation de saint Sébastien n'a jamais pâli devant
celle de saint Roch : les églises, autels, ex-votos qui, du
xve siècle au XVIIe, ont été placés sous l'invocation de saint
Sébastien sont légion ; tous les livres d'heures du xv° et du
xvic siècles contiennent uni' prière à saint Sébastien, une
antienne sur ce saint, une miniature qui le représente7. Ce
qui est vrai, c'est qu'il partir du XVe siècle, dans les ex-votos
et les gravures de dévotion, saint Sébastien et saint Roch
sont Iréquemment associés; parfois, on leur joint saint
Antoine, qu'on invoquait contre le mal des ardents.
Toute personne divine est. pour les primitifs, une force
ambiguë, susceptible de faire, selon les cas, le bien ou le mal.
Apollon, qui préservait de la peste, pouvait aussi la déchaî-
1. La plupart, non pas lous : car un certain nombre de représentations de
>,iini Sébastien proviennent de Confréries d'archers et d'arbalétriers; il 'Lui
le pat nui des archers el arbalétriers, à cause des flèches dont il fut percé.
2. Cahier, Carnet., t. II. p. 661, s. v. IVsle et contagions.
3. Cf. le Mistere <li> Si Adrien, éd. Picot (dans la collection du Roxburghe
Club . |). vi.
1. Guigue, Olivier de la Marche, p. xvu.
:>. Durand, Monographie <lc la cathédrale d'Amiens, p. 119.
6. l'ai- exemple Cahier, Caractéristiques, I. I. pp. 21*7 el 111.
7. Martin. Les miniaturistes français, p. 155. Je citerai quelques
exemples: Bibl. Sainte-Geneviève, ms 684 Heures en latin, x.v < . prière à
saint Sébastien ; — Arsenal, ms. 654 (Heures en latin et en français, xvi ^. .
t'j nt. prière à saint Sébastien avec miniature ; -Arsenal, ms. 655 [Heures en
latin cl en français, \\ s. i, 1'" L52, prière à saint Sébastien; Arsenal, ms. 6 i"
Heures en latin et en français, à l'usage d'Orléans, \\ s.i.f' 120, antienne
latine sur saint Sébastien, la même (pic Forgeais Plombs historiés, t. IV.
p. 166 a reproduite d'après un office de suint Sébastien imprimé à Falaise en
1822.
112 CHAPITRE Vil
n t. Le moyen âge concevait de même le pouvoir des saints
antipesteux : je ne parle pas, bien entendu, des théologiens, mais
de la crédulité populaire, telle qu'elle s'étalait quand se leva
le grand souffle purifiant de la Renaissance et de la Réforme :
« Cependant, Grandgousier interrogeoit les pèlerins... Nous
venons de S' Sébastian près de Nantes, et nous en retour-
nons par noz petites journées. — Voyre, mais (dist Grand-
gousier), qu'alliez vous faire a S1 Sébastian? — Nous allions
dist Lasdalleri luv offrir nos votes contre la peste. — 0 (dist
Grandgousier), povres gens, estimez vous que la peste vienne
de S1 Sébastian? - Ouy vraiment (respondit Lasdaller), nos
prescheurs nous l'afferment. — Ouy (dist Grandgousier), les
faulx prophètes vous annoncent ils telz abuz? Blasphèment
ilz en ceste façon les justes et sainctz de Dieu, quilz les font
semblables aux diables qui ne font que mal entre les humains,
comme Homère escript que la peste fut mise en l'oust des
Gregoys par Apollo et comme les Poètes faignent un grand tas
de Veioves et dieux malfaisants. Ainsi preschoit a Sinays un
caphart, que S1 Antoine metoit le feu es jambes, S' Eutrope
faisoit les hydropiques, S1 Gildes les folz, S1 Genne les
gouttes1...». « Chacun de ces saincts, dit Henry Estienne
dans Y Apologie pour Hérodote (ch. 38), peut envoyer la mesme
maladie de laquelle il peut guarir. Et qu'ainsi soit, quand on
dit le mal S' Main, le mal S' Jan, c'est aussi bien a dire le
mal qu'ils envoyent que le mal duquel ils guarissent. »
Un mystique du XVe siècle, Jean Raulin, approuvé au
XVIe par Molanus- et au xixe par Grimoùard de Saint-Laurent,
expliquait que les images qui représentent saint Sébastien
percé de traits signifient qu'il intercède pour nous auprès de
Dieu, en lui montrant, pour le fléchir en notre faveur, les bles-
sures dont il fut couvert. Cette explication, certainement inspirée
par un thème mystique, sur lequel nous reviendrons — celui
de Jésus montrant ses blessures au Père pour apaiser son
1. Rabelais, Gargantua, 1. I, ch. 45. Voir les notes des éditions Burgaud
des Marets-Rathery et Marty-Laveaux. Sur le calembour comme explication
du rôle de patronage attribué à beaucoup de saints, cf. II. Estienne, Apologie
pour Hérodote, ch. xxxvm, t. II, p. 312 de l'éd. Ristelhuber ; Raynaud, Opéra,
t. VIII, p. 515 (quibusdam Caelitibus specialis cultus defertur injecta exo-
randi spe ex nominis cortice) ; Cahier. <../r./</<;ris/(V/iie.s. t. II. p. 605 ; Gaidoz
dans Mélusine, t. IV, p. 505 sq. ; t, V. p. loi: Delehaye, Légendes hagiogra-
phiques, T éd., p. 54.
2. De hist. SS. imaginum, III. 6.
Perdrizi i . Lu Vierge de M ■
H. Wl
l'Uul. I '•'! Ai
^\IM SEBASTIEN PROTEGE LES GENS DE SAN-tîEMlXIANi
; Fresque de B. Gozzoli >
LES FLÈCHES D1 LA I 0L1 RE Dl> INE I 13
courroux contre les hommes — implique, ce me semble, la
croyance aux 'flèches de la colère divine : lorsque I >i»ii va
1rs lancer sur les hommes, saint Sébastien paraît devanl lui,
tout sanglant, et lui dit : « Ne suffit-il pas des flèches qui
m'ont percé? Épargnez aux hommes, par égard pour mes souf-
frances, le supplice que j'ai enduré. ■•
Ainsi, par l'intercession de saint Sébastien, se détournaient
de ceux qui s'adressaient à lui les flèches invisibles de la
contagion. Cette idée, où la crédulité catholique se mêle à la
superstition antique, n'a nulle part été mieux exprimée que
par Benozzo Gozzoli, dans la fresque de l'église Saint-Augus-
tin, à S. Gimignano (pi. XVI)1. Elle fut peinte en 1 164, pen-
dant une peste tellement violente que les conseils de la ville
cessèrent de se réunir et que toutes les fonctions publiques
furent suspendues. Du haut du ciel, Dieu le Père et les anges
lancent des javelots sur les gens de San Gimignano ; maisceux-
ei échapperont à la colère divine, car ils se sont réfugiés sous
le manteau de saint Sébastien; ils supplient le saint d'intercé-
der pour eux : Sancte Sebastiane, intercède pro devoto populo
/un. dit l'oraison inscrite sur le socle où se dresse l'image du
saint : et, en effet, le saint, les mains jointes, prie pour ses
dévots. Cependant, au ciel, se passe un drame émouvant :
agenouillés devant le Père, le Christ et la Vierge lui font par-
venir les supplications de Sébastien, en y joignant les leurs :
le Christ montre la plaie de son flanc, la Vierge ses seins, qui
ont nourri l'Homme- Dieu : nous reviendrons plus loin sur
cet étonnant dialogue. Par la vertu de toutes ees prières, les
javelots de la colère divine sont arrêtés par le manteau et s'y
brisent.
La fresque de S. Gimignano est une variante extrêmement
curieuse d'un thème que la peinture religieuse italienne du
xv siècle a souvent traité : la Vierge de Miséricorde proté-
geant sous les plis de son manteau, contre les coups de la
l. Phot. Lorhbardi, 2076. Cf. Cavalcaselle-Crowe, Storia, t. IX, p. 32:
Gazette des Beaux-Arts, août 1870, p. 163 Gruyer), où l'on trouvera sur les
pestes qui ravagèrent S. Gimignano aux \i\ et \\" siècles des détails
empruntés A Pecori, Storia délia terra di s. Gimignano Florence, 1853 :
Lorraine-Artiste, 1905, p. 68 avec reproduction).
Peiidbizet. — La Vierge de Miséricorde. S
114 CHAPITRE VII
colère divine, l'humanité pécheresse. Examinons les exemples
les plus caractéristiques de ce thème '.
Ils abondent dans la peinture ombrienne de la deuxième
moitié du quattrocento. Le plus remarquable est assurément
la bannière datée de 1 1S2, peinte sans doute par Bonfigli et qui
sert aujourd'hui de retable dans l'église de Montone. En bas,
la petite ville de Montone, ceinte d'un rempart à tours, avec
son église paroissiale, ses maisons et son château. Au-des-
sus, dans le ciel, les gens de Montone, hommes, femmes,
enfants — agenouillés. Des saints, Sébastien, François d'As-
sise, Jean- Baptiste, Antoine l'ermite, Bernardin de Sienne,
Antoine de Padoue, Nicolas de Myre, Grégoire pape, inter-
cèdent pour eux auprès de la Vierge qui les couvre de son
manteau. Et cette Vierge, de brocart d'or vêtue, est immense;
sa couronne touche au eiel, sa robe à la terre. Dans le ciel, au-
dessus de la Vierge, le Fils, la poitrine demi-nue laissant
voir la plaie du flanc gauche ; de chaque main, il lance des
javelots sur Montone ; mais ils sont arrêtés par le manteau
de Marie ; ils éclatent en morceaux, aucun n'arrive au but.
Tout en bas, à droite, la Mort qui s'approchait sournoisement
de Montone, sa grande faux à la main, est obligée de s'en-
fuir.
On rapprochera de cette peinture, pour le thème de Jésus
lançant les javelots et pour le thème de la Mort, une autre
bannière de Bontigli, à Sa Maria Nuova de Pérouse, peinte
en 1472 pour les fratelli delta confraternité di S. lîene-
ch'/to. En haut, entre le soleil et la lune, Jésus demi-nu, lais-
sant voii la plaie de son flanc, lance les javelots dé la colère :
il en brandit un dans la main droite, et en tient trois dans
l'autre main. Derrière lui, des anges portent les instruments
de la Passion. A ses pieds, la Vierge et saint Paulin (sanctvs
PAVi.i.Ms, lit-on dans le nimbe). Au-dessous, saint Benoit
et sa sœur, sainte Scolastique, intercèdent auprès de la
Vierge pour les Pérugins agenouillés en bas du tableau. La
Mort, armée d'une faux, passe au milieu d'eux. Derrière
elle, un ange brandit une lance, je ne sais si c'est pour
chasser la Mort, parer les coups de la faux, ou pour l'aider
1. A la représentation de Dieu lançant les (lèches se rattache celle de
Jupiter, dans le jeu de cartes vénitien (lin du xv* s. ; au Cabinet des estampes
«le la Bibliothèque impériale de Vienne (reproduction dans les Milth. des k. h.
Centralcommission, Y, 1860, p. 99).
LES FLÈCHES DE LA I OLÈRE l»l\ IM 11 •»
dans son œuvre de destruction, de même que, pendant
la peste de 680, le bon ange coopéra avec le mauvais '. A l'ar-
rière-plan, assise sur ses collines. Pérouse telle qu'elle était
au xve siècle, avec ses tours innombrables, Perugia turrita.
L'église de Corciano, village des environs de Pérouse, pos-
sède une bannière analogue. A la requête de saint Sébastien
et de saint Nicolas, la Vierge implore Dieu pour ceux de
Corciano. Saint Nicolas s'adresse à la Vierge en ces termes :
Sancta Maria, succurre miseris, juva pusillanimes, refove
flebiles, ora pro populo. Saint Sébastien prononce cette
strophe 2 :
0 Maria, flos virginum
Velut rosa vel lilium,
F u iule preces ad Fil ni m
Pm sainte fidelium.
Au-dessus de la Vierge, Dieu lance ses javelots sur Cor-
ciano ; mais ils se brisent contre le manteau protecteur. Dans
le bas, sur sa montagne, la petite ville avec sa double enceinte,
le campanile de son église paroissiale et la haute tour de son
municipio.
Une quatrième bannière du même type, de Bonfîgli encore, se
trouve à Pérouse. dans l'église N. Francesco al Prato pi. KVI1 .
En haut, dans le ciel, le Christ lance les javelots. A ses
cotés volent deux anges, ou plutôt deux; personnages allégo-
riques, nimbés et armés de glaives : leurs noms sont dans
leurs nimbes : à droite du Juge est la Justice, elle lève son
glaive pour frapper les hommes : l'autre est la Miséricorde,
elle remet son glaive au fourreau. (1rs deux ligures symbo-
lisent les deux sentiments qui se combattent dans lame du
Juge : on sait l'importance de cette psychomachie, et comme,
après avoir été inventée par saint Bernard3, elle a été popu-
1. Tuncvisibiliter multis apparaît, quia bonus et malus angélus noctu per
civitatem peragerent, et ex jussu boni angeli malus angélus, qui videbatur
venabulum manu ferre, quoliens tic venabulo oslium cujuscumque domus
percussisset, tôt de eadem domo die sequenti humilies interirent Paul Diacre,
Hist. Langob., I. VI, p. hi'> des Monum . Germaniae : cf. Légende dorée, ch. sxm,
de S. Sebasl iam <. sub fine .
2. Elle se retrouve sur la bordure du manteau de la Vierge, dans un tableau
flamand du x\ r siècle, qui l'ait partie de la collection Masure-Six et qui a
Qguré sousle n°35à l'Exposition de la Toison d'Or (Bruges 190"! .Cf. Pératé
dans Les Arls, n de nov. 1907, p. 11.
3. Sermo primus in annunt. />'. Mariae P. 1... CLXXX1II,
1 | G CHAPITRE VII
larisée par les mystiques et les prédicateurs du xme et du
xive siècle, notamment par l'auteur anonyme des Meditationes
vi tac Christ i[ et parla Vita Christi de Ludolphe 2, au point
d'inspirer, au xvc siècle, l'art théâtral 3 et les arts figurés 4.
Mais revenons à la bannière de Pérouse. Au milieu est la
Vierge ; sous son manteau, contre lequel les traits lancés par
le Christ viennent se briser, elle protège les Pérugins age-
nouillés, qui lui sont recommandés par huit saints : à droite,
Bernardin, François, Herculan (évèque de Pérouse) et Lau-
rent ; à gauche, Sébastien, Pierre martyr, et deux saints
évêques — S1 Nicolas, je suppose, et S1 Louis de Toulouse.
En bas, Pérouse, avec ses murailles, ses clochers, et les
tours de ses palazzi. Dans la ville on aperçoit une confré-
rie de pénitents blancs, qui se dirigent en procession vers une
église. Cependant, hors des murs se passe un drame terrible :
des gens suivaient tranquillement le chemin qui monte à
Pérouse, quand la Mort, brusquement survenue, en a tué
plusieurs à coups de javelot; mais un archange, lance à la
main, l'once sur la Mort — sans doute à la requête de Marie
— et l'empêche de poursuivre sa funèbre besogne: Il est
croyable que cet épisode a rapport à une peste : les gens
dont le peintre a représenté la mort subite durent être soudaine-
ment terrassés parla contagion, comme le sont, par exemple,
quelques-uns des personnages de la grande Litanie, dans
l'une des plus étonnantes peintures des Très riches Heures ■'.
Le thème dont ces quatre bannières sont des variantes devait
être populaire dans l'Ombrie, dans la deuxième moitié du
quattrocento. Maiiotti(i décrit une fresque aujourd'hui
1. Ch. ii. Les Meditationes sont attribuées communément à saint Bonaven-
ture. Sur celte attribution, voir plus haut. p. 15.
2. Pars I. cap. n (éd. de Lyon, 1611, p. 10).
a. Un mystère en vers, imprimé vers la fin du xv" siècle (Brunet. Lu France
littéraire au XV' s., p. 167), a pour titre : Le procès que a faict Miséricorde
contre Iuslice pour la rédemption humaine.
1. Mâle, dans la Gazette des Beaux-Arts, 1" lévrier 1904, p. 08.
;>. Durrieu, Les très riches Heures du duc de Berry, pi. XLIII ; dans sa
notice sur celte planche. Durrieu énumère d'autres miniatures représentant le
même sujet, et il ajoute : « La présence d'une représentation de la grande
Litanie dans un livre d'Heures est un l'ait très rare. Ce sujet semble avoir été
l'objet d'une prédilection particulière de la part de l'atelier dont Pol de Lim-
bourg était le chef. » Cette « prédilection » s'explique peut-être par la peste
dont la France l'ut ravagée au début du xv" siècle, de 1390 à 1402 (sur cette
peste, cf. Delisle, Étude sur la condition de la classe agricole en Xormandie,
p. 612. où Ion trouvera l'indication des témoignages contemporains).
6. Lcttcre. p. bS. Broussolle (La jeunesse du Pérwjin, pp. 9* et 328) repro-
i. Lu Vierge de Miséricorde.
l'I. X \ 11
Bannière de San-Francesco, \ Pérousi
Il - lli i REfi ni: LA I OLÊRE DIVINE I I"
détruite, (jui se trouvail dans une église de Pérouse, Sa Croce
in borgo S.Sepolcro, et qui représentait la Madone protégeant
sous son manteau Le peuple de Pérouse agenouillé. A droite
de la Vierge, saint Sébastien <jui L'implorait. A gauche, un
archange, qui remettait son épée au fourreau. Au-dessus de
la Vierge apparaissait Dieu che vibra [ni mini. Sur La robe de
Marie étaient peints ces vers :
('.on umele chore et ardente fervore,
Regina celi, dei pechatore salule,
Noi pregiarn le che prege che ci aiute
Kl tuo figliulo e levace elfurore.
Avec un cœur humble et une ardente ferveur,
Reine du ciel, salut des pécheurs,
Nous te prions que tu [nies de nous être en aide
Ton Fils, pour que sa fureur prenne lin.
Saint Sébastien disait ceux-ci :
Pcr queste piaghe che erci rude al quanlo,
/'c/- />>/ im amore e per lo figliolo tuo,
Te priego, Madré, che lo priege tanto
Che esshaudischa questi pojml suo.
Par ces blessures qui me furent assez cruelles.
Par ton amour et par ton Enfant,
Je te prie. Mère, de le plier tant
Qu'il exauce ce peuple qui est sien.
La réponse de la Vierge était écrite sur une banderole
entre la Vierge cl L'archange :
Martir l>e;ih> con humilie chore,
Se essaudito, e pero, agnolo cruo,
Remette Varme élu crua spada.
Martyr bienheureux, humble cœur,
Sois exaucé ! Aussi, ange cruel.
Remets au fourreau ton arme, la cruelle épée.
L'archange obéissait : [] rengainait son glaive sur Lequel
était écrit le mot fiât, « «pie ta volonté' soit faite ! » C'est le
duit la description de Mariotti sans l'expliquer cl sans traduire les inscrip-
tions.
118 CHAPITRE VII
geste de la Miséricorde, sur la bannière S. Francescoal Prato l.
Une autre bannière ombrienne doit être, pour l'étude du
thème des javelots, rapprochée des précédentes : elle a appar-
tenu jadis à la basilique Saint-François, à Assise 2, les gens
d'Assise l'appelaient « la bannière de la peste », ce qui signifie
qu'elle a dû être vouée en temps d'épidémie et qu'on la pro-
menait en processsion chaque fois que la peste revenait. En
lias. Assise, vue de la Portiuncule, avec les énormes soubas-
sements de San Francesco et la Rocca di Papa; au-dessus de
la ville, dans le ciel, les Saints qui intercèdent pour elle,
François, Claire, Sébastien, Roch et deux évêques ; au-dessus
du groupe des intercesseurs, la Vierge qui fait parvenir
leurs prières au Christ, en y joignant les siennes ; tout en
haut de la bannière, le Christ, juge du monde, dans une
mandorla de chérubins; des anges l'accompagnent, dont cha-
cun porte trois javelots, instruments delà colère divine; mais
ces anges, au lieu de tendre les javelots au Juge, joignent leurs
prières à celles de la Vierge et des saints ; si bien que le Juge,
au lieu de punir, lève la main sur Assise et la bénit.
Un tableau de Domenico Pecori (début du xvie siècle), a la
Pinacothèque d'Arezzo, montre Dieu le Père tenant à poignées
les traits de la colère pour en accabler les gens d'Arezzo. Les
Arétins sont agenouillés sur la terre, les hommes d'un côté,
les femmes de l'autre et invoquent la Vierge. Deux interces-
seurs, saint Donat et saint Mare, se sont joints a eux. Tou-
chée par leurs prières, la Vierge de Miséricorde descend du
ciel, portée par les anges, et sur le peuple arétin étend son
manteau.
Le thème qui nous occupe se rencontre aussi dans l'Italie
méridionale.
1. Je retrouve cet archange dans la fresque de Pietro Negri, Venise délivrée
de la peste en 1630 par la Vierge Marie sur l'intercession de saint Sébastien,
saint Roch et saint Marc, peinte à Venise en 1673 pour la confrérie de Saint-
Roch (Lafenestre-Richtenbergei-, Venise, p. 199: « Au ciel, l'ange de la Mort
remet le glaive au fourreau » et dans un tableau de Simon Vouet, au musée de
Bruxelles, n° 508, Saint Charles Borromée priant le Christ et la Vierge pour
les pestiférés de Milan: dans le fond, un archange remet l'épce au fourreau.
2. Cf. Cavalcaselle et Crowe, Sloria. t. IX, p. i 11 ; Cibo, Niccolô Alunrio e la,
scuola umhra, p. llo. Cette peinture, qui se trouvait autrefois à Cologne dans
la collection Ramboux, n° 202. est conservée maintenant dans le réfectoire du
Priesterhaus, à Kevelaer (pèlerinage célèbre, entre Clèves et Crefcld),où je l'ai
fait photographier. C'est un faible travail dans la manière de l'Alunno. II. 1,80,
larar. 1,30.
X _
I I - l Mi MHS DE I A i OLÈRE IH\ INE
II!»
Une fresque qui parait être de la première moitié du
w ■ siècle, et qui se trouve dans ] église d'Atella, en Basilicate,
représente en haut, dans Le ciel, Dieu à mi-corps, au milieu
des nuées; il lance les javelots à poignées; deux anges lui «m
r^Ae£<%yS~ A*W^'-^«*^
Fig. 1. — Fresque d'Atella.
apportent d'autres, par faisceaux : ils renouvellent ses muni-
liens, si j'ose dire. Les gens d'Atella se sonl réfugiés sous la
protection delaVierge, mais trop tard, semble-t-il, car beau-
coup de traits ont louché le but. La Vierge étend son manteau
pour sauver les Atellans qui survivent.
Plus curieux encore est un panneau qui se trouve dans la
cathédrale d'Aversa en Campanie ; c'esl L'œuvre d'un Napoli-
tain, Angelillo Arcuccio, qui peignait vers I Ï10, sons lin-
120 CHAPITRE VII
fluence des Flamands (pi. XVIII). Le haut et le bas de ce pan-
neau ont, je suppose, disparu; la partie subsistante montre la
Vierge de Miséricorde assise sur un trône ; son manteau, ouvert.
est soutenu par des anges; du ciel pleut vers ce manteau une
grêle de flèches ; mais aucune ne parvient même à le toucher :
toutes st> recourbent ou se brisent ; elles sont renvoyées par
une force invisible et reviennent vers la main qui les a lan-
cées, comme sur certaines représentations on voit les flèches
se retourner contre les bourreaux des saints Anargyres ' ou de
saint Christophe :, ou comme il est dit dans la légende de
saint Philémon !, ou dans celle de l'apparition de saint Michel
sur le mont Garganus ''. Toute différence gardée, cette façon
naïve, mais saisissante, d'exprimer la force invisible quiréside
dans le manteau de Marie rappelle l'inspiration sublime de
Michel-Ange, tant admirée de J. Burckhardt. dans la Créa-
tion de Vhomme h la chapelle Sixtine : « Le Tout-Puissant, de
son index, communique l'étincelle de vie au doigt du premier
1. Alinai'i, 1525. Une gravure de Callot (Les images de tous les saints et
saintes de l'année, 27 septembre représente les Anargyres tenant dans une
main l'urinoir, dans l'autre la flèche : cette ilèche ne t'ait pas allusion à la
mort des deux frères, puisqu'ils eurent la tête tranchée, mais à un épisode de
leur martyre : quand le proconsul, raconte la Légende dorée (ch. cxuii, De
SS. Cosma et Damiano, p. 638 Grasse), ordonna de les tuer à coups de flèches,
les traits se retournèrent contre les archers : Jussit Cosmam et Damianum a
quatuor militihus sagitlari.sagillae vero conversae plurimos vulnerabant,sed
sanctos martyros non laedebant. Les archers qui tirèrent sur les Anargyres
étaient au nombre de quatre : pour tirer sur saint Christophe, il n'y en eut
pas moins de quatre cents : Bex jussit Chrislophorum ad stipitem ligari et a
CCCC militibus saçfiltari. Sagiltae aulein nmnes in aère suspendebantur nec
ipsumaliqua conlingere polnit. Rex aulem pnlans ipsum a militibus sagilta-
tum cum eidem insultaret, subito nna de sagitlis ai aé're veniens et rétro se
vertens regem in oculo percussit Légende dorée, ch. <:. île S. Christophoro,
p. 434 Grasse). La taille gigantesque de Christophe explique ce chiffre déme-
suré; mais le thème des flèches qui se retournent vers le peloton d'exécution
ayani été emprunté par la légende de saint Christophe à celle des Anargyres,
il a dû s'amplifier par l'effet de cette surenchère dont les légendes hagiogra-
phiques présentent de nombreux exemples.
2. Cahier. Caraet.. I, p. 115, qui cite une châsse de Dalmatie publiée dans le
Jahrbuch der K. K. Central-Commission de Vienne, V (1861), p. 150.
3. Cahier, Id., II. p. 569.
1. « Matière de bréviaire », dirait Rabelais : cette légende, en effet, se
trouve dans le Bréviaire romain, à la date du s mai. Elle est aussi dans la
Légende dorée, ch. cw.v (de S. Michaelearchangelo),p. 6Î3, Grasse, où il semble
qu'on aurait pu la laisser. Cf. encore lVtrus de Natalibus, Calai., 1. IV,
eh. cm,, et Palustre, De Paris à Syharis, pp. 293-296. L'apparition de saint
Michel sur le mont Garganus aurait eu lieu en 193. Le sanctuaire du Garganus
l'ut au moyen âge en Occident « la métropole du culte des anges » (Gregoro-
vius, Geschichte der Sladt Rom. III, 151).
LES II- Il IIES DE LA I OLÈRE DIVINE l-l
homme : il n'y a pas, dans toute 1 histoire de I art, un second
exemple de cette traduction de l'invisible. »
La plupart des représentations qui montrenl la Mère de
Miséricorde protégeant les pécheurs contre les flèches de la
colère divine proviennent de 1 Italie centrale, plus précisé
ment encore de l'Ombrie, c'est-à-dire du pays qui a été le
plus pénétré de l'influence franciscaine '. Sur les bannières
ombriennes dont on vientde lire la description, au premier rang
des saints qui intercèdent auprès de la Vierge, qui lui trans-
mettent les prières des hommes, sont les Saints franciscains:
sur la bannière de Montone, les trois premières places, après
saint Sébastien, qui a le pas sur tous les autres saints comme
protecteur contre la peste, sont dévolues à trois Franciscains,
François d'Assise, Antoine de Padoue. Bernardin de Sienne;
sur la bannière de S. Francesco, les deux premières places
sont occupées par saint Bernardin et par saint François.
On remarquera que, sur ces deux bannières, saint Bernar-
din est avant saint François, et fait pendant à saint Sébas-
tien. Sur la bannière de Corciano, le premier personnage age-
nouillé à la droite de la Vierge est un prédicateur franciscain,
sans doute celui qui décida les gens de Corciano à vouer cette
bannière ; sur sa poitrine resplendit le trigramme sacré
inventé par saint Bernardin ".
1. Le retable de Gôttingue, que nous décrivons plus loin p. 127 . provienl
d'une église de Franciscains.
2. Pour la dévotion du trigramme el pour s<m iconographie, cf. Acla SS.,
mai IV, l. 725; Molanus, De Hist. SS. imaginum, III, I et 18; Cahier, Carac-
téristiques^.!, p. !»«i; Delaborde, La gravure, pp. ii el 18; Siméon Luce,
Jeanne d'Arc à Domrémy, p. ccxxxix; Rouyer, Le nom de Jésus employé
comme liijie sur les monuments numismatiques du XV' siècle, dans ta Revue
belge de numismatique, 1*96 et 1897; Thureau-Dangin, Saint lie nui ni in de
Sienne. Paris. 1896; Reinach, Répertoire, t. I. ]>. 541-542, 552, el l'article
sur Bernardin de Sienne dans le Dicl. de théol. catholique de Vacant et Man-
genot. Le texte capital sur le fétiche inventé par Bernardin est aujourd'hui
celui de la Vie anonyme récemment éditée par le Bollandiste Van Ortroy
{Anal. Boll., 1906, p. 317) : cernens gloriosum nomen quod est super omne
nomen (Philipp. Il, (.»i e mentibus hominum fere oblitteratum, studuit habere
parvulam telam, in <iu;i depictum seu descriptum litteris aureis nomen Html
haberetur : quant populis cunctis ad ejùs sermonem singulis diebus ostende-
hal venientibus. Quibus clara voce dicebat : « Haec sunt insignia veslra el arma
populi Dci. Hoc est nomen, el non esl aliud in quo vos fieri salvos oporteal.
Hoc nomen salutiferum esl et suave, quod et in cordibus vestris indelebiliter
depictum portare vos convenit el ibidem quotidie meditari et in plaleis el
super liminaribus domorum uestrarum palam ac dignissime depictum singuli
vestrum debetiset in omnibuseliam prosperis proponere et in adversis invo-
care dehetis. » El coeperunt omnes hoc nomen sanclum et gloriosum magna
\'2'2 CHAPITRE VII
Il n'est pas surprenant que saint Bernardin tienne une telle
place sur ces bannières. Le peuple italien n'avait pas oublié
le dévouement de Bernardin pendant la peste de 1 400 ; c'était
la peste de 1400 qui avait déterminé Bernardin à prendre
l'habit de saint François '. Et l'on sait de reste que le prédi-
cateur à la parole brûlante, le fondateur des Mineurs de
l'extrême Observance, a insufflé au franciscanisme, pendant la
première moitié duxve siècle, une nouvelle vie.
Je croirais même volontiers, avec M. Thode2, que le thème
de Marie s'interposant entre Dieu et les hommes, arrêtant avec
son manteau les flèches de la colère, a son origine dans les
prédications de saint Bernardin. La messe :i composée par
Clément VI, pendant la grande peste de 1348, ne parle ni des
flèches de la colère, ni des traits de la peste : ir^aeundiae
tuae flayella amoveas, dit-elle simplement ; la Vierge n'v appa-
raît que comme intercesseur ; c'est à Dieu seul, non à la
Vierge, que s'adresse l'oraison prononcée après la commu-
nion : exaudi nos, Deus salutaris nobis, et intercedente beata
Dei génitrice semperque virgine Maria ', populum tuum ah
iracundiae tuae terroribus libéra et. misericordiae tuae fac lar-
gilate securum. Le thème des flèches de la colère arrêtées
par le manteau protecteur apparaît dans l'art italien à l'époque
où l'Italie centrale résonne encore des prédications de saint
Bernardin. Somme toute, ce thème inspirait des idées rassu-
rantes, il exprimait cette croyance qu'il y a un recours contre
la colère du Juge : or, la prédication de saint Bernardin et la
dévotion du trigramme qu'il imagina avaient précisément
pour but de rassurer l'Italie, que les sermons terribles des
Frères Prêcheurs avaient affolée : « Comme Vincent Ferrer
avait dit que l'Antéchrist était né en 1403, les années qui se
succédaient ne faisaient qu'accroître la terreur des popula-
tions. Cette terreur était arrivée a son comble en 4425, prin-
cipalement dans l'Italie septentrionale, qui avait retenti des
prédications sinistres de Mainfroi de Verceil. Ce fut alors
cum devotione et reverentia nominare et pingere. et picturn, sicnl vîr Dei
docuerat eos, publiée déferre.
1 . Cf. supra, p. 80.
2. Franz von Assisi, 2" éd., p. bl6-517.
3. Bibl. de l'École des Charles, 1000, p. 336.
1. L'appel à l'intercession de la Vierge, imprimé ici en caractères romains,
es1 supprimé dans le texte actuel, tel que le donnent les missels modernes.
LES FLÈCHES DE LA I 0L1 RE DIVINE I 23
qu'un Franciscain de l'Observance, Bernardin de Sienne, eut
I idée de recommander aux fidèles un procédé facile el en
quelque sorte matériel ds dévotion propre à calmer leurépou-
vante. Ce procédé consistai! à rendre un culte extérieur au
nom de Jésus, à tous Les signes visibles, à toutes les représen-
tations matérielles de ce nom. Bernardin portait partout avec
lui une image où le nom deJésus 11IS se détachait enlettres
<l'or au milieu d'une gloire; et quand il avait fini de prêcher,
il présentait cette image aux fidèles en les invitant à se mettre
à genoux et à l'adorer. Quiconque avait soin de se munir
d'une image de ce genre et d'en orner sa demeure, pouvait
défier toutes les puissances du mal '. »
« L'école ombrienne, a dit Rio2, porte une empreinte ascé-
tique qui la distingue des autres écoles italiennes. »> Ascétique
est impropre : Rio n'a pas bien exprimé une impression juste.
La peinture ombrienne du xve siècle est, plus encore même
que la peinture siennoise,unart tout populaire, travaillant pour
Le peuple, sous l'inspiration de celui des Ordres religieux quia
toujours eu le plus de contact avec le peuple. ( >r la foi populaire
ne connaît pas la mesure, la prudence, le juste milieu. La
piété franciscaine s'est toujours portée aux extrêmes, sans se
soucier des difficultés qu'elle créait aux théologiens : elle
s'est complu à détailler les conformités de saint François avec
le Christ ; elle a affirmé, la première, l'immaculée conception
de la Vierge. Le thème de la Vierge arrêtant les flèches de la
colère divine me semble franciscain d'origine, à cause de sa
hardiesse même. Sans doute, les docteurs enseignaient que la
Grâce est plus forte que la Loi, la Miséricorde plus forte que
la Justice, et que Jésus avait fait sa mère Reine de Miséri-
corde :
Reynum s un m in duas parles divisit ,'
Unam partem sibi retinuit, alleram Mariai commisit ;
Duae partes regni sui surit justitia et misericordia.
Per justitiam minabatur nobis Deus,per misericordiam
[succurrit nobis Maria ■'.
Telle est la doctrine de saint Thomas'. Mais le Domi-
1. Siméon Luce, loc. laud.
2. De l'art chrétien, t. II, p. 211. Cf. Burckhardt, Le Cicérone, t. II. p. 570.
de la traduction.
3. Spec. hum.salvat., ch. sxxix, I. 95-98, éd. Lutz-Perdrizet, p. 81.
i. Cf. supra, |>. L3.
12i- CHAPITRE Vil
nicain anonyme auquel nous empruntons ce texte, continue
ainsi :
0 boneJesu, exaudi supplicantem pro nobis tuam Matrem!
Autrement dit, la miséricorde de Marie peut faire fléchir la
justice de Dieu, mais encore faut-il que la Vierge implore. Sur
les représentations qui la montrent arrêtant les flèches de la
colère, elle n'implore pas toujours l. Les saints intercèdent
auprès d'elle, et elle, brusquement, s'interpose entre Dieu et
les hommes. Elle étend son manteau, et les flèches divines se
brisent, ou même retournent vers Celui qui les a lancées. La
Vierge apparaît gigantesque, entre le ciel et la terre, pendant
que Dieu, à demi caché dans les nuées, semble tout petit 2.
On ne saurait donner à entendre d'une façon plus significative
que la Vierge, par sa miséricorde infinie, contrarie et annihile
les desseins de Dieu. Mais, parce qu'elle était outrancière,
cette représentation devait inquiéter la prudence des théolo-
giens. Aussi ne s'est-elle pas répandue en dehors des milieux
franciscains. Aussi n'a-t- elle pas, que je sache, été adoptée en
France, où le catholicisme a toujours été plus pondéré qu'en
Italie et en Allemagne. Et elle a disparu dès le xvie siècle,
en même temps que le trigramme de saint Bernardin : les
flèches de la colère ou de la pestilence, le fétiche du Nom
sacré 3 durent paraître à l'orthodoxie catholique, quand elle
tacha de faire face aux attaques de la Réformation, des sym-
boles compromettants, trop souvent entachés de supersti-
tion populaire pour qu'on les pût garder.
1. Sur la bannière de Corciano elle est figurée priant, les mains jointes;
mais sur les bannières de Montone et de S. Francesco, sur les fresques d'Atella
et d'Aversa ou sur le tableau de Pecori, rien n'indique qu'elle prie.
2. Même disproportion dans le tableau de la collection Butler, qui repré-
sente le pape Léon IX guéri d'un mal à la main par l'intercession de la Vierge
(Reinach, Répertoire, t. I. p. 492).
3. Il se trouve aujourd'hui sur une foule d'ornements d'église et de vêtements
sacerdotaux : on l'explique connue étant l'abréviation de l'invocation J(esus)
h(ominum\ s(alvntor) : au \\ siècle, le trigramme ne signifiait pas autre chose
que le Nom de Jésus, Ih{esu s, IHS(o3ç).
CATALOGUE
Italie.
1. Montone. Dans l'église Saint-François. Bannière datée de I isJ,
transformée depuis en retable. Pour la description, voir supra, p. 1 1 î-.
Œuvre de Bonfîgli, selon toute vraisemblance; l'attribution à Sini-
baldo Ibi, de Pérouse, dont il y a, au dôme de Gubbio, un tableau
daté de l.'JOT, et tpii procède du Pérugin et de Raphaël, est inaccep-
table. Alinari, 5187 et 5786. Cf. Revue de V art chrétien, 1900, p. 206;
Broussolle, La jeunesse <lu Pérugin et les origines de Y art Ombrien,
fig. 12.">: de Mandach, Saint Antoine de Padoue, p. 91 ; La Lorraine
artiste, 1905, p. 65; Gaz. des Beaux-Arts, 1905, II, p. M)7; Les Arts, n°
de qov. 1907, p. 9.
2. Pacciano (village à 13 km. de Cilla délia Pieve). Bannière de
Bonfîgli. Au centre, la Vierge couvrant de son manteau les fidèles age-
nouillés pour lesquels intercèdent saint Sébastien et saint Nicolas.
Dans le haut, le Christ irrité, avec saint Raphaële! saint Gabriel. Au
bas, une vue du pays de Pacciano. Cf. Broussolle, Pèlerinages, p. 56;
Origines, p. 177.
*3- Pérouse. Fresque aujourd'hui détruite à Sa Croce in borgo S.
Sepolcro. Cf. supra, p. 117.
4. Bannière de Sa Maria Nuova, à Pérouse. Cf. p. 141.
5. Bannière de S. Francesco al Prato,à Pérouse. Cf. p. 115.
6. Corciano, à trois lieues de Pérouse. Bannière de Bonfîgli ? .
Dale : 1 i-72. Anderson, 15840; description insuffisante dans Broussolle,
Pèlerinages, p. 56,Jet Origines, p. 177; mieux dansCavalcaselle et Crowe,
t. IX, p. 137. ('A', supra, p. 115. c Peinture médiocre, qui a perdu son
caractère original par suite de repeints ». Cavalcaselle-Crowe .
7. Fresque dans l'église de la Commanderie de Sainte-Croix, à
Pérouse. Cf. supra, p. 76.
8. Arezzo. Grand tableau d'autel, à la Pinacothèque, par Domenico
Pecori, d'Arezzo, peintre médiocre du commencement du xvie siècle.
Alinari, ,9970. Pour la description voir supra, p. Ils. (If. Cavalcaselle
et Crowe, t. VIII, p. 552, et Lorraine artiste, 1905, p. 66. Vasari, dont
l'information, pour ce qui concerne Arezzo, est particulièrement pré-
cise, dit que Pecori, dans l'exécution de ce retable, fut aidé par un
Espagnol éd. Milanesi, t. V, p. .'il).
126 CATALOGUE
9. Fresque de 142o environ, dans l'abside d'une église, à Atolla (Basi-
licate). Pour la description, voir supra, p. 119. L'église dont cette fresque
décorait l'abside ayant été ruinée en 1694, l'abside fut murée et la
fresque oubliée. Le terrible tremblement de terre de 1831 jeta à terre
le mur qui fermait l'abside, et l'image «le celle Vierge de Miséricorde
réapparut. C'était à la Vierge de Miséricorde que les habitants de
la Basilicate, en cas de tremblement de terre, adressaient leurs
prières. La réapparition de l'ancienne image sembla un miracle. Le roi
de Naples, Ferdinand II, dans le voyage qu'il entreprit à travers la
Basilicate ruinée, vint prier devant la Madonna riparatrice d'Atella et
fit dessiner la fresque par Giuseppe Abbate ; la reine Marie-Thérèse
accepta l'hommage d'une dissertation de Stanislas d'Aloe (La Madonna
d'Atella nello scisma d'Italia, Naples, 1853, 4°), où l'auteur tachait de
prouver que la fresque d'Atella était la représentation allégorique de la
Madonna délie divine grazie à laquelle Urbain VI, au moment le plus
ardent du grand schisme, s'était adressé et en l'honneur de laquelle il
avait fondé la fête delà Visitation. M. Bertaux (I monu menti medievali
nella regione del Vulture, dans la revue Napoli nobilissima, 1897, p.xvn-
xvm, fig. 29), a montré (pie cette peinture ne pouvait être antérieure à
1420. Cf. la Lorraine artiste, 1903, p. 66. — Fig. 1.
10. Panneau d'Aversa, Cf. supra, p. 119. — PI. XVIII.
il. Vincenzo Pinturicchio, qu'il ne faut pas confondre avec son illustre
homonyme, Bernardo Pinturicchio, l'auteur des fresques de la Libreria
de Sienne et des appartements Borgia, a peint en 1518 une bannière
conservée aujourd'hui dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, à Bet-
tona, en Ombrie. Au centre, la Madone assise dans une mandorla, avec
l'Enfant sur ses genoux. Au-dessus d'elle, sainte Anne étend un man-
teau contre lequel viennent se briser les flèches que Dieu lance sur
Bettona. Dans le bas, à l'arrière-plan, la ville de Bettona ; au premier
plan, agenouillés, saint Christophe et saint Antoine de Padoue. Cf.
G. Bianconi, Intomo ad un dipinto esistente in S. Maria Maggiore di Bet-
tona attribuito allô Spagna (Pérouse, Santucci, 1869 > : de Mandach, Saint
Antoine de Padoue et l'art italien, p. 148.
Allemagne.
12. Dans la chapelle du château'de Bruck, non loin de Lienz, à l'en-
trée du Pustertal en Tyrol, sont des peintures murales du début du
xvie siècle, dont l'une est un Pestbild. Cf. Borrmann, Aufnahmen mittel.
Wand-und Deckenmalereien in Deutschland, pi. II et IV; meilleure
reproduction dans Semper, Reisesludien iiber einige Werke tirolischer
Malerei im Pustertal und Kkrnten Jahrbuch der K. K. Centralcom-
mission, Vienne, 1904, fig. 21 et 22). En haut, apparaissant à mi-corps
dans les nuages, Dieu le Père, armé de l'arc et lançant les flèches une
par une contre le monde. Autour de Dieu Hotte une banderole avec ces
mots : Congregabo super eos ma la et sa;/ il las meas complebo in eis
(Douter, xxn, 23). Deux Prophètes, dont le roi David, sont auprès de
I \ I AI ni,! | 127
Dieu. Sur la terre, à la droite du Père, le Christ nu, agenouillé, montra ni
la plaie de son liane; près de lui flotte une banderole avec ces mots :
ecce latus meum apertum propter peccatores. \ gauche, la Vierge, Mater
omnium, beaucoup plus grande que le Chrisl : sous son manteau, que
soutiennent quatre anges, sont agenouillés les hommes, à droite les clercs,
.1 gauche les laïques. De la main droite, la Vierge montre à Dieu sa poi-
trine, qui est, ici, soigneusement couverte. Les flèches, en arrivaul près
du manteau, se brisent à angles droits en plusieurs morceaux : Semper
les a prises à tort pour des éclairs gezachte Blilze, col. 1-1 .
13. Une fresque analogue, qui semble de la même main que la précé-
dente el qui est datée de 1 t88, se trouve dans la même partie du Tyrol,
à Obermauern.
14. Tableau du musée de Buda-Pesth, attribué à L. Cranach le
Vieux ou à Grùnewald. Braun, 22580. Pour la description, voir p. 128.
PI. XIX. 2.
15. Fresque dans la chapelle du cimetière de Mundelsheim, arron-
dissemenl de Marbach, Wurtemberg, datée de 1455; description dans
Lehmann, Das Bildnis,p. 211 : < Marie est deboul devant son (ils, et lui
montre le sein qui l'a nourri, pendant que sous le manteau, qu'étendenl
les anges, se réfugient des hommes et «les femmes de tout âge et de
toute condition. »
16. H faut rapprocher des peintures précédentes la miniature d'un
des manuscrit muniehois du Spéculum humanae salvationis clm -l'.'t't'.YA ,
où l'on voit un javelot venant du ciel contre les pécheurs réfugiés sous
le manteau de Marie. — PI. XV, I.
17. H en faut rapprocher encore le tableau suivant, qui témoigne
d'idées analogues.
Retable daté de Ii2't, jadis dans l'église des Franciscains à Gôt-
tingue, aujourd'hui au Welfen-Museum, à Hanovre [Zeit&chrift fur
christliche Kunst, In*'1, col. 213 . Il représente en haut le Chrisl comme
juge du monde, assis sur l'arc-en-ciel : du ciel tombe une pluie de
flèches. En bas. à droite, esl agenouillée Marie qui, dans son manteau
qu'elle tienl levé à den\ mains, reçoil nom lue de ces tiédies. Derrière
elle, deux saintes sont agenouillées. Devanl elle, agenouillés, en pleurs,
saint François et sainte Claire; près de ceux-ci esl cette légende : Salve
illos, Chrisfe, pro '/ml, us Virgo Mater h- orat. Entre Marie el François
gisenl seize personnes, les unes vêtues, d'autres nues ou enveloppées
du linceul, toutes percées par les Déclics de la colère; les unes sonl
déjà mortes, les autres lèvent des mains suppliantes. — PI. XXX, l.
CHAPITRE VIII
LE THÈME DES TROIS FLÈCHES
Les trois flèches du Dieu de vengeance représentent les trois fléaux,
laguerre, la famine et la peste, dont Dieu punit les trois concupis-
cences, avarice, orgueil et luxure. — Origine scripturaire el domi-
nicaine de ce thème ; vision de saint Dominique, explication (Yun
Pestbhitl dominicain.
Parfois dans l'art allemand, le Dieu de vengeance, au lieu
de lancer des javelots, se sert de Tare — comme il est dit
dans les Psaumes1 — et décoche des flèches, soit une à une,
soit trois à chaque coup. Dans un manuscrit, copié vers 1400,
d'une traduction allemande du Spéculum humanae salva-
tionis2, on voit au-dessus de la Mater omnium, Dieu irrité,
apparu à mi-corps dans les nuées, bandant l'arc contre les
pécheurs fpl. XIX, 1). Sur cette miniature l'arc n'est armé
que d'une flèche ; dans le tahleau attribué à Cranach le Vieux,
au musée de Buda-Pesth (pi. XIX, 2), dans un tableau du
musée de Nuremberg, qui, comme celui de Buda-Pesth, doit
dater des environs de 1530, Dieu le Père décoche trois flèches
d'un coup3.
Un retable du peintre Valençais, Jean Reixats, représen-
tait, d'après les termes du contrat de commande, Jésus-Christ
armé de trois lances dont il veut détruire le monde, et. au-
dessous, la Vierge de Miséricorde abritant l'humanité sous
1. Ps. VII, 13 : arcum suum tetendit el paravit illnm ; XVII, 15 : misit
sugitlas suaset dissipavit eos. Cf. Il Rois, xxn, 15: misit sagittas ; Josèphe,
Anl. Jud.. I. 11,4 (il s'agit de la destruction de Sodome) : y.x\ ô <->;o:
;./7/r'_T£, orAO; il: tt)v -;>.:/. Une Bible en images, du xnr siècle, contient
une miniature qui représente Dieu tirant des flèches —une par coup — sur les
pécheurs Bibl. Nat. fr. 9561 ; photogr. au Cabinet des Estampes, dans Ad.
1 i.3 c, I. 1 .
2. L. Rosenthal, Incunabula xylographica cl typographica (cat. 90), Munich
1892, n- 1 : Cul. n° 100. p. 291-295. Cl'. Bouchot, Les '200 incunables xylogra-
phiques du département des Estampes, p. 27.
3. Pour le tableau de Nuremberg, voir l'Appendice.
Perdrizet, Lu Vierge <!<■ Miséricorde
ri. xix
i~
LE rtlÈME DES TROIS FLÈCHES I ^'.1
s<ui manteau, e1 montranl à Jésus pour le fléchir, sainl I> i-
nique ei saint François, agenouillas derrière elle. C'est bien
toujours le même théine, mais avec des modifications impor-
tantes : le Dieu de vengeance n'est plus armé de javelots ou
de flèches, il est armé de lances ; d'autre part la Vierge, pour
le fléchir, t'ait intervenir les fondateurs des deux Ordres men-
diants. Le retable de Reixats n'esl pas le seul exemple de
cette variante. La première miniature du wxvir chapitre du
Spéculum humanae salvationis la représente à peu près de la
même façon — avec cette différence que (Unis le Spéculum,
la Vierge de Miséricorde n'est pas figurée abritant les hommes
sous son manteau. On dirait que Reixats a fondu en un seul
deux thèmes pris au Spéculum : la Mater omnium du chapitre
xxviu et la première miniature du chapitre xxxvn. Le tableau
de Cranach le Vieux, au musée de Buda-Pesth, les fresques de
Bruck et d'Obermauern sont des amalgames analogues. On y
voit, au ciel, Dieu le l'ère, bandant Tare contre les hommes :
sur la terre, à la droite du Père, le Christ lui montrant, pour
le fléchir, les blessures de la Passion — c'est le sujet de lune
des miniatures du chapitre xxxix du Spéculum — ; à gauche, la
Vierge de Miséricorde, abritant sous son manteau, toute
1 humanité — c'est la première miniature du chapitre xxxvin.
Le chapitre xxxvu du Spéculum débute par le récit d'une
vision dont aurait été favorisé le fondateur de l'Ordre des
Prêcheurs ' :
Quod plaçât iram Christi medialrix nostra Virgo Maria,
Istud patet in quadam visione cl somno authentico,
Quod divinitus oslensus est sanctissimo patri Dominico
(>'était en 1216, pendant le concile de Latian. Saint
Dominique et saint François se trouvaient l'un et l'autre
à Home, mais ils ne se connaissaient pas encore. Lue nuit,
Dominique eut une vision : je la laisse raconter a l'auteur
anonyme d'un recueil manuscrit de Miracles >/<• la Vierge,
qui est du début du xvie siècle2:
Des trois lances
desquelles X. S. vouloit occirre le monde,
1. Lutzet Perdrizet, Spéculum humanae salvationis, t, I, p. 76
2 iîilil. iiat. ms. IV. 1881, papier; IV. L81-182.
Perdrizkt. — La \ ierge </<• Miséricorde.
130 CHAPITRE VIII
« Saint Dominique vist en esprit que N. S. tenoit trois
lances desquelles il vouloit oocirre le monde ; et N. D.
ynellement ' y ala et lui demanda qu'il vouloit faire de ces
trois lances ; et lui respondit que il vouloit occirre le monde
qui estoit plain de trois gratis vices, c'est d'orgueil, de luxure
et d'avarice; et N. D. se laissa cheoir a ses piez et lui pria
moult doulcement : Mon cher fîlz, ayez pitié du monde et par
ta sainte miséricorde attrempe ~ ta justice. Et il lui dist : Ma
chère mère, vous veez cornent le monde s'efforce encontre
ma deffence et comandement de persévérer en pechie et
especialement es trois pechies dessus nommez. Et elle li
dist : Mon doulz Qlz, j'av un serf et chapellain bon et deligent
qui, avec ses disciples, yra par le monde et le fera obéissant
a toy et a tes comandemens ; et li bailleray un eompaignon
qui fera le monde obéissant a toy comme lui. Et Jhesu Crisl
li respondit : Par amour de vous, douce mère, je esparneray
le monde et retrairay ma justice et ma sentence que je voulois
fere contre lui ; mais je veuil veoir les deux bons sers par
lesquels le monde a moy se convertira et sera obéissant. Et
elle li présenta saint Dominique et saint Franco vs. lesquels
N. S. moult loua et dist que bien feroient avec les disciples
l'office, et par ainsi N. S. fut repaisiez envers le monde par
le mérite et aide de sa benoite mère la glorieuse Vierge Marie.
A ce propos, bien hat l'auttorite saint Barnart qui dist : Le
tilz de Dieu moustre a Dieu le père son coste percie, ses piez,
ses mains perciez en la crois, et la mère moustre a son filz
ses mamelles3 : dont nul reproche ne reffuz ne sera fect ou il
a tant de signes et de réfrigères de charité. Et c'est veoir
entendu de ceulx qui aront contricion, et de bon cuer devost
retourneront et recognoistront et Jhesu Grist et sa douce
mère. ' »
1. Rapidement. Cf. Godefroy, s. v. isnelement.
2. Tempère.
3. Ce texte n'est pas de saint Bernard, comme nous l'établirons plus loin
eu étudiant le double thème iconographique auquel il a donné naissance (voir
l'Appendice).
i. Frater quidam minor, religiosus et fide dignus, qui socius b. Francisci
multo tempore fuit,narravit fratribusqiiibusdam, quorum unushoc magistro
Ordinis scripsit,quod,cum esset Rome h. Hominiens etpro Ordinis confirma-
lione apud Deum et apud dominnm papnm instaret, quadam nocte orans,
more solito, vidit in visione, ni sibi videbatnr, dominum Jesinn Christum
shinU'm in aëre et Ires lanceas contra mundum vibrantem. Cui ad genua pro-
cidens Virgo mater rogabat, ut misericors his quos redemerat, fieret et jus-
LE THEME DES liails III CHES
DU
Cette Légende esl d'origine Dominicaine : cela explique
qu'elle fasse Le sujel d'un chapitre du Spéculum . On remar-
quera que dans Le Spéculum comme dans Le texte fran-
çais que nous avons cité, la vision esl attribuée à saint
Dominique. Dans Les plus anciens auteurs dominicains,
Géraud de Frachet, qui l'a racontée le premier, el Thierry
d'Apolda, elle est attribuée à un Franciscain : le laineux
prédicateur Dominicain, Vincent Ferrier, L'attribuait même
à saint François. Les Dominicains, pour la plus grande
gloire de leur Ordre, attribuaient à leurs rivaux ' une
tiliam misericordia tem.pera.ret. Ad quam FiUùs aiebat : « Xonne vides quantae
injnriaemihi fiant? Justitia mea non patiturmala tanta impunita. • Tune ili.nl
mater : « Sicuttu sets, qui omnia nosti,haecest via perquameos ad le reduces.
Habe ounum servum fidelem quem mittes in mundum,utverba tuaannuntiet,
etconvertentur,et tequaerent omnium salvatorem. \lium etiam servum ci <l;tl><>
in adjutorem, qui similiter operetur.» Tune Filins inqu.it matri:« Ecce plaça
tus suscepi faciem tuam ; verumtamen ostende mihi, quos vis ad tanlum offi-
cium destinare. •> Tune domina mater h. Dominicum offerebat domino jesu
Christo.Cui dominus: « Beneet studiosefaciet quae dixisti. » Obtulit cl beatum
Franciscum, cl hune similiter salvator commendavit. Beatus igitur Dominicus
in visione illa socium diligenter considerans, quem anteanon noverat, in cras-
linum, ciun eum in ècclesia reperisset, es ils quae nocte viderat recognovit,
et in oscula sancta ruens et sinceros amplexus dixit: ■< Tu es socius meus ».
Et ex tune facli snnteor unumet anima una in Deo. Géraud de Frachet, Vies
îles Frères deVOrdre des Prêcheurs commencées en 1256 . I. l. i,éd. Reichert,
]). 0 = Acta SS, aoûl I. p. 112. (Test à Géraud de Frachel que l'onl emprunté
1rs narrateurs ultérieurs, par ex. Galuagni de la Flamma Chron. 0. /'., p. ">,
éd. Reicherl , Thierry d'Apolda [Acta SS, août I. p. 576 , el Jacques deVarazze
[Légende dorée, p. » T t > Grasse). Cf. encore Barthélémy de Pise, Opus con-
formitatum vitae b. Francisci ad vitam Domini nostriJ. C. Milan. 1513 . 1. 1.
a, f" l»i v° ; Gonon, Chronicon SS. Deiparae, p. 209 ; Bridoul, Le triomphe
annuel de N.-D. Lille, loin. 11. p. 107; Martène el Durand. Amplissima col
lectio, t. VI, p. 68; Quétif d'Echard, Script. <>. /'.. t.I, p. 37; Sausseret,
Apparitions et révélations de la T. S. Vierge Paris, 1252), t. I. p. 279; .1. Gui-
raud, Saint Dominique, p. 78 : Lea, llisl. de l'inquisition, I. I. p. 845 de la
traduction, etc. Schreiber Manuel de la gravure au XV' s., t. I. p. 213
attribue par erreur à sainl Bernard la vision des trois flèches. On trouvera
dans Lacordaire [Vie de sainl Dominique, ch. % n el dans le Saint François
d'Assise des PI*. Franciscains Paris. Pion . p. 106, de curieux détails sur les
cérémonies auxquelles a donné lieu la légende de la rencontre. Pour l'icono-
graphie de la scènede la rencontre, cf. le relief d'A. délia Bobbia, à la loggia
di S. Paolo de Florence, reproduit dans Saint François d'Assise, p. 106, la
prédelle botticellesque du Louvre (Perdrizel el H. Jean. <i;\lcrie Campana,
pi. II . la prédelle de Cortone Supino, Beato Angelico, éd. IV.. p. 3i .
Pour l'iconographie de la vision des trois flèches, cf. Nys, \ ita el miracula S.
Dominici, n° 13.
i. Sur la rivalité entre Dominicains et Franciscains, voir entre autres
Daunou, dans \ llisl. lill. <lc la France, t. XVIII, p. 181 : Lea, Hist.de VInqui
sition,t.l, p. 343, I. II. p. 88 delà traduction. Le bollandiste Van Ortroy,
dans les Analecta bollandiana, 1904, p. 115, proteste énergiquemenl contre
le- apologistes qui réduisent les querelles entre les Prêcheurs el les
Mineurs ■< à de simples disputes de frères jumeaux <>. Elles éclatèrenl dès le
132 CHAPITRE VIII
vision où saint Dominique avait le pas sur saint Fran-
çois *.
Ce récit de vision, inventé par l'orgueil Dominicain, a été
représenté d'une façon bien curieuse dans un tableau de
Paris Bordone, aujourd'hui au musée de Brera 2. En bas,
sur la terre, saint Dominique agenouillé, et la Vierge qui le
présente à Jésus-Christ ; le Christ apparaît dans les nuées,
assis, tenant trois lances, deux dans la main gauche, une
dans la main droite ; il tient celle-ci la pointe en l'air : entendez
qu'à la prière de la Vierge, il vient de relever son arme. Du
fond du ciel arrivent vers Jésus les milices célestes, armées
de lances : le peintre a voulu signifier que Dieu a toujours à
ses ordres des légions d'anges exterminateurs. On notera
l'absence de saint François. Ce tableau a dû être commandé
parmi Dominicain fanatique de la gloire de son Ordre. Saint
François, même à la seconde place, derrière saint Dominique,
eût paru de trop au donateur. Le sentiment inverse explique
que dans le tableau commandé à Rubens par les Récollets de
Gand et qui représente le Christ voulant foudroyer le monde,
saint François figure seul, sans saint Dominique 3.
xme siècle. En 1266, la mésintelligence entre les Dominicains de Marseille et
l'Inquisiteur franciscain de cette ville est l'origine d'une guerre entre les deux
Ordres, qui agite la Provence et le Languedoc : Dominicains et Franciscains
prêchent les uns contre les autres el se prodiguent les pires injures; Clé-
ment IV e>t obligé d'intervenir : il décrète notamment qu'il y aura toujours
un intervalle d'au moins 3.000 pieds entre deux couvents appartenant aux
deux Ordres rivaux. La querelle de l'Immaculée conception fut pendant le
xive et le xve s. la cause de disputes scandaleuses entre les deux Ordres (Lea,
op. cit., t. III, p. 717 sq) ; la question du Saint Sang donna naissance, pendant
la même période, à des luttes non moins âpres Lea, op. cil., t. II, p. 203). Les
Dominicains n'acceptèrent que contraints le miracle des stigmates de saint
François (Lea, t. II, p. 260), puis tâchèrent d'en faire honneur à des personnes
de leur ordre : inversement, les Franciscains protestèrent avec violence quand
les Dominicains revendiquèrent le même miracle pour sainte Catherine de
Sienne.
1. Le plus grand artiste de l'Ordre Dominicain. Beato Angelico, l'a repré-
sentée dans un tableau aujourd'hui à Berlin reproduit dans le Saint François
d'Assise, publié par les PP. Franciscains, p. 100;.
2. Phot. Brogi, n° 26<i<>.
3. La vision, rapportée par Cahier (Caractéristiques, t. II, p. 500), de la
bienheureuse Marguerite de Savoie. Prêcheresse | f 21 nov. 1467), est une
bonne preuve de l'importance que le thème des trois lances a eue dans la mys-
tique Dominicaine. Un jour, N. -S. lui apparut portant trois lances ; sur l'une
était écrit calomnie, sur l'autre maladie, sur la troisième persécution. « Choi-
sis, lui dit-il, et tu seras inscrite au livre de vie. •> La sainte prit les trois
lances, et il ne lui manqua aucune de ces tribulations. Sur un tableau du cou-
vent des Dominicains de Poissy, elle était représentée, dit Cahier, serrant les
trois lances contre son cœur.
i i rHÈME in:s rROis s 133
Pourquoi le Dieu de vengeance arme-t-il son bras de trois
lances ou de trois javelots, pourquoi décoche-t-il trois flèches
sur le monde ? Le Spéculum répond très précisémeni ;i cette
question :
Ubique jam caritas et veritas periclitantur ;
Superbia, avaritia et luxuria dominantur...
Quotidie irritatur Dominus contra mundumper haec tria1.
Chaque jour, Dieu est irrité contre le monde, à cause de
ces trois péchés principaux, Orgueil, Avarice et Luxure, les
trois l-âiGuiuai de 1 epître de Jean 2, les trois concupiscences
de la théologie '■' : Stabat, dit Thierry d'Apolda, Christus in
aethere aspectu terribilis, et contra mundum in maligno posi-
tum lanceas très vibrabat : unam, qua superborum cervices
erectus transfigeret ; alteram, qua cupidorumviscera effunde-
rc/ ; tertiam, qua concupiscentiis carnis deditos perforaret '.
L'esprit subtil des théologiens du moyen âge a eu la pas-
sion de la symétrie et de l'antithèse. Puisque l'homme irritait
Dieu par trois concupiscences, trois fléaux devaient les lui faire
expier. Ces trois fléaux, que symbolisaient les trois lances,
les trois javelots, les trois flèches, en quoi consistaient-ils au
juste? Quels en étaient les noms ? La réponse nous est donnée
par une gravure incunable (pi. XIV. I ), faite en Allemagne
pour les Dominicains5. C'est une pauvre image de piété,
violemment coloriée, comme on en vendait vers 1500 dans
les fcires, et comme les petites g-ens en clouaient au mur de
leur chambre, au chevet de leur lit. Elle mérite qu'on s'y
arrête, parce que c'est un document caractéristique des
croyances populaires, et aussi parce que le commentaire
qu'en a donné M. Schreiber n'est pas sans reproche.
1. Ch. xxxvii, 1. ', 35. Une gravure de piété, signée d'Andréa Vaccario el
datée de Rome, 1604, représente la vision rapportée par Géraud de Frachel el
Thierry d'Apolda : dans le fond, sur la terre, saint Dominique <■! saint Fran-
çois s'en allant de compagnie; dans le ciel, le Christ armé des trois lances, <■(
la Vierge qui l'implore à genoux en lui montrant ses deux serviteurs : oh tria
mundi scelera, dit la légende, minuits Christus tribus lanceis voluit populum
punire.
2. I Joan. ii. 16.
3. Aug., Confess., X, 35 P.L., XXXII, 802 ;Thom., Sum. I II . q. 77, § 5.
i. Acta SS, août I. |>. 576.
5. Schreiber, Manuel de In gravure au XV siècle, t. I. p. 297, n° 2012 b;
reproduite dans Pestblâtter, pi. VI. Possesseur actuel: M. Paul Heitz, à
Strasboure.
134 CHAPITRE VIII
Au milieu d'un rosaire dont les cinq gros grains sont rem-
placés par des écussons portant la représentation des cinq
plaies, la Vierge implore le Juge du monde pour l'humanité
agenouillée devant elle, et représentée par le pape, l'empereur,
le roi (dont on ne voit que la couronne) et par un quatrième
personnage. Le nom de la Vierge est écrit dans le nimbe :
Sancta Virgo Mater Dei. M. Schreiber lit: Sancta Virgo Aja-
zia, ce qui lui permet de doter l'Italie d'une ville d'Ajazia,
qui n'a jamais existé, et de faire de cette gravure la copie
d'un modèle italien. Et cette appréciation imprévue m'inspire,
je l'avoue, quelque défiance quant au jugement artistique de
M. Schreiber : car s'il y a une gravure incunable indubitable-
ment germanique, c'est bien cette pitoyable estampe.
La Vierge montre au Juge saint Dominique et saint François
agenouillés derrière elle ; les deux saints sont en prière, le
rosaire en main, comme le pape. Aux quatre coins de la gravure,
quatre saints à mi-corps dans les nuages, chacun tenant le
rosaire. Leur nom est dans le limbe. A gauche, en haut, saint
Vincent Ferrier (.S. Vincentius), avec une branche de lis, sym-
bole de chasteté virginale. A droite, en haut, sainte Catherine
(Sa Katherina de Senis), avec un cœur d'où jaillit un crucifix.
Entre sainte Catherine et saint Vincent, dans une gloire en
forme d'amande, le Christ, les bras levés, comme il apparaî-
tra au monde, au jour du Jugement 1. Saint Vincent Ferrier,
l'un des plus fameux prédicateurs de l'Ordre dominicain,
maximus post apostolos Divini Verbi praeco, avait pour sujet
ordinaire de ses prédications le Jugement dernier : c'est pour-
quoi la gravure dont nous parlons le représente montrant du
doigt le Juge du monde qui. apparaît dans la gloire. En bas,
à gauche, saint Pierre martyr (S. Peter von Meylant), recon-
naissable à l'entaille dans sa tonsure, et au coutelas qu'il
tient à la main. En bas, à droite, saint Thomas d'Aquin,
reconnaissable à la colombe, image du Saint-Esprit, qui lui
parle à l'oreille. Entre saint Pierre et saint Thomas, la sainte
Face.
Ce qui fait le principal intérêt de cette image populaire,
c'est qu'elle nous donne la signification des trois flèches de la
colère divine. Le Juge apparaît dans les nuées, tirant trois
flèches d'un coup : à côté de chacune est inscrit son nom : la
l . Cf. Mâle, L'art religieux du XIII' s., •_" éd., p. il 1.
LE riII.Mi: DES TROIS FLÈCHES 135
première s'appelle Pestilenz, la seconde Teurung, la troi-
sième Kryeg, c'est-à-dire la Peste, la Guerre et la Cherté,
autrement dil la Famine.
Pourquoi ces trois fléaux et doïi d'autres ?
Entre autres supplications, la Grande Litanie, que l'Eglise
récite depuis la peste «le 590, contient celle-ci : a peste, fume
et bello liberanos, Domine, (le texte liturgique a une origine
scripturaire. Quand David eut l'ait le dénombremenl d'Israël
et de Juda, Jahvé, dieu jaloux, en fut courroucé ; il résolutde
châtier David et les Juifs ; il envoya Gad le prophète vers
David pour lui offrir le choix entre trois fléaux : Ha.ec dicit
Dominus : elige quod volueris : aut tribus annis famem; aut
tribus mensibus te fugere hostes tuos, et gladium eorum non
posse evaderej aut tribus diebus gladium Domini et pestilen-
tiam versari in terni, et angelum Domini interficere Israël^.
Ce texte biblique explique que dans les livres d'Heures, en
tète des psaumes pénitentiaux, soit figuré David à genoux, et
au-dessus de lui, dans le ciel, l'ange de Dieu tenant ou lançant
les trois flèches2. Il explique d'autre part les trois flèches de
la vision de saint Dominique. Il explique, enfin, que dans les
monuments qui représentent Dieu brandissant ou lançant les
traits de la colère, ces traits soient généralement au nombre
de trois, ou répartis par groupes de trois. Dans le tableau de
L. Cranach le Vieuxà Buda-Pesth (pi. XIX, 2 et dans le tableau
analogue du musée de Nuremberg, Dieu tire des flèches trois
par trois, comme sur la gravure que nous venons de décrire.
Sur deux Pestblâtter allemands3 et sur la bannière de Bonfigli
à S. Francesco de Pérouse (pi. XVII), le Chrisl brandit trois
javelots, un dans une main, deux dans l'autre. Sur le panneau
de Teruel (pi. XXVII, 2. et dans la bannière de Bonfigli, à
S' Maria Xuova de Pérouse '', le Christ tient trois javelots
dans la main gauche. Sur la bannière ombrienne conservée
à Kevelaer, les deux anges qui sont à coté du Christ tiennent
chacun trois javelots ■'.
1. I Paralip., \\i. 12; cf. II Rots, sxlv,13.
2. Henry Martin, Les miniaturistes français, p. 152. Cf. les Heures ./ L/ine
île Bretagne, pi. XXIX de L'édition Berthaud.
3. Schreiber-Heitz, Pestblâtter, pi. Y et VIII.
i . Andersi >n. i 1663.
:>. A Gand, dans une des chapelles du chœur de l'église Saint-Michel, un
tableau de K. Yan Mander représente saint Charles Borromée suppliant le
Chrisl de faire cesser la peste de Milan : à enté de saint Charles, un archange
13(i CHAPITRE VIII
Le frontispice de la version manuscrite du Spéculum humanae
salvationis, par Jean Miélot, à la Bibliothèque nationale, est,
pour le thème des trois flèches, particulièrement intéressant.
C'est une c< histoire pleine », comme on disait au xve siècle, c'est-
à-dire une miniature occupant la page entière, où l'on voit, à
gauche, l'auteur présumé du Spéculum, frère Vincent de Beau-
vais, le grand savant Dominicain, assis dans son cabinet, occupé
à écrire son livre ; sur la table sont ses lunettes et des livres ;
le bon moine compile en paix. Cependant, hors de ce calme
asile, se passe quelque chose de terrible, un dialogue formi-
dable, digne de Y Apocalypse : dans le ciel apparaît l'Ancien
des jours, couronné du trircgno ; sur la terre est debout la
Mort, sous la forme d'une larve nue, aux chairs pourries.
Dieu lui tend d'une main trois javelots, de l'autre, un parche-
min scellé d'un triple sceau. Ce parchemin contient l'acte en
bonne et due forme par lequel Dieu donne permission à la
Mort de détruire les hommes au moyen des trois flèches ou
des trois tléaux [ : il y a un paragraphe et un sceau par flèche,
un notaire n'y trouverait rien à redire.
tient trois flèches dans la main gauche; dans le ciel, le Clirist tient aussi trois
flèches, ou plutôt un foudre à triple carreau. Le Christ de Rubens, dans les
tableaux de Bruxelles et de Gand (cf. infra, appendice) brandit de même le
foudre à triple carreau.
1. La Mort, dans les représentations macabres du .W et du xvie siècle, esl
plus souvent armée d'un javelot que d'une faux. La faux de la Mort est,
je crois, d'origine humaniste et italienne. La Mort en est armée dans les ban-
nières de Bonfigli. Au contraire, dans l'art français et dans l'art flamand,
elle est armée d'un grand javelot : cf. par exemple la Danse macabre histo-
riée, 1592 Claudia. Hisi. <le V imprimerie en France, t. II, p. 177 . la gravure
qui termine le Compost et calendrier des bergères, Paris. 1499 Glaudin, t. I,
p. 392), le frontispice t\\\ Triomphe cl exaltation îles Dames. Paris, dernières
années du xve s. Claudin, t. II, p. 91 .elles bordures tics Heures de Simon
Vostre reproduites dans Montaiglon, V alphabet de la Mort de II. Ilolhein,
Paris. INT)6). La fresque de la chapelle d'Orléans, dans l'église des Célestins à
Paris, représentait, d'après une \ ision de Louis d'Orléans (f 1407), la Mort
brandissant un javelot Lenoir, Statistique monumentale de Paris, t. II. pi. 15,
p. L86; Le Clerc et Renan. Ilist. tilt, de la Fr. au XIV' s., t. II. p. 250 . Pour
l'art flamand, cf. le bréviaire Grimani. Une peinture siennoise de 1 426 donne
pour armes à la Mort l'arc et les flèches (Lisini, Tavolelte dipinte di bicchierna,
pi. XXIXV
CHAPITRE IX
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES
Les pestes du moyen âge. — Leurs conséquences morales ei religieuses.
— Le pathétique et le macabre à partir du milieu du xiv siècle. — De
la Vierge de Miséricorde comme recours contre la peste. De
quelques-unes de ses images qui furent vouées en temps de peste.
Trois qrans dangiers especiaulx
Ont miz h mort avant droit aage
Cent aillions dumain lignage :
Le premier mal est pestillence
Dair corrompu f)tir influence ' ;
Le second est, en renié.
Grand default et stérilité
Des fruiz et des biens delà (erre,
Et le tiers est crue le guerre.
Ainsi s'exprime l'auteur d'un Poème sur la peste noire -'. Il
aurait pu ajouter que, de ces trois fléaux qui. généralement,
s'abattaient ensemble sur le pauvre monde, le plus terrible et
le plus redouté était la peste : « rien n'épouvante plus les
hommes que les grandes épidémies ;. »
Les témoignages populaires sont suspects d'exagération,
quand il s'agit de calamités publiques. Mais pour la peste
noire ', qui ravagea l'Europe de 1347 a L350, il ne semble pas
1. Par l'influence d'une comète qui paru! alors, nu par la conjonction de
Jupiter e( de Saturne dans le Verseau. Tous les textes contemporains relatifs
à la peste noire, mentionnent ces explications astrologiques.
2. Olivier de la Haye, Poème sur lu grande peste </<• 1848, éd. Guiguc
Lyon, ls.sN), p. 10.
.'j. Littré, Des grandes épidémies, dans la Revue des Deux Mondes, I5janv.
ls.'5<i. p. 221 réimprimé dans Médecine et Médecins .
i. Sur la peste noire, cf. J. Fr. C. Hecker, Der schwarse '/'<«/ in XIV.
Jahrhunderi Berlin, 1832), d'après lequel Littré a écril son bel article
Des grandes épidémies, el auquel la brochure médiocre de Philippe, His-
toire de la peste noire Paris, 1853 doil toul ce qu'elle contient d'inté-
138 CHAPITRE IX
que les témoins aient exagéré. Le fléau s'attaqua d'abord à
l'Italie. Elle était à cette époque riche et peuplée. Venise (y
compris la terre-ferme) perdit, assure-t-on, 100.000 âmes;
Florence, 60.000, et 90.000 en comptant son territoire;
Sienne, 70.000; Gênes, tO.000 '. En 1348, la peste gagne
d'un côté la France, de l'autre le sud de l'Autriche et de la
Bavière. En 1350, elle atteint le nord de l'Allemagne. Elle
fut particulièrement terrible en France2. Plus de 100.000 per-
sonnes seraient mortes à Rouen :!. A Paris, où la maladie ht
rage un an et demi, les victimes furent quelquefois presque 800
par jour'1 ; le nombre des Filles-Dieu tombe dans Tété 1340,
de Pâques à la Saint-Rémv, de 102 à 10 ; le cimetière des
Innocents regorge de cadavres : on doit le fermer et ouvrir
hors des murs une autre nécropole. Une foule de villes fran-
çaises sont obligées de demander au roi l'autorisation d'agran-
dir leurs cimetières ou d'en ouvrir de nouveaux, les anciens
ne pouvant plus suffire '.
En l'an mil trois cent quarante neuf.
De vent ne demeuroient que neuf,
ressaut. Je cite le travail de Hecker d'après la réimpression de Hirsch
(Die grossen Volkskrankheilen des Mittelalters, historisch-pathologische
Untersuchnngén von J. Fr. C. Hecker, herausgcgeben von A. Hirsch, Berlin,
1865 . Cf. encore Littré, Opuscule relatif h la peste de 1348 poème de Simon
de Covino)dans Bibl. de l'Ecole tics Chartes, II. p. 201; Michon, Documents
inédits sur la grande peste de 1348 (Paris, 1860} ; Dechambre, Dut. encyclo-
pédique des sciences médicales, s. v. peste : Ilaeser, Lehrbuch der Geschichte
iler Medizin, 3e éd., t. III, p. 175; Rebouis, Etude historique et critique sur la
peste (Paris, 1888) ; Gasquet, The great }>estilence (Londres. IN'.Kj : Guigue,
préface de son édition du Poème sur la grande pesle par Olivier de la Hâve :
Viard, dans Bibl. de l Ecole de Chartes, t. LXI, p. 334-338 (messe contre la
peste, rédigée par ordre de Clément VI) ; Denifle, La désolation des églises,
monastères et hôpitaux en France pendant la guerre de tient Ans (Paris, 1897-
1809), t. II, p. 57: Pestblhtter des XV. Jahrhunderts, hei ausgegeben von
P. Heitz mit einleitendem Text von W. L. Schreiber Strasbourg. 1901, f°).
Sur la peste en Languedoc, cf. une note à dom Vaissete, Hist. du Langue-
doc, éd. Privât, t. IX, p. 609; — en Auvergne, Boudet et Grand, Documents
inédits sur les grandes épidémies extrail de la fie rue de ta Haute-Auvergne.
1902) ; — en Normandie, L. Delisle, Etudes sur la condition île la classe agri-
cole en Normandie au moyen âge, p. 640.
i. Pour les chiffres, cf. Hecker-Hirsch, p. 16.
2. Froissart, Chroniques, éd. Luce, I. IV. p. 330; Jean Le Bel, Chronique,
éd. Viard et Déprez, t. I, P- —2.
3. Delisle, op. cit., p. 640.
4. Les grandes chroniques de France, éd. Paulin Paris, t. V, p. 485.
5. Viard dans Bibl. de l'Ecole des < '.hurles, t. LXI (1900), p. 335. Cf. Delisle,
op. cil., p. 640.
I \ VIERGE DE MISÉRICORDE Kl LES PESTES [39
disait-on plus tard en Bourgogne. Le Languedoc, l'Auvergne,
La Provence ne furenl pas moins maltraités. A Die, le clergé
de la cathédrale perdit 7i de ses membres. A Marseille, les
Frères Prêcheurs et Mineurs moururent tous. Tous les IV
Mineurs de Carcassonne moururent. L'Ordre Franciscain
comptait que dans les quatre années 1347-1350, il avait perdu
124.430 frères (y compris, je suppose, les membres du Tiers-
ordre). La peste noire aurait causé en Europe, à L'estimation
dellecker '. 25 millions de décès. « Bien la tierce part du
monde mourut », dit Froissart 2. Mortua est ultra quam tertia
pars hominum, dit la Chronique de Mayence. Une note
manuscrite, relevée par J. V. Le Clerc :;, à la fin d'un codex de
Richard de Saint- Victor, est terrible : « Es villes ou la mor-
talité entroit, mouroit plus des deux pars des gens, et disoit
on que le monde fenissoit. ■
Après la grande épidémie de 1348, la peste ne disparaît pas
de la chrétienté : pendant trois siècles, elle revient presque tous
les dix ans, avec une régularité désespérante, faucher les vies.
Voici, pour l'Allemagne, jusqu'à la fin du xV siècle, les dates
de ces funèbres apparitions : 1358, 1365, 1379, 1387. 1406,
1420, 1427, 1137, 1451, 1462, 1473, 1483, 1494. Le nombre
des morts prématurées causées par le fléau est incalcu-
lable. On ne sait pas grand'chose de précis sur les ravages
que la peste iit dans les bourgs et villages; mais dans les
villes, pour lesquelles on a des renseignements certains,
on voit la population diminuer graduellement : Nuremberg,
qui avait environ 30.000 habitants en L350, tombe à 8.000
en 1450. A Strasbourg, en li57, le glas des morts retentit si
souvent que la grosse cloche de la cathédrale fut fendue.
11 n'y a pas moyen de mesurer le contre-coup que devaient
avoir sur la sensibilité populaire ces calamités répétées. On
peut croire que, depuis la grande peste de 1348, le moyen âge a
vécu dans une terreur perpétuelle, dans un continuel ébran-
lement nerveux. La crainte de la mort dont il a toujours été
hanté devient, depuis que la peste s'est mise à ravager pério-
diquement l'Europe, une angoisse de tous les instants. Peu
de gens avaient la tête aussi ferme que Boccace, qui a donné
1. Ilcckcr-IIirsch, p. 55.
■l. Éd. Luce, l. I. |>. 100.
h. Hist. Ult. de la France nu XIV s., t. I. p. 519, d'après Bibl. Nat., anc.
fond latin, n 2588.
1 40 CHAPITRE IX
le récit de la contagion de 1348 comme préface à des contes
d'amour. Chez le plus grand nombre, l'obsession de la peste
devait produire un effet de détraquement. Les historiens ne
tiennent peut-être pas assez compte de cela '. Ils mentionnent
la grande épidémie de 1348 et en signalent les conséquences
immédiates, procession de flagellants, massacres des juifs et
des « semeurs de peste », puis ils passent. Mais l'ébranlement
nerveux causé par la peste noire et par les épidémies qui
suivirent a produit bien autre chose que ces réactions passa-
gères : elle a eu des effets profonds et prolongés, que les chro-
niqueurs n ont pas dits, que les contemporains ne pouvaient
guère apercevoir, qui échappent, par conséquent, si l'on s'en
tient aux textes sur lesquels travaille ordinairement l'histo-
rien, mais qui apparaissent, si l'on opère sur des documents
d un autre ordre. Je crois en effet que l'obsession de la peste
explique beaucoup de nouveautés qui surgissent, à partir du
milieu du xive siècle, dans la dévotion et dans l'iconographie.
L'art du siècle précédent avait été serein, doux, souriant.
A la lin du xive siècle, la douleur et la mort sont devenues
les inspiratrices de la piété et de l'art. Je crois que si le moyen
âge sur son déclin s'est complu dans un pathétique morbide,
que le xnie siècle, pas plus que l'antiquité classique, n'avait
connu, la cause en est, pour une part 2, dans les idées funèbres
où, dans le milieu du xive siècle, la peste le plongea et le
maintint.
Je voudrais donner quelques preuves de cette assertion.
D'où provient, à quelle époque apparaît la dévotion horrible
des Cinq j>laies de Jésus :! — aujourd'hui oubliée et rempla-
cée par la dévotion non moins répugnante du Sacré Cœurl
Elle date du milieu du xiv siècle, du temps même de la grande
peste : la Chanson des flagellants contient !l ces vers :
Jhesus, par tes cinq rouges playes,
De mort soudaine nous délayes !
i. Cf. par exemple Coville dans Y Histoire de France publiée sous la direc-
tion de Lavisse. t. IV, 1, p. XI.
2 M. Maie, dans son admirable article sur V Apparition du pathétique (dans
l'art français de la tin du moyen âge) indique une autre cause, qui n'est pas
exclusive de celle que je signale : « Je crois, écrit-il, que si l'on veut remon-
ter à la source d'où tant de pitié a coulé sur le monde, il faut aller tout droit
à Assise... Il y a quelque chose de saint François chez tous les mystiques du
xive et du xve siècle » {Revue des Deux Mondes, 1er oct. 1903, p. 658 .
3. Sur cette dévotion, cf. Molanus, Dehist. SS.imauinuin, 11,31: et supra, p. 99.
i. Le texte français publié par Le Houx de Lincy, Recueil de chants his-
I.A VIERGE DE MISÉRICORDE El LES PES1 ES I 'l I
Ces vers de la Chanson des flagellants sont curieux double-
ment, pour l'histoire de la dévotion aux cinq plaies, et par
l'effroi très particulier qui s'y exprime. De quoi avaient peur
les pauvres gens qui criaient vers le ciel cet le supplication?
De mourir de la peste? Non p;is tout à fait, mais bien d'en
mourir soudainement. Le moyen âge n'a pas tant craint la
mort que la maie mort, celle qui vient si vite qu'on n'a pas le
temps de s'y préparer, c'est-à-dire de se confesser. Un saint
avait pour spécialité de protéger les chrétiens de la maie mort :
c'était saint Christophe '. Celui qui avait va le matin une
image de saint Christophe était sûr, ce jour-là, de ne pas
mourir sans confession ; d'où l'usage de mettre à la façade
des églises ou contre l'un des premiers piliers de la nef une
gigantesque image du bon saint : il suftisait, en passant le
matin près du moùtier, d'y entrer, ne fût-ce qu'une minute :
on avait vu le saint, on était tranquille ce jour-là. Les Bâlois
avaient fait mieux encore : ils avaient mis saint Christophe
sur une des tours de leur ville : nul qui ne le vît dans sa
journée. M. Mâle a parlé de la dévotion à saint Christophe
dans son beau livre sur Y Art religieux au XIII' siècle '. à
toriques français Paris, I s i 2 ,t. I. p. 2:>7. puis pur Kervyn de Lettenhove,
éd. de Froissart, t. XVIII, p. 315. Jésus, dor dine wnden rod, Be ho<J uns vor
dem gehen dod, dit le texte allemand (Hecker-Hirsch, p. !»i). L'épidémie
des flagellants à laquelle la grande peste donna naissance, affecta la
même forme, produisit les mêmes conséquences que l'épidémie de 1260. Les
flagellants, dit un contemporain cité par Kervyn dans son édition de Froissart
(t. XVIII, p. 30.") , « portoient crucefis et confanons et grandes banières de
cendal par manières de processions, et aloient par les rues II el [I chan-
tant haultement chanchons de Dieu et de X. 1). et puis aloient en une place
el se desvestoient jusques au petis draps [c'est-à-dire jusqu'au perizonium
exclusivement : il ne faut pas croire, avec M. Coville Ilisl. </<• France de
Lavisse, t. IV, J.p. SI (pie les flagellants se missent toul nus deux foischas-
cun .jour cl se bastoienl quanques il/ pouvoient d'escorgies cl d'aguilles ens
fichées, si que le sanc de leurs espaules couroit aval de tous costes, cl tou-
dis chantant leur chanchons, et puis se jettoient trois lui- en terre par dévo-
tion ». '< Ils se batoient d'escourgees tic trois lasnieres en chacune, esquelles
lasnieres avoit ung neu, ouquel neu avoii [III pointes ainsi comme d'aguilles,
lesquelles pointes estoient croisées par dedens ledit neu et pairoienl dehors
en quatre costesdudil neu. et se faisoienl seignier en eulx bâtant... » Jean le
Bel, éd. Viard cl Déprez, t. I. p. 221:. .. Et lurent l'aile- par ce- penitances,
dit Froissart éd. Luce, I. I. p. loi) . plusieurs belles paix de morts d'homme-.
où en devant ou ne punit estre venu par moyens ne aultrement. »
1. Cf. Molanus, /'<• hist. SS. imaginum, 111. 27 Christophori pictura multi-
pliciler disentitur). Les femmes enceintes invoquaient saint Christophe, pal-
peur tic mort subite Maurv. Croyances et légendes du M. A., Paris. 1896,
p. 147).
2. L'art religieux du XIII' s., 2" éd., p. 310, M. Mâle remarque lui-même
1 i2 CHAPITRE IX
tort, s'il est vrai, comme le montreraient, je crois, les monu-
ments figurés, qu'elle ne s'est développée qu'à partir du milieu
du xive siècle, sous l'influence de la peste. Cette hypothèse
me semble confirmée notamment par les tableaux archaïques
où la Vierge est figurée entre saint Christophe et saint Sébas-
tien l.
Ce n'est pas Dieu le Père, c'est Jésus-Christ qui présidera
au Jugement Dernier. 11 vengera, au jour de la colère, les
offenses que lui font les hommes. On se le rappelle, tel que
l'a peint Michel-Ange à la Sixtine, ou tel que l'ont représenté
nos grands sculpteurs du xiii° siècle : « Au milieu de la nuit,
à l'instant même où le Christ ressuscita, le Juge apparaîtra
dans les nuées... D'un geste admirable, aux tympans du
Jugement Dernier, il lève ses deux mains pour faire voir ses
blessures, et sa tunique écartée sur sa poitrine laisse paraître
la cicatrice de son liane : on sent qu'il n'a pas encore ouvert
la bouche pour parler au monde, et ce silence est terrible 2. »
— Mais avant le jour du Jugement, l'humanité aura déjà
souvent ressenti l'effet de la colère divine. Le Christ se venge
continuellement des offenses des hommes en leur envoyant,
outre des malheurs particuliers, les calamités publiques, qui
frappent de grands coups sur l'humanité, les guerres, les
famines, les tremblements de terre, les incendies, les inon-
dations, les épidémies, les pestes, surtout les pestes, fléau et
terreur du moyen âge. Quand le chrétien sentait la colère de
Dieu déchaînée, quand pleuvaient autour de lui les flèches
de la vengeance divine, il cherchait un refuge : il se tournait
vers les saints, mais surtout vers Marie, vers la Mère
de Miséricorde. Beaucoup de représentations de la Mater
omnium sont des ex-voto dédiés en temps de peste. Encore
en 1832, quand Lyon, pour échapper au choléra, se voua à
(p. 320) que « les images de sainl Christophe se multiplient à la fin du moyen
âge ».
1. Città <li Castello, peinture du style de Signorelli : Alinari. 5351;
Reinach. Répertoire, l. I, p. 332. Tableau attribué à Fiorenzo di Lorenzo,
musée de Francfort : Reinach, id., p. 290.
2. Mâle, L'art reliyieux du XIII' s. en France. 2' éd.. p. il i.
LA VIERGE DE MISÉRICORDE il LES PESTES 143
Notre-Dame df Fourrières. If tableau votif exécuté par Orsel
représenta la Vierge couvranl de son manteau la ville de
Lyon, personnifiée par une femme agenouillée.
Il est aisé d'en l'aire la preuve pour les bannières ombriennes
au type de la Vierge de Miséricorde : la plupart auraient pu
s'appeler, comme celle d'Assise que nous avons décrite plus
haut l, des « bannières de la peste ». « Dans les grandes
calamités publiques, dit Rio -, l'art ombrien fait briller,
comme un phare dans la tempête, l'image consolatrice sur
laquelle doivent se tixer les yeux de ceux qui souffrent
et qui espèrent : alors paraît la bannière qui est dans le
domaine de l'art ce que l'hymne es! dans le domaine de
la poésie, et qu'on élevait entre le ciel et la terre comme pour
porter vers Dieu le magnifique témoignage du repentir
populaire. Car il ne s'agit pas ici de bannières triomphantes,
à la suite desquelles on entonne des hymnes de victoire.
mais de bannières suppliantes qu'une foule pénitente sui-
vait en se frappant la poitrine et en criant : Miséricorde ! A
chaque nouvelle invasion de la peste, on élève ce signal de
détresse, que chaque génération d'artistes est obligée de
renouveler, depuis Nelli jusqu'à Raphaël 3. »
Toutes les peintures qui montrent la Vierge protégeant les
hommes contre les traits de la colère divine, doivent être con-
sidérées comme des ex-voto destinés à écarter la peste. De
même les peintures où saint Sébastien figure parmi les inter-
cesseurs à la prière desquels la Vierge a étendu le manteau
protecteur sur l'humanité pécheresse : tels sont le retable de
Gottardo Scotti, au musée Poldi-Pezzoli(pl. XXII. 2), le poly-
ptyque de Pierro délia Francesca peint pour la confrérie de la
Miséricorde de Borgo San Sepolcro, les bannières de Montone,
de Gorciano, et celle de S. Francesco à Pérouse (pi. XVII .
Au musée de l'Académie à Venise, un triptyque d'André de
1 . I'. lis.
2. De l'ari chrétien, 2" éd., Paris. L861, I. II. p. 211.
■\. Ottaviano Nelli. de Gubbio (-{" 1444). Je ne connais pas de bannière de
Nelli. ^uant à Raphaël, la seule bannière qu'on ait de lui esl celle qu'il pei
gnit, très jeune, vers 1500, pour l'église S. Trinità, à Cilla di Castello : d'un
côté, saint Sébastien et saint Roch intercédanl auprès de laTrinité;de l'autre
la création d'Eve Passavant, Rap/iaé'J, I. II, p. 7: Burckhardt, Le Cicérone,
I. II. p. mis de la traduction). Rumohr (Forschnngen, t. II, p. 316 a soutenu
que la Madone de Saint-Sixte étail une ancienne bannière : mais cette hypo-
thèse e-t repoussée par Passavanl l. II. p. '_>7!i).
Ili CHAPITRE IX
Murano représente la Vierge au manteau auprès de laquelle
sont quatre intercesseurs, deux saints Dominicains, saint
Vincent Ferrier et saint Pierre martyr, et deux saints « anti-
pesteux », saint Sébastien et saint Roch : certainement, ce
triptyque, qui provient d'une église Dominicaine, dut être
voué en temps de peste.
M. Schreiber, aidé d'un collectionneur alsacien, M. Paul
Heitz, a publié naguère, sous le titre de Pestblàtter, une
curieuse série d'estampes populaires du xV siècle et du
début du XVIe, qui ont servi en leur temps de phylactères
contre les épidémies : elles représentent saint Antoine, avec
sa clochette et son bâton terminé en forme de tau, saint
Sébastien, percé de flèches, saint Roch avec son chien, et,
plus souvent encore, la Vierge au manteau, protégeant les
humains contre les flèches de la colère divine. On pourrait
composer un recueil analogue de Posttafel et de Pestbilder
avec les images peintes et sculptées de la Vierge miséri-
cordieuse, qui furent vouées en temps de peste ou en crainte
de la peste.
Si les circonstances dans lesquelles ont été vouées les effigies
de la Vierge au manteau, étaient chaque fois mieux connues,
on constaterait probablement que le plus grand nombre de
ces représentations pourraient être classées selon l'ordre
chronologique des épidémies qui, du milieu du xive siècle
jusqu'au milieu du xvne, dévastèrent la chrétienté. La docu-
mentation que j'ai réunie n'est pas assez complète, tant s'en
faut, pour me permettre de tenter une classification de ce
genre. Je me contenterai de vérifier l'exactitude de mon asser-
tion par quelques exemples qui m'ont paru particulièrement
probants.
Nous avons vu, dans un précédent chapitre, que la fresque
dont Spinello décora, lors de la peste de 1383, l'oratoire des
confrères de la Miséricorde d'Arezzo, représentait la Madone
abritant les Chrétiens sous son manteau.
On a retrouvé en 18ÎH au Castello Sforzesco de Milan, sous
la grande arcade qui donne accès de la place d'armes dans la
cour ducale, une grande fresque ' qui avait dû être badi-
1. Reproduite dans II castello di Mila.no e i suoi musei d'arle (Milan, Mon-
tabone, 1902, 1 vol. 4°), pi. 62; cf. Beltrami, Il castello di Milano durante il
dominio dei Visconti eiler/li Sforzi Milan. 1894), p. 703.
LA VIERGE DE MISERICORDE ET LES PESTES 145
geonnée dès 1480, sous la régence de Bone de Savoie1. Cette
fresque représente la Vierge couronnée et nimbée abritant
sous son manteau, que soutiennent doux anges, une foule de
gens agenouillés, vêtus de cottes mi-parties, la tête nue, rasée :
ce ne sont, semble-t-il, ni des seigneurs ni «les soldats2 : ils
onl l'air humble et le costume modeste des artisans. ( )r on
sait qu'en I i-'il. pendant la construction du Castello, la peste
décima les ouvriers qui y travaillaient3. Il est croyable que
la fresque retrouvée en 1894 avait été peinte en I i'il pour
détourner le fléau des gens employés à la construction et à
la garde du château.
Une autre fresque du quattrocento, récemment débarrassée
de son linceul de plâtre, la fresque de Ghirlandajo dans la
chapelle des Vespucci, à Ognissanti de Florence, qui repré-
sente la Vierge de Miséricorde abritant la famille Vespucci
sous son ample manteau, fut probablement peinte en 1480,
pendant une peste : la contagion emporta le donateur, Bar-
tolomeo di Ser Vespucci.
Deux vitraux d'une église près de Cortone, attribués au
verrier français Guillaume de Marcillat, représentent l'un
saint Sébastien, l'autre la Mater omnium : il est croyable que
ces deux verrières ont été vouées en temps de peste.
La célèbre Vierge de la Miséricorde par ira Bartolommeo,
aujourd'hui à la Pinacothèque de Lucques, a été mise en
rapport non sans vraisemblance avec la peste de loi '2.
V Waltlingen, près de Stammheim (Suisse' est une chapelle
rurale du xve siècle, qui a conservé presque entièrement ses
fresques anciennes. La chapelle est consacrée à saint Antoine
abbé. On venait y demander d'être préservé du mal des ardents
et en général de toutes les contagions. Les fresques repré-
sentent la légende de saint Antoine et saint Antoine guéris-
sant les ardents : saint Sébastien criblé de (lèches el sa décol-
lation; enfin, la Vierge de Miséricorde, abritant sous son
manteau doublé d'hermine les gens de l'endroit, les hommes
à droite, les femmes a gauche.
1 . Beltrami, op. laud., p. 115.
2. Diego Sant'Ambrogio, La colonna voliva di Canlù extrait de la revue
milanaise // Politecnico, 1906 . p. 7. reconnaît le dame délia corte sforzesca m
ricchi abbigliamenti da un lato di Maria e i rispettivi cavalieri dalVallro, con
quel bizarro costume dei dignatari ducali.
'■>. Beltrami, op. cit., p, 78-82, 97.
l'innm/i.T. — Lu Vierge de Miséricorde. 10
146 CHAPITRE IX
Un tableau du Musée lorrain (pi. XX ) représente François
II de Lorraine et sa famille sous la protection de N.-D. de
Bonsecours. Je crois qu'il fut peint comme ex-voto pendant la
peste qui, en 1630 et 1631, décima Nancy et la Lorraine, La
contagion éclata à Nancy dans la Ville-vieille dès le mois de
mars 1630 ; elle disparut à la fin de novembre, pour reparaître,
beaucoup plus violente, vers le mois de mars 1631 ; la morta-
lité fut très grande ; la paroisse Saint-Sébastien, qui compre-
nait la Ville-neuve entière et n'avait eu que 317 morts en
1630, en compta 703 Fan d'après '. C'est alors, le 15 juin
1631, au moment où la peste faisait le plus de victimes, que
la ville de Nancy, se rappelant l'humble chapelle et la Vierge
de René II, se met par un vœu solennel sous la protection de
N.-D. de Bon-Secours-. Ce vœu fut gravé sur une table de
marbre, autour de laquelle furent placées les statues des trois
saints1 : saint Sébastien, saint Roch, saint Charles Borromée
(1538-1584; canonisé en 1610); je ne sais si l'on a expliqué
pourquoi ceux-là et non d'autres : c'est que tous trois avaient
pour spécialité de préserver de la peste4.
En 1631, Nancy eut quelque temps pour gouverneur le duc
François II, en l'absence du duc régnant, Charles IV, fds du
précédent '. François devait du reste mourir l'an d'après. La
tradition, recueillie par feu M. Boulanger et par M. Wiener,
qui attribue à François II la commande du tableau votif du
Musée lorrain, n'a donc en soi rien d'inadmissible, et elle ne
me paraît contredite ni par les figures, ni par les costumes
du tableau. François aura fait comme Nancy : pour échapper
à l'épidémie, il se sera placé, avec les siens, sous le manteau
de N.-D. de Bon-Secours. La tradition reconnaît à la droite de
1. Digot, Hist. de Lorraine, t. V, p. 17:2-179 : Lepage, Delà dépopulation de
la Lorraine au XVIIe siècle, dans l'Annuaire de la Meurthe, 1850; Beaupré,
Recherches sur l'imprimerie en Lorraine, t. I, p. 398et 116.
2. Pfîster, Histoire de Nancy, t. I, p. 577. Ces statues, œuvres du sculpteur
Simécn Drouin, ne furent exécutées qu'en 1615.
3. On pourrait aisément énumérer nombre de « vœux» analogues. En 1720,
pendant la peste de Marseille, le village de Pourrières en Provence se metpar
un vœu sous la protection de la Vierge André, Notre-Dame de Miséricorde,
milice sur la statue vénérée smis ce titre dans la paroissede Pourrières et sur
la dévolion qui s'y rattache, Marseille. 1857 . Nous avons rappelé plus haut le
vœu de Lyon à N.-D. de Fourvières lors du choléra de 1831 . Cf. infra, p. 148,
pour le vœu deBloisà N.-D. des Aides pendant la peste de 1631.
i. Pour saint Charles Borromée comme intercesseur en cas de peste, cf.
Cahier, Caractéristiques, t. II. p. 537.
i. Digot, op. cit., t. V, p. 177.
PerdrizeTj Lu Vierge de Miséricorde
l'I. XX
\ 'M'.i-imii, DE BONSEGOURS PROTEGEAN1 LA MAISON Dl li>Ull\l\l
i Tableau du Musée historique lorrain
LA \ il RGE DE MISÉE ;m i i LES PES1 ES I iT
la Vierge le duc François, puis ses fils, au premier plan
Charles IV, au second Nicolas-François; .1 la gauche, deux
dames en robe de cour e1 deux religieuses : la femme du duc
François, Christine de Sal m n'étanl plus en vie à cette date
les deux dames seraient les deux filles de François II. Hen-
riette, femme de Lorraine, prince de Phalsbourg, et Marguerite
qui, le 3 janvier 16321, devait épouser Gaston d'Orléans;
l'une des religieuses doit être l'abbesse de Remiremont,
Catherine, la sœur de François II; l'autre est. je crois. 1;.
veuve du duc Henri II. Marguerite de Gonzague, qui mourut
le 7 février 1632, et qui, le 20 juin 1629, avait pris l'habit du
Tiers-ordre de saint Dominique'.
On objectera peut-être que François II avait 59 ans en
1631, et que, sur le tableau du Musée lorrain, le premier per-
sonnage à la droite delà Vierge n'a pas l'air d'avoir cet âge-
là : il semble le frère, non le père, desdeux autres. Il est vrai ;
et même, on doit dire plus : les trois princes ont non seule-
ment le même costume, mais exactement la même ligure ; de
même les deux princesses : d'où il suit que l'artiste n'a point
peint ses personnages d'après nature; il ne faut pas demander
à ce morceau de peinture officielle l'exactitude documentaire
de la peinture de portraits. Celui-ci se ressent fortement des
conventions «pie l'influence de Van Dyck inqx.se à cette
époque aux portraitistes de l'aristocratie.
Une grande partie de l'Europe fut éprouvée par la (. grand.'
peste -> de 1625-1635, la plus meurtrière, dit-on, de toutes les
épidémies qui ont ravagé l'Europe depuis celle de 13483,
Venue, dit-on, de Hongrie, elle se répandit dans l'Allemagne
et l'Italie à la faveur des guerres. Nancy ne dut pas être la
seule ville de la Chrétienté à se tourner, pour échapper au
fléau, vers la Mère de Miséricorde. Tue gravure d'un des
Galle, qui représente la Vierge des Grâces de Milan le type
est celui de nos Vierges au manteau rappelle les guérisons
miraculeuses opérées par Marie, à Milan, pendant la peste de
1630. La grande el belle église de Santa Maria délia Salute,
1 . Digot, -»/,. cit., I . V, p. 189.
•-'. Digot, op. cit., t. V, p. 203 .
3. Sur la peste de L625-1635, cf. H. Reuss, L'Alsace an KV II' siècle t II
p. 121 .; .André, La peste de 1629 dans le Vivarais Bull. hist. et philol du
Comité, 189- : comte de Marsy, Lapesteà Compièqne La Picardie, juillet el
aoûl 1^ ; .
148 CHAPITRE IX
à Venise, fut commencée en 1631, comme ex-voto de déli-
vrance, après la grande peste de 1630 ^ Une délibération des
échevins de Blois, en date du 6 septembre 1631, décide que
« chacun an, jusques à trente ans, sera dite et célébrée une
grand'messe en l'église de >>.-D. des Aydes et sera fait
prière à Dieu que par l'intercession de la bienheureuse Vierge
Marie, luy plaise d'apaiser son yre et faire cesser les maladies
contagieuses dont cette ville et le pays sont aflligés » 2.
Entre tant d'images de la Vierge miséricordieuse qui ont
rapport aux épidémies, la plus curieuse est assurément
celle-ci ;.
Le Mortilogus, ou « Discours sur la mort », de Conrad
Reitter, plaquette imprimée àAugsbourg en 1508. se compose
de 34 feuillets ornés de 10 gravures sur bois4. Le texte est
une suite de poésies latines ' dont la plupart ont pour sujet la
vieillesse, les maladies et la mort ; elles montrent que l'auteur
unissait à une foi sincère les talents aimables de l'humaniste.
Celle qui nous intéresse est une ode saphique, carmen dicolon
tetrastrophon ex sapphico endecasyllabo et adonio dimetro,
adressée à Notre-Dame ut nos a gallico morbo intactos prae-
servet incolumes. L'auteur était prieur du couvent Cistercien
de Kaisersheim. Cette ode du prieur Reitter est caractéristique
de l'état du clergé — en Allemagne et ailleurs — à la veille
de la Réformation.
1. Deux tableaux à la Confrérie de Saint-Roch de Venise, l'un par Zanchi,
l'autre par Negri, représenteni les souffrances de Venise pendant cette peste,
et sa délivrance reproduits dans Molmenti, La peinture vénitienne, p. 122;
cf. Lafenestre-Richtenberger, Venise, p. 199).
2. lî. Porcher, Bibliothèque mariale blésoise (Blois, 1004), p. 51.
3. Cf. Perdrizet, dans la Chronique médicale duD1' Cabanes, 1906, p. 49. Un
exemplaire du Mortilogus se trouve à la Bibliothèque Nationale Réserve,
mYc, 281 .
4. Ces xylographies ne sont pas dénuées d'intérêt pour l'histoire de la gra-
vure allemande : c'est à ce titre que celle dont nous parlons a été reproduite,
sans explications d'ailleurs, par Muther, Die deutsche Bûcherillustration der
Gothik und Frùhrenaissance, pi. 201, p. IGtî.
.'). Le Bulletin du Bibliophile, 1861, p. 401, en a donné l'analyse.
LA VIERGE DE MISÉRll 0RD1 El LES PESTES
149
Au-dessus du titre de l'ode es! une gravure fig.2 qui repré-
sente la Mère de Miséricorde abritanl sous son manteau, pour
Carmen Dicolon Tetraftrophon ex fapphico endeca fillaba
etadoniodimetroFConradi RC ad clcmcnrilVimâ domina
no f tram Mariaraut nos a galUcomorbo intactes prefciwcc
incolumes
Aima fuprcmï genicru tonautis
Fig. 2
les préserver de la contagion, à droite le Pape et le Cardinal.
;i gauche l'Empereur et Le Roi: à eux quatre, ces grands per-
sonnages représentent toute la chrétienté.
CHAPITRE X
LA MATER OMNIUM
Le type de la Mater omnium conséquence de la Grande Peste. — Dans
les exemples les plus anciens, les hommes sont à droite delà Vierge,
les femmes à gauche; au xve s., les clercs sont à droite, les laïques à
gauche. — Les deux mondes, ecclésiastique et laïque, représentés tou-
jours par des personnages conventionnels. — La Mater omnium du
musée du Puy. — La Vierge de Miséricorde sur les monuments des
familles.
Nous avons vu dans les chapitres précédents qu'au xnp siècle,
il n'y avait encore que des moines et des nonnes sous le man-
teau de la Vierge ; et qu'à partir du milieu du xme siècle, on
y trouve des Confréries de pénitence. A quelle époque le
thème s'est-il élargi au point d'admettre, sous le manteau delà
Vierge, la chrétienté entière ? A quelle date apparaît le type
iconographique de la Mater omnium ' ?
D'après ce que nous avons dit des conséquences religieuses
de la Grande Peste, ce serait dans la deuxième moitié du
xvi'' siècle que la chrétienté tout entière aurait cherché un
refuge sons le manteau protecteur. Cette hypothèse est confir-
mée par l'étude chronologique des représentations de la Mater
omnium.
Le type en question ne devait pas être encore inventé
quand fut peinte la fresque du Bigallo où l'on a voulu voir
une image de la Madonna délia Miscricordia 2, et qui porte la
date mensongère de 1342. Le Big-allo date de 1352 3 : la
fresque doit être de la même année ; il faut donc la mettre en
1. L'expression Mater omnium ;i été empruntée par l'archéologie aux mys-
tiquesdu moyen âge : Albert le Grand dans ses Quaestiones super missus.
§ 145, se demande s'il convient d'appeler la Vierge Mater omnium.
2. Alinari, n° 4776. Elle se trouve dans l'ancienne salle du Commissaire
de la Confrérie du Bigallo. Cf. Poj^i-Supino-Ricci, Il Bigallo (Florence
1905 , i'. 21.
3. IlBigallo, p. 8 ; cf. Alinari, Eglises et couvents de Florence, p. 87.
LA MATER oi/.y/r.i/
15
rapport avec la Grande Peste qui venail de ravager terrible-
ment Florence. La figure principale esl coiffée d'unetiare papale
à diadème unique1, l'art est celui des Giottesques du milieu
du trecento, Giottino, < >rcagna.
Que représente cette fresque, au juste? On a voulu y voir
une image de la Vierge de Miséricorde : à tort, car l'artiste a
écrit le nom même de la figure principale sur le diadème dont
il l'a coiffée : Misericordia Domini] et il lui a mis sur la poi-
trine cette inscription qui explique l'autre: Misericordiae Dei
plena est ferra Ps. XXXII. 5). Les Florentins qui avaient
survécu à l'épidémie, remerciaient la Miséricorde divine qui
les avait épargnés. Pour traduire aux yeux la métaphore
biblique, le peintre a imaginé de représenter, au-dessus de la
civitas Florentine -, une femme immense, dont la robe, éva-
sée en cloche, couvre la ville; à ses pieds, hors des remparts.
sont agenouillés, à droite les hommes, à gauche les femmes.
(Test déjà la même idée que celle qui inspirera les ban-
nières de Bonfigli, les tableaux de Mariotto et de Pecori. et en
France le Couronnement d'Enguerrand Charton :! : la A ierge
gigantesque, sa tète touchant au ciel, sa robe descendant jus-
qu'à la terre, abrite toute une cité sous son vaste manteau.
C'est la même idée, avec cette différence que la fresque de
Bigallo ne représente pas la Vierge de Miséricorde, mais une
abstraction, la Miséricorde de Dieu. Autrement dit. je crois
que lorsque cette fresque fut peinte, le type de la Mater
omnium n'était pas encore inventé, ou du moins qu il n était
pas encore répandu.
Le plus ancien exemple de Mater omnium qui me soit
connu est un retable ruiné, du peintre siennois Bartolo di
Fredi (1330-1410), conservé à Pien/.a, en Toscane. Dansée
tableau, le manteau de la Vierge est soutenu, comme dans le
tableau du Puy dont nous parlerons tantôt, par deux grandes
Saintes ; à droite sont agenouillés les hommes, à gauche les
femmes; parmi les femmes, plusieurs religieuses ; au premier
rang des hommes, le Pape et le Cardinal ; derrière ceux-ci,
1 . Sur les variations de la tiare pontificale, voir le travail de Mùntz, dans les
Mèm. tic VAcad. des inscr., t. XXXVI, I. p. 278.
2. La partie inférieure de la fresque, où se trouve la vue de Florence, a été
reproduite dans un article de Raymond sur le dôme de Florence Arte, 1905,
p. 177 .
:;. Bouchot, La peinture en France sous les Valois, pi. 91.
152 CHAPITRE X
le Roi etl'Evêque. Ce tableau semble plutôt du milieu que de
la iin du xive siècle, car le Pape y porte encore la tiare à l'an-
tique, telle quelle est figurée par Giotto et par Orcagna : c'est
une haute mitre conique, ayant à la base un diadème à
pointes.
On remarquera que sur le retable de Pienza, les priants
sont répartis d'après le sexe : à la droite de la Vierge sont
agenouillés les hommes, clercs ou laïques ; à la gauche, les
femmes, séculières ou nonnains. La répartition des priants
est encore la même que dans les représentations plus anciennes,
qui montrent sous le manteau protecteur un Ordre religieux
ou une Confrérie. Le type de la Mater omnium, tel que l'ont
connu le xv° et le xvie siècles, n'est pas encore tout a fait
constitué. La répartition des priants suivant le sexe caracté-
rise les images anciennes ouarchaïsantes de la Mater omnium;
par exemple les statues de Fribourg-en-Brisgau (pi. XXVI),
le tableau siennois de Cherbourg (pi. III, 2), le retable de
Parri Spinello dans l'église Sainte-Marie-des-Gràces, le
retable de Neri di Bieci, à Arezzo (pi. XXII, 1).
La répartition des priants en deux groupes représentant,
l'un le monde ecclésiastique, l'autre le monde laïque, n'ap-
paraît qu'au xve siècle. Le plus ancien exemple que j'en con-
naisse est une peinture française, de 1420 environ, au musée
duPuy (pi. XXI, 1).
Dans les représentations de la Mater omnium où les clercs
et les laïques forment deux groupes distincts, les clercs ont,
naturellement, le pas sur les laïques. Cependant, l'ordre
inverse se rencontre quelquefois. Dans les gravures, par
exemple dans la xylographie des éditions incunables du Spé-
culum humanae salvationis parues à Bàle, chez Michel, et à
Lyon chez Mathias Huss (pi. XV, 4)1, il s'explique par
l'inadvertance de l'artiste, qui aura gravé dans le bois ou le
cuivre l'image de la Mater omnium sans prendre garde qu'au
tirage la position des deux groupes serait inversée. Sur un
1. Un autre exemple est la gravure milanaise de 1630, qui reproduit l'image
miraculeuse de N.D. desGrâces.
LA MATER OMNIUM 153
tableau du début du xvi'' siècle, aujourd'hui à Klosterneu-
bourg (pi. WYIII, 2), les ecclésiastiques sont à gauche,
les Laïques à droite : anomalie à première vue d'autant plus
surprenante que ce tableau fut peint pour des religieux
Carmes : on les y voit, reconnaissables à leurs vêtements
blancs, sous le manteau de la Vierge, derrière le Pape, le
Cardinal et l'Evêque. Faut-il croire que les Carmes, par
modestie, ont voulu être représentés au dernier rang des
protégés de Marie? Ce serait bien invraisemblable de la part
d'un Ordre qui est voué au culte de la Vierge et qui s'inti-
tule Ordo beatissimae Virginis Marine. Ordo fratrum beatae
Marine semper Virginis, Divae Marine societas. L'anomalie
s'explique très simplement, par une raison technique. La
Vierge est entourée des anges gardiens, qui l'implorent en
faveur des hommes. La prière des anges, la réponse de la
Yierg'e sont écrites chacune sur une grande banderole. Ces
deux banderoles se déroulent dans le champ, l'une à droite,
l'autre à gauche. Nécessairement, la demande des anges devait
être écrite sur la banderole de gauche, la réponse de la Vierge
sur la banderole de droite : et la Vierge devait tourner la tète
vers la banderole qui porte les paroles qu'elle est censée pro-
noncer : elle tourne donc la tète vers la droite des spectateurs,
c'est-à-dire vers les pliants agenouillés à sa propre gauche : ce
sont ceux-là qui semblent l'intéresser le plus : voilà pourquoi,
par exception, le Pape, le Cardinal. l'Evêque et les Carmes ont
passé à gauche ; sur le tableau dont il s'agit comme sur les
représentations de la Muter omnium où les ecclésiastiques
sont à la droite de la Vierge, c'est toujours vers les clercs que
regarde la Vierge, c'est à l'Eglise qu'elle s'intéresse d'abord.
Dans les monuments qui montrent, agenouillés sous le
manteau protecteur, d'un côté le monde ecclésiastique, de
l'autre le monde laïque, le nombre des priants qui représente
chacun de ces deux mondes est pareil de part et d'autre. Sur
certaines peintures, la Mater omnium abrite une véritable foule ;
sur la gravure du Mortilogus, elle n'a sous son manteau que
quatre personnages.
Quel cpie soit le nombre des priants, chacun des deux
mondes est représenté par ses personnages caractéristiques.
En tète, de part et d'autre,
Ces deux moitiés de Dieu, le Pape et VEmpereur.
154 CHAPITRE X
Derrière le Pape, le Cardinal, l'Evêque, les moines et les
moniales. Derrière l'Empereur, le Roi, la Reine, les seigneurs
et les dames, les hommes du commun et leurs femmes. La
gravure du Mortilogus montre à droite de la Vierge le Pape
et le Cardinal, à gauche l'Empereur et le Roi.
On s'est parfois trompé sur la signification des Mater
omnium qui n'abritent sous leur manteau que quelques per-
sonnages caractéristiques. A propos de la Vierge d'Acey,
qui abrite à droite le Pape et le Cardinal, l'Evêque et l'Abbé,
à gauche l'Empereur et le Roi, le Seigneur et le Juge, feu
Gauthier, archiviste du Doubs, écrivait naguère que [c'était
l'image « si populaire au moyen âge, de la Vierge protégeant
les hautes classes de la société » !. Cette explication me
paraît bien curieuse. La religion catholique s'est, depuis la
Révolution, tellement solidarisée avec les « hautes classes »,
qu'un érudit a pu s'imaginer qu'il en allait de même au
moyen âge. Mais vraiment, c'est faire tort à la religion du
moyen âge que de la confondre avec le catholicisme contem-
porain.
Quels sont les personnages agenouillés sous le manteau de
la Vierge? Est-ce tel pape, tel roi, tel empereur? Les artistes,
qui ont peint ou sculpté des Mater omnium, ont-ils eu l'intention
défaire des portraits? On s'est souvent mépris sur leurs inten-
tions. Bouchot a écrit, à propos de la Mater omnium du Puy :
« L'empereur paraît être Charles IV, le roi est probablement
Charles VI, la reine, Isabeau de Bavière2. » D'après Mantz,
le roi figuré sur le tableau du Puy serait Charles VIII, à en
juger « par le costume et la physionomie :! ». D'après M. Rei-
nach, on verrait sur la peinture du Puy « l'Empereur, le roi de
Fiance, le duc de Berry, le duc d'Anjou et le duc d'Orléans '* ».
Dans le pape de la Mater omnium d'Atella, on a voulu recon-
naître Urbain VI \ et sous le manteau de la Vierge du
Rosaire, à Saint-André de Cologne, on a prétendu voir à
1. Mémoires de l'Académie de Besareço7i,1895, p. 281.
•J. Catalogue de l'exposition des Primitifs français, n" \~.
3. Le Temps, n° du 1er février L885.
i. Rép. de peintures, II, p. 535.
>. Stanislas d'Aloe, La Madona d'Atella nello scisma d'Ilalia, Naples, 1853.
Voir la réfutation de M. Bertaux dans Napoli nohilissima, 1897. p. I*.
LA VLATER OMNIUM
155
droite. Sixte IV, le cardinal-légal Alexandre, et !<• prince-
archevêque de Cologne; à gauche, l'empereur Frédéric III de
Habsbourg, sa femme Éléonore, son fils Maximilien '.dos inter-
prétations malheureuses procèdent d'une faute de méthode, h
laquelle s'applique l'aphorisme émis par Gerhard, à propos «1rs
vases grecs à peintures : rrionumentorum artis qui unum vidit,
nul/uni vidit; qui milia vidit, unum vidit ~. Si l'on a voulu
trouver des portraits dans les priants mitres et couronnés
de telle ou telle Mater omnium, c'est parce qu'on ne connais-
sait pas suffisamment les autres monuments de la série.
Il serait heureux, sans doute, que ces priants fussent des
portraits : car, étant donné le nombre des Muter omnium,
elles fourniraient des documents abondants à l'iconographie
médiévale, qui, comme on sait, n'est pas bien riche. En réa-
lité, le pape et l'empereur, le roi et la reine, le cardinal et
l'évêque des Muter omnium sont des figures stéréotypées,
imagines necessarise et débitée 3, comme le pape et l'empereur,
le roi et la reine et les autres personnages de la Danse
macabre. L'empereur, par exemple, avec sa grande barbe
« tlorie » qu'il doit aux chansons de geste et qu'il a encore
dans les Mater omnium du XVIIe siècle, n'est pas plus un por-
trait que le Charlemagne du retable du Palais de justice ''.
Une erreur analogue à celle qu'on a souvent faite au sujet
des priants de la Mater omnium consiste à regarder comme
des portraits de personnages historiques le pape et le cardinal,
l'empereur et le roi, qui, dans la fresque dite de l'église mili-
tante, à la Chapelle des Espagnols, trônent le long d'une
cathédrale qui symbolise l'Eglise catholique &.
Il subsiste beaucoup d'eftigies de la Mater omnium : elles
diffèrent les unes des autres, quant au nombre des priants ;
1. Zeilschrift fur christliche Kunst, III 1890), p. 18; Aldenhoven, Ges-
chichte der Kôlner Malerei, p. '296.
2. Rapporto Volcente, dans les Annali dell'lnstitulo. 1831, p. 111.
3. Commande d'une Mater omnium à Pierre de la Barre, peintre avignon-
nais, datée de l îil : ymago N.-D. de Consolacionis cum suis parvis figuris et
ymaginibus necessariis et debiiis.
i. Bouchot, La peinture en France sous les Valois, pi. 58.
5. Perdrizet, La peinture religieuse en Italie jusqu'à la fin duXIVes. Nancy,
L905), p. âl .
156
CHAPITRE X
mais ces différences n'ont aucun intérêt. Au contraire, il
existe une Mater omnium qui, par la façon dont sont rangés
les représentants du monde ecclésiastique, mérite une atten-
tion particulière : c'est la peinture française archaïque du
musée du Puy. On nous permettra de nous arrêter un
instant devant cette composition singulière.
Les chefs de l'Eglise, le pape, le cardinal, 1 evêque, y
occupent, selon l'usage, les premières places à la droite de la
Vierge. Derrière eux sont les Ordres monastiques, repré-
sentés chacun par un délégué. A Florence, dans la salle capi-
tulaire des Dominicains, la fresque dite de l'Eglise Militante
montre une assemblée analogue ; mais il s'en faut qu'elle soit
ordonnée avec la même rigueur que celle du Puy, où les
représentants des familles monastiques sont placés stricte-
ment suivant la hiérarchie et la chronologie.
Que fait au premier rang ce religieux qu'à sa robe brune, à
sa longue barbe, à sa chevelure hirsute on reconnaît pour un
ermite? Et derrière lui ce chanoine, coiffé d'une aumusse si
haute ', qu'on la peut soupçonner du péché d'orgueil ? Ils
représentent les deux Ordres rivaux 2, tîls de saint Augustin,
1. M. l'abbé Mercier, du Puy, m'a fait savoir qu'on retrouve cette grande
aumusse dans un autre monument conservé au Puy et dont il a bien voulu me
faire tenir la photographie, le tombeau d'unchanuine anonyme, sous le clocher
de la cathédrale. Ce tombeau paraît du xive siècle. Une tradition erronée en
fait le tombeau d'une duchesse de Guise. Le chanoine est figuré deux fois,
gisant sur le couvercle, et, sur la face verticale, agenouillé devant la Vierge.
Dans l'une et l'autre représentation, il est coiffé d'une très grande aumusse.
Vital Bernard, qui fut chanoine de la cathédrale du Puy, parle à plusieurs
reprises dans son livre Le chanoine, ou traité du nom, dignité, office... d'un
chanoine [].c Puy, 1647; Bibl. Nat. E 1373), des grandes aumusses dont les cha-
noines du Puy avaient le privilège (p. 80, 631, 636, 680). Cf. l'aïunusse du cha-
noine napolitain (-f- 1368) dont la pierre tombale est figurée dans Bonnard,
Costumes, I. pi. 83. Ces grandes aumusses expliquent l'étymologie fantaisiste
rapportée par Ilélyot (Hisl . des Ordres monastiques. Paris, 1714, t. II, p. 23 :
aumusse = hautement mise.
2. » Il y a trop long teins que le différent des Chanoines réguliers et des
Ermites de Saint-Augustin touchant le droit d'aînesse dure, pour estre si tost
terminé. Jean XXII, pour les mettre d'accord, leur donna en commun l'Eglise
de Saint-Pierre-au-Ciel-d'Or de Pavie, où repose le corps de leur Père, et on
leur assigna à chacun un ensté pour en estre le maistre. Mais au lieu que cela
auroit deu conserver l'union et la charité entr'eux, cela ne servit au contraire
qu'à augmenter leurs divisions par rapport aux offrandes et aux donations des
Fidelles, de sorte que l'on fut contraint depuis ce tems là de leur donner à
desservir ceste église à l'alternative pendant un mois, ce qui a esté observé
pendantun long tems sans que les divisions aient cessé» (Hélyot, I, p. xvm).
Les Chanoines réguliers prétendaient avoir été fondés par les apôtres (AL,
t. II, p. 11). On trouvera de curieuses indications sur ces polémiques dans une
note de Paquot sur Molanus, De Hisl. SS. imaffinum, p. 313.
Perdbizet, La Vierge <!<• Miséricorde
I'I. XXI
2. Retable de la famille Cadard, musée Condé
n
1. Tableau du musée du IV v
LA M i.TER OMNIUM I 57
l'Ordre des Ermites et l'Ordre des Chanoines réguliers; ils
sont placés les premiers, parce que la règle de L'évêque
d'Hippone ' est la plus ancienne des règles monastiques.
La seconde, par ordre chronologique, est celle de saint
Benoît, au vu'' siècle ; c'est pourquoi, sur le tableau du Puy,
derrière le Chanoine, est un moine noir-vèlu. a blakfriar, un
Bénédictin.
Le XIe siècle vit se produire dans le monde monastique
trois grandes réformes: celle de saint Romuald, qui, en 1012,
fonda les Camaldules, celle de saint Bruno, qui, en 1086,
fonda les Chartreux, celle de saint Robert, qui, en 1098, fonda
les Cisterciens. Les trois Ordres sont vêtus de blanc, couleur
virginale, chère à Marie. Notre peintre, derrière le Bénédictin,
a donc placé trois moines blancs, un Camaldule, un Chartreux,
un Cistercien. Devant eux, au premier plan, un moine en
robe noire et manteau blanc, représente Prémontré, fondé en
1110 par saint Norbert.
Plus tardifs sont les deux ordres institués par saint Fran-
çois et saint Dominique. Ils figurent à leur place chronolo-
gique, le frère Mineur dans sa robe de bure, le frère Prêcheur
dans son manteau noir.
Ils ne sont pas tout à fait les derniers. Une moniale, hum-
blement, est agenouillée à la dernière place. A elle seule, elle
représente tous les Ordres de femmes. L'Eglise catholique n'a
jamais donné dans le féminisme. De même, dans la chapelle
des Espagnols, les dernières places, à l'extrême gauche, ont
été dévolues aux religieuses, qui ne sont que quatre, tandis
que les religieux sont très nombreux.
Quant au personnage coillede blanc et encapuchonné d'écar-
late, au-dessus du Franciscain, c'est, je crois, un prêtre sécu-
lier, docteur ou maître es arts. Je le retrouve dans la
fresque de l'Eglise militante à la chapelle des Espagnols, où
il tient un gros livre (rangée supérieure, dernière figure, à
gauche). Dans une miniature % un docteur qui dispute avec
sainte Catherine porte le même costume.
On trouvera peut-être cette composition naïve, mais, dans
1. Sur la règle attribuée à saint Augustin, cl', on dernier lieu mon commen-
taire d'un tableau italien du xive siècle, au musée de Besançon, qui représente
le Triomphe de saint Augustin (Perdrizet et René Jean, La Galerie Campana
el les musées français, p. 58-60 .
2. Bibl. nat., fr. 6449, f° 18.
158 CHAPITRE X
sa naïveté elle est claire, instructive; elle répond bien au but
de l'art religieux du moyen âge, qui est l'enseignement, la caté-
chèse. Elle nous présente, dans un raccourci énergique, douze
siècles de christianisme. Ce « miroir » de l'Eglise n'est pas
sans grandeur. En tout cas, cette composition est unique, je
veux dire qu'elle ne se retrouve dans aucune des autres repré-
sentations delà Mater omnium '.
A partir de la deuxième moitié du XVe siècle, la Mère de
Miséricorde est souvent représentée abritant sous son manteau
les membres d'une famille. Ce n'est plus la Muter omnium,
c'est la protectrice de quelques privilégiés.
En France, au milieu du xve siècle, cette variante semble
encore inconnue. Jean Cadard et sa femme sont fîg-urés
par Enguerrand Cbarton en adoration devant la Mater
omnium : ils n'accaparent point le manteau protecteur, ils se
contentent de vénérer de loin, humblement, la consolante
imag-e (pi. XXI. 2). De même Guillaume Le Boulanger et sa
femme, sur le relief du cimetière de Saint-Innocent (pi. XXIII,
2). En Allemagne, Y Epitaphbild de la famille PegersdorlFer
à Nuremberg, celui de la famille Locherer à Fribourg, repré-
sentent la Mater omnium ; les familles qui ont offert à la
Vierge ces magnifiques ex-voto, n'y sont représentées que par
leurs armoiries. Dans les pays du Nord, la première famille
qui se soit fait peindre sous le manteau de la Y ierge est la
famille Meyer, de Bàle, peinte par Holbein en 1525 ; à en
croire les historiens d' Holbein, le bourgmestre Meyer aurait
voulu témoigner ainsi, par opposition à la Réforme naissante,
de sa vénération pour la Vierge Marie.
1. J'ai proposé cette explication du tableau du Puy dans le Compte rendu
du LXXI" Congrès archéologique de France tenu au Pin/ en 1904, et je ne vois
pas qu'elle ait été contestée. Il est vrai que dans le deuxième tome de son
Répertoire de peintures p. 535), qui vient de paraître, M. Reinach adopte une
autre description que la mienne : dans le groupe des clercs, il reconnaît « le
Pape, des patriarches, des moines et un président au Parlement ». Je sup-
pose que les <■ patriarches » sont l'ermite et le chanoine de Saint-Augustin :
la barbe de l'un, l'aumusse de l'autre auront fait songer M. Reinach au
clerus intonsus de l'Orient et aux zaXitxauzîa. J'avais envoyé ma notice à
M. Reinach, et il veut bien en citer le titre dans la bibliographie qu'il donne
du tableau du Puy. S'il l'a lue, je suis affligé qu'elle ne l'ait pas convaincu.
LA MATER OMXIUM I ."»!)
Les familles patriciennes d'Italie se sonl l'ait représenter
sons le manteau delà Vierge un peu pins tôt. Par exemple,
dès 1480, les VespuCCÏ à Florence; des 1473, une famille
vénitienne dont je n'ai pu retrouver le nom. à Santa Maria
Formosa. En I i!M>. pour remercier la Madone dune victoire
qu'il n'avait d'ailleurs pas gagnée, François de Gonzague se
l'ait représenter seul sous le manteau protecteur. Des la lin du
\i\ siècle, un noble vénitien avait eu la même idée. Me
trompé-je en expliquant ces représentations par les sentiments
d'orgueil et d individualisme qui, comme la si bien montré
Burckhardt, sont l'un des caractères les plus accusés de la
Renaissance italienne ?
Pour ne pas multiplier à l'excès les divisions de notre cata-
logue, nous n'avons consacré qu'une rubrique aux Mater
omnium et aux représentations de la Vierge abritant sous
son manteau soit la population d'une ville, soit les membres
d'une famille.
CATALOGUE
Toscane
1. Florence. — Fresque dans le couvent des Bénédictins, à S.Martino
a Majano, près Fiesole. Baroni {La parrocchia di S. Marlino a Majano,
187ÎÏ, p. 25) en a publié un dessin des plus médiocres, dont M. Grenier
m'a fourni le calque. La Vierge, sans la couronne, vêtue en bénédictine.
Deux anges soulèvent le manteau. A dr., les hommes ; d'abord les clercs,
le pape, les évêques, les moines, puis les laïques. A g., les femmes :
d'abord des nonnes, puis des bourgeoises et femmes du peuple. Baroni
rapporte une tradition qu; attribuerait celle fresque à Spinello d'Arez/.o :
entendez Parri di Spinello. Le pape portant, ce semble, la tiare à cou-
ronne unique, je crois devoir doter cette fresque de la deuxième moitié du
xiv' siècle.
2. Tableau de Fra Filippo Lippi, passé en 1821 de la collection Solly
au musée de Berlin : c'est tout ce qu'on sait de son histoire. Braun,
19537 ; Hanfstangl, 503. Cf. Cavalcaselle et Crowe, éd. Le Monnier, V,
p. 23'i ; Jameson, Legends <>/' the Madonna, p. 30 ; Supino, Les deux
Lippi, p. 87 de la traduction. La Vierge, debout, sans la couronne et sans
l'Enfant, prie, les mains jointes. Le manteau, extrêmement large, est
tenu levé par deux anges. Il abrite une foule de gens à genoux, religieux
de divers Ordres, hommes et femmes du commun.
3. Fresque deDomenico del Ghirlandajo (1449-1494) dans la chapelle
Vespueci à Ognissanti. Celte église, d'abord aux IJuniiliati, passa en
1561 aux Franciscains. La fresque fut cachée sous un badigeon de plâtre
en 10 16, quand la chapelle des Vespueci fut cédée aux Baldovinetti.
Elle fut retrouvée en 1898. Four les reproductions, cf. l'Illustration,
n° du 19 février 1898; VArte, 1898, p. 54; Gaz. des Beaux-Arts, 1898,
I, p. 197 ; lier, de l'art chrétien, 1898, p. 312 ; Knackfuss-Zimmermann,
Kunstgeschichte, II, fig. 281; et surtout Brockhaus, Forschungen iiber
florentiner Kunstwerke, p. 8."> et suivantes, où elle a été admirable-
ment publiée; cf. encore Alinari, 4116 a-/'; Brogi, 11481-11407. On
s'étonne qu'une oeuvre si souvent publiée ait fait l'objet d'une planche
dans le dernier volume de la Réunion des sociétés des beaux-arts des
départements, 1907, p. 476. Vasari la mentionne comme l'une des pre-
mières œuvres du maître : << furono le sue prime pitture in Ognissanti,
la cappella de' Vespueci, dov'è un Cristo morlo ed alcuni Santi, e sopra
un aico la Misericordia •> (III, p. 255 . Cependant M. Brockhaus n'hésite
1 \ I U.OI.I I.
161
pas .1 la dater de I it80: il la met en relation avec la peste qui désolail alors
Florence. En bas, à droite el à gauche, le peintre avail représenté deux
grandes fleures debout, dans des niches ; celle de droite esl détruite;
celle de gauche parail avoir été un ange, sans doute l'ange delà Justice
divine ; il devait, je suppose, tenir l'épée dans la main droite. Si celle
supposition esl juste,la figure symétrique aurail représenté l'ange de la
Miséricorde cf. p. 115, bannière de Bonfigli, à S. Francesco de Pérouse).
Bartolomeodi ser VespUCCi, le douai eue de la fresque, montai I en I isn.de
la peste. C'était l'un des principaux personnages de la confrérie des Dis-
ciplinait délia Misericordia del Salvadore, l'ondée en 1334, donl lesiège
étaitchez les Dominicains, à Si] Maria \o\ella. Il esl probable que la
fresque d'Ognissanti, donl la partie inférieure représente le Sauveur
descendu de la croix, et la partie supérieure la Vierge de Miséricorde,
s'explique par cette dévotion particulière. On notera que la Vierge de
Miséricorde remplace en quelque sorte le sommel du gibel d'où l'on
\ ienl de descendre le Christ ; el que le geste de ses bras étendus rem-
place le geste des bras étendus du Christ en croix: dans l'arrangement
de cette double composition, il y a, je crois, une intention mystique.
4. Relief en faïence émaillée, au musée du Bargello (n° 3b . provenant
de S' Maria del Carminé, cornent supprimé en |S0s; publié dans C.ava-
lucci et Molinier, Les délia Robbia, n° 71, p. 217; Alinari, 2758. Le
s,, de porte cette inscription : questa fece fare Agniolo di Bonaiuto <li
Nie col o s er agliprimedio del anima suaedela sua donnaanno MDXXVIII
pour l'abréviation signifiant ser, messer, cf. A. Capelli, Dizzion. di
abbreviature latine ed italiane, p. 'M)l ). La Vierge, couronnée, couvre de
son manteau la famille d'Agniolo ; au premier plan, le donateur el sa
femme : au dernier, deux pénitents, la tête voilée par le capuce.
5. Musée des Offices. Dessin d'Andréa Boscoli 1540-1606). Mater
omnium abritant sous son manteau des -eus le tout étal, d'un côté' les
hommes, de l'autre les femmes. Signalé par Krebs, Maria mil dem
Schutzmantel, p. 35.
6. Prato. — Musée communal, salle IV, n" s. Tableau très médiocre,
du xvic siècle, représentant la Vierge de Miséricorde abritant des
femmes sous son manteau communication de M. Grenier .
7. Pienza. ■- Retable, mal conservé, de Bartolo di Fredi 1330
1410). Lombardi, 1447-1449. Mater omnium. Le manteau esl soutenu
par deux Saintes, un peu moins grandes que la Vierge. A (\v. les hommes,
a g. les femmes. Parmi les hommes, au premier rang, le Pape, le Roi;
au deuxième, le Cardinal, l'Evêque. Le Pape porte encore la tiare
archaïque : c'est un bonnet conique, dont le bas esl garni d'une couronne
en forme de cercle à pointes. La triregno apparaît sous le règne de
Benoil Ml (1334-1342 : cf. Mùntz, La tiare pontificale du VIII auXVl'
siècle, dans Mémoires <!>' VAcad. des Inscr., I. XXXVI, i, p. 278. Le
bonnet à couronne unique se rencontre dans le Jugement dernier
d'Orcagna, à S1 Maria Novella Alinari, 4049 . .le n'en connais pas
d'exemple aussi tardif que celui du retable de Pienza : c'est une
Perdrizkt. — Ls \ ierge de Miséricorde. 1 1
11)2 CATAL0G1 i:
preuve de plus de l'esprit conservateur et traditionnel de la peinture
siennoise.
8- Sienne, — Une miniature sur couverture de livre, datée de 1438,
attribuée par Mary Logan [Gaz. des B.-A., 1905-, II, p. 211) à Giovanni
di Paolo, représente « la Madone couvrant de son manteau les fidèles ».
9. En 1 400, la Signoria de Sienne chargea le Vecchietta de décorer le
Palais public. De celte décoration subsiste encore un fragment de
fresque dans la salle delV aiuto bilanciere, retrouvé au xixe s. sous un
enduit de plâtre. Dans un tympan demi-circulaire, la Vierge de Miséri-
corde couronnée par deux anges ; d'autres anges soutiennent le manteau,
qui est immense, tel qu'il fallait qu'il fût pour couvrir tout le peuple de
Sienne ; à dr. les prêtres, moines et moniales ; à g., les laïques, hommes,
femmes et enfants. Derrière le manteau apparaissent à mî-corps quel-
ques-uns des Saints protecteurs de Sienne, à dr. saint Savin, évêque,
saint Jérôme, saint Pierre martyr, à g., sainte Catherine, saint Laurent,
saint Ansan. La tête et les vêlements de la Vierge sont retouchés.
Lombardi, 521-523. Cf. Cavalcaselle et Crowe, Storia, IX, p. 19-20;
Heywood-Oleott, p. 219.
10. Église S. Martino, à Sienne. A l'entrée, à dr., est une peinture de
Lorenzo Cini, vouée en commémoration de la victoire de Camollia,
remportée en 1526 par les Siennois sur les troupes de Clément VII.
Sur le gradin, « Cini peignit une miniature bien supérieure au tableau,
sous l'influence d'Antoine Razzi. Elle représentait la Madone couvrant
Sienne de son manteau >>. Cf. Rio, De l'art chrétien, I, p. 1 54.
11. Arezzo. — Retable de Neri di Bicci à la Pinacothèque d'Arezzo.
Alinari, 9969. M. Reinach, qui en a publié un croquis insuffisant, n'en a
pas donné l'explication. Il y voit la représentation de la « Vierge tutélaire,
protégeant le peuple d'Arezzo » Répertoire, t. I, p. 491). En réalité,
ce tableau représente la Muter omnium, priant les mains jointes, poul-
ie salut de la chrétienté entière, abritée sous son manteau; à droite,
les hommes ; parmi eux le Pape, l'Empereur, le Roi ; à gauche, les femmes.
Deux anges posent d'une main une couronne sur la tète de la Vierge et
de l'autre soulèvent les plis du manteau. A droite et à gauche, détaille
presque égale à celle de la Vierge, saint Michel patron du donateur .
et saint Nicolas. Devant la Vierge, saint Bernardin agenouillé tenant une
grande croix. Aux bouts de la prédelle, d'un coté saint Jean-Baptiste, de
l'autre, saint Barthélémy. Le reste de la prédelle raconte en trois pan-
neaux une histoire relative à saint Bernardin de Sienne et à l'église
Sainte-Marie-des-Grâces, près d'Arezzo. Cf. Vasari, t. II, p. 279; Wad-
ding, Annales Minorum, XXII, année 1405, et surtout la Vie anonyme
publiée pour la première fois dans les Analecta Bollandiana, 1906, pp.
331-334. Bernardin habitait alors Arezzo ; dans un bois non loin de la
ville se trouvaient les ruines d'un temple païen, que les Arétins conti-
nuaient d'entourer d'un respect superstitieux. Bernardin s'y rendit un
matin, avec une grande croix de bois qu'il avait l'ait confectionner par les
frères conventuels de saint François, dans l'église desquels il prêchait;
CATAL0G1 i 163
par La vertu de la croix, il chassa les démons donl ces ruines étaient le
repaire, et y éleva un oratoire de la Vierge, qui devint le bul d'un pèle-
rinage. Quelque temps après, on y éleva l'église de Sainte-Marie-des-
Grâces, qui, sur les instances de Bernardin, fui enrichie par Eugène IV
de nombreuses indulgences. Au-dessous de la prédelle, cette ins-
cription : Hoc opus fecit fieri Michael Angélus Papii magistri Fran
cisci de Aesthereliis de Aretio j>r<> remedio anime sue et suorum anno
Domini MCCCCLVI die VIII mensis martii. PI. XXII, I.
12. Image miraculeuse de Sainte-Marie-des-( rrâces, peinte par Parrida
Spinello, derrière le maître-autel de l'église de ce nom Alinari, 9976; Rey-
mond, La sculpture florentine, t. III. |>. 172 . Celle image célèbre, que
Vasari n'a en garde d'oublier (t. II, p. 280;, a été altérée — surtout la
tête de la Vierge — par des restaurations. La Mère de Miséricorde, sans
l'Enfant, étend son manteau sur les Arétins. La fresque de Parri a été
entourée à la fin du xve siècle d'un merveilleux encadrement en terre
cuite émaillée, provenant de l'atelier d'Andréa délia Robbia.
13- Coffret-reliquaire, par Maestro Nicola di Giovanni di Giuccio,
dans la collection E. von Miller Leisching, Figurale Holzplastik,
Vienne, 1908, f°, pi. IV . Le coffret est surmonté d'une statuette de la
Vierge au manteau protecteur, comme le coffrel de Forzore di Niccolô
Spinello cf. supra, p. M .
14. A S. Francesco, danslapremierechapelleadr.de l'entrée, fresque
du xve s. dont il ne reste que le haul : on distingue la tète et le buste
d'une Vierge : le geste n'est pas douteux, c'était bien une Vierge au
manteau (communication de M. Grenier).
15. Grand retable en faïence, par Andréa délia Robbia 1437-1528 .
dans l'église S" Maria in (iradi. Alinari, '.1722 ; Bode, Denkmâler, pi. 2GM ;
Reymond, /-••/ sculpture florentine, t. III, p. 174. La Vierge, qui
tient dans les bras l'Enfant nu, regarde avec une compassion douce
les priants agenouillés autour d'elle ; dans le ciel, Dieu le Père l'ait un
grand geste d'accueil et de pardon ; et la colombe descend du Père
vers le Fils. Deux anges, d'une main, posent une couronne sur la tête
de la Vierge, de l'autre soulèvent les plis du manteau. Les femmes
sont à droite, les hommes à gauche. Au premier rang des hommes,
reconnaissable à ses gants, un évêque sans la mitre. Priants el priantes
sont vêtus de façon conventionnelle, à l'antique. A dr. et à g. de la
Vierge, saint Pierre et saint Hilarion. Sur la prédelle, le Dieu de pitié,
au milieu. A droite, la Vierge et saint Michel arçhangeavec la balance.
A gauche, suint Jean l'Ëvangéliste et un saint franciscain, saint Ber-
nardin de Sienne, je crois. — PI. XXIII, I .
16. Cortone. — Vitrail représentant la Mater omnium, dans l'église
S. Maria del Calcinajo ; attribué à Guillaume de Marcillat, ainsi que deux
autres vitraux de la même église, qui oui dû être voués en même
temps ; l'un d'eux représente sainl Sébastien : celui-ci. el celui de la
Vierge de Miséricorde, ont sans doute été voués à l'occasion d'une
164 CATALOGUE
peste. Milanesi, dans son édition de Vasari, IV, p. 427, mentionne d'a-
près Pinucci, Memorie istoriche délia chiesa del Calcinajo, p. 140, ces
trois verrières ; il décrit brièvement celle de la Vierge de Miséricorde,
et admet l'attribution a Marcillat ; on sait, en effet, par Vasari, que le
célèbre verrier a exécuté divers travaux à Cortone en l."> 17. Cf. encore
Archivio storico delVarte, 1890, p. 40. Barbier de Montault (Revue de
l'art chrétien, 1892, p. 77ia émis l'hypothèse malheureuse que Marcillat,
pour son vitrail de Cortone, s'était « évidemment » inspiré de la Vierge
nancéienne de Mansuy Gauvain : c'est que Barbier croyait Marcillat lor-
rain, sur la foi d'un texte (Gaye, Carteggioinedito, II, p. 449; cf. Milanesi,
éd. de Vasari, IV, p. 418) qui le qualifie de priore di S. Tibaldo, di S.
Michèle, diocesi di Verduno ; il concluait de ce texte que Marcillat était
né àSaint-Mihiel : le prieuré de S. Tibaldo serait un prieuré toscan ; mais
il est prouvé aujourd'hui que Marcillat était de la Châtre, et que le seul
rapport qu'il ait eu avec Saint-Mibiel, c'est d'y avoir été prieur réser-
vataire ou désignataire du modeste prieuré de Saint-Tbiébaut, où proba-
blement il n'a jamais résidé (Léon Germain, Guillaume de Marcillat,
prieur de Saint-Thiébaut de Saint-Mihiel, Nancy, 1877).
17. Lueques. — Grand tableau d'autel peint en 1515 par Fra Barto-
lommeo, jadis à S. Romano, aujourd'hui à la Pinacothèque. Alinari, 8449;
Brogi, 1190). Cf. Vasari, t. IV, p. 191 Milanesi; Rosini, IV, p. 243,
pi. lxxviij ; Jameson, Legends of the Madonna, p. 32 ; Grimoûard
de Saint-Laurent, Guide, III, p. 107 ; Gruyer, Fra Barlolommco, p. 72 ;
du môme, Les Vierges de Raphaël et l'iconographie de la Vierge, I,
p. 313; Burckhardt, Le Cicérone, p. 650 de la traduction; Bilder-
schatz, 352 ; Knapp, FYa Bartolommeo délia Porta (Halle, 1903), p. 119
et 260 ; S. Reinach, Répertoire, I, p. 488. Il est erroné de dire, comme
le fait Gruyer, que « la Vierge semble monter à Dieu, tandis que les
hommes qui se pressent autour d'elle sont retenus par des liens matériels
dont la mort ne les a point affranchis. » La Vierge, debout sur un « tri-
bunal » à plusieurs marches, implore dans une attitude passionnée la
miséricordede son Fils ; d'une main elle lui montre les hommes ; l'autre
main fait un geste de joie, car le Christ paraît dans le ciel, ouvrant les
bras au genre humain : devant lui vole un ange qui porte un cartouche
avec ces mots: misereor super turbam (Mare, vin, 2). Le manteau de la
Vierge, soulevé par deux petits anges, ne couvre qu'une partie des
priants; ils représentent tous les âges de la vie : au premier plan, les
petits enfants, avec les mères et les grand'mères. Au deuxième plan, à
gauche, le dos tourné au spectateur, le donateur que saint Dominique
réconforte en lui montrant la Vierge. C'était un Dominicain nommé Fra
Sebastiano Lambardi de' Montecatini : ce qui explique l'inscription du
trône de la Vierge : M ate)r pietatis et mi[sericordia)e. F(rater) S(ebas-
tianus) O(rdine) P(raedicatorum). Madame Jameson a mis cette peinture
en rapport avec la peste de 1512, non sans vraisemblance.
Ombiue
18- Pérouse, — Au musée, fragment, en très mauvais état, d'une
grande fresque, par Fiorenzo di Lorenzo (contemporain de Bonfigli; ses
Pehdhi/ii, Lu Vierge de Miséricorde
l'I. XXII
x
-
i \ I Al.lKil |. I l'i'i
premières œuvres sonl de 1472; -j- 1520 .Cette fresque se trouvait jadis à
l'hôpital S. Egidio via Longara , fondé en 1322 par Jean WII pour
loger les pèlerins. Il esl difficile de décider quels étaient les person
nages que la Vierge abrite sous son manteau. Unis le ciel apparaissail
Dieu le Père, entouré d'anges ; 1rs renseignements <|ui m'ont été donnés
sur cette fresque ne me permettent pas d'affirmer que Dieu lançail les
flèches de la colère.
'19. A SanVAgata, tableau à deux faces, sur l'une desquelles étail
peinte la Vierge de Bonsecours (mentionné par Mariotti, Lettere
pittoriche perugine .
20. Au musée, --aile VI, petit tableau de provenance inconnue, vers
1500. Vierge couronnée, abritant sous sou manteau à droite des bour-
geois, à gauche leurs femmes avec deux enfants.
21. La Rocchiciola, hameau près d'Assise. — Grande fresque sur le
mur de l'autel de la chapelle latérale : la Madone abritant sous son
manteau des religieuses et des femmes agenouillées avec cette inscrip-
tion : Quest a opéra In fatafarele donn(e per loro de)votioneevoto. Date:
IT avril 1561 Broussolle, Origines, p. 524 .
22. Cerqueto, village au sud de Pérouse. — « Dans un oratoire hors
des murs, une grande Madone des Grâces abritant des femme-, el des
enfants sous les plis de son manteau. .le crois bien que celte Madone
a été repeinte au moins deux fois » (Broussolle, Pèlerinages, p. 259).
23- Spello. — « Chiesa dell' Ospedale, in una caméra dell' economato.
lavola a tempera dipinta da ambo i lati. Ne! diritto la Madonna délia
Misericordia attorniata da sei serafini e due angioli e che ricopre del
suo manto una folla di devoli. Nel rovescio in alto una croce entra
nimbo sostenuta da due angioli; nel centro inferiore una torre ; in
basso due piccole Qgure che accennano al miracolo : a sinistra la Ver-
gine seduta ed a destra Jesù : bella opéra di scuola folignate del w
secolo,in parte malconcia. • Frenfanelli Cibo, Niccolb Alunno e la scuola
Umbra Rome, 1*72 . p. 169.
24. Foligno. « Affresco rettangolare riportata in un incannucciato
rappresentante la Madonna che accoglie sotto il suo manto varii angeli
e devoti. Alla sommità del medesimo, sono effigiati due angeli che sos-
tengono un arazzo. Opéra del sec. xiv. Distaccato nell' ex chiesa
diruta di S.Giovanni degV impiccati in Foligno nel 1869. Misura - '" i"
X 1 m 08. » [Catalogo délie pitture <'<1 altri oggetti d,arte esislenli nella
Pinacoteca communale di Foligno, Foligno, 1893, n° 8 .
25. Diruta (em irons de Pérouse:. — Fresque de Fiorenzo di Lorenzo,
à la voûte de la chapelle Saint-Antoine, représentant la Vierge de la
Miséricorde, avec les quatre Évangélistes Berenson, The Central italian
painters of the Renaissance, p. 142 . Cavalcaselle el Crowe l'attribuaient
166 CATALOGUE
à Bonfigli, en remarquant qu'il est difficile de se prononcer sur une
peinture qui a pâti autant que celle-là du temps et des hommes (Sloria,
t. IX, p. 140).
26. Bettona. — Panneau peint à l'huile par le Pérugin, en 1512, et
conservé dans l'église des Frères Mineurs. La Vierge de Miséricorde,
assistée de saint Mamès et de saint Jérôme, protège sous son manteau
les deux donateurs agenouillés, l'homme et la femme (Gavalcaselle et
Crowe, t. IX, p. 261).
Province romaine
*27. Viterbe. — Niccola délia Tuccia dit, dans sa Chronique de Viterbe
(cf. Potthast, B.M.M., t. II, p. 846j : Venuto il lempodel 1458, io Nicola
ili Xicola délia Tuccia scriltore <Ii questa, fui fatto de' priori... E accib
che quelli voranno sapere la forma di mia persona, </ui presso ne faro
menzione. Nel detto priorato che fu del mese di gennaro in febraro,
facenuno fare una figura délia Nostra Donna nelV altare délia cappella
dei magnifie! signori priori, in una lavola, nella quale tutti ci fummo
dipinti nalurale secundo ch'eravamo di funzione. Nella quale sono, sotto
il mantello di quella benedetta figura, sette persone per canto... Suit
l'énumération des priants, avec la description de leur costume. L'un des
priants si chiamava Giovanni di Giovanni di Picca, nipote di mas-
tro Valentino pittore di detla tarola. Ce peintre n'est pas autrement
connu; cl cette Vierge de Miséricorde semble perdue. Le texte de
Niccola délia Tuccia est cité dans une élude de Corrado Ricci sur
Lorenzo da Viterbo [Archivio, I, 1888, p. 61); Barbier de Montault, pour
avoir lu cette étude trop rapidement, attribue [Revue de l'art chrétien,
1892, p. 77) au grand peintre de Viterbe la peinture votive dont parle
Niccola.
28. Home. — Statuette en terre cuite, au-dessus d'un porche, près
.S1 Maria Novella. La Vierge abrite sous son manteau trois priants. Une
épée est plantée dans son cœur : en arième temps que la Mère de
Miséricorde, c'est la Mère de Douleur ; aussi cette statuette s'ap-
pelle : Immagine di Maria Santissima Addorolata. Grimoiiard de Saint-
Laurent (III, p. 1011) en parle en ces termes : « œuvre toute popu-
laire, qui, malgré l'infériorité du travail, a été jugée digne du mouvement
miraculeux en 1796 » : à ce titre, elle est mentionnée et reproduite dans
Marchetti, De prodigi avvenuli in molli sagre immagini. specialmente di
Maria santissima, se<-omlo gli autenlici processi eompilati in Borna
(Home, 1797, 8°), p. SU p. 133 .le la réédition de 1896; iljy a aussi une
édition française, Paris, 1801, 12";.
29. Marino. — Dans l'église Sa Maria délie Grazie, une peinture
derrière l'autel représente la Vierge au manteau : la partie inférieure est
cachée par le tabernacle.
Italie méridionale
30. Xaples. — Église S. Pietro Martire, première chapelle à droite de
i A I M.iii.I I.
67
['entrée. Cette chapelle étail autrefois dédiée :.< S. Maris de! Soccorso
(article de Cosenza, dans la revue Napoli nobilissima, aoûl 1900, p. 120,
il- i . Bas-relief enmarbre,du xi\" siècle, dans une arcade en tiers-point.
La Vierge de Miséricorde tienl deux couronnes suspendues sur deux
groupes de priants réfugiés sous son manteau. Dans la même chapelle.
Iin tableau du débul <lu xvie siècle, très médiocre, représente le même
sujet.
Marches, Romagne, Emilie.
31. Ma.cera.ta. — « La bella Madonna di Pietro Alamanni cheprotegge
col suo manto tutta una moltitudine di papi, di imperatori, di gentil-
donne, di cavalieri, divescovi e di prelati...» Diego Angeli, Vesposizione
di Macerata : arte antica e moderna, dans le Giornale d'Iialia, 23 aoûl
1905. Pietro Alamanni est un peintre des Marches, trop dédaigné, disciple
de Cnvelli.
32. Urbin. — Dans l'église de S. Maria del Lomo (ou delVOmo . fresque
d'Ottaviano di Martino di Nello da Gubbio, représentant la Madonna
del Soccorso qui abrite sous son manteau un grand nombre de bourgeois
d'Urbin. Deux anges couronnent la Vierge. Cette fresque serait de 1428.
Alinari, 17590. Cf. Çalzini, Urhi.no e suoi monumenti (Rocca S. Cas-
ciano, 1897), p. 132.
33. Gubbio. — On assure que vers 1410, Ottaviano Nelli peignil à
Gubbio, dans l'église Saint-Augustin, une Madone del Soccorso. La
peinture en question subsiste encore, mais comme elle a été, en 1600,
considérablement retouchée, on n'en peut plus juger le caractère
original (Cavalcaselle et Crowe, Storia, t. IX. p. 54).
34. Imola. — Tableau de Francucci Innocenzo (Innocenzo da Imola,
1494-1550, élève de Franch), provenant d'une église des environs d'Imola,
aujourd'hui à la Pinacothèque de Bologne Guadagnini, Catalogo, p. Vt :
La Madonna cui due angeli tengono aperto l'ampio manto, sotto il
quale stanno genuflessi molti fedeli. In alto due Cherubini sostengono
una corona sopro il di leicapo. » Burckhardt (Cicérone, t. 11. p. 702dela
traduction remarque la « naïveté » de ce tableau.
Italie nu Nord
35. Parme. — Musée. n° i-."><). Ex-voto d'une famille qui s'était t'ait
représenter sous le manteau de la Vierge de Miséricorde. Écussons effacés.
Le tableau se trouvait en 1868 chez les capucins de l'arme. Fin du
xve siècle; attribué à l'école de Crémone par C. Ricci, La H. Galleria
ili Pârma, p. 36.
36. Plaisance. — « Dans la cathédrale de Plaisance, peinte sur un
pilier, une Madonna délie Grazie, du type de la Vierge de Bonsecours à
Nancy » (communication de M. l'abbé Eug. Martin).
1 68 CATALOGUE
37.il/anJoue.— La Vierge de la Victoire, par Mantegna (musée du
Louvre). Elle l'ut placée à Mantoue dans la petite église de la Victoire, le
6 juillet 1496, anniversaire de la bataille de Fornoue (6 juillet 1495), que le
marquis François de Gonzague prétendait avoir gagnée sur Charles VIII.
Gonzague est seul sous le manteau protecteur, à la droite de la Vierge. Le
manteau est soutenu par les saints Archanges, Georges avec sa lance bri-
sée et Michel. Derrière la Vierge sont les saints protecteurs de Man-
toue, André et Longin. Cf.Thode, Mantegna, Qg. 97; Jameson, Madonna,
p. UT; Lafenestre et Richtenberger, Le Louvre, p. 83 ; et surtout Kris-
teller, Mantegna, p. 323, où l'on trouvera le reste de la bibliographie.
38- Vérone. — A Sa A nastasia, église des Dominicains cf. Burckhardt,
Le Cicérone p. 63 de la traduction), chapelle Cavalli. Fresque du xive
siècle, représentant la Vierge abritant sous son manteau la famille
Cavalli.
39. Vicenee. — Le monte Berico, au pied duquel est bâti Yieenee,
porte une église célèbre, dite délia Madonna del Monte. Cette Madone est
une Vierge de Miséricorde. Dans VHistoria délia miracolosa costru-
zione del sacro tempio di S. Maria di Monte di Vicenza (Vicenee, 1576),
sur le titre et à la fin du volume, elle est représentée debout, sur le
croissant, couronnée par deux anges et couvrant de son manteau quatre
priants. Dans V Atlas Marianus de Gumppenberg, II, 69, sous le titre
imago B. V. miraculosa in monte Berico, est représentée une Vierge
debout, couvrant de son manteau deux priants agenouillés (cf. Guéné-
bault, Dict. iconogr. des Saints, t. I, col. 737, et Rev. de l'art chr., 1885,
p. 13" .
40. Venise. — Académie, n° 13. Triptyque à fond d'or. Entre les deux
saints Jean, la Vierge de Miséricorde ayant sous son manteau des gens
agenouillés, tout petits. Devant la poitrine de la Vierge, dans la man-
dorla, l'Enfant tient le globe du monde. Dans le haut du cadre deux
médaillons où est peinte l'Annonciation. Braun, 20774. La signature
Jacobello del Fiore et la date 1436 dont on ne s'est pas défié (Lafenestre
et Richtenberger, Venise, p. iil : Ange Conti, Cat. des galeries royales
de Venise sont fausses ; ce triptyque est d'un Vénitien anonyme du
xive siècle (Paoletti, Cat. délie B. Gallerie di Venezia, p. 9).
41. Jadis dans l'église Saint-Pierre-Martyr, à Murano, aujourd'hui à
Venise, musée de l'Académie, n" 28. Ancona in ire scomparti ed una
lunetta con fondi d'oro. Nel niezzo stanno S. Vincenzo e S. Rocco. Ai
lali S. Sebastiano e S. Pietro Martire. Nella lunetta, la Vergine protet-
trice.Nelbasso del quadro centrais la firma OPVS A.XDRE.E DE MVRANO
(Paoletti, Catalogo, p. 16). Derrière la Vierge, deux anges tiennent une
banderole où on lit : mater grati i .
42. A Sa Maria Formosa, tableau d'autel . La Vierge, sans l'Enfant,
abrite sous son manteau une famille patricienne. Au premier rang, à
droite, un ecclésiastique portant une chape splendide, sur le dos
de laquelle est brodée la Résurrection. Les hommes sont à droite,
HATALOGl i
IG9
les femmes à gauche ; derrière les femmes, un pénitent ou une
pénitente, le capuce relevé, lbns le haut, quatre anges volant, deux
qui prient el deux qui couronnenl La Vierge. Au bas du tableau, la
signature et la date : bartholomaf.vs vivarinvs de mvrano pinxii
mcccclxxiii. Naja, 1907; Uinari, 16753; Anderson, 14002. Cf. Burckhardt,
Le Cicérone, p. 6C/ de la traduction.
43. Aux Frari. Tableau d'autel. Deux anges couronnenl la \ ierge, deux
autres soutiennent les pans de son manteau. Sur la poitrine de la
Vierge, formant comme l'agrafe de son manteau, la mandorla avec
l'Enfant bénissant. Sous le manteau, de chaque côté, quatre confrères
en surplis blanc sur tunique bleu clair. Ils portent sur le cœur un médail-
lon avec les initiales S. M. V. entrecroisées. Dans le ciel, derrière des
feuillages et sur des nuages, des prophètes avec des phylactères, dont
David, et Moïse qui tient les tables de la loi. Au bas une inscription
retouchée et la date mdxxvj (note de M. Grenier).
44. Galerie Pitli, n" i84. Tableau de Marco Vecellio, le neveu
du Titien 1545-1611 . La Vierge étend son manteau protecteur sur une
nombreuse assistance : à dr., les hommes ; à g., les femmes et les
enfants. • Coloris puissant, gras el clair, bien que d'une exécution un
peu molle» (Burckhardt, p. /./■ Cicérone, p. 755 de la traduction .Cf.
Lafenestre et Richtenberger, Florence, p. 173.
45. Tympan gothique, sur la porte du Poule del Paradiso. La Vierge,
couronnée, sans l'Enfant, abrite sous le manteau «le protection un seul
priant, agenouillé à sa droite. Alinari, 12997 a. Mentionné par Gabe-
lentz, p. 229.
46. Relief encastré au-dessus des fenêtres du premier étage d'un palais
sur le Canal Grande, au débouché du Rio délia Maddalena. Vierge
couronnée, avec l'Enfant dans la mandorla. Quatre priants sous le
manteau.
47. /le/lune — Relief sulla lïonte délia chiesa dei Battuti » (Diego
Saut' Ambrogio, La colonna votiva <li Cantù, p. 12 .
48. Milan. — Musée du Castello Sforzesco, n" 1115. Relief en
marbre, du xve siècle, ayant servi d'enseigne à la Fabrique <lu Dôme
de Milan. La Vierge protège sous son manteau, que deux anges tiennent
relevé, l'ancienne église de Sa Maria Maggiore, que le Dôme actuel a
remplacée et qui a subsisté jusque vers 1650. De pari et d'autre de
l'église, saint Pierre el saint Roclî présentent à la Vierge deux dona-
teurs agenouillés. C'est, je suppose, le relief qui a été reproduit
il après une vieille gravure '.' sur le titre d'un ouvrage paru récemment
à Milan chez Iloepli : La scultura nelduomodi Milano,illustrata a cura
delV amministrazione délia fahrica, da V. Nebbia.
49- A la cathédrale, dans la lunette de la porte de la sacristie
Sud, relief de Hans von Fernach, en collaboration avec llans Brondefer
et l'autrichien Pierrede Vienne 1393). Alinari, n° I H98. CA'. A. G. Mever,
170 CATALOGUE
Oberitaliehische Friihrenaissance Bauten und Bildwerke der Lombardei,
I, pi. II; Schubring, Mailand und di<> Certosa <li Pavia [Moderner (Jicrronr,
1904), reproduction à la p. 349 ; Nebbia, op. laud., p. 17. La lunette
est divisée en trois parties : en bas, la Mise au tombeau ; au-dessus, la
Madone avec l'Enfant, adorés par saint Jean-Baptiste et saint André;
au-dessus, la Vierge de Miséricorde, sans l'Enfant ; des anges la cou-
ronnent, d'autres étendent son manteau, sous lequel sont agenouillés
les Milanais.
50- Musée du Castello Sforzesco, n" 1494. Relief provenant de la
porte ducbâteaude Monza. La Vierge couronnée, assise, ayant l'Enfant
sur les genoux, abrite sous son manteau, à droite les hommes, à gauche
les femmes.
51. Colonne votive à Cantù (entre Côme et Lecco) du début du
xvesiècle. Le chapiteau est orné d'un relief gothique, (pie M. Diego Sant"
Ambrogio [La colonna votiva <li Cantù, dans la revue Potitecnico, Milan,
1906, p. 4 du tirage à part) décrit ainsi : « La Vierge de Miséricorde étend
son manteau sur deux époux agenouillés, l'homme à sa droite, la femme
à sa gauche ; à leurs pieds sont treize enfants au maillot, qui ont l'air,
eux aussi, d'être agenouillés. » La phototypie publiée par M. Sant'Am-
brogio est malheureusement trop mauvaise pour permettre de vérifier
cette description.
52. Petit triptyque à fond d'or, provenant de la Valleline, au musée
Poldi-Pezzoli, n° G8">. En bas, la signature Gotardus [de] Scotis de
Mellopinsil (sic). Sur le panneau central, la Vierge (couronnée) étend son
manteau sur des priants agenouillés, les hommes à dr., au premier rang
le curé de la paroisse, les femmes à g. Les panneaux sont divisés en
compartiments ; sur ceux du haut, l'Annonciation ; sur ceux du bas, à
dr., saint Sébastien et saint Nicolas, celui-ci reconnaissable à son
costume d'évêque et aux trois boules d'or dans la main g. ; à g., les
Rois mages adorant l'Enfant. Cf. Fr. Malaguzzi Valeri, Pittori Lombardi
del quattrocento (Milan, Cogliati, 1902, p. 217 . Gottardo Scotti, dont il
existe une autre peinture signée et datée dans la chapelle de Yigevano
Ego Gotardus de Scotlis pictor subscripsi, 1472), n'est pas mentionné
dans les documents milanais avant 1457 : aussi n'oserai-je pas, malgré
la ressemblance entre la Vierge du triptyque Poldi-Pezzoli et la Vierge
de la fresque du Castello (voir supra, p. 144), lui attribuer cette fresque,
qui, comme nous l'avons vu, doil dater de la peste de 1451. — PL XXII, 2.
53. Bellagio (sur le lac de Côme). — Dans l'église, fresque ancienne,
représentant la Mère de Miséricorde, les hommes d'un coté, les femmes
de l'autre (communication de M. Léon Germain).
ESPAGNE
54. Gerona (Catalogne). — Musée archéologique de S. Pedro. Relief de
marbre, sans indication de provenance. Dans un encadrement gothique,
la Vierge, couronnée, sans l'Enfant, assise, étend son manteau sur quatre
i \ i ai ,0G i i:
171
:lercs agenouillés, qui lèvent vers elle des mains suppliantes. Derrière La
Vierge deux anges soutiennent un pavillon. Première moitié du \\" s.
cler<
V,
Photographie communiquée par M. Bertaux.
55. Burgos. — « Nous avons rencontré plusieurs images de la Vierge
au manteau protecteur dans différentes provinces de l'Espagne, notam-
ment dans des bas-reliefs funéraires;'! Burgos, qui nous ont paru dater du
xve siècle !.. Germain, dans lier, de V art chrétien, 1885, p. 131 .
56. Majorque. — Retable dansl'église desTrinitaires. Je ne connais ce
monument que par la gravure publiée dans les Acta Sanctorum, juin V,
p. 638. Dans la partie centrale, la Trinité; au-dessous l'Homme de dou-
leurs prie, entouré d'anges, pour le salut des hommes; au-dessus, la
Vierge de Miséricorde, en prière elle aussi; sous son manteau, que sou-
tiennent des anges, est agenouillée l'humanité. Sur la partie droite,
saint Antoine, et au-dessus, l'ange de l'Annonciation. Sur la parti.'
gauche, Raymond Lulle, et au-dessus, la Vierge Marie à son prie-Dieu.
La prédelle est à cinq compartiments; dans celui du milieu, le Christ
sortant du tombeau ; dans les quatre autres, .les histoires de la vie de
Raymond Lulle.
57. Contrat de commande d'un retable, passé entre dame Isabelle
Martorella et le peintre catalan Johan Luys. Le milieu du retable devait
représenter la Vierge de Miséricorde, appelée Vierge de Grâce : en la
principal tau la delmig lo ditmestre obrarà e pintarà Vmatie de la Verge
Maria de Gracia, acompanyada de gents, ab son mantell stès, axi com es
de cosium (Sanpere y Miquel. Los cuatrocentistas Catalanes, Barcelone,
1906, t. II, pp. lxix, 197 et 2N2 .
58. Retable d'art catalan, de la tin du xve siècle, conservé dans l'église
des Escaldas, en ( lerdagne (Les Escaldas, hameau de la commune de Ville-
neuve-des-Escaldas, canton de Saillagouse, arr. de Prades, Pyrénées-
Orientales : sur cette localité, voir le Nouv. Dict. <le géogr. unir, de
Vivien de Saint-Martin, s. v.). Pour le retable des Escaldas, cf. Bull, de
lu Suc. de géographie de Toulouse, 1882, p. 4:22, et Perdrizet, dans le
Compte-rendu du LXXIIl Congrès de la Société française d'archéologie
tenu en 1906, à Carcassonne et à Perpignan Caen. Delesques, 1907 .
pp. 552-570. Pour l'école de peinture à laquelle se rattache cet
ouvrage, cf. Sanpere y Miquel, Los cuatrocentistas Catalanes Barce-
lone, 1906, 2 vol. 8°). Panneau de bois encadré' de contreforts à
pinacles; au sommet un arc en accolade orné de relents tleuronnés.
Sur le fond d'or sont imprimés des rinceaux en relief; les nimbes, les
broderies et les bijoux des personnages sont aussi en relief et dorés.
Debout, tête nue, nimbée, vêtue d'une robe de brocart et du manteau
royal, la Vierge étend les bras d'un grand geste d'amour, sur L'humanité
agenouillée à ses pieds. Deux anges tiennent le manteau. A la droite
de la Vierge sont agenouillés les ecclésiastiques, au premier rang le
Pape, puis le Cardinal et l'Évêque, derrière eux les chanoines et les
moines ; à gauche sont les laïques, hommes et femmes. D'après la
complainte locale, (ioi</s de Nostra Senyoria de Gracia, que m'avait
172 CATALOGUE
communiquée feu B. Palustre, les personnages réfugiés sous le man-
teau de la Vierge, représenteraient les malades qui viennent ou devraient
venir chercher aux eaux des Escaldas, la guérison de leurs maux :
Ah vostre manto abrigau
A lois Ins desamparats
Y ah gran amor abrassau
Malalto de remey privats ;
Per ço lots vos donan gracias
Oferint algun trésor :
Sou de gracia lofa plena
Vida y llum del peccador.
c'est-à-dire : «Sous votre manteau, vous abritez — tous les malheureux ;
— vous embrassez avec grand amour — les malades incurables '. — Pour
cela, tous vous rendent grâces — et vous offrent des trésors. — Vous
êtes de grâce toute pleine, — vous êtes la lumière du pécheur. »
Une prédelle à triple arcature montre, au milieu, le cadavre du Christ
debout dans h' sépulcre ; à droite du Christ), saint Laurent; à gauche,
un saint Dominicain (Thomas d'Aquin, probablement .
59. Contrat en langue catalane, publié parZarcos del Valle, dans Docu-
mentos inedifos para lu historia de Espaiïa, t. LV, p. 2N'.)-2i»l, d'après
un ms. rédigé en 1N02 par le P. Agustin de Arques Joves, maître el
plusieurs fois définiteur de l'ordre de la Merci dans la province de
Valence (communication de M. Bertaux). C'est la commande, datée du
28 mai 1456, d'un retable au peintre valençais Johan Reixats: Item que lo
dit Mestre Johan Reixats pinte a figure lo dit retavle delesystories: primo
en la taula del mig faza la figura è ymatge d<>l glorios arcangel Sant
Miguel ah sjiasa en la ma è animes en cascuna pega una, è angely diable,
segons es acostumals. E desus la dita figura altra casa ah la ystoria de la
Verge Maria de Misericordia con Jehu-Christ volia destruhir le mon
figurât ah très lances, è la Maria al> lo mante/1 è hrazos stesos ah mnlla
gent davall, è Sent Francès è San Domingo agenollal. Sur le panneau
central, saint Michel pesant lésâmes; au-dessus de saint Michel, dans un
compartiment à part, la Vierge de Miséricorde protégeant,;» la prière de
saint François et de saint Dominique, contre le Christ armé des trois
lances, l'humanité réfugiée sous son manteau.
, France du Midi
60. Avignon. — Contrat de commande d'un retable, passé en 1441
entre Jean de (Juiqueran, noble d'Arles, et Pierre delà Barre, peintre avi-
gnonnais. Publié par Requin, Documents inéditssur lespeintres, peintres-
verriers et enlumineurs à Avignon au XVe s., dans la Réunion desSociétés
des Beaux-Arts des départements, 1889, p. ITa : iinum retabulum alias
1. D'après l'article du Bull, de la Soc. de géogr. de Toulouse, la Vierge des
Escaldas serait appelée dans le pays « la Vierge des abandonnés».
I A I AI.ik.I | 1 /.{
retaule longitudinis unîus canne et altiludinis sive laliludinis sex palmo-
rum, bonum et sufficiens, munitum auro l>;ilul<> in suis necessitatihus, in
quo sunt depicte ymagines sequentes : videlicet ymago NostreDomine de
Consolacionis cum suisparvis figuris et ymaginibus necessariis et debitis,
videlicet in medio; et in parte dextra, ymago beati Johannis Baptiste
representans ymaginem ipsius domini Johannis existentis in sua cota
armorum, utmorisest; item a parte sinistra, ymago béate Marie Mag-
dalene ymaginem uxoris dicti domini Johannis representans in forma.
La canne, mesure de longueur usitée dans Le Midi, valait s palmes l)u
Cange et Godefroy, s. v.).
61. Retable de forme allongée, au musée Coudé, à Chantilly ancien-
nement dans la collection Reiset . Rraun, 15685; Bouchot, La peinture
en France sous les Valois, pi. XLIII; Reinach, Rép. de peintures, 11,534.
Il a passé longtemps pour italien selon les uns, pour flamand selon les
autres; ce n'est qu'en 1904 que M.Camille Renoit en a deviné la prove-
nance avignonnaise Monument* Piot, X, p. 263 ; Revue de Paris, I"' mai
1904, | . 196), el «pie les éiudits ont reconnu qu'il devait être identifié
avec le retable commandé eu li">2 par Pierre Cadard, seigneur du
Thor, aux peintres avignonnais Enguerrand Quarton (ou Charton, Cha-
ronton), du diocèse de Laon, et Pierre Vilate, du diocèse de Limoges.
Cette identification est due à feu Bouchot [Gaz. des Beaux-Arts, 1904,
I, p. i-'id et à M. Durrieu Gaz. des Beaux-Arts, 1904, II, p. 5). Le
contrat a été publié par M. Requin, Document* inédits, pp. I !^ et
17ii : in médit,, ymaginem gloriose Virginis Marie cum mantello
coloris lazulipuri de Acre sufficientis et fidelis, que ymago communiter
appellatur Nostra Domina de Misericordia : et in latere dextro sanctum
Johannem Bapfistam lenentem sive presentantem figurant domini Johan-
nis Cadardi, patris ipsius domini de Thoro;et a latere sinistro, sanctum
Johannem Evangelistam presentantem matrem ipsius domini de Thoro.
" Lazuli puri de Acre » : il s'agit de l'azur de saint Jean d'Acre, ou
bleu d'outremer, par opposition à 1"" azur d'Alamaigne » : cf. Requin,
p. 179. — PI. XXI, 2.
62. Marseille. — a Le 2 niai 1516, Delphine Damnas, abbesse du cou-
vent de Saint-Sauveur-de-Marseille, autorise la dame Rigone, veuve de
Jean Durand, corroyeur, adresser un autel contre le pilier de l'église des
Accoules, où se trouvent l'autel de Sainte-Marie-des Plâtriers el le béni-
tier de Saint-Crépin, avec obligation d'y placer dans le courant de l'an-
néeun retable dédié à N'.-D. de Consolation. Douze jours après, Rigone
Durand donne ce retable au prix l'ait de 160 florins à Jean Cordonier, de
Troyes, peintre d'Aix. L'acte qui le constate, écril sur une feuille
volante, donne comme il suil la composition du tableau, d'après des
indications qui durent être dictées an notaire par l'artiste. Nous repro-
duisons le fac-similé publié par M. Barthélémy Documents inédits sur
les peintres et le* peintres-verriers de Marseille de 1300 a looO, dans le
Bull, arc/i.du Comité, 1885, p. 393).
174
CATALOGUE
Quem genuit
adoravit
Lo
coronament
Lo trespas
Camp d'or
Lo
coronament
Lo camp d'or
La corona do dessus la testa
ambe dos angels de dessa
Sanct Johan et délia. Nostra Dama
Evangelista de Consolation, son mantel
et Sancta d'or,foratd'asur,etsa roba
Barbu de dessubs de brocat d'or,
M'Jo. Durant et lo Papa,Rey ,Emperador,
a ginous Reyna, et tous autres
personnages al plus
richamment que si porra
fayre segon leur estât
f'na
companhia
d'angels
Sauf Jacques
Sa Catharina
D. Rigona
a y i nous
La porta
Lanativitat
La
nativitat
N. Seignor
La
Quant
Joachim
fou refusât
daurada.
Quant Van-
gel s'appa-
Nostra-
Dama.
La porta
La présen-
tation
La nativitat
La
al temple
reguet a
Joachim
daurada.
Camp
d'or
Nunciada
Xunri.nl a
La prédelle et le fronton racontaient la Vie de la Vierge et de Jésus.
Il fallait les regarder en commençant, selon l'usage, par le bas et par la
gauche. Les indications, telles que les a transcrites le notaire, sont assez
confuses. Pour retrouver l'ordre véritable, il faut, dans le troisième
compartiment de la prédelle, intervertir les deux indications, mettre en
haut La porta daurada, et en bas La nativitat Nostra Dama. On devait
voir, sur la prédelle : 1° l'offrande de Joachim refusée, 2° l'annon-
ciation à Joachim, 3" la rencontre à la Porte Dorée, 4° la naissance
de Marie, 5° la présentation de la Vierge au Temple, 6° l'annonciatiou à
Marie, 7° la naissance de J.-C; — sur le fronton: 1° l'adoration de
l'Enfant Jésus par sa mère, 2" la mort de la Vierge, 3° le couronnement
de la Vierge.
63- Biot (village des Alpes-Maritimes, arr. de Grasse, cant.
d'Antibes). — Dans l'église, retable qui, d'après le procès-verbal
de la visite que Mgr de Bernage fit en 1GG9, ornait le maître-autel
et qui est maintenant relégué à g. de l'entrée. Au milieu, la Mater
omnium, dont deux anges soulèvent le manteau ; elle tient l'Enfant sur
le bras g.; l'autre main tend le chapelet non pas le rosaire) aux priants
agenouillés sous son manteau. D'un coté, saint Jean-Baptiste, un saint
moine tenant un livre et une palme, saint Pierre. De l'autre côté, sainte
CATA il 17.")
Marie-Madeleine (patronne de l'église'encore en 1638, mais non plusde
nos joui-, . sainl Julien (l'église de Briol possèdedes reliques du martyr
de Brioude), sainl Paul. — J'emprunte cette description à une note
qu'a bien voulu me fournir M. G. Doublet. Cf. Moris, Au Pays Bleu,
p. (07. Ce retable a figuré à L'Exposition universelle de Paris en 1900.
64. Saint-Etienne-sur-Tinée (chef-lieu de canton, arr. de Puget-Thé-
uiers, Alpes-Maritimes). — Dans une chapelle. Fresque représentanl la
Vierge de Miséricorde renseignement communiqué par M. G. Double! .
65- Bezaudens (canton de Coursegoules, arrondissement de Grasse,
Alpes-Maritimes). — Chapelle dé N.-D. <lu Peuple. Triptyque en bois, de
la fin du xve ou du débul du xvie siètde (renseignement ilù à M. Moris,
archiviste des Alpes-Maritimes).
66. Draguignan. — Église N.-D. du Peuple, triptyque en bois, des
enviions de 1500 renseignement dû à M . Moris).
France du centre, Paris, Champagne
67. Peinture française archaïque au musée du Puy (Vibert, Musée du
Puy, catalogue de la section des beaux-arts, n° 13). — PI. XXI, 2. Cf. Per-
drizet, La Mater omnium du muséedu Put/, dans le Compterendu du LXXi
Congrès archéologique de France, tenu au Puy en 1904, p. 570-584, avec
une photographie; autre reproduction dans la Gaz. (1rs Beaux-Arts, 1905,
pi. II, pi. à la p. i02; une meilleure dans Bouchot, Lapeintureen France
sous les Valois, pi. XXII. J'ai déjà signalé plus haul \>. 158 la fâcheuse
description de M. Reinach Répertoire, II, 535 . (Test à cette pein-
ture que pensait M. Huysmans quand il écrivait, dans Les Foules de
Lourdes, p. 155 : « Le manteau de la Vierge couvre tout, ainsi qu'en
ces très vieux tableaux de Madones protectrices où Marie, 1res grande,
et debout, étend un large manteau d'hermine, soutenu par deux saintes
femmes, au-dessus de minuscules personnages de toutes clauses, de
tous pays, de tous rangs, qui prient à sa gauche et à sa droite el ne
forment, en somme, qu'un unique troupeau, abrité sous une seule el
même tente. »
De cette peinture, on ne sait ni l'auteur, ni la date, ni où, par qui, ni
pourquoi elle fut dédiée. Elle a été donnée au musée du Puy en 1850 par
le conseil de fabrique de l'église Saint-Pierre-des-Carmes. Les Carmes
l'avaient, dit-on, reçue dans la première moitié du xix" siècle, d'une
dame qui l'avait probablement sauvée pendant la Révolution (cf. Ulysse
Bouchon, Un primitif français au musée du Puy, dans le journal
La Haute-Loire, 29 juillet 1903 . Du fait que le manteau de la Vierge
esl soutenu par deux saintes, en costume de religieuses, on est en droit
d'inférer que la peinture provient de la chapelle d'un couvent de
femmes. Bouchot [op. cit., noticede la pi. XXIII a supposé qu'elle a dû
d'abord servir comme bannière. Elle esl en effet peinte sur toile; au
commencemenl du xvc siècle, on ne peignait pas sur toile, m;iis mu'
bois on [dus exactement sur bois recouvert de plâtre — les tableaux
d'autel. D'autre part, la Vierge au manteau a été l'un des types les
170 CATALOGUE
plus souvent reproduits sur les bannières. Remarquons seulement
qu'une bannière est beaucoup plus liante que large, tandis que la
toile du Puy est sensiblement plus large que liante. Peut-être était-elle
lixée à une hampe, et formait-elle drapeau. On voit d'ailleurs par des
miniatures (Bibl. Nat., lat. 888G, missel et pontifical d'Etienne de Loy-
peau, ff. 46 r°, 318 v°) qu'au commencement du xve siècle les bannières
étaient parfois très larges.
Ce n'est qu'en 1885 que la Mater omnium du musée du Puy a été
signalée à l'attention, et son origine française reconnue. L'honneur de
cette découverte appartient à Paul Mantz, s'il est bien, comme je crois,
l'auteur de l'article anonyme paru dans le Temps du 1er février is8;i (a
propos du don Bancel au musée du Louvre) : « Nous connaissons,
disait cet article, un tableau qui pourrait fort bien être une œuvre de
Jean Perréal et que nous signalons aux érudits qui se préoccupent de
l'École française de ce temps. Il est au Puy, au musée archéologique,
perdu et ignoré dans un coin obscur. La composition représente la
Vierge debout, tenant l'enfant Jésus dans ses bras et enveloppant dans
son manteau d'hermine l'humanité représentée par plus de cent (sic)
personnages de tous rangs et de toutes conditions, divisés en deux
catégories. A droite sont les empereurs, les rois, les princes, les
évêques et les religieux de tous ordres; à gauche, les seigneurs, les
bourgeois et les manants. Au premier rang figure un personnage que le
costume et la physionomie désignent comme pouvant être Charles VIII. »
Il n'est plus nécessaire de montrer que le tableau du Puy ne peut être
de Jean Perréal. Il lui est très antérieur. De combien de dizaines
d'années? C'est un point sur lequel les critiques qui en ont parlé, quand
il était exposé au Pavillon de Marsan, ne sont pas tombés d'accord :
« Toutes les écoles, écrivait M. Lafenestre (L'exposition des Primitifs
français, p. 36), se mêlent étrangement à partir du milieu dn xve siècle.
S'il est déjà difficile dès lors de déterminer ce qui est bourguignon et ce
qui ne l'est point, il devient aussi fort ardu d'assigner une origine aux
peintures éparses dans les autres régions... Heureusement, ce qui est
beaucoup moins difficile, c'est d'y reconnaître le caractère français.
Tel est le cas, par exemple, de cette belle Vierge protectrice, entourée
de clercs et de laïques, venue du couvent des Carmes, au Puy. Pauvre
toile, bien usée, bien fatiguée, presque en poussière. Mais, quelle har-
monie, sûre et délicate, dans l'assortiment des colorations légères!
Quelle sincérité louchante, grave et douce, dans toutes les physionomies
des adorants, hommes et femmes, d'un dessin si juste et si pur ! Certes,
l'artiste quia peint celle bannière ou tenture, a vu des miniatures pari-
siennes et des retables toscans, car on a toujours vu quelque chose
avant d'être un maître; mais avec quelle finesse, à si grande distance
d'illustres contemporains qu'il ne connaissait pas sans doute, Yiltore
Pisano et Fra Angelico, il a modelé légèrement, dans le même esprit,
toutes ces têtes ferventes et typiques! M. Bouchot a très justement
signalé les rapports de cet arl avec l'art d'Enguerrand Charonlon. »
D'un style moins simple, M. Gillet (Les primitifs français, dans les
Cahiers de la quinzaine, VI, 7, p. il | répète les mêmes assertions : « La
bannière du Puy fut peinte vraisemblablement par quelque artiste de
passage, peut être un éniigranl j ? . Les figures sont vivement écrites et
I A.TAL0G1 i
177
comme d'un seul trait, d'une main expéditive mais si sure qu'elle
presque infaillible el dans l'extrême hâte, dil en somme ce qu'elle
veu| dire. Beaucoup de ces têtes son! jolies, faites, ce qui semble
étrange dans ces conditions, avec moins d'espril que de sentiment. KL
c'esl une préface toute trouvée et forl honorable au Couronnement de
la Vierge d'Enguerrand Charonton. >) Mais a\ ec i lharonton, non-, sommes
au milieu du w siècle, plutôtaprès 1450 qu'avanl Vierge des Cadard,
1452 ; Couronnement de la Vierge, 1453 : el le tableau du Puy, indé-
pendamment de toute considération esthétique, présente 'les particula-
rités de costume qui, à un juge compétent comme feu Bouchot, parais-
saient indiquer les environs de 1420 La peinture en France sous les
Valois, notice de la pi. XXII; le même, dans Les Primitifs français au
palais du Louvre, p. 189 : « La Vierge du Puy serait de l'année 1420
par certains détails très écrits »), voire même de i V i :» Les Primitifs
français, p. 1:2 . Le chapeauà plumes du grand seigneur placé derrière la
reine se retrouve sur le frontispice des Très riches heures de Chantilly.
Les miniatures des manuscrits du duc de Berry, par exemple celles du
Boccace à la Bibliothèque Nationale fr. 598 : pour le manteau du roi,
cf. tï. xv v°, xviii r": pour la coiffure de la dame qui est au bout de
la rangée supérieure, cf. f° xxni r" , prêteraient à des rapprochements
analogues. L'énorme chapeau fourré, en forme de tronc de cône évasé,
-ai ni sur le devanl d'une médaille pieuse cerclée de perles, que porte le
prince qui est au-dessus de l'empereur, est celui-là même qu'on voit au
frère du duc de Berry, Philippe le Hardi (Thévet, Portrait* et oies des
hommes illustres, Lyon. 1584, p. 267 . Au total, je tiens pour assuré
que la Vierge du Puy est antérieure à Charonton d'une génération.
En ce temps-là, vers li20. Le Puy jouait un rôle dans l'histoire de
France. Le Velay était au roi. Le dauphin Charles passe au Puy une
partie des années I i-1» el I i22; le 2i octobre IP22. il y est proclamé roi
de France Odon de Gissey, Discours historiques sur la très ancienne
dévotion de N.-D. du Puy, Lyon, 1620, p. 549 et 556 . Très dévot.
comme plus tard Louis XI. a la fameuse Vierge adorée au Puy. il n'a
pas fait moins decinq séjours dans la capitale de Velay sur le séjourdu
dauphin Charles au Puy en 1420 el sur su dévotion à N.-D. du Puy, ^-
Siméon Luce, Jeanne d'Arc à Domrémy, p. ccxc\ . La tentation est
grande de mettre en rapport la peinture votive qui nous occupe, d'une
[.art avec les séjours du dauphin Charles au Puy, — la robe de la Vierge
est ornée de fleurons qui ressemblent bien à des fleurs de lis — d'autre
part avec la vogue de la Virgo Aniciensis : sur la vogue de cette dévo-
tion, et sur les jubilés qu'on célébrait au Puy quand le Vendredi saint
tombait le 25 mars, anniversaire de l'Annonciation, ce qui arriva en
lin;. 1418, 1429, cf. S. Luce, op. cit., p. ccxcii-ccxcvn.
Derrière le manteau de la Vierge du Puy, beaucoup moins grand que
les deux saints qui le tiennent soulevé, apparaissent à mi-corps des
sainls el une sainte, en tout six personnages. Le peintre les a groupés
par paires, une paire à la droite de la Vierge, deux paires de l'autre
côté. Le premier,à gauche, parait être saint Pierre. Le dernier, à droite
est certainement saint Roch ; à côté de saint Roch, un jeune saint qui
pourrait bien être saint Sébastien. De la sainte j côté de saint Pierre et
Pi.uiiiu/.iT. — La Vierge île Miséricorde. '-
178 CATALOGï E
des deux derniers saints à gauche, je ne saurais rien dire, faute de
caractéristiques.
68- Paris. — «Tombeau de pierre sous les charniers «le Saint-Inno-
cent, à la 41' arcade du côté de la rue de la Lingerie. » Ce monument, qui
n'existe plus, est connu par un dessin à la plume, en deux exemplaires,
dans la collection Gaignières, au Cabinet des Estampes (Coll. Gaignières,
Paris, églises diverses, fos 40 et 41 ; cf. Bouchot, Inventaire des dessins
exécutés pour Roger de Gaignières, t. II, p. 95). C'était un grand relief
cintré qui, par sa forme, sa composition, rappelle les grands reliefs ilo-
rentins des délia Robbia ; la ressemblance, par exemple, avec le relief
de l'église S. Maria in Gradi, d'Arezzo, est telle qu'il semble bien que
le relief des Innocents lût une œuvre italienne (on sait que Girolamo,
l'un des lils d'Andréa délia Robbia, fut attiré en France par François Ier;
cf. Molinier et Cavallucci, Les délia Robbia) ; à tout le inoins était-ce le
travail d'un italianisant. En haut, l'Ancien des jours, avec la tiare à
triple couronne et la boule du monde; il bénit; deux anges l'adorent.
Au-dessous, dans un fond semé de chérubins, une longue banderole se
déroule, portant ces mots du Psaume XXX, v. 2 : //; te, Domine,
speravi. Non confundar in œlernum. Amen. Au-dessous, la Mater
omnium, sans l'Enfant, la tète auréolée de rayons. Deux anges la
couronnent, deux autres l'aident à soulever les plis de son immense
manteau. A droite sont agenouillés les clercs; à gauche les laïques. Ni
pape, ni empereur : nous sommes en France. A la tète des laïques, le Roi ;
à la tète des clercs, le (Jardinai : se rappeler que le premier ministre de
Louis XII fut un cardinal, Ceorges d'Amboise (-J- 1510). Les dames
agenouillées derrière le roi ont la coiffure et le costume de Claude de
Fiance. On peut croire que le relief a été sculpté en LilG, après le
plus récent décès mentionné dans l'épitaphe. De chaque côté de ce
relief, deux reliefs plus petits, eux aussi de style italien (arc en plein cintre
surmonté d'un fronton triangulaire) : ils représentent, l'un, Jean le Bou-
langer, l'autre son lils Michel, adorant à genoux la Vierge au manteau.
— PL XXIII, 2.
Voici, d'après la copie de Gaignières, les épitaphes de ce tombeau ;
celle de gauche a été conservée aussi par Sauvai, Histoire et recherche
des antiquités de la ville de Paris, t.I, p. 727.
A gauche :
Cy dessoubz gist noble homme et saige messire Jehan le Boulenger, en
son vivant chevalier, conseiller du Roy nostre sire, et premier président en
la court de parlement, seigneur de Jacquille en Gastinois, de Illes et de
Montigny en Brie, qui trespassa le xxi. jour de febvrier lan mil cccc
iiiirr et ii ; Aussy gist noble dam,' Phelippe de Cothereau en son vivant
femme dudil chevalier, qui trespassa le iii. iour de novembre lan mil
iiiicc Ixxiii.
A droite :
Cy dessoubs gisent nobles personnes Messire Michel le Boulenger, en son.
vivant conseiller du roy nostre sire en sa court de parlement, filz aisnê
dudit deffunct président qui trespassa le iiiie jour de septembre lan
mil v et dix ; et damoiselle Catherine Chambellan sa première femme
qui trespassa le dernier jour de juillet lan mil iiiir iiii'-'xiiii, et damoiselle
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
XXII 1
_ «!
6 a
CATALOGI l. I7!>
Martine de Vallorys sa ii femme qui aussi trespassa le oiii jour du mois
davrillan mil rr et xvi après pasques.
Priez dieu pour leurs ■■unes.
69. Ervy Aube . -Rue du Guérillon, dans le poteau d'angle d'une mai-
son, esl sculptée une Vierge qui enveloppe de son manteau toute une
famille suppliante ; cri le l'uni il le esl assistée de saint Claude, sans doute
le patron de son chef ; au premier plan l'enfanl ressuscité, qui carac-
térise le saint franc-comtois. Cf. Pichot, Statistique monumentale de
VAube, II, p. 81 ; Morel, Nouveau guide de l'étranger dans Troyes et
dans VAube Troyes, 1905 , p. 134.
70. Mater omnium, statue en pierre, polychrome, îles eus irons de l'an
1500, dans l'église de Fontaine-en-Duesmois (Côte-d'Or, arr. de Châtil-
lon, canton de Baigneux). Une médiocre photographie dans Vartsacré
nu du 5 oct. 1904, p. 7.
71. M(arsaux , Les ornements religieux à V Exposition de Reims, dans le
Bulletin monumental, 1895, p. 175 : « Statuette de la Vierge, abritant
sous son manteau les divers membres de l'Église, agenouillés : elle
rappelle la statuette st'c de N.-D. de Bon-Secours de Nancy, xvie siècle.
Appartient à M. Perseval, de Reims. »
72. En 1673 fut installé le nouveau séminaire d'Angers. Les prêtres
du séminaire ayant eu de grandes affaires en différentes occasions dont ils
ont toujours eu bon succèsparla toute -puissante protection de Marie,
M. Maillard, leur supérieur, fit placer une de ces figures en relief sur
l'autel de la chapelle, avec ces mots en lettres d'or : X.-I). de la Vic-
toire, et (il l'aire un devant d'autel où sont peints plusieurs ecclésias-
tiques à genoux aux pieds de N.-D. qui les couvre de son manteau,
avec ces paroles autour : Nemo rapiet ras de manu mea Kv. Joan., X, 28
Grandet, N.-D. Angevine, p. 135, cité par Barbier de Montault, Rev. de
l'art ri, n-tien, 1889, p. i'.\ .
Bourgogne
73. Ancienne église de la fameuse abbaye cistercienne de Pontigny
Yonne, arr. d'Auxerre, canton de Ligny-le-Châtel statue de pierre;
début du xvie siècle. Marie debout, sans voile, cheveux Bottants sur
les épaules et la couronne en léle ; longue robe à petits plis serrée à
la taille par une ceinture agrafée au moyen d'une boucle ovale assez
forte. Manteau de protection moins ample qu'à l'ordinaire el relevé
par la \ ierge. Sur le socle, six personnages placés, non pas sou-, le man-
teau, mais plutôl en avant de la statue principale, el formant en
quelque sorte le demi-cercle autour d'elle ; à droite: évêque, religieuse,
franciscain ; à gauche: cistercien, clerc el laïque. Tous sonl agenouillés^
les mains jointes, le regard dirigé vers Marie. Sur la bordure du man-
teau, on lit l'inscription suivante, divisée en deux parties :
Mater consolatur /ili(os)
Suos suspirantes ad te.
180 CATALOGl i:
Sur le socle, les premiers vers de la quatrième strophe de Y Ave maris
stclla : Monstra te esse matrem. — Je dois cette description à M. Paul
Denis.
74. Dans l'église de l'abbaye cistercienne d'Acey (sur la rive gauche
de l'Ogiion, dép. du Jura), retable polychrome, du commencement du
xvie siècle, voué par un cellerier de l'abbaye. Ce retable, que je crois
inédit, m'est connu par la description insuffisante qu'en a donné l'ar-
chiviste J. Gauthier dans les Mémoires île l' Académie de Besançon,
18(.)o, p. 281. Les pans du manteau sont tenus levés par saint Benoît
et saint Bernard, les deux saints auxquels était anciennement dédiée
la chapelle où se trouve le retable. A droite, le pape, le cardinal,
l'évêque et l'abbé ; à gauche, l'empereur, et trois autres personnages
laïques.
75. Lagnieu en Bugey, ville du dép. de l'Ain, canton de Belley.
Retable dans la chapelle du cimetière (chapelle Saint-Sébastien, ou de
la Croix . Mater omnium ; sous le manteau delà Vierge, que deux anges
tiennent levé, à droite les clercs et le donateur, à gauche les laïques et
la femme du donateur. Sur la base, la dédicace: liane tabulam fecit
fieri Joannes Favier de Laniaco, ducati Sabo(c]iae) secretarius, quiobiit
anno mille CCCCLXXI et die XVII novemb. Deux statues de Saints, à
droite et à gauche de ce groupe principal, complétaient le retable : à
droite, saint Maurice, protecteur de la maison de Savoie ; à gauche,
saint Bernardin de Sienne, reconnaissable aux trois mitres épiscopales
placées à terre, devant lui; dans la main gauche, il semble tenir un
livre ouvert : en réalité, il tenait jadis son attribut ordinaire, le tableau
carré avec le trigramme sacré : le retable a été restauré el repeint, un
restaurateur ignorant a transformé le tableau en livre, el sur le livre il
a peint ces mots : « A la gloire de Dieu ». Décrit dans la Réunion des
sociétés îles Beaux-Arts, 1907, p. 4-7 1 ; décrit et reproduit dans la Revue
de r Histoire de Lyon, 1907, p. 83. Les auteurs de ces descriptions ne se
sont pas avisés que les deux statues, à droite et à gauche du groupe
central, représentaient des Saints. D'après la notice de la Réunion des
soc. des Beaux-Arts, le monument en question se trouverait « près de
Lagnieu, dans la chapelle du cimetière de Jujurieux » ; il aurait été
voué par Jean Favier, o qui vivait vers l'an 1482 ». Or, la chapelle où se
trouve le monument est bien celle du cimetière de Lagnieu même ;
Jujurieux est un village à 20 kilomètres au nord de Lagnieu. Quant à
Favier, la dédicace même du retable de Lagnieu dit qu'il mourut en
1471. — PL XXXI (cliché prêté par la Revue de V Histoire de Lyon, avec
l'autorisation de M. Perroud).
76- Jasseron, village de l'Ain, arr. de Bourg, canton de Ceyzériat.Dan s
l'église, bas-relief de pierre, qui semble dater de la fin du xve siècle.
Mater' omnium, couronnée, sans le nimbe et sans l'Enfant. A droite
et à gauche, au dernier rang des priants, des jongleurs (?) jouent
de la flûte : cf. supra, p. 88, le retable des Pfeiffers, à Vieux-Thann.
Exécution grossière (Perroud, dansla Revue de VHistoire de Lyon, 1907,
p. 80).
( \ l Al.m.l l
ISI
77. Brienne, village de Saône-et-Loire, canton de Cuisery, arr. de
Louhans. Dans l'église, statue de pierre, de la fin du \v siècle. La
Mater omnium, couronnée, écarte des deux mains son large manteau
sous lequel sonl agenouillés des gens de toul état, à droite les ecclésias-
tiques, ii gauche les laïques. Reproduction dans la Réunion des sociétés
des Beaux-Arts, 1907, pi. LXXVII, p. fc65.
78. Statue jadis au-dessus du grand autel de l'église des Minimes de
Consolation (commune des Maisonnettes, canton de Pierrefontaine,
arr. de Baume-les-Dames, Doubs). Je ne la connais que par une des-
cription anonyme, conservée à la Bibliothèque Nationale, ms. fr. 32547,
f° 147-152: « On m'a demandé au mois de juin 1728 ce que je pensais
d'une statue de Notre-Dame qui esl au-dessus du grand autel de
l'église des Minimes de Consolation, sous le manteau de laquelle on voil
du costé droit vn pape, vn evesque, vn cardinal, vn jacobin el deux
abbesses, et au costé gauche cinq personnages habillés en comtes el
en chevaliers, le tout sans datte uy inscription. >• Suit une longue dis-
sertation historique, où l'auteur s'efforce de prouver que les onze priants
représentent diverses personnes de la famille de la Palu, qui possédait
au xv et au xvie siècle la seigneurie de Châteauneuf-de-Vennes, sur
laquelle s'élevait la chapelle de Consolation.
79. Retable de pierre, dans l'église de Pirey, village du Doubs, can-
ton d'Audeux, arr. de Besançon. La Mater omnium, debout, couronnée,
l'Enfant nu sur le bras gauche, le sceptre dans la dextre. Le manteau
esl tenu levé par deux anges. Quatorze priants agenouillés, les clercs a
droite, les laïques à gauche. Première moitié du xvic siècle. Reproduc-
tion dans la Réunion des sociétés des Beaux-Arts, 1907, pi. 78.
80. Retable de pierre, encastré dans une maison de Gy Haute-Saône .
Le bourg comtois de Gy, fameux jadis par son vignoble, était la résidence
rurale des archevêques de Besançon ; il possède encore leur château,
c'est un élégant édifice de la fin du xv" siècle. Mais l'église du moyen
âge a été démolie au xvme siècle, et remplacée par une pompeuse cons-
truction, dont le plan serait, parait-il, de Soufflot. Le relief dont il s'agil
doit provenir de l'église ancienne. Il est divisé en trois arcades de
style italianisant niches à coquille, pilastres, frise ornée de rinceaux.
chapiteaux d'où sortent des putli . Dans l'arcade du milieu, qui est plus
haute que les autres, la Mater omnium couronnée, les bras étendus,
comme pour bénir les gens agenouillés à ses pieds. A droite, l'Annon-
ciation : la Vierge est à son prie-dieu; à terre, devant elle, un vase
d'où sortait un grand lis; l'ange, en costume de diacre, tient h' bâton
des hérauts ; une banderole s'y enroule, sur laquelle devaient cire
peints les premiers mots de la Salutation angélique. A. gauche, la \ isi-
lation. La fresque bavaroise de Feldmoching infra, p. 192 devail repré-
senter de même la Mater omnium enl re l'Annonciation et la Visitation. Ces
deux épisodes étant consécutifs dans la légende, il est naturel que les
arts figurés les aient souvent rapprochés : ainsi, sur le vôlel droil du
retable peint en 1398 par Melchior Brœdçrlam musée de Dijon ; cf.
Wauters, La peinture flamande, fig. i , la Visitation esl à cote de
182 CATALOGUE
l'Annonciation. Si l'ornementation du retable de Gy est déjà italienne, le
type des figures, la tête de La Main- omnium el la trie de l'ange, rappellent
l'art bourguignon-flamand; et le groupe de la Visitation est évidemment
inspiré du groupe fameux de l'église Saint-Jean à Troyes. Le groupe de
Troyes, que l'on date de 1520 (Koechlin el Marquet de Yasselot, La
sculpture à Troyes et dans In Champagne méridionale, p. 140), paraît
avoir été en son temps très admiré, et a suscité diverses imitations : un
groupe dans l'église de Virey-sous-Bar, une verrière de l'église de
Saint-Étienne-Nozay près d'Arcis-sur-Aube, un des reliefs du jubé de
Villemaur (Aube), exécuté en 1521 parles maîtres hucbiers Thomas et
Jacques Guyon (Koechlin et Vasselot, op. cit., p. 142). Un retable de
pierre, dans l'église de Saint-André près Troyes (letravéedu bas-côtéN.),
représentant la Crucifixion, rappelle beaucoup, par l'ornementation, le
relief de Gy. Celui-ci doit être l'œuvre d'un sculpteur champenois, tra-
vaillant vers 1525, ou d'un franc-comtois ayant vécu à Troyes. —
PI. XXIV, 1.
81. Saint-Loup (Jura). — Statuette en bois, d'un mètre de haut. La
Vierge couronnée, porte l'Enfant, couronné lui aussi, et tenant une colombe
par les ailes. Sous le manteau six personnages agenouillés : à droite, le
pape, à gauche, le roi. Cette statuette aurait été apportée d'Autun après
la Révolution. Je dois ces renseignements à M. Grand, curé de Saint-
Loup.
82. Dole. — Au musée, petite Vierge de Miséricorde, médiocre travail
du xvne s. (communication de M. René Jean).
Lorraine.
83. Statue de Mansuy Gauvain dans l'église de N.-D. de Bonsecours.
Reproductions photographiques dans Jérôme, L 'église N.-D . de Bon-
secours à Nancy (Nancy, 1898), p. 209; Pfister, Histoire de Nancy, t. I,
p. 570; Lorraine artiste, 1905, p. 113. — PL I.
Par lettres patentes du 28 octobre 1484, René II, sept années
après la bataille de Nancy, accorde à frère Jean Villey de Scesse la
permission d'élever une chapelle sur la fosse où gisaient les corps
des 4000 Bourguignons morts dans la journée du 5 janvier 1477;
les lettres patentes spécifient (pie la chapelle sera dédiée à N.-D. de
Bonsecours, « en recordation et perpétuelle mémoire de la victoire
que, moyennant la grâce de Dieu et l'aide et intercession de la glo-
rieuse Vierge Marie sa mère, avons obtenue en cedit lieu » (le texte
complet publié par Lepage, La chapelle de Bonsecours ou des Bour-
guignons, p. 4 du tirage à part de V Annuaire de la Meurthe, 18.">2). Il
semble résulter d'un passage de la Nancéide de Pierre de Blarru (éd.
Schutz, t. II, p. 258) que la première image de la Vierge, qui ait été pla-
cée dans la chapelle du Bonsecours, la représentait allaitant l'Enfant
structum non grande sacellum Virginis, aima Deo qua^ prœbuit ubera
nato). En 1505, René II commande à un artisan lorrain, Mansuy Gau-
vain, le futur auteur de la Porterie du palais ducal, une image de la
Mater omnium, destinée à la chapelle des Bourguignons : Payé à
Mansuy, menuisier, pour avoir taillé ung ymaige de N.-D. affublée d'un
manteau ouvert et laillié gens de /dus estas... viii francs V gros
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
l'I. XXIV
!
1. Retable de Gv
2. Châsse d'Albi
! h Fctyef
i \ i ai mi.ii 183
comptes du receveur général de Lorraine pour 1505-1506 : texte publié
pour la première fois par Lepage, dans le Uni/, de la soc. d'archéol.
Ion-., 1851, p. 53). La sec le femme de René, la pieuse Philippe
de Gueldres, qui étail afûliée à l'Ordre franciscain, lii les frais de
l'enluminure : Payé à Martin Deniset, chappellain de \.-l>. '/>■ Bonse-
cours, que la Royne Philippe de Gueldres s'intitulait reine, à cause
des prétentions de son maria la couronne de Sicile luia ordonné bail-
ler ceste fois pour faire paindre une ymage de N.-D. à plusieurs per-
sonnages adjacens à icelle... vi florins d'or, ix livres arij sols comptes
du receveur général de Lorraine pour 1505-1506; texte publié pour la
première fois par Lepage, op. laud., p. 'il . Dans la somme payée à
Deniset, étaii compris, selon l'usage, le prix des fournitures; il l'em-
portail sans doute de beaucoup sur le salaire de l'enlumineur. La poly-
chromie dont l'œuvre de Gauvain avait étéievêtue en 1505 n'existe plus
depuis longtemps ; comme les autres sculptures du même temps que
possède encore la Lorraine (tombeau de René II dans l'église des Cor-
deliers, à Nancy; tombeau de Hugues des Hazards, à Blénod-lez-Toul .
la statue de Bonsecours a été cruellement repeinte au xi\' siècle. C'est
une «les raisons, je pense, (l'une légende singulière, qui m'a été
racontée à Nancy par des ecclésiastiques : la statue de Bonse-
cours ne serait pas l'œuvre originale de Mansuy Gauvain, mais
une copie exécutée lors des travaux de restauration qui précédèrent
la fête du couronnement de la Vierge de Bonsecours le 3 septembre
1865 : la copie aurait été frauduleusement substituée à l'original,
celui-ci aurait disparu. Noël [Mémoires pour servir à V histoire de Lor-
raine, n°5, t. [, p. 226 ; Catalogue raisonné de ses collections lorraines,
t. II, p. 698, 876 et 1051 croyait lui aussi que l'église de Bonsecours n'a
plus qu'une copie de la statue de Gauvain : il se fondait sur les diffé-
rences qu'il y a entre la statue et les nombreuses gravures de dévotion
qui ont été' exécutées d'après elle au xvne et au \vinr siècle, depuis le
frontispice du livre de Nicolas Julet par Callot reproduction dans l'Iis-
ter. Histoire de Nancy, t. I, p. 575) jusqu'à la grande image in-folio
« genre Epinal », sortie vers 1850 des presses de Deckherr, à Mont-
béliard (un exemplaire de cette image dans la collection Wiener, à
Nancy). Mais, comme l'a dit Rouyer [Mémoires de la Société d'arch.
lorr., 1886, p. 393 . « l'inexactitude, dans la représentation des monu-
ments, aux siècles passés, était un défaut quasi-général ». J'ai pu
examiner de près, à l'aide d'un échafaudage dressé tout exprès, la
statue de Bonsecours, et je me suis rendu compte que c'est une absur-
dité d'y voir une copie subrepticement exécutée au milieu du
xix' siècle. Des repeints épais empâtent les ûgures expressives des
priants, alourdissent et vulgarisent l'ensemble; le visage de la Vierge
a les fades couleurs des images pieuses confectionnées à l'ombre de
Saint-Sulpice.
La statue est taillée dans un seul bloc de pierre de Sorcy. S.vec ses
joues pleines, ses formes rebondies, cette Vierge est bien l'œuvré d'un
artiste habitué à travailler le bois, bar ordre chronologique, c'est la pre-
mière œuvre coni de Gauvain ; dans l'un des comptes où il en est
question, le maître est qualifié de « menuisier». Notons encore, si l'on
veut, la forte santé de la Vierge, cette vigueur solide de paysanne
184 CATALOGUE
lorraine : les Vierges de France ou d'Italie sont plus fines, plus mys-
tiques. El remarquons aussi La simplicité de la composition pyrami-
dale ; la statue a conservé quelque chose de la forme massive que
devait avoir le bloc d'où l'artiste L'a tirée.
Au surplus, gardons-nous de surfaire le mérite artistique de cette res-
pectable image, et d'y découvrir, par esprit de clocher, par amour-
propre « régionaliste », des significations qui n'y sont pas : « Cette
race, écrit M. Barrés à propos des Lorrains du xve siècle (Un homme
libre, coll. Minerva, p. 110), hésitait à affirmer sa personnalité. A son
réveil, elle craint de se confesser; peu de pièces, à Nancy, qui
puissent nous conter les origines de nos âmes. Pourtant, une Vierge de
Mansuy Gauvain, dans l'église de Bonsecours, est tout à fait significa-
tive. Voilà nos primitifs ! Nous nous agenouillons devant une mère, et
sous son manteau ouvert tout un peuple se précipite. Ces enfants me
touchent, si intrépides contre le Bourguignon, et qui expriment leur
rêve par cette image sincère :je vois qu'ils ont beaucoup souffert. Ils
conçoivent la divinité non sous la forme de beauté, mais dans l'idée de
protection. » — Mais, si la Vierge de Gauvain n'est qu'un des exem-
plaires, et non l'un des plus anciens, d'une série fort riche, qu'une
variante, et non l'une des plus curieuses, d'un type universel de l'art
médiéval, comment peut-elle nous révéler 1' ci àme lorraine » du temps
de René II ?
84. La Vierge de Bonsecours-lez-Nancya suscité uncertainnombre de
gravures donl nous ne croyons pas devoir donner la liste (voir les col-
lections du Musée historique lorrain et de la Bibliothèque municipale
de Nancy : Favier, Bibliographie du fonds lorrain de laBibl. de Nanti/,
n" 2756), et une quantité de statues et (te statuettes. Nous ne signale-
rons que celles qui servent en Lorraine au culte public. Je n'ai pas vu
la peinture qu'Alexandre Joly a signalée à Raville, près Lunéville
(Mém. de la Soc. d'archéol. lorr., 1N70, p. 86 : « Ba ville, église du
xve siècle. Dans la chapelle de N.-D. de Bonne-Nouvelle, au retable de
l'autel, tableau à l'huile du commencement du xvu° siècle : N.-D.
abrite sous son manteau un pontife, un duc et quelques princesses. »
85. Les Minimes, ou fils de saint François de Paule, avaient reçu du duc
Henri II de Lorraine, par lettres patentes du 18 octobre 1600 (Jérôme,
op. cit., p. 23), la concession de l'église N.-D. de Bonsecours-lez-Nancy.
Ainsi s'explique qu'ils aient répandu en Lorraine le type de la Vierge
au manteau. Une réplique de la statue de Gauvain, en marbre blanc, fut
placée par eux au xvir siècle dans l'église du prieuré de Saint-Thiébaut
à Saint-Mihiel, qui leur avait été donnée en 1598. Elle ornait une cha-
pelle vouée à N.-D. de Bonsecours, où l'on venait en pèlerinage le
4e dimanche après Laques. Une bulle papale, du 17 avril 1728, avait
autorisé L'érection d'une confrérie dans cette chapelle. Après la Révo-
lution, la statue fut transportée dans l'église Saint-Etienne, où elle
existe encore, lre chapelle à gauche en entrant. Cf. Dumont, Histoire de
Saint-Mihiel (Nancy, 1861), l, III, copié par l'abbé Cillant, Pouillé dn
diocèsede Verdun Verdun, 1904 , I. III, p. 274 et 330.
86- Eglise paroissiale de Villers-lès-Nancy. Dans L'absidiole du col-
latéral, côté del'épître, un autel surmonté d'une statue de la Vierge <le
i \ i \i.oc.i i:
18!
Miséricorde] haut., Om 86; bois doré, chairs peintes; fin du xvne si<
La Vierge esl deboul et abrite sous son manteau six personnaj
trois à droite, trois à gauche. A droite : Le Pape, l'Evêque, un clerc. A
gauche : le Roi, un seigneur, une dame.
87. Tableau votif du duc François II. légué en 1877 au musée historique
lorrain par l'eu M. Boulenger, curéde Bonsecours. ( If. Wiener], Catalogue
du musée historique lorrain, p. 102, n" 345, el Lorraine artiste, 1905,
p. 63. Il a'en faut pas exagérer la valeur d'art : si la toile du musée
lorrain est digne d'intérêt, ce n'est point pour son mérite artistique,
qui est médiocre, ni pour les portraits qu'elle contient, car ces portraits
sont des plus conventionnels, c'est pour les motifs qui ont commandé
cet ex-voto. Sur ces motifs, cf. supra, p. 1 bi. — PI. XX.
88. Rouyer, Médaille d'origine allemande à Vimage de N.-D. de
Bonsecours, rappelant la prise delavillede Bude, en Hongrie, conquise
sur les Turcs, le 12 sept. 1686, par les forces réunies sous le comman-
dement du duc do Lorraine, Charles V, généralissime des armées impé-
riales, dans les Mémoires de là Soc. d'archéol. lorraine, 1886, p. 391.
A droite, le pape et Maximilien-Emmanuel, électeur de Bavière : à
gauche, l'empereur el le duc Charles V de Lorraine. La Vierge est
debout sur le croissant, comme dans le groupe de Grégoire Erhart
supra, p. 52) : cf. Apocal. xn, I : mulier àmictà sole, et lunà sub pedU
busejus. La légende auxilium christianorum est empruntée aux litanies
de la Vierge, telles qu'on les répète depuis Lépante. C'est la seule
des médailles frappées à l'occasion de la prise de Bude, qui soit au type
delà Viergede Bonsecours, protectrice de la Lorraine, et spécialement
de la famille ducale de Lorraine : « Charles V, malgré son mérite, ou à
cause de son mérite, n'était pas aimé à la cour de Vienne » (Rouyer .
89. Ainsi, le vieux type de la Vierge au manteau protecteur est resté
populaire en Lorraine aux xvne et xvme siècles. Cette popularité per-
siste toujours : « Les bannières, surtout, foisonnaient... Beaucoup
étaient célèbres,... celle de N.-l). de Fourvières, aux armes de Lyon,
celle de l'Alsace, en velours noir, brodé d'or, celle de la Lorraine, où
Lon remarquait une Vierge couvrant deux enfants (sj'c)de son manteau »
Zola, Lourdes, p. 126). Elle s'explique par la vénération que les Lor-
rains ont témoignée depuis le xvi'' siècle à l'image miraculeuse de
Bonsecours-lez-Nancy, el par leur esprit conservateur et obstinément
catholique.
90. Charmante statue, en bois de tilleul, haute de lm 50, conservée à
Mouterhouse sur la rivière quae Mollira vocatur : ci'. Mûndel, /.<-.->•
Vosges, 190V, p. ^07 . près Bitche, aux contins de la Lorraine el de
l'Alsace. La coiffure, l'a ceinture, le vêtementde la Vierge, la composi-
tion pyramidale du groupe rappellent la statue nancéienne. Les Schutz-
mantelbilder allemands n'ont pas cette grâce simple, celle sobriété. Je
ne crois pas me tromper en reconnaissant dans ces qualités bien fran-
çaises une marque d'origine. M. Hausmann Monuments d'art de la
Lorraine, notice de la pi. :;0) pense que les priants représentent les
divers états delà société, noblesse, clergé, roture. Peut-être repré-
186 CATALOGUE
sentent-ils une famille : n'ayant pas vu l'original, je ne puis donner
d'avis personnel. On ne sail rien de l'origine de cette jolie sculpture.
D'après feu Bouchot, dont j'avais pris l'avis, les costumes paraissent
indiquer comme date les environs de KiTO. Publiée, d'après Hausmann,
dans la Lorraine artiste, 190"). p. 116. Cf. encore Bull, de la Soc. d'ar-
chéol. etd'hist. de la Moselle, 1800, p. 119; L'art narré, avril 1905, p. 8 ;
L'Australie, t. I, p. 247. — PI. XXV.
Flandres, Pays-Bas.
91. Miniature du missel de dofla Juana Enriquez, seconde femme de
Juan II d'Aragon, etmèrede Ferdinand le Catholique. Musée de Madrid.
Phot. Laurent, 810. La Vierge, debout, couronnée et nimbée, tient
l'Enfant qui bénit. Sous le manteau, qui est soutenu par deux anges,
sont agenouillés, à droite les clercs, à gauche les laïques. A droite delà
Vierge, en avant du groupe des clercs, esl agenouillée la reine Juana,
son missel dans les mains. Devant la reine, un petit chien. La Vierge et
l'Enfant sont tournés de trois-quarts à droite, du côté des clercs et delà
reine. Cette miniature occupe le verso d'un feuillet; surle recto suivant, on
lit ceci : Bonifacius papa octavus concessit omnibus dicentibus islam oratio-
nem cotidie, dévote confessis et contrilis, genibus flexis coram ymagine
gloriose virginis marie, indulgentiam a pena et culpa de omnibus pecca-
tis suis : Oratio. Stabat virgo iuxla crucem, videns pati veram lucem.
Begis omnium vidit càput coronatum, vidit latus perforât uni, vidit mori
filium, vidit caput inclinatum, totum corpus cruentatum. Pastoris pro
ovibus vidit potum felle mixtum. . . (Pour cette hymne, cf. Chevalier,
Bep. hym., t. II, p. 000, n" 19423 . D'après Durrieu, le missel de la
reine Jeanne aurait été enluminé vers 1480, par le peintre brugeois
Guillaume Vrelant Bibl. de V Ecole des Chartes, 1893, p. 276).
92. Bruxelles. — Mater omnium, statuette en chêne polvchromée, de
la fin du xve siècle qui a passé de la collection Steinmetz à Bruges, dans
la collection Mohl à Paris. Elle a figuré aux expositions rétrospectives
de Malines, 1864, et de Bruxelles, 1888. Cf. W. IL James Weale, Cal.
des objets d'art religieux ... exposés à l'hôtel de Liedekerke à Malines,
sept. 1864; N. IL J. Westlake, .1 souvenir of the exhibition of Christian
art held at Mechelin, avec croquis; Instrumenta ecclesiastica, choix
d'objets religieux du M. A. et de la Renaissance exposés à Malines
en sept. / 86S, avec une planche ; Bévue de V art chrétien, 1885, p. 277.
M. Destrée a montré qu'elle était d'origine bruxelloise, car elle est mar-
quée au poinçon de la corporation des tailleurs d'images bruxellois
Mém. de la Soc. des antiquaires de France, t. LU, 1891, p. 61 ; Étude
sur la sculpture brabançonne au M. A., Bruxelles, 1894, p. 1M2, extrait
des Annales de la Soc. d'archêol. de Bruxelles, t. IX, 1895, avec photo-
graphie). La Vierge a perdu sa couronne. Sur la bordure du manteau,
Gloria Palri en lettres d'or: sous le manteau, six personnes de condi-
tion bourgeoise, quatre femmes et deux hommes.
92 bis. Mater omnium, petite statuettede la fin du xve siècle, en bois,
il'asscz belle facture, appartenant à M. Stolzenberg, à Ru remonde (Hol-
I'i:itiiiu/i:i . /.'/ Vierge </<• Miséricorde
\'\. \W
■
i \ vn.m.i: ni. \KH n;i',ii \i se.N
CATAL0G1 l 187
Lande), marquée au poinçon de la corporation des tailleurs d'images de
Bruxelles Destrée, Etude sur la sculpture brabançonne, p. 138).
93. IViii retable en chêne sculpté el polychrome. Les volets sont
peints, el représentenl sainte Barbe et sainte Catherine. Dans la partie
centrale, la Vierge «le Miséricorde abritant sous son manteau à droite un
pape, un évêque el un abbé, à gauche trois femmes qui ae sonl pas des
religieuses. Travail bruxellois, de la première moitié du xvie siècle,
appartenant à M. Paul van Zuylen, de Liège, et qui a figuré en 1905, à
l'exposition d'art ancien bruxellois organisée par le Cercle artistique
de Bruxelles n" 7 du Catalogue imprimé .
94. Broderie dans le trésor de la catédrale d'Aix-la-Chapelle. Travail
hollandais du xV siècle. Cf. Die Rheinlande, Dûsseldorfer Monatschrift
fur deutsche Art und Kunst, février 1904, p. 221 el suivantes; Beissel,
Kunstschâlze des Aachener Kaiserdom.es M. Gladbach, 1904, pi. XXXV .
La Vierge, couronnée et nimbée, lient l'Enfant sur le bras gauche :
deux anges soutiennent les pans du manteau. Les priants, hommes el
femmes de toute condition, ont tous le bâton des pèlerins. Au premier
rang, un seigneur et sa femme lies donateurs? .
95- Planche 23 et dernière du Thésaurus precumel exercitafionum spiri-
tualium in usum praesertim sodalitalis Partheniae, auctore R. P. Thoma
Saillio S. ,/. presbytero. Anlverpiae. Ex offvcino Planliniano MDCIX.
Les cuivres de cet ouvrage sont conservés au Musée Plantin, où Ton
peut en faire tirer des épreuves. Ils sont d'A. van Noort. le maître de
Rubens. La planche qui nous intéresse représente, à l'arrière-plan, la
Vierge debout sur un tapis, couronnée, nimbée, distribuant des indul-
gences à l'humanité agenouillée sous son manteau à droite les clercs, à
gauche les laïques). Le manteau est soutenu à droite par deux anges au-
dessus desquels est écrit Virtutum fortitudo, à gauche, par deux anges
portant des lis; au-dessus Angelorum puritas ; d'autres lis, plus grands,
sont derrière la Vierge. Au premier plan d'autres anges, assis, fonl de la
musique; au-dessus. Angelorum laetitia. Entre la Vierge et les anges
musiciens, deux anges, dont l'un porte un lis, et l'autre un parchemin
scellé de trois sceaux.
Allemagne.
96. Cologne. — Wallraf-Richartz Muséum, n° 117 Verzeichnis, p. 26 .
Triptyque de la fin du xve siècle; école de Cologne. A droite, le Chrisl
avec Marie-Madeleine ; à gauche Marie Égyptienne avec le donateur
agenouillé. Au milieu, la Vierge tenant l'Enfant sur un bras, un lis
dans l'autre main. Deux soutiennent le manteau, sous lequel sonl
les donateurs, douze bourgeois et bourgeoises.
97. Aix-la-Chapelle. — Statue de bois, au musée Suermondt, repro-
duite dans la Gaz. des Beaux-Arts, 1908,1, p. 17.5. Fin du xve siècle.
Mater omnium, avec l'Enfant. Les priants, très petits, sont échelonnés
sur deux lignes verticales. Cette composition en hauteur esl fréquente
en Allemagne (cf. n08 101, 103. 113 . Elle convenait pour les statues
destinées à des niches, à des pinacles.
188 CATALOGUE
98. Schreiber, Manuel, n° 251 i (gravure incunable, au Cabinet des
estampes de Berlin). La Vierge debout, couronnée, tenant l'Enfant.
Deux anges soutiennent le manteau, sous lequel est réfugiée la chré-
tienté, d'un côté le pape avec le clergé, de l'autre l'empereur avec les
laïques. Au-dessous, on lit SuL tua protectione confugimus. D'après
Schreiber, travail rhénan, vers 1460-1475.
98 /"'s. Schreiber, n" 1010. Gravure incunable, enluminée, autrefois
chez le libraire L. Rosenthal de Munich. La Vierge, couronnée, couvre
de son manteau un grand nombre d'hommes à genoux. De chaque côté
delà tète de la Vierge un ange planant. Médiocre travail, attribué par
Schreiber à un atelier de la Basse-Allemagne, vers li-70-1 180.
9&ter. Marbourg. Vitrail dans l'église Sainte-Elisabeth. Cf. Haselolî,
Die Glasgemâlde der Elisabethkirche in Marburg i Berlin, Spielmeyer,
1907) : je n'ai pas vu celte monographie.
Oberrhein, Bade, Suisse.
99. Au château princier d'Erbach (Hesse-Darmstadt). Relief en bois,
représentant la Muter omnium, sans la couronne et [sans l'Enfant. Hau-
teur : lm 86. Cf. Kunsldenkmâler im Grossherzogthum Hrssen, Kreis
Erbach, Darmstadt, 1891, p. 84.
100- Wimpfen-am-Berg, dans l'église évangélique, fresque représen-
tant le Jugement Dernier (Kunsldenkmâler im Grossherzogthum Ilessen,
Kreis XVimpfen, Darmstadt, 1898, pi. à la p. .">(> ; cf. la Zeitschrift fiir
bildende Kunst, VI [1871], p. 272). En haut, dans le ciel, le Juge du
monde, auprès duquel intercèdent la Vierge et saint Jean. En bas, la
terre d'où sortent les morts; à gauche, la gueule de VOrcus; à [droite,
la Vierge de Miséricorde, recevant les élus sous son manteau. Auprès
d'elle, saint Pierre. Cette grande fresque a été cruellement restaurée
en 1870 par un barbouilleur patenté, « professor A. Noack, Historien-
und Hofmaler zu Darmstadt ». L'original devait dater du xvi'' siècle ;
dans la restauration, le caractère général a disparu, et plus d'un détail
parait suspect.
101. Fribourg. — Statue de pierre, du xiv siècle, dans le pinacle
qui surmonte le contrefort Nord de la façade du clocher de la cathé-
drale. La Vierge, couronnée, sans l'Enfant, abrite sous son manteau
une vingtaine de priants debout, échelonnés deux par deux, les hommes
à droite, les femmes à gauche; pas de grands personnages, tels que
pape, empereur, roi, cardinal ou évêque ; au premier rang des hommes
sont des chevaliers ; derrière eux, des moines et des gens du com-
mun ; les femmes des premiers rangs, habillées toutes de la même
façon, sont peut-être des moniales ; mais celles des dernières rangées,
sans voile ni coiffure, ne sont certainement pas des religieuses. Repro-
ductions dans Kempf, Maria mit dem Schutzmantel article publié par
1:: revue fribourgeoise Schau-ins-Land, t. XVIII), p. 2o ; Moritz-Eich-
born, Die Skulpturencyclus in der Vorhalle r/cs- Freiburger Munsters
(Strasbourg, 1899), p. il 2, pi. XIX;Lehmann, Das Bildnis bel don
altdeulschen Meistern (Leipzig, 1900 . |>. 210; Kreb's, dans les FreiLur-
Perdrizj i. La Vierge de Miséricorde
PI. XXVI
CATAL0G1 l
89
ger Wunsterblâtter, Hefl I. p. 29. Les archéologues allemands onl
accoutumé de citer cette statue comme la plus ancienne représentation
de La Vierge de Miséricorde : cf. Thode, Franz von Assisi2, p. 516.
Je la crois de la deuxième moitié du xive siècle, connue les deux sui-
vantes. Elle n'a peut-être pas toujours été à la place qu'elle occupe
aujourd'hui, car elle es! sensiblement plus petite que celles qui
garnissenl les autres pinacles de la cathédrale de Fribourg. On a rat-
trapé ef défaut de hauteur en la plaçanl sur un petil piédestal dont
sonl dépourvues les statues de la même série. — PI. XXVI, 1.
102. Statue petite nature, analogue à la précédente. La Vierge tient
L'Enfant sur le bras gauche, et les priants qu'elle abrite sont moins nom-
breux. Cette statue, aujourd'hui au musée archéologique, provient de
l'ancien hôpital, et porte les armes des Richeim : un Paul de Richeim
fui administrateur de l'hôpital en 138a. Reproduction dans Kempf,
p. 27. — PI. XXVI, 8.
103. Statue analogue aux précédentes, dans le pinacle du deuxième
contrefort du bas-côté sud de la cathédrale. La tète de la Vierge est
moderne. Reproduction dans Krebs, p. 33.
104. Sous le porche du clocher de la cathédrale, fresque du
xv" siècle, détruite aujourd'hui. La Vierge, nimbée, sans la couronne,
soulevait son manteau pour abriter à droite les hommes, à gauche
les femmes. Le relevé qui fut pris de celte fresque avant sa destruction,
est reproduit par Kempf, p. 28, et par Krebs, p. 35.
105. Vitrail à la fenêtre du portail du bas-côté S. de la cathédrale.
xve s. La Vierge, debout, couronnée, sans l'Enfant, étend son manteau
sur les membres de la famille Tullenhaupt, à dr. les hommes, à g. les
femmes. Reproduction dans Krebs, p. 34.
106. Retable en bois, voué vers 1520 par la famille Locherer, dans
une chapelle du chœur de la cathédrale. A droite de la Vierge, un saint
moine, à gauche, saint Antoine abbé. La Vierge, sans la couronne, tient
l'Enfant. Six angelots soulèventle manteau sous lequel est agenouillée la
chrétienté, à droite les clercs, à gauche les laïques. Cf. Schau-ins-Land,
XV (1890), p. 17; Krebs, p. 31 ; Reber et Bayersdorfer, Klass.Skulptur-
enschalz, t. II, n° 244.
107. Kraus Geschichte, II, p. St33) mentionne une Vierge au man-
teau sculptée à Waghàusen (entre Carlsruhe et Mannheiin : 1 église est
un but de pèlerinage).
108. Fresque de Waltalingen, près Zurich, publiée par Roberl Durer
dans les MUth.derantiquar. Gesellschaft in Zurich, M XXIV.IIeft 5(Der
mittelalt. Bilderschmuck der Kapelle in Waltalingen, pi. III . avec tics
explications énonces : Durer croit à tort que le Schutzmantelbid •
(pi. III) représente sainte Catherine patronne des écoliers.
109. La Vierge de Miséricorde abritant sous son manteau le bourg-
mestre bàlois Jacques Meyer et sa famille : tableau d'Holbein le Jeune,
peinl en 1525 ou L526. L'original à Darmstadt. Le musée de Dresde en
100 CATALOGUE
possède une copie excellente, due, croit-on, à un artiste des Pays-Bas,
du xmi" siècle, qui a passé pour l'original jusqu'à l'Exposition de Dresde,
en 1 S~ 1 Cf. v. Liitzow, Ergebnisse der Dresdener Holbein- Au fstellung ,
dans la Zeitschrift fur bild. Kunst, 1871, p. 349-355 ; Woltmann,
//. Holbein und seine Zeit (Leipzig, 1874), t. I, p. 294-314 ; Jameson,
Madonna, p. 101 : Mantz, Ilans Holbein, p. 55 el l!>2 ; Knacki'uss, liol-
bein der Jùngere, p. 85-94 : Revue de Varl chrétien, 1802, p. 26 ;
Kuntgeschichte in Bildern, t. IV, n° 45 ; etc.
Souabe
110. Schreiber, Manuel, n° 1215. Gravure incunable, enluminée. La
Vierge couronnée, nimbée, debout, tenant l'Enfant à qui elle donne
un fruit. Deux anges soulèvent le manteau, sous lequel sont agenouil-
lés huit priants, quatre clercs el quatre laïques (dont un roi). Grossier
travail, attribué par Schreiber à un atelier souabe, vers 1480.
111. Mater omnium, à la galerie de Schleissheim (Katalog, 1905,
p. 24, n° 82) ; panneau du commencement du xvie s., attribué soit à
l'école souabe, soit à l'école de Nuremberg.
112. Gravure sur bois de Yltinerarium beatae Mariae virgînis, édité
par Reger à Ulm vers 1490. Pour Yltinerarium, cf. le Supplément de
Brunet, I, 680. La Mater omnium, abritant sous son manteau à dr. les
clercs, à g. les laïques (noter derrière le roi, un chevalier en armure},
regarde au ciel où le Juge du monde apparaît dans les nuages ; il bénit
de la dextre, dans l'autre il lient le globe ; à sa droite, Moïse, cornu,
avec les tables de la Loi ; à sa gauche, saint Pierre avec le livre et la
clef; derrière eux. des anges et d'autres personnes de la cour céleste.
Reproduction dans le Katalog der Bùcher-Sammlung Franz Trau
(Vienne, Gilhofer et Rauschburg, 1905). Cette gravure me semble
identique au n° 1008 du Manuel de Schreiber.
113. Statue petite nature en bois de tilleul, repeinte, provenant de
la Pfarrkirche de Ravensbourg. < Euvre souabe, des environs de l'an
1500, attribuée par quelques érudits à un maître Schramm, de Ravens-
bourg, d'ailleurs tout à fait inconnu. Depuis 1850 au musée de Berlin.
Cf. Bode-Tschudi, n° 330, pi. XXII ; Jan Veth, dans Kunst und Kùnstler,
11(1904), p. 352, avec gravure. Dix priants échelonnés sous le manteau
de la Vierge, alternativement des hommes et des femmes. — PI. XXVI, 2.
Franconie.
114. Schreiber, Manuel, n" 1007. Gravure incunable, enluminée.
La Vierge, couronnée, debout. Le manteau, qui est soutenu par deux
anges, abrite des clercs et des laïques. D'après Schreiber, travail de la
Haute-Allemagne, peut-être de Nuremberg, vers 1460.
CATALOGUE
«M
115. Retable de la chapelle de L'Ordre du Cygne, dans l'église
Saint-Gombert, à Anspach, en Franconie peinl par Wohlgemul en
1484 . Cf. Stillfried-Alcantara, Altertiimet und Kunstdenkmale des
erlauchten Hauses Hohenzollern, tome I Berlin, 1898), el Lehmann, op.
cit., p. I 7 2. Le retable esl surmonté d'une statuette de sain! Georges, à
cheval, lu. ml le dragon. Sur la l'ace antérieure, au milieu, la Vierge
sur le croissant, sans le nimbe, portant l'Enfant; à droite, l'Annoncia-
tion; à gauche, l'Adoration dos Mages; sur la prédelle, à droite, l'élec-
teur Albert III de Brandebourg -|- i486), à genoux devanl saint Chris-
Fig. 3.
tophe portant l'Enfant; à gauche, la deuxième femme d'Albert, Anne,
duchesse de Saxe, à genoux devant le Christ de pitié. Sur la i'aee pos-
térieure, à droite, la Naissance de la Vierge ; à gauche, la mort de la
Vierge; au milieu, la Mère de Miséricorde sous le manteau de laquelle
sont agenouillés les enfants de l'électeur : d'un coté, sa belle-fille et
ses quatre filles; de l'autre, son gendre, ses deux fils et deux pages. —
Fie. 3.
116. Heilsbronn, dans l'église. Retable du xvie siècle, oùsonl peintes:
1" la Naissance de Marie; 2" la Présentation de la Vierge au Temple;
3° les Fiançailles de la Vierge ces trois représentations inspirées de la
Vie de Marie par Durer, qui date de 1511) ; 4° la Mère de Miséricorde,
qui étend son manteau sur l'humanité représentée par les personnages
habituels : en haut, à gauche, Dieu le Père brandit l'épée contre les
hommes; le Christ relienl le coup, en prenant l'épée par le boni ; sur
l'épée est posée la colombe, qui représente la troisième personne de la
Trinité. Cf. Thode, Die Malerschule von Niirnberg, p. 225; Lehmann,
o/j. cit., p. 213.
102 CATALOGUE
117. Nuremberg. — Très grand relief funéraire, en bois, delà famille
Pergenstorfer, aujourd'hui dans l'église Notre-Dame; œuvre d'Adam
Kraft (f 150a , des dernières années de l'artiste et des premières du
xvie s. Dans un encadrement gothique, la Vierge, debout, tenant l'En-
fant; deux anges la couronnent, deux autres soulèvent les plis du man-
teau, sous lequel sont agenouillés, à droite, les représentants de l'hu-
manité entière, pape, empereur, roi, soldat, bourgeois, bourgeoises, etc. ;
à gauche, huit personnes de la famille Pergenstorfer. Cf. F. Wanderer,
Adam Krafft und seine Schule (Nuremberg, 1869), pi. 38; Bode, Ges-
chichte <l<>r deutschen Plastik, p. 136-8 (avec gravure : Daun, Adam
Krafft und die Kùnstler seiner Zeit (Berlin, 1897), p. 59, pi. VIII, 1.
Bavière.
118- Feldmoching, près Munich. — Dans l'église, fresque de la fin du
xv'' siècle; manque la partie gauche, qui devait représenter, à en juger
par analogie avec le retable de Gy [supra, p. 181 i, l'Annonciation à Marie.
Au milieu, la Mater omnium. A droite, la Visitation. Cf. Die Kunsl-
denkmale des Kônigreiches Baiera, t. I, p. 775, pi. 112, et Hager dans
Monatschrift des hist. Vereins von Oberbayern, t. Iil (1894), p. 58. —
Le peintre de Feldmoching a représenté sur le ventre de la Vierge le
petit Jésus, et sur le ventre de sainte Elisabeth le petit saint Jean ; les
deux petites figures sont nues et entourées d'une « gloire » amandi-
forme; saint Jean s'agenouille devant Jésus, qui le bénit. Des représen-
tations analogues sont fréquentes dans l'art français, flamand, allemand,
aux xve et xvi' siècles : cf. par exemple une tapisserie du musée de
Fribourg-en-Brisgau, un dessin de livre d'esquisses publié par L. Rosen-
llial [Catalogue de livres rares, n° 100, p. 328 , un vitrail de Jouy, près
Reims, un tableau du musée de Lyon cité par Didron [Manuel d'iconogr.
clirét., p. 157), etc. « Dès qu'Elisabeth, dit saint Luc, s'entendit saluer
par Marie, l'enfant qu'elle portait dans son sein tressaillit, exullavit in
utero ejus. » Les naïfs artistes du Nord ont voulu montrer ce tressaille-
ment ; je ne crois pas que les Italiens l'aient osé. A partir du xvie siècle,
dit Hager, on se contente en Allemagne de peindre sur le ventre d'Elisa-
beth et de Marie, les noms de Jean et de Jésus entourés d'une gloire :
iiber derartige Stiche Klaubers in Augsbourg macht sich noch der Ver-
fasser der Reise durch den bayerischen Kreis l'si (s. 103) lus/ii/.
119. Schreiber, n° 1011. Gravure incunable, de la collection Schreiber.
Marie, debout, couronnée et nimbée, couvre de son manteau onze petits
personnages, cinq d'un côté, six de l'autre. D'après Schreiber. cette
gravure aurait été faite à Ulm, vers 1475.
120. Galerie de Schleissheim Katalog, 1905, p. 42, n" 159). Mater
omnium : panneau, n Oberdeutsch um 1480. » Cette peinture proviendrait
d'un couvent de Passau.
121. A la cathédrale, dansla chapelle Sainle-Apollonie, grand tableau,
« llauptbild der Mi'inchener Schule um 1510 ». Deux anges couronnent
CATAL0G1 i 193
la Vierge ; deux autres soutiennent son manteau, sous lequel sonl age-
nouillés à droite, les clercs, à gauche, les Laïques. Devanl La Vierge sont
agenouillés à droite, un chanoine (le donateur . à gauche, la famille de
ce chanoine. Au-dessous ce distique :
'/'/; quae sola potes aeterni numinis iram
Fleclere, uirgineo nostege, Dira, sinu.
Cf. Die Kunstdenkmale des Kônigreichs Bayern, I, p. 986, pi. L42.
122. Tableau de l'école de Munich, sur bois, daté Me LoOi, autrefois
dans l'église des Franciscains, aujourd'hui an Musée national bavarois,
salle XVI, n° 3313. Sons le manteau sont agenouillés un chevalier en
armure et sa femme. Les armoiries sonl celles de la famille bavaroise
des Haslang renseignements dus à M. J. A. Mayer, conservateur du
Musée bavarois).
123. Burghausen. — Fresque dans la chapelle bâtie vers 1480 par George
le Riche, dans le château de Burghausen (dans la liante-Bavière, sur la
rive gauche de la Salzach). M. Lehmann [op. cit., p. 213;, auquel j'em-
prunte cette indication, dit que la fresque a été restaurée et que les
personnages agenouillés sous le manteau de la Vierge portent des per-
ruques.
124. ln.golsta.dt. — Eglise Notre-Dame, peinture-retable du grand
autel, dédié en 1572, œuvredu peintre HansMielièh" et du menuisier Hans
Wiszreiter (décrit et reproduit dans Die Kunstdenkmale des Kônigreichs
Baiern, I, p. 30, pi. 7). Dans le ciel, la Vierge, qui est, comme on sait,
la patronne de la Bavière, avec l'Enfant; le manteau de la Vierge s'étend
sur quatre saintes et sur la famille de l'électeur de Bavière. Albert.
125. Saint-Jodock . — Fresque représentant la Vierge de Miséricorde,
signalée par Lehmann, op. cit., p. 211.
Moravie
126- Olmutz. — Relief en pierre, du commencemenl du wr siècle. Il
se trouvait autrefois (jusqu'en 1802) sur la porte du clocher de la Lieb-
fraukirche, église aujourd'hui détruite. Dans le courant du xiV siècle.
il a été à deux reprises restauré et repeint. Mater omnium, donl le
manteau est porté par deux anges; le pape et l'empereur de profil, les
autres priants de face. La Vierge de grandeur naturelle. Cf. Reber el
l'a versdorfer, Skulpturenschatz, IV, n° iX(j ; mieux dans Nowak, Kirch-
liche Kunst-Denkmale aus Olmûtz (Olmutz, 1890 .1.1, pi. IV.
Perdrizkt. — La Vierge de Miséricorde. L3
CHAPITRE XI
REMARQUES GÉNÉRALES SUR LES REPRÉSENTATIONS
DE LA VIERGE AU MANTEAU
La Vierge au manteau et l'Enfant ; influence, à Venise, du type byzan-
tin de la Platytéra. — Les acolytes de la Vierge au manteau : Anges
et Saints. — Les insignes royaux : la couronne, le manteau d'hermine,
le sceptre. — Différence de taille entre la Vierge et les priants. -
Raisons de l'oubli où est tombé le type de la Vierge au manteau.
Nous avons classé les représentations de la Vierge de Misé-
ricorde d'après les diverses sortes de priants que nous avons
vus venir tour à tour s'agenouiller sous le manteau protec-
teur. Restent à étudier les nombreuses variantes que ces
représentations nous offrent à tous autres égards.
La plupart montrent la Vierge sans l'Enfant. D'une façon
générale, la Mère de Miséricorde est représentée sans l'En-
fant quand elle prie, les mains jointes, pour le salut de ceux
qu'elle abrite, ou quand elle les protège contre les traits de
la colère divine. Dans le premier cas l'absence de l'Enfant se
passe d'explication ; elle s'explique dans le second, par une
raison logique : la Vierge ne peut avoir l'Enfant Jésus dans
les bras quand elle protège les pécheurs contre les traits de
la colère divine, puisque c'est Jésus qui, du haut du ciel, en
accable la terre. Pourtant, sur le panneau d'Aversa, où l'on
voit les traits de la colère divine arrêtés par le manteau pro-
tecteur , la Vierge tient l'Enfant sur les genoux : l'illogisme
est manifeste ; mais outre qu'il ne faut pas attendre de 1 art
italien l'exactitude théologique de l'art français, le panneau
d'Aversa date du XVe siècle, d'une époque où l'iconographie
commence k se relâcher de son ancienne rigueur.
Ce sont surtout les images italiennes du quattrocento qui
représentent la Vierge au manteau priant debout, les mains
jointes, pour le salut des pécheurs. Telles sont la Vierge des
Recommandât!, par Lippo Memmi, à Orviéto ; le retable de
REMARQUES '.I M R \l.l - 195
Neri di Bicci, à Arezzo (pi. XXII, ! , le tableau de Filippo
Lippi, à Berlin. Benozzo Gozzoli a prêté le même geste à son
sainl Sébastien, dans la fresque de San Gimignano pi. XV] ;
déjà au milieu du xive siècle, la figure allégorique de la Misé-
ricorde, auBigallo de Florence, avail été représentée priant,
les mains jointes. Horsd'Italie, je ne connais, comme exemples
de Vierges de Miséricorde priant les mains jointes, qu'un
Pestblatt publié par Schreiber et Heitz, et que le relief de La
Confrérie des prêtres à la cathédrale de Munich.
La plus ancienne représentation de la Mère de Miséricorde
tenant l'Enfant, est le petitpanneau de Dnccio : l'Enfant bénit
les trois Franciscains agenouillés sous le manteau de Marie.
L'Enfant fait le même geste de bénédiction sur plusieurs autres
images. Dans le tableau de la famille Meyer, Ilolbein a donné
à l'Enfant bénissant une grâce compliquée, à la fois puérile et
mélancolique. Dans la fresque du Municipio de Sienne, le Vec-
chietta a fait exprimer aux mains et aux figures du Bambino
et de la Madone un dialogue muet : la Vierge implore l'Enfant
pour les Siennois qu'elle lui montre ; l'Enfant les bénit et les
prend sous sa garde pour complaire à sa mère. En Italie, le geste
supplée souvent à la parole: il a une variété, une précision,
une clarté que nous ne connaissons pas. C'est pourquoi le geste,
dans cette fresque du Vecchietta, comme dans toutes celles de
Giotto '. est si expressif. La plus grave des images de la
Vierge au manteau où l'on voit l'Enfant bénissant, est assu-
rément (ou plutôt était) le tableau de Cristoforo de Bologne :
avec une solennité qui se ressent encore de l'art byzantin
et de l'art roman, la Vierge debout, sans nimbe ni
couronne, fait, si je puis ainsi dire, l'ostension de l'En-
fant : il est nimbé, ses deux mains sont levées et bénissent.
L'ensemble de la composition semble l'illustration du verset
du Salve regina : « Et Jcsum, benedictum fructum ventris
lui. nobis post hoc exilium oslênde. » Au xv° siècle et au xvi°,
aussi bien dans l'art allemand que dans l'art italien, sous l'in-
fluence du réalisme qui commence au xiV siècle et qu'on voit
s'épanouir aux deux siècles suivants, l'Enfant se désintéresse
tout à fait des priants agenouillés sous le manteau de la
Vierge ; il joue avec une fleur. ou avec un oiseau, ou bien
câline sa mère. Le retable de Saint-André à Cologne lui fait
1. Perdrizet, La peinture relig. en Italie jusqu'à la fin du XIV s., p. IZ.
196 CHAPITRE XI
niaisement égrener le rosaire : il donne l'exemple de la dévo-
tion mécanique.
On notera la façon dont l'Enfant est représenté sur les
anciennes images vénitiennes de la Vierge au manteau (pi. X).
Il est ligure comme sur le tableau de Cristoforo, assis et les
mains levées pour bénir, mais il ne repose plus dans les bras
de sa mère ; il semble suspendu devant [la poitrine de Marie,
au milieu d'une mandorla. Cette représentation singulière s'ex-
plique par l'iconographie byzantine. Dans les églises orthodoxes,
a la voûte du diaconicon, où elle forme symétrie avec le Christ
en gloire peint àla voûte de la prothésis 1 , on voit représentée une
Vierge immense, en buste, les bras étendus en croix sous le
manteau : devant sa poitrine, dans une gloire, apparaît l'En-
fant. Ce type, que les Grecs appellent la Panaghia Platytéra,
y; Mrj-u^pësoj yj -Xs-uTÉpx twv ojpavwv, est la traduction figurée
de textes liturgiques : l'hymne ' E-\ soi yaipzi, qui se trouve déjà
dans la liturgie de saint Basile, dit que Dieu a fait le sein de
la Vierge plus vaste que les cieux, i:'kx-j-ipy.v oipavwv, puisqu il
l'a choisi pour y habiter 2 : « Nous, les créatures, t'appelons
bienheureuse, puisqu'il a plu au Christ notre Dieu, qu'aucun
lieu ne saurait contenir, d'habiter en toi. » Le type vénitien
archaïque de la Mère de Miséricorde est le résultat d'un amal-
game entre le thème occidental du manteau protecteur et le
thème oriental de la Platytéra ; cet amalgame s'explique
par les influences byzantines dont Venise a été pénétrée.
Lorsque la Vierge de Miséricorde joint les mains pour prier,
ou qu'elle a l'Enfant sur les bras et ne peut tenir elle-même
son manteau soulevé, elle est assistée soit par des Saints
ou des Saintes, soit par des Anges. Les Anges l'aident aussi
à tenir son manteau soulevé quand il doit abriter une foule
de gens, comme c'était le cas sur le relief voué par Jean Le Bou-
langer (pi. XXIII. 2); un exemple encore plus typique est la
Vierge de Lippi (p. 160), dont le manteau est si large qu'il
fait songer aux ailes éployées d'une immense chauve-souris.
Sur les images destinées aux Ordres religieux, les pans du
1. Didron, Manuel d'iconographie, p. 128. Comme exemples de représenta-
tions de la Platytéra, cl'. Sabatier, Monnaies byzantines, t. II, pi. 51 sq
\r siècle) : Hayet, L'art byzantin, fig. 77 et 81 ; Brockhaus, Die Kunsl in den
Athos-Klôstern, p. 109.
2. EïpjAoXdyiov (éd. de Venise, 1882 , p. 199; Eachologe, p. 589; Pentécosta-
non.p. 516. Cf. Brockhaus, np. cit., p. 109.
REMARQUES GÉNÉRALES I-1'
manteau sont fréquemment tenus par deux Saints de cet
Ordre : le retable de Saint- André à Cologne fait tenir le man-
teau ;i saint Dominique et à saint Pierre Martyr (pi. XIII, I ;
dans des peintures faites pour les Chartreux, le manteau est
porté par saint Hugues de Lincoln et saint Hugues de Grenoble,
ou encore par saint Jean-Baptiste et par saint Bruno. Sur le
frontispice du catéchisme des Prémontrés de Pont-à-Mous-
son, le manteau est soutenu par saint Augustin et par saint
Norbert (pi. VI).
Sur quelques tableaux archaïques, peints probablement pour
des couvents de femmes, sur le retable dePienza et le tableau
du Puy (pi. XXI, 1), le manteau de la Vierge estsoutenu par
des Saintes dont aucune caractéristique ne permet de dire le
nom : sans doute les Saintes qui, dans les visions des nonnes,
accompagnent la Vierge, les grandes Saintes du moyen âge,
Catherine et Barbe, Lucile et Marguerite, Agnès et Cécile.
Dans nombre d'images vouées par des villes ou des familles,
les saints patrons de la ville ou de la famille sont debout, à
côté de la Vierge. Ils sont là comme intercesseurs, pour pré-
senter et recommander k la Vierge les personnes auxquelles
ils s'intéressent, pour faire parvenir les prières jusqu'à elle.
Dans certaines représentations, la peinture du Musée du Puy,
la fresque du Municipio de Sienne (p. 162), les Saints inter-
cesseurs et patrons sont placés derrière le manteau de la
Vierge : ils forment la suite et la cour de la Heine des cieux.
Les anges aussi, dans les tableaux archaïques, apparaissent
parfois très nombreux, derrière le manteau de leur Reine : tels
on les voit, par exemple sur la fresque de Memmi, à Orviéto.
Au xvi'' siècle, les beaux anges du moyen âge. grands et
graves, sont remplacés par des angelots qui ressemblent
comme des frères aux putti de l'art gréco-romain. Le type de
l'ange, du xiv'au xvi° siècle, s'est rapetissé et puérilisé, comme
avait fait du V siècle à l'époque alexandrine, le type del'Eros
antique. Deux anges semblaient suffisants aux artistes du
moyen âge pour soutenir le manteau de Marie. Au XVIe siècle.
il faut une demi-douzaine de ces angelots. Sur le relief de la
famille Locherer, sur l'un des Pestblâtter dominicains (pi.
XIV, 2), on les voit voleter dans les plis du manteau, y faire
cabrioles et culbutes.
Les représentations de la Vierge de Miséricorde, qui la mon-
trent couronnée, ne sont pas les plus nombreuses, surtout
198 CHAPITRE XI
si l'on fait attention que pour plus d'une, par exemple pour
la Vierge de Genga (pi. XIII, 2), la couronne doit être une
addition postérieure : on sait que l'Église couronne les images
de la Vierge qui ont opéré des miracles '. Dans le retable
du rosaire, à Saint- André de Cologne (pi. XIII, 1), deux
anges tiennent au-dessus de la Vierge trois couronnes de roses:
cette triple couronne rappelle que la Vierge est trois fois reine,
reine du ciel, reine des anges et reine des vierges.
Le manteau de la Vierge est, comme la couronne, un
emblème royal. Il est généralement doublé d'hermine. Un
autre symbole de royauté est le sceptre, que la Vierge de Pirey
(p. 481) et celle de Heilbronnfp. 28), tiennent dans la dextre.
La Vierge au manteau protecteur est d'ordinaire figurée
debout. Les monuments qui la représentent assise sont peu
nombreux : je n'en puis citer que quatre, qui sont, par ordre
chronologique, le panneau de Duccio, le relief de Gerona, le
panneau d'Aversa (pi. XVIII), la bière peinte par Cozarelli
de Sienne (pi. VIII, 1).
Elle est presque toujours figurée plus grande que les priants.
Plus l'image est archaïque par la date ou au moins par l'es-
prit, plus cette disproportion est sensible. Comme exemple
particulièrement frappant, on peut citer les peintures de Cris-
toforo de Bologne et de Simone de Cusighe (pi. X, 1).
On remarque la même disproportion dans les images de
sainte Ursule abritant ses compagnes sous son manteau, et
dans les représentations du Jugement dernier : l'archange
saint Michel est généralement bien plus grand que les démons
et que les ressuscites2. A la partie inférieure des tableaux votifs,
les donateurs sont souvent figurés en très petites dimensions,
par modestie. Par une raison inverse, les professeurs sur leurs
pierres tombales, sont figurés beaucoup plus grands que leurs
élèves3. Mais dans les images de la Vierge au manteau,
1. Au xvne s., le comle Alexandre Sforza Pallavicini (-}• 1638) légua une
somme considérable au chapitre de Saint-Pierre de Rome pour qu'il fût donné
chaque année une couronne «l'or à deux ou trois images miraculeuses de la Vierge,
choisies parmi les plus vénérées, soit à Home, soit ailleurs. Cette fondation
dure encore. Le Pape bénit ces couronnes, et la cour de Rome en fait l'envoi.
2. Cathédrale de Bourges (Dehio, Kunstgeschichle in Bildern, t. II, pi. 73).
Retable de Lubeck, par Memling (Id., t. IV, pi. 20).
3. Pierre tombale du jurisconsulte bolonais Bonincontro di Boaterii, à
Venise, église S. Giorgio. Cf. Perkins, Les sculpteurs italiens, t. II, p. 20S de
la traduction.
REMARQUES Gî NERALES
99
comme dans les représentations du Jugement dernier, La 'lis-
proportion s'explique par des survivances à la fois folkloriques
et artistiques. Déjà l'art antique avait accoutumé de repré-
senter les dieux plus grands que Les mortels. C'est la règle
constamment suivie dans les sculptures attiques d'un caractère
religieux, comme les reliefs votifs et les reliefs • politiques. >>
Que l'on compare aux Vierges abritant une confrérie sous le
manteau protecteur avec tel bas-relief du IVe siècle, qui
représente un orgéon du Pirée en prière devant la déesse
Bendis ' : la ressemblance est frappante ; c'est de part et
d'autre la même façon naïve d'exprimer la différence qu'il
v a entre la divinité toute puissante et les faibles humains.
Sur le bouclier d'Achille était représenté, entre autres scènes,
le siège d'une ville : parmi les combattants « on distinguait
Ares et Pallas, beaux et grands sous leurs armes, comme il
seyait à des dieux; et les gens autour d'eux étaient tout
petits »,
y.aXô) y.y.1 [j-î'/âXo) ffùv ts'j'/stj'.v, w(tts 0eo) "ntp,
y.\).-y.: àpiÇïjXco, Xaoi o' û- oXiÇoveç r(jav. -
Cette différence de taille fait sourire, quand on regarde les
images archaïques de la Vierge de Miséricorde. Mais, au xve
siècle, l'art Ombrien en a tiré un grand effet. La Vierge de
Montone est immense : sa tète touche au ciel, sa robe à la
terre ; au-dessous d'elle, la ville de Montone apparaît toute
petite. Le peintre a su représenter la créature surhumaine, qui,
vaste comme l'arc-en-ciel, joint le ciel et la terre, et par qui
les grâces divines descendent ici-bas.
Il est instructif de voir ce que devient, à partir du xvie siècle
le vieux thème de la Vierge au manteau. L'iconographie chré-
tienne, on le sait, n'a guère à se louer delà Renaissance ni du
classicisme. Epris de raison et de mesure, l'art classique a
corrigé, avec une sagesse désolante, les thèmes archaïques. Il
ne s'est pas rendu compte qu'en les rendant raisonnables, il
leur faisait perdre leur grandeur et leur poésie. La naïveté
des archaïques se moque de la vraisemblance : c'est jus-
tement pourquoi elle est plus capable que l'art classique de
rendre les thèmes visionnaires, les sujets apocalyptiques.
Représenter, comme l'avait osé Bonligli, les gens d'une
1. Hartwig, Bendis, eine archâolog. Untersuchung (Leipzig, 1897 . pi. II.
•j. Iliade, XVIII, 517-518.
200 CHAPITRE XI
ville au milieu des airs, sous le manteau d'une Vierge colos-
sale, a semblé, depuis, une imagination absurde : l'art clas-
sique l'ait redescendre sur le sol les priants et la Vierge, et
il donne à celle-ci la même taille qu'aux gens qui l'implorent.
La vérité terre-à-terre est respectée, mais une vérité d'un
ordre supérieur a disparu, la vérité de l'apparition prodigieuse
dont Bonfigli donnait l'idée.
Les peintres Ombriens du début du XVIe siècle, Domenico
Pecori, Bernardino di Mariotto, archaïques attardés, « étranges
oiseaux de nuit ' », traitent encore, à l'époque de Raphaël et de
Léonard, le thème traditionnel de la Vierge au manteau. Mais
comme on ne saurait échapper toutafait à l'influence du temps où
l'on vit, ils ont tout de même un peu de gène à représenter la
Vierge abritant sous son manteau, comme une poule ses pous-
sins, les membres d'une confrérie ou la population d'une ville. Ils
modifient le vieux thème :1a Vierge descend du ciel, son vaste
manteau tlotte dans les airs ; le peintre nous laisse entendre
que les gens agenouillés en bas du tableau, sur la terre, trou-
veront un abri sous le manteau virginal. C'est la solution
ingénieuse qu'adoptent le Pordenone pour sa Vierge du Car-
mel, et l'auteur anonyme de l'ex-voto de François II, au Musée
Lorrain (pi. XX).
Dès le milieu du treeen/o, Lippo Memmi avait imaginé,
pour honorer la Mère de Miséricorde, de la surélever un peu,
de la placer sur une sorte de marche ou de socle bas -. Au
milieu du xve siècle, en Italie, ce socle grandit, prend la forme
d'un piédestal antique ; on y peint une invocation à la Vierge,
en caractères imitant les inscriptions latines :!. Cette innova-
tion italienne, où l'on sent l'influence de l'humanisme, devait
plaire au goût classique. Le Tintoret s'en souvient pour son
tableau de Confrérie. Ce tableau du Tintoret est d'ailleurs l'une
des plus faibles images de la Mère de Miséricorde : la Vierge
s'incline avec grâce, telle une actrice sous les bravos ; et,
comme le socle où on l'a juchée est assez étroit, elle prend
garde de ne pas tomber.
Il était réservé à Lia Bartolommeo, l'un des peintres les
1. L'expression estdeBurckhardt, à propos de Bernardino ' Le Cicérone, trad.
IV.. I . II. p. 592 .
2. Cf. encorela Vierge de Bart. Vivarini,et colle de lafamille Pergenstorfer.
■\. Fresque du Pesio(sizpra, |>. 55 ; de la famille Vespucci. Cf. le saini Sébas-
tien de Gozzoli,àS. Gimignano 'pi. XVI).
REMABQUES U.M.i; ILES 201
plus académiques qu'il y ait eu, de trouver pis encore. I n
Dominicain lui ayant commandé une image de la Mère de
Miséricorde, il ne put esquiver l'obligation île traiter le
thème traditionnel, auquel l'Ordre des Prêcheurs, dont lui-
même taisait partie, était si attaché. Il imagina de placer la
Vierge sur un trône à plusieurs marches, au pied duquel il
disposa les priants, quelques-uns au premier plan, agenouillés,
ceux du fond, debout. La Vierge, dressée dans un grand élan,
invoque son Fils. Des angelots t'ont flotter sou manteau, qui
semble une toile emportée par le vent : il ne couvre plus les
priants, il n'est plus là que pour mémoire. Cette composition
tant célébrée jadis nous laisse froids aujourd'hui, justement
parce qu'on y sent trop la recherche académique. Combien
les images naïves des archaïques expriment mieux que ce
(( tableau vivant »•, que cet arrangement théâtral, la confiance
des foules en la pitié de Marie !
Xi Fra Bartolommeo, ni le Pordenone,niTintoret, ni l'auteur
de l'ex-voto de François II n'ont choisi de leur propre gré le
thème de la Vierge au manteau : il leur fut imposé, à Fra
Bartolomeo par un Dominicain, au Pordenone parles Carmes,
au Tintoret par quelque Scuola, au peintre de François II
par la dévotion des princes lorrains pour la Vierge de Bon-
secours-lez-Nancy. A partir du xvie siècle, l'art ne représente
plus la Vierge au manteau que d'une façon exceptionnelle, et
qu à contre-cœur. Le vieux thème était trop naïf, l'art nouveau
trop savant, trop dédaigneux des images qui avaient ravi If
moyen âge.
Et puis, à partir du XVIe siècle, l'iconographie catholique ne
pouvait plus se permettre d'être naïve, de faire sourire. Pour
s'expliquer l'oubli où est tombé le vieux thème qui nous occupe.
il faut tenir compte des scrupules (pie les attaques furibondes
des Réformés contre la Vierge, les Saints, et les images ont
inspirés au catholicisme. La Réforme a bafoué et brisé les
images. Contre beaucoup, elle avait beau jeu. Un des dessins
dont Ilolbein a illustré VEloge de lu folie représente un paysan
en prière devant une grande image de saint Christophe,
peinte à fresque contre un mur. Holbein intitule son dessin
« la folie de la superstition » '. Les chanoines de N.-D. de
Paris qui, au xviue siècle, tirent détruire leur grande statue
de saint Christophe, avaient sur les images du géant chré-
l. Mantz. H ans Holbein, y>. 67.
202 CHAPITRE XI
tien et sur les superstitions qui s'y rattachaient, les mêmes
idées qu'Holbein et qu'Erasme. Pour justifier leur acte de
vandalisme, ils pouvaient alléguer un canon du synode tenu
à Cambrai en 1565, qui condamnait les superstitions relatives
à saint Christophe L Ce canon du synode de Cambrai estime
bonne preuve, entre tantd'autres, que les railleries des Réfor-
mes ont fait honte au catholicisme de son ancienne imagerie.
Il n'ose plus, par exemple, à partir du xvn'' siècle, représenter
la Vierge allaitant son Fils, ou montrant à Dieu, pour le
fléchir, le sein qui a nourri l'IIomme-Dieu.
Changement dans le goût artistique, crainte des sarcasmes
protestants expliquent, en majeure partie, que le thème
« gothique » de la Vierge au manteau soit depuis le xvic siècle
tombé en désuétude. Il y faut joindre peut-être, tout au moins
pour la France, l'influence des idées jansénistes. Le type
iconographique de la Vierge au manteau protecteur était
1 expression figurée de la croyance en la miséricorde toute-
puissante de Marie. Or cette croyance est antipathique au
Jansénisme. De la miséricorde de Marie, le Janséniste n'attend
rien de plus que le Calviniste : .< la prédestination tue l'inter-
cession 2. » Il n'est pas question de la Vierge comme Mère de
Miséricorde dans les Pensées de Pascal :!. Le Salve recyina
misericordiae « exaspérait les Jansénistes » '».
1. Note de Paquot sur Molanus. p. 100 de l'éd. fie Louvain.
2. Sainte-Beuve. Port-Royal, t. I, p. 234.
3. Il convient démettre le lecteur en garde contre une erreur soigneusement
entretenue par les ultramontains. « Fort-Royal, avec ses filles de saint Ber-
nard, n'était nullement indévot à la Vierge, comme l'en accusaient ses enne-
mis » (Sainte-Beuve, Port-Royal, V, 208 . Saint-Cyran avait écrit une Vie
mystique de la Vierge. Nul n'a parlé île Marie d'une façon plus grandiose :
pour Saint-Cyran, la Vierge est « l'Idée » des prêtres, ipsa sacerdos, car elle a
reçu la première le corps du Chris! Sainte-Beuve, I. p. ils) : "Vous désirez,
écrit-il à lasœur Marie-Claire, que je vous dise quelque chose sur la fête de
l'Incarnation : il faut qu'en te joui- et en tous les autres que l'Église consacre
à la sainte Vierge, nous lui rendions ce que nous lui devons. Sa grandeur est ter-
rible. Pour la révérer, il ne fautque savoir qu'elle est le chef de l'Ange [c'est-à-
dire supérieure aux Anges, et leur reine, regina Angelorum] : en montant des
créatures à Dieu, au-dessus d'elles toutes, vous trouve/ la Vierge ;et en descen-
dant de Dieu aux créatures, après le Saint-Esprit, vous la rencontrez. » Sainte-
Beuve, auquel j'emprunte cette citation (Port-Royal, I, p. 353), a très bien
opposé l'idée auguste que les Jansénistes se faisaient de la Deipara à l'idée que
le catholicisme s'est formée, depuis le moyen âge, de la Mater Misericordiae.
1. Angot des Botours, Saint Alphonse de Liguori, p. 15o. — « Si l'on
veut, d'un même coup d'œil et en même temps qu'on embrasse toute la
hauteur et l'étendue de la doctrine de Pascal, se donner le spectacle de
la manière de voir, chrétiennement, la plus opposée à la sienne, on n'a qu'à
lire la Préface, mise en tèle des Œuvres complètes du Bienheureux Alphonse de
REM \ I.'.m l - '.i NÉRALES
203
Aussi, quand au xviu" siècle, Alphonse de Liguori entre-
prend de restaurer le catholicisme intégral, c'est contre
le Jansénisme et pour Marie qu'il combal l. Au XIXe siècle,
chaque progrès de la mariolâtrie a été regardé par les ultra-
montains comme un triomphe sur le Jansénisme. Le curé
Sausseret, qui publia en 1852 deux volumes sur Les Apparitions
et révélations de la T. S. Vierge, s'exprime ainsi dans sa pré-
face : « Nous n'écrivons point ces pages pour les philosophes
sceptiques, pour les disciples de Luther, de Calvin, de \ oltaire
et de Saint Cyran '. » Rien de plus instructif à cet égard, que
le chapitre consacré au Jansénisme, dans l'ouvrage du jésuite
Terrien sur la Mère de Dieu et la Mère des hommes.
A partir du xvne siècle, la Vierge au manteau protecteur
n'est plus guère connue que dans les villes auxquelles une
Liguori, traduites et publiées par les soins des modernes Bénédictins do So-
lesmes(183i). L'amollissement, le relâchement de la discipline et de la morale
chrétienne selon saint Paul et saint Augustin y est érigé en dogme : il parait, à
entendre ces savants et nouveaux interprètes, que le Christ, à mesure que l'on
avance vers la fin des temps, confie à son Église des secrets tout nou-
veaux : qu'il se fait de nouvelles effusions de grâce et de tendresse, qui per-
mettent d'adoucir progressivement la sévérité première des préceptes de
l'Évangile et d'admettre de plus en plus l'indulgence dans la pénitence. « Le
« culte de l'Épouse, y est-il dit. est devenu plus tendre à mesure que de nou-
<, velles amabilités de l'Époux lui ont été révélées. » Les inquiétudes et les
craintes du chrétien ont beaucoup moins de raison d'être, depuis que «l'Eglise
« a reçu l'ordre de mettre toute sa confiance et de jeter toute son inquiétude dans
« le sein de Marie. » Loin et bien loin l'affreux Jansénisme avec sa dure morale
et ses dogmes repoussants ! Dieu acréé quelque chose de nouveau sur la terre
en nous révélant toutes les prérogatives, et notamment la Conception immacu-
lée de cette incomparable Vierge qui est désormais « la médiatrice toute-
puissante du genre humain. » La morale facile des Jésuites, dénoncée par Pas-
cal, est devenue toute saine et toute salutaire ; elle estplus qu'amnistiée, elle
est préconisée: le Bienheureux Alphonse de Liguori, dans sa Théologie
morale, n'a fait autre chose que la remettre en honneur, la replacer dans les
voies praticables et la faire circuler authentiquement parmi les Chrétiens :
c'a été proprement sa vocation ; lui-même, pour un si grand bienfait,
mérite d'être salué <• un médiateur entre le ciel et la terre ». Toutes ces
étrangetés, ces conceptions d'hier ou renouvelées du moyen âge, sont aujour-
d'hui comme acceptées et légitimées parmi les Catholiques romains et notez
qu'il n'y a plus en France, à l'heure qu'il est. de Gallicans). Voilà ce qui
triomphe, ce que les observateurs, curieux des contrastes, doivent aller cher-
cher et lire en regard de Pascal, en se demandant comment il se peut faire
que le même nom de Chrétien s'applique également aux uns et aux autres.
A vrai dire, il ne s'y applique point. 11 n'y a pas d'élasticité qui aille jusque-
là « (Sainte-Beuve. Port-Royal, III. 155 .
1. Angot des Rotours, op. cit., p. v et 1 T * .
2. T. I, p. xxvn. Cf. Paquot ad Molani de hist. SS. imag.,p. 334 de l'éd. de
Louvain : <• Legitimum Marine cultum denegarunt Calviniani, Lutherani caete
rique exorti saeculo XVI" haeretici. Atiqua sui parte enmdem imminuere
quidam e recentiori Novatorum agmine. » Les Novatores du commentaire de
Paquot sont les Jansénistes.
20 t CHAPITRE XI
image miraculeuse de ce type sert en quelque sorte de Palla-
dion, la Madonna délie Grazie à Milan, la Vierge de Bon-
secours à Nancy1. Elle est aujourd'hui tellement oubliée que
l'auteur du plus copieux traité paru de notre temps sur la
Vierge Marie, avoue ne pas savoir s'il existe des images de la
Vierge couvrant de son manteau la chrétienté entière, comme
il en existe, dit-il, qui la représentent couvrant de son man-
teau un ordre religieux2.
Ainsi, le catholicisme, dans son évolution, a délaissé, comme
une vieillerie, le type si naïvement expressif qu'il avait trouvé
à l'aube du xni1' siècle pour faire comprendre aux simples la
miséricorde toute-puissante de Marie. S'il est vrai cjue le jour
est proche où le magistère de l'Eglise sera sollicité de définir
la croyance à la miséricorde de Marie, si la thèse de la
coopération de la Vierge à l'œuvre rédemptrice et à l'effu-
sion de toutes les eràces est vraiment un domine en for-
mation :i, il semble que lorsque les théologiens se préoccu-
peront de réunir le dossier de ce nouveau dogme, les repré-
sentations de la Vierge au manteau protecteur prendront pour
eux un intérêt singulier. L'histoire d'une religion qui admet
le culte des images, ne doit pas être faite uniquement avec des
textes. Les images, destinées à instruire le peuple — picturae
ijtiiisi libri laicorum - — , nous font, parfois, connaître mieux
que les traités des docteurs et que les textes de la liturgie,
les croyances, les aspirations religieuses des masses populaires.
1. En 1710, les consuls d'Albin offrirent un manteau de moire d'argent
rehaussé de galons d'or et de rubans »à la statue de N.-D. de la Drèche, en
taisant cette prière : « Par cette robe que nous vous présentons, nous vous
prions instamment qu'il vous plaise de nous mettre à couvert sous votre puis-
sante protection » (Texte cité sans référence par Barbier de Montault, Rei'iie
de Vart chrétien, 1889, p. 25 .
2. « Plus d'une fois, les peintres uni représenté la Mère de Dieu envelop-
pant sous les plis de son manteau une famille religieuse. S'est-elle aussi mon-
trée étendant son vêlement maternel sur le genre humain tout entier? Je ne
saurais le dire. Ce que je sais bien, c'est que les tableaux où elle serait ainsi
dépeinte exprimeraient une vérité incontestable » (Le P. Terrien, S. J., La
Mère de Dieu et la Mère des hommes, t. III. p. 552).
3. Angot des Rotours, o/j. cit., p. 129. Cf. ces lignes du P. Bainvel, S.J., Le
dogme et lu pensée catholique, paru dans Un siècle (Poitiers et Paris, Oudin,
1900), p. 815 : » Les théologiens catholiques, depuis la définition solennelle
de l'Immaculée Conception rêvent, sous l'attrait d'un amour qui ne dit jamais
assez, aux moyens de mettre en relief et île mieux montrer au regard et au
coui' du peuple chrétien un privilège qu'il reconnaît et qu'il affirme, mais
confusément et sans en avoir encore une pleine conscience, celui de la coo-
pération de Marie à Pieuvre rédemptrice, et de sa part dans toutes les grâces
qui nous viennent de Dieu. »
CHAPITRE XII
DE QUELQUES REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES
DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE
I. La Vierge de Miséricorde et les Vierges Saintes. — II. La Vierge de
Miséricorde et les sept Vertus.— III. La Vierge de Miséricorde et
les sept Péchés. —IV. La Vierge de Miséricorde et les Anges Gar-
diens. — V. La Vierge de Miséricorde et le Démon.
Quelques représentations de la Vierge au manteau sont
tellement singulières, qu'elles m'ont paru devoir être groupées
et étudiées à part.
1. — La Vienjc de Miséricorde et les Vierges Saintes
La tribune des chantres, dans la chapelle du château des
Teutoniques, à Marienbourg en Prusse ', est ornée de fresques
a. — Le Juge du monde.
6. — La Vierge au manteau,
c. — S1 Michel pesant les âmes.
</. — Les élus.
e. — Les damnés.
d
du xivp siècle (de 1 3 3 i , d'après M. Lehmann -), dont le schéma
ci-dessus explique la disposition 3. Elles forment, en somme,
une sorte de polyptyque, consacré au Jugement dernier. Ce qui
en fait la singularité, c'est que, sous le manteau de la Vierge
1. Sur ce château fameux, cf. Lavisse, Études sur V histoire de Prusse, p.
lis.
2. Dus Bildnis bei den altdeutschen Meistern, p. 211.
3. Sur ces fresques, cf. Steinbrecht, Die mittelalterlichen Wandgemâlde
der Schlosskirche zu Marienburg, clans la Zeitschrift fur christl. Kunst, II
(18S9), p. 5. Je dois à l'obligeance de M. Steinbrecht la photographie d'un
calque de la Vierge au manteau: la figure ci-contre reproduit cette photogra-
phie.
206
CII.WMTIŒ Xll
miséricordieuse lig. i), le peintre n'a représenté ni un Ordre
religieux, ni les gens de Marienbourg ou les membres d'une
famille, ni les divers membres de la Chrétienté, mais huit
Saintes, reconnaissables pour telles à la couronne, et plus
précisément huit Vierges saintes, puisque près d'elles sont des
agneaux et des colombes. Elles implorent leur reine, Maria,
regina Virginum, non pour elles-mêmes, puisqu'elles ont déjà
la couronne de vie, mais évidemment pour le salut des
Fie
pécheurs. Ceux pour qui les Vierges saintes auront intercédé
auprès de leur Reine, et que la Mère de Miséricorde aura défen-
dus contre la sévérité du Juge, ceux-là entreront au paradis.
Somme toute, cette représentation n'est pas sans analogie
avec celles qui montrent les Vierges saintes, compagnes de
sainte Ursule, en prière sous le manteau de leur reine.
II. — La Vierge de Miséricorde et les sept Vertus
Une miniature d'un manuscrit italien ' du xive siècle montre
1. Bihl. Nat., nouv. ital 112, i" L6 v°. Cette miniature a été signalée par
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE -••'
une représentation que je crois unique PI. XXVII, I . Sept
femmes, mieux vaudrai! «lin1 sepl Idées, portant la cou-
ronne des reines, sont assises côte à côte, de face ; sur elles,
une femme plus grande, debout, couronnée et nimbée, étend
son manteau; derrière Le groupe sont dressées sept échelles,
qui montent jusqu'à l'éther flamboyant, au ciel de gloire.
Les prières et les sermons contenus dans le manuscrit ne
renferment rien qui puisse servir à expliquer cette minia-
ture ; il est vrai que le manuscrit est incomplet. Mais le
sens ne semble pas douteux. Les sept reines assises sont
les sept Vertus, et la reine qui les abrite sous son manteau doit
être la Vierge.
L'iconographie des Vertus, on le sait, n'est pas la même
dans 1 art italien et dans l'art français. Pour décrire notre
miniature, il est nécessaire de nous rappeler d'autres représen-
tations italiennes des Vertus, les fresques dont Giotto a décoré
la cimaise de l'Arena ', le tarot dit de Mantegna 2, et le tom-
beau de Michel Colombe, à Nantes, qui est, par l'iconographie,
une œuvre non pas française, mais italienne 3.
Les Vertus cardinales sont à la gauche de la Vierge ; les
Vertus théologales à la droite.
Je commence la description par la gauche.
1° La Foi, tenant deux banderoles restées blanches, mais
qui ont dû être préparées pour recevoir des inscriptions des
actes de foi :1a banderole que tient la Foi à l'Arena'1 porte ces
mots du Symbole des Apôtres : Credo in Deum Patrem
omnipotentem, creatorem caeli et terrae, et in Jesum Chris-
tuni filium Dei unigenitum.
2° L'Espérance, les mains jointes, la tête levée vers le ciel,
qui est indiqué par le disque du soleil : de même l'une des
cartes du tarot de Mantegna •'. A l'Arena, Spes est une jeune
femme ailée qui prend son vol vers le ciel, d'où un ange lui
tend la couronne dévie.
Grimoiiard de Saint-Laurent, Guide de Vart chrétien, t. III. p. 1:29. Le ms. où
elle se trouve contient, d'après l'analyse «le Mazzatini Inventario dei mano-
scritti délia bibl. di Francia. Rome, 1886, t. I. n° 112 . des homélies latines, la
passion selon saint Matthieu, des prières en latin <•! en italien, la vie de saint
Jean-Baptiste.
1. Ruskin, Glolto and his works in Padua (Londres, 1900 . p. 1 T I sq.
•J. Travail florentin de la lin du xv° siècle. Cf. H. d'Allemagne, Les curies à
jouer, I . I, p. 17 1.
:>. Vitry, Michel Colombe, p. 395 et sqq.
i. lluskin. op. cit., |>. 1"'.'.
b. D'Allemagne, op. cit., t. I, p. 17 2.
208 i iiai'itri; xn
3° La Charité tient devantelle, à deux mains, deux rameaux
qui portent chacun six fruits verticalement placés : ce sont,
je suppose, les doux fruits de la charité. A l'Arena, Karitas
tient dans la main gauche une jatte pleine de fruits. À ses
pieds, la Charité de notre miniature a une maison, sans
doute quelque maison de miséricorde, hôpital ou orphelinat.
i° La Tempérance tient dans la main droite une grande clef,
dans la main gauche une tour à deux étages.
5° La Justice tient le glaive dans la main droite, la balance
dans la main gauche. De même la Justice du tarot de Man-
tegna. Pour la balance, comparer la Justice de l'Arena.
(i° La Force tient deux colonnes, symboles de solidité et
d'équilibre. D'ordinaire cette Vertu a pour attribut une
colonne qui se brise, allusion à l'histoire de Samson le fort.
7° La Prudence, avec son visage janiforme et son miroir :
pour ces caractéristiques, voir la Prudentia de l'Arena, celle
du tarot de Mantegna et celle du tombeau de Nantes.
Six autres miniatures, dans le même manuscrit, repré-
sentent autant de Vertus. Manque la Force : la miniature qui
la représentait a disparu ou n'a pas été peinte. Dans toutes ces
miniatures, les Vertus ont pour attribut commun, de même
que dans celle que nous publions, une grande échelle. Ceci
demande quelques explications.
On se rappelle l'échelle que Jacob vit en songe : « elle
était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel ;
les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle ;
et l'Eternel se tenait au-dessus d'elle '. » Cette vision, sui-
vant la théologie morale, signifie qu'il y a un moyen de gagner
le ciel : ou plutôt il y en a sept, car chaque vertu est comme
une échelle qui permet d'arriver à la gloire éternelle.
Le Guide de la Peinture donne à Jean Climaque une bande-
role qui porte ce précepte : « Elevez-vous graduellement parles
vertus, en élevant votre âme par la pratique de la contempla-
tion 2. » Saint Jean, dit Climaque, moine sinaïte du vr" siècle, est
ainsi surnommé du nom d'un long traité ascétique 3, Y Echelle
1. Genèse, XXVIII, 12.
2. Didron, Manuel d'iconographie, p. 333. Le texte grec du Guide (éd.
Konstantidinès, p. 198 dit :xaïç àpîtatç rcpoSaïve (">ir.t^ pa6u.t'ai,TÔv vouv àvu^wv
-'-a/.Tr'/.a'.; Qstopîaiç.
3. Publié dans la Palrologie grecque de Migne, LXXXVIII, Ô96-1209 ; cf.
Krumbacher, Byz. Lilt.-, p. 143. Du même temps que le poème de Jean
Climaque est une homélie étudiée par dom G. Morin (Revue bénédictine de
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE 209
des vertus, qu'il écrivit pour des moines. La représentation
que ce poème a inspirée à l'art byzantin L'échelle du salut de
Vâme et de la routedu ciel, est, pareillement, destinée àl'édifi-
cation des moines : elle orne les murs des couvents, «'I ce sonl
(1rs moines qui en sont les personnages. « Devant la porte
d'un monastère, dit le Guide ', une échelle qui monte jusqu'au
ciel. Des moines sont dessus, en train de monter. Des anges
les y aident, des diables les en empêchent, Un vieux moine
parvenu en haut de l'échelle, est reçu par le Seigneur, qui
lui pose sur la tête la couronne de vie. L'inscription explica-
tive commence ainsi : « Regardez l'échelle appuyée au ciel, e1
rétléchissez bien aux fondements des vertus. » Le poème de
Jean Glimaque a eu un succès immense, et la composition qui
en est inspirée doit dater d'une époque ancienne, puisqu elle
figurait déjà dans VHortus deliciarum (1160). Sur l'un des
montants de l'échelle, Herrade avait mis cette légende :
Septem sunt scalae quibus ascenditur ad rcgnum caelorum :
Castitas, mundi Contcmptio, Humilitas, Ohedientia, Patient ia,
Fides, Caritas de puro corde [sic]. Les trois grands saints béné-
dictins, Benoit. Romuald, Bernard Tolomei, auraient comme
attribut une échelle, parce que saint Benoît, dans sa règle,
compare l'observance monastique à l'échelle mystérieuse qui
unissait la terre au Ciel dans la vision de Jacob. Un tableau
italien du trecento représente un rêve de saint Romuald 2 : le
saint voit des moines montant au ciel, jusqu'à Dieu, par une
échelle. Un tableau allemand du xvie siècle représente saint
Dominique montant au ciel par une échelle dont Jésus et la
Vierge tiennent le haut 3. Une gravure romaine ' de 1687
représente, d'après une tradition cistercienne, saint Bernard
délivrant les âmes du purgatoire par la vertu du saint sacri-
fice : une échelle immense dont le pied plonge dans le
purgatoire, permet aux âmes libérées de monter jusqu'au
paradis.
Les textes et les monuments que nous avons cités sont tous
Maredsous, sept. 1904 . "ù la » Charité •> est, comparée à une tour au sommet
de laquelle on parvient à l'aide d'une échelle de vertus comprenant huil
degrés.
1. Didron, p. 405 : Konstantinidés, p. 213.
2. Reinach, Répertoire, t. I, p. 582. Cf. Cahier, Ca.ra.cL, I. I, p. 328.
3. Darmstadt. musée grand-ducal.
4. Bibl. Nat., estampes, R d, 65. Barbier de Montault Traité d'iconogrr2.,
t. I. p. 305 mel l'échelle parmi les caractéristiques de sainl Bernard.
Perdrizkt. — Lu Vierge de Miséricorde. l i
210 CHAPITRE XII
de provenance monastique ' : c'était donc dans les cloîtres,
depuis Jean Climaque et saint Benoît, un locus de la prédica-
tion, que la comparaison des vertus avec l'échelle de Jacob.
Le manuscrit italien où l'on voit les sept Vertus assises sous
le manteau de protection, est donc probablement de prove-
nance monastique : peut-être doit-on préciser davantage, car,
parmi les opuscules attribués au franciscain Bonaventure, il en
est un qui traite De gradibus virtutum — « virtutes et gradus
virtutum, dit le prologue, quae sunt certissima via ad regnum
cadorum ».
Quanta la femme couronnée et nimbée qui abrite les sept
Vertus sous son manteau, elle représente, je crois, la Vierge
Marie. Grimoùard de Saint-Laurent 2 l'interprétait comme
l'image de la Sainte Sagesse, de la divine "Loyia. : cette expli-
cation ne contredit pas la nôtre, si l'on se rappelle que la
Vierge a été identifiée, sinon par la théologie, au moins par
la liturgie, avec la Sainte Sagesse. Beata Virgo Maria, vera
Sophia, dit le Spéculum humanae salvationis 3 . Un tableau du
début du xvi1' siècle ; représente la Vierge vénérée par les
Chérubins, qui sont les anges de la Sagesse et de la Science ;
l'un d'eux tient une banderole, où est inscrite cette invocation :
0 Sophia, scie ns eu net a, nobis pia sis adjuncta! « Vous êtes,
dit à la Vierge un mystique contemporain •', vous êtes la fille
de l'impérissable Dessein, la Sagesse qui est née avant tous
les siècles. Vous-même l'avez affirmé dans l'Epître de vos
messes ,; : « Le Seigneur m'a possédée au commencement de
« ses voies, avant qu'il créât aucune chose, au début ; j'ai été
<< établie dès l'éternité et de toute antiquité ; les abîmes
« n'étaient pas encore, et déjà j'étais conçue. »
Pour les Grecs, l'échelle que Jacob vit en songe préfigure
Marie : « On représente Jacob, dit le Guide 7, avec une
1. Dans le Ménologe Basilien, éd. Albani, t. II, p. 3, une échelle est
debout près d'Ananias qui va recevoir le martyre, et des anges annoncent à
Ananias que son âme montera au ciel par cette voie.
2. fluide de l'art chrétien. I. III, p. 210.
3. Ch. xxxvi, 86 ; éd. Lutz-Perdrizet, p. 73.
i. Pauker, Der marianische Bildercyclus des Slifles Klosterneubnrg ; dans
les B&richte and Mitth. der Allerthums-Vereines zur Wien, l. XXXV (1900),
p. 6.
5. Huysmans, Les foules de Lourdes, p. 313.
6. Messe de l'Immaculée Conception, d'après les Proverbes, VIII, 22-24. Cf.
les messes du commun de la Vierge, depuis la Purification jusqu'à l'Avent,
d'après V Ecclésiastique, ch. xxiv, 11.
7. Didron, Manuel, p. 290.
Perdhizet, Ln Vierge de Miséricorde
11. .\.\UI
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE i A VIERGE DE MISÉRICORDE -MI
échelle et un phylactère où sont ces mots adressés à la Vierge:
Je vous ai vue en songe comme une échelle appuyée sur La
terrée! allant jusqu'au ciel. » Les mystiques occidentaux ont
connu cette allégorie. Elle forme le sujet d'un des petits
poèmesdela Laus beatae Virginis Mariae dont les Franciscains
ont srrossi le recueil des Œuvres de saint Bonaventure1.
La Vierge, sur notre miniature, abrite les Vertus sous son
manteau : eela signifie que la pratique des Vertus ne suffît
pas pour mériter le Ciel, il faut encore que la Vierge, dans sa
miséricorde, intercède en faveur des hommes : un chrétien ne
doit pas penser qu'il puisse être à lui seul l'artisan de son
salut. Somme toute, les échelles des vertus et le manteau de
miséricorde sont des symboles contradictoires ou. à tout le
moins, complémentaires.
Il se pourrait bien que cette miniature signifiât encore autre
chose pour les mystiques à qui elle était destinée. Dès saint
Clément d'Alexandrie et saint Augustin, la Vierge est la
figure de l'Eglise, Maria est Ecclesiae typus "-'. Autrement dit,
notre miniature signifierait que pour gagner le ciel, il ne
suffit pas de gravir les raides échelons des vertus; il faut
encore faire partie de l'Eglise, avoir vécu à l'ombre de sa
protection : car, sans cela, comment participerait-on a la
miséricorde nécessaire de la Mère de Dieu ?
III. — La Vierge de Miséricorde et les sept Péchés.
A l'évêché de Teruel (Aragon), se trouve un curieux pan-
neau a tempera, de la deuxième moitié du xv° siècle (PI.
XXVII, 2). J'en dois la photographie à M. Bertaux. La Vierge
est couronnée d'un diadème extraordinaire, fait de perles dis-
posées en volutes. Deux anges soutiennent le manteau, sous
lequel sont agenouillés, à droite les gens d'église, à gauche
les laïques. La Vierge lève d'une façon suppliante la tête et
la main droite vers le Christ qui, très loin de la terre, dans
les nuées, lance les traits de la colère (un trait dans la main
droite, trois traits dans la main gauche). Deux anges sont
1. Bonaventurae opéra, éd. de Lyon, 1668, I. VI, p. 169. Voir encore, dans
le même volume, p. i" i, le Psa-lterium minus h. Mariée, où la Vierge est invo-
quée en ces termes : Ave,scala caelum tangens.
2. Cf. Rohault de Fleury, La Suinte Vierge, t. I. p. 299.
2\2 CHAPITRE Ml
agenouillés auprès du Christ ; l'un tient un lis. Les traits que
le Christ a lancés ont atteint de petits personnages debout
dans les niches de deux édicules, à droite et à gauche de la
Vierge ces édicules se rencontrent, paraît-il, dans beaucoup
de retables aragonais du w" siècle). Des inscriptions indiquent
que ces personnages sont les Péchés :
Envydia Luxuria
Avaricia Gula
Pereza Ira
Les flèches atteignent les Péchés à la partie du corps où
chacun à son siège : l'Envie est touchée à l'œil, la Gourman-
dise à la panse, la Paresse au genou, la Colère au cœur ; il
faudrait le latin, ou plutôt le grec, pour dire où est touchée la
Luxure. Sous les pieds de la Vierge, tout au bord du tableau,
une femme apparaît à mi-corps, la poitrine percée d'une
flèche, sans doute la personnification de l'Orgueil, Superhia ;
on a ainsi la série complète des sept Péchés capitaux.
IV. — La Vierge de Miséricorde et les Anges Gardiens
Il existe au musée du couvent bénédictin de Klosterneu-
bourg une série de neuf tableaux de la fin du xve siècle,
jadis dans l'église des Neuf-Chœurs-des-Anges, à Vienne,
qui représentent la Reine des Anges, vénérée par chacun des
neuf chœurs célestes. Ces peintures ont été exécutées pour les
Carmes ' auxquels appartenait jadis l'église des Neuf-Chœurs-
des-Anges. Nous avons déjà vu que les Carmes tiennent de
leur origine orientale des préoccupations théologiques tout à
fait particulières: ils se sont, notamment, beaucoup appliqués
;i l'angélogie ; nul Ordre n'a autant médité que le Carmel le
fameux traité du Pseudo-Aréopagite, De caelesti hierarchia 2.
La neuvième de ces peintures 3 représente la Vierge adorée
1. Et non pour les Carmélites, comme le dit M. S. Reinach {Répertoire, II,
p. :>:;n . qui s'est trompé sur le sens du mut allemand Karmeliler .
■2. Cf. siij)ra. p. â.'î.
3. W. Pauker, Der marianische Bildercyclus des Stifles Klosterneubvrg,
dans les Berichte und Mitih. des Alterthums-Vereines zu Wien, t. XXXV
1900 , p. 15, pi. II;Drexler et List, Tafelhilder auf dem Muséum des SU fies
Klosterneuburçf. pi. IV.
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE I \ VIERGE DE MISÉRICORDE 213
parles anges proprement dits, ceux du neuvième chœur, qui
sont les anges gardiens chargés de veiller sur les hommes
(PI. XXVIII, 2). Sur ce- tableau, ils sonl au nombre de quatre ;
ils chantent les louanges de la Vierge, en s accompagnant
d'instruments. L'un deux tient une banderole où sont écrits
ces mots :
Curam habens sinqulorum,
Sortem tene angelorum
qui signifient que les Anges demandent à la Vierge de les
assister dans leur tâche, de veiller avec eux sur les hommes :
en somme, c'est l'adjuration Monstra te esse matrem de VAve,
Maris Stella, adressée a la Mère de Miséricorde, non par les
hommes, mais par leurs anges gardiens. La Vierge tient une
banderole où sa réponse est écrite :
Mater omnium honorum.
Flic asisto \ sic) custos horum.
Et joignant le geste à la parole, elle écarte les plis de son
manteau, sous lequel on aperçoit, agenouillés à la droite de
la Vierge, les laïques, à la gauche, l'Eglise, représentée par
ses chefs, le Pape, le Cardinal, l'Évèque, et par la troupe
blanche des Carmes, fratres beatae Mart'ae de Carmelo .
Cette image de la Mater omnium est d'autant plus
curieuse que la Vierge est figurée ailée. Elle est ailée comme
Reine des Anges, qui sont ailés. Sans doute faut-il aussi se
rappeler le verset de Y Apocalypse (XII, I i ) : datae sunt mulieri
alae cluae aquilae magnae, où les mystiques ont vu une allu-
sion à l'Assomption:
Mulieri sunt datae ad volandum dune alae,
Per quas intelligitur Assumptio tam corporisquam animae '.
Il est peu probable que l'artiste ait voulu signifier que la
protection dont la Vierge couvre les hommes est comparable
aux ailes dont l'oiselle couvre ses petits. Je ne connais pas
d'autres représentations de la Vierge ailée.
l. Spee. hum. sa.lv a t., ch. xzxvi, 1. 87-8S.
214 CHAPITRE XII
V. — La Vierge de Miséricorde et le Démon.
Il existe à la pinacoteca communale de Montefalco, en
Ombrie, un tableau ' d'un peintre inconnu de la fin du quat-
trocento (PI. XXVIII, 1), où la Vierge au manteauest représen-
tée d'une façon bizarre. Sous le manteau de Marie est age-
nouillée une jeune mère en pleurs, les cheveux épars ; le Démon
tâche de lui prendre son enfant; la jeune mère appelle la
Madone à l'aide ; la Madone s'arme d'une massue et met en
fuite le Démon. En haut du tableau, cette inscription: Santa
Maria del Succurso, ora pro nobis. Derrière la Vierge, à l'ar-
rière-plan, agenouillés, des moines et des pénitents blancs : la
présence de ces pénitents indique que le tableau a été peint
pour une Confrérie.
J'ai indiqué ailleurs les autres tableaux qui représentent le
même sujet2. Ils sont de la fin du xve siècle et du commen-
cement du xvie : tous sont italiens, presque tous ombriens.
En appelant l'attention des érudits sur ce thème singulier,
je souhaitais qu'un plus savant ou plus heureux que moi
en trouvât l'explication.
M. Salomon Reinach en a aussitôt proposé une.
« Le tvpe de la Vergine del Soccorso armée d'une massue,
écrit-il, n'est pas d'origine populaire, mais demi-savante...
Parmi les nombreux attributs de la Vierge, dans la littérature
pieuse et la poésie du moyen âge, figure la clef. Comme la Pal-
las v.'rz'.lzr/z: de Phidias, la Vierge Marie tient une clef ; c'est la
clef du ciel. Les textes ont été réunis par Salzer. Déjà saint
Ephrem qualifie la Vierge de clef qui nous ouvre le ciel. Ainsi
la Vierge Marie est porte-clefs, clavigera, Si elle ne paraît
pas avec cet attribut dans les œuvres d'art, c'est que la clef
est l'attribut presque exclusif de saint Pierre. Mais claviger,
épithète de Janus porte-clefs dans Ovide, est dans le même
poète, épithète d'Hercule porte-massue. Claris, clef, et elava,
massue, ont donné le même dérivé claviger. Ce jeu de mots,
qui devait se présenter aisément à l'esprit d'un clerc, explique
1. Alinari. 5476 ; reproduction dans Broussolle, La jeunesse du Pérugin et
les origines de fart ombrien, p. 475.
2, Perdrizet-René Jean, La. galerie Campana et les musées français, p. 65-67,
pi. V. Cf. Thode, Franz von Assisi, _' éd., p. ">I7.
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE i.\ VIERGE DE MISÉRICORDE 215
le type de La Vierge porte-massue. Quand il s'est agi de repré-
senter la Vierge mettant en fuite un démon e1 qu'il ;i fallu,
pour cela, lui trouver une arme, comme la tradition était
muette, on s'est inspiré d'une des épithètes qu'elle attribuait
il la \ ierge et, sans lui en substituer une autre, on s'est con-
tenté d'en modifier le sens. L'innovation purement graphique
des peintres ombriens semblait justifiée par le langage des
litanies; la Vierge à la massue était toujours la Virgo clavi-
gera. Il y a là, semble-t-il, un exemple certain d'un type
plastique né d'une confusion de langage *. »
L'explication de M. Reinach me paraît inadmissible.
Il est inexact, d'abord, que « le langage des litanies »
invoque la Vierge sous le nom de clavigera. Cette invocation
ne se trouve ni dans les diverses Litanies de la Vierge dont
j'ai pris connaissance ~, ni dans l'Office de la Vierge, ni dans
les Messes des Fêtes de la Vierge, ni ailleurs, que je sache.
Avant M. Reinach, personne n'en avait gratifié Marie.
M. Reinach allègue des textes où la Vierge est appelée
« clef du ciel, clef du paradis, clef de la divine Sagesse ».
Mais de ce que la Vierge ait été comparée à une clef, il ne
s'ensuit pas qu'elle ait été appelée porte-clefs. Il n'y a pas de
texte où la Vierge soit appelée clavigera, pas plus qu'il n'y a
de représentation où elle soit figurée portant les clefs.
Les textes réunis par Salzer 3 et allégués par M. Reinach,
où la Vierge est appelée « clef du ciel, du paradis, de la
Sagesse », sont extraits de cantiques, pour la plupart orien-
taux (syriens ou grecs), qui n'ont pas eu d'influence sur
l'iconographie. Les innombrables citations colligées par Salzer
avec plus de patience et de piété que de sens critique et histo-
rique demandent, pour être employés utilement, une certaine
pratique de la littérature religieuse du moyen âge. Je compa-
rerais volontiers le recueil de Salzer à un dictionnaire comme
celui de Courtaud-Diverneresse, où sont mélangés vingt-cinq
siècles de grécité, depuis Homère jusqu'à Photios. Il s'agit
d'expliquer un type iconographique bien localisé et daté, un
thème qui est propre à l'Ombrie de la deuxième moitié du
1. Comptes rendus de V Académie des Inscriptions, 1907, p. 13-45. Cf. Revue
critique, L907, [,p. 392 et Répertoire de peintures, II. 537.
2. Litanies dites « tirées de l'Écriture Sainte » : Litanies de Lorctte ; Lita-
nies « péruviennes ». à l'usage de l'Amérique.
3. Sinnbilder, p. 549.
210 CHAPITRE XII
quattrocento. Dos textes traduits du syriaque de saint Ephrem,
ou extraits de cantiques latins récoltés en Allemagne, en
Bohême et en Suède ne semblent pas très pertinents dans la
question.
« Le type de la Vierge à la massue, écrit M. Reinach, n'est pas
d'origine populaire. » Je suis de l'opinion exactement oppo-
sée. La peinture religieuse des petites villes ombriennes,
dans la deuxième moitié du XVe siècle, a un caractère popu-
laire bien accusé, sur lequel nous avons déjà eu à insister1 :
c'est de la peinture d'ex-voto pour confréries, pour couvents,
pour bonnes gens d'une foi simple et passablement supersti-
tieuse — naïve ou niaise, comme on voudra : c'est de l'ima-
gerie populaire. Il est invraisemblable que la Vierge à la
massue doive s'expliquer en fin de compte par l'erreur
d'un clerc qui aurait lu Ovide, par un calembour d'humaniste.
Ce type n'a été si répandu en Ombrie que parce qu'il était
facile à comprendre pour les simples, grâce à l'enseignement
religieux qu'ils avaient reçu, grâce aux textes sacrés avec
lesquels les avaient familiarisés la liturgie et la prédication,
les arts ligures et les représentations dramatiques.
Reportons-nous aux photographies et aux descriptions des
tableaux de la série. Le tableau de Montefalco et celui de
Palerme 2 mettent à la main de la Vierge une massue. Mais
celui de Montpellier 3 lui donne un bâton noueux, et celui de
la galerie Colonna '' un bâton lisse, ce qu'au moyen âge on
appelait une verge (d'où l'expression huissier à verge). Or,
c'est en quelque sorte un lieu commun de comparer la Vierge
Marie à une virga. La plus fameuse des prophéties de la Vierge
— egreditur virga de radiée Jesse — repose sur ce jeu de mots
virga, \ irgo. Les mystiques ne se sont d'ailleurs pas contentés
du passage d'Isaïe. « Celle qui se promena sous des ligures
dans l'Ancien Testament, la Vierge antérieure aux Evangiles J »
a été reconnue, par les auteurs des Bibliae Marianae, dans
1. Cf. supra, p. 123.
2. (ï. di Marzo, La pittura in Palermo nel rina.scim.ento 'Palerme, 1899,
]>. I i") : una mazza o clava.
3. Perdrizet-René Jean, op. cit.. pi. V.
4. Alinari. 7331 : Anderson. 703: Lafenestre-Richtenberger, Home. I. II.
phototypie à la p. 162. D'après M. Reinach, qui a publié un calque de cette
phototypie Répertoire, II. 537 . la Vierge tient une massue : mais cette asser-
tion, qui s'explique par une idée préconçue, est contredite par le calque même.
5. Iluysmans. Les foules de Lourdes, p. 313.
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE -H i
tous les textes de la Bible où il était question àevirga, notam-
ment dans deux textes des Psaumes : l'un où David remercie
Dieu de lui avoir donné une virga, c'est-à-dire d'avoir formé
le dessein de faire naître de lui la Vierge de <|ui naîtra
Jésus, qui fera sortir des limbes les Pères de L'ancienne
alliance, et David lui-même ; l'autre où il est parlé d'une
virga ferrea, qui brisera les rois : les mystiques l'entendent
de la Vierge, qui abattra les démons par la part qu'elle prendra
à la passion de son Fils1.
Pour montrer que la comparaison de la Vierge avec une
verge est bien un locus de la mystique, je citerai quelques textes
caractéristiques que j'ai notés en lisant les ouvrages écrits aux
xne et xiii0 siècles sur la Vierge Marie. Je n'emprunte pas ces
textes à Salzer; il ne les donne pas ; il en donne d'autres '.
moins typiques et pris dans des ouvrages moins importants :
ceci dit pour montrer que le recueil de Salzer, quel qu'en soit
d'ailleurs le mérite, ne doit pas être considéré comme un recueil
complet.
Le Psalmiste avait dit : Reges eos in virga ferrea, et tan-
quam vas fîguli confringes eos'. 11 avait dit encore : Si ambu-
lavero in medio umbrae mortis, non timebo innla, quoniam
tu mecum es : virga tua, et baculus tuus, ipsa me consolata
sunt 4. Ce sont les mystiques latins du xup et du xme siècle
qui ont eu l'idée de chercher dans ces textes peu clairs une
allusion à Marie.
Virgo Maria est virga ferrea daemonibus, dit l'auteur du
Spéculum B. Mariae Yirginis b, de hac virga non incongrue
accipi potest illud Psalmorum : reges eos in Virga ferrea. 0
Maria virga aurea perfectis, virga ferrea et dura daemonibus,
arceas daemones a nobis '.
Maria Virga ferrea malignis hominibus et ipsis daemoni-
bus, dit l'auteur du De laudibus B. Mariae'1, quia per eam
i. Maria vieil diabolum per compassionem : c'est ainsi que les mystiques
conçoivent la victoire de Marie sur le diable; le ch. \\\ du Spéculum humanae
salvationis éd. Lutz-Perdrizet, p. 62-63 esl consacrée cette question ; et la
miniature du S. H. S. qui représente la Vierge de la « compassion », victorieuse
du démon, la montre lui écrasant la tête avec le bois de la croix.
2. Op. cit., p. 504-506.
3. Ps. II. 9. Cf. Apocal., II. 27 el XIX. 15.
i. Ps. XXII. i.
.). Bonaventurae opéra, éd. de Lyon, 1668, I. VI, |>. ily.
G. L. XII. ch. ii. dans les Opéra Alberti Magni, Lyon. 1651, 1. XX. p. V-'<~ .
218 CHAPITRE Xll
infringuntur capita iniquorum. Unde dicitur Christo in
Psalmis : in virga ferrea tanquam vas figuli confringes eos.
Virga dicitur Beata Virgo, écrit le dominicain Hugues de
Saint-Cher1, baculus, crux. Haec duo vere consolantur nos
in omni tribulatione nostra. Et dicitur B. Virgo virga, quia
habet has proprietates virgae :
Plana, plicans, gracilis, mensurans, recta, rotunda;
Perçu///, irritât, cortice tecta canot.
Haec est virga Ma qua retunduntur impetus adversantium
daemoniorum, dit au xir" siècle un sermon Cistercien fausse-
ment attribué à Pierre Damien : : virga Aaron, per quarn fiant
signa et mirabilia. Baculum autem crucis intellige, quo non
solus verberatus est,sed et occisus Me insatiabilis homicida qui
mortibus hominum nascitur et nutritur. In Yirgine virga et
baculo cruce miserorum spes et consolatio continètur, sicut
sublimis propheta clara voce déclarât : Virga, inquit, tua et
baculus tuus ipsame consolata sunt.
On a toujours profit, quand on veut se renseigner sur une
question touchant la Vierge Marie, à se reporter aux Gloires
de Marie, de saint Alphonse de Liguori : sous la forme d'une
paraphrase du Salve regina, les Gloires de Marie contiennent,
si l'on peut ainsi dire, la quintessence de la mariologie. Les
textes qu'on vient de lire y sont assez bien résumés dans ces
quelques lignes : « Oh ! comme ils fuient à l'aspect de notre
reine, ces esprits rebelles! Si Marie est de notre côté, que
pourront contre nous les puissances de l'Enfer? David, redou-
tant sa dernière heure, se confiait déjà en la mort de son
Rédempteur futur par l'intercession de la Vierge mère. Le car-
dinal Hugues [de Saint-Cher] dit que par le bâton donl par-
1. Dans son commentaire sur le Psautier, t. Il de ses Opéra omnia in
universum Vêtus et Novum Testamentum («s vol. f°, Venise, Nicolas Pez-
zana, 1703). Ce commentaire des Psaumes a été attribué aussi à Alexandre
de Ilalès (Hurter, Nomenclator litterarius, t. IV, col. 264 sq. . Hugues, natif
de Saint-Cher près Vienne en Dauphiné, entra dans l'Ordre îles Prêcheurs
en 122"), devint cardinal du tit re de Sainte-Sabine, il mourut en 1263. Voir sa
notice dans Quétif et Échard.
2. Il semble de Nicolas, moine de Clairvaux, secrétaire de Saint-Bernard
(Migne,P. L., CLXXXIII, 26 sq., et CXCVI, 1589-1590). Pour l'attribution à
Pierre Damien, voir l'éd. des QEuvres de Damien pardom Constantin Caetani,
i» vol. f°,Rome, 1606-1608, t. II, f° 1 10, el Migne.P. L.. CXLIV,721. Pour l'allé-
gorie virga Virgo, cf. encore, au \ir siècle, le Mariale d'Adam, abbé (cistercien)
de Perseigne [P.L. CCXI, 699 sqq),le sermon sur l'Annonciation, d'Absalon,
abbé Augustin) de Springirsbach (P. L., CCXI, 121), et les vers cités par Pitra,
Spicil. Soîesm.,II,p. 389.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
l'I. -XXVIII
REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES DE LA VIERGE Dl MISÉRICORDE 219
lait David, il faut entendre la croix, et par la verge l'interces-
sion de Marie, qui est cette Vierge prophétisée par [saïe. La
divine mère, dit Pierre Damien, est celte verge puissante,
qui met en fuite les esprits infernaux '. »
On voit de quelle époque date la comparaison mystique de
la Vierge avec une verge : du xir et du xur siècle, du temps
où, sous l'influence de saint Bernard et des Cisterciens, s exalte
la croyance à la miséricordieuse intercession de la Vierge, où
le sentiment religieux associe la Vierge à l'œus re de la rédemp-
tion au point de l'y faire contribuer presque autant que le
Rédempteur.
Pourquoi, sur le tableau de Montefalco et sur celui de
Païenne, la virga est-elle remplacée par une massue? La
raison s'en devine aisément, si l'on se rappelle l'inspiration
populaire de ces peintures. Il ne suffisait pas aux bonnes gens
que le Diable fût bàtonné : il fallait qu'il fût assommé. Le
bâton a été remplacé par une massue, parce qu'une massue
est, si l'on peut ainsi dire, un bâton superlatif. N'oublions
pas qu'il s'agit d'expliquer des tableaux italiens, et que le
peuple italien, comme l'indiquent les superlatifs et les diminu-
tifs de sa langue, a un besoin inné d'exagération.
Ainsi, la massue dont la Vierge est armée sur les tableaux
de Montefalco et de Palerme, le bâton dont elle est armée sur
ceux de la galerie Golonna et du musée de Montpellier s'ex-
pliquent par une métaphore que nul catholique ne saurait
ignorer, Virgo virga. Mais ceci dit, la question que j'avais
posée en appelant l'attention des érudits sur le type en ques-
tion et à laquelle M. Reinach a pensé répondre, reste entière.
Je ne demandais pas pourquoi la Vierge secourable s'était,
pour chasser le démon, armée d'une massue, mais pourquoi
on trouve en Ombrie une série de tableaux votifs qui repré-
sentent la Vierge accourant, à la prière d'une mère éplorée,
au secours d'un bambino que le Démon veut ravir. Evidem-
ment, ces tableaux se rapportent à un miracle opéré par la
Vierge, sont l'illustration d'un récit d'apparition miraculeuse
que la prédication ou le théâtre avait rendu populaire, en
Italie et surtout en Ombrie, dans la deuxième moitié du
xv° siècle. Ce récit serait â retrouver.
I. Gloires de Marie, ch. u, § 3.
CHAPITRE XIII
LES SAINTS ET SAINTES EMPRUNTENT A LA VIERGE
LE MANTEAU DE PROTECTION
Dévotions d'imitation. -- Les Saints et les Saintes, à l'imitation fie la
Vierge, s'attribuent le manteau protecteur. — A quelle date et dans
([vielle région a-t-on imaginé d'en faire la caractéristique de sainte
Ursule ?
La dévotion du Saint et Immaculé Cœur de Marie, qui
date du xvme siècle, est une imitation de celle du Sacré-Cœur
de Jésus, qui paraît à la lin du xvie ; elles ont donné naissance
au xix'', à la dévotion, condamnée par Rome, du Cœur de
Joseph. La dévotion des sept Allégresses de la Vierge, qui
date du xm° siècle, suscite au xiv°, quand la piété catholique
s'abîme dans la méditation de la Passion, la dévotion des
sept Douleurs de Marie1. Le rosaire, inventé vers 1470 en
l'honneur de la Vierge, donne naissance, en 1 i9 i, au rosaire
de sainte Anne-, puis, au rosaire des Cinq Plaies3. Le
Salve regina, en l'honneur de la Reine de Miséricorde, donne
naissance, au début du x\T siècle, à des gloses versifiées en
l'honneur de diverses saintes, par exemple de sainte Agathe :
Salve, sancta Agatha,
Virgo et martyr inclyta...
Ad te clamamus in angustis eonstituti
Ad te suspiramuséVc. '*.
Ainsi, les dévotions sont soumises aux lois de limitation.
1. Anal. Bolland., t. XII. p. 336.
'l. Voir supra, p. 100.
:;. Ingeniosam, piam et Alexandro VII probalam coronam seu rosarinm
sacratissimorum J. C. vulnerum excogitavû G. de Wael a \ronesteyn. S. .1 .
(|- 1659 : libellum ejus quartum edidit Bru.rellae Fr. Foppens an. 1657
Paquot ad Molani de hist. SS imaginum, p. 93).
i. Horlulus animae Lyon. 1516), p. 133. dans Mone, Laleinische Hymnen
(Fribourgr. 1 s r, ; . t. II. p. 210.
SAINTS El SAINTES kl UANTEA1 PROTECTEUR 221
L'histoire du manteau protecteur vérifie cette remarque <l une
façon bien curieuse. Les saints et les saintes empruntent à la
Vierge le manteau symbolique. On trouvera, à la lin de ce cha-
pitre, le catalogue des personnages de la cour céleste qui sont
représentés abritant sous les pans de leur manteau l'Ordre ou
le couvent ' qu'ils ont tondes, la ville qui porte leur nom ' ou
qui s'est réfugiée sous leur protection ;; sainte Félicité et la
mère des saints Machabées abritent sous leur manteau leurs
sept enfants; sainte Catherine, à Sienne, saint Simon, à Pise,
témoignent de cette façon leur intérêt aux confréries de misé-
ricorde ; sainte Ursule abrite sous sa fourrure d'hermine les
onze mille Vierges.
Nul saint ou sainte n'a été figuré revêtu du manteau pro-
tecteur aussi souvent que la patronne de Cologne et de la
Sorbonne 4. L'une des suaves peintures dont Memling a paré
la châsse de Bruges a popularisé cette façon de représenter
sainte Ursule. Plus d'une fois la piété des fidèles et même
la sagacité des archéologues ont pris une représentation de
la Vierge au manteau pour une représentation de sainte
Ursule, ou réciproquement : ainsi feuHelbig a cru que la sainte
Ursule dite de Catherine Vigri au musée de Bologne repré-
sentait la Vierge de Miséricorde5. Il convient de s'arrêter un
instant à ces représentations de sainte Ursule, non pas tant k
cause de leur nombre que pour prévenir des confusions pos-
sibles, et aussi pour examiner si les plus anciennes représen-
tations de sainte Ursule abritant les Vierges sous le manteau
protecteur remontent à une date aussi haute que quelques
archéologues l'ont pensé.
A en croire M. Delpy -, la plus ancienne représentation de
sainte Ursule abritant ses compagnes sous le manteau de pro-
tection, serait un tableau colonais du commencement du
XVe siècle, au musée de Nuremberg. M. Delpy ignorait que
sur une chasse peinte du xme siècle, à la cathédrale d'Albi, l'on
voit sainte LTrsule abritant quatre Vierges martyres sous son
1. Sceau des Dominicaines de Poissy : saint Louis protège leur couvent,
qu'il a fondé PI. II. 5 .
'2. Sceau de François de Riguct, grand-prévôl <lc Saint-Dié.
•">. Fresque de Saint-Sébastien, par li. Gozzoli, à S. Gimignano PI. XVI .
i. Cf. deLouys, SainteUrsule triomphante descœurs, de l'enfer, de l'empire
et patronne du célèbre collège <h> Sorbonne, Paris, !,J.
.). Revue de l'art chrétien, 1889, p. 277.
6. Die Légende von der heiligen Ursula,von E. Delpj Cologne, 1901 . p. 91
222 chapitre xin
manteau d'hermine. Il ignorait aussi la châsse du village
de Kerniel, près Looz, au diocèse de Liège, qui fut peinte à
Liège en I2!>2, et où l'on voit sainte Odile abritant sous son
manteau d'hermine ses jeunes sœurs, Ida et Ima ; cette Odile
légendaire, dont la fierté de Kerniel était censée contenir
quelques ossements et qu'il ne faut pas confondre avec la
célèbre abbesse Alsacienne, aurait été >< l'une des chefs de
cohorte » de sainte Ursule. AL Delpy n'a pas connu non plus
la fresque de Linz ' où l'on voit sainte Ursule abritant six
Vierges sous son manteau et qui date de la fin du xme siècle.
Sur le retable émaillé du Kunstgeiverbemiiseum de
Cologne "-', sainte Ursule et deux de ses compagnes, sainte
Pinnosa et sainte Cordula, n'abritent personne sous leur
manteau. Ce retable est de la tin du xne siècle. C'est donc
entre la fin du xne siècle et la lin du xur que l'on a imaginé de
revêtir sainte Ursule du manteau symbolique qui venait
d'être inventé pour exprimer la miséricorde de Marie.
Si le type de sainte Ursule abritant ses compagnes sous
son manteau est, comme il est permis de le croire, d'origine
colonaise, d'autre part il faut se rappeler que Césaire d'Heis-
terbach, qui a le premier parlé de la Vierge au manteau, était
originaire lui aussi, des environs de Cologne : en somme,
le type de sainte Ursule abritant ses compagnes sous son
manteau est une raison de croire que le Cistercien anonyme qui
inventa le type de la Vierge au manteau protecteur était du
pays rhénan. Mais, comme on l'a dit plus haut 3, cette raison
n'est nullement péremptoire.
1. Sur le Rhin, entre Bonn et Coblence.
2. Delpy, p. 32.
.'î. Supra, p. 25.
Perdrizet, La Vierge de Miséricorde
l'I. XXIX
1. Sainle Bcggl
2 s i .iic ( ithenne de Sienne
3. Saintr Brigitte
4. Sainte Thérèse
Les saintes et le manteau protecteur
'Clichés de l'auteur
CATAL0G1 E
SAINT AUGUSTIN
1. Sceau d'un document lorrain du xve s. Participation des bienfaits,
suffrages et oraisons de l'Ordre de saint Augustin puni- Antoine de
Lorraine comte de Vaudémont et Marie de Haraucourt son épouse, accor-
dée par Julien de Salm, prieur général des Augustins le 20 mai I 'i'i~ .
Bar, "Chambre des Comptes, n° 84. Archives de Meurthe-et-Moselle,
B 543). Saint Augustin, en costume épiscopal, debout, de face, nimbé,
sous un dais, étend sa chape sur les ermites de son ordre, agenouillés
à ses côtés, deux par deux en rangs superposés. Ce groupe est sur une
arcade à trois entre-colonnements ; dans celui du milieu, le prieur, à
genoux. — PI. II, 6.
2. Dipinse Stefano (de Vérone, quattrocentiste) esternamente sopra la
porta latérale <Ii S. Eufemia à Vérone . S. Agostino con due altri Santi
Agostiniani <lai lati, sotlo al manto del quale vi stanno frati e monache
del suo ordino, e vi si legge in carattere gotico cordelato: Stephanus
pinxit, ma appena ora si conesce cite rappresentino Diego Zannandreis,
Le vite dei pittori, scultori e architetti Veronesi, pubbl. da G. Biadego,
Vérone, 1891, p. 45 ; cl". Milanesi, Vasari, III. p. 629 .
SAINTE BEGGHE
Sainte Begga ou Beggha -J- 21 déc. 698 . fille de Pépin de Landen,
abbesse d'Andenne en Brabant, est vénérée en Belgique comme la
fondatrice des Béguines et des Bégards : en réalité, les Béguines
n'apparaissent qu'en ! ISO et les Bégards qu'en l_2t) ( Schmidt, Précis
deVhist. de V Eglise, p. 148), Elle est généralemenl représentée abritant
sous son manteau, d'un côté les Bégards, de l'autre les Béguines : cf.
Detzel, Christliche Ikonographie (Fribourg, 1896), l. II. p. 188 : et,
mieux, le frontispice de la Vita S. Beggae viduae, ducissae Brabantiae,
Begginarum ci Beggardorum fondalricis, auctore J. G. a Ryckel ab
Oorbeck Louvain, 1631, i", mentionné par Guénébault, Dict. d'iconogr.
col. 877. A dr. les Béguines, à g. les Bégards : la Sainte couronnée de la
couronne ducale, lient dans la main g. le livre de sa règle ; elle l'avail
empruntée .:i l'abbaye de Nivelle, fondée par sa sœur sainte Gertrude ;
Les deux couronnes ducales, posées sur le livre de sainte Begghe, l'ont
allusion, je suppose, aux deux filles du duc Pépin. Dans la main droite,
■2'2Ï CATALOGUE
la sainlc tient les sept églises qu'elle a bâties à Ancienne : en mémoire
de ces sept églises, sainte Begghe a pour caractéristique une poule
avec sepl poussins.
PI. XXIX. I.
SAINT BENOIT
Florence, Pitti. Tableau de P. Yéronèse. Brogi,n° 7951. Saint Benoit,
debout, nu-tête, regarde au ciel, où l'on voit le mariage mystique de
sainte Catherine. Derrière saint Benoît, ses premiers compagnons,
Maur et Placide. Saint Benoît, la crosse abbatiale dans la main g.,
bénit de la main dr. cinq Bénédictines agenouillées à ses pieds sous sa
chape. La première est la sœur de saint Benoît, sainte Scolastique ;
pus d'elle, une colombe, symbole de l'innocence virginale. Sainte
Scolastique offre à saint Benoit une mitre abbatiale brodée de perles
et de pierreries: ce qui signifie que saint Benoit a été abbé des nonnes
comme des moines. Ce détail, joint à la vision céleste du mariage de
sainte Catherine, indique que le tableau provient d'un couvent de
Bénédictines : les nonnes sont, comme sainte Catherine, les épouses
mystiques du < Ihrist.
SAINT BERNARD
1. Vita et miracula J>. Bernardi Clarevalensis abbatis, opéra et indus-
tria Congregationis regularis observantiae ejusdem Hispaniarum ad
alendam pietatem universi ordinis Cisterciencès aeneis forints expressa...
Rome 1637, iu (Bibl. Nat., Est., Rd 69 . Ces planches ont été gra-
vées par Antonio Tempestini. La première représente saint Bernard
abritant sous ses bras en croix à droite le Pape et le Boi, le Cardinal
et des abbés mitres, à gauche les religieux Cisterciens. En haut,
celle citation d'Isaïe, ambulabunt génies in luniine tuo et reges in
splendore ortus lui. En lias, celle inscription : religio D. Bernardi
nurnerosa omnis generis multitudine propagatur, et au-dessus cette
épigramme (par Julius Roscius Hortinus :
Aspice i/udI caris gentes amplectitur ulnis,
Nomina quoi regum nomina quoique ducum ;
Hic plures mitra insignes roseoque galero ;
Bexere el Pétri quinque per alta ratem.
Accédât, Bernarde, luis haec gloria factis,
Quod tantas actes sub tua signa trahis.
2. Sancti Bernardi doctoris melliflui ritae medulla, quinquaginta tribus
iconibus representata,expensis abbatiae B. Mariae de Baudeloo in civitate
Gandaviensi a/ma 1653 (Bibl. Nat., Est., Rd 68). Planches dessinées par
Ph. Fruyties, gravées par Jac. Neeffs. La dernière représente saint
Bernard en prière, abritant sous ses bras en croix un roi, un cardinal,
des évêques, des abbés et des moines. En haut, la même citation d'Isaïe
que sur la gravure précédente. En bas : Bernardns in filiis suis hono-
ra lus.
CATAL0G1 l. 228
SAINTE BRIGITTE
Gravure de Jean Meyssens (né à Bruxelles en 1612). Sainte Bri-
gitte de Suède f 8 oct. 1344 implore la Vierge el La Trinité pour les
Brigittains et Brigittaines agenouillés sous son manteau. De sa bouche
moult» vers le Père cette prière: Pater sancte, serva eos in nomine tuo
quos dedisti mihi « in nomine tuo », parce que l'Ordre fondé par
sainte Brigitte s'appelle Ordre du Saint-Sauveur . Le Chrisl el La
Vierge joignent leur intercession aux prières de La Sainte. A ses pieds
nue couronne royale (Brigitte était fille de roi cl renonça à son rang
pour devenir religieuse), un livre le livre des Révélations), un cha-
peau de pèlerin et un bourdon pour rappeler les pèlerinages de
Brigitte à Saint-Jacques, à Home, à Jérusalem . On remarquera, sur le
voile qui coiffe la Sainte et ses filles, le curieux insigne des Brigittaines:
c'est, dit Hélyot Hist. des Ordres monastiques, I. IV, p. 31 . « une cou-
ronne de toile blanche sur laquelle il y a cinq petites pièces rouges
comme autant de gouttes de sang » dévotion des Cinq plaies
PI. XXIX, S.
SAINTE CATHERINE DE SIENNE
Sienne, Santa Maria </<•//,•< Scala. Lombardi, n° L70. Tableau de Sano
di Pietro (1406-1481 . Sainte Catherine de Sienne, nimbée, dans une
main le crucifix, dans l'autre le lis virginal, abrite sous son manteau
quatre pénitents blancs de la Compagnia di Sa Caterina délia nolte,
l'une des confréries qui ont leur siège à l'église >' Maria, sous
1 hôpital délia Scala. On montre encore, à côté de la chapelle de
celle confrérie, la cellule où la Sainte se retirait pour prier, quand elle
venait soigner les malades de l'hôpital (Heywood-Olcott, .1 guide to
Sic/,;t, p. 268 .
PI. XXIX, 2.
SAINTE CLAIRE
1. Milan, Musée du Castello, n° 42*'» provienl d'un couvent détruit).
Sainte Claire protégeant sous son manteau les Clarisses agenouillées.
Fresque du \V siècle, école lombarde.
2. Sainte Claire abritant les Clarisses sou^ son manteau. Petite
vignette dans le cadre du frontispice des /cônes Sanctae Clarae, publiées
a Anvers par Collaert wir s. . La Sainte tienl dans la main droite la
monstrance, qui est sa caractéristique ordinaire (Cahier, II, p. 56a .
3. Une composition d'un artiste belge contemporain, feu Béthune,
représente, je ne sais d'après quelle tradition, sainte Claire abritanl sous
Perdrizet. — La Vierge île Miséricorde. i;>
226 CATALOGUE
son manteau 1rs Saintes franciscaines (J. Helbig, Le baron Béthune
fondateur des écoles Saint-Luc, Bruges, 1906, pi. XLV).
SAINT DIÉ
Bulletin de ht Société philomathique de Saint-Dié, t. XIV (1889, p.
133, pi. VII, ûg. 19. Sceau de François de Riguet, grand prévôt de Saint-
Dié depuis 1659. Le saint, en costume épiscopal, la tète auréolée
de lavons, debout, de face, étend sa chape sur les deux églises de sa
ville, Saint-Dié et Notre-Dame. Au pourtour, cette légende: ^ SIGIL-
LVM-PRAEPOSITI.ECCLESIAE.SANCTI.DEODATI.AD.CAVSAS.
SAINT DOMINIQUE
1. Pinacothèque de Vérone, n° 38k Tableau archaïque, divisé en 24
compartiments, dans chacun desquels est figuré un saint. Il provient
probablement d'un couvent de Prècheresses, car le compartiment ver-
tical, qui est plus grand que les autres, est occupé par saint Domi-
nique abritant sous son manteau six Dominicaines (De Mandach, Saint
Antoine d*' Padoue, p. 120). De Catalogue du musée de Vérone dit à tort
qu'il s'agit de saint Antoine, « che col manto copre sei suore di
carità ».
2. Dans l'église des Dominicaines de Vérone, Sa Anastasia, quatre
fresques de Paolo Farinato (vénitien, 1524-1606] représentant saint
Dominique abritant sous son manteau les Dominicains (n° 1), les Domi-
nicaines n" 2 , les frères et les sœurs du Tiers-ordre dominicain,
fralres cl sorores de poenitentia S. Dominici in0" 3 et 4).
SAINTE FÉLICITÉ
Crosse de bois doré, du xv siècle, à l'église Sainte-Ursule de
Cologne. Sur une face, sainte Félicité abritant ses sept fds sous
son manteau. Félicité fut martyrisée avec ses enfants sous Marc
Aurèle, en 162 (Goyau, Chronologie, p. 216). Ils s'appelaient Janvier,
Félix, Philippe, Sylvain, Alexandre, Vital et Martial. Le culte dont ils
mil été honorés au moyen âge est attesté par la Légende dorée ch. xci :
</<• Vil fratribus qui fuerunt filii bealae Felicitatis). — L'autre face repré-
sente sainte Ursule abritant ses compagnes sous son manteau. Cf.
Cahier et Martin, Mélanges d 'archéologie, t. IV, p. 250, fig. 146; Carac-
téristiques, t. II, p. 472; Bock. Trésors de Cologne, pi. VI, fig. 22; Gri-
moiiard de Saint-Laurent, Guide de Vart chrétien, t. V, p. 482.
SAINT GÉRÉON
Gravure incunable, à la Bibl. Nat. de Paris (Bouchot, Les 200 incu-
nables xylographiques du Cabinet des estampes, pi. LXXVII, p. 240).
i \ i IlLogi e 227
Sainte Ursule abrite ses compagnes sous le manteau protecteur; à La
gauche de la puissante patronne de Cologne, c'est-à-dire à la
deuxième place, saint Géréon abritant le Pape, le- Roi et une foule
d'hommes. Bouchot attribue cette gravure à la Flandre française vers
1460 . je ne sais pour quelle raison. La légende raconte que Géréon
étail un officier chrétien qui commandai) un corps de chrétiens
d'Afrique; il fui massacré à Cologne avec ses compagnons d'armes.
La splendide église qui lui est consacrée à Cologne possède les osse-
ments de ces martyrs. La légende de saint Géréon fait symétrie, si l'on
peul ainsi dire, avec celle de sainte Ursule : c'en csl le doublet au mas-
culin ; comme celle de sainte Ursule, elle doil s'expliquer par la
découverte, au moyen âge, d'un cimetière datant des premiers siècles
chrétiens. La dévotion de saint Géréon étant spéciale au pays du Rhin,
et Bouchot n'ayant point prouvé qu'elle ait été répandue dans la Flandre
française, je crois prudent de ne pas enlever à la région rhénane la gra-
vure du Cabinet des estampes.
JEANNE DE FRANCE
Gravure in-f°, au Cabinet des estampes de la Bibl. Xat.de Paris,
éditée en 1619 à Anvers par Michel Snyders et dédiée à Alberl
et à Isabelle-Claire-Eugénie d'Autriche, gouverneurs des Pays-Bas,
par le P. Paludanus, de l'Ordre des Minimes. Arbre généalogique
des maisons de Valois et de Bourbon, depuis saint Louis. Au centre,
dans un médaillon ovale, la bienheureuse Jeanne de France (1464-
1505, béatifiée en 17 i.'{ . tenant dans la main droite un crucifix cf.
Cahier, t. I, p. 294), de l'autre une branche de lis. Elle porte le cos-
tume de l'Ordre des Annonciades, dont elle est la fondatrice, et abrite
sous son manteau dix religieuses agenouillées. ( >n sail que Jeanne de
France était contrefaite : l'artiste n'a pas hésité à le rappeler. A droite
de la Bienheureuse, l'Enfant Jésus, un panier au bras gauche, et de la
main droite tendant à Jeanne une bague, celle, dit Cahier (t. I, p. \'-'< ,
que la Sainte porta depuis le jour où l'Epoux céleste eut remplacé
pour elle le prince qui l'avait répudiée B. de Maulde, Jeanne de
France, duchesse d'Orléans ri de Berry, Paris, 1883, p. il-', donne une
autre explication). Sur la robe de l'Enfant sont représentés les instru-
ments de la Passion, dés, couronne d'épines, tunique, marteaux,
deniers de Judas. Dans le champ, deux petits médaillons, contenant
l'un l'Annonciation, l'autre les armoiries de l'Ordre de l'Annoneiade.
SAINTE JULIENNE
Triptyque daté de F57<>, au musée de Pérouse, provenant, comme
beaucoup d'autres tableaux du même musée, de Sainte-Julienne, cou-
vent de Cisterciennes, bâti aux portes de Pérouse en 1253 par le car-
dinal Jean de Tolède, Cistercien, évêque de Porto; ce couvenl serl
aujourd'hui d'hôpital militaire. Sur le volet de droite, saint Christophe;
sur le volet de gauche, le cardinal Jean de Tolède; sur le panneau
central, sainte Julienne, couronnée, étendant son manteau sur des
->2cS CATALOGUE
nonnes Cisterciennes agenouillées à ses pieds et sur un Cistercien, leur
aumônier. Au-dessous, ces inscriptions : 1° Révérend issima sancta
Juliana. 2" Hoc opus fecit fieri reverenda muter Gabriella abbalissa
monasterii sancte Juliane de mense Augusti, quo mense recepit caput
supra dicte Juliane adventu fratrum predicatorum de Perusio.
SAINT LOUIS
Sceau des Dominicaines de Poissy, appendu à un acte de 1397. Douët
d'Arcq, t. III, n° 9454. Maintes l'ois reproduit: Demay, Le costume au
moyen âge d'après les sceaux, p. 449; Lacroix, Vie militaire nu moyen
âge et à la Renaissance, 3L' éd., p. 372; Balme et Lelaidier, Cartulaire
de saint Dominique, t. II, p. 61; Gaz. des Beaux-Arts, 190'.'», II, p. 409.
Saint Louis, de face, debout, couronné et nimbé, la tête 'accostée des
lettres S. L. (Sanctus Ludovicus), et abritant des pans de son manteau
deux groupes de Dominicaines agenouillées. S. CONVENTVS SOHORV
SCI LVDOVICI DE PVSSIACO ORD PREDICATORVM. — PL II, 5.
LA MÈRE DES SEPT SAINTS MACHABÉES
Sceau de l'église des sept saints Machabées à Lyon, exposé par l'an-
tiquaire Hoffmann à l'Exposition rétrospective de 1889; xiv° siècle.
La mère des sept Machabées les abrite sous son manteau.
La dévotion des sept Machabées provient d'Orient, où elle est floris-
sante encore aujourd'hui (Didron, Manuel, p. 328); en Occident, au
moyen âge, elle fut assez, répandue. Elle a son origine dans le passage
du deuxième livre des Machabées (VII, 1-42), où il est raconté comment
sept jeunes Israélites, n'ayant pas voulu manger de viande de porc,
furent misa mort par ordre d'Antiochus; leur nom n'est pas dit dans
l'histoire; mais la piété populaire n'a pas consenti à les laisser tout à
fait anonymes : elle les a appelés Machabées, du nom du livre où leur
histoire est racontée (Cahier, Caractéristiques, t. I, p. 349). L'Eglise
latine, au rebours de l'Église orientale, a marqué beaucoup de répu-
gnance pour les sainls de l'Ancienne alliance (Didron, op. laud.,
p. 132), Pierre Comestor (Hist. schol., lib. II Mach., cap. I, col. 1522-3
Migne) cl Jacques de Varazze {Légende dorée, ch. 109) donnent les
raisons qui ont décidé l'Église latine à faire exception en faveur des
saints Machabées. Au portail méridional de Chartres, ils ornent une
voussure, autour du tympan où est figurée la lapidation de saint
Etienne : les jeunes martyrs de l'Ancien Testament « servent de cadre,
comme de guirlande » au Protomartyr de la Nouvelle Alliance.
SAINT MAURICE
Comme exemple de saints et saintes abritant sous leur manteau des
personnages agenouillés, Cahier (II, p. 540) cite saint Maurice et sainte
Ursule. .le ne connais aucun document iconographique où saint Maurice
soil gratifié du manteau protecteur.
Peiidiuzet, La Vierge <lc Misèric
l'I. XXX
i mai ogi i 229
SAINTE ODILE
L'une des peintures de la châsse de Kerniel, près de Looz Bel-
gique , représente sainte Odile, « l'une des chefs de cohorte » de
sainte Ursule, abritant sous son manteau ses jeunes sœurs Ida et
Ima : dans la main gauche, Odile devait tenir une flèche. La Qerte de
sainte Odile a été peinte à Liège en 1292, ci. mine le constate un docu-
ment <[ui y fut renfermé, peu d'années après la translation «les
reliques de sainte Odile, de Cologne à l'églisedu couvent des Croisiers à
Huv : cf.J. Helbig, Lu châsse de sainte Odile, dans Le Beffroi, t. II 1864-
1868 , |». 31 ; du même, La pointure nu pays de Liège Liège, 1903),
pi. II, p. 36, et L'Art Mosan (Bruxelles, 1906 , t. I, p. 75. Bouchot, qui
a tenté d'annexer à l'art français beaucoup d'oeuvres de l'art des Pays-
Bas, attribuait, sans raison, la châsse de Kerniel ;'i un atelier parisien,
ainsi <pie celles d'Albi et de Noyon (Les primitif* français, p. 53 ; el
comme il travaillait vite, il appelle << châsse de IIuv » la châsse de Ker-
niel, et donne â M. James Weale l'article de feu Ilelbig. La description
que celui-ci a faite de la châsse de Kerniel n'est pas sans défaut. Il
décrit ainsi le premier panneau, qui se compose de deux scènes diffé-
rentes : « A gauche, arrivée d'Odile el de ses compagnes à Home; elles
y sont reçues par le pape et deux évêques. A droite, une scène dont
nous ne retrouvons pas l'explication dans la légende des Onze mille
Vierges. Une reine dans un bateau, accompagnée d'une troupe de jeunes
filles, semble appeler â elle un autre groupe de femmes qui s'avance
vers l'embarcation... » En réalité, la scène de gauche représente sainte
Odile quittant Rome avec ses compagnes, et recevant la bénédiction du
pape; elle porte à la main une croix à grande hampe, en signe de com-
mandement, et, au front, la couronne de reine, parce qu'elle est fille de
roi (comme Pinnose el Ursule; cf. infra, p. 233 . A droite, Odile, recon-
naissable à la croix et à la couronne, préside â l'embarquement de ses
compagnes. Celle qui va monter La première dans le bateau tient une
fiole, peut-être une eulogie.
SAINT SÉBASTIEN
Fresque de Benozzo Gozzoli, dans l'église Saint-Augustin, â San-
Gimignano (1464). Saint Sébastien abrite sous son manteau, contre
les flèches de la peste, les gens de San-Gimignano. Voir plus haut.
p. 113. — PL XVI.
SAINT SIMON
« P/.s.t, Museo civico. Cecco di Pietro 15. Jahrhundert. St. Simon mil
dem Schutzmantèl ; darunter Misericordienbriider ». Krebs [Maria mit
dem Schutzmantèl, p. 35 , auquel j'emprunte celle notice, ne dit pas s'il
s'agit d'une peinture ou d'une sculpture.
230 CATALOGUE
SAINTE THERESE
Gravure de Jean Eillart, n" 19 de la Vie de sainte Thérèse (cette suite
n'esl pas mentionnée par Le Blanl ; Eillart, qui se qualifie de Frisius,
vivait au milieu du xvne siècle). Sainte Thérèse abrite sous son man-
teau, à droite, les Carmélites; à gauche, les Carmes. Au-dessous, cette
légende : De fructu manuum suarum vineam feracissimam plantavit et
utriusque sexus Carmelitarum faecunda parens effecta, tota terrarum
orbe magna gentium devotione eolitur et ab ea coepta reformatio in
dies propagatur. — PI. XXIX, 4.
SAINTE URSULE
Nous ne saurions énumérer d'une façon complète les monuments
qui représentent sainte Ursule abritant ses compagnes sous le manteau
protecteur : peintures, sculptures, gravures, vitraux, illustrations
peintes ou gravées des livres d'Heures, monnaies et jetons, médailles de
dévotion, vêtements sacerdotaux, objets d'orfèvrerie formeraient une
liste interminable (cf. Detzel, Christl. Ikonographie, t. II, p. <>62!. Nous
nous bornerons à signaler les monuments les plus importants, ou ceux
qui nous ont paru offrir quelque particularité intéressante. Plu-
sieurs de ces représentations montrent sous le manteau de la Sainte,
outre les Vierges ses compagnes, divers personnages, un pape, un
roi, un cardinal, un archevêque, un évêque. Il ne faut pas dire, comme
on l'a fait l!rvu<> <!<> fart chrétien, 1885, p. 130), que sainte Ursule
abrite sous son manteau des ■< gens de tout état » ; les personnages
en question sont parfaitement déterminés par sa légende : le pape
s'appelait Cyriaque, il abdiqua la papauté pour suivre Ursule et subir
le martyre avecelle, à Cologne; le cardinal et l'archevêque s'appe-
laient Vincent et Jacques, ils suivirent le pape Cyriaque; l'évêque est
Pantulus de Haie; le roi est Ethelreus, fiancé d'Ursule, venu à sa ren-
contre à Cologne et martyrisé avec elle. Cf. Legenda aurra, clviii
(De undecim millibus Virginum .
1. Fresque de la fin du xme s., dans l'église catholique de Linz-am-
lthein : sainte Ursule abrite six Vierges sous le manteau protecteur.
Cf. Paul Clemen, Die romanischen Wandmalereien <Ier Hheinlande
(t. XXV des publications de la Gesellschaft fur rheinische Geschichts-
kunde , pi. ils.
2. Chasse peinte de la fin du xme siècle, à la cathédrale d'Albi, men-
tionnée dans le .VA" A*1 congrès archéol. de France, p. M 2, et appréciée
d'une façon bien surprenante par P. Mantz (La peinture française du
IXe siècle à la fin du XVI0, p. 125), qui y a découvert « cette qualité dont
réniers et les modernes revendiqueraient volontiers le privilège et qui
s'appelle l'esprit. » Elle a été étudiée par le baron de Rivières dans la
CATAL0G1 i 23 I
Revue archéol. du Midi, l. I 1866), nos 10-11, el à part, avec une chro-
molithographie tout à l'ail insuffisante. Je dois La photographie du pan-
neau de sainte Ursule t'1 une description détaillée de L'ensemble, à
M. l'abbé Jules Puget, d'Albi. Cette châsse esl en bois de châtaignier,
solide mais grossière; La forme, très -impie, rappelle celle des boîtes à
jouets qu'on appelle « arches de Nbé ». II. 0 m. i">. Long. 0 m. 54,
larg. 0 m. 25. La peinture esl sur couche de plâtre appliquée sur une
toile de lin, laquelle a été collée à forte colle sur Le bois (pour cette
technique, don! Vasari attribue, à tort, l'invention à son compatriote
Margaritone d'Ârezzo, cf. Bouchot, Les primitifs français, p. .">, et Per-
drizet, La peinture religieuse en Italie jusqu'à là fin du XIVe siècle,
p. 23 . Le toit forme couvercle, les charnières soûl sur une des longues
faces, celle où se trouve la représentation de sainte Ursule. La Sainte,
couronnée et nimbée, soulève de ses bras écartés son manteau de reine,
un manteau immense, doublé d'hermine; deux Anges L'aidenl à le tenir
ouvert. Quatre Vierges, à l'ombre de ce manteau, semblent marcher
vers Ursule; elles sont nimbées et portent, dans une main, un livre,
dans l'autre main, la palme du martyre. Sur une bande au-dessus des
cinq vierges sont peints leurs noms; les voici, en allant de gauche
adroite: Sa Florentiana, Sa Mabilia, Sa Ursula, Sa Ecleta, Sa Cris-
tencia. Aux deux extrémités de la composition, sous la bande blanche,
deux écussons pareils, presque effacés, portant d'or, au bœuf passanl
de gueules, à la bordure engrêlée de même : ce sont les armes du
donateur, probablement des armes parlantes. Un obituaire d'Albi
(Bibl. d'Albi, ras. 8, f° 28) rapporte que le 23 juin 1391 obiit
B. Vaquerius... rector Colonie Cologne-sur-Gers, près Toulouse), cha-
noine d'Albi. Au xive siècle, un Pierre Vacquier fut capitoul de Tou-
louse (Brémond, Nobiliaire toulousain, éd. de 1863 . Le donateur de la
chasse d'Albi était peut-être un Vacquier de la lin du \iiir siècle.
Sur le versant arrière du couvercle, on distingue assez mal, au
milieu, la Vierge Marie, trônant, avec l'Enfant, entre saint André
[S.Andrieu) et une Sainte qui parait être sainte décile Cecelia ? : à côté
de saint André, les mêmes armoiries (pie précédemment.
Les petits côtés portent, l'un un saint évêque, l'autre, semble-t-il,
saint Laurent avec le gril. Sur la grande face de devant, trois bustes
sans inscriptions, médiocrement peints : je ne saurais dire s'ils sont de
la même date que les autres peintures de la châsse, et s'ils ne repré-
sentent pas des bustes- reliquaires. Aucune trace de peinture ne sub-
siste sur le versant antérieur du couvercle.
Sainte Ursule était particulièrement en honneur dans Le diocèse
d'Albi. Une chapelle lui était dédiée dans la cathédrale; plus lard,
cette chapelle a porté le nom de Saint- Barthélémy; elle est aujourd'hui
consacrée à saint Sébastien . On lit dans la Description naïve et sen-
sible de la fameuse église Sainte-Cécile d'Albi, publiée d'après un ras.
inédit, et annotée par M. Eugène d'Auriac : « A l'opposite de saint Joseph
et de Moïse, et du côté de l'épître, sont peints le patriarche Jacob
el le prophète .louas... A la pointe des arceaux, du côté de l'épître,
sont représentées sainte Ursule et sainte Agnès, et à la l'ace opposite
sainte Barbe el sainte Véronique... » des peintures auraient été exécu-
tées de 1503 à 151.';.
232 CATALOGUE
Les érudits Locaux qui se sont occupés du culte des Saints dans
l'Albigeois ignorent quelles sont les Saintes qui, sur la châsse de la
cathédrale, sont groupées sous le manteau de sainte Ursule. L'abbé
Salaberl Les saints du diocèse d'Albi, 2e éd., Toulouse, 1892, 2 vol. 8°)
n'en <lil pas un mot. On chercherait vainement les noms des trois der-
nières dans les listes de Saints publiées par Mas-Latrie [Trésor de chro-
nologie . Giry [Manuel de diplomatique , Cahier [Caractéristiques). Il est
vrai que la liste de Mas-Latrie mentionne dans le Midi un saint Mabilis=
Amabilis, dont le nom esta rapprocher de notre Sa Mabilia. Le nom
que nous avons lu Ecleta (= Eclecta) a paru au baron de Rivières être
Celeta (= Cadesta'?). Quant à Sa Florentiana, qu'il faut sans doute identi-
fier avec la parvula. Florentina, sieur cadette du fiancé de sainte Ursule
[Légende dorée, ch. clviii, p. 70»- Cirasse), il en est question dans un pro-
cès-verbal de visite, daté de 1G98-1G99, qui a été publié par M. de
Rivières Hull. monumental, 1873-1875, p. 32 du tirage à part) : « une
maschoire inférieure où il y a onze dents avec un escriteau par lequel il
paroitque celte relique est de sainte Florentiane. » Le procès-verbal ne
mentionne aucune relique des autres saintes ; mais l'on sait que la
cathédrale d'Albi possédait quelques parcelles du corps de sainte Ursule :
la peinture même de la châsse suffirait à le prouver.
PL XXIV, 2.
4. Pinacothèque de Bologne in" 202), peinture attribuée faussement à
Caterina Vigri et datée de 1452. Sainte Ursule, de taille gigantesque,
abrite sous son manteau ses compagnes, qui sont coiffées de la couronne
des élus: la première de chaque côté tient une haute bannière aussi
haute (pie la Sainte; ces bannières sont à croix rouge sur fond blanc.
Reproduction dans Jameson, Sacred and legendary art, t. II, p. 502 et
clans J. Helbig, Le baron Béthune, fondateur des écoles Saint-Luc (Bruges,
1906), p. 212; cf. Grimoïiard de Saint-Laurent, Guide, t. V, p. 517. On a
dit, à tort, que ce tableau représentait la Vierge de Miséricorde abritant
deux confréries de Bologne Berne de l'art chrétien, 188"», p. 277).
5. Nuremberg, musée germanique. Katalog der Gemâlde, éd. de 1893,
n° 9 ; Zeitschrift fur christliche Kunst, 1895, p. 315; Delpy, p. 71.
Tableau colonais, d'un élève ou imitateur de Ilermann Wynrich, vers
1430. Sainte Ursule debout, de face, avec la couronne, la palme et la
flèche, abritant quatre Vierges sous son manteau. A sa droite, saint Jean-
Baptiste. A sa gauche, une Sainte tournée de profil, regardant sainte
Ursule; elle aussi a la couronne, la flèche et abrite des Vierges sous
son manteau. D'après le Catalogue de Nuremberg, le peintre aurait
figuré deux fois sainte Ursule. Cette explication est inacceptable. Il est
vrai que les artistes du moyen âge représentent souvent deux fois le
même personnage dans la même composition, mais c'est quand ils ont
à montrer deux événements successifs d'une même histoire ; or, ici, il
n'y a pas d'histoire, il ne se passe rien. M. Delpy propose, avec toute
vraisemblance, de reconnaître dansla sainte de profil sainte Pinnosa,ou
Vinnosa,dont il est question dans le Sermo inNatalibus. Ce panégyrique
qu'on lisait le jour anniversaire delà « naissance » (natale) à la vie éter-
nelle des Vierges colonaises, autrement dit le jour de leur martyre, fut
CATAL0G1 l
233
écrit entre 731 el 834 ; il nous représente les traditions qui avaieni cours
à Cologne au vme siècle, concernant les onze mille Vierges. On j voil
qu'à cette époque, la fille du roi breton ne s'appelail pas Ursula, mais
Pinnosa. Le Sermo in Xatalibus a été publié dans les Acta SS, octobre,
IX. p. 154-157 et dans les Bonner Jahrbùcher, 1890, p. 118-124; cf.
Potthast, Bibl. med. aevi, t. II, p. 1615, el Delehaye, Les légendes hagio-
graphiques, 2e éd., p. 26. C'est au xr siècle qu'au nom de Pinnosa se
substitue celui d'Ursula, el que parait la légende, popularisée depuis
par les peintres colonais, par M emling et Carpaccio cf. Ludvâg el Mol-
iiienli. Vittore Carpaccio, Milan, L905 . En somme, le tableau de Nurem-
berg témoigne de l'incertitude de la tradition quant nu nom de la con-
ductrice des Onze mille Vierges. La châsse de saint Odile, à Kerniel,
qui date de la fin du xme siècle voir supra, p. 229 , montre qu'au dio-
cèse de Liège tout au moins, on croyait que les Onze nulle Vierges
avaient eu à leur tète non pas Ursule, ou Pinnose, mais Odile.
6. Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, 70 Verzeichnis,éd. 1903, p. 21 ;
Scheibler-Aldenhoven, Geschichte der Kôlner Malerschule, p. 163 et 100.
Reproduction dans Delpy, p. 76. Fragment du retable de l'abbaye béné-
dictine d'Heisterbach. Le retable, dont les morceaux sont dispersés
entre Cologne, Munich, Augsbourg et Nuremberg, est de l'école de
Stephan Lochner (lre moitié du xvp siècle. Le fragment du Wallraf-
Richartz Muséum, que Delpy p. 78 s'est efforcé d'attribuer à Lochner
lui-même — ce serait une œuvre de la jeunesse du maître — , repré-
sente la Sainte abritant sous son manteau quatre Saintes plus petites,
nimbées, debout. Dans la main droite. Ursule tient la flèche; dans la
gauche, la palme.
7. Polyptyque colonais, du début du xve siècle, 'au musée grand-ducal
de Darmstadt (n°160). Au milieu, Jésus en croix. A droite, entre autres
saints et saintes, sainte Ursule abritant cinq de ses compagnes sous son
manteau. Cf. Zeitschrift fur christl. Kunst, 1895, n° 10; Klassischer Bil-
derschatz, n° 247; Delpy, p. 74; Scheibler-Aldenhoven, p. 136.
8- Kcole du Maître de la Vie de Marie vers 1400-1490) :
1° Galerie d'Augsbourg (n° 6). Cf. Delpy, p. 80; Scheibler-Aldenho-
ven, p. 230.
2° Pinacothèque de Munich n° 34). Cf. Delpy, p. 81; Scheibler-
Aldenhoven, p. 221.
9-10. Ecole du Maître << der heiligen Sippe » vers 1480-1520) :
lu Musée Germanique, Nuremberg, n° 33. Cf. Delpy, p. *i: Scheibler-
Aldenhoven, p. 249.
2° Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, n° 222. Cf. Delpy. p. 85.
11-13. Maitre de Saint-Séverin commencement du xvie siècle :
1° Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, n° 12o. Adoration des Mages.
Cf. Delpy, p. S'.i ; Scheibler-Aldenhoven, pi. 92, p. 27'.'; Wôrmann,
Kunstgeschichte, t. II, p. Î'.O.
2" Tableau de l'église Saint-Séverin à Cologne. CA'. Delpy. p. 90.
23 i CATALOGUE
3° Petit tableau au Wallraf-Richartz Muséum. Cf. Scheibler-Alden-
hoven, p. 2SC).
14. Cologne, presbytère del'église Sainte-Ursule, tableau daté de 1515,
attribué à un élève du Maître de Saint-Séverin Zeitschvift fur bildende
Kunst, 1892, pi. X; Scheibler-Aldenhoven, pi. 98, p. 291; Delpy, p, 92,
lio. ;, (a p. 95 . Sainte Ursule présente à l'Homme de douleurs le dona-
teur agenouillé, un chanoine de Cologne; aux pieds de la Sainte sont
assises deux de ses compagnes; une troisième, en prière sous le man-
teau protecteur, intercède auprès du Christ pour le chanoine.
15. Cologne, Wallraf-Richartz Muséum, n° 210 ( Verzeichnis, éd.
1903, p. 50). Tableau colonais, de la première moitié du xvie siècle.
16. Gravure incunable (allemande?) de la Bibliothèque Nationale :
cf. supra, p. 227 (saint Géréon).
17. Crosse en bois doré, du xve siècle, à l'église Sainte-Ursule de
Cologne. Voir supra, p. 220 (sainte Félicité .
18. Statue en pierre à Saint-Michel de Bordeaux, jadis dans le clo-
cher, maintenant dans la chapelle des fonts. Cf. Marionneau, Descr. des
œuvres d'art qui décorent les édifices public* <l<- Bordeaux (1861), p. 298;
Corbin, Saint-Michel de Bordeaux, étude hisl.et archéol. Bordeaux,
|S7: , p. 01; Guide illustré <lans Bordeaux et ses environs Bordeaux,
Gounouilhou, 1904, in-18), p. 50. avec similigravure. Cette sculpture a
été restaurée : sont modernes la tète de sainte Ursule, le livre recou-
vert d'un linge que la Sainte tient dans la main droite, les tètes de plu-
sieurs petits personnages. Sous le manteau, au premier rang, le pape
Cyriaque, le roi Ethelreus, le cardinal Vincent, Jacques, archevêque
d'Antioche, l'évêque de Bàle et un sixième personnage laïque dont je
ne sais pas le nom; les compagnes de la Sainte sont étagées derrière,
sur plusieurs rangs. Les costumes indiquent le commencement du
xv siècle. Je dois la photographie «le celle curieuse statue à l'amitié de
M. Paul Vitry.
19. Statue en pierre, du xve siècle, dans l'église d'Avioth (Meuse .
Cf. Chaudel, Ann. de V Institut archéol. du Luxembourg belge, Arlon,
1902-1 90 \.
20. Cologne, Musée Wallraf-Richartz, n° fOii Verzeichnis, éd. de 1903,
l>. 100 . Ancienne copie d'après un maître hollandais du commencement
du xve siècle. Triptyque : au centre, la Nativité; sur le volet de droite,
sainte Ursule avec deux flèches dans la main, étendant son manteau
sur le pape, le cardinal et les vierges.
21. Une miniature, dans un livre d'Heures de la Bibl. Nat. (ms.lat.
10945 . représente sainte Ursule abritant ses compagnes sousson manteau
et tenant trois flèches, au lieu d'une : même particularité dans une pein-
ture murale du xvc siècle, à l'église Notre-Dame de Trêves. Cette par-
i \ i \i.mi,i i;
235
bicularité s'explique probablemenl par l'influence d'un thème iconogra-
phique donl nous avons parlé plus haul ch. VIII .
22. Peinture de Memling, sur l'un des petits côtés de la châsse de
sainic ! rsule (Reinâch, Répertoire, [1,694, dit à torl quecette peinture
orne un » grand médaillon » de la châsse . au musée de l'hôpital Saint-
Jean a Bruges : Braun, n° 24403; Hanfstângl, n° 25. Cf. Jameson,
Sacred and legendary art, Gg. 127; Le musée d'art, t. I. p. M3; Lud-
wig el Molmenti, Vittore Carpaccio, pi. a la p. 106. Ursule, lenanl la
flèche dans la main droite, la tête ceinte d'une légère couronne de perles,
abrite sous son manteau dix de ses compagnes.
*22. Retable d'un peintre brugeois anonyme. Cette peinture est per-
due. On la connaît par le « Maître de la Légende de sainte Ursule »,
qui l'a représentée sur le panneau delà « Vénération des reliques des
onze mille Vierges Friedlânder, Meisterwerke der niederl. Malerei,
pi. XXXVIII .
23. Gravure incunable de la Bibliothèque Nationale, attribuée par
Bouchot Les 200 incunable* xylographiques du Cabinet des Estampes,
pi. LXXVI, p. 239 à la Flandre française, je ne sais pour quelle raison.
24. Tableau flamand du commencement du xvie siècle, dans l'église
d'Hesdigneul-lez-Béthune Pas-de-Calais . provenant de l'ancienne
Chartreuse du Val-Saint-Esprit à Gosnay, publié dans le Bull, archéol.
du comité, 1901, p. 18, pi. XIII. Sainte Ursule, tenant la flèche, abrite
dix Vierges sous les pans de son manteau.
25. Statuette en bois, art flamand, xv ou xvr siècle, appartenant à
la baronne van Caloen de Gourcy à Bruges, et qui figurait, en 1905, à
l'Exposition d'art ancien organisée dans l'hôtel de la Gruuthuuse à
Bruges (n° 122 .
26. Retable en bois polychrome, exécuté à Bruxelles, au :omraence-
ment du xvie siècle, aujourdhui à Waldstena Suède : l'un de- sujets
représentés sur ce retable serait une sainte Ursule abritant ses com-
pagnes sous son manteau (Destrées, dans Mém. de la Soc. des anti-
quaires de France, t. Idl, p. 67 .
27. Statuette en bois du musée d'Amsterdam. CL Catalogue van de
Beeldhouwerken in het Nederl. Muséum, n° 96 ; A. Pit, La sculpture
hollandaise au Musée national d'Amsterdam Amsterdam, Van Rijkom,
s. d., f°), pi. XVIII. Travail rhénan du commencement du xvi" siècle.
Sainte Ursule abrite de chaque côté une demi-douzaine de Vierges. Le
manteau a disparu : l'espèce d'écharpe que lient sainte Ursule n'est
autre chose qu'une très longue manche flottante, comme <>n en voit
dans certains costumes de la tin du XVe siècle, l.a raison de celte trans-
formation du manteau doit être cherchée dans la passion des sculpteurs
allemands pour le déchiquetage.
28. Gravure d'Israël Van Mecheln Bibl. Nat., Est., Œuvre d'I.v. M..
236 CATALOGUE
t. II, f° 192). Sainte Ursule, sous son manteau que tiennent des anges,
abrite quatre Ursulines, assises et lisant des livres de dévotion.
29. Gravure sur bois servant de frontispice à YHisforia de sancla
Ursula i m pressa Colonie per Marlinum de Werdena, dont j'ai vu un
exemplaire au musée Amstelkring, ou musée catholique d'Amster-
dam, et qui est décrit dans le Cat. du duc de la Vallière, t. III, n° 4720.
30. Gravure de J. Wierx (Alvin, Caf. de l'œuvre des frères Wierx,
p. 273*. Devant la Sainte, un livre sur lequel est posée une flèche. Au-
dessous, celte légende qui fait allusion à l'illustre naissance de sainte
Ursule : 0 quant pulchra est casfa r/enerafio cum elaritnte : immortalis
esf enim memoria illius (Liber sapientiae, IV, 1). Sous le manteau,
outre les Vierges, deux évèques.
31. Gravure de Th. Galle (Bibl. Nat., Est., OEuvres des Galle, t. V,
f° 11 . Devant la Sainte, le livre avec la flèche. Sous le manteau, outre
les Vierges, deux évèques, des moines, des gens de toute condition.
32. Le musée archiépiscopal d'Utrecht est particulièrement riche en
représentations de sainte Ursule abritant ses compagnes sous le man-
teau protecteur : ce type y est représenté par une statuette en bois, du
début du xvic siècle (sous le manteau, au premier rang, le pape et le car-
dinal) ; par un fragment de vitrail du xvne siècle; par un fragment de cha-
suble; par une médaille de dévotion, en argent.
APPENDICE
COMMENT LE MOYEN AGE A FIGURÉ L'INTERCESSION DE
LA VIERGE
Saint Bernard et la croyance en l'intercession de Marie. — La V
d'Intercession, pour apitoyer soit Dieu le Père, soit Jésus, répète le
geste d'Hécube. — Histoire de ce geste, depuis le Spéculum humanae
salvationis jusqu'à Rubens. — L'origine du thème se trouve dans un
sermon d'Arnaud de Bonneval.
La doctrine de saint Bernard sur l'intercession ou média-
tion de la Vierge est étroitement unie à sa doctrine sur la
miséricorde de la Vierge. Parce quelle est miséricordieuse,
Marie intercède entre l'homme et Dieu. Saint Bernard a fait
la théorie de cette intercession dans son fameux sermon pour
la Nativité de Marie, connu sous le titre de De aquaeductu^.
La Vierge est le canal par lequel nous arrivent les eaux de la
grâce, car Dieu veut que nous ayons tout par Marie: « Dieu
a fait de Marie . dit saint Alphonse de Liguori2, la dis-
pensatrice de toutes ses grâces : telle était l'opinion de saint
Bernard, que l'on peut dire être commune aujourd hui à tous
les théologiens. » Les rapports directs de l'homme et de Dieu
avaient été rompus par le péché d'Eve et d'Adam. Le Christ
est venu comme médiateur entre Dieu et l'homme. Mais ce
médiateur est encore trop haut, trop divin ; d'ailleurs, il est
irrité contre les hommes, à cause des souffrances que leurs
péchés lui font journellement souffrir. Fmtre le Christ média-
teur et l'humanité pécheresse, il est besoin d'une médiation
auxiliaire, qui incombe à Marie : la Mère intercède auprès du
Fils, le Fils intercède auprès du Père, le Fils exauce sa Mère,
et le Père exauce son Fils.
Le type iconographique de la Vierge au manteau fut inventé
pour exprimer sous une forme sensible l'idée de la miséri-
1. /'. L.,CLXXXIII, 137-448.
•_'. Gloires de Marie, V, ; 1.
238 APPENDICE
corde de Marie. Je crois bon, comme complément de mon
étude sur la Vierge au manteau, d'étudier le type iconogra-
phique que le moyen âge a imaginé pour exprimer l'idée de
l'intercession de Marie. Les deux idées sont connexes. L'une
et l'autre semblent avoir été répandues d'abord par les Cister-
ciens; et le type iconographique inventé pour exprimer la
seconde paraît bien, comme le type inventé pour exprimer la
première, d'origine cistercienne.
Les représentations où l'on voit la Vierge montrant ses seins
à Dieu pour apaiser son courroux contre les hommes sont fort
nombreuses depuis le xV siècle jusqu'aux débuts du XVIIe.
Elles se divisent en deux catégories : ou bien la Vierge et
Jésus sont aux pieds du Père et lui montrent, celui-ci la plaie
de son tlanc, celle-là son sein nu ; ou bien c'est le Christ qui
est irrité contre les hommes et veut les punir; la Vierge est
devant lui qui l'implore en faisant le geste que nous disons.
Les derniers exemples, à ma connaissance, de la Vierge d'in-
tercession montrant sa poitrine nue se rencontrent dans l'œuvre
de Rubens. Un dessin de Rubens, gravé par Egbert Van Pande-
rem, représente ainsi l'intercession de la Vierge : le Christ est
debout, tenant sa croix ; la Vierge, devant lui, s'incline dans
uue attitude suppliante, en portant la main sur son sein nu1.
Plus connu est le tableau du Christ voulant foudroyer le
monde (au musée de Bruxelles) tant admiré de Fromentin :
« La terre est en proie aux vices et aux crimes, incendies,
assassinats, violences ; on a l'idée des perversités humaines
par un coin de paysage animé, comme Rubens seul sait les
peindre. Le Christ paraît, armé de foudres; tandis qu'il s'ap-
prête à punir ce monde abominable, un pauvre moine -, dans sa
1. Rooses, L'œuvre de Rubens, t. II, p. 207. pi. 132.
2. Saint François : le tableau fut peint pour les Récollets de Gand. Mr° Jame-
son Legends of the Madonna, p. 27 . qui croyait qu'il avait été l'ait pour les
Jésuites de Bruxelles, y reconnaissait le genre de marnais goût qui caractérise
l'< trdre de Loyola. Le tableau du musée de Lyon (Rooses, op. cit.. t. II, p. 242),
exécuté pour les Dominicains d'Anvers, qui montre saint Dominique à côté de
saint François, se rattache, par des intermédiaires qu'il serait curieux de
connaître, à la miniature qui sert d' « antitype » au chapitre xxxvu du
Spéculum humanae salvationis.
LA VIERGE QUI MONTRE son SEIN 2o!>
robe de hure, demande grâce. Est-ce assez de La prière du
saint? Non. Aussi la Vierge se, jette au-devant du Chris! el
L'arrête. Elle n'implore, ni ne prie, ni ne commande : elle est
devant son Dieu, mais elle parle à son Fils. Elle écarte sa robe
noue découvre en plein sa Large poitrine immaculée, y me\
la main et la montre à celui qu'elle a nourri. L'apostrophe esl
irrésistible. Ni au théâtre, ni à la tribune — el Ton se sou-
vient de l'un et de L'autre devant ce tableau — ni dans la
peinture, je ne crois pas qu'on ait trouvé beaucoup d'effets
pathétiques de cette vigueur et de cette nouveauté1. »
Le geste, à coup sûr, est pathétique, mais Rubens ne l'a pas
inventé. Je m'étonne que Fromentin, si lettré, ne se soit pas
souvenu du passage de Ylliade où Priam et Hécube supplient
vainement Hector de ne pas se battre contre Achille : « Le
vieux Priam s'arrachait les cheveux, mais il ne put fléchir
Hector. Près de lui, la mère gémissait et pleurait. D'une main
elle découvre sa poitrine, de l'autre montre son sein et s'écrie :
« Hector, mon enfant ! prends pitié de moi ! Si jadis je te pré-
« sentai ce sein, qu'il t'en souvienne aujourd'hui !... »
Ce n'est pas dans Ylliade, assurément, que Rubens a pris l'idée
du geste pathétique qu'il a, par deux fois, prêté à Marie. Il l'a
reçue de la tradition. Comme les graveurs flamands, ses
contemporains, qui fournissaient de gravures pieuses le monde
catholique, Rubens était assujetti aux thèmes traditionnels de
l'iconographie. Le théologien de Louvain qui. au milieu du
xvi° siècle, défendit contre les critiques des Réformés l'icono-
graphie catholique, Molanus, Fauteur du De historia sacrarum
iinn(jinum\ s'exprime ainsi (livre II, chap. xxxi) : Multa in
I. Les maîtres d'autrefois, p. 19 : « Peint par un élève; 1rs chairs retouchées
par le maître » Rooses, op. cit., t. II, p. 2à7).
■2. Iliade, XXII. 79-80.
.'5. Louvain. 1570. Pour Molanus Jean Vermeulcn <lil — . voir sa notice
dans la Biographie Nationale publiée par l'Académie royale de Belgique,
I. XV, col. 18. L'ouvrage de Molanus est une réponse à la Ruche •■ I >e Byen
korf » de Philippe Marnix de Sainte-Aldegonde. Il a été réédité, avec un
précieux commentaire par Paquot Louvain, 1771 : le commentaire de
Paquol est dirigé surtout contre les Jansénistes. L'ouvrage de Molanus a été
réimprimé, avec les notes de Paquot, dans le t. XXVII du Cursus theolo-
gi;ie de Migne.
240 APPENDICE
picfuris et imaginibus esse toleranda, r/uae probabilia sunt
apud doctos quosdam, aut vulgum. Et le premier exemple
qu'il cite, c'est précisément la représentation delà Vierge mon-
trant au Fils ses mamelles, imago Deiparae ostendentis Filio
suo uberaK S'il défend les images de ce type, c'est qu'elles
devaient exciter les sarcasmes des Protestants — un texte de
Zwingli est formel à cet égard — et s'il en parle d'abord2,
c'est qu'elles devaient être nombreuses. Le Jugement der-
nier, peint en 1525 par Jan Provost, de Bruges3, en est un
bon exemple. Il nous fournit l'anneau qui rattache à l'icono-
graphie du moyen âge les compositions de Rubens dont
nous parlions tantôt, et les compositions analogues de l'art
flamand du temps de Rubens4. On conserve à l'Académie de
Bruges, à côté de l'original, une copie du tableau de Provost,
par J. Van den Coornhuuse, qui est de la fin du xvie siècle;
à cette époque, en pleine Contre-Réformation, l'art est devenu
prude : Van den Coornhuuse a voilé la poitrine de la Vierge:
Par de pareils objets, les âmes sont blessées;
Et cela fuit venir de coupables pensées.
1. Au contraire, Molanus condamne sévèremenl les représentations qui
montrent Jésus suppliant Dieu le Père en faveur de l'humanité pécheresse:
erronea piclura est, et quidem nimis crussa, quae exprimit Salvatorem coram
Paire suo orantem, genibus flexis super patibulum crucis II. 28 .
2. Zwingli, éd. Schuler et Schulthes (Zurich, 1S30), t. Il, 1, p. 56 (Antwurt
an Valentin Compar, Von den bildnussen) : « Und wenri die gôtzen glych
ghein gottes verbot hattind, dennoch so habend sy so ein ungestalten
miszbruch, dasz man sy nit dulden sollt. Hie stat ein Magdalena so hiirisch
gemalct, dasz auch aile pfafl'en je und je gesprochen habend : Wie kônnt einer
hie andachtig syn, mesz zehaben? Ja ilie ewig sein unverseert magd und
muter Jesu Christi, die mûsz ire brùst herfiir zogen haben. Dort stat ein
Sébastian, Mauritius und der fromm Johannes evangelist, so jiïnkerisch,
kriegisch, kupplig, dass die wyber davon habend ze bychten ghebt. Und das
ist ails ein schimpf. » Ce texte a été cité, mais sans la référence, par Bergner,
Handbuch der kirchlichen Kunstaltertùmêr, 100."). p. 212. Ne sachant pas le
flamand, je n'ai pu rechercher dans la Byenkorf si Philippe Marnix de Sainte-
Aldegonde avait censuré les images de la Vierge montrant s. m sein nu.
:;. Pour la chapelle des échevins ; aujourd'hui au musée de l'Académie à
Bruges. Cf. le Catalogue de J. Weale 186] , p. 28 ; Le Beffroi, t. IV. p. 205;
Lafencstre-Richtenberger, La Belgique, p. 332: Huysmans, Les foules de
Lourdes, \>. 1 15. Reproduction dans Friedlander, Meisterwerke der niederl.
Malerei, pi. 57.
■i. Peinture de Grimmer (1573-1618 . au musée d'Anvers, n° 817. Vue d'An-
vers en 1600. Dans les nues, le Christ et Marie, entourés d'anges, intercèdent
pour la ville auprès du Père; le Christ montre la plaie de son flanc, la Vierge
montre son sein.
I.A VIERGE QUI \lo\ I RE S( IN SEIN
241
.le vais citer, on remontant de proche en proche aussi loin
qu'il me sera possible, un certain nombre d'œuvres qui repré-
sentent la Vierge implorant soit le Père, soit le Fils en lui
montrant son sein nu.
Un vitrail voue en 1590 dans l'église cistercienne de Wet-
tingen1, et qui est inspiré de VArs moriendi, représente, dans
le bas, un mourant dont l'âme est recueillie par un ange. Le
Diable essaie en vain de s'en emparer. Saint Jean, qui es1 pré-
sent ;i la scène, explique pourquoi : c'est qu au même
moment, dans le ciel, Jésus et la Vierge, montrant, l'un la bles-
sure de son flanc, l'autre les mamelles qui ont allaité l'Homme-
Dieu, intercèdent auprès du Père pour l'âme du trépassé '.
Chaque personnage de cette composition tient une banderole.
Je citerai seulement les textes inscrits sur les banderoles
du Christ, de Marie et du Père, pour l'analogie qu'ils pré-
sentent avec les inscriptions d'un tableau dont nous parlerons
bientôt.
Jésus : Vatter, erhor miner mu/ler Bitteh
Durch die Wunden, die ich hah erlitten.
Marie : Son, von wegen der Brùsten min
Wells/ diesem Siïnder barmherzig sin.
Le Père : Son, ever da bittet uni diner Mufler namen,
Den will ich ewig nicht verdammen.
Un triptyque de l'école de Nuremberg3, voué vers 1530
pendant une peste, représente une montagne plantée de
sapins, sur laquelle, au premier plan, sont agenouillés les
gens d'église et les princes; à l'arrière-plan, debout ou à
genoux, implorant la miséricorde divine, les bourgeois et les
paysans. Du haut du ciel, le Père lance sur les hommes les
1. Suisse, canton d'Argovie.
2. Kunstgewerbeblatt, II 1886 . p. L10, 123, I 18 : Die Glasgemiilde im Kreuz-
gang des ehemaligen Klosters Wettmgen.
3. Nuremberg', Musée germanique, Katalog der Gemalde, éd. de L893,
n° 234. Il esl remarquable que la Vierge y soil à la droite et le Chrisl à ta
gauche du Père.
Pbrdiuzkt. — La Vierge de Miséricorde. "'
242 APPENDICE
flèches de la colère, trois à chaque coup. Mais devant lui
s'agenouillent le Christ et la Vierge. La Vierge lui montre le
sein qui a nourri Jésus ; Jésus, couronné d'épines, lui montre
ses plaies; des anges lui ôtent son manteau, et il apparaît
comme il fut sur la Croix. Dans les airs, d'autres anges
apportent les instruments de la Passion. Par la force magique
des prières de la Mère et du Fils, les flèches dévient et se
brisent.
Un tableau peint, paraît-il ', en 1500, par Holbein le Vieux,
YEpitaphbild d'Ulrich Schwarz, bourgmestre d'Augsbourg,
représente l'honorable magistrat entouré de sa très nombreuse
famille -. Tous sont à genoux. Dans le ciel apparaît Dieu le
Père, armé d'un glaive énorme'. Mais Jésus et la Vierge
intercèdent pour la famille Schwarz ; Jésus montre la plaie de
son flanc, il y enfonce les doigts (comme fait Thomas dans la
scène de Y Incrédulité ou, selon l'expression byzantine, de
Y Attouchement). La Vierge montre à nu son sein droit. Jésus
dit :
Watter.sieh. un. mein. Père, regarde mesbles-
wuriden. rut. sures rouges.
/////'. den. menschen. Aide les hommes à sor-
aus. aller, not. tir de toute détresse,
Durch. meine.ii. bittern par ma mort amère.
tod.
La Vierge dit :
lier, tliun. ein. dein Seigneur, rentre ton
sch/rert. épée
des. du. hast, erzogen. que tu as dégainée,
Und. sieh. an.die. beist. et regarde le sein
die. dein. su n. hatgeso- que ton fils a sucé.
g en .
1. Pour la date cl'. Zahn dans 1rs Ja.hr bûcher fur Kunstioissenschaft, IV.
P- 127.
2. Publié pour la première fois dans la Zeitschrift fur bild. Kunst. XXII
(1887 . p. 75. Cf. Janitschek, Ges. der deutschen Malerei, p. 275. Photographié
par Hofle, n° loi du catalogue d'Augsbourg. L'original à Augsbourg, dans la
collection Fr. von Stetten.
i. Pour le glaive de la colère divine, cf. Ps. VII, 12 : nui conversi fueritis,
yliidinm siium vihrabit. V n Psautier à miniatures, d'origine talienne, à la
Bibl. Xal., montre un Christ qui Lient de la main gauche un arc et des flèches,
de la main droite une épée nue [Didron, Manuel d'iconogr. chr., p. 111). Cf.
encore le tableau de Hcilsbronn, supra, p. 191.
LA VIERGE QUI MONTRE SOS SEIN 243
A quoi le Père Eternel répond, en rengainanl d'un air
maussade Le glaive de la colère :
Barmherzighit. will. ich. al len. den. erzaigen.
die. da. mit. warer. reu. von. hinnen. schaiden.
J'userai de miséricorde envers Ions ceux
qui trépasseront avec un vrai repentir.
Un tableau daté de 1492, qu'on attribue au maître der
heiligen Sippe, représente le donateur, un moine, présenté par
un Saint abbé. Dans le ciel apparaît le céleste parvis; l>ieu le
Père est assis sur son trône. A ses côtés sont agenouillés la
Vierge et Jésus ; la Vierge montre, fort pudiquement, son
sein demi-nu; le Christ montre la plaie de son flanc. A terre
devant lui, la colonne et les verges de la flagellation. Des anges
apportent les autres instruments de la Passion : non moins
que les cinq plaies, les instruments de la Passion témoignent
de ce que Jésus a souffert pour les hommes ; ils rendent plus
pathétique encore l'intercession du Crucifié. Dieu le Père par-
donne et bénit ' .
Une mauvaise petite gravure incunable, d'origine alle-
mande2, représente le Christ et la Vierge intercédant pour les
hommes. Le Père, dans le ciel, va lancer les trois flèches.
Le Christ et la Vierge, à genoux, lui montrent, l'un ses bles-
sures, l'autre son sein nu. Derrière la Vierge sont des hommes
agenouillés, des clercs, semble-t-il. Comme dans les minia-
tures de beaucoup de manuscrits du Spéculum, le Christ est
à genoux sur la croix, et la croix est couchée à terre.
On pourrait citer, dans l'art allemand des deux générations
immédiatement antérieures a la Réforme, beaucoup d'autres
exemples du sujet qui nous occupe3, ce qui s'explique sans
1. Nuremberg, Kat. der Gemalde, n° 30; Scheibler el Aldenhoven, Ges-
chichle der Kôlner Malerschule, pi. 72.
2. Schreiber, Manuel, I, p. 212. n" 751 ; Pestblâtter, pi. 3. D'après Schreiber,
cette gravure serait « oberdeutsch » et .daterait de 1460 à 1470. En réalité, date
et provenance sont incertaines. Cf. encore Schreiber, t. VI, pi. 6, n 2899 ;
a Jugement dernier, gravure enluminée, vers I 130. Le Juge du monde, assis
sur l'arc-en-ciel, montre ses plaies; la Vierge, pour le fléchir, lui montre ^<>n
sein nu. »
3. Cf. la gravure sur bois (reproduite parJ. Rosenthal, Cat. 27, MSS. ii mtnt'a-
tures et livres illustrés, p. loi) d'une traduction allemande de .le. m Gerson
intitulée \'on den gnadenreichen Fiirbit v<>r Gott dem Vater fiir die
armen Siïnder.
2ii APPENDICE
peine, si l'on se rappelle quel succès le Spéculum eut en Alle-
magne. Je me bornerai, pour en finir avec l'art allemand,
à lui emprunter quelques exemples encore. D'abord, à la
galerie royale de Schleissheim, près Munich, un panneau
<( oberdeutsch », que le Catalogue1, avec une précision peut-
être excessive, date de 1490 environ. Un tableau de la
même galerie, que le Catalogue attribue à l'atelier de Martin
Schaffner, représente, en haut, dans le ciel, Dieu et les
anges qui, à coups de flèches, détruisent l'humanité; en bas,
sur la terre, beaucoup de gens sont déjà morts; la Vierge
abrite les survivants sous son manteau; elle regarde le Père
d'un air suppliant et lui montre son sein nu2. Une fresque,
dans la chapelle de Mundelsheim, représente la Vierge de
Miséricorde abritant les hommes sous son manteau ; elle
est debout devant son Fils et lui montre le sein qui l'a
nourri3. Dans les fresques de Bruck et d'Obermauern, où
la Vierge protège l'humanité contre les flèches de la colère
céleste, elle montre au Père sa poitrine qui est, cette fois,
soigneusement couverte '.
Dans les Grandes Heures d'Antoine Vérard, exécutées sur
l'ordre de Charles VIII, au verso du premier feuillet, une
gravure représente la Vierge et Jésus intercédant auprès du
Père. La Vierge montre ses mamelles, le Christ la plaie de
son flanc5.
A ces exemples empruntés à l'art flamand, allemand, fran-
çais, ajoutons-en un qui est italien, et de date plus ancienne.
C'est la fresque peinte en 1464 par Benozzo Gozzoli, dans
l'église Saint-Augustin à San Gimignano, après une peste qui
avait ravagé cette cité'1. En haut, Dieu le Père et les anges
lancent les flèches de la colère sur les gens de San Gimignano ;
ceux-ci se réfugient sous le manteau de saint Sébastien, le
1. Édition de 1905, p. Ï2, n° KlO: « Maria in der Mitte stehend, zeigt auf
ihre mïitterliche Brust, Christus auf seine Wundmale. Rechts Gott Vater mit
K mne und Scepter. »
2. Id., p. 28, n° 102. Le catalogue intitule cette composition Votivbild sur
Abwendung von Kriegsgefahr, alors qu'il s'agit probablement d'un ex-voto
eontre la peste. 11 ne dit rien du geste de la Vierge. Et il ignore que M" Jame-
son a parlé de ce tableau dans ses Legends of Ihe M;tilonn;>. p. 27.
3. Cf. supra, p. 127.
i. Cf. supra, p. 126.
:>. Reproduction dans Claudin, Les origines de l'imprimerie en France, II,
p. 394.
6. Cf. supra, p. 113, pi. XVI.
LA VIERGE QUI MON II: I : SOM SEIN - i ■">
plus grand des saints antipesteux. Le saint, deboul sur un
piédestal, prie avec ferveur pour son peuple. Mais si ses
prières sont efficaces, si les traits de la colère divine se brisenl
sur le manteau protecteur, c'est qu'à l'intercession de saint
Sébastien se sont jointes celles de .Jésus et de sa mère. A
genoux devant le Père. Jésus montre la plaie de son liane. La
Vierge met à nu les mamelles qui ont nourri l'Homme-Dieu.
La fresque de San Gimignano est dans l'art italien le seul
exemple que je connaisse du thème qui nous occupe. Les
artistes italiens, moins naïfs que ceux du Nord, plus pudi-
bonds, n'ont pas souvent — sauf les Milanais1 - montré à
découvert le sein de la Madone. Une Vierge comme celle de
Fouquet, au musée de Berlin, aurait été un scandale en
Italie. Au Campo-Santo de Pise, l'auteur de la fresque du
Jugement dernier a représenté Marie trônant à côté du Fils,
et le suppliant pour les hommes : joignant le geste à la
prière, elle montre de la main sa poitrine, mais elle n'en-
trouvre pas sa robe, son corps virginal reste chastement
voilé.
Plus ancienne que la fresque de Gozzoli, est une miniature
donnée au Louvre par M. Maciet, et qui provient d un des
manuscrits du duc de Berry, les Très Belles Heures dites de
Turin2. Dieu le Père est assis sur son trône; devant lui sont
agenouillés, suppliants, le Christ qui montre ses plaies, et la
Vierge qui montre son sein nu .
Il est inutile d'allonger cette liste. Il est temps de nous
demander pourquoi les artistes, depuis le XVe siècle jusqu'au
début du xvne, ont représenté de cette façon l'intercession de
la Vierge et de de son Fils. De cruels textes se sont-ils ins-
pirés ?
Si nous regardons de plus près la miniature des Heures </r
Turin, nous y voyons, au-dessous du groupe que nous axons
décrit, dans une lettre-ornée, un personnage qui se dépouille
de ses vêtements devant un prince; sa peau est marquée de
balafres rouges. Ce serait, d'après Curmer, N. S. envoyé à la
1. S. Reinach, Répertoire de peintures, I, 210.
2. Durrieu, Les Très belles Heures de Turin, pi. XXVIII, p. 24.
246 APPENDICE
flagellation, ou encore Judas qui vient déchirer ses vêtements
devant le Prince des Prêtres. Ces explications sont fantai-
sistes. M. Durrieu les a sans doute jugées telles, puisqu'il
n'admet ni l'une ni l'autre. Mais il n'a rien proposé à la place.
Ce feuillet des Heures de Turin reste, en effet, une énigme,
si l'on n'en rapproche un chapitre du Spéculum humanae
salvationis.
Au xxxix1' chapitre du Spéculum, nous apprenons comment
le Christ, pour fléchir le Père irrité contre les hommes, lui
montre les blessures qu'il reçut pour nous , et comment cette
scène mystique avait été préfigurée par l'histoire d'Antipater,
qui, pour se disculper devant César, lui montra les blessures
(pi' il avait reçues au service de Rome ' ; comment encore,
Marie, pour fléchir le Fils irrité contre les hommes, lui montre
le sein dont il fut allaité.
In praecedentibus capitulis audivimus quomodo Maria est nostra
[mediatrix
Et quomodo in omnibus angustiis est nostra defensatrix ;
Consequenler andiamus quomodo Ghristus ostendit Patri suo pro
[nobis sua vulnera,
El Maria ostendit Filio suo pectus et ubera...
Quod Ghristus vulnerum cicatrices Patri monstrare volebat,
Hoc etiam olim per quamdam tiguram ostensum erat...
Ghristus ostendit Patri cicatrices vulnerum, quae toleravit ;
Maria ostendit Filio ubera, quibus eum lactavit;
Sicut ergo Ghristus convenienter potest Antipater appellari,
Ita Maria competenter potest Antitilia nuncupari.
0 dulcissime Antipater et o dulcissima Antitilia,
Quam summenecessaria sunt nobis miseris vestra auxilia !
Quomodo posset ibi esse aliqua abnegatio,
Ubitam dulcissima est supplicatio ?
Les miniatures du chapitre xxxix représentent, la troi-
sième, la Vierge montrant son sein à Jésus, la seconde,
Antipater montrant ses plaies à César, la première Jésus et
la Vierge montrant au Père, l'un la plaie de son tlanc,
1. L'auteur du Spéculum a emprunté cette histoire à l'Histoire scolastique
de Pierre le Mangeur, lib. Machabeorum, XVI : eo tempore, Antipatrum
<>[ Hircanum criminabalur Antigonus apud Caesarem, dicens eorum consdio
patrem suum et fratrem interiisse. Ad hoc Antipater, veste projecta, multitu-
dinem vulnerum demonstrans, verbis non opus esse dixit, cum cicatrices, se
tacenie, clamarent, ipsum fuisse fidelem Rpmanorum.
LA VIERGE ul | MONTRE SOIS SEIN '2\1
l'autre le sein que Jésus a sucé. Nul doute que Les nom-
breuses représentations énumérées tantôt ne doivent se
rattacher, plus ou moins directement, au texte e1 aux minia-
tures du xxxix1' chapitre du Spéculum.
Il semble qu'au xive et au xv siècle, la Vierge montranl
ses seins à Dieu fut un loctis de la mystique1. Il devait
défrayer la prédication. On a vu plus haut que le Spéculum
humanae salvationis avait pour auteur un Dominicain ; il est
croyable que cet ouvrage a souvent dû fournir de serinons
les Frères Prêcheurs.
De la chaire chrétienne, le thème qui nous occupe est
descendu dans le peuple, a passé à la peinture et peut-être
jusqu'au théâtre. Je le retrouve au milieu du xiv' siècle.
dans YAdvocacie Nostre Darne1, du chanoine de Baveux. Jean
de Justice y 1333). Ce singulier poème, tout a fait dans
l'esprit du moyen âge, raconte comment la Vierge plaida
devant Jésus, contre le Diable, la cause du genre humain.
L'en pourrait, dit le prologue3,
L'en pourrait j)lus tost espuissier
Toute la mer,ffOute aprez (joute,
Que sa honte deviser toute...
1. Un poème lalin en l'honneur de sainte Anne, publié à Mayence en 1494
[Rutgeri canonici regularis in Heyna Wormaciensi diocesi carmen elegiacum
de sancla Anna, dans Trithemius, De landibus sanclissimae mains Annae
traclatus contient ces vers :
...Faciles si non inflexerit mires,
Ad gnatam citius. Anna, recurre tuam.
Ubera demonstret nato tuafilia Christo...
Si iniillum fuerit oratu difficilis res,
Cum genetrice sua filia poscat i>i>em.
La gravure de Callot qui représente l'Assomption Meaume, 96 porte celle
strophe.
Perge, Virgo, perge, parens,
Perge, Luna labe carens,
Pete felix aethera !
Si nos dam net rens Xatus.
Noxa jude.r implacatus,
Monstra, Mater, ubera!
2. Publiée en extraits par A. Chassant, Paris, 1n;>.">. Cf. l'introduction an
Mistére du viel Testament, publié par .T. de Rothschild, 1. p. i.\. Il en aurail
paru en LS'.Hj une édition complète [Ro mania, L907, p. 628 ; mais je ne l'ai
point vue.
3. Chassant, p. :*.
248 APPENDICE
Se son filz se cource, elle accourt
Et lui demoustre sa mamele
Dont Valeita vierge et pucele.
Le poème met cela pour ainsi dire en action. Sentant que
le Diable va gagner le procès, la Vierge tache d'émouvoir la ^
pitié du Juge :
Ta mère suy, mère m' appelés:
Beau fils, regarde les mameles
De quoi aleiter te souloie '.
Le Diable proteste contre cette façon de plaider :
J'en déniant interlocutoire.
Mais c'est en vain qu'il prouve que la Vierge, étant femme,
ne peut, aux termes du Code Théodosien, plaider une cause
qui n'est pas la sienne, et devant un juge dont elle est si
proche parente : toutes ses chicanes de Basse-Normandie ne
l'empêchent pas de perdre sa cause. Et les saints qui ont
assisté, anxieux, à ce grand débat, entonnent en l'honneur de
la Vierge le Salve Regina.
VAdvocacie Nostre Dame est une composition livresque,
que le peuple n'a pas connue. Il n'en est pas de même d'une
laude italienne, où se retrouve le thème que nous venons de
signaler dans VAdvocacie. On sait, grâce aux travaux de d'An-
cona 2, ce qu'étaient les laudes ombriennes du xivc siècle, - —
des chants religieux dialogues qui, à l'issue de la messe parois-
siale, étaient déclamés, soit dans l'église même, soit dans la
chapelle de la confrérie, par les confrères de la Pénitence. La
laude du dimanche de l'Avent était consacrée au Jugement
dernier : on entendait les damnés supplier Marie, et Marie
tenter en vain, au nom de sa maternité miraculeuse, de fléchir
le Juge : « Par le lait dont je t'ai nourri, écoute-moi un peu,
mon Fils, pardonne à ceux pour qui je plaide... Neuf mois je
t'ai porté dans mon sein virginal, et tu as bu à ces mamelles
quand tu étais petit enfant : je t'en prie, si cela se peut, efface
ta sentence ! »
1. Chassant, p. 3X.
2. D'Ancona, Origini del teatro in Ita.Ua,, 2f éd., Turin, 1891, t. I, p. 117.
Cf. Gaspary, Storia délia letter. ital., I. p. 136 et Gebhart, L'Italie mystique,
p. 273.
I.A VIERGE QUI MON l RE SON S] in 249
Le Christ et Marie agenouillés devant Dieu !<■ Père »'t lui
montrant pour désarmer sa justice et apitoyer sa miséricorde,
lui les blessures de la Passion, elle Le sein \ irginal qui a nourri
l'Homme-Dieu, quel étonnant dialogue, et comme il devait
émouvoir l'âme impressionnable et pieusement ingénue du
moyen âge! Le geste d'Hécube n'est pas plus grandiose que
celui de Marie. On voudrait savoir quel est L'inventeur de ce
thème si pathétique. A lire Guichard,le seul érudit qui se soit
occupé des sources du Spéculum, l'auteur anonyme de ce livre
mystique aurait inventé les « antitypes »de son chapitre xxxix.
Il n'en est rien. Ni Guichard, ni aucun des érudits qui. après
lui, ont parlé du Spéculum n'ont pris la peine d'étudier
dans les manuscrits les rubriques placées en haut ou en bas
des pages, qui donnent en abrégé les sources auxquelles a
puisé l'auteur. Ces indications sont parfois erronées, elles ne
sont pas tout à fait les mêmes dans les différents manuscrits,
mais pourtant, elles ne doivent pas être négligées.
D'après les rubriques du Spéculum, les deux thèmes de la
Vierge suppliant Jésus, et de Jésus et la Vierge suppliant le
Père, seraient empruntés à saint Bernard. Je reproduis quel-
ques-unes de ces rubriques :
I. Jhesus Christ moustrc a son père ses playes et lepriepour
nous, povres pécheurs '.
Bibl. Nat. lat. 9585 : visio qua.eda.rn quant beatus Bernhar-
dusponit; — 9586: Bernhardisancti ; — fr. 1)275 : comme dit
saint Bernard; — Chantilly: Sanctus Bernardus.
II. La henoite Vierge Marie moustre à son /ils ses mamelles
dont elle le a allait tic.
Bibl. Nat. lat. 9585 : Bernardus super Cantica : — 9586 :
Bernard ; — fr. 6275 : comme dit saint Bernard ; —Chantilly :
Sanctus Bernardus.
Même attribution dans le Spéculum beatae Mariae Virginia,
qui est, comme on l'a vu plus haut 2, une sorte de mosaïque
1. Cette rubrique française est empruntée au nis. fr. 0275 de la Bibl. Natio-
nale (Le mimir deVh.uma.ine sa.lva.tion, version de Jean Miélot).
2. S il prit, p. 1j.
O.")0 APPENDICE
composée avec des textes empruntés surtout à saint Bernard :
Maria inter hominem injustum et Deum jus/uni est optima
mediatrix, optima irae Dei refrigeratrix. Testatur beatus
Bernardus dicens : « Securum jam habet homo accessum ad
Deum, ubi mediatorem causae suae Filium habet ante Patrem,
et ante Filium matrem. Filius nudato corpore Patri ostendit
latus et vulnera, Maria Filio peetus et ubera. Non potest
ullo modo fieri repuisa, ubi eoncurrunt et pérorant tanta
caritatis insignia >• '.
Même attribution dans Molanus : Imago Deiparae ostenden-
tis Filio suo ubera desumpta est verbis S. Bernardi, quae ex
sermonibus ejus fréquenter eitari solet : « 0 homo, securum
habes accessum ad Deum, ubi Mater ante Filium, Filius ante
Patrem. Mater ostendit Filio peetus et ubera, Filius ostendit
Patri latus et vulnera : ibi non potest esse ulla repuisa, ubi
tôt sunt caritatis insignia. » Yerum, sicut figurate intelligo
verba Bernardi, sic imaginem ex eis verbis desumptam intel-
ligendam arbitror '-'.
Molanus est un « auteur grave ». Je croyais trouver dans
les sermons de saint Bernard cette citation en prose rimée que
Molanus, le Spéculum beatae Mariae et les rubriques du
Spéculum s'accordent à lui attribuer. A priori, l'attribution
paraissait vraisemblable : de tous les docteurs du moyen âge,
celui qui a le plus poétiquement rêvé de la Vierge et le mieux
parlé d'elle, est notre Bernard. Du reste, le seul érudit3 qui
eût touché à la question avait admis sans contestation l'opi-
nion traditionnelle, qui fait remonter à saint Bernard le thème
dont nous parlons.
Une chose cependant aurait dû me mettre en défiance :
c'est que le passage cité par Molanus sous le nom de saint
Bernard est en prose rimée. et que les sermons authentiques
de ce Père sont écrits en prose ordinaire.
1. S . Bonaventurœ opéra, éd. de Lyon, 166N, t. VI, p. 4 17. Les manchettes
de cette édition donnent, avec une exactitude admirable, les références des
innombrables citations qui composent le Spéculum. Mais, pour la citation en
question, il n'y a pas de référence : sans doute l'éditeur bavait cherchée
en vain dans saint Bernard.
2. De historia sacrarum imaginum, II, 31 .
3. Schreiber, Manuel de lagravure an XVe siècle, t. I, p. 168 : « Sur maintes
représentations du Jugement Dernier au xve siècle), la Vierge découvre sa
poitrine pour rappeler à son Fils que c'est un sein de femme qui l'a nourri et
pour lui dire en quelque sorte par cela d'être abondant en grâce (idée de saint
Bernard) ».
LA VIERGE QUI MONTRE SON SEIN -•"> I
lui réalité, Molanus et les rubriques du Spéculum
m'avaient engagé sur une mauvaise piste. J'ai cherché vai-
aement le texte en question dans lesœuvres de sainl Bernard.
J'ai parcouru, sans plus de succès, La vaste collection d'apo-
cryphes que Le moyen âge attribuait au docteur « Melliflu. »
J'en étais là de nies recherches quand la gravure d'Egberl
Van Panderem, dont il a été question plus haut, m'a fait Les
diriger d'un autre côté. Cette gravure porte la Légende sui-
vante : Mariant vere Dei matrem agnoscimus pro génère
nostro praesentissime intercedentem : ita ut Dominus noster
salutem dispense/, Ma vero eam materno affectu pro nobis
poscat. Ostendit Mater Filio pectus et ubera ; Filins Patri
latus et ruinera. Et quornodo poterit ibi esse ut la repuisa,
ubi tôt sunt caritatis insignia ? [S. Germanus episcopus Cons-
tantin.). On reconnaît, à la lin de ce morceau, Le texte même
du Spéculum et de la citation attribuée par Molanus à saint
Bernard.
Le Père de l'Église auquel l'attribue la gravure de Van
Panderem est saint Germanos I, patriarche de Constantinople,
mort en 733, qui défendit contre les iconoclastes le culte des
images, ce qui lui vaut d'être représenté portant une icône de
la Théotocos ' ; mais pas plus dans les œuvres de saint
Germanos que dans celles de saint Bernard ne se trouve le
passage en question. Molanus n'avait pas pris la peine de
vérifier L'attribution traditionnelle, tant elle lui semblait hors
de contestation ; il est croyable que le théologien qui lit la
légende de la gravure de Van Panderem a cherché la citation
dans saint Bernard et que, ne l'ayant pas trouvée, il s'est tiré
d'atfaire en renvoyant les curieux à un Père connu par sa
dévotion à la Vierge, mais qu'ils n'iraient pas lire, puisqu'il
avait écrit en grec ; d'ailleurs, comme les ouvrages de Germa-
nos avaient été brûlés par ordre de Léon l'iconoclaste-, il
restait toujours la ressource de dire que Le passage en ques-
tion se trouvait dans un des ouvrages perdus.
En réalité, il est pris, avec quelques changements, du début
du De laudibus l>. Mariae Virginis, d'Arnaud (ou Ernaud de
Chartres', abbé de Bonneval en 1138, mort en 1156 :
1. Cahier, II. p. 484. Cf. Acta SS., mai III, p. 1j«j. Hipp. Marracci a publié
un S. Germani patriarchae Constant. Mariale, que je n'ai point vu. Les écrits
de Germanos dans Migne, P. G.. XCVIII.
i'. Krumbacher, Gesch. (1er Bi/z. LUI.. 2' éd.. p. 66.
3. Chevalier, Bio-bibliographie, nouvelle éd., II. p. 319; /'. /... CLXXXIX,
2')'2 APPENDICE
Securum accessum jam habet homo ad Deum, uhi mediato-
rem causae suae Filium habet ante Patrem, et ante Filium
matrem. Christus, nudato latere, Patri ostendit latus et
ruinent, Maria Christo pectus et ubera. Nec potest ullo modo
esse repùlsa ubi concurrunt et orant omni lingua disertius
haec clementiae monumenta et caritatis insvjniaK
Je ne crois pas qu'il faille remonter plus haut : la prose
rimée paraît bien indiquer un écrivain du temps d'Honorius
d'Autun ; et le passage en question est cité, sous le nom
d'Arnaud de Chartres, par saint Alphonse de Liguori, dans
ses Gloires de Marie, paraphrase du Salve Regina, ch. ix.
Cette citation, d'ailleurs, paraît de celles que les auteurs de
livres édifiants se transmettent les uns aux autres : je la
retrouve dans la Mère de Dieu et la Mère des hommes, du
P. Terrien 2.
1507; Mabillon dans P. L., CLXXXII, 513, n. 825 et dans Annales Ord.
S. Benedicti, t. VI, p. 351 (éd. de Lucques), où le savant bénédictin fait cette
remarque, qui n'est pas sans rapport avec la fausse attribution que nous
relevons : Ernaldum, quem alii Arn&ldum seu Arnoldum, nonnulli perperam
Bernardum vocant.
1. Migne, P. I... CLXXXIX, 1725.
2. T. III, p. 122 : « Beaucoup d'auteurs ont parlé de la puissance que donne
à la prière de Marie le mérite de sa maternité. Aucun peut-être ne l'a fait
plus heureusement qu'Arnaud de Bonneval, dans ce texte que nous avons
déjà rapporté : « Le Fils montre au Père son côté entrouvert et ses blessures,
la Mère présente au Fils les mamelles qui l'ont nourri, le sein qui l'a porté... <>
Le sein qui l'a porté ! Cette traduction du mot pectus est vraiment libre, à
tous égards.
GORRIGENDA
Page 13, note I. ligne 1 : lire Thésaurus hymnoloyicns au lieu de TViesau-
rum hymnologîcum. — 1*. 17. n. 2, I. 11 : lire 1. au lieu de éd. — P. .">l : au
lieu de 12. lire 2. — P. 52, n,J 1.1. i : au lieu «le ch. xi, lire ch. xii. — P. 65 .
1. 32 : agenouillées. — P. 69, 1. 10 : devaient être couchés. — P. 74, 1. 33 : par
testament. — P. 01. n. 2. 1. 1 : lire Jean au lieu de Jules. — P. 92, n. 2. 1. 3 :
lire 1394 au lieu de 1494. — P. 99. n° 1.1. 3 : lire p. 91.— Même page. n° 2.1.22 :
lire anhrorth. — P. 106, 1. 19 : lire 1 176. — P. 130, n. 1. 1. 3 : lire Romae. —
P. 131. n. 1, 1. 23: lire Quétif et Echard. — P. 134, I. 18 : lire nimbe. — P. 111.
n. 1. 1. 2 : lire wunden. — P. 1 13. 1. 29: lire Piero. — P. 158, 1. 19: lire Pergens-
torfer. — P. 160, n" 3, 1. 10 : lire 11481-11487. — P. 169, ir' 44. 1. 5. supprimer
p. devant Cicérone. — P. 177, 1. 13 : lire grands. — P. 180. iv 74. 1. 1 : lire
donnée ; n° 76, 1. 3 : lire Pfeiffer. — P. 189, I. 1 : lire Munster blatter.
TABLE DES MATIERES
Avertissement
Introduction. .
CHAPITRE Ier
LA CROYANCE A LA MISÉRICORDE DE MARIE
Cette croyance n'est pas très ancienne en Occident. — Le texte
d'Irénée sur Marin advocata ; la fresque du cimetière Ostrien. —
Le récit des noces de Cana, fondement scripturaire de la
croyance à la miséricorde de .Marie. — Origine orientale du Sub
tuum praesidium. —Saint Anselme. — Le Salve Regina miseri-
cordiae. — Les sermons de saint Bernard pour l'octave de l'As-
somption. — Les Cisterciens et la mariolâtrie.
CHAPITRE II
LE THÈME DE LA VIERGE AL" MANTEAU PROTECTEUR
EST D'ORIGINE CISTERCIENNE
Ce thème est inconnuà l'art d'Orient et, avant le xm0 siècle, à l'art
d'Occident. — Il a sa source dans une légende Cistercienne, rap-
portée par Césaire d'Heisterbach. — Le symbolisme du manteau.
— Succès du thème parmi les Cisterciens 18
Catalogue
CHAPITRE III
LES AUTRES ORDRES EMPRUNTENT AUX CISTERCIENS
LE THÈME DU MANTEAU PROTECTEUR.
Pauvreté d'invention de l'imagination populaire. — Pauvreté delà
légende de saint Dominique. — La vision de la Vierge au man-
teau protecteur dérobée aux Cisterciens par les Dominicains dès
la première moitié du xm1' siècle : vision de la recluse, vision de
saint Dominique. — La vision de la Vierge au manteau prolec-
teur et l'imagination monastique. — Les autres Ordres, à
l'exemple des Dominicains, se réfugient sens le manteau de
Marie. — La dévotion du « Manteau de Notre-Dame ».. 30
Catalogue
50
256 TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE IV
LA VIERGE AU MANTEAU ET LES CONFRÉRIES
Fondation des Confréries au xme s., sous l'influence des Ordres
mendiants; le Tiers-ordre franciscain. — Flagellants et Péni-
Iriils. — Saint Bonaventure et la Confrérie romaine des Becom-
man.da.ti Virgini. — Dévotion dos Confréries pour la Mère de
Miséricorde. — La Vierge au manteau protecteur figurée sur les
retables, les bannières et les enseignes des Confréries. — Les
Misericordie d'Italie, les Scuole de Venise, les Pénitents de Pro-
vence, les Charités de Normandie. — La Confrérie de Saint-
Nicolas-des-Clercs à Toul. . .
Catalogue
CHAPITRE V
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES CONFRÉRIES
DU ROSAIRE
La dévotion du Rosaire inventée vers 1470 par le Dominicain
breton Alain de la Roche, et lancée à la fin du xve siècle par
l'Ordre des Prêcheurs. — La Confrérie de Cologne, la première
en date des Confréries du Rosaire. — Le retable de cette Con-
frérie. — Pourquoi la Vierge au Rosaire a-t-elle été figurée d'or-
dinaire, jusqu'à la fin du xvr siècle, en Mater omnium ? — Des-
cription d'une curieuse gravure incunable 89
Catalogue 99
CHAPITRE VI
LE SPECULUM HÙMANAE SALVATIONIS
Vogue immense de ce livre à images, du xive siècle au xvie. — Son
influence iconographique. — Son origine Dominicaine. — La
Vierge au manteau protecteur, l'une des illustrations tradition-
nelles du S. H. S. — Le S. H. S. a dû contribuer a la diffusion de
ce thème figuré 103
CHAPITRE VII
LES FLÈCHES DE LA COLÈRE DIVINE
La peste, pour le folklore, est produite par des flèches invisibles :
traces de cette croyance chez les Grecs anciens, les Musulmans,
les Germains, dans la Rome chrétienne du vie siècle, clans la
dévotion de saint Sébastien. — Les flèches de la peste arrêtées
par le manteau protecteur de saint Sébastien (fresque de
TABLE DES M \ i (ÈRES <5D I
S. Gimignano) ou de Marie bannières ombriennes, peintures ita-
liennes el allemandes). — Ce thème date du xv' siècle et semble
se rattacher à la prédication de sainl Bernardin de Sienne. — Il
a été abandonné au xvi°, comme entaché de superstition 107
Catalogue I -•'•
CHAPITRE VIII
LE THÈME DES TROIS FLÈCHES
Les trois Ûèches du Dieu de vengeance représentent les trois
Qéaux, la guerre, la famine et la peste, donl Dieu punit les trois
concupiscences, avarice, orgueil et luxure. — Origine scripturaire
et dominicaine de ce thème: vision de sainl Dominique, explica-
tion d'un Peslblatt dominicain 128
CHAPITRE IX
LA VIERGE DE MISÉRICORDE ET LES PESTES
Les pestes du moyen âge. — Leurs conséquences morales el reli-
gieuses. — Le pathétique et le macabre à partir du milieu du
xiV siècle. — De la Vierge de Miséricorde comme recours
contre la peste. — De quelques-unes de ses images qui furent
vouées en temps de peste 1 :5T
CHAPITRE X
LA MA TER OMNIUM
Le type de la Mater omnium conséquence de la Grande Peste. —
Dans les exemples les plus anciens, les hommes sont à droite de
la Vierge, les femmesà gauche ; au xve s., les clercs sont à droite,
les laïques à gauche. — Les deux mondes, ecclésiastique et
laïque, représentés toujours par des personnages conventionnels.
— La Muter omnium du musée du Puy. — La Vierge de Misé-
ricorde sur les monuments des familles 150
Catalogue. 160
CHAPITRE XI
REMARQUES GÉNÉRALES SUR LES REPRÉSENTATIONS
DE LA VIERGE AU MANTEAU
La Vierge au manteau et l'Enfant; influence, à Venise, du type
byzantin de la Platytèra. — Les acolytes de la Vierge au man-
teau : Anges el Saints. — Les insignes royaux : la couronne, le
manteau d'hermine, le sceptre. — Différence de taille entre la
Vierge et les priants. — Raisons de l'oubli où est tombé le type
de la Vierge au manteau 194
258 TAULE DES MATIÈRES
CHAPITRE XII
DE QUELQUES REPRÉSENTATIONS SINGULIÈRES
DE LA VIERGE DE MISÉRICORDE
La Vierge de Miséricorde et les Vierges Sainles. — La Vierge
de Miséricorde el les sept Vertus. — La Vierge de Miséri-
corde et les sept Péchés. — La Vierge de Miséricorde et les
Anges Gardiens. — La Vierge de Miséricorde et le Démon 205
CHAPITRE XIII
LES SAINTS ET SAINTES EMPRUNTENT A LA VIERGE
LE MANTEAU DE PROTECTION
Dévotions d'imitation. — Les Saints et les Saintes, à l'imitation
de la Vierge, s'attribuent le manteau protecteur. — A quelle
date et dans quelle région a-t-on imaginé d'en faire la caracté-
ristique de sainte Ursule ? 220
Catalogue 223
APPENDICE
COMMENT LE MOYEN AGE A FIGURÉ L'INTERCESSION DE
LA VIERGE
Saint Bernard et la croyance en l'intercession de Marie — La
Vierge d'Intercession, pour apitoyer soit Dieu le Père, soit
Jésus, répète le geste d'Hécube. — Histoire de ce geste, depuis
le Spéculum humanae salvationis jusqu'à Rubens. — L'origine
du thème se trouve dans un sermon d'Arnaud de Bonneval. . . . 237
Corrigenda 2.'j3
Table des matières 2:;.".
Table des planches 259
Figures dans le texte 2<>0
TABLE DES PLANCHES
Pages
I. Vierge de Mansuy Gauvain Frontispice
II. Sceaux Cisterciens '-'
III. Tableau du Vatican, tableau de Cherbourg 29
IV La Vierge de Miséricorde et les Ordres religieux gra-
vures)..... «
V. Idem tableaux té
VI. Frontispice du catéchisme des Prémontrés 51
VII. Broderie de Marseille, reliquaire d'Arezzo :'s
VIII. Cercueil siennois, fresque de Parme (l <
IX. Maison de la Miséricorde d'Arezzo, chapelle de la Miséri-
corde d'Ancône • ''''
X. Vierges de icu<il<> vénitiennes. • s-'
XI. Fresque de Saint-Céneri, fresque de Vieux-Thann 87
XII. Charte delà confrérie de Saint-Nicolas-des-Clercs à Toul. 89
XIII. La Vierge de Miséricorde el le rosaire 95
XIV. Pestblâtter Dominicains. |u|
XV. La Vierge de Miséricorde et le Spéculum humanae salva-
tionis
K'T
XVI. Fresque de saint Sébastien à S. Gemignano 113
XVII. Bannière de S. Francesco, à Pérouse t 17
XVIII. Panneau d'Aversa ll^
XIX. Tableau de Cranach le Vieux, miniature d'un Spiegel der
menschlichen Behaltniss *-"
XX. Tableau du Musée historique lorrain !'»•<
XXL Tableaux français du musée du Puy et .lu musée Condé. 157
XXII. Retables d'Arezzo el du musée Poldi-Pezzoli 163
XXIII. Reliefs d'Arezzo el du cimetière de Saint-Innocent 179
XXIV. Relief. de Gy, châsse d'Albi.. . ., |s;(
XXV. Vierge de Mouterhausen Iv
XXVI. Vierges allemandes statues 189
XXVII. Miniature italienne, panneau de Teruel 211
XXVIII. Tableaux de Klosterneubourg et de Montefalco.. 219
2li<>
TABLE DES PLANCHES
Pages
XXIX. Saintes au manteau protecteur (gravures) 223
XXX. Tableau de Gœttingue, tableau de V. Lopez 229
XXXI. Retable de Lagnieu 237
FIGURES DANS LE TEXTE
i. Fresque d'Atella H'-'
2. » îravure du Mortilogus 149
3. La Vierge d'Anspach 191
i. La Vierge de Marienbourg 206
MAÇON, l'ROl VT 1 K1CRES, IMPRIMEURS
CIRCULATE AS MONOGRAPH
D Bibliothèque des Écoles
5
fasc.101
françaises d'Athènes
et de Rome
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