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Full text of "Bibliothèque historique de Diodore de Sicile"

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THE DORSCH LIBRARY. 



Ttie piivate Library or Edward Dorscb, H, D.,or 
Monroe, Mlchlgan, presentedto the UnlverBltyorMIobl- 
gan by tais wldow, May, 1S88, In accnnlance wltb a wlab 
expressed by hlm. 




3)7 






-T 



DIODORE DE SICILE. 



1 



PARIS ^-IMPRIMERIE DE OUSTAVR GRATIOT, 

11, rue de la Monnaie. 



Etùftd^erUA^A^tAjku^'t . ' ^'' 






BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE 



DE 



IIZTZ 



DIODORE DE SICILE 

TRADUCTION NOUVELLE 
AVEC VNE PRÉFACE, DES NOTES ET UN INDEX 

PAR M. FERD. HOEFER. 



TOxME TROISIEME. 



PARIS 

ADOLPHE DELAI! AYS, LIBRAIRE, 

4 ET G, BUE VOLTAIRE 



BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE 



> DE 

) 



DIODORE DE SICILE. 



LIVRE QUINZIÈME. 



SOMMAIRE. 

Les Perses font la guerre k Évagoras en Cypre. — Les Lacédcmoniens , contraire- 
ment aux traités conclus , font sortir les Mantinéens de leur patrie. — Poésies de 
Denys le tyran. — Arrestation de Téribaze, et son élargissement. — Mort de 
Gao , et mise en jugement d'Orontc. — Âmyntas et les Lacédcmoniens font la 
guerre aux Athéniens. — Les Lacédémonicns s'emparent de la Cadmée. — Les 
I.,acédémonicns asservissent, contrairement aux traités , les villes grecques. — 
Colonisation de Tilc de Pharos dans la mer Adriatique. — Expédition de Denys 
dans la Tyrrhénie; pillage d'un temple. — Expédition de Denys contre les Car- 
thaginois ; victoire et défaite. — Les Thébains reconquièrent la Cadmée. — Les 
Carthaginois sont décimés par une maladie pestilentielle. — Guerre béotique ; 
histoire de cette guerre. — Expédition des Triballcs contre Abdère. — Expédition 
des Perses contre l'Egypte. — Les Thébains, victorieux des Lacédémonicns dans 
la célèbre bataille de Leuctres, aspirent à l'empire des Grecs. — Exploits des 
Thébains pendant leur invasion dans le Péloponnèse.— Conduite d'Iphicrate ; ses 
inventions stratégiques. — Expédition des Lacédémonicns contre Corcyre. — 
Tremblement de terre et iooDdation arrivés dans le Péloponnèse; flambeau 
ardent apparu au ciel. — Massacre, appelé scytalisme, arrivé chez les Argiens. 
— Jason , tyran de Phères, et ses successeurs. — Rétablissement de Messine par 
les Thébains. — Expéditioir des Béotiens dans la Thcssalie. 

I. Accoutunoiés dans tout le cours de cet ouvrage à nous servir 

de Tautorité de l'histoire pour donner aux hommes vertueux des 

éloges mérités et infliger aux méchants un juste blâme, nous 

espérons ainsi diriger les âmes bien nées vers de belles entre- 

IIT. \ 



2 DIODORE DE SICILE. 

prises par la perspective d'une gloire immortelle , et par la 
crainte de reproches mérités détourner du sentier du vice ceux 
qui ont de mauvais penchants. Parvenus actuellement à Tépoque 
où les Lacédémoniens vaincus, contre toute attente, à Leuctres, 
éprouvèrent de grands malheurs , et vaincus une seconde fois à 
Mantinée , perdirent l'empire de la Grèce , nous pensons devoir 
suivre nos principes en condamnant les Lacédémoniens devant 
le tribunal de l'histoire. Qui , en effet, ne voudrait pas blâmer 
les Lacédémoniens? Après avoir hérité de leurs ancêtres l'empire 
le mieux assis , et qui , grâce à la vertu de leurs pères , s'était 
conservé pendant plus de cinq siècles, ils l'ont perdu, cet empire, 
par leur propre faute. Les anciens Spartiates avaient acquis cette 
immense gloire par des guerres périlleuses et sanglantes et en se 
conduisant humainement à l'égard des vaincus. Mais leurs des- 
cendants, durs et hautains avec leurs alliés, et suscitant aux 
Grecs des guerres injustes et violentes , ont par leur politique 
inconsidérée causé la perte de leur suprématie. Car , au premier 
revers , leurs alliés saisirent le moment de se venger de leurs 
oppresseurs, et bientôt ces hommes, dont les pères passaient pour 
invincibles, tombèrent dans le mépris qui s'attache à tous ceux 
qui dégénèrent de la vertu des ancêtres. C'est ainsi que les Thé- 
bains, soumis pendant plusieurs générations à des vainqueurs 
puissants, renversèrent inopinément l'autoritédes Lacédémoniens 
et devinrent eux-mêmes les maîtres de la Grèce. Les Lacédémo- 
niens déchus de leur puissance, ne purent jamais recouvrer leur 
ancienne splendeur. Mais ces réflexions isufiBsent pour faire 
ressortir les fautes des Lacédémoniens. 

Nous allons maintenant reprendre le fil de notre histoire d'après 
Tordre chronologique. Le livre précédent, le XIV de tout 
l'ouvrage , se termine à l'asservissement des Rhégiens par Denys 
et à la prise de Rome par les Gaulois, événements qui ont pré- 
cédé l'année dans laquelle les Perses descendirent en Cypre pour 
faire la guerre au roi Évagoras. Nous commencerons ce livre par 
le récit de cette guerre et nous le finirons à l'année antérieure à 
Tavénement de Philippe, fils d'Amyntas, au trône de Macédoine. 



LIVRE XV. 3 

IL Mystichidès étant archonte d'Athènes, les Romains nommè- 
rent, au lieu de consuls, trois tribuns militaires, Marcus Furius, 
Caïuset Émilius^ Dans cette année, Artaxerxès, roi des Perses, 
marcha contre Évagoras, roi de Cypre. Occupé depuis longtemps 
à des préparatifs de guerre , il mit sur pied des troupes considé- 
rables de mer et de terre. Son armée de terre se composait de 
trois cent mille hommes, y compris la cavalerie ; il équipa plus de 
trois cents trirèmes , et confia le commandement de Tarmée de 
terre à Oronte, son gendre, et celui de la flotte à Téribaze^, 
homme d'une grande considération parmi les Perses. Ces deux 
chefs, ayant rassemblé leurs forces à Phocée et à Cynies, s'avan- 
cèrent vers la Gilicie, et de là ils vinrent aborder en Cypre où ils 
prirent aussitôt des mesures pour conduire la guerre activement. 
Cependant Évagoras conclut un traité d'alliance avec Acoris, roi 
d'Egypte, ennemi des Perses, et en obtint des troupes considé- 
rables. Il reçut en même temps d'Hécatomnus, souverain de la 
Carie avec lequel il entretenait des intelligences secrètes , une 
somme d'argent destinée à la solde des soldats étrangers. Enfin 
plusieurs autres ennemis déclarés ou secrets des Perses, prirent 
part à cette guerre. Évagoras était maître de la plupart des villes 
de Cypre, et dans la Phénicie il possédait Tyr et quelques autres 
cités. Il avait une flotte de quatre-vingt-dix trirèmes dont vingt 
fournies par les Tyriens , et soixante-dix par les Cypriens. Son 
armée de terre se composait de six mille hommes et d'un plus 
grand nombre de troupes alliées. Déplus, bien pourvu d'argent, 
il avait pris à sa solde beaucoup de mercenaires. Enfin, le roi des 
Barbares [Arabes] et quelques autres [souverains] , mécontents 
du roi des Perses, lui envoyèrent aussi de nombreuses troupes. 

III. Comptant sur toutes ces forces, Évagoras entreprit la 
guerre hardiment. Il se servit d'abord d'un grand nombre de 
bâtiments corsaires pour attaquer les navires qui apportaient les 
vivres à l'ennemi ; il fit couler les uns, dispersa les autres et s'em- 
para de quelques-uns. Il arriva donc que les marchands n'osé- 

' Troisième année de la xcviii' olympiade ; année 386 avant J.-C. 
' On peut écrire Téribaze ou Tiribaze, suivant la prononciation qu'on adopte 
pour 1':^ dans T>î|»i6«Ço5. 



[\ OlODORE DE SICILE. 

rent plus apporter des grains dans l'île de Cypre où des troupes si 
considérables se trouvaient rassemblées. Aussi la disette se fit-elle 
bientôt sentir dans le camp des Perses. Cette disette causa une 
révolte; les soldats mercenaires des Perses tombèrent sur leurs 
chefs, en tuèrent quelques-uns et répandirent le trouble et le 
désordre dans le camp ; ce ne fut qu'avec peine que les généraux 
des Perses et le commandant de la flotte, nommé Gao, parvinrent 
à apaiser la rébellion. Ces chefs partirent avec toute la flotte et 
rapportèrent de la Cilicie une masse de vivres , ce qui ramena 
Tabondance et la tranquillité dans le camp. Quant à Évagoras , 
Acoris lui avait envoyé d*Égypte du blé, de Targent et d'autres 
fournitures. Gomme il se voyait , sous le rapport des forces na- 
vales, de beaucoup inférieur à Tcnnemi, il équipa soixante autres 
navires et en demanda cinquante à Acoris, qui les lui envoya de 
l'Egypte; il réunit ainsi un total de deux cents trirèmes. Il les 
orna d'un attirail guerrier , les exerça continuellement aux ma- 
nœuvres et se disposa à un combat naval. Averti que la flotte 
royale se portait sur Citium , il vint à l'improviste l'attaquer avec 
une escadre serrée et eut de beaucoup l'avantage sur les Perses. 
Tombant avec des forces rangées en bataille , sur un ennemi en 
désordre et pris au dépourvu , il se fraya d'emblée le chemin de 
la victoire. Il détruisit quelques navires ennemis et en prit plu- 
sieurs autres. Cependant Gao, commandant de la flotte des 
Perses, ainsi que les autres chefs, tinrent ferme ; il s'engagea un 
combat acharné dans lequel Évagoras, d'abord victorieux, fut, 
après une courageuse défense , écrasé par Gao et obligé de fuir 
après avoir perdu un grand nombre de trirèmes. 

IV. Les Perses sortis vainqueurs de ce combat naval réu- 
nirent leurs troupes de terre et de mer dans la ville de Citium. 
De là , ils allèrent mettre le siège devant Salamine , bloquant 
cette ville par terre et par mer. Après ce combat , ïéribaze passa 
en Cilicie d'où il se rendit auprès du roi auquel il annonça la 
nouvelle de la victoire et reçut deux mille talents* pour la con- 
thiuation de la guerre. Évagoras, qui avant le combat naval avait 

' Onze millions de francs. 



LlVllE XV. 5 

remporté un avantage sur terre avec un corps d*arniée , présuma 
d^abord beaucoup de ses forces ; mais défait dans le combat naval 
et assiégé dans la ville où il s*était renfermé , il perdit courage. 
Cependant il jugea à propos de continuer la guerre ; il laissa à 
son fils Pythagoras le commandement de toutes ses armées réunies 
en Cypre , et , prenant avec lui dix trirèmes , il parvint à la faveur 
de la nuit, à s'échapper clandestinement de Saiamine. Il aborda 
en Egypte, et dans une entrevue qu'il eut avec le roi, il l'enga- 
gea à pousser vigoureusement une guerre qui devait lui être 
commune contre les Perses. 

y. Pendant que ces événements se passaient, les Lacédémo- 
niens résolurent de marcher sur Mantinée, sans tenir compte 
des traités conclus. Voici le motif de cette expédition. La Grèce 
entière était en paix depuis le traité d'Antalcidas, d'après lequel 
toutes fes villes avaient expulsé les garnisons étrangères et re- 
couvré leur indépendance. Mais les Lacédémoniens aimant la 
guerre par nature et par goût, supportèrent la paix comme un 
lourd fardeau ; car, avides d'étendre leur domination en Grèce, 
ils avaient en vue de nouveaux projets. Ils fomentèrent donc des 
troubles dans les villes et excitèrent des émeutes par le moyen 
de leurs partisans dévoués. Quelques villes leur offraient des pré- 
textes pour troubler l'ordre. En effet, rendues à l'indépendance, 
elles demandèrent un compte rigoureux à ceux qui avalent 
exercé l'autorité suprême pendant la domination des Lacédémo- 
niens. Comme quelques-uns de ces chefs dont le souvenir était 
odieux au peuple, furent accablés d'amers reproches et plusieurs 
d'entre eux condamnés au bannissement, les Lacédémoniens 
prirent la défense de la faction opposée. Ils reçurent chez eux ces 
bannis et les firent rentrer dans leur patrie par la force des armes. 
Ils se rendirent ainsi maîtres d'abord des villes trop faibles pour se 
défendre ; attaquant ensuite des villes plus considérables, ils les 
subjuguèrent, et ne restèrent pas deux ans à observer les condi- 
tions de la paix. La ville de Mantinée , voisine de Sparte , ren- 
fermant une population vigoureuse , leur semblait prendre un 
trop grand accroissement dans la paix : ils se hâtèrent d'eu abais- 

lîT. 1. 



6 DIODORE D£ SICILE. 

ser Torgueil. Ils envoyèrent donc d*abord des députés à Man- 
tinée , chargés d'ordonner aux habitants la destruction de leurs 
murs et de rentrer dans les cinq anciens bourgs qui composaient 
jadis Mantinée. Comme cet ordre ne fut point eiécuté, ils mirent 
en campagne une armée et vinrent assiéger la ville. De leur côté, 
les Mantinéens envoyèrent des députés aux Athéniens pour leur 
demander du secours ; mais ceux-ci ne voulurent pas violer les 
conditions de la paix. Les Mantinéens soutinrent donc le siège 
avec leurs propres forces , et se défendirent vigoureusement 
contre les ennemis. Telle fut Torigine des nouvelles guerres 
allumées dans la Grèce. 

VI. En Sicile, Denys, tyran des Syracusains, délivré des 
guerres des Carthaginois , jouissait du repos dans une paix pro- 
fonde. Il s'occupa avec ardeur à faire des vers. Il fit venir auprès 
de lui les poëtes les plus renommés, les traita avec distinction , 
et , profitant de leur société , il trouva en eux des maîtres et des 
juges. Enivré des éloges qu'il reçut en raison des faveurs qu'il 
prodiguait , Denys tira plus de vanité de ses vers que de ses 
exploits guerriers. Parmi les poètes admis à sa cour se trouvait 
Philoxène, le poète dithyrambique, très-renommé dans ce genre 
de compositions. Un jour, on récita , dans un banquet, de mau- 
vais vers que le tyran avait composés K Lorsqu'on lui en de- 
manda son jugement , Philoxène répondit avec trop de fran- 
chise. Le tyran , blessé de la réponse , lui reprocha de ne blâmer 
ses vers que par jalousie, et ordonna à ses satellites de le conduire 
sur-le-champ aux carrières*. Le lendemain, les amis de Philo- 
xène obtinrent sa grâce , et le tyran l'invita même à sa table. 
La boisson fit prolonger la conversation; Denys, toujours fier de 
ses poésies , récita quelques distiques auxquels il attacha un 
grand prix; et il demanda encore à Philoxène ce qu'il en pensait. 
Celui-ci ne répondit rien ; mais, appelant les satellites de Denys, 
il leur dit : « Reconduisez-moi aux carrières. » Frappé de cette 
saillie , Denys sourit et supporta la franchise du poète qui , en 

* Voyez Gicéron, Disputât. Tusculan., V, 22. 

* Travaux forcés des criminels. Voyez plus haut , xni, 33. 



LIVRE XV. 7 

excitant le rire , avait éitioussé la pointe de la critique. Peu de 
temps après , Denys et ses familiers ayant reproché au poète sa 
franchise intempestive , Philoxène fit une singulière promesse : 
il promit que dans ses réponses il saurait concilier la vérité avec 
le respect dû à Denys , et il tint parole. Car le tyran ayant récité 
un jour quelques distiques sur un sujet lamentable , et deman- 
dant ensuite comment on trouvait les vers , Philoxène répondit 
avec amphibologie qu'ils lui faisaient pitié. En effet, Denys attri- 
bua cette pitié aux effets sympathiques que produisent les bons 
poëtes, et regarda la réponse comme Téloge de ses vers; tandis 
que les autres , Tentendant dans le véritable sens, n'y virent que 
Topinion du poëte , que les vers de Denys étaient pitoyables. 

YII. Platon , le philosophe , eut à peu près le même sort que 
Philoxène. Denys l'appela auprès de lui , l'accueillit d'abord avec 
la plus grande distinction , bien que Platon s'exprimât avec la 
liberté d'un philosophe; mais blessé plus tard de la franchise de 
quelques discours, il lui retira tout à fait ses bonnes grâces et 
le fit conduire au marché public et vendre comme esclave au 
prix de vingt mines *. Les autres philosophes se réunirent pour 
le racheter et le renvoyèrent en Grèce , en lui rappelant comme 
un avis salutaire qu'un philosophe doit parler à un tyran le plus 
doucement possible. Denys , toujours possédé de sa passion pour 
la poésie , envoya aux jeux olympiques des déclamateurs ayant 
la meilleure voix pour chanter devant la foule les vers qu'il avait 
composés. Ces déclamateurs frappèrent d'abord les auditeurs par 
la beauté de leur organe; mais l'attention se fixant ensuite sur 
le poëme, le mépris remplaça l'étonnement et un immense 
éclat de rire se fit entendre. Denys, apprenant le mauvais succès 
de ses vers, tomba dans une profonde tristesse ; et, comme son 
chagrin augmentait de jour en jour , son esprit fut atteint de 
manie; il croyait que tout le monde était jaloux de lui et que ses 
amis lui dressaient des pièges. Enfin , sa tristesse et son égare- 
ment arrivèrent au point qu'il fit, sur des accusations fausses, 
mettre à mort un grand nombre de ses amis et en condamna 

* Mille huit cent vingt-deux francs. 



8 DTODORE DE SICILE. 

plusieurs à Texil. Parmi ces derniers Se trouvèrent Philislus et 
Leptiiie , son frère, deux hommes distingués par leur courage et 
par les nombreux et grands services qu'ils lui avaient rendus 
dans les guerres : ils se réfugièrent à Thurium, en Italie, et furent 
très-bien reçus par les Italiotes; plus tard, Denys offrit lui-même 
de se réconcilier avec eux, les rappela à Syracuse et les rétablit 
dans leur ancienne faveur. Leptine épousa même la fille de Denys. 
Tels furent les événements arrivés dans le cours de cette année. 
YIII. Dexithéus étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent consuls Luclus Lucrétius et Servius Sulpitius^ Dans 
cette année , Évagoras, roi des Salaminiens , revint d'Egypte eu 
Cypre , apportant avec lui Taisent que lui avait avancé Acoris, 
roi d'Egypte , en moins grande quantité qu'il ne l'avait espéré. 
Il trouva Salamine vivement assiégée par les ennemis et, se voyant 
abandonné de ses alliés, il fut obligé de parlementer. Téribaze , 
qui avait le commandement en chef de l'armée des Perses, dé- 
clara qu'il ne cesserait les hostilités qu*à la condition qu'Évago- 
ras évacuât toutes les villes de Cypre , à l'exception de Salamine 
dont Évagoras garderait l'autorité souveraine en payant un tribut 
annuel au roi des Perses et en lui obéissant comme un esclave à 
un maître. Quelques dures que fussent ces conditions^ Évagoras 
n'eut d'autre choix que de les accepter. Il refusa cependant 
d'obéir comme un esclave à son maître, et ajouta qu'il lui 
serait soumis comme un roi peut l'être à un roi. Téribaze n'y 
donnant point son consentement , Oronte , le second général des 
Perses, jaloux de Téribaze, écrivit secrètement une lettre à Arta- 
xerxès dans laquelle il accusait Téribaze d'abord de n'avoir pas 
pris d'assaut Salamine tandis qu'il le pouvait, d'avoir reçu des par- 
lementaires et eu des conférences avec l'ennemi; d'avoir conclu 
pour son propre compte une alliance avec les Lacédémonieus; de 
plus, il l'accusa d'avoir envoyé consulter l'oracle de la pythie afin 
de savoir si l'occasion était favorable pour la révolte ; enfin , ce 
qui était le chef d'accusation le plus grave , de s'être concilié 
l'affection des commandatnts de troupes par des distinctions hono- 

* Quatrième année de la xcviii* olympiade j année 385 avant J.-C. 



LIVRE XV. 9 

rifiques, par des présents et par des promesses. Le roi, ayant lu 
cette lettre et ajouté foi aux accusations calomnieuses qu'elle con- 
tenait, écrivit à Oronte d'arrêter Téribaze et de le lui envoyer. 
Cet ordre fut exécuté ; Téribaze, conduit devant le roi, de- 
manda à être jugé ; mais il fut pour le moment mis en prison ; 
et plus tard le roi , engagé dans une guerre con(re les Cadusiens, 
suspendit la procédure commencée contre Téribaze et en ajourna 
lé jugement. 

I\. Oronte, qui avait succédé à Téribaze dans le commande- 
ment des troupes réunies à Gypre, voyant qu'Évagoras reprenait 
courage et continuait à soutenir le siège, et que, d'un autre côté, 
les soldats mécontents de l'arrestation de Téribaze, montraient de 
l'insubordination et menaçaient d'abandonner le siège , craignit 
quelque événement fâcheux : il envoya à Éyagoras des parlemen- 
taires avec ordre de traiter de la paix aux mêmes conditions 
qu'il avait proposées à Téribaze. Évagoras, délivré contre son 
attente de la crainte de voir tomber sa capitale entre les mains 
de l'ennemi, conclut la paix proposée en conservant le titre de 
roi de Salamine , en payant un tribut annuel et en se soumet- 
tant comme un roi qui obéit à un roi qui ordonne. Ce fut ainsi 
que se termina la guerre de Cypre , qui avait duré près de dix 
ans ; mais une grande partie de ce temps avait été employée en 
préparatifs , et la guerre elle-même n'avait réellement duré en 
tout que deux ans. 

Gao , le nauarque, qui avait épousé la fille de Téribaze , 
craignant d'être enveloppé dans les accusations dirigées con- 
tre son beau-père, et d'être puni par le roi, résolut de pour- 
voir à sa sûreté par des entreprises nouvelles. Muni d'argent 
et de troupes, il communiqua aux triérarques qui s'étaient at- 
tachés à son parti, le dessein d'abandonner le roi. Aussitôt 
il envoya à Acoris, roi d'Egypte, une députation, et lui offrit 
son alliance contre Artaxerxès ; il écrivit aussi aux Lacédémoniens 
des lettres dans lesquelles il les excitait contre le roi , leur offrit 
de fortes sommes d'argent et leur fit de grandes promesses , 
en leur donnant l'assurance qu'il les aiderait à reconquérir 



10 DIODORE DE SICILE. 

la prépondérance qu^ils avaient autrefois exercée sur la Grèce. 
Les Spartiates , qui depuis longtemps avaient songé à recon- 
quérir leur suprématie , fomentaient alors des troubles dans les 
villes de la Grèce qu'ils cherchaient évidemment à assujettir. 
D*un au(re côlé , déshonorés par Tapparence d'avoir , dans le 
traité conclu avec le roi, trahi les Grecs de l'Asie, ils voulaient se 
laver de cette tache et cherchaient un prétexte plausible pour 
déclarer la guerre à Artaxerxès. Ils acceptèrent donc avec joie 
Talliance que Gao leur offrait. 

X. Cependant Artaxerxès, après avoir terminé la guerre avec 
les Cadusiens, fil reprendre l'affaire de Téribaze et désigna pour 
juges trois hommes des plus considérés de la Perse. Ce fut dans 
ce temps-là que d'autres juges, convaincus d'avoir prononcé des 
sentences injustes, furent écorchés vifs et qu'on avait étendu 
leurs peaux sur les sièges du tribunal , afin de mettre sous les 
yeux des juges l'exemple de la punition qui les attendait dans le 
cas où ils rendraient des arrêts iniques. Ces accusateurs pro- 
duisirent donc la lettre d'Oronte , et déclarèrent , après l'avoir 
lue , qu'elle suffisait pour faire condamner Téribaze. Mais ce 
dernier , pour justifier sa conduite à l'égard d'Évagoras , donna 
lecture du traité dans lequel Oronte avait stipulé qu'Évagoras 
fût soumis à Artaxerxès comme un roi l'est à un roi, tandis que 
lui, Téribaze, avait exigé que la soumission d'Évagoras fût celle 
d'un esclave à son maître. Quant au chef d'accusation qui con- 
cernait l'oracle, il donna pour défense que le dieu ne rendait 
jamais de réponse aux questions adressées sur la mort de qui 
que ce soit; et, pour confirmer cette assertion, il invoqua le té- 
moignage de tous les Grecs présents. Quant à l'alliance, des 
Lacédémouiens, il répondit qu'il l'avait recherchée, non pas dans 
son intérêt particulier, mais pour le service du roi, ajoutant que 
c'est par le traité conclu avec les Lacédémouiens, que le roi 
était devenu le maître de tous les Grecs de l'Asie, que Sparte lui 
avait livrés. Il termina sa défense en rappelant aux juges les 
services qu'il avait autrefois rendus au roi ; il fit remarquer 
qu'il avait entre autres rendu au roi un service bien grand qui 



LIVRE XV. Il 

lui avait valu Fattention et Taniitié la plus intime du roi. Eu 
effet , le roi étant un jour à la chasse , et naonté sur son char, 
deux lions se précipitèrent sur lui : après avoir déchiré deux 
chevaux du quadrige, ils allaient se jeter sur le roi. Dans ce 
moment, Téribaze accourut, tua les deux lions et sauva le roi 
d*un grand danger. Il ajouta , pour compléter sa défense, que, 
dans les guerres , on avait préconisé son courage , et dans les 
conseils qu'il avait donnés, il avait été assez heureux pour que 
le roi n'eût jamais à se repentir de les avoir suivis. Après avoir 
prononcé cette apologie, Téribaze fut à Tunanimilé absous des 
crimes dont il était accusé. 

XI. Cependant le roi fit venir les juges un à un, et leur de- 
manda sur quel motif chacun d'eux avait prononcé Tacquitte- 
ment de l'accusé. Le premier répondit que les charges élevées 
contre l'accusé lui paraissaient douteuses, tandis que les servi- 
ces que Téribaze avait rendus étaient prouvés ; le second, qu'en 
supposant l'accusation fondée , les services l'emporteraient en- 
core sur les fautes que l'accust' avait commises; le troisième, 
qu'il ne faisait point entrer en ligne de compte les services que 
Téribaze avait rendus, parce qu'il en avait été amplement ré- 
compensé par les faveurs dont le roi l'avait comblé ; mais qu'en 
examinant les charges élevées contre l'accusé , il ne les croyait 
pas assez motivées pour mériter une condamnation. Le roi 
loua les juges, comme ayant bien rempli leurs devoirs, il revêtit 
Téribaze des plus hautes dignités, tandis qu'Oronte, convaincu 
de calomnie, fut rayé du nombre des favoris du roi et marqué 
d'infamie. Tel fut l'état des choses dans l'Asie. 

XII. £n Grèce, les Lacédémoniens continuaient le siège de 
Mantinée , dont les habitants avaient passé tout l'été à se défen- 
dre courageusement. En effet, de tous les Arcadiens, les Manti- 
nécns étaient les plus estimés pour leur bravoure ; aussi furent- 
ils jadis les plus fidèles auxiliaires et alliés d^s Spartiates. 
Comme, à l'entrée de l'hiver , le fleuve qui passe à Mantinée 
s'était considérablement accru par des pluies abondantes, les La- 
cédémoniens détournèrent, au moyen de grandes digues, le 




12 DIODORE DE SICILE. 

cours du fleuve, et le firent passer dans la ville, dont Tintérieur 
et tons les environs furent submergés; les maisons furent ren- 
versées, et les Mantinéens, effrayés, furent réduits à livrer leur 
ville aux Lacédémoniens. Ceux-ci, en Toccupant, n'infligèrent 
aucun mauvais traitement aux habitants , mais ils leur ordon- 
nèrent de retourner s'établir dans leurs anciens bourgs. Ce fut 
ainsi que les Mantinéens se virent obligés de détruire leur pro- 
pre patrie et de se transporter dans des villages. 

XIII. Pendant que ces événements avaient lieu, Denys, tyran 
des Syracusains, résolut de fonder plusieurs villes sur les bords 
de la mer Adriatique. Par ce moyen , il voulait s'assurer la na- 
vigation sur la mer Ionienne et le passage de ses bâtiments dans 
rËpire , et avoir en sa possession des villes propres à servir de 
station navale. Il se bâta donc de faire passer des forces consi- 
dérables en Épire, et de piller le temple de Delphes qui était 
plein de trésors. Il conclut aussi un traité d'alliance avec les 
lUyriens , par l'intermédiaire d'Alcétas le Molosse , qui, chassé 
de ses États, séjournait alors à Syracuse. Gomme les lUyriens 
étaient en guerre, Denys leur envoya un secours de deux mille 
hommes et cinq cents armures grecques. Les IlljTiens distri- 
buèrent ces armures à leurs meilleurs guerriers , et incorporè- 
rent dans leurs troupes les soldats auxiliaires. Après avoir ras- 
semblé une armée nombreuse, ils pénétrèrent dans TÉpire, 
tmmenant avec eux Alcétas , pour le rétablir sur le trône des 
Molosses. Ne trouvant aucune résistance , ils ravagèrent d'abord 
la campagne ; mais les Molosses étant ensuite venus i leur ren- 
contre, il s'engagea un combat acharné d'où les Illyriens sorti- 
rent victorieux , après avoir taillé en pièce plus de quinze cents 
Molosses. Les Lacédémoniens, apprenant les revers que venaient 
d'éprouver les Épirotes , envoyèrent aux Molosses des secours 
pour les aider à arrêter l'audace des Barbares. 

Pendant qu» ces choses se passaient, les Parieus, pour obéir à 
un oracle, envoyèrent une colonie dans l'Adriatique, et fondè- 
rent , avec l'aide de Denys le tyran , une ville dans l'île de 
Pharos. Ce même tyran avait envoyé, plusieurs années aupara- 



.1. : 



LIVRE XV. 13 

vant, une colonie dans l'Adriatique, où il avait fondé une ville 
nommée Lissus. De retour , il profita des loisirs de la paix , 
pour construire des bassins pouvant contenir deux cents trirè- 
mes , et entoura la ville d'une enceinte plus grande qu'aucune 
de celles qui environnent les villes grecques. Denys bâtit aussi 
de vastes gymnases sur les bords du fleuve Anapus, éleva des 
temples aux dieux et ne négligea rien de ce qui pouvait con- 
tribuer à l'accroissement et à la magnificence de Syracuse. 

XIV. L'année étant révolue, Diotrephès fut nommé archonte 
d'Athènes, et les Romains élurent pour consuls Lucius Yalérius 
et Aulus Manlius; on célébra en Élide la xoix*" olympiade, 
dans laquelle Dicon de Syracuse fut vainqueur à la course du 
stade ^ A cette époque , les Pariens établis dans l'île de Phares 
avaient permis aux Barbares, anciens habitants de cette île, 
d'occuper tranquillement une place extrêmement forte, et avaient 
eux-mêmes fondé sur le bord de la mer une ville qu'ils cei- 
gnirent d'une muraille. Mais comme ensuite les anciens habitants 
de l'île voyaient de mauvais œil l'établissement des Grecs , ils 
appelèrent à leur secours les Illyriens , situés sur le rivage op- 
posé : un grand nombre de petits navires, portant plus de dix 
mille hommes, abordèrent ainsi dans l'île de Pharos , dévastè- 
rent les possessions des Grecs, auxquels ils tuèrent beaucoup de 
monde. Mais dès que le gouverneur, que Denys avait établi à 
Lissus, fut informé de celte agression, il vint avec plusieurs tri- 
rèmes attaquer les embarcations des Illyriens; les unes furent 
coulées bas, les autres saisies ; il tua aux Barbares plus de cinq 
mille hommes et fit environ deux mille prisonniers. 

Denys, manquant d'argent, équipa une flotte de soixante tri- 
rèmes et marcha contre la Tyrrhénie sous le prétexte d'extermi- 
ner les pirates, mais en réalité pour piller un temple célèbre 
rempli de riches offrandes et qui était situé dans le port de la 
ville d'Agylle, en Tyrrhénie; ce port s'appelait Pyrgoi l De- 
nys y aborda pendant la nuit, y fit débarquer ses troupes , et , 

* Première année de la xcix* olympiade; année 384 avant J.-C. 

* nûjoyoc, les tours. «^ 

m. 2 W 



iU DIODOBE DE SICILE. 

commençant Tattaquc dès la pointe du jour , il vint à bout de 
son entreprise. Coiume la place n'était gardée que par un petit 
nombre de soldats, il força les postes, pilla le temple et ramassa 
ainsi au moins mUle talents ^ Mais les Agyllécns étant accourus, 
il s'engagea un combat dans lequel Denys fît un grand nombre 
de prisonniers. Après avoir dévasté leur territoire, il retourna à 
Syracuse. Il retira cinq cents talents de la vente des dépouilles 
de l'ennemi. Enrichi par cette expédition , il paya la solde de 
ses nombreuses troupes, mit sur pied une armée puissante , et 
s'apprêta ouvertement à faire la guerre aux Carthaginois. Tels 
sont les événements arrivés dans le cours de cette année. 

XV. Phanostrate étant archonte d'Athènes, les Romains élu- 
rent, au lieu de consuls, quatre tribuns militaires, Lucius Lu- 
crétins, Sextius Sulpicius , Lucius Émilius et Lucius Furius ^. 
Dans cette année, Denys, tyran des Syracusains, qui avait armé 
contre les Carthaginois, cherchait un prétexte raisonnable pour 
leur déclarer la guerre. Voyant que les villes soumises aux Car- 
thaginois étaient disposées à la révolte, il accueillit toutes celles 
qui voulaient se soulever , et , contractant avec elles des allian- 
ces , il les poussa à l'insurrection. Les Carthaginois envoyèrent 
d'abord des députés au tyran pour lui demander la reddition 
des villes qui leur appartenaient; mais il rejeta leur demande. 
Ce fut là l'origine de la guerre. Les Carthaginois firent avec 
leurs voisins des traités d'alliance et entreprirent en commun la 
guerre contre le tyran. Prévoyant que cette guerre serait longue 
et sérieuse , ils enrôlèrent les citoyens en élat de porler les ar- 
mes et engagèrent à leur service beaucoup de troupes étrangères 
par la promesse d'une solde élevée. Le roi Magon ^ eut le com- 
mandement de l'armée ; il fit passer plusieurs milliers d'hom- 
mes en Sicile et en Italie, se proposant d'entretenir la guerre 
dans les deux pays à la fois. Denys partagea son armée en deux 



* Environ cinq raillions cinq cent mille francs. 

" Deuxième année de la xcix*" olympiade; année ;i83 avant J.-C. 

* Voyez XIII , 43. Le nom de Magon vient sans doute du chaldéen ou phénicien 
:\'S0 Cwagf),mage. 



LIVRE XV. 15 

corps : Tun était destiné à combattre les Italiotes, et Fautre les 
Phéniciens. Les deux armées se livrèrent d*abord un grand 
nombre d'escarmouches qui ne décidèrent rien de sérieux. Enfin 
il y eut deux batailles grandes et célèbres : dans l'une, qui se li- 
vra près d'un lieu appelé Cabala S Denys fit des prodiges de va- 
leur et remporta la victoire après avoir tué plus de dix mille 
Barbares et fait au moins cinq mille prisonniers ; le reste de 
l'armée fut obligé de se réfugier sur une hauteur fortifiée par 
la nature , mais complètement dépourvue d'eau. Le roi Magon 
lui-même périt après une brillante défense. Abattus par ce grand 
revers , les Phéniciens, envoyèrent aussitôt des parlementaires 
pour traiter de la paix. Denys déclara que cette paix serait con- 
clue à la seule condition que les Carthaginois évacueraient les 
villes de la Sicile et lui rembourseraient tous les frais de la 
guerre. 

XYL Sentant la dureté et l'insolence de cette condition, les 
Carthaginois eurent recours à leurs artifices ordinaires et firent 
tomber Denys dans les pièges qu'ils lui tendaient. Ils firent 
donc semblant de trouver les propositions de paix raisonnables ; 
mais ils ajoutèrent qu'ils n'avaient pas de plein pouvoir pour 
rendre les villes de la Sicile. Ils demandèrent donc à Denys quel- 
ques jours de trêve pour s'entendre à ce sujet avec leurs magis- 
trats. Le tyran accorda leur demande et se réjouissait de se 
voir bientôt maître de toute la Sicile. Pendant cet intervalle les 
Carthaginois firent à leur roi Magon des funérailles magnifiques, 
et nommèrent à sa place au commandement militaire son fils, 
qui était encore très-jeune, mais plein d'une noble ambition et 
d'un grand courage. Il employa tout le temps de la trêve à la 
revue et à l'exercice de ses troupes. Par des exercices conti- 
nuels , par ses exhortations, il forma bientôt une armée bien 
disciplinée et puissante. Le terme de la trêve expiré, les deux 
années se trouvèrent prêtes à tenir la campagne et remplies 
d'une ardeur guerrière. Il s'engagea donc près de Cronium un 

i 

^ Ce nom est phénicien , de Ssp (cabbal) recevoir. 3 



16 DIODORE DE SICILE. 

combat acharné, cl le destin capricieux répara par une victoire 
la défaite première des'Carthaginois ; car les Syracusains, pré- 
cédemment vainqueurs, avaient tiré de leurs succès une confiance 
qui devint inopinément la cause de leur perte , et ceux qui 
étaient vaincus jusque-là, découragés par leur défaite, rempor- 
tèrent une victoire aussi grande qu'imprévue. 

XYII. Leptiue, guerrier courageux, qui commandait dans 
celte bataille Taile gauche de Tarmée de Denys, se battit en hé- 
ros, et après avoir fait mordre la poussière à un grand nombre 
de Carthaginois, il mourut lui-même glorieusement. La mort de 
ce chef ranima Kardeur des Carthaginois, qui forcèrent les rangs 
ennemis et les mirent en fuite. Dans le commencement, Denys, 
à la tête de sa troupe d'élite , eut l'avantage sur les ennemis ; 
mais lorsqu'il apprit la mort de Leptine et la déroute de l'aile 
gauche , les soldats de Denys furent saisis d'épouvante et se li- 
vrèrent à la fuite. La déroute devint complète , et les Carthagi- 
nois , poursuivant les fuyards sans relâche, se recommandaient 
les uns aux autres de ne faire aucun quartier; aussi tous ceux 
qui tombèrent entre leurs mains furent mis à mort et tout le 
champ de bataille fut couvert de cadavres. Le massacre fut tel 
que les Carthaginois, stimulés par le souvenir de leurs anciens 
revers, tuèrent aux Siciliens plus de quatorze mille hommes; 
les débris de l'armée se réfugièrent dans le camp et parvinrent 
à se sauver à la faveur de la nuit qui survint. Sortis victorieux 
de cette grande bataille, les Carthaginois se retirèrent à Panorme ; 
ils surent supporter leur succès en hommes, et envoyèrent une 
députation qui offrit à Denys la faculté de terminer la guerre. 
Le tyran accueillit avec joie les propositions qui lui furent fai- 
tes , et la paix fut conclue à la condition que les deux partis 
conserveraient leurs anciennes possessions. Les Carthaginois se 
réservèrent cependant la ville et le territoire de Sélinonte ainsi 
que la partie du territoire agrigentin qui s'étend jusqu'au fleuve 
Halycus. Denys paya aux Carthaginois mille talents. Telle fut la 
situation des affaires en Sicile. 

XVIIL En Asie, Gao , qui commandait la flotte des Perses 



f -■ 



'^: LIVRE XV. 17 

' dans la guerre cypriote, s'était révolté contre le roi et avait en- 
traîné les Lacédémoniens et le roi d*Égyptc dans une guerre 
contre les Perses, lorsqu'il fut assassiné par des ordres secrets 
et ne put accomplir son dessein. Après la mort de ce chef, 

u '\ achos, qui lui succéda dans la direction des affaires, réunit au- 
tour de lui une armée et fonda une ville dans le voisinage de la 
mer, sur un rocher où se trouvait déjà un temple d'Apollon ; 

i;^ ' cette ville reçut le nom de Leucé \ Tachos mourut peu de temps 
après; les Clazoméniens et les (^yméens se disputèrent la posses- 
sion de cette ville. Ils voulurent d'abord décider l'affaire par 

^- la guerre ; mais ensuite , sur le conseil que quelqu'un leur 

Ç donna , ils consultèrent l'oracle pour savoir à laquelle des 
deux villes , de Glazomène ou de Cymes, appartiendrait Leucé. 
La pythie répondit que Leucé appartiendrait à celui qui, le pre- 
mier, lui offrirait un sacrifice, et que ceux qui devaient l'offrir 
partiraient de chacune des deux villes dès le lever du soleil , le 
jour fixé. Ce jour ayant été arrêté , les Gyméens ne doutèrent 
pas du gain de leur cause parce qu'ils étaient plus près de 
Leucé ; mais les Clazoméniens qui se trouvaient à une plus 
grande distance, imaginèrent le stratagème suivant pour s'assu- 
rer la victoire. Ils tirèrent de leur sein des colons désignés par 
le sort, qui allèrent fonder une ville tout près de Leucé ; ce fut 
en partant de cette colonie au lever du soleil que les Clazomé- 
niens arrivèrent avant les Cyméens, et offrirent les premiers un 
sacrifice. Devenus par ce stratagème maîtres de Leucé , ils in- 
stituèrent une fête annuelle qui reçut le nom de Prophthasie^. 
C'est ainsi que se terminèrent spontanément les troubles des 
villes grecques de l'Asie. 

XIX. Après la mort de Gao et de Tachos, les Lacédémoniens 
renoncèrent aux affaires de l'Asie , mais se préparant à recou- 
vrer leur autorité sur la Grèce , ils gagnèrent quelques-unes 
des villes par la persuasion, et soumirent les autres de force par 

' A«ux>î, scil. TToAis, ville blanche. Selon Strabon, cette ville était située entre 
Smyrne et Phocée. (Liv. XIV, p. 957 , édit. Casaub. ) 
■ Upofdaaia , avance , de f ôd^vw , j'arrive le premier. 

m. "i^ 



18 DIODORE DE SICILE. 

la rentrée des exilés. Ils aspiraient ainsi ouvertement à l'empire 
de la Grèce , contrairement aux clauses du traité d'Antalcidas, 
conclu avec le roi des Perses. En iMacédoine , le roi Amyntas , 
vaincu par les IHyriens, et ayant renoncé à Tespoir de recouvrer 
sa souveraineté , avait donné aux Olynthiens une grande partie 
de son territoire limitrophe. Depuis que le roi eut renonce à ses 
droits de souveraineté , les Olynthiens jouirent tranquillement 
du revenu de ce territoire, et lorsque, quelque temps après, le 
roi rentra , contre toute attente, dans ses états et reprit Tauto- 
rité suprême, il redemanda aux Olynthiens le territoire dont il 
leur avait fait don ; mais ceux-ci refusèrent de le lui rendre. 
Amyntas mit aussitôt sur pied une armée, et, s'alliant avec les 
Lacédémoniens, il les engagea à envoyer un général et des trou- 
pes contre les Olynthiens. Les Lacédémoniens, jugeant à propos 
de s'avancer du côté de la Thrace, levèrent, tant parmi leurs 
propres citoyens que parmi leurs alliés, une armée de plus de 
dix mille hommes, dont ils donnèrent le commandement à 
Phoebidas le Spartiate, avec ordre d'aller au secours d' Amyntas 
et de marcher avec lui contre les Olynthiens. En même temps 
ils envoyèrent une autre armée contre les Phliontins ; ils les 
vainquirent dans un combat, ils les soumirent à la domination des 
Lacédémoniens. Dans ce même moment, les rois des Lacédémo- 
niens différaient entre eux d'opinion sur ces entreprises. Argé- 
sipolis , homme pacifique , juste et prudent , fut d'avis qu'il 
fallait s'en tenir au serment et ne point violer les traités en as- 
servissant les Grecs ; car, ajouta-t-il, Sparte se déshonore elle- 
même si, après avoir livré les Grecs de l'Asie aux Perses, elle 
cherche encore à soumettre les villes de la Grèce qu'elle avait 
juré de laisser se gouverner par leurs propres lois. Agésilas, au 
contraire , homme entreprenant et aimant la guerre , aspirait à 
la suprématie sur les Grecs. 

XX. Ménandre étant archonte d'Athènes, les Romains nom- ' 
mèrenl, au lieu de consuls, six tribuns militaires, Quintus Sul- 
picius , Caïus Fabius, Cornélius Servius, Publius Ugo , Sextus 
Aninus et Caïus Marcus ^ Dans cette année, les Lacédémoniens 

^ Troisième année de la xcix« olympiade ; année S82 avant J.-C. 



LIVRE XV. 19 

s'emparèrent de la Gadmée, citadelle de Thèbes , par le motif 
que nous allons rapporter. Voyant que la Béotie possédait un 
grand nombre de villes peuplées d'habitants guerriers , et que 
Thèbes, en quelque sorte la citadelle de toute la Béotie, conser- 
vait son ancienne splendeur, les Lacédémoniens craignirent que 
les Thébains ne saisissent le premier moment favorable pour 
s'emparer de Tempire de la Grèce. Les Spartiates ordonnèrent 
donc secrètement à leurs généraux d'occuper la Gadmée dès 
que les circonstances le permettraient. Get ordre fut exécuté. 
Phœbidas le Spartiate , qui commandait l'armée destinée à agir 
contre les Olynthiens, vint surprendre la citadelle. Les Thé- 
bains, irrités, coururent aux armes; il se livra un combat dans 
lequel Phœbidas fut vainqueur ; il condamna à l'exil trois cents 
Thébains des plus distingués, intimida les autres, laissa une 
forte garnison dans la place, et revint à son affaire principale. 
Gependant les Lacédémoniens qui s'étaient, par cet acte , dés- 
honorés aux yeux de tous les Grecs, condamnèrent Phœbidas à 
une amende ; mais ils ne retirèrent pas la garnison qu'ils 
avaient placée à Thèbes. Ainsi, les Thébains, dépouillés de leur 
indépendance , furent forcés de se soumettre aux Lacédémo- 
niens. Pendant que les Olynthiens étaient en guerre avec 
Amyntas, roi des Macédoniens , les Lacédémoniens ôtèrent à 
Phœbidas le commandement de l'armée et lui donnèrent pour 
successeur Eudamidas, le frère de Phœbidas. Ils lui confièrent 
trois mille hoplites et l'envoyèrent continuer la guerre contre les 
Olynthiens. 

XXI. Eudamidas envahit le territoire des Olynthiens et leur 
fit la guerre de concert avec Amyntas. Les Olynthiens qui 
avaient réuni des troupes supérieures en nombre à celles de 
l'ennemi , eurent l'avantage dans les combats. Les Lacédémo- 
niens levèrent alors une armée plus considérable, dont ils don- 
nèrent le commandement à Téleutias; c'était le frère du roi 
Agésilas, admiré pour sa bravoure par tous ses concitoyens. U 
partit donc du Péloponnèse à la tête de son armée, et s'avança 
dans le voisinage d'Olynthe où il rejoignit les troupes d'Ëuda- 



20 DXODORë de SICILE. 

midas. Se trouvant alors en état de tenir tête à Tennemi, il ra- 
vagea d*abord le territoire des Olynthiens et fit un immense 
butin qu*il distribua à ses soldats. Enfin, les Olynthiens s*étant 
de leur côté réunis à tous leurs alliés, on en vint à une ba- 
taille ; dans le premier moment la victoire resta indécise, mais 
ensuite le combat se renouvelant avec plus d'acharnement, Té- 
leutias tomba après une brillante résistance ; plus de douze 
cents Lacédémoniens restèrent sur le champ de bataille. Pen- 
dant que les Olynthiens se réjouissaient de leur succès, les Lacé- 
démoniens, pour réparer Téchec qu'ils venaient d'essuyer, firent 
de nouveaux préparatifs de guerre et envoyèrent des troupes 
plus nombreuses encore. Les Olynthiens, voyant qu'ils avalent 
affaire aux forces supérieures des Spartiates, et que la guerre 
serait longue, firent de grandes provisions de vivres et tirèrent 
des soldats de leurs alliés. 

XXII. Démophile étant archonte d'Athènes, les Romains 
investirent de l'autorité consulaire les tribuns militaires Publius 
Cornélius, Lucius Yirginius , Lucius Papirius , Marcus Furius, 
Yalérius Aulus, Manlius Lucius et Posthumius Quintus K Dans 
cette année, les Lacédémoniens nommèrent au commandement 
militaire le roi Argésipolis, et après lui avoir confié une armée 
su£Ssante, ils décrétèrent la guerre contre les Olynthiens. Ar- 
gésipolis envahit le territoire des Olynthiens , se rallia aux an- 
ciennes troupes qui se trouvaient dans le camp, et recom- 
mença la guerre contre les habitants. Les Olynthiens, sans livrer 
aucune bataille décisive, passèrent toute Tannée en escarmou- 
ches et en petits combats. 

XXIII. L'année étant révolue, Pylhéas fut nommé archonte 
d'Athènes, les Romains élurent, au lieu de consuls, six tri- 
buns militaires, Titus Quintius, Lucius Servilius, Lucius Ju- 
lius, Acylius Décius, Lucrétius Ancus et Sévérius Sulpicius, et 
on célébra en Élide la centième olympiade, dans laquelle Diony- 
siodore de Tarente fut vainqueur à la course du stade l Dans cette 

' Quatrième année de la xcix* olympiade ; année 381 avant J.-C. 
' Première année de la c« olympiade; année 480 avant J.-C. 



y 



.v 



LIVRE XV. 21 

année, Agésipolis, roi des Lacédémoniens , mourut de maladie 
après un règne de quatorze ans ; il eu t pour successeur Cléombrote 
qui régna neuf ans. Les Lacédémoniens nommèrent Polybiade au 
commandement militaire et renvoyèrent continuer la guerre con- 
tre les Olynthiens. Ainsi mis à la tête de l'armée, il déploya beau- 
coup d'activité et fit preuve de talents stratégiques. 11 remporta 
plusieurs avantages ; continuant la guerre avec succès, il sortit 
victorieux de plusieurs combats et parvint à refouler les Olyn- 
thiens dans leur ville dont il fit le siégé. Enfin , ayant répandu 
Tôpouvante parmi les ennemis , il réussit à les soumettre aux La- 
cédémoniens. Les Olynthiens furent ainsi inscrits dans l'alliance 
des Spartiates, et beaucoup d'autres villes s'empressèrent de re- 
connaître l'autorité des Lacédémoniens. Ce fut là l'époque de la 
plus grande puissance des Lacédémoniens : ils tenaient le sceptre 
de la Grèce sur terre et sur mer. En effet, les Thébains étaient 
paralysés par une garnison lacédémonienne ; les Corinthiens et les 
Argiensne s'étaient pas encore relevés des dernières guerres, et 
les Athéniens avaient terni leur gloire par le partage des terres 
des.peuples soumis. Les Lacédémoniens, au contraire, disposant 
d'une nombreuse population, entretenaient partout l'esprit mili- 
taire et se rendaient redoutables par les forces qu'ils pouvaient 
mettre sur pied; aussi les plus grands souverains de l'époque 
(je veux parler du roi des Perses et de Denys, tyran de Sicile), 
courtisaient la puissance de Spartiates et briguaient leur alliance. 
XXIV. Nicon étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent , au lieu de consuls, six tribuns militaires, Lucius Papi- 
rius, Caïus Cornélius, Lucius Ménénius^ Caïus Servilius» Yalé- 
rius Auluset Quintus Fabius^ Dans cette année les Carthaginois, 
qui avaient fait passer une armée en Italie, firent rentrer à Hip- 
pone les habitants qui en avaient été chassés, et réunissant tous 
les exilés, ils en soignèrent particulièrement les intérêts. Quel- 
que temps après , une maladie pestilentielle atteignit les ha*> 
bitants de Carthage ; cette maladie fit de si rapides progrès 
qu'un grand nombre de citoyens en mourut, et l'État fut près 

• Deuxième année de la c* olympiade; année 379 avant J.-C. 



S2 DIODORE DE SICILE. 

de sa ruine. £n effet , les Libyeus ne redoutant plus les Carthst- 
giuois, se révoltèrent, et les habitants de la Sardaigne, jugeant 
le moment favorable , se soulevèrent également contre les Car- 
thaginois. Carlhagc semblait alors comme frappée de la colère 
céleste. Des troubles et des terreurs paniques se répandaient 
dans la ville, qui était tumultueusement agitée ; beaucoup d'ha- 
bitants sortaient de leurs maisons, Tépée à la main, comme 
si les ennemis eussent pénétré dans la ville , et se battaient les 
uns contre les autres ; ils se tuaient et se blessaient entre eux. 
Ënfm , la divinité ayant été apaisée par des sacrifices, les cala- 
mités cessèrent. Les Carthaginois firent promptement rentrer les 
Libyens dans l'obéissance et reprirent l'île de Sardaigne. 

XXV. Nausinicus éiant archonte d'Athènes, les Romains 
choisirent, au lieu de consuls , quatre tribuns militaires, Marcus 
Cornélius, ServiliusQuintius, Marcus Furius , Lucius Quintus*. 
Dans cette année , les Lacédémoniens déclarèrent aux Béotiens 
la guerre , qui reçut le nom de béotique. En voici l'origine. Les 
Lacédémoniens continuaient à occuper injustement la Cadmée 
et avaient condanmé à l'exil un grand nombre de citoyens distin- 
gués. Ces exilés se réunirent, et, avec h secours des Athéniens, 
rentrèrent de nuit dans leur patrie. Ils commencèrent d'abord 
par tuer, dans leur propre maison , les partisans des Lacédémo- 
niens, surpris pendant leur sommeil; ils appelèrent ensuite tous 
les citoyens à la délivrance de la patrie; et tous les Thébains ac- 
coururent pour les aider dans leur entreprise. Des troupes nom- 
breuses se rassemblèrent tout armées et entreprirent, dès la pointe 
du jour, le siège de la Cadmée. La garnison lacédémonienne, 
qui occupait la citadelle, comptant environ quinze cents hommes 
y compris les alliés , envoya des messagers à Sparte , chargés 
d'apporter la nouvelle du soulèvement des Thébains et de de- 
mander le plus prompt secours. En attendant, les Lacédémo- 
niens se défendirent du haut de la citadelle contre les assié- 
geants; ils leur tuèrent beaucoup de monde et en blessèrent un 
grand nombre. Les Thébains , sachant que les Lacédémoniens 

' Troisième année de la c* olympiade; année 878 avant J.-C. 



LIVRE XV. 23 

attendaient Tarrivée d'un grand renfort, envoyèrent des dépu- 
tés à Athènes. Ces députés rappelèrent au peuple athénien que 
les Thébains étaient venus à leur secours, à Tépoque où il fut 
asservi par les trente tyrans , et le supplièrent de faire tous ses 
efforts pour les aider à reconquérir la Cadmée avant l'arrivée 
d'une armée lacédémonienne. 

XXVI. Le peuple d'Athènes, après avoir écoulé les députés thé- 
bains, décréta qu'on enverrait sur-le-champ le plus grand nombre 
de troupes possible pour la délivrance deïhèbes. En prenant cette 
résolution, les Athéniens s'acquittaient d'une dette de reconnais- 
sance, en même temps qu'ils espéraient ainsi s'attacher les Béo- 
tiens qui seconderaient leurs efforts pour renverser la domi- 
nation orgueilleuse des Lacédémoniens ; car les Béotiens for- 
maient alors la population la plus nombreuse et la plus brave de 
la Grèce. Enfin Démophon fut désigné pour commander une 
armée de cinq mille hoplites et de cinq cents cavaliers. Le 
lendemain, à la pointe du jour, il partit d'Athènes et chercha 
par des marches forcées à prévenir les Lacédémoniens. Indé- 
pendamment de ce secours, le peuple d'Athènes était prêt à di- 
riger, en cas de besoin, toutes ses forces sur la Béotie. Cepen- 
dant Démophon abrégea sa route et se montra tout à coup aux 
Thébains. Comme il était accouru des autres villes un grand 
nombre de soldats de la Béotie, les Thébains parvinrent à mettre 
sur pied une armée considérable. Celle armée ne se composa pas 
de moins de douze mille hoplites et de deux mille cavaliers. Tout 
le monde étant disposé à pousser vigoureusement le siège de la 
citadelle, l'armée fut partagée en plusieurs corps qui, se relevant 
successivement , livraient nuit et jour des assauts continuels. 

XXVII. Ceux qui occupaient la Cadmée , animés par leur 
chef, se défendirent vaillamment, dans l'espoir que les Lacédé- 
moniens leur enverraient promptement un renfort considérable. 
Tant qu'ils avaient assez de vivres, ils soutinrent les attaques, 
et, grâce à la position forte de la citadelle, parvinrent à tuer 
ou blesser un grand nombre d'assiégeants ; mais dès que la di- 
sette se fit sentir et que les Lacédémoniens tardèrent à leur en- 



26 DIODOKE DE SICILE. 

■ 

voyer des convois de vivres, la discorde éclata entre eux : les 
soldats de Lacédémone étaient d*avis qu*il fallait tenir ferme jus- 
qu'à la mort , tandis que les soldats envoyés par les villes alliées 
des Spartiates et qui étaient en majorité se déclarèrent pour la 
reddition de la Cadmée. Les soldats de Sparte, étant en petit 
nombre, furent forcés de céder et de livrer la citadelle. Ils se 
rendirent donc par capitulation et obtinrent la liberté de retour- 
ner dans le Péloponnèse. Cependant les Lacédémoniens s'avan- 
çaient sur Thèbes avec une armée considérable; mais comme 
ils arrivèrent trop tard , leur expédition fut sans résultat. 
Ils mirent en jugement les trois chefs qui commandaient la gar- 
nison ; deux furent condamnés à mort , et le troisième à une 
amende si forte qu'il ne fut pas en état de la payer. Après la 
reddition de la citadelle de Thèbes, les Athéniens se retirèrent 
dans leurs foyers , et les Thébains mirent le siège devant Thes- 
pies ; mais leur entreprise ne réussit pas. 

Tandis que ces événements avaient lieu , les Romains envoyè- 
rent en Sardaigne^ une colonie de cinq cents hommes qui furent 
exemptés de tout tribut. 

XXYIII. Gallias étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent, au lieu de consuls, quatre tribuns militaires, Lucius 
Papirius, Marcus Publius, Titus Cornélius, Quintus Lucius ^, 
Dans celle année , les Béotiens , ranimés par le revers que les 
Lacédémoniens venaient d'éprouver à Thèbes, conclurent entre 
eux une alliance étroite , et mirent sur pied une armée consi- 
dérable , dans la prévision que les Lacédémoniens viendraient 
envahir la Béotie avec de fortes troupes. Les Athéniens, de leur 
côté , envoyèrent les principaux citoyens en dépulalion auprès 
de toutes les villes soumises aux Lacédémoniens , pour les appe- 
ler à la délivrance commune, car le joug des Lacédémoniens était 
devenu insupportable à force d'orgueil et d'insolence. Aussi beau- 

' Le texte donne Sardonie (^ctpSoivia). Mais les Romains n'ont tenté aucune 
entreprise contre la Sardaigne avant la première guerre punique. Peut-être faut-il 
lire Satricum où les Romains ont envoyé des colons sept années après la prise de 
Rome par les Gaulois. ( Velleifis Patercul., 1,14.) 

* Quatrième année de la c* olympiade ; année 877 avant J.-C. 



LIVRE XV. 25 

coup de villes se déclarèrent-elles immédiatement pour les Athé- 
niens. Au premier rang on compte les habitants de Chio et de 
Byzance , puis les Rhodiens, les Mitylénéens et beaucoup d'au- 
tres insulaires. Ce soulèvement des Grecs s'étendant de plus en 
plus, un grand nombre de villes embrassèrent le parti des Athé- 
niens. Le peuple d* Athènes, exalté alors par TafTection que lui 
témoignaient tous ses alliés , convoqua une assemblée générale 
dans laquelle chaque ville envoya ses représentants. Il fut arrêté 
d*un commun accord que cette assemblée aurait son siège à 
Athènes , et que chaque ville confédérée , tant grande que pe- 
tite, y aurait un droit égal de suffrages ; que toutes seraient in- 
dépendantes et reconnaîtraient seulement les Athéniens comme 
chefs de la confédération. Les Lacédémoniens, ne voyant plus de 
remède pour arrêter ce soulèvement général , envoyèrent partout 
des députations et cherchaient par des caresses ou par des pro- 
messes à étouffer les ferments de révolte. Ils n'en continuèrent 
pas moins à pousser avec énergie les préparatifs de guerre, pré- 
prévoyant bien que la guerre béotique serait longue et sé- 
rieuse , puisque les Thébains s'étaient alliés avec les Athéniens 
et que tous les autres Grecs faisaient partie de rassemblée gé- 
nérale. 

XXIX. Pendant que ces choses se passaient, Acoris, roi des 
Égyptiens , animé d'intentions hostiles contre le roi des Perses, 
rassembla une armée nombreuse composée d'étrangers qu'il avait 
attirés à son service parla promesse d'ime solde élevée. Parmi 
ces étrangers se trouvèrent aussi beaucoup de Grecs qui devaient 
prendre part à l'expédition projetée ; mais manquant de chefs ha- 
biles, le roi fit venir Ghabrias, l'Athénien, homme remarquable 
par ses talents militaires, et qui, par sa bravoure, s'était acquis 
une grande renommée. Ghabrias , sans avoir demandé l'autori- 
sation du peuple, prit le commandement des troupes égyptiennes 
et s'empressa de faire la guerre aux Perses. Pharnabaze , qui , 
commandait l'armée du roi des Perses , fit , de son côté , de 
grands préparatifs de guerre. Il envoya d'abord des députés à 
Athènes pour accuser Ghabrias d'avoir pris le commandement 

III. ^ 



26 DIODORE DE SICILE. 

des troupes égyptiennes et d'aliéner ainsi TaiTection du roi à 
regard du peuple athénien ; en même temps il demanda qu*on 
lui envoyât Iphicratc pour servir comme général dans Tarmée 
du roi. Les Athéniens , qui avaient grand intérêt à se concilier 
la bienveillance du roi des Perses et à s'attacher Pharnabaze, 
rappelèrent immédiatement Chabrias de FÉgypte et firent partir 
Iphicrate au secours des Perses. 

La paix , conclue précédemment entre les Lacédémoniens et 
les Athéniens , s'était maintenue intacte jusqu'à cette époque. 
Mais Sphodriade le Spartiate , commandant militaire , homme 
d'un caractère altier et violent , écouta le conseil du roi des 
Lacédémoniens et occupa le Pirée, sans demander le con- 
sentement des éphores. Sphodriade , à la tête de plus de dix 
mille hommes, tenta de s'emparer de ce port pendant la nuit ; 
mais, les Athéniens en ayant été avertis, il manqua son entre- 
prise et revint sans avoir rien exécuté. Il fut traduit devant le 
conseil des Spartiates; mais, grâce aux efforts des rois, il fut ab- 
sous contre toute règle de justice. Aussi les Athéniens, indignés 
de cet événement , décrétèrent -ils que les traités avaient été 
violés par les Lacédémoniens ; et, leur déclarant la guerre , ils 
nommèrent au commandement de l'armée trois des plus illustres 
capitaines, Timothée , Chabrias et Callistrate. Ils décrétèrent 
aussi une levée de vingt mille hoplites, de cinq cents cavaliers 
et l'armement de deux cents bâtiments. En même temps ils 
admirent les Thébains dans le conseil général aux mêmes condi- 
tions que les autres villes confédérées. Enfin , ils décidèrent que 
les terres seraient rendues aux propriétaires qui les avaient an- 
ciennement reçues en partage, et ils volèrent une loi qui défendit 
à tout Athénien de cultiver le sol hors de l'Attique. Ce fut par 
cette conduite si sage que les Athéniens se concilièrent l'affection 
des Grecs , en même temps qu'ils consolidèrent leur propre 
puissance. 

XXX. Parmi les nombreuses villes qui embrassèrent alors le 
parti des Athéniens, on cite en première ligne, comme alliées les 
plus zélées, les villes de l'Eubée , en exceptant Hestiée. Cette ville 



LIVRE XV. 27 

avait reçu de grands bienfaits des Lacédémoniens, tandis que leis 
Athéniens lui avaient fait une guerre sanglante ; aussi gardait- 
elle aux Athéniens avec raison une haine implacable , en même 
temps qu'elle se montrait envers les Spartiates d'une fidélité 
inaltérable. Cependant les Athéniens avaient pour alliés soixante- 
dix villes ayant toutes un égal droit de suffrage dans le conseil 
général. Il arriva donc que l'autorité des Athéniens augmentant 
de jour en jour à mesure que celle des Lacédémoniens s'affai- 
blissait , ces deux cités furent bientôt arrivées au point de com- 
battre à force égale. Les Athéniens, dont les affaires prospéraient 
à souhait, envoyèrent une armée dans l'Eu bée pour protéger les 
alliés et faire la guerre aux ennemis. 

Un peu avant ces temps était venu en Eubée un certain 
Néogène qui , avec l'aide de Jason de Phères, avait levé des 
troupes ; et , après s'être emparé de la citadelle d'Hestiée , il 
s'était proclamé tyran de cette contrée et de la ville d'Orope. 
Mais , comme il gouvernait le pays avec hauteur et arrogance , 
les Lacédémoniens lui envoyèrent Thérippidas , qui chercha 
d'abord , par la voie de la persuasion , à faire sortir le tyran de 
la citadelle. Mais, comme ce moyen fut sans résultat, il appela 
les habitants à la liberté , assiégea la place et rendit les Oropiens 
à la liberté. C'est pour ce motif que les habitants du territoire 
d'Hestiée étaient si attachés aux Spartiates et leur conservaient 
une amitié inaltérable. L'armée envoyée par les Athéniens sous 
les ordres de Chabrias , dévasta donc les terres des Hestiéens ; et 
celui-ci s'empara d'une place appelée Métropolis, située sur 
une hauteur retranchée, l'entoura d'une enceinte, et y laissa 
une garnison. Il fit ensuite voile vers les îles Cyclades , en- 
traîna dans l'alliance des Athéniens Péparéthos, Sciathos et 
quelques autres îles soumises aux Lacédémoniens. 

XXXI. Les Lacédémoniens se voyant dans l'impossibilité 
d'arrêter ce soulèvement général qui avait pour effet l'abandon 
de leur alliance, se relâchèrent de leur ancienne dureté et trai- 
tèrent les villes avec plus de douceur. Par ce changement de 
conduite, par des paroles bienveillantes et des bienfaits réels, 



28 DIODORE DE SICILE. 

ils gagnèrent l'affection de tous les alliés qui leur restaient. 
Mais comme la guerre menaçait de devenir grave, ils com- 
prirent combien elle exigeait de leur part de soins et d'attention ; 
ils songèrent sérieusement aux préparatifs de guerre , à l'orga- 
nisation et à la répartition de leurs troupes et à tout ce qui con- 
cerne les services de l'État. Ils partagèrent en dix sections les 
villes et le nombre des soldats à fournir. La première section 
comprit les Lacédémoniens, la seconde et la troisième , les Arca- 
diens; la quatrième, les Éliens; la cinquième, les Achéens; la 
sixième, les Corinthiens et les Mégariens; la septième, les Si- 
cyoniens, les Phliasiens et les habitants de l'Acte; la huitième, 
les Acarnaniens; la neuvième, les Phocidiens et les Locriens ; 
enfin , les Olyuthiens et les habitants de la Thrace, alliés des 
Lacédémoniens, formèrent la dernière section. Dans chaque 
corps, il y avait un hoplite sur deux hommes armés à la légère, 
et quatre hoplites sur un cavalier. Toute l'armée était com- 
mandée par le roi Agésilas , renommé pour sa bravoure et ses 
connaissances stratégiques, et n'ayant été jusqu'ici presque 
jamais vaincu. Dans toutes les guerres où il s'était trouvé , il 
avait excité l'admiration, et, à l'époque où les Lacédémoniens 
étaient aux prises avec les Perses , il avait vaincu des armées 
beaucoup plus fortes que la sienne ; il s'était avancé très-loin 
dans l'Asie et s'était rendu maître de tous les passages; et si les 
Lacédémoniens , mus par des raisons politiques , ne l'avaient 
point alors rappelé , il aurait mis tout l'empire des Perses à deux 
doigts de sa perte. Enfin c'était un homme actif, d'une bravoure 
tempérée par beaucoup de prudence et capable des entreprises 
les plus hardies. C'est pourquoi les Spartiates , sentant toute 
la gravité de cette guerre, avaient confié à cet homme le 
commandement de l'armée et toute la conduite de l'expédi- 
tion. 

XXXIL Agésilas entra à la tête de son armée dans la Béotie ; 
il avait sous ses ordres plus de dix-huit mille hommes, dont cinq 
corps composés de Lacédémoniens ; chaque corps comprenant 
cinq cents hommes. Parmi ces combattants ne se trouvait point 



LIVRE XY. 29 

la cohorte qui, chez les Spartiates, porte le nom de Scirite^ ; 
celle cohorte çccupe un rang particulier, elle se tient aux côlés 
du roi et vole au secours des détachements serrés de près par 
Tennemi; elle était formée d*hommes d'élites, frappait le coup 
décisif dans les batailles et déterminait souvent la victoire. La 
cavalerie d*Agésilas se composait de quinze cents hommes. Il 
arriva ainsiàXhespies, ville défendue par une garnison lacédé- 
niouienne et campa dans le voisinage pour faire prendre à ses 
iroupes quelques jours de repos. Cependant les Athéniens appre- 
nant que les Lacédémoniens étaient entrés en Béotie, volèrent 
au secours de Thèbes avec une armée de cinq mille hommes 
d*iufanterie et de deux cents cavalier?. Ces iroupes s*étant con- 
centrées sur un seul point , les Thébains prirent posilion sur une 
hauteur étendue, siluée à vingt stades de Thèbes ; et complant 
pour leur défense sur la difficulté du terrain , ils attendirent 
Tattaque de Tenneml; car, iniimidés par la renommée d*Agé- 
silas, ils n'osèrent point se mesurer avec lui en rase campagne. 
Cependant Agésiias rangea son armée en bataille et s'avança 
contre les Béotiens. Arrivé en leur présence , il détacha d'abord 
l'infanterie légère et l'opposa à l'ennemi pour s'assurer comment 
les Thébains se comporteraient dans le combat; mais cette at- 
taque ayant été facilement repoussée par les Thébains qui occu- 
paient une position avantageuse, Agésiias mit en mouvement 
toute sa ligne disposée de manière à répandre partout l'épou- 
vante. Chabrias l'Athénien, qui commandait les mercenaires, 
ordonna à ses soldats de recevoir les ennemis sans se déconcerter, 
de ne point quitter leur rang , et , le bouclier appuyé contre le 
genou , de présenter aux assaillants la lance droite. Tous 
obéirent comme un seul homme. Agésiias frappé du bon ordre 
et du sang-froid que gardaient les Thébains, ne jugea pas à 
propos de forcer la position dans laquelle ils se trouvaient, ni de 
réduire des hommes braves à se battre en désespérés. Il tenta 
donc une nouvelle expérience en cherchant , par la perspective 

' Les scifites étaient toujours placés à l'aile gauche et séparément des autres 
soldats. ( Thucydide , V, 67. ) 

III. 3. 



30 OIODORE DE SICILE. 

de la victoire , à les attirer dans la plaine. Mais les Thébains ne 
donnant point dans ce piège, et gardant la position qu'ils occu- 
paient, Agésilas ramena sa phalange d*infanlerie, et, lançant dans 
la campagne sa cavalerie et ses bataillons d'infanterie légère, il 
dévasta impunément la campagne et recueillit un immense butin. 

XXXIIL Cependant les Spartiates qui formaient le conseil 
d*Agésiias, ainsi que les chefs de corps, s'étonnèrent qu'un 
guerrier aussi entreprenant qu' Agésilas, commandant des forces 
supérieures en nombre, eût refusé de livrer bataille à l'ennemi. 
Mais Agésilas se contenta de répondre que les Lacédémoniens 
avaient déjà vaincu sans s'être exposés à aucun danger, puisque 
les Béotiens n'avaient osé défendre leur campagne qui venait 
d'être ravagée; tandis que, s'il les avait forcés à un combat réglé, 
l'issue d'une pareille tentative aurait pu exposer les Lacédémo- 
niens à un échec imprévu. Agésilas, avec la perspicacité qui le 
distinguait, semblait alors prévoir ce qui arriva par la suite. Ces 
paroles , par l'accomplissement qu'elles eurent , étaient non 
pas l'opinion d'un homme , mais en quelque sorte un oracle 
des dieux. En effet, les Lacédémoniens , attaquant les Thébains 
avec des forces supérieures et les forçant à se battre pour la 
liberté , éprouvèrent de grands revers. Vaincus d'abord à Leuc- 
tres, ils y perdirent un grand nombre de citoyens , parmi lesquels 
se trouva le roi Cléombrote ; ensuite , complètement battus à 
Mantinée , ils perdirent sans retour l'empire de la Grèce. Ainsi, 
la fortune nous apprend que les présomptueux sont humiliés , et 
que dans ses espérances , l'homme ne doit jamais dépasser de 
justes limites. 

Agésilas, bornant son ambition à ce premier succès, conserva 
son armée intacte et la ramena dans le Péloponnèse. Les Thé- 
bains , sauvés par la stratégie de Chabrias , admirèrent le talent 
militaire de ce général. En effet , Chabrias , qui s'était déjà fait 
connaître par tant d'exploits , se distingua particulièrement par 
le stratagème qu'il avait employé ; ce fut dans la position où il 
donnait cet ordre à ses soldats , qu'il fut représenté sur les sta- 
tues que lui décerna le peuple d'Athènes. Après la retraite 



L[VRE XV. 31 

d'Agésilas, les Thébains s'avancèrent sur Thespies et tuèrent 
un avant-poste de deux cents hommes ; après avoir livré à la 
ville de continuels assauts, mais inutilement, ils reconduisirent 
leur armée à Thèbes. Phœbidas le Lacédémonien, qui avait sous 
ses ordres une garnison nombreuse à Thespies , fit alors une 
sortie et tomba brusquement sur les Thébains en retraite; 
mais il perdit dans cette action plus de cinq cents hommes , et 
lui-même, après une brillante résistance, et couvert de blessures 
reçues par devant , périt en héros. 

XXXIV. Quelque temps après, les Lacédémoniens dirigèrent 
toutes leurs troupes sur Thèbes. De leur côté , les Thébains se 
saisirent de quelques postes d*un accès difficile , et empêchèrent 
l'ennemi de ravager la campagne, sans oser cependant l'attaquer 
de front en rase campagne ; mais Agésilas combattant au pre- 
mier rang, ils s'avancèrent peu à peu. Le combat devint long et 
acharné ; Agésilas eut d'abord le dessus; mais les Thébains étant 
ensuite sortis de la ville , et accourus en masse au secours des 
leurs , Agésilas , averti de ce mouvement, fit sonner la retraite. 
Les Thébains, qui se voyaient alors pour la première fois ne pas 
être inférieurs aux Lacédémoniens, élevèrent un trophée, et, 
dès ce moment , ne redoutèrent plus l'armée des Spartiates. 
Telle fut l'issue de l'engagement entre les troupes de terre. 

A cette même époque , il y eut un grand combat naval entre 
Naxos et Paros. Envoie! l'origine. Pollis, commandant de la flotte 
lacédémonienne , averti que les Athéniens attendaient un convoi 
de vivres, se mit en embuscade , épiant le moment favorable pour 
tomber sur les vaisseaux de transport , chargés de provisions. 
Le peuple athénien, prévenu du danger, fit partir une flotte pour 
escorter le convoi et parvint à le faire entrer dans le Pirée. 
Après cela, Chabrias, nauarque des Athéniens, se porta avec 
toute la flotte sur Naxos et en fit le siège ; jaloux de pren- 
dre la ville d'assaut, il débarqua les machines de guerre et les 
fit jouer contre les murailles. Pendant que ces dispositions se 
faisaient, Pollis, commandant de la flotte lacédémonienne , se 
porta au secours des Naxiens. Les deux nauarques rivalisèrent 



32 DIODORË DE SICILE. 

d*ardeur pour en venir à un combat , et disposèrent leurs na- 
vires pour l'attaque. Pollis avait sous ses ordres soixante-cinq 
trirèmes , et Ghabrias quatre-vingt-trois. Pollis , qui comman- 
dait Taiie droite, attaqua le premier Taile gauche de la flotte en- 
nemie, qui avait pour chef Gédon TAthénien. Après un combat 
acharné, il tua Gédon, et coula bas le bâtiment que celui-ci mon- 
tait. Ensuite, courant sus aux autres bâtiments, et les déchirant 
à coups d*éperon , il en détruisit quelques-uns et mit les autres 
en fuite. A cet aspect, Ghabrias détacha une division de sa flotte 
pour voler au secours de l'aile maltraitée, et rétablit ainsi le com - 
bat. Quant à lui, à la tête de la plus forte partie de la flotte, il fit 
preuve d'une grande bravoure, fit sombrer un grand nombre de 
trirèmes et en prit plusieurs. 

XXXV. Après avoir remporté la victoire et mis en déroute 
tous les bâtiments de l'ennemi, il s'abstint de leur poursuite : il 
se rappela le combat naval des Arginuses, à l'occasion duquel le 
peuple, accusant les généraux victorieux d'avoir laissé les morts 
sans sépulture , les condamna à mort au lieu de les combler de 
bienfaits ; il n'eut garde de s'exposer au même traitement. Gha- 
brias, au lieu de poursuivre l'ennemi, fit donc recueillir les 
corps qui flottaient sur l'eau, sauva ceux qui étaient encore vi- 
vants et ensevelit les morts. S'il ne s'était point occupé à ce soin, 
il aurait facilement détruit toute la flotte des ennemis. Dans cette 
bataille navale, les Athéniens perdirent dix-huit trirèmes et les 
Lacédémoniens vingt-quatre, non compris huit autres qui tom- 
bèrent avec tout leur équipage au pouvoir des vainqueurs. Après 
cette victoire signalée , Ghabrias entra dans le Pirée , avec de 
riches dépouilles et fut fort honoré par les citoyens. Ge fut la 
première victoire que les Athéniens eussent remportée sur mer 
depuis la guerre du Péloponnèse : car ce n'était point avec leurs 
propres forces qu'ils avaient gagné la bataille de Gnide , niais 
avec la flotte du roi des Perses. 

Tandis que ces événements se passaient, il arriva qu'en Ita- 
lie Marcus Manlius fut puni de mort à Rome, convaincu d'avoir 
aspiré à la tyrannie. 



LIVRE XV. 33 

XXXVI. Chariandrc étant archonte d* Athènes , les Ronoains 
nommèrent , au lieu de consuls , quatre tribuns militaires, Scr- 
vins Sulpicius, Lucius Papirius , Cornélius Titus et Marcus 
Quintius ; et on célébra en Élide la CV olympiade , dans la- 
quelle Damon de Thurium fut vainqueur à la course du stade ^ 
Dans cette année, les Triballes, peuple de la Thrace, pres- 
sés par la disette, firent invasion sur le territoire limilrophe et 
se procurèrent des vivres en pays étranger. Ils pénétrèrent 
dans le pays limitrophe delà Thrace au nombre dej)lus de 
trente mille, et dévastèrent impunément le territoire des Abdé- 
ritains. Maîtres d'un immense butin , ils se retirèrent en dé- 
sordre et en bravant Tennemi. Les Abdéritains, s'étant levés en 
masse , profitèrent de ce moment pour tomber sur eux et en 
tuèrent plus de deux mille. Les Barbares , irrités de cet échec, 
et voulant se venger des Abdéritains , envahirent de nouveau leur 
territoire ; mais animés par leur premier succès, et soutenus par 
un renfort que leur avaient envoyé les Thraces leurs voisins , les 
Abdéritains tinrent tête aux Barbares. Il se hvra un combat 
acharné dans lequel les Abdéritains, subitement abandonnés par 
les Thraces, et réduits à leurs propres forces, furent enveloppés 
par une multitude de Barbares et restèrent presque tous sur le 
champ de bataille. Les Abdéritains, abattus par un si grand re- 
vers, allaient être assiégés dans leur ville , lorsque apparut Cha- 
brias l'Athénien à la tête d'une armée , il délivra les Abdéritains 
des dangers qui les menaçaient, chassa les Barbares de la contrée 
et laissa une forte garnison dans Abdère ; mais il fut assassiné 
par quelques traîtres. Timothée, prenant le commandement de 
la flotte , se dirigea sur Céphallénie , approcha ses navires de la 
ville et engagea les villes de l'Acarnanie à embrasser le parti des 
Athéniens; il se fit un ami d'Alcétas, roi des Molosses, attira 
dans ses intérêts les villes des environs et défit les Lacédémoniens 
dans la bataille navale de Leucade. Tous ces succès furent ob- 
tenus promptement et facilement, tantôt par la voie de la per- 
suasion, tantôt par la force des armes. Aussi la renommée de ce 

• Première année de la cr olympiade ; année 376 avant J.-C. 



3Z| DIODORE DE SICILE. 

général fut-elle grande , non-seulement auprès de ses conci- 
toyens, mais encore auprès des autres Grecs. Telle était la situa- 
tion de Timothée. 

XXXVII. Pendant que ces événements avaient lieu, les Thé- 
bains marchèrent sur Orchomène avec cinq cents hommes 
d'élite, et accomplirent un exploit digne de mémoire : les Lacé- 
démoniens avaient à Orchomène une forte garnison; elle fut at- 
taquée par les Thébains , et il s^engagea un combat opiniâtre 
dans lequel les Thébains , se battant contre des forces doubles , 
vainquTrent les Lacédémoniens. Pareille chose ne s'était jamais 
vue jusqu'alors, car on regardait déjà comme un avantage si- 
gnalé de vaincre les Lacédémoniens avec des forces supérieures. 
Aussi les Thébains devinrent-ils, dès ce moment , pleins d'am- 
bition ; et la renommée de leur bravoure se répandant de plus en 
plus, ils entrèrent ouvertement en lutte pour l'empire des Grecs. 

Dans cette même année , l'historien Hermias de Méthymne , 
termine son histoire de la Sicile , divisée en dix livres , et selon 
d'autres , en douze. 

XXXVIII. Hippodamus étant archonte d'Athènes, les Ro- 
mains nommèrent, au lieu de consuls , quatre tribuns militaires, 
Lucius Valérius, Crispus Manllus, Fabius Servilius, Sulpicius 
Lucrétius*. Dans celte année, Artaxerxès, roi des Perses, sur le 
point de faire la guerre aux Égyptiens et empressé de prendre à 
sa solde beaucoup de troupes étrangères, résolut de mettre un 
terme aux guerres qui désolaient la Grèce ; car il espérait que 
les Grecs, délivrés des guerres intestines, s'engageraient volon- 
tiers à son service. Il envoya donc des députés dans toute la 
Grèce , pour exhorter les villes à conclure une paix générale. 
Les Grecs, las des guerres continuelles, accueillirent avec joie la 
proposition d'Artaxerxès ; ils conclurent donc la paix aux condi- 
tions que toutes les villes seraient indépendantes et qu'elles ne 
recevraient plus de garnison étrangère. Les Grecs nommèrent 
donc des commissaires chargés de visiter chaque ville et d'en 
faire sortir toutes les garnisons. Les Thébains seuls s'opposèrent 

' Deuxième année de la ci» olympiade ; année 375 avant J.-G. 



LIVRE XV. 35 

à ce que ce traité s'appliquât à chaque ville en particulier; ils 
exigeaient que toute la Boétie fût tributaire des Thébains. Mais 
ils trouvèrent dans les Athéniens les adversaires les plus pronon- 
cés de cette prétention ; Callistrate , le démagogue, porta la pa- 
role pour les Athéniens , tandis qu'Épaminondas prononça dans 
le conseil général un discours admirable en faveur des Thébains. 
Tous les Grecs ratifièrent le traité qui avait été conclu ; les Thé- 
bains seuls refusèrent d*y adhérer; car Épaminondas avait, par 
son courage , inspiré tant de confiance à ses concitoyens , qu'ils 
osèrent prolester contre des décrets votés à l'unanimité. Les La- 
cédémoniens et les Athéniens, qui avaient été constamment en 
lutte au sujet de la suprématie sur la Grèce , convinrent alors 
entre eux que les premiers seraient jugés dignes de comman- 
der sur terre et les seconds sur mer ; mais les uns et les autres ne 
virent pas sans inquiétude une troisième puissance rivale s'éle- 
ver à côté d'eux ; ils cherchèrent donc à arracher de la dépen- 
dance des Thébains les villes de la Béotie. 

XXXIX. Les Thébains étaient des hommes distingués par 
la force et la souplesse de leurs corps; vainqueurs des La- 
cédémoniens en plusieurs combats , ils avaient une haute idée 
d'eux-mêmes et prétendaient au commandement sur terre. Ils 
ne furent pas déçus dans leur espoir, car ils avaient alors à leur 
tête plusieurs généraux braves et habiles, dont les plus illustres 
étaient Pélopidas, Gorgias, Épaminondas. Ce dernier l'empor- 
tait par son courage et par son habileté stratégique, non-seu- 
lement sur ses compatriotes, mais sur tous les peuples delà 
Grèce. Il était instruit dans toutes les sciences et principalement 
dans la philosophie pythagoricienne; doué, en outre, d'avanta- 
ges physiques , il n'est pas surprenant qu'il ait accompli les plus 
brillantes actions. C'est ainsi qu'obligé de se battre avec un pe- 
tit nombre de soldats thébains contre les forces réunies des La- 
cédémoniens et de leurs alliés, il se montra tellement supérieur 
à ses ennemis réputés invincibles , qu'il tua de sa propre main 
le roi des Lacédémoniens, Cléombrote, et qu'il tailla en pièces 
presque toute la troupe qui lui était opposée. C'est à la pénélra*^ 



36 DIODORE DE SICILE. 

tion de son esprit et au courage qui avait été développé en lai 
dès son enfance, qu'il devait rexécution de ces hauts faits. Mais 
nous parlerons plus tard de tout cela en détail ; reprenons main- 
tenant le fil de notre récit. 

XL. La conclusion du traité qui accorda aux cités grecques 
la liberté de se gouverner selon leurs propres lois , fut suivie de 
troubles et de graves désordres. Ces troubles éclatèrent surtout 
dans les villes du Péloponnèse. Habituées à un régime oligar- 
chique et ayant alors établi une démocratie insensée, ces villes 
condamnèrent beaucoup de braves citoyens à Texil ; on pronon- 
çait leurs arrêts sur des accusations calomnieuses; on ne voyait 
partout que troubles, bannissements et confiscations. On sévis- 
sait principalement contre les citoyens qui , à Tépoque de la 
domination des Lacédémoniens , avaient été à la tête de Tadmi- 
nistration ; car la masse du peuple, qui avait recouvré sa liberté , 
avait gardé le souvenir de ceux qui jadis lui avaient imposé leurs 
ordres. Cependant les bannis de Phiala s'emparèrent d*aborâ 
d'une place forte appelée Hérée, d'où ils firent des incur- 
sions sur le territoire phialéen. Pendant une fête de Bacchus, 
les exilés tombèrent à l'improviste sur les spectateurs assis dans 
le théâtre; ils en égoi^ôrent un grand nombre, en forcèrent 
plusieurs à embrasser leur cause, et retournèrent à Sparte. Les 
exilés de Gorinthe, qui s'étaient rassemblés chez les Argiens, 
tentèrent aussi de rentrer dans leur patrie. Mais accueillis 
d'abord dans la ville par quelques domestiques et amis, ils furent 
dénoncés et sur le point d'être arrêtés ; dans la crainte de toni* 
ber entre les mains de leurs ennemis , ils se donnèrent la mort 
réciproquement. Les Corinthiens mirent en jugement plusieurs 
citoyens accusés d'avoir pris part à la tentative des exilés et les 
condamnèrent, les uns, à la mort, les autres à l'exil. Dans la ville 
des Mégariens, quelques citoyens avaient essayé de renverser 
le gouvernement ; mais étant tombés entre les mains du peuple, 
ils furent pour la plupart tués ou chassés. De même, à Sicyone, 
quelques citoyens , convaincus d'avoir fomenté des troubles, fu- 
rent mis à mort. Chez les Phliasiens, les exilés, dont le nombre 



LIVRE XV. 37 

était considérable, s'étaient établis dans une position forte, avaient 
réuni une multitude de mercenaires et livrèrent aux habitants 
sortis de la ville un combat en règle. Les bannis furent victo- 
rieux et tuèrent aux Phliasiens plus de trois cents hommes. Plus 
tard, les Phliasiens prirent leur revanche sur les bannis, trahis 
par quelques sentinelles : ils en tuèrent plus de six cents, le reste, 
expulsé de la contrée, fut obligé de se réfugier à Argos. Telle 
était la situation critique des affaires dans les villes du Pélopon- 
nèse. 

XLI. Socratide étant archonte d*Athcnes, les Romains nom- 
mèrent , au lieu de consuls, quatre tribuns militaires, Quin- 
tus Crassus, Servilius Cornélius, Spurius Papirîus et Fabius 
Albus*. Dans cette année, le roi Artaxerxès marcha contre les 
Égyptiens qui s'étaient révoltés contre les Perses. Les troupes 
barbares étaient commandées par Pharnabaze, et Iphicrate 
l'Athénien avait sous ses ordres vingt mille mercenaires ^ 
Le roi l'avait fait venir auprès de lui, et, en considération de 
ses talents militaires , lui avait donné un commandement dans 
son armée. Pharnabaze avait déjà passé plusieurs années en 
préparatifs; Iphicrate, voyant que ce satrape était aussi hau- 
tain dans ses discours que nonchalant dans ses actions, lui 
dit , en manière d'avertissement , qu'il s'étonnait de le voir si 
prompt en paroles et si lent en actions. A quoi Pharnabaze ré- 
pondit : Je suis maître de mes paroles, mais le roi est maître de 
mes actes. Enfin l'armée des Perses s'assembla dans la villo 
d'Acé ^ : on compta deux cent mille Barbares sous les ordres 
d'Arlabaze* et vingt mille mercenaires grecs commandés par 
Iphicrate. La flotte se composait de trois cents trirèmes et de deux 
cents navires à trente rames; quant aux vaisseaux de transport 
chargés de vivres et d'autres munitions de guerre, leur nombre 
était considérable. Au commencement de l'été, les généraux 

' Troisième année de la ci» olympiade ; année 374 avant J.-C. 
" Suivant Coraelius Nepos {IphicrateSf c. 2.) Iphicrate ne commandait que 
douze mille mercenaires. 
' Aujourd'hui Saînt-Jean-d'Acre. 
* C'est sans doute Phaimahar,e (luMl faut lire ici. 

III. u 



38 DIODORE DE SICILE. 

du roi mirent en mouvement toute l*armée et s'avancèrent vers 
rÉgypte de concert avec la flotte. Arrivés près du Nil , ils trou- 
vèrent les Égyptiens ouvertement préparés à la guerre : Pharua- 
baze, qui avait mis beaucoup de lenteur à cette expédition, avait 
donné aux ennemis beaucoup de loisir pour faire leurs prépara- 
tifs; car les généraux perses ne sont nullement des maîtres abso- 
lus, il faut que pour toute chose ils en réfèrent au roi et attendent 
ses réponses. 

XLII. Nectanebis , roi des Égyptiens , instruit du nombre 
des troupes perses, ne perdit point courage, confiant surtout 
en la position avaniageuse du pays; car TÉgypte est d'un accès 
très- difficile. De plus, il avait bien fortifié tous les passages qui 
donnent accès soit par terre, soit par les sept bouches du Nil qui 
verse ses eaux dans la mer d'Egypte. A chacune de ces embou^ 
chures, sur les deux rives, avait été élevée une ville garnie de 
hautes tours; un pont en bois dominait l'entrée du canal. La 
bouche Pélusiaque est la mieux défendue parce qu'elle s'offre la 
première à ceux qui viennent du côté de la Syrie et qu'elle passe 
pour le principal point d'attaque de l'ennemi. Des fossés avaient 
été creusés ei des enceintes construites dans les endroits les 
plus propres au débarquement. Les abords par terre avaient été 
convertis en lacs, et les parties navigables fortifiées par des 
dignes. Il était donc difficile à la flotte de mouiller, à la cavale- 
rie de manœuvrer , et aux troupes de terre de s'avancer. Les 
généraux réunis autour de Pharnabaze, voyant que la bouche Pé- 
lusiaque était admirablement fortifiée et gardée par une armée 
nombreuse , renoncèrent entièrement d'en forcer le passage et 
résolurent de pénétrer par une autre embouchure. Ils regagnè- 
rent donc le large et, manœuvrant en sorte que les bâtiments ne 
fuf-sent pas aperçus par l'ennemi , ils se portèrent sur la bouche 
IMeiidésienne dont la rive est très-étendue. Là, ils débarquèrent 
trois mille hommes que Pharnabaze et Iphicrale firent marcher 
contre la petite ville fortifiée à l'entrée de cette bouche. Les 
Égyptiens accoururent au secours de cette place avec leur cava- 
lerie et trois mille hommes d'infanterie. Il s'engagea un combat 



LIVRE XV. . 39 

acharné ; comme les Perses recevaient des troupes fraîches dé- 
barquées de leurs nombreux navires, les Égyptiens furent bien- 
tôt enveloppés ; ils perdirent beaucoup de monde, un grand nom- 
bre d'entre eux furent faits prisonniers et le reste refoulé dans la 
ville. Iphicrate , attaquant la garnison en dedans des murs , se 
rendit maître de la forteresse, la détruisit et vendit les habitants 
comme esclaves. 

XLIII. Après ce succès, il s'éleva entre les généraux Perses 
un différend qui fît avorter Texpédifion. Iphicrate , averti par 
les prisonniers que Memphis, la ville la plus importante de 
rÉgypte, avait été laissée sans défense, proposa de se diriger 
immédiatement sur Memphis avant que les Égyptiens y eussent 
concentré leurs troupes. Pharnabaze était au contraire d'avis 
d'attendre l'arrivée de toute l'armée des Perses , afîn de rendre 
le succès de cette entreprise plus certain. Iphicrate demanda 
alors qu'il lui fût permis de marcher contre Memphis avec les 
mercenaires qu'il avait sous la main , promettant de s'en ren- 
dre maître. Mais l'audace et la bravoure de ce général le ren- 
dirent suspect et firent craindre qu'il n'occupât l'Egypte pour 
son propre compte. Pharnabaze se refusa donc à celte proposi- 
tion. Iphicrate protestait que si Ton ne saisissait pas ce moment 
opportun , toute l'expédition échouerait. Les généraux perses 
étaient jaloux d'Iphicrate, et répandirent des calomnies contre 
lui. Cependant les Égyptiens, qui avaient eu le temps de se recon- 
naître, envoyèrent à Memphis une garnison suffisante; ils ras- 
semblèrent toutes leurs forces devant la petite ville que les Per- 
ses venaient de détruire et, ayant l'avantage de se servir d'armes 
bien solides , ils harcelèrent continuellement l'ennemi. Enfin , 
recevant sans cesse des renforts, ils faisaient essuyer de grandes 
pertes aux Perses, en même temps qu'ils retrempaient leur cou- 
rage. L'armée des Perses fut occupée autour de cette place jus- 
qu'à l'époque où soufflent les vents étésiens et où le Nil , inon- 
dant toute la contrée, rend l'Egypte presque imprenable. Ces 
obstacles naturels s'opposant à l'exécution de l'entreprise proje- 
tée , les généraux perses résolurent d'évacuer l'Egypte. Ils re- 



/|0 DIODORE DE SICILE. 

vinrent donc dans TAsiconla discorde entre Pharnabaze etiphi- 
craie éclata ouvertement. Iphicrate , craignant d'être arrêté et 
d'éprouver le même sort que Conon rAlhénien*, jugea prudent 
de quitter secrètement le camp des Perses. Il fit donc préparer 
un navire sur lequel il s'embarqua la nuit et retourna ainsi à 
Athènes. Pharnabaze fit partir des députés pour accuser Iphi- 
crate d'avoir fait manquer l'expédition d'Egypte. Les Athé- 
niens répondirent aux envoyés perses que s'ils le trouvaient 
coupable ils le puniraient comme il le mériterait. Peu de 
temps après, ils nommèrent Iphicrate commandant de leur 
flotte. 

XLIV. Il n'est pas hors de propos de rapporter ici ce que 
l'histoire raconte des grandes qualités d'Iphicrate. Il passait 
pour posséder des connaissances profondes en stratégie et pour 
être doué d'une sagacité naturelle remarquable. Il avait acquis 
(lans la guerre de Perse une expérience consommée dans l'art 
militaire , mais il s'était surtout occupé de ce qui concerne l'ar- 
mement des troupes. Les Grecs s'étaient jusqu'alors servis de 
grands boucliers difficiles à manier; il supprima ces boucliers et 
introduisit les peltes dont le maniement présentait le double 
avantage de couvrir suffisamment le corps et de laisser le soldat 
hbre de tous ses mouvements. Cette réforme utile ayant été 
adoptée , les hommes aux anciens boucliers, appelés autrefois 
hoplites à cause de leurs boucliers , reçurent alors le nom de 
peltastes ^ du bouclier léger qu'ils portaient. Quant à la lance et 
à l'épée, il leur fit subir un changement tout opposé ; car il donna 
à la lance une fois et demie plus de longueur qu'elle n'en avait 
et allongea l'épée presque du double. L'expérience sanctionna 
celte réforme et ajouta encore à la réputation de ce général. Il 
inventa aussi pour les soldats une chaussure plus légère et plus 
facile à dénouer, qui a été , après lui , appelée iphicratide, 
nom qu'elle porte encore aujourd'hui. Il introduisit encore dans 



• Voyez Oornclius Nepos, Conon. c. 5. 

* H Tie/Tv?, bouclier court. 



LIVRE XV. ki 

Tarmée beaucoup d'autres réformes utiles qu'il serait trop long 
de décrire ici. 

Ainsi donc l'expédition des Perses contre l'Egypte, qui avait 
occasionné tant de frais, échoua contre toute attente. 

XLV. En Grèce les villes étaient troublées par des change- 
ments politiques ; et l'anarchie devint bientôt générale. Les La- 
cédémoniens soutenaient les gouvernements oligarchiques, tandis 
que les Athéniens se déclaraient pour la démocratie. Ces deux 
États n'observèrent donc pas longtemps les clauses du traité ; et 
lorsqu'ensuite ils vinrent au secours de leurs villes patronées, ils 
se firent réellement la guerre au mépris des conditions de la 
paix générale. A Zacynthe , le peuple, vivement irrité contre les 
magistrats institués par les Lacédémoniens, les chassa tous de la 
ville. Ceux-ci se réfugièrent auprès de Timothée, comman- 
dant de la flotte athénienne , et prirent service sur ses na- 
vires ^ S'étant ainsi assurés de la coopération de Timothée', 
ils vinrent débarquer dans l'île et s'emparer d'une place forte 
située au bord de la mer et qui portait le nom d'Arcadie. Par- 
tant de là, et soutenus par Timothée, ils faisaient beaucoup de 
mal aux habitants de la ville. Les Zacynthiens demandèrent 
donc du secours aux Lacédémoniens ; ces derniers envovèrent 
d'abord des députés à Athènes pour se plaindre de la conduite 
de Timothée, et lorsqu'ils virent que le peuple inclinait en fa- 
veur des bannis, ils équipèrent une flotte de vingt-cinq trirèmes 
et la firent partir sous les ordres d^ Aristocrate au secours des 
Zacynthiens. 

XLVL Tandis que ces événements se passaient , quelques 

' Le texte est ici évidemment tronqué ; car on ne comprend pas que les magistrats 
de Zacynthe, partisans déclarés des Lacédémoniens, soient venus se réfugier sur la 
flotte de leurs ennemis les Athéniens. De deux choses l'une , ou il faut avec Miot 
compléter le texte par Pintercalation suivante : « Mais ramenés par les Lacédé- 
moniens, ces exilés bannirent à leur tour leurs ennemis qui vinrent chercher 
un asile sur la flotte Athénienne, etc. ; » ou bien depuis toXç èni Tiji Aaxg5at/A0- 

vt&>v Iniarscaixi jusqu'à â^uyâ^suo-s Tràvras , il faut changer la phrase 

de façon qu'elle présente un sens tout opposé , et que ce ne soit plus les parti- 
sans des Lacédémoniens , mais bien ceux des Athéniens qui soient obligés de 
chercher un refuge sur la flotte de Timothée ; c'est cette dernière version que je 
propose pour rétablir le contexte. 

in. u. 



U2 DIODORE DE SICILE. 

Corcyréens , partisans des Lacédémoniens, s'insurgèrent contre 
le peuple et invitèrent les Spartiates à leur envoyer une flotte , 
leur promettant de livrer Corcyre. Les Lacédémoniens, pénétrés 
de rimportance de ce poste pour saisir Tempire de la mer, 
s'empressèrent de profiter de l'occasion qui se présentait pour 
se rendre maîtres de la ville des Corcyréens. Ils firent donc immé- 
diatement partir pour Corcyre une flotte de vingt-deux trirèmes, 
commandée par Âlcidas. Ils feignirent de destiner cette flotte 
contre la Sicile , afin qu'étant admis comme amis par les Cor- 
cyréens , ils s'emparassent de la ville avec le secours des exi- 
lés ; mais les Corcyréens, devinant le stratagème des Spartia- 
tes, gardèrent leur ville soigneusement , en même temps qu'ils 
envoyèrent à Athènes des députés chargés de demander du ren- 
fort. Les Athéniens résolurent de venir au secours des Corcy- 
réens et des exilés de Zacynthe ; ils firent partir pour Zacynthe 
Ctésiclès , qui devait se mettre à la tête des exilés , et ils se 
disposèrent à mettre en mer une flotte destinée aux Corcy- 
réens. 

Pendant que ces choses se passaient, les Platéens, en Béotie, 
se déclarèrent en faveur des Athéniens, et leur demandèrent des 
troupes, décidés à leur livrer la ville. Mais les béotarques *, irri- 
tés contre les Platéens, se hâtèrent de prévenir le secours des 
Athéniens en mettant immédiatement sur pied une armée con- 
sidérable. Arrivés aux environs de la ville de Platée, ils atta- 
quèrent les habitants à l'improviste ; la plupart des Platéens, ré- 
pandus dans la campagne, furent saisis parla cavalerie ennemie, 
les autres se réfugièrent dans la ville; mais se voyant sans alliés, 
ils furent obligés de capituler et de se rendre à discrétion. Il leur 
fut permis de sortir de la ville , en emportant leurs meubles, 
avec défense de jamais remettre le pied sur le territoire béo- 
tien. Après cela , les Thébains rasèrent Platée et détruisirent 
Thespies, qui avait montré des sentiments hostiles. Les Platéens, 
avec leurs enfants et leurs femmes, se réfugièrent à Athènes, et 

* BoiwToépx^* » chefs de la confédération béotienne. 



LIVRE XV. U^ 

obtJDrent, par un décret du peuple, le droit de cité. Telle était 
la situation des affaires en Béotie. 

XLVII. Les Lacédémoniens nommèrent Mnasippe au com- 
mandement de la flotte qu*ils envoyèrent à Corcyre. Cette 
flotte se composait de soixante-cinq trirèmes, portant mille cinq 
cents soldats. Mnasippe aborda dans l'île et accueillit les ban- 
nis ; il entra dans le port, s*empara de quatre navires et en força 
trois autres à se jeter sur la côte où ils furent brûlés par les Cor*- 
cyréens, afin qu*ils ne tombassent point au pouvoir de rcnnemi. 
l\ battit ensuite les troupes de terre, occupant une hauteur, et 
répandit la terreur dans toute Tîle. Les Athéniens avaient de- 
puis longtemps fait partir Timothée, fils de Conon, pour aller au 
secours des Corcyréens avec soixante navires. Ce général s*étail 
auparavant dirigé sur la Thrace, où il engagea plusieurs villes à 
embrasser son alliance , et augmenta sa flotte de trente trirè- 
mes. Le retard qu'il avait mis à se porter au secours des Corcy- 
réens, irrita le peuple , qui lui ôta le commandement. Cepen- 
dant, lorsqu'il entra dans le port d'Athènes , amenant avec lui 
une foule de députés qui avaient embrassé Tailiance d'Athè- 
nes, et qu'il se montra accompagné des trente trirèmes dont 
il avait accru sa flotte , armée en guerre, le peuple se repentit 
et rendit à Timothée le commandement. Il ajouta encore à sa 
flotte quarante autres trirèmes , de manière à porter les forces 
navales à un total de cent trente trirèmes. Enfin , on amassa 
des provisions de vivres , de flèches et toute sorte de muni- 
tions. Pour le moment , le peuple nomma Ctésiclès comman- 
dant militaire et l'envoya avec les cinq cents hommes au secours 
des Corcyréens, Ctésiclès profita de la nuit pour aborder à Cor- 
cyre à rinsu des assiégeants. Il trouva les habitants en proie à 
des dissensions civiles , et l'administration de la guerre dans un 
état déplorable. Il apaisa la discorde , mit l'administration de 
la ville sur un meilleur pied et ranima le courage des assiégés. 
Il attaqua d'abord les assiégeants à l'improviste et leur tua deux 
cents hommes ; puis, dans un grand combat qui s'engagea en- 
suite, il tua Mnasippe lui-même et beaucoup d'autres avec lui. 



Ml DIODORE DE SICILE. 

Enfin , assiégeant, pour ainsi dire, les assaillants eux-mêmes, il 
s'attira de grands éloges. Lorsque la guerre corcyréenne fut à peu 
près terminée, la flotte athénienne partit pour Corcyre sous les 
ordres de ïimothée et d'Iphicrate. Ces généraux, s'étant attar- 
dés, ne firent rien qui soit digne de mémoire, si ce n'est que, 
rencontrant des trirèmes siciliennes que Denys avait envoyées 
au secours des Lacédémoniens , sous le commandement de Gis- 
side et de Grinippe, ils les capturèrent avec tout leur équipage. 
Ges trirèmes , au nombre de neuf, furent vendues ; ils en reti- 
rèrent plus de soixante talents ^ avec lesquels ils soldèrent l'ar- 
mée. 

Sur ces entrefaites, Nicoclès l'eunuque tua par trahison Éva- 
goras, roi de Gypre , et usurpa le royaume des Salaminiens. 

En Italie, les Romains vainquirent, en bataille rangée, les ha- 
bitants de Préneste , et taillèrent en pièces la plupart de leurs 
ennemis. 

XLYIII. Astée étant archonte d'Athènes, les Romains élu- 
rent, au lieu de consuls, six tribuns militaires, Marcus Furius, 
Lucius Furius, Aulus Posthumius , Lucius Lucrétius , Marcus 
Fabius et Lucius Posthumius l Dans cette année, le Pélopon- 
nèse fut désolé par de grands tremblements de terre et par des 
inondations incroyables qui détruisirent les campagnes et les 
villes. Jamais on n'avait vu jusqu'alors la Grèce désolée par de 
si grands désastres : des villes entières disparaissaient avec leur 
population, comme si une puissance divine avait juré la perte el 
la destruction des hommes. Le moment même où ces fléaux 
se firent sentir les rendit encore plus afl'reux. Ainsi, les trem- 
blements de terre n'arrivaient point le jour, sans quoi les mal- 
heureux auraient pu être secourus ; mais ils se manifestaient la 
nuit ; les maisons étaient renversées par de terribles secousses, 
et les hommes, égarés dans les ténèbres et pris à l'improviste , 
étaient dans l'impossibilité de trouver quelque moyen de salut. 
La plupart des habitants furent ensevelis sous les décombres ; et 

' Environ trois cent trente mille francs. 

' Quatrième année de la ci*^ olympiade , année 373 avant J.-C. 



LIVRE XV. 45 

lorsque , à la pointe du jour , ils se précipitèrent hors de leur 
maison dans l'espoir d'échapper au fléau, ils tombèrent dans 
un danger encore plus grand et plus inattendu : la mer, pro- 
digieusement grossie, était sortie de son lit et inondait de 
ses flots les hommes qui disparurent avec leurs foyers. Ces dés- 
astres frappèrent particulièrement deux villes de TAchaïe , Hé- 
lice et Bura. Hélice était , avant le tremblement de terre qui * 
la désola , la ville la plus célèbre de TAchaïe. Ces malheurs 
donnèrent lieu à de grandes recherches. Les physiciens essaient 
d'en trouver l'explication, non pas dans la colère des dieux, mais 
dans des causes naturelles et nécessaires*. D'autres, pénétrés 
de sentiments religieux, regardent ces calamités comme un châ- 
timent divin pour servir d'exemple aux impies. C'est ce que 
maintenant nous allons examiner en détail. 

XLIX. Neuf villes d'Ionie avaient coutume de tenir une as- 
semblée générale appelée la Panionie. Elles offraient d'anciens 
et de grands sacrifices à Neptune , dans un endroit désert, aux 
environs de Mycale. Mais les guerres qui éclatèrent dans cette 
contrée mettant obstacle à la célébration de la Panionie, on 
changea le lieu de la solennité, qui fut célébrée dans un endroit 
sûr, près d'Éphèse. On envoya en même temps des ihéores 
pour consulter la pyihie. L'oracle répondit qu'il fallait enlever 
les statues des antiques autels qui se trouvaient à Hélice, dans 
la contrée qui portait alors le nom à^Ionie et qui s'appelle au- 
jourd'hui Achaïe, Conformément à la réponse de l'oracle, les 
Ioniens envoyèrent donc dans i'Achaïe des hommes chargés de 
prendre ces statues. Ces envoyés entrèrent en négociation avec 
l'assemblée des Achéens pour en obtenir ce qui était l'objet de 
leur mission. Or , les habitants d'Hélice conservaient une an- 
cienne tradition selon laquelle ils seraient menacés d'un grand 
danger si les Ioniens venaient à sacrifier sur l'autel de Neptune. 



' Voyez Sénèque, Quœst. natur., VI, 23. Strabon, VUI, p. 590, de l'édit. 
Casaub. 

' Suivant d'autres écrivains, ces villes étaient au nombre de douze. Voyez Héro- 
dote , 1 , 145 ; et Strabon , VIII , p. 593. 



U6 DIODORE DB* SICILE. 

Se rappelant cette tradition d'un ancien oracle , ils refasèrent 
aux Ioniens les statues demandées , alléguant qu'elles n'étaient 
pas une propriété commune des Achéens , mais une propriété 
particulière, sacrée. Les habitants de Bura appuyèrent les ha- 
bitants d'Hélice. Cependant les Ioniens obtinrent par an dé- 
cret de l'assemblée des Achéens la permission de sacrifier sur 
l'autel de Neptune, ainsi que l'avait ordonné l'oracle. Mais 
les Héliciens dispersèrent les offrandes des Ioniens, arrachè- 
rent les théores de l'autel et commirent ainsi un sacrilège. 
C'est, dit-on, irrité de cet outrage que Neptune dévasta ces 
villes impies par des tremblements de terre et des inonda- - 
tions. Pour prouver que ces désastres sont l'effet de la colère 
de Neptune , on allègue que ce dieu a dans son pouvoir les 
tremblements de terre et les inondations ; que le Péloponnèse 
passe de temps immémorial pour la demeure de Neptune; quQ 
ce pays est pour ainsi dire consacré à Neptune, et qu'en gé- 
néral toutes les villes du Péloponnèse vénèrent le plus ce dieu 
parmi les immortels. On ajoute aussi que le Péloponnèse ren- 
ferme de grandes cavités souterraines et de vastes réservoirs 
d'eau. En effet, on y voit deux fleuves qui évidemment coulent 
sous terre : l'un, près de Phénée*, disparut dans des temps an- 
ciens , en se perdant dans les profondeurs du sol; l'autre, près 
de Styphalium , se précipite dans un gouffre , et , parcourant 
ainsi sous terre une distance de deux cents stades, sort auprès 
de la ville d'Argos. Enfin , pour confirmer ce qui vient d'être 
dit , on ajoute qu'à l'exception des deux villes coupables , au- 
cune autre n'eut à souffrir de semblables maux. Mais en voilà 
assez sur ce sujet. 

L. Alcisthëne étant archonte d'Athènes , les Romains nom- 
mèrent, au lieu de consuls , huit tribuns militaires, Lucius Va- 
lérius, Publius Ancus, Caïus Térentius, Lucius JMénénius, 
Caïus Sulpicius^ Titus Papirius, Lucius Émilius et Fabius Mar- 
eus, et on célébra en Élide la ciP olympiade, dans laquelle Da- 



' Voyez Pausanias , VUl , 20 ; et Strabon , VIU , p. 596. 



LIVRE XV. Ul 

mon de Thurium fut vainqueur à la course du stade'. Dans ce 
temps, la divinité annonça aux Lacédémouiens la perte de Tem- 
pire de la Grèce qu*ils avaient possédé pendant près de cinq 
cents ans. On aperçut au ciel, plusieurs nuits de suite, un 
flambeau ardent qui , d'après sa forme , avait reçu le nom de 
poutre ignée, £n effet, peu de temps après, les Spartiates furent 
vaincus dans une grande bataille et perdirent sans retour leur 
suprématie. Quelques physiciens attribuaient Torigine de ce 
phénomène à des causes naturelles et soutenaient que de sem- 
blables apparitions se manifestent à des périodes nécessairement 
déterminées, et que les Ghaldéens de Babylone et d'autres astrolo- 
gues en font des prédictions certaines ; qu'ainsi , au lieu d'être 
surpris de l'apparition de ces phénomènes, il faudrait au contraire 
s'étonner s'ils ne revenaient pas chacun à sa période, en accom- 
plissant, par leurs mouvements éternels, des révolutions définies. 
Quoi qu'il en soit, ce flambeau du ciel était d'un tel éclat et 
d'une lumière si intense qu'il formait sur la terre des ombres 
semblables à celles de la lune \ 

A cette époque, le roi Artaxerxès, voyant la Grèce de nouveau 
déchirée par des troubles, envoya des députés pour engager les 
Grecs à mettre un terme à ces guerres intestines et à faire une 
paix universelle basée sur les mêmes conditions qu'autrefois. 
Les Grecs accueillirent avec joie cette proposition. Toutes les 
villes, à l'exception de Thèbes, conclurent donc une paix géné- 
rale ; car les Thébains, comprenant sous la juridiction de leur 
seule ville la Béotie entière, furent exclus de ce traité par les 
Grecs , qui voulaient que chaque ville donnât par un serment 
son adhésion au traité général. Ainsi les Thébains mis, comme 
autrefois, en dehors du traité, continuèrent à gouverner la Béo- 
tie sous une seule et même juridiction. Indignés de cela, les La- 
cédémouiens résolurent de marcher contre eux avec une armée 
nombreuse et de les traiter comme un ennemi commun ; car 



' Première année de la cir olympiade; année 372 avant J.-C. 
' Il est sans doute ici question de l'apparition d'une comète. Comparez Aristote, 
Meteorologica , 1, 6; Sénèque, Quœst. nat,^ VU, 6. 




^l8 DIODORE DE SICILE. 

ils voyaient l'accroissement des Thébains d'un œil jaloux , et 
craignaient que ces derniers, une fois maîtres de la Béotie 
entière , ne profitassent d'une occasion favorable pour ren- 
verser la domination de Sparte. Passant tout leur temps dans 
les gymnases, les Thébains étaient doués d'une grande force 
de corps et naturellement portés à la guerre. Ils ne le cé- 
daient en courage à aucun peuple grec. Ils avaient des chefs 
nombreux et distingués par leur bravoure. On cite comme 
les plus célèbres, Épaminondas, Gorgias et Pélopidas. Ainsi 
Thèbes, se souvenant de sa célébrité aux temps héroïques, était 
pleine de confiance en elle-même et aspirait à de grandes choses. 
Cette année fut donc employée par les Lacédémoniens en pré- 
paratifs de guerre ; ils levèrent des troupes parmi les citoyens 
aussi bien que chez les alliés. 

LI. Phrasiclide étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent, au lieu de consuls, huit tribuns militaires, Publius Man- 
lius, Caïus Erénutius, Caïus Sextus, Tibérius Julius, Lucius Ai- 
binius, Publius Trébonius, Caïus Manlius, Lucius Anthestius ^ 
Dans celte année, les Thébains , exclus du traité général, fu- 
rent réduits à leurs propres ressources pour soutenir la guerre 
contre les Lacédémoniens. Ils n'avaient aucune ville alliée, car 
toutes les villes étaient comprises dans le pacte de paix com- 
mun. Profitant de cet isolement , les Lacédémoniens déclaré- . 
rent la guerre aux Thébains dans l'espérance de réduire Thèbes 
en esclavage. Les préparatifs des Lacédémoniens se faisaient ou- 
vertement, et comme les Thébains étaient sans alliés , tout le 
monde crut que les Spartiates viendraient facilement à bout 
de les dompter. Les Grecs , qui étaient animés de bons senti- 
ments à l'égard des Thébains, les plaignirent d'avance du sort 
qui les attendait. Ceux, au contraire, qui étaient animés de senti- 
ments hostiles, se réjouissaient de ce que les Thébains ne larde- 
raient pas à tomber dans la servitude. Enfin, les Lacédémoniens 
avaient mis sur pied une armée nombreuse dont ils confièrent 
le commandement au roi Cléombrote. Ils envoyèrent d'abord des 



Deuxième année dftjMin*' olympiade ; année 371 avant J.-C. 




LIVRE XV. U9 

députés à Thèbes, exigeant que toutes les villes delà Béotie fus- 
sent reconnues indépendantes ; que Platée et Thespies fussent 
relevées elle territoire rendu à ses anciens possesseurs. Les Thé- 
bains répondirent que, ne se mêlant point des affaires de la La- 
conie, les Spartiates ne devaient pas non plus s'occuper de celles 
de la Béotie. Sur cette réponse, les Lacédémoniens firent partir 
sur-le-champ Cléombrote pour marcher avec son armée sur 
Thèbes. Les alliés des Lacédémoniens prirent volontiers part à 
cette guerre , dans l'espoir qu'il n'y aurait ni combat ni ba- 
taille , et qu'ils se rendraient maîtres de la Béotie sans coup- 
férir. 

LIL Cependant , les Lacédémoniens s'avancèrent. Arrivés à 
Chéronée* ils y établirent leur camp, et attendirent les alliés re- 
tardataires. LesThébains, à l'approche de l'ennemi, décrétèrent 
que les femmes et les enfants seraient transportés à Aihènes. Ils 
nommèrent ensuite Épaminondas au commandement de l'armée, 
et lui confièrent toute la conduite de la guerre, avec l'adjonction 
de six béotarques. Épaminondas appela sous les armes toute la 
population valide des Thébains, et il forma ainsi, avec les ci- 
toyens de Thèbes et d'autres Béotiens les plus robustes, une ar- 
mée d'élite qui ne dépassa pas six mille hommes. Au sortir de 
la ville, beaucoup de soldats remarquèrent des augures d'un mau- 
vais présage pour l'armée. Ainsi, Épaminondas rencontra sous 
les portes de la ville, un héraut conduisant un aveugle qui s'était 
échappé ; ce héraut proclamait à haute voix, selon la coutume, 
qu'il ne fallait pas le laisser sortir de Thèbes ni le faire dispa- 
raître ; mais qu'il fallait le ramener pour qu'il ait la vie sauve. 
Les plus âgés de ceux qui entendaient le cri de ce héraut, le 
prirent pour un mauvais augure; les plus jeunes ne disaient 
rien , afin de ne pas , par un mouvement de lâcheté , détour- 
ner Éjaminondas de sa marche. Épaminondas, se tournant vers 
ceux qui voulaient qu'il tînt compte des augures, répliqua par 
ce vers d'Homère : « Le seul et le meilleur augure, c'est de dé- 

• C'est Coronée qu'il faudrait lire ici. Chéronée étant située plus près de la Plio- 
cide , ne se trouvait pas sur la route des Lacédéraoniens. 

niL 5 



50 DIODORE DE SICILE. 

« fendre sa patrie K »> A peine cette réplique avait-elle été adres- 
sée aux timides pour relever leur courage, qu'un second augure 
apparut, d'un présage plus mauvais encore. Le scribe du camp, 
portant une lance à laquelle était fixée une banderole , s'avança 
pour transmettre Tordre des chefs, lorsque le vent enleva cette 
banderole et la porta sur une colonne élevée sur un tombeau ; 
Sous ce monument funèbre étaient ensevelis quelques-uns des 
Lacédémoniens et des Péloponnésiens qui étaient morts en com- 
battant sous les ordres d'Agésilas. A ce présage, les vieillards 
insistèrent de nouveau , protestant qu'il ne fallait point avancer 
contre la volonté formelle des dieux. Sans rien leur répondre , 
Épaminondas continua sa marche, pensant que la considération 
du beau et du juste doit l'emporter sur les augures. C'est ainsi 
qu'Épaminondas se montra vraiment philosophe en mettant sage- 
ment en pratique les leçons reçues pendant sa jeunesse, il fat 
néanmoins blâmé par la foule ; mais justifié ensuite par les im- 
menses avantages qu'il procura à sa pairie, il s'acquit la réputa- 
tion d'un habile général. Il porta son armée aussitôt en avant 
et s'empara des défilés de Coronée où il établit son camp* 

LUI. Averti que les ennemis avaient occupé le défdé, Cléom- 
brote renonça à forcer ce passage. Il continua sa marche par la 
Phocide, et, suivant une route difficile le long des côtes, il en- 
vahit la fiéotie sans rencontrer aucun obstacle ; il s'était emparé , 
en passant , de quelques forts et de plusieurs trirèmes. £nfin , 
arrivé à l'endroit qu'on appelle Leuctres, il dressa son camp et 
fit reposer ses soldats des fatigues de la route. Cependant les 
Béotiens s'avancèrent sur l'ennemi, et arrivés assez près, ils aper- 
çurent de quelques hauteurs les Lacédémoniens occupant toute 
la plaine de Leuctres. L'étendue de cette armée leur fit conce- 
voir de vives inquiétudes. Les béotarques se réunirent alors en 
conseil et délibérèrent s'il fallait rester et se battre contre des 
forces bien supérieures en nombre, ou se retirer et gagner une 
position plus avantageuse pour livrer un combat. Les voix des 
six béotarques furent partagées également , trois opinèrent pour 

' Iliade, XII, ver8 24l. 



LIVRE XV. 51 

la retraite et trois pour le combat immédiate Épaminondas était 
de l'avis de ces derniers. La discussion allait se prolonger, Idrs- 
qu'arriva le septième béotarque qui , gagné par les considéra- 
tions dévclop'pées par Épaminondas, fit par sa voix prévaloir la 
dernière opinion. Il fut donc décidé de risquer une bataille dé- 
cisive. Cependant, Épaminondas s'apercevant que ses soldats 
étaient encore frappés d'une crainte superstitieuse au sujet des 
augures, cherchait avec la sagacité qui lui était propre un moyen 
de donner le change à la crainte superstitieuse du vulgaire. 
Il engagea donc quelques hommes nouvellement arrivés de 
Thèbes, à répandre le bruit que les armes suspendues au tem- 
ple d*Hercule avaient disparu soudain, et que Ton disait à Thè- 
bes que les anciens héros les avaient enlevées pour venir au se- 
cours des Béotiens \ Il avait aussi apposlé un homme supposé 
tout récemment sorii deTantre de Trophonius^; cet homme an- 
nonça que la divinité ordonnait aux Thébains, lorsqu'ils auraient 
vaincu à Leuctres, d'instituer, en l'honneur de Jupiter roi, un 
jeu coiDunaire. C'est depuis lors que les Béotiens ont conservé 
l'usage de cette solennité à Lébadie. 

LIV. Épaminondas fut secondé dans ses desseins par Léan- 
drias le Spartiate qui , exilé de Lacédémone , servait alors dans 
l'armée des Thébains. Car, amené devant l'assemblée, Léandrias 
déclara que c'était une ancienne tradition chez les Spartiates 
qu'ils perdraient leur suprématie lorsqu'ils seraient vaincus à 
Leuctres par les Thébains. Épaminondas reçut aussi la visite de 
quelques devins du pays qui lui dirent que les Lacédémoniens 
épcpuveraient un grand revers près du tombeau des filles de 
Leuctrus et de Scédasus. Voici pourquoi : Leuctrus avait laissé 
son nom à cette plaine ; les filles de Leuctrus et de Scédasus fu- 

* Le conseil des béotarques élait une espèce de comité de salut public , surveil- 
lant et entravant les mouvements des généraux. Ils paraissent avoir été au nom- 
bre de douze. ( Thucydide , IV, 9i.) 

* Cicéron ( de Divinatione , 1 , 34 ) raconte ce même prodige comme extrait de 
Callisthène. 

* L'antre de Trophonius était situé près de Lébadie. Voyez Élien, V. H., HT, 45, 
et la note de Perizonius. 



52 DIODORE DE SICILE. 

rent violées par des députés de Lacédémone. Ces filles outra- 
gées, ne pouvant survivre à leur déshonneur, se donnèrent elles- 
mêmes la mort en maudissant le pays qui avait choisi de tels dé- 
putés. Sur ce récit et beaucoup d'autres semblables, Épaminon- 
das assembla ses soldats, les exhorta au combat par des discours 
appropriés à la circonstance , et gagna tous les esprits en sa fa- 
veur. Enfin, délivrés de leur crainte superstitieuse, les soldats se 
montrèrent résolus au combat. 

Dans ce même temps, les Thébains reçurent aussi un secours 
de quinze cents fantassins et de cinq cents cavaliers envoyés par 
les Thessaliens. Jason, qui commandait cette armée, essaya 
d'abord les voies de la persuasion pour amener les Lacédémoniens 
et les Béotiens à conclure une trêve , au lieu de tenter les ca- 
prices de la fortune. La trêve fut conclue; et Cléombrote se dis- 
posait déjà à quitter la Béotie , lorsqu'il rencontra un renfort 
considérable, envoyé par les Lacédémoniens et leurs alliés, soos 
le commandement d'Archidamus , fils d'Âgésilas. Car les Spar- 
tiates, qui avaient remarqué, non sans crainte, la résolution, Tau- 
dace et le courage désespéré des Béotiens, avaient fait partir une 
seconde armée afin de tenir tête, par le nombre, à Tintrépidité de 
leurs adversaires. Lorsque toutes ces troupes se furent concen- 
trées, les Lacédémoniens pensèrent qu'il serait honteux de trem- 
bler devant la valeur des Béotiens. En conséquence, au mépris 
de la trêve conclue , ils se replièrent en toute hâte sur Leuctres. 
Les Béotiens étant prêts au combat, les deux armées se mirent en 
ordre de bataille. 

LY. Dans l'armée lacédémonienne , les chefs descendants 
d'Hercule, le roi Cléombrote et Archidamus, fils du roi Agési- 
las, commandaient les deux ailes. Chez les Béotiens, Épaminon- 
das se prépara à une victoire célèbre par une combinaison stra- 
tégique de son invention : il choisit les meilleurs soldats de toute 
l'armée et les plaça à l'une des ailes où il devait lui-même com- 
battre. Il mit à l'autre aile les soldats les moins robustes avec 
l'ordre de feindre une fuite et de lâcher peu à peu le terrain au 
choc de l'ennemi. Il donna donc à sa phalange une disposition 



LIVRE XV. 53 

oblique et résolut de coufier à Taile occupée par le corps d*élite 
le sort de la bataille. Dès que les trompettes eurent sonné la 
charge , les deux armées s'avancèrent Tune contre l'autre en 
poussant le cri de guerre. Les Lacédémoniens attaquèrent les 
deux ailes en donnant à leur phalange la forme d'un croissant. 
L'une des ailes de l'armée béotienne fléchit, tandis que l'autre 
chargea l'ennemi au pas de course. Dans ce premier choc, la vic- 
toire resta indécise ; mais bientôt le corps d'élite qui environ- 
nait Épaminondas gagna du terrain, grâce à sa bravoure et à ses 
rangs serrés, et tailla en pièces un grand nombre de Péloponné- 
siens. Les ennemis ne soutinrent pas le choc de ce vaillant corps 
d'élite : les uns tombèrent et les autres furent criblés de bles- 
sures, toutes reçues par devant. Tant que Cléombrote, roi des 
Lacédémoniens , était en vie , le nombre des guerriers qui le 
couvraient de leurs boucliers et étaient prêts à mourir pour lui, 
rendait la victoire incertaine. ' Mais lorsque le roi , après s'être 
exposé à tous les dangers, fut impuissant à résister à la force des 
adversaires et mourut en héros, couvert de blessures, alors les 
morts s'amoncelèrent autour du roi tombé. 

LYI. L'aile de l'armée lacédémonienne ayant été mise en 
désordre par la perte de son chef, les troupes d'Épaminon- 
das serrèrent de près les Lacédémoniens et rompirent peu à 
peu les rangs ennemis. Les Lacédémoniens soutinrent un com- 
bat glorieux autour du corps du roi qu'ils arrachèrent des 
mains de l'ennemi; mais ils ne parvinrent pas à remporter 
la victoire. Car le brave corps d'élite, animé par la bravoure 
et les exhortations d'Épaminondas, repoussèrent, quoique avec 
peine, les Lacédémoniens qui, cédant le terrain, ne conservè- 
rent plus l'ordre de leurs rangs ; ils laissèrent beaucoup de mondo^ 
sur le champ de bataille, et lorsque la perte du chef fut connue, 
toute l'armée se livra à la fuite. Épaminondas poursuivit les 
fuyards, en fit périr un grand nombre et remporta une victoire 
mémorable. Les Thébains s'acquirent ainsi une immense réputa- 
tion de bravoure pour s'être mesurés avec les plus vaillants des 
Grecs et pour avoir vaincu des forces de beaucoup supérieures aux 
III. 5. 



5^ DIODORE DE SICILE. 

leurs. Le général Épaminondas fut Tobjet des plus grands éloges 
pour sa valeur et le talent stratégique qu'il avait déployés en 
combattant des chefs réputés invincibles. Les Lacédémoniens 
perdirent dans cette bataille au moins quatre mille hommes , et 
les Béotiens environ trois cents. On conclut ensuite un traité 
pour Tenlèvement des morts et le retour des Lacédémoniens 
dans le Péloponnèse. Telle fut Tissue delà bataille de Leuctres. 

LVir. L'année étanl révolue, Dyscinète fut nommé archonte 
d'Athènes , et les Romains élurent , au lieu de consuls, quatre 
tribuns militaires, Quintus Servilius, Lucius Furius, Gaïus Lici- 
nius et Publius Gœlius *. A cette époque , les Thébains mar- 
chèrent contre Orchomène dans le dessein d'en réduire les ha- 
bitants à l'esclavage ; mais, sur le conseil d' Épaminondas, que, 
pour aspirer à l'empire de la Grèce, il fallait conserver par l'hu- 
manité ce qu'on avait acquis par la valeur, ils renoncèrent à 
cette entreprise et admirent les Orchoméniens au nombre de 
leurs alliés. Ils firent de même à l'égard des Phocidiens , des 
Étoliens, des Locriens, et rentrèrent dans la Béotie. 

Jason, tyran de Phères, qui devenait de jour en jour plus puis- 
sant, envahit la Locride ; il prit par trahison Héraclée en Tra- 
chinie , la détruisit et en donna le territoire aux Œtéens et aux 
Méliens. Il marcha ensuite contre la Perrhaebie, gagna quelques 
villes par la voie de la persuasion et soumit les autres par h 
force. Mais l'agrandissement de sa puissance et son ambition 
devinrent suspects aux habitants de la Thessalie. 

Pendant que ces choses se passaient , la ville d'Argos fut le 

théâtre d'une insurrection ; les massacres étaient tels que les 

Grecs ne se souvenaient pas d'en avoir jamais vu de semblables. 

J[]ette insurrection reçut le nom de *Scyfa/i5me • du genre de 

mort que s'infligeaient les habitants. 

LVIIL Voici l'origine de cette insurrection. La ville d'Argos 
avait un gouvernement démocratique ; quelques orateurs démago- 
gues avaient excité la multitude contre les citoyens qui se faisaient 

' Troisième année de la cii« olympiade ; année 370 avant J.-C. 
* De axuT«>î7, lanière, bâton. 



LIVRE XV. 55 

remarquer par leurs richesses et leurs dignités; or, ces citoyens 
poursuivis par la calomnie avaient conspiré le renversement du 
gouvernement démocratique. Quelques-uns des conjurés ayant 
été mis à la tortnre , les autres, pour se soustraire aux mêmes 
tourments, se donnèrent eux-mêmes la mort. Cependant un de 
ceux qui avaient été mis à la torture , avoua le fait de la conspi- 
ration et dénonça trente des principaux citoyens. Le peuple , 
sans ajitre forme de procès , égorgea tous ceux qui lui avaient 
été dénoncés et vendit leurs biens. Cependant, les orateurs 
démagogues , par leurs accusations calomnieuses , rendirent 
suspects un grand nombre d'autres citoyens , et la multitude 
devint tellement exaspérée que tous ceux qui lui avaient été 
dénoncés furent condamnés à mort. C'est ainsi que périrent plus 
de douze cents citoyens des plus influents, et le peuple n'épargna 
pas même ses meneurs ; car ces derniers, effrayés de la gravité 
des circonstances, et craignant qu'il ne leur en arrivât autant, 
avaient cessé de se porter accusateurs. La populace se crut alors 
abandonnée par eux et porta sa rage au point de massacrer tous 
les démagogues. C'est ainsi que , par l'effet d'une vengeance 
divine, ils éprouvèrent eux-mêmes un châtiment mérité. L'o- 
rage passé, le peuple rentra dans le calme primitif ^ 

LIX. A cette même époque, Lycomède de Tégée persuada 
aux Arcadiens de se constituer en un seul État et de former un 
conseil général composé de mille membres, en qui résiderait 
l'autorité de la guerre et de la paix. A la suite de cette proposi- 
tion, il éclata un grand soulèvement chez les Arcadiens. Les 
insurgés recoururent aux armes; un grand nombre d'entre eux 
furent tués, et plus de quatorze cents se retirèrent, les uns à 
Sparte, les autres à Palantium. Ces derniers furent livrés par les 
Palantins et égorgés par leurs vainqueurs ; ceux qui s'étaient ré- 
fugiés à Sparte engagèrent les Lacédémoniens à marcher contre 
l'Arcadie. C'est pourquoi le roi Agésilas, à la tête d'une armée et 

* Ce tableau rappelle avec une effrayante fidélité les pages sanglantes de la 
révolution française , tant il est vrai qu'en tout temps et en tout lieu les passions 
humaines offrent le même spectacle. 



56 DIODORE DE SICILE. 

des bannis eux-mêmes, envahit le territoire des Tégéates, qui pas- 
saient pour avoir provoqué cette insurrection ainsi que la condam- 
nation des bannis. Il dévasta la campagne, livra des assauts à la 
ville de Tégée et répandit la terreur parmi les Arcadiens insurgés. 

LX. Dans cet intervalle, Jason, tyran de Phères, distingué 
par sa prudence et ses talents militaires, avait attiré dans son 
alliance plusieurs peuples voisins; en même temps il engageait 
les Thessaliens à aspirer à la domination des Grecs, leur disait que 
c'était là le prix d'une lutte pour tous ceux qui voudraient y 
prendre part. Les Lacédémoniens étaient déchus depuis leur 
défaite à Leuctres; les Athéniens ne prétendaient qu'à la supré- 
matie maritime ; les Thébains étaient indignes de l'empire de la 
Grèce ; les Argiens étaient affaiblis par les troubles intérieurs et 
les massacres récents. Les Thessaliens mirent donc Jason à la 
tête de leur gouvernement et lui confièrent l'administration de 
la guerre. Après avoir pris la direction des affaires, Jason se 
lia avec quelques peuples voisins et fit une alliance avec Atnyn- 
tas, roi des Macédoniens. • 

Cette année fut marquée par quelque chose de particulier : 
trois souverains moururent à la fois; Amyntas, fds de Tharrha- 
léus , roi de Macédoine , termina ses jours après un règne de 
vingt-quatre ans, et laissa trois fils, Alexandre, Perdiccas et 
Philippe. Alexandre lui succéda et ne régna qu'un an. Argési- 
polis , roi des Lacédémoniens , mourut aussi après avoir régné 
un ap, et eut pour successeur Gléomène, son frère, qui régna 
trente-quatre ans. Enfin, le troisième souverain, Jason de 
Phères, nommé chef delà Thessalie, et qui paraissait gouverner 
avec douceur, fut assassiné, selon le rapport d'Éphore, par la 
trahison de sept jeunes gens que l'amour de la gloire avait fait 
conspirateurs; mais, selon quelques autres historiens, il fut tué 
par son frère Polydore, qui lui succéda , mais ne régna qu'un an. 

C'est à cette année que l'historien Duris de Samos commence 
son histoire de la Grèce*. 

* Duris, dont les anciens font souvent mention , avait écrit 'E)A>jvtxà x«l M«— 
xsSony.x ( Histoire de la Grèce et de la Macédoine ). 



LIVRE XV. 57 

LXI. Lysistrate étant archonte d'Athènes, une sédition éclata 
chez les Romains : les uns voulaient nommer des consuls, les 
autres opinaient pour des tribuns militaires. Quelque temps 
après l'anarchie causée par cette sédition, on décréta le choix 
de six tribuns militaires qui furent Lucius Émilius , Gaïus Vir- 
ginius, Servilius Sulpicius, Lucius Quintius, Caïus Corné- 
lius, Caïus Valérius*. Dans ce temps, Polydore de Phères, sou- 
verain des Thessaliens, fut empoisonné' par son frère Alexandre, 
dans un repas oii il Tenivra. Son frère Alexandre, qui lui suc- 
céda, régna onze ans. Cet usurpateur, qui avait gagné le trône 
par la violence et le crime, ne démentit pas , par son règne , son 
mauvais naturel. Ses prédécesseurs s'étaient fait aimer du peu - 
pie par leur douceur ; celui-ci devint, au contraire, un objet de 
haine par sa conduite inique et cruelle. Ses cruautés allèrent si 
loin que quelques Larisséens désignés , pour leur noble origine , 
sous le nom d'Aleuades ^^ conspirèrent pour renverser la dynas- 
tie. Ils sortirent de Larisse et se rendirent en Macédoine pour 
engager Alexandre, roi de ce pays, à expulser le tyran. Dans 
cet intervalle, Alexandre de Phères, averti de cette conspira- 
tion , mit en campagne tous les hommes en état de porter les 
armes , dans le dessein de porter la guerre en Macédoine. Le roi 
des Macédoniens, ayant auprès de lui les bannis de Larisse, 
prévint l'ennemi , se dirigea avec une armée sur Larisse , et 
s'empara de cette ville avec l'aide de 'quelques habitants qui 
l'avaient introduit dans l'intérieur des murs. Il mit ensuite le 
siège devant la citadelle qu'il prit: il occupa aussi la ville de 
Cranon, mais il promit aux Thessaliens de leur rendre l'une 
et l'autre ville. Cependant , au .mépris de son honneur, il y éta- 
blit des garnisons considérables et gardait les villes pour lui. 
Alexandre de Phères, traqué de toutes paris, revint à Phè- 
res. Telle était la situation des affaires en Thessalie. 

* Quatrième année de la cii« olympiade ; année 369 avant J.-C. 

' Les anciens indiquaient rarement le genre de poisons employés. — Alexandre 
était, non pas le frère, mais le neveu de Polydore. L'assassin s'appelait Polyphron, 
que tua Alexandre d'un coup de lance , pour venger la mort de son oncle. 

* Voyez Hérodote, VII, 6 et 130. 



58 DIODORË DE SICILE. 

LXH. Dans le Péloponnèse , les Lacédémoniens envoyèrent 
Polytropus ^n Arcadie, à la tête de mille hoplites choisis parmi 
les citoyens de Sparte , el de cinq cents réfugiés argiens et béo- 
tiens. Ce î^énénil entra à Orchomène en Arcadie, et occupa cette 
ville (|ui fa\ori.sait le parti des Lacédémoniens. Lycomède de 
Mantinée , général des Arcadiens , s'avança sur Orchomène à la 
tête d*un cor|)s de cinq mille hommes, appelé V élite. Les Lacé- 
démoniens conduisirent leur armée hors de la ville et livrèrent 
un combat acharné dans lequel ils perdirent leur chef et deux 
cents guerriers; le reste fut poursuivi jusque dans la ville. Les 
Arcadiens , ((uoique victorieux , redoutèrent la puissance de 
Sparte et ne se crurent pas assez forts pour continuer à faire la 
guerre aux Lacédémoniens. Ils s*allièrent donc avec les Argiens 
et les Éliens, et envoyèrent des députés à Athènes pour deman^/sr 
des secours contre les Spartiates. xMais cette demande n*ayant 
point été accueillie, ils s'adressèrent aux Thébains pour le 
même objet. Les Béotiens leur envoyèrent sur-le-champ une 
armée , dans laquelle servaient des Locriens et des Phocidiens. 
Cette armée s'avança vers le Péloponnèse sous les ordres des 
béotarques Ë;)aminondas et Pélopidas : les autres béotarqoes 
avaient volontairement résigné leur autorité en considération de 
l'habileté el de la bravoure de ces deux hommes. Arrivés aux 
frontières de l'Arcadie, ils furent rejoints de toutes parts par 
les Arcadiens, les Éliens, les Argiens et tous les autres alliés. 
Ils se réunirent ainsi au nombre de plus de cinquante mille 
honnnes ; les chefs se réunirent alors en conseil et décidèrent 
de marcher sur Sparte en ravageant le territoire de la Laconie. 

LXIIL Cependant les Lacédémoniens étaient tombés dans un 
très-grand embarras : dans la déroute de Leuctres, ils avaient 
perdu toute leur jeunesse, beaucoup de monde dans d'autres 
défaites , et se trouvaient par la désertion de leurs alliés réduits 
à un très-petit nombre de citoyens. Ils se virent ainsi forcés 
d'implorer le secours des Athéniens , de ces mêmes Athéniens 
auxquels ils avaient jadis donné les trente tyrans, dont ils 
avaient rasé les murailles avec défense de les relever, et dont 



LIVRE XV. 59 

ils avaient résolu de détruire la ville de fond en comble ei de 
réduire le territoire en un pâturage de troupeaux. Rien n'est 
donc plus puissant que la nécessité et le sort qui contraignirent 
ces fiers Lacédémoniens à implorer le secours de leurs plus 
grands ennemis. Pourtant ils ne furent pas déçus dans leurs 
espérances. Le peuple athénien fut aussi noble que généreux ; 
sans s'effrayer des forces des Thébains : il décréta qu'on vien- 
drait au secours des Lacédémoniens exposés au danger de l'es- 
clavage : douze mille jeunes gens furent enrôlés en un seul 
jour, et se mirent immédiatement en campagne sous les ordres 
d'Iphicraie. Pendant que les ennemis avaient établi leurs camps 
sur la frontière de la Laoonie , les Lacédémoniens sortirent tous 
de Sparte pour aller à leur rencontre , et , quoique faibles en 
nombre , ils étaient forts en courage. Épaminondas, voyant qu'il 
serait difficile de pénétrer sur le territoire des Lacédémoniens, 
ne jugea pas prudent de s'y engager avec toute son armée; il la 
divisa donc en quatre corps , afin d'y pénétrer sur plusieurs 
points à la fois. 

LXIV. Le premier corps, composé des Béotiens , prit le che- 
min direct de Sellasle et détacha les habitants de celte ville de 
l'alliance des Lacédémoniens. Les Argiens pénétrèrent par les 
frontières du territoire de Tégée et livrèrent un combat aux 
troupes qui gardaient le passage. Dans ce combat , Alexandre le 
Spartiate, commandant de la garnison, perdit la vie, et deux 
cents hommes avec lui; parmi ces derniers se trouvaient aussi 
les réfugiés béotiens. Le troisièine corps , comprenant les Arca- 
diens, et qui était en même temps le plus fort, envahit Je ter- 
ritoire de Scirite gardé par une troupe nombreuse sous les ordres 
d'Ischolas, homme d'une bravoure et d'une prudence remar- 
quables. Il commandait les meilleurs soldats de Sparte, et fit un 
exploit héroïque et digne de mémoire. Sachant que, s'il s'enga - 
geait dans un combat , tous les siens seraient tués par des enne- 
mis supérieurs en nombre , et que , si d'un côté il était indigne 
de Sparte d'abandonner le passage dont la garde lui avait été 
confiée , d'un autre côté il rendrait un service à la patrie en 



60 DIODORË DE SICILE. 

couservant son armée, il résolut de remplir Fun et Tautre devoir 
en prenant pour exemple la valeur du roi Léonidas aux Ther- 
mopyles. Il choisit donc tous les jeunes gens de sa troupe et les 
renvoya à Sparte pour servir la patrie dans le danger extrême où 
elle se trouvait. Défendant ensuite le passage avec les soldats qui 
lui restaient, il tua un grand nombre d'ennemis; mais il fat 
enveloppé par les Arcadiens et tué avec tous les siens. Les 
Éliens , qui composaient le quatrième corps , arrivèrent par des 
chemins ouverts jusqu'à Sellasie ; c'était là le point de rallie- 
ment de toute l'armée qui marcha de Sellasie sur Sparte , rava- 
geant la campagne par le fer et le feu. 

LXV. Les Lacédémoniens, qui pendant cinq cents ans avaient 
préservé leur territoire de toute dévastation, ne purent sup- 
porter le spectacle que leur offrait alors l'ennemi. Ils sortirent 
de leur ville, animés par la rage; mais, retenus par les gens 
plus âgés qui les avertissaient de ne point trop s'écarter de la 
ville , afin qu'elle ne fût point exposée aux attaques des assail- 
lants, ils se laissèrent persuader et ne songèrent plus qu'à la 
défense de leur cité. Cependant Épaminondas traversa le mont 
Taygète, aniva sur l'Eurotas et passa ce fleuve dont le cours 
est très-rapide dans la saison de l'hiver; les Lacédémoniens, 
voyant l'armée ennemie mise en désordre par la difficulté du 
passage, profitèrent de ce moment pour l'attaquer. Ils laissèrent 
leurs femmes et les vieillards pour garder la ville; rangeant 
ensuite en bataille tous les jeunes gens , ils tombèrent sur l'en- 
nemi et firent un grand carnage parmi ceux qui passaient le 
fleuve. Cependant les Béotiens et les Arcadiens se défendirent 
contre les ennemis qu'ils enveloppèrent par le nombre. Enfin 
les Spartiates, après avoir tué beaucoup de monde, rentrèrent 
dans la ville en laissant un éclatant témoignage de leur propre 
bravoure. Cependant Épaminondas conduisit hardiment son' 
armée à l'assaut de Sparte. Les Spartiates, défendus par l'avan- 
tage de la position , tuèrent la plupart de ceux qui s'avançaient 
avec trop de témérité. Les assaillants déployèrent tous leurs 
efforts et semblaient sur le point d'emporter Sparte de vive 



LIVRE XV. 61 

force, lorsque Épaniinondas , voyant ses soldats ou morts ou 
blessés , fit sonner la retraite. En passant devant la ville , les 
ennemis provoquèrent les Spartiates au combat en rase cam- 
pagne , ou leur crièrent de s*avouer inférieurs à leurs ennemis. 
Les Spartiates répondirent qu'ils saisiraient un moment propice 
pour livrer une bataille décisive. Sur quoi les assiégeants se reti- 
rèrent , ravagèrent toute la Laconie, et , après avoir amassé un 
immense butin , .ils revinrent dans TArcadie. Les Athéniens, 
arrivés trop tard , retournèrent aussi dans TAttique, sans avoir 
rien fait de mémorable. Les Lacédémoniens reçurent de leurs 
alliés un secours de quatre mille hommes , et , après avoir réuni 
à leurs troupes mille hilotes auxquels ils venaient de donner la 
liberté ainsi que deux cents réfiigiés béotiens et plusieurs corps 
auxiliaires envoyés des villes voisines, ils mirent en campagne 
une armée capable de tenir tête à Tennemi. Avec cette armée 
compacte et bien exercée , ils se préparèrent courageusement à 
livrer une bataille décisive. 

LXYL Épaminondas, homme plein de grands projets et 
aspirant à une gloire immortelle, conseilla aux Arcadiens et 
autres alliés de rétablir la ville de Messène qui, plusieurs années 
auparavant, avait été détruite par les Lacédémoniens et qui 
était avantageusement située pour meuacer Sparte. Ce conseil 
ayant été unanimement adopté , Épaminondas fit un appel au 
reste des Messéniens et à tous les étrangers qui voulaient s'asso- 
cier à cette entreprise. Il réunit ainsi un grand nombre de colons 
pour relever Messène. Partageant ensuite entre eux les terres, 
il lit cultiver les champs; après avoir ainsi rebâti une des villes 
les plus célèbres de la Grèce, il s'acquit une grande réputation 
auprès de tous les hommes. 

Il ne sera pas hors de propos de dire ici un mot sur l'origine de 
Messène, cette ville plusieurs fois prise et détruite. Messène était 
anciennement possédée par les descendants de Nélée et de Nestor 
jusqu'à la guerre de Troie; elle appartint ensuite à Oreste, fds 
d'Agamemnon, qui la laissa à sa postérité jusqu'au retour des 
Héraclides. Depuis le retour de ceux-ci , Gresphoule eut cette 
m. 6 



62 DIODORE DE SICILE. 

ville en partage et ses descendants y régnèrent pendant quelque 
temps , lorsqu'ils furent chassés par les Lacédémoniens qui se 
rendirent maîtres do Messène. Ensuite, Téléclès, roi de Sparte , 
ayant été tué dans un combat , les Lacédémoniens continuèrent 
à faire la guerre aux Messéniens. Cette guerre dura, dit-on, 
vingt ans ; car les Lacédémoniens avaient juré de ne pas rentrer 
dans Sparte avant d'avoir pris iMessène. Ce fut pendant cette 
guerre que naquirent ceux qu'on appela Parthéniens^, qui allè- 
rent fonder Tarente en Italie. Comme par la suite les Mes- 
séniens furent traités en esclaves par les Lacédémoniens, Aris- 
tomène engagea les Messéniens à secouer le joug des Spartiates, 
auxquels il fit beaucoup de mal. Ce fut alors que les Athéniens 
donnèrent Tyrtée pour général aux Spartiates. D'autres sou- 
tiennent cependant qu'Aristomène est venu au monde pendant 
la guerre de vingt ans. La dernière guerre des Messéniens prit 
naissance à l'occasion d'un grand tremblement de terre qui avait 
renversé presque toute la ville de Sparte et fait périr ses habi- 
tants. Les Messéniens qui avaient survécu aux dernières guerres, 
se réunirent alors aux hilotes rebelles pour fonder la ville d'I- 
thome, et Messène resta pendant longtemps un amas de décom- 
bres. Mais, malheureux dans toutes ces guerres et chasjiés de 
toutes parts, ils s'établirent à Naupacte, ville que les Athéniens 
leur avaient donnée pour demeure. Quelques-uns passèrent en 
Céphalonie , quelques autres en Sicile, où ils fondèrent la ville 
qui , d'après eux , a reçu le nom de Messine. Enfin , à l'époque 
actuelle , les Thébains , sur le conseil d'Ëpaminondas , firent un 
appel à tous les Messéniens dispersés dans la Grèce pour les en- 
gager à rétablir Messène et à reprendre possession de leur ancien 
territoire. Telles sont les vicissitudes qu'éprouva Messène. 

LXVII. Tous les faits de la guerre de Laconie que nous 
venons de rapporter, les Thébains les accomplirent dans l'espace 
de quatre-vingt-cinq jours. Ils laissèrent une garnison suffisante 
à Messène, 'et retournèrent chez eux. Les Lacédémoniens, déli- 

* Ils avaient été engendrés à Sparte pendant Tabsence des maris occupés à la 
guerre messénieune. 



UVRE XV. 63 

vrés miraculeusement des ennemis, envoyèrent les plus illus- 
tres Spartiates en députation à Athènes et entrèrent en confé- 
rence au sujet de la suprématie sur la Grèce. Il fut convenu 
que les Athéniens seraient maîtres sur mer et les Lacédémoniens 
sur terre. Plus tard, Tune et l'autre ville s'attribuèrent ce 
double commandement. 

Les Arcadiens nommèrent Lycomède au commandement du 
corps d'élite composé de cinq mille hommes, et marchèrent sur 
Pallène en Laconie. Ils prirent cette ville d'assaut et passèrent 
au fil de l'épée la garnison lacédémonienne qui s'y trouvait et 
qui était composée de plus de trois cents homgnes. Ils réduisirent 
la ville en servitude, ravagèrent la campagne et retournèrent 
chez eux, avant que les Lacédémoniens eussent pu arriver au 
secours de Pallène. 

Les Béotiens , invités par les Thessaliens à venir délivrer leur 
ville en renversant la tyrannie d'Alexandre de Phères , envoyè- 
rent en Thessalie Pélopidas à la tête d'une armée, en lui ordon- 
nant de régler les affaires de la Thessalie selon les intérêts des 
Béotiens. Ce général entra à Larisse, et s'empara de la citadelle, qui 
était gardée par Alexandre le Macédonien. Après cette prise , il 
pénétra dans la Macédoine, conclut une alliance avec Alexandre, 
roi de ce pays, et reçut en otage son frère Philippe qu'il envoya 
à Thèbes. Après avoir réglé les affaires de la Thessalie de la 
façon qui lui paraissait la plus conforme aux intérêts des Béo- 
tiens , il retourna dans sa patrie. 

LXVIIL Sur ces entrefaites, les Arcadiens, les Argiens et les 
Kliens résolurent d'attaquer de concert les Lacédémoniens , et 
envoyèrent une députation à ïhèbes pour inviter les Béotiens à 
prendre part à cette expédition. Ceux-ci donnèrent sur-le-champ 
à Épaminondas et à quelques autres béotarques le commande- 
ment de sept mille hommes d'infanterie et de six cents cava- 
li< rs. Lorsque les Athéniens apprirent que l'armée des Béotiens 
s'avançait vers le Péloponnèse, ils firent partir des troupes sous la 
conduite de Chabrias. Arrivé àCorinthe,ce général réunit à ses 
troupes les soldats envoyé^ par les Mégariens, par les Pellénéens 



6^ DIODORE DE SICILE. 

et les Corinthiens, et forma ainsi une armée de dix mille 
hommes, et, après que les Lacédémoniens furent arrivés à 
Corinlhe avec leurs alliés, le total de cette armée s'éleva K 
vingt mille hommes au moins. Là , ils arrêtèrent de fortifier le 
passage et de s'opposer à l'entrée des Béotiens dans le Pélopon- 
nèse. En conséquence, depuis Cenchrée jusqu'au Léchée, ils 
élevèrent des retranchements munis de fossés profonds. Ces 
travaux furent promptement achevés, car les nombreux ou- 
vriers qui y étaient employés mirent beaucoup de zèle à ter- 
miner ces fortifications avant l'arrivée des Béotiens. Arrivé 
avec son armée, Épaminondas examina les lieux, et, remar- 
quant que la position occupée par les Lacédémoniens était 
la plus abordable , il provoqua d'abord au combat des ennemis 
presque trois fois plus forts que lui. Mais comme personne n'osait 
sortir de ces retranchements par lesquels l'ennemi était défendu, 
il se décida à en faire l'assaut. Plusieurs attaques vives furent 
ainsi dirigées contre toute la ligne des retranchements , mais 
particulièrement contre la position occupée par les Lacédémo- 
niens, laquelle était plus abordable et par conséquent plus diffi- 
cile à défendre. Les combattanls déployèrent des deux côtés 
beaucoup d'ardeur ; Épaminondas, à la tête du corps d'élite des 
Thébains , eut beaucoup de peine à forcer les lignes lacédémo- 
niennes. Il parvint cependant à enfoncer ce poste et à faire en- 
trer son armée dans le Péloponnèse. Cet exploit ne le cède à 
aucun de ceux qu'il avait déjà accomplis. 

LXIX. Épaminondas continua immédiatement sa route vers 
Trézène etÉpidaure. Il dévasta la campagne, mais ne put point 
se rendre maître des villes qui étaient défendues par de fortes 
garnisons. Il s'approcha de Sicyone et de Phlionte, et répandit 
la consternation dans quelques autres villes. De là il marcha sur 
Corinthe. Les Corinthiens firent une sortie, mais ils furent 
vaincus en rase campagne et refoulés dans leurs murs. Les Béo- 
tiens furent exailés par ce succès; quelques-uns d'entre eux 
eurent l'audace d'entrer dans la ville avec les fuyards. A cette vue, 
les habitants effrayés se renfermèrent dans leurs maisons; mais 



I 



LIVRE XV. 65 

Chabrias, général des Athéniens, se conduisit avec tant de pré- 
sence d'esprit et de courage, qu'il repoussa hors de la ville les 
Béotiens qui y étaient entrés, et en tua un grand nombre. Sti- 
mulés par l'émulation, les Béotiens rangèrent toutes leurs troupes 
en bataille, et tentèrent une attaque décisive sur Corinihc. 
Mais Chabrias, à la tête des Athéniens, sortit de la ville et vint 
occuper une position favorable pour résister aux assaillants. Con- 
fiant en leur force physique et en leur grande expérience mi- 
litaire, les Thébains se flattaient de culbuter les Athéniens. Mais 
Chabrias, profitant de l'avantage de sa position, et soutenu par 
les renforts qui lui étaient envoyés de la ville, tua bu blessa un 
grand nombre d'ennemis. Après avoir essuyé beaucoup de per- 
tes, les Béotiens se retirèrent sans avoir obtenu aucun résultat. 
Ce fut ainsi que Chabrias, admiré par sa bravoure et ses talents 
militaires, parvint à repousser les ennemis. 

LXX. En ce même temps, il arriva à Corinthe par mer deux 
mille Celtes et Ibériens. Ils avaient été envoyés au secours des 
Lacédémoniens par Denys le tyran, et avaient reçu pour cinq 
mois de solde. Les Grecs, pour les mettre à l'épreuve, les pla- 
cèrent sur la première ligne dans les combats. Ces étrangers se 
conduisirent avec bravoure et firent perdre beaucoup de monde 
aux Béotiens et à leurs alliés. Après s'être distingués par leur 
valeur et leur habileté à manier les armes , ils furent honorés 
par les Lacédémoniens, auxquels ils avaient rendu de grands ser- 
vices, et retournèrent en Sicile vers la fin de l'été. 

Peu de temps après, Philiscus aborda en Grèce ; il était en- 
voyé parle roi Artaxerxèspour exhorter les Grecs à cesser leurs 
guerres et à conclure une paix générale. Ils y consentirent tous 
très-volontiers, à l'exception des Thébains, qui persistèrent dans 
leur dessein de comprendre la Béotie sous une seule domination. 
Sur le refus d'adhérer au traité de paix, Philiscus laissa aux La- 
cédémoniens un corps auxiliaire de deux mille hommes soldés 
d'avance, et revint dans l'Asie. Dans cet intervalle, Euphron le 
Sicyonien, connu pour son audace et son extravagance , entre- 
prit, avec le secours des Argiens, de s'eniparer de la tyrannie, ll^ 

III. 6. 



66 DIODORE DE SICILE. 

réussit en efît^t dans son entreprise, condamna à Texil quarante 
Sicyoniens des plus opidents, et vendit leurs biens à l'enchère. 
Après s'être ainsi procuré beaucoup de richesses, il rassembla 
des mercenaires et se déclara souverain de la ville. 

L\Xl. Nausigène étant archonte d'Athènes, les Romains 
nonnnèrent, au lieu de consuls, quatre tribuns militaires, Lu- 
cius Papirius , Lucius Ménénius , Servius Cornélius , Servius 
Sulpicins; on célébra en Élide la ciir olympiade, dans laquelle 
Pythoslrate d'Athènes fut vainqueur ù la course du stade ^ Dans 
cette année, Ptolémée FAlorite, fils d'Amyntas^, tua par trahison 
son frère Alexandre et occupa pendant trois ans le trône de la* 
Macédoine. 

Dans la Béotie, Pélopidas, rival d'Épaminondas et jaloux de sa 
réputation militaire et des services que ce dernier avait rendus aux 
Béotiens dans le Péloponnèse, ambitionna de faire, en dehors du 
Péloponnèse, quelque chose d'utile pour lesïhébains. Emmenant 
donc avec lui Isménias, son ami, homme d'un courage admirable, 
il entra dans la Thessalie. Arrivé en présence d'Alexandre, tyran 
de Phères, il fut arrêté sans motif, ainsi qu'Isménias, et tous les 
deux jetés en prison. Indignés de cetacte, les Thébains firent sur- 
le-champ passer en Thessalie une armée de huit mille hoplites et 
de six cents cavaliers. Effrayé de cette expédition, Alexandre en- 
voya des députés à Athènes, chargés de demander du secours. 
Le peuple décréta sur-le-champ un secours de trente navires 
et de mille soldats qui partirent sous les ordres d'Âutoclès. Pen- 
dant que celui-ci côtoyait les rivages de l'Eubée, les Thébains 
entrèrent dans la Thessalie. Cependant Alexandre avait rassem- 
blé toutes ses troupes de terre , et sa cavalerie était plus nom- 
breuse que celle des Béotiens, ce qui n'empêcha pas les Béotiens 
de se décider à un combat décisif, comptant sur la coopération 
des Thessaliens. Mais lorsqu'ils furent abandonnés par ces der- 
niers, et que, d'un antre côté, Alexandre reçut les secours que 



' Première année de la cm* olympiade ; année 368 avant J.«C. 
' L'auteur a dit plus haut ( chap. 60 ) qu'Amyntas avait pour fils Alexandre , 
Perdiccas et Philippe. Ptolémée était étranger à la famille royale. 



LIVRE XV. 67 

lui avaient envoyés les Athéniens et quelques autres alliés , et 
qu'enfin Tarmée commençait à manquer de vivres et d'autres 
provisions, alors les béotarques résolurent de retourner chez eux. 
Les Béotiens levèrent donc leur camp, et comme ils traversaient 
un pays de plaine, Alexandre les poursuivit avec sa nombreuse ca- 
valerie, et attaqua leur arrière-garde. Maltraités sans relâche 
par les projectiles de Tennemi , les Béotiens perdirent beau- 
coup de monde et tombèrent couverts de blessures. Enfm , ne 
pouvant ni avancer ni reculer, Tarmée se trouva dans une posi- 
tion d'autant plus critique , que les vivres étaient devenues très- 
rares. Déjà elle désespérait de son salut, lorsqu'elle choisit pour 
son chef Épaminondas, qui servait alors comme simple soldat. 
Investi de ce commandement, Épaminondas forma, avec quel- 
ques cavaliers et quelques hommes armés à la légère, un déta- 
chement d'élite qu'il plaça à l'arrière-garde pour résister à l'at- 
taque de l'ennemi et protéger les hoplites qui formaient l'avant- 
garde. En faisant ainsi souvent volte-face, et conservant un 
ordre parfait dans les rangs, il réussit à sauver Tarmée. Ce suc- 
cès ajouta encore à la gloire dont jouissait Épaminondas auprès 
de ses concitoyens et de ses alliés. Les béotarques furent mis en 
jugement et condamnés à une forte amende. 

LXXIL On pourrait demander ici pourquoi un chef tel qu'É- 
paminondas servit comme simple soldat dans l'armée qui avait 
été envoyée en Thessalie. Nous allons en donner ici la raison jus- 
tificative. Lorsque, dans le combat de Corinthe, Épaminondas 
eut enfoncé les lignes lacédémoniennes qui gardaient le retran- 
chement , il se contenta de cette victoire, et, au lieu de faire 
essuyer, ce qui lui aurait été facile, de grandes pertes à l'en- 
nemi, il s'abstint d'aller au delà. II fut alors soupçonné d'avoir 
voulu gagner la faveur des Lacédémoniens en les épargnant; 
des adversaires jaloux profitèrent de cette occasion pour le ca- 
lomnier et l'accuser de trahison. Sur cette accusation, le peuple 
irrité lui retira la fonction de béotarque et l'envoya servir comme 
simple soldat. Mais, ayant par ses actions confondu ses accusa- 
teurs, il fut réintégré par le peuple dans son ancienne dignité. 



68 DIODORE DE SICILE. 

Peu de temps après, les Arcadiens livrèrent aux Lacédémoniens 
une grande bataille dans laquelle ces derniers remportèrent une 
victoire signalée. C'était leur première victoire depuis leur dé- 
faite à Leuctres. Les Arcadiens y perdirent dix mille hommes et 
les Lacédémoniens pas un seul. Ainsi s'accomplit Toracle de 
Dodone, qui avait prédit que cette guerre ne coûterait pas une 
larme aux Lacédémoniens. Après cette bataille, les Arcadiens,. 
craignant une invasion des Lacédémoniens, fondèrent , dans un 
emplacement avantageux, Mégalopolis, et la peuplèrent en y fai- 
sant entrer les habitants de quarante villages , connus sous le 
nom de Ménaliens et d'Arcadiens Parrhasiens. Telle était la 
situation des affaires en Grèce. 

LXXIII. £n Sicile, Denys le tyran avait mis sur pied des 
troupes considérables. Voyant les Carthaginois peu en état de 
soutenir la guerre, par suite des ravages qu'avait faits la peste et 
de la révolte des Libyens , il décida de leur déclarer la guerre. 
Manquant de motifs légitimes, il donna pour prétexte que les 
Carthaginois avaient fait des incursions sur le territoire soumis 
à sa domination. Il mit donc en campagne trente mille hommes 
d'infanterie, trois mille cavaliers et trois cents trirèmes complè- 
tement équipées. Avec ces forces il envahit les possessions des 
Carthaginois. Il enleva sur-le-champ Sélinonte et Ëntelle, rava- 
gea toute la campagne, se rendit maître de la ville d'Éryx et as- 
siégea Lilybée ; mais cette place étant défendue par une forte 
garnison , il leva bientôt le siège. Informé que le chantier des 

• 

Carthaginois avait été brûlé , et pensant que toute leur flotte 
avait été détruite, il se flatta de n'avoir plus rien à redouter de 
leur part. Il détacha donc de sa propre flotte, composée de cent 
trente trirèmes, les meilleurs bâtiments, et les fit entrer dans le 
port d'Éryx, tandis qu'il renvoya les autres à Syracuse. Cependant 
les Carthaginois armèrent inopinément deux cents navires qui 
vinrent attaquer les bâtiments de Denys au moment où ils en- 
traient dans le port d'Éryx. Cette attaque imprévue coûta à De- 
nys la meilleure partie de sa flotte. Comme l'hiver approchait , 
les parties belligérantes conclurent une trêve et se retirèrent 



LIVRE XV. 69 

dans leurs villes respectives. Peu de temps après, Denys fut at- 
teint d'une maladie dont il mourut, après un règne de trente-huit 
ans. Il eut pour successeur son fils Denys, qui fut pendant douze 
ans tyran de Syracuse. 

LXXIV. Il n'est point hors de propos de raconter ici les causes 
de la mort de Denys et les circonstances qui raccompagnèrent. 
Denys avait fait représenter aux fêtes de Bacchus, à Athènes, 
une tragédie, et il remporta même le prix. Un dos chanteurs du 
chœur, se flattant de recevoir une hrillanie récompense s'il 
venait le premier annoncer cette nouvelle à Denys , se rendit à 
Corinthe et de là s'embarqua pour la Sicile. Secondé par des 
vents favorables, il entra bientôt à Syracuse et s'empressa d'an- 
noncer au tyran sa victoire. Denys combla ce messager de pré- 
sents , se livra à une joie immodérée, sacrifia aux dieux pour 
cette bonne nouvelle , et donna des banquets et de grands fes- 
tins. Traitant ainsi splendidement ses amis et s'enivrant de bois- 
sons , il tomba dans une grave maladie, causée par la grande 
quantité des liquides qu'il avait pris. Un oracle lui avait prédit 
qu'il mourrait lorsqu'il aurait vaincu des ennemis supérieurs à 
lui. Denys avait appliqué cet oracle aux Carthaginois qu'il regar- 
dait comme plus forts que lui. Aussi, chaque fois qu'il était on 
guerre avec eux il avait l'habitude de se retirer après la victoire, 
ou de se laisser vaincre volontairement, afin qu'il n'eût pas l'air 
de l'emporter sur un ennemi plus fort. Mais il ne réussit pas 
par ce subterfuge h vaincre la nécessité du destin. Mauvais 
poëte, et jugé comme tel à Athènes, il venait de vaincre des 
poètes supérieurs à lui. L'oracle reçut ainsi son accomplisse- 
ment. 

Denys le jeune, qui lui succéda à la tyrannie, convoqua le 
peuple en une assemblée générale, et l'engagea par des paroles 
bienveillantes à lui conserver l'affection qu'il avait eue pour son 
père. Il fit ensuite de magnifiques funérailles , ensevelit le corps 
de son père dans la citadelle, près des portes appelées royales, 
et chercha à consolider son autorité. 

LXXV. Polyzèle étant archonte d'Athènes, Rome était livrée 



70 DIODORE DE SICILE. 

à I*anarchie par des guerres intestines ^ En Grèce, Alexandre 
de Piières, sur des accusations portées contre les habitants de 
la ville de Scotusse, les convoqua en une assemblée générale; là 
il les lit entourer par ses mercenaires et égorger jusqu*au der- 
nier. Il jeta leurs cadavres dans le fossé en dehors des murailles 
et livra la ville au pillage. ^ 

Épaminondas le Théhain entra dans le Péloponnèse à la tête 
d'une armée , soumit les AcBëcns et quelques autres États. Il 
délivra Dyuie , Naupacte et Calydone des garnisons qae les 
Achéens y avaient mises. Les Béotiens entreprirent ensuite une 
expédition en Thessalie , et ramonèrent Pélopidas de la prison 
où Alexandre de Phères Tavait enfermé. 

Les Phliasiens étaient alors en guerre avec les Argiens. Charès 
fut envoyé à leur secours et délivra les Phliasiens. Vainqueur des 
Argiens dans deux combats, il rassura les Phliasiens et revint à 
Athènes. 

LXXVI. L*année étant révolue, Céphisodore fut nommé ar- 
chonte d'Athènes , et les Romains élurent, au lieu de consuls, 
quatre tribuns militaires, Lucius Furius, Paulus Manlius, Ser- 
vius Sulpicius et Servius Cornélius ^. Dans cette année, Thémé- 
sion, tyran d'Érétrie, prit la ville d'Orope et l'enleva sans motif 
aux Athéniens. Ceux-ci dirigèrent donc contre lui une armée 
nombreuse ; les Thébains arrivés au secours du tyran, prirent la 
ville, la gardèrent en dépôt, et ne la rendirent plus. 

Dans cet intervalle, les habitants de l'île de Cos se transportè- 
rent dans la ville qu'ils occupent encore aujourd'hui, et l'em- 
bellirent beaucoup. Cette ville se remplit d'un grand nombre 
d'habitants , reçut de fortes murailles et un port magnifique. 
Depuis celle époque, les revenus et les richesses de ses habitants 
sont toujours allés en augmentant; enfm elle put rivaliser avec 
les premières villes. 

A cette même époque , le roi des Perses envoya de nouveau 
une députation aux Grecs pour les engager à cesser leurs guerres 

' Dcuxirnio année de la cni« olympiade ; année 367 avant J.-C. 
' Troisième année de la ciii« olympiade ; année 366 avant J.-C. 



LIVRE XV. 71 

et à conclure entre eux une paix générale. CVst là que se ter- 
mine la guerre laconique et béotique, qui avait duré cinq ans à 
dater de la bataille de Leuctres. 

Dans ce temps vivaient des hommes célèbres par l^ur savoir : 
Isocrate le rhéteur, et ses disciples, Aristote le philosophe, 
Anaxiraène de Lampsaque * , Platon l'Athénien et les derniers 
philosophes de la secte pythagoricienne ^, Xénophon l'historien, 
qui est parvenu à un âge très-avancé ^ (car il parlait encore de la 
mort d'Épaminondas, arrivée peu de temps après). A ces noms 
on peut ajouter Aristippe, Antisthène et ^Echine le Sphettien, 
de l'école de Socrate. 

LXXVIT. Chion étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent, au lieu de consuls, des tribuns militaires, Quintus Ser- 
vins, Caïus Véturius , Aulus Cornélius , Marcus Cornélius et 
Marcus Fabius \ Toute la Grèce jouissait de la paix , lorsqu'il 
se manifesta de nouveau dans plusieurs villes des germes 
de guerre et une fureur d'innovation extraordinaire. Les exilés 
de l'Arcadie sortirent de l'Élide et s'emparèrent , dans la 
Triphylie, d'une place forte nommée Lasion. Depuis longtemps 
déjà les Arcadiens et les Éliens se disputaient la possession de 
la Triphylie ; les uns et les autres avaient été alternativement 
maîtres du pays, selon les chances de la guerre. La Triphylie 
était alors occupée par les Arcadiens; les Éliens la leur enlevè- 
rent sous le prétexte de défendre la cause des exilés. Les Arca- 
diens irrités leur envoyèrent d'abord une députation pour de- 
mander la reddition de la place; mais comme cette demande fut 
refusée , ils allèrent implorer le secours des Athéniens qui leur 
envoyèrent des troupes pour les aider à reprendre Lasion. Les 
Éliens, de leur côté, vinrent au secours des exilés, et livrèrent 



^ Anaxiimènc de Lampsaquc avait (^crit l'histoire ancienne des Grecs jus([u^à la 
bataille de Mantinée. 

' Ces philosophes étaient Archylas , Timée , Xénophile , Phaëton . Éi'.liécratc , 
Dioclès et Polymastus. Voyez Diogène de Laërte, VHI , 46. 

' Xénophon, dans la première année de la cv* olympiade, avait plus de quatre^ 
vingt-six ans. 

* Quatrième année de la cm* olympiade ; année 805 avant J.-C. 



72 DIODORE DE SICILE. 

un cotiibal près do Lasioii. Mais comme les Arcadiens étaient 
supérieurs en nombre, les Éliens furent vaincus et laissèrent 
plus de deux cents hommes sur le champ de bataille. Ce fut là 
le commei\cement d'une guerre de plus en plus acharnée entre 
les Arcadiens et les Éliens ; car les Arcadiens , exaltés par leurs 
succès, envahirent TÉlide et prirent les villes de Margane, de 
CrOnium, de Cyparissia et de Coryphasium. 

Tandis que ces choses se passaient , en Macédoine, Ptolémée 
l'Alorite périt par la trahison de son frère Perdiccas, après un 
règne de trois ans. Son successeur, Perdiccas, fut pendant cinq 
ans roi de la Macédoine. 

LXXVIII. Timocrate étant archonle d'Athènes, les Romains 
nommèrent, au lieu de consuls, trois tribuns militaires, Titus 
Quintius, Servius Cornélius et Servius Sulpicius. Les Pisates et 
les Arcadiens célébrèrent la CLV^ olympiade, dans laquelle Pho- 
cidès l'Athénien remporta le prix à la course du stade ^ En ce 
temps , les Pisates renouvelèrent une ancienne prétention de 
leurs ancêtres; s'appuyant sur quelque tradition antique et fa- 
buleuse, ils soutenaient que la présidence des jeux olympiques 
leur revenait de droit. Pensant que le moment actuel était favo- 
rable pour faire valoir cette prétention , ils firent alliance avec 
les Arcadiens qui étaient en guerre avec les Éliens. Réunis à 
ces alliés, ils allèrent attaquer les Éliens, qui célébraient préci- 
sément les jeux olympiques. Les Éliens accoururent de toutes 
parts pour se mettre en défense ; il se livra un combat acharne 
en présence même des Grecs qui assistaient déjà tout couronnés 
ù la solennité, et qui , .spectateurs tranquilles, applaudissaient 
à la bravoure des combattants. Enfin, les Pisates l'emportèrent 
et présidèrent les jeux. Les Éliens n'inscrivirent point celte 
olympiade dans leurs annales comme ayant été célébrée par vio- 
lence et contre les règles de la justice. 

Dans ce même temps, Épaminondas le Thébain , jouissant 
d'une immense réputation parmi ses concitoyens, convoqua une 
assemblée générale dans laquelle il exhorta les Thébains à saisir 

' Pieiiiièiv iiuiiéo do la civ«^ ulyiupiade ; aunéc 364 avant J.-C. 



UVRE XV. 73 

l'empire de la mer. Dans un discours longuement médité il 
exposa i'ulililé et la facililé de celte entreprise, et allégua entre 
autres que ceux qui étaient maîtres sur terre seraient aussi faci- 
lement maîtres sur mer. Il citait pour preuve les Athéniens qui, 
bien que , dans la guerre de Xeiicès , ils eussent fourni deux 
cents navires, avaient été soumis aux Lacédémoniens qui n*en 
avaient fourni que dix. Enfin, après avoir apporté beaucoup d'au- 
tres raisons à l'appui de sa proposition , il parvint à persuader 
les Thébains à prétendre à l'empire de la mer. 

LXXIX. Le peuple décréta donc sur-le-champ la construc- 
tion de cent trirèmes et un nombre égal de chantiers ; en même 
temps il engagea les habitants de Rhodes, de Chio et de Byzance 
à le seconder dans sou entreprise. Épaminondas lui-même fut 
envoyé avec une armée dans toutes ces villes, afin de tenir 
en bride le général athénien Lâchés , qui commandait une 
flotte puissante et qui avait reçu la mission de s'opposer aux ten- 
tatives des Thébains. Épaminondas le força à quitter ces parages 
et maintint ces villes dans le parti des Thébains. £nnn, si cet 
homme avait vécu plus longtemps, les Thébains, de l'aveu de 
tout le monde , seraient devenus les maîtres sur terre et sur 
mer. Mais il mourut peu de temps après, d'une mort héroïque, 
dans la bataille de Mantinée, en procurant à sa patrie la plus 
brillante victoire ; et avec lui tomba immédiatement la grandeur 
des Thébains. Mais nous en parlerons plus loin avec détail. Pour 
lors les Thébains résolurent de marcher sur Orchomène. Voici 
pourquoi. Quelques bannis, \oulant donner à Thèbes une con- 
stitution aristocratique, invitèrent trois cents cavaliers orchomé- 
niens à prendre part à cette entreprise. Ces cavaliers, qui 
sortaient d'habitude à un jour fixe de Thèbes pour passer la 
revue, convinrent entre eux de choisir ce moment pour l'exé- 
cution du projet. Beaucoup d'autres persoimes s'y étaient 
associées, et arrivèrent également au moment indiqué. Mais 
les instigateurs du complot se ravisèrent, dénoncèrent toute la 
trame aux béotarques et s'assurèrent , par la trahison de leurs 
complices, le pardon de leurs crimes. Les magistrats se saisirent 

III. 7 



lli DIODORE DE SICILE. 

aussitôt des ca?aliers d*Orchomènc, et après les avoir fait com- 
paraître devant rassemblée, le peuple les condamna tous à mort; 
de plus, il décréta que les Orchoméniens seraient réduits à l'es- 
clavage et leur ville renversée de fond en comble. Depuis long- 
temps les Thébains étaient ennemis des Orchoméniens ; dans les 
temps héroïques, ils payaient aux Minyens un tribut dont ils 
furent délivrés ensuite par Hercule. Croyant donc le moment 
propice et se servant de quelque prétexte plausible pour justifier 
leur vengeance , les Thébains marchèrent sur Orchomène. Ils 
s'emparèrent de cette ville , tuèrent tous les habitants adultes, 
et vendirent les enfants et les femmes comme esclaves. 

LXXX. A cette même époque les Thessaliens étaient en 
guerre avec Alexandre, tyrîîn de Phèros. Vaincus dans plu- 
sieurs batailles , ils avaient perdu beaucoup de monde. Ce 
fut alors qu'ils envoyèrent des députés aux Thébains pour leur 
deniander des secours et Pélopidas pour chef; car ils savaient que 
celui-ci était personnellement irrité contre le tyran Alexan- 
dre qui Tavait jeté en prison, et ils le connaissaient en même 
temps pour un homme renommé par sa bravoure et son ta- 
lent stratégique. Les Béotiens se réunirent en une assemblée 
générale, et , après avoir pris connaissance de la mission des 
envoyés, ils accordèrent tout ce que les Thessaliens leur de* 
mandaient. Ils firent partir sur-le-champ une armée de sept 
mille hommes, sous les ordres de Pélopidas. Au moment 
011 Pélopidas se mit en route à la tête de son armée , il ar- 
riva une éclipse de soleil. Ce phénomène répandit l'alarme ; 
quelques devins déclarèrent que, par le départ de l'armée 9 
Thèbes allait perdre son soleil, paroles qui présagèrent la mort 
(le Pélopidas. Mais ce général n'en continua pas moins sa mar- 
che, poussé par la fatalité. Arrivé en Thessalie,il trouva Alexan- 
dre occupant une position très-forte avec plus de vingt mille 
hommes ; il établit son camp en face de l'ennemi , et , après 
jonction avec les troupes auxiliaires des Thessaliens, il engagea 
le combal. Alexandre eut l'avantage, grâce à la position qu'il occu- 
pait. Pélopidas, empressé de décider, par sa propre valeur, le sort 



LIVRE XV. 75 

de la bataille, marcha droit sur Alexandre. Le tyran tint ferme 
avec son corps d'élite ; la mêlée devint sanglante : Pélopidas fît 
des prodiges de valeur; tout le champ de bataille autour de lui 
fut jonché de cadavres. Enfin, s'exposant aux plus graves dan- 
gers , il mit Tennemi en déroute et remporta la victoire. Mais 
cette victoire lai coQta la vie; criblé de blessures, il mourut 
en héros. Alexandre , une seconde fois mis en déroule et pressé 
de tous côtés, fut obligé, par une capitulation, de rendre aux 
Thessaliens toutes les villes qui faisaient le sujetde la guerre , de 
restituer au pouvoir des Béotiens les Magnètes et les Âchéens de 
la Phthiotide, en un mot, de se contenter de la souveraineté de 
Phères et du titre d*allié des Béotiens. 

LXXXI. Bien qu'ils eussent remporté une victoire signalée, 
les Thébains publiaient partout que la mort de Pélopidas était 
pour eux une défaite. La perte de cet illustre général leur parut 
avec raison un revers plus grand que leur victoire. En effet, il 
avait rendu de nombreux et d'immenses services à sa patrie, et 
contribué le plus à l'accroissement de la puissance des Thébains. 
Dans l'entreprise des bannis qui reprirent la Gadmée, ce fut h 
lui que, de l'aveu de tout le monde, on dut le succès, et ce pre- 
mier succès fut la source de tous ceux que les Thébains ob- 
tinrent par la suite. Dans la bataille de Tégée*, Pélopidas qui 
commandait seul comme béotarque , mit en déroute les Lacé- 
démonieas, les plus puissants des Grecs. Aussi les Thébains cé- 
lébrèrent-ils cette victoire signalée en élevant le premier tro- 
phée sur les Lacédémoniens. Dans la bataille de Leuctres, il était 
à la tête de la cohorte sacrée ' qui enfonça les lignes Spartiates et 
décida de la victoire. Dans les diverses campagnes dirigées contre 
Lacédémone, il eut sous ses ordres plus de soixante-dix mille 
hommes, et éleva à la porte même de Sparte un trophée, mo- 
nument de la déroute des Lacédémoniens, qui jusqu'alors n'a- 



» Wesseling pense qu'il faut lire rrfflfyr«, près d'Orchomène, d'après Plu tarquo 
( Pélopidas ). 

' La cohorte sacrée se composait de trois cents hommes d'élite. Elle fut eroée 
par Gorgidas. Voyez Plutarque ( Pélopidas ). 



76 niODORE DE SICILE. 

vaient jamais été altaqués sur leur territoire. Envoyé aoprès du 
roi des Perses, au sujet du traité de paix universelle de la Grèce, 
il prit à cœur Tintérêlde Messine, que lesThébains reconstrui- 
sirent trois cents ans après sa destruction. Enfin, il combattit 
Alexandre qui avait des troupes bien plus nombreuses que lui, 
et remporta une victoire éclatante en même temps qu'il eut une 
mort glorieuse. La renommée de sa bravoure était si grande 
auprès de ses concitoyens, que , depuis le retour des bannis à 
Thèbes jusqu'à sa mort, aucun citoyen n*a osé lui disputer 
le rang de béotarque qu*il conserva toute sa vie. L'histoire de- 
vait ce tribut d*éloges aux qualités éminentes de Pélopîdas. 

Dans ce temps, Cléarque, natif d'Héraclée, dans le Pont, aspira 
à la tyrannie. Il vint h bout de son entreprise ; ayant pris pour 
modèle Denys , tyran des Syracusains , il déploya beaucoup de 
magnificence à Héraclée, et régna douze ans. 

A la même époque, Timothée, général des Athéniens, com- 
mandant h la fois Tarmée de terre et les forces navales , s'em- 
para, après un siège, de Torone et de Potidéc, et alla au secours 
des Cyzicéniens qui étaient alors assiégés. 

LXXXII. Chariclide étant archonte d'Athènes , les Romains 
nommèrent consuls Lucius Émilius Mamercus et Lucius Sextius 
Latéranus^ Dans cette année , les Arcadiens et les Pisans, qui 
avaient en commun présidé les jeux olympiques , se rendirent 
maîtres du temple et des trésors qu'il renfermait \ Les Mantl- 
uéens avaient appliqué à leurs propres usages une grande par- 
tie des offrandes sacrées. Ces sacrilèges tenaient donc beaucoup 
à entretenir la guerre contre les Éliens, afin que, si la paix ve- 
nait à se conclure , ils ne fussent pas obligés de rendre compte 
de ce qu'ils avaient ravi. Mais, comme les autres Arcadiens in- 
clinaient pour la paix, la discorde éclata parmi ces peuples. Il se 
forma deux factions ; l'une avait à sa tête les Tégéates, l'autre 
les Mantinéens. La querelle s'envenimant de plus en plus, on eut 
recours aux armes; les Tégéates envoyèrent des députés aux 

' Deuxième année de la civ* olympiade; année 363 tivanl J.-C . 
" Le temple de Jupiter en Élide. 



LIVRE XV. 77 

Béotiens pour solliciter leur intervention. Les Béotiens firent 
partir une armée considérable sous les ordres d*Épaminondas , 
qui vint au secours des Tégéates. Les Mantinéens redoutant la 
puissance des Béotiens et la renommée d*Épaminondas, envoyè- 
rent de leur côté des députés aux ennemis les plus déclarés des 
Béotiens , aux Athéniens et aux Lacédémoniens, pour les enga- 
ger à leur fournir des secours. Des corps auxiliaires furent 
promptement fournis, de part et d'autre, et le Péloponnèse de- 
vint le théâtre de combats nombreux et sanglants. 

Les Lacédémoniens, qui étaient les plus voisins, envahirent 
d*abord TArcadie. Épaminondas arriva en ce même moment à 
la tête de son armée ; à peu de distance de Mantinéc , il apprit 
que les Lacédémoniens en masse ravageaient le territoire des 
Tégéates. Jugeant donc que la ville de Sparte était laissée sans 
défense, il résolut de frapper un grand coup. Il profita de la nuit 
pour s'avancer sur Sparte. Agis S roi des Lacédémoniens, se dé- 
liant de l'astuce d'Épaminondas, prit toutes les mesures néces- 
saires pour conjurer l'orage ; il fit immédiatement partir quelques 
courriers crétois qui , devançant Épaminondas , vinrent avertir 
ceux qui étaient restés à Sparte que les Béotiens se dirigeaient 
en toute hâte sur Lacédémone , pour ravager la ville. Il an- 
nonça lui-même qu'il arriverait le plus promptement possible 
au secours de la patrie , et ordonna aux habitants de défendre 
leur ville avec intrépidité. 

LXXXIII. Les Cretois apportèrent rapidement ce message 
qui sauva la patrie des Lacédémoniens d'un danger inattendu ; 
car si cet avertissement n'était pas arrivé à temps, Épaminondas 
serait à l'improviste tombé sur Sparte. Si on voulait comparer 
avec impartialité la prévoyance de ces deux généraux , on don- 
nerait la palme au général lacédémonien. Épaminondas, pressé 
de franchir la distance qu'il avait à parcourir, marcha toute la 
nuit , et à la pointe du jour il se trouva aux portes de Sparte. 

' Le roi des Lacédémoniens s'appelait alors Agésilas , dont Xcnophon a fait un 
éloge peut-être immérité. Voyez les notes de Palmérius et Wesseling, dans le 
tome VI, p. 669 de redit, biponi. 

IlL 7. 



78 DIODORE DE SIQLE. 

Cependant Agésilas, à qui avait été laissée la défense de la Tille, 
sur Tavcrtisscment qu'il avait reçu des Cretois, avait pris atissitfyt 
toutes les mesures nécessaires pour mettre la ville en état de résis- 
ter à Tennemi. Il fit monter sur le toit des maisons les enfants 
les plus âgés et les vieillards , et leur ordonna de repousser les 
ennemis qui tenteraient de pénétrer dans la ville. Quant aux 
jeunes gens en élat de porter les armes, il les distribua dans les 
passages et les rues de la ville, et après avoir barricadé tontes les 
avenues abordables, il attendit de pied ferme Tassant de l'en- 
nemi. Épaminondas avait divisé son armée en plusieurs déta- 
chements, se proposant d'attaquer la ville sur tous les points à 
la fois ; mais lorsqu'il vit les dispositions qu'avaient prises les 
Spartiates, il reconnut aussitôt que son projet était découvert. 
Néanmoins, malgré ces dispositions et malgré la difficulté des 
lieux, il n'hésita pas à en venir aux mains; bien qu'il eût bean- 
coup souffert, il ne se désista point de son entreprise et persévéra 
jusqu'au moment où l'armée des Lacédémoniens revint à Sparte. 
Alors les assiégeants étant soutenus par des troupes nombreuses, 
il leva le siège à l'entrée de la nuit. 

LXXXIV. Averti par des prisonniers de guerre que les Man- 
tinéens venaient de tous côtés au secours des Lacédémoniens , 
Épaminondas se mit en retraite et établit son camp à peu de dis- 
tance de Sparte. Il fit ensuite prendre le repas à ses troupes et 
laissa quelques cavaliers dans le camp avec l'ordre d'allumer des 
feux jusqu'au matin, tandis que lui-même fit une marche forcée 
pour surprendre les détachements que l'ennemi avait laissés à 
Mantinée. Il franchit ainsi une longue distance et fondit le len- 
demain à {'improviste sur les Manlinéens. Mais son habileté fnt 
encore en défaut, et il manqua l'entreprise. Un destin contraire 
lui enleva la victoire , car au moment même où il approchait 
d'une ville sans défense , il arrivait du côté opposé de Mantinée 
un corps auxiliaire envoyé par les Athéniens ; ce corps était formé 
de six mille hommes, et avait pour chef Hégéloque , un des ci- 
toyens les plus considérés d'Athènes. Celui-ci fit entrer. dans la 
ville un détachement suffisant, et se disposa au combat avec le 



LIVRE XV. 79 

reste de ses troupes. Aussitôt apparurent à leur tour les Lacédé- 
moniens et les Mantinéens qui , appelant à eux tous leurs alliés, 
se tinrent prêts à livrer une bati^lle décisive. Les Éliens, les La- 
cédémoniens, les Athéniens, et quelques autres alliés, au nombre 
de plus de vingt mille hommes d'infanterie et de deux mille ca- 
valiers, étaient venus au secours des Mantinéens. Les Tégéates 
avaient pour auxiliaires les peuples les plus puissants de l'Arca- 
die, les Achéens, les Béotiens, les Argiens et quelques autres 
alliés, tirés du Péloponnèse ou du dehors. Toute cette armée s'é- 
levait à plus de trente mille hommes d'infanterie et ne comptait 
pas moins de trois mille cavaliers. 

. LXXXV. Les deux armées étaient déjà en présence et prêtes 
à livrer une bataille décisive , lorsque les devins déclarèrent , 
d'après l'inspection des victimes, que les dieux promettaient 
une victoire égale des deux côtés. [ Voici l'ordre de bataille. ] 
Les Mantinéens , réunis à quelques autres Arcadiens, formaient 
l'aile droite, s'appuyant sur le renfort des Lacédémoniens; ve- 
naient ensuite les Éliens , les Achéens et quelques autres al- 
liés plus faibles, qui occupaient le centre ; les Athéniens compo- 
saient l'aile gauche. Dans l'armée opposée, les Thébains étaient 
placés à l'aile gauche et s'appuyaient sur les Arcadiens; l'aile 
droite était confiée aux Argiens. Le centre était occupé par les 
Eubéen^ , les Locriens, les Sicyoniens ; puis par les Messéniens, 
les Maliens, les JËnians, les Thessaliens et les autres alliés. La 
cavalerie fut placée sur les flancs dans les deux armées. Ces dis- 
positions prises, les deux armées s'avancèrent l'une vers l'autre, 
les trompettes sonnèrent la charge , les soldats poussèrent le cri 
de guerre dont le retentissement présageait la victoire. Le com 
bat s'engagea d'abord aux flancs, entre la cavalerie; des deux 
côtés on se surpassa en valeur. Si les cavaliers athéniens fléchi- 
rent devant les cavaliers thébains, ce ne fut pas parce qu'ils man- 
quaient de courage ni d'expérience militaire (car la cavalerie 
athénienne ne le cédait, sous ce rapport, à aucune autre cavale- 
rie) , mais parce que l'ennemi était bien supérieur en nombre 
et soutenu par des troupes légères. En effet, les Athéniens n'a- 



80 DIODORE DE SICILE. 

vaicnt que très-peu de gens de trait, pendant que les Thébains 
avaient trois fuis plus d*archers et de frondeurs , qu'ils avaient 
fait venir de la Thessalie. Car dans ce pays les hommes sont 
exercés à la guerre dès leur enfance et acquièrent ainsi une ap- 
titude militaire qui décide du sort des batailles. Ainsi donc, ac- 
cablés de traits lancés par le^ troupes légères et maltraités par 
la cavalerie, les Athéniens furent ébranlés et mis en fuite. Mais 
à peine se trouvaient-ils hors des ailes qu'ils revinrent à la 
charge; car malgré leur retraite ils ne rompirent point leur pha- 
lange, et, tombant aussitôt sur les Eubéens, ainsi que sur quel- 
ques mercenaires envoyés pour occuper les hauteurs voisines , 
ils leur livrèrent un combat sanglant et les firent tous passer au 
fil de répée. La cavalerie thébaine ne se mit point à la poursuite 
des fuyards; elle se porta sur la phalange de Fiiifanterie, et tenta 
de l'enfoncer. Le combat devint acharné; les Athéniens plièrent, 
et ils étaient déjà près de prendre la fuite, lorsque le cx)mmandant 
de la cavalerie des Éliens, qui était placé à l'arrière-garde , ar- 
riva à leur secours, et, rompant les rangs des Béotiens, fit 
changer la face du combat. La cavalerie des Éliens qui s*était 
ainsi montrée à l'aile gauche répara l'échec des alliés. A l'aile 
opposée, la cavalerie eut aussi un engagement, et le combat resta 
quelque temps indécis ; mais bientôt le nombre et la bravoure 
des cavaliers béotiens et thessaliens l'emportèrent : les Manti- 
néens furent forcés de céder, et ils se replièrent sur leur pha- 
lange en laissant beaucoup de monde sur le champ de bataille. 
LXXXVL' Telle fut l'issue du combat entre les cavaliers. 
L'infanterie en vint aux mains à son tour ; elle soutint de grandes 
et terribles luttes. On n'avait pas encore vu une armée de Grecs 
contre Grecs aussi nombreuse des deux côtés, ni de chefs aussi 
célèbres, ni de guerriers aussi puissants et braves. Les peuples 
alors les plus renommés pour leur infanterie, les Béotiens 
et les Lacédémouiens, se trouvaient alors en face l'un de Tau- 
tre, prêts à se battre en désespérés. Ils se servirent d'abord de 
leurs lances qui, pour la plupart, furent brisées par la fréquence 
des coups. Ils en vinrent bientôt à l'épée, àla lutte corps à corps. 



rnnRE xv. 81 

et , malgré les nombreuses blessures qu*ils se portaient récipro- 
quement , leur ardeur guerrière ne diminua point. Ce combat 
désespéré dura longtemps, et l'excès de bravoure qu*on y dé- 
ployait des deux côtés laissa la victoire incertaine. Chacun , au 
mépris de sa vie, voulait se distinguer par un fait d*armes et lais- 
ser après iioi une gloire immortelle. Le combaten était là lors- 
qu*Épaminondas jugea qu*il était temps de faire lui-même preuve 
de valeur pour décider la victoire. Il réunit donc autour de lui 
, les meilleurs guerriers et tomba avec ce bataillon d*élite au mi- 
lieu de Tarmée ennemie. Ce fut à la tête de ce bataillon qu*il se 
précipita d*ahord sur le chef des Lacédémoniens et le frappa 
d*un coup de lance. Répandant autour de lui répouvante et 
la mort , il enfonça la phalange ennemie. Les Lacédémoniens , 
étourdis de la bravoure d*Épaminondas et de la pesanteur des 
coups qu*il portait, lâchèrent pied et abandonnèrent le champ de 
bataille. Les Béotiens et les autres rangs qui leur succédaient con- 
tinuèrent le carnage et amoncelèrent des monceaux de cadavres. 

LXXXVIL Cependant les Lacédémoniens , s*apercevant 
qu*Épaminondas se livrait avec trop d*ardeur à leur poursuite, 
firent volte-face et se ruèrent tous sur lui. Aussitôt il fut accablé 
d*une grêle de flèches. Épaminondas tantôt évitait ces projec- 
tiles, tantôt les parait avec son bouclier, et il en arrachait quel- 
ques-uns de son corps qu'il renvoyait à Tennemi pour sa propre 
défense ; enfîn il se battait en héros et était près de remporter la 
victoire , lorsqu'il reçut un coup mortel dans la poitrine. La 
lance se brisa et le fer resta dans la plaie : Épaminondas tomba 
épuisé. On se battit avec acharnement autour de son corps et 
on essuya des pertes réciproques; enfin, grâce à leur force phy- 
sique, les Thébains parvinrent, quoique avec peine, à défaire 
les Lacédémoniens. Les Béotiens ne les poursuivirent pas long- 
temps , mais ils revinrent sur leurs pas , considérant comme la 
chose la plus importante de rester maîtres de leurs morts ^ 

Les trompettes sonnèrent donc la retraite, et la victoire pa- 
raissant douteuse, des deux côtés on éleva un trophée. En effet, 

' C'était une preuve qu'on était maître du champ de bataille. 



82 DIODORE DE SICILE. 

les Aihéiiiens qui avaient vaincu les Ëubéens et les merce- 
naires occupant les hauteurs , étaient en possession des morts ; 
et les Béotiens qui avaient mis en déroute les Lacédémoniens, 
étaient de leur côté maîtres du champ de bataille et s'attribuaient 
la victoire. Ainsi, on resta quelque temps sans s'envoyer des dé- 
putés pour traiter de renlèvement des morts ; car personne ne 
voulait s*avouer vaincu. Enfin les Lacédémoniens envoyèrent les 
premiers des hérauts à ce sujet ; et des deux côtés on donna la 
sépulture aux morts. Cependant , Épaminondas encore en vie 
avait été transporté dans le camp , et les médecins convoqaés 
déclarèrent qu'il mourrait lorsqu'on aurait retiré le fer de la 
plaie. Il supporta la mort avec un courage héroïque. Il Gt d'abord 
venir son écuyer et lui demanda si le bouclier était sauvé. L*é- 
cuyer répondit affirmativement. Puis , après avoir fait placer 
le bouclier devant ses yeux , Épaminondas demanda de quel 
côté était la victoire. L'écuyer répondit que les Béotiens étaient 
vainqueurs. » Ëhbien, reprit-il, je puis mourir maintenant; » 
et il ordonna qu'on lui arrachât le fer. Ses amis qui l'environ- 
naient éclatèrent en gémissements et l'un d'eux s'écria en pleu- 
rant : « Ah ! Épaminondas, faut-il que tu meures sans enfants. 
— De par Jupiter, reprit Épaminondas , cela n'est pas ; car je 
laisse deux iilles , la victoire de Leuctres et celle de Mantinée« » 
Le fer fut extrait , et Épaminondas expira tranquillement K 

LXXXYIII. Gomme nous nous sommes fait un devoir de 
payer h la mort de tous les braves un tribut d'éloges, il serait 
impardonnable de passer sous silence la fin d'un homme tel 
qu' Épaminondas. Je pense donc qu'Ëpaminondas a surpassé tous 
les hommes de son temps, en science militaire, en douceur et 
en magnanimité. Et pourtant à cette époque il y eut aussi des 
hommes illustres : Pélopidas chez les Thébains; Timothôe, Go- 
non, Ghabrias et Iphicrate chez les Athéniens; enfin Agésilas le 
Spartiate qui vivait un peu avant cette époque. Dans des temps 
plus reculés, à l'époque des guerres des Mèdes et des Perses, 

• Comparez Cicéron, Epistolœ ad familiareSy V, i2 ; d« Finibus, II, 30. Pau- 
sanias , IX , 1 5 ; Justin , VI , 8. 



LIVRE XV. 83 

on rencontre Solon, Tbémistocle, Miltiade, Gimon , Myronide, 
Périclès et quelques autres généraux chez les Athéniens; en Si- 
cile, Gélon, fils de Dlnomène, et d'autres encore. Mais, lorsqu'on 
compare les qualités éminentes de tous ces hommes avec la 
science et la réputation militaires d*Épaminondas , on trouve ce 
dernier bien supérieur aux autres : chacun de ces hommes il- 
lustres offre un élément de gloire , tandis qu*Épaminondas réu- 
nit à lui seul toutes les grandes qualités : la vigueur du corps, 
la force de l'éloquence, l'élévation de l'âme , le désintéressement, 
la générosité et, avant tout, la bravoure et l'habileté stratégique. 
Tant qu'il vécut, sa pairie eut l'empire de la Grèce ; elle le per- 
dit à la mort d'Épaminondas et alla en déclinant jusqu'à ce 
qu'enfin, par l'impéritie de ses chefe, elle fut réduite à l'escla- 
vage et s'achemina vers sa ruine. Telle fut la fin d'Épaminon- 
das , de cet homme qui s'était illustré par ses vertus. 

LXXXIX. Après cette bataille, les Grecs, qui s'étaient disputé 
la victoire et qui tous avaient rivalisé d'ardeur guerrière , fati- 
gués de leurs guerres continuelles, entrèrent en négociation et 
conclurent une paix générale ainsi qu'une alliance réciproque 
dans laquelle ils admirent également les Messéniens. Les Lacé- 
démonieus, animés d'une haine implacable contre les Messe- 
niens , refusèrent , pour ne pas se trouver en contact avec les 
Messéniens, de signer les conditions de la paix, et, seuls de tous 
les Grecs, ils restèrent exclus du traité. 

Dans cette même année, et à la mort d'Épaminondas, Xéno* 
phon l'Athénien termine son histoire des Grecs. Anaximène de 
Lampsaque, qui a écrit l'histoire primitive des Grecs, en com- 
mençant à la théogénie et à l'origine du genre humain, termine 
également son ouvrage à la bataille de Mantinée et à la mort 
d'Épaminondas. Cet ouvrage, qui comprend presque toute l'his-* 
toire des Grecs et des Barbares, est divisé en douze livres. Enfin 
Philistus, qui a écrit l'histoire de Denys le jeune, termine à la 
même époque son ouvrage, divisé en deux Uvres, comprenant 
un espace de cinq ans. 

XC. Molon étant archonte d'Athènes, les Romains élurent 




su DIODORE DE SICILE. 

pour consuls Lucius Génucius et Quinlus Servilius^ Dans cette 
année, les peuples du litloral de J*Âsie secouèrent le joog des 
Perses ; quelques satrapes et généraux prirent part à celte révolte 
et déclarèrent la guerre à Ârtaxerxès. En même temps, Taches , 
roi des Égyptiens, résolut de faire la guerre aux Perses; il équipa 
une flotte et leva une armée de terre. Il tira des villes grecques un 
grand nombre de soldats qu*il prit à sa solde, et engagea les Lacé^ 
démoniens à embrasser son parti. Les Spartiates étaient alors mé- 
contents d*Artaxerxès , parce que ce fui \^r Tintervention de ce 
roi que les Messéniens avaient été compris dans le traité de paix 
générale que les Grecs venaient de conclure. Cette ligue formée 
contre les Perses força le roi à faire des préparatifs de guerre. Il 
lui fallait tout à la fois tenir tête au roi d*Égypie, aux villes grec^ 
ques de TAsie, aux Lacédémoniens et leurs alliés, ainsi qu'aux 
satrapes et généraux qui couimandaient sur les côtes, et que la 
conspiration avait réunis. Parmi ces derniers , on remarquait 
surtout Ariobarzane, satrape de la Phrygie , qui, à la mort de 
31ilhridate , était devenu maître du royaume de ce dernier' ; 
Mausolc, souverain de la Carie, de plusieurs forteresses et de 
villes considérables dont la principale était Halicarnasse, la mé- 
tropole , avec une citadelle et le palais du roi; Oronte, sa- 
trape de la Mysie; Autophradate, satrape de la Lydie; enfin, les 
peuples d'origine ionienne, les Lyciens, les Pisidens, les Pamphi- 
liens, les Ciliciens ; puis, les Syriens, les Phéniciens et presque 
tous les habitants de la côte. Ce soulèvement fut si général que le 
roi perdit la moitié de ses revenus et que le reste ne suffisait pas 
pour subvenir aux frais de la guerre. 

XCI. Les rebelles choisirent Oronte pour généralissime. Dès 
qu'il fut investi du commandement suprême, et qu'il eut reçu 
des sommes considérables pour enrôler des troupes et fwur payer 
d'avance à vingt mille hommes une année de solde, il trahit ceux 
qui s'étaient confiés à lui. Se flattant que le roi le comblerait de 
présents et lui donnerait toute la satrapie maritime s'il livrait 

' Troisième année de la civ« olympiade; année 362 avant J.'^C. 
' Voyez Cornelivis Nepos , Datâmes, lo. 




LIVRE XV. 85 

les rebelles aux mains des Perses, il fil d*abord arrêter ceux qui 
lui apportaient l'argent et les envoya prisonniers à Artaxerxès. 
Ensuite il livra aux émissaires du roi un grand nombre de villes 
et les troupes étrangères. Il se fit, dans la Cappadoce, une trahi* 
son semblable qui présentait cependant quelques circonstances 
particulières. Artabaze, général du roi, entra dans la Cappadoce 
avec une forte armée; Datame, satrape de cette province, mar« 
cha contre lui après avoir rassemblé une cavalerie nombreuse et 
vingt mille hommes de troupes étrangères qu'il avait prises à sa 
solde. 31aisle beau-père de Datame qui commandait la cavalerie 
et qui voulait rentrer en grâce auprès du roi et veiller en même 
temps à sa propre sûreté, déserta la nuit avec toute sa cavalerie 
et gagna les rangs ennemis, ainsi qu'il en était convenu la veille 
avec Artabaze. Aussitôt Datame appela ses mercenaires sous les 
armes, et, leiu* promettant des récompenses, il se mit à la pour- 
suite des déserteurs qu'il atteignit au moment où ils allaient join- 
dre l'ennemi. Attaquant tout à la fois l'armée d'Arfabaze et la ca* 
Valérie qui venait de le trahir, il tua tous ceux qui lui tombèrent 
sous la main. Artabaze, ne sachant à quoi s'en tenir, et soupçon- 
nant que cette défection du beau-père de Datame n'était qu'un 
piège , ordonna à ses soldats de tailler en pièces les cavaliers 
transfuges. Mithrobarzai|^ [c'était le nom de ce beau-père], at- 
taqué ainsi des deux côtés et traité comme un traître, fut ré- 
duit aux ubois. Il ne lui resta d'autre moyen que de recourir à 
la force ; il se battit contre les deux assaillants et fit un grand 
carnage. Enfin, après avoir perdu plus de dix mille hommes, 
Datame fit sonner la retraite et rappela ses soldats de la poursuite 
des fuyards. Tout ce qui resta encore de cette cavalerie se réu- 
nit à Datame qui accorda le pardon demandé ; quelques autres 
cavaliers , au nombre de cinq cents, ne sachant quel parti pren- 
dre , furent enveloppés par Datame et tués à coups de traits. 
Datame , déjà célèbre par ses connaissances stratégiques, ajouta 
encore dans cette circonstance à sa réputation de bravoure et de 
science militaire. Le roi Artaxerxès , instruit de cela . eut hâte 
de se défaire d'un chef aussi habile et le fit périr traîtreusement, 
m. 8 



86 DIODORE DE SIQLE. 

XCII. Tandis que ces événements aTaient lieu , Rhéomithrès 
avait été envoyé par les rebelles en Egypte auprès du roi Tachos ; 
il revint en Asie avec cinq cents talents* d*argentet cinquante 
vaisseaux longs , et aborda à Leucé. Il appela dans cette ville 
plusieurs chefs des insurgés, les fit arrêter et les envoya chargés de 
chaînes à Artaxerxès; et , quoi qu*il fût lui-même au nombre des 
rebelles, il rentra , par le service de sa trahison , en grâce au- 
près du roi. Cependant Tachos, roi d*Égypte, avait fait des pré- 
paratifs de guerre ; il avait équipé à grands frais deux cents 
trirèmes et pris à sa solde dix mille hommes d*é]ite qu'il avait 
fait venir de la Grèce; il avait, en outre, mis en campagne 
quatre-vingt mille fantassins égyptiens. Le corps des merce- 
naires était commandé par Agésilas le Spartiate, qui avait été 
envoyé par les Lacédémoniens avec un secours de mille hoplites; 
c'était un général admiré pour sa bravoure et son expérience 
militaire. La flotte était sous les ordres de Chabrias l'Athé- 
nien. Chabrias n'avait point été envoyé au nom du peuple athé- 
nien : il servait en son nom privé dans l'armée du roi. Enfin 
le roi s'était lui-même réservé le commandement en chef, contre 
l'avis d'Agésilas qui lui conseillait de rester en Egypte et de faire 
conduire la guerre par ses généraux. Mais le roi ne se rendit 
point à ce sage conseil. L'armée s'était déjà mise en mouvement 
et campait aux environs de la Phénicie , lorsque le roi apprit 
que le gouverneur de l'Egypte s'était révolté, avait entraîné dans 
l'insurrection Nectanebus , fils de Tachos, et lui avait envoyé des 
émissaires pour l'engager à s'emparer du trône. Cette insurrec- 
tion alluma une guerre sérieuse. Nectanebus' commandait sous 
le roi les troupes égyptiennes et avait mission de quitter la Phé- 
nicie pour aller assiéger les villes de la Syrie. Initié dans la con* 
spiration tramée contre son père, Nectanebus chercha à gagner 
les chefs par des récompenses et les soldats par des promesses. 
Enfin toute l'Egypte étant tombée au pouvoir des insurgés, Ta- 
chos, saisi de frayeur , n'hésita pas à traverser l'Arabie pour se 

' Deux millions sept ccnl cinquante niille fraucs. 

• Ce nom est écrit indifféremment Nectanebus , Nectanabis, Nectabius. 



LIVRE XV. 87 

rendre auprès du roi des Perses et implorer le pardon de ses 
fautes. Artaxerxès non-seulement lui pardonna, mais encore lui 
confia le commandement des troupes de Tarméq destinée à mar- 
cher contre les Égyptiens. 
XGIII. Peu de temps après mourut Artaxerxès, roi des 

Perses, après un règne de quarante-trois ans. Il eut pour suc- 
cesseur Ochus, qui régna vingt-trois ans. En souvenir du règne 
heureux et pacifique d'Artaxerxès on ordonna que tous les rois, 
ses successeurs, prissent le surnom d'Artaxerxès. Dans cet in- 
tervalle , le roi Tachos était retourné auprès d*Agésilas \ Necta- 
nebus , qui aspirait à la royauté , marcha contre Tachos à la tête 
de plus de cent mille hommes , et le provoqua à se battre pour 
la royauté. Agésilas , voyant que le roi n*osait pas risquer yn 
combat , Texhorta à prendre courage , ajoutant que la victoire 
dépendait , non pas du nombre , mais de la bravoure des guer- 
riers. Mais, comme le roi ne se rendit point à ses exhortations, 
Agésilas fut obligé de se réfugier avec lui dans une grande 
ville d'Egypte. Les Égyptiens en ùrent d'abord le siège ; et , 
après avoir perdu beaucoup de monde dans les combats qu'ils 
avaient livrés sous les murs , ils entourèrent la ville d'une en- 
ceinte et d'un fossé. Ces travaux furent promptement exécu- 
tés, grâce au nombre de bras qui y étaient employés. Les vivres 
ayant été épuisés, Tachos perdit tout espoir de salut. Cepen- 
dant Agésilas ranima le courage des soldats, attaqua pendant la 
nuit les ennemis et sauva toute l'armée d'une façon inespérée. 
Les Égyptiens se mirent à leur poursuite , et , comme le pays 
était plat , ils comptaient envelopper facilement les ennemis et 
les tailler tous en pièces. Mais Agésilas s'établit dans une posi- 
tion défendue de chaque côté par un canal construit de main 
d'homme , et attendit le choc des assaillants. Disposant ainsi 
son armée de manière à tirer profit de sa position et l'appuyant 
aux rives du fleuve, il engagea le combat. Les Égyptiens ne 
trouvèrent aucune ressource dans leurs forces supérieures ; les 

• Diodore confond ici Tachos avec Nectanebus, erreur facile à corriger d'après 
Plutarque (Agésilas) , Xénophon et Cornélius Nepos. 



88 DIODORE DE SICILE. 

Grecs qui les surpassaient de beaucoup en valeur, en tuèrent on 
grand nombre, et mirent le reste en fuite. Après cette victoire, 
Tachos reprit facilement le trône d*Ëgypte, et Agésilas, qui seul 
Tavait aidé dans celte entreprise, fut honoré par des présents 
convenables. Pendant le retour dans sa patrie, en passant par 
Cyrène, Agésilas mourut; son corps, embaumé avec du mîeP , 
fut transporté à Sparte où il reçut des funérailles royales. Tels 
sont les événements arrivés en Asie dans le cours de cette année. 
XGIV. Dans le Péloponnèse, les Arcadiens n*avaient ob- 
servé que pendant un an le traité de paix générale conclu après 
la bataille de Mantinée. Ils avaient recommencé la guerre. Il 
était stipulé sous la foi du serment que tous ceux qui avaient 
pris part à la bataille rentreraient dans leurs foyers. Or, Méga- 
lopolis avait réuni à elle plusieurs villes des environs, qui étaient 
mécontentes de ce changement de demeure; et, comme les ha- 
bitants de ces dernières villes étaient rentrés dans leurs anciens 
foyers , les Mégalopolitains employèrent la force pour les faire 
revenir. Ce fut 15 l'origine d'un conflit sérieux : les habitants 
des petites villes demandèrent du secours aux Mantinéens, et 
parmi les autres Arcadiens, aux Éliens et à tous les alliés qui 
avaient pris part à la bataille de Mantinée. Les Mégalopolitains 
appelèrent à leur secom s les Athéniens, qui s'empressèrent de 
faire partir trois mille hoplites et trois cents cavaliers sous lesor- 
dres de Pammène. Ce général pénétra dans le territoire de Méga- 
lopolis, saccagea plusieurs petites villes, intimida quelques autres 
et força les habitants à transporter leur domicile à Mégalopolis. 
Voilà comment se terminèrent les troubles qui s'étaient élevés 
au sujet de cette transmigration. 

L'historien Athanas de Syracuse commence à cette époque son 
histoire de Dion. Cet ouvrage, divisé en treize livres, comprend 
en un seul livre l'espace de sept ans, dont le récit était resté in- 



' liC miel oa plutAl la cire donl on enduisait le cadavre , formait une espèce de 
vernis qui devait s'opposer à l'absorption de l'humidité et de l'oxygène de l'air, con- 
diiion essentielle de la putréfaction. Ce moyen d'embaumement, qui n'était pas 
à dédaigner, parait avoir été particulièrement en usage chez les Spartiates. 



LIVRE XV. 89 

achevé par Philiste; il rétablit ainsi en détails ia suite de This- 
toire. 

XCV. Nicophème étant archonte d*Aihènes, Caïus Sulpicius et 
Caïus Licinius furent nommés consulsà Rome^ Dans cette année, 
Alexandre, tyran de Phères, envoya des navires pirates croiser 
dans les eaux des Cyclades ; il s*empara de force de quelques-unes 
de ces îles, fil un grand nombre de prisonniers, débarqua à Pépa- 
réthos une troupe de mercenaires et bloqua la ville. Les Athéniens - 
qui étaient venus au secours des Péparéthiens avec des troupes 
laissées sous le commandement de Léosthène, furent eux -mêmes 
attaqués. Les Athéniens* observaient les mouvements des soldats 
d* Alexandre cantonnés à Panorme', lorsqu'ils furent assaillis à 
rimproviste par Alexandre le tyran qui remporta un succès si- 
gnalé. Non-seulement il parvint à sauver du danger son déta- 
chement qui stationnait à Panorme , mais il prit cinq trirèmes 
aux Athéniens, une aux Péparéthiens et fit six cents prisonniers. 
Les Athéniens, irrités contre Léosthène, l'accusèrent de trahison, 
le condamnèrent à mort et vendirent ses biens à Tencbère. Cha- 
rès fut envoyé à la place de Léosthène pour commander la flotte. 
Ce général redoutait l'ennemi et se conduisait injustement en- 
vers les alliés. Car, arrivé à Corcyre, ville alliée d'Athènes, il y 
fomenta de grands troubles, suivis de meurtres et de briganda- 
ges nombreux; c'est ce qui fit décrier le peuple athénien auprès 
de ses alliés. Ainsi, Charès, après avoir commis d'autres crimes 
semblables , n'attira sur sa patrie que des malédictions. 

Les historiens Dionysiodore et Anaxis, tous deux Béotiens, 
terminent dans cette année leur histoire [ de la Grèce ]. Quant à 
nous , qui avons raconté tous les événements arrivés avant le 
règne de Philippe, roi de Macédoine, nous terminons ici le 
présent livre, ainsi que nous l'avions annoncé au commencement. 
Dans le livre suivant, nous continuerons notre récit depuis l'a- 
vénement de Philippe jusqu'à sa mort , tout en y intercalant 
l'histoire des autres pays connus de la terre habitée. 

' Quatrième année de la civ* olympiade ; année 461 avant J.-C. 
• Le texte est ici incorrect, et jïarait défectueux. 
' Ilot situé près du littoral de la Macédoine. 

lif. 8. 



LIVRE SËIZIÈUE. 



SOMMAIRE. 



Philippe, fils d'Amynlas monte sur le trône des Macédoniens. — Il remporte la 
victoire sur Argée, prétendant à la royauté. — Il bat les lUyriens et les Péo- 
niens , et recouvre Tempire de ses ancêtres. — Lâcheté de 1>enys le jeune; ftiite 
de Dion. — Dion , délivrant les Syracusains , bat Denys. ^ Chassé' de aa patrie 
Denys reconquiert Syracuse. — Fondation de Tauroménium en Sicile. — Événe- 
ments arrivés dans la guerre d'Eubée , et dans la guerre des alliés. — Siège 
d'Ampbipolis par Philippe ; prise de la ville. — Philippe réduit en eaclatage las 
Pydnéens ; il exploite les mines d'or. — Fin de la guerre des alliés. — - ligue 
de trois rois contre Philippe.— Philomélus le Phocidien prend Delphes, viole le 
sanctuaire de Toracle, et allume la guerre sacrée. — Histoire primitive de cet 
oracle. — Défaite et mort de Philomélus le Phocidien. — Onomarque occupe 
l'empire et se prépare à la guerre. — Les Béotiens viennent au secours d'Arta> 
baze et sont victorieux des satrapes du roi. — Les Athéniens s'emparent de la 
Ghersonèse et se la partagent au sort. — Philippe prend Méthone et rate la 
ville. — Philippe remporte une victoire sur les Phocidiens et les chasse delà 
Thessalie. — Onomarque le Phocidien défait Philippe dans deux bataillea et le 
réduit aux abois. — Onomarque est victorieux des Béotiens , et prend Coronée. 

— Onomarque se mesure en Thessalie contre Philippe et les Thesaalieos , et il 
est mis en déroute. — Il se pend , et les autres sont noyés comme sacrilèges. — 
Phayllus, qui succède à Tempire , détruit un grand nombre d'offrandes d'argent 
et d'or. — En augmentant la solde , il parvient à réunir une multitude de mn- 
cenaires. — Il rétablit les affaires des Phocidiens. — En corrompant les villes et 
leurs gouverneurs, il se fait beaucoup d'alliés. — Les tyrans de Phères livrent 
leur ville à Philippe et deviennent les alliés des Phocidiens. — Combat des Pho- 
cidiens et des Béotiens près d*Orchomène ; défaite des Phocidiens. — D'autres 
combats entre les mêmes près du Géphise et de Coronée ; victoire des Béotiens. 

— Phayllus marche contre la Locride et soumet plusieurs villes. — Phayllua, at- 
teint de consomption, expire misérablement. — Pbalsecus succède à rem- 
pire , et ayant conduit la guerre lâchement , il est chassé. — Troubles dans le 
Péloponnèse. — Artaxerxès, surnommé Ochus, reconquiert l'Egypte, la Phé- 
nicie et Cypre. — Philippe soumet les villes Chalcidiennes et détruit les plus dis- 
tinguées d'entre elles. — Enquête sur la dépense de l'argent sacré ; châtiment 
des dilapidateurs. — Les Phocidiens se réfugient dans le temple d'Apollon , an 
nombre de cinq cents ; ils sont consumés par le feu miraculeusement. — Fin de 
la guerre phocidienne — Les complices des Phocidiens sacrilèges éprouvent tous 
l'effet de quelque vengeance divine. — Descente de Timoléon en Sicile; ses actes 



LIVRE XVI. 91 

jusqu'à sa mort. — Périnlhe et Byzaoce sont assiégées par Philippe. — Bataille de 
Chéronée entre Philippe et les Athéniens ; défaite des Athéniens. — Les Grecs 
nomment Philippe généralissime. — Philippe, sur le point de passer en Asie , 
tombe victime d'un assassinat. 



I. Tout historien doit parler en détail des États on des règnes 
depuis leur origine jusqu'à leur fin. C*est ainsi que le lecteur 
comprend aisément les faits et se les grave dans la mémoire. En 
effet, si le récit est tronqué et si le commencement ne se lie pas 
avec la fin, il n'intéresse qu*à demi le lecteur qui aime à s'in- 
struire , tandis qu*un récit bien coordonné constitue un travail 
historique vraiment attrayant. Autant que le sujet de la matière 
le permet , il importe que Thistorien ne s'écarte jamais de ce 
principe. 

Arrivés à l'histoire de Philippe , fils d'Amynlas, nous essaie- 
rons d'exposer dans ce livre tous les actes de ce roi qui occupa 
pendant vingt-quatre ans le trône de Macédoine. La Macédoine 
devint , par les efforts de Philippe , un des plus grands empires 
d'Europe. Ce roi est réellement le fondateur de sa dynastie ; il 
avait trouvé la Macédoine sujette de l'Illyrie : il la laissa maî- 
tresse de peuples et d'États puissants et nombreux. Grâce à son 
génie, il obtint, du consentement des villes, le commande- 
ment sur toute la Grèce. Pour avoir châtié les profanateurs de 
Delphes et délivré Toracle, il devint membre du conseil des am- 
phictyons ; et , comme prix de sa piété envers les dieux , il reçut 
le droit de suffrage ôté aux Phocidiens qu'il avait vaincus. Après 
avoir dompté par la guerre les Illyriens, lesPéoniens, les Thra- 
ces, les Scythes et les autres nations du voisinage, il conçut le 
projet de renverser l'empire des Perses. Il fit passer des troupes 
en Asie et délivra les villes grecques ; mais au milieu de ces pré- 
paratifs, il fut enlevé par le destin , léguant-à son fils Alexandre 
des forces si considérables qu'elles rendaient inutiles le secours 
des alliés pour renverser la monarchie perse. Tous ces succès, il 
ne les devait point à la fortune, mais à ses propres talents. Phi- 
lippe fut un des rois les plus distingués par son habileté straté- 
gique, sa bravoure et sa grandeur d'âme. Mais n'anticipons point 



92 DIODORE DE SICILE. 

dans celle préface sur des fails que nous allons raconter en dé- 
tail , après avoir repris les choses d'un peu plus haut. 

II. Sous Tarchontal de Callimède, on célébra la es* olym- 
piade , dans laquelle Porus de Cyrène fut vainqueur à la course 
du stade , et les Romains nommèrent consuls Cnéius Génucios 
et Lucius Émilius*. A cette époque, Philippe, fils d*Àmyotas et 
père d'Alexandre qui subjugua les Perses, monta sur le trône de 
Macédoine dans les circonstances que nous allons faire connaître. 
Amyntas, battu par les Illyriens, fut forcé à payer tribut aux 
vainqueurs. Or, les Illyriens avaient reçu en otage Philippe, 
le plus jeune de ses fils , et l'avaient déposé entre les mains 
des Thébains. Ceux-ci confièrent ce jeune homme au père 
d'Épaminondas, avec la recommandation d'en avoir soin et de 
lui donner une éducation convenable. Épaminondas avait alors 
pour précepteur un philosophe de l'école de Pythagore. Phi- 
lippe fut donc instruit, en même temps qu'Épaminondas, dans 
les doctrines pythagoriciennes. Les deux disciples, doués de dis- 
positions heureuses et de l'amour de l'élude, se distinguèrent par 
leurs talents. Épaminondas, bravant les périls de la guerre, pro • 
cura à sa pairie l'empire inattendu de la Grèce. Philippe, parti 
des mêmes principes, ne le céda point en gloire à Épaminondas. 

Après la mort d'Amyntas, Alexandre, l'aîné de ses fils, hé- 
rita de la couronne, mais il périt bientôt par la trahison de Pto- 
lémée l'Alorite, qui usurpa le trône. Celui-ci fut à son tour tué 
par Perdiccas , qui fut proclamé roi. Perdiccas fut vaincu par 
les Illyriens , dans une grande bataille , et il tomba au moment 
décisif. Son frère, Philippe, s'échappa de Thèbes, oà il était re- 
tenu en otage, et devint roi de la Macédoine, royaume alors bien 
affaibli. Les Macédoniens avaient perdu plus de quatre raille 
hommes dans la défaite qu'ils venaient d'essuyer ; le reste de 
l'armée, eiïrayé de la puissance des Illyriens, n'osait point con- 
tinuer la guerre. Dans cet intervalle, les Péoniens, qui habitent 
les frontières de la Macédoine , ravagèrent la campagne , bra- 
vant les Macédoniens. Les Illyriens rassemblèrent de nombreuses 

' Première année de la cv olympiade ; année 360 avant J.-C. 



LIVRE XVI. 98 

troupes et se disposèrent à marcher contre ia iMacédoine. Un 
certain Pausanias, allié à la famille royale, chercha, avec l*aide 
du roi de Tbrace , à s'emparer du trône de Macédoine. D*un 
autre côté, les Athéniens, qui n*aimaient pas Philippe, lui oppo- 
sèrent, comme prétendant à la royauté, Argée, auquel ils en- 
voyèrent le général Mantias avec trois mille hoplites et avec une 
flotte considérable. 

III. Les Macédoniens, furent fort alarmés de leur défaite et 
des dangers qui les menaçaient de toutes parts. Mais Philippe 
ne partagea point ces alarmes, ne s*efTraya point de la situation 
critique dans laquelle il se trouvait. Il réunissait continuellement 
les Macédoniens en assemblée, et ranimait , par son éloquence, 
leur courage abattu. Il donna à ses troupes une meilleure orga- 
nisation, perfectionna les armements et occupa les soldats à des 
exercices continuels pour les habituer à la guerre. Il imagina de 
donner plus d'épaisseur aux rangs, à l'imitation du synaspisme ^ 
des héros de la guerre de Troie, et fut l'inventeur de la pha- 
lange Macédonienne. Il était affable dans ses entretiens, et s'at- 
tirait l'affection de la multitude par des récompenses et par des 
promesses. Il songeait sans cesse à parer les dangers nombreux 
qui le menaçaient. Voyant que c'était uniquement pour arriver 
à la possession d^Amphipolis que les Athéniens lui avaient opposé 
Argée comme prétendant à la royauté, Philippe évacua celte ville 
spontanément et la laissa se gouverner par elle-même. Il envoya 
aux Péoniens une députation, corrompit les uns par des présents, 
gagna les autres par des promesses , et parvint ainsi à conclure 
avec eux un traité de paix dans un moment opportun. Il réussit 
de môme à faire avorter l'expédition de Pausanias en gagnant le 
roi de Thrace , son complice , par des moyens de séduction. 

Cependant Mantias, général des Athéniens, aborda à Méthonc ; 
il y établit sa station et détacha Argée avec le corps des merce- 
naires pour marcher contre iEges. Arrivé dans cette ville, Argée 
engagea les habitants à prendre part à cette expédition et à l'ai- 
der à s'emparer du trône de Macédoine; mais sa proposition 

• Jliade, liv. XUI, v. I3l. Comparez Qui nte-Curce , III , 2. 



96 DIODORE DE SICILE. 

n*ayant pas été accueillie, il revint à Méihone. Philippe apparut 
alors à la tête de son armée, engagea un combat, tua un grand 
nombre de mercenaires, et obligea le reste à se réfugier sur une 
hauteur. Philippe relâcha ces derniers par capitulation, après 
avoir obtenu l'extradition des transfuges. Par cette première 
victoire Philippe rendit les Macédoniens plus courageux dans les 
combats qu'ils eurent à soutenir dans la suite. 

Dans cet intervalle, les Thasiens fondèrent la ville de Gréni- 
des, qui reçut plus tard le nom de Philippi, du nom do roi qui 
y envoya de nombreux colons. 

L'historien Théopompe de Ghio commence ici son histoire de 
Philippe, composée en cinquante-huit livres, dont cinq sont 
d'une origine incertaine \ 

lY. Ëuchariste étant archonte d'Athènes , les Romains nom- 
mèrent consuls Quintus Servilius et Lucius Génucius*. Dans cette 
année, Philippe envoya des députés à Athènes pour engager le peu- 
ple à conclure avec lui un traité de paix depuis qu'il avait renoncé 
à toute prétention sur Amphipolis. Il était ainsi délivré de la guerre 
avec les Athéniens, lorsqu'il apprit la mort d'Agis, roi des Féo- 
niens. Philippe résolut de profiter du moment pour attaquer 
cette nation. Il envahit donc la Péonie, défit les Barbares en ba- 
taille rangée, et les força à se soumettre aux Macédoniens. Il ne 
lui restait plus d'autres ennemis que les Illyriens, et il désirait 
ardemment les subjuguer. Il convoqua donc une assemblée gé* 
nérale dans laquelle il exhorta son armée à la guerre, en pro- 
nonçant un discours approprié à la circonstance. Il pénétra dans 



EÇ 2)v Ttévrs Stxfuvoîtau. Ce passage a beaucoup occupé les interprètes. 
Suivant J. Vossius ( Histor. Grœc. , 1 , p. 32 ) , SixfwvsXv signifie ici expirare, 
intercidere , de manière que 1^ Stv Trévrc Sioifoivo\>7iv , signifierait : « dont cinq 
(livres) ont péri. » Cette version a été aussi adoptée par Hiot. Hais la signifi- 
cation de SixfuvsXv, appliquée surtout à des objets inanimés , et par conséquent 
entièrement privés de fwviî (voix), me paraît tout à fait invraisemblable. Il est 
vrai que Photius (Biblioth,, cod. CLXXVI ) affirme que déjà de son temps.il man- 
quait les cinq derniers livres de Théopompe ; mais Athénée (Deipnosophist., xm, 
9), Stephanus, le lexicographe (in JUapû» et McvvaTcéai ) , antérieurs à Pho- 
tius, citent les livres LV, LVI et LVH de Théopompe. 
* Deuxième année de la cv« olympiade ; année 359 avant J.-C. 



LIVRE XVI. 9i 

riUyrie avec au moins dix mille fantassins et six mille cavaliers. 
Bardylis, roi desillyriens*, informé de la présence des ennemis, 
envoya d'abord des parlementaires pour traiter de la paix, à la 
condition que les deux parties belligérantes resteraient en posses- 
sion des villes qu'elles occupaient alors. Philippe répondit qu'il 
désirait la paix, mais qu'il n'y consentirait que lorsque les 
Illyriens auraient évacué toutes les villes nvacédoniennes. Sur 
cette réponse, les députés revinrent sans avoir rien conclu. Bar- 
dylis, enhardi par ses succès antérieurs , et confiant en la valeur 
des Illyriens, se porta à la rencontre des ennemis avec une armée 
de dix mille fantassins d'élite et cinq cents cavaliers. À mesure 
que les deux armées s'approchaient l'une de l'autre, les soldats 
élevèrent un immense cri de guerre et engagèrent vivement le 
combat. Philippe, commandant l'aile droite et l'élite des guerriers 
macédoniens, avait ordonné à sa cavalerie de se détacher pour pren* 
dre les Barbares en flanc, tandis que lui-même les attaquerait de 
front. Le combat fut acharné. Les Illyriens se formèrent en carré 
et soutinrent le choc courageusement. Des deux côtés on fit des 
prodiges de valeur , et la victoire resta d'abord longtemps in- 
décise. Un grand nombre de guerriers périrent, beaucoup d'au- 
tres furent blessés, et les pertes se balançant des deux côtés, l'is- 
sue du combat demeura douteuse. Enfîn les cavaliers macédo- 
niens pressèrent l'ennemi sur les flancs et par derrière ; Philippe 
combattant lui-même en héros à la tête de sa troupe d'élite, força 
le gros de l'armée illyrienne h prendre la fuite. Il poursuivit les 
ennemis à une grande distance, et, après leur avoir fait beaucoup 
de mal, il fit sonner le rappel des Macédoniens, éleva un trophée 
et ensevelit les morts. Les Illyriens entrèrent en négociation, et 
obtinrent la paix , à la condition que les Illyriens retireraient 
leurs garnisons de toutes les villes macédoniennes. Les Illyriens 
perdirent dans cette bataille plus de sept mille hommes. 

y. Après avoir parlé des événements qui se sont passés en 
Macédoine et en Illyrie, nous allons passer à l'histoire des autres 
nations. Kt d'abord, en Sicile, Denys le jeune, tyran de Syra- 

• Cicéron , de Officiis , I , i j , fait mention de ce roi. 



•96 DIODORE DE SICILE. 

cuse, qui \ euait de succMcr à soa père, était demeuré dans l'inac- 
tion , masquant son oisiveté par Tamour de la paix. C'est ainsi 
qu'il renonça à une guerre héréditaire , et fit la paix avec les 
Carthaginois. De même, après avoir fait mollement quelque 
temps la guerre aux Lucaniens, sur lesquels il avait enfin rem-- 
porté plusieurs avantages, il mit volontiers un terme aux hostili- 
tés. Il fonda dans TApulie deux villes qui devaient offrir une rade 
sûre à ceux qui naviguaient dans la mer Ionienne ; car les Bar- 
bares qui habitaient ces côtes infestaient la mer de leurs nom- 
breux bâtiments corsaires , et rendaient impossible aux navires 
marchands la navigation dans l'Adriatique. Après cela , il mena 
une vie pacifique, et fit cesser les exercices militaires. Enfin, il 
perdit tout à coup par sa nonchalance une des plus grandes sou- 
verainetés de l'Europe , cette tyrannie que son père se vantait 
d'avoir affermie avec des chaînes de diamant. Nous parlerons en 
détail des causes de cette chute. 

VI. Céphisodote étant archonte d'Athènes, les Romains élu- 
rent pour consuls Caîus Licinius et Caïus Sulpicius K Dans cette 
année, Dion, fils d'Hipparinus, un des citoyens les plus distin- 
gués de Syracuse , s'échappa de la Sicile , et , entraîné par sa 
grandeur d'âme, délivra les Syracusains, ainsi que les autres Si- 
ciliens. Voici à quelle occasion. Denys l'ancien avait eu des en- 
fants de ses deux femmes ; la première, Locrienne de nation, lui 
avait donné Denys, qui hérita de la tyrannie ; de la seconde, fille 
d'Hipparinus, un des citoyens les plus considérés de Syracuse, 
il eut deux autres fils, Hipparinus et Narsée \ Dion , frère de 
cette seconde femme , avait fait de grands progrès en philoso- 
phie, et surpassa ses concitoyens en bravoure et en science mili- 
taire. D'une origine aussi noble et d'une grande élévation d'âme, 
Dion devint bientôt suspect au tyran , qui crut voir en lui un 
homme capable de renverser son empire. Tourmenté de ces ap-* 
préhensions, Denys jugea à propos de se défaire de cet homme 

' Troisième année de la cv« olympiade; année 358. 

' Suivant Cornélius Nepos ( Dion, I), l'un des fils de Denys s'appelait Nysée 
( Nyioeus) , au lieu de Narsée (Na/9ff«ïoç). 



LIVRE XVI. 97 

en le faisant arrêter et condamner à mort. Dion, averti du dan- 
ger qui le menaçait, se cacha d*abord chez quelques-uns de ses 
amis. Il s'échappa ensuite de la Sicile et se rendit dans le Pélo- 
ponnèse, accompagné de son frère Mégaciès et de GhariclideS 
qui commandait les troupes du tyran. Débarqué à Gorinthe , il 
supplia les Corinthiens de Taider à délivrer Syracuse de la tyran- 
nie. Il leva donc des troupes mercenaires et fil de grands arme- 
ments. Beaucoup de monde s'engagea à son service , et, après 
avoir réuni un grand nombre d'armes et de mercenaires, il loua 
deux vaisseaux de transport sur lesquels il embarqua et les ar- 
mes et les troupes. Il sortit des eaux de Zacynthe pour se diriger 
vers Géphalonie et de là en Sicile. Il avait laissé derrière lui Gba- 
riclide qui devait conduire quelques trirèmes et plusieurs vais- 
seaux de transport en face de Syracuse. 

YII. Pendant que ces é^^énements se passaient , Andromaque 
de Tauroménium, père de l'historien Timée, homme opulent et 
magnanime, accueillit chez lui tous les habitants de Naxos qui 
avaient survécu à la destruction de leur ville par Denys. Il leur 
donna pour demeure une montagne appelée Taurus, voisine de 
Naxos; il y séjourna lui-même longtemps et donna à la ville le 
nom de Tauroménium. Gettc ville eut un rapide accroisse- 
ment; SCS habitants acquirent de grandes richesses. Elle devint 
une des villes les plus célèbres de la Sicile. Enfin, de nos jours, 
les Tauroméniles ont été chassés de leur patrie par Gésar^ qui 
y fit passer une colonie romaine. 

Pendant le cours de ces événements , les habitants de l'Eubée 
étaient livrés à des dissensions intérieures : les uns appelaient au 
secours les Béotiens, les autres les Athéniens ; et la guerre de- 
vint générale. Il y eut plusieurs escarmouches dans lesquelles 
tantôt les Thébains , tantôt les Athéniens remportèrent la vie- 
toire. Mais il n'y eut point de bataille décisive. Après que l'île 
d'Eubée eut été ravagée par une guerre intestine , les factions 

* Peutrêtre faudra-t-il lire ici Héraclitle dont notre auteur parle plus bas 
( cliap. 16) , et dont Cornélius Nepos ( Dion, V } fait également mention. 
' L'empereur Auguste. 

IIL 9 



98 DIODORE DE SICaE. 

ennemies , affaiblies par les pertes réciproques qu'elles avaient 
éprouvées/revinrent à de meilleurs sentiments et ûrent la paix en- 
tre elles. Les Béotiens rentrèrent donc chez eux et vécurent en 
repos. Quant aux Athéniens, après la rébellion des liabitants de 
Chio , de Rhodes , de Cos et de Byzance , ils furent impliqués 
dans une guerre appelée la guerre sociale , qui dura trois ans. 
Gharès et Chabrias commandaient les forces athéniennes. Ces 
généraux abordèrent à Chio où ils trouvèrent les auxiliaires 
qui avaient été envoyés aux habitants de cette île par les Byzan- 
tins, les Rhodiens, les Cosiens et par Mausole, souverain de 
Carie. Ils rangèrent leurs troupes en bataille et investirent la 
ville par terre et par mer. Charès , qui commandait l'armée 
de terre, s'approcha des murs et combattit les habitants qui 
étaient sortis de la ville pour l'attaquer. Chabrias, de son côté , 
entra dans le port et livra un combat naval opiniâtre ; mais le 
bâtiment qu'il montait fut percé à coups d'éperon et mis hors 
de service ; ceux qui montaient les autres navires cédèrent à la 
fatalité du moment et parvinrent à s'échapper. Chabrias , préfé- 
rant une mort glorieuse à une défaite, continua à se battre sur 
son navire jusqu'à ce qu'il expirât couvert de blessures. 

VIII. Â cette même époque , Philippe, roi des Macédoniens, 
défit les Illyriens dans une grande bataille, et, après avoir rangé 
sous sa domination tous les habitants jusqu*au lac Lychnitis, 
il retourna chez les Macédoniens. Il conclut avec les Illyriens 
une paix glorieuse et s'acquit auprès des Macédoniens une grande 
réputation pour avoir relevé , grâce à sa valeur , les affaires de 
l'État. Cependant les habitants d'AmphipoIis n'aimaient pas Phi- 
lippe; celui-ci ayant plusieurs motifs pour leur faire la guerre, 
marcha contre eux à la tête d'une puissante armée. Il fit appro- 
cher des murs les machines de guerre , livra des assauts vi- 
goureux et fréquents , et ouvrit à coups de bélier une brèche, 
par laquelle il pénétra dans la ville. II s'en rendit maître 
après avoir tué un grand nombre d'ennemis. Il condamna à 
Fexil tous ceux qui étaient mal disposés contre lui, et traita les 
autres avec humanité. La possession de cette ville, située sur 



LIVRE XVI. 99 

les frontières de la Thrace,' contribua beaucoup, par sa position 
avantageuse , à raccroissement de la puissance de Philippe. 
Bientôt après, ce roi soumit Pydna , fit alliance avec les Olyn^ 
thiens et promit de leur procurer Potidée dont les Olynthiens 
désiraient depuis longtemps s'emparer. Les Olynthiens habi- 
taient une ville importante : en raison de sa population, elle 
était d'un grand poids dans les chances de la guerre ; c'était un 
objet de lutte pour ceux qiii ambitionnaient d'agrandir leur 
puissance. Aussi les Athéniens et Philippe firent-ils chacun tous 
ses efforts pour attirer Olynthe dans leur alliance. Cependant 
Philippe prit Potidée d'assaut, chassa de cette ville la garnison 
•athénienne qu'il traita humainement , et la renvoya à Athènes ; 
car il redoutait beaucoup le peuple athénien ainsi que l'autorité 
et la gloire de leur cité. Quant à Pydna, il en vendit les habi- 
tants comme esclaves et livra la ville aux Olynthiens, auxquels il 
donna en même temps la possession de ce territoire. Il se rendit 
ensuite dans la ville de Crénides dont il augmenta la population 
et lui donna, d'après lui, le nom de Philippi K Dans cette con- 
trée se trouvent des mines d'or qui avaient produit jusqu'alors 
de très-faibles revenus. Il en poussa l'exploitation au point d'en 
tirer annuellement plus de mille talents l Ce fut là la source de 
ces immenses richesses qui ont tant contribué à la puissance du 
royaume macédonien. Il frappa une monnaie d'or qui porta 
d'après lui le nom de philippique. Il mit sur pied une armée 
considérable de mercenaires, et se servit aussi de son or pour 
corrompre une multitude de Grecs et les rendre traîtres à leur 
patrie. Mais dans Is^ suite nous parlerons de tout cela avec plus 
de détails. Reprenons maintenant le fil de notre histoire. 

IX. Agathoclcs étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent consuls Marcus Fabius et Caîus Pétilius'. Dans cette 



' La ville de Philippe ( ^îhnnoi) s'appelait Datot (Hérodote , IX , 74 ) avant de 
recevoir le nom de Crénides {KpYjviSii), probablement à cause des sources 
(x^rîvai ) qui se trouvaient dans les environs. 

' Cinq millions cinq cents mille francs. 

• Quatrième année de la cv* olympiade ; année 357 avant J.-C, 



100 mODORE DE SICILE. 

année, Dion , fils d*Hippai'inus, revint en Sicile et renversa la 
tyrannie de Denys. Les moyens dont il se servit étaient les plus 
faibles qu'on eût encore employés. Il réussit néanmoins, contre 
toute attente, à détruire une des plus grandes souverainetés de 
TEurope. £neiïet,r{ui aurait jamais cru qu*avec deux vaisseaux 
de transport, sur lesquels il aborda en Sicile, Dion l'emporte- 
rait sur le tyran qui avait à sa disposition une flotte de quatre 
cents vaisseaux longs ^ , cent mille hommes d'infanterie , dix 
mille cavaliers ; sur un souverain qui possédait assez d'armes, 
de vivres, d'argent et de provisions de toutes sortes pour suffire 
amplement à l'entretien de toutes ses troupes , enfiq qui était 
maître de la plus grande des villes grecques, de beaux ports, de « 
vastes chantiers, de forteresses imprenables et qui avait pour 
lui une multitude de puissants alliés. Dion devait le succès de 
son entreprise particulièrement à sa grandeur d'âme, à son cou- 
rage personnel et à l'aiïection de ceux qu'il allait délivrer. A cela 
il faut surtout ajouter que le tyran était indolent et ha! de ses 
sujets. Toutes ces circonstances réunies amenèrent tout à coup 
une incroyable catastrophe. Arrivons maintenant au détail de 
ces événements. Dion, sorti des eaux de Zacynthe, se dirigea 
avec ses deux vaisseaux de transport du coté de Géphalonic, et 
vint aborder à iMinoa , sur le territoire agrigentin. Cette ville 
avait été anciennement fondée par Mi nos, roi de Cr^te , dans le 
temps où, étant à la recherche de Dédale, il reçut l'hospitalité 
de Caucalus , roi des Sicaniens. Plus tard, cette ville apparte- 
nait aux Carthaginois ; son gouverneur, nommé Paralus , était 
ami de Dion, et l'accueillit avec empressement. Dion fit débar- 
quer cinq mille armures complètes qu'il avait sur ses vaisseaux 
de transport, et les confia à Paralus en lui recommandant de les 
faire transporter sur des chariots à Syracuse. Quant à lui, il se 
mit h la tête de ses troupes mercenaires, au nombre de mille 
hommes , et s'avança vers Syracuse. Chemin faisant, il engagea 
les Agrigentins , les Géléens , quelques Sicaniens et Siculcs ha- 

* Cornélius Nepos {Dion, 5) porte ce nombre à cinq cenU,ce qui parait 
exngéré. 



MVRE XVI. 101 

bitaiU rintérieur du pays, les Camarinéens et les Madinécns *■ à 
s'associer au projet de délivrance des Syracusains, et il se porta 
en avant pour renverser le trône du tyran. De tous côtés on ac- 
courut en armes et Dion se vit ainsi bientôt à la tête de plus de 
vingt mille hommes. Les Grecs d'Italie et les Messéniens no 
mirent pas moins d'empressement à se rendre à son appel. 

X. Lorsque Dion eut atteint les frontières de Syracuse, il 
fut rejoint par une multitude d'hommes sans armes qui venaient 
d'accourir de la campagne et de la ville ; car Denys, qui se dé- 
fiait des Syracusains, avait désarmé la plupart d'entre eux. 
Dans ce moment, le tyran se trouvait avec de nombreuses tvou- 
pes dans les villes récemment fondées sur les bords de l'Adriati- 
que. Les chefs qui commandaient la garnison laissée à Syracuse 
essayèrent d'abord de détourner les Syracusains d'une insurrec- 
tion ; mais voyant qu'il était impossible de comprimer ce mou- 
vement populaire, ils rassemblèrent les mercenaires, ainsi que les 
partisans de Denys, complétèrent leurs rangs et résolurent d'at- 
taquer les rebelles. Dion distribua ses cinq mille armures com- 
plètes aux Syracusains qui étaient sans armes et fit prendre aux 
autres les premières armes que le hasard leur offrit. Il convo- 
qua ensuite une assemblée générale où il annonça qu'il était 
venu pour délivrer les Siciliens ; il les exhorta à choisir pour 
chefs ceux qui passaient pour les plus capables de rétablir l'in- 
dépendance et de renverser la tyrannie. Aussitôt la multitude 
cria d'une seule voix de donner h Dion et à son frère Mégaclès 
le commandement absolu de l'entreprise. Au sortir de l'assem- 
blée, Dion rangea sur-le-champ son armée en bataille et marcha 
sur la ville. Ne rencontrant aucune résistance dans la campa- 
gne , il entra en toute sécurité dans l'intérieur des murs, tra- 
versa sans obstacle l'Achradine et arriva sur la place publique 
où il établit son camp. Personne n'osait se mesurer avec lui. 
L'armée de Dion s'élevait au moins alors à cinquante mille hom- 
mes qui tous parcouraient la ville , portant des couroimes sur 

* Aucun autre auteur ne mentionne les Madinéenn (Ma^ivzt'cvç). Peiit-^lro 
faut-il lire Motyens. 

m. 9. 



102 DlOnORE DE SICILE. 

leurs t(Hes; ils étaient précédés de Dion et de iMégaclès qui eax- 
mêmes étaient entourés de trente Syracusains, les seals de tous 
les bannis réfugiés dans le Péloponnèse qui eussent voulu pren- 
dre part à cette entreprise. 

XI. Toute la ville passa ainsi de l'esclavage à la liberté. Le 
sombre silence de la tyrannie se convertit en une fête joyeuse et 
solennelle. Dans chaque maison on célébra des sacrifices et on 
entendit des cris de joie ; chaque citoyen brûlait de Tencens 
pour témoigner aux dieux sa reconnaissance des bienfaits qu'ils 
venaient de leur accorder, et pour se les rendre propices à l'ave- 
nir. 4^es femmes elles-mêmes manifestaient, par de bruyantes 
acclamations , leur reconnaissance pour ce bonheur inattendu ; 
enfin, on ne voyait dans les rues qu'un concours d'habitants 
continuel. Il n'y avait ni citoyen, ni esclave, ni étranger qui 
n'eût voulu voir Dion et être témoin de son courage; tons 
croyaient voir en lui plus qu'un homme , et la révolution im* 
mense qu'il venait d'opérer justifiait en quelque sorte cette ad- 
miration. £n effet , après cinquante ans de servitude , les Syra- 
cusains se virent soudain rendus à la liberté et retirés de leur 
triste condition par le courage d'un seul homme. 

En ce moment, Denys séjournait à Gaulonia, en Italie; 
il rappela Philiste qui commandait la flotte stationnant dans la 
mer Adriatique , et lui ordonna de se porter sur Syracuse. De 
son côté, Denys se hâta de partir, et arriva à Syracuse sept jours 
après l'entrée de Dion. Dans l'intention de circonvenir les Sy- 
racusains , il entra avec eux en négociation et leur fit entrevoir 
beaucoup de bonnes dispositions pour rendre au peuple le sou- 
verain pouvoir, pourvu que le gouvernement démocratique lui 
accordât des distinctions honorifiques. £n même temps, il priait 
les Syracusains de lui envoyer des députés pour convenir d'un 
accommodement. Les Syracusains, exaltés par leurs espérances, 
lui envoyèrent en dépulation les citoyens les plus considérés. 
Denys les fit garder à vue, et différa la conférence d'un jour à 
l'autre ; puis, voyant que les Syracusains, confiants dans l'espoir 
d'une paix prochaine , négligeaient leur défense et n'étaient pas 



LIVRE XVI. 103 

prêt» à combattre, il fit ouvrir subitement les portes de la citadelle 
de nie et fit une sortie à la tête de ses troupes rangées en ba- 
taille. • 

XII. Les Syracusains avaient construit un mur d'enceinte 
qui allait d'une rade à l'autre ; c'est ce mur que les mercenaires 
de Denys allèrent attaquer en poussant des cris terribles. Ils 
tuèrent un grand nombre de gardes ; et, ayant forcé l'enceinte, 
il s'engagea un combat entre eux et les soldats accourus pour 
défendre ce retranchement. Dion , quoique pris à l'iraproviste 
par la violation de la trêve , alla avec un détachement d'élite à 
la rencontre de l'ennemi. Il s'engagea un combat sanglant dans 
l'enceinte du stade ; comme l'intervalle étroit de l'enceinte ser- 
vait de champ de bataille, la mêlée devint aiïreuse. Des deux 
côtés on fit des prodiges de valeur : les mercenaires de Denys 
étaient enflammés par les récompenses qu'il leur avait promises, 
et les Syracusains par l'espoir de recouvrer leur liberté. La vic- 
toire resta d'abord indécise , car des deux côtés on déployait 
une égale valeur. Beaucoup de combattants trouvèrent la mort 
dans cette action ; un grand nombre furent couverts de bles- 
sures , toutes reçues par devant. Les soldats placés au premier 
rang s'exposaient noblement pour protéger ceux qui étaient 
derrière eux ; les hommes du second rang couvraient de leurs 
boucliers ceux qui tombaient ; enfin ils bravaient tous les plus 
grands périls pour remporter la victoire. Jaloux de se distinguer 
et de vaincre par ses propres efforts , Dion se précipita au mi- 
lieu des ennemis : il se battit en héros, tua un grand nombre 
d'entre eux , enfonça le bataillon des mercenaires et se trouva 
seul au milieu de la foule compacte qui l'environnait. Là, il fut 
accueilli par mie grêle de flèches ; il s'en garantit par son excel- 
lente armure. Mais enfin il fut blessé au bras droit, et il était 
près de succomber à la gravité de cette blessure et de tomber 
entre les mains do l'ennemi, lorsque les Syracusains, tremblant 
pour la vie de leur chef, rompirent les rangs des mercenaires , 
arrachèrent Dion au danger où il se trouvait, et forcèrent les 
ennemis à prendre la fuite. Les Syracusains qui avaient eu éga- 



iOli DIODORE DE SICILE. 

lement le dessus sur un autre point du retranchement, refoulè- 
rent les troupes soudoyées du tyran jusque dans l'intérieur de 
la cita(|jelle. Les Syracusains victorieux, ayant reconquis leur 
liberté, élevèrent un trophée, monument de la défaite du tyran. 

XIII. Denys, accablé de cet échec et renonçant déjà à Tauto- 
rité souveraine, laissa des garnisons considérables dans les for- 
teresses. Il fit recueillir ses morts, au nombre de huit cents, 
leur mit des couronnes d*or sur la tête , les enveloppa de beaux 
draps de pourpre, et leur fit de splendides funérailles. Il espé- 
rait par ce moyen stimuler le zèle de ceux qui voudraient com- 
battre pour la tyrannie. Enfin, il honora de grandes récompen- 
ses les guerriers qui s'étaient distingués par leur valeur. Denys 
envoya des parlementaires aux Syracusains pour négocier une 
trêve ; mais Dion mettant en avant quelque prétexte spécieux, 
fit 4raîner la négociation en longueur pour avoir le temps 
d'achever tranquillement le mur d'enceinte. Ce travail terminé, 
Dion appela auprès de lui les parlementaires qu'il avait ainsi 
trompés par la perspective de la paix. Il leur déclara alors, en 
pleine conférence, qu'il ne ferait la paix qu'à la condition 
expresse que le tyran abdiquerait la souveraineté et se c-onten- 
tcrait de quelques distinctions honorifiques. Sur cette réponse 
hautaine , Denys assembla les chefs de son parti pour délibérer 
comment il se défendrait contre les Syracusains. On ne man- 
quait de rien, excepté de blé, et comme Denys était maître de 
la mer, il pilla la campagne pour s'en procurer. Mais ce pillage 
ne lui fournissait que peu de provisions; il détacha donc des 
vaisseaux de transport pour acheter du blé sur les marchés voi- 
sins. Les Syracusains, possédant un grand nombre de vaisseaux 
longs, se mirent en croisière dans des parages opportuns et en- 
levèrent en grande partie les convois de Denys. Telle était la 
situation des aiïaires à Syracuse. 

XIV. En Grèce, Alexandre, tyran de Phères, fut assassiné par 
la trahison de sa propre femme Thébée et par les frères de celle- 
ci , Lycophron et Tisiphon. Les meurtriers furent d'abord fort 
honorés, comme tyrannicides. Plus tard, ils changèrent de con- 



LIVRE XVI. 10î> 

duitc : ils gagnèrent les mercenaires par de Targent et se pro- 
clamèrent eux-mêmes tyrans. Après avoir tué un grand nombre 
de leurs adversaires et mis sur pied une armée considérable , 
ils s'emparèrent par force du pouvoir souverain. Les Alcuades 
qui, par leur noble origine, jouissaient d'une grande réputation 
auprès des Thessaliens , se déclarèrent contre les tyrans. iMais 
n'étant pas par eux-mêmes assez forts pour les combattre, ils 
appelèrent à leur secours Philippe, roi des Macédoniens. Phi- 
lippe entra dans la Thessalie, battit les tyrans, délivra les 
villes et se concilia l'aiïection de tous les Thessaliens. Aussi de- 
puis ce moment, non-seulement Philippe , mais encore son fils 
Alexandre, eurent dans toutes leurs expéditions les Thessaliens 
pour alliés. 

Démophile, fils de l'historien Éphore, commence à la prise 
du temple de Delphes et au pillage de l'oracle par Philomélus le 
Phocidien, l'histoire de la guerre sacrée que son père lui avait 
laissée inachevée. Celle guerre dura onze ans jusqu'à l'extermi- 
nation de ceux qui avaient trempé dans ce sacrilège. 

Gallisthène, qui a écrit en dix livres une histoire de la Grèce, 
termine son ouvrage à la profanation du temple de Delphes par 
PhiloiDélus le Phocidien. 

Diyllus d'Athènes commence son histoire à la même époque 
et embrasse en vingt-sept livres tous les événements qui se sont 
alors passés en Grèce et en Sicile. 

XY. Elpinus étant archonte d'Athènes, les Romains nommè- 
rent consuls Marcus Popilius Laenas et Gnéius Manlius Impe- 
riosus, et on célébra la cvr olympiade, Paulus le Malien étant 
vainqueur à la course du stade ^ Dans celte année, une multi- 
tude d'hommes, ramassis de toute espèce, et composée en grande 
partie d'esclaves fugitifs, se réunit dans la Lucanie. Ces hom- 
mes menaient d'abord une vie de biigands. L'habitude de vi- 
vre en bivouacs et dese livrer à de fréquentes excursions, les 
rendit bientôt exercés dans l'art militaire. Et leur puissance 
s'accrut par les succès remportés dans les combats qu'ils li- 

• P^emî^^p année de la cvr olympiade ; année 356 avant J.-C. 



106 DIODORE DE SICILE. 

vraient aux habitants de la contrée. Ils prirent d'abord d'assaut 
la ville de Térina et la pillèrent ; puis ils soumirent Arponium, 
Thuriuin , et beaucoup d'autres villes , et établirent partout le 
même gouvernement Ënfm, ils reçurent le nom de Bruttiens, 
parce que la plupart d'entre eux avaient été esclaves, et que, 
dans la langue du pays, on désigne sous ce nom les esclaves fu- 
gitifs. Telle est l'origine de la race des Bruttiens en Italie. 

XVI. Revenons à l'histoire de la Sicile. Philistus, lieutenant 
de Denys, aborda à Rhégium et fit transporter à Syracuse plus 
de cinq cents cavaliers. Ce corps ayant été grossi par d'antres 
détachements de cavalerie auxquels s'étaient joints deux mille 
fantassins, Philistus marcha sur Léontium dont les habitants 
s'étaient révoltés contre Denys. Il pénétra de nuit dans l'inté- 
rieur des murs et s'empara d'une partie de la ville. Un combat 
acharné s'engagea; les Syracusains arrivèrent au secours des 
Léontins ; Philistus fut vaincu et repoussé de la ville. Héra- 
clide^ que Dion avait laissé dans le Péloponnèse à la tête des 
vaisseaux longs , avait été retardé par des vents contraires et 
empêché ainsi de prendre part à l'entreprise de Dion et à la 
guerre de délivrance des Syracusains. Il arriva avec vingt vais- 
seaux longs portant quinze cents soldats. C'était un homme 
d'une naissance illustre et digne de sa réputation ; il fut nommé 
par les Syracusains au commandement des forces navales et as* 
socié à Dion dans la guerre contre Denys. Cependant Philistus, 
à la tète de soixante trirèmes, livra un combat naval aux Syra- 
cusains qui avaient h peu près le même nombre de bâtiments. 
Le combat fut sanglant ; Philistus, grâce à sa valeur , eut d'a- 
bord l'avantage; mais ensuite , abandonné des siens , il fut en- 
veloppé par les navires des Syracusains, qui cherchaient à le 
prendre vivant. Mais Philistus, pour prévenir les outrages de la 
captivité , se donna lui-même la mort. Ainsi périt ce général 
qui avait rendu de si grands services aUx deux tyrans, et qui 
s'était montré leur ami le plus dévoué. Les Syracusains , sortis 
victorieux de ce combat naval, s'emparèrent du corps de Phi- 

' Ce même personnage est appelé plus haut Chariclldc. 



LIVRE XVI. 107 

listus , le mirent en lambeaux , le traînèrent dans toute la ville 
et le jetèrent à la voirie. Denys, ayant perdu le plus actif de ses 
amis et se trouvant sans chef capable, ne supporta plus le poids 
de la guerre. Il envoya donc des députés à Dion pour lui offrir 
d'abord la moitié du pouvoir souverain, puis l'abandon de Tau-» 
torité entière. 

XVII. Dion répondit que Denys devait d*abord rendre la ci- 
tadelle aux Syracusains en retour d'une somme d'argent et de 
quelques avantages honorifiques. Denys déclara qu'il était prêt à 
rendre la citadelle au peuple et à se retirer en Italie avec ses 
troupes et l'argent qu'on lui donnerait. Dion conseilla aux Sy- 
racusains d'accepter ces conditions ; mais le peuple, égaré par 
quelques orateurs populaires, s'y refusa dans l'espérance de 
prendre le tyran de vive force. Peu de temps après, Denys con- 
fia la garde de la citadelle à l'élite de ses mercenaires, et s'em- 
barqua secrètement pour l'Italie en emportant tous ses trésors et 
les ornements royaux. La discorde éclata bientôt parmi les Sy- 
racusains : les uns étaient d'avis d'investir Héraclide d'une au- 
torité absolue, parce qu'il leur semblait incapable d'aspirer à la 
tyrannie , les autres voulaient confier à Dion le pouvoir su- 
prême. A cela, il faut ajouter que l'on devait beaucoup de solde 
aux troupes amenées du Péloponnèse et qui avaient aidé les Sy- 
racusains à recouvrer leur liberté. L'argent étant rare dans ville , 
les mercenaires , qui n'étaient point payés , se révoltèrent au 
nombre de plus de trois mille. C'étaient tous des hommes d'un 
courage éprouvé , habitués aux fatigues de la guerre et bien 
supérieurs en bravoure aux Syracusains. Dion fut sollicité par 
ses troupes de se mettre à leur tête et de châtier les Syracu- 
sains comme un ennemi commun; il s'y refusa d'abord; mais 
ensuite , forcé par les circonstances , il se mit à leur tête et 
marcha contre les Léontins. Les Syracusains se tournèrent 
contre les mercenaires, les poursuivirent et les attaquèrent en 
route ; mais ils furent battus et se retirèrent après avoir perdu 
beaucoup de monde. Dion, qui venait de remporter cette victoire 
signalée, ne conserva aucun ressentiment contre les Syracusains ; 



108 DIODOKË DE SICILE. 

car, lorsqu'on lui envoya un héraut pour traiter de Tenlève- 
nient des morts , il accorda ce qu'on lui demandait, et renvoya 
même beaucoup de prisonniers sans rançon. Plusieurs fuyards, 
au moment d'être massacrés, se déclarèrent partisans de Dion 
et échappèrent ainsi tous à la mort. 

XVIII. Peu de temps après , Denys envoya à Syracuse son 
lieutenant Nypsius le Napolitain, homme distingué pour sa bra- 
voure et son habileté militaire. Il le fit partir avec des vaisseaux 
de transport, chargés de blé et d'autres provisions. Nypsius par- 
tit donc de Locres et se dirigea sur Syracuse. Les soldats que le 
tyran avait laissés en garnison dans la citadelle manquaient de- 
puis longtemps de vivres, et avaient tenu bon malgré la famine 
dont ils étaient horriblement pressés. Mais enfin les besoins 
physiques l'emportèrent. Renonçant à tout espoir de salut, ils se 
réunirent la nuit en conseil et résolurent de livrer h la pointe du 
jour la citadelle et de se rendre eux-mêmes aux Syracusains. Le 
jour paraissait déjà, et les soldats allaient envoyer des hérauts 
pour traiter de la reddition de la place , lorsqu'ils aperçurent 
au loin Nypsius et sa flotte, qui vint mouiller près de la fontaine 
d'Aréthuse. La garnison passa donc subitement d'une extrême 
disette h la plus grande abondance de vivres. Nypsius débarqua 
ses troupes, convoqua une assemblée générale dans laquelle il 
exhorta les soldats à se montrer intrépides dans les dangers qui 
les menaçaient. C'est ainsi que la citadelle, qui allait déjà se 
rendre aux Syracusains , fut miraculeusement sauvée. Les Syra- 
cusains, armant toutes leurs trirèmes, vinrent attaquer l'en- 
nemi au moment où il était encore occupé à débarquer les 
provisions. Attaquée à l'improviste, la garnison de la citadelle se 
défendit en désordre contre les trirèmes ennemies. Les Syra- 
cusains l'emportèrent dans ce combat na\al; ils coulèrent bas 
quelques bâtiments, s'emparèrent de quelques autres et jetèrent 
le reste sur la côte. Exaltés par cette victoire, ils offrirent aux 
dieux de magnifiques sacrifices en actions de grâces» se réjoui- 
rent dans les banquets et les festins, et, méprisant l'ennemi 
vaincu, ils négligèrent le soin de leur défense. 



LIVRE XVL 109 

XIX. Cependant Nypsius , général des mercenaires, voulut 
prendre sa revanche. Il profita de la nuit pour attaquer à Tiin- 
proviste le mur d'enceinte qui venait d*ôtre construit. 11 trouva 
les sentinelles enivrées et livrées au sommeil , et se huta d'ap" 
pliquer contre le mur des échelles qu'il avait apportées pour cet 
usage. Les soldats les plus robustes franchirent ainsi Tenceintc 
et ouvrirent les portes, après avoir égorgé les sentinelles. Les 
troupes pénétrèrent aussitôt dans la ville. Les chefs des Syracu- 
sains, tout ivres qu'ils étaient, essayèrent de se défendre ; mais, 
troublés par le vin, ils furent, les uns tués, les autres poursuivis 
Tépée dans les reins. Toute la ville fut ainsi envahie, et la garni- 
son de la citadelle se précipita presque tout entière dans l'inté- 
rieur de Tenceinte : les Syracusains, attaqués à Timproviste, fu- 
rent saisis d'épouvante, et il s'ensuivit un effroyable carnage. Les 
troupes du tyran, au nombre de plus de dix mille hommes, con- 
servaient parfaitement leurs rangs , et rien ne résistait à la pe- 
santeur de leurs coups. Le tumulte et le désordre ajoutaient en- 
core à la défaite des Syracusains. Les vainqueurs occupèrent la 
place publique ; aussitôt ils se répandirent dans les maisons, en 
enlevèrent toutes les richesses, s'emparèrent des femmes, des 
enfants et des domestiques, qu'ils emmenèrent comme esclaves. 
Dans les carrefours et dans les rues, les Syracusains opposèrent 
quelque résistance ; mais un grand nombre périrent dans la mê- 
lée , et beaucoup d'autres tombèrent couverts de blessures. 
Toute la nuit se passa en massacres. Chaque endroit où Ton se 
battait dans l'obscurité était jonché de morts. 

XX. A la pointe du jour, les Syracusains reconnurent toute 
l'étendue du désastre; et, mettant dans Dion leur unique moyeu 
de salut, ils envoyèrent quelques cavaliers à Léontium pour 
supplier Dion de ne point laisser périr la patrie sous le fer de 
l'ennemi , de leur pardonner les torts qu'ils avaient eus h son 
égard, et de ne songer qu'à secourir la patrie en deuil. Dion, 
qui avait l'âme généreuse et qui était dès sa jeunesse imbu des 
principes de la philosophie, ne laissa éclater aucun ressentiment 
contre ses concitoyens; il engagea ses troupes à le suivre et 

m. \^ 



110 DIODORE DE SUJLE. 

se mit sur-le-champ en marche. Il franchit rapidement la distance 
qui le séparait de Syracuse. Arrivé aux Hexapyles, il rangea ses 
troupes en bataille, se i)orla promptement en avant et recueillit 
les enfants, les feihmes et les vieillards, qui, au nombre de plus 
de dix mille, avaient abandonné la ville. Tous le supplièrent, les 
larmes aux yeux, de les soustraire à leur infortune. La garnison 
de la citadelle avait réussi dans son entreprise : elle avait pillé 
et incendié les maisons qui avoisinaient la place publique; déjà 
les soldats du tyran s'étaient précipités dans les autres maisons 
et en enlevaient les richesses , lorsque Dion se jeta tout à coup 
dans la ville sur plusieurs points à la fois. Tombant sur les enne- 
mis occupés au pillage , il passait au fil de Tépée tous ceux qu*il 
rencontrait et qui emportaient sur leurs épaules toutes sortes de 
meubles. Cette attaque imprévue , Tindiscipline des soldats et 
le désordre des pillards, les firent facilement tomber entre les 
mains de Dion. Enfin, plus de quatre mille hommes furent égor- 
gés , soit dans les maisons, soit dans les rues; le reste s'enfuit 
dans la citadelle, en ferma les portes et se mit à l'abri du danger. 
Par cette action , plus brillante que toutes celles qu'il avait en- 
core accomplies , Dion parvint à soustraire Syracuse à une ruine 
certaine. Il éteignit la flamme qui consumait les maisons, rétablit 
très-bien le mur d'enceinte» et par ce seul moyen il mit la ville en 
état de défense en même temps qu'il coupait aux ennemis toute 
communication avec la campagne. Après avoir purifié la ville eu 
enlevant les morts, il dressa un trophée et offrit, en action de 
grâces, des sacrifices aux dieux. Le peuple se réunit en assem- 
blée, et, en témoignage de sa reconnaissance, il proclama Dion 
chef souverain et lui décerna les honneurs héroïques. Dion, con- 
séquent avec lui-même, pardonna généreusement à tous ses en- 
neuiis , et exhorta les citoyens à la concorde. Les Syracusains 
comblèrent leur bienfaiteur d'unanimes éloges , et honorèrent 
en lui le seul sauveur de la patrie. Tel était l'état des affaires 
esi Sicile. 

XXL En Grèce, les habitants de Ghio, de Rhodes, de Cos et 
de B^zance, continuaient la guerre sociale contre les Athéniens. 



LIVRE XVÏ. m 

Des deux côtés on faisait de grands préparatifs dans le but de ter- 
miner la guerre par une bataille navale décisive. Les Athéniens, 
qui avaient déjà précédemment envoyé Gharès avec soixante 
bâtiments , en armèrent alors soixante autres dont ils donnè- 
rent le commandement à deux des plus illustres citoyens, Iphi- 
crate et Timothée, et les firent partir pour rejoindre Charès et 
attaquer de concert les alliés rebelles. Les habitants do Chio , 
de Rhodes et de Byzance, réunis à leurs alliés, ^avaient de leur 
côté armé cent bâtiments; ils avaient ravagé les îles d'Im- 
bros et de Lemnos, et s'étaient portés de là sur Samos; ils 
en avaient dévasté le territoire et investi la ville par terre et par 
mer ; enfin, ils avaient maltraité beaucoup d'autres îles apparte- 
nant aux Athéniens, et avaient levé sur elles des contributions 
de guerre. Tous les généraux des Athéniens réunis décidèrent 
d*abord de mettre le siège devant la ville de Byzance. Bientôt 
après les habitants de Chio et leurs alliés levèrent le siège de 
Samos et vinrent au secours des Byzantins, en sorte que toutes 
les flottes se trouvèrent concentrées dans rHellesponl. Un com- 
bat naval allait s'engager lorsqu'une tempête qui s'éleva y mit 
obstacle. Néanmoins Charès voulut, en dépit de la nature, livrer 
le combat, et comme Iphicrate et Timothée s'y opposaient à cause 
de la mer agitée , Charès , en présence des soldats qu'il prit à 
témoin , accusa ses collègues de trahison et écrivit à Athènes 
en les dénonçant au peuple comme ayant volontairement refusé 
de combattre. Les Athéniens, irrités, mirent Iphicrate et Timo- 
thée en jugement, les condamnèrent à une amende d'un grand 
nombre de talents et leur ôtèrent le commandement K 

XXIL Investi du comnâandement de toute la flotte, Charès 
eut recours à un moyen étrange pour épargner aux Athéniens 
les dépenses de la guerre. Artabazc, satrape rebelle du roi des 
Perses, n'avait qu'un petit nombre de soldats à opposer aux 
soixante-dix mille hommes que les autres satrapes faisaient mar- 
cher contre lui. Charès vint avec toutes ses troupes au secours 
d'Artabaze, et battit l'armée du roi. Reconnaissant de ce ser- 

' Comparez Cornélius Nepos, Timotheus, c. 3. 



112 DIODOBË DE SICILE. 

vice, Artabaze donna à Gharcs une forte somme d*argent avec 
laquelle ce dernier pourvut aisément à la subsistance de ses 
troupes. Dans le premier moment, les Athéniens approuvèrent 
l'action de Charès ; mais lorsque le roi des Perses envoya des 
députés à Athènes et se plaignit de Charès, les Athéniens dé- 
savouèrent leur général ; car on avait répandu le bruit que le 
roi avait promis aux ennemis d'Athènes d'armer trois cents 
bâtiments pour faire la guerre aux Athéniens. Le peuple, crai- 
gnant l'accomplissement de cette menace, jugea convenable de 
faire la paix avec les rebelles, et comme ceux-ci étaient animés 
du même désir, la paix fut aisément conclue. Telle fut Tissuc de 
la guerre sociale, qui dura trois ans. 

En Macédoine, trois rois, ceux de Thrace, de Péonie et d'Jl- 
lyrie, s'étaient réunis pour attaquer Philippe. Ces rois, voisins de 
la iMacédoine, voyaient d'un œil jaloux l'accroissement de la 
puissance de Philippe ; et comme ils n'étaient pas assez forts 
par eux-niêmes pour le combattre, ils s'étaient ligués entre eux 
dans l'espoir d'en venir facilement à bout. Ils étaient encore 
occupés à rassembler leurs troupes, lorsque Philippe apparut , 
tomba sur les ennemis en désordre et épouvantés, et les força à 
se soumettre aux Macédoniens. 

XXIII. Cailistrate étant archonte d'Athènes, les Romains 
nommèrent consuls, Marcus Fabius et Caïus Plotius *. Dans 
cette année éclata la guerre sacrée , qui dura neuf ans. Philo- 
mclus le Phocidien, homme audacieux et pervers, s'empara du 
temple de Delphes et alluma cette guerre dont voici l'origine. 
Après la défaite des Lacédémoniens dans la bataille de Leuc- 
ires , les Thébains , reprochant aux Lacédémoniens l'occupa- 
tion de la Cadmée , leur intentèrent un grand procès devant 
le tribunal des amphictyons, et les firent condamner à une forte 
amende. Les Phocidiens avaient été également condamnés par 
le tribunal des amphictyons à une amende de plusieurs talents 
pour avoir approprié à la culture une portion considérable du 

* DtMixii''mc année de la cvi" olympiade ; année 355 avant J.-C. 



LIVRE XVI. 113 

territoire sacré nommée Cirrhée K Comme celte amende ne fut 
point payée, les hiéromnémones * portèrent plainte au conseil des 
amphictyons , et demandèrent au tribunal, si les Phocidiens ne 
restituaient pas les biens sacrés, que le pays des spoliateurs sa- 
crilèges fût mis en interdit et privé de la protection de la divi- 
nité. Les hiéromnémones insistèrent pour que tous ceux qui 
étaient condamnés à de semblables amendes (et ils y compre- 
naient aussi les Lacédémoniens ) , eussent à les payer sans re- 
tard , et qu'en cas de refus , ils fussent voués à Texécration de 
tous les Grecs. Les amphictyons rendirent une sentence con- 
forme à cette requête, et les Grecs la ratifièrent. Le territoire des 
Phocidiens allait être mis sous anathème, lorsque Philomé- 
Ius^ homme très-considéré parmi les Phocidiens, représenta à 
ses concitoyens qu'il leur était impossible de s'acquitter d'une 
amende aussi énorme ; que, de plus, laisser leur territoire frappé 
d'anathème serait une lâcheté qui mettrait toute leur existence 
en péril. Il chercha ensuite à prouver que les arrêts des amphi- 
ctyons étaient souverainement injustes, puisque, [wur la culture 
d'une très-petite portion du territoire sacré, ils prononçaient une 
amende exorbitante. Il leur conseillait donc de regarder ces sen- 
tences comme non avenues ; il ajouta que Içs Phocidiens avaient 
de grands motifs pour récuser les amphictyons ; car de tout temps 
la possession et le patronage de Delphes appartenaient aux Pho- 
cidiens; et, à l'appui de son assertion, il citait le plus ancien et 
le plus grand des poêles, Homère, qui dit : 

« Puis viennent les chefs des Phocidiens, Schédius et Épi- 
strophus, qui possèdent Cyparissus et- la rocheuse Pytho *. » 

Il est donc incontestable, ajouta Philomélus, que le patronage 
de l'oracle appartient aux Phocidiens par droit d'héritage. Enfin, 

• Comparez Justin, vni, i. 

» lepoiJ-v^^oveç f archivistes sacrés. On appelait ainsi les députés des villes 
grec(iues auprès du conseil des amphictyons. 

* Ce personnage , qui jouait le principal rôle dans la guerre sacrée , est appelé 
Philnmédus par Polyen , Philodémus par Plutarque, Euméhis par le scholiaste de 
Pindare. 

* Iliade, liv. II, v. 517. 

m. 10. 



lu DIODORE DE SICILE. 

il déclara qu'il se chargerait de terminer toute cette affaire si ses 
concitoyens voulaient le nommer chef militaire et lui déférer une 
autorité absolue. 

XXIV. Craignant Texécution de la sentence prononcée contre 
eux, les Phocidiens nommèrent Philomélus leur général. Celui- 
ci, investi de pouvoirs illimités, songea sérieusement à Taccom-* 
plissement de sa promesse. Il se rendit d*abord à Sparte où il 
eut un entretien secret avec Archidamus, roi des Lacédémo- 
niens : il lui représenta qu'ils avaient à lutter en commun pour 
annuler les décrets des amphictyons dont les Lacédémoniens 
avaient également beaucoup à se plaindre; il lui annonça en 
même temps son intention de s'emparer de Delphes, et, s'il réu8-> 
sissait, d'annuler lesdécretsdes amphictyons. Archidamus accepta 
la proposition et répondit que, dans le moment actuel, il ne pour- 
rait point favoriser ouvertement cette entreprise , mais qu'en se- 
cret il fournirait toute espèce de secours soit en argent , soit 
en troupes. Philomélus reçut donc du roi quinze talents, ajouta 
à cette somme à peu près autant de sa propre fortune, prit à sa 
solde des mercenaires étrangers, et leva parmi les Phocidiens 
mille hommes d'élite- auxquels il donna le nom de Peltastes^. 
Après avoir mis en campagne une forte armée , il vint occuper 
le temple où était l'oracle, tua les Thracides, gardiens de 
Delphes , qui voulaient lui résister, et vendit leurs biens à l'en- 
chère. Voyant les autres frappés de terreur , il les rassura en 
leur disant qu'ils n'avaient rien à redouter pour eux-mêmes. 
Dès que le bruit de la prise du temple de Delphes se fut ré- 
pandu , les Locriens , habitants du voisinage , marchèrent sur- 
le-champ contre Philomélus. Il se livra une bataille aux portes 
de Delphes ; les Locriens furent défaits , perdirent beaucoup de 
monde , et se réfugièrent dans leur pays. Philomélus , exalté 
par cette victoire , effaça les sentences des amphictyons sur 
les colonnes où elles étaient inscrites , et en fit anéantir toutes 
les traces. Il déclara ensuite , dans une proclamation , qu'il 
n'était point venu dans l'intention sacrilège de profaner le 

' De TtéXxYif bouclier. 



LIVBE XVI. 115 

temple , mais dans le but de reveudiquer poar les Phocidiens 
le droit de patronage héréditaire , et d*annuler les injustes sen- 
tences des amphictyons. 

XXV. Cependant les Béotiens s'assemblèrent et résolurent 
de venir au secours du temple de Delphes ; ils firent sur-le- 
champ partir des troupes. Dans cet intervalle, Philomélus avait 
entouré le temple d*un mur d'enceinte et réuni beaucoup de mer- 
cenaires qu'il avait attirés en élevant de moitié leur solde ordi- 
naire; il avait aussi enrôlé Télite des Phocidiens, et prompte- 
ment mis sur pied une puissante armée. A la tête de plus de cinq 
mille hommes, Philomélus s'établit aux portes de Delphes et prit 
une attitude menaçante vis-à-vis de ceux qui seraient tentés de 
lui faire la guerre. Il pénétra ensuite sur le territoire des Lo- 
criens, dévasta une grande partie du pays ennemi, vint camper 
9ur les bords d'un fleuve qui coule auprès d'une place fortifiée. 
Il attaqua cette place, mais ne pouvant la prendre , il leva le 
siège et alla présenter le combat aux Locriens. Il y perdit 
vingt soldats; et, n'ayant pu enlever les morts, il les fit deman- 
der par un héraut. Les Locriens refusèrent de les lui rendre , et 
répondirent que c'était une loi commune à tous les Grecs de 
laisser sans sépulture les corps des sacrilèges. Philomélus , irrité 
de cela, livra un nouveau combat aux Locriens, et, jaloux de 
prendre sa revanche, il tua beaucoup d'ennemis, s'empara de 
leurs corps, et força les Locriens à consentir à l'échange des 
morts. Après cette victoire en rase campagne , il dévasta une 
grande partie de la Locride et ramena à Delphes ses troupes 
chargées de butin. Voulant ensuite consulter le dieu sur l'issue 
de cette guerre , il força la pythie à monter sur son trépied et 
à rendre des oracles. 

XXVI. Gomme je viens de mentionner le trépied , je pense 
qu'il ne sera pas hors de propos d'exposer ici l'antique his- 
toire de l'oracle de Delphes. D'après une ancienne tradition , 
cet oracle fut découvert par des chèvres. C'est pourquoi les Del- 
phiens sacrifient encore aujourd'hui des chèvres lorsqu'ils con- 
sultent la pythie. Voici comment on raconte la découvect^ ds^ 



116 DIODORE DE SICILE. 

cet oracle. Il existe un gouffre dans l'endroit même où est au- 
jourd'hui le sanctuaire du temple. Des chèvres paissaient autour 
de ce gouffre, car Delphes n'était pas encore fondée; chaque 
fois qu'elles s'approchaient de la cavité , et qu'elles regardaient 
dedans , elles se mettaient à bondir d'une façon singulière et h 
proférer des sons tout différents de leur voix ordinaire. Celui 
qui gardait les chèvres , étonné de ce phénomène , s'approcha 
à son tour du gouffre, regarda dans l'intérieur et éprouva la 
même chose que les chèvres. Ces animaux paraissaient être ani- 
més du même esprit qui inspire les devins, et le berger était de- 
venu capable de prédire l'avenir. Le bruit de cette merveille 
s'étant répandu chez les indigènes , beaucoup de monde vint vi- 
siter ce lieu : tous ceux qui avaient tenté l'expérience du gouffre 
devinrent inspirés. Telle fut l'origine miraculeuse de cet oracle 
qui passait pour celui de la Terre. Pendant quelque temps, ceux 
qui voulaient connaître l'avenir s'approchaient du gouffre, et se 
communiquaient les oracles qui leur étaient inspirés. Mais 
comme par la suite plusieurs hommes s'étaient, dans leur extase, 
précipités dans le gouffre, et qu'ils avaient tous disparu, les ha- 
bitants de l'endroit, pour prévenir de pareils accidents, instituè- 
rent comme unique prophétesse une femme qui rendait les ora- 
cles ; on construisit pour elle une machine sur laquelle elle mon- 
tait sans danger pour recevoir les inspirations et rendre les oracles 
à ceux qui l'interrogeaient. Cette machine reposait sur trois 
pieds; de là son nom de trépied. Et nos trépieds d'airain sont 
aujourd'hui construits presque entièrement sur ce modèle. Telle 
fut l'origine de l'oracle de Delphes et de la construction du tré- 
pied. On prétend qu'anciennement les prophétesses étaient des 
vierges à cause de la pureté de leur corps et de leur analo- 
gie avec Diane , enfin qu'elles étaient plus propres à garder le 
secret de l'oracle. On raconte encore que , dans un temps assez 
récent , Échécrate , le Thessalien , vint consulter l'oracle, aper- 
çut la vierge prophétesse, et, charmé de sa beauté, l'enleva et 
la viola. Ce fut depuis cet accident que les Delphiens portèrent 
une loi qui défendait à toute vierge de rendre des oracles. Cette 



LIVRE XVI. 117 

fonction fut alors confiée à une femme âgée de plus de cinquante 
ans; elle devait porter les vêlements d'une jeune fille, en mé- 
luolre de l'ancienne prophétesse *. Voilà ce que la tradition rap- 
porte au sujet de l'oracle de Delphes. Nous allons maintenant 
revenir à l'histoire de Philomélus. 

XXVII. Après s'être emparé du tcniple, Philomélus ordonna 
à la pythie de s'asseoir sur le trépied et de prophétiser selon les 
rites antiques. Là prophétesse répliquant qu'il était aussi dans 
les rites anciens [de lui répondre non assise^] , Philomélus em- 
ploya la menace et la força pour la faire monter sur le trépied. 
La pythie, faisant allusion à cet excès de violence, prononça que 
Philomélus pouvait faire tout ce qu'il voulait. Il fut satisfait de 
cette réponse , et accepta l'oracle comme favorable. Il le fit aussi 
mettre immédiatement par écrit , et publia partout que le dieu 
lui avait permis de faire tout ce qu'il voudrait. Il convoqua en- 
suite une assemblée où, après avoir fait connaître la réponse de 
la pythie, il exhorta la multitude à mettre toute confiance en lui; 
puis il se prépara à la guerre. Il arriva aussi un présage dans le 
temple d'Apollon : un aigle ^, planant au-dessus de ce temple, 
s'abattit en tournoyant , donna la chasse aux colombes nourries 
dans le sanctuaire, et en saisit quelques-unes sur les autels. Les 
augures déclarèrent à Philomélus et aux Phocidiens que Delphes 
tomberait en leur pouvoir. Encouragé par ces présages, Philo- 
mélus choisit ses amis les plus habiles pour se rendre en dépu- 
tation les uns à Athènes, les autres à Lacédémone, d'autres à 

' Les Germains, les Gaulois, les Perses , les Indiens, enfin la plupart des peu- 
ples de la terre ont attribué à la femme un pouvoir prophétique. Cette opinion 
presque unanime est assez remarquable. Se rattacherait-elle au principe reproduc- 
teur de l'œuf, que la fenmie porte en elle-même, et dont on peut prédire le dé- 
veloppement avec certitude ? Et les causes des cvénemenis seraient-elles ici assi- 
milées aux germes de la reproduction ? Ou bien encore , est-ce parce que les fem- 
mes , d'une constitution nerveuse i)lus délicate , sont sujettes à des maladies , telles 
que la catalepsie , l'hystérie, qui leur donnent un air d'inspirées, comme les som- 
nambules ? Cette dernière hypothèse parait pins plausible. 

' Les mots mis entre deux crochets manquent dans le texte qui est ici tronqué. 

* J'ignore sur quelle autorité M. Miot s'est appuyé pour rendre le mot àerôç 
par aigle blanc ; ce mot n'est accompagné, dans le texte, ni de )£uzdç, ni d'aucune 
autre épithète. 



118 DIODORE DE SICILE. 

Thèbes , enfin il envoya des députés dans toutes les villes con- 
sidérables de la Grèce. Ces députés étaient chargés de déclarer 
que Philomélus s'était emparé de Delphes non point pour s'ap- 
proprier les trésors sacrés, mais seulement pour revendiquer le 
patronage du temple , qui , de tout temps , avait appartenu aux 
Phocidiens ; que , quant au trésor , il serait prêt à en rendre 
compte à tous les Grecs , et à donner à tous ceux qui voudraient 
le vérifier un inventaire exact du poids et du nombre des offran- 
des. Il engagea tous ceux qui auraient des intentions hostiles 
contre les Phocidiens , à faire plutôt alliance avec eux , ou du 
moins à garder la neutralité. Les envoyés s'acquittèrent de leur 
mission. Les Athéniens, les Lacédémoniens et quelques autres 
cités grecques firent alliance avec Philomélus et promirent de lui 
envoyer des secours. Les Béotiens, les Locriens, et quelques au- 
tres peuples prirent une résolution tout opposée et déclarèrent la 
guerre aux Phocidiens pour venger le dieu. Tels sont les événe- 
ments arrivés dans le cours de cette année. 

XXYIII. Diotime étant archonte d'Athènes, les Romains 
élurent pour consuls , Caïus Martius et Cnéius Manlius K Dans 
cette année , Philomélus, prévoyant que la guerre serait sé- 
rieuse , rassembla une multitude de mercenaires , et appela 
l'élite des Phocidiens au service de l'armée. Bien que la 
guerre exige des dépenses, Philomélus s'abstint cependant 
de toucher aux offrandes sacrées; mais il mit sur les habi- 
tants les plus riches de Delphes une contribution suffisante 
pour payer la solde de ses troupes. Il mit ainsi en campagne 
une armée considérable et fut prêt à tenir tête aux ennemis des 
Phocidiens. Les Locriens marchèrent contre lui. Il se livra une 
bataille dans les environs des roches Phaedriennes. Philomélus 
fut victorieux : il tua un grand nombre d'ennemis et fit un non 
moins grand nombre de prisonniers ; 11 en avait même forcé 
quelques-uns à se précipiter du rocher. Cette victoire enfla les 
Phocidiens d'orgueil. Les Locriens, abattus, envoyèrent des dé- 
putés à Thèbes pour solliciter les Béotiens à venir à leur secours 

' Troisième année de la cvi^ olympiade ; année S54 ayant J.-C. 



LIVRE XVI. 119 

et à défendre le dieu. Les Béotiens, poussés par leur piété envers 
les dieux, et par l'intérêt qu'ils avaient à maintenir intactes les 
sentences des amphictyons , envoyèrent à leur tour une députa- 
tion auprès des Thessaliens et des autres membres du conseil 
amphictyonique, pour les supplier de faire en commun la guerre 
aux Phocidiens. Les amphictyons décidèrent donc de faire la 
guerre aux Phocidiens. Cette décision causa dans toute la Grèce 
des troubles et des désordres : les uns étaient d'avis d'aller au 
secours du dieu et de châtier les Phocidiens comme sacrilèges , 
les autres opinaient pour l'alliance des Phocidiens. 

XXIX. Les peuples et les villes de la Grèce furent donc di- 
visés en deux parties. Les Béotiens , les Locriens , les Thessa- 
liens, les Perrhaebiens, les Doriens, lesDolopes, les Athamans, les 
Âchéens , les Phthiotes , les Magnètes , les iËnians et quelques 
autres se déclarèrent pour la défense du temple; tandis que les 
Athéniens, les Lacédémoniens et quelques autres Péloponné- 
siens prirent le parti des Phocidiens. Les Lacédémoniens surtout 
mirent la plus grande ardeur à soutenir cette guerre; voici 
pourquoi. Après la guerre qui fut terminée par la bataille de 
Leuctres, les Thébains traduisirent les Lacédémoniens devant 
le conseil des amphictyons, sur l'accusation que Phœbidas le 
Spartiate avait occupé la Cadinée. Les Spartiates furent condam* 
nés à une amende de cinq cents talents ^ ; mais , comme cette 
amende ne fut point payée à l'expiration du terme fixé par les 
lois, les Thébains renouvelèrent le procès pour la faire doubler. 
Les amphictyons prononcèrent une amende de mille talents. Les 
Lacédémoniens avaient donc les mêmes motifs de plainte que 
les Phocidiens qui se disaient injustement condamnés par les 
amphictyons à une amende exorbitante. Les Lacédémoniens 
avaient à cette guerre le même intérêt que les Phocidiens ; mais, 
pour ne pas encourir la malédiction d'une guerre ouverte, ils 
jugèrent plus convenable de se cacher derrière les Phocidiens 
pour faire annuler les sentences des amphictyons. Tels furent les 
motifs qui engagèrent les Lacédémoniens à soutenir avec tant 

' Deux millions sept cent cinquante mille francs. 

■■ « 



120 DIODORE DE SICILE. 

d'empressement les Phocidiens et à leur procurer le patronage 
du temple de Delphes. 

XXX. A la nouvelle que les Béotiens s'avançaient avec une 
puissante armée contre les Phocidiens , Philomélus résolut de 
réunir un grand nombre de mercenaires. Et comme il avait be- 
soin de plus d'argent pour subvenir aux frais de la guerre, il fut 
obligé de toucher aux offrandes sacrées et de spolier le temple. 
Une foule de soldats étrangers se joignirent à lui , en grande 
parlie attirés par la promesse d'une forte paie. Aucun homme 
religieux ne souscrivit à cette guerre , tandis que les impies , 
hommes cbpides, accoururent avec empressement sous le dra- 
peau de Philomélus qui parvint ainsi , grâce h ses richesses , à 
mettre promplement sur pied une forte armée, composée d'hom- 
mes capables de commettre des sacrilèges *. A la tête d'une armée 
de plus de dix mille hommes d'infanterie et de cavalerie, Phi- 
lomélus pénétra sur le territoire des Locriens. Les Locriens, 
secondés des Béotiens , se mirent en devoir de lui résister. Il 
s'engagea un combat de cavalerie dans lequel les Phocidiens 
l'emportèrent. Bientôt après, les Tbessaliens, réunis à leurs al- 
liés du voisinage, entrèrent, au nombre de six mille, dans la I.o- 
cride; ils livrèrent aux Phocidiens un combat près d'une hau- 
teur appelée Argola , et furent mis en déroute. Cependant les 
Béotiens apparurent avec une armée de treize mille hommes ; 
de leur côté les Achéens sortirent du Péloponnèse avec quinze 
cents hommes, et arrivèrent au secours des Phocidiens. Les doux 
armées vinrent se concentrer sur un seul point et campèrent en 
face Tune de l'autre. 

XXXL Bientôt après, les Béotiens firent prisonniers quelques 
soldats mercenaires qui avaient été envoyés en fourrageurs. Ils 
les conduisirent aux portes de la ville et firent proclamer par un 
héraut que les amphictyons punissaient de mort tous ceux qui 
servaient dans l'armée des sacrilèges. Joignant aussitôt l'action 

' La phrase tk^^ oûva/xtv àÇio;(/Dswv xaT57/.àu;c(7XT0 ( il niit promplement 
sm* pied une armée respectable), qui n'est guère que la répétition de la phrase 
précédente, a été à dessein omise dans la traduction. Au reste, il y a beaucoup de 
répétitions dans tous ces chapitres qui paraissent altérés. 




LIVRE XVI. 121 

aux paroles , ils les tuèrent tous à coups de flèches. Irrités de 
cela , les mercenaires , à la solde des Phocidiens , demandèrent 
à Philoraélus h se venger de la même façon sur Tennemi. Ces 
mercenaires mirent donc une grande ardeur à faire prisonniers 
tous les ennemis errant dans la campagne ; ils en prirent un grand 
nombre , les conduisirent à l'entrée du camp où Philomélus les 
tua tous à coups de traits. Cette vengeance fit que les ennemis se 
relâchèrent de leur arrogance et de leur cruauté. Peu de temps 
après, les deux armées se transportèrent dans une autre contrée. 
Comme leur chemin les conduisit à travers un pays couvert de 
forêts et de rochers, Tavant-garde ne tarda pas à en venir à un 
engagement. La mêlée devint terrible ; les Béotiens, de beaucoup 
supérieurs en nombre, mirent les Phocidiens en déroute; la re- 
traite s'opérant à travers un pays inaccessible et plein de préci- 
pices , beaucoup de Phocidiens et de soldats mercenaires péri- 
rent. Philomélus combattit courageusement, et, criblé de bles- 
sures , il gagna une hauteur escarpée où il fut enveloppé : ne 
.trouvant aucujie issue et redoutant les outrages de la captivité , 
il se jeta lui-même dans un précipice et vengea ainsi par sa mort 
la divinité offensée. Son collègue au commandement , Onomar- 
que , qui succéda à Philomélus, se retira avec les débris de son 
armée et recueillit les fuyards. 

Pendant que ces événements se passaient, Philippe, roi des 
Macédoniens, assiégea Méihone, prit cette ville d'assaut et la 
détruisit après l'avoir saccagée; il investit ensuite la ville de 
Pagues et la força à la soumission. 

Dans le Pont, Leucon, roi du Bosphore, mourut après un 
règne de quarante ans. Son fils Spartacus, qui lui succéda, ne 
régna que cinq ans. 

Les Romains étaient en guerre avec les Falisques; ils n'exé- 
cutèrent rien qui fût digne de mémoire, si ce n'est qu'ils firent 
de fréquentes incursions sur le territoire des Falisques et le ra- 
vagèrent. En Sicile , Dion est égorgé par les soldats mercenaires 
de Zacynihe; Callipe, principal instigateur de ce mourire, lui 
succéda dans le commandement , et régna treize mois, 
m. 11 



122 DIODORE DE SICILE. 

XXXII. Ëudème étant archonte d'Athènes, les Romains 
nommèrent consuls Marcus Fabius et Marcus Popiiius^ Dans 
celte année, les Béotiens, vainqueurs des Phocidiens, et per- 
suadés que le sort de Philomélus, le principal coupable, châtié 
à la fois par les dieux et par les hommes, détournerait les au- 
tres d'un semblable sacrilège, rentrèrent dans leurs foyers. Les 
Phocidiens, délivrés actuellement de la guerre, retournèrent à 
Delphes et se réunirent, avec leurs alliés, en une assemblée gé- 
nérale , pour délibérer sur la . conduite de la guerre. Les plus 
sages inclinèrent pour la paix. Les impies , les audacieux et les 
ambitieux étaient d'un avis contraire et jetaient les yeux autour 
d'eux pour chercher un orateur qui appuyât leurs coupables des- 
seins. Onomarque se leva : dans un discours habilement pré- 
paré , il insista sur la continuation de l'entreprise commencée , 
et exhorta les masses à la guerre , en songeant bien plutôt à son 
intérêt particulier qu'à l'intérêt commun; car il avait été lui- 
même condamné par les amphictyons à une très-forte amende 
qu'il n'avait pas encore payée. Voyant donc que la guerre était 
préférable à la paix, il excita, par des raisons spécieuses, les 
Phocidiens et leurs alliés à poursuivre le projet de Philomélus. 
Onomarque fut proclamé chef absolu , rassembla une foule de 
mercenaires, remplit dans les rangs les vides que les morts 
avaient laissés, augmenta son armée d'un grand nombre de sol- 
dats enrôlés à l'étranger, fit des levées de troupes auxiliaires et 
tous les autres préparatifs de guerre nécessaires. 

XXXIII. Onomarque se confirma encore davantage dans sou 
dessein par un rêve qui lui présageait la puissance et la gloire. 
Il lui semblait, en songe, que le colosse d'airain que les amphic- 
tyons avaient élevé dans le temple d'Apollon, avait grandi dans ses 
mains. Il conclut de là que les dieux lui pronostiquaient une aug- 
mentation de gloire par son commandement nnlitaire. Mais il 
se trompa , car ce songe présageait au contraire que l'amende 
déjà prononcée par les amphictyons contre les Phocidiens cou- 
pables de sacrilège, serait augmentée encore, en punition des 

' Quatrième année de la CVF olympiade; année 353 avant J.-C. 



UVHE XVI. 123 

crimes qa'Onomarque commeitrait de ses propres mains; c'est 
en effet ce qui arriva. Investi de pouvoirs illimités, Onomarque 
fabriqua une masse d*armes avec Tairain et le fer [ qu'il avait en- 
levés du temple]; avec Tor et l'argent, il frappa une monnaie 
qu'il distribua aux villes alliées et aux citoyens les plus influents. 
Il corrompit aussi beaucoup d'ennemis , en engageant les uns à 
embrasser son parti, et en priant les autres de se tenir neutres. 
L'amour de l'argent , dont les hommes sont possédés , lui apla- 
nissait toutes les difficultés. Il gagna chez les Thessaliens les plus 
influents de ceux qui s'étaient ligués contre lui , et réussit à s'as- 
surer leur neutralité. Il arrêta les Phocidiens qui s'étaient mon- 
trés les plus opposés à son entreprise , les fit mettre à mort et 
vendre leurs biens à l'enchère. Il envahit ensuite le territoire 
ennemi, prit d'assaut la ville de Tronium , dont il réduisit les 
habitants à l'esclavage, intimida les Amphissiens et les força à 
se soumettre. Il saccagea les villes de la Tauride et désola leur 
territoire. Delà, il pénétra dans la Béotie, prit la ville d'Or- 
chomène et se disposait à mettre le siège devant Chéronée, lors- 
qu'il fut attaqué par les Thébains , mis en déroute et forcé de 
rentrer dans ses foyers. 

XXXIY. Tandis que ces choses se passaient , Artabaze , qui 
s'était révolté contre le roi , soutenait la guerre contre les sa- 
trapes que le roi avait envoyés pour le combattre. Il eut pour 
auxiliaire Charès, général des Athéniens, et se défendit coura- 
geusement ; lorsque celui-ci se fut retiré et qu'il se trouva ré-^ 
duit à ses propres ressources^ il s'adressa aux Thébains pour lui 
envoyer des secours. Ceux-ci firent passer en Asie cinq mille hom- 
mes sous les ordres de Pammène. Ce général se joignit à Arta- 
baze , défit les satrapes dans deux grandes batailles et s'acquit 
beaucoup de réputation en même temps qu'il fit rejaillir de la 
gloire sur les Béotiens. En effet , c'était chose merveilleuse de 
voir les Béotiens, abandonnés des Thessaliens et impliqués dans 
la guerre si chanceuse contre les Phocidiens, envoyer des trou- 
pes en Asie et remporter l'avantage dans presque toutes les ren- 
contres. 



i2U DIODORE DE SICILE. 

Pendant le cours de ces événements, la guerre éclata entre les 
Argiens et les Lacédémoniens. Un combat eut lieu près de la 
ville d*Ornée ; les Lacédémoniens furent victorieux, prirent Or- 
née d'assaut et retournèrent à Sparte. 

Charès , général des Athéniens , fit voile pour l'Hellespont , 
prit la ville de Scstus, massacra les habitants adultes et vendit 
les autres comme esclaves. Cersobleptus, fils de Cotys, par haine 
contre Philippe et par affection pour les Athéniens , livra à ces 
derniers les villes de la Chersonèse, excepté Cardia. Le peuple 
d'Athènes envoya dans ces villes des colons qui se partagèrent le 
territoire. Philippe voyant que les Méthonéens laissaient leur ville 
servir de point de ralliement aux ennemis, vint y mettre le siège. 
Les Méthonéens se défendirent pendant quelque temps avec cou- 
rage; mais, accablés par des forces supérieures, ils furent obli- 
gés de livrer la ville au roi, à la condition que tous les citoyens 
en sortiraient en n'emportant chacun qu'un seul vêtement. Phi- 
lippe fit raser la ville et distribua les terres aux Macédoniens. Ce 
fut au siège de cette ville que Philippe perdit un œil par suite 
d'un coup de flèche *. 

XXXV. Philippe se rendit ensuite avec une armée en Thes- 
salie, où il avait été appelé par les indigènes. Il fit d'abord la 
guerre à Lycophron, tyran de Phères, en défendant la cause des 
Thessaliens. Lycophron implora de son côté l'assistance des 
Phocidiens , qui lui envoyèrent Phayllus, frère d'Onomarque , 
avec sept mille hommes. Philippe défit les Phocidiens et les 
chassa de la Thessalie. Onomarque se mit à la tête de toute l'ar- 
mée , et, dans l'espoir de se rendre maître de la Thevssalie en- 
tière, il s'empressa de venir au secours de Lycophron. Philippe, 
de concert avec les Thessaliens, marcha à l'encontre des Phoci- 
diens. Mais Onomarque , supérieur en forces , le défit en deux 
batailles et tua un grand nombre de Macédoniens. Philippe cou- 
rut les plus grands dangers et ses soldats l'abandonnèrent de 
découragement; ce n'est qu'à grand'peine qu'il parvint à ré- 
tablir la discipline. Après ce revers , Philippe se retira dans la 

• L'auteur de cet accident s'appelait Aster, d'après Suidas. ( v. Kipxvoç, ) 



LIVRE XVI. 125 

Macédoine ; Onomarque pénétra dans la Béotie , battit les Béo- 
tiens et prit la ville de Coronée. Cependant Philippe quitta de 
nouveau la Macédoine et ne tarda pas à reparaître en Thessalie à 
la tête d'une forte armée qu'il dirigea contre Lycophron , tyran 
de Phares. Celui-ci, hors d*état de lui résister, implora le secours 
des Phocidiens et leur promit de les aider à rétablir leurs affaires 
en Thessalie. Onomarque vint donc au secours de Lycophron 
avec vingt mille hommes d'infanterie et cinq cents cavaliers. 
Philippe engagea alors les Thessaliens à faire une guerre géné- 
rale et réunit ainsi toutes les troupes composées de plus de vingt 
mille fantassins et de trois mille chevaux. Il se livra une bataille 
sanglante dans laquelle les Thessaliens, supérieurs en cavalerie, 
se signalèrent par leur bravoure et aidèrent Philippe à rempor- 
ter la victoire. Les soldats d'Onomarque se réfugièrent vers la 
mer; par hasard la flotte de Charès, composée de plusieurs tri- 
rèmes , passa en ce moment. Les Phocidiens essuyèrent un grand 
carnage : les fuyards, jetant leurs armures, cherchèrent à gagner 
à la nage les trirèmes athéniennes. Au nombre de ceux-là était 
aussi Onomarque. [Mais ne pouvant atteindre la flotte^] plus 
de six mille Phocidiens et de soldats mercenaires périrent , et 
leur général lui-même perdit la vie ; au moins trois raille hom- 
mes furent faits prisonniers. Philippe fit pendre Onomarque et 
jeta les autres à la mer comme coupables de sacrilège*. 

XXXVL Après la mort d'Onomarque, son frère Phayllus 
prit le commandement des Phocidiens. Il rassembla un grand 
nombre de mercenaires, doubla leur solde habituelle et tira du 
secours de ses alliés. Il fit aussi fabriquer une multitude d'armes 
et frapper une monnaie d'or et d'argent. 

En ce même temps, Mausolé , souverain de la Carie , mourut 

• Ces mots n'existent point dans le texte, mais ils sont nécessaires ponr l'intelli- 
gence de ce qui suit. 

* Dans l'antiquité, les accusés convaincus de sacrilège étaient ou pendus, ou 
noyés ou brûlés. Ces trois genres de supplice paraissent avoir un sens myslérieux ; 
ils correspondent aux trois éléments, l'air, l'eau et le feu. C'était la mort, sans écou- 
lement de sang. Au moyen âge, ces mêmes supplices étaient presque exclusivement 
infligés aux hérétiques, conformément à ce principe : Ecclesia a sanguine abhorret. 

III. 11. 



126 DIODORE DE SICILE. 

après un règne de ^ingt-qualre ans; Arthémisia, tout à la fois 
sa sœur et sa femme, lui succéda et régna deux ans. Cléarque , 
tyran d'Héraclée, fut tué en se rendant aux jeux deBacchus; il 
avait régné douze ans; son fils Timoihée qui lui succéda en 
régna quinze. 

Les Tyrrhéniens faisaient la guerre aux Romains; ils ravagèrent 
une grande partie du territoire ennemi , et , après avoir poussé 
leurs excursionsjusqu'aux bords du Tibre, ils revinrent chez eux. 

A Svracuse , les amis de Dion s'étaient soulevés contre Cal- 
lippe; ils furent vaincus et obligés de se réfugier à Léontium. 
Quelque temps après, Hipparinus , fils de Denys , aborda à Sy- 
racuse avec une armée , défit Gallippe et le chassa de la ville. 
Hipparinus recouvra ainsi l'héritage de son père, et régna pen- 
dant deux ans. 

XXXVII. Aristodème étant archonte d'Athènes, les Romains 
nommèrent consuls Gaîus Sulpicius et Marcus Valérius; on célé- 
bra la Gvii* olympiade, dans laquelle Smicrinas de Tarente rem- 
porta le prix à la course du stade ^ Dans cette année, Phayllus, 
général des Phocidiens, qui avait succédé à son frère dans le com- 
mandement , rétablit les affaires des Phocidiens affaiblis par les 
revers qu'ils venaient d'éprouver. En possession de richesses 
inépuisables, il enrôla un grand nombre de mercenaires et enga- 
gea ses alliés à prendre une part active à la guerre. Prodiguant 
l'argent sans pudeur, il attira dans son parti non-seulement 
beaucoup de particuliers , mais il poussa à l'insurrection les 
villes les plus considérables de la Grèce. Les Lacédémoniens lui 
envoyèrent mille soldats, les Achéens deux mille et les Athé- 
niens cinq mille fantassins et quatre cents cavaliers, sous les or- 
dre de Nausiclès. Les tyrans dePhères, Lycophron et Pitholaiis, 
privés d'alliés depuis la mort d'Onomarque, avaient livré Phères 
à Philippe. Mis en liberté sur la foi d'un traité, ils prirent à 
leur solde deux mille mercenaires et se réfugièrent auprès de 
Phayllus en se déclarant alliés des Phocidiens. Beaucoup d'au- 
tres villes moins importantes, attirées par l'appât de l'argent , 

' Première année de la cvii" olympiade ; année 352 avant J.-C. 



LIVRE XVI. 127 

vinrent au secours dos Phocidiens. C'est ainsi que For, ex- 
citant les passions sordides de l'homme , fait déserter la cause 
la plus juste pour faire suivre le parti qui flatte la cupidité. 
Phayllus entra donc en Béotie à la tête d'une armée ; mais il fut 
vaincu dans une bataille livrée auprès de la ville d*Orcho- 
mène et perdit beaucoup de soldats. Peu de temps après, un 
nouveau combat eut lieu aux bords du fleuve Céphise ; les 
Béotiens , une seconde fois victorieux , passèrent au fil de Tépée 
plus de quatre cents ennemis et firent cinq cents prisonniers. 
Peu de jours après , un troisième combat s'engagea près de Go- 
ronée ; les Béotiens , de nouveau victorieux , tuèrent cinquante 
Phocidiens et firent cent trente prisonniers. Telle était la si- 
tuation des affaires chez les Béotiens et les Phocidiens. Reve- 
nons maintenant à Philippe. 

XXXVIII. Après avoir vaincu Onomarque dans une bataille 
célèbre, Philippe renversa la tyrannie à Phères, et rendit la ville 
à la liberté. Il régla ensuite les affaires de la Thessalie et s'a- 
vança vers les Pyles pour combattre les Phocidiens. Mais, comme 
les Athéniens lui avaient fermé le passage de ce défilé, il re- 
tourna en Macédoine , après avoir ajouté à l'éclat de son règne 
par ses hauts faits et par sa piété envers les dieux. 

Cependant Phayllus avait envahi le territoire des Locriens sur- 
nommés les ÉpicnémidiensS et s'était emparé de toutes leurs vil- 
les; l'une de ces villes, appelée Aryca, lui avait été livrée la nuit 
par trahison , mais il en fut bientôt chassé et ne perdit pas 
moins de deux cents soldats. Il vint camper ensuite près de la 
ville d'Abes; les Béotiens attaquèrent pendant la nuit les Pho- 
cidiens et leur firent perdre beaucoup de monde. Enhardis par 
ce succès, ils entrèrent sur le territoire des Phocidiens , le 
ravagèrent dans une grande étendue et recueillirent beaucoup 
de butin. Pendant leur retraite, ils portaient des secours à la 
ville d'Aryca, qui était alors assiégée , lorsque Phayllus apparut 
tout à coup , prit la ville d'assaut , la livra au pillage et la ren- 
versa de fond en comble. Phayllus, atteint de phthisie, mourut 

* Us habitaient aux environs du mont Cnémis. 



128 DIODORE DE SICILE. 

après de longues souffrances, châtiment de son impiété. Il 
laissa le commandement de Tannée des Pliocidiens à Phaiae- 
cus , fils de ce même Onomarque qui avait allumé la guerre 
sacrée, jeune homme encore impubère ; il lui avait donné pour 
tuteur Mnaséas, un de ses amis. Peu de temps après, les Béo- 
tiens attaquèrent de nuit les Phocidiens et tuèrent leur général 
Mnaséas avec environ deux cents soldats. Il s'engagea ensuite un 
combat de cavalerie près de Chéronée ; Phalaecus fut vaincu et 
perdit beaucoup de cavaliers. 

XXXIX. Pendant que ces choses se passaient, le Pélopon- 
nèse fut le théâtre de troubles et de soulèvements dont voici 
l'origine. LesLacédémoniens, en querelle avec les Mégalopolitains., 
envahirent le territoire de ces derniers, sous la conduite d'Ar- 
chidamus.[ Irrités de cet acte, les Mégalopolitains, n'étant pas eux- 
mêmes assez puissants pour résister à l'ennemi , implorèrent 
l'assistance de leurs alliés. Les Argiens , les Sicyoniens et tes 
Messénicns s'empressèrent d'accourir en masse à la défense des 
Mégalopolitains. Les Thébains leur envoyèrent quatre mille fan- 
tassins et cinq cents cavaliers, sous les ordres de Céphision. 
Ainsi secondés par leurs alliés, les Mégalopolitains se mirent 
en campagne et vinrent camper près des sources du fleuve Al- 
phée. Les Lacédémoniens, de leur côté , avaient reçu des Pho- 
cidiens trois mille hommes d'infanterie et cent cinquante cava- 
liers de la part de Lycophron et de Pithlaiis, l'un et l'autre 
expulsés de la tyrannie de Phères. Ayant ainsi réuni une armée 
considérable, ils vinrent camper aux portes de Mantinée. De là, 
ils s'avancèrent vers la ville d'Ornée en Argolide , alliée des 
Mégalopolitains et la prirent d'assaut avant l'arrivée des enne- 
mis. Les Argiens ayant fait une sortie, il s'engagea un combat 
dans lequel les Lacédémoniens leur firent perdre plus de deux 
cents hommes. Les Thébains se montrèrent bientôt avec des 
forces doubles , mais inférieures en discipline ; la mêlée fut 
sanglante et la victoire resta indécise. Les Argiens et leurs alliés 
se retirèrent dans leurs villes; les Lacédémoniens envahirent 
l'Arcadie, prirent d'assaut la ville d'Hélissonte , la dévastèrent 



LIVRE XVI. 129 

et revinrent à Sparte. Quelque temps après, les ïhébains, 
réunis à leurs alliés , reniportèrent sur renncmi une victoire 
signalée près de Telphusa, tuèrent beaucoup de monde et fi- 
rent plus de soixante prisonniers parmi lesquels se trouvait 
Alexandre, commandant de Tarmée. Bientôt après, ils furent 
victorieux dans deux autres batailles et tuèrent un grand nombre 
d'ennemis. Mais enûn les Lacédémoniens remportèrent la vic- 
toire dans une bataille célèbre, et les deux armées se retirèrent 
chacune dans ses villes. Une trêve fut conclue entre les iMacé- 
doniens et les Mégalopolitains , et les Thébains rentrèrent , 
de leur côté, dans la Béotie. Phalaecus, toujours cantonné eu 
Béotie , avait pris Chéronée ; mais les Thébains accoururent 
au secours de cette ville et en expulsèrent Tennemi. Les Béo- 
tiens entrèrent avec une armée nombreuse dans la Phocide, 
ravagèrent le pays dans une grande étendue et détruisirent les 
richesses de la campagne; ils s'emparèrent de quelques-unes des 
petites villes du pays et revinrent eu Béotie, chargés de butin. 

XL. Thessalus étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent consuls Marcus Fabius et Titus Quintius K Dans cette 
année,les Thébains, fatigués de la guerre contre les Phocidiens 
et dépourvus de ressources pécuniaires, envoyèrent des députés 
au roi des Perses pour l'inviter à leur fournir un secours d'ar- 
gent. Artaxerxès accueillit leur demande et leur fit un cadeau 
de trois cents talents^. Les Béotiens et les Phocidiens passè- 
rent l'année en escarmouches et en dévastations de territoire , 
mais ils n'accomplirent aucun fait d'armes digne de mémoire. 

En Asie, le roi des Perses avait échoué dans son expédition 
précédemment entreprise contre l'Egypte. A une époque plus 
récente il avait fait de nouveau la guerre aux Égyptiens, et, après 
plusieurs actions d'éclal, il parvint, par ses propres efforts, h 
rec(îriquérir l'Egypte, la Phénicie et Cypre. Mais, afin de mieux 
éclaircir cette histoire, nous allons remonter le cours des événe- 
ments et faire connaître l'origine de la guerre. Lors de la 

' Deuxième année de la cvii* olympiade ; année 351 avant .T. -G. 
' Un million six cent cinquante mille francs. 



mmmmm 



130 DIODORE DE SICILE. 

rébellion des Égyptiens, qui éclata à une époque plus reculée , 
Artaxerxès, surnommé Ochus, qui n'aimait pas la guerre, ne 
bougea pas de son palais; il en^^oya des armées et des généraux. 
Mais CCS expéditions échouèrent le plus souvent par la lâcheté et 
par rimpéritie des chefs. Artaxerxès se laissa longtemps braver 
par les Égyptiens, tant il aimait le repos et les douceurs de la 
paix. EnQn, plus tard, les rois de Phénicie et de Cypre suivirent 
l'exemple des Égyptiens et passèrent du mépris à la révolte. Cette 
fois , poussé h bout, Artaxerxès résolut de châtier lui-môme 
les rebelles ; il ne confia plus à ses généraux la conduite de la 
guerre, mais il se décida à combattre lui-même pour la défense 
de la royauté. 11 réunit donc de grandes quantités d*armes, de 
traits, de vivres et de troupes; il mit sur pied trois cent mille 
hommes d'infanterie, trente mille cavaliers, trois cents trirèmes 
et cinq cents bâtiments de transport chargés de provisions. 

XLI. Artaxerxès commença d'abord par faire la guerre aux 
Phéniciens. Voici pour quelles raisons. Il est en Phénicie une 
ville considérable nommée Tripolis, nom dû à la nature de la 
localité ; elle se compose, en effet, de trois villes séparées Tune 
de l'autre par un stade d'intervalle. Ces villes s'appellent Ara- 
die, Sidon et Tyr. Tripolis est la ville la plus célèbre de la 
Phénicie ; elle renferme le sénat des Phéniciens, qui délibère 
sur les affaires les plus importantes de l'État. Les satrapes et les 
généraux [du roi des Perses] résidaient à Sidon, et imposaient 
aux habitants un joug dur et insolent. Irrités de ces vexations, 
les Sidoniens se décidèrent à secouer le joug des Perses. Ils en- 
gagèrent les autres Phéniciens à recouvrer leur indépendance en 
même temps qu'ils envoyèrent une députation à Nectanébos, 
roid'Kgypte, ennemi des Perses, pour lui proposer leur alliance, 
et firent des préparatifs de guerre. Sidon était une ville très-opu- 
lente, et ses habitants, considérablement enrichis par le com- 
merce, construisirent promptement un grand nombre de tri- 
rèmes, et réunirent une foule de mercenaires; de plus, des ar- 
mes, des flèches, des vivres, en un mot,. toutes les munitions 
de guerre furent rassemblées en peu de temps. Les hostilités com- 



LIVRE XVI. 131 

mencèrent par la destruction du parc royal dans lequel le roi 
des Perses avait coutume de venir se délasser. On mit ensuite le 
feu au fourrage que les satrapes conservaient pour Tentretien 
des chevaux de guerre. EnQn, les Sidoniens se saisirent des Per- 
ses dont ils avaient reçu des outrages, et s'en vengèrent. Tel fut 
le commencement de la guerre phénicienne. Le roi, informé des 
excès commis par les rebelles, menaça de sa vengeance les Phé- 
niciens, mais surtout les Sidoniens. 

XLII. Le roi concentra à Babylone toutes ses troupes , tant 
d'infanterie que de cavalerie, et se dirigea à leur tête contre les 
Phéniciens. Ils furent joints, pendant la route, par Bélésys, sa- 
trape de la Syrie, et par Mazaeus, gouverneur de Cilicie, qui 
ouvrirent la campagne contre les Phéniciens. Cependant Tennès, 
roi de Sidon , avait reçu des Égyptiens quatre mille mercenaires 
grecs, commandés par Mentor de Rhodes. Après avoir réuni à 
ces troupes la milice nationale, il marcha contre les satrapes déjà 
nommés , les battit et chassa les ennemis de la Phénicie. 

Pendant le cours de ces événements, il s'éleva, dans l'île de 
Cypre, une autre guerre qui se compliqua avec les détails de 
celle dont il s'agit ici. L'île de Cypre renfermait neuf villes prin- 
cipales qui avaient sous leur dépendance d'autres villes moins 
considérables. Chacune de ces villes avait pour chef un roi qui 
reconnaissait le roi des Perses pour son suzerain. Tous les rois de 
ces villes suivirent , de concert , l'exemple des Phéniciens et 
levèrent l'étendard de la révolte ; ils se préparèrent à la guerre 
en déclarant leurs royaumes indépendants. Irrité de cette révolte, 
Artaxerxès écrivit à Idriée, souverain de la Carie (qui venait 
de monter sur le trône, et qui était, à l'exemple de ses ancêtres, 
l'ami et l'allié du roi des Perses ) , de rassembler des troupes de 
terre et d'équiper une flotte pour faire la guerre aux rois de Cy- 
pre. Idriée fit construire rapidement quarante trirèmes, mit sur 
pied une* armée de huit mille mercenaires qu'il envoya en Cy- 
pre sous les ordres de Phocion l'Athénien, et d'Évagoras, qui 
avait , quelque temps auparavant, régné dans cette île. 

A peine avaient-ils abordé en Cypre, qu'ils conduisirent l'ar- 



132 DIODORE dp: SICILE. 

mée contre Salamine , la plus grande des villes de Tîle ; ils 
élevèrent un retranchement, fortifièrent leur camp et inves- 
tirent les Salaminiens par terre et par mer. Comme Tîle en- 
tière avait joui d'une longue paix, le pays était très-riche 
et les soldats y trouvaient dans la campagne des provisions en 
abondance. Le bruit de cette opulence s'élant bientôt répandu, 
les soldats, attirés par Tespoir du gain , accoururent en foule 
du continent opposé de la Syrie et de la Cilicie , pour prendre 
service dans Tarmée d*Évagoras et de Phocion, qui fut enfin 
doublée.' De leur côté, les rois de Cypre tombaient dans le 
découragement et vivaient dans les plus grandes alarmes. Telle 
était la situation des affaires en Cypre. 

XLIII. Bientôt après, le roi des Perses, parti de Babylone, 
s'avança avec son armée vers la Phénicie. Tenues , souverain de 
Sidon, informé du nombre des troupes perses, et persuadé que 
les rebelles seraient hors d'état de leur résister, ne songea plus 
qu'à son propre salut. Il dépêcha donc auprès d'Artaxerxès, à 
l'insu des Sidoniens, Thessalion, son plus fidèle serviteur, chargé 
de lui faire les propositions suivantes : Tenues livrerait Sidon et 
servirait le roi dans son expédition contre l'Egypte, où il pour- 
rait lui être d'un grand secours, connaissant parfaitement les 
localités du pays et les endroits où le Nil est abordable. Le roi 
ayant écouté attentivement Thessalion , accueillit avec joie les 
propositions qui lui étaient faites , et promit non-seulement de 
remettre à Tenues les peines que celui-ci avait encourues par 
sa rébellion , mais encore, si les engagements étaient fidèlement 
remplis, de l'honorer de récompenses. Sur cette promesse, 
Thessalion demanda au roi qu'il voulût bien permettre de lui 
donner la main droite, comme délégué de Tenues. A cette de- 
mande, le roi se mit en colère, comme injurieusement soup- 
çonné de manquer à sa parole , et livra Thessalion à ses gardes , 
avec l'ordre de lui trancher la tête. Thessalion , conduit au lieu 
du supplice , s'écria : & O roi , fais ce que tu voudras ; Tenues 
qui peut remplir tous ses engagements, ne réalisera aucune de 
-ses promesses, si tu ne lui donnes pas ta foi. » A ces paroles, 



LIVRE XVJ. 133 

Artaxerxès se ravisa, rappela ses gardes, fil relâcher Thessalioii 
et lui donna la main droite. C'est là, chez les Perses, le signe 
d'une foi inviolable. Thessalion revint à Sidon et rapporta, tou- 
jours à rinsu des Sidoniens, les détails de sa mission. 

XLIV. Le roi , qui tenait beaucoup à soumettre TÉgypte , 
surtout depuis le dernier échec qu'il avait éprouvé , envoya 
des députés dans les principales villes de la Grèce pour les in- 
viter à prendre part à l'expédition des Perses contre les Égyp- 
tiens. Les Athéniens et les Lacédénioniens répondirent qu'ils 
voulaient bien conserver l'amitié des Perses, mais qu'ils ne pou- 
vaient leur fournir aucun secours. Les Thébains envoyèrent 
mille hoplites sous le commandement de Lacratés; les Argiens, 
trois mille soldats , mais sans désigner de chef ; cependant, sur 
la demande du roi, ils nommèrent Nicostrate commandant de ce 
corps auxiliaire. C'était un homme de pratique et de bon conseil, 
bien qu'il y eut dans son intelligence un grain de foliée Re- 
marquable par sa force physique, il affectait la tenue d'Hercule 
dajis ses expéditions : il portait dans les combats une peau de 
lion et une massue. A l'exemple des Thébains et des Argiens, les 
Grecs de l'Asie envoyèrent six mille hommes, en sorte que l'ar- 
mée auxiliaire, fournie par les Grecs, s'éleva à un total de dix 
raille hommes. Avant l'arrivée de cette armée, le roi avait déjà 
traversé la Syrie , était entré en Phénicie et avait établi son camp 
non loin de Sidon. Les Sidoniens avaient profité du retard du 
roi pour faire tous les préparatifs de défense en se procurant 
activement des armes et des vivres. Ils avaient entouré leurs 
villes d'un triple fossé large, et de hautes murailles. Ils avaient 
formé leur milice nationale aux exercices et aux fatigues de la 
guerre et avaient rendu leurs corps souples et vigoureux. Sidon 
surpassait toutes les autres villes de la Phénicie en richesses et 
en opulence; et, ce qui est le plus important, ils avaient mis 
en mer plus de cent navires, tant trirèmes que quinquérèmes. 

XLV. Tennès communiqua à Mentor , général des merce- 

' M£//.tv//.2vv;v £^6}v T/; ^;;ov/i7ct //y.vi'av. Nullum magnum iuyenium absque 
mixlura demeutiœ fuit , dit quelque part Séiièque. 

III. 12 



13/i DIODORE DE SICILE. 

naires d*Égypte, le plan de sa trahison, et le laissa dans Sidon 
avec un déiachenienl de ses troupes pour faciliter Texécution 
de son perfide projet. Puis il sortit de la ville avec cinq cents 
soldats , sous prétexte de se rendre à une réunion générale des 
Phéniciens: il mena avec lui, comme conseillers, cent des ci- 
toyens les plus distingués. Arrivé en présence du roi , il fit ar- 
rêter ces cent citoyens et les livra à Artaxerxès. Le roi accueillit 
Tennès comme un ami ; mais il fit tuer à coups de flèches les 
cent citoyens comme coupables de rébellion. A la nouvelle de 
celte sanglante exécution , cinq cents des principaux Sidoniens 
se rendirent en habits de suppliants auprès du roi, qui fît appe- 
ler Tennès et lui demanda s*il pouvait lui livrer la ville; car Ar- 
taxerxès tenait beaucoup à ne pas prendre Sidon par capitula- 
lion , afin de pouvoir agir envers les Sidoniens avec la dernière 
rigueur , et épouvanter par un châtiment exemplaire les autres 
villes de la Phénicie. Tennès Tassura que la ville lui serait livrée. 
Mais le roi , incapable de maîtriser sa colère , fît mourir tous les 
cinq cents suppliants. Tennès s*approcha ensuite des merce- 
naires d'Egypte, et les engagea à introduire dans Tintérieur des 
murs lui et le roi. Voilà par quelle trahison Sidon tomba au pou- 
voir des Perses. Artaxerxès, une fois maître de la ville , pensa 
que Tennès ne lui était plus utile, et le fît tuer. Les Sidoniens, 
avant l'arrivée du roi, avaient brûlé tous leurs bâtiments, afin 
qu'aucun habitant ne trouvât le moyen de se sauver par mer. 
Mais lorsqu'ils virent la ville prise et les murs cernés par tant 
de milliers de soldats, alors ils s'enfermèrent avec leurs femmes 
et leurs enfants dans les maisons et les incendièrent. On rap- 
porte que plus de quarante mille hommes y compris les escla-- 
ves périrent dans les flammes. Dans cette horrible catastrophe, 
toute la ville avec ses habitants fut consumée par le feu. Le roi 
vendit, pour plusieurs talents, le sol de cet immense bûcher. On 
y recueillit une grande masse d'or et d'argent fondus , débris 
des richesses d'une population florissante. Telle fut la fin mal- 
heureuse de Sidon. Toutes les autres villes de la Phénicie, in- 
timidées par ce terrible exemple, se soumirent aux Perses. 



LIVRE XVI. 135 

Un peu avant ce temps, Artémise , reine de Carie , mourut 
après un règne de deux ans. Elle eut pour successeur son frère 
Idriée , qui régna pendant sept ans. 

En Italie, les Romains conclurent une armistice avec les ha- 
bitants de Préneste, et un traité de paix avec les Samnites. Deux 
cent soixante partisans des Tarquins furent condamnés à mort 
par le peuple romain et exécutés sur la place publique \ 

En Sicile, Leptine et Gallippe, investis par les Syracusains 
du commandement des troupes, assiégèrent Rhégium gardé par 
Denys le jeune ; ils chassèrent la garnison et rendirent aux Rhé- 
giens leur indépendance. 

XLVI. Apollodore étant archonte d'Athènes, les Romains 
élurent pour consuls Marcus Valérius et Caïus Sulpicius \ Dans 
cette année , Évagoras et Phocion assiégèrent Salamine en Gy- 
pre ; toutes les autres villes de Tîle s'étaient soumises aux Per- 
ses. Protagoras, roi de Salamine ^ seul, osa soutenir un siège. 
Évagoras réclamait la souveraineté de Salamine comme Théri- 
tage de ses ancêtres, et il espérait qu'avec Tappui du roi des 
Perses il serait remis sur le trône. Bientôt après, calomnié au- 
près d'Artaxcrxès qui soutenait déjà Protagoras , Évagoras re- 
nonça à l'espoir de recouvrer Salamine. Cependant, après s'être 
justifié des accusations portées contre lui , il obtint du roi une 
souveraineté en Asie, bien plus considérable que celle qu'il avait 
perdue. Mais il conduisit mal son gouvernement , se réfugia de 
nouveau dans File de Cypre , où il fut arrêté et condamné au 
supplice. Protagoras, qui s'était volontairement soumis aux Per- 
ses, régna tranquillement dans Salamine ïe reste de sa vie. 

Après la prise de Sidon , le roi des Perses rallia les troupes 
auxiliaires envoyées d'Argos, de Thèbes et des villes grecques de 
l'Asie, et s'avança vers l'Egypte avec toutes ses forces réunies. 
Arrivé au grand lac où se trouve ce qui s'appelle lesBai^athres^, 

' Comparez Tite-Live , VII , 19. 

Troisième année de la cvip olympiade ; année 350 avant J.-C. 
» Quelques historiens l'appellent Pnytagoras. Il régna tranquillement jusqu'à 
l'époque d'Alexandre le Grand. 
* Bas-fuuds de sable mobiles du lac Serbonis. Voyez 1 , 30. 



136 DIODORE DE SICILE. 

il perdit une partie de son armée par l'ignorance des localités. 
Comme nous avons déjà parlé dans le premier livre de la na- 
turc de ce lac et des phénomènes extraordinaires qu'on y re- 
marque, nous n'en dirons rien ici. Après avoir traversé avec 
son armée les Baralhres, le roi atteignit Péluse. C'est la première 
ville située sur la première embouchure du Nil *, là où ce fleuve 
se jette dans la mer. Les Perses campèrent à quarante stades 
de Péluse, et les Grecs dans le voisinage de cette ville. Les 
Égyptiens, auxquels les Perses avaient donné assez de loisir pour 
prendre leurs mesures de défense , avaient bien fortifié toutes 
les embouchures dulNil, mais particulièrement celle de Péluse, 
qui est la première et la plus exposée aux attaques de l'ennemi. 
La place était gardée par cinq mille hommes, sous les ordres de 
Philophron. Les Thébains, jaloux de passer pour les plus bra- 
ves des auxiliaires grecs, osèrent, les premiers et seuls, traverser 
hardiment un fossé étroit et profond. Pendant que les Thébains 
se trouvaient engagés dans ce fossé, la garnison de Péluse fit 
une sortie et les força au combat. La lutte fut opiniâtre, et , 
comme on mettait une égale ardeur de part et d'autre, elle dura 
tonte la journée ; la nuit sépara les combattants. 

XL VII. Le lendemain, le roi divisa l'armée grecque en trois 
corps; chacun de ces corps était commandé par un général 
grec, qui avait pour second un Perse d'un courage et d'une in- 
telligence éprouvés. Le premier corps était composé de Béo- 
tiens , qui avaient pour général Lacratès le Thébain , et pour 
lieutenant le Perse Rosacés , satrape d'Ionie et de Lydie ; il 
descendait d'un des sept Perses qui renversèrent les Mages. Il 
était accompagné d'une forte cavalerie et d'une armée d'infan- 
terie non moins nombreuse de Barbares. Le second corps com- 
prenait les Ai^iens sous les ordres de Nicostrate, qui avait pour 
lieutenant le Perse Aristazane ; c'était l'huissier du roi *, et , 



' C'est la première bouche du Nil pour ceux qui entrent en Egypte du côté de la 
Syrie , comme c'est ici le cas. 

EiaayysAsùç tou 6aTt)iû>; ; c'était un officier qui avait pour fonction d'an- 
noncer auprès du roi ceux qui avaient demandé une audience. 



LIVRE XYJ. 137 

après Bagoas, son plus fidèle ami ; il avait un contigént de cinq 
mille hommes d*élite et quatre-vingts trirèmes. Mentor, le 
même qui avait livré Sidon, était le chef du troisième corps , 
comprenant les mercenaires qu'il avait déjà eus sous ses ordres; 
il avait pour collègue Bagoas , homme entreprenant et auda- 
cieux, en qui le roi avait la plus grande confiance ; ce Bagoas 
avait sous son commandement les Grecs sujets du roi, une mul- 
titude de Barhares et plusieurs bâtiments. Artaxerxès avait sous 
ses ordres immédiats le reste de Tarmée et dirigeait toute l'en- 
treprise. Telle fut la division des troupes chez les Perses. Cepen- 
dant le roi des Égyptiens, Nectanébos, bien qu'il fût inférieur en 
forces, ne s'effraya, ni de la puissance de l'ennemi ni de la dis- 
position de l'armée perse. Il avait sous ses ordres vingt mille 
mercenaires grecs, un égal nombre de Libyens, et soixante 
mille Égyptiens de la caste des guerriers *; enfin un nombre in- 
croyable de barques pour les combats sur le Nil. Il avait fortifié 
la rive du fleuve qui regarde l'Arabie, en y élevant , à des dis- 
tances très-rapprochées, des forteresses, des retranchements et 
des fossés. Malgré tous ces préparatifs de défense. Il perdit tout 
par sa propre incurie. 

XLVIII. La cause de la défaite de Nectanébos doit être attri- 
buée surtout à son inexpérience et aux avantages qu'il avait 
remportés sur les Perses dans l'expédition précédente. Car il 
avait alors pour généraux des hommes illustres, distingués par 
leur bravoure et leur habileté stratégique, Diophante l'Athénien 
et Lamius le Spartiate ; c'est à eux qu'il devait tous ses suc- 
cès. Il s'imagina dès ce moment qu'il était lui-même un habile 
général , ne partagea le commandement avec personne , et son 
impéritie était cause de ce que la guerre actuelle était si mal 
conduite. Il avait mis de fortes garnisons dans les places ; et, à la 
tête de trente mille Égyptiens, de cinq mille Grecs et de la 
moitié de ses Libyens, il vint occuper les positions les plus 
abordables. Telles furent les dispositions prises des deux côtés. 
Nicostratc , général des Argiens , ayant pour guides quelques 

' Voyez plus haut, 1,73. 

IIL 12. 



438 DIODORE DE SICILE. 

Égyptiens dont les enfants et les femmes étaient en otages chez 
les Perses , passa avec sa flotte par un canal qui le conduisit 
dans un endroit écarté. Là, il débarqua ses soldats et éleva un 
retranchement où il établit son camp. Avertis de l'arrivée des 
ennemis, les mercenaires des Égyptiens, qui occupaient le voi- 
sinage , accoururent aussitôt au nombre d'environ sept mille 
hommes. Glinius de Gos ^, qui les commandait, rangea aussitôt 
l'armée en bataille. Les troupes débarquées se mirent en dé- 
fense : il s'engagea un combat sanglant dans lequel les Grecs , 
unis aux Perses, firent des prodiges de valeur, tuèrent le géné- 
ral Glinius et passèrent au fil de l'épée plus de cinq mille enne- 
mis. Nectanébos , roi des Égyptiens , apprenant la destruction 
des siens, fut consterné et s'imagina que le reste de l'armée 
des Perses parviendrait facilement à traverser le fleuve ; et , 
dans la crainte que l'ennemi ne se dirigeât avec toutes ses forces 
sur Memphis, il résolut de pourvoir à la défense de cette ville. 
Il se porta donc sur Memphis avec les troupes qu'il avait au- 
près de lui, et se prépara à soutenir un siège. 

XLIX. Gependant Lacratès le Thébain , qui commandait le 
premier corps d'armée, se dirigea sur Péluse pour en faire le 
siège. Il détourna le cours du canal, et sur le terrain, ainsi mis 
à sec, il éleva des terrasses sur lesquelles il plaça ses machines 
de guerre, destinées à battre en brèche les murs de la ville. 
Une grande partie des murailles fut ainsi abattue ; la garnison de 
Péluse s'empressa de les relever, et construisit des tours de bois 
d'une hauteur considérable. Le combat sur les remparts dura 
plusieurs jours ; les Grecs qui occupaient l'intérieur de Péluse 
se défendirent d'abord vigoureusement contre les assaillants ; 
mais lorsqu'ils apprirent que le roi s'était retiré à Memphis, ils 
perdirent tout espoir d'être secourus et envoyèrent des par- 
lementaires. Lacratès leur garantit, fous la foi du sernient, que 
s'ils lui livraient Péluse, ils obtiendraient tous la liberté de re- 
tourner en Grèce en emportant leur bagage. La citadelle fut ren- 
due. Après cette reddition, Artaxerxès envoya Bagoas avec des 

' Ce cbef est plus connu sous le nom de Clinias. 



LIVRE XVI. 139 

soldats barbares pour occuper Péluse. Pendant que ces soldats 
entraient dans la place, les Grecs, qui en sortaient, furent dé- 
pouillés par les Barbares d'une grande partie de leur bagage. Les 
Grecs, indignés, invoquèrent les dieux qui président aux serments. 
Lacratès, transporté de colère, se rua sur les Barbares, les mit en 
déroute, en tua quelques-uns et protégea les Grecs contre les 
violateurs du traité. Bagoas s'enfuit auprès du roi et accusa La- 
cratès; mais Artaxerxès jugea que les soldats de Bagoas avaient 
été justement punis, et il fit mettre à mort les Perses reconnus 
coupables de pillage. C'est ainsi que Péluse fut livrée aux Per- 
ses. Mentor, commandant du troisième corps d'armée, se rendit 
maître de Bubaste et de beaucoup d'autres villes ; par un seul 
stratagème il les fit rentrer sous la domination du roi. Gomme 
toutes ces villes étaient gardées par une garnison mixte , com- 
posée de Grecs et d'Égyptiens, Mentor fit répandre le bruit que 
le roi Artaxerxès userait d'humanité envers ceux qui se ren- 
draient volontairement , tandis que ceux qui ne se rendraient 
que par la force , seraient châtiés comme les Sidoniens. En 
même temps , les sentinelles des portes du camp reçurent la 
consigne de laisser passer tous ceux qui en voudraient sortir. 
Les prisonniers égyptiens quittèrent donc sans obstacle le camp 
des ennemis et répandirent promptement dans toutes les villes 
d'Egypte le bruit qu'ils avaient recueilli. Aussitôt les merce- 
naires se querellaient partout avec les nationaux , et* les villes 
étaient pleines de troubles. Des deux côtés, on s'empressait à 
l'envi à rendre les forts , troquant l'espoir d'une récompense 
contre son propre salut. Ce fut, en effet, ce qui arriva d'abord 
à l'égard de Bubaste. 

L. Mentor et Bagoas avaient établi leur camp non loin de 
cette ville. Les Égyptiens envoyèrent , à l'insu des Grecs , un 
émissaire qui offrit de leur part à Bagoas de lui livrer la ville s'il 
voulait leur accorder un sauf-conduit. Prévenus de cette intri- 
gue, les Grecs s'emparèrent de cet émissaire et lui arrachèrent 
la vérité par la menace*. Indignés de cette trahison, ils tombè- 

' U y a dans le texte .* f d6ov sntx/ss/Aci^aavres, en le suspendant entre la vie 



ikO DIOnORE DE SICILE. 

rent sur les Égyptiens , en tuèrent quelques-uns , blessèrent 
quelques autres et forcèrent le reste à se retirer dans un autre 
quartier de la ville. Les Égyptiens, ainsi châtiés, avertirent Ba- 
goas de ce qui s*était passé et le prièrent de venir prendre la 
ville. Mais les Grecs avaient, de leur côté, envoyé en secret un 
héraut à Mentor pour Tinformer de tout ce qui se tramait ; Men- 
tor les engagea, également en secret, à tomber sur les Barbares 
au moment où Bagoas entrerait dans Bubaste. Peu de moments 
après, Bagoas, sans s*être concerté avec les Grecs, s'avança avec 
ses Perses et lorsque une partie de ses soldats fut entrée dans la 
ville, les Grecs, fermant subitement les portes, se jetèrent sur 
ceux qui étaient dans l'intérieur des murs, les passèrent tous au 
fil de Tépée et firent Bagoas lui-même prisonnier. Bagoas , ne 
voyant plus d'espoir de salut que dans Mentor , implora son 
secours en lui promettant qu'à l'avenir il n'entreprendrait plus 
rien sans le consulter. Mentor persuada les Grecs de relâcher 
Bagoas et de livrer la place ; il emporta ainsi seul tout l'honneur 
du succès. Quant à Bagoas, qui attribua sa délivrance à Mentor, 
il conclut avec lui un pacte, se jurant de ne plus rien entre- 
prendre qu'en commun. Ce pacte dura jusqu'à la fin de leur 
vie ; il en résulta que ces deux hommes unis avaient le plus 
grand crédit auprès du roi , et qu'ils devinrent plus puissants 
que les amis et les parents d'Artaxerxès. Mentor fut nommé 
commandant en chef des provinces maritimes de l'Asie ; il ren- 
dit de grands services aux roi , en tirant de la Gièce des troupes 
mercenaires et les envoyant à Artaxerxès. D'ailleurs c'était un 
administrateur probe et fidèle. De son côté, Bagoas, chargé par 
le roi de l'administration des satrapies supérieures, avait acquis 
par sa liaison avec Mentor tant d'influence qu'il était en quelque 
sorte le maître de l'empire et qu'Artaxerxès ne faisait plus rien 
sans son conseil. Bagoas conserva cette même influence sous le 
successeur d'Artaxerxès; il fut roi de fait sans l'être de nom. 



et la mort, locution qpï n'est pa3 trC-s-commune. Voyez la note de Wesseling, qui 
en cite quelques exemples , tom. VU , p. 546. C'est à peu ])rès Texpression virgi- 
lienne de prœtentare mortem. 



LIVRE XVI. 1/|1 

Mais nous parlerons de tout cela en détail dans ui> nioaicnt 
plus convenable. 

LI. Après la reddition de Bubaste, les autres villes, intimi- 
dées, se livrèrent aux Perses par capitulation. Le roi Neclanéhos 
se tenait à Memphis ; voyant les progrès des ennemis auxquels 
il n'osait point résister , il abdiqua la couronne et s'enfuit en 
Ethiopie, emportant avec lui la plupart de ses richesses. Ar- 
taxerxès prit ainsi possession de toute TÉgyple , démantela les 
villes les plus considérables, profana ^ les temples et amassa une 
masse d'argent et d'or. Il enleva aussi les anciennes annales sa- 
crées que Bagoas se fit ensuite racheter bien cher par les prê- 
tres d'Egypte. Quant aux Grecs qui avaient servî dans celte 
expédition , Arlaxerxès honora chacun d'entre eux par des ré- 
compenses considérables et les renvoya dans leur patrie. Enfin, 
après avoir nommé Phérendale satrape d'Egypte, il retourna 
avec son armée à Babylone , rapportant d'immenses richesses, 
de nombreuses dépouilles, et s'étant acquis une grande gloire 
par cette heureuse expédition. 

LU. Gallimaque étant archonte d'Athènes , les Romains 
nommèrent consuls Marcus Caïus et Publius Valérius l Dans 
cette année, Artaxerxès, reconnaissant les services signalés que 
Mentor lui avait rendus dans la guerre contre les Égyptiens, l'ad- 
mit dans sa plus grande intimité; il le combla d'honneurs, lui 
fit don de cent talents^ d'argent , indépendamment du plus beau 
choix de meubles. Il le nomma en outre satrape des côtes de 
TAsie et lui confia , avec des pouvoirs absolus, la conduite de 
la guerre contre les rebelles. Mentor était lié avec Arlabaze et 
Memnon, qui avaient, quelque temps auparavant, combattu les 
Perses , et s'élant enfuis de l'Asie, vivaient alors à la cour de 
Philippe. Mentor intervint donc en leur faveur auprès du roi, et 
le décida à leur remettre les peines qu'ils avaient encourues. 

' Ce roi était odieux aux Égyptiens , surtout parce qu'il avait tué le taureau et 
mis à la place de TApis un àne. Voyez Élien , Hist. animal. ^ X , 28. 
' Quatrii''me année de la cviie olympiade ; année 349 avant J.-C. 
^ Cinq cent cinquante mille francs. 



1^2 DIODORE DE SICILE. 

Aussitôt, Mentor fit venir auprès de lui ses deux amis avec 
toute leur famille. Artabaze avait dix fils et onze filles de sa 
femme, qui était sœur de Mentor et de Memnon. Charmé de 
celte nombreuse postérité, Mentor songea d'abord à l'avance- 
ment des enfants mâles auxquels il donna les grades les plus 
élevés dans Tarméc. Il marcha ensuite contre Hermias, tyran 
d'Alarné S rebelle au roi et maître d'un grand nombre de pla- 
ces fortes et de villes. Il fit dire à Hermias qu'il allait sollici- 
ter le roi de lui accorder son pardon ; Hermias fut ainsi attiré 
dans une conférence où il fut enveloppé et arrêté. Mentor s'em- 
para de l'anneau d'Hermias et s'en servit pour adresser aux 
villes de fausses lettres dans lesquelles il était dit qu'Hermias 
avait fait sa paix avec le roi par l'intervention de Mentor. Ces 
lettres, scellées de l'anneau d'Uermias, furent ainsi remises à 
des envoyés chargés de se mettre en possession des places. Les 
citoyens , ne doutant pas de l'authenticité des lettres, et d'ail- 
leurs bien contents de la paix, livrèrent sans peine les forteresses 
et les villes. C'est par ce stratagème que Mentor, sans coup 
férir, soumit toutes les villes rebelles à l'autorité du roi , s'ac- 
quit un nouveau titre à sa faveur, et ajouta à sa renommée 
d'habile général. Il soumit pareillement en très-peu de temps 
tous les autres chefs ennemis des Perses. Il les battit tous en 
très-peu de temps, tant par la force que par la ruse. Telle était 
la situation des affaires en Asie. 

En Europe, Philippe, roi des Macédoniens, déclara la guerre 
aux villes charcidiennes ; il prit d'assaut Gira, place forte du pays, 
et réduisit quelques autres places par la terreur. Il se dirigea 
ensuite contre Phères, en Thessalie, et en chassa Pitholaus le 
tyran. 

Dans cet intervalle, Spartacus, roi du Pont, mourut après un 
règne de cinq ans. Parysadès, son frère, lui succéda, et régna 
pendant trente-huit ans. 

LUI. L'année étant révolue, Théophile fut nommé archonte 
d'Athènes; les Romains élurent pour consuls Caïus Sulpicius 

' Ville de la Mysio. 



LIVRE XVI. i(\^ 

et Caïus Quintius, et on célébra la cviii'' olympiade, dans la- 
quelle Polyclès de Cyrène fut vainqueur à la course du stade ^ 
Dans le cours de cette année, Philippe cherchait à s'emparer 
des villes de FHellespont. Il prit IVlcrcyberne et Torone par 
trahison et sans coup férir; puis il tourna ses armes contre 
Olynthe, qui est la ville la plus considérable de cette contrée. Il 
défit les Olynthiens en deux batailles et vint les bloquer dans 
leur ville ; mais il perdit un grand nombre de soldats sous les 
murs d'Olynthe. Enfin il parvint à corrompre avec de l'argent 
les gouverneurs d'Olyuthe, Eulhycrate et Lasthène, qui lui li- 
vrèrent la ville par trahison. Il saccagea Olynihe et vendit les 
habitants comme esclaves. Il se procura par ce moyen beaucoup 
d'argent pour les dépenses de la guerre , en même temps il in- 
timida les autres villes qui auraient été tentées de lui résister. 
Il honora de grandes récompenses tous les soldats qui s'étaient 
distingués par leur bravoure, et donnant de fortes sommes d'ar- 
gent aux citoyens les plus influents des villes, il multiplia le 
nombre des traîtres à leur patrie. D'ailleurs, il se vantait lui- 
même que c'était bien plutôt à la puissance de l'or qu'à la force 
des armes qu'il devait l'accroissement de son empire. 

LIV. Les Athéniens, jaloux du développement de la puissance 
de Philippe , se montraient prêts à secourir les ennemis de ce 
roi. Ils envoyèrent dans toutes les villes des députés pour en- 
gager les habitants à conserver leur indépendance et à con- 
damner à la peine de mort les citoyens qui seraient tentés 
de trahir leur patrie. Les Athéniens promirent à toutes ces 
villes leur appui ; enfin ils déclarèrent ouvertement la guerre à 
Philippe et commencèrent les hostilités. Démosthènes , à cette 
époque l'orateur le plus éloquent des Grecs, exhortait principa- 
lement les Athéniens à se charger du protectorat de la Grèce. 
Mais Athènes même ne manquait pas de citoyens destinés à 
jouer le rôle de traîtres, tant était grande la propension des 
Grecs à la trahison. Aussi rapporte-t-on que Philippe, voulant 
un jour prendre une ville très-forte , répondit à un habitant 

' Première année de la cviip olympiade; année 348 avant J.-C. 



\UU DIODORE DE SICILE. 

qui lui avait dit que la place était imprenable : « Eh quoi, le 
mur est-il assez haut pour que Tor ne le puisse franchir? » 
En effet. Texpérience lui avait appris que les places qu'on ne peut 
prendre par les armes sont facilement enlevées par l'or ^ S'é- 
tant ainsi ménagé des traîtres dans toutes les villes, et donnant 
le titre d'hôte et d'ami à quiconque recevait son or, il corrom- 
pit par ses maximes perverses les mœurs du genre humain. 
LV. Après la prise d'Olynthe, Philippe fit célébrer des jeux 
olympiques en actions de grâces et offrit aux dieux de magni- 
fiques sacrifices. Cette grande solennité et les jeux splendides 
attirèrent une foule d'étrangers qu'il invitait à ses festins. Au 
milieu des banquets qu'animaient le vin et les nombreux toasls 
qu'on y portait, il distribuait des présents à un grand nombre 
de convives, et faisait à tous les plus grandes promesses; aussi, 
son amitié était-elle fort recherchée. Philippe s'aperçut un jour 
que Satyrus, le comédien, avait un air soucieux; il lui demanda 
donc pourquoi, seul, il ne daignait pas éprouver les effets de sa 
générosité. Satyrus lui répondit qu'il voulait bien recevoir de 
lui quelque cadeau ; mais qu'il craignait que sa demande ne lui 
fût refusée. A cette réponse, le roi, souriant, l'assura qu'il lui 
accorderait tout ce qu'il lui demanderait. Satyrus lui dit alors 
qu'il voulait deux jeunes personnes d'un âge nubile qui se 
trouvaient parmi les captives du roi, et qui étaient les filles d'un 
de ses hôtes; qu'il désirait beaucoup les avoir, non pas pour en 
tirer quelque profit , mais pour les marier avec la dot qu'il lui 
donnerait , afin que leur jeunesse ne fût pas outragée. Philippe 
accueillit avec joie la demande de Satyrus et lui donna sur-le- 
champ ces deux jeunes filles. En retour des bienfaits et des 
dons qu'il répandait avec tant de Hbéralité, Philippe recueillait 

' Horace, liv. H , ode 16 , s'exprime ainsi : 

Auruin per médium ire satellites ' 

Et peiTumpere amat saxa patent ius 
letu fulmineo. 

' Ce mot anglais francisé me semble assez bien rendre le mot npo-:z67iç. Parmi 
les idiomes modernes , la langue allemande, qui en souplesse ne le cède guère au 
grec, parait seule posséder un mot (vordrinken) exprimant littéralement le 
TtpOTzivîLv des Grecs. 



LIVRE XVI. 145 

les fruits multipliés de la reconnaissaucc. Une foule de gens, 
séduits par l'espoir de quelque récompense , allaient au-devant 
des désirs de Philippe, en trahissant leur patrie. 

LVI. Théraislocle étant archonte d'Athènes, les Romains 
nommèrent consuls Gaïus Cornélius et Marcus Popilius^ Dans 
cette année , les Béotiens ravagèrent une grande partie de la 
Phocide , battirent l'ennemi près d'Hyampolis * , et lui firent 
perdre à peu près soixante-dix hommes. Peu de temps après, 
les Béotiens eurent une rencontre avec les Phocidiens, près de 
Coronée ; ils furent vaincus et perdirent beaucoup de monde. 
Après cela, les Phocidiens s'emparèrent de quelques villes con- 
sidérables de la Béotie. Les Béotiens se mirent de nouveau en 
mouvement, envahirent le territoire des ennemis et en détrui- 
sirent les récoltes ; mais ils furent battus pendant leur retraite. 
Tandis que ces événements avaient lieu, Phalaecus, général 
des Phocidiens, accusé d'avoir volé une grande partie de l'ar- 
gent sacré, fut destitué du commandement et remplacé par trois 
généraux : Dinocrate, Callias et Sophane. On fit une enquête 
au sujet du trésor sacré, et les Phocidiens demandèrent aux 
gérants un compte rigoureux. Philon en avait été le principal 
administrateur ; comme il ne put rendre le compte demandé, 
il fut traduit en jugement. Mis à la torture par Tordre des gé- 
néraux, il dénonça ses complices, et, après avoir supporté les 
plus cruels outrages, il subit une mort digne de son impiété. 
Ceux qui s'étaient appropriés ce trésor, restituèrent tout ce 
qui restait du fruit de leur vol; mais ils n'en furent pas moins 
mis à mort comme coupables de sacrilège. Parmi les an- 
ciens généraux, Philomélus, le premier en tête, n'avait point 
touché aux offrandes sacrées; le second, nommé Onomarque, 
frère de Philomélus, en avait dépensé une partie considéra- 
ble; enfin, le troisième général, Phayllus, frère d'Onomar- 
que, avait converti en monnaie une autre partie du trésor 
sacré pour payer ces troupes mercenaires; il avait fait servir à 

' Deuxième année de la cviii'^ olympiade ; année 347 avant J.-C. 

' Ville de la Phocide ; elle était limitrophe de la Béotie et de la Thrace. 

III. 13 



U6 DTODORE DE SICILE. 

cet usage les cent vingt lingots d*or, du poids de deux talents *■ 
chacun, qui avaient été donnés en offrande par Grésus, roi des 
Lydiens. Il convertit également en monnaie trois cent soixante 
vases d*or, du poids de deux mines ' chacun, un lion et une 
femme d'or, pesant ensemble trente talents, de sorte qu'en ré- 
duisant tout cet or fondu à la valeur de l'aident', on trouve la 
somme de quatre mille talents. Il faut y ajouter encore les of- 
frandes d'argent consacrées par Grésus et par quelques autres 
donataires, estimées à plus de six mille talents, qui furent éga- 
lement dissipés par les généraux; enfin, si l'on y joint plusieurs 
autres monuments en or, on arrive à une somme de plus de 
dix uilile talents \ Quelques historiens rapportent que la valeur 
des trésors enlevés à Delphes n'était pas au-dessous des ri- 
chesses qu'Alexandre trouva dans les trésors persiques^ Les 
lieutenants de Phalaecus entreprirent même de fouiller *le sol du 
temple, sur un bruit qui s'était répandu qu'on y découvrirait 
une grande quantité d'or et d'argent. Ils creusèrent le sol au- 
tour du foyer et du trépied. Gelui qui indiquait ce trésor ci- 
tait en témoignage ces vers du plus ancien et du plus célèbre 
des poètes , Homère : « Des richesses telles que n'en renferme 
« pas dans son intérieur le sol pierreux du temple de Phébus 
« Apollon, dans la rocheuse Pytho^ » Mais, à peine les soldats 
eurent-ils mis la main à ces fouilles autour du trépied, que de 
violents tremblements de terre se firent sentir , et répandirent 
l'épouvante parmi les Phocidiens. Les dieux menaçaient de leur 
vengeance les sacrilèges , qui cessèrent aussitôt les travaux. 
Philon, l'insiigateur de cette entreprise impie, fut donc puni 
par la divinité comme il le méritait. 

LYII. Bien que le crime de la spoliation des offrandes sa- 
crées retombât entièrement sur les Phocidiens , il faut avouer 

' Le poids d'an talent est de vingt-six kilogrammes. 

' Une mine pèse quatre cents grammes. 

' Le rapport de l'argent à Tor était à cette époque , comme 1 : 10. 

• Cinquante millions de francs. 

• Voyez, XVII, 66 et 71. 

• Iliade, liv. IX, v. 404. 



LivBE xvr. U7 

que les Athéniens et les Lacédémoniens , alliés des Phocidiens , 
y avaient eux-mêmes trempé en recevant des subsides qui n'é- 
taient pas en rapport avec le nombre des troupes fournies. 
D'ailleurs, les Athéniens s'étaient déjà rendus directement cou- 
pables de sacrilège. Peu avant la profanation du temple de Del- 
phes , Iphicrate stationnait avec sa flotte dans les eaux de Cor- 
cyre; h ce moment, Denys, tyran des Syracusains, envoyait 
aux temples d'Olympie et de Delphes des statues travaillées en 
or et en ivoire. Les navires chargés du transport de ces offran- 
des rencontrèrent la flotte d'Iphicrate ; celui-ci s'en empara et 
fit demander au peuple d'Athènes ce qu'il devait faire de cette 
capture. Les Athéniens lui répondirent qu'il fallait bien moins 
s'occuper des affaires des dieux , que de la nourriture des sol- 
dats. Obéissant aux ordres de sa patrie, Iphicrate enleva donc 
les offrandes destinées aux dieux, et les vendit. Le tyran , en 
apprenant cette nouvelle, fit éclater sa colère contre les Athéniens, 
et leur adressa la lettre suivante : 

« Denys au sénat et au peuple d'Athènes. 

« Je ne dois pas vous écrire en vous souhaitant salut et pros- 
périté ; car vous êtes des sacrilèges sur terre et sur mer. Vous 
avez pris et converti en monnaie les offrandes que j'avais en- 
voyées aux dieux , et vous avez ainsi commis une profanation 
envers les plus grands des dieux, Apollon de Delphes et Jupiter 
l'Olympien. » 

Yoilh les sacrilèges commis par les Athéniens , particulière- 
ment contre Apollon qu'ils préconisent pourtant comme un de 
leurs ancêtres. Quant aux Lacédémoniens, qui avaient si sou- 
vent consulté l'oracle de Delphes, tant admiré, dont les répon- 
ses servirent de base à leur système politique , et qui avaient 
toujours consulté les dieux sur leurs plus importantes affaires, 
ils étaient coupables du même crime, car ils n'avaient pas craint 
de prendre part au pillage du sanctuaire. 

LYin. Les Phocidiens , qui possédaient en Béotie trois \lUi(i% 



148 DIODORE DE SICILE. 

fortiûécs, Orchomène, Coronée et Corsies, partirent de ià pour 
marcher contre les Béotiens. Secondés par de nombreuses trou- 
pes mercenaires , ils ravagèrent la campagne et harcelèrent les 
habitants en livrant de fréquentes escarmouches. Fatigués de 
cette guerre , ayant perdu beaucoup de soldats , et , de plus, 
dépourvus de ressources pécuniaires, les Béotiens envoyèrent 
des députés à Philippe pour le solliciter de les secourir. Le roi, 
bien aise de voir les Béotiens humiliés, et désireux d'abaisser l'or- 
gueil que la victoire de Leuctres leur avait inspiré, leur envoya un 
certain nombre de soldats, seulement pour ne pas encourir le re- 
proche d'avoir négligé la défense de l'oracle profané. Les Phoci- 
diens avaient élevé une forteresse près de la ville d'Abes, où se 
trouve un temple consacré à Apollon. C'est sur cette forteresse que 
se dirigèrent les Béotiens. [Les Phocidiens furent mis en déroute;] 
une partie des fuyards se dispersa dans les villes voisines; les 
autres , au nombre de cinq cents, cherchèrent un asile dans le 
temple d'Apollon où ils périrent tous. Plusieurs prodiges 
s'étaient montrés dans ce temps parmi les Phocidiens, et annon- 
çaient le sort qui leur était réservé. Le plus singulier est celui 
que nous allons raconter. Ceux qui s'étaient réfugiés dans le 
temple espéraient en la protection des dieux. Mais il arriva tout 
le contraire ; par un effet de la providence divine , ils y trouvè- 
rent le châtiment proportionné à leur crime. Uiie grande quan- 
tité de paille se trouvait entassée autour du temple; or, le feu 
que les fuyards avaient laissé dans leurs tentes atteignit cette 
paille qui s'enflamma et produisit un tel incendie que le temple 
et tous les Phocidiens qui s'y étaient réfugiés furent brûlés. 
C'est ainsi que la divinité fit voir qu'elle n'accordait point d'asile 
aux sacrilèges. 

LIX. Archias étant archonte d'Athènes , les Romains nom- 
mèrent consuls Marcus Émilius et Titus Quintius K Dans 
cette année, la guerre phocidienne, après avoir duré dix ans, se 
termina comme nous allons l'exposer. Les Béotiens et les Pho- 
cidiens étaient également affaiblis en raison de la longueur de 

^ Troisième année de la cviii* olympiade; année 346 avant J.-C. 



LIVRE XYI. , 149 

celte guerre. Les Phocidiens envoyèrent des députés à Lacédé- 
mone pour demander des secours ; les Spartiates leur firent par- 
venir mille hoplites sous les ordres du roi Archldamus. Pareille- 
ment , les Béotiens eurent recours à Philippe qui , de concert 
avec les Thessaliens, entra dans la Locride à la tête d'une puis- 
sante armée; il atteignit Phalaecus qui avait été de nouveau in- 
vesti du commandement, et qui conduisait un grand nombre de 
mercenaires. Il résolut de décider par une bataille le sort de la 
guerre. Phaiascus, qui séjournait alors à Nicée, ne se voyant pas 
assez fort pour résister , entama des négociations avec le roi. Il 
fut convenu que Phalaecus se retirerait avec ses soldats où bon 
lui semblerait. Cette convention conclue, Phalaecus se retira dans 
le Péloponnèse avec huit mille mercenaires. Les Phocidiens, 
abattus, se rendirent à Philippe. C'est ainsi que le roi termina, 
contre toute attente et sans coup férir, la guerre sacrée. Il réunit 
ensuite une assemblée composée de Béotiens et de Thessaliens; 
il résolut aussi de convoquer le conseil des amphictyons et de lui 
soumettre la décision souveraine des affaires. 

LX. Le conseil des amphictyons décréta que Philippe et ses 
descendants seraient admis au nombre des amphictyons et qu'ils 
auraient les deux voix qu'avaient eues jusqu'alors les Phoci- 
diens vaincus* ; de plus, que les trois principales villes de la Pho- 
cide seraient démantelées, que les Phocidiens seraient exclus du 
temple de Delphes et du conseil amphictyonique , qu'il ne leur 
serait permis de posséder ni chevaux ni armes jusqu'à ce qu'ils 
eussent restitué au dieu les richesses spoliées; que les Phocidiens 
exilés , ainsi que leurs complices , seraient partout mis hors la 
loi ; que toutes les villes de la Phocide seraient rasées et leurs 
habitants transférés dans des villages dont chacun ne pourrait 
avoir plus de cinquante maisons, et qui se trouveraient au moins 
à la distance d'un stade l'un de l'autre; que les Phocidiens con- 
serveraient leurs terres, mais à la charge de payer annuellement 
un tribut de soixante talents , jusqu'à l'extinction de la somme 

' Suivant Pausanias (X, 8), ils recouvrèrent plus tard leur droit de suffrage par 
leur belle conduite lors du pillage de Delphes par les Gaulois sous Brennus. 

III. 13. 



150 DIODORE DE SICILE. 

inscrite sur les registres du temple spolié ; que Philippe, con- 
jointement avec les Béotiens et les Thessaliens , présiderait 
aux jeux pythiques, parce que les Corinthiens avaient été les 
complices des Phocidiens sacrilèges; que les amphictyons 
et Philippe veilleraient à ce que les armes des Phocidiens et 
des mercenaires fussent brisées avec des pierres et les débris 
jetés aux flammes , enfin à ce que leurs chevaux fussent livrés. 
Conformément à ces décrets , les amphictyons réglèrent Tad- 
ministration de Toracle ainsi que toutes les affaires propres 
à ramener la piété, la paix générale et la concorde parmi les 
Grecs. Philippe garantit avec le plus grand empressement les 
décrets des amphictyons et retourna en Macédoine, en laissant 
aux Grecs une haute idée de sa piété* et de sa science militaire. 
Mais déjà il méditait de grands projets pour Taccroissement de 
son empire ; car il désirait se faire nommer généralissime de toute 
la Grèce et déclarer ensuite la guerre aux Perses. C'est aussi 
ce qui arriva. Mais nous parlerons de toutes ces choses en temps 
convenable. 

LXI. Avant de reprendre le fil de notre histoire , nous 
croyons juste de dire quel fut le châtiment infligé par les dieux 
à ceux qui avaient profané le temple de Delphes. La vengeance 
divine ne s'appesantit pas seulement sur les auteurs du sacri- 
lège , mais encore sur leurs complices. Ainsi Philomélus , qui 
le premier traça le plan de la prise du temple, fut serré de près 
par l'ennemi, et se précipita d'un rocher. Onomarque, son frère 
et son successeur au commandement , fut battu en Thessalie avec 
les Phocidiens et ses troupes mercenaires , et lui-même fut mis 
en croix. Un troisième, Phayllus, qui avait converti en monnaie 
la plus grande partie des trésors sacrés, mourut d'une maladie 
lente sans pouvoir abréger son supplice. Enfin Phalaecus , qui 
avait accaparé les débris des offrandes sacrées, mena longtemps 
une vie errante , tourmenté de terreurs superstitieuses ; loin 
d'être plus heureux que ses complices, il vécut assez long- 

» Comparez Justin , VUl, 2. — Dignum itaqve , qui dits proœimw haheretur , 
per quem deorum majettas vindicata. 



LIVRE XVI. 151 

temps pour qu'il devînt en quelque sorte fameux par ses infor- 
tunes. Après s'être dérobé à la captivité par la fuite, il séjourna 
d'abprd dans le Péloponnèse avec ses mercenaires qu'il soldait 
avec l'argent qui lui était resté du pillage du temple. Plus tard, 
il fréta à Corinlhe quelques bâtiments de transport et quatre 
hémioles^, sur lesquels il se disposait d'aborder en Italie ou en 
Sicile, dans l'espoir d'y conquérir quelque ville ou de s'engager 
au service de quelque État ; car la guerre avait alors éclaté entre 
les Lucaniens et les Tarentins. Il fit croire aux soldats qui s'em- 
barquèrent avec lui qu'il était appelé par les peuples de Fltalie 
et de la Sicile. 

LXII. Phalaecus avait déjà mis à la voile et gagné la haute mer, 
lorsque quelques soldats, montés sur le plus grand bâtiment où 
Phalaecus s'était lui-même embarqué, commencèrent à se com- 
muniquer leurs- soupçons que personne n'était appelé au ser- 
vice étranger ; car ils ne voyaient aucun chef envoyé par ceux 
qui devaient les accueillir comme auxiliaires , et , en outre , la 
navigation était longue et difficile. Kuûn les soldats se confir- 
mèrent dans leur soupçon et, craignant une expédition d'outre- 
mer , ils se révoltèrent d'accord avec leurs chefs ; tirant leurs 
épées, ils forcèrent Phalaecus et le pilote, par des menaces, à vi- 
rer de bord et à retourner en arrière. La même révolte ayant 
éclaté sur les autres bâtiments , toute la flotte se reporta vers le 
Péloponnèse. Arrivés au cap Malée en Laconie, ils rencontrèrent 
des envoyés Cnossiens partis de Crète pour engager des soldats 
étrangers. Phalaecus et les autres chefs entrèrent avec eux en 
conférence , et , après avoir accepté du service à des conditions 
convenables, ils remirent à la voile. Débarqués à Gnosse en 
Crète , ils prirent immédiatement d'assaut la ville de Lyctus ; 
mais un secours aussi prompt qu'inattendu s'offrit aux Lyctiens 
chassés de leur patrie. En ce moment, les Tarentins, en guerre 
avec les Lucaniens, avaient fait demander du secours aux Lacé- 
démoniens dont il tiraient leur origine ; les Spartiates le leur ac- 
cordèrent volontiers en considération de cette ancienne parenté ; 

* Bâtiments corsaires qui marchaient dans les deux sens. 



152 DIOBORE DE SICILE. 

ils réunirent promptemeut une armée de terre , armèrent une 
floUe et confièrent au roi Archidamus le commandement de ces 
forces. A l'instant où la flotte allait appiareiller pour Tltalie , les 
Lyctiens arrivèrent pour implorer également le secours des La- 
cédémoniens. Ceux-ci raccordèrent, mirent à la voile pour Tilc 
de Crète , battirent les mercenaires et rendirent aux Lyctiens 
leur patrie. 

LXIII. Archidamus se porta ensuite sur l'Italie, arriva au 
secours des Tarentins et mourut glorieusement dans un com- 
bat. Archidamus avait mérité des éloges pour ses mœurs, ses 
talents militaires; mais on lui reprochait d'avoir été Fallié des 
Phocidiens et d'avoir principalement contribué à la prise de 
Delphes. Il avait été, pendant vingt-trois ans, roi des Lacédé- 
moniens ; son fils Agis lui succéda et régna quinze ans ^ Plus 
tard , les mercenaires d'Archidamus , qui avaient pris part à la 
violation de l'oracle, furent tous égorgés par les Lucaniens. Ce- 
pendant Phalaecus, repoussé de la ville de Lyctus, entreprit 
d'assiéger Cydonia. Il fit construire des machines de guerre et 
les approcha des murs de la ville , lorsque la foudre tomba sur 
elles, et le feu divin les consuma. Un grand nombre de merce- 
naires accourus pour éteindre la flamme y trouvèrent la mort ; 
de ce nombre était aussi leur général Phalascus. D'autres pré- 
tendent que Phalœcus a été massacré par un de ses soldats qu'il 
avait frappé. Les débris de ces troupes mercenaires furent ac- 
cueillis par les exilés éliens; ils se rendirent dans le Péloponnèse 
et firent avec ces derniers la guerre contre l'Élide. Les Arca- 
diens vinrent au secours des Éliens ; les exilés furent battus , 
beaucoup de mercenaires tués, et les autres, au nombre de quatre 
mille, furent faits prisonniers. Les Arcadiens et les Éliens se 
partagèrent ces captifs : les Arcadiens vendirent comme escla- 
ves tous ceux qui leur étaient échus en partage , et les Éliens 
égorgèrent les leurs, comme coupables de la profanation de 
l'oracle de Delphes. 

' Il y a ici une erreur de copiste. C'est neuf ans qu'il faut lire ; ainsi qu'on le voit 
plus bas , cliap. 89. 



LIVRE XVI. 153 

LXIY. Ainsi donc tous les sacrilèges furent frappés de la 
vengeance divine. Les villes les plus considérables, conoplices 
de la spoliation de Foracle de Delphes , n*y échappèrent même 
pas, car nousTles verrons plus tard, en guerre avec Antipater, 
perdre tout à la fois leur suprématie et leur indépendance. 
Enfin , les femmes des chefs des Phocidiens , qui portaient des 
colliers d'or provenant du pillage du temple de Delphes, reçu- 
rent elles-mêmes le châtiment de leur impiété. L'une d'elles 
qui avait porté le collier d'Hélène , se livrait à de honteuses dé- 
bauches et prostituait sa beauté aux désirs du premier venu. 
Une autre qui avait mis le collier d'Ériphile , eut sa maison in- 
cendiée par l'aîné de ses ûls, atteint de folie, et elle périt elle- 
même dans les flammes. Tels furent les châtiments que les dieux 
infligèrent à ceux qui avaient osé les outrager. 

Philippe qui, par le secours qu'il avait porté à l'oracle de 
Delphes et par sa piété envers les dieux, voyait son influence 
s'accroître de jour en jour , fut enfin proclamé chef de toute la 
Grèce, et réalisa ainsi le plus grand empire en Europe. Après 
nous être suffisamment étendus sur la guerre sacrée, nous 
allons passer à l'histoire des autres nations. 

LXY. £n Sicile , les Syracusains, en proie à des dissensions 
intestines , et assujettis à des tyrannies diverses et nombreuses , 
envoyèrent une députation à Gorinthe pour engager les habi- 
tants de cette ville à leur envoyer un chef capable d'administrer 
leur ville et de mettre un terme à l'ambition de tous les pré- 
tendants à la tyrannie. Les Corinthiens , jugeant convenable de 
venir au secours d'un peuple qui tirait d'eux son origine, déci- 
dèrent de faire partir , en qualité de commandant militaire , 
Timoléon , fils de Timénète , le premier de ses concitoyens par 
sa bravoure, par son habileté stratégique, en un mot , orné de 
toutes les vertus. Une circonstance particulière contribua 
beaucoup à faire tomber sur lui le choix de cette mission. Ti- 
mophane , son frère , surpassait tous les Corinthiens par ses 
richesses et par son audace , et depuis longtemps il aspirait ou- 
vertement à la tyrannie. Dans ce but, il flattait la classe indi- 



15/i DIODORE DE SICILE. 

gente, rassemblait des armes, s'entourait des hommes les plus 
mal famés, visitait la place publique, enfin il agissait comme 
un tyran sans cependant en avoir Tair. limoléon, ennemi 
déclaré de la tyrannie , essaya d'abord la voie dé la persuasion 
pour détourner son frère de son entreprise ; mais , voyant que 
ses remontrances étaient inutiles et que son frère persistait plus 
que jamais dans son projet téméraire , il le poignarda en se pro- 
menant sur la place. Il s'éleva aussitôt un grand tumulte ; les 
citoyens accourus pour être témoins d'une action aussi inatten- 
due que féroce, furent divisés par la discorde : suivant les uns, 
l'action de Timoléon était un fratricide et devait être punie 
selon toute la rigueur des lois ; les autres , au contraire , sou- 
tenaient que Timoléon devait recevoir des éloges comme ty- 
rannicide. Le sénat s'assembla , et la même division éclata au 
sein même de cette assemblée. Les ennemis de Timoléon con- 
damnaient le meurtrier; ses partisans, au contraire, étaient 
d'avis de l'absoudre. Cette affaire n'était point encore décidée, 
lorsque les envoyés de Syracuse arrivèrent à Corinthe et instrui- 
sirent le sénat de l'objet de leur mission. Le sénat fit tomber 
son choix sur Timoléon, et , pour le bien de la chose , ils lui 
proposèrent une alternative étrange : ils l'assuraient que s'il 
gouvernait les Syracusains équitablement , ils le déclareraient 
absous comme tyrannicide , et que s'il les gouvernait en vue de 
ses intérêts privés plutôt que dans l'intérêt général , ils le con- 
damneraient comme l'assassin de son frère. Néanmoins , ce ne 
fut pas par la crainte de la sentence que le sénat tenait suspendue 
sur sa tête , mais par sa vertu , que Timoléon présida d'une ma- 
nière irréprochable aux affaires de la Sicile. Il battit les Cartha- 
ginois, releva les villes grecques qui avaient été détruites par les 
Barbares, et rendit à toute la Sicile son indépendance ; grâce à 
ses généreux efforts , Syracuse et les villes grecques devinrent 
des cités populeuses, de désertes qu'elles étaient auparavant. 
Mais nous reviendrons sur tout cela avec plus de détail. Repre- 
nons actuellement le fil de notre histoire. 
LXYI. Ëubulus étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 



LIVRE XVI. 155 

mèrent consuls Marcus Fabius etServius Sulpicius*. Dans cette 
année, Timoléon leCorinlhien, choisi par ses concitoyens au com- 
mandement de Syracuse, se prépara à partir pour la Sicile. Il prit 
à sa solde sept cents étrangers, embarqua ses soldats sur quatre 
trirèmes et trois bâtiments légers et sortit du port de Corinthe. 
Pendant son trajet , il rallia trois autres navires envoyés par les 
Leucadiens et les Gorcyréens , et traversa ainsi la mer Ionienne 
avec une flottille de dix bâtiments. Pendant qu'il était en mer, 
Timoléon fut témoin d'un phénomène étrange qui semblait pré- 
sager que la divinité favoriserait son entreprise et lui procurerait 
une belle gloire. Chaque nuit apparaissait au ciel une torche en- 
flammée qui semblait marcher à la tête de la flotte jusqu'à ce que 
les navires abordèrent en Italie. Timoléon avait déjà été averti à 
Corinthe par les prêtresses de Cérès et de Proserpine que ces 
déesses leur avaient apparu en songe pour leur aimoncer qu'elles 
accompagneraient Timoléon dans tout son trajet jusqu'à son 
arrivée dans l'île qui leur était consacrée. Aussi Timoléon et ses 
compagnons se réjouissaient-ils de l'intervention de ces déesses. 
Timoléon consacra à ses protectrices le meilleur de ses bâtiments 
et lui donna le nom de Cérès et Proseipine^, La flotte aborda 
sans danger à Métaponte, en Italie, au moment où une trirème 
carthaginoise , portant des députés de Carthage , y entrait. Ces 
députés eurent une conférence avec Timoléon et le conjurèrent 
de ne point commencer la guerre et de ne pas débarquer en Si* 
cile. Timoléon , que les Rhégiens avaient appelé à leur secours 
en lui promettant leur alliance, quitta sur-le-champ Métaponte, 
ayant hâte de prévenir le bruit de son arrivée , car il craignait 
que les Carthaginois , maîtres de la mer, ne missent obstacle à 
son débarquement en Sicile. Il s'empressa donc de faire voile 
pour Rhégium. * 

LXYII. Déjà, peu de temps auparavant, les Carthaginois avaient 



* Quatrième année de la cviii* olympiade ; année 345 avant J.-C. 

' Il ressort de ce passage que le baptême des vaisseaux était également en usage 
chez les anciens. Seulement on ne leur donnait guère que les noms des divinités, 
tandis que de nos jours on donne aux bâtiments toute espèce de noms. 



156 DIODORE DE SICILE. 

pressenti qu'ils auraient bientôt une guerre sérieuse à soutenir 
en Sicile. Ils se conduisirent donc humainement envers les vil- 
les alliées de cette île, mirent un terme aux différends qu'ils 
avaient avec les tyrans de ce pays , et conclurent avec eux des 
alliances. Ils avaient surtout gagné Hicélas, souverain de Syra- 
cuse, qui avait alors un pouvoir très-étendu. Ils équipèrent 
une flotte considérable et mirent sur pied de nombreuses trou- 
pes de terre qu'ils firent passer en Sicile sous les ordres d'Han- 
non. Leur flotte se composait de cent cinquante vaisseaux longs, 
et leur armée de terre de cinquante mille hommes ; à ces forces 
il faut ajouter trois cents chars de guerre, plus de deux mille 
chars à deux chevaux , des armes de toutes espèces , une mul- 
titude de machines de guerre et d'immenses magasins de vivres 
et de munitions. Les Carthaginois se rendirent d'abord à Entelia, 
ravagèrent la campagne et refoulèrent les habitants dans l'inté- 
rieur de la ville qu'ils investirent. Les Gampaniens, qui habitaient 
alors Entelia*, furent effrayés des forces des Carthaginois et en- 
voyèrent demander des secours à toutes les autres villes enne- 
mies des Carthaginois. Cependant aucune de ces villes ne se 
rendit à leurs instances, si •ce n*est Galéria qui envoya un déta- 
chement de mille hoplites. Les Phéniciens s'avancèrent à leur 
rencontre, les enveloppèrent et les firent tous passer au fil de 
l'épée. Les Campaniens, habitants d'Etna , se disposaient aussi 
à faire parvenir des renforts à Entelia, par égard pour leur ori- 
gine commune; mais lorsqu'ils apprirent la défaite des Galéri- 
nins, ils jugèrent convenable de se tenir neutres. 

LXVIII. Denys était encore maître de Syracuse, lorsque 
Hicétas, réunissant une armée considérable, marcha contre 
Syracuse. Il environna d'abord Olympium d'un fossé retran- 
ché et déclara la guerre à Denys , tyran d8 la ville. Comme le 
siège traînait en longueur et que les vivres commençaient à 
manquer , Hicétas se retira chez les Léontins. Denys se mit à 
sa poursuite , attaqua son arrière-garde et engagea un combat. 

» Voyez , XIV, 9 , 61. 



- ■'*■ --r. -.:_ ^. 



LIVRE XVX. 157 

Hicétas fit volte-face , se précipita sur Denys , lui tua plus de 
trois mille mercenaires et força le reste à s'enfuir. La poursuite 
fut acharnée ; Hicétas pénétra dans la ville en même temps que 
les fuyards , et se rendit maître de Syracuse, à l'exception de 
nie. Tel était l'état des choses entre Hicétas et Denys. 

Trois jours après la prise de Syracuse , Timoléon vint abor- 
der à Rhégium et mouilla dans le voisinage de la ville. Les Car- 
thaginois le talonnèrent avec vingt trirèmes. Les Rhégiens, qui 
favorisaient l'entreprise de Timoléon, avaient convoqué dans leur 
ville une assemblée générale , et on prononçait des discours sur 
la réconciliation des deux partis , pendant que les Carthaginois , 
dans la persuasion que Timoléon suivrait leur conseil de retour- 
ner à Corinthe , s'étaient relâchés de leur surveillance. Timo- 
léon , sans donner aucun prétexte pour s'échapper, se tenait 
tout près de la tribune ; mais il ordonna secrètement le départ 
immédiat de neuf de ses navires. Pendant que les Cartha- 
ginois écoutaient attentivement les discours que les orateurs 
rhégiens allongeaient à dessein, il sortit furtivement de l'assem- 
blée, monta sur le bâtiment qui lui avait été laissé et leva promp- 
temenl l'ancre. Les Carthaginois, trompés par ce stratagème, 
entreprirent de poursuivre Timoléon; mais comme il avait une 
grande avance sur eux et que la nuit approchait déjà, il aborda 
le premier à Tauroménium. Le gouverneur de cette ville, parti- 
san déclaré des Syracusains, Andromaque, accueillit hospitaliè- 
rement les soldats de Timoléon , et contribua pour beaucoup à 
leur sûreté. Bientôt après, Hicétas, suivi de cinq mille hommes 
d'élite, marcha contre les Âdranites qui lui étaient hostiles, et 
établit son camp dans le voisinage de leur ville. Timoléon, joi- 
gnant à ses troupes un renfort de Tauroméniens, partit de Tau- 
roménium ; il n'avait pas en tout plus de mille hommes. Il se mit 
en marche à l'entrée de la nuit. Le lendemain il atteignit Adra- 
num et attaqua à l'improviste les soldats d'Hicétas au moment 
où ils prenaient leur repas ; il pénétra dans leur camp, tua plus 
de trois cents hommes et fit environ six cents prisonniers. Ce 
coup de main fut suivi d'un autre tout aussi hardi : Timoléon 
III. VU 



*: ■■ 



156 OIODOBE DE SICILE. 

s*avança sur-le-champ vers Syracuse, et, marchant au pas de 
course, il arriva inopinément dans celte ville avant ceux-là 
même qu*il avait mis en fuite. Tels sont les événements arrivés 
dans le cours de cette année. 

LXIX. Lyciscus étant archonte d'Athènes , Marcus Valérius 
et Marcus Popilius consuls à Rome, on célébra la cix® olym- 
piade , dans laquelle Aristoloque d'Athènes remporta le prix de 
la course du stade ^ Dans cette année, les Romains traitèrent 
pour la première fois avec les Carthaginois ^. 

Idriée , tyran de Carie , meurt après un règne de sept ans. 
Ada, sa sœur et sa femme, lui succéda et régna quatre ans. 

En Sicile , Timoléon conclut une alliance avec les Adranites et 
les Tyndarites, et reçut d'eux des renforts considérables. Ce- 
pendant Syracuse était plongée dans une grande anarchie; De- 
nys occupait Tlle, Hicétas était maître de TAchradine et de 
Néapolis^; enfin Timoléon occupait les autres quartiers delà ville. 
Les Carthaginois avaient, de leur côté, pénétré dans le grand 
port avec cent cinquante trirèmes et avaient débarqué cin- 
quante mille hommes. Les soldats de Timoléon étaient vive- 
ment alarmés de ces forces nombreuses de l'ennemi , lorsqu'un 
changement aussi inattendu qu'étrange eut lieu. D'abord Ma- 
mercus , tyran des Catanéens , qui possédait une armée considé* 
rable, se déclara pour Timoléon. Plusieurs garnisons , animées 
de l'esprit de liberté, suivirent cet exemple. Enfin les Corin- 
thiens armèrent dix bâtiments et les envoyèrent avec des som- 
mes d'argent au secours de Syracuse. Timoléon reprit ainsi 
courage, et les Carthaginois , étourdis, sortirent du port im- 
prudemment et se retirèrent avec toute leur armée dans la 
domination soumise à Carthage. Hicétas se trouva donc complé-^ 
tement isolé; Timoléon vint facilement à bout des ennemis et se 
rendit maître de Syracuse. Immédiatement après , il s'empara 



' Première année de la cix« olympiade ; année 344 avant J.-C. 
' Suivant Polybe ( lil , 24 ), les Carthaginois avaient déjà traité avec les Romains 
sous les rois. Comparez Tite-Live, VH, 27. 
' Quartier de Syracuse. Voyez , \IU , 6.^ - * . 



^ 



LIVRE XVI. 159 

aussi de Messine qui s'était rangée du parti des Carthaginois. 
Telle était la situation des affaires en Sicile. 

£n Macédoine, Philippe, héritier de la haine de son père 
pour les Illyriens, et animé de sentiments implacables, envahit 
rillyrie à la tête d'une forte armée. Il ravagea le pays, soumit 
plusieurs places et retourna en Macédoine chargé de butin. U 
entra ensuite en Thessalie, chassa les tyrans de leurs villes et 
gagna, par sa généreuse conduite, les cœurs des Thessaliens. Il 
se flattait qu'avec leur alliance il parviendrait aisément à se con- 
cilier l'affection des Grecs; c'est ce qui arriva en effet. Les peu- 
ples grecs- voisins des Thessaliens, entraînés par l'exemple de 
ces derniers, s'empressèrent de conclure une alliance avec Phi- 
lippe. 

LXX. Pythodote étant archonte d'Athènes, les Romains 
nommèrent consuls Caïus Plautius et Titus Manlius^ Dans cette 
année, Timoléon intimida Denys le tyran ; il l'amena à rendre 
la citadelle, à abdiquer la souveraineté et à se rendre, sur la foi 
du traité, dans le Péloponnèse, en emportant toutes ses richesses 
privées. C'est ainsi que Denys, par son indolence et sa pusilla- 
nimité, perdit cette fameuse tyrannie que l'on disait consolidée 
avec des chaînes de diamants, et alla vivre pauvre à Corinthe. 
Exemple mémorable de l'instabilité de la fortune : il doit ser- 
vir de leçon à ceux qui, dans leur orgueil, abusent de la pros- 
périté. Lui qui possédait autrefois quatre cents trirèmes, aborda 
à Corinthe sur une petite barque n'emportant avec lui que le 
prestige qui s'attache à une grandeur déchue^. Timoléon , en 
possession de l'Ile et des forteresses qui, naguère, appartenaient 
à Denys, fit raser les citadelles de l'Ile ainsi que les monuments 
de la tyrannie, et mit la garnison en liberté. Il s'occupa aussitôt 
à rédiger un code de lois basé sur les principes démocratiques, 
régla équitablement les contrats et autres relations avec les par- 
ticuliers, en ne perdant jamais de vue le principe fondamental 

^ Deuxième année de la cix* olympiade ; année 343 avant J.-C. 
' Suivant quelques historiens, il passa le reste de sa vie à Corinthe en y ensei- 
gnant les lettres. 



160 DIODORE DE SICILE. 

deTégalité. Enfin, il établit une magistrature suprême annuelle, 
que les Syracusains appellent amphipolïe de Jupiter Olym- 
pien*. Callimène fut le premier élu pour amphipole de Jupiter 
l'Olympien. A dater de celte époque, les Syracusains désignent 
leurs années par les noms de ces magistrats, et, malgré les ré- 
volutions politiques qui se sont succédé , cet usage s'est con- 
servé jusqu'au moment où nous écrivons notre histoire. Depuis 
que les Romains ont accordé le droit de cité aux Siciliens, la ma- 
gistrature des amphipoles est tombée en désuétude, après avoir 
duré plus de trois cents ans. Tels sont les événements arrivés en 
Sicile. • 

LXXI. Revenons à l'histoire de la Macédoine. Philippe s'é- 
tant concilié l'affection des villes grecques de la Thrace, entre- 
prit une expédition dans l'intérieur de ce pays. Cersobleplc, 
roi des Thraces, continuait à menacer les villes de l'Hellespont, 
limitrophes de la Thrace, et à dévaster leur territoire. Philippe 
marcha donc contre ces Barbares, avec une nombreuse armée, 
pour mettre un terme à leurs incursions. Il battit les Thraces 
dans plusieurs rencontres, et força les Barbares domptés à payer 
en tribut le dixième de leurs revenus aux Macédoniens. Il fonda 
des villes considérables dans des emplacements avantageux, et 
réprima l'humeur aventureuse des Thraces. Les villes grecques, 
ainsi délivrées de leur terreur, acceptèrent avec joie l'alliance 
de Philippe. 

Théopompe de Ghio a intercalé, dans son histoire du règne 
de Philippe, trois livres sur les affaires de la Sicile. Il les com- 
mence au règne de Denys l'ancien et les termine à l'expulsion de 
Denys le jeune, parcourant ainsi un espace de cinquante ans. 
Ces trois livres sont compris entre le quarantième et le qua- 
rante-quatrième. 

LXXII. Sosigène étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent consuls Marcus Valérius et MarcusPopiliusl Dans cette 
année, Arymbas, roi des Molosses , mourut après un règne de 

' Voyez Cicéron , in Ver rem , II, 51. 

* Troisième année de la cix« olympiade ; année 342 avant J.-C. 



LIVRE XVI. 1 61 

dix ans; il laissa un fils nommé ^acide, qui fut le père de 
Pyrrhus; rtiais par rintervenlion de Philippe le Macédo- 
nien, Arymbas eut pour successeur Alexandre, frère d*01ym- 
pias. 

En Sicile, Timoléon marcha contre les Léontins. Hicétas s'était 
réfugié dans cette ville avec des troupes nombreuses. Timoléon 
attaqua d*abord le quartier appelé la Ville neuve ; mais comme 
il y avait une garnfson nombreuse qui se défendait facilement 
du haut des murs, il leva le siège et se retira sams avoir obtenu 
aucun résultat. Il s'approcha ensuite de la ville d'Ëngyum, qui 
était au pouvoir du tyran Lepline. Il fit de fréquents assauts 
dans le dessein de chasser Leptine de la ville et de rendre aux 
habitants leur indépendance. Pendant que Timoléon était occupé 
à ce siège, Hicétas partit de Léontium et vint investir Syracuse ; 
mais , après avoir perdu beaucoup de soldats, il retourna promp- 
tement à Léontium. Cependant Timoléon parvint à intimider 
Leptine et à lui faire conclure un traité, en vertu duquel Leptine 
devait se rendre dans le Péloponnèse : Timoléon était bien aise 
de montrer aux Grecs tous les tyrans qu'il avait expulsés de la 
Sicile. Il prit aussi ApoUonia, ville qui avait été également sou- 
mise à Leptine, et rendit à cette ville, ainsi qu'à Engyum, leur 
indépendance. 

LXXIII. Timoléon manquant d'argent pour solder ses mer- 
cenaires, envoya ses meilleurs officiers avec mille soldats dans la 
partie de la Sicile qui était soumise aux Carthaginois. Cette 
troupe dévasta le territoire ennemi dans une grande étendue et 
revint avec un immense butin qu'elle remit à Timoléon. La 
vente de ce butin lui procura assez d'argent pour payer ses 
mercenaires au delà du terme qui leur était dû. Il s'empara 
ensuite d'Entella, condamna à mort quinze habitants qui s'étaient 
déclarés pour les Carthaginois, et donna la liberté à tous les au- 
tres. La puissance et la réputation militaires de Timoléon s'étaient 
tellement accrues, que toutes les villes grecques de la Sicile se 
soumirent à lui volontairement ; car il les rendit toutes indé- 
pendantes. Plusieurs villes appartenant aux Sicules, aux Sica- 

111. ^^x• 



162 DIODORE DE SICILE. 

niens et aux autres peuples rangés sous la domination des Car- 
thaginois, envoyèrent des députations à Timoléon pour être 
admises dans son alliance. Les Carthaginois, voyant que leurs 
généraux conduisaient la guerre de la Sicile avec trop de mollesse, 
décidèrent leur remplacement* et Tenvoi de forces plus nom- 
breuses. Ils ordonnèrent donc sur-le-champ une levée parmi 
les citoyens de Carthage et parmi les Libyens les plus valides. 
En outre, ils votèrent de fortes sommes d'argent pour payer et 
engager à leur service des Ibériens, des Celtes et des Liguriens. 
Ils firent aussi construire des vaisseaux longs, réunirent un grand 
nombre de navires de transport, et pourvurent amplement à tout 
ce qui est nécessaire à l'entretien de la guerre. 

LXXIY. Nîcomaque étant archonte d*Âthènes, les Romains 
nommèrent consuls Caïus Martius et Titus Manlius Torquatus^ 
Dans cette année, Phocion TAthénien soumit Clitarque, tyran 
d'Érétrie, institué par Philippe. 

£n Carie , Pixodarus, le plus jeune des frères d*Ada , chassa 
celle-ci du trône et régna pendant cin^ ans, jusqu'à l'expédi- 
tion d'Alexandre en Asie. 

Philippe, dont la puissance allait toujours en augmentant , 
marcha contre Périnthe, qui avait fait alliance avec les Athé- 
niens et s'était déclarée son ennemie. Il vint investir cette ville, 
fit approcher des machines de guerre pour battre les murs, et 
fit journellement des attaques renouvelées. Il construisit des 
tours de quatre-vingts coudées de haut, qui dépassaient de beau- 
coup les tours de Périnthe ; de la hauteur de ces tours il fai- 
sait beaucoup de mal aux assiégés. En même temps, les béliers 
ébranlaient les murailles, dont une grande partie avait été mi- 
née, et une brèche s'ouvrit. Cependant, les Périnthiens se dé- 
fendaient vaillamment, et, pendant qu'ils s'empressaient d'éle- 
ver un second mur, il s'engagea sous les remparts une série de 
brillants combats dans lesquels on déploya des deux côtés 



* Ces généraux furent remplacés par Asdrubal et Âmilcar, d'après Piutarquo 
( Timoléon ), 
' Quatrième année de la cix' olympiade ; année 341 ayant J.-C. 



LIVRE XVI. 163 

une égale ardeur. Mais le roi, abondamment pourvu de pro- 
jectiles , maltraita les assiégés qui se défendaient sur les cré- 
neaux. Les Périnthiens, perdant chaque jour beaucoup de 
monde, implorèrent le secours des Byzantins, qui leur envoyè- 
rent des renforts et un grand nombre de flèches et de catapul- 
tes. Se trouvant alors en force égale à celle de l'ennemi, ils 
reprirent courage et bravèrent intrépidement tous les périls 
pour la défense de la patrie. Cependant, le roi ne ralentit pas 
son ardeur ; divisant son armée en plusieurs corps, il continua 
nuit et jour d'attaquer les murs. Avec les trente mille hommes 
qu'il avait sous ses ordres et une quantité innombrable d'armes 
et de machines de guerre, il ne laissait aucun répit aux assiégés. 
LXXY. Le siège traînait en longueur ; la ville se remplissait 
de morts et d'un grand nombre «de blessés; les vivres venaient 
à manquer, enfin la reddition de la place était imminente, lorsque 
la fortune vint inopinément au secours des assiégés. La renom- 
mée de l'accroissement de la puissance du roi des Macédoniens 
avait retenti jusqu'en Asie. Or, le roi des Perses, auquel la puis- 
sance de Philippe devenait suspecte, écrivit aux satrapes des pro- 
vinces maritimes de secourir à toute force les Périnthiens. Les 
satrapes s'étant donc concertés ensemble, firent passer à Périnthe 
des troupes mercenaires, de fortes sommes d'argent , des vivres, 
des armes de trait et toute espèce de munitions de guerre. Pareil- 
lement, les Byzantins y envoyèrent l'élite de leurs soldats et 
leurs meilleurs officiers. Ces divers renforts ranimèrent l'ardeur 
guerrière des Périnthiens, et le siège devint plus pressant que 
jamais. Philippe, frappant les murs à coups redoublés de bélier, 
ouvrit une brèche, en même temps qu'avec ses projectiles il 
balaya les créneaux. Au moment où quelques soldats péné- 
traient par la brèche , dans l'intérieur de la ville , les autres y en- 
trèrent par les échelles appliquées aux murailles privées de dé- 
fenseurs. Il s'engagea un combat corps à corps ; tous ceux qui 
y prenaient part furent tués ou couverts de blessures, car la 
victoire était le prix de la lutte. Les Macédoniens étaient animés 
par l'espérance d'avoir une ville opulente à piller et de recevoir 



16/i DIODORE DE SICILE. 

de Philippe de grandes récompenses; les assiégés, de leur côté, 
voyant devant eux les horreurs de la captivité , affrontèrent no- 
blement tous les dangers pour la défense de leur salut. 

LXXVI. La position de la ville semblait assurer aux assiégés 
une victoire décisive. En effet , Périnthe est située au bord de 
la mer, sur une langue de terre d'un stade d'étendue; les mai- 
sons sont très-rapprochées lés unes des autres et toutes très-hau- 
tes; elles s*élèvent successivement sur la pente d'une colline et 
forment des gradins présentant l'aspect d'un amphithéâtre. Aussi, 
malgré les brèches faites au mur, la ville n'avait pas perdu ses 
moyens de défense; car, en barricadant les rues, on pouvait se 
servir des maisons en guise de murailles; aussi, chaque fois que 
Philippe parvenait, après beaucoup d'efforts, à se rendre maître 
d'un mur, il en trouvait un autre encore plus fort, formé tout 
naturellement par les maisons adossées contre la colline. A ces 
moyens de défense naturels, il faut ajouter les secours de toutes 
sortes que les Périnthiens avaient tirés de Byzance. Philippe 
divisa donc son armée en deux corps; il en laissa un sous les 
ordres de ses meilleurs officiers, chargés de continuer le siège; 
il se mit lui-même à la tête de l'autre, attaqua soudain Byzance 
et en poussa le siège avec vigueur. Les Byzantins se trouvaient 
dans le plus grand embarras, car leurs soldats et leurs muni- 
tions de guerre avaient été envoyés au secours des Périnthiens. 
Tel était l'état des choses chez les Périnthiens et chez les By- 
zantins. 

L'historien Éphore de Cymes termine ici son ouvrage, au 
siège de Périnthe. Cet ouvrage comprend l'histoire des Grecs 
et des Barbares depuis le retour des Héraclides, et embrasse un 
espace d'environ sept cent cinquante ans ; il est divisé en trente 
livres, dont chacun est précédé d'une préface. Diyllus f Athénien 
a continué l'ouvrage d'Éphore en exposant, dans un ordre chro- 
nologique, la suite de l'histoire des Grecs et des Barbares jus- 
qu'à la mort de Philippe. 

LXXVIL Théophraste étant archonte d'Athènes, Marcus Va- 
lérius et Aulus Cornélius consuls à Rome, on célébra la ex* olym- 



LIVRE X\X. 165 

piade, dans laquelle Anticlès l'Athénien futvainqueur à la course 
du stade K 

Dans cette année , Philippe continuait d'assiéger Byzance. 
Les Athéniens déclarèrent que ce roi avait violé le traité, et ils 
firent immédiatement partir une flotte considérable au secours 
des Byzantins. Pareillement, les habitants de Chio , de Cos, de 
Rhodes, et quelques autres Grecs envoyèrent des renforts aux 
Byzantins. Philippe, effrayé de ce concours de tous les Grecs, 
leva le siège des deux villes, et fit la paix avec Les Athéniens et 
les autres Grecs qui lui avaient déclaré la guerre. 

Revenons à Thistoire de la Sicile. Les Carthaginois, après 
avoir terminé leurs grands préparatifs de guerre , firent passer 
leur armée en Sicile. Cette armée, réunie aux troupes qui se 
trouvaient déjà dans Tile, se composait de plus de soixante-dix 
mille hommes d'infanterie, et d'au moins dix mille cavaliers, y 
compris les chars de guerre et les voitures de transport. A ces 
forces il faut ajouter deux cents vaisseaux longs, et plus de deux 
mille bâtiments de transport, chargés d'armes, de chevaux, de 
vivres et de munitions de toutes sortes. Informé de ces immen- 
ses forces de l'ennemi, Timoiéon ne se laissa point décourager, 
bien qu'il n'eût avec lui qu'un petit nombre de soldats. Il ter- 
mina aussitôt la guerre qu'il avait avec Hicétas , et , concen- 
trant ses troupes, il mit sur pied une armée assez considé- 
rable. 

LXXVIII. Timoiéon résolut de transporter le théâtre de la 
guerre dans les domaines des Carthaginois, afin qu'il préservât 
de toute dévastation le pays allié, tandis que celui des Barbares 
serait livré à la dévastation. Il rassembla donc sur-le-champ les 
mercenaires, les Syracusains ainsi que les autres alliés, et con- 
voqua une assemblée générale dans laquelle il les exhorta tous 
à une lutte décisive par des paroles appropriées à la circon- 
stance. Son discours fut unanimement applaudi, et les soldats 
s'écriaient qu'ils voulaient être au plus vite conduits contre lès 
Barbares. Jl s'avança donc à la tête de ses troupes , formées 

' Première année de la cx« olympiade; année 340 avant J.-C. 



166 DIODOBE DE SICILE. 

d*environ douze mille hommes , et il avait déjà atteint Agri- 
génie, lorsque, tout à coup, une révolte éclata dans l'armée. 
Un certain Thrasius, soldat mercenaire, homme pervers et au- 
dacieux, qui avait pris part, avec les Phocidiens, à la spoliation 
du temple de Delphes, commit un acte parfaitement d'accord 
avec sa conduite précédente. Presque tous les complices de la 
profanation de Toracle avaient été frappés par la vengeance di- 
vine, ainsi que nous l'avons déjà raconté. Cet homme qui, seul, 
paraissait avoir échappé à cette vengeance, fomentait maintenant 
l'insurrection parmi les troupes mercenaires. Il insinuait que 
Timoléon était insensé et conduisait ses soldats à une perte cer- 
taine. « Comment, ajoutait-il, espère-t-il de vaincre les Cartha- 
ginois six fois plus forts que lui, et abondamment pourvus de 
toutes sortes de munitions de guerre ? N'est-ce pas se faire un 
jeu de la vie des soldats, auxquels Timoléon n'a pas, depuis long- 
temps, payé de solde faute d'argent? » Thrasius leur conseillait 
donc de retourner à Syracuse, d'exiger le paiement de la solde 
qui leur était due, et de ne point s'engager dans une expédition 
désespérée. 

LXXIX. Les soldats, se laissant séduire par ces paroles , 
tentèrent un soulèvement que Timoléon ne parvint à calmer 
que par des instances très-vives et par la promesse de récom- 
penses. Cependant mille hommes furent entraînés par Thrasius. 
Timoléon remit à un autre moment le châtiment qu'il leur ré- 
servait; il écrivit même à ses amis, à Syracuse, de leur faire un 
bon accueil et de leur payer la solde arriérée. Il éteignit ainsi 
tout le feu de la révolte , et enleva aux indisciplinés l'occasion 
de participer à l'honneur de la victoire. Par sa conduite bien- 
veillante Timoléon ramena la bonne disposition des autres sol*- 
dats , et il s'avança contre l'ennemi campé à peu de distance. 
Il réunit les soldats en assemblée , et ranima leur courage par 
ses paroles , en leur représentant la lâcheté des Carthaginois et 
en glorifiant les succès de Gélon. Les troupes répondirent 
comme par un seul cri qu'il fallait attaquer l'ennemi et com- 
mencer la lutte. Dans ce moment, des bœufs apportaient, par 



L1\RE XVI. . 167 

hasard, des bottes de seiinum^ pour la litière des camps; Ti- 
inoléon s'écria qu'il acceptait ce présage de la victoire, car c'est 
avec le selinum qu'on tresse les couronnes des vainqueurs aux 
jeux isthmiques ^. Sur ces paroles de Timoléon, les soldats se 
tressèrent avec cette herbe des couronnes qu'ils mirent sur leur 
tête, et marchèrent joyeusement au combat, persuadés que les 
dieux leur annonçaient la victoire. C'est ce qui arriva en effet : 
contre toute attente, ils défirent l'ennemi, non pas seulement 
par leur propre bravoure, mais surtout par la protection des 
dieux. Timoléon, ayant rangé son armée en bataille, descendit 
de quelques hauteurs et se dirigea vers les bords d'un fleuve^ 
que dix mille Carthaginois venaient 'de traverser. Les ennemis 
avaient à peine atteint le rivage, lorsque Timoléon, à la tête de 
la phalange du centre , tomba sur eux à l'improviste. La lutte 
fut sanglante ; les Grecs , supérieurs aux Barbares par leur va- 
leur et par leur souplesse, en firent un grand carnage ; ceux qui 
avaient traversé le fleuve étaient déjà mis en déroute , lorsque 
toute l'armée carthaginoise le passa à son tour et vint réparer 
l'échec des siens. 

LXXX. Le combat recommença. Les Phéniciens allaient, par 
leur nombre, envelopper les Grecs, lorsque soudain un orage 
éclata, accompagné d'une pluie abondante, mêlée de grêlons 
d'une grosseur énorme ; la foudre, le tonnerre et des vents vio» 
lents se succédaient sans interruption. Les Grecs recevaient cet 
orage au dos, et les Barbares en face; les troupes de Timoléon 
en supportaient sans gêne les effets, tandis que les Phéniciens, 
dans l'impossibilité de lutter tout à la fois contre la tempête et 
contre les Grecs, se livrèrent à la fuite. Cavaliers et fantassins, 
chars et bagages, tout se précipitait dans une étrange mêlée 
vers le fleuve , se foulant aux pieds les uns les autres, se blés- 

* Espèce de céleri sauvage. Ce végétal, de la famille des ombellifères, croit par- 
ticulièrement dans les lieux marécageux. 

' C'est avec des feuilles sèches de selinum qu'on faisait ces couronnes, afin de 
les distinguer des couronnes néméennes qui se composaient de feuilles vertes de 
la même plante. 

» Le Crimèse. Plutarque {Timoléon). 



168 DIODORE DE SICILE. 

sant de leurs épées et de leurs lances; enfin, la déroule fut sans 
remède. Quelques-uns, serrés de près par la cavalerie ennemie, 
se jetèrent par troupes au milieu du courant , et trouvèrent la 
mort par les blessures qu'ils recevaient au dos. Un grand nom- 
bre périt sans avoir été frappé par le fer de l'ennemi : la frayeur, 
la presse des fuyards et les corps amoncelés, les faisaient dispa- 
raître dans les flots. Pour comble de malheur , les eaux du 
fleuve étaient grossies par la pluie : ceux qui, tout armés, vou- 
laient le traverser à la nage, furent entraînés et noyés. Enfin la 
cohorte sacrée des Carthaginois, composée de deux mille cinq 
cents hommes, tous distingués par leur bravoure, leur renom- 
mée et leurs richesses, fut taillée en pièces après une brillante 
résistance. Le reste de l'armée perdit plus de dix mille hom- 
mes, et près de quinze mille furent faits prisonniers. Une mul- 
titude de chars furent brisés dans la mêlée et deux cents furent 
pris ; tous les bagages et une foule de voitures de transport tom- 
bèrent au pouvoir des Grecs. La plupart des armes furent per- 
dues dans le fleuve; cependant on rapporta dans la tente de 
Timoléon mille cuirasses et plus de dix mille boucliers. Une 
partie de ces dépouilles fut, par la suite, déposée dans le temple 
de Syracuse; une autre partie fut distribuée aux alliés; enfin 
une autre envoyée par Timoléon à Gorinthe , pour être consa- 
crée dans le temple de Neptune. 

LXXXI. Les richesses tombées au pouvoir du vainqueur 
étaient immenses ; car les Carthaginois , très-opulents, possé- 
daient une multitude de vases d'argent et d'or ainsi que beau- 
coup d'autres ornements. Mais Timoléon abandonna toutes 
ces richesses à ses soldats pour prix de leur vaillance. Les 
Carthaginois qui avaient échappé à cette déroute se réfugièrent 
à grand'peine à Lilybée. L'efl'roi qui les avait saisis fut tel, 
qu'ils n'osèrent pas même s'embarquer sur leurs navires pour 
retourner en Libye, persuadés que la colère des dieux les ferait 
périr dans les flots de la mer Libyque. A la nouvelle de cette 
défaite, les Carthaginois furent consternés ; ils s'attendaient à 
chaque moment à voir arriver Tlmpléon avec son armée. Ils 



LIVRE XVI. 169 

rappelèrent sur le-champ Gescon \ fils d'Hannon, qui avait été 
condamné à l'exil, et lui donnèrent le commandement militaire; 
car il passait pour un homme remarquable par son audace et ses 
talents militaires. Mais, ne jugeant pas à propos d'exposer la 
vie de leurs citoyens aux dangers de la guerre , ils prirent à 
leur solde un grand nombre d'étrangers et particulièrement des 
Grecs. Tous ces étrangers prenaient volontiers du service chez 
les Carthaginois parce que Garthage était riche et leur donnait 
une solde élevée. Les Carthaginois firent en même temps partir 
pour la Sicile des députés habiles avec l'ordre de conclure la 
paix aux conditions qu'il leur serait possible d'obtenir. 

LXXXII. Lysimachide étant archonte d'Athènes , les Ro- 
mains nommèrent consuls Quintus Servilius et Marcus Ru- 
tilius K Dans celte année, Timoléon revint à Syracuse où il 
châtia d'abord les mercenaires qui l'avaient abandonné en 
suivant ïhrasius : il les chassa de la ville comme traîtres. 
Ces mercenaires passèrent en Italie, s'emparèrent d'une place 
du littoral sur le territoire des Bruttiens, et la pillèrent. Les 
Brultiens, indignés de cet acte, rassemblèrent une forte ar- 
mée et vinrent prendre d'assaut la place occupée par les mer- 
cenaires qui furent tous massacrés , et reçurent ainsi le châti- 
ment mérité de leur désertion et de leurs crimes. 

Timoléon fit mettre à mort Posthumius le Tyrrhénien qui , 
avec douze bâtiments corsaires, se livrait à la piraterie et s'était 
introduit comme ami dans le port de Syracuse. 11 accueillit 
amicalement les colons envoyés de Corinthe au nombre de cinq 
mille. 

Bieirtôt après , les députés des Carthaginois arrivèrent ; ils 
mirent de vives instances à obtenir la paix, qui leur fut accordée 
aux conditions que toutes les villes grecques seraient libres, que 
le fleuve Lycus formerait la frontière des possessions de chaque 
nation , que les Carthaginois ne soutiendraient plus les tyrans 
en guerre avec les Syracusains. 

' Quelques auteurs rappellpnt Giscon. 

* Seconde année de la ex* olympiade; année 339 avant J.-C. 

iir. ^^ 



170 DIODOBE DE SICILE. 

Après la conclusion de ce traité , Timoléon donna la sépulture 
à Hicétas qu'il avait vaincu et extermina les Campaniens qu*il 
avait expulsés d'Etna ; il frappa de terreur Nicodèine , tyran des 
Gentropiniens, et le chassa de sa ville. Il mit également un 
terme à la tyrannie d'Apolloniade, souverain des Agyrinéens, il 
délivra ces derniers et en fit des citoyens de Syracuse. En un 
mot, il extermina tous les tyrans de Tîle , rendit les villes indé- 
pendantes et les admit dans son alliance. La proclamation qu'il 
avait répandue dans la Grèce , que les Syracusains donneraient 
des terres et des maisons à tous ceux qui voudraient avoir le 
droit de cité à Syracuse , attira un grand nombre de Grecs. Le 
territoire syracusaln , non encore partagé , reçut ainsi quarante 
mille colons ; celui des Agyrinéens dix mille , tant cette contrée 
était vaste et fertile I Aussitôt après, Timoléon réforma les an- 
ciennes lois de Syracuse rédigées par Dioclès ; il ne fit aucun 
changement au règlement relatif aux contrats entre particuliers; 
il ne porta sa réforme que sur les institutions publiques qu'il 
rectifia selon son propre jugement. Il avait mis à la tête de ce 
travail de législation , Géphalus de Corinthe, homme célèbre par 
son savoir et par son intelligence. Après avoir terminé ces dispo- 
sitions législatives, il transféra les Léontins à Syracuse et accrut 
la population de la ville de Gamarine par les colons qu'il y fit 
transporter. 

LXXXIII. Ainsi donc, Timoléon fut le pacificateur de la Si- 
cile et contribua par ses efforts à l'augmentation de l'opulence 
des villes. Troublées longtemps par des dissensions et des guer- 
res intestines ainsi que par les nombreux tyrans qui avaient 
surgi dans leur sein, ces villes étaient presque désertes ; les ter- 
res étaient , faute de bras , restées en friche et ne produi- 
saient que des fruits sauvages. Maintenant , depuis l'arrivée de 
ces nombreux colons et grâce à une longue paix , ces terres, ja- 
dis incultes, produisaient toute sorte de fruits en abondance. 
Les Siciliens, les vendant avec avantage dans les marchés, s'en- 
richirent promptement. C'est à cette prospérité que l'on doit la 
construction de beaucoup de grands monuments; nous citerons 



LIVRE XVI. 171 

entre autres, rédifice dit omx soixante lits, situé dans Tlle; il 
remporte en grandeur et en beauté sur tous les autres monu- 
ments; il fui construit par Agathocle. Mais, comme cet édifice 
était , par son élévation, supérieur aux temples des dieux, il fut 
frappé par la foudre divine. Nous mentionnerons encore les 
tours situées près du petit port, sur lesquelles se trouvent des 
inscriptions gravées sur des pierres de différents genres, portant 
le nom d' Agathocle qui fit construire ces tours; enfin le temple 
de Jupiter Olympien , qui fut élevé quelque temps après par le 
roi Hiéron sur la place publique ; et , près du théâtre, Tautel 
qui avait un stade de long sur une hauteur et une largeur pro- 
portionnées. Parmi les villes moins importantes, celle d*Agyre, 
qui s'était également enrichie par son agriculture , se faisait 
remarquer par son théâtre , le plus beau de la Sicile après ce- 
lui de Syracuse, ainsi que par ses temples, par son palais de 
justice, une place publique, des tours élevéet» et des tombeaux 
surmontés de grandes et de nombreuses pyramides, monuments 
d'art splendides. 

LXXXIV. Charondas étant archonte d'Athènes, les Romains 
nommèrent consuls Lucius Émilius et Caïus Plautius^ Dans 
cette année, Philippe , roi des Macédoniens, ayant attiré dans 
son amitié la plupart des Grecs, poursuivit toujours son projet 
de parvenir à la domination absolue de la Grèce en frappant au 
cœur les Athéniens. Il s'empara donc soudain de la ville d'Éla- 
tée S y rassembla des troupes et résolut de faire la guerre aux 
Athéniens. Ceux-ci, surpris au milieu de la paix, n'étaient point 
préparés à cette attaque. Aussi, Philippe se flattait-il de rem- 
porter facilement la victoire. C'est en effet ce qui arriva. Dès 
qu'Élatée fut prise, des messagers vinrent de nuit annoncer 
cette nouvelle aux Athéniens qui apprirent en même temps la 
marche rapide de Philippe sur l'Attique. Les généraux d'Athè- 
nes, surpris de ce mouvement inattendu, firent venir les trom- 



* Troisième année de la ex* olympiade ; année 338 avant J.-C. 
' Élatée était la plus grande ville de la Phocide, et bien située pour envahir la 
Béotie. 



172 DIODORE DE SICILE. 

pettes et leur ordonnèrent de sonner Falarme pendant tonte la 
nuit. Le bruit de rapproche de Philippe se répandit dans toutes 
les maisons, la ville fut bientôt sur pied : dès la pointe du jour 
le peuple accourut au théâtre , avant même que les magistrats 
l'eussent convoqué, conformément aux usages établis.^Les géné- 
raux s'y rendirent , emmenant avec eux celui qui , le premier, 
avait apporté la nouvelle, et, lorsqu'il eut parlé, le silence et 
la terreur régnèrent dans le théâtre. Aucun des orateurs qui 
d'ordinaire haranguaient le peuple n'osa se lever pour propo- 
ser un conseil, et, malgré les proclamations réitérées du héraut 
qui invitait les orateurs à parler pour le salut commun, per- 
sonne ne monta à la tribune. L'embarras et l'eiïroi étaient 
grands ; tout le peuple tournait ses regards vers Démosthène. 
Celui-ci s'avança alors, exhorta le peuple à prendre courage, et 
proposa d'envoyer immédiatement des députés à ïhèbes pour 
engager les Béotiens à faire cause commune avec les Athéniens 
en luttant pour la liberté. Car le temps ne permettait pas de 
faire un appel aux autres alliés, et, dans l'espace de deux jours, 
le roi pouvait entrer dans TAttique. Comme sa route le condui- 
sait à travers la Béotie, il ne restait d'autre ressource que 
l'alliance des Béotiens; et puisque Philippe était déjà l'allié des 
Béotiens , il devait tenter de les entraîner dans la guerre contre 
les Athéniens. 

LXXXV. Le peuple accueillit cette proposition et rendit le 
décret rédigé par Démosthène; puis il chercha l'orateur le plus 
éloquent et le plus apte à remplir cette mission. Démosthène ac- 
cepta avec empressement l'office d'envoyé. Il partit donc immé- 
diatement pour Thëbes, persuada les Thébains et revint à Athè- 
nes. Le peuple , voyant ses forces doublées par le renfort des 
Béotiens , reprit courage ; il nomma aussitôt commandants des 
troupes Charès et Lysiclès , et les fit partir avec des masses 
armées pour la Béotie. Toute la jeunesse , animée d'une ar- 
deur guerrière , arriva , après une marche forcée , à Chéronée 
en Béotie. Les Béotiens, émerveillés de la promptitude des 
Athéniens, ne restèrent pas non plus oisifs : ils accoururent aux 



LIVRE XVI. 173 

armes et se joignirent à leurs alliés pour attendre le choc de 
Tennemi. Philippe envoya d'abord à rassemblée des Béotiens 
des députés dont le plus célèbre était Python. Cet homme était 
renommé par son éloquence; il avait été choisi pour détruire 
reiïet du discours de Démosthène qui sollicitait Falliance des 
Béotiens. Mais , bien qu*il fût un des premiers orateurs de son 
époque, il était néanmoins inférieur h Démosthène. Car celui-ci, 
dans les harangues qu'il a écrites, signale lui-même sa réplique 
à cet orateur comme une des plus grandes choses qu'il ait ja- 
mais faites, lorsqu'il dit : « Dans ce temps, je ne cédais point 
le terrain à Python dont les flots d'éloquence semblaient nous 
accabler \ » Philippe n'obtint pas le concours des Béotiens ; 
mais il ne résolut pas moins de combattre les deux nations. Il 
attendit donc la jonction de ses alliés retardataires; puis il en- 
tra en Béotie à la tête de plus de trente mille hommes d'in- 
fanterie et d'environ deux mille cavaliers. Les deux armées 
étaient animées d'une égale ardeur guerrière; mais le roi l'em- 
portait par ses forces et par ses talents stratégiques. Vainqueur 
dans des batailles nombreuses et diverses, il avait acquis beau- 
coup d'expérience dans l'art militaire, tandis que chez les Athé- 
niens, les meilleurs généraux, Iphicrate, Chabrias et Timo- 
ihée , avaient cessé de vivre ; le seul qui leur restait, Charès , 
se distinguait à peine du commun des guerriers par son activité 
dans le commandement et dans les conseils. 

LXXXVI. Dès que le jour apparut, les deux armées se ran- 
gèrent en bataille. Le roi donna le commandement de l'une des 
ailes de son armée à son fils Alexandre qui entrait à peine dans 
l'adolescence^, mais qui s'était déjà fait remarquer par son cou 
rage et par son intelligence précoce; il plaça près de son fils 
ses lieutenants les plus distingués. Quant à lui , entouré de ses 
soldats d'élite, il prit le commandement de l'autre aile et dis- 
posa le reste de l'armée dans l'ordre que le lieu et le temps 

^ Discours pour la Couronne. 

" Il avait environ dix-neuf ans ; il avait seize ans à l'époque oîi son père assié- 
geait Byzancc. Voyez Plutarque {Alexander). 

m. \^. 



17^ DIODORE D£ SICILE. 

permettaient. Les Athéniens avaient partagé leur armée par 
nations ; les Béotiens en commandaient une partie et les Athé- 
niens l'autre. Le combat fut long et sanglant; beaucoup de guer- 
riers tombaient de part et d'autre , et la victoire resta un mo- 
ment indécise. Enfin Alexandre , jaloux de montrer à son père 
sa bravoure personnelle, et secondé par les braves guerriers qui 
Fentouraient , rompit le premier la ligne ennemie , culbuta un 
grand nombre de combattants et fit éprouver des pertes à ceux 
qui lui étaient opposés. Ses compagnons d'armes suivirent son 
exemple et rompirent à leur tour la ligne ennemie. Les morts 
s'amoncelèrent ; Alexandre et ses compagnons renversèrent tous 
ceux qui leur opposaient de la résistance. Cependant le roi, com- 
battant au premier rang, et ne voulant laisser à personne , pas 
même à Alexandre, l'honneur de vaincre, repoussa les en- 
nemis, les mit en fuite et décida la victoire. Les Athéniens per- 
dirent dans cette bataille plus de mille hommes; deux mille au 
moins furent faits prisonniers. Les Béotiens essuyèrent égale- 
ment de grandes pertes ; on grand nombre fut fait prisonnier. 
Après cette bataille, Philippe éleva un trophée, accorda la 
sépulture aux morts , offrit en action de grâces un sacrifice aux 
dieux , et distribua aux plus braves des récompenses méritées. 

LXXXYIL Quelques historiens racontent que Philippe, dans 
un banquet qu'il donna à ses amis pour célébrer cette victoire, 
ivre de vin , se promena au milieu des prisonniers de guerre , 
et insulta à leur infortune. Parmi ces prisonniers se trouvait 
Démade, le rhéteur, qui, dans sa franchise, reprocha par quel^ 
ques paroles énergiques au roi son intempérance : « £h quoi I 
lui dit-il, tandis que la fortune te donne un air d'Agamemuon, 
tu ne rougis pas de jouer le rôle de Thersite. » Philippe, frappé 
d'un tel reproche , changea d'attitude , jeta les couronnes qui 
ornaient sa tête, éloigna du festin tout ce qui pouvait être ou- 
trageant pour les prisonniers, et non-seulement admira la fran- 
chise de Démade , mais le remit en liberté sans rançon et l'ho- 
nora de son intimité. Enfin , entraîné dans ses entretiens par 
les grâces attiques de Démade, il relâcha tous les autres captifs 



LIVRE XVI. . 175 

sans rançon; en un mot, déposant l'orgueil du vainqueur, il 
envoya des députés pour conclure avec le peuple athénien un 
traité d'alliance et d'amitié. Il laissa une garnison à Thèbes et 
accorda la paix aux Béotiens. 

LXXXVIII. Après leur défaite à Chéronée , les Athéniens 
condamnèrent à mort leur général Lysiclès, sur Faccusation que 
Lycurgue l'orateur avait porlée contre lui. C^était alors le plus 
influent des orateurs ; pendant douze ans il avait administré , à 
son éloge, les revenus de l'État; tonte sa vie il avait eu la repu-, 
tation d'un homme vertueux ; mais, comme orateur, il mettait 
beaucoup de véhémence dans ses accusations. On peut citer, 
comme une preuve de son éloquence à la fois digne et incisive, 
le passage suivant de son discours où il se porta accusateur de 
Lysiclès : « Vous commandiez notre armée, ô Lysiclès, et mille 
de nos citoyens sont morts, deux mille ont été faits prisonniers ; 
un trophée a été élevé à la honte de notre cité, toute la Grèce 
est devenue esclave; tout cela est arrivé sous tes ordres, sous 
ton commandement, et tu oses vivre ; tu oses regarder encore la 
lumière du soleil, te montrer sur la place publique, toi, monu- 
ment vivant de la honte et de l'opprobre de la patrie ! » 

Une circonstance remarquable, c'est que, pendant que la ba- 
taille de Chéronée se livrait en Grèce , une autre avait lieu en 
Italie le même jour, à la même heure, entre les Tarentins et les 
Lucaniens. Archidamus, roi des Lacédémoniens, combattit dans 
l'armée des Tarentins et y fut tué. Il avait régné vingt-trois ans. 
Son fils Agis, qui lui succéda, régna neuf ans. 

Pendant que ces choses se passaient, Timothée, tyran d'Hé- 
raclée, dans le Pont, mourut après un règne de quinze ans; son 
frère, Denys, lui succéda et régna plus de trente-deux ans. 

LXXXIX. Phrynichus étant archonte d'Athènes, les Ro- 
mains élurent pour consuls Titus Manlius Torquatus et Publius 
Décius^ Dans cette année, le roi Philippe, enhardi par la vic- 
toire de Chéronée et par la terreur qu'il avait inspirée aux villes 
les plus célèbres, brigua l'empire de toute la Grèce. Il fit d'a- 

* Quatrième année de la ex* olympiade ; année 387 avant J.-C. 



176 . DIODORE DE SICILE. 

bord répandre le bruit qu'il voulait déclarer la guerre aux Per- 
ses pour venger les Grecs des profanations que les Barbares 
avaient commises dans les temples de la Grèce, et se concilia 
ainsi raiïection des Grecs. En public et dans ses relations pri- 
vées, il se montrait envers tout le monde doux et bienveillant. 
Il fit proposer à chaque ville d'entrer avec lui en conférence au 
sujet de leurs intérêts communs. Corinthe fut donc le lieu 
d'une réunion générale, et ce fut là qu'il proposa de déclarer la 
guerre aux Peises et qu'il fit naître de grandes espérances dans 
l'esprit de tous les membres de l'assemblée. Enfin les Grecs 
nommèrent Philippe généralissime de la Grèce. Investi d'une 
autorité illimitée, il fit de grands préparatifs pour une expédition 
contre les Perses. Après avoir imposé à chaque ville le contin- 
gent qu'elle fournirait pour cette expédition, il revint en Macé- 
doine. Tel était l'état des affaires de Philippe. 

XC. Revenons à l'histoire de la Sicile. Timoléon, le Corin- 
thien , qui avait rétabli l'ordre chez les Syracusains et les Sici- 
liens, mourut après avoir exercé pendant huit ans le comman- 
dement. Les Syracusains célébrèrent hautement les vertus de cet 
homme auquel ils devaient tant, et lui donnèrent de magnifiques 
funérailles; et, lorsque son corps fut porté au tombeau, au mi- 
lieu d'une grande afiluence de monde, le peuple de Syracuse fit 
proclamer le décret suivant : « Timoléon ' , fils de Timaeuètes , 
sera enseveli aux frais du trésor public, qui fournira deux cents 
mines ^; chaque année, on célébrera sa mémoire par des jeux 
musicaux, gymniques et hippiques, parce qu'il a dompté les Bar- 
bares, relevé les plus grandes villes grecques et rendu libres les 
Siciliens. » 

A cette même époque mourut Ariobarzane, après un règne de 
vingt-six ans. Mithridate, son successeur, régna trente-cinq 
ans. 

Les Romains défirent les Latins et les Campaniens dans une 

' J'adopte ici la correction proposée par Wesseliiig, et je lis Tifixivérov vtov, 
au lieu de Ti/xâv âri|viov. 
* EDviron dix-hnlt inille deux cents francs. 



LIVRE XVI. 177 

bataille livrée près de Suessa*, et enlevèrent une portion du ter- 
ritoire des vaincus. Le consul Manlius, qui avait remporté cette 
victoire , obtint les honneurs du triomphe. 

XCI. Pyihodore étant archonte d'Athènes, Quintus Publius 
et Tibérius Émilius Mamcrcus consuls à Rome, on célébra la 
CXL" olympiade, où Cléomantis de Clitoris fut vainqueur à la 
course du stade ^ Dans le cours de cette année, le roi Philippe, 
généralissime des Grecs, prêt à faire la guerre aux Perses, 
envoya Altalus et Parménion en Asie , avec une partie de ses trou- 
pes que ces chefs devaient employer à la délivrance des villes 
grecques. Quant à lui , empressé d'avoir pour cette expédition 
Tassentiment des dieux , il demanda à la pythie s'il serait vain- 
queur du roi des Perses; l'oracle lui répondit : « Le taureau est 
couronné, la victime est sans tache, celui qui doit l'immoler 
est prêt. » Bien que le sens de cet oracle fût très-ambigu, Phi- 
lippe l'interpréta à son avantage , comme si cet oracle annonçait 
que le roi des Perses tomberait comme une victime. Mais , en 
réalité , l'oracle signifiait au contraire que Philippe, tel qu'un 
taureau couronné de fleurs, était destiné à être égorgé. Quoi qu'il 
en soit , Philippe, croyant avoir le concours des dieux , se réjouis- 
sait déjà , comme si l'Asie allait être aux pieds des Macédoniens. 
Il ordonna donc sur-le-champ de magnifiques sacrifices en l'hon- 
neur des dieux et célébra en même temps les noces de sa fille 
Cléopâtre, qu'il avait eue d'Olympias, et qu'il fit épouser à 
Alexandre, roi des Épirotes, propre frère d'Olympias. Pour 
attirer à ces fêtes le plus grand nombre possible de Grecs, il 
institua des luttes musicales et de splendides festins auxquels il 
invita et ses amis et les étrangers. Il fit venir de toute la Grèce 
ses hôtes, et ordonna à ses amis d'appeler de leur côté tous les 
hôtes de leur connaissance ; car il ambitionnait de se rendre 
agréable aux Grecs et de répondre dignement à l'honneur qu'ils 
lui avaient fait en le nommant généralissime de la Grèce.] 

XGII. Enfin, au milieu d'un nombreux concours d'hommes de 

• Tite-IJve appelle cette ville Sinuessaf VIII, il. 
. • Première année de la cxi* olympiade ; année 336 avant J.-C. 



178 DIOOORE DE SICILE. 

• 

toutes les nations, on célébra à Aiguës ^ en Macédoine , les noces 
de Gléopâtre, par des fêtes et des jeux. A cette occasion , Phi- 
lippe reçut des couronnes d*or de chacun des illustres convives 
et de la part de plusieurs villes considérables, au nombre des- 
quelles se trouvait Athènes. Le héraut qui offrit la couronne au 
nom de cette ville, dit en terminant sa proclamation : « Quicon- 
que ayant attenté aux jours du roi Philippe, voudrait se réfugier 
à Athènes, sera livré à la justice du roi. » Par cette prophétie 
échappée au hasard, la divinité semblait elle-même annon- 
cer l'attentat qui menaçait Philippe; en même temps, d'antres 
voix prophétiques prédisaient la funeste catastrophe du roi. £n 
effet , dans un banquet royal, Néoptolème, le tragédien , célèbre 
pour ses talents et sa belle voix, récita , sur Tinvitation du roi , 
quelques vers ayant trait à l'expédition de Philippe , et aux chan- 
gements contraires que la fortune pourrait faire éprouver au roi 
des Perses, ce grand et fameux souverain. Voici le sens de ces 
vers : « Vous qui élevez vos pensées plus haut que la région de 
Féther et qui embrassez dans vos projets les grandes plaines de 
la terre; vous qui construisez maisons sur maisons, croyant, 
par vos désirs insensés, reculer indéfiniment le terme de la vie; 
vous tous serez atteints par la course rapide et inaperçue du 
destin qui plongera vos œuvres dans l'obscurité , anéantira vos 
longues espérances et vous entraînera dans la lamentable de- 
meure de Pluton. » 

Le tragédien ajouta encore quelques vers, tous empreints de 
la même idée. Philippe s'abandonna tout entier à la joie que 
lui causaient ces vers dans lesquels il voyait la prédiction de la 
chute du roi des Perses, et qui lui semblaient même confirmer 
la réponse de l'oracle. Enfin, le banquet fini, le commencement 
des jeux fut remis au lendemain, et comme la nuit était déjà ar- 
rivée la foule accourut au théâtre. Au point du jour, dans une 
procession solennelle et préparée avec magnificence , on porta 
les images des douze dieux artistement travaillées ; la treizième 
image représentait Philippe lui-même, avec les attributs de la 
divinité, placé sur un trône comme les douze dieux. 



LIVRE XVI. 179 

XGIII. Le théâtre était rempli de spectateurs, lorsque Phi- 
lippe s'avança, vêtu de blanc, et ordonnant à ses gardes de ne le 
suivre qu'à une grande distance; car il voulut ainsi faire voir 
qu'il avait confiance dans Taffection des Grecs , et qu'il n'avait 
pas besoin de gardes. Ce fut au milieu de ces fêtes splendides où 
Philippe reçut les honneurs d'un immortel , que le roi devint 
l'objet d'un attentat étrange qui lui donna la mort. Pour mieux 
saisir celte conspiration nous allons d'abord en exposer les 
causes. 

Pausanias, Macédonien de naissance , natif d'Oreslis , servait 
dans la garde de corps du roi, et s'était, par sa beauté, attiré 
l'affection de Philippe. Ce garde s'étant aperçu que Philippe ai- 
mait un autre Pausanias, son homonyme, se déchaîna en invecti- 
ves contre son rival; il l'appela homme-femme, et prêt à se livrer 
aux amours du premier venu. Ce dernier fut indigné de ces pro* 
pos insultants; mais il garda le silence dans le premier moment; 
il s'en ouvrit à Attalus, un de ses amis, et avait déjà arrêté un 
projet de vengeance , lorsqu'il perdit la vie volontairement et 
dans une circonstance inattendue. Peu de jours après , le rival 
outragé se trouva dans une bataille que Philippe livrait au roi 
des Illyriens; placé au-devant de Philippe, il reçut tous les coups 
qui étaient destinés au roi et expira. Le bruit de cette action 
s'étant répandu , Attalus , un des courtisans les plus influents 
du roi, invita Pausanias, le garde du corps, à un banquet, et, 
après l'avoir enivré de vins, il livra son corps en prostitution 
aux goujats. Revenu de son ivresse, Pausanias se plaignit au roi 
en désignant Attalus comme l'auteur des outrages qu'il avait 
reçus. Philippe, indigné de ce forfait , ne fit point encore écla- 
ter son courroux, parce qu'il avait pour le moment besoin des 
services d' Attalus, qui était aussi son parent : Attalus était neveu 
de Cléopâtre, seconde femme du roi ; d'ailleurs, il venait d'être 
envoyé en Asie avec une partie de l'armée, et avait la réputation 
d'un brave guerrier. Le roi essaya donc d'apaiser la colère de 
Pausanias en le comblant de bienfaits et en lui donnant de l'avan* 
cernent dans sa garde. 



180 inODORE DE SICILE. 

XCIV. Cependant, Pausanias concentra sa colère et se promit 
de tirer vengeance, non-seulement de celui qui Tavait outragé, 
mais encore de celui qui lui avait refusé satisfaction, li fut sur- 
tout encouragé dans ce projet par le sophiste Hermocrate. Pau- 
sanias, qui était son disciple, lui demanda un jour, dans récolc, 
comment on peut devenir un homme célèbre. Le sophiste répon- 
dit : « En tuant celui qui a fait de grandes choses ; car la pos- 
térité ne séparera pas le nom du grand homme de celui de son 
meurtrier. » Retrempant sa colère par ce sophisme, et sa résolu- 
tion étant irrévocablement prise, Pausanias songea à profiter, 
pour Texécution de son projet , des jeux qui se célébraient. Il 
eut d*abord soin de placer des chevaux aux portes de la ville; 
puis pénétra dans les avenues du théâtre en cachant sous ses vê- 
tements une épée celtique. A Tinstant où Philippe ordonnait à 
ses amis, qui raccompagnaient, d'entrer avant lui dans le théâ- 
tre, et à ses gardes de se tenir à quelque distance derrière lui , 
Pausanias accourut, et, voyant le roi laissé seul , il lui plongea 
un poignard dans les côtes et retendit roide mort. Le meurtrier 
prit aussitôt la fuite, et arriva aux portes delà ville où il trouva 
des chevaux tout sellés. Les gardes accoururent, les uns pour 
relever le corps du roi, les autres pour se mettre à la poursuite de 
l'assassin; parmi ces derniers, il y avait Léonatus, Perdiccas et 
AttaJus. Cependant Pausanias , qui avait de l'avance sur eux , 
leur aurait échappé, monté sur son cheval, si une de ses chaus- 
sures, embarrassée par des sarments de vigne, ne l'eût fait 
tomber. Perdiccas et ses compagnons l'atteignirent, le relevè- 
rent et le percèrent de coups. 

XCV. Telle fut la fin tragique de Philippe, alors le plus grand 
roi de l'Europe, et qui, dans sa puissance, s'était comparé aux 
douze dieux. Il avait régné vingt-quatre ans. Le royaume qu'il 
avait hérité de ses ancêtres était très-petit et il en fit la plus 
grande monarchie de la Grèce. Il devait l'accroissement de sa 
puissance, non pas tant à la force des armes qu'à son éloquence 
insinuante et à ses manières bienveillantes qui lui conciliaient 
l'alTection de tout le monde. Il est généralement reconnu que 



LIVRE xvr. 181 

Philippe s'était plus distingué par ses connaissances stratégi(ines 
et par son affabilité que par sa bravoure dans les conibals. En 
effet , ses succès dans la guerre, il les partageait avec tous ses 
compagnons d'armes, tandis que les avantages obtenus par voie 
de persuasion sont uniquement son œuvre ^ 

Arrivés à l'époque de la mort de Philippe, nous terminons ici 
ce livre ainsi que nous l'avions annoncé au commencement. Le 
livre suivant, nous le commencerons par Tavéuement d'Alexan- 
dre, et nous essaierons de renfermer dans ce seul livre toutes 
les actions de ce roi. 

* Comparez les jugements que portent sur Philippe, Justin, IX , 8 ; et Pau;>anius, 



m. v^ 



LIVRE DIX-SEPTIEME. 



PREMIÈRE PARTIE ^ 



SOMMAIRE. 

Alexandre succède au roi Philippe , et règle les affaires du royaume. — n soumet 
les peuples insurgés. — Il rase Tbèbes , frappe de terreur les Grecs , et est 
nommé chef absolu de la Grèce. — Il passe en Asie et bat les satrapes aux bords 
du fleuve Granique, en Phrygie.— 11 prend d'assaut Mi let et Halicarnasse. — 
Combat entre Darius et Alexandre, à Issus , en Cilicie ; victoire d'Alexandre. — 
Siège de Tyr; occupation de l'Egypte; voyage du roi au temple d' A mmon. — Ba- 
taille d'Arbèles entre Alexandre et Darius; victoire d'Alexandre.— Combat entre 
Antipater et les Lacédémouiens ; victoire d'Antipater. — Prise d'Artièlea par 
Alexandre , qui recueille beaucoup de richesses. — L'armée se repose à Raby-» 
lone ; les braves sont récompensés, — Arrivée des mercenaires et des alliés. — 
Revue de Tarmée. — Alexandre prend Suse et les trésors qui s'y trouvent. — Il 
s'empare des défilés et se rend maître de ce qu'on appelle les Portes. — Il de- 
vient le bienfaiteur des Grecs -mutilés , prend Persépolis et saccage la ville. — Il 
incendie , pendant une orgie , le palais du roi. — Darius est tué par Dessus. — 
Alexandre s'avance vers l'Hyrcanie ; récit des choses singulières qui s'y produi- 
sent. — Alexandre marche contre les Mardes , et dompte cette nation. — Tha- 
lestris, reine des Amazones, approche d'Alexandre. —Le roi, se croyant in- 
vincible , imite les mœurs luxurieuses des Perses. — Expédition d'Alexandre 
contre les Ariens rebelles; prise de Pétra. — Conspiration contre le roi ; châti- 
ment des conspirateurs, dont les plus célèbres sont Parménion et Philotas. — 
Expédition d'Alexandre contre les Paropamisades ; détails de cette expédition. — 
Combat singulier chez les Ariens ; soumission de ce peuple. — Moi t de Dessus, 
meurtrier de Darius '. - Alexandre prend d'assaut un rocher jusqu'alors inex- 
pugnable , appelé Pétra. — Il se réunit à Taxile, roi des Indiens ; il est vainqueur 
(le Porus dans une grande bataille , s'empare de sa personne et lui rend le 
royaume par générosité. — Description des serpents énormes et des productions 
naturelles de cette conlré(». — Il soumet les nations voisines , les unes par la 
persuasion , les autres par la force. — Il subjugue le pays appartenant à Sopi- 
lliès. — Sur les bonnes institutions des villes de ce pays. — Excellente race des 
chiciis donnés à Alexandre. — Histoire du roi des Indiens. — Désobéissance des 
Macédoniens au moment où Alexandre se propose de passer le Gange et de 

* Le livre XVli«, à l'exemple du livre !«<*, a étë divisé en deux parties. 

* Ici une partie du sommaire a élu transportée au chapitre 84 (en note), pour 
combler une lacune considérable qui se trouve dans le texte. 



LIVRE XVII. 183 

combattre lOB Gandaridos. —Le roi met un terme à son eicpédition et visite les 
autres contrées de l'Inde; il faillit mourir d'un coup de flèche. — Il travers»' 
rindus et navigue vers l'océan méridional. — Combat singulier par un déli. — 
Soumission des Indiens occupant les deux rives du fleuve jusqu'à l'Océan. — 
Traditions et coutumes des indigènes ; leur vie sauvage. — L'expédition navale, 
envoyée datis l'Océan, rejoint Alexandre campé au bord de la mer; détail de cette 
navigation.— Reprise do l'expédition navale ; on longe les côtes dans une grande 
étendue. — Los Perses choisissent trente mille jeunes gens, les instruisent dans 
l'art militaire et les opposent à la phalange macédonienne. — Harpalus, accusé 
à cause de sou luxe et de ses dépenses excessives , s'enfuit de Babylone, et de- 
vient le suppliant du peuple d'Athènes. — En s'échappant de l'Attiquo, il est tué; 
il avait déposé chez les Athéniens sept cents talents d'argent; il en laisse quatre 
mille, ainsi que huit mille mercenaires, près de Ténarum , en Laconie. — Alexan- 
dre acquitte les dettes des vétérans macédoniens, dépense dix mille talents, et 
les renvoie dans leur patrie. — Les Macédoniens se révoltent; châtiment des 
auteurs du complot. — Peuceste amène à Alexandre dix mille archers et fron- 
deurs perses choisis. — Le roi organise ses troupes et mêle les Perses aux Ma- 
cédoniens. — Les enfants de troupes , au nombre de dix mille, sont tous élevés 
et instruits aux frais du roi. — Léosthène commence à entreprendre une guerre 
contre les Macédoniens. — Alexandre marche contre les Cosséens. — Les Chal- 
déens prédisent à Alexandre , qui se dirige sur Babylone , qu'il mourrait s'il en- 
trait dans la ville. — Le roi s'effraie d'abord de cette prédiction , et évite d'en- 
trer dans Babylone ; mais , plus tard , persuadé par les philosophes grecs , il en- 
tre dans cette ville. — Du grand nombre des députations qui s'y rendent. — Fu- 
nérailles d'Hephœstion ; les grandes sommes qui y sont dépensées. — Présages 
concernant Alexandre; sa mort. 



I. Le livre précédent , le seizième de tout Touvrage , com- 
mence au règne de Philippe, fils d^Amyntas; il comprend toute 
rhistoire de Philippe jusqu'à sa mort, ainsi que le récit des évé- 
nements arrivés en même temps sous d'autres rois, chez d'au- 
tres peuples, dans d'autres États, pendant toute la durée de ce 
règne qui a été de vingt-quatre ans. Dans le présent livre, nous 
exposerons les événements qui viennent à la suite de ceux-ci, 
en commençant à Tavénement d'Alexandre au trône de Macé- 
doine, et nous ferons connaître les actes qui se sont passés sous 
ce règne, jusqu'à la mort d'Alexandre; en même temps nous 
embrasserons dans notre récit tout ce qui est arrivé de remar- 
quable dans les parties connues de la terre. Par cette méthode , 
divisant la narration par chapitres et rattachant, par un fil non 
interrompu, la fin au commencement, nous croyons parvenir à 
graver facilement les faits dans la mémoire du lecteur. Dans 



48^ DIODORE DE SICILE. 

un court espace de temps , Alexandre a accompli de grandes 
choses, et , par la grandeur de ses œuvres, fruits de son intelli- 
gence et de sa bravoure, il a surpassé tous les rois dont Thistoirc 
nous a légué le souvenir. En douze ans il a conquis une partie 
de l'Europe, presque toute l'Asie et s'est acquis avec raison une 
gloire égale ù celle des anciens héros et demi-dieux. Mais il ne 
faut pas anticiper dans ce préambule sur Texposé complet que 
nous allons donner de toutes les grandes actions de ce roi. 

Alexandre descendait d'Hercule du côté paternel et des Éaci- 
des par sa mère. Il eut des qualités physiques et morales dignes 
de ces ancêtres. 

Après avoir rappelé l'ordre chronologique des événements, 
nous allons reprendre le fil de notre histoire. 

II. Éva^nète étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent consuls Lucius Furius et Caïus Mœnius^ Dans celte 
année, Alexandre hérila de la royauté. Son premier soin fut 
d'infliger aux meurtriers de son père le châtiment mérité. Il 
s'occupa ensuite des funérailles de son père et remplit noble- 
ment ce pieux devoir. Dès le commencement, il administra son 
empire avec beaucoup plus d'ordre qu'on ne l'aurait attendu. 
Quoique extrêmement jeune et presque méprisé à cause de sa 
jeunesse , il savait par des discours insinuants gagner l'afTeclion 
des masses. « Il n'y a, disait-il, de changé que le nom du roi ; 
les affaires seront administrées comme du temps de mon père. » 
Il accueillit amicalement les députations qui lui furent envoyées 
et engagea les Grecs à lui continuer la bienveillance qu'ils avaient 
eue pour son père. Il passait fréquemment ses troupes en re- 
vue , leur faisait faire des exercices militaires , et se créa ainsi 
une armée bien disciplinée. Atlalus, frère de Cléopâtre, seconde 
femme de Philippe , conspirait contre la royauté; aussi Alexan- 
dre jugea-t-il à propos de s'en défaire, d'autant plus que Cléo- 
pâtre avait mis au monde un fils peu de jours avant la mort de 
Philippe. Attalus, ainsi que Parménion, avaient été quelque temps 
auparavant détachés en Asie avec un corps d'armée. Attàlus, par 

' Dcuxi(''mc année de la cxr olympiade ; année 333 avant J.-C. 



LIVRE XVII. 185 

sa générosité et ses manières affables, s'était attiré Testinie des 
soldats. C'est donc avec raison qu'Alexandre craignait qu*Atlalus 
ne cherchât, avec le secours des Grecs mécontents, à s'empa- 
rer de la royauté. Alexandre choisit Hécatée, un de ses amis, 
le fit partir en Asie avec des troupes suffisantes et lui donna l'or- 
dre d'amener Attalus vivant , sinon de le faire assassiner au plus 
tôt. Hécatée passa donc en Asie et ayant joiiU ses troupes à 
celles de Parménion et d'Attalus , il épia le moment favorable 
pour remplir sa mission. 

m. Informé que la plupart des Grecs songeaient à s'insur- 
ger, Alexandre conçut de vives alarmes. En effet, les Athé- 
niens, excités par les harangues de Démosthène, avaient appris 
avec joie la mort de Philippe et n'étaient point disposés à céder 
aux Macédoniens l'empire des Grecs. Ils avaient envoyé des dé- 
putés à Attalus et complotaient avec lui; en même temps ils 
poussaient la plupart des villes à se déclarer indépendantes. Les 
Éloliens avaient décrété le rappel des exilés de i'Acarnanie , 
que Philippe avait fait bannir de leur pays. Les Ambratiotes, 
persuadés par Aristarque, avaient chassé la garnison de Philippe 
et donné à la ville un gouvernement démocratique. Pareille- 
ment , les Thébains avaient décidé d'expulser la garnison de la 
Cadmée et de refuser à Alexandre la suprématie de la Grèce. 
Les Arcadiens seuls n'avaient pas accordé à Philippe l'empire 
des Grecs ; ils le refusèrent aussi à Alexandre. Quant aux autres 
Péloponnésiens, tels que les Argiens , les Éliens, les Lacédémo- 
uiens, et plusieurs autres, ils prétendaient se gouverner par leurs 
propres lois. Enfin , plusieurs nations limitrophes de la Macé- 
doine levèrent également l'étendard de la révolte et fomentèrent 
des troubles parmi les Barbares du voisinage. Au milieu de ces 
conjonctures difficiles qui menaçaient la ruine de la monarchie , 
Alexandre, quoique bien jeune, rétablit promptement,'et contre 
toute attente , l'ordre dans ses États : il gagna les uns par la 
persuasion , rappela les autres par la terreur et en soumit quel- 
ques autres par la force. 

lY. Il rappela d'abord aux Thessalieus leur origine commune 
m. \.^. 



186 DIOOORE DE SICILE. 

d'Hercule, et, dans des discours bienveillants, il enfla leurs espé- 
rances, au point que d*une Toix unanime ils lui décernèrent la 
suprématie de la Grèce qu'avait eue son père. De la Thessalie 
il s'avança vers les populations limitrophes et réussit à les rame- 
ner à lui. Il arriva ensuite aux Thermopyles, convoqua le con- 
seil des amphictyons et parvint à se faire confirmer par un décret 
le commandement suprême des Grecs. Il envoya une députation 
aux Ambratiotcs, les traita amicalement, -et s'engagea avec plai- 
sir à leur accorder bientôt le droit de se gouverner par leurs 
propres lois. Mais pour frapper de terreur ceux qui lui déso- 
béissaient, il s'avança avec un attirail formidable à la tête d'une 
armée de Macédoniens. Après des marches forcées, il arriva en 
Béotie, établit son camp près de la Gadmée et répandit la con- 
sternation dans la ville des Thébains. Lorsque les Athéniens ap- 
prirent l'entrée du roi en Béotie , ils cessèrent de le mépriser. 
En effet, la promptitude d'exécution de ce jeune homme, jointe 
à une grande énergie , frappa ceux qui étaient d'abord le plus 
mal disposés pour lui. Les Athéniens résolurent de faire trans- 
porter dans la ville les richesses de la campagne et de réparer 
leurs murs. En même temps, ils envoyèrent une députation à 
Alexandre pour demander pardon de ce qu'ils ne l'avaient pas 
plus tôt reconnu pour chef de la Grèce. Parmi ces députés se 
trouvait aussi *Démosthène; mais il n'alla pas avec eux jus- 
qu'auprès d'Alexandre. Arrivé à Cithéron , il retourna sur ses 
pas et revint à Athènes, soit qu'il craignît pour sa personne à 
cause de sa politique contre les Macédoniens , soit qu'il voulût 
se conserver irréprochable à l'égard du roi des Perses , dont il 
avait , dit-on , reçu beaucoup d'argent pour agir contre les Ma- 
cédoniens. C'est à ce sujet que Ton cite ce passage d'Ëschine qui 
reproche à Démosthène de s'être laissé corrompre : « Bien que 
maintenant l'or du roi t'inonde pour ton entretien , cet or ne te 
suffira pas ; car la richesse mal acquise ne suffit jamais. » Ce- 
pendant Alexandre accueillit avec bienveillance les députés des 
Athéniens, et la réponse qu'il leur fit dissipa la crainte du peuple 
d'Athènes. Enfin , Alexandre donna l'ordre du départ pour Go- 



UVRE XVIL 187 

rinthe, où devaient se rendre les députés et les sénateurs. Lors- 
que les membres du conseil furent réunis comme d'habitude , 
le roi prononça un discours affectueux et réussit à se faire nom- 
mer chef absolu de la Grèce et à faire décréter une expédition 
contre les Perses pour venger les injures que les Grecs avaient 
jadis reçues de ces Barbares. Investi de cette dignité, le roi re- 
vint avec son armée en Macédoine. 

y. Nous venons de parler des affaires de la Grèce ; nous 
allons mainteuant passer à Thisfoire de l'Asie. Après la mort de 
Philippe , Attalus entreprit de se soulever contre Alexandre , et 
conspira avec les Athéniens. Mais plus tard il changea de dessein 
et fit communiquer à Alexandre une lettre qui lui avait été 
adressée par Démosihène et qu'il avait conservée ; il essaya, par 
des paroles insinuantes, de détourner l'effet des accusations 
portées contre lui. Cependant Hécatée, obéissant aux ordres du 
roi , fit assassiner Attalus et étouffa ainsi dans l'armée des Ma- 
cédoniens en Asie tout germe de révolte. Parménion fut depuis 
lors admis dans l'intimité d'Alexandre. 

Avant de parler [ de la destruction ] de la monarchie des Per- 
ses, il est indispensable de reprendre l'histoire un peu plus 
haut. Sous le règne de Philippe, Ochus était roi des Perses et se 
conduisait envers ses sujets avec la dernière cruauté. Par sa con- 
duite violente il devint un objet de haine, et il fut enfin empoi- 
sonné par Bagoas , un des généraux de sa garde , homme per- 
vers et belliqueux , quoique eunuque K Un médecin fut l'in- 
strument de ce crime. Bagoas fit ensuite monter sur le trône 
Arsès^ le plus jeune des fils du roi, en même temps qu'il fit 
assassiner tes frères du roi qui étaient encore très-jeunes, afin 
de tenir sous sa dépendance et dans l'isolement un monarque à 
peine adolescent. Ce jeune monarque, indigné de ces crimes, 
avait manifesté l'intention d'en punir l'auteur; mais Bagoas le 
prévint : il fit périr Arsès avec tous ses enfants , dans la troi- 

• Suivant Élien ( H. V. , liv. VI , chap. 8 ) , le corps du roi fut jeté aux chats^, et 
avec les os Bagoas fit fabriquer des manches de poignards. 
' StraboD l'appelle Ncurtk» » et Plutarque Oartèt. 



188 DIODOKE DE SICILE. 

sième année de son règne. La famille royale étant ainsi éteinte 
et personne ne se présentant dans l'ordre naturel de succession, 
Bagoas fit monter sur le trône un de ses amis, nommé Darius. 
Ce Darius était (ils d'Arsanès et petit-fils d*Ostanès qui était frère 
d'Artaxerxès, roi des Perses. La fin de Bagoas présente quel- 
que chose de singulier et digne de mémoire. Accoutumé à se 
souiller de meurtre , il avait conçu le projet d'empoisonner éga- 
lement Darius. Ce projet ayant été découvert , le roi fit venir 
Bagoas auprès de lui , comme pour lui accorder une favenr ; il 
lui présenta une coupe et le força à boire le poison \ 

VL Darius était digne de porter le sceptre. II passait pour 
le plus brave des Perses. Artaxerxès était un jour en guerre 
contre les Cadusiens ; un de ces derniers, guerrier distingué par 
sa force et sa bravoure , provoqua à un combat singulier celui 
des Perses qui voudrait se mesurer avec lui. Personne n*osa se 
présenter, lorsque Darius seul accepta le défi et tua son adver- 
saire. Le roi honora Darius de présents magnifiques et le fit 
proclamer le plus vaillant des Perses. £n raison de sa bravoure, 
Darius fut jiigé digne de l'empire ; il monta sur le trône au mo- 
ment de Tavénement d'Alexandre, après la mort de Philippe. 
Le sort opposa à Alexandre un rival capable de lui diputer la 
palme dans un grand nombre de combats glorieux. Mais nous 
parlerons de ses actions en détail. Maintenant nous allons re- 
prendre le fil de notre histoire. 

VIL Monté sur le trône avant la mort de Philippe, Darius 
avait désiré transporter en Macédoine le théâtre de la guerre 
qui était près d'éclater. Lorsque Philippe eut cessé de vivre, 
Darius ne s'inquiéta plus de cette guerre, méprisant l'extrême 
jeunesse d'Alexandre. Mais , après qu'il eut appris avec quelle 
promptitude et quelle énergie d'exécution Alexandre était par- 
venu à se faire reconnaître commandant en chef des Grecs , et 
que la renommée de ce jeune roi commençait déjà à se répandre, 
Darius comprit la nécessité d'organiser ses forces. Il construisit 

' C'était probablemcnl un poison organique solublc. Comparez Quinte-Curce , 
VI, 4, lOÎ; etAirien,!!, M. 



LIVRE XVII. 189 

un graud nombre de trirèmes, mit sur pied des troupes consi- 
dérables , choisit les meilleurs chefs, au nombre desquels on re- 
marque jVlemnon le Rhodien , homme distingué pour sa bra- 
voure et son habileté stratégique. Le roi lui donna le comman- 
dement de cinq mille mercenaires, avec l'ordre de s'avancer vers 
la ville de Cyzique et d'essayer de s'en emparer. Memnon tra- 
versa avec cette troupe l'Ida, montagne qui, selon la tradition 
mythologique, tire son nom d'Ida, fille de Méiissée. C'est la plus 
haute montagne de l'Hellespont; on y trouve un antre merveil- 
leux où les déesses furent, dit-on, jugées par Paris. C'est dans ce 
même antre que la tradition place les ateliers des dactyles idéens 
qui, les premiers, forgèrent le fer, après avoir appris cet art de la 
mère des dieux. Enfm, cette même montagne offre un phénomène 
étrange. Au moment où le Sirius se lève au sommet de l'Ida, 
l'air qui environne ce sommet est si calme qu'il semble se trou- 
ver au-dessus de la région des vents; et, la nuit durant encore, 
on y aperçoit le soleil levant qui projette ses rayons , non pas 
sous forme de disque , mais sous forme d'une flamme dont les 
rayons se dispersent en tous sens et qui représentent des ger- 
bes de feu se dessinant à l'horizon. Peu de temps après, ces 
rayons épars se réunissent en un seul faisceau de la dimension de 
trois plèlhres*, et lorsque le jour paraît, le soleil se montre avec 
son disque lumineux ordinaire l Après avoir traversé cette mon- 
tagne , Memnon attaqua à l'improvisle la ville de Cyzique et ne 
tarda pas à s'en rendre maître. Il ne poussa pas plus loin son 
expédition ; 11 se borna h dévaster la campagne et recueillit un 
immense butin. 

Pendant que ces choses se passaient, Parménion prit d'assaut 
la ville de Grynium et réduisit les habitants à l'esclavage. Il in- 
vestit ensuite Pitane; mais Memnon apparut, frappa de terreur 
les Macédoniens et leur fit lever le siège. Callas , à la tête d'un 
détachement de Macédoniens et de mercenaires, livra dans la 
Troade une bataille aux Perses ; ces derniers étant de beau- 

' Environ quatre-vingt-dix mètres. 

' Pomponius Mêla (II, 18 ) a imité ce passage. 



190 OIODORE DE SICILE. 

coup supérieurs en force, il succomba et se relira à Rhœtium. 
Telle était la situation des affaires en Asie. 

VIII. Après avoir rétabli Tordre dans la Grèce , Alexandre 
marcha contre la Thrace , répandit la terreur parmi les peuples 
de ce pays et les força à la soumission. Il pénétra ensuite dans 
la Péonie, dans nilyrie et les contrées limitrophes, et subjugua 
un grand nombre de Barbares rebelles ainsi que tous les Bar- 
bares du voisinage. C'est pendant cette expédition que le roi 
reçut le message que les Grecs fomentaient des troubles , et 
que plusieurs villes de la Grèce, particulièrement Thèbes, 
avaient levé Tétendard de la révolte. Le roi , irrité , revint en 
Macédoine , ayant hâte d*apaiser les troubles de la Grèce. Les 
Thébains étaient déjà occupés à chasser la garnison de la Cadmée 
et à faire le siège de la citadelle, lorsque le roi apparut subitement 
devant la ville avec toute son armée , et établit son camp sous 
les murs de Thèbes. Avant l'arrivée du roi , les Thébains avaient 
eu la précaution d'entourer la Cadmée de fossés profonds et de 
palissades serrées, afm d'empêcher d'y faire entrer des convois 
de vivres. Ils avaient en même temps envoyé demander des se- 
cours aux Arcadiens, aux ArgiensetauxÉiiens; ils réclamèrent 
aussi l'alliance des Athéniens qui, entraînés par l'éloquence de 
Démosthène, leur firent don d'une grande quantité d'armes. Les 
Péloponnésiens, dont les Thébains avaient imploré les secours, 
firent partir des troupes pour l'isthme de Corinthe où elles s'ar- 
rêtèrent en attendant que les desseins du roi fussent connus. Les 
Athéniens, persuadés par Démosthène, avaient décrété de se- 
courir les Thébains, mais ils ne leur avaient point envoyé de 
troupes; car ils attendaient pour savoir de quel côté seraient 
les chances de la guerre. Cependant , Philotas qui commandait 
la garnison de la Cadmée, voyant que les Thébains faisaient des 
préparatifs de siège sérieux , s'empressa de faire construire des 
retranchements et approvisionna les magasins d'armes de toutes 
sortes. 

IX. Le roi arriva inopinément de la Thrace avec toute son 
armée, et les Thébains, dont les alliés se tenaient à l'écart, ne 



LIVRE XVII. 491 

se dissimulaient pas que leur ennemi élait supérieur en forces. 
Néanmoins, les chefs se réunirent pour délibérer sur la guerre , 
et tous résolurent de combattre pour l'indépendance. Cette ré- 
solution ayant été sanctionnée par le peuple, tout le monde ac- 
courut pour affronter avec joie les périls du combat. Cependant le 
roi se tint tranquille , car il voulait donner aux Thébains le temps 
de changer d'opinion, persuadé d'ailleurs qu'une seule ville n'o- 
serait pas résister à une si grande armée. Alexandre avait alors 
avec lui plus de trente mille fantassins, et pas moins de trois 
mille cavaliers , tous hommes exercés au métier de la guerre, 
et qui avaient servi déjà sous Philippe et s'étaient montrés in- 
vincibles dans presque toutes les batailles. C'est confiant en la 
valeur et les bonnes dispositions de ses troupes qu'Alexandre al- 
lait entreprendre de renverser l'empire des Perses. Si les Thé- 
bains eussent cédé à la nécessité du moment en négociant la paix 
avec les Macédoniens , le roi eût favorablement accueilli leurs 
propositions et leur aurait tout accordé , parce qu'il était impa- 
tient de pacifier la Grèce pour diriger toutes ses forces contre 
les Perses. Mais, s'apercevant que les Thébains se raillaient de 
lui, il se détermina à raser leur ville , et à intimider, par ce châ- 
timent, ceux qui seraient tentés d'imiter l'exemple des Thébains. 
Il rangea donc son armée en bataille et fit proclamer, par un hé- 
raut, que tout Thébain qui viendrait dans son camp jouirait de 
la paix générale accordée aux Grecs. Mais, les Thébains, empor- 
tés par leur ardeur, firent de leur côté crier, du haut d'une 
tour élevée , qu'ils recevraient chez eux tout homme qui vou- 
drait se joindre à eux et au grand roi pour délivrer les Grecs 
et renverser le tyran de la Grèce. Blessé de cette proclamation, 
Alexandre fut emporté par la colère et arrêta une vengeance ter- 
rible. C'est dans cette disposition d'esprit, exaltée jusqu'à la 
férocité , qu'Alexandre fit approcher les machines de guerre et 
se prépara au combat. 

X. Informés du danger qui menaçait les Thébains, les Grecs 
voyaient avec douleur à quelles calamités ces derniers s'étaient 
exposés ; mais ils n'osaient point secourir une ville qui s'était 



192 DIOÎX)RE DE SICILE. 

elle-même inconsidérément plongée dans une ruine évidente. 
Néanmoins , les Thébains résolurent de braver audacieusement 
tous les dangers de la guerre, bien que les prédictions des devins 
et les présages des dieux leur fussent défavorables. Ils avaient 
vu d'abord dans le temple de Gérés une légère toile d'araignée 
large comme un manteau et entourée d'un cercle réfléchissant 
les couleurs de l'arc-en-ciel. Ils consultèrent là-dessus Toracle 
de Delphes, qui leur fit la réponse suivante : « Ce signe, les dieux 
le font apparaître à tous les mortels; mais principalement aux 
Béotiens et h leurs voisins. » L'oracle national des Thébains, 
interrogé sur ce même objet, s'exprima en ces termes : « La toile 
tissue présage aux uns du malheur , aux autres du bonheur. » 
Il est à remarquer que ce présage s'était montré trois mois avant 
l'arrivée d'Alexandre sous les murs de Thébes. Mais, au moment 
où le roi apparut avec son armée, les statues élevées sur la place 
publique se couvrirent de grosses gouttes de sueur. Outre ces 
prodiges, on vint annoncer aux magistrats qu'une voix, semblable 
à un mugissement , sortait du fond du lac situé près d'Onches- 
tum ^ ; et on voyait flotter une écume sanguinolente à la surface 
des eaux de la fontaine Dircée. Enfin, quelques-uns qui arri- 
vaient de Delphes rapportèrent que la toiture du temple que 
les Thébains avaient construite avec les dépouilles des Phoci- 
diens, paraissait teinte de sang. Les hommes versés dans l'inter- 
prétation des augures expliquaient ces prodiges de la manière 
suivante : la toile d'araignée indiquait, selon eux, que les dieux 
se retireraient de la ville ; les couleurs de l'iris devaient annoncer 
une tempête politique; la sueur et les statues une affreuse cala- 
mité ; les apparitions sanglantes, des massacres dans l'intérieur 
de la ville. D'après ces divers augures*, par lesquels les dieux 
présageaient la ruine de la cité, les devin^onseillcrent aux Thé- 
bains de ne point tenter le sort de la guerre et de conclure la 
paix par la voie plus sûre des négociations. Mais les Thébains ne 
laissèrent pas attiédir par ces présages leur ardeur guerrière; ils 

• Le lac Copaïs. 

' Comparez Élien ( H. V., liv. XU , cliap. 57 ). 



♦( 



Vf. 



LIVRE XVII. 193 

ranimèrent au contraire leur courage par le souvenir de Leuclres 
et de tant d'autres batailles célèbres dans lesquelles leur bravoure 
avait remporté une victoire inespérée. C'est ainsi que les Thé- 
bains, entraînés par la témérité plutôt Que guidés par la pru- 
dence, précipitèrent leur patrie dans Tabîme. 

XI. Le roi ayant fait en trois jours toutes les dispositions né- 
cessaires pour donner l'assaut, divisa son armée en trois corps : 
l'un eut l'ordre d'attaquer les retranchements élevés aux portes 
de la ville, le second de tenir tête aux Thébains, et le troisième 
de servir de réserve, et de relever les bataillons fatigués. Les Thé- 
bains établirent leur cavalerie en dedans des retranchements, et 
échelonnèrent sur les murs les esclaves affranchis , les bannis 
rentrés et les étrangers domiciliés à Thèbes; cette troupe était 
chargée de repousser les assaillants. Quant aux citoyens de Thè- 
bes, ils se rangèrent en bataille aux portes de la ville pour se me- 
surer avec le roi, commandant les nombreux Macédoniens. Les 
enfants et les femmes s'étaient réfugiés dans les temples, et sup- 
pliaient les dieux de sauver la ville du danger. 

. Cependant les Macédoniens s'avancèrent en ordre de bataille, 
les trompettes sonnèrent la charge , les deux armées poussèrent 
tout d'un coup le cri de guerre, et commencèrent l'attaque par 
les armes de trait. Mais ces armes étant bientôt épuisées, ou eut 
recours à l'épée. Alors s'engagea un combat terrible. Le choc 
des Macédoniens, grâce à leur supériorité numérique et à la pe- 
santeur de leur phalange, fut irrésistible. Cependant les Thé- 
bains, confiants dans leurs forces physiques, formés par dé con- 
tinuels exercices et exaltés par leur courage, ne fléchirent 
point. Aussi, des deux côtés, comptait-on un grand nombre de 
blessés et beaucoup de tués, tous frappés par-devant. Au milieu 
de cette horrible mêlée, on entendait les gémissements des 
mourants, la voix des officiers macédoniens qui criaient à leurs 
soldats de ne pas flétrir leur ancienne réputation de valeur, et les 
cris des Thébains qui s'exhortaient à ne pas oublier leurs en- 
fants et leurs pères menacés d'esclavage, ni la patrie entière près 
de tomber sotis les coups impitoyables des Macédoniens; ils rap- 
in. * # V\ 



196 OIODORE DE SICILE. 

pelaient les victoires de Leuctres et de Mantinée, et la renommée 
universelle de leur bravoure. La bataille resta longtemps in- 
décise en raison du courage que déployaient les combattants. 

XII. Voyant la résorption avec laquelle les Thébains se bat- 
taient pour leur indépendance , Alexandre fît avancer sa ré- 
serve pour soutenir les troupes épuisées. Les iMacédoniens se 
précipitèrent impétueusement sur les Thébains exténués de fa- 
tigue, écrasèrent les ennemis et en passèrent un grand nombre 
au 61 de Tépée. Néanmoins» les Thébains ne renoncèrent point 
encore à Tespoir de vaincre ; animés, au contraire, d'une ardeur 
guerrière, ils bravèrent tous les périls. Ils poussèrent si loin 
leur confiance en eux-mêmes qu*i]s criaient aux Macédoniens 
de s'avouer inférieurs aux Thébains; tandis que d'ordinaire 
rarrivée des troupes fraîches répand Talarme parmi les enne- 
mis, les Thébains seuls ne parurent en cette circonstance que 
plus disposés à affronter le danger. La lutte devint de plus en 
plus acharnée. Enfin le roi s'aperçut qu'une petite porte de la 
ville avait été laissée sans garde ; il envoya donc Perdiccas avec 
un détachement suffisant pour s'emparer de cette porte et pé- 
nétrer dans la ville. Cet ordre étant promptement exécuté, les 
Macédoniens se précipitèrent dans la ville par cette petite 
porte , au moment où les Thébains avaient mis hors de combat 
la première phalange des Macédoniens, et , repoussant vigou- 
reusement la seconde, se croyaient déjà sûrs de la victoire. Mais, 
en apprenant qu'une partie de la ville était prise, les Thébains 
se retirèrent sur-le-champ dans l'intérieur des murs. Pen- 
dant qu'ils effectuaient ce mouvement rétrograde, les cavaliers 
thébains pénétrèrent dans la ville en même temps que les fan- 
tassins et en foulèrent un grand nombre sous les pieds de leurs 
chevaux. Dans la confusion de la retraite , les Thébains s'éga- 
raient dans les passages, se jetaient tout armés au milieu des 
fossés, et y trouvaient la mort. La garnison de la Cadmée, pro- 
fitant de ce désordre, fit une sortie de la citadelle, tomba sur les 
Thébains et en fit un affreux carnage. 

XIII. La ville fut ainsi prise. Il se passa alors des scènes hor- 



LIVRE XVII. 195 

ribles dans rintérieur des murs. Les Macédoniens , irrités de 
rinsolente proclamation, traitaient les habitants sans pitié; la 
menace à la bouche ils se ruaient sur les infortunés, et massa- 
craient sans quartier tous ceux qui leur tombaient sous la main. 
Cependant, les Thébains, gardant dans leur âme l'amour de la 
liberté , loin de cherc|>er à sauver leur vie , luttaient corps à 
corps avec les Macédoniens ; ils allaient en quelque sorte au- 
devant des coups de l'ennemi ; car, depuis la prise la ville , on 
ne vit aucun Thébain supplier un Macédonien de l'épargner ni 
tomber lâchement aux genoux du vainqueur. Cependant tant de 
courage n'inspira aux ennemis aucun sentiment de commiséra- 
tion , et le jour n'était pas assez long pour assouvir leur cruelle 
vengeance. La ville entière fut bouleversée; les enfants, les jeu- 
nes filles, invoquant le nom de leur infortunée mère, furent 
arrachés de leur retraite; en un mot, les maisons avec toutes 
les familles qu'elles renfermaient , devinrent la proie des Macé- 
doniens, et toute la population delà ville fut réduite à l'esclavage. 
Quelques Thébains, couverts de blessures, et près d'expirer, 
s'attachaient aux corps de leurs ennemis et, les étreignant dans 
leurs bras, ils se donnaient la mort à eux-mêmes ainsi qu'à 
leurs meurtriers. D'autres se défendaient avec des fragments 
de lance et combattaient avec désespoir, estimant la liberté plus 
que la vie. Le massacre fut grand ; toute la ville était jonchée de 
cadavres, et pourtant personne ne plaignait le sort des infortu- 
nés. Parmi les Grecs , les Thespiens , les Platéens , les Orcho- 
méniens et quelques autres peuples hostiles aux Thébains, qui 
servaient dans l'armée du roi , se précipitèrent dans la ville et 
assouvirent leur haine sur les malheureux habitants. Aussi la 
ville faisait-elle pitié à voir : des Grecs étaient sans miséricorde 
égorgés par des Grecs, des parents massacrés par leurs propres 
alliés, sans distinction de famille. Enfin , h l'approche de la nuit, 
les maisons furent pillées ; les enfants, les femmes et les vieil- 
lards , qui avaient cherché un asile dans les temples , en furent 
chassés avec les derniers outrages. 
XIY. Les Thébains perdirent plus de six mille hommes et plus 



196 OiODORE 0£ SICILE. 

de trente mille furent faits prisonniers, sans compter les richesses 
immenses qui tombèrent au pouvoir du vainqueur. Le roi ût 
enterrer les Macédoniens qui , au nombre de plus de cinq cents, 
avaient trouvé la mort dans le sac de Thèbes. Il réunit ensuite 
les Grecs ayant droit de suffrage eu un conseil général pour dé- 
libérer sur le parti qui restait à prendre^ Tégard de la ville des 
Thébains. La délibération étant ouverte, quelques membres hos- 
tiles aux Thébains proposèrent de leur infliger des châtiments 
impitoyables ; ils les représentaient comme ayant comploté avec 
les Barbares contre les Grecs. « Les Thébains, ajoutaient-ils , 
ont servi sous Xerxès contre la Grèce; ils sont les seuls parmi 
les Grecs qui aient reçu des rois de Perse le titre de bienfaiteurs ; 
et leurs envoyés ont à la cour des Perses la préséance sur les 
rois eux-mêmes. » C'est par de semblables récriminations que 
les membres du conseil s*excitaient mutuellement contre les 
Thébains et finirent par rendre le décret suivant : « La ville de 
Thèbes sera rasée ; les prisonniers seront vendus à l'enchère ; 
les fugitifs seront arrêtés dans toute la Grèce et aucun Grec ne 
pourra accueillir un Thébain. » Conformément à ce décret, le 
roi fit raser la ville de Thèbes et jeta l'épouvante parmi les 
Grecs qui auraient été tentés de s'insurger. Quant aux prison- 
niers, il retira de leur vente quatre cent quarante talents d'ar- 
gent *. 

XV. Alexandre envoya ensuite une députation à Athènes 
pour demander qu'on lui livrât les dix orateurs qui s'étaient 
déclarés contre lui, et parmi lesquels les plus illustres étaient 
Démosthène et Lycurgne. Une assemblée fut convoquée ; les 
envoyés furent introduits et exposèrent l'objet de leur mission. 
Dès que le peuple en eut pris connaissance il fut aussi alarmé 
qu'embarrassé : d'un côté, il désirait sauver l'honneur de la cité« 
d'un autre, à l'aspect des ruines de Thèbes, il était saisi d'épou- 
vante, et redoutait de s'exposer aux mêmes infortunes que leurs 
voisins. Plusieurs discours furent prononcés dans l'assemblée ; 
enfin Phocion, surnommé le probe, qui avait toujours été op* 

' Deux millions quatre cent vingt mille francs. 



LIVRE XVII. 197 

posé à la conduite politique de Démosthène, se leva et dit que 
ceux dont on demandait l'extradition devaient imiter rexemple 
des ûlles de Léos et des Hyacinthides, en subissant volontaire- 
ment la mort pour prévenir le danger irrémédiable qui menaçait 
la patrie : il reprocha aux orateurs comme une lâcheté et une 
couardise de ne pas vouloir mourir pour le salut de TÉtat. Mais 
le peuple, indigné de cette harangue , chassa tumultueusement 
Torateur de rassemblée. Démosthène prit alors la parole, et, dans 
un discours habile, il sut émouvoir rassemblée en faveur des dix 
orateurs qu'il voulait évidemment sauver. Enfm Démadc, sé- 
duit, dit-on, par les partisans de Démosthène pour une somme 
de cinq talents^ appuya les discours prononcés en faveur des dix 
orateurs, et proposa l'adoption d'un décret adroitement rédigé. 
Ce décret portait que ces orateurs ne seraient pas livrés , mais 
qu'ils seraient jugés conformément aux lois et condamnés s'ils 
étaient reconnus coupables. Le peuple adopta la proposition de 
Démade, et envoya Démade avec quelques autres députés auprès 
du roi, pour faire agréer le décret. Démade fut en outre chargé 
de solliciter Alexandre d'accorder au peuple athénien le droit 
de recevoir chez eux les Thébains fugitifs. Démade s'acquitta de 
sa mission ; il réussit par son éloquence à décider Alexandre de 
se désister des poursuites dirigées contre les dix orateurs , et 
d'accorder tout ce que les Athéniens lui demandaient. 

XYI. Alexandre retourna ensuite avec son armée en Macé- 
doine. Il réunit en conseil ses lieutenants ainsi que ses amis les 
plus considérés , et leur soumit un projet d'expédition en Asie. 
Quand entreprendrait on cette expédition, et de quelle manière 
conduirait-on la guerre? Tel fut le sujet de la délibération. An- 
tipater et Parménion furent d'avis que le roi devait d'abord en- 
gendrer des héritiers avant de s'engager dans une entreprise 
aussi difficile. Mais Alexandre, dont l'activité ne supportait au- 
cun délai, s'opposa à ce conseil, u II serait honteux, disait-il, que 
le généralissime de la Grèce, héritier d'armées invincibles, s'ar- 
rêtât pour célébrer des noces et attendre des naissances d'en- 

' vingt-sept mille cinq cents francs. 

m. ^'^^ 



198 DIODORE DE SICILE. 

fants. » Il instruisit ensuite de ses projets les membres da con* 
seil, les exhorta à la guerre et ordonna de pompeux sacrifices à 
Dium en Macédoine ; il célébra des joutes scéniques en Thon- 
neur de Jupiter et des Muses, joutes instituées par Archélaiis, un 
des rois ses prédécesseurs. Ces solennités eurent lieu pendant 
neuf jours , et chaque jour était consacré à une des Muses. Le 
roi fit construire une tente contenant cent lits; il y traitait ses 
amis, ses officiers et les délégués des villes grecques. Il donna des 
repas splendides , distribua aux soldats la chair des victimes et 
tout ce qui compose un repas; il fit ainsi reposer l'armée de ses 
fatigues. 

XYII. Gtésiclès étant archonte d'Athènes, Calus Sulpicius, 
Lucius Papirius consuls à Rome S Alexandre dirigea son armée 
vers rHelicspont, et la fit passer d'Europe en Asie. Il aborda 
en Troade avec soixante vaisseaux longs ; le premier de tons les 
Macédoniens, il lança, du bâtiment où il se trouvait, son javelot 
qui vint se fixer en terre. Il sauta ensuite du navire, s'écriant 
que les dieux lui livraient l'Asie , comme conquise à la pointe 
de sa lancel II rendit ensuite des honneurs funèbres aux tom- 
beaux d'Achille, d'Ajax et d'autres héros. Enfin, il passa exacte- 
ment en revue les troupes qui l'accompagnaient. Cette armée se 
composait, en infanterie , de douze mille Macédoniens, de sept 
mille alliés et de cinq mille mercenaires, tous sous les ordres de 
Parménion ; à cette infanterie il faut joindre cinq mille Odryses, 
Triballes et Illyriens, ainsi que mille archers agrianiens, en sorte 
que le total de l'infanterie s'élevait à trente mille hommes. En 
cavalerie, on comptait mille cinq cents Macédoniens, comman- 
dés par Philotas, fils de Parménion, mille cinq cents Thessaliens, 
sous les ordres de Callas, fils d'Harpalus, six cents autres cava- 
liers tous fournis par les Grecs, et qui avaient Érigyius pour 
chef, enfin, neuf cents éclaireurs thraces et péoniens, sous les 



' Troisième année de la cxi* olympiade; année 834 avant J.-C. 

' Il y a ici un jeu de mots difficile à rendre en français , X^P^ BopÛKTYiroç 
est une locution familière , qui équivaut à peu près à l'expression française de 
payi conquis à la pointe de l'épée. 



LIVRE XVII. 199 

ordres de Gassandre; ce qui faisait ud total de quatre mille cinq 
cents cavaliers. Telles étaient les forces qu'Alexandre fit passer 
en Asie. Quant aux troupes laissées en Europe sous le comman- 
dement d'Antipater, elles étaient formées de douze mille hom- 
mes d'infanterie et de mille cinq cents cavaliers ^ Le roi partit 
de la Troade et rencontra dans sa route le temple de Minerve ; 
là, le sacrificateur Alexandre ayant vu à l'entrée du sanctuaire 
une image d'Ariobarzane , jadis satrape de la Phrygie , couchée 
à terre, et ayant remarqué d'autres présages favorables, alla à la 
rencontre du roi et lui annonça qu'il serait vainqueur dans un 
grand combat de cavalerie, surtout si ce combat se livrait en 
Pbrygie ; il ajouta qu'Alexandre tuerait de sa propre main un 
des généraux les plus célèbres de l'ennemi. Selon ce prêtre, ces 
augures étaient envoyés par les dieux et surtout par Minerve, 
qui devait elle-même prendre part à tant de succès. 

XYIII. Alexandre accepta avec joie la prédiction du devin , et 
célébra en l'honneur de Minerve un splendide sacrifice. Il con- 
sacra son bouclier à la déesse, et en échange se revêtit d'un des 
meilleurs bouchers du temple ; il s'en servit dans la première ba- 
taille qu'il décida par sa bravoure en remportant une victoire si- 
gnalée. Mais ceci n'arriva que quelques jours après. 

Cependant les satrapes et les généraux des Perses vinrent 
trop tard pour s'opposer au passage des Macédoniens en Asie; 
ils se réunirent alors pour se concerter sur la conduite de la 
guerre contre Alexandre. Memnon le Rhodien , renommé pour 
son habileté stratégique , conseillait de ne pas combattre l'en- 
nemi de front, mais de dévaster la campagne et d'empêcher, 
faute de vivres, les Macédoniens de s'avancer plus loin. Il con- 
seillait en outre de faire passer en Macédoine les forces de terre 
et de mer des Perses et de transporter en Europe le théâtre de 
la guerre. Ce conseil si sage , ainsi que le prouva la suite , fut 
rejeté par les autres généraux , comme indigne de la magnani- 
mité des Perses. Il fut donc arrêté de combattre. Toutes les 

* Le texte porte : InneXi fivpioi xal j^tXioi xal TTfyrxxoarioc, ce qui ferait onze 
mille cinq ceuts cayaliers. Les mots /aOjocoi xa< sont évidemment de trop. 



200 OlODORE D£ SICILE. 

troupes, bien supérieures à ceJIes des Macédoniens, furent réu- 
nies et dirigées sur la Phrygie de THellespont ^ Elles vinrent 
camper sur les bords du Grauique , le cours de ce fleuve servant 
de retranchement. 

XIX. Informé du mouvement des troupes barbares, Alexan- 
dre se porta rapidement en avant et vint établir son camp en 
face de l'ennemi, de manière à n'en être séparé que parle cours 
du Grauique. Les Barbares, occupant le pied d'une montagne, 
ne bougèrent point, jugeant plus favorable d'attaquer l'ennemi au 
moment où il traverserait le fleuve ; ils croyaient en même temps 
qu'il serait facile de combattre avec avantage la phalange dis- 
persée des Macédoniens. Mais Alexandre, plein de courage, 
prévint l'ennemi en traversant le fleuve à la pointe du jour' et en 
rangeant immédiatement son armée en bataille. Les Barbares 
déployèrent leur nombreuse cavalerie en face de la ligne des 
Macédoniens, résolus d'engager le combat. L'aile gauche de 
l'armée perse était commandée par Memnon le Rhodien et par 
le satrape Arsamène^ chacun placé à la tête de ses cavaliers. 
Derrière eux était placé Arsite, commmandant la cavalerie pa- 
phlagonienne. Après celui-ci vint Splthrobate^ satrape d'Ionie, 
qui avait sous ses ordres la cavalerie hyrcanienne. L'aile droite 
était occupée par mille cavaliers mèdes, par deux mille autres 
cavaliers sous les ordres de Rhéomithrès^ et par un nombre 
égal de Bactriens. Le centre se composait de la cavalerie des au- 
tres nations , cavalerie nombreuse et distinguée par sa bravoure ; 
enfm le total de cette cavalerie s'élevait à plus de dix mille che- 
vaux. L'infanterie des Perses ne comptait pas moins de cent mille 
hommes^; elle se tint immobile comme si la cavalerie suflisait 
pour accabler les Macédoniens. Les armées, ainsi disposées de 



' Comparez plus bas , XVIII , 3 et 39. 

' Suivant Plutarquc et Ârrien , le passage du Granique fut effectué , non pas le 
matin , mais vers le soir. 

* Arrien l'appelle Asamès. 

* Àrrien (1 , 15 ) lui donne le nom de Spithridate. 

* Arrien rappelle Arrhéomithrèa. 

' D'après Justin ( XI, 6 ), Tinfanteric des Perses était de six cent mille hommes. 



LIVRE XYII. 201 

part et d'autre, brûlaient d'en venir aux mains. La cavalerie 
thessalienne , qui formait l'aile gauche sous les ordres de Par- 
ménion, soutint courageusement le choc de l'ennemi. Alexan- 
dre qui, avec l'élite de la cavalerie macédonienne, forniait 
l'aile droite, lança 'le premier son cheval contre les Perses, en- 
fonça la ligne ennemie et en fit un grand carnage. 

XX. Cependant les Barbares se défendirent avec intrépidité; 
ils opposèrent un courage inébranlable à l'impétuosité des Ma- 
cédoniens , et le hasard semblait avoir donné rendez-vous aux 
plus braves guerriers, pour décider la victoire. Le satrape d'Io- 
nie, Spithrobate, Perse d'origine, gendre du roi Darius, et 
homme distingué par sa bravoure, tomba, avec une puissante ar- 
mée, sur les Macédoniens; à ses côtés combattaient quaranle de 
ses parents, tou» guerriers remarquables, et, dans une charge 
vigoureuse, il tua ou blessa un grand nombre d'ennemis. Per- 
sonne ne pouvant résister à ce choc , Alexandre dirigea son che- 
val contre le satrape et alla droit au Barbare. Le satrape, per- 
suadé que les dieux lui avaient réservé l'occasion de déployer 
sa valeur et d'assurer la paix de l'Asie par un combat singulier, 
se flatta d'abaisser, sous les efforts de son bras, la bravoure 
si renommée d'Alexandre et d'accomplir un fait d'armes di- 
gne de la gloire des Perses. Spithrobate lança le premier son 
javelot sur Alexandre; le coup fut si violent, que le fer, pénétrant 
à travers le bouclier et la cuirasse , perça le sommet de Tépaule 
droite. Alexandre arracha le javelot de son bras, et piquant de 
ses éperons les flancs de son cheval , frappa vigoureusement le sa- 
trape au milieu de la poitrine où le fer resta fixé. A cet exploit, les 
rangs voisins des troupes firent, des deux côtés, entendre des cris 
d'admiration. Mais comme la lance s'était brisée contre la cuirasse, 
le satrape lira son épée et s'avança sur Alexandre ; mais celui- 
ci le prévint en le frappant au front d'un coup mortel. A la chute 
de Spithrobate , son frère Rosacés accourut et porta avec son 
épée un coup si violent sur la tête d'Alexandre , que le casque 
fut emporté et la peau du bras légèrement entamée; Rosaces^ 

* Plutarque et Arrien l'appellent Rhœsacèt { Potaâxvjs ). 



202 DIODORE DE SICILE. 

allait porter un second coup, lorsque, dans ce moment criii-^ 
que, Glitus, surnomme le Noir, arriva à bride abattue et coupa 
la main du Barbare. 

XXI. Les parents réunis autour des corps des deux frères, 
lancèrent d'abord sur Alexandre une grêle de traits; ils en 
vinrent ensuite à un combat à pied ferme et bravèrent tous les 
périls pour tuerie roi. Celui-ci, bien qu'entouré de dangers grands 
et nombreux, ne se laissa point abattre par la foule des assaillants, 
et malgré les coups qu'il avait reçus, deux sur la cuirasse , un sur 
le casque et trois sur le bouclier qu'il avait enlevé du temple 
de Minerve, il ne céda pas le terrain : il surmonta tous les 
obstacles par l'^énergie de son ftme. Dans cette lutte , les Perses 
perdirent leurs chefs les plus célèbres, au nombre desquels se 
trouvèrent Àtizyès , Pharnacès, frère de la femme de Darius et 
Mithrobarzane ^ , général des Gappadociens. Beaucoup de chefs 
ayant été tués et tous les rangs des Perses entamés par les Ma- 
cédoniens, ceux qui étaient opposés à Alexandre furent les pre^ 
miers à prendre la fuite ; les autres suivirent cet exemple. Ainsi 
le roi fut unanimement reconnu pour le plus vaillant des com- 
battants et pour le principal auteur de la victoire. Les escadrons 
de la cavalerie thessalienne furent cités ensuite comme ayant ha- 
bilement manœuvré ; ils se couvrirent de gloire par leur vail- 
lance. Après la déroute de la cavalerie , l'infanterie engagea à son 
tour le combat; mais ce combat ne fut pas long, car les Barba* 
res, consternés de la défaite de leur cavalerie, furent découra-^ 
gés et prirent la fuite. Les Perses laissèrent sur le champ de 
bataille plus de dix mille homnies d'infanterie et au moins 
deux mille cavaliers'; plus de vingt mille furent faits prison- 
niers. Le roi fit enterrer les morts avec pompe, voulant, par 
ces honneurs funèbres , encourager lessoldats à braver les dan- 
gers des batailles. 

Alexandre se remit à la tête de son armée et traversa la Ly- 
die, où il s'empara de la ville et des forteresses de Sardes. Le 

' Arricn l'appelle (1 , 17) Mithrobusanèi. 

* Arrien ( 1 , 17 ) et Quinte-Gurce ( III , 1 1 ) ne s'accordent pas avec notre auteur 
sur le nombre des morts. 



LIVRE XVII. 203 

satrape Mithrinès ^ lui livra librement les trésors que cette for- 
teresse renfermait. 

XXII. Les débris de Tarmée des Perses rallièrent le géné- 
ral Aiemnon , et se sauvèrent à Milet Le roi établit son camp 
dans le voisinage de la ville ; il livra aux murs de continuels as- 
sauts. Les assiégés se défendirent d*abord facilement du haut 
des murs, d'autant plus que la ville renfermait une garnison 
nombreuse et des magasins remplis d*armes et d'autres muni- 
tions de guerre. Mais le roi fit aussi battre les murs à coups de 
bélier, et il poussa vigoureusement le siège par terre et par mer. 
Les Macédoniens pénétrèrent enfin dans l'intérieur des murs 
par l'ouverture des brèches, et mirent en fuite ceux qui vou- 
laient leur résister. Les Milésiens sortirent alors en habit de 
suppliants, se jetèrent aux pieds du roi, et livrèrent la ville et 
ses habitants. Les Barbares qui composaient la garnison furent 
en partie massacrés par les Macédoniens, en partie chassés de la 
ville, et tout le reste fut fait prisonnier. Quant aux citoyens de 
Milet, Alexandre les traita avec humanité; mais il vendit comme 
esclaves tous ceux qui n'étaient pas des Milésiens proprement 
dits. Le roi licencia sa flotte, qui devenait inutile et occasionnait 
de grands frais ; il ne conserva qu'un petit nombre de bâ- 
timents pour le transport des machines de siège ; au nombre de 
ces bâtiments il y en avait vingt fournis par les Athéniens. 

XXIII. Quelques-uns soutiennent qu'Alexandre avait licencié 
sa flotte par suite d'une habile combinaison stratégique. Darius 
était, disent-ils, attendu, et une grande bataille était sur le point 
de se livrer. Alexandre pensait que les Macédoniens se battraient 
avec plus de courage si on leur enlevait tout espoir de fuir. Le 
roi avait mis en pratique ce même principe dans la bataille du 
Granique : il avait mis le fleuve à dos de ses soldats, afin qu'au-, 
cun ne fût tenté de fuir ; car une perle inévitable attendait les 
fuyards dans le courant du fleuve. A une époque plus récente, 
Agaihocle, roidesSyracusains, imita l'exemple d'Alexandre et rem- 
porta une victoire aussi grande qu'inespérée. £n effet, Àgatho- 

* Arrien et Quinte-Curce le nomment Mithrenet. 



20i DIODORE DE SICILE. 

clc, débarqué en Libye avec une faible armée , brûla ses na- 
vires, et, enlevant ainsi à ses soldats tout espoir de se sauver 
par la fuite, il les força à combattre vaillamment ; aussi rem- 
poria-t-il la victoire sur les Carthaginois, qui avaient des forces 
infiniment plus nombreuses. 

Après la prise de Milet, une multitude de Perses et de mer- 
cenaires, ainsi que les chefs les plus expérimentés, se réunirent 
à Halicarnasse. C'est la plus grande ville de la Carie, résidence 
des rois du pays , et garnie de belles forteresses. Au moment 
de cette retraite, Memnon envoya sa femme et ses enfants à 
Darius, afin de pourvoir ainsi à leur sûreté et de décider en 
même temps le roi, en possession d*aussi beaux otages, à lui re- 
mettre avec plus de confiance toute la conduite de la guerre. 
C'est ce qui arriva en effet , car Darius adressa immédiatement 
des lettres aux gouverneurs des provinces du littoral, ordonnant 
à tous d'obéir à Memnon. Investi du commandement suprême, 
Memnon fit tous les préparatifs nécessaires pour mettre la ville 
d' Halicarnasse en état de siège. 

XXIV. Cependant Alexandre fit venir par mer des machines 
de guerre et des vivres, et les fit diriger sur Halicarnasse. Quant 
à lui, il se porta sur la Carie à la tête de toute son armée. Pendant 
sa route il gagna plusieurs villes par sa bienveillance; il s'atta- 
cha surtout les villes grecques par ses bienfaits ; il les exempta 
de l'impôt et leur assura le droit de se gouverner elles-mêmes, 
déclarant que c'était pour la liberté des Grecs qu'il faisait la 
guerre aux Perses. Pendant qu'il était en marche, une femme, 
nommée Ada, descendant de la famille royale des Cariens, 
se présenta devant lui, exposa ses droits au trône de ses an- 
cêtres et supplia le roi de la seconder dans son entreprise. 
Le roi parvint par son influence à rétablir Ada sur le trône de 
la Carie , et , par cet acte généreux , il s'attacha les Cariens. 
Aussitôt toutes les villes envoyèrent des députés chargés d'of- 
frir au roi des couronnes d'or, et de l'assurer de leur alliance. 

Alexandre établit son camp dans le voisinage de la ville, et 
en commença le siège d'une manière vigoureuse et formidable ; 



LIVRE XVIT. 205 

il livra d'abord de continuels assauts en relevant ses troupes , et 
lui-même passait ses journées au milieu des combats. Il fit en- 
suite approcher ses machines de guerre, et, ayant fait combler, 
sous l'abri de trois tortues , les fossés extérieurs de la ville , il 
ébranla à coups de bélier les tours et Tenceinte qui remplissaient 
rintervalle des tours. Une partie de l'enceinte fut abattue, et, 
comme les soldats s'empressaient de pénétrer par l'ouverture de 
la brèche dans l'Intérieur de la ville, la lutte s'engagea corps à 
corps. Memnon repoussa d'abord facilement les Macédoniens qui 
venaient attaquer les murs; car il y avait dans l'intérieur de la 
ville une garnison nombreuse. Il fit ensuite, pendant la nuit, 
une sortie à la tête d'un détachement nombreux et mit le feu 
aux machines qui servaient à battre les murailles. De sanglants 
combats furent livrés aux portes de la ville ; les Macédoniens 
l'emportèrent par leur bravoure, tandis que les Perses leur 
étaient supérieurs en nombre et en préparatifs de défense. £n 
effet, les soldats échelonnés sur les murs secondaient les attaques 
de ceux qui se battaient aux portes de la ville, et, par les pro- 
jectiles lancés au moyen de catapultes, ils tuèrent ou blessèrent 
beaucoup d'ennemis. 

XXV. En même temps les trompettes sonnèrent des deux 
côtés la charge; le cri de guerre se fit entendre de toutes parts 
et les soldats applaudirent aux faits d'armes dont ils étaient té- 
moins. Les uns étaient occupés à éteindre la flamme qui s'éle- 
vait des machines incendiées, les autres se précipitaient dans la 
mêlée et y répandaient la mort. Une autre partie travaillait à 
réparer les murs et à construire une nouvelle enceinte plus forte 
que la première. Les ofliciers de Memnon partageaient avec 
les soldats tous les dangers , distribuaient de grandes récom- 
penses à ceux qui se faisaient remarquer par leur courage et 
allumaient ainsi un désir indicible de vaincre. Les soldats cou- 
verts de blessures reçues par-devant et près d'expirer, étaient 
emportés hors de la mêlée par leurs compagnons qui se bat- 
taient vaillamment pour ne pas laisser tomber ces corps au 
pouvoir de l'ennemi. On en voyait d'autres qui , accablés de 

III. V^ 



206 DIODORE DE SICILE. 

fatigues, se ranimaient cependant à la voix de leurs cheiîset répre- 
naient la vigueur de la jeunesse. Enfin , plusieurs Macédoniens, 
parmi lesquels se trouvait aussi NéoptolèmeS un de leurs 
meilleurs généraux, tombèrent aux portes de la ville. Deux tours 
furent renversées ainsi que Tenceinte intermédiaire. Perdiccas 
profita de la nuit pour attaquer impétueusement , avec quelques 
soldats enivrés, les murs de la citadelle. Mais Memnon s*aper- 
cevant de Timpéritie des assaillants, fit une sortie à la tête 
d'une troupe très-nombreuse, mit les Macédoniens en déroute 
et leur tua beaucoup de monde. Le bruit de cet événement 
s'étant répandu , les Macédoniens accoururent en masse au 
secours des leurs. Un combat acharné s'engagea; la garde 
d'Alexandre refoula les Perses dans l'intérieur de la ville. Le 
roi fit demander par un héraut que les corps des Macédoniens 
tombés en dedans des murs lui fussent livrés. Éphialte et 
Thrasybule, deux Athéniens qui servaient dans l'armée des 
Perses, conseillèrent de ne pas rendre les morts pour les pri- 
ver de la sépulture. Mais Memnon accéda h la demande d'A- 
lexandre. 

XXVL Les chefs s'étant réunis en conseil , Éphialte ouvrit 
l'avis qu'il ne fallait pas attendre que, la ville prise, les com- 
battants fussent faits prisonniers; mais que les généraux , se 
mettant à la tête des mercenaires, attaquassent l'ennemi hardi- 
ment. Memnon voyant Éphialte dans cette résolution coura- 
geuse, lui permit d'exécuter son plan , d'autant plus qu'il avait 
conçu de grandes espérances de la bravoure de cet homme et 
de sa force physique. Éphialte prit donc avec lui deux mille 
mercenaires d'élite, et, après avoir distribué à la moitié d'entre 
eux des torches enflammées, il rangea l'autre moitié en ba- 
taille, et ouvrit soudain toutes les portes. Dès la pointe du jour, 
il fit une sortie avec tout son monde, mit le feu aux machines 
de guerre, et alluma aussitôt un immense incendie. Dans ce 
moment , Éphialte se mit à la tête de ses bataillons serrés et 

* Suivant Arrien (I, 21), Néoptolème avait , au contraire, combattu dans les 
rangs de Darius. 



LIVRE XVIT. 207 

tomba sur les Macédoniens accourus pour éteindre la flamme. 
Averti du danger, le roi disposa ses troupes sur trois lignes; 
la première fut occupée par Tavant-garde des Macédoniens , 
la seconde, par les soldats d'élite, et la troisième , par les hom- 
mes les plus vaillants de l'armée. Alexandre se mit lui-même à 
la tête de toutes ces forces et arrêta le choc des ennemis qui se 
croyaient inexpugnables; en même temps, il détacha des 
hommes pour éteindre Tincendie et sauver les machines de la 
destruction. De grands cris furent poussés de part et d*autre, 
les trompettes sonnèrent la charge et la lutte fut terrible , tant 
à cause de la valeur des guerriers, qu'en raison de l'ardeur que 
chacun mettait à remporter la victoire. Les Macédoniens arrê- 
tèrent les progrès de l'incendie ; mais dans la lutte qui s'était 
engagée Éphialte l'emporta ; supérieur à tous les autres par sa 
force corporelle , il tua un grand nombre de ceux qui lui tom- 
baient sous la main , et les soldats placés au sommet du mur 
récemment élevé ûrent beaucoup de mal par leurs projectiles; 
car les assiégés avaient construit une tour de bois de cent cou- 
dées de haut garnie de catapultes. Un grand nombre de Macé- 
doniens tombèrent frappés par les projectiles , les autres lâchè- 
rent pied , et lorsque enûn Memnon arriva avec un renfort 
considérable au secours des siens , alors le roi se trouva lui- 
même dans une situation fort alarmante. 

XXYII. Déjà les assiégés allaient l'emporter , lorsqu'une 
circonstance imprévue changea la face des affaires. Les vétérans 
de l'armée macédonienne qui , à cause de leur âge , étaient 
exemptés du service actif, les mêmes qui avaient servi sous 
Philippe et gagné tant de batailles, sentirent renaître leurs 
forces. Bien supérieurs aux autres par leur sang-froid et leur 
expérience de la guerre, ils reprochaient vivement aux jeunes 
conscrits leur lâcheté; ils se formèrent en colonne serrée, joi- 
gnirent bouclier contre bouclier, et arrêtèrent le choc de l'en- 
nemi qui se croyait déjà sur de la victoire. Enfin ils tuèrent 
Éphialte ainsi qu'un grand nombre de ses compagnons et forcè- 
rent le reste à se réfugier dans la ville ; et comme la nuit ap- 



208 DIODORE DE SICILE. 

prochait , beaucoup de Macédoniens pénétrèrent dans rinlérieur 
des murs en même temps que les fuyards. Mais le roi fit sonner 
la retraite et ramena les troupes dans le camp. Après cet échec, 
Memnon et ses généraux , ainsi que les satrapes , se réunirent 
pour délibérer sur le parti qu'ils devaient prendre ; ils décidè- 
rent d'abandonner la ville. En conséquence , ils laissèrent une 
forte garnison dans la citadelle avec les munitions nécessaires , 
et firent transporter le reste de la population et les richesses 
dans File de Cos K Le lendemain , Alexandre, instruit de ce qui 
s'était passé , détruisit la ville de fond en comble et entoura la 
citadelle d'une enceinte et d'un fossé profond. Il détacha ensuite 
quelques généraux dans l'intérieur du pays avec l'ordre de sou- 
mettre les peuples qui l'habitaient. Ces généraux faisant active- 
ment la guerre, subjuguèrent toute la contrée, jusqu'à la grande 
Phrygie , et nourrirent les soldats aux dépens du pays ennemL 
Alexandre lui-même soumit tout le littoral de l'Asie jusqu'à la 
Cilicie , conquit plusieurs villes et prit d'assaut les forteresses 
du pays. Parmi ces forteresses , il en est une dont la reddition 
fut accompagnée de circonstances singulières qu'il ne sera pas 
sails intérêt de faire connaître. 

XXYIII. Sur les confins de la Lycie se trouvait un rocher 
fortifié ; il était occupé par les Marmaréens ^ qui , à l'approche 
d'Alexandre, attaquèrent l'arrière-garde des Macédoniens, on tuè- 
rent un grand nombre, firent beaucoup de prisonniers et ravirent 
plusieurs bêtes de somme. Le roi, irrité de cette audace, se pré- 
para à faire le siège de la forteresse et mit tout en œuvre pour 
la prendre d'assaut. Les Marmaréens , confiants dans leur valeur 
et dans leur position forte , soutinrent intrépidement le siège. 
Les assauts se succédèrent ainsi pendant deux jours de suite, 
et il était évident que le roi ne se retirerait qu'après s'être em- 
paré du rocher. Les plus anciens des Marmaréens conseillèrent 
aux plus jeunes de cesser leur résistance et de traiter avec le roi 
aux meilleures conditions possibles. Mais ceux-ci rejetèrent ce 

' Ces détails diffèrent un peu du récit d'Arrien (1 , 28 ). 
• Aucun autre auteur ne mentionne les MxpiixpsXi. 



LIVRE XVII. 209 

sage conseil; ils résolurent tous de mourir en combattant pour 
la liberté de la patrie ; alors les anciens proposèrent de tuer les 
enfants, les femmes et les vieillards, de ne compter que sur la 
vigueur du corps pour se sauver à travers Tennemi et se réfu- 
gier dans les montagnes voisines. Cette proposition fut acceptée ; 
les jeunes gens se réunirent dans leurs maisons avec toutes 
leurs familles , et après avoir pris les meilleurs mets et vins , ils 
attendirent leur sort. Six cents environ de ces jeunes gens se 
refusèrent à souiller leurs mains du meurtre de leurs parents ; 
ils mirent le feu aux maisons et firent une sortie pour gagner 
les montagnes voisines. C*est ainsi que fut accomplie la propo- 
sition adoptée : les habitants eurent pour tombeaux leurs 
propres foyers, et ceux moins avancés en âge traversèrent 
pendant la nuit le camp de l'ennemi et cherchèrent un asile dans 
les montagnes voisines. Tels sont les événements arrivés dans le 
cours de cette année. 

XXIX. Nicocrate ^ étant archonte d'Athènes , les Romains 
nommèrent consuls Céso Valérius et Lucius Papirius^. Dans 
cette année , Darius envoya à Memnon une forte somme d'ar- 
gent, et lui confia le commandement suprême de l'armée. 
Memnon enrôla une multitude de mercenaires , équipa trois 
cents navires et poussa activement les préparatifs de guerre. Il 
soumit d'abord Chio, se porta ensuite sur Lesbos et s'enspara 
facilement d'Antisse, de Méthymne, de Pyrrha etd'Éic.us; 
mais ce ne fut qu'après plusieurs jours de siège et après avoir 
perdu beaucoup de soldats , qu'il réussit à grand'peinc à se 
rendre maître de Mitylène et de Lesbos, qui étaient défendues 
par de fortes garnisons et abondamment approvisionnées de 
vivres. La renommée de ce général se répandit promptentent , 
et la plupart des îles Gyclades lui envoyèrent des députations. Le 
bruit qui se répandait en Grèce que Memnon pliait se porter 
avec sa flotte sur l'Eubée, frappa de terreur les villes de cette 
île. Les Grecs, et surtout les Spartiates, qui inclinaient pour les 

* Ârrien (H, u) l'appelle Nicostrate. 

' Quatrième année de la cxi* olympiade ; année 333 a^&nl l.-C 

ITL V^. 



210 D10D0RE DE SICILE. 

Perses , furent exaltés par l'espoir d*un changement politique. 
Memnon corrompit un grand nombre de Grecs et cherchait à les 
attirer dans le parti des Perses. Mais le destin ne permit pas à cet 
homme vaillant d'aller plus loin. Memnon fut atteint d'une mala- 
die grave qui lui coûta la vie ; sa mort entraîna la ruine de Darius 
qui espérait transporter le théâtre de la guerre d*Asie en Europe. 
XXX. En apprenant la mort de Memnon , Darius réunit 
en conseil ses amis et délibéra s'il fallait envoyer sur les 
côtes des généraux et une armée , ou si le roi de Perse devait 
lui-même se mettre à la tête de toutes ses troupes pour com- 
battre les Macédoniens. Quelques-uns furent d'avis qu'il conve- 
nait que le roi marchât lui-même à la tête de ses troupes, pour 
que les Perses se battissent avec plus de courage. Charidème 
l'Athénien, homme admiré pour sa bravoure et ses talents mili- 
taires (il avait servi sous Philippe, roi de Macédoine, et avait 
été dans toutes ses affaires son bras droit et son conseiller^) , 
pensait que Darius ne devait pas mettre légèrement en jeu 
tout son empire, et qu'étant chargé du poids du gouvernement 
de l'Asie, il devait confier la conduite de la guerre à un général 
éprouvé. Il ajoutait qu'une armée de cent mille hommes , dont 
un tiers de mercenaires grecs, serait suffisante [pour tenir tête 
à l'ennemi] ; enfin il s'offrit lui-même avec jactance à faire réus- 
sir ce projet. Le roi se rendit d'abord à cette proposition, mais 
ses amis s'y opposèrent vivement et insinuèrent le soupçon que 
Charidème ne visait au commandement que dans le dessein de li- 
vrer aux Macédoniens l'empire des Perses. Là-dessus Charidème 
s'emporta , accusa avec force les Perses de lâcheté, et blessa le 
roi par ses paroles injurieuses. Darius, emporté par la colère , 
saisit Charidème par la ceinture, selon la coutume des Perses; et 
le livra à ses satellites avec l'ordre de le faire mourir. Au mo- 
ment où il allait être exécuté, Charidème s'écria que le roi se 
repentirait bientôt, et que, pour cette injuste punition , il serait 

' Tout ce qui concerne ici Charidème est en contradiction avec ce qu'en disent 
Arrien et Plutarque. Charidème avait été, au contraire, le plus grand ennemi de Phi 
lippe , qui l'avait envoyé en exil. ( Arrieu , I , lO. ) 



UVRE XVII. 211 

châtié par la perte de son empire. Telle fut la fin de Gharidètne, 
qui s'était perdu lui-même par ses illusions et par sa franchise 
intempestive. Cependant le roi, revenu de sa colère, se repentit 
aussitôt et se reprocha vivement cet acte comme une de ses plus 
grandes fautes. Mais, avec tout son pouvoir royal il était impuis- 
sant à effacer ce qui était fait. Depuis lors, tourmenté dans des 
rêves par la valeur des Macédoniens et ayant sans cesse devant 
les yeux l'activité d'Alexandre, il cherchait de tous côtés un gé- 
néral digne de succéder à Memnon dans le commandement ; 
mais n'en trouvant point, il fut lui-même obligé de se mettre à 
la tête de son armée et de risquer son empire. 

XXXI. Darius fit faire partout des levées de troupes, et assi- 
gna pour rendez-vous Babylone. Puis, parmi ses amis et ses pa- 
rents, il fit un choix d'hommes d'élite; il distribua aux uns les 
grades de l'armée, et garda les autres pour combattre auprès de 
lui. A l'époque fixée, toutes les troupes se rassemblèrent à Ba- 
bylone ; elles étaient au nombre de plus de quatre cent mille 
hommes d'infanterie et d'au moins cent mille cavaliers ^ C'est 
avec cette armée que Darius partit de Babylone et se dirigea 
vers la Cilicie, emmenant avec lui sa femme, ses enfants, un fils, 
deux filles et sa mère. 

Antérieurement à la mort de Memnon , Alexandre avait ap- 
pris que Chio et la ville de Lesbos avaient été prises, que Mi- 
tylène avait été emportée d'assaut, que Memnon se disposait 
déjà à descendre en Macédoine avec trois cents trirèmes et une 
armée de terre, enfin , que la plupart des Grecs étaient près de 
se révolter; il n'était donc pas médiocrement alarmé. 11 ne fut 
délivré de son inquiétude que lorsque des messagers lui appor- 
tèrent la nouvelle de la mort de Memnon. Peu de temps après, 
Alexandre fut atteint d'une grave maladie et il convoqua ses mé- 
decins. Chacun jugea le mal difficile à guérir; un seul, Philippe, 
Acarnanien de nation, faisant usage de traitements aussi prompts 
que hardis, promit de guérir la maladie par un remède qu'il 
prescrirait. Le roi y consentit volontiers, d'autant plus qu'il 

' Arrien (II, lo ) et Plutarque (Alexandre ) ne tf ajcww^wftX^aANs^w^^^i^s^kss^^ 



212 DIODORE DE SICILE. 

venait d'apprendre que Darius était parti de Babylone à la tête 
de son armée. Il prit donc la potion que le médecin lui pré- 
senta , et, grâce aux efforts de la nature combinés avec ceux de 
Tart, Alexandre fut bientôt rétabli. Echappé ainsi miraculeuse- 
ment au danger, le roi honora ce médecin de grandes récom- 
penses et Tadmit au nombre de ses plus intimes amis. 

XXXII. Alexandre reçut des lettres de sa mère qui , entre 
autres communications utiles , lui écrivit de se défier d'Alexan- 
dre de Lynciste. C'était un homme brave et ambitieux, qui sui- 
vait, avec d'autres amis, le roi dont il avait gagné la confiance. 
Ce soupçon ayant été confirmé par beaucoup d'autres circon- 
stances, le roi fit arrêter cet homme et le mit aux fers, en at- 
tendant que son procès pût s'instruire. 

Informé que Darius n'était plus qu'à trois journées de dis- 
tance, Alexandre détacha Parménion, avec l'ordre d'occuper le 
premier les passages et les défilés connus sous le nom de Poi-tes 
[de Cilicie], Parménion investit ces lieux , délogea les Barbares 
des postes qu'ils avaient d'avance occupés , et se rendit maître 
des défilés. Pour alléger la marche de son armée , Darius fit 
transporter à Damas en Syrie les bagages et la foule inutile qui 
encombrait l'armée. £n apprenant qu'Alexandre s'était d'avance 
emparé des défilés, Darius s'imaginait que l'ennemi n'oserait 
pas se mesurer avec lui en rase campagne; jl se porta donc en 
avant en hâtant sa marche. Les indigènes, qui méprisaient les 
Macédoniens à cause de leur petit nombre et qui étaient frappés 
de terreur à l'aspect des forces imposantes des Perses, abandon- 
nèrent Alexandre pour s'attacher à Darius; ils fournirent avec 
beaucoup d'empressement aux Perses des vivres et toutes sortes 
de provisions et prédirent aux Barbares une victoire certaine. 
Cependant Alexandre s'était emparé par surprise d'Issus, ville 
considérable de la Cilicie. 

XXXIII. Des espions rapportèrent que Darius s'avançait, en- 
seignes déployées, à la tête d'une armée formidable, et n'était plus 
qu'à trente stades de distance *. Alexandre regarda comme une 

* Environ six kilomètres. 



LIVRE XVII. 213 

faveur des dieux roccasion qui lui était offerte de décider, par une 
seule bataille, le sort de l'empire des Perses, et, par des discours 
appropriés, il exhorta ses soldats à une lutte décisive. Il disposa 
ensuite selon la nature du terrain, ses lignes d'infanterie et ses 
escadrons de cavalerie. L'infanterie fut placée au front et les 
phalanges de cavalerie furent placées en arrière, comme corps 
de réserve. Il se mit lui-même à la tête de l'aile droite et se 
porta à la rencontre de l'ennemi avec ses meilleurs cavaliers. 
L'aile gauche se composait de la cavalerie thessalienne , distin- 
guée par sa bravoure et son expérience militaire K Lorsque les 
deux armées furent arrivées à portée de trait, les Barbares lan- 
cèrent sur les troupes d'Alexandre une si grande quantité de 
flèches, que ces projectiles se heurtaient dans l'air et amortis- 
saient leur effet. Les trompettes sonnèrent des deux côtés la 
charge. Les Macédoniens poussèrent d'abord un immense cri de 
guerre; les Barbares y répondirent de manière à faire retentir 
de leur voix toutes les montagnes voisines. C'était comme l'écho 
d'une seule voix poussée par cinq cent mille hommes à la fois. 
Alexandre promena ses regards de tous côtés, cherchant à dé- 
couvrir Darius; dès qu'il l'aperçut, il se porta droit sur lui avec 
ses cavaliers d'élite , moins jaloux de battre les Perses que de 
remporter la victoire par ses propres efforts. Les deux cavaleries 
s'attaquèrent réciproquement et il en résulta un terrible car- 
nage. Mais, comme od déploya des deux côtés une égale valeur, 
l'issue de la bataille resta longtemps indécise; les pertes et les 
avantages se balançaient de part et d'autre. Aucun coup ne 
portait à faux; la foule compacte offrait à tous un but certain; 
aussi, un grand nombre de guerriers tombèrent couverts de 
blessures, toutes reçues par-devant; quelques-uns, vaillants 
jusqu'au dernier souffle, perdaient la vie plutôt que le courage. 
XXXIV. Les chefs de colonnes donnaient à leurs subalter- 
nes l'exemple de la bravoure ; aussi, pouvait-on voir une grande 
variété de combats où la victoire était chaudement disputée. 

• L'ordre de bataille était autrement disposé, suivant Ârrien , H , 9 ; et Quinic- 
Curcc,IlI,9. m 



21/i DIODORE DR SIGILK. 

Oxathrès, Perse d'origine, frère de Darius, se couvrit de gloire. 
Dès qu'il vit Alexandre s'attacher opiniâtrement à Darius, il ne 
songea plus qu'à partager le sort de son frère. A la tôle de la 
cavalerie d'élite, il fondit sur Alexandre, animé par l'espoir que 
ce dévouement fraternel augmenterait sa réputation chez les 
Perses; il combattit en avant du quadrige de Darius, et , joi- 
gnant l'audace à l'expérience militaire, il tua un grand nombre 
d'ennemis. Alexandre ne lui cédant pas en courage , les cada- 
vres s'amoncelèrent autour du quadrige de Darius; chacun 
brûlait de frapper le roi, personne ne ménageait sa vie. Beau- 
coup de célèbres généraux perses tombèrent dans cette mêlée , 
entre autres Atizyès, Réomithrès et Tasiacès ', satrape d'Egypte. 
Les Macédoniens perdirent également beaucoup de monde, et 
Alexandre, enveloppé par les ennemis , fut lui-même blessé à 
la cuisse. Mais les chevaux attelés au quadrige de Darius, pres- 
sés par la douleur des blessures qu'ils avaient reçues, et effrayés 
des monceaux de morts qui les entouraient , n'obéirent plus à 
la bride et faillirent emporter Darius au milieu des ennemis. 
Dans ce moment critique le roi, déposant la majesté de son 
rang, et forcé de s'écarter de l'étiquette que la loi prescrit aux 
rois des Perses, saisit de ses propres mains les rônes des che-' 
vaux. Ses serviteurs lui amenèrent alors un autre quadrige, 
mais pendant qu'on y faisait passer le roi, le désordre s'accrut, 
et Darius, serré de près par les ennemis , fut saisi d'épouvante. 
Les Perses, qui avaient aperçu le trouble du roi , se livrèrent à 
la fuite ; les cavaliers suivirent leur exemple , et bientôt toute 
l'armée tourna le dos. Mais comme la fuite se faisait dans des 
passages étroits et escarpés, les fuyards, tombant les uns sur les 
autres, furent foulés sous les pieds des chevaux , et beaucoup 
d'entre eux périrent sans avoir été frappés par l'ennemi. On les 
trouvait gisant par tas, les uns sans armes et les autres tout ar- 
més ; quelques-uns tenaient encore dans leurs mains leurs épées 
nues, qui ne servaient qu'à tuer ceux qui tombaient sur eux. 
Cependant, la plupart de ces fuyards étaient parvenus à gagner 

' Arrien le nomîhe Salaces. 



LIVRE XVIi. 215 

les plaines qu'ils traversèrent au galop pour chercher un asile 
dans les villes alliées des Perses. La phalange macédonienne et 
rinfanterie des Perses gardèrent encore pendant quelque temps 
le champ de bataille; la défaite de la cavalerie perse fut, pour les 
Macédoniens, comme le prélude d'une victoire complète. Tous 
les Barbares furent promptement mis en déroute, la fuite devint 
générale ; des milliers de Barbares s'engagèrent dans les défilés, 
et tous les environs furent bientôt jonchés de morts. 

XXXV. La nuit étant survenue , les Perses se dispersèrent 
facilement dans plusieurs directions. Les Macédoniens, cessant 
de les poursuivre , ne songèrent qu'à piller le camp et surtout les 
tentes royales où étaient renfermés une foule d'objets précieux. 
Les soldats en enlevèrent des masses d'argent et d'or, ainsi 
qu'une grande quantité de riches vêtements tirés du trésor 
royal. Les tentes des amis et des parents du roi ainsi que celles 
des généraux procurèrent également un riche butin. Non-seule- 
ment les femmes de la maison royale , mais encore celles des pa- 
rents et des amis du roi suivaient l'armée, selon la coutume 
des Perses , montées sur des chars dorés ; chacune de ces fem- 
mes, habituées à toutes les jouissances du luxe , portait avec elle 
une quantité prtîdigieuse de parures et d'ornements. Les lamen- 
tations de toutes ces femmes captives étaient difficiles à déj)ein- 
drc; elles qui naguère ne se trouvaient pas assez mollement 
balancées sur de magnifiques palanquins et qui ne laissaient en- 
trevoir aucune partie nue de leur corps, étaient maintenant cou- 
vertes d'une simple tunique, ayant tous les autres vêtements dé- 
chirés ; elles se précipitaient hors des tentes en poussant de longs 
gémissements, implorant le secours des dieux et se jetant aux 
genoux des vainqueurs. Se dépouillant d'une main tremblante 
de tous leurs ornements, et les cheveux en désordre , elles cou- 
raient à travers des lieux escarpés et s'attroupaient en deman- 
dant à leurs compagnes d'infortune des secours dont celles-ci 
avaient également besoin. Quelques soldats traînaient ces mal- 
heureuses par les cheveux; ici, d'autres déchirant leurs vête- 
ments, portaient leurs mains sur leurs corps nus et les frappaient 



2l() DIODORE DE SICILE. 

du bols do leurs lances, la fortune leur permettant d'insulter 
ainsi à tout ce qu'il y avait de plus respecté et de plus illustre 
chez les Barbares. 

\ WYI. Quelques Macédoniens, plus humains que les autres, 
furent saisis de compassion à Faspect de ces infortunées que le 
destin avait fait tomber de si haut , et qui ne voyaient devant 
elles, pour terme de leurs misères , qu'une honteuse captivité 
qui devait les éloigner de tout ce qui leur était cher. Mais ce qui 
excitait la pitié jusqu'aux larmes, c'était l'aspect de la mère de 
Darius, de sa femme et de ses deux filles, déjà nubiles, et d'un 
fds à peine adolescent. Un changement de fortune si soudain et 
la grandeur d'une infortune si inattendue, étaient propres à tou- 
cher de commisération tous les assistants. Ces malheureuses 
ignoraient si Darius était encore en vie ou si, comme tant d'au- 
tres, il avait péri. En voyant leurs lentes pillées par des soldats 
armés qui maltraitaient les captives dont ils ignoraient le rang, 
ces femmes infortunées croyaient déjà toute l'Asie esclave 
comme elles. Qu'avaient-elles à répondre aux femmes des sa- 
trapes qui venaient implorer leur secours à genoux, puisqu'elles 
étaient tout aussi malheureuses que ces femmes? 

Les serviteurs du roi prirent possession de la tente de Darius, 
y préparèrent les bains, dressèrent les tables, allumèrent des 
flambeaux , et attendaient l'arrivée d'Alexandre , qui , de retour 
de la poursuite des ennemis , devait trouver tout disposé comme 
pour Darius, et tirer de ces préparatifs un augure favorable pour 
la conquête de l'Asie. 

Dans la bataille qui venait d'être livrée , les Barbares avaient 
perdu plus de cent mille hommes d'infanterie * et au moins dix 
mille cavaliers ; tandis que les Macédoniens n'avaient perdu que 
trois cents hommes d'infanterie et environ cent cinquante cava- 
liers. Telle fut l'issue de la bataille d'Issus en Gillcie. 

XXXYir. Darius ainsi battu et mis en déroute s'enfuyait à 
bride abattue , montant les meilleurs coursiers qu'il changeait de 
distance en distance ; il avait hâte d'échapper aux mains d'A- 

* Justin C IX , 9 ) donne un nombre de beaucoup inférieur. 



LIVRE XVII. 217 

lexandre et de chercher un asile dans une des satrapies de 
TAsie supérieure. Alexandre , à la tôte de Fclile de sa cavalerie 
et de ses meilleurs compagnons d'armes, sVtait mis à suivre les 
traces de Darius qu'il ambitionîiait de faire prisonnier. Mais 
après avoir parcouru un espace de deux cents stades, il rentra 
au camp vers minuit. Il se mit au bain pour se reposer de ses 
fatigues et se livra aux jouissances de la table et du repos. In 
messager vint annoncer à la mère et à la femme de Darius 
qu'Alexandre était de retour de la poursuite du roi, et qu'il avait 
dépouillé Darius. A cette nouvelle , toutes les femmes captives 
éclatèrent en sanglots et eiî longs gémissements. Kn apprenant 
ces scènes douloureuses, Alexandre envoya un de ses amis, 
Léonnatus, pour calmer ces infortunées et porter des paroles 
de consolation à Sisyngambris*, en lui annonçant que Darius 
vivait encore; enfin, qu'Alexandre prendrait lui-même soin de 
la famille de Darius et viendrait le lendemain matin la visiter 
et lui témoigner par des actes sa philanthropie. Les captives ac- 
cueillirent ces paroles de consolation comme un bonheur ines- 
péré; elles regardèrent Alexandre comme un dieu et cessèrent 
leurs lamentations. Le lendemain, le roi, accompagné d'Hephœs- 
lion, un de ses amis qu'il affectionnait le plus, se rendit chez les 
femmes. Comme ils étaient tous deux habillés de mOme et qu'He- 
phaestion l'emportait par sa taille et sa beauté, Sisyngambris prit 
celui-ci pour le roi, et se prosterna pour le saluer; quelques 
assistants l'avertirent de sa niéprise et lui indiquèrent de la main 
Alexandre. Sisyngambris, honteuse de son erreur, allait renou- 
veler sa salutation et se prosterner devant Alexandre; mais celui- 
ci lui dit en la relevant : « mère, ne le tourmente pas, car 
lui aussi est Alexandre. » Kn donnant ainsi à celte matrone le 
litre de mère, le roi fit entrevoir avec quelle prévenance il allait 
traiter toutes ces inforlunées. Il lui donna l'assurance qu'elle se- 
rait désormais pour lui comme une seconde mère , et aussitô 
il sanctionna sa promesse par des actions. 

XXX VIIL Alexandre la revêtit d'un ornement royal et la ré- 

' 2tffûy'/a/Aê|9i; Quinîe^iirro Tappollo SisyganOn's. 

ni. \^ 



*il8 DIODORË bË SICILE. 

tablit daus sus anciens honneurs. Il lui rendit tous les doinesti- 
(|ues que lui avail donnés Darius, et en ajouta encore d'autres de 
sa propre maison. Il promit ensuite de pourvoir à rétablissement 
des deux jeunes filles mieux qlie ne Taurait fait Darius, d'élever 
le fils comme si c'était le sien, et de lui rendre les honneurs dus 
à son rang. [1 l'appela mOme auprès de lui et l'embrassa; et , 
comme il vit que cet enfant le regardait sans crainte et sans se 
laisser le moins du monde intimider, il se tourna vers Hephses- 
tion et lui dit : « Cet enfant de six ans montre un sang-froid au- 
<lessus de son âge; il est plus brave que son père. » Quant à la 
femme de Darius et à la suite dont elle était entourée, il ajouta 
qu'il veillerait à ce qu'elle fût traitée avec autant de respect 
qu'autrefois dans sa prospérité. Enfin, ses discours étaient em- 
preints de tant de miséricorde et de générosité que les femmes, 
pour exprimer leur joie inespérée, versèrent des larmes abon- 
dantes. Kn parlant, il leur donna à toutes la main droite et fut 
comblé (le bénédictions par ceux dont il était le bienfaiteur, en 
même ten)ps qu'il reçut les éloges de ses compagnons d'armes 
(jui admiraient tant d'humanité. Parmi les nombreuses et belles 
actions d' Alexandre, il n'y en a, je pense, aucune qui mérite au- 
tant que celle là d'être perpétuée par l'histoire. En effet , les 
prises de \illes, les victoires dans les batailles, enfin tous ces 
avantages remportés dans la guerre sont en général dus au ha- 
sard plutôt qu'à la force de l'âme ^ ; tandis que , au faîte de la 
puissance, avoir pitié des malheureux, c'est l'apanage exclu- 
sif de la sagesse ; car la plupart de ceux que la prospérité enivre 
deviennent insolents et oublient qu'ils ne sont, comme les autres, 
(|ue de faibles mortels. Aussi sont-ils incapables de supporter le 
bonheur qui est pour eux un lourd fardeau. Alexandre, séparé 
de nous par de nombreuses générations , est donc digne de nos 
éloges et de ceux de la postérité. 



' Celte niaxinic h cU' souNt'iii n-péU'»' (iaiis lc« Vetmpà umieii^ uimsi bien que Uriis 
les tcnijKs modernes, [In hellia], ma.vîmam partem 8uo jure fortuna sibi ciii- 
dicat , a «lit Ciréioii />ro Martrlln , -2 ). La fjuene p^I im jpu tle hasard, a dit 
un homme crKUil de nos jours. 



LIVRE xvir. 219 

XXXTX. Darius avait alteiitt Babyloiie. Il réunit les débris 
de sou armée, échappés au désastre d*Issus, ei no perdit pas 
courage, malgré le terrible revers qui vouait dv le frapper. Il 
écrivit à Alexandre eu l'engageant à supjmrler sa fortune hu- 
mainemenl et à lui rendre les prisonniers pour une forte ran- 
çon, n lui offrit , en outre , toute l'Asie en deçà du fleuve 
Halys, ainsi que les villes situées dans cette contrée s'il voulait 
être son ami. A la réception de cette lettre, Alexandre réu- 
nit ses amis en conseil; mais, au lieu de leur montrer l'original, 
il écrivit lui-même une lettre supposée dans laquelle il n'avait 
mis que ce qui convenait à ses plans, et c<' fut celle-ci qu'il 
communiqua à ses conseillers^; les députés de Darius furent donc 
renvoyés sans avoir rien obtenu. Darius renonçant donc à tout 
espoir de trêve, fit de grands préparatifs de guerre. Il arma de 
pied en cap les soldats qui avaient perdu leurs armes pendant la 
fuite et Ht faire de nouvelles levées de troupes; il ordonna aussi 
que les contingents des satrapies de l'Asie supérieure, (|ui, en rai- 
son de la vitesse avec laquelle cette campagne s'était faite, étaient 
restés en relard, vinssent le rejoindre sans délai. Mnfin, il (it tant 
qu'il par\int à mettn; sur pied une armée deux fois plus nom- 
breuse quLï celle qui avait été bat t tu» h Issus. Kn efl'et , ell(î se 
composait de huit cent mille hommes d'infanterie (;t de deux 
cent mille cavaliers, sans compter une multitude de chars ar- 
més de faux. Tels sont les événements arrivés dans le cours de 
cette année. 

XL. Nicérate étant archonte d'Athènes, Marcus Atilius et 
Marcus Valérius consuls à Iloiue, on célébra la cxii*' olympiade 
où Grylusde Chalcis fut vainqueur à la course du stade ^. Après 
la victoire d'Issus, Alexandre (il enterrer ses morts et accorda 
les mêiucs honneurs à ceux d'entre les ennemis qui s'étaient 
fait admirer par leur bravoure. Il offrit ensuite aux dieux de ma- 
gniliques sacrifices en actions de grâces, et distribua des récoin- 

' Cos tl«''tulls ne s'accordent pas aver ceux que (loiiiiont Arrien ( U, i4) ot 
Quinte-Curcf 'IV, i ;. 
' PrcniiCïro aiiiicô do la cii« olympiade; nnnûe 332 avant J.-G. 



220 DIODORË DE SICILE. 

penses méritées à ceux qui s'étaient distingués dans le combat ; 
enfin , il fit prendre à ses troupes quelques jours de repos. 

En quittant la Gilicie , Alexandre se dirigea vers FÉgypte. il 
entra dans la Pliénicie. Il soumit plusieurs villes et fut bien ac- 
cu(Mlli par les indigènes. Les Ty riens seuls lui résistèrent. Le roi 
voulait offrir un sacrifice à Hercule le Tyrien ; mais les habitants 
lui refusaient obstinément Tentrce de leur ville. Alexandre, irrité, 
les menaça de prendre leur ville de force; mais les Tyriens sou- 
tinrent intrépidement le siège; car ils se flattaient de plaire à Da- 
rius et de s'assurer sa bienveillance. Ils croyaient aussi qucie roi les 
récompenserait magnifiquement, si, en occupant Alexandre à un 
siège long et périlleux, ils parvenaient à donner à Darius le temps 
de faire ses préparatifs. Ils comptaient aussi sur la position forte 
do leur île , sur leurs moyens de défense et sur le secours de 
Cartilage, qui était une de leurs colonies. Le roi reconnut que la 
ville était inexpugnable par mer, tant à cause des murs qui l'en- 
\ironnaient qu'à cause de la flotte qui la protégeait de ce côté. 
Il remarqua aussi que l'attaque était presque impraticable par 
terre, la ville étant séparée du continent i)ar une passe de quatre 
stades de largeur ^ Il résolut cependant de tout tenter plutôt que 
de soufl*rir que cette seule ville bravât la puîssanœ des Macé- 
doniens. Il déblaya donc le terrain de l'ancienne Tyr, et, avec les 
milliers de pierres tirés de ces décombres, il fit élever une digue 
de deux plétbres de large ^. Il appela à ce travail tous les habi- 
tants des villes voisines ; et, grâce au nombre des bras qui y 
étaient employés, Touvrage fut bientôt terminé. 

XLÏ. Lt'S Tyriens s'approchant , sur leurs barques, de la 
digue en construction, se moquaient d'abord du roi et lui de- 
mandaient en riant s'il voulait être plus fort que Neptune. Mais 
en voyant, contre leur attente, la jetée s'exhausser de jour en 
jour, ils résolurent de transporter à Carthage les enfants, les 
femmes et les vieillards et de ne conserver que la population va- 
lide pour la défense des mnrs et l'armement de quatre-vingts 

' Kijvirun huil ceuts mMivs. 
' Environ soixante mètres. 



LIVRE XVII. 221 

trirèmes. Ils eurent encore le temps d'expédier à Carthage une 
partie de leurs enfants et de leurs femmes, mais, serrés de près par 
les travaux de siège, et hors d*ètat de se défendre par leur flotte, 
ils furent forcés à soutenir le siège de toutes parts. Quoiqu'ils 
fussent déjà abondamment pourvus de catapultes et d'autres ma- 
chines de guerre, ils en firent construire beaucoup d'autres en- 
core, ce qui leur était facile en raison du grand nombre de méca- 
niciens et d'autres ouvriers que renfermait Tyr. Après avoir ainsi 
rassemblé des instruments de guerre de toutes sortes, dont plu- 
sieurs avaient été nouvellement imaginés, ils en garnirent toute 
l'enceinte de la ville , mais surtout l'endroit où la digue touchait 
au mur. Lorsque l'ouvrage des Macédoniens n'était plus qu'à une 
portée de trait, les dieux envoyèrent aux assiégeants quelques 
augures. Un cétacé d'une grosseur énorme, poussé par l'impétuo- 
sité des vagues, vint tomber contre la chaussée sans faire aucun 
dommage; une partie de son corps y resta longtemps appliquée, 
et frappa d'épouvante les spectateurs ; mais le monstre rentra 
dans la mer et laissa les deux partis flotter dans des craintes su- 
perstitieuses. Chacun interprétait ce prodige dans un sens favo- 
rable, comme l'annonce d'un secours de Neptune. D'autres pro- 
diges vinrent encore ajouter à la terreur de la foule. Chez les 
Macédoniens, les pains que l'on brisait pour les manger étaient 
comme teints de sang. Un Tyrien prétendait avoir eu une vision 
dans laquelle Apollon lui disait qu'il allait quitter la ville. Mais 
le peuple soupçonna que c'était ^à une fable forgée pour com- 
plaire à Alexandre , et déjà les jeunes gens couraient après cet 
homme pour le lapider, lorsque les magistrats le cachèrent en 
le faisant entrer comme suppliant dans le temple d'Hercule. Ce- 
pendant les Tyriens superstitieux lièrent avec des chaînes d'or 
le piédestal de la statue d'Apollon , se flattant ainsi d'empêcher 
le dieu de quitter leur ville. 

XLII. Les Tyriens , alarmés des progrès des travaux de la 
digue, armèrent les bâtiments légers d'un grand nombre de pro- 
jectiles, de catapultes, d'archers et de frondeurs. S'approchaiit 
ainsi de la chaussée en construction , ils blessèrent ou laè^^^v 

m. N^^^ 



222 DIODORE DE SICILE. 

beaucoup d'ouvriers ; car, les traits lancés sur des boinmes sans 
armes et serrés les uns contre les autres, frappaient un but cer- 
tain et exposé à tous les coups. Aussi les flèches atteignirent-elles 
non-seulement la face, mais encore le dos des travailleurs oc- 
cupés sur une chaussée étroite et dans impossibilité de résister 
à l'ennemi des deux côtés à la fois. Alexandre, pour remédier ^ 
ce grave inconvénient, arma tous ses navires, et, se mettant lui- 
même à la tête de la flotte, se dirigea en toute hâte vers le port 
de Tyr pour intercepter la retraite aux Phéniciens. Dans la crainte 
que les ports ne tombassent au pouvoir de l'ennemi qui pourrait 
s'emparer de la ville laissée sans défense , les Barbares s'em- 
pressèrent de rentrer à Tyr. Des deux côtés, on fit force de ra- 
mes ; déjà les IMacédoniens allaient toucher au port et les Phé- 
niciens se voyaient tout près de leur ruine , lorsque, redoublant 
d'eflbrts, ceux-ci abandonnèrent les navires laissés en arrière et 
parvinrent à se réfugier dans la ville. Renonçant à sou entre- 
prise, le roi fit reprendre avec plus d'ardeur encore les travaux 
de la digue et défendit les ouvriers par un grand nombre de 
bâtiments. L'ouvrage allait déjà atteindre la ville , dont la prise 
semblait imminente , lorsqu'un violent vent de nord-ouest ^ en- 
dommagea une grande partie de la digue. En voyant ses travaux 
ruinés par la nature , Alexandre fut fortement embarrassé et se 
repentit déjà d'avoir tenté ce siège ; mais en même temps , poussé 
par un désir irrésistible de vaincre , il fit couper dans les mon- 
tagnes des arbres énormes qyi, étant jetés avec toutes leurs 
branches dont les intervalles étaient remplis de terre, servirent à 
amortir la violence des flots. Il répara ainsi promptement le 
dommage causé par la tempête, et lorsque la construction, 
grâce au nombre des bras qui y étaient employés , n'était plus 
qu'à une portée de trait des murs de la ville , il fit placer ses 
machines de guerre sur l'extrémité de la digue. Il battait ainsi 
les murs en brèche avec les balistes et les catapultes, en même 
temps qu'il balayait les remparts à coups de traits. Les archers 

* Ce vent qui souflQe fréquemment sur la côte de la Syrie, était connu des navi- 
gateurs sous le nom de borée noir, /*# Xa/*êrf/»etOf . 



LIVRE XYU. 223 

et les frondeurs aidèrent à ces attaques et blessèrent un grand 
nombre d*assi(^gés. 

XrJII. Cependant les Tyriensi, marins expérimentés, firent 
construire par leurs artisans et leurs mercenaires des machines 
de guerre ingénieuses. Ainsi, pour se garantir des traits lancés 
par les catapultes , ils inventèrent des roues divisées par des 
rayons nombreux ; ces roues , étant tournées à Taide d'une ma- 
chine , détruisaient I*eiïet des flèches, soit en les brisant, soit en 
les tordant. Quant aux pierres lancées par les batistes, ils en amor- 
tissaient TelTet par des constructions formées de matières molles. 
Cependant, le roi attaqua les murs du côté de la digue en même 
temps qu*il fit , avec toute sa flotte, le tour de la ville et en exa- 
mina Fenceinte ; il était évident qu'il se disposait à bloquer la 
ville tout à la fois par terre et par mer. Les Tyriens n'osèrent 
point se mesurer avec cette flotte; et Alexandre, rencontrant 
trois trirèmes à l'entrée du port , se dirigea sur elles , les coula 
toutes et rentra dans son camp. Pour doubler en quelque sorte la 
sécurité que le mur leur offrait, les Tyriens conslruisirent, à 
cinq coudées' de celui-ci, un second mur de dix coudées de 
large, et comblèrent l'intervalle creux de ces deux enceintes avec 
des pierres et des matières de terrassement. De son côté , Alexan- 
dre , joignant ensemble plusieurs trirèmes , établit sur ce punt 
flottant des machines de guerre avec lesquelles ih battit le mur 
en brèche dans l'étendue d'un plèthre*. Déjà les Macédoniens 
se disposaient à pénétrer par cette brèche dans l'intérieur de la 
ville , lorsque les Tyriens firent pleuvoir sur eux une grêle de 
traits et parvinrent, non sans peine, à les repousser; ils pro- 
fitèrent (le la nuit pour réparer leur mur. EnQn , la digne at- 
teignit les murs de la ville, et transfoima l'emplacement de Tyr 
en une presqu'île ; il se livra alors sous les remparts plusieurs 
combats sanglants. Les assiégés, ayant sous les yeux les dangers 
qui les menaçaient et calculant les désastres qui résulteraient de 
la prise de leur ville , étaient résolus à se défendre en désespé- 

' Deux mètres et demi. 
' Trente'mètroB. 



22/l DIODORE DE SICILE. 

rés. Les Macédoniens firent approcher des tours égales en baur 
teur aux murs de la ville; du sommet de ces tours élevées ils 
jetèrent des ponts volants, et sautèrent hardiment sur les cré- 
neaux. Mais lesTyriens trouvaient de grands moyens de défense 
dans l'emploi de leurs machines si ingénieusement construites. 
A Taide d'énormes tridents d'airain, terminés en forme de hame- 
çons , ils accrochaient aux boucliers les soldats postés sur les 
tours, et les ayant ainsi bien fixés, ils attiraient les assiégeants à 
eux au moyen de câbles attachés à ces tridents. Il fallait donc 
ou lâcher les boucliers et exposer le corps nu à une grêle de 
traits , ou, pour éviter la honte de perdre les armes, se tuer, 
en se précipitant du haut des tours. D'autres se servaient de filets 
de pêcheur pour envelopper les hommes qui combattaient sur 
les ponts volants ; et , les privant de l'usage de leurs mains , ils 
les faisaient tomber au pied des murs. 

XLIV. Les Tyriens eurent encore recours à une autre inven- 
tion ingénieuse pour abattre le courage de leurs ennemis et leur 
infliger d'atroces tortures. Ils construisirent des boucliers d'ai- 
rain et de fer qu'ils remplirent de sable , et les exposèrent 
à un grand feu afin de rendre ce sable brûlant. Au moyen d'une 
machine particulière , ils lançaient ce sable sur les plus hardis 
assaillants et leur faisaient essuyer des tourments cruels; car ce 
sable, pénétrant à travers la cuirasse et les vêtements, brûlait la 
chair sans qu'on pût porter des secours aux malheureux qui en 
étaient atteints. Pareils h des hommes mis à la torture, ils pous- 
saient des cris déchirants ; ils étaient saisis de délire, et expiraient 
dans d'affreuses douleurs. £n même temps que les Phéniciens 
lançaient ces projectiles brûlants , ils accablaient les assaillants 
d'une grêle de javelots, de pierres et de flèches. De plus, avec 
des vergues armées de faux , ils coupaient les câbles des béliers 
et en détruisaient ainsi l'action. Ils lançaient aussi sur les en- 
nemis des masses de fer rougies au feu, qui ne manquaient 
jamais leur but à cause de l'épaisseur des rangs ennemis. En- 
fin, à l'aide de corbeaux et de mains de fer, ils arrachaient les 
soldats des ponts volants. Grâce à toutes ces machines , mises 



LIVRE XVII. 225 

en jeu par tant de bras, ils tuaient un grand nombre d'assail- 
lants. 

XLV. Malgré la terreur que les assiégés répandaient par leurs 
moyens de défense , les Macédoniens ne se désistaient point de 
leur audace ; et , marchant sur les corps de ceux qui étaient tom- 
bés, ils ne songeaient point au sort malheureux de leurs compa- 
gnons d'armes. Alexandre opposa aux batistes de Fennemi des 
catapultes qui , lançant d'énormes pierres , ébranlèrent les 
murs, et du haut des tours de bois il fit pleuvoir une grêle de 
trails qui blessèrent dangereusement ceux qui se montraient sur 
les remparts. Pour se garantir de FelTct de ces projectiles, les 
Tyriens avaient placé en avant des murs des roues de marbre 
qui , par un mouvement de rotation imprimé par quelque ma- 
chine, brisaient les flèches ou les détournaient de leur direction, 
et en faisaient ainsi manquer TelTet. En outre, ils avaientfait cou- 
dre ensemble des peaux et des cuirs plies en double et rembour- 
rés de plantes marines : ils se servaient de ces substances molles 
pour amortir le choc des projectiles *. Enfin les Tyriens n'avaient 
rien négligé pour leur défense. Munis de tant de secours , ils tin- 
rent intrépidement tête à l'ennemi : quittant l'enceinte et les 
postes de l'intérieur des tours, ils s'avancèrent jusqu'aux ponts 
jetés sur les murs pour se mesurer avec les assaillants; là, ils 
luttaient corps à corps pour le salut de la patrie; quelques-uns 
d'entre eux, armés de haches , coupèrent à l'ennemi la partie du 
corps qui se montrait à découvert. C'est ainsi qu'un des chefs 
macédoniens nommé Admète, homme brave et vigoureux, ré- 
sistant vaillamment aux Tyriens , fut frappé au milieu de la tête 
d'un coup de hache , et expira en héros ^. Voyant les Macédo- 
niens serrés de si près par tes Tyriens, Alexandre fit, à l'approche 
de la nuit, sonner la retraite. Il songea d'abord à lever le siège 
et à continuer sa marche vers l'Egypte ; mais il se ravisa, pensant 
qu'il serait honteux de laisser aux Tyriens toute la gloire de ce 

• C'est la répétition de ce que l'auteur vient de dire dans le cliap. 43. 
' Ârrien (II, 23) raconte autrement la mort d'Adraète. Comparez aussi Quiiito- 
Curce, IV, 4. 



226 DIODORE DE SICILE. 

siège, et, bien qu'il n'y eûl de sun avis qu'un seul de ses amis, 
Amynias, fils d'Androinène, il recommença l'assaut. 

XLYI. Alexandre exhorta les Macédoniens à ne pas lui céder 
en courage ; puis , il arma tous les navires et bloqua vigoureu- 
sement la ville par terre et par mer. S*étant aperçu que le mur 
était plus faible dans la partie qui regarde les ports , il y diri- 
gea les ponts des trirèmes sur lesquelles il avait dressé les plus 
fortes machines de guerre. Ce fut dans cet assaut que le roi ac- 
complit un fait d'armes d'une audace incroyable. Il abaissa sur 
le mur de la ville le pont volant de l'une des tours de bois, il 
le traversa seul, défiant la fortune et bravant le désespoir des 
Tyriens ; jaloux d'avoir pour témoin de sa bravoure cette armée 
qui avait battu les Perses , il ordonna aux autres Macédoniens 
de le suivre , il se mit à leur tête , il en vint aux mains avec les 
assiégés et tua les uns à coups de lance, les autres avec son épée. 
Il repoussa même quelques-uns avec son bouclier, et comprima 
l'audace de ses adversaires. Dans cet intervalle , le bélier ren- 
versa sur un autre point un pan de mur considérable. Les Macé- 
doniens pénétrèrent par cette ouverture dans l'intérieur de la 
ville , en même temps la troupe d'Alexandre franchit les murs au 
moyen des ponts volants et se rendit maître de la ville. Mais les 
Tyriens, rassemblant toutes leurs forces, se barricadèrent dans 
les rues et se firent presque tous écharper au nombre de plus de 
sept mille ^ Le roi vendit les femmes et les enfants à l'enchère et 
fit pendre tous les jeunes gens, au nombre d'au moins deux mille. 
Quant aux prisonniers , ils étaient si nombreux que, quoique la 
plupart des habitants eussent été transportés à Carthage, il n*y 
en eut pas moins de treize milieu 

Tel fut le sort des Tyriens qui , avec plus de courage que de 
prudence, avaient soutenu un siège de sept mois. Le roi ô(a à 
la statue d'Apollon les chaînes d'or dont les Tyriens l'avaient 
entourée , et prescrivit de donner à ce dieu le nom d'Apollon 

' Arrien (111, 24) parle de huit mille morls, et Quinte-Curce CIV, 4) de six 
raille. 
' Suivant Arrien , le nombre des prisonniers était de trente mille. 



LIVRE XVII. 227 

Phiiatexandre. Il olfrit à Hercule de magnifiques sacrifices, dis- 
tribua des récompenses aux plus braves soldais, ensevelit les 
morts avec pompe, institua roi de Tyr Ballonymus* dont la for- 
tune singulière mérite d'être mentionnée. 

XLVII. L'ancien roi Straton perdit le trône par son amitié 
pour Darius. Alexandre laissa Hephaestion maître de choisir parmi 
ses hôtes celui qu'il voudrait pour roi de Tyr. Voulant du bien 
à rhôte chez lequel il était logé, Hephaestion avait d'abord songé 
à le proclamer souverain de la ville. Mais celui-ci , quoiqu'un des 
citoyens les plus riches et les plus considérés, refusa cette oiïre, 
comme n'ayant aucune parenté avec la famille royale. Hephaes- 
tion lui demanda alors de désigner à son choix un descendant 
de race royale ; son hôte lui répondit qu'il en existait un , homme 
sage et vertueux , mais extrêmement pauvre. Hephaestion lui 
ayant répliqué qu'il le ferait nommer roi, l'hôte se chargea de la 
négociation. Il se rendit donc auprès de celui qui venait d'être 
nommé roi de Tyr et lui apporta le manteau royal. Il trouva ce 
pauvre homme couvert de haillons et occupé dans un jardin à 
puiser de l'eau pour un faible salaire. Après lui avoir appris 
l'événement , il le revêtit des ornements royaux , le conduisit 
sur la place publique et le proclama roi des Ty riens. La multi- 
tude accueillit ce nouveau roi avec des démonstrations de joie, 
et admira elle-même ce caprice de la fortune. Ballonymus resta 
attaché à Alexandre , et sa royauté peut servir d'exemple à ceux 
qui ignorent les vicissitudes du sort. 

Après nous être occupés d'Alexandre, nous allons aborder 
le récit d'autres événements. 

XLVIIJ. En Europe, Agis, roi des Lacédémoniens, qui avait 
recueilli huit mille mercenaires, débris de la bataille d'Issus, 
médita quckfue entreprise pour gagner les bonnes grâces de Da* 
rius. Acceptant les navtres et l'argent que Darius lui avait offerts, 
il fit voile pour la Crète , et soumit la plupart des villes de cette 
île à la domination des Perses. 

' Quiiite-Curce et Justin l'appellent Abdalonymus , Plularque Alynomus et Ar- 
rien Azelmicus. 



228 DTODORE DE SICILE. 

Amyulas, exilé de la Macédoine, s*était réfugié auprès de 
Darius, cl avait combaltu avec les Perses en Çilicie. Âpres la 
bataille d*lssus il se sauva avec quatre mille mercenaires à Tri- 
polis, en Phénicie, où il était arrivé avant Alexandre. Le, il choi- 
sit dans toute la flotte un nombre de vaisseaux suffisant pour em- 
barquer ses soldats, et brûla le reste. Il se rendit ensuite à Gypre, 
où il réunit encore des soldats et des navires. De là, il fit en- 
suite voile pour Peluse, se rendit maître de cette ville, se disant 
envoyé par Darius pour remplacer dans le commandement le 
satrape gouverneur d*Égypte , tombé dans la bataille d'Issus. 
Puis, il se rendit à Memphis, et défit les habitants dans un com- 
bat engagé sous les portes de leur ville. Mais les soldats s'étant 
ensuite livrés au pillage , les habitants firent une sortie , tombè- 
rent sur les pillards dispersés dans la campagne et en tuèrent un 
grand nombre ; Amyntas lui-même se trouva parmi les morts. 
Telle fut la fm d' Amyntas qui avait conçu lie si grands projets , 
mais qui fut déçu dans son espérance. 

Quelques autres généraux qui s'étaient également sauvés de 
la bataille d*Issus avec quelques débris de troupes , suivirent la 
fortune des Perses. Les ims prirent des villes importantes et 
les gardèrent pour Darius; les autres cherchaient à maintenir 
les provinces dans l'obéissance, rassemblaient des troupes et fai- 
saient tout ce que les circonstances leur permettaient eu faveur 
de la cause qu'ils défendaient. 

L'assemblée des Grecs avait décrété d'envoyer quinze députés 
chargés, au nom de la Grèce, d'apporter à Alexandre une cou- 
ronne d'or et de le congratuler de la victoire qu'il avait rempor- 
tée en Cilicie. 

Alexandre se dirigea sur Gaza , défendue par une garnison 
perse; il s'empara de cette ville après un siège de deux mois. 

XLIX. Aristophane étant archonte d^Athènes , les Romains 
nommèrent consuls Spurius Posthumius et Titus Yélurius^ Dans 
cette année, Alexandre régla les afl'aires de Gaza, détacha Amyn- 
tas avec dix navires en Macédoine et lui ordonna d'enrôler pour 

' Deuxième année de 1h cxii*" olympiade; année 331 avant J.-C. 



LIVRE XVII. 229 

le service niiHtaire les jeunes gens en état de porter les armes. 
Puis , à la tête de son armée , il entra en Egypte et s^empara , 
sans conp férir, de toutes les villes de ce pays ; car les Égyptiens, 
mécontents des Perses qui avaient profané leurs temples ^ et qui 
gouvernaient avec dureté , accueillirent avec joie les Macédo- 
niens. Après avoir réglé l'administration deTÉgypte, Alexandre 
alla consulter Toracle d'Ammon. Il était à moitié chemin lors- 
qu'il rencontra des députés cyrénéens qui lui apportaient une 
couronne et de riches présents, parmi lesquels étaient trois cents 
chevaux de guerre et cinq quadriges très-beaux. Le roi accepta 
ces dons et conclut avec les Cyrénéens un traité d'alliance. 
Puis , il se dirigea avec sa suite vers le temple d'Ammon. Ayant 
à traverser un pays désert et aride, il fit provision d'eau et par- 
courut une contrée pleine d'amas de sable. Dans quatre jours de 
marche, la provision d'eau fut épuisée et la pénurie mit bien- 
tôt tout le monde dans le découragement, lorsqu'une pluie 
abondante tomba du ciel et fit miraculeusement disparaître le 
manque d'eau. Cet événement parut une preuve évidente de 
l'intervention inespérée des dieux. On puisa l'eau d'une marc , 
et, au bout de quatre jours de traversée, on sortit du désert. La 
quantité de sable accumulée ayant fait perdre les traces du che- 
min, les guides annoncèrent au roi que des corbeaux , dont on 
entendait le croassement à la droite, indiquaient le sentier con- 
duisant directement au temple d'Ammon. Alexandre considéra 
cet augure comme favorable, et , pensant que sa présence était 
agréable au dieu, il accéléra sa marche. Il rencontra ensuite un 
lac d'eau salée*, et, après cent stades de course, il traversa l'en- 
droit appelé les villes d'Ammon; à une journée de là il atteignit 
l'enceinte du temple. 

L. La contrée où est situé le temple est entourée d'un dé- 
sert aride, sablonneux et tout à fait inhospitalier. Cette contrée, 
qui a environ cinquante stades de longueur et de largeur , est 

• Voyez plus haut, I, 46 ; XVI, 52 

' C'était sans doute un de ces lacs dont les eaux étaient saturées de carbonate de 
soude (natron), et qu'on rencontre encore aujourd'hui dans celte région. 

III. *1^ 



280 DIODORE DE SICILE. 

arrosée par beaucoup de belles sources d*eau et couverte de bois, 
surtout d*arbres fruitiers. On respire un air de printemps dans 
ce lieu privilégié; le séjour y est sain , bien qu*il n'y ait autour 
{\w ki: sables brûlants du désert. Ce temple a été, dit-on, fondé 
par OanaûsTÉgyptien^ La région consacrée au dieu est limi- 
tée au midi et au couchant par les Éthiopiens , au nord par les 
Libyens nomades et par la tribu des Nasamons, qui s'étend dans 
Tintérienr du pays. Les Ammoniens habitent des villages» et, au 
milieu de leur pays, s*élève une citadelle environnée d'une triple 
enceinte. La première enceinte entoure le palais des anciens 
rois; la seconde contient les habitations des femmes, des en- 
fants , des parents de la maison royale , les corps de garde , le 
sanctuaire du dieu et la fontaine sacrée où l'on puriGe les of- 
frandes qu'on présente au dieu ; la troisième enceinte renferme le 
logement des satellites et des gardes du roi. En dehors de la ci- 
tadelle, et à quelque distance de là, se trouve un autre temple 
d'Ammon, ombragé d'arbres nombreux et élevés. Près de ce 
temple existe une fontaine à laquelle un phénomène qui s'y 
passe a fait donner le nou) de fontaine du Soleil, Son eau varie 
singulièrement de température aux différentes heures de la jour- 
née : au point du jour elle est tiède, et devient froide à mesure 
que le jour s'avance, jusqu'à midi où elle atteint son maximum 
de froid ; la température s'élève à partir de midi , jusqu'à ce 
qu'elle ait atteint son maximum à minuit ; à partir de ce mo- 
ment, la chaleur va en diminuant jusqu'à ce qu'elle arrive aa 
degré qu'elle avait au lever du soleil. La statue du dieu est 
couverte d'émeraudes et d'autres ornements, et elle rend ses ora* 
clés d'une manière toute particulière. Elle est portée, dans une 
nacelle dorée, sur les épaules de quatre-vingts prêtres; ceux- 
ci la portent machinalement là où le dieu leur fait signe d'aller ; 



• Comparez plus haut , Ul , 73 ; et Hérodote, H, 55. 

' Cette observation peut s'appliquer à toutes les sources dont les eaux jaillissent 
d'une grande profondeur. Les différences de froid et de chaud viennent de ce que 
la source ne se trouve pas au même degré de température que Tair ambiant. Voyea 
tom. I, p. 149, note 2. 



■•». 



LIVRE XVII. 231 

cette procession est suivie d'une foule de femmes et de jeunes 
filles, chantant pendant toute la route des hymnes et des canti- 
ques, selon les rites anciens. 

LI. Lorsqu'Alexandre fut introduit dans le temple et qu'il 
aperçut la statue du dieu, le prophète, homme très -âgé, 
s'avança vers lui et lui dit : « Salut, ô mon fils, recevez ce nom 
de la part du dieu. — Je Taccepte, ô mon père , répondit Alexan- 
dre , et désormais je me ferai appeler ton fils si tu me donnes 
l'empire de toute la terre. » Le prêtre entra alors dans le sanc- 
tuaire , et, au moment où les hommes désignés pour porter la 
statue du dieu se mirent en mouvement , sur Tordre d'une 
voix mystérieuse , il assura Alexandre que le dieu lui accordait 
sa demande. Alexandre continua et dit : « il me reste encore, 
ô dieu protecteur, à te demander si j'ai puni tous les assassins 
de mon père , ou si quelques-uns ont échappé à mes recher- 
ches. — Ne blasphème pas, s'écria le prêtre : aucun mortel ne 
pourra attenter à la vie de celui qui t'a donné le jour ; quant aux 
assassins de Philippe , ils ont tous reçu leur châtiment ; le 
succès de tes grandes entreprises sera une preuve que tu dois la 
naissance à un dieu; personne n'a pu te vaincre jusqu'ici et tu 
seras à l'avenir tout à fait invincible. » Alexandre se réjouit de 
la réponse de l'oracle, consacra au dieu de magnifiques offran- 
des, et retourna en Egypte. 

Llf. Alexandre conçut le projet de fonder dans cette région 
une grande ville. Il ordonna à ceux qui étaient chargés de l'exé- 
cution de ce projet, de poser les fondements de celte ville entre 
la mer et le lac [Maréotis]. Après en avoir lui-même tracé le 
plan et divisé artistement la ville en rues coupées à angle droit, 
il lui donna , d'après lui-même, le nom d'Alexandrie. Cette ville, 
située très-avantageusement près du port du Phare , avait ses 
rues disposées de manière à donner accès aux vents étésiens. 
Ces vents soufflent de la haute mer, rafraîchissent l'air de la viUe 
et entretiennent, par une douce température, la santé des habi- 
tants. Il entoura la ville d'une enceinte remarquable par son 
étendue et par son assiette forte ; car , placée entre le grand lac 



232 DIODORE DE SICILE. 

et la mer, elle n*est abordable du côté de la (erre que par deux 
passages étroits et très-faciles à défendre. I^ forme de la ville 
représente assez bien une chlamyde * ; elle est traversée presque 
au milieu par une rue admirable par sa longueur cl sa largeur; 
car d'une porte à Tautre elle a quarante stades de longueur sur 
un plèthre de large - ; cette rue était bordée de maisons et de 
temples magnifiques. Alexandre y fit construire un palais royal 
d'une construction large et imposante. Non-seulement Alexan- 
dre, mais presque tous les rois d'Egypte ont, jusqu'à notre 
époque, ajouté à l'embellissement de ce palais. Enfin, la ville 
d'Alexandrie a pris par la suite un tel accroissement qu'elle passe 
généralement pour une des premières villes du monde. £n effet, 
elle l'emporte de beaucoup sur les autres villes par la beauté et la 
grandeur de ses édifices, ainsi que par ses richesses et l'abondance 
de tout ce qui tient aux besoins de la vie. Elle est également su* 
périeure aux autres villes par sa population ; car à l'époque où 
nous avons visité l'Egypte, ceux qui tiennent les registres du 
recensement nous assuraient que la population de la ville se com- 
posait de plus de trois cent mille hommes de condition libre, et 
que les revenus du roi d'Egypte étaient de plus de six mille ta- 
lents \ 

Le roi Alexandre nomma quelques-uns de ses amis au gou- 
vernement d'Alexandrie, régla toutes les affaires de l'Egypte, et 
revint avec toute son armée en Syrie. 

LUI. Dès que Darius fut instruit de l'approche d'Alexandre, 
il rassembla de tous côtés des troupes et prépara tout ce qui est 
nécessaire pour une bataiHe. Il donna aux épées et aux piques 
plus de longueur, persuadé qu'Alexandre devait, en grande par- 
tie, à la supériorité de ses armes les avantages obtenus dans la 
bataille de la Gilicie. Il ût aussi construire deux cents chars 
armés de faux, invention propre à répandre la terreur et 

• 

' Pline, V, 10 , explique cette forme ; ad effigiem macedonivœ chlamydit, orbe 
gyrato laciniosam, dextra lœvaque anguloso procursu. 
' Cinq mille quatre cents mètres sur trente de large. 
' Trois millions trois cent mille francs. 



LIVRE XVII. 233 

Tépouvante parmi les ennemis : à côté de chacun des chevaux 
attelés aux chars par des cordes, le timon portait des piques so- 
lidement attachées, de trois spithames de longueur \ ayant la 
pointe dirigée à la face de Tennemi. Â Tcssieu des roues , il y 
en avait deux autres tout aussi pointues, ayant la même direc- 
tion , mais plus longues et plus larges que les premiiTCs; à leurs 
extrémités étaient fixées des fauxl 

Darius partit de Babylone à la tête de toutes ses troupes bien 
armées et commandées par des chefs valeureux. Celte armée était 
formée d'environ huit cent mille hommes d*infanterie , et au 
moins de deux cent mille cavaliers. Dans sa marche , il avait le 
Tigre à sa droite et r£uphrate à sa gauche ; il traversait un pays 
fertile, pouvant fournir abondamment des fourrages aux bes- 
tiaux et des vivres aux nombreux soldats. Il avait hâte de livrer 
bataille dans les belles plaines de Ninive, où il pouvait facilement 
déployer sa puissante armée. II vint camper près du village 
d*Arbèles. Là il passait tous les jours ses troupes en revue et s'ef- 
forçait de les discipliner par une bonne tenue et des exercices 
continuels; car il n'était pas sans de grandes inquiétudes sur le 
sort de la bataille en voyant réunies tant de nations parlant des 
idiomes si différents. 

LIV. Avant de commencer l'attaque , Darius envoya à 
Alexandre des parlementaires , pour lui céder tout le pays situé 
en deçà du fleuve Halys ; il lui offrit, en outre, deux mille talents 
d'ai^ent \ Mais ces offres n'ayant pas été acceptées , Darius fit 
partir une seconde députation chargée de remercier d'abord 
Alexandre des égards qu'il avait eus pour la mère de Darius, 
ainsi que pour les autres captifs, et de lui faire les propositions 
suivantes : les deux rois se considéreraient comme amis; Alexan- 
dre aurait tout le pays en deçà de l'Ëuphrate ; il recevrait trois 
mille talents d'ai^ent et Darius lui donnerait sa seconde fille en 
mariage ; enfin Alexandre , devenu gendre du roi des Perses , 

* Environ soixante>dix ceniimètres. 
» Comparez Quinte-Curce , IV, 9. 

* Onze millions de francs. 

III. 'i^^- 



{ 

2^U DIODORE DE SIQLE. 

prendrait le rang d'un ûls et serait associé à Darius dans le gou- 
vernement de tout Tempire. 

Alexandre réunit tous ses amis en conseil, leur communiqua 
les propositions qui lui étaient faites et invita chacun d*eux i 
émettre franchement son avis. Personne n'osa dire son opinion 
à cause de l'importance de la question , lorsque Parménion , se 
levant le premier, dit : « Si j'étais Alexandre, j'accepterais ces 
propositions et je signerais le traité. — £t moi aussi , reprit 
Alexandre, j'en ferais autant si j'étais Parménion. » Puis, dé- 
veloppant ses projets dans un langage plein de fierté et plaçant 
la gloire bien au-dessus des présents qui lui étaient offerts, il 
rejeta les propositions du roi des Perses, et fit aux envoyés la 
réponse suivante : « De même que deux soleils troubleraient 
l'ordre et l'harmonie de l'univers , de même aussi deux rois ne 
pourraient pas à la fois tenir le sceptre de la terre, sans occasionner 
des troubles et des désordres. Allez dire à Darius que s'il tient 
à être le premier souverain , il aura à me disputer la monarchie 
universelle; mais si, au contraire, méprisant la gloire, il préfère 
vivre au sein du luxe et des plaisirs, qu'il reconnaisse Alexandre 
pour maître, qui permettra alors à Darius de régner ailleurs 
comme son vassal. » Alexandre congédia le conseil, se mit k la 
tête de son armée et s'avança vers le camp de l'ennemi. 

Dans cet intervalle , la femme de Darius mourut ; Alexandre 
lui fit de magnifiques funérailles. 

LV. A la réception de cette réponse ,. Darius perdit tout es- 
poir d'accommodement. II exerçait journellement son année aux 
manœuvres militaires et l'habituait à la discipline. Il détacha 
Mazée , un de ses amis, avec un corps d'élite i)Our garder le 
passage du fleuve et occuper les gués. Il fit partir d'autres dé- 
tachements pour incendier le pays par où les ennemis devaient 
passer ; car il se croyait suffisamment à l'abri derrière le tleuve 
qui, selon lui, devait arrêter la marche des Macédoniens. Mazée, 
voyant que le passage était impossible à cause de la profondeur 
et de la rapidité des eaux du fleuve, négligea de ce côté toute 
défense, et se joignit aux autres détachements pour ravager une 



LIVRE xvir. . 235 

grande partie du pays , dans Tintention de le rendre inaccessi- 
ble aux ennemis par défaut de vivres. Cependant Alexandre, 
arrivé sur les bords du Tigre, apprit de quelques indigènes un 
endroit guéable,.et y fit passer son armée, quoique difficilement 
et avec beaucoup de danger. L'eau allait jusque au-dessus du 
sein et la rapidité du courant, qui ne permettait pas aux jambes 
de se poser solidement, entraînait beaucoup de monde. Les 
eaux du courant , frappant contre les armes, faisaient courir les 
plus grands dangers. Pour combattre la rapidité des eaux, 
Alexandre avait ordonné à tous ses soldats de s'enlacer par les 
mains et d'opposer au courant comme une digue l'épaisseur de 
leurs rangs. Après le passage du fleuve, les Macédoniens se trou- 
vèrent à peu près hors de danger, et l'armée se reposa pendant 
toute cette journée. Le lendemain, Alexandre rangea les troupes 
en bataille, marcha contre l'ennemi et établit son camp à peu de 
distance de celui des Perses. 

LVL Alexandre resta éveillé pendant toute la nuit : il repassait 
dans son esprit les forces des Perses , les dangers qu'il courait 
et l'importance de la bataille qui allait se livrer. Ce ne fut qu'à 
l'heure de la garde du matin qu'il tomba dans un sommeil si 
profond que la lumière du jour ne put l'éveiller. Ses amis virent 
d'abord ceci avec joie , pensant que le roi n'en serait que plus 
dispos aux fatigues de la journée ; mais, lorsque ce sommeil con- 
tinuait à se prolonger, Parménion , le plus ancien des amis du 
roi, donna lui-même les ordres nécessaires pour ranger les 
troupes en bataille. Enfin Alexandre continuant toujours à dor- 
mir, ses amis s'approchèrent de lui et ne parvinrent qu'avec 
peine à l'éveiller; tous témoignant leur surprise d'un tel phéno- 
mène et voulant en connaître la cause , Alexandre leur répon- 
dit : '< En réunissant ses troupes dans un seul point, Darius m'a 
délivré de toutes mes inquiétudes. Une seule journéfe va donc 
décider de tant de fatigues et de périls ^ » Il harangua ensuite 

' On se rappelle que Napoléon dormit d'un prpfond sommeil la veille de la ba- 
taille d'Àuslerlitz. Ce sommeil, pour Pun comme pour l'autre de ces grands capi- 
taines , n'était pas seulement le résultat des fati^^es de l'esprit et du cor^v<i?4<9s^ 



236 DIODORE DE SICILE. 

les chefs et les exhorta, par des discours appropriés, à déployer 
toute leur bravoure. Enfin, à la tête de son armée rangée en ba- 
taille, il se porta sur les Barbares : les escadrons de cavalerie 
étaient en avant des phalanges de Tinfanterie. • 

LVII. [L'armée d'Alexandre était disposée dans l'ordre sui- 
vant.] L'aile droite était occupée par un corps de cavalerie sons 
les ordres de Glitus surnommé le INoir ; près de celui-ci était placé 
Philotas, fils de Parménion, commandant les meilleurs cavaliers 
du roi*; venaient ensuite sept autres escadrons de cavalerie, 
sous les ordres du même général. Derrière cette cavalerie était 
rangée la ligne d'infanterie des argyraspides ' qui se distin- 
guaient par l'éclat de leurs armes et par leur bravoure; ce corps 
était commandé par Nicanor, fils de Parménion. Immédiatement 
après venait la phalange des Élimioles^, sous les ordres de Cœ- 
nus, puis le corps des Orestiens et des Lyncestiens, sous le 
commandement de Perdiccas. Le corps qui venait après était com- 
mandé par Méléagre; à côté de celui-ci étaient placés les Stym- 
phéens , sous les ordres de Polysperchon. Philippe, fils de Bala* 
crus , commandait immédiatement après un corps qui touchait 
à un autre , sous les ordres de Grater. Ces divers corps de cava- 
lerie étaient complétés par la cavalerie des Péloponnésiens, des 
Achéens, des Phthiotes, des Maliens, desLocriens el çles Pho- 
cidiens , sous les ordres d'Érigyius de Mitylène. Au second rang 
était placée , sous les ordres de Philippe , la cavalerie thessa- 
lienne qui l'emportait sur toute autre par l'habileté de ses ma- 
nœuvres. A la suite étaient placés les archers crétois et les mer* 
cenaires de l'Achaïe. La ligne de bataille était en forme de crois- 
sant, afin d'empêcher l'ennemi d'envelopper les Macédoniens, 
si inférieurs en nombre. Pour se garantir de l'action des chars 
armés de faux, Alexandre ordonna aux phalanges d'infanterie 

surtout reflet de cette tranquillité d'àme qui accompagne la conviction de la réus» 
site d'une entreprise habilement combinée. 

* 11 y a dans le texte toùj â/Aouç flXoxjç , let autre* amis. 

" Corps d'élite , qui devait son nom à la blancheur de ses boucliers. Voyez Jus- 
tin , XII , 7 ; Quinte-Curce , IV, 13. 

* Élimie était le nom d'une Tille de Macédoine. 



LIVRE XVIf. 237 

de serrer bouclier contre bouclier, lorsqu'elles verraient les chars 
s'approcher , et de frapper sur ces boucliers avec leurs sarisses, 
afin d'effrayer les chevaux et les faire retourner en arrière. Il 
prescrivit à ses soldats d'ouvrir leurs rangs dans le cas où ces 
chars viendraient à forcer la ligne. Enfin il se mit lui-même à 
la tête de l'aile droite, donna au front une disposition oblique , 
et résolut de braver tous les dangers d'une bataille décisive. 

LVIII. Darius disposa ses troupes par rang de nations, fit 
face à Alexandre et se porta sur les ennemis. Lorsque les deux 
armées étaient en présence l'une de l'autre, les trompettes son- 
nèrent la charge , et les soldats poussèrent un immense cri de 
guerre. D'abord les chars armés de faux, lancés avec force, ré- 
pandaient la terreur dans les rangs des Macédoniens. Mazée, à 
la tête de la cav^erie de Darius , disposée par escadrons épais , 
• secondait, par une attaque simultanée, l'action de ces chars. Mais 
les Macédoniens , conformément aux ordres du roi , serraient 
l)Ouclier contre bouclier, suf lesquels ils frappaient avec leurs 
sarisses de manière à produire un bruit épouvantable. Effi^ay^s 
par ce bruit, les chevaux attelés aux chars s'emportèrent, et, 
rebroussant chemin, portèrent le désordre dans les rangs même 
des Perses. Cependant quelques autres chars allaient tomber sur 
les phalanges macédoniennes, mais les soldats, ouvrant large- 
ment leurs rangs, les laissèrent passer; parmi ces chars, les 
uns furent abîmés de coups, les autres échappèrent, quelques- 
uns, lancés avec force , atteignirent les rangs ennemis , et les 
lames de fer causèrent divers genres de mort ; car ces instru- 
ments meurtriers coupaient aux uns les bras entiers encore ar- 
més de leur bouclier, aux autres ils tranchaient le cou et fai- 
saient rouler à terre les tètes ayant encore les yeux ouverts et 
conservant l'aspect de la physionomie ; d'autres enfin étaient cou- 
pés par le milieu des reins et expiraient sur-le-champ. 

LIX. Cependant les deux armées s'étaient approchées de plus 
en plus, et lorsque les archers et les frondeurs eurent épuisé 
leurs armes , on en vint à un combat corps à corps. L'action 
s'engagea d'abord entre la cavalerie de l'aile droite des Macé- 



238 DIODORE DE SICILE. 

doniens et la- cavalerie de Taile gauche des Perses commandée 
par Darius, qui avait pour compagnons d'armes ses parents, for* 
mant un escadron d'élite de mille cavaliers, tous distingués par 
leur valeur et leur aiïection pour la personne du roi , témoin de 
leur courage. Cet escadron d'élite, recevant avec fermeté la 
grêle de traits dirigés contre Darius , était soutenu par les m^- 
lophares * nombreux et courageux. Près d'eux se trouvaient les 
Mardes et lesCosséens, admirés pour leur taille et leur intrépidité. 
Ce corps était lui-même soutenu par les gardes du roi et par les 
meilleurs soldats indiens. Toutes ces troupes , poussant de grands 
cris, tombèrent sur l'ennemi, se battirent vaillamment et acca- 
blèrent de leur nombre les Macédoniens. De son côté Mazée, 
qui avait sous ses ordres l'aile droite , composée des meilleurs 
cavaliers perses , fit , dès la première décharge , perdre beau- 
coup de monde aux Macédoniens. Il détacha ensuite un corps de ' 
cavalerie d'élite de deux mille Gadusiens et de mille Scythes, 
qui avaient reçu l'ordre de tourner l'aile gauche de l'ennemi , 
de se diriger sur le camp et de se rendre maîtres des bagages. 
Cet ordre fut promptement exécuté. Le détachement perse pé- 
nétra dans le camp des Macédoniens, et quelques prisonniers, 
saisissant des armes, aidèrent les Scythes à piller les bagages. 
Cette attaque imprévue jeta la perturbation dans tout le camp. 
Les captives qui s'y trouvaient se joignirent aux Barbares; mais 
la mère de Darius, Sisyngambris , ne se laissa point entraîner 
par les autres captives : elle se tint sagement en repos, soit 
qu'elle se méfiât des caprices de la fortune, soit qu'elle eût une 
recoimaissance réelle pour les bontés d'Alexandre. Enfin, les 
Scythes, ayant pillé une grande partie des bagages, rejoignirent 
au galop Mazée et lui rapportèrent la nouvelle de leur succès. 
Pareillement , la cavalerie rangée autour de Darius avait accablé 
par son nombre les Macédoniens qui lui étaient opposés et les 
avait forcés à prendre la fuite. 

* M>7>o^d|00t,porte-pomraes. Ils étaient ainsi appelés à cause d'une pomme d'or 
qui ornait l'une des extrémités de leurs lances. C'était un corps d'élite du roi des 
Persos. 



LIVRE XVII. 239 

LX. C'était là un second succès que les Perses venaient de 
remporter. Jaloux de réparer par lui-même ce<iouble échec, 
Alexandre se mit à la tête de l'escadron royal , et , avec l'élite 
de ses cavaliers, se porta droit sur Darius. Le roi des Perses 
reçut le choc de l'ennemi : il combattit du haut de son char, et 
lança ses javelots contre les assaillants; beaucoup de guerriers 
se battaient à ses côtés. RaGn les deux rois se portèrent l'un sur 
l'autre. Alexandre lança son javelot contre Darius , mais il le 
manqua, atteignit le cocher du roi et le renversa ^ A cette chute, 
les gardes de Darius jetèrent des clameurs ; les soldats placés un 
peu plus loin crurent que c'était le roi lui-même qui venait de 
tomber ; ils commencèrent les premiers la fuite , et leur exem- 
ple gagna de proche en proche tous les rangs de i' armée de 
Darius, qui fut rompue. Enfin , un des côtés du char étant dé- 
garni de défenseurs, le roi lui-même, saisi de frayeur, se livra 
à la fuite. Un nuage de poussière s'éleva sous les pas des che- 
vaux qui emportaient les fuyards, et sous les pas de la cavalerie 
d'Alexandre qui les poursuivait; ce nuage était si épais qu'il 
fut impossible de voir dans quelle direction Darius s'était enfui. 
L'air retentissait du gémissement des mourants, du bruit des 
chevaux et du claquement continuel des fouets. Pendant que 
ces choses se passaient, Mazée, qui commandait l'aile droite de 
l'armée des Perses, tomba avec une nombreuse cavalerie d'élite 
sur les rangs opposés de l'ennemi. Parménion , à la tête de la 
cavalerie thessalienne et de ses compagnons d'armes, soutint le 
choc de l'ennemi ; lui et ses cavaliers thessalicns firent des pro- 
diges de valeur, mais Mazée accabla par le nombre et l'épaisseur 
de ses escadrons la cavalerie macédonienne. Le carnage fut ter- 
rible \ près de céder à l'impétuosité des Barbares , Parménion 
envoya quelques-uns de ses cavaliers auprès d'Alexandre pour 
le prier de venir promptement à son secours. Ces cavaliers par- 
tirent bien vite ; mais lorsqu'ils apprirent qu'Alexandre s'était 
éloigné du champ de bataille pour se mettre à la poursuite de 

' Comparez Quinte-Cnrce , IV, 16. 



260 nTOIX)RE DE SICILE. 

rennemi, ils revinrent sans avoir rempli leur mission*. Panne- 
nion , se servant alors de ses escadrons thessaliens avec toute 
Texpérience d'un habile général, parvint, non sans peine, à cul- 
buter les Barbares, terriûés par la fuite de Darius. 

LXI. Darius, en homme initié dans la stratégie, proGta du 
nuage de poussière qui s'élevait du champ de bataille, et n'exé- 
cuta pas sa retraite comme les autres Barbares : il partit dans 
une direction opposée et parvint, caché par le nuage, à s*enfuir 
sans danger et à se sauver avec tous ses satellites dans les villa- 
ges situés sur les derrières de l'armée macédonienne. £nGn , 
tous les Barbares avaient pris la fuite, et les Macédoniens attei- 
gnant les traînards les passèrent au fil de Tépée ; tous les envi- 
rons du champ de bataille étaient jonchés de morts. Les Barba- 
res perdirent dans cette bataille plus de quatre-vingt-dix mille 
hommes -, tant de cavalerie que d'infanterie ; les Macédoniens 
ne comptaient que cinq cents morts, mais ils avaient un très- 
grand nombre de blessés, parmi lesquels se trouvait un des 
généraux les plus célèbres, Hephaestion , qui commandait les 
gardes du corps du roi; il avait été atteint au bras d'un coup 
de lance. Les généraux Perdiccas, Cœnus, JMénidas, et quelques 
autres non moins distingués, étaient également au nombre des 
blessés. Telle fut l'issue de la bataille d'Arbcles. 

LXn; Aristophane étant archonte d'Athènes, Caïus Domitius 
et Aulus Cornélius furent revêtus à Rome de l'autorité consu- 
laire ^ Dans cette année, la nouvelle de la bataille d'Arbèles fut 
apportée en Grèce. Beaucoup de villes voyant avec défiance 
l'accroissement des Macédoniens, ne renonçaient pas encore à 
l'espoir de recouvrer leur indépendance , tant que les affaires 
des Perses ne seraient pas tout à fait désespérées. Elles coœp- 
taieut encore sur le secours de Darius, persuadées qu'il leur 
fournirait de l'argent afin de pouvoir enrôler un grand nombre 



• C'est ce que nient Anien , III , 15 , et Quinte-Curce. 

' Ce nombre diffère considérablement de celui que donnent Arrien et Quinte* 
Curce. 

• Troisième année de la cxii* olympiade; année S30 avant J.-C. 



L'IVRE XV ri. 2/1I 

de iiierceuaircs. Elles pensaient aussi qu'Alexandre ne serait pas 
en état de diviser ses forces; mais ces villes étaient surtout con- 
vaincues qu'en laissant les Perses succomber, les Grecs isolés ne 
seraient plus assez forts pour défendre leur indépendance. Ce 
qui contribuait encore à entretenir cet esprit de révolte , c'était 
l'état incertain de la Thrace qui était alors près de s'insurger. 
IVlemnon , gouverneur militaire de la Thrace , homme ambi- 
tieux et possédant une armée, poussa les Barbares h l'insur- 
rection. S'étant ainsi révolté contre Alexandre, il mit bientôt 
sur pied de nombreuses troupes et lui déclara ouvertement 
la guerre. Ântipater se mit aussitôt à la tête de toute son armée, 
traversa la Macédoine, pénétra en Thrace et combattit Mem- 
non. Les choses en étaient là, lorsque les Lacédémoniens, croyant 
le moment propice pour se préparer à la guerre, appelèrent 
les Grecs à la liberté. Les Athéniens qui, de tous les Grecs, étaient 
ceuxqui avaient reçu d'Alexandre leplus de témoignages d'estime, 
ne bougèrent pas. Mais la plupart des Péloponnésiens, et quel- 
ques autres peuples, se rangèrent du côté des Lacédémoniens ; 
ils décrétèrent des contingents de troupes en raison de la popu- 
lation de chaque ville ; ces contingents étaient composés de jeu- 
nés gens d'élite, formant une armée d'au moins vingt mille fan- 
tassins et d'environ deux mille cavaliers. Les Lacédémoniens 
étaient à la tête de cette ligue , décidée à tout , et le roi Agis 
avait le commandement en chef des troupes. 

LXIIL En apprenant cette ligue des Grecs , Antipater mit 
aussitôt fln à la guerre de Thrace et s'avança avec toute son 
armée vers le Péloponnèse. A cette armée vinrent se joindre les 
alliés grecs, et Antipater réunit ainsi un total d'environ quarante 
mille hommes. Il s'engagea un grand combat dans lequel Agis 
perdit la vie. Les Lacédémoniens se défendirent longtemps avec 
opiniâtreté, mais leurs alliés ayant été battus, ils se retirèrent 
eux-mêmes à Sparte. Les Lacédémoniens, avec leurs alliés, per- 
dirent dans cette bataille plus de cinq mille trois cents hommes; 
Antipater comptait trois mille cinq cents morts. Une circon- 
stance particulière signala la mort d'Agis. Après une brillante 

llî. 'IX 



2/^2 DIODORE DE SICaE. 

défense, il tomba couvert de blessures, toutes reçues par devant 
Ses soldats se disposaient à le transporter à Sparte ; mais Agis, 
sur le point d'être pris par Tennemi, et désespérant de son salut, 
ordonna aux soldats de se retirer au plus vite et de conserver 
leurs jours pour le service de la patrie. Puis, il revêtit ses ar- 
mes, mit un genou en terre, se défendit contre les ennemis, en 
tua quelques-uns à coups de lance, et rendit la vie. Il avait ré- 
gné neuf ans. Après avoir jeté un coup d'œil sur les événements 
qui se sont passés en Europe, nous allons reprendre en détail 
rhistoire de TAsie. 



SECONDE PAKTIE. 

LXIY. Vaincu à la bataille d' A rbèles, Darius chercha un re- 
fuge dans les satrapies de TAsio supérieure ; il avait hâte de pro- 
fiter de la distance des lieux pour se reconnaître et gagner asseï 
de temps |)our mettre sur pied une nouvelle armée. Il arriva 
d*abord à Kcbatane en Médie ; il s*y arrêta, recueillit les fuyards 
et fourjnt des armes à ceux qui en étaient dépourvus. Il tira des 
soldats des nations voisines et envoya des messagers aux géné- 
raux ainsi qu'aux satrapes de fiactres et de TAsie supérieure, 
les engageant à lui rester fidèles. 

Alexandre, victorieux, rendit à ses morts les derniers devoirs. 
Il entra ensuite à Arbèles oiî il trouva des provisions en abon- 
dance, ainsi que des objets précieux ; le trésor des Barbares et 
trois mille talnits d'argenté Songeant que l'air ne tarderait pas 
à devenir inlVct en raison de la grande quantité de cadavres gi- 
sant sur le sol, il leva son camp et marcha avec toute son armée 
sur Babylone. Les Macédoniens furent très-bien accueillis par 
les habitants qui les traitaient splendidement dans leurs loge- 

^ Seize millions cinq cent mille francs. 



LIVRE XVII. 5û3 . 

ments. Les troupes furent ainsi dédommagées de leurs souffran- 
ces. Alexandre resta plus de trente jours à Babylone au milieu 
de l'abondance des vivres et choyé par Thospitalilé des habi- 
tants. Il confia la garde de la citadelle à Agathon le Pydnéen, 
avec sept cents soldats macédoniens. ApoUodore d'Amphipolis et 
Menés de Pella, furent nommés gouverneurs militaires de la 
fiabylonie et des satrapies qui s'étendent jusqu'à la Cilicie ; ils 
reçurent mille talents d'argent, avec l'ordre d'enrôler le plus 
grand nombre possible de soldats étrangers. Alexandre donna le 
gouvernement de l'Arménie à Mithrinès, qui avait livré la cita- 
delle de Sardes. Ënfm sur l'argent pris à l'ennemi , il donna à 
chaque cavalier six mines * , à chaque cavalier des alliés cinq ^ , 
et deux à chaque homme de la phalange macédonienne \ Quant 
aux soldats étrangers, il les gratifia de deux lîiois de solde. 

LXV. Le roi partit de Babylone, et pendant sa route il fut 
rejoint par cinq cents cavaliers macédoniens et six mille fantassins 
envoyés par Antipater. Il reçut, en outre, six cents cavaliers 
thraces, trois mille cinq cents Tralles, quatre mille fantassins et 
un peu moins de mille cavaliers, tirés du Péloponnèse ; enfin , 
cinquante jeunes gens , fils des amis du roi, et envoyés par leur 
père pour servir de garde à Alexandre. Après avoir reçu ces 
troupes, le roi continua sa marche et atteignit en six jours 
Téparchie de Sittace. Comme cette contrée était riche en subsi- 
stances, il y séjourna plusieurs jours, tant pour remettre ses trou- 
pes des fatigues de la route, que pour réorganiser son armée; il 
promut des officiers à des grades supérieurs et augmenta la force 
de l'armée par le nombre des soldats et la bravoure des chefs. 
Après avoir terminé ces dispositions, et soigneusement ap- 
précié le mérite de ces officiers , Alexandre confia à un grand 
nombre d'entre eux des pouvoirs étendus, et en ajoutant à leur 
considération , il se les attachait fortement. Il étendit aussi 
ses soins aux simples soldats, pourvut à tous leurs besoins et 

* Cinq cent cinquante francs. 

' Environ quatre cent soixante francs. 

' Environ cent quatre-vingt-dix francs. 



2(\ti DIODORE DE SICILE. 

améliora leur position. Ainsi il s'assura le dévouement de toute 
Tarmée, et, pouvant compter sur robéissance et la bravoure de 
ses soldats , il se prépara à de nouveaux combats. 

Alexandre entra dans la Susianc et s*empara sans coup férir du 
fameux palais du roi à Suse : le satrape Abulète avait livré la ville 
volontairement, ou, selon quelques historiens, d'après les ordres 
que Darius lui-même avait donnés à ses afiidés. On ajoute que 
le roi des Perses en avait agi ainsi afm qu'Alexandre , nue fois 
en possession des villes les plus célèbres et des immenses trésors 
de Tempire, vécût subjugué par les plaisirs , au sein de l'oisi- 
veté, et laissât à Darius en fuite le temps de se préparer à une 
nouvelle campagne. 

LXVI. Maître de Suse, Alexandre s'empara des trésors ren- 
fermés dans le palais, et y trouva plus de quarante mille talents 
en or et en argent non monnayés \ Ce trésor était, de temps 
immémorial, conservé intact par les rois, comme une ressource 
qui pouvait leur servir dans des cas de revers inattendus. Indé- 
pendamment de ces richesses , il y avait encore neuf mille ta- 
lents d'or en monnaie de dariques ^. 

Au moment où le roi prit possession de ces trésors, il arriva 
un incident singulier. Le roi s'étant assis sur le trône royal, 
il se trouva que ce siège était trop haut pour la taille d'Alexandre ; 
un des serviteurs voyant que les pieds du roi étaient loin de tou- 
cher au dernier degré du trône , prit la table de Darius et la 
plaça sous les pieds d'Alexandre. Le roi se montra content de ce- 
lui qui avait trouvé ce moyen ingénieux. Mais un des eunuques 
assistant au trône , profondément ému de cette vicissitude du 
sort, versa des larmes. Alexandre s'en étant aperçu : « Quel mal- 

' Envirun deux cenl viDgl millions de francs (en talents attlques). 

' Sept cent soixante-deux millions sept cent cinquante mille francs; le talent 
d'or valant quatre-vingt-qnatre mille sept centcinquante francs. Miot, trouvant cette 
somme exagérée, propose de lire au lieu de talents d'or, talents d'argent, ce qui 
ne ferait que quarante-neuf millions cinq cent mille francs. Je n^ai pas adopté 
rctle correction ; car je ne trouve ici rien d'exagéré dans l'évaluation du trésor du 
plus riche souverain de la terre. La somme de 762,750,(^00 francs, qui formait, 
pour ainsi dire, lo irésor de réserve des rois de Perse ( ^oè; rà izxpiyoyoi rvf^ 
Tv^-c-; i'.yry.f'jy/t ). est encore loin d'atteindre le chiffre du iMidget de la France. 



LIVRE XVII. 2^5 

heur, lui dit-il, t*est-il arrivé pour que lu pleures? — Je suis 
maintenant ton esclave , répondit Teunuque ; je l'étais naguère 
de Darius ; comme j*aime mes maîtres, je gémis de voir un 
meuble auquel Darius attachait le plus grand prix, servir main- 
tenant à un si vil usage. » Rappelé par ces paroles au souvenir 
du revers que venait d'éprouver l'empire des Perses , Alexan- 
dre se reprocha d'avoir commis un acte d'un orgueil insultant 
ot qui n'était guère en harmonie avec les égards qu'il avait eus 
pour les captives. Il rappela donc celui qui avait apporté la table 
et lui ordonna de la retirer. Mais Philotas, placé à côté du roi , 
h]i dit : « Il n'y a pas là d'insulte, le fait s'est passé sans ton or- 
dre et par l'inspiration de quelque bon génie. » Le roi accepta 
l'augure, et ordonna de laisser la table au pied du trône. 

LXVII. Alexandre laissa à Suse la mère, les filles et le fils de 
Darius, et leur donna dés maîtres pour leur enseigner la langue 
grecque. Puis, il se remit en route avec son armée, et dans qua- 
tre jours il arriva aux bords du Tigre *. Ce fleuve prend sa source 
dans les monts Uxiens , parcourt d'abord un pays montueux et 
hérissé de précipices, dans un espace de mille stades ; il tra- 
verse ensuite un pays plat où son cour^ se ralentit, et, après un 
trajet de six cents stades, il se jette dans la mer de Perse. 
Alexandre franchit le Tigre, et entra dans le pays des Uxiens, 
contrée fertile en fruits de toute espèce, et arrosée par des sour- 
ces abondantes. C'est de ce pays que les marchands descendant 
le Tigre apportent à Babylone ces masses variées de fruits bien 
mûris par la chaleur d'automne et employés aux plaisirs de la ta- 
ble. Alexandre trouva les passages de celte contrée occupés par 
Madetès ; c'était un parent de Darius, qui avait avec lui une armée 
considérable. Pendant que le roi examinait la position des lieux 
et voyait que ces défilés étaient impraticables, un naturel du pays, 
Uxien d'origine, et connaissant parfaitement les localités, offrit au 
roi de conduire, par un sentier étroit et difficile, un détachement 
de l'armée macédonienne et de le faire arriver à un poste qui 

' Ces! le Puiitigre dont il est ici question. Voyez Arricn , III, 17; et Quinio- 
Curce, V, 3. 

HT. •XN . 



2/|6 DIODORE DK SICIL£. 

dominerait les enoeinis. Alexandre accepta cette offre : il fit partir 
avec ce ^uide un détachement saflSsant, tandis que lui-même, 
pour se frayer le passage, attaqua les postes qui en gardaient 
l'entrée. Il s'engagea une action très-vive, et tandis que les Bar- 
bares étaient exclusivement occupés à ce combat , le détache- 
ment envoyé par le sentier se montra inopinément sur les hau- 
teurs qui dominent les postes gardant l'entrée du défilé. Les 
Barbares saisis de frayeur se mirent en fuite ; Alexandre s'em- 
para du défilé et bientôt après de toutes les villes de l'Uxiane. 

LXVIII. Alexandre s'avança ensuite vers la Perse et arriva 
cinq jours après aux roches Susiades. Ce déûlé était occupé par 
Ariobarzane, ayant sous ses ordres vingt-cinq mille hommes 
d'infanterie et trois cents cavaliers. Le roi , persuadé de forcer 
facilement le passage, traversa sans encombre un pays mon- 
tueux et rempli de précipices. Les Barbares le laissèrent ainsi 
s'avancer un peu ; mais, lorsqu'il eut atteint le milieu du défilé, 
les Barbares l'attaquèrent soudain , en faisant rouler du haut 
des montagnes des quartiers de roche qui écrasaient un grand 
nombre de Macédoniens ; quelques autres lançaient , du som- 
met des rochers, leurs javelots sur les phalanges compactes dont 
l'épaisseur leur offrait un but certain ; d'autres, enfin, repous- 
saient à coups de pierres les Macédoniens qui tentaient de gravir 
les hauteurs. Ce fut ainsi que, grâce à la nature du terrain, les 
Barbares eurent le dessus, en tuant ou en blessant un grand nom- 
bre de Macédonrens. Dans cette position sans remède, Alexan- 
dre, voyant qu'il perdait beaucoup de soldats et que presque 
tous les siens étaient blessés, tandis que les ennemis ne comp- 
taient pas un mort , ni même un blessé , fit sonner la retraite. 
Il revint donc à trois cents stades^ en arrière, fil faire halte et 
demanda aux naturels du pays s'il n'y avait pas d'autre pas- 
sage. Tous lui répondirent qu'il n'y en avait pas d'autre, à moins 
de faire un détour de plusieurs journées de marche. Pensant 
qu'il serait honteux de laisser ses morts sans sépulture , il réso- 
lut d'interroger tous les prisonniers avant de demander la per- 

' Quinte-Curce ,y, 3 , ne parle que de trente stades. 



LIVRE XVII. 247 

mission hainiliaiile d'enlever les morts, ce qui aurait élé l'aven 
d'une défaite. Parmi ces prisonniers , il y en eut un qui parlait 
les deux langues, le grec et le persan. Cet homme raconta qu'il 
était Lycicn d'origine , qu'il avait été fait prisonnier de guerre 
et qu'il avait gardé, pendant plusieurs années, les troupeaux 
dans les montagnes, et que, connaissant parfaitement le pays, il 
pouvait conduire Farmée par un chemin«boisé sur les derrières 
des Barbares qui gardaient le défilé. Le roi promit à cet homme 
de grandes récompenses, et, se servant de ce guide, il profita de 
la nviit pour prendre un chemin de montagne très-difiicile, cou- 
vert de neige, garni de fondrières et de nombreux précipices. 
£nGn il se montra à l'improviste à l'avant-garde de l'ennemi 
qu'il passa au fil de l'épée ; il tomba ensuite sur la seconde 
garde et en fit tous les hommes prisonniers, puis sur la troi- 
sième qu'il mit en fuite; enfin il resta maître du défilé, après 
avoir détruit la plus grande partie des troupes d'Ariobarzane. 

LXIX. Alexandre se dirigea ensuite sur Persépolis. Pendant 
sa marche, il reçut une lettre de Téridate, gouverneur de cette 
ville , qui lui mandait que , dans le cas où il devancerait les 
troupes chargées par Darius de la défense de Persépolis, il se 
rendrait facilement maître de la ville. Alexandre pressa donc sa 
marche , jeta un pont sur l'Araxe et y ût passer son armée. Le 
roi poursuivait ainsi sa route, lorsqu'un spectacle aussi étrange 
qu'affreux s'offrit à ses regards, spectacle inspirant l'horreur 
contre ceux qui en étaient les auteurs, et la commisération 
pour de malheureuses victimes. Le roi vit venir à sa rencontre 
environ huit cents Grecs, en habit de suppliants : ils avaient 
été réduits à l'esclavage par les prédécesseurs de Darius. Ces 
malheureux , pour la plupart déjà avancés en âge , étaient tous 
mutilés : les uns avaient les mains coupées ; les autres les pieds; 
d'autres les oreilles et le nez ; ceux qui savaient quelque métier 
ou quelque industrie , on ne leur avait laissé que les membres 
nécessaires pour l'exercice de leur étaL La vue de tous ces in- 
fortunés, respectables par leur âge et par leurs souffrances, excita 
au plus haut degré la sympathie d'Alexandre, qui ne put rete- 



2US DIODORE DK SICILE. 

nir ses larmes. Tous suppliaient à grands cris Alexandre de les 
soulager de leurs maux. Le roi appela près de lui les chefs de 
celle troupe, leur promit qu*il aurait grand soin d*cux, et, dans 
sa magnanimité, il songeait à les faire ramener dans leur patrie. 
Mais ces infortunés, après s*èlrc réunis et consultés entre eux , 
déclarèrent quMIs aimaient mieux demeurer là où ils étaient que 
de retourner dans leur patrie. « Car , disaient-ils , une fois de 
retour dans notre pays , nous serons dispersés dans différentes 
villes et notre misère ne sera partout qu'un objet de risée. Vi- 
vant au contraire en commun , ayant tous le même sort , nous 
trouvons dans notre infortune des consolations réciproques. » 
Telle fut la réponse qu'ils apportèrent au roi qu'ils priaient seu- 
lement de leur accorder aide et protection. Approuvant cette 
résolution , Alexandre ût distribuer à chacun d'entre eux trois 
mille drachmes S cinq vêtements d'homme et autant de vête- 
ments de femme, deux couples de bœufs, cinquante moutons et 
cinquante médimnes de froment. Il les exempta de tout impôt 
royal et ordonna aux gouverneurs de veiller à ce qu'il ne fût 
fait de mal à aucun d'entre eux. Tels furent les bienfaits dont 
Alexandre, cédant à son bon naturel, combla ces infortunés. 

LXX. Alexandre signala aux Macédoniens Persépolis, métro- 
pole de l'empire perse , comme la ville la plus ennemie des 
Grecs, et la livra, à l'exception du palais des rois, au pillage 
des soldats. Persépolis était alors la ville la plus riche qu'il y eût 
sous le soleil; les maisons des particuliers renfermaient toute 
sorte de richesses, accumulées depuis un temps immémorial ; les 
Macédoniens y pénétrèrent , massacrant tous les hommes sur 
leur passage, et pillèrent les habitations pleines de meubles 
et d'objets précieux. Une masse d'argent et d'or , une immense 
quantité de riches vêlements , les uns teints en pourpre de mer, 
les autres tissus d'or , devinrent la proie des soldats , ou plutôt 
le prix de leur bravoure. Enfin, cette grande et si fameuse rési- 
dence des rois fut ainsi livrée aux insultes du soldat et vouée 
à une destruction complète. Une journée entière de pillage ne 

* Plus de deux mille sept cents francs. 



LIVRE XVII. 249 

suffisait pas aux Macédoniens insatiables de butin; leur cupidité 
était telle qu'ils se battaient entre eux , et un grand nombre de 
ceux qui voulaient s'approprier une part trop large furent tués. 
Quelques-uns se servaient de leurs épées pour couper des mor- 
ceaux d'étoiïes précieuses et emportaient leiu' part; d'autres, 
transportés par la rage, coupaient les mains qui tenaient les objets 
disputés. Les femmes étaient violemment enlevées avec tous leurs 
ornemenis et vendues comme esclaves. Le sort de Persépolis fut 
donc aussi malheureux que sa prospérité avait été grande. 

LX\I. Alexandre visita la citadelle et prit les trésors qui 
s'y trouvaient. Ces trésors , provenant des revenus accumulés 
depuis Cyrus , premier roi des Perses , jusqu'à celte épo- 
que, étaient pleins d'argent et d'or. Ils contenaient la valeur 
de cent vingt mille talents S eu réduisant l'or à la valeur de 
l'argent. Le roi , qui avait l'intention d'emporter avec lui une 
partie de cet argent pour les besoins de la guerre , d'en dé- 
poser l'autre partie à Suse, ût venir de Babylone, de la Méso- 
potamie , et même de Suse , une multitude de mulets , tant de 
bât que de train , et trois mille chameaux pour faira transporter 
tout l'argent dans les lieux désignés. Car il connaissait les dis- 
positions hostiles des naturels du pays, et se méfiait d'eux; 
il était d'ailleurs décidé h renverser Persépolis de fond en 
comble. 

Nous ne croyons pas hors de propos de dire ici un mot des 
palais magnifiques que renfeniiait cette ville. La citadelle était 
considérable ; elle était entourée d'une triple enceinte; la pre- 
mière, construite à grands frais , avait seize coudées de haut et 
était garnie de créneaux ; la seconde enceinte , de même con- 
struction que la première, avait le double de hauteur; enfin la 
troisième, de forme carrée, avait soixante coudées de haut; bâ- 
tie en granit , elle semblait par sa solidité défier le temps. Cha- 
cun des côtés avait des portes d'airain , et près de ces portes 
étaient des palissades de même métal , de vingt coudées de haut , 
tant pour inspirer de la terreur que pour assurer la défense. Au 

' Six tM-m soix.ifiic millions de fraucs. 



250 nioDORF ns Sicile. 

lc\ani, à quatre piothres oiiviroii delà citadelle, se trouve le mont 
Royal où sont les tomhoaux des rois. C*est un rocher taillé dont 
rintéricnr renferme plusieurs compartiments où étaient déposés 
les cercueils. Aucun passage , fait par la main de Tliomme, n'y 
donnait aeeès: c'est au moyen de machines artificiellement con- 
struites (pie [es corps étaient descendus dans les tombeaux. Quant 
à l'intérieur de la citadelle, on y voyait plusieurs appartements 
richement meublés, ei destinés h loger les rois et les chefs de 
Tannée. La chambre oi'i se conservaient les trésors était très-so- 
lidement construite. 

LXXll. Alexandre, célébrant les victoires qu'il avait rem- 
portées , offrit aux dieux de pompeux sacrifices, et prépara à 
ses amis de s|)lendides festins. Des courtisanes prirent part à ces 
banipieis, les libations se |)rol()ngèrent , et la fureur de l'ivresse 
s'empara de l'esprit des convives. Une des courtisanes admises 
à ces bancpiets, Thaïs, née dans l'Attiqne , se mit alors à dire 
qu'un des plus beaux faits dont Alexandre pourrait s'illustrer en 
Asie , serait de venir avec elle et ses compagnes inctMulier le 
palais des vins, et de faire disparaître ainsi en un clin d'œil, 
par des mains de femme, ce fameux monument des Perses. 
Ces paroh's, s'adressant à des hommes jeunes auxquels le vin 
avait déjà ôté l'usage de la raison , ne pouvaient manquer leur 
effet : l'un d'eux s'écria qu'il se mettrait à la tête, et qu'il fal- 
lait allumer des torches et venger les outrages que les temples 
des (irecs avaient jadis reçus de la part des Perses. Les autres 
con>ives y applaudirent, s'écriant qu'Alexandre seul était digne 
de commettre un tel exploit. Le roi se laissa entraîner, et tous 
lescon\ives, se précipitant hors de la salle du festin, promirent 
à Bacchus d'exécuter une danse triomphale en son honneur. 
Aussitôt on apporta une multitude de torches allumées, et le roi 
s'avança à la tète de cette troupe de Bacchantes conduite par 
Thaïs : la marche s'ouvrit au son des chants , des fliîtes et des 
chalumeaux de ces courtisanes enivrées. Le roi et, après lui, Thaïs, 
jetèrent les premières torches sur le palais; les autres suivirent 
cet exemple , et bientôt tout l'emplacement de l'édiQce ne fut 



LIVRE xvn. 251 

qu'une immense flamme. Ce qu'il y a de plus singulier , c'est 
que l'insulte que Xerxès, roi des Perses, avait faite aux Athé- 
niens en brûlant leur citadelle, fut ainsi , au bout de tant d'an- 
nées , vengée au milieu d'une fôte , par une simple femme , ci- 
toyenne de la même ville d'Athènes. 

LXXIII. Alexandre partit de Persépolis et se dirigea sur les 
autres villes de la Perse : il prit les unes d'assaut et subjugua les 
auties par sa clémence ; puis , il se remit sur les traces de Darius. 
O'iui-ci essayait de rassembler les troupes de la Bactriane et des 
autres satrapies de TAsie supérieure. Serré de près par l'ennemi, 
il allait se réfugier à Bactresavec trente mille hommes, tant Per- 
ses que mercenaires grecs, lorsqu'au milieu de sa retraite il fut 
arrêté par Bessus, satrape de Bactres, et assassiné. Darius n'était 
déjà plus, pendant qu'Alexandre le poursuivait encore avec sa 
cavalerie; enfin, trouvant Darius mort, il s'empara de son corps 
v.i l'honora de la sépulture royale. Au rapport de quelques histo- 
riens, Darius respirait encore au moment où Alexandre le sai- 
sit , et ce dernier fut pris de commisération à l'aspect de tant 
d'infortune; et, sommé par les dernières paroles de Darius de 
punir ce meurtre , il se mit aussitôt à la poursuite de Bessus. 
Mais le meurtrier, qui avait beaucoup d'avance sur Alexandre, 
s'était réfugié dans l'intérieur de la Bactriane. Alexandre , re- 
nonçant à l'espoir de l'atteindre , revint sur ses pas. Tels sont 
les événements arrivés en Asie. 

En Europe, les Lacédémoniens , vaincus dans une grande ba- 
taille , furent réduits à traiter avec Antipater. Mais celui-ci leur 
répondit qu'il s'en rapporterait à la décision de l'assemblée gé- 
nérale des Grecs. Cette assemblée fut convoquée à Corinthe , et , 
après plusieurs discours prononcés de part et d'autre, les mem- 
bres arrêtèrent de remettre l'affaire intacte à la décision d'Alexan- 
dre. Antipater prit en otage cinquante Spartiates choisis parmi 
les citoyens des plus illustres. Les Lacédémoniens envoyèrent 
des députés en Asie pour solliciter d'Alexandre le pardon de leurs 
torts. 

LXXIY. L'année étant révolue, Céphisophon fut nommé ar- 



*2."»J hlODOÎSi: l>K SICILE. 

chunto (rAlliêiU'S, el les Romains «''iiiront pour consuls Caîus Va- 
lérius et Marcus Cluiidius'. Dans cette année , Bessus , après la 
mort (le Darius, se réfugia au fond de la Bactriane avec Nabar- 
%ane, Barxaente et plusieurs autres complices, afin de se sous- 
traire aux mains d'Alexandre. Nommé satrape de cette contrée 
par Darius, et connu en cette qualité des populations qu'il gou- 
vernait, il appela les habitants aux armes pour défendre leur li- 
berté. Il leur r( |)résentait que la nature du pays, d'un accès dif- 
ficile , seconderait leurs eflbrts et que d'ailleurs les populations 
étaient assez nombreuses pour défendre leur indépendance. Il 
déclara ([n'il conduirait lui-même la guerre ; il harangua suifi- 
sanmient la multitude et se proclama lui-même roi. Bessus leva 
donc des troupes, lit fabriquer des armes et travailla active- 
ment à tous les niovens de défense. 

Cependant Alexandre, voyant que les Macédoniens considé- 
raient la mort de Darius comme la fin de l'expédition, et qu'ils 
s'étaient mis dans la tête de retourner dans leur patrie , con- 
voqua une assemblée où, par des paroles appropriées , il décida 
les soldats à le suivre dans de nouvellt's entreprises. Il rassembla 
ensuite les troupes auxiliaires que lui avaient fournies les villes 
grecques alliées, lit l'éloge de leur conduite et les congédia après 
avoir donné à chaque cavalier un talent d'argent- et à chaque 
fantassin dix min( s l Indépendamment de ces récom|)enses , il 
leur paya la solde qui leur était due, et leur fournit les moyens 
de rentrer dans leurs foyers. Knfm, il donna trois talents h tous 
ceux qui préféraient continuer à servir le roi. En honorant les 
soldats de grandes récompenses, Alexandre obéissait à ses in- 
stincts généreux : il s'était aussi rendu maître d'immenses ri- 
chesses par la poursuite de Darius: les trésoriers lui avaient re- 
mis huit mille talents; indépendamment de cette somme, lout 
ce qu'il avait distribué aux soldats, y compris les coupes d'or et 
autres objets précieux, s'élevait à plus de treize mille talents. Si 

' Quatriûinc aniii'c de la cxii* olMiijiiadc: aiiiu-e Z'i9 a%uiit J.-t. 
' Cinq mille cinq eent* ficuu'-i. 
* NVuf cent dix-nouf francs. 



LIVRR XVTI. 253 

Fon voulait compter tout ce qui a été dérobé el pillé, on dépas- 
serait de beaucoup ces sommes. 

LXXV. Alexandre se remit en route vers l'Ilyrcanie, el après 
trois jours de marche, il vint établir son camp près d'une ville ap- 
pelée Hècatompyle. Gomme cette ville était opulente et abon- 
damment pourvue de vivres ; il y lit une halte de plusieurs jours. 
Puis , il parcourut un espace de cent cinquante stades, et vint 
camper près d'un grand rocher. Au pied de ce rocher se trouve 
un anire prodigieux d'où s'échappe un grand fleuve appelé Sii- 
bivtcs, O fleuve coule d'un cours rapide dans l'étendue de trois 
stades, il .se brise ensuite contre un roc mamelonné, se di- 
vise en deux branches et se précipite dans un vaste gouiïre qui 
s'ouvre sous ce roc. Ses eaux écumanles retentissent au loin , 
coulent ensuite sous terre dans un espace de trois cents stades 
et reparaissent de nouveau à la surface du sol. 

Alexandre entra avec son armée dans le pays des Ilyrcaniens 
el y soumit toutes les villes jusqu'à la mer Caspienne, que quel- 
ques-uns appellent aussi mer Hyrcmiicnne. On raconte que cette 
n)er nourrit des serpents grands et nombreux, ainsi (jue diverses 
espèces de poissons, dilTérents, par leur couleur , des poissons 
i\m vivent ailleurs '. Kn traversant l'Ilyrcanie , Alexandre ren- 
contra les bourgs dils fortunés ; el ils le sont en eflel, car ce 
pays est plus fertile en productions qu'aucun antre. (Iliaque cep 
de vigne y donne , dil-on , une mesure de vin ; parmi les figuiers 
il y en a qui produisent jusqu'à dix médimnes- de ligues sè- 
ches, linlin, à répo(|ue de la moisson, les grains de blé qui tom- 
bent sur la terre et qu'on y laisse, dispensent des semailles, ger- 
ment et donnent une récolte abondante. On trouve dans ce pays 
un arbre qui a l'aspect d'un chêne; ses feuilles distillent du miel 
(lue quelques habitants recueillent , et en font une nourriture 
abondante ^ On y voit aussi un petit animal ailé qui s'appelle 

' yninto-Cune , VI, 4 : Mnro Caspium dulcius céleris, intjeutis inaffuitndinis 
sprpend's alit ; pis<'os lonfff dirersi ith (iliis rnloris. Ou diraU ce pîissage presriue 
liltôraUMm'iit tiaduil sur le texte di* Diudoie. 

" Plus de «lualie eent li'entc litres. 

^ IMusieuis arbres, mais partieulièreinent l'érable (,-lcer sai'ch'irimis oxsu- 

IlL -i-'l 



-j:»'! niODOKË l>K SICILE. 

nntinrdoff: ii est moins jçros qu'iiiu' abeilli* , mais d'une tr<\H- 
bcllc iipparencc. Il liai)i(e les numlai^iies , suce le suc de toute 
espèce (le lli'ins, s'élahlil dans le creux des rochers ou des ar- 
bres iVcipiM'K de la fondre , el y forme des ruches (jui donnent 
un sur à peu près aussi doux que notre miel K 

L\\ M. \le\andn' continua sa manrhe à tra\ers THyrcanie, 
el sonmil les tribus \oisines de ce pa>s. Il reçut dans sa route la 
soumi.Nsion de plusieurs chefs (lui sVlaient enfuis a\ec Darius; 
il l(>s traita a\ec humanité el ajouta encore à sa réputation de 
clémence, hientol après, les (irecs (|ui avaienl servi dans l'ar- 
mée de Darius, tons hounnes pleins de bravoure, se rendirent 
à .\h'\an<lre et implorèreiU leur j^-ràce. Alexandre les incor|>ora 
dans M»n armée et leur donna hi même paie qu'aux autres sol- 
dais. \|>iès a\oir traversé Tllyrcanie maritime*, il entra dans 
!«' pa\s rl«s Mardes. Ces Barbares, d'une force physique reniar- 
(piabl>' , a\aient jns(pralors méprisé raccroisseuient de la puis- 
sance (In roi , et n'avaienl fait aucune démonstration de défé- 
renci*. Ils a\ aient occupé, a\ec un corps de huit mille hommes, 
les p.issni;»'^ (pii donnaieni acc(\s dans leur pays, et attendaient 
mlrépiilemeni rarri\(Mî des .Macédoniens. Le roi his attaqua: 
dans la bataille qui fut li\rée, il leur lit perdre beaucoiq) 
de monde el refoula W. resie daiïs les délilés. Pendant que 
la conirée fut ravaj];ée par le feu el le fer, il arri\a que les do- 
mestiques cliarj^iVs (U; conduire les chevaux du roi, s'écartèrent 
nu peu do train de TariniV , el furent al ta(|U('3s |)ar quelques 
Barbares, cpii enle\èrenl le meilleur des chexaux. Ce cheval 

■ •••I'! . .1 ri|i.M|iii- liH |iiiiiirniji«« . un MU- um-llt'ux «[iii sf ilt|ii)SO ruiiiiiu* uim» ros»'f ■ 
il f.i.-.' •.ujM'iM-ui-- «lr> fiMiilh>. i.i- Mil* ri'<-i jiiiv ,{,• i.i iiiiiniu", mais du siiorc do 
'•.ii:<.- <ii-M'ii>. (laiiv un,' iif>-|n'iil.- iiuantiij: «r«';:ii. I».i: l:i chaU'ur «lu soleil , rt:!>i 
•■..' \. 1,111 ko .-1 1.» -11. ir iv.stc ..j.iili.iiir M,r h, r,Miill«'. -..ii> t.i,ni.' H'imo liiim-o coiu-li. 
•••i.-l.illiiu'. Lj'>l .-.• .|iii «.'Niiliiiiu- j..'m-.iui.i Mil III- \i,ii i|iii- II. malin rcl omluit :Miii- 
i'iii\ .jiii ri'.-ouMr ii'ï, ji-iiiiliv ili. «•• rnnns arluc-. iyiuu- Ciii.-,- ^vi , i) jiarh'ain*-! 
«h . ri iiîlnv à su. If, qui .'-f pi (.ImI-U'hhmiI uuf .■sp.'v,. ,1 .-lal'lr ; Frct^uetts arl'oi 
f>i. uni lUCK >n hal,ct . rnjus fnh.i mnlti- iiicll- tt,hju,tiai : .«rj ,n>i xnliit nrlinn 
iiuu'ln' ncnii>(Ufi'int ri'l inndun ti-^hre smcus , i siimf.iitur *^ 

' <:'.ri,|.;,iv/ AriNlnl.'. Ilist. nniinil..^ |\ , 4i; î.li.n, IliU. iHvnal.. \\\ t 

* Qui tuudn; à lu lucr CaHpiiMiiiu, 



LIVRE XVII. 255 

lui avait été donné par Déniaratc , de Corintlic , et Alexandre 
Tavail monté dans tous les combats qu'il avait livrés en Asie^ 
i Cet animal était d'une intellij^ence remarquable! : lorsqu'il 
nrlail pas sellé il ne se laissait monter i|ue par Téruyc^r ; mais 
aussitôt qu'il portait le harnais royal, il ne se laissait monter que 
par \le\andre auquel il livrait le dos <;n pliant les genoux. Vi\e- 
mciii aiïecté de la perte d<» cet excellent animal , le roi ordonna 
(le (-nu))er les arbres de la ram))a^i)e et il publia une proclamation 
dans la langue du pays, annonçant que si on ne lui rendait ))as 
son cheval, le pays serait complét(inenl dévasté et tous les habi- 
tants égoriçés. Cette menace eut un [)rou)pl eflel ; les Barbares 
ediaNés ramenèrent le cheval et apportèrent de très-riches pré- 
sents ; ih lui envoyèrent en même tem|)s cin([uaul(; honunes 
ehar^és de demander grâce. Alexandre se fit livi'er en otage les 
hommes les plus considérés. 

lAWlI. En retournant dans Tllvrcanie, le roi recul la vi- 
site (le la reine des Amazones, Thalestris: elle régnait sur le 
pa\s situé entre le Phasis et le 'l'hermodon. Cette reine, d'une 
beauté et d'une force de corps reuïanpiahles, était i^jlmirée pour 
sa bravoure par ses compatriotes. Klle avait laissé son armée sur 
les fi'ontières de l'Ilyrcanie, et n'était accompagnée cpie de trois 
cents \nia/ones, ornées d'armures de guerre. Frappé de sni prise 
à la \ne imposante de celte fenuue guerrière, le roi demanda à 
rhaleslrls pourfpioi elle était venue. «Je suis venue, répondit- 
elle, pour a\oir (le toi un eufaul. J)e tous les hommes, tu es 
celui (jui as accompli les plus grandes actions. Aucune femme 
ne l'emporte sur moi (mi fonte et en bra\(mre. Il est donc 
probabN' cpie de deux êtres aussi supérieurs aux antres, naî- 
tra un enfant qui, par ses cpialités, surpass(»ra les autres moi*- 
tels . Ila\i (le celt<; réponse, le roi accueillit rin\halion de 
rlialesiris, et, après avoir passé treize jours n\o.c elle, il la ren- 
\o\a eond)lér de beaux préwmls. 

Alexandre axant à peu près louché au but de son entreprise, 
et atteint an faîte du pouvoir suprême, commença à imiter le 

' 1 . . iit.\.il . «îiii Ir fanicux Itui'éphale. Voyez (juiiiU'-CiUnv, M. 5. 



250 DIODORK DE SICILE. 

liixc des Perses (*t la ina^iiiticcncc des rois asiatiques. D'abord 
il iiitrodnisit à sa cour dos appariteurs d'origine asiatique , et il 
s'entoura d*nne ^ardc composée des hommes les plus illustres 
du pays , ))anni lesipiels se trouvait même un frère de Darius 
Oxai lires. JUentol il ceignit sa tète du diadème persiqiie et se 
revêtit de la tunique hlanciie, de la ceinture et de tout le reste 
de rhahillemenl des Perses, à l'exception des anaxyrides* et dos 
candys ". Il donna à ses mignons des vêlements de pourpre, et à 
SCS chevaux des harnais perses. Enfin, il s'entoura, comme Da- 
rius , (le concubines remarquablement belles , choisies parmi 
toutes l<>s femmes de l'Asie ; elles étaient en même nombre (pie 
les jours de Tannée. Chaque nuit toutes ces belles feniine.^ se 
rassemblaient autour du lit du roi, alin qu'il désignât lui-même 
celle (jui devait passer la nuit avec lui. Cependant y\loxaiidre 
usait dv. ces nueurs avec réserve et revenait le plus souvent à ses 
ancicumes habitudes, dans la crainte de heurter les Macédo- 

m 

niens; et lorscpie plusieurs d'entre eux lui re|)rochaïent sa vie, 
il cherchait à les apaiser par des présents. 

lAWIIl» \ la nouvelle que Satibarzane, satrape de Darius, 
avait massacré un corps de troupes choisies, faisait cause com- 
mune avec Bessus et se préparait, de concert avec lui, à faire la 
guerre aux Macédoniens, Alexandre marcha contre lui. Satibar- 
zane avait rémii son armée à Chortacanc^ la ville la [)lus célèbre 
de cette contrée, el naturellement fortifiée. Mais dès qu'il se 
trouva en présence du roi , il fut effrayé du nombre des Macé- 
d(mi(M)s et de leur réputation de valeur. Il se réfugia donc au- 
près de Bessus avec deux mille cavaliers, pour lui demander de 
prompts secours; et il ordonna aux autres [qui le suivaient] de 
chercher un asile sur une montagne appi.'léc *** '*, remplie de 
délilés, el offrant toute sécurité h ceux qui n'osaient point com- 

' Siiito (le luMiUiloiis livs - laiiii's , oiiiniH' imi portent ••ludiv aujiniririmi It's 
Oi-iciitiiiix. 

- KsiM'cf <l(> siu'luui II manches. 

' Anii'n apiM-lh* t'«MU' \illo Ai Inmana , Qminc-i^nvcv A rtifinnn . et Straluiii 
Artariiiiii. 

* !.«' toMC est ici ln»n«ini*. 




LIVRE XVII. 257 

battre Tennemi de front. Cet ordre était à peine exécuté, lorsque 
le roi , avec sa promptitude ordinaire , vint assiéger ceux qui 
s'étaient réfugiés sur un rocher fort et imnjense , et les força à 
se rendre à discrétion. Il s'empara ensuite, dans l'espace de 
trente jours, de toutes les villes de cette satrapie et sortit de 
l'Hyrcanie pour se rendre dans la résidence royale de Dranginc ; 
il y établit ses quartiers , et fit reposer son armée. 

LXXIX. A cette époque, Alexandre se rendit coupable d'une 
action mauvaise et en opposition avec sa bonté naturelle, l^n 
des favoris du roi, nommé Dimnus , ayant eu à se plaindre du 
roi , se laissa emporter par la colère et conspira contre lui. Di- 
mnus communiqua son projet à Nicomaque , son mignon. Mais 
celui-ci , qui était un tout jeune homme , le découvrit à son 
frère (lébalinus, qui, dans la crainte qu'un des complices ne le 
prévînt en dénonçant la conspiration au roi, se décida à tout dé- 
voiler. Il se rendit donc à la cour, et, rencontrant Philotas, l'en- 
tretint du motif de sa visite et l'engagea à tout rapporter immé- 
diatement au roi. Philotas, soit qu'il fût lui-même dans la confi- 
dence , soit négligence , n'eut aucun souci de ce qui venait de 
lui être dit; et bien qu'il eût eu une longue conférence avec 
Alexandre sur divers objets, il ne lui dit rien de ce que Gébali- 
nus lui avait dévoilé. £n quittant le roi, il se rendit auprès de 
Cébalinus, lui dit que le moment n'avait pas été opportun pour 
s'occuper de cette affaire , et lui promit qu'il en ferait part au 
roi le lendemain, et qu'il lui raconterait tout. Mais le lendemain 
Philotas en fit autant, remettant l'affaire à un autre jour. Cébali- 
nus, plus inquiet que jamais de courir du danger si un autre ve- 
nait à révéler cette conspiration, renonça à l'entremise de Phi- 
lotas ; il alla donc trouver un des serviteurs du roi et lui raconta 
tout ce qu'il savait , en le priant d'en faire au plus vite part au 
roi. Ce serviteur introduisit d'abord Cébalinus dans la salle d'ar- 
mes et l'y cacha; puis, il alla trouver le roi, alors dans le bain, 
rapporta ce qui lui avait été dit et ajouta qu'il avait mis Cébali- 
nus sous bonne garde. Surpris de cette révélation, le roi fit aus- 
sitôt arrêter Dimnus, et, pour connaître tous les détails, il (it 
m. 'l'i- 



258 DIODORE DE SICILE. 

venir devant lui Gébalinus et Philotas. Après des aveux com- 
plets , Dimnus se suicida ; mais Philotas nia d*être complice et 
ne s*avoua coupable que de négligence. Le roi le lit alors mettre 
en jugement devant un tribunal composé de Macédoniens. 

LXXX. Après avoir entendu les discours de la défense et de 
l'accusation, le tribunal condamna à mort Philotas et ses com- 
plices. Au nombre de ces derniers se trouvait Parniénion , qui 
passait pour le premier des amis d'Alexandre ; il était alors ab- 
sent, mais il était accusé de conspirer par l'intermédiaire de sou 
fils Philotas. Philotas qui , mis d'abord à la torture, avait tout 
avoué, fut exécuté avec ses complices, selon l'usage des Macédo- 
niens. Alexandre de Lynceste était également accusé d'avoir con- 
spiré contre la vie du roi ; il était détenu depuis trois ans, et, par 
l'intercession de son ami Antigone , le jugement avait toujours 
été ajourné. Mais il fut alors condamné à mort par le tribunal 
des Macédoniens, sans qu'il eût pu se défendre. Alexandre fit 
partir quelques affidéssur des dromadaires; arrivés à leur desti- 
nation avant que Parménion eût reçu la nouvelle de la mort de 
Philotas, ils assassinèrent Parménion, père de Philotas. Par- 
ménion avait été nommé gouverneur de la Médie, et Alexandre 
lui avait confié la garde des trésors d'Ëcbatane, renfermant cent 
quatre-vingt mille talents ^ A la suite de ce procès, Alexandre 
écarta de l'armée des Macédoniens ceux qui se prononçaient 
trop librement sur son compte, ceux qui étaient indignéa de la 
mort de Parménion, enfin ceux qui, dans les lettres qu'ils en- 
voyaient en Macédoine, écrivaient à leurs parents des choses 
contraires aux intérêts du roi. De tous ces mécontents il forma 
un corps à part sous le nom de bataillon des indisciplinés , afin 
que, par leurs propos et leurs murmures , ils ne corrompissent 
pas le reste de l'armée macédonienne. 

LXXXI. Après avoir terminé ces affaires et réglé le gou- 
vernement de la Drangine , Alexandre marcha avec son armée 
contre les tribus , jadis appelées les Arimaspes , et qui se nom- 
ment maintenant les Évergètes ; voici pourquoi : Cyru3 , celui 

' Neuf cent qaatre-vingt-dix millions de francs. 



LIVRE XVII. 259 

qui transporta Tempire des Mèdes aux Perses , fot, pendant le 
cours de son expédition, arrêté dans une contrée déserte , en- 
tièrement dépourvue de subsistances; il y courtules plus grands 
dangers et vit ses soldats, pressés par la faim, se manger les uns 
les autres. Dans ce moirieiit critique , les Ariinaspes lui amenè- 
rent irois mille chariots remplis de vivres. Sauvé parce secours 
inattendu , Cyrus exempta la nation de tout impôt , Thonora de 
présents et clïanji;ea son ancien nom en celui d'Everg<':t€s\ (/est 
dans cette contrée qu'Alexandre arriva alors avec son armée ; il 
fut accueilli des habitants avec empressement et leur témoigna 
son estime par des dons convenables. Le roi répondit par les 
mêmes faveurs à raccueil hospitalier qpe lui firent les- Cédro- 
siens , voisins des Arimaspes. Il confia à Téridate le gouverne- 
ment militaire de ces deux nations. 

Tandis (|u*il était occupé à ces affaires , il reçut la nouvelle 
que Satiharzane avait passé de la Bactriane chez les Ariens , et 
soulevé les habitants contre Alexandre. A la réception de cette 
nouvelle , le roi détacha une partie de son armée.sous les ordres 
d'Érigyins et de Stasanor. Quant à lui, il se porta sur TAra- 
chosie et la soumit dans l'espace de peu de jours. 

LXXXII. L'année éiani révolue, Eulhycrite fut nommé 
archonte d'Athènes ; les Romains élurent pour consuls Lucius 
Plotius et Lucius Papirius , et on célébra la cxiii* olympiade*. 
Dans cette année, Alexandre marcha contre les Paropamisades. 
La région qu'habite ce peuple est située sous les Ourses ^; ^le 
est toute couverte de neige et inaccessible aux autres nations à 
cause de l'extrême froid qui y règne. La pins grande partie du 
pays est plate , déboisée , et garnie de villages. Les maisons de 
ces villages ont les toits formés de tuiles réunies en voûte et 
terminées en pointe. Au milieu de ce toit est pratiquée une 

Kù-pyÉTat, l)ionfaiteurfi. 

' Première aum'e de la cxiii' olympiade ; année 3t28 avant J.-C. — Clitim li- 
iii<u-«-(l<)nieu était vaintfueui- à la ('(Mirsc du stade. Ce nom manque dans le texte. 

* La graudc et la petite ourse. 11 est Inutile de rappeler que la lo«Mition si corn 
mune (U- zeÎTai Ûtio rà; a/sxTOu? , ne d«iit i)ut> être [n-ise dans un sens trop litté- 
ral , et qu'elle s'applique en général aux paya Bilué^ vers le nord. 



260 niODORB DE SICILE. 

ouverture en guise de fenôtre par où sort la fumée. Tout autour 
la maison est bien close, et les habitants se mettent ainsi à l'abri 
de la rigueur du climat. A cause de l'abondance de la neige, les 
naturels du pays passent dans ces habitations la plus grande 
partie de l'année et y amassent leurs vivres. Ils recouvrent de 
terre les vignes et les arbres fruitiers , qui se conservent ainsi 
pendant l'hiver , et ils n'en ôtent la terre que lorsque la saisou 
ranime la végétation. L'aspect du pays n'est ni verdoyant ni 
agréable ; on n'y voit que la neige blanche et les glaçons réflé- 
chissant la lumière. Aussi aucun oiseau , aucun animal sauvage 
n'y fixe son séjour ; toute la région est inhospitalière et inacces- 
sible. Cependant ces obstacles n'arrêtèrent point la marche du 
roi ; avec son audace ordinaire et la persévérance des Macédo- 
niens, il vint à bout des difficultés que la nature du pays lui 
opposait. Néanmoins , beaucoup de soldats n'ayant pas assez de 
forces pour suivre l'armée , quittèrent les rangs et furent aban- 
donnés. Quelques-uns perdirent la vue par l'effet de la lumière 
réfléchie par la neige. On ne distinguait de loin que la fumée de 
ces villages s'élevant des foyers; les Macédoniens se servirent de 
cet indice pour s'y rendre et s'en emparer. Là, ils trouvèrent 
des vivres en abondance et les moyens de se refaire de leurs 
fatigues. Le roi se rendit promptement maître de ces populations 
indigènes. 

LXXXIII. Alexandre s'approcha ensuite du Caucase que 
quelques-uns nomment aussi le Paropamise, Il mit seize jours 
à traverser cette montagne dans sa largeur et , à l'entrée dans la 
IMédie, il fonda une ville à laquelle il donna le nom d'Alexandrie. 
Au milieu du Caucase, se trouve un rocher de dix stades de 
circonférence et de quatre de haut ; dans ce rocher les naturels 
du pays montrent la grotte de Prométhée , la demeure de l'aigle 
qui, selon la tradition, était chargé du supplice de Prométhée, 
et la trace des chaînes qui le retenaient attaché. Alexandre 
fonda encore d'autres villes, à une journée de distance de cette 
nouvelle Alexandrie. Il y transféra sept mille Barbares, trois 
mille hommes de troupes irrégulières et les mercenaires de 



LIVRE XVII. 261 

bonne volonté. A la nouvelle que Bessus avait ceint le diadème 
et qu'il rassemblait des troupes, Alexandre marcha sur la Bac- 
triane. Telle était la situation des choses pour ce qui concerne 
Alexandre lui-même. 

Les généraux envoyés dans TArie atteignirent les rebelles qui 
avaient réuni des forces considérables , commandées par un chef 
habile et brave, Satibarzane. Ils établirent leur camp dans le 
voisinage des ennemis. Il y eut d'abord de fréquentes escar- 
mouches et divers combats entre des détachements peu nom- 
breux. £nûn, il s'engagea une bataille en règle; la victoire était 
longtemps incertaine, lorsque Satibarzane, général des rebelles , 
ôtant de sa main le casque qui lui couvrait la tête , se montra à 
découvert et provoqua les généraux d'Alexandre à un combat 
singulier. Ërigyius accepta le défi ; les deux champions firent 
preuve d'une valeur héroïque ; Érigyius cependant resta vain- 
queur. A la mort de leur chef, les Barbares , saisis de terreur, 
ne songèrent plus qu'à leur sûreté, et se rendirent à discrétion. 
Bessus , qui s'était lui-même proclamé roi , offrit aux dieux des 
sacrifices et invita ses amis à un banquet où il eut une querelle 
avec un de ses compagnons, nommé Bagodaras^ Cette querelle 
s'échauiïa de plus en plus ; Bessus, irrité, aurait tué Bagodaras, 
si ses amis ne l'eussent pas détourné de ce dessein. Bagodaras , 
échappé au danger, se réfugia de nuit auprès d'Alexandre. Les 
principaux chefs de l'armée de Bessus, informés que leur com- 
pagnon était sauvé, et séduits par la promesse de grandes récom- 
penses qu'Alexandre avait fait proclamer , se concertèrent entre 
eux, arrêtèrent Bessus et le conduisirent devant Alexandre. Le 
roi les honora de présents magnifiques. Quant à Bessus , il le 
livra aux frères de Darius et à ses autres parents, pour qu'ils 
le punissent eux-mêmes. Ils assouvirent leur vengeance d'une 
manière cruelle et outrageante; ils coupèrent le corps de Bessus 
))ar morceaux et en dispersèrent les membres à coups de 
fronde ^ 



**** 



' Qilinte-Curce ( VII , 4 ) rappelle Cobares. 

' Le texte offre ici une lacune considérable. Cette lacune comprend l'espace d'une 






^ .a •> % 



262 DIODORE DE SICILE. 

LXXXIV .... Après que le traité fut conclu sous la foi du 
serment, la reine \ admirant la grandeur (l*âme d'Alexandre, 
envoya de très>beaux ])résents , et lui promit une soumission 
absolue.... Aux termes de la capitulation, les mercenaires sor- 
tirent immédiatement de la place, et, arrivés à ladistance de 
quatre-vingts stades, ils établirent sans obstacle leur camp, sans 
se douter de ce qui allait leur arriver. Alexandre, qui était 
animé d'une haine implacable contre ces mercenaires, se mit 
en bon ordre à la poursuite des Barbares ; il les attaqua soudain 
et en lit un grand carnage. Les mercenaires se récrièrent 
d'abord de ce qu'on avait violé la foi du serment , et appelèrent 
sur les coupables la \ engeance des dieux. Alexandre, de sou 
côté , cria à haute voix qu'il leur avait permis de sortir de la 

aimi-e. Pour ne pus interrompre le fil de la narration, j*ai intercale iri la traduciitm' 
des somniaii't's grecs que les manuscrits nous ont cunserv«'s. Quant aux détails, 
on It's trouvera dans Quinte-Cun-e , livre VII et VIII, et dans Arrîen , livre IV. 

Alexandre iraveise une région privée d'eau et perd un grand uorubro de se» 
soldats. 

Alexaudit' jtusse au 111 de l'épée, comme coupables de trahison envers les Grecs, 
les HrancirHles, relégués jadis jmr les Perses aux confins de l'empire. 

Le roi marche contre les Sogdiens et les Scythes. 

Les principaux Sogdiens condamnés au dernier supplice sont sauvés miraculeu- 
leraont. 

Alexandre châtie les Sogdiens rebelles , et leur tue plus de cent vingt luiUe 
hommes. 

Il ihftlie les liactricns , soumet les Sogdiens pour la seconde fuis , et fonde plu- 
sieurs villes dans des ))Ositions propres à tenir en respect les rebelles. 

Troisi<^me révolte des Sogdiens ; prise du rocher oU ils s'étaient réfugiés. 

Chasse dans le i)ays des llasistes ; hinnense quantité d'animaux sauvages. 

Crimt» commis envers Bacchus; mort de Clitus au milieu d'un banquet. 

Mort de Callislhène. 

Kx])édition du roi contre les Nautatpies ; une partitMles trouf>efi ])érit dans Icft 
neiges. 

Alexandre est «tpris de Ilhoxane , fille d'Oxyarte ; il l'épouse ci engage plusieurs 
de ses amis à se marier avec les filles des barl)ares les plus distingués. 

Préparatifs d'une exik'^dilion contre les Nauiatiues indiens. 

Invasion dans l'Inde et destruction totale de la p^emi^re nation dec^* pays , afin 
d'intimider les autres. 

Alexandre se montre bienfaisant envers la ville de Nysie , à cause do sim origine 
qui se rapporte à la naissance de Bacchus. 

Il prend d'assaut Massaque , ville forte. 

* Il est ici probablement question de la reine Cléophù, dont parlent Quinte- 
Curce , VIII , 10 , et Justin , XH , 1. 



LIVRE XVll. 26S 

ville, mais qu'il ne les considérait pas moins comme les enne- 
mis déclarés des Macédoniens. Malgré la grandeur du danger 
qui les menaçait , ces soldats ne se laissèrent point effrayer : ils 
se formèrent en carré au centre duquel étaient placés les enfants 
et les femmes, et firent de tous côtés intrépidement face à 
Tennemi. Réduits au désespoir, ils déployèrent toute leur audace 
et toute leur bravoure éprouvée dans tant de combats, et, comme 
de leur côté les Macédoniens ne voulaient pas le céder en cou- 
rage aux Barbares , la lutte devint affreuse. On se battait corps 
à corps, et divers genres de mort et de blessure atteignirent les 
combattants. Les Macédoniens arrachaient avec leurs sarisses les 
boucliers des Barbares et enfonçaient le fer de leurs lances dans 
la poitrine de Tennemi. Les Barbares frappaient à leur tour 
sur les rangs serrés de leurs adversaires qui leur offraient un 
but immanquable. Enfin beaucoup d'hommes ayant été blessés 
ou tués, les femmes se saisirent des armes de ceux qui étaient 
tombés , et combattaient à côté de leurs maris ; car l'imminence 
du danger avait forcé ces femmes à faire violence à leur faible 
naturel. Quelques-unes d'entre elles, tout armées, servaient 
de boucliers à leurs maris; d'autres, sans armes , se précipitaient 
sur les ennemis, saisissaient leurs boucliers et en entravaient 
les mouvements. Enfin tous, hommes et femmes, montrèrent 
par leur courage malheureux qu'ils préféraient une mort glo^ 
rieuse à une vie achetée au prix de la lâcheté. [ Le combat ter- 
miné], Alexandre fit emmetier par ses cavaliers la foule inutile 
ei désarmée qui restait , ainsi que les femmes qui avaient sur- 
vécu au carnage. 

LXXXV. Après avoir pris d'assaut beaucoup d'autres villes 
et battu les ennemis qui lui avaient résisté , Alexandre arriva 
devant un rocher connu sous le nom d'Aomos, C'est là que les 
naturels du pays s'étaient retirés, comme en un lieu de refuge 
inexpugnable. En effet, la tradition rapporte qu'Hercule l'ancien 
avait tenté d'investir ce rocher, mais que de grands tremble-- 
ments de terre et d'autres prodiges l'avaient forcé de renoncer à 
sou entreprise* iJexandret ayant appris cette tradition» n*en 



j'_,. 



26/i DIODORE DE SICILE. 

mit que plus (Vardeur à prendre d*assaut cette forteresse et ï 
disputer au dieu la palme de la gloire. Ce rocher avait cent sta- 
des de circonféreuce , et seize de hauteur; sa surface était plaie 
et tout an*oudie. Au midi , sa base était baignée par l'Indus, le 
plus grand fleuve de Tinde ; dans tous les autres points il était 
entouré de ravins profonds et de précipices inaccessibles. 
Alexandre avait reconnu la difficulté de la position et avait déjà 
renoncé à prendre la forteresse de vive force, lorsqu'il reçut la 
visite d*un vieillard accompagné de ses deux fils. Ce vieillard 
était tout pauvre; depuis longtemps il vivait dans ces couirées; 
il habitait une grotte où étaient taillés trois lits sur lesquels il se 
reposait lui et ses deux fils. Ce vieillard , connaissant donc par- 
faitement les lieux, s'approcha du roi, et, après hii ^voir ra- 
conté son histoire , il promit de le conduire , par un chemin 
difficile, dans iin endroit qui dominerait le rocher occupé par 
les Barbares. Alexandre [accepta cette offre et] promit de 
grandes récompenses à ce vieillard qui lui servit de guide. Il 
s'empara d'abord du passage qui conduit au rocher, et comme 
il n'y avait point d'autre issue, les Barbares se trouvèrent 
irrémédiablement bloqués. Puis il employa de nombreux bras à 
combler les ravins qui entouraient la base du rocher, et poussa 
vigoureusement le siège par de continuels assauts, livrés pendant 
sept jours et sept nuits de suite. Dans le premier moment, les 
Barbares eurent l'avantage à cause de la position naturellement 
forte qu'ils occupaient , et tuèrent un grand nombre d'assaillants 
téméraires. iMais lorsque le terrassement fut achevé et que Ton 
y plaça les balistes, les catapultes et auti^es instruments de 
guerre , et surtout lorsqu'ils virent le roi lui-même pousser le 
siège par sa présence, les Indiens furent épouvantés. Prévoyant 
avec sa sagacité ordinaire ce qui devait arriver , Alexandre fit 
sortir la garde qui occupait le passage et laissa aux ennemis la 
faculté de se retirer. Redoutant la valeur des Macédoniens et 
l'ardeur guerrière du roi, les Barbares quittèrent le rocher à la 
faveur de la nuit. ^ 

LXXXVI. C'est par ce stratagème qu'Alexandre vainquit les 









■■ t 



LIVRE XVII. 265 

Indiens et se rendit maître du rocher sans coup férir. Après 
avoir donné au guide les récompenses promises, il se remit en 
route avec son armée. A celte époque, un chef indien, Aphri- 
cès, se trouva sur le passage d'Alexandre avec vingt mille 
hommes et quinze éléphants. IVlais ce chef fut tué par quelques 
assassins; ils portèrent sa tête à Alexandre, et par ce service ils 
achetèrent leur propre sûreté. Le roi les incorpora dans son ar- 
mée et s*empara des éléphants qui erraient dans les champs. - 
Il atteignit ensuite les rives de Tlndus ; il prit les barques à 
trente rames qu'il y trouva toutes préparées, et en construisit un 
pont flottant. Il fit reposer son armée pendant trente jours et 
offrit aux dieux de pompeux sacrifices; puis il fit passer ses 
troupes sur l'autre rive, et fut témoin d'un incident inattendu. 
Le roi Taxile était mort depuis quelque temps; son fils Mophis^ 
qui lui avait succédé, avait auparavant envoyée Alexandre, 
qui était alors dans la Sogdiane, une députation chargée de lui 
offrir ses services pour combattre les Indiens qui lui résistaient ; 
et dans ce moment même il lui envoya de nouveaux députés 
pour lui remettre son royaume. Alexandre n'était qu'à quarante 
stades de distance, lorsque JVIophis rangea son armée en bataille, 
disposa ses éléphanls'comme pour le combat, et se porta en avant 
avec ses amis. Lorsque Alexandre vit une si grande armée s'a- 
vancer vers lui en ordre de bataille , il s'imagina que les pro- 
messes du roi indien n'avaient été qu'un piège pour attaquer les 
IVlacédoniens àl'improviste, et il ordonna aux trompettes de son- 
ner la charge. Les soldats se rangèrent donc en bataille et allè- 
rent à la rencontre des Indiens. Mophis s'étant aperçu du 
trouble des Macédoniens, et devinant la chose, laissa en ar- 
rière son armée et se porta en avant sur son cheval, accompa- 
gné d'un petit nombre de gardes, et, après avoir tiré les Macé- 
doniens de leur erreur, il se livra lui et son armée au roi. 
Ravi de cette démarche, Alexandre lui rendit son empire. Par 
la suite , il eut toujours en Mophis un ami et un allié fidèle. 



• Quinic-Curcc ( VHl , 12 ) l'appelle Omphis. 

III. *I^ 



266 DIODORE DE SICILE. 

el lui fit changer son nom en celui de Taxile. Tels sont I6S éiré- 
nenients arriîés dans le cours de celte année. 

lAXXVIi. Chrêmes étant archonte d'Athènes, les Romains 
nommèrent consuls Publius Cornélius et Aulus Poslhumius'. 
Dans cette année, Alexandre, après avoir laissé reposer ses 
troupes dans les États de Taxile , marcha contre Porus , roi 
des Indiens limitrophes. Ce roi avait plus de cinquante mille 
hommes d*infanterie , environ trois mille cavaliers, plus de 
mille chars de guerre et cent trente éléphants ^ Il avait pouf 
allié un autre roi du voisinage ; ce roi s'appelait Embisaros 
et commandait une armée à peu près aussi forte que celle de 
Porus. £n apprenant que ce roi était encore à quatre cents 
stades de distance , Alexandre jugea à propos d'attaquer Po- 
rus avant sa jonction avec Embisarus. A la nouvelle de l'ap- 
proche de Tennemi , Porus rangea immédiatement son armée 
en bataille , et fit occuper les ailes par sa cavalerie ; il plaça 
ses éléphants, ornés d'un appareil guerrier formidable, sur lé 
front à des distances égales ; les hoplites occupaient les inter- 
valles laissés entre les éléphants et étaient chargés de veiller à 
ce que ces animaux ne fussent blessés aux flancs. Toute celte 
disposition présentait Faspect d'une ville fortifiée : les éléphants 
servaient de tours , et les soldats figuraient les mtirs intermé- 
diaires entre les tours. Après avoir reconnu l'ordre de bataillé 
des ennemis , Alexandre disposa de son côté ses troupes de la 
manière la plus appropriée à la circonstance. 

LXXXyiII. Dans l'engagement , qui eut d'abord lieu entre 
la cavalerie des deux armées, presque tous les chars des Indiens 
furent détruits; ensuite, les éléphants, faisant usage de l'é- 
norme masse de leurs corps ainsi que de leur forcé extraor- 
dinaire, prirent part au combat : les Macédoniens périssaient t 
les uns écrasés sous les pieds de ces animaux, qui brisaient à la 
fois les os et les armes ; les autres , saisis par les trompes , fu- 

* Deuxième année de la cww olympiade ; année 3*27 avant J.-C. 
' Daus rénuméiatiun de ces forces , Arrien et Quiute-Curce ne s'accordent pas 
avec Diodore. 



UVRE xvn. 567 

rent enlevés en Taîr, et retombant à terre, essuyèrent des gen- 
res de mort affreui^ ; enfin beaucoup d'autres, percés par les dé- 
fenses des éléphants, et ayant tout le corps lacéré, expirèrent 
sur-le-champ* Cependant les Macédoniens se défendaient avec 
intrépidité ; ils tuèrent les soldats placés dans les intervalles lais- 
sés entre les éléphants et rétablirent le combat. Bientôt ces ani- 
maux, irrités par de nombreuses blessures, ne se laissèrent 
plus retenir par les Indiens , leurs guides. Ils se précipitèrent 
donc sur les rangs des leurs et foulèrent sous leurs pieds, amis 
et ennemis. Le désordre fut extrême. Averti du danger , Porus 
monta lui-même sur le plus fort des éléphants , réunit autour 
de lui quarante de ces animaux que la frayeur n'avait pas encore 
saisis, et, se jetant avec cette lourde masse sur les phalanges 
macédoniennes, en fit un terrible carnage, secondé comme 
il Tétait par la vigueur de son corps, dont la taille surpassait 
celle de tous ses compagnons d'armes. En effet , Porus avait 
cinq coudées de haut^ et sa cuirasse était d'une largeur double 
de celle des plus forts guerriers : les lances parties de sa main 
étaient comme des traits lancés par des catapultes, Les Macé- 
doniens, qui lui étaient opposés , furent épouvantés à la vue de 
la force extraordinaire de Porus ; Alexandre appela près de lui 
les archers et les bataillons légèrement armés et leur ordonna à 
tous de lancer leurs traits sur Porus. Les soldats exécutèrent 
promptement cet ordre; une grêle de flèches tomba sqr l'Indien ; 
aucun trait ne porta h faux, la grosseur de Porus servant de but 
certain. Enfin , après un combat héroïque, Porus, épuisé par 
la perte du sang qui coulait de ses nombreuses blessures, s'éva- 
nouit, et, du haut de l'éléphant qu'il montait , il tomba à terre. 
Le bruit s*étant répandu que le roi était mort, le reste de l'ar- 
mée indienne se livra à la fuite et les fuyards furent décimés. 

LXXXIX. Alexandre victorieux dans une si brillante bataille, 
fit sonner le rappel des troupes. Les Indiens avaient perdu plus 
de douze mille hommes, parmi lesquels se trouvaient deux fils de 

* Deux mètres et demi environ. 



268 DIODORE DE SICILE. 

Porus et les plus célèbres généraux ; plus de neuf mille Indiens 
furent faits prisonniers, ainsi que quatre-vingts éléf^anls. Po- 
rus, encore respirant, fut confié aux soins des Indiens. Les 
Macédoniens avaient perdu deux cont quatre-vingts cavaliers 
et plus de sept cents fantassins. Le roi rendit aux morts les 
derniers devoirs et honora les braves par des récompenses mé- 
ritées. Il oiïril ensuite un sacrifice au Soleil , comme si ce dieu 
lui avait accordé la conquête des régions du Levant. La mon- 
tagne voisine était couverte de sapins élevés, de cèdres, de pins, 
enfin de bois propres aux usages de la marine ; Alexandre en 
profila pour construire un nombre suffisant de vaisseaux ; car il 
avait le projet de pénétrer jusqu'au bout de l'Inde, de soumet- 
tre tous les naturels du pays, et de redescendre le fleuve jusqu'à 
rOcéan. Il fonda en même temps deux villes, l'une au delà da 
fleuve dans l'endroit où il l'avait traversé , l'autre là où il avait 
vaincu Porus. Ces travaux furent promptement achevés, grâce 
au nombre de bras qui y étaient employés. Porus, guéri de ses 
blessures, fut rétabli dans son empire par Alexandre qui admirait 
la bravoure de ce roi. Alexandre laissa reposer son armée pen^ 
dant trente jours au sein de l'abondance. 

XC. Il existe quelques particularités dans les montagnes du 
voisinage. Indépendamment des bois de construction maritime 
qu'on y trouve ,»le pays produit un grand nombre de serpents 
d'une dimension prodigieuse : ils ont jusqu'à seize condées de 
long^ On y voit plusieurs espèces de singes dont la taille varie. 
Ces animaux ont eux-mêmes suggéré l'art d'en faire la chasse, car 
ils ont l'instinct imitatif. Ils se laissent difficilement prendre de 
force, tant à cause de leur vigueur corporelle que de leur intelli- 
gence. Voici comment s'y prennent les chasseurs: les uns se frot- 
tent les yeux avec du miel, les autres se chaussent à la vue de ces 
animaux; quelques autres attachent autour de leurs têtes des 
miroirs ; puis ils se retirent en laissant des chaussures entourées 
de lacets , de la glu à la place du miel , et des nœuds coulants fixés 
aux miroirs. Aussi , lorsque ces animaux veulent imiter les cho- 

' Environ huit mètres. 



LIVRE XVII. 269 

ses qu'ils ont vu faire, Ils se trouvent dans l'impossibilité de 
s*enfuir; les uns ont leurs paupières collées, les autres leurs 
pieds liés; d'autres enQn leur corps pris dans des filets. C'est 
ainsi que la chasse devient facile. 

Alexandre frappa de terreur Embisarus, le roi allié de Porus, 
retardataire. Alexandre passa le fleuve avec son armée et tra- 
versa un pays extrêmement fertile. On y trouve des arbres 
d'une espèce particulière, qui ont soixante-dix coudées de haut ^ 
et sont d'une épaisseur telle que quatre hommes peuvent à 
peine les embrasser ; ils couvrent de leur ombre un espace de 
trois plèthresl Ce pays produit aussi une multitude de serpents 
de petite taille, et de couleurs variées ; les uns ressemblent à des 
tiges d'airain, les autres portent un panache touffu et velu , et 
leur morsure cause rapidement la mort. Celui qui en a été 
blessé souffre d'atroces douleurs et de son corps ruisselle une 
sueur sanguinolente. C'est pourquoi les Macédoniens , pour se 
garantir des morsures de ces serpents , suspendaient leurs lits 
aux arbres et veillaient une grande partie de la nuit. Mais ils 
furent délivrés de leurs inquiétudes dès qu'ils eurent appris des 
indigènes la racine qui sert de contre-poison. 

XCI. Pendant qu'Alexandre se porta en avant avec son ar- 
mée , quelques personnes vinrent lui annoncer que le roi Po- 
rus , neveu de ce Porus qui venait d'être vaincu , avait quitté 
son royaume , et s'était réfugié chez la tribu des Gandaridesl 
Alexandre, irrité, détacha Hephaestion avec un corps d'armée 
et le chargea de donner les États de ce roi à Porus qui était 
resté fidèle. Alexandre marcha ensuite contre les Adrestes, sou- 
mit à son autorité les villes de la contrée, les unes par la force, 
les autres par la persuasion. De là il entra dans le pays des Ca- 
théens. Chez ce peuple il est d'usage que les femmes se brûlent 
sur le bûcher de leurs maris. Cet usage avait été établi chez 
ces Barbares depuis qu'une femme avait empoisonné son mari. 

* Environ trente-cinq mètres. 

» Quatre-vingtrdix mètres carrés. 

' Quelques auteurs les appellent Gangarides. 

m. 'i-'ï" 



270 DIODORE DE SiaLE. 

Le roi investit la ville la plus forte du pays , la prit d'assaut 
après avoir couru beaucoup de dangers, et y mit le feu. Il as- 
siégea ensuite une autre ville considérable, mais, sur les ipstan- 
ces des Indiens qui se présentaient devant lui sous le costume 
de suppliants, ils les exempta des dangers dont ils étaient mena- 
cés, Alexandre, continuant sa marche, se dirigea contre le» irilles 
soumises à Sopilhès, et régies par des lois très-sages. Entre au- 
tres maximes qui font Téloge du gouvernement , il y en a upe 
qui a pour but d'honorer la beauté. Oii examine les enfants à 
leur naissance ; ceux qui ont les membres bien proportionnés 
et promettent de devenir forts, sont élevés ; ceux , au contraire, 
dont les corps offrent des vices de conformation , ne sont pas 
jugés dignes d*être nourris, et on les fait périr. Les mêmes maxi- 
mes président aussi au mariage ; la dot et d'autres objets pré- 
cieux ne sont comptés pour rien, la beauté du corps est tout ^ 
Aussi la plupart des habitants de ces villes se font-ils remar- 
quer par leurs avantages physiques. Le roi Sopithès surtout était 
renommé pour sa beauté ; il avait quatre coudées de haut ^ U 
sortit de la ville où était son palais, et se soumit lui et son 
royaume à l'autorité d'Alexandre ; mais celui-ci, eu vainqueur 
généreux, lui rendit ses États. Sopithès mit beaucoup d'em- 
pressement à traiter splendidement pendant plusieurs jours 
toute l'armée du roi. 

XGIL Sopithès offrit à Alexandre des présents nombreux et 
beaux. Il lui donna cent cinquante chiens admirés pour leur 
taille , leur force et pour d'autres qualités. On les disait prove- 
nir de l'accouplement d'un chien avec des tigresses. Pour con- 
vaincre Alexandre de l'excellence de cette race, Sopithès fit en- 
trer dans une enceinte palissadée un lion adulte et lâcher contre 
ce lion les deux chiens les plus faibles qu'il avait donnés à Alexan- 
dre ; mais comme ils n'étaient point assez forts pour terrasser la 



* Ces détails rappellent ceux qu'un géographe du moyen âge , le vénitien Marco- 
Polo, donne des mœurs des habitants de la Cathaïa^ que plusieurs auteurs oot à 
tort prise pour la Chine. 

' Environ deux mètres. 



LIVRE XVIL 271 

bête féroce, deut autres furent lâchés. Ces quatre chiens vinrent 
ainsi à bout du lion. A cet instant , Sopithès envoya dans Ten- 
ceinte un homme qui devait couper avec un coutelas la cuisse 
droite à un de ces chiens. Le roi se récria contre cet acte , et 
les gardes accoururent pour arrêter le bras de Flndien ; Sopi- 
thés promit de lui donner trois autres chiens à la place de 
celui-là. Alors le chasseur saisissant la cuisse de Tanimal, la 
coupa lentement sans que le chien émît aucun cri ni hurle- 
ment ; mais retenant sa proie avec les dents il resta dans cette 
position jusqu'à ce cpill eût perdu tout son sang et qu'il tombât 
mort sur le corps de la bête ^ 

XCIII. Dans cet intervalle, Hephaestion revint avec son dé- 
tachement , après avoir soumis une grande partie de Tinde. 
Alexandre fit Téloge de sa bravoure. Il envahit ensuite les Ltats 
de Phégée. Les indigènes accueillirent les Macédoniens avec 
empressement, et Phégée lui-même se rendit, avec de nom- 
breux présents, au-devant du roi. Alexandre lui laissa son 
royaume et , après une halte de deux jours, pendant lesquels il 
reçut avec son armée une brillante hospitalité , il dirigea sa 
route vers les bords du fleuve Hypanis. Ce fleuve a sept stades 
de largeur^ et six orgyes de profondeur* ; il a le courant très- 
rapide et le passage en est très-difficile. Alexandre apprit de 
Phégée qu'au delà de l'Indus se trouvait une contrée déserte 
dans une étendue de douze journées de marche , et qu'on 
arrivait ensuite aux bords d'un fleuve appelé le Gange, large 
de trente-deux stades et le plus profond des fleuves de l'Inde. 
Au delà du Gange habitaient, au dire de Phégée, les Praïsiens et 
les Gandarides ; Xandramès était leur roi ; jl avait une armée de 
vingt mille hommes de cavalerie, de cent vingt mille fantassins, 
de deux mille chars et de quatre mille éléphants armés eu guerre. 
Alexandre, n'ajoutant point foi à ce récit, fit venir Porus et lui 
demanda la vérité. Porus afiBrma que ces renseignements étaient 



*■ Voyez sur cette race canine, Aristote, Eût, wnimcU., VHl, 29; et Élien, lY, 19. 

* Environ treize cents mètrea. 

* BDYiron dix mètret. 



272 DIODORE DE SICILE. 

exacts ; il ajouta aussi que le roi des Gandarides était un très- 
faible monarque , sans gloire , et passant pour le fils d'un 
barbier; que son père, très-bel homme, avait été l'anaant de 
la reine; que celle-ci avait assassiné le roi son mari, et lui avait 
laissé son royaume. Bien qu'Alexandre comprît qu'une expédi- 
tion contre les Gandarides fût une entreprise difficile , il n'y 
renonça pas ; plein de confiance dans la bravoure des Macédo-' 
niens et dans les sentences des oracles , il avait l'espoir de se 
rendre également maître de ces Barbares; car, la pythie l'avait 
surnommé Vinvincible, et Toroclc d'Ammon lui avait promis 
l'empire de la terre. 

XCIV. Voyant que ses soldats étaient fatigués de ces longues 
campagnes, et que pendant près de huit ans ils avaient supporté 
toute sorte de misères, Alexandre jugea nécessaire de se servir 
de toute son éloquence pour déterminer les troupes à le suivre 
dans son expédition contre les Gandarides. Beaucoup de soldats 
avaient péri, et il n'y avait à espérer aucune trêve de la part des 
ennemis. Les sabots des chevaux étaient usés ^ par les marches 
continuelles, et la plupart des armes étaient détruites par la 
rouille. Les soldats n'étaient plus habillés à la grecque ; ils étaient 
réduits à se servir d'habillements barbares , coupés sur les man- 
teaux des Indiens. Pour comble de misère, pendant soixante-dix 
jours il était tombé des torrents de pluie accompagnés d'éclairs 
et de tonnerres continuels. Prévoyant que ses troupes se mon- 
treraient contraires à ses desseins, 11 n'espérait plus réussir 
qu'en se les attachant par de grands bienfaits. Il permit donc à 
ses soldats de piller le pays ennemi , riche en productions de 
toutes sortes. Dans les jours où l'armée était ainsi occupée au 
pillage, Alexandre réunit les femmes des soldats et les enfants 
qu'ils en avaient; à chacune de ces femmes il distribua une pro- 
vision de blé pour un mois, et paya aux enfants la solde ordi- 
naire qui revenait à leurs pères. Après que les soldats furent 
rentrés au camp, chargés d'un immense butin, il les réunit tous 

• 11 rcsson de ce passage , que le ferrement des ibevaux était à celte époque 
eiiQpre inconnu. 



LIVRE XVH. 273 

en une assemblée, et les engagea, par nn discours habile, à mar- 
cher contre les Gandarides. Mais les Macédoniens firent la sourde 
oreille, et Alexandre se vit obligé de renoncer è son entreprise. 

XCV. Alexandre se décida donc à mettre ici un terme è son 
expédition. Il éleva d'abord aux douze dieux des autels de cin- 
quante coudées de haut ^ ; il traça ensuite le contour triple de 
celui d'un camp ordinaire ; il creusa un fossé de cinquante pieds 
de largeur el de quarante de profondeur ; et la terre accumu- 
lée en dedans du fossé servit à la construction d'un mur consi- 
dérable. Il ordonna aux soldats d'infanterie de construire, cha- 
cun dans sa tente, deux lits de cinq coudées ^, et aux cavaliers 
d'y ajouter deux mangeoires, doubles de la grandeur ordinaire; 
enfin, d'exagérer les proportions de tous les autres points du 
camp qu'ils allaient quitter. Il agissait ainsi afin de laisser après 
lui les vestiges d'une expédition héroïque , et, en même temps, 
de laisser aux indigènes les traces d'hommes d'une force de 
corps surnaturelle. 

Après avoir achevé ces dispositions, il retourna avec toute son 
armée par les mêmes routes qu'il avait parcourues et atteignit 
les bords du fleuve Acésine. Il équipa les barques qu'il avait 
fait construire et en commanda d'autres. En ce même temps, 
il reçut de la Grèce des troupes d'alliés et de mercenaires, sous 
les ordres de leurs chefs; ce renfort était formé de plus de 
trente mille hommes d'infanterie et de près de six mille cava- 
liers. On lui apporta en même temps des armures complètes 
élégamment fabriquées, au nombre de vingt- cinq mille , desti- 
nées à l'infanterie, et pour cent talents de médicaments \ Il 
distribua le tout aux soldats. Enfin , les préparatifs de la flotte 
furent achevés ; cette flotte se composait de deux cents bâti- 

' Environ vingt-cinq niètres. 

' Plus de deux mètres. 

' Les interprètes ont à tort , selon moi , entendu par Ixarôv râXccvrcc , le ^wids 
des médicaments ; et Miot a rendu fxpfidxùi'j ear/sixâv IxaTÔv râXcc-jroL > (lai* .- 
cent talents pesant de drogues et de médicaments ; ce qui ferait environ deux mille 
six cents kilogrammes de médicaments. Quelqu^ignorants qu'on suppose les mé- 
decins macédoniens , on ne peut pas croire qu'ils aient destine d'aussi énormes 
charretées de drogues aune armée qui ne comptait pas cinquante mille liora- 



21U DIODOKB DE SICILE. 

ments ouverts et de huit cents navires de charge. Des villes fon- 
dées sur les rives du fleuve , Fuue fut nonomée Nieée , en soih 
venir des victoires remportées; Tautre, Bucéphata^ eo rhoQ- 
neur du cheval d'Alexandre qui fut tué dans la bataille contre 
Porus. 

XCYI. Il s'embarqua sur ces bâtimenti avec ses amis et se 
dirigea vers le midi en descendant le fleuve jusqu'à l'Océan, JU 
gros de l'armée suivit à pied les rives du fleuve , sous les ordres 
de Cratère et d'Hephœstion. Arrivé aux confluents de l'Acéane 
et de l'Hydaspe, Alexandre ût débarquer les soldats et s'avança 
contre les Sibes. Ces peuples se disent .descendants de ceux qui 
assiégèrent avec Hercule le rocher Aornos, et qui, après avoir 
échoué dans ce siège , furent établis dans ce paya par Hercule 
lui-même. Alexandre* avait établi son camp près d'une ville très- 
célèbre ; là il reçut la visite des principaux citoyens qui , rap- 
pelant au roi leur origine commune, promirent de se soumettre 
volontiers à tous ses ordres et lui apportèrent de magnifiques 
présents. Alexandre accueillit leurs louanges, respecta l'indépen- 
dance de leurs cités et porta ses armes chez les nations limitro- 
phes. Il rencontra les Agalasses qui avaient réuni quarante mille 
hommes d'infanterie et trois mille cavaliers; il leur livra un 
combat d'où il sortit vainqueur. Les Agalasses perdirent la 
plupart de leur monde, et se réfugièrent dans les villes du voi- 
sinage. Alexandre prit ces villes d'assaut et vendit comme es- 
claves ceux qui s'y étaient réfugiés. Une autre troupe d'indigè- 
nes, au nombre de vingt mille hommes, avait cherché uti asile 
dans une grande ville qu'Alexandre prit également d'assaut ; mais 
comme les Indiens s'étaient barricadés dans les rues et qu'ils se 
défendaient intrépidement du haut des maisons , ils tuèrent un 
assez grand nombre de Macédoniens. Irrité de cette résistance, 
le roi incendia la ville et fit périr dans les flammes la plupart de 
ses habitants. Le reste des indigènes, au nombre de trois mille, 

mes. Je persiste donc à prendre Uolxqv xdXxvrot pour la VQl$vr ^s fipfUM» 
îuTptxi , ainsi nommés par opposition à fipfiMia, i^XvtrT^picc^ les poisQDv. 
' Le texte me parait ici tronqué. 



■i 



rjvHE xvii. 275 

se réfugia dans la citadelle ; mais , sur leurs supplications, ils 
furent épargnés. 

XCVII. Alexandre se rembarqua avec ses amis et continua 
sa navigation jusqu'au confluent des deux fleuves cités et de 
rindus. Au point où ces trois fleuves se réunissent , les eaux 
forment beaucoup de tournants dangereux. Le courant y est si 
rapide que , malgré l'habileté des pilotes , deux vaisseaux longs 
chavirèrent et plusieurs autres échouèrent contre le rivage. Le 
vaisseau commandant fut'lui même battu par d'énormes bri- 
sants ; le roi se trouva dans un danger extrême ; ayant la mort 
devant les yeux , il ôta son vêtement et cherchait à se sauver en 
se jetant tout nu dans les flots. Ses amis se mirent à nager autour 
et se préparaient à recevoir le roi au moment où il s'élancerait 
du navire. Le désordre fut extrême aux environs du bâtiment. 
Enfin la forcé des hommes luttant contre la force du fleuve, 
Alexandre parvint , non sans peine , à se jeter avec ses bâti- 
ments sur le rivage. Ainsi sauvé miraouleusement , il ofifrit eut 
dieux un sacrifice , Comme s'il avait échappé aux plus grands 
dangers, après avoir, comme Achille, lutté contre un fleuve. 

XCVIIL Alexandre dirigea ensuite son expédition chez les 
Oxydraques' et les Malliens, nations populeuses et guerrières qui 
avaient réuni plus de quatre-vingt mille hommes d'infanterie^ 
mille chevaux et sept cents chars de guerre. Ces nations étaient 
en guerre entre elles, avant l'arrivée d'Alexandre. Lorsque le 
roi s'approcha de leurs pays , elles se réconcilièrent et cimen- 
tèrent la paix en donnant et en recevant dix mille jeunes filles 
pour des mariages réciproques. Cependant ces nations n'entrè- 
rent point en campagne [contre Alexandre], elles se dispu- 
taient le commandement suprême et se retirèrent dans les villes 
du voisinage. Alexandre s'approcha de la première de ces villes 
et décida de l'emporter d'assaut Dans ce moment , un des au- 
gures, nommé Démophon, vint annoncer que, d'après le vol 
des oiseaux , le roi recevrait dans ce siège une blessure grave* 
Il supplia donc Alexandre de se désister pour le moment de 

* Le texte porte Syracute, C'est une erreur du copiste. 



r"^ 



276 DIODORE DE SICILE. 

son entreprise et de songer à d*autres exploits. Le roi reçut fort 
mal cet augure et lui reprocha d'entraver le courage des com- 
battants. Puis il fit les dispositions du siège et marcha le premier 
contre la \ille, jaloux de la prendre de vive force. Les machines 
de guerre allant trop lentement , il enfonça une porte et se pré- 
cipita dans la ville. Il tua un grand nombre d'ennemis , mit les 
autres en déroute et les poursuivit jusque dans la citadelle. Pen- 
dant que les Macédoniens étaient encore occupés à se ballre anx 
remparts, Alexandre saisit une échelle, l'appliqua contre les 
murs de la citadelle et , tenant sa rondache au-dessus de la 
tête, il se disposa à y monter. L'empressement qu*il mît à 
prendre la citadelle ne laissa pas aux Barbares le temps de l'ar- 
rêter, et il atteignit rapidement le sommet du mur. Les Indiens, 
n'osant pas le combattre corps à corps , lui lancèrent à distance 
une grêle de javelots et de flèches ; le roi en fut accablé. Les 
Macédoniens, [s'en étant aperçus], appliquèrent deux autres 
échelles ; mais , tous s'y précipitant en masse pour y monter , 
les deux échelles se brisèrent et tous ceux qui s'y trouvaient 
tombèrent à terre. 

XCIX. Le roi, abandonné de tout secours, osa accomplir 
un exploit inouï et digne de mémoire. Regardant comme honteux 
de quitter le mur et de rejoindre les siens sans avoir obtenu 
aucun résultat, il sauta tout armé et seul dans l'intérieur de la 
ville. Aussitôt les Indiens se jetèrent en masse sur lui ; mais il 
soutint intrépidement le choc des Barbares. Protégé à sa droite 
par un arbre qui avait sa racine au pied du mur, et à sa gauche 
par le nmr lui-même , il se défendit contre les Indiens. £q 
déployant ce courage, le roi, qui avait déjà accompli tant de 
hauts faits , ambitionnait de couronner sa vie par la fin la 'plus 
glorieuse. Après avoir reçu de nombreux coups sur le casque 
et sur le bouclier, il fut enfm atteint d'une flèche au-dessous du 
sein et tomba sur les genoux , épuisé par la blessure. Aussitôt 
l'Indien qui aVait lancé cette flèche accourut bravement et allait 
porter un second coup, lorsque Alexandre lui enfonça son épée 
dans l'aine et étendit le Barbare roide mort ; saisissant ensuite 



LIVRE XVIÏ. 277 

une branche voisine, le roi se releva et provoqua les Indiens qui 
voudraient lutter avec lui. Dans ce moment , Peuceste , un des 
liypaspistes ^ , monté sur une autre échelle , arriva le premier 
au secours du roi et le protégea de son bouclier. Après celui- 
là arrivèrent plusieurs autres Macédoniens , qui frappèrent de 
terreur les Barbares et sauvèrent Alexandre. La ville ayant été 
prise d'assaut, les Macédoniens, furieux [de la blessure] du 
roi , tuèrent tous les Indiens qui leur tombaient sous la main et 
remplirent la ville de cadavres. Le roi passa plusieurs jours à se 
faire traiter de sa blessure. Dans cet intervalle, le bruit se ré- 
pandit que le roi était mort de sa plaie. A cette nouvelle , les 
Grecs, depuis longtemps établis dans la Bactriane et la Sogdiane, 
et qui étaient mécontents de se voir comme une colonie trans- 
plantés au milieu des Barbares , se révoltèrent contre les Macé- 
doniens. Ils se réunirent au nombre de trois mille et supportè- 
rent beaucoup de fatigues pour retourner dans leur patrie, 
mais plus tard, après la mort d'Alexandre, ils furent taillés en 
pièces par les Macédoniens. 

C. Remis de sa blessure, Alexandre, pour célébrer sa gué- 
rison , offrit des sacrifices aux dieux et prépara à ses amis de 
grands festins. Il se passa un incident remarquable dans un de 
ces banquets. Parmi les convives se trouvait un Macédonien ' 
nommé Coragus, d'une grande force corporelle et qui s'était 
souvent distingué par sa valeur dans les combats. Cet homme, 
emporté par l'ivresse , provoqua à un combat singulier Dioxippe 
d'Athènes, athlète de profession et couronné plusieurs fois pour 
les plus brillantes victoires. Les convives , comme on peut se 
l'imaginer, excitèrent encore davantage les deux rivaux. Dioxippe 
ayant accepté le défi, Alexandre fixa le jour du combat. Ce jour 
venu , des milliers de curieux arrivèrent pour assister à ce 
spectacle. Les Macédoniens et le roi lui-même, comme compa- 
triotes de Coragus , faisaient des vœux pour lui , tandis que les 
Grecs étaient pour Dioxippe. Le Macédonien entra dans l'arène , 
revêtu d'armes magnifiques; l'Athénien était tout nu, oint 

Xnv.'STznT^i , qui protège avei' le bouclier ; nom des gardes du roi. 

III. *iA\ 



278 DIODORE DE SICILE. 

d'huile, et coiffé d'un bonnet rond ; tous deux excitaient, par h 
vigueur et les formes de leur corps, l'admiration des spectateurs 
qui semblaient assister à un combat dos dieux. Le Macédonien, 
par sa force physique et ses armes resplendissantes, était impo- 
sant à voir comme le dieu Mars. Dioxippe , par sa vigueur ex- 
traordinaire , par son maintien d'athlète et Ja massue qu'il 
maniait si dextrement , otTrait un aspect herculéen. Les deux 
antagonistes s'avancèrent l'un sur l'autre ; le Macédouien lança 
son javelot à une distance déterminée , mais son antagoniste évita 
le coup par une légère inchnaison du corps. Goragus se porta 
alors en avant, la sarisse macédonienne en arrêt; Dioxippe le 
laissa s'approcher et brisa la sarisse d'un coup de massue. Go- 
ragus, après avoir échoué dans ses deux attaques, eut recours 
à l'épée; mais au moment où il la tirait du fourreau , Dioxippe, 
le prévenant^ sauta sur lui d'un bond, arrêta de sa main gauche 
le bras qui tirait l'épée , et de l'autre , branlant sa massue , il 
l'appliqua sur les jambes de sou antagoniste et le fit rouler à 
terre ; puis il lui posa le pied sur la gorge, et, tenant sa massue 
haute , il leva les yeux sur les spectateurs. 

Cl. La multitude applaudit à grands cris à cet acte de bra- 
voure si merveilleux et si extraordinaire. Le roi ordonna de lâ- 
cher le vaincu et termina le spectacle : il s'en alla mécontent de 
la défaite du Macédonien. Dioxippe lâcha son adversaire ter- 
rassé et reçut les félicitations de ses compatriotes comme si 
sa gloire devait rejaillir sur tous les Grecs. Mais la fortune ne 
laissa pas cet athlète se targuer longtemps de sa victoire ; Je roi 
se montra toujours de plus en plus mal disposé à son égard; 
les amis d'Alexandre et tout ce qu'il y avait de Macédoniens à sa 
cour, étaient jaloux de la force de Dioxippe [ et ils le lui firent 
bientôt sentir]. Un des domestiques, chargés du service de la ta- 
ble, avait reçu l'ordre secret de cacher sous l'oreiller de Dioxippe 
une coupe d'or, et , dans le repas qui eut lieu ensuite , on ac- 
cusa de vol l'athlète , en donnant pour preuve la coupe trou- 
vée sons son oreiller. Dioxippe, accablé de honte et d'infa- 
mie et voyant les Macédoniens accourir sur lui , sortit de table 



LIVRE XVII. 279 

et se retira bientôt dans sa propre demeure. Là , il écrivit à 
Alexandre une lettre dans laquelle il lui dévoila toute la ma- 
chination tramée contre lui ; il donna cette lettre aux siens avec 
la recommandation de la remettre au roi , et se suicida. Si , en 
acceptant le défi, il avait montré peu de prudence, il était 
encore bien plus insensé de se donner la mort. Aussi beau* 
coup de gens critiquèrent celte folie de Dioxippe , en regret- 
tant qu'un si grand corps eût renfermé un si petit esprit. 
Le roi, à la lecture de la lettre, se montra très-afiligé de la 
mort de Tathiète , et le regretta souvent. Enfin , Alexandre , 
qui n'avait pas employé Dioxippe de son vivant, aurait voulu 
ravoir à son service lorsqu'il n'était plus, et il reconnut qu'on 
avait calomnié cet homme valeureux , lorsque ses regrets étaient 
inutiles. 

CIL Alexandre ordonna à son armée de marcher de conserve 
avec les bâtiments; lui-même descendit le fleuve pour se diriger 
vers l'Océan. Il aborda ainsi dans le pays des Sambastes ^. Ce 
peuple est aussi puissant et brave qu'aucune autre nation de 
l'Inde. Les Sambastes habitent des villes gouvernées démocra- 
tiquement. A la nouvelle de l'approche des Macédoniens, ils réu- 
nirent soixante mille hommes d'infanterie , six mille cavaliers et 
cinq cents chars de guerre. Cependant la flotte d'Alexandre 
s'avançait toujours. Frappés de l'arrivée de l'ennemi, chose 
aussi nouvelle qu'étrange , intimidés par la renommée des Ma- 
cédoniens, et cédant aux avis des vieillards qui leur conseillaient 
de ne pas combattre , les Sambastes envoyèrent cinquante dé-* 
pûtes, des plus illustres, pour supplier Alexandre de se conduire 
à leur égard avec humanité. Le roi loua ces députés, leur ac- 
corda la paix , et accepta les présents et les honneurs héroïques 
^ que lui avaient offerts les indigènes. Il soumit ensuite les Sodres ^ 
et les Massans qui habitent les deux rives du fleuve. Il fonda 
dans cette contrée, sur le bord du fleuve, une ville portant le nom 

* Arrien ( VI , 15 ) les appelle Abastaiis , et Quinte-Curce Sabraques. 

• Wesseling pense que l'auteur a voulu dire 2dy5eot, Soydiem. Voyez Arrien, 
VI, 15. 



280 DIODORE DE SIC (LE. 

d*Alexandrie et y établit dix mille colons. De là, il envahit le ter- 
ritoire du roi Musicaii ; il fit arrêter ce souYerain , le tua , et 
subjugua toute la nation. Il pénétra ensuite dans le royaume de 
Portican, prit deux villes d'assaut, en abandonna le pillage à ses 
soldats cl mit le feu aux maisons. Portican s'était réfugié dans 
une place forte, Alexandre le soumit et le tua. Puis, il prit 
d'assaut toutes les villes de ce roi et les rasa, ce qui répandît la 
terreur chez les peuples voisins. A la suite de ces exploits, 
Alexandre dévasta le royaume des Sambastes, détruisit la plu- 
part des villes, vendit les habitants à Tenchère et tailla en pièces 
plus de quatre-vingt mille Barbares. Tels furent les désastres 
qu'essuya la nation des Brachmancs. Ceux qui avaient échappé 
au carnage , vinrent en habits de suppliants implorer la clémence 
du vainqueur. Le roi châtia les plus coupables et fit grâce aux 
autres. Le roi Sambus se réfugia avec trente éléphants dans la 
région située au delà de l'Indus, et échappa ainsi au danger qin' 
le menaçait. 

CIU. La ville située à l'extrémité du pays des Brachmans 
s'appelle Harmalelia ; elle se confiait en sa position inaccessible 
et dans le courage de ses habitants. Alexandre détacha un petit 
nombre de ses amis avec l'ordre d'attaquer les ennemis , et de 
céder le terrain s'ils étaient serrés de près. Ce détachement, 
composé de cinq cents hommes, attaqua les murailles, mais il 
ne produisit aucun eiïet. La garnison, au nombre de trois mille 
hommes, fit une sortie, et les Macédoniens, feignant la terreur, 
prirent la fuite. £n ce moment le roi arriva avec un petit nom- 
bre de troupes, et fit face aux Barbares qui poursuivaient son 
détachement ; il s'engagea un combat sanglant dans lequel les 
Barbares furent, les uns tués, les autres faits prisonniers. Mais 
beaucoup de soldats du roi , qui avaient été blessés , coururent « 
les plus grands dangers : le fer des flèches lancées par les Bar- 
bares était trempé dans du poison ^ ; c'est ce qui avait donné 

• 4>âjO//.a/ov 05(va7t//oy. Ces deux mots signifient tout simplement poison. Les 
traducteurs qui les rendent par poison moitel oommeltont un pléonasme qui 
n'existe même pas en grec; car '^ipfix/.oj est un mot ancep:i qui ne signifie médi' 
rament ou poison qu'autant qu'il est accompagne des adjectifs lar/Dixdv ou de 



LIVRE XVII. 281 

aux Indiens tant de confiance pour risquer un combat. Ce poison 
provenait de quelques espèces de serpents, pris à la chasse et 
dont ils exposaient les corps au soleil. La chaleur, putréfiant 
les chairs , en faisait sortir sous forme de gouttelettes un liquide 
d*où se retirait le poison de ces animaux K Le corps de celui qui 
en avait été blessé était aussitôt saisi de torpeur suivie bientôt 
de douleurs aiguës, de convulsions et d'un tremblement général. 
La peau devenait froide et livide ; à ces symptômes succédaient 
des vomissements de bile; une sanie noire s*écoulait de la plaie; 
la putréfaction envahissait les parties nobles du corps et causait 
une mort affreuse. Ces accidents se manifestaient h la suite d'une 
légère égraiignure aussi bien que d'une large plaie. De la perte 
de tant de blessés le roi ne s'affligea pas autant que de la ma- 
ladie de Ptolemée , de celui qui devint roi par la suite et qu'A- 
lexandre aimait alors tendrement. Il arriva, au sujet de Ptole- 
mée, un incident inattendu que quelques-uns attribuent à la 
providence des dieux : aimé de tout le monde pour ses vertus 
et surtout pour sa générosité extrême, Ptolemée reçut un secours 
opportun. Le roi vit dans un songe un dragon tenant dans sa 
gueule une plante dont cet animal indiquait les propriétés et 
le lieu où elle croît*. A son réveil, Alexandre alla à la recherche 
de la plante, la broya, l'appliqua sur le corps de Ptolemée ^ 
en donna à boire le suc et rétablit son favori. L'utilité de cette 



Oxv5cat/Aov, o/;//;T/;/5tov, etc. Loi'S([uMl se trouve seul, c'est Penscmble du ii'xu» 
•iin indique le sens qu'il finit y nttacherT. 

' Lo poison dont il s'agit ici doit cire rangi^. dans la classe des poisons septiques. 
Voyez, torn. I , pag. 31 1 , note 2. 

' Cicj'ron (de JUvinatione , II , (iO) et Strabon (XV, p. 1052 de Tédit. Casuul). ) 
ritent ce môme fait. Quelques auteurs ont prétendu que cette piaule indiquée [mr 
le dragon était VarUtoïorhe. On serait, je crois, fort embarrassé do trouver, 
parmi le nombre infini des j)lantes réputées efll«-ai-es contre la moiwire des ser- 
pents , celle qu'Alexandre avait employée pour guciir Ptolemée. 

Kat Tcteïv ooû;. Miot a rendu ces mots par : et il lui en fit boire une infusion. 
Eu étudiant l'histoire de la pharmacologie, on doil reconnaître que la préparation 
la plus simple, et celle qui devait venir la premicre h l'esprit , est l'exiracliun du 
suc de la plante ; puis venait la décoction ou la préparation des tisanes, et enlin 
l'infusion. Cette derni^re opération suppose déjà un certain degré de raffinement 
dans Tart pharmaceutique : c'est un digestum par l'eau bouillante. 

III. ^Vx« 



282 DIODORE DE SICILE. 

plante étaiu recomiue , tous Jes autres blessés s'en servirent et 
furent de niènic sauvés. 

Alexandre se dis|X)sait à foire le siège dMlarinatelia, ville 
grandti et forte, lors(iue les habitants se présentèrent à lui en 
habits (le suppliants , se soumirent et obtinrent leur grâce. 

CIV. Alexandre continua de naviguer avec ses amis jusque 
dans rocéan. Là il aperçut deux iles et il offrit iinniédiateaient 
aux dieux de pompeux sacrifices. 11 tit des libations et jeta à 
la mer les grandes et nonibreus<*s coupes d'or [ dans lesquelles 
ces libations avaieni été faites. ] il éleva ensuite des autels à 
Téthys et <i TOcéan , croyant mettre là un terme à son expédi- 
tion. De là il retourna en arrière en remontant le fleuve et 
aborda à llyala, ville célèbre dont le gouvernement ressemblait 
à celui (le Sparte : deux rois , de deux familles diiïércntes , et 
par ordre de succession , exervaient dans la guerre l'autorité 
suprême, tandis qu'un sénat était à la tète de toute l'adaiinis- 
tration. 

Alexandre mit le feu aux barques avariées et confia le reste 
de sa flotte à Néarqueet à quelques autres de ses amis, avec 
Tordre de visiter tout le littoral de TOcéan, jusqu'aux bouches 
de l'Euphrale, où ils di*vaient le rejoindre. Quant à lui , à la tête 
de son armée, il parcourut une grande étendue de pays, dompta 
ceux ^ui lui résistaient et traita humainement ceux qui se sou- 
mettaient. Il réunit à son pouvoir, sans coup férir, les Arbites 
et les\Xidrosiens. Après avoir ensuite traversé une vaste région 
privée d'eau et prescjue déserte, il al teignit les fnmtières del'O- 
ritidé. Là il divisa son armée en trois corps; Ptolemée reçut k 
commandement du premier, et Léonnatus celui du second. Pto- 
lemée eut ordre de ravager le littoral , et Léonnatus l'intérieur 
du pays; Alexandre lui-même dévasta les vallées et les monta- 
gnes. C'est ainsi que, en un même moment, une vaste contrée 
fut désolée par le feu, le pillage et des massacres. Les soldats re- 
cueillirent donc en peu de temps ime immense quantité de 
butin; des myriades de Barbares furent égorgés. Épouvantées de 
ces exécutions sanglantes, les nations voisines se rangèrent sous 



LIVRE XVII. ^ 283 

l'autorité du roi. Jaloux de fonder une ville sur les bords de 
rOcéan , il choisit un emplacement favorable dans le voisinage 
d'un excellent port , et y fonda une ville à laquelle il donna 
le nom d'Alexandrie. 

CV. Le roi pénétra par des défilés dans le pays des Orites et 
le soumit bientôt tout entier à son pouvoir. Les Orites ont à 
peu près les mêmes mœurs que les Indiens ; cependant on y 
remarque une coutume singulière et tout à fait incroyable. 
Lorsqu'un homme vient à mourir, les parents, tout nus, et 
armés de lances , emportent le corps. Ils le déposent dans une 
forêt de chênes, lui ôtent les ornements dont il était revêtu, et le 
laissent en pâture aux animaux. Puis, ils se partagent les habits 
du mort , offrent des sacrifices aux héros des enfers et font un 
repas de famille. 

Alexandre pénétra ensuite dans la Cédrosie en longeant les 
côtes. Il rencontra une tribu inhospitalière et entièrement sau- 
vage. Les indigènes laissent croître leurs ongles depuis leur nais- 
sance jusqu'à la vieillesse ; ils laissent aussi pousser leurs cheveux, 
qui sont tout entrelacés ; leur teint est bruni par le soleil , et 
ils se couvrent de peaux d'animaux sauvages. Ils se nourrissent 
de la chair des cétacés que la mer rejette ; ils s'en servent en 
même temps pour construire leurs cabanes. Pour former les 
murs et le toit, ils emploient, en guise de poutres, les côtes de 
ces cétacés, qui ont jusqu'à dix-huit coudées de longueur; la 
peau écailléuse de ces animaux leur tient lieu de tuiles. £n 
visitant celte nation , Alexandre eut à souffrir du manque de vi- 
vres ; il entra ensuite dans un pays désert et dépourvu de tous 
les animaux utiles à la vie de l'homme. Beaucoup de soldats pé- 
rirent faute de nourriture, l'armée des Macédoniens tomba dans 
un profond découragement, et Alexandre lui-même ne put 
contenir son chagrin et sa tristesse ; car c'était un spectacle af- 
lligeant devoir mourir de faim, sans gloire, dans un désert, tous 
ces hommes vaillants dont les armes avaient vaincu le monde. 
Dans cetie position critique, le roi envoya quelques coureurs 
dans la Partbie , dans la Drangine , dans l' Arie et les autres 



28/| « DIODORE DK SICILE. 

contrées voisines du désert , avec l'ordre de conduire immé- 
diatement k l'entrée de la Carnianie des dromadaires, et des bê 
tes de somme chargées de provisions. Les messagers se rendiren 
en hâte chez les satrapes de ces provinces et firent venir daa 
l'endroit désigné des vivres en abondance. Cependant, avan 
l'arrivée de ces convois, Alexandre avait déjh perdu sans res 
source beaucou|) de ses soldats. Après qu'il se fut mis en route 
quelques détachements d'Orites attaquèrent Léonnatus, el 
ayant perdu beaucoup de monde, ils se retirèrent dans leui 
pays. 

(IVI. Alexandre franchit non sans peine ce désert, entra dan: 
une contrée bien habitée et riche en subsistances. Il y fit repo- 
ser son armée ; el , parlant de là , il marcha pendant sept joun 
à la tête de son armée , en tenue de fête : il imita le triomphe de 
Bacchus, célébrant sa marche par des banquets et des festins. 

Instruit que plusieurs satrapes et gouverneurs militaires 
avaient abusé de leilr autorité en exerçant des violences et des 
outrages, Alexandre leur infligea une punition méritée. Le bruit 
de cette justice sévère s'élant répandu, beaucoup de gouverneurs 
militaires , se sentant également coupables , furent saisis de 
crainte ; quelques-uns , qui avaient à leur solde des merce- 
naires , s'insurgèrent contre le roi ; plusieurs autres rassem- 
blèrent leurs richesses et prirent la fuite. A cette nouvelle , le 
roi écrivit à tous les satrapes el commandants nûlitaires de 
l'Asie de licencier tous les mercenaires aussitôt après avoir lu sa 
lettre. 

Vers ce même temps, le roi s'était arrêté dans une ville 
maritime nommée Salmonte. Pendant qu'il assistait , dans le 
théâlre , à des jeux scéniques, il apprit l'arrivée des navigateurs 
qu'il a\ait envoyés explorer les côtes de l'Océan. Ceux-ci se ren- 
dirent sur-le-champ au théâtre, saluèrent Alexandre, et lui an- 
noncèrenl le succès de leur expédition. Les I\lacédoniens , 
joyeux du retour de leurs compagnons d'armes , accueillirent 
cette nouvelle par de vifs applaudissements. Tout le théâtre était 
plein d'une joie inexprimable. Les voyageurs exposèrent alors 



LIVRE XVD. 285 

les détails de leur navigation. Ils racontèrent qu'il existait dans 
rOcéan des flux et des reflux étranges; qu'au moment de la ma- 
rée basse on voyait les sommets d'îles grandes et nombreuses 
qui étaient toutes submergées pendant la marée haute ^ , et que, 
tout h coup, lancées par un vent violent, les lames blanchissaient 
de leur écume tout le rivage ; mais que la particularité la plus 
remarquable était le nombre des énormes cétacés qu'ils avaient 
rencontrés; que ces animaux, qui menaçaient de renverser 
les navires, leur avaient causé beaucoup de frayeur et leur 
avaient d'abord fait craindre pour la vie; mais qu'en criant tous 
comme d'une seule voix , et en joignant à ces cris le bruit de 
leurs armes et le son des trompettes , ils étaient parvenus à épou- 
vanter ces monstres, qui s'étaient replongés dans l'abîme-. 

(IV II. Après avoir écouté ce récit, le roi donna auxcomman- 
dants de la flotte l'ordre de diriger leur navigation vers les bou- 
ches de l'Euphrate ; puis il se mit lui-même en roule avec son 
armée et atteignit après une longue marche les frontières do 
la Susiane. 

Kn ce temps, Calanus l'Indien, qui avait fait de grands progrès 
dans la philosophie, et qui jouissait de la faveur d'Alexandre , 
mit lui à sa vie d'une façon bien étrange. Cet homme, (|ui 
avait vécu soixante-treize ans, sans avoir jamais éprouvé d'in- 
firmités, décida de quitter la vie, comme ayant comblé la mesure 
de bonheur que la nature humaine puisse atteindre. Scms l'in- 
fluence d'une maladie qui faisait de jour en jour de rapides pro- 
grès, il pria le roi de faire construire un grand bûcher et d'or- 
donner à ses domestiques de mettre le feu après qu'il y serait 
monté. Alexandre chercha d'abord ti le détourner de ce projet; 
mais voyant que tout était inutile, il accorda la demande de l'In- 
dien. Le btkher fut préparé, et une foule immense se réunit 
pour assister à ce singulier spectacle. Conformément aux doc- 



' A (Ml jii^or d'apivs mes pnipres imprcssiniitî , ce do,\ait rtiv vu vVt'H un sjK'rlii- 
cUt saisissant pitiir tvux qui , rniiinic les Gret'S , n'avaient juniuis mi d'anlic mer 
(|iie la Médilerraiire où lu marée se fait à peine senlir. 

^ Comparez Arrien , VI , 21 ; el Quintc-Curce, IX , i(>. 



2S') niODOllE DE SICILE. 

trino (jifil professait \ (iulainis inoiiia rourageu^einoiit sur le 
hùrluM' v[ |W'rit dans ks llaiiiint's. Parmi les spectateurs, les uns 
la\:iient n'i arte i\v folie, les autres y voyaient l'ostentation 
(i*ini<' vainc t;li)ire: qu('l()ues-iuis , cependant, admiraient n>U>- 
forec d'ànir v[ vv iiH''))ris de la mort. Le roi lit h («alaïuusdi 
niai;nirKpii'^ fiincraillo. 

M M' ri'iidii fusujif à Siisc, où il é|)onsa la fille aînée de Dariih. 
Statira, «t donna m niariai^t* à llepha*slion la plus jeune, nom- 
nirt* l)i\jHiis. Il rniisiMJla au\ plus distingués de ses fa\(H*i.N d'«ii 
faire autant v{ de N'allier aux (ilirs les plus nobles de la PeiSf. 

(i> lit. \ eeih* nu'Uic époque arrivèrent à Suse trente milli' 
INtms. Ions fAtrruicnicnt jeunes et choisis parmi les plus beaux 
ri lis jihis nibiisleï». Ils avaient été ra>seinblés d'après les<»rdrc^ 
du mi cl iiistiiiiis pfiidanl nu temps sidlisant dans Tart d** l.-- 
unern-. IN éiaient tons superbenu'ut armés il la niacédiuiienne, t! 
a>ai(-ni élevé un campMins les nuu's de la ville. Là ils niontraiiii 
an roi par <les exereices mililain's les progrès «pi'ils avaient fail* 
dans leurs études: ils furent traités avec distinction. Le roia\ai! 
oriianisé ceiporps, cajudde de se mesnrer avec la phalange nia- 
cédoiiii-nne, de|inis qne les Macédoniens s'étaient refusés à pas- 
ser \r (ianu«*,de|)nis (pie sonvent dans des assemblées ilsavaicuV 
élevé dev rianienrs (riiidisciplim*, enfin «iepuis qu'ils |)(>rsitlaiei\t 
sa descendance de .liq)iter \imnou. Telle était al(H\s la situatiiui 
iV \le\anilre. 

A ll;n pains avaient été confiées la «^arde des trésors deJ5al)v- 
lone, ei la jïerceplion des impôts. Dès que le roi eut entrepris une 
expétlition dans l'Inde, llarpalus crut que sou maitrr n'en rt>- 
viendiail pins. Il se livra al(us à nue vie luxurieuse et se déclara 
d'ah(»rd satrape d'une jirande partie de la contrée ; il (uitratïeail 
les l'emnies de.s Perses , s'ahaudcnuiait h de coupables anumrs 
avec les Uaihares, ri dilapidait j^ar ces jouissantes ellVénées une 
grande partie du trésor. Ll faisait vi-nir de fort loin , de la mer 
Roucçe. uni* énorme quantité de poissons. II aj»pela d'Atln^^nes 



LIVRE XVII. 287 

la plus célèbre des courtisanes, uoniinée Pythoiiice; il la combla 
de présents royaux pendaut qu'elle vécut, et après sa mort il lui 
fit de magnifiques funérailles et lui éleva dans TAttiquo un riche 
monument funèbre. Après cela, il fit venir de l'Attique une autre 
courtisane nommée Glycère; il vivait avec elle dans la jouissance 
el les dissipations. Pour se ménager un refuge , en cas d'un re- 
\ers de la fortune, il s'était montré généreux envers le peuple 
d'Athènes. Au retour de l'Inde, Alexandre punit de mort plu- 
sieurs satrapes contre lesquels s'étaient élevées des accusations, 
llarpalus , craignant le mOme châtiment, réunit cinq mille ta- 
IimUs d'argent , prit à sa solde six mille mercenaires et quitta 
l'Asie pour se rendre dans l'Attique. Mais comme personne ne 
semblait s'intéress(»r à lui , il laissa sf s mercenaires au cap Té- 
narc, dans la Laconie, prit a\ec lui une partie de ses trésors, et 
\iiil se présenter en suppliant de>anl le peuple d'Athènes. Mais 
\inipaler et Olympias avaient demandé son extradition, el bien 
(ju'il eiil dépensé beaucoup d'argent pour corrompre les orateurs 
poj)ulaires d'Alhwies, il s'échappa et \int rejoindre à Ténare ses 
soldats mercenaires. De là il aborda en Crète où il fut assassiné 
par Tbimbron, un de ses amis. Les Athéniens firent une enquête 
an sujet des largesses d'Harpalus t't condamnèi^ent Déniosthène 
et (juelques autres orateurs convaincus de corriqition. 

(;i\. IVndant qu'on célébrait les jeux olympiques, Alexan- 
di e fit proclamer à Olym])i(' que tous les bannis pourraient ren- 
trer dans leurs foyers , à l'exception des sacrilég(?s et des assas- 
sins. En même temps, il congédia les plus anciens citoyens qui 
servaient dans l'armée, au nond)re dVn\iron dix mille. En ap- 
prenant (pie beaucoup d'entre eux étaient endettés, il acquitta 
en un seul jour pour près de dix mille talents de dettes *. Les 
Macédoniens qui, après le dé|)art de ces vétérans, restaient en- 
core dans l'armée, se montrèrent mécontents et munnurèrent 
dans rassemblée. Irrité de cette infraction à la discipline, Alexan- 
dre leur adressa de vifs reproches. Il intimida tellement la foule 
assemblée , qu'en descendant de la tribune il put oser arrêter 

* Ciijquanto-ncuf millions de francs. 



'iSS l)h)IK>r»E DE SICILE. 

(le sa j)r()|>ro main los aiiliurs dus désordres el les livrer à %vi 
salcIliU's |)()iir nMO\nir la punition méritée. Mais coinine la sédi- 
tion continua à s'accroître , le roi choisit parmi les Perses Io> 
otlicicrs généraux. Alors les Macédoniens, pleins de repentir, 
xinrcnl en plemant demander leur pardon qu'Alexandre n'ac- 
corda qu'après beaucoup de sollicitations. 

(A. Dans celle année, Anticlès étant archonte (rAlhènes. 
I(>s Uomains nommèrent consuls Lucius (lornélius et Qninlii> 
l»opiliusS Alexandre remplit les vides de son armée par des Per- 
ses et en établit mille à sa cour, pour lui servir dliypaspistcs - ; 
enfin , il eut tout autant de confiance en ses nouvelles troupes 
(pren les Macédoniens. 

Dans ce même temps, arriva Pcuceste, amenant avec lui vingt 
mille archers et frondeurs |)erses, qui, incor|X)rés dans les an- 
ciennes trou.pes, formèrent une armée complète, entièrement re- 
fondue et tempérée, sekm les vues d'Alexandre , par le mélange 
des deux nations. Le roi se lit aussi rendre un compte exact du 
nombre des enfitnts nés du connnercc des iMacédonicns avec kb 
femmes captives. Le nond)re de ces enfants s'élevait à près de 
lix mille. Il leur asssigna ime paie convenable pour leur entre- 
tien de personnes libres et pom\ul à leur éducation en leur don- 
nant des niaîtres qui de> aient les instruire. 

Le roi se remit ensuite en marche, ([uitta Suse , passa le Pa- 
siligre , ('i établit son camp dans les villages appelés les Carcs\ 
\h) là , après (piatre jours de route il atteignit Sita et se rendit 
ensuite à Sand)ana, où il s'arrêta pendant s«pt jours. J>e là, en 
trois jours de marche, il arriva avec son armée dans le pavs des 
Celons, où s'est maintenue jusqu'à ce jour une race de Jiéotienf; 
qui, ayant été transportée dans celle contrée lors de Texpédition 
de Xerxès, a conservé encore les mœurs de la patrie. Ces Béo- 
tiens parlaient deux idiomes ; l'un était semblable à celui des \\\' 



' Tioisii'inf année do la oxiii'= (•lymi»iiu.le : année 3*20 u\îint J.-O. 
' Voyez note l, iinfî. 277. 

^ Ce nom parail venir .lu ehuH.'rn . "^^ : kar^. IroiijteuH , i"»ur indùmer Ja ri- 
chesse' de ei's liuMMMUX. 



( 




LIVRE XVII. 289 

digènes ; Tautre renfermait un très-grand nombre de mots et 
plusieurs idiotismes de la langue grecque. Alexandre resta quel- 
ques jours dans ce pays ; de là, il se rendit par curiosité, se dé- 
tournant un peu du chemin direct , dans la Bagistane , contrée 
divine , fertile en arbres fruitiers et riche en toutes choses qui 
peuvent contribuer aux jouissances de la vie. Il arriva ensuite 
dans un pays qui nourrit d'immenses troupes de chevaux ( on 
y comptait , dit-on , jadis plus de cent soixante mille de ces ani- 
maux à rétat sauvage ; mais à Fépoque d'Alexandre il n'y en avait 
plus que soixante mille). Le roi resta trente jours dans ce pays. 
De là , il atteignit en sept jours Ëcbatane dans la Médie. Celte 
ville a, dit-on, deux cent cinquante stades de tour^ ; elle esl la 
résidence royale de toute la Médie et renferme d'immenses tré- 
sors. Alexandre y laissa se reposer ses troupes pendant quelque 
temps, célébra des jeux scéniques et donna des banquets à 
ses amis. Ce fut là qu'Hephaestion, par suite d'une orgie, tomba 
malade et mourut. Profondément affligé de cette mort, le roi 
chargea Perdiccas de transporter le corps d'Hephaestion à Raby- 
lone où il avait l'intention de l'ensevelir avec pompe. 

CXI. Dans le cours de ces événements, la Grèce fut le théâ- 
tre de troubles et de mouvements insurrectionnels. La guerre 
Lamiaque venait d'éclater par les causes suivantes : Alexandre 
avait ordonné à tous les satrapes de congédier leurs troupes 
mercenaires. Depuis l'exécution de cet ordre, beaucoup de ces 
soldats licenciés parcouraient en vagabonds toute l'Asie et ne 
vivaient que de rapines. Plus tard , ils se réunirent et mirent à 
la voile pour le cap Ténare en Laconie. Les satrapes et les autres 
généraux perses, derniers débris de l'empire de Darius, s'étaient 
également embarqués pour le cap Ténare, après avoir rassemblé 
leurs richesses et joint leurs soldats aux troupes mercenaires. 
Enfin, Léoslhène, l'Athénien , homme d'un brillant courage et 
très-hostile à Alexandre , fut nommé commandant en chef. Ce 
général eut un entretien secret avec le sénat de Sparte qui lui 
donna cinquante talents pour la solde des troupes et une quan- 

' Plus de trente-six kilomètres. 

III. 1^ 



290 DIODORE DE SICILE. 

til<'* d^arnic'î» suffisante pour les besoins de la guerre. Il envoya 
ensuite uno drputation cliargée de demander du secours aux 
Ëtolicns qu*il savait mai disposés pour le roi et pourvut ainsi 
à tout ce qui esi nécessaire à une entrée en campagne. Telles 
sont les dispositions que prenait alors Léosthène pour une guerre 
qu*il prévoyait devoir être sérieuse. 

Alexandre marcha promptement contre les Cosséens, qui 
avaient refusé de se soumettre. Cette nation, très-puissante, ha- 
bite les montagnes de la Médie. Confiants dans la position forte 
des lieux ainsi qu'en leur bravoure, les Cosséens avaient toujours 
repoussé tout joug étranger et avaient conservé leur indépen- 
dance sous la domination des Perses; et même actuellement, ils 
ne se laissaient pas intimider par la valeur des Macédoniens. 
Mais le roi qui avait occupé d'avance les défilés, dévasta la plus 
grande partie du pays des Cosséens, l'emporta dans toutes les 
rencontres , tua beaucoup de Barbares et fit un grand nombre 
de prisonniers. Les Cosséens , vaincus partout et affligés de la 
perte d(î lant de prisonniers, furent obligés de se soumettre pour 
racheter la liberté des leurs. Ils se rendirent donc à discrétion, 
et obtinrent la paix , à la condition de vivre dans Tobéissance 
aux ordres du roi. Après avoir soumis en quarante jours en- 
tiers la nation des Cosséens, et fondé des villes considérables dans 
les positions les plus fortes du pays, il accorda à ses troupes quel- 
que temps de repos. 

CXII. Sosiclès étant archonte d'Athènes, les Romains élurent 
pour consuls Lucius Cornélius Lentulus et Quintus Popilius*. 
Dans cette année , Alexandre , après avoir dompté les Cosséens, 
se remit en mouvement avec son armée et se dirigea sur Baby- 
lone; il marcha lentement, à petites journées, et faisant souvent 
halte. A trois cents stades de Babylone , il rencontra les Chal- 
déens, si renommés pour leur science astronomique et dans Tart 
de prédire l'avenir par l'observation perpétuelle des astres ; ils 
lui avaient envoyé en députation les hommes les plus âgés et les 

' Quatrième année de la cxiii* olympiade ; année 325 avant J.-C. Suivant Wesse- 
ling , Tes noms des consuls et de l'archonte sont une interpolation. 



LIVRE XVII. 291 

plus savants de leur pays. Sachant d'avance, par rinspeciion des 
astres, que le roi devait mourir à Babylone, ces députés avaient 
ordre de prévenir le roi du danger qui le menaçait, et d'empê- 
cher, par tous les moyens, son retour dans cette ville. Ils étaient 
en même temps chargés de lui annoncer qu'il échapperait à ce 
danger s'il relevait le tombeau de Bélus, détruit par les Perses, 
et si , abandonnant la direction projetée , il se détournait de la 
ville. Béléphantès, chef des députés chaldéens, n'osa pas aborder 
le roi de crainte de l'irriter par son discours. Il confia donc tous 
ce;s détails à ^ éarque , un des amis intimes d'Alexandre , et le 
pria de les communiquer au roi. En apprenant la prédiction des 
Chaldéens par l'intermédiaire de Néarque, Alexandre en fut vi- 
vement alarmé , et songeant à la sagacité de ces hommes , il 
en fut de plus en plus troublé. Enfui , il envoya à Babylone le 
plus grand nombre de ses amis, tandis que lui-même, faisant uit 
détour , vint tranquillement camper à deux cents stades de Ba- 
bylone. Tout le monde en fut surpris. Plusieurs Grecs, Auaxarque 
avec les philosophes de son école, allèrent trouver le roi, et, après 
avoir appris la cause d& cette détermination, employèrent tous 
leurs raisonnements pour décider le roi à mépriser toute science 
divinatoire, et surtout celle tant vantée des Chaldéens. Convaincu 
par les raisonnements des philosophes, et guéri en quelque sorte 
de la blessure dont son esprit était atteint , le roi changea de 
résolution , et rentra avec son armée dans Babylone. Les habi- 
tants s'empressèrent, comme précédemment , de bien accueillir 
les soldats ; tous se livrèrent aux plaisirs et se reposèrenf au 
sein de l'abondance. Tels sont les événements arrivés dans cette 
année. 

CXIII. Agésias étant archonte d'Athènes, Caïus Popilius et 
[Lucius] Papirius consuls à Rome, on célébra la cxiv* olym- 
piade, dans laquelle Micinas de Rhodes fut vainqueur à la course 
du stade *. Dans cette année arrivèrent à Babylone des envoyés 
de presque toute la terre ; les uns félicitaient le roi de ses vic- 

' Première année de la cxiv ulympiade ; année 3'i4 avant J.-C. 



292 niODORE DE SICILE. 

(oires; les autres lui uiïraieut des couroooes, beaucoup d*entre 
eux lui apportaient des présents magnifiques, d'autres encore 
conclurent avec lui des traités d'amitié ou d'alliance ; enfin quel- 
ques-uns vinrent pour se disculper des torts qui leur étaient re- 
prochés. Outre les nations, les villes et les souverains de l'Asie loi 
oiïrirent leurs hommages; TKurope et la Libye avaient député 
un grand nombre de représentants. Parmi ceux de la Libye, on 
remarquait les envoyés carthaginois et libyphéniciens, ainsi que 
ceux de tous les peuples qui habitent le littoral jusqu'aux co- 
lonnes d'Hercule. Quant aux envoyés de l'Europe, on remarquait 
ceux des villes grecques , de la Macédoine, de Tlllyrie , et de la 
plus grande partie des côtes de la mer Adriatique ; enfin ceui 
des peuplades de la Thrace et des Galates, leurs voisins, dont la 
race commençait alors à être connue chez les Grecs. Alexandre 
se lit donner la liste de toutes ces députations et arrêta lui-même 
l'ordre dans lequel elles lui seraient présentées. Il reçut d'abord 
ceux qui étaient chargés de traiter des choses sacrées; ensuite 
ceux qui venaient lui offrir des présents; puis ceux qui avaient 
quelque dillérend à régler avec leurs voisins ; en quatrième Jîeu, 
ceux qui étaient chargés d'affaires privées ; en cinquième lieu , 
ceux qui se refusaient à l'exécution de l'ordonnance relative 
au rappel des bannis. Il donna donc d'abord audience aux Éliens, 
aux Ammoniens, aux Delphiens, aux Corinthiens, aux Épidao- 
riens, ainsi qu'aux autres, en assignant à tous leur rang selon la 
célébrité des temples. Il accueillit avec bienveillance toutes ces 
dépcita tiens , répondit à chacune d'elles ^ et les congédia aussi 
satisfaites que possible. 

CXIV. Après avoir renvoyé les députations , le roi s'occopa 
des funérailles d'Hephxstion. £1 avait mis tant de soin à la pré- 
paraticm de cette pompe funèbre, que, de mémoire d'faomme, 
on n'en avait vu d'aussi magnifi(iue , et que la postérité n'en 
devait voir de plus belle ; car le roi affectionnait vivement ce 
favori , et après sa mort il l'honora au delà de toute expi*ession. 
Pendant sa vie, il l'avait traité avec plus de distinction que tous 
ses amis , bien que Cratère le lui disputât en affection. Lorsqu'ur 



LIVRE XVII. 293 

jour l'uQ des favoris lui disait que Cratère ne l'aimait pas moins 
qu'Hephaestion, le roi s'écria : « Cratère aime le roi, mais He- 
phiestion aime Alexandre. » On se rappelle que, lorsque dans sa 
première entrevue , la mère de Darius avait salué Hephaestion 
comme roi , et qu'elle allait réparer sa méprise , Alexandre lui 
dit : « Ne vous mettez pas en peine , ô ma mère , car lui aussi 
est Alexandre. » £n un mot, Hephaestion jouissait d'un tel cré- 
dit, d'une telle liberté de paroles, qu'Olympias , qui en ennemie 
jalouse l'avait maltraité dans une lettre et menacé de tout son 
ressentiment , reçut de lui une vive réprimande dans une lettre 
qui se terminait ainsi : « Cessez vos calomnies , ainsi que votre 
courroux et vos menaces; sinon, sachez que nous ne nous en sou- 
cions que médiocrement ; car Alexandre est plus fort que tous. » 

Le roi, tout occupé aux préparatifs de la pompe funèbre, 
ordonna aux villes voisines de contribuer, chacune selon ses 
moyens, à l'éclat des funérailles. Il prescrivit à tous les habitants 
de l'Asie d'éteindre soigneusement ce que les Perses appellent 
le feu sacré , et de ne le rallumer qu'après les obsèques. Cet 
usage ne se pratiquait chez les Perses qu'à la mort de leurs rois. 
Le peuple regarda cet ordre comme d'un mauvais augure et 
comme un présage annonçant la mort du roi. Il y eut encore 
d'autres prodiges annonçant également la fin prochaine d'Alexan- 
dre ; mais nous en parlerons bientôt , lorsque nous aurons fini 
le récit des funérailles d'Hephaestion. 

CXV. Tous les officiers et amis du roi, empressés de lui faire 
leur cour, firent fabriquer des images d'Hephaestion en ivoire , 
en or et en d'autres matières précieuses. Alexandre lui-même 
rassembla des architectes et une multitude d'ouvriers , chargés 
de démolir le mur de la ville dans une étendue de dix stades , et 
de mettre de côté les briques cuites. Puis il traça l'emplacement 
(|ui devait recevoir le bûcher, construit sous la forme d'un qua- 
drilatère, chaque côté ayant un stade de dimension ^ Cette bâtisse 
carrée était divisée en trente compartiments, recouverts de trente 

' Coiil «niatrc-viiigl-qualrc aièlics. 

m. '^^^ 



29/i DTODORE DE SICILE. 

palmiers. Le contour était garni de toutes sortes d'ornements. 
La hase re)>osait sur deux cent quarante proues de quinquérè- 
iiies, munies de leurs épotidesS qui portaient deux archers à 
genoux , de quatre coudées' de hauteur, ainsi que des statues 
d1iomn)es armés , de cinq coudées d'élévation. Les intervalles 
de ces pilotis étaient remplis par des draperies de pourpre. 
Au-dessus de cela re))osait un second étage, orné de candélabres 
de quinze coudées de haut^, dont les anses étaient représentées 
par (les couronnes d'or ; au-dessus de la flamme qui s*en échap- 
pait étaient figurés des aigles aux ailes déployées et dont les têtes 
s'inclinaient en bas , et les piédestaux étaient ornés de dragons 
dont les regards fixaient les aigles. Au troisième étage étaient 
figurées des chasses de divei'ses espèces d'animaux ; au qua- 
trième, le combat des centaures, sculptés eu or; au cinquième, 
alternativement des lions et des taureaux, également sculptés eu 
or. La partie supérieure était remplie d'armures macédoniennn 
et barbares , indiquant tout à la fois les victoires et les défaites 
Au sommet étaient placées des statues creuses de sir?M)es dont la 
capacité pouvait contenir ceux ((ui devaient chanter les hymnes 
funèbres en Tlionneur du mort. Kniin , tout le monument avait 
plus de cent trente coudées de haut. Tous les officiers et soldats, 
ainsi que les envoyés et les indigènes, avaient rivalisé de zèle pour 
contribuer à l'éclat de cette pompe funèbre pour laquelle furent, 
dit-on, dépensés plus de douze mille talents ^ Enûn, pour que 
tout fût en harmonie avec la magnificence de ces obsèques, 
Alexandre ordonna à tous de sacrifier à Hephaestion ^ comme à 
un dieu du premier ordre. Le hasard amena Philippe , un des 
amis d'Alexandre, apportant l'ordre de l'oracle d'Amnion de sa- 
crifier an dieu ilephaîstion. Joyeux de ce que la divinité eût 
ainsi sanctionné ses intentions, le roi offrit le premier un sacri- 
fice |)our lequel avaient été choisies dix mille victimes de toutt 
espèce, et traita splendidement toute la population. 

* Saillies do la proue. 
^ Deux mètres. 

' Sept mètres et demi. 

* Environ soixante-six millions de francs. 



LIVRE XVII. 295 

CXYI. Ces obsèques terminées , le roi passa sa vie dans les 
plaisirs et les fêtes. Il paraissait être arrivé au fatie de la puis- 
sance et de la prospérité , lorsque le destin vint abréger le terme 
naturel de son existence. Aussitôt la divinité annonça par plu- 
sieurs prodiges la fin d'Alexandre. Ce roi se fit un jour oindre 
de parfums: ses vêtements royaux et son diadème étaient dépo- 
sés sur un trône. [Tout à coup] un indigène, qui avait été en- 
chaîné, rompit ses liens et franchit inaperçu et impunément les 
portes du palais; puis il revêtit les habits royaux, ceignit le dia- 
dème , s'assit sur le trône , et resta immobile. Surpris de cette 
étrange action , le roi s'approcha du siège et demanda doucement 
à cet homme : « Qui êtes- vous et que voulez- vous? » Cet homme 
répondit qu'il n*en savait absolument rien. Le prodige fut rap- 
porté aux devins, qui émirent l'avis de faire mourir cet homme 
afin (ie détourner sur lui le malheur prédit par l'augure. Alexan- 
dre reprit alors ses habits et sacrifia aux dieux ApotropéensK 11 
fut alors vivement alarmé ; car il se rappelait en même temps la 
prédiction des Chaldéens , et il en voulait aux philosophes qui 
lui avaient conseillé d'entrer dans Babylone. L'art des Chaldéens 
et l'habileté de ces astrologues le remplissaient d'étonnement ; 
enfin il maudissait tous ces philosophes qui , par leurs sophis- 
mes, voulaient combattre la puissance de la fatalité. Peu de temps 
après, un autre augure vint menacer la royauté. Alexandre vou- 
lut un jour visiter le lac de la Babylonie ; il s'embarqua avec 
ses amis; pendant plusieurs jours, la barque qu'il montait 
resta séparée de toutes les autres, et, voguant ainsi au hasard , 
il commença à craindre pour sa vie. Puis, il se trouva engagé 
dans un canal étroit , bordé d'arbres si touffus qu'une de leurs 
branches enleva le diadème du roi et le fit tomber dans le lac. 
Un des rameurs se jeta à la nage, et, pour sauver ie diadème, 
il le mit sur sa tête et revint dans la barque eu nageant. Enfin, 
le roi recouvra le diadème et n'échappa au danger qu'après avoir 
erré pendant trois jours et trois nuits. De retour à Babylone, il 
soumit ce nouvel augure h la science des devins. 

' Qsoï ànorponaXot p di^ix qui détournent le malheur. 



296 OIODORE DE SICILE. 

CWIf. Les devins couseillèreiit d'otîrir immédiatement aux 
dieux de pompeux sacrifices. li se rendit ensuite à un banquet 
auquel l'avait invité un de ses favoris, Médius le Thessaiieu. Là, 
il but du vin immodérément et vida à la iin du banquet Ja grande 
coupe d*Hercule. Tout à coup, comme frappé d*un coup violeut, 
il poussa un grand soupir et fut emporté sur les bras de ses 
amis. Les domestiques le placèrent aussitôt sur son lit et veillè- 
rent auprès de lui assidûment. Comme le mal faisait des pro- 
grès, les médecins furent appelés , mais aucun ne put le guérir. 
Enfin , en proie à d*horribIes souffrances , et désespérant de 
sa vie, le roi ôta son anneau du doigt et le remit à Perdiccas. Lors- 
que ses amis lui demandèrent à qui il léguait la royauté , il ré- 
pondit : « Au plus fort. » Dans les dernières paroles qu'il pro • 
nonça , il recommandait à ses principaux amis d'honorer sa 
tombe d'un grand combat funéraire. Telle fut la fin d' Alexandre ; 
il avait régné douze ans et sept mois. Dans cet espace de 
temps, il avait accompli les plus grands exploits, tels que n'en 
avait fait aucun roi avant lui, et que n'en accomplirent aucun 
de ceux qui ont régné depuis jusqu'à nos jours. Comme quel- 
ques historiens, en parlant de la mort de ce roi, disent qu'il 
avait péri par le poison , nous croyons nécessaire de ne pas pas- 
ser sous silence les raisons qu'ils en donnent. 

CXVIIL Voici ce que prétendent ces historiens. Antipater, 
laissé en Europe comme gouverneur militaire, était en querelle 
avec Olympias , mère du roi. Antipater s'inciuiétait d'abord peu 
d'Olympias , tant qu'Alexandre n'avait pas accueilli les accusa- 
tions calomnieuses de sa mère. Mais comme cette haine allait par 
la suite en augmentant, et que le roi se faisait un devoir reli- 
gieux de ne rien refuser à sa mère , Antipater fit éclater eu 
plusieurs circonstances les ressentiments qu'il nourrissait contre 
le roi. A cela il faut ajouter que le meurtre de Parménion et de 
Philotas avait fait trembler les amis d'Alexandre. Antipater se 
servit donc de l'intermédiaire de son fils , échanson du roi , pour 
donner à celui-ci un breuvage empoisonné*. La mort d'Alexau- 

' Quinte-Curco , X, io : Veneno necatum esse credidere plerique ; filium Anti' 



LIVRE XVII. 297 

drc consolida la puissance d'Ânlipater en Europe ; et depuis que 
Cassandre son fils lui avait succédé, beaucoup d'historiens n'osè- 
rent parler de cet empoisonnement. Quoi qu'il en soit , Cassan- 
dre se montra ouvertement par ses actions toujours tr^s-opposé 
aux intérêts d*Alexandre. Il assassina aussi Olympias et laissa 
son corps sans sépulture * ; enfin il s*empressa de relever la ville 
de Thèbes qu'Alexandre avait détruite. 

La mort d'Alexandre rendit inconsolable SisyngambrisS mère 
de Darius : déplorant l'abandon où elle se trouvait , et arrivée 
à l'extrême limite de sa carrière , elle expira cinq jours après, 
terminant ainsi sa vie tristement , mais non sans gloire ^. 

Nous terminons ce livre à la mort d'Alexandre, ainsi que 
nous l'avions dit au commencement. Dans le livre suivant, 
nous exposerons l'histoire de ses successeurs. 

pat ri inler minixtron h.illam nwmne, pal lis jussu dédisse. La mort d'Alexuiidre 
peut être iiatuiellenientreffCt d'une hémoiTliagie.cérébrale (apoplexie loudroyaiite) 
qui s'observe fré(|ueniiuent ehez les personnes livrées aux excès de la boisson. 

' Voyez plus bas, XIX ,51. 

* Miot, dans sa traduction, semble faire entendre que la mère de Darius s'est 
laissée mourir de faim dans une chambre obscure. Voici comment il traduit : 
•' Sisygambris , mère de Darius, déplorait dans sa douleur l'abandon où elle allait 
se trouver ; arrivée , comme elle l'était par son âge, pour ainsi dire à l'extré- 
mité de la ligne de la vie, elle résolut fermement de renoncer à la lumii-re ainsi 
qu'à la nourriture, et mourut le cinquième jour après le trépas d'Alexandre. » Le 
texte grec porte : ^««"y/V^^/A^iSis , yj ^yt.piCo\i iJ.iÔTr,p , tzo'/.).x xzTa0jO/;vvÎ7îcffa , 
Tti/xTiruix AT-xlirpili tôv ^io-j , Itt^ûttoî /aîv , ou>« àx).sw; Si Tipoe/j-iv/j rà 
Ç-^y. On voit qu'il n'y est pas question « de la ferme résolution de renoncer à la 
lumière, ainsi qu'à toute nourriture. >> Miot a emprimté cette phrase h la traduc- 
tion latine, quelquefois inexacte de Kliodoman , qui dit; Mater Darii Sisygam- 
bris cum- et Alexandri inortem intempestivam et suamjam a'b omnibus desertœ 
cùlamitatem lacrimis effusissimis deplorassel , in extrema citœ (quod dicitur ) 
linea cibi;m et lickm avkksata, die quinto per inediam, etc. J'ai insisté sur tout 
cela pour faire voir combien il importe d'écrire l'histoire avec les textes originaux 
sous les yeux, et non pas avec des lraducti<»ns plus ou moins fidèles. Un hist(»rien 
doit être ))bilologue et polyglotte. 



LIVRE DIX-HUITIÈME. 



SOMMAIRE. 

Insurrection parmi les troupes, apr^s la mort d'Alexandre.— Pei'diccas est nommé 
rrgent du royaunic ; partage des salrapicb. — Révolte des Grecs dans les satra- 
pies de TAsie supérieure ; le général Pythun est envoyé auprès des rebelles. — 
Topographie de l'Asie et des satrapies qui s'y trouvent. — Python fait la guerre 
aux (irecs rebelles. — T.cs Athéniens déclarent la guerre à Antipater ; guerre Ia- 
niiaque. — Lcosthèiie est nommé t-hef militaire, réunit une armée, est vainqueur 
d'Antipater, et le rofouledans la ville de Laniia. — Mort de Léosthène; son orai- 
son fun^"bre. — Les ihofs prennent possession des satrapies qui leur sont écbues 
en partage. — (^timbat de cavalerie entre les (îrecs et Léonnatus; victoire des 
Grecs, — LtMinnatUv* est tué dans le combat ; Antipater s'adjoint ramiée de Léon- 
natus. — (ilitus. riiiuarque des Macédoniens, remporte sur les Grecs deux vic- 
toires navales. — Perdiicas remporte sur le roi Ariarathès une victoire siguedée » 
il prend le roi vivant et tait beaucoup d'autres prisonniers. — Cratère vient aa 
secours d'Antipater, bat les Grecs et met un terme h la guerre Lamiaque. — Com- 
ment Antipater se conduit envers les Athéniens et les autres Grecs. — Actes de 
Ptoléméc à Cyrène. — Perdiccas envahit la Pisidie, réduit à Tesclavage lesLa- 
randécns , force les Isauriens assiégés à se donner la mort et à incendier leur 
ville. — Expédition d'Antipater et de Cratère contre TEtolie. - Le corps d'Alexan- 
dre est transporté de la Rabylonie à Alexandrie; magnificence du char ftiiièbre. 
— Eumène remporte une victoire sur Cratère, et tue, dans le C4mibat,Néoptolèine. 
— Perdiccas marche contre l'Egypte; il est tué par ses amis. — Python, Arrhidée 
et enfin Antipater sont nommés tuteurs des rt)is. — Antipater, nommé généralis- 
sime, refait le partage des satrapies, dans un parc de la Syrie. — Antigone, 
nommé général par Antipater, fait la guerre à Eumène. - Eumène ; vicissitudes 
du sort. — Ptoléméc conquiert la Phénicie et la Cœlé-Syrie. — Antigone remporte 
sur Alcétas une victoire éclatante. — Mort d'Antipater; Polysperchon est investi 
de l'autorité royale. — Atitigone , plein de hautes espérances depuis la mort 
d'Antijjater, et etK>rgueilli de ses exploits, prétend à la royauté. — Accroissement 
inattendu de la puissant-e d'Eumène ; il se charge de la tutelle des rois et gou- 
verne le royaume de Macédoine. — Accroissement de la puissance de Cassandre; 
guerre contre Polysperchon , tuteur des rois; conspiration d'Antigone. — Eumène 
se met , en (îilicie , à la tète des argyraspides , pénètre dans les satitipies supé- 
rieures . et met sur pied une armée considérable. — Habileté stratégique d*Eu- 
mène ; ses actes jusqu'à sa mort — État des affaires de Cassandre dans l'Atti- 
que ; Nicaiior, chef de la garnison de .Munychie. — Mort de Phocion , sui'nomniê 
le Bon. — Polysperchon assiège les Mégalopolitains ; après des pertes récipro- 



LIVRE XVIII. 299 

ques , il se retire sans avoir obtenu aucun résultat. — Glitus, nauarque de Po- 
lysperchon, remporte une victoire navale sur Nicanor, nauarque de Cassandre. — 
Antigone défait Glitus dans un brillant combat naval, et devient maître de la 
mer. — Eumène est réduit par Seleucus, près* de Babylone , à la dernière extré- 
mité ; il se sauve par son génie. — Polysperchon , méprisé et humilié par les 
ffrecs , fait la guerre à Cassandre. 

I. Pythagore de Samos et quelques autres physiciens anciens 
ont soutenu que l'âme de Thomme est immorlelle. Conformé- 
ment à celte doctrine, Tâme , du moment où la mort la sépare 
du corps, possède la faculté de connaître Tavenir. Le poète Ho- 
mère semble lui-même partager cette opinion , lorsqu'il nous re- 
présente Hector près d'expirer, prédisant à Achille qu'il ne tar- 
derait pas à le suivre au tombeau ^ C*est ainsi que dans des temps 
plus récents on a remarqué cette faculté de prédire l'avenir, à 
la mort de plusieurs personnes et particulièrement à l'occasion 
de celle d'Alexandre le i\lacédoi)ien. Car ce roi , au moment d'ex- 
pirer à Babylone , interrogé à qui il allait laisser sa couronne , 
avait répondu : « Au plus fort, car je prévois que mes amis me 
feront un grand combat funèbre. » C'est ce qui arriva en effet. 
Les principaux amis d'Alexandre se disputant la royauté , se li- 
vrèrent entre eux des guerres sanglantes, après la mort de leur 
maître. Le présent livre contiendra l'histoire des généraux 
d'Alexandre , ses successeurs, et mettra en évidence la prédic- 
tion que nous avons signalée. Le livre précédent comprenait le 
récit des exploits d'Alexandre , depuis son avènement au trône 
jusqu'à sa fin ; et ce livre, dans lequel nous exposerons l'histoire 
de ses successeurs, se terminera à l'année qui précède l'établis- 
sement 4e la tyrannie d'Agathocle , et renfermera ainsi un espace 
de sept ans. 

IL Céphisodore étant archonte d'Athènes, les Romains nom- 
mèrent consuls Lucius Furius et Décimus Juniusl Dans cette 
année , l'anarchie et de graves désordres éclatèrent à la mort 
d'Alexandre qui ne laissa pas d'enfant et dont on se disputait 
l'empire. La phalange d'infanterie porta au pouvoir souverain 

* Iliade, X,359. 

' Deuxième année de la cxiv* olympiade ; année 328 avant J.-C. 



SOO DIODOHE DE SICILE. 

Arrhiilée , fils de PhilipiH-, homme atteint d'une maladie i 
laïc incurable ; mais ka plus considérés des favoris el des g- 
du cor|)s se réunirent, et , apiËs avoir entraîné dans leor 
le corps de cinalirie, surnommé les Hétaïres', ils résoli 
d'abord de couihattre la piialaiige à main armée. Cepeni 
[avant d'en venir à celte extrémiié,] ils envoyèrent aupn 
la phalange d'inbnlerie une députation composée des bon 
les plus distinguas du l'armée , h la lëte desquels se tro 
Méléagre. Celte députation était chargée d'employer la persu; 
pour ramener la phalange à l'ohéisi^ance. Mais Méléagre , 
parler aucunement de l'objet de sa mission, loua au contrai 
phalange de la résolution qu'elle avaii prise et l'excila n 
contre ceux qui lui étaient opposés. Aussi les Macédooiei 
mirent-ils i> leur tête el s'avancèrent en armes contre leurs 
versaires. Les gardes du corps sortirent de Babylone et se 
paraient â une lutte, lorsque les chefs les plus aimés des tro 
rénssircni, par un langage cwiciliant, h rétablir la conct 
AussiiAt Arrhidée, fils de Philippe, fut proclamé roi, soi 
nom de Philippe, el l'erdiccas, auquel le roi en mourant 
remis son anneau , fut nommé lieutenant général du royai 
Les plus considérables des amis d'Alexandre et des cornu 
dants de la garde, se partagèrent ensuite entre eux les satri 
et jurèrent obéissance ï Arrhidée et à Perdiccas, 

III. Itevëlu de l'aulorilé suprême, Perdiccas réunit en i 
seil tous les chefs de corps, et arrêla le partage suivant : ; 
lémée , fils de Lagus , eul l'Egypte ; Laomédon de Mitylèm 
Syrie; Philotas, la Cilicie; Python, la Médic; Ëuméiic , la 
phiagonie, la Cappadoce et toutes les contrées limitrophes 
les circnnsunces avaient empêché Alexandre de visiter pem 
sou expédition contre Darius; Antigone eut la Pamphylie 
Lycie et la grande Phrygie; Cassandre, la Carie; Méléagre 
Lydie*; Léonnatus,laPhr)'giedet'Hellesponl. Tel fut te par 
de ces satrapies. En Knro])c , Lysimaque reçut la Thrace et 




LIVRE XVIII. r>01 

nations qui avoisinent la mer du Pont. Autipater garda la Ma- 
cédoine et les provinces qui en dépendent. Quant aux satrapies 
de TAsie supérieure, on convint de ne pas y toucher , mais de 
les laisser sous Tautorité de leurs anciens gouverneurs. Les ré- 
gions limitrophes de ces satrapies restèrent également sous l'au- 
torité des rois vassaux de Taxile. La satrapie située près du Cau- 
case, appelé le pays des Paropamisades , fut adjugée à Oxyarle, 
roi de Bactres, dont Alexandre avait épousé la fille Rhoxane. Si- 
byrtius eut en partage TArachosie et la Cédrosie ; Stasanor le 
Solien , l'Arie et la Drangine ; Philippe , la Bactriane et la Sog- 
diane; Phratapherne , la Parthie et THyrcanie; Peuceste, la 
Perse proprement dite , Tlépolème , la Carmanie ; Atrapès S la 
Médie ; Archon , la Babylonie ; Arcesilas, la Mésopotamie. Seleu- 
eus eut le commandement du principal corps de cavalerie sur- 
nommé les Hétaïres. Ce corps illustre avait d*abord eu pour 
chef Hephaestion , puis Perdiccas et enfm Seleucus qui vient 
d'être nommé. Taxile et Porus restèrent maîtres de leurs 
royaumes, ainsi qu'Alexandre lui-même l'avait ordonné. Arrhi- 
dée fut chargé du soin de préparer les funérailles du roi et de 
faire construire un char qui devait transporter les dépouilles du 
roi dans le temple d'Ammon. 

IV. Cratère , un des plus célèbres chefs de l'armée , avait 
été envoyé par Alexandre dans la Cilicie avec dix raille vétérans 
libérés du service militaire. Il était en même temps porteur 
d'ordres écrits dont le roi lui avait confié l'exécution. Mais, après 
la mort d'Alexandre, ses successeurs ne jugèrent pas à propos 
de réaliser les projets du roi. Perdiccas, qui avait vu dans les mé- 
moires du roi que les obsèques d'Hephaestion avaient déjà ab- 
sorbé beaucoup de sommes , jugea utile de ne donner aucune 
suite à tant de grands projets qui devaient exiger des dépensés 
énormes. Mais, pour ne pas avoir l'air de trancher ces questions 
par lui-même et de porter en quelque sorte atteinte à la gloire 
d'Alexandre, Perdiccas réunit les Macédoniens en une assemblée 

' Arricn ( IV, 18) rappelle i4fro/)a/M^ et Justin (XHI, 4) Acropates. 

ITI. 26 



S02 DIODORE DE SIOLE. ~^ 

générale pour recueillir leurs avis. I^s mémoires laissés par 
Alexandre renfermaient , entre autres grands projets , les sui- 
vants , les plus dignes d'être rapportés. Alexandre ordonnait de 
construire mille bâtiments de guerre, plus grands que les trirè- 
mes, dans les chantiers delà Phénicie, de la Syrie, de la Gilicie 
et de rîle de Cypre. (les bâtiments devaient être employés à une 
expédition contre les Carthaginois et les autres nations qui habi- 
tent les côtes de la Libye , de ribérie et tout le littoral jusqu'en 
Sicile. Une route devait être pratiquée tout le long des côtes de 
la Libye jusqu'aux colonnes d'Hercule. Il ordonnait d'élever six 
temples magnifi(|ues dont chacun devait coûter quinze cents ta- 
lents ^ , d'établir des chantiers et de creuser des ports dans les 
emplacements les plus propices pour recevoir tant de navires. Il 
voulait opérer une plus grande fusion dans les populations des 
États, transporter des colonies d'Asie en Europe et réciproque- 
ment , effectuer par des mariages et des alliances de famille une 
communauté d'intérêts entre ces deux grands continents. Les 
temples dont il a été parlé devaient être élevés à Délos, à Del- 
phes, à Dodone, et, dans la Macédoine, un à Dium, consacré \ 
Jupiter; un à Amphipoiis, consacré à Diane Tauropole; un à 
Cyrrhe , dédié à Minerve ; enfm un dernier temple aussi beau 
que les autres devait être construit à Ilion et consacré également 
à Minerve. Enfin , il voulait élever à son père , Philippe , un 
monument funèbre semblable à la plus grande des pyramides 
d'Egypte , qui sont , en général , comptées au nombre des sept 
merveilles du monde. Après la lecture de ces projets, les Ma- 
cédoniens , malgré leur respect pour Alexandre , décidèrent de 
ne pas donner suite à ces projets , regardés comme trop ardus 
et inexécutables. 

Perdiccas commença l'exercice de son autorité en faisant mou- 
rir une trentaine de soldats des plus mutins et des plus mal dis- 
posés pour lui. Ensuite il lança une accusation personnelle contre 
Méléagre lui-même , qui dans la première révolte avait trahi ses 

* Huit millions deux cent cinquante mille francs. 



1 






A 



tIVKE XYin. 308 

mandataires, et le fit punir comme ayant conspiré contre lui. 
Enfin , les Grecs établis dans les satrapies de l'Asie supérieure 
s*étant soulevés , et ayant mis sur pied une armée considérable, 
Perdiccas envoya pour les combattre Python, un des hommes les 
plus distingués de Tarmée. 

y. Mais avant d'entrer dans le détail de ces événements , 
nous croyons convenable d'exposer d'abord les causes de ce 
soulèvement , et de dire en même temps un mot de la topographie 
de l'Asie entière, ainsi que de l'étendue et des particularités de 
chàcSnë des satrapies. En mettant ainsi sous les yeux du lecteur 
en quelque sorte la situation de tous les lieux et les distances 
qui les séparent, nous rendrons notre récit plus facile à suivre 
pour lui. 

A partir du Taurus en Gilicie , une chaîne non interrompue 
de montagnes s'étend à travers toute l'Asie jusqu'au Caucase, 
et jusqu'à l'Océan oriental. Cette chaîne se partage en diverses 
branches dont chacune a une dénomination particulière. L'Asie 
se trouve ainsi divisée en deux parties, dont l'une est inclinée 
vers le nord et l'autre vers le midi. Le cours des fleuves suit les 
versants de cette chaîne de montagnes : une partie de ces fleuves 
se jette dans la mer Caspienne , dans le Pont-Ëuxin et dans 
l'Océan arctique. Les autres, qui suivent un cours opposé, versent 
leurs eaux dans la mer de l'Inde , dans l'Océan qui avoisine ce 
continent, et dans la mer Rouge. C'est d'après cette distinction 
naturelle que les satrapies ont été distribuées; elles sont situées 
les unes au nord , les autres au midi. La première division, 
celle qui regarde le nord , comprend , sur le fleuve Tanaïs , la 
Sogdiane, la Bactriane , l'Arie, la Parthie, qui embrasse la mer 
Hyrcanienne; la Médie, la plus grande de toutes les satrapies, 
et qui porte encore beaucoup d'autres noms ; puis l'Arménie , la 
Lycaonie , la Cappadoce , toutes situées dans un climat rigou- 
reux. A ces contrées touchent en ligne droite la grande Phrygie, 
la Phrygie de l'HelIespont , et, sur les deux côtés, la Lydie et 
la Carie ; enfin , au delà de la Phrygie et parallèlement à cette 
contrée, se trouve la Pisidie dont la Lycie est -limitrophe. Sur le 



W4 DIODORE DE SICILE. 

liltoral de ces satrapies sont situées des villes gi*ecques dont ii 
s(Tait ici inutile de dire les noms. Telle est la division des sa- 
trapies qui regardent le nord. 

VI. Quant à la division des satrapies méridionales , (a pre- 
mière au delà du (ùancase est l'Inde, royaume immense et po- 
puleux habité par plusieurs nations indiennes dont la plus con- 
sidérable est celle des Gandarides, contre laquelle Alexandre n'a 
pas marché, redoutant la multitude d*éléphants qu'elle nourrit. 
Cette région et la partie de Tlnde à laquelle elle touche, 0|Ui- 
mitée par le plus grand fleuve de ce pays : il a trente stadua de 
large \ A cette région est confiné le reste de l'Inde qu' Alexan- 
dre avait soumis, pays arrosé de beaux fleuves et éminemment 
prospère. Là se trouvaient, entre plusieurs autres royaumes, ceux 
de Porus et de Taxile, traversés par l'Indus , fleuve qui donne son 
nom à toute la contrée. Gontiguës à l'Inde sont les satrapies de 
i'Arachosie, de la Gédrosie , de la Garmanie; vient ensuite la 
Perse proprement dite , qui comprend laSusiane et la Sittacène^ 
puis la Babylonie qui s'étend jusqu'à l'Arabie déserte. En re- 
montant davantage, on trouve la Mésopotamie, circonscrite par 
deux fleuves, l'Euphrate et le Tigre, ce qui lui a valu la déno- 
mination qu'elle porte. A la Babylonie touche la Syrie supé- 
rieure, à laquelle sont attenantes les provinces maritimes, la 
Gilicie , la Pamphylie , la Gœlé-Syrie qui comprend la Phénicie. 
Au delà des frontières de la Gœlé-Syrie et du désert limitrophe 
se trouve le Nil , dont le cours sépare la Syrie de l'Egypte qui 
est la plus belle et la plus productive de toutes les satrapies. Toutes 
ces provinces méridionales ont un climat chaud par opposition 
au climat froid des provinces septentrionales. Telles sont les sa- 
trapies soumises par Alexandre, et que ses principaux lieute- 
nants se partagèrent entre eux. 

VU. Les colonies grecques établies par Alexandre clans les 
satrapies supérieures regrettaient les mœurs et la manière de 
vivre de leur patrie , et se voyaient avec peine reléguées aux con- 

' c'est sans doute le Gange dont Diodore veut parler. 

> 



■ 



LIVRE XVIII. 305 

fins de Tempire. Tant que le roi vjvait , la crainte les retenait , 
mais une fois le roi mort, elles se soulevèrent et, d*un commun 
accord, choisirent pour chef Philon i'Jlnian , qui réunissait sous 
ses ordres une armée considérable , composée de plus de vingt 
mille hommes d'infanterie et de trois raille cavaliers, tous 
ayant dans maints combats donné des presuves de leur valeur. 
A la nouvelle de ce soulèvement, Perdiccas leva un corps d'élite 
de Macédoniens formé de trois mille hommes d'infanterie et de 
huit cents cavaliers. Il donna le commandement de cette troupe à 
Python, ancien garde du corps d'Alexandre , homme plein d'in- 
telligence et de connaissances militaires. Il lui remit en même 
temps des lettres pour les satrapes qui devaient fournir à Pylhon 
dix mille fantassins et huit raille cavaliers, et le fit partir pour 
combattre les rebelles. Python, homme à grandes entreprises, 
reçut avec joie cette mission , car il avait conçu le dessein de trai- 
ter les Grecs amicalement , de joindre leurs forces aux siennes 
et d'agir pour son compte en se déclarant souverain des satrapies jh 
de l'Asie supérieure. Mais Perdiccas , soupçonnant ce dessein , « 
lui donna l'ordre formel de ne faire aucun quartier aux rebelles 
et de distribuer aux soldats les dépouilles. Cependant Python 
se mit en route avec la troupe qui lui avait été confiée; il y joi- 
gnit les soldats fournis par les satrapes , et marcha avec toute 
son armée contre les rebelles. Par l'interraédiîiire d'un certain 
iEnian, Pylhon parvint à corrompre Lipodorus, qui comman- 
dait dans les rangs des rebelles un corps de trois mille hommes, 
et se ménagea ainsi un succès complet. En effet, la bataille 
s'était engagée , et la victoire demeurait encore incertaine lors- 
que le traître , désertant lès rangs, vint sans aucune raison oc- 
cuper avec ses trois mille hommes une hauteur voisine. Les au- 
tres , prenant ce mouvement pour une défaite , lâchèrent pied 
et s'enfuirent en désordre. Python , victorieux , ordonna aux 
vaincus par la voix d'un héraut de déposer les armes et de se re- 
tirer clans leurs foyers sous la foi du serment. Ces conditions 
étant garanties par des serments réciproques , les Grecs se mê- 
lèrent sans défiance aux Macédoniens, et Python fut tout joyeux 

m. ' "iSi* 



306 DIODORE DE SICILE. 

de voir que ses projets allaitiiii se réaliser. Mais les Macédo- . 
nieiis, se rappelant les ordres de Perdiccas, Tiolèrent la foi do 
Iraité ; ils attaquèreut à Timproviste les Grecs qui étaient sans 
armes , les passèrent tous au (il de Tépée «t se partagèrent leurs 
biens. Déçu dans ses espérances, Python revint avec ses Macé- 
doniens auprès de Perdiccas. Tel était Tétat des affairés en Asie. 

VIII. En Europe, les Rhodiens chassèrent la garnison macé- 
donienne et proclamèrent Tindépendance de leur ville. Les Athé- 
niens déclarèrent alors à Antipater la guerre connue sous le nom 
de guert'c Lamiaque. Il est indispensable d*exposer ici les causes 
de cette guerre , afin de faire mieux comprendre les détails qui 
vont suivre. 

Peu de temps avant sa mort , Alexandre avait résolu de faire 
centrer dans leurs foyers tous les bannis grecs; il agissait ainsi 
tant pour sa propre gloire que pour se ménager dans chaque ville 
des partisans dévoués et toujours prêts à comprimer les germes | 
de révolte. A Tépoque des jeux olympiques , il envoya donc en ! 
Grèce iMcanor de Slagire, porteur de Tordre du rappel des ban- 
nis. Nicanor devait faire lire cet ordre à la foule assemblée, au 
milieu de la solennité des jeux , par le héraut vainqueur. C'est 
ce qui fut fait, et le héraut lut la lettre suivante: 

N Le roi Alexandre aux bannis des villes grecques , 

n iSous n'avons pas été cause de votre exil , mais nous serons 
cause de voire rentrée dans la patrie, à l'exception des sacri- 
lèges. Nous avons écrit à ce sujet à Antipater afin qu'il emploie 
la force pour contiaindre les villes qui voudraient se refuser à 
recevoir leurs bannis. » 

Cette proclauiation fut accueillie par de bruyants applaudisse- 
menls de la foule rassemblée, qui, dans sa joie, portait jus- 
qu'aux nues la générosité du roi. Tous les exilés , au nonibre 
de plus de vingt mille , étaient présents à cette solennité. La 
plupart des Grecs prirent en bonne part le retour des bannis; 

j mais les Étoliens et les Athéniens s'en montrèrent très-mécon^ 

M 



f LIYRE XVIII. 307 

: tents : lesÉtoliens parce qu^iis s'attendaient à des représailles de 
la part des QBniades^ , qu'ils avaient chassés de leur patrie ; et , 
«selon les menaces du roi , ce n'était pas les enfants des QBniades, 
mais Alexandre lui-même qui se chargeait du soin de cette ven- 
geance. Les Athéniens , de leur côté , étaient mécontents parce 

; qu'ils ne voulaient pas rendre l'île de Samos, qu'ils s'étaient par- 
tagée entre eux. Mais comme ils n'étaient pas assez forts pour 

< résister aux armées du roi , ils se tinrent pour le moment tran- 
quilles, en attendant une occasion plus favorable qui ne tarda pas 
à se présenter. 

IX. En effet, peu de temps après la mort d'Alexandre, qui 
ne laissa pas d'enfants pour lui succéder, les Athéniens osèrent 
prétendre à leur indépendance et à leur ancienne suprématie sur 

; toute la Grèce. Us allaient se préparer à la guerre avec les som- 

:-^ mes considérables d'argent qu'Harpalus leur avait laissées ( cir- 
;.^èpnstance dont nous avons parlé en détail dans le livre précé- 
dent), ainsi qu'avec les mercenaires que les satrapes avaient 
laissés sans solde , et qui , au nombre de huit mille , se trou- 
vaient à Ténare , dans le Péloponnèse. Les Athéniens ordonné- 
.rent donc secrètement à Léosthène de les engager d'abord à sou 

'■ "iérnce, comme pour son propre compte, et sans l'autorisation 
du peuple, afin qu'Antipater , méprisant Léosthène, ne mît au- 
cun obstacle à ces préparatifs , et que les Athéniens eussent le 
temps de se procurer tout ce qui est nécessaire à une entrée en 
campagne. Léosthène prit donc tranquillement ces troupes à sa 
solde, et se trouva tout à coup à la tête d'une armée respecta 
ble ; car ces soldats avaient longtemps servi en Asie , ils avaient 
pris part à tant de combats, et étaient parfaitement aguerris. Tout 
cela eut lieu au moment même où la mort d'Alexandre n'était 
pas encore bien connue. Ce ne fut que lorsque quelques voya- 
geurs, arrivant de Babylone, disaient avoir été témoins oculai- 
^ res de la mort du roi , que le peuple d'Athènes déclara ouver- 
tement la guerre. Il fit remettre à Léosthène une partie dessoni-* 

' Descendants d'Œneus, ancien roi d'Étolic. 







308 DIODOHE DE SICILE. 

mes d'argent d'Ilarpalus , ainsi qu*un grand nombre d'armures 
n)n)|)iètes, avec Tordre d'agir ouvertement et suivant les intérêts ; 
de l'Eut. Léoslhène donna aux mercenaires une solde régulière , ■ 
distribua des armes à ceux qui n'en avaient point et eutra dans i 
l'Étolie pour soulever ce pays en sa faveur. Les Étoliens se ren- 
dirent volontiers à Léostlièue, et fournirent sept raille hom- j 
mes. Léostliène envoya ensuite des émissaires aux Locriens, aux 
Phocidiens et autres peuples voisins, pour les engager à ressaisir ' 
leur indépendance et à délivrer la Grèce du joug des Macédo- 
niens. 

\. (Cependant , parmi les Athéniens , ceux qui avaient des 
biens conseillaient la paix ; mais les braillards démagogues , ex- ! 
citant la multitude, poussaient vivement à la guerre. Ce dernier 1 
parti, soutenu par le plus grand nombre, l'emporta ; il se composait i 
d'hommes qui, habituellement, ne vivaient que de leur solde et 1 
|K)ur lesquels, comme disait un jour Philippe , la guerre est uaç. . 
paix , et la paix une guerre. Bientôt les orateurs populaires réuni- 
rent tous leurs efforts pour faire rendre un décret dont voici la 
teneur : Le peuple appellera tous les Grecs à combattre pour la 
liberté commune ; les villes seront délivrées des garnisons étrao.- / 
gères ; on construira une flotte de quarante trirèmes et de deux 
cents tétrarèmes; tous les Athéniens feront partie du service 
militaire actif jusqu'à l'âge de quarante ans; trois tribus seront 
chargées de la garde de l'Attique et les sept autres se tiendront 
prêtes pour les cx|)éditious entreprises hors du territoire; on en- 
verra des députés dans toutes les villes grecques , pour déclarer 
que si le peuple athénien, estimant la Grèce, la patrie commune 
des Grecs, a jadis combattu sur mer les Barbares venus pour leur 
apporter l'esclavage , il saurait bien maintenant , pour le salut 
commun des Grecs, risquer son existence, ses richesses et ses na- 
vires. Ce décret fut ratifié ; mais il flattait plutôt les passions po- 
pulaires qu'il n'était réellement conforme aux intérêts de l'État. ^ 
C'est ce qui fit dire aux Grecs les plus éclairés que le peuple 
athénien avait été bien conseillé ix)ur sa gloire, mais qu'il avait 
manqué à ses intérêts. C'est avoir, ajoutaient-ils, mal choisi son 



^1 



* LIVRE XVIII. 309 

temps, et courir sans aucune nécessité les chances d'une guerre 
contre des troupes nombreuses et réputées invincibles ; c'est là 
un projet d'autant plus insensé que le fameux exemple du dés- 
astre des Thébains devrait servir d'utile leçon. Quoi qu'il en 
soit* les députés partirent pour les diverses villes de la Grèce, et 
parvinrent par leurs discours incendiaires à en entraîner la plu- 
part dans l'alliance des Athéniens, soit par nation soit par ville. 

XI. Quant aux autres Grecs , les uns inclinèrent vers l'alliance 
des Macédoniens , les autres restèrent neutres, tous les Éto- 
liens suivirent donc leis premiers la ligue athénienne; après eux 
vinrent tous les Thcssaliens , à l'exception des Pelinéens ; les 
QEtéens, moins les Héracléotes; les Phthiotes de l'Achaïe, moins 
les Thébains; les ]Méliens,à l'exception des Maliens; puis tous 
les Doriens , les Locriens, les Phocidiens, leSiEnians, les Aly- 
Zéeus, les Dolopes, les Aihamans, les Leucaniens et les Molos- 
ses, soumis à Aryptce qui , feignant d'entrer dans la ligue, em- 
brassa en traître le parti des Macédoniens ; puis une grande 
partie des Illyriens et des ïhraces par haine contre les Macédo- 
niens; ensuite, les Carystiens,dans l'Eubée ; enfin , dans le Pélo- 
ponnèse, les Argiens, les Sicyoniens, les Éliens, les Messéniens 
et les habitants de l'Acte \ Voilà les Grecs qui entrèrent dans 
la ligue. 

Cependant le peuple athénien envoya à Léosthène un renfort 
de cinq mille fantassins de milice nationale, de cinq cents cava- 
' liers et de deux mille mercenaires. Pendant que cette troupe 
traversait la Béotie , les Béotiens firent éclater leurs ressenti- 
ments contre les Athéniens ; voici pourquoi. Après la destruction 
de Thèbes, Alexandre avait distribué aux Béotiens du voisinage 
tout le territoire de la ville. Ceux-ci s'étaient partagé les pos- 
sessions des malheureux et en retiraient de grands revenus ; ils 
prévoyaient donc que si les Athéniens étaient victorieux , ces 
derniers rendraient aux Thébains leurs foyers et leur territoire. 
C'est pourquoi ils embrassèrent le parti des Macédoniens. Pen- 

' Les Ëpidmérieiis et les Trczéniens. 



310 DIODORE DE SICILE. ^ 

dani qu'ils étaient campés près de Platée , Léosthène entra en 
Béotie avec une partie de son armée; il présenta la bataille 
aux indigènes , les défit , éleva un trophée et revint rapidement 
aux Thennopyles. Là , il s'arrêta quelque temps , occupa d'a- 
vance les défilés et attendit l'armée des Macédoniens. 

XII. Antipater avait été laissé par Alexandre pour coaimander 
en Europe. En apprenant la mort du roi à Babylone et le partage 
des satrapies entre les chefs de l'armée, il fit prévenir Cratère, en 
Cilicie , de lui amçner le plus promptement possible un renfort 
de troupes. On se rappelle que Cratère avait été détaché en Ci- 
licie pour ramener en Macédoine les soldats qui , au nombre de 
trente mille*, venaient d'être libérés du service militaire. Il de- 
manda de même des secours à Philotas , qui avait obtenu la sa* 
trapie de la Phrygie hellespoutique, et lui offrit une de ses ÛUes 
en mariage. A la nouvelle de la ligue des Grecs, il laissa à Sip^ 
pas le commandement de la Macédoine avec un nombre de trou- 
pes suffisant, en même temps il lui donna l'ordre de faire le plqs 
d'enrôlements possible. Quant à lui, il se mit à la tête de 
l'armée macédonienne, composée seulement de treize mille fan- 
tassins et de six cents cavaliers; car la Macédoine avait été épui- 
sée de milice nationale par les levées successives exigées pour le 
recrutement de l'armée en Asie. Il quitta la Macédoine et entra 
dans la Thessalie en marchant de conserve avec toute la flotte, 
composée de cent dix trirèmes, dont Alexandre s'était servi 
pour transporter en Macédoine les trésors royaux des Perses. 
Les Thessaliens , qui étaient d'abord les alliés d'Antipater , lui 
avaient envoyé un grand nombre d'excellents cavaliers ; maiii 
séduits depuis par les Athéniens , ils firent passer leur cavaletie 
dans l'armée de Léosthène et combattirent avec les Athéniens 
pour la liberté de la Grèce. L'armée des Athéniens étant devenue 
ainsi de beaucoup supérieure à celle des Macédoniens, les Grecs 
l'emportèrent dans cette guerre. Antipater, vaincu, n'osant plus 
faire face à l'ennemi et dans l'impossibilité de regagner sûrement 

' L'auleur ne parie plus baut ( XVII, 109 ) que du dix mille. 



LIVRE XVIII. 311 

la Macédoine , se réfugia dans la ville de Lamia. L^, il rallia son 
armée, fortifia la ville, y établit des magasins d'armes , de cata- 
pultes et de vivres, et attendit les renforts qui devaient lui venir 
de l'Asie. 

XIII. Léosthène s'approcha de Lamia avec toute son armée. 
Après avoir retranché et environné son camp d'un fossé profond, 
il rangea ses troupes en bataille, les fit avancer jusqu'aux portes 
de la ville et provoqua les Macédoniens au combat. Ceux-ci 
n'osant point accepter la lutte , Léosthène livra à la place des 
assauts journellement renouvelés; mais les Macédoniens se dé~ 
fendirent vaillamment et firent essuyer de grandes pertes aux 
assaillants. La ville renfermait , outre une nombreuse garnison, 
des munitions de guerre en abondance; de plus, elle était en- 
tourée de fortes murailles ; les assiégés pouvaient donc facile- 
ment l'emporter. Renonçant à l'espoir de prendre la ville d'as- 
saut, Léosthène se contenta d'intercepter les convois de vivres, 
dans la conviction qu41 viendrait aisément à bout des assiégés 
par la famine. Dans ce dessein , il construisit une enceinte, et 
creusa un fossé large et profond pour empêcher les assiégés de 
communiquer avec le dehors. Bientôt après, les Étoliens deman- 
dèrent à Léosthène la permission de se retirer momentanément 
chez eux pour régler quelques affaires d'État, et revinrent ainsi 
tous en Étolie. Cependant Antipater était presque réduit à l'extré- 
mité , et la ville , pressée par la famine , courait risque d'être 
prise , lorsqu'un heureux hasard rendit l'espoir aux Macédo- 
niens. Dans un combat qu'Antipater livrait aux assiégeants oc- 
cupés à creuser des fossés , Léosthène fut frappé d'un coup de 
pierre à la tête , il tomba sur-le-champ et fut transporté sans 
connaissance dans le camp. Trois jours après il mourut; il fut 
enseveli avec les honneurs héroïques, à cause de sa réputation 
guerrière ; le peuple athénien lui décerna un éloge funèbre et 
chargea de le prononcer Hypéride , le premier orateur par son 
éloquence et par sa haine contre les Macédoniens. A cette épo- 

* Comparez Justin , xm , 5. 



312 DIODORË DE SICILE. 

que, le coryphée des orateurs d* Athènes, Démoslhène, était 
encore en exil, condamné pour avoir reçu de Targent d'Harpa- 
Jus. A la place de Léosthène, Antiphile, distingué par son habi- 
leté stratégique et son courage , fut nommé au commandement 
des troupes. Telle était la situation des affaires en £ui*ope. 

XIV. Après qu'en Asie les chefs de Tarraée se furent partagé 
les satrapies , Ptolémée se mit , sans coup férir , en possession 
de rÉgypte. Il se conduisit avec bienveillance à l'égard des 
naturels du pays. Il employa huit mille talents à rasseoibler des 
mercenaires et à préparer des armées ; sa douceur Qt accourir 
auprès de lui un grand nombre d*amis. Un de ses premiers soins 
fut d'envoyer une députation à Antipater et de conclure avec 
lui un traité d'alliance ; car il savait parfaitement que Perdiccas 
visait à la satrapie d'Egypte. 

A cette époque , Lysimaque envahit la Thrace et marcha 
contre le roi Seuthès , qui se trouvait à la tête de vingt mille 
fantassins et de huit mille cavaliers; mais ces forces ne l'inti- 
midèrent pas, et, bien qu'il n'eût pas plus de quatre mille 
fantassins et de deux mille cavaliers, il attaqua les Barbares. Le 
conibat fut acharné. Lysimaque se montra supérieur en bra- 
voure; mais, accablé par le nombre , il perdit la plupart des 
siens et retourna dans le camp en laissant la victoire incer- 
taine. Les deux armées se retirèrent alors de leurs positions 
et firent de plus grands préparatifs pour livrer une bataille dé- 
cisive. Léonnatus, auprès duquel Hécatée s'était rendu en dépu- 
tation pour le prier de venir le plus promplement possible aa 
secours d'Antipater et des Macédoniens , promit des secours. Il 
passa donc en Europe, entra en Macédoine et joignit un grand 
nombre de soldats macédoniens. Ayant ainsi rassemblé une ar- 
mée de plus de vingt mille fantassins et de deux mille cinq cents 
cavaliers, il traversa la Thessalie et s'avança contre les ennemis. 

XV. Les Grecs levèrent le siège; ils incendièrent leur camp 
et, pour alléger leurs mouvements, transportèrent tout le ba- 
gage inutile dans la ville de Mélitée ; puis ils allèrent à la ren- 
contre de Léonnatus avant qu'il eût fait sa jonction avec An- 



LIVRE XVIII. 313 

tipater. L'armée des Grecs se composait de vingt-deux mille 
hommes d'infanterie ( tous les Étoliens étaient déjà antérieure- 
ment retournés chez eux , et beaucoup d'autres Grecs étaient 
alors également rentrés dans leurs foyers), et de plus de trois 
mille cinq cents cavaliers, dont deux mille Thessaliens, d'un 
courage éprouvé et sur lesquels reposait principalement l'espé- 
rance de vaincre. Il s'engagea un combat de cavalerie qui dura 
longtemps ; les ThQ^saliens y firent des prodiges de valeur et 
Léonnatus, après une brillante résistance , fut acculé contre un 
marais et expira couvert de blessures. Ses soldats emportèrent 
son corps et le déposèrent près des bagages. Les Grecs rempor- 
tèrent , grâce à Menon , commandant de la cavalerie thessa- 
lienne , une éclatante victoire ; la phalange macédonienne , re- 
doutant la cavalerie , se retira de la plaine pour gagner les 
montagnes et se retrancha dans une position forte. Dans cet 
état, la cavalerie thessalienne , qui combattait à l'avant-garde, 
devint inutile. Les Grecs dressèrent un trophée, enlevèrent les 
morts et se retirèrent du champ de bataille. Le lendemain , 
Antipater arriva avec son armée , fit sa jonction avec les vain- 
cus et réunit tous les Macédoniens en une seule armée dont il 
prit le commandement en chef. Antipater résolut , pour le mo- 
ment, de se tenir dans l'inactivité ; et , voyant que les ennemis 
étaient supérieurs en cavalerie, il renonça au projet de se frayer 
un passage les armes à la main. Il se retira donc de ces lieux , 
passa par des chemins difficiles, et s'empara d'avance des postes 
élevés. Antiphile, commandant de l'armée grecque qui venait 
de vaincre les Macédoniens dans une bataille célèbre , s'arrêta 
en Thessalie pour observer les mouvements de l'ennemi. Tels 
étaient les succès que les Grecs avaient obtenus. Comme les 
Macédoniens étaient encore les maîtres de la mer, les Athé- 
niens firent construire de nouveaux bâtiments, de manière à 
élever le total de leur flotte à cent soixante-dix navires. La flotte 
mécédonienne , forte de deux cent quarante navires , était sous 
les ordres de Clitus, qui attaqua Étion, nauarque des Athéniens, 
le défit dans deux batailles navales , livrées près des îles Échi- 

III. 27 ^ 



su DIODORE DE SICILE. 

nades, et fit perdre à Tennemi un grand nombre de bâti- 
ments. 

XVI. Sur CCS entrefaites , Perdiccas prit avec lui le roi Phi- 
lippe et l'arniée royale, et marcha contre Ariarathès, souverain 
de la Cappadoce. Ce chef ne s'était point soumis aux Macédo- 
niens , et il avait été oublié par Alexandre, alors exclusivement 
occupé à combattre Darius. Ariarathës avait eu le temps de se 
reconnaître et de s'aiïermir dans la souveraineté de la Cappa- 
doce. Au moyen de fortes sonmies d'argent, fruit de ses reve- 
nus , il mit sur pied une armée considérable, composée de natio- 
naux et d'étrangers. Se trouvant ainsi à la tête de trente mille 
hommes d'infanterie et de quinze mille cavaliers, il prétendait à 
la royauté et était prêt à tenir tête à Perdiccas. IVlais celui-ci le 
vainquit en bataille rangée , lui tua quatre mille hommes et fit 
plus de cinq mille prisonniers , parmi lesquels se trouvait aussi 
Ariarathès qu'il fit ignominieusement mettre en croix ainsi que 
toute sa famille. Cependant Perdiccas accorda la vie aux vain- 
cus, et, après avoir pacifié la Cappadoce, il en donna le gouver- 
nement à Ëumène de Cardia , auquel cette satrapie était primiti- 
vement échue. En ce même temps, Cratère partit de la Cilicie et 
se rendit en Macédoine pour venir au secours d'Antipater et répd- 
rer les pertes essuyées par les Macédoniens. Il emmena avec lui six 
mille hommes d'infanterie, débris de l'armée qu'Alexandre avait 
conduite en Asie ; il y joignit quatre mille soldats recueillis en 
route , mille archers et frondeurs perses et quinze mille cava- 
liers. Arrivé en Thessalie , Cratère céda volontairement le com- 
mandement à Antipater et vint camper avec lui sur les bords du 
Pénée. Ces troupes réunies, y compris les soldats de Léonnatus, 
formèrent donc un total de plus de quarante mille hommes d'in- 
fanterie pesamment armés , de trois mille archers et frondeurs 
et de cinq niille cavaliers. 

XVII. Dans ce même moment, les Grecs, beaucoup moins 
nombreux , vinrent établir leur camp en face de l'ennemi. Plu- 
sieurs de leurs alliés , méprisant l'ennemi depuis leurs derniers 
succès , étaient demeurés chez eux pour vaquer à leurs propres 



LIVRE XYIII. 315 

affaires. Beaucoup d'entre eux ayant quitté les rangs , il ne res- 
tait plus dans le camp que vingt-cinq mille hommes d'infanterie 
et trois mille cinq cents cavaliers. C'est sur cette cavalerie que 
reposait particulièrement l'espérance de la victoire, tant à cause de 
sa bravoure bien connue que parce qu'elle pouvait manœuvrer 
sur un terrain plat. Antipater fit tous les jours sortir du camp son 
armée et provoqua les Grecs au combat. Ceux-ci , d'abord réso- 
lus d'attendre leurs alliés, furent enfin forcés par les circon- 
stances d'accepter un combat décisif. Ils rangèrent donc leur ar- 
mée en bataille , et, comme ils cherchaient à décider le sort de 
la guerre par la cavalerie , ils la placèrent sur le front de la pha- 
lange d'infanterie. Il s'engagea donc un combat de cavalerie. Les 
Thessaliens l'emportant par la bravoure de leurs cavaliers , An- 
tipater fit avancer sa phalange y il tomba sur l'infanterie ennemie, 
et en fit un grand carnage. Les Grecs, succombant sous le poids 
et le nombre des ennemis, se retirèrent dans les lieux d'un accès 
difficile , tout en conservant l'ordre de leurs raiigs. Ils gagnèrent 
ainsi les hauteurs qui dominaient le champ de bataille, et se dé- 
fendirent de là facilement contre les Macédoniens. Cependant la 
cavalerie des Grecs l'emporta ; mais dès qu'elle apprit la re- 
traite de l'infanterie, elle vint sur-le-champ la rallier ; à partir de 
ce moment de la lutte , la victoire commença à se déclarer pour 
les Macédoniens. Dans cette bataille, les Grecs perdirent plus de 
cinq cents hommes , et les Macédoniens cent trente. Le lende- 
main, Menon et Antiphile, généraux des Grecs, se réunirent 
pour défibérer s'il fallait attendre l'arrivée des autres alliés et se 
mettre en mesure de risquer un dernier combat décisif ,^ou s'il 
fallait céder aux circonstances, et envoyer des parlementaires pour 
négocier une trêve. On résolut d'envoyer des hérauts pour faire 
des propositions de paix. Antipater répondit à ces parlementaires 
qu'il fallait que chaque ville , en particulier, lui envoyât des dé- 
putés, et qu'il ne traiterait pas d'un accommodement com- 
mun à toutes les villes. Comme les Grecs n'accueillirent point 
cet arrangement , Antipater et Cratère allèrent investir les villes 
de la Thessalie, et les prirent d'assaut sans que les Grecs eussent 



316 DIODORE DE SICILE. 

pu les secourir. Ce succès fit trembler les autres, et chacune 
d'elles envoya des députés pour traiter séparément; la paix leur 
fut accordée , et toutes furent traitées avec douceur. Les villes 
8*étant ainsi empressées de pourvoir à leur salut , la paix fut 
partout promptement rétablie. Les ennemis les plus acharnés des 
Macédoniens , savoir les Étoliens et les Athéniens, privés de leurs 
alliés , réunirent leurs propres généraux pour délibérer sut la 
conduite de la guerre. 

XVIII. Après s'être montré habile général et avoir dissous la 
ligue des Grecs, Antipater dirigea toute son armée contre les 
Athéniens. Ceux-ci, sans alliés, se trouvaient dans un grand em- 
barras ; tous les regards se tournèrent alors vers Demade , et on 
cria qu'il fallait l'envoyer auprès d' Antipater pour négocier la 
paix. Mais Demade refusa de prendre part à la délibération; 
c'est qu'il avait été condamné trois fois pour avoir enfreint les 
lois, et qu'ainsi entaché d'infamie , il ne pouvait, selon les luis, 
être menibre d'aucune assemblée délibérante. Alors le peuple le 
réhabilita, et l'envoya sur-le-champ en députatiou avec Phocion 
et quelques autres. Après avoir écouté attentivement les discours 
de ces députés, Antipater répondit qu'il ne traiterait avec les 
Athéniens qu'après qu'ils se seraient rendus à discrétion. C'était 
la même réponse qu'avait reçue Antipater lorsque, assiégé à La- 
mia , il demanda à traiter avec les Athéniens. Le peuple d'Athè- 
nes , dans l'impossibihté de résister à l'ennemi , fut forcé de se 
soumettre complètement à l'autorité d' Antipater. Le vainqueur 
se conduisit avec modération envers les vaincus; il laissa aux 
Athéniens leur ville, leurs biens et toutes leurs richesses, mais 
il changea la forme de leur gouvernement ; il abolit la démocra- 
tie , établit un cens d'après lequel les propriétaires de plus de 
deux mille drachmes ' auraient seuls droit au gouvernement et 
exerceraient le droit de suffrage. Il éloigna ainsi des affaires tous 
les turbulents et les malintentionnés dont le cens n'atteignait 
pas cette somme. En même temps il donna des terres à ceux qui 

* Plus de mille huit cent viugt francs. 



LIVRE XVIII. 317 

voulaient fonder des colonies dans la Tlirace. Il y en eut plus de 
vingt-deux raille qui quittèrent ainsi leur patrie. Les citoyens 
compris dans le cens fixé étaient au nombre d'environ neuf 
mille ; ils furent déclarés maîtres de la cité et du territoire, et 
se gouvernaient d'après les lois de Solon. Ils conservèrent tous 
leurs propriétés intactes , mais ils furent obligés de recevoir une 
garnison sous les ordres de Ményllus qui devait veiller à Tordre 
établi. Quant à Tîlc de Samos , son sort fut remis à la décision 
des rois. Les Athéniens furent donc mieux traités qu'ils ne l'es- 
péraient , et obtinrent la paix ; jouissant depuis lors d'un gou- 
vernement tranquille, ils se livrèrent sans crainte à la culture de 
leurs terres, et leur prospérité augmenta rapidement. De retour 
en Macédoine , Antipater combla Cratère d'honneurs et de pré- 
sents, lui donna en mariage Phila, l'aînée de ses Tilles, et lui pré- 
para sa rentrée en Asie. Antipater se conduisit avec la même mo- 
dération à l'égard des autres villes grecques ; il établit partout un 
bon gouvernement, et mérita les éloges et les couronnes qui lui 
furent décernés. 

Perdiccas restitua aux Samiens leur ville et leur territoire, et 
rappela dans leur patrie ceux qui en avaient été exilés depuis 
plus de quarante-trois ans. 

XIX. Après avoir parlé en détail de la guerre Lamiaque , 
nous allons passer à la guerre qui eut lieu dans la Cyrénaïque. 
Mais, sans trop nous écarter de l'ordre chronologique, nous de- 
vons remonter un peu le cours des temps , afm de faire mieux 
comprendre notre récit. 

Harpalus, s'étant enfui de l'Asie, aborda en Crète avec ses 
troupes soldées , ainsi que nous l'avons dit dans le livre précé- 
dent ^ Thimbron, qui passait pour un de ses amis, assassina 
Harpalus, s'empara de ses richesses et se mit à la tête des soldats 
qui étaient au nombre de sept mille ^. Il se rendit aussi maîire 
des navires d'Harpalus , y embarqua ses soldats et fit voile pour 
la Cyrénaïque. Il avait emmené avec lui les bannis de Cyrènc 

» Chapitre 108. 

Ml y a six mille dans le livre précédent, çbap. I08. 

III. 'TV. 



•1 - 



. Vw 



318 mODOKE DK SIGILi:. 

qui, ayant une parfaite connaissance des lieux, lui servaient de 
guides. Thimbron marcha contre les Cyrénécns, les défit dans 
un combat et leur tua beaucoup de monde en faisant un non 
moins grand nombre de prisonniers. Il s*empara du port des 
(pyrénéens , bl(N|iia Cyrène et força les habitants de capitu- 
ler , à la condition de lui fournir cinq cents talents d'argent 
et la moitié de leurs chars de guerre. Il envoya ensuite des 
députés dans les autres villes de la côte pour les engager à se 
joindre à lui dans le but de soumettre toute la Libye limitrophe. 
Enfin il dévasta les magasins du port , livra les marchandises 
au pillage de ses soldats , dont il ranima ainsi l'ardeur guer- 
rière. 

XX. Les aflaires de Thimbron prospéraient, lorsque la for- 
tune humilia bientôt son orgueil. Il y avait parmi ses officiers uo 
Cretois nommé IMnasiclès, d'une grande expérience militaire, 
rhinibron eut avec lui une querelle au sujet du partage du bu- 
lin. .Mnasiclès, d'un caractère turbulent et audacieux, passa 
dans le camp des (pyrénéens; il accusa Thimbron de cruauté el 
de mauvaise foi , et persuada les Cyrénéens de rompre le traité et 
de défendre leur indépendance. Séduits par ces discours, lesCy- 
rénéiîus, (\u\ n'avaient encore payé que soixante talents de con- 
tribution , refusèrent de donner le reste de la somme. Thimbron , 
irrité contre les reKelles, arrêta les (pyrénéens qui se trouvaient 
dans le port au nombre d'environ quatre-vingts, dirigea immé- 
diatement son armée sur la ville de Cyrène, el en fit le siège. Mais 
celte tentative ayant échoué, il revint dans le port Comme les 
Barcéens et les IJespérites s'étaient déclarés pour Thimbron, les 
Cyrénéens laissèrent une partie de leur armée pour la défense 
de Cyrène , et allèrent avec l'autre partie dévaster les terres de 
leurs voisins. Ceux-ci a|)pelèrent h leur secours Thimbron qui 
vint à leur aide avec toutes ses troupes. Dans ce moment, le 
Crélois , voyant le port sans défense , conseilla aux C^yrénéens, 
laissés dans la ville, de s'en emj)arer. Cette proposition fut ac- 
cueillie avec empressement ; le Oétois se mit à la tête de la troupe, 
attaqua le port , et , favorisé par l'absence de Tiiiuibron , s'en 



LIVRE xvm. 319 

rendit facilement maître ; il fit ensuite rendre aux marchands les 
marchandises qui restaient encore, et assura avec soin la défense 
du port. Délogé de cette position favorable et ayant perdu ses 
bagages, Thimbron tomba d'abord dans le découragement. Ce- 
pendant son courage se ranima par la suite, il prit d*assaut la 
ville de Teuchire et conçut de grandes espérances. Mais bientôt 
il essuya de nouveaux échecs. Les équipages des navires exclus 
du port manquant de vivres, descendaient tous les jours à terre 
pour se procurer des subsistances. Pendant que ces soldats s'é- 
taient dispersés dans la campagne, les Libyens les firent tomber 
dans une embuscade , eu tuèrent un grand nombre et firent 
beaucoup de prisonniers. Ceux qui avaient échappé au danger se 
réfugièrent dans les navires et firent voile pour les villes alliées ; 
mais une violente tempête s'étant élevée, la plupart des navires 
sombrèrent et le reste échoua sur les côtes de Cypre et sur celles 
d'Egypte. 

XXL Malgré ce désastre , Thimbron continua la guerre. Il 
détacha dans le Péloponnèse ses amis tes plus fidèles , chargés 
d'enrôler les mercenaires qui se trouvaient au cap Ténare. Beau- 
coup de soldats sans solde erraient dans cette contrée, cherchant 
du service ; le nombre de ceux qui étaient stationnés au cap Té- 
nare était de plus de deux mille cinq cents. Les émissaires de 
Tiiimbron les enrôlèrent et les transportèrent à (]yrène. Mais avant 
l'arrivée de cette troupe, les Cyrénéens, encouragés par les suc- 
cès obtenus, avaient engagé la lutte et vaincu Thimbron, après 
lui avoir fait éprouver de grandes pertes. Abattu par ces revers, 
Thimbron allait désespérer des affaires de la Cyrénaïque , lors- 
qu'un événement imprévu vint ranimer son courage. Les merce- 
naires, arrivés par mer du cap Ténare, lui amenèrent un puissant 
renfort qui releva ses espérances. Les Cyrénéens, considérant que 
la guerre allait se rallumer , implorèrent le secours des Libyens 
iimilropJK s et des Carthaginois. En réunissant à la milice natio- 
nale tous les auxiliaires, ils parvinrent à mettre sur pied une ar- 
mée de trente mille honuiies , et furent prêts à livrer une ba- 
taille décisive. Dn grand combat s'engagea ; Thimbron fut vie- ; 



320 DIODORE DE SICILE. 

torieux , après avoir tué un grand nombre d'ennennis, et, dans sa 
joie, il se voyait déjà maître des villes voisines. Les Cyrénéens, 
qui avaient perdu dans cette bataille tous leurs généraux, nom- 
mèrent le Cretois Mnasiclès avec quelques autres au comman- 
dement des troupes. Cependant Thimbron , exalté par sa vic- 
toire , bloqua le port des Cyrénéens et livra à la ville des as- 
sauts journaliers. Comme la guerre traînait en longueur , les 
Cyrénéens , manquant de vivres , se disputèrent entre eux. Le 
parti démocratique remporta ; les propriétaires, chassés de la ville 
et exilés de leur patrie, se réfugièrent les uns auprès de Thim* 
bron , les autres cherchèrent un asile en Egypte. Ces derniers 
engagèrent Ptolémée à les faire rentrer dans leur patrie. Ils y re- 
vinrent en effet , appuyés par une forte armée et par une flotte 
sous les ordres d'Ophellas. A la nouvelle de cette approche, ceux 
qui s'étaient réfugiés auprès de Thimbron , tentèrent de les 
joindre secrètement la nuit ; mais leur projet se découvrit , et 
ils furent tous taillés en pièces. Les chefs du parti démocratique 
de Cyrène , redoutant la vengeance des exilés , traitèrent avec 
Thimbron et se préparèrent à faire en commun la guerre à 
Ophellas. Celui-ci battit Thimbron , le fit prisonnier, se rendit 
maître des villes et les soumit, ainsi que leur territoire, à l'au- 
torité du roi Ptolémée. Ce fut de cette manière que les Cyré- 
néens et les villes limitrophes perdirent leur indépendance et 
furent rangés sous Tautorité royale * de Ptolémée. 

XXII. Perdiccas et le roi Philippe ayant battu Ariarathès, et 
remis sa satrapie à Ëumène , s'éloignèrent de la Cappadoce. Us 
entrèrent de là dans la Pisidie pour y châtier deux villes rebelles, 
celle des Larandéens et celle des Isauriens. Encore du vivant 
d'Alexandre, les habitants de ces villes avaient massacré Bala- 
crus, fils de Nicanor, qui avait été nommé commandant mi- 
litaire et satrape de la contrée. La ville des Larandéens fut em- 
portée d'assaut ; toute la population valide fut passée au fil de 
l'épée , les autres habitants vendus à l'enchère et la ville rasée. 

» A cette époque Vtolémée n'était pas encore roi. Voyez XX , 54. 



LIVRE XVIII. 321 

Isaura était une ville forte , considérable et remplie d*unc brave 
garnison ; elle fut vigoureusement assiégée pendant deux jours. 
Enfin , après avoir éprouvé beaucoup de pertes , l'ennemi allait 
se retirer; car les habitants, abondamment pourvus d'armes 
et d'autres munitions , se défendaient intrépidement , prêts à 
mourir pour la liberté. Mais le troisième jour , après des per- 
tes considérables , les rangs des défenseurs du mur se trou- 
vaient éclaircis , et la garnison était pressée par la famine ; en 
ce moment les Isauriens se décidèrent à une action héroïque 
et digne de mémoire. Se voyant exposés à une vengeance 
impitoyable et n'étant pas assez forts, pour résister, ils se refu- 
sèrent à livrer leur ville et leurs biens à un ennemi qui ne fe- 
rait aucun quartier. Ils résolurent donc unanimement de périr, 
dans la nuit, d'une mort glorieuse : ils renfermèrent dans les mai- 
sons les enfants et les femmes , et y mirent le feu , donnant 
ainsi à tout ce qu'ils avaient de plus cher un bûcher et un 
tombeau communs. La flamme s'éleva soudain dans l'air; 
les Isauriens y jetèrent leurs biens et tout ce qui aurait pu être 
utile au vainqueur. Perdiccas, frappé d'élonnement, essaya avec 
son armée de pénétrer de toutes parts dans la ville. Mais les ha- 
bitants défendirent leurs murailles et tuèrent beaucoup de Ma- 
cédoniens ; Perdiccas , de plus' en plus stupéfait , chercha à sa- 
voir pourquoi ces hommes , qui avaient mis le feu à leurs mai- 
sons et brûlé tous leurs biens , mettaient tant d'acharnement à 
défendre leurs murailles. Enfin, Perdiccas et les Macédoniens*, 
s'étaut un peu éloignés de la ville, les Isauriens se précipitèrent 
eux-mêmes dans les flammes et trouvèrent leurs tombeaux sous la 
cendre de leurs maisons. Après que la nuit fut passée , Perdiccas 
donna la ville en pillage à ses soldats. Ces derniers éteignirent 
l'incendie et recueillirent une grande masse d'argent et d'or; car 
cette ville était depuis longtemps une des plus riches de la contrée. 
XXIII. Après la défaite de ses ennemis, Perdiccas épousa 
deux femmes; l'une était Nicée, fille d'Antipater, avec laquelle 
il avait été fiancé * ; l'autre était Cléopâtre, sœur germaine d'A- 

' Suivant Strabon , elle épousa Lysimaque , après la mort de Perdiccas. Sa sœur, 



322 DIODORE DE SICILE. 

lexandrc, fille de Philippe, fils d*Amyntas. Perdiccas avait depuis 
longtemps jugé couveiiable de lier ses iatérêts à ceux d'Antipa- 
ter; c'esl pourquoiil avait contracté cette alliance, dans un mo- 
ment où ses propres affaires n'étaient pas encore parfaitement 
consolidées. Mais depuis qu'il était investi du commandement 
des troupes royales, et de la tutelle des rois, il changea de plan; 
aspirant lui-même à la royauté , il épousa Gléopâtre , et se flat- 
tait par cette alliance de décider les Macédoniens à lui décerner 
Tautorité soureraine. Cependant , pour ne pas dévoiler ses in- 
tentions secrètes, il épousa alors Nicée, afin qu^Antipater ne 
Tcntravat pas dans ses projets; mais comme par la suite Anti* 
gone, un des chefs les plus actifs de Tarmée, lié d'amitié avec 
Antipaier, devina ces desseins ambitieux, Perdiccas songea à 
s'en défaire. Dans ce but , il répandit contre Antigone des accu- 
sations injustes et calomnieuses , et ne fit plus un secret de sa 
perte, qu'il avait jurée. Mais Antigone, homme distingué à la fois 
par sa prudence et par son audace , déclara ouvertement qu'il 
voulait se défendre contre ces accusations. Mais il prépara en 
secrei tout ce qui était nécessaire pour sa fuite , et s'embarqua la 
nuit avec ses amis et son fils Démétrius , sur des bâtiments atti- 
ques qui le transportèrent en Europe où il joignit Antipater. 

XXIV. En ce même temps Afttipater et Cratère marchèrent 
contre les Étolicns, à la tête de trente mille hommes d'infanterie 
et de deux mille cinq cents cavaliers. Les Étoliens étaient les 
seuls qui n'eussent pas été soumis dans la guerre Lamiaque. 
Malgré ces forces considérables dirigées contre eux , les Étoliens 
ne furent pas épouvantés; ils appelèrent au service militaire 
toute la population valide , et après avoir rassemblé dix mille 
honnnes, ils se réfugièrent dans les montagnes où ils avaient mis 
en sûreté les femmes, les enfants , les vieillards et toutes leurs 
richesses. Ils abandonnèrent ainsi les villes dont la position n'é- 
tait pas assez forte , mirent dans les places fortes des garnisons 
respectables , et attendirent intrépidement l'arrivée des ennemis. 

Cléopàtre, avait épousé en premières noces Alexandre, roi desÉpirotes. Voyez 
Justin, XIII, 5. 



LIVRE XYUL 323 

XXV. Cependant Antipater et Cratère pénétrèrent dans TÉ- 
tolie , et trouvant les villes désertes , ils marchèrent contre les 
populations qui s'étaient retirées dans les montagnes. £n atta- 
quant ces lieux d'un accès difficile , les Macédoniens perdirent 
d'abord beaucoup de monde; car les Éioliens, sentant leur 
courage s'accroître par la nature des lieux, se défendirent ai- 
sément contre ceux qui couraient des dangers irrémédiables. 
Apres ces tentatives, Cratère construisit des baraques pour 
faire bivouaquer ses troupes. Par ce moyen, il força les ennemis 
à passer l'hiver au milieu des neiges et dans des positions oti 
la disette devait les réduire aux dernières extrémités. En effet , 
ils étaient dans l'alternative ou de descendre des montagnes et 
se mesurer avec des forces supérieures, commandées par des 
généraux célèbres , ou d'y rester, décidés à mourir de faim et de 
froid. Enfin , ils désespéraient déjà de leur salut, lorsque le ha- 
sard, comme un dieu miséricordieux , les sauva du péril. Anti- 
gone, après s'être enfui de l'Asie , était venu joindre Antipater 
et l'avait instruit de tous les projets de Perdiccas : il lui avait 
appris que ce dernier venait d'épouser Cléopâtre et qu'il ne tar- 
derait pas à se montrer avec son armée en Macédoine pour se 
faire déclarer roi et dépouiller Antipater et Cratère de leur auto- 
rité. Ceux-ci , surpris d'une nouvelle si inattendue, réunirent 
en conseil les chefs de l'armée ; il fut convenu que l'on con- 
clurait avec les Étoliens une trêve aux meilleures conditions pos- 
sibles ; que des troupes seraient immédiatement envoyées en 
Asie, que Cratère y exercerait le coipmandement en chef, tandis 
qu'Antipater aurait le même pouvoir en Europe ; enfin qu'on 
ferait partir une députation auprès de Ptolémée qui était très- 
mécorileni de Perdiccas et, au contraire, ami de Cratère et 
d' Antipater ; ils le croyaient donc disposé à faire avec eux cause 
commune. Conformément à ces résolutions, ils conclurent une 
trêve avec les Étoliens , en ajournant le projet de les soumettre 
et de transférer toute la population dans une contrée déserte , 
la plus reculée de l'Asie. Enfin , toutes ces dispositions prises , 
ils se préparèrent à l'expédition projetée. Cependant Perdiccas 



32'l DIODORE DE SICILE. 

ivnnil en conseil ses amis et les chefs de l'armée ; il mi 
di-libératiim s'il fallait d'abord porter la guerre en Hacédoi 
ou marcher contre Plolt^mfo. Tous étant d'avis qu'il fallait < 
bord cnmhalirc I'ti>l6m<!'e , afin de pouvoir ^ir plus libreo 
en Macédoine, Ponliccas fit partir Kumène à la tête d'une 
mée considéra h le, avec l'ordre d'occuper les environs de TRel 
pnni cl de s'opposer au passage de l'ennemi. Perdiccas Iuî-id 
(juilta la Pisidie , et dirigea sa roule An côté de l'Egypte. 
Tels sont les événements arrivés dans le cours de cette aai 
\XVI. Philoclés étant archonte d'Aihéoes, les Romains n 
mèreni consiiIsCaîus Siilpicius et Gains jKlius'. Dans cette ani 
Airhidée , chargé du soin do iransporier le corps d'Alcxam 
avait fait construire le char qui devait servir i ce transport 
avait achevé les prépraiiTs de cette solennité, digne de la gl 
d'Alexandre. Elle se distinguait de toutes les solennités d< 
genre, tant par les énormes dépenses qu'elle occasionna que 
la magnificence qui y fut déployée. Nous croyons donc co 
nable d'entrer ici dans quelques détails. Ou avait d'abord ( 
struit un premier cercueil, recouvert d'or laminé et rempli 
romatcs, tout è la fuis pour procurer une bonne odeur et | 
coDseiver le cadavre. Ce cercueil était fermé par un couvf 
d'or , s'adaplant parfaitement à la partie supérieure de la i 
face. Sur ce couvercle était jetée une belle draperie d'« 
de pourpre . sur laquelle étaient déposées les armes du déf 
afm que rien ne manquât de ce qui peut frapper l'imagina 
dans de pareilles circonstances. Après cela , on s'occupa d 
consiructiiin du char qui devait transporter le corps. [ Voî( 
dessin de ce char ] : le sommet représentait une vuâte d 
ornée de mosaïques disposées en écailles , de huit coudée 
largeur sur douze de long. Au-dessous de cette voflte était p 
un trône d'or occupant l'espace de toute l'œuvre ; il était 
forme carrée , orné de mufles de bouquetin ', auxquels éla 

■ Troisii'iiitnilliréilïlBCiiLï'olïiiiiJiadOîâniléelîîuvantJ.-C. 
' J"ai rniclii Tpr/iivjt/t par boaqHttlnt. Le boik' ssin-agc ( bouquetin ) pnfi 
enpB'etdBiiksiiii nKpKtiin mflanjie rie Ininr ( T^iyat } pt dp rerf (Clamée). 



LIVRE xvm. 325 

fixés des agrafes d'or de deux palmes d'épaisseur ; à ces agrafes ^ 
était suspendue une guirlande funèbre , dont les couleurs res- 
plendissantes imitaient des fleurs naturelles. Au sommet était 
attaché un filet portant de grandes cloches, qui, par leur bruit, 
annonçaient au loin rapproche du convoi. A chaque angle de la 
voûte s'élevait une Victoire d'or portant des trophées. ïoule la 
voûte avec ses dépendances reposait sur des colonnes a chapiteaux 
ioniques. £n dedans du péristyle, on voyait un réseau d'or, 
dont les fils, de l'épaisseur d'un doigt, portaient quatre tableaux 
de la même hauteur que le péristyle et parallèles aux colonnes. 
XXVII. Le premier de ces tableaux représentait un char 
orné de ciselures, sur lequel était assis Alexandre , tenant dans 
ses mains un sceptre très-beau. Autour du roi était placée en 
armes sa maison militaire , composée de Macédoniens , de Per- 
ses mélophores , précédés des écuyers. Le second tableau re- 
présentait, comme suite de la maison militaire , des éléphants 
équipés en guerre , montés en avant par des conducteurs in- 
diens , et en arrière par des Macédoniens revêtus de' leurs ar- 
mes ordinaires. Sur le troisième tableau , on avait figuré des 
escadrons de cavalerie faisant des évolutions et des manœu- 
vres militaires. Enfin , le quatrième tableau représentait des 
vaisseaux armés en guerre , préparés à un combat naval. Au 
bord de la voûte se voyaient des lions d'or fixant leurs re- 
gards sur ceux qui s'approchaient du char. Dans les interstices 
des colonnes se voyaient des acanthes d'or, s'élevant presque 
jusqu'aux chapiteaux des colonnes. Sur le dos de la voûte était 
étendue une draperie de pourpre sur laquelle reposait une im- 
mense couronne d'olivier en or ; les rayons du soleil tombant 
sur cette couronne produisaient au loin , par leurs réflexions , 
l'effet d'éclairs éblouissants. Tout le train reposait sur deux es- 
sieux autour desquels tournaient quatre roues persiques dont les 
moyeux et les rayons étaient dorés, et dont les jantes étaient 
garnies de fer. Les saillies des essieux étaient en or et portaient 
des mufles de lion tenant entre les dents le fer d'une lance. Au 
milieu du fond du char, d'une part , et au milieu de la voûté, de 

III. * 'l^ 



326 DIODORE DB SICILE. 

l'autre , était fixé dans toute la hauteur du monament an : 
canisme tournant pour préserver la voûte des secousses qu' 
rait pu lui imprimer le char en roulant sur un terrain inéga 
raboteux. Quatre timons étaient fixés au char, et à chaque tii 
un train de quatre jougs, et chaque joug composé de quatre i 
lets, ce qui formait un attelage de soixante-quatre mulets, cl 
sis parmi les plus vigoureux et les plus élancés. Chacun de 
animaux portait sur sa tête une couronne d'or ; aux deux i 
choires étaient suspendues deux sonnettes d*or, et les cols étaj 
ornés de colliers de pierres précieuses. 

XXVIII. Tel était l'appareil de ce char, plus beau à % 
qu'on ne peut le faire comprendre par une simple descriptii 
Grand était le nombre des spectateurs qu'attirait la magnificei 
de ce convoi funèbre. La foule accourait de toutes parts dans 
villes où il devait passer , et ne pouvait se rassasier de l'admin 
et celte foule, se confondant avec les voyageurs, les artistes 
les soldats qui suivaient le convoi , ajoutait encore à la pon 
de ces splendides funérailles. Arrhidée, qui avait employé pn 
que deux ans aux travaux de ces obsèques , s'était donc mis 
marche pour transporter, de Babylone en Egypte, les dépouil 
du roi. Ptolémée , pour rendre les honneurs à Alexandre , a 
avec son armée au-devant du convoi jusqu'en Syrie. Il reçu! 
corps avec les plus grandes marques de respect. Il jugea p: 
Convenable de le transporter pour le moment, non dans le te 
pie de Jupiter Ammon, mais dans la ville fondée par Alexandi 
et qui était déjà devenue presque la plus célèbre du monde. 
y fit construire un temple qui, par sa grandeur et sa beauté, et 
digne de la gloire d'Alexandre ; il y célébra un service funèl: 
par des sacrifices héroïques et des solennités de jeux. Ptolém 
fut récompensé par les hommes et par les dieux pour avoir aii 
honoré la mémoire d'Alexandre. La générosité et la grande 
d'âme de Ptolémée fit accourir à Alexandrie une multitude d' 
trangers empressés de servir dans son armée ; et quoiqu'ils eu 
sent bientôt à combattre l'armée royale , et qu'ils n'ignorasse 
pas les dangers auxquels ils s'exposaient , ils étaient tous pré 



LIVRE XVIII. 327 

à donner leur vie pour Ptolémée. Les dieux, en récompense de 
tant de vertus, sauvèrent inopinément Tlolémée des plus grands 
périls. 

XXIX. Perdiccas, qui prit ombrage de la puissance de Pto- 
lémée, avait résolu de se mettre avec les rois * à la tête de la plus 
grande partie de l'armée et de marcher contre TÉgypte. Eumène 
avait été [ comme nous l'avons dit] envoyé sur les côtes de 
THellespont pour s'opposer au passage d'Anlipater et de Cratère 
en Asie. Perdiccas lui avait adjoint plusieurs autres chefs de 
l'armée dont le plus célèbre était Alcétas, son frère, et Néopto- 
lème ; il leur avait prescrit de se soumettre entièrement aux 
ordres d'Eumène, connu pour ses talents militaires et sa fidélité 
éprouvée. Arrivé sur les côtes de l'Hellespont avec les troupes 
qui lui avaient été confiées, Eumène s'occupa d'abord à tirer de 
sa satrapie une grande quantité de chevaux , et combla les vides 
de l'armée. Cependant Cratère et Antipater parvinrent à faire 
passer des troupes d'Europe en Asie. . Néoptolème , jaloux d'Eu- 
mène et ayant avec lui un détachement considérable de Ma- 
cédoniens i eut des intelligences secrètes avec Antipater , traita 
avec lui et dressa des embûches h Eumène. Sa trahison ayant été 
découverte , il fut forcé à livrer bataille ; Néoptolème faillit être 
tué et perdit presque toute son armée. Eumène , victorieux , fit 
entrer dans les rangs le reste de la troupe de Néoptolème ; ses 
forces s'accrurent ainsi , non-seulement par la victoire qu'il ve- 
nait de remporter, mais encore par la jonction d'un brave corps 
de Macédoniens. Néoptolème déserta le champ de bataille avec 
trois cents cavaliers et vint à bride abattue joindre Antipater. 
Celui-ci réunit les généraux en conseil ; il fut arrêté que les 
troupes seraient partagées en deux corps, dont l'un, sous les or- 
dres d'Antipater , s'avancerait vers la Cilicie pour combattre 
Perdiccas, et l'autre, commandé par Cratère, tomberait sur Eu- 
mène, et, après l'aVoir battu, viendrait rejoindre Antipater. Après 
, la concentration des troupes et leur réunion au corps auxiliaire 

* L^un était Ârrhidée , proclamé roi sous le nom de Philippe , l'autie était le fils 
d'Alexandfè «t de iUiozam. 



328 DIODORE DE SICILE. 

de LMoléméc, ils devaient, selon le plan convenu, être supériev 
en nombre aux années royales. 

X\X. Instruit de ce mouvement de renncmi , Ëuinène n 

sembla de toutes parts des troupes et particulièrement de la ( 

Valérie. Dans la conviction que son infanterie ne pourrait jani 

égaler la phalange macédonienne, il espéra principalement ei 

cavalerie pour remporter surTennemi. Les deux armées s'av< 

çant Tune sur l'autre , Cratère convoqua ses troupes , les < 

horta au combat dans un discours approprié, et promit aux s 

dats, dans le cas où ils seraient victorieux , de leur abandoni 

en pillage tous les bagages des ennemis. Ce discoui*s produ 

Teffet désiré. Cratère rangea Tarmée en bataille, prit le coi 

mandement de Taile droite et donna à Néoptolème le commi 

dément de Taile gauche. Son armée était formée de vingt mi 

hommes d'infanterie , dont la plupart étaient des Macédoni^ 

d'un courage éprouvé , et sur lesquels était surtout fom 

l'espérance de la victoire. Le nombre des cavaliers s*élevai 

plus de deux mille. L'armée d'Ëumène se composait de vii 

mille hommes d'infanterie, mélange de toutes les nations, et 

cinq mille cavaliers sur lesquels il comptait plus particulièi 

ment. Des deux côtés, la cavalerie était postée aux ailes et b 

en avant du front de la phalange. Cratère commença l'attar 

avec un corps d'élite et fit des prodiges de valeur; mais son cl 

val ayant fait un faux pas il tomba à terre; au milieu de la a 

fusion et de l'épaisseur des escadrons qui s'avançaient, il se p 

dit, fut foulé aux pieds des chevaux et périt misérableme 

Exaltés par la mort de Cratère, les ennemis se précipitèrent 

toutes parts sur leurs adversaires et en firent un grand carna 

C'est ainsi que toute l'aile droite fut culbutée et forcée de se 

plier sur la phalange d'infanterie. 

XXXI. A l'aile gauche, Néoptolème se trouva en face d'J 
mène lui-même. Une égale ardeur anima les deux chefs ; 
les reconnaissait à l'équipement de leurs chevaux et à d'aul 
insignes ; ils se précipitèrent l'un sur l'autre et engagèrent 
combat singulier qui devait décider la victoire. Ils s'attaquer 



LIVRE XVIIÎ. 329 

crabord à Tcpée ; mais bientôl cette attaque se changea en un 
combat à outrance. Emportés par la colère et par la haine qu'ils 
se portaient Tun l'autre , ils lâchèrent de leur main gauche les 
rênes de leurs chevaux et se mirent à lutter corps à corps. Les 
chevaux, n'étant plus retenus par leurs guides, s'échappèrent de 
dessous leurs cavaliers qui tombèrent à terre. En raison de la 
rapidité et de la violence de leur chute, ils ne purent se relever 
que difficilement, d'autant plus qu'ils étaient embarrassés du 
poids de leurs armes. Cependant Eumène parvint à se relever 
avant son adversaire, et frappa Néoptolème au jarret. L'étendue 
et le siège de la blessure empêchèrent celui-ci de se tenir de- 
bout. Néanmoins, la force de l'âme l'emporta sur la faiblesse 
du corps : Néoptolème se dressa sur ses genoux et porta à son 
antagoniste trois blessures au bras et aux cuisses. Mais aucune 
ne fut mortelle , et Eumène , couvert de ces blessures toutes 
saignantes, atteignit Néoptolème d'un second coup au col et Té- 
lendit roide mort *. 

XXXIL Pendant que ces choses se passaient , le reste de la 
cavalerie se livra de son côté à un combat sanglant. Des deux 
côtés, il y eut un nombre h peu près égal de morts et de blessés, 
et la victoire fut exactement balancée. Mais , après que la nou- 
velle de la mort de Néoptolème se fut répandue , l'aile gauche 
lâcha le terrain et la fuite devint bientôt générale; tous les cava- 
liers se replièrent sur la phalange d'infanterie pour s'y mettre à 
l'abri comme derrière une forte muraille. Eumène , se conten- 
tant de ce succès , s'empara des corps des deux généraux et fit 
sonner la retraite. Il éleva un trophée , fit enterrer les morts 
et envoya une députation à la phalange des vaincus pour lui pro- 
poser de se réunir à lui, en même temps qu'il accorda à chaque 
soldat la faculté de se retirer du service. Les Macédoniens ac- 
ceptèrent ces conditions de paix, et après voir échangé, sous 
la foi du serment , des garanties réciproques , les soldats obtin- 
rent la permission de se cantonner dans les villages voisins et 

' Comparez t^lutarque ( Ewnenes ) et Cornélius Nepos , Kumen. , ch. 4. 

III. 'iA. 



330 DIODORE DE SICILE. 

de s'y procurer des vivres. Wais ils violèrent leurs serments et 
trompèrent Eumène ; car, après s*être reposés de leurs fatigues, 
et bien pourvus de subsistances , ils partirent la nuit et vinrent 
secrètement rejoindre Antipater. Eumène se mit à leur pour- 
suite pour les châtier de leur mauvaise foi ; mais la brairoure bien 
connue de la phalange, en môme temps que la douleur de ses 
blessures , le firent renoncer à ce projet. Au reste , Eumène se 
couvrit de gloire poUr avoir été victorieux dans un combat 
brillant et avoir tué deux grands généraux. 

XXXIIJ. Antipater recueillit les débris de son armée et se 
dirigea vers la Ciiicie , empressé de venir au secours de Ptolé- 
mée. A la nouvelle de la victoire remportée parËiimène, Perdic- 
cas marcha avec plus d*ardeur contre TÉgypte. Arrivé près du 
Nil , il établit son camp à peu de distance de la ville de Peluse. 
Mais, tandis qn*il essayait de faire nettoyer un ancien canal , un 
débordement du fleuve détruisit les travaux ; plusieurs de ses 
amis le quittèrent en ce moment pour se retirer auprès de Pto- 
lémée. Perdiccas , par son caractère cruel et ses habitudes de 
commandement absolu , s*était aliéné les esprits des autres chefs 
de Tarmée. Ptolémée , au contraire , était d'un caractère doux , 
généreux, et laissait à tous les officiers leur franc parler; de 
plus, il avait pourvu de fortes garnisons et de magasins de 
guerre les places les plus importantes de TÉgypte* Il était donc 
parfaitement préparé. Il réussissait le plus souvent dans ses 
entreprises, car il pouvait compter sur le dévouement de ses 
troupes. 

Perdiccas, pour réparer l'échec qu'il venait d'essuyer, réunit 
ses ofliciers, chercha à gagner les uns par des présents, les au- 
tres par des promesses magnifiques et tous par des paroles de 
bienveillance. Après les avoir attachés à ses intérêts, il les exhorta 
à braver de nouveaux dangers et à se tenir prêts à marcher. En 
effet , vers le soir il mit son armée en mouvement sans dire à 
personne le point sur lequel il avait résolu de se diriger. Après 
avoir passé toute la nuit en marches forcées, il vint établir son 
camp sur les bords du Nil, près d'une place forte appelée le 



LIVRE XVUI. 331 

Mur des Chameaux, Au lever du jour, Tarmée passa le fleuve; 
les éléphants ouvraient la marche ; puis venaient les hypaspistes 
et les soldats portant des échelles et tout ce qui peut servir à 
Tattaque d'une enceinte ; enfin, Télite de la cavalerie, que Per- 
diccas voulait opposer à celle de Ptolémée dès qu'elle se mon- 
trerait , ferma la colonne. 

XXXIV. Les troupes de Perdiccas n'avaient encore atteint 
que le milieu du fleuve , lorsque Piolémée accourut pour la 
défense de la forteresse. Les soldats de Ptolémée, ayant l'avance 
sur l'ennemi , se précipitèrent dans cette place et annoncèrent 
leur présence par le son des.trompettes et par des cris. Mais Per- 
diccas ne se laissa pas intimider, et attaqua hardiment les retran- 
chements de la placé. Aussitôt les bypdspistes appliquèrent les 
échelles aux remparts et se disposèrent à y monter pendant que 
les éléphants arrachaléht les palissades et renversaient les cré- 
neaux. Ptolémée, entouré de ses nieilleurs soldats et voulant 
donner à ses officiers et à s*es atriis l'exemple du courage, saisit 
lui-même une sarisse, et^ se plaçant sur une saillie du rempart, 
d'un coup de son arilie il avfetiglat l'éléphadt placé eu tôle de 
la colonne et blessa l'Indien assis sur l'animal ; puis, frappant 
bravement les soldats qui montaient aux échelles, il les fitrou- 
le^ tout armés dans les eaux du fleuve. Les amis de Piolémée 
eii firent autant , et les éléphants , dont les conducteurs indiens 
étaient blessés, devinrent bientôt complètement inutiles. Cepen- 
dant les soldats de Perdiccas, relevés par des troupes fraîches, sou* 
tinrent longtemps le combat et noiirent la plus grande ardeur à 
s'emparer de la place; mais Ptolémée , déployant iout.e sa bra- 
yoxite et faisafjt ap(]iel totit à la fois ati dévouement et à la valeur 
de ses amis, provoqua des combats héroïques. Les pertes fu- 
rent grandes de part et d'autre; Ptolémée avait l'avantage de 
la position et Perdiccas celui du nombte. Enfin, après avoir pfassé 
toute la journée dans des escarmouches, Perdiccas leva lé siège 
et rentra dans soii catap. Il se mit de liotfveau en route pendaiit 
la nuit et se dirigea en siMté sûr un point situé en face de 
IttemphiiS. Là le i>il, se divisant e» deoi branches» fotme ttee 



■• ta 
1 



;J3a DIODORE DE SICILE. 

Uc OÙ uiic ir^s-graiidc armée pouvait camper en sécurité. C' 
ti qu'il nt passer SCS Irotipes et cflectna ce trajet, non sans peii 
b cause de la profondeur du fleuTC ; car tes soldats avaient 
l'eau jusqu'au menton, ei leurs corps, alourdis par leurs arm 
ciaieiit battus par uncouraul irès-rapide. 

XXXV. Perdiccas, ^'apercevant de la difficulté de ce p 
sage , plaça les éléphants â la gauche de la colonne pour amoi 
le choc du llcuvc ; il plaça â la droite la cavalerie qui devait 
cueillir les fantassins que le courant aurait emportés et les ran 
ner sur l'autre rive. Pendanice passage de l'armée , il sun 
un incident singulier et tout h fait inattendu : les premiers rai 
parvinrent à Iraverser heureusement le fleuve , mais les rai 
subséquents coururent les plus grands dangers : les eaux , s 
aucune cause apprenle, étaient devenues plus profondes et 
soldais, perdant pied, couraient risque d'être noyés. Lesespli 
lions que l'on donne de cet accroissemcni soudain du fleuve 
r<^pnsont sur aucune raison valable. Les uns soutenaient qo'i 
(ligue , élevée dans un point supérieur, s'était rompue et a^ 
ainsi produit la crue subite des eaux ; d'autres prétendaient ( 
des pluies tombées dans la haute Egypte avaient exhaussé le 
veau du Kil. Aucune de ces deux explications n'était exact 
ceux qui passèrent les premiers avaient trouvé sous leurs pi 
un puiiil d'appui solide sur les sables formant le lit du flem 
uiais , dans le |)assage des chevaux, des éléphants et des bo 
uies qui se succédaient , ce sable , continuellement remué pai 
mouvement des pieds, s'était mélangé aux eaux et avait ai 
donné lieu h un lit plus profond. Voilà la cause qui mit le re 
de l'armée dans l'impossibilité de passer te fleuve. Perdic 
tomba dans uji grand embarras : ceux qui se voyaient sur 
live opposée n'étaient pas assez forts pour résister •> l'ennen 
et ceux qui étaient en deçà du fleuve se trouvaient dans l'ii 
possibilité de venir au secours de leurs camarades. Il ordor 
donc i tous de revenir sur leurs pas. Obligés de Iraverser d 
seconde fois le courant, les hommes robustes et sachant bi 
nager eurent beaucoup de peine â traverser le Nil sous le po 



LIVRE XVIIL 333 

de leurs armes; les autres qui ne savaient pas nager furent noyés 
ou tombèrent au pouvoir de Tennemi ; le plus grand nombre , 
après avoir longtemps lutté contre les eaux du courant , furent 
dévorés par les animaux féroces du fleuve. 

XXXVI. Plus de deux mille hommes , au nombre desquels 
se trouvaient quelques chefs distingués , périrent ainsi , et Tar- 
mée se montra fort mécontente de Perdiccas. Cependant Ptolé- 
mée recueillit les corps qui étaient tombés en son pouvoir, les 
fit brûler, et, après leur avoir rendu les honneurs funèbres , il 
envoya les os à la famille et aux amis des morts. Cette action eut 
pour effet d'exciter encore davantage le ressentiment des Macé- 
doniens contre Perdiccas , et de les disposer favorablement pour 
Ptolémée. A rapproche de la nuit , tout le camp se remplit de 
gémissements et de deuil; on pleurait le sort de tant d'hommes 
qui avaient été sacrifiés stupidement et sans avoir reçu de bles- 
sures glorieuses ; car plus de mille hommes étaient devenus la 
proie des monstres. Plusieurs chefs se réunirent , mirent Per- 
diccas en accusation, et toute la phalange d'infanterie manifesta 
son indignation par des cris menaçants. Près de cent chefs, dont 
le plus célèbre était Pyihon, se révoltèrent les premiers. C'était 
ce même Python qui avait apaisé les Grecs rebelles S et qui , en 
courage et en réputation , ne le cédait à aucun des amis d'A- 
lexandre. Quelques cavaliers , mis dans la conspiration , péné- 
trèrent dans la tente de Perdiccas, se précipitèrent tous sur lui 
et regorgèrent -. Le lendemain l'armée se réunit en assemblée ; 
Ptolémée y parut, saluant affectueusement les Macédoniens ; il 
fit ensuite l'apologie de sa conduite, et , comnàe les vivres man- 
quaient , il fit distribuer aux troupes du blé en abondance et 
pourvut le camp de toutes sortes de provisions. Cette conduite 
lui fit beaucoup d'honneur et lui acquit l'affection de l'armée , 
qui l'aurait laissé prendre la tutelle des rois; mais ce n'était pas 
là son ambition , et , par reconnaissance pour Python et Arrhi- 
dée , il leur ouvrit la voie pour arriver à l'autorité suprême. En 

' Voyez plus haut, chap. 7. 

' Comparez Cornélius Nepos, Eumenes, c. 5. 



*dZU DIODORE DE SICILE. 

effet, les Macédouiens mirent en délibération à qui on confierait 
cette autorité; ils s'empressèrent tous, sur la proposition de 
Ptolémée, de nommer Python et Arrhidée, le même qui avait 
transporté les dépouilles d'Alexandre, tuteurs des rois et chefs 
absolus de l'armée. Ce fut ainsi que Perdicças , après un règne 
de trois ans , perdit tout à la fois l'empire et la vie. 

XXXVII. Aussitôt après la mort de Perdicças, on apporta la 
nouvelle de la bataille qui s'était livrée en Cappadoce; on an- 
nonça la victoire d'£umène , la défaite et la mort de Cratère et 
de Néoptolème. Si cette nouvelle était arrivée deux jours avant 
le meurtre de Perdicças , personne n'aurait osé, à cause de ce 
grand succès, porter la main sur lui; elle lui aurait sauvé la vie. 
Instruits donc de ce qui s'était passé du côté d'Ëumène , les Ma-' 
cédoniens condamnèrent Eumène à mort et avec lui cinquante 
chefs illustres , parmi lesquels se trouvait Alcétas, frère de Per- 
dicças; ils massacrèrent aussi les amis les plus fidèles de Per- 
dicças , ainsi que sa sœur Atalante « mariée à Attalus qui avait 
le commandement de la flotte. Lorsqu' Attalus , qui stationnait 
alors avec sa flotte dans les parages de Peluse, eut appris la mort 
de sa femme et celle de Perdicças, il leva l'ancre et fit voile pour 
Tyr. A rchélaiis, Macédonien d'origine, commandant de la garni- 
son de celte ville, accueillit Attalus amicalement, lui remit la 
place ainsi que les trésors dont Perdicças lui avait confié la garde 
et qui s'élevaient à huit cents talents K Attalus resta à Tyr et y 
recueillit les amis de Perdicças qui étaient parvenus à se sauver 
du camp de Memphis. 

XXXYIII. Cependant Antipater avait passé en Asie. Les 
Étoliens , qui avaient traité avec Perdicças , envahirent la Tbes^ 
salie pour faire une diversion et obliger Antipater d'éparpiller 
ses forces. Leur armée se composait de douze mille hom- 
mes d'infanterie et de quatre cents cavaliers sous les ordres 
d'Alexandre, Étolien. Ils assiégèrent, en passant^ la ville des Ara- 
phissiens Locriens , dévastèrent leur territoire et prirent qwA- 

^ Quatre millions quatre cent mille francs. 



LITRE XVÏU. 385 

ques bourgs du voisinage. Les Étoliens vainquirent ensuite en 
bataille rangée Polyclès, général d*Antipater, et lui firent perdre 
beaucoup de monde i quant aux prisonniers, ils vendirent les 
uns et tirèrent des autres une forte rançon. Ensuite ils péné- 
trèrent en Thessalie et engagèrent la plupart des Thessaliens à 
prendre part à cette guerre contre Antipater. Ils parvinrent 
ainsi en peu de temps à réunir un total de vingt-cinq mille 
hommes d'infanterie et de quinze cents cavaliers. Pendant que 
les Étoliens entraînaient ainsi les villes de la Thessalie , les 
Acarnaniens, depuis longtemps hostiles aux Étoliens, entrèrent 
dans rÉtolie , ravagèrent le territoire et assiégèrent plusieurs 
villes. A la nouvelle que leur patrie était en danger, les Étoliens 
laissèrent en Thessalie leurs alliés sous les ordres de Ménon 
de Pharsale , revinrent promptenâent en Étoile , et délivrèrent 
leur patrie , en frappant d'épouvante les Acarnaniens. Sur ces 
entrefeites , Polysperchon , investi du commandement militaire 
de la Macédoine , envahit la Thessalie à la tête d'une forte ar- 
mée ; il défit les ennemis en bataille rangée , tua leur général 
Ménon , leur fit éprouver de grandes pertes et se remit en pos- 
session de la Thessalie. 

XXXIX. En Asie , Arrhfdée et Python , nommés tuteurs des 
rois , quittèrent avec les troupes royales les bords du Nil et se 
rendirent à Triparadisum , dans 1^ haute Syrie. Là la reine 
Eurydice \ très-intrigante de son naturel, s'immisça dans les 
affaires de la régence. Python , mécontent de ces intrigues , et 
voyant d'ailleurs que les Macédoniens se montraient de plus en 
plus soumis aux ordres de cette reine , convoqua une assemblée 
et abdiqua la tutelle qui lui avait été confiée. Les Macédoniens 
investirent alors Antipater de Pautorité suprême de la régence. 
Peu de jours après, celui-ci arriva à Triparadisum , et fit arrê- 
ter Eurydice qui avait fomenté une insurrection et excité les 
Macédoniens contre lui. Cet acte fit éclater des troubles dans 
les armées; Antipater convoqua alors une assemblée géné- 

' Également nommée Àda ; elle était sœur d'Alexandre et femme d'Ârrhidée. 



336 DIOPORE DE SICILE. 

raie ; par ses discours, il calma la sédition et décida Eurydice, 
par des menaces , à se tenir tranquille. Ces troubles apaisés , il 
procéda à un nouveau partage des satrapies. Ptolémée garda 
rÉgypte comme une propriété conquise à la pointe de Tépée; etil 
aurait été d*ailleurs impossible de Ten faire sortir. Laomédon le 
Mitylénéen obtint la Syrie; Philoxëne, la Gilicie; parmi les 
satrapies de F Asie supérieure, Amphimaque reçut en partage la 
Mésopotamie et T Arbélie ; Antigone , la Susiane pour s'être dé- 
claré le premier contre Perdiccas ; Peuceste , la Perse propre- 
ment dite; Tlépolème, la Garmanic; Python, la Médie ; Philippe, 
la Parthie ; Stassandre de Gypre , FArie et la Drangine ; Slasa- 
nor de Solium , également originaire de Gypre, la Bactriane et 
la Sogdiane; Oxyarte, père de Rhoxane, mariée à Alexandre, 
le pays des Paropamisades; Python, fils d*Agénor, la contrée 
de rinde voisine des Paropamisades. Quant aux royaumes in- 
diens, celui qui était situé au delà de THydaspe échut à Taxile; 
car il n*était guère possible de déplacer ces rois de leurs États. 
Pour ce qui concerne les provinces septentrionales , Nicanor 
eut la Gappadoce ; Antigone , la grande Phrygie et la Lycie qu*il 
possédait antérieurement ; Gassandre, la Garie ; Glitus, la Lydie, 
etArrhidée, la Phrygie de l'HellesponL Antigone fut nommé 
commandant de l'armée royale, et chargé de soumettre £uroène 
et Alcétas. Antipater lui adjoignit comme chiliarque son fils Gas- 
sandre , afin qu'Antigone ne pût agir secrètement pour son 
propre compte. Enfin Antipater se remit en route avec son ar- 
mée et avec les rois qu'il ramena en Macédoine. 

XL. Antigone , investi du commandement militaire de l'Asie 
avec Tordre de soumettre Ëumène , fit sortir les troupes de 
leurs quartiers d'hiver. Après avoir terminé ses préparatifs de 
guerre, il marcha contre Ëumène qui séjournait alors en Gap- 
padoce. Un des chefs les plus célèbres, nommé Perdiccas, 
s'était alors révolté contre Ëumène, et était venu avec les sol- 
dats , entraînés dans sa défection , établir son camp à trois jour- 
nées de marche de celui d'Eumène. Il avait avec lui trois mille 
hommes d'infanterie et cinq cents cavaliers. Ëumène envoya 



LlYRE XVIll. 337 

contre ce rebelle Phénix de Ténédos , à la tête de quatre mille 
fantassins d*élite et de mille cavaliers. Phénix, après une rapide 
marche de nuit , tomba à Timproviste sur les rebelles vers la 
deuxième garde de la nuit , et les surprit encore au sommeil ; 
il fit Perdiccas prisonnier et se rendit maître de Tarmée. Ëunfène 
6t mettre à mort les chefs de la révolte , et incorpora dans ses 
rangs les simples soldats qu'il s'attacha par sa conduite bien- 
veillante. Cependant Antigone avait envoyé un de ses affidés 
auprès d' Apollonide , général de cavalerie d'Ëumène ; il avait 
engagé ce général , par de grandes promesses faites en secret , à 
trahir et à déserter sur le champ de bataille. Pendant qu'Ëumène 
se trouva avec son armée en Gappadoce , au milieu d'un pays 
de plaines favorables au déploiement de la cavalerie , Antigone 
apparut avec toute son armée et occupa les hauteurs qui domi- 
nent ce pays de plaines. L'armée d' Antigone comptait en ce mo- 
ment plus de dix mille hommes d'infanterie (dont la moitié était 
des Macédoniens d'une bravoure éprouvée) , deux mille cava- 
liers et trente éléphants. De son côté, Ëumène n'avait pas moins 
de vingt mille hommes d'infanterie et cinq mille cavaliers. 
Au plus fort du combat, Apollonide quitta sans motif les rangs 
de l'armée d'Eumène , et vint avec sa cavalerie joindre Antigone 
qui remporta la victoire, tua environ huit mille ennemis, et 
s'empara de tous leurs bagages. Cette défaite et la perte des 
bagages répandit la consternation et le découragement parmi les 
soldats d'Eumène. 

XLI. Après ce revers, Eumène résolut de se réfugier en Ar- 
ménie et de faire entrer dans son parti quelques habitants de ce 
pays ; mais pressé par l'ennemi et voyant ses soldats déserter au- 
près d' Antigone, il vint occuper une place forte nommée Nora^ 
Cette place , de très-peu d'étendue , n'avait pas plus de deux 
stades de circuit , mais elle était d'une assiette admirablement 
forte : les maisons étaient bâties sur un rocher élevé ; la nature 
des lieux et les travaux de l'art avaient contribué à rendre cette 

» Phrygiœ castellum , é\t Cornélius Nepos, loc. cit. Selon Plutarque, c'était 
une place située sur les frontières de la Lycaouic et de la Gappadoce. 

m. 'i.^ 



3S8 DIODOBB DE SICILE. 

place imprenable. Elle possédait en outre des magasins de blé, 
de l)ois el d'antres provisions , de manière à pouvoir, pendant 
plusieurs années, entretenir ceuK qui s'y seraient réfugiés. Ce fut 
donc là qu'Eumène chercha un asile avec ses amis les plus dé- 
vouas et décidés à se défendre jusqu'à la dernière goutte de sang. 
Cette poignée d'hommes s'élevait environ au nombre de six 
cents, tant fantassins que cavaliers. 

Ayant recueilli les troupes d'Eumène , et maître des reve- 
nus de ses satrapies, Antigène porta ses vnes vers de plus gran? 
des entreprises. Aucun des généraux de l'Asie n'avait alors ooe 
armée assez puissante pour lui disputer le premier rang, n af- 
fecta en ce moment des sentiments d'amitié pour AntIpater , mais 
il avait déjà arrêté en lui-môme que , dès que ses aflaîres se 
seraient consolidées , il se rendrait indépendant du roi et d'An? 
tipater. Il commença alors à bloquer ceux qui s'étaient réfugiés 
dans la place deNora, qu'il entoura d'un double mur de drconn 
vallation, ainsi que de fossés et d'immenses palissades. Il eut eni 
suite avec Ëumène une conférence, renoua avec lui ses ancieni 
liens d'amitié et Finvita à faire avec lui cause commune. £a- 
mène, profitant de ce rapide revirement de la fortune, demanda 
des concessions plus grandes que les circonstances ne semblaient 
le lui devoir permettre; car il exigea qu'on lui rendît ses ancien- 
nes satrapies et qu'il fût absous de toutes les accusations portées 
contre lui. Antigène en référa à Antipater, laissa devant la place 
des troupes suffisantes , et se remit en mouvement pour com- 
battre les chefs ennemis qui tenaient encore la campagne avec 
des forces considérables. Ces chefs étaient Alcétas, frère de Per< 
diccas, et Attalus, commandant de toute la flotte. 

XLII. Eumène, de son côté, envoya des députés à Antipata* 
pour traiter d'un accommodement A la tête de cette députation 
se trouvait Hieronymus, le même qui a écrit l'histoire âes suc- 
cesseurs d'Alexandre K Éprouvé dans sa vie par tant de vicissi- 
tudes , Eumène ne se laissa pas abattre , sachant fort bien que 

* Voyez plus bas, XIX, 44. 



I 



ir 




ï?^^ 



LIVRE XTIU. 339 

la fortune amène, soit d'un côté soit de Fautre, de rapides chan- 
gements. Il Voyait que les rois macédoniens n'étaient que des fan- 
tômes de rois et que des hommes ambitieux se disputaient le 
pouvoir^ chacun pour son compte^ Il espérait donc^ ce qui de- 
vait arriver, que beaucoup d'entre eux , appréciant son intelli- 
gence ) son expérience militaire et son extrême fidélité , vien- 
draient implorer son secours. [En attendant , il tenait ses troupes 
prêtes à tout événement. ] Voyant que les chevaux , renfermés 
daiQljjQ^ espace étroit , ne pouvaient prendre aucun exercice 
k. et ââhrieAdraient ainsi inutiles à la guerre, il trouva un moyen 
aussi Singulier qu'ingénieux pour parer à cet inconvénient: 
il faisait attacher les têtes des chevaux , au moyen de cordes, à 
des poutres ou à des poteaux d'une certaine élévation, et forçait 
ainsi ces animaux à se tenir debout sur les pieds de derrière , 
ceux du devant étant séparés du sol par un petit espace. Dans 
cette position , le cheval faisait, par le mouvement de son corps 
6t de ses jambes ^ tous ses efforts pour toucher le sol avec les 
t pieds antérieurs; tous les membres prenaient part à cet exercice 
P^ violent) une sueur abondante couvrait le corps de l'animal, 
* et cet excès de fatigue avait le résultat d'un exercice ordinaire. 
Ëumène donnait à tous ses soldats la même nourriture et pre- 
nait lui-même part à leur régime, ce qui lui gagna l'affection de 
tout le monde et maintint la concorde parmi ses compagnons 
d'armes. Telle était la situation d'Ëumène et de ceuji qui s'étaient 
réfugiés avec lui dans la forteresse de Nora. 

XLIII. £n Egypte , Ptolémée conserva l'Egypte comme sa 

conquête , depuis qu'il avait , contre toute attente , battu Per- 

diccas et détruit l'armée royale. La Phénicie et la Cœlé-Syrie , 

pays 'voisin de l'Egypte, semblaient à sa convenance; il songea 

^ donc à se rendre maître des villes de ces contrées. Il choisit 

■^:. pour cette expédition un de ses amis, Nicanor , avec une armée 

/ suffisante. Gelui-ci pénétra en Syrie ^ fit le satrape Laomédon 

prisonnier I et soumit toute la province. Il soumit également 

les villes de la Phénicie , y établit des garnisons, et retourna en 

Egypte. Tel fut le résultat de cette courte et active expédition* 



w^ ■ ■■ 

3^0 DIODORE DE SICILE. 

XLIV. Apollodore étant archonte d'Athènes, les Romadns 
nommèrent consuls Quintus Popilius et Quintus Puhlius^ Dans 
cette année, Antigène, après avoir battu Eumène, résolut de 
marcher contre Alcétas et Altalus. Ces deux chefs respectables, 
reste des amis de Perdiccas, auquel ils étaient unis par les liens 
du sang , avaient encore assez de force pour faire balancer la 
fortune. Antigène quitta donc la Cappadoce avec toute son ar- , 
mée, se dirigea vers la Pisidie où se trouvait alors Alcétas, frao- 
chit, par une marche forcée, dans un espiaice de sept jp||n,et 
sept nuits , une distance de deux mille cinq cents sta^eéC ^t j 
atteignit Grétopolis. Grâce à cette marche rapide , il sVmpara, 
à rinsu de Tennemi qui ne se doutait point de sa présence, de 
quelques hauteurs et positions fortes. Lorsque Alcétas fut enfin 
averti de l'arrivée de Tennemi, il rangea sa phalange en bataille, 
attaqua la cavalerie qui occupait les hauteurs et déploya tous 
ses efforts pour les en déloger. La mêlée fut sanglante ; il tombait 
beaucoup de monde de part et d'autre , lorsque Antigène , à 
tête de six mille cavaliers , se précipita au galop au-devant de 
phalange de l'ennemi, et parvint à lui couper la retraite ainsi qne 
la communication avec Alcétas. Après que cette manœuvre fut 
exécutée , le corps posté sur la hauteur, ayant l'avantage da 
nombre et de la position , acheva la déroute de l'ennemi. Alcé- 
tas, voyant toute communication interceptée avec Tinfanterie 
sur laquelle il aurait pu se replier, et se trouvant enveloppé par 
l'ennemi, croyait sa perte inévitable. Dans cette position déses- 
pérée, il se fraya une route à travers les rangs ennemis et par- 
vint, après de grandes pertes , à rallier la phalange. 

XLV. Antigone fit descendre des hauteurs les éléphants et 
toute son armée, et effraya l'ennemi , de beaucoup inférieur en 
nombre ; car Alcétas et tous ses alliés n'avaient que seize mille 
hommes d'infanterie et neuf cents cavaliers, tandis qu'AntigonCi \ 
outre ses éléphants , comptait plus de quarante mille fantassins \ 
et plus de sept mille cavaliers. En même temps que les é|é^ 

' Deuxiôme année de la cxv« olympiade; année 319 avant J.-C. 



LIVRE XVIII. 341 

phants faisaient face à Fennemi , la cavalerie nombreuse Tenve- 
loppa (le toutes parts, et Tinfanterie, tout aussi nombreuse, com- 
posée de braves guerriers et ayant l'avantage de la position , le 
serrait de près. La confusion et le désordre s'emparèrent des 
troupes d'Alcétas , auquel l'attaque rapide et vigoureuse d'Au- 
tigone n'avait pas laissé le temps de se bien ranger en bataille. 
La déroute devint bientôt générale; Attalus, Docimus, Polémon 
et beaucoup d'autres chefs distingués furent faits prisonniers. 
Alcétas parvint avec sa garde, ses domestiques et quelques Pi- 
sidiens qui avaient servi dans son armée, à se réfugier à Ter- 
messe , ville de la Pisidie. Antigone accorda une capitulation au 
reste des troupes d' Alcétas , les incorpora dans son armée et 
augmenta considérablement ses forces par une conduite pleine 
d'humanité. Les Pisidiens, au nombre de six mille, tous très- 
robustes , exhortèrent Alcétas à prendre courage et l'assurèrent 
qu'ils ne l'abandonneraient jamais. Voici pourquoi les Pisidiens 
étaient tant attachés à Alcétas. 

XLVI. Après la mort de Perdiccas , Alcétas , se voyant sans 
alliés en Asie , songea à gagner les Pisidiens par des bienfaits , 
dans la conviction qu'il trouverait en eux des alliés braves , ha- 
bitant un pays d'un accès difficile et rempli de forteresses. En 
conséquence , il traitait avec la plus grande distinction tous les 
Pisidiens qui servaient dans l'armée ; il les faisait participer au 
partage du butin et leur donnait la moitié des dépouilles; il 
leur parlait familièrement , et tous les jours invitait à sa table 
les principaux d'entre eux; il les comblait en outre de présents 
et parvint ainsi à se les attacher. Ce fut donc en eux qu'Alcétas 
avait placé toute son espérance ; aussi cette espérance ne fut point 
déçue. 

Cependant Antigone s'avança avec toute son armée , établit 
son camp près de Termesse , et demanda qu'on lui livrât Al- 
cétas. Les anciens furent d'avis d'accéder à cette demande; mais 
les jeunes gens se déclarèrent ouvertement contre l'avis de leurs 
pères, et décrétèrent qu'ils se défendraient jusqu'à la mort pour 
sauver Alcétas. Les anciens essayèrent d'abord de persuader la 
m. 1^. 



ZU2 DIODOttE DE SICILE. 

jeunesse de ne pas ruiner la patrie potir la rie d'an seul Ma^' 
cédonien; tuais, Voyant ensuite que leurs conseils étaient sans 
effet , ils se concertèrent en secret et Grent partir pendant la 
nuit une députaion auprès d'Antigone. G6tte déptftÀtidli devait 
annoncer à Anligone qu'on lui liti-efait Alcétas moi-t 0(1 vif; pouf 
y parvenir, on engageait Antigone d'attaquer la ville , dcî harce^ 
1er les assiégés pendant quelques jours pa^ de légère^ escarmoti'' 
ches, et, après avoir fait sortir la garnison de la place, de faire 
semblant dé fuir; pendant que la jeunesse serait ainsi occupée 
à se battre hors de la ville, les anciens^ auraient une; occasion 
favorable pour exécuter leur dessein. Antigone approuva ce plan. 
Il établit son camp un peu plus loin de la tille , et , par quelques 
escarmouches, il attira les jeunes gens hors de la place. Les an- 
ciens, voyant Alcétas isolé, réunirent les plus dévoués de leurs es- 
claves , ainsi que ceux de leurs concitoyens valide^ c(ui n'avaient 
pas servi sous Alcétas , et tombèrent ainsi inopinément sur lent 
hôte , pendant l'absence des jeunes gens. Mais ils ne parvinrent 
pas à le faire prisonnier, car il s'était d'avance donné la mort 
pour ne pas tomber vivant au pouvoir de l'ennemi. Ils placèrent 
son corps sur une litière j et, l'ayant couvert d'un manteau de 
toile grossière , ils le transportèrent clandestinement hors de* 
murs et le livrèrent à Antigone. 

XLYII. Si les anciens de la ville avaient eu assez d'esprit 
pour détourner de la patrie les dangers qui la menaçaient , ils 
ne furent pas assez forts pour se garantir du ressentiment des 
jeunes citoyens. Lorsqu'en revenant dp combat ceux-ci appri- 
rent ce qui s'était passé, l'excès de leur attachement pour Al- 
cétas se changea en furie contre leurs concitoyens. Ils s'em- 
parèrent d'abord d'une partie de la ville, résolus à mettre le 
feu aux maisons, à sortir en armes, à occuper les montagnes 
et à ravager la province d'Antigone; mais ils changèrent ensuite 
d^avis, et, abandonnant la résolution d'incendier la ville , lisse 
livrèrent à des brigandages et à des incursions dans le pays en- 
nemi qu'ils dévastèrent dans une grande étendue. Antigone prit 
le corps d' Alcétas , l'outragea pendant trois jours , et , lorscftie 



le cadavre fut tombé 6n ptitléfaetion ^ il rabandoDnd sans sé- 
pulture et quitta la Pisidie. Les jeunes cîtoyetis de Termesse , 
conservant toujours la même affection pour le corps outragé, 
le recueillirent et lui fendirent avec pompci les derniers devoirs. 
Ainsi, il y a dans la nature des bienfaits quelque charme irrésis- 
tible qui fait que ceux qui les ont rèçuâ gardent une affectioii 
iiiàltérablé pour letir bienfaiteut*. Eu partant de la Pisidie, An- 
tigode s'avança avec totite scfn armée vers la Phrygie. A peine 
fut-il arrivé à Crétopolis qu'Aristodème de Milet lui apprit 
qti'Antipater était mort, et que l'autorité suprême et la tutelle des 
rois étaient passées dans les mains de Pôlysperchon le Macédo- 
nien. Autigcme se réjotiit de cet événement qui Tenfla d'espé- 
rance : il avait le projet de s'emparer des affaires de FAsie, et de 
; ne céder le pouvoir à personne. Telle était la situation d*Anti- 
gone. 

XLVIII. En MàcédoiAe, Antipatef, atteint d'une maladie 
aggravée par la vieillesse , touchait au terme de sa vie. Les 
Athéniens envoyèrent à Aritipater Detnade qui passait pour 
un habile négociateur dans les affaires de la Macédoine , et le 
■^^H^àt^èreM d'engager Antipater à retirer de Munychie la garni- 
j(Jtttt niacédWrienné , comme on en était primitivement convenu. 
Antipater accueillit d'abord Demade affectueusement; mais, 
après la mort de Perdiccas , on trouva dans les papiers royaux 
plusieurs lettres, dafls lesquelles Demade pressait fortement Per- 
diccas de rcftotirner en Europe et de marcher contre Antipater ; ce 
dernier ètt côfi^rta alors hùb haine secrète. Aussi , lorsque De- 
made, confOrtofétnent aux instructions qu'il avait reçues, alla jus- 
qu'à demander ÉVet des menaces qu'on retirât la garnison de 
MuiJychie, Antipater, sans donner même une réponse, livra De- 
made et son fils Déntéas, qui faisait partie de la députation , à 
l'autorité dé la justice. Le père et le fils furent ainsi mis en pri- 
son et condamnés à mort pour les motifs qui viennent d'être 
rapportés. 

Antipater, déjà à toute extrémité , désigna comme tuteur des 
rois et Commandant en chef des troupes, Polyspercbon , à peu 



# 



{ 



i 

ViU DIODORE DE SICttE. ^ 

près le plus ancien des généraux qui avaient servi sous Alexan- 
dre , et particulièrement considéré des Macédoniens. Il nomma ; 
en même temps son fils Cassandre chiliarque , seconde dignité 
de Tempire. La fonction de chiliarque, établie à la cour des rois 
de Perse , était une des premières par le rang et les titres qui 
y étaient attachés. Cette charge avait existé avec les mêmes bon- J 
neurs sous Alexandre , zélé imitateur des mœurs des Perses. \ 
C'est pourquoi Antipater, suivant les mêmes maximes , nomma 
chiliarque son fils Cassandre. 

XLIX. Mais Cassandre ne se conforma point à la volonté de 
son père ; il regarda comme une injure de remettre entre les 
mains d*un homme étranger à sa famille Tautorité qu'avait 
exercée son père ; le fils s'irrita de ne pas se voir à la tête des 
affaires, lui qui était capable de les conduire et qui avait déjà 
donné des preuves de sa capacité et de son courage. Il com- 
mença donc par se retirer à la campagne avec ses amis ; il eàt 
avec eux de fréquents entretiens, et profita des circonstances et 
du temps pour s'emparer de l'autorité souveraine. Prenant en- 
suite chacun à part, il les engageait tous à l'aider dans ses pro- 
jets, et cherchait à les décider à cette entreprise par de gr 
promesses. Il envoya secrètement des députés à Ptolémée 
renouer leurs anciens liens d'amitié ; il l'engagea à venir à son 
secours et à diriger promptement une flotte de la Phénicie vers 
l'Hellespont. Il fit partir également des députés auprès des au- 
tres chefs et dans les villes pour solliciter leur assistance. Sous 
le prétexte d'une chasse qui devait durer plusieurs jours, il était 
parvenu à détourner de lui tout soupçon de révolte. 

Polysperchon , investi de la régence , rappela , avec l'assenti- 
ment de ses amis qu'il avait consultés, Olympias pour lui con- 
fier l'if'ducation du fils d'Alexandre , encore enfant , et l'inviter 
à venir en Macédoine où elle jouirait des prérogatives royales. 
Olympias avait été antérieurement obligée de s'enfuir en Épire 
pour se soustraire h la haine d'Antipater. Telle était la situation 
des affaires en Macédoine. 

L. En Asie, la nouvelle de la mort d'Antipater fut le signal de 



% 




m 



^ LIVBE XVIIL 3/i5 

nouveaux troubles ; les chefs aspiraient à se rendre indépen- 
dants. En première ligne, se trouva Ânligone, qui venait de 
vaincre Ëumène dans la Gappadoce. Après avoir incorporé les 
soldats d'Eumène dans son armée , il battit Alcétas et Âttalus 
dans la Pisidie , dont il incorpora également les troupes dans les 
rangs de son armée. Enfin , investi par Antipater du comman- 
' dément militaire absolu de TAsie, et mis à la tête d'une puissante 
armée, il était plein d'orgueil et d'ambition. Nourrissant Tespoir 
de s'emparer de l'autorité souveraine , il résolut de n'obéir ni 
aux rois ni à leurs tuteurs. Disposant de forces supérieures aux 
leurs, il comptait se rendre sans obstacle maître des trésors de 
l'Asie. Il avait alors sous ses ordres soixante mille hommes d'in- 
ànterie , dix mille cavaliers et trente éléphants. A ces forces il 
espérait au besoin en ajouter d'autres, car les trésors de l'Asie 
Suraient perpétuellement suffi à la solde des troupes étrangères. 
Après avoir arrêté ses projets, il fit venir auprès de lui Hierony- 
mus l'historien, ami et compatriote d'Eumène de Cardia, et qui 
s'était, avec les autres, réfugié dans la forteresse de Nora. L'ayant 
gagné par de magnifiques présents , il l'envoya en députation 
auprès d'Eumène pour engager ce dernier à oublier la guerre 
qu'ils s'étaient faite en Gappadoce, à devenir son ami et son al- 
lié, à accepter des présents beaucoup plus considérables que ceux 
qu'il avait eus antérieurement, à recevoir un gouvernement plus 
étendu et enfin à faire avec lui , comme le premier de ses amis , 
cause commune , pour s'emparer de l'autorité souveraine. Au- 
tigone réunit en même temps tous ses amis en conseil, et, après 
les avoir initiés dans ses projets, il conféra aux plus distingués 
d'entre eux des satrapies et des commandements militaires. En- 
fin , après leur avoir fait entrevoir de grandes espérances, il par- 
vint à les décider à entrer dans son plan qui consistait à parcou- 
rir l'Asie, à en expulser les satrapes qui y étaient, et à distribuer 
les gouvernements à ses amis. 

LI. Sur ces entrefaites, Arrhidée, satrape de la Phrygie belles- 
pontique, informé des projets d'Antigone , résolut de mettre sa 
satrapie en état de défense et d'établir des garnisons dans les 



366 DIODOKË DE SICILE. 

Tilles principales. La plus grande , et la mieut située de toutes 
ces villes, était Cyziqtie. Arrhidée se dirigea doue sur cette Yillé 
avec plus de dix mille fantassins mercenaires , mille Macédo- 
niens , cinq cents archers et frondeurs perses, et huit cents ca- 
valiers ; il avait avec lui des catapultes , des balistes et d'autres 
machines de guerre. Il attaqua la ville inopinément ^ comme la 
plus grande partie de la population se trouvait à là campagne, il 
commença immédiatement le siège , frappa de terreur les ci- 
toyens qui restaient dans la ville et les força à recevoir une gar- 
nison. Les Gyzicéniens , déconcertés par une attaque abssi impré- 
vue, n'étaient nullement préparés à soutenir un siège, d'autant 
moins que la plupart des habitants étaient à la campagne et QU'ilj^ 
n'en restait que fort peu dans l'intérieur de la ville. Cependant^^ 
ceux qui restaient , résolus à défendre leur liberté , envoyèrent 
ouvertement des députés à Arrhidée pour négocier la levée dii 
siège , en lui proposant de mettre toute la ville à sa disposition, 
hormis la garnison qu'elle ne recevrait pas. Mais , en même 
temps, ils rassemblèrent secrètement tous les jeunes gens et les 
domestiques les plus robustes , leur distribuèrent des armes et 
garnirent les remparts de défenseurs. Arrhidée insistant sur 
l'admission d'une garnison , les Cyzicéniens répondll'ènt qu'ils , 
allaient en référer à l'assemblée du peuple. Le satrape leUr ac- 
corda un délai, et les habitants passèrent ce jour et la nuit sui- 
vante à mettre dans le meilleur état leurs moyens de défense. 
Arrhidée, joué par ce stratagème, perdit un temps précieux , et 
fut déçu dans son espérance. £n effet , les Cyzicéniens habitant 
une ville forte et parfaitement bien gardée du Côté de la lefré 
( car elle forme une presqu'île) *, et maîtres de la nier , se dé« 
fendirent facilement contre les enneitiis. Ils firent en outre venir 
de Byzance des troupes , des artnes de trait et toutes les muni- 
tions nécessaires pour soutenir un siège. Ces secours leur ayant 
été promptement fournis, leur espoir se ranima, et ils affroU'* 
tèrent bravement les périls. Ils avaient en même temps mis en 

' Voyez Straboo , xn, 861 , édit. Casiiab. 



.'«. 



LivBE xvm. 8A7 

mer leurs vaisseaux longs pour recueillir le loQg des côtes les 
habitants répandus dans les champs et les ramener dans la ville. 
Ainsi pourvus de troupes , ils parvinrent ^ repousser lea assié- 
geants dont ils tuèrent un grand nombre. Dupe de la ruse des 
Cyzicéniens , Arrbidée retourna dans sa satrapie sans avoir ob- 
tenu aucun résultat. 

LU. Antigone était à CelaenesS lorsqu'il apprit le siège de Gy- 
zique. Jugeant utile à ses projets de s'attacher cette ville par je 
secours qu'il lui apporterait, il fit partir une élite de vingt mille 
hommes d'infanterie et de trois mille cavaliers, et se porta promp- 
tement au secours des Cyzicéniens; mais il arriva un peu trpp 
tard, et il n'eut que le temps de montrer i»a bonne volonté, sans 
atteindre son but. Il envoya cependant des députés è Arrbidée 
pour lui reprocher d'abord d'avoir osé assiéger une ville grecque 
alliée qui ne s'était rendue coupable d'aucun tprt ; puis de s'être 
mis en révolte ouverte et d'avoir voulu se rendre indépendant 
dans son gouvernement; enfin, il lui ordonna de sortir de sa 
satrapie, de se contenter d'une seule ville qui fournirait à «on en- 
tretien et de se tenir en repos. Arrbidée fut indigné du discpurs 
hautain des députés , déclara qu'il ne sortirait jamais de sa sa- 
trapie , qu'il mettrait des garnisons dans les villes et qu'il es- 
saierait de se défendre les armes à la main contre Antigoqe. 
Conformément à cette réponse, il se retrancha dans les villes, 
et détacha une partie de son armée sous les ordres d'un généra). 
Il ordonna à celui-ci de joindre Ëumène , de lever le siège de 
la place de Nora et de faire alliance avec Ëumène, après l'avoir 
délivré des dangers dont il était environné. 

Antigone, brûlant de se venger d'Arrhidée, dirigea contre Iqi 
une armée pour le combattre ; il se mit lui-même à la tête d'un 
fort détachement , et se porta sur la Lydie dans le dessein d*ea 
expulser le satrape Clitus. Celui-ci, averti de l'approche de l'en- 
nemi, mit en état de défense les villes les plus considérables et 
s'embarqua pour la Macédoine, afin de dénoncer aux rois et h 

' Capitale de la Phrygie j elle était située but les frontières de la Lydie. 



348 DIODORË DE SICILE. 

Polysperchon la révolte et les entreprises audacieuses d'Anti-. 
gone, et de demander du secours. Cependant Antigène prit, en 
passant, Éphèse , grâce aux intelligences qu'il s'était ménagées 
dans rintérîeur de cette ville. Bientôt après, aborda à Éphèse 
Eschyle le Rhodien, venant de la Cilicie avec quatre navires 
chargés de six cents talents d^argent , qui devaient être envoyés 
en Macédoine pour le service des rois. Àntigone s'empara de 
cette somme , disant qu'il en avait besoin pour payer ses merce- 
naires. Cet acte prouva jusqu'à l'évidence qu'il n'agissait plus 
que pour son propre compte et qu'il était en révolte ouverte 
contre les rois. Après l'occupation d'Éphèse , il mit le siège de- 
vant les autres villes et prit les unes par la force, les autres par la 
persuasion. 

LUI. Après avoir fait connaître la situation d'Antigone, nous 
allons passer à celle d'Eumène. Cet homme, en butte aux vicis- 
situdes de la fortune, passa sans cesse sa vie entre l'espoir et la 
crainte. Antérieurement à ces événements, il avait combattu 
pour Perdiccas et les rois, et, pour prix de ses services, il avait 
obtenu la satrapie de la Cappadoce et de la contrée limitrophe. 
Maître d'immenses richesses et de forces imposantes, il jouissait 
d'une immense prospérité. Il avait vaincu en bataille rangée, et 
tué Cratère et Néoptolèmc , deux fameux chefs qui comman- 
daient les invincibles armées macédoniennes. Il se croyait au 
faîte du pouvoir, lorsque, par un revirement subit de la fortune, 
il fut à son tour battu par Antigone et obligé de se réfugier avec 
un petit nombre d'amis dans une chétive place. Là, bloqué par 
l'ennemi qui avait entouré la place d'un double mur de circon- 
vallation, il était privé de tout secours. Ce siège avait déjà duré 
un an, et Eumène avait renoncé h tout espoir de salut, lorsqu'un 
événement imprévu lui fit entrevoir le terme de ses infortunes. 
Antigone, qui bloquait ainsi Eumène et avait juré sa mort, 
changea subitement de conduite , en proposant à Ëumèue de 
s'associer à ses entreprises. Celte proposition acceptée et garan- 
tie par des serments réciproques, Eumène fut délivré du sîégc. 
Sauvé ainsi contre toute attente , Eumène resta quelque temps 



LIVRE XYIII. 3/l9 

en Gappadoce , joignit ses anciens partisans, et rassembla ses 
compagnons d'armes qui erraient au hasard. Il se trouva ainsi , 
en très-peu de temps, à la tête d*une nombreuse troupe qui s'était 
volontairement associée à ses espérances. Cette troupe se com- 
posait de plus de deux mille hommes, indépendamment des cinq 
cents partisans qui avaient essuyé avec lui le siège de Nora. En- 
fin, la foitune aidant, il arriva bientôt à un tel degré de puissance 
qu'il fut chargé du commandement des armées royales et du 
châtiment des rebelles. Mais nous parlerons de tout cela dans 
un temps plus convenable. 

LIY. Après avoir exposé au long les événements survenus en 
Asie , nous allons raconter ce qui s'est passé en Europe. Cas- 
sandre, trompé dans son espoir de s'emparer de l'autorité sou- 
veraine en Macédoine, ne s'était pas laissé abattre ; mais il revint 
à son premier dessein, regardant comme honteux de voir la 
place de son père occupée par d'autres. Mais, lorsque le choix 
des Macédoniens se fut fixé sur Polysperchon , il se concerta avec 
ses amis , et en envoya secrètement quelques-uns dans l'Helles- 
pont. Quant à lui, il continua à séjourner pendant quelques 
jours à la campagne, et à s'amuser à la chasse. Il parvint ainsi 
à faire répandre l'opinion qu'il ne songeait à rien moins qu'au 
pouvoir. Après avoir fait , à l'abri de cette opinion , tous ses pré- 
paratifs de voyage, il quitta secrètement la Macédoine, et se 
rendit dans la Chersonèse, et de là dans l'Hellespont. Là, il s'em- 
barqua pour rejoindre, en Asie, Antigone, dont il sollicita l'ap- 
pui , en lui annonçant qu'il était sûr de l'alliance de Ptolémée. 
Antigone accueillit avec empressement les ouvertures qui lui 
étaient faites, promit à Cassandre de le seconder en tout et de lui 
fournir sur-le-champ une flotte et une armée de terre. Il agis- 
sait ainsi sous prétexte de l'amitié qu'il avait eue pour Antipa- 
ter, mais en réalité pour susciter à Polysperchon des guerres et 
de grands embarras qui permettraient à lui , Antigone , de par- 
courir impunément l'Asie et de se créer un empire absolu. 

LV. Tandis que ces choses se passaient, Polysperchon, tuteur 
des rois, prévit la gravité de la guerre qu'il aurait à soutenir 

III. 30 



S50 DIODOBE DE SICILE. 

contre Gassandre ; ne voulant prendre aucune mesure um Vavis 
de ses ainis, il réunit en conseil tous les chefs de l'arméo et les 
Macédoniens les plus considérables. Il était éyideat quq Cassfio- 
dre , tout h fait gagné par Antigone, chercherait d'abord k 6*em^ 
parer des villes de la Grèce, dont les unes étaient occupées par 
les garnisons de son père , et le^ autres gouvernées par des oli- 
garques, attachés à Antipater par les liens de ramitié et da l'hofri 
pitalité. Il n'était pas non plus douteux que Ptolémée « msltr^ 
de rÉgypte, et Antigone, déjà en révolte ouverte contre les rms, 
prêteraient leur appui à Gassandre; que Tun et Tartre possér 
daient des forces et des richesses immenseis, et qu'ils gauvei'naient 
des populations nombreuses et des villes puissantes. Polysper? 
ehon mit donc en délibération la question de savoir pomment 
il fallait conduire la guerre. Après plusieurs discours pronQnç<§s 
par divers orateurs, il fut arrêté que les villes de la Grèce se? 
raient rendpes à )a liberté, et que les gouvernements oljgarcbLr 
ques établis par Antipater seraient dissous. Gette mesqre devait 
affaiblir l'influence de Gassandre , et attirer à Polyspefcbon de 
nombrepx alliés et une grande considération. On fit alofs yeeJF 
les envoyés des villes grecques qui se trouvaient présents» QA les 
exhorta à prendre cour^ge , et on leur promit de rendre aui^ 
villes le gouvernement démocratique. Ge décret fut ratifié , rér 
digé et remis aux envoyés avec la recommandation de retonr- 
ner immédiatement dans leur patrie , et de faire connaître au 
peuple la bienveillance des rois pour les Grecs. Voici la teneiir de 
cet acte. 

LYI. (( Nos ancêtres ont été souvent les bienfaiteurs des 
Grecs. Nous voulons conserver les mêmes sentiments et faire 
connaître à tous l'affection particulière que nous avons toujours 
eue pour les Grecs. Depuis qu'Alexandre a dispaf u du milieu des 
hommes ^ nous avons hérité de la royauté, et nous regardons 
comme le premier devoir de ramener la p^ix dans toutes les villes 
de la Grèce , et de rendre à chacune d'elles la forme de gouver- 

• Cette expression, fiejuXàrreiv IÇ àv0/9o57rwv, est particulièrement consacrée à 
1 a mort des héros et des demi-dieux. 



LITRE XY11I< 351 

nement qu'y airàit établie notre père Philippe. Des messagers, 
envoyés dans tontes les villes, oiit déjà fait connaître nos inten- 
tions à ce sujet. Il est vrai, lorsque nous étions loin d'ici 4 quel- 
ques Grecs mal informés de nos intentions déclarèrent la guerre 
aux Macédoniens ; et cette guerre , dans laquelle nos généraux 
ont été victorieux , a été une calamité pour plusieurs villes. Mais 
les malheurs de cette guerre ne doivent être imputés qu'aux 
commandants militaires. Nous vous honorons donc de notre ad» 
cienne affection et nous vous apportons la paix. Nous vous ren- 
dons également les formes de gouvernement dont vous avez joui 
sous Philippe et sous Alexandre, et nous vous confirmons dans 
le droit de maintenir l'intégrité de leurs ordonnances. NoUs 
rappelons tous ceux qui ont été bannis par nos généraux depuis 
l'époque où Alexandre est passé en Asie, et nous voulons que 
ces bannis , rentrés dans leurs foyers^ soient complètement am-^ 
nistiés et déclarés capables de prendre part au gouvernement ; que 
tout décret porté contre eux soit aboli. Il n'y aura d'exception 
qu'à l'égard des assassins et des sacrilèges , bannis conformément 
aux lois. Ainsi ne pourront rentrer dand leur patrie < les Mégâ-^ 
lopolitaius exilés avec Polyaenète poUr cause de trahison ^ , ni les 
Amphissiens , ni les Triccéens , ni les Pharcadoniens , ni les 
Héracléotes. Tous les autres doivent être redtrés avant le trente 
du mois xanthique^ Si quelques-unes des institutions polili-^ 
ques de Philippe ou d'Alexandre étaient contraires aux in- 
térêts des villes, que celles-ci nous eUvoient des députés^ afin 
qu'il soit statué à leur égard< Les Athéniens conserveront toutes 
lés franchises que leur ont accordées Philippe et Alexandre. 
Les Oropiens resteront dans la possession actuelle d'Orope. 
Nous rendons Sâmos aux Athéniens, puisque cette île leur avait 
été donnée par notre perd Philippe. Un décret solennel ordon-* 
nera à tous les Grecs de ne jamais entrer en campagne contre 
nous et de ne rien enti'eprenâre de contraire à tios intérêts; que 

' On ne sait rien de précis sur cet évéoemeut. 

' Nom d'un mois macédonien comprenant la An de mars et le commence- 
ment d'avril. 



352 DIODORE DE SICILE. 

le coupable d*un tel crime soit banni , lui et sa famille , et privé 
de ses biens. Nous avons ordonné à Polysperchon de veiller 
à l'exécution des dispositions que renferme le présent édit. 
Quant à vous, ayez soin de vous y conformer, ainsi que nous 
vous Tavons déjà prescrit ; car nous ne laisserons pas impuné- 
ment enfreindre les articles que nous venons de décréter. » 

LVIÎ. Après que cet édit eut été publié dans toutes les villes 
de la Grèce , Polysperchon transmit par écrit à Ârgos et à quel- 
ques autres villes, Tordre d'exiler ceux qu'Ântipater avait pla- 
cés à la tête du gouvernement , d'en condamner plusieurs à 
mort et de confisquer leurs biens afin que ce parti , tout à fait 
afTaibii , n'osât rien tenter en faveur de Gassandre. Il écrivit 
aussi à Olympias, mère d'Alexandre qui , pour se soustraire à 
la haine de Gassandre , s'était retirée en Épire ; il l'engagea à 
rentrer au plus tôt en Macédoine , où elle devait se charger de 
l'éducation du fils d'Alexandre jusqu'à ce qu'il eût atteint l'âge 
adulte et qu'il fût lui-même en état de prendre les rênes de 
l'empire de ses ancêtres. Il envoya également à Ëumène une 
lettre dans laquelle il lui écrivait au nom des rois de ne point 
cesser les hostilités contre Antigone, d'embrasser tout à fait le 
parti des rois, soit qu'il voulût revenir eu Macédoine où il par- 
tagerait avec lui , Polysperchon , la tutelle des rois , soit qu'il 
préférât rester en Asie où il recevrait des troupes et l'argent 
nécessaire pour combattre Antigone qui s'était déjà ouvertement 
révolté. Polysperchon ajouta dans sa lettre à Ëumène que les 
rois lui rendraient la satrapie dont Antigone l'avait dépouillé , 
ainsi que tous les privilèges qu'il avait antérieurement possédés 
en Asie. En un mot, qu'il devait convenir à Eumène , plus qu'à 
tout autre, d'être le soutien et le défenseur de la maison royale, 
comme une conséquence de ce qu'il avait déjà fait pour elle. 
Enfin il terminait sa lettre en disant que si Eumène avait besoin 
d'une plus grande armée , lui, Polysperchon, quitterait la Ma- 
cédoine avec les rois et viendrait le rejoindre en Asie à la tête 
de toutes les troupes royales. Tels sont les événements arrivés 
dans le cours de cette année. 



LitRE xviii. 353 

LVIII. Archippe é(ant archonte d*Âthènes, les Romains élu- 
rent pour consuls Quintus iEIius et Luclus Papirius*. Ëumène, 
à peine sorti de la forteresse de Nora', reçut les lettres que lui 
avait envoyées Polysperchon et dans lesquelles , indépendam- 
ment de ce que oous venons de rapporter, celui-ci annonçait que 
les rois gratifiaient Eumène de cinq cents talents d'argent pour 
Taider à réparer les pertes qu'il avait éprouvées. En effet, les 
rois avaient donné ordre aux commandants militaires et aux tré- 
soriers de la Gilicie de compter à Eumène les cinq -cents talents 
d'argent promis, et de lui fournir toutes les sommes qu'il de- 
manderait pour enrôler des troupes étrangères ou pour d'autres 
besoins du service. Les officiers des argyraspides, formés de trois 
mille Macédoniens *, reçurent également l'ordre de joindre Eu- 
mène et de lui obéir comme au commandant en chef de toute 
l'Asie. Eumène reçut aussi une lettre d'Olympias qui le priait in- 
stamment de venir secourir les rois et elle-même; elle ajoutait 
qu'il était le seul ami resté fidèle et capable de relever la maison 
royale de l'abandon où elle était tombée. Olympias lui demandait, 
en outre , des conseils pour savoir s'il valait mieux rester eu 
Épire et se défier de ceux qui, sous le nom de tuteurs, usurpaient 
la royauté , ou s'il fallait réellement revenir en Macédoine. Eu- 
mène répondit sur-le-champ à Olympias; il lui conseillait de 
rester pour le moment en Épire et d'attendre que la guerre eût 
pris une tournure décisive. Eumène, conservant aux rois un dé- 
vouement inaltérable, résolut de refuser les propositions d'Anli- 
gone qui cherchait à s'approprier la royauté, et d'affronter tous 
les périls pour sauver les rois et pour venir au secours de ce 
jeune orphelin, fils d'Alexandre, livré à l'ambition des chefs de 
l'armée. 

LIX. Eumène donna aussitôt le signal du départ; il sortit de 
la Cappadoce à la tête d'environ cinq cents cavaii^s et de plus 
de deux mille hommes d'infanterie. Il n'eut pas le tej|)p$ d'alten- 

' Troisième année de la cxv« olympiade ; année 318 avant J.-C. 
' Le corps des argyraspides (porteurs de boucliers d'argent) faisaitparlic de Tari- 
cienne garde d'Alexandre. 

III. ^o^. 



1. 



35^ DIODURE DE SICILE. 

dre Tarrivée de ceux qui avaient protnis de rallier son armée ; 
car xintigone avait dirigé contre lui un fort détachement sotis 
les ordres de Ménandre pour s'opposer au séjour d*Ëumène dans 
la Cappadoce, depuis que celui-ci s*était déclaré ennemi d'An- 
tigone. Mais ce détachemetit fut trois jours en- retard , et , ne 
pouvant atteindre Eumène , il revint en Cappadoce. Cependant 
£umène , forçant sa marche , franchit rapidement le Taurus et 
arriva en Cilicie. Les chefs des argyfaspides, Antigène et Teuta- 
mus, obéissant aux ordres des rois, se portèrent avec leurs amis 
à une grande distance au-deVant d'Ëùdlëne; ii^ lè saluèrent 
cordialement et le félicitèrent d'avoir échappé si miraculeuse- 
ment aux plus grands dangers , et enfitt ils protestèrent de letif 
entier dévouement dans tout ce qu'il leur commanderait de 
faire. Les Macédoniens argyraspides, au nombre d'envirdil trois 
mille, montrèrent le même empressement. Tous s^étonnèreAt 
de ce changement de fortune inattendu , ed voyant ces mêmes 
rois , ces mêmes Macédoniens , qui , peu de temps auparavant j 
avaient condamné à mort Eumène et ses amis, non-seulemeilt 
oublier et annuler les sentences qu'ils avaient rendues, mais en- 
core confier à Eumène le gouvernement de tout le royaume. 
Cet étonnement était en effet fondé. Qui d'ailleurs ne serait 
frappé de ces vicissitudes de la vie humaine et de ces balance- 
ments de la fortune? Et qui, confiant en sa prospérité, ose- 
rait mettre son esprit au-dessus de la faiblesse humaine ? La vie 
de l'homme, dont un dieu tient en quelque sorte le gouver- 
nail, s'écoule dans un cercle éternel où le bien alterne avec le 
mal K Ce n'est donc pas une merveille qu'une chose qui arrive 
sans avoir été prévue ; ce serait bien plus merveilleux si rien 
n'arrivait sans avoir été prévu. C'est là que Ton reconnaît l'uti- 
lité de l'histoire. Car c'est l'incertitude et l'instabilité des choses 
humaine^^qui abaissent l'orgueil de ceux qui vivent dans la 
prosûprqf, et relèvent l'âme des malheureux. 
LX. De pareilles réflexions portèrent Eumène à se tenir en 

^ Vhomme s'agite et Dieu le mène , a dit un homme d^État de nosiours. 



LIVRE xvni. 355 

garde contre les Caprices de la fortune. Êti'aliger à la famille 
royale , voyant ces mêmes Macédoniens qdi Pavaient autrefois 
condamné à inort, soumis maintenant à son autorité, et les 
chefs niilltaires nourrir les projets les plus ambitieux, Ëumène 
comprit qu'il détiendrait soùs peu un objet de mépris et de 
faalné, et qu'enfin sa Vie serait menacée. Caf il n'ignorait pas 
que rhdttime n'obéit qu'à contre-cœur h celui qu'il croit son 
inférieur , et qu'il ne Veut pas se laisser domlnet par ceux qui 
sont plutôt faits pour la servitude que pour le commandement. 
Entraîné par ces idées, il commença d'abord par refuser les cinq 
cents talents que les rois lui avaient assignés pour le rétablis- 
sement de ses affaires. Il ajouta que n'aspirant à aucun com- 
mandement, il pouvait se passer d'une telle somme d'argent; 
que ce n'était point Volontairement, mais pour obéir aux ordres, 
des rois , qu'il avait accepté la charge dont il était revêtu ; 
enfin , qu'usé par un long ^service militaire , il n'était plus en 
état de supporter les fatigues et les mouvements de la guerre; 
qu'au surplus , en sa qualité d'étranger , exclu des prérogatives 
des Macédoniens, il ne se croyait pas en droit d'exercer l'auto- 
rité souveraine. 

Eumène raconta ensuite qu'il avait eu pendant son sommeil 
une vision extraordinaire et qu'il jugeait nécessaire de la faire 
connaître à tous, car elle devait , selon lui , puissamment con- 
tribuer à la concorde et à l'intérêt public. « J'ai VU en songe, 
dit-il, le roi Alexandre, vivant et revêtu des insignes de la royauté, 
prononcer des arrêts, distribuer des ordres aux généraux et ad- 
ministrer avec énergie toutes les affaires de l'empire. Je juge 
donc convenable , ajotila-t-il , de prendre dans le trésor royal 
l'argent nécessaire pour faire fabriquer un trône d'or sur lequel 
seront déposés le diadème, le sceptre, la couronne et les autres 
ornements royaitx ; et que tous les matins , les commandants 
militaires offrent un sacrifice, avant de se réunir autour de ce 
trône pour recevoir les ordres au nom du roi , comme s'il était 
vivant et comme s'il présidait à l'administration de son empire.» 

LXI. La proposition d'Eumène fut unanimement accueillie. 



356 DIODORE DE SICILE. 

Le trésor royal élant plein d*or, on en tira aussitôt tout l'argent 
nécessaire à ces dépenses. On dressa une tente magnifique ; on 
y plaça le trône portant le diadème, le sceptre et les armes dont 
Alexandre se servait ordinairement. Tout près se trouvait un 
foyer allumé ; tous les chefs de Tarmée y brûlaient de Tencens 
et d'autres parfums précieux tirés d'une boîte d'or, et ils ado- 
raient Alexandre comme un dieu. On avait , en conséquence , 
placé dans la tente un grand nombre de sièges où venaient 
s'asseoir tous les chefs militaires. C'est là qu'ils tenaient conseil 
et délibéraient sur les affaires urgentes ^ Dans toutes ces délibé- 
rations , Eumène ne se montrait que l'égal des autres chefs ; par 
sa bienveillance et la familiarité de ses entretiens, il écarta 
l'envie et se concilia l'affection des chefs. En même temp*s , par 
le culte superstitieux qu'il vouait au roi Alexandre, il inspira 
à tous les plus belles espérances , comme si un dieu exerçait le 
commandement. Par sa conduite politique , il s'attira égale- 
ment l'estime des Macédoniens argyraspides qui le regardaient 
comme digne de défendre les intérêts des rois. Enfin il choisit 
parmi ses amis les plus intelligents , et les fit partir avec de 
fortes sommes d'argent pour enrôler des troupes étrangères 
auxquelles il donna une solde élevée. De ces émissaires, les 
uns se rendirent immédiatement dans la Pisidie, dans la Lycie 
et dans les contrées limitrophes, et s'acquittèrent exactement 
de leur mission ; les autres allèrent dans la Cilicie , la Gœlé-^ 
Syrie, la Phénicie; quelques-uns enfin abordèrent dans les 
villes de l'île de Cypre. Le bruit de ces enrôlements et de la 
solde élevée donnée aux mercenaires s'étant répandu , on vit 
accourir des villes de la Grèce des volontaires qui vinrent pren- 
dre service dans l'armée d'Eumène. C'est ainsi que furent ras- 
semblés en peu de temps plus de dix mille hommes d'infanterie et 
deux mille cavaliers , non compris les argyraspides et les trou- 
pes qu'Eumène avait amenées avec lui. 
LXIL Pendant que la puissance d'Eumène s'accrut d*une 

' Comparez Cornélius Ncpos, Eumenes, c. T. 



LIVRE XVIII. 357 

manière aussi prompte qu*iuaUendue , Ptolémée aborda avec sa 
flotte à Zéphyrium en Gilicie. De là il envoya des députés 
aux chefs des argyraspides pour les engager à ne point suivre 
Ëumène que tous les Macédoniens avaient frappé d*une sentence 
de mort. Il fil les mêmes tentatives de séduction auprès des 
commandants des forts de Guindés, les conjura de ne pas 
fournir d*argent à Eumène, et leur garantit leur sécurité. Mais 
Ptolémée n'eut aucun succès dans ses négociations; car les rois, 
leur tuteur Polysperchon, et même Olympias, mère d'Alexandre, 
avaient publié des ordres qui prescrivaient à tous d*obéir à 
Ëumène comme au lieutenant général du royaume. 

Antigoue était surtout mécontent de Taccroissement de la 
puissance d'Ëumène et de l'autorité immense dont il le voyait 
revêtu. Il comprenait bien que Polysperchon avait opposé ce 
rival redoutable à lui , Antigone , qui s'était révolté contre les 
rois. Il résolut donc d'agir en conséquence. Il fit choix de Phi- 
lotas, un de ses amis, pour conduire le complot qu'il méditait. 
H lui donna une lettre adressée aux argyraspides et aux autres 
Macédoniens, partisans d'Ëumène. Puis il le fit partir avec 
trente Macédoniens intrigants et beaux parleurs ( il leur avait 
recommandé de s'aboucher en particulier avec les chefs des 
argyrat'pides , Antigène et Teutamus , et d'arrêter , de concert 
avec eux , un plan de conspiration contre Ëumène) ; il promit 
aussi à ces deux chefs de grandes récompenses et des satrapies 
plus considérables. Enfin ces émissaires devaient s'entendre avec 
les plus considérés des argyraspides ainsi qu'avec les principaux 
citoyens, et les séduire par des présents. Mais ces tentatives de- 
meurèrent sans succès. Teutamus , l'un des chefs des argyraspi- 
des, s'était, il est vrai, laissé corrompre , et cherchait même à 
entraîner dans le complot Antigène , son collègue ; mais celui- 
ci , homme remarquable par sa prudence et sa fidélité , non- 
seulement s'y refusa , mais il fit même changer d'avis à son col- 
lègue en lui montrant qu'il était bien plus conforme à leurs 
intérêts de laisser vivre Eumène plutôt qu'Antigone. « Si Anti- 
gone l'emporte , disait-il , il réservera les meilleures satrapies 



358 OlODORE DE SICILE. 

pour ses amis; tandis qu'Ëumènet comme étranger, n'osera 
point agir pour sou propre compte; comme général, il nous 
traitera en amis, et si nous le secondons dans ses efforts , il nous 
conservera nos satrapies et y en ajoutera peut-être d*autres< » 
C'est ainsi qu'échouèrent les intrigues dirigées contre Eumène. 

LXIII. Cependant Philotas remit aux chefs militaires la lettre 
d'Antigone, qui leur était adressée en commun. Les argVraspides 
et les autres Macédoniens , sans avertir Ëumène , se réunirent eii 
une assemblée privée , et firent donner lecture de cette lettre^ 
Elle contenait une accusation formelle contre Ëumène; les Ma* 
cédoniens y étaient invités à se saisir d'Eumène sur-le-champ 
et à le faire mourir. Dans le cas où ils s'y refuseraient , Ami- 
gone viendrait à la tête de toute son armée les traiter en ennemis 
et infliger aux désobéissants le châtiment mérité. La lecture de 
cette lettre jeta les chefs et tous les Macédoniens dans le plus 
grand embarras : s'ils se décidaient pour le parti des rois , ils 
devaient s'attendre à la vengeance d'Antigone ; si, au contraire^ 
ils obéissaient à Antigonc , ils avaient à redouter Polysperchon 
et les rois. Les esprits étaient dans cette perplexité^ lorsqU'Ëd- 
mène arriva. Après avoir lu la lettre d'Antigone, il exhorta les 
Macédoniens à obéir aux ordres des rois et à repousser les pro-^ 
positions du rebelle. Il parla ainsi longtemps d'une manière 
très-convenable, et parvint non-seulement à se délivrer des dan- 
gers qui le menaçaient, mais encore à se (Concilier plus que 
jamais l'affection de l'armée. Ainsi, quoiqu'entouré de nouveaux 
périls inattendus, Ëumène réussit à réunir autour de lui des for^ 
ces imposantes. Il donna ensuite l'ordre du départ, et s'avança 
vers la Phénicie. Il s^empressa de tirer de toutes les villes de 
cette contrC'e un nombre de navires suffisant pou> composet 
une flotte respectable. Au moyen de cette flotte^ tirée de la Phé- 
nicie , Polysperchon devait se trouver maître de la mer, et en 
état de faire passer à tout moment des troupes de la Macédoine 
en Asie pour combattre Antigofle^ Ce fut donc l'armemetlt 
d'une flotte qui retint Eumène dans la Phénicie» 

LXIY^ Pendant que ces événement!^ s6 passaient^ Nidanori 



LIVRE XVIII. 359 

qui occupait Munychie, fut averti que Câssandre venait de quit- 
ter la Macédoine pour se réfugier auprès d'Antigone, et que 
Polyspercbon ne tarderait pas à descendre dans l'Attique avec 
une armée ; il supplia donc les Athéniens de demeurer fidèles à 
Gassapdre. Mais comme personne ne voulait Técouter et que tous 
insistaient pour qu'il fît au plus tôt sortir sa garnison de Mu- 
nychie , il circonvint le peuple de manière à obtenir quelques 
jours de délai , promettant qu'à l'expiration de ce tf^rme il agi- 
rait conformément aux intérêts de la ville. Les Athéniens atten- 
dirent donc tranquillement quelques jours. Mais Nicanor mit ce 
temps à profit pour faire entrer la nuit d^s soldats par petits 
détachements dans le port de Munychie, et parvint ainsi à aqg- 
Dienter sa garnison au point d'être en état de soutenir un siège 
cQptreceux qui viendraiei^t l'attaquer. Les Athéniens, s'aper- 
cevant alors que Nicanor les avait joués , envoyèrent une députa- 
tiqn auprès des rois et de Polysperchpn, pour les prier de venir 
à Unr secours et réclamer l'exécution ponctuelle de l'édit con- 
pisrnant l'indépendance des Grecs. Ils se réunirent plusieurs fois 
en assemblée et délibérèrent sur les mesures à prendre pour 
faire la guerre à If icanor. Mais, tandis qu'ils étaient occupés à ces 
délibérations, Nicanor» qui avait secrètement recruté un grand 
ponihrede mercenaires, fit une sortie pendant la nqit, et s'em- 
para de l'enceinte du Pirée et des fortifications de ce port Les 
Athéniens furent doublement irrités de ne pas avoir recouvré le 
port de Munychie , et d*avoir perdq encore le Pirée. Ils choisi- 
rent donc une députatjon composée des citoyens notables qui 
étaient liés d'an^itié avec Nicanor, tels que Phocion, fils de 
Phocus, Conon, fils de Timothée , Gléarque, fils de Nausiclès , 
et la firent partir pour se plaindre de ce qui venait de se passer 
et pour réclamer leur indépendance aux termes de l'édit. Nica- 
nor leur répondit qu'il fallait négocier avec Gassandre ; que 
C^était lui qui Ipi ^vait confié le commandement de la garnison 
et qu'il n'avait personnellement aucun pouvoir pour traiter avec 
eux. 
liXV. £n ee même temps, Nicanor reçut une lettre d'ûlym- 



360 DIODORE DE SICILE. 

pias qui lui prescrivait de rendre aux Athéniens Munychie et le 
Pirée. Averti que les rois et Polysperchon devaient rappeler 
Olympias en Macédoine, lui confier Téducation du jeune prince, 
et rendre à la mère les honneurs dont jouissait pendant sa vie 
son fils Alexandre, Nicanor promit de rendre ces deux places ; 
mais , sous divers prétextes , il ajourna Fexécution de sa pro- 
messe. Les Athéniens, qui avaient toujours eu beaucoup de res- 
pect pour Olympias et qui étaient persuadés qu*on lui rendrait 
réellement tous ses honneurs , se livraient déjà à la joie , parce 
qu'ils se flattaient que , par elle , ils parviendraient, sans coup 
férir, à recouvrer leur indépendance. Les promesses de Nicanor 
n'avaient point encore été remplies , lorsque Alexandre , fils de 
Polysperchon , entra dans l'Attique à la tête d'une armée. Les 
Athéniens s'imaginèrent qu'il venait pour leur faire remettre 
Munychie et le Pirée; mais ce n'était point là sa véritable in- 
tention ; il prit au contraire ces deux postes pour son propre 
compte comme utiles en temps de guerre. Car quelques-uns des 
amis d'Antipater- vivaient encore, et, comme ils avaient, ainsi 
que Phocion, à redouter la vindicte des lois, ils allèrent au-de- 
vant d'Alexandre et lui démontrèrent qu'il était dans son in- 
térêt d'occuper ces positions pour son compte , et de ne les ren- 
dre aux Athéniens que lorsque Gassandre aurait été soumis. 
Alexandre vint donc établir son camp tout près du Pirée ; il 
n'admit point les Athéniens dans les entrevues qu'il eut avec 
INicanor, entrevues privées et toutes secrètes ; il était donc évi- 
dent qu'il agissait contre les Athéniens. Le peuple d'Athènes 
se réunit alors en assemblée générale , destitua ses anciens ma- 
gistrats, les remplaça par les démocrates les plus ardents, et 
condamna tous ceux qui avaient pris part au gouvernement oli- 
garchique , ies uns à la peine de mort , les autres au bannisse- 
ment et à la confiscation de leurs biens. Au nombre de ces 
derniers condamnés se trouvait aussi Phocion, qui, du temps 
d'Antipater, avait exercé l'autorité souveraine. 

LXVI. Tous les bannis se réfugièrent auprès d'Alexandre , 
fils de Polysperchon, qui devait , selon eux , leur accorder aide 



LIVRE XVIII. 361 

et protection. Alexandre les reçut amicalement et leur donna 
des lettres pour son père Polysperchon , dans lesquelles il lui 
recommandait Phocion et ses partisans qui lui avaient alors 
promis de le seconder dans tous ses efforts. Le peuple s'adressa 
de son côté à Polysperchon pour mettre Phocion en accusation, 
et insister pour que Munychie fût rendue aux Athéniens avec 
leur indépendance. Polysperchon désirait cependant vivement 
garder le Pirée , parce que ce port pouvait lui être très- 
utile pendant la guerre ; mais d*un autre côté, comme il était 
honteux pour un homme loyal d'agir contrairement aux termes 
de redit , et de blesser si grossièrement une ville aussi célèbre 
que celle d'Athènes , il changea d'avis. Il écouta donc les en- 
voyés du peuple athénien et leur donna une réponse pleine de 
bienveillance. Il fit arrêter Phocion et ses partisans , les envoya 
enchaînés à Athènes, et laissa le peuple maître de les condam- 
ner ou de les absoudre. Le peuple d'Athènes se i^éunit donc en 
assemblée et cita devant son tribunal Phocion et ses amis. Un 
grand nombre de ceux-ci avaient été bannis sous Antipater, 
contre lequel ils avaient fait de l'opposition. Ils furent condam- 
nés à la peine de mort. Le principal chef d'accusation portait sur 
ce que Phocion et ses partisans avaient été les instigateurs de la 
guerre Lamiaque , qu'ils avaient réduit la patrie à l'esclavage et 
renversé le gouvernement populaire et les lois. Enfin , lorsque 
vint le tour de la défense, Phocion se leva pour répondre. Mais 
en ce moment il éclata un tel tumulte dans l'assemblée , qu'il 
fut impossible à l'orateur de se faire entendre. Enfin le silence 
s'étant rétabli, Phocion recommença sa défense, lorsque la foule 
poussa de grands cris et empêcha de nouveau l'orateur de se 
faire entendre. Celte foule était composée de démocrates long- 
temps éloignés des affaires du gouvernement, et qui, rappelés 
contre toute attente , conservaient un ressentiment profond con- 
tre ceux qui avaient enlevé aux citoyens le droit de se gouver- 
ner par leurs propres lois. 

LXVIL Malgré ces entraves apportées à la défense, Phocion 
chercha néanmoins , dans cette situation désespérée , à disputer 
IIÎ. ^V 



S62 DIODORE DE SICILE. 

Ha vie , et put se faire entendre de ceux qui se trouvaient le 
plus près de lui et les convaincre de la justice de sa cause; 
ceux qui se trouvaient plus éloignés nVntendaient rien à cause 
du tumulte qui régnait dans l'assemblée; ils voyaient seulement 
les mouvements de son corps et la variété de ses gestes animés 
en raison de la grandeur du danger. Enfin , renonçant a tout 
espoir de salut, Phocion dem^inda à grands cris qu'on le con- 
damrât scid à mort et qu'on épargnât les autres K Cependant la 
foule continua de gronder; quelques amis essayèrent de soute- 
nir Phocion par leurs discours ; on en écouta d'abord le com- 
mencement ; mais lorsque ces orateurs arrivèrent h parler en 
faveur de Phocion , ils furent interrompus par le tumulte et les 
cris de l'opposition. Enfin , on alla aux voix , et la peine de 
mort fut prononcée. Pendant qu'on conduisait Phocion et ses 
amis dans la prison, un grand nombre d*honnêtes citoyens l'ac- 
compagnèrent en lui témoignant les plus vives sympathies. En 
effet, ces condamnés, illustres par leur naissance et par leurs 
actions , n'avaient point été jugés d'après les règles de la justice , 
ce qui faisait trembler beaucoup d'entre eux pour l'avenir : et 
la fortune est inconstante pour tous. Quant à la masse du peu- 
ple , elle poursuivait les condamnés en insultant à leur malheur 
et en leur disant d'amères injures. Car la haine qui se tait pour 
ceux qui sont dans la prospérité, dégénère en fureur contre ceux 
qui , par un changement soudain de la fortune, tombent dans le 
malheur. Phocion et ses compagnons d'infortune moururent, 
suivant la coutume ancienne, en buvant la ciguë; leurs corps, 
laissés sans sépulture, furent jetés hors du territoire de l'Attique. 
Telle fut la fin de Phocion et de ses coaccusés. 

LXVIÎI. Cependant Cassandre entra dans le Pirée avec trente- 
cinq vaisseaux longs et quatre mille soldats que lui avait fournis 
Àntigone. Il fut reçu par Nicanor , commandant de la garnison, 
qui lui livra le Pirée et les clefs du port. Nicanor garda Mu- 

' Le8 autres accusés étaient Nicoclès, Thudippe, Hégémon et Pythoclès. Voyez 
Plutarque , Phocion. 



LIVRE XVIII. 363 

nychie avec un délachenieui sufTisaiil pour la défense de ce 
poste. 

Polysperchon se trouva alors avec les rois aux environs de ia 
Phocide. Dès quMl apprit la descente de Cassandre dans le Pirée, 
il entra dans TAttique et vint camper près de ce port. Il avait avec 
lui vingt mille fantassins macédoniens, quatre mille alliés , mille 
cavaliers et soixante-cinq éléphants. Il entreprit de bloquer Cas- 
sandre. Mais, manquant de vivres et prévoyant que le siège se- 
rait long, il laissa dans TAttique , sous le commandement de son 
fds Alexandre , une partie de Tarmée proportionnée aux res- 
sources alimentaires du pays. Puis il se mit lui-même à la tète 
du gros de Tarmée , entra dans le Péloponnèse et força les Mé- 
gaiopolitains à se soumettre aux rois. Les Mégalopolitains avaient 
embrassé le parti de Cassandre et se gouvernaient d*après le sys- 
tème oligarchique établi par Antipater. 

LXIX. Tandis que Polysperchon était occupé à cette exi)édi- 
tioQ , Cassandre se mit en mer avec sa flotte , rallia les Éginètes, 
et vint bloquer les Salaminiens qui lui étaient hostiles. Ample- 
ment pourvu d*armes et de soldats, il pressa le blocus tous les 
jours par des attaques incessantes et réduisit les Salaminiens à 
la dernière extrémité. La ville de Salamine allait être emportée 
de vive force , lorsque Polysperchon détacha des forces de terre 
et de mer considérables pour attaquer les assiégeants. (Jassan- 
dre, déconcerté par cette attaque imprévue, leva le blocus et 
rentra dans le Pirée. Polysperchon retourna ensuite dans le Pé- 
loponnèse pour y arranger toutes les affaires conformément à ses 
intérêts : il réunit les délégués des villes en une assemblée génc - 
raie et leur fit des propositions d'alliance. Il envoya aussi dans les 
villes des députés chargés d'exiger que tous les chefs du gouver- 
nement oligarchique, institué par Antipater, fussent mis à mort ; 
en même temps, il fit annoncer qu'il rendrait aux peuples leur 
indépendance. Ces ordres furent en grande partie exécutés : les 
villes devinrent le théâtre d'exécutions sanglantes ; quelques ha- 
bitants furent condamnés à Texil , et tous les partisans d' Antipa- 
ter périrent dans ces désordres. Enfin les gouvernements prirent 



o^U DIODORE DE SICILE. 

des allures déniocraiiques et s*allièrent à Polysperchon. Les Mé- 
galopolilains seuls demeurèrent fidèles à Cassaudrc. C'est pour- 
quoi Polysperchon résolut d'assiéger leur ville. 

LXX. Avertis des projets de Polysperchon, les Mégalopolitains 
firent, par un décret, rentrer dans la ville les richesses de la 
campagne. Ils firent ensuite le dénombrement des citoyens , des 
étrangers et des esclaves, et trouvèrent quinze mille hommes en 
état de porter les armes. Ces hommes furent immédiatement en- 
régimentés; aux uns fut confié le soin des travaux , aux autres la 
défense des murailles. On vit ainsi en même temps une partie des 
habitants occupés à creuser autfur de la ville un fossé profond , 
une autre occupée à apporter des matériaux pour construire des 
palissades; quelques autres étaient employés à réparer les mu- 
railles;, d'autres enfin à la fabrication des armes, des balistes et 
des catapultes. L'ardeur des habitants à l'approche du danger 
avait transformé toute la ville en un vaste atelier. [En effet, 
le danger était grand; ] il n'était bruit que des forces imposantes 
des rois , de la multitude des éléphants qui les suivaient , de la 
vigueur et de l'impétuosité irrésistible de ces animaux. 

Tous ces préparatifs étaient déjà terminés, lorsque Polysper- 
chon se montra avec son armée et vint à quelque dislance de 
la ville diviser ses troupes en deux camps , l'un occupé par les 
Macédoniens , l'autre par les alliés. Il fit ensuite construire des 
tours en bois plus élevées que les murs de la ville; il les dirigea 
contre les points les plus accessibles, et , après les avoir garnies 
d'armes et de combattants , il repoussa par ses attaques les 
ennemis échelonnés sur les remparts. Pendant qu'on était oc- 
cupé de ce côté, Polysperchon fit miner les murailles, les étaya 
sur des pilotis en bois, y mit le feu , et parvint à faire crouler 
les trois plus grosses tours ainsi que les courtines qui joignaient 
ces tours entre elles. A celte chute terrible et inattendue , tous les 
Macédoniens jetèrent des cris de joie , tandis que les habitants 
de la ville furent frappés d'épouvante. Les Macédoniens péné- 
trèrent par celte brèche dans l'intérieur de la ville. Les Méga- 
lopolitains se partagèrent alors en deux corps : l'un , chargé de 



LIVRE XTIII. 365 

tenir (ête aux ennemis, se retrancha derrière les décombres de 
celle large brèche et engagea un combat sanglant; rautres*em- 
ploya nuit et jour à construire des palissades dans toute reten- 
due de la brèche et à relever les murailles. Ces travaux furent 
promptement achevés, grâce à Tabondance des matériaux et au 
grand nombre de bras qui y étaient occupés. Les Mégalopoli- 
tains réparèrent ainsi bien vite Téchec qu'ils venaient d'essuyer ; 
et ils se servirent de leurs catapultes pour repousser ceux qui 
étaient venus les attaquer sur leurs tours de bois, tandis que 
d'un autre côté leurs frondeurs et archers blessaient un grand 
nombre d'ennemis. 

LXXI. Il y eut des deux côtés beaucoup de morts et de 
blessés. A l'approche de la nuit , Polysperchon Gt sonner la re- 
traite et rappela ses soldats dans le camp. Le lendemain il fit 
déblayer la brèche et la rendit praticable au passage des élé- 
phants : il comptait sur la force de ces animaux pour emporter 
la ville; les Mégalopolitaius remportèrent de grands avantages 
sous la conduite de Damis. Cet homme avait fait partie de Tex- 
pédilion d'Alexandre en Asie, et connaissait parfaitement les qua- 
lités naturelles des éléphants et le parti qu'on en pouvait tirer. 
En effet , il trouva un moyen ingénieux pour résister à la force 
de ces animaux et paralyser la masse de leur corps. Il gar- 
nit bon nombre de larges planches de clous pointus; puis il 
plaça ces planches dans des fosses peu profondes, de manière 
que la terre cachait à peine la pointe des aiguillons. Ces chausse- 
trappes furent dressées dans les avenues qui conduisaient dans 
l'intérieur de la ville. Aucun soldat ne se présenta de front au- 
devant des éléphants : ils devaient être attaqués sur les flancs 
par une grêle de javelots , de flèches et de catapultes. Cependant 
Polysperchon, après avoir déblayé le terrain et frayé la route aux 
éléphants, fut témoin d'un spectacle étrange. Personne ne se 
présentant de front pour mettre obstacle à la marche de ces ani- 
maux , les Indiens , leurs conducteurs , les forcèrent à se jeter 
dans la ville. Les éléphants , s'appuyant de tout le poids de leur 
corps sur les planches armées de clous , eurent les pieds tra- 
in. - '^\ • 



366 DIODORE DE SICILE. 

versés par les poiiues, de manière à ne pouvoir ni avancer ni re- 
culer. Dans ce même moment , les habitants lancèrent une nuée 
de traits et tuèrent les conducteurs indiens ou les blessèrent au 
point de les mettre dans Timpossibilité de continuer leur ser- 
vice. Quant aux éléphants, accablés de flèches et souffrant des 
blessures qu'ils sÏHaient faites aux pieds , ils se précipitèrent 
sur les rangs amis et foulèrent sous les pieds un grand nombre 
d*hommes. Enfin le plus courageux et le plus formidable de ces 
animaux tomba mort ; les autres, non-seulement devinrent com- 
plètement inutiles, mais encore ils portèrent la mort dans les 
rangs de ceux qui les avaient menés au combat. Le succès de 
cette journée releva les espérances des Mégalopolitains. 

LXXII. Polysperchon se repentit alors d*avoir entrepris ce 
siège. Ne pouvant rester plus longtemps sous les murs de iVléga- 
lopolis, il y laissa une partie de son armée et porta son activité 
sur d'autres objets plus pressés. Il fit partir toute sa flotte , sous 
le commandement de Clilus, avec Tordre de croiser dans les 
eaux de l'Hellespont et de s'opposer au passage des troupes en- 
nemies d'Asie eu Europe. Arrhidée , qui s'était réfugié avec seî>- 
soldats dans la ville des Cianiens ' , s'était déclaré contre Antl- 
gone. Clitus fit donc voile pour l'Hellespont ; il s'empara des 
villes de la Propoiitide, et à peine avait>il réuni ses forces à 
celles d'Arrhidée, qu'il rencontra dans ces parages Nicanor, 
commandant de la garnison de Munychie. Il avait été envoyé par 
Gassandre avec toute la flotte qui , jointe aux navires d'Anti- 
gone, était composée de plus de cent bâtiments. Un combat na- 
val se livra non loin de la ville de Byzance; Clitus fut victo- 
rieux : il coula bas dix-sept navires ennemis et en prit au moins 
quarante avec tout leur équipage ; le reste se réfugia dans le port 
des Chalcédoniens. 

Après une telle victoire ^ Clitus pensa que l'ennemi n'oserait 
plus se mesurer avec lui sur mer. A la nouvelle de la défaite de 
son allié , Antigone mit en œuvre toutes les ressources de son 

* Ville de la Bitbynie ; elle reçut plus tard le nom de Prusiat. 



LIVRE XVllI. 367 

génie pour réparer cet échec. Pendant la nuit il fit venir de By- 
zauce des bâtiments de transport ; il y embarqua des archers ^des 
frondeurs, ainsi qu'un nombre suffisant de soldats armés à la 
légère, et les fit passer, à la faveur de la nuit, sur la rive op- 
posée. Cette troupe tomba avant le jour sur les ennemis descen- 
dus à terre, et répandit Tépouvante parmi les gens de Glitus. Sai- 
sis de frayeur, tous se jetèrent aussitôt en désordre dans leurs 
navires; l'embarras des bagages et le nombre des prisonniers 
ajoutèrent à la confusion. Cependant Antigone arma ses vais- 
seaux longs : il y fit monter un grand nombre de marins , les 
plus robustes , et les exhorta à combattre courageusement , sûr 
qu'il remporterait une victoire complète. Nicanor , arrivé pen- 
dant la nuit , tomba soudain , à la pointe du jour, sur les enne- 
mis encore en désordre, et les mit en fuite dès la première atta- 
que ; il déchira leurs navires à coups d'éperon , balaya les bancs 
des rameurs, et s'empara sans coup férir de ceux qui s'étaient li- 
vrés avec tout l'équipage. Enfin tous les navires, à l'exception 
du vaisseau amiral, tombèrent, avec leurs équipages, au pou- 
voir de l'ennemi. Clitus, abandonnant son vaisseau , se réfugia à 
terre et chercha à gagner la Macédoine. Mais il tomba entre 
les mains de quelques soldats de Lysimaque et fut égorgé. 

LXXIII. Celte grande victoire valut à Antigone la réputation 
d'un grand et habile général. Il avait l'ambition de devenir maî- 
tre de la mer, et de s'assurer en Asie une autorité sans partage. 
Dans ce but, il tira de toute l'armée une élite de vingt mille 
hommes d'infanterie légère et de quatre mille cavaliers; puis il 
s'avança à leur tête vers la Cilicie , pressé de battre Eumènc 
avant qu'il eût le temps de rassembler des forces plus considé- 
rables. Eumène fut instruit de l'approche d'Antigone au moment 
où il était occupé à remettre les rois en possession de la Phé- 
nicle, injustement enlevée par Ptolémée. Mais pressé par le 
temps, il quitta la Phénicie, traversa avec son armée la Cœlé- 
Syrie et tacha de gagner les satrapies de l'Asie supérieure. Arrivé 
sur les bords du Tigre , il fut surpris par les habitants du pays 
et perdit plusieurs soldats. Plus loin, dans la Babylonie, il fut 



.4 



368 DIODOBE DE SICILE. 

attaqué par Seleucus , sur les bords de TEuphratc, et faillit voir 
périr toute son armée par la rupture d*un canal dont les eaux 
submergèrent tout le camp. Mais , grâce à son habileté ordinaire , 
il parvint à se réfugier sur une digue, détourna le canal, et se 
sauva lui et son armée. Après avoir njiraculeusement échappé des 
mains de Seleucus, il se dirigea sur la Perse avec une armée 
coniposée de quinze mille hommes d'infanterie et de treize cents 
cavaliers. Il laissa ses troupes se reposer des fatigues de la mar- 
che , et invita les satrapes et les commandants militaires des sa- 
trapies supérieures à lui fournir des soldats et de Targent. Tels 
sont les événements arrivés en Asie dans le cours de cette année. 
LXXIV. En Europe , Polysperchon , depuis l'échec éprouvé 
devant Mégalopolis, vit tomber sa puissance dans le mépris. La 
plupart des villes grecques se détachèrent de la cause des rois et 
passèrent dans le parti de Cassandre. Les Athéniens, ne pou- 
vant se défaire de la garnison macédonienne ni par Polysperchon 
ni par Olympias, un des citoyens notables osa avancer, au mi- 
lieu d'une assemblée publique, qu'il était conforme aux intérêts 
de l'État de traiter avec Cassandre. Là-dessus s'éleva un grand 
tumulte entre ceux qui soutenaient celte proposition et ceux 
qui la repoussaient. Enfin il fut unanimement décrété qu'on en- 
verrait des députés à Cassandre pour traiter avec lui sur les 
meilleures bases possibles. Après plusieurs pourparlers, la paix 
fut conclue aux conditions suivantes : les Athéniens, en qualité 
d'amis et d'alliés de Cassandre, conserveront leur ville, leurs 
terres , leurs revenus , leurs navires et tous leurs autres biens. 
Munychie sera pour le moment occupée par Cassandre jusqu'à 
la fin de la guerre contre les rois ; le droit de participer au gou- 
vernement sera fondé sur un cens fixé à dix mines * ; un citoyen 
d'Athènes désigné par Cassandre sera investi de l'administration 
de la ville. Le choix de Cassandre s'arrêta sur Démétrius de Pha- 
lère. Celui-ci entra immédiatement en fonction , gouverna paci- 
fiquement, et se montra bienveillant envers les citoyens. 

• Environ neuf cent seize francs. 



LIVRE XVIII. 369 

LXXV. Ce traité était déjà conclu , lorsque Nicanor rentra 
dans le Pirée avec sa flotle ornée de rostres , trophées de sa vic- 
toire navale. Cassandrc lui fit d'abord un excellent accueil 
en raison de ses succès. Mais voyant ensuite que Nicanor nour- 
rissait des projets ambitieux , et qu'il continuait à occuper Mu- 
nychie avec ses troupes, il le traita en ennemi et le fit assas- 
siner. 

Cassandre entra ensuite avec son armée dans la Macédoine, 
où il trou\a beaucoup de partisans. Les villes grecques étaient 
animées d*un même zèle pour Tancienne alliance d*Antipater. 
Polysperchon , par sa nonchalance et son incapacité, était jugé 
incapable de conduire les affaires de la monarchie et de ses alliés; 
tandis que Cassandre, par son activité et ses manières obligean- 
tes , vit de plus en plus accroître son influence. 

Conformément à notre plan, nous terminons le présent livre 
à Tannée qui précède ravénement d*Agathocle à la tyrannie de 
Syracuse. Là commencera le livre suivant dans lequel nous con- 
tinuerons le fil de notre histoire. 



FIN DU lOME TROISIEME.