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BIOGRAPHIE
NOUVELLE
DES CONTEMPORAINS
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f Les soussignés déclarent que les Exemplaires non revêtus de
leurs signatures seront réputés contrefaits.
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DE L
IMPRIMERIE DE PLASSAN, RUE DE VAUGIRARD, N" i5,
DERRIÈRE l'odÉON.
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J^qM^,. oJlalùL
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y i^iuGRAPHIE NOUVELLE
t ^
DES
CONTEMPORAINS,
ou
DICTIONNAIRE
. HISTORIQUE ET KAISONNÉ
DE TOUS LES HOMMES QL-I, DEPUIS LA RÉVOLUTION
FRANÇAISE, ONT ACQUIS DE LA CÉLÉBRITÉ
PAK ttrns ACTI05S, I.ErRS KCBITS, LECRS EBBECRS Or LEIRS CRIMES.
SOIT EN FRANCE, SOIT DANS LES PAYS ÉTRANGERS;
Précédée d'un Tableau par ordre chronologique des époques cétèbrei et des èvént-
mens remarquables, tant en France qu'à l'étranger, depuis lyiiy jusqu'à ce jour,
et d'une Table alphaiétique des assemblées législatives, à partir de i'assetnMée
constituante jusqu'aux dernières chambres des pairs et des députés.
Par mm. A. Y. ARNAULT, ascie> membre de l'Institit; A. JAY;
E. JOUY, DE l'Académie française; J. NORVINS, et autre»
Hommes de lettres. Magistrats et Militaires.
ORNÉE DE 30O POBTttAlTS AU BVRIN,
d'après les plu s célèbres artistes.
TOME QUATORZIÈME.
MONO— NAP
PARIS, ^x^\
ir.AXIGRl
A LA LIBRAIRIE HISTORIQUE, HOTEL D'.AXIGRE,
Rl'E SAIKT-HONORÉ, K' IVl3.
1824.
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>
BIOGRAPHIE
NOUVELLE
DES CONTEMPORAINS.
MO^'o
MONOD (Hesai), l'un des lao-
dainmans du canton de Vaud, est
né à Morges , pelite ville de ce
canton, en ijôS. Il était parent,
par sa mère, du célèbre ingénieur
Pebro>'>"et {Voyez ce nom). 11 étu-
dia le droit à l'université de Tu-
bingue, où il rencontra Frédéric-
César de La Harpe, aujourd'hui
lieutenant-général (l^ojÉZ La Har-
pe), çt se lia avec lui d'une amitié
qui, dès-lors, n'a jamais été in-
terrompue. Le nom de M. Monod
se rattache naturellement à l'his-
loire récente du canton de la Suis-
se où il est né, et c'est ajouter à
l'intérêt de cet article, que de rap-
peler les principaux événemens
agxquels il a pris part. Sa conduite
a bfifert le vrai modèle d'un bon
citoyen. Il n'a rien fait pour jeter
son pays dans les hasards d'une ré-
volution ; mais, après qu'elle a é-
claté sans lui, il a cru qu'il était
de son devoir de concourir à la di-
riger, et c'est peut-être à ses lu-
mières, à une rare union de pru-
dence €l de fermeté, que l'on doit,
eu partie, .attribuer le caractère
r. XIV.
paisible et modéré de la révolu-
tion qui a détaché le canton de
Vaud de celui de Berne , et assuré
son indépendance. Déjà, en 17S2,
comme magistrat de sa ville, M.
Monod s'opposa , de concert avec
ses collègues , avec autant de me-
sure que de fermeté, à un impôt
décrété par le gouvernement de
Berne sur les terres du bailliage de
Morges, pour la reconstruction de
la grande route qui le traversait.
Le refus était fondé sur des titres
positifs, jusqu'alors trop souvent
méconnus, en vertu desquels au-
cune imposition ne pouvait être
établie que de l'aveu du pays en
général, et de la ville en particu-
lier. Ainsi fut élevée, dans le pay?
de Vaud, plusieurs années avant
qu'elle le fût en France, cette
grande question, Tune des plus
importantes qui y furent ensuite
débattues. Berne, qui ne pouvait
méconnaître le droit, voulut élu-
der la décision et en ajourner l'exa-
men, tout en ordonnant de ppyer
provisoirement, sous peine de
châtiment. Il fallut se soumettre:
3 MON
mais le rétablissement de la route
s'élant prolongé jusqti'en 1789,
chaque année l'impôt et la récla-
mation se renouvelaient, et cha-
que année la décision était ren-
Toyée. Cependant, la révolution
commençait en France, et l'effer-
vescence gagnait les environs. M.
Monod, en craignant les résultats,
proposa une adresse au gouverne-
ment bernois, qu'il rédigea, et
qui fut adoptée. Elle rappelait les
droits de sa ville; cependant, à
raison des circonstances , on con-
sentait à ne plus solliciter de dé-
cision, bien entendu qu'il n'en ré-
sulterait aucun préjudice pour le
droit, qu'on réservait en entier.
Cette sage conduite n'empêcha
pas qu'en 1791^^ la suite de quel-
ques dîners publics un peu trop
bruyans peut-être, et où plu-
sieurs convives montrèrent de
la légèreté , on ne traitât d'as-
semblées séditieuses ces réu-
nions de plaisir, et qu'on ne
soumît une partie du pays, et
Morges en particulier, à une exé-
cution militaire; la magistrature
des villes, à une véritable amende
honorable; et, plus tard, quelques
individus à des procès criminels.
M. Monod avait désapprouvé ces
fêtes; il n'y avait pas assisté, et
il ne fut point inquiété personnel-
lement ; mais il n'en parta_gea
pas moins l'indignation générale
qu'excitèrent ces mesures violen-
tes et arbitraires, dirigées contre
des magistrats qui n'avaictit pas
même le pouvoir d'eemêcher les
réunions dont on se plaignait, et
contre plusieurs individus très-in-
nocens. Lorsqu'en 1797, après le
ti*aité de Campo-Formio, et lors du
congrès de Rastadt, la France com-
MON
mença à intervenir dans les affai- ''
res de la Suisse, M. Monod fit ce
qu'il put pour engager les Bernois
à prendre, de leur chef, des mesu-
res propres à prévenir cette inter-
venlion. Pour atteindre ce but,
il résolut de profiler de sa liaison
avec M. ïhorman , bailli de Mor-
ges, qui était Bernois, et avec M.
de La Harpe, qui était alors à Pa-
ris; il parvint à fjire agréer une en-
trevue entre ce dernier et les dépu-
tés que Berne avait auprès du di-
rectoire-exécutif de France. Ces
intentions conciliatrices échouè-
rent : les députés, après avoir con-
senti à l'entrevue, s'y refusèrent;
Berne crut qu'on voulait l'etfrayer,
et ne fit rien. Ce fut dans ces cir-
constances que l'avant-garde de
l'armée d'Italie arriva à la frontiè-
re suisse. Alors se forma, à Lau-
sanne, un comité, composé d'une
quinzaine de députés des principa-
les communes du pays;et, dans l'es-
pérance de parvenir aux arrange-
mens désirés, M. Mouod fut chargé
de se rendre à Berne, tandis qu'on
travaillait à arrêter la marche du
général Ménard, qui commandait
cette troupe. Un accident fatal dé-
rangea ces mesures. Le général
français avait envoyé un de ses ad-
judans, escorté de deux hussards,
au commandant bernois Weiss, à
Yverdun. L'adjudant traversait, de
nuit, uneconunune suisse; une pa-
trouille crie : qui vive ! les hus-
sards, échauffés par le vin, au lieu
de répondre, coiu'urent sur la pa-
trouille, qui fit feu et les tua. L'ad-
judant rebroussa, et le général, se
prétendant insulté, entra dans le
pays. M. Monod était, dans ce
moment, président du comité for-
mé pour se saisir du pouvoir que.
MON
les Bernois avaient abandonné,
el einpciher l'au-irchie. Ce fut
sou» la (lireclion 'Je ces magistrats
que s'opéra la révolulion, sans au-
tre effusion de sang que celle des
deux hussards, avec plus de tran-
quillité et d'ordre qu'on n'aurait
osé l'espérer, et qu'on ne l'a vu
nulle part ailleurs. Aussitôt après
l'eulrée des Frarjçais, M. Monod
fui envoyé a Paris, avec deux au-
tres députés, pour chercher à con-
naître les intentions du directoire,
et les rendre favorables, s'il était
nécessaire ; ils rencontrèrent en
route le général, depuis maréchal
Brune, qui se rendait en Suisse en
toute hâte, et qui parut effrayé
d'apprendre que le général Mé-
oard y était entré. Cette nouvelle,
apportée à Paris par la députation
vaudoise, parut également y causer
de la surprise. La constitution qui
établissait une république helvéti-
que, une et indivisible, fut accep-
tée pendant l'absence de M. Mo-
nod. A son retour, il fut nommé
président de la ciiambre adminis-
trative du canton de Vaud. Mais,
eu 1800, son ami, M. de La Har-
pe, membre du directoire helvéti-
que, en ayant été éloigné , il don-
na sa démission, pour ne pas pa-
raître approuver ce changt^ment,
et se relira à Paris avec sa famil-
le. Rappelé en 1802, par des cir-
constances domestiques, il arriva
au moment où le gf)ii versement
sévissait contre les habitatis des
campagnes, qui avaient cru se dé-
barrasser des droits féodaux, en
brûlant les archives qui en renfer-
maient les titres. Des mesures trop
sévères avaient exaspéré les es-
prit> ; personne n'était plus pro-
pre que M. Moood à les calmer.
MON 5
Il apprit, en arrivant, qu'il était
nommé préfet, et malgré sa réso-
lution contraire, vaincu surtout
par les sollicitations des habitant
de la campagne, il accepta, sous
la condition d'une entière amnis-
tie, qui fut accordée. Le calme ne
tarda pas à renaître; mais bientôt
des mouvemens plus sérieux écla-
tèrent dans les petits cantons, et
s'étendirent sur presque toute la
Suisse allemande. Le gouverne-
ment, chassé de Berne, se réfugia
à Lausanne. M. Monod profita de
sa présence pour lui faire décréter
l'abolition des droits féodaux, à
des conditions équitables pour les
seigneurs et pour le peuple. En
même temps il prenait des mesu-
res pour repousser des bandes in-
surgées qui marchaient sur Lau-
sanne, quand une proclamation
du premier consul Bonaparte, ap-
portée par le général Kapp, fit ces-
ser les hostilités. M. Monod. en-
voyé par son pays à la célèbre
conférence que le premier consul
tint à Paris, pour régler les inté-
rêts de la Suisse, fut un des dix
députés nommés pour discuter,
avec le chef du gouvernement
français, l'acte de médiation, par
lequel la paix fut rétablie et main-
tenue, à la satisfaction générale,
pendant onze ans. Dans cette con-
férence, qui dura huit heures, M.
Monod était à la tête des cinq
membres chargés de défendre les
intérêts des nouveaux cantons: pla-
cé à côté du premier consul, il en
reçut un compliment flatteur, sur
la manière énergique et mesurée
dont il s'était condu.t dans les der-
nières circonstatices. Nommé pré-
sident de la commission chargée
d'organiser la nouvelle constitu-
4 510N
tion, il fut ensuite élu membre du
grand-conseil du canton de Vaud,
par quarante - huit des soixante
cercles qui formaient les assem-
blées électorales, puis président
du petit-conseil, qui était l'autori-
té executive. Mais impatient de
rentrer dans la vie privée, dès
qu'il vit la tranquillité de la Suis-
se assurée par son traité d'al-
liance avec la France, en i8o3,
M. Monod donna sa démission, et
se retira au sein de sa famille ,
qu'il ne quitta momentanément
que pour quelques missions, dont
son gouvernement le chargea au-
près de celui de France. Ce fut
pendant ce temps de paisible re-
traite qu'il publia des Mémoires ,
tendant à retracer les événemens
auxquels il avait pris part, et à
en tirer des conséquences propres
à former l'esprit public de ses con-
citoyens. Cet ouvrage distingué
parut sous le titre de Mémoires de
Henri Monod, Lausanne, i8o5, 2
Tol. in-S". Il publia aussi, dans
le même esprit, k l'époque du re-
nouvellement des élections, un
petit ouvrage sous le litre du
Censeur : il y rappelait du peu-
ple, qu'en s'occupant du choix
de ses représentans , il pou-
vait exercer une utile censure ,
et il établissait les principes qui
devaient le diriger. Il consacrait
ainsi ses loisirs à son pays, et
s'était plus d'une fois refusé à
rentrer dans le gouvernement,
lorsqu'en 1811 de vives sollici-
tations l'engagèrent à accepter
de nouveau une place dans le
petit-conseil ; il se trouva par-là
au nombre des premières autori-
tés lors de la crise de 18 13 et
1814 , qui remit en quelque sor-
MON
teau hasard le sort de la Suisse. Il
se rendit auprès de l'empereur
Alexandre, avec des lettres du
général de La Harpe, et arri-
va à Schafihouse au moment
où les Autrichiens violaient la
neutralité de la Suisse. Ce ne
fut qu'avec peine qu'au bout
de quelques jours , il put joindre
le monarque russe à Fribourg.
Alexandre l'accueillit avec bonté,
et lui donna l'assurance que c'é-
tait en son absence , ù son insu
et contre son gré, qu'on était en-
tré en Suisse; ce prince l'assura
de sa protection pour son canton
et le maintien de son intégrité.
Envoyé de là à la diète de Ziuich,
M. Monod fut un des trois dépu-
tés qu'elle chargea d'aller présen-
ter ses hommages au roi de Fran-
ce, et le complimenter sur la res-
tauration de la maison royale.
Depuis lors il s'efforça , durant
celte longue diète (jusqu'en 181 5),
de rompre les trames ourdies
contre son pays et les nouveaux
cantons. A la nouvelle du débar-
quement de Napoléon sur les
côtes de Prpvence, il eut la com-
mission d'aller faire garnir les
frontières du canton de Vaud
les plus menacées , par ses mili-
ces, qui furent les premières sur
pied. La nouvelle constitution de
la Suisse ayant enfin été reconnue
et garantie par les huit principa-
les puissances de l'Europe, M.
Monod fut nommé un des landam-
mans de son canton , et il siège
encore dans le conseil-d'état.
MONOD (Jean) , l'un des pas-
teurs de l'église réformée de Paris,
membre de la légion-d'honneur,
est né à Genève, en 1 765, et a exer-
cé les fonctions de ministre dw
MON
culte réformé, d'abord à Copenha-
gue, puis à Paris, où il est depuis
1808. Il a publié : i* Sermon sur
la paix , et pour la commémora-
tion de la mort de Louis XP^I ,
1814, in-8°; 2° Lettres de F. V.
Reinhard sur ses études et sa car-
rière de prédicateur, traduite* de
l'allemand, avec une notice sur les
écrits de Reinhard, parPhil. Alb.
Stapfer, Paris, 1816, in-S". Le
père de M. 31onod était aussi
ministre de l'évangile. Lorsque
la Guadeloupe tomba au pouvoir
dt's Anglais, dans la guerre dite de
sept ans , il y fut envoyé comme
chapelain du gouverneur anglais,
et pasteur des protestans français,
assez nombreux dans cette ile. La
paix rendit la Guadeloupe à la
France, et priva les protestans
de leur culte; ils baignèrent de
larmes le rivage où ils virent s'em-
barquer leur pasteur; les temps
sont heureusement changés. Au-
jourd'hui la France donne l'exem-
ple des lois les plus généreuses
sur la liberté des cultes, et le fils
et le petit-fils de Monod sont pas-
teurs protestans dans la capitale
de ce même pays, qui refusait, il
y a soixante ans, un culte à une
portion de ses citoyens.
MONRO (Alexasdre), méde-
cin anglais, fils du célèbre anato-
miste de ce nom, naquit à Edim-
bourg, fit de bonnes études, et
remplaça son père dans la chaire
de médecine et d'anatomie qu'il
avait fondée à l'université de celte
ville. 11 devint membre de la so-
ciété royale et du collège royal de
médecine. Éditeur des œuvres de
son père, qu'il a publiées en 1781,
1 vol. in-4", il a composé lui-
même les ouvrages suivans : i'
MON 5
Observations sur la structure et tes
fonctions du système nerveux, ia-
fol. , 1 785 ; 2" Structure et physio-
logie des poissons, in- fol., 1786;
5° Observations sur toutes les bur-
sae muccosae du corps humain, in-
4% 1788; 4° Observations sur le
système nerveux, faites avec l'o-
pium et les substances métalliques,
in-4% 1793; 5° Trois traités sur
le cerveau, Cœil et l' oreille, in-^",
1797 ; 6° Observations sur C hernie
crurale, avec une notice générale
sur les autres variétés de cette
maladie, in 8°, i8o5; '"'' Anato-
mie médicale du gosier, de l'esto-
mac et des intestins, in-8°, 1812;
8° Esquisse de l' anatomie du corps
humain, 4 vol. in-8°, i8i5;9^
Observations sur le conduit thora-
chique{Û\OTa\n duct.), in-4"', 1814;
10" Esquisse de l'anatomie ducorps
humain, dans l'état de santé et
dans l'état de maladie, 181 5 ou
1816, 5 vol. in-S", et 1 vol. de
planches. Il est aussi l'auteur d'ua
\.ra\{kà' Anatomiecompdrée,\r'd.A\xit
en français parM.Sue, 1786, in-12.
MONROE (James) , président
des Etats-Unis d'Amérique, ancien
ambassadeur près de la républi-
que française , etc. , est né ,
vers 1757, dans l'état de Vir-
ginie. Destiné par sa famille à la
carrière du ban-eau , il fit de bon-
nes éludes, et ayant terminé son
droit, il exerça la profession de
jurisconsulte sous la direction de
M. Jefterson, qui avait pour lui ,
et lui a constamment conservé,
les sentimens les plus alîectueux.
A l'âge de 21 ans, il fut nommé
député au congrès; mais la guer-
re de l'indépendance venant d'é-
clater , il préféra servir son pays
sur le champ de bataille. Sa bra-
G
MON
voure, ses talens, le firent succes-
siveinenl élever à différens gra-
des, et il était déjà colonel lors-
(jue la paix fut signée. De retour
dans ses foyers , il reprit ses oc-
cupations comme légiste , et de-
vint peu de temps après dépiilé
au congrès, où, pendant dix ans,
il justifia la confiance de ses con-
citoyens, qui l'y avaient réélu sans
interruption. Ses principes s'ac-
(H>rdaienl parfaitement avec ceux
de la révolution française, dont
il ne blâmait que les excès : ils le
firent nommer, en ijg'i, ambas-
sadeur à Paris. Présenté en cette
qualité, le i5 août de la même
année, à la contention nationale,
il reçut du président Taccolade
fraternelle. M. Monroë déploya
dans ses relations diplomatiques
le caractère le plus honorable,
et sut mériter l'estime du gouver-
nement français, tout en défen-
dant avec la plus vive sollicitude
les intérêts et l'indépendance de
sa patrie. Lorsqu'en 1797, le di-
rectoire-exécutif suspendit ses re-
lations avec les Etats-Unis, dont
le gouvernement était dirigé par
.lohn Adam, tout dévoué au mi-
nistère anglais, il refusa de recon-
naître comme ambassadeur M,
Pinckeney, et montra les plus
grands égards à M. Monroë. Rappe-
lé peu de temps après, ce dernier
remit solennellement ses lettres
de rappel, et repartit pour l'Amé-
rique, où, à son arrivée, il ré-
clama vivement du secrétaire-d'é-
tat une déclaration écrite des mo-
tifs qui avaient fait mettre fin à sa
mission. Washington était à la
tête du parti fédératif. La lutte é-
tablie entre ce parti et le parti ré-
publicain, auquel M. Monroë ap-
MON
partenait, faisant craindre à ce-
lui-ci que les mesures de ses ad-
versaires ne missent en danger
les institutions de sa patrie , et ne
fissent triompher l'aristocratie et
le despotisme, il livra à l'impres-
sion sa correspondance pendant
sa niission diplomatique , et y
ajouta des observations prélimi-
naires. Ce mode de justifier sa
conduite })olitique, et de mettre
au jour celle de l'administration,
produisit un excellent effet, et,
quelques années après, en i8o5,
sous la présidencede M. Jelferson,
il fut nommé gouverneur de la
Virginie, où, par réélection, il
fut maintenu pendant trois ans.
La France avait acquis de la cour
de Madrid la Louisiane; des dis-
cussions s'élant élevées entre le
gouvernement espagnol et celui
des Etats-Unis, an sujet de la na-
vigation du Mississipi, par suite de
cette cession , M. Monroë fut en-
voyé eu qualité d'ambassadeur
en France, puis en Espagne,
pour y aplanir ces difficultés, dont
il triompha enfin, gr.lce à la fran-
chise et ù la loyauté qu'il mil dans
sa conduite. En 1806, il se ren-
dit à Londres, afin de faire cesser,
s'il était possible, les différens qui
existaient entre l'Amérique et
l'Angleterre. Ne pouvant y réus-
sir, il demanda, l'année suivan-
te, son rappel. De retour à Phi-
ladelphie, M. Monroë devint, en
1811, secrétaire-d'état. Au mois
d'août 1814, après la prise de
Washington par les Anglais, on le
revêtit du conunarulement géné-
ral des forces américaines, et il
conserva le ministère de la guerre
jusqu'à la paix; alors il reprit le
déparlement des affaires étrange-
WON
res, qu'il n« remit qu'en 18 «7.
Ses concitoyens voulant lui don-
ner une marque de leur reconnais-
sance pour la sagesse de son ad-
ministration, l'élurent, à une très-
grande majorité, président du
gouvernement. En vertu d'un
acte du congrès, il se disposa à
inspecter les côtes maritimes, et à
cet eflet, il se rendit successive-
ment à Baltimore, à Philadel-
phie, à New-York, etc. Il s'efforça
pendant cette tournée administra-
tive de ranimer l'esprit public, et
de le diriger exclusivement vers
l'intérêt unique de la patrie. On
rapporte qu'il déclara à Hartford
qu'il entendait être, « non le chef
«d'ime secte ou faction, mais le
• président des Etats-Unis. »Il a-
dressa au congrès un message ,
dans lequel il faisait le tableau le
plus satisfaisant de la situation
tant intérieure qu'extérieure des
Etats-Unis, et déclarait que ja-
Htiais elle n'avait été aussi satis-
faisante. Il terminait son élo-
quent rapport, « en félicitant la
«nation d'avoir atteint la quaran-
«tième année de son existence
• politique, et de ce que l'expé-
orience d'une génération entière
• avait consacré une constitution
«libre, et consolidé un gouver-
«neinent dont la seule ambition
«est de favoriser les progrès des
• lumières, le maintien d'une paix
• universelle et le bien-être de
• l'humanité. «But à la fois grand,
juste et philantropique. Au mois
de mars i8i>S, M. Monroë exposa
ù la chambre l'état des relations
entre les Etals-Unis et l'Espagne,
déclarantqu'il n'avait pas jugé utile
d'accepter la médiation de l'An-
gleterre relativement à la pri^c
MON r
de possession d'Amelia, que le
gouvernement américain ne de-
vait pas considérer comme une
conquête. 31. Monroë a été réélu,
le 4 mars 1821, président des Étals-
Unis. Ce célèbre magistrat a pro-
noncé à l'ouverture de la session
du congrès pour iS'î^ un discours
des plus remarquables, et qui of-
frira une des plus belles pages
de l'histoire des gouvernemens,
eu laissant de profonds souve-
nirs dans la mémoire des peu-
ples. Il y trace avec autant de sim-
plicitéque de grandeur, la marche
du Nouveau-Monde, et y expose
les principes de la véritable indé-
pendance et ceux de la plus sage
liberté : principes qui ont fait la
prospérité et consacré la puissan-
ce de ces nouveaux et célèbres é-
tals, à la gloire desquels la Fraoce
s'est associée , en concourant à
les défendre à l'époque osi à peine
consolidés, ils appelaient un gé-
néreux appui. Dans ce mémorable
discours, on voit le gouvernement
réclamer les lumières des citoyens
et chercher à rapprocher . par la
confiancela plus intime et la plus
franche, les dépositaires de l'auto-
rité et les peuples qui lui obéis-
sent. On y voit surtout avec un
vif intérêt les Etats-Unis devant
toutes les nations poser comme
principe fondamental , que le
continent de l'Amérique, par la
condition libre et indépendante
dont il jouit, ne doit plus être
considéré à l'avenir comme sus-
ceptible de forir»er encore des
colonies européennes, a Je ne suis
«plus terre d'oC(!upalion , fem-
• ble dire le nouveau continent
• H l'ancien ; ici sont des homme»
• maîtres du sol qu'ils habitent ,
8 MOIS
» égaux des hommes dont ils sont
«issus jadis, et résolus ù ne trai-
» ter avec eux que sur le pied de la
» plus exacte justice. »Ce mémo-
rable discours ajoute une nouvel-
le étendue à la carrière déjà si
vaste du célèbre magistrat qui l'a
prononcé.
MONSEIGNAT (HippotYTE),ju-
risconsulte , ancien magistrat ,
membre de plusieurs assemblées
législatives, chevalier de la légion-
d honneur, est né à Rhod<:z, dé-
partement de l'A veyron, en 1764.
il fut reçu avocat en 1 786, et s'étant
prononcé en faveur du nouvel or-
dre de choses, il devint, en 1791,
procureur de la commune qu'il ha-
bitait, et en 1793, juge au tribu-
nal du district. M. ]Monseignal,qui
n'approuvait pas les excès de la
révolution, fut chargé de rédiger
et de porter à la barre de la con-
vention nationale, l'adresse votée
par toutes les autorités réunies de
Rhodez, pour protester contre la
violation de la liberté des députés
dans le sanctuaire même des lois,
le 5i mai; destitué à cette Cpoque,
il fut bientôt arrêté et conduit à
la Force, comme suspect de fédé-
ralisme. Mis en liberté par suite
de la révolution du 9 thermidor
an 2 (27 juillet 1794)» il se ren-
dit, en 1798, en qualité de com-
missaire du directoire-exécutif,
près de l'administration centrale
du département de l'Aveyron. En
1799, le collège électoral de ce
département l'élut au conseil des
cinq-cents. Il fit partie de la pre-
mière formation du corps-législa-
tif en 1801 , y fut conservé par le
sénat en 1802, et réélu en 1807.
Nommé secrétaire en 1808, il de-
Tint en 1809, par les suffrages de
MON
ses collègues, l'un des sept mem-
bres destinés à former la coinmis-
sionde législation ci vile et criminel-
le, qui seule était appelée à pren-
dre part aux travaux préliminaires
de la confection des lois. Choisi de
nouveau en 1810 et continué en
)8ii, il fut nommé, par l'empe-
reur, président de la commission
de législation, reçut en récom-
pense de ses services, la croix de
la légion d'honneur, et s'associa
activement aux discussions prépa-
ratoires du Code d'instruction cri-
minelle et du Code pénal : il fit sur
ce dernier, i\ la séance du 17 fé-
vrier 1810, un rapport qu'on li-t
avec le plus vif intérêt dans le
recueil des matériaux de la légis-
lation de celte époque. Conseiller
de préfecture en 1812, sous-pré-
fet de Pihodez, et membre de la
chambre des représentans en 181 5,
il a donné sa démission de toute
foi.ctiou publique en 1816, et il
se livre depuis cette époque aux
occupations de jurisconsulte, dans
lesquelles il s'est concilié l'estime
publique.
MONSIAU (Nicolas), peintre
distingué, s'est fait plusieurs fois
remarquer aux expositions du Lou-
vre. Ses principales compositions
sont : la Mort d' Agis, et Louis
XVI donnant des instructions à
La Peyrouse; enfin une Scène du
quatrième acted'I plûgénià: la pre-
mière de ces deux compositions a
été commandée parle roi, et la
seconde par le ministre de l'in-
térieur. Les autres lableatix de
M. Mousiau sont : Eponine et Sa-
binus, (\\ù lui a valu un prix d'en-
couragement; le lion de Florence;
Aspasie; Molière Usant chez Ni-
non sa comédie du Tartufe; ta
Hovert-Lefevre vuuc ,
Iremv ael .et Saii? ,
MON
Mort de Raphaël; le Couronnement
de Marie de Médicis, et la Prédi-
cation de Saint Denis. Il a com-
posé les dessins d'une partie des
gravures qui ornent la magnifique
édition des Métamorphoses d'Ovi-
de, par M, Villenave; une partie
de ceux du recueil des Œuvres de
l'abbé Delil le; ceux qui représen-
tent la mort de Cléopâire , le
triomphe de Paul Emile; et plu-
sieurs autrcî. On trouve dans la
manière de cet artiste, une grande
facilité, du mouvement; mais on y
cherche eu vain de la chaleur et un
meilleur ton de couleur. M. Mon-
siau avait été appelé à l'acadé-
mie en 1790. Mais il ne fut pas
compris dans l'organisation de
l'institut national.
MO.NSIGNY (Pierre -Alexan-
dre), rival de Grétry, soutint, par
la vérité de se^? chants et la naïveté
pathétique de son expression, une
concurrence si redoutable. « Il
«chante d'instinct, disait Grétry;
i)une sensibilité vraie lui inspirait
»ces mélodies ravissantes qui, a-
»prés 5o ans, répandent encore
» tant de charmes sur les partitions
» du Déserteur et de Félix.» Il était
né, le 17 octobre 1729, à Fau-
quemberg, en Artois, dune famil-
le noble. Euj ployé dès l'âge de 19
ans dans la comptabilité du cler-
gé, il sentit se développer en lui
son goût iimé pour la musique,
en assistant à une représentation
de la Servante maîtresse de Pergo-
lése. Son instinct nmsical, éveillé
par le ha-ard, lut perfectionné
par Gianotli, contre-basse de l'O-
péra, et as^ez bon harmoniste. A
peine 5 mois s'étaient écoulés que
Monsigny essaie de composer lui-
même une partition, et donne, en
MON 9
ijSg, à la foire Saint-Laurent,
son petit opéra-comique des Aveux
indiscrets. Cet ouvrage, qui pré-
céda les chef-d'œuvres de Grétry
de quelques années, place son au-
teur au rang des créateurs de no-
tre second théâtre lyrique. En
1760, Monsigny donna le Maître
en droit; et, eu 1761, le Cadi du-
pé : ces deux pièces sont de Le-
moiinier. Trop modeste pour sa
gloire, il refusa long-temps de li-
vrer au public son nom, qui fut
cependant connu; la grâce de ses
compositions et la terminaison ita-
lienne du mot Monsigny, le firent
prendre pour un Italien. Il passa
long-temps pour tel, et l'on ne
parlait que de M. Moncini, c'est
ainsi que l'on défigurait son nom
dans les journaux. Sedaine , né
pour l'art dramatique , comme
Monsigny pour l'art musical, re-
chercha avec empressement l'au-
teur du Cadi dupé; leur liaison
fut prompte et leur amitié vraie.
C'est à Talliance de ces deux ta-
lens que l'on doit Rose et Colas, le
Déserteur, le Roi et le Fermier,
qui eut })lu3 de 200 représenta-
tion, et Féli.v ou l'Enfant trouvé.
Ses autres alliances dramatiques
furent moins heureuses. Il fit, avec
Collé, Vile sonnante; avec An-
seaume, le Rendez-vous bien em-
ployé; avec Favart, la Belle Arsè-
ne. Il a composé trois grands opé-
ras, dont les paroles sont de Se-
daine : Aline, reine de Golconde;
et deux autres non représentés,
Pagaminde Monêgue, et Philemon
et Baucis. La sensibilité vive et
noble qui lui donnait ses succès
en abrégea le cours. A 4<» »"s, a-
piès avoir beaucoup produit, il
cessa de produire. Les hommes de
lo MON
talent devraient, par une habile
économie de leurs lacuités, réser-
ver fies succès à leurs vieux jours.
Monsigiiy du moins avait trouvé
des prot(;cfeurs sincères et, des a-
mis généreux, qui avaient pris
soin de son avenir, et garanti son
talent contre les atteintes de la mi-
sère. Vers l'an 1760, une place
lui fut assurée dans la maison de
l'avant-dernier duc d'Orléans. La
révolution la lui eideva; mais les
artistes du théâtre Favart, qui lui
devaient ime partie de leur Ibrtu-
ne, lui flreut une pension de 2400
francs. En 1800, il reinplaça Pic-
cini, dans la place supplénjentai-
re d'inspecteur de l'enseignement
au Conservatoire de musique.
Successenr de Grélry, à l'institut
impérial, en 18 13, meml)re de
la légion-dhonneur, en 181 5, et
de l'académie des beaux-arts, en
1816, il mourut, le 14 janvier
1817, à 88 ans, doyen des musi-
ciens. M. Quatremère de Quincy
a lu, en séance piddique de l'aca-
démie des beaux-arts (octobre
1818), un éloge de ce composi-
teur; 31. P. Hedoin a dédié au
même musicien une Notice hislo-
n"<7Mc, beaucoup mieux écrite et
beaucoup plus complète. M. de
Lachabeaussière a composé quel-
ques vers heureux, sous le titre
à'Hommage à Monsigny.
aïONTAGNAG ( Krakçois de
Gain de), évêque de ïarbes, na-
quit au chSteau de iMontagnac ,
dans le ci-devant Limousin , le 6
janvier 1744- -^^^ études ecclésias-
itiques terminées, il devint bientôt
après aumônier du roi , et grand-
vicaire de Reims. Abbé de Quu-
'rante, dans le diocèse de Narbon-
Tie, il lut nommé, en 1782, évê-
MON
que de Tarbes, et sacré peu de
temps après. Un nouveau béné-
fice, qu'il obtint en 1788, lui fit
résigner son abbaye de Quarante.
Dès le commencement de la ré-
volution, il s'en déclara l'ennemi,
et se montra, avec une rare per-
sévérance, opposé aux actes de
l'assemblée constituante , pu-
bliant, dans difterenles circons-
tances, des écrits fortement em-
preints de son opposition, adres-
sés à ses diocésains. 11 se retira
en Espagne vers la fin de 1790;
mais, au mois de mars 1791, étant
revenu à Tarbes, il annonça, dans
la chaire épiscopale , les motifs
qui l'avaient porté à refuser de
prêter serment à la notivelle cons-
titution civile du clergé. Cette
conduite le fit dénoncer comme
ennemi des nouvelles doctrines
politiques, et des poursuites furent
dirigées contre lui. Le gouverne-
ment nomma, pour le remplacer,
et occuper le siège constitution-
nel du département des Hautes-
Pyrénées, M. de Molinier, ancien
doctrinaire, que le prélat dépos-
sédé chercha inutilement à rame-
ner, selon ses propres expressions,
«à des opinions moins schisma-
» tiques. » Menacé dans sa liberté,
M. de Montagnac se retira de nou-
veau en Espagne, dans la vallée
d'Aran, qui, étant très-rapprochée
de son diocèse , lui permettait
d'envoyer des exhortations et des
instructions au clergé et aux per-
sonnes qui lui étaient restées fi-
dèles. L'autorité française menaça
les habilans du territoire étranger
que M. de Montagnac habitait,
d'employer la force pour les con-
traindre à éloigner le prélat dissi-
dent, s'il continuait d'y faire son
MON
séjour. II fut obligé J'en partir,
et il se réfugia en Catalogne, dans
le monastère de Montferrat. De
ce lieu même, il rédigea plusieurs
écrits, qu'il fit encore parvenir
en France. Retiré en Italie, de
Lugo, où il s'était fixé, il conti-
nua de rédiger et d'expédier à
Tarbes des mandemens et instruc-
tions, datés de i^gS et de 1797.
Il se prononça contre les conces-
sions des prélats qui n'avaient
point quitté la France, passa en
Portugal , en 1800. envoya sa dé-
mission, et protesta contre le con-
cordat de 1801; enfin, M. de
Montagnac alla se fixer en Angle-
terre, où il mourut en 1806.
iMONTAGU (Jea\, comte de
Sandwich), pair de la Grande-
Bretagne, naquit en 1718, à West-
minster. Orphelin dès l'âge de
quatre ans, il dut à la tendre sol-
licitude de son aïeul, lord Sand-
wich, une éducation brillante,
qu il perfectionna encore par les
voyages. Son goftt pour les anti-
quités le détermina, en 1758 et
1739. à des excursions scientifi-
ques dans la iMéditerranée, dont
il rapporta dilïï-rens objets, tels
que nioiiiies, ibis, médailles, etc.
Dans les principales pièces qui
composaient sa colleclion. se trou-
vait une table de marbre de deux
pieds de long, sur laquelle était
giavec une in>cri|Jtion que le sa-
Tant f^. Taylor put seul déchiflrer,
en 1743 : it donna à cette table le
nom de marbre de Sandivich. La
carrière politique de Montagu fut
honorable. Dès 1729, il devint
pair à la place de son aïeul ; mais
il ne put être admis à prendre
séance que lorsqu'il eut atteint
l'âge fixé par les statuts de la cham-
MON 1 1
bre. Second lord de l'amirauté
en 174-1» pourvu d'un grade dans
l'armée en 174^, ministre pléni-
potentiaire depuis i74^> jusqu'a-
près la sij>nalure du traité d'Aix-
la-Chapelle, en octobre 1748,
membre du conseil privé à son re-
tour à Londres, et premier lord
de l'amirauté , il devint, pendant
le voyage de Georges II en Ha-
novre, l'un des lords -justiciers
du royaume. De 1701 à 1705, il
ne fut point employé ; cette année
même (i^âS), on le nomma vice-
trésorier-adjoint d'Irlande, et on
lui rendit, en 1 76'i . son emploi
de premier lord de l'amirauté. En
1765, la fortune politique de Mon-
tagu éprouva encore de nouvelles
ricissiludes , et il resta éloigné
des affaires publiques jusqu'en
1768, qu'il fut nommé à la place
d'adjoint - directeur- général des
postes. Pour la troisième fois, en
1783, il derint premier lord de
l'amirauté . fonctions qu'il exerça
pendant toute la durée de la guer-
re d'Amérique : il y renonça du
moment que le ministère qui l'a-
vait provoquée, eut été changé.
C'est dans l'exercice de cet em-
ploi, au milieu des circonstances
les plus didiciles, que lord Sand-
wich a établi sa réputation d'hom-
me d ét.t. Sa conduite, il est vrai,
fut souvent alors l'objet des plus
vives attaques; mais, mieux ap-
préciée depuis, elle a acquis à
Montagu l'estime de ses conci-
toyens. Il mourut le 3o avril
1793. Depuis plusieurs années, il
s'était retiré des affaires publiques.
Homme d'état distingué, hom-
me privé, doué des qualités les
plus estimables, il ne négligea au-
cune occasion de rendre service.
12 MON
Après sa mort, John Cook, son
chapelain, publia le Voyage fait
par le comte de Sandwich dans la
Méditerranée, dans les années ly'ùS
et 1739, écrit par lui-même. Cet
ouvra<;e est précédé d'une Notice
historique de l'éditeur,, sur Jean
Montagu , comte de Sandwich.
On attribue an noble pair une
brochure assez remarquable, sous
le titre de Etat de la question re-
lative à l' hospice de Greenwich ,
brochure qui parut en 1779, ^"
réponse à l'écrit intitulé État de
L'hospice royal de Greenwich , par
le capitaine Baillie , publié en-
viron une année auparavant.
MOJNTAGU (Geobge), natura-
liste, meinbre de la société lin-
néenne, naquit en Angleterre, et
se fit bientôt remarquer par ses
connaissances dans l'histoire na-
turelle. II mourut, jeune encore,
en i8j5, à Knowle, dans. le De-
vonshire. Montagu a publié : 1°
Dictionnaire ornithologique^ 2 vol.
in-8", 18 12; •i'Testacea britaïaiica,
ou Histoire naturelle des coquil-
lages anglais f i vol. in-4"> 1808;
3° Supplément à l'ouvrage précé-
dent, 1809.
MONTAGU (Elisabeth), dame
anglaise qui a cultivé la litté-
rature avec quelque succès. Son
père, Mathieu llobinson, seigneur
(leHorton, dans le comté de Dent,
lui fit donner une éducation soi-
gnée, que le docteur Middelton
se chargea de perfectionner. De
très-b'^nne heure, elle se sentit
du goût pour la littérature, et à
huit ans, elle avait transcrit en
entier le Spectateur. Liée avec
les hommes les plus distingués
dans les sciences et dans les let-
tres, elle comptait des succès litté-
MON
raires à un âge où les femmes ne
songent encore qu'à se livrer aux
plaisirs de la société. Le célèbre
auteur du Dialogue des morts y
lord Litlelton , convient avec bon-
ne foi qu'il a, comme écrivain,
quelques obligations à celte dame.
Mariée à lord Montagu de Aller-
ihorpe, de l'illustre famille des
comtes de Sandwich, elle le per-
dit de très-boime heure, ainsi que,
dans son enfance, un fils, seul
fruit de leur union. Libre et maî-
tresse d'une immense fortune ,
elle voulut conserver toute son
indépendance, et refusa de se re-
marier. Sa maison devint le ren-
dez-vous des gens de lettres, et
elle se consacra elie-mêine an
culte des muses. Son principal
ouvrage est un Essai sur le génie
et les œuvres de Shakespeare, dans
lequel elle entreprit, avec succès,
la défense du père du théâtre an-
glais, contre l'autorité imposante
de Voltaire. Lady Montagu mou-
rut à Londres en 1800, dans sa
belle maison de Portmann-Squa-
re , à un âge fort avancé. Cette
dame, non moins célèbre par la
finesse de son esprit que par l'o-
riginalité de son caractère, avait
fondé, sous le titre de Club des
bas bleus, une société littéraire
dont les statuts étaient aussi bi-
zarres que le titre. On lui prête
encore quelques autres singulari-
tés, mais à tort, celle d'un dîner
de fondation, qu'elle donnait tous
les ans aux ramoneurs de Londres.
MONTAGUT-BARRAL (le ba-
konde), député par la noblesse
de Comminges et de Nébouzan aux
états -généraux, en 1789, vota
avec la majorité de son ordre. Il
protesta contre la réunion opérée
MON
en juin, fut un dos signataires
des protestations des 12 et i5 sep-
tembre 1791, contre les actes de
l'assemblée constituante, et dis-
parut de la scène politique après
la session.
MONTAIGU (Anse-Charles-
Basset), général de division, né à
Versailles, le 10 juin i^Si. Le
goût qu'il manifesta de bonne
heure pour la profession des ar-
mes, le fit entrer à dix-sept ans dans
le corps de la gendarmerie. Après
un service de 20 années consécu-
tives, M. Montaigu le quitta au
moment de la réforme, en ij88,
mais il rentra de nouveau sons
les drapeaux, en 1791, épo-
que où le plus héroïque dévoue-
ment à la patrie éclatait de toutes
parts. Le 5°" bataillon de la Meur-
the venait de se former; il en fut
nommé adjudant - major, le 1"
septembre, et se rendit à Metz, a-
vec ce bataillon. Convaincu de la
nécessité de rétablir la discipline
militaire, alors un peu affaiblie, il
fit, pour l'ordre du service, un rè-
glement provisoire qui reçut l'ap-
probation de M. de Belmont, lieu-
tenant-général, commandant les
troupes de Metz, et des villes en-
vironnantes. Ce règlement fut im-
primé et envoyé à tous les batail-
lons de volontaires, qui l'exécutè-
rent par ordre du lieutenant-gé-
néral. Nommé commandant de
bataillon au camp de la Lune, en
septembre 1792, et chef de briga-
de en 1 790, M. Montaigu fut char-
gé provisoirement, en cette der-
nière qualité, du commandement
de l'aile droite de l'armée des Ar-
dennes. Avec 5 bataillons de grena-
diers, et 2 de volontaires, il força
les Prussiens à abandonner leur
MON
i3
camp, et ne cessa de les poursui-
vre, que lorsqu'ils eurent évacué,
près de Longwy, le territoire fran-
çais. L'idée qu'on s'était faite de
sa bravoure, inspirait autant de
confiance au général en chef,
qu'aux soldats, et déjà l'opinior.
de l'un et des autres l'avait dési-
gné, dans le cas où l'on serait
obligé d'assiéger Verdun, occupé
par l'ennemi, pour monter le pre-
mier à l'assaut. La reddition de
cette ville le priva d'un honneur
dont il était digne ; mais il l"ut en-
voyé à l'avant-garde qui marcha
contre Namur, et contribua à la
prise du château , le 2 décembre
1790. Après de brillans succès,
qui soumirent la Belgique à nos
armes, la défection de quelques
chefs amena d'éclatans revers :
Dumouriez, battu à Nenvinde,
crut couvrir la honte d'une dé-
faite, en abandonnant son poste.
Le chef de brigade Montaigu se
soutint, pendant 20 jours, au poste
de l'abbaye d'Hannon, entre deux
camps ennemis qu'il sut contenir,
ayant seulement avec lui trois ba-
taillons, deux détachemens de ca-
valerie , et une demi - compagnie
d'artillerie légère. Il participa à la
brillante affaire qui eut lieu le 1"
mai , près de Valenciennes ; et
chargé de s'emparer de deux vil-
lages, il s'acquitta, avec un succès
complet, de cette mission. Lors
de l'évacuation du camp de César,
par les Français, le chef de bri-
gade Montaigu occupait le village
d'Escodœuvre, qu'il avait fortifié
de manière à arrêter toutes les
forces de la coalition, et protégea
eflicacomeut la retraite de notre
armée, dont il sauva les voilures,
qu'il parvint à conduire à 'Cam-
i6
MON
son sein en i747' Pendant la guer-
re de sept ans, où il fut employé,
pour le compte de la France, dans
les armées suédoise et russe, il
eut de fréquenles occasions de
taire une heureuse application du
système perpendiculaire , nolam-
iTient aux travaux de siège d'Ha-
novre et de Brunswick. 11 fut de-
puis chargé de fortifier les îles
d'Oleron et d'Aix, et il construisit
dans cette dernière un fort en bois
qui passa pour un ouvrage remar-
quable. Les événemens de la ré-
volution ayant dérangé fortement
ses affaires, il fut contraint, en
1790, de vendre en assignats une
terre considérable qui composaità
peu près toute sa fortune. Il avait
déjà renoncé, en faveur de l'état,
le i4 juillet 1789, à la pension qui
lui avait été accordée pour la
perle d'un œil, en sorte qu'il se
trouva bientôt réduit à la situa-
tion la plus déplorable. Monta-
lembert se montra d'abord parti-
san du nouvel ordre de choses;
tnais lorsqu'il vit l'anarchie rem-
placer le pou voir absolu, il quitta la
France. Après uii court séjour en
Angleterre, il revint à Paris, où
il fut incarcéré pendant quelque
temps comme noble et comme
émigré. Il s'était séparé de sa
femme, et il épousa, par suite de
la loi sur le divorce, mademoiselle
Cadet, de la famille des célèbres
pharmaciens de ce nom. M. de
Montalembert mourut au mois de
mars 1802, avec le grade de gé-
néral de division : il était le doyen
de l'armée et de l'académie. Ses
nombreux ouvrages lui ont mé-
rité la répiilalion d'écrivain dis-
tingué, et de tacticien habile. En
1793, la convention agréa, avec
MON
mention honorable, l'hommage
qu'il lui fit de VÀrt défcnsif supé-
rieur à i' Art offensifs et lui fit ac-
corder des encouragemens par le
comité d'instruction publique. Il
avait fait hommage de ses ouvra-
ges au conseil des cinq-cents, au
mois de février 1 796 ; deux ans a-
près, il présenta à la tnême assem-
blée un projet tendant à réduire
des deux tiers le nombre des ca-
nonniers sur chaque vaisseau de
guerre. Ce vétéran de la littéra-
ture militaire a publié un grand
ouvrage sur la fortification perpen-
diculaire et sur l'art défensif,qm est
le fruit de 20 ans de travaux assi-
dus. Enfin, on lui doit encore trois
volumes de correspondances offi-
cielles; un grand nombre de mé-
moires sur divers sujets; des co-
médies de sociétés, des chansons,
des contes et autres poésies lé-
""ères.
MONTALEMBERT (M"" Co-
MARRIEU, MARQUISE DE) , épOUSC du
précédent, femme reconiinanda-
ble par son esprit et son amabi-
lité, partagea l'émigration de son
mari; mais ils se séparèrent, et
elle resta quelques années dans
uue situation voisine de la gêne.
Elle revint en France après l'éta-
blissement du gouvernement con-
sulaire, en 1799. Elle y a publié
un roman agréable, intitulé Elise
Dumesnil, Paris, 1800, 6 vol.
in- 12. Cet ouvrage eut un égal
succès en France et en Angle-
terre.
MONTALEMBERT (Gaspari-
ke-Rosalie de) , fille du marquis
et de sa seconde épouse. M"' Ca-
det. On se rappelle le procès que
cette demoiselle perdit, contre
M. le comte d'Artois, en 1817.
MON
11 s'agissaitd'une demande en res-
cision, pour cause de lésion d'ou-
tre-moitié, de la vente faite à ce
prince, en 1774» ^^^ forges de
Ruel, appartenant au marquis de
Montalembert , qui avait déjà
voulu revenir sur cette vente en
1784 : sa fille ne fut pas plus heu-
reuse en 1817.
MONTALEMBERT (le comte
Lons-FRANÇOIS-JOSEPH-BONAVEN-
TiiRE DE Tryon) , de la famille
du marquis de ce nom, est né le
18 octobre 1758, et fut tenu sur
les fonts de baplême par le prince
de Conti. Au sortir de l'école de
La Flèche, oii il avait été élevé,
il fut nommé sous-lieutenant au
régiment de la Marche cavalerie ;
bientôt élevé au grade de capitai-
ne, à la suite du régiment de
Conti, il échangea encore ce titre
contre celui de chef d'escadron au
régiment de chasseurs de Gévau-
dan , et ne le conserva que jus-
qu'en 178g. A cette époque, ayant
donné sa démission au camp de
Saint-Denis, il rentra clans la vie
privée, et reparut quand le calme
fut rétabli. Le département de la
Vienne le nomn^a, au mois de
juin 1809, 'ïïf^'ïibre du corps-
législatif. M. de Montalembert
remplaça M. de Fontanes dans la
présidence, le i5 février 1810. Il
devint ensuite chambellan de
l'empereur, et reçut la décoration
de la légion-d'hoiMteur. Après
la première restauration en 1814,
il fut nommé ofFicier du même
ordre , et devint membre de la
chambre des députés, dont il a
cessé depuis de faire partie.
MONTALIVET (le comte Jean-
Pierre Bachasson de ) , pair de
France, ancien ministre de l'in-
T. XJV.
MON 17
térieur, grand-officier de la lé-
gion-d'honneur, grand'croix de
l'ordre delà réunion, etc., na-
quit le 5 juillet 1766. Son père,
maréchal-de-camp , le destina à
la carrière de la magistrature, et
lui acheta une charge de conseiller
au parlement de Grenoble. M. de
Montalivet remplit pendant la ré-
volution les fonctions de maire de
la ville de Valence, et s'y fit hono-
rer et aimer par son administra-
lion sage, éclairée et paternelle :
c'est même de cette époque que
date l'origine de sa fortune sous le
consulat et sous l'empire. Il avait
pendant sa magistrature munici-
pale, accueilli avec une extrême
bienveillance un jeune officier
d'artillerie, dont le régiment é-
lait en garnison à Valence. Ce
jeune officier, devenu général ea
chef, et après la révolution du
18 brumaire an 8 (9 novembre
1799), premier consul, n'oublia
point les témoignages d'affection
qu'il avait reçus au commence-
ment de sa carrière militaire; il
voulut récompenser à la fois un
digne magistrat, et augmenter le
nombre des hommes démérite
dont il s'entourait : M. de Monta-
livet fut appelé à la préfecture
du département de la Manche,
et, en 1804 » à celle de Saône-
et-Loire. Dans Ja même année,
il devint conseiller-d'état et com-
mandant de la légion-d'honneur.
Le 3 mai i8o5, il fut créé com-
te de l'empire et nommé direc-
teur-général des ponts-et-chaus-
sés. Son mérite, pour briller, de-
vait être placé sur un plus grand
théâtre. Le 1" octob««t8io, M.
de Montalivet reçut I«3^rtefeuil-
le de l'intérieur, auparavant dans
i8 RI ON
les niJiins de M. Crétet. C'est
quelque temps après qu'il posa
la prernitie pierre du magnifique
bassin d'Anvers. M. de Montali-
vel embrassa bientôt d'un même
coup-d'œii les diftërentes parties
de son administration ; leur don-
na l'activité que réclamait alors
l'état brillant et prospère de la
France, et fit, avec un zèle infa-
tigable, tout ce qui pouvait con-
courir à l'utilité publique. Les
sciences, les lettres et les arts re-
çurentde puissans encouragemens
de sa sollicitude particulière, et
l'on se rappelle encore ses rap-
ports à la tribune du corps-lé-
gislatif sur la splendeur où "l'em-
pire était parvenu. Au commen-
cement de 18 15, il présenta à la
même tribune un nouveau tableau,
mais bien difl'érent desprécédens:
le territoire de l'empire était en-
vahi en partie. Ainsi que les autres
ministres, M. de Montalivet sui-
vit a Blois, au mois de mars 1814,
l'impératrice Marie- Louise , qui
s'y était retirée. Après la premiè-
re restauration, il revint à Paris,
et y resta sans fonctions. Pendant
les cent jours f eu i8i5, Napo-
léon nomma >l.dc Montalivet in-
tendant-général de la couronne
et membre de la chambre des
pairs, qu'il venait de former. Au
second retour du roi, il fut rendu
à la retraite. Rappelé à la cham-
bre des pairs par l'ordonnance
royale de 1819, il mourut en
iSaS, emportant les regrets de
tous ceux qui avaient été à mê-
me d'apprécier ses talens comme
administrateur, et ses qualités es-
timables "«pâme homme privé.
MOiNlJ^pCLOS (Marie-Émilie
Mayon, dame de), naquit i\ Aix,
fliON
département des Bouches -du -
Rhône, en 1766. Elle épousa en
premières noces François-René,
baron de Princen , et en secondes
Charlemagne Guvelier-Grandin
de Montanclos. Cette dame a cul-
tivé la littérature avec succès ,
comme auteur dramatique et com-
me poète. Le caractère de son ta-
lent est généralement la douceur
et la sensibilité. Ses vers sont faciles
et gracieux, mais un peu négligés ;
ils ornent la plupart des recueils
périodiques, entre autres VAlmu'
nach des Muses. Voici, d'après le
Dictionnaire historique, littéraire
et bibliograplùque des Françaises ,
par M°" Fortunée B. Briquet, la
liste de ses ouvrages : 1° Journal
des Dames, in-12. Cet ouvrage pé-
riodique, commencé par Campi-
gneulles en 175g, fut interrompu
en 1769, et repris en 1776 par
M""" de Montanclos, qui le céda
ensuite à M. Mercier. 2° Le Choix
des fées par l'amour et l' hymen,
à la naissaiice du dauphin, comé-
die en un acte, en prose, Paris,
in-8", 1781. Cette pièce, reçue
par les comédiens français, ne fut
pas représentée, par suite de cir-
constances particulières. 3" Le
Déjeuner interrompu, comédie en
2 actes et en prose, Paris, 1785.
4" Œuvres diverses, en vers et en
prose, 2 vol. in-12, Paris, 1791.
5" liobert le Bossu, opéra-cou)i-
que (joué en l'an 7 sur le théâtre
Wontansier), musique de Men-
gozzi. Cet ouvrage est agréable;
il respire la plus douce morale.
6" Les Habitans de Vaacluse, opé-
ra-comique joué au même théâtre,
dans la même année , et dont la
musique, également de Mengozïi ,
a été applaudie; mais cette pièce
MON
ne vaut pas la précédente, r' Le
Fauteuil, comédie. 8" Les trois
Sœurs dans leur viénage, ou la
Suite fie Robert le Bossu, vaude-
ville joué en l'an 8 au théâtre
Montansier. 9' La bonne Maîtres-
se, comédie en un acte et en
prose, représentée en l'an 11,
Paris, in-8°. io°Enfln, un grand
nombre de Poésies fugitives^ in-
sérées dans plusieurs recueils.
MONT AN É (Jean) , avocat à
Paris, adopta avec chaleur la
cause de la révolution, et prési-
dait, en 1795, le tribunal ré-
volutionnaire de Paris. Accusé
p.ir Fouquier - Tinville du délit
d'interpolation dans la minute de
phisieiirs ju^emens, et entre au-
tres dans celui de Charlotte Cur-
day, il l'ut traduit, le 5o juillet,
par-devant le même tribunal, qu'il
présidait peu de temps aupara-
vant. Il aurait vraisemblablement
succombé; mais sa cause n'ayant
été appelée qu'un an après la jour-
née du g thermidor an 2", il fut
sauvé par la chute de son dénon-
ciateur. Il rentra depuis ce mo-
ment dans l'obscurité.
MONTANI, de Crémone, poète
aimable et gracieux; on doit à sa
nmse anacréontique un bouquet
de vingt-quatre fleurs, décrites
dans autant de petits poèmes ou
chansons, sous le titre de Fiori,
tanzonette ^ Lodi , 1817. Ce petit
recueil, dédié à M"" Albrizzi ,
est enrichi de notes, dont la par-
tie botanique est du savant Se-
bastiano Stella. 11 a encore donné
un recueil de six autres chansons
.«ur la Vénus italique de Canova,
intitulée la Venere italica, can-
ionette, Lodi, 1817, et plusieurs
autres poésies légères.
MON 19
MONTANIER DE BELMONT
(JEAN-ÉLÉOî<ORE),évêquedeSainl-
Flour, naquit à Seyssel, départe-
ment de l'Ain , au mois de mars
1750. Il embrassa l'état ecclésias-
tique, et devint grand-vicaire de
l'évêché de Nîmes. Il traversa
sans en être atteint les orages de
la révolution; fut nommé, en
1802 , par le premier consul Bo-
naparte, à l'évêché de Saint-Flour,
et décoré, quelque temps après, de
la croix de la légion-d'h«mneur.
M. de Belmont possédait toutes
les qualités du véritable ministre
de lévangile. Il mourut généra-
lement regretté, en 1809.
MONTANSIER - NEUVILLE
(M"*), ancienne directrice de
-•spectacles. Après avoir administré
pendant quelque temps le théâtre
de Versailles, elle prit la direction
de la petite salle depuis dite Mon-
tansier^ au Palais-Royal, Dénon-
cée à la commune, en 1793, pour
avoir colporté des emblèmes pros-
crits, elle fut incarcérée; mais
elle échappa aux suites de cette
accusation. Son théâtre, fermé
provisoirement , prit quelque
temps après le titre de Théâtre de
laMontagne. M"' Montansier avait
fait construire à ses frais , dans la
rue de Richelieu, la belle salle
qu'occupait l'académie royale de
musique, et que l'on démolit en
ce moment par suite de l'assassi-
nat de M. le duc de Berri ( Voyez
Charles-Febdinand ). Dans l'ori-
gine, le gouvernement s'était em-
paré, pour y établir l'Opéra, de
la propriété de M"' Montansier,
à laquelle il alloua une indemnité
de 3oo,ooo francs, quoique les
prétentions de la propriétaire
lussent bien plus élevées. Après^
20 MON
avoir adressé de vaincs réclama-
lions aux tribunaux et au con-
seil-d'état, M"' Montansier eut,
en i8i4> recours à la chambre
des députés, qui rejeta sa deman-
dé. La salle de spectacle du Ha-
vre a été également construite à
ses frais.
MONTA RAND (Jean-Baptiste-
AtGVSTE CouET de), né au Cap-
Français en 1^56, d'une famille
orléunaise. Il fut destiné à la ma-
gistrature , et obtint, à l'âge de
a4 «lis, le titre de conseiller-as-
sesseur près le conseil supérieur
de sa ville natale. Après l'incen-
die du Cap, arrivé en 1793, il
se réfugia aux Etats-Unis, d'où
il passa, en 1802, au Port-au-
Prince , pour y remplir les fonc-
tions de président du tribunal de
première instance. L'année ;sui-
vante, la colonie étant tonjbée au
pouvoir des Anglais, il fut con-
duit comme prisonnier à la Ja-
maïque. Après la cession de San-
to- Domingo à la France, M. de
Montarand, qui venait de recou-
vrer sa liberté, se rendit auprès
du "énéral Ferrand, comman<lant
des troupes (lancaises dans cette
colonie, et fut nommé successi-
vement conseiller de la cour d'ap-
pel de Santo-Domingo, puis pro-
cureur-général; mais, aux pre-
mières nouvelles de la déclaration
de guerre faite à l'Espagne, par
l'empereur Napoléon, les habi-
Uujs espagnols de Saint-Domin-
gue s'insurgèrent contre les Fran-
çais, et les enfermèrent dans la
capitale, où ils finirent par les
assiéger. Les Français et la garni-
son , déterminés à se défendre
jusqu'à la dernière extrémité, ri-
valisèrent de zèle et d'efforts, et
MON
supportèrent avec constance pen-
dant huit mois toutes les priva-
tions et tous les dangers de ce
siège. De retour en France sur pa-
role, par suite de la capitulation
qui livra la place à l'armée anglo-
espagnole, il devint conseillera
la cour impériale d'Orléans, et
reçut la croix de la légion-d'hon-
neur en 1814. En mars i8i5, il
s'enrôla comme volontaire dans
les gardes de la porte. Le roi le
nomma conseillera la cour royale
de Paris, au mois de juillet de la
même année, et procureur- gé-
néral près de la cour d'Orléans, le
5i janvier suivant, fonctions qu'il
exerce encoreaujourd'hui (1824).
MONTAllDIER (N. ). Après
avoir rempli plusieurs fonctions
publiques à Versailles , il fut élu,
par le département de Seine-el-
Oise, député au conseil des cinq-
cents, où il entra en 1799. Mou-
tardier passa ensuite au corps-
législatif, fit peu parler de lui dans
ces deux assemblées, et mourut
en i8o3.
MONÏALT-DESILLES (Pier-
re), ancien receveur des finance»
de l'élection de Condom, dépar-
tement du Gers, est né le 9 mai
ijSj, d'une fomille estimée dans
la robe. Il adopta avec sagesse les
nouveaux principes, et fut nom-
mé par le département de la Vien-
ne, député à l'assemblée législa-
tive, en 1791. Il retourna dans
ses foyers à la fin de la session ,
et reparut en 1797 au conseil des
anciens. M. Montaut-Desilles fut
du nombre des membres qui en-
trèrent au nouveau corps-législa-
tif. Nommé quelque temps après
préfet de Maine-et-Loire, il per-
dit cette préfecture en i8o.i, et
MON
rentra au corps-législalif , dont il
sortit de nouveau en 1808. Il a
cessé depuis cette époque de rem-
plir des fonctions publiques.
MONïALT-i>lARlBON(Loi'is),
conventionnel, servait en 17S9
dans les mousquetaires de la mai-
son du roi. Quoique toute sa fa-
mille se fût prononcée dès cette
époque pour la cause royale, il
se jeta avec exagération dans le
parti contraire, devint successi-
vement administrateur du district
de Condoin, lieutenant- colonel
de la garde nationale, et membre
de l'assemblée législative, où le
nomma le département du Gers.
Il fut réélu par le même dépar-
tement à la convention nationale ;
il vola avec la majorité dans le
procès du roi. Membre du comité
de sûreté générale, il se joignit à
Marat pour accuser le général Du-
mouriez. Le 5 avril 1 795, il fit ren-
dre un décret d'arrestation contre
le duc de Montpensier, qui servait
alors sous les drapeaux de la répu-
blique , et concourut avec la Mon-
tagne à la proscription des Giron-
dins. Le ig novembre 1794? ''
fit décréter la confiscation des
biens des accusés qui se donne-
raient la mort en prison ; deinan-
da l'exclusion de Fourcroy, qu'il
dénonça pour son peu d'assiduité
aux séances. N'ayant point été at-
teint par la révolution du 9 ther-
midor an 2 , il fut un des fauteurs
du mouvement du 12. germinal
an 3(1'' avril (fe)5), et eut l'a-
dresse de ne pas se compromet-
tre ; mais le 18 avril il fut décré-
té d'accusation. Il se défendit '.-
vec beaucoup d'adresse, et toute-
fois ne put détruire entièrement
les griefs dont il était l'objet : il
MON 21
fut amnistié en 1 796. Atteint com-
me votant par la loi du 12 janvier
1816, Mnntaut-Maribon quittais
France, et passa en Suisse.
MOiNÏBARREY (Alexandre-
MiBIE-LÉONOR DE SaINT-W A.UR1CE,
PRINCE de), ancien ministre de la
guerre, naquit à Besançon, dé^-
partement du Doubs, le 20 avril
1732, d'une famille ancienne.
Destiné au service militaire par
son père, lieutenant- général, il
obtint, dès l'^lge de douze ans,
une compagnie dans le régiment
de Lorraine, avec lequel il fit
plusieurs campagnes, et fut blessé
devant Fribourg et à la bataille
de Laufelt. Colonel par brevet en
1749, il ne commanda le régi-
ment de la Couronne que huit ans
après. Le jeune de Montbarrey,
blessé à la bataille de Crevelt, et
fait brigadier par suite , continua
à se distinguer dans plusieurs au-
tres affaires, et enleva au prince
de Brunswick, en 1762, six pièces
de canon, que le roi lui donna.
Après la paix de 1763, il se ren-
dit à Paris, où il devint capitaine
des cent- suisses, à la formation
de la maison de Monsieur (au-
jourd'hui Louis XVIII). M. de
Montbarrey se fit connaître com-
me administrateur, par des M^-
moire5m//<7fl/7-P5 auxquels il dut, en
1776, d'être adjoint à M. de Saint-
Germain, ministre de la guerre,
qu'il remplaça en 1777 : ce fut
pendant son administration qu'eut
lieu la guerre d'Amérique. M. de
Ségurlui succéda en 1780; mais
la bienveillance de Louis XVI, à
laquelle il devait sa fortune, ne
cessa point de lui être acquise, et
il resta attaché à la personne de
ce prince. Il courut des dangers
Îi2
^ MON
lors des événemens du i/j juillet
1789 : le peuple, qui le prenait
pour M. de Launay, gouverneur
de la Bastille, le conduisait à la
place de Grève, lorsque M. de La
Salle, commandant de la garde
nationale, l'aperçut et le sauva.
Bientôt M. de Montbarrey quitta
Paris, puis la France, par suite de
la rapidité des événemens, pour
se réfugier en Suisse. Il mourut
à Constance, le 5 mai i7()6. On
prétend qu'il avait rédigé des Mé-
moires sur sa vie et sur les évé-
nemens auxquels il avait pris part :
ils n'ont pas été retrouvés dans ses
papiers.
MONTBARREY (le prince de
Saint-Maubice de), fils du pré-
cédent, naquit à Besançon, et é-
tait, à l'époque de la révolution,
colonel du réghnenlde Monsieur.
Il se prononça, dès 1788, avec un
grand nombre de gentilshommes
de la Franche-Comté, pour la
suppression des privilèges de la
noblesse. Cette conduite ne fut
pas oubliée, lorsque par suite des
événemens il quitta sa patrie pour
se rendre à Coblenlz , et y olTrir
ses services aux princes, qui s'y
étaient réfugiés. Mal accueilli par
plusieurs émigrés, il prit la réso-
lution de rentrer en France, et
se cacha à Paris, où, en i^p'i, il
fut arrêté comme complice d'une
prétendue conspiration contre
Robespierre. Traduit au tribunal
révolutionnaire, il périt avec la
famille Sainte-Amaranlhe, le jeu-
ne de Sartine, etc. La veuve de
cet infortuné, qui partagea sa dé-
tention, a épousé le prince de la
Trémouille. Sa sœur avait été
précédemment mariée au prince
de Nassau-Sarrebruck.
MON
MONTBOISSIER(lecomtede),
naquit en Auvergne, d'une an-
cienne famille de cette province,
et était, en 17H7, chevalier des
ordres du roi et lieutenant-géné-
ral des armées françaises. Nommé
député de son ordre A la première
asscînblée des notables, il se trou-
va doyen d'âge, et fut en cette
qualité honoré de la présidence.
Il fit ensuite partie des états-gé-
néraux en 1789, et donna, en
1791, sa démission pour passer à
l'étranger. Il commandait, à l'ar-
mée du prince de Condé, les
mousquetaires de la maison du
roi, et mourut hors de France
quelques années après.
MONTBOISSIER (N.), frère
du précédent, ancien comman-
dant du régiment de Royal-Vais-
seau, était maréchal-de-camp en
1789. La noblesse de Chartres le
nomma député aux états-géné-
raux. Il suivit l'exemple du com-
te de Montboissier, en se démet-
tant de ses fonctions législatives,
et en passant à l'étranger. M. Ta-
lon le remplaça à l'assemblée
constituante.
MONTBRON (Joseph Cherade
DE, comte), membre de lachamhrc
des députés, se montra constam-
ment opposéàlarévolution.Il ser-
vit dans divers corps d'émigrés, et
fut, en 1795, du très-petit nom-
bre de ceux qui survécurent au
désastre de Quiberon. La littéra-
ture a fourni quelquefois à M. de
Moutbron des (IPassemens agréa-
bles. Il a publié : i" les Scandi-
naves, poëme, suivi d'observations
sur tes mœurs et la religion des
anciens peuples de l'Europe bar-
bare, 1801, 2 vol. in-S"; 2° quel-
ques Nouvelles, insérées dans la
ir /^W/^c ^^^///^V/
'ru//?^A
&r(\
w pitlJC ,
Y
FtY-Z/II/ </f . ce ,f(7lÂ> ,
MON
Bibliothèque des Romans ; 5* Récit
fie l'évasion d'un officier prisàQui-
heron, i8i5. Par suite du nouveau
système électoral, le département
de la Haute -Vienne a élu IVl. de
Montbron à la chambre des dépu-
tés, où il a siégé jusqu'à l'époque
de son entière dissolution, en
1824. Il a très-rarement occupé
la tribune.
MONTBRUN (le comte i>e), gé-
néral de division, commandant de
la légion-d'honneur. Ses premiers
pas dans la carrière des armes fu-
rent marqués par des succès qui le
placèrent bientôt au rang des
meilleurs officiers de cavalerie de
l'armée française. Il obtint par son
niéritelecommandementdu i" ré-
giment des chasseurs à cheval, qui
fit des prodiges de valeur à la
bataille d'Austerlitz; et oi'i le co-
lonel Montbrun fut promu au gra-
de de général de brigade. Il fit les
campagnes de 1806, 1807 et 1809,
à la tête d'une brigade de cavale-
rie, remporta plusieurs avantages
aux journées d'Iéna, d'Eylau, de
Friedland et de Raab. La pacifi-
cation de l'Allemagne l'ayant ra-
mené en Fratice, il fut nommé gé-
néral de di vision et envoyé au corps
d'armée du maréchal Masséna. Il
»e distingua à l'affaire d'Alméi-
da le 5 juin 1 8 1 1 ; et battit à Ciu-
dad-Rodrigo , T arrière-garde de
l'armée anglaise, qu'il conduisit
l'épée dans les reins jusqu'à Fuen-
te-Guinaldo. Rappelé d'Espagne
en 1812, pour faire partie de la
grande-armée, il cueillit en Rus-
sie de nouveaux lauriers, et trou-
va dans les plaines de Moj^ikz la
mort des braves : un boulet de
canon vint le frapper, tandis qu'à
la tête d'une division de cavalerie,
MON
2J
il donnait des marques de la plus
brillante valeur.
MONTBRLN (le baroh de),
frère du précédent, suivit la mê-
me carrière et devint colonel du
;;* régiment de chasseurs à cheval.
Nommé général de brigade en oc-
tobre 1812, il remporta, l'année
suivante, quelques avantages sur
les Russes, qui s'étaient avancés
jusque dans la 52"" division mili-
taire , et reprit la ville de Luné-
bourg après avoir défait un de
leurs corps, f^ campagne de Fran-
ce en »8i4 hd fut moins favora-
ble : chargé de garder la forêt de
Fontainebleau avec 1800 hommes,
il crut devoir se replier à l'appro-
che d'un ennemi supérieur en
nombre. La disgrâce qui fut la
suite de ce mouvement ne dura
pas long-temps, le roi l'ayant pres-
qu'aussilôt réintégré sur le tableau
de l'armée. Le baron de Montbrun
fut un des juges du général Boyer
de Peyreleau , condamné à mort
en 1816.
MONTBRUN (IlrccEs), était
lieutenant-général des armées du
roi et gouverneur de la partie
ouest de Saint-Domingue , lors-
que le commissaire du directoire-
exécutif le fit arrêter en 1796 et
conduire en France, pour y être
jugé comme prévenu de haute
trahison. Lepouvoir exécutif resta
chargé de cette affaire, et le conseil
des cinq-cents nomma dans son
sein une commission qui devait
en hâter la conclusion. Ce ne fut
cependant qu'au mois de mai 1798
que le prévenu comparut devant
le conseil de guerre spécial, con-
voqué à Nantes. Il fat acquitte ,
mais rayé de? contrôles de l'ar-
mée.
*4
MON
M0?ÎTCAL>1 - GOZON ( le
MARQUIS de), fils du marquis de
Montcalm , mort en 1 769 sous les
murs de Québec, entra de bonne
heure dans la marine, où il mérita
la croix de Saint- Louis, et fut
nommé par la noblesse de Ville-
franche député aux états -géné-
raux , en 1 789. Il s'occupa de ma-
tières financières, et concourut à
la publication du fameux livre
rouge , en qualité de membre du
comité des pensions, dont il fut
souvent rapporteur. Sa carrière
politique cessa avec la session de
l'assemblée constituante.
MONTCALM - GOZON ( le
coiviTE de) , frère cadet du précé-
dent, était maréchal-de-camp à
l'époque de la révolution. Élu par
la noblesse de Carcassonnc député
aux états-généraux, il ne partagea
pas les opinions de son frère, et
signa les protestations des 12 et
i5 septembre 1791, contre les
opérations de l'assemblée. Il dis-
parut de la scène politique après
la session.
MONTCALM - GOZON ( le
MARQUIS de), fils du comtc de
Montcalm {poy. Fart, précédent),
membre de la chambre des dé-
putés, resta étranger aux événe-
mens politiques jusqu'au débar-
quement de Napoléon en 181 5,
et devint alors l'un des principaux
organisateurs de l'insurrection
royaliste dans le Midi. Il fit, com-
me officier de cavalerie , la cam-
pagne de M. le duc d'Angoulème,
et contribua à la prise de Monteli-
mart; mais il échoua devant Mon-
tauban, dont il chercha vainement
àsoulever la population. Les évé-
nemens qui suivirent tinrent M.
de MoDlcalm éloigné du théîître
MON
de la guerre. Au second retour
du roi, il se rendit dans le dépar-
tement de l'Hérault, et y prit le
commandement d'un corps de
volontaires royaux, avec lequel il
renversa le drapeau tricolore qui
flottait encore à Montpellier. Com-
pris dans la nouvelle organisation
de l'armée, il reçut le grade de
colonel et le commandement de
la légion de l'Hérault. Les élec-
teurs de ce département le nom-
mèrent membre de la chambre
des députés (celle dite des introu-
vables), qui fut dissoute par l'or-
donnance du 5 septembre. Réélu
à la nouvelle chambre, il a com-
battu constamment toutes les ins-
tutions libérales. Le 5o décembre
18 16, il parla contre la loi des élec-
tions, qui, selon lui, appelait un
trop grand nombre de Français à
jouir, dans les collèges électoraux,
de leurs droits constitutionnels;
prétendit à cette occasion que le
talent de Démosthènes et de Ci-
céroii avait été nuisible à leur pa-
trie : assertion assez singulière,
devant des hommes qui ne doi-
vent généralement leur fortune
ou leur illustration qu'à leurs ta-
lens oratoires, et à leur attache-
ment à leur pays. Il prit aussi part
aux lois sur les cris réputés sédi-
tieux , et sur l'organisation des
cours prévôtales, et nia que cette
dernière fût entachée d'un prin-
cipe de rétroactivité. L'année sui-
vante, on l'entendit, à l'occasion
de la loi des finances, regretter
«ces lois justes qui exemptaient
»de l'impôt certaines classes et
«certains fiefs. » Il prit plusieiir?
fois la parole dans les sessions sui-
vantes pour appuyer les proposi-
tions ministérielles, et proposa
MON
divers ainendeinens qui tendaient
presque tous à accorder plus que
le gouvernement ne deniaudiu't.
Les discussions relatives à la loi
du double vote, et les troubles
qui en furent les résultats, déter-
minèrent différentes fois M. de
Montcalm à monter à la tribune.
Dans la séance du 16 mai i8ao,
il s'attacha particulièrement à fai-
re ressortir les avantages du nou-
Teau système sur celui que l'on
voulait remplacer ; avantage d'au-
tant plus grand, selon cet hono-
rable député , que les petits élec-
teurs auront bien moins de peine,
n'ayant plus à s'occuper de rien.
Le 10 juin, il interpella plusieurs
fois M. Laffitte, qui rendait comp-
te à l'assemblée des charges de
cavalerie qui avaient lieu, sur les
boulevarts, contre des personnes
qui criaient Five la Charte! justifia
ceraouvementmiiitaire, et signala
à la chambre, étonnée , le cri de
FivelaCliarte! parti des groupes,
comme séditieux. M. de Mont-
calm n'a été étranger à aucun des
nombreux projets de loi qui ont
marqué les différentes sessions ,
jusqu'à sa sortie de la chambre
en 1822 , par suite du renouvel-
lement de la 1" série.
MONTCHENU (le comte CLAr-
de-Marie-Henri de), maréchal-de-
camp, né en 1757, entra an ser-
vice, quitta le territoire français
au commencement de la révolu-
lion , et fit les campagnes de l'ar-
mée des princes. Il resta ignoré
jusqu'à la première restauration
en 181 ', époque où il fut fait ma-
réchal-de-camp. Désigné , le 20
octobre 18 15, pour être l'une des
personnes envoyées , conjointe-
ment avec les commissaires de la
MON
25
sainte- alliance , à l'île Sainte-
Hélène, il partit pour sa destina-
tion le 1 1 mai de l'année suivante.
Moins puissant et plus heureux
que sir Hudson Lowe, il a rem-
pli cette misMon de manière à ne
mériter ni blâme ni élojes. Quand
Napoléon mourut, il était le seul
représentant d'une puissance eu-
ropéenne qui résidât en cette île,
où de fait il avait l'honneur de re-
présenter à lui seul toute la sain-
te-alliance, ses collègues lui ayant
successivement rerais leurs pou-
voirs en partant pour l'Europe.
MONTCHOISY (Lons-AMOi-
NE, BARo>" de), général de division,
commandant de la légion -d'hon-
neur, était major de chasseurs a-
vant la révolution, dont il adopta
les principes. Il fit avec distinc-
tion, sous les ordres de Dumou-
riez, la campagne de 1792 à 1793,
pendant laquelle il obtint le com-
mandement d'une brigade. Quoi-
que étranger à la défection de son
général, il fut disgracié jusqu'a-
près la chute de Robespierre. M.
de Montchoisy devint alors com-
mandant de la ville de Lyon.
Frappé d'une seconde disgrâce,
au uiois de septembre 1797, il é-
tait encore sans emploi lors de la
révolution du j8 brumaire an 8.
Nommé commandant des troupes
que la république entretenait en
Suisse, il fut rappelé en 1801,
pour avoir coopéré dans ce pays
à la révolution Reding. Privé mo-
mentanément de son grade, il ac-
cepta de l'emploi comme inspec-
teur aux revues, et obtint, en :8o3,
sa réintégration, avec le comman-
dement de la 18* division militai-
re, qu'il quitta en juin i8o5 pour
celui de la ville de Gènes. Les é-
un
MON
vénemens de 18 14» en ibrpanl les
troupes l'rançaises à évacuer cette
place, ont ramené M. de Mout-
cboisy dans sa patrie.
MÔiNTÈGRE ( Antoine-Fraîî-
çois-Jemn de), médecin, l'un d»;s
fondateursde la société pour l'en-
seignement élémentaire, naquit à
Belley, département de l'Ain, le
6 mai 1779. Jeune encore lorsque
la révolution éclata, il embrassa,
au sortir du collège, la profession
des armes, et après quelques an-
nées de service, il vint à Paris, où
il étudia la médecine. Reçu doc-
teur, mais sans clientelle à cause
de sa jeunesse et de son peu d'ex-
périence dans la science médica-
le , il accepta une place d'ingé-
nieur du cadastre. De retour à
Paris, quelque temps après, il se
maria et s'occupa exclusivement
de la médecine. Bon praticien , il
fut bientôt connu. La Gazette de
Santé, dont il devint rédacteur,
en 18 in, reçut sous sa direction
un éclat qu'elle n'avait point en-
core obtenu. Montègre a lu :\ l'a-
cadémie des sciences des Mémoi-
res qui ont fixé son attention. Les
plus remarquables sont : sur la di-
gestion , sur le vomissemeiit , sur
les habitudes des lombrics ou vers
de terre, sur Vart du ventriloque,
enfin , contre le magnétisme ani-
mal. Il a fourni au Dictionnaire
des Sciences médicales, des articles
remarquables, entre autres un sur
les hémorroïdes. Cet article, de-
venu depuis un ouvrage impor-
tant, a été publié par la veuve de
Montègre en 1819, Paris, in-8° ,
sous ce titre : Des Hémorroïdes, ou
Traité analytique de toutes les af-
fections hémorroidales. Outre ces
travaux il a publié : 1" Du Magnc-
MON
tisme animal et de ses partisans,
ou Recueil de pièces importantes
sur cet objet, précédé des Obser-
vations récemment publiées, 1812,
in-S"; 2" Expériences sur la di-
gestion dans l' homme, présentées à
la première classe de l'Institut de
France, le 8 septembre 1812, Pa-
ris, 1814 j in-é"; "b" Examen ra-
pide du gouvernement des Bour-
bons en France, depuis le mois d^n-
vril 1814 jusqu'au mois de mars
181 5, Paris, i8i5, in-8^ Montè-
gre fut, en 18 14? l'un des fondateurs
de la société pour l'enseignement
élémentaire. Cet estimable savant
conçut dans le sein même de la
société qui le regardait comme nu
de ses membres les plus distin-
gués, le désir généreux de porter
chez les Haïtiens l'utile institution
dont la France populaire com-
mençait à sentir les bienfaits; il
proposait aussi d'étudier sur les
lieux mêmes les véritables carac-
tères de la fièvre jaune, et par de
nombreuses expériences , d'en
combattre les ravages. Il partit
pour cette destination dans l'été
de 1818. Arrivé au port de Jac-
quemel au mois d'août , il y trou-
va le président de la république
d'Haïti, qui l'accueillit de la ma-
nière la plus distinguée. Fortement
encouragé dans son entreprise ,
Montègre se rendit au Port-au-
Prince , où le président devait
bientôt le rejoindre, lorsque tra-
versant une rivière, une femme
entraînée par le courant allait pé-
rir. Le médecin français ne con-
sultant que son humanité, se jette
à l'eau quoiqu'il fût trempé do
sueur, et sauve la victime; mais
cet événement développe en lui la
fièvre meurtrière, et en moins de
MON
4juatre jours, le 4 septembre i8i8,
il avait cessé d'exister. Le prési-
dent de la république de Haïti fit
élever un monument sur sa tombe.
31. Colombel a publié, dans VJ-
beUle d'Haïti, en 1818, l'Éloge de
Monlégre. A Paris, M.M. Jomard,
Virey, de Jussieu et plusieurs au-
tres de ses amis, ont honoré sa
mémoire des plus justes regrets.
MONTEGLT ( jEAN-FBA^içois
de), naquit à Toulouse en 1 700, de
Bernard de Montegut, président
des trésoreries de France, et de
Jeanne de Sègla, femme illustre
par ses talens aimables, et qui oc-
cupe un rang distingué sur le Par-
nasse des dames françaises; ce fut
elle qui soigna l'éducation de son
fils. Envoyé jeune à Pari? , en
1^47» Montegut se lia avec tons
les hommes célèbres de cette é-
poque, et Voltaire fut du nombre.
Ce grand homme aimait Monte-
gut; il lui fit don de ses œuvres,
les accompagnant d'une de ces
lettres flatteuses par lesquelles il
savait si bien encourager les jeunes
littérateurs qui annonçaient d'heu-
reuses dispositions. Caylus ins-
pira également à Monlegut son a-
mour pour l'archéologie. Rappelé
à Toulouse, il entra au parlement
de cette ville , en qualité de con-
seiller, ayant à peine vingt ans.
L'académie des Jeux-Floraux, cel-
le des sciences, inscriptions et bel-
les-lettres de Toulouse, lui ouvri-
rent leurs portes, et ce ne fut ni à
son nom ni à sa robe qu'il du* ces
honneurs. On n'eut égard qu'à ses
travaux et à ses titres littéraires;
on a depuis changé de coutume.
Montcgut lutta avec fermeté dans
l'intérêt du peuple contre les cour-
tisans de la cour de Louis XV. On
510N «7
conserve encore dans sa ville na-
tale le souvenir des pbilipjiiques
éloquentes qu'il prononça à diver-
ses époques contre d'ineptes et
coupables mini-tres. La révolution
ne l'épargna pas cependant : vai-
nement avait-il toujours cherché
à soutenir les intérêts de la nation,
il dut fuir pour sauver sa tête, et
passa en Espagne, où il essaya de
se distraire en se livrant plus que
jamais à ses paisibles occupations.
Il classa les médailles de la société
des arts de Biscaye, et entretint
une active correspondance avec les
savans de la péninsule. Il eût pu
trouver parmi eux le repos; mais
il était exilé. Louis XVI ayant a-
dopté la constitution (en 1791) y
cet heureux événement fut signa-
lé par une amnistie. Monlegut en
profita et rentra en France. Mais
en 1793, il fut arrêté, conduit à
Paris, avec son fils, magistral
comme lui au même parlement, et
au mois d'avril 1794- condamné i\
mort par le tribunal révolution-
naire de cette ville. Sa profonde
érudition se fait remarquer dan«
ses ouvrages, dont voici la liste:
1' Œiitres de M"* de Montcgut^
2 vol. in- «2. Dans le second tome
il a placé la traduction qu'il fit
d'une partie des Odes d'Horace et
des Idylles de Théocrite. 2° Re-
cherches sur les antiquités de Tou-
louse, in-4°; 3° Essai historique
sar la famille de l'empereur Valé^
rius ; 4' Conjectures sur quelques
fragmens d'inscriptions romaines
découvertes à Toulouse vers la fin
de l'année 1 782 ; 5" Mémoires sur
un tombeau qui était dans l'ancien-
ne église de la Daurade et sur une
épitaphe gravée sur un marbre at-
taché au mur de cette église; G*
ti8
MON
Observalions sarcles vases antiques
trouvés à Laabiac au mois de mai
1785; 7" Antiquités décomiertes à
Toulouse pendant le cours des an-
nées 1785, 1784, 178;"); 8" Obser-
vations sur une médaille grecque,
de Caius Vihius Sabinianus Gai-
las; 9" Histoire des Césars^ desti-
née à mettre principalement en or-
dre les médailles imprimées en Es-
pagne; 10° Antiquités de la ville.
d'Aucfi; 11° Observations sur des
ruines de bains antiques près
d^Auchet deRoquclaure; ii'Con-
jectures sur une monnaie Bructeale
découverte à Toulouse; 1 "5' Antiqui-
tés découvertes à Toulouse pendant
les années 1786, 1787, 1788, 1789
et 1 790 ; 1 4° Essai sur les médail-
les espagnoles chargées de caractè-
res inconnus; i5° Mémoire sur un
tombeau trouvé près de Castelnau-
dary ; i6' Explication d'un bas-
relief en verre antique; 17" Mé-
moires sur la colonne dite de Pom-
pée ; 18° Mémoires critiques sur
l'église de la Daurade; it)° Répon-
se au Mémoire de l'abbé Magy^ sur
l'éslise de la Daurade. Ces hnil
derniers ouvra^çes sont inaniiscrits
dans les archives de l'académie
des sciences de Toulouse. Enfin,
Monteguta encore donné plusieurs
/i7o5'^*etPo(;me5imprimésdansles
recueils des Jeux-Floraux, et une
traduction des Psaumes de David.
MONTEGUT(N.), inembre de
la convention nationale, fut nom-
mé à cette assemblée au mois de
septembre 1 792 , par le départe-
ment des Pyrénées -Orientales.
Dans le procès du roi , il vota a-
vec la majorité. Il passa ensuite
au conseil des cinq-cents, où il ne
prit la parole que pour faire re-
jeter la nomination de Job Aymé,
MON
qu'il accusa du meurtre des pa-
triotes dans le Midi. Rendu à la
vie privée, le 20 mai 1797, il a
été atteint par la loi du 12 janvier
1816, rendue contre les conven-
tionnels dits votans. Il s'est retiré
en Suisse.
MON TESQCIOU-FEZENZAC
(le comte Philippe-André de), est
né, en 1753, au chSleau de Mar-
san, près Auch, d'une famille
dont l'origine remonterait, sui-
vant les généalogistes, au berceau
de la monarchie. Destiné à l'état
militaire , il entra de bonne heu-
re dans le régimen t de Royal- Vais-
seau , obtint bientôt le grade de
capitaine de dragons, qu'il rem-
plitdans le régiment de Lorraine,
et fut nommé, en 1785, colonel
du régiment de Lyonnais. Sévère,
mais juste, il sut se faire aimer
et respecter du soldat. Au com-
mencement de la révolution, lors-
que la plupart des chefs quittaient
leurs drapeaux, il resta à la tête
de son régiment, et y maintint
la discipline. Il devint, en 1792,
maréchal-de-camp. Une foule tie
Marseillais à cette époque se dis-
posait , assure-t-on , à renouve-
ler les scènes affreuses de la Gla-
cière. Le roi , qui connaissait la
fermeté du comte de Montesquioii-
Fezenzac, l'envoya contre eux,
et ils furent forcés de se retirer.
La même année, il reçut l'ordre
départir pour Saint-Domingue,
afin d'y commander la partie du
Sud; il remplit sa mission, et
garantit la partie de l'île oC\ il se
trouvait, des excès qui désolaient
les autres parties, où tes commis-
saires Polverel et Sothonax vou-
laient faire exécuter les décrets
de l'assemblée constituante. Gel
'*
-%■..
cy^ ûrmS' ae t 7&/fM^mû/i^
'RoinatpieJi -
Premti dfl .efScii/r
MON
état de choses ne dura que jus-
qu'à la nouvelle de la mort de
Louis XVI. M. de iMontesquiou-
Fezenzac quitta alois son com-
mandement, alléguant qu'il ne
lui était plus permis de continuer
de servir. Les commissaires le
firent arrêter et détenir sur un
vaisseau, décidés à l'enyoyer à la
convention dès que la mer serait
libre. Elle ne le fut de long-temps;
et l'on lit à plusieurs reprises des
offres au prisonnier de le remet-
tre à terre s'il voulait commander
de nouveau : il se refusa à toutes
les propositions , et passa une an-
née en prison; la liberté ne lui fut
rendue qu'après le 9 thermidor an
2. Il partit alors pour les Etats-
Unis d'Amérique , et y vécut jus-
qu'à l'époque du consulat. De re-
tour en France , il se retira dans
ses propriétés, où il resta jusqu'au
retour du roi, en i8i4' Nommé
lieutenant - général et comman-
dant du département du Gers, il
s'abstint de remplir aucune fonc-
tion, après le retour de Napoléon,
en 181 5, et présida, en septembre
suivant, le collège électoral du dé-
partement où il commandaitdepuis
i8i4- Le comte de Montesquiou-
Fezenzac a cessé d'être porté sur
les cadres de l'armée.
MONTESQUIOL-FEZENZAC
{ l'abbé Frasçois- Xavier- Marie-
Antoine DE ) , ancien ministre du
roi, duc et pair de France, né en
1^57. au château de Marsan, est
le frère du précédent. Il embras-
sa de bonne heure l'état ecclésias-
tique, y acquit beaucoup de con-
sidération, et devint agent géné-
ral du clergé. Ces fonctions, qu'il
remplitdepuis 1785 jusqu'à l'épo-
que de la révolution, firent renmr-
MON
«9
quer en lui des talens distingués.
Nommé, en 1789, député aux é-
tats-généraux par le clergé de Pa-
ris , malgré son dévouement aux
deux premiers ordres , ce fut a-
vec une grande modération qu'il
en défendit les privilèges; comme
il ne voulait employer que des
moyens de persuasion en se ren-
fermant dans les bornes d'uns
discussion modérée, il resta , en
quoique sorte, étranger aux dé-
bats qui trop souvent agitèrent
l'assemblée constituante. Cette
modération lui fit un grand nom-
bre de partisans dans l'un et l'au-
tre côté de l'assemblée, et le cé-
lèbre Mirabeau, qui redoutait l'em-
pire d'une éloquence douce et
persuasive, s'écria un jour de sa
place, lorsque l'abbé de Montes-
quiou était à la tribune : « Méfiez-
i> vous de ce petit serpent, il vous
«séduira. ^) Nommé deux fois pré-
sident de l'assemblée nationale ,
le 5 janvier 1790, et le 28 février
de la même année, il en remplit
les fonctions avec autant d'im-
partialité que d'habileté, et mérita
des remerciemens qui furent vo-
tés à l'unanimité, honneur que
n'obtint aucun des membres du
clergé ou de la noblesse qui pro-
fessaient les mêmes principes.
Bien qu'il eût refusé avec la mi-
norité de la chambre du clergé,
de ^e. réunir à l'assemblée natio-
nale, jusqu'au moment où le roi
en donna l'ordre positif, il avait
déclaré : < que son ordre regardait,
»non comme un sacrifice, mais
0 comme un acte de justice, l'abaa-
«don de ses privilèges pécuniai-
» res. » Lors de la discussion sar
l'aliénation des biens du clergé,
il s'efforça d'établir la validité des
3o
MON
titres que dix siècles semblaient
gamntir à cet ordre, et s'op-
posa fortement à la proposition
de vendre d'abord pour 4oo mil-
lions de biens ecclésiastiques, pré-
textant qu'il fallait au moins ré-
p:ler les dépenses de l'église avant
de procéder à cette opération. II
combattit également , mais sans
succès , la proposition de créer
des assignats, prévoyant bien que
c'était un moyen sûr de faire pas-
ser les biens du clergé dans les
mains des séculiers. Malgré cette
opposition, la confiance qu'inspi-
rait sa probité ne laissait aucun
doute sur sa soumission aux lois,
du moment qu'elles étaient ren-
dues; dès que celles-ci le furent,
on le nomma l'un des douze com-
missaires chargés de procéder à
rexécution de la première. La
chambre des vacations de l'ancien
parlement de Bretagne, mandée
par un décret à la barre de l'as-
semblée , y parut , ayant à sa tê-
te son président, M. de la Hous-
saye. L'abbé de Montesquiou ,
qui présidait alors l'assemblée na-
tionale, adressa au magistrat bre-
ton ces paroles remarquables ■
«L'assemblée nationale a ordonné
«à tous les tribunaux du royaume
ode transcrire sur leurs registres,
»sans retard et sans remontrances,
«toutes les lois qui leur seraient
«adressées; cependant vous avez
» refusé l'enregistrement du dé-
«cret qui prolonge les vacances
«de votre parlement. L'assemblée
>»nationaleétonnéedece refus, vous
»a mandés pour en savoir les mo-
» tifs. Comment les lois se Irou-
» vent- elles arrêtées? Gonnnenl
«des magistrats ont-ils pu jamais
• cesser de donner l'exemple de l'o-
MOiN
«béissance? Parlez : l'assemblée
» nationale, juste dans les moindre»
• détails comme sur les grands ob-
»jet5, veut vous entendre; et si la
» présence du corps /e>is/a/^ttr vous
«rappelle l'inflexibilité de ses
» principes, n'oubliez pas que vous
«paraissez aussi devant les pères
»de la patrie, toujours heureux
»de pouvoir excuser ses enfans. »
Ce discours plein de dignité fut
entendu avec recueillement, et
lorsque M. de la Houssaye eut es-
sayé de justifier la conduite du
corps dont il était l'organe, le
président de l'assemblée lui dit
qu'il pouvait se retirer. Les hom-
mes dont l'abbé de Montesquiou
partageait les principes,trouvèreiit
qu'il avait montré beaucoup de
sévérité dans cette circonstance,
mais ils n'osèrent l'en blâmer.
Lorsqu'on mit en discussion la sup-
pression des monastères, il sou-
tint, contre l'avis d'un assez grand
nombre de députés , que l'assem-
blée n'avait pas le droitde dispen-
ser les religieux de leurs vœux.
Néanmoins on rapporte, d'après
les mémoires du temps, que, dans
une assemblée particulière d'évC-
ques et de députés ecclésiastiques,
où l'on délibéra sur la prestation
du serment d'obéissance àla cons-
titution civile du clergé, il se pro-
uoufa pour l'affirmative; mais la
majorité, entraînée par M. de
lionald, évêque de Clermont, en
décida autrement. Alors M. de
Montesquiou réunit son opinion
à celle de ses autres collègues.
C'est ce motif, sans doute, qui
lui fit désirer que le pape accor-
dât sa sanction à cette loi ; et dans
la séance du 27 novembre 1790,
il proposa que le roi fût prié d'en
M os
foire la demande au souverain
pontife. Cette proposition fut reje-
tée, après une discussion des plus
orageuses. Lorsqu'on agita la ques-
tion du droit de faire la guerre et la
paix, M. de Montesquiou soutint
que le roi devait seul jouir de cet-
te prérogative : il consentit néan-
moins à ce que l'assemblée na-
tionale conservât le droit de ratifi-
cation. Après avoir voté avec le
côté droit dans toutes les occa-
t-ions importantes, il signa la pro-
testation du 12 septembre irQi,et
par cette détermination, cessa d'ê-
tre bien avec un assez grand nom-
bre de membres du côté opposé.
Pendant le cours de la session lé-
gislative, il demeura à Paris, se
présenta souvent à la cour, et
obtint du roi et de la reine des
marques distinguées de bienveil-
lance. A la suite des événemens
du 10 août, qui ne l'atteignirent
pas, il se retira en Angleterre, et
ne rentra en France qu'après la
révolution du 9 thermidor an 2.
Sous le directoire- exécutif , et
sous le consulat, M. l'abbé de Mon-
tesquiou ne cessa point de s'oc-
cuper des intérêts de la famille
royale; on assure même qu'il pré-
senta au premier consul Bonapar-
te,de la part du frère de Louis XVI
(S. 31. Louis XVIII) , une lettre
qui est devenue célèbre, et que le
chef du gouvernement lui remit sa
réponse sans lui témoigner aucun
mécontentement de la mission
dont il s'était chargé. Cependant
la politique conseilla au premier
consul d'éloigner de Paris M.
l'abbé de Montesquieu, qui reçut
l'ordre de se rendre à Menton, dé-
partement des Alpes -Maritime*,
liientôt après, informé que cet ho-
MO.^
3i
norable exilé ne trouverait aucun
moyen d'existence dans ce lieu, il
le laissa tranquille à Paris. Nommé,
au commencement d'avril 1814.
membre du gouvernement pro-
visoire, M. l'abbé de Montesquiou
fut, après le retour du roi, l'ua
des commissaires choisis par S.
M. pour travailler à la rédaction
de la charte, dont on lui attribue
la plus grande partie. Dans le mois
de juillet suivant , le roi confia à
M. de Montesquiou le portefeuile
de l'intérieur. La modération
qu'il avait précédemment montrée
ne se démentit point dans ses
nouvelles fonctions ; néanmoins
le plan de conduite qu'il adopta
n'obtint pas l'approbation géné-
rale. Les royalistes lui reprochè-
rent la préférence que, selon eux,
il accordait aux hommes de la ré-
volution, relativement à l'occu-
pation des places. Ces reproches
réitérés engagèrent le ministre à
déclarer : <» que le roi ne connais-
»sait point de révolutionnaires;
«qu'il ne venait pas pour punir la
«révolution, mais pour la faire
«oublier. » Les motifs qui le diri-
gèrent furent toujours les vérita-
bles intérêts du roi ; mais peut-
être que parmi les hommes aux-
quels il accorda sa confiance, tous
n'en furent pas également di-
gnes; c'est du moins ce que le»
événemens de 181 5 autorisent A
croire. M, de Montesquiou ne
suivit point le roi à Gand pendant
les cent Jours, mais il se retira
en Angleterre. Rentré en France
après la seconde restauration ,
il refusa , malgré la médiocri-
té de sa fortune, l'indemnité de
100,000 francs, accordée aux mi-
nistres par la munificence roya-
53 MON
le. Il fut élevé à la dignité de
pair, et conserva le titre de uii-
iiistre-d'état. On attribue à M.
de Montesquiou VA dresse aux pro-
vinces, ou Examen des opérations de
L' assemblée yiationale^ ï/QOt in-8°.
Il a été nommé, en 1816, membre
de l'académie française. C'est lui
qui avait proposé de n'accorder
qu'aux écrits de trente feuilles la
liberté de paraître sans être assu-
jettis à la censure ; et cependant
il avait précédemment fait un bel
éloge de la liberté de la presse ,
en disant (voyez son rap[)ort à
la chambre des députés le 5 juil-
let 1814) :« que le roi n'en avait
» pas moins besoin que ses sujets ,
«cette liberté étant le moyen le
«plus sûr de faire arriver la vé-
«rité jusqu'au trône. »
MONlESQUiOU-FEZENZAC
(le vicomte Raymond-Aimeri-Phi-
LippE-JosEPH de) , maréchal-de-
camp , aide -major de la garde
royale, chevalier de Saint-Louis,
commandeur de la légion -d'hon-
neur, etc., neveu du précédent et
fils du comte Philippe André, est
né à Paris en 1784. Il montra dès
sa jeunesse un goût décidé pour la
profession des armes, mais sa fa-
mille se montra peu empressée à
le seconder. Rien néanmoins ne
put empêcher la détermination
((u'il prit, de ne devoir sa fortune
militaire qu'à son épée, et il s'en-
rôla, comme sitiiple soldat, dans
le 5°" régiment de ligne, en i8o4-
Il fit, l'année suivante, sa premiè-
re campagne contre l'iV^triche, et
la seconde contre les Prussiens,
en 1806. Alors attaché, en qualité
de lieutenant, à l'état-major du
njaréchal Ney, il accompagna son
chef en Espagne, en 1807, s'y
* MON
distingua en plusieurs occasions,
et revint faire la campagne d'Au-
triche, en 1809. Ce fut en qualité
de capitaine et aide -de -camp du
prince de Neufchâtel [voyez Ber-
thier), qu'il se trouva à la bataille
de Wagram. Chef d'escadron en
i8i2, il partit pour l'expédition
de Russie, et fut, après la bataille
de la Moskwa, nommé colonel du
4""* régiment de ligne. Sa condui-
te, pendant la retraite de Moscow,
lui fit le plus grand honneur, et le
4 mars i8i3 il obtint le grade de
général de brigade. Il se trouvait
à Dresde lorsque cette ville tomba
au pouvoir des alliés, et fut fait
prisonnier avec la garnison. Ren-
tré en France après le premier
retour du roi, le vicomte de Mon-
tesquiou continua d'être emplo3'^é
dans son grade. Il ne prit point
de service pendant les cent jours,
en 181 5, et fut, après le second
retour du roi, nommé aide-major-
général de la garde royale. Une
ordonnance royale du 12 septeni-
bre 1817 lui a transuus l'hérédité
de la pairie, accordée à M. l'abbé
duc de Montesquiou , son oncle.
Le vicomte de Montesquiou, qui
a épousé M"° Clarke, fille du duc
de Feltre, occupait encore les mê-
mes emplois en 1824-
MONTESQUIOL-FEZENZAG
(Anne -Pierre MARQUIS de) lieute-
nant-général, ancien membre de
l'académie française et député aux
états-généraux, naquit à Paris en
1 741. De la même famille que M.
l'abbé de Montesquiou, mais d'u-
ne autre branche, il fut élevé a-
vecles enfans de France, dont son
caractère aimable et la facilité de
son esprit lui méritèrent la bien-
veillance. Soi\ goût pour les Ici-
MON
1res l'aUacha plus paiticulière-
jiient à Monsieur [ aujourd'hui S.
M. Louis XVlII),'et dès 1771, il
lut nommé premier écuyer de ce
prince. Destiné de bonne heure à
l'état militaire, il obtint en 1780 le
grade de raaréchal-de-camp , et
devint en 1783 chevalier des or-
dres du roi. En 1784 l'académie
française l'admit au nombre de ses
membres, pour y remplacer iM.de
Coetlosquet, évêque de Limoges,
qui venait de mourir. Nommé en
1789 député, par la noblesse de
Paris, aux états- généraux, il fut
du nombre des quarante membres
de la minorité de cet ordre qui se
réunirent les premiers au tiers-é-
tat. Les matières de finances l'occu-
pèrent plus spécialement pendant
la session, et les connaissances qu'il
montra dans cette partie, étonnè-
rent tous ses collègues. Rappor-
teur de la commission nommée
pour déterminer le mode de fabri-
cation des assignats , il montra
beaucoup de sagesse dans les
moyens qu'il proposa pour en pré-
venir le discrédit. Après le voyage
de Varennes, Monsieur, qui avait
quitté la France, fit demander au
marquis de iMontesquiou sa démis-
sion de l'emploi de son premier é-
ci^yer. Chaigé, à la fin de la ses-
sion, du commandement de l'ar-
mée du Midi, il se rendit à Avi-
gnon, que des troubles récens ve-
naient d'ensanglanter, et prit des
mesures propres à en prévenir le
retour. Cependant il devint l'ob-
jet des dénonciations les plus vio-
lentes, m lis, au lieu d'y répondre,
il s'occupa avec succès des moyens
de mettre celle contrée à l'abri
de l'invasion étrangère ; et pre-
nant lui-même l'ollensive , il en-
T. xir.
MON 55
tra, sans presque rencontrer d'obs-
tacles, en Savoie, le 22 septembre
1792. Le paj's entier ne tarda pas
à être soumis, et cette conquête
ne coûta point de sang. Pendant
qu'il triomphait, la convention na-
tionale, influencée par ses enne-
mis , avait rendu un décret qui le
destituait de ses fonctions de gé-
néral, mais ses succès en firent sus-
pendre l'exécution; et plus lard,
malgré les efforts de ceux qui ne
lui pardonnaient pas d'avoir cher-
ché à prévenir les événemens du
10 août, en rattachant les Giron-
dins à la cause du trône, ce décret
fut entièrement rapporté. Des
hommes exagérés avaient juré sa
perte : le 9 novembre suivant, en
l'accusant d'avoir compromis la
dignité de la république dans une
négociation avec les magistrats de
Genève, relative à l'éloignement
des troupes suisses, ils obtinrent
contre lui un décret d'accusation.
Instruit à temps, il se retira en Suis-
se, dans la petite ville de Bremgar-
len, canton de Zurich, où il demeu-
ra jusqu'après la révolution du g
thermidor an 2. En 1795, il fit par-
venir à la convention un mémoire
justificatif de sa conduite, et dans
le cas où, malgré ce mémoire, des
doutes subsisteraient encore, il de-
mandait des juges. Cette assuran-
ce produisit l'effet qu'il en atten-
dait : son nom fut immédiatement
rayé de la liste des émigrés. Il re-
vint à Paris, où il mourut trois an-
nées après, le 5o décembre 1798.
Outre plusieurs 'iî<7/;^orf5 et Aïé-
moires sur les finances du royau-
me, le marquis de iMontesqùiou a
pnhUt:i"MémoirejustificatifUyg5j
'n\L\'';i° D u gouvernement (les finan-
ces de France, d'après les loiscon^-
i
34
MON
îif.ultonnellcs,et (Vaprès le principe
d' an gouvernement libre et repré-
sentatif, ^797» in-S" ; 3° Coup-
trœil sur la révolution française ,
in-S". On a aussi de lui une coxnh.-
dieintilulée:£/m7iV,o«/e5./(^«ear*,
et plusieurs pièces de vers très-a-
gréables qui se retrouvent dans la
Correspondance de La Harpe et
dans les Mémoires de Grimm. Le
marquis de 3Jontesquiou a aussi
iburni des Articles au Journal de
Paris.
MONTESQUIOU-FEZENZAG
( Elisabeth - Pierre , comte de ) ,
commandeur de la légion -d'hon-
neur et chevalier de Saint-Louis,
né à Paris en 1764» est le fils aîné
d'Anne-Pierre, marquis de Mon-
tesquiou. Il entra fort jeune, en
qualité de sous-lieutenant, au ré-
giment Dauphin-dragons. En 1779
il obtint la survivance de la char-
ge de premier écuyer de Monsieur
(aujourd'hui Louis XVIII), oc-
cupée par son père. Le comte de
Mnnlesquiou resta étranger aux
événemcns de la 'révolution , et
vécut dans la retraite jusqu'en
1804, époque où le premier con-
sul Bonaparte se fit couronner
empereur. Alors il se rendit à Pa-
ris, en qualité de président de can-
ton, et, peu de temps après, entra
au corps-législalil". Le 16 septem-
bre 1808 il fut nojnmé président
de la commission des finances, et,
le 12 novembre suivant, chargé
par cette même commission de
rendre compte de ses travaux, ce
qu'il fit dans un rapport qui eut
beaucoup de succès. Il rempla-
ça, dans les fonctions de grande
chambellan , M. de Talleyrand,
nommé vice-grand-électeur; eu
1809, il reçut la décoration de
MOxV
grand'croix de l'ordre de la cou-
ronne de Saxe, et, le 4 avril 1810,
les grandes croix des ordres de
Saint- Léopold d'Autriche et de
Saint-Joseph de Wurtzbourg. En
janvier i8i 1, il présida le collège
électoral du département du Nord,
et fut élu par celui de Seine-et-
Marne, candidat au sénat-conser-
vateur. Appelé le 17 juin à la pré-
sidence du corps-législatif, il en
remplit une seconde fois les fonc-
tions en 181 3, et entra au sénat le
5 février de la même année. Nom-
mé, au commencement de i8i4»
aide- major- général delà garde
nationale parisienne, il fut créé
pair de France et chevalier de
Saint- Louis après le premier re-
tour du roi. M. de Montesquiou
ayant repris, pendant les fe??^J(?«r5,
en 181 5, près de Napoléon, les
fonctions qu'il occupait précédem-
ment, a cessé d'être employé de-
puis la seconde restauration. Il
s'était retiré dans l'une de ses pro-
priétés du département de la Sar-
the , et y vivait paisiblement au
sein de sa famille, lorsqu'il a été
rappelé, en 1819, à la chambre
des pairs, dont il continue à faire
partie (1834).
MONTESQUIOU-FEZENZAC
(madame tA COMTESSE DE ) , épOUSO
du précédent, fut nommée en
1811, gouvernante du fils de Na-
poléon. Lors des événemcns de
1814, elle suivit à Vienne l'archi-
duchesse Marie-Louise, et demeu-
ra près de cette princesse jusqu'au
mois d'avril i8i5. La tentative
faite, à ce qu'on assure, pour en-
lever le jeune prince confié à ses
soins, détermina l'empereur d'Au-
triche à nelaisser désormais aucun
Français près de sa fille. Madame
MON
la comtesse de Montesquiou revint
dans sa patrie avec son fils , le
conUe Anatole de Montesquiou ,
qui avait été la retrouver à Vien-
ne. Le comte Anatole de Mostes-
QtJioc, ci-devant aide-de-cauip de
Napoléon , et chargé par lui de
plusieurs missions importantes, a
cessé d'être employé par le gou-
vernement depuis 18 1 5. Il a été
nommé , au mois de décembre
1823, chevalier d'honneur de S.
A. R. madame?'la duchesse d'Or-
léans. Le comte Alfbed de Mon-
TESQriotT, frère du précédent , est
gendre du général Perron, qui s'est
illustré dans l'Inde, où il fut pre-
mier ministre de Scindiah et gé-
néral en chef de ses armées.
MONTES0LIOL-FEZENZAC
(lE COMTE Henri de), second fils
du marquis de Montesquiou , est
né en i^jGH. Il avait été nommé
en survivance , capitaine-colonel
de la compagnie des Suisses, atta-
chée à la garde ordinaire de M. le
comte d'Artois, avant 1789. On ne
le voit figurer nulle part pendant
les troubles de la révolution, mais,
sous le gouvernement iinpérial, il
fut appelé au corps-législatif. M.
de Montesquiou a marié l'une de
ses filles au général Arrighi, duc
de Padoue [voy. Abrichi).
MONTESSON (CHARr.orrE-
.IEA.SNE BÉRArD DE LA HaTE DE
Riou, MARQVisE de), née à Paris,
en 1757, d'une ancienne et illus-
tre famille de Bretagne, fut don-
née en mariage, à l'âge de iG ans,
au marquis de Montesson, riche
gentilhomme du Maine, lieutenant
général des armées du roi. Son
mari, déjà avancé en âge, la lais:»a
veuve de bonne heure. Elle avait
perdu, quelques années au[»ara-
MON 5r>
vant, son frère unique, le marquis
de La Haye de Riou, officier supé-
rieur de la gendarmerie de Fran-
ce, qui succomba glorieusement
sur le champ de bataille de Min-
den. M""* de Montesson joignait à
tous les avantages d'une grande
fortune l'esprit naturel le plus
heureusement cultivé, une figure
charmante, des talens très-distin-
gués , et un caractère plein de
bonté. Son excellente réputation
et son amabilité l'avaient de tout
temps fait rechercher dans le mon-
de. Le duc d'Orléans, petit-fils du
régent, éprouva bientôt pour elle
une passion aussi vive que dura-
ble; ce prince, qui jusqu'alors a-
vait été très-innonstant dans ses
goûts, resta fidèle aux sentimens
qu'elle lui avait inspirés, et l'es-
pèce de culte qu'il lui voua n'eut
d'autre terme que celui de sa vie.
Quoique veuve, et libre dans ses
affections, elle opposa une longue
résistance aux vœux du prince,
mais accepta enfin l'offre formelle
qp.'il lui fit de sa main. L"n ancien
édil de Louis XIII défendait à
tout prélat du royaume de marier
aucun prince du sang, sans une
autorisation écrite de la propre
main du roi. Louis XV accorda
enfin, en 1775,3 son cousin, la
permission de contracter ce ma-
riage, et en écrivit à l'archevêque
de Paris, ajoutant toutefois qu'il
désirait que cette union restât se-
crète, autant que faire se pourrait,
c'est-à-dire, aussi long - temps
qu'aucun enfant n'en serait le
fruit. Le curé de Saint-Eustache,
dont M""' de Montesson était la pa -
roissienne, autorisé par l'archevê-
que de Paris, donna la bénédic-
tion nuptiale aux deux époux,
56
MON
MON
dans la chapelle de cette dame. Quand M"" de Montesson s'appro-
Ln voile bien léger couvrit ce
mariage , qui ne resta ignoré ni
à la cour ni à la ville. M"" de
Montes?on continua à porter le
même nom; son étal dans le mon-
de rappelait en quelque sorte ce-
lui de M"'* de Mainteuon à la cour
de Louis XIV; mais elle sut mieux
que celle-ci répandre du charme
sur les jours de son auguste époux,
et du bonheur sur tous ceux qui
l'entouraient. Sans faste et sans
orgueil dans son intérieur, sa mai-
sou était ouverte non-seulement
aux personnes illustres par leur
naissance, mais aussi à celles qui
s'étaient lait un nom dans les let-
tres, les sciences, et les arts. Le
bon goût et les talens y régnaient
encore plus que la magniticence.
Ingénieuse dans le choix des amu-
semens de société, qui variaient
tous les jours les plaisirs du prin-
ce, M°" de Montesson enrichissait
cette société du tribut de ses pro-
pres talens. et faisait valoir ceux
des personnes qui se plaisaient à
la seconder. Les mémoires de cet-
te époque (voyez la correspondan-
ce de Grimm, de Collé et autres)
sont pleins de détails sur les fêtes
élégantes et sur les représentations
théâtrales qui se donnaient chez
M°" de ftlontesson. La plupart des
pièces étaient de sa composition,
et elle y jouait un rôle, ainsî que
le duc d'Orléans. Voltaire fut in-
vité à une de ces représentations,
et applaudit avec transport aux
pièces et aux acteurs. Il devint à
son tour l'objet des plus flatteuses
attentions. Le duc d'Orléans so
réunit à la dame du lieu pour
combler d'honneurs et de caresses
Tauteur de tant de chefs-d'œuvre.
cha de sa loge. Voltaire se mit à
genoux, et témoigna, par les ex-
pressions de la plus vive recon-
naissance, combien il était sensi-
ble ao bonheur dont on l'avait fait
jouir. Les représentations conti-
nuèrent pendant plusieurs hivers;
on regardait comme une grande
faveur d'y être admis; et l'exécu-
tion théâtrale était aussi remar-
quable que le rang des acteurs et
l'éclat de l'assemblée. Collé, dans
son enthousiasme , compare M""
de Montesson à M"' Clairon ; et
Grimm ajoute qu'elle jouait suc-
cessivement, avec le même ta-
lent, les rôles de M"' d'Oligny, de
M"* Arnould, et de M"" Laruette.
Les succès, toujours croissans, de
M"* de Montesson , ainsi que les
vives instances de Mole et des
principaux acteurs du Théâtre-
Français, l'engagèrent enfin à fai-
re paraître sur la scène publique
une de ses pièces, la Comtesse de
ChazelfeSy comédie en 5 actes et
en vers. La pièce , présentée sans
nom d'auteur, mais reçue à l'una-
nimité et aux vives acclamations
des acteurs, jouée le G mai 1786,
n'obtint pas les suffrages du par-
terre. Les juges se montrèrent
d'autant plus sévères, que la plu-
part d'entre eux n'avaient jamais
pu être admis aux représentations
du théâtre particulier de l'auteur;
exclusion qui ne disposait point à
la bienveillance. La pièce alla ce-
pendant jusqu'à la fin, et aurait
pu être reproduite avec quelques
changemens; mais M°" de Montes-
son la retira après la première re-
présentation , s'en déclara l'au-
teur, et la fil imprimer à un petit
nombre d'exemplaires , pour la
MON
soumettre au jugement de ses a-
mis, et répondre aux critiques qui
avaient été jusqu'à dire que la
Comtesse de Chazellcs était une
pièce immorale. En 1^85, M°" de
Montesson eut le malheur de per-
dre le duc d'Orléans, qui mourut
dans ses bras, et à qui elle n'avait
cessé, jusqu'au dernier moment,
de prodiguer les plus tendres soins.
Pendant cette union, sa conduite,
modèle à la fois de dignité et de
prudence, lui avait acquis l'estime
et la considération générales. Ma-
riée au premier prince du sang,
mais sans avoir le titre de prin-
cesse, elle sut garder une mesure
parfaite avec les premières per-
sonnes de l'état, qui s'empres-
saient autour d'elle, et sut égale-
ment établir les nuances conve-
nables dans son langage et ses
manières, suivant les divers rap7
ports où elle se trouvait dans la
société. Respectueuse envers les
princes du »ang, elle en obtenait
les mêmes formes de déférence
qu'elle employait elle-même. M°"
de Montesson fut payée do douai-
re qui lui avait été stipulé dans
son contrat de mariage; et quel-
ques légères contestations s'étant
élevées, le roi Louis XVI autorisa
M"* de Montesson à signer tons
ses actes : F/2«pe d'Orléans. Elle
échappa heureusement aux plus
grands dangers de la révolution;
nulle haine personnelle ne la
poursuivait, tandis que sa dou-
ceur et son affabilité lui avaient ac-
quis de nombreux amis. Elle fut
cependant arrêtée pendant le rè-
gne de la terreur, et ne sortit de
prison qu'après le 9 thermidor.
On savait qu'elle se plaisait à ré-
{landre des bieufuits daus la classe
MON
37
indigente; peut-être se rappelait-
on encore que, dans le rigoureux
hiver de 1788 à 1789, elle avait
fait retirer les arbres et plantes
exotiques de son orangerie et de
ses serres, pour changer ces bâ-
timensen salles de travail, où les
pauvres trouvaient de l'ouvragt;,
un abri contre l'intempérie de la
saison , une nourriture saine et
des secours de toute espèce. Na-
poléon , parvenu au pouvoir, eut
constamment pour M°" de Mon-
tesson les plus grands égards. On
assure qu'une circonstance parti-
culière lui avait inspiré pour elle
cette bienveillance remarquable.
Elle avait rencontré dans la so-
ciété M°" de Beauharnais, qui ve-
nait d'épouser le général Bonapar-
te. Pendant l'expédition d'Eg3pte,
et après avoir passé ensemble lu
saison des eaux à Plombières, une
liaison plus intime et une corres-
pondance fréquente par lettres s'é-
tablirent entre ces deux dames. A
son retour d'Egypte .et peu de jours
après le 18 brumaire, le premier
consul, en parcourant quelques
papiers, trouva les lettres de M""
de Montesson à sa femme. Elles
contenaient les plus sages, les plus
utiles conseils. Il eut lieu d'en être
content, et remarqua surtout cet-
te phrase : Vous ne devez jamais,
en aucune circonstance de voire vie,
oublier que vous êtes la femme d'un
grand homme. M"" de Montesson
ne profita de son crédit auprès du
chef de l'état, que pour satisfaire
de nobles sentimens : elle obtint
de lui que la somme allouée an-
nuellement aux membres de la fa-
mille d'Orléans, qui se trouvaient
alors en Espagne, et qui avaient
été privés de tous leurs biens eu
58
MON
France, fût considérablement aug-
mentée. Chérie et vénérée de
ceux (jiii lui appartenaient par les
liens du sang, entourée des soins
les plus délicats, M"" de Montes-
son eut une vieillesse calme et heu-
reuse. Elle mourut à Paris le 6 fé-
vrier 1806. Selon ses désirs, son
corps fut transporté à Saint-Porl,
paroisse du château de Sainte-As-
sise, qui lui avait appartenu, et
où le duc d'Orléans était mort.
Par son testament, ce prince
avait ordonné que son cœur et
ses entrailles lussent portés dans
cette église, «espérant que la da-
n me du lieu y serait inhumée à
«ses côtés, et voulant qu'ils fus-
»sent aussi imis après leur mort,
«qu'ils l'avaient été pendant leur
» vie. » Les funérailles de M"" de
Montessou furent célébrées avec
une pompe solennelle. Après avoir
fait plusieurs legs considérables à
divers membres de sa famille, elle
avait institué pour son légataire u-
niversel le général comte de Valen-
ce, qui avait épousé sa nièce. Sous
le titre d'OEuvres anonymes. M""*
de Montesson a livré à l'impres-
sion le recueil de ses pièces de
théâtre, de ses poésies , et de ses
compositions en prose, 8 volumes
grand in-8": Didot, 1782. Cette
collection , imprimée à un très-
petit nombre d'exemplaires et don-
née uniqueujent à ses amis, est de-
venue très-rare. Rangée parmi les
livres précieux, elle a été payée
très-cher par des amateurs. On y
trouve 16 pièces de théâtre, un
roman, Pauline; Rosanwnde, poè-
me en 5 chants; une lettre de
Saint-Preux à milord Edouard;
un conte allégorique, les Dix-huit
Portes 3 anecdote tirée des fa-
MO!S
bliaux, etc. Il reste encore d'elle»
à ce qu'on assure, 2 tragédies qui
n'ont point été imprimées, Elfrè-
de et la prise de Grenade; et 2 co-
médies. Elève distinguée de Van
Spacndonck, elle a aussi laissé plu-
sieurs tableaux de fleurs, dignes
de l'école de ce peintre célèbre.
MONTEVERDE (N.), l'un des
généraux de l'armée royale que
l'Espagne envoya, en 1812, con- .
treses colonies insurgées, est aussi
l'un des chefsqui, par leurinflexi-
bli! sévérité, nuisirent le plus à h»
cause qu'ils étaient appelés à faire
triompher. Monleverde , opposé
à M1RAND.4 (lyoj. ce nom) , dans
l'état de Venezuela, commença
brillamment la campagne. Maître
deRarquisimeto, où nombre d'ha-
bitans se réunirent à ses drapeaux,
il pénétra dans Araure , que les
Lndépendans défendirent mal , et
dont le chef tomba en son pou-
voir; de là il se répandit dans les
vastes plaines appartenant aux
provinces de Rarinas et de Ca-
raccas , et s'efforça de s'emparer
de la place de Rarinas, où il de-
vait trouver un point d'autant
plus précieux qu'une fois y étant
établi, il pouvait affamer les vil-
les de la partie montagneuse de
Venezuela, qui tiraient de ces
plaines lesbestiaux destinés à leur
approvisionnement. Pendant qu'u-
ne partie de ses troupes occupait
Rarinas, il attaquait avec des for-
ces supérieures San -Carlos, où
il eût échoué si la cavalerie des
indépendans, en passant de son
côté, ne lui eût assuré une vic-
toire qu'il n'avait pu obtenir sur
l'infanterie : ces triomphes frap-
pèrent de stupeur le parti des
patriotes, dont les forces, encore
MON
peu nombreuses et disséminées
sur une grande étendue de ter-
rain, ne pouvaient oppOvSer une
longue et utile résistance. Les in-
dépendans éprouvèrent presque
en même temps sur l'Orénoque
les mêmes désavantages , et leur
position devint extrêmement cri-
tique. Miranda, se voyant forcé de
se retirer de Valenciay, s'établit
dans les défilés de la Cabrera. Il
espérait y arrêter long- temps les
troupes de Monteverde. Trahi par
les babitans des montagnes, que
le général espagnol avait gagnés,
il apprit, bientôt, que l'ennemi
avait évité le passage des défilés;
néanmoins il fit une si bonne con-
tenance dans sa retraite sur Vitto-
ria, distant de près de 60 lieues
de Caraccns, que Monteverde ne
put l'entamer. La mauvaise for-
tune des inilépendans se signala
plus particidièrement à Puerto-
Cabello. Les prisonniers espa-
gnols renfermés dans cette ville
parvinrent à s'en rendre maîtres,
circonstance qui détermina la
retraite de Bolivar {voy. ce nom),
et assura aux royalistes une supé-
riorité marquée. La possession de
Puerto-Caballo, où Monteverde
trouva des munitions qui lui man-
quaient, lui permit de rétablir les
communications avec Coro et
Puerto- Rico, où il put se procu-
rer des renforts, qu'auparavant
il était forcé de faire venir par
terre et d'une distance de plus
de i5o lieues. Le général espa-
gnol usant de tout l'ascendant que
lui donnait sa position , menaça
des dernières rigueurs militaires
les habitaus de Caraccas, s'ils
s'exposaient à être réduits de vi-
ve force. Miranda fut autorisé
MON Zçf
par le pouvoir exécutif, à capi-
tuler , et Monteverde consentit
aux C(mditions suivantes : « 1" la
"Constitution offerte par les Cor-
»tès à la nation espagnole , sera
» établie à Caraccas ; 2° personne
n ne sera inquiété pour ses opi-
» nions; 5° toutes les propriétés
«particulières seront respectées;
»4' chaque citoyen aura la faculté
))de quitter le territoire de Vene-
nzuela. ))En vertu de cette capitu-
lation , signée et ratifiée de Mon-
teverde , rapportc-t-on dans u»
ouvrage imprimé à l'étranger,
les troupes royales furent mises
en possession de Caraccas, du
fort de la Guayra, des provinces
de Cumana et de Barcelonne;
mais celte convention ne tarda
pas à être violée avec la perfidie
dont cette guerre a fourni des
exemples aussi nombreux que
déplorables. Non-seulement Mi-
randa, livré par un traître, fut
retenu prisonnier et envoyé en
Europe, ainsi que plusieurs de
ses compagnons d'armes , mais
d'autres articles furent enfreints
avec la même audace. Une foule
d'habitans sont incarcérés, et la
florissante capitale de Venezuela
est transformée en une vaste pri-
son. Rien ne donnait lieu cepen-
dant à tant do rigueur, pas même
l'excuse de la nécessité. Les pa-
triotes avaient été battus complè-
tement dans une attaque sur la
Guayra, et deux départemens ve-
naient d'être conquis parles roya-
listes de Maracaybo; enfin les Ès-
pagnolsétaientvainquenrs sur tous
les points. Mais l'abus que fai-
saient de leur triomphe les agens
et les partisans de la métropole, ne
Serf itqu'à rallumer plus fortement
/jo
MON
J'inceiulie qu'on se flattait d'avoir
éteint à lorce de sévérité. La f{»r-
tune chanf!^«.:a bientôt cet état de
choses. A la tête des insurgés de
Cuniana, Marine reprend la ville
de Malurin , et repousse le corps
royaliste qui \eut l'en chasser.
Monteverde en personne attaque
la place au mois d'avril i8i3, et
est contraint de se retirer. Bientôt
liolivar , qui commande 6,000
soldats de la Nouvelle-Grenade,
reprend l'offensive, et, dès ce mo-
ment, marche de succès en suc-
cès; il défait Monteverde dans six
combats différens. A Lostagua-
nes , le général espagnol est for-
cé, après la plus vigoureuse ré-
sistance, à se retirer sur Puerto-
Cabello. Bolivar se dirige sur Ca-
ruccas , qu'il réduit par capitula-
tion : elle était avantageuse aux
Espagnol-^, mais Monteverde re-
fuse delà ratifier, déclarant : «que
»ce s«irait dérogera la dignité es-
»pagnole que de traiter avec des
to rebelles. » Des renforts qu'il re-
çoit d'Europe lui permettent de
soutenir ce langage altier, et lui-
même attaque avec la plus gran-
de audace les indépendans ; mais
ils étaient préparés à le bien re-
cevoir : de part et d'autre on ût
des prodiges de valeur. La batail-
le d'Aqua-Caliente, où Monte-
verde se conduisit avec autant de
talent que de courage, mais qu'il
perdit entièrement, le força de
se retirer de nouveau à Puerto-
Cabello ; il avait été grièvement
blessé dans cette sanglante affaire,
où les deux tiers de ses troupes;
restèrent sur le champ de bataille.
Ces défaites successives le firent
remplacer dans son commande-
ment général par Cagigal {voyez
MON
ce nom). Depuis cette époque, il a
été entièrement perdu de vue.
MONTFALCON(Jean-Baptiste),
médecin de Lyon, né dans cette
ville en 179'^, a inséré dans le Dic-
tionnaire dis Sciences médicales un
grand nombre d'articles, qui se
recommandent sous le double rap-
port de l'instruction et du style. Il
est l'un des collaborateurs de la
Biograplûe médicale, et du Journal
complémentaire du Dictionnaire
des sciences médicales. On trouve
plusieurs dissertations et analyses
d'ouvrages, écrites par lui dans les
Bulletins de ta société médicale d'é-
mulation, dans le Journal général
de médecine et dans les Annales
physiologiques. M. Montfalcon suit
avec hi>nneur les traces des Lecal
et des Camper, et en 1823 , trois
couronnes académiques lui ont été
décernées par des compagnies sa-
vantes. Il appartient à la plupart
des académies des sciences et des
sociétés de médecine de la Fi-ance.
Voici les titres de quelque-uns de
ses ouvrages : 1° Mémoire sur l'é~
tat actuel de la chirurgie, in-8",
Paris, 1816; 2" de l'Influence que
l'âge exerce sur l' habileté des mé-
decins, in-4°> Paris, 18 «8; 3'
Quelques réflexions sur les rapports
(les médecins avec la société, in- 8",
Lyon , 1818; 4° Iconographie lit-
téraire, in-8", Lyon, 1823; 5° Es-
sai pour servir à l'histoire des fiè-
vres ataxiques et adynamiques, iu-
8°, Lyon, 1823.
MONÏFORT (le baron Jac-
QtEs), maréchal-de-camp, com-
mandant de l'ordre royal de la lé-
gion-d'honneur et chevalier de
Saint- Louis , naquit à Salanches
en Savoie, le 22 juillet 1770. Il
entra au service comme simple
MON
«oldat, dans le 4°" bataillon du Bas-
Rhin, en 1 792, et fut nommé , en
1793, capitaine commandant la
compagnie de canonniers de ce
bataillon. A l'affaire de Jokrim,
près Rhinzabern, il fut fait prison-
nier; mais il parvint, par son cou-
rage, à se dégager des mains de
rennemi. et, aidé de quelques ca-
nonniers, il ramena à Lauterbourg
deux pièces d'artillerie, laissées sur
le champ de bataille. Ses services
furent bon )rablement appréciés
par les généraux Desaix, Laribois-
sjère et Dorsner. Passé aide -de-
camp du li< utenant-général Le-
courbe, sa bravoure, dans les jour-
nées des 27, 28 et 29 thermidor
an 7, le fit nommer, sur le champ
de bataille, chef de bataillon par
Masséna, général en chef de l'ar-
mée d'Helvétie. Le 27 il franchit,
à la tête de trois compagnies de
grenadiers, le pont de la Mutthen,
près Schwilz. en Suisse, sous une
grêle de mitraille et de balles. Il
se distingua également aux batail-
les de Moerskirch, .Memmingen
et Neubourg, en l'an 8; il com-
mandait alors le 5°" bataillon de
la 84"" demi-brigade. Le 18 ven-
démiaire an 9, il fut désigné pour
commander les troupes chargées
d'exécuter le passage de l'Inn, à
Neuperg, près Rosenheim; il gagna
le premier la rive opposée. Après
la paix d'Amiens, il fut envoyé à
la Martinique avec son bataillon,
et il y fut nommé, en )8o5, colo-
nel du 82° régiment. Il eut une
part glorieuse à tous les com-
bats qui furent livrés aux Anglais
lors de la prise de la colonie, en
1809. Prisonnier de guerre, il fut
rendu sur parole, rentra en Fran-
ce et passa en Espagne en 1810,
MON
4»
après son échange, pour y pren-
dre le commandement des batail-
lons de son régiment; nommé gé-
néral de brigade, le 6 août 181 1,
il fit avec une grande distinction
les campagnes d'Espagne et de
Portugal, et fut remarqué aux dif-
férentes affaires sur la Bidassoa et
devant Rayonne. Appelé avec la
division Levai à la grande-armée,
en Champagne , au commence-
ment de 1814? il rendit d'émincns
services dans les journées de Bar-
sur-Aube, Arles-sur-Aube, Troyes,
etc. Le roi le nomma, le 14 mars
1810, commandant du départe-
ment de Seine-et-Marne ; il passa
ensuite au commande;jient de ce-
lui de la Meurthe, d'où le lieute-
nant-général comte Lecourbe ,
commandant alors en chef le corps
d'observation du Jura , l'appela
près de lui pour être chef d'état-
major-général. Son activité con-
tribua aux avantages que rempor-
ta ce faible corps sur les Autri-
chiens. Depuis cette époque le gé-
néral Montfort a eu plusieurs ins-
pections d'infanterie. Le maréchal
Gouvion-Saint-Cyr, juste appré-
ciateur du mérite, lui confia, en
1819, le commandement de l'é-
cole militaire préparatoire de La
Flèche, où il déploya des-connais-
sances supérieures dans l'art diffi-
cile d'élever la jeunesse. Sévère,
mais juste, il se fit chérir des élè-
ves, comme lui-même, lorsqu'il
était sous les drapeaux, s'était fait
aimer par son courage et son in-
telligence, de ses camarades et de
ses chefs. 11 eut constamment l'es-
time des généraux Desaix, Lecour-
be et Moreau. Une paralysie, qu'il
contracta dans l'école militaire de
La Flèche et qui le pri?a d'abord
4 3
MON
de la vue , le força de se démettre
de son emploi, en 1821; elle l'a ravi
à ses amis et à ses frères d'armes, le
3 janvier 1824. Sa dépouille mor-
telle a été déposée au cimetière de
l'Est (dit du P. Lachaise), à Paris,
MOiNTGAILLARD (iMaubice-
Jacques-IIoques de), est né à Tou-
louse vers 1770. Au sortir de ses
études, qu'il fit au collège de So-
rèze, il entra dans la carrière mili-
taire, et passa en Amérique; il re-
nonça bientôt à cet état, revint en
France, et se retira à Brest. Il y res-
ta jusqu'au moment où la révo-
lution éclata. Il se rendit alors à
Paris , sortit de France après le
10 îtoCit 1792, y revint quel-
que temps après, et ne tarda pas
d'en sortir de nouveau. Les trou-
pes autrichiennes l'arrêtèrent en
Flandre, le conduisirent à Ypres ,
et ensuite à ïournay, où il eut
une audience de l'empereur Fran-
çois. Il ne passa en Angleterre
que deux moisaprès, en juin sui-
vant , et prit à cette époque le titre
de comte. D'ahord on le regarda
comme un émissaire du parti do-
minant; néanmoins il fit quatre
mois de séjour dans le pays, et les
journaux publièrent qu'il en avait
été r(?nvoyé : ce bruit s'accrédita
à Paris, et ne fut point démenti.
M. de Montgaillard se réfugia d'a-
bord à La Haye; forcé bientôt
d'en sortir, il alla à Brucksal,
fut présenté au prince de Condé,
et lui offrit ses services, qui fu-
rent acceptés. On négociait alors
avec Pichegru. M. de Montgail-
lard , en possession de la con-
fiance du prince , eut ordre de
rédiger les propositions qui furent
faites à ce général, au mois d'août
1795-. M<?rts/e«?' (aujourd'hui S. M.
MON
Louis XVIII) arriva de Vérone
au quartier-général de Reigel ,
le 28 avril 1796. M. de Montgail-
lard partit d'Ofleubourg, où il se
trouvait alors pour aller rendre
compte de la négociation au prin-
ce, qui parut satisfait du tableau
qu'il avait dressé de tout le tra-
vail, et qui, dit-on, lui en témoigna
sa satisfaction par une lettre écri-
te de sa main. Ce premier succès
lui valut d'autres missions, soit
pour M. Wickam, soit pour l'ar-
chiduc Charles, daiis lesquelles
il donna de nouvelles preuves de
son adresse; mais ce zèle chan-
gea tout-à-coup de direction après
la reddition du fort de Rehl ; il
renonça à des négociations deve-
nues, rapporte-t-il lui-même, « un
«ensemble d'intrigues, de manœu-
)^vres sourdes, de dilapidations
«ministérielles et particulières. »
M, de Montgaillard fit plus : il
révéla les secrets du parti qu'il
avait servi , et les dévoila aux
chefs du parti contraire. Dans
le même temps, il continua de se
ménager la confiance du prince
de Condé, et parut se prêter aux
desseins de M. d'Entraigues, agent
des princes à Venise, et cepen-
dant M. de Mongaillard représen-
te, dans ses Mémoires sur la cons-
piration de Pichegru, le comte
d'Entraigues comme un homme
sans cesse occupé des moyens de
lui nuire, et de le perdre même,
s'il eût pu y parvenir; et c'est
pour se dérober à ses vengeances
qu'il aurait été habiter la Suis-
se, où le prince de Condé, sur sa
demande , eut la générosité de
lui faire payer ses frais de voya-
ge et ses avances, ce qui ne l'em-
pêcha pas de paraître encore à
MON
rarmée pendant les cinq premiers
mois de Tannée 1797. 11 se retira
ensuite à Soleure, d'où il reçut
bientôt l'ordre de sortir. Déj^oû-
té , en apparence , de cette vie va-
gabonde, il annonça le dessein de
rentrer en France. Le prince de
Condé , qui en fut instruit, lui
dépêcha le marquis de Montesson
pour lui redemander les papiers
qui prouvaient les différentes mis-
sions dont il avait été chargé.
Non-seulement M. de Monfgail-
lard s'y refusa, mais il remit tout
ce qu'il possédait de la corres-
pondance des princes au ministre
delà république française, Rober-
jot. Ces faits ne peuvent être ré-
voqués en doute , quand c'est M.
de Mongaillard lui-même qui
prend soin de nous en instruire,
dans la vue de prouver que ses
Mémoires concernant la trahison
de Pichegru , ont été rédigés an-
térieurement au procès de ce gé-
néral. Le comte d'Entraigues
ayant été arrêté à cette époque
àTrieste, et ses papiers, conte-
nant les détails de tout ce qa'a-
vait dévoilé M. de Mongaillard,
lui ayant été enlevés, il paraîtrait
que le gouvernement français y
vit la nécessité d'un changement,
qui s'opéra par le 18 fructidor;
aussi M. de Monlgaillard , sans
doute en reconnaissance de la part
qu'il avait prise à cet événement,
rentra en France après le 18 bru-
maire, et leparut à Paris, au mois
de novembre iBoi. Une situation
tranquillcconvenaitpeuà unhom-
me qui avait jusque-là vécu dans
la plus grande agitation ; bientôt il
fut arrêté et enfermé au Temple ,
d'où il sortit néanmoins quelques
mois après. Pendant sa détention
MON
43
au Temple, il avait obtenu sa ra-
diation de la liste des émigrés. Eu
1804, le gouvernement français
se servit de la plume de cet écri-
vain pour composer l'ouvrage in-
titulé : Mémoires secrets de M.
de Montgaillard. Il reçut pour ré-
compense un traitement de 24,000
francs, qui fut réduit à 1 2,000 l'an-
née suivante, puis à 6,000, jus-
qu'à ce que ses services eussent
cessé d'être utiles. On l'avait per-
du de vue, lorsqu'en i8i4» i*u
moment du rétablissement du
gouvernement roj'al, il reparut
sur le scène politique pour re-
pousser les allégations extrême-
ment graves que M. Gallais s'était
permises dans son Histoire du iS
brumaire. Il y est dit que l'ancien
agent des Bourbons , M. de
Montgaillard, avait été envoyé en
Angleterre par le premier consul
Bonaparte pour les assassiner. L-
ne attaque en calomnie fut diri-
gée contre l'auteur devant les
tribunaux; mais il se rétracta, et
l'affiiirc n'eut pas d'autre suite.
Quelque chose de bien plus sur-
prenant s'était répandu dans le
public peu de jours avant ce
procès : on prétendait que M- de
Montgaillard avait été jusqu'à
Compiègne au-devant du roi.
Nous certifions que le souverain
n'a pas trouvé depuis ce moment
d'admirateur plus prononcé. Pour
établir la sincérité de sa nouvelle
conduite, il dut justifier celle qu'il
avait précédemment tenue; la
tâche était difficile. Il crut l'avoir
remplie, dans un ouvrage où il
parle ainsi des Bourbons : 'Il fal-
» lait dénaturer leur caractère pour
«assurer la restauration de leurs
» droits. Je dois frapper de faux y.
k
44
MON
» effacer et détruire tout ce qui a
»été publié sous mon nom d'at-
«tentoire à la vérité, à la sainteté
»du caractère du roi Louis XVIII,
» de son auguste frè''e , et de tous
»les princes de cette auguste ra-
»ce.... J'ai dit ces choses; et si
»pour inspirer plus de confiance
»aux usurpateurs du trône des
«Bourbons, il eût fallu multiplier,
«aggraver ces sacrilège? menson-
»ges , j'aurais ajouté, sans hési-
»ter, de nouvelles ticlions à tou-
»tes celles qui ont été imprimées
«par ordre de l'empereur Napo-
»léon. En signant de tels blasphê-
»mes politiques, j'ai l'ait à mon
»roi le plus innnense sacrifice;
«mais sa restauration l'exigeait. »
^1. de Montgaillard avoue cepen-
dant, en parlant de sa justification :
« Elle n'est .point encore à son
«point d'évidence et de maturité. «
Prenant ensuite un ton plus mo-
deste , il ajoute : « Je ne me flatte
«pas d'avoir puissamment contri-
»bué à la restauration de la mo-
» narchie; mais j'ose croire être un
«des instrumens qu'il a plu à la
«Providence de ne pas rendre
«tout-à-fait inutiles ;\ celte restau-
» ration véritablement européen-
» ne; j'ose encore espérer quel'his-
I) toire me conservera le titre de
«bon Français, de Sujet fidèle,
» puisque j'ai été assez malheureux
«pour être obligé de rendre mon
t-nom public. » Au reste, M. de
Montgaillard ne renonce pas à se
justifier pleinement; il annonce,
dans son ouvrage intitulé : de la
Restauration des Bourbons et du
Retour à L' ordres d'où les passa-
ges ci-dessus sont extraits, la pu-
blication d'environ mille pièces
de correspondance , qui ne laisse-
MON
ront rien à désirer pour cet objet.
En attendant, il est exposé aux
démentis formels que lui portent
des hommes dont il invoquait le
témoignage, entre autres M. de
Guilbermy. M. de Montgaillard
a publié : i" État de la France
au mois de mai 179I, Londres,
1794, in-8°; 2° Suite de l'Etat de
la France j 1794» in-S"; '0° Néces-
sité de la guerre et dangers de la
paix, 1794? in 8°; 4° ''^^ Condui-
te pendant le cours de la révolution,
1795, in-S"; 5" l'An 1795, ou
Conjectures sur les suites de la
révolution française y 1795, in-S";
6" Mémoires concernant la trahison
de Plclugru, dans les années 5 à
5, Paris, i8o4> in-8"; 7° la Fran-
ce sous le gouvernement de Bona-
parte, 1804, in-8°; S" Mémoires
secrets de Montgaillard pendant les
années de son émigration , 1804,
\n-S''',Q''du Rétablissement duroyau-
me d' Italie sous l'empereur Napo^
léoti , et des droits de la couronne
de France sur le duché de Rome »
1809, in-H"; 10° Situation de
l'Angleterre en 1811, in-8°, i8ii;
11° Seconde guerre de Pologne,
ou Considérations sur la paix pu-
blique du Continent , et sur l'in-
dépendance maritime de l' Europe,
1813, in-8"; \2' de la Restaura-
tion de la monarchie des Bourbons
et du retour à l'ordre, i8i4) in-
8"; i3" Lettreà M. Raynouardsur
le projet de loi relatif à la liberté
de la presse, 1814, in-8°; 14°
Seconde lettre, 1814» 10-8°; i5°rfe
la Calomnie publique et périodique^
1814? \x\-%".\}r\Q Histoire secrète de
la cour de Coblentz a été réimpri-
mée sous son nom, 1814» in-8°.
La première édition portant le
nom de Rivarol, on serait disposé
MON
à croire, jusqu'à plus ample éclair-
cissemenl, que cet ouvrage n'est
pas de M. de Montgaillard.
MONTGELAS (Maximilien-Jo-
*EPH, COMTE de), premier miaislrc
de Bavière et l'un des hommes d'é-
tat les plus célèbres de l'Allema-
gne, est né à Munich, en 1709,
d'une famille originaire de Savoie,
qui était depuis long-temps éta-
blie en Bavière. Après avoir l'ait
dans sa première jeunesse plu-
sieurs voyages en France , il em-
brassa l'état militaire; mais il le
quitta peu de temps après pour
suivre la carrière diploinatique, où
il obtint de rapides succès. 11 lut
nomuîé, en 1777, conseiller à la
cour de Munich, et chambellan en
1779. Appelé, en 1785. auprès de
Charles II, duc des Deux-Ponts,
il sut se concilier l'estime et l'ami-
tié du prince Maximiiien-Joseph,
qui le combla, par la suite, de fa-
veurs. Il suivit ce prince à Munich
lors de son avènement au trône,
et fut chargé des portefeuilles du
ministère des affaires étrangères et
des ûnances. Diverses innovations
qj'il introdnisit dans l'administra-
tion , en lui attirant de nombreux
ennemis, lui acquirent la réputa-
tion d'avoir comme diplomate un
mérite supérieur. Il attaqua sur-
tout avec vigueur les abus qui s'é-
taient introduits dans les ordres
religieux, priva quelques couvens
de leurs énormes revenus, et opéra
des réformes utiles dans les lois de la
Bavière. C'est en vain que ses en-
nemis cherchèrent à le combattre.
Le comte de Montgelas, sur de
l'approbation de son souverain, fit
peu d'attention à leurs clameurs,
et marcha tranquillement ù son
but. En i8ot), il joignit le porte-
MON
45
feuille de l'intérieur à ceux qu'il
avait déjà, et reçut, en 1809, en
récompense de ses nombreux ser-
vices, le titre de comte. C'est ce
ministre qui par sa prédilection é-
clairée pour la France, détourna de
la coalition des puissances étrangè-
res, lerôi Maximitien, et l'engagea
à conclure un traité entre ce prin-
ce et l'empereur Napoléon, dont
il seconda les Vues jusqu'en i8i/j,
épo<Jue où le parti opposé à M. de
Montgelas commença à dominer
dans les délibérations de la cour
de iMunich. Depuis lors, le crédit
du ministre alla toujours en décli-
nant : la chute de Napoléon aug-
menta l'espoir de ses ennemis, qui
mirent tout en œuvre pour le ren-
verser. Le maréchal de Wrède
parut à leur tête, et ne craignit
pas de se signaler par une agres-
sion injuste. Il publia contre Iv
ministre un pamphlet intitulé : dfi
la Bavière sous le gouvernement
du ministre Montgelas ; celui-ci
réfuta avec beaucoup de modéra-
tion et de sagesse les faits avancés
par son adversaire, dans une bro-
chure qu'il lit paraître sous le ti-
tre : Le ministre comte Montgelas
sous le gouvernement du roi Maxi-
milien. Le triomphe des ennemis
de ce ministre ne fut pas d'abord
aussi complet qu'ils s'y attendaient;
néanmoins cette intrigue porta un
coup funeste à l'autorité de M. de
Montgelas, et il eut même le cha-
grin de se voir préférer le maré-
chal de Wrède, comme ministre
du roi de Bavière au congrès de
Vienne. Il parut rentrer en faveur
sur la fin de i8i4> mais ce retour
de fortune dura peu, et il sortit du
ministère, le 2 février 1817, avec
une pension de 00,000 florins. Il
46
MON
quitta à cette époqi>e la Bavière ,
et après divers voyages en Savoie
et en France, il se retira en Suis-
se avec sa famille. M. le comte
Montgelas est grand'croix de l'or-
dre de Saint-Hubert et de la cou-
ronne de Bavière. 11 avait épousé,
en i8o3, la comtesse d'Arco, dont
il a un ûls.
MONTGILBERT (N.), conven-
tionnel, adopta avec chaleur les
principes de la révolution, et fut
élu, par le département de Saône-
ct-Loire, député à la convention
nationale. Dans le procès du roi,
il vota conditionnellement la mort.
Le 12 mars 1793, au nom de la
\ille de Bourbon-Lancy, il deman-
da «qu'il lût permis à cette com-
»mune de quitter le nom de Bour-
))bon pour prendre celui de Belle-
» Vue-les-Bains. » N'ayant passé
ni à l'un ni à l'autre des conseils
qui remplacèrent la convention,
M. Montgilbert fut employé après
la session, par le directoire-exé-
cutif, en qualité de commissaire,
et n'a plus reparu depuis dans les
assemblées législatives.
MONTGOLFIER (Joseph-Mi-
chel), qui s'est rendu célèbre, ain-
si que son frère, par l'invention
des ballons aérostatiques, né à Vi-
dalontès-Annonay, était déjà con-
nu comme un habile mécanicien
avant cette découverte. Son père,
chef d'une famille nombreuse,
dirigeait avec succès la grande pa-
peterie d'Annonay. Entraîné dès
son enfance par une passion encore
ilésordonnée pour l'indépendan-
ce, Joseph s'enfuità l'âgede i5ans
du collège de Tournon, où il avait
été placé avec deux de ses frères.
Son projet était de gagner les
Lords de la Méditerranée, et d'y
MON
vivre de coquillages. On le re-
trouva dans une fernje du Bas-
Languedoc, occupé à cueillir des
feuilles de mûrier pour les vers à
soie. Ramené au collège, l'étude
delà théologie , à laquelle on vou-
lut l'astreindre , lui inspira un dé-
goût insurmontable; mais il mon-
tra d'heureuses dispositions pour
les sciences exactes, et, sans s'as-
sujettiràune méthode rigoureuse,
il parvint, à force de tâtonnemens
et de combinaisons particulières,
à résoudre des problèmes de géo-
méfrie transcendante. Les décou-
vertes qu'il ne devait qu'à ses
propres méditations eurent pour
lui, pendant toute sa vie, les plus
grands charmes; et comme il n'y
avait rien à inventer en théologie,
il s'enfuit une seconde fois, pour
échapper à ces cours forcés du
collège, et se retira dans un pelit
réduit de la ville de Saint-Etienne
en Forez. Là, il se livra d'abord en
toute liberté à ses goûts pour les
expériences, obtint quelques pro-
duits chimiques utiles aux arts,
fabriqua du bleu de Prusse, des
sels et autres ingrédiens propres
aux teinturiers, colportait lui-
même ses produits dans les villa-
ges du Vivarais, et suppléait à
sa nourriture par la pêche dans
les rivières du pays. Réconcilié
enfin avec ses parens, il obtint
quelques secours pour se rendre
à Paris, où il rechercha les savans
les plus distingués, suivit avec
assiduité leurs cours , et acquit
des connaissances très-étendues.
Son père le rappela auprès de lui
pour l'aider dans la direction de
sa manufacture de papier; mais
le jeune Moulgolfier ayant voul»
y opérer plusieurs changemens et
MON
tenter quelques expériences nou-
velles, son père, attaché aux an-
ciennes méthodes qui avaient jus-
que-là l'ait prospérer son com-
merce, se sépara bientôt de l'in-
novateur, qui, de son côté, as-
socié avec un de ses frères , for-
ma deux établissemens nouveaux,
l'un à Voiron et l'autre à Beaujeu.
Les jeunes entrepreneurs éprou-
vèrent d'abord de grands revers.
Se lançant imprudemment dans
le vaste champ des expériences,
leur fortune se trouva compro-
mise. Joseph Montgolfier, sortant
une fois de son insouciance habi-
tuelle, poursuivit devant les tri-
bunaux un débiteur de mauvaise
foi; mais ce fut le débiteur qui
eut assez de crédit auprès des ju-
ges pour faire emprisonner son
créancier. Ce jugement singulier
fut enfin réformé ; et quelque
temps après, des découvertes uti-
les devinrent le fruit de longues
et coûteuses tentatives, et établi-
rent la réputation de l'inventeur.
Il avait fait exécuter une machi-
ne pneumatique ingénieusement
conçue , au moyen de laquelle il
put raréfier l'air dans les moules
et formes de sa papeterie ; la fa-
brication du papier ordinaire fut
simplifiée, celle des papiers de
«;ouleur considérablement amé-
liorée. Il avait aussi conçu l'i-
dée d'opérer des impressions au
moyen de caractères fixes, et pré-
ludait ainsi à l'invention des plan-
ches stéréotypes perfectionnéps
depuis par Didot et Hcrhan. Mais
bientôt une nouvelle découverte,
faite en commun avec son frère K-
tienne, vint étonner l'Europe en-
tière. On se rappelle encore lesac-
claixiations du public et Tenthou-
Moy
'M
siasme général à la vue des pre-
miers aérostats, et des audacieux
navigateurs aériens. Le nom de
Montgolfier volait de bouche en
bouche, et fut porté au-delà des
mers. On répéla dans plusieurs
villes de la France, et bientôt chez
presque toutes les nations civili-
sées, les expériences des deux
frères; on perfectionna par des
procédés nouveaux le remplissage
des ballons ; mais les grands ré-
sultats qu'on s'était promis dans
l'espoir de les diriger à volonté ,
n'ont point été obtenus , et ne le
seront probablement jamais. Par
un retour ordinaire, après avoir
exalté outre mesure Tinveulion
des aréostats , quelques personnes
cherchèrent à la déprécier bien
au-dessous de sa valeur. On alla
jusqu'à contester aux frères Mont-
golfier le mérite de la première
découverte. On exhuma de vieux
romans de physique; on cita des
noms de savans ignorés ou depuis
long-temps oubliés, un Cavallo
qui, à Londres, avait lancé des
bulles d'eau de savon, imprégnées
d'air inflamtnable ; un Vénitien ,
qui, au i5°" ou i4"* siècle, avait
fait voyager, disait-on, dans l'es-
pace un globe d'air raréfié, dont
l'enveloppe était fabriquée en min-
ces feuilles métalliques, etc. L'a-
cadémie des sciences de Paris fit
justice de tous ces détracteurs
d'une gloire en quelque sorte na-
tionale; elle admit les deux frè-
res Montgolfier au nombre de ses
membres, et une soramede4o,ooo
fr. fut destinée à des expérience-»
nouvelles, pour parvenir à la di-
rection des aérostats. Mais si l'ou
ne peut refuser aux deux inven-
teurs la priorité de leur décoii-
48 MON
verte ingénieuse^ on ignore encore
auquel des deux la première idée
en est venue, et si le hasard seul
ou de savantes combinaisons l'ont
fait naître. On raconte diverses a-
necdotes à ce sujet. Etienne Mont-
golfier, dit-on, vit, de son bain,
une chemise liée par le haut, qu'on
avait placée en rond au-dessus
d'un réchaud, s'élever par l'ellot
de l'air raréfié, et voltiger dans
la chambre. Il forma aussitôt un
grand cornet ou ballon de pa-
pier, qu'il gonfla avec la fumée
de son foyer, et qui s'éleva sur-le-
champ vers le plafond. Voilà le
premier aérostat. Selon une autre
version, son frère Joseph, ense-
veli, selon son habitude, dans de
jirofondes méditations, seiil au
coin de son feu, jette par hasard
les yeux sur une gravure de Gi-
braltar qui ornait sa cheminée.
On assiégeait alors depuis long-
temps celte place. 11 paraissait
impossible de la réduire ni par
terre ni par mer. Il faudrait, se
dit Joseph, s'y fiayer un passage
à travers les airs, y touiber com-
me des nues. Mais, comment trou-
ver dans la nature un moteur as-
sez puissant pour enlever des
hommes? Il voit de sa fenêtre des
masses considérables de fumées
qui s'élèvent avec rapidité dans
l'atmosphcre. Si l'on pouvait em-
magasiner {c'était son expression)
des vapeurs pareilles ou encore
plus légères , en quantité suffisan-
te, on trouverait un principe de
force ascensionnelle. Poursuivant
cette idée, il forme, avec des ban-
des de taffetas, une enveloppe
sphérique ouverte par en bas, en
échauftèl'intérieuravec du papier,
et voit avec une satisfaction inex-
MON
primable sa frêle construction se
gonfler et s'élancer dans l'espace.
Selon d'autrtîs enfin, c'est Etienne
qui, revenant de Montpellier, où
il avait acheté l'ouvrage du doc-
teur Priestley sur les dilJerentes es-
pèces d'air, et méditant cet ou-
vrage dans les montagnes du \i-
varais, où l'exploitation des bois
est si diflicile, vu le ujauvais état
des chemins, se demandait com-
ment on pourrait leur frayer un
nouveau passage, en élevant de
grands blocs à une certaine
hauteur; combinant ensuite les
moyensde s'emparer d'un gaz plus
léger que l'air atmosphérique, il
rentre chez lui en s'écriant avec
enthousiasme : Maintenant nous
pouvons voguer dans l'air. Quoi
qu'il en soit de ces difl'érentes
versions, ce qu'il y a de certain ,
c'est que les deux frères, qu'une
atleclion mutuelle, indépendam-
ment des mêmes goûts et des mê-
mes poursuites scientifiques , liait
depuis l'enfance, firent leurs cal-
culs et leurs expériences en com-
mun. On ne saurait donc assigner
à chacun une part distincte de gloi-
re, et, selon leurs piopres désirs,
la leur est restée indivise. Ce fut
le 5 juin I jj83, en présence de tous
les habitans de la ville d'Annonay,
et des députés aux états particu-
liers du Vivarais, qu'ils lancèrent
un premier ballon de grande di-
mension. La machine était cons-
truite en toile, doublée de papier,
avait I lo pieds de circonférence,
et pesait 5oo livres. Elle s'éleva
majestueusement en quelques mi-
nutes à une hauteur de plus de
1000 toises, et alla tomber au loin
dans un champ, où elle causa une
grande frayeur aux paysans des
MON
environs, qui la prirent d aii.^rfl
pour un être surnaturel et raalfai-
i:ant, mais qui s'enhiirdirent enfin,
l'attaquèrent et la délruisireiit à
coups de fourches. Etienne Mont-
golôer se rendit à Pari», et répéta
le 20 septembre suivant, à Ver-
sailles, son expérience devant la
cour et une foule 'immense de
spectateurs. Cette fois on avait
placé des animaux dans un grand
panier sous l'appareil; ils repri-
rent terre sans avoir éprouvé de
mal, et Ton put dcs-lors se con-
vaincre que (]e^ hommes vague-
raient sans imminent danger dans
le« hantes régions de Tair. Pilaire
du Rosier et le marqiii-^d'Arlandes
fni-ent les premiers qui prirent pos-
session de cet élément, en s'élan-
."ant dans un ballon perdu , un
château de la Muette, et parcou-
rurent en un quart d'heure un es-
pace de 8000 t(M|es. Joseph Aiont-
golûer exécuta* à Lyon, le 19
janvier de l'année suivante, un
nouveau' voyage aérien. Il avait
«hoisi six personnes pour l'ac-
ccmipagner; mais l'enthousiastne
«les prétendans à cet honneur était
tel, qu'ils furent sur le point nen
venir aux mains pour soutenir
leurs droits. L'engouement pour
T e genre de voy;iges devint extrê-
me; nn se faillit illusion sur le
danger, fli»ron mettait une osten-
tation de courage à le braver. Le
duc d'Orléans se hasarda aussi
dan? un ballon qui partit du jar-
din deMousscaux, et manqua pé-
rir. Dans les premières monti^olfir-
re«, on opérait la dilatation de Tiur
atmosphérique p-si-Ja chaleur d'un
grand fourneau placé ««ous l'orifice
de l'appareil, et l'on entretenait
le feu avec de la laine et de la
T. XI r.
310'
w
pnillo bacliées et mêlées ensemble.
Cette méthode avait de graves in-
convéniens, qu'on reconnut plus
tard. Le feu pouvait facilement
pafner les parois de la galerie,
et embraser le ballon même. Il
était en outre impossible de cal-
culer exactement le degré néces-
saire de chaleur, qu'il fallait aug-
menter pour s'élever et diminuer
pour descendre. Des secousses dan-
gereuses résultaient cependant,
pour l'aérostat, de toute erreur gra-
ve àcet égard. M. Charles, physicien
habile, employa le premier peur
remplir un ballon le gaz liydroscnr.,
dont la densité n'est qu'un quin-
zième de celle de l'air atmosphé-
rique, et choisit pour enveloppe
dutaffetas., quil rendit imperméa-
ble avec un vernis composé de-
gomme élastique, dissoute dans
de l'huile bouillante. Il obtint ainsi
une force ascensionnelle plus gran-
de et indépendante de tout travail
ou entretien de feu. Son expérien-
ce, faite en commun avec le mé-
canicien Kobert , eut im succès
complet. Ils partirent des Tuile-
ries et retombèrent à neuf lieues
de Paris. Robert remonta ensuite
seul, et s'éleva à une hauteur de
17.50 toises. Ce mode d'ascension
eut dès-lors la préférence, et les
r/iar/o/<t'5 prévalurent sur les mow^-
golfiéres. Les deux frères s'occu-
pèrent ensuite de la construction
d'un aérostat de 270 pieds de dia-
mètre, pour lequel le gouverne-
ment leur avait accordé quelques
secours.Il devait être, à ce qu'on es-
pérait,d'unecapacitéet d'une tcrce
à enlever 1200 hommes avec armes
et bagages : mais la révolution vint
interrompre ces travaux. Joseph
avait en attendant inventé le pa-
4
5o mo^
rachute, dont oti fit fl'aljord Vcoî-
wi avec des animaux à Avignon,
et qu'il appliqua depuis aux bal-
lons qn'ii fit construire à Anrtonay.
Il tut peu question des (Vère!< Mo«t-
golfier pendant les orages de la
révolution. Joseph poursuivait en
paix ses méditations et ses expé-
riences. Un de ses ballons fut em-
ployé avec succès pour reconnaî-
tre les positions et les manœuvres
de l'ennemi, à la bataille de Flcu-
rus. Bonaparte, parvenu au con-
sulat, lui donna la décoration de
la légion-d'honneur. Il fut ensuite
nommé administrateur du conser-
ratoire des arts et métiers, et en
1807, membre de l'institut. Ce
fut lui qui donna la première idée
de la Société! d' encouragement pour
l'industrie. Il eut aussi, et encore
en commun avec son frère Etien-
ne, le mérite de l'invention du
bélier hydraulique^ invention émi-
hemment utile aux arts , et à une
foule de jouissances sociales. Cette
machine, parla seule impulsion
d'une très-médiocre chute d'eau,
la porte à 60 pieds d'élévation. Il
en avait fait la première applica-
tion , dès 1792, à sa papeterie de
Voiron, et perfectionna depuis
cette machine à Paris. Les Anna-
les des arts et manufactures don-
nent la description d'une autre
machine, qu'il inventa pour dé-
terminer la qualité des différentes
espèces de tourbes du Dauphiné,
et à laquelle il donna le nom de
calorimètre. Il exécuta aussi ujie
presse hydraulique, et, dans un
voyage en Angleterre, communi-
qua celte invention à Bramah,
qui l'établit à Londres, en recon-
naissant les droits de priorité de
Joseph MontgeîÊer. N. de Gôra»?-
do, dans un éloge de hii, cite Ie«
Annales de chimie, qui ont donné
la description de son ventilateur,
pour distiller à froid , par le con-
tact de l'air en mouvement, com-
me aussi de son appareil pour la
dessication en grand et à froid
des fruits et autres objets de pre-
mière nécessité, de manière à ce
qu'ils soient conservés sans alté-
ration, et puissent être rétablis
ensuite dans leur état primitif par
la restitution de l'eau. Il voulait
dessécher par ce procédé le moût
de raisin, le vin et le cidre; les
rendre, après qu'ils auraient été
ainsi réduits en tablettes de petit
volume, transportables à de gran-
des distances avec économie.
Montgolfier a enfin légué à son
fils, héritier de ses goûts et de
ses talens, un projet pour la subs-
titution aux pompes à vapeurs
maintttnant en usage, un appareil
bien plus économique, qu'il ap-
pela pyrobélier. Monigolfier fut
frappé, au commencement de
1810, d'une apoplexie qui lui
ôta le libre usage de la parole. li
se rendit aux eaux de Balaruc ,
où il mourut le 2O juin de la mê-
me aimée. Cet homme estimable,
à qui les sciences et les arts doi-
vent de si grands, de si utiles pro-
grès, était d'une douceur et d'u-
ne simplicité de mœurs remar-
quables. Sa naïve bonhomie, son
abnégation de tout intérêt per-
sonnel, ses rêveries et ses distrac-
tions, l'ont souvent fait comparer
à La Fontaine. Il s'entretenait
volontiers d'objets scientifiques,
et communiquait facilement dans
la conversation ses idées sur les
i^rls, mais il écrivait peu. On n'a
ÛQ lui que de» articles en petit
MON
nombre, insérés dans qneltjues
recueils, un Discours sur l'aéros-
tat, 1783, in -8°; Mémoire sur la
machine aéroslalique, 1784, in-8";
et les Voyageurs uériera, '784,
iu-8". MM. "Uelanibr*: et de Gu-
rando ont chacun composé un é-
loge de Joseph .Montgolfier.
iMOMGOLFIER (Jacqces-
Etie>5E), frère du précédent, né
à Vidalon-les-Annonay le 7ianvitT
1745, fnt envoyé très -jeune à
Paris, où il ût ses élU'Ies au col-
lège de Sainte-Barbe. Il s"y dis-
tingua par de rapides progrès dans
les sciences exactes, et se d»;sti-
nant à létat d'architecte, il devint
au sortir du collège élève de Soui-
flot. Tout l'argent qu'il pouvait
épargner sur la liùble pension que
son père, déjà chargé. de famille,
lui faisait tenir, ainsi que le prix
des dessins et plans qu'il fut hion-
tôt chargé de faire, était employé
à acheter des instrumens de ma-
thématiques et des livres, ou à
faire des expériences. On lui con-
fla la construction de l'église du
village de Fareujoutier, dont il a-
vait donné le plan. M. lléveilloîi,
qui dirigeait une grande manufac-
ture de papiers à Paris, au fau-
bourg Saint-Antoine, avait aussi
une propriité dans ce village , et
y fit la connaissance du jeune ar-
chitecte, dont il sut bientôt ap-
précier tout le mérite, l^ue étroite
amitié s'établit entre eux. Réveil-
lon le chargea de donner les plans
d'une nouvelle manufacture qu'il
voulait établir, et les ayant ap-
prouvés, le chargea encore de les
faire exécuter. Plusieurs années
après, il lui abandonna ses beaux
jardins du faubourg Saint-Antoi-
ue, pour y faire ses expériences
WON
5i
aérostatique?. Li mort d'un frère
aîné fit rappeler Montgolfier dans
hi maison paternelle, pour pren-
dre la direction de la grande fa-
brique de papiers d'Annonay.
Moins aventureux dans ses expé-
riences que son frère Joseph, et
trop habile mathématicien pour
procéder sans de rigoureux cal-
culs, il obtint cependant d'impor-
tantes améliorations, et rendit son
établissement florissant. Il sut en
partie deviner et bientôt s'appro-
prier entièrement les procédés des
ateliers anglais et hollandais, jus-
qu'alors inconnus en France; in-
venta des formes pour le papiei"
grand-monde , ftt le premier du
papier vélin ^ perfectionna les col-
les et les séchoir-!, et enrichit ainsi
sa patrie de découvertes utiles.
Sa réputation était déjà établie,
quand ses méditations sur l'ou-
vrage de Priestley [voyez l'article
précédent), communiquées à son
frère Joseph, les conduisit tous
deux à l'invention des aérostats.
Depuis cette époque, sa destinée
se trouva si étroitement liée à celle
de ce frère, que l'histoire du pre-
mier devient en grande partie celle
du second. Ils firent, ainsi que
nous l'avons déjà dit, toutes leurs
expériences en commun; ils es-
sayèrent, pour gonfler les pre-
miersbailons, plusieurs combusti-
bles, plusieurs substances aérifor-
mes plus légères que l'air atmos-
phérique,telles que l'eauréduiteeii
l'état de vapeurs, le fluide électri-
que, le ga7 inflammable ; ils firent
de> globes de papier, de toile, de
taffetas; essayèrent enfin le pre-
mier grand aréostat aux Célestins,
prés d'Annonay , et répétèrent
eelte expérience en public dan?
52
MON
Annonay même. Ce fut Etienne
qui, engagé par son frère et lous
ees amis , se chargea d'exposer ;\
Paris leur découverte consmune,
dont ils espéraient de plus, à cette
époque, pouvoir tirer parti pour
l'exploitation des beaux bois des
montagnes du Vivarais. Les expé-
riences furent faites eu présence de
la famille royale, à Versailles et au
château de la Muette. Etienne fut
présenté à la cour; Louis XVI le
décora du cordon de Saint^Michel,
donna à son frère Joseph une pen-
sion de looo livres, et des lettres
de noblesse à leur vieux père.
Sous la direction de Faujas de
•Saint- Fond, une souscription fut
ouverte et bientôt remplie , dont
le produit fut employé à faire
frapper deux médailles en hon-
neur de cette découverte, la pn-
raière de 18 lignes, la seconde de
22, portant l'effigie des deux frè-
res, et rappelant les diverses as-
censions. Accueilli partout avec
enthousiasme , Montgolfier fut
surtout sensible aux témoignages
d'estime et d'amitié que lui valu-
rent, non moins que ses talens ou
le bonheur de sa découverte, son
caractère honorable. Admis dans
l'intimité de Lavoisier, du ver-
tueux duc de la Rochefoucault, de
Condorcet, de M. Boissy-d'Anglas,
il ne cessa depuis d'entretenir des
relations avec ces hommes distin-
gués. La révolution vint inter-
rompre les travaux auxquels il se
livrait avec son frère, et pour les-
quels ils avaient amassé à grands
frais des matériaux considérables.
Montgolfier ne prit aucune part
aux troubles politiques , se retira
dans sa manufocture, poursuivant
le cours de ses recherches et per-
MON
feclionnant sans cesse ses pro-
duits. C'est à cette époque, et peu
de temps avant le règne de la ter-
reur, qu'Etienne et Joseph inven-
tèrent Ifi bélier hydraulique. Ils
rendirent tous deux de grands ser-
vices à plusieurs personnes me-
nacées ou poursuivies, dans le
midi de la France, pendant les
orages de la révolution. Etienne
fut lui-même dénoncé plusieurs
fois, et n'échappa que parl'airec-
tion et !e dévouement des nom-
breux ouvriers qu'il employait, à
une airestalion qui, à cette épo-
que, et surtout dans la contrée
qu'il habitait, était toujours ac-
compagnée d'un danger imminent
pour la vie même. Il eut le bon-
heur cependant de voir luire le ()
thermidor, et de retrouver du
calme et une sécurité parfaite a-
près la chute du parti de Robes-
pierre : mais il n'en jouit que cinq
années. Atteint depuis quelque
temps d'une maladie au cœur, il
se rendit à Lyon avec sa famille;
il y reconnut bientôt toute l'inef-
ficacité des secoiu'S de la médeci-
ne, et pressentant lui-mêtne sa fin
prochaine, pour ne point donner
à sa femme et ses enîans le triste
spectacle de sa mort, il prétexta
un voyage indispensable, partit
seul pour Annonay, et succomba,
ainsi qu'il l'avait prévu, avant d'y
arriver. Ce fut à Serrières , le ft
aofit 1799, qu'il mourut, laissant
de bien vifs regrets à ses nom-
breux amis comme à son frère
Joseph, plus âgé que lui. Ce der-
nier (ni survécut plusieurs années,
mais resta toute sa vie inconso-
lable de la perte du fidèle compa-
gnon de ses travaux, et de cet au-
tre modèle de l'amitié fraternelle.
MON
MONTGRAND (Jean-Baptiste-
Jacqves - Gci - Thébèse , marqvis
de), d'une ancienne famille de
Provence, né en 1776, quitta la
France en 1790, se retira à Vé-
rone, et ayant obtenu sa radia-
tion de la liste des émigrés, rentra
dans sa patrie, où, jusqu'en i8i5,
il vécut ignoré, A cette époque,
il devint maire de Marseille, et
membre de la légion -d'honneur
après la première restauration ,
en i8i4- Maintenu daas ses fonc-
tions de maire par le gouverne-
meut du roi, il fut ensuite nommé
officier de Ja légion -d'honneur.
Lors des événemens du 20 mars
)8i5, M. de Montgrand s'opposa
de tout son pouvoir aux mou»e-
meusqui se préparaient en faveur
de Napoléon; il donna sa démis-
sion au moment même où la ville
venait de se soumettre : sa desti-
tution et son remplacement ne lui
furent, notifiés que deux jours a-
près. On le regarde comme l'au-
teur de ]a Lettre d'un Marseillais
au marcchat Masséna, sans date.
Depuis cette époque, M. de Mont-
grand a cessé d'être en évidence.
MONTHION ( Fr.v>çois-GÉ-
dÉon-Bailly, comte de) , lieute-
nant-général, graiul'croix de la
légion -d'honneur, chevalier de
Saint-Louis, et de diOérens ordres
étrangers, est né ù l'île Bourbon,
ea Afrique, le 27 janvier 1770. Sa
famille avait servi avec dislinc-
lion dans la guerre de sept ans,
et son père, comme officier, au
régiment de Condé. Destiné à )a
carrière militaire, et après avoir
fait de bonnes études à Paris, il
entra, à i'ûge de 17 ans, en qua-
lité de sous -lieutenant au 74"*
régiment , le 24 février i-i}.*». Il
MON 53
lit sa prertîière campagne à l'ar- ipi
niée de la Moselle, et se trouva à '
plusieurs affaires. Avant d'entrer
dans les détails de sa vie itiilitaire
et des opérations auxquelles il a
pris part, nous remarquons qu'il
passa successivement parles gra-
des de lieutenant, capitaine, chef
'd'escadron, colonel, général de
brigade, général de division, de-
puis 1790 jusqu'en 1812, époque
où il obtint ce dernier grade; qu'il
futchargé de hautes missions, et fut
(■hefderétat-major-géaéral de gran-
des armées, en Allemagne, en Es-
pagne, en Pologne et en Russie,
peudaÉlô ans; eut le titre d'aide-
major-général des armées, et exer-
ça lui-même les fonctions de ma-
jor-général, depuis le 1" février
18 15 jusqu'au jour de la bataille
de L'Jlien, le 2 juin, et depuis le
24 août jusqu'à la fin d'octobre de
la même année. Rappeler ces
fonctions, c'est donner l'idée de
tous les moyens qu'il fallait dé-
ployer en activité et en précision,
dans les ordres et les détails d'une
armée colossale, manœuvrant sans
ces;<e 4t:vant un ennemi plus nom-
breux encore, et dont on ne pou-
vait déjouer les entreprises que
par des attaques journalières. Il a
servi aux armées de la Moselle, du
îSord, des Pyrénées-Orientales, de
l'Ouest, de Sambre-et-.Meusc, de
Mayence et d'Italie, et s'est trou-
vé aux affaires du bois du Tilleul,
forêt de Mormal, armée du Nord;
à celles de Tiffange* , Cholet,
Landes de Bonin et Corpoué ,
Machecould; prise de l'île de Noir-
nioutiers, armée de l'Ouest, etc.
Précédemment il avait été compris
dans une mesure de sûreté, em-
ployée par les représentaiis en
D4
MON
mission aux armées, qui destituè-
rent, sans dietinclion, tous les of-
ficiers nobles à la division de Mau-
beuge. 11 quitta son n'jgiment ,
tnais on le réintégra bientôt en
(pialité d'aide-de-camp du géné-
ral en chef de 'l'armée des Py-
rénées-Orientales. En 1800, il
fut de la célèbre campagne d'Ita-
lie, eut un cheval tué au combat
<lu 4 juin, près Suze, et fut du
nombre des officiers récompensés
après la bataille de IMarengo : il
obtint le brevet de chef d'esca-
dron au 9™* régiment de chasseurs
à cheval, A la reprise des hostili-
tés, en iS«5, il fut choisllil^>ar le
ministre de la guerre, maréchal
Berthier, depuis prince de Neuf-
châtel et de W'agram, pour faire
partie du petit nombre des olli-
ciers qui lui étaient partSIfclière-
jnent attachés, et ne l'a pas quitlé
jusqu'en i8i4- H s'est trouvé aux
affaires d'IJlm, Memingen, Holla-
brun, et à la bataille d'Austerlitz ;
tUc lui valut le grade de colonel
et d'ofTicier de la légion-d'hon-
neur, ainsi que la croix ùil mérite
militaire de Bavière. Immédiate-
ment après, il fut chargé de mis-
sionsdiplomatiques, près des cours
de Wurtemberg, de Bade et de
H esse, dont il reçut des témoigna-
ges de considération. Ce fut pen-
dant la campagne de Prusse, en
1806, qu'il commença à exercer
les fonctions d'aide-major-général;
cette campagne fut suivie de celle
de Pologne ; il s'est trouvé aux
principales afl'aires de Nasielz ,
Novemiasto, Golimin, Hoff, et à
la bataille d'Eylau, pour la cam-
pagne d'hiver, et à celles de Gud-
stadl, Heilsberg, et à la bataille de
Triedland, pour celles d'été. Lors-
M0>^
qu'on traitait de la paix, il fut
gouverneur de ïilsilt, pendant le
séjour des souverains. 11 fut élevé
au grade de commandant de la
légion-d'honneur. En 1808, par
suite d'un traité entre la France
et l'Espagne, trois corps d'armée
furent dirigés sur la frontière,
pour pénétrer en Portugal. Dési-
gné pour être chef d'état-major du
prince qui les commandait en chef,
il reçut le grade de général de bri-
gade, fit la campagne, se trouva
aux affaires de Bilbao, de Somo-
s!erra et de Benavente, et quitta
l'Espagne pour exercer les fonc-
tions de chef d'état-major-général
de la grande-armée, lorsde la cam-
pagne de 1809, contre l'Autriche.
Arrivé seul à Donawerth, il y fut
suivi par un régiment provisoire
de cuirassiers; le roi de Bavière
abandonnait Munich, et l'armée
autrichienne , commandée par le
prince Charles, passait l'Inn, à
Landshutt; le prince de Wagrau)
et l'empereur arrivèrent quelques
jours après. Il rendit compte à
l'empereur des mouvemetis de
Trinnemi. qui, après le passage de
l'Inn, avait fait tête de colonne à
droite, se dirige.int sur Batisbon-
ne. Sur cet avis, et sur l'aperçu
de la carte , ce prince s'écria :
« L'armée autrichienne est per-
»due, nous ea aurons bon comp-
»te; dans un mois nous serons ;\
«Vienne. » Paroles que les évènc-
mens justifièrent. A la première
alîaire de Rorh, les troupes bava-
roises, avec lesquelles on se battit
contre les Autrichiens, furent mi-
ses sous le commandement imn)é-
diat du prince de Whgram ( l'em-
pereur voularU avoir, pendant
l'action, le prince de Bavière au-
MON
près de sa personne ). Le prince
avait donné an général Monthion
le comnnandement de l'aile gau-
che ; des bataillons entiers avec
drapeaux et artillerie, furent faits
prisonniers. Ce premier avantage,
suivi d'une campagne brillante,
fera époque par les victoires rem-
portées aux batailles d'Eckmiihl,
d'Essiing et de Wagram. Le gé-
néral Monthion, qui fut constam-
ment employé pendant ces jour-
nées, eut trois chevaux tués, et
reçut du prince de Wagram, au
nom de l'empereur, une lettre de
félicitation , pour lui et son état-
major. Son titre de baron fut rem-
placé par celui de comte, et sa do-
tation, de 10,000 francs de rente,
fut portée au double : il reçut é-
galement le grand cordon de l'or-
dre de Hesse, et celui de com-
mandeur de l'ordre militaire de
"Wurtemberg. La paix de Pres-
bourg le ramena à Paris, avec le
prince do Wagram. Il fut chargé.
en 1810, de l'inspection des divi-
.Mons qui marchaient vers l'Espa-
gne. En 181 1. il fut nommé com-
mandant de la frontière de France
et d'Espagne, et d^une division
d'infanterie de 20,000 hommes,
campée sous Bayonne. Dans ce
commandement important, il re-
çut les félicitations de l'empe-
reur, pour les dispositions qu'il
prit sur lui, âam des cas d'urgen-
ce, et notamment lors de l'attaque
des Espagnols, en avril 1811. La
guerre de Russie, en 1812, le fit
appeler aux fonctions de chef de
l'élal-major-général de la grande-
armée. Il vint prendie ses ins-
tructions à Paris, et porta le quar-
tier-général à Berlin. Le général
Monihinn fut élevé, dans celle
MON 55
canjpagne, au grade de général de
division. Il s'est trouvé aux ba-
tailles de Smolensk , Borodino,
Moskowa, Mala-Yo, Roslawetz; à
la retraite, au passage de la Béré-
sina, et arriva à Konigsberg avec
les débris d'une armée couverte
de gloire, mais en partie détruite
par l'excessive rigueur des élé-
mens. Par suite du départ de l'em-
pereur, et de l'absence du prince
de Wagram, attaqué d'une mala-
die grave, l'armée fut placée sous
le eommandetnent du prince Eu-
gène, et les fonctions de major-
général furent confiées au géné-
ral Monthion, le i" février 181 5.
On rallia les débris des troupes,
d'abord à Poscn, puis sur l'Oder,
et enfin sur l'Elbe, que l'on prit
pour ligne d'opérations , afin d«
laisser à l'empereur le temps de
créer et d'organiser ces jeunes
conscrits qui vinrent cueillir leurs
premiers lauriers dans les plaines
de Lutzen : il fallut, à cet effet, se
porter successivement du haut au
bas Elbe, le passer quelquefois,
attaquer souvent l'ennemi pour
l'empêcher de faire usage de ses
moyens ofl'ensifs. Tous les enga-
gemens furent à l'avantage des
Français, et comme partoiit le
prince Eugène commandait en
personne , le général Monthion
disposait les divisions destinées à
toutes les attaques. Vers la fin d'a-
vril, l'armée de l'Elbe reçut l'or-
dre de se joindre aux troupes de
l'empereur, sur Mersebourg, et
après avoir pourvu aux places de
Torgau , Wurtemberg, Magde-
bourg, l'armée, en trois jours, ar-
riva dans les plaines de L»»fzen, la
veille au soir du jour de la bataille.
Celle bataille, comme les. précé-
jO
MON
«lentes, fut gagnée par les Fran-
çais; on sait la part que prit à la
A'ictoire. l'aile gauche comtnandce
})ar le prince Kugène , et où se
trouvait le gcnùral Monlliion. Le
surlendemain, il reprit ses îonc-
lions auprès du prince de NVagiarn,
et se trouva aux alTaires de Baut-
zen et de >Vurchen. Le général"
Monthion tomba d angerensemeiit
malade, le lendemain de la ba-
taille de "VVurchen ; le prince de
^yagram, quelque-^ jour» après,
lui écrivit, à ce sujet, le billet le
plus flatteur. Une silspension d'ar-
mes eut lieu : les hostilités ne re-
prirent qu'au mois d'août. Le
prince de AYagram , éloigné de
nouveau des altaircs par une forte
maladie, fut remplacé parlegéné-
ral Monthion, dans les importan-
tes fonctions de inajor-général. Il
fut nommé grand-ulïicier de la
légion-d'honueur, et fit la campa-
gne de France de 18 i 4- Après l'ab-
dication de l'empereur, il reçut la
croix de Saint Louis. Ln 18 15, a-
prés le départ du roi, les armées
étrangères menaçant le territoire
français, il accepta les fonctious
de chef de l'état-rnajor-général de
l'armée commandée par Napo-
léon; il s'est trouvé aux batailles
de Ligny et de Waterloo. A celle
dernière, il fut légèrement blessé.
Le général Monthion est porté sur
le tableau des huit lieulenans-gé-
néraux du corps royal d'état-
juajor, créé par ordonnance roya-
le du 6 n)ai 1818.
MONTIIOLON (Chari-es-Tris-
XAN, COMTE de), général, aide-
de-campde l'empereur Napoléon,
commandant de la légion-d'hon-.
neur, et revêtu deplusieurs grîsnds
oj-drcs élranscrs. né i l'aris ou
MON
1785.8011 père, le marquis deMon-
tholon, colonel du régi m eut de dra-
gons de Pcnthièvreet premierve-
neur de Monsieur (aujourd'hui
Louis XVIil), mourut l'année qui
précéda la révolution, laissant
plusieurs cnfans en bas âge. Se
destiuantdès sa première jeunesse
à la carrière des armes, M. de
Montholon, encore enfant, avait
été embarqué vers 1792 sur la
frégate la Junon , qui faisait par-
tie de l'escadre commandée par
l'amiral Truguet, lors de l'expé-
dition deSardaigne. Étant débar-
qué en Corse i il y fut connu et
disii'jgué, inalgré sa jeunesse, par
Bonaparte, alors lieutenant-colo-
nel d'artillerie. En 1797, à jieine
âgé de i5 ans, le jeune Montholon
entra dans un régiment de cava-
lerie légère, et toujours en activi-
té de service depuis celte époque
jui^qu'en i8i5, sa conduite mili-
taire fut des plus honorables. Il
a fait les campagnes d'Italie,
d'Allemagne, de Pologne, d'Ls-
jiagne et de France; s'est trouvé
à toules les batailles mémorables;
s'est particulièrement distingué à
celles d'Austerlitz, de Wagram ,
d'Icna, de Friediand, et a été l)les-
sé cinq fois. En 1807, il passa à
l'éîat-major en qualité de colonel-
aide-de-campdu maréchalBerthier,
prince de Neuchâtel, et fut, en
1809, attaché à la maison de l'em-
pereur, dont il devint chambellan.
Il remplit avec succès plusieurs
nu'ssions particulières, et fut nom-
mé par Niipoléon , en 1811,
ministre plénipotentiaire près de
l'archiduc d'Autriche Ferdinand,
alors grand-duc de Wurtzbourg.
C'est de cette ville qu'il envoya
au gouvernement français un rap-
^/^' ^
^ y
^V/ // Yf/ <_/ /U'/lûLT^/ly.
MON
port remarquable sur la situation
intérieure de rAllemague , et sur
la disposition secrète des princi-
paux cabinets, qui n'attendaient
et ne désiraient qu'une occasion
favorable pour renouer les liens
des ancieiuies coalitions, et pour
tourner de nouveau leurs armes
contre la France. Rappelé de
"NVurtrbourg en i8i4j M- àe
Montholon eut le commandement
en chef du département de la Loi-
re, où il avait déjà pris toutes
les mesures nécessaires pour op-
poser une vigoureuse résistance
a l'invasion des troupes autrichien-
nes, lorsqu'il reçut la nouvelle de
l'abdication de l'empereur. Il vo-
le aussitôt à Fontainebleau polir
lui oftVir de nouveaux services,
déjà résolu à l'accompagner par-
tout, et à s'attacher à son infor-
tune; mais Napoléon crut devoir a-
lors se refuser à ce généreux dé-
vouement. Au retour delUe d'El-
be, et pendant les cent jours, M.
de Montholon reprit les fonctions
d'aide -de-camp-général, assista
à la bataille de Waterloo, accom-
pagna enfln Napoléon à Sairjte-
Héléne , et n'a cessé depuis de lui
donner des preuves du plus ten-
dre attachement. Investi de sa
conGance, et nommé son premier
exécuteur-testamentaire, M. de
Montholon est devenu aussi le
dépositaire d'une partie de ses
manuscrits. Il en a déjà publié 5
volumes conjointement avec le
général Gourguud, qui eut paru
chez les fréies Bo*sange.
MONTHUREUX(le baron
FRAiSeoiS-LoriS-JoSEPH BoiiRCIEK),
colonel de cavalerie, chevalier de
Saint-Louis, de, la légion-d'hon-
neur et du Croi-ssanl, est ué à
MON
57
Nancy, le 4 mai 1768. Il émigra
en 1790, alla rejoindre le? armées
rassemblées au-delà du Rhin, fit
cinq campagnes sous les ordres du
prince de Condé, et huit dans
l'armée anglaise, qu'il suivit en
Egypte. En 18145 ''U moment de
l'invasion des troupes alliées en
Lorraine, il fut choisi par ses con-
citoyens pour commandant civil
de la ville de Nancy. Nommé pré-
fet de la Corse à la première res-
tauration en i8i4j il rentra dans
ses foyers par suite du retour de
Napoléon , au mois de mars 181 5.
Le 'J.5 juin, nommé commandant
supérieur de l'arrondissement
d'Aix, il le défendit contre le ma-
réchal Brune. M. de Rivière, gou-
verneur pour le roi dans le Midi,
le chargea de se rendre à Toulon,
afin d'y entamer des négociations
pour la reddition de cette place.
En décembre 181 5, le roi le nom-
ma préfet de la Dordogne, d'où
il fut rappelé en 1817. Depuis cette
é})oque, M. Monthureux a cessé
d'être en évidence.
MONTHYON oc MONTYON
(Antoine -Jeak-Baptiste -RoBERT-
AccrsTE, BAROîi de), ancicu con-
seiller-d'état, chancelier de Mon-
sieur, etc., naquit le 26 décembre
1735, et mourut dans sa 87* an-
née (le 29 décembre 1820). Hé-
ritier d'une fortune considérable,
il en employa une partie à encou-
rager les lettres, et à protéger les
jeunes gens qui les cultivaient.
Souvent, sous le voile de l'anony-
me, il venait au secours de nos a-
cadémies, lorsqu'elles exprimaient
le regret de n'avoir pas de seconds
prix à donner; il s'empressait a-
lors d'en fournir les fonds. On re-
marqua que dans un coiicours.
58
MON
l'acadénnie, qui l'avait ouvert,
ayant jugé favorablement 4 ou-
vrages et n'ayant qu'un prix à dis-
tribuer, elle reçut aussitôt, dans
3 lettres anonymes, les fonds des
3 autres prix, comme s'ils étaient
offerts par 5 bienfaiteurs différens.
Ce fui M. deMonlhyon qui fonda,
«n 1782, un prix de 1,200 francs,
pour l'ouvrage que l'académie
française aurait reconnu le meil-
leur de ceux publiés dans l'année.
H fonda aussi à la même époque
•un prix de vertu. Cet homme es-
timable donna souvent des preu-
ves de sa bienveillance pour les
jeunes littérateurs. L'un d'eux,
dont on lui parla avec intérêt, an-
nonçait des talens remarquables;
mais il était sans fortune. M. de
Monthyon lui fait offrir une pen-
sion , à la seule condition que la
personne qui en constituerait les
fonds, resterait inconnue. Le jeu-
ne écrivain refusa précisément à
cause de la réserve; noble combat,
où cependant l'homme de lettres
eut l'avantage, puisque, par déli-
catesse, il se priva de la pension
qui lui était offerte. M. de Mon-
thyon, alors intendant d'Auver-
gne, se faisait chérir dans son ad-
ministration, par ses talens et par
son humanité. Sa fortune sup-
pléait à l'insuffisance des fonds mis
à sa disposition; et les pauvres du-
rent à sa constante sollicitude,
dans toutes les grandes circons-
tances, d'utiles travaux et d'abon-
dans secours. Les habitans d'Au-
rillac lui consacrèrent, lorsqu'il
quitta sojn intendance, un obélis-
que en témoignage de leur recon-
naissance. Certes, il méritait cet
hommage, non-seulement par sa
bienfaisance, mais encore par sa
MON
fermeté à résister au pouvoir. Les
auteurs d'une îiotice sur cet ancien
magistrat s'expriment ainsi à cet
égard : » Entré au conseil du roi,
»il fut le seul qui. en 1766, tenta
»de s'opposer à l'infraction de$
«lois de l'état, par laquelle ce con-
»seil se trouvait transformé en
«commission criminelle pour ju-
»ger La Chalotais. Plus tard, il
» refusa de coopérer à la suppres-
Bsion des cours de justice en ins-
wtallant, dans la province dont
«l'administration lui avait été con-
» fiée, le corps de magistrats dési-
» gné par le chancelier Maupeou
»(voy. MAtPEOxj) pour y rempla-
»cer la cour, depuis long-temps
«existante. Il perdit son inten-
»dance par ce refus, et ne devint
«conseiller -d'état qu'en 1775. »
M. de Monthyon obtint, en 1780,
une charge à la cour par un évé-
nement assez singulier. Un jour
qu'il devait être admis à une au-
dience du roi, il excita, par son
costume antique et sa perruque
énorme, la gaîté de quelques jeu-
nes seigneurs; Monsieur [alors M..
le comte d'Artois), bien jeune en-
core , se laissa entraîner à cette
gaîté communicative, et en fut
sévèrement réprimandé par le mo-
narque. Le lendemain, le jeune
prince se présentadevantlui :« J'ai
«imaginé, dit S. A. R. , un bon
«moyen de réparer mon tort en-
» vers M. de Monthyon ; votre ma-
«jesté n'a point encore nommé à
«l'emploi de chancelier dans ma
)» maison : je viens le demander
«pour lui. » C'est ainsi que M. de
Monthyon devint chancelier de
Monsieur, qu'il suivit, en 1791, à
l'étranger. Il ne rentra en France
qu'en 181 5. Outre les dotations
MON
qu'il a faites en faveur des acadé-
mies pour différens prix, et dont
le capital s'c'evait. avant la révolu-
tion, à plu? de 60.000 francs, il a
légué par leetament, aux hospices,
une somme de près de trois mil-
lions de fr^cs. M. de Monthyon
a concouru deux fois à l'académie
française. En 1777. il obtint un ac-
cessit pour Y Eloge du chancelier de
/'^t>/)<7fl/; et plus lard, le prix qu'el-
le avait proposé sur celft; ques-
tion : De V Influence de la décou-
verte (le l' Amérique sur C Europe;
onfln il fut couronné , en 1800, à
l'académie de Stockholm, pour
son Ménxoire sur les progrès des
lumières dans le 18* sieclc.Em^oy,
M. de Monihyon composa un
Eloge de Corncifie, sujet mis au
roncours par l'institut impérial; ce
discours ne fut point admis à con-
courir, par des considérations par-
ticulières: néanmoins l'auteur le fit
imprimer, et il parut à Londres. On
doit encore à M. de iVl!)nthyon:i''
Rapport adressé à Louis XV lll,
sur les principes de l'ancienne mo-
narchie française, Londres, 1 7p8,
ouvrage auquel donna lieu le Ta-
bleau de PEurope, de M. de Ga-
lonné, et où cet ancien ministre
établissait que la nation françai-
se avait été quatorze siècles sans
constitution. M. de Monthyon sou-
tenait dans son ouvrage que cette
conslitution existait, mais il re-
connaissait qu'elle avait été a cons-
ntaunnent violée par les rois de
«France.» 2" Particularités et ob-
servations sur les ministres des fi-
nances les plus célèbres , depuis
\';iw jusqu'en 1791 , Londres et
Paris, 1812, in -8"; 3' Quelle in-
fluence ont les diverses espèces (f im-
pôts sur la moralité, l'activité et
MON
59
l'industrie des peuples , Paris ,
j8o8. Celte question avait été pro-
posée par la société royale de
Goettinguc. Les événemens poli-
tiques ne lui permirent pas d'eu
décerner le prix. 4" -E'a^ statis-
tique du Tunkin; 5° on lui at-
tribue généralement la plus gran-
de partie du livre de Moheau, qui
parut en 1778 et qui a pour titre :
Recherches et considérations sur la
population de la France. 6* On lui
attribue encore la rédaction du
Mémoire des princes, qui parut
en 1789. La vie constamment ho-
norable de ce magistrat est peinte
en quelque sorte dans les paroles
qu'il adressait à S. M., en 1790 :
«'Ma vie n'a pas eu un grand éclat;
«peut-être en a-t-elle eu trop pour
» mon bonheur. Cependant, si je
«puis me féliciter de quelques ac-
«tions louables, j'ai pris plus de
«soin pour les cacher, que d'au-
ntres n'en ont pris pour en cacher
»de répréhensibles. Celles de mes
«artions qui ont eu une publicité
«indispensable prouvent que je
«n'ai point l'âme servile. » Lne
clause du testament de cet excel-
lent citoyen portait que les diiTé-
rens legs qu'il a fondés en faveur
de l'académie-française et des hô-
pitaux augmenteront dans une
proportion déterminée, en raison
de la fortune qu'il laissait, et dont
il ignorait en mourant toute l'é-
tendue. L'exécution de cette clau-
se a décuplé la valeur des diflY'-
rens legs.
ftlONTI (Vincent), un des plu*
célèbres poètes de l'Italie moder-
ne, auquel ses compatriotes ont
donné le surnom d'jV Dante en-
gentUito (le Dante gracieux) , est
né a Fu.xignagno, dans le Ferra-
6o
MON
rais, en 1753. Après avoir fait de
bonnes études à l'université de
Ferrare, où il eut pour maître
Onufre Minzoni, poète et pi'ofes-
seur de belles-lettres, qui jouissait
d'une réputationdistinguéc, Mon-
lisefit connaître avantageusement
par diverses poésies qui obtinrent
un grand succès. Admirateur pas-
sionné du Dante , il le prit long-
temps pour modèle. Les talens
du jeune poète lui valurent de
bonne heure des amis et des pro-
tecteurs. Parmi ces derniers , on
cite le riche banquier bolognais
Gondijétabli àRome,et monsignor
Nardini, secrétaire des lettres
latines du pape Pie VI; mais ces
mêmes talens, dont il savait bien
lui-même apprécier toute la va-
leur, joints à un caractère ardent,
et peut-être trop facilement irri-
table , lui suscitèrent aussi de
nombreux adversaires , contre
lesquels il ne cessa de lutter. Mon-
li a pu dire comme bien d'autres
hommes do lettres :« Ma vie est
»un combat.» Se trouvant trop à
l'étroit dans le petit pays de Fer-
rare, il chercha, jeune encore,
un plus grand théâtre , et se ren-
dit à Rome , où il fut bieafôt ad-
mis dans la maison de Louis Bras-
chi , neveu du pape, et lui fut
même pendant quelque temps at-
taché en qualité de secrétaire.
L'académie des Arcades le reçut
au nombre de ses membres; mais
accusé presque aussitôt de s'être
égayé dans une satire, et quelques
épigrammes sur le compte de l'il-
lustrissime assemblée, il fut at-
taqué à son tour par plusieurs de
ses collègues, et particulièrement
par l'abbé Berardi, qui lança con-
tre lui des sonnets très-piquans,
MON
auxquels il riposta avec la même
amertume. Le public prit part à
cette guerre littéraire, et s'amusa,
selon son habitude, aux dépens
des divers combattans. Monti a-
bandonna enfin ce triste et futile
genre de composition. Les suc-
cès du comte Alûeri , qui était
venu à Rome vers cette époque,
et qui y fit représenter quelques-
unes de ses tragédies, enflammè-
rent Monti d'une noble émulation.
Il fit paraître à son tour les deux
tragédies de Galcotlo Manfredo et
Aristodemo f où l'on trouve de
beaux vers , et dont on loua en
général le style, mais dont le vide
d'action et des dénouemens aussi
terribles qu'invraisemblables don-
nèrent lieu à de sévères critiques:
ces pièces n'eurent point un grand
nombre de représentations, et ne
sont pas restées au théâtre. Alfie-
ri , peu édifié pendant son géjour
à Rome des moeurs de la capi-
tale du monde chrétien, avait, se-
lon l'habitude des poètes de l'Ita-
lie, exprimé ses sentimens en un
sonnet, qui fut avidement re-
cherché comme tout ce qui sor-
tait de la plume de cet écrivain;
mais le gouvernement et le clergé,
prenant fait et cause pour les Ro-
mains modernes, en furent hau-
tement scandalisés. Monti y ré-
pondit par un autre sonnet sur les
mêmes rimes, qui obtint les suf-
frages du souverain- pontife et de
tout le sacré-coUége. Un de ces
crimes odieux, dont les peuples
sauvages n'ofiVent point d'exem-
ples, mais dont les fastes des na-
tions civilisées ont été par deux
fois souillés en ces derniers
temps, fut ensuite assigné, com-
me sujet d'un poëme national, au
MON
poète le plus célèbre de l'époque.
Le droit des gens avait été outra-
geusement violé h Rouie, en la
personne de Basseville, ambassa-
deur de France, qui , longtemps
poursuivi par une populace ameu-
tée, fut enfin lâchement assassiné
par un misérable sorti des derniers
rangs de cette tourbe. La Biogra-
phie des frères Michaud dit «qu'a-
uprès l'assassinat de Basseville,
I quelques membres du gouverne-
»ment pontifical trouvant le sujet
» poétique, et ayant conçu une o-
o pinion très-avantageuse du talent
n cf^mme du dévouement de l'abbé
rtMonti, le chargèrent de célébrer
«cet événement par un poëme a-
«nalogue à leurs vucsi)olitiques,
«et qu'il se surpassa !ui-mê-
» me dans son genre Dantesque. »
II est propable cependant que, si
cet auteur n'avait point composé
d'autres poëmes que sa BasvilUa-
na, ou des écrits comme ceux
qui le suivirent de près dans ce
genre Dantesque, il n'aurait point
obtenu de son vivant une grande
renommée , et son nom ne passe-
rait pas avec gloire à la postérité.
11 fit paraître ensuite deux autres
poëmes demandés aussi par le
pape, et conçus dans les intérêts
<le l'église, la Musogonia et la Fe-
roniade , qui sont peu connus , et
dont lui-même, peu content,
parvint depuis à retirer de la cir-
culation et à détruire presque tous
les exemplaires. Mais bientôt la
destinée du poète vint changer
avec celle de l'Italie entière. Les
maîtres d'une grande partie de
cette belle contrée, les Germains,
ses derniers vainqueurs, fuyaient
de toutes parts devant un vain-
queur nouveau. A la tête de ses
MON
6i
invincibles phalanges, un jeune
chef français, déjà couvert de
gloire, promettait a l'Ausonie é-
tonnée une existence nationale et
des jours plus heureux, avec le
premier des biens, la liberté.
Quelques étincelles d'un patrio-
tisme antique, que la longue do-
mination et la discipline des Alle-
mands n'avaient pu étouffer, se
ranimèrent dans le coeur des Ita-
liens. Monti ne fut pas le seul qui
saisit avidement les espérance*
offertes à sa patrie, mais il fut ce-
lui qui exprima avec le plus de
bonheur et en vers souvent su-
blimes , toujours harmonieux ,
ses nobles sentimens. 11 monta a-
lors sa lyre sur un ton plus élevé,
et aux sonnets on aux chants com-
mandés par l'église , sHCcédèrent
des chants de triomphe. Doué
d'urîf- imagination brillante, et a-
vec une âiîîf- de feu , si suscepti-
ble d'enthousiasiîîe. il est à croi-
re que la chaleur et la verve qu'il
mit à célébrer un héros {j:^QS le-
quel il voyait le futur libérateur
de l'Italie, n'étaient point les pro-
duits d'un enthousiasme de com-
mande. Des biographes observent,
avec quelque malignité, qu'à celte
époque Monti cessa d'être abbé
pour devenir citoyen. Leur iro-
nie ne saurait flétrir ce dernier
titre , et il est certain que, sans a-
voir jamais été dans les ordres
sacrés, le poète, ainsi que beau-
coup d'hommes de lettres sans
autre état, porta long-temps à
Rome l'habit ecclésiastique, et
qu'on l'appelait l'abbé Monti. H
fit bientôt plus que de cesser d'ê-
tre abbé; il devint père de fa-
mille. Une personne très-distin-
guée par sa beauté et ses taleus ,
f)2
MON
la fille du plus fameux des gra-
veurs modernes en pierres dures,
le PiOmain Picler, asssocia sa des-
tinéeà celle de JVlonti. Lorsque le
général en chef Bonaparte eut
fondé la république Cisalpine ,
Monti fut appelé à Milan pour
remplir les fonctions de secrétaire
du directoire-exécutif de cette ré-
publique. Il remplit plusieurs mis-
sions honorables pendant la cour-
te existence de cet état, et publia
iiussi à Milan quelques ouvrages;
entre autres une nouvelle Muso-
gonia, dans laquelle son premier
poëme sous ce titre était entière-
ment refondu. Lors de l'invasion
des Austro-Russes en Italie, Moni»
vint chercher un asile en France,
où depuis long-teur>ps sa réputa-
tion l'avait précédé, et où il eut
constamment à se louer de l'ac-
cueil flatteur que lui firent les jiom-
mes de lettres, les foïjclionnaires
publics et les ^rtcilleures sociétés
de Paris. Après la bataille de Ma-
rengo-, quand le vainqueur eut ré-
tabli la république Cisalpine, Mon-
ti retourna k Milan. Il y publia
trois chants d'un poëme sur la
mort de Mascheroni, qui obtinrent
le plus grand succès. Nommé suc-
cessivement professeur de belles-
lettres au collège de Milan et pro-
fesseur d'éloquence à l'université
de Pavie, il devint, après la créa-
tion du royaume d'Italie, eni8o5,
historiographe de ce royaume.
C'est alors qu'il composa son ^ar-
do délia Setva Nera (le Barde de la
Forêt-Noire), dont il publia les six
premiers chants en 1806. Ce poë-
me, étincelant de beautés du pre-
mier ordre, prêtait aussi , en cer-
tains endroits, i\ la critique. Elle
ne lui fut point épargnée. Les
MON
Guelfes et les Gibelins, les parti-
sans des pontifes et des empereurs
germains, se réunirent cette fois
pour l'attaquer. Monti répliqua a-
vec amertume à ses nombreux ad-
versaires, et publia une défense de
son Barde, en forme de lettres a-
dressées à l'abbé Xavier Betlinelli.
Il ajouta un nouveau chant à ce
poëme pendant un séjour qii'il tit
à Naples auprès du roi Joseph. De
retour à Milan, il composa les poè-
mes de plusieurs opéras, une tra-
gédie de Caio Gracco , des ode» et
des dithyrambes , etc. L'epée du.
grand Frédéric , pri<c dans Bt^rîln
après la conquête de la plus gran-
de partie du royaume de Prusse,
le maria;;*; de Napoléon avec la
fille de l'empereur d'Autriche, lui'
Avûrnirent les sujets de deux au-
tres poèmes. 11 publia ensuite une
traduction en vers des Satires de
Perse, et une autre de Cllinde
d'Homère. Cette dernière, com-
me tous les ouvrages de l'auteur,
pleine de vers admirables, fut at-
taquée par les hellénistes, et par-
ticulièrement par Ugo roscolo(atj-
teur des Lettres d' Or lis), TpnirxoiK
ardent, littérateur distingué, qui
avait été long-temps ami de Mon-
ti, mais qui depuis s'était brouillé
avec lui. Le traducteur d'Homère
avouait franchement qu'il ne sa-
vait point le grec, et qu'il n'avait
travaillé qu'à l'aide des traduc-
teurs et nombreux commenta-
teurs latins; aussi lui reprocha-t-
on de n'avoir pu saisir la couleur
homérique. Monti eut encore des
discussions littéraires assez vives
av€C les poètes Gianni et Lattanzi.
Après la destruction du royaume
d'Italie, et la rentrée des Autri-
chiens à Milan, privé, comme de
MON
raison, de ses titres d'historiogra-
phe et des fonctions de poète iau-
réat,qu'il exerçait volontairement,
Monti n'a d'ailleurs éprouvé aucu-
ne persécution particulière; renon-
çant de son côté à toute polémi-
que, les inimitiés littéraires se sont
peu à peu assoupies. La haute ré-
putation que ses talens lui ont ac-
quise, a survécu aux révolutions
de son pays. Il séjourne habituel-
lement à Milan, estime, chéri de
ses concitoyens , et respecté des
étrangers. Le journallittéraire Bi-
blioteca itaiiana, a depuis été en-
richi par lui de plusieurs articles
intéressans. Il travaille aussi à un
nouveau lexique italien, et a pu-
blié, en 1818, une partie de ce
travail, sous le titre de Proposition
de quelques corrections et additions
au y^ocabulaire de la Crusca. Lu
recueil des œuvres de Monli a été
publié à Milan, en 1817. Ce poète
célèbre est chevalier de la légion-
d'honneur et de l'ordre de la cou-
ronne de fer d'Italie, et membre
de presque toutes les sociétés sa-
vantes de l'Europe.
MON riGNY(CHàBLES-Cl,ADDE),
l'un des doyens de l'ordre des a-
vocats, commissaire du gouver-
nement près des tribunaux du
l'uy-de-Dôine, membre de la so-
ciété royale académique des s^cien-
ces de Paris, etc.. est né à Caen
\k 8 avril 5 744- ^' * publié : 1"
Histoire générale d'Allemagne ,
depuis l'an de Rome 640 jusqu'à
nos jours, 1799, 6 vol. in-12; i"
Défense contre une accusation de
lèse-nation, plaidoyer pour le sieur
Martin, conseiller du roi, i;,90,
in -8*; 5° Réclamation pour C.
Desmoulins, auteur de la France
libre , précédée de notei historiques
MON
63
tnr l'état de bourreau chez les dif-
férentes nations connues , et suivie
d'une plainte sur les atteintes por-
tées à la liberté, par M. Mitouflet,
1790. in-8°; 4° Alphabet univer-
sel, ou Sténographie méthodique,
appliquée à l'art typographique ,
1" partie, 1799, in-8°; 5" Mémoi-
res historiques de M"" Adélaïde et
Victoire de France, i8o5, 2 vol.
in-12; 6° tes plu-s illustres Victi-
mes vengées des injustices de leurs
contemporains , et réfutation des
paradoxes de M. Soulavie, 1802 ,
in-12; 7° Abrégé du traité de la
langue exacte , adaptée à l'impri'
merie et à la sténographie de Tny-
lor, i8o5, in-4', avec 7 planches;
8" De la monarchie de la maison de
Bourbon, 1810, in-8°; 9" Adresse
aux Français et aux alliés, sur le
retour de Louis XV III, en 18 1 5.
MONTIGNY (François- EMMà-
NUEL Dehaies de), gouverneur des
établissemens français au Bengale,
naquit à Versailles, le 7 août \ 743,
et mourutà Paris, le 27 juin 1819.
Il est peu d'hommes doat la vie
soit remplie d'évéoeniens plus
propres à exciter l'intértlt et la
curiosité. Capitaine en 1772, dans
la légion de Lorraine , il fit la
guerre en Corse, et fut l'Ain des
commissaires employés aux re-
connaissances des frontières dcA
Alpes, de Flandre et d'Artois. £a
177G. il passa au service de la ma-
rine, en qualité de major. Il partit
de Paris, chargé de missions im-
portantes, se rendit à Vienne, passa
à Constantinople, de là en Egypte,
et ensuite aux Indes, en traver-
sant la mer Rouge. Pris par les
pirates de Zafrevad, menacé par
d'autres peuplades , il n'échappa
à ces différeus dang^ers qu'A force
r>4
MON
d'adresse et de présence d'esprit,
soit en parlant les diverses langues,
soit en portant les costumes des
pays qu'il parcourait : il fut mf-me
obligé de se garantir de quelques
partis anglais, qui le poursuivirent
à plusieurs reprises. Une ibis ar-
rivé à Goa, il lui fut facile alors
de se rendre à Delhy et à Pounah :
c'était le but de son voyage. Lors-
qu'il eut terminé, près de ces deux
cours, les missions dont il était
chargé, il retourna à Goa, où il
se rembarqua pour Lisbonne , et
rentra en France par l'Espagne ,
en 1779. Dès 1778, Louis XVI l'a-
vait nommé colonel et chevalier
de Saint -Louis. Il le fit repartir
pour l'Inde en 1781, avec de nou-
veaux pouvoirs et de nouvelles
instructions pour la cour des Ma-
rattes. Pendant sept ans qu'il ré-
sida près la cour de Pounah, il y
fut comblé d'honneurs et de dis-
tinctions, et reçut du grand-mo-
gol le diplôme de nabab. 11 fut
civargé, en 17S8, de missions pour
le soubah du Décan, et nommé
bientôt après gouverneur de Chan-
dernagor. C'est dans ce nouveau
poste qu'il donna surtout des preu-
ves de zèle et de désintéressemesit :
aucun de ses prédécesseurs n'avait
rendu compte du produit de l'o-
pium, il le fit connaître le premier
au gouvernement français, qui en
jouit encore aujourd'hui. Dans
des momens difficiles où des res-
sources promptes étaient absolu-
ment nécessaires, il sut en trou-
ver sous la seule garantie de son
nom, et sauva ainsi plusieurs fois
les établissemens français. Lors-
que les principes de la révolution
pénétrèrent dans les colonies , ne
les ayant point approuvés, il fut
MON
mis en prison et embarqué. Lord
Cornwallis, gouverneur de Cal-
cutta, le fit délivrer et conduire
dans cette ville. M. de Montigny
revenant en France, fit naufrage
sur la côte de l'est de l'Afrique,
dans la baie de Saint- Sél)astien.
Il se rendit par terre au cap de
Bonne - Espérance, où il trouva
im vaisseau pn't à faire voiîc pour
la Hollande. Enfin, il arriva à Pa-
ris en 1791. Il échappa aux orages
de la révolution, et attendit de»i
temps plus tranquilles pour re-
prendre de l'activité. Elevé , en
1800, au grade de général de
brigade , Montigny repartit en
1800, pour aller reprendre le gon-
vernement de Chandernagor. Mais
nos établissemens dans celte p;ir-
tie de l'Inde nous ayant été enle-
vés par l'cîCfet de la guerre avec
l'Angleterre , il fut forcé de se re-
plier sur les îles de France et de
Bourbon, où il resta jusqu'A ia
prise de ces colonies, en 1810,
époque à laquelle il revint dons sa
patrie. Il parut oublié jusqu'en
1817, où il obtint le grade de
lieutenant-général. Ses blessures
l'avaient considérableenent afYai-
bli ; il était privé de la vue et de
l'usage de la main gauche, et ne
survécut que deux ans à la ré-
compense qu'il venait de recevoir
de ses longs et iniportans services.
Comme il avait perdu à plusieurs
reprises ses livres, ses effets, ses
cartes, etc., il n'a laissé que des
fragmens manuscrits, au Heu d'u-
ne histoire complète qu'il se pro-
posait de publier.
MONTILLA (don Maruno), co-
lonel américain indépendant, est
néàCaraccas, vers 1787, d'une fa-
mille riche et distinguée. Il com-
MON
mença son éducation dans son
pays et Ja termina eu Espagne. Se
destinant à l'état militaire, il en-
tra dans les gardes-du-corps du
roi; mais la mort de son père le
détermina à retourner à Caraccas.
Il s'y occupa de la culture de ses
terres jusqu'au moment de la ré-
Toluliou, dont il se montra parti-
san. Il remplit d'abord une mis-
sion pour les Antilles, dont l'avait
chargé le gouvernement de Vene-
zuela, puis il passa à l'armée en
qualité de colonel; mais lorsque
les défaites du général Miranda
eurent réduit à lextrémité les af-
faires de la république, don IMon-
tilla se réfugia dans le nord de
l'Amérique, et y attendit un mo-
ment plus favorable pour le suc-
cès de la liberté. Il n'eut pas plu-
tôt appris le changement opéré par
l'offensive que Bolivar avait re-
prise, qu'il abandonna sa lelraite,
et accourut à Caraccas pour com-
battre les troupes royales. Les vi-
cissitudes delà guerre le forcèrent
avec Bolivar à chercher un asile à
Carthagène. Don Montilla obtint
depuis le gouvernement militaire
de cette place ; il y était à peine
installé qu'il fut assiégé par Mo-
rillo. Il y souffrit tous les maux
qui accompagnent les sièges ré-
guliers ; la famine seule lui en-
leva i,5oo hommes. Les sentinel-
les mouraient à côté de leurs fu-
sils, la détresse était à son comble,
aucun espoir de secours ne restait
aux assiégés; il fallait périr. Dans
cette déplorable situation,et ne pre-
nant conseil que de la nécessité, il
résolut à tout prix de sauver les res-
tes de son armée. Il avait de pe-
tites goélettes; il s'y embarque au
point du jour, rompt la ligne enne-
MON
65
mie, composée de nombreux vais-
seaux fournis d'artillerie de gros
calibre, et, malgré le feu le plus
épouvantable, il parvient , à force
d'audace, à s'ouvrir un passage à
travers l'escadre espagnole. Il n'a-
vait vaincu que les premières dif-
ficultés; il fallait arriver à la Ja-
maïque , et les fatigues étaient
presque insurmontables ; il y dé-
barqua enfin un petit nombre
d'hommes, épuisés par la faim et
parles souffrances de toute espè-
ce. Ils parurent aux yeux des in-
sulaires, des objets propres à exci-
ter également l'admiration et la
pitié. Le colonel Montilla devait,
après cet événement, prendre part
à la guerre; des querelles particu-
lières le privèrent de cet avanta-
ge ; mais un gouvernement légal
s'étant formé depuis dans sa pa-
trie, il a été tiré de son inactivité,
et a continué do rendre de nou-
veaux services à son pays.
MONTILLA (don Thomas), gé-
néral indépendant, gouverneur de
la Guyane américaine, etc., frè-
re du précédent , est né à Carac-
cas, vers 1791; il fit ses études à
l'université de cette ville, où il ob-
tint de grands succès. La révolu-
tion ayant ensuite éclaté dans sa
patrie, oii le vil en embrasser la
cause avec chaleur et la servir
avec autant de talent que de bra-
voure. Il fut constamment attaché
à l'armée de Bolivar. Chargé par
ce chef d'une mission à Santa- Fé,
il se trouvait dans cette ville lors-
que le général Morillo, après s'être
emparé de Carthagène, se disposait
avec ses troupes à pénétrer dans
l'intérieur du pays. Don Montilla
se voyant bloqué de toutes parts,
ne trouva d'autre moyen d'é-
5
6Q
MON
chapper que d'enlreprendre un
voyage que personne jusqu'à lui
n'avait osé hasarder : il s'agissait
de se rendre de Santa -Fé à la
Guyane, située au-delà du Bré-
sil Le chemin à parcourir était de
plus de deux mille lieues. Don
Montilla se mit aussi t(jt en roule
malgré des obstacles innombra-
bles. Ni les déseris remplis de bê-
tes féroces , ni des contrées où ré-
gnaient des fièvres contagieuses,
et qui étaient habitées par des In-
diens anfropophages, ni des fleuves
fréquentés par des animaux veni-
meux, qu'il fallait passera la nage,
ni le manque d'alimens, quand on
ne rencontrait pas sur la route de
fruits sauvages qu'on pût cueillir,
ou de gibier qu'on pût atteindre,
rien ne ralentit son ardeur ni celle
de ses compagnons. L'amour de
la patrie fit braver les périls les
plus imminens et les fotigucs les
plus inouïes à ce chef intrépide,
qui vit enfin le terme de son voya-
ge avec un très- petit nombre de
ses compatriotes; la plupart de
ceux qui l'avaient suivi ayant péri
en roule, et d'autres , qui crai-
gnaient les difficultés d'une aussi
longue course, s'étant rendus au
chef royaliste, qui les avait fait
mettre à mort. En arrivant près de
Caraccas, il apprit que Eolivar ve-
nait d'y débarquer pour s'en em-
parer. Ils étaient liés dès leur ten-
dre jeunesse de Tamitié la plus é-
troite, et rien ne peut exprimer
leur joie en se revoyant après des
événemens si divers. Don Mon-
tilla a été élevé depuis au grade
de général, et il remplit actuelle-
ment la place de gouverneur de
la Guyane. Son patriotisme lui
a mérité la confiance de ses conci-
MON
toyens, qui l'élurent représentant
du congrès national qui s'est réu-
ni en 1819.
MO]NTJOIE(Féux-Crhisïophe-
Galart DEJ, ancien avocat et litté-
rateur, naquit à Aix, département
des lioiiches-du-Rhône , d'une fa-
mille noble. Le Journal de la li-
brairie, de 1816, indique uneiVo-
tice sur Monljoie, d'après laquelle
ses véritables noms seraient Char-
LES-FÉLlX-LoriS-VENTREDE LAÏOU-
LOt'BRE. Reçu avocat dans sa ville
natale, et fixé ensuite à Paris,
Montjoie parut d'abord vouloir
suivre exclusivement la carrière
du barreau; mais la société de
quelques gens de lettres et une
plus grande intimitéaveclesRoyou
e( les Geoffroy, le déterminèrent à
cultiver la littérature polémique. Il
concourut, en 1790, à la rédaction
de VJnnée littéraire, et plus tard
à la feuille politique, VÀmi duroiy
dont la publication cessa d'avoir
lieu après les événemens du 10
août 1792. Quelques écrits où il
prit avec courage la défense de
Louis XVI, le forcèrent à se ca-
cher; mais après la révolution du
9 thermidor an 2 (27 juillet 1794)?
il reparut et manifesta, dans de&
journaux et dans quelques brochu-
res, des opinions qui le firent pros-
crire en 1797. Condamné à la dé-
portation, il parvint à s'y soustrai-
re et se retira en Suisse. A la suite
de la révolution du 18 brumaire
an 8 (9 novembre 1799)? il revint
à Paris. Cette fois il s'abstint de
combattre les opinions du lemp9,et
trouva la tranquillité en se livrant
à la composition d'où vrageset,dans
les journaux, à la rédaction d'arti-
cles purement littéraires. Le gou-
vernement royal, après la seconde
MON
i'Cstauralion, le récompensa de ses
anciens efforts en faveurdelacause
inonarchique. 11 l'ut pensionné par
le roi et nommé l'uu des conser-
vateurs de la bibliothèque Mazari-
Jie; il mourut le 4 avril 1816.
Montjoie a publié les ouvragessui-
vans : i' Divertissement national,
oomposé pour célébrer la naissan-
ce du dauphin, 17S1, in-8*'; 2°
Lettre sur le magnétisme animât,
1784, in-S"; 5' Des principes (U la
monarchie française , 1789, 2 vol.
in-8°. C'est une espèce d'histoire
de l'ancien droit public français ;
l'auteur y montre des principes li-
béraux qu'il cessa bientôt de pro-
fesser. 4° L' Ami^turoif des Fran-
çais, de l'ordre^ et surtout de la vé-
rité, écrit dans lequel Montioie
prétend tracer la marche ou l'his-
toire de la révolution et de l'assem-
blée nationale, 1791, 2 part., in-
4°. Ce travail est regardé comme
le complément du Journal de l'ab-
bé Royou. 5° Réponse aux ré-
flexions de M. Necker, sur le pro-
cès de Louis XI V, 1792, in -8°;
b° Avis à la convention, sur Le
procès de Louis XVl, 1792., in-
h". Dans <îet écrit, Montjoie s'ef-
force de démontrer que cette as-
semblée n'a pas le droit d'exami-
ner les actes du gouvernement de
ce prince, et qu'il ne peut pas en
être responsable. 7° Almanach des
honnêtes gens, Paris, 1 792 - 1 793,
3 vol. in- 18 ; Almanach des gens
de bien, Varis, 1796-1797, 3vol.,
recueil de pièces et d'anecdotes
politiques et littéraires. 8' Histoi-
re de la conjuration de Robespierre,
179^^ , in-8% ouvrage dont on a
donné une traduction en anglais.
<)" Histoire de la Conjuration de
d'Orléans, 1796, 3 vol. iu-8".
MON 67
Ces' de tous les ouvrages de l'au-
teur le plus inexact et le plus in-
complet. 10^ Eloge historique de
Louis Xf^I, Neuchâtel, 1797, in-
8 ' ; 11° Eloge historique de Marie-
Antoinette, reine de France, 1797,
in-8'. Cette pièce, qui parut en
18 14 sous le titre cV Histoire de
Marie- Antoinette (2 vol. in-8°),
eut les honneurs de la traduction
en Angleterre et en Hollande. L'i-
nexactitude des faits dans l'édition
de 18 i4 f donna lieu à une vive
discussion entre l'auteur et M. Ber-
trand de Molleville. x^" Histoire
de la révolution de France, depuis
la présentation au parlement de
l'impôt territorial, jusqu'à la con-
version des états- généraux en as-
semblée nationale, 1797, 2 vol.
in-8"; i3° Histoire de quatre Es-
pagnols^ 1801,4 vol. in-12; réim-
primée pour la troisième fois en
i8o5, 6 vol. in-12; 14" înés de
Léon, ou Histoire d'un manuscrit
trouvé sur le mont Pausilippe ,
1802, 5 vol. in-12 : ces deux ro-
mans sont médiocres pour le plan,
la marche et le style. 15" Eloge
historique de Bochart de Saron,
1800, in-S"; i6* les Bourbons,
ou Précis historique sur les aïeux
du roi et sur sa majesté, etc., 181 5,
in -8°, avec 20 portraits.
MONTJOIE- DE-VANFRAYE
(N., COMTE de), député aux étatà-
généraux en 1789, par la noblesse
des bailliages de Béfort et d'Hu-
ningue, se fit peu remarquer dans
cette assemblée, et après la ses-
sion il disparut entièrement de la
scène politique. Les événemens
postérieurs le déterminèrent à
quitter sa patrie et à aller habiter
la Suisse, où, en mars 1797, il fut
signalé à l'aoïbassadeur du direc-
68
MON
toire-exécutif de France, M. Bar-
thélémy (aujourd'hui marquis et
membre de la chambre des pairs),
comme dirigeant chez des person-
nes influentes de la ville de Bûle,
des réunions secrètes d'émigrés,
et entretenant à Paris des corres-
pondances avec les amis du gou-
vernement monarchique; l'en-
Yoyé français obtint des magis-
trats l'ordre qui éloignait M.
MontJoie-de-Vanfraye du territoi-
re helvétique. Depuis lors il a été
entièrement perdu de vue.
MONTLINOÏ (Charles-Anto)^
ne-Leclerc de), ecclésiastique,
médecin et libraire, naquit à Cré-
py , département de l'Oise, vers
1752. D'heureuses dispositions
pour l'étude lui firent embrasser
successivement l'état ecclésiasti-
que et celui de médecin. Il était
chanoine de l'église collégiale de
Saint-Pierre de Lille lorsque, par
siiite de discussions littéraires à
l'occasion de V Histoire de la ville
(le Lille, dont il sera question plus
bas, il fut en butte à des inimi-
tiés qui le forcèrent non-seule-
ment à quitter Lille, en 1765,
mais encore à résigner son béné-
fice. Il vint à Paris et se fit librai-
re. Les haines qui le poursuivaient
ne lui permirent pas d'exercer long-
tempsenpaixcette profession. Une
lettre -de -cachet, délivrée sur la
demande du commandant de la
Flandre française , l'exila à Sois-
sons. Là, il irouva dans l'intendant
de la province un protecteur qui
lui confia la direction du dépôt
de mendicité de sa juridiction.
IVlontlinot adopta avec franchise ,
mais sans exagération, lès princi-
pes du nouvel ordre de choses.
Son expérience et ses lumières en
MON
administration lui permirent de
rendre d'importans services dans
le poste que l'intendant de Sois-
sons lui avait confié, et dans le-
quel plus tard il fut confirmé.
Montlinot mourut à Paris en 1801.
Les ouvrages qu'il a publiés X)nl
paru pour la plupart sous le voile
de l'anonyme ; ce sont : 1° Préju-
gés légitimes contre ceux du sieur
Ctiaumeix, in-12, 1709 : c'est une
espèce de réponse à un ouvrage
de ce dernier. Cet ouvrage, attri-
bué à Diderot , et par suite do
cette méprise inséré dans l'édition
de ses œuvres, de 1773, fut pu-
blié de nouveau en 1760, sous le
litre de Justification de plusieurs
articles de l' Encyclopédie, ou Pré-
jugés légitimes , etc. 3° Etrennes
aux bibliographes, ou Notice abré-
gée des livres les plus rares, in-24j
1760; "5" Esprit de Lamotlie-Le-
vayer, in-12, 1763; /j° Histoire de
la ville de Lille depuis sa fonda-
tion jusqu'en 1434^1" vol., 1764.
Cet ouvrage fut attaqué en 1765,
avec tant de violence, par un
moine nommé Wartel, prévôt de
Hertzberghe , dans une brochure
iiilituiée Observations sur l' histoire
de Lille, queMontlinotn'osa point
mettre au jour le 2"" vol. , déjà
sous presse, et qu'il se vit dans la
nécessité de résigner son canoni-
cat. 5° Discours qui a remporté le
prix proposé en 1 779^ par la so-
ciété d' agriculture de S oissons y sur
les moyens de détruire la mendicité
et d'occuper utilement les pauvres ,
Lille, 1780; Q" Etat actuel du dé-
pôt de mendicité de Soissons, précé-
dé d'un Essai sur ta mendicité, in-
4°, 1789. Cette seconde partie pa-
rut séparément, in-8''. Déjà l'au-
teur avait publié plusieurs comp-
iMON
tes rendus^ qui avaient été Irès-fa-
vorablement accueillis par legou-
veruement. Ils firent associer l'au-
teur aux travaux du comité de
mendicité de l'assemblée consti-
tuante. ^■' Observations sur les en-
fans trouvés i dans la généralité de
Soissons, in-8°, 1790. On trouve
dans cette brochure des idées fort
judicieuses sur les causes de la pro-
gression toujours croissante des
enf'ans abandonnés dans la géné-
Talité de Soissons, sur les moyens
d'amélioration dans cette partie ,
et sur la législation des entans na-
turels. 8' Essai sur la Iransporta-
tion comme récompense et sur la dé-
portation comme peine, in-8°, 1797;
9° Préface de l'édition en 5 vol.
in-S** de Robinson Crusoé; 10° il
a travaillé avec MM. de Pomme-
reul, Peuchet, etc., à la rédaction
du journal politique intitulé : la
Clef du cabinet des souverains.
MONTLIVAULT (Casimir
GcYos, COMTE de), ancien cheva-
lier de Malte, est né en 1770. Il
n'avait quitté cette île que depuis
peu de temps, lorsque l'armée
française s'en empara lors de l'ex-
pédition d'Egypte. A cette époque,
31. de MontlivauU passa en I^lie,
et revint, par l'Allemagne et la
Suisse, dans sa patrie, où le gou-
vernement consulaire l'avait auto-
risé à rentrer. Il devint secrétaire-
général de l'impératrice Joséphi-
ne après le divorce de cette prin-
cesse, et fut, le 2 mai 1814» nom-
mé préfet du département des Vos-
ges, par Monsieur^ lieutenant-gé-
néral du royaume. M. de Monlli-
vault était à son poste lorsqu'au
mois de mars 181 5, il apprit le re-
tour de Napoléon et son entrée à
Paris ; alor? ue croyant plus devoir
MON . 69
remplir ses fonctions, il en remit
l'exercice à un conseiller de pré-
fecture. Après la seconde restaura-
tion, le roi le nomma préfet de
l'Isère. Il reçut et traita magnifi-
quement dans le même temps le
prince impérial ethéréditaire d'Au-
triche, qui fit un séjour de 24 heu-
res à Grenoble. Lorsque des trou-
bles éclatèrent dans cette ville,
pendant la nuit du 4 au 5 mai 1816,
il approuva toutes les mesures pri-
ses par le général Donnadieu
{voy. ce nom). L'accord unanime
des autorités civiles et militaires
ayant rétabli l'ordre dans cette
malheureuse partie du départe-
ment de l'Isère , et les habitans
ayant pu reprendre leurs occupa-
tions habituelles, M. de Montli-
vauU fut nommé conseiller-d'é-
tat en service extraordinaire, et,
en 1817, préfet du Calvados. Il
est chevalier de la légion- d'hon-
neur et de Saint-Louis.
MONTLIVAULT (Jacqves-Ma-
RiE-CÉciLE GuYos, COMTE de), l'aî-
né des membres de cette famille,
est né vers 1760, et entra fort jeu-
ne dans les chevau-légers de la
maison du roi. Il quitta ce corps
pour faire en qualité de volontai-
re, sous les ordres du bailli de Suf-
fren , la guerre de l'indépendance
américaine. Arrêté en 179^, le
comte de MontlivauU subit quel-
ques mois de détention, et profita
de sa mise en liberté pour aller se
réunir aux Vendéens, qui le nom-
mèrent président du comité roya-
liste du Blaisois. En 1814» il reçut
du roi la décoration de la légion-
d'honnetir et celle de Saint-Louis,
et fut après la seconde restauration
nommé inspecteur des postes.
MONTLIVAULT (Eléono»-Jao-
7»
MON
QLES-FRAKÇOIS-DE-SAtES GuTOW ,
CHEVALIER de), né en i^^GS, frère
du précédent, fut destiné au servi-
ce de la marine, et fit la guerre
d'Amérique, où il obtint le grade
de lieutenant de vais'san. Ce fut
au retour de la baie d'Hudson
qu'il acheva ses caravanes, et de-
vint chevalier de Maitc. En 178J),
le chevalier de Montlivault, ne
partageant pas les principes de la
révolution, émigra et vécut long-
temps à Hambourg, où Rivarol,
dont il devint l'ami, s'était retiré.
Rentré en France, sous le gouver-
nement de Napoléon, il n^occupa
point d'emploi. En iBi4< le roi le
nomma chevalier de Saint-Louis
et capitaine de frégate.
MONTLIVAULT (Jacques -Pier-
re-Marie GiîTOR, COMTE de), mem-
bre de la légion-d'honneur et che-
valier de Saint-Louis, né le 28 mai
1786, du comte J. M. de Mont-
livault, entra en i8o4à l'école mi-
litaire de Fontainebleau , et fut
nommé en 1807 sous-lieutenant
au 92' de ligne, et lieutenant dans
la même année. Capitaine en
iSog, il devint quelque temps a-
près aide'de-camp du duc de Ra-
guse, puis, en 181 3, chef de batail-
lon au 4° de ligne. Il faisait partie,
comme major provisoire, de la
garnison de Magdebourgen 1814.
De retour en France, M. de Mont-
livault fut d'abord nommé major
en pied du régiment de Monsieur,
infanterie. Destitué dans les cent
jours, en 181 5, il obtint après la
seconde restauration le grade de
lieutenant-colonel du 5" régiment
d'infanterie de la garde royale, et
reçut le brevet de colonel le 25 oc-
tobre 1816. Le plus jeune des frè-
res MontIivault,le chevalier Henri»
MON
oncle de celui-ci, est membre de
la légion-d'honneur et capitaine
dans l'artillerie à cheval de la gar-
de royale.
MONTLOSIER (Frakçois-Do-
MlNIQXJE-REGNAT]tT,eOMTE »e) , né
dans la ci-devant province d'Au-
vergne, fut nommé député aux
états -généraux, en 1789, par la
noblesse de Riom. Jusqu'à l'épo-
que des événemens des 5 et 6 oc-
tobre, il ne se fit point remarquer^
mais aloi-s on le vit s'élever aveo
force contre ce qu'il appelait des
insultes faites à l'assemblée, en
la personne de quelques députés ,
que le peuple ne considérait pas^
comme les défenseurs de ses droits,
et demanda des mesures à cet é-
gard. Dévoué aux anciennes pré-
rogatives de son ordre, il les sou-
tint quelquefois de manière à in-
disposer plusieurs de ceux qui par-
tageaient ses opinions , mais qui
craignaient que l'excès de son zè-
le et la clwleuc avec laquelle il
s'exprimait ne devinssent plus
nuisibles qu'utiles à la cause qu'il
voulait servir. Dans d'autres oc-
casions , il employait des argu-
mens que les partisans de l'égalité
n'auraient pas désavoués; il re-
poussa, lors de la discussion sur
les principes constitutionnels , la
dénomination de citoyen actif,
par la raison qu'elle supposait des
citoyens passifs. Il défendit, dans
la séance du 18 mai, la mémoire
de Henri IV, dont un de ses col-
lègues avait rappelé les faibles-
ses, et dit qu'on ne pouvait par-
ler de ces sortes de choses sans
jeter de la défaveur sur la cause
des rois. Dans la même séance ,
lors de la discussion sur le droit
de paix et de guerre , il vota
MON
pour que ce droit fût accordé
au roi, et lit un grand éloge de
la noblesse, après s'êtro plaint des
persécutions qu'elle éprouvait.
Il défendit de tout son pouvoir
les privilèges et l'autorité de la
couronne , dont les biens , selon
lui, ne pouvaient être aliénés,
même dans la circonslance où
l'état éprouverait des besoins pres-
sans. M. de Montlosier demanda
que la plus grande liberté fût ac-
cordée à la famille ro^'ale , lors-
qu'on discuta lu question de rési-
dence. Afin d'empêcher, dit-il,
ceux qui avaient renversé le des-
potisme d'en recueillir les débris,
il vota contre la réélection des
députés constituans à la législatu-
re. Ses discours excitèrent sou-
vent du désordre dans l'assemblée.
Bien qu'il soutînt que les biens ec-
clésiastiques n'appartenaient point
à la nation, il finit néanmoins par
convenir qu'elle pouvait en dispo-
ser. Après la session, .M. de Montlo-
sier quitta la France, ne fut pas tou-
jours d'accord en pays étranger
avec ceux dont il partageait le
sort, et de ce dissentiment d'opi-
nions naquirent quelquefois des
altercations assez vives. Il fut
nommé, en 179^, conjointement
avec le prince d'Aremberg et M.
Pillène, l'un des commissaires
chargés de faire prendre les armes
contre la France aux habitans des
Pays-Bas; il passa ensuite en An-
gleterre avec M. de Mercy ,
qui mourut pendant le cours
de ses négociations. M. de Montlo-
sier prit la rédaction du journal
français intitulé : le Courrier de
Londres , dont il devint proprié-
taire. En 1800, on le chargea d'u-
ne mission ea France , dont l'ob-
MON -1
jet était, dit-on , de proposer au
premier consul Bona, arte une
souveraineté en Italie, s'il voulait
consentir au réla!)lissement de la
famille des Bourbons. Malgré
les passeports dont le négociateur
était muni, il fut arrêté à Calais ;
coîiduit à Paris, et enfermé au
Temple, dont il sortit après une
détention de trente-six heures. Eï\
lui faisant obtenir sa liberté , le
ministre de la police , Fouché ,
depuis duc d'Otranle, l'avertit
que son arrestation n'avait eu lieu
que par suite d'une méprise ; ce-
pendant il lui défendit de reniplir
sa mission, et ne lui donna que dix
jours pour retourner en Angleter-
re. Il eut toutefois pendant ce
temps des conférences secrètes a-
vec le ministre des affaires étran-
gères, qui lui fit connaître confi-
denliellement l'intention qu'avait
le premier consul Bonaparte de
rétablir l'ancienne église de Fran-
ce, défaire rentrer les émigrés,
et de les remettre en possession
de leurs biens non vendus. Ces
confidences eurent pour objet sans
doute de fournir quelques maté-
riaux aux écrits de M. de Montlo-
sier, qui jusqu'alors avait été bien
éloigné de se montrer dans son
journal favorable au chef de l'état;
mais depuis il y parla souvent des
bonnes intentionsdu premiercon-
sul, ce qui donna nécessairement
au Courrier de Londres une autre
physionomie, et indisposa le gou-
vernement anglais, au point de le
porter à faire retirer la protection
qu'il avait jusqu'alors accordée à
l'auteur. En 1800, M. de Montlo-
sier fut rappelé en France par les
ministres de la police et des affai-
res étrangères. Il se rendit à Pa-
73 MON
ris, où d'abord il continua le Cour-
rier de Londres, que le gouverne-
ment supprima trois mois après.
M. de Montlosier obtint, ^ titre
d'indemnité, une place qui l'atta-
chait au ministère des affaires è-
trangères. Il fut chargé par Napo-
léon , devenu empereur, de com-
poser un ouvrage sur l'ancienne
monarchie, dans lequel seraient
indiquées, d'une part, les causes
qui avaient pu amener la révolu-
tion , et de l'autre , les tentatives
employéespourla combattre, et la
manière dont elle devait être termi-
née. Ce tiavail occupa M. Montlo-
sier pendant quatre ans; il était en
Suisse lorsqu'il envoya le manus-
crit àrempereur,qui, dit un biogra-
phe, ne se souvenait plus de l'avoir
demandé, bien que cette assertion
contraste singulièrement avec l'é-
tonnante mémoire qu'on accordait
généralement à Napoléon. L'ou-
vrage fut examiné par une com-
iiiission; il fut jugé digne d'éloge,
mais on décida qu'il ne ser.ait pas
imprimé. Cependant l'empereur
fit donner l'ordre à M. de Montlo-
sier de quitter immédiatement la
Suisse, et de rentrer en France,
où il l'autorisait à lui écrire direc-
tement sur les affaires politiques.
Cette correspondance, qui ne ces-
sa que vers la fin de i8ivi, dura
quinze mois; alors M. de Montlo-
sier denianda et obtint la permis-
sion de se rendre en Italie, afin
de s'y livrer à des travaux sur l'his-
toire naturelle, qu'il avait précé-
demment abandonnée pour la po-
litique. Il obtint même du gou-
vernement impérial tout ce qui
pouvait favoriser ce voyage. De
retour en France après la première
restauration, en i8i4, il y publia
MON
son ouvrage intitulé : de la Mo-
narchie française , auquel il n'a-
vait point fait de changemens,
mais seulement ajouté une notice
sur la chute de Napoléon et sur
les causes qui l'avaient amenée.
Cet ouvrage n'avait alors que trois
volumes ; l'auteur se proposait
d'en publier un quatrième sous
peu de temps , mais comme il
ne put paraître que pendant les
cent jours , en i8i5, et qu'il con-
tenait une censure assez sévère
des opérations du gouvernement
depuis la restauration, M. de Mont-
losier craignant qu'on ne le crût
composé dans l'intérêt de Napo-
léon, le fit précéder d'une préface
destinée à produire un effet contrai-
re. Au mois de janvier 1816, il fut
autorisé, par le président du con-
seil des ministres, àse retireràCler-
lïiont-Ferrand. M. de Montlosier
a publié les ouvrages suivans : 1*
Essai sur la théorie des volcans
cf Auvergne, 1789, in-S", 1802:
2° Observations sur l'Adresse à
l'ordre de la noblesse faite à M. le
comte d' Entrai gués ; 3° Observa-
lions sur les assignats, 1790, in-S";
/j" Essai sur, l'art de constituer les
peuples, ou Examen des opérations
constitutionnelles de l' assemblée na-
tionale de France , i79i,in-8°; 5"
Grand Discours que prononcèrent
les commissaires de l'assemblée na-
tionale au roi, en lui présentant la
grande charte, et Réponse du roi
aux commissaires ainsi qu'il est
présumé, 1791, in-S"; (î" Opinion
sur le nouveau serment demandé à
l'année, 1791, in-8°/ 7° de la
Nécessité d'une contre-révolution ,
1791 , in-8''; 8° des Moyens d'opé-
rer une contre-révolulioîi , 1791,
in-S" ; 9° Fues sommaires sur les
MON
moyens de paix pour la France ,
pour l'Europe , pour les émigrés,
1796, in-S"; 10" Observations sur
le projet du code civile 1 80 1 , in- 1 2 ;
11° de la Monarchie française de-
puis son établissement Jusqu'à 7ios
Jours, 1814? 5 vol. in-8°; 12° de
la Monarchie française depuis le
retour delamaison de Bourbon Jus-
qu'au i" avril i8i5, in-8°, i8i5-
1817; iS" Quelques Vues sur l'ob-
jet de la guerre et sur les moyens
déterminer la révolutiori , 181 5,
in-8°; 14° des Désordres actuels
de la France, et des jnoyens d'y
remédier. 181 5, 111-8°; iS' de la
Monarchie française depuis la se-
conde restauration Jusqu'à la fin de
la session de 1816, avec un supplé-
ment sur la session actuelle, Paris,
1818, in -8°. La prédilection de
M. de Montlosier pour les institu-
tions féodales se fait remarquer
dans tous ses ouvrages. '
MONTLUEL (N. Jussieu), con-
seiller en la cour des monnaies et
membre de l'académie de Lyon ,
naquit dans cette ville vers 1727,
et mourut en 1797 à Paris, où il
était venu se fixer dans ses der-
nières années. On lui doit deux ou-
vrages, dont l'éloge se trouve dans
le grand nombre de réimpressions
qu'ils obtinrent. Ils sont destinés
à servir de guide aux jeunes gens
qui se livrent à l'étude du droit;
ce sont : 1° Instruction facile sur
les conventions ; 2° Réflexions sur
les principes de la justice.
MONTMIGNON (Jean-BAptis-
te), théologien et littérateur, est
né à Luci , département de l'Aisne,
en 1737. Destiné à l'état ecclésias-
tique, il fit ses cours à l'univer-
sité de Paris, fut nommé secré-
tairedcM. do Bourdeillcs, évêque
MON
r3
de Soissons, puis chanoine de la
cathédrale , vice-gérant de l'offi-
cialité et archidiacre, enfin vicaire-
général du diocèse en 1780. Les
événemens de la première époque
de la révolution obligèrent M.
Montmignon, dès 1789, à quitter
Soissons pour se rendre à Paris,
où il travaille^ à la rédaction du
Journal ecclésiastique, jusqu'à ce
que, devenu, par la mort de l'abbé
Dinouart, seul propriétaire de ce
journal , il en céda l'entreprise à
l'abbé Barruel. En 1795 il quitta
la France, et n'y rentra que quel-
ques mois avant le concordat, eu
1801. Nommé, en 1811, cha-
noine de Paris, M. Montmignon
devint vicaire-général du diocèse
en 181 5. Il a publié les ouvrages
suivans : 1° Système de pronon-
ciation figurée, applicable à toutes
les langues, et exécutée sur les
langues française et anglaise, Paris,
1785, in-8°, avec figures; ^'Let-
tre à r éditeur des Œuvres de d' A-
guesseau, insérée dans le 8' volu-
me ; 3" Du crime d'apostasie, é-
crit relatif à la suppression des
ordres monastiques; 4° ^'* <^^
vénérable Labre, traduit de l'ita-
lien; 5° Réfutation du préservatif
contre le fanatisme, ou les nou-
veaux Millénaires rappelés aux
principes fondamentaux delà règle
de foi catholique, dernier ouvrage
du P. Lambert; 6° Choix de Let-
très édifiantes, contenant un grand
nombre d'observations pour l'in-
telligence de l'histoire des mis-
sions; 7° la Clef de toutes les lan-
gues, ou Moyen prompt et facile
d' établir un lien de correspondance
entre tous les peuples, et de sim-
plifier extrêmement les méthodes
d'enseignement pour l'étude des
y 4
MON
langues, 1811, irj-8'; 8° Régie
suprême de vérité. Cet ouvrage,
cjiie l'auteur destinait à servir d'in-
troduction au précédent , fut im-
primé, mais non publié.
MONTMORENCY (Anne-
Chahles-Fr4iPçois, duc de), pair
de France, chevalier de Saint-
Louis, chef de l'arK*ienne famille
dont le fondateur reçut le titre de
premier baron chrétien, est né le
28 juillet 1768. M. de Montmo-
rency entra de bonne heure dans
la carrière militaire , et fit ses
premières armes dans le régiment
de Colonel-général-dragons. Dès
l'aurore de la révolution, il quitta
avec sa famille sa patrie , et fît la
campagne des princes en 1791 et
1792. Il résida ensuite successi-
vement à Hambourg et à Muns-
ter, où son père mourut en 1799.
Le calme rétabli , il rentra en
France, où il vécut dans la re-
traite, jusqu'à l'époque des évé-
nemens politiques de 1814. Il de-
vint major-général de la garde
nationale de Paris , le 8 janvier
de cette année, et prêta serment,
le 16, en cette qualité, dans les
mains de l'empereur. Le roi le
maintint dans ce poste, le nomma
pair de France, le 4 ju'" •8i4>
et, le 27 du même mois, cheva-
lier de Saint-Louis.
MONTMORENCY (Anne-
Louis - Christian , PRINCE de),
frère du précédent, grand-d'Es-
pagne de première classe , mem-
jj bre de la légion-d'honneur et de
la chambre des députés, ex-ins-
pecteur-général de la garde na-
tionale du département de la Seine-
Inférieure, est né le 26 mai 1769.
Gomme membre de la seconde
chambre , où l'a nommé ce dé-
MON
partement , le prince de Mont-
morency a rarement pris la pa-
role ; mais il a voté avec la ma-
jorité, en 18 15, et s'est placé
dans les sessions suivantes à la
première section du côté droit.
Réélu à l'expiration de son man-
dat, par le haut-coIlége du dé-
partement de la Seine-Inférieure,
il a fait partie de la chambre jus-
qu'à son entière dissolution en
1824. Le prince de Montmorency
était, en 1820, vice-président du
comité d'administration de l'asso-
ciation paternelle des chevaliers
de Saint-Louis.
MONTMORENCY (le comte
Anne- Joseph-Thibaut de), second
frère du duc Anne-Charles-Fran-
çois de Montmorency, maréchal-
de-camp , chevalier de Saint-
Louis, est né le i5 mars 1775.
Il émigra avec sa famille, servit
dans les armées à la solde de l'An-
gleterre, et fut l'un des réfugiés
de Calais avec MM. de Choiseul-
Stainville elCharles deDamas(»oj.
ces noms). M. de Montmorency é-
tait rentré en France sous le gou-
vernement consulaire, et vivait
dans la retraite lorsque les événe-
mens politiques de 1814 lui four-
nirent l'occasion de déployer son
zèle pour la cause royale. Il se
donna un grand mouvement à
cette époque, et devint aide-de-
camp de M. le duc d'Orléans lors
du retour de ce prince dans sa
patrie. En récompense de ses ser-
vices , le roi le nomma, en i8i4»
maréchal-de-camp et chevalier de
Saint-Louis.
MONTMORENCY (le baron
Anne -Louis -Raoul de), ancien
chambellan de l'empereur Napo-
léon , olïïcier de la légion-d'hon-
MON
iieur, aide-de-cainp Je M. le «lue
d'Orléans, fils du duc de Mont-
morency,est né à Soleure en 1790.
Il vint de bonne heure en France,
pritdu service dans un régiment de
hussards , et fut nommé aide-de-
camp du maréchal Davoust, prin-
ce d'Eckmiihl. Successivement
officier d'ordonnance de l'empe-
reur, et chef d'escadron, il se vit
forcé , â cause de la faiblesse de
«a santé , de quitter le service mi-
litaire. L'empereur le nomma l'un
de ses chambellans en 18 15, mais
il n'en remplit pas les fonctions.
iM. de Montmorency fut successi-
vement nommé chevalier, puis
officier de la légion-d'honneur,
enfin, en 181 5, chevalier de Saint-
Louis. Il était en 1818 aide-de-
i-ainp de M. Je duc d'Orléans.
MONTMORENCY (Mathieb-
.ÏEAN-FÉLICITÉ DE MoNTMORENCY-La-
VAL, Dt'C de), membre de la cham-
bre des pairs, ancien ministre des
affaires étrangères, etc., cousin
des précédens, est né à Paris, le
10 juillet 1766. C'est en Améri-
que, où il servit dans le régiment
d'Auvergne, dont son père était
colonel, qu'il puisa ces principes
de liberté et d'indépendance dont
il donna des preuves éclatantes à
l'assemblée des états-généraux,
en 1789. Il avait été nommé à
cette assemblée par la noblesse
du bailliage de Montfort-l'Amau-
ry, df/ht il était grand-bailli d'épée.
L'un des premiers de son ordre,
il se réunit à ceux qu'on nommait
alors les députés du tiers-état ,
vota constamment pendant toute
la session avec la majorité , et prit
une part active à toutes les mesu-
res de réforme qui devaient re-
construire l'édifice politique sur
MON 75
de nouvelles bases ; ce fut même
sur sa proposition que fut adoptée
l'abolition de la noblesse. La ses-
sion terminée, il servit en qualité
d'aide-de camp du maréchal de
Luckner (voyez ce nom). Bientôt
la république s'établit sur les dé-
bris de la constitution de 1790,
et M. de Montmorency, pour
éviter les dangers de la réaction,
quitta sa patrie. Il se réfugia en
Suisse , où , après avoir erré quel-
que temps, il trouva un asile et
les secours les plus généreux dans
la maison de M"* de Staël, à Cop-
pet. Une tendre et inaltérable ami-
tié s'établit entre cette femme
célèbre et M. de Montmorency,
malgré la différence de leurs doc-
trines politiques et religieuses.
C'est pendant son séjour en Suis-
se qu'il apprit que son frère [voy.
plus bas Montmorency-Laval) a-
vait été frappé par un jugement
du tribunal révolutionnaire, et
qu'il avait péri sur l'échafaud le
17 juin 1794- Quelque temps a-
près le 9 thermidor (1794)^ il re-
vint à Paris. Le 26 décembre 1790,
il fut arrêté, mais sa détention
fut de courte durée ; ayant été de
nouveau inquiété à l'époque du
18 fructidor an 5 (1797), il se
voua à la retraite, et même après
la révolution du 18 brumaire an 8
(1799), qui promettait de rendre
à la France le calme dont elle a-
vait si peu joui depuis l'assemblée
constituante, il ne voulut remplir
que des fonctions de bienfaisance,
et se trouva associé dans ces no-
bles occupations avec les hommes
les plus distingués, entre autres
le duc de La Rochefoucault [voy.
KoCBEFoccAULT.) Lc sèjouT à Pa-
ris de M™" de Staël, avec laquelle
r6 MON
il renouvela ses relations de re-
connaissance et d'amitié, que le
gouvernement impérial ne vit pas
sans défiance, le fit d'abord sur-
veiller, et ensuite exiler (1811).
Il fut cependant autorisé à revenir
à Paris : toutefois la police impé-
riale ne le perdit pas de vue. En-
fin les événemeus politiques de
1814 firent naître un changement
total dans ses principes, et il se
rendit, au mois d'avril de cette
année, auprès de Monsieur, lieu-
tenant-général du ro3'aume; il de-
vint son aide-de-camp. Nommé
chevalier d'honneur de Madame,
duchesse d'Angoulême, au mois
de mars 181 5, il accompagna S.
A. R. A Bordeaux et à Londres,
d'où il se rendit à Gand , auprès
du roi. De retour à Paris avec ce
prince, il entra, le ly août 181 5,
à la chambre des pairs. Depuis
cette époque, M. de Montmoren-
cy n'a cessé de voter avec la ma-
jorité, et a parlé plusieurs fois
sur des matières de finances, sur
le clergé, sur les journaux, etc.;
mais l'homme de l'époque actuelle
n'est plus le publiciste de 1789.
Il combat aujourd'hui les mêmes
principes qu'il défendait alors a-
vec conviction et éloquence. Ap-
pelé au ministère des affaires é-
trangères après la chute de MM.
Siméon et Pasquier, et nommé
président du conseil , il entra ou-
vertement dans le système adopté
par le côté droit de la chambre
des députés. Ce fut pendant l'une
des séances de 1822 qu'il pro-
nonça cette fameuse rétractation
de ses premières doctrines, qui
excita des sentimens divers dans
le public. Appelé au congrès de
Vérone, il s'y trouva avec M. le
MON
vicomte de Chateaubriand. M. de
Montmorency poussait à la guer-
re d'Espagne avec une chaleur
que ne partageaient ni M. de Vil-
lèle, ni M. de Corbière, ses col-
lègues; aussi il éclata quelques
dissentimens à son retour, et M.
le vicomte de Chateaubriand, qui
s'était tenu prudemment en ob-
servation, reçut le portefeuille
des affaires étrangères. On ne
soupçonnait pas à l'auteur des
Martyrs le talent requis pour se
glisser aussi adroitement dans le
fiiuteull ministériel de son illustre
ami. Il est juste d'ajouter que M.
le vicomte de Chateaubriand mit
dans cette occupation les formes
d'une exquise politesse, et ne prit
le portefeuille des mains de M. de
Montmorency qu'en lui adressant
les plus vives protestations d'a-
mitié et de dévouement. Depuis
cette époque, M. de Montmorency
se livre à ses actes accoutumés de
bienfaisance, et médite , dit-on,
quelquefois à Montrouge sur la
sincérité des amitiés de cour, et
sur l'instabilité des grandeurs hu-
maines.
MONTMORENCY (madame M.
L. L. de), de la famille des pré-
cédens, naquit vers lyaS; elle a-
vait pris le voile dès sa jeunesse ,
et était supérieure de l'abbaye de
Montmartre, lorsque la révolution
éclata. Les couveus et tous les
autres ordres religieux aya'nt été
supprimés, elle vivait dans la
plus profonde retraite; mais sous
le règne de la terreur son obscu-
rité et son grand âge ne purent la
soustraire à sa malheureuse des-
tinée. D'abord arrêtée et mise en
détention à Saint-Lazare, elle en
fut bientôt extraite pour être li-
l
MON
vrée au tribunal révolutionnaire,
qui la coudamaa à mort sur l'ac-
cusatioa bannale de conspiration.
Une conspiratrice septuagénaire!
Sa mort précéda de trois jours
la révolution du 9 thermidor au 2:
M""* de Montmorency fut exécutée
le 24 juillet 1794.
MONTMORENCY - LAVAL
(de) , frère du duc Mathieu de
Montmorency, était à peine âgé
de 34 '"^ris lorsqu'il fut arrêté et
enfermé dans la prison de la Bour-
be, comme complice de l'Admi-
rai {voy. Admiral) , dont le nom
et la personne lui étaient absolu-
ment inconnus. Il parut avec lui
au tribunal révolutionnaire, et
fut atteint par le même arrêt de
mort. II périt sur l'échafiiud le 17
juin 1794» revêtu d'une chemise
rouge. Ce jeune infortuné s'était
livré dans sa prison à la culture
des lettres. On trouve deux de ses
pièces de poésie dans le recueil
intitulé : Tableau des prisons sous
Robespierre : elles annonçaient un
talent agréable.
MONTMORENCY - LUXEM-
BOURG ( AsNE - Charles-Sigis-
MOND, Dcc de), père du duc de
Luxembourg {voy. Lixemboirg),
l'un des quatre capitaines des gar-
des-du -corps du roi. Le duc
de Montmorency- Luxembourg,
pair de France et premier ba-
ron chrétien, membre de l'as-
semblée des notables en 1787,
ainsi que le prince Anne-Louis-
Alexandre de Montmorency-Robec
et le duc Anne-Alexandre-Marie-
Sulpice-Joseph de Montmorency-
Laval , fut nommé député , par la
noblesse du Poitou, aux états-
généraux , en 1789. Lors des as-
semblées de cet ordre , pour dé-
libérer s'il se réunirait au tiers-é-
tat , il fut nommé président. Le
26 juin, il obtint du roi une au-
dience, dans laquelle il exposa à
S. M. que la noblesse se refusait
à toute réunion , moins encore
dans son propre intérêt que dans
celui de la couronne. Le monar-
que témoignant sa surprise de
ce dernier motif, on rapporte que
le duc lui adressa ce discours :
«La noblesse, forte de sa con-
• sidération, de ses immenses
«richesses et des talens de plu-
» sieurs de ses membres , est sû-
ore de jouer un rôle dans l'as-
» semblée nationale, où elle sera
» reçue avec transport. Mais quel-
• les suites cette réunion peut a-
»voir pour le trône! L'opinion
«publique et les droits de la na-
» tion décernent à ses représen-
» tans une telle puissance, que
» l'autorité royale elle-même de-
» meure comme nulle en sa pré-
«sence. Ce pouvoir sans bornes
«existe dans les états-généraux;
«mais leur division en plusieurs
«chambres enchaîne leur action
«et conserve la vôtre. Réunis en
«une seule, ils ne connaissent
«plus de maître : divisés en trois,
«ils sont vos sujets. Le déficit des
«finances, l'insubordination de
«l'armée, abattent votre conseil;
«mais, sire, il vous reste encore
«votre fidèle noblesse. Elle a le
» choix de partager avec ses co-
» députés le pouvoir suprême ou
ode mourir pour défendre votre
«prérogative; son choix ne sera
npas douteux : elle mourra, mais
»en mourant, elle frappera de
«nullité les opérations d'une as-
I) semblée incomplète, puisqu'un
» tiers de ses membres aura été
78
MON
«livré à la fureur du peuple ou au
» Ter des assassins. » Le roi ordon-
na néanmoins la réunion , en di-
sant avec fermeté au duc : « lléu-
onissez-vous, je le veux. » La
noblesse, malgré la volonté roya-
le, persistait dans son opposition.
Lne lettre de 31. le comte d'Ar-
tois lui annonçant que cette hési-
tation prolongée mettrait en dan-
}Cer les jours de sa majesté, M.
de Montmorency se détermina en-
fin à se présenter à la chambre
des communes , à laquelle il
déclara « que l'amour de la paix
»et le désir de déférer auxinten-
»tions du roi amenaientla nobles-
»sie au sein de l'assemblée. » Il
donna le 20 août de la même année
sa démission, et se retira immé-
diatement en Portugal, où sa fille
épousa un des infans.
MONTMORENCY- MORRÈS
(Hervé de), adjudant-comman-
dant, avec le rang de colonel au
service de France, membre de la
légion- d'honneur et chevalier de
Saint- Louis, naquit le 8 mars
1J67, à Raihlin en Irlande. Son
père, Mathieu de Montmorency ,
baron de Montmarisco, ayant le
premier prouvé judiciairement sa
descendance directe de Geoffroi,
second fils d'Hervey de Montmo-
rency, grand-sommelier de Fran-
ce ( lequel Geoffroi vint en An-
gleterre avec Guillaume-le-Con-
quérant, et fut attaché à sa belle-
lille la reine Mathilde, femme
de Henri I"), a été autorisé, en
181 5, par le roi d'Angleterre, à
reprendre son ancien nom de fa-
mille. La branche protestante de
la même maison, établie depuis
six siècles en Irlande, et repré-
sentée aujourd'hui par lord vi-
MON
comte de Montn)orency- Franc-
fort, pair d'Irlande, a obtenu le
même droit. Le jeune Hervé en-
tra, à l'ûge de 1 5 ans, au service de
l'empereur d'Autriche Joseph II.
Employé d'abord dans le régi-
ment de Viersel , il passa ensuite
dans celui du l'eld-maréchal Lacy,
et fit avec lui toutes les campa-
gnes contre les Turcs. Il se distin-
gua particulièrement au siège et
à l'assaut de Belgrade. Etant passé
au corps d'armée, commandé par
le prince de Hohenlohe , il fit d'a-
bord partie de l'état -major du
lieutenant- général comte Edouard
d'Alton, et commanda ensuite une
compagnie de tirailleurs , pen-
dant le siège de Thionville. En
1793, il se rendit sur le Rhin, à
l'armée du feld-marécbal Wurm-
ser, y servit avec distinction dans
les grenadiers, et fut depuis atta-
ché, en qualité d'aide-de-camp ,
au général prince Charles de Furs-
temberg. Après les sanglantes cam-
pagnes de 1793 et 1794, il donna
sa dén)ission du service d'Autri-
che, et retourna dans sa patrie avec
la jeune baronne Louise de Helm-
stadt, qu'il venait d'épouser à
Heidelberg. M, de Montmorency
trouva l'Irlande en proie à de vio-
lentes dissentions civiles. Deux
factions se poursuivaient avec a-
charnement, et déchiraient tonr-
à-tour le sein de leur patrie. L'in-
tolérance, le fanatisme et la hai-
ne, sentimens habituels des sectes
déjà dominantes, ou qui aspirent
à le devenir, animaient surtout la
faction dite des Orangistes , toute
composée de protestans fougueux.
Les catholiques d'Irlande, ancien-
nement dépouillés de la plus
grande partie de leurs biens, op-
MON
primés et persécutés depuis plus
d'un siècle, se réunirent à leur
tour et formèrent le parti des De-
fenders (défenseurs). On eut bien-
tôt à se reprocher, de part et d'au-
tre, d'odieux excès et d'atroces
vengeances. M. de Montmorency,
qui habitait Knockalton , et qui
voyait la province dXlsler mena-
cée de toutes les horreurs d'une
guerre civile, présenta à cette é-
poque un mémoire au comte de
Camden, vice-roi d'Irlande, dans
lequel il lui proposait les mesures
les plus sages et les plus propres
à prévenir une révolte générale.
II insistait surtout sur la prompte
réunion d'un corns de troupes,
que le gouvernement ferait agir
contre les perturbateurs du repos
public, quels qu'ils fussent, et
sans distinction de parti ou de re-
ligion. Le vice-roi lui fit répondre
par le sous-secrétaire, M. E. Cooke,
que son mémoire avait été lu et
médité; que le plan n'était pas,
en tous points, exécutable pour
le moment, mais qu'il fournissait
une preuve non équivoque du zèle
et de la loyauté de M. de Mont-
morency, et qu'on ne doutait nul-
lement qu'il ne s'empressilt de
coopérer aux mesures que le gou-
vernement prendrait, etc. Il don-
na en eflfel plusieurs preuves de
son dévouement à l'autorité roya-
le, et, en 1796, lorsqu'une expé-
dition française, commandée par
le général Hoohe, parut sur les
côtes méridionales de l'Irlande, il
se présenta comme volontaire, et
accepta la commissjpn d'aide-de-
camp près du général anglais
Ralph Dundas, son ami. Les vais-
seaux de la flotte française furent
«n partie dispersés parla tempête:
MON
-o
le petit corp? de troupe* qui avait
pu débarquer, sous les ordres du
brave général Humbert [voyez ce
nom) , fut cerné de toutes parts,
et, après des prodiges de valeur,
fut enfin forcé de se rendre. Mais
à peine l'ennemi du dehors avait-
il cessé d'être redoutable, que les
troubles intérieurs éclatèrent avec
une nouvelle fureur. Le comté de
Tipperary en fut d'abord le plus
violemment agité. Le gouverne-
ment, au lieu de suivre les avis
qui lui avaient été donnés , et de
sévir avec rigueur, mais avec im-
partialité, contre tous les fac-
tieux, protégeait évidemment le
parti des Orangistes. Les deux ré-
gimens de Tyrcyic et de Down-
shire, composés en entier d'hom-
mes dévoués à ce parti, furent
envoyés par le vice-roi dans le
comté de Tipperary, et le mirent
à feu et à sang. Les violences com-
mises envers les catholiques furent
enfin portées à un tel excès, qu'el-
les indignèrent tous les hommes
de bien. Aux anciens Defenders se
réunirent bientôt des Irlandais de
toutes les classes et de toutes les opi-
nions. Alors se forma cette associa-
tion armée, qui devint redoutable
sous le nom à' Irlandais-unis, et à
laquelle non-seulement des catho-
liques , mais des calvinistes , des
quakers, des pairs du royaume,
des membres des communes, des
bourgeois des villes et des habi-
tans des campagnes prirent la part
la pins active. On s'engagea, sous
la foi du serment, à résister par
la force des armes à une oppres-
sion qu'on déclarait intolérable.
On attaqua même, avec le courage
du désespoir, les troupes réglées
qno les Orangistes eurent bientôt
8o
MON
pour auxiliaires. Le gouverne-
ment déclara à son lour ses adver-
saiies rebelles, arma ses partisans,
fit marcher des corps nombreux,
et la guerre intestine la plus cruel-
le ensanglanta la malheureuse Ir-
lande. Les insurgés-unis, organi-
sés militairement , avaient choisi
pour leur généralissime le jeune
lord Edouard Fitz-Gérald {voy. ce
nom AU Supplément du vol. XIII),
de la famille des ducs de Leinster,
et un des hommes les plus estimés
dans l'île entière, oii , malgré sa
fin tragique, le peuple ne pro-
nonce encore son nom (ju'avec
une vénération profonde. Pour
seconder ce chef, on avait en ou-
tre eu recours, dans chaque com-
té,;! un ancien militaire retiré dans
SCS foyers, qu'on nomma général.
Dans le comté de ïipperary , M.
Hervé de Montmorency fut porté
tout d'une voix à ce poste dange-
reux. Après une suite rapide de
faibles succès et d'éclatans revers,
l'insurrection eut l'issue funeste
qu'il aurait été facile de lui pré-
dire. Les soldats du gouverne-
ment britannique triomphèrent,
et le parlement d'Irlande sévit par
un acte judiciaire, The rebel fu-
gitive bill , contre les chefs dis-
persé»*. M. de Montmorency s'é-
tait réfugié en pays neutre , et
crut trouver un asile dans la ville
dite libre de Hambourg. Mais le
sénat de cette petite république,
obéissant à une réquisition du ré-
sident anglais, M. James Cravr-
furd , le fit arrêter le 23 novem-
bre 1799, ainsi que le général
Napper-Tandy, le chef d'escadron
Blackwell, et le capitaine Corbett,
tous trois officiers au service de
France, mais nés en Irlande. MaJ-
MON
gré les protestations en forme pré-
sentées au sénat par les ministres
de France , d'Espagne et de Hol-
lande, qui réclamèrent en vain
contre une violation aussi mani-
feste de la neutralité et du droit
des gens, les quatre prisonniers,
après une captivité de onze mois
dans les prisons de Hambourg, fu-
rent livrés à l'agent britannique,
et transportés, sur une frégate,
d'abord en Angleterre et ensuite
en Irlande, pour être jugés à Du-
blin , comme criminels d'état.
Cette extradition fit une sensation
extraordinaire dans le public. La
conduite du sénat de Hambourg
fut généralement blâmée, même
en Angleterre. Les trois ministres
cités ci-dessus quittèrent sur-le-
champ la ville, et se retirèrent à
Altona. M. Pitt délibéra, dit-on,
pendant plusieurs jours, sur le
parti le plus convenable à pren-
dre, et fut sur le point de céder
à la clameur publique, et de ren-
voyer les prisonniers sur le conti-
nent pour y être remis en liberté.
Le gouvernement français déclara
hautement qu'il tirerait vengeance
de i'outrage fait à des officiers au
service de France, et le sénat de
Hambourg, effrayé, se hâta d'en-
voyer deux de ses membres à Pa-
ris, avec une lettre très-soumise,
dans laquelle, tout en avouant sa
faute, il en rejetait le blâme sur
le gouvernement anglais, dont les
menaces avaient intimidé les bour-
guemestres et les sénateurs. Ceux-
ci cherchaient, par les expressions
les plus adulatrices, à captiver la
bienveillance du premier consul.
Sa réponse, devenue célèbre dans
les fastes de la diplomatie, fut
conçue en ces termes : « Nous a-
MON
» vnns reçu votre lettre, messieurs ;
«elle ne vous excuse pas. Le cou-
»rage et les vertus conservent les
• étals, la lâcheté et les vices les
Bruinent. — Vous avez violé les
» lois de l'hospitalité : cela ne serait
«pas arrivé parmi les hordes les
«plu» barbares du désert. Vos con-
» citoyens vous le reprocheront à
n jamais. — Les infortunés que
» vous avez livrés meurent illus-
»tres, mais leur sang fera plus de
«mal à leurs persécuteurs que
«n'aurait pu faire une armée. «
La cour du banc du roi , à Dublin,
prononça son arrêt le 18 mai 1800.
Napper -Tandy fut condamné à
mort, et exécuté. M. de Mont-
morency fut renvoyé de l'accusa-
tion , vu qu'il avait été arrêté en
pays étranger, par ordre de S. M.
britannique, 7 jours avant celui
qui avait été fixé par l'acte du
parlement, comme ternie de ri-
gueur assigné aux fugitifs pour se
constituer prisonniers, et vu que
l'arrestation l'avait mis dans l'im-
possibilité d'obtempérer audit ac-
te , etc. Mais quoique acquitté
par cet arrêt, remarquable sous
tous les rapports, il ne fut remis
eu liberté qu'après la paix d'A-
miens, et à la sollicitation du pre-
mier consul. Sorti du château fort
de Kilmainham, le 10 décembre
1801, après une captivité de plus
de trois années , son premier soin
fut de se rendre ù Paris, pour té-
moigner sa reconnaissanceau gou-
vernement qui l'avait si elFicace-
mont protégé. Af)rès avoir salis-
fait à ce sentiment de gratitude,
il retourna à Dublin, où il épous »,
en secondes noces, lady Esmond,
veuve de son cousin- germain; sa
première femme, personne d'un
T. XIV.
MON
81
mérite distingué, était morte le
jour même où son mari fut arrêté
à Hambourg. En 1806, M. de
Montmorency, en sa qualité da
franc-tenancier du comté deWex-
ford, fut nommé l'un des députés
catholiques dans ce comté, chaigé
de se rendre auprès du duc de
Bedford, lors de l'avènement de
ce dernier à la vice-royauté d'Ir-
lande. Il fit , quelques années
après , un nouveau voyage en
France, où l'appelaient des affaires
personnelles, entièrement étran-
gères à la politique. Encouragé
par l'accueil distingué qu'il reçut
de Napoléon , et par les offres du
duc de Feltre, ministre de la guer-
re [voy. Clarke} , qui était aussi
Irlandais d'origine, il résolut de
rentrer dans la carrière militaire ,
et de s'attacher au service de
France. Nommé adjudant- com-
mandant, avec le grade de colonel,
et membre de la légion-d'honneur,
par décret impérial daté de Dres-
de le 19 mai 1812, il rejoignit
l'armée, et fit les dernières cam-
pagnes sous les ordres du maré-
chal Augereau. Il a été nommé ,
par le roi, chevalier de Saint-
Louis en 1817. M. de Montmo-
rency s'est depuis livré à des oc-
cupations littéraires; il est mem-
bre correspondant de la société
des Antiquaires de Londres. De-
puis long-temps occupé de re-
cherches scientifiques, il a publié
])lusieurs ouvrages. On lui doit :
\° Noinenclatura Hibernica , Du-
blin, 1810; 2° Réflexions sur le
veto; 5' Recherches historiques et
critiques sur l'origine et C objet
primaire des tours-colonnes de
C Irlande, in-S", avec planches,
Sherwood , Londres, 1821; 4*
6
8a
MON
Mcmoires généalogiques sur la fa-
initle de Montmorency , i vol.
grand in-4°» avec planches. Il
travaille encore à une nouvelle
édition , corrigée et augineulée,
du Monasticutn Hibernicam, de
M. Archdall , pour servir de pen-
dant au Monaslicutn AngUcanam,
de M. Dugdale, et à un Diction-
naire iopographique de l'Irlande.
Il est l'un des collaborateurs de
M. Urewer pour l'ouvrage qui
s'imprime actuellement à Lon-
dres, intitulé : Tlie Beauties of
Ireland, etc.
MONTMOMN SAINT HEREU
(LECOMTELoUlS-VlCTOlBE-LtX De),
fils du marquis du même nom,
lieutenant -général , gouverneur
de Fontainebleau, gouvernement
auquel lecomte deMontmorin fut
lui-même appelé, naquit en 1762, .
et fut tenu sur les fonts baptis-
maux par Louis XV, en person-
ne , honneur qu'il ne partagea a-
vec aucun autre sujet de ce prin-
ce. Destiné dès sa naissance à la
profession des armes , le comte
de Montmorin parvint rapidement
au grade de colonel du régiment
de Flandre. A l'époque de la ré-
volution, il resta attaché à la
cause de la monarchie, et s'effor-
ça long-temps avec succès de
maintenir dans les mêmes dis-
positions le régiment qu'il com-
mandait. On rapporte que dans la
nuit du 5 au 6 octobre 1789, les
drapeaux du régiment, dont les
principes étaient équivoques, ayant
été enlevés et déposés à l'Hôtel-
de-\ille , il se mit à la tête de
deux compagnies, et alla les re-
prendre. Plusieurs dénonciations
lui faisant craindre pour sa liber-
té, il émigra , mais il se hâta de
MON
revenir à Paris, et demanda à
Louis XVI la permission de rester
près de sa persotme. Le roi lui
fit donner un logement au château
des Tuileries. Le comte de Mont-
morin fut l'une des victimes dot*
massacres du 2 septembre 1792.
MOMTMOKIN SAINT HEREM
LE COMTE Armand-Marc be) , mi-
nistre des affaires étrangères sous
Louis XVI, appartient à la bran-
che cadette de la famille du pré-
cédent; il commença sa carrière
politique par être ambassadeur
près du roi d'Espagne, et reçut de
ce prince l'ordre de la Toison -
d'Or. De retour en France , il ob-
tint le cordon de l'ordre du Saint-
Esprit, et fut nommé comman-
dant en Bretagne. Membre de l'as-
semblée des notables en 1787, il
devint peude temps aprèsrainistrc
des affaires étrangères, et il avait
encore ce portefeuille lors de la
convocation des états -généraux
en 1789. Homme faible et facile
à diriger, il ne sut point se pro-
noncer avec énergie pour ou con-
tre les événemens qui signalèrent
bientôt cette époque mémorable,
et on le vit agir alternativement
tantôt de concert avec le parti de
la cour, tantôt en faveur des nou-
veaux principes. Son refus d'ad-
hésion à la déclaration du 23 juin
le fit renvoyer le 12 juillet; mais
il fut rappelé après la révolution
du 14 de ce mois. Il se fit affilier
à la société des amis de la consti-
tiou , qui , plus tard , prit le nom
de société des Jacobins. Ses
tergiversations continuelles ame-
nèrent, au mois de juin 1791, son
exclusion de la société « comme
» un traître vendu aux puissances
» étrangères j » néanmoiiis ilmit as-
MON
sLî d'adreisedanssaiontluite pour
Ctie chargé, par intérim, du u)inis-
tère de l'intérieur. Le roi ayant fait
prendre des passeports sous des
noms supposés, et s'en étant ser-
vi pour se rendre à'Varcnnes,
M. de iMontnjorin fut mandé à la
barre de l'assemblée constituante,
où les explications qu'il donria fi-
rent juger qu'il avait réellement
ignoré le but du voyage, et les vé-
ritabiesnomsdeceux qui devaient
faire usage des passeports; ii re-
prit ses fonctions ministérielles.
Sous l'assemblée législative (qui
succéda, en 1791, à l'assemblée
constituante), il fft connaître aux
puissances étrangères l'accepta-
tion de l'acte constitutionnel par
Louis XVI, et donna connaissan-
ce des réponses que les souverains
étrangers avaient officiellemeut
faites à cette notification. Dans ces
circonstances , la conduite des
ministres parut tellement équi-
voque, que l'assemblée les man-
da collectivement à sa bar-
re. M. de Montmorin montra
dans cette circonstance beau-
coup de noblesse , et une fermeté
qui ne lui était pas habituelle. Il
sortit du ministère à la lin de no-
vembre 1791 , et offrit ensuite sa
démission; il forma avec MM. Mal-
houet , Bertrand de Molieville et
quelques autres personnes, un
conseil mixte, qui fut dénoncé
dans le journal de Carra, sous
le nom de comité autrichien. iM.
de Wonlmorin cita le journaiisle
devant le juge-dc-paix , con7u-.e
calomniateur : celle plainte n eut
pas de suites. Immédiatement a-
près les événemens du 10 aofit
1792 , il se réfugia chez une blan-
chisseuse du faubourg Saint-An -
3iON
S.".
toine, où il fut découvert le i>i
du même mois. Conduit devant
l'assemblée législative, il répon-
dit avec autant de fermeté que de
présence d'esprit à toutes les ques-
tions qui lui furent adressées; mais
l'assemblée ne fut pas entièrement
convaincue de .«-on innocence.
Conduit en prison, il fut, peu de
temps après, livré au tribunal
révolutionnaire et condamné à
mort. Nous terminerons cette no-
tice par le portrait que M. Fer-
rand, aujourd'hui ministre-d'état
et pair de France, fait de Mont-
morin dans sa Théorie des révolu-
tions. 0 C'était un ministre faible,
•imais pur et honnOte; il aimait le
»roi, et en était aimé comme un
» véritable ami ; cette amitié fut
nmême un malheur. Trompé par
»Necker (nous ne faisons que ci-
uter), qui avait pris un grand as-
» Cendant sur lui, il était son sou-
» tien auprès du roi : par lui, il fut,
» sans le savoir, un des grands véhi-
wcules de la révolution , et perdit
* le monarque et la monarchie, pour
«lesquels il aurait donné sa vie.»
MOMOLIEL (Isabelle, bi-
RONXE de), est née à Lausanne,
sur les bords du lac Léman. Le
tableau pittoresqnedes montagnes
de la Suisse électrisa sa jeune ima-
gination , que secondait un goût
plein de délicatesse. Les romans
et les nouvelles dé M"' de Mon-
tolieu se font généralement re-
marquer par une diction facile et
des situations dramatiques ; ses
principaux ouvrages, pour la plu-
part traduits ou imités de l'alle-
mand ou de l'anglais, sont : i'
Caroline de Lichteficld, »'* édit.
2 vol. io-12, 1781, 5' édit., en
5 vol. , 1 8 1 5 ; 2" te&Iori stnUmfn-
8i
MON
ial, 011 te Mariage comme il y en.
a quelques-uns, ir85, t vol. in-i8;
"5" Tableau de famille, 1801, 2 vol.
in-8°, a' édilinn, a vol. in-12,
i8o3 ; 4° Nouveau Tableau de fa-
mille, ou Vie d'un pauvre minis-
tre dans un village allemand, 1802,
5vol. in-12, 2' édition, i8o4;
5° le Village de Lobenstein, ou le
Nouvel Enfant trouvé; 6" Tliéo-
dora, 1802, 5 vol. in-12; 7° la
Rencontre au GarigHuno , ou les
Quali-e Femmes; 8" Jmour et Co-
quetterie, ou l' Enfant d'adoption,
i8o3, 5 vol. in-12; 9" Recueil de
contes, 1804, 5 vol. in-12; 10"
Aristoméne y i8o4> 5 vol. in-12;
11° Marie Menzickoff et Fedor
Dolgorouki , histoire russe, sous
la forme épi.slolaire, 1804, 2 vol.
in-12; 12" Corisandre de Beau-
vilUcrs , anecdote française du i6*
siècle, traduite d'un roman an-
glais de Charlotte Smith, 1806,
2 vol. in-12. 1 5° L'union malheu-
reuse du czarowilz Alexis , fils de
Pierre-le-Grand , avec Charlotte
de Brimswik- Wolfembuttel , h
fourni à M"" de Montolieu le sujet
d'un roman intéressant, sous le
litre de lu Princesse de I^Volfem-
h ut tel , 1807, 2 vol. in-12. 14°
Saint-Clair desiles, ou les Exilés
à l'île de Barca, traduction de
mistriss Helme , 1808, 4 v^'-
in-12; il en parut une nouvelle
édition dans le même format l'an-
née suivante. i5° Emmerich ,
1810, 6 vol. in-12; 16° le Né-
cromancien ou le Prince à Venise^
ou Mémoires du comte d'O. . . ,
traduit de l'allemand de Schiller,
1811, 2 vol. in-12; ly" J g al /io-
des, ou Lettres écrites de Borne
et de la Grèce au commencement du
4" siècle, 4 vol. in-12, 1" édit.
MOIS
eu 1812, a' et o' édit., i8i5; 18"
Douze Nouvelles, 4 vol. ; 19"
Falhenberg , ou l'Oncle, 2 yol.
in-12; 20" le Comte de fV aldhei m,
et son intendant IVildam, 4 vol.
in-12; 21° Suite des Nounelles ,
5 vol. ; 22° le Chalet des Hautes-
Alpes ; 25° le Robinson suisse,
ou Journal d'un père de famille
naufragé avec ses enfans, 2 vol.
in-12; 24° la Ferme aux Abeilles,
ouïes Flcurs-de-lys, iSi^? 2 vol. ;
25" Charles et Hélène de Moldorf,
ou f/uit Ans de trop; 26° Dix
Nouvelles, i8i5, 3 vol. ; 27° Rai-
son et Sensibilité, ou les deux
Manières d'aimer, même année,
4 vol. in-12; 28° tes Châteaux
suisses , recueil de chroniques an-
ciennes , 1816, 5 vol., nouvelle
édit. , 1817, 4 vol. in-8"; 29»
Ludovico, ou le Fils d'un homme
de génie, 1816, 2 vol. in-12; 5o"
Histoire du comte Rodrigo, 1817,
in-18; 31° Exaltation et Piété,
1818, 1 vol. in-12.
MONTPENSIER(<;oj.OrlÉans).
MONTPELLIER (N.), député
au conseil des cinq-cents, par le
département de l'Aude en 1799*
fit, dans la séance du 17 juillet
de la même année , un rapport
sur les dénonciations portées
contre l'ex-ministre Schérer cl
c<nitre les membres remplacés du
directoire-exécutif : il les accusa,
dans ce rapport, d'avoir dilapi-
dé et vendu à vil prix le matériel
des arsenaux delà république;
d'avoir sacrifié k la peur que leur
inspirait le général en chef Bona-
parte, l'élite de l'armée, celle de
nos savans et de nos artistes, en
imaginant l'expédition d'Égypie,
qui pouvait être regardée comme
une déportation honorable et dé-
MON
guisée, plutôt que comme une
conquête réelle; d'avoir renversé
par la force la constitution de la
république cisalpine; enfln, d'a-
voir soustrait à un juste châtiment
les agens du pouvoir, dénoncés
par le corps-législatif. 11 parla
dans la séance du 25 contre la
dénomination d'anarchistes, qui
senlail, disait-il, les réactions.
Ce député, qui voyait une dépor-
tation dans l'expédition d'Egypte,
si glorieuse pour la France et si
chère au monde savant, fut exclu
do l'assemhlée par •Juite de la ré-
volution du i8 brumaire an 8 ('jf)
novembre i 799 ) , et est rentré
depuis dans l'obscurité.
MONTP£TIT(A. V. de), pein-
tre etmécanicien, naquit à.Mâcon,
le i3 décembre 1710, et mourut
à Paris, le 00 avril 1800. Il fit de
très-bonnes études au collège de
Dijon et à Lyon , et s'adonna
d'abord à la jurisprudence, qu'il
quitta bientôt pourla mécaniqueet
les beaux-arts. Le désirde perfec-
tionner ses études l'ayant attiré à
Paris, il y apporta, en ijSo, une
pendule où la révolution annuelle
était marquée à la seconde , et
plusieurs autres machines chro-
Mométriques de son invention.
Il présentai! l'académie des scien-
ces une série de machines pro-
pres à fabriquer les fusées, dentu-
res, et généralement toutes les
pièces d'horlogerie. Des événe-
mens imprévus dérangèrent sa
fortune, et le forcèrent, en 1765,
il se livrer presque exclusivement
a la peinture : il fit, d'après Tor-
lire de Louis XV, quarante et
quelques portraits de ce monar-
que, d'après un procédé pour
li.verla peiiUure sous verre, pro-
MON
85
cédé qu'il avait soumis à l'acadé-
mie. Ce nouveau genre de traviril
ne l'empccha pa.'« de s'occuper de
quelques objetsd'ulilitépublique;iI
imagina un blanc de zinc beaucoup
moins dangereux dans son usage
que le blanc de plomb et dont la
décou verte fut accueillie avec é-
loge; publia, en 1770, un mé-
moire sur les poêles hydrauliques,
et démontra le premier l'utilité
de l'eau mise en évaporation sur
les poêles; présenta au roi, en
1780, le projet et la description
d'un pont de fer d'une seule arche
dt; 400 pieds d'ouverture, sans
poussées, et remit un mémoire
sur cet objet au comité d'instruc-
tion publique dix ans après. A-
lors,le bureau de consultation ren-
dit justice au méii te de ce savant, en
lui accordant la grande gratifica-
tion de 8,000 francs. Mont petit a
laissé, comme peintre, des copies
de cabinets entiers, un grand
nombre de portraits; un mémoire
curieux sur le genre éludorique ,
inventé par lui en 1759. et où il
employait l'huile sous l'eau; un
petit mémoire sur les moyens de
laire passer les portraits à Fhuile
intacts à la postérité ; enfin , il a
donné au Dictionnaire des beaux-
arts de Joubert , plusieurs Mé-
moires intéressans.
MONTllEVEL (le comte de),
maréchal-de-camp, député aux
états-généraux, était chef de l'u-
ne des plus riches familles du Mâ-
conais. En 1789, la noblesse de
sa province l'élut à cette assem-
blée, où il abjura, comme il l'a-
vait fait précédemment à M5con,
la cause des privilèges. Du parti
de la minorité de son ordre, il
se réunit avec elle au tiers-état.
m
MON
etsou tint avecénergie les principes
qu'il avait adoptés. Cet excellent
citoyen ne put échapper à ces hom-
mes funestes qui ne semblent em-
brasser une cause que pour la
souiller par leurs excès. Montre-
vel, arrêté à Paris, sur la dénon-
ciation du comité révolutionnaire
de Bourg, fut enfermé au Luxem-
bourg, et livré au tribunal révo-
luiionnaire, qui le condamna à
mort le 8 juillet 1794.
MONTRICHARD (Joseph-Élie-
DÉsiRÉ) , lieutenant-général , issu
d'une famille honorable du dé-
partement de l'Ain , est né le 24
janvier 1760; il entra de très-bonne
heure au service. OlFicicr d'artil-
lerie en 1789, il fit, en qualité de
général de brigade , les premiè-
res campagnes du la révolution
aux armées de la Moselle et du
Rhin, et, chef d'état-major de l'ar-
mée de Mayencc, en 1797, il
passa à l'armée d'Italie avec le
grade de général de division, le
5 février 1799. Peu de jours avant
que le général Schérer n'en prît le
commandement en chef, il com-
mandait la place de Bologne. Sché-
rer ayant été défait à Mngnagno,
Je 5 avril (1799), le général Mon-
trichard fut chargé de prévenir
les suites de celte défaite, en cou-
vrant la Ligurie et la Toscane ,
mission dont il s'acqtiitta avec
un plein succès; Il battit les im-
périaux en plusieurs rencontres,
et délivra le fortUrbino, qu'ils te-
naient assiégé. Il eut à la même
époque une altercation assez vi-
ve avec le général Lahoz , com-
mandant des troupes cisalpines,
par suite de laquelle il suspen-
dit cet officier de ses fonctions,
en déliant les troupes , sous son
MON
commandement, de l'obéissance
militaire : cette mesure, peut-ê-
tre trop rigoureuse, fit oublier à
Lahoz ce qu'il devait à la France,
et le jeta dans les rangs ennemis.
Yers le milieu de la même année,
le général Montrichard passa à
l'armée commandée par Macdo-
nald, qui était destinée à agir con-
tre Modène et Plaisance; mais sa
division , formant l'aile droite
à la bataille de la'f rébia, n'appor-
ta dans ses mouvemens ni la pré-
cision ni la promptitude qu'exi-
geait la gravité des circonstances.
Elle fut mise en déroule par la
cavalerie ennemie, presque sans
coup-férir, peu d'instans avant
que la victoire récompensât nos
troupes, le 19 juin 1799, de trois
journées d'efforts et de combats
continuels. A la vérité , la di-
vision Montrichard 'ne tarda pas
à trouver, dans les revers de
l'armée de Naples, l'occasion de
réparer son échec, en protégeant,
avec autant d'ordre que de bravou-
re , la retraite des débris fugitifs
decccorps.LcgénéralMontrichard
reput, vers la fin de la même an-
née, l'ordre de se rendre à l'ar-
mée d'Allemagne , commandée
par Morcau , et prit une part acti-
ve aux victoires remportées par
ce générai pendant les six pn-
miers mois de l'année suivante ,
à Enghen, Moëskirch. Hochstedt,
et se distingua aussi dans les com-
bats de Stockach, Memmingen et
OI)erhausen. Il prit ensuite le
commandement de l'une des trois
divisions chargées de couvrir la
Haule-Souabe, le pays des Gri-
sons et le Voralberg; fut nommé
général en chef des troupes fran-
çaise» au service de la république
MON
batave, en 1802 , et euToyé bien-
tôt après dans le Hanovre. Gou-
verneur du duché de Lunébourg,
au mois de juillet i8o3, il devint
commandant de la légion-d'hon-
neur, le i4 juin 1804, et s-ervit
constamment jusqu'à la fin du
^gouvernement impérial. Il fut fait
chevalier de Saint-Louis le 10
décembre 1814» et mis à la retrai-
te le 4 '^^ptenibre i8i5.
MONTRICHARD (He>ri-René,
COMTE de), ancien page de la rei-
ne, fit, comme oiricier de cavale-
rie, la campagne de 1791 à 1792
dans l'armée des princes. Mais
voulant rentrer en France , il profi-
ta, en 1799, «le l'amnistie accordée
aux émigrés. Il s'acquitta avec
soin de plusieurs missions délica-
tes, qui lui furent confiées par son
beau-père, M. Imbert Colomès, et
fut nommé, en 180G, maiie de la
petite commune de Saint-Pierrc-
ia-lloaille, département de la Loi-
le. 11 se montra dès le rétablisse-
ment du gouvernement royal l'un
de ses plus actifs partisans, etdonna
lieu à se faiie destituer par le com-
missaire extraordinaire ilu gouver-
nement impérial pendant les cent
jours en 1 8 1 5. ÎSommé, après la se-
conde leslauration, sous-préfel de
Villefranche, près de Lyon, il prit
des mesures lors des troubles du
mois de septembre 1817, qui le fi-
rent destituer de nouveau; mais
celte fois ce fut par ordre du duc
dellaguse,envoyé à Lyon avec des
pleins-pouvoirs. M. de Montri-
chard est membre de la légion-
d'honneur depuis le i5 novembre
1814.
MONTllICnÉ ( GONDREVIM.E
de), homme dd lettrtîs'et sous-i:hef
au ministère de la guerre, a pu-
MON
8-
blié les ouvrages suivan? : 1° Con-
quête de la Prusse, poëme, Paris,
181G; 2' Co'ilnfe sur la naissance
du roi de Rome, 1 8 1 1 ; 3" E°ysU et
Clytemnestre, tragédie en 5 actes,
181 3; 4° É pitres à NapoU'on,
i8i5, avec celte épigraphe:
Qui pourrait arrêter ce torrent dans sa course?
5° Épltre à Caruot, i8i5. M. de
Montriché s'est fait remarquer par
son patriotisme et son cotuage, à
la défense de Paris, le 5o mars i8i4?
à la tête d'une compagnie de la
garde nationale, dans laquelle il
était lieutenant.
Mois TROSE ( James-Graham ,
DEC deI, pair d'Angleterre et d'L-
cosse, chancelier de l'université de
Glasgow, président de la banque
royale d'Ecosse, etc., d'une famil-
le très-ancienne , est né le 8 fé-
vrier 1755. Admis dans V\ cham-
bfe-haute, en 1790, il se dévoua
au parti ministériel, et manqua
rarement une occasion de louer
les mesures du gouvernement.
Dans la séance du 2 février 1801,
examinant la position de l'Angle-
terre à l'égard des autres nations ,
il ne trouva rien que de rassurant
dans ses rapports avec elles; lors-
qu'il en vint au tour delà France,
il déclara ijue cette puissance était
plus grande, plus formidable que
sous le règne de Louis XIV même,
«mais, ajouta-t-il, c'est une rni-
»son déplus pour que nous soyons
»en garde contre elle, et grâces à
nia sage conduite du ministère,
nnous sommes plus en état que
«nous ne Tétions de soutenir nos
«droits. » Après ce discours, il
protesta de son dévouement au
roi , et de son empressement
à seconder, de tout son pou-
L
88
MON
Toir, les intentions de la couronne,
<]ans un projet d'adresse dont il fit
lecture à l'assemblée. Il s'opposa,
peu de feins après, à la motion de
<!resser une enquête sur l'état ac-
tuel de la nation, s'attachant à
prouver que la conduite de l'an-
cien miiiiétère était exempte de
tout reproche, et que ses actes a-
\aient été dictés par l'intérêt gé-
néral. Il fut chargé, au mois de fé-
Arier 181 (S, de déclarer, au nom
du comité secret, que les ministres
avaient usé de leurs pouvoirs ex-
traordinaires avec modération et
clémeucc.
MOm'UCCI (Antonio), doc-
teur en droit, et célèbre littéra-
teur italien , est né à Sienne, le
22 mai 1762. Son ardeur à s'instrui-
re se développa dés son enfance;
il obtint une bourse à la faculté
de droit de Sienne, et reçut le
grade de docteur. L'étude des lan-
gues vivantes devint bientôt sa
passion favorite ; il s'y appliqua
avec une telle assiduité, qu'on le
disait, en plaisantant, possédé de
la polyglottomanie. En 1^85 il
occupait la chaire de langue an-
j;laise au collège de ïolomeï ;
mais il quitta cette place l'année
suivante, et se rendit h Florence,
où il fit la connaissance d'un ami
des arts, de M. Josiali Wedgwood,
qui avait fondé une espèce de co-
lonie, sous le nom de Nouvelle
htrurie, dans le cointé de Staftbrt-
shire, et qui l'engagea à s'y ren-
dre , ce que M. iMontucci accepta.
Se trouvant à Londres en 1792,
lorsque lord Macartucy fut nom-
mé ambassadeur à la Chine, et té-
jnoin des préparatifs de son dé-
part, il profita des progrès qu'il
.îvait faits dans h lungue chinoise,
xMON
sans autre secours que le livre de
Fourmont, pour écrire aux jeunes
interprètes chinois une lettre obli-
geante sur leur voyage; elle lui
valut de leur part un livre qu'on
ne trouve point en Europe, le
dictionnaire chinois Tchlng-Tsen-
Tlioung. Il s'occupa alors d'une
manière plus particulière de la
langue chinoise, et ce fut pour
s'y livrer tout entier, qu'à quel-
ques absences près, il demeura
dans la capitale de l'Angleterre
jusqu'en 1804. Il conçut le plan
d'un dictionnaire chinois perfec-
tionné à l'usage des Européens;
mais ses moyens ne lui permet-
tant pas d'entreprendre , à ses
frais, l'impression d'un pareil our
vrage, il enfitle prospectas , qu'il
couuTiuniqua à plusieurs acadé-
mies et aux souverains qu'il crut
les plus zélés pour encourager ses
savantes études. Le roi de Prusse
fut le seul qui l'honora d'une ré-
ponse. Il se rendit à Berlin en
1806, à peu près vers le tenxps de
l'entrée des Français dans cette
capitale. Le moment n'était pas
favorable à l'exécution de son pro-
jet; il fut forcé, en attendant, de
donner des leçons d'anglais et d'i-
talien. Enfin, en 1810, il fit ^;raver
en bois les types des caractères pro-
pres à Timpression de ce grand et
important dictionnaire , et , en
1819, les trois quarts d'un aussi im-
mense travail étaieutdéjà terminés,
le nombre des caractères s'élevant
alors à près de vingt mille. C'est
l'ouvrage le plus parfait qui existe
en ce genre; jamais ou n'avait
exécuté dans l'occident des types
d'une pareille netteté. M. Mon-
tucci est aussi auteur de plusieurs
ouvrages, qu'il a publiés succès-^
MON
si rement , et parmi lesquels on dis-
lingue particulièrement : i" Poésie
ftnora inédite del niagnifico Lorenzo
de Medici, édilion dont M. Koscoë
Tu les frais ; 2° Kerto the italian
classies; 3° Metastasio opère scelle
con eloggio e riltratlo del autore;
!\" Letlere d'iina Peruviana; 5'
Essai sur la décadence actuelle de
ta littérature toscane, inséré dans
le Monlhly >l;igazine; 5° Quin-
ilici, tragédie di Vittorio Alfieri,
con la Merope de Maffei e CAris-
trjdemo di Monti; G" et cnùn Select
dranimatic pièces, suivi de Mé-
moires littéraires sur Goldoni,
Métastase et Alficri, etc. , etc.
MONTUCLA ( Jeas -Étie»e ) ,
savant astronome, membre de
\ l'institut de France et de l'acadé-
mie des sciences de Berlin, naquit
à Lyon en 1725, et tut destiné à
la carrière du commerce, dans la-
quelle son père s'était fait estimer.
Son éducation s'opposa au vœu de
sa famille. Placé au collège des Jé-
suites de Lyon, il se livra avec tant
d'ardeur à l'étude «les langues an-
ciennes et à l'étude des mathéma-
tiques, qu'il y fit de rapides et re-
marquables progrès. Devenu or-
phelin avant sa i6*= année, il fut
obligé de choisir un état, et il sui-
vit, à Toulouse, des cours de droit
pour devenir avocat. Pourvu de
tous ses grades, il vint à Paris, où
la société des gens de lellres qui
fréquentaient la maison de Jom-
bert, savant libraire, le rendit à
>es premières éludes, celles des
s; iences. D'Alembert, l'abbé Le-
l)!ond, Cochin, et autres hommes
distingués dans divers genres, fu-
ient ses amis, ses conseils, et on
le compta, tjuoique jeune encore,
au nombre de nos meilleurs ma-
MOX
89
thématiciens. Il était, suivant ses
propres expressions, possédé du dé-
mon de la potyglottonianie; il ap-
prit, sans maître^v» les langues ita-
lienne, anglaise, allemande et hol-
landaise. Il devint un des princi-
paux rédacteurs de la Gazette de
France, qui alors était à peu près
exclusivement consacrée à la litté-
rature, aux sciences et aux arts.
Ce fut à cette époque qu'il publia,
chez son ami Jombert, plusieurs
opuscules, auxquels il n'attacha
pas son nom. L'accueil qu'ils re-
çurent du monde savant l'encou-
ragea à poursuivre le grand ouvra-
ge auquel il dut sa juste célébrité.
On sait que Bacon avait exprimé
le désir de voir composer une his-
toire où seraient traités les dévelop-
pemens de l'esprit humain dans les
diverses branches de ses connais-
sances. Le savant Montmort avait
tracé, d'après cette idée si digne
de ce profond penseur, une Histoi'
re des niatliéniatiques : cet ouvrage
fut perdu. Montucla, qui touchait
à peine à sa 5o' année, voulut eu-
richir les sciences de cet impor-
tant ouvrage, et surmontant tou-
tes les ditlicultés inséparables d'un
aussi important travail, il mit au
jour, en 1758, son Histoire des ma-
thématiques, 2 vol. in 4"; dans la-
quelle on admira également la
profondeur des recherches, et la
méthode claire et précise avec la-
quelle l'auteur avait traité les ma-
tières les plus abstraites. Néan-
moins il ne fut point récompensé
selon son mérite. En i^Oi, il obtint
la modeste place de secrétaire de
l'inlendancc deGrenoble, ville où il
se maria. Trois ans après, il suivit
le chevalier Turgot, qui se rendait
à Cayenne pgur y former une co-
îjo MON
Jonie, en qualité de secrétaire du
chef de l'établissement et d'astro-
nome du roi : aprys 1 5 mois d'ab-
sence, il revint. en France, muni
d'observations, qui furent perdues,
de plantes curieuses et du haruot
sucré. Cochin , informé du retour
de Montucla, fit obtenir à son ami,
pour le fixer à Paris, la place de
premier commis des bâtimens de
la couronne. IH'exerça jusqu'à l'é-
poque de la révolution, ne négli-
j^eant point pour cela la science à
laquelle il devait sa renommée. Les
bouleversemens politiques lui fi-
rent perdre sa fortune. Cependant
le gouvernement, sans qu'il l'eût
sollicité, le comprit, en 179;), au
nombre des savans et gens de let-
tres qu'il jugeait dignes de ses se-
cours. Il fut en même temps char-
gé de l'analyse des traités déposés
<Jans les archives du ministère des
relations extérieures, et, en i7<^|6,
nommé professeur de mathémati-
ques à l'une des écoles de Paris :
il ne put accepter cet emploi pour
cause de santé. C'est à Versailles,
où il s'était retiré, qu'il prépara
une nouvelle édition de son Histoi-
re des malkématiques, enrichie des
découvertes fixités dans celle scien-
ce pendant le 18* siècle. Depuis
trois mois seulement il jouissait
d'une pension que M. François de
Neufchâleau lui avait fait obtenir
à la place de Saussure, récemment
ravi aux sciences, lorsqu'il mou-
rut le 18 décembre 1799. ^^ S'^"
vaut était devenu membre de l'ins-
titut à la réorganisation des acadé-
7i)ies, honneia- que ne lui avait
point accordé l'ancierme académie
des sciences. Dès 1755, une aca-
démie étrangère lui rendit plus de
justice, en l'adinetlant au nombre
WON
de ses membres. Les qualités les
plus estimables ne le distinguaient
pas moins que ses talens. Il était
bon, généreux, modeste, et de la
plus douce société. On lui doit : 1*
Histoire des reckerches sur la qua-
drature du cercle y Paris 1754, in-
12, ornée de figures: cet ouvrage,
devenu fort rare, offre le tableau de
toutes les tentatives qui furent fai-
tes,mais sans fruit, pour la solution
de ce fameux problême. 1° Recueil
de pièces concernant l' inoculation da
la pétite-verole, traduction de l'ati-
glais, Paris, iu-12. 1756; 3° His-
toire des inatlunialiqueSi Paris, 2
vol. in-4", 1758 : une nouvelle édi-
tion de cet ouvrage parut considé-
rablement augmentée, Paris,
1799-180.'!, 4 vol. in-4". L'auteur
éSant mort au moment de l'im-
pression du 5' volume , Lalande
eu a revu le manuscrit, et s'est as-
socié pour ce travail plusieurs sa-
vans distingués. Le 5' volume ren-
fernu! luie prélace de l'éditeur et
le portrait de l'auteur; le tome 4 •»
où l'on trouva l'Histoire de l'aslrr-
noniie, et auquel Lalande eut le
plus de part, est orné du portrait
de Lalande, que son ami, et non
son élève, iM. Janvier [voyez ce
nom\ comme on l'aprétendu à tort
dans la Biograp/iie universelle, a-
vail fait graver, non pour VHistoi'
re des mat hém a tiques de Montucla,
mais bien pour l'Histoire de l'as-
tronomie de Lalande; ce mcMTie 4"
volume contient encore un extrait
de V Éloge de Montucla, par M.
Sav. Leblond. ]ai M agazin encyclo-
pédique (tom. V, pag. 4<^6-4io,
année 1799), •> consacré une No-
tice historique à ce savant. 4° Kn-
fin, Montucla a donf'é une très-
bootie édition des Récréations ma-
I
MON
thématiques d'Ozanam. 4 vol. in-
8", 1778, et une traduction des
f^oyages de Carrer dans l'intérieur
de r Amérique septentrionale, Pa-
ris. 17S/1, un vol. in-8°. Ces deux
ouvrage? sont précieux, outre leur
mérite propre, par les notes re-
iriarquahles, etc., de l'éditeur. La
publication des Récréations mathé-
matiques a cela de particulier que
l'ouvrage parut sous les initiales
C. G. F. qui signifient, rapporte-
t-on , Chanta, géomètre forézien,
du nom d'un petit domaine que sa
finulle avait dans le Forez. Au
moyen de ce déguisement, il put
lui-même approuver ce livre, qui
lui fut renvoyé comme censeur
pour les ouvrages de mathémati-
que->.
iMONVEL (.lACQrES-MABiE P.or-
TET de), célèbre acteur du Théâtre-
Français, et auteur d'un grand
noinbre d'ouvrages dramatiques,
naquit à I.unéville, en l'^^ô. Son
père jouait la comédie en provin-
ce, et dès l'enfance, le jeune Slon-
vel suivit la même carrière. Il
débuta avec succès , à Paris, en
1770, et fut reçuauThéàlre-Fran-
çais, en 1772. pour doubler Mole,
dans l'emploi des jeunes premiers.
Il eut long- temps à lutter contre
ce rival redoutable, déjà en pos-
8Çs«ion de la faveur du public, et
douéid'avanlages extérieurs que
la nature avait refusés à Monvel.
Mais celui-ci joignait à une rare
intelligence, l'élude approfondie
de son art. et une habileté exi re-
ine à ménager et à faire valoir
tous ses moyens ; il avait une â-
ine de feu, et une sensibilité pro-
fonde. Vivement ému lui-nièmc,
il savait faire partager aux specta-
teurs tous les senîimens ^uil é-
MOÎH
0<
prouvait, et parvenait à arracher
des applaudissemens et des lar-
mes, à ceux-là mêmes qui étaient
le plus prévenus en faveur de son
rival. Monvel excellait surtout
dans plusieurs rôles tragiques, tels
que ceux de Séïde , Xipharès ,
l'Orphelin de la Chine, le jeune
Bramine de la veuve du Malabar,
etc. Après avoir donné à l'Opéra-
Comique quelques pièces, dont
Dezède fil la musique, et qui ob-
tinrent un grand succès , il fit re-
présenter, en 1777, au Théâtre-
Français, la jolie comédie de l'À-
mant Bourra. U« roman de M"*
Biccoboni, dont il sut tirer le pins
heureux parti, lui en avait fourni
le sujet, et il obtint à la fois, comme
acteur et comme auteur, un dou-
ble triomphe. Monvel avait em-
ployé tout son talent à faire valoir
le rôle de Montalais. Mole, de son
côté, chargé de celui d'Estellan, y
mit une verve et une chaleur qui
contribuèrent au succès brillant de
lou vrag?.Dans une scène du secon J
acte , Montalais dit : C'est aujour-
d'hui qaon juge mon procès; une
voix lui répondit du parterre: Il est
gagnée et tout le public répéta ces
mots, en y mêlant les plus vifs ap-
plaudissemens. La reine Marie- An-
toinette, veuueà cette première r<--
présenlation, y joignit ostensible-
ment les siens, avec une grâce et
une bonté qui furenlgénèralement
remarquées. A la fin de la pièce,
le public demanda à grands criî
Monvel et Mole; ces deux enne-
mis partirent ensemble sur la scè-
ne, et tous deux vivement émus,
se précipitèrent avec enthousias-
me dans les bras l'un de l'autre.
Leur réconciliation fut ainsi scel-
lée au milieu des acclamalious dq
*J'^
x^iON
public, ot ils vécurent toujours
depuis en parJaite intelligence.
Mais le cours des succès de Mon-
vel fut interrompu inopinément
en France, quelque temps après ,
par ordre de la haute police, qui
lui enjoignit, au grand étonne-
ment du public, de quitter sa pa-
trie. La chronique scandaleuse du
temps assigna divers motifs à
cette mesure, tous pris dans la vie
privée de l'auteur, et qui ne sont
pas du ressort de l'histoire. Le
"roi de Suède, Gustave III, lui fit
aussitôt les offres les plus brillan-
tes, qu'il accepta, et il devint, pen-
dant plusieursannées, le principal
ornement du Théâtre-Français de
Stockholm. En 1786, il lui fut
permis de revenir à Paris, et d'y
faire représenter ime pièce qu'il
avaft achevée en Suède, les J-
inours de Bayard. Elle n'eut pas le
succès qu'il s'en était promis.
Quelques années après, il reparut
.>;ur la scène, et fut accueilli par
des applaudissemcns unanimes.
l^e nouveau spectacle établi au
Palais-Uoyal, et qui prit, en 1792,
le titre de Théâtre de la républi-
que, fut celui auquel Monvel s'at-
tacha. La plupart des anciens ac-
teurs de la Comédie-Française, dis-
persés pendant le règne de la ter-
reur , vinrent successivement se
joindre à lui. Son âge et sa santé
délicate, le forcèrent, cependant,
à renoncer aux grands rôles tragi-
ques qui avaient fait sa renommée,
niais on le revit toujours avec plai-
sir dans ceux des pères nobles, et
dans Fénélon, Calas, l'abbé de
l £pée, le curé de Méianic, etc.;
il remplit encore le rôle d'Augus-
te dans Cinna, de la manière la
plus remarquable. Sa mémoire le
MON
trahit vers la fin de sa carrière, et
sa prononciation étant devenue
dinicile, par la perte de ses dents,
il se relira du théâtre en 1806, et
mourut le i5 février 1811, à l'âge
de 66 ans. M"* Clairon, qui jugeait
parfois sévèrement ses contempo-
rains, disait de lui : « On annonce
» Achille, Horace, un héros quei-
» conque qui vient de gagner une
«bataille, en combattant presque
» seul contre des ennemis formida-
»bles; ou bien un prince si char-
»mant, que la plus grande prin-
«cesse lui sacrilie sans regret son
«trône et sa vie, et l'on voit arri-
» ver un petit homme fluet, sans
» force et sans organe: que devient
«alors l'illusion? 1) Monvel avait,
en effet, un physique peu agréa-
ble; ses yeux étaient cependant
grands, pleins de feu, sa physio-
nomie très-mobile, et son admira-
ble talent ne laissait guère au
spectateur, séduit, le loisir de s'oc-
cuper d'autres avantages. Ainsi
que Lekain, Monvel savait tout
ennoblir et embellissait la laideur
même. Son mérite, comme au-
teur dramatique, était gans doute
inférieur à celui du comédien. On
re[)rochait à son style, de fréquen-
tes négligences, mais il entendait
bien la scène, savait amener
d'heureux effets , son dialogu<î
était bien coupé et plein de cha-
leur. Dans ses opéras-comiques ,
il réussissait mieux que personne
à employer le patois, et à faire
parler ses paysans avec grâce et
naïveté. Presque ti>us ses ouvra-
ges furent applaudis dans la nou-
veauté , et plusieurs se revoient
encore avec plaisir. Il a donné au
'i.\\cSiiï-e-Vi'nnçA\\r,:\"V Amant Bour-
ru., en 3 actes et en vers libres,
iMON
IJ77, in-8'; i" Clémentine et De-
sorme , drame en 5 actes et en
prose, 1780, in-8°; If les Amours
deBayard, comédie héroïque en 5
actes et en prose, 1786, in-8°; 4°
les Victimes cloîtrées, drame en 4
actes et en prose. 1791. in-8°; 5"
Rixleben, ou la Main de fer, co-
médie en 4 actes et en prose,
1 794 ; 6° la Jeunesse du duc de
Richelieu, ou le Lovelace français,
drame en 4 actes, composé en so-
ciété avec M. Alexandre Durai,
1796, in-8°; y Mathilde, drame
en 5 actes, 1799, in-8''. A l'opéra-
comique : i* Julie, comédie en 5
actes, mêlée d'ariettes, musique
de Dezède, 1 770, in-8"' : a" l'Er-
reur d' un moment, ou la Suite de
Julie, comédie en 1 acte, mêlée
d'ariettes, musique de Dezède,
1773, in-S"; 5» le Stratagème dé-
couvert^ comédie en 2 actes, mêlée
d'ariettes, musique de Dezède,
1773, in -8°; 4" les Trois Fer-
miers, comédie en 2 actes, mêlée
d'ariettes , musique de Dezède,
i777,in-8°; 5° /e Porteur de chai-
se, comédie -parade en 2 actes,
mêlée d'ariettes, musique de De-
zède, 1778, in-8°; Q° le Charbon-
nier, ou le Dormeur éveillé, co-
médie en 4 actes, 1780; 7° D'aise
et Babet, ou la Suite des Trois
Fermiers, comédie en 2 actes,
mêlée d'ariettes, musique de De-
zède, 1785, in-8°: 8" Alexis et
Justine, comédie en 2 actes, mê-
lée d'ariettes, musique de f)ezède,
1785, in-8''; g" Sargine, ou l'élève
de l' Amour, comédie chevaleres-
que en 4 actes, musique de Da-
leyrac, 1788, in-8"'; 10» Raoul,
sire de Créqui, comédie en 3 ac-
tes, mêlée d'ariettes, musique de
Daleyrac, 1789, in-S" ; w' le Chê-
MON
9^
7ie patriotique, ou la Matinée dut^
Juillet, comédie en 2 actes, mêlée
d'ariettes, musique de Daleyrac,
1790; 12° Agnès et Olivier, opé-
ra en 3 actes, musique de Daley-
rac, 1791 ; i3" Roméo et Juliette,
ou Tout pour l' Amour, opéra en
4 actes, musique de Dnle^'rac ,
1792 : 14° Ambroise, ou Voilà ma
journée, opéra-comique en 1 acte,
musique de Daleyrac, 1793; i5*
Urgande et Merlin, opéra en 5
actes, musique de Daleyrac, 1793;
16° Philippe et Georgette, opéra-
comique en 1 acte, musique de
Daleyrac, 1793, in-8*; 17" le Gé-
néral Suédois, fait historique en 2
actes, musique de Délia Maria,
1799. Au ihéiltre des Variétés au
Palais-Royal : i" l' Heureuse indis-
crétion, comédie en 3 actes et en
vers, 1789; le Potier de terre,
comédie eu 5 actes et en prose,
1791. Il fit jouer au théâtre de la
C(»uràChoisy,en 1777, une farce,
AEIOU, qui n'a pas été impri-
mée. On a en outre de lui, un ro-
man historique , Frédégonde et
Brunehaut, 1776, in-S", et quel-
ques poésies fugitives. Monvel
embrassa, avec une grande exal-
tation, les principes républicains.
En 1795, il monta en chaire à l'é-
glise de Saint-Roch, et y déclama
avec véhémence une philippique
contre les prêtres et les rois, qu'il
fit ensuite imprimer sous le titre
de : Discours fait et prononcé par
le citoyen Moncel, dans ta section
de la Montagne , le 'jour de la fête
de la Raison, célébrée dans la ci-
devant église de Saint-Roch, le 10
frimaire an 2 de la république une
et indivisible, Paris, an 2 , in - 8".
Peu de temps après la création de
rinstitut, il en fut nommé mem-«
f)^
MON
bre, et devint aussi un des profes-
seurs du Conservatoire. II a laissé
plusieurs enians , dont un fils
( voyez l'article suivant ) qui a
cultivé les lettres, et une lîlle, l'or-
neuientdu Théâtre-Français, dont
les talens pour la comédie surpas-
sent ceux de son père, et qui a été
j'ichement douée par la nature de
tous les avantages qui manquaient
à celui-ci. Unedéputation de l'Ins-
titut, et presque tous les acteurs
de la capitale, accompagnèrent le
convoi funèbre de Monvel. Le se-
crétaire perpétuel de la 4°" classe
de l'Institut, et Lafond, sociétaire
du Théâtre -Français, prononcè-
rent chacun un discours sur sa
tombe. 11 est inhumé au cimetiè-
re de Montmartre.
MO]NVEL(N),filsdu précédent, a
été successivement chef du bureau
particulier du ministre de la justi-
ce, secrétaire de l'archichancelier
Cambacérès, et attaché à la Gazet-
te de Fi-unce en qualité de censeur.
11 a rempli ces dernières fonctions
pendant plusieurs années. II a pu-
blié quelques ouvrages : \" le Deuil
prématuré, comédie; i^J unius,ou
les proscrits, tragédie en cinq ac-
tes et en vers, 1798, in-S"; 5" le
Comte de Donamar, traduit de l'al-
lemand ; 4° Recueil de poésies,
1801, in-8"; 5" Ode sur la guerre
d'Autriche, i8o5, in-8°; 6' Ode
aux Turcs, 1807, in-S".
MONVILLE (T. B. G. Boissfx,
nifiON de), d'une ancienne famille
du ci-devant Kouennais , pair de
France, se livra à l'étude de quel-
ques objets d'utilité publique, et
se retira à Seissel, département
de l'Ain , pendant le règne de la
terreur. Il conçut alors l'idée d'ex-
plorer le cours du Rhône depuis
M 00
celte ville jusqu'à Genève, et il
en entreprit la navigation , en par-
tie souterraine, afin de s'assurer
par lui-même s'il ne serait pas
possible de rendre navigable celle
partie du fleuve, et d'utiliser par-
la les ressources que les bois du
Valais peuvent fournir à notre
marine pour la mâture des vais-
seaux. De retour de son voyage ,
où il n'éprouva aucun accident
grave, il en publia la relation,
sous le titre de Voyage pittoresque
et navigation exécutée sur une par-
tie du Rhône réputée non îiavigable,
Paris, 1795, I vol. in-4'', avec 18
planches gravées par lui-même.
M. deMonville a publié, en 1818,
sous ce tilre : de ta Législation des
cours d'eau, une excellen le ana-
lyse, en forme de mémoire , des
lois et réglemens qui régissent
cetle matière, source inépuisable
de procès entre l'industrie et l'a»
griculture, entre le pouvoir ad-
ministratif et le pouvoir judiciaire.
MOOR (Edouard), célèbre é-
crivain anglai», a publié les ou-
vrages suivans : f Récit des opéra-
tions du capitaine Little et de l'ar-
mée Mahratte, vol. iu-4''î '774;
2° le Panthéon indou, in-4'', '810;
3" Récit des mesures prises pour
supprimer les assassinats systéma-
tiques des enfans du sex» féminin
par leurs parens, et d'autres cou~
tûmes particulières aux nctturels de
rinde, in-4", 1811. Les fonctions
importantes que M. Moor exerça
pendant long-temps à Hombay,
l'avaient mis à niên)e d'observer
avec fruit les mœurs des habilans
de ces contrées. Il est membre de
la société royale de Londres et de
celle de Calcutta.
MOOJIE (Thomas), un des plus
MOO
célèbres poêles vivans dont la
Grande-Bretagne s'honore, né le
28 mai 1780, à Dublin, en Irlan-
de, est fils d'un respectable négo-
ciant de cette ville. La première
éducation du jeune Moore fut
confiée à M. Samuel White de
Dublin, homme estimé, qui fut
aussi le premier instituteur du
célèbre Shéridan , et sous la di-
rection duquel iM. Moore fit des
progrès rapides. A Tâge de 14
ans, il entra au collège de la Tri-
nité, à Dublin, où il se fit remar-
quer par son enthousiasme pour la
liberté, et par son amour pour le
pays qui l'avait vu naître, senti-
mens auxquels il s'est toujours
montré fidèle, et qu'il manifestait,
dès sa première jeunesse, avec
autant d'énergie que d'éloquence.
Il se distingua, en outre, par les
brillans succès qu'il obtint dans
ses études et la douceur de ses
mœurs. En 1800, il publia une
traduction en vers anglais des O-
des (TAnaa'éon , qu'il avait com-
mencée, dit-on, à l'âge de laans,
et où l'on retrouve en partie la
grâce et le charme de l'original :
elle est précédée d'une ode grec-
que du traducteur, et dédiée au
prince de Galles. Dès-lors, le jeu-
ne poète ne fut plus désigné par
ses concitoyens que sous la dénr)-
mination flatteuse <ï Anacréon
Moore. Eu 1801, il publia, sous
le surnom de Lillle (Petit) , qui
convenait à sa taille et à son air
de jeunesse , un volume de Poé-
sies légères. « La plupart de ces
»vers, dit-il dans sa préface, ont
» été composés à un âge si tendre,
» que les critiques doivent avoir tin
«peu d'indulgence en les lisant. »
C'est Catulle que lauleur iemble
MOO
9^
avoir pris pour modèle, et qu'il a
parfois imité jusque dans sa licen-
ce; comme le poète de Vérone, il
brille par la délicatesse et le sen-
timent. Ces deux ouvrages obtin-
rent du succès, eteurent plusieurs
éditions consécutives; quelques
autres productions fuient accueil-
lies avec la même faveur par le
public; mais l'ouvrage qui a sur-
tout popularisé M. Moore, c'est
son recueil de Mélodies irlandaises
(irish Mélodies). « C'est principa-
»lement aux vers que j'ai adaptés
» aux délicieux airs irlandais , dit-
nil avec modestie, que je dois
«la réputation dont je jouis. Ces
«vers en eux-mêmes n'ont qu'un
nbien faible mérite; mais, comme
» les insectes conservés dans l'am-
))bre, ils acquièrent une valeur de
nia précieuse matière qui les en-
wtoure. »A côté de ce jugement^
porté par M. Moore sur lui-mê-
me, nous citerons ce que disait
Shéridan : :< Jamais homme ne mit
autant de son cœur dans son imagi-
n nation que Thomas Moore; son
«âme semble un rayon de feu sé-
»paré du soleil, et tend sanS' cesse
»à .«e réunir à cette source decha-
rtleur et de lumière. » On voit
que c'est eu poète que Shéridan
parle d'un poète. « Nous avon»
» trop long-temps négligé, écri-
i> vait M. Moore au sujet de ses
t Mélodies , le seul talent que nos
s voisins les Anglais aient jamais
» consenti à nous accorder. Notre
«musique nationale n'a pas en-
Hcore été recueillie. Tandis que
«les compositeurs du continent
»ont enrichi leurs opéras et leurs
«sonates des mélodies emprun-
» tées à l'Irlande, et très-souvept
osaus daigner reconnaître leur
<)6 MOO
«larcin, nous avons lait peu de
«cas (le nos propres trésors; c'est
«ainsi que nos airs, comme un
» très-grand nombre de nos com-
» patriotes, ont passé au service
» de l'étranger, parce qu'ils man-
«quaient de protection dans leur
«patrie. Nous sommes arrivés,
«j'espère, à une époque plus
«heureuse pour notre état po-
«litique et noire musique; le
«rapport qui existe entre ces
«deux choses, en Irlande du
«moins, est évidemment prouvé
«par l'accent de tristesse et de
«douleur qui caractérise la plu-
«part de nos anciennes chansons.
«Adapter des paroles à ces airs
«n'est nullement une chose facile;
»le poète qui voudrait suivre les
«diverssentimens qu'ils expriment
odoit être susceptible d'une rapi-
»de fluctuation d'idées, et d'un
• bizarre mélange de mélancolie
«sombre et de légèreté : c'est le
» fonds de notre caractère et la cou-
rt leur denotremusique. «M. Moo-
re a su vaincre heureusement
ces difficultés. Les sites romanti-
ques du comté de Wichlow, les
ondes de l'A von et de l'Ovoca,
les superstitions de ce peuple, à
la fois sensible, brave et passion-
né, reçoivent une nouvelle vie
de la muse créatrice du barde de
l'Irlande. Tour-à-tour gracieux et
tendre comme Catulle et Parny,
philosophe et inspiré par la gloi-
re nationale ccmme notre Béran-
ger, gai comme Horace et Ana-
créon, M. Moore cause de douces
émotions, et s'élève quelquefois
au sublime de l'ode ; quelquefois
aussi il se couronne du pampre de
Bacchus. Dans le courant de Fan-
née i8o5, M. Moore s'était em-
MOO
barque pour les iles Bemmdes ,
où il avait obtenu la placo de se-
crétaire de l'amirauté, place im-
portante, mais nullement confor-
me à ses goûts, et qu'il fit bien-
tôt remplir par un suppléant.
Après avoir satisfait sa curio-
sité, en parcourant les princi-
pales provinces de l'Amérique
septentrionale, il était revenu en
Angleterre au mois d'octobre
i8o4- Ses remarques et ses ré-
flexions sur l'Amérique sont con-
signées dans un ouvrage publié,
en 1806, sous le ùtie iVOdes et
Épltres, et dont la préface , très-
intéressante , prouve les talens
«le l'écrivain comme prosateur.
Quelques années après, M. Moo-
re épousa miss Dyke , jeune
et belle personne, d'un aima-
ble caractère, avec laquelle il
passe la plus grande partie do
son temps à Bath, charmant ses
loisirs par la culture de la poé-
sie et de la musique; car non-seu-
lement M. Moore est poèt«, mais
il est encore excellent musicien. Il
fit un voyage à Paris dans l'été de
1817, et son séjour en F'rance lui
donna l'idée d'une production o-
riginale et piquante, qu'il publia,
à son retour en Angleterre , sous
ce titre : the Fudge Family in
Paris (kl Famille Fudge à Paris).
M. Fudge est une espèce d'espiou
anglais , envoyé par lord Castlc-
reagh, auquel il rend compte de
ses observations sur la France,
observations ridicules, mais très-
plaisantes en leur absurdité même.
On attribue aussi à M. Moore VA-
dresse de Tom Cibb au congrès.
CeTomCibb est un fameux l^oxeur
de Londres, qui conseille aux
souverains de vider leurs querel-
MOO
lescomme il vide les siennes. Mais
le principal ouvrage de M. Moo-
reest, sans contredit, Lulla Rookli.
Ce poëme, qui s^uffirait seul pour
faire passer son nom à la postéri-
té comme celui d'un des premiers
poètes de la Grande-Bretagne, fut
acheté 5,ooo guinées (^5,000 tV. )
par les libraires, et le débit fut si
rapide, qu'ils firent encore une
bonne spéculation : il a été tra-
duit en français. En 1818, M
Moore fit une tournée en Irlande,
son pays natal; partout il fut ac-
cueilli avec enthousiasme; un
banquet splendide fur^lonné, à
Dublin, en son honneur; pendant
le repas, plusieurs toasts lui fu-
rent adressés, et l'un des con-
vives le proclama, dans une
chanson , le premier poète du
siècle. Lord Charlemont ayant
porté ensuite ce toast : aux poè-
tes vivons de la Grande- Breta-'
gne, M. Moore, se levant, pro-
nonça un discours remarquable ,
dont nous allonsciter un fragment,
qui a rapport à deux autres cé-
lèbres poètes, ses compatriotes,
ses contemporains et ses rivaux
de gloire. « Messieurs , malgré la
«chanson pleine d'esprit que vous
• venez d'entendre, et la place é-
» levée que l'auteur a bien voulu
«m'assigner, je ne puis m'empê-
Bcher d'appeler ici votre attention
nsur la constellation poétique que
n forment les noms illustres aux-
» quels nous allons rendre hom-
smage, et vous me permettrez de
• m'arrêter un moment sur l'éclat
«que jette chacun de ces astres en
«particulier... Puis-je vous nom-
» mer Byron, sans réveiller en vous
» le souvenirdetoutcequece grand
■ génie vous a fait éprouver^ sans
T. XIV.
MOO
97
» vous rappeler son énergie , ses
«mots brûlans, et cette imagina-
» tion qui, aimant à errer parmi les
"ruines du cœur, semblable à ces
» arbres qui croissent de préféren-
»ce dans un terrain volcanique,
» se complaît surtout dans les lieux
uqu'a ravagés le feu dévorant des
•passions?.... Ai - je besoin de
«vanter un \N'alter Scott, poète
«magique et fécond , dont î'ûme
3 joint la végétation rapide des é-
ntés du Nord à la richesse des
n moissons du Midi ; ce poète
»dont les belles créations se suc-
» cèdent comme les fruits dans le
» jardin enchanté d'Armide, etc. »>
En 1825, M. Moore a publié les
amours des Auges: deux traduc-
tions françaises de ce poëme ont
aussitôt paru à Paris. Pendant
que M. Moore le composait, lord
Byron, qui se trouvait alors en
Italie, traitait le même sujet sous
ce titre : le Ciel et la Tei-re, sujet
qu'ils ont puisé tous deux dans le
second verset du chapitre 6 de la
Genèse: «Et les fils de Dieu virent
»que les filles des hommes étaient
» belles, et ils prirent pour femmes
«•celles qui leur plurent. » Le*
deux poètes ont supposé que le^^ fils
de Dieu étaient les anges, opinion
qui est aussi celle de quelques pè-
res de l'église. A cela près, leurs
poèmes sont aussi diflerens que
leur génie. En 1822, M. Moore a-
vait fait un second voyage à Paris,
et il a été accueilli avec empres-
sement dans les meilleures socié-
tés. Il s'exprime avec facilité en
français, et plusieurs de nos hom-
mes de lettres les plus distingués
qui se sont rencontrés avec lui ,
ont apprécié par eux-mêmes son
amabilité , sa modestie et sa con-
98 M 00
versation animée et spiiitucllc.
MOORE (John), médecin ef lit-
térateurécossais, naquit en i^Soà
Sliriing. II perdit, dès l'âge de 5
ans, son père, ministre de l'église
réforinée, et dnt aux leçons et aux
soins des professeurs Hamilton et
Cullen, les talens qui le firent em-
ployer en 1 747? ^ l'armée de Flan-
dre , comme aide-chirurgien. Il
passa des hôpitaux militaires de
IVlaestricht et de Flessingue , au
régiment des gardes à pied, en
qualité de chirurgien-adjoint. S'é-
tant rendu à Londres après la paix
de 17485 '' reprit le cours de ses
études médicales sous le docteur
Hunier. Le comte d'Albermale,
ambassadeur en France, qui l'a-
vait connu en Flandre, l'appela à
Paris , et le fit chirurgien de sa
maison. Le séjour de Moore dans
cette ville fut très-utile à son ins-
truction. 11 suivit les cours d'ac-
couchemens de Smellie, qui était
en grande réputation, et de retour
en Ecosse , il exerça son art à
Glascow. Ses succès comme pra-
ticien et ses qualités personnelles
fixèrent sur lui l'attention, et il
devint le médecin du jeune fils du
duc d'Argyle, attaqué d'une mala-
die de poitrine, à laquelle bientôt
il succomba. Moore s'était atta-
ché à ce jeune homme, qui don-
nait les plus belles espérances. Sa
mort l'affligea \ivement, et il ex-
prima ses regrets dans une épita-
phe, dont la duchesse d'Argyle fut
si touchée, qu'elle confia aux soins
de Moore, qui avait été reçu quel-
que temps auparavant docteur en
médecine, un autre de ses fils dont
la santé exigeait beaucoup de soins
et de ménagemens. Moore voya-
gea avec ce jeune seigneur en
MOO
France, en Italie, en Suisse et en
Hollande, et repartit pour Lon-
dres après 5 ans d'absence. Il s'y
fixa iivec sa famille. Ce praticien
avait une instruction étendue et
un goût très-vif pour les lettres.
Pendant ses différens séjours en
France, il avait étudié avec soin
les mœurs des Français et la
marche de leur gouvernement.
Moore rendit aux habitans de
cette contrée la justice qu'ils
méritaient; mais il jugea sévère-
ment l'administration de l'état.
Ce fut avec une joie extrême qu'il
vit éclater la révolution, et il ac-
cepta la proposition d'accompa-
gner 'e comte de Lauderdale à
Paris, où ils arrivèrent au mois
d'août 1792. Les événemens de
cette époque ne leur permirent
pas d'y faire un long séjour, et ils
repartirent pour Londres, où Moo-
re mourut le 28 février 1802. Il a
publié : 1° Coup-U'œil sur la so-
ciété et les mœurs en France , en
Suisse et en Allemagne, "i-yoL in-8",
1779; 2" Coup d' œil sur la société
et tes mœurs en Italie , 2 vol. in-
8°, 1781. Cet ouvrage et le pre-
mier, auquel il fait suite, ont été
traduits en français, et publiés à
Genève, par M. Henri Rieu, 4
vol. in-8°, 1799. Le Coup-d'œil,
etc. , fut reproduitpar un nouveasi
traducteur, M"'= de Fontenay, sous
le titre de Voyage de John Moore,
fff., 2 vol. in-8", Paris. 1.S06. 5"
Esquisses médicales, 1 786; 4" ^^-
luco, roman moral, Londres, -1786,
traduit en français, par Cantwels.
4 vol. in-18. Des événemens in-
téressans, un style pur, des idée?
philosophiques, une morale douce
et touchante , tels sont les princi-
paux caractères de ce roman où l'an-
M 00
leur pe nt avec un talent rare les
passions déiéglécs auxqneHes se
livre un entant _q;1té par l'aveugle
tendresse de sa mère. 5' Edouard,
roman d'une morale éj^aleraent
pure, et que recouiufande à l'at-
tention le tableau fidèle des
mœurs anglaises. Il a aussi été
traduit en français par Cantwels,
3 vol. in-i2, 1797. 6° Journal
écrit pendant mon séjour en France
dans les mois d août , septembre ,
octobre et décembre , '792? 3 vol.
in-8°, avec carte, 1795; 7" F'aes
des causes et des progrès de la ré-
vclation française , 2 vol. in-S" ,
1795. L'aut«;ur remonte jusqu'au
règne de Henri IV, et s'arrête à
l'époque de la déchéance de la la-
mille royale. 8° Mordaunt, ou Es-
quisses de la lie, des mœurs et des
caractères des divers pays, contenant
l'Histoire d'une française de qua-
lité : recueil de lettres supposées
écrites par Jean Mordaunt, et dans
lesquelles ce personnage retrace
ses sotivenirs pendant ses voyages
en Italie, en AllemaçRe, en Fran-
ce et en Portugal. Quoique histo-
rique ce livre a tout le charme du
roman. 9" OEuvres morales, con-
tenant les portraits de plusieurs
personnages célèbres de la révo-
lution française , et des aper-
çus géographiques des villes les
plus remarquables de l'Europe.
Bien que cet ouvrage ne porte
point le nom de l'auteur, on y
trouve néanmoins une f^ie de John
Moore, par les éditeurs. 1 0° Enfin
il est éditeur des ouvrages de To-
hie Mallet, auxquels il a ajouté
une notice, des remarques, etc. , sur
la vie et les travaux de ce célébi'e
médecin. 8 vol. in-S" , 1797.
Moore fut un homme de beau-
JlOO
99
coup d'esprit, un observateur très-
judicieux, que l'on accuse à tort
d'avoir été quelquefois un peu lé-
ger et superficiel. Ses f^'oyages et ses
Romans se font lire arec plaisir.
MOORE (sir John) , général
anglais, fils du précédent, naquit
en 1761, à Glasgow. Il accompa-
gna son père sur le continent à
l'époque où celui-ci le parcourait
avec le duc d'Hamilton, fils du
duc d'Argyle, et obtint en 1776,
p^ir la protection de la famille de
ce jeune seigneur, le grade d'en-
seigne, dans un régiment d'infan-
terie alors en garnison à M inor-
que. Cet officier fit la guerre d'A-
mérique , et à la paix, en 1785,
il retourna à Londres. Quelque
temps après, il représenta au par-
lement le bourg de Lanerk. Dès
1788, il rentra au service et passa,
en 1795, à Gibraltar, d'où en 1794
il se rendit en Corse, où il fut em-
ployé sous le général Stevvart, qui
lui confia le commandement de la
réserve. S'étant distingué au siège
de Calvi et à l'assaut du fort M.0-
rello, où il fut blessé, il devint ad-
judant-général. Des discussions
élevées entre le vice-roi et le gé-
néral Stewart, firent rappeler ce
dernier, que, par amitié, Moore
accompagna à Londres en 1790. A
la fin de cette année, il devint bri-
ga<lier-genéral et fut attaché à un
corps d'émigrés français. Le aS
février 1796, il prit le commande-
ment de la brigade du général
Perryn ; et s'embarqua pour les
Indes-Occidentales, peu après sir
Ralph Abercromby, à l'expédiJinn
duquel il était attaché. Il le rejoi-
gnit aux Barbades, et obtint sa
confiance. Sir Ralph Abercromby
l'employa utilemeut dans âon at-
loo M 00
laque coplre l'île Sainle-Lucic, qui
capitula au mois de mai 1796, et
dont il le nomma gouverneur.
Les soins et la vigilance de John
Moore parvinrent à nettoyer les
bois où de nombreuses bandes de
noirs s'étaient réfugiés, et inquié-
taient par leurs excursions les
troupes de son gouvernement.
Atteint deux lois de li lièvre jau-
ne, il fut ol)ligé, au mois d'août
1797, de repasser en Angleterre
pour y rétablir sa santé. Le géné-
ral Abercromby ayant été nomme
commandant des forces anglaises
en Irlande, John Moore l'y suivit,
et fut employé sous le général
Johnstone, lors des troubles qui
éclatèrent dans cette contrée en
1798, Il se distingua particuliè-
rement au combat de New-Ross,
où les Irlandais éprouvèrent une
défaite considérable. Envoyé à
Wexford, qui était au pouvoir des
insurgés , il les attaqua avec vi-
gueur, les battit quoique inférieur
en nombre, et, ayant reçu un ren-
fort de deux régimens, il s'empara
de vive force de cette ville. Il fut
élevé peu de temps après au gra-
de de major-général. Dans l'expé-
dition d'Irlande au mois de juin
1 799, il fut blessé plusieurs fois, et
forcé de retourner à Londres pour
y prendre du repos. Lorsqu'il put
rentrer au service , il accompa-
gna, en 1800, le général Aber-
cromby, commandant des forces
anglaises en Egypte. John Moore
débarqua successivement à Malte
et à Jaft'a; blessé de nouveau à la
bataille d'Aboukir, il fut encore
obligé de cesser momentanément
son service. Il revint à son corps
dès qu'il fut rétabli, et après la
prise d'Alexandrie, où il se fit re-
MOO
marquer, il retourna eu Angle-
terre et y reçut de nombreuses
récompenses. Créé chevalier, dé-
coré de l'ordre du bain et promu
à un commandement supérieur,
il parlit, en 1800, à la tête d'un
corps de 10,000 hommes, pour
appuyer la Suède, menacée parles
attaques combinées des troupes
françaises, russes et de Danemark.
Le 7 mai de la même année, le cor[>s
du généial anglais arriva à Gùtheu-
bourg. Mais des dilTicultés sur-
vinrent entre Gustave IV et le gé-
néral Moore, et celui-ci fut, par or-
dre du roi, retenu momentané-
ment à Stockholm. Dès qu'il put
être libre, il se hâta de ramener
ses troupes en Angleterre. Dirigé
ensuite sur le royaume de Portu-
gal, il arriva au moment où s'ef-
fectuait la capitulation de Cintra.
Après le départ de sir H. Dalrim-
ple et de flarry liurrard, qui a-
vaient signé cette capitulation, et
que le gouvernement britannique
rappelait pour les entendre sur les
causes de la capitulation, il prit
le commandement en chef de»
troupes. Chargé d'agir en E:<-
pagne,oùune armée espagnole
devait concourir à ses opérations,
il marcha sur Salamanque, et bien-
tôt se convainquit qu'il était réduit
à ses seules forces, qui d'ailleurs
étaient disséminées. Il se vit dans
la nécessité de se retirer vers le
Portugal et de presser sa jonction
avec les troupes du général Hop-
pcj.qui s'était dirigé sur Madrid.
11 se dirigea lui-même sur ce point,
de l'avis des autres généraux ,
mais contre son gré. Le maréchal
Soult occupait Saldanha : le géné-
ral Moore voulut l'en chasser ;
mais après quelques attaques de
MOO
peu d'importance , informé que
l'empereur en personne se portait
entre l'armée anglaise et la mer,
afin de l'envelopper, il prit sur-le-
champ le parti de la retraite.
Poursuivi vivement par l'empe-
reur et par le maréchal Soult, il
fut atteint par le maréchal à Luge.
L'engagement fut vif et brave-
ment soutenu par lesAnglais. Pour
tromper le commandant français,
le général Moore fit allumer de
grands feux pendant la nuit qui sui-
vit la bataille. Cette ruse lui réussit;
mais quoiqu'il eût gagné quelque
avance dans sa retraite, et qu'à
marche forcée il eût atteint la
Corogne, où il espérait s'embar-
quer, il ne put éviter enfin une at-
taque générale. Le 16 janvier 1809,
il donnait des ordres pour l'em-
barquement, lorsqu'il vit les Fran-
çais se déployer sur toute la ligne.
Son courage ne lui permit plus
d'éviter le combat. Il monta aus-
sitôt à cheval et donna des ordres
pour soutenir l'action. Dès le pre-
mier choc, sir David Baird, un de
ses oflficiers-généraux, eut le bras
emporté et fut forcé de quitter le
champ de bataille. Le général
Moore se mit à la tète du So"" ré-
giment et fondit sur les Français.
Les majors Napier et Stanhope,qui
le commandent sous ses ordres,
sont, l'un blessé et fait prisonnier,
et l'autre tué d'un coup de feu
dans la poitrine. Le général Moore
désespéré , s'écrie en s'adressant
au 42"* régiment : « Montagnards,
»souvenei-vous de l'Egypte!»
Les montagnards font bonne con-
tenance ; mais leurs munitions é-
tant épuisées, ils reculent. Le gé-
néral Moore vole à eux : « Soldats
H de mon brare 43"% leur dit-il,
MOO loi
'> rejoignez vos camarades; lesmu-
j» nitions vont arriver, et d'ailleurs
«vous avez vos baïonnettes •> Ra-
menés sur le champ de bataille,
par ces paroles et jtar la contenan-
ce intrépide de leur général, ils
combatlent de nouveau. Ln bou-
let renverse le général Moore; il
se relève , les exhorte à faire leur
devoir... Il était blessé mortelle-
ment, et lorsque le chirurgien ar-
riva, il avait cessé de vivre. Ses
dernières paroles furent pour de-
mander des nouvelles de la batail-
le. Ainsi périt d'une manière glo-
rieuse, le 16 janvier 1809, l'un
des officiers - généraux anglais
les plus distingués. On lui a éle-
vé un monument dans la ca-
thédrale de Saint-Paul de Londres,
et un autre à Glasgow, où il était
né. Le général Moore fui honoré de
l'estime des Français, estime qu'il
avait su mériter par sa bravoure et
ses vertus guerrières. Son frère ,
Jacqces Moore, a donné des dé-
tails sur sa conduite en Espagne ,
dans un ouvrage sous le titre de :
Histoire des campagnes de l'armée
anglaise en Espagne, Le général
Hoppe fit sur les événemens de la
Corogne un rapport qui fut vive-
ment combattu dans le Moniteur.
Le général anglais prétendait que
la victoire était restée aux armes
de sa nation. T,c fait est cepen-
dant qu'à la suite de l'affaire où
périt le général Moore , l'armée
anglaise évacua entièrement l'Es-
pagne.
MOORSEL (le baron de), chef
de partisans belges , se fit remar-
quer par sa haine contre la domi-
nation française, et par les efforts
qu'il fit pour l'anéantir en Belgi-
que. Profitant de l'insurrection
103 M OR
qui éclata en 1796, dans les pro-
vinces réunies à la France, il ar-
ma ses vassaux, et parvint à réu-
nir un petit corps de troupes irré-
{^ulières, avec le-squelies il atta-
qua les Français; mais il succom-
ba bientôt, et crut écliapper aux
troupes qui le poursuivaient, à la
laveur d'un déguisement. Décou-
vert dans sa retraite, et traduit
devant une commission n^ilitaire,
il fut condamné à mort, et exécu-
té à Bruxelles, au mois de février
tVlORA-Y-JARABA (don Pa-
BLo), célè})re jurisconsulte, d'une
i'amille n()ble de Caslille, se livra
à l'élude de la jurisprudence avec
une ardeur qui fut couroîmée par
(les succès auxquels il dut d'être
placé parmi les prenjiers juriscon-
sultes espagnols. 11 obtint la laveur
de Charles III, qui le nomma con-
seiller-d'état. Don Mora mourut
t» Madrid en 1800 , laissant un
grand nombre d'ouvrages de ju-
risprudence ; les principaux sont :
1" Erreurs du droit civil, ou les
Abus de la jurisprudence, ouvrage
que les Esgagnols préfèrent à ce-
lui de iMuratori sur le même su-
jet,; 2" Traité sur les lois de la
guerre; 5° la Science i^engée; 4" de
la Liberté du commerce; 5" enfin ,
un grand nombre de Mémoires et
de Consultations sur des matières
importantes.
MORALES (Thomas), chef,
sons Morillo, d'une partie des
forces royales d'Espagne, dans
l'état de Venezuela, est né aux
(Canaries vers l'année 1774- L'obs-
curité de sa naissance et la pau-
vreté de ses parens ne lui laissaient
d'autre ressource que celle de se
faire soldat. II s'engagea, et lé
iMOR
temps de son engagement expiré,
il rentra dans sa fannlle, et exerça
pour vivre le métier de pêcheur
<\ Barselo, province de Venezuela.
Depuis long-temps il était marié,
lorsque la révolution de l'Améri-
que du sud éclata. Morales n'hé-
sita pas à quitter sa famille, et à
prendre du service, non dans les
rangs (ïc$ indépendans, mais dans
les troupes du général espagnol
don Juan Manuel Cagigal, qui
bientôt le fit son aide-de-camp.
La fortune lui sourit, et il parvint
rapidement au grade de général;
il remplaça le général Boves, et
marcha bientôt sur ses traces.
Morales est un de ceux qui, par
leuis cruautés, ont fait le plus
détester le pouvoir qu'ils étaient
appelés à ré(al)lir. Sa vie militaire
est presque un massacre conti-
nuel. Nous ne citerons que très-
peu de faits, et nous n'entrerons
point dans le détail des innombra-
bles vols et rapines qui lui sont
reprochés. A la prise du pont de
San- Fernando, en 181 5, il fit
passer au fil de l'épée tous les indé-
pendans qui avaient défendu cette
position. Ses funestes conseils dé-
cidèrent de la destinée d'im grand
nombre d'hommes distingués, que
le sort des armes mit au pouvoir
du vainqueur de Garthagène (doj.
MoEiLLo). Ses propres officiers
étaient révoltés de sa barbarie,
dont il les rendait complices. Et
l'un d'eux éciivit une lettre, qui
fut insérée dans les journaux an-
glais, et où il l'accusait «d'avoir
«fait massacrer S/jô personnes à
«la prise de Bocachica, et d'avoir
»fait atnener à Ocanna, où il se
«trouvait, un nommé Miguel,
«pour qu'il fût exécuté en sa pré-
M OR
>»*ence. » Morales avait de l'acli-
>ité et fies lalens. Il contribua
I>rincipalcment à la défaite de Bo-
livar (voy. ce noin), lorsque celui-
ci débarqua à Ocuinare; mais il
fut moins heureux en poursuivant
Mac-rGrégor, après la retraite de
Bolivar : il fut battu à Alacran et
défait complètement à Juncal. En
1816, de concert avec Real, autre
chef royaliste, il marcha de nou-
veau contreBolivar,qui avait rallié
ses troupes et obtenu des renforts.
Cette fois, le chef indépendant,
quoique inférieur en nombre lors-
qu'il attaqua Morales, lui fit éprou-
ver une perte considérable, et le
contraignit à une retraite préci-
pitée. Le nom de Morales était
tellement en horreur aux Aniéri-
cains, que les habit:jns de Corro-
lilos, informés que ce chef com-
mandait, au mois d'août de la
même année, l'avant -garde des
troupes royales, brûlèrent leurs
maisons et s'enfuirent dans les
bois. Morales avait été perdu de
vue dans les affaires ultérieures
de l'Amérique, et l'on s'étonnait
de ce qu'il n'avait point figuré dans
la dernière guerre que la pénin-
sule a soutenue contre la France
en 1823; mais on trouve dans les
journaux anglais, et notamment
dans le Courrier, du mois de jan-
vier 1824» le paragraphe suivant :
«On pourrait ajouter quelquefois
«au rapport qui annonce que,mal-
Bgré son serment de ne pas servir
"Contre les patriotes delà Colom-
nbie, le général Morales était oc-
»cupé è rassembler des forces à la
• Havanncpour attaquer cette ré-
»publique. Une lettre deSan-Jago-
• Cuba, du i5 octobre, publiée
• dans les papiers de la Jamaïque,
MOR io5
» fait part de rarrivée,dans deux vais-
» seaux de la Havane, de 47»'-'*^*^
» dollai'S pour Morales. Quatre mille
n hommes de troupes étaient par-
» venus à Principe, sur la route de
))San-Jago. «
MORAND (le comte Lobis-
Cbaries-Amoi>e-Alexis\ géné-
ral de division , grand-officier de
la légion-d'honneur, chevalier de
Saint-Louis et de l'ordre dfe Saint-
Henri de Saxe, etc., est né en
1758.11 fit, en i8o5, les campagnes
d'Autriche comme général de bri-
gade , et mérita , par ses talens
aussi bien que par la bravoure
qu'il déploya dans les plaines
d'Autsterlitz , le grade de géné-
ral de division, que l'empereur
lui conféra le 24 décembre de la
même année. Son nom est cité
honorablement dans toutes les af-
faires où il fut appelé à prendre
part , surtout aux niémorables
batailles de léna, Eylau , Fried-
land, Essiing et "VNagram. Il fut
présenté, en 1807, comme candi-
dat au sénat-conservateur, nom-
mé dans la même année grand-
officier delalégion-d"honneur, et,
en 1808, décoré, par le roi de Saxe,
de l'ordre de Saint -Henri. La
campagne de 181 3 lui fournit de
fréquentes occasions de faire
briller la valeur dont il avait déjà
donné des preuves nombreuses.
Il fit des prodiges à Mf»jaïsk, à
Lulzen, à Bautzen, et sauva l'ar-
mée par son sang-froid à Denne-
witz. Il reçut la croix de Saint-
Louis lors de la première restaura-
lion , en 1814. Après le 20 mars
tSiS, il fut nommé aide-de-camp
de Napoléon , colonel des chas-
seurs de la vieille-garde, pair de
France, et commandant des 12%
io4
MOR
i3*, 21" et. 22* divisions militai-
res. Il se rendit, en cette dernière
qualité, à Nantes, après s'être fait
précéder d'une proclamation, par
suite de laquelle, après la seconde
restauration, un conseil de guerre,
séant à La Rochelle, le condannia
à mort, par contumace, le 29 août
1816. Rentré en France, le géné-
ral iVIorand est aujourd'hui (1824)
en dispônihilité.
MORAND (FBàNçois), avocat
à la cour royale de Paris, docteur
en droit, professeur de droit civil
français à la faculté de Paris, mem-
bre de l'athénée des aMs , de la
société pour l'encouragement de
l'industrie nationale, et de plu-
sieurs antres sociétés savantes ,
e?t né en 176^, dans la ci -devant
province de Bourbonnais. M. Mo-
rand a publié, en 1794? à Bour-
ges, où il était professeur de phy-
sique, un ouvrage in- 8° sous le
titre de Développement du nouveau
système des poids et mesures , et
Traité d'arithmétique adapté à ce
système. Devenu ensuite prol'es-
seur de législation à l'école cen-
trale de la rue Saint-Antoine , à
Paris; de droit crinjinel, à l'aca-
démie de législation; de droit ro-
main et de droit civil, à l'univer-
sité de jurisprudence , il a été
nommé aux fonctions d'adminis-
trateur de celte même école cen-
trale , et a publié , dans les bulle-
tins des deux autres établisse-
mens, divers écrits, notamment
un Cours de législation criminelle,
imprimé en grande partie dans le
bulletin de l'académie de législa-
tipn. Il est encore auteur d'un
Cours de droit civil français. Ce
dernier cours, quoique manuscrit,
ne laisse pas d'avoir a;;quis beau-
AlOR
coup de publicité , soit par de
nombreuses copies, dont une a
même été partiellement impri-
mée, soit par les leçons publiques
de l'auteur.
MORAND (Jean-Antoine), ar-
chitecte distingué, naquit à Brian-
çon , département des Hautes-Al-
pes, vers 1737. Sa famille le des-
tinait à l'état ecclésiastique; mais
le goût des arts, inné en lui, le
délermina à quitter secrètement
la maison paternelle. Il se rendit
à Lyon, y séjourna quelque temps,
et vint à Paris. Morand prit des
leçons de perspective et de déco-
ration dans l'école de Servando-
ni, et passa ensuite sous la direc-
tion de Soufilol , qui fut à la fois
son maître et son ami. Morand
repartit pour Lyon, où il exécuta,
en 1767, la salle de spectacle dont
Soufflot avait tracé les plans. Le
succès de cette entreprise le fit
favorablement connaître, et il fut
appelé, en 1769, à Parme, pour
y construire un théâtre à machines
que la ville avait ordonné à l'oc-
casion du mariage de l'archidu-
chesse avec l'empereur. II justifia
la confiance dont il av'ait été ho-
noré, et obtint même le suffrage
des artistes italiens. Morand se
rendit à Rome, où il fortifia son
talent par l'étude des monumens
dont cette ville célèbre est em-
bellie. De retour à Lyon , il fut
chargé de présider à la construc-
tion des édifices du quai Saint-
Clair. En 1762, il donna un pro-
jet de la ville circulaire, destiné à
l'agrandissement de cette cité;
mais on préféra le projet de Per-
rache. Il construisit, dans la mê-
rhe ville, un pont en bois qui por-
te son nom, et qui repose sur 17
MOR
arches, dans une longueur de 640
pieds et une largeur de 42. Cette
construction, où l'élégance s'unit
à la précision et à la solidité , fut
approuvée par l'école des ponts-
et-chaussées; et les principes qui
ont servi de base à l'exécution
font partie de l'enseignement ac-
tuel. Le pont Morand a cela de
remarquable , « que chacune de
n ses parties peut se démonter pour
»être refaite, sans nuire à la so-
olidité du reste de l'ouvrage. » En
1773, Morand avait obtenu, à la
recommandation de Monsieur (au-
jourd'hui Louis XVIII), lors du
passage de ce prince dans cette
\ille, la décoration de l'ordre de
Saint-Michel. En 1793, pendant le
siège de Lyon, Morand défendit
avec succès le pont qu'il avait
construit, contre une espèce de
machine infernale destinée à le
détruire. Après le siège , il fut ar-
rêté et condamné à mort, le 24
janvier i7q4' Indépendamment
de son mérite comme artiste, c'é-
tait un homme probe et de mœurs
irréprochables.
MORANDE (N. TaÉVEîfOT de),
folliculaire qui prétendit répéter
en France le rôle que l'Arétin a-
vait joué en Italie, en faisant a-
cheter son silence par ceux qui
avaient quelque chose à craindre
du cynisme de s;i plume. Quoique
né d'une bonne famille d'Arna^'-
le-Duc, en Bourgogne, Morande
annonça de très -bonne heure ses
dispositions à une vie aventu-
reuse. S'étant engagé dans un
régiment de dragons , il en fut
retiré par sa famille, qui le desti-
nait a»i barreau ; mais il ne profita
de la liberté qui lui était rendue,
que pour s'échapper une seconde
MOR
io5
fois de la maison paternelle , et
venir à Paris, se livrer à toutes
sortes de débordemens. Le scan-
dale de sa conduite força son père
à le faire enfermer dans la maison
de détention d'Armentières. Après
une assez longue captivité , qui
n'apporta aucun changement dans
ses mœurs, il passa en Angleterre,
où il continua le genre de rie qu il
avait mené à Paris. Là, sous le
titre de Gazetier cuirassé , il en-
treprit la publication d'un recueil
périodique , non-seulement d'a-
necdotes scandaleuses de la cour
de Louis XV, mais encore de dé-
nigrement des personnes les plus
recommandables, afin d'en tirer
de l'argent; car sa haine pour les
vices qu'il se plaisait à dévoiler,
n'était pas si forte qu'elle ne se
laissât souvent désarmer par l'ap-
pât du gain. M"" Dubarry, mena-
cée de la publication d'une satire
où elle était fort maltraitée , se
trouva trop heureuse d'acheter
son silence par une pension de
4000 fr. Parmi les hommes célè-
bres qu'il prit pour but de ses
traits, on cite Voltaire; mais cet
immortel écrivain dédaigna de ré-
pondre aux menaces du follicu-
laire. Dès les premiers momens
de la révolution, Morande revint
à Paris, où bientôt il fut arrêté
par suite de ses nouvelle.* intri-
gues. Il périt dans les massacres des
prisons aux 9. et 3 septembre 1792.
Parmi les écrits les plus scandaleux
qui sortirent de sa plume, on cite :
1° ses Mélanges confus sur des
matières fort claires, et le philo-
sophe cynique, Londres, 1771; 3*
le Gazetier cuirassé , Londres,
1772-1775; 3° le Courrier de l'Eu-
ropc ; 4* l* Argus politique , Paris,
io{i
MOU
1791-1 792. II avait publié, avant la
révolution, sous le titre de : le
Diable dans un bénitier, un pam-
phlet anonyme qu'il attribua à
Brissot, et qui valut à celui-ci
d'être enfermé à la Bastille, jus-
qu'à ce que le crédit de M°" de
Genlis parvint à faire reconnaître
la fausseté de l'accusation.
MORANDO (FÉlice), pharma-
cien à Gênes, fut l'un des fonda-
teurs de la république lygurienne.
Lorsqu'on projeta d'introduire à
Gênes les principes de la révolu-
tion française, la maison Moran-
do devint le rendez-vous des parti-
sans de la France, et le lieu secret
où ils tenaient leurs assemblées.
Le corps-législatif lygurien rendit,
en 1798, un décret qui reconnut
Morando premier fondateur de la
liberté lyguriençe, et consacra sa
maison, comme le berceau de cette
liberté.
MORANGIÈS (le baron Jean-
Baptiste ) , maréchal - de - camp ,
commandant de la légion-d'hon-
neur, est né à Brioude, départe-
qaent de la Haute-Loire, en no-
vembre 1758. 11 embrassa la pro-
fession des armes dès Ttlge de 17
ans, et se distingua dans les pre-
mières guerres de la révolution,
plus particulièrement en Italie et
en Orient, et parvint rapidement
aux premiers grades. Blessé dan-
gereusement sous les murs de Mi-
lan, il fut fait prisonnier, et échan-
gé quelque temps après. Des pri-
sons d'Italie, il passa, avec le gé-
néral en chef Bonaparte, en Egyp-
te; perdit successivement les deux
bras aux batailles d'Aboukir et
d'Alexandrie ; fut nommé général
de brigade en 1801; commandant
de la légion-d'honneur, le 1.4 juin
MOR
i8o5, et depuis commandant de hi
place de Gênes, enfin chevalier de
Saint- Louis, le 11 septembre
1814. Le général Morangiès, qui
se trouvait dans le département
du Var au mois de mars 181 5,
voulut, à la tête de quelques gar-
des nationales, s'opposer à la mar-
che de Napoléon sur Paris. Néan-
moins, le général iMorangiès fut
employé dans la 8°' division mili-
taire. Il est rentré dans la vie pri-
vée, après la seconde restauration.
MORARD DE GALLES (le
comte), amiral, membre du sénat,
grand-officier de la légion -d'hon-
neur, naquit dans la ci-devant
province du Dauphiné , d'une fa-
mille noble, mais peu riche; il
voulut marcher sur les traces de
ses frères, qui tous servaient ho-
norablement, et entra de bonne
heure dans les compagnies rouges
de la maison du roi. Dégoûté bien-
tôt d'un service peu compatible a-
vec son avidité de gloire et de
dangers, il demanda et obtint de
l'activité daris la marine royale.
Il parcourut rapidement les grades
inférieurs, et se distingua plusieurs
fois par sa bonne conduite, ses la-
lens et son courage. Il fit, comme
lieutenant de vaisseau, les campa-
gnes d'Amérique, sous les ordres
du bailli de Sulfren, et donna plus
d'une fois dans cette guerre si glo-
rieuse pour nos armes, des preu-
ves de la plus brillante valeur. Le
vaisseau (ju'il montait se trouva
un jour séparé de l'escadre et en-
touré par cinq bâlimens ennemis:
les premiers coups de canon rom-
pirent les manœuvres et enlevè-
rent le commandant; mais le bra-
ve Morard, quoique couvert de
blessures, continue à faire la plu»
MOR
vigoureuse résistance, et parvient
à rejoindre l'escadre, après avoir
causé de js^randes pertes à l'enne-
mi. Le grade de capitaine du vais-
seau qu'il venait de sauver, fut la
récompense de cette action. Lors-
que la révolution éclata, il n'aban-
donna point sa patrie, qu'il eut
encfire le bonheur de servir dans
quelques occasions. Il parvint au
grade de vice-amiral, et comman-
dait, en celle qualité, une des es-
cadres de la grande flotte destinée
à débarquer, sur les côte^^ d'Irlan-
de, les troupes du général Hoche.
Il partit de Brest, à la tête de sa
division, le i5 décembre i^cjj,
mais les vents contraires le forcè-
rent de rentrer à Rochefort, le 17
janvier suivant, après avoir vu
disperser, par la tempête, la plu-
part de ses vaisseaux. Cette expé-
dition malheureuse lui valut une
espèce de disgrâce qui dura jus-
qu'au 9 novembre 1799. Nommé
membre du sénat, dès cette épo-
qiie , il en devint secrétaire en
i8o3. et obtint, l'année suivante,
la sénatorerie de Limoges et le
cordon de grand-officier de la lé-
gion-dhonneur. Il s'était retiré à
Guéret ( département de la Creu-
se), où il mourut le 25 juillet
1809, emportant l'estime et les
regrets de ses concitoyens. Le
conseil municipal, voulant rendre
à la mémoire de cet honorable
marin' nu hommage digne de lui,
a fait ériger un moniiment aux
frais de la commune.
MURAS ( (ÏASPiRo), capitaine
de vaisseau, oilicier de la légion-
d'bonueur, chevalier de Sainl-
Louis, est né à Boulogne-sur-Mer,
département du Pas-de-Cabis, au
mois de janvier 1772. Sou père,
MOR
lo-
originaire de la ci-devant province
de Franche-Comté, était chirur-
gien-major du régiment de Fo-
rez , et médecin des hôpitaux ci-
vils et militaires de Boulogne-sur-
Mer. M. Moras entra comme vo-
lontaire dans la marine, et parvint
successivement au grade de capi-
taine de vaisseau ; il avait été ad-
judant - particulier des amiraux
Villaret-Joyeuse, Morard de Gal-
les et Bruix. Le général Hoche ,
appréciant son mérfle, le chargea,
lors de l'espédilion d'Irlande, de
relever les plans des divers mouil-
lages , à prendre par l'armée na-
vale dans la baie de Bantry et la
rivière de Schanon , où devait
s'opérer le débarquement. M. Mo-
ras a comuiandé des bâlimens de
tout rang, et reçu des félicitations
du gouvernement pour sa con-
duite dans les combats des mois
de prairial et messidor an 3. Sous-
chef d'état-major de la flottille, et
par suite colonel de divers régi-
mens de marine, il s'est distingué
dans tous les emplois. Atteint par
les épurations de i8i5 , il perdit
son état, au licenciement de son
régiment composé d'anciens pri-
sonniers de guerre , surnommés
les Romains de Pontons , et fut
admis à prendre sa retraite après
12 ans d'activité, comme capitaine
de vaisseau. Rentré dans la vie
privée, M. Moras a prouvé dauà
les fonctions gratuites d'adminis-
trateur des hospices, ce que peu-
vent ajouter à l'éclat des fonctions
militaires, des connaissances éten-
dues en administration, et les sen-
timens les plus humains. Son zèle,
l'ordre et l'économie qu'il a con-
tribué à ramener dans ces établis-
semens et le bien qu'il y a fait ,
io8
MOR
ont porté le minisire de l'intérieur
à lui décerner le titre de membre
honoraire de la commission. Les
frères de M. Moras ayant suivi la
carrière de leur père, n'ont pas
été moins utiles à l'état qu'à l'hu-
manité.
MORAS (Louis-Acgcste), mé-
decin en chef de l'expédition des
Indes-Orienlales, fit d'excellentes
études sous le savant oratorien
Daunou, et suivit avec le même
succès les cours de matière médi-
cale et d'anatomie de M. Daunou,
père, médecin recommandable de
BouIogne-sur-Mer. D'élève méde-
cin de la marine, il passa médecin
à l'armée des Alpes, et fut ensuite
nommé médecin en chef de l'ex-
pédition des Indes-Orientales. Il
a laissé de ses campagnes , à la
côte d'Afrique et aux Antilles, plu-
sieurs Mémoires sur le meilleur
traitement à employer dans les
maladies graves de ces climats.
Les savantes réflexions qu'ils ren-
ferment ont fait apprécier l'éten-
<lue de ses connaissances par feu
M. Poissonnier, médecin-inspec-
teur des hôpitaux de la marine, et
par les membres du conseil de
santé des armées. Il a terminé sa
carrière en 1817, au service des
établissemens de charité.
MORAS (François), chirurgien-
ïTiajor de la frégate la Perdrix, se
trouvait avec deux officiers de ce
hiitiment dans un canot qui traver-
sait la rivière de New- York, pour
aller à Longue-Islande. Celle em-
barcation chavira par la force du
vent et du courant. Assez heureux
pour échapper à ce danger, le gé-
néreux Moras voulut sauver l'un
des deux officiers, et périt étouffé
dans les bras de celui-là même
MOR
qu'il cherchait à soustraire à la
mort.
MORAS(.Toseph-He58i), ancien
chirurgien-major du 16' de ligne,
des bataillons Corses réunis , et
du régiment de Walcheren, mem-
bre de la légion-d'honneur, a fait
toutes les campagnes de la ré-
volution, et n'a quitté le service
qu'en 1821, en passant, d'après sa
demande , de l'état *ë disponibi-
lité à la retraite. Il montra autant
d'ardeur sur le champ de bataille
que de talens et d'humanité à se-
courir les blessés. Son ïèle et son
dévouement furent remarqués de
l'empereur, qui , à l'aflaire d'Hei-
berg , le décora de la croix de la
légion-d'honneur pour avoir sau-
vé dans la mêlée l'aigle de son
régiment. C'est avec un juste sen-»
timent d'orgueil national qu'on
remarque que tous les membres
de cette famille se sont montrés
constamment dévoués à l'huma-
nité et à la patrie.
xMORATIN ( DON Leandro-
Fernandez), auteur dramatique,
suinommé le Molière espagnol,
est né à .Madrid; son père, qui était
un poète lyrique distingué, le gui-
da dans la carrière littéraire, où
bientôt il concourut pour les deux
prix proposés par l'académie roya-
le, et les remporta tous deux; le
sujet de l'un était un petit poëme
épique intitulé : Grenada rendida
(Grenade reconquise), et celui de
l'autre une satire sur la corruption
de la langue espagnole. Doué de
tontes les qualités propres à deve-
nir un premier poète comique, il
fut surtout un excellent observa-
teur. Enthousiaste de Molière,
qu'il relisait sans cesse, il était gui-
dé par cet immortel géuie, lor!>-
MOR
qu'il n'était pas inspiré par la na-
ture. Il disait souvent «que la na-
wture et Molière étaient inimita-
wbles. •> Touchant hommage que le
Molière ilaVien [voyez Goldom), a-
vait déjà rendu à noire célèbre
comique. M. Muratin donna suc-
cessivement et fit imprimer cinq
comédies. Ce sont : le Café ,
le Baron , la Jeune Hypocrite , le
Vieux Mari et la Jeune femme , le
Oui des jeunes filles, etc. La mo-
rale de toutes ces pièces est excel-
lente; cependant la dernière n"a
pu échapper à la censure de 1 in-
quisition, qui l'a mi^eàVindex. M.
Moratm a voulu peindre les clas-
ses moyennes de la société en Es-
pagne ; il a représenté, sous les
couleurs les plus vraies et les plus
plaisantes, leurs mœurs, leurs ha-
bitudes, leurs idées, leurs travers
et leurs vices, et jamais il ne bles-
se le goût ni les règles de l'art;
son style est pur, gracieux et origi-
nal, mais comme celui de Cervan-
tes il offre de grandes difficultés
aux traducteurs. M. Moratin a
constamment flétri le vice, et fait
aimer la vertu, en la rendant tou-
chante et aimable. Il a traduit en
espagnol deux comédies de Moliè-
re, V Ecole des Maris et le Médecin
malgré lui, et l'a fait en homme de
goût; il a encore traduit Hamlet,
de Shakespeare, et y a joint des
notes critiques et la vie du poète
anglais: on y reconnaît l'impartia-
lité, ia pralondeur et les lumières
d'un véritable littérateur. M. Mo-
ratin avait voyagé eu France, en
Angleterre et en Italie, et il n'est
pas douteux que son esprit judi-
cieux ne se soit beaucoup exercé
dans ses voyages , et n'ait recueilli
une foule de matériaux dont sa
MOR 109
féconde imagination aura su ti-
rer le plus grand parti; mais à son
retour dans sa patrie, une nouvelle
carrière s'ouvrit pour lui. Il fut
nommé , par Charles IV , chef du
bureau de l'interprétation des lan-
gues et membre honoraire du con-
seil royal. Il conserva sous le gou-
vernement du roi Joseph Napo-
léon, sa dignité de membre hono-
raire du conseil, et devint chef de
la bibliothèque royale. Les trou-
bles qui succédèrent à ces pre-
miers momens n'ayant fait qu'aug-
menter dans la suite , il se déter-
mina à quitter l'Espagne, et à se
fixer à Paris. Les lettres avaient
fait jusque-là son bonheur et sa
prospérité; elles le suivirent dans
sa retraite, et furent sa consola-
tion. Il s'y est occupé à élever un
monument à la gloire de feu don
Nicolas Moratin, son père, en pu-
bliant plusieurs de ses poésies. II
y a aussi préparé une seconde édi-
tion de ses propres ouvrages dra-
matiques et lyriques ; enfin, il y a
composé une Zfis/oire littéraire du
théâtre espagnol depuis son origi-
ne. Personne n'est plus en état
que M. Moratin de donner à cet
ouvrage toute la perfection dont il
est susceptible; on doit regarder
comme une garantie certaine de
son succès, l'esprit de critique et
les connaissances profondes qui dis-
tinguent cet estimable auteur.
MORAWITZKY (HEsai-TflÉo-
DoaE , COMTE TopoB ) , savaut di-
plomate, naquit à Munich, le 3i
octobre i^Sd. Après avoir fait de
très-bonnes études au collège d'In-
golstadt, il voyagea quelque temps
en France et en Allemagne, et fut
nommé, à son retour, conseiller
de la cour. Mais ne pouvant ré-
1 10 MOR
sister au désir de vivre auprès de
sou père , président de la régence
à Aniberg, il obtint un emploi
dans cette régence, avec la faveur
de conserver son titre de conseil-
ler, et la dispense de résidence.
Rappelé à son poste en 1764,
il fut nommé , bientôt après ,
membre du conseil de révision
et de l'académie des sciences de
Municb. En 1776, vice-président
du conseil de la cour, il passa en-
suite à la chambre des finances, et
fut désigné, par l'électeur Charles-
Théodore , pour présider la hau-
te-régence que ce prince venait
d'instituer. Mais Morawitzky sacri-
fiabientôt l'ambition à l'amour des
sciences; il se retira à Bibourg en
1 791 , où il vécut totalement étran-
ger aux affaires publiques jusqu'en
1797. A cette époque cependant
il accepta le titre de ministre plé-
ûipotentiaire de sa cour au con-
grès de Rastadt. Le nouveau roi
de Bavière, charmé de l'habileté
et de la prudence que venait de
déployer ce diplomate , lui conféra
le titre de ministre d'état et des
conférences , et la direction des
affaires ecclésiastiques. Chargé ,
par intérim, du portefeuille de la
police et de la justice, au com-
mencement de l'année 1806, il
fut définitivement nommé minis-
tre de ce dernier département le
24 octobre de !a même année. Les
services signalés que le comte
Morawitzky rendit à sa patrie dans
une foule de missions importan-
tes, lui valurent successivement
la décoration de l'ordre de Saint-
Hubert, la grand-croix du mérite
civil de la couronne de Bavière,
et celle de la légion-d'honneur.
Enfin il fut chargé provisoirement,
MOR
en 1810, des portefeuilles des fi-
nances, de l'intérieur, et des re-
lations étrangères , en l'absence
du comte de Montgelas {voyez
MoNTGELAs); il soutiut honorable-
ment ce surcroît de travaux mal-
gré son grand âge, mais sa santé
s'affaiblit considérablement, et il
mourut au commencement de
l'année suivante.
MORCELLI (le P. IiItiesne-
Antoi>eJ , jésuite, célèbre archéo-
logue italien, naquit à Chiari,
dans le Brescian , vers 1757? et
mourut dans la ville où il était né,
le 1" juin 1821. Admis, jeune
encore , dans la société des jésui-
tes, il s'y distingua par son zèle
pour l'étudu , et devint professeur
de rhétorique du collège de Ro-
me. Il était préfet du musée Kir-
c/ieriano, où ses connaissances en
théologie l'avaient fait nommer,
lorsque la trop fameuse société à
laquelle il appartenait, fut suppri-
mée. Il eut à celte époque à choi-
sir entre les princes de la maison
Albani , qui voulaient l'avoir pour
bibliothécaire, et ses concitoyens,
qui lui offraient la prévôté de leur
église principale. Le choix du P.
Morcelli ne fut pas un instant dou-
teux; ce savant retourna à Chiari,
et y exerça jusqu'à sa mort, c'est-
à-dire pendant plus de trente ans,
les fonctions modestes, mais ho-
norables, qu'il devait à l'estime
et à l'amitié de ceux qui l'avaient
vu naître. En relation avec les
principaux savans de l'Italie , il a
formé plusieurs élèves, cnti'e au-
tres le docteur Labus, devenu son
ami , et qui , dans les quatre vers
latins que nous allons rapporter,
fait allusion aux quatre principaux
ouvrages du P. Morcelli :
1
Mon
DuUia cm Joett iUiariuit earmint muutj
Cui Laiijs rctus litulos afture rtaisui,
HxUi^o^uc aeait Grai-s pcnttrat rectsius
■^frorum sacTos nunc àat dejciberc fastot.
• Le premier vers , dit l'auteur
d'une Notice sur ce savant , in-
dique d'une manière générale ,
des poésies et autres opuscules ;
le second, rappelle son ouvrage :
De stylo inscriptionum latinarum
tibri très , Rome, 1780, in- fol.
L'abbé Roberli estimait que cet
écrit vivrait dans le monde tant
qu'on y estimera ou qu'on y
conservera 'a mémoire du siècle
d'or. Lanzi l'appelait un titre
d'or; et le cardinal Garampi pré-
tendait que l'on ne pourrait pas
taire une mauvaise inscription,
si on le lisait avant de la com-
poser. L'auteur publia , l'année
suivante , un supplément sous
ce titre : Inscriptiones commen-
tariis subjectis , Rome, 1780, in-
4"- Le second vers du docteur
Labus est relatif à un autre ou-
vrage publié sous ce titre : Ser-
inonum tibri duo, Rome, 1784,
io-8°. On y ti'ouve des poésies
qui semblent écrites par Horace
lui-même. Le troisième vers fait
allusion à deux autres oiîvrages,
dont l'un a pour titre : Kalenda-
rium ecclcsice Constantinopoli-
lanœ, Rome, 1788 , in-4% et l'au-
ti"e , S. Gregorii secundi pontifî-
cis Agriqentinorum iihri decem
«xplanationis ecclesiasticœ , grœcè
primum , et f.um latinâ interpre-
tutione ac commentariis ru/gati ,
quibus prœposita est vita ejnsdem
pontificis à Leontio Monacito srrip-
ta nec fiactenàs grœcè édita , Ve-
nise , 1791. Enfin , le quatrième
vers nous apprend que le P. Mor-
relii avait encore en porlcfeuiMe
un manuscrit considérablr , que
MOR 111
les coonaisseur» regardent com-
me le plus précieux de ses écrits;
il a pour titre : Africa christiana,
et il a été imprimé depuis , Rres-
cia, 1S17, in-i". » Le docteur La-
bus a publié. Milan, 1816, deux
dissertations du P. Morcelli, et il
y a ajouté des notes, l'une est Suit'
agone Capitolino, et l'autre, Salla
Botta d'oro de' fanciulli romani.
On doit encore au docteur Labus,
la publication de l'opuscule du
même auteur, qui a pour titre :
Steph. Antonii Morcetli Micfiaelis
site Dies festi principis angetorum
apud Clarenses, Milan, 181 7. Cet
éditeur zélé, qui avait déjà inséré
dans le n"" i3 de la Bibliotfiéquc
italienne, un long extrait d'une
autre dissertation du P. Morcelli,
a encore publié celte dissertation
en entier, ainsi que quatre autres
du même antiquaire, sur l'écriture
des Romains.
MORE (Miss Ha»-ah), née aux
environs de Bristol, est fille d'un
ministre protestant qui tenait une
école. Cette demoiselle fit de bon-
nes études, et forma elle-même
une maison d'éducation qu'elle
dirigeait avec ses sœurs. C'est
dans la société du célèbre Garrick,
qu'elle puisa le goût de la littéra-
ture dramatique, et elle composa
un grand nombre de pièces de
théâtre; mais ses sentimens reli-
gieux ne lui permirent pas de le»
laisser jouer, dans la craintequela
représentation n'en fût dangereu-
se. Les produits de son établisse-
ment, et le débit prodigieux de
ses ouvrages , lui ayant procuré
une honorable aisance, elle re-
nonça à la carrière de l'enseigne-
ment, pour se livrer tout entière
à la culture des lettres et à la pra-
112
MOR
tique de la bienfaisance. Retirée à
Mendip, au milieu d'une popula-
tion pauvre et laborieuse , elle
fonda, avec ses sœurs, plus de 60
écoles de charité, malgré les obs-
tacles qu'apportèrent, à la créa-
tion de ces établissemens, quel-
ques ecclésiastiques dont, sans
doute, ils froissaient les intérêts.
Parmi les productions de iVliss
More , ses Drames sacrés et son
É pitre sur la sensibilité , ont eu
dix-sept éditions, depuis 1782 jus-
qu'en 1812; Cœlebs cherchant une
épouse, imprimé en 1809, a vol.
in-8°, en a eu dix dans une seule
année. Enfin ses tragédies, ses
drames, ses contes, ses poèmes en
vers et en prose , ont eu un suc-
cès populaire. Nous citerons par-
mi les ouvrages de miss 31ore : i"
Remarques sur le discours pronon-
cé à la convention nationale, par
M. Dupont, sur la religion et l'é-
ducation , in-8'', 1 795 ; a° Essai
sur le système moderne d'éduca-
tion des filles, 2 vol., 1799; 3°
Idées sur le mode à suivre pour
former le caractère d'une Jeune
princesse, 2 vol., i8o5. Cet ou-
vrage avait pour but de recher-
cher le meilleur système à adopter
dans l'éducation de la princesse
Charlotte. 4° Piété- pratique, ou
influence de la religion du cœur
sur la conduite de la vie, 2 vol.
(huit éditions, 1811-1812); 5° Essai
sur le caractère des écrits de Saint-
Paul, 2 vol., i8i3.
MOREAU (Jean-Victor), un
/ des plus anciens et des plus célè-
' bres généraux de la république
française, naquit à iVIorlaix, en
Bretagne, le 11 août i7()3. Son
père , homme de bien , avocat
très-estimé, et que le peuple de
MOR
Morlaix appelait le père des pau-
vres , destinait son fils à la carriè-
re judiciaire. Moreau fit de très-
bonnes éludes; mais entraîné par
une vocation décidée pour les
armes, il interrompit tout-à-coup
son cours de droit, et s'engagea
dans un régiment, avant d'avoir
atteint sa iS"" année. Il ne lui fut
cependant pas permis alors de se
livrera sa passion dominante. Son
père parvint à faire annuler un
engagement contracté contre le
vœu de sa famille entière , et le
jeune Moreau, cédant à ses or-
dres , alla reprendre l'étude du
droit à Rennes. 11 s'y distingua
bientôt parmi tous ses camara-
des , par une heureuse apti-
tude aux sciences, des formes a-
gréablcs , un courage qui se si-
gnala dans plusieurs occasions, et
les qualités personnelles les plus
cstimables.Des troubles sérieux ve-
naient d'éclater e« Bretagne quel-
ques années avant la révolution;
le cardinal de Brienne avait voulu
opérer de grands changemens dans
la magistrature, et éprouva une ré-
sistance aussi opiniâtre qu'inatten-
due. Moreau était prévôt de l'école
de droit deRennes;il exerçait la plus
grande influence sur toute la jeu-
nesse de cette ville, qui le plaça à
sa tête, et il obtint en même temps
la confiance des membres les plus
distingués du parlement. Pendant
cette guerre singulière, qui se pro-
longea pendant plus de cinq mois,
\e général du parlement (c'est ainsi
qu'on désignait Moreau ), donna
de fréquentes preuves signalées de
son intrépidité, et en même temps
d'une sagesse et d'une prudence
au-dessus de son âge. Dans les
journées des 26 et 27 janvier 1 787 ,
'^e.
J3<rrAffr r,r//t,„,^(. y,,;,^.
r^/'
r^^y^/'^/'
■^rcff, (/ ,ii,/' ,.t-,i; .gf^
MOR
il parvint heureusement, à force de
zèle et en employant tout le crédit
qu'il avait déjà acquis sur l'esprit
du p'uple, à calmer une émeute
des plus menaçantes et à prévenir
l'effu^ioQ du sang. Le gouverneur
de la province avait donné des
ordres réitérés pour qu'on arrêtât
Moreau, mais on tenta vainement
de les exécuter. Il se montrait
cependant tous les jours dans les
rues et sur les places publiques,
n'ayant souvent avec lui qu'une
faible escorte de jeunes étudians;
mais son courage imposait à la
force ouverte, et son habileté lui
fit éviter les embûches secrètes qui
lui étaient dressées Un de ses nom-
breux historiens affirme quMl mon-
tra alors une fermeté de caractère
et une loyauté qui ne se démenti-
rent jamais. On serait heureux de
pouvoir porter le même jugement
sur toutes les époques de Ha vie
d'un homme qui s'est illustré à la
tête des armées françaises par
tant de faits d'armes glorieux, par
des lalens militaires si éminens. Kn
1788, Moreau parut avoir, sous
quelques rapports, changé de sys-
tème; il seconda les mesures du
gouvernement qui se trouvaient
plus en harmonie avec ses propres
opinions. Adoptant les espérances
que la promesse d'ime jirompte
convocation des états- généraux
avait fait naître, quoique le mode
en déplût aux anciens nobles et
parlementaires de la Bretagne, le
général du parlement commanda,
dès le conunencement de 1789,
les réunions armées, qu'opposè-
rent les villes de Rennes (t de
Nantes à ce même parlement et aux
états de Bretagne. Une confédéra-
tion générale de la jeunesse bre-
T. XIV.
MOR ij5
tonne s'étant formée à Pontivy,
en 1790, Moreau en fut nommé
président; il de vintaussi comman-
dant du premier bataillon de to-
lontaires qui s'organisa dans le dé-
partement du Morbihan , et se ren-
dit avec ce corps à l'armée duNord.
Dès ce moment, Moreau s'occupa
avec ardeur de la théorie comme
de la pratique de l'art militaire, et
acquit ces hautes connaissances
qui l'ont fait distinguer parmi les
meilleurs tacticiens de l'Europe.
La nouvelle de la révolution du 10
août 179a arriva à l'araiée du
Nord ; le i5 du même mois , Mo-
reau et son bataillon y donnèrent
leur adhésion, et se proQoncèrent
avec enthousiasme en faveur de
la république, lorsqu'elle fut décré-
tée le 22 septembre de la même
année. Il parut s'être rallié fran-
chement à ce système de gouver-
nement jusqu'à l'époque du 5i
mai 1795; mais la chute du parti
de la Gironde, dans lequel il comp-
tait de nombreux amis , et les ex-
cès commis après cette désas-
treuse journée par le parti vain-
queur, l'affectèrent vivement; ii
n'accepta qu'avec une extrême
répugnance, qu'il ne cachait point
à ses amis , la constitution de
1795, présentée à l'armée dans
le mois de septembre; cependant
sou bataillon faisait chaque jour
des prodiges sous ses ordres, et é-
tait cité dans tous les rapports
c;)mme un des plus braves et des
mieux organisés de l'armée. Piche-
gru, général en chef de celle du
Nord, contribua de tout son pou-
voir à la fortune militaire de Mo-
reau, qu'il résolut de s'attacher par
les liens de la reconnaissance, et
dès - lors s'établit entre eux une
n4
MOR
liaison inlirae , qui eut depuis
des suites lunestes ù tous deux.
Sur les demandes instantes de sou
chef et de son ami, Moreau fut
nommé général de brigade à la
iin de 1793, et général de divi-
sion le i4 avril «794' 1' cnt aus-
sitôt lecommandemeut d'un corps
séparé, destiné à agir dans la Flan-
dre maritime, où il justifia la con-
fiance du gouvernement parla con-
duite la plus brillante, s'empara do
Menin , le 5o avril , après un blocus
de quatre jours, et d'Ypres le 17
juin , après douze jours de tran-
chée Ouverte. Le 29 du même
mois, il prit Bruges, et dans le
mois suivant, Ostende, Nieuport
et l'île de Cassandria. Il attaqua
ensuite le fort de l'Écluse, qui se
rendit par capitulation le 26 août.
Il est douloureux d'avoir à rappe-
ler qu'au moment où le fils faisait
de si glorieuses conquêtes pour la
république , la tête de son véné-
rable père, accusé de fédéralisme,
tombait à Brest sous la hache de
stupides et sanguinaires prescrip-
teurs. Moreau continua cependant
à servir la république, et prit une
part glorieuse à cette mémorable
campagne d'hiver de 1794 ? pen-
dant laquelle il conunanda l'aile
droite de l'armée de Pichegru ,
qui, traversant des fleuves et des
bras de mer sur la glace, soumit
toute la Hollande. Ce fut aussi
lui qui conçut un plan général de
défense pour ce pays, plan qui fut
adopté par le gouvernement fran-
çais, et dont l'exécution fut con-
fiée aux généraux Daendels et Du-
monceau. Nommé au commande-
ment en chef de l'armée du Rhin
et de la Moselle, après la retraite
de Pichegru, il ouvrit, en 1796,
une campagne devenue non moins
MOR
fameuse, qui fonda sa réputation
militaire, et le couvrit de gloire.
Il força d'abord près de Franc-
kenthal le camp du général Wurm -
ser, qui fut obligé de chercher
sou salut sous les murs de Man-
heim. Dans la nuit du aS au 24
juin, Moreau fit passer le Rhin à
l'armée française , prè.s de Stras-
bourg. Les troupes autrichienne»
qui se trouvaient à Rehl fu-
rent forcées de fuir en désordre,
et ime partie tomba entre les
mains du vainqueur. Il envoya
ensuite le général Férino contre
l'armée de Condé, qui se trouvait
faiblement soutenue par quelques
petits corps autrichiens, et qui
fut dispersée. Lui-même marcha
contre la grande armée autrichien-
ne commandée par l'archiduc
Charles, et après avoir, par d'ha-
biles nAnœuvres, forcé à ki re-
traite toutes les troupes qui occu-
paient le Brisgau, il alt.iqua le prin-
ce à Rastadt, le G juilh't, et l'olili-
gea après la plus opiniâtre résis-
tance à se retirer sur Elllingen ,
où il l'attaqua de nouveau le 9, et
le battit complètement. L'archi-
duc gagna alors la forte position de
Pfortzlieim, où il se croyait inex-
pugnable. Moreau parvint cepen-
dant à l'en déloger le i5, et dès
ce moment il ne cessa de se por-
ter en avant pour pénétrer dans
le cœur de l'Allemagne. Les gé-
néraux des deux nations déployè-
rent dans toutes ces affaires, des
talens remarquables, et les sol-
dats le plus grand courage. Mo-
reau avait trouvé tous ses géné-
raux divisionnaires^gnes de lui.
Le brave Desaix, dont un trépas
glorieux immortalisa depuis le
nom à Marengo, commandait sous
lui , et rendit les plus grand.s ser-
MOR
vices; le général Férino fut ho-
norablement cité dans tous les
rapports, ainsi que tant d'autres
chefs qui établirent alors leur ré-
putation dans une armée devenue
une pépinière de héros. L'armée
autrichienne, malgré ses nombreu-
ses défaites, ne se retirait qu«.» len-
tement; elle fut encore vaincue
à Constadt, Berg et Ettlingen,
dans les journées des 18, 21 et 22
juillet. Cette série de briilans suc-
cès rendit les Français maîtres de
tout le cours du iSecker, et ils en-
trèrent en triomphe, le 5 août,
dans la ville de Constance , qu'ils
venaient d'emporter. L'archiduc
Charles oppo*a à la mauvaise for-
tune une constance héroïque. Réu-
nissant toutes ses forces, il réso-
lut de faire une nouvelle tentative,
et attaqua le ii , au matin , les
Français sur toute leur ligne. Le
combat fut des plus acharnés; dé-
jà les avant-postes de Moreau a-
vaient été mis en déroute , et
son aile droite repoussée jus-
qu'à Hejrdenheim, lorsqu'il vint,
à la tête d'un corps de réser-
ve , réparer cet échec et don-
ner la main à Desaix , qui triom-
phait à la tête de l'aile gauche. A-
prèsij heures d'une lutte obstinée,
les deux armées étaient encore
en présence le soir, et la victoire
paraissait indécise. Le général
français venait même de donner
ses ordres pour faire partir les
équipages de l'armée, si la retrai-
te devenait nécessaire ; mais il vit
bientôt, avec une joie inexprima-
ble, les Autrichiens, qui avaient
fait des pertes immenses, opérer
la leur, et lui céder tout l'honneur
de la journée. L'archiduc Charles
alla se réunir au généralWarlens-
MOR 11 5
Loben , qui était dans une po«
sition dangereuse en présence
du général Jourdan. Moreau se
porta en avant, et se trouva bien-
tôt avoir en tête le général
Latour, qui recevait sans cesse
des renforts considérables. IlTutta-
qua à Friedberg, le battit complè-
tement, et lui fit un grand nombre
de prisonniers. L'intention de Mo-
reau était de passer le Danube,
et d'aller au secours de Jourdan,
qui avait fait une invasion paral-
lèle à la sienne vers Ratisbonne;
mais ce dernier venait d'être acca-
blé par des forces supérieures, et
son armée était dans une déroute
complète. La prudence exigeait
alois que Moreau songeât lui-
même à opérer sa retraite. II la
commença le 11 septembre; el-
le fut longue et glorieuse, et a
été citée connne un des beaux
faits d'armes qui aient illustré la
vie de ce général. Du fond de
l'Allemagne, il regagna les frontiè-
res de la France sans se laisser
entamer par un ennemi supérieur
en forces, et le battit en plusieu^
rencontres. Au combat de Ribe-
rach il remporta un avantage si-
gnalé , et tit plusieurs régimens
autrichiens prisonniers. Ce fut en
vain que, pour lui disputer le
passage de la Forêt-Noire, l'archi-
duc Charles avait envoyé plusieurs
corps, pour le tourner et s'empa-
rer des défilés : ils furent tous
successivement battus et disper-
sés. iMoreau respecta religieuse-
ment la neutralité de la Suisse ,
que les armées des coalisés ont si
peu respectée depuis, préférant
.se faire jour à travers la Forêt-
Noire et multiplier ses marches
pénibles, plutôt que de viole» le
ii6
MOIV
territoire neutre d'un peuple indé-
pendant. Il arriva enfin intact sur
le lUiin, qu'il passa à Huningueet à
Brissach, conservant devant la pre-
mière de ces places une tête de
pont, et jetant une garnison dans
le fort de Kehl, qui sedél'endil avec
la plus haute valeur et arrêta les
Autrichiens pendant deux mois.
Ils perdirent devant ce fort uVi
temps précieux et un nombre con-
sidérable d'hommes. La tête de
pont de iluningue, quoique do-
minée par les batteries autrichien-
nes, offrit aussi une résistance di-
gne d'admiration. Les Français,
qui s'étaient creusé des habita-
tions au sein de la terre, ne lais-
sant que les hommes nécessaires
à la garde des redoutes , sem-
blaient, au moment des attaques,
renouveler la fable des soldats de
Cadmus. Au mois de février 1797,
Moreau se rendit à Cologne, y
réorganisa l'armée de Sambre-et-
Meuse , en céda le commande-
ment au général Hoche, et se re-
porta sur le Haut-Rhin. Il passa
de nouveau ce fleuve le 20 avril
en plein jour, et en présence de
l'armée autrichienne rangée en ba-
taille, qu'il attaqua et força dans
ses positions, lui fit 4j000 prison-
niers, enleva 20 pièces de canon,
des drapeaux, équipages, etc., et
reprit, en peu de jours, ce fort de
K-ehl, qui avait coûté à l'ennemi
un siège de 2 mois et l'élite de
son armée. Le passage du Rhin a
mérité à son tour d'être cité par-
mi les plus glorieux faits d'armes
des armées françaises. Les succès
de Moreau ne se seraient sans
doute pas arrêtés là , si les préli-
minaires de la paix signée à Léo-
ben ne fussent venus en interrom-
MOI\
pre le cours. La république triom-
phait à cette époque de tous ses
ennemis du dehors, mais elle était
déchirée dans l'intérieur par des
factions acharnées qui s'en dispu-
taient les lambeaux. Une vaste
conspiration, dont Pichegru était
l'âme, avait depuis long-temps
été ourdie contre elle ; les preuves
s'en trouvaient depuis plusieurs
mois entre les mains de Moreau;
elles étaient complètement éta-
blies par une correspondance tom-
bée en son pouvoir, lors de la pri-
se des fourgons du général émi-
gré Klinglin. Moreau avait hésité
à les faire connaître au gouverne-
ment français par suite de l'isn-
cienne amitié qui l'avait lié à
Pichegru, et de la reconnaissance
qu'il avait vouée à ce général.
Mais enfin le danger lui parut
pressant; la journée du 18 fructi-
dor an 5 (4 septembre 1797), *^"*
en le neutralisant pour le mo-
ment, mettait au grand jour les
périls dont la république était me-
nacée. Moreau se détermina en-
fin, quoiqu'un peu tard, a en-
voyer au directoire les pièces dont
il se trouvait possesseur. Il fit
même arrêter quelques personnes
compromises par la correspon-
dance de Pichegru , et adressa
une proclamation énergique à
l'armée, pour l'instruire de la tra-
hison de ce général , que depuis
lon^-temps il n'estimait plus : tel-
les furent au moins ses expres-
sions. La conduite de Moreau en
cette occasion fut, connue il était
facile de le prévoir, hautement
blâmée par les royalistes, et non
moins fortement improuvée par
les républicains. Ces derniers é-
cartaient avec peine quelque»
MOR
îoupçons de déloyauté , et ne
pouvaient s'empêcher d'attribuer
le long silence que Moreau avait
gardé sur une atïaire aussi im-
portante, à des vues secrètes et
personnelles, peu favorables à leur
cause. Mandé à Paris par le direc-
toire, il s'y rendit aussitôt; mais
les explicatioiis qu'il donna
n'ayant pas satisfait entièrement
un gouvernement ombrageux, et
les plans qu'il proposait pour la
campagne prochaine ne paraissant
pas convenir davantage , il de-
manda sa retraite, qui lui fut sur-
le-champ accordée. Moreau s'é-
tablit alors dans une petite maison
située à peu de distance de Paris,
où il vécut éloigné des aflaires, a-
▼ec son ami, le général Rléber,
qui se trouvait aussi, à cette épo-
que, en disgrâce auprès du gou-
vernement directorial. En i^-gS,
le besoin qu'on eut de chefs mili-
taires d'une habileté consommée
fit encore avoir recourra à Moreau,
qui, acceptant les offres du gou-
vernement, rentra en activité de
service. Nomcné d'abord inspec-
teur-général , il fit ensuite partie
de la commission établie pour
préparer les plans des opérations
de la campagne de 1799, et fut
enfin envoyé à l'armée d'Italie
commandée par Schérer. Il y fut
témoin de? désastres que l'impé-
ritie d'un chef inhabile attirait sur
elle, et que de meilleurs conseils
ne purent ni prévenir ni réparer.
Scliérer prit enfin le parti de se
retirer de sa personne, et remit à
Moreau, avec le commandement
de l'armée, le soin de la sauver.
Ce général proposa alors et fit
adopter dans un conseil de guer-
re, lavis de se replier sur le Pié-
MOR 117
mont; mais pour y parvenir, il fal-
lait soigneusement éviter tout en-
ga;rement sérieux avec une armée
formidable, animée par ses der-
niers succès. Les Français étaient
réduits à 25, 000 hommes, et en
avaient 90.000 en tète, dont le
fameux Suwarow dirigeait les
raouvemens. Moreau n'en mit
pas moins son plan à exécution.
Il rassembla son armée derrière
l'Adda , et manœuvra avec une
précision et une habileté admira-
bles , portant sa droite vers les
Apennins, et formant un camp
retranché entre Alexandrie et Va-
lence, derrière le Pô et le Tana-
ro , où il espérait que le général
Macdonald.qui accourait du royau-
me de Naples , pourrait venir le
joindre avec son armée. Le 1 1 mai,
il battit 12,000 Russes près de
Bassignano, et passa la Bormida.
Attaqué par toutes les forces réu-
nies de Suwarow, il fut obligé de
changer sa direction, mais péné-
tra néanmoins dans le pays de
Gènes, tenant les hauteurs et les
passages des Apennins, et espé-
rant bien reprendre l'offensive
dès qu'il aurait opéré sa jonction
avec l'armée de Naples. Celle-ci
fut malheureusement défaite dans
les sanglantes journées de la Tré-
bia par Suwarow; et Moreau, qui
était sorti de Gènes avec i5,ooo
hommes, qui avait battu le corps
autrichien du général Bellegarde,
débloqué Tolose et poussé l'en-
nemi jusqu'à Voghera, fut obligé,
après les désastres de Macdonald,
de renoncer à l'offensive et de se
retirer dans les Apennins. Sur ces
entrefaites, le gouvernement ap-
pela Moreau au commahdement
en chef de l'armée du Rhin, et
ii8
M OR
envoya le général Jou!»ert pour
le remplacer en Italie. Ce der-
nier trouva l'année en présence
de l'ennemi et forcée à en venir à
une bataille; le nouveau chef
voulut laisser, dansla join-née qui
se préparait, l'honneur du com-
mandement à Moreau; mai? il le
refusa et déclara qu'il combattrait
sous les ordres de Joubert en qua-
lité de simple volontaire. La mal-
heureuse bataille de Novi fut li-"
vrée, le brave Joubert y trouva
une mort glorieuse; Moreau cou-
rut les plus grands dangers, eut
trois chevaux tués sous lui , fut
blessé à l'épaule , mais parvint
heureusement à sauver l'armée.
S'il n'avait pu arracher la victoire
à un ennenii triple en forces, au
moins sut-il lui en dérober le fruit,
etopéra sa retraite avec unehabilelé
admirée de cet ennemi même, qui
ne put l'entamer. En allant pren-
dre le commandement de l'armée
du Rhin, Moreau vint à Paris. Le
gouvernement directorial penchait
déjà vers sa ruine; les partis, qu'il
n'avait su contenir, réagissaient
contre lui. Oncrutqu'un général
d'une haute réputation, adoré des
soldats, pourrait rendre de l'éner-
gie et de la considération au gou-
vernement : on fit des propositions
à Moreau, mais il ne voulut point
prendre part aux agitationsciviles,
oa du moins hésila-t-il à jouer le
premier rôle. Il ne larda pas mê-
me à se ranger sous les bannières
du jeune vainqueiir de l'Italie, re-
venu de l'Egypte par une espèce
de miracle, à travers toutes les
croisières anglaises. Bonaparte
fixait alors les regards de la Fran-
ce entière, et tous les partis s'a-
dressèrent en secret à lui. Moreau
M OR
seconda efficacement ce général
dans les célèbres journées des 18
et 19 brumaire; mais il parut s'en
repentir presque aussitôt, et mon-
tra quelque froideur au premier
consul. Celui-ci lui confia cepen-
dant le commandement des ar-
mées du Danube et du Rhin. Le
passage de ces Heuves, les combats
de Moeskirch, d'Engen, de Mem-
mingen, dcBiberach, les batail-
les d'Hochstedt, de Nedenheim,
de Northlingen , d'Oberhausen,
et enfin la victoire décisive de
Ilohenlinden, vinrent ajouter un
nouvel éclat à la gloire militaire
de ce grand capitaine. Le général
Bonaparte avait de son côté rem-
porté des succès non moins déci-
sifs en Italie, et la bataille de Ma-
rengo venait de le rendre de nou-
veau le maître de la plus grande
partie de ce pays, et l'arbitre de
ses destinées futures. Moreau n'é-
tait plus qu'à a5 lieues de Vienne,
quand les Autrichiens dejiiandè-
rent la paix. Il revint à Paris, oii
le premier consul le félicita pu-
blicfuement sur ses triomphes, et
lui fit accepter le don d'ime pai-
r«i de pistolets richement garnis
de diamans , où on regrettait de
n'avoir pu, faute d'espace , gra-
ver le nom de tontes ses victoires.
Telles furent les paroles flatteu-
ses du donateur qui accompagnè-
rent ce don. Il fut même ques-
tion d'un mariage avec la sœur
cadette du premier consul, qui
épousa depuis le prince Bor-
ghèse ; uKiis des circonstances
particulières empêchèrent cette
imion , et Moreau contracta bien-
tôt d'autres liens. Une jeune per-
sonne belle, aimable, riche et
ficre de tous ses avantages , mais
M OR
surtout de son union avec un
homme aussi illustre , prit , en
épousant le général Moreau, un
grand ascendant sur son esprit :
elle était, à ce qu'on assurait, bien
plus ambitieuse que son mari, et sa
tnère encore plus que tous deux.
On ne cessait de répéter au vain-
queur de Hohenlinden que tout
rôle secondaire dans l'état était
au-dessous de lui. De futiles pré-
tentions s'élevèrent en sa maison ;
on s'indignait d'être forcé de cé-
der le pas à la femme du premier
consul; on voulut établir d"ah-
surdes rivalités- i^loreau se retira
bientôt dans sa terre de Grosbois ,
neparaissaitquerarementàParis,et
jamais auxTuileries; mais nombre
de personnes mécontentes du gou-
vernement venaient se rallier au-
tour de lui à la campagne. De
faux amis se joignirent à elles ,
et d'innocens propos étaient en-
véninjés dans leurs rapports. Plus
ami de l'égalité, et plus républi-
cain qu'il n'avait paru juqu'alors,
Moreau blâma hautement l'éta-
blissement de la légion-d'honneur,
déclara qu'il n'en porterait jamais
la décoration, et ne voulut pas
non plus être compris dans la no-
mination des maréchaux de Fran-
ce. EnGn, on parvint à l'impli-
quer dans une conspiration dont'
Pichegru et Georges Cadoudul é-
taient les chefs, et dont la police
tenait déj;'r tous les fils. Un abbé
David, qui se rendait en Angle-
terre, avait été arrêté à Calais; il
étaitporteur de lettres à Pichegru;
on assura qu'il y en avait ime de
Moreau, mais le fait ne fut point
légalemenfci pro\ivé. David avoua
cependant, au Temple, qu'il était
chargé de rapprocher ces deux an-
MOR
ȕ9
ciens amis. Pichegru, Georges et
plusieurs de leurs affîdés arrivèrent
quelque temps après, de Londres
à Paris : la police en avait été a-
verlie par les révélations du nom-
mé Querelle, et ils furent tous
successivement arrêtés. Moreau
l'avait été dès le i5 février 1804,
sur un ordre du grand-juge Ré-
gnier, qui était aussi ministre de
la police. Plusieurs des prévenus
avouèrent, dès les premiers in-
terrogatoires, qu'ils étaient venus
à Paris dans l'intention d'enlercr
îc premier consul. Moreau, sur
l'accusation d'avoir reçu chez lui
Pichegru, depuis que ce général
avait trahi la république, répon-
dit qu'il était l'ami et non le com-
plice de Pichegru, qu'il lui devait
sa fortune militaire, et qu'il pou-
vait lui en avoir conservé de la
reconnaissance, sans être pour ce-
la traître à sa patrie et ennemi du
pouvoir. Cette dénégation, quoi-
que très - vraisemblable, en tout
ce qui concernait sa participation
directe à un complot, ne satisfit
point le gouvernement. Le général
Moreau resta pendant trois mois
enfermé au Temple, sous le poids
J'une accusation capitale, comme
ayant attenté à la vie du premier
consul et à la sûreté de l'état. Mis
en jugement devant la cour cri-
minelle, les débats commencèrent
le 9 prairial an 12 (29 mai 1804).
11 ne se trouva point contre lui de
preuves écrites; 140 témoins fu-
rent entendus , aucun ne présenta
de charges graves. Un des accusés,
le sieur Roland , entrepreneur des
vivres de l'armée, qui avait cach6
Pichegru dans sa maison, dit, à
la vérité, qu'il avait été chargé
par ce général de négocier avec
120
MOR
Moreau, et que celui-ci lui avait
répondu : « Je ne puis me mettre
))à la tête d'un mouvement pour
» les Bourbons : un essai semblable
» ne réussirait pas. Si Pichegru fait
»agir en un autre sens (et en ce
» cas je lui ai dit qu'il faudrait que
»\es consuls et le gouvernement
»de Paris disparussent) , je crois
» avoir un parti assez fort dans le
» sénat pour obtenir l'autorité; je
«m'en servirai aussitôt pour niet-
» Ire tout le monde à couvert : l'o-
t) pinion dictera ensuite ce qu'il
«conviendra de faire, mais je ne
» m'engagerai à rien par écrit. » Ro-
land ne put apporter aucune preu-
ve de son allégation. On n'en eut
pas davantage de la réponse qu'on
prêtait à Pichegru. a Je vois que
«Moreau veut aussi gouverner,
nmais je ne lui en donne pas pour
«huit jours. » Il est à observer qu'à
cette époqua la loi n'avait pas en-
core mis la non révélation au nom-
bre des crimes. Pendant le cours
des débats, Moreau fit publier un
mémoire justificatif, et prononça
devant ses juges un discours noble
et touchant. Ces deux pièces furent
supprimées par l'ordre du procu-
reur-général, et les juges n'eu
eurent qu'une édition tronquée;
mais l'accusé inspirait un intérêt
général, et son parti se prononçait
assez ouvertement. Aux Tuileries
même, quelques personnes osèrent
prendre sa défense; des officiers
et des soldats qui avaient servi sous
ses ordres murmuraient haute-
ment, et la force armée de service
près le tribunal ne manquait ja-
mais de lui rendre tous les hon-
neurs militaires lorsqu'il passait
devant elle. Le réquisitoire du pro-
cureur-général fut très-mal ac-
MOR
cueilli par l'auditoire. Ce magis-
trat avait consacré tout son travail
à incriminer le général Moreau, et
paraissait avoir oublié les 44 ^"~
très accusés, jusqu'au moment où
il requit contre eux en masse la
peine capitale, se dispensant mê-
me de les nommer, et ayant perdu
de vue qu'une feumie au nombre
de ses accusés n'avait pu , pour
cause de grossesse et de maladie,
comparaître devant le tribunal. On
sentit tout le danger du zèle ex-
cessif de l'organe du gouverne-
ment, et il fut ordonné au premier
substitut du procureur-général de
mettre plus de soins et de réparer
ces torts, dans sa réplique. Celle-
ci ne fut cependant point pronon-
cée, car dans le besoin pressant de
clore les débats, on fil dès le 19
prairial (8 juin) proposer au tri-
bunal d'entrer en délibération, im-
médiatement après les plaidoiries
des avocats, que l'on jugea ne de-
voir tenir qu'une faible partie de
la séance. Les juges firent connaî-
tre que ce qu'on demandait d'eux
était impossible, et qu'ils n'avaient
pas rassemblé les élémeiis néces-
saires pour former leur opinion
définitive; on leur lépondit que
tout était préparé pour laisser ce
temps à leurs méditations; que
chacun d'eux serait libre de tra-
vailler dans son cabinet; qu'on
leur ferait tenir individuellement
tout ce qui serait nécessaire à la
vie et au repos, et que, quoique
retirés de l'audience, ils n'entre-
raient en délibération qu'autant
qu'ils y seraient préparés. La pre-
mière discussion donna l'idée du
caractère que cliaque«juge déve-
lopperait dans la suite du procès;
jusque-là on n'avait pu se procu-
M OR
rer aucun indice sur leur opinion.
Ils avaient évité toute-* communi-
cations, même entre eux. La cour
criminelle entra en délibération le
ao prairial à 8 heures du matin.
L'ordre de la délibération même
devint l'objet d'un premier tra-
vail, et il fut convenu : que les
questions seraient posées par le
président dans l'ordre de l'accu-
sation ; que le rapporteur aurait
le premier la parole pour déve-
lopper la question et émettre son
opinion; que le président recueil-
lerait successivement l'opinion de
chaque juge en commençant par
le dernier conseiller dans l'ordre
de réception; que l'opinion du
président serait ainsi la dernière
pour le prononcé de l'arrêt; qu'il
ne serait pas fait de double épi-eu-
ve dans le cas d'absolution ; que
les épreuves pouvaient avoir lieu
jusqu'à trois fois, en cas de con-
damnation, si un seul juge en ré-
clamait, suivant l'usage des an-
ciennes cours souveraines. La dé-
libération fut ensuite suivie Indi-
viduellement pour chaque accusé.
Le président ayant recueilli les
voix relativement au général Mo-
reau, il s'en trouva 7 pour absou-
dre et 5 pour la condamnation à
la peine capitale. Le procureur-
général avait fortement insisté sur
la peine de mort, bien convaincu,
disait -il, que l'accusé aurait sa
grâce : • Eh qui nous la donnera à
'nous, notre grâce? » s'écria un
juge intègre, M. Clavier. Une dis-
cussion très-vive avait eu lieu en-
tre le procureur-général et M. Le-
courbe, ainsi que deux autres ju-
ges, le premier soutenant que
l'acquittement de Moreau serait
un signal de guerre civile. «Vous
MOR 121
«voulez, disait-il, mettre ce gé-
«néral en liberté; il n'y sera pas
«mis. Vous forcerez le gouverne-
»ment à faire un coup d'état; car
• ceci est une affaire politique plu-
»tût qu'une affaire judiciaire, et il
»y a quelquefois des sacrifices né-
«cessaires à la sûreté de l'état. »
Misérable argutie d'un instrument
subalterne de l'autorité, plus oc-
cupé de sa fortune particulière que
des vrais iatérêts de l'état, dont
le premier intérêt, comme le plus
sacré, est d'être confié à des magis-
trats inaccessibles à la crainte et à la
corruption ! Après trois heures de
débats et de délais, la cour crimi-
nelle avait repris ses délibérations.
Pendant cet intervalle, des cour-
riers avaient été expédiés du par-
quet à Saint- Cloud. De grands
personnages s'étaient rendus chez
lepremierprésident, où furentsuc-
cessivement mandés les juges sur
lesquels on comptait pour obtenir
la majorité. Il fut enfin décidé, sur
la proposition de l'un d'entre eux
qui avait d'abord volé la peine de
mort, que le général Moreau se-
rait déclaré coupable, mais excu-
sable. L'arrêt fut porté, en con-
séquence, à la majorité de 9 voix
contre 3, et l'accusé fut condamné
à deux années d'emprisonnement
et aux frais du procès, solidaire-
ment avec les autres condamnés.
Au prononcé de la sentence éclatè-
rent des transports de joie, le peu-
ple s'écriait de toutes parts : // est
sauvé! Deux des magistrats qui
avaient courageusement persisté
dans leur première opinion , fu-
rent signalés au gouvernemeot
par le procureur- général comme
des ennemis dangereux, et furent
par la suite privés de leurs foac-
1 22 MOR
lions, mesure aussi peu honorable
pour l'aulorifé trompée, que les
récompenses données par elle aux
juges qui la servent clans ses in-
justes animosi tés. M"" Moreau sol-
licita, comme une grâce, qu'il
fût permis à son mari de voyager
pendant les 2 années que devait
durer sa détention. Fouché, rede-
venu ministre de la police, fut
l'intermédiaire actif de ses com-
munications avec le chef du gou-
vernement, et il fut permis à Mo-
reau de se rendre aux Etats-Unis
d'Amérique, à condition qu'il
ne pourrait rentrer en France
qu'avec raulorisalion du gouver-
nement français. 11 partit aussitôt
avec sa femme et ses enfans, es-
corté jusqu'à la frontière d'Espa-
gne par des gendarmes. Ses biens
furent vendus en France par sa
belle-mère, et suffirent à peine
pour payer les frais énormes de la
procédure criminelle. Il s'embar-
qua à Cadix en i8o5, et arriva
sans accident aux Etats-Unis, oii
il acheta une belle campagne près
de Morinville , au pied de la chute
de la Delavare. Cette retraite, où
il se livrait aux paisibles occupa-
tions de la pêche et de la chasse,/
parut avoir pour lui pendant quel-
ques années les plus grands char-
mes. Mais bientôt les nouvelles
suggestions de l'ambition et de la
vengeance, ou peut-être l'irrésis-
tible entraînement d'une destinée
funeste, le portèrent à abandon-
ner les champs de l'Amérique et
à traverser les mers pour joindre
de nouveaux amis. Moreau s'em-
barqua dans le plus grand secret,
le 21 juin 181 5, avec M. de Svi-
nine , conseiller d'ambassade rus-
se, arriva le 24 juillet suivant dans
MOR
le port de Gothembourg, et se
rendit de là à Prague , où se trou-
vaient réunis les empereurs de
Russie, d'Autriche et le roi de
Prusse. Là, comblé de caresses et
de faveurs, il contracta, dit -on,
l'engagement de diriger les opé-
rations des armées de ces souve-
rains, coalisés de nouveau contre
la France. Il lui parut pénible sans
doute, pour ne rien dire de plus,
d'avoir à combattre ses conci-
toyens, de se trouver dans les
rangs d'anciens ennemis , et de
voir en face les drapeaux qu'il a-
vait Iui-n)Gme illustrés par tant de
victoires. Quelquefois il cherchait
à soulager son âme oppressée. Un
général étranger, distingué par ses
talens, et qui avait acquis sa ré-
putation au service de France,
mais qui venait, par des motifs
particuliers de mécontentement,
de quitter ses drapeaux et de se
donner aux Russes, rencontrant
un jour Moreau , celui-ci lui dit :
« Il a fallu un concours singulier
« de circonstances , pour que nous
nnous trouvassions ici ensemble. »
i. Sans doute, général, répondit
» l'étranger, il est étonnant de nous
» trou ver ici tous deux ; mais il n'y
«a point d'ailleurs de parité entre
«nous : je ne suis pas François. »
(' Ah! vous me déchirez le cœur, »
s'écria Moreau. L'heure fatale
à ce dernier devait bientôt son-
ner. Le 27 août 18 13, dans u-
ne reconnaissance devant Dres-
de, un des premiers boulets par-
tis de l'armée française vint lui
fracasser le genou de la jambe
droite, et traversant son cheval,
lui emporta le mollet de la gau-
che. On fit à la hâte un brancard
de piques de cosaques, sur lequel
MOR
on le porta dans une maison voi-
sine. Le premier chinirsien de
l'empereur Alexandre fit d'abord
l'amputation de la jambe droite;
Moreau lui dit d'examiner la gau-
che . et sur la réponse qu'il était
impossible de la conserver : Eh
bien, coupez-la donc au«5i, lui ré-
pondit-il froidement. L'armée al-
lié» avait été battue et forcée à la
retraite; on fut obligé de trans-
porter le blessé plus loin. Il souf-
frit encore pendant cinq jours, et
expira dans la nuit du i" au 2 sep-
tembre. Son corps fut porté à Pra-
gue pour y être embaumé , et de
là transféré à Pétersbourg, où il
a été inhumé dans l'église catho-
lique de cette ville. L'empereur
Alexandre, trés-touché de la mort
de celui*à qui il avait donné le ti-
tre de son ami et de son conseil,
fit don à sa veuve de 5oo,ooo rou-
bles, et d'une pension annuelle de
jo,ooo. S. M. Louis XVIII lui
donna le titre de maréchale. Elle
est morte en 1821. Moreau sera
toujours compté au premier rang
des plus célèbres capitaines d'une
époque féconde en grands hom-
ries de guerre. Ses mœurs étaient
simples et pures ; modeste dans
son intérieur, humain et généreux
autant que brave à la tête des ar-
mées, il était chéri des soldats et
des officiers. Son caractère doux
et facile le soumettait souvent à
des influences étrangères; les fem-
mes exercèrent toujours sur lui
un grand empire. Sa fin fut dé-
plorable : ce n'était point ainsi que
devait succotnber un tel homme.
MOREAU (Joseph), ancien tri-
bun, membre de la chambre des
députés et de la légion-d'honneur,
est frère du général Moreau. Son
MOR 123
père ayant péri surrécliafaud pen-
dant que ses cinq fils combattaient
aux frontières. M. J. Moreau se
présenta hardiment, le 24 janvier
1795, à la barre de la convention
nationale, et y dénonça le tribunal
révolutionnaire de Brest, qui avait
rendu le jugement. Après la révo-
lution du i8 brumaire an 8, M.
Joseph Moreau fut appelé au tri-
bunat, où il ne prit la parole qu'à
l'occasion du procès de son frère;
il rentra dans la retraite après la
dissolution du tribunat. Nommé,
en 18 16, président du collège élec-
toral du département d'Ille-et-\ilai-
ne, il fut porté , par les électeurs,
à la chambre des députés. Préfet
de la Lozère en 1817. il a été
remplacé par M. de Valdeunit.
MOREAU (Étiense-Vincent ),
suivait la carrière du barreau,
lorsque le tiers-état de la Tourai-
ne le nomma député aux états-
généraux, en 1789. Il y parla sur
diverses matières, notamment sur
la proposition de réunir Avi-
gnon à la France, réunion en
faveur de laquelle il se prononça.
En 1796, il devint membre de la
haute-cour, convoquée à Vendô-
me, pour instruire le procès de
Babeuf. Il fut depuis nommé suc-
ce?sivement juge à la cour d'appel
du Loiret, conseiller, et enfin pré-
sident de chambre, à celle d'Or-
léans. Il paraît avoircessé ses fonc-
tions depuis quelques années,
MOREAU (Jeas), avocat au
commencement de la révolution,
fut nommé, en 1790, procureur-
syndic du département de la Meu-
se , et membre de l'assemblée
législathre, en 1791- H manifes-
ta son adhésion aux sentimens
exprimés dans l'adresse que la sec-
124 MOR
tion de la Croix-Rouge présenta
au mois de juillet 1792, et fit dé-
créter la lormation d'une commis-
sion chargée d'examiner les dan-
gers dont la patrie était menacée.
En 1792, il passa à la convention
nationale, où, dans le procès du
roi, il vota le bannissement ju?quà
la paix, et donna sa démission au
mois d'août i^gS, sa mission se
trouvant, disait-il, terminée par
l'acceptation de la constitution.
Elu, en septembre 1795, au con-
seil des anciens, dès l'année sui-
vante,il renonça encore aux fonc-
tions législatives. Il n'a plus repa-
ru depuis sur la scène politique.
MOREAL' (Jacqxies-Louis), plus
connu sous le nom de M or eau de
la Sartlie, médecin, sous-bibliothé-
caire et professeur à l'école de mé-
decine de Paris, membre de la so-
ciété de médecine de la même vil-
le, a publié : 1 " Essai sur la gangrè-
ne humide des hôpitaujc, 1796, in-
8" (i^vec Burdin); 2° jB/o^crfe Vicq-
d'Azir^ '797Î 3° Esquisse d'un
cours d' hygiène , ou de médecine
appliquée à l'art d'user de la vie
et de conserver la santé, 1799, in-
8" ; 4° Traité historique et pratique
de ta vaccine, 1801; 5° Histoire na-
turelle de la femme, suivie d'un
traité d'hygiène appliquée à son ré-
gime physique et moral aux différen-
tes époques de la vie, 5 vol. in-8'',
i8o3. 11 a publié, en 1804, les
Œuvres de Vicq-d'Azir, en (> vol.
in-8% avec atlas, et donné, en 1 806
et années suivantes, une. nouvelle
édition, en 10 vol. ih-8% de V Art
de connaître les hommes par la phy-
sionomie, de Lavater. Le docteur
Moreau de la Sarthe a été un des
principaux rédacteurs du Journal
de Médecine; il a encore fourni les
MOR
articles de médecine clinique de
Y Encyclopédie, et publié un grand
nombre de mémoires sur divers
sujets.
MOREAU (Jean-Nicolas), an-
cien magistrat , littérateur et his-
toriographe de France > naquit à
Saint-Florentin , le 20 décembre
1 7 1 7 ; il fit de bonnes études , de-
vint successivement avocat, oqu-
seiller à la cour des comptes de
Provence , premier conseiller de
Monsieur ( aujourd'hui Louis
XVIII), bibliothécaire de la reine,
et enfin, historiographe de France.
Il eut à ce titre la mission de .ras-
sembler les chartes, édits, décla-
rations et monumeus historiques
qui avaient établi la législation
fiançaise depuis Charlemagne jus- ^
qu'à nos jours. Le dépcjt de ces
documens lui fut confié sous le
titre de : Dépôt des chartes et de
législation. Subjugué p;ir sa pas-
sion pour les lettres, il vint, jeune
encore, à Paris, où il se fit con-
naître par une Ode sur la bataille
de Fontenoi. Cette pièce, qui fut
imprimée en 1745, ne permit pas
à Moreau, auquel elle attira des
critiques sévères, de s'abuser sur
ses dispositions pour la poésie, et
il eut la sagesse de se livrer, du
moins, plus particulièrement à des
études sérieuses. La science de la
politique, celle de l'administra-
tion , et l'ancien droit public de la
France, furent les principales ma-
tières auxquelles il se consacra. En
1755, il essaya ses forces dans une
espèce de journal : l'Observateur
hollandais , dirigé spécialement
contre l'Angleterre. Moreau se
prononça en nïême temps contre
les pbilosophes, qu'il attaqua as-
sez étourdiment, en 1757, dans
MOR
des Mémoires pour servir à r his-
toire des Cacouacs.\o\c\ l'opinion
que Laharpe donne dans sa Cor-
respondance de l'auteur de ce bi-
tarre ouvrage : « C'est, dit-il, un
«homme d'esprit, mais qui s'en
«est servi beaucoup plus pour
j)sa fortune que pour sa réputa-
ntion, et qui, avec quelque crédit
Ȉ la cour, n'a jamais eu de consi-
• dération dans le monde, et en-
wcore moins parmi les gens de
» lettres. » Moreau se déclara aussi
contre les protestans dans ^a Let-
tre d'un magistrat f dans laquelle
on examine ce que la justice doit
aux protestans, écrit où il avance
• qu'on devait se borner à marier
«les protestans, et maintenir ri-
n goureusement l'exécution des lois
«qui les excluaient des emplois,
«des dignités et de toute espèce
«d'administration publique. » Il
augmenta encore le nombre des
ennemis que lui attiraient ses doc-
trines politiques et religieuses en
livrant sa plume au chancelier
Maupeou {voy. ce nom); ce fut lui
qui rédigea les préambules de tous
les édits du chancelier; il y gagna
le sobriquet de Moreau-Préambule.
Il lui manquait de se fermer les
portes de racadémie-lrançaise, où
il avait la prétention de se faire ad-
mettre. C'est à quoi il réussit en
publiant (de iryn ;', 1789) son
principal ouvrage, intitulé ; Prin-
cipes de morale politique et du
droit public. L'auteur, outre l'ab-
sence de tout mérite réel sous
le rapport littéraire , y professe
ouvertement les principes du des-
potisme et du pouvoir arbitraire.
Moreau n'occupa aucun emploi
pendant la révolution , et ne fut
point, comme le disent les auteurs
MOR
laS
de plusieurs biographies, condam-
né à mort le 27 mars 1794 par le
tribunal révolutionnaire de Paris.
11 mourut paisiblement dans la
retraite qu'il s'était choisie près
de Saint-Germain, le 29 juin i8o3.
Il a publié : 1° Ode sur la bataille
de Fontenoi, 1745, in-4°; 2° l'Ob'
servateur hollandais , ou Lettres
de M. Fan** à M. H**, sur l'état
présent des affaires de l'Europe ,
la Haye (Paris), 1755-1759, 5 vol.
in-8°. Dans ces lettres, au nombre
de 47, l'auteur examine avec quel-
que talent les intérêts et la situa-
tion des différens états de l'Euro-
pe. 5" Lettres du chevalier de*** à
Monsieur***, conseiller au parle--
m.tnt, ou Réflexions sur l'arrêt du
parlement du iS mars 1755, in- 12;
4° l'Europe ridicule, ou Réflexions
politiques sur la guerre présente ,
Cologne (Paris), 1757, in-12; 5"
Mémoires pour servir à l'histoire
de notre temps, par l'Observateur
hollandais, 1757, 2 vol. in-12; 6°
nouveau Mémoire pour servir à
l'histoire des Cacuuacs , Amster-
dam, 1757, in-12. L'auteur, per-
suadé que son sujet devait être
traité dans toutes ses parties, don-
na, en 1758, in-13 : Catéchisme et
décisions de cas de conscience à l'u-
sage des Cacouacs , avec un dis-
cours du patriarche des Cacouacs
pour la réception d'un nouveau
disciple. Cependant , on a fait
honneur de celle facétie à l'abbé
Giry de Saint-Cyr, membre de
l'académie-française. 7° iVémoire
pour les doyens, syndics et compa-
gnie des conseillers du roi, commis-
saires enquêteurs et examinateurs
au châtelet de Paris , contre MM.
les prévôts de Paris , lieutenants
civil, de police, criminel, particu-
126
MOU
lier, et conseillers du Châtelet de
Pitr-is, Paris, i;58, in-4"; 8" ii'j;a-
men des effets qite doivent produire
l'usage et la fabrication des toiles
peintes f Genève et Paris, 1739,
in- 12; 9" le Moniteur français ,
Paris, Desaint et Saillant, 1760,
in- 12; 10° Mémoire (second) pour
les conseillers du roi, commissaires
enquêteurs et examinateurs au Châ-
telet de Paris , en réponse au Mé-
moire de MM. les prévôts de Paris,
lieutenants civil , criminel , etc. ,
Paris, 1763, in-4°; 1 1" Entendons-
nous I ou Radotage d'un vieux no-
taire sur la richesse de l'état (1763) ,
in-8" ; 12° Lettre sur la paix de
I7()a, à M. le comte de***", Paris,
1763, in-S"; i3" Lettres histo-
riques sur le comtat Venaissin et
sur la seigneurie d' Avignon, Ams-
terdam (Paris), 1768, in-8°; i4"
Bibliothèque de M"" la Dauphine,
n" I, Paris, Saillant et Noyon,
1770, in-S" : une seconde édition
annoncée n'a point paru; i5"Lffo«.?
de morale , de politique et du droit
public, puisées dans r histoire de
notre monarchie, ou Nouveau plan
d'études de l'histoire de France,
rédigées par les oi'cù'cs et d'après le
vœu de Monseigneur le Dauphin,
pour r instruction des princes ses
enfans, Versailles et Paris, 1773,
in-8°; 16° les Devoirs d'un prince,
réduits à un seul principe, ou Dis-
cours sur Injustice, dédiés au roi,
Versailles, 1775, in-(S» : réimpri-
mé en 1782, et traduit en hollan-
dais, Leyde, 1778, in-S"; 17°
Principes de morale politique et du
droit public, puisés dans l'histoire
de noire monarchie, ou Discours
sur l'histoire de France, Paris,
'777 "17^9» 31 vol. in-S"; iB°
liecherchcs et considérations sur la
MOU
population en France, 1778, in-
6"; 19° le Pot-Pourri de Ville-
d'Avray, Paris, 1781, in-i2:ce
sont des poésies assez médiocres ;
20° Plan des travaux littéraires
ordonnés par Sa Majesté^ pour la
recherche, la collection et l'emploi
des monumens de l'histoire et du
droit public de la ?nonarchie fran-
çaise, Paris, imprimerie royale,
1782, in -8°; 21° Variétés morales
et philosophiques , Paris, 1783, 't
vol. in-12; ^2° Lettre d'un magis-
trat , dans laquelle on examine ce
que la justice du roi doit aux pro-
testans , 1787, in-8"; 23" Exposé
historique des administrations popu-
laires aux plus anciennes époques de
notre monarchie, 1789, in-S"; a4°
Exposition et défense de la constitu-
tion de la monarchie française ,
1789, 2 vol. in-8°.
MOREAU (Jean -Michel), dit
Moreaa lejeune^ graveur et dessi-
nateur du cabinet du roi, membre
de l'ancienne académie royale de
peinture, sculpture et architecture,
de l'athénée des arts et de la socié-
té pliilolcchnique, naquit ù Paris ,
en 1741. il entra dans la carrière,
en quelque sorte, avec le génie de
son art, et commença à l'exercer
de si bonne heure qu'il ne pouvait
fixer lui-même l'époque de ses
premiers essais. Moreau le jeune
avait à peine 17 ans lorsque M.L.
le Lorrain, son maître, nommé di-
recteur de l'académie des beaux -
arts de Saint-Pétersbourg, l'em-
mena avec lui, moins comme son
élève qu'en qualité d'adjoint, pour
le seconder dans les nombreux
travaux auxquels sa place devait
l'assujettir. A peine avait -il de-
meuré deux ans à Saint- Pélers-
Ijourg, qu'il fut obligé de revenir
MOR
à Paris par suite de la mort de son
maître. Uniquement occupé de
son art, il n'avait pu songer à sa
fortune, et dès son retour dans sa
patrie, il fut en proie à toutes sor-
tes de besoins. Il connut heureu-
sement Lebas, graveur habile et
homme excellent : celui-ci lui don-
na du travail , et les eaux fortes
qu'il exécuta bientôt avec un rare
talent lui procurèrent des ressour-
ces suffisantes. Lebas se conduisit
avec le jeune Moreau en véritable
père. Il lui confia une partie des
planches du bel ouvrage du comte
de Caylus, sur les antiquités grec-
ques, romaines et étrusques. « Le
«samedi de chaque semaine ( dit
» M. Ponce , dans sa Notice sur
» Moreau f imprimée dans le iîe-
»cueil fie r Athénée des arts, Paris,
-■) 1822) Lebas lui donnait la bc"
«sogne qu'il devait faire le diman-
»che, afin de ne pas le détourner
/•des études de la semaine, et lui
• payait assez son travail pour qu'il
0 pût suffire à ses dépenses journa-
nlières. » Moreau avait cessé d'exer-
cer la peinture; mais il cultivait
avec soin son art comme dessina-
teur, et bientôt il fut chargé pres-
que seul de dessiner et de compo-
ser les planches des éditions les
plus remarquables de cette épo-
que. Sa réputation devint telle que
Cochin , dessinat'jur des menus-
plaisirs du roi, le demanda pour
successeur lorsqu'il se démit de sa
place, en 1770. Le mariage du
dauphin (depuis Louis XVI), qui
eut lieu vers cette époque, fit con-
fier à Moreau le jeune les des-
sins des fêtes données à cette oc-
casion. Le dessin et la gravure du
sacre de ce prince le firent admet-
tre à l'académie, nommer dessina-
MOR 127
leur du cabinet du roi, loger au
Louvre, et lui valurent une pen-
sion. En 1785, il visita l'Italie, y
épura son goût , et perfectionna
son talent. La révolution , dont il
embrassa avec chaleur les princi-
pes, ne le compta point parmi les
hommes qui la déshonorèrent par
leurs forfaits ou leurs folies. Il l'ai-
ma en véritable ami de la liberté,
et lui resta fidèle. En 1790, en
qualité de membre de la commis-
sion temporaire des arts, dont fai-
saient partie l'abbé Barthélémy,
Brétigny, et plusieurs autr<?s sa-
vans et artistes distingués, il ren-
dit des services à ses confrères, et
s'efforça de soustraire à la destruc-
tion nombre d'objets précieux. Il
fut nommé , en 1 797 , professeur
aux écoles centrales de Paris. Sous
l'empire , il exposa au musée du
Louvre deux grands dessins repré-
sentant les fêtes données par la
ville de Paris en réjouissance de la
paix de Vienne, en 1S09, et du
mariage de l'empereur ]NapoIéon
avec l'archiduchesse Marie-Louise,
en 1810; dessins où, dit M. Ponce,
on retrouve son talent tout entier.
Après le rétablissement du gouver-
nement royal, en 1814, Louis
XVIII lui rendit sa place de dessi-
nateur de son cabinet, et sa pen-
sion, à peu près son unique res-
source, et, en 1819, à la sollicita-
tion de la fille de cet artiste, épou-
se de M. Carie Vernet, acquit
pour ce même cabinet les 19 des-
sins originaux suivans : Deux vi-
gnettes in-4' pour les Satires dt
Juvénal ; deux vignettes in - 4°
pour les Pensées de Marc-Aurèle',
deux vignettes iu-4° pour les En^
treliens de Phocion; cinq figure»
iu-18 pour les Œuvres df Gress^t'^
ia8 MOR
quatre flgures in- 18 pour ïe ro-
man de chevalerie, Gérard de Ne-
vers, et quatre vignettes iti-4''ponr
VEnéide de Virgile. VŒavre de
Moreau le jeune est de plus de
deux mille pièces gravées sur ses
dessins. Les plus remarquables de
ces compositions, dessins ou gra-
vures, sont : deux suites j)our les
Œuvres de Voltaire , contenant
plus de deux cents estampes; la
suite pour l'édition in-4'' de J . B.
Rousseau, imprimée à Bruxelles ;
pour l'Histoire de France , cent
soixante figures ; cent estampes
pour les Evangiles el les Actes des
apôtres ; deux dessins représen-
tant l'un la Peinture moderne et
l'autre la Gravure, pour le Musée
français da Laurent et Robillard;
les figures pour des éditions des
Métamorphoses d'Ovide, de P. et
Th. Corneille, Molière, La Fon-
taine, Racine, Regnard , Montes-
quieu, Rayiial, Marmontet, Gess-
ner, Barthelenfy, Delille, elc. , etc. ;
les dessins du roman de JVer-
ther , la célèbre estampe du sacre
de Louis XVI, les quatre estam-
pes des fêtes du mariage du dau-
phin, dont il a gravé lui-même
les eaux fortes; vingt -cinq sujets
pour les Chaiisons de Laborde, etc.
Les dessins de Moreau le jeune
ont presque tous figuré aux ex-
positions publiques du musée du
Louvre. Cet artiste était très-ins-
truit et avait un génie varié, une
heureuse fécondité. Il évitait avec
un soin extrême de se répéter dans
la pose de ses figures et dans les
airs de ses têtes. Ce fut peu de
temps après la première restaura-
tion qu'il mourut (le 5o novem-
bre 181 4)- ^onElogesLGiii fait par
M. Feuillet, bibliothécaire de l'ins-
MOR
titut, et imprimé, tant dans le
Moniteur de cette année que sépa-
rément. Son confrère et son ami,
M. Ponce, graveur distingué, a é-
galemcnt donné son Eloge, qui a
paru dans le Mercure de France du
i5 juin i8j6. Moreau le jeune a
formé un très-grand nombre d'élè-
ves, dont la plupart sont des hom-
mes du premier mérite.
MOREAli (Louis), dit Moreau
ainéj peintre, frère du précédent,
mourut à Paris quelques années
avant lui. Louis Moreau, l'un des
élèves les plus distingués de M.
Machy, est plus particulièrement
connu par ses peintures à la goua-
che, lesquelles sont très-récher-
chées des amateurs, et méritent
bien de l'être par leur fouchie
spirituelle , et en général par
leur effet agréable et pittores-
que. Moreau a plusieurs fois expo-
sé au musée du Louvre. En l'an 9
(1800), il a fourni un paysage, et
en l'an i2(i8o5), une Vue prise
dans le parc de Saiiit-Cloud , les
Ruines du monastère de Montmaj'-
tre, une V ue de la maison indien-
ne de Petit- Bourg, et une Vue de
Paris, prisede l'entréedes Champs-
Elysées, etc.
MOREAU DE JONNÈS (le
CHEVALIER AlEXANDBe), clicf d'cS-
cadroh, membre de la lôgion-
d'honncur, chevalier de Saint-
Louis, associé-correspondant de
rinstitut, est né en 1778, dans la
ci-devant province de Bretagne.
A peine avait-il terminé ses étu-
des, qu'il embrassa la profession
des armes, et fit plusieurs campa-
gnes sur mer, comme artilleur.
Nommé bientôt officier dans le
corps lie l'artillerie, il devint aide-
de-camp du général Perrigny, el
xMOR
se rendit avec lui à la Martini-
que, en i8o2. Quoiq .'il consacrât
à ?es devoirs niilitaires la plus
grande partie de sort temps , il
trouvait encore les moyens de se
livrer à l'élude des sciences géo-
graphiques et de l'histoire natu-
relle. La fièvre jaune qui se décla-
ra dans l'armée, vint encore oft'rir
un nouveau sujet à ses médita-
tions. Bravant les atteintes de cet-
te terrible maladif-, il en étudia
tous les effets dans les hôpitaux et
au lit des malades, et fut bientôt à
même de seconder, par ses con-
seils, les efforts des honunes de
l'art, et d'avertir les soldats eux-
mêmes, sur les précautions qu'ils
avaient à prendre. iM. Moreau de
Jounès fit un séjour de près de
quinze ans à la Martinique, et y
exécuta des travaux très-impor-
tans en géographie, topographie
et histoire naturelle. De retour à
Paris, il s'occupa de mettre en or-
dre ses nombreux matériaux, les
communiqua aux sociétés savan-
tes, et les fit imprimer, soit dans
leurs mémoires, bulletins ou jour-
naux, soit séparément. Il devint
membre de la plupart des socié-
tés nationales et étrangères, et fut
nonuné , au mdis de novembre
i8i6, correspondant de l'institut,
section de géographie. Les princi-
paux Mémoires qu'il a mis au j :ur
sont : 1° Minéralogie des volcans
éteints de la Martinique, desti'ne a
être insérée dans la collection des
Mémoires des savans étrangers ,
publiée par l'académie des scien-
ces ; 2" Monographie du trigono-
cèphale des 'Antilles, ou grande
ripère, fer-de-lance de la Martini-
(fue, ouvrage curieux, et qui con-
tient des détails entièrement neufs
MOR
120
sur ce dangereux reptile, Paris,
in-8°, 1S16. Dans une séance de
l'académie des sciences, en 1817,
M. Moreau de Jonnès a lu un nou-
veau Mémoire, où il ajoute des
renseignemens inédits à rhi:?toi-
re de cette vipère. On lui doit
encore im Mémoire sur une grosse
araignée de la Martinique, qui at-
taque et tue les petits oiseaux. 3*
Carte physique, miner al ogique,
statistique et militaire de l'ilede la
Martinique ; 4° Tableau du climat
des Antilles et des phénomènes de
son influence sur les plantes, les a-
nimaïuv et l'espèce humaine ; 5°
Essai sur Chygiène militaire des
Antilles. Cet excellent ouvrage ,
que les ministres de la marine et
de la guerre ont fait distribuer
dans les hôpitaux et aux chefs du
service de santé des armées de
mer et de terre, a été inséré dans
le 8°" volume des Mémoires de la
société médicale d'émulation , et
imprimé séparément, in-S", Paris,
1817. 6° Précis historique sur
l'irruption de la fiècre jaune à la
Martinique, en 1802 ( inséré dans
le bulletin de la société médicale
d'éniulation , 1816), et imprimé
séparément , in-8° ; 7" Observa-
tions sur les géophagcs des Antil-
/^«(égalernent insérées dans le bul-
letin de la société nsédicale d'é-
muiatinn, 1816), et tirées à part,
in-8"; 8° Observations pour servir
à l'histoire de la fièvre jaune, sui-
vies de Tables nécrologiques indi-
quant la proportion dt- la morta-
lité des troupes françaises et an-
glaises dans les Indei-Occidentales,
accompagnées d'une carte nécro-
nu frique, exprimant le rapport
arithmétique par des projections
géométriques (elles ont été insé-
9
i5o M 011
lées dans le bulletiu de la sociélé
d'émulation, septembre 1817),
in-8°; g° Précis topographique et
géologique sur l'île de la Martini-
que ( imprimé dans les annales
maritimes et coloniales, 5817),
à part, in-8''; 10° Carte orthogra-
phique et botanique davolcan éteint
du Piton du Carbet à la Marti'
nique , pour servir à la connais-
sance de l' habitation des plantes de
la flore de celle lie; 1 1° Mémoire
quia remporté (septembre i823)
le prix de 2000 francs, proposé
par l'académie de Lyon, sur cette
question importante : « Quels se-
» raient les moyens à employer,
)»soit dans le régime actuel des co-
«lonies, soit dans la fondation de
«colonies nouvelles, pour rendre
«ces établissemens les plus utiles
» à eux-mêmes et aux métropoles?»
On espère que le suffrage que l'a-
cadémie de Lyon a accordé au
travail de M. Moreau de Jonnès,
le déterminera à le publier.
MOREAU DE LA ROCHETTE
(François-Thomas), célèbre agri-
culteur, inspecteur-général despé-
pinières royales de France, cheva-
lier de Saint-Michel, naquit, le 4
novembre 1720, à Aigny-le-Fe-
rou, près de Villeneuvc-l'Archevê-
que, département de l'Aube. Tout
entier aux devoirs de sa place, qu'il
occupait à Melun en qualité de di-
recteur des fermes du roi, il lui
consacrait tous les instans de la
journée; mais le soir et pendant
une partie des nuits, il s'occupait
des moyens de rendre fertile une
terre appelée La Rochelle, dont le
sol était si pauvre, que l'on disait
dans le pays « qu'une poule n'y
"trouvait pointa vivre en août.» Il
l'avait acquise en ijSi; mais ce
M OR
ne fut qu'en 1760 qu'il put essayer
de la défricher. Le succès répon-
dit ù ses espérances , et en 1 767, il
proposa au gouvernement d'éta-
blir à La llochettc une école d'a-
griculture, à laquelle cinquante,
puis cent enfans trouvés furent at-
tachés. Sous sa direction, ou vit
bientôt cet établissement jouir d'u-
ne prospérité que celui qui l'avait
créé n'avait pas osé lui-niême se
promettre. Un terrain défriché, ni-
velé et planté, de belles forêts, des
champs féconds, une maison élé-
gante, commode et spacieuse, éle-
vée sur les dessins de Louis, ar-
chitecte distingué, des bàtimens
nécessaires à l'exploitation, de lon-
gues terrasses, de vastes jardins,
de riches pépinières prirent insen-
sibleinent la place de bruyères ari-
des, de montagnes de sable. Le
sol le plus disgracié de la nature
devint fécond et riche de tout le
luxe de la végétation. Dans l'espa-
ce de treize années, on retira de
ce domaine (de la contenance d'en-
viron 200 hectares) un million
d'arbres de tige et trente-un mil-
lions de plants forestiers. Quatre
cents élèves tirés des hôpitaux, et
formés dans l'établissement pen-
dant à peu près quatre anrjées,
revinrent, à leur sortie, d'excellens
jardiniers ou pépiniéristes. Quel-
ques-uns d'entre eux furent de
très-bons dessinateurs et planteurs
de jardins d'agrément. En 1780,
lorsque, par suite des réformes de
Necker, la pépinière de La Rochet-
te cessa d'être au compte du gou-
vernement, on y comptait plus de
sept millions de plants d'arbres de
toute espèce. Les premiers succès
de Moreau de La Rochelte avaient
été appréciés du gouvernement
MOR
et récompensés. En 17G6, il lut
noinaié inspecteur- général des fa-
milles acadiennes restées sur les
ports de mer; en 1767, inspecteur-
général des pépinières royales, et
en 1769, honoré rie lettres de no-
blesse et décoré du cordon de
.Saint-Michel. En 1783, en qualité
*ie commissaire du roi, il l'ut char-
gé de l'aménagement des bois,
destinés à l'approvisionnement de
la capitale. Par ses soins, plusieurs
ruisseaux furent rendus flottables;
il créa à Urcel, près de Laon, dé-
partement de l'Aisne, la première
manufacture de sulfate de fer (cou-
perose verte), dont la France ait
été enrichie; enlin, il donna des
projets et des plans, pour les dé-
iVichemens des landes de Bordeaux
qu'il croyait susceptibles de bonne
culture et de productions fertiles.
Voltaire avait conçu beaucoup
d'estime pour Moreau de La Ro-
chette, et il existe, entre ce grand
homme et cet utile et excellent
citoyen, une correspondance sous
le rapport agricole. Elle se com-
pose, de la part de Voltaire, de
six lettres, et de quatre de iMoreau
de La Rochette, qui toutes ont é-
té publiées dans les Mémoires de
la société d'agriculture du dépar-
tement de la Seine (tom. IV, pag.
264 et suiv.). Cette publication est
due ii M. François de Neufcha-
leau, ainsi qu'une Notice sur les
pépinières de La Kochette. Moreau
de La Rochette mourut dans le
lieu même qu'il a inunortalisé par
ses créations et ses soins, le 20
juillet 1791, à Tûge de 71 ans.
M0RE.4U DE LA ROCHETTE
(Jean-EtieSxNe), membre de la
société d'agriculture ilu départe-
ment de Sein»-cl-Marnu, tiU du
M OR
î3i
précédent, naquit, le 17 novem-
bre 1730, à La Rochette. Il reçut
une éducation distinguée, et sou-
tint la célébrité du nom qu'il por-
tait, par ses soins et son zèle à se-
conder les utiles et honorables oc-
cupations de son père. C'est lui
qui, malgré sa jeunesse, était char-
gé de l'exécution des plans, de l'é-
tablissement et de la culture des
domaines, enfin, de la direction
des ouvriers employés aux travaux
de tous genres de La Rochette-
Malgré les troubles de la révolu-
tion, il continua l'amélioration et
la culture des pépinières et les se-
mis d'arbres : soins conslans et
précieux dont nos écoles forestiè-
res ont receuiili tant d'avantages.
Il mourut à La Rochette, le 8
uiars 1804.
moreal de la rochette
(le BARON Armand-Bebsabd), mem-
bre de la légion-d'honneur, ex-
préfet des départemens de la
Vienne et du Jura, fils et petit-fils
des précédens, naquit le 12 avril
1787, à La Rochette. Il fut confié
dans son enfance aux soins de l'ab-
bé L'Ecuy , et devint l'un des élèves
les plus distingués du professeur
Luce de Lancival. Auditeur au
conseil-d'état le 9 janvier 1810,
commissaire spécial de police le a8
juillet i8i I, et sous-préfet de Pro-
vins le 18 juillet i8i4j il a montré
le zèle le plus éclairé pour les dé-
tails de l'administration. M. Mo-
reau de La Rochette fut chargé, ea
18 15, d'un travail sur l'organisa-
tion de la garde nationale, et la
manière dont il s'en acquitta lui
valut, dans le mois de janvier d«j
la mtMTie année, la décoration de
la légion-d'honneur. De la sous-
préfticturu de PruviuSj il p.i$j>a, lu
iSa MOR
9 janvier i8ig, à la préfeclure du
départeinenl de la Vienne, et le
ig juillet 1820 à celle du départe-
ment du Jura, qu'il administrait
encore en cette qualité en 1822.
i\l. Moreau de La Rochette fut créé
baron le 28 janvier 1819; dans la
même année, il épousa M"' de
Saint-Cricq Casaux, fille de M. de
Saint-Critq-Casaux, propriétaire
des belles manufactures de faïence
de Creil et de Monlereau, et nièce
de M. de Saint-Cricq, conseiller-
d'état, directeur-général des doua-
nes. Il niourut le 8 août 1822, à
Lons- le- Saulnier. On lui doit
couime auteur : 1° l'Amour cru-
cifié, traduction d'Ausone, Paris,
in- 12, 1806, et sans date, in-S";
2° tes Adieux d'Androniaque et
d'Hector, traduction du grec.
MOREAU DE MERSAN (N.),
fils d'un ancien procureur au par-
lement de Paris, devint eu 1790
procureur-général-syndic du dé-
partement du Loiret, qui le nom-
ma, au mois de septembre 1795,
membre du conseil des cinq-cents.
Mais des recherches sur sa con-
duite antérieure ayant fait recon-
naître qu'il avait signé une décla-
ration par laquelle la convention
nationale était inculpée, et les
mouvemens populainîs contre el-
le approuvés, il fut exclu de l'as-
semblée jusqu'à la paix. Lors du
triomphe du parti dit de CUchy,
il rentra au conseil en mai 1797;
il fut atteint par la proscription
du 18 fructidor an 5 (4 septem-
bre 1797) lorsque le directoire-
exécutif l'emporta sur la majorité
des conseils. Il évita, en se ca-
chant,d'être déporté. Le gouverne'
mentèonsulairelerappelaeniSoo
et il futemployé au ministère de la
MOR
guerre. Lorsduprocès de Duver-
ne de Presle, il fut signalé comme
un des agens royalistes , et plus
particulièrement comme intermé-
diaire entre Monsieur (aujour-
d'hui Louis XVIII) et plusieurs
membres intluens des conseils des
cinq-cents et des anciens. On pré-
tend que depuis la restauration du
gouvernement royal, en 1814, « il
»a eu le courage de manifester
«des sentiment favorables au gé-
» néralCarnot. etde réclamercon-
))tre diverses inculpations dont il
«était l'objet, en raison de sa con-
oduite politique. >> M. Moreau de
Mersanest auteur de plusieurs ou-
vrages sur la politique et les fi-
nances. Le plus remarquable a
pour titre : Essai sur le Système
politique et commercial de la Hol-
lande depuis l' établissement de la
banque d' Amsterdam,
MOREAU DE SAINT-MÉRY
(MÉderic-Louis-Elie), consriller-
d'état, commandeur de la légion-
d'honneur, ancien administrateur-
général des états de Parme , Plai-
sance etGuastalIa, etc., naquit
à la Martinique le i3 janvier 1760,
d'une famille distinguée dans cette
île, et qui était originaire de la
ci-devant province de Poitou. Or-
phelin de père dès l'âge de trois
ans, Moreau de Saint- Méry ne
reçut de sa mère, qui craignit de
se séparer de lui, qu'une éduca-
tion très-incomplète sous le rap-
port de l'instruction, mais excel-
lente sous le rapport de la morale
et de l'usage du monde. Dès sa
plus grande jeunesse, il donna
des preuves de la bonté de son
cœur. Parmi plusieurs, nous n'en
citerons qu'une, où néanmoins il
n'eut pas le bonheur de réussir.
MOR
Le code alors en usage dans les
îles portait peine de mort contre
tout esclave dénoncé par son maî-
tre, comme ayant trois lois cher-
ché à s'échapper. Un de ces mal-
heureux est dans ce cas; on le
condamne à mort Le jeune Mo-
reau fie Saint-Méry, qui s'était en
quelque sorte fait l'avocat des
Noirs , court se précipiter aux
pieds de son aïeul, grand-séné-
chal de l'île , implore la grâce du
Nègre infortuné, emploie le se-
cours de ses amis, met en usage
tous les moyens qui sont en son
pouvoir; la loi était précise : ses
larmes, ses pHires sont inutiles.
On lui indique cepend.mt une
dernière ressource, celle de dé-
terminer le Noir condamné à ac-
cepter la place d'exécuteur des
hautes-œuvres. Moreau de Saint-
Méry s'efforça inutilement d'en-
gager ce Noir à sauver sa vie en
adoptant le seul parti qui lui res-
te. «Non, dit ce malheureux; je
«ne dois mourir qu'une fois : si
» je devenais bourreau , mon sup-
«plice recommencerait chaque
«jour.» Moreau de Saint-Méry
était appelé à succéder à son aïeul
dans la charge de sénéchal ; mais
pour l'occuper il devait se faire
recevoir avocat. Il avait seize ans
lorsque le sénéchal , se sentant
près de terminer sa carrière, lui
indiqua le lieu où il avait déposé
6f>,ooo francs, qu'il lui destinait.
Il mourut, et le jeune Moreau, au
lieu d'employer cette somme à ses
études de droit, la partagea entre
les héritiers du défunt. A l'âge de
• 9 ans, il obtint enfin dé sa mère
la permission de passer en France
pour y compléter son éducation.
11 vint à Paris, et ses parens, ma-
MOR
lOÙ
gisirats et ofliciers-généraux, le
présentèrent dans le monde, et le
fircnl recevoir dans le:^ gendarmes
du roi. Néamoins il fit ses cours
de droit, et apprit le latin sans
maitre. Il suivit aussi les cours du
collège royal, pour les mathéma-
tiques et la géométrie. Quatorze
mois après, il soutint en latin sa
thè?e de bachelier en droit. Ami
de l'étude et des plaisirs, pour
avoir plus de tenjps à leur sacri-
fier, il s'était habitué â ne dormir
qu'une nuit sur trois. Sans négli-
ger son service militaire, en moins
de trois années, il se fit recevoir
avocat au parlement. Il retourna
à la Martinique ; mais sa mère é-
tait morte et sa fortune dissipée.
Alors il se fixa au Cap- Français,
et devint avocat au conseil-supé-
rieur de Saint-Domingue, où,
après huit ans d'exercice en cette
qualité, il fut nommé conseiller.
Mettant à profit les loisirs que lui
laissaient ses fonctions de magis-
trat, il commença à classer les
nombreux matériaux qu'il avait
réunis sur les lois, jusque-là é-
parses , des colonies. Le gouver-
nement l'encouragea dans cette
entreprise, et lui permit d'explo-
rer tous les greffes et toutes les
archives de cette contrée. C'est
pendant une de ses excursions
qu'il découvrit, dans une ancien-
ne église de San -Domingo, le
tombeau de Christophe Colomb,
ignoré même des habitans de la
colonie. Louis XVI l'appela à Pa-
ris, pour s'y occuper de son grand
travail . sur l'administration des
colonies et sur les lois de Saint-
Domingue. Lié avec les gens de
lettres, fondateur de la société
des philadelpbcs du Cap-Français,
1^4
i\lOR
il fonda , de concert avec PilâJre
du Rozier, le musée de Paris, dont
furent membres la plupart des lit-
térateurs de celte époque. La ré-
volution éclata. Electeur delà ville
de Paris, et président de l'assem-
blée connue sous la dénomina-
tion des Électeurs de 1789, ce fut
lui qui, eu montrant le buste de
M. de La Fayette, décida ses col-
lègues à le nommer commandant-
général. Ce fut également lui qui
harangua Louis XVI à l'hôtel-de-
ville, à la suite du i4 juillet, et
le harangua de nouveau lors de
son entrée à Paris , le 6 octobre.
Sa conduite noble et ferme dans
une assemblée qui, dit-on, « exer-
ȍa pendant un mois la puissance
«souveraine sur toute la France, »
fut récompensée par l'estime de
tous les gens de bien . et par une
médaille que ses collègues, inter-
prètes du vœu de la ville de Paris,
lui votèrent à l'unanimité. Nom-
mé, en 1790, député de la Mar-
tinique à l'assemblée constituan-
te, il s'y occupa plus particulière-
ment des affaires des colonies, et
devint membre du conseil judi-
ciaire établi près le ministère de
la ju&tice. Après la session de l'as-
semblée nalioi aie, il resta à Paris,
et fut attaqué, aux Champs-Ely-
sées , peu de jours avant le 10
aoftt, par quelques hommes de
la bande des Marseillais, qui ve-
nait d'arriver. Grièvement bles-
sé, il se retira dans la petite ville
de Forges, où il fut bientôt arrêté
avec le duc de la Ifocliefoucault,
dont il n'évita de partager le sort
funeste qu'en échappant par une
prompte fuite : ce fut un des hom-
mes mêmes chargés de le conduire
à Paris, et qu'il avait autrefois obli-
MOR
gé, qui facilita son évasion. Il se
rendit au Havre , où il eut encore
lebonheurd'être informé à propos
que Robespierre avait donné l'or-
dre de se saisir de sa personne. Il
s'embarqua précipitamment en
1793, avec sa femme et deux en-
fans en bas-âge, pour les Etats-
Unis. Dans sa fuite, il n'avait eu
que le temps de s'emparer de ses
manuscrits, et, en arrivant à New-
York, il fut réduit à se faire le
commis d'un marchand, dont la
dureté et la grossièreté rendirent
sa position extrêmement doulou-
reuse. Les secours de quelques
amis lui donnèrent la facilité de
passer à Philadelphie, où il de-
vint libraire, puis imprimeur. Il y
publia son ouvrage sur Saint-Do-
mingue et plusieurs traductions.
Une certaine aisance, fruit de son
travail, lui permit de rendre des
services importans à plusieurs de
ses compatriotes , comme lui fu-
gitifs, et d'attendre paisiblement
que le calme se rétablît en France.
Après une absence de cinq années,
il revint à Paris, et fut nommé,
par son ami l'amiral Bruix, mi-
nistre de la marine, historiogra-
phe de ce département, et chargé
de préparer le Code pénal mari-
time. En 1800, le gouvernement
consulaire le comprit au nombre
des membres du conseil-d'état ;
et, en 1801, l'envoya à Parme,
en qualité de résident de France.
L'année suivante , l'infant duc de
Parme étant mort, Morcau de
Saint-Méry fut chargé de l'admi-
nistration générale des états de
Parme, Plaisance et Guastalla.
Son autorité était immense ; il
exerçait les droits régaliens, et a-
vail même le droit de faire grâce.
M OR
11 s'attacha à remplir les devoirs
de sa place avec sagesse et modé-
ration; il protégea les établisse-
mens d'utilité et de bienfaisance.
L'instruction publique, les lettres,
la justice furent l'objet de toute
sa sollicitude. Honoré et chéri de
ses administrés , il paraît qu'il
manqua quelquefois de fermeté,
et ses ennemis lui ont reproché
de s'être trop souvent fait illusion
sur la nature de ses pouvoirs, et
de s'être plutôt cru souverain du
pays qu'il administrait, qu'agent
du gouvernement français. Quoi
qu'il en soit, la cause apparente
de la disgrâce qu'il éprouva en
1806, et qui, après cinq années
d'exercice, le fit rappeler dans sa
patrie, fut de n'avoir point répri-
mé assez sévèrement plusieurs
compagnies de la niilice des états
de Parme, qui refusèrent de se
vendre au camp de réserve, formé
à Bologne. La politique conseil-
lait à Napoléon des mesures ex-
trêmement sé\ères; et le général
Junot, depuis duc d'Abrantès ,
fut envoyé à Parme avec des pou-
voirs illimités. Il y établit une
commission militaire , fit recher-
cher les auteurs de la révolte,
les fit punir, et ordonna la des-
truction de deux villages par les
flammes. Moreau de Saint- Méry,
à son arrivée à Paris, étaiten pleine
disgrâce. On le priva de ses ap-
pointemens , et on lui refusa mê-
me le remboursement de 4o»ooo
francs d arrérages. Dans une au-
dience qu'il eut de l'empereur,
après une explication assez vive,
il dit à ce prince, avec plus d'es-
prit que de prudence, et peut-être
de politique : « Sire , je ne vous
«demande point de récompenser
MOR i35
»ma probité; je demande seule-
»ment qu'elle soit tolérée; ne
«craignez rien : cette ^aladie n'est
«pas contagieuse. La reconnais-
«sance est la fleur des tombeaux. »
L'empereur sourit, mais le fonc-
tionnaire disgracié n'en éprouva
pas un sort plus heureux. Il faut
être en première ligne , ou puis-
samment protégé , pour que des
vérités de cette importance res-
tent dans la mémoire d'un souve-
rain, et rappellent son attention
et sa faveur sur l'homme probe et
vrai qui a eu le courage de les dire.
Moreau de Saint-Méry ne reparut
plus i\ la cour ; il fut entièrement
oublié. Jusqu'en 1812, il ne vécut
que des bienfaits de l'impératrice
Joséphine , sa parente. A cette é-
poque, on lui accorda une modi-
que pension, qui suflîsait à peine
à ses besoins, puisqu'il fut obli-
gé, et c'est un fait notoire, de se
défaire successivement de ses ta.
bleaux, de ses livres, et même
de ses vôlemens : pauvreté hono-
rable, qui attestait sa probité et
son désintéressement, à une é-
poque où il pouvait sans obstacle
élever l'édifice de sa fortune. Son
courage dans le malheur ne l'a-
bandonna pas. Chaque jour, pen-
dant dix heures , il s'occupait de
la mise eu ordre et de la rédac-
tion des ouvrages qu'il a laissés
eu manuscrit , et notamment des
Mémoires de sa vie , auxquels il
a rattaché l'histoire politique c%
littéraire du temps, et la relation
de ses voyages. La restauration ,
en 1814, lui rendit un moment de
bonheur. Le roi, qui l'avait connu
avant la révolution , informé de
sa détresse, lui fit remettre, en
1817, une somme de i5,ooo fr.,
i3G
M OR
qui servit à acquitter les dettes
qu'il avait contractées, et à re-
riiettre un [^u d'aisance dans sa
famille. Il mourut le 'àS janvier
1819, dans la 69" année de son
âge. Moreau de Saint- Méry était
membre de la société d'agricul-
ture, de l'ancien musée de Paris,
de l'alhénéc des arts, et de lu so-
ciété royale académique des scien-
ces, aux réunions desquelles il se
faisait un devoir d'assister régu-
lièrement. Chacune de ces socié-
tés a payé un juste tribut d'hom-
mages à sa mémoire. Outre la so-
ciété d'agriculture , par l'organe
de son secrétaire perpétuel, M.
Silvestre, M. Fournier prononça
sur sa tombe un discours funèbre.
Moreau de Saint-Méry a publié :
1° Lois et constitutions des colonies
françaises de l' ATn.criqae-sous-le
f^enty de i55oà 1786, 6 vol. in-
4% Paris, 1784-1790, travail d'une
haute importance , et dont Louis
XVI ordonna qu'un exemplaire
serait déposé dans chaque bureau
d'administration et dans chaque
greffe des colonies de l'Amérique.
Cet ouvrage est devenu Irès-rare.
l'Description de la partie espagnole
de Saint-Domingue , 2 vol. in-8",
Philadelphie, 1796; 3" Idée géné-
rale ou Abrégé des sciences et des
orts^ à l' usage de la jeunesse , in-
12, Philadelphie, 1795 : livre élé-
mentaire, imité de l'ouvrage pu-
blié par Formey en 1754; il est
infiniment supérieur à son modèle,
et a été traduit en anglais. On l'a
adopté, comme classique, dans les
collèges des Etats-Unis. 4° Rela-
tion de l' ambassade de lu compagnie
des Indes-Orientales hollandaises ,
à la Chine, rédigée parVan-Uraum,
traduite en français, 3 vol. in-4"j
MGR
Philadelphie, 1796-1797. Cette
traduction fut elle-même tradui-
te en anglais, et publiée à Lon-
dres. L'ouvrage de Moreau Saint-
Méry a été réimpriîné à Paris. 5"
Description de la partie française
de ta colonie de Saint-Domingue^
2 vol. in-4°, Philadelphie, 1797-
1798. Elle renferme, ainsi que
l'ouvrage où se trouve la descrip-
tion de la partie espagnole , des
notions importantes et suffisam-
ment détaillées sur l'agriculture
des Antilles, l'indiislrie et le com-
merce , l'histoire physique et na-
turelle, les usages anciens et mo-
dernes des peuplesde ces contrées.
6' De la Danse, un vol. in-12,
Philadelphie, «797; réimprimé
par Bodoni, Parme, in- 16, 1801.
Dans cet opuscule, écrit avec grâ-
ce , l'auteur montre l'analogie qui
existe entre les danses coloniales
et celles des Maures , des Afri-
cains, et surtout celles des Grecs.
7" Discours sur l'utilité du musée
de Paris, prononcé le jour de l'i-
nauguration de cette société, en
1784, i»-4°» Parme, 180 5. 8°
Discours sur les assemblées publi-
ques littéraires , prononcé au mu-
sée de Paris, en 1785, in -4",
Parme, i8o5. Parmi les princi-
paux manuscrits lais-^és par Mo-
reau de Saint-Méry, on remarque :
1° Histoire générale des Antilles
françaises. C'était son ouvrage de
prédilection, et il s'est jusqu'à sa
mort efforcé de le periectionner.
Ce manuscrit peut former plu-
sieurs volumes. On y trouve des
faits curieux et ignorés, tant his-
toriques que biographiques , wet
particuliers aux mœurs et à l'ori-
gine des premiers naturels, 'i.'' Ré-
pertoire de notions coloniales. Ce
MOR
manuscrit formera également plu-
sieurs volumes; il est consacré à
fournir des anecdotes et des faits
historiques sur les premiers fon-
dateurs des colonies, les indigè-
nes, Indiens et Caraïbes. Il ren-
ferme les lois coloniales inédites,
dont le gouvernement lui avait
confié la rédaction, par suite des
abus qu'il avait signalés. 3° Des-
cription de la Jamaïque; 4° His-
toire de Porto-Rico ; 5° Obser ca-
tions sur le climat , l' histoire natu-
relle, les mœurs et le commerce des
Étals-Unis d' Amérique; Q" Maté-
riaux d' un traité général sur les
cultures coloniales ; ■^° Histoire des
états de Parme, Plaisance-et Guas-
talta. Ce dernier ouvrage renfer-
me , sur cette partie de l'Italie,
des détails intéressans , principa-
lement sur les mœurs et sur la
politique.* 8° f^ie de Moreau Saint-
Méry , écrite par iui-même. Il a
traduit, sur le manuscrit espagnol
de D. F. Azara, V Histoire natu-
relle des quadrupèdes du Paraguay,
2 vol. in-8". Paris, 1800. Moreau
de Saint-Méry y a ajouté un grand
nombre de Notes instructives et
intéressantes : son travail fut ap-
prouvé par l'institut. On doit en-
core à cet écrivuin un grand nom-
bre (V Articles sur l'histoire, la lit-
térature et les sciences, et des
Mémoires, soit séparément, soit
dans différens recueils. Désessarts
a inséré dan< le Jounlaldes causes
célèbres plusieurs de ses factums.
WOREAU U£ SAINÏ-MEKY,
(Médebic-Louis-Mahie-Narcisse),
ancien chef de bureau au minis-
tère de l'inférieur, fils du précé-
dent, reçut une éducation disfin-
guée, et devint audilciir de pre-
mière classe au conseil-d'état. Il
MOR
i3-
accompagna son père à Parme, et
remplit près de lui les fonctions
de secrétaire-général de l'adminis-
tration de Parme , Plaisance et
Guastalla. Plus lard, successive-
ment secrétaire de la préfecture
du département de la Stura, et
sous-préfet de Coni, il passa, en
1814, au ministère de l'intérieur,
en qualité de chef de bureau. II
perdit cet emploi au mois de mars
181 5.
MOREL (N. ), secrétaire du
cabinet de Monsieur, aujourd'hui
Louis XVIII , secrétaire des me-
nus plaisirs et poète lyrique, est
un de ces auteurs qui, sans talent
littéraire, trouvent le moyen de
s'emparer du théâtre, au détri-
ment du talent réel. Morel règne
depuis 40 ans à l'Opéra, où ses
ouvrage?, qui ont survécu à ceux
de Marmofitel , se représentent
encore quelquefois. Il est vrai que
ce poète a eu l'habileté de s'asso-
cier au musicien en vugue, et de
chercher dans le génie d'autrui ,
la compensation de ce qui lui man-
quait; d'ailleurs sa placelui donnait
la facilité d'obtenir de l'intérêt,
une complai*anre qu'il n'eût sans
doute pas obtenue par ses talens.
Cela surtout explique les rapports
de Morel avec Grétry. Certain A
peu près de faire applaudir sa mu-
sique, si médiocre que fût le poè-
me auquel il l'applirjuât, (irétry é-
tait certain aussi d'être jniié de pré-
férence à tout autre compositeur,
en s'associant à un homme tout-
puissant dans le conseil qui ad-
ministrait i'Opéra. Tous les ou-
vrages que Morel a composés a-
vec Grétry, n'ont pourtant pas
obtenuun égal sucrés. L'ennuyeu-
se nullité du poémc d'Aspasie
i58 MOR
prévalut sur le charme de la mu-
sique gracieuse et spiriluelle de
l'Orphée liégeois. Cet opéra, non
moins riche comme composition
musicale que sa Caravane et Pa-
nurgej n'a eu que quelques re-
présentations. Morel, depuis em-
pruntant de l'étranger l'appui que
Gréiry ne lui prêtait plus, a com-
posé un opéra avec Winter. Se
donnant aussi pour associés les
chefs de toutes les écoles, et em-
ployant à son caprice leur musi-
que, souvent composée sur des
paroles et pour des situations
différentes de celles auxquelles il
les applique, il a donné à la scène
lyrique deux parodies, les Mystè-
res d'Isis, où il n'emploie que de
la musique de Mozart, et Saitl,
pasticcio où il met à contribution
Piccini, Paësiello , ITandel, Gos-
sec, Haydn et Sacchini, et encore
Mozart et tant d'autres. Cette ten-
tative a été justifiée par quelques
succès, mais elle ne prouve (\i\^eM
laveur des musiciens; jamais le
triomphe de leur art n'a été plus
surprenant et plus complet que
dans les Mystères d'Isis, ouvra-
ge con'^u et écrit en dépit du bon
sens; Saàl^ dans la composition
duquel Morel s'était fait aider, ne
mérite pas tout-à-fait les mêmes
reproches. Si mauvais que soient
les opéras de Morel, on lui en a
pourtant contesté la propriété.
Panurge serait, dit-on, l'ouvrage
d'un homme de la cour de Louis
XVI. Cette réclamation n'est flat-
teuse ni pour le poète qu'on juge
incapable d'avoir fait cet opéra,
ni pour celui qu'on croit capable
de l'avoir fait. Les ouvrages de
Morel sont : i" Alexandre aux
/ndes, opéra en 5 actes, musique
MOil
de Méreaux, 1782; 2' la Carava-
ne du Caire, opéra en 5 actes,
musique de Grétry, 1783; o' Pa-
nurge dans l'île des Lanternes,
musique de Grétry, 1785; 4" -^*"*
pasie, opéra en 5 actes, musique
de Gréiry, 1789; ^'' les Mystères
d'isis, opéra en 5 actes, parodié
sur la musique de Mozart, i8oi ;
G° Tamerlan , opéra en 3 actes ,
musique de Winter, 1802; 7° de
moitié avec M. Després, d'abord
secrétaire du baron de Besenval,
puis secrétaire des commande-
mens de la reine Hortense, Saul,
oratorio en 3 actes, parodie dont
il a été question plus haut; 8°
le Laboureur chinois, autre pastic-
cio en un acte ; enfin 9° Sophocle ,
opéra en 3 actes, musique de Fioc-
chi; ouvrage commandé par la
cour à ce compositeur distingué.
Morel a écrit aussi l'histoire de
France en vers techniques, forme
sous laquelle Voltaire a essayé de
graver dans la mémoire les évé-
nemens si compliqués et si mul-
tipliés dont se composent les an-
nales de l'empire. Dans ce genre,
qui repousse toute élégance, Mo-
rel s'est moins éloigné de Voltaire
que de Quinault dans ses opéras.
C'est le meilleur de ses ouvrages.
Nous ignorons s'il est imprimé.
Morel, que nous ne jugeons ici
que comme poète, seul rapport
sous lequel il soit justiciable du
biographe, était d'ailleurs un hom-
me de mœurs douces et faciles. Il
ne manquait pas d'amabilité, il
aurait même pu passer pour hom-
me d'esprit s'il n'eût pas écrit. Il
est mort, en 18 15, âgé de 68 ou
70 ans.
MOREL (Hyacinthe), homme
de lettres, né à Avignon, en 1759,
MOR
( qu'il ne faut pas confondre
avec le précédent), a publié plu-
sieurs ouvrages en prose et en
vers. Nous citerons les plus re-
marquables: i°Épitre àZulmésnr
les inconvéniens du liure flans une
jeune demoiselle d'une médiocre for-
Urne , 1788, in-S"; a" le Coup-
d'Œil de ma raison sur le célibat
ecclésiastique, ij<)i, in-S"; ô*" Mes
Distractions , ou Poésies diverses,
1799, in- 12; 4* iés Malheurs et les
Crimes de C ignorance, discours en
vers , suivi de la Philosophie louée
par elle-même, discours en vers ,
j8o4, in-S"; 5° l'Jrt épistolaire,
poëme traduit en vers français ,
d'HerveyMontaigu, jésuite, 1812,
in-18.
MOREL (Alexandre-Jean), pa-
rent du précédent ( Hyacinthe
Morel), professeur de mathémati-
ques à l'école d'artillerie de la
garde royale, est ancien chef de
brigade, employé à l'école Poly-
technique. Il a publié : Principe
acoustique nouveau et universel de
la théorie musicale, ou musique ex-
pliquée , 1816, in-S".
MOREL (N.), député auxétats-
généraux, en 1789, était cnltiva-
leur à Chaumont en Bassigny
(déparlement delà Haute-Marne)
lorsque le tiers-état d u bailliage de
Chaumont le nomma à cette as-
semblée. Il se ûtpeu remarquer, et
ne prit qu'une seule fois la parole,
en novembre 1789, afin de pres-
ser l'achèvement de la constitu-
tion qui devait amener une nou-
velle législature. En 1790, il don-
na sa démission, fut remplacé par
M. Gombert, et se relira dans ses
foyers, qu'il n'a plus quittés.
MOREL (N.), député suppléant
aux ^ états -généraux en 1789, é-
MUR 109
tait avocat à Sarguemincs (dé-
partement du Nord) à l'époque
de la convocition des états-géné-
raux. Le liers-étatdu bailliage de
Sarguemincs le nomma député
suppléant à cette assemblée. Il
fut appelé à remplacer M. Mayer,
et eut peu d'occasions d'occuper
la tribune. Cependant le 20 juin
1791, il y parut pour demander la
suspension du paiement des pen-
sions de tout Français qui alors se
trouvait absent du royaume. Après
la fin de la session, il disparut en-
tièrement de la scène politique.
MOREL (N.), intendant de /Von-
sieur , aujourd'hui Louis XVIII,
se trouva inculpé dans l'affaire du
marquis de Favras {voy. ce nom).
Morel se hâta de se justifier ; ses
déclarations chargèrent le préve-
nu, que bientôt il accusa ouver-
tement de conspiration contre la
sûreté de l'état. Après sa justifica-
tion, il avait été autorisé, par le
comité des recherhes de la com-
mune de Paris , à faire afficher
les dépositions par lesquelles il se
disculpait. On ne sait ce qu'il
est devenu depuis cette époque.
MOREL (Loris- Sébastien),
membre de plusieurs assemblées
législatives, exerçait les fonctions
de procureur-syndic du district
d'Epernay, département de la
Marne, lorsque les suffrages de ses
concitoyens le portèrent, au mois
de septembre 1791, à l'assemblée
législative, où il resta incomiu.
Après la session , n'ayant pas été
renommé à la convention natio-
nale, il rentra dans ses foyers, et
biejitôt devint commi;*saire près
de l'administration centrale de son
département. En mars 1799» il
fut élu au conseil des cinq-ceuts.
i4*>
WOR
et après la révolution du 18 bru-
maire an 8 (9 novembre 1799),
il passa au corps^législatif. On l'a
ensuite entièrement perdu de vue.
MOR.EL (Antoine-Alexandbe),
graveur, élève de M. David, de
Massard et d'Ingou f, s'est consacré
à la gravure des sujets histori-
ques. Le talent de M. Morel rappel-
le avec bonheur la manière des
graveurs célèbres. Son estampe
du Serment des Horaces, ainsi que
celle de Bélisaire, d'après son
maître M. David, ont obtenu un
succès mérité. Nous citerons en-
core son Œdipe, d'après Giroux;
le Concert^ d'après le Dominicain ;
YEnfant prodigue, d'après Spada.
Ces dernières compositions ont
été entreprises pour le musée
royal.
MOREL-VINDÉ (le vicomte
Charles-Gilbert de), pair de Fran-
ce, correspondant de l'institut,
est né à Paris le 20 janvier 1759;
il était, depuis 1778, conseiller au
parlement de cette ville, lorsque
la révolution éclata. Il en adopta
avec sagesse les principes, et fut
nommé, en Ï790, parmi les mem-
bres de l'un des six tribunaux
de Paris. 11 donna sa démission,
au mois de juin 1791, pour se li-
vrer exclusivement à ses goûis
agricoles. Par suite de ses obser-
vations et de nombreuses expé-
riences , il l'ut bientôt en état de
publier différens Mémoires sur
l'agriculture , l'amélioration des
troupeaux, etc. : ils lui valurent,
en 1808, le titre de correspondant
de la i" classe de l'institut (sec-
tion d'économie rurale), et le
firent admettre au nombre des
membres ou associés des sociétés
d'agriculture de Paris, Versailles,
MOR
Lille, Caen , Toulouse, etc. 11 ne
sortit point de la vie privée sous le
régime iujpérial. Après le rétablis-
sement du gouvernement royal,
en 1814, M. de Morel-Vindé re-
çut, le 6 décembre de la même
année, la croix de la légion-d'htin-
neur; fut nommé pair de France,
le 17 mars 181 5, au titre de vi-
comte, et compris, en 1818, dans
la formation du conseil royal d'a-
griculture. 11 s'est aussi occupé
avec succès de littérature. On lui
doit : 1° Morale de r enfance, pu-
bliée pour la première fois en
1790, in- 16. Ce petit traité de
morale, qui est aujourd'hui (1824)
à sa 10* édition, a eu les honneurs
de contrefaçons multipliées; il a
été traduit en latin par M. Leclerc,
professeur de l'université. 2° Dé-
claration des droits de fliomme et
dacitoyen, mise à la portée de tout
le monde, et comparée avec les
vrais principes de toute société ,
Paris, 1790, in-8". "5° Des Révolu-
tions du globe, conjecture formée
d'après les découvertes de Lavoi-
sier sur la décomposition et la
recomposition de l'eau, Paris,
1797, in-8°; 4° Primerose, ro-
man, Paris, 1797, in-iG, plusieurs
fois réimprimé. Voici le jugement
qu'en porte Chénier, dans son
Tableau historique de l'état et des
progrès de la littérature française
depuis 1789 : « Les aventures,
» dit-il, de Primerose, fille du
• comte de Beaucaire , et de son
«amant de Gerardet, fils du duc
» de Valence , y sont racontées avec
«agrément. Le duc Gérard, qui
«veut toujours ménager des sur-
» prises, offre un caractère plai-
ssant et vrai; du fonds même de
»ce caractère naît un dénouement
.^/"eMe^.
J^a/ona pùicc ,
r refny del- ei^ < ' cuii>
MOR
» très-bien filé. La composition
• est faible, mais amusante, et le
• stjle n'est pas dépourvu de grâ-
»ces. ') 5" Clément de Lautrec,
roman, Paris, 2 vol. in- 12, 1798;
6' Modèle d'un bail à ferme, Paris,
1799 , in-fol. ; r° Zélomir, roman,
Paris, in-i6, 1801; ^'Mémoire
sur les dangers de la loi qui défend
r exportation des béliers-mérinos ,
1 807, in-S" ; 9° Mémoire sur l'exac-
te parité des laines -mérinos de
France et des laines-mérinos d'Es-
pagne, Paris, 1807, în-8° ; 10°
Mémoire et Instruction sur les trou-
peaux de progression, Paris, in-8%
1808; 14° l^lan des râteliers de la
Celle-Saint-Cloud, 1808, in-S";
12° Plan d'un gerbier à toit mobi-
le, 1811, in-8° ; i5° Sur les ani-
maux microscopiques; 14 ' Spéci-
fique contre la pesogne , 1812,
in-8°; lo" Plan d'une grange sur
poteaux, 181 3, in-8°; 16" Obser-
vations sur la monte et sur l'agne-
lage, i8i3, in-8°; 17*» Suite des
Observations sur la monte et l'a-
gnelage, i8i4iîn-8''; 1^° seconde
Suite des Observations, etc., 18 1 5,
in-8"; 19° troisième Suite des Ob-
servations, etc., 1816, in-8°;2o''
Notice sur le dépôt de laines formé
à Paris, 1816, in-S"; ^i" Notice
sur deux espèces d' avoine, 1816,
in-8°; 22° assolement de la Celle-
Saint-Cloud, 1819, in-8*; 23'
Notice sur le chancre de la bouche
des agneaux, 1817, in -8°; 24°
Plan d'une bergerie, 1812, in-fol. ;
2 5° Instruction sur le fraisier des
Alpes, 1822, in-8°; a6" Obser-
vations pratiques sur la théorie
des assolemens, 1822, in-8° ; 27''
Appendice aux Observations sur ta
théorie des assolemens, 1823, in-S";
38° Essai sur les constructions ru-
MOR
141
raies, in-fol., avec beaucoup de
planches lithographiées. Cet ou-
vrage est sous presse ( 1824).
MORELLET (l'abbé A>dré),
naquit à Lyon, le 7 mars 1727;
il était l'aîné de quatorze enfans.
Son père, marchand papetier, ne
retirait pas un grand profit de son
commerce ; il s'imposa néan-
moins, pour subvenir aux frais
de rédueation de son fils, des sa-
crifices que sa fortune semblait
ne pas pouvoir comporter, Mo-
rellct fut envoyé au collège chez
les jésuites. Soit que les disposi-
tions de leur élève n'aient pas été
précoces, soit qu'ils aient pensé
que les chiîtimens en favorise-
raient le développement, ces bons
pères ne témoignèrent d'abord
leur attention au jeune Morellet,
qu'en le traitant avec une rigueur
dont il leur girdait encore ran-
cune dans les dernières années de
sa vie. Ses humanités finies, il
n'en songeait pas moins à entrer
dans la société de Jésus, quand
ses parens l'envoyèçent à Paris,
dans un séminaire dit des Trente-
trois. C'est de celte maison, o\\
la discipline était des plus rigou-
reuses et les études des plus for-
tes , que Paris lirait ses curés , les
évêques leurs grands-vicaires, et
l'université ses professeurs. Mo-
rellet s'y distingua ; ses succès
n'eurent toutefois d'autre résultat
que de lui ouvrir un accès à la
Sorbonne. Là il se foMifia dans
les études théologiques , moins
pourtant que dans la foi. L'abbé
Morellet, qui était dialecticien
subtil, avait été plus frappé de
l'insufTisance et des inconvénicns
de la doctrine qu'on enseignait à
cette école , que de sa sublimité ;
i'43
MOR
et, comme cela arrive quelque-
fois dans d'autres salles d'escri-
me, à force de férailler, il avait
appris à toucher ses maîtres. Ila-
vait, dit-il, pasgé5 ans en Sorbonne,
« toujours lisant y toujours dis-
rtputant, toujours très- pauvre , et
» toujours content. » Il en sortit
en 1762, philosophe et licencié.
Morellel forma dans cet établis-
sement des liaisons avec plusieurs
jeunes gens qui,alors abbés comme
lui, devinrent par la suite des
personnages plus importans : tels
que Turgot, qui , laissant bientôt
la carrière ecclésiastique pour
entrer dans celle de l'administra-
tion, devint contrôleur-général;
tels que l'abbé de Loménie, qui ,
.sans changer de profession, par-
vint aux preinièresdignités de l'é-
tat et de l'église, et mourut sim-
ple citoyen, après avoir été car-
dinal et premier ministre. Le mo-
ment où ces hommes pouvaient
lui être utiles n'était pas encore
venu. C'est sur la recommanda-
tion du supérieur du séminaire
des Trente-trois qu'il fut chargé
de l'éducation de l'abbé de la
Galairière, /ils du chancelier du
roi de Pologne. Dès -lors il so
trouva à l'abri du besoin; cette
place lui procura même des avan-
tages que la richesse seule peut
donner. Chargé de conduire son
élève en Italie , il coiupléta ainsi
sa propre éducation , et s'enrichit
gratuiteniênt de toutes les connais-
sances qu'on procurait à grands
frais à cet opulent écolier. C'est
pendant le séjourqu'il fit à Rome,
^qu'il tira d'un in-folio intitulé Di-
.rectorium inquisitornni, par Ni-
colas Eymerick, grand-inquisi-
«iteur au i4*siècl«, un petit vo-
MOR
lume, qu'il publia sous le titre
de Manuel des inquisiteurs, mi-
niature d'un monument colossal
de la plus féroce stupidité. C'est à
Rome aussi qu'il contracta le goût
delà musique. De retour à Paris,
devenu libre , et grâce A une pen-
sion qjie le père de son élève lui
fit avoir sur une abbaye, ne vou-
lant plus aliéner sa liberté, et,
quoique prêtre, répugnant à vivre
de l'autel, vil se livra, par incli-
nation autant que par spéculation,
à l'étude du droit public et de
l'économie politique , tout en cul-
tivant la philosophie. La tendance
de son esprit, la nature de ses
opinions le mit bientôt en rapport
avec les hommes les plus influens
dans les sociétés qui donnaient le
ton à Paris, les Économistes et les
Encyclopédistes. Les uns et les au-
tres l'adoptèrent; les uns et les
autres n'ont pa? eu de sectateurs
plus zélés, de plus assidus colla-
borateurs. Pendant soixante ans il
a exposé et soutenu leurs opinions
dans ses ouvrages, produit des
profondes études qu'il avait faites
des objets de leurs méditations,
et où il émet nombre d'idées
utiles, adoptées depuis par les lé-
gislateurs. Dans ces sortes d'ou-
vrages, où l'on réfute aussi sou-
vent qu'on affirme, où la critique
est continuellement mêlée ù la
doctrine , l'abbé Morellet égaie
fré({uemment par la plaisanterie ,
la sévérité de la discussion. Cet art
surtout lui fit trouver des lecteurs
en France, où l'on n'a évidem-
ment raison que lorsqu'on anmse.
Il l'employa avec succès dans la
guerre que s'était attirée le Franc
de Pompignan, par son discours
à l'académie-française. Lc'^ si^ les
MOR
pourquoi, qui succédèrent aux
quand , facétie de Voltaire, pas-
sèrent dans le temps pour être
«orties de la plume de ce malin
yieillard dont x^lorellet s'était fait
l'auxiliaire. Il eut à se reprocher
d'avoir usé une fois inconsidéré-
ment de cette faculté , ou , disons
le mot, d'en avoir une fois abusé
Dans un pamphlet où il vengeait
les encyclopédistes des attaques
qui leur avaient été portées par
Palissot, dans la comédie des Phi-
losophes , enveloppant dans son
ressentiment les personnes qui ap-
plaudissaient cette satire, avec
l'auteur même de cette satire, il
poussa l'oubli de toute conve-
nance jusqu'à révéler à une dame
mêlée dans celte intrigue (la prin-
cesse de Robecq ) , le secret que
lui cachaient les médecins , et
toute l'intensité du danger où la
jetait la maladie incurable dont
elle était attaquée. C'était blesser
des principes plus sacrés encore
que ceux de la courtoisie. Voltaire
le premier s'éleva contre un pro-
cédé si peu français. Morellet,
moins délicatement organisé que
lui, n'a jamais reconnu bien com-
plètement son tort en cette circons-
tance, le seul de ce genre, au reste,
qu'on puisse lui reprocher dans le
cours de sa longue carrière; et il
est effacé par tant d'actions hono-
rables ! C'est au sujet de cette
pièce, intitulée Vision de Charles
Palissot, qu'il fut mis à la Bastille.
Dès-lors ceux qui l'avaient le plus
hautement blâmé, se turent; une
lettre-de-cachet leur parut une
punition plus que suffisante pour
une faute qui n'était justiciable
que de l'opinion publique. La vie
de Morellet , plus féconde en tra-
MOR
145
vaux qu'en événemens , n'est
guère rem?.rquable depuis cette
époque que pur les écrits qu'il a
publié* : ils sont très-nombreux,
et se rattachent- pour la plupart
à des objets du plus grand intérêt.
En tête il faut mettre la traduction
du judicieux ouvrage de Beccaria,
le Traité des délits et des peines.
Les philantropes lui sauront gré
aussi d'avoir rédigé, en 1764»
sous la dictée du docteur Gatti , à
qui la langue française n'était pas
familière , des Réflexions sur les
préjugés qui s'opposent au progrès
et à la perfection de l'inoculation
en France. Il n'est pas une décou-
verte utile dont il ne se soit fait
l'apologiste, comme il n'y a pas
de fausse doctrine dont il n'ait été
le dénonciateur. Il avait dévoilé
l'horrible jurisprudence du saint-
office dans le Manuel des inquisi-
teurs; il l'ombattit avec moins de
gravité, mais non moins d'obstina-
tion, les opinions de l'abbé Galliani
sur te commerce des grains, et celles
de iVl. jSecker sur la même matière.
Mais c'est surtout contre Linguet
qu'il déploya toutes les ressources
dont la nature l'avait pourvu pour
ce genre de guerre. Réunissant
les opinions absurdes, contradic-
toires, ou hasardées, éparses dans
les nombreux écrits de ce publi-
ciste, il en composa la Théorie du
paradoxe, celui de ses ouvrages
où il a peut-être le plusmultiplié les
preuves de son talent polémique.
Morellet écrivit fréquemment, à
l'invitation des ministres, sur des
questions d'économie publique.
Les services qu'il leur rendit sont
constatés par un arrêt du conseil
qui, en 1770, lui alloua, sur la
caisse du commerce, une gratiû''
'44
MOR
cation perpétuelle de 2,000 livres
pour differeiis ouvrages et mc-
moires publiés sur les matières de
C administration. C'e.st à son an-
cien cauiaratle de séminaire, à
M. Tuigot, alors ministre, qu'il
fut redevable de cette récompen-
se. Antérieurement à cette épo-
que, l'abbé Morellet avait con-
tracté, avec le public et avec lui-
même, un grand engagement. En
1769, il avait annoncé un Nou-
veau dictionnaire du commerce. Le
prospectus dans lequel il exposait
le plan de cet ouvrage, était un
ouvrage lui-même. Il est à re-
gretter que des obstacles indé-
pendans de la volonté de Morel-
let, ne lui aient pas permis de
conduire à fin cette utile entre-
prise, pour laquelle il avait amas-
sé des matériaux j)endant 20 ans,
et dont le succès lui était garanti
par la multiplicité et l'étendue de
ses connaissances dans cette par-
lie, qu'il avait étudiée toute sa
vie. Croyant qu'il pouvait encore
les étendre par des voyages , il
pas<a en Angleterre en 1772, et
parcourut plusieurs de ses pro-
\ vinces. C'est là qu'il se lia avec
plusieurs personnages célèbres à
des titres ditïérens, tels que lord
Shelburne , depuis marquis de
Lansdown, Franklin, qui n'était
encore connu que par ses décou-
vertes en physique , Ciarrick le
comédien, et l'évêque Waburton.
De ces liaisons , la moins utile
pour lui, n'est pas celle qu'il for-
ma avec le marquis de Lans-
down. M-^M-ellet, sans embrasser
rimj)raticable système de l'abbé
de Saint-Pierre, pensait que des
nations pouvaient subsister riva-
les sans être ennemies, et que
MOR
leurs industries particulières pou-
vaient accroître leur prospérité
réciproque, à la faveur d'une paix
utile à toutes les deux. Par suite
de l'estime qu'il avait conçue pour
le publiciste qui professait de pa-
reils principes, le marquis de Lans-
down rechercha Morellet à Paris,
et lui ouvrit sa maison à Londres :
il ne s'en tint pas là. En 1783,
devenu ministre, et en cette quali-
té négociant la paix entre la Fran-
ce et l'Angleterre, il sollicita et
obtint de Louis XVI, pour l'abbé
Morellet, une pension de 4?ooo
livres sur les économats; et, chose
assez plaisante, c'est à la recom-
mandation d'un étranger et d'un
hérétique que le théologien de
l'Encyclopédie fut récompensé
sur les fonds du clergé, des servi-
ces qu'il avait rendus à la Fran-
ce. Le ministre anglais motivait
sa demande sur ce que l'écrivain
français avait libéralisé ses idées.
Il est douteux qu'aujourd'hui on
obtînt une grâce du ministère à
pareil litre. La fortune de l'abbé
Morellet s'était insensiblement a-
méliorée comme on le voit et
toujours à des titres honorables.
Elle s'accrut une fois aussi par
un malheur, par la mort de M""
Geoffrin , qui avait placé, tant
sur sa propre tête que sur la tête
de Morellet, une rente de 1,200
livres, en jouissance de laquelle il
entra en perdant cette excellente
amie, « Je ne veux pas, lui avait-
elle dit en lui annonçant ce place-
ment, que vous dépendiez des
gens en place, qui peuvent vous
retirer ce qu'ils vous donnent; «et
pourtant les principes soutenus
par Morellet avaient été souvent
en opposition' avec les intérêts
MOR
privés de iM°" Geoffriii, qui, non
contente de le protéger pendant
sa vie, voulut être sa bienfaitrice
même après sa mort. Morellet
s'est aquitté, autant qu'il le pou-
vait envers elle, dans un écrit in-
titulé : Portrait de M"' Geoffrin.
Le mérite de l'abbé Morellet, plus
reconimandable par la force de sa
raison que par l'éclat de l'esprit,
et par la solidité que par la grâce,
parut cependant au parti phi-
losophique, que cet abbé avait
constamment servi, un titre suffi-
sant pour lui mériter accès à l'a-
cadémie-française. En 1780, Mo-
rellet y fut appelé à la place de
l'abbé Millot. Quoiqu'il ait excité
quelques réclamations, ce choix
était juste. Les esprits solides ne
sont pas moins utiles aux travaux
de cette société que les esprits
brillans, et le génie qui analyse les
propriétés d'une langue, n'y est
pas déplacé auprès du génie qui
les met en œuvre et sait les éten-
dre. L'abbé Morellet s'était beau-
coup occupé de grammaire et
d'étymologie; il avait fait une é-
tude approfondie de l'origine et
du mécanisme de la langue fran-
çaise; il contribua, autant qu'au-
cun de ses confrères, à la confec-
tion du dictionnaire. Peu de temps
après, un événement plus heu-
reux, quoique moins honorable,
mit le comble i\ la prospérité de
cet abbé. Morellet, dont les tra-
vaux avaient été de peu d'utilité
pour l'église, ne s'en croyait pas
moins en droit de participer uaua>
B biens que Dieu prodigue à ceux
'■qui font vœu d'être siens.» En
1788, un fort bon bénéfice, le
prieuré de Thiraers, lui échut en
vertu d'un induit dont il avait étç
I. XIV.
MOR
14;^
grevé 20 ans auparavant par M.
Turgot au profit de l'abbé Morel-
let. C'était une bonne terre située
en Beauce, et valant 16,000 fr. de
rentes. L'abbé se hâta d'en pren-
dre possession, l'embellit et l'amé-
liora. «A 62 ans, dit-il, j'étais
«pressé de jouir;» sa jouissance
fut courte. Déjà la révolution se
préparait; un an après elle était
accomplie. La plume de Morellet
ne resta pas oisive en cette occa-
sion. Le principal ministre, M. de
Brienne, y eut plus d'une fois re-
cours. Fidèle encore aux prin-
cipes qu'il oublia quelque --ji» de-
puis , Morellet les défendit avec
chaleur en plusieurs circonstances,
et surtout à l'occasion de la dou-
ble représentation du tiers-état.
Il soutint dans cette question une
opinion qui lui était commune a-
vec M. Necker, et avec le prince
à qui la France est aujourd'hui
redevable de la charte ; une par-
tie de la noblesse s'éleva néan-
moins contre lui. Lors des élec-
tions, le prieur de Thimers eut
un moment l'espérance d'être
nommé député de son ordre aux
états généraux. Trompé deux fois
dans sa prétention, le candidat en
conçut quelque humeur contre
les assemblées électorales, et par-
ticulièrement contre celle qui s'é-
tait tenue à Paris dans l'église do
Saint-Roch , et lui avait préféré
l'abbé Fauchet. Ce désappointe-
ment refroidit tant soit peu le pa-
triotisme de l'abbé Morellet; mais
ce qui l'éteignit tout-à-fait, c'est
le décret qui supprimait les dîmes
et ordonnait la vente des biens
du clergé. Le philosophe dispa-
rut alors, et l'on ne vit plus en
lui que l'ecclésiastique. En vain
ï'id
M OR
la inajeure partie cic ses vœux .«e
réalisait- elU; : la perte de ses re-
venus le rendit insensil)le au triom-
phe de ses principes. L'assemblée,
qui par ses lois lui portait ce dom-
mage, lui parut si incapable de
faire le bonheur de la France,
(|u'en ce moment, où il était per-
mis d'en airendre «hi bien, il
prit la révolutioi! dans une hor-
reur égale à celle qu'elle inspira
depuis aux âmes généreuses, lors-
qu'au règne de la liberté eut suc-
cédé le despotisme de la terreur.
L'abbé Morellct ne voyait pas les
choses du même œil que le mar-
quis deLansdoAvn , qui, en l'invi-
tant à chercher, dans l'avantage
dont le décret relatif au clergé é-
tait pour l'intérêt public, une con-
solation du dommage qu'il portait
à son intérêt particulier, lui écri-
vait : f^ous êtes an soldat blessé dans
une bataille que vous aeez gagnée.
Morellet, loin de chanter victoire,
criait en toute occasion contre les
vainqueurs, et porta même le zèle
de la maison de Dieu jusqu'à dé-
fendre cette Sorbonne dont il s'é-
tait si publiquement moqué. La
destruction de l'académie-françai-
5ie surtout l'aftïigea vivement : on
tient d'autant plus auxchoses qu'on
les a plus péniblement gagnées. II
recfuivra toutefois sa philosophie
quand il fallut combattre l'adver-
sité. Echappé aux proscriptions,
il chercha dans le travail des res-
sources contre le besoin , et se mit
à traduire, non plus l(;s ouvrages
de Gatti ou deBeccaria , mais ceux
A'Jnne Radcliffe ou de Regina
^ Maria Roche; non plus des his-
toires, mais des romans. « Occu-
«palion frivole, dit-il, mais à la-
T»quelle j'ai été réduit par le bc-
MOR
«soin, et dont je suis loin de rou-
»gir. I) En eflet, quand un esprit
grave est obligé de se livrer à des
travaux futiles pour vivre, ce n'est
pas à lui qu'en est la honte. Ces
travaux frivoles, qu'il exécuta en
homme d'esprit, ne l'empêchaient
pas cependant de revenir dans l'oc-
casion à des objets sérieux, à des
travaux de la plus haute impor-
tance. Il avait combattu avec vé-
hémence les théories politiques de
Brissot, l'un des hommes qui aient
fait le plus de mal à la société a-
vec l'intention contraire; prenant
ia défense des enfans des condam-
nés, il s'éleva avec plus de véhé-
mence encore, en 1795, contre
la loi qui confisquait leurs bienx;
et son ouvrage, intitulé le Cri des
familles , fut le signal de cette réac-
tion généreuse qui se manifesta
dans lesein mêmede la convention.
Le courage n'a jamais fait un plus
heureux emploi du talent, la phi-
losophie n'a jamais servi plus ho-
norablement l'humanité. L'abbé
Morellet ne réclama pas moins
hauteiiient en faveur des pères ,
mères et aïeuls des émigrés. Enfin,
en 1799, ^'^'^^ 11'' n'ii attaqua la
loi des otages. Le noble usage qu'il
faisait de ses Facultés fut générale-
ment apprécié, même à cette é-
poque où la terreur semblait prête
à revivre. L'estime publique l'in-
vestissait d'une inviolabilité réel-
le. Elle le fit désigner p.uir pro-
fesseur d'économie politique et de
législation aux écoles centrales ,
fonctions qu'il ne crut pas toute-
fois devoir accepter. Le sort de
l'abbé Morellet s'améliora parsui-
tede la révolution du 18 brumaire.
Appelé i\ l'institut, par la réunion
des membres de racridémic-fran-
5I0R
çai<e à ceux de cette société ea
i8o3, il se vit bientôt réinté-
gré dans ses honneurs littéraires,
et ces honneurs-iù n'étaient plus
stériles : ils lui assuraient uu re-
venu de 9000 francs à peu près ,
composé des honoraires fixés par
la loi pour chacun des uje-mbres
de l'institut, d'uivepensionde 1000
Irancs que la seconde classe, au
inoyen d'une retenue, attribuait à
ifes huit doyens d'Age . et du trai-
tement alloué aux membres de
la commission du Dictionnaire,
traitement double pour Morellet,
qui figurait la comme membre
-et comme secrétaire. Les prin-
ces de la famille dominante alors
fie firent un plaisir d'ajouter, sous
les prétextes les plus délicats^ a
une aisance si justement acquise.
Morellet recevait, à titre de corres-
pondant littéraire de Joseph Bo-
naparte, un traitement honor4Tble
aussi pour le prince qui le lui
payait. Morellet, au reste, ne fut
pas ingrat : Erit ille vii/ii semper
Deus , dit-il, en appliquant à son
bienfaiteur ce que Virgile disait
d'Auguste. A l'institut aussi , il se
trouva quelquefois en opposition
avec sa vieille philosophie. Quand
le cardinal Maury prétendit y è-
tre traité de Monseigneur, on fut
assez surpris d'entendre Morellet
appuyer cette ridicule prétention.
Le désir qu'il avait de parvenir à
la députation fut enfin satisfait en
1808. A l'âge de 81 ans, il se vit
porté au corps-législatif, dont il
a fait partie jusqu'en 1810. L'exer-
cice des fonctions législatives ,
dans lesquelles il a presque fini sa
vie, n'a pas ajouté à l'éclat de sa
réputation. L'organisation de cet-
te partie de la représent;ilion na-
MOR
u:
tionale ne lui ofi"rait pas les moyens
d'appeler sur lui l'attention pu-
blique. Le corps-législatif ne dis-
cutait alors qu'à huis-clos, dans
ses bureaux- L'accès de la tri-
bune lui eùt-il été ouvert, il est
douteux que Morellet y eût été
chercher des succès inaccessibles
aux orateurs qui ne jouissent pas
de toute l'énergie de leurs facul-
tés. Mais les succès qui tiennent
à la droiture des intentions, à
la rectitude des idées, à la force
des raisonnemens, lui auraient é-
chappé rarement. La faible voix,
que cet octogénaire eût fait en-
tendre dans le temple de la loi ,
eût été souvent celle de la rai-
son, et toujours celle de la pro-
bité. La restauration le retrouva
encore plein de vigueur. L'abbè
Morellet , constitué de manière à
atteindre au dernier période de la
vieillesse la plus reculée, était
parvenu, sans infirmités, à l'âge
de 88 ans, lorsqu'une chute qu'il
fit, en montant dans une voi-
ture à la sortie du spectacle ,
mit ses jours en danger. Il se
cassa la cuisse en décembre i8i4>
€t fut contraint, par suite de cet-
te fracture, à garder sa cham-
bre pendant plus de deux ans.
Malgré son extrême affaiblisse-
ment, il prenait cependant une
part toujours active au travail du
Dictionnaire : la commission s'as-
sembla long-temps autour de son
lit. Il en sortit en 1817, pour assis-
ter à une séance publique de l'ins-
titut, espèce de résurrection que
les assistons célébrèrent p.'«r les
témoignages les plus éclalans d'es-
time et de vénération. Devenu
<loyen der.icadémie-française par
la mort de Siiard, à qui des Ihrti
i48 MOtl
moins nombreux et moins recotn-
manJables avaient obtenu quinze
ans avant lui les honneurs du fau-
teuil, Morcllet trouva sans doute
dans le plein rétablissement de
cette académie, où les avantage»
dont il jouissait comme membre
de l'institut, ne lui furent pourtant
pas entièrement conservés, une
indemnité des pertes qu'il éprou-
vait par suite de la chule du ré-
gime impérial. Le roi lui accorda
une pension de 2,000 francs, et
s'il n'était plus dans l'opulence,
du moins n'était-il pas dans le be-
soin quand il mourut. 31orellet,
douéj au moral comme au phy-
sique, delà constitution la plus
robuste, était plutôt bon que sen-
sible. Les vertus de son cœur te-
naient aux qualités de son esprit;
son cœur était juste, parce que
son esprit était droit : appliquant
sa dialectique h tout, il aimait le
bien comme il aimait l'ordre, et
le mal lui déplaisait à l'égal d'une
fausse conséquence. Il eut pour
amis ses plus illustres contempo-
rains, parmi lesquels on compte
plusieurs philosophes. « Chez ces
«hommes taxés d'une trop grande
«liberté de penser, j'ai vu souvent,
» disait-il, toutes les vertus, l'éloi-
«gnement du vil intérêt, la justi-
»ce, l'humanité, la bienfaisance,
»la générosité, et surtout la pas-
»sion du vrai , le désir ardent de
«le voir triompher de l'ignorance
«et de la sottise. Voilà ce que j'ai
«recherché en eux, et si avec ces
»disposiiions on peut les appeler
«uléchans et pervers, je veux
«partager cette injure avec eux. »
Tout honnête homme fera le mê-
me vœu , pour peu qu'il soit hom-
me de bon sens. Exempt de tout
/ MOR
fanatisme, Morellet aiiria moin»
hi société du baron d'Holbach
que celle dont Voltaire absent é-
tait le chef ou plutôt Tâuie, et
dont la philosophie était établie
sur la tolérance la plus absolue.
Voltaire, dans sa correspondance,
parle souvent et toujours avec es-
time du talent et des opinions de
l'abbé Morellet. Il s'amusait à le
voir se ruer sur les ennemis de la
raison , et à l'y exciter, en l'appe-
lant Mordstes, par allusion à sa
vigilance et à sa ténacité, qui sont
aussi les qualités d'un dogue. La
dernière discussion où Morellet ait
figuré fut provoquée par le sin-
gulier succès à^Atala. Avec une
raison moins sévère et un goût
plus complaisant, on pourrait,
comme Chénier, ne pas tout ad-
mirer dans cet assemblage confus
de beautés réelles et d'innovations
bizarres. Mais Morellet, plus frap-
pé des fautes que des beautés,
trouvait naturellement tout mau-
vais dans un ouvrage qui n'est
pas entièreuient bon. Dans un pe-
tit écrit très -simple, très -clair,
très-raisonné et très-raisonnable,
il indiqua avec une grande jus-
tesse les faux brillans, soit en
pensées, soit en expressions, dont
abonde cette étrange production.
L'aigreur avec laquelle cette cri-
tique a été relevée par certains
journaux prouve qu'il y avait déjà
quelque courage à prendre , à
cette occasion, la défense du bon
goût et de la saine raison. On
ne s'étonnera pas qu'un esprit si
enclin au scepticisme et à l'iro-
nie ait eu quelque prédilection
pour Rabelais : l'abbé Morellet
possédait à fond le livre de ce
docte en plu» d'une science, et
MOR
démêlait avec une admirable sa-
g-acité l'or enfoui dans ce fumier.
Le commentaire qu'il en a laissé
doit être précieux sous plus d'un
rapport. L'imagination, ainsi que
nous l'avons dit, n'était pas dans
Slorellet la faculté dominante : il
aimait pourtant les beaux-arts. Il
jouaitmême delà basse, de la viole.
Passionné pour la musique autant
qu'il pouvait l'être, il ne resta pas
neutre dans la querelle des gluc-
kistes et des piccinistes. Il s'est
aussi quelquefois occupé de poé-
sie. On trouve dans ses mémoires
quelques chansons, où la gaieté
est assez heureusement alliée à la
raison. Il s'en faut de beaucoup
que ses poésies approchent de
celles de Voltaire, quoi qu'on ait
dit ; mais il est une de ces pièces
dans laquelle la doctrine d'Horace
et celle de Salomon sont assez in-
génieusement rapprochées pour
qu'on la retienne : c'est celle qu'il
chantait le plus volontiers. On pour-
rait l'appeler le décalogue des hon-
nêtes gens. Personne plus que
l'abbé Morellet n'avait mission
pour les prêcher; il était aussi leur
doyen. Morellet était, en société,
du commerce le plus sûr, mais non
pas toujours le plus aimable : il y
apportait quelquefois une humeur
despotique que sa bonhomie ne
tempérait pas assez. Plus habi-
tuellement porté à décider qu'à
discuter, il répondait trop souvent
à des objections par des assertions
énoncées de ce ton brusque et
tranchant qui étonne peu dans un
théologien, ou dans un métaphysi-
cien , mais qui n'en est que plus
déplaisant dans le monde; habi-
tude contractée sur les bancs de
l'école , et que la polémique à la-
MOR 149
quelle il se livra pendant toute sa
vie n'avait fait que forti6er. Ce
défaut se faisait surtout sentir dans
les discussions académiques , où
son avis lui semblait devoir être
reçu comme loi, où toute contra-
diction lui était insupportable,
où il exigeait qu'on eût pour sou
goût et pour sa raison la défé-
rence qu'on devait à son âge.
Cette exigence s'explique toute-
fois. Ce vieillard ne trouvait au-
tour de lui personne qu'il pût
mettre sur la ligne des Voltaire,
des Rousseau, des Buffon, avec
lesquels il avait vécu, et, en cela,
il n'était pas injuste. Mais, avait-
il été l'égal de ces grands hom-
mes , et la nouvelle génération
n'avait-elle produit aucun écri-
vain qu'il pût égaler à lui ? C'est
ce qu'on ne saurait croire quelque
estime qu'on lui porte. Voici la
liste exacte des ouvrages com-
posés par ce laborieux écrivain :
1° Petit Ecrit sur une matière in-
téressante, 1736, in-S"; 2° Ré-
flexiojis sur les avantages de la li-
bre fabrication et de Cusage des
telles peintes en France, pour ser-
vir de rcpûnsfi aux divers mémoires
des fabricans de Paris, Lyon,
Tours, Rouen, etc., sur cette
matière, i^ôS, in-;2; 3° les 5/,
les Pourquoi; ta Prière universelle;
la Vision de Palissot, 1760 ('dans
les Facéties parisiennes) ; 4° Mé-
moires des fabricans de Lorraine et
de Bar , présenté à Monseigneur
l'intendant de la province , concer-
nant le projet d'un nouveau tarif,
et servant de réponse à un ouvrage
intitulé : Lettres d'un citoyen à un
magistrat, 1761, in-8°; 5* Ré-
flexions sur les préjugés qui s'op-
posent à l'établissement et aux pro^
IJO
MOU
grès de f inoculation, d'après Gat-*
ti, 17C3, in-12; 6° Lettre (à M.
de Malesherbes) sur la police des
grains y 1 764 , in- 1 2 ; 7° Observa-
lions sur une dénonciation de la
Gazette littéraire, 1^65, in-8"; 8°
Traité des délits et des peines, tra-
duit par Beccaria, 1766, in-12; 9°
Nouvelles réflexions sur la prati-
que de l' inoculation , 1767, in-12;
1 0° Recherches sur le style, traduit
de Beccaria, 1771, in-12; 11°
Legs d'un Père à ses filles, traduit
de Grégory, 1774? in-12; 12°
Théorie du paradoxe, iy'^5 , in-
12; 15° de la Liberté d'écrire et
d' impriîner sur les matières d'ad-
ministration, 1775? in-8°; 14°
Portrait de M''' Geoffrin , 1777,
in-12; i5° de l'Esprit de contra-
diction, 1780; 16° Essai sur la
conversation , maximes et pensées
détachées, imitées de Swift, et in-
sérées dans le Mercure, 1780; 17"
Lettres de Brûlas àCicéron, 1782,
in-52 , lire à 25 exemplaires; i8*
Discours de réception à l'académie
française, 1785; 19" Essai d'une
cométologie nouvelle , 1 786 ; 20°
Observations sur la f^irginie, tra-
duit de .leflerson, 1786, in-8°;
21° Observations sur le projet de
former une assemblée nationale sur
le modèle des états -généraux de
i6i4j 1788, in-8°; ot^." Avis aux
faiseurs de constitutions, traduit
de Francklin, 1789, in-8"; 25"
Moyens de disposer utilement pour
la nation des biens ecclésiastiques ,
1 789, in-8°;24°^/<3 1' Académie- fran-
çaise, ou Réponse à l'écrit de M.
Chain fort contre les académies ,
1791; 25" kl Cause des pères, 1785,
in- 8°; 26" Pensées libres sur la
liberté de la presse, à l'occasion
d'un rapport du représentant Ché-
MOR
nier à la convention nationale ,
1795, in-8"; 27° l'Italien ou le
Confessional des pénitens noirs,
par Anne Radclifle , traduit de
l'anglais, 5 vol, in-12, 1797; 28°
les En fans de l' Abbaye , par M""
Rcgina-Maria-Boclie , traduit de
l'anglais, 6 vol. in-12, 1797;
29" Histoire de ('Amérique , con-
tenant l'histoire delà Virginie jus-
qu'à l'aïuiée 1G88, el celle de la
jSonvelle-Anglelerre jusqu'à l'an-
née 1762, ouvrage posthume de
Robertson, 1798. 1 vol. in-i2;5o°
Clermont, par M"* Regina-Maria-
Roche, traduit de l'anglais, 1 798, 3
V. in - 1 2 ; 5 1 "Pliédora, ou la Forêt de
Minski, par Mar. Charllon, traduit
de l'anglais, 4 vol. in-12, 1799;
52° Voyages de Vancouver, 1799,
in-4°; 35" du Projet annoncé par
l'institut national de continuer le
Dictionnaire de l' a cadé mie- franc ai-
se, 1800, in-8^; 54" Observations
critiques sur le roman d'Atata,
1801, 10-8°; 35° Éloge de Mar-
montel , i8o5, in-8"; 36° quelques
Réflexions sur un article du jour-
nal de l'empire, 1806, in-8°; 37°
Observations sur un ouvrage ano-
nyme intitulé: Remarques morales,
philosophiques et grammaticales sut"
le Dictionnaire de l'académie, 1 807,
in-8°; 38° Mélanges de littérature
et de philosophie du 18* siècle ,
1818, 4 vol. in-S". Les Mémoires
de l'abbé Morellet ont été publiés
après sa mort, en 1821, chez
Ladvocat, et il en a été fait, en
1822, une seconde édition, aug-
mentée de sa correspondance a-
vec un ministre du roi Joseph. Ce
n'est pas le .seul ouvrage posthu-
me de l'abbé Morellet; il a encore
laissé , manuscrits , les suivans :
1" Lettre à un athée; 2° traduc-
MOR
tinn complète de la Richesse des
nations, par Smilh ; 5° deux vo-
lumes d'Jna, ou traits détachés,
recueillis selon la méthode de
I.ocke ; 4° Re^tiête des chats de
M""' Helvétius ; 5" Commentaire
sur le chapitre de Rabelais , où il
donne le catalogue de la biblio-
thèque de Saint-Victor; G" Projet
d'une caisse de secours pour les
pauvres opprimés ; 7° Projet de
statuts et réglemens pour les maî-
tres poètes de la ville et faubourgs
de Paris; 8"* Observations sur la
traduction de Shakespeare, par Le -
tourneur; 9° Remarques sur Vau-
lenargues ; 10° te Préjugé vaincu;
1 1° plusieurs Traités d'économi«î
politique : de la population ; de
l'administration, du commerce des
colonies; du crédit public; de la
richesse; du luxe; du travail et
des salaires de la dette publique ;
12" un Traité de la propriété; iS"
vm Plaîi de Dictionnaire étymolo-
gique ; 14° Pratiques utiles dans
les travaux littéraires.
MORELLI (Jacques) , célèbre
bibliographe italien, bibliothécai-
re de Saint-Marc à Venise, con-
seiller aulique de l'empereur
d'Autriche, chevalier de la cou-
ronnede-fer, membre de l'insti-
tut du royaume d'Italie, corres-
pondant de l'institut de France,
des académies de Berlin , Goet-
lingue, etc., naquit ù Venise le i4
avril 1745. Son père, proto-mura-
tore, était amateur passionne de la
poésie et de la musique, et aurait
voulu inspirer à cet enfant les mê-
mes goûts; mais il préféra les c-
tudes solides, et, pour s'y livrer
avec plus de facilité, il se fit ad-
mettre au sacerdoce. Protégé par
des savans et des hommes en pla-
MOR i5i
ce, il devînt, à sa grande, satisfac-
tion, bibliothécaire de Saint-Marc
à Venise. Cette nomination lui
valut les félicitations générales, et
l'abbé Betlinelli lui adressa les
siennes par ces paroles flatteuses :
«Un ancien, en habit moderne,
»ne pouvait être mieux placé que
» dans cette illustre bibliothèque.»
Tous ses soins furent consacrés à
embellir et à augmenter les ri-
chesses de cet établissement, dont
il ne parlait qu'avec enthousias-
me, et dont l'éloge était à la fm
de chacun de ses discours : ce
n'était point du zèle qu'il mettait
dans laccomplissemcnt de ses de-.,
voirs, c'était de la passion, et une
passion extraordinaire. La notice
d'où nous tirons les matériaux de
cet article, nous fournit à cette
occasion une anecdote que nous
allons rapporter: «Un jour que
Morelli assistait au dîner du prin-
ce Eugène Beauharnais, vice-roi
d'Italie, un des principaux per-
sonnages de cette co»»r lui de-
manda si, placé au milieu de tant
de richesses, il pouvait dire quels
seraient les douze volumes qu'il
choisirait, au cas où il lui serait
permis de les emporter. Excusez-
moi, répondit Morelli, je ne puis,
en ce moment de bonheur, fati-
guer ma tête d'une question si
diflicile. — liien! s'écria le prince
Eugène, bien Morelli ! il ne faut
jauiais faire connaître, en les dé-
voilant, tous les attraits de sa
maîtresse. •> Morelli mourut dans
sa 74°" année, le 5 mai 1819. Il
avait été cité avec de grands é-
loges dans le rapport que fit en
1811, à l'occasion des prix décen-
naux , la classe d'histoire et de
littérature ancienne de l'institut
1D2 MOR
impérial. Le caractère de cet ou-
vrage ne nous permet pas d'entrer
dans le détail de tous les services
que Morelli a rendus aux lettres
comme auteur et surtout comme
bibliographe. On trouvera dans le
premier volume de l'ouvrage inti-
tulé : Opérette di Jacopo Morelli
(Venise, 5 vol. in-8", 1820), pu-
blié par Barth. Gamba , élève et
ami de ce savant, une IS arrazione
intorno alla vit a e aile opère de D.
Jacopo Morelli y par Moschini,
l'un de ses autres élèves, et une
notice de tous les écrits de Morelli,
ainsi que la nomenclature des ins-
criptions latines qu'il fit pour
l'empereur Napoléon, l'empereur
d'Autriche, le pape Pie VII, l'im-
pératrice Marie -Louise, l'amiral
Villaret-Joyeuse , et le comte de
Goëss , gouverneur de Venise
sous la domination française et
sous la domination autrichienne.
MORELLI (Mabie-Magdelei-
ke), membre de l'académie des
arcades de Rome, sous le nom de
Corilla o/<H»/;<ta, naquit à Pisloie,
en 1728, et mourut à Florence,
en 1800. De rapides et éclatans
succès dans la poésie , lui ouvri-
rent les portes de l'académie des
arcades de Rome ; luais de plus
grands honneurs lui étaient réser-
vés- un triomphe solennel lui fut
décerné au Capitole, et Corilla
vit placer sur sa tête, le 3i août
1766, la couronne de laurier qui
ombragea le front du célèbre a-
mant de Laure, et qui avait orné la
dépouille mortelle du chantre de la
Jérusalem délivrée. Ces triomphes
excitèrent un peu l'envie, et les
sarcasmes devinrent même assez
nombreux pour faire dire à l'abbé
Pizzi, qui, en qualité de directeur
MOR
de l'Arcadie, avait présidé \ cette
dernière solennité, « que le cou-
)>ronnement de Corilla était de-
wvenu pour lui le couronnement
«d'épines. » La description des cé-
rémonies du couronnement de
Corilla olimpica a été recueillie et
jiubliée , à Parme , par le célèbre
imprimeur Bodoni.
MORELLOT (SiMOp), ancien
pharmacien en chef des armées
françaises, docteur en médecine
de l'université deLéipsick, naquit
en 1751. Il commença ses études
dans la ville de Beaune, et les ter-
mina à Paris, où il devint phar-
macien. Ses taleus lui firent ob-
tenir les deux chaires de chiinie
pharmaceutique et d'histoire na-
turelle médicale, à l'école de mé-
decine: ils lui procurèrent en-
suite de l'emploi dans le servi-
ce de santé des armées, en qua-
lité de pharmacien en chef. A-
près avoir fait les campagnes de
Prusse et d'Allemagne, il passa,
en la même qualité, au 7"" corps,
dit Armée d'observation des Pyré-
nées-Orientales, et mourut eu Ca-
talogne ( à (iironne, le 18 novem-
bre 1809), à la suite d'une mala-
die de 36 heures, qu'il avait puisée
dans les hôpitaux. Cet homme
respectable était passionné pour
sa profession , qu'il plaçait au-
dessus de toutes les autres : on l'a
entendu dire plusieurs fois» qu'il
«avait embrassé la pharmacie,
«parce qu'il ne connaissait pas
«d'état plus honorable. » Morel-
lot est auteur d'un Traité de chi-
mie pharmaceutique.
MORELOS (J. M. ), l'un des
chefs des indépendans de l'Amé-
rique méridionale, exerçait le mi-
nistère des autels dans le Mexique,
MOR
où il était né et où soa père était,
dit-on, menuisier. Les projets d'as-
servissement de la métropole par
l'empereur Napoléon, vers 1808,
le déterminèrent l'un des premiers
à concourir à la révolution qui de-
vait affranchir les colonies espa-
p:noles de toute espèce de dépen-
dance. Ardent, intrépide, dévoué
à la liberté, il renonça aux fonc-
tions sacerdotales, se maria, et de-
vint un des chefs les plus actifs de
la révolution. Hidalgo ( voyez ce
nom) se l'adjoignit comme l'un
des plus capables de le seconder
«'nicacement, et en effet, Morelos
('oncourut d'une manière brillante
aux succès que le principal corps
(l'armée des indépendans obtint
dès la première campagne , en se
portant sur Mexico. Plusieurs vil-
les du midi de cette capitale tom-
bèrent au pouvoir des insurges.
Hidalgo fut défait et périt eniSi 1.
Ses successeurs dans le comman-
dement, Morelos, Rayon et Ville-
gran , réparèrent les pertes que
leur cause avait faites. Morelos
soumit en grande partie les côtes
méridionales du Mexique, et la
\ictoire de Rixtla, qu'il remporta
le 19 août (1811), lui permit de
marcher avec la plus grande partie
de se? forces sur Mexico. Pendant
ce temps il faisait assiéger, par un
corps détaché, la placed'Acapulco,
dont la possession importait à son
plan d'opérations. Il occupait Izu-
car, l'une desvillesqu'il avaitsou-
niises, et où deux fois, dans les
premiers mois de 1812, les roya-
listes tentèrent en vain de le délo-
ger. Cependant il apprit que le
général espagnol, Llano, avait
pris le commandement de l'armée
royale, et ayait reçu d'Europe des
MOR i53
renforts considérables. Morelos
choisit pour centre de ses opéra-
tions la ville de Quantla , fortifiée
par ses soins. Il y fut assiégé par
le général Callejas, depuis vice-
roi, commandant en chef des for-
ces espagnoles. Inspirant aux sol-
dais et aux habitans un courage à
la fois religieux et patriotique, dé-
ployant dans la défense des talens
et des ressources qu'on eût à pei-
ne osé exiger des généraux les plus
instruits et les plus consommés
dans leur art , il prolongea long-
temps sa belle défense, et ne se
détermina à évacuer la ville que
lorsque le manque de vivres s'y
fit sentir, et que l'attaque du camp
espagnol , par les guérillas indé-
pendans, eut été sans fruit. II fit sa
retraite en bon ordre , ayant sous
ses ordres environ 7000 hommes
bien armés, et la presque totalité
des habitans. Les assiégeant se mi
rent à sa poursuite, et, quoiqu'il
■ eût beaucoup à souffrir de leurs
attaques, il tint bon, et s'empara
même de places d'une haute im-
portance. A Orizaba, Tune d'elles,
il livra aux flammes le magasin
royal des tabacs, estimé plusieurs
millions. A Anteguerra, ville prin-
cipale de l'intendance d'Oxaca, il
fit exécuter quatre officiers supé-
rieurs de l'armée royale, en expia-
tion de la mort de quatre chefs in-
dépendans , fusillés récemment
dans cette ville même. Maître d'A-
capulco, il intercepta de là toute
communication avec Mexico , au
moyen de plusieurs corps de gué-
rillas qu'il plaça entre Xalapa et
Vera-Cruz- Des actions partielles
et journalières firent beaucoup de
mal aux Espagnols, et permirent
à Morelos de tenter des opérations
i54
M OR
plus décisivess. S'étant porté sur
Valladolid vers la fin de i8i5,il
f'ijt repoussé par le général LIano,
et poursuivi à son tour. Le 7 jan-
vier 1814 > il ne put éviter d'être
attaqué, et comme l'action com-
mença avant le jour, deux corps
indépendans se fusillèrent l'un
l'autre, par une méprise qui devint
bien fatale à Morelos. LIano pro-
fita du désordre que cet événe-
ment avait apporté parmi les in-
dépendans : il les fit charger sans
leur donner le temps de se recon-
naître, et les défit entièrement.
Dans ce combat, Matamoros, an-
cien prêtre et lieutenant-général,
étant tombé avec six cents hom-
mes de sa troupe au pouvoir des
Espagnols, Morelos offrit de les
échanger contre un nombre pareil
de prisonniers qu'il avait faits pré-
cédemment. Le général espagnol
refusa ces propositions et fit exé-
cuter les prisonniers. De terribles
représailles furent alors exercées
surles soldats espagnols qui étaient
au pouvoir des indépendans. Tel
était le caractère de la guerre dans
ces malheureuses contrées, où,
par les exécutions les plus san-
glantes, on croyait sans doute a-
néantir l'insurrection. L'armée
royale, forte de quatre divisions ,
poursuivit les indépendans et les
chassa de la plupart de leurs pos-
sessions, et reprit Acapulco. Mo-
relos et quelques autres chefs oc-
cupaient cependant le territoire
de Valladolid et de iMexico, atten-
dant le moment favorable de re-
prendre l'offensive. II crut la trou-
ver dans l'approche de ïoledo,
qu'accompagnait le général fran-
çais réfugié Humbert: Toledo a-
menait aux indépendans des ap-
MOU
provisionnemens de guerre, et s'é-
tait rendu au poste fortifié de
Puente-del-Rey, entre Xalapa et
Vera-Cruz. Dans l'espoir de le re-
joindre, Morelos se mit secrète-
ment en marche; njais il fut trahi
et fait prisonnier, près d'Atacarna,
malgré la défense héroïque de ses
soldats, nui périrent presque tous.
Inforiné de cette défaite et dusort
que l'on préparait au prisonnier,
le congrès mexicain le réclama vi-
vement près du vice- roi Calleja,
annonçant que les plus sanglantes
représailles vengeraient sa mort,
s'il était frappé par les lois de la
guerre. Les prières et les menaces
furent inutiles : on le conduisit à
Mexico et on le mit en jugement.
Accusé d'abord d'hérésie , il se
justifia ; mais comme il s'était ma-
rié, l'inquisition le fit dégrader
suivant les lois canoniques, et le
livra ensuite aux tribunaux sécu-
liers. Les juges le condamnèrent
à être fusillé par derrière comme
traître à la patrie. L'intérêt qu'il
avait inspiré à tous les habitans de
Mexico , empêcha l'exécution de
la sentence dans la ville. Ce fut
au village de San-Christobal, qui
en est éloigné de six lieues, qu'on
lui donna la mort : il l'a reçut avec
la plus grande fermeté. Cette ex-
cessive rigueur excita le mécon-
tentement général et l'indignation
des indépendans. Elle donna aux
hostilités un nouveau degré de fé-
rocité, que les juges eux-mêmes
ont eu plus d'une fois l'occasion
de déplorer. Manuel Teran {voy.
Teran) lui succéda dans le com-
mandement, et, par ses talens et
sa valeur, il rendit d'importans
services à la cause de la liberté
dans cette contrée.
MOR
MORENCY (M"' Illtrine de),
a publié quelques romans qui ont
eu du succès et dont voici les ti-
tres : 1° lUyriue , ou les Dangers
de l'inexpérienee , 5 Yol. in-8"; a*
Euphéniie, ou les Suites du siège
de Lyon, ouvrage historique, 4
vol. in-ia; 5* Lise, ou les Hei'mites
du Montblatic, i8o i ; 4* Rosalina,
ou les Méprises de l'amour et de la
nature, i8oi, i vol. in- 12; 5° Or-
phana , ou l'Enfant du liumeau ,
1803, 2 vol. in-12; 6° Zephira et
Fidgella, ou les Débutantes dans
le inonde, 1806, 1 vol. in-12. Cet
auteur, dont la fécondité promet-
tait de nombreux ouvrages aux
amateurs de romans, paraît avoir
renoncé depuis long -temps à cn
genre de composition.
xMORESCHI (Alexandre), pro-
fessait l'anatomie à l'université de
Bologne lorsque le fameux sys-
tème de crânologie du docteur
Gall attira l'attention de fous les
anatomisles de l'Europe. Le pro-
fesseur bolonais, après avoir l'ait
à ce sujet des recherches appro-
fondies sur la théorie de l'ossifi-
cation en général, et de celle du
crâne en particulier, ainsi que sur
la nature de la substance cérébra-
le, se déclara fortement contre le
nouveau système, et publia, en
1807, le résultat de ses investiga-
tions dans un petit volume, sous
le titre modeste de Discours, avec
cette épigraphe tirée de Rlencke :
Et quis nescit nostris temporihus
r.etitissc pluresqi'inovam quamdavi
artein exploratoriam commenti; in-
limos mentis humanœ recessus per-
reptarunt, et irœ, avaritiœ, cupidi-
tatis nune semiunciam, nunc assem
depreliendisse sibi risi sunt. Dans
cet ouvrage, l'auteur s'attache à
MOR
il)j
combattre le système crânologique
en rendant pour ainsi dire palpa-
bles au lecteur tous les phénomè-
nes de l'ossification de la tète, soit
dans des planches très -bien dé-
taillées, soit dans un texte clair et
précis. Après avoir démontré que
cette opération de la nature est
soumise à des lois immuables , il
regarde la diversité des proéïiii-
nences, qui fait la base du système
du docteur Gall, comme le pro-
duit de causes accidentelles. D'ail-
leurs, il observe que l'on voit tous
les jours les facultés intellectuelles
et morales d'un homme éprouver
les changemens les plusdispcvales
sans que la nature prenne la peine>
de donner à son crâne une autre
conformation. Pour beaucoup de
gens la question est encore indécise.
MORGAN (Jean), médecin a-
méricain , associé correspondant
de la société royale de Londres,
fondateur delà société philosophi-
que d'Amérique , etc. , naquit en
1755^ à Philadelphie, où il termi-"
na ses études, qu'il avait commen-
cées a Nottingham. Ce fut d'a-
bord comme littérateur qu'il se
fit connaître. S'étant livré ensiu'te
j\ l'étude de la médecine, il ser-
vit comme lieutenant-chirurgien
dans les troupes de sa province
lors de la guerre de l'indépendan-
ce américaine. Il mérita , par les
soins qu'il donna aux blessés et
par sa grande habileté dans les o-
pérations de son art, une grande
réputation. Il passa en Europe en
1760, et y reçut des leçons de
Hunier, Munroé, Cullen, Ru-
therfort,Whytet Ilope. Reçu doc-
teur en médecine à la faculté
d'Edimbourg, il vint peu de lemp«»
après à Paris, où il suivit les cours
i56
MOR
d'anatomiedu célèbre docteur Sue.
Il visita l'Italie et la Hollande, et
s'étant rendu en Angleterre, il de-
vint associé correspondant de la
société royale de Londres. Morgan
de retour à Philadelphie en 1765,
y devint professeur de médecine
théorique et pratique au collège
de cette ville, et y fonda, après
avoir réuni, en 1769, le collège
et l'école de médecine, la société
philosophique d'Amérique. En
1775, il alla à la Jamaïque , afin
de réclamer dos secours en faveur
de l'avancement de la littérature
dans le collège. Son mérite porta le
congfès à le nommer, en 1775, di-
recteur-général et médecin en chef
des hôpitaux de l'armée américai-
ne, en remplacement de Church,
détenu comme soupçonné d'in-
telligence avec l'ennemi. Morgan
se rendit en conséquence à Cam-
bridge; mais des discussions entre
les chirurgiens derhôpital-général
et les chirurgiens des régimens,
discussions dans lesquelles il se
trouva compromis , le déterminé^
rent, en 177,7, à donner la dé-
mission de ses fonctions , afin de
s'occuper de sa propre défense.
Il provoqua une enquête sur sa
conduite, et se justifia devant le
comité du congrès des calomnies
dont il était l'objet. Morgan mou-
rut en 1789. Il était très-instruit,
el avait fait une étude approfon-
<lie de la médecine et de la chi-
rurgie. Ses soins infatigables, sa
bonté, sa douceur pour les mala-
des , le faisaient chérir, et ont
rendu son nom digne de l'estime
générale. On doit à ce savant pra-
ticien : Tentamen medicum de pu-
ris confectione, Edimbourg, 1763;
Discours sur rjnstitution des éco-
MOR
les de médecine en Amérique, 1^65;
(\viairii Dissertations sur les avanta-
ges réciproques d'une union per-
pétuelle entre la Grande-Bretagne
et ses colonies en Amérique , 1776;
Recommandation de l'inoculation
par la méthode du baron de Dims-
dale , 1776; Défense du caractère
public du docteur Morgan dans sa
place de directeur-général et de mé-
decin en chef des hôpitaux de l'armée
américaine.
MORGAN (George-Cadogan),
chimiste et prédicateur , naquit
dans le Glamorganshire, et obtint,
ses études terminées , une chaire
dans l'église des dissidens à Nor-
wich; quelques années après, il se
rendit à Yarmouth , et se retira,
en 1786, à Hackney, où il pro-
fessa , dans un établissement pu-
blic, les mathématiques, la philo-
logie et l'histoire naturelle , sous
le célèbre docteur Price, son on-
cle. Il se livra alors plus particu-
lièrement à la physique et à la
chimie, sciences dans lesquelles il
acquit de la profondeur. Ses prin-
cipaux écrits sont : 1° Observa-
tions et expériences suf la lumière
des corps en combustion , insérées
dans le 75* vol. des Transactions
philosophiques, 1" partie; 2° Lec-
tures on electriciti , Londres , 2
vol. in-8°; 3" plusieurs Mémoires
de chimie; 4" enfin, toute la partie
météorologique des douze pre-
miers numéros du M ont hfy maga-
zine. Il mourut, le 17 novembre
1798, dans sa 44' année.
MORGAN (N.), célèbre écono-
miste anglais, frère du précédent,
a publié, sur l'administration fi-
nancière du gou vcrnement britan-
nique, quelques ouvrages estimés.
Ses écrits sur la dette publique
UOR
(l'Angleterre , et son Traité des
annuités et des assurances, annon-
cent un homme qui connaît bien
les ressorts de l'économie des é-
tals.
MORGAN (Jacques-Philippe) ,
lieutenant-général, est né à A-
miens, en 1760. Sa position so-
ciale et son goût particulier le
destinaient à la carrière des ar-
mes , qu'il embrassa en 1777,
époque à laquelle il fut reçu com-
me olRcier dans le régiment de
Dillon. S'étant fait remarquer ho-
norablement dans la campagne de
la guerre de l'indépendance, en
Amérique, ilfut nommé, en 1782,
aide-de-camp du marquis de Ver-
dière, son beau-frère, pour servir
dans l'Inde. La révolution ayant
éclaté, SI. Morgan se trouva du
nombre des personnes qui dési-
raient la réforme des abus , sans
exagération et sansaiiarchie , telle
qu'elle a été opérée par la charte
constitutionnelle. En septembre
1792, il, fut nommé lieutenant-
colonel aide-de-camp du général
Dumouriez , et, le 10 mars 1795,
colonel du 9* régiment de hus-
sards. Dumouriez avait placé une
confiance particulière dnns son
aide-de-camp, et l'employa avec
succès, soit pour la partie mili-
taire, soit pour la pariie politi-
que , jusqu'à sa catastrophe à
Saint-Amand. Le colonel Morgan
avait été blessé ù la brillante affaire
de la première prise de Menin, le
2 brumaire an 2. Malgré les ser-
vicesqu'il avait rendus et l'estime
dont il jouissait dans l'armée, le
colonel Morgan n'en fut pas moins
renvoyé, comme noble, en vertu
d'un arrêté du comité de salut
public. Cependant le règne de la
MOR 15;
terreur eut un terme, et les excès
de l'anarchie populaire cessèrent
le 9 thermidor. Les esprits étant
revenus à des principes de mo-
dération et de sagesse , le colonel
Morgan fut attaché à la section
de la guerre du comité de gouver-
nement, et, en ventr)se an 5, fut
chargé , sous la direction du même
comité, des mesures d'exécution
et de répression que rendirent né-
cessaires les événemens mémo-
rables du 12 et du i5 germinal,
et des premiers jours de prairial.
Dès le moisde ventôse précédent,
il avait été nommé général de bri-
gade. Au mois de messidor sui-
vant , il fut choisi pour comman-
der, sous les ordres du général
Moreau, un camp d'observation
de 10,000 hommes, qui se for-
mait à Anvers; mais les événemens
du i5 vendémiaire ayant rendu la
puissance au parti que le général
avait vivement combattu et répri-
mé, il se trouva compris dans la
réactioQ, et, le 18 du même mois,
il reçut sa destitution. Le général,
rentré dans la vie privée, ne repa-
rut sur le théâtre mobile des évé-
nemens qu'à la fameuse époque
du 18 fructidor an 5. Le directoire
lui avait proposé du service, à
diverses reprises; mais le géné-
ral , qui avait contracté des liaison*
avec le parti modéré des deux
conseils, s'était constamment re-
fusé à ces avances. Irrités de sa
conduite, les proscripteurs du di-
rectoire le placèrent sur leur liste ,
ave les sept premiers proscrits de
fructidor, Barthelemi , Pichegru ,
Villot, Caniot, etc. Le général
Morgan fut assez heureux pour
échapper aux satellites chargés de
son anestation : on assure qu'il
j58
MOR
ne parvint à se sauver que par une
suite d'incidens peu ordinaires,
et d'une couleur tout-à-fail roma-
nesque; ils intéresseront vivement
le public, si, comme on l'assure,
ils l'ont partie des Mémoires que
rédige cet officier, et qui embras-
sent toute l'époque de 1789 jus-
qu'à ce jour. Il fut témoin ou acteur
dans les événemens, et nul ne peut
mieux en faire connaître les cau-
ses secrètes et en juger les résul-
tats. Le général Morgan fut rap-
pelé, au 18 brumaire, et accueilli
avec distinction par le premier
consul , qui, aprèss'ètre entretenu
avec lui près d'une heure dans
son cabinet du Luxembourg, lui
offrit sur-le-champ de l'emploi. Ce
témoignage de bienveillance n'eut
point d'effet. Le général n'apprit
<|u'une année aj)rès, le motif de
«;e refroidissement inattendu; et
ce fut par le moyen de Joseph
lionaparte , qui , se trouvant à
Lunéville, logeait chez la com-
tesse de Fresnel , sœur du géné-
ral. Celui-ci apprit qu'il avait été
nommé dans un rapport du mi-
nistre Fouché sur une prétendue
«onspiration , comme frère d'un
des conspirateurs. H n'en fallait
pas tant pour éveiller les soupçons
<lu premier consul; cependant,
l'affaire une fois éclaircie, on s'a-
perçut que l'accusation était faus-
se : le général fut replacé dans
l'état-major de l'armée , mais son
Hjaractère de franchise et d'indé-
pendance convenait peu au chef
-de l'état ; il ne fut point placé
dans les voies de l'avancement.
En 1802, le général fut envoyé
à Saint-Dom.ingue, à l'époque où
celte colonie et l'armée française
«étaient dans l'étal le plus déses-
MOR
péré, et au moment de la rupture
avec l'Ajiglelerre. Le premier acte
d'hostilité de celte guerre fut la
prise de la frégate la Créole^ sur
laquelle le général Morgan était
parli du Cap pour aller comman-
der dans l'ouest de l'ile. Ce fut le
12 messidor an 12 que la Créole
fut enlevée par une escadre an-
glaise de sept vaisseaux, sous les
ordres de l'amiral Duckw^ortli.
Conduit d'abord à la Jamaïque,
puis en Angleterre, il eut le bon-
heur d'obtenir, par son ami le
général Dumouriez, d'être échan-
gé contre le général Baird. De
retour en France , il reprit de
l'emploi , lit partie du camp de
Boulogne en 1809 et 1810, fut
envoyé à l'armée de Naples en
18 ji, et passa ensuite à celle du
Midi de l'Espagne , commandée
parle maréchal Soult. Le général
Morgan a fait les deux dernières
campagnes de l'armée d'Espagne,
jusqu'à la restauration. En dé~^
cembre 1814» le général fut nom-
mé au commandement d'une sous-
division dans la 16* division mili-
taire; il s'y trouvait à l'époque du
20 mars 18 1 5. Au mois de juin sui-
vant,il futchargéd'un commande-
ment à l'armée de la Somme, sous
les ordres du comte Gazau. Au dé-
sastre de Waterloo, il ne put s'oc-
cuper qu'à faire refluer les trou-
pes sur Paris, et à sauver le ma-
tériel de l'armée. Au mois d'aoftt
de la même année, il fut mis à la
retraite , comme ayant 5o ans de
service. Le 16 janvier 1816, le
général Morgan fut arrêté , mis
au secret , puis à la Force. On
l'avait dénoncé comme conspira-
teur, et entretenant une corres-
pondance avec Dumouriez. Le gé-
MOR
néral Morgan demanda avec ins-
tance d'être mis en jugement. Le
ridicule de l'accusation fut enfin
connu, et la liberté lui fut rendue,
le 1" août suivant. Depuis cette
époque le général n'a rempli au-
cune fonction publique. On le
croit retiré à la campagne , et oc-
cupé d'un grand ouvrage, qui se
compose des mémoires de ce qu'il
a vu, fait et appris depuis 1790
jusqu'à ce jour : peu d'hommes
sont plus en état que lui , par leur
expérience et leurs lumières , de
préparer des matériaux curieux et
importans à l'histoire contempo-
raine. Les Mémoires dont ii pré-
pare la publication inspirent d'a-
vance un vif intérêt. On pense gé-
néralement que, pendant plusieurs
années, il a été très-utile à im per-
sonnage éminent qui mettait à
profit la connaissance des hommes
et des choses. Aussi, la partie la
plus piquante des Mémoires du gé-
néral Morgan sera nécessairement
celle où il traite l'histoire des mi-
nistères depuis la re^tauration. On
assure que cette partie détachée de
son ouvrage sera la première li-
vrée au public.
MORGAN (BÉTHCSE-) , procu-
reur-général pièsde la cour royale
d'Amiens, est frère du précédent.
Sa profession d'avocat l'ayant nus
à même de rendre des services é-
ininens à la famille de Béthune ,
il en fut récompensé par son ad-
mission dans cette famille , dont
il ajouta depuis le nom au sien.
Contre l'exemple de la plupart de
>es confrères, il repoussa les prin-
cipes de la révolution, se pronon-
ça en faveur de l'aristocratie et
des privilèges, et défendit, en
1796, avec autant de hardiesse
MOR
ijij
que de talent, les émigrés nau-
fragés de Calais [Voyez Choisecl-
Staisville). Ses opinions politi-
ques le firent enfermer en 1802,
dans la prison du Temple, d'où il
sortit au bout de quelques mois,
pour aller reprendre à Amiens
l'exercice de sa profession. M.
Morgan fit partie du barreau de
cette ville jusqu'après les événe-
mens de 181 5. A celte époque,
le roi le nomma procureur-géné •
rai près la cour royale de la Som-
me, en remplacement de M. La-
mardelle. Le nouveau procureur-
général fut destitué ù son tour,
ainsi que M. Séguier, préfet du
département , pour être entrés
l'un et l'autre dans une de ces so-
ciétés secrètes qui prétendaient
exclusivement conserveries véri-
tables doctrines du gouvernemen*^
monarchique , et qui se multipliè-
rent après la seconde restauration;
mais ils furent bientôt réintégrés
dans leurs emplois. M. Morgan-
Béthune remplit encore aujour-
d'hui (1824) les fonctions du mi-
nistère public près de la cour roya-
le d'Amiens.
MORGAN (ladt). L'Angleterre,
féconde en femmes auteurs, comp-
te lady Morgan au premier rang
de celles que leurs écrits ont illus-
trées dans l'Europe. Un esprit ori-
ginal, de la verve, du trait, peu de
goût, un abandon qui n'est pas
toujours de la grâce : tels sont le»
principaux caractères qui distin-
guent son talent. Aussi célèbre
sur le continent que dans son
pays , elle a un peu compromis ,
par la singularité audacieuse qui
a dicté ses voyages, la rcputatior»
que ses romans lui avaient faite.
S'il fallait la comparer à quel-
iGo
M OR
ques-unes de nos compatriotes,
l'auteur du parallèle serait fort em-
barrassé; sa pensée est plus forte,
plus étendue et plus hardie que
celle de M"' de Genlis; on ne peut
la rapprocher de M"" Coltin, qui
écrit si purement; elle a un carac-
tère original et étrange qui manque
peuUêtre à M""' de Flahaut; enfin,
lady Morgan mérite une place ab-
solument à part, et cet isolement ,
dont elle subit les inconvéniens ,
n'est pas sans mérite ni sans gloi-
re. Son nom de famille est Owen-
son. Son père était comédien du
théâtre de Dublin. Elle épousa le
médecin de lord Abercome , M.
Morgan, qui reçut, à l'époque de
son mariage et d'après les sollici-
tations de sa nouvelle épouse, le
titre de Kniglit , chevalier. Lady
Morgan débuta dans le monde
littéraire par des romans fort re-
marquables, par un mélange d'é-
rudition et d'imagination dont peu
d'écrivains avaient empreint leurs
ouvrages. La jeune fille d'Irlande
(ihe \Yild irish Giri), Ida, oal'A-
thénienne, le Missf0Tinaire,O' Don-
nel, avaient obtenu un grand suc-
cès , non-seulement à Londres ,
mais à Paris, où les traductions
des deux premiers de ces romans
eurent plusieurs éditions. Après
avoir consulté son imagination
pour composer ces ouvrages, elle
voulut écrire d'après son observa-
tion. Elle vint en France en 1816,
et entreprit de peindre sur place
la scène mobile et bruyante de
déraison, de folie, de haine, d'in-
constance, d'esprit et d'intrigue,
qu'oflVait alors ce malheureux
pays. Son livre fit du bruit ( la
France, 1817). Il était semé d'er-
reurs, rempli d'esprit, brillam-
MOR
ment coloré, et aussi remarquable
par l'heureuse audace de quelques
peintures que par le mauvais gen-
re de plusieurs traits. Une légè-
reté, une vivacité d'esprit, aux-
quelles cette dame avait cru devoir
s'abandonner avec moins de ré-
serve encore en écrivant sur la
France et sur les Français, dégé-
néraient trop souvent en pétJilan-
ce , en partialité ; causaient des
erreurs grossières, et gâtaient une
suite de pages pleines d'éclat, d'o-
riginalité , d'indépendance et de
raison. Les mêmes défauts, exa-
gérés encore et poussés jusqu'à
une sorte de dévergondage d'ima-
ginalion bien extraordinaire chez
une femme, se retrouvèrent dans
l'ouvrage qu'elle publia, en 1820,
sur l'Italie. Le malheur ou le dé-
faut qui entraîne lady Morgan
dans des écarts indignes de sou
talent ^ c'est la manière, le désir
d'être lue, et le besoin de faire ef-
fet. Elle x\''&n est pas moins une
des femmes les plus spirituelles et
les plus remarquables de l'époque.
Le mot d'un journaliste anglais :
Lady Morgan a ensevelimiss Owen-
son, nous semble trop sévère.
MORGAN - DE - BELLOY ( le
baron), membre de la chambre
des députés depuis i8i5, a pris
successivement place au centre et
à la droite. Il s'est principalement
occupé de matières de finances,
soit comme rapporteur, soit com-
me membre. Il saisit l'occasio»
du projet de loi sur les douanes,
présenté dans la session de i8i5-
1816 , pour proposer des mesures
répressives contre la contrebande,
et demander que les cours prévô-
tales prononçassent la peine de
l'exposition contre les contrebaa-
MOR
diers en récidive. Membre de la
commission du budget,qui le nom-
ma rapporteur, il demanda plu-
sieurs modilicalions au projet des
ministres, présenta des vues neu-
ves sur les importations et expor-
tations, et sur le système des doua-
nes. 11 fit, dans la session de 1816-
181^, le rapport sur le projet de
loi des douanes, et parla, l'année
suivante, en faveur des habitans
de la petite ville de Saint -Valéry
(Somme), qui réclamaient pour
leur département, dont il est l'un
des députés, un entrepôt exclusif
de sel. A l'occasion du projet de
loi des finances de la même année,
il évalua à plus de 5 1,000,000 fr.
l'excédant que les receltes devaient
offrir sur les dépenses; proposa
que, sur cette somme, 26,000,000
lussent affectés au dégrèvement
de la propriété foncière ; parla
contre les droits d'enregistrement,
contre les contributions indirec-
tes, et demanda que le gouverne-
ment fût supplié de présenter à
une session prochaine un nouveau
système de droits- réunis njoins
onéreux, et surtout moins vexa-
toire. Nommé rapporteur de la
commission des douanes, en 1819,
il exposa quelques considérations
sur ce genre d'impôt, el établit
que, si des taxes modérées favori-
sent le commerce tout en enrichis-
sant l'état, des taxes trop fortes
ruinent le commerce pour n'en-
richir que les contrebandiers. Dans
les sessions suivantes, il a cher-
ché par ses discours à adoucir le
sort des contribuables. Il était en-
core membre de la chambre lors
de sa dissolution totale en 1824.
MORGHEN (Raphaël), né à
Kaplesen i;58, est fils d un gra-
X. XIV.
MOR lut
veur de cette ville. Il reçut de
son père les premiers principes
de son art. Les leçons de ce maî-
tre ne suffisant bientôt plus au
génie de Morghen , ce jeune ar-
tiste se rendit à Rome, où il sui-
vit celles de Volpato, dont il de-
vint le gendre et l'ami. Il partagea
avec cet artiste célèbre la gloire
dereproduii e parle burin les chefs-
d'œuvre de Raphaël , les loges du
Vatican, et fit paraître, sous son
nom, celle qui représente le mira-
cle dt Bolsena. Le grand -duc de
Toscane le chargea, en 1762, de
graver les principaux tableaux de
la riche galerie de Florence ; et le
talent avec lequel il remplit cett<i
honorable mission, lui acquit dès-
lors une célébrité méritée. En
1794» les artistes florentins s'ho-
norèrent eux-mêmes, en priant le
grand duc de confier au talent de
M. Morghen le soin de faire revi-
vre, par la gravure, la fameuse
Cène de Léonard de Vinci. L'entre-
prise était difficile; ce morceau,
peint sur l'une des murailles du
réfectoire des dominicains, à Mi-
lan, en i497< était devenu pres-
que méconnaissable, soit par l'ef-
fet des dégradations qu'il avait
souffertesjsoit par des restaurations
mal exécutées. Aussi, ne faut il
point être étonné des reproches
que le peintre Bossi adresse à l'ar-
tiste napolitain, dans son petit
ouvrage del Cenacolo di Leonardo
dat^inciy Milan, 1810, in-4°, lors-
que, après avoir rendu justice à
la beauté de cette gravure , qui
estadmirablc, il dit que tout hom-
me impartial « verra qu'il restait
«encore beaucoup ù faire à M.
» Morghen pour se rapprocher da
»la manière de Léonard de Vinci;
II
iCa
MOR
«qu'il manque dans cette gravure
«précisément ce qu'il y avait de
«plus exquis dans l'original, et
«dans tous les ouvrages de ce grand
«maître. » Mais ces reproches,
quoique fondés, porteront d'au-
tant moins atteinte à la gloire de
M. Morghen , qu'il n'a exécuté sa
gravure que d'après une copie de
ce tableau, levée par Matteïni.
On remarque parmi les œuvres de
ce graveur célèbre : i° une belie
traduction du chef-d'œuvre de
Raphaël, représentant ta Trhisfi-
guration : il en avait commencé
unepremière beaucoup moin? par-
faite, qui, ayant été achevée par
son frère, fut répandue dans le
public sous son nom, par une
maison de commerce de Manheim.
a"* Une Madeleine, d'après Murillo;
5° te char de l'Aurore, d'après le
Guide; 4° ^^ /""'^ d.^ Diane, d'a-
près le Dominiquin; 5° Apollon
et les muses, de Mengs ; 6" le C«-
•»fl/i<r, d'après Vandyck; y" tes Heu-
res, d'après le Poussin; S^taVier-
ge à la chaise {Madone de laSedia),
de Raphaël : cette charmante com-
position fait partie de la suite de
gravures exécutées par ordre du
grand-duc de Toscane; g" Thésée
vainqueur du minotaure , d'après
Canova; lo' monument à la mc-
moire de Clément XIII , d'après
le même. M. Morghen, déj;\ mem-
bre associé de Tinstitut de France
depuis i8o3, fut attiré à Paris par
l'empereur en 1812, et remporta
dans sa patrie des marques de la
munificence de ce prince. Affaibli
par l'âge et le travail, M. Mor-
ghen paraît avoir déposé son bu-
rin ; mais il a formé un grand
nombre d'élèves distingués.
MORIER (James), diplomate
MOR
anglais, neveu de l'amiral Wil-
liam AValdegrave , baron Rad-
stock, fut d'abord secrétaire d&.
lord Elgin, ambassadeur à Cons-
tantinople. A l'époque de l'occu-
pation de l'Egypte par les Fran-
çais, il reçut l'ordre de solliciter,
auprès du grand-visir, l'évacua-
tion de ce pays ; mais il tomba en-
tre les mains de ceux qui l'avaient
conquis. La saisie de son porte-
feuille ayant découvert le secret
de sa mission, on voulut d'abord
le traiter en espion, mais enfin on
ïe renvoya avec menace de le con-
sidérer comme tel, s'il était arrêté
de nouveau sur le territoire que
l'armée française occupait. De re-
tour à Londres, il y publia un
Mém.oire sur la campagne qu'il a-
vait faite avec l'armée ottomane ,
en Egypte. Il a depuis rempli suc-
cessivement les fonctions de se-
crétaire d'ambassade en Perse ,
puis à Vienne. M. James Morier
a acquis une connaissance parfaite
des langues orientales; il a publié
une relation de ses excursion»
dans l'ancien pays des Mages ,
sous ce titre : Voyage à travers ta
Perse, l'Arménie et l'Asie-Mineu-
re jusqu'à Constantinople , in-4*,
1811. On a traduit en français cet
ouvrage, dans lequel se trouvent
des détails curieux:
MORIER (J. P.), envoyé ex-
traordinaire à la cour de Dresde,
reçut, en 1814» l'ordre de se ren-
dre en Norwège, afin de donner au
prince Christian Frédéric, des ex-
plications sur la situation de l'An-
gleterre, en raison de ses enga-
gemens avec les puissances alliées
et notamment avec la Suède. Le-
but principal de cette mission é-
tait de savoir si les habitans de hi
MOR
Norwège voulaient accepter, en
laveur d'une garantie de leurs
droits constitutionnels, la média-
tion de la Grande-Bretagne, ou
s'ils préféraient courir les chances
d'une guerre avec les puissances
qui, dans ce moment, réclamaient
par leurs agens l'exécution du
traité de Kehl. Lorsque M. Mo-
rier arriva à Chrisliana , rassem-
blée des représentans de la nation
norwégienne venait d'être dissou-
te ; alors il crut devoir remettre
au gouvernement qui l'avait rem-
placée, la note dont il était por-
teur, en déclarant toutefois, au
nom de son gouvernement, qu'il
ne reconnaissait point la légitimité
de celui auquel il s'adressait.
MOllILLO (don Pablo), comte
de Carthagène, grand'croix de l'or-
dre de Saint- Ferdinand, lieute-
nant-général, et, dans la dernière
guerre d'Espagne, en iSaô, com-
mandant de la 2°" armée de ré-
serve, est né à Fuenle de Mal va,
dans la province deToro, et ap-
par^^ent à une famille obscure; on
assure même que dans sa jeunesse
il a été berger : il ne tient donc
son illustration que de lui-mên)e.
A l'époque de la révolution fran-
çaise, il était sergent de marine.
Le premier trait de courage qui
l'ait fait remarquer de ses compa-
triotes, date de la journée de Tra-
falgar. Monté sur un vaisseau dont
un coup de canon précipita le pa-
villon à la mer, il se jelle à ta na-
ge, l'arrache aux flols et le rap-
porte à son bord. Jusqu'à l'inva-
sion de l'Espagne par l'empereur
Napoléon, Morillo fut à peu prés
inconnu, et même sa célébrité ne
date que de l'époque des événe-
mens politiques en 18 1 5, qu'il de-
vint commandant en chef de l'ex-
pédition destinée à combattre les
indépendans d'Amérique. Dans la
guerre fle lapéninside, en 1808 ^
il commandait un corps de gué-
rillas, qui n'étendit. pas ses opé-
rations au-delà du royaimie de
Murcie. Son courage , son activi*
té, la discipline de ses soldats, le
mirent bientôt en état de rendre
des services importans, et il fut
nommé général : ce grade , il le
dut à ses talens et à son courage.
Il aurait obtenu les grades infé-
rieurs par un moyen assez singu-
lier, si on en croit l'ouvrage inti-
tulé : Galerie espagnole, ou Notices
biographiques sur les membres des
cortès et du goavernemait , les gé-
néraux en chef et commandans de
guérillas des armées conslitutioimel-
le et de la foi, Paris, in-8°, 1825.
Voici ce que dit l'auteur de cet
ouvrage : «En mars 1809, i' i"~
vestit, avec ses guérillas encore
indisciplinées, la place deVigo,
qui, n'ayant pour garnison que
des employés d'administation et
des soldats convalescens , fut ai-
sément réduite aux dernières ex-
Irémilés. Cependant le comman-
dant français, M. Ch***, refusait
obstinément de se rendre à un
corps de partisans, et ne voulait
traiter qu'avec un officier ayant
un rang au moins égal au sien.
Morillo imagina de supposer son
avancement, fut ensuite annon-
cer lui-même au gouvernement
la conquête qu'il avait faite, l'ar-
tifice auquel elle l'avait obligé ,
et en reçut la confirmation du
grade dont il lui avait fallu pren-
dre les décorations pour entrer à
Vigo. Cet incident avait contri-
bué à le faire colonel. • Le corps
i64 MOR
fie Morillo suivit les inouvemens
de ratmée espagnole. Son chef se
fit particulièreinent remarquer, le
20 juin i8i5, sur les hauteurs de
la Puebla d'Arlanzon : il repoussa
la droite des Français qui occu-
paient ces hauteurs, et parvint à
s'y établir. Cependant, les troupes
françaises entreprirent à leur tour
de l'en chasser, et y réussirent a-
près un combat vigoureux où Mo-
rillo fut blessé : il ne quitta point
pour cela le champ de bataille. Au
mois de novembre de la même
année, au combat de Saint-Pé, il
mérita d'être cilé honorablement
dans les rapports officiels. Morillo
resta sans activité depuis le réta-
blissement de Ferdinand VII sur
le trône jusqu'au commencement
de i8j5, qu'il partit de Cadix, en
qualité de commandant de l'armée
destinée à faire la guerre aux in-
dépendans de l'Amérique espa-
gnole. Il prit d'abord terre à l'î-
le de Marguerite, près des côtes
<le Terre - Ferme , où le mauvais
temps le retint assez long-temps,
et lui fit perdre i5oo hommes et
plusieurs bâlimens de transport
renfermant 4^0,000 piastres et
beaucoup de munitions. Enfin, il
remit à la voile, et jeta l'ancre le
8 août (181 5) devant Corrolitos,
ayant avec lui environ 40 voiles.
Son débarquement opéré , non
sans difficulté, par suite des nom-
breuses escarmouches des indé-
pendans, il mit le siège devant
Carthagène. Le gouverneur, qu'il
eomma impérieusement de se ren-
dre, ne répondit point à ses me-
naces, et se prépara à se défendre
avec vigueur. Morillo investit la
place par terre et par mer, mais
sang succè? de ee dernier côté, les
MOR
chaloupes Canonnières des indé-
pendans ayant repousse ses vais-
seaux, et protégé l'entrée de plu*
sieurs bâtimens chargés de vivres.
Désespérant de réduire les insur-
gés parle blocus, il attaqua Car-
thagène à force ouverte : huit
jours de bombardement ne ralen-
tirent point le courage de la gar-
nison ni l'énergie des habitans.
Pendant que la place faisait un feu
bien nourri, les femmes, du haut
de leurs balcons, augmentaient
encore le courage des assiégés par
le cri de Vive la patrie! Morillo
donna l'assaut à la ville le jour
même où la garnison célébrait
l'anniversaire de l'indépendance ;
mais cette solennité n'avait point
endormi la prudence des assiégés.
Quoique attaqués sur différenti
points par des corps d'élite, les
indépendans se comportèrent avec
tant de valeur, que les assiégeant
se retirèrent en désordre, et firept
des pertes assez considérables
pour être forcés d'attendre de?
renforts avant de hasarder de
nouvelles attaques. Ces renforts
arrivèrent, et Morillo put repren-
dre le blocus par mer et par terre,
cette fois avec un tel succès, que
la place ne put être ravitaillée,
et que bientôt on y ressentit toutes
les horreurs de la famine. Le cou-
rage des indépendans, soldats et ha-
bitans de tout sexe et de tout âge,
surmonta cette situation affreuse.
Ils dévorèrent successivement les
chevaux, les animaux les plus im-
mondes, et jusqu'aux cuirs de»
chaises et des malles. Ces derniè-
res ressources manquèrent enfin ,
et le 4 décembre le gouverneur
fut obligé d'assembler un conseil
de guerre^ qui décida que la plac«:
k
M OR
devait être évacuée. La garnison,
réduite à un très-petit nombre de
braves, et quelques habitans s'em-
barquèrent sur les bâlimens dont
on pouvait encore disposer, et
passèrent au travers des batteries
des îisiégeans, se dirigeant sur Sa-
vannah-el-Mar, oii très-peu de ces
bâtimens arrivèrent, les autres
ayant été coulés bas ou étant tom-
bés au pouvoir des vainqueurs. Le
6 du même mois , Morillo fit son
entrée sur des ruines de toute
espèce. Au milieu des débris des
mai*ns consumées ou renversées
par les bombes, on trouva, disent
des lettres authentiques , près de
5,000 individus morts de faim;
et le même jour de l'évacuation ,
ajoutent ces lettres, 520 expirè-
rent. Cette résistance héroïque,
dont les guerres modernes n'ont
peut-être pas fourni un second
exemple, fit juger au vainqueur
quels sentimens l'avaient inspirée,
et quels hommes il avait combattus
et avait encore à combattre. Mo-
rillo poursuivit les indépendans
dans le royaume de Terre-Ferme;
Bes succès furent souvent balan-
eés, et plusieurs fois surpassés.
Au combat de San-Carlos, et peu
de temps après sur les bords de la
rivière Polo, il éprouva deux dé-
faites considérables. Sur mer, les
corsaires indépendans non-seule-
ment nuisaient au commerce es-
pagnol par leurs nombreuses: pri-
ses, mais empêchaient l'arrivée
des renforts, ou leur faisaient é-
prouver des échecs multipliés : ils
s emparaient des convois ou les
détruisaient en partie. Le vaisseau
le San- Pedro , qui sauta em l'air
près de l'île de Coche, fut pour
le chef royaliste une perte d'au-
MOR
i65
tant plus notable, que les flottilles
des indépendans agirent désormais
avec plus d'audace et de sécurité.
Morillo supporta avec une grande
fermeté l'extrême embarras de sa
position. Il obtint même de nou-
veaux avantages en attaquant S;m-
ta-Ké, que les indépendans défen-
dirent avec opiniiltreté , mais où
il entra. Leur résistance excita la
vengeance du vainqueur, et les
exécutions les plus sanglantes sî-
gn.dèrent son triomphe. Les Amé-
ricains et les Anglais qui avaient
aidé les indépendans, en leur four-
nissant des armes ou des provisi-
sions, furent, les uns mis à mort,
et les autres , grâce aux réclama-
tions énergiques de leurs gouver-
nemens , retenus en captivité ;
mais, par un etfet de la vengeance
du chef espagnol , elle fut en-
core longue et cruelle. Les indé-
pendans combattaient avec l'exal-
tation du patriotisme, et la haine
qu'inspirait tant de barbarie. La
défense de l'île de Marguerite par
un fort détachement d'indépen-
dans, et le zèle enthousiaste des
habitans, firent donner à ces hom-
mes intrépides le surnom à*i S par-
tiales modei'ties. Les troupes roya-
listes elles-mêmes offrirent des
preuves d'un courage peu com-
mun. On rapporte que dans un
des combats multipliés pour la
conquête de cette île, 5oo soldats
du régiment de La Union, enve-
loppés par les indépendans i pré-
férèrent mourir jusqu'au dernier
plutôt que de se rertdre : il sem-
blait que de part et d'autre on
voulût une guerre d'extermina-
tion. Les Espagnols, après un nou-
veau combat, furent forcés d'éva-
euer l'île, presque au moment où
iG6
M OR
le chef indépendant Zaraza, à la
tête d'un grand nombre de ses
Tartares, s'emparait de la place
de Ëarinas. « La position générale
de Morilio, disent les auteurs d'u-
ne Biographie étrangère, malgré
quelques brillans succès, se trou-
vait donc très- critique, et don-
nait peu d'espérances quant au
résultat déUnitif. La prise deCar-
thagène ne lui avait guère valu
d'autres avantages que ceux qu'il
retirait de l'occupation de cette
place : la plupart des détache-
mens qu'il envoyait pour faire
des incursions dans l'intérieur
du pays, continuellement harce-
lés par les guérillas, et de plus
atteints d'une maladie épidémi-
que causée par le manque d'ali-
mens convenables, et par la fa-
tigue de leurs marches, à travers
les montagnes et les forêts, fu-
rent totalement détruits , ou ne
rentrèrent dans la place qu'après
avoir perdu la plus grande partie
de leurs hommes. Espérant plus
de succès d'une attaque générale,
Morilio marcha en personne con-
tre Santa -Fé, que les indépen-
dans avaient reconquis à la suite
d'un combat très- vif. Les som-
mations qu'il adressa aux habitans
de la Nouvelle-Grenade n'eurent
aucun effet, et partout il reçut
pour réponse, que les républi-
cains de cet état avaient résolu
de se défendre jusqu'au dernier
soupir. Les effets répondirent aux
paroles: dans trois attaques suc-
cessives, les royalistes furent re-
poussés et contraints de rentrer
dans leurs lignes de Mompox.
Leurs affaires prenaient toutefois
nn aspect plus favorable sous le
rapport martitime; leurs navires
MOR
de guerre avaient pris ou détruit
grand nombre de corsaires in-
surgés, et les renforts, ainsi que
les convois, arrivaient avec plus
de facilité.» Cet état ne pouvait
durer : il fatiguait également les
deux partis, qui se déterminèrent
à tenter une affaire générale. Le
25 février 18 16, dans la matinée,
les indépendans furent les premiers
à donner le signal du combat, en
se précipitant sur l*armée espa-
gnole, qui occupait Puenle , Cii-
pey et Mamey , postes impf^ans
dont le premier fut plusieurs fois
pris et repris. Un explosion ter-
rible dans le fort de Santa-Rosa ,
où se trouvait un détachement de
l'armée royale, et produite par un
obusqin', en éclatant, fit sauter
plusieurs caissons, détermina les
indépendans à profiter du désor-
dre que cet événement avait oc-
casioné parmi leurs ennemis : ilsse
précipitèrent de nouveau sur les
Espagnols, mais ceux-ci les reçu-
rent avec autant de sang-froid que
de courage, les chargèrent à leur
tour, et malgré les efforts de leur
chef Arismendi {yoy. ce nom), les
mirent dans une déroute complète.
Ils reprirent bientôt courage. Le
29 avril, près d'Ocanno, dirigés
par IJrdaneta etïorrices, ils bat-
tirent complètement Morilio et
Morales, qui commandaient en
personne, et les forcèrent à se
retirer précipitamment : pendant
l'action , ^00 soldats espagnols se
joignirent aux indépendans. De
son côté, Bolivar {voy. ce nom)
redoublait d'efforts. Après avoir
rallié à Haïti les braves et mal-
heureux réfugiés de Carthagène,
et des autres places de la Nouvelle-
Grenade, et obtenu du président
MOR
rùlliion i5oo Noirs et nuilâtrcs
liien aguerris, dirigeant vers l'O-
réno(^je ces forces réparties sur
55 bâtimens de guerre, il détrui-
sit une petite escadre espagnole ,
f]ui prétendait s'opposer à son pas-
sage, débarqua à Margarita, et
punit sévèrement la garnison de
Pampatar, qui n'avait pas voulu
se rendre. Au moyen de ces nou-
veaux renforts, l'armée républi-
caine fut portée à 7000 hommes :
elle descendit à Ocumare. «Quoi-
que cette entreprise échouât, di-
sent les auteurs de l'ouvrage que
nous avons déjà cité, elle lut ce-
pendant utile à la cause améri-
caine, en obligeant les Espagnols
à diviser leurs forces, et en leur
fiusant perdre par-là les fruits de
leurs succès. En effet , la plus
impétueuse vaiM.ince n'avait pas
empêché les patriotes d'être com-
plètement battus à Cachiri ; et
malgré un succès obtenu par eux
à Remedios, mais qui fut suivi
de plusieurs revers, Morillo, en
juin 1816, réoccupa enfin Santa-
Fé de Rogota. Ce triomphe acheté
si cher ne labusa pas néanmoins
sur la véritable situation des cho-
ses, comme le fait connaître une
lettre qu'il écrivit, vers celte é-
poque. au ministre delà guerre
eu Espagne, et qui fut trouvée à
bord d'un bâtiment capturé par
les républicains pendant sa tra-
versée de la Havane à Cadix.
Nous extrairons de cette lettre,
où le général espagnol, par la
manière dont il juge les cho-
ses , a fait preuve d'un coup
d'œil sûr, et d'un esprit à la fois
vaste et ferme, divers passages
qui servent mieux que tout autre
récit, ù faire connaître la nature
MOR
167
de cette guerre. Après avoir tra-
cé les embarras de sa situation,
résultant du nombre et de l'en-
thousiasme de ses adversaires ,
de la dilTiculté des communica-
tions, des secours que leur pro-
curent des spéculateurs d'Euro-
pe, et surtout des mauvaises
dispositions des ecclésiastiques
dans toute la vice-royauté, il a-
joute : « J'ai déji exprimé mon
désir que votre excellence en-
voyât ici des missionnaires. Je
dirai mainten;mt qu'il est indis-
pensable d'envoyer aussi des
hommes de loi. Si le roi a tou-
jours l'intention de subjuguer
ces provinces, il faut prendre les
mêmes mesures que loi-s de la
première conquête, cest-à-dire
celles qui furent prises parCortei
et Pizarre ! » Les mêmes auteurs
citent une autre lettre, qui fut é-
crite quelque temps après, et éga-
lement interceptée : il observait,
disent-ils : 0 Que, suivant les or-
dres du roi, il avait rétabli l'au-
dwncla de Caraccas , mais qu'il
regardait cette mesure comme
fausse et désastreuse, vu que l'é-
tat des choses dans ce pays exi-
geait un gouvernement pure-
ment militaire; sur quoi il faisait
cette observation remarquable : ■>
« Personne ne sait mieux que moi
qu'un gouvernement militaire
est par essence excessivement
dur et despotique. C'est le plus
tyrannique et le plus destructif
de tous; mais c'est le plus éner-
gique, c'est celui que les rebelles
ont adopté. Au surplus, conti-
nuait Morillo , chaque provinc»
de l'Amérique demande un systè-
me différent. A Santa-Fé, il y a
fort peu de noirs et de mulâtres;
i68
MOR
à Venezuela au contraire , une
grande partie des blancs a péri
dans la révolution. Les habitans
de Santa-Fé sont naturellement
indolens; ceux de Venezuela, har-
dis et sanguinaires. A Santa-Fé ,
les différens étaient réglés par les
tribunaux; à Garaccas, c'est le fer
fjui les décidait. De ces divers
caractères, provient la diversité
des oppositions que nous avons
rencontrées ; néanmoins, la dissi-
inulation et la perfidie sont les
mêmes dans toutes les provinces.
Probablement les habitans de cet-
te vice -royauté n'auraient pas
si fermement résisté aux troupes
du roi, si ceux de Venezuela n'é-
taient venus les soutenir. C'est
à leur instigation que les habi-
tans de Carlhagène prirent la ré-
solution de combattre avec tant
de vigueur. Poussé par eux, le
gouvernement d'Antioquia pro-
clama deux fois la guette à mort,
et fit savamment fortifier les dé-
filés de la province par des in-
génieurs qu'ils lui fournirent. Ce
fut par l'activité de ces mêmes
j'évoltés que Santa-Fé fut obligée
♦ie se soumettre au congrès, et
d'adopter leurs plans sanguinai-
res. En un mot, les rebelles de
Venezuela ont tout conseillé, tout
fiJt ; quand ils combattent sur
leur propre territoire, ce sont de
■•. éritables bêtes féroces. Quand
jarrivai ici pour prendre le com-
mandement de l'armée royale, je
fus saisi d'horreur en apprenant
le nombre des tués dans chaque
bataille , soit gagnée , soit per-
due. Persuadé qu'un pareil achar-
nement prenait ses ressources
dans les implacfibles ressentimens
de l'esprit de parti, je cherchai
MOR
à les calmer, en déployant cette
clémence sans bornes que m'a
tant recommandée le roi :• quel
effet a-t-elle produit? de nou-
velles trahisons. Si le peuple de
Venezuela se soumet enfin, ce ne
sera, j'en ai la conviction, que
pour attendre l'occasion favora-
ble de se révolter de nouveau.
Pour réduire ce peuple, des trou-
pes plus nombreuses sont néces-
saires; et, je répète à votre ex-
cellence, il faut que le capitaine-
général de Venezuela soit investi
du pouvoir militaire. Soyez bien
assuré que le succès ne sera pas
l'ouvrage d'un jour, et qu'il ne
peut être obtenu que par la per-
sévérance et l'activité : c'est une
guerre féroce comme celle des
Noirs contre les Blancs. » Peu
de modifications doivent être fai-
tes dans ce tableau de la situation
des esprits et des dispositions des
partis. Les royalistes évacuèrent
Margarita. Le chef indépendant,
Arismendi , se rendit sur le conti-
nent, à la tête d'une partie de ses
troupes, afin d'augmenter les for-
ces et l'énergie des armées de la
nouvelle république. Bolivar, que
le mauvais succès de ses opéra-
tions à Ocumare avait déterminé
à repartir pour les Cayes, en revint
avec des forces nouvelles. Il con-
voqua un congrès-général à Vene-
zuela , et se rendit ensuite à Bar-
celonne, où il établit un gouver-
nement provisoire. Les chefs roya-
listes, effrayés de voir organiser
avec celte imposante régularité la
nouvelle république, marchèrent
contre Bolivar. Ils eurent peu de
succès, et furent repoussés avec
perte dans le courant de février et
mars 1817. La puissance maritime
MOR
df!s indépendans Pe fortifiait de
plus eu plu^. L'iimiral Brion (voy.
ce nom) tenait dans un blocus ri-
goureux les places qui étaiwit en-
core au pouvoir des Espagnols,
et lançait des corsaires qui s'em-
paraient, jusque dans les mers
d'Europe, des vaisseaux espagnols
chargés de munitions et d'appro-
visionnemens pour les troupes
royales. Il résulte des rapports
que publièrent les journaux an-
glais de cette époque, que les for-
ces des insurgés de la Nouvelle-
Grenade et de Venezuela s'élevaient
à plus de 19.000 hommes , non
compris les forces de mer, qui
étaient de près de 20 navires de
guerre. Les forces qui leur étaient
opposées n'étaient pas, tant en
troupes réglées qu'en troupes ir-
régulières, de plus de 6')Oo hom-
mes; environ 12 petits bâtimens
armés formaient toute leur mari-
ne. On trouve, dans le Diario
mercantU de Cadix, de 1817, '^
liste des principaux chefs de la
révolution dans la Nouvelle-Gre-
nade qui avaient subi la peine ca-
pitale. Cette liste effrayante con-
tenait les noms de 43 personnes,
toutes d'une haute distinction, et
ayant rempli des fonctions émi-
nentes , telles que celles de séna-
teurs, de meu)bres d'une junte, de
commissaires du gouvernement,
etc. Malheureusement, ces exé-
cutions ne furent pas les seules ;
elles ne servirent qu'à redoubler
la fureur des partis : royalistes et
indépendans rivalisèrent de cruau-
tés. La campagne des premiers
mois de 1817 fut toute favorable
aux insurgés. Un grand nombre
d'oITiciers et de soldats anglais li-
cenciés vinrent se mêler dan» leurs
MOR irM)
rangs, et régulariser, par la dis-
cipline et l'expérience, l'intrépi-
dité désordonnée des soldats amé-
ricains, et a>surer le succès des
plans de leurs chefs. Bolivar rem-
porta devant Cmnana une victoire
signalée. On rapporte qu'à l'affaire
de Barcelonne les indépendans imi-
tèrent, avec autant de succès que
de valeur, l'exemple des soldats
d'AgJthocles. Le général Paez, à
la tête d'un nombreux corps de
cavalerie, attaqua Morillo dans les
plaines de Banco-Largo, le battit,
et le força de repasser l'Apure et
de se renfermer dans la place de
San-Feruando. Dans celte situa-
tion , il se vit encore obligé de
faire arrêter deux des chefs de sou
armée. Morales et Real, dont les
dissentions menaçaient de porter
un grand préjudice à la cause
royale. Mu premier renfort de
6,000 hommes, la reprise de Bar-
celoime par le gouverneur espa-
gnol de Caraccas, qui en fit passer
la garnison au fil de l'épée. et un
nouveau renfort de i5oo hom-
mes, rétablirent momentanément
les affaires des royali-^îes, et per-
mirent à Morillo de quitter San-
Fernando. Il se rendit à Carac-
cas , afin d'y concerter ses opéra-
tions avec les autres conunandanK
des troupes royales. Il y apprit
la mort du colonel Lopez, gou-
verneur de Barinas, qui fut fait
prisonnier par les indépendans .
et sur qui se trouvait, disent les
auteur» que nous avons déjà ci-
tés, la correspondance de Moril-
b). dans laquelle ce dernier lui fai-
sait part de toutes les exécution»
qui avaient eu lieu par ses ordres
à Santa- Fé et à Carlhagène, ea
recommandant à Lopez de suivre
170 BlOli
la inêine marche dans son gou-
Ycrncmenl, recommandation à la-
quelle celui-ci ne s'était que tnq)
ctnilormé. Celte découverte dé-
cida de son sort; le général Paez
le fit décapiter au milieu du mar-
ché d'Achaguas. Morillo reprit ses
opérations, et découvrit, peu de
temps après , un complot tendant
à livrer au chef indépendant Fiar
la place d'Augustura, Le gouver-
neur, nommé Fitz-Gérald, accusé
d'en être l'auteur, fut arrêté : ou
exécuta militairement les conju-
rés, et le gouverneur lui-même
reçut |;i mort dans la prison. Au
mois de mai, la correspondance
du général en clicfde l'armée roya-
le ave(; le gouverneur de Santa-
I''é fut interceptée par les guérillas
indépendantes, et rendue publi-
<jue. On y vit, de l'aveu même du
général en chef, que, malgré les
avantages obtenus depuis peu par
les troupes royales, la révolte était
presque générale. Plusieurs com-
bats partiels, où les iudépend.ins
eurent l'avantage, et l'augmenla-
lion de leur marine, qui alors é-
tail de plus de 5o navires de dillë-
riMites diu)ensions, montés par
des honmies déterminés, les pré-
parèrent à soutenir une aftaiie gé-
nérale entre les forces comman-
dées par Murillo et par Arismen-
di : elle eut lieu dans le même
mois (mai 1817), sur les bords de
i'Orénoque. Long-temps incertai-
ne, la bataille fut enfin gagnée par
les indépendans : Morillo et son
état -major ne durent leur salut
qu'à un régiment de cavalerie,
qui se fraya un passage au travers
ile l'armée ennemie. 3Iaîtres de
toute la côte, les indépendans for-
cèrent les royalistes à se retirer
MOR
dans l'inférieur du pays, et à res-
ter inactifs : plusieurs places, niai
défendues ou mal approvision-
nées, tombèrent successivement
au pouvoir des vainqueurs. Mo-
rillo, que l'on croyait hors d'état
de tenter aucune entreprise capi-
tale, parut tout -à -coup devant
Margarita, où se reliraient ordi-
nairement les flottilles des indé-
pendans. Il débarqua le 14 juillet,
et somma Gomez, gouverneur de
l'île, de se rendre , s'il ne voulait
s'exposer lui, la garnison et les
habitans, aux châlimens les plu»
terribles. Gomez répondit en hom-
me de cœur, et Morillo se prépara
à enlever la place de vive force.
Il prit d'assaut Porlamar, point
d'une haute importance, et met-
tant ses menaces à exécution , il
passa au fil de l'épée tous ceux qui
avaient pris les armes; tourna et
enleva des positions défendues par
une formidable artillerie; enfin,
une de ses escadres obtint une vic-
toire signalée sur l'amiral Brion.
Les habitans de Margarita ne se
laissèrent point abattre par ces re-
vers : ils se défendirent de position
en position , de rocher en rocher,
pied à pied. Enfin Morillo, qui
désespérait de les vaincre, ayant
été informé que Bolivar faisait des
progrès rapides du côté de Guya-
na , prit le parti de repasser sur le
continent. Arrivé à Cumana, il
réorganisa ses troupes considéra-
blement affaiblies par les pertes
qu'il venait d'essuyer, et fit mar-
cher une forte division contre Ma-
rino, que de uombreuxsuccèsdans
cette province avaient rendu re-
doutable. Le combat eut lieu près
de la rivière de Cariaca. Des pro-
diges de valeur furent faits de part
MOR
rt d'autre : sept fois les iiidépen-
dans atlaquèrcnl la position qu'oc-
cupaient les ro3'alistcs , et ils re-
venaient pour la huitième, lors-
que leur chef reçut une blessure
dangereuse; ils se retirèrent. Sur
d'autres point; , Cadeno, Bermu-
dez et Paez balançaient, par leurs
victoires , le revers que Marine
avait éprouvé; et vers la On de
septembre, les indépendant étaient
maîtres de presque toute la Nou-
velle-Grenade. Morillo, pendant
ce temps, levait d'énormes contri-
butions. Il imposait les négociaus
de Caraccas et de Guiyra , déjà
épuisés, à une somme de 200,000
piastres , et faisait des recrues
parmi les créoles dévoués au parti
royaliste. Par une proclamation,
il oiTrit, au nom du roi dJEspagne,
une amnistie à tous les insurgés
qui déposeraient les armes, et,
pour les déterminer plus promp-
tement, il rendit la liberté à tous
ses prisonniers. Les Américains
furent insensibles à unegénérosité
qui lui était si peu ordinaire. Bien
loin de se soumettre, ils firent de
nouvelles levées, et virent leurs for-
ces s'augmenter d'un grand nom-
bre d'étrangers. Anglais pour la
plupart, qu'animait généralement
l'amour de l'indépendance. L'ar-
mée royale éprouvait au contraire
im affaiblissement journalier, par
la désertion, la fatigue et les ma-
ladies. Le manque d'argent, et
t(1utes sortes de privations, éner-
vaient ceux qui restaient sous les
drapeaux; et lorsqu'en 1818, Mo-
rillo recommença la guerre, il se
vit dans la pénible position de com-
battre à la fois des hommes enflam-
més par le double amour de la pa-
trie et de la liberté . et, ânni» ses
MOR 1:1
propres troupes. le découragement
et souvent les dispositions à la ré-
volte. Celte guerre , où les succès
et les vicissitudes furent à peu
près les mêmes de part et d'autre,
donna aux indépendans plus de
confiance dans leurs forces, et leur
fit penser que la métropole ne par-
viendrait jamais à les replacer sous
sa domination. Cette campagne
pensa être funeste à Morillo. A la
bataille deCoro, qui fut remar-
quable parl'acbarnement des deux
partis, il fut très-grièvement \)\e^-
sé d'un coup de lance que lui por-
ta un chef de guérillas. La cam-
pagne de 1819 fut également fé-
conde en faits remarquables . mais
qui n'arrêtèrent point l'essor de
l'indépendance américaine, qu«
les derniers événemens politiques
en Espagne sembleraient vouloir
remettre en question. Ne pouvant
enfin surmonter les obstacles sans
nombre que lui opposaient le ter-
ritoire, les habitans, l'épuisement
de ses troupes et leuréloignement
de la métropole, Morillo proposa
une trêve et revint dans^a patrie,
où il fut nommé, par le roi, comte
de Carthagène ; il avait été décoré,
en 1818, de la grand'croix de
Saint-Ferdinand. En 1820, il a-
dopta, ou feignit d'adopter, la
constitution des cortès, qui venait
d'être rétablie. Tout porte à croir;;
cependant qu'il favorisa l'insurrec-
tion des gardes-du-corps, dans la
journée du 7 juillet 182a; mais,
se voyant près d'être compromis,
par la mauvaise direction que prit
celle affaire, il n'hésita pas à se
tourner du côté des constitution-
nels, qui ne s'éblouirent pas sur
ses véritables dispositions. II stj-
rait même payé de sa vie le peu
fie confjjince qu'il leur inspirait,
si Riego n'erjulétournélebrasd'uu
milicien qui allait lui tirer un coup
de pistolet. Nonuné, dès le com-
iiienceinent de la campagne de
1823, au commandement général
de la Galice et des Asluries, il eut
sous ses ordres Quiroga, Campil-
]<>, le Pastor et l'Euipecinado. En
avril, Morille, conjointement a-
vec Quiroga, se mit à la poursuite
du comte d'Amarante, qui, ayant
voulu rétablir l'autorité royale en
Portugal, fut, après une première
défaite, obligé de se réfugier en
Espagne; mais la suite a fuit voir
que l'intention du comte de Car-
lliagèuen'étaitsans doute pas d'ar-
irttr le général portugais. Vers la
fin du mois de mai, Morillo était
à Benavente, occupé àrasseinbler
les débris des corps constitution-
nels dispersés par l'armée fran-
çaise. Dans le courant de juin, le
général Wilson, venu en Espagne
pour défendre la cause des cons-
titutionnels, reujit à Morillo un
plan de défense pour la Galice et
Jes Asluries; mais le général es-
pagnol, qui d'ailleurs accueillit
très-l^ien le général anglais, ne
jugea pas à propos d'en faire usa-
ge , parce que vraisemblablement
il n'entrait pas dans ses projets de
soutenir le gouvernement des cer-
tes. Le général Morillo ayant ap-
pris que les cortès avaient suspen-
du le roi de ses fonctions pendant
»a translation de Séville à Cadix,
adressa de suite à l'armée qu'il
commandait, et aux habitans de
la Galice , deux proclamations ,
dans lesquelles il manifestait ses
sentimens d'improbalion pour cet
acte. Il demanda en même temps
un arniistice un général français
MOR
Bourck, qui lui fit répondre qu'il
n'obtiendrait une suspension d'ar-
mes qu'en reconnaissant la régen-
ce. Morillo avait fait précéder cet-
te démarche de la destitution de
Quiroga, dont il redoutait les prin-
cipes et la fermeté. lous les jour-
naux ont rapporté ses proclama-
tions à ce sujet. Morillo , qui , à
la tête de forces encore assez con-
sidérables, croyait, en ne recon-
naissant ni les cortès ni la régence,
avoir assez d'influence pour faire
adopter un gouvernement mixte,
se trompa. Ses propositions fu-
rent rejetées. Devenu un objet de
défiance pour ceux dont il était
précédemment l'espoir, il se vit
clans la dure nécessité d'accepter
les conditions du général à la mer-
ci duquel il s'était mis, et l'on ne
peut se dissimuler que c'est sa dé-
fection qui a livré presque sans
défense la Galice aux Français.
Cet acte néanmoins ne fut con-
sommé qu'après une négociation
qui dura depuis le 37 juin jusqu'au
17 juillet, et Morillo, en recon-
naissant la régence, ne put mettre
à sa disposition, au rapport des
Bulletins français, que le nombr^
de 3ooo hommes : le reste de ses
troupes se dispersèrent. Quiroga
en réunit une partie; mais, mal-
gré une proclamation énergique,
il ne put les retenir sous son com-
mandement que quelques jours.
Depuis cette époque, le rôle qu'a
joué Morillo ne fut rien moins que
brillant; le peu de considération
qu'il obtint de la régence ne s'est
point augmenté après les événe-
mens de Cadix. Affecté sans doute
de l'indifférence dont le gouver-
nement récompensait ses services,
il a volontairement donné sa dé-»
mission du commandement géné-
ral de la Galice. Depuis cette dis-
grâce , le projet qu'il avait unani-
i'esté de se retirer en France, s'est
enfin effectué. Les feuilles publi-
ques annoncent qu'il vient (jan-
vier* 1824) de débarquer, avec sa
fumilie, à llochefort, à bord du
vaisseau le SurveiUant. Moriilo a
acquis dans l'Amérique du sud u-
ne des plus remarquables réputa-
tions militaires de l'époque. On
admire généralement avec quelle
habileté, séparé de la métropole
par des mers immenses, dans un
climat dévastateur, entouré d'en-
nemis implacables , il a «u ,
n'ayant qu'un petit nombre d'hom-
mes, se créer des ressources de
toute espèce , enûn , soutenir pen-
dant plusieurs années une guerre
où il fut souvent vainqueur. Mal-
heureusement, la célébrité qu'il a
acquise en Amérique est entachée
par des cruautés que sans doute il
détestait lui-même, mais dont le
souvenir est inhérent à sa gloire.
Aux qualités de l'âme, l'énergie,
le courage, l'indomptable persé-
vérance, il joint des avantages phy-
siques dignes de leur être associés.
Sa taille haute, sa démarche fiére,
«on air martial , sou teint que
le séjour de l'Amérique a bruni ,
tout en lui annonce un homme
digne de commander à des braves.
MORIN (N.), conventionnel,
exerça, jusqu'en 1789, la profes-
sion d'avocat dans la petite ville
de Saint-Nazaire (Loire-Inférieu-
re). Nommé à celte époque dépu-
té du tiers-état de la sénéchaus-
sée de Carcassonne, aux états-gé-
néraux, il combalil avec force le
projet proposé pour la création
d'un papier-monnaie, et déveiop-
pn quelques idées générales sur Its
finances. Le département de l'Au-
de l'élut, au mois de septembre
j^pa, député à la convention na-
tionale, où, dans le procès du roi,
il demanda la réclusion et le ban-
nissement à la paix. Membre d»
conseil des anciens, par suite de
la réélection des deux tiers con-
ventionnels, il y occupa peu la
tribune, sortit en 1798, et mou-
rut vers 1808.
MORIN (N.), était membre du
tribunal de Bitche lorsque le dé-
partement de la Moselle le nomma
député à l'assemblée législative.
Le -29 juillet 1792, on agita la
question de mettre en vente les ri-
ches propriétés de l'abbaye de
Vadgass; mais M. Morin prétendit
que la nation n'en avait pas le
droit, parce que plus des deux
tiers de ces biens étaient situés sur
le territoire de l'empire germani-
que. Cette opinion fut partagée
par le comité de diplomatie. A la
fin de la session., il est rentré dan»
la vie privée.
MORIN (Claude-Marie), e^t
né à Lyon , dans le mois d'avril
1768. Son père, qui occupait une
place dans les finances, où de lon-
gues années de travail et une sé-
vère économie lui avaient acquis
une fortune considérable, avait
dirigé son éducation vers l'étude
des lois, et il allait acheter pour
lui la charge d'avocat du roi pré:^
de la sénéchaussée de Lyon -
lorsque les événemens de la ré-
volution détruisirent ces projets,
en supprimant toutes les charges
de la magistrature. M. Morin é-
tait le compatriote de .M, Ravcz ,
président de la chambre dts dépu-
tés , et tous deux se firent reuiar-
>74
310R
quer par des succès, dès leur dé-
but dans la carrière du barreau;
tous deux se prononcèrent coura-
geusement, quoique tiès-jcunes,
contre les excès de la révoluliou;
et tous deux luttèrent avec éner-
gie contre des entreprises qui fi-
nirent néanmoins par amener le
siège de Lyon, et les catastrophes
épouvantables qi;i le suivirent. M.
Alorin avait été deux l'ois président
des trente-deux sections réuin'es
de sa ville natale , qu'il avait eu
le bonheur de préserver, avec le
concours des aujis de l'ordre et
des lois, du joug qui devait l'op-
primer, et il avait été appelé pour
la troisième lois aux mêmes fonc-
tions, lorsqu'une allaiie de la-
mille (la destitution de son père,
provoquée par le parti ultrù-ré-
volulionnaire dans les premiers
mois de 17921) le força de se ren-
dre à Paris, pour obtenir la révo-
cation de cet acte arbitraiie. C'est
à cette époque, et pendant son
séjour dans celle capitale, que le
siège de Lyon fut décidé. La
"ville investie, M. Morin se trouve
dans l'impossibilité de rejoindre
ses compatrioles. Bientôt la vil-
le est prise. Proscrit avec trois
lie ses frères, il se réfugie, ain-
si qu'eux, à Nice, où était le
quartier-général de l'armée du
Yar. Les tribunaux inilitaires, ju-
geant avec jurés, avaient été pré-
cédemment institués; mais l'orga-
nisation de ceux del'arméedu Var
élait incomplète. Privé de toutes
ressources personnelles, ainsi que
du côté de sa famille , ruinée dès
cette époque, M. Morin accepta
ditîérentes fonctions judiciaires,
et fut enfin nommé accusateur
4nililaire, ensuite du départ du
MOU
magistrat, titulaire de cette place.
Mandé à Paris par les comités du
gouvernement, M. Morin a rem-
pli ces fonctions pendant environ
deux années, et jusqu'au moment
où ces tribunaux, créés par une
loi, furent supprimés de même.
Il est constant que par ses soins
et son influence , les tribunaux
de l'armée du Var n'ont pas cessé
de conserver leur organisation
par jurés, et que, non-seulement
il n'y a point eu de condamnation
pour délits politiques, mais pas
même une seule arrestation. M.
Morin s'est acquis pendant cette
péiiode de temps, (jui était par-
tout ailleurs celle du deuil , des
larmes et du sang, l'estime, la
confiance, et même la vénération
de toute la populationdeces p<iys,
de l'armée et de ses chefs, dont
il fut constamment le défenseur.
De retour à Paris, il mit à profit
les connaissances qu'il avait acqui-
ses au milieu des canjps, et après
deux années de nouvelles recher-
ches et de travaux, il fit paraître
sa r liéorie de L' administration mili-
taire , ouvrage remarquable pour
le temps où il a été écrit, qui se
dislingue par des opinions sages
et un esprit rare d'analyse et de
méthode. Cet ouvrage a été beau-
coup consulté, lorsqu'il s'est agi de
sortir l'administration militaire du
chaos où elle était plongée : ill'est
encore avec fruit aujourd'hui. L'ap-
parition de cet écrit révélait un
admim'strateur. Le directoire-exé-
cutif appela son auteur aux fonc-^
lions de liquidateur-général des
Invalides, puis à celles d'un des
chefs de la liquidation centrale du
minislère de la guerre; enfin il
l'envoya comme son commissaire
WOR
extraordinaire, auprès de l'ariiit'je
d'Helvétie , pour eu apurer tou-
te la comptabilité. A cette époque
allait couunencer cette célèbre
campagne de l'an ^, couronnée
par la uiéinorable bataille de Zu-
rich, où une arinéeentière de Rus-
ses devait trouver son tombeau, et
la coalition sa ruine. M. Worin é-
tait attaché au général en chef
Masséna , qui l'avait prié de se
charger auprès de lui, en qualité
d'ami sûr, de la direction des opé-
rations politiques et administra-
tive* de l'armée sous ses ordres.
Une circonstance , dont quelques
notices ou mémoires contempo-
rains ont déjà rendu compte,
fournit à M. Morin l'heureuse oc-
casion de sauver 5oo Français de
beaucoup de persécutions, et peut-
être même de la mort; c'était la
moitié d'une colonne de l'armée
du prince de Condé , coupée par
nos soldats au moment où elle
défilait sur le pont de Constance,
sur le Rhin. Déjà il était question
de signaler ces victimes de la guer-
re au gouvernement, et de s'as-
surer de leurs personnes, lorsque
sur les instances de M. Morin on
les laissa rentrer dans leur patrie
sous la sauA'e-gardede l'unilorme
russe qui les couvrait. Au moment
où finissait cette merveilleuse cam-
pagne , le général en chef Bona-
parte, débarqué à Fréjus, s'em-
parait des rênes du gou vernemcnt.
Far ses ordres , le général qui
commandait l'armée d'Helvétie,
l)assa à l'armée d'Italie ; il place
de suite son quartier-général au
poste le plus périlleux à Gênes;
M. Moriu l'y avait suivi. Après des
prodiges de valeur de la part de
i'armée frauçaisc, et une défense
M OR i^r»
qu.e rien ne surpasse dans aucu!i
fait de même nature des temps
anciens ou modernes, il fallait ce-
pendant traiter avec l'armée enne-
mie, pour sauver la population et
les débris glorieux de nos braves
phalange"*. M. Morin, chargé de
cette dilficile négociation, la rem-
plit au-delà même des espérances
du général en chef, en obtenant,
non pas nne capitulation , mais
des conventions qui rendirent l'ai-
mée à la liberté, et la mit en po-
sition de recommencer la campi-
gne aux portes mêmes de la ville
qu'elle n'avait pu sauver, n)ais
qu'elle avait à jamais illustrée, en
lassociant à sa propre gloire.
^Jéanmoius le chef du gouverne-
ment rappela à Paris le général
en chef : M. Morin y revint aussi;
mais, étranger à toute espèce d'aî^-
faires publiques, il s'occupa de li!-
téralure, et, mêlant à cette étude
ses souvenirs de guerre, il mit au
jour un poëmeen 4chants intitulé:
le Siège de Gènes. Le conquérant
qui gouvernait la France y est
caractérisé de la manière suivante,
et l'auteur lui adressait ce sage
avertissement qui, depuis, est de-
venu une véritable prophétie :
Salut , pu-ssant vainqueur ! poursuis tes grand»
desseins !
Les trônes tomberontou naîtront sous tes mains.
Oui , j'armerai ton bras des foudres meurtrières
Qui frappent les états, renversent leurs barrières.
Jusque-là du destin les décrets sont connus ;
Mais quand les jours de paix seront enfin venus.
De l'Europe ébranlée apaise la .{«urmente.
Arb:tre de toi-même, et d'une main orudente
Assigne ladimite où tu dois t'arrêter;
L'univers est d'un poids difficile à porter.
En eflet, l'Europe a écrasé à sort
tour celui qui l'avait si long-lemp**
dominée. Sous le gouvernement
royal, M. Morin fut appelé à h»
place de chef de la première di-
vision de la policé génératc du
i;6 MOK
royaume. La tendance des choses
qui devait amener ou faciliter la
rentrée de jNapoléon fit perdre à
M. Morin cette place : depuis il
n'a rempli aucune fonction publi-
que ; on peut en avoir quelque
regret, parce que son passage à
la police n'a pas été assez rapide
pour qu'il n'y ait pas laissé des
regrets. On se rappellera long-
temps son impartialité, son obli-
geance et son esprit de conciliation
et de concorde. On pense que M.
Morin, ayant été rapproché de
beaucoup de personnages impor-
tans qui ont figuré successivement
dans tous les actes de notre drame
politique, pourrait, s'il voulait
s'en occuper, écrire des Mémoires
qui se reconnuanderaient par l'im-
porlance des faits, et par des no-
tions entièrement inconnues sur
certains hommes et certaines cho-
ses. Voici jusqu'à ce jour les ou-
Trages qu'il a publiés : i° Essai
sur la théorie de l'administration
militaire y en temps de paix et en
temps de guerre, 1799, in-S"; 2"
Gènes sauvée y ou le passage du
mont Saint-Bernard , poëme en 4
chants, 1810. in-8° ; 3° Ode à
leurs majestés impériales et royales ,
1810, in-8° ; 4" Développement
sommaire d' an nouveau système de
(Tédit et d amortissement de la det-
te publique, applicable à la Fran-
ce, ou contre-épreuve du système
d'emprunt et d' amortissement pra-
tiqué eu Angleterre, i8i5, in-4";
5" Plan de finance portant création
d'une banque générale de France,
aucapital constitué de {[00,000,000
îiuméraire, et création d' un milliard
de bons de crédit, ayant privilège et
hypothèque sur 2,000,000,000 de
propriétés tcrtùtoriales, 1816, in-8".
MOR
MORIN (le BARON;, maréchal-
de-camp, estné auprès de Lizieux.
Il ne dut son avancement qu'à lui-
même, et ce ne fut qu'après avoir
passé par tous les grades inférieurs
qu'il fut élevé, le ig juin 179^,
au grade de chef d'escadron dans
le 2' régiment des carabiniers,
dont il obtint enfin le commande-
ment le 5i août i8o3 : dès-lors
son avancement devint beaucoup
plus rapide. Ollicier de la légioa-
d'honneur dès le mois de juin
1804, 1^ croix de commandant de
cet ordre et le titre de baron de
l'empire, avec une dotation de
4,000 francs, furent le pnx de sa
belle conduile à Austerlitz. En
1806, il fut nommé électeur dans
le département du Calvados; ob-
tint le grade de général de brigade
peu de temps après, et devint com-
mandant du département des Ar-
dennes en 1807. Il conserva cet
emploi pendant trois années con-
sécutives, et commanda momen-
tanément la 2' division militaire
dont le quartier-général était à
Mezières, chet-lieu de ce déparle-
ment. Cet ollicier général,' admis
à la retraite en 1 8 1 o, a reçu la croix
de Saint- Louis en 18 14-
» MORISOÏ (Joseph-Madkleine,-
Rosk) , architecte-vérificateur des
biltimens de la couronne, naquit
le 23 août 1767, à Champeaux,
département de Seine-et-Marne.
Il s'est moins distingué par ses
constructions que par la partie
spéciale de l'architecture , dite
Comptabilité des bCdimcns, partie
ingrate pour la gloire de celui qui
lui consacre ses soins , mais aussi
utile aux particuliers qu'au gou-
vernement, puisqu'elle tend à é-
elaircr sur leurs intérêts respew-
MOR
tifs-les hommes de l'art et Icà per-
sonnes qui font construire. Mori-
»ot fut élève de M. Delagrange,
vériûcateur en chef des bâtimeus
de Monsieur , aujourd'hui Louis
XVIII, et devint, par la protec-
tion de M. le comte Darti , lors-
qu'il était intendant-général de la
liste civile, architecte-vériticateur
des bâtimens de la couronne. A
la restauration, en i8i4» Morisot
passa dans la même qualité à la
résidence de Versailles, où il mou-
rut au mois d'octobre 1821. Il a
publié : 1" Essai sur un nouveau
mode de mesurer les outrages de
bâtiment, en supprimant les usages^
1802, in-S"; 2° Tableaux détaillés
des prix de tous- les ouvrages de
bâtiment f divisés suivant les diffé-
rentes espèces de travaux, et suivis
(l'un Traité particulier pour cha-
que espèce, Paris, 1804,7 vol. in-
8', avec planches. L'auteur pré-
parait, au moment où il mourut,
une 2"* édition de cet ouvrage,
dont il avait déjà donné , en
1820, les deux derniers vol. in-S".
On remarque dans Y introduction
une espèce de bibliographie criti-
que ou revue des auteurs qui ont
écrit sur cette matière.
MORISSKT (le BAR05), mem-
bre de la chambre des députés,
faisait valoir les riches propriétés
qu'il possède dans le départe-
ment des Deux- Sèvres , lorsque
ce déparlement le nomma , en
1811, membre de la députation
chargée de féliciter l'empereur
■iur la naissance de son fils; cette
mission lui valut le titre de ba-
ron, et, peu de temps après, son
admission au corps-législatif. A-
près les évcnemens politiques de
j8i4, m. Morisset passa du corps-
MOIV 17;
législatif dans la première cham-
bre des députés. Le 20 mars i8i5
le rendit à la vie privée. Il rentra
à la chambre après le second re-
tour du roi, et depuis ce moment
M. Morisset n'a pas cessé de faire
partie de la repr«;senîalion natio-
nale jusqu'en 1822; il siège au
centre. Constant approbateur des
projets luinistériels, il s'est cepen-
dant récrié sur l'énormité du bud-
get de i8i4) mais il s'est montra
beaucoup plus traitable par la sui-
te; et s'il a encore quelquefois
censuré les lois de finances , ce
n'a été que pour défendre les pro-
priétaires fonciers, beaucoup trop
froissés, selon lui, et pour enga-
ger le gouvernement à reporter
sur les autres classes de contri-
buables une portion des impôts
supportés par celle-ci. La discus-
sion du budget de 1817 lui fournit
rocca%ion de défendre avec cha-
leur les ministres vivement atta-
qués par M. de Villèle, aujourd'hui
(1S24) ministre lui-même. Dans lu
session suivante, il avait préparé
un discours en faveur du projet
de loi sur la liberté de la presse,
mais la liste des adversaires du
projet s'épuisant, la discussion al-
lait être fermée saus que M. Mo-
risset pût monter à la tribune,
lorsque l'honorable député jugea
à propos de demander la parole
contre la loi; mais bientôt il fut
obligé de se retirer, nou sans a-
voir occasioné quelques marques
d'hilarité. Dans le courant de la
même année, il vola pour la loi
de recrutement après avoir pro-
posé une disposition exception-
nelle eu faveur des û!s uniques ;
prit plusieurs fois la parole dans
la discussion du budget pour ap-
i-S
MOR
puyer tontes les demandes des
ministres, et s'occupa du cadastre,
des conlributions directes, etc.,
etc. Il appuya de tout son pouvoir
les deux lois d'exception présen-
tées en 1819; se prononça Ibrte-
inent en faveur du nouveau sys-
tème électoral, et s'éleva de nou-
veau contre le taux de la contri-
bution foncière et contre la mau-
vaise organisation du cadastre,
qu'il regardait comme un vérita-
ble chaos. Il a continué à parler
et à voter minislériellement dans
les sessions suivantes. Depuis
1819, il est l'un des sept adminis-
trateurs des eaux-et-forêts.
MOKISSO?^ (C. F. G.), avocat,
nommé, en 1790, administrateur
du département de la Vendée, et
successivement membre de l'as-
semblée législative et de la con-
vention nationale, montra beau-
coup de modération dans le pro-
cès du roi; il prononça un dis-
cours, le 1 3 novembre 1792, pour
établir que le roi ne pouvait être
mis en jugement, et lorsqu'il fut
question d'appliquer la peine, il
dit : «J'opinerais sur la question
«s'il ne s'agissait que de prendre
»une mesure de sûreté générale;
» mais l'assemblée a décrété qu'el-
))le porterait un jugement, et moi
»je ne crois pas que Louis soit
» justiciable. Je m'abstiens donc
i>de prononcer. » Le 12 août 1793
il demanda i\ l'assemblée des se-
cours pour son département, et
fut, quelque temps après, accusé
d'entretenir des relations avec la
faction royaliste. Cette inculpation
n'eut aucun résultat , et M. Mo-
risson lit depuis partie de la com-
mission chargée d'aller présenter
ù Tartnée de l'ouest le décret
MOR
d'amnistie, rendu par la conven-
tion nationale , le 2 décembre
1794, en faveur des insurgés de
la Vendée. Plus heureux que la
plupart de ses collègues, il traver-
sa sans accident les époques les
plus périlleuses de la révolution.
Membre du conseil des cinq-cents,
il proposa, en faveur des chouans,
un projet d'amnistie qui fut adop-
té, et cessa de faire partie de ce
corps au mois de mai 1797. De-
puis cette époque, il n'a plus re-
paru dans les fonctions publiques.
MORIÏZ (Charles-Philippe),
littérateur allemand, naquit, en
1767, à Hameln, d'une famille
obscure, et dont la pauvreté ne
permit pas au jeune Moritz de fai-
re aucune espèce d'études. Placé
chez un chapelier, il en fut bien-
tôt renvoyé parce qu'il ne mon-
trait aucune disposition à appren-
dre cet état. Il avait i4 ans, et
était sur le point de ne savoir que
devenir, lorsque le commandant
de Hanovre s'intéressa à son mal-
heur et lui fit donner de l'éduca-
tion. Subjugué de bonne heure
par ses passions, il négligea ses
études, se rendit indigne des bon-
tés de son protecteur, et quitta
secrètement Hanovre. Son projet
était de se réunir à une troupe de
comédiens; on ne lui trouva au-
cune disposition , et on le refu-
sa. Il se rendit à Erfurt , où il
se fil recevoir parmi les éludians
pauvres, se proposant de concou-
rir comme candidat.de théologie.
Ce n'était pas encore là sa voca-
tion. Il retourna aux comédiens,
qui le refusèrent encore. Accueilli
par la communauté des frères Mo-
raves,il en obtint des secours,
dont il profita pour se rendre" «
AlOR
Wilteiïiberg, où il acheva ses étu-
des. Ln travail excessif, des dé-
bauches égaleiiienl extrêmes , lui
donnèrent les plus fortes disposi-
lions à la mélancolie. Bassedow
s'intéressa à lui et l'emmena, pour
le seconder, à Dessau, où il avait
fondé une maison d'éducalion.
Moritz fut fidèle ù ses devoirs pt-n-
dant quelque temps, puis il quit-
ta l'établissement, et se rendit à
Potsdam dans l'espérance d'y de-
venir pasteur. Le peu de succès
de ses démarches le réduisit au
désespoir, et il résolut de se lais-
ser mourir de faim. Le directeur
de la maison des orphelins de cet-
te ville eut pitié de sa situation
affreuse, et donna à cet infortuné
une place d'instituteur. Sa dispo-
sition à la mélancolie le subjugua
de nouveau, et on le voyait par-
courir les environs de la ville,
donnant tous les signes d'une ma-
ladie mentale. Quelques-uns de
ses amis vinrent à son secours, et
]ui promirent un emploi d'institu-
teur dans l'une des écoles de Ber-
lin, et enfin celle de co-rector. Sa
situation morale paraissait amé-
liorée; ses écrits lui donnaient
une certaine aisance pécuuiaire;
-enfin admis parmi les francs-ma-
çons, il paraissait jouir de la plus
parfaite tranquillité, lorsqu'il re-
tomba tout-ù-coup dans ses an-
ciennes dispositions au marasme.
Pour se distraire, il prit le parti de
voyager. Il parcourut l'Angleter-
re, l'intérieur de l'Allemagne, et
revint en Prusse, où sa mélanco-
lie le reprit; une maladie le mit
aux portes du tombeau. Rétabli,
il devint, en 1784, professeur au
{jymuase de Berlin, et s'acquit de
la réputation par ses cours de lan-
MOR 179
gue allemande, de belles -lettres
et d'histoire. Il voyagea encore,
retourna à Berlin , d'où , après un
séjour de quelque temps, il partit
pour la Suisse. Là, amoureux
d'une femme mariée qui repoussa
ses hommages, il se crut un nou-
veau Werther, en fit toutes les
extravagances , reparut à Berlin ,
se démit de sa place de profes-
seur, partit pour Brunswick, où il
recouvra un peu de liberté d'es-
prit. Il fit, avec Campe, un traité
ayant pour objet de recueillir, dans
un séjour qu'il ferait en Italie, dont
il lui payait à l'avance les frais de
voyage , les matériaux de plu-
sieurs ouvrages sur les antiquités
de cette contrée. Il remplit im-
parfaitement cette téîche sous le
rapport scientifique , mais avec
succès comme observateuret com-
me écrivain. Il se lia avec Goethe
et Angelica Kaufmann. Dissipa-
teur et sans ordre, en moins de
deux années il se vit réduit à la
misère la plus profonde, et repa-
rut à Berlin couvert de haillons.
Goethe le retira de cet état hon-
teux , et lui fit avoir la place
de professeur à l'académie des
beaux-arts et d'archéologie. Cam-
pe, mécontent de son travail, se
brouilla avec lui et publia, à cet-
te occasion, une brochure piquan-
te sous le titre singulier de ilTo-
l'itz, triste supplément à la psycho-
loi^ie expérimentale , à laquelle
Moritz répondit; mais les deux
écrivains se réconcilièrent. Parais-
sant plus tranquille et jouissant
d'une honnête aisance, Moritz é-
pousa la fille d'un libraire, mais
bientôt il s'en sépara et fut le pre-
mier à désirer de se rapprocher
d'elle. Les époux rapprochés fireol
j8o
MOK
ensemble, en 1793, un voyage à
Dresde , où Moritz mourut dans
la même année. Il est estimé pour
ses ouvrages sur la langue alle-
mande, et joint, rapporte -l-on
dans une Notice sur sa vie, «le
précepte à l'exemple : son style
est pur, naturel et d'une sitnpli-
cité élégante. Son traité sur la
prosodie est un modèle. Ses ou-
vrages sur les antiquités man-
quent d'érudition, mais on les lit
avec plaisir. Ses voyages ont
les mêmes défauts et les mêmes
qualités. » Les px'-incipaux ou-
vrages de ce littérateur sont :
1° Entreliena avec mes élèves,
Berlin, 1779, nouvelle édition,
1780; a° Lettres sur la diffé-
rence de l'accusatif et du datif,
ou du Me et du Moi, Berlin,
1780: la 4°" édition de cet ouvra-
ge parut à Berlin en 1798; '5° Sup-
plément aux Lettres sur la diffé-
rence, etc., Berlin, 1780; i\° Ins-
truction pour l' accentuation anglai-
se, Berlin, 1780; 5° Blunt, ou le
Convive, comédie en un acte, Ber-
lin, 1781; 6" Lettres sur le dia-
lecte de la Marche, Berlin; 7°
Mémoires pour servir à la philoso-
phie du cœur humain. S"" édition,
Berlin, 1791 ; 8° Opuscules sur la
langue allemande , Berlin, 1792;
9° Grammaire allemande pour les
dames, en forme de lettres, plu-
sieurs éditions, Berlin, 1762,
1791, 1794? 10" Magasin de la
psychologie expérimentale, 10 vol.
in-8°, 1785-1793 : il a eu pour
collaborateurs Pockels et Mai-
mon; 11" Instruction pour écrire
des lettres, Berlin, 1783-1795;
12° Grammaire anglaise, Berlin,
1783, 4°" édit., i79t); 13" roya-
les d'an A llemm^d en Angleterre,
MOR
Berlin, 1783- 1786 ; 1 4" ^e TOr-
thographe alte7nande,Ber\in, 1 784;
I 5" Idéal d'une gazette parfaite,
Berlin, 1784; \6" Antoine Reiser,
roman philosophique, 4 vol., Ber-
lin, 1785-1790 : c'est l'histoire
des aventures de Moritz sous le
titre de Souvenirs des dix dernières
années de mon ami A. Reiser; l'é-
diteur Rlischnig a donné une
suite à ces aventures, 1794- ^7**
Essai d'une prosodie allemande,
Berlin, 1786; x^" Essai d'une pe-
tite'' logique pratique des enfans ,
Berlin ; 19° de l' Imitation du beau
dans les arts , Brunswick, 1788;
20° sur un Mémoire de M. Ca?n-
pe, Berlin, 1789; 21" Manuel my-
thologique, orné de figures, Ber-
lin, 1790; 22° 1^ ie du pasteur An-
dré Hartknopf, Berlin ; 23 ' Fic-
tions mythologiques des anciens,
avec un grand nombre de figures
d'après l'antique, 1791; 24° ^"~
thousa, ou les Antiquités de Rome
[l" vol.), ou Description des fê-
tes religieuses des Romains, dans
l'ordre de leur calendrier , Berlin,
1791-1797, ouvrage orné de fi-
gures; 25° Grammaire italienne,
1790; 26' Voyage d'un Allemand
en Italie, .3 vol., Berlin, 1792-
1793; 27° de la bonne Expression
en allemand, Berlin, 1792; 28"
Correspondant général allemand,
Berlin, 1795 : Heinsius en a don-
né une 7"* édition qu'il a augmen-
tée, i8»6; 39" la Grande loge, ou
la Franche-maçonnerie, 1 793: c'est
un recueil des discours prononcés
dans les réunions de cet ordre;
3o° Dictionnaire grainmatical de la
langue allemande, tome 1", Ber-
lin, 1793, in-8°: Sturz et Stenzel
ont donné les 2 volumes qui font
suite <i cet ouvrage ; 5i" Prélimi-
MOR
nalres d'une théorie des ornemeris,
lîeriin, i;9J, ouvrage enrichi de
figures; 52° plusieurs traductions
de l'anglais, telles que Principes
delà psychologie, par Beattie, et
Voyages de IValker en Flandre,
en Allemagne, en Italie et en
France ; 53° enfin des Sermons et
des Poésies.
MORIZOT jeune (le baros),
chevalier de la légion-d'honneur,
ex-membre du conseil des cinq-
cents , et ex-président à la cour
royale de Dijon, était avocat dans
cette ville, à l'époque de la révo-
lution, dont il embrassa les prin-
cipes avec sagesse. Après avoir
occupé différens emplois dans son
département , il fut nommé , en
i;:99, membre du conseil des
cinq-cents. La session terminée,
il devint successivement membre
du tribunal d'appel de Dijon, et
président du tribunal crii»inel du
département de la Côte-d'Or. Il
reçut la décoration de la légion-
d'honneur, à la formation de cet
ordre, et fut nommé successive-
ment baron de l'empire, membre
et l'un des présidens de la cour im-
périale , depuis cour royale de
î)ijon. M. Morizot était encore
l'un des présidens de cette cour
en 1816; mais l'année suivante,
il fut atteint par l'épuration , et
mis à la retraite.
MORLA (don Thomas), capi-
taine - général de l'Andalousie ,
membre du conseil -d'état, etc.,
sous le roi Joseph, fit ses premiè-
res armes, en ijpô, dans la cam-
pagne de Roussillon, où son acti-
vité et sa valeur relevèrent bien-
tôt aux grades supérieurs. Mais si
sa conduite militaire fut brillante,
elle a été susceptible de blâme
MOR
181
sous le rapport de la discipline,
qu'il ne sut pas maintenir parmi
les troupes soumises à son com-
mandement. Néanmoins, les im-
porlans services qu'il rendit à l'Es-
pagne pendant cette guerre, le fi-
rent parvenir au rang de capitaine-
général de l'Andalousie, auquel on
joignit celui d'inspecteur général
de l'artillerie. Au moment où les
desseins de Napoléon sur l'Es-
pagne commençaient à recevoir
leur exécution, il s'opposa à l'in-
vasion des Français, et fit fou-
droyer leur flotte qui se trouvait
encore sous le feu des batteries
de Cadix. Nommé, en décembre
1808, membre de la junte mili-
taire chargée de pourvoir à la dé-
fense de Madrid, il fut, au moment
de l'attaque, envoyé avec l'un de
ses collègues, au quartier-général
de l'empereur, pour proposer une
capitulation. Napoléon n'accueillit
pas favorablement les députés de
la junte : il leur reprocha collecti-
vement l'exaspération que l'on a-
vait excitée parmi le peuple, et
particulièrement au général Mor-
la, les excès commis dans le Rous-
sillon, quinze ans auparavant. II y
ajouta un reproche non moins
grave, celui d'avoir dirigé l'artil-
lerie d'une place où il comman-
dait, sur la flotte d'une nation al-
liée de l'Espagne. Napoléon se
plaignit aussi de la violation de la
capitulation de Baylan, et de la
trahison des troupes de La Ro-
mana , qui d'abord étaient char-
gées de soutenir les intérêts de la
France dans le nord de l'Espagne.
Ces reproches, que l'empereur fit
du ton le plus sévère, furent ter-
minés par ces mots : « Que si la
» ville ne se soumettait pas dans b
l83
MGR
• matinée du lendemain, elle au-
»rait bientôt cessé d'exister. » La
junte ne crul pas devoir, par une
résistance prolongée, exposer la
capitale des Espaj^nes, aux suiles
funestes qu'entraîne • une prise
d'assaut ; et le lendemain , au
point du jour, le général Morla
revint annoncer la soumission de
Madrid; résolution qui s'effectua
malgré quelques obstacles occa-
sionés par la grande ii-ritation ries
esprits. Le général Morla devint,
sous le roi Joseph, conseiller d'é-
tat. Après le rétablissement de
Ferdinand VII, il fut privé de tous
ses emplois, et se retira au sein de
sa famille, où l'on croit qu'il est
mort depuis quelques années.
MORLAND (Georges), peintre
célèbre d'animaux et de paysages,
naquit à Londres en 1764. Son
père, qui cultivait la peinture,
mais dont le talent était médiocre,
lui donna les premières leçons de
dessin. Le jeune Morland, bien-
tôt dirigé par des maîtres habiles,
devint un excellent peintre de gen-
re. Malheureusement les exem-
f)les de conduite qu'il reçut dans
a maison paternelle, et ceux que
lui offrirent les hommes dont il
faisait sa société habituelle, rendi-
rent sa vie triste et misérable, et en
quelque sorte honteuse ; il ne sor-
tait pas des tavernes, et souvent
ses tableaux, exécutés dans les ca-
barets mêmes , servaient à payer
les dépenses qu'il y avait faites.
Les petits tableaux de Teniers, np-
^elès déjeuners, et nombre décom-
positions de Lantara au pinceau
ou au crayon, n'ont pas une autre
origine que les Pêcheurs et les Â-
nimaux de Morland. Les différen-
tes compositions de ces trois pein-
MOR
très, traitées de verve, étaient très-
recherchées des amateurs, et les
marchands de tableaux en fai-
saient l'objet de leurs avides spé-
culations. Eloigné par ses habitu-
des de la société des personnes
qui auraient pu le protéger, ou
lui faire obtenir un juste dédom-
magement de ses travaux, pres-
que toujours forcé de travailler à
vil prix, Morland était souvent dé-
tenu pour dettes, et ne rachetait si»
liberté qu'en s'abandonnant, pen-
dant quelques journées, à son
heureuse fécondité : elle ne put
néanmoins l'empêcher de mourir
en prison en i8o4- Sa femme, qui
l'aimait tredrement, ne lui survé-
cut que de deux jours. Cet artiste
jouit, dans le genre qu'il avait »-
dopté, d'une grande rép>itation,
et tous les amateurs des arts na-
tionaux ou étrangers ont dans
leurs cdlîinets des Cours de fermes,
des Paysages, des Contrebandiers^
des pêcheurs , des Animaux, des
Scènes populaires, etc., dus à l'o-
riginalité et à l'habileté de son
pinceau.
MORLANT (Feançois-Lolts),
colonel des chasseurs de la garde
impériale, commandant de la lé-
gion-d'honneur, naquit à Souilly,
département de la Meuse, le 11
août 1771, et se consacra à la car-
rière des armes, comme la plupart
des ]eunes Français, lorsque notre
territoire fut menacé par les armes
de la première coalition. Il avait
à peine 20 ans, lorsqu'il entra, en
1791 , en qualité de simple chas-
seur,dans le 1 1°" régiment de cette
arme.Toutesles qualités de l'âme,
tous les dons extérieurs, le zèle,
l'activité, le courage, beaucoup
d'aptitude à s'instruire, un désir
MOU
constant de se distinguer, tels é-
laient ?es droits à l'esliine et à la
protection de ses chefs, et ses ti-
tres à la reconnaissance de la pa-
trie. Sous-lieutenant, le i5 sep-
tembre 1791, lieutenant, le 20
août 1792, capitaine, le 11 aofit
1793, il était, en l'an 9, chef d'es-
cadron des chasseurs de la garde
consulaire. Bientôt il se fait re-
marquer du premier consul; est
promu, le 10 pluviôse an 12, au
grade de major du corps où il s'est
illustré, et devient, le 20 prairial
an i5, colonel - commandant en
second du même corps , depuis
chasseurs de la garde impériale ;
il avait fait depuis 1791 jusqu'à
cette époque, toutes les campa-
gnes de la révolution, et avait été
plusieurs fois blessé, et une entre
autres très-grièvement à l'affaire
de Sprimont, le 5°" jour complé-
mentaire an 5. Ce fut eu i8o5,
à la bataille d'Austerlitz, où le
colonel Morlant donna les preu-
ves les plus éclatantes de son in-
trépidité et de ses talens, qu'il fut
tué d'un coup de canon chargé à
mitraille, au moment même où
la victoire consacrait de nouveau
la gloire des armes françaises.
L'empereur fut vivement affligé
de sa perte; il fit transporter son
corps à Paris, et par un décret du
mois de février 1806, ordonna
que l'un des quais, alors en cons-
truction, recevrait le nom de ce
brave. Son corps, qui avait été
apporté à Paris, fut donné, en
1814, à l'école de médecine, et
déposé avec celui du général Bar-
banègrc {voyez ce nom), dans le
cabinet d'anatomie, où ils furent
exposés sous la désignation de
momies. Cette étrange inconve-
MOK
i85
nance cessa en 1817, par suite
de réclamations énergiques con-
signées dans les journaux.
MORLOT (N.), général de di-
vision, commandant de la légion-
d'honueur, était simple menuisier
au commencement de la révolu-
tion; mais de la bravouve et de
l'intelligence secondèrent son dé-
vouement à son pays, et il mérita
sur le champ de bataille tous les
grades qu'il obtint rapidement
pendant les premières campa-
gnes de la révolution. Il sélait
enrôlé dans un. régiment d'in-
fanterie . avait passé dans un ba-
taillon de volontaires, et, en 1795,
il commandait déjà une division
à l'armée de la Moselle. Sur-
pris à Arlon , il éprouva un lé-
ger échec. Il prit une belle revan-
che à la bataille de Fleurus et aux
diflërentes affaires où cette armée
opéra en 1794- Les comités de la
convention l'appelèrent à Paris en
1795, afin d'obtenir quelques é-
claircissemens sur une accusation
dirigée contre lui pour concus-
sions, en 1795, à Deux-Ponts.
S'ctant parfaitement justifié, il re-
prit le commandement de sa divi-
sion. *Il commanda à Metz, en
1797 et 1798, la 3* division mi-
litaire. Nommé commandant de
Toulouse, le général iMorlot ces-
sa ensuite d'être en activité; néan-
moins il fut encore employé
dans son grade en 1807, et de
plus compris au nombre des com-
mandans de la légion-d'honneur.
Quelque temps après, il fut mis à
la retraite.
M ORRISON (Robert), mission-
oaire anglais, fut envoyé auprès
des factoreries de Macao et de
CantoD, par la société biblique de
i84
MOR
Londres, afin d'étudier la langue
chinoise sur les lieux mêmes. Lin
séjour de huit ans dans ces con-
trées lui permit de remplir le
vœu de la société biblique, et il
traduisit en chinois plusieurs ou-
vrages qu'il distribua parmi le
peuple. Il accompagna lord Am-
herst dans son ambassade infruc-
tueuse auprès de la cour de Pékin.
Morrison a publié plusieurs ou-
vrages, parmi lesquels nous cite-
rons : 1° Horœ slnicœ, ou traduc-
tions tirées de la littérature vul-
gaire des Chinois, Londres, 1813,
1 vol. in-8° ; il n'y en a plus un
seul exemplaire dans le commer-
«îe, et M. Montucci, qui a fait ré-
imprimer ce recueil dans son pa-
raliel, fut obligé de se servir d'une
copie manuscrite; 2" Dictionnaire
chinois^ dont les premières livrai-
sons parurent à IVIacao, en i8i5 :
cet ouvrage doit former 5 à 6 vol.
iu-4° ( on peut consulter, à ce su-
jet, le Journal des Savans de 1 8 1 7 );
5° Grammaire de la langue chinoi-
se, imprimée sous la direction de
M. Marsham, Serampore, 181 5,
in-4". Il trouva dans mi Évangé-
liaire, déposé aujourd'hui a^ mu-
séum britannique, et écrit à Can-
ton, en 1^38, par un naturel du
pays, devenu catholique, une ver-
sion du Nouveau-Testament, qu'il
a publiée lui-même en Chine, en
8 vol. in-8'', imprimés, gravés et
brochés à la manière du pays.
MORTARIEU (le baron Joseph-
PiERKE-ViALETES de) , d'une an-
cienne famille du département de
Tarn-et-Garonnc, est né à Mon-
tauban, le i5 juillet 1768. Il évita
de se mettre en évidence après les
troubles qui éclatèrent en 1790,
dans sa ville natale, et ne fût l'ob-
MOR
jet d'aucune poursuite pendant le»
tomps les plus orageux de la ré-
volution. Devenu maire de Mon-
tauban , en )8o6, il contribua
beaucoup aux embellissemens de
cette cité, pour laquelle il obtint
de l'empereur, en 1808, l'établis-
sement d'un siège épiscopal et le
titre de chef-lieu du département
deTarn-et-Garonne. En i8i5, le
baron de iMorlarieu fut nommé
meiiibre du corps-législatif; il ad-
héra, en 181 4» à la déchéance de
Napoléon. Au mois de septembre
suivant, il fit à la chambre des
députés, une motion tendante à ce
que le roi fût supplié de faire pré-
senter un projet de loi qui assurTit
aux réfugiés espagnols civils , un
traitement égal à celui des réfu-
giés militaires. Se trouvant à
fllontauban, au mois de mars
181 5, il y fit enrôler un grand
nombre de volontaires destinés à
grossir l'escorte de M. le duc
d'Angoulême, qui se rendait à
Nimes. Obligé, par les circons-
tances, de cesser ses fonctions de
maire, le baron de Mortarieu les
reprit le i5 juillet de la même an-
née, après le second retour du roi.
Il fut nommé président du collège
électoral de Tarn -et -Garonne ,
pour la session de 1817, puis élu
membre de la chambre des dépu-
tés, où il siégea au centre de droi-
te, et vota en faveur des lois d'ex-
ception et du nouveau système
électoral. M. de Mortarieu a cessé
de faire partie de la chambre en
1822.11 est (1824) préfet du dépar-
tement de TArriége, et grand-offi-
cier de la légion-d'honneur.
MORTCZINNI (le baron Fré-
déric-Joseph de),, fameux aventu-
rier, dont on prétend que les vé-
MOR
ritables noms étaient JeanThéo-
PHII.B HeRMAN , dit ElCHHOBSt,
naquit vers 1700, à Baiilzen, d'u-
ne famille catholique pauvre et
obscure. Néanmoins il reçut de
l'éducation et fut placé chez un a-
Tocat, dont il abandonna bientôt
l'étude pour s'engager dans un
régiment d'artillerie saxon, où il
devint sous-oflicier. Ennuyé de sa
nouvelle profession, il prit le parti
de déserter, et de parcourir difië-
rens pays sous des noms supposés,
vivant de ressources. En 1778, il
se fixa à Willemberg, où, comme
dans plusieurs autres villes, il se
donna pour un Ilussite persécuté,
et se présenta pour être admis au
nombre des étudians. L'année sui-
vante, il parcourut la frontière de
Bohême, muni d'un grand nom-
bre de Bibles; prêcha dans laThu-
ringe, et, de retour à Wittemberg,
il fit imprimer, en 1782, des Mé-
moires sur sa vie, que dans la mê-
me année un anonyme critiqua
vivement dans une brochure ayant
pour litre : Jugement raisonné et
impartial sur les aventures du baron
de Mortczinni. L'impitoj'able A-
vîslarque y démontrait, « que les
» événemens de son prétendu voya-
»ge en Italie étaient copiés mot
«pour mot d'un vieux livre inti-
«tulé : Vasse- partout de l'Église
nromaine, et que toute son histoire
ndcs martyrs ou des confesseurs
»de la foi était tirée du Martyro-
a logiu7n Bohemicum. » Mortczinni
ne se dé«,oncerfa point pour cela :
il donna audacieusement une se-
conde édition de ses Mémoires',
où il fit disparaître les plagiats et
1rs mensonges qui lui étaient re-
proché*, et désavoua la preujière
édition, pour laquelle il avait lui-
MOR
i85
roêine proposé une^ souscription
qui fut en partie remplie. Quelque
temps après, il partit pourNurem-
berg, où il fit de nouvelles dupes.
P,endant un séjour momentané à
Berlin, sur la fin de 1782, il se
livra à la prédication, cl publia un
écrit contre le nouveau livre des
cantiques. Cette idée fut heureuse
pour lui; elle lui procura de l'ar-
gent et des recommandations, a-
vec lesquels il se rendit à Stet-
tin , où son séjour fut également
lucratif. Il alla ensuite dans la Po-
méranie suédoise, espérant se faire
nommer recteur de Tribbesées ;
mais, trompé dans son attente,
il se dirigea sur Marienbourg. Par-
toTit, sur son passage, il annonçait
qu'il était appelé à Saint-Péters-
bourg, pour y remplir la chaire
des mathématiques : son but était
de se faire nommer à quelque em-
ploi qui le dispenserait de ce pré-
tendu voyage. A Marienbourg, les
adversaires du nouveau livre des
cantiques lui offrirent la place de
troisième prédicateur, et il l'ac-
cepta par attachement» disait-il,
aux doctrines que les fonctions
qu'on lui confiait l'appelaient à
soutenir. Mortczinni se donnait
aussi pour franc-maçon, et se pré-
senta hardiment à la loge, où
n'ayant pu répondre aux questions
qui lui furent faites, il ne fut point
admis. Cette circonstance lui fut
très-défavorable, et donna occa-
sion de vérifier plusieurs faits qui
furent reconnus faux : il se h;1ta
de s'éloigner. Son séjour ne lui
avait pas été aussi désavantageux
sous le rapport pécuniaire. A El-
bing et à Kœnisberg, où il se ren-
dit successivement, il obtint des
succès comme prédicateur. Dans
i86 MOR
cette dernière ville, il livra ses
Sermons à l'impression, ainsi que
plusieurs autres écrits, dont il tira
un très-bon parti. Ce fut dans une
voiture, achetée de ses propres
deniers, qu'il arriva à Uiga. Après
avoir exploité la piété des Livo-
niens, il alla mettre à contribution
celle des habitans de Reval : elle
ne lui lut pas aussi profitable, et
il eut même la mortification d'être
renvoyé de la ville. Rentré en
Prusse, il annonça qu'il quittait
la Russie parce qu'il ne pouvait se
prêter à la manière de vivre des
habitans. Après quelque séjour à
Wittemberg, il fit un voyage en
Lithuanie. L'enthousiasme qu'il
inspira au peuple de Rowno fut
tel, que malgré les chefs de l'é-
glise on voulait le nommer pré-
dicateur. Ses partisans employè-
rent la violence, et son triomphe
avait lieu au milieu du plus grand
désordre, si le ministre de Russie
et le roi lui-même n'eussent a-
paisé, par leur intervention , les
diiférens survenus, dans cette oc-
casion, entre le peuple et les chefs
de l'église. Mortczinni, qui voulait
toujours se faire passer pour franc-
mafon, oh{\ni gratis de la loge de
Varsovie le grade de maître. En
même temps qu'il recevait cette
faveur, arrachée par l'importunité,
il était forcé, par ordre du gou-
vernement polonais, de quitter
non-seulement la capitale, mais
encore le royaume. Il obéit, non
sans murmurer et sans se promet-
tre d'enfreindre bientôt la défense.
En effet, après s'être fait ordonner
à Oels (en Silésie), il retourna à
Rowno, où, bravant toute oppo-
sition, il parut en chaire. Il fallut
employer la force militaire pour
MOR
l'en arracher, et le conduire hors
des frontières. Cette prétendue
persécution augmentait le nombre
de ses partisans. Des scènes tu-
multueuses signalaient partout son
passage. Enfin, le la mai 1784,
on l'arrêta à Elberfeld en \Vest-
phalie. Ses papiers furent saisis,
et lorsqu'on lui rendit la liberté,
il ne put obtenir des magistrats
que son diplôme de maître-ès-arts.
Au moment de son arrestation, il
avait avec lui une femme, une do-
mestique et un cocher, outre une
très-belle voiture et quatre che-
vaux. Mis en liberté, il soutint
une lutte polémique. Après deux
ans de séjour à Rurgsteinfurt, il se
rendit à Copenhague, mais sous
un autre nom. Les francs-maçons,
trompés, l'accueillirent et le pro-
tégèrent. Il prêcha, et captiva la
multitude. Malheureusement pour
lui, il voulut élever une loge ri-
vale. Reconnu par un des mem-
bres de la loge à qui il avait dû
son appui, il 'fut démasqué, et
obligé de quitter la ville du mo-
ment que le nom de Mortczinni y
eut été annoncé publiquement.
On l'arrêta à Corsoer, et on le ra-
mena à Copenhague. 11 crut dis-
poser l'opinion en sa faveur en
accusant les deux loges de cette
ville; il se trompa, et les accusa-
tions tournèrent contrelui. Bientôt
il tomba dans le mépris. N'ayant
plus la liberté de prêcher, il es-
saya d'instruire la jeunesse dans
\^es trois communions chrétiennes.
Ses tentatives furent sans succès,
et il cessa d'occuper l'attention
publique; enfin on le perdit tota-
lement de vue dès l'année 1790.
Ainsi rentra dans le néant un hom-
me que le génie de l'intrigue sou-
MOR
tint quelques années, et dont on
ne s'occupa plus du moment où il
fut connu comme un imposteur
subalterne. Mortczinni a publié en
allemand l;'s ouvrages dont voici
les titres : i° Pensées raisonnables
sur la religion révélée, Zerbst,
1781 , in-S"; 2" Petit recueil de
poésies jnêlèes pour mes amis,
Witlemberg, 1782, in-8"; 5" Fie
et aventures du baron de Mortczin-
ni, Wittemberg, 1 ;83, in-8' ; 4°
beaucoup de Sermons; 5" sous le
nom de Pallini : le Précepteur fia-
hile, pour les trois principales re-
ligions chrétiennes ; ouvrage pour
(es élèves en théologie. Munster et
Osnabruck, 1785, in-8° ; 6" i*u-
nition des étourderies de la jeunes-
se, ou aventures du comte de***,
histoire véritable, 0^nahruck,i'^H6,
in-8° ; 7° le Mystagogue , ou de
l'Origine et de ta naissance de tous
tes mystères et hiéroglyphes des an-
ciens qui se rapportent aux francs-
maçons , dérivés et extraits des
sources les plus anciennes, por un
vrai franc-maçon , Osnabruck et
Hamm, 1789, in-8° ; 8" plusieurs
brochures polémiques. On attri-
bue à Mortczinni : Principes pour
bien connaître la sphère et le pla-
niglobe , destinés à la jeunesse ,
Sebwerin, 1792, in-S". On a es-
sayé de faire connaître les jongle-
ries de ce hardi imposteur dans
un ouvrage intitulé : V Aventurier
spirituel, ou le Chevalier errant
de l* ordre de Saint-Etienne, baron
de Mortczinni , voyageant comme
vainqueur dans la foi, et virtuose
en prédication, Kœnigsberg, 1784,
in-S"; c'est au professeur C. J.
Krauf de Kœnigsberg que l'on
doit cet ouvrage piquant. On sait
qrtc la plupart des journaux litté-
MOR 187
raires d'Allemagne s'occupèrent
de Mortczinni , et que les auteurs
de VAlmanach de l'église et des hé-
rétiques àe. 1797 voulurent bien lui
consacrer un article.
MORTEMART(ViCTrRsiE>JEAS-
Baptiste-Marie de Rochechocart,
Drc de), naquit le 8 février 1752,
entra fort jeune dans l'artillerie,
et fut nommé à 22 ans, le 20 mars
1774, colonel du régiment de Lor-
raine infanterie, brigadier le 1"
janvier 1784. et maréchal-de-camp
le 9 mars 1788. Il fit partie de la
seconde assemblée des notables,
et, comme pair de France, il sou-
tint au parlement de Paris la cau-
se des protestans, pour leur faire
rendre leurs droits civils. L'assem-
blée bailliagère de la noblesse de
Gueret et celle de Sens le nommè-
rent toutes les deux, en 1789, dé-
puté aux états-généraux, ou il sié-
gea pendant une année seulement.
Il donna sa démission et se retira
à la compagne. A la fin de 1791 ,
il quitta la France, et après la cam-
pagne des princes, passa en An-
gleterre, où des rapports singu-
liers dans les goûts et le caractère
le firent accueillir avec une extrê-
me bienveillance par le roi Geor-
ge III. Ce prince le nomma pour
commander un corps français à la
solde britannique. M. de Morte-
mart revint sur le continent dans
l'automne de 1794- Son régiment,
formé en i795,.fut envoyé a Guer-
nesey dans le courant de l'année
suivante, et en janvier 1796, en
Portugal, d'où il fut rappelé, en
1802, pour être licencié. M. de
Mortemart rentra aussitôt dans sa
patrie, et ne s'occupa plus que de
l'éducation de ses enfans. Il ve-
nait cependant d'être désigne pour
ï88 MOR
remplir une place dans le conseil-
général du département de la Sei-
ne, lorsqu'une fièvre maligne l'en-
leva le 14 juillet 1812. M. de Mor-
temart aimait la littérature; dans
les loisirs de l'exil, il acheva mê-
me une traduction en vers du Pa-
radis perdu, de Milton, que sa mo-
destie et une concurrence redouta-
ble (celle de l'abbé Delille) ne lui
ont pas permis de publier : cet ou-
vrage est resté en portefeuille, ainsi
qu'un poëme de Joseph en Egypte,
des Contes, et autres poésies légè-
res, échappées à sa plume facile.
MORTEMART (Casimir-Louis-
VlCTUHNIEN DE RoCHECHOt'ART, DUC
de), fils du précédent, est né à
Paris, le 20 mars 1787; il suivit
son père hors de France, et y ren-
tra avec sa mère en 1801. Il prit,
en septembre i8o5, du service
dans les gendarmes d'ordonnance
sous les ordres de iM. le comte de
Ségur ; passa sous - lieutenant
au 1" régiment de dragons, le 10
février 1806; rejoignit la grande-
armée à la fin d'octobre, et depuis
ce moment, prit une part active
à la plupart des combats qui ont
illustré nos armées en Prusse, en
Pologne, en Autriche et en Russie.
II fut nommé membre de la lé-
gion-d'honneur le 1" octobre
1807, lieutenant au 26* régiment
de dragons le 2 mars 1809, et 8
jours après aide-de-camp du gé-
néral Nansouty, enfin capitaine
le 28 juillet de la même année.
C'est lui qui apprit à l'empereur,
pendant la bataille d'EssIing, que
le pont sur le Danube était empor-
té,et que les matériaux manquaient
pour le rétablir. Nommé officier
d'ordonnance le 12 février 1811 ,
• il remplit plusieurs missions sur
MOR
les côtes du Nord, et reçut une
dotation de 2,000 francs de reve-
nu en Belgique; il accompagna
l'empereur en Russie, fut créé ba-
ron de l'empire à Moscou, chargé
de nouvelles missions, et nommé
officier de la léginn-d'honncur a-
près la bataille d'Hanau, le 3o no-
vembre i8i5. Il revint malade à
Paris, et retourna au quartier-gé-
néral aussitôt que ses forces le lui
permirent. 11 fut chargé d'appor-
ter à l'impératrice les drapeaux pris
sur l'ennemi aux affaires de Cham-
paubert, de Nangis et de Monte-
reau. M. de Mortemart rejoignit
le roi après l'occupation de Paris,
en 1814, et reçut le 7 juin de la
même année le grade de capitai-
ne-colonel des cent-suisscs, em-
ploi qu'avait rempli long-temps
son grand'père maternel, le duc
de Brissac. Créé chevalier de
Saint-Louis le 25 août, il suivit le
roi à Gand avec son corps. Major-
général de la garde nationale de
Paris, le i4 octobre 181 5; maré-
chal-de-camp le 10 octobre i8i5;
commandeur de la légion-d'hon-
neur le 22 janvier 1816, M. de
Mortemart a donné sa démission
de major-général de la garde na-
tionale, après la perte qu'il a faite
de sa mère en février 1818.
Nommé grand-officier de la lé-
gion-d'honneur le 17 août 1822, il
fait partie de la chambre des pairs
depuis le 4 jui" î8i4; 'nais il n'a
eu voix délibérative qu'en mars
1817.
MORTEMART (Victurnien-Bo-
NAVENTURE - ViCTOR DE RoCHE-
CHOXJART, MARQUIS DE), né Ic 28 OC-
tobre 1753, entra dans l'artillerie
en même temps (octobre 1768)
que son frère aîné, le duc de Mor-
MOR
teuiart, et passa ensuite comme
capitaine dans le régiment de Na-
varre en 1771. Colonel en second
du régiment de Brie en 1778, il
devint, en mai 1784? colonel-com-
mandant de ce même régiment de
Navarre, dont son père avait été
chef. Promu au grade de maré-
chal-de-camp le 1" mars 1791, M.
de Mortemart présida l'assemblée
bailliagère de la noblesse à Rouen
en 1 789, et fut chargé de la repré-
senter aux états-généraux. Enne-
mi des abus, mais craignant que
le désir d'améliorer et d'innover
n'entraînât au-de là du but l'as-
semblée, qui se trouva tout-à-coup
investie de la toute-puissance, il se
rangea parmi les défenseurs des
anciennes institutions. Sorti de
France en 1792, il servit d'abord
dans l'armée des princes, puis se
retira à Heidelberg. Il quitta cet
asile vers la fin de »794? pour con-
courir, sous les ordres de son frè-
re, à la formation d'un corps au
service britannique, corps qui tint
garnison dans l'île de Guernesey
pendant le cours de l'année 1796 ;
il fut ensuite envoyé en Portugal ,
où il resta jusqu'à l'époque de son
licenciement, c'est-à-dire, à la paix
d'Amiens. Devenu libre, M. I«
marquis de iMortemart s'empressa
de rentrer dans sa patrie, et y vé-
cut au sein de sa famille, sans ac-
cepter d'autre fonction politique
que celle de membre du conseil-
général de son département (la
Seine-Inférieure), à laquelle il lut
nommé, en 1809, parl'empereur,
sur la présentation presqu'unani-
me de ses compatriotes. Lors de la
seconde restauration, le roi le lit
entrer à la chambre des pairs, et
lui conféra eo même temps le gra-
MOR
189
de de lieutenant-général. Sa santé
ne lui permettait pas de reprendre
un service actif; mais dans la
chambre, sa loyauté et sa modé-
ration lui acquirent l'estime et la
bienveillance dans toutes les nuan-
ces d'opinion. Une mort subite l'a
enlevé à sa famille le 16 janvier
1825.
MORTEMART (Victor-Louis-
VlCTURSIEN DE RoCHECnoUART, COM-
TE de), né aux environs de Diep-
pe, le 12 août 1780, fils du mar-
quis de Mortcmort, qu'il suivit en
Allemagne pour terminer son édu-
cation. Son âge ne lui permit de
prendre aucune part aux événe-
mens politiques et militaires des
commencemens de la révolution,
et comme les lois sur l'émigration
ne pouvaient même lui être appli-
quées, il revint en France dès le
printemps de 1799. Deux ans a-
près , il épousa la coeur du duc de
Montmorency, et resta étranger
aux affaires ainsi qu'au gouverne-
ment jusqu'à l'époque où Napo-
léon crut, dans les intérêts de sa
politique, devoir appeler à sa cour
quelques représentans de ce qu'il
nommait les familles historiques
de la France. Alors M°" de Morte-
mart fut choisie pour dame du pa-
lais, avec sa belle-sœur M"" de
Montmorency, M"" de Chevreuse
et M°" Maret, depuis duchesse de
Bassano. Deux ans plus tard, 31.
de Mortemart fut nommé gouver-
neur du p.tlais impérial de Ram-
bouillet, et dans le cours de 1809,
comte de l'empire et membre de la
légion-d'honneur. En 1817, il
remplaça son père au conseil-gé-
néral du département de la Seine-
IrjférJeure; en 1819 et 1820, il
présida une des sections du collé-
KJO
MOR
ge électoTaî du même départe-
ment, sans se placer au nombre
des candidats pour la députation.
La mort de son père vient de le
faire entrera la chambre des pair?,
mais il n'a pris séante que dans les
derniers jours de cette session
(1823). Il avait été nommé officier
de la légion-d'honneur en décem-
bre 1820.
MORl IER(Antoïne-Chables-Jo-
seph), députa aux états-généraux,
naquit auGateau-Cambresis, le 18
août 1730, et était négociant et
cultivateur lorsqu'il fut nommé à
cette assemblée, en «789, par le
tiers-état du Cambresis. A la fin
de la session, il rentra dans ses
foyers, et devint président de l'ad-
ministration de son district. Lors-
que les Autrichiens envahirentmo-
inentanémcnt la place de Cambrai
en 1793, ils emmenèrent comme
otage M. Mortier, alors premier
officier municipal, et le tinrent
plus de dix mois en état de dé-
tention. Rendu à sa patrie, il re-
prit ses travaux habituels, et mou-
rut en 1808, peu de temps après
l'élévation , de son fils , dont l'ar-
ticle suit, à la dignité de maréchal
de l'empire.
MORTIER (Éoovabd-Adolphe-
Casimir-Joseph) , duc de Trévise,
maréchal et pair de France, gou-
verneur de la I 5""° division mili-
taire, graud'croix de la légion-
d'honneur, chevalier de Saint-
Louis, etc., né à Cambrai en
1768, est fils du précédent. Em-
brassant avec ardeur la cause de
la liberté, il entra, en 1791» en
^jualité de capitaine, dansle premier
J>ataillon de volontaires du dépar-
tement du Nord. Dès la première
^iffaire qui eut lieu à Mévrain , il
MOR
donna des preuves de courage,
et eut un cheval tué sous lui. A
Hondscoot, le 1 3 octobre 1793,
il gagna le grade d'adjudant-gé-
néral. Rlessé par la mitraille sous
les murs de Maubeuge, où il se
signala, il se trouva ensuite acx
afl'aires de Mons, Bruxelles, Lou-
vain , Fleuru.s, et se porta sur
Maëstrich avec le général Rléber:
ce fut l'adjudant-généra! iMorlier
qui dirigea l'attaque du fort Saint-
Pierre. Il était avec le général Mar-
ceau au passage de Neuwied, et
commanda sous les ordres du gé-
néral Lefebvre, dans la campa-
gne de 179G, les avant -postes
de l'armée de Sambre-et-Meuse.
Le 3i mai de la même année, il
battit les Autrichiens, et les repous-
sa au-del;i de l'Acher; il prit en-
suite une part glorieuse au combat
d'Altenkirchen. A la bataille de
l'riedberg, il passa la Nidda; le 4
juillet, enleva les hauteurs de
Wilnsdorffet fit 2000 prisonniers;
le 8, s'empara de Giessen, et ar-
riva devant Francfort, assiégé.
Le r4i le général Rléber l'envoya
au général autrichien Wartens-
leben, pour lui proposer la reddi-
tion de la place, qui eut lieu dans
la mrmie journée; le 20 juillet, à
la suite d'un combat opiniâtre, il
entra dans Gemmauden ; et le 12/j
dans Schwenitl'ort, chassant l'en-
nemi au-delà du Mein , en s'éta-
blissant sur ses derrières : il rem-
plaça le général Richepanse au
combat d'flirsheid le 8 août. Le
traité de Gampo-Formio signé, il
préféra au grade de général de
brigade qu'on lui offrait, celui de
ooniuiandant du 23* régiment de
cavalerie. Appelé à l'armée du
Danube dans la campagne de
/
m...
'>
£^ cJIC„ d/tùrrfiej^.
MOR
179g, ce fut en qualité de géné-
ral de brigade commandant les
avant-posles de l'avant-garde qu'il
s'y rendit. Ses services y furent
importans , particulièrement à
Leptingen et en avant d'Offen-
bourg. Envoyé à Tarmée d'Helvé-
tie, il y soutint sa réputation, et
obtint de nouveAux succès à la
tête de sa division à Walishoffen,
et dans plusieurs des affaires qui
précédèrent et suivirent la prise
de Zurich, à laquelle il concou-
rut en dirigeant avec le général
Klein l'attaque de la ville sur la
rive gauche. Seul avec sa division,
il soutint à Mutlen les efforts du
corps russe du général Rosemberg,
qu'il chassa de sa position; en
poursuivant les débris de cette
armée dans le Multathal, il s'em-
para de Melz et Sargans, et exécu-
ta avec une grande habileté le
mouvement, combiné par le géné-
ral Masséna pour rentière expul-
sion de l'ennemi du temtoirehel-
Tétique. Commandant de la 2'
division de l'armée du Danube ,
il fut appelé au mois de mars 1800,
par ordre du premier consul Bona-
parte , au commandement des i5'
et 16" divisions militaires à Paris.
En i8o3, lors de la reprise des
hostilités avec l'Angleterre, il re-
çut le commandement de l'armée
destinée à s'emparer du Hanovre ;
cette expédition , où l'armée an-
glaise fut faite prisonnière de guer-
re, se termina par la convention de
Suhlingen du 2 juin, qui mitl'élec-
lorat de Hanovre au pouvoir des
Français. A son retour à Paris, il
reçut du pretnier consul les élo-
ges les plus flatteurs, et devint
l'un des quatre comniandans de
la garde consulaire ; le comman-
MOR
»9'
dément de l'artillerie lui fut spé-
cialement confié. En 1804, il pré-
sida le collège électoral du dépar-
tement du Nord, et devint suc-
cessivement , dans la même an-
née, maréchal de l'empire, chef
de la 2' cohorte et grand-aigle de
la légion-dhonneur. En iHo5. il
reçut l'ordre du Christ du Portu-
gal; fut nommé peu de temps a-
près (septembre) au commande-
ment d'une division de la grande-
armée sous les ordres de l'empe-
reur, et se dirigea eii octobre sur
la rive gauche du Danube, il cou-
pa les communications de l'armée
russe avec la Moravie, el en dé-
fit complètement une partie au
combat de Diernstein. Se portant
aussitôt en avant avec un corps
de 4»ooo hommes, il rencontra
l'armée entière commandée par le
général Kutusow. Malgré l'immen-
se infériorité de ses forces, il n'hé-
sita pas à combattre : il y fit des pro-
diges de valeur,mais il allait sucora-
ber, accablé par le nombre, lors-
qu'il futsecouru à temps. Cette af-
faire, l'une des plus considérables
de la campagne et l'une des plus
sanglantes . fut également hono-
rable aux deux partis, et quoique
les Français en eussent tout l'hon-
neur, l'empereur d'Autrrche crut
en attribuer la gloire à ses armes ,
en envoyant au général Kutusow
l'ordre de 3Iarie-Thérèse. Voulant
éterniser un aussi brillant fait
d'armes, les habitans de Cambrai,
où le maréchal iMortier était né,
arrêtèrent qu'un monument se-
rait élevé au général français.
Le maréchal Mortier refusa no-
blement d'y consentir. En 1806,
il fut nommé président animel du
collège électoral du départemeni
19*2 310R
du Gard. Au mois d'octobre de la
même année, il occupa Cassel,
à la tête du 8* corps de la gran-
de-année, et au mois de novembre
suivant, ils'eraparade Hambourg.
Son premier soin fut de mettre
tous les négocians anglais en état
d'arrestation, et de confisquer tou-
tes If s propriétés britanniques. En
avril 1807, il vainquit les Suédois à
Anclam, et conclut, le 18 du même
mois, à Schaltkow, avec le baron
d'Essen, une suspension d'armes,
par suite de laquelle les îles d'U-
sedom et de WoUin durent rece-
voir des garnisons françaises. Il
prit une part brillante à ia bataille
'de Friedland. En 1808, nomme
duc de Trévise , il reçut en
même temps une dotation de
100,000 francs de rentes sur les
domaines de l'ancien électorat de
Hanovre. Presque à la même é-
poque, il prit le commandement
du 5' corps de l'armée d'Espa-
gne, se distingua au siège de Sar-
ragosse, au mois de février i8og,
gagna la bataille d'Occana, au
mois de novembre, concourut a-
vec le maréchal Soult, duc de
Dalmatic, aux opérations contre
Badajoz, fut chargé du siège de
Cadix, et gagna, le 19 février
181 1 , la bataille de la Gebora.
En 1812, l'empereur l'envoya en
Kussie. Jl loi donna l'ordre de
rester à Moscow, et de faire sau-
ter le Kremlin : opération qui eut
lieu le a5 octobre à deux heures
du matin, et qui détruisit l'arse-
nal, les casernes et les magasins.
Le maréchal Mortier, poursuivi
dans sa retraite, fut attaqué au
passage de la Bérézina. I! redou-
bla de soinsetde valeur pour sau-
ver les débris de ses troupes. A
MOR
Francfort, où il se rendit, il orga-
nisa la jeune garde, dont le com-
mandement lui fut confié pendant
la campagne de i8i3. Successi-
vement il combattit à Lutzen,
Dresde', Wachau, Leipsick et
Hanau. Le 11 janvier i8i4> il ar-
riva à Langres. Le maréchal Mor-
tier a fait tou*e la campagne de
1814 ? et a défendu Paris avec le
maréchal Marmont, duc de l\agu-
se. Après avoir concentré son
corps d'armée aux Plessis-les-Che-
nets, le 8 avril, il adressa son ad-
hésion aux actes du gouvernement
provisoire. Envoyé peu de jours
après à Lille en qualité de com-
missaire extraordinaire de la 16"
division militaire, il devint gou-
verneur de celte division, et fut
nommé par le roi chevalier do
Saint-Louis et pair de France les
2 et 4 juin. A l'approche du 20
mars i8i5, on vojjlut former à
Péronne une armée de réserve,
dont le maréchal Mortier devait
avoir le commandement; mais
le retour rapide de Napoléon ne
permit pas l'exécution de ce pro-
jet. Louis XVIII ayant quitté
Paris dans la nuit du 19 au ao
mars , le maréchal Mortier arriva
;\ Lille un peu avant l'entrée du
roi dans cette ville. Inquiet des
ordres que Napoléon venait de
faire adresser au préfet du dépar-
tement du Nord, le maréchal Mor-
tier conjura iM. de lîlacas d'enga-
ger S. M. à partir le plus tôt pos-
sible, ne lui dissimulant pas que
le moindre retard pourrait lui enle-
ver le reste d'autorité qu'il conser-
vait encore sur les troupes. Louis
XVIII céda à ces conseils, et le
maréchal Mortier l'accompagna
jusqu'au bas des glacis. Il rentra
MOR
à Lille, et en repartit bientôt pour
Paris. Napoléon le conipritau nom-
bre des pairs qu'il venait d'ins-
tituer, et le chargea d'inspecter
les frontières de l'Est et du Nord.'
Après la ><econde restauration, il
fut exclu de la clirtinbre des pairs
que le roi venait de reformer. En
novembre i8i5, membre du con-
seil de guerre chargé de juger le
maréchal Ney, prince de la Mosk-
wa , il fijt d'avis, comme tous
ses collèuues, de l'incompétence
du conseil. Le 20 janvier 1816,
nomuié gouverneur de la i5* di-
vision militaire à Rouen, il fut
élu dans la même année, par le
département du Nord, membre
de la chambre des députés ; il y
siégea jusqu'à la fin de 1818, et
vota constamment avec la majori-
té. Lne ordonnance royale du
mois de mars 1819, rétablit le
maréchal Mortier dans les hon-
neurs de la pairie.
MORTIER-DL-PARC (N.),
ancien avocat, membre du con-
seil des cinq-cents, et président
du tribunal civil du Mans, suivit
la carrière du barreau jusqu'à Té-
poque de la révolution, dont il a-
dopta les principes avec sagesse.
Après avoir rempli diverses fonc-
tions dans le département de la Sar-
the,oùilétaitdomicilié,il futnom-
mé, au mois de septembre 1793,
par le collège électoral de ce dé-
partement, membre du conseil
des cinq-cents. Il y parla plusieurs
fois, entre autres sur l'instruction
publique , et y fit un rapport con-
cernant le portrait du jeune et
brave général Marceau (voy. ce
nom), aux vertus civiques et guer-
rières duquel il rendit un écla-
tant hommage. Néanmoins sa pro-
MOR
J9J
position, tendant à charger le
directoire-exécutif d'envoyer ce
portrait à toutes les autorités, ue
fut pas acciieillie. Il sortit du con-
seil en 1797. Par suite de la révo-
lution du 18 brumaire an 8 (9 no-
vembre 1 799}, à laquelle il se mon-
tra favorable , il fut nommé pré-
sident du tribunal civil du Mans.
Au bout de quelques années , il
cessa ces fonctions, et rentra dans
la retraite, dont il n'est pas sorti
depuis.
MORTIMER (Thomas), littéra-
teur-traducteur anglais, naquit
vers 1729, et mourut octogénaire
à Londres en 1809. Cet auteur in-
fatigable, que la pauvreté força
de travailler toute sa vie, s'en é-
tait fait une telle habitude que
mêmedanssa quatre-vingtième an-
née il se plaignait, au rapport de
M. Israeli {^Cnlamities of authors,
page 101 du tome 1"), «que les
«travaux littéraires étaient rares
net qu'on employait de préféren-
rce les jeunes aventuriers. >^ Une
Notice fut publiée sur cet écrivain
laborieux, dont les ouvrages sont
utiles et généralement estimés ,
quoique sous le rapport littéraire
ils soient susceptibles de quelque
critique; elle parut, ornée de sou
portrait, dans VEuropean magazi-
ne (page 219. tome 35). Les ou-
vrages les plus remarquables de
Mortimer sont : i* lePlutarque an-
glais, ou f^ies des plus illustres
personnages de la Grande-Breta-
gne , depuis le règne de Henri
Fin jusqu'à George //, 176a,
12 vol. in-8°: cet ouvrage a été
traduit en français par M"" la ba-
ronne de Vasse, Paris, 1785-1786,
12 vol. in-8'; 2° le Directeur uni-
versel, ou Vrai ^uide de la Jeune
i3
194 MOS
noblesse vers les sciences et les
beaux-arts, 1765, in-S" ; 5'" Dic-
tionvaire du commerce, 1766, 2
Tol. in-fol. ; 4° J^lémetis du com-
merce, de la politique et des finan-
ces, 1772,111-4°; ^"Dictionnaire
de poche de l'ctudiant, ou Abrégé
de l'histoire universelle, delà chro-
nologie et de la biographie, etc.*,
1777: ouvrage très-estlmé et ce-
lui qui a obtenu le plus de suc-
cès ; 6° Every rnan his own broker,
1782, iu-8", espèce de diction-
naire domestique h l'usage des
ménages; 7° traduction de l'ou-
Trage de Necker sur les Finances,
i78(), in-8°; 8" Leçons sur les élé-
mens du commerce, de la politique
et des finances, 1801 , in-8*; 9°
Dictionnaire général de commerce,
i8io, in 8".
WOllY D'ELVANGE (N.), sa-
vant numismate , naquit vers
1742. Il se livra de bonne heure
à l'étude des médailles, et s'atta-
cha spécialement à la connaissan-
ce des antiquités de la contrée
qu'il habitait. Sous le régime de
la terreur il fut traduit au tribu-
nal révolutionnaire, qui le con-
damna à mort le aS floréal »» 2
(14 mai 1794)- Mory d'Elvange a
publié les ouvrages suivans : 1°
Notice d'un ouvrage intitulé : Re-
cueil pour servir à l'histoire mé-
tallique des duchés de Lorraine et
de Bar, Nanci , 1782, in-8°; 2°
Essai historique sur les progrès de
la gravure en médailles chez les ar-
tistes lorrains, 1783, in-S" ; 5*
Notice d'une collection métallique,
donnée A la bibliothèque de Nanci
par le roi Stanislas I" , 1787,
grand in-8°.
M ose ATI (PiERBE, comte),
grand-dignitaire de la couronne-
MOS
de-fer, ex-directeiu'-général de
l'instruction publique en Italie ,
sénateur, etc., est né vers iy'56.
Il exerçait la profession de méde-
cin à Âlilan , lorsqu'il s'attacha
aux intérêts de la famille du géné-
ral en chef Bonaparte. On rap-
porte sur l'origine de la faveur dans
laquelle il fut constamment près de
cet homme extraordinaire, un con-
te tellement ridicule qu'il ne con-
vient point à un ouvrage du genre
de celui-ci d'en faire mention. M.
Moscali fit d'abord partie du con-
grès cisalpin en 1797; l'^n^ée sui-
vante, il fut persécuté loisque les
Austro-Russes envahirent momen-
tanément l'Italie. Conduit dans la
forteresse de Cattaro , il en fut
bientôt extrait pour aller à Vienne
donner les secours de son art au
prince Charles, qui était dange-
reusement malade. Il rentra dans
sa patrie après la victoire de Ma-
rengo, et fit partie, en i8oi, de
lAconsulta(]e Lyon, où furent chan-
gés la forme et le nom de la ré-
publique Cisalpine. Nommé en-
suite directeur-général de l'ins-
truction publique en Italie, il en
exerça encore les fonctions long-
temps après la création de cette
contrée en royaume par l'empe-
reur Napoléon. 11 fut successive-
ment élevé aux dignités de com-
te, de grand-dignitaire de la cou-
ronne-de-fer et de sénateur. Le
vice-roi et sa famille avaient la
plus grande confiance dans M.
Moscati, qui leur resta fidèle dans
toutes les fortunes , et qui , er»
1814, fut un des membres du sé-
nat italien les plus ardens à de-
mander que le vice-roi occupât
le trône comme souverain. Les
événemens politiques de celte an-
MOS
née ne permirent pas l'accom-
plisseuieiit de ce vœu. M. Moscati
s'était fait aimer de ses conci-
toyens, et quoiqu'il soit mainte-
nant étranger aux affaires publi-
ques, il jouit, dans une heureuse
et paisiiile vieillesse, de l'estime
{générale due à ses qualités per-
sonnelles et à ses talens pour la
science qu'il cultive encore , et
pour l'administration des affaires
publiques. Comme physicien, il
fit, en 1817, devant le goHver-
neur de la Lombardie, des expé-
riences sur la fusion des substan-
ces réfractaires par la combustion
du gaz hydrogène et du gaz oxi-
gène : elles eurent le plus grand
succès.
MOSCHIM (Jeas - Artoine) ,
littérateur et directeur du sémi-
naire de Murano, l'une des îles
qui avoisinent Venise. Son ou-
vrage le plus remarquable est un
hommage qu'il se plaît à rendre
patriotiquementà la gloire des Vé-
nitiens illustres du 18"" siècle. Il
est intitulé : Delta Vtteralura Ve^
tieziana del Secolo XFIII, fino a
noslri Giorrii, Venise, 4vol,in-4° ,
1 ^o~- 1 809. Un autre ouvrage bien
moins important, mais qui a le
même but, publié sous le litre de
Rivista, est une description des
environs de Venise, M. Moschini
se fait remarquer parmi les colla-
borateurs du Journal littéraire de
Padoue. Ce littérateur est un hom-
me estimé pour ses talens et pour
ses qualités personnelles.
xMOSELEY (Besjamin) , savant
médecin anglais , mais homme
passionne dans ses systèmes, na-
quit dans le comté d'Essex. Il se
forma d'abord à la pratique de son
art dans les hôpitaux de Londres
MOS 193
et dans ceux de Paris, et alla exer-
cer la chirurgie et la pharmacie à
Kingston (Jamaïque). La guerre
de l'indépendance américaine é-
tait alors dans toute sa force, et
les maladies épidémiques mois-
sonnaient chaque jour un grand
nombre de soldats anglais. Il de-
vint chirurgien en chef de l'île, et,
la guerre terminée, il visita NeiV-
York , Philadelphie, et se rendit
successivement à Londres et à
Leyde,où il prit ses grades comme
médecin, et se fixa enfin à Lon-
dres en 1785. Là il exerça la mé-
decine avec succès, et obtint, par
la protection du comte Mulgrave,
qu'il guérit d'une maladie ner-
veuse, la place de directeur de
l'hôpital de Chel.>«éa. Il fut aussi
le médecin de Fox dans sa der-
nière maladie. M^seley, qui avait
des t.dens, s'est malheureusement
plus fait remarquer par son ini-
mitié envers ses confrère.'., et sur-
tout par sa haine violente contre
la vaccine. Un de ses biographe*
annonce que : «Ce fut en i8o5
qu'il entra en lutte presque seul
contre la faculté : il assura dès-
lors que le monstre avait expiré
sur son sol natal. Ses écrits à ce
sujet offrent un style plein d'ima-
ges, mais aussi beaucoup d'âcreté.
11 prétend qu'outre que la vaccine
ne donne point de sûreté contre
la petite- vérole, elle a produit
elle-même nombre de maladies
inconnues auparavant, qu'il nom-
me faciès bovilla, scabies bovilla,
tirtea bovilla ^ etc. En 1808, un
ecclésiastique , Kowland Hill ,
grand partisan de la vaccine, et
qui s'était vanté d'avoir, de sa
propre main, vacciné heureuse-
ment plus de 4&00 personnes, s'é-
ig'J
M OS
tant attaqué à notre médecin, en
fut traité , dans une épîlre à son
adresse, avec une extrême gros-
sièreté sur des points qui n'étaient
nullement médicaux. » Voici la
liste de ses ouvrages, sur le mérite
desquels il ne nous convient pas de
prononcer : j" Observations sur lu
dysscnlerie des ] ndes-Occidentales,
in-8°, i;8i, réimprimé à Londres
en i;'83; 2° Traité sur les proprié-
tés et les effets du café, in-S", i'-Sù:
la dernière édition de cet ouvrage,
qui a été réimprimé cinq fois, est
de 1793; 3" Traité sur les mala-
dies des tropiques, in-8°, Jj85 :
quatre éditions, la dernière est de
1 806 ; 4" Traité sur le sucre, 2"""
édition, in-8", 1799 ; 5° Essais sur
des sujets de médecine, 2"' édition,
in-8", i8o5 ; 0° Traité sur la vac-
cine, in-8", 1805, traduit en fran-
çais , et imprimé dans la collec-
tion intitulée : la Vaccine combat-
tue dans le pays où elle a pris nais-
sance; 7° Commentaires sur la
vaccine ou lues hovilla, in-8", 1806;
8 ' Revue du rapport du collette de
médecine, sur la vaccine, in-S",
1 808 ; 9° Epîlre sur la vaccine, au
révérend Rowland Hill, in-8", 1 807;
10° Traité sur l'hydropliobie , m-
8°, 1808. Son antipathie contre lu
vaccine l'a rendu Tobjet de plu-
sieurs critiques fort piquantes. Lu
principale a pour titre : E pitres
liéroiques de la mort à B. Moseley
sur la vaccine, 1810. Ce savant
mourut dans un âge très-avancé,
le i5 juin 1819.
MOSNERON (J. B.), chef d'u-
ne des principales maisons de
commerce de Nantes, au moment
de la révolution, fut nommé of-
ficier municipal, et, en 1791,
par le département de la Loire-
MOT
Inférieufe, membre de l'asseui-
blée législative. Dans la séance dn
21 octobre, il défendit les ecclé-
siastiques insermentés, et deman-
da que l'autorité ne sévît que
contre ceux dont la conduite don-
nerait lieu à des mesures de ri-
gueur. Il éprouva quelques per-
sécutions pendant le régime de la
terreur, et fut incarcéré au Luxem-
bourg. Par suite de la révolution
<^u 18 brumaire an 8, il devint
meinfcre du corps-législalif,dont il
fit partie jusqu'en i8o5. Il passa
ensuite en Amérique, où il réside
encore. Les spéculations commer-
ciales et les affaires publiques n'ont
point empêché M. Mosneron de
cultiver la littérature avec succès.
Il a donné : 1° une traduction nou-
velle en prose du Paradis perdu
de Milton, 1786, qui a eu une 4""
édition en 1810; 2° de Quelques
réformes et améliorations à faire
en Bretagne, 1789; 5" Vie de
Milton; 4° Mcmnon ou le Jeune
Israélite; 5^ le Vallon aérien, ou
Relation du voyage d' un aéronaule
dans un pays inconnu, 1809; 6"
Vie du législateur des chrétiens
sans lacunes et sans miracles.
MOTARD ( LE baron) , contre-
amiral, fils d'un capitaine de vais-
seau , est né à Honfleur ; il entra
de bonne heure dans la marine ,
parvint, en 1797, au grade de
capitaine de frégate, et, en i8o3,
à celui de capitaine de vaisseau de
2* classe. Il commandait, à cette
époque, la frégate la Sémillante ,
avec laquelle il accompagnct le
contre-amiral Linois dans les mers
de l'Inde , où il resta pendant 6
ans. La frégate que montait le ca-
pitaine Motard fut attaquée, à la
hauteurdes îles Philippines, par des.
MOL
forces supérieures ; elle soutint
pendant long-temps un combat
opiniâtre, où elle^ut très-maltrai-
tée,mais dont l'honneur lui resta.
Pendant qu'elle était à l'ile de
France, où on réparait ses avaries,
deux vaisseaux anglais se présen-
tèrent dans l'intention de la blo-
quer. Son brave commandant don-
ne ordre d'appareiller, inarche à
l'ennemi, et parvient à lui échap-
per. Plus tard , il livre le combat
à un vaisseau anglais de ^4 ^t '^
une frégate de 48, et s'empare de
huit navires marchands qu'il con-
duit à l'île de France. Il entre-
prend ensuite dans les mêmes pa-
rages une nouvelle expédition non
inoins funeste que la précédente
au commerce anglais , sur lequel
dans l'espace de six années, il fit,
dit-on, pour 28 millions de prises.
Celte glorieuse campagne valut au
capitaine Motard, en 1809, la dé-
coration de commandant de la lé-
gion-d'honneur. Il eut, en 18 10, le
titre de baron de l'empire, et, en
janvier 181 1, lecommandementen
chef del'école spécialede marine de
Toulon; enfin, il devint major des
marins de la garde, et obtint en-
fin, en 1812, le grade de capitaine
de vaisseau de 1" classe. Admis à
la retraite en i8i5 , avec la croix
de Saint- Louis et le brevet de
contre-amiral , le baron Motard
vit aujourd'hui dans une campa-
gne située aux environs de Paris.
MOLCHET (Geobge-Jean), sa-
vant lexicographe , premier em-
ployé de la bibliothèque impé-
riale, naquit près de Rouen, dé-
partement de la Seine-Inférieure,
vers i75/(. Ses études terminées,
il s'adonna h la science, où se sont
distingués les Fonccmagne,Saintc-
MOO
ïo:
Palaye,Brequigny,Legrand-d'Aus-
si, de Roquefort, ftc. Foncema-
gne, qui l'avait dirigé dans ses pre-
miers travaux , lui fit connaître
Sainte-Palaye et Brequigny ; ils
se l'associèrent dans leurs recher-
ches, et Brequigny, dont il était
devenu l'ami intime, l'emmena à
Londres, où il le fit concourir à la
rédaction de la Table chronologi-
que des diplômes , Chartres , titres
et actes imprimes concei'nant l' his-
toire de France , ouvrage qui fut
mis au jour de 1769 à 1785, en 3
vol. in-fol. Sainte-Palaye , émule
de Ducange, résolut de publier un
Glossaire de l'ancienne langue fran-
çaise , depuis son origine jusqu'au,
siècle de Louis XI F. L'auteur
sentit bien qu'une aussi vaste et
importante entreprise ne pouvait
être exécutée sans le secours d'un
habile collaborateur; il détermina
Mouchet à lui prêter son appui.
Quelques années après, en 1J70,
Mouchet se trouva seul à la têle
de cet immense travail. Le prince
de Beauveau devint le protecteur
de Mouchet, et lui fit obtenir, en
1773, une pension ou traitement
annuel de 1,000 francs , qui fut
portée à 2,000 en 1773. Le pre-
mier volume du Glossaire fut con-
fié à l'imprimerie royale , mais il
n'alla pas à plus de 740 pages, qui
formaient les deux tiers du volu-
me, et qui se terminaient à la syl-
labe AST. « Chaque article, dit
l'auteur d'une iVo//V^ sur Mouchet,
réunit les variantes d'orthographe,
etc., la filiation des idées différen-
tes, exprimées par le même mot.
L'histoire métaphysique des ac-
ceptions successives par lesquelles
a Mssé toute locution complexe,
n'cfl pas toujours satisfaisante ni
igS
MOU
complète : peut-êfre est-on égale-
ment en droit de blâmer les déve-
loppemeus trop étendus qu'entraî-
nent des digressions, intéressantes
d'ailleurs,- sur nos antiquités, et le
scrupuledénesacrifierquebien peu
des citations d'auteurs qui avaient
tant cofité à extraire. Du moins
ces citations sont souvent ratta-
chées Tune à l'autre par des tran-
sitions qui ne manquent pas d'a-
grément. Nous indiquerons pour
exemple l'article Amour. Les arti-
cles Advocal, Apanage, Arbales-
trier. Arme, Armet, Arnoul, Art,
Asne, peu vent donner une idée suf-
fisante d'un glossaire avec lequel ni
Borel, ni Lacombe, ni le bénédic-
tin Jean François, ne fournissent
point de comparaison. » La révo-
lution surprit JVlouchet dans le
cours de ses lents et pénibles tra-
vaux. Ils étaient peu avancés à
cette époque , parce qu'entraîné
par la multitude des matériaux, il
avait dû extraire des notes des ma-
nuscrits des anciens chroniqueurs
et romanciers sur la signification
des vieux mots. Ces documens
qui, à l'époque de sa mort, arrivée
en 1807, forment un noml)re con-
sidérable de volumes , sont dé-
posés à la bibliothèque du roi.
« La partie métapli3'sique, ajoute
l'auteur de la notice que nous a-
vons citée, y est à peine eflleurée;
l'indication des sources et des au-
torités, et des citations nombreu-
ses, remplissent ces pages, où les
recherches historiques ne trou-
vent place que bien rarement, d
En attendant que le travail de
Mouchet soit continué et mis au
jour, les savans et les personnes
qui aiment à s'occuper de ces ma-
nières rccherchersl le Glossaii'e a-
MOU
brégé que M. B. de Roquet>)rt
( voy. Roquefort ) a publié. On
peut aussi, sur ce sujet, consulter
le Journal des Savaus du mois de
décembre 1791. Mouchet ayant
perdu, par suite de la révolution,
la pension de 2,000 francs que lui
faisait le gouvernement, était tom-
bé dans un état voisin de Tindi-
gence. Brequigny, qui avait éga-
lement perdu sa fortune , vint gé-
néreusement au secours de son
ami, en le mettant gratuitement
en possession de sa bibliothèque.
Legrand-d'Aussy, nommé conser-
vateur des manuscrits de la bi-
bliothèque impériale, ne lui mon-
tra pas des sentimens moins affec-
tueux : il le fit placer successive-
ment comme troisième et premier
eiiiployé de cet établissement.
MOUCHET (François -Nico-
las), peintre, ancien fonctionnaire
public , naquit à Gray, départe-
ment de la Haute-Saône. Son père,
avocat du roi au bailliage de (iray,
voulut lui faire suivre la carrière
du barreau ; mais le jeune Mou-
chet préféra celle des arts , et il
vint à Paris, où il prit des leçons
de Greuze. Il remporta, en 1776,
le premier prix à l'académie. Le
besoin de s'occuper du soin de sa
fortune le déteimina à adopter le
genre de portrait en miniature ,
où il eut du succès. Cependant ,
il reprit le genre historique, et fut
employé par le gouvernement. La
révolution le compta au nombre
de ses partisans, et il devint mem-
bre de la municipalité de Paris ,
puis juge-de-paix de l'une des sec-
tions de celte ville. Il fut envoyé,
en 1792, dans la Belgique, en qua-
lité de commissaire pour la dési-
gnation des objets d'arts qui de-
lUOU
raient augmenter notre collection
a«sez faible dan> cette partie. Sa
mission terminée, il revint à Pa-
ris, les mains pures de toute dila-
pidation. L'anarchie qui pesait a-
lors sur sa patrie révolta son âme
honnête, et la liberté avec laquelle
il exprima ses sentimens le rendit
suspect ; il fut enfermé. Pendant
quinze mois de détention, Mon-
chet trouva des ressources dans
ses talens , et , rendu à la liberté
par suite de la révolution du 9
thermidor an 2 (27 juillet 1794)?
il se hâta de retourner dans sa
•ville natale, où il continua l'exer-
cice de son art. Mouchet y fonda
à ses frais une école de dessin, et
s'attacha à inspirer à ses élèves le
goût de l'antique, dont le célèbre
David était le créateur en France,
et qu'il regrettait de n'avoir pas
étudié dans sa jeunesse. Mouchet
mourut à Gray au mois de février
181 4» Les deux plus remarqua-
bles de ses ouvrages sont : l'Ori-
gine de la peinture, qui fut exposé
au Louvre, et le Triomphe de la
peinture, qui eut également les
honneurs de l'exposition. Le bu-
rin a reproduit quelques-uns des
petits sujets qu'il avait traités ,
tels que : le Larcin d'amour, l' Il-
lusion , le Coucher, et plusieurs
portraits.
MOUCHON (Piebre), pasteur
de l'église de Genève, où il naquit
en 1755 et mourut en 1797, a lais-
sé la réputation d'un citoyen res-
pectable, d'un savant distingué ,
d'un des premiers prédicateurs de
l'église protestante. On a publié ,
après sa mort, un choix de ses
Sermons, Genève, 1798, 2 vol.
in-8°. L'épreuve de la lecture, l'é-
cucil de tant d'orateurs renom-
MOLi 199
mes. n'a rien ôté à l'estime dont
celui-ci jouissait de son vivant,
parce que le mérite de ses discours
e*t dans la force des choses, dans
la grandeur des pensées, dans la
sagesse de l'expression, la noblesse
du style et l'heureuse alliance d'un
esprit philosophique avec un cœur
profondément religieux. ?fé sans
fortune, Mouchon surmonta, par
son ardeur pour l'étude, les dilTi-
cultés de sa position ; il montra
une égale aptitude pour toutes les
sciences, mais il s'appliqua surtout
à celles qui élèvent l'âme et exer-
cent la méditation. Après avoir
rempli les fonctions de l'enseigne-
ment dans le collège de Genève ,
il desservit l'église française de
Bâle pendant douze ans, et revint
à Genève en 1778, pour s'y con-
sacrer tout entier au ministère é-
vangélique. Ce fut pendant son
séjour à Bâle qu'il entreprit et a-
cheva une tâche immense, la Ta-
ble analytique et raisonnée des ma-
tières contenues dans l'Encyclopr-
die, Paris, 1780, a vol. iii-fol.,
la plus grande table des matières ,
sans doute, qui existe , et, par la
manièrc dont elle est exécutée, vrai
chef-d'œuvre, non pas seulement,
comme on pourrait le croire, dr
courage et de patience, mais enco-
re d'un esprit lumineux, méthodi-
que, accoutumé à coordonner ses
idées, habite à rapprocher celles
qui se rapportant à un même su-
jet, se trouvent éparses dans les
volumes de ce vaste recuvil , dont
la Table raisounée a bien facilité
l'usage et accru l'utilité. Ce tra-
vail, êuivi sans relâche pendant
cinq années, au milieu de beau-
coup d'autres occupations, ne
pou v^ convenir ^u'à un homme
\
\
aoo MOU
déjà riche de connaissances va-
riées; mais il contribua beaucoup
à étendre celles de Mouchon, et
l'on a dit avec raison , qu'il était
probablement le seul homme qui
eût lu l'Encyclopédie en entier ;
nous ajouterons, et celui qui en
ait retiré le plus de fruit. Il joignait
à des talens très-distingués le plus
noble caractère et les vertus les
plus aimables : la modestie, la
simplicité, l'aménité des mœurs.
Dans les troubles politiques de sa
patrie, il fut toujours l'ami sin-
cère et sage de la liberté , opposé
par cela même aux partis extrê-
mes, mais respecté de tous, parce
que sa franchise parfaite laissait
voir tout ce qui se passait dans
son âme, et qu'on n'y pouvait
lien voir que d'excellent. Il eut
des relations avec plusieurs hom-
mes distingués, et particulière-
ment ses compatriotes,!. J. Rous-
seau, Bonnet, Necker, etc. On lit
dans la Vie de J. J. Rousseau ^
par M. de Musset, et dans le Lycée
français^ tom. III, quelques dé-
tails intéressans sur une visite
qu'il fit à J. J. Rousseau, à Mo-
tiers-Traver, en 1762. Ou s'est
servi pour cet article d'une notice
insérée dans VAlmanacli des pro-
testons pour 1809, et de l'intéres-
sant Eloge historique de Mouchon,
placé en tête de ses sermons , par
Picot, professeur de théologie à
Genève, mort en 1823.
MOUCHY (le prince de Poix,
DUC de), lieutenant-général et l'un
des quatre capitaines des gardes-
du- corps du roi, chevalier des
ordres du Saint-Esprit , de Saint-
Louis , de la légion-d'honneur,
elc, fut élevé à l'école-militaire,
et entra ensuite dans un régiment
MOU
de Cavalerie, commandé par le vi-
comte de Noailles, son oncle, qui
passait pour l'un des meilleurs
officiers de celte arme. Opposé
aux principes de la révolution, il
sortit de France en 1792, prit du
service dans le corps d'émigrés du
duc de Bourbon, et fit la campa-
gne de cette année. Réfugié en
Angleterre par suite du licencie-
ment de l'armée des princes, il
profita du bénéfice des lois d'am-
nistie pour se faire rayer de la
liste «les émigrés, et concourut de
tout son pouvoir au retour des
Bourbons en i8i4- Le roi, vou-
lant reconnaître les services du
duc de 3Iouchy, le nomma colo-
nel et chevalier de Saint -Louis
peu après la première restaura-
tion. A l'époque du 20 mars 181 5,
il suivit la famille royale jusqu'à
Béthune : là, il reçut du roi une
mission auprès de M. le duc d'An-
goulème, qui venait de passer en
Espagne, et fut nommé, le 3i
mai (1815), maréchal- de -camp.
Rentré en France avec S. A. R.
au mois de juillet suivant, il pré-
sida le collège électoral du dé-
partement de la Meurthe , et fit
partie de la députation de ce dé-
parlement à la chambre dite in-
trouvable. Le prince de Poix, son
père, lui céda, en 1816, le com-
mandement de la 3°" compa-
gnie des gardes-du-corps du roi,
dont le comte de Saint -Morys é-
tait lieutenant. Cet officier ayant
eu l'année suivante, avec le colo-
nel Barbier Dufay, une affaire qui
a loiîg-temps fixé l'attention publi-
que, le duc de Mouchy usa de l'au-
torité de son grade pour forcer M.
de Saint-Morys à satisfaire à une
provocation contre laquelle les lois
- /
MOU /
na prononcent aucune peine. La
comtesse de Saiiit-Morys, deve-
nue veuve par suite de cette que-
relle, non contente de faire retentir
les tribunaux de ses plaintes, pu-
bliaunmémoireetattaquaaucnmi-
nel celui qu'elle appelait l'assassin
rie son mari; elle impliqua dans cet-
te affaire le duc de Mouchy pour
avoir fait ce qu'exigeait l'honneur
du corps dont le commandement
lui était confié. Ce procès eut l'is-
sue à laquelle on s'attendait gé-
néralement. M. Barbier Dufay
et le duc de Mouchy furent ren-
voyés de la plainte portée contre
eux, et la veuve Saint- Morys dé-
boutée de sa demande.
MOUGiN (l'abbé Pierre-Astoi-
ke), astronome, correspondant de
l'ancienne académie des sciences,
naquit à Charquemont, prés de
Baume, département du Doubs,
le 32 novembre i^Sd. Destiné par
sa famille A l'état ecclésiastique,
il fit ses études au séminaire de
Besançon, et fut pourvu de la cure
de la Grand'Combe des Bois, pa-
roisse située sur le revers du Lo-
mont. Sans ambition, et passion-
né pour l'astrononiie, à l'élude de
laquelle ses fonctions lui permet-
taient de consacrer tout le temps
nécessaire, il fit des observations
qu'il adressa à Lalande , en 1766,
et qui lui valurent, de la part de
ce célèbre astronome, une lettre
très-flatteuse, un grand télescope,
et divers instrumens dont la pos-
session était indispensable pour
donner de l'exactitude aux expé-
riences. La révolution le surprit
dan? l'exécution d'un travail sur
les comètes, qu'il avait promis de
livrer à l'académie des sciences
(à laquelle il appartenait comme
MOU 201
correspondant), et non au bureau
des longitudes, comme le dit par
erreur une biographie, le bureau
des longitudes n'ayant été créé
que depuis la révolution. Il fut
nommé par ses concitoyens mem-
bre de l'administration centrale du
département du Doubs; mais il re-
fusa cet emploi , ne voulant pas se
distraire de ses travaux habituels.
Vers la fin de 1795, il fut obligé
de quitter sa cure; et, pour éviter
la persécution dont les personnes
exerçant son ministère étaient l'ob-
jet, de se cacher « dans le creux
«d'un vallon, d'où je ne vois plus
»le ciel », écrivait-il à Lalande.
Sur les instances des membres
de l'observatoire de Paris , il fut
autorisé , par le gouvernement ,
à retourner à sa cure, dont on a-
vait fait valoir la position pour la
recherche des comètes. Lalande a-
vait conçu pour Mougin une gran-
de estime. Lorsqu'il annonça la
Table de prècession ( ou change-
geniens annuels des étoiles en as-
cension droite) de ce laborieux
et modeste savant, qu'il avait re-
çue en 1801, il dit : « Il y a tren-
))te ans que nous recevons de ce
«digne pasteur des marques de
• zèle, d'application, de curiosité
net de courage, qui sont bien ra-
nres, surtout dans les déserts. ■>
On a de Mougin, qui mourut plus
qu'octogénaire à la Grand'Combe,
le 22 août 1816 : 1° des Calculs
dans la connaissance des temps , de
1775 à i8o3; 2° les Tables du no-
nugcsime, dans le volume de 177^
de la Connaissance des temps; 3° les
Calculs de l'éclipsé de soleil, obser-
vée ù la Grand'Combe, le 19 jan-
vier 1787, dans le Journal des Sa-
vans,\i, 5o5, etc. Lalande exprime.
202 MOU
flans son Histoire abrégée de l'as-
tronomie, la crainte que les ins-
trument et les manuscrits de Mou-
gin , achetés par un Suisse , ne
soient perrlus pour les sciences.
MOUGINS DE ROQUEFORT
(N.), curé de Grasse, fut nommé,
par Je clergé de la sénéchaussée
de Dragiu"gnan , député aux états-
généraux en 1789. l'artisan zélé,
mais sage, des idées nouvelles, il
se prononça l'un des premiers en
faveur de la réunion des trois or-
dres, prêta le serment civique,
adhéra à la consliiution civile du
clergé, et devint secrétaire de l'as-
semblée constituante, le 9 avril
1791. Rendu aux fonctions ecclé-
siastiques à la fin de la session, il n'a
plus reparu sur la scène politique.
MOUGINS DE ROQUEFORT
(iV.), frère du précédetït , maire
et premier consul de la ville de
Grasse, fit aussi partie des états-
généraux en qualité de député du
bailliage de Draguignan.il parta-
gea les opinions de son frère, et
montra des talens dans les matiè-
res judiciaires, qu'il traita de pré-
férence. Il rentra dans la vie pri-
vée à la fin de la session de l'as-
semblée constituante.
MOULIN (N.), général des ar-
mées de la république , s'enrôla
comme simple soldat, et obtint
successivement tous ses grades
jusqu'à celui d'officier- général.
Chargé, en 1793, du commande-
ment d'un des corps de troupes
employés dans la Vendée, il y ac-
quit une nouvelle gloir^',et termi-
na, d'une manière héroïque, une
carrière illustrée par plusieurs ac-
tions d'éclat. Grièvement blessé à
l'affaire de ChoUet , en lévrier
1794, il est au moment de tomber
MOU
entre les mains des Vendéens vain-
queurs. Un pistolet lui reste, il
le saisit et se brûle la cervelle.
Le gouverneuiont fit élever à la
mémoire de ce brave un monu-
ment sur lequel on grava cette
inscription : «Républicain, il se
» donna la mort pour ne pas tom-
»ber vivant au pouvoir des roya-
» listes. »
MOULIN (N.), général fran-
çais, membre du directoire-exé-
cutif, officier de la légion-d'hon-
neur, frère du précédent, suivit la
même carrière, et parvint des
grades inférieurs au commande-
ment des armées de la république.
Il ac<(uit de la réputation dans le
commandement de l'armée des
côtes de Brest, et dans celui de
l'armée des Alpes, en 1794; i^
passa de ce dernier corps en Al-
sace, où il commandait ime divi-
sion, et, par un mouvement hardi
autant que bien combiné, sauva,
le 18 septembre 179I}, le fort de
Kehlprès de tomber entre les mains
des troupes autrichiennes aux or-
dres du général L'étrarsch. Il fut
chargé, en 1798 et 1799, du com-
mandement de la division de Pa-
ris. L'agitation populaire du 3o
prairial (18 juin 1799), à laquelle
il ne fut pas étranger, le porta au
directoire, dont Merlin, Treillard
et La Reveillère-Lépaux, avaient
cessé de faire partie. Il s'y lia avec
Barras et Gohier, et projetait avec
eux du changement de la constitu-
tion, lorsque la révolution du 18
brumaire et l'avènement du géné-
ral en chef Bonaparte au consulat,
les renversèrentà leur tour. Moulin
chercha vainement à tenir tête à
l'orage, refusa pendant long-temps
de donner sa démission de direc-
BIOU ^
teur, et finit par reprendre du
service >ou5 le nouveau gouver-
nement. Il comniandail la place
d'Anvers, lorsqu'il mourut en
j8io.
xMOLLINES (GciLLACME de),
pasteur de l'église réformée et
historien, naquit à Berlin enijaS,
et mourut le i4 mars 1802 dans
la même ville; il était issu d'une
famille protestante que la révoca-
tion de l'édit de Nantes avait
forcée de s'expatrier. Il a cultivé
avec succès plusieurs branches de
la littérature, et ses ouvrages sont
écrits en français : il fut toujours
favorablement accueilli de Voltai-
re pendant le séjour que ce grand
honnne fit à Berlin. Guillaume de
Moulines a publié : 1° Réflexions
d' un Jurisconsulte sur l'ordre de la
procédure , et sur les décisions ar-
bitraires et imtDidiates du souve-
rain, Berlin, i;"^^, vol. in-S"; La
Haye, 1777; "i." Lettre d'un habi-
tant de Berlin à son ami à La
Haye, La Haye, 1775: cette let-
tre est relative à un passage de
l'histoire philosophique de l'abbé
Raynal sur Frédéric II; 5'' Tra-
duction des 18 litres d' Ammien Mar-
cellin, 5 vol. in-12, Berlin, 1775;
Lyon, 1778; 4" les Ecrivains de
l histoire d'Auguste traduits en
français, 5 vol. in-12, Berlin,
1783; Paris, 1806 : cet ouvrage,
nécessaire à toute personne qui
■veut étudier avec fruit l'histoire
des empereurs , offre le tableau
fidèle et rapide du règne de plus
de 70 princes qui , pendant la
courte période de 16a années ,
ont successivement occupé le
trône des Césars; en sorte que la
durée moyenne du règne de cha-
cun d'eux n'a été que d'un peu
MOU
303
plus de deux ans. Cette traduc-
tion joint au mérite de l'exaclitu-
de celui d'être écrite avec facilité;
elle se fait lire avec intérêt.
MOLLINIEll (Charies-Eties-
ke-Frascûis) , pasteur de l'église
de Genève, né dans cette ville en
1757, a publié plusieurs ouvrages
religieux : i°un catéchisme élé-
mentaire sous le titre de Lait de la
parole, Genève, 1789; 2' Lettres
à une mère chrétienne , 1* édition,
1821, in-8° ; 5° Moyens de connaî-
tre J)ieu, 181 5 : cet ouvrage a été
réuni au précédent dans la der-
nière édition; ^"Instructions et
méditations sur Jésus - Christ ,
1817. in-8°; 5" Promenades philo-
sophiques et religieuses aux envi-
rons du Mont-Blanc^ 2' édition,
1820, in-12; 6" Enseignement gra-
duel des vérités religieuses par
J.-C. et ses apôtres; 7" Chaînes
des vérités étangéiiques ; 8° Opus-
cules ; 9° Leçons de la parole de
Dieu sur l'étendue et L'origine du
mal dans l'homme, 1821, in-S^";
I G" Leçons de la parole de Dieu
sur ta divinité du Rédempteur,
1822, in-8''; 11° Leçons de la pa-
role de Dieu sur la rédemption de
l'homme, 1825, in-8". L'auteur
de ces ouvrages s'est abstenu de
toute controverse avec l'église ro-
maine : aussi sa personne et ses
écrits ont reçu les témoignages de
l'estime de plusieurs ecclésiasti-
ques de cette communion.
MOLLLAND (X.), était, au
commencement la révolution ,
commissaire du roi près le tribu-
nal correctionnel de Bayeux (Cal-
vados). Il adopta avec beaucoup
de modération les nouveaux prin-
cipes, et fut nommé, en 1798, dé-
puté de ce département au coa-
204
MOU
scil des cinq-cents, d'où il passa
l'année suivante an corps-législa-
tif. Sorti en i8o3 de cette assem-
blée, il n'a pas reparu dans les
fonctions publiques.
MOULTRIE (Guillaume), ma-
jor-général de l'armée des Etats-
Unis, s'enrôla, en 1760, comme
simple volontaire, et fit la guerre
contre les Cherkoées , d'abord
sous les ordres du gouverneur
Litlleton , ensuite sous ceux du
colonel Montgommerj. II se dis-
tingua dans plusieurs rencontres
et devint capitaine. En 1761, il
eut la gloire de terminer lui-mê-
me cette guerre en battant, avec
sa seule compagnie, ces différen-
tes peuplades, qui furent forcées
de recevoir la loi du vainqueur.
Lorsque le cri d'indépendance se
fit entendre dans les provinces a-
méricaines, le capitaine Moultrie
y répondit un des premier.«,et tra-
vailla dès-lors avec beaucoup d'ac-
tivité à briser le joug de la métro-
pole. Parvenu par ses services au
grade de colonel du 2°" régiment
de la Caroline méridionale, il se
distingua parliciilièremenl à l'af-
faire de l'île de Sulivau, en ren-
dant infructueuses les attaques de
l'armée anglaise, quoiqu'il n'eût
avec lui que 540 hommes de son
régiment et quelques miliciens. Le
congrès national lui décerna la
récompense la plus flatteuse en
ordonnant qu'à l'avenir le fort
qu'il avait si vaillamment défendu
porterait son nom. En 1779 il bat-
tit les Anglais à la bataille de
Beau fort, commanda en second
nu siège de Charlestovi'^n, et vint à
Philadelphie après la reddition de
la place. 11 fut nommé, en 1782,
gouverneur do la Caroline, sa pa-
MOU
trie, et remplit pendant long-temps
ce poste honorable. Forcé d'en
résigner les fonctions par suite de
son grand âge et de sa mauvaise
santé, il vécut dans la retraite et
mourut à Charlcstown, en i8o5,
à l'âge de 76 ans. Il a publié des
Mémoires sur les événemens de
la révolution dans la province de
Géorgie et dans les Deux-Caro-
lines.
MOUNIEIl (Jean-Joseph), l'un
des députés les plus célèbres des
états-généraux, en 1789, naquit
à Grenoble, le 12 novembre 1758.
Son père, commerçant estimé, lui
fit donner une excellente éduca-
tion; mais la sévérité souvent in-
juste de son premier instituteur,
et les obstacles qu'il rencontra
lorsque, méconnaissant sa voca-
tion, il voulut entrer dans l'état
militaire, jetèrent dans son cœur
les premières semences de sa hai-
ne contre l'oppression et les privi-
lèges. Mounier était né pour être
jurisconsulte; il le sentit enfin,
entra chez un avocat, où il passa
quelque temps, obtint le titre de
bachelier en droit à l'université
d'Orange, et après trois ans d'é-
tudes chez les membres les plus
éclairés du parlement de Greno-
ble , il fut reçu avocat. A l'âge de
25 ans , il acheta la charge de ju-
ge royal , qu'il exerça pendant six
années avec la plus grande dis-
ijnction. Tout le temps qu'il ne
donnait pas à ses fonctions était
employé i\ l'histoire naturelle, à
la politique et au droit public, et,
s'étant lié avec quelques Anglais,
il étudia leur langue, la théo-
rie, et surtout la pratique de leurs
institutions. Mounier s'était ainsi
préparé, sans le savoir, aux événe-
à
MOU
meus importans qui devaient sui-
Tre: aussi, lorsqu'après la convoca-
tion infructueuse des notables en
1787, l'arrêt du parlement de
Paris, même année, exigeant la
convocation immédiate des états-
généraux, l'annonce d'une cour
pléniére imaginée par les minis-
tres pour réduire à l'obéissance
les cours de justice, nouveauté que
le parlement de Grenoble repous-
sa avec énergie ; lorsque surtout
après l'exil de ses magistrats, cette
ville, craignant de perdre toutes
ses libertés, eut demandé et obte-
nu une assemblée de ses notables.
Meunier, juge royal, y parut avec
tous les avantages que lui don-
naient ses fonctions, ses qualités
personnelles et ses connaissances
politiques; il fut en quelque sor-
te l'âme de cette assemblée, et y
posa les bases d'un gouvei'nement
représentatif. Ce qu'il y eut de
remarquable encore, c'est qu'on
y voit consacrées, en quelque
sorte, la Réunion des ordres, et l O-
pinion par tête, qui devaient bien-
tôt donner lieu aux plus vifs dé-
bats. Meunier attachait beaucoup
d'importance à cette mesure : c'é-
tait alors l'opinion de toute la
France; il y tenait plus fortement
encore par ce qui venait de se
passer sous ses yeux, et qui était
si opposé à l'exemple donné par
les anciens états-généraux, dont
Voltaire avait dit :
Que de ces grands conseils, l'efTet le plus commun
E$t de voir tous les maux «ans en reparer un.
Il était persuadé que c'était le seul
moyen d'établir une constitution
sage, qui assurât les droits du
prince et ceux du peuple , par
le concours du monarque et de la
MOU 20.»
nation pour la formation des lois ,
la balance du pouvoir et l'éloi-
gnement de l'arbitraire. Cette as-
semblée, où triomphèrent les prin-
cipes de Mounier sur la réunion
des ordres et sur le vote par tête ,
fut suivie de deux autres assem-
blées également remarquables par
la concorde qui régna entre les
ordres réunis, l'oubli des intérêts
personnels, et le respect pour l'au-
torité du monarque ; Mounier y
remplit les fonctions de secrétaire,
et s'y montra orateur distingué.
Au mois de janvier 1789, arriva
à Grenoble l'instruction ministé-
rielle sur l'élection des députés aux
états généraux; Mounier fut nom-
mé le premier par acclamation, et
quoique les états eussent consacré
deux grandes innovations, débat-
tues et arrêtées dans les états pré-
cédens , en défendant à leurs dé-
putés de voler sur aucune propo-
sition autrement que dans la réu-
nion des ordres et par tête, le
commissaire du roi leur dit, en
fermaiit leur session : « Une sages-
nse profonde a dirigé vos démar-
oches et présidé à vos choix. »Et
lorsqu'au mois de mars, Mounier
accompagna à Versailles l'archevê-
que de Vienne , qui avait présidé
l'assemblée, et que le roi remer-
ciait d'avoir sauvé le Dauphinéf
l'archevêque répondit. Sire , ce
n'est pas moi , c'est notre secrétai-
re-général; tant était connue la
pureté des motifs qui avaient cons-
tamment dirigé Mounier dans ses
opinions et dans ses votes. La ré-
putation dont il jouissait à Greno-
ble le suivit aux états-généraux,
environné d'abord d'une grande
faveur, pour avoic puissamment
influé sur la double représentation
ao6
MOU
du tiers et le vote par tête; il exer-
ça une sorte d'empire sur les pre-
mières délibéralions de son ordre;
mais toujours son équité égala sa
franchise. Lorsque, dans des con-
férences préliminaires, quelques
députés, pour engager les commis-
saires de la noblesse i\ vérifier les
pouvoirs en commun, assuraient
qu'ils ne feraient pas de ce précé-
dent un argument en faveur de la
délibération sur le fond des affai-
res. Motmier déclarait franche-
ment » qu'il s'agissait d'assurer,
«par une constitution, la liberté
» publique; que la réunion des dé-
» pûtes était nécessaire pour un si
«grand objet; qu'elle était exigée
«par le vœu de la nation; qu'on
')ne pouvait y résister, non-seu-
wlementsan^ une extrême injusti-
»ce, mais sans une extrême im-
» prudence. » Et d'un autre cô-
té, il appuyait le projet d'adres-
se au roi, proposé par Malouet,
et ainsi conçu : « Toujours nous
«reconnaîtrons, dans le clergé
»et .dans la noblesse, de grands
«propriétaires, les premiers ci-
«toyens de l'empire, et les préé-
«minences raisonnables de rangs
«et d'honneurs qui leur appar-
» tiennent; les droits de proprié-
» té, sacrés pour toutes les classes
• de vos sujets, ne seront violés
»pour aucune. » Une proposition
aussi modérée fut repoussée par un
arrêté hostile de la noblesse con-
tre le tiers-état. Le i5 juin, cet-
te chambre ayant décidé qu'elle
se constituerait définitivement ,
délibéra sur la dénomination qu'el-
le prendrait; on en proposa trois,
qui touffes trois parurent à Mou-
uier inexactes et dangereuses, et
pour donner aux esprit» le temps
MOU
de 8e calmer, il présenta l'arrêté
suivant : « La majorité des dépu-
»tés, délibérant en l'absence de
»!a minorité duement invitée, a
«arrêté que les délibérations se-
» raient prises par tête et non par
«ordre, et qu^on ne reconnaîtra
«jamais aux membres du clergé
«et de la noblesse, le droit de dé-
» libérer séparément. » Cette pro-
position, accueillie d'abord avec
enthousiasme, fut bientôt regar-
dée comme un moyen dilatoire.
La chambre des communes se dé-
clara le lendemain , à une grande
majorité. Assemblée nationale. Un
autre incident vint aggraver ces
difficultés naissantes : une séance
royale devait avoir lieu, et l'on
faisait à la salle de l'assemblée les
dispositions convenables; les dé-
putés, qui n'étaient pas prévenus,
s'y présentèrent, et s'en virent
refuser l'entrée; de là, mille con-
jectures; ils se réfugièrent dans
un jeu de paume, où, sur la pro-
position de Mounier, ils firent le
serment de ne se séparer qu'après
avoir achevé la constitution : telle
est l'origine de celte fameuse
séance du jeu de paume , qui fut
véritablement l'ouverture de la
révolution, en donnant à quel-
ques membres la première idée
qui fut réalisée plus tard , de
transporter l'assemblée à Paris,
et d'y solliciter un asile contre les
dangers qui la menaçaient à Ver-
sailles. La séani;e royale, qui eut
lieu le 25 juin, n'eut pas des effets
heureux: Mounier n'y vitqu'un Ut
de justice incompatible avec l'idée
qu'il se faisait des états-généraux,
et il a imprimé, en 1789 et eu
179a, que « la séance du a3 juin
«était certainement une des eau-
MOU
«ses quiavaient préparé l'anarchie
«qui déchirait hi France. » Il fit
nommer, le 6 juillet, im comité,
central, chargé d'établir un ordre
de travail constitutionnel ; chaque
bureau devant fournir un de ses
membres pour sa formation. Meu-
nier fut choisi par le sien pour
commissaire, et parle comité cen-
tral pour rapporteur. L'occasion
d'exercer ces fonctions ne tarda
pas à se présenter : des Iroupes
se rassemblaient dans la capitale et
dans les environs. Mirabeau avait
proposé une adresse au roi, pour
demander leur éloignenienl; Mou-
nier, toujours en garde contre les
envahissemens du pouvoir, ne
manqua pas de l'appuyer; mais
en même temps il fit, au nom du
comité central, le rapport le plus
favorable à l'autorité royale. Ce
discours parut calmer les esprits,
et il ne fut plus question du
renvoi des troupes. Les disposi-
tions changèrent tout-à-coup à la
nouvelle de l'exil de Necker et de
la disgrâce de ses collègues; l'as-
semblée fut consternée, et un vio-
lent mécontentement se manifesta
dans Paris. Mou nier crut que le rap-
pel desministres était le seul remè-
de aux maux qu'il prévoyait, et,
dans l'intention de calmer les es-
prits, il proposa une adresse au
roi. Elle fut long-temps débattue.
Cependant, le sang coulait dans
la capitale. L'assemblée se déter-
mina enfin à voter l'envoi de
deux députations , l'une au roi
pour demander l'éloignement des
troupes, l'autre à Paris, pour faire
cesser les désordres. (] 'était le i5
juillet; le 14, on apprit que le peu-
ple de Paris s'était emparé de la
Bastille. Les circonstances deve-
MOU ao7
nant de plus en plus critiques, de
nouvelles mesures furent propo-
sées; on commençait à les discuter
lorsque Louis XVI entra dans l'as-
semblée : sa présence calma d'a-
bord toutes les agitations, elles ces-
sèrent entièrement lorsqu'on l'en-
tendit engager les représentans à
s'unir à lui poui- sauver l'état , an-
noncer qu'il avait donné l'ordre
aux troupes de s'éloigner, et invi-
ter l'assemblée à faire connaître ces
dispositions à la capitale. Quelques
membres voulaient néanmoins
qu'on exigeât du roi , comme un
droit de l'asscmijlée, le rappel des
minisires. Mounier prétendit que
ce serait violer la prérogative
royale; il soutint qu'on devait se
borner à faire un vœu à cet égard,
en le manifestant par hi voie d'ime
prière humble et soumise; son o-
pinion triompha, mais elle devint
inutile , tous les ministres ayant
donné leur démission. Mounier,
malgré quelques succès passagers
en faveur d'une sage liberté, s'a-
percevant enfin des dangers tou-
jours croissans de la patrie , ne
s'occupa plus que des moyens
qu'il jugeait propres à les préve-
nir. Il fit ou appuya toutes les
motions qui tendaient à ce but, et
n'en continua pas moins ses tra-
vaux au comité de constitution ,
dont il soumettait le résultat â
l'assemblée nationale. La tâche
de ce comité s'avançant au milieu
de mille obstacles , elle devint
bien plus pénible après la séance
nocturne du 4 août. Mounier ap-
prouvait l'abolition des droits et
des devoirs féodaux et censuels >
mais il regardait comme une vio-
lation du droit de propriété de le»
abolir sans indemnité. Ayant ré-
ao8
MOU
clamé et même protesté en vain
contre cette mesure, il publia ses
Considérations sur le gouverne-
ment, et principalement sur celui
qui convient à la France. Il y pose
les bases d'une charte constitu-
tionnelle , telle à peu près que
celle qui régit la France depuis la
première restauration en 1S14.
L'instant approchait où allaient
s'agiter deux questions importan-
tes qui devaient décider du sort
de l'état : l'une concernant la
sanction royale, et l'autre la for-
mation d'un corps-législatif. Mou-
nier fit Je rapport du comité de
constitution le 3i aoftt, et, le 4
septembre, il développa avec élo-
quence deux des articles du pro-
jet présenté; il proposa à l'accep-
t<ition de l'assemblée la sanction
royale dans toute sa plénitude, et
la division du corps-législatif en
deux chambres. Ses efforts furent
inutiles. L'assemblée décréta une
chambre unique et permanente;
et, ce qui est digne de remarque
pour la connaissance des causes
qui ont amené les excès de la ré-
volution, le côté droit vota pour
une chambre unique. La sanction
des lois ne fut accordée au roi que
sous le nom de teto suspensif.
Dès le lendemain , Mounier et
quelques autres membres de son
opinion envoyèrent au président
de l'assemblée leur démission ,
motivée sur ce qu'ils ne pou-
vaient plus rester membres d'un
comité dont le eèle et les lumiè-
res avaient inspiré si peu de con-
fiance. Toutefois il n'en conserva
pas moins l'eslimede ses collègues,
qui rélevèrent à la présidence le
ii8 septembre ; il accepta , parce
que le poste était périlleux et qu'il
MOU
y avait quelque courage à braver
le danger. Le 5 octobre au malin,
l'assemblée avait arrêté que son
président, à la tête d'une grande
dépulation, irait demander au mo-
narque une acceptation pure et
simple des articles déjà décrétés
de la constitution et de la déclara-
lion des droits. Quelques individus
envoyés par une foule considéra-
ble rassemblée à la porte de la
salle, demandaient du pain à
grands cris , et annonçaient la ré-
solution d'en obtenir par la force.
« Le seul nioycn d'obtenir du
)>pain , leur dit Mounier, est de
«rentrer dans l'ordre : plus vous
"menacerez, moins il y aura de
»pain. <) Mounier se rendit au
château avec la dépulation de son
choix. Admis dans le cabinet du
roi , il lui soumit les mesures qu'il
croyait nécessaire de prendre
dans la circonstance; le prince les
trouva justes et les adopta , mais
ceux qui l'approchaient et qui*a-
vaient sa confiance , mirent trop
de lenteur à les exéculer. Pendant
six heures qu'ils perdirent à déli-
bérer , une foule d'honnncs des
plus basses classes avait envahi le
lieu des séances, et s'y était por-
tée à toutes sortes d'excès. Lors-
qu'à dix heures du soir Mounier
retourna dans l'assemblée , il la
trouva livrée au plus affreux dé-
sordre. Etant parvenu , après les
plus grands efforts, à se faire en-
tendre des députés, il leur propo-
sa de se rendre auprès du roi et de
lui faire un rempart de leurs corps.
Mirabeau opposa la dignité de
l'assemblée. Mounier alla presque
seul chez le roi. C'est là qu'était le
danger, mais le remède était ail-
leurs ; avant d'y recourir, il fut
MOU ^
témoin des sages dispositions que
prenait le commandant de la mi-
lice parisienne, en distribuant ses
poste* dans les cours et aux envi-
roDS du châleau ; il rentra ensuite
dans l'assemblée au moment mê-
me oi"i arrivait l'acceptation royale
si long-temps sollicitée. Il était
trois heures du malin, Teffroi s'é-
tait emparé des esprits faibles, les
autres membres étaient accablés
de fatigues; Meunier, crachant le
sang, pouvant à peine se faire en-
tendre , se serait exposé à tout
pour prévenir les dangers qu'il
redoutait , mais il fut obligé de
céder à la nécessité. Il alla pren-
dre quelques heures de repos. Ou
cocuiait les événemens de cette
nuit. iMounier quitta son poste
pour ne pas paraître participer à
des mesures qu'il désapprouvait.
Une nouvelle assemblée pouvait
seule à ses yeux arrêter la marche
rapide des événemens, et son
jtrojet était que tous les députés se
rendissent auprès de leurs com-
nsettans ^our en solliciter de nou-
veaux choix; c'est dans cette vue
que le 7 octobre au soir il délivra,
tn sa qualité de président, plus de
Ouo passeports à des députés qui
partageaient ses opinions. Le 8, il
venait d'envoyer sa démissioti et
était encore rempli de l'imprcs-
sit)n que lui avait causée cette ré-
solution extrême, lorsque le com-
te de Lally entrant chez lui et le
trouvant absorbé dans ses ré-
flexions, lui demanda : «A quoi
» pensez -vous si profondément?
n — Je pense, répondit Mounier,
» qu'il faut se battre. Le Dauphiué
l'a appelé les Français à établir la
0 liberté; il faut qu'il les appelle
• aujourd'hui à défendre la royau-
T. xir.
MOU
20f)
V lé. J'ai déjà écrit à notre com-
» mission intermédiaire; je lui de-
D mande une protestation contre
«les actes d'une assemblée qui ne
1) peut plus être regardée comme
» libre; puis la convocation de nos
• étals. Le reste suivra. » Tous
deux jiigeant qu'il n'y aurait pas
de sûreté pour eux dans la capi-
tale, partirent le jour même. Mou-
nier trouva à Grenoble quelques
personnes disposées à suivre ses
instructions : déjà des protesta-
tions contre les actes d'une as-
semblée qu'il disait asservie a-
vaient été imprimées; mais bien-
tôt le roi défendit comme illéirale
toute espèce d assemblée d'états,
et annula toutes les résolutions
qui auraient pu y être prises. Mou-
nier, contrarié dans ses Tues, re-
nonça à toute idée de résistance,
et vécut dans la retraite, cherchant
des consolations dans ses souve-
nirs; il employa ses loisirs à ren-
dre compte de sa conduile à l'as-
semblée dans un ouvrage intitulé :
Exposé de la conduite de Mounier y
etc. Cet écrit ne laissa aucun dou-
te sur ses principes, ses inlen-
tions, la marche qu'il avait suivie
et le but où il voulait arriver, mais
ne satisfit pas tout le monde, parce
que le rang oiï il s'était placé par-
mi ses collègues lui faisait, disait-
on , un devoir de l'occuper plus
long-temps : il était un de ceux
qui avaient le plus influé sur la
direction qu'avait suivie l'assem-
blée nationale ; il avait été une des
principales causes de la fusion des
ordres et du vote par tête; il avait
provoqué le serment du jeu de
Paume, qui privait le roi du droit
de dissoudre l'assemblée; il avait
souteou que la déclaratioa des
»4
210 MOU
droits cl la constitution ne de-
vaient être soumises qu'à l'accei)-
tation el non pas à la sanction du
roi, et c'était cette acceptation
pure et simple, attendue depuis
six mois, qu'il se plaignait de n'a-
voir reçue qu'à lo heures du soir
le 5 octobre. Cette journée et la
suivante, ainsi que la translation
de l'assemblée dans la capitale,
rendaient les fonctions de dépu-
té plus difficiles, mais ne pou-
vaient pas dispenser de subir les
conséquences des précédens aux-
quels on avait pris part, et Meu-
nier, disait - on, devait s'j sou-
mettre plus qu'un autre. D'ailleurs
l'ascendant de ses vertus et des
services qu'il n'avait cessé de ren-
dre, sa voix éloquente et patrio-
tique, en ralliant autour de lui les
vrais amis du trône et de la liber-
té, les auraient peut-être garantis
l'un et l'autre de la chute ot^ les
entraînèrent dans la suite l'exagéra-
tion des esprits et les intrigues de
l'étranger. Mounier ne jouit pas
du repos qu'il s'était promis. Bien-
tôt son dévouement au roi le fit
signaler conmie un traître, et la
crainte de compromettre les hom-
mes honnêtes qui lui prodiguaient
des marques d'estime , l'obligea
de quitter sa patrie; il y revint
néanmoins au mois de janvier
ij-go, avec le comte de Lally;
mais les dangers toujours crois-
sans qui l'environnaient, le déci-
dèrent à se rendre en Savoie , et
il arriva à Chambéri le 23 mai
1790. Il y trouva sa femme et ses
enfants qu'il avait envoyés en a-
vant, ne voulant pas se séparer
d'eu? pendant un exil qu'il pré-
voyait devoir être long. C'est à
Genève où il se fixa d'abord, qu'il
MOU
écrivit son Appel à l'opinion pu-
blicfue (Genève, 1790, 1 vol. in-
S*"), ouvrage dans lequel il dé-
tailla les événemensdes 5 et H oc-
tobre, en développant les causes
auxquelles il les attribue. De Ge-
nève, qu'il fut obligé d'abandon-
ner, il se rendit à Berne, où les
magistrats l'accueillirent avec une
distinction particulière; les con-
seils qu'il eut occasion de donner
à celte sage république, appré-
ciés comme d'importans services,
lui valurent de la part du petit-
conseil une grande médaille d'or
dont l'exergue portait : J . J . Mou-
nier, civi gallico, de republicâ be~
nèmerito. Il profita de son séjour
à Genève et en Suisse pour écrire
et publier ses Recherches sur les
causes qui ont empêché les Fran-
çais de devenir libres, etc. (2 vol.
in-8°, Genève, 1792), un des ou-
vrages les plus distingués qui
aient été faits sur la révolution.
M. Geutz l'a traduit en allemand,
et y a ajouté des notes. Pour ne
pas exposer à une mort certaine
ceux de ses concitoyens qui lui
auraient envoyé des secours dont
sa famille, qui allait être augmen-
téed'un troisième enfant, allait a-
voir besoin, il se chargea de l'é-
ducation du fils d'un pair de la
Grande-Bretagne, ce qui l'obligea
de se rendre à Londres. Il y reçut
des lords Grenvilie, de Loiigbo-
rough et du roi lui-même, auquel
il fut présenté par lord Hawke et
le comte de Lally, l'accueil le plus
flatteur. On lui offrit la place de
grand-juge au Canada avec de*
appointemens considérables ; mais
il fallait renoncer à sa patrie, et il
ne put en supporter l'idée. De re-
tour en Suisse auprès de sa fa-
MOU /
mille, il en parcourut tous les
caillons avec son élève, pour en
connaître les dift'érentes constitu-
tions, et pénétra jusqu'à Milan ;
il y fut reçu avec tous les égards
dus au mérite malheureux. >lou-
nier, témoin de Tabus qu'on avait
fait en France du dogme de la
souveraineté du peuple, voulut
en détruire les séduisantes illu-
sions en composant un ouvrage
intitulé : Adolphe (Berne, ijQ-îi
in-S"), et crut avoir bien servi
son pays en le publiant. Les dé-
sastres dont fut victime à cette
époque la république de Genève,
subjuguée par les idées d'indé-
pendance qui régnaient en Fran-
ce, furent l'objet d'un nouvel ou-
vrage qu'il intitula : Relation des
mallieurs de Gencce. Il prévit a-
lors que la Suisse ne resterait pas
long-temps tranquille spectatrice
des orages qui l'environnaient ,
et jugea qu'elle ne serait bientôt
plus un lieu de sûreté pour lui;
il la quitta au mois d'octobre
1795, se rendit à Erfurt et de là
à Weimar. Tous le? genre*» d'af-
Ûictions devaient l'assaillir en mê-
me temps; jusque-là il avait trou-
vé dans son bonheur domestique
une sorte de compensation aux
chagrins de voir sa patrie en proie
à la violence des partis, et celte
consolation lui fut enlevée :/il per-
dit son épouse. Le soin qu'il de-
vait à ses enfans encore jeunes ,
put seul lui df)nner le courage de
supporter cette perte ; njais les
efforts mêmes qu'il fit pour sur-
monter sa doideur, n'en furent
pas moins le germe de la maladie
qui l'emporta quelques années plus
tard. iMounier, cédant alors à la pro-
position que lui fil le duc de Wei-
MOL' an
inar, de former un établissement
d'éducation dans un de ses châ-
teaux, nommé le Belvédère, fit
annoncer qu'il ne >e chargerait
que des jeunes gens qui, se dé-
vouant aux fonctions publiques,
avaient besoin de compléter leur
éducation. Cet établissement, com-
me tous ceux de ce genre, ne se
peupla que très-lenlement, mais
enfin il réunit un assez grand nom-
bre d'élèves allemands, et surtout
anglais, sur lesquels il exerça le
plus grand ascendant par le dé-
vouement avec lequel il se livra à
leur instruction : outre la surveil-
lance générale, il leur fit des cours
de philosophie, de droit public et
d'histoire, et il lui resta encore
assez de momens pour composer
uii ouvrage intitulé : De l'influen-
ce altriliuêe aux philosophes, aux
francs-maçons et aux illuminés, sur
la rétolution française , in-S", Tu-
biuge, 1801; Paris, 1S21. Il don-
ne dans la première partie ses
idées sur les causes de la révolu-
tion ; il traite les denx suivantes
avec la candeur et l'esprit de jus-
tice qui le caractérisaient, et pré-
sente dans la dernière un tableau
aussi impartial que satisfaisant de
tout ce qu'on avait écrit de mieux
sur cette matière. Il existe de cet
ouvrage deux traductions, l'une
anglaise, l'autre allemande. Le 18
brumaire ayant annoncé le retour
de l'ordre en France, Mounier solli-
cita et obtint sa radiation de la liste
des émigrés,dans les premiers mois
de 1801; il se rendit à Grenoble
au mois d'octobre suivant. Son
intention était de reconstruire à
Lyon l'établissement qu'il venait
d'abandonner, mais cédant aux
sollicitations de ses anciens collé-
213 MOU
gnes.ilfit le voyage de Paris, et ne
put ré:>ister aux instances qu'ils
lui firent de servir encore son pays
sous un gouvernement qui com-
mençait sous les plus heureux
auspices. On lui ofîrit et il ac-
cepta, au printemps de 1802,
les fonctions de préfet du dé-
partement d'Ille- et -Vilaine. La
terreur et la guerre civile avaient
tour- à- tour exercé leurs fureurs
dans ce malheureux pays. Il lui
fallait un administrateur juste et
ferme, pour cicatriser des plaies
encore sanglantes, et Mounier é-
tait éminemment l'un et l'autre,
prêt à servir le pouvoir contre les
désorganisateurs, et à protéger les
citoyens contre les envahissemens
du pouvoir. luihu des principes
du gouvernement constitutionnel,
le seul qu'il croyait convenir à sa
patrie, il en faisait constamment
la règle de sa conduite, réprimant
tous les excès, et repoussant tou-
tes,les mesures arbitraires. Appelé
à Paris, sur la fin de i8o4, il de-
manda à passer dans un départe-
ment dont le climat lui fût plus
favorable ; la crainte, sans doute,
de ne pas le trouver assez docile
aux mesures du gouvernement, fit
écarter sa demande, et Napoléon,
par forme de compensation , le
nomma conseiller-d'étal. Mounier
y conserva son indépendance , et
mérita cet éloge du chef de l'état:
« Oh 1 pour celui-là, c'est un hon-
»nête homme; je sais ce qu'il
«pense. » Mounier goûta enfin
le bonheur dans la capitale : en-
touré de ses enfans et de ses
nombreux amis, il s'occupait,/ a-
nrès avoir rempli ses fonctions
publiques, à revoir ses cours du
Belvédère^ pour les refondre en-
MOTJ
suite et les publier. La mélapliy-
sique et la politique surtout, fai-
saient le sujet le plus ordinaire de
ses conversations ; il développait,
avec complaisance, ses idées sur
la irjouiirchie constitutionnelle ,
pour laquelle il avait combattu
quinze ans auparavant. Bientôt
ses forces l'abandonnèrent, et il
ne lui resta plus que son zèle pour
continuer ses travaux : une mala-
die de foie, dont il était depuis
long-temps attaqué , ayant pris
tout -à-coup un caractère alar-
mant, on vit se manifester les
symptômes d'une hydropisie de
poitrine, et il expira le 2G janvier
1806. Son éloge funèbre fut pro-
noncé par Regnault-de-Saint-
Jean-d'Angely, son ancien collè-
gue, qui le peignit d'un mot, en
disant de lui : Cet homme avait la
soif de Justice. Un Eloge histori-
que de Mounier fut aussi publié
quelque temps après, à Grenoble,
par M. Berriat-Saint-Prix; on y
trouve des détails intéressans. Au
reste, l'histoire de Mounier est
tout entière dans les écrits men-
tionnés précédemment ; il s'y est
peint tel qu'il était réellement;
il y rend compte de ses actions, et
même de ses pensées, et si l'on
veut avoir une notion juste de son
caractère, on ajoutera à tout ce
que nous avons dit de cet homme
estimable, ce vers de Virgile qui se
trouve au bas de l'un de ses por-
traits :
Illum non populi fascts^ non purpura rcgum fitxit,
MOUNIER ( LE BARON CLArOE-
Edocard Philippe), fils du précé-
dent, est né à Grenoble en 1784;
il suivit sa famille à l'étranger,
et rentra en France avec elle ù
MOU *
l'époque du i8 brumaire an 8.
11 était auditeur au conseil -d'état
lors de la mort de son père, à Toc-
casion de Inquelle l'empereur lui
téraoi{jna des regrets qui hono-
riiienl la mémoire du déftmt, et
donnaient à M. Motmier fils Tes-
poir que le chef du gouvernement
s'intéresserait à sa fortune. En ef-
fet , il fut nommé secrétaire du
cabinet en i8og, maître des re-
quêtes en iSio, et, le 12 décem-
bre 181 5, il prêta sei-ment en qua-
lité d'intendant des bâtimens de
la cûuroime. Il avait été précé-
demment gratifié, par Napoléon,
d'une action de 23,000 francs sur
le Journal de C Empire (aujour-
d'hui Journal des Débats)^ au mo-
ment où il était devenu propriété
de l'état. Le roi, à son retour en
iSi/}, le maintint dans ses em-
plois ; et le collège électoral de
(irenoble le porta, en 181 5, com-
me candidat à la chambre des
députés. Dans la même année,
conseiller-d'état , et chargé , en
iSi;*, de présider la commission
mixte de liquidation, il fut nom-
mé, vers le même temps, direc-
teur-général des domaines, et, en
18 ig, directeur- général de l'ad-
ministration départementale et de
la police. Administrateur sage et
modéré, il laissa des regrets lors-
qu'il quitta celte dernière direction
au changement de ministère. En
1S19, il a été nommé pair deFiauce.
MOLl\AD-BEY, le plus redou-
table des chefs de Mamelouks que
l^'s Français eurent ù combattre en
Egypte, naquit en Circassie vers
i;5o, et fut acheté, dans son en-
fance, par Mohamed Abou-Dha-
hdb, sous les auspices duquel ses
lidens el .-on courage le firent éle-
MOU
2l3
ver an nng des 24 beys qui gou-
vernaient riî'gypte. En 1770, il
signala sa valeur contre Ali-Fey,
qu'il vainquit et fit prisonnier. A-
près la njort de Mohamed , en
1776, il conçut le projet de s'em-
parer du gouvernement du Caire,
auquel prétendait Ibrahim-Bey,et
partit d'Acre pour combattre ce
dernier. Les forces des deux rivaux
étaient à peu près égales; mais é-
galeuient frappés de la crainte que
qnelqu'autre prétendant ne s'éle-
vât sur les ruines de celui qui suc-
comberait dans la lutte, ils résolu-
rent de faire la paix, et après une
courte négociation, ils convinrent
de partager la puissance sous les
titres de C/u'U-al-Belad , pour I-
brahim, et d'Ernir-el-HadJ, pour
Mourad : cet accord était fait à pei-
ne, qu'une ligue des anciens beys,
à la tête desquels était Ismaël, se
forma contre eux. Obligés de cé-
der à l'orage, ils se réfugièrent d'a-
bord dans le château du Caire ,
d'où Us parvinrent à gagner la
Haute-Egypte. Ils en revinrent
bientôt avec des forces considéra-
bles, et après une longue alterna-
tive de succès et de revers, mal-
gré les fréquentes divisions que
l'ambition formait entre eux, mais
que leur intérêt commun faisait
toujours cesser, ils vainquirent Is-
maiil et les autres beys, et les for-
cèrent de reconnaître leur domi-
nation. En 1 786, la Porte-Ottoma-
ne, voulant ressaisir son autorité
presque perdue dans ce pays, en-
voya au Caire le capitan-pacha
Ghazy-Haçan. qui obtint quelques
avantages sur Mourad et Ibrahim,
et nomma pour les remplacer les
beys Ilacen et Ismaël; mais tandis
qu'il g'oecf.pait spécialement ù le-
31 A MOU
ver au Caire une contribution de
45 millions, les troupes ottoma-
nes furent complètement battues
par les Mamelouks. Le capitan-
pacha quitta l'Egypte, où les nou-
veaux beys, qu'il avait investis du
pouvoir, ne purent se soutenir con-
tre leurs redoutables adversaires.
Ces deux chefs ayant réussi à ne
laisser au gouvernement du grand-
seigneur qu'une ombre d'autorité,
représentée par un pacha, auquel
on payait un faible tribut, donnè-
rent alors un libre cours à leur am-
bition, et se disputèrent souvent
la suprématie les aru)es à la main;
cependant ils paraissaient vivre en
bonne intelligence, lorsque les
Français, sous la conduite du gé-
néral en chef Bonaparte, débar-
quèrent en Llgyple, et ceux-ci eu-
rent à combattre, d'une part, les
beys et leur milice (les Marner
louks), et de l'autre, le pacha et
les troupes ottomanes. Quoiqu'u-
nis par les mêmes intérêts, les
deux beys n'opposèrent point aux
Français la même résistance; Ibra-
him, à qui Mourad reprochait de
les avoir attirés par sa conduite ty-
rannique , après leur avoir livré
quelques combats partiels, sem-
bla depuis presque toujours fuir
devant eux, tandis que Mourad,
fortement décidé à défendre l'E-
gypte, midgré ses défaites à Rha-
inanié et à Chel)reisse, reparut
plus terrible sur le champ de ba-
taille des Pyramides, où la valeur
française put seule trioiiipher de
?on active persévérance. Dans cet-
te mémorable journée, il osa, avec
5 ou 6,000 Mamelouks, soutenir
l'attaque de 3o, 000 guerriers habi-
tués à vaincre. Cependant la per-
te de SCS chameaux, de ses baga-
MOU
ges et de presque toute son artil-
lerie, le contraignit de gagner 1»
Haute-Egypte, quand, de son côté,
Ibrahim, plus prudent que belli-
queux, se relirait dans la Syrie,
en, côtoyant la rive droite du Nil.
Chargé de poursuivre Mourad,
l'infatigable Desaix ne cessa de le
harceler dans sa fuite ; mais, tou-
jours battu et repoussé, le bey
trouvait constamment de nouvel-
les ressources dans son activité et
«on génie. Desaix néanmoins par-
vint à l'éloigner déflnitivement du
INil, en remportant sur lui 1 iiupm'-
tante victoire de Sédiman, qui ou-
vrit aux Français l'entrée de la
Haute-Egypte. Lorsqu'après avoir
levé le siège d'Acre, nos troupes,
évacuèrent la Syrie, Mourad, qui
était parvenu à organiser de nou-
velles forces, fit une tentative,
dont le but était de favoriser la
descente de la flotte turque; mais,
après des efforts infructueux, il fut
encore obligé de regagner la Hau-
te-Egypte, pour y réparer ses per-
tes. Ce qui lui en assurait les
moyens, c'est que persomie ne
connaissant comme lui toutes les
routes du désert, bien que cons-
tamment battu, il réussissait tou-
jours à s'échapper avec un petit
nombre de cavaliers d'élile, prêts
à reprendre l'olfensi Vf, aussitôt que
l'occasion s'en présentait. Après
le retour du général en chef Bona-
parte ejr» Europe, Kléber, à qui il
avait laissé en partant le comman-
dement de l'armée française d'O-
rient, eut une entrevue avec Mou-
rad-Bey, qui depuis long-temps
la désirait : elle eut lieu dans une
île au-dessus de Djizeb, où ces
deux braves conclurent la paix,
le ôo avril »8oo, dix jours aprc:>
AiOU /
la célèbre victoire d'HéliopoIis ,
remportée par le* Français sur l\ir-
mée turque , commandée par le
grand-visir. Mourad, pénétré d'es-
time pour la valeur et la franchi-
se reconnue du général en chef
Kléber, lui jura une amitié qui ne
s'est jamais démentie, et consen-
tit à recevoir, au nom de la Fran-
ce, le litre de prince gouverneur
des provinces d'Assouan et de
Djirdjeh, dans le Saïd (Haute-E-
gypte). Depuis celle époque, ûdè-
le à ses eugagemens, il contribua
de tous ses moyens au succès des
opérations de l'armée française.
Après la mort funeste de Kléber,
Mourad envoya proposer des se-
cours au général .>lenou, son suc-
cesseur, en lui faisant remettre,
par un de ses officiers, le plan de
campagne des Anglo-Turcs, et les
propositions du grand-visir. Le
général français, par un motif de
défiance que l'on conçoit diincile-
ment, refusa l'offre du bey, qu'on
sf trouva obligé de solliciter ()lus
tard, et dans des circonstances qui
rendirent son intervention sans ef-
fet. Les revers des Français affligè-
rent sensiblement Mourad-Bt-y;
l'estime qu'il avait conçue pour
eux, l'empêchades'uniràleurs en-
nemis; enûn. il ne participa nulle-
ment aux événemens qui les for-
cèrent d'abandonner TEgypte. Il
mourut, après trois jours de mala-
die, le 22 avril »8oi. On a varié
sur les causes de cette mort, que,
dans quelques récits, on attribue ù
une attaque de peste, et dans d'au-
tres à une tasse de café empoison-
née. Mourad-Bey, sans être d'une
haute stature, était un homme de
très bonne mine; il possédait cet
jiir de dignité que donne assez or-
MOU 2i5
dintîirement l'exercice d'un grand
pouvoir; il joignait l'adresse à la
force du corps, était somptueux
dans ses habits, et sa magniûceu-
ce égala qut-lquefois celle des an-
ciens despotes de l'Asie. On lui re-
proche avec raison quelques actes
de cruauté, malheureusement trop
communs dans ces contrées, où
la civilisation est encore imparfai-
te ; cependant il montra en beau-
coup d'occasions de la grandeur
d'âme. La fermeté, la franchise
et la loyauté formaicat le fond de
son caractère.
MOURADGEAD'OHSSON, é-
crivain ottoman, envoyé extra-
ordinaire de Suède à Constantino-
ple, naquit dans cette ville. Sa
famille, originaire de la Grèce,
l'éleva avec soin et le fit attacher
de bonne heure à la légation de
Suède, près de la sublime Porte.
II suivit, avec succès, la carrière
diplomaiique, et parvint, avec ra-
piilité, au poste de chargé d'aifai-
res, puis de ministre plénipoten-
tiaire, enfin, d'envoyé extraordi-
naire. Ses talens et ses services
furent récompensés par l'ordre de
W'asa. La diplomatie ne remplis-
sait pas tellement sa vie active et
laborieuse, qu'il ne trouvât enco-
re le temps de se livrer à la cul-
ture des lettres. A l'âge de moins
de a5 ans, il possédait à fond les
langues orientales et connaissait
parfaitement les annales de sa pa-
trie, qu'il avait étudiées dans la
langue originale. Très-instruit des
moeurs et des usages de l'Orient,
il résolut, pour mettre à exécution
le projet que depuis long-temps il
avait formé, de donner l'histoire
générale de l'empire ottoman, de
se procurer des luatériaux dignes
aiG
MOU
de confiance, sur les pratiques in-
térieures du sérail, de la mosquée,
et même sur l'histoire secrète des
principales familles: il obtint des
renseignemens précieux. Libre de
choisir le lieu où il pourrait se li-
•vrer à la mise en ordre de cet im-
portant travail, il vint à Paris, en
1761, et s'y maria quelques années
après. Le premier volume du Ta-
bleau général de l'empire ottoman,
parut en 1788; le second, en 1789,
et successivement le Tableau his-
torique de l'Orient et VHistoire de
(a maison ottomane, depuis Os-
man I" jusf/u^au Sultan, m^ort en
1768. Ell'rayé des orages de la ré-
volution, il se relira à Constanti-
nople. C'est pendant le séjour
qu'il fit dans celte ville, que Sé'^
lim m, saiisfait de la portion de
travail que Monradgca d'Ohsson
avait publiée, fit mettre à sadispo-
sition, tous les dépôts où il pour-
rait puiser des renseignemens pro-
pres à compléter son ouvrage. Le
calme rétabli en France, Mourad-
gea d'Ohsson revint ù Paris : il y
acheva le grand ouvrage dont
nous avons précédemment parlé,
et y mourut, généralement re-
gretté, dans le courant de 1807.
MOURCIN (Joseph de), licen-
cié en droit et helléniste, appar-
tient à une f;miille ancienne de
Périgneux, où il est né, le 0.7 juin
1784. Il ût ses études dans sa
■ville natale, et vint jeune encore
à Paris. Après s'y être fait rece-
voir licencié en droit, il se livra
exclusivement à la lillérature an-
cienne. Il a publié : 1° Lexique
fvec- français de tous la laots con-
tenus dans les fables d' Esope , /es
riialogues des morts, le Songe ou
le Coq, Char on ou les Contempla-
tion
teurs, Paris, 1 vol. in- 12, 1812;
nouvelle édition , Paris , in-12 ,
1 8 1 5. 1° Sermens prêtés à Stras-
bourg en 8ZJ2, par Chartes-le-Chau-
ve, Louis-le-ùermanique, et leurs
armées respectives , recueillis de
Nithard , manuscrit de la biblio-
thèque du roi, traduit en fi-ançais
et publié à Paiis en 181 5, in-8°.
5" On connaît encore de M. de
Mourcin, d'après des lettres parti-
culières, dilTéiens fragmens d'un
Traité des noms propres et d'une
Grammaire romaine , dont on at-
tend la publication; 4" plusieurs
Morceaux traduits de l'arménien
en français.
MOdllEAU (Agricol), avocat
à la cour royale, né h Avignon en
1766, fit de bonnes études au col-
lège que les doctrinaires avaient
dans cette ville, et entra dans leui»
congrégation à l'âge de 16 ans.
Lorsque la révolution survint, il
était [)rofesseur de rhétorique au
collège de Beaucaire. Le discours
d'ouvertiu'e des classes fut , à la
demande du maire, prononcé eu
français; il traitait des devoirs des
citoyens envers la patrie. La mu-
nicipalité fit imprimer co discours,
que l'auteur, à la sollicitation des
autorités constituées de- JNimes ,
alla répéter dans cette ville, lin
1791 , il fut nommé procureur
de la commune de Beaucaire. Il
justifia l'estime publique comme
bon professeur et comme admi-
nistrateur actif et éclairé. Il sauva
de la fureur populaii-e, autant par
sa présence d'esprit que par sa
fermeté , en le couvrant de son
écharpe , un des plus violens si-
phoniers d'Arles , nom que l'on
donnait dans cette ville aux parti-
sans de l'aristocratie, dont les réu~
MOU '
nions avaienl lieu au cercle appelé
la Siphone , comme on appelait
Monnaidif.rs les patriotes , parce
qu'ils tenaient leurs assemblées
dans un autre Iie\i public situé au
quartier de la Monnaie. Tant que
M. iMourcau demeura à Beaiicaire,
la plus grande union régna entre
les citoyens de cette ville. A la
suppression des congrégations en-
seignantes, vers la fin de 1792, M.
Moureau rentra dans su ville na-
tale. Il y fut nommé secrétaire-
greffier de la municipidité , plate
vacante par la démission de M.
ChazaI, nommé député à la con-
vention nationale. Quelque temps
après, M. Moureau devint pro-
cureur de la commune ; sur ces
entrefaites, deux bataillons de vo-
lontaires, qui passaient par celte
ville, étaient , sous les prétextes
les plus frivoles, sur le point d'en
venir aux mains; il arrêta refîu-
sion de sang prêt à couler par un
trait que les journaux du temps
recueillirent avec éloge. En vain
les citoyens invitaient les militai-
res à s'expliquer avant de s'entre-
égorger, leur voix était perdue au
milieu des cris universels ; M.
Moureau arrive , décoré de son
écharpe, et n'est accompagné que
de huit tambours qui battent le
pas de charge. Aussitôt il monte
sur tm tertre, fait battre un ban;
on se tait; il harangue les volon-
taires, et la paix est rétablie entre
rux. En mai 1790, le district de
Vaucluse forma un troisième ba-
taillon de volontaires , dont le
commandement en chef lui fut
confié. Mais ce bataillon ayant été
incorporé dans une levée de (5, 000
liommes, faite à celle époque par
le députeuienl de> Eouches-du-
MOU 217
Rhône, fut, quelques jours après,
momentanément licencié avec
cette force départementale. A cette
époque , M. Moureau conçut le
projet de soustraire sa ville natale
à la domination marseillaise , en
obtenant la formation d'un 84*
département sous la dénomination
de dcparlement de Vaucluse. Il
se rendit à Carpentras , où ses
vues furent mal accueillies dc3
habitans, qui, par suite de leur an-
tipathie pour les Avignouais, ai-
maient mieux traiter leurs affaires
adn)inistratives à Valence, chef-lieu
du département delà Drôme,dont
leur district ressortissait, quoi-
qu'à une distance de 3o lieues ,
q\ie se rendre à Avignon, simple-
ment éloigné de quatre. 1! ne per-
dit point courage , et se fit nom-
mer député par la municipalité
d'Avignon pour venir à Paris en
faire la demande à la convention
nationale. Il se présenta à la barre
de cette assemblée, et réclama:
1° la formation du département
de Vaucluse, qui serait composé
des districts d'Apt, d'Avignon, de
Carpentras et d'Orange; 2° le clas-
sement dans la ligue de l'armée ,
du 3' bataillon des volontaires du
district de Vaiicluse ; 3° une pen-
sion de retraite pour les vieux
soldats de la garde du pape à A-
vignon, qui, par l'efTet de la réu-
nion de cette ville à la France,
n'avaient plus de moyens d'exis-
tence ; 4" une pension pour un
père de famille de lieaucaire, le-
quel, en se plaçant devant la bou-
che d'un canon , avait empêché
une partie des citoyens de celte
ville de mitrailler l'autre. Toutes
ces demandes furent successive-
menl converties en autant de dé-
2l8
MOU
crels. Les conventionnels Rovnre
et Poultier se rendirent dans ce
nonveau département à l'efl'et de
l'organiser, M. Moureau en fut
nommé l'un des administrateurs
par l'assemblée électorale. Ce
fonctionnaire , qui mettait de la
franchise et de la loyaulé dans sa
conduite, ne larda pas à déplaire
aux deux représentans, parce qu'il
ne cachait pas l'horreur que lui
inspirait le massacre de la Gtaciè-
re, et parce qu'il plaida, dans une
assemblée publique, la cause d'u-
ne cinquantaine de Marseillais,
faits prisonniers par l'armée répu-
blicaine et détenus dans le fort
d'Avijînon. Il vint à bout de les
sauver tous. Rovère et Poultier le
firent arrêter par Jouvdan , dit
Jourdan Coupetêle, qu'ils avaient
nommé commandant de la gendar-
merie du département, et traduire
d'Avignon à la conciergerie à Pa-
ris. M. Moureau fut transféré de
celte prison à celle du Luxem-
bourg, où il demeura cinq mois.
Payan aîné , conseiller au parle-
irient de Grenoble, alors directeur
de l'instruction publique, et frère
du procureur de la conunune de
Paris, qui connaissait M. Moureau
sans en être connu, obtint sa mise
en liberté. De retour à Avignon,
il en partit de suite pour Mar-
seille, où il fut appelé par le re-
présentant du peuple Maignet, qui
le chargea d'une mission pour Ar-
les. Un méd«scin , nommé Paris ,
prêchait dans cette ville le partage
<les récoltes. M. Moiu'eau assem-
i)la le peuple, il parla avec beau-
coup de force sur le respect dû
aux propriétés. Le moderne Salur-
ninus fut arrêté , et les proprié-
taires jouirent de tous leurs droits.
MOU
Le Q thermidor an 2 (27 juillet
1794 ) arriva sur ces entrefaites ;
de-j amis du médecin Paris parti-
rent sur-le-champ puur la capitale,
et dénoncèrent M. Moin-eau au
comité de sûreté-générale comme
ayant persécuté les patriotes Arlé-
siens; le comité de sûreté-générale
décerna contre lui un mandat d'ar-
rêt. M. Moureau se retira dans
une maison de campagne d'une
de ses sœurs , où il resta caché ,
non sans courir de grands dan-
gers, jusqu'après le i3 vendémiai-
re an 4- A cette époque, M. Mou-
reau accusa Rovère, dans les pa-
piers publics du temps (le Journal
des Hommes libres , le Patriote de
89, etc.), d'avoir falsifié, dans le
rapport de Courtois , qu'il s'était
chargé de rédiger pour la partie
du Midi, les lettres qu'il avait é-
criles à Pa^^an, son bienfaiteur; il
somma Rovère et Courtois de dé-
poser ces lettres au greffe du tri-
bunal qu'il leur plairait de choisir
dans toute la France , avec décla-
ration qu'il voulait être puni com-
me faussaire s'il ne les convain-
quait pas eux-mêmes de faux.
Rovère et Courtois gardèrent le
plus profond silence, et Rovère et
Poultier continuèrent à attaquer
dans les feuilles publiques celui
qu'ils avaient fait vainement tra-
duire au ti'ibunal révolutionnair»-.
Cette conduite de la part de Ro-
vère n'a rien d'étonnant , mais
elle doit étonner de la part de
Poultier; voici pourquoi. Quand
M. Moureau fut sorti du Luxem-
bourg , il rencontra Poultier qui
lui témoigna le regret d'avoir cé-
dé aux sollicitations de Rovère en
concourant à son arrestation et à
sa traduction à la Conciergerie, et
MOU '
lui demanda TGubli du passé en
l'embrassant. Qiielqucsjours après,
Payan dit à M. Moureau qu'il ve-
nait de recevoir une pièce autîien-
tique qui constatait une trahison
manifeste de Rovère; c'était l'or-
dre donné par ce représentant au
général Cartaux , qui était à la
poursuite de l'armée marseillaise,
de rétrojïrader, de repasser la Du-
rance , et, par conséquent, de li-
Trer la Provence aux Anglais qui
venaient d'entrer à Toulon. AI.
iMoureau demanda si Poullier a-
vait signé cet ordre. Sur la ré-
ponse aiFirmative de Payan, il lui
dit que Poultier ne pouvait avoir
signé que de confiance ; que si
cette pièce était produite, Poullier
était perdu , et il le supplia de ne
pas en faire usage. Poultier n'a
peut-être pas igioré cette parti-
cularité ; néanmoins, après le i5
vendémiaire , il continua de le
poursuivre dans un journal (/'y^m<
des Lois) dont il était le directeur.
M. Moureau se livra à cette épo-
que, avec la plus grande assiduité,
à l'étude des lois , et se consacra
entièrement à la carrière du bar-
reau. M. de l'Estang , chef des
Vendéens méridionaux , fut fait
prisonnier en l'an 'i ; il écrivit à
M. Moureau pour le prier de le
défendre. Celui-ci lui répondit :
« Vous n'avez pas en vain fut
» appel à la vertu républicaine;
«j'accepte. » Mais il fut écarté
sous le prétexte qu'il n'était pas
militaire. Au mois de février s'.ii-
vanl (pluviôse an 5) , le parti ul-
tramontain voulut éloigner des é-
lections le parti français. Il y eut
un choc ; le parti patriote resta
vainqueur. Le général qui com-
mandait pour la république dans
MOU
2 M)
la 8* division, arriva bientôt aprè'*
à Avignon. M. Moureau fut arrêté
avec 5o de ses concitoyens. La
cour de cassation , pour cause de
suspicion légitime , les renvoya
pour être jugés devant le tribunal
criminel de Valence , et successi-
vement devant celui de Grenoble.
Après une année de détention, M.
Moureau et ses 5o prétendus com-
plices furent jugés et honorable-
ment acquittés. Il fut le défenseur
de tous ses co-accusés : les débals
offrirent la preuve que le principal
accusé avait sauvé la vie à un
nommé Mani, fait prisonnier dans
ce tumulte. Il se retira alors dans
sa famille à Aix, où il continua ;\
s'adonner à l'étude de la jurispru-
dence. En l'an ;■, il fut nommé
député au conseil des cinq -cents
par l'assemblée électorale du dé-
parlement de Vaucluse , et non,
comme l'a avancé la biographie
des frères Michaud , par la scis-
sion cle cette asseniblée, qui ne se
couiposait que de sept électeurs.
Il était, à cette époque, encore à
Aix, mais l'état de sa santé le dé-
cida à envoyer sa démission. Quel-
ques mois après , il fut nommé ,
par le directoire , commissaire
près le tribunal du département
de Vaucluse, et successivement
près de l'administration centrale
du même déparlement. La ma-
nière dont il remplit ces fonctions
lui concilia l'estime de beaucoup,
de ses concitoyens, qui, d'abord ,^
ayant été opposés à la réunion à
l.t France , l'avaient enveloppé
dans la haine qu'ils portaient aux
partisans de la révolution françai-
se, et, par contre-coup, de la réu-»
nion. Au i8 brumaire an 8 (9 no-»
vcmbre i^îX))? il»e déclara ouvert
ri-îo MOU
tement contre celte jonnKje, mal-
gré les promesses (laiteuses que
Iiii avait faites par écrit un des
nouveaux ministres du premier
consul. Il reprit alors les paisibles
occupations de la vie privée, dont
quelques amis qu'il avait à Pai-is
le sollicitèrent en vain de sortir.
A la réorganisation du barreau, il
y entra, et se consacra tout entier
à la défense publique. Il jouissait,
dans l'exercice de sa profession ,
de la confiance générale qu'il a-
Taitméritée surtout parses talens,
son désintéressement, et son es-
prit conciliateur. La veuve de
llovère, qui l'avait poursuivi par
des calomnies qui n'ont pas été
ensevelies avec sa cendre dans les
déserts de la Guiane , lui donna
une marque de confiance bien ho-
norable pour tous deux. Elle lui
écrivit pour le prier de la défen-
dre, ainsi que son fils mineur,
dans différeiis procès qu'elle avait
au tribunal d'Avignon ; il accepta
avec empressement , et l'estime
publique le récompensa du zèle
qu'il mit à soutenir les intérêts de
la femme et du fils de son persé-
cuteur. Quand Fouché, duc d'O-
trante, retourna de Naples en iSi^,
il passa par Avignoii, et il dit pu-
bliquement , en parlant de M.
Moureau,(i qu'il était un deshom-
»mes de France qui avaient été le
«plus calomniés. » Par siu'te de sa
preuiière abdication , Napoléon ,
se rendant à l'île d'FIbe et passant
à Avignon, courut un grand dan-
ger dans cette ville. On craignit,
lorsqu'il eut ressaisi le pouvoir au
30 mars i8i5, qu'il ne se vengeât
ôes Avignonais, et plusieurs d'en-
tre eux crurent que, pour prévenir
les effets de celte vengeance, il fal-
MOD
lait lui envoyer luie députation.
31. Moureau en fut membre ; il
vint, à cette époque, à Paris, et
les journaux du temps remarquè-
l'cntque, faisant allusion à un mot
célèbre, il dit à Napoléon, dans le
discours qu'il lui adressa : « L'em-
spereur des Français ne voudrait
«pas être le vengeur des insultes
«faites au souverain de l'île d'El-
»be. » Il fut, à cette époque, nom-
mé procureur-impérial près de la
cour d'assises de Vaucluse; mais il
ne se rendit pas à ce poste parce
qu'il ne voidait pas remplacer le
n)agistrat qui l'occupait. Après la
bataille de Waterloo, M, Moureau ,
prévoyant les troubles qui allaient
éclater dans le Midi, manda à sa
famille de quitter Avignon et de
venir le joindre dans le départe-
ment de la Drôme. Il y demeur.»
avec elle dans la commune de Lo-
riol, vivant dans la plus profonde
retraite, jusqu'à ce que le préfet
du département se rendit dans
cette commune pour le faire arrê-
ter. Il n'y parvint pas. Le préfet
donna ordre à sa femme, et à sa
sœur, mère du jeune et célèbre
ViALA, de quitter le département
de la Drôme avec leurs sept en-
fans. Ces mères de famille furent
bien accueillies à Vienne. M. Mou-
reau revint à Paris, où il fut obligé
de se cacher , poursuivi comme
bonapartiste par ceux- là mêmes à
la sollicitation desquels et pour
lesquels surtout, il était venu m-
plorer la clémence impériale. Au
conunencement de 181G, il fut
envoyé en surveillance à Rouen
par le ministre de la police. Il re-
vint à Paris en 18 ir, avec toule
sa famille, «'t y fixa son domicile.
C'est alors qu'il demanda, à l'or-
MOU /
dre des avocats de la capitale, d'ê-
tre inscrit sur leur tableau. Le
conseil de discipline, après les en-
quêtes les plus sévères, tant à Avi-
gnon qu'à Rouen et à Paris, fit
droit à sa demande. Depuis il
n'a cessé de mériter l'estime de
tous ceux de ses nouveaux con-
frères avec lesquels il a eu des
rapports. C'est depuis son sé-
jour à Paris qu'il a donné au pu-
blic : 1° Essai nur l'e.spril des lois
françaises relatives à l'adoption des
en fans naturels; 2° Traité sur le
testament mystique; 5° Projet de
loi sur la répression des abus de
la presse, avec l'exposé des motifs;
4** Réflexions sur les protestations
du pape, relatives à Avignon et au
ci- devant comtat Venaissin; 5°
Traité sur l' incompatibilité entre
le judaïsme et l'exercice des droits
de cité. On lui attribue une bro-
chure intitulée : Napoléon Bona'
parte, lieutenant d'artillerie. Ces
divers ouvrages lui ont mérité la
réputation de bon jurisconsulte et
d'écrivain éclairé. Les Tablettes
historiques ont dit qu'il était l'a-
vocat consultant des propriétai-
res du Constitutionnel. 11 passe
l)Our être auteur des articles de
ce journal, sur la législation civi-
le, criminelle et électorale. On ne
peut attribuer qu'à la baine de
l'esprit de parti, l'article consacré
ù iM. Moureau dans la Biographie
des hommes vivons, des frères Mi-
chaud ; c'est un sentiment encore
plus odieux qui a inspiré l'article
sur le même citoyen, dans la Bio-
graphie de Bruxelles, puisque
c'est avec préméditation que l'au-
teur de cet article, moine réfugié
rn Belgique, a dénaturé tous les
f.iits pour s'ubsliner ù outrager et
MOU 221
à nuire à un homme qui lui avait
sauvé la vie. Nous avoiis rétabli la
vérité , et nous l'avons puisée dans
les Mémoires, et dans les Journaux
du temps oi'i ces faits se sont passés.
MOLiREK ( N. ) , membre du
conseil des cinq-cents, exerçait,
lorsqu'il fut nommé à cette assein-
blée en 1798 par le département
de la Meurthe , ies fonctions de
commissaire du directoire- exécu-
tif près de l'administration cen-
trale du même département. M.
Mourer montra beaucoup de mo-
dération surtout dans l'exercice
de ses fonctions législatives. Le
28 décembre de la même année,
il réclama des adoucissemens au
projet relatif à la déportation des
prêtres. Cependant , le 1" mai
1799, '^ ^^^ '^^^ l'avis de la mise en
jugement des naufragés de Calais.
Élu secrétaire le 21, il demanda,
le 8 juin suivant , des mesures
propres à détruire lesscissionsdans
les assemblées électorales , et la
répression des abus que les com-
missaires du directoire se permet-
taient à ce sujet dans l'exercice
de leurs fonctions. Après la révo-
lution du 18 brumaire an 8 (9 dé-
cembre 1799), il passa, en qualité
de secrétaire-général, à la préfec-
ture du Haut-Rhin , d'où il fut
rappelé , en 1802 . par suite de
discussions assez vives qu'il avait
eues avec le préfet de ce départe-
ment. Nommé magistrat de sûreté
à Colmar, en 1806, il a été en-
suite perdu de vue.
MOIJRGUES (JACQCEs-Accrs-
tin), ministre de l'intérieur en
1792, naquit à Montpellier, le a
juin 1754. Il avait été pendant
quelque temps à la tête des tra-
vaux du port de Cherbourg, ets'é-
322 MOU
tait fait aventageusement connaî-
tre par sa probité et ses talens,
quand le général Dumouriez, son
ami, engagea le roi Louis XVI à
l'appeler au ministère de linlé-
rieur, où il remplaça Roland; :nais
il conserva peu de temps un poste
qu'il était devenu impos.sible de
remplir d'ime manière à-!a-fois sa-
tisfaisante pour le monarque et
pour l'assemblée législative. Son
successeur, M. Terrier-de-Mon-
ciel, ne fut pas plus heureux, et se
trouva à son tour forcé de sortir
du ministère le même mois où son
prédécesseur et lui y étaient en-
trés. Rendu , par sa démission , à
Iri vie privée, M. Mourgues eut le
bonheur d'échapper aux dangers
qui environnèrent long-temps tous
ceux que de hautes fonctions a-
vaient mis en évidence vers la fin
du règne de Louis XVL II a publié
les ouvrages suivants : i° de la
France relativement à t' Angleterre
et à la maison d' Autriche, i79j',in-
8°; 2° Convient- il à la France d'a-
voir an Acte de Navigation général
et indéfini? lygfi, in- 8°; 3° Essai
de statistique, i8oo.
MOURGUES (Scipion), fils du
précédent, est né à Paris, fut quel-
que temps secrétaire-général sous
M. Chaptal, ministre de l'inté-
rieur, et ensuite conservateur des
archives, et en i8i5 député du
département de la Somme à la
<hambre des représentans, où il
parut plusieurs fois à la tribu-
ne; dans la séance du 22 juin,
lorsqu'il fut question de détour-
ner les dangers imminens qui me-
naçaient l'état et d'obtenir une
seconde abdication de Napoléon ,
il proposa de mettre la personne
de ce prince sous la sauve-gar-
MOU
do des lois, de déclarer la cham-
bre Assemblée constituante, et le
trune vacant jusqu'à la libre émis-
sion du vœu national. Il demanda
de plus, comme mesure prélimi-
naire, que le maréchal Macdonald
fût mis à la tête des armées fran-
çaises, et le général La Fayette à
la tête des gardes nationales. Le
côté droit et le cûlé gauche, par
des motifs diflérens, repoussèrent
ces propositions, et le député Gar-
rau s'élant fortement prononcé
contre elles, l'assemblée passa à
l'ordre du jour. M. Mourgues n'a
plus depuis occupé de fonctions
publiques, mais il a fondé un grand
établissement industriel et manu-
facturier dans le département de
la Somme. Deux fois il à eu le mal-
heur d'en voir les bâtimens consi-
dérables qu'il avait fait élever à
grands frais, devenir la proie des
flammes, ainsi que toutes les ma-
chines et mécaniques ingénieuses
qu'ils contenaient. Son crédit, ob-
tenu par de longs ethonorables tra-
vaux et par une fidélité scrupuleu-
se dans tousses engagemens, n'a
éprouvé aucune atteinte. Ses nom-
breux amis espèrent qu'il aura
bientôt réparé ses perles, et que
des établissemens utiles, qui font
subsister un grand nombre d'ou-
vriers, renaîtront de leurs cendres.
MOURICAULT ( Tiiomas-Lai-
rent), ex-législateur, conseiller-
maître à la cour des comptes, et
chevalier de la légion-d'honneur,
exerçait la profession d'avocat
lorsque la révolution éclata. Suc-
cessivement commissaire près le
tribunal de cassation, et membre
du conseil des anciens, où le dé-
partement de la Seine l'avait nom-
mé en mars 1799, '' devint, dans
MOU ,
la même année, membre du tri-
bunal, et se fit remar(juer dans
cette assemblée en provoquant ,
en i8oo, la réorganisation du tri-
bunal de cassation. Elu secrétaire
quelque temps après, il félicita le
premier consul Bonaparte d'avoir
échappé à l'attentat du 5 nivôse.
En i8o4, il fut fait chevalier de la
Jégion-d'honneur, et nommé, en
1807, conseiller à vie à la cour
des comptes. Lors des événemens
politiques de 1814 > il donna son
adhésion aux actes du sénat et du
gouvernement provisoire, relatifs
à la déchéance de l'empereur. Au
mois de mars 181 5, il signa, com-
me ses collègues , l'adresse que la
Cour des comptes présenta à Na-
poléon. I\l. Mouricault a ce>sé ,
depuis plusieurs armées , de faire
partie des conseillers - maîtres de
la cour des comptes. On le croit
mort en 1819.
MOLRLENS (Jeas-Piebre de),
naquit en 1722, dans le dépai-
tement de la Haute-Garonne. 11 fit
de brillantes études, et devint con-
seiller au parlement de Toulouse
en 1760. Il lutta avec courage
contre les entreprises du chance-
lier Maupeou , et partagea avec
ses confrères tous les inconvé-
niens de cette courageuse résis-
tance; peu de temps après le réta-
blissement , par Louis XVI , des
cours souveraines, en 1^74' Mour-
lens perdit au parlement, dont il
était membre , un procès qu'il
croyait très-bon. Irrité contre ce
qu'il appela l'injustice de ses con-
Irères, il tourna vers eux sa colè-
re, et, plaidant contre tous, il les
contraignit à se défendre , multi-
pliant ses attaques et ses mémoi-
res , où la passion éclatait plu»
MOU 2 25
que le boo droit. Le fait est as-
sez remurqu.ible. Mourlens aimait
les beaux arts , il les cultiva avec
succès, et forma une bibliothèque
d'environ vingt mille volumes ,
parmi lesquels il en était de
très-précieux. Quand la révolution
éclata , il crut n'avoir rien à en
redouter, ayant refusé de prendre^
part à la protestation des parle-
mens, et pensant d'ailleurs que
ses querelles qui, depuis tant d'an-
nées, duraient entre lui et sa com-
pagnie, devaient le faire regarder
comme il'en faisant plus partie : il
se trompa. Mis en arrestation f
conduit à Paris , il fut condamné
à mort le 6 juillet «794 » fausse-
ment accusé d'avoir signé les pro-
testations du parlement de Tou-
louse en 1790.
MOUROT (N.), député aux é-
tats-généraux, était avocat et pro-
fesseur en droit à l'université de
Pau , lors de la convocation des
états-généraux en 178g. Il fut
nommé à cette assemblée par le
tiers-état du Béarn , et s'y ût peu
remarquer; mais il défendit avec
zèle les intérêts de la province
dont il était l'un des représenlans.
Ses concitoyens lui votèrent par
reconnaissance des remercîmen*
publics. M. Mourût sortit de l'as-
semblée à la ^\\ de la session, re-
tourna dans ses foyers, et reprit
les occupations de la vie privée.
MOtRRE (i.E baron), procu-
reur-général à la cour de cassa-
tion, commandeur de la légion—
d'honneur, était avocat au com-
mencement delà révolution. Non-
seulement il eut le bonheur de*
n'être point proscrit en 1795, mais'
il fut même nommé, dans le cou-
rant de cette anuée, secrétaire» dis
^.14
MOU
conseil établi près du ministère
de la iuslicc. Il contiiuia à suivie
la carrière judiciaire, et l'ut appelé
par le premier consul Bonaparte,
})eu de temps après la révolution
du i8 brumaire an 8 (9 novembre
1799), aux fonctions de procu-
reur-général près de la cour d'ap-
pel de Paris. Il devint, sous le
gouvernement impérial, l'un des
présidens de la cour de cassation,
et lors de la réorganisation de cette
cour par le roi, en 1814, procu-
reur-général, place que le comte
Merlin de Uouay avait précédem-
ment occupée avec une haute dis-
tinction. Pendant les cent jours,
en 181 5, M. 3Iourre refusa, dit-
on , de signer l'adresse de la pre-
mière cour judiciaire, au chef du
gouvernement, et donna même
sa démission. Après le nouveau
rétablissement du gouvernement
royal , il rentra de droit dans ses
fonctions, qu'il exerce encore au-
jourd'hui (1824). Nommé cheva-
lier de la légion- d'honneur par
Napoléon, il est devenu successi-
vement depuis les deux restaura-
tions, officier, puis commandeur
du même ordre.
MOUSNIER- BUISSON (N.),
membre de la chambre des dépu-
tés, président de la cour royale de
Limoges, officier de la légion-
d'honneur, ne s'est fait remar-
quer sur la scène politique, que
depuis le rétablissement du gou-
\ernement royal. Député du dé-
parlement de la Haute- Vienne, en
i8i5, il a d'abord fait partie de la
minorité ministérielle; mais de-
puis 1816, il est passé au côté
droit, et n'a plus changé. Dans la
session de i8i5-i8i6, il propose,
«n qualité do rapporteur du projet
MOU
de loi relatif aux dettes des colons
de Saint-Domingue, de prolonger
le sursis qui leur avait été accor-
dé, et vole, peu après, en faveur
du même projet , sans' amende-
ment ni moiiificalion. Sur les
douanes, il demande que les con-
trebandiers soient jugés par les
tribunaux correctionnels; de 18 iG-
1817, il vole relativemenl au pro-
jet de loi sur les militaiies ab-
sens , pour que les disjiositions
soient favorables à ces militaires.
Rapporteur de la pétition d'un
sieur chevalier Decombe, qui de-
mande la révision des généalogies
afin que les vilains n'usurpent pas
les distinctions nobiliaire^, il pro-
pose l'ordre du jour, et fait diver-
ses observations dans la discus-
sion sur le système électoral; de
1 8 1 7- 18 18, à l'article recrutement,
il appuie l'amendement de M.
Clauselde Coussergues, qui tend à
exempter les aînés des familles et
les frères de la doctrine chrétien-
ne. Comme rapporteur de la péti-
tion d'un sieur Lardeuois, ayant
pour objet le rétablissement de la
vénalité des charges, il propose
purement et simplement l'ordre
du jour, et réclame de nouveau
un sursis en faveur des colons de
Saint-Domingue et de leurs cau-
tions; de 1818-1819, prenant part
à la discussion sur la liberté de la
presse, il ne veut pas qu'un pré-
venu se fasse représenter par un
tiers dans le jugement à interve-
nir sur l'opposition à l'arrêt rendu
par défaut. Il rejette dans la dis-
cussion des Journaux, l'amende-
ment de la commission qui per-
met à ces feuilles de rendre compte
des séances secrètes, toutes les
fois que les chambres n'en auront
MOU
pas interdit la publication ; de
1819-1820, en qualité de iaj)por-
teur de Lrpélitiun d'un sieur vi-
comte Bec-de-Lièvre, tendant à
ce que ta salle de l'académie roya-
le de musique, où M. le duc de
Béni a été assassiné, soit conver-
tie en une cliapelle sépulcrale, il
propose et l'ail adopter la demande
du pétitionnaire, ainsi que l'ou-
verture d'une souscription pour
l'érection d'un monument expia-
toire. Il vote ensuite pour les lois
d'exception, et pour le nouveau
système électoral. Dans les ses-
sions suivantes , M. Mousnier-
Buisson a pris une part moin-» ac-
tive aux discussions. Le zèle de
cet honorable député a reçu sa
récompense. De conseiller à la
cour royale de Limoges, il est de-
venu président, et de chevalier de
la légion - d'honneur , oificier du
même ordre.
xMOlSSON (N.), ancien chan-
celier de la confédération suisse,
fit échouer, dit-on, au mois de
septembre 1799» le projet formé
par MM. La Hurpe, Secretan et
Oberliu, d'opérer dan* leur patrie
une révolution semblable à celle
qui venait d'être effectuée en Fran-
ce. Son zèle, dans cette circonstan-
ce, lui valut la place de secrétaire-
général de la commission execu-
tive qui succéda au dii-ectoire hel-
vétique. Au mois de juin 1800, le
gouvernement le lit arrêter com-
me étant impliqué dans une de
ces intrigues formées pour dé-
truire la nouvelle république.
Bientôt mis en liberté , il obtint ,
à la suite de lu réorganisation des
cantons, la place de chancelier de
la confédération suisse. En 1808,
M. Muussoa fit iusérer dans les
MOU 22Ô
feuilles publiques un article sur
l'arrestation de l'abbé de Saint-
Urbain, qui porta le gouvernement
de Lucerne à le faire mettre aux ar-
rêts. Il protesta contre cet acte,
prétendant que le chancelier n'é-
tait responsable envers aucun can-
ton en particulier de la conduite
qu'il jugeait à propos de tenir, et
fit retirer la garde de l'hôtel de la
chancellerie. Au mois de juin
1809, il fut réélu chancelier pour
deux ans. Le canton de Lucerne
ne voulut prendre aucune part à
celte élection. M. Mousson a.cou-
tinué à remplir des fonctions pu- ^
bliques.
MOLSTALON (N.), instituteur
à Versailles et littérateur, mem-
bre-correspondant de la société
royale académique des sciences, a ^
publié un assez grand nombre
d'ouvrages, qui ne sont, pour la
plupart, que des compilations; ce- -
pendant elles jouissent de quelque
estime, ayant toutes un objet d'u-
tilité et élaut faites avec assez de
goût. Voici les plus remarquables :
1° Précis de l' histoire de France de-
puis rétablissement de la monar-
chie jusqu'au règne de Louis Xf^I,
1785, in-12; 2° Lycée de la Jeu-
nesse, ou les études réparées; nou-
xeau cours d' instruction à l' usage
des jeunes gens, et particulière-
ment de ceux dont les études ont
été interrompues ou négligées ,
1786, 2 vol. in-12: cet ouvrage a
été réimprimé en 1792, 2 vol.
in-12; eu 1801, 2 vol in-12, et
en 1810, 2 vol. in- 1 2 ; 5° if/t^-
mcns de géographie historique ,
tirés du Notionnairc historique,
par Garsault, 1804, in-12, nou-
velle édition, 1811, 2 vol.;4'iNV
tionnaire, etc., par Garsault, nou-
i5
226
M0«
velle édition; 5° Instruction sur
l' lùsloire de France et sur l'histoire
romaine, par Le llagois, corrigée et
continuée, 1806, 2 vol. in-i2:elle
a été réimprimée plusieurs fois,
1810, 2 vol. in-12; i8i5, 2 vol.
in - 1 2 ; 6" Encyclopédie des jeu-
nes g'^n*, nouvelle édition, 1807,
2 vnl. in-8°; 7° Morale des poètes,
ou. Pensées extruites des plus célè-
bres poètes latins et français, 1 809,
in-12; 8° Supplément à la Morale
des poètes, <j l c . , 1 8 1 /[ , 111-12; la
troisième édilion de l;t Morale, etc. ,
en 2 vol. in- 12, est augmentée des
pensées de Delille et tle Ducis, et
onicedes portraits de Virgile, Ho-
race, Boilcau et J. li. Kousseau.
MOIjSIIER (lemarquis-Eléo-
ifORE- François Eue de), maré-
chal-de-camp, clievalier de Saint-
Louis, ancien ambassadeur, na-
quit ;'i Paris, le i 5 mai 1 76 1 , d'une
ancienne famille originaire de la
Franche -domté. Il termina «es
études à l'université de Heidel-
berg , et, dès l'âge de 14 ans, il
entra dans la carrière militaire et
suivit concurremment celle de la
diplomatie. Successivement gen-
tilhomme et secrétaire d'ambas-
sade à Lisbonne, à Londres, à
Naples, ministre de France à Trê-
ves, envoyé extraordinaire et mi-
nistre plénipotentiaire en Angle-
terre, il succéda, en 1787, à M.
de la Luzerne, ambassadeur près
des Etats-Unis d'Amérique, et,
en 1790, il devint ministre près
de la cour de Prusse. En 1791 ,
Louis XVI le rappela et lui oflVit,
dit-on, le ministère des affaires é-
trangères, occupé par M. de iMonl-
morin. Le marquis de Moustier
refusa ce portefeuille, et n'ayant
pas voulu, à la demande de ce
M015
prince, se rendre en Prusse pour
dissuader le roi d'entrer dans la
coalition contre la France, il partit
comme ambassadeur à Constanti-
nople. Il émigra en Î792, et fut
chargé dans la même année, par
les princes français, de veiller ù
leurs intérêts près de Frédéric-
Guillaume; [lar suite de la guerre
contre la France , sa correspon-
dance ayant été enlevée avec les
équipages de Monsieur dans les
environs de Verdun, par un parti
de l'armée du général depuis ma-
réchal Kellerman, il fut décrété
d'accusation par la convention na-
tionale, le 22 octobre 1792, sur le
nipport d'Hérault de Séchelles.
Ses biens furent en conséquence
confisqués. Choisi, en 1793, après
l'expédition de Quiberon pour in-
termédiaire entre le gouverne-
ment anglais et le comte de Puy-
saye, chef des forces royales de
l'Ouest, il fit de vains efforts pour
hâter le départ de l'expédition
anglaise, q\ii enfin n'eut point
lieu par suite de la pacification
de la Vendée en 1796. Il se fixa
en Prusse ; en 1797 , les suc-
cès de l'armée française comman-
dée par l'empereur Napoléon le
forcèrent, en 1806, à se réfugier
en Angleterre. De retour en Fran-
ce avec le roi en 18 14, il suivit ce
prince à Gand au mois de mars
i8i5, et revint avec lui après le
second rétablissement du gouver-
nement royal. Le marquis de
Moustier niourut près de Versail-
les le i" février 1S17, à l'âge de
66 ans; il était maréchal-de-camp
de})uis 1794- t)'> ''li doit : i" de
l'Intérêt delà France à une consti-
tution monarcliique, Berlin, 1791;
2' de l'Intérêt de l'Europe dans
MOU
la récolution française, Londres,
1795; S" Obser Dations sur les dé-
clarations du. maréchal prince de
Colfourg aux Français, par un
royaliste, Londres, 1795; 4° un
grand nombre de manuscrits, no-
tes et docuinen* politiques inédits.
MOLSTIER(lE COMTE Clément-
Edoiarb de), ex-ministre de Fran-
ce, fils du précédent, est né à Co-
blentz le 2 janvier 1779. Il accom-
pagna son père dans ses difieren-
tes missions, fit ses études à New-
York, et vint en France ayant à
peine atteint sa quinzième année.
Il prit part aux mouvemens po-
pulaires de prairial an 5, et du i5
vendémiaire an 4- Arrêté par sui-
te de ces derniers événemens, il
ne dut sa liberté qu'à sa graftde
jeunesse. Il quitta la France et
rejoignit son père en Angleterre;
mais bientôt il reparut en Nor-
mandie, et devint aide-dc-camp
de M. de Frotté, chef de chouans;
Il l'ut blessé en luttant corps à
corps avec un soldat républicain.
Après la pacification, il retourna
à Londres et revint se fixer à Pa-
ris. Atteint par la conscription, il
entra comme soldat dans un régi-
ment de "liussards, d'où il sortit
pour suivre la carrière diplom i-
tique ; il était secrétaire de lég^i*
lion à Dresde en 1801. Après la
bataille d'Iéna, un lui confia la
garde des prisonniers saxons, mis-
sion qui lui valut, de la part du
roi de Saxe, une boîte enrichie de
diamans. Il épousa la fiile du com-
te Laforêt, et devint, par le cré-
dit de son beau -père, ministre
plénipotentiaire à la courde Bade,
et ensuite à celle de Wurtemberg.
Après la campagne de Moscow ,
il demanda son rappel, et se ri:n-
MOU aa;
dit à Paris, où il se prononça avec
chaleur pour le rétablissement du
gouvernement royal. Il lut nom-
mé, à celte époque, maire de la
commune de Brie, où il a ses pro-
priétés.
MOUSTIEa (le comte de), de
la famille des précédens, cheva-
lier de Saint-Louis. l'un des troi^
gardes-du-corps qui accompagnè-
rent Louis XVI, lors du voyage de
ce prince à Varennes, courut de
grands dangers au retour de ce
voyage, et fut enfermé à l'Ab-
baye avec ses camarades, MM. dts
Malden et de Valori, jusqu'à ce
que le roi eut accepté la constitu-
tion. Remis en liberté, il se hâta
<le quitter la France, et, après un
assez court séjour en Allemagne,
se rendit en Russie, où il prit du
service, devint colonel, et fut dé-
coré de l'ordre de Sainte-Anne et
de la médaille d'argent. Il est ren-
tré dans sa patrie, ainsi que ses
deux fils, après la seconde restau-
ration en i8i5. M. de Moustier a
publié cette même année une
brochure in -8" portant pour ti-
tre : Relation du voyage de S. M.
Louis Xf^I , lors de son départ
pour Montmédy, et de son arresta~
lion à Varennes.
MOUTARDIER (Acgcstin) , a-
vocat, naquit à Lesparra, en lySl).
Après avoir fait d'excellentes étu-
des au collège de l'Oratoire du
Mans, il entra dans la carrière du
barreau. Reçu, à lâge de 25 ans,
avocat au parlement de Bordeaux,
il se plaça au premier rang des
orateurs et des jurisconsultes d«
cette époque , la plus brillan-
te du barreaii de Bordeaux; Sa
probité égalait ses lumières, et il
>c fit des amis, qui, dans les chir.-
228 .MOU
ces diverses de sa fortiiiK^, ne l'ont
jamais abandonné. Il exerça pen-
dant une grande partie de la révo-
lution , les fonctions de président
du tribunal civil de Lesparra, où
le souvenir de ses talens, de sa
inodération et de ses qualités pri-
vées, ne s'est point effacé, (^oin-
Hjcil s'était trouvé avec M. Laîné,
^t d'autres citoyens respectables,
en opposition avec le parti de la
Gironde , et que la bonne foi de
son opinion ne lui permit pas de
chercher une protection dans les
rangs du royalisme, il fut égale-
ment en butte aux calomnies et
aux persécutions des deux partis,
qui se réunirent dans une funes-
te réaction , et dans un désir im-
modéré de vengeance. Toutefois
Moutardier continua d'exercer a-
vec honneur la profession d'avo-
cat, et ses plus ardens ennemis é-
laient souvent contraints de re-
courir à ses lumières. Oublieux
du mal, il ne faisait acception de
personne, et rendait d'éuiinens
services, sans exiger de reconnais-
sance. Député de la Gironde, à la
chambre desrepréseutansde i8i5,
il n'ambitionna point les succès de
la tribune; mais la sagesse de ses
vues, lapureté de son patriotisme,
le firent distinguer dans les bu-
reaux et les comités. De retour à
Bordeaux, après la seconde res-
tauration, il fut de nouveau exposé
à la violence de l'esprit de parti, qui
ne respecte rien. Son nom fut rayé
du tableau des avocats; il s'en
faisait honneur et prenait en pitié
la rage envieuse de ses ennemis.
Il est mort, en i8i8, avec le cal-
me et la résignation d'une âme
élevée et d'une conscience sans re-
proches. Paulin Moutaudikr, son
MOU
frère, tlicidogien distingué, et
homme de beaucoup d'esprit, a
été long-temps vicaire-général de
l'archevêque de Bordeaux. Il mou-
rut en 1817 , regretté de ses con-
frères, dont il avait obtenu la con-
fiance et l'amitié.
MOUTIE (N.), député ans é-
tats-généraux en 1789, était cha-
noine et grand-chantre de la caf-
thédrale d'Orléans, à l'époque
de la convocation de cette assem-
blée , où il fut élu par le clergé
du bailliage d'Orléans. Il prêta,
en 1791, le serment exigé parla
nouvelle constitution du clergé ,
et se retira dans ses foyers à la fia
de la session.
MOUTIEll (N.), lieutenant-
général du bailliage do Sezanne,
fut nommé député du tiers-état
de ce bailliage, à l'assemblée des
états-généraux en 1789. Il rem-
plit son mandat en votant cons-
tamment pour les réformes politi-
ques, adoptées par la majorité.
Après la session , il disparut tota-
lement de la scène politique.
MOUTON ( Geohges , comte
LoBAu), lieutenant-général, est né
le 21 février 1770, à Phalsbourg.
C'est encore un de ces hommes à
qui la révolution ouvrit la carriè-
re où des facultés supérieures les.
appelaient. On le destinait au com-
merce; mais, en 1792, le terri-
toire français ayant été envahi,
les braves prirent les armes : dès-
lors il fut militaire. Il partit, en
qualité de volontaire, dans la lé-
gion de la Meurthe, et mérita ses
j)remiers grades à l'armée du
lUiin ; puis il passa avec le géné-
ral Championnet en Italie, où il
fil les campagnes de 1798 et 1799.
11 commanda pc!ida:it quciquo
MOU
temps le château Saint-Ange, en
'799» ^-^ remplissait à la bataille
fie Novi les fonctions d'aide-de-
camp aiiprès du général Joiibert.
Il était colonel du 5°" de ligne,
l'un des régimens que les revers
qui signalent cette année désas-
treuse, rejetèrent dans les monta-
gnes de Gènes , où , livrés à tous
les besoins , ils s'étaient portés à
tous les excès. Grâce à la fermeté
de son caractère, le colonel Mou-
ton maintint le bon ordre dans ce
corps auquel son intelligence sut,
il est Yrai, créer quelques ressour-
ces contre la misère. Ce régiment
fit partie de l'armée de Massé-
ua; c'est un de ceux qui, en 1800,
concoururent à la défense de Gè-
nes. Pendant les i5 jours de
guerre offensive qui précédèrent
le blocus de cette ville, le colonel
Mouton prit part à tous les com-
bats dont les montagnes de la Li-
gurie furent le théTilre. L'un des
plus briltans est celui qu'il livra,
Ui 1 1 avril, sur la Verreria : 2,000
prisoimiers , plusieurs pièces de
canon tombèrent entre les mains
des vainqueurs. Sur sept drapeaux
qui furent enlevés aux ennemis
dans cette occasion, son régiment
en prit six. A l'allaque du fort
Quezzi . le colonel Mouton reçut
une balle à travers le corps ; on le
crut mort : un ami seul en douta;
U lui dut son salut. Retenu au lit
' par sa blessm'e , il se croyait en-
core sur le cbamp de bataille ;
on voulut le transporter en lieu
sûr au moment du l>ombardemeiil
de Gêoes , il s'y opposa ; il au-
rait cru fuir. Rentré en France a-
vec son régiment, il résida quel-
que temps à Monlpelliei*, où il se
fit reuiorqucr, soit par la discipli-
xMOL"
229-
ne sévère qu'il avait introduite
dans sa troupe, soit par la supé-
riorité avec laquelle il la faisait
manoeuvrer. Il se fit remarquer
aussi sous ces deux rapports au
camp de Boulogne par le premier
consul, qui, jaloux de s'attacher
tous les militaires supérieurs, à
quelque titre que ce fût, prit le
colonel Mouton pour aide-de-
camp et le nomma général de
brigade. Il accompngna , en celle
qualité, Napoléon dans- toutes ses
campagnes ; dans celle de Polo-
gne, le 14 juin 1807, il fut blessé
à Fricdiand , et promu le 5 no-
vembre de la jucme année au
grade de général de division. Eu
1808, il commandait en Espagne
une division d'infanlerie de l'ar-
mée du maréchal Bessières; le 1 y
juillet, à la bataille de Médina de
Rio-Seco, c'est iui qui coiTunença
l'attaque et prépara le succès en
enlevant à la baïonnette la ville
de Médina. Le 10 novembre, il
ne contribua pas moins à la vic-
toire qui ouvrit à Tempcreur Na-
poléon les portes de Burgos. En
i8o§, le 21 avril, veille de la ba-
taille d'Eckmuhl, il préluda nu
triomphe du lendemain par un
fait d'armes des plus audacieux :
le général Hiller, qui manœuvrait
pour faire sa jonction avec l'ar-
mée du prince Chailes, s'était
jeté dans Landshtit derrière l'I-
ser, et avait fait mettre le feu au
pont après l'avoir passé. Le gé-
néral Mouton, à la tète du i^"'-
régiment d'infanterie de ligne ».
traverse, l'arme au bras, ce pont
enflammé, pénètre dans la ville»
où il est bientôt rejoint par le gé-
néral Oudinot, et, par cet acte
ai hardi que «"empereur Napoléon
n'nvait pas cru pouvoir l'onlon-
ner, il sépare à jamais les deux
armées. Le si mai , il rendit
encore des services pins écla-
tarjs à la têle des fusiliers de la
garde : c'est lui qui rentra dans
Esslinc^, dont les Autrifhiens s'é-
taient emparés quatre lois dans la
journée et que les Français occu-
pèrent définitivement. Le titre de
comte Lobau que reçut le gé-
néral Mouton , atteste l'utilité
dont il l'ut à l'armée pendant
le séjour qu'elle fit dans Tîle de
Lobau , entre la bataille d'Essling
et celle de "NVagram. En 1812, il
accompagna l'empereur Napoléon
en Russie, et partagea la gloire et
la misère de cette déplorable ex-
pédition. Dans la campagne de
i8i5, il commandait à Dresde le
6"°* corps d'armée ; resté dans cet-
te ville après la bataille de Lcip-
sick, son sort fut celui du maré-
chal Saint-Cyr; sans respect pour
la foi des traités , il fut envoyé
prisonnier en Hongrie, d'où il
revint, en 18 14) après la premiè-
re abdication de l'empereur. Il re-
çut la croix de Saint-Louis le 8
juillet, mais ne fut pas mis en ac-
tivité de service. En i8i5, Na--
poléon , à son retour de l'île
d'Elbe, nomma le comte Lobau
pair de France, et lui donna le
commandement de la 1" division
militaire. Pendant la campagne
qui précéda, le second retour du
roi, il commanda le G"" corps de
Tarmée du Nord. Le 18 juin, dans
la fatale journée de Waterloo,
chargé d'arrêter la marcbedu géné-
ral Bulow, il soutint long-temps,
avec 6,000 hommes, Tcfiort de 5o
mille, et, malgré cette prodigieuse
inégalité de forces, remporta sur
MOV
eux d'imporfans avantages. Mal-
gré la perte de la bataille, ne dé-
sespérant pas encore de la fortu-
ne, il s'occupait à rallier les dé-
bris de l'armée , lorsque surpris
par les Prussiens, il fut fait pri-
sonnier et conduit comme tel en
Angleterre. Porté, pendant sa cap-
tivité , sur la liste des trente-hin't
personnes à qui l'ordonnance du
2] juillet interdisait le séjour en
France , il passa en Belgique le
temps de son exil, qui expira vers
la fin de 1818. Le comte Lobau
méritait à plus d'un titre la con-
fiance dont il fut honoré par Na-
poléon : t\ une grande capacité
militaire, il unissait des qualités
peu communes ù la cour et même
aux camps, qui alors étaient sou-
vent la cour. Aussi homme de
cœur, il y disait la vérité. Napoléon
l'aimait néanmoins, et s'en rap-
portait volontiers à son jugement^
il faisait peu de promotions danv
J'armée sans consulter le comte
Lobau, qu'il avait chargé du tra-
vail sur le personnel de l'armée.
MOUTON (Philiuebt), mem-
bre delà légion-d'honneur, l'un
des chirurgiens en chef qui ont
partagé les dangers et la gloire de
nos armées, naquit à Châlons-sur-
Saône, département de Saône-et-
Loire, et reçut de son père, chirur-
gien distingué de cette ville, les pre-
mières leçons de l'art dans lequel il
s'est fait im nom honorable. Elè-
ve des écoles de santé de Paris,
oùil soutint brillamment tous ses
examens, il parlitpour les armées en
qualité de chirurgien de 2' classe et
fit presque toutes les campagnes de
la révolution dans la garde consu-^
laire et dans la garde impériale..
Devenu chirurgien-major de pre-^
MOU
mière classe de cette garde, il
obtint la Ofoix de la légion-d'hon-
neur. Il s'était fait aimer de ses
chefs par son mérite personnel et
par son amour pour ses devoirs,
et des soldats par son humanité.
Il allait leur prodiguer ses secours
jusque sous le feu de l'ennemi, et
nombre de fois il faillit devenir la
victime de ce zèle infatigable.
Mouton mourut, jeune encore, en
i8i4; il a publié plusieurs ouvra-
ges et donné quelques articles im-
portans au Dictionnaire des Scien-
ces médicales.
MOUTON- DU -VERNET (le
BARox), lieutenant-général, com-
mandant de la légion-d'honneur .
nietnbre de la chambre des repré-
sentans , et gouverneur de Lyon,
àdiQ% [es cent jours , en i8i5, sui-
vit avec distinction la carrière des
armes, et était major du G4* régi-
ment d'infanterie de ligne , qui fit
les campagnes de Prusse el^de Po-
logne. Le 10 février 1807, il fut
nommé colonel du 63° régiuient.
Appelé à l'armée d'Espagne, il y
donna de nouvelles preuves de bra-
voure et de talens, et mérita, au
combat de Cuença, le grade de
général de brigade, auquel il fut
promu peu de temps après; il ob-
tint par les mêmes moyens le
grade de général de division,
qu'il reçut le 4 a'^ût i8i3. Il fit
avec éclat les célèbres et malheu-
reuses campagnes d'Allemagne et
de France eu i8i4- Pendant les
cent jours, en 18 15, il devint
membre de la chambre des repré-
tans. Ses discours à la tribune na-
tionale ont servi , après le second
retour du roi, de motifs à sa mise
en jugement et à sa condamna-
tion. Compris dans l'ordonnance
MOU 25»
royale du 24 juillet (j8i5), il fut
obligé de quitter Lyon, dont Na-
poléon lui avait confié le gouver-
nement, le 2 du mT-me mois, et
de se soustraire par L fuite au
conseil de guerre , devant lequel
il devait être traduit. Préférant
s'abandonnera toute sa mauvaise
fortune plutôt que de mener une
vie qui convenait si peu à son ca-
ractère , il cessa de prendre pour
sa sûreté les précautions que ses
amisavaient eu quelquesorte prises
pour lui. Découvert et arrêté à
Montbrisson , dans les premiers
jours de mars de 1816, il fut
transféré à Lyon, et livré au con-
seil de guerre, qui le condamna
à mort le jg juillet. On remar-
qua généralement que sa défense
fut simple et noble , et exempte
de faiblesse comme d'ostentation.
Il appela de ce jugement au con-
seil de révision, qui le confirma.
Conduit au lieu de l'exécution
le 26 , à cinq heures du matin ,
il mourut avec le courage et le
sang froid qu'il avait si souvent
déployés sur le champ de bataille.
MOUTONNET- CLAIRFONS
(Julien- Jacques), homme de let-
tres, censeur royal, membre des a-
cadémies de la Crus<a, de Lyon, de
Rruien, etc., naquît au Mans, dé-
partement de la Sarlhe, vers 1740»
d'une famille honorable, mais peu
riche, et il ne dut son éducation
qu'aux soins et aux sacrifices d'un
oncle , curé d'un village aux envi-
rons du Mans. Il termina d';s étu-
des distinguées chez les oraloriens,
et vint à Paris pour y rendre ses ta-
lens utiles et acquérir des moyens
d'existence qu'il ne pouvait espé-
rer que de son travail. C'est pen-
dant son voyage, qu'il fut obligé
î>r»3 MOU *
fie faire à pied, qu'il prit le surnoiT»
(le Clairfons, d'une fontaine près
de laquelle il s'était reposé, et qui
l'avait désaltéré dans le moment
(fù il éprouvait tme «oif extrême;
il avait alors i8 ans, Une éduca-
tion particulière qui lui fut con-
iiée lui procura un peu d'aisance,
«t bientôt il produisit ses premiers
ouvrages, au mérite desquels il
<iut Testime et l'amitié de deux
hommes célèbres, J. J. Rousseau
et le P. Elisée {voyez ce dernier
nom). Sa carrière fut paisible, mais
sa mauvaise santé affaiblit souvent
le bonheur qu'il goCitait dans la so-
ciété d'une famille estimable.
Lorsqu'il mourut, le 5 juin i8i5,
des suites de l'opération de la tail-
le, il était employé dans l'adminis-
tialion-générale des postes. On lui
doit : 1° les Baisers de Jean second,
traduction estimée de cet auteur,
que l'on compte parmi les restau-
rateurs de la poésie latine, Paris,
in-8°, i'^yi;'i"\cs Iles fortunées, ou
Aventures de BalhiUc cl de Cléobu-
le, Paris, i vol., 1771 : cet ouvra-
ge, auquel on ajoute ]a Bonne mè-
ve, la F'dlehien née, V Hirondelle et
.^cs petits, eic, aété aussiimprimé,
en 1787, dans les Voyages imagi-
naires, recueil formant Sg vol. in-
K"; j°Anacréon, Sapho, Bion^ Mos-
</«<5, etc., traduction du grec en
français, Paris, in-8", 1775. Quatre
( ontre-façons publiées avant la se-
conde édition, qui parut en 1779,
Paris, 2 vol. in- 12, attestent le mé-
rite du travail de IMoutonnet-
(Jairfons. On réunit ordinaire-
ment à cet ouvrage Héro et Léan-
drCy poëme de Musée, avec la tra-
duction de plusieurs idylles de
Théocrite, Paris, 2 petits vol.
in-8°, 1 774* î'^'impvimé l'année sui-
MOU
vante; le Permgilium. veneris, difFé-
reiis morceaux d'Horace et de Ca-
tulle, et quelques épigrammes ti-
rées de l'anthologie grecque. 4*
'L'Enfer, poëme du Dante, avec lo
texte, des notes et une vie de l'au-
teur, Paris, in-8% 1776. Cette tra-
duction est le principal ouvrage
de Moutonnet-Clairfons, et sans
être du premier mérilr, elle est
généralement recherchée. 5° Ma-
nuel éplstolaire, ou Choix de lettres
puisées dans les meilleurs auleiir»
français et latins, Paris, 1785, in-
12. On y trouve un excellent pré-
cis sur la vie et les écrits de Cicé-
ran. G" Lettre à M- Clément, dans
laquelle on examine son épîlre de
Boileau à Voltaire, par un homm^
impartial, Paris, 1772, in-S" de
23 pag.; 7° le Véritable philantro-
pe, Philadelphie (Paris), 1790, in-
8». Dans cet ouvrage, qui lui a é-
tc inspiré par son amitié pour J.
J. P»o«isseau, il se plaît à proclamer
les principes de morale de cet élo-
quent philosophe. 8° La Galéide,
ou le Chat de la nature, poëme,
1798, in-S". A la suite de cet opus-
cule se trouvent différens mor-
ceaux, où l'on remarque plus par-
ticulièrement une dissertation fort
intéressante et très-bien faite sur
le Manlouan, poète latin trop fé-
cond du quinzième siècle. 9" il/***
(Morel) dénoncé au public comme te
plus grand j)lagiuire (à la suite de
Ptinurge, ballet-comique, par Fran-
çoisParfait), Paris, an 11 (i8o5),in-
8°; io"enl]n,un assez grand nombre
à' Articles àansXeJ ournal des ArlSf
des Sciences et de la Liltérature.
Moutoimet-Clairfons prenait avec
complaisance pour épigraphe ce
distique , qu'un de ses amis avait
inscrit au bas de son portrait :
510X
Aurea lihvtas blanae rc^pexit amcntem :
Spcr/io divitiaSf otijhquc fruor,
MOLYSSET (G.), iu^e au
tribunal de Villeneuve, lui nom-
mé, en 179», député à l'assem-
blée législative par le département
de Lot-et-Garonne ; ' il s'occupa
pendant le cours de la session d'un
grand nombre d'objets de judica-
ture. En février 1792, il deman-
da que les députés fussent auto-
risés à se réunir le soir dans le lieu
même de leurs séances, aûn d'é-
tablir des conférences, dont le ré-
sultat serait de rallier franchement
au parti constitutionnel les hom-
mes qui jusqu'alors avaient montré
de l'hésitation. Cette proposition
fut jugée équivoque ; elle parais-
sait concertée d'avance avec les
ministres, et elle fut repoussée à la
suite dune discussion très-orageu-
se, où l'on avait objecté pour la
faire écarter, .< que le local de l'as-
«semblée ne devait point servir
*à une réunion particulière de
«députés qui, dans une circons-
• tance donnée, et offrant un nom-
»bre suffisant pour délibérer, pour-
>• raient se convertir en assemblée
• nationale, et agir sans ou même
• contre le parti de l'opposition. »
ftl. Motiyssel ne ût point partie de
la convention nationale ni des
deux conseils; mais après la révo-
lution du 18 brumaire an 8 (9 no-
Tembre 1799^,11 fut nommé com-
missaire du gouvernement con-
sulaire près le tribunal d'appel du
déparlement de Lot-et-Garonne.
Il occupa cette place plusieurs
années sous le gouvernement im-
périal, pnis il fut entièrement
perdu de yuc.
MOXO (dox Salvador), ca-
pitaine-général de la provinoo do
MOX
433
Caraccas, s'est rendu fameux par
une férocité dont les exemples
n'ont été que trop nombreux dans
les dissensions politiques moder-
nes. Envoyé, en 1816, par 3011
gouvernement, en qualité de ca-
pitaine - général de la province
de Caraccas , lors du blocus de
l'île de Margaiila, par les trou-
pes navales de Ferdinand VII,
il déclara dans un ordre du
jour : « Que dans le cas où un
' navire, soit espagnol , soit étran-
ger, serait surpris portant aux
insurgés des armes , des mu-
nitions, ou des secours de quel-
qu'espèce que ce put être , le
patron et les principaux chefs
du convoi seraient pendus sur-le-
champ aux vergues, et l'équipa-
ge quinliiné, si les hommes qui
le composeraient n'étaient pas ju-
gés aussi coupables que les au-
tres; auquel cas ils subiraient tous
le même sort. «Ces ordres atroces
furent bientôt suivis de plus a-
troces encore. Au printemps de
la même année, il écrivit au gou-
verneur de cette ile, nommé
Lrreisticta :« Je vous enjoins for-
mellement de mettre à part fou-
te considération d'humanilé. Toiis
les insurgeas et ceux qui les sui-
vent, avec ou sans armes , ceux
qui ont secondé leurs entreprises,
enfin ceux qui ont pris part, d'u-
ne manière quelconque, à l'état
de crise où l'île se trouve aujour-
d'hui, doivent être fusillés s>ir-
Ic-champ, sans-aucime forme de
procès , et après un simple inter-
rogatoire verbal en présence de
trois officiers. » l ne aussi inexpli-
cable barbarie fut sans doute la
cause de la disgrâce que don Sal-
-çador Slo;co éprouva en 1817.
234
MOY
Non-seulement le «général en chef
Morlllo le suspendit tle son coin-
mandement, après lui avoir a-
dressé les reproches les j)lns
sévères, mais bientôt il lui fit
connaître que le roi lui retirait
tous les pouvoirs qu'il lui avait
confiés. On ne sait ce que cet o-
dieux agent est devenu depuis
cette époque.
310Y (C. A. de) , ancien curé
de Saint-Laurent , et trésorier
de la Sainte-Chapelle , d'une fa-
mille distinguée de la ci -devant
Lorraine, s'était l'ait connaître
avant la révolution par plusieurs
ouvrages, et notamment p:ir l'Ac-
cord de La Religion et des Cuites,
qui eut alors le plus grand succès.
Ce livre renferme les principes
d'une philosophie douce et tolé-
rante, dont le but est d'engager
les hommes à vivre en frères,
sans s'inquiéter de la manière dont
chacun d'eux adresse ses vœux
à l'Éternel. Il mérita à son auteur
l'approbation de tous les hommes
sages, et fut loué par La Harpe
dans le Mercure de France. M. de
Moy nommé , par le département
de Paris, député suppléant à l'as-
semblée législative, y remplaça,
le 17 avril 1792, M. de Gouvion.
Il parla, le iG mai suivant, sur la
constitution civile du clergé , et
proposa des mesures contre les
prêtres qui refusaient de prêter le
nouveau serment. On a dit dans
une biographie que M. de Moy
avait donné sa démission de la
cure de Saint- Laurent dans le
mois de juillet de la même an-
née; c'est une erreur, il avait
quitté cette cure pour la céder
à son frère , lorsqu'il fut nom-
mé, par le roi, vers 17S6, tréso-
MOY
rier de la Sainte-Chapelle; mais
il est très-vrai qu'à l'époque citée
parle biographe, M, C. A. de
iMoy renonça aux fonctions ecclé-
siastiques. Rentré dans la vie pri-
vée, il a cessé d'occuper l'attention
publique.
MO Y A NO (don Thomas), con-
seiller-d'élat espagnol , fut, après
le rétablissement de Ferdinand
VII , nommé, dans le mois de no-
vembre i8i4i ministre de grâce
et de justice. Celle place, dans
laquelle il avait succédé à don
Pedro Macanaz, ne lui resta pas
long-temps , et sans que la cause
de sa disgrâce y fût indiquée, ou
vit paraître dans la Gazelle officiel-
le de Madrid, du 27 janvier 18 lO,
une lettre du roi, à don Pedro
Cevallos, conçue en ces termes :
« Ayant jugé à propos de retirer
«l'emploi de secrétaire -d'état au
«département de la justice , à don
«Thomas Moyano, je lui accorde
»une place effective dans mon
«conseil-d'état, avec appointe-
jument ert entier, mais «a»* qa'd
n puisse y assister, et j'ai résolu
«en même temps q.ie vous seriea
«chargé, par intérim, de ce dépar-
»teuient. «A la suite de cette des-
titution, M. Moyauo reçut l'ordre
de se rendre au village de la Seca,
où déjà son prédécesseur se trou-
vait exilé.
MOYESSET (N.), membre de
plusieurs assemblées législatives,
fut nommé, au mois de septembre
1792, par le déparlement du
Gers, député à la convention na-
tionale, où il manifesta des prin-
cipes très-modérés. Dans le pro-
cès du roi, il vota la détention
provisoire. Signataire des pro-
testations du 16 juin 1793, coa-
RIO Y
tKe'les cvénenieiis du oi mac pré-
cédent, il fut du nombre des ^3
députés mis eu arrestation , et
qui reprirent rexercicc de leurs
fonctions législatives après la ré-
volution du 9 thermidor an 2 (27
juillet 179/1). Membre du conseil
des anciens par suite de la réé-
lection des deux tiers convention-
nels , il devint secrétaire de cette
assemblée, dont il sortit en 1797.
Depuis cette époque , il ne paraît
pas avoir exercé de fonctions pu-
bliques.
MOYLAN (François) , évêque
catholique de Cork, en Irlande,
naquit, en i-oS. à Cork. Sa fa-
mille, qui se livrait au commerce,
l'envoya en France, et il fit ses
études au séminaire fondé à Tou-
louse, en faveur des catholiques
irlandais, par Anne d'Autriche.
Il s'y lia d'une amitié qui ne s'al-
téra jamais avec l'abbé Edge-
"worlh, son condisciple. En sor-
tant du séminaire, l'abbé Moylan
YintàParis.oùilfut admis dans les
ordresen 1761. Aprèsavoir rempli
pendant quelque temps les fonc-
tions de vicaire à Chatou, village
peudistantde Paris, il retourna en
Irlande, y fut missionnaire jus-
((u'en J775, et ensuite évêque de
Kerry, puis, en 1787, de Cork.
Ce prélat, aidé de miss Nano Na-
gle, fonda lu congrégation des
religieuses de la Présentation, qui
se consacrent plus spécialement à
l'éducation des filles; il fonda égale-
ment une école pour les garçons,
et concourut à l'établissement du
collège de Maynooth en faveur
des catholiques irlandais. Lors
des troubles qui éclatèrent dans .sa
patrie en 1797, il s'opposa de
toutes ses forces > par ses adresses
MOT
33S
et ses mandemens, à ce que ses
diocésains prissent part aux mou-
vemensqui agitaient l'Irlande,» et
aie gouvernement anglais lui en
• témoigna sa reconnaiss.'vnce , »
suivant l'expression de lord Castle-
reagh. Burke lui-même y joignit
ses félicitations dans plusieurs let-
tres que ce p)ibliciste lui adressa.
L'^cvêquedc Cork mourut, octo-
génaire, le 10 février 181 5. Il n'a
laissé aucun ouvrage imprimé.
MOYNE (N.), membre du con-
seil des anciens, remplissait avec
une rare intégrité les fonctions
d'accusateur-public, près le tri-
bunal criminel du département
de Saône - et - Loire , lorsqu'il
fut nommé par ce départemeivt ,
en 179SJ membre du conseil des
anciens. Il se rendit utile dans le
travail des bureaux, mais il n'oc-
cupa point la tribune. Cet honora-
ble citoyen mourut généralement
regretté dans le mois de mai 1799.
MOYSANT (François), biblio-
thécaire de la ville de Caen, doc-
teur en médecine, membre de
plusieurs sociétés savantes, na-
quit au village d'Andrieu, près de
Caen, le 5 mars 1755. Il fit ses
études chez les jésuites, qui vou-
lurent l'attacher à leur société:
mais il aima mieux entrer dans la
congrégation des Eudistes; ils l'en-
voyèrent professer au collège de
Lizieux, la grammaire et la rhéto-
rique. Forcé par la faiblesse de sa
santé de renoncer au professorat,
il vint à Paris. Après six ans d'é-
ludés, il se rendit à Caen, et y
fut reçu docteur en médecine. Il
y pratiqua pendant plusieurs an-
nées; mais un dos malades aux-
quels il donnait des soins, étant
mort p'ir suite d'imprudeuCe^
2ÔG
RIOY
Moysont renonça à sa prolo-'Sion,
et reprit l'enseignement qu'il a-
vait quitté avant ses études iiié-
dtcales, et qu'il ne qi\itla de
nouveau que pour se consaci-er
exclusivement aux soins exigés
par la place de bibliothécaire de
la ville de Caen, à laquelle il a-
vait été nommé lors de la suppres-
sion des maisons religieuses. Il rut
chargé de la surveillance des bi-
bliothèques de ces élablissemens.
C'est en visitant les dépôts confiés
à ses soins qu'il forma le projet, à
l'instar du Monasticon ang/icanuni
de Dodsworth et Dugdale, de créer
le monasticon netistria<nim, auquel
il devaitjoindrele-rvues des édifices
gothiques les plus remarquables
et. les inscriptions qui présentaient
le plus d'intérêt. Les premières
secousses de la révolution s'oppo-
sèrent à l'exécution de ce projet,
et forcèrent bientôt Moysant à
cliercher un refuge en Angleterre.
Son départ le fit comprendre sur
la liste des émigrés. Ne pouvant
sans danger rentrer dans sa patrie,
il publia à Londres, pour subvenir
à ses besoins, une compilation
faite avec gofit, en 4 vol. in-S",
sous le titre de Bibliollièquc des é-
eru'ohis français, ou Choix des
meilleurs morceaux en vers et en
prose, extraits de leurs ouvrages;
peu de temps après, il donna un
Dictionnaire porlalif anglais-fran-
çais. Tous leà vœux de Moysant
étaient pour son retour dans sa
patrie, et il se hâta de profiter de
l'amnistie accordée aux émigrés
par le gouvernement consulaire,
il revint à Caen eu 1802, Il fut
iKîmmc membre des sociétés sa-
vinles de celte ville, et chargé
de réorganiser l;i Ijiiilwlhèque pu-
MOT
blique, dont il devint directeur.
Il mourut dans l'exercice de sa
place, le 5 août i8i3. Moysant a
fourni plus d'un volume au Dic-
tionnaire historique de MM. Chau-
don et Delandine, qui s'imprimait
à Caen , et dont l'impression é-
tait confiée à ses soins. M. Bar-
bier, dans son Dictionnaire des
anonymes, et M. Henniker , dans
un ouvrage anglais sur les briques-
armorii^es de Saint-Etienne de
Caen, s'empressentd'avouer qu'ils
lui doivent d'utiles renseignemens^
Il avait fourni bien antérieure-
ment un nombre considérable d'ar-
ticles an' Grand Vocabulaire fran-
çais, publié à Paris, en 1767, en
3o vol. in-^", et donné, dans la
même année, avec MM. Lamaul-
Jerie et Vacher, le Dictionnnire de
chirurgie, Paris, 2 vol in-8°. Ou-
tre ces différens travaux, on doit
encore à Moysant : 1° Prospectus
d' un cours public gratuit des bel-
les-lettres françaises , etc., Caen,
1761 , in-4°; 2° In felices nuptias
Ludovici Augusti Galliarum del-
phini, etc. , ibid. , 1770, in-4°,
26 pag : 3° Rcchc-rches historiques
sur la fondation du collège de No-
tre-Dame de Bale.ux , fondé dans
C université de Pa^'is , par maître
Grrvais, 1783, in-4°. M. Hébert,
bibliothécaire actuel de la ville
de Caen , a publié : Notice histori-
que sur la vie de François Moysant,
Caen , iu-8", 1814.
MOYSE (N.), général noir,,
neveu de Toussaint-Louverture ,
naquit à Saint - Domitigue vers
1772. L'intelligence et le coura^
ge qu'il montra dans diverses oc-
casions le firent avantageusement
remarquer à l'époque des premiers
troubles di; la colonie. Il obtint
^ '
a4loxart.
WOY
d'abord de Jean-François. Tiin
de« chefs de:- noirs insurgés, le com-
mandement du quartier du Don-
don ; mais Toussaint-Lonverture,
autre cliel", qui bientôt l'emporla
sur ses concurrens, l'attira dans
son parti, et lui donna, en 1797,
le grade de général de brigade,
et eu 1800, celui de général de di •
vision. Le jeune Moyse, qui avait
plus d'élévation dans l'âme que
sa première condition ne le faisait
supposer, voulait, en combattant
les Européens, mériter leur esti-
me, et pour y parvenir, il sentit la
nécessité de s'instruire. CtJ fut au
milieu des camps, et pendant les
orages de la révolution qui ensan-
glanta Saint-Domingue, qu'il se
mit en état de tenir un journal
exact de tout ce qui se passait sous
ses yeux. Ami sincère de la liberté,
il ne vit qu'avec chagrin l'ambi-
tion excessive de Toussaint- Lou-
verture, et le nouveau despotisme
qu'il substituait chaque jour à ce-
lui des blancs; il osa en marquer
son mécontentement, et le peu de
ménagement qu'il mit dans ses ex-
pressions enhardit ses rivaux à
devenir ses dénonciateurs auprès
du général en chef; ils l'accusèrent
d'avoir eu des conférences secrè-
tes avec des Français prêts à re-
tourner dans leur patrie, et de
leur avoir confié sa résolution de
seconder, de tous ses moyens ,
les forces que la métropole se dé-
ciderait à envoyer contre Saint-
Domingue. Il n'en fallut pas d'a-
vantage pour le faire traduire ,
sur l'ordre de Toussaint- Louvertu-
re, devant une connnission mili-
taire, qui le condamna à mort
comme l'un des instigateurs de la
révolte du ai décembre 1801. En
MOZ 27)7
conséquence, Moyse fut placé à la
bouche d'un canon, et périt de
cette manière à la fleur de son
âge.
MOYZEN (N.), membre de la
chambre des dé[Mités , où il fut
élu , en 1817, par le département
du Lot, se rangea d'abord parmi
les membres dévoués au ministè-
re; mais bientôt il passa au centre
gauche , qu'il n'u plus quitté. Cet
honorable mandataire du peuple
a voté contre les deux lois d'ex-
ception et contre le nouveau svs-
tème électoral. M. Moyzen, réélu
en 1822, a fait partie de la cham-
bre jusqu'à sa dissolution totale
en 1824. Il comptait dans les
rangs des défenseurs dos libertés
constitutionnelles.
MOZART(Wolfga.sg-Amédée),
compositeur célèbre, naquit àSaltz-
bourg, le 27 juin 175G; son père,
Léopuld Mozart, né à Angsbourg,
en 1719, directeur do la musique
de l'archevêque de Saltzbourg, e-t
auteur de plusieurs ouvrages, en-
tre autres d'une Méthode raison-
née de violon, traduite en français,
en 1 770, et qui, d'après les témoi-
gnages des pins grands maîtres, a
servi à former tout ce que FAlle-
magnc posséflait d'excellens vio-
lonistes dans la seconde" moitié du
18^ siècle. Léopold Mozart eutsepl
enfans, dont deux seuls ne mouru-
rent pas en bas âge : une fille. Ma- '
rie-Anne, et Wolfgang-Amédée ,
qui s'est acquis par ses composi-
tions une réputation si brillante.
Le jeune Mozart avait à peine trois
ans, lorsque son père commença
à donner des leçons de clavecin A
sa sœur, âgée alors de sept ans, »t
il manifesta dès-lors des disposi-
tions bien étonnantes à cet âge»
^238
ftio;.
qu'on s'empressa de cultiver dan»
sa famille. Il avait reçu de la na-
ture le génie de cet art ; ses pro-
grès furent aussi rapides qu'ex-
traordinaires, et dès l'âge de cinq
ans il composait de petits mor-
ceaux pleins de grâce, qu'il jouait
sur le clavecin, et que son père
avait soin de noter. En 1762,
toute la famille Mozart, compo-
sée du père, de la mère, de la
niie et du fils, se rendit à Munich.
Les deux enfans furent présentés
à l'électeur, jouèrent devant lui,
et reçurent de nombreux applau-
dissemens. \ers la fin de la même
année, ils allèrent à Vienne, oùils
jouèrent du clavecindansplusieurs
sociétés. Un talent aussi précoce
étonna tout le monde, et bientôt
il ne fut plus question que du petit
virtuose de six ans. L'empereur
François I" voulut l'e.ntendre, et
fut si charmé de son jeu qu'il l'ap-
pela son petit sorcier. Au mois de
novembre 1763, Mozart vint à Pa-
ris, fut présenté à la cour de Ver-
sailles, et toucha de l'orgue à la
chapelle du roi , en présence de
toute la cour. Il n'avait que sept
ans à cette époque, et un enfant
se montra l'égal des meilleurs or-
ganistes. Mozart et sa sœur jouè-
rent à Paris dans plusieurs con-
certs ; le succès qu'ils obtinrent fut
tel que l'on grava le portrait du pè-
re et des deux enfans, d'après un
dessin de Carmontelle. Mozart fil
paraître à Paris deux œuvres de
sonates, qu'il dédia, l'un à mada-
me Victoire, fille du roi, cl l'autre
à madame la comtesse de Tcssé; ce
sont les premières productions gra-
vées du compositeur qui a le plus
illustré l'école allemande. L'année
suivante, eu 1764» le jeune virtuo-
MOZ
se passa en Angleterre, où sa répu-
tation l'avait devancé. Le roi Geor-
ges III, passionné pour la musi-
que, fit à Mozart l'accueil le plus
flatteur; il se plaisait à exercer le
jeune artiste, le gardait plusieurs
heures avec lui , et lui présentait
les morceaux les plus dilïiciles de
Haendel, Bach, et autres maî-
tres , que l'enfant exécutait à la
première vue avec toute la justes-
se possible, et dans la mesure con-
venable. Mozart, âgé alors de huit
ans, publia à Londres six soiiates,
qu'il dédia à la reine Charlotte.
Il revint ensuite sur le continent,
parcourut successivement les vil-
les principales des Pays-Bas, et se
rendit en Hollande, où il composa
une symphonie à grand orchestre
pour l'installation du prince d'O-
range, A son retour en Allemagne,
l'électeur de Bavière lui proposa
un thème musical à traiter sur-le-
champ, te qu'il fit sans se servir
de clavecin ni de violon; il le joua
ensuite et frappa d'admiration l'é-
lecteur et tous les assistans. Le
jeune Mozart , de retour dans sa
ville natale après quatre ans d'ab-
sence, s'y livra avec une nouvelle
ardeur à l'étude de la composition,
et à celle des grands maîtres alle-
mands Emmanuel Bach, Hasse,
Haendel, et des anciens maîtres
italiens, qu'il plaçait bien au-des-
sus des modernes. En 1768, âgé
de douze ans, Mozart fit un second
voyage à Vienne. L'empereur Jo- 'm
seph II le chargea de la composi- «
tion d'un opéra -buffa : c'était la
PintasimpUce, qui ne fut pas jouée,
mais cette partition obtint les suf-
frages de liasse et de Métastase ,
qui voua une amitié sincère à Mo-
zart, dont il devint le plus ardeal
MOZ
admirateur. En 1769, Mozart par-
tit pour l'Italie avec j>.on père; on
s'injagine facilement que le jeune
virtuo.-.e dut être bien accueilli
chez un peuple enthousiaste de la
musique. Il ne put quitter .Milan
qu'après s'être formellement en-
gagé à y venir composer le pre-
mier opéra pour le carnaval de
1771. De Milan il se rendit a Bo-
logne, où il visita le P. Martini,
célèbre contre -pointiste ; ce der-
nier, jugeant par ce que Mozart
était de ce qu'il serait un jour, lui
prédit qu'il n'aurait point de ri-
vaux. .Mozart fut comblé d'hon-
neurs à la cour de Toscane, et l'on
mil tout en œuvre pour l'y fixer;
mais il désirait ardemment se ren-
dre à Rome, poury assister à tou-
tes les solennités qui ont lieu pen-
dant la semaine-saillie. Ses désirs
furent remplis; à peine arrivé dans
la capitale du monde chréiien , il
courut à la chapelle sixtine pour
entendre le fameux miserere d'AI-
legri, dont il était défendu . sous
peine d'excommunication, de don-
ner ou de prendre copie. Mozart.
averti de cette défense, se p.laça
dans un coin retiré, et prêta l'at-
tention lu plus soutenue. An sortir
de l'église, il avait retenu le nior-
ceau, et en rentrant chez lui il le
nota entièrement. Quelques jours
après, dans un concert, il chanta
ce niisci-ere en s'accompagnaut du
clavecin. Cette organisation mu-
sicale et ce trait d'une mémoire
prodigieuse, attirèrent à Rome tous
l«;s regards sur le jeune Allemand.
Il fut présenté au pape Clément
XIV, qui , loin de le réprimanrler
d'avoir éludé sa défense , le reçut
de la m mièrc la plus gracieuse, et
le créa chevalier de l'éperon-d'ox.
MOZ
aoQ
De Rome , Mozart alla à Naples ;
l'enthousiasme des Napolitains fut
extrême, et l'on allait jusqu'à dire
que son talent surnaturel était pro-
duit par un talisman qui lui venait
d'en-haut. En repassant à Bologne,
il reçut une distinction bien flat-
teuse, qu'aucun musicien n'avait
obtenue dans un ûge aussi peu a-
vancé : la société des philharmo-
niques l'admit à l'unanimité dans
son sein, après les épreuves requi-
ses, auxquelles il satisfit avec une
promptitude surprenante. On ra-
conte que, suivant l'usage , il fut
enfermé dans une chambre avec
le thème d'une fugue à quatre
voix, dont le sujet était d'une dif-
ficulté proportionnée à l'idée qu'on
avait de sa force, et qu'en une de-
mi-heure il termina le morceau.
Mozart revint bientôt après à Mi-
lan, pour remplir l'engagement
qu'il avait contracté avec le théâ-
tre de cette ville. Le 36 décembre
1770, deux mois après son arri-
vée, et n'ayant pas encore quinze
ans accomplis, il y donna sou Mi-
tliridate , opéra sérieux, qui eut
plus de vingt représentations de
suite. Le directeur fit aussitôt avec
Mozart un accord par écrit pour
la composition du preînier opéra
de l'année 1772; ce fut LucioSillOf
qui ué réussit pas nmins que Mi-
tkri(tnte. et qui eut vingt-six repré-
sentations consécutives. Entre ces
deux compositions il avait fait, en
177 1 , à Milan. Ascamo in Alba, et
eu 1772, à Saltzbourg, pour l'é-
lection du nouvel archevêque, //
soi;no di Scipione. Deux ans après,
appelé sncoessivcment à Vietme,
à Munich et à Saltzbourg, il fit, en-
tre autres ouvrages, la Finta giar-
diluera, opéra boulFon; deux gran»
2:|0
MOZ
dos messes pour la chapelle de l'é-
leclour de Ûavitre, et pour le pas-
sade de l'archiduc Ferdinand à
Saltzbourg, la cantate // Re Pas-
iore. C'était en 177D; il avait at-
teint le plus haut degré de son art;
sa gloire était répandue dans toute
l'Europe ; il n'avait que 19 ans ,
et sa réputation était faite à cet
yge où l'on sort pour l'ordinaire
des bancs de l'école. A Vienne,
Mozart rechercha le chevalier
Gluck, dont le génie avait tant d'a-
nalogie avec le sien; l'amitié s'éta-
blit bientôt entre eux , irialgré la
diflérence d'âge, et Mozart se plai-
sait à répéter que les entretiens de
Gluck et l'étude des ouvrages de
ce dernier, avaient préparé les suc-
cès qu'il obtint depuis au théâtre.
Il se lia aussi avec Haydn, qu'il
appelait son maître, et il lui dédia
des quatuors, hommage digne de
l'un et de l'autre. « Cette dédicace
«lui est bien due, disait-il, puis-
»que c'est de Haydn que j'ai ap-
»! pris à taire des quatuors.» En
1776, Mozart fit un second voya-
ge à Paris avec sa mère. Gluck, la
même année, y mit sur la scène
son y^/c^5/^; ce chef-d'œuvre n'ob-
tint d'abord, comme on sait, que
peu de succès. Après la première
représentation, Gluck était dans le
foyer, entouré de gens qui lui a-
dressaient des complimens de con-
doléance. Toul-à-coup entre un
jeune homme, qui, tout en larmes,
ge précipite dans ses bras en s'é-
criant : « Ah ! les barbares ! ah ! les
«cœurs de bronze! que faut-il donc
>>pom' les émouvoir? » ce jeune
homme était Mozart. «Console-toi,
«petit, repartit Gluck, dans trcu-
» te ans ils me rendront justice. »
Pfédiction qui s'est réalisée. Mo-
MOZ
znrt avait l'intention de composer
un opéra pour l'académie royale do
Paris ; il est à regretter que le mau-
vais goût qui régnait alors dans la
plus grande partie du public fran-
çais, et l'état de faiblesse dans le-
quel languissait la musique vocale,
l'aient empêché de mettre ce projet
à exécution; nous aurions un chef-
d'œuvre de plus. Il donna cepen-
dant une symphonie et quelques
autres morceaux au concert spiri-
tuel; bientôt après, il eut le mal-
heur de perdre sa mère, et le sé-
jour de Paris lui devint odieux.
De retour auprès de son père, au
commencement de 1779, il com-
posa son Idoménée, que l'électeur
de Bavière lui avait demandé pour
le théâtre de Munich. Mozart, dans
toute la force de l'âge et du talent,
écrivit de verve cet ouvrage, qu'il
a toujours regardé comme un de
ses meilleurs , et dont il a mêmti
emprunté souvent des idées dau*
ses compositions suivantes. Peu
de temps après il se rendit à Vien-
ne, où il entra au service de l'em-
pereur Joseph II, auquel il resta
attaché toute sa vie. Quoiqu'il n'en
reçût que le traitement modique
de 800 florins (environ 2000 fr.),
il refusa constamment les ofl'res
brillantes qui lui furent foites par
d'autres souverains, et notamment
par Frédéric le grand. En 178*2,
Mozart fit représenter V Enlèvement
du serait. A l'issue de la première
représentation, Joseph II lui dit:
« C'est fort bt?au , mon cher Mo-
«zart, mais il faut convenir que
» voilà prodigieusement de notes!»
«Précisément ce qu'il en faut, si-
are, «répliqua vivement l'artiste.
Quelque temps auparavant, Mo-
zart avait épousé M"' Weber, vii-
MOZ
luose d'uQ mérite distingué, et
dout il eut deux enfans. En
1786, Mozart mit eu musique le
Mariage de Figaro, à la deman-
de de l'empereur. Le premier acte
de ce bel ouvrage fut très -mal
exécuté par leschimteurs italiens,
qui voyaient l'auteur avec mal-
veillance. Mozart indigné courut
à la loge de Joseph II pour s'en
plaindre ; auïsitôt l'empereur fit
dire aux acteurs que, si l'exécu-
tion du second acte n'était pas
plus satisfaisante, toute la troupe
irait coucher en prison : celte me-
nace fit son effet, l'exécution de-
vint parfaite et le succès fut com-
plet. Pendant l'hiver de 1787,
Mozart vint à Prague, et donna,
au théâtre Italien de celte ville,
son chef-d'œuvre de Don Juan,
dont le succès fut encore plus
brillant que celui du Mariage de
Figaro. L'opéra de Don Juan /\oaè
ensuite à Vienne, n'y fut pas senti
géuéralement , lors des premières
représentations. On critiquait un
jour cet opéra dans une société
où se trouvait l'élite des connais-
seurs et des musiciens de la capi-
tale, entre autres Haydn. Chacun
avait émis son opinion excepté ce
dernier; on la lui demanda: «Je
ne suis pas en état de prononcer,
répondit-il avec sa modestie ac-
coutumée, mais, ce que je sais,
c'est que Mozart est le plus grand
compositeur qui existe. > Mozart
semblait devoir fournir encore
une longue et brillante carrière ;
tout-à-coup ^a santé devint chan-
celante. On dit que des excès aux-
quels il se livrait parfois, lui de-
vinrent funestes ; il expira, le 5
septembre 1791, avant d'avoir at-
teint ^a trente-sixième anaée; mais,
T. zir.
MOZ
241
infatigable jusqu'au tombeau, il
créa, dans les derniers mois de
sa vie, trois chefs-d'œuvre : la
Flûte enchantée y la Clémence de
Titus, et un Requiem; c'est à lu
demande d'un inconnu qu'il a-
vait entrepris ce Requiem. Pen-
dant qu'il le composait son sang
s'enflamma, sa têle se remplit
d'idées sinistres, et il avoua à sa
femme qu il était persuadé que
c'était pour ses propres funérail-
les qu'il travaillait. Désolée de ne
pouvoir dissiper une si funeste
impression, elle lui enleva sa par-
tition, de lavis du médecin. Il pa-
rut reprendre un peu de calme et
de gaieté; son manuscrit lui fut
rendu , mais bientôt après une
fièvre ardente vint le saisir. Le
jour de sa mort, il fit apporter le
Requiem sur son lit. 0 N'avais- je
pas raison, s'écria-t-il, quand j'as-
surais que c'était pour moi que je
composais ce chant de mort ?»
Puis il ajouta : «Je meurs au mo-
ment où j'allais jouir de mes tra-
vaux, lorsqu'après avoir triom-
phé de tous les obstacles, j'allais
écrire sous la dictée de mon
cœur! » et des larmes s'échappè-
rent de ses yeux : c'était le der-
nier adieu qu'il faisait à son art.
Le Requiem avait été payé d'avan-
ce; l'inconim vint le réclamer. On
a su depuis quel était cet homme.
Désespéré de la mort d'une fem-
me qu'il aimait éperducment, il
avait pensé que le génie seul pou-
vait servir d'interprète à sa dou-
leur. Le Requiem lui fut remis;
mais la veuve de Mozart eut soin
de garder copie de la partition.
Mozart, mort si jeune, a com-
posé dans tous les genres, et il
excella dans chacun d'eux , de-
16
24 i
MOZ
puis la simple chanson jusqu'à la
tragédie lyrique et à la musique
sacrée, depuis les airs de danse
jusqu'à la symphonie. Jamais mu-
sicien n'a embrassé l'art dans une
si grande étendue. II était doué
d'une (écondifé prodigieuse ; ou
ne se lasse pas d'admirer dans ses
diverses productions des motifs
tVancs et heureux, des développe-
mens suivis avec une grande a-
dresse, el dans lesquels le travail
le plus profond ne nîiit point à la
grâce; l'harmonie et le goût des
morceaux d'ensemble, et surtout
des finales; un emploi neuf et ha-
bilement ménagé de l'orchestre
et des instrumens à vent; enfin
un talent extraordinaire pour
transporter dans l'accompagne-
ment, les richesses de la sympho-
nie avec une expression, une vi-
gueur et une verve que rien n'é-
gale. Dans ses momeus d'inspira-
tion, jamais Mozart n'approchait
du piano; dès qu'il avait pris la
plume, il écrivait, sans s'arrêter,
avec une rapidité qui n'était pas
de la précipitation, et l'on trou-
vait à peine quelques ratures dans
ses manuscrits. Quand il était saisi
d'une idée, rien ne pouvait le dis-
traire de son ouvrage. Il com-
posait au milieu de ses amis; il
passait les nuits entières au tra-
vail. Quelquefois il n'achevait un
morceau que presqu'au moment
même où il devait être exécuté;
c'est ainsi qu'il improvisa, en trois
heures, l'ouverture de Don Juan
avec toutes ses parties, la nuit
même qui précéda la première
représentation , et lorsque la ré-
pétition générale avait déjà eu
lieu. Mozart jugeait ses ouvrages
avec sévérité. Un jour, exécutant
MOZ
sur le clavecin un des airs les plus
applaudis de l'Enlèvement du sé-
rail: «Cela est bon dans la cham-
bre, dit-il, mais pour le théâtre,
il y a trop de verbiage; quand je
l'ai composé, je me complaisais
dans tout ce que je faisais et je
n'y trouvais rien de trop long. »
Idoménée et Don Juan étaient ceux
de ses opéras dont il faisait le plus
de cas. Au sujet de ce dernier, il
disait : « Cet opéra n'a pas été
composé pour le public de Vien-
ne; il convenait mieux à celui de
Prague ; mais au fond je ne l'ai
fait que pour moi et mes amis. »
Parmi les compositeurs de mu-
sique, il estimait principalement
les Italiens, tels que Léo, Duran-
te, Porpora , A. Scarlatî, mais
encore plus le célèbre .allemand
Haendcl, dont il savait par cœur
les principaux ouvrages. « De
nous tous, disait-il, ilaendel sait
le mieux ce qui est d'un grand
effet. Lorsqu'il le veut, il va et
frappe comme la foudre. » Mozart
a composé onze opéras sur paro-
les italiennes : i" la Finta simplice,
1768; 2" Mithridate, 1770; 3"
Ascanio in Alba, 177» ; 4° I-ucio
Silla, 1 773; 5°<7 Sogno di Scipione,
ïipr^; 6" la Giardiniera, 1774» 7"
IdomeneOf i7Î^o; 8" le Dfozze di
Figaro, 1786; 9° Don Giovanni,
1787;! o" Cosi fan lutte, 1790; 11°
la Clemenza di Tito, 1791 ; trois
opéras sur paroles allemandes :
die Entfiihrung aus dern Sérail
(['Enlèvement du sérail), 1782;
der Schauspiel Direktor (le Direc-
teur de spectacle), 1786 ; die Zau-
ber-flœte (la Flûte enchantée),
1791. On a encore de lui dix-sept
symphonies, des sonates, des qua-
tuors, des quintetti, des cantates,
MUC
des scènes détachée?, des roman-
ces et deschansons allemandes, des
canons, deswalses, des airs de bal-
lets de tous les genres, des séréna-
des pour instrumens à vent, et en-
fin lies messes et plusieurs motels.
MUCIIEMBLED (Alexasdre-
Louis), ancien magistrat, naquit à
Aire, dans la ci-devant province
tl'Artois, le 21 octobre i744- ^^^
père, avocat et procureur -syndic
de cette yille, le destina à suivre
la même carrière, et lui lit donner
une éducation analogue. Le jeuae
Mî.chembled fut reçu avocat au
parlement de Paris, à l'âge de 25
ans, le 9 juillet 1767. Après deux
années de stage, il alla exercer sa
profession à SainL-Oiner, où il é-
tait déjà connu par deux Mémoires
en faveur d'un sit.'nr Boubers de
Corbeville , imprimeur -libraire,
victime d'une détention qu'il n'a-
vait pas méritée. Il fut bientôt
charge de demander la révision
d'un procès au conseil provincial
d'Artois, qui, le g novembre 1770,
avait condamne à mort un homme
et sa femuie, l'un comme assassin
de sa mère, et l'autre camme com-
plice du même parricide. Cette
cause est celle de Moiibailly,' que
Voltaire a fait connaître à l'Eu-
rope, et dont il parle souvent dans
sa correspondance générale, sous
Je nom de la Méprise d' Arras.
Monbailly avait expiré sur la roue
en protestant constamment de son
innocence, et une fécondité pro-
pice avait fait surseoir à l'exécu-
tion de l'arrêl, à l'égard de sa
fenune. Muchernbled profita de ce
délai, pour publier deux Mtinol-
rér* justificatifs, suivis de deux con-
sultations savantes du célèbre chi-
rurgien Louis {voyez ce nom),
MUC
240
dans lesquelles ce dernier décidait
que le rapport des médecins et
chirurgiens n'avait pas constaté le
crime, ni prouvé que la femme fût
morte assassinée. La révision du
procès ayant eu lieu, un arrêt du
conseil supérieur d'Arras, rendu à
l'unanimité, le 8 avril 1772, dé-
chargea la veuve Monbaiily, et la
mémoire de son mari, de l'accu-
satioft^e parriv"ide. Lorsque le gé-
néreux défenseur ramena des pri-
sons d'Arras, la veuve infortunée
à qui il venait de sauver la vie, il
fut reçu dans la ville aux accla-
mations de la population entière.
L'évêque, en le complimentant de
son succès, offrit d'assurer à la
veuve Monbailly, une pension
pour le reste de ses jours. L'éclat
de cette affaire confirma la répu-
tation de Muchembled, et lui as-
sura la plus honorable clientelle.
Il se distingua également dans
l'administration publique. Long-
temps échevin de la ville de Saint-
Omer, il en devint le lieutenant-
mayeur, et le corps municipal ,
chaque fois qu'il en fit partie, le
nomma son député aux états d'Ar-
tois, où il combattit avec une im-
perturbable persévérance, les abus
et l'arbiiraire. En décembre 17S8,
iMuchembled rédigea une protes-
tation en son nom et en celui de
plusieurs habilans notables, con-
tre tout ce qui pouvait être con-
traire au rétablisseujent des droits
du tiers-état d'Artois, et il publia,
en même temps, un Mémoire sur
la députation du tiers-état à l'as-
semblée des états-généraux, en
1789, dans lequel il réclamait,
dès-lors,avec énergie et une remar-
quable spécialité , tous les droits
publics que les Français ont voulu
•44
MLD
obtenir. Ces deux écrits firent
nojTHiier leur iiuteur officier mu-
nicipal et juge au tribunal de dis-
trict, lorsque le peuple exerça,
par lui-même, ces droits d'élec-
tion. Muchembled mourut àSaint-
Oiner, le ]8 octobre 1810, géné-
ralement regretté.
MUCHEMBLED (Alexandre-
Nicolas-Benoist), fils du précé-
dent, est né à Saint-Omer, le 20
février 1775. La conscription
Tayaut empêclié de suivre la car-
rière que son père avait parcou-
rue, il exerça les fonctions d'ad-
joint au génie militaire, et fut
j)0urvu d'un brevet do capitaine
du génie, réformé par suite de la
suppression des adjoints au génie.
Nommé ensuite capitaine de gre-
nadiers dans la garde nationale de
sa ville natale, il fut mis en acti-
vité dans ce grade et avec l'emploi
d'officier- payeur de la légion du
Pas-de-Calais, jusqu'à son liceji-
ciement, en 1809. Adjoint au
maire, pendant les cent Jours, en
181 5, il devint en butte, après la
seconde restauration, à la haine
d'un parti, auquel l'estime publi-
que imposa silence. Aujourd'hui,
M. Muchembled s'occupe de Ira-
vaux agricoles , et particulière-
ment du dessèchement des marais.
MDUGE (Thomas), célèbre mé-
canicien anglais, horloger de S.
M. britannique, naquit en 1715,
à Exeler, d'une famille honorable;
son père, ecclésiastique et maître
d'école à Biddefort, commença son
éducation, et espérait trouver en
lui son successeur pour ces deux
fonctions. Mais remarquant que le
goût de cet enfant le portait à l'é-
tude de la mécanique, il ne voulut
point contrarier ses dispositions ,
MUD
et à l'âge de i4 ans, Mudge entra
comme apprenti chez Graham ,
célèbre horloger, qui le prit en a-
mitié, se plut à Je diriger, et finit,
frappé de ses rapides progrès, par
lui confier les travaux les plus dé-
licats et les plus difficiles, et que
le jeune ouvrier exécutait avec une
rare habileté. Depuis quelque
temps Mudge, qui avait terminé
son apprentissage, travaillait pour
son compte, lorsqu'un nommé El-
licot, horloger de Londres, chargé
parle roi d'Espagne, Ferdinand IV,
de lui procurer une montre à équa-
tion , lui proposa de l'exécuter.
Mudge mit dans ce travail autant
de promptitude que de talent, et
livra son ouvrage à EUicot , qui y
mit son nom et s'en fit honneur.
Malheureusement pour le plagiai-
re, en expliquant aux curieux le
mécanisme de cette pièce, il en
dérangea quelques parties, et fut
obligé d'avoir recours à l'auteur.
L'imposture d'Elliot fut connue,
et particulièrement du roi d'Es-
pagne , qui chargea directement
Mudge d'entreprendre les ouvrages
dansce genre qu'iljugerait les plus
curieux. Il le laissa aussi maître
d'en fixer le prix. L'artiste anglais
se montra digne de la confiance du
monarque étranger. «Entre autres
ouvrages, dit l'auteur d'une iVo^<-
ce sur cet habile mécanicien, il fit
une montre à répétition qui indi-
({uait le temps vrai et le temps
moyen ; elle sonnait et répétait
l'un et l'autre, ce qui auparavant
n'avait eu lieu dans aucune mon-
tre; de plus, elle répétait les heu-
res, les quarts et même les minu-
tes. Le roi avait vouiu que cette
montre fût enfermée sous verre,
dans le gros bout d'une canne, en
MUD
sorfe que, par des coulisse?, il pou-
vait voir, dans ses promenades,
marcher le mécanisme de ce beau
travail. Mudge se le fit payer 4*^0
guinées; ses amis l'avaient engagé
à en demander au moins 5oo; mais
il répondit qu'il avait calculé stric-
tement le profil honnête qu'il de-
vait avoir sur un travail de ce gen-
re, et qu'il ne voyait pas de raison
de surfaire à un souverain plus
qu'à un simple particulier. » La ré-
putation de Mudge s'étendait de
jour en jour. Il s'associa, en ij-So,
avec un autre élève de Graham ,
rîommé Dulton , et ouvrit un ate-
lier d'horlogerie. Un seigneur
saxon, le comte de Bruhl, avait
apporté à Londres une moiUre du
célèbre horloger Ferdinand Ber-
ihoud; mais cette montre avait un
défaut que, disent les Anglais, l'au-
teur lui-même « était incapable de
corriger.» Que cette assertion soit
exacte ou non, c'est ce qu'il n'est
pas dans notre objet d'examiner;
le fait est que Mudge refusa d'a-
bord par délicatesse de se charger
de corriger le travail de l'artiste
français, et celte modestie est di-
gne d'un homme aussi distingué.
Cependant il céda à de nouvelles
et vives instances, et répara ce qui
était défectueux dans la montre.
La construction des montres ma-
rines ou garde -temps, l'occupa
ensuite, et il publia, en 1765, un
ouvrage sur ce sujet, sous le titre
de : Pensées sur les moyens de per-
fectionner les montres, particulière-
ment celles de la ynarine. Mudge,
plus occupé de donner à son art
toute la perfection possible, que
jaloux d'augmenter sa fortune, ré-
solut de quitter le commerce : il
se relira à Plyinoulh en 1771, et
MUD
2_,0
s'y occupa pendant plusieurs an-
nées de construire un garde-
temps, qu'il donna à l'essai à l'ob-
servatoire de Greenvvich. Cet ou-
vrage fut ensuite remis au baron
de Zach, astronome du duc de
Golha, et passa dans les mains de
l'amiral Cauipbell, qui en fit usa-
ge lors de son voyage ùTerre-Neu-
ve. Sa précision bien constatée,
l'instrument fut acquis par le gou-
vernement, et le bureau des lon-
gitudes alloua à Mudge une som-
me de 5oo livres sterling, en l'in-
vitant à en construire une parfai-
tement semblable, afin de concou-
rir pour le grand prix que le par-
lement avait fondé en faveur du
meilleur travail dans ce genre.
L'arlisle exécuta deux montres au
lieu d'une; après une année d'es-
sai, l'astronome royal, Maskelyne,
fit un rapport très-favorable, par
suite duquel les montres de Mud-
ge furent essayées sur mer. Cette
fois le rapporteur déclara qu'elles
ne pouvaient soutenir une épreuve
rigoureuse. Il fut alors arrêté que
les essais à cet égard cesseraient.
Mudge attaqua Maskelyne dans un
Exposé des faits relatifs au garde-
temps construit par Th. Mudge,
qui fut publié en 1790 : une lutte
polémique s'établit entre l'auteur
et le rapporteur. Mécontent d'une
discussion qui semblait affaiblir se*
droits à une récompense , Mudge
s'adressa directement au bureau
des longitudes, faisant remarquer
que ses garde- temps, jugés les
meilleurs, ne s'étaient pas déran-
gés pendant vingt ans d'essai , et
que, s'ils n'avaient pas été jugés
dignesdu grand prix, ils méritaient
du moins u»)e récompense. Le bu-
reau des îongiludes ne se mon-
a4'3
MUI>
Irant pas disposé à accueillir ses
prétentions, il s'adressa, en 1792,
à la chambre des communes, qui
lui vota, en 179^, une somme de
aSoo livres sterling. Mudge a in-
venté un nouveléchappementpour
les montres ordinaires; il avait ob-
tenu, en 1777, le litre d'horloger
du roi, qui estimait ses talens et se
plaisait quelquefois à l'entretenir.
Marié à la fille d'un membre de
l'université d'Oxford, qu'il perdit
en 1789, il en eut deux enfans :
l'un fut recteur à Lastlcigth , l'au-
tre fait le sujet de la notice sui-
vante. Mudge mourut presque oc-
togénaire, au mois de novembre
»794-
MUDGE (William), major-gé-
néral anglais, membre de la so-
ciété royale de Londres, corres-
pondant de l'institut de France,
etc. , fils aîné du précédent, naquit
en 1762 à Plymoulh. Ses études
terminées, il fut admis à l'école
militaire deAVoolwich, en qualité
de cadet, et s'y fit remarquer par
son application, son zèle et ses ta-
lens. Il servit ensuite dans l'artil-
lerie royale, où il obtint le grade
de capitaine. Sa faible santé ne lui
permit pas vme longue activité;
mais son mérite le fit admettre par-
mi les membres de la société roya-
le de Londres, et employer suc-
cessivement à l'instruction des é-
lè.ves à l'arsenal militaire royal, et
à l'école de la compagnie des In-
des-Orientales. Une nouvelle ré-
compense lui fut décernée par le
bureau des longitudes, qui le nom-
ma l'un de ses commissaires- Mud-
ge seconda les savans français, A-
rago et Biot, dans les opérations de
la mesure de l'arc méridien d'Ecos-
se. K'a3'antpu accompagner ces sa-
MUF
vans aux îles Shetland, il leur don-
na son fils, alors capitaine, l'un
des collaborateurs de la descrip-
tion trigonométrique de la Grande-
Bretagne. Il est l'auteur principal
des cartes de divers comtés; elles
sont remarquables parleur correc-
tion. Il devint membre de l'aca-
démie des sciences de Copenha-
gue et correspondant de l'institut
de France. Les sciences ont perd»
cet officier -général au mois d'a-
vril iS-îo. On trouve dans les Tron-
sactions p/iUo.sophiques plusieurs
mémoires très-importans de sa
composition, et dans le même ou-
vrage(années 1795, 1797 et 1800),
un long rapport de ses travaux tri-
gonométriques depuis 1791 jus-
qu'à 1799. Le recueil intitulé:
Ed'mbargli Review (janvier i8o5),
offre une notice très-détaillée de
ses travaux pour le levé trigono-
métrique de l'Angleterre et du pay*
de Galles.
MUFFLING (le baron de), gé-
néral au service de Prusse , se
trouvait pendant la campagne de
181 5 au quartier-général du duc
de Wellington , et près de sa per-
sonne, quand ce dernier était pla-
cé sur la route de Bruxelles, au mo-
ment où la fortune décidait la vic-
toire contre les Français au champ
de Waterloo. M. de Muffling fut
l'un des plénipotentiaires étrangers
chargés de signer, avec les pléni-
potentiaires de la France, la con-
Yention du 5 juillet, relative à l'oc-
cupation de Paris. Nommé gou-
verneur de cette capitale , par les
souverains alliés, il en remplit les
fonctions pendant quelques mois,
puis retourna, on qualité de com-
missaire du roi de Prusse, au quar-
tier-général du duc de Wellington-
On attribue au général Muflling
un ouvrage publié» en 1817, sur
la campagne de 181 5.
MLLGRAVE (Constastis-Phi-
J-ippe), lord et pair de la Grande-
Bretagne, naquit en 1 y^6, et entra
de bonne heure dans la marine.
Il s'j distingua, et devint capitaine
de haut-bord ù 19 ans. Élu , en
1768, membre du parlement pour
le comté de Limala , il se montra
l'un des plus chauds défenseurs
du parti populaire, et soutint cette
cause avec zèle dans l'affaire dite
des libelles, et au sujet des élec-
tions de Westminster. Il publia,
même à cette dernière occasion ,
une brochure intitulée : Lettre
(fun membre du parlement à ses
commettons sur les derniers procé-
dés de la chambre des communes ,
relativement à l'élection de Midle-
sex. Non moins bon mathémati-
cien qu'habile marin , lord Mul-
grave associa le capitaine Lutwid-
ge au projet qu'il avait formé
d'aller explorer les mers du pôle
septentrional, afln d'y faire de nou-
velles découvertes; il partit effec-
tivement, en 1773, pour celte ex-
pédition, dont il publia la relation
à son retour en Angleterre. .4yant
perdu, en 1790, lord Mulgrave,
son père, il lui succéda à la pairie,
et mourut deux ans après, dans la
force de l'âge.
MULGRAVE (Hesri-Philippe),
pair de la Grande-Bretagne, minis-
tre d'état, etc., fils du précédent,
est né en 1770. Il entra, en 1793,
à la chîimbre des pairs, par droit
d'hérédité, avec le titre de baron;
devint successivement vicomte ,
rainistre-d'état, comte, et mem-
bre du conseil privé du roi. Voué
tout entier au parti ministériel, il
MLL
u:
appuya, pendant long-temps, tous
les actei du gouvernement, et se
lia d'une étroite amitié avec "Wil-
liams Pitt, dont il devint le collè-
gue. Les suites inattendues de la
troisième coalition, formée contre
la France à l'instigation de l'An-
gleterre, attirèrent de vifs repro-
ches aux ministres. Lord Mulgra-
ve, qui fiiisait partie du ministère,
profita de la rentrée du parlement
en 1806, pour défendre avec cha-
leur la conduite de ses collègues,
alléguant que les revers dont on
se plaignait devaient être attribués
bien moins au gouvernement an-
glais qu'à une précipitation mal
entendue de la part de l'Autriche,
qui, disait-il, s'était mise en avant
sans attendre que ses alliés fussent
en état de la soutenir. Exclu du
ministère par suite de la mort de
Pitt, il se rangea du parti de l'op-
position , et s'attacha à combattre
les nouveaux ministres avec au-
tant de chaleur qu'il en avait mis
à soutenir les anciens. Redevenu
premier lord de l'amirauté à la
mort de Fox, il prit occasion de
l'adresse au roi, votée par le par-
lement à l'ouverture d« la session
de 1807, pour reprocher au der-
nier ministère la proposition d'un
bill d'émancipation eu faveur des
catholiques, et revint avec plus de
force sur cette question dans la
séance du 27 mai 1808. Lors de
l'expédition projetée en 1809 con-
tre l'ile de Walcheren, il alla lui-
même présider à l'embarquement
de» troupes , et eut ensuite à re-
pousser les attaques de l'opposi-
tion à ce sujet. Enfin, en 1810, il
échangea sa place de lord de l'a-
mirauté, contre celle de grand-
maître de l'artillerie , qui renait
24
^8
MUL
d'être enlevée au comte Chatam,
et dont il rempHssait encore les
fonctions il n'y a pas long-temps.
Lord Mulgrave a réuni à toutes
sf;s autres dignités le titre de gé-
néral de l'armée anglaise, et celui
de gouverneur de Scarborough.
MULGRAVE (Edmond), frère
cadet du précédent , est né en
1 760. Il a embrassé la carrière
des armes, et occupe aujourd'hui
les emplois de général de divi-
sion , colonel du 60' régiment
d'infanterie , et de payeur de la
marine. Il est en outre membre
de' la députation de Scarborough,
au parlement anglais.
MULLER (Jean de), célèbre
historien suisse, ancien ministre
secrétaire-d'état du roi de West-
phalie, directeur de l'instruction
publique, grand-cordon de l'ordre
royal de Hollande , membre de
l'académie de Berlin, etc., naquit
à Schaffhouse le 3 janvier 1753.
Il commença ses études au gym-
nase de cette ville et les termina à
l'université de Goeltingue, Son
aïeul maternel, qui remplissait des
fonctions pastorales, le destinait à
suivre la carrière de la théologie;
mais le jeune MuUer, qui s'occu-
pait, depuis l'âge de douze ans,
de travaux sur l'histoire, travaux
dans la continuation desquels l'en-
gagèrent ses maîtres, et entre au-
tres Miller, Heyne et Schloezer,
eut enfin la liberté de suivre le
penchant qui l'entraînait. Ce fat
d'après les conseils de Schloezer
qu'il composa l'histoire de la guer-
re des Cimbres qu'il publia à Zu-
rich, en 1772, et, d'après ceux de
Miller, qu'il se disposa à écrire
l'histoire de son propre pays. Mul-
1er, de retour à Schaffhouse, re-
MLL
eut du gouvernement la chaire de
langue grecque, et il en remplit
les fonctions sans renoncer à ses
occupations favorites. En 1774-» il
obtint l'autorisation de se rendre
à (ienève, où il devint l'instituteur
du fils du conseiller ïronchin, et
l'ami des Bonnet , des Fuessli
et des Bonstetten; il donna dans
cette ville des leçons d'histoire
universelle. Il publia au commen-
cement de 1780 la première partie
de VHistoire de la confédération
suisse; mais il n'a pas continué cet-
te première édition. Peu de temps
après, il se rendit à Berlin où Fré-
déric-le -Grand l'accueillit avec
bienveillance. Muller donna dans
cette ville des Essais historiques,
et accepta du landgrave de Hesse
la chai>>e de Cassel, où il recom-
mença les cours d'histoire qu'il
avait faits à Genève. Trois ans a-
près (en 1783), il rentra dans sa
patrie et s'y livra exclusivement
à ses travaux habituels dans la
maison de Bonstetten, son ami.
L'électeur de Mayence voulut l'a-
voir à son service, et le fit secré-
taire du cabinet et conseiller inti-
me. Il s'y montra véritablement
propre aux aftaires publiques, et
publia, en 1787, contre les pro-
jets de domination de la maison
d'Autriche, les motifs d'une coa-
lition des princes allemands pour
la défense de la constitution ger-
manique. Dans un second écrit,
eu 1788, il déplora les malheurs
que devait entraîner le peu de
disposition que l'on montrait pour
cette réunion. Il s'occupait, vers
le même temps, des rapports de
la puissance ecclésiastique avec
celle de l'état. La ville de Mayence
étant tombée au pouvoir des Fraiir
MrL
«'ais dans la première guerre de la
révolution, il partit pour Vienne.
L'empereur Léopold, qui, à l'é-
poque de son couronnement à
Francfort, lui avait conféré des lel-
Ires de noblesse, voulut se l'atta-
cher en lui donnant le titre de con-
seiller à la chancellerie d'état, et
peu après la place de bibliothé-
caire. Mais MuUer éprouva dans
l'exercice de cette dernière fonc-
tion des dégoûts qui lui Greut vi-
vement désirer sa liberté. La pros-
cription de son histoire de la Suis-
se, qui fut comprise au nombre
des livres prohibés, le porta à ac-
cepter , en i8o4» de Frédéric-
Guillaume, roi de Prusse, une
place h l'académie de Berlin, et il
partit aussitôt pour sa nouvelle
destination. Il voulut justifier la
confiance de Frédéric-Guillaume,
et témoigner sa gratitude à la mé-
moire de Frédéric-le-Grand, en
écrivant la vie de ce prince. Deux
discours qu'il prononça à l'acadé-
mie, en i8o5eten 1807, donnaient
une idée favorable de la manière
dont il avait envisagé son sujet,
lorsque la guerre avec la France
le força de suspendre son travail.
L'empereur Napoléon , lors de
son séjour à Berlin , avait distin-
gué Muller. Pendant le voyage
de celui-ci à Tubingue, où le roi
de Wurtemberg l'appelait en qua-
lité de professeur, il reçut de Na-
poléon l'invitation de se rendre à
Paris, qu'il quitta bientôt pour
passer en Westphalie, où il devint
secrétaire-d'état. Il fut nommé, peu
de temps après, directeur-général
de l'instruction publique dans ce
royaume. Ses soins multipliés
pour la réorganisation des études
et les autres travaux auxquels il
MLL
249
se livrait, hâtèrent sa fin: il mou-
rut le iç) mai 1809. Muller a laissé
les plus honorables souvenirs;
simple, modeste, généreux, dé-
sintéressé, il mourut pauvre, et
ce ne fut que par la publication
de ses œuvres posthumes que Von
put acquitter les dettes peu nom-
breuses qu'il avait contractées.
Comme savant, il a mérité le suf-
frage de deux hommes bien faits
pour l'apprécier : Chénier et Char-
les Villors. «L'histoire de la con-
fédération helvétique, dit le pre-
mier, est pleine de recherches sur
les origines des villes et sur leurs
traditions particulières. Quoique
fort érudite, elle n'est point sè-
che ; elle abonde en réflexions
toujours judicieuses et quelque-
fois d'une grande portée. Quant
à l'exécution générale, la manière
de l'auteur est large et grave : la
chaleur n'est pas sa qualité domi-
nante, mais il a souvent delà no-
blesse ; et dans ce qui concerne
l'histoire naturelle de la Suisse,
partie traitée de main de maître,
son style s'élève à des formes ma-
jestueuses... L'ouvrage est dédié
à tous les confédérés de la Suisse.
Cette dédicace, que l'auteur fait
à ses pairs, n'est pas d'un ton su-
balterne. Oii y remarque, comme
en tout le reste du livre, un pro-
fond sentiment de liberté; et ce
qui pourrait, à l' malyse, se trou-
ver encore la même chose, un
grand respect pour le genre hu-
main. I) M. Ch. Villers , auteur de
plusieurs ouvrages estimés dans
les deux langues, et d'un Mémoire
couronné par l'institut , s'expire
ainsi : « L'opinion publique accor-
de assez généralement à Muller le
premier rang parmi les historiens
25o
MU£
de son temps, et reconnaît en lui
la plus exquise réunion des qua-
lités nécessaires pour qui se voue
à la haute fonction d'écrire les Cas-
tes de l'humanité. LeS' uns le com-
parent à Tacite ; d'autres , avec
plus de raison, le nomment le
Thucydide de l'Helvétie. Sans dou-
te que la grave majesté de son sty-
le, que la vigueur de ses tableaux,
que la grandeur de ses vues, que
la richesse de son imagination ,
enfin que sa manière vraiment
antique, autorisent ces comparai-
sons. Mais un genre de mérite que
n'ont pu avoir ces anciens histo-
riens, c'est celui des recherches
les plus laborieuses, les plus pro-
fondes et les plus exactes. L'his-
torien suisse conduit cette histoi-
re de sa patrie depuis l'origine de
la nation, au travers de toutes les
relations qu'eut celle-ci avec la
France, l'Italie et l'Allemagne; ce
qui rend ce bel ouvrage un com-
plément indispensable à l'histoire
de ces diverses contrées. » Le
frère de ce célèbre historien, M.
.Tean-Georges Muller, professeur
à Schaffhouse, a publié la collec-
tion complète des Œuvres de Jean
de M aller f dont le 27^ volume a
paru en 1819. On trouve dans
cette importante collection, outre
l'histoire de la confédération hel-
vétique, le Cours d'histoire na-
turelle, formant à lui seul trois
volumes, la correspondance fa-
rnilière, l'abrégé de la vie de Jean
de Muller, écrit par lui-même, etc.
Cet abrégé forme le 1" cahier des
vies et portraits des hommes let-
tré^ de Berlin, 1806, in-8", publié
par M. Lovfe. Plusieurs autres é-
trangers ont écrit la vie de cet
historien, et M. Guizol a donné,
MIL
dans le Mercure de France du 17
février 1810, une Notice biogra-
phique sur J. de Muller.
MULLER (Othon-FbÉdÉric),
naturaliste danois, naquit à Co-
penhague, en 1730, d'une famille
peu favorisée de la fortune. Il ne
put même compléter son éduca-
tion qu'en se procurant, comme
musicien , des ressources pécu-
niaires qu'il employait à payer ses
maîtres , rare exemple d'amour
du travail, et de la bonne destina-
tion du fruit qu'il en retirait. Il
s'acquit ainsi des protecteurs qui,
voulant également le récompenser
de la régularité de sa conduite, lui
firent obtenir, en 1753, l'emploi
de précepteur du jeune comte dft
Schulin, dont le père avait été mi-
nistre d'état. M"" de Schulin, re-
tirée à la campagne, veillait elle-
même à l'éducation de son fils. Elle
sut apprécier le mérite de Muller,
et ce fut à ses sollicitations que
le professeur se livra à l'étude des
sciences naturelles. Il y fit de ra-
pides progrès, et parvint à dessi-
ner, avec une parfaite exactitude,
les plantes et les animaux qu'il dé-
crivait, avec le même talent. Mul-
ler accompagna son élève dans ses
voyages, où il augmenta ses pro-
pres connaissances, et de retour à
Copenhague, en 1767, il publia,
en latin, 2 vol. in-S", une histoire
des insectes et des plantes de la
campagne du ministre de Schulin.
Elle parut sous le titre de : Fauna
insectorum Friedrichsdaliana, et
sous celui de : Flora Friedrichsda-
liana. Le succès de ces ouvrages
détermina le gouvernement à lui
confier la continuation de la Flore
de Danemark, commencée, en
1761, par G. Chr. Oeder, sur
MUL
l'ordre de Frédéric V, et dont trois
volumes seulement avaient été
mis au jour. Muller en ajouta
deux autres, dont le dernier parut
eu 1782. Cet ouvrajçe passe pour
le plus beau que l'on eût alors
publié dans ce genre. Les faveurs
de la cour et celles de la fortune,
se répandirent bientôt sur ce sa-
vant, à tant de titres, estimable. 11
devint, eu 1769, conseiller de
chancellerie ; eu 1771, archiviste
de la chambre de Norwège, et
peu après, il fit un mariage des
plus avantageux. L'aisance qui en
fut la suite, le porta à renoncer à
ses emplois, et à se livrer exclusi-
vement aux sciences. En 1772, il
donna, en allemand, un vol. in-
4", des Observations sur certains
vers d'eau douce et d'eau salée, que
Linné nomme AphroUites et Né-
réides, et sur lesquels les travaux
de Bonnet ( voyez ce nom ) ve-
naient d'appeler l'attention des
savans et des amateurs de l'his-
toire naturelle. iMuller les divisa
en quatre genres, découvrit plu-
sieurs espèces nouvelles, et com-
muniqua des observations curieu-
ses sur la structure, les habitudes
et les propriétés de ces petits ani-
maux. Un ouvrage bien plus im-
portant vint fixer l'attention. Il
donna, en latin, 2 vol. in-4",
1775-1774» Jc' Observations sur
les vers de terre et d'eau douce. « La
preujière partie, dit M. Cnvier
dans une Notice sur ce savant, est
consacrée aux animaux inlusoircs,
c'est-à-dire, à ces petits êtres in-
visibles à l'œil nu, et dorit la plu-
part ne noui apparaissent qu'à
Paide de forts microscopes. Il en
découvrit un grand nombre; et le
premier parmi les naturalLsles, il
MUL a5i
eut le courage de les distribuer en
genres, et d'assigner à chacune de
leurs espèces, des caractères dis-
tinctifs. La seconde partie con-
tient des observations intéressan-
tes sur les vers des intestins. La
troisième, qui remplit le second
volume, a pour objet les coquil-
lages; et l'auteur essaya de les
classer, à l'exemple d'Adanson et
de Geoffroy, d'après l'organisation
des animaux qui les habitent; mais
l'anatomie de ces animaux était
trop peu avancée alors, et lui-
même était trop peu anatomisle,
pour qu'il eût de grands succès
dans cette entreprise. »0n cite en-
core , comme des ouvrages fort
remarquables, un traité en latin,
sur les Uydraclines, ou Araignées
a'iuatiques, imprimé en 1781, in-
4°, avec planches, et un autre, en
1785, dans la même langue, éga-
lement in-4", ''^^cc planches, sur
les Eutomostracés, que Linné clas-
se dans le genre des Monocles.
fl L'auteur, dit M. Cuvier, que
nous avons déjà cité, y fait con-
naître une multitude d'êtres ani-
més, dont on soupçonnait à pei-
ne l'existence, bien qu'ils rem-
plissent, par millions, toutes nos
eaux douces, et même celles que
nous regardons comme les plus
pures. Cependant Muller travail-
lait sans relâche à multiplier ses
découvertes sur les animaux infu-
soires; et à sa mort, il en laissa
l'histoire et les descriptions dé-
taillées en un fort vol. in-4% orné
de 5o planches, qui fut publié par
les soins de son ami Othon Fabri-
cius. Ces trois écrits, sur les infu-
soires, sur les monocles et sur les
hydrachnes, ont assigné à Muller
l'un àti premiers rangs parmi Ioî».
i
252
MUL
naturalistes qui ont enrichi îa
science d'observations originales :
ils sont classiques, chacun pour la
famille à laquelle il se rapporle,
et ils le demeureront long-temps,
non-seulement à cause de la pa-
tience et de l'exactitude infinie de
l'auteur, mais encore à cause des
obstacles nombreux qu'opposent
aux observateurs la petitesse ex-
trême et le peu de consistance des
animaux qui composent ces famil-
les. Les infusoires surtout forment
en quelque sorte un nouveau rè-
gne animal, que Muller a révélé
au monde, et sur lequel depuis
lors on n'a guère faitque le copier.»
Muller mourut en 1794. H a pu-
blié, outre les ouvrages déjà cités,
1", en danois, sur f/ue/ques Cliam-
pignons, 1763 : c'est son premier
ouvrage; 2", en danois, sur laChe-
■nille à queue fourchue, 1771 > 3"
sous le titre de Zoologiœ Danlcce
prodromus, 1777, in-8% l'histoire
des animaux du Danemark; 4°,
en danois, Voyage à Chistiavsand,
Ï778; 5° différens Mémoires im-
primés dans les recueils de diver-
sessociétés savantes.
MULLER (N.), général républi-
cain, était à l'époque de la révolu-
lion danseur à l'Opéra; mais il a-
vait reçu de l'éducation, et se
montrait bien au-dessus de son é-
tat. En 1795, il partit de Paris avec
les premières troupes qui furent
dirigées contre les insurgés des dé-
partemens de l'Ouest. La Taleur
et les talens qu'il inontra dans tou-
tes les occasions le firent parvenir
rapidement au grade de général,
et déjà il commandait une divi-
sion , lorsque l'armée vendéenne
passa la Loire pour attaquer Grand-
villc. îkfuUer se signala de nou-
MUL
veau dans cette circonstance. Réu-
ni à Westermann , il prit part aux '
diflërens combats où cet intrépide
guerrier mena presque toujours
les républicains à la victoire. De-
puis le général Muller fut em-
plo^'é contre les chouans, organi-
sés dans la ci-devant Bretagne. On
trouve dans un rapport qu'il fit en
avril 1796, les détails suivans :
«Les chouans, au nombre de 4jOoo
hommes, formaient un front d'u-
ne lieue et demie. A la suite d'un
feu très-vif de quatre heures, j'ai
fait essuyer à l'ennemi une perte
considérable, et je n'ai à regretter
qu'un mort et quatre blessés : la
victoire au reste à été complète.»
Muller, demeuré sans emploi après
la pacification, fut pendant quel-
que temps remis en activité sous le
directoire-exécutif, et réformé en-
suite. La manifestation de ses prin-
cipes politiques le rendit suspect
au gouvernement impérial, qui
l'exila de Paris en i8o5. On n'a
])oint entendu parler de lui depuis
cette époque.
MULLER (Léon), général répu-
blicain, eut, pendant les années
1793 et 1794» le commandement
en chef de l'armée des Pyrénées-
Occidentales. En 1799, il com-
mandait près du Rhin, et parvint,
par une savante manœuvre, à
s'emparer de la place de Stuttgard ,
vers laquelle il avait dirigé son
corps d'armée. Cette diversion
produisit l'effet qu'en attendait le
général français, en forçant l'ar-
chiduc Charles, qui se trouvait en
Suisse, à détacher une partie de
ses forces pour l'envoyer vers le
Bas-Rhin. Muller a fait les célèbres
campagnes de i8o5 et de 1806,
ot n'a point reparu depuis sur le
tableau des généraux en activité.
- MLLLER(N.),lieulenant-gént;-
ral au service de Russie, naquit en
Suisse. Il se distingua dans la guer-
re que fit cette puissance contre
les Turcs, notamment en 1788, où
il se couvrit de gloire à la prise
d'Oczakow. Chargé, au mois d'oc-
tobre 1790, d'enlever, avec un
corps détaché, le camp retranché
des Turcs à Rilia-Nova, il réussit
dans son attaque, mais il y trouva
la mort. Il fut regretté de toute
l'armée.
MULLER (Ada.m), conseiller de
régence, et consul-général d'Au-
triche , à Léipsick, en 1816, s'est
fait connaître par plusieurs écrits
politiques sur les événemens mé-
morables qui ont signalé le com-
mencement du 19°" siècle. Il a
publié à Berlin, après la seconde
invasion de la France, un ouvra-
ge du plus grand intérêt sur les
finances de l'Angleterre. Indépen-
damment de ses ouvrages politi-
ques, on a aussi de M. 5luller des
Mélanges sur la philosophie , les
arts et la pratique.
MULLER (JEis-AoAM), est
l'un de ces hommes qui se pré-
tendent inspirés (genre de fo-
lie ou d'imposture assez com-
mun en Allemagne depuis quelque
temps); il a fait, en sa prétendue
qualité de prophète, beaucoup de
bruit pendant plusieurs années,
notamment en 1807, où ses pro-
phéties avaient pour objet le réta-
blissement de la monarchie prus-
sienne. Ce visionnaire a publié son
histoire en iSib, sous ce litre:
le Prophète M aller peint par lui-
même.
MULLER (le babox), officier
suisse, oé à Aarwaoge, daus le can-
MUL a55
ton de Berne, montra une grande
opposition aux projets du gouver-
nement français , et se distingua ,
en combattant pour sa patrie, sous
les ordres du général Erlach. Ne
voulant pas se soumettre à la do-
uiination de Napoléon, le baron
Muller quitta la Suisse, mais il fut
arrêté en Allemagne, et conduit ù
Magdebourg, d'où il trouva le
moyen de s'échapper pour se reti-
rer d'abord en Suéde, et ensuite
en Angleterre. 11 retourna en Suè-
de après l'abdication de Gustave-
Adolphe, avec lequel il s'était lié
dans son premier voyage; et com-
me alors cette liaison le rendait
suspect, le comte de Lœwenhaupt,
commandant d'Helsingborg, le
fit arrêter, comme espion de Gus-
tave, dès qu'il mit le pied dans
celte ville, en i8ii. Cependant,
après une détention de six semai-
nes, il fut reconduit au-delà des
frontières. Le baron Muller con-
serva un vif ressentiment de sa dé-
tention, et lorsque, après les évé-
nemens de 1814, il put reparaître
librement sur le continent, il se
rendit à Copenhague, d'où il en-
voya, pendant l'été de 18 16, plu-
sieurs cartels au comte de Loe-
wenbaupt, qui ne crut pas devoir
y répondre, {^e baron Muller, en-
core plus irrité de ce silence, prit
le parti de s'adresser à l'envoyé
extraordinaire de Suède (le géné-
ral Tawast), à la cour de Dane-
mark. Ce dernier détermina le
comte de Lœwenhaupt i\ accepter
le combat, qui eut lieu au com-
mencement de septembre, et où
il reçut une blessure dont il mou-
rut au bout de quelques jours. Lç
baron Muller fut arrêté le 27 du
même mois^ et conduit à la cita-
254 Ml^L
délie de Friedrichshaft-n; mais il fut
ïuis on liberté peu lie temps après.
MULLER (Philppe- Jacques),
professeur de philosophie, naquit
à Strasbourg en 1752, et se livra
avec ardeur à l'étude de la philo-
sophie, delà théologie, des lan-
gues latine, grecque et hébraïque.
II cultiva aussi avec succès la phy-
sique et les niathéniatiques. Pro-
fesseur de philosophie et de théo-
logie à l'universiléde Strasbourg,
il lit en France, en Suisse et dans
quelques autres contrées de l'Eu-
rope, plusieurs voyages qui le
mirent en relation avec les hom-
mes les plus recommandables par
leursvertusetleur n)érite. Il mou-
rut, en 1795, dans sa ville natale.
JJès l'iige de 18 ans, il s'était fait
un nom dans le monde savant, en
faisant imprimer, en forme de thè-
se, une Dissertation historique et
philosophique sur la pluralité des
inondes, ouvrage qui eut beaucoup
de succès. Il publia depuis quel-
ques autres écrits dans la même
forme, dont voici les principaux
litres : 1° Observationes iniscella-
neœ circà uniones animi et corpo-
ris, 1751 ; 2° De origne et permis-
sione viali, iySi; "b" Deextantibus
recentiorum pkilosophorum conati-
bus certitudineniprincipiorum mo-
ralium vindicandis 3 1773 ; l\'' Pro-
lusio de miraculis ; observationes
in psjcologiam scholœ pythagori-
<œ, 17^7; 5° Aniniadversiones his-
toriée philosophicce de origine ser-
monis , 1777» etc.
MULLER (Charles), naquit
îi Friedberg, et a publié en alle-
mand un écrit sor l'Intérêt politi-
que de la Suisse, relaticement à la
principauté de Neuchâtet et Valan-
£in. Cet ouvrage a été traduit en
MLL
français, par J. J. de Sandoz de
Travers , conseiller - d'état prus-
sien ; Neuchâlel, 1790- Muller
mourut en i8o3.
MULOT (l'abbé François-Va-
lentin), membre de la première
commune de Paris , puis de
l'assemblée législative, ancien
commissaire du gouvernement i<
Mayence , professeur de belles-
lettres , membre de la société
des Rosati, de celle des lettres ,
sciences et arts, et du lycée, de-
puis athénée des arts de Paris,
naquit, en 1749» A Paris, où il fit
ses études ecclésiastiques. Reçu,
à l'âge de 16 ans, dans l'ordre des
chanoines réguliers de Saint-Vic-
tor , il y fut admis au sacerdoce ,
et y obtint successivement to«i-
tes les dignités jusqu'à celle de
prieur. Comme l'abbaye de Saint-
Victor avait droit de cure dans son
enclos, ra!)bé Mulot y fut nommé
en même temps curé. Il visitait,
en cette qualité, les prisons de la
Force, où un de ses paroissiens
était détenu pour dettes. C'est là,
dit-on , qu'il vit, en 1784? Bette-
d'Elieuville, qui plus tard fut com-
promis dans l'alfaire du collier
\voy. Lamothe), et qu'il s'y trouva
indirectement impliqué lui-même,
non dans le fond, mais dans un
épisode de cette scandaleuse affai-
re. Le seul tort de l'abbé Mulot fut
de s'êlre trouvé lié avec des intri-
gans. Il adopta avec chaleur, mai^
sans exagération, les nouveaux
principes politiques, et devint v
en 1789, membre de la commu-
ne provisoire de Paris, qu'il prési-
da truis fois. Son zèle sincère, sa
modération, sa douceur habituelle,
lui valurent d'être conservé dans la
municipalité définitive. Trois fois il
MUL
fit partie des dôputations que le
corps municipal envoya à l'assem-
blée constituante, et ce fut lui qui,
dans les deux dernières, fut char-
gé de porter la parole. Le double
objet de sa mission était d'obtenir,
en faveur des Juifs don)iciIiés en
France, la qualité de citoyens ac-
tifs; et de présenter un travail dont
il était l'auteur, sur les maisons
de jeu. L'honorable caractère de
l'abbé Mulot était même connu
de Louis XVI, qui nomma cet ec-
clésiastique l'un des commissaires
médiateurs dans le comtat Venais-
sin. Ses collègues étant repartis
pour Paris, afin d'y rendre comp-
te des résullats de leur mission, il
se retira à Cuurthezon (principau-
té d'Orange), pour être plus à
portée de surveiller Avignon,
Carpentras, et plus particulière-
ment Bédarrides, qui était le siège
de l'assemblée électorale de Vau-
cluse. Lesempiètemens continuels
que l'on effectuait sur le traité de
pacification, furent plusieurs fois
la matière de ses rapports. Bien-
tôt obligé de parcourir avec des
troupes plusieurs points du Com-
tat, il s'arrêta sucessivement à
Lille, à Cavaillon età Pont-de-Sor-
gues, et néanmoins ne put empê-
cher les entreprises de la faction
avignonaise qui présida aux mas-
sacres des 16 et 17 octobre. Épou-
vantédesTengeauces auxquelles se
livraient les factieux, il requit
plusieurs fois, et toujours sans
succès, mais avec la plus grande
énergie, le général commandant,
de marcherau secours d'Avignon,
et les administrateurs de la ville
de faire arrêter les assassins, et
de recevoir les troupes françaises:
les réponses du général furent é-
MtJL 255
vasives, et celles de la municipa-
lité d'une déception inconceva-
ble. Il était dit mensongèrement
dans la lettre des administrateurs:
« Nous sommes parvenus à réta-
xblir la tranquillité; il n'y a de
«nouveaux émigrans, que les au-
«teurs et complices de l'assassinat
»du patriote Lescuyer. La loi est
»en vigueur : nous avons pour té-
» moins de notre conduite , des
1) membres de l'assemblée consti-
» tuante. » L'abbé Mulot , trop
convaincu de ce qui se passait ,
fit de nouvelles instances; elles fu-
rent encore impuissantes, et les
massacres continuèrent. Il rendit
néanmoins des services aux parens
des victimes qui se réfugiaient
près de lui, en leur prodiguant
des secours et des consolations.
Dans l'impuissance d'arrêter les
désordres, il sollicita son rempla-
cement, et l'obtint. De retour
dans la capitale j il siégea à l'as-
semblée législative, où il avait été
nommé par le département de
Paris. La conduite pleine d'huma-
nité de l'abbé Mulot ne l'avait pas
mis à l'abri des dénonciations, et
ses ennemis portèrent l'audace
jusqu'à le dénoncer comme le
principal auteur des massacres.
Le 19 novembre, il fit à la barre
de l'assemblée , un rapport dé-
taillé des scènes déplorables dont
il avait été le témoin impuissant.
Sa justification fut facile, et il re-
jeta avec plus de succès sur Uovè-
re, l'un de ses accusateurs, une
grande partie du blâme dont celui-
ci s'était efforcé de le couvrir. La
carrière législative de l'abbé Mu-
lot a été peu remarquable. On le
rit renouveler, le 5 décembre,
la motion qu'il avait faite, étant
256
MLL
membre du corps municipal, con-
tre les maisons de jeu ; il annonça
le 28 février 1792 que le roi avait
cessé de faire distribuer des secours
aux pauvres de Paris; proposa le
i5 mars, par suite des troubles
d'Arles, la suspension des fonc-
tionnaires publics, tant de la ville
que du département, et de les
mander tous à lu barre; soutint, le
19, la motion tendant à accorder
la parole à la députation extraor-
dinaire d'Avignon, qui venait ren-
dre compte de la situation présen-
te de la ville. Intimidé, ainsi que
plusieurs deses collègues, lorsque
Thuriotfit son rapport sur les mas-
sacres de la Glacièjc, il n'osa point
éclairer l'opinion de l'assemblée,
ni s'opposer au décret d'amnistie
qui fut rendu le 6 avril. Incarcéré
sous le règne de la terreur, il fut
nommé, presque immédiatement
après sa mise en liberté, membre
de la commission des monumens.
Le directoire-exécutif l'envoya en
qualité de commissaire à Mayeu-
ce, où il devint ensuite professeur
de belles-lettres à l'école centrale
de la même ville. L'abbé Mulot
mourut à Paris le 9 juin i8i>4; il
s'était marié à une des époques
les plus critiques de la révolution.
On s'accorde généralement à lui
reconnaître des qualités sociales ,
et des talens comme littérateur.
Il a publié un assez grand nombre
d'ouvrages; ses principaux sont :
1° Essai de sei^mons prêches àl' Hô-
tel-Dieu de Paris, 1781, in-12;
2" Traduction àv.Daphniset Cliloé,
Mitylène (Paris), 1782, in-S";
nouvelle édition, Paris, 1793,
in-i6; 'o" Requête des xieax auteurs
de la bibliothèque de Sainl-Victor
à M. de Marbeuf, évêquçd' Autan,
MLL
en vers , Paris , in-S" Je 8 p ag. ;
4" Collection des fabulistes , avec
un discours sur tes fables, et la tra-
duction des Fables de Lockman ,
Paris, 1785, in-8° : le 1" vol. seul
de cette collection a paru; 5° le
Muséum, de Florence (gravé par
David), avec des explications
françaises, Paris, 1788 et années
suivantes , 6 vol. in-S" ; 6" Rêve
d un pauvre moine, 1 789; 7" Comp-
te rendu à l' assemblée nationale,
comme commissaire du roi à Avi-
gnon, avec supplément et corres-
pondance officielle, 1791, un vol.
in-8°; 8" Almanach des sans-cu-
lottes, Paris, 1794» in- 8", dans
lequel l'auteur annonce que cet
ouvrage est deslinéà rappeler aux
sans-culottes les véritables princi-
pes de la société ; 9" Discours sur
les funérailles et le respect dû aux
morts, ouvrage remarquable sous
le double rapport des sentimens
et du ^mérite littéraire , et que
l'auteur prononça à la cérémonie
funèbre consacrée, par le lycée
des arts, à la mémoire de Lavoi-
sier, le 2 août 1796; 10° F'ues
d'un citoyen, ancien député, sur les
sépultures , Paris, »797? iu-8":
l'auteur refondit ces deux discours
dans celui qui suit; ii" Discours
qui a partagé le prix proposé par
l'institut, sur celte question :
Quelles sont les cérémonies à faire
pour tes funérailles, et le règlement
à adopter pour le lieu des sépultures?
Paris, an 9 (1800), in-8'*; 12°
Rapport fait au lycée des arts, sur
une machine propre à faire des al-
lumettes, in-8°; l'a" Réflexions sur
l'état actuel de l'instruction publi-
que, in-8° ; lù^' Mémoire sur l'état
actuel de nos bibliothèques, an 5
('797)5 in- 8"; i5° Discours pro-
AiLN
voncc à la société littéraire des Ro-
sali de Paris, pour le couronnement
des Rosières, floréal an 5 (mai
1797); 16° Essai de poésies légè-
res, Majence, 1799» in-8°; 17*
des Notices Biographiques sur l'ab-
bé Lemonnier, Deinoustier, etc.;
18° Notices nécrologiques des volu-
mes 2 ft 5 du Nouvel Almanach des
Muses; ig" Hymnes et Discours
pour différentes l'êtes nationales,
et pour des cérémonies publiques.
MLNXH DE BELLINGIIAL-
SEN (le barox de), président ac-
tuel (182^) de la diète germanique
siégeant à Francfort, est né aux en-
virons de Mayence. Il eut, jeune
encore, le bonlieur de faire con-
naître avantageusement ses lalens
diplomatiques, et de se signaler
par le plus entier dévouement à
la maison d'Autriche. Le prince
do Metternich, chancelier d'état
et premier ministre de l'empereiu'
François, honorant le baron de
Munch d'une affection toiite par-
ticulière , lui a fait confier le poste
éminent qu'il occupe aujourd'hui,
et dans lequel il remplace le
comte Buol de Schauenstein , mis
en retraite. Après avoir accom-
pagné son prolecteur au dernier
congrès de Vérone, et avoir en-
suite reçu les instructions les plus
étendues à Vienne, M. de Munch
fui nommé ministre d'Autriche
auprès de la diète de la confédé-
ration, en 1820, et se hâta d'aller
prendre possession de la prési-
dence attachée à cette place. Initié
dans tous les projets éventuels du
cabinet de Vietine sur l'Allemagne,
tomme dans les vues particulières
du ministre qui, depuis les der-
niers congrès cl les conférences
de Czerno'wilz et de Lemberg,
T. XIV.
M UN 2"-
a acquis le surnom glorie4ix dg
prince de la diplomatie européenne,
le jeune président de la diète de
Francfort montra un zèle extrême
à justifier la confiance que le prince
de Melternich avait mise en lui.
Loin de suivre l'exemple de quel-i
ques fonctionnaires publics, aussi
rares- àla vérité, que mal inspirés,
qui cherchent une vaine faveur
populaire, M. de Munch la dé-
daigne, et sait braver courageu-
sement les murmures toujours sé-
ditieux de la multitude, comme
les plaintes inconvenantes des par-
ticuliers. Il a obtenu le renvoi de
la diète de Francfort du ministre
de Wurtemberg, M. de Wan-
genheim , dont l'ancienne répu-
tation de patriotisme, les talens
oratoires et l'inflexible caractère
rendaient parfois ro}>position im-
portune. II a depuis pin'ssamment
contribué à faire repousser par
un décret d'incompétence, et ù
faire rejeter définitivement, en
décembre 1820 et janvier 1824,
toutes les demandes si souvent
renouvelées des acquéreurs de do-
maines dans le ci-devant royaume
de \N'estphalie. Depuis sept ans et
plus, ces familles ruinées fati-
guaient la haule-diète de leurs
plaintes et sollicitations; elles es-
péraient, par l'intervention bien-
veillante de cette assemblée, ren-
trer dans les propriétés qu'elles
avaient acquises d'un gouverne-
ment d'abord reconnu par les prin-
cipales puissances de l'Europe,
mais renversé depuis. Cet espoir,
quelque vivement sollicité qu'il
fût, a été déçu complètement.
M. de Munch de Bellinghausen u
même fait admonester, pardécret,
le fondé de pouvoir de ces famil-
258
MIJ?Î
les , M. le docteur Schreiber, et
lui a fait enjoindre d'employer à
l'avenir, s'il avait quelque pétition
à adresser à la haute-diète, un
style plus humble et plus conve-
nable-. Eu efiVit, un plébéien qui
parle aux représentans des prin-
ces, des rois et des empereurs,
ne doit jamais , ainsi qu'on le lui
a intimé , perdre de vue son infé-
riorité; la justice même qui éma-
nerait de si haut doit toujours être
considérée et sollicitée comme une
grâce. Une autre classe de péti-
tionnaires qui réclamaient des ar-
riérés de pniemens pour valeurs
fournies, des pensions pour d'an-
ciens services, le remboursement
des cautionnemens en argent,
qu'ils avaient déposés pour des
emploisdont une autorité nouvelle
lésa dépouillés, ont également été
déboutés de leurs demandes (jan-
vier 1824)» P''*'' "" décret d'in-
compétence proposé par le pré-
sident de la diète. Pour simplifier
la marche des affaires et écarter
toutes les demandes importunes,
M. de Munch a habilement saisi
cette occasion, et a fait décréter
que toutes les pétitions qu'on a-
dresserait dorénavant à la haute-
diète , seraient au préalable sou-
mises à uae Judicieuse censure, qui
décidera si la lecture en pourra
être permise. Les principes adop-
tés par les hautes-puissances aux
congrès de Laybach , Carlsbad
et Vérone , ont trouvé le plus
éloquent défenseur en la personne
du jeune président de la diète;
aussi le conseil amphyctionique
de l'Allemagne otfre-l-il aujour-
d'hui, sous sa direction, un spec-
tacle aussi nouveau qu'imposarît,
celui d'une grande assemblée dé-
libérant sans opposition quel-
conque, où l'orateur propose, où
les membres adoptent, et où tout
se décrète à l'unanimité. M. le
baron Munch de Bellinghausen a
sans doute le droit de réclamer
personnellement une grande part
à la haute estime et à l'affection
générale que cette illustre assem-
blée s'est acquise, comme chacun
sait, dans l'Allemagne entière.
MUNGO-PARK, célèbre voya-
geur anglais, était né avec un es-
prit entrepenant, et totites les qua-
lités propres aux grandes décou-
vertes; une fin prématurée vint
malheureusement anéantir les es-
pérances que ses premiers essais
faisaient concevoir. Il avait formé
le projet de traverser l'Afrique ,
du nord au cap de Bonne-Espé-
rance, et l'entreprit en 1790; mais
assailli par des maux, des dangers
et des fatigues de toute espèce, il
fut obligé d'y renoncer, et manqua
plusieurs fois de perdre la vie.
Quoiqu'il n'eût qu'imparfaitement
atteint le but de son voyage, les
notions qu'il en rapporta, et qu'il
consigna dans une relation publiée
•à Londres, en 1798, relatives au
cours du Niger , sur lequel il
n'existait que des conjectures op-
posées les unes aux autres, satis-
firent les géographes. Jusqu'alors
on avait prétendu que le Niger
coulait à l'ouest, et se perdait,
soit dans quelques grands lacs,
soit dans la mer. Mungo-Park
soutient, au contraire, que le cours
de ce fleuve se dirige à l'est jus-
qu'à la ville de Tombuctoo, men-
tionnée dans toutes les relations
modernes. Depuis il varia un peu
dans cette opinion , ayant cru re-
connaître que ie Niger tournait au
MtJN
sud, ?e joignait ensuite au Zaïre,
et se jetait avec lui dans l'Atlan-
tique. JI se promettait de nouvel-
les investigations qui auraient é-
clairci tous les doutes à cet égard,
mais la mort ne lui a- pas permis
d'exécuter ce qu'on pouvait at-
tendre de son zèle et de sa sagaci-
té ; son ardeur pour les excur-
sions lointaines triompha encore
de la crainte des dangers auxquels
elles l'exposaient; il repartit pour
l'Afrique en i8o5, et arriva vers
la fin de mars à Gorée, d'où il ga-
gna les hauteurs de Gambie. Il s'en-
fonça alors dans l'intérieur du
pays, avec assez deprécaution pour
qu'on eût pendant un certain temps
la faculté de communiquef avec lui.
Tout-à-coup on cessa de recevoir
de ses nouvelles, et l'on craignit
qu'il n'eût succombé dans sa pé-
rilleuse entreprise. DifFérens dé-
tails, parvenus depuis en Europe,
quoiqu'ils s'accordent assez mal
entre eux, ont achevé de confir-
mer cette opinion. Sur le récit
de quelques nègres, on avait cru
d'abord que Mungo-Park et ceux
de ses compagnons qui avaient sur-
vécu aux fatigues et aux souflran-
ces du voyage, avaient péri sous
les coups d'une peuplade noire, qui
leursoupconnait des projets hosti-
les; mais il a été fourni, en 1817,
à un agent anglais auprès du roi
des Ashantees, des détails certains,
qui ne permettent pas de douter
que ce hardi voyageur ne se soit
noyé .au passage é'une rivière. La
mémoire d'un homme qui, par son
audace, ses connaissances et son
activité, pouvait fournir d'utiles
notions sur la moins connue des
quatre parties du monde , doit
luisier des regrets chez tous ceux
MUN
339
qui s'intéressent au progrès des
sciences. La relation du premier
voyage de Mungo-Park a été tra-
duite en français.
MLNNIKS (Wikold), médeciu
hoUandais, naquit le 4 décembre
1744 à Joure en Frise, el, à l'âge
de 14 an^, fut envoyé par sa famil-
le en France pour en apprendre
la langue. Destiné à la profession
de médecin, il reçut les premières
instructioits en botanique et en
chimie chez un des pharmaciens
les plus distingués d'Amsterdam.
Elève ensuite de l'académie de
Groningue, il s'y lia d'amitié avec
plusieurs hommes distingués, en-
tre autres Camper, qui lui donna
constamment des marques de la
plus vive affection. Il suivit plu^
tard les cours de l'université de
Leyde, et vint achever ses études
médicales à Paris, aux leçons dos
Louis, Nollet, Sabatier et Portai.
En retournant dans sa patrie, il
visita Rouen, où il fut accueilli par
Lecat, comme il le fut à Lyon par
Pouteau et Flamand. De retour à
Leyde, il y soutint une thèse bril-
lante Sur la maladie vénérienne et
sur ses principaux remèdes ^ spé-
cialement ceux de Fan Swieten et
de Plauck. Ce fut sa thèse de ré-
ception pour le grade de docteur
(1769). La Hollande était affligée
d'une épizootie. Munniks et Van
Dœveren s'associèrent pour l'ino-
culation de ce mal funeste, qui
avait mérité la vive sollicitude de
Camper. Munniks se voua tout
entier au traitement de la maladie,
et ses soins furent couronnés du
succès le plus flatteur. Ce patri-
cien, dont la réputation augmen-
tait de jour en jour, succéda, eu
1771, à Camper, son prolecteur
^Oo
WLN
et sou ami, dans la partie anato-
inique et médicale de ses fonc-
tions à l'université de Groiiingue.
Ce fut le 19 juin de cette année
qu'il entra en exercice en pronon-
çant un discours latin , sur les
Jouissances attachées à t'anatomie,
et en taisant sa leçon inaugurale
sur les étroits Rapports qui exis-
tent entre la mécanique et l'art de
guérir. En 1773, iVlunniks oc-
cupa exclusivement la chaire de
Camper, qui la lui avait résignée.
Les nombreux travaux auxqu-els
le nouveau professeur se livra, al-
térèrent sa santé. Camper, qui
avait pour lui l'affection d'un pè-
re, lui conseilla un voyage dans
le midi de la France, qui eut tout
l'eflet qu'il en avait espéré. En-
tièrement rétabli, JVlunniks re-
prit l'exercice de ses fonctions, se
maria et saisit avec joie, en 1784?
l'occasion d'un concours ouvert
par l'académie d'Amiens sur les
causes des hernies et les moyens de
les prévenir, pour disputer «ne
palme à laquelle il attachait le plus
grand prix, et qui lui fut unani-
mement décernée. Il triompha é-
galement au concours ouvert par
la société roj^ale de médecine de
Paris, dont il était correspondant
depuis 1780, sur cette question :
Quels sont en France les abus à
réformer dans l'éducation physi-
que, etc. Il avait obtenu , d'un
grand nombre d'académies ou so-
ciétés savantes nationales ou é-
trangères, l'honneur d'être inscrit
sur leur tableau, et il vivait heu-
reux et paisible, lorsqu'en 1796,
les événemens politiques de la
Hollande vinrent le frapper sans
y avoir donné lieu, du moins vo-
loutairemeut. II supporta avec
fermeté la perte de plusieurs de
ses attributions , et quelques au-
tres actes d'tme injuste sévérité.
Il mourut d'une attaque de para-
lysie, le 8 septembre 1806, re-
gretté généralement. Son fds, J.
ftlunniks, médecin, a publié,
Groniiigue, 1812, in-8', une iVa-
tice historique sur la vie et les tra-
vaux de Winold Munnicks, et l'u
ornée du portrait de ce savant.
MLiNOZ( AsTOMo), naquit, en
1745, ;\ Museros, village près de
Valence, et fit ses études en l'u-
niversité de cette ville. Ses pro-
grès dans tous les objets d'ensei-
gnement, et surtout dansles belles-
lettres, la philosophie et la théo-
logie, ftirent des plus remarqua-
bles. L'idole péripatéticienne de-
puis long -temps renversée en
France recevait encore, à cette
époque, le culte des Espagnols.
Munoz osa la remplacer par des
méthodes aussi sûres que sainei*.
qu'il emprunta, il est vrai, à la
France , mais dont le premier il fil
jouir sa patrie. Dès l'âge de 22 ans.
il déploya une grande érudition
dans les préfaces delà rhétorique
du P. Luis de Granada , et de la lo-
gique de Vernei. Le gouvernement
l'appela bientôt û la place de ços-
mographe majeur des Indes, em-
ploi qu'il remplit avec un rare ta-
lent, et qu'il étendit à toutes les
connaissances qui s'y rattachaient;
mais il n'eut pas le temps d'y met-
tre la dernière main. Le ministre
Galvez le chargea de la commis-
sion d'écrire VHistoire d'Améri-
que. Munoz se livra à cette entre-
prise avec toute l'ardeur de son
caractère, et consacra cinq années
à puiser dans les archives de Si-
oiaucas, de Séville, de Cadix, de
MUN
Lisbonne, etc., les matériaux né-
cessaires à son exécution ; maté-
riaux d'autant plus précieux, que
les sources en avaieut été incon-
nues jusque-là. personne n'ayant
eu avant lui la permission de les
explorer. Le travail le plus soute-
nu pendant cet espace de temps,
lui procura i5o volumes de pièces
inconnues, de lettres originales de
Chr. Colomb, Pizzare, Ximenés,
des ouvrages précieux sur l'Améri-
que, et son Histoire naturelle et po-
litique, etc. , etc. , tels lurent les lon-
demens sur lesquels il commença
son vaste édiGce , qu'il n'eut pas
la gloil^e d'achever. Le premier
volume seul a paru; les deux pre-
miers livres du deuxième volume
sont complets, et le troisième est
presque achevé; il y travaillait en-
core la veille de sa mort. Ce sa-
vant distingué lut enlevé aux let-
tres et à ses noudireux admira-
teurs, le 19 juillet i79<J. Il a laissé
les ouvrages suivans : 1" rfe Recto
philosophiœ récent is in theologiâ
usa (lissertatiOf .Valence, ijtij; 2'
Ue scriptoruni gentilium lectione,
et profavarum disciplinarum stu-
diis ail christianœ pietatis normam
exigendis. Valence, 1768; 5° Ins-
titutiones philosopliicœ , Valence ,
i^WJ; 4' Traité sur la philosophie
d' Aristote , et Jugement sur ses
sectateurs. Valence, 1768.
MUNSTER (le comte de\ mi-
nislre-d'état du cabinet britanni-
que, chancelier de l'ordre des
Guelphes, est né dans le Hanovre,
où il fut employé, en i8o5, par le
roi d'Anglelerre, pour y exercer
les fonctions de ministre-d'état.
Après avoir protesté contre l'oc-
cupation de ce pays par les trou-
pe» prussieQDuâ, il retourna à
M UN
a6i
Londres dans le courant de février
180G. En 181 4, le comte de Muns-
ter assista au congrès de Vienne,
en qualité de ministre plénipoten-
tiaire du Hanovre. Il était chargé
de remettre au gouvernement ai -
trichien une note du prince-régent
d'Angleterre, dans laquelle S. A.R.
annonçait qu'il avait érigé en
royaume l'électorat de Hanovre.
Cette mission fut remplie le 3 no-
vembre de la même année. En
181 5, il signa la déclaration des
souverains réunis au congrès à
l'occasion du débarquement de
Napoléon eu France. Au mois de
novembre «uivant, il reçut, à titre
de récompense de ses services ,
un riche domaine situé dans le
pays d'Hildesheim. Le comte de
Munster fut chargé, en 1817, de
représenter le Hanovre à la cour
de Londres, où il acquit bientôt
la plus haute iuûuence. Les peu-
ples de l'Allemagne ne le dési-
gnent plus que sous le titre i:np«—
saut de Munster, roi d'Hauovre.
Il a aussi dirigé en chef le gouver-
nement du duché de Brunswick,
au nom du roi d'Angleterre, tuteur
du jeune duc; mais le prince, par-
venu à sa ujajorité en iSaS, a re-
mercié le ministre anglais de ses
soîjis, et pris en main les rênes
de l'état. Le comte de Munster a
épousé une princesse de la mai-
son de Lippe-Buckebourg.
MLNTER (FnÉDÉi.ic), littéra-
teur danois, est né en 1761; il fut
élevé dans l'état ecclésiastique par
son père,BaIthazar Munter, célè-
bre prédicateur et théologien , et
devint évêque de Copenhague.
De fréquens voyages scientifiques,
pendant lesquels il explora .les
plus riches bibliothèques de l'ita-
2ff2 M UN
lie, lui fournirent en abondance
des matériaux précieux, qu'il sut
employer avec autant de gofit que
de discernement. Il se livra à des
recherches aussi laborieuses que
savantes sur la littérature des an-
ciens Cophtes, et prit rixn<^ parmi
les plus célèbres antiquaires de
son époque, par ses travaux sur
les ruines de Persépolis, et leurs
nombreuses inscriptions. La bi-
Idiothèque royale de Paris fut
aussi l'objet de ses investigations;
et au retour d'un voyage qu'il fit
en France, en 1790, il publia une
Histoire de la procédure instruite
contre les Templiers^ écrite en al-
lemand , et rédigée d'après les
pièces authentiques du procès,
Berlin, 1794. M. Monter est au-
teur d'un grand nombre d'ouvra-
ges, parmi lesquels on remarque :
1° une traduction de V Apocalypse
en vers métriques allemands, Co-
penhague, 1784; 1° Spécimen ver-
sionum Danielis copticarum, novum.
ejus caput memphjticè et saliidicè
exhibens , IVome , 1786, in-4°;
7i^ Voyage dans les Deux-Siciles en
1785 et 1786, 2 volumes in-4° :
cette relation a eu deux éditions,
dont l'une en danois et l'autre en
allemand ; c\''De JEtate versionum
copticarum, 1 790; 5° Magasin pour
l'histoire et le droit ecclésiastiques
fluNord, Altona,i792-i796,2 vol.
in -8°; 6° Manuel de l'histoire an-
cienne des dogmes chrétiens^ 1802-
1 804, 2 vol. in-8", en danois et en
allemand; 7° 0dm gnosticœ Salo-
moni tributœ , tliebaicè et latine ,
Copenhague, 1812, in-4°. Ce sa-
vant prélat a encore publié un
traité fort intéressant sur la reli-
gion des anciens Scandinaves,
avant Odin, cl une espèce de dis-
MUN
sertation Sur les tombeaux de la
famille de David dans la monta-
gne de Sion. Ce dernier ouvrage,
qui est une critique lumineuse
d'un voyage eritrepris , dit- on ,
par Benjamin de Tudela, entre
1160 et 1173, était destiné par
l'auteur à servir de suite à la dis-
sertation de Michaëlis , sur les
montagnes de Sion et de Moriah,
publiée en 1795. Monter est frère
de M"" Brunn , dont la muse gra-
cieuse et spirituelle est connue de
tous les amateurs de la poésie al-
lemande.
MIJNTINGHE (Hebman), pro-
fesseur de théologie en l'univer-
sité de Groningue, chevalier de
l'ordre du lion-belgique, membre
de l'institut royalties Pays-Bas et
de plusieurs autres académies na-
tionales et étrangères, est né en
1702, dans les environs de Gro-
ningue, d'une famille honorable.
Il termina ses études à l'universi-
té de cette ville, et s'y distingua
dans la théologie et dans les lan-
gues orientales, où il eut pour
maître le célèbre orientaliste,
Schronder; c'est même sous les
auspices de ce savant qu'il soutint,
en 1775, sa thèse inaugurale, sous
le titre de : Dissertatio philologicO'
critica adqacedam veteristestamenti
loca. Elle lui valut le doctorat; et
après avoir exercé la prédication
dans plusieurs villes secondaires,
il fut pourvu, en 1780, delà chai-
re de théologie et d'histoire ecclé-
siastique à l'université d'Harder-
wyk, qu'il occupa un peu moins
de vingt ans. Il en prit possession
par un discours intitulé : De sa-
pientiâ et lenitate divinâ in anti-
quissimâ religionis patefactione
conspicuâ, Harderwyk, 1781, in-
4°. Sa modestie lui fit refuser, cq
1 795, la chaire de langues orien-
tales de l'Hniversilé de Leyde.
Trois ans après il devint profes-
seur de théologie en ^univer^ité
de Grnningue, qu'il occupe en-
core aujourd'hui (1824). Le dis-
cours par lequel il s'annonça dans
son dernier professorat parut à
Groningue en 1799, in-4", sous le
litre de Oratio exhibens aliquot il-
(us triera quœ ecclesiœ historia sup-
peditat, damnorum retigioni chrls-
liance ab amicis ac fautoribus illa-
torum specimina. Le mérite prin-
cipal de M. Muntinghe est d'avoir
î^u, dès le commencement de ses
exercices, «dégager, disent les au-
teurs d'un ouvrage étranger, l'en-
seignement de la science théolu-
gique, de tout ce qu'elle avait en-
core conservé de scholaslique, et
de la ramener à sa pureté et à sa
simplicité originelles. Il ne s'est
pa< borné seulement à communi-
quer son nouveau système aux
jeunes gens qui fréquentaient ses
cours, mais il a voulu en faire
jouir le public, et il l'a publié
sous le titre de Pars iheotogiœ
christianœ tlieoretica, in compen-
dium. redacla, 1801. » Cet excel-
lent ouvrage, corrigé et augmen-
té, parut de nouveau, en i8ao, à
Groningue, en 2 vol. in-S". Les
autres productions de M. Mun-
tinghe sont : 1' nouvelle tra-
«luction en hollandais des Psau-
mes ^ avec des remarques , Leyde,
1792 ; u°autre traduction en hol-
landais des Proverbes de Salomon,
Leyde, 1796, iu-8°;5° traduction
hollandaise du Livre de Job ^ avec
des remarques : cette traduction,
que H. A. Schulieus avait com-
uiencée , l'ut itrmioée, après sa
M UN
26^
mort, par M. ÎMiintinghe, à partir
du chapitre XXIX; elle parut à
Amsterdam, 1796, in-8"; 4°deux
Mémoires sur l'influence de la re-
ligion sur le bonheur du peuple y
1795; 5" Histoire de l'homme d'à-
prés ta Bible, Amsterdam, 1801-
1819, 11 vol. iu-8°. VHistoirede
/'/«omme, etc., est l'ouvrage le plus
remarquable et le plus étendu de
M. Muntiughc, et celui où il a fait
preuve de plus de connaissances
profondes; elle est d'ailleurs écri-
te avec beaucoup de soin. 6° Un
recueil de Sermons; 7" enfin une
nouvelle édition corrigée de sa
traduction des Psaumes.
MLNTZ-BERGER (Joseph),
compositeur de musique , pre-
mier violoncelliste du théâtre de
rOpéra-Comique, attaché à l'an-
cienne chapelle impériale des Tui-
leries, est né en 1769, à Bruxel-
les, d'une famille originaire d'Al-
lemagne. Le père de M. Muntz-
Berger, musicien de la cour du
prince Charles, gouverneur des
Pays-Bas, lui donna des leçons
dès sa plus tendre jeunesse, et le
mit en état d'exécuter dès l'âge
de six ans un concerto de basse
sur un alto. Le prince fut enchan-
té de la précocité du jeune artiste,
et lui tit donner pour maître de
violon Vaumalder, élève distin-
gué de Tarlini. Vanmalder étant
mort, M. Munlz- Berger rentra
sous la direction paternelle, et
apprit de son père à jouer avec
succès de plusieurs instrumens,
et plus particulièrement du vio-
loncelle. 11 vint à Paris à l'âge de
quatorze ans, et y perfectionna
son talent. On le vit s'efforcer de
donner au violoncelle la douceur
de ht voix humaine. &1. Muntr^
i64
MUR
lierger s'est fait remarquer dans
différens concerts , notamment
dans ceux de la rue de Cléry, où
il exécuta avec beaucoup de suc-
cès des concerto de ?a composi-
tion. Le Dictionnaire hislorique des
musiciens, aiMCi avoir dit «que l'on
«reconnaît dans les compositions
»de M. Muutz-Berger le guftt é-
»puré et les principes des meil-
» leurs maîlresdes écoles alleraan-
"de et italienne, dont il a été
»npurri dans sa jeunesse, ainsi
«que leur excellente musique d'é-
»glisc,i) donne la liste suivante de
ses ouvrages. Deux œuvres de
grandes sonates pour le violon-
celle; quatre œuvres de grands
duos; quatre œuvres de petits
duos; deux œuvres de petites so-
nates; quatre concertos de violon-
celle; deux œuvres de nocturnes;
iii;e synjphonie concertante pour
violon et basse; une méthode tle
basse; deux œuvres de petites so-
nates, faisant suite à la méthode;
deux œuvres de caprices; deux
autres de caprices, dans lesquels
il se trouve à la fin des points
d'orgue dans les tons n>ajeurs et
mineurs; deux œuvres de trios de
violoncelle obligé avec accompa-
gnement de violon et basse; seize
romances, paroles de madame
Quinette, née iVIarguerittcs; qua-
tre airs variés pour piano et vio-
loncelle ou violon; trois airs va-
riés pour violon et basse; six thè-
mes des symphonies d'iïaydn ,
variés en quatuors; deux pols-
pouris; huit recueils d'airs variés
pour divers instrumens; plusieurs
ouvrages arrangé.'? pour la basse;
la gavotte de Grétry et une autre
'variée pour violoncelle.
MURAIRE (r.E comle HokobÉ),
MUR
né à Draguignan , le 5 novembre
1730, exerçait, avant la révolu-
tion , la profession d'avocat , et y
avait acquis un nom distingué. Il
se montra favorable à la cause de
la liberté, et en suivit les princi-
pes avec sagesse et modération.
Lors de l'établissement des pre-
mières autorités judiciaires en
1791,11 devint président du tri-
bunal du district de Draguignan,
et fut élu dans la même année,
par le département du Var, dépu-
té à l'assemblée législative, où il
siégea sur les bancs des défen-
seurs de la constitution; mais il
montra dans toutes les circonstan-.
ces un esprit de conciliation et
d'impartialité , apprécié par ses
adversaires mêmes, qui cédèrent
souvent à son influence. Attaché
au comité do législation, il en fut
un des membres les plus actifs, et
fut presque exclusivement char-
gé des r<q>ports de ce comité à
l'assemblée, sur les questions les
plus importantes de droit civil.
Il proposa^ le 16 février 1792, au
noni du comité, de transférer aux
municipalités le droit de consta-
ter l'élat-civil des citoyens, que les
curés avaient exercé jus(}u'aiors. Il
joignit à son rapport des réflexions
importantes sur les lois qui y sont
relatives, et soutint particulière-
ment qu'il n'appartenait qu'à la
législalion civile de déterminer les
cas d'empêchemens aux mariages
entre les membres d'une même
famille, et que la législation fran-
çaise devait abolir à jamais l'usa-
ge de demander des dispenses à
la cour de Rome. Le 28 juin, il re-
vint sur le même objet, et insista
pour que le mariage fût aifranchi
de lajru'idiclioa ecclésiastique. En
MUR
ii>êine temps, il fit décréter que les
jeunes gens, âgés de 21 ans. pour-
raient se marier sans le consenle-
ment de leur- parens; le 5o juin,
ii fit adopter le principe de la
loi du divorce; et sans dissimu-
ler les graves inconvéniens que
pouvait avoir celte loi, il démon-
tra qu'avec certaines restriclions,
elle pouvait produire les plus
grands avantages : aussi Je princi-
pe en fut-il adopté pour le moment.
Le i5 juillet, au nqm du comité
de législation, il proposa la levée
de la suspension de Pétion, maire
de Paris, et de Manuel, procureur
de la ('ommune, prononcée par
l'admirustralion départe^neiitalc ,
et approuvée par le roi, contre
ces deux magistrats, accusés d'a-
voir provoque et secondé les siio'.i-
vemens du 20 juin précédent. Une
commission spéciale, dont il était
membre, ayant été nommée pour
examiner la conduite de M. de La
Fayette, qui avait demandé que
les auteurs des attentats commis
dans «elle journée tussent sévè-
rement punis, M. Muraire, or-
gane de cette commission, vint
déclarer en son nom, qu'elle n'a-
vait rien trouvé qui fût contrai-
re aux lois , dans la conduite
qu'avait tenue le corjimandant de
la garde nationale. Ce ne fut (jue
le 3o août de la luèmp année qu'il
fit décider, au nom du comité de
législation, la question du divor-
ce, dont le principe avait été
adopte le 5o juin précédent. A-
près une discussion approfondie
et lnmineu<ie. le divorce devint
une loi de l'état. M. Muraire ne
fut point réélu à la convention;
il eut le bonheur d'échapper à
la j)rosciiption pondant le ré^i-
MLR
2f;3
me de la (erreur, et ne reparut
sur la scène politique qu'en sep-
tembre 1795, époque où il fut
nommé , par le département de
la Seine, membre du conseil de-*
anciens. Il y porta les principes
d'ordre et de justice qui l'avaient
guidé jusque-là; mais les excès dont
îl venait d'être témoin l'aviiieiit
rendu contraire à l'esprit et aux
institutions de l'anarchie; il se lia
avec la faction de Clicby contre
l'autorité directoriale, et vota en
faveur de toutes les propositions
qui tendaient à la détruire. Com-
pris dans les listes de déportation
des 18 et ig fructidor an 5 (4 t^t
5 septembre 1797), il se déroi).i
par la fui te à l'exécution des ordre-*
du directoire; mais plus tard il se
rendit a Tile d'Oleron , assi-
gnée pour retraite aux proscrits.
Le gouvernement consulaire le
rappela en 1800, et le nomma son
commissaire près le tribunal d'ap-
pel. Devenu membre du tribunal
de cassation, il félicita le 4 nivôse,
au nom de ce tribunal, le pre-
mier consul davoir échappé à l'ex-
plosion de la machine infernale. Il
devint président du tribunal dont
il était membre, et le 5 mai i8o5,
conseiller-d'élat. L'année suivan-
te, il reçut le titre de comte, et la
décoration d'olficier de la légion-
d'honneur. Les événemens de la
fin de mars 1814 le trouvèrent à lii
tête de la cour de cassation ; et le
20 avril suivant , accompagné des
membres de ce corps, il fut admis
à présenter ^es félicitations i Mon-
sieur, lieutenant-généraldu royau-
me; au mois de février 181 5, il
fut remplacé par M. Desèze. Le
retour de Napoléon, le 20 mars
suivant, rendit M. Muraire à ses
ûCi;
MLR
hautes (onctions, et, dès le 2 5, il
parut devant ce prince, avec la
tour dont il était le premier pré-
sident, et lui adressa une délibé-
ration remplie, comme celle du
conseil-d'état {voy. Defermont) ,
des éternels principes de droit pu-
blic, délibération qui fut signée de
la presque totalité des membres.
Aprt s le second rc-toiir <les Bour-
bons , M. le comte Muraire a été
rendu à la vie privée; il y jouit
au sein de sa fanjille de l'estime
générale, qu'il a si bien méritée par
!«es longs et honorables travaux.
MLlVAT(.IoAcniM), ex-roi de Na-
plcs, naquit le 25 mars 1767, à la
lîaslide Fronloniére, arrondisse-
ment de Gourdon, département
du Lot. Fils d'un aubergiste, il de-
\int grand-amiral de France, duc
de Berg et roi de Naplt's. L'histoi-
re a conservé le nom de plusieurs
hommes qui, d'une condition
obscure, sont parvenus au pou-
voir suprême : A gathocle eut pour
père un potier; T allias- H ostUius,
qui fut roi de Rome, avait gardé
les troupeaux; Titrijuinas-Priscus
naquit, dans l'exil, d'un mar-
chand banni de Corinlhe ; une
esclave donna le jour à Servias-
Tallius. Tous ces monarques, de
race plébéienne, s'élevèrent au
pouvoir suprême par des quali-
tés vraiment royales, mais le mé-
rite de Joachiin Murât fut pure-
ment militaire, et ne lui permet-
tait d'aspirer qu'aux premiers
honneurs de l'armée, et un trône
lui fut donné tomme l'apanage
d'un grand homme de guerre,
doté par un conquérant, dont il
avait épousé la sœur. Dès son en-
liince, Mural se fit remarquer par
nu air vif et décidé, par des in-
MLR
clinations martiales et par une au-
dace singulière dans l'exercice de
l'équitation. Protégé par una an-
cienne famille du Périgord , il
obtint une bourse au collège de
Cahors, et il alla achever ses étu-
des à Toulouse. Destiné k la prê-
trise, il porta le petit collet, et
fut, pendadit quelque temps, con-
nu dans son pays sous le nom de
Vabbé Murât. Une étourderie de
jeunesse lui fit quitter le manteau
court pour l'uniforme. Après a-
voir dissipé dans les plaisirs et
perdu au jeu le peu d'argent dont
il pouvait disposer, il s'engagea
dans le 12"" régiment de chas-
seurs qui passait à Toulouse. Il
y devitit bientôt maréchul-des-
ïogis. Mais ayant pris part à un
acte d'insubordination, il fut ren-
voyé de ce régiment. Retiré dans
sa famille, il y menait avec im-
patience une vie inaclive; il è-
tait tourmenté par une ambition
vague, qui, pour nous servir des
expressions d'un de ses compa-
triotes, le portait sans cesse à
élever ses regards vers les étoiles.
Lorsque la garde couslitulionne-
le de Louis XVI fut formée, cha-
que département dut y envoyer
un certain nombre de fils de ci-
toyens actifs; Murât, qui se mit
sur les rangs, fut repoussé et ne
dut qu'à la protection de J. B.
Cavaignac, membre du directoi-
re du département du Lot, d'être
choisi par ce département et en-
voyé à Paris avec le jeune Bes-
sières, devenu dans la suite ma-
réchal de l'empire et (Un; d'Istrie.
Joachim Murât, admis dans la
garde du roi, n'y dissimulait pas
ses opinions politiques, ce qui lui
attira plusieurs querelles. On a
C.'ji.
irr^fit.
J 1t
M LU
dit qu'un ancien dôpulé, parli?.in
du pou-voir absolu, lui avait fait
des propositions tendonl à ren-
verser la constitution de 1791, et
que Mural en avait inlormé le
directoire de sou département, ce
«jui avait décidé rassemblée lé-
gislative à ordonner le licencie-
ment de la garde constitutionnel-
le du roi. Ce fait paraît au moins
douteux : Murât était sorti de cet-
te garde avant son licenciement.
Peu de temps après, il entra dans
un régiment de chasseurs avec le
grade de sous-lieutenant. C'était
la première époque des épura-
tions. La conduite des hommes,
dont les emplois étaient convoi-
tés, était soumise à un examen
sévère. Mural présida un de ces
comités é pur ato'wes , f isa pren-
dre, en changeant la seconde let-
tre de son nom, celui d'un hom-
me qui jouissait alors d'un affreux
crédit sur la populace : il conti-
nua pendant plusieurs mois de le
porter; mais,dénonoépour ce fait,
après le 9 thermidor an 2, il al-
lait être destitué lorsque celui
qui lavait protégé près du direc-
toire de son département, deve-
nu député ù la convention nationa-
le, parvint à faire rayer la dénon-
ciation des registres du comité de
salut-public. Sou avancement fut
rapide, mais il eut beaucoup de
peine à se faire reconnaître, par
le directoire-exécutif, dans le gra-
de de chef de brigade que lui
avaient conféré les représenfans
du peuple en mission aux ar-
mées. Le général Bonaparte ,
nommé commandant en chef de
l'armée d'Italie, prit Murât pour
un de ses aides-de-camp ; dès-
lors la fortune militaire de Mu-
MIR
*r>T
rat fut décidée. Il inèiila et ob-
tint toutes les récompenses dues
au courage. Dans cette armée ,
alors si brillante de jeunesse ,
d'audace et de patriotisme, il é-
lait difficile de se faire remar-
quer, et cependant il y parvint
par un mélange de valeur et de
galanterie chevaleresque qui dans
tout autre que lui aurait paru une
singularité. Il avait fait graver
sur la lame de son sabre : l'hon-
neur et les dames. Grand , bien
fait, très-bel homme de guerre,
une certaine fanfaronnade gas-
conne ne déplaisait pas dans un
militaire d'une bravoure bien re-
connue, qu'il savait d'ailleurs se
faire pardonner par des maniè-
res aimables , et par une po-
litesse obligeante, quoique déjà
un peu protectrice. Chargé, au
mois de floréal an 4 ('^lâ' iTO^)*
d'apporter au directoire-exécutif
21 drapeaux enlevés à l'ennemi,
il fut accueilli de la manière la
plus distinguée, et retourna à
l'armée avec le grade de général
de brigade. Bientôt il eut de fré-
quentes occasions de se signaler,
et n'en laissa échapper aucune.
Le 18 fructidor, à la bataille dr.
Roveredo, il poursuivit vivemenf
l'ennemi, et, suivi dun détache-
ment de chasseurs du 10"" régi-
ment dont chaque cavalier por-*
tait en croupe un fantassin , il
passa l'Adige à gué. Le 22 du
même mois, il commandait uu
corps de cavalerie à Bassano ; it
reçut une blessure le 27, au com-
bat de Saint-George , et il eut
beaucoup de part aux avantages
remportés à la Corona. Le géné-
ral en chef lui confia plusieurs-
missions près la cour de Turin,
2G8
r.uu
et les autoiilijs de, la r(:p!ii)Iiqiic
de Gcrics. De retour à rarinée, il
contribiia, par sa valeur, aux
brillantes victoires de llivoli, dt;
la Favorite, et exécuta le passage
du Tagliaitiento, h la tête de sa
cavalerie, sous un feu des plus
meurtriers. Mnrat suivit le gé-
néral Bonaparte dans son ex-
pédition d'Egypte. Arrivé de-
vant Malte, le comniandant en
chef chargea le général Murât
d'adre.'-ser au grajid - maître des
propositions cpj'il ne put parve-
nir à faire agréer; alors il se mit
à la tête d'une des colonnes q'ii
avaient été débarquées, et tout
était disposé pour l'attaque au
inonicnl où la [)lace de la Valette
capitula. Le général \lurat. dont
la prudence n'était pas toujours
celle d'un officier-général, faillit
perdie la vie dans les premiers
conibaîs qui se livrèrent en Egyp-
te. Emporté par son courage, et
ne picnant pas garde qu'il s'éloi-
gnait trop de l'armée, il se trouva
seul au milieu d<s niameloucks,
qui l'eussent infailliblement ac-
cablé s'il n'eût été dégagé par un
peloton de cavalerie, accouru h
son secours. La réputation qu'il
se fit en Egypte égala bientôt
celle qu'il avait acquise en Ita-
lie, et l'on assure que Mourad-
Bey [vojfiz Mourad-Buy), s'hono-
rait du rapport qui existait entre
son nom et celui du général fran-
çais, dont il ne parlailjamais qu'a-
vec admiration. Le 7 ventôse an 7,
les Français se dirigèrent sur Ga-
za ; le général Murât com:nandait
une division de cavalerie forte
d'environ mille hommes et de six
pièces de canon. Vers la fin du
siège de Saint- Jean- d'Acre , il
MUR
sollicita et obtint, non sans quel-
que peine, du général en chef,
l'honneur périlleux de monter à
l'assaut de cette place. Une balle
perça le collet de son habit, tra-
versa sa cravate et lui effleura le
col; une autre abattit son pana-
che, qui tomba du côté des assié-
gés , et que le pacha conserva
jusqu'à sa mort comme un dos
trophées de sa glorieuse défense.
Ce fut alors que le général Murât
reçut l'ordre de se porter à gran-
des journées à la tête d'un régi-
ment de cavalerie, et de 100 hom-
mes d'infanterie, au secours de
la forteresse de Laffel, située sur
la rive droite du Jourdain; cette
forteresse, bloquée par les Turcs,
manquant de provisions de guei-
re et de bouche, était au moment
de tomber entre leurs mains ,
mais à l'approche du général Mu-
ral ils prirent la fuite. Cette ex-
pédition, commencée et achevée
dans l'espace de trois jours, pré-
luda à la victoire du Mont-Tha-
bor, remportée le 27 germinal an
7 {16 avril 1799). De retour en
Egypte , au mois de messidor
suivant, ce général fut chargé de
disperser les nombreux rassem-
blemens d'Arabes qui s'étaient
formés, et d'empêcher leur jonc-
tion avec les troupes de Mourad-
Bey. Fn peu de jours, tous les
partis arabes se virent repousses,
et le pacha qui s'était avancé jus-
qu'aux pieds des pyramides de
Giseh, fut rejeté datis le désert.
Quinze mille Turcs, sous les or-
dres de Mustapha pacha, ve-
naient d'aborder dans la radiî
d'Aboukir et menaçaient Alexan-
drie. Le général Murât reçut l'or-
dre de se rendre ù Rhaninuié a-
ML'R
vec sa cavalerie , les grenadiers
des iS"", 32"" et 69"* deini-bri-
grades, les éclaireurs et un ba-
taillon de la 13°"; il y joignit les
dromadaires, le premier bataillon
de la 6t)"", et arriva à Bisket au
Mwment où les Turcs commen-
taient à se retrancher. L'armée
irançaise prit position entre A-
boukir. et Alexandrie, où était le
quartier général. Le 7 thermidor,
au point du jour, elle aitaqua,
avec son impétuosité ordinaire,
Je camp des Turcs. Ceux-ci la
reçurent en faisant un l'eu terri-
ble; les Français se trouvaient
dans une position trè-s-dangereu-
se, quand le général Murât, qui
commandait l'avant-garde, pro-
Jitant d'un moment favorjible, or-
donna ù un de ses escadrxms de
charger l'ennemi . et de traver-
ser toutes ses positions jusque
sur les fossés d'ime redoute
qu'attaquait en ce moment le gé-
néral Lannes , avec la aa"" et la
tk)"* demi - brigade. Ce mouve-
ment fut exécuté avec tant d'in-
telligence et de promptitude que
les Turcs, à qui toute retraite
vers le fort se trouvait coupée,
furent mis dans une déroute com-
plète. Lu très-grand nombre fut
tué, et un plus grand nombre en-
core périt en se précipitint dans
la mer. tant était forte la terreur
dont ils étaient frappés. Le géné-
ral iMurat , quoique blessé dès l«
commencement de l'aftaire, pé-
nétra dans le camp ennemi, se
battit comme un soldat à la tête
de sa cavalerie, et reçut à la mâ-
choire inférieure un coup de pis-
tolet que lui tira presque à bout
portant le fils du pacha du Caire
«ju'il voulait f<ure prisonnier. Cel-
ai UR z(k)
te seconde blessure semble dou-
bler la vigueur du général fran-
çais; il fond sur son adversaire,
d'un coup de sabre lui abat deux
doigt» de la main droite, et le
force à se rendre. Le général en
chef récompensa tant de bra-
voure en élevant le général de
brigade iMurat au grade de géné-
ral de division, et lorsqu'il quitta
l'Egypte, il le ramena en France.
Ils arrivèrent ensemble, à Paris,
le 24 vendémiaire an 8 (it) octo-
bre 1799). Murât rendit les ser-
vices les plus importans au gé-
néral en chef llonaparle dans la
journée du iN brumaire. Au com-
mencement de 1800, le général
Murât épousa la plus jeHne des
sœurs du premier consul iigna-
parte [voyez Tarlicle ci-ajirès), et
fut nommé commandant de la
garde du nouveau gouvernemenU
l'eu de temps après, il suivit le
premier consul en Italie, et se
couvrit de gloire dans la guerre
qui éclata entre la France et
l'Autriche. Le 7 prairial an 8, il
entra à Verccil; après avoir passé
sur le corps (ies ennentis. enlevé
une grand'gardc , et dispersé la
garnison, il s'empara de tous les
magasins de la place. Il s'avance
ensuite vers la Sésia, dont rap-
proche était défendue par mille
hommes de cavalerie , renverse
tout ce qui se présente devant
lui. traverse le fleuve, se rend
maître de Novarre, et, après un
combat sanglant sur les bords du
Tésin, qu'il franchit, il prend po-
sition sur^la rire droite. Le mô-
me jour, il entra à Milan, cerim
la citadelle qui refusait de se ren-
dre, et, passant ensuite le ï'ô ;'i
ISocella, il se porta sur Plaisance.
270 MLTt
Le i8 prairial (9 juin 1800), cel-
le place, ses magasins immenses
et deux mille prisonniors étaient
:iu pouvoir du général français.
Toutes ces brillantes actions se
passaient sous les yeux du premier
consul en personne. Le général
Mural commandait la cavalerie à
la bataille de Marengo; il reçut
un sabre d'honneur pour sa belle
conduite dans celte mémorable
journée, au succès de laquelle il
eut beaucoup de part. Nommé,
l'année suivante , commandant
en chef de l'armée d'observation
qui devait prendre possession des
pays cédés à la France par l'ar-
mistice de Trévise, et de rétablir
le pape dans ses états, il n'eut
besoin que de paraître pour éloi-
gner du territoire de rÉgiisc, et
chasser du château Saint -Ange,
ces Napolitains qu'il devait gou-
verner un jour. Il signa l'armis-
tice conclu le 29 pluviôse an 9,
entre la France et le roi des Deux-
Siciles. Le désir de connaître
ilome et Naples le conduisit dans
ces deux villes. A Naples, des
honneurs et des décorations lui
furent offerts, il ne crut pas de-
voir les accepter; seize ans après
il reçut la mort par les ordres
d'un gouvernement dont il avait
refusé des présens. Il refusa é-
galement un sabre magnifique
que lui avait décerné la républi-
que Cisalpine, comme un témoi-
gnage public de reconnaissance
pour les services qu'il avait ren-
dus. Le premier con-nl , qui sem-
blait préparer pour les temps de
paix tme occupation à la valeur
et des distractions à l'ambition
de ses lieutenans, nomma, on
j8o5j le général Mural président
MUR
du collège électoral du déparle-
ment du Lot. Les compatriotes
de ce général l'accueillirent en
hommes qui ne voulaient se sou-
venir que de sa gloire, ou qui
briguaient sa protection. Ils le
nommèrent député au corps-lé-
gislatif. 11 fut ensuite, et succes-
sivement, gouverneur de Paris,
avec rang de général en chef,
maréchal de l'empire, prince,
grand-amiral, et grand-aigle de
la légion-d'honneur; le roi de
Prusse le décora, en i8o5, de
l'ordre del'Aigle-Noire , el le roi
de Bavière, de l'ordre de Saint-
Hubert. Lorsque la guerre recom-
mença enti-e la France et l'Autri-
che (i8o5), le prince iViurat fut
chargé du cominandement géné-
ral de la cavalerie. Après avoir
passé , avec la réserve , le Rhin à
Rehl , il s'empara des débouchés
de la Forêt-Noire. Le 8 octobre, à
la tête de la division du général
Nansouty, il enfonce et disperse
une forte division autrichienne,
composée de 12 bataillons et de
4 escadrons de cuirassiers : l'ar-
tillerie , les drapeaux et 4oo*'
hommes de cette division tom-
bèrent en son pouvoir. Le succès
de cette journée eut une grande
influence sur le reste de la cam-
pagne; elle déconcerta les plans
des Autrichiens, et jeta laterreur
dans leurs rangs. Dix joursaprès,
le corps de troupes commandé
par le général Werneck, pour-
suivi el enveloppé par la cavalerie
du prince Mural, fut forcé de
capituler et de se rendre. La
marche de ce prince, d'Albech à
Nuremberg, avait eu pour résul-
tat la prise de i5oo charriols, de
r») pièces de canoD el de 16^000
MtR
hommes. Dix généraux, parmi
ïesqiiels était le général Werneck,
s'étaient vus forcés de mettre bas
les aripes, trois autre? avaient
été tués; Wertingen, Langue-
nau et Neresheim avaient été le
théâtre de ces succès. Le général
Murât en poursuivit rapidement
le cours : il battit, sur les hau-
teurs de Rieëd , l'arrière-garde
autrichienne, forte de 6000 hom-
mes, attaqua l'ennemi en avant
de Lambach, où il s'était réuni à
une division russe , et le contrai-
gnit à se retirer, après lui avoir
enlevé 5 pièces de canon et fait
5oo prisoimiers ; il l'attaque de
nouveau sur les hauteurs d'Am-
stetten , et lui prend 1800 hom-
mes; le 7 novembre, H arriva
sous les murs de l'abbaye de
Molek , que venait de quitter
l'empereur d'Autriche, et, le i5
novembre, il entra dans Vienne.
Le prince Murât s'arrêta peu d.ms
cette ville; l'arrière-garde russe,
qo'il atteignit à HoUabrun , le 20
novembre, fut battue. Il accorda
aux troupes allemandes la per-
mission de s'en séparer, après
avoir accepté, pour les Russes,
une capitulation trop généreuse,
que Napoléon n'approuva pas.
Aussitôt il leur annonce la rup-
ture de l'armistice, recommence
les hostilités , enlève , près du
village deGuntersdorf, 1800 pri-
sonniers et 12 pièces de canon,
après un combat qui dure jusqu'à
onze heures du soir. Enfin, le s
décembre, il paraît sur le champ
de bataille d'Austerlitz, où il con-
tribue, par ses manœuvres, ses
attaques et sa prodigieuse valeur,
à la victoire que remportent les
Vrançais dans cette journée d'im-
MLR 271
mortelle mémoire. En 1806, la
politique de Napoléon étonna
l'Europe, partm acte qui annon-
çait ses vues sur l'Allemagne ;
il fit de son beau-frère un prince
souverain. Murât fut nommé par
lui, et reconnu par toute l'Eu-
rope, grand-duc de Berg. Sans
avoir été admis dans les secrets
de l'empereur, il pénétra sesdes^
seins contre l'ancien empire ger-
manique, et s'attacha à les se-
conder, en se conciliant l'affec-
tion de ses nouveaux sujets par
une administration douce et pa-
ternelle, et par le respect qu'il
montra pour les mœurs et pour
les usages allemands. Forcé d'o-
pérer des change?nens dans le
système administratif de ce pays,
il ne les admit qu'avec une sage
lenteur, n'introduisit dans le du-
ché de Berg, ni l'enregistrement,
ni les droits-réunis , ni le mono-
pole du sel et du tabac, et n«
soumit qu'à un droit léger et
tiniforme les marchandises nui
entraient dans le pays, ou qui
devaient le îraverscr. Les habi-
tans du duché de Berg ne le vi-
rent pas sans regret s'éloigner
d'eux, pouraller occuper le trône
de Naples; et lorsqu'en i8i5 de?
insurrections éclatèrent feur la
rive droite du Rhin, A l'approche
de« armées de la coalition , toutes
les images de ce prince, conser-
vées dans le grand-duché . y I'>i-
rent respectées. Une jeufiesse dn
cour, ardente et inexpérimentée,
poussa le gouvernement prussien
àrompreavec la France, au com-
mencement de l'automne de l'an-
née i8o6. La campagne fut vive ;
elle eût été plus courte, si les Uns-
jies ne fussent venus au s«cour4
272
MLiR
des Prussiens, quand il n'y avait
plusricn à fairepourlenrsalut. Le
jirince Murut, auquel l'empereur
donna le commandement de sa
cavalerie^ traversa la Saaie vis-
à-vis Saisbourg. Ln régiment
Voulut lui en disputer le passage,
et lut promptement dispersé. Le
grand-duc fit avancer le général
Lasalle j^isqu'aux portes deLéip-
sick, avec ordre de mettre celle
ville à conlribulion. La valeur,
l'audace et l'à-propos des attaques
de ce prince contribuèrent puis-
samment à la victoire d'iéna ,
dont le champ de bataille put
être considéré alors comme le
tombeau de la monarchie pius-
sieune. Dès le lendeiriain, AJurat
se dirigea surErfurth, et lorra
cette place à capituler; elle ren-
fermait 120 pièces d'artillerie, et
des magasins immenses. Il s'em-
para successivement de tous les
magasins des Prussiens, poursui-
vit les débris de leur armée, par-
vint à les atteindre à Zehdenieîi,
ou il leur lit 700 prisonniers, et
leur enleva l'éte-iiUud du régi-
ment de la Heine; el àWigneens-
dorf, où il oblige.! une brigade
ù capituler dans le faubourg de
Preutzlaw. Il ne permit pas aux
troupes françaises de poursuivre
l'ennemi jusque dans la ville ,
quoique les portes en fussent bri-
sées ; il voulait éviter les mal-
heurs inséparables d'un assaut:
<i4 pièces d'artillerie, /^5 dra-
peaux, 6 régimens de cavalerie,
iCoo hommes d'infanterie el ie
général qui commandait ces
iroupes, le prince de Ilohenlohe,
tombèrent en son pouvoir, par
capitulation. En apprenant ces
succès, l'eaipcreur écrivit au
Ml II
grand-duc de Rerg : « Tant qiiil
reste à faire ^ il n'y a rien de fuit :
apprencz-vioi bientôt que les trou-
pes du général Bluclier ont éprouvé
le sort de celtes du prince de Ho-
henlolie. » ISenfiouri- après, Blu-
cher se rendit avec tout ce qui
lui restait de Iroupes et de maté-
riel. Entre ces deux capitulations,
le prince 31urat avait lait prendre
la ville de Steltin par une des di-
visions de sa cavalerie, que com-
mandait le général Lasalle, et fuiS;
mettre en déroute par le général
Erfurt la colonne pru^^sienne du
général Bila. L'empereur lui écri-
vil, à l'occasion de !a prise do
Sleltin : Puisque vous prenez les
places forte.i arec votre cavalerie.
Je pourrai congédier le génie, et
faire fondre vies grosses pièces.
Dans la campagne d'hiver de i8o6
à 1807, le grand-duc de Bergprit
une j)art glorieuse à cette suite
de triomphes qui eussent rendu
la guerre décisive pour la fortune
de Napoléon , si Napoléon avait
voulu mettre des limites à ses
vastes désirs. Le piince Alural
était entré dans Varsovie le 28
novembre. Ses troupes, qui a-
vaient passé la Vislule à la nage,
et s'élaienl emparées du fau-
bourg de Praga , avaient mis en
déroute une avant-garde qu'elles
rencontrèrent à quelque distance
de Wittemberg. 11 ne fit que tra-
verser Passenheim.. L'eriipereur
lui ayant ordonné de poursuivre
l'arrière-garde russe, il l'atteignit
entre les villages de GIoss-Glau-
dau et de Hofl', lui prit des dra-
peaux et des canons. Mural ne
paraissait sur aucun champ de
bataille sans y recueillir d'écla-
taaîj trophées. Sur celui d'EylaU;,.
MLR
il enleva à l'intanlerie russe une
parlie de son artillerie. Quinze
mille hommes d'infanterie , et
neuf à dix mille de cavalerie, oc-
cupaient la position de Gloltau;
le grand-duc de Berg força les
Piusscs d'abandonner celte posi-
tion, et, le soir même, il entra à
(inttstadt, où il fit un grand nom-
bre de prisonnier?. Dans ces guer-
res où des forces iirunenses se
heurtaient sur une ligne d'opéra-
tions très étendue, les lieutenans
de ^Napoléon, quoique n'agissant
que d'après ses ordres , doivent
être considérés comme autant de
généraux en ( hef; les corps qu'ils
commandaient étaient des ar-
mées , et les combats qu'ils li-
Traient, des batailles. On a dit, par
erreur, <jue le prince JMurat avait
contribué à la victoire de Fried-
laud; il n'y prit aucune part ; le
jour de cette bataille, il investis-
sait, avec le maréchal Soult, Roe-
nigsberg, seconde capitale de la
Prusse, faisait mettre bas les ar-
mes à 4»ooo Russes devant cette
place, et leur enlevait six pièces
de canon. Dans l'entrevue des
deux empereurs sur le Niémen,
le grand-duc de Berg accompa-
gnait Napoléon. C'était à lui que
le prince Bagralion et le général
en chef Bcningsen s'étaient a-
dressés pour solliciter l'armistice
qui précéda cette entrevue. Après
la signature du glorieux traité de
Tilsilt , le grand-duc se rendit à
Paris : il y resta peu de temps.
Napoléon, décidé à s'emparer de
l'Espagne, lui conGa le comman-
dement de l'armée secrètement
destinée à faire la conquête de ce
royaume. Le 25 mars 1808, le
priDcc Mural entra dans Madrid
MLR 2;5
à la tête de ses troupes. L'ne in-
surrection dangereuse ne tarda
pas à éclater dans cette ville; des
rassemblemens nombreux s'é-
taient formés sur plusieurs points,
et l'existence de tous les Français
était menacée. Après avoir em-
ployé les moyens de conciliation
pour arrêter le sang qui coulait
déjà, il se vit obligé de recourir ù
la force; il s'agissait du salut de
l'armée. La journée du 2 avril
fut fatale à un grand nombre
d'Espagnols. Le général en chef
invita par une proclamation les
babitans à la confiance, et les sol-
dats à l'oubli ; mais les soldats
répondirent seuls à cette invita-
lion. Charles IV investit le grand-
duc de toute l'autorité royale : ces
pouvoirs extraordinaires ne lui
furent pas retirés par Napoléon. ni
même par son frère Joseph, appelé
au trône d'Espagne. Appelé lui-
même au trône de Naples , mais
attaqué d'une maladie dangereu-
se , Murât ne put se rendre dans
ses nouveaux états qu'au mois de
septembre de celte année (1808),
si remarquable par la création
des majorais , le rétablissement
des titres héréditaires de prince,
de duc, de comte , de baron, de
chevalier, et surtout par la perte
et l'échange de quelques cou-
ronnes. Le nouveau roi de Na-
ples partit de Paris accompagné
du marquis dcl Gallo , ministre
des affaires étrangères de son
royaume ; il trouva sur la fron-
tière Salliceti, son ministre de la
police générale , avec lequel il
eut un entretien particulier qui
dura plusieurs heures. Les habi-;
tans des villes qu'il traversa le
reçurent avec ces démonstrations
18
274
MUR
de joie si vives et si peu durables
qui distinguent surtout le peuple
napolitain. Les ambassadeurs de
France et de Hollande, les mi-
nistres, les grands-officiers de la
couronne , les personnages les
plus distingués parmi la haute
noblesse, et tous les courtisans
de Joseph , qui avaient été ceux
de Ferdinand et qui allaient de-
venir les siens, s'étaient portés
au devant de lui jusqu'à Averse;
en entrant à Naples, son cortège
était brillant et nombreux. L'en-
thousiasme parut extrême; il n'é-
tait toutelois que ce qu'on l'avait
vu à toutes ces entrées , une
espèce d'ivresse, de délire, aussi
prompt à naître qu'à se dissiper.
La reine Caroline ne tarda pas à
suivre son époux; l'accueil qu'elle
reçut ne fut pas signalé par des
acclamations moins bruyantes .
par des démonstrations moins a-
nimées. Murât, devenu roi , prit
le nom de Joachim , et y ajouta
celui de Napoléon, qui devint
commun aux frères , aux beaux-
frères et au fils de la première
femme de l'empereur. Des fenê-
tres de son palais, Joachim aper-
cevait l'île de Capri, occupée par
les Anglais ; il résolut de les en
chasser, et s'occupa sur le-champ
de tout préparer pour l'attaque.
Il disait, faisant allusion à son
litre de grand-amiral : « C'est (m
«coup de canon dont j'ai besoin
»pour assurer mon pavillon. »
Celte île, défendue par une gar-
nison nombreuse, île que, depuis
long-temps, les Anglais avaient
fortifiée avec tant de soin qu'ils
la regardaient comme imprena-
ble, et la nommaient le Peif<7-G«-
hraltar^ fut attaquée par environ
f>,ooo hommes ; mais le général
MLR
Lamarque les commandait. L;i
descente fut décidée vers la par-
lie occidentale qui regarde Na-
ples; les rochers y sont coupés à
pic; il fallait des échelles [)Our
les gravir , et l'on n'y songea
qu'au moment du départ. A l'ins-
tant les échelles qui servaient à
allumer les réverbères de la ville,
sont enlevées et embarquées.
L'expédition partit dans la nuit,
et arriva à la pointe du jour. A-
vant midi, elle était maîtresse de
la partie de l'île appelée Anna
Capri. L'autre partie, qui en est
séparée par un ravin profond ,
escnr|)é, est l'ancienne résidence
de Tibère; elle était alors celle de
sir Hiidson-Lowe (voy. IIudson-
Lowe), qu'on a vu depuis gouver-
neur de l'île de Sainte - Hélène ,
où il prouva qu'il savait garder
un captif qu'on ne venait pas dé-
livrer. Alors il se contenta de
prouver qu'il ne savait pas dé-
fendre un rocher qu'on venait
attaquer, car certainement, sous
un chef tant soit peu guerrier,
les troupes qui se trou valent dans
cette particî escarpée et presque
inattaquable o\\ elles pouvaient
attendre des renforts , devaient
mettre en péril les assaillans ;
mais, dans celte circonstance, le
courage , la constance et les ta-
lens, ne se trouvèrent que d'un
côté. Au bout de trois ou quatre
jours, sir Hudson-Lowe demanda
à capituler, et fut, avec sa troupe,
renvoyé sur parole. Lne entre-
prise si audacieuse, exécutée par
les ordres de Joachim et sous ses
yeux (car pendant tout le temps
de la lutte il resta à la pointe de
la Campanelle , éloignée de Ca-
pri de la portée d'un boulet d<^
canon ) , donna aux Napolitain*
ttne îiatite iJcc «le In fortnno mi-
litaire de leur nouveau roi. Ce
peuple peu guerrier, mais sensi-
ble à la gloire , aime el resnecte
les hommes qui savent braver
les périls qu'il n'ose affronter
lui-même. Les premiers actes
de l'administration de Joachim
ne parurent pas d'un moins fa-
vorable augure. Le lendemain
de son arrivée à Naples, il avait
rendu la tranquillité à un grand
nombre de f'amilics , en inter-
disant toute arrestation arbi-
traire, chose nouvelle dans un
pays où, durant plusieurs siècles,
l'arbitraire seul avait régné. Il af-
fermit les institutions françaises,
plutôt introduites qu'établies dans
le royaume, sous le gouverne-
ment du roi Joseph. Les vanités
du roi Joachim lui eussent nui
ailleurs, à Naples elles le ser-
vaient. Il aimait à paraître velu en
chevalier de théâtre, coifle d'une
toque noire, ornée d'une longue
plume blanche, qui flottait sur sa
tête. On Ta vu au camp de Capo-
di-Chino , dans tme journée d'au-
tomne , et au" milieu des plus
fortes averses , passer la revue
de 20,000 hommes sous ce cos-
tume. Les hommes sensés sou-
riaient ; le peuple le trouvait su-
perbe , le suivait des yeux et ap-
plaudissait. Il établit le système
des levées par la conscription ,
mais celle loi rigoureuse reçut
tous les adoucissemens qu'exi-
geait le pays. D'ailleurs, l'esprit
des autorités , d'accord avec le
caractère des habilans , tend sans
cesse, dans ce pays, à affaiblir les
ressorts les plus violens, et finit
bientôt par les as<ouplir, a\i point
de rendre lelir action tolérable ù
511:11 a;:;
CCS hommes , ennemis de tout ce
qui exige des fatigues et de la
constance. Joachim , en arrivant
;V Naples , n'avait trouvé pour
toute armée, qu'environ 16,000
hommes, mal vêtus, mal com-
mandés, mfll disciplinés; dans
l'espace de six ans il porta cette
armée à 70,000 hommes de belles
troupes; il ne leur manquait,
pour devenir bonnes , que d'être
engagées , moins promplement,
dans une guerre aussi étrangère
à leurs-intérêts que celles qu'elles
firent à la France en 1814 ; elles
le firent plus imprudemment en-
core en 181 5. Ces troupes man-
quaient, surtout, de bons oili-
ciers; cenx-ci, presque tons Fran-
çais , s'étaient retirés en 1S14
pour ne pas prendre part à la
défection de Joachim. La cavale-
rie , l'artillerie , le génie étaient
dans l'état le plus briiiant ; la
garde royale, forte de6,ooo hom-
mes , était composée d'anciens
soldats français, et de l'élite de
la jeunesse napolitaine. Sous le
gouvernement nouveau , la ma-
rine n'eut plus à se plaindre de
l'espèce d'abandon où elle avait
été laissée pendant le règne pré-
cédent. Deux vaisseaux et plu-
sieurs frégates sortirent des chan-
tiers de Castellamare ; les équi-
pages reçurent une organisation
meilleure: mais dans l'armée de
mer comme dans celle de terré,
les officiers valaient moins que les
soldats. Indépendamment de l'ar-
mée régulière , Joachim avait or-
ganisé en légions provinciales, les
gardes nationales du royaume ;
cette force s'élevait à plus da
5o,ooo hommes. Les chefs et des
dépulations de chaque légion fu-
2^6
MUR
rent appelés à Naples ; le 2(3
mars liiog, Joachiiu leur remil»
dans toiil Tapparatdes solennités
royales, dos drajteaiix sur les-
quels étaient écrits ces deux mots:
sicurezza interna ( sûreté inté-
rieure); une médaille fut frappée
et distribuée à toutes les députa-
lions. Ces cérémonies sont plus
utiles à Naples qu'ailleurs , parce
que les communications entre la
capitale et les provinces y sont
rares. Au mois de juin, une flotte
auglo - sicilienne parut sur les
côtes de la Calabre, où elle jeta
l'épouvante , et vint se présenter
devant Naples. Elle fil quelques
démonstrations de débarquement
vers Cnme. Joachim alla camper
avec ses troupes sur la côte me-
nacée, côte malsaine, où elles
perdirent beaucoup de monde
}>ar la maladie , et n'éprouvèrent
presque aucune perle de la part de
l'ennemi. Après s'être emparésdes
îles d'Ischia et de Procida, les
Anglais et les Siciliens furent
contraints de les abandonner et
de se retirer, n'ayant pu attein-
dre le but principal de cette expé-
dition. Elle avait été tentée pour
opérer des soulèvemensà Naples,
et pour reprendre Capri , deux
entreprises dont le succès était
impossible avec d'aussi faibles
moyens. Joachim , qui venait
d'être bravé parle gouvernement
sicilien et par les Anglais, con-
çut le projet de les braver à son
tour, et peut-être l'espoir de
s'emparer de la Sicile ; il y fut
excité par Napoléon, auquel cette
expédition devait procurer un
double avantage, celui de dimi-
nuer les forces des Anglais en
Espagne ,^ en les Qbligeant d'en
flJLR
retirer des troupes pour les por-
ter au secours de la Sicile , et
celui de les empêcher d'attaquer
Corfou et de s'opposer au ravi-
taillement de cette île. Quant à
la conquête de la Sicile, Napoléon
ne la jugeait peut-être pas pos-
sible, et ne désirait probablement
pas qu'elle fût fuite par le roi de
Naples. Deux projets lui furent
soumis: il devait concourir à leur
exécution, soit d'une manière di-
recte, soit par les démonstrations
qu'une flotte partie de Toulon
aurait faite vers Palerme ; ce*
projets ne furent point approuvés
par lui , ou du moins il ne lit rien
d'ostensible pour en assurer l'exé-
cution. Joachim parvint, ce qui
paraissait le plus dilTicile , à réu-
nir vis-à-vis de la Sicile, et sous le
feu de la flotte anglo-sicilienne ,
une flottille assez nombreuse pour
transporter ses troupes sur la rive
opposée. Le passage fut ordonné ;
une seule division, celle sous les
ordres du lieutenant-général Ca-
vaignac, débarqua de l'autre côté
du Phar. Les motifs qui empê-
chèrent les autres divisions d'exé-
cuter cet ordre sont encore igno-
rés ; mais on peut être fondé à
croire qu'ils appartiennent à une
politique d'un ordre supérieur.
Alors Joachim dut renoncer, dès
ce moment, à son expédition, el
revint dans sa capitale. La n)é-
sintelligence entre la cour de Na-
ples et celle des Tuileries ne tar-
da pas à éclater, et ne fut pas
long -temps secrète. Soit que,
mécontent de la résistance qu'il
avait éprouvée de la part des gé-
néraux français, Joachim voulût
se débarrasser de la tutelle de cette
armée, qui pesait moins à sea
MUR
peuples qu'elle n'était importune
à se< propres regards ; soit que ,
jaloux de son autorité, et crai-
gnant d'être réduit un jourau rôle
du mari de la princesse Élisa [voy.
Bacciochi), il ne yît dans cette ar-
mée française qu'un instrument
propre à favoriser de pareils pro-
jets; soit qu'excité par ses sujets,
qui ne savent, ni supporter, ni re-
pousser rétranger, il crût pou-
voir se passer de l'appui de la
France, il sollicita l'éloigneinent
des troupes de l'empereur Napo-
léon. Cette demande fut mal ac-
cueillie ; le refus qu'il éprouva
acheva de l'aigrir ; ses méfiances
devinrent extrêmes. Une autre
tentative ne lui réussit pas mieux:
il voulut engager tous les étran-
gers, employés, dans son royau-
me , à se faire naturaliser Napo-
litains , ou à renoncer à leurs
places ; c'était déclarer qu'il ne se
considérait plus lui-même comme
Français. Un décret de l'empereur
lui rappela durement son origine.
.• Considérant que le royaume de
«Naples fait partie du grand em-
• pire ; que le prince qui règne
• dans ce pays est sorti des rangs
»de l'armée française; qu'il a été
"élevé sur le trône par les efforts
■ et le sang des Français , Napo-
"léon déclare que les citoyens
a Français sont, de droit, ci-
«toyens du royaume des Deux-Si-
» cilcs. » Ce décret fut un coup de
foudre pour le roi Joachim; dans
son dépit, il différa de célébrer
la fête du roi de Home , ne porta
plus , ni la croix , ni le ruban de
l'ordre de la légion-d'honneur,
s«e retira dans son palais de Capo-
di-iVJonle, et y tomba malade. A-
Jors réclal de sa vie fut voilé par
MLR 277
le scandale des querelles de fa-
mille et l'obscurité des intrigues
de cour. En proie à des soupçons,
dont certains intérêts privés ti-
raient parti , il passait presque
tout son temps à lire d»;s rapports
de police ou à recevoir des déla-
teurs. Oubliant la majesté royale,
il donnait à de vils espions le droit
de l'approcher et de se vanter pu-
bliquement de l'accès qu'ils a-
vaient auprès de sa personne. La
guerre qui éclata , au mois d'a-
vril 1812, entre la France et la
Russie, le rendit à la gloire. Ap-
pelé par l'empereur, il parut hé-
siter, mais les hommes qui con-
naissaient et ses dispositions na-
turelles , et l'ascendant que Na-
poléon conservait encore sur son
esprit, ne doutèrent pas du parti
qu'il allait prendre. Huit mille
hommes de troupe* de ligne é-
talent partis deNaples le 38 de ce
mois (avril 1812) pour se rendre i\
la grande-armée, et, le 19 mai sui-
vant, 2,000 hommes de la garde
royale avaient pris la même di-
rection. Joachim, rentré dans les
champs de la gloire, y reparut
bientôt ce qu'il y avait toujours
été, chef hasardeux, mais souvent
habile et toujours vaillant. Au
combat d'Ostrowno, le 25 juillet,
il attaqua l'ennemi , joncha la
terre de ses morts, et lui prit i4
pièces de canon. Le lendemain,
il battit complètement le général
Ostermann, lui prit 8 pièces de
canon et mit i5,ooo Russes hors
de combat. A une heure après
midi, une forte colonne manœu-
vrait sur la droite et menaçait de
le tourner ; il ordonne de charger
celle colonne , mais un mouve-
ment d'hésitation se manifeste
27 s MLR
dans sa cavalerie. Aussitôt il lire
son épée, crie : Que les braves me
suivent 1 et fond sur les ennemis
qui, dans un moment, sont tail-
lés en pi(:ces. Le 28, il traversa
Witepï^k, et se porta à la tête de
la cavalerie sur la route qui re-
monte la Dwina. Le 17 août, au
combat de Smolensk, il prit po-
sition sur le plateau à droite de
la ville, et y fit établir une batte-
rie de Go pièces qui foudroyaient
les Russes, arrivés en masse sur
l'antre rive du Boristliène. L'en-
nemi, pour répondre à cette bat-
terie, en établit une de 4^» piè-
ces. Le plateau où se trouvait le
roi de Naples , dominé par cette
batterie, était devenu un champ
de carnage; il s'obstina à ne pas
le quitter, mais il ordonna à tous
ses officiers de s'en éloigner. Le
général Beliiard qu'il voulut faire
retirer aussi lui répondit : « Sire,
«chacun est maître de son exis-
»tence; V. M. le prouve bien
«puisqu'elle veut absolument se
«faire tuer aujourd'hui; elle me
» permettra de mourir à ses cô-
»tés. » Les historiens de la cam-
pagne de Russie ont rapporté, d'a-
près des renseignemens inexacts,
que le roi de Naples avait opiné
pour le passage du Borislhène.
Joachiin et le maréchal Ney s'op-
posèrent fortement à ce projet.
Le roi écrivit le 18 août au ma-
tin : «ISous sommes à Smolensk,
»irons-nous plus loin? C'est le
«secret de l'empereur; pour moi
»je trouve que nous sommes dé-
»jii à une trop grande distance
»de nos ressources.» Le 5 sep-
teiribre il enleva, avec la division
Compans, la grande redoute qui
devait servir de base aux opéra-
MUR
tions. L'empereur y resta pen-
dant toute la journée du surlen-
demain où se livra la sanjïlante
bataille de la Moskowa. Dans
cette terrible journée, ce fut le
roi qui. à 9 heures du nuyliu avec
la division Morand , enleva la
grande redoute russe, et ce fut
encore au changement de front
qu'il fit faire à l'armée, vers 4
heures de l'après-midi, que fut
dû , en grande partie, le brillant
succès qui mit fin au carnage en
décidant la retraite des Russes.
Le roi de Naples, commandant
l'avaut-garde de l'armée françai-
se, forte de 18,000 hommes et
de 2,000 chevaux, s'était porté
en avant, et avait pris position à
Czernisna, à 18 lieues de Mos-
cow; il avait sous ses ordres le
prince Poniatowsky , les lieu-
tenans-généraux Saint-Germain.
Dufour et Sébasliani. Le général
Claparède occupait le village de
Winkowo , elle général Latour-
Maubourg était en réserve. C'est
dans cette position qu'il fut sur-
pris et attaqué par la grande ar-
mée russe, forte de 80,000 hom-
mes. Cette armée , commandée
par le prince Kutusoff, avait, par
une marche de nuit et à la favetir
des bois , débordé les flancs de
l'armée française et s'était empa-
rée du défilé de Winkowo. A 7
heures du matin, les cosaques
enlevèrent l'ailillerie du général
Sébasliani, et l'attaque devint
générale sur toute la ligne. Les
efforts faits par les généraux Po-
niatowski etClaparède, donnèrent
aux troupes françaises le temps
de se former. Le roi de Naples,
.•■i la tête des carabiniers con)man-
dés par le général Defrance,
MUR
chargea et sabra une division
ru!>«e ; alors l'atlaqiie lui moins
vive, et le roi, blessé , mai? qtii
n'avait pas quitté le combat, de-
vint maître de ses mouvemens.
Le défilé de Winkowo fut repri?,
et 20,000 Français se retirèrent
en bon ordre, sans perdre un
caisson, devant les 80,000 Rus-
ses qui les avaient surpris mais
non déconcertés. Pendant la dé-
sa>treuse retraite de Moscow, le
roi de Naples commandait en
chef l'escadron sacré qui formait
la garde de Napoléon. Les fonc-
tions de sous-ofiicier étaient rem-
plies dans cet escadron par des
colonels ; des générauxy faisaient
le service de capitaine. L'empe-
reur, en quittant l'armée le 5
décembre, remit le commande-
ment au roi de Naples. On a vou-
lu établir que Joachim refusa
d'abord d'accepter ce comman-
dement, et que sur les instances
de l'empereur, il consentit seu-
lement i\ conduire l'armée sur
le territoire prussien, déclarant
qu'il partirait pour Naples aussi-
tôt qu'il aurait atteint Kœnigs-
berg. Ces refus et ces conditions
ne sont nullement d'accord, ni
avec ce que Napoléon fit insérer
au Moniteur^ lors du départ du
ici à Po?en, ni avec l'idée que
Napoléon a laissée de son carac-
tère. Il aurait fallu que l'empe-
reur se fût senti bien humilié par
la fortune, pour se soumettre
à une telle volonté du roi de Na-
ples. On est «également incertain
sur le motif qui fil quitter si brus-
quement l'armée par le roi de
Naples. Le départ de Naples ,
d'un oflicier auquel l'état de sa
santé sc»iblait interdire un si
MUR
270
long voyage, et son arrivée im-
prévue au quartier - général de
Joachim; des propos tenus à des-
sein ou par élourderie, rapportés
au roi pendant qu'il était à l'ar-
mée , et qui furent suivis de si
près de sa résolution de se mettre
en route pour ses états, sa mélan-
colie profonde pendant le voyage
qu'il fit sans s'arrêter ni le jour
ni la nuit, et presque sans pren-
dre de nourriture ; son état de
langueur, et d'autres circonstan-
ces qui furent remarquées à son
entrée à Naples , tout servit à
donner la plus grande vraisem-
blance au bruit qui courut alors :
que ce brusque départ avait été
le résultat d'une intrigue de cour-
tisans ; et le décret impérial qui
remit le commandement de l'ar-
mée au vice-roi, acheva de don-
ner à ce bruit les caractères de la
vérité. Comment Napoléon se
fût-il montré si sévère envers le
roi de Naples, si le départ de Joa-
chim pour ses états eût été d'a-
vance arrêté entre eux? Joachim
partit de Posen le 17 janvier
1810, avec le général Rosselti ,
son aide-de-camp , à qui il dit
plus d'une fois, pendant la roule :
« Je ne serais pas étonné d'ap-
» prendre en arrivant à Piome que
«les Atiglais sont en Calabre. »
Un» intérêt si pressant suffisait
sans doute pour l'engager à reve-
nir en toute hâte à Naples. Mais
Napoléon aurait dû en savoir
quelque chose, et il eût ordonne
lui-même au roi de Naples d'aller
défendre se5 états. Ici se termine
la gloire de Murât; les trois der-
nières années de sa vie vont dé-
mentir tout le reste, et, comme
si C€tie fois la fortune eût été
>8o
MUR
fl'accord avec la jusliee , on va
Ja voir trahir et abandonner ce
prince à mesure qu'il trahira et
qu'il abandonnera la France ; il
perdra la couronne avant de per-
dre la vie, et avant de cesser d'ê-
tre roi, il aura cessé d'être soldat
heureux. Joachim ne se rendit
point directement dans la capi-
tale de ses états ; il descendit au
palais de Caserte , où sa famille
i'aitendait. Les courtisans remar-
quèrent dans cette première en*
trevue un peu de froideur et de
contrainte. Un duc napolitain ,
écuyer depuis long-temps de ser-
vice, reput l'ordre de s'éloigner,
et, peu de jours après, celui de se
rendre à sou régiment. Ces ordres
accréditèrent. les soupçons, et a-
joutèrent un nouveau poids à l'o-
pinion de ceux qui attribuaient à
une intrigue de cour le retour
inattendu de Joachim à Naples.
Depuis cette époque, sa politique
devint sombre et inquiète. On vit
arriver et partir des agens mys-
térieux qui ne venaient ni de
France , ni de la Haute-Ilalie ,
mais qui se rendaient dans des
lieux inaccoutumés. On a dit que
dès-lors Joachim préparait sa dé-
fection ; ce qu'il y a de certain,
c'est que déjà il existait des intel-
ligences entre la cour de Naples
elles Anglais, maîtres de la Sicile.
La reine Caroline, femme de Fer-
dinand, n'existait plus; et Ferdi-
nand, réduit à une condition pri-
vée, avait remis les rênes de l'état
à son fils , devenu vicaire du
royaume. Mais les Anglais gou-
vernaient en effet , et rien ne se
faisait en Sicile qu'ils ne l'eussent
ordoimé ou permis. L'hiver se
passa au milieu de ces intrigues
MUR
diplomatiques. Au moment où la
campagne de i8i3 allait recom-
mencer, Joachin) ne fit aucune
disposition propre à faire juger
qu'il y prendrait part. L'arrivée
d'un courrier venu de Paris don-
na lieu à un conseil extraordi-
naire.Le roi apprit à ses ministres
que Napoléon l'invitait à se ren-
dre à l'armée. On crut qu'il cher-
chait des prétextes pour motiver
un refus. Tout le monde lui en
fournit. « N'avait-il pas assez fait
«pour sa gloire, assez fait pour
» l'empereur? Le peuple napoli-
»tain ne pouvait plus se passer
»de sa présence ; son intérêt , sa
«sécurité, exigeaient qu'il ne se
«séparât plus de ce peuple pour
«aller défendre une cause qui
«n'était pas la sienne. D'ailleurs,
«le repos était devenu nécessaire
«à la santé du roi , altérée par
«tant de travaux et de fatigues. »
Joachim parut céder; chacun se
retira, persuadé que le roi ne
partirait pas : le bruit s'en répan-
dit aussitôt dans la ville; elle ap-
prit le lendemain malin qu'il était
en route pour l'Allemagne. Dans
celte campagne de i8i3, si fatale
à la France, Joachim déploya sa
valeur accoutumée. L'empereur,
qu'il avait rejoint pendant l'ar-
mistice, lui donna le commande-
ment de l'aile droite de son ar-
mée le jour de la bataille de Dres-
de ; la gauche du prince de
Schwartzemberg, qui se trouvait
en face, fut accablée, et le roi de
Naples parvint à couper aux al-
liés les routes de Freyberg et de
Pirna. Le lo octobre, à la bataille
de Wachau, il enfonça une divi-
sion de grenadiers russes et le
corps commandé par le prince de
MLR
Wurtemberg. Il se conduisit en-
core avec bravoure à la bataille
de Leipsick ; mais . qiîatre jours
après la perte de cette bataille, il
prit congé de l'empereur sous
prétexte d'aller lever des troupes
en Italie pour venir à son secours,
mais il revenait à Naples pour
préparer sa défection et se réunir
aux ennemis de la France. On a
voulu excuser la conduite de Joa-
chim par l'embarras de sa posi-
tion ; elle était périlleuse sans
doute , mais admettre qu'il est
des circonstaÉces où les iotérêts
politiques peuvent servir d'excuse
à l'ingratitude et à la perfidie ,
c'est outrager la raison et la mo-
rale , c'est violer tout ce qui lait
la garantie des nations comme la
sécurité des individus, la foi des
paroles et des engagemens; Na-
poléon paraissait abandonné de
la fortune, c'était bien assez d'i-
miter son inconstance, mais Joa-
chim fit plus, il affecta de rester
fidèle alors même qu'il trahissait:
il manquait d'armes, disait-il,
pour mettre ses soldats en état
de venir au secours de la France.
Douze mille fusils lui furent en-
voyés d'Alexandrie, et ces armes,
dont les Français avaient besoin,
qu'ils lui accordèrent à regret, il
s'en servit contre eux ! Il se trou-
vait dans la garde royale de Na-
ples, des compagnies entières de
grenadiers, prises, sans leur aveu,
dans les corps de Napoléon , et
qui n'avaient jamais cessé de se
considérer comme Français. Lors-
que Joachim fit avancer ses trou-
pes eu Italie, sous prétexte de se
joindre au vice-roi, mais en cfFel
pour le combattre, les Français
tic la garde napolitaine, ne pou-
MUR
a8i
vant plus douter de ses desseins,
déclarèrent qu'ils ne passeraient
pas Rome, où déjà ils étaient ar-
rivés. Les menaces, les prières,
les séductions, furent inutilement
employées auprès d'eux, il fallut
les ramener à Naples. De nou-
veaux efforts furent tentés, et les
trouvèrent inébranlables; ils de-
mandaient à être renvoyés en
France : on les désarma ; on les
déclara prisonniers , et ils furent
renfermés dans la forteresse de
Gaële! Deux frégates françaises
avaient quitté Ancône à l'appro-
che des ennemis , et s'étaient
réfugiées à Brindisi ; elles se
croyaient en sûreté dans un port
soumis à la domination du beau-
frère de l'empereur. Bientôt le»
coramandans de ces deux bâti-
timcns apprirent que le gouver-
nement de Naples avait décidé de
s'en emparer. Bloqués par des
bâlimens anglais, d'une force su-
périeure , les commandans de»
deux frégates françaises furent ré-
duits à y mettre le feu pour
qu'ellesoe devinssent pas la proie
d'un allié perfide ; ils traversèrent,
à la tête de leurs équipages, for-
més en bataillons, les états du
prince déloyal chez lequel ils é-
taient venus chercher on refuge.
Joachim n'était plus à Naples
quand ces choses s'y passaient ,
mais rien ne s'y faisait que par
son ordre ou de son aveu. La
reine était régente. Le 1 1 janvier
1814. le roi de Naples conclut
avec le comte de Neupperg, agis-
sant au nom de l'empereur d'Au-
triche, un traité d'alliance ofTen-
sivc et défensive , par lequel il
s'engageait à joindre 5o,ooo hom-
mes de ses troupes aux armccâ
282 MLifi MUR
formidables avec lesquelles les pagne.L'ItalierenfermaitUDgrond
alliés s'avançaient pour envahir nombre d'hoiniiies hardis, qui at-
et dévaster ht France. L'Angle- tendaient avec impatience le mo-
lerre accéda à ce traité ; l'etnpc- ment de soustraire leur pays à la
leur François promit, par écrit, domination de l'étranger. L'Au-
de le ratifier , du moins le bruit triche put craindre quc/Joachim
s'en répanditalors, etn'a point été ne fît un appel aux peuples de
démenti depuis. Ce traité garan- l'Italie, mais jamais le roi n'a-
tissait à Joachim la possession du vait su , par des concessions fai-
royaume deNa[)leset lui promet- tes au temps et aux lumières de
tait une augmentation de terri- son siècle , se ménager cette
toire, par la cession de quelques ressource précieuse. Il ne s'avisa
provinces des états de l'Église, de parler de lois et de régime
Joachim se crut tellement sûr constitutionnel qu'au moment du
de la foi des souverains alliés péril ;• il valait irwux tomber,
que, sans attendre les ratifica- comme il sut mourir, avec con-
tions promises, il annonça, par rage, que de démentir son carac-
uneproclamation,lesengagcmens tère , et de parler de liberté dans
qu'il venait de contracter, et se un pays où il n'avait régné qu'en
h5la de commencer les hostili- monarque absolu. On a dit que
tés en faisant assiéger Ancône et l'ambassadeur de France, au con-
en s'emparant de Bologne. Il ren- grès de Vienne, avait demandé à
voya au vice-roi les prisonniers l'empereur d'Autriche le passage
qu'il fit sous les murs de Reggio , de 80,000 hommes de troupes
pour éviter, sans doute , d'avoir françaises, destinées à chasser
à rougir à l'aspect des vaincus. Joachim de Naples, et que, par
Cette pudeur lui fut imputée à une espèce de représailles, ce
crime, quand les événemens de princeavaitaussi demandé lepas-
1814, ayant renversé Ni^^oléon , sage de 80,000 Napolitains pour
Joachim, réduit à n'avoir pour faire la guerre à la France; mais
protecteurs que ceux dont il s'é- celle jactance de sa part n'était
tait fait si précipitamment l'allié, pas plus sérieuse que la menace :
ne vit bientôt en lui-même qu'un ni d'un côté ni de l'autre on n'é-
prince parvenu, demeuré seul, et tait disposé à entrer en campa-
déconvert devant les dynasties an- gne ; c'était la diplomatie et non
ciennes, rétablies ou consolidées, la guerre qui, alors, disposait du
Il apprit , par ses ministres au sort des peuples et du deslin des
congrès de Vienne, que les al- princes. Vers la fin des discus-
liances qu'il venait de contracter sions diplomatiques, et lorsque
étaient moins sfires que ne l'était, tout semblait définitivement ar-
au moment où il l'avait abandon- rêté par les ptiissances réunies à
née, la fortune de Napoléon. II Vienne, le départ de Napoléon
chercha alors à se rendre rcdou- de l'île d'Klbc; et son débarque-
table , en portant son armée au ment en France, donna aux af-
complet etenétatd'enlrercncam- faires de l'Europe une face non-
VfKe. Dans la nuit du i" au 2
iiiur?; le niinistre irAulriche fit
parvenir au roi île Naplesune note
pour l'informer de l'entreprise de
Napoléon ; Joachim oc l'ignorait
pa?. Dans la position où il se trou-
vait, celte eulreprise pouvait dé-
terminer les puissances de l'Eu-
rope à tenir les pronie.-ses qui lui
avaient été faites et ^iTelles pa-
raissaient décidées à oublier. Déjà
le cabinet de Londres avait en-
voyé à ses représcntans, au con-
près de Vienne. Tordre de con-
clure un traité définitif avec Mu-
rât, tuais il n'était pins en mesure
de profiler d'une disposition qui
pouvait, sinon le consolider sur
le trône de Naples - du moins re-
euler le jour où il serait forcé
d'en descendre. Joachim , lron)pé
par sa bravoure personnelle ,
comptait sur le courai^e de son
armée ; il s'attendait à trouver de
nombreux auxiliaires dans toutes
les ailles, dans toutes les campa-
gnes de l'Italie. Le moment d'af-
franchir ce pays du joug deTé-
tranger lui parut arrivé, et il se
crut les talens nécessaires pour
opérer celte grande révolulioii
])olitique. Un motif plus puis.-ant
«•ucore, la crainte de voir Napo-
léon ressaisir sa puissance , dans
les pays qui avaient été soumis à
sa domination, ajoutait à son im-
patience naturelle, et donnait à
i»es mesures cette précipilalion
aventureuse, qui était le trait le
plus marquant de son caractère.
Son armée avait déjà franchi les
frontières du rt>yaume de Naples
tt s'avançait eu Italie, lorsqu'il
reçut l'avis des dispositions fa-
vorables du cabinet de Londres.
Deux divisions marchaient sur !a
MIT»
285
Toscane , une autre division cou-
vrait la route de llofiie à Naples;
les quatre autres, que comman-
dait Joachim en personne, débou-
chèrent par les Abruzzes. Arrivé
à Rimini , le 5i mars, il annonça
ses desseins dans une proclama-
tion dont voici un extrait d'aprè?
K'S feuilles publiques du temps.
0 Italiens , disait- il , un seul
»cri retentit des Alpes jus-
» qu'au détroit de Scylla . Tindé-
npendance de l'Ilalio. D«; quel
"droit les étrangers veulent-
sils vous ravir votre indépen-
»dance, le premier bien . le pre-
)imier droit de tous les peuples?
» De quel droit emmènent-ils vos
»fils pjiur les faire servir et mou-
»rir loin des tombeaux <îe leurs
» pères ? E>t-ce que la nature vou9
»a donné en vain les boulevarls
«des Alpes? Non, non : que toute
«domination étrangère disparaisse
ndu solde l'Italie; qu'aujourd'hui
«votre gloire soit de n'avoir plus
0 de maîtres. Vous avez pour fron-
"tières la mer et des montagnes
• inaccessibles ; ne les franchissez
«jamais , mais repoussez l'étrao-
■ ger qui ose les franchir, et-c6n-
• trai^nez-le de rentrer {l^tB? Ifcs
«siennes. 8o,ooo Italien»; (Ïe'-N«-
nples accourent à vous, sous' l/*-
«commandement de leur roi ; ils,
• jurent de ne pas se reposer que
nl'Itaiie ne soit libre. ïtalieus de
"toutes les contrées, secondez
«leurs efforts magnanin\es; que
»tous les citoyens, amis de leur
«patrie , élèvent une voix géné-
» retise pour la liberté ; que la.
«lutte soit décisive, et nous an-
nrons fondé, pour toujours, le:
«bonheur de notre belle patrie^
1) Les hommes éclairés de tous les
a84
MCR
»pays, les peuples dignes d'un
» gouvernement libéral, les princes
«qui se distinguent par la gran-
wdeurde leur caractère, applau-
» diront à vos triomphes; l'Angle-
» terre pourra-t-elle vous rel'user
«ses suffrages? J'ai la preuve de la
• perfidie de vos ennemis ; et il
«était nécessaire que vous fussiez
» convaincus, par une récente ex-
«périence, combien les libéralités
«de vos maîtres actuels sont vaines
» et fausses;combien leurs^promes-
«ses sont illusoires et menson-
» gères. Je vous prends à témoins,
«braves et malheureux Italiens
«de Milan, de Bologne, de Turin,
>»de Venise ; combien , parmi
«vous, de malheureux guerriers
«et patriotes vertueux sont arra-
«chésdu sol paternel? Combien
"gémissentdans lescachots?com-
«bien sont victimes d'exactions
»et d'humiliations inouïes? Ita-
» liens, levez- vous, marchez, je
niais un appel à tous los braves
«pour qu'ils viennent combattre
«avec moi; je fais un appel à tous
«les hommes éclairés, pourqne,
«dans le silence des passions, ils
«préparent la constitution elles
«lois, qui, désormais, doivent
» régir l'Italie indépendante. »
Ou voit dans celte proclama-
tion que Joachim, quoiqu'il eût
encore à la tête d'une des
divisions de son armée un gé-
néral né en Franco, n'exceptait
pas les Français de ces étrangers
rontre lesquels il appelait l'Italie
aux armes ; il promettait aux Ita-
liens les suffrages de l'Angleterre,
et se taisait sur ceux de la France.
Il attaqua les Autrichiens à Cé-
sène, passa le Tanaro, maigre
lotis les efforts du général Bian-
MIJR
chi , cl obligea ce général à se re-
tirer au-delà de Reggio. La gau-
che de son armée occupait Flo-
rence et Pistoie, dont elle s'était
emparée. Bologne lui ouvrit ses
portes, il y fui reçu, et salué
comme libérr^teur; mars un agent
anglais, portant avec lui ces con-
seils Â^i cabinet britannique y
plus funestes aux nations et aux
princes q^ue ne le furent jadis
ceux des Grecs, Williams Ben-
tink, demanda que le territoire
du roideSardaigne, allié de l'An-
gleterre , fût respecté. Joachim y
consentit , et cette condescen-
dance fut une des causes qui pré-
cipitèrent sa chute. Forcé de ten-
ter le passage du Pô à Occhio-
liello , il échoua dans cette entre-
prise. Les divisions Pignalelli et
Lionon , battues par le général
Nugent entre Florence et Pistoie,
furent forcées de se replier sur la
première de ces deux villes. Le
général anglais, qui sans doute
attendait ce moment pour lever
le masque de médiation dont il
s'était couvert , annonça alors
qu'il avait i-eçu de son gouverne-
ment l'ordre de joindre ses forces
à celles des généraux autrichiens,
et le roi de Naples dut songer à
la retraite. Elle devint diflicile,
par la précipitation avec laquelle
les divisions qui étaient à Floren-
ce abandonnèrent celte ville, la
route de Rome étant ouverte aux
Autrichiens. Joachim évacua lio-
logne le 1 5 avril, et se relira par
la Marche d'Ancône. Il défendit
pendant trois jours le passage du
Ronco , dont il fil brûler le pont.
Après un engagement assez vif,
qui força les Autrichiens de re-
passer la rivière; il continua,
MLR
sans être inquiété par l'ennemi,
son mouvement rtjlrograde. An-
cône était bloquée, une escadre
anglaise entrait flans la Méditer-
ranée : poursuivi par les troupes
des généraux Bentinck, Friinont
etNeupperg, loachim tenta un
dernier effort pour relever sa for-
lune. Atteint, près de ïolenlino,
par le général Bianchi , il accepta
la bataille qui lui était présentée;
commencée dans la matinée du
2 mai, elle ne fut interrompue
que par la nuit, et se renouvela
nu point du jour. Joachim s'y
montra avec sa brillante valeur,
et y déploya des talens militaires
^iuxquels ses ennemis mêmes ren-
dirent justice ; mais il manquait
de grosse artillerie, el la jonction
des forces du général Neupperg
à celles du général Bianchi, ache-
vait de rendre le combat inégal :
dès ce moment la retraite devint
une déroule complète, les com-
bats de Caprano, de Ponte-Gorvo,
de Mignano el de San-Germano
consommèrent la ruinede l'armée
napolitaine. La garde royale, les
2* et 3' divisions étaient eatiè-
remeot dissoutes, plus encore
par la désertion des soldats et par
l'abandon des officiers, que par
les combats qu'elles avaient li-
vrés. Le i8mai, a huit heures
du soir, Joachim fit demander
une suspension d'armes aux Au-
trichiens :ils refusèrent de traiter
avec lui. Après avoir remis le
commandement de l'armée au
général Carascosa, il entra dans
Naples avec son escorte ordinai-
re , ses officiers de services , et
dans l'appareil où il se montrait
habituellement. Le calme régnait
dans la Tille. Va projet de consti-
MLR 285
tulicn fut officiellement annoncé
et affiché dans les rues, ressource
tardive , ruse impuissante , qui
ne trompa personne. Il en repar-
tit dans la soirée du 19. Le duc
de La Romana , grand-écujer,
les généraux Bosselti, Giulianu,
le colonel Beaufremont, ses deux
neveux, le maréchal-de-camp et
le colonel Bonafoux, et son se-
crétaire Goucy avaient été dési-
gnés pour le suivre. Tous se ren-
dirent au palais à l'heure indi-
quée, et en partirent en habits
bourgeois; mais il n'est pas vrai,
comme on Ta dit, que Joachim
eût coupé ses cheveux et ses
moustaches. Le roi et son escorte
montèrent à cheval hors de Na-
ples , etse rendirent le soir même .
sur la plage de Miniscola, où le
major MalcesMki, officier d'or-
donnance , les attendait avec deux
bateaux; ils s'y embarquèrent,
emportant avec eux environ cent
mille écus en or, que leur apporta
le secrétaire Coucy. Le projet de
Joachim était de se renfermer
dans la place de Gaëte, où la
reine avait envoyé ses enfans , et
de s'y défendre jusqu'à la der-
nière extrémité. A deux heures
du matin, ils rencontrèrent le
grand bateau ponté, qui trans-
porte les passagers de Gaëte à
L^chia. Joachim et les siens mon-
tèrent sur ce bateau , et firent
voile pour Gaëte; mais une croi-
sière anglaise , établie devant ce
port, ne permettait pas d'y abor-
der. Ils revinrent sur leurs pas,
et se firent débarquer à Ischia.
Le roi désirait vivement avoir
«les nouvelles de sa famille; le
brave et dévoué i\lalceswki se
jeta dans une barque, et tenta
(1«; pénéircr dans Gaëto, tnais il naître un Ijâtiment venant de Na»
tomba entre les mains des An- pies , et qui faisait voile pour
glais ; sa généreuse action ne doubler l'iled'Ischia. Ce bâtiment
trouva point grâce devant eux , portait un des aides-de-cainp du
et ils usèrent à son égard de ri- roi, le général Manhiz , qui se.
gneurs révoltâmes. Quoique les rendait en France avec sa i'ainil-
habitans d'Ischia fussent tous le. Joachira y fut reçu avec son
dévoués à Joacbim, il ne pouvait neveu, le colonel Bonafoux, son
prolonger son séjour dans celte secrétaire et un valet-de-chain-
île, sans s'exposer à tomberenlre bre : le général Manhiz n'admit
les mains de ses ennemis. Dans point à son bord les antres coui-
la soirée du 20, le roi, retiré à la pagnoiis du roi. Un second bâli-
maison de la douane, reçut la meut, allant également en Fran-
visite de sa nièce, la duchesse ce, passa le lendemain près de
de Corégliano, qui se trouvait à l'île et les recueillit : h reine,
Ischia pour prendre les bains : d'après une convention faite avec
leur entrevue fut ^ongue et ton- le comuiodore Campbell, devait
chante. La duchesse avait frété s'embarquer et mettre à la voiie
c\ TNaples im bâtiment danois qui aussilàt que la ville de Naples
devait la transporter en France, serait remise aux troupes Aulri-
II fut décidé que le roi partirait chiennes. Joachim débarqué à
avec elle sur ce bâtiment, et il se Cannes , le 25 mai , avait envoyé
rendit au milieu de la nuit dans un courrier à Napoléon pour l'in-
la maison où elle était logée, former de son arrivée et lui de-
C'est là qu'il apprit, par le retour mnnfler ses ordres. Il n'en reçut
de son secrétaire, qu'une flotte point de réponse : seulement iM.
anglaise, co1i)mandée par l'ami- Baudus, qui avait été précepteur
rai Fxmoulh, était entrée dans de son enfance, lui fut envoyé
la rade de Naples, et qu'il eut par le duc d'Ofrante. Le."» dis-
connaissance de la cypitula'ion cours réservés et la conduiti;
de Casa-Lauza , en vertu de la- mystérieuse de cet envoyé, é-
quelle les Autrichiens devaient taient peu propres à calmer les
prendre possession du royaume inquiétudes du roi. Il quitta Can-
de Naples au nom du roi Ferdi- nés, et vint s'établir prés deTou-
nand IV. Celte capitulation ne Ion , à Plaisance , maison de
eontenai! pas un seul article en campagne du vire-amiral Lalle-
faveurde Joachim ; pas une seule mant. Il y reçut la noiivt.lle que
disposition qui p(\t le rassurer lord Exmoulh n'avaitfxdnt ratifié
sur le sort de sa famille. L't^xem- la convention signée par le com-
ple qu'il avait donné en 1814.. ses modore Campbell, et que la rei-
généraux l'imitaient en 181 5. Il ne et ses enfans, au lieu de venir
garda le silence, s'avouant sans le rejoindre en France, seraient
doute secrètement à lui-même transportés à Trieste. Telle fut
qu'il avait perdu le droit di; se toujours la politique de l'Angle-
plaindre des ingrats. Dans la ma- terre : les agens qui stipulent pour
tinée du ai, le roi envoya recon- elle sont désavoués par des agcn»
iViin ordre supérieur toutes les
fois* qu'elle Irouve quelque avan-
tage à modifier ou à changer en-
tièrement ses projets; une ex-
plication entre le roi et l'en-
voyé du duc d'Otrante fit con-
naître à Joachim que l'empe-
reur n'ayant point oublié qu'en
1814 il avait pris les armes contre
lui, et s'était joint aux ennemis
de la France, il jugeait convena-
ble de le laisser éloigné de Paris
et de l'armée. Il reçut par des
lettres du duc, Tassurance que
tels étaient en effet les sentimens
de Napoléon à son égard. Joa-
chim songea alors à s'établir dans
les environs de Lyon, et le 25
juin il se mit en route pour s'y
rendre. Mais, en changeant de
chevaux à Aubîigne , il apprit
qu'une révolution avait éclaté à
Marseille, où la garnison s'était
vue obligée de se retirer dans les
forts après avoir perdu beaucoup
de soldats massacres par la po-
pulace qui avait eu connaissance
(les évéïiemens de Waterloo. Le
roi revint sur ses pas. et se rendit
de nouveau à la maison du vice-
amiral Lallemant. où sa position
devint de jour en jour plus péril-
leuse ; tous les chemins qui con-
duisaient dans l'intérieur de la
France lui étaient fermés. Il en-
voya im de ses officiers auprès
du maréchal ISrune, dont le quar-
tier-général se trouvait à Antibes;
le maréchal n'avait sous ses or-
dres qu'une poignée de soldats,
et l'armistice conclu entre les
Autrichiens et le maréchal qui
commandait dans la Maurienne,
le laissait entièrement à décou-
vert : le caractère indécis de Bru-
ne n'était pas propre à le tirer
MLR
287
d'un pas si diflicile, et l'officier
revint sans savoir à quel parti le
maréchal s'arrêterait. Le général
Permont commandait à Marseil-
le : le roi l'avait connu , il lui fit
écrire, et lui écrivit lui-même
pour lui demander les moyens de
traverser la Provence, et de se
rendre à Paris où sa présence é-
lait nécessaire pour sanctionner
une transaction faite, en son
nom, avec M. de Melternich. Cet-
te demande, déjà si difficile à ac-
corder , Joachim la rendit pres-
«{ue ridicule; il voulait traverser
la Provence à la tête d'un déta-
chement de chasseurs de l'armée
du maréchal Brune, et menaçait,
en cas de refus, de s'ouvrir le
passage de vive force. Le général
Permont répondit qu'il espérait
n'être pas réduit par le roi de
Naples à employer des troupes
pour le faire renoncer à une si
téméraire entreprise. Il arrivait
journellement auprès de Joachina
des officiers qui venaient lui de-
mander des secours, et qui, pour
le flatter, lui annonçaient à l'en-
vi qu'il lui restait dans le royau-
me de Naples un parti puissant.
Les uns lui peignaient les Cala-
bres soulevées, et les autres, l'au-
torité prête à échapper de< mains
du roi Ferdinand. Ces récils exal-
taient l'imagination de Joachim :
il pensait, il disait que sa présen-
ce seule à Naples suffirait pour
changer sa fortune, et le rétablir
sur le trône. Il ne parlait que de
l'insurrection des Calabr»*s et ou
désir qu'il avait de se rendre dan»
ces provinces. Ses serviteurs les
plus raisonnables et les plu'* dé-
TOués eurent beaucoup de peine
à lui faire coneevoir qa'il nu lui
288
MLR
restait d'aulre parli à preutlrc
que de solliciter de Teuipereur
d'Autriche l'autorisation de se
rendre dans ses états, et de s'y
réunir à la reine cl à leurs enfans:
le duc d'Olrante fut chargé de
cette négociation. Le maréchal
Brune avait conclu un armistice
a^ec les Piémontais, et revenait
vers Toulon où le drapeau trico-
lore flottait toujours : Joachim
alla au-devant du maréchal, et
eutaveclui une longue conférence
à la suite de laquelle il prévint ses
o(Ticiers,qu'euxetlui, ne devaient
plus compter que sur leurs seuls
moyens pour sortir de la terrible
situation où ils se trouvaient.
L'amiral Exmouth venait d'arri-
ver à Marseille : le roi envoya
près de lui le général Rossclti
pour lui proposer de le recevoir
à bord d'un des vaisseaux de la
Grande-Bretagne, et de le con-
duire en Angleterre, où il s'en-
gageait à vivre dans une condi-
tion privée, et partout ailleurs
qu'à Londres, pourvu qu'il y fût
libre au milieu de sa famille.
L'amiral consentit à recevoir le
roi sur son bord, mais il ne s'en-
gagea à rien de plus : c'était dé-
clarer qu'il le considérait comme
prisonnier. Napoléon fit bientôt
après la fatale épreuve de cette
singulière hospitalité. Le général
Rossetli rencontra à Marseille un
des valets-de-chambre du roi. Cet
homme était porteur d'une lettre
du ducd'Otrantc, annonçant que
l'empereur d'Autriche recevrait
Joachim dans ses états, sous la
«ouïe condition d'abdiquer, et
de ne porter que le litre de comte.
Le roi répondit qu'il acceplail ces
conditions , et envoya sur - le-
MUR
champ un cou rrier porter sa répon.
se. Deux jours après il reçut des
autorités militaires l'avis qu'une
bande d'assassins , partie de Mar-
seille, devait l'enleverou le tuer
dans la nuit du 17 au 18 juillet :
il vint se réfugier à Toulrîn , mais
il ne put y rester. Le maréchal
Brune ayant rétabli dans cette
ville l'autorité du roi de France,
Joachim se retira secrètement
dans une petite maison sur 1.»
route d'Antibes, à une lieue tt
demie de Toulon , et peu éloignée
de la mer, n'emmenant avec lui
que son seul valet-de-chambre.
lie duc délia Rocca-Romaiia , les
généraux Rossetti et Giuliani, et
les deux neveux du roi, Joseph
et Eugène Bonafoux, restèrent à
Toulon , où ils firent courir le
bruit que le prince s'était mis en
route pour l'intérieur de la Fran-
ce ; mais la nuit ils se rendaient
tour-à-tour auprès du roi, lui
portaient des nouvelles et pre-
naient ses ordres. On lui proposa^
et il consentit, de traverser les
montagnes, pour se rendre, par
des chemins détournés, à Roan-
ne , où il avait déjà envoyé une
partie de sa maison. Tout était
prêt, et le moment du départ
fixé, lorsqu'il apprit qu'un bûti-
mont marchand allait , sous peu
de jours, mettre à la voile pour
le Hûvre. Le duc délia Rocca-
Romana conseilla au roi de s'em-
barquer sur ce bâtiment. Joachim
renonça aussitôt au voyage par
terre; toutes les diiïicultés furent
aplanies , mais la plus grande
restait à vaincre : le roi ne pou-
vait s'embarquer à Toulon. Le
bâtiment sortit du port à quatre
heures du matin, le 10 août;
I
MLR
donna le signal convenu (c'élait
un drapeau blanc déployé à la
poupe) , et attendit jusqu'à une
heure après midi. Joachiiu ne vint
pas. Un commissaire de police,
parti de Toulon, aborda le bâ-
timent, et lui ordonna de s'éloi-
gner. Il fallut obéir. Abandonné
par son valet-de-chamhre , qui,
sous prétexte d'aller chercher du
linge , s'éloigna et ne reparut
plus, le roi s'était rendu seul au
rivage; il voulut se faire conduire
au bâtiment qui l'attendait, mais
la barque dans laquelle il s'était
jeté fut deux fois ramenée par le
vent et par la violence des flots;
il lui fallut passer la nuit san»
nourriture, et mouillé par une
grosse pluie qui était tombée
pendant tout le jour. Dans Id
crainle d'être découvert, il n'o-
sait faire du feu pour se réchauf-
fer et sécher ses habits. Le vent
se calma, le jour reparut, mais
le bâtiment n'était plus en vue.
Joachim ne voulut pas compro-
nieUre plus long-temps les marins
qui s'étaient exposés pour le sau-
ver; de dix pièces d'or qui lui
restaient, il ne s'en réserva qu'une
seule, et leur ayant donné les
autres, il gagna les hauteurs. 11
heurta à la porte d'une cabane
isolée, où une vieille femme le
reçut, lui donna un peu de nour-
riture grossière : il laissa dans
cette cabane sa dernière pièce
«l'or, et sortit pour se rapprocher
de Toulon, d'où il espérait, à la
cîmie du jour, tirer des rensei-
gnemens et des secours. Le malin
du même jour, sa tête availété mi-
se à prix dans celte ville; il eu re-
yutl'avisparson neveu, qui venait
lui apporter un peu d'argent cl
T. XIV.
MLR
28;)
l'engager à se réfugier de nouveiîu
dans la montagne. 11 y passa une
semaine entière, se cachant pen-
dant le jour et se retirant, quand
la nuit était venue , chez une
femme pauvre, mais pleine d'iin-
manité , qui , en lui donnant ua
asile , n'ignorait pas les j)érils
auxquels elle s'exposait. Enfin ,
Joachim se vit en état de recon-
naître des soins si généreux ; quel-
ques personnes dévouées lui pro-
curèrent une b:irque non pontée,
sur laquelle il monla pour se ré-
fugier en Corse. Assailli dans la
traversée par une tempête , il im-
plora le secours d'un bâtiment
qui faisait la môme route, mais
le capitaine, par un trait de bar-
barie dilUcile à expliquer, ma-
nœuvra pour couler à fond cette
barque que les flots menaçaient
d'engloulir. Le conjmandant du
paquebot de Toulon à Bastia fut
plus humain, il recula son bord
le roi et ses compagnons; quel-
ques minutes plus tard , la frêle
embarcation , qu'il venait de
quitter, s engloutit dans les flots.
Il était nuit quand ils entrèrent
dans le port de Bastia ; le roi fit
prévenir de son arrivée un an-
cien sénateur; il en reçut, pour
toute consolation , le con.»eil île
s'éloigner_au plutôt et de partir
pour Vescovato, où se trouvait
un de ses anciens ollîciers , le gé-
néral Franceschetli; il s'y rendit
à cheval et y fut reçu avec tous
les égards dus à son rang et à son
infortune. C'est là que, victime
d'une intrigue non encore quali-
fiée, il reçut de perfides messa-
gers, envoyés pour réveiller sa
vanité, facile à séduire encore,
malgré tant d'infortunes, et pour
»9
290
MLR
lui peindre le peuple napolitain
soupirant après son retour. Pour
remonter sur le trône tle Naples
il lui suffiniit, disait -on, de ?o
montrer à ses anciens sujets. II
le crut, engagea ses diamans et
nolisa six l>iir<jues ; il fit enrôler
200 soldats, parvint à se procu-
rer des armes , et fit les prépara-
tifs nécessaires poui' s'embarquer
à Ajaccio. C'est là que M. Ma-
cirone vint de Paris lui appor-
ter les passeports, en vertu des-
quels il était autorisé à se ren-
dre et à vivre dans les états de
l'empereur d'Autriche. Joachim
dit qu'il était trop tard, s'embar-
qua et mil ù la voile dans la nuit
du 28 septembre 181 5, pour aller
reconquérir son royaume. Barbara,
d'origine maltaise , n>arin obs-
cur, que le roi, dans l'exercice
de sa puissance , avait élevé au
grade de capitaine de frégate ,
élait venu le rejoindre ou avait
été envoyé vers lui ej;i Corse ;
c'est à cet homme qu,;é le com-
mandement de l'escadre fut con-
fié. Les vents Contraires retardè-
rent sa marche ; le 5 octobre les
bâtimens furent dispersés par la
tempête , il n'en resta qu'un avec
celui que montait le roi. Le 6 au
matin ils se virent tout prochesde
la côte des Calabres, et les si-
gnaux qu'ils firent toute la jour-
née ne parvinrent A rallier qu'une
seule des barques de transport ;
elle portait quarante soldats qui
avaient servi dans la garde royale
napolitaine. Les douaniers me-
naçaient de faire feu sur ces bar-
ques, il fallut s'éloigner, en aban-
donnant l'oflicier qui avait été en-
voyé pour répondre auxquestions
de la douane. La barque qui avait
MU IV
rallié celle du roi était comman-
dée par un officier nommé Cou-
rant; il profila de la nuit pour s'é-
loigner, et ne reparut plus. Alors
Joachim abandonna ses projets ,
fit jeter à la mer les procla/nalions
imprimées dont il s'était pourvu
avantdequ-ilterlaCorse, et projeta
de se retirer àTricste. Mais la bar-
que qu'il montait avait reçu des
avaries, manquait d'eau et avait
pende vivres; il devt;nait indis-
pensable de s'en procurer pour
traverser l'Adriatique. Barbara
proposa de se rendre au Pizzo ,
où il avait, disait-il , des intelli-
gences. On fit voile pour ce port ;
la felouque se trouva en vue du
port de Pizzo le 8 octobre vers
midi. Barbara demanda au roi
son passeport pour se rendre à
terre ; Joachim lui fit observer
que ce passeport ne pouvait ser-
vir qu'à le faire reconnaître, mais
Barbara insista avec tant d'obsti-
nation , que le roi , perdant pa-
tience, déclara qu'il allait lui-
même desrendre sur le rivage.
Tout ce qu'on lui dit pour le dé-
tourner de ce funeste dessein fut
inutile , il ne resta à ses plus
fidèles serviteurs d'autre parti à
prendre que de descendre avec
lui, et de partager les périls au-
devant desquels il semblait cou-
rir. Avant de quitter la felouque ,
Joachim ordonna à Barbara de
se tenir prêt à tout événement
et en état de les recevoir , s'ils
étaient forcés de se rembarquer.
Il descendit sur le rivage avec
une trentaine d hommes , offi-
ciers , soldats et domestiques ;
quelques marins qui le reconnu-
rent, crièrent : Five Joachim!
Un sergenf , qui commandait le
MLR
poste de* can^nniers. Gt prendre
«"t {>rév«!ealer le* armes à ses sol-
ilats, et battre aux champs. Le
roi dit à ce sergent de le suivre, et
il prit la route de iMonteleone ,
inîiis il fut arrêté dans sa marche
par fe feu d'une bande de paysans,
qu'un capitaine de gendarmerie,
nommé Capeliani, avait réuni^^.
Forcés de revenir vers le rivage,
le roi et sa troupe n'y trouvèrent
plus la felouque; aux premif^rs
coups de fusil Barbara s'était éloi-
gné. Toute la populace courut
sur eux : des personnes qui en-
touraient Joachiin, une fut tuée,
sept furent blessées, les autres, et
lui-même, tombèrent entre les
mains de leurs ennemis, qui les
conduisirent au fort. Le capitaine
de gendarmerie insulta son pri-
sonnier par des paroles outra-
geantes, lâcheté digne d'un chef
de sbires;il le fouilla, lui enleva «es
papiers et aa diamaus, seuls dé-
bris de sa fortune et de ses gran-
deurs passées. On trouva aussi ,
sur lui, un exemplaire de la pro-
clamation. qu'un de ses ofîîriers
avait imprudemment conservé et
que Joachim lui avait repris. Le
général Nuuziante. commandant
en Calabre, arriva de Monleleone
dans la nuit du 8 au 9. Un Espa-
gnol. régisseur des biens du duc
de rinfantado. vint offrir au roi
ses services, lui fit accepter du
linge et des babils. Le lend<'maiii
le roi fut. par l'ordre du généwil
Ntintiante , transféré dans une
( hambre particulière, où il fut
traité avec égards par ce général
et les officiers de garde. Il y resta
trois jours : pendant ce temps,
.loachim avait inutilement de-
inandéde passersur un bâtiment;
MLR
î>f)i
portant pavillon anglais, qui se
trouvait dans le port. Le qua-
trième jour, le général Nunziante
annonça au roi qu'il avait reçu ,
par le télégraphe, l'ordre de le
consigner, et ne s'expliqua pas
plus clairement, sotis le prétexte
que cet ordre n'en disait pas da-
vantage. Le roi avait écrit à Na-
ples aux ambassadeurs d'Autriche
et d'Angleterre. Il s'était adressé
aux consuls étrangers résidant au
Pizzo, mais les lettres avaient
été toutes envoyées au gouverne-
ment napolitain. Le 15, sous pré-
texte de faire subir un interroga-
toire aux généraux Franceschetli
et Natale , on les éloigna du roi.
Ln ordre arriva pendant la nuit
au général Nunziante , de faire
juger Joachim par un de ces tri-
bunaux exceptionfiels , connu»
sou> le nom de commissions mili-
taires. Cet ordre équivalait à une
conjiamnation, et des mesures fu-
rent prises en conséquence. Ou
éloigna au."^sitôt du roi détrôné son
valet-de-chambre Armand , qui
n'avait cessé de lui donner les
preuves les plus touchantes d'un»-
incorruptible fidélité. Sur les trois
heures, le roi demanda à dîner,
on lui servit un pigeon désossé
et son pain était coupé par petits
morceaux : ces précautions an-
nonçaient le sort qui lui était ré-
servé ; une heure après sa sen-
tence était portée. Il demanda ,
avant de mourir, à voir ses géné-
raux,et son valet-de chambre;celte
grSce lui fut refusée : on pouvait a-
lorsètre impunément cruel envers
lui. La seule faveurqu'il obtint fut
celle d'écrire à la reine. Voici sa
lettre :i5octobre 181 5. «Ma chère
» Caroline, ma dernière heure est
292
31 LR
«somiî'e : encore f|uelqiies ins-
))tans, j'iiiirai cessé de vivre ; tu
«n'auras plus d'époux, et mes
«enlans n'auront plus de père.
» Pense à moi , ne maudis pas ma
«mémoire. Je meurs inuoct^nt ;
«ma vie n'a été souillée par au-
«cune injustice. Adieu, mon A-
» chille ; adieu, ma Letitia ; adieu,
»mon Lucien; adieu, ma Louise :
«montrez -vous toujours dignes
» de moi. Je vous laisse sans biens,
«sans royaume, au milieu de mes
«nombreux ennemis : restez tou-
» jours unis; montrez-vous supé-
«rieurs à l'adversité, et pensez
«plus à ce que vous êtes qu'à ce
«que vous élicîz. Que Dieu vous
«bénisse! Souvenez- vous que la
«plus vive douleur que j'éprouve
«dans mes derniers momens, est
«de mourir loin de mes en fans.
«Recevez ma bénédiction pater-
«nelle, mes larmes et mes len-
«dres embrassemeus. N'oubliez
«pas voire malheureux père!»
Il coupa une mèche de ses che-
veux, la renferma dans la lettre,
et chargea le capitaine rapporteur
de la faire parvenir à sa femme.
Au moment de mourir, il refusa le
bandeau et la chaise qui lui furent
offerts. « J'ai trop souvent bra-
« vé la mort pour la craindre, dit-
» il à l'oflicier chargé de taire exé-
N ou ter sa sentence.» Le portrait de
ia reine était empreint sur le ca-
chet de sa montre : il le posa sur
son cœur, recommanda ses com-
pagnons d'infjrtune, et entendit,
sans pâlir, donner l'ordre qui l'é-
leiidit sans vie aux pieds des
liouimes dont il avait été sept ans
le généra! et le souverain. La plu-
part des officiers qui le condam-
nèrent lui devaient leurs épau-
MLR
letles, particulièrement le prési-
dent Joseph Fassulo, adjudant-
général, et Raphaël Scalfaro, chef
de légion de la Calabre ultérieu-
re ; pas un d'eux n'avait un grade
assez élevé pour être juge d'un
officier-général; et, à ne considé-
rer Joachim que sous le rapport
a)ilitaire, il était maréchal de
France. Les hommes qui l'ont
jugé placent sans doute celte
action parmi leurs titres de gloi-
re : il est juste de la consacrer
en plaçant ici leurs noms. Outre
les deux qui viennent d'être ci-
tés, les officiers qui composaient
la commission tnilitaire du Pizzo,
étaient Litterio Natali, lieutenant-
colonel de la marine royale ; Jan-
vier Lanzetta, lieutenant- colonel
du génie; les lieutenans d'artil-
lerie Mathieu Cancelli, François
Devouge, François Paul Martel-
lari; François Frojo, lieutenant,
faisait les fonctions de rappor-
teur. Jean La Caméra, procureur-
général au tribunal criminel de la
Calabre, fut adjoint à cette com-
mission. Cent dix-sept individus
du Pizzo obtinrent à cette occa-
sion des faveurs de la cour ; et les
juges ne furent pas oubliés dans
la distribution des grâces. N'o-
sant prendre sur nous cette res-
ponsabilité, nous renvoyons aux
successeurs du révérend père Es-
cobar, la question de savoir si le
nom de rcgicide doit être donné à
la tnort de Joachim Murât. Nous
ne leur soumettons pas celle de
savoir si le caractère de roi est in-
violable; nous n'en avons jamais
douté.
MURAT ( Caroline -Marie-
Ansonciade Bonaparte), sœur de
Napoléon, ex-reine de Naples,
MLR MUR 290
f'st née le 26 mars 1782, à Aiac- forcé» de rendre hommage. S'en-
cio, en Corse. Avec une figure toiiriint de? lumières et des con-
lemarquablement belle, douée de seilsdes hommes les plus éclairés,
toutes les grâces qui pouvaient elle cherch;iit la vérité, sans se
en accroître le charme, Caroline laisser jamais entraîner par l'in-
Bonaparte annonçait, dès sa ten- fluence d'aucune considération
dre jeunesse, les qualités aima- particulière. Comme tout ce qui
bles et le digne et noble caractère pouvait contribuer 11 la prospérité
qu'elle n'a jimiais démenti. L'em- de la nation napolitaine était sans
peieur appréciait dès- lors ce cesse dans sa pensée, les arts et les
qu'elle serait nn jour, et a ton- sciences devaient naturellement
jours eu pour elle un attachement trouver en elle une protectrice
dont il se plaidait à donner des éclairée par le gofit et par le sen-
témoignages jusque dans ses der- liment exquis du beau; et c'est à
nitTs momens. En 1800 elle é- elle qu'est due la restauration et
pousa le général Murât, dont la Ki nt)uvelle disposition du riche
l'ortune s'accrut avec celle de niusée des antiques à Naples ; la
Napoléon. Il fut nommé succès- création d'une maison d éduca-
!?ivement général en chef, gou- tion de 5oo jeunes demoiselles, à
verueur de Paris, maréchal de la perfection de laquelle elle ap-
France . prince et grand-amiral, portait un soin particulier, eldont
gnind-duc de Berg, enfin roi de elle faisait une grande partie delà
Naples en 1808. Sa femme, en dépense sur ses revenus person-
partageant ces honneurs et ces nels. Il en était de même à l'égard
dignités, faisait de sa fortune des fouilles de Pompeïa, qu'el-
l'emploi le plus honorable, et le a organisées sur un meilleur
trouvait dans sa brillante posi- système, et d'où elle a exhunié,
tion des moyens sans cesse re- pour ainsi dire, un grandnombre
naissans de répandre des bien- de monnmens précieux. Les di-
faits. Sur le trône de Naples , elle vers établissemens qu'elle a for-
ent souvent , et toutes les f'-is mes ont tous été conservés par
qu'elle exerçait la régence, en le roi Ferdinand, et subsistent
l'absence du roi, l'occasion de encore tels qu'elle les a institués,
montrera quel degré elle pos^é- Fofin , après avoir pendant sept
dait les qualités qui font digne- années donné aux Napolitains
nient occuper nn rang élevé; et des preuves de sa constante stil-
l'iin des moindres mérites de son licitude pour leur bonheur, elle
aflmiui?tration , était l'ordre , a trouvé encore dans la catastro-
J'exactitude et la rapidité de sa phe qui l'a précipitéedu trône, une
marche. Une grande justesse de non \ elle occasion de montrer
jugement, une rare |)énétriilion cette firmelé et ce caractère sans
et une volonté bien pronuncée de lesquels la ville de Naples aurait
laire le bien, donnaient;! toulesses été, dans celte circonstance , Id
décisions un caractère de justice théâtre des scènes les plus san-
auquel ceux mêmes à qui ellesé- glanles. Le pillage, le meurtre,
talent contraires, étaient toujours l'incendie meuaçaient cette ca-
^o\
ML il
pitale , et devaient avoir lieu
an moment où elle la quitterait.
Instruite de ces complots, elle
prépara toutes les mesures capa-
bles de comprimer la populace;
elle fit assembler la garde natio-
nale , au zèle et au courage de
laquelle elle confia la sûrelô de
la ville; elle donna tous les or-
dres nécessaires pour empêcher
l'exéculion des projets sinistres
qui devaient éclater; et afin de
ne pas laisser aux brigands le
temps de les accomplir, elle ne
voulut s'embarquer que pfiu de
temps avant l'entrée des Autri-
chiens dans Naples. Les mesures
qu'elle avait ordonnées ne furent
pas vaines, car, quelques heures
après son départ, plusieui's mil-
liers de prisonniers forcèrent les
portes des prisons pour se répan-
dre dans la ville, et y commettre
les ravages qu'ils avaient proje-
tés ; mais la garde nationale les
repoussa, et les fit rentrer dans
leurs cachots, où ils furent con-
tenus jusqu'à l'arrivée des Autri-
chiens. A cette époque difficile,
elle déploya le même caractère,
et donna encore des preuves d'un
calme et d'un sang-froid imper-
turbables. Dans le traité qu'elle
fit avec le Commodore Campell,
alors dans la rade de Naples, sa
seule pensée se dirigeait sur les
intérêts des Napolitains, et ce
n'est qu'après les avoir assurés,
qu'elle stipula pour les siens pro-
pres, c'est-à-dire pour la conser-
vation de ses propriétés person-
nelles et particulières ; stipulation
inexéoutée, puisque la restitution
lui en a été refusée par le roi
Ferdinand, et que même un mo-
bilier précieux, considérable, d'u-
MCR
ne valeur de [dusieurs millions,
qu'elle avait fait veilir de France,
et acquis de ses propn'S deniers,
existe encore dans les palais de
Naples, de Porlici, etc., malgré
les réclamations. Retirée depuis
stpt ans en Autriche, M"" Murât
s'est entièrement livrée à l'édu-
cation de ses quatre enfans; aux
principes qu'elle a cherché à leur
inspirer, elle joint l'exemple de
la résignation la plus parfaite, de
celte force d'âme qui ne se laisse
point éblouir dans la prospérité,
et qui fait supporter la mauvaise
fortune avec courage. L'ordre et
l'économie rendent suffisante à
son existence et à celle de ses
enfans sa médiocre fortune, et sa
seule pensée, comme sa seule'oc-
cupation, est de tâcher d'adoucir,
par ses soins et par les témoi-
gnages de la plus vive tendresse ,
l'espèce de captivité à laquelle ils
sont condamnés depuis leur ten-
dre jeunesse, heureuse de trouver
dans leur reconnaissance et leur
amour la récompense de tous les
sacrifices qu'elle fait pour eux.
Sa conduite pleine de modéra-
tion, de réserve et de simplicité
depuis qu'elle réside en Autricb»;
a été telle, qu'il était impossible
qu'elle n'y inspirât pas le plus vé-
ritable intérêt, aussi y jouit-» 'le
de tous les égards et de toute la
considération qu'elle mérite, et
le gouvernement autrichien, eu
la privant de l'exercice de sa li-
berté, remplit probablement dr.i
conventions dont chaque jour
semble désormais faire recon-
naître l'inutilité. Au surplus, sa
consolation la plus douce dans sa
solitude, est d'avoir fait tout le
bien qti'une brillante position lui
permetlait de tiire, et d'avoir
1 heureuse assurance que ses
bienfaits n'ont pas toujours été
oubliés par ceux qui en ont été
l'objet.
ML liET (Jeas-Lottis), miaisire
du saint Evangile, naquit à Mor-
ges (Suisse), vers ijiS, et fut re-
çu au sortir de ses éludes ministre
du saint Evangile, à Berne. Après
avoir successivement exercé ses
fonctions dans cette ville et à Or-
be, Granson et Corsier, il devint
diacre, puis premier pasteur de
Vevei, enfin doyen du synode de
celte ville et de Lausanne. Muret
avait cultivé avec succès l'url
de Timprovisation : on rapporte
qu'assistant un jour au sermon
d'un de ses confrères, qui se trou-
va subitement indisposé, il mon-
ta en chaire et continua le ser-
mon sans rien changer au plan ni
au texte de son prédécesseur. «Cet
ecclésiastique, dit l'auteur d'une
des notices qui lui ont été consa-
crées, s'occupa surtout dans sa
longue et honorable carrière, d'a-
méliorer l'état moral et politique
de ses concitoyens : Eclairer le
peuple des campagnes sur ses
vrais intérêts, rédiger un caté-
chisme d'agriculture, ouvrir des
dépôts où le cultivateur pût se
procurer les graines des plantes
céréales et des graminées nouvel-
lement découvertes, à la simple
charge de les rendre en nature a-
près la récolte; établir une sorte
de banque, où le lal)oureur trou-
vât les avances nécessaires à ses
travaux ; rendre les almanachs
plus utiles, et en faire des organes
d'instruction populaire ; amener
dans son canton l'uniformité des
poids et mesures ; obtenir une ré-
MLR
293
forme de la jurisprudence crimi-
nelle : tels furent ses plans favo-
ris.» On voit par cet exposé que
Muret s'occupa beaucoup d'agro-
nomie, et il a publié sur ce sujet
plusieurs Mémoires, dont les prin-
cipaux sont : 1° Lettre sur le per-
feitionnementde l^agricn II are, 1 ^6'i ;
2° Mémoire sur t'étal de la popula-
tion dans le pays de f^aud, couron-
né en ij66: 3" Mémoire sur cette
question: Quel est, flans le canton
de Berne, le prix des grains le plus
arantageu-x? 17O7; 4" i' «^ fourni
à Court de Gébeliu un Glosaire dit-
patois du pays de Vaud. Muret
mourut, vivement regretté, le 4
mars 1796. M. le pasteur Bridcl
lui a consacré une Notice dans le
6* vol. du Conservateur suisse.
MURINAIS (le CDEVALIE& de),
membre de l'assemblée consti-
tuante, où il fut appelé, dans les
premiers mois de 1790, à rempla-
cer un membre démissionnaire,
avait été nommé, par la noblesse
de la province du Daupbiné, dé-
puté-suppléant aux eUts-généraux
eu 1789. Le chevalier de Murinais
tit partie de la n)inorité si im-
puissante à repousser les réforme*
qui ont immortalisé l'assemblée
constituante. Dépourvu de taleii»
oratoires , n'ayant aucun empire
sur lui-même, sans influence dans
son propre parti , il tenta vaine-
ment de jouer un rôle. On le vit
néanmoins, le 7 août 1790, atta-
quer avec une certaine énergie
Robespierre, qu'il traita même de
factieux parce que celui-ci récla-
mait contre quelques articles du
code pénal maritime, où le député
de la provint e d'Artois voyait
trop de disproportion de peine en-
tre l'oflicicr et le matelot, l^ 11
af)6 MUR
du mcme mois, i! invita brutale-
ment Goupil de Prcfcln à aller
loucher la rétribution due aux dé-
lateurs pour avoir signalé un écrit
où Frondcville déclarait s'honorer
de la censure de l'assemblée. Dans
la discussion qui s'éleva le 26 jan-
vier 1 791 , à l'occasion des pi êtres
réfraclaires, il combattit le projet
de les remplacer , et proposa de
poursuivre la société des jacobins.
Il repoussa, le i5 mai suivant, la
proposition d'accorder le droit de
cité aux hommes de couleur, issus
de pères et mères libres. Il atta-
qua encore , le 18 juin, Robes-
j»ierrc, alors, comme en 1790, à
peu près inconnu et sans influeii-
<;e, parce qu'il avait dénoncé une
émeute survenue à Brie-Comte-
Robert. Lors du départ du roi
pour Varennes , le chevalier de
Murînais sembla chanceler dans
ses principes en prêtant serment
de fidélité A l'assemblée. Le retour
du roi à Paris parut le replacer
dans son ancienne position, et, le
14 aofit , il demanda que le fils
aîné du monarque conservât le
titre de dauphin. Il signa les pro-
testations des 12 et i5 septembre,
et disparut de la scène politique
à la fin de la session.
MURISSAIS- D'AUBERJON
(N.), officier-général, fut député
par le département de la Seine au
conseil des anciens, en mars 1797.
Sa carrière politique fut d'une
bien courte durée. S'étant rangé
parmi les membres du parti de
Clicliy, il fut atteint par la révo-
lution du 18 fructidor an 5 (4 sep-
tembre i797)« dont il n'eut con-
naissance qu'au moment où , se
rendant au conseil dans la matinée
même de l'événement, il fut arrê-
MLR
té. L'opinion pnblique, qui ven-
ge toujours les proscrits en flé-
trissant les proscripteurs, leur
reprocha vivement la peine pro-
noncée contre un vieillard jus-
qu'alors irréprochable , ^et qui
ne pouvait, sous aucun rapport ,
apporter d'obstacles à la mar-
che des choses. Conduit à Cayen-
ne, Murinais-d'Auberjon y devint
bientôt la victime de ce climat
meurtrier. Le 5 décembre 1797»
il mourut au milieu de ses com-
pagnons d'infortune, en leur a-
dressant ces mots louchans et que
son grand ûge rendait sublimes :
« Plutôt mourir sans reproches A
» Sinamary que de vivre coupable
»à Paris. » Son éloge funèbre fut
prononcé par Tronçon Ducou-
dray, qui ne lui survécut que de
quelques mois.
MURPHY (Abthbb), littérateur
anglais, naquit en 1727, dans le
comté de Roscommon en Irlande,
d'une famille de commerçans.Bien
jeune, lorsque son père périt acci-
dentellement en se rendant à Phi-
ladelphie, il fut placé par sa mère
au collège anglais de Saint-Omer,
où il fit de très-bonnes études. De
retour dans sa famille, il se livra
aux opérations commerciales que
sa mère avait continuées, mais ce
futmalgrélui et contre sa vocation,
qui le portait à la profession des
lettres. Il se fit connaître par la
création d'une feuille hebdoma-
daire qu'il parvint à soutenir pen-
dant deux ans , et qui lui acquit
la réputation d'homme instruit et
de littérateur agréable; elle lui fit
aussi des amis, parmi lesquels on
doit citer même ses concurrens ,
les Moore , les Johnson et les
Havtkesvorth. Son amour pOMC
MLR
les plaisirs , l'espérance trompée
«l'une «uccession. le mirent dans
le plus grand embarras, et. forcé
par le besoin autant que par son
goût inné, il monta sur le théâtre,
où il parut avec quelques succès;
mais il n'y resta qu'une année.
Repoussé de la société de juris-
prudence de Middle -Temple , à
cause de la profession de comé-
dien qu'il avait exercée, il s'adres-
sa, en ,1707, à celle de Lincoln's-
Inn . et y fut reçu. D'abord atta-
ché à Fox (depuis lord Holland),
il créa un journal politique qui
eut de la vogue tant que le minis-
tre fut en [>iace, mais qui lomba
lors de la révolution ministérielle.
Il ne fut pas dans la suite plus
fidèle aux opinions parlementaires
de Fox , dont il cessa même de
cultiver l'amitié. Cette mobilité
d'idées et de principes politiques
porta Murphy à composer quel-
ques comédies en même temps
qu'il se livrait à ses études de ju-
risprudence. Son Apprenti parut
en 1756, et son Tapbsiei- en 1758.
On remarqua dans cette dernière
im rùle de barbier-poète qui, po-
litique ridicule , réalisait sur la
scène le portrait satirique qu'Ad-
disson avait créé dans le Specta-
teur. Le drame chinois de l'Or-
phelin, et la tragédie de l'Orphe-
lin de la Chine, de Voltaire, lui
servirent dans la composition de
l'Orphelin de la Chine, qu'il fit
jouer en 1761. L'année suivante,
il s'essaya au barreau . et créa en
même temps pour lord Bute, ainsi
qu'il l'avait fait pour Fox , une
feuille politique iutilulée : The
Aaditor. Lord Bute «t ses parti-
sans soutinrent mal l'entreprise
de .Hurphy, qui, d'iûll<;urs, était
. MIR 51 If
un politique fort inhal)ilp. Son-
vent mystifié par ses rivaux WiK-
kes et Churchill, et raillé par les
deux partis, il fut obligé de renon-
cer à la rédaction de son journal.
Il alla cacher sa honte parmi les
gens de loi du comté de Norfolk ,
qu'il abandonna en 1787 par suite
du mécontentement de s'être vu
préférer un de ses jeunes confrè-
res pour la place de conseiller rfu
roi. Se consacrant tout entier à la
littérature , il acheva la publica-
tion de ses œuvres en 7 vol. iu-S%
qu'il avait commencée en 1781).
Il donna , en 1792, une édition
des ouvrages de Johnson, avec un
essai sur la vie et le mérite de cet
écrivain. Ennemi de la révolution
française, Murphy resta fidèle au
parti de lord Bute, et dédia à ce
lord sa traduction de Tacite , 4
vol. in-8°, accompagnée d'un es-
sai sur la vie de l'historien romain,
de notes et d'un supplément his-
torique. Elle fut froidement ac-
cueillie. On reprocha au traduc-
teur toutes sortes d'infidélités, et,
dans les notes , des rapproche-
meus politiques avec le temps où
il vivait, sans goût, sans esprit, et
tellement passionnés, que les par-
tisans de lord Bute l'accusèrent
de maladresse. Murpb}'^ ne trouva
pas sans doute sufTisans les gages
qu'il avait donnés aux doctrines
du ministère. Il publia, en 1798,
son Arminius , dans l'intention
évidente de démontrer « la justice
»et la nécessité de la guerre con-
«tre la France. » Le poète mini>-
tériel eut raison : il obtint un em-
ploi très-lucratif à la banque, et
plus tard une pension de 200 li-
vres sterling. C'était beaucoup
san5 doute, beaucoup trop inêititt
2-,8
MLR
pour ses services constamment
subalternes; mais il se croyait en
droitd'ohtcnir davantage, des pla-
ces, desdignilés. lien conçut une
mélancolie profonde, qui altéra
sensiblement son moral, et il
mourut dans l'état le plus déplo-
rable , le 18 juin i8o5. Cet écri-
vain, que ses principes exagérés
en politique ne privaient heureu-
sement pas de qualités personnel-
les très-estimables, est fort judi-
cieusement caractérisé dans une
ÎSotice, où on le traite presque
toujours avec une grande bien-
veillance, notice dont nous allons
extraire le passage suivant : « Dans
ses productions dramatiques il a-
vait mis sotjvent à contribution les
écrivains français; ce qui ne l'a
pas empêché, ou plutôt ce qui a
été pour lui une raison de les dé-
nigrer. Il se permet surtout une
ciili(|uc injuste contre Voltaire.
C*est néanmoins dans VAlzire de
ce dernier, qu'il parait avoir puisé
ridée de sa tragédie d'^/zM/na/ et
sa Zénobie doit beaucoup au Rha-
dmniste de Crébillon. En revan-
<he, il n'a pris, dit-il, pour sa
Fille grecque, que trois vers de la
Zelmire de Dubelloy. Sa conié-
tlie, nWhvAî^Q, Knovo jour ownmind,
une de ses meilleures pièces, offre
des traces d'imitation de Vlrréso-
tii de Destouches. Dans celle qui
a pour titre, le Moyen de le fixer,
(ouvrage que M""" Kiccoboni a tra-
duit), et dans laquelle il apprend
aux femmes à rendre leur inté-
rieur agréable, si elles veulent ré-
gner sur le cœur de leurs maris,
\lurphy a encore fait un emprunt
considérable à Lachaussée. » iVlur-
phy a traduit en vers latins, l'Elé-
gie de Gray, sur un Cimetière de
WLR
Campagne. Il écrivait sa langue
maternelle avec pureté et même
élégance. Comme auteur tragi-
que, son style est sans énergie ;
comme poète comique, cet auteur
a un mérite plus réel sous le dou-
ble rapport du dialogue et de l'ac-
tion dramatique, et l'on cite com-
me étant restés au courant d\\
répertoire : 1° V École des Tuteurs;
Tout le monde a tort, imitée du
Cocu imaginaire de Molière; 2° le
Choix; 3" C Ennemi de lui-même;
4° le Bourgeois ; 5° la Vieille fille ;
6° l'Ile déserte, d'après la piètre du
même nom de Métastase; 7° le
Mariage clandestin, qui a fourni à
son tour, le sujet del Matrimonio
Secrcto , musique de Cimarosa.
Outre les diflërens ouvrages dont
il a déjà été question, on lui doit
un Essai sur Fielding, dans l'édi-
tion de 1762; une traduction du
Bélisaire de Marmontel,i79i; una
autre de Salluste et des Catilinai-
res de Cicéron; une imitation de
la treizième satire de Juvénal; un
poëme, des Abeilles, en quatre
chants, avec des notes. Dans cet
ouvrage, Murphy a imité le qua-
torzième livre du Prœdium rusti-
cum, de Vanière; une vie de Gar-
rick, 1801, 2 vol. in-8", traduit en
français, 1 vol. in-8". Un de ses
amis, Jessefoot, a publié en 1812,
in-4% une Vie de Murphy , où
l'on trouve des détails assez pi-
quans, des fragmens de plusieurs
comédies et les matériaux de la
vie de Samuel Foote, célèbre ac-
teur, avec lequel Murphy avait
joué la comédie.
MURPHY (Jacques Cavanach),
architecte anglais, plus connu
comme voyageur que par les mo-
numens qu'il a exécutés», naqMit
MLR
en Irlande, et s'occupa toute sa
\ie de la recheiclie des nionu-
niensde l'art. Il partit de Dublin,
en 1788, visita le Portugal et
l'Espagne , et , à son retour en
Irlande, publia le résultat de ses
excursions dans la péninsule. On
lui doit : i\ en anglais, Voyage
en Portugal, dans les provinces
d'entre Douro et Minho, Beira,
Estramadoure et Alentejo , dans
les années i;8g et 1790, contenant
des observations sur les mœurs, les
usages, le commerce, les édifices
publics, les arts, les antiquités de
ce royaume, Londres, 1793, 1
vol. in-4% fig. , traduit en fran-
çais par M. Lallemant, 1 vol. in-
4", Paris, 1797, avec figure»; il
a aussi été tiré in-8°, 2 volumes.
On reproche à cette lraduclk)n
différentes inexactitudes. L'ou-
vrage de Murphy fait connaître
l'état de l'archilecture et des an-
tiquités dans cette contrée que
l'on jugeait ne renfermer aucun
monument digne de fixer Tatlen-
tion des savan?, des artistes ou
des philosophes. 2° Plan , éléva-
tion, coupes et vues de l'église de
Batalha, dans la province d'Estra-
madure en Portugal , traduction
de F. L. de Souza , Londres ,
1796, 1 vol. in-fol. , avec 27
planches; 5° enfin. Antiquités des
Arabes en Espagne , Londres ,
1816, 1 vol. grand in-fol. avec
reiit gravures exécutées par les
artistes anglais les plus distin-
gués, sur les dessins de l'auteur
qui mourut, en 1816, pendant la
publication de ce magnifique ou-
vrage. Mnrphy avait des con-
naissances dans l'histoire des
monumens; il les décrit avec
soin , el se; ouvrajjcsi, bien lé-
ML'R 299
digés, se font lire avec intérêi»
MLRR (Cdristophe-Tuéophile
de), écrivain célèbre de l'Alle-
uiagne, membre des académies
de Goltingue, Cassel, Berlin,
Munich, Strasbourg, etc., cor-
respondant de l'institut de Fran-
ce, naquit, en 1705, à Nurem-
berg. Il termina ses études à l'ii-
niversilé d'Alldorf, et visita 1rs
bibliothèques des principales vil-
les de l'Europe. Le soin de sa
fortune le détermina à accepter,
en 1770, la place de directeur des
douanes de sa ville natale, uù il
se fixa. Un amour malheureux,
dans un voyage en Angleterre,
le détermina à se vuuer au céli-
bat. Toute sa vie est dans ses ou-
vrages, dont cinq sont en fran-
çais, trente en latin et le reste
dans sa langue maternelle. Il
mourut, en 181 1, presque octo-
génaire. Le nombre de ses ou-
vrages est considérable, nous nu
citerons que les principaux. Ce
sont : 1° Essai sur l'histoire des
poètes tragiques grecs , Nurem-
berg, 1760, in-8"; -i' Bibliothè-
que de peinture, de sculpture et de
graimre, Francfort, 1770, a vol.
in-8°; 5° Bibliothèque glyptogi'a-
phique, Dresde, 1804» in-8°, de
296 pages; 4" Description du ca-
binet de M. Paul de Praun, Nu-
remberg, 1797, in-8°, avec sept
planches ; 5" Description des or-
nemens impériaux, etc., gardés 1^
Nuremberg et à Aix-la-Chapelle,
Nuremberg, 1790, in-8°, aveu
quinze planches; 6° Commenta-
tio de re diptomaticâ Friderici II,
Altdorf, 1756, in-4»: ^° CataU>-
gus omnium opérant Mss. et sche-
malum Gforgii CItr. Eimmart ,
Nuremberg, 1779» i«i-4": collée-
5oo MUR
tion qu'il donna, en 1786, à la
bibliothèque des jcsnites de Po-
locz, en Russie •,^''Memorabilia bi-
bliothecarum publicaramN orimber-
gi'Ttsium et universitatis A Itdorfinœ,
Aildorl", in-8", tom. 1, 1786, avec
buil planches; tom. II, 1788, qua-
torze planches; lom. III, 1791,
deux planches; 9° Notitia libri
rarisslrni geograpliiœ Fr. Bertiii-
ghicrif '79O1 in-8", de 2^1 pages ;
10° Notitia fluor um codicum masi-
eorum Guidonis Aretini, etc. ,
j8oi, in-4% deux planches ; 11"
Notitia trium codicum aulogra-
pboruni Job. Regiomontani, 1801 ,
Ju-4°« I planche; 1 a° Adnotalio-
nes ad bibliotbecas Uallerianax, in-
/|° ; 1 5" Coiispectus bibliothecœ glot-
licœ aviver sa Us propedieyn edemlce,
opus (/ainquaginia annorum, INu-
r»'uiberg, 180/4, in-8"; il^" Essai
d'aiie bistoire de la langue anglai-
se et de ses dialectes, Léipsick,
j8o5, in-S"; 15° Notices sur divers
sacans anglais et italiens vivans,
1770, in 8°; 16° Histoire diplo-
matique de Martin Debaim, 1778,
in-8"; 17° Notice sur la vie et les
écrits de Giorduno Bruno, 180 5,
in-8", fig. ; 18° Sur le meurtre
d'Albert, duc de Friedland, Hal-
Je, 1806, in-8% 2 pi. ; 19° Cala-
logus cbirograpboriim et epistola-
rum autograpbarum personarum
celebrium , Nurennberg , in -8°,
1797 , 1802 ; 20" CItirograpbia
personarum celebrium è colleclione
C. T. de Murr, rnissus primus,
Weimar, 1804? in-fol. , 12 pi.,
contenant le fac simile de si<5na-
tures et d'éciitures autographes
de 28 personnages célèbres, Pé-
trarque, le Tasse, Albert Durer,
Cardan, Luther, Calvin, Si. Igna-
ce de Loyola, la reine Christine,
i^lUR
Juste-Lipse, Sanmaise, Leibnilz,
Voltaire, Rousseau, etc.; 2 1" Ben.
de Spinosa adnotationes ad tracta-
tiim tbeologico-politicum, ex auto-
graplio, cum. imagine et chirogra-
pho philosopbi, La Haye/, 1802,
in-4°; 22" Antiquités d'Hercula-
7m/?? , Augsbourg, 1777-1782, 6
part, in-i'ol. , contenant jusqu'à
io5 pi., septiènae partie, Nu-
remberg, 1793, in-fol., 98 pi. ;
25° Specimina antiquissimœ scrip-
turœ grœcœ tenuioris seu cursivce,
unie Vespasiani tempora, ISurcin-
berg, 1792, in-fol., fig.; J79">i
in-fol., fig.; 'XlC De papyris seu
itoluminibus grœcis Herculanensi-
bus , Strasbourg, ï8o4, in-S" de
60 pages et 2 planches ; 25° Ex-
trait du quatrième livre de Pbilo-
dème , sur la musique, lierlin ,
1806, 111-4"; 26° Mémoires pour
l'histoire des premiers essais de
gravureen taille douce, Augsbourg,
i8o4i 'H-4"? 5 planches; 27° Al
cotba fi Meksowra , on Discours
pronon<é par le niuphli au sul-
tan acliiel Mustapha III, l'an
1179 ('7'^'5)' Nuremberg, i7t)7,
in-4'', avec i planche de texte a-
rabe; 1%° Inscriptio arabica litteris
eu fiels aura textili picla in infimâ
fimbriâ paltii imperialis, Nurem-
berg, 1790, in-8°, avec 2 pi. et
16 grav. en bois; 29" Mémoires
(lieitrœge) pour la littérature ara-
be, Erlang, i8o3, in-4% 5 pi. ;
5o" Astrolabium cufico-arahicam
quod adservatur in bibliotbecâ pu-
blicâ Norimbergensi , cum biblio-
tbecâ scriptorum de astrolabiis ,
Léipsick, 1806, iu-4'''» '.'-planches;
5i° Haoli Kjoeh Tsbwen, roman
chinois, traduit sur la version an-
glaise, Léipsick, 1766, in-8°, et
en français, par Eidous, d'après
MLR
la même version; Paris, 1766;
7)1° Litterœ patentes imper atoris
Sinarum Kong-hi; Notitiœ S. S.
Bibiiorum Judœoram in imper io
Sinensi; 55° Essai d'une histoire
des Juifs à la Chine, Halle, 1807,
in-8°; 54° Voyage de quelques mis-
sionnaires jésuites en Amérique ,
Nuremberg. 1^85, a part, in-8",
avec 2 planches et une carte de la
province de Majna«; 55" Voyage
du P. fVolfi^ang Baicr au Pérou,
1776, in-8% Halle, in-8"; 56°
Description des principales curio-
sités de Nuremberg et d' Alldorf,
1778, iu-S°, avec fig. et grav. ea
bois ; 57° Curiosités de la v'ile de
Bamberg, 1799, in-8°; 58° C^o//«?r-
tio ampUssima scriptorum de Kli-
nodiis S. R. Imp. Germanici , de
coronatione Imp., etc., 1795, in-
8°; 59° Description des objets ser-
vant au couronnement des empe-
reurs, et d'autres reliques conser-
vées à Aix la-Chapelle , 1801,
in-4°; 2* édit., i8o5, in-4°, 4 p'-î
^it'Sur la fabuleuse prétendue sain-
te ampoule de Reims, 1801, in-8';
4 1 ° Sur la vraie origine des rose-
croix et des francs-maçons, et sur
l'histoire des Templiers , Sulz-
bach, i8o5, in-8°; 42° Notice lit-
téraire sur l'histoire des prétendus
faiseurs d'or, Léipsick, i8o5,in-
8°; 45° l'Homme content [der Zu-
friedné) , feuille hebdomadaire,
Nuremberg, 1765-1764» 4 ^'ol-
Jn-8°, avec musique et portraits;
44° Journal pour l' histoire des arts
et de la littérature', 1775-1789, 17
vol. in-8°, fl;;. ; l\5° Nouveau jour-
nal pour l'histoire de la littérature
et des arts, Léipsick, 1798-1800,
•i vol. iiï-8°: il a été Tédileurd'un
Irèi-grand nombre d'ouvrages.
WIJR11AY( Adolphe ), incdecin
ÎMLR 5oi
du roi de Suède, j>r(»fe«?eur d'aua-
tomie,niemijre de l'académie des
sciences deSlutkholm, de la socié-
té royale d'L'psal, des académies
de Berlin, Flurenre. etc.,nuquità
Stockholm en 1700, d'une famille
honorable ,dont le chef était pas-
teur de l'église allemande de celte
capitale; élevé avec soin, et ses
études terminées à l'université
d'Lpsal , il fixa l'attention des sa-
vaus. entre autres du célèbreHal-
ler, par la thèse qu'il soutint pour
obtenir le doctorat. Afin de se per-
fectionner dans cette partie de la
science, il voyagea. Pendant son
séjour à Florence, il visita sou-
vent le musée, et ii étudia tout
ce qui avait rapport à l'anatomie.
Le grand -duc lui fit un accueil
trts-tlistingué. .Murray retourna ,
eu 1774» dans sa patrie, et pro-
fessa avec une grande distinction
l'anatomie a l'université même
où il avait pris ses grades. Depui,-i
cette époque jusqu'à sa mort, ar-
rivée le 5 mai i8o5. il enrichit
les recueils académiques de sa-
vons mémoires , et donna aux élè-
ves pour sujet des thèses qu'ils
devaient soutenir des sujets pres-
que toujours d'un haut intérêt.
Devenu médecin du roi de Suéde
et membre d'un grand nombre
d'académies nationales et étran-
gères, il mérita, par ses talens et
ses qualités personnelles, l'estime
générale.
IMURRAY( Jeau-André), frère
puîné du précédent, professeur
de médecine et directeur du jar-
din de botanique de Gôttingue .
naquit à Stockholm, le 27 janvier
1740. Connu par ses recherches
hisioriques et philologiques , il fut
ù la fois pruticieo distingué l't
^'uvant déinonstraleur, ot ac-
«init une r(';piitulion iTiérifée dans
l'exercice de ces deux fonctions.
11 mourut le 2:î >nai 1791. Wen-
sel , dan? sa bibliographie , adon-
né la liste de tous les ouvrages de
Murray. Nous citerons les prin-
cipaux. Ce sont : 1° Eimmerntio
librorum prcecipuorum viedici ar-
gumentati^ in-S", i^jS, Léipsick.
Une seconde édition de cet ou-
vrage a été publiée par F. G. de
Halërn, Aurirh, in -8", >792.
a" Enalleuiand, Bibliothèque de
médecine , (iocttiugiie, lu cahiers
formant 3 vol. in-8°, 1 774-» 781 ;
'ù" A pparatusmedicaminain, 177O-
1792, 6 vol. in-S", nouvelle édi-
tion, 1795 : cet ouvrage a été
deux fois traduit en allemand ;
4" avec son frère Jean-Puilippe
Murray, professeur de médecine,
qui mourut en 1776, traduction
en allemand da ^ oyage de Pierre
Kalm.
MLIRRAY ( GriLT.\T'ME-VAN ) ,
minisire des États- Unis près de
la république bâta ve ,n;!quil dans
le Maryl.md vers 17G1.ll termi-
na ses études à Londres , au col-
lège du Temple , où sa famille l'a-
vait envoyé après la paix de 178."),
et où il passa trois années, pen-
dant lesquelles il fil de grands
progrès dans les sciences qui ont
pour objet le droit public. Vers
cette époque, le docteur Priée,
Turgot et Tabbc Mably avaient
public des observations impor-
tantes sur la constitution de la
nouvelle république. Klles devin-
rent l'objet spécial des médita-
tions de Murray, qui les mit
au jour dans une brochure qui
fixa l'attention. Il se rendit en
Hollande en 1784, cl y publia le
MLR
fruit d'une foule de nouvelles re-
cherches qui obtinrent le mC'me
succès. Rappelé dans sa patrie par
des affaires de famille, il se dis-
posait à suivre la carrière du b;>r-
reau ; mais ses concitoyens l'ap-
pelèrent à la législature. Membre
de la chambre des représentans
des États-Unis , il prit avec
distinction une part trè^-aclive
aux débats, et fixa l'attention de
Washington , qui le nomma mi-
!»i«tre près de la république ba-
tave. Cette mission était des
plus délicates à cette époque.
Il fallait ménager la Hollande
pour que son influence fût fa-
vorable à son pays, et éviter que
la France ne prît ombrage de ces
dispositions favorables, et ne vou-
lût roinpre avec le gouvernement
américain. Il réussit pleinement
dans ce doubleobjet, et il eut en
outre le bonheur de négocier le
traité qui fut signé , le 5o septem-
bre 1800, entre le premier con-
sul Bftnaparte et le gouvernement
des États-Unis, traité qui fut si
avantageux à cette dernière pui^-
sance. Là se termine la carrière
diplomatique de Murray, qui , sa-
tisfait d'avoir payé un tribut d'at-
tachement à sa patrie, voulut ren-
trer dans la vie privée. C'est en
;8or» qu'il mourut, à peine âgé de
i\'?. ans. Tous ses concitoyens dé-
plorèrent cette mort prématurée.
MURRAY ( SIR John ) , lieute-
nant-général anglais, membre de
la chambre des communes, fit a-
vec quelque succèîla guerre d'Es-
pagne en i8i3; mais mal servi
par les éloges des journaux de son
pays, sir John Murray vit bientôt
s'éidipsenme gloire qu'il ne devait
qu'aux gazettes. An rapport de ces
MLR
feuilles, il avait battu le maré-
chal Suchct, lui avait tué ou pris
()Ooo homme? , et avait forcé les
Français à fuir de la ville d'Alcoy
tu il? étaient établis , jusqu'à une
distance de plus de sept milles.
Ce qui est un peu plus certain ,
c'est que le 5i mai il investit Tar-
ragone ; s'empara de suite du fort
Saint-Philippe sur le col de Bala-
guer, et fit avancer des batteries
contre la place assiégée. Mais in-
formé que le maréchal Suchet
marchait au secours de la ville,
il se rembarqua précipitamment ,
laissant sa grosse artillerie et ses
bagages. Celte affaire fut soumise
à une cour martiale, qui acquitta
le général Murray sur plusieurs
points ; « mais le condamna à re-
» cevoir une admonition pour a-
»voir, sans nécessité absolue,
» laissé en arrière sa grosse arlil-
» lerie et ses bagages. « Le prince-
régent ( aujourd'hui Georges IV)
confirma cette sentence.
ML'RRAY (Georges), général
anglais , se distinguadans laguer-
re d'Espagne, à l'époque où la
puissance de Napoléon louchait
u son terme. Cet officier-général
se fit plus particulièrement remar-
quer à la bataille de Vitloria. En
1 8 i4»ltiS souverains alliés lenom-
mèrent commandant supérieur
des troupes de la Belgique. Depuis
il a été envoyéau Canada en qua-
lité d'inspecteur des troupes bri-
tanniques.
MURRAlY (( Jonx). professeur
de médecine, naquit à Edim-
bourg, où il mourut le 22 juillet
1820. Il s'était fîMt remarquer
comme professeur de physique ,
de chimie et de pharmacie, et a
laissé en anglais les ouvrage» sui-
MUR ô-.î
vans: \' Elémens de chimie ^ 2 vol.
in-S", 1801, réimprimés eu 1810;
2° Élémens de matière médicale et
de pharmacie , 1801, 2 vol. in-S";
5° Système de chimie, 1806, 4 ^o'-
in-i)"; 4° Supplément au système
de chimie y in-S", 1809 ; 5' Systè-
me de matière médicale et de phar-
macie, 1810, 2 vol. in-b".
MLRVILLE (Andbé P. N. }.
homme de lettres, né à Paris, en
1754, débuta dans la carrière lit-
téraire sous le nom A André que
portait sa famille, mais qui ne lui
paiTjt poii»t assez poétique. Il a-
dopta celui de Murville, en an-
nonçant avec quelque emphase
qu'il le rendrait bientôt fameux.
Dès l'âge de 18 ans, il concourut
pour tous les prix de l'académie
française; ?es efforts furent long-
temps aussi vains qu'ignorés du
public. Mais enfin, en 1776, l'a-
cadémie partagea un de ses prix
entre MM. Murville et Gruel. Le
dernier mourut peu de temps a-
près. Dans l'ivresse de son demi-
triomphe, Murville ne cessait de
répéter : Je serai de l'académie à
00 ans ou je me brûlerai la cervelle.
Taisez-vous donc, cerveau brûlé,
lui répondit une amie, la célèbre
M"'Arnould, dont il -devint de-
puis le gendre. Eu 1779, l'acadé-
mie avait proposé, pour son prix
de poésie, l'éloge de Voltaire.
Murville concourut comme d«
coutume, mais n'obtint que l'ac-
cessit. Un dithyrambe avait éié
jugé digne de la couroime. La
Harpe en élail l'auteur, et, en sa
qualité d'académicien, il n'avait
pa* le droit de concourir; aussi
fit-il déclarer par M. d'Argental
qui avait favorisé cette infraction
au règktment , que l'auteur du
3o-
MUR
dithyrambe, désirant garder l'a-
nonyme, cédait la médaille au
poète qui avait eu l'accessit, et
lUurville en devint ainsi posses-
seur. Il donna, en 1783, au Théâ-
tie-Français, Melcour et Verseuil,
cotnédie en un acte et en vers,
qui obtint quelque succès. Une
aventure de M"' Arnould, sa bel-
le-mère , lui en avait fourni le
sujet. 11 remporta, la même an-
née , le prix d'encouragement
fondé à l'académie-française par
M. de Valbelle. En 1790, elle
mentionna encore honorablement
deux pièces de vers de Murville :
le Paysage du Poussin, ou Mes
illusions; et Dioclétien à Salone, ou
Dialogue entre Dioclétien et Maxi-
me. Mais, indigné de n'avoir point
remporté le prix, Murville se le-
va au milieu d'une séance publi-
que et voulut haranguer l'assem-
blée : on refusa de l'écouter, et,
pour se venger, il publia ses deux
opuscules avec une préface, dans
laquelle il dit « qu'il ne tenait
qu'à lui d'attaquer l'académie en
restitution, mais qu'il était au-
dessus de 400 livres. » C'était a-
lors la valeur des prix qui a élé
portée depuis à i,5oo francs. Il
déclara, er> outre, que ce prix qui
lui appartenait de droit ayant été
remis à l'année prochaine il dé-
nonçait d'avance l'homme de let-
tres qui s'en emparerait comme
un voleur de son bien. Il ne pa-
raît pas que cette protestation ait
empêché les poètes de concourir,
et il ne fut plus question de 31ur-
ville à l'académie. Mais il se si-
gnala cette année par un nouveau
Irait d'originalité. Une tragédie
qu'il avait donnée au ïhéâlre-
Trançais , Ahdclazis et Zuleima,
M un
y avait obtenu du succès. La ma-
ladie d'un acteur allait en inter-
rompre les représentations, quand
l'auteur s'offrit de le remplacer.
Murville parut en effet sur la scè-
ne le 24 décembre 1791.^ Il y dé-
bita d'abord une fable de sa com-
position , faite pour captiver la
bi(;nveillance du public, et rem-
plit ensuite le rôle de Nasser
dans sa propre pièce. Cette re-
présentation tragique devint des
plus gaies. L'auteur-acteur, sous
un énorme turban, avait laisse
les lunettes que sa vue basse l'o-
bligeait à porter habituellement.
St;s gestes et sa diction excitèrent
bientôt une hilarité générale. Peu
satisfait de ce mélange de rire et
d'applaudissemens outrés, il ne
se donna plus ainsi en spectacle,
et se lança bientôt avec ardeur
dans une carrière toute nouvelle.
La guerre venait d'être déclarée,
les ennemis menaçaient les fron-
tières de la France. Murville s'y
rendit avec un des bataillons dt;
volontaires que fournit la ville de
Paris, servit honorablement pen-
dant plusieurs campagnes , et
parvint au grade de capitaine.
L'amour des lettres l'emportant
cependant sur son ardeur guer-
rière, il revint à Paris, et fit re-
présenter 9U théâtre quelques
pièces de circonstance, en l'hon-
neur de la cause que son bras
avait défendue. Vers la fin de
1812 on joua à l'Odéon son der-
nier ouvrage dramatique, ^^j/oï^c,
pièce en 5 actes et en vers. Le
succès en fut d'abord assez vive-
meïit contesté. L'auteur n'en pa-
rut j)as moins sur le théâtre, et
remercia le public de l' indulgence
cju'il avait montrée pour un faible
MLR
(aient. Son compliment lut sou-
vent interrompu par un bruit peu
flatteur; et un acleurde ce ihéâlre
s'élant permis, quelques jours
après, de parodier ftlurville d'une
n)ani€re burlesque et inconve-
n;mte , celui-ci . justement irrité,
et n'ayant pu obtenir la reparu-
tion qu'il réclamait , retira sa
pièce. Il n'avait cependant alors
pour subsister, que le faible pro-
duit des représtntations de ses
ouvrages dramatiques. L'estima-
ble auteur de la Mort d' Abel,
de Nn-on et d'Epicharis, M. Le-
gouvé, prit soin d'adoucir la ri-
^neurdu sort d'un ami de sa jeu-
nesse; mais la mort eideva bien-
tôt au malheureux Murville cet
appui généreux. L'auteur d'^^rfe-
lazis, etde tantd'aulres ouvrages,
ne l'ut point de l'académie, quoi-
qu'il survécût de beaucoup à l'é-
poque qu'il avait fixée pour y
entrer. Il célébra, dans une ode,
la restauration du gouvernement
royal , et mouriit peu île temps
après, accablé de chagrins etde
misère. Murville a publié les ou-
vrages suivans : r Épitre d'un
jeune poète à un jeune guerrier,
i;7;;3, in-S"; a" les Bienfaits de la
nuit, ode, 1774 ' in- «2 ; 5" Epitre
sur les avantages des femmes de
trente ans, 1775, in-è"; 4° '^'
dieux d'Hector et d' Andronn-
que, 1776, pièce qui partagea le
prix de l'académie ; 5* l' Amant
de Julie d' Etange , ou Epitre
d'Hernwtime à son ami, 1776,
in-8° ; 6" Epitre à Voltaire, 1 779;,
in-S", qui obtint l'accessit à l'u-
cadémie ; 7" les Rendez-vous du
mari, ou le Mari à la mode, co-
médie en 1 acte et en vers; 8°
Melcour et Verseuil, comédie en
T. HT.
MLR 5o5
1 acte et en vers ; 9° Linval et
Viviane, ou les Fées et les Cheva-
liers, comédie héroï-féerie, en 5
actes et en wen, qui eut une
dizaine de représentaiions ; 10"
le Paysage du Poussin, et Diocté-
tien à Salone, pièces mentionnées
honorablement par l'académie,
1790, in-S"; 1 1° Abdelazis et Zu-
leima, tragédie en 5 actes et en
vers, 1791, in-S"; 12° Eumène et
Lodem, ou la Liberté de Thébes,
tragédie en 5 actes et en vers,
Bordeaux, 1794» in-8'; ûy" les
Saisons sous la zone tempérée, poè-
me en 4 chants. Rayonne, 1796,
in-8°; 14° l'Année champêtre ,
poëme en 4 chants, suivi de Poé-
sies diverses, 1807, in-8°; i5"
Ode sur l' accouchement de l'impé-
ratrice, i8ii, in-S"; iH" Héloise,
drame en 5 actes et en vers, 1812,
in-8''; 17° les infiniment Petits,
ou Précis anecdotiquc des évène-
mens qui se sont passés à t'Odéon
les 22 ^f 29 novembre 1812, ou
Détails sur les vices d'administra-
tion de ce théâtre, qui sont la cause
de tous ces désordres, 181 5, in-8°;
18° la Paix de Louis XVIII,
ode, i8i4î in-S". Les pièces sui-
vantes n'ont pas été imprimées :
1° le Souper magique, ou les deux
Siècles, comédie mêlée de chants
et de danses, représentée sur le
Thérare-Français en février 1790;
2' le Huila de Samarcande, co-
médie en 5 actes et en vers, re.-
présentée sur le théâtre de la
iîépublique en 1795; 5" l'Inté-
rieur de ta comédie, représenté à
rOiléon en 1810; ^'' les Journa-
listes, comédie lue à l'Alhénée de
Paris. La Harpe, dans sa Corres-
pondance littéraire, lui attribue,
de plus , la comédiu de l'Amour
ao
3o6
MUS
exilé des deux, imprimée sous le
nom de lVi°" Dufresimi. Murville
a coopéré à la rédaction du Cour-
rier lyrique et amusant, ou Passe-
-temps des toilettes, publié en
1786 et 1787, et a fait insérer
une Foule de pièces de vers dans
YAlmnnacli des Muses, et antres
recueils périodiques,
MUSCART, colonel comman-
dant de la place d'Ostende, che-
valier de la légion-d'honneur, em-
brassa le parti des armes , long-
temps avant la révolution: il devint
sous-officier au régiment de Viva-
rais , et parvint successivement
jusqu'au grade de chef de batail-
lon. En 1 78c), il se déclara pour le
parti patriotique, et fréquenta les
sociétés populaires. Il fut mis en
prison par ordre du ministre de la
marine, sous le prétexte qu'il a-
tait méconnu l'autorité de ses
chefs. Le 16 avril 1790, Dùpré
s'éleva avec énergie contre le mi-
nistère, à l'assemblée nationale,
qui rendit un décret, poitant que
la conduite de Muscart devait être
examinée par ses juges naturels;
ce décret resta néanmoins sans
exécution , mais l'assemblée fit
mettre Muscart en liberté, le 4
juin 1791. Il fit depuis, avec dis-
tinction , les principales campa-
gnes de la révolution , parvint à
un des premiers grades de l'ar-
mée, et fut ensuite nommé com-
mandant d'Ostende. Lorsque les
Anglais y effectuèrent une descente
en 1 798, il se défendit avec la plus
grande bravoure, les battit coui-
plétement, et les força de se réfu-
gier sur leurs vaisseaux , après
leur avoir fait 2000 prisonniers.
Après la révolution du 18 bru-
maire an 8 ( 9 novembre 1799)?
MUS
il fut confirmé dans le comman-
dement de la place d'Ostende ,
fonctions qu'il n'occupait plus de-
puis plusieurs années, lors de la
restauration du gouvernement
royal, en 1814. /
MUSGRAVE (siR Richard), bis-
ronnet et publiciste anglais, s'est
montré, dans plusieurs écrits sur
l'Irlande, un des plus sévères an-
tagonistes des prêtres catholiques.
Sir Musgrave est auteur des ou-
vrages suivans : 1" Lettre sur la
situation des affaires publiques, in-
8", 1794; 2" Considérations sur
l'état actuel de la France et de
l' Angleterre, 1796, in-8°; 3° f^ui
succincte de la situation politique
des états du Nord, 1801, 10-8°; 4'
Mémoires des différetites rebellions
de Clrlande, depuis l'arrivée des
Anglais, avec des détails particu-
liers sur celle qui éclata en 1798,
in-4'', 1801, 2* édit., même an-
née, S'édit., 1802, 2 vol. in-S";
5° Observations sur une réplique du
docteur Caulfield, 1802, in-S" ; 6*
Observations sur un discours pro-
noncé par le docteur Drumgole à
l'assemblée des Catholiques, en dé-
cembre i8i5, in-8", i8i4- Quel-
ques-uns de ces ouvrages offrent
de l'inténêt.
MUSNIERDE LACONSERVE-
RIE (Louis-Fkançois-Félix, com-
te), lieutenant-général, grand-of-
ficier de la légion-d'honneur, che-
valier de Saint-Louis, etc., etc.,
est né à l)Oulogne-sur-Mer en
1766, d'une famille noble; éle-
vé à l'école royale militaire, il en-
tra sous-lieutenant en 1782, au
3* régiment d'infanterie, où il était
capitaine lorsque la guerre de la
révolution éclata. Il en fit la pre-
mière campagne à l'armée da
. MUS
Rhin, en qualité d'aide-de-camp
du générai eu chef LamorHèie.
Nommé chef de bataillon au io6'
régiment, le 27 mars 1790, il fut
employé à l'armée des côtes de
l'Ouest, où 11 obtint, le 5 septem-
bre suivant, le grade de colonel a-
■vec le commandement de la 187*
demi-brigade. En juillet 1796, il fut
fait adjudant-général, et passa en
cette qualité à l'armée du Nord,
en Hollande, où il remplit les fonc-
tions de chef de l'état-major-géné-
ral. Envoyé à l'armée d'Italie, en
octobre 1 798, il s'empara par sur-
prise, le mois suivant, de la for-
teresse de Novarre, en Piémont,
et fut promu au grade de général
de brigade pour cette action, où,
selon les expressions de la lettre
dont le ministre de la guerre ac-
compagna l'envoi du brevet de ce
grade, « il avait déployé autant d'in-
» lelligence que de bravoure»; il
remplit ensuite les fonctions de
chef de Télat-major-général de l'ar-
mée, et après cette campagne,
dont la fin fut si désastreuse, il fut
envoyé à Bordeaux, pour apaiser
les troubles qui s'y étaient élevés.
Il fut assez heureux pour y réta-
blir le calme par la seule voie de
la conciliation. L'anaée suivante,
il fut chargé du commandement
d'une brigade à l'armée de réser-
ve, qui, après les revers que nous
avions éprouvés dans la dernière
campagne, était rentrée en Italie,
en franchissant le mont Saint-lîer-
nard. Le général de division Bou-
det a rendu compte en ces termes
de la prise de Plaisance : « Le 18
I prairial (7 juin 1800), à quatre
• heures du matin, on commença le
«passage du Pô, à Nocetto, à une
• lieue au-dessus de Plaisance, au
MUS
507
«moyen de quelques mauvaises
» barques qu'on s'était procurées.
» La 9" légère, conduite par le gêné-
«rai de brigade Musnier, ayant ef-
» fectué son passage, se porta sur
>, Plaisance, sans attendre le reste
»de la division , attaqua et défit
)> complètement le régiment deRle- ^
nbeck, qui marcha à sa rencontre;
«présenta une résistance opiniâtre
«à plusieurs charges de cavalerie,
net entra dans la ville, où elle fit
» 5oo prisonniers. L'ennemi fut en
«outre obligé d'abandonner 600
» malades dans les hôpitaux, et des
» magasins de toute espèce.» A Ma-
rengo (le \[\ du même mois), le
général Musnier commandait éga-
lement la 9* demi-brigade d'in-
fanterie légère, et l'on sait com-
bien la conduite de ce corps, qui
formait la tête de la réserve, aux
ordres du général Desaix, a con-
tribué au succès de cette mémora-
ble journée. Dans la campagne sui-
vante, le ^5 décembre 1800, le
général Musnier passa le l'Me Min-
cio, au-dessous de Mozambano,
entre le village de Pozzolo et le
moulin de la Volta, à la tête des
compagnies d'élite du 6' régiment
d'infanterie légère et du 28* de li-
gne, et s'empara de l'autre rive,
malgré les efforts d'un corps en-
nemi de 1,200 hommes, qui lui dis-
putait le passage. Promu au gra-
de de général de division, le 1*'
février i8of), il fut chargé du com-
uiaudement de la 1 5* division mi-
litaire, et spécialement de l'ins-
pection des côtes. Le gouverne-
ment mettait une grande impor-
tance, à cette époque, à protéger
le rassemblement des billimens de
la flottille et tous les autres prépa-
ratifs de l'expédition qu'il médi-
5o8 MUS
tait contre l'Angleterre, Au mois
de novembre 1^07, il fut nommé
au commandement de la i" divi-
sion du corps d'observation des
côtes de l'Océan, qui, passant les
r3'rénées, aussitôt sa formation,
prit le nom de 5* corps de l'armée
d'Espagne, et ensuite celui d'ar-
mée d'Arragon. Sa division fut
employée au mémorable siège de
Saragosse , et s'y distingua par la
persévérance et l'intrépidité avec
lesquelles elle soutint les travaux
et les combats sans cesse renais-
sans de ce siège, dont la durée fut
de deux mois de tranchée ouverte,
et ne linit qu'avec lu destruction
presque entière d'une garnison qui
était le double en nombre de l'ar-
iiiée assiégeante. Le général Mus-
iiier combattit le i4 juin 1809, à
ia bataille de 31aria, devant Sara-
gosse, où l'armée espagnole, sous
Itf: ordres de Blake, qui se flattait
hautement de reprendre posses-
sion de cette place, fut défaite.
Cette armée s'élant ralliée à quel-
ques lieues en arrière dans la forte
position de Belchite, le général
Musnier culbuta sa première ligne,
et lui lit abandonner son artillerie
et ses bagages. A Margalef, devant
X'érida, il commandait la division
qui fit, le 25 avril 1810, G, 000 pri-
-sonniers à la colonne ennemie ,
qu'O'Donnell conduisait au se-
cours de Lérida, donirarniéed'Ar-
lagon, aux ordresdu général en chef
comte Suchet, faisait le siège. Au
mois de juin suivant, il assiégea
et prit le fort de iMèquinenza,dont
la situation, au milieu de rochers
inaccessibles, et à la jonction du
Sègre et de l'Èbre, rendait la pos-
session indispensable à l'armée
ïrançaise, pour pouvoir entre-
MUS
prendre le siège de Tortose. En
récompense de ce succès, le gé-
néral Musnier fut nommé grand-
officier de la lègion-d'honneur.
Le général en chef, comte Su-
chet, ayant mis le siège devant
Tortose, au mois d'octobre de la
même année, ordonna au général
Musnier de couvrir les troupes
chargées de ce siège. Posté, à cet
effet, à Llldecona, sur la route de
Tortose à Valence, le général Mus-
nier battit, le 26 novembre 1810,
l'armée ennemie, forte de 12,000
hommes, qui était venue, par une
marche forcée de 5o heures, pour
le surprendre de nuit et faire lever
le siège de Tortose. Quctiqu'il
n'eût avec lui que 2,000 hommes
d'infanterie et 5oo cuirassiers, a-
vec 6 pièces d'artillerie légère,
il mit l'ennemi dans une déroute
complète, le poursuivit jusque
sous les murs de Peniscola, lui
tua on noya 5 à 600 hommes, et
lui fit plus de 200 prisonniers.
Tortose ayant été forcée de se ren-
dre cinq semaines après la brillan-
te affaire d'Uldecona, le général
Musnier fut nommé gouverneur
de cette place. Il fut employé {i^u
siège de Valence, qui fut entre-
pris au mois de novembre de la
même année, et tenniné le 12
janvier suivant par la reddition
de cette place. Rentré en France en
décembre i8i3, il reçut l'ordre de
mettre en état de défense et d'ap-
provisioiuier les places de la fron-
tière de l'est; mais l'invasion des
armées ennemies l'ayant obligé de
borner cette mission à la place de
Besancon, il se rendit à Lyon, où,
avec une poignée de monde, il tint
en échec le corps autrichien aux
ordres du général Bubna, jusqu'à
RILS
l'arrivée du maréchal Augereau,
qui y réunit un corps d'armée
composé de trois divisions. Le
général xMusnier. à la tête de la
première de ces divisions, obtint
diflférens avantages contre les trou-
pes autrichiennes à Meximieux, à
Bourg, à Lons-le-Saulnier, etc.,
jusqu'au moment où, par leur
nombre, elles forcèrent le maré-
chal Augereau à évacuer Lyon,
et à se retirer derrière l'Isère.
Cette campagne ayant été termi-
née par l'abdication de l'empereur,
le général Musnier fut nommé
inspecteur-général des troupes de
Boulogne, Calais, Dunkerque, et
Saint-Omer, et l'année suivante,
inspecteur-général des 5* et i8*
divisions militaires. Lne ordon-
nance du roi, du i" août 181D,
ayant admis à la retraite les offi-
ciers-généraux qui avaient trente
années de services, le lieutenant-
général Musnier, qui en avait alors
trente-deux, et qui avait fait 25
campagnes de guerre, demanda à
jouir du repos qu'une carrière
aussi longue et aussi laborieuse
lui rendait nécessaire.
MUSQLITZ (le marquis don
Igkace de), ambassadeur espa-
gnol, conseiller-d'état, était issu
d'une famille noble originaire de la
Navarre. Né avec les plus heureu-
ses dispositions, il cultiva quel-
que temps les belles-lettres , et
obtint des succès dans cette car-
rière; mais il s'attacha spéciale-
ment à la diplomatie ; on le vit
successivement ministre d'Espa-
gne près de diverses cours, et enfin
ambassadeur à celle de France.
Partout sa conduite loyale et ho-
norable lui mérita les suffrages et
l'estime des gens de bien. Il rem-
MUS 5ogr
plit encore d'autres missions di-
plomatiques dans le nord de l'Eu-
rope, et se trouvait à Madrid à
l'époque où le frère de l'empereur
Napoléon monta sur le trône
d'Espagne. Appelé près du nou-
veau monarque, en qualité de
conseiller-d'état, le 8 mars 1809,
il se prononça hautement en sa fa-
veur, et seconda de tout le poids
de sa considération personnelle,
toutes les nouvelles mesures poli-
tiques. En décembre de la même
année 1809, il fut décoré du cor-
don de commandeur de l'ordre
royal d'Espagne. Il ne jouit pas
long-temps des avantages que lui
promettait sa position; il mourut
peu d'années après, vivement re-
gretté de tous ceux qui avaient été
à même d'apprécier ses talens et
ses vertus.
MUSSET ( Locis - Alexandre-
Marie de), marquis de Cognors,
membre du corps législatif, de-
puis 1809 jusqu'en 18 i^* né dans
les environs de Vendôme en 1753,
d'une ancienne famille noble, se
destina dès *a jeunesse à la carriè-
re militaire. Il entra dans le régi-
ment d'Auvergne, en 1769, en
qualité de sous-lieutenant, y fut
nommé capitaine en 1778, et ob-
tint une charge de lieutenant des
maréchaux de France quelque
temps avant la révolution. Appelé
en 1801 à faire partie du conseil-
général du département de la
Sarthe , il fut élu par le même
département député au corps-lé-
gislatif, d'où il sortit en 1814,
et s'est retiré depuis dans sa terre
de Cognors. M. de Musset a culti-
vé les lettres avec succès. On lui
doit les ouvrages suivans : i"
Mémoire sur la confrérie de Saint-
y
5io
MUS
Georges , en Franche - Comté ,
1773; 2° Correspondance d'un
Jeune militaire, ou Mémoires du
marquis de Lusigny et d'Hor-
tense de Saint- J ust, 1778, 2 vol.
in-8° : ce joli roman a eu sept édi-
tions; 5" le Duel et l' Amitié à l'é-
preuve de l'amour- propre et de l'a-
mour, 1774» in- 8°; 4° ^^ ^^ Reli-
gion et du Clergé catholique en
France, 1797, in-8°; 5* Considé-
rations sur l'état des finances du
royaume de France, 1814, in-8°.
Il a été l'un des collaborateurs
da Cours d'Agriculture, publié
chez Buisson , par Sonnini.
MUSSET (J. M.), était curé
de Falleron , lorsqu'au mois de
septembre 1792, il fut nommé
député à la convention nationa-
le par le département de la Ven-
dée. Il se prononça avec la ma-
* jorité dans le procès de Loui.s
XVI , et fut ensuite chargé de
diverses missions dans les dé-
partfemens. Après la session con-
ventionnelle, il passa au conseil
des cinq-cents, dont il sortit le
20 mai 1797, et fut nommé suc-
cessivement administrateur de la
loterie, et conunissaire du direc-
toire-exécutif à Turin. M. Musset
fut contraint de quitter le Piémont,
qu'il avait organisé en quatre dé-
partemens, lorsque Suwarow en-
vahit ce pays après la retraite
des Français sur l'Adige. Nommé
au 18 brumaire an 8, préfet du
département de la Creuse, il
fut appelé au corps-législatif dans
le mois de mars 1802, et fit long-
temps partie de ce corps. M. Mus-
set , exilé par la loi du 12 janvier
1816, rendue contre les conven-
tionnels dits votons, s'est réfugié
en Belgique; il \it retiré dans
MUS
une campagne près de Bruxelles.
MUSSET-PATHAY (Victor-
Donatien) , littérateur, ancien
chef de bureau aux ministères de
la guerre et de l'intérieur, est né
le 6 juin 1768. Élevé à l'école
n)ilitaired(; Vendôme , il lut em-
ployé pendant 1 1 ans dans l'arme
du génie, et fut. en 1793, arrêté
et détenu pendani quelque temps
comme frère d'émigré; au retour
delà tranquillité ,il redevint libre
et dut au général Clarke, depuis
duc de Feltre , une place de chef
de bureau au ministèrede la guer-
re. De cette administration , il
passa, en la môme qualité, au
niini'^tèrede l'intérieur, où il ces-
sa d'être employé en 1818. Long-
temps attaché au général Ma-
rescol ( voy. ce nom) , il lui resta
fidèle dans toutes les fortunes.
M. Musset-Palhaya publié comme
littérateur un grandnombre d'ou-
vrages. On cite parmi les princi-
paux : 1° la Cabane mystérieuse ,
2 vol. in-12, 1798 ; 2° l'Anglais
cosmopolite, 2* édition, 1798;
3° Voyage en Suisse et en Italie ,
fait avec l'armée de réserve, in-8°
1800 ; 4° Abrégé de l'histoire grec-
que, traduit de l'anglais deGolds-
mith, 1 vol. in^°, 1801 ; 5° Abré-
gé de l'Histoire romaine, I v. in-8',
1801 : ces ouvrages ont été réim-
primés plusieurs fois; Q" Voyage
à Pétersbeurg, ou Nouveaux mé-
moires sur laRussie, parM. le com-
te de la Messelière, ouvrage que
M. Musset-Pathay a fait précéder
d'un tableau historique de cet em-
pire, 1802; 7" Vie militaire et pri-
vée d'Henri IV, etc., in-8°,i8o5;
8° Relations des principaux sièges
faits ou soutenus en Europe par les
armées françaises depuis 1 799,^ pré-
ML'S
cédées d'un précis historique des
guerres de la France , depuis 1792
jusqu'au traité de Prcsbourg en
1806, Paris, in -4°, avec atlas;
9" Recherches historiques sur le
cardinal de Retz , in -8°, 1807;
\o° Bibliograplûe agronomique, in-
8% 1810. 1 i°Il a été l'undKS colla-
boniteursdu Cours d' agriculture ,
par Sonniui, et a donné diflërens
Mémoires au Recueil de l'acadé-
mie celtique. M. Musset-Palhay
publie en ce moment ( 1824) nne
nouvelle édition àeèCEuvres com-
plètes de J. «/» Rousseau y classées
dans un meilleur ordre , avec des
notes historiques et des éclaircis-
scmens.
MLSSEY { Charles- Fbançois-
Aluotde), d'imc famille atta-
chée au roi de Pologne, Stanis-
las, duc de Lorraine et beau-père
de Louis XV, est fils d'un tVrniier
général. Il montrade bonne heure
du goût pour les beaux-arts et la
littérature, et lorqu'il s'expatria
par suite des événemens de la ré-
volution, il trouvade grands avan-
tages dans son talent paur la mu-
sique. De retuur en France, M. de
Mussey reprit le cours de ses oc-
cupations ordinaires; mais parmi
tant d'autres objets de sa haute es-
time, M"* de Sévigné obtint de
lui un hommage tout particulier,
11 a enrichi un exemplaire des
Lettres de celte femme célèbre,
d'un grand nombre de morceaux
inédits, de portraits, de vues , de
fac simile,tlf ne voulant pas jouir
seul de l'avantage de posséder un
recueil d'autant plus précieux,
qu'il était unique dans ï'on genre,
il le communiqua et le mit, avec
tm désintéressement remarqua'
ble, à la disposition des auteurs de
MUS
5n
la nouvelle édition de^I"* de Sévi-
gné, Pari.-. Biaise, 1^18. Il est di-
recteur de-^ douanes à Montpellier.
MUSTAPHA - BAIR-\RD.\R ,
dont le nom est plus communé-
ment écrit Mi>tapha.-Batbacta»,
pacha de Routschouk, grand-visir
ottoman, naquit vers 1700, d'ime
famille obscure. D'abord labou-
reur, puis marchand de chevaux^
il prit le parti des armes, et s'en-
rôla, comme simple soldat, dan»
les troupes du pacha de Routs-
chouk, poste où devaient le porter
ses talens et son courage. Le sur-
nom de BaIuakoàr lui fut donné
à 4a suite d'un combat sanglant,
dans lequel, par des prodiges de
valeur, il parvint à conserver,
quoique criblé de blessures, un
étendard qu'il avait enlevé à l'en-
nemi. Sa riire intrépidité le fit re-
marquer de Tersanik-Oglou, chef
des troupes, qui se l'attacha par
ses bienfaits, et l'employa dans
toutes ses guerres, et plus partir
culièrement dans celle qu'il sou-
tint contre Paswan- Oglou. Mus-
tapha-Baïrakdar s'était acquis la
confiance et l'amitié de Tersanik-
Oglou , et lui succéda, en 1804,
dans le pachali de Routschouk.
En 1806, les Russes s'emparèrent
de la Moldavie; Mustapha-Baïrak-
dar s'opposa vainement auxsuccès
des troupes impériales, et il fut
plusieurs fois battu par le général
Michelson. Mais, en 1807, il prit
nne revanche éclatante, et la Porte
ottomane reçut plusieurs sanglans
trophées de sa nouvelle fortune.
Celte année môme , au mois de
mai, Sélim III fut précipité du
trône; les janissaires de l'armée
de Valachic, se révoltèrent; le
grand-vi-sir fut mis à mort. Mus-
5ia MLS
tapha-Buïra|^dar, devenu chef dos
forces oHomaiies, se disposait à
marcher de nouveau contre los
troupes rosses, mais son attache-
ment pour le sultan détrône ,
changea ses résolutions; il con-
clut un armistice avec le général
russe , et annonça le projet de
combattre les Servieiis. C'est sous
ce prétexte , qu'il se rapprocha
d'Andrinople , où le grand-visir
Tchelcby-Mustapha avait rétabli
son camp. Mustapha -Baïrakdar
gagna les troupes de ce ministre,
et le contraignit bientôtà le suivre
à Constantinople, pour y rétablir
le sultan détrôné. Couvrant ^es
projets d'un dévouement feint au
sultan Mustapha IV, il envoie des
hommes qui lui sont dévoués, au-
près des commandans des forte-
resses du Bosphore, avec ordre de
les étrangler en secret, et d'occu-
per leurs places. Arrivé à Cons-
tantinople, son premier soin est
de déposer le mufty, l'aga des ja-
nissaires, et de s'assurer de tous
les chefs qui ont renversé Séliin,
dont il proclama le rétablissement,
en même temps qu'il pénètre, a-
près avoir éprouvé une faible ré-
sistance, dans le sérail; mais le
premier objet qui frappe ses re-
gards, est le cadavre de Sélim.
Mustapha-Biiïrakdar ordonne aus-
sitôt que tous ceux qui ont con-
seillé et exécuté ce meurtre, soient
mis à mort; il dépose Mustapha
IV, et proclame empereur, fllah-
moud II, frère de ce prince. Après
cette nouvelle révolution, qui eut
lieu le 28 juillet 1808, Mustapha-
Baïrakdar est élevé au poste de
grand-visir. Redoublant de vigi-
lance et d'activité, il s'occupe,
sans relâche, de l'organisation de
MUS
toutes les parties de l'administra-
lion, en même temps que par des
mesures énergiques, il maintient
les pachas dans l'obéissance. Plus
éclairé que ses prédécesseurs ,
ayant su apprécier tous l^JS avan-
tages de la tactique européenne,
digne, enfin, d'opérer d'utiles ré-
formes, et de donner de sages ins-
titutions A sa patrie, il réorganise
et augmente l'armée, diminue l'in-
fluence des janissaires, et leur op-
pose le corps des seymens. Mais la
discipline nouvelle ne peut conve-
nir à ces milices turbulentes, et
Mustapha-Baïrakdar croit consoli-
der les institutions qu'il a créées,
par une ex trênie se vérité. Quelques
mois sudirent pour préparer une
révolution terrible, et dès le 10
novembre (1808), peu après l'ar-
rivée de différens corps de troupes
des Dardanelles et de la Bomélie,
une violente agitation se manifeste
à Constantinople. Il s'efforce en
vain de la calmer, et d'en arrêter
les rapides progrès. La sédition
éclate. A la tête des seymens, il
attaque les janissaires révoltés, en
fait un horrible carnage; mais ses
ennemis sont tellement nom-
breux, que, quoique vainqueur
partout où il se porte, il est enfin
réduit à se renfermer dans le sé-
rail. Assiégé dans cette retraite où
l'on met le feu, et que l'on esca-
lade sur plusieurs points, il jette,
aux séditieux qui redemandent
pour souverain Mustapha IT, le
corps de ce prince qu'il vient de
faire étrangler, et ne voulant pas
tomber vivant entre leurs mains,
il met lui-même le feu au maga-
sin des poudres, et se fait sauter
lui et ses ennemis les plus achar-
nés à sa poursuite. C'est ainsi que
ML'S
périt, le i5 novembre «SoS, triine
manière digne de son indompta-
ble courage, un homme qui avait
de grandes qualités, des vue» su-
périeures, et à qui il n'a manqué,
pour assurer ses nobles innova-
tions, que la prudence, sans la-
quelle il n'y a pas de succès du-
rable;.
MUSTAPHA, gnind-visir otto-
man, dut le jour à une famille
obscure, et s'éleva des derniers
emplois du sérail, au premier
poste de l'empire. Son courage
lui fit obtenir plusieurs comman-
demens, dans lesquels il montra
autant de bravoure que d'intelli-
gence, et qui le conduisirent rapi-
dement au poste de grand-visir.
Secondé par les troupes de l'expé-
dition anglaise, ilessa^'a, en 1799
et 1800, de chasser les Français
de l'Egypte; mais toutes ses ten-
tatives échouèrent contre la va-
leur de l'armée *jue commandait
Kléber. Mustapha résolut alors de
négocier avec le général français,
afin d'amener l'évacuation de cette
contrée. Les Anglais ayant rompu
le traité conclu à del Arish, le
grand-visir reprit les armes, et
quelque temps après, périt glo-
rieusement sur le champ de ba-
taille.
MUSTOXÏDI (AsDRÉ), né à
Corlbu en 1786, annonça dès sa
jeunesse les dispositions les plus
heureuses, et mérita par ses con-
naissances, et surtout par la pu-
blication de notices en italien
per servire ait' Istoria Corciresa
(la i tempi eroici al secolo XII,
d'être nommé, en 1806, par le
gouvernement des Sept-Iles, leur
historiographe. Il s'était rendu à
Venise dès 1797, et ensuite à
MUS 5i5
Milan, où il se fixa quelques an-
nées après. Il vint à Paris, et y
reçut de l'empereur des marques
particulières d'estime et rie bien-
veillance; en 1811 et i8!4'> il pu-
blia, à Milan, les deux premiers
volumes d'une histoire de Corcy-
re, sous le titre d'Illuslrasioni
Corciresi, in-S". Il avait été pré-
cédé dans cette carrière, d'abord
par le cardinal Quirini, q«ii n'avait
parlé que des premiers temps, et
ensuite par André Marmora , qui
en avait publié l'histoire presque
entière; mais ce dernier ouvrage
était regardé comme fabuleux, ce
qui donna plus de prix à celui de
M. jMustoxidi. M. Ginguené ren-
dit compte du premier dans le
Mercure étranger, et l'analyse, en
grec moderne, fut insérée par
M. Démétrius Schinas , dans
VHer'mès ho logios, qui s'imprime
à Vienne. Faisant à Florence
des recherches d'érudition dans
la bibliothèque Laurentienne, M.
Musloxidi s'attacha à un manus-
crit du i5* siècle, contenant la
Panatenaica, ou Panegyrica d'I-
socrate, et passa pour y avoir dé-
couvert un long fragment qui
manque à toutes les éditions con-
nues. On s'est trompé sur ce der-
nier point; ce fragment avait été
indiqué successivement par plu-
sieurs savans. et entre autres par
Baudini, qui, dans son catalogue de
la bibliothèque Laurentienne (cod.
XIV), regardait ce passage com-
me une interpolation. Dans la
même année 1811, M. Mustoxidi
inséra dans le journal littéraire
il Po'.igrapho, des observations
sur V Hymne de Denjs. En 181 5,
il reçut de l'empereur de Russie
l'ordre de Saint-Wladimir. Cet
5i4
MUT
historiographe publia, en 1816,
une lettre, dont le but était de
prouver que les quatre chevaux
de bronze, placés à Venise devant
la basilique de Saint-Marc, et qui
ont orné long-lemps l'arc de triom-
phe du Carrousel, à Paris, avaient
été faits à Chio, et que de cette
île, ils avaient été transportés par
l'empereur Théodose au cirque de
Constantinople, Il n'eut pas de
peine à démontrer un fait sur le-
quel les témoignagnes de trois é-
crivains du Bas-Enjpire sont d'ac-
cord, quoique d'autres préten-
dent, sans preuves à la vérité ,
que ces chevaux ont orné l'arc de
triomphe de Néron à Rome. M.
Mustoxidi, pour faire jouir le pu-
blic de sa vaste érudition, a com-
mencé à V^enise, en 1816, avec
le jeune Démétrius Schinas, un
recueil périodique de morceaux
grecs inédits. Leur premier ca-
hier contient quelques chapitres
du 9* livre d'Aétius, et les argu-
mens de sept discours d'Isocrate.
Il a refusé la chaire d'histoire et
d'antiquités grecques que le prin-
ce de Valachie lui offrait au lycée
de lîucharesf, parce qu'il se prupo-
sait de retourner dans sa patrie,
où l'on organisait une université,
dont il n'est pas douteux qu'il ne
soit devenu un des premiers orne-
niens. M. Mustoxidi passe pour é-
crire l'italien avec une pureté peu
commune; il a publié dans cette
langue une vie d'Anacréon , dont
on fait le plus grand éloge. Il est cor-
respondant de l'institut de France.
MUTEL DE BOLTHEVILLE
(Jacqies-Frainçois), uïaire de la
ville de Bernay (département de
la Sein« - Inférieure) , où il na-
quit le 25 mars 1 ^50, et où il mou-
MUT
rut le 4 février 1814» fit des étu-
des distinguées au collège des jé-
suites de IVouen, et devint con-
seiller de la cour des comptes de
cette ville. Son goût pour les let-
tres se m'auifesta de bonnç heure,
et il fut admis, en 1777, comme
juge à l'académie de l'immaculée
Conception , et successivement
comme membre de l'académie de
Rouen et de la société d'agri-
culture d'Evreux. Il adopta a-
vec Sagesse les principes de la ré-
volution, et devint maire de Ber-
nay, fonctions qu'il exerça pen-i-
dant plusieurs années. Outre di-
verses brochures politiques que
la modération avec laquelle elles
étaient écrites fit peu remarquer,
il a publié, sous le rapport litté-
raire, les ouvrages suivans, signés
des initiales J. F. M. : 1° Discours
sur cette question proposée, en
1783, par l'académie de l'immacu-
lée Conception : Combien il est in-
téressant pour la gloire et pour le
bonheur des Français de conserver
le caractère national, Lisieux, «784,
in-S" : l'académie couronna cette
pièce, (qui porte le nom de son au-
teur) ; 2° l'Éducation, poëme en
4 chants, suivi de la Conquête de
la Sicile par les Normands, poëme
en 6 chants; de Gunide, tragédie;
du Voyage à Honfleur; de la Tra-
duction en vers des quatre premiers
livres de l'Enéide, etc., 2 vol. in-
80., 1807 et 1809. 5" Eloge de
l'agriculture, poëme, 1808, in-
8°. Les poésies de Mutel de Bou-
cheville se font remarquer pir une
verijification facile, mais trop sou-
vent négligée.
MUTUEL (Je4îï-Godefroy),
organiste allemand, naquit dans
le duché de Saxe-LuucDbourg ,
et reçut dans son enfance les pre-
mières leçons de clavecin de son
père, qui était lui-même organis-
te. Dès l'âge de 6 ans, H fut en-
Toyé à Lubeck, et confié aux soins
de Paul Kuntz, professeur dis-
tingué de clavecin, qui le perfec-
tionna sur cet instrument, et lui
donna des leçons de composition.
A i5ans, Mathel devint musicien
de la chambre et organiste du duc
de Mecklenbourg- Schwerin, et
maître de musique du prince hé-
réditaire Louis, et de la princesse
Amélie, sa sœur. Il reçut quel-
ques années après, de son souve-
rain, la permission de visiter les
( ours étrangères, conservant pen-
dant ces voyages le traitement
qui lui avait été accordé. A Léip-
sick, il reçut des leçons de Sébas-
tien Bach. Après la mort de ce
célèbre compositeur, il se rendit
i Dresde, où il suivit concurrem-
ment le cours de musique religieu-
se, l'opéra et les concerts. De cet-
te ville, il alla à Berlin, et s'y lia
d'amitié avec Emmanuel Bach ,
alors musicien de la chambre du
roi. Plus savant, meilleur exécu-
tant, il voulut faire jouir de ses ta-
lens nouveaux son protecteur,
et il retourna àla cour de Mecklen-
bourg. Sans y être froidement ac-
cueilli, il n'y trouva pas les ea-
Xîouragemens qu'il espérait, et
bienlùt il s'en éloigna. Directeur
de la petite chapelle de M. Wit-
linghoU', Conseiller de lempereur
tFe llussic, il fut désigné pour oc-
cuper, et il obtint peu de temps
après , la place d'organiste de
l'église principale de Uiga, place
où il resta jusqu'à l'époque de sa
mortj arrivée au commencement
du 19* siècle. Sçs ouvrages sont
MUT
3i5
peu nombreux , maU estimés,
et Duruey les trouvait tellement
remplis d'idées neuves et origina-
les, de goût et d'agrément, qu'il
les plaçait parmiles meilleures pro-
ductions de nos jours.
MUTIS (don JOSEPH-CÉIESTIX),
astronome et botaniste célèbre ,
membre de l'académie des scien^
ces de Stockholm, etc. , naquit à
Cadix le 6 avril ijôa, et mérita
que le célèbre Linné l'appelât
phytologorum americanorum prin-
ceps. En effet, on lui doit la dé-
couverte des quinquinas dans le*
contrées où ils étaient ignorés, (^c
savant, forcé dans sa jeunesse de
se livrer à l'étude de la médecine-
pratique , fut nommé , en 17Ô7.
suppléant de la chaire d'anatomie
de Madrid. Mutis avait appris à
fond les mathématiques, et il s'é-
tiit livré de passion à l'étude de
la botanique. Ce fut lui qui enri-
chit les herbiers de Linné, des
plantes de la péninsule. En 1700,
quoiqu'il eût été nommé par le
gouvernement espagnol pour per-
fectionner ses études ei Paris, à
Leyde et à Bologne, il suivit en
Amérique , en qiialilé de méde-
cin, le vice-roi don Pedro Mesia
de La Cerda. Il séjourna à Car-
thagèue, à Turbaco et a Honda,
et traversa , entre cette dernière
ville et Santa-Fé de Bagota , des
forêts où se trouvaient en abon-
dance , sans néanmoins qu'il les
reconnût, excepté en 177a, les
précieuses substances de cincho-
na ou quinquina. Professeur de
mathématiques au collège supé-
rieur de Nuestra Senora del Rosa-
rio, il fit connaître à Santa-Fé les
premières notions du système
plauctaire. Les moines répandus
3i6 MUT
dans cette contrée virent avec une
vive inquiétude ce qu'ils appe-
laient les hérésies de Copernic se
propager dans la Nouvelle-Grena-
de; ils prétendaient que la terre
était immobile. Mutis , protégé
par le vice-roi, soutint avec fer-
meté un système que Bouguer,
Goflin et La Condamine, avaient
déjà professé à Quito. Entraîné
par le désir d'examiner les plantes
de la région chaude, et d'observer
les mines argentées de la Nou-
velle-Grenade,il quitta Sanla-Féet
séjourna successivement à Mon-
tuosa , entre Giron et Pamplona,
au Real del Sapo et à Mariquita, au
pied des Andes de Quindio et du
Paramo de Herveo. Il commença
à Montuosa la grande Flore de la
Nouvelle-Grenade f à laquelle il
travailla pendant l\o ans. Linné,
par une erreur fâcheuse en bota-
nique, indiqua, comme venant du
Mexique , dans son supplément
des Spccies planlarum et dans son
Mantissa , les espèces rares que
Mutis lui avait adressées de Mon-
tuosa. En 1786 , pendant son sé-
jour à Real del Sapo, Mutis fit la
découverte d'une mine de mer-
cure à Ibaguè-Viéjo , situé entre
le Nevado de Tolima et le Rio Sal-
dâna. Ces travaux importans dé-
terminèrent le gouvernement de
Madrid à fonder, en 1790, à San-
ta-Fé de Bagota, un établissement
de botanique, qui prit le nom de
Expedicion real bolanica , et dont
la direction fut confiée à Mutis.
Ce savant , subjugué par l'in-
fluence des prêtres qu'il voulait se
rendre favorables, s'était détermi-
né , dès 1772 , à embrasser l'état
ecclésiastique , détermination qui
le fit nommer chanoine de l'église
M(JT
métropolitaine de Santa-Fé de Ba-
gota, et confesseur d'un couvent
de religieuses, fonctions peu com-
patibles avec la science à laquelle
il s'était d'abord exclusivement
consacré. Il forma, aveC/un soin
particulier, une école de dessina-
teurs indigènes , et leur confia
l'exécution de son herbier. Pen-
dant leur séjour à Santa-Fé de Ba-
gota, en i8oi, MM. de Humboldt
et Bonpland reçurent de Mutis
l'hospitalité la plus affectueuse ,
et ils virent que déjà, à cette épo-
poque , le nombre des dessins
terminés de sa collection botani-
que était de plus de deux mille,
y compris quarante -trois espèce^
de passiflores et cent vingt espèces
d'orchidées. A l'âge de 77 ans, en
1802 , Mutis fit construire dans
son jardin un observatoire. « C'est ,
dit M. de Humboldt dans une sa-
vante Notice sur Mutis, une tour
octogone de 72 pieds d'élévation,
qui renfermait, en 1808, un gno-
mon de 57 pieds , un quart de
cercle de Sisson , la pendule de
Graham, que La Condamine avait
laissée à Quito , deux chronomè-
tres d'Emery , et des lunettes de
Dollond. fi Mutis mourut le 1 1
septembre 1808, peu de temps a-
vant la révolution qui a procuré
l'indépendance à sa seconde pa-
trie. Il a laissé un grand nom-
bre de manuscrits, mais il a fait
imprimer peu d'ouvrages. Ceux
qu'il a publiés ont paru dans les
Mémoires de l' Académie des scien-
ces de Stockholm, année 1769, et
dans le Papel periodico , journal
imprimé à Santa-Fé de Bagota en
179^). On doit recourir, pour avoir
une connaissance détaillée de ses
nombreux travaux , au supplé-
MUT
ment de Linné , aux ouvrages de
l'abbé Cavanilles et de i>l. de
Humboldt, et au Semanario del
nueto-reino de Grenade, années
1808 et 180g, rédigé par M. Cal-
das, directeur de l'observatoire de
Santa- Fé de Bagola, et l'un des é-
lèves les plus distingués de Mutis.
« L'honnme, dit l'auteur de la No-
tice dont nous avons déjà parlé,
qu» a déployé une si étonnante
activité pendant 48 ans de travaux
danj> le .Nouveau-Monde , était
doué, par la nature, de la consti-
tution physique la plus heureuse.
Il était d'une stature élevée ; il
avait de la noblesse dans les traits,
de la gravité dans le maintien, de
l'aisance et de la politesse dans les
manières. Sa conversation était
aussi variée que les objets de ses
études. S'il parlait souvent avec
chaleur, il aimait à pratiquer aussi
cet art d'écouler , auquel Fonte-
nelle attachait tant de prix, et que
déjà il trouvait si rare de son
temps. Quoique fort occupé d'une
science qui rend nécessaire l'étu-
de la plus minutieuse de l'organi-
sation, Mutis ne perdait jamais de
vue les grands problèmes de la
phj'sique du monde. Il avait par-
couru les Cordilières, le baromè-
tre à la main : il avait déterminé
la température moyenne de ces
plateaux qui formeat comuie des
îlots au milieu de l'Océan aérien.
11 avait été frappé de l'aspect de
la végétation, qui varie à mesure
que l'on descend dans les vallées
ou que l'on gravit vers les som-
mets glacés des Andes. Toutes les
questions qui ont rapport à la géo-
graphie des plantes, l'intéressaient
vivement ; et il avait cherché à
connaître les limites plus ou
MLY 517
moins étroites entre lesquelles se
trouvent renfermées, sur la pente
des montagnes, les différentes es-
pèces de ciuchona. Ce goût pour
les sciences phj-siques, cette cu-
riosité active qui se porte sur l'ex-
plication des phénomènes de l'or-
ganisation et de la météorologie,
s'est maintenu en lui jusqu'au
dernier moment de sa vie. Rien
ne prouve plus la supériorité de
son talent, que l'enthousiasme a-
vec lequel il recevait la nouvelle
d'une découverte importante. Il
n'avait pas vu de laboratoire de
chimie depuis 17G0; et cependant,
la lecture assidue des ouvrages de
Lavoisier, de Guyton-Morveau et
de Fourcro}', lui avait donné des
connaissances très-précises sur l'é-
tat de la chimie moderne. »
3ILYART DE VOLGLANS
(Pierre-Frasçois) , conseiller au
grand-conseil, naquit, en 1715, à
Moirans, dans le département du
Jura. Destiné de bonne heure à
la carrière du barreau, il se livra
à l'étude du droit, fut reçu avo-
cat au parlement de Paris, et se
distingua bientôt parmi les crî-
minalistes français. En 1771, il
devint membre du parlement qui
fut convoque à cette époque par le
chancelier Maupeou, et fut nom-
mé peu de temps après conseiller
au grand-conseil. On lui doit un
grand nombre d'ouvrages sur les
matières criminelles; les princi-
paux sont : i*> Traité particulier
des crimes y Paris, 1707, iii-4°; a"
Instruction criminelle suivant les
lois et ordonnances du royaume ,
Paris, 1762, in-4°; 5' Réfutation
des principes hasardés dans le traité
des délits et des peines, Paris, 1767,
in 8°; réimprimée à IJireeht, en
5i8
MU Y
i^68,io-i2,et traduite en ilalien et
en allemand; 4° Motifs de ma foi
en Jésus -Christ, ou Points fonda-
mentaux de la ï'eiigion chrétienne,
Paris, 1776, în-12, traduits en
espagnol : c'est à celte occasion
que le pape Pie VI écrivit à
l'auteur une lettre pour le félici-
ter du succès de son ouvrage; 5"
Réfutation du traité de Beccaria,
et Mémoire sur les peines in-
famantes, Paris, 1785; 6" les Lois
a'iminelles de la France dans leur
ordre naturel, Paris, i7>^3, in-fol:
l'auteur employa vingt ans à con-
fectionner cet ouvrage, qui est ré-
digé sur le plan des Lois ecclé-
siastiques, publiées par d'Héri-
court ; 7" Preuves de l'authenticité
de nos évangiles contre les asser-
tions de certains critiques moder-
nes, Paris, 1780, in-12; 8° Lettre
sur le systènie de l'auteur de l'es-
prit des lois touchant la modération
des peines , Paris, 1786, in-12.
Muyart de Vouglas mourut à
Paris, le 14 mars 1791, à l'âge
de 78 ans. C'est peut-être le seul
de nos anciens criminalisles dont
on recherche encore les ouvrages.
MUYSSART ( Jea> Baptiste ,
COMTE i>e), maire de Lille, est né
dans celte ville en 1759, et était,
avant la révolution, l'un des quatre
grnuds-baiMis des châtellenies de
Lille, Douai et Orchies; en 1790
et 1791, il fut président de l'admi-
nistration du district de Lille. Il
émigra hienlôt après, et établit
un pensionnat, en Angleterre; il
rentra en France long-temps a-
vant la restauration. En 181 5 et
i8i4 il était maire de Marq, en
Barœul, commune rurale de l'ar-
rodi iseœcnlde Lille, où il pos-
MUZ
séde ^une maison de campagne.
Devenu maire de Lille, en i8i5,
en remplacement de M. le comte
de Brigode, nonimé pair de Fran-
ce, il accepta un traitement de
12,000 francs que M. de Brigode
avait refusé; il est encore actuel-
lement maire de Lille et continue
à jouir de ce traitement. Le jour
de son installation dans la place
de maire, il a fait brCder publi-
quement, en face de la maison
commune, un portrait du premier
consul Bonaparte; c'était un des
ouvrages de David, dont un ama-
teur belge avait offert des sommes
considérables. En 1820 , M. de
Rluyssart a été vice-président du
collège électoral du dépar-lement
qui l'a nommé membre de la
chambre des députés, où il a siégé
au côté droit jusqu'en 1824, épo-
que de la dissolution totale de la
chambre. Il est, depuis i8i5, che-
valier de la légion-d'honneur.
MUZîO-GALLO (Nicolas),
cardinal-évêque de Viterbe , na-
quit à Osimu en 1721. Il embras-
sa de bonne heure l'état ecclésias-
tique , et, malgré les vertus et
l'humanité qui ne cessèrent de le
distinguer, il était déjà âgé quand
il devint évêque de Viterbe, et ne
fut agrégé au sacré collège, en
qualité de cardinal, qu'au mois de
mai 1785. Lorsque le général
Rellermann assiégeait sa ville é-
piscopale en 1800, le peuple fu-
rieux menaça de massacrer trente
Français qui s'y trouvaient ren-
fermés comme prisonniers; mais
le cardinal flluzio Gallo, prévenu
à temps de ce projet sanguinaire,
les prit sous sa sauve-garde, leur
donna asile dans son palais, ha-
MUZ
rangua la populace , et parvint
enfin à l'apaiser par le seul ascen-
dant de son âge et de ses vertus.
Adressant ensuite la parole à ceux
dont il venait d'être le lib:';rateur,
il leur dit : «Souvenez-vous du
«vieillard de Viierbe, il prit-ra
»Dieu pour vous; mais il vous
«détend de parler du faible ser-
»vice qu'il a eu le bonheur de
• vous rendre.» Ceîle action est
en effet restée ignorée tant que
ce vieillard généreux a vécu; ce
ne fut qu'.iprès sa mon, arrivée
quelque mois après, que M. Mé-
chin (voyez ce nom), qui se trou-
vait au nombre de ceux qui lui
devaient la vie, a fait connaître,
dans une notice publiée en 1802,
cet acte éclatant d'humanité.
MLZZARELLI (Alphonse), jé-
suite théologien romain, appar-
tient à la maison des comtes iMuz-
zarelii; il naquit à Ferrare le 22
août i740î fi* *6^ études chez les
jésuites, et entra dans leur ordre
en 1^68. Il se livra exclusivement
à l'étude de la théologie, et, après
la suppression de la société dont
il faisait partie, il obtint un bé-
néfice à Ferrare ; nommé par le
duc de l'arme, directeur du col-
lège des nobles, il fut appelé en-
suite par l'ie VII à Rome, où il
reçut le litre de théologien de la
péiiitencerie. Il accompagna le
^ouverain-ponlife, lorsque S. S.
se rendit à Paris, en 1809. Le P.
xMuzzarelli mourut dans cette
ville en ]8i5. Ses ouvrages sont
très-nombreux. Nous citerons les
principaux : 1° de fa Vanité du
iiLJce dans les vélemens viodei'nes,
1794' in-S"; 2° le Trésor caché
dans le cœur de Marie, 1806, in-
12; ù' Dissertation sur UsrègUs a
HUZ 5 10
observer, pour parler et écrire avec
exactitude sur la dévotion au cœur
de Jésus, Rome, 1806, in-12; 4*
Recherches sur les richesses du cler-
gé, Ferrare, 1776, in-8*; ^' deum
Opinions de Charles Bonnet {voyez
ce nom), sur la résurrection et les
miracles, réfutées, Ferrare, 1781,
in-8''; 6' Emile détrompé. Sien-
ne, 1782, 2 vol.; 7°rfM Bon usag»
de la logique, en matière de reli-
gion, Foligno, 1787, 5 vol. in-8",
seconde édition, 1789,6 vol.; troi-
sième éd. 1810, 10 vol.; 8°/,<?///'e à
Sophie , sur la secte dominante de
son temps , 1791, in-4*; 9'' de l'O-
bligation des pasteurs, dans les
temps de persécution, 1791, in-8'';
1 0° des Causes des maux /rrésens,
et de la crainte des maux futurs,
et leurs remèdes, 1792, 10-8"; 11"
Examen critique des principales
fêtes de Marie ; 12' Jean-Jacques
Rousseau, accusateur des nouveaux
philosophes. Assise, 1798; réim-
primé à Ferrare sous le titre de
Mémoires du jacobinisme , extraits
des œuvres de J . J . Rousseau; 10'
Opuscules inédits, composés pen-
dant la persécution de l'Italie, Foli-
gno, 1800, 10-8°; 14" Question
proposée aux détenteurs des biens
ecclésiastiques dans la Cisalpine,
Ferrare, 1800 ; i5* Recueil d'évé-
nemens singuliers et de documens
authentiques sur la vie de François
de Girolamo, jésuite missionnaire
de Naples, mort en 1716, béatifié
en 1807; 16° Dissertatiotis choi-
sies, Rome, 1807, '^-8°: l'une de
ces dissertations sur le pouvoir
que le pape auraitde destituer un
évêque malgré lui, a élé traduite
en français, et publiée sous ce
litre : le Souverain-pontife a-l-il le
droit d« priver un évêque de son
520 NAD
siège dans un cas de nécessité pour
C église, ou de grande utilité, Pa-
ris, 1809, in-8"; 17° de l'Autorité
du pontife romain dans les conciles
généraux, Gand, i8i5, 2 vol. in-
8". Ce jésuile avait collivé la
poésie dans sa jeunesse, il a pu-
blié à Venise, en 1780, la Voca-
tion de saint Louis de Gonzagae,
poëme, Ferrarc, 1789; l'Enfant-
Jésus, traduit en vers italiens du
latindeCeva, Rome, 1808, in 12;
et Douze faits de l' Histoire-Sain-
te^ en vers, Ferrare, 1807, in-8°.
MYELSRY (N. de), lieutenant-
général polonais, naquit, en 1713,
dans le palalinatde Posen, d'une
famille noble et ancienne. Il en-
tra fort jeune au service de Rus-
sie, se distingua dans différentes
occasions par sa bravoure , et
quitta ensuite les drapeaux russes
pour suivre ceux du roi de Saxe,
dont il avait reçu un accueil dis-
tingué. Nommé lieutenant-géné-
ral à Tavénement de Stanislas-
Auguste au trône de Pologne, son
âge avancé l'empêcha de prendre
part aux efforts que tentèrent ses
malheureux compatriotes pour se
soustraire au despotisme de Ca-
therine II. 11 vit avec douleur le
démembrement de cette antique
monarchie , et se retira dans sa
terre de Wiski , au duché de Po-
sen, où il mourut au mois de juil-
let i8i8, à l'âge de loSans.
NAD
MYRIS (N.), dessinateur et
graveur, né en France d'une fa-
mille originaire de Pologne, était,
à l'époque de la révolution, atta-
ché en qualité de professeur de
dessin à l'éducation des enfans
du duc d'Orléans. Lorsqàe l'aîné
de ces princes accompagna à l'ar-
mée le général Dumouriez, M.
Myris le suivit, et se conduisit
avec tant de distinction dés le
commencement de la campagne
de 1792, qu'il fut nommé chef
de bataillon après l'importante
victoire de Jemmapes. Lorsque
Dumouriez eut, avec une partie
de son état-major, abandonné l'ar-
mée , le chef de bataillon Myris
traversa la France pour aller en
porter la nouvelle au duc de
Beaujolais, le plus jeune de ses
élèves qui se trouvait alors sous
les ordres de Biron à l'ariTjée des
Alpes, mais il ne prit point de
service dans celle armée. De re-
tour à Paris, il y courut quelques
dangers, auxquels la protection de
Barère put seule le soustraire. Ce
dernier le fit autoriser ù conti-
nuer, aux frais de la république,
sa magnifique collection des gra-
vures de l'hisloire romaine qu'il
avait commencée pour les jeunes
princes. Cet important ouvrage
fut achevé sous le gouvernement
impérial. M. Myris a été depuis
lors perdu de vue.
N
NADALDESAINTRAC (N. ) , adopté les principes de la révolu-
député aux états-généraux, était lion, il fut nommé par la colonie,
né à la Guadeloupe, et y possé- en 1789, député aux étals-géné-
dait de grandes propriétés; ayant raux; il s'y fit peu remarquer,
NAG
irnvant pris part à aucune des
discuasion» importantes qui eu-
rent lieu dans cette asbeaiblée , et
vota conitaminent avec le parti
modéré. La (in de 1j session tut aus-
si celle de ses fonctions publiques ;
il retourna daus sa patrie et ne re-
parut plus ?ur la scène politique.
NAGEL (A. W. C. baron de),
ministre secrétaire-d'état au dé-
partement des affaires étrangères,
dans le nouveau royaume des
Pays-Bas , était ambassadeur de
la république de Hollande, auprès
de la cour d'Angleterre , quand la
révolution de 1795 lorça le stad-
bouder de se réfugier à Londres.
Le baron de Nagel, entièrement
dévoué au prince d'Orango, en-
voya aussitôt sa démission au gou-
veraiMUent établi en Hollande
sous la protection de la France, et
continua à résider à Londres sans
caractère public. Après les désas-
tres des armées françaises en 1 8 14>
une nouvelle révolution ayant
éclaté dans sa patrie, et le slad-
Ijouder étant de retour à La Haye,
M. de Nagel fut appelé au minis-
tère des relations extérieures. Sa
nomination à ce poste important
fut généralement considérée com-
me une récompense accordée uni-
quement au dévouement du nou-
veau ministre à Ja maison d'O-
range. Les nombretix adversaires
du baron de Nagel ne cessèrent
du mcins de lui contester les au-
tres droits que cet bomme d'état
pouvait avoir à u:ie telle place
par ses qualités personnelles. Au
mois de juin de la même année,
il fut chargé, par le prince d'O-
range , qui avait alors pris le nom
de prince -régent , d'annoncer à
lord CUmcar^j, anabassudeur bri-
N-4.G 5a I
tanniqne, «que le nouveau sou-
verain des Pays-Bas avait dé-
crété l'abolition de la traite des
nègres, et qu'il désirait en outre
quedans la cou vention éventuelle,
pour la restitution de» colonies
hollandaises, la prohibition per-
pétuelle du con)merce d'esclaves
dans ces colonies, fût expressé-
ment statiiée. » Au mois de mars
i8i5, lorsque le retour de Napo-
léon à Paris fut connu, M. de
Nagel invita l'ambassadeur d'An-
gleterre , les ministres de Russie
et de Prusse, et le chargé d'af-
faires d'Autriche, à ime confé-
rence ;il leur déclara que le prince
d'Orange venait de prendre la ré-
solution de se proclamer le jour
même roi des Pays-Bas , quoiqu'il
n'eût pas encore reçu du congrès
de Vienne l'autorisation de pren-
dre ce titre. Insistant sur l'urgence
des circonstances, sur la fermen-
tation qui était à redouter, princi-
palement dans les provinces de la
Bejgique, et sur le danger d'un
état provisoire, le ministre cher-
cha à établir la nécessité de cette
proclamation immédiate, qui eut
en effet lieu après la conférence
diplomatique. Depuis cette épo-
que, la carrière ministérielle du
baron de Nagel n'a été marquée
par aucun événement important ;
elle vient d'être terminée par une
honorable démission qu'il a ob-
tenue en janvier 1824. Le roi de
t'rance avait envoyé en 1814 à
Jl. de Nagel la décoration de
l'ordre de Saint-Louis , en re-
conriaissance des services que ce
ministre a rendus aux émigrés
pendant le cours de la révolu-
tion française. H a été aussi dé-
x'Vff^ par son souverain , des
Saa
ÎSAÏ
ordres ihi royaume des Pays-Bas.
NAIGEON (Jacqves- André),
homme de lettres, ancien membre
de rinslitiit, né à Paris, en i^SH,
se livra, dès sa jeunesse, à une é-
tude apj)rorondie des langues an-
ciennes, et des auteurs classiques.
IJ a depuis commenté et repro-
duit par des traductions, plusieurs
ouvrages de ces derniers. Joignant
a ces travaux l'étude des sciences
exactes, il se lia bienlôt avec les
mathématiciens et les philosophes
les plus estimés du i8* siècle.
Une amitié étroite l'unit particu-
lièrement à Diderot, et tant que
reçut cet homme célèbre, il ne
cessa de lui donner des preuves du
plus tendre attachement. Quand
la mort eut brisé les liens
d'une aftection réciproque, Nai-
geon,, fidèle <i ses premiers senti-
mens, saisit toutes les occasions
d'honorer la mémoire de son ami.
Il devint l'éditeur de ses œuvres
complètes, et y joignit un volume
de commentaires , dont la publi-
cation a été défendue en 1825.
Admis dans l'intimité du baron
d'Holbach, chez qui je réunis-
saient d'Alembert , La Grange ,
J. J. Rousseau. Diderot, Condor-
cet, Morellel, Grimm , et tant
d*autres littérateurs, artistes, sa-
vans et hommes du monde, Nai-
geon s'y fit bientôt remarquer par
l'exaltation et l'opiniâtreté avec
lesquelles il soutenait ses opi-
nions. Il avait adopté l'aride doc-
trine du matérialisme. Ennemi
prononcé des causes finales, c'é-
tait avec ostentation qu'il se pro-
clamait lui-même athée. On assu-
re qu'il prit une part active à la
publication de plusieurs ouvrages
anonymes ou pseudonymes, tels
KAI
que le Système de la nature^ et au-
tres, qui sortirent successivement
des presses de la Hollande, et qui
depuis ont été, en grande partie,
attribués au baron d'Holbach.
Naigeon travailla en même temps
avec son ami La Grange, à des
traductions de Lucrèce et de Sé-
nèque, et publia la dernière, avec
des notes critiques, historiques et
littéraires, sur la vie d« Sénèqiie,
augmentée de l'essai de Diderot ,
Paris, 1779, 7 vol. in-12. H fut
aussi chargé, par Diderot et d'A-
lembeit, de coopérer à la grande
entreprise de l'Encyclopédie, et il
y fournit plusieurs articles iinpor-
tans. On le désigne encore com-
me un des collaborateurs de l'abbé
Raynal, pour son Histoire philo-
sophique et politique de l'élablifse-
mcnt des Européens dans les Deux-
Indes. Parmi la foule d'ouvrages
auxquels Naigeon travailla , on
cite, comme celui où il a mis le
plus du sien , le Militaire philoso-
phe, ou difficultés sur la religion,
proposées au P. Mallebranche, Lon-
dres (Amsterdam), 1768, in-12.
Il publia ensuite une traduction
du Traité de la tolérance dans la
religion, ou la liberté de conscience,
par Crellius, auquel il ajouta,
l' [ntolérance convaincue de crime
et de folie, et qu'il fit suivre par
un Hecueil philosophique, ou Mé-
lange de pièces sur la religion et la
morale , Londres ( Amsterdam ),
1770, 2 vol. in-12. On trouve dans
ce dernier, plusieurs morceaux
de Vauvenargues, Duinarsais, Mi-
rabaud, Burigny, d'Holbach, et
une Dissertation sur l'origine des
principes religieux, par Meister.
En 1784, il donna la Vie de l'etn-
pereur Julien, et en 1788, il tut
I
\
NAl
chargé de publier le Conciliuleiir
de Turffot. La mort lui enleva,
deux ans après , l'ami de sa jeu-
nesse, le baron d'Holbach , et il
publia les Elémens de morale uni-
verselle de ce dernier, avec des
iioles et additions considérables.
Naigeon avait , pendant long-
temps , pris soin d'assurer à ses
nombreuses productions, hétéro-
doxes en matière de foi, une cer-
taine cl.indestinitc. Son nom n'a-
vait été attaché à aucune, et loin
d'affronJerla Bastille, comme plu-
sieurs écrivains contemporains, il
avait cherché, el compléleiuent
réussi , à mettre sa personne à
l'abri des atteintes de l'autorité.
Mais à l'époque de la révolution,
il jugea que toutes ces précau-
tions, qu'il traita bientôt lui-même
de pusillanimes, devenaient inuti-
les. Convaincu ' que l'empire
des préjugés allait être anéan-
ti , et comprenant sous ce nom ,
non-seulement tous les dogmes
des religions révélées, mais le
théisme même, il présenta à l'as-
semblée nationale, en 1790, une
adresse remarquable. Il y insistait
d'abord sur une liberté illimitée
pour la presse, et réclamait parti-
culièrement l'exercice du droit
indéfîni, appartenant, selon lui, à
tout citoyen , d'énoncer ses opi-
nions en matières religieuses.
Pour sa part, il usa largcinent de--
puis de celte faculté. L'adresse
lut vantée dans le Mercure et dans
plusieurs autres écrits du temps,
mais elle fut vivement attaquée-,
ainsi que son auteur , presque
aussitôt. Le ton dogmatique que
Naigeon avait adopté , }e mé-
pris qu'il affectait pour les philoso-
phes sceptiques, pour les .théistes,
NAI ,"520
et généralement pour tous les es-
prits faibles qui ne s'élevaient pas
à la hauteur de sa métaphysique,
lui suscitèrent de nombreux enne-
mis, et Ton accusait l'auteur de
l'Intolérance convaincue de crime
et de folie, d'être devenu un athée
intolérant, ce qui ne s'était point
vu jusqu'alors. La Harpe venait
de se convertir, el, néophyte fou-
gueux, dogmatique aussi intolé-
rant, il ne cessait d'attaquer le
parti auquel il s'était long-temps
fait gloire d'appartenir. Les deux
missionnaires emportés en sens
inverse, furent assez heureuse-
ment signalés par Chénier, dans
la pièce suivante :
Or, connaissez-vous en France
Certain couple sauvageon,
Prisant peu la tolérance ,
Messieurs La Harpe et N.aigeon ?
Entre eux il s'élève un schisme:
L'an étant grave docteur,
Ferré sur le catéchisme ;
L'autie, athée inquisiteur.
Tous deux braillent comme pies;
Déistes ne sont leurs saints :
La Harpe les nomme impies,
Naigeon les dit capucins.
Leur élcttiuence modeste
Amollit les coeurs de fei;
La Harpe a le feu céleste.
Et Naigeon le feu d'enfer.
Partout ces deux Prométhées
V'ont formant mortels noaveauj. :
La Harpe f a t les athée^.
Et Naigeon fait les dévots.
Il t-
Vers la fin de la carrièi'é ne îïai-
geon, on remarqua cependant qu'il
avait renoncé au désir de faire des
prosélytes, et qu'il mettait même
une grande circonspection dans
son langage. Au reste, quelles que
fussent ses opinions, sa vie resta
toujours irréprochable. Ses mœurâ
étaient pures; il sut mériter l'ei-
time et TafTection de ceux qui a-
vaient des rapports avec lui, el il
eut de véritables amis. Il mourut
à Paris, le 38 février j8io. Nai-
52 'i
NAI
f^eon a coopéré , ainsi qu'il a
été dit précédemment , à une
foule d'ouvrages. L'histoire de la
philosophie ancienne et moderne,
dans l' Encyclopédie méthodique, a
été rédigée par lui. Il en parut 3
vol. in-/|°, de 1791 à 1791; mai;-,
l'ouvrage est re?té incomplet: on
attendait un 4' vol., dans lequel
les articles de Voltaire, de J. J.
llou^seau et de plusieurs autres
philosophes, devaient être com-
pris, mais ce volume n'a point
paru. En 1798, il donna la pre-
mière édition des Œuvres com-
plètes de Diderot, et en 1801, il
présida à celle dos Œuvres de J . if.
Rousseau, imprimée par Didot,
20 vol. in-S". Il publia, en 1799,
une nouvelle édition des Essais de
Montaigne, faite d'après un exem-
plaire de l'édition de i588, conservé
à la bibliothèque centrale de Bor-
deaux, et chargé de notes margi-
nales de la main de Montaigne.
Naigeon a accompagné celte édi-
tion d'un commentaire etde notes.
On a trouvé, après sa mort, plu-
sieurs ouvrages manuscrits, aux-
quels il n'avait point encore mis
la dernière main, et dont quelques
extraits ont été imprimés.
KAILLAC (N. de), ministre de
France près du duc des Deux-
Ponts, en 1792. Destiné à ladiplo-
malie, il fut admis, jeune encore,
dans les bureaux du ministère des
affaires étrangères , et envoyé ,
au commencement de la révolu-
tion, près le duo des Deux-Ponls,
en qualité de ministre de France.
Lorsque Dumouriez , en 1792,
bouleversait tout le ministère, et
échangeait le portefeuille des af-
faires étrangères, qui lui était con-
lié pour celui de la guerre, il fit
NAI
nommer M. de Naillac à la place
qu'il venait de quitter; mais sa
nomination fut aussitôt révo-
quée que prononcée, et quelque
diligence qu'il fît pour arriver
à Paris, il trouva le poste pour
lequel on l'avait appelé, occupé
par \l. de Chambonas. Son pro-
tecteur, pour le dédommager en
partie de cette mésaventure, le fit
passer A Gênes, en qualité de mi-
nistre. M. de Naillac en remplit
les fonctions jusqu'en i794' A cet-
te époque, il fut soupçonné de fa-
voriser le parti contre-révolution-
naire, et la convention le décréta
d'arrestatioa. Forcé de prendre la
fuite, il changea de nom, s'enrôla
dans l'armée d'Italie, et se trouva
au siège d'Ancône, dont il subit
tous les hasards; il est rentré en
France avec la garnison de cette
place, et a cessé depuis cette épo-
que d'être en évidence.
NAIKAC (P.), négociant, fut
nommé, par le tiers-état de la sé-
néchaussée de Bordeaux, députe
aux états-généraux, en 1789. Ses
rapportsavec les colonies l'avaient
instruit dans cette partie de l'ad-
ministration, et il s'occupa pres-
que exclusivement, pendant la
session, des colonies et du com-
merce. Eu 1790,11 transmit à l'as-
sen)blée, au nom de la garde na-
tionale de Bordeaux, une dénoncia-
tion relative à l'affront fait à l'uni-
forme national par le parti contre-
révolutionnaire de Saint-Pierre de
"la Martinique. Il futnommé, après
la session, un des hauts-jurés du
département de la Charente-In-
férieure. La ville de La Rochel-
le' l'envoya, en 1 796, en qualité de
dépuu*^ à l'assemblée du commer-
ce , que le gouvernement dirccto-
>AJ
riiil convoqua alors à Paris. L'an-
née suivante, il tut nommé, par
le département de la Charente-
Inférieure, député au conseil des
einq-cents. Il passa, en décembre
1799, au corps-législatif, où il
siégea jusqu'en i8o4- H renonça
alors aux fonctions publiques ,
pour ne plus s'occuper que de
spéculations commerciales.
?iAJAC (le comte Be>oit-
Geokge de), préfet, conseiller-
d'état, commandeur de la légion -
d'honneur, intend"ant-général des
classes de la marine, est né le 22
novembre 174^- -^ l'époque de la
révolution, dont il adopta les prin-
cipes , il était commissaire-ordon-
nateur. Le ministre Dalbarade le
nomma, en 1790, adjoint à son
ministère, et l'emploj'a ensuite en
qualité d'ordonnateur à Brest et à
Toulon. Le zèle et l'intelligence
qu'il y développa lors des prt*pa-
ratifs de l'expédition d'Egjjle,
lui valurent des récompenses du
général en chef Bonaparte , qui le
chargea :iussi de témoigner sa sa-
tisfaction à tous les employés de
l'administration de ce dernier
port, p'inr l'activité avec laquelle
ils avaient secondé ses vues. Après
le 18 brumaire an 8, il fut appelé au
conseil-d'élat, et nommé, en août
1801. préfet du département du
Rhône; il cessa d'occuper ce pos-
te, eu i8o3, pour reprendre sa
place au conseil-d'état, section de
la marine, et reçut à cette époque'
la décoration de commandant de
la légion- d'honneur. En 1807,
M. de Najac fut chargé de présen-
ter, au nom du conseil-d'élat,
quelques dispositions supplémen-
taires du code civil, et parut à cet
effet à la tribune du corps-législa-
NAN- 3a 5
tif. Il conserva les mêmes fonc-
tions jusqu'à l'abdication de l'e^n-
pereur en i8i4- Le roi le nomma
intendant-général de la marine et
conseiller-d'état honoraire. Après
le retour de Napoléon, en i8i5,
W. de Najac rentra dans ses fonc-
tions, et signa la délibération du
ccnseil-d'état du 25 mars [voyez
Defermos). Au second retour du
roi, il fut remplacé, puisremis en
activité en 1817.
NANNOI (AsGKLo), chirur-
gien florentin, naquit en ijiD, et
commença ses éludes anatomi-
ques dès sa première jeunesse h
l'hôpital général de Sainte-Marîc-
la-Neuve, de Florence , dont le
savant Antoine Benevoli était chi-
rurgien en chef. Son ardeur pout:
l'élude , ses heureuses disposi-
tions, une prompte célébrité , ac-
quise par des succès, dfs cures, ob-
Itnues plus particulièrement dans
l'opération de la taille, d'après la
méthode latérale, déterminèrent
le chevalier Maggio , qui le sou-
tenait par ses bienfaits , à lui faire
entreprendre, en ijA"» '^^ voyage
de Paris. Il suivit, dans cette ville,
les cours établis dans les hôpi-
taux, puis à Rouen, ceux que l^e-
cal y avait ouverts avec le plus
grand succès. N^nnoni n'était pns
moins praticien que profond ob-
servateur. L'abus des médicbmens
dans les maladies, les vices des
différentes opérations lui firent
concevoir le projet de réformer,
du moins pour ses concitoyens ,
le code chirurgical, projet qu'il
mit à exécution à son retour dans
sa patrie , où, à peine arrivé, il
devint professeur et chirurgien
en chef de l'hôpital dont naguère
il avait été l'élève. Tout, dansées
laO
3NAN
opérations, d.ins ses leçons, dans
i^es écrits, tendait à ce but. Au
rapport de M. Fournier, auteur
d'une Notice sur Nonnoni , l'hu-
inorisme galénique régnait de
toutes parts; il le combattit. « 11
établissait, ajoute cet auteur, que,
dans les maladies, la nature veut
être secondée et quelquelois ai-
dée : cet axiome lut la base de
son système médical. Il bannit
du pansement des plaies, les corps
huileux^ les baumes, les résines,
les terres, les spiritueux. Les ca-
taplasmes de mie de pain , la char-
pie sèche, les décoctions émol-
lientes , l'eati pure , tels étaient
les moyens simples et salutaires
qu'il introduisit dans cette partie
iu)portante de la thérapeutique.
Défendre les plaies du contact de
l'air était un préalable nécessaire.
■' — «Je voudrais, disait-il, pouvoir
«me garantir de l'influtnice de
«l'air, comme je le fais des mé-
j»dicamens nuisibles. » — La phi-
losophie qui brille dans ses pré-
ceptes d'hygiène et de thérapeu-
tique , ei.t lorl remarquable pour
le temps où il a vécu; car alors,
l'humorisme, la chémiatrie et le
mécanisme, Se disputaient l'em-
pire médical , et détournaient les
])Uis grands esprits de la route du
vrai. Les opérations dilTiciles qu'il
exécutait t h.iquc jouravec un suc-
cès non interrompu , ainsi que ses
sages et lumineuses leçons, atti-
rèrent auprès de lui les disciples
et les malades, non-seulement de
l'Italie , mais des contrées les
plus éloignées de l'Europe : on
venait le consulter comme un
oracle. » Cet éloge est néanmoins
leVnpéré dans quelques parties ,
par les soins que prend son au-
!SAN
teur de lui reprocher « de rejeter
trop exclusivement la méthode
opératoire de la cataracte par
l'extraction inventée par Dariel ;
il craignait que ce procédé ne dé-
terminai l'inflammation de l'iris ••
l'ancienne manière, qui consiste à
abaisser le cristallin dans la cham-
bre postérieure, an moyen d'une
aiguille romle, lui paraissait 1»
seule avantageuse , parce qu'il
croyait que quand le cristallin
vient à remonter dans la chaip-
bre antérieure de l'humeur a-
quense, il ne larde point à se dis-
soudre et à être absorbé. Il erra
encore, lorstin an sujet de lafislnle
lacrymale , il blâme la perforation
qu'on a faite de l'os angaisy dans
certains cas, pour introduire une
canule propre à entretenirle cours
des larmes. Ce savant atteste avoir
vu reprendre , api es plusieurs
points de suture, des nez qui ne
tenaient plus qu'à une étroite lan-
guette de peau. «Nannoni, que
recommandait à l'estime générale
ses talens, son humanité, toutes^
les qualités personnelles les plus
nobles, mourut dans la ville où
il était né, à Florence, le 3o
avril 1790. Parmi les ouvrages
qu'il a publiés , on cite les sui-
vans : 1° Trattato sopra. i mali
délie mammelle, Florence, in-4"»
174^); 2" Dissertadoni cliirurgiclie
cioè délia fistola lagrimale , dalle
cularatlc ; de medicamenlis exsic-
cavtibus, de med. causticis , Paris,
1 748 ; 3° Discorso c/iirurgico per
l'introduziotie al corso dell opera-
7toni da dirnostrarsi sopra dcl ca~
davere, Florence, i75o; 4° ^^~
morie ed osservazioni chirurgiclie ,
colla sloria de molle e diverse ma-
UïltiefclicemcntesHarite, Florence ,
NAN
i755,in-4°i 5" Délia simplicità
lii medicare i mali Ui altinenza alla
chirurgia , coW aggiunla sopra le
malalde délie mammelle ^ Venise ,
1764 , in- 4° ; 6° Lettera scritta in
difesa délia simplicilà del medicare
à Giu'ieppe Blanchi chirurgo in
Cremona, i^SS; 7° Delta siinpii-
rilà del medicare, 5 vol., 1761-
17G7 ; 8'' Traltalo chirurgico so-
pra la simplicilà à del medicare ^
eon osservazioni eragionamenti ap-
parlenente alla chirurgia, aggiun-
tovi il Irattato sopra le malattie
délie mammelle , Venise, 1770 ,
in-4'' ; 9° Memoria sull' anevrisma
délia piegalura del cubito ^ Flo-
rence, 1784.
NA^iSOUTY (le COMTE de),
lieutenara-généraljgrantl-cordon
de la légion -d'honneur, etc.,
naquit en 1768 à Bordeaux, où
boa père avait le comnîandeinent
du Château-Trompette. Le nom
de cette famille était Champion de
Nax.s-sou5-Thii,, d'où s'est formé;
par laps de temps, celui de Nan-
soiTY. Destiné à la carrière des
armes, il y entra de bonne heure,
et dès l'âge de 12 ans il était
élève de l'École-iMiiitaire ; trois
ans après il passa, en qualité de
bous-lieuteuant, an régiment de
Bourgogne c;> Valérie. La révo-
lution , dont il adopta les princi-
pes, le trouva dans ce dernier
grade ; mais les occasions fré-
quentes qu'il eut de développer
un mérite réel et une rare intrépi-
«iilé , rélevèrent rapidement aux
rangs supérieurs: il fut successive-
ment lieut. -colonel et colonel des
carabiniers ; le 24 mars i8o3, il
obtint le grade de général de divi-
sion. Employéà l'armée d'Allema-
gne à la fin de i8o5, il se distingua
>AN 537
d'une manière particulière à la
tête du corps des cuirassiers ,
qu'il commandait au combat de.
"VVertingcn , et fut mentionné
comme ayant contribué beaucoup
aux premiers succès de cette cam-
pagne. Sa conduite à la bataille
d'Austerlitz, le 2 décembre, fut
également brillante ; et les rap-
ports officiels firent le plus grand
éloee de sa bravoure dans cette
mémorable journée ; il fut à cette
occasion nommé grand -officier
de la légion-d'hunneur. Il com-
mandait, dans la campagne de
1806 contre les Prussiens , les
corps réunis des carabiniers et des
cuirassiers, et eut ta plus grande
part aux succès de cette c.impa-
gne ; il se surpassa aux batailleâ
d'Eylau et de Friedland; les jour-
nées d'Eckmuhl , d'Essling et de
Wagram en 1809, mirent le com-
ble à sa réputation militaire. En
1812, il fît la malheureuse cam-
pagne de Russie, en qualité de
colonel - général de dragons, et
mérita , à différentes reprises ,
d'être cité honorablement. Il re-
doubla de courage en i8i3 et
18 14 à mesure que les dangers
devenaient plus imminens ; à
Dresde , à W'achau , à Leipsig et
à Hanau ; en France, à Champ-
Aubcrt, i\ Montrairail , à Craonne»
il fit des prodiges de valeur. Au
mois d'avril 1814» il fut envoyé,
par ordre du roi, en qualité de
commissaire extraordinaire dans
la 18' divi>ion militaire, et nom-
mé chevalier de Saint-Louis ; il
devint ensuite capitaine- lieute-
nant de la première compagnie
des monsquetaires. Les suites
d'une maladie, occasiooée par les
fatigues de la guerre, realevèreut
328
ISAN
' à sa famille et à ses amis, le 12
février 181 5.
NANSOUTY- BEALREGARD
(Jean - Kaptiste - François - Cham-
pion DE ) , lieutenant des maré-
chaux de France , de fa même fa-
mille que le précédent , dont il
devint le beau-frère, était né le i4
février i^Si. Il se voua comme
lui à l'état militaire , parvint au
grade de capitaine dans le régi-
ment de Guyenne infanterie, et
était lieutenant des maréchaux de
France, dans sa ville natale, lors-
q^ue la révolution éclata. Il échap-
pa heureusement aux proscrip-
tions des jours de la terreur , et
fut, sous la répub!i<^|ue , un des
employés chargés de la surveil-
lance des armes, poudres et sal-
pêtres , etc. Napoléon l'appela
dans la suite aux fonctions de
membre du conseil - général du
département de la Côte - d'Or ,
dont le collège électoral l'élut, en
1810, candidat au corps-législatif;
M. de Nansouty n'y siégea point,
et a, depuis ce moment, cessé de
figurer parmi les fonctionnaires
publics.
NANÏEUIL (Gaucikan), hom-
me de lettres, né à Toulouse, est
auteur de plusieurs ouvrages dra-
matiques qui ont obtenu du suc-
cès. Les principaux sont : 1° LalU
et Quinault; 2" les Maris garçons,
musique de BertOn , 1806; 5° la
Mode ancienne et vouvelfe ; 4° l^
Tuteur fanfaron ; 5° ie Charme de
lavoix, pièce refaite d'après lai?o-
mance, musique de Berton, 1811.
M. Nanteuil a fait en société, avec
M. Etienne , ancien membre de
l'institut {voy. ce nom), les pièces
suivantes : 1° V Apollon du Belvé-
dère; 2* le Carnaval de Beaugencjf
NAP
5° le Pacha de Surène, ou l' Amitié
des femmes, 1802; [\° Isabelle de
Portugal ; 5" les Deux Mères ; 6°
la petite Ecole des Pères ; 7° le
Noicveau Réveil cC Epiménide. On
a aussi de lui quelques poésies lé-
gères, insérées dans diiferens re-
cueils. M. Nanteuil est secrétaire
du garde-meuble royal. Il avait
déjà occupé le même emploi pen-
dant le gouvernement impérial.
NANTOUILLET (le comte A-
lexandre -Marie- Louise- Charles-
Lalmand de), lieutenant-général,
quitta la France au commence-
ment de la révolution, et n'y ren-
tra qu'en 1814» î"« l-'» suite des
princes de la maison de Bourbon.
Le 25 aoTit de la même année, le
comte de Nantouillet fut nommé
par le roi commandeur de l'ordre
de Saint-Louis, et, le 6 décembre
suivant , chevalier de la légion-
d'honneur. Attaché à M. le duc
de Berry en qualité de premier
écuyer, il suivit ce prince, et d<'-
vint membre de son état-major
pendant les cent jours en i8i5. A
la même époque, il reçut succes-
sivement, à Gand, le titre d'ofîi-
eier de la légion-d'honneur et ce-
lui de grand'croix de l'ordre de
Saint-Louis. Après le second re-
tour du roi, M. de Nantouillet a
été nommé commandeur de l'or-
dre de la légion-d'honneur , et ,
depuis , aide-de-camp du jeune
duc de Bordeaux. Il mourut au
mois de février i8:i4-
NAPJONE (le COMTE Jean-FrAn-
çois-Galeani), de Cocconato, che«
valier grand'croix de l'ordre mili-
taire de Saint- Maurice et de Saint-
Lazare, surintendant et président
en chef des archives royales, pre-
mier président , conseiller-d'éiat
NAP
au roi Je Sardaip;nc, représentant
du chef du magistrat de la réfor-
me, membre de l'académie royale
deïuriH,etc. .est un débris de cette
ancienne famille de littérateurs
italiens qui ont illustré, la seconde
moitié du iS" siècle; il a été l'a-
mi ou le correspondant de Betti-
nelli, de Cesarotti, de Tiraboschi,
du président Jean Binaldo Carli
et de tant d'autres, avec la plu-
part desquels il lutta souvent , si-
non pour l'importauce , du moins
par le nombre et la variété de ses
travaux. L'ouvrage auquel M,
Napioiie paraît attacber le plus de
prix, et qui lui a valu en eflét une
Çrande pury'e de sa réputation ,
est celui qu'il publia en i^gi : Sud'
uso ed i pregi délia lingua italiana.
A cette époque, le Piémont n'avait
pas de langue arrêtée : sa position
géographique et ses rapports avec
la France et la Savoie, lui avaient
donné , mên)e avant la conquête
de l'Italie, un goût presque géné-
ral pour la langue française. On
la parlait au barreau comme à
l'académie ; elle était employée
avec prédilection par le courtisan
et par le laboureur. Cette fille
d'adoption avait tout usurpé, en
déshéritant la langue du pays de
ses droits les plus légitimes. M.
Napione, animé par un sentiment
patriotique, prit à tâche de rame-
ner ses concitoyens à l'usage de
la langue italienne , dont il fait
un pompeux éloge, en rfiagérant
un peu trop les défauts de sa riva-
le. Sa cause est juste, parce qu'elle
est nationale; mais après avoir lu
son plaidoyer en deux gros vol.
in-S", chaqtie lecteur sera tenté de
se demander lequel est le plus à
plaindre, ou de l'auteur qui n'a
NAP
529
pas sn^tre plus concis, ou de la
nation qui a besoin qu'on lui
prouve longuement la nécessité
de parler sa propre langue, et une
langue comme l'italienne. Egaré
par un noble désir d'augmenter
les titres de gloire de sa patrie ,
M. Napione tantôt dispute à la
ville de Gênes l'honneur d'avoir
vu naître ce hardi navigateur qui
révéla à la vieilleEurope Texistèn-
ce d'un nouveau uîonde ; tantôt
enlève au chancelier Gerson , au-
teur reconnu de L'Imiiatiov de
J . C, son plus beau litre à l'ini-
mortalité pour en décorer un ab-
bé de 'V^erceil ; tantôt force les
nobles chevaliers de l'ordre de
Saint-Jean de Jérusalem d'accep-
ter pour leur fondateur un obscur
habitant d'Asti. Après tant d'ef-
forts pour relever le mérite des
illustres Piémontais, ou pour en
accroître le nombre , on a de lu
peine à s'expliquer pourquoi M.
Napione s'est montré si jaloux de
la réputation d'Alûeri, qu'il appe-
lait un poète médiocre, et qu'il se
plaisait à signaler comme un hom-
me dangereux pour la tranquillité
de l'Italie. Si l'on ne peut pas
partager l'opinion de M. Napione
sur la patrie de Christophe* Co-
lomb, on doit reconnaître la vali-
dité des argumens dont il fait
usage pour soutenir les droits du
ce grand homme à la découverte
du continent du Nouveau-Monde.
Ou doute pourtant qu'il trouve
des lecteurs disposés à souscrire
égalenjent à l'apologie que dans
l'Ksame critico del primo viaggio
d\4merigo Vespacci , il fait de
Philippe II, et aux reproches qu'il
adresse à Hayley et à Pinkerton,
pour avoir osé dire que « ce tyr»a
35o NAP
» descendit dans la lonibe accom-
))pa}2;né des lualédiclions du genre
"humain. » On ne peut deviner
quels seraient h s actes de son rè-
gne qui ont le' plus séduit le conjte
Napione. Sont -ce les traitemens
barbares qu'il faisait essuyer à ses
prisonniers ? est-ce le zèle avec
lequel il travaillait à propager
dans ses états le tribunal de l'in-
quisition? est-ce le goût qu'il
montrait pour les auto-da-fé? ou
bien cette longue série de cruau-
tés exercées en son nom et par
ses ordres dans le Milanais et dans
les Flandres? Si ce sont là des
titres à l'amour des peuples, M.
Napione n'aura que reml)arras du
choix. Voici la liste de ses ouvra-
ges : 1° Dell' uso e de pregi délia
If ligna italinno , 3 vol. , 1791; a"
J)tilla palria di Cristoforo Coloni-
ho, con gianle, i8o3. L'auteur re-
produit dans ce volume une an-
cieiuie prétention des Piémontais
sur la [)alrie de ce célèbre navi-
gateur. On se rappelle que l'on a
long-temps agité la question de sa-
voir quel a été son véritable lieu de
naissance. Les opinions se parta-
geaient entre Pradello , Guccaro
et Gênes.' Cette dernière avait
aussf beaucoup d'autres rivales
autour d'elle. Final, Oneiîle, Sa-
vone, placées sur la riviera di Po-
nentc, et Quinto, Nervi, Boggias-
co et Cogolelo, se pressaient tou-
tes autour de leur capitale pour
lui arracher un des plus beaux
fleurons de sa couronne. Les Gé-
nois , en laveur desquels étaient
les plus fortes présomptions, im-
patientés de ces longs débals ,
nommèrent en 1812, au sein de
leur académie, une commission,
qui réussit à rassembler plus de
NAP
preuves qu'il n'en fallait pouf
conserver à Gênes la gloire d'avoir
été le berceau de Colomb. 5" Dis-
sertazione intorno aW autor del
lihro: delmitatione Christi, i8o5;
4" Dizertazione intorno al. mss. d'
Arona, i8o5. On compte aussi
trois hypothèses principales sur
l'auteur de C Imilation de J . C-
Thomas à Kempis, qui était resté
long-tenips en possession de cette
gloire, en a été dépouillé sur deux
personnages homonymes : Jean
Ger^^on , chancelier de régli>e de
Paris, thér)logien et écrivain célè-
bre de son temps, et .lean Gersou,
abbé de Saint-Etienne de Verceil.
C'est à ce dernier que j^L Napione
voudrait faire attribuer le livre de
l'Imitation. M. Gence, dans une
dissertation où il rapporte le litre
d'environ cent vingt ouvrages im-
primés et manuscrits sur cette lon-
gue controverse , répond à tous
les argumens mis en avant par M.
Napione , et écarte le plus fort ,
celui de la prétendue antiquité du
manuscrit d'Arone, conservé à la
bibliothèque de Turin. 5" Esaine
crilico del primo viaggio di Ameri-
go Fespucei. Le P. Canovaï a é-
crit un grand ouvrage pour prou-
ver que c'est Vespuce qui a le
pnanier abordé, en i4i)7' '^'^ ^''"'
tinent du Nouveau- Monde. M.
Napione, profilant de tout ce qui a
été dit par Timl)0schi et sur d'au-
tres, couibat victorieusement les
assertions de ce panégyriste de
Ve><puce. 6" Dell' origine deli' ordi-
ne di Sant-Giovani di Jeriualcnvne,
an i3. L'auteur prétend que le fon-
dateur de cet ordre a été un certain
Gérard d'Asti , en Piémont , mal-
gré toutes les traditions et tous
les monumens historiques qui eu
iNAP
onlioujonrs placé le berceau dans
lii ville d'Aiitalfî, cêlèhre aussi
potir avoir donné le jour à Fl;ive
Gîoja , l'invenleurde la boussole.
7° De' Templari , e dell' aholizcone
detloro orditie. L'auteur se déclare
en faveur de l'abolition de cet ordre
célèbre qu'il juge coupable df tous
les crime- qu'on lui a iinpulés,siir
la triple auturité de Bernard Gui-
donis, évT'que de Lodèves ; de
Ploiomée de Lucques, évêque de
Torctllo , et de M. Ferrand, pair
de France. 8' Elogi di Botero, di
Banddlo, de cronisti Piemontesi;
di Mnratori . di Palladio , del con-
te Jsinari, di Molinieri, e di Bet-
tinelli; g* Liscorso intorno alla
scienza militnre del Tassa , i 777 ,
in-8°; 10" Essai sur l'art histori-
que, 1778; 11° Traduzione dclle
Tusculaiie di Cicérone, con un dis-
carso intorno misteri d'Elcusi,
i8o3 ; 12" Traduzione délia Vita
d' Agricola, con un ragionamento
intorno alla conquista delta Britan-
nia fal ta da' Romani, 1806; i5"/î/-
cerclie ijilorno à terremoti del Pie-
monte , an i3; 14° Ragionamento
intorno alla durnla de regni de
rc di Roma ; 15" Notizie de pr'in-
ripçli scrittori Italiani dcll' arfe
tnililare, i8o5; xG" Paratlelo fra
le storic dell' Italin antica e délia
modem a ; 17" Purallelo fra la cn-
duta detr impero rom'ino, e gli av-
tenimenti délia fine del secolo xviii ;
18" Discorso intorno aile monele
del Piemonte; i rf Dell' origine délie
stampe délie figure in tegno ed in
rame, i8o5; 20° Letterc intorno
aile ravine delta Grecia ; 21° J.et-
tere intorno à monumenti d*archi-
tettara; 11" Dette prime edizione c
di un mss. dell' opère del gênerai
tUonlecuccoli ; 23" Discorso intor-
NA? 5r>t
no ait' antickità cristiane; 24' Det
ricendevole rantaggio clie la reii-
gione reca aile belle arti , e le belle
arti alla religione; 2 5° Degli sfudj
délie gentildonne; 26° Délia félicita
de' letterati ; 27" Estratfi délie opè-
re di Barthrlrmy , di Blair, di
Gibbon, di Denina , etc. 28°; la
Grise H a, tragedia ; la Morte di
Clc'opatra , poemetto ; traduzions
in tersi Sciolti del l' oe del 4" Ubro
di Virgilio; Rime e poésie varie,
La plupart de ces ouvrages ont
été insérés dan< les volumes des
Mémoires de l'académie royale
de Turin. Les ceuvres du comte
Napione ont été réunies à Flo-
rence, en iG volumes in-8'. Eu
relevant quelques-unes deserreur-^
de cet écrivain distingué, nous a-
vons rendu justice à son mérite.
NAPIO>E ( LE CHEVALIER An-
toine-Galeam ) , frère du précé-
dent, généralissime des armées
de terre et de mer du roi de Por-
tugal, directeur général des mines
au Brésil, chevalier de plusieurs
ordres , membre de l'académie
royale de Turin, etc. , servait en
qualité de major nu corps royal
d'artillerie , en Piémont , en 1800.
Lorsqu'il crut que son pays fut
perdu sans retour pour la dynas-
tie qui le gouvernait . elàlaquelle
il était très-dévoué, il résolut d'al-
ler offrir ses services il une puis-
sance étrangère. Il passa en Por-
tugal, et il y obtint le grade de
général d'artillerie. Doué de beau-
coup d'intelligence , et versé dans^
toutes les théories et les pratiques
de l'art militaire, il apporta dan«
son arme des changeinens très-
utiles, et on peut dire que c'est .i
lui que les Portugais en doivent
la création. Il suivit la cour au
5r>2
NAP
Brt'fsil , où il fut élevé au grnde
de généralissime et décoré des
difforeiis ordre? du Portugal. Ce-
lait un .«avant cbimisle et miné-
ralogiste; il avait été l'élève du
célèbre "NVerner, avec lequel i!
conserva des rapports très -sui-
vis. Pendant son séjour au Brésil ,
M. Napione recueillit beaucoup
de matériaux pour les ouvraj^es
sur les bois de ce pays, en déter-
minant leur pesanteur spécifique ,
leur nature et les usages auxquels
ils pou valent être employés. Ce
serai* un travail précieux pour la
marine ; il est à désirer qu'il ne
«oit pas perdu. M. Napione moii-
l'ût au Brésil vers l'année 1814.
Ses ouvrages sont: i" Description
viuiiralogique des montagnes du
Canavois , 1786; 2° Analyse de la
mine de manganèse du Piémont ,
1790 ; 3" sur une nouvelle méthode
employée en Suède pour tirer parti
des scories de fer, 1790; 4" Obser-
vations sur l'état dans lequel peut
se trouver le fer combiné avec le
soufre, 1790; 5° sur les principes
constiiuans de la mine d'argent
grise , 1 795 ; 6° Lettre à JVerner
sur la montagne de Fer , près de
Taberg ; 7° Mémoire sur le Lincu-
rio; 8" Essai sur les nouveaux pro-
cédés d' amalgamai ion suivis enifon-
grie,en Bohèmeet enSa.xe{\ninUi);
9" Sur quelques espèces de roches
prétendues volcaniques , et en par-
ticulier sur les basaltes, 1793 ;
10° Observations iUhologiques et
chimiques sur une espèce singulière
de marbre primitif, 180 1 ; 1 1" Des-
cription des lies de Saint-Pierre et
de Saint- Antloche , près celle de
Sar daigne , i8o4; il" Essai sur la
manière de séparer le cuivre du. mé-
tal des cloches.
ISAP
N A P 0 L l^: O N , empereur des
Français, roi d'Italie, protecteur
de la confédération du Kbin , mé-
diateur de la confédération suisse,
souverain de l'île d'Elbe , mort
captif à Sainte-Hélène. ^
Napoi>éon vivait quand nous
écrivions l'article Bonaparte. A
présent Bonaparte aussi est mort,
et il est mort des misères de
Sainte-Hélène! Nous avons assez
bonoré ce grand homme, tout vi-
vant qu'il était encore en 1821,
pour le placer déjà devant la pos-
térité. Nous avons nous-mêmes
osé nous asseoir à ce tribunal sans
appel ; nous avons osé tenter d\'>tre
justes envers le plus grand citoyen
des républiques modernes. Il nous
convient de l'être aussi envers le
souverain le plus puissant des é-
tats monarcbi^^ues depuis Cbarle-
magne , et le plus infortuné de-
puis Darius et Louis XVI.
Placés entre le trône et le cer-
cueil de Napoléon , entre le mois
de mai 1804 et le m ois de mai 1821,
entre le palais impérial de la Seino
et la prison de Longwood , nous al-
lons parcourir, avec une religieuse
fidélité, la plus grande époque de
l'bistoire depuis la réformation.
Nous avons vu Bonaparte se
proclamer l'héritier de la révo-
lution française , nous allons le
montrer se proclamant l'héritier
de la monarchie ; mais aussi quand
il tombera, ce sera à son tour la
révolution française qui voudra
réclamer dans toute l'Europe l'hé-
ritagede ladominalion universelle.
Avant Bonaparte, cettej'évolution
était peut-être moins ambitieuse.
C'est aussi à celte vérité, qui (,ba-
que jour se débat sous nos yeux ,
que l'époque do Napoléon devru
Davùi
tnr
J'remt/ aet.efSc
SAP
sa suprémalie sur tontes celles qui
ont suivi la ruine de l'empire ro-
main. C'est elle qui renrl «i im-
portante, «i grave, si indispensa-
ble , l'étude de cette course de
dix années que nous allons retra-
cer. Pendant ce temps la destinée
de toute T Europe fut confondue
avec celle de Napoléon : l'Europe
est restée violemment ébranlée de
la chute de son dominateur, et les
commotions politiques qui soulè-
vent les deux mondes, rappellent
à la pensée ces jeux funèbres des
gladiateurs Scythes, Grecs,Gaulois
et Romains, combattant à mort
autour du bûcher des guerriers,
des grands hommes et des empc-^
reurs.
La cendre d'un homme serait-
elle donc assez lourde pour que la
société tout entière doive fléchir
sous son poids ? ou bien lu société
serait-elle tellement étourdie par
l'absence du jnug qui la réglait,
qu'elle se croie obligée de recourir
à toutes les extrémités d'une régé-
nération?
Préparée depuis quelque temps,
parles courtisans de l'époque. c«»n-
sulaire , désirée par les amnistiés
encore inquiets de l'époque cons-
titutionnelle, prévue par tous les
républicains à la journée de Saint-
Cloud , au vote pour le consulat à
vie et à la signature du concordat,
l'époque impériale est aimoncée
le 5o avril i8o4 par la motion du
citoyen Curée, membre du tribu-
na't. Une volonté singulière de Na-
poléon faisait sortirle premier vote
à l'empire ,de la dernière en<einte
où fut encore réfugiée l'ombre de
NAP 553
la liberté française. La proposition
de nommer Iimperei R le premier
consul et de fixer l'hérédité dans sa
famille était admise à l'unanimité
î-ans l'opposition du citoyen Car-
not. On ne peut s'empêcher de
remarquer, que le seul qui vote
dans le tribunat contre l'empire,
est le même qui doit contribuer
puissamment à le ressusciter dans
les cent jours, qui en sera un des
ministres et un des exécuteurs tes-
tamentaires, et que ce même hom-
me vient de payer, par sa mort
dans l'exil , ce premier et ce der-
nier eflort pour la liberté et pour
l'indépendance de sa patrie.
Le 1" mai, le même vœu avait
été proclamé par le corps-législa-
tif, et le 18 un sénatus-consulte ,
qui est nommé organique, consa-
cre le vote du tribunat et du c<:»rps-
législatif. Le même acte compre-
nait dans la ligne de rbérédilc
Joseph et Louis , frères de l'em-
pereur; créait l'un , grand-élec-
teur, Vaulre connétable ; nommait
le général Murât grand amiral; le
second consul archi- chancelier,
le troisième archi-trésorier de l'em-
pire, Eugène Beauharnais, orchi-
chancelier d'état, et M. deTalley-
rand Périgord, vice-grand-électeur.
Les collèges électoraux , les
grandes dignités , la haute-cour
complètent celte première opéra-
tion du sénat, qui vient de procla-
mer une quatrième dynastie fran-
çaise. Le sénat se rend en députa-
tion à Saint-Cloud, sous la prési-
dence de Cambacérès, charge de
porter son vœu à Napoléon. Le 19,
les ^andes charges civiles , de
gouverneur du palais , de grand-
écuyer , de grand -veneur , d«
OÔ:\
NAP
grand-maréchal, de grand -au-
mônier, de grand-muîlre des cé-
rémonies, de grand -chambellan
sont instituées. Le même jour la
dignité de maréchal de l'empire est
conférée aux dix-huit généraux les
plus célèbres de l'arniéé : ce sont,
Alexandre lîerthier. iMurat, Mon-
«ey, Jourdan, Masséna, Augereau,
Jiernadotte, Soult, Brune, Lannes,
Mortier, Ney, Davoust, Bessières,
Kelleruiann, Lel'ebvre, Pérignon
et Serrurier. De ces premiers ma-
léchaux, seize vivaient encore à la
chute de l'empire. Deux seule-
ment, Lannes et Bessières, avaient
eu la Tin des braves. Depuis 181 5,
quatre d'entre eux, Bcrthier, Mu-
rat, Ney et Brune, ont péri de
mort violente , signalée par une
afl'reusc variété. Masséna, Auge-
reau, Lel'ebvre, Kellermann, Pé-
rignon , Serrurier et Duvoust ont
«;u des funérailles dans leur patrie.
Jiernadotte est roi en Suède.
Le 27 mai, le sénat prête ser-
ment à l'empereur, et le v,œu des
108 départemens de la France ar-
rive bientôt au pied du trône.
Le clergé qui, seul avec les répu-
blicains , a deviné l'époque qui
vient de s'ouvrir, salue le nouvel
empereur de tous les litres que les
livres saints peuvent fournir à sa
pédantesque adulation. Il appelle
Napoléon le nouveau Cyrus , le
nouveau Moïse appelé des déserts
de l' Egypte, le nouvel Auguste, le
nouveau M alalhias envoyé par le^ei-
gîieur, le pieux Onias , le nouveau
Josapliat, etc. L'église devait cette
reconnaissance à l'auteur du con-
cordat de i8o2. Les ailaires avec
la cour de Rome donnèrent, de-
puis le concordat, beaucoup d'em-
barras à Napoléon ; c'est ce qui lui
NAP
fit dire au célèbre Fox : J'aurais
eumoins de peine à établir la confes-
sion d' Augsbourg. Ceci, toutefois,
est douteux, mais ce qui ne l'est pas,
c'est que le rétablissement du culte
catholique, deconcert avecla cour
de Rome, contribua et detait con-
tribuer puissamment à rétablisse-
ment du pouvoir de Napoléon en
France, et à la réconciliation de
la France avec l'Europe catholi-
que. L'influence de la hiérarchie
des pouvoirs spirituels n'était pas
un moyen à négliger pour un
homme qui , sous le nom du pape,
dont il voulait faire un vassal, se
faisait réellement le grand pontife
de la France.
Ln grand acte de clémence si-
gnala les premiers jours de l'em-
pire. Parmi les 47 complices de
Georges Cadoudal , 19 avaient été
condamnés à mort. De ce nom-
bre étaient, Armand de Polignac,
le marquis de Rivière , Bouvet de
t' Hozier, la Jollais , Rochelle,
Gailiiard, Roussillon et Charles
d' Hozier. L'iinpératrice Joséphine
joignit ses larmes à celles de m;i-
daine de Polignac. « Je puis par-
donner à votre mari, dit Napoléon,
car c'est à ma vie qu'on en voulait. »
Et la grâce d'Armand de Polignac
fut prononcée. Madame Murât se
chargea de celle du marquis de
Rivière et l'obtint. (V. J. Murât,
madame Murât, le marquis de Ri-
vière); de ces trois bienfaiteurs, la
reine Caroline survit seule , dé-
trônée dans l'exil! Les autres con-
damnés furent également graciés.
Ainsi , 8 conjurés sont enlevés à
l'échafaud. Ces commencemens
sont heureux; la France, l'Eu-
rope applaudissent à ce grand aclt^
d'une véritable générosité. Ces
NAP
condamnés sont tous amnistiés par
!N;ipoléon; Napoléon le sera-t-il
par chacun d'eux ? Mais, maigre
cette preuve authentique de la for-
ce et de la puissance, Napoléon croit
avoir besoin d'assurer la tr;mquil-
lité intérieure, etson élévalion ré-
cente, par le rappel d'une institu-
tion révolulionnaire, connue sous
le nom de ministère de la police
générale. Par une sagacité qiu' ap-
partenait à celte époque du passa-
ge de la république ù l'empire, il
donne le portefeuille de ce niiuis-
tère à un faux républicain, qui a
servi le despotisme de la terreur.
Cet homme sera pour toute la
France l'homme de la liberté, et
pour Napoléon seid l'homme du
pouvoir. Fouché de Nantes, qu'il
faut à jamais appeler Fonché de
Lyon, va aussi régner sur la Fran-
ce, en mettant en surveillance
la vie privée et la vie publique, les
opinions et les écrits; m;ds Fouché
ne sera pas toujours dans le secret
de Napoléon, ni malheureusement
Napoléon dans celui de Fouché.
Toutefois l'empereur, qui seul con-
naît tout ce qu'il veut faire, plane
sur ses destinées futures à l'insu
de tout ce qui l'entoure, et il ne
Toit dans Fouché que le concierge
de sa politique domestique, quand
les événemens qu'il médite l'ap-
pelleront hors de sa capitale, ou
des frontières de l'empire. Parmi
ces événemens figure au premier
rang, dans les vastes conceptions
de Napoléon, l'invasion qu'il pré-
pare contre l'Angleterre dans tous
les ports de sa domination. Ceux
de la Manche sont aussi les chan-
tiers, mais ils sont en même temps
les 'arsenaux de l'expédition qui
doit rapjHslcr, par l'itumensilé des
NAP
55 'i
troupes et des transports, celle de
Xercès contre la Grèce. Le port
de Boulogne contenait déjà rjoo
bâlimens; ceux d'Etaples, de Vin-
creux « de Calais , de Dunker-
que, en élaienl remplis. Le port
d'Ambleteuse, également recreiisé
et reconstruit, attendait les 5oo
voiles de la flottille batave sous
les ordres de l'amiral Verhue!;
elle formait l'aile droite, et devait
porter le corps d'armée du ma-
réchal Davoust, qui commandait
les camps de Montreuil et de
Dnnkerque. Le 16 mai, après un
beau combat entre le commodorc
Sydney, l'am'ral Yerhuel faisait
entrer dans le port d'Ostende l.t
première division de sa flottille :
la seconde suivit de près avec le
même danger et le même succès.
L'amiral Cornwallis n'avait pas
été plus heureux devant Brest; il
en avait été de même à Harfleur.
Les Anglais voulurent brûler le
Havre, afin de détruire le chantier
principal où se construisaient les
bâtimensde lai flottille expédition-
naire : ils échouèrent les 17, 2/»
juillet et i" août. Les divisions
françaises partirent du Havre, et
elles arrivèrent toutes, non sans
combat, à leur destination. Le
contre-amiral Magon et le capitai-
ne de vaisseau Moncabrié eurent
des affaires brillantes avec les
croisières anglaises, l'un devant
Calais, l'autre devant Boulogne.
Acclimatées à ce nouveau genre
de guerre, les troupes de terre,
qui bivouaquaient par divisions
sur les bateaux de la flottille, sol-
licitaient l'honneur de former le>
garnisons des corsaires et des bû-
timens qui appareillaient ; elles
portèrent souvent leur audace
336
NAP
jusqu'aux eniboucliures de la Ta-
mise, où les grenadiers de la li-
gne capturèrent des bâtiinens
marchands etunecorvelte. L'ami-
ral Lalouche -Tréville avait éga-
lement raison de l'amiral Nelson
à Toulon, où il commandait tou-
tes les forces navales de la Mé-
diterranée comme l'amiral Bruix
commandait à Boulogne toutes
celles de l'Océan, et spécialement
la flottille contre l'Angleterre. Cet-
te puissance connut peut-être
mieux que la France , où l'on
cbansonnait la flottille, le danger
de l'expédition dont Boulogne é-
tait à la fois le chantier, l'arsenal,
le port et la citadelle. Cependant
une déclaration , à laquelle les
évéuemens de iSi/j ontdonné une
aiitorilé prophétique, était en-
voyée à tous les gouvernemens
de l'Europe. Dédaignée par Napo-
léon , elle l'ut alors peu connue
des Français : cette pièce était
datée de Varsovie, le 6 juin 1804.
Protestation de Louis Xf^III,
roi de France, contre l'usurpa-
tion de Bonaparte.
« En prenant le titre d'empe-
»reur, en voulant le rendre héré-
«ditaire dans sa Famille, Bonapar-
» te vient de mettre le sceau à son
0 usurpation. Ce nouvel acte d'u-
)> ne révolution, où tout dans l'ori-
))gine a été nul, ne peut sans dou-
» teinfirmermesdioit.<; inaiscomp-
)t table de ma conduite à tous les
«souverains dont les droits ne sont
» pas moins lésés que les miens ,
a et dont les trônes sont tous é-
M branles par les principes dange-
wrcux que le sénat de Paris a osé
«mettre en avant; com[»lable à la
I. France, à ma iamille, à mon
NAP
» propre honneur, je croirais Ira-
«hirla cause conunune en gardant
» le silence en cette occasion. Je
«déclare donc (après avoir, au
«besoin, renouvelé mes protesta-
» lions contre tous les actes illé-
Mgaux qui, depuis l'ouverture des
«étals-généraux de France, ont a-
nmené la crise effrayante dans la-
» quelle se trouvent la France et
«l'Europe), je déclare, en présen-
))Ce de tous les souverains, que
»loin de reconnaître le titre im-
»périal que Bonaparte vient de
»se l'aire déférer par un corps
»qui n'd pas mêîne d'existence lé-
ogitime [le sénat), je proteste
«contre Ce titre et contre tous les
» actes subséquens auxquels il
«pourrait donner lieu. »
L'intérieur est heureux de tou-
tes les prospérités de la nouvelle pa-
trie et de toutes les garanties que
le trône iuipérial semble donner
aux institutions chères aux Fran-
çais. Napoléon en donne un gage
public le 25 juin, en faisant justi-
ce des sectaires de Lovola, qui sous
le nom l'enouvelé de Pères de la
foi , sous celui d'adorateurs de
Jésus, de paccanaristes, venaient
d'élever deux établissemens sur
les ruines de la république et sm-
les fondations de l'empire. Comuie
Napoléon ne doit pas prendre le
titre de défenseur de ta foi, laquel-
le ne lui semble pas en danger,
il n'a pas besoin de cette milice
obscure, de ce corps naissant des
mineurs religieux, qui veut s'éta-
blir dans les souterrains de son
gouvernement; mais ils sauront
bien y rentrer un jour sous la pro-
tection de sou oncle, le cardinal
Fesch, qui se chargera des repré-
sailles ecclésiastiques sur les con-
NAP
quêtes de la révolution fran-
çaise.
L'ordre de la légion -d'honneur
avait été créé par la loi du 29 mai
1 802. L'inauguration de cette noble
institution reçoit une époque chè-
re à la France depuis treize années,
celle du 14 juillet, et elle a eu lieu
au temple de Mars, dans l'église
des Invalides. La cérémonie bril-
le de tout l'éclat de la gloire répu-
blicaine et de toute la pompe im-
périale. C'est dans l'édifice de
Louis XIV, fondateur de l'ordre
de Saint-Louis , que Napoléon,
donne solennellement la décora-
tion à la gloire militaire de la li-
berté. Quatre jours après, il est
parti pour les ports de la Man-
che , où il est allé renouveler,
comme souverain, l'inspection
qu'il fit comme général avant son
départ pour l'Egypte. Le but os-
tensible du voyage est l'armement
des flottilles expéditionnaires con-
tre l'Angleterre. Napoléon en a un
autre plus direct pour les intérêts
privés de sa couronne, celui de
montrer au camp de Saint-Omer
l'empereur des champs de batail-
le : aussi va-t-il éterniser le sou-
venir de ce voyage, en appelant
l'armée à la récompense des bra-
ves. L'étoile de la légion la dirige
à Boulogne vers la Tour d'ordre,
qui reprend son nom de Toiir de
César , et pour que rien ne
manque ù l'illustration que l'em-
pereur et l'armée doivent recevoir
de cette grande cérémonie, elle a
lieu le iG août, jour de la Saint-
Napoléon. Quatre-vingtmilte hom-
mes des camps de Boulogne et de
Montreuil sont rassemblés sous
les ordres du maréchal Soult. A la
droite du port, au-dessous de lu
NAP
oor
tour de César, la nature a tracé
un vaste amphithéâtre au centre
duquel s'élève un trône sur un
socle triomphal. Le» colonnes de
l'armée y sont dirigf-es comme au-
tant de rayons qui figurent ceux
de l'étoile d'honneur. Entouré de
ses frères, de ses grands-otliciers
civils et militaires, Napoléon pro-
nonce le serment de l'ordre; il est
répété a vecacclamation par tous les
récipiendaires disposés en pelo-
tons à la tête de chaque colonne.
Après le serment les étoiles sont
distribuées aux légionnaires. Un
vivat général de l'armée salue cel-
te brillante inauguration de l'or-
dre du mérite français. Par la
plus heureuse conjoncture, tandis
que l'armée défile devant l'empe-
reur, le capitaine de vaisseau
Daugier entre dans le portde Bou-
logne avec une division du Havre,
forte de 45 voiles, et y reçoit les
acclamations de la terre. De nom-
breuses distributions aux trou-
pes, des danses, des chants guer-
riers prolongent jusqu'à la nuit la
fête des soldats. Pour y faire par-
ticiper les Anglais, un beau feu
d'artifice attire l'attention de la
croisière ennemie et du rivage de
Douvres, sur le plateau du camp
de gauche, où i5,ooo hommes en
bataille exécutèrent un feu de file
avec des cartouches à étoiles :
hommage rendu par l'armée à l'é-
toile de la légion qu'elle venait de
recevoir. Le même jour, la fête
de Napoléon était aussi célébrée
à Cherbourg par l'inauguration de
la digue, et à Anvers par celle de
l'arsenal maritime. Deux corvet-
tes y furent lancées. Ce grand
port de construction comptait à
peine une aQnéed'étabUssement,et
358 NAP
trois vaisseaux de ligne et une IVé-
gate allaient sortir de ses chantiers.
Avant de quitter Boulogne pour se
rendre dans les quatre déparle-
inens du Piliin, l'empereur s'étant
embarqué, inspecta la flottille,
pour la dernière fois. 11 eut le bon-
heur de pouvoir juger par lui-
même des chances d'un combat,
qui fut livré sous ses yeux, com-
me le spectacle d'une naumachie,
«ntre la ligne d'embossage fran-
çaise, composée de Il\Q bateaux,
et la flotte anglaise forte de 14
bûlimens de guerre, dont deux
vaisseaux de ligne et deux gros-
ses frégates. Pour la première fois
de sa vie, il trouvait l'occasion de
commander aussi sur mer, et il
monta à bord du canot de l'amiral
Bruix. Lui-même il donna l'ordre
de serrer au feu, et après deux
heures d'vui combat acharné, les
Anglais durent battre en retraite,
Après avoir perdu un bâtiment.
Les batteries de terre soutinrent
merveilleusement le fou de la rade;
plusieurs bombes tombèrent sur
les ponts ennemis. Cène fut sans
doute pas une petite satisfaction
pour Napoléon d'avoir humilié
lui-même le pavillon britannique,
à la vue de son armée de terre. Ce
combat était une de ces bonnes
fortunes, qui depuis son avène-
ment au consulat signalaient les
circonstances importantes de sa
vie publique, Pendant ce séjour à
Boulogne, Napoléon multipliait
les gages de la prospérité in-
térieure de la France, en don-
nant à la première école de l'Euro-
pe, à l'école Polytechnique, une
nouvelle organisation, et en fon-
dant les grands prix décennaux.
€etle haute récompense, àlaquel-
NAP
le doivent concourir toutes Ie«
sciences, consacrera l'époque d'u-
ne restauration , car elle sera don-
née le 18 brumaire.
Tandis que l'empereur des Fran-
çais prépare, sans le savoir enco-
re, à la guerre d'Allemagne, son
armée d'Angleterre, l'empereur
d'Autriche ajoutait à ses titres celui
d'empereur héréditaire, comme
s'il prévoyait que ce titre seul lui
dût Être laissé par Napoléon. Ce-
pendant de Boulogne, Napoléon est
parti pour Mayence, après s'être
arrêté à Aix-la-Chapelle. Dans
cette antique résidence du premier
empereur des Français, il retrou-
ve el il s'applique les souvenirs
de Charlemagne. Comme Pépin,
fondateur d'une dynastie, à son
exemple aussi, il se propose de
faire venir le pape en France,
pour en recevoir l'onction impé-
riale. Une démarche politique
d'une haute importance pour le
nouvel empereur signala son séjour
à Aix-la-Chapelle. Le comte de
Cobenlzel, ambassadeur d'Autri-
che, vint lui présenter ses nouvel-
les lettres de créance. Lors de la
notification aux cours étrangères
de l'avènement de Napoléon à
l'empire, l'Autriche avait jugé de-
voir consulter la Russie, et n'en
avait reçu aucune réponse. Dans
la crainte d'une rupture avec la
France, cette puissance se hâtait
d'en reconnaître authentiquement
le nouveau souverain. Quant à la
cour de Rome, elle n'avait pas
balancé un moment : le concor-
dat consulaire l'avait préparée \
la reconnaissance impériale. On
priait à Rome, et dans toute la
catholicité, pour l'empereur Na-
poléon et pour sa famille. L'Es-
NAP
pagne n'avait pas eu besoin rie
l'exemple de Rome. Ainsi les trois
grandes puissances catholiques
saluaient Napoléon du titre im-
périal : c'était une grande con-
quête sur les souvenirs, les ha-
bitudes, et peut-être sur les pas-
sions de la royauté européenne.
La négociation avec le saint-
père pour le sacre fut conduite
avec le même succès. Cette gran-
de cérémonie, faite au sein de sa
capitale, dans la basilique métro-
politaine, était pour Napoléon
de la plus haute politique : car elle
sanctionnait sou élévation aux
yeux des peuples de toute la chré-
tienté. Elle leur interdisait, ainsi
qu'à leurs souverains, toute idée,
tout reproche d'usurpation.;
Le 12 novembre l'empereur est
de retour à Saint-Cloud , et les
apprêts du sacre sont ordonnés.
Le ij- du même mois, un décret
convoque le corps-législatif pour
assister à celte cérémonie. Le 3
novembre le saint-père quitte la
capitale du monde chrétien ; le 18
arrive à Lyon; le 25, est reçu par
l'empereur à Fontainebleau, et le
28 se rend avec lui à Paris. Le i'"^
décembre le sénat présente à Na-
poléon le vœu du peuple pour
l'hérédité à l'empire dans sa fa-
mille. Un sénatus-consulte l'a an-
noncé à la France. Soixante mille
registres avaient été ouverts
dans les 108 départemens. Sur
5,574,898 votans, 2,569 votes é-
taient négatifs. Cette minorité, pu-
rement républicaine, disséminée
sur toute la surface du sol français,
prouve suflîsan)ment combien a-
lors la contre-révolution impériale
était complète. Le sénateur Fran-
çois de Neufchâteau, qui a le pri-
NAP 539
vilége des harangues solennelle^,
le même qui, au 18 brumaire, a-
vait dit : La constitution est placée
sur l'autel du dieu Terme, dit à
l'empereur : Le vaste miroir du
passé est la leçon de l'avenir ; et à
la fin de sa réponse, l'empereur
disait : Nos descendans conserve-
ront long-temps ce trône ! ... Ils ne
perdront jamais de vue que le mé-
pris des lois, et l' ébranlement de
l'ordre social ne sont que lerésul'
tat de la faiblesse et de l' inca'titu-
de des princes ! Le lendemain , 3
décembre, par le froid le plus ri-
goureux, la cérémonie du sacre a
lieu à l'église de Notre-Dame. La
bizarrerie de la pompe pontificale
contraste singulièrement dans le
cortège avec l'éclat de la pompe
impériale. L'ancien évêque répu-
blicain d'Imola sacre l'empereur
Napoléon, et limpératrice José-
phine, en présence des membres
du sacré collège, des prélats fran-
çais, de tous les ordres de l'état
et du corps diplomatique. Mais
aussitôt que Pie VII a béni la cou-
ronne. Napoléon la saisit, la place
sur sa tête et couronne aussi l'im-
pératrice. Cette scène est d'hier,
et.elle n'est déjà plus de notre âge.
Dès ce jour, les foudres du Vati-
can sont éteints, et il n'y a plus
dans le monde que l'excommuni-
cation politique. Celle-ci reste aux
mains de celui que le pape s'est
empressé de venir sacrer, et qui
s'est couronné lui-même.
Une belle cérémonie militaire
rassemble les troupes au Champ-
de-Mars le 5 décembre : c'est celle
de la distribution des aigles. « Sol-
n dats, dit Napoléon, voici vos dra-
n peaux. Ces aigles vous serviront
» toujours de point de ralliement :
54o
NAP
i) elles seront partout où votre eiii-
y> perear les jugera nécessaires pour
nia défense de son trône et de son
n peuple. » L'année, la inémonihle
année 1804? se termine par l'ou-
verture (lu corps-législatif. On ap-
plaudit à ces mots du discours de
l'empereur : «Je ne veux point ac-
» croître le territoire de l'empire,
nmais en maintenir l'intégrité!»
Dans l'exposé de la situation de
l'empire, le ministre de l'intérieur
déclare : que la France n'acceptera
point d'autres conditions que celles
du traité d'jlmiens.
Les incorporations à l'empire
français de la république de Gê-^
nés et de quelques petits élats d'I-
talie , le meurtre du duc d'En-
ghien, et la violation du territoire
hadois, avaient tout-à-coup allé-
ré la bonne intelligence de la Rus-
sie avec la France et de la France
avec son empereur. Un échange
de notes hostiles, une véritable
guerre de récriminations, avaient
eu lieu entre les cabinets de Pé-
tersbonrg et de Paris. L'empereur
Alexandre avait fait prendre le
deuil à sa cour pour la mort de
l'infortuné rejeton de la maison
de Condé. Le chargé d'affaires
d'Oubril , resté à Paris après le
départ de l'ambassadeur Markoff,
avait pris ses passeports le 29 août
de l'année précédente, et la diète
de Ratisbonne avait reçu les dé-
clarations de l'empereur Alexan-
dre, dont le roi de Suède soute-
nait les griefs de toute son in-
fluence. La Russie était donc pu-
bliquement engagée i\ ne pas
reconnaître l'empereur des Fran-
NAP
çais. Le cabinet de Londres avait
habilement profité de ces circons-
tances pour engager celui de Pé-
tersbonrg à romprre av«3c la Fran-
ce, et pour signer avec lui un
traité le 11 avril i8o5. De son
côté, la Russie avait 'décidé le
divan à refuser de reconnaître Na-
poléon en qualité d'empereur, et
le maréchal Brune avait dû quit-
ter Constantinople, comme le gé-
néral Hédouville avait quitté Pé-
tersbourg. Des flottes russes a-
vaient franchi les Dardanelles et
le Sund ; elles menaçaient l'Italie,
avaient débarqué des troupes aux
Iles Ioniennes, et semblaient mar-
cher de concert avec les flottes
britanniques. Celles-ci, dès le 5
octobre 1804, avaient, sans dé-
claration de guerre, attaqué l'Es-
pagne, l'alliée de Napoléon, s'é-
taient violemment emparées des
galions, incendiaient dans les ports
de la péninsule les navires du
commerce , et détruisaient ses
convois. Cette piraterie de for-
bans avait lieu pendant que l'am-
bassadeur d'Espagne, le chevalier
d'Andiiana, était encore à Lon-
dres. Le 14 décembre, don Ce-
vallos, ministre des affaires étran-
gères, avait publié un manifeste
de la plus grande énergie contre
le gouvcinement anglais, et lui
avait déclaré la guerre. Le 3 du
même mois, la Grande-Bretagne
s'était fortifiée d'un nouvel auxi-
liaire, et avait signé à Stokholm
une convention de subsides avec
la Suède, pour agir de concert
contre la France. D'un autre cô-
té, Napoléon était entraîné, par
sa propre politique, à croire qu'il
avait besoin de conquérir sur l'Eu-
iNAP
rope le trône que vient de lui don-
ner la France, et l'Angleterre é-
tait allée au-devant de celte fatu-
Itî nécessilé en suscitant dans le
Nord et en ionientanten Autriche
la guerre que désire Napoléon.
Cependant ce prince, dès les
premiers jours de janvier i8o5,
veut donner à la France un gage
authentique de ses dispositions
pour la paix: car s'il sont qu'il a
besoin de la victoire pour l'aire
respecter sa couronne, il n'ignore
pas que la paix avec l'Angleterre
peut seule rallerniir sur î^a tête.
En conséquence , par un effet de
cette confiance que la fortune lui
donne h; droit d'avoir en lui, il
écrit directement, le 14 janvier,
au roi d'Angleterre :
« Je n'attache pas de déskoii-
>yneur à faire les premiers pas,...
ij'ai assez , Je pense, prouoé au
» monde que je ne redoute aucune
vdes chances de la guerre.... La
«paix est le vceu de mon cœur, mais
« la guerre n' a Jamais été contraire
Ȉ ma gloire... Je conjure V . M.
«de ne pas se refuser au bonheur
■de donner la paix au monde....
» Une coalition ne fera jamais quac-
)' a'oitre la prépondérance et la
a grandeur continentale de la Fran-
nce. »
Mais Napoléon empereur s'est
trompé comme l'avait fait Bona-
parte consul [toyez Bo^AP.4RTE) ,
et c'est une lettre vagu« de lord
Mulgrave à M. de Talle^rand, (|ui
répond à cette iuipurtanle démar-
che et prononce sur le sort du
monde. Jamais la politique res-
pective de l'Angleterre et de la
France n'avait été réduite à une
plus simple cxpressiou. Ces deux
T. XIV.
NAP 541
puissances étaient également con-
vaincues que la paix générale as-
surait la domination de Napoléon.
Aussi l'une avait la même raison
de demandersans cesse cette paix,
quel'autre avait de larefuser. Ce-
pendant lo.s propositions de Napo-
léon avaient trouvé sur les bancs
de l'opposition anglaise un énergi-
que protecteur dans la personne
du célèbre Fox. Aussi turent-elles
par l'ordre de l'empereur com-
muniquées, ainsi que la réponse
de lord Mulgrave, aux trois corps
de la législature. La franchise de
cette cominunication excita au
plus haut degré l'enthousiasme
public déjà exalté par la généro-
sité de la démarche faite auprès
du prince-régent. La guerre ainsi
sanctionnée par l'opinion, la guer-
re devint, par ce nouveau refus
de l'Angleterre, dc|)uis la rupture
du traité d'Amiens, la seule, la
véritable, la légitime politique
de Napoléon. Aussi toutes les
guerres continentales, qui vont
en«angiauler l'Europe, n'auronl-
elles d'autre but que celui d'ob-
tenir à force de triomphes la paix
générale. Elle sera refusée cons-
tannncnt par Finvinciiile machia-
vélisme d'un gouvernement dont la
splendeur ne date cependant que de
Foccupaliondu trônepar la maison
de ILanôvre. Ainsi l'Europe est des-
tinée, par le cabinet de Saint-Ja-
mes, à s'immoler périodiquement
à la haine qu'il porte, non ;\ l'é-
lévation de Napoléon, mais aux
prospérités de la France; et dix
années après, aOn que la postérité
ne se méprenne jamais sur l'au-
teur de ces prospérités-, celle mê-
me Angleterre proclamera dan»
34a
NAP
toute l'Europe soulevée et soldée
par file, que c'est contre Napo-
léon seul que la vengeance du
monde est armée, et la France
sera la proie de la jalousie bri-
tannique !
Dans l'incertitude où le prudent
Napoléon était du succès de la
démarche qu'il méditait auprès
du prince-régent d'Angleterriî, il
avait habilement prolilé de la jus-
te exaspération du cabinet de Ma-
drid contre la violation britanni-
que, et, le 12 janvier, une con-
vention fut signée à Aranjuez en-
tre lu France et l'Espagne. Cette
convention, par laquelle l'Espa-
gne s'engageait à tenir à la dispo-
sition de sou alliée 5o vaisseaux
et 5,000 hommes de débarque-
ment. renfermait aussi le détail
des lorces de l(,'rre et de mer ras-
semljîées dans les principaux ports
de l'enopire : au Texel , 5o,ooo
hommes sous le général War-
mont, avec les bâtimens de trans-
port nécessaires; à Oslende, Dun-
kerque. Calais, Boulogne, au
Havre, des flottilles propres à
embarquer lio.ooo hommes et
r>5,ooo chevaux; à Brest, 21 vais-
seaux do ligne et des transports
pour un camp de 25, 000 hom-
mes; à Rochetbrt,6 vaisseaux,
4 IVégates avec 4->ooo hommes de
troupes; enfin à Toulon, 1 1 vais-
seaux, 8 frégates et des transports
pour 9,000 hommes. Ainsi au mo-
ment où Napoléon demandait la
paix h l'Angleterre, ii avait prêts
à être embarqués 190,000 hom-
mes sur 69 vaisse;».ux de ligne, et
plus de 2,000 bâtimens de trans-
port et de guerre, frégates, cor-
ACttes, baleaux de flottilles, tons
armés et n'attendant que son or-
NAP
dre , ou l'espérance de 5 heures
de calme, pour voguer vers la
Tamise. C'était pendant sou sé-
jour à Mayeuce que Napoléon a-
vait arrêté les dispositions de ses .
furces uavalfs, qu'il avait divisées
en trois expéditions : la {Première
aux Antilles, sous les ordres du gé-
néral La Crange et du contre-a-
miral Misssiessv; la seconde contre
Surinam, commandée par le gé-
néral Lauriston; la troisième était
confiée au général Reille, qui était
chargé de s'emparer de Sainte-
Hélène! ! Ce fut peu de jours
après que Napoléon fut couronné!
Peu de jours aussi après son avè-
nement au consulat à vie, l'île
d'Elbe avait été réunie à la répu-
blique! Une destinée mystérieu-
se semblait avoir voulu désigner
aux deux élévations de Napoléon,
les apanages de ses deux infortu-
nes.
Les mouvemens de l'amiral
Gantheaume hors de Brest, et
l'expédition aux Antilles de l'ami-
ral Villeneuve avec les flottes de
Toulon et d'Espagne , avaient
pour objet d'entraîner loin de la
Manche les forces navales de l'An-
gleterre, et de faciliter la réunion
et le départ de la flottille expédi-
tionnaire. Pour atteindre ce but
si important, les flottes de Ville-
neuve et de Graviua devaieu!:
franchir le détroit, faire route ù
l'ouest, et à leur retour des An-
tilles, se réunir aux flottes de
l'Océan à Rochefort et à Brest.
Cette réunion devait présenter u-
ne force de 5G vaisseaux de haut
bord , avec lesquels l'amiral Vil-
leneuve entrerait dans le canal.
Ce plan, dont le succès eût fait
réus;;ir l'incrovalde projet de la
rlcscenle en Angleterre, lut une
conception de Napoléon , qui de
Lyon , où il s'arrêta en allant à
Milan, en transmit de sa main
toute Tinstruction au ministre de
la marine.
Mais au milieu des immenses
préparatifs que Napoléon multi-
pliait dans tous les ports de la
France , de l'Espagne , de la Hol-
lande et de la Belgique , pour
triompher de l'Angleterre à Lon-
dres, ou pour la forcer à la paix,
une nouvelle couronne était Te-
nue se poser sur son front. C'est
celle de sa gloire républicaine.
C'est la couronne de Fer d'Italie.
Le 16 mars, l'empereur vient dé-
clarer au sénat qu'il accepte le
vœu de la nation italienne, qu'une
députalion solennelle de la con-
sulta de Milan est venue lui offrir.
Cette dépulation, composée des
grands corps du nouveau royau-
me , est présente au sénat. C'est
celle qui, conduite par M. de Mel-
zi, président de la consulta, a as-
sisté au couronnement à Paris. Le
2 avril, l'empereur et l'impéra-
trice quittent leur capitale de
France pour leur capitale d'Italie.
Trois jours après, moins heureux,
le pape repart pour celle de l'é-
glise. Il avait espéré, en recon-
naissance du sacre de Napoléon ,
recouvrer les légations cédées à la
France par le traité de Tolentino;
mais si le saint-père a quitté Rome
avec les idées d'un souverain tem-
porel , il n'a été appelé et reçu à
Paris que comme souverain spiri-
tuel. Napoléon, devenu roi d'Ita-
lie, est, par cela seul, encore plu?
assuré de la dépendance du saint-
siége. Mais avant d'aller prendre
lu couroone de Fer, il s'arrête sur
NAP 543
le champ de bataille où il a con-
quis l'Italie pour lu seconde fois.
Là, au milieu de oo.ooo hommes,
dont il appelle les plus braves à l;i
décoration de la légiond'honneur,
il pose solennellement la pierre du
monument que sa reconnaissance
élève aux héros moissonnés à Ma-
rengo. C'était rentrer dans Milan
par un arc de triomphe. Le 8 mai,
il y fait une entrée magnifique. Le
26, le couronnement a lieu. Cette
cérémonie efface celle de Paris
par sa splendeur historique. Le
nouveau roi était à-la-fois Charle-
magne et Napoléon. Au bout de
dix siècles, la couronne des Lom-
bards, placée sur la tète d'un em-
pereur des Français, apprenait au
monde que Charlemagne avait un
successeur. Comme à Paris, Na-
poléon se couronne lui-même , et
en prenant la couronne sur l'au-
tel : Dieu me la dot^se , dit-il à
haute voix. Gare a qdi la tocche.
Il créa l'ordre de la couronne de
Fer, et ces mots en furent la de-
vise. Le 8 juin, le prince Eugène,
son fils adoptif, fut proclamé vice-
roi d'Italie. Napoléon ne croit pas
et avec raison donner à ses nou-
veaux sujets un gage plus certain
de son affection, que de choisir,
pour le représenter comme sou-
verain , le fils de son adoption et
l'élève de sa gloire.
Le 4 juin , Le doge Durazzo ,
l'archevêque de Gêues, et une dé-
putalion du sénat de cette répu-
blique , étaient venus à Milan
demander la réunion de l'état de
Gênes à l'empire français. Le 9,
M. de Champagny, ministre de
l'intérieur , proclamait à Gênes
cette incorporation et la division
du territoire en trois départemens^
344 ' NAP
Gênes , Montenotie et les Apen-
nins. Le même jour, l'empereur
fit à Milan l'ouverture solennel-
Je du corps-législatif du royau-
me d'Italie, et y reçut le serment
du vice-roi. Il termina son dis-
cours par ces mots , qui devaient
faire trembler la maison d'Autri-
i:he : « J'espère qu'à leur tour mes
f> peuples d Italie voudront occuper
»la place que Je leur destine dans
»ma pensée. Ils t/'j parviendront
y) qu'en se persuadant bien que la
'^ force des armes est le principal
n soutien des étals. Il est temps
» enfin que cette jeunesse , qui vit
ndans l'oisiveté des grandes villes,
n cesse de craindre les fatigues et les
» dangers de la guerre. »
L'Italie releva noblement sous
son vice-roi le gant que venait de
jeter Napoléon. Sa gloire militaire
«lébuta par étendre celle de la
France , vécut son égale et mou-
rut avec elle du même supplice,
par l'invasion étrangère et la tra-
hison.
Deux ambassades spéciales é-
taient arrivées à Milan. L'une ap-
portait à Ncipoléon la décoration
du Portugal, l'autre une lettre de
félicitation du saint-père. Sa sain-
teté tenriinait sa lettre par une
sorte de madrigal. « La réciprocité
nde notre amour, et cette tendresse
w paternelle que nous éprouvons
n pour vous, nous rendent très-cher
y) ce qui vous est glorieux. »
Le lO juin, l'empereur partit
de Milan pour continuer la revue
de ses trophées d'Italie. Quarante
mille hommes , commandés par
les maréchaux Jourdan et Bessiè-
res, l'attendaient au camp de Cas-
tiglione, où il fit, comme à celui
de Marcngo, une distribution so-
NAP
lennelle de la croix-d'honneur. De
là, il visita Peschiera, Véronne, et
l'imprenable Mantoue, où il arriva
le 17 juin et séjourna jusqu'au 21.
A Bologne, il reput le marquis de
Gallo, envoyé par le roi de Naples
pour solliciter et garantit' la neu-
tralité de ce prince, ainsi qu'une
dépntation du sénat de Lucques,
qui lui demandait un souverain.
Peu de temps après , celte petite
république fut érigée en princi-
pauté , et devint l'apanage de la
princesse Elisa , depuis grande-
duchesse de Toscane. Un mois a-
près le 21 juillet, l'état de Parme
obtenait aussi l'honneur de l'in-
corporation au grand empire. En-
fin , le 3o juin , Napoléon fait son
entrée à Gênes, suivi des ambas-
sadeurs de Naples et de Portugal.
Le plus grand éclat fui donné à la
cérémonie de prise de possession
de l'ancienne rivale de Venise.
Elle eut lien dans la cathédrale,
où l'empereur, dans toute la pom-
pe d'un troisième couronnement,
reçut les sermens, et distribua les
décorations. Le 8 juillet, il arriva
à Turin , d'où il sortit au milieu
d'une manœuvre de la garnison :
le 1 1 il était à Fontainebleau.
Ce fut dans cette résidence que
Napoléon apprit le second combat
de la flottille batave, qui, sous les
ordres de l'amiral Verhuel, triom-
pha , les 17 et 18 juillet, des ef-
forts de la croisière anglaise, réu-
nie le premier jour au nombre de
i5 vaisseaux, et le second, forte
de 45. La flottille parvint à sa des-
tination au port d'Ambleteuse.
Cette action audacieuse, qui plaça
l'amiral Verhuel au rang des pre-
miers hommes de guerre de'l'Eu-
rope, fut encore remarquable par
NAP
une particularité cKevaleresque
coalbrme au génie belliqueux des
grands militaires de cette époque.
Le maréchal Davoust , comman-
dant le camp de Dunkerque. d'oi^
la flottille appareilla , voulut être
volontaire sous le pavillon de l'a-
miral , monta à son bord, qui prit
la tête de la ligne de bataille , et
l'ut à-la-fois un illustre témoin et
un historien fidèle de ce beau fait
d'armes, dont il partagea les pé-
rils , et dont la gloire «levait lui
rester étrangère. Il est vrai que
Napoléon avait donné cet exem-
ple au maréchal la veille de son
départ de Boulogne.
Mais, pendant que Napoléon se
couronnait à Milan , l'Angleterre
stipulait à Pétersbourg un traité
par lequel la Russie s'engageait à
mettre sur pied une armée de
180,000 hommes pour reprendre
le Hanovre, affranchir la Hollande
et la Suisse, rétablir sur son trône
le roi de Sardaigue, faire évacuer
Je royaume de Naples par l'armée
française, et enfin, pour donner
en Italie une frontière à l'Autri-
rhe. Cette dernière puissance est
dans les plus vives alarmes , en
raison de la force nouvelle que
donnent à Napoléon et la couron-
ne d'Italie, et l'incorporation de
Gênes et des autres principautés,
et le voyage aus<i militaire que
politique qu'il vient de faire dans
ses anciennes conquêtes. Cepen-
dant , l'Autriche paraît d'abord
vouloir se contenter du rôle de
conciliatrice, en se proposant à la
France pour intermédiaire entre
elle et la coalition des cabinets de
Londres , de Pétersbourg et de
Slokholm. Bientôt après, elle crie
hautement et avec raison à l'in-
NAP 545
fraction du traité de Lunéville du
9 février i8of. Alors se voyant com-
plètement déchue, et de toute in-
fluence en Italie, et de toute espé-
rance de rapprocher les parties ,
elle prend conseil de sa frayeur ,
et, le 9 août, elle va se réfugier
dans la coalition anglo-russe. Le
29, ses armées sont en mouve-
ment ; 80,000 hommes s'ébran-
lent sous les ordres de l'archiduc
Ferdinand, dont la tutelle militai-
re est confiée à l'impuissante pré-
somption du général Mack. Mais,
dans le moment où l'Autriche se
lève contre la violation du traité
de Lunéville, elle viole tout-à-coup
l'indépendance d'un état voisin,
et , sans déclaration de guerre ,
elle envahit la Bavière dont elle a
voulu incorporer Tarmée dans la
sienne. En Espagne, l'Angleterre
a fourni à l'Autriche l'exemple
d'une pareille violation. La cour
électorale de Munich dut aller se
réfugier à Wurtzbourg. Trente
mille hommes , commandés par
l'archiduc Jean, prennent position
dans le Tyrol, et 100,000 combat-
tans marchent sur l'Adige sous
les drapeaux de l'archiduc Char-
les , qui , malgré lui , part pour
venger ses souvenirs d'Italie.
Napoléon apprend ces mouve-
mens au camp de Boulogne, et il
donne sur-le-champ le nom d'ar-
jnée d'Allemagne à Varmée d'An-
gleterre. Le même jour , il char-
geait son grand-maréchal, le gé-
néral Duroc , d'aller s'assurer à
Berlin de la neutralité du roi de
Prusse. Cette mission eut un plein
succès, et la neutralité de la Prus-
se fut déclarée malgré les eflbrtg
des envoyés impériaux de Vienne
et de Pétersbourg. Une armée
546
NAP
d'observation de 100,000 hom-
mes, et une de réserve de 5o,ooo,
commandée par le foi lui-même,
devaient garantir la neutralité ar-
mée de la Prusse. Naples envoya
à Paris pour négocier sa neutra-
lité désarmée, qui fut réglée le 21
septembre par un traité. Quatre-
vingt-dix mille Français sont en
marche pour l'Autriche. Un mois
après , sept corps d'armée , com-
mandés par les maréchaux Berna-
dotte , Davoust, Soult, Lanncs ,
Ney, Augereau, et le général Mar-
niont, une grande réserve de ca-
valerie aux ordres du maréchal
Murât , se dirigent sur la rive
droite du Rhin. Le 8°" corps de
cette grande-armée se compose
de la garde impériale. Napoléon
est en Allemagne à la tête de
160,000 hommes; Masséna, avec
Ce, 000 soutenus des 20,000 de
l'occupation napolitaine du géné-
ral Gouvion-Saint-Cyr, doit com-
battre l'archiduc Charles. L'em-
pereur a adressé de Paris au ma-
réchal, le 17 septembre, un plan
de campagne, par lequel il lui
prescrit de <;ommencer les hostili-
tés le 27. Toute l'Europe est en
armes. Le 1" octobre, malgré la
neutralité proclamée par la Prus-
se, une scène sentimentale a lieu
à Potzdam, où un traité est juré
sur la tombe du Grand - Frédéric
par Alexandre et par Frédéric-
Guillaume. Mais le roi de Prusse
tient secrets ce traité et ce ser-
ment, sauf à les rendre publics, si
la fortune favorise son nouvel a-
mi. Le traité de Beckaskog venait
de proclamer l'alliance offensive
et défensive de l'Angleterre et de
In Suède contre la France.
Cependant , Napoléon n'avait
NAP
négligé aucune occasion de don-
ner des gages à l'Europe contre
les souvenirs de la république. Le
sénatus- consulte du 2 sej)lembre
avait rétabli l'usage du calendrier
grégorien. Mais , si l'Europe a
cru triompher avec Napoléon de
la république au i8 brumaire ,
elle regrette à présent le consulat
et surtout le directoire , quand
elle voit deux grandes couronnes
sur la tête du premier capitaine
des temps modernes. Le gouver-
nement consulaire, sous Bonapar-
te, convenait mieux à la tranquil-
lité de l'Europe et peut-être au
bonheur de la France. Mais, plus
la haine est violente hors de la
France contre son empereur, plu*
ardente, plus passionnée aussi est
l'exaltation de la France pour Na-
poléon. Le 23 septembre, l'em-
pereur se rendit solennellement
au sénat , où il fit lire , par son
ministre des relations extérieures,
l'exposé de ses griefs contre la
cour d'Autriche. Après cette lec-
ture, deux sénatus-consultes fu-
rent proposés : l'un était relatif à
une levé'e de 80,000 hommes sur
la classe de 1806, et le second, à
la réorganisation des gardes natio-
nales. Le sénat décréta les deux
propositions , et déféra de plus ,
à l'empereur, la nomination des
officiers des gardes nationales ,.
dont la réorganisation serait arrê-
tée par des décrets impériaux.
C'était une nouvelle usurpation
du régime impérial sur les liber-
tés nationales. Les décrets paru-
rent et comprirent tous les Fran-
çais depuis Tâge de 21 ans jusqu'à
60. Tout fut changé. Les batail-
lons se nommèrent cohortes. L'or-
ganisation s'étendit de suite pour
NAP
les déparreraens limitrophes, de-
puis le Pas-de-Calais jusqu'au lac
de Genève. Elle fut divisée en
quatre arrondissemcns , dont les
commandemens furent donnés à
quatre sénateurs , aux généraux
Rair.pon, d'Aboville, et aux ma-
réchaux Lefebvre et Kellermann.
Ces deux maréchaux reçurent de
plus le commandement de deux
corps d'armée de réserve , l'un à
Mayence , l'autre à Strasbourg;
le maréchal. Brune en comman-
dait un troisième à Boulogne.Trois
camps volans de grenadiers de-
Taient être formés àftennes, dans la
Vendée, et au camp d'honneur de
Marengo. Un enthousiasme ex-
traordinaire exaltait l'esprit de
l'armée, qui ne délibère pas sur
les actes récens de Napoléon. C'est
pour elle aussi qu'elle aime la
guerre, et, en se pressant autour
de son empereur, elle soutient son
propre ouvrage. Les gardes natio-
nales aussi , malgré la perte de
leurindépendance, sont fiéres d'ê-
tre chargées de défendre les côtes.
Les Français brûlent d'essayer
les armes impériales; ce sont en-
core les mêmes mains qui faisaient
triompher les armes républicaines.
SJais-la victoire est montée sur le
Irône avec Napoléon ; les maré-
chaux soutiennent et surpassent
les hauts faits d'armes qui ont
rendu leurs noms européens. Le
huit octobre , à Wertingen ,
Lannes , Murât, Oudinot ont dé-
truit une division autrichienne.
Le lendemain, àGuntzbourg, Ney
voit fuir l'archiduc Ferdinand, et
Soult occupe Augsbourg. Le 12 ,
Bernadotte est à Munich. La ven-
geance de la Bavière est commen-
cée. La forte yUIc de Memmia-
NAP 347
gen capitule le 14 entre les mains
de Soult , et le 14 aussi , Ney ga-
gnait un titre à Elchingen. Le 16,
Murât fait 5, 000 prisonniers à Lan-
genau. Le 20 ,'è^. général Mack ca-
pitule dans Ulm avec une armée
de 00,000 hommes, prisonniers de
guerre. Du 8 au 20 octobre, les
Français ont fait plus de 5o,ooo
prisonniers. Le 28, Lannes a pris
Braunau. Le 5o , Bernadotte est à
Saltzbourg. Murât et Lannes at-
teignent enGn une arrière-garde
russe, le 4 novembre, à Amstetten;
le même jour , Davoust occupe
Steyer dans la Haute-Autriche, et
Vicence se rend à l'armée d'Italie.
Masséna a déjà fait capituler un
corps autrichien ; et dès le 2 dé-
cembre l'archiduc Charles est en
retraite. Le ^, Ney occupe les villes
d'Inspruck. et de Hall , et a mis
en fuite l'archiduc Jean, qui com-
mande en chef l'armée du Tyrol.
Davoust, trois jours après, ren-
verse le corps de Merfeldt au com-
bat de Marienzell, pendant que
Marmont arrive à Léobeu. Cette
petite ville est fameuse dans les
fastes de la gloire républicaine. Le
même archiduc y reçut la paix de
Bonaparte ; mais cette fois Napo-
léon veut aller à Vienne, car il a
à faire sa fortune de souverain , et
c'est dans les capitales des empi-
res qu'il fera reconnaître son titre
d'empereur. Enfin le 1 1 , l'héroï-
que comhatde Darnsteinvaouvrir
à Napoléon les portes de Vienne.
Le maréchal Mortier a 5, 000 hom-
mes, et rencontre, dans un défilé,
l'arrière - garde russe , forte de
25,000. Après un combat de plu-
sieurs heures , Mortier s'est fait
jour, et a rejoint l'armée sur la
rive droite du Danube. Le i3; les
548
NAP
bourgeois de Vienne , abandon-
nés de leur souverain et de leurs
princes , ouvrent leurs portes
au vainqueur. La capitnle est
prise ; mais Vier.^ n'est pas la
monarchie autrichienne , et le
champ de bataille est porté ailleurs.
Napoléon néglige ce grand avis
que lui donne alors l'empereur
François, et il ne doit pas s'en
souvenir.
L'archiduc se relire de toutes
les positions où l'armée autri-
chienne a été battue sous la répu-
blique. Il a le même sort : Mas-
séna a passé le Tagliamento le i3,
et le 14, Ney occupe la ville de
Trente. Le Haut-Adige, l'Isonzo,
Gradisca, Udine et Palnia Nova
ont revu les phalanges de la France.
Augereau répond à ces succès par
ceux qu'il obtient dans la Forêt-
Noire, il s'empare de Lindau, de
Bergen , de Fcldkirch , et par la
belle capitulation de Doeruberg,
il reste maître de tout le Voral-
berg, et force les Autrichiens à se
retirer en Bohême. Cependant une
seconde armée russe a fait sa jonc-
tion à Wischau , avec celle du gé-
néral en chef Rutusow, le 18 no-
vembre; mais le lendemain Brunn
évacuée, est occupée parles Fran-
çais , et Napoléon a son quartier-
général à "W ischau. La position du
vainqueur est critique; le génie
seul ne lui suffît pas, il lui faut
encore la fortune. Figaré par la
victoire , à 200 lieues de ses
frontières, au centre de la Mora-
vie, opérant sur un espace de 90
lieues en pays ennemi, harcelé sur
sa gauche par l'insurrection de la
Bohême , menacé sur sa droite par
la Hongrie, ayant à combattre les
deux armées réunies de l'archiduc
>;ap
Charles et de Rutusow, inquiété,
de plus, par l'accession secrète de
la Prusse à la coalition , et entouré
de la fermentation du peuple de
Vienne, Napoléon a besoin d'un
décret spécial du destin pour é-
chappcr à tant de périls. 'Un astre
nouveau doit éclore sur sa tête
pour lui doimer la victoire. Mais
Trieste est occupée par Masséna,
Gouvion Saint-Cyr fait capituler
le corps du prince de Rohan à
Bassano ; et enfin , par la plus glo-
rieuse comme par la plus savante
combinaison , les deux armées
françaises, d'Allemagne et d'Ita-
lie, unissent leurs lauriers à Rla-
genfurth , le 29 novembre. Le sort
de Napoléon et de la monarchie
autrichienne va se décider dans les
plaines de laMoravie, autour d'un
village , à deux lieues de Brijnn.
Le 2 décembre se donne la ba-
taille des trois empereurs. Les
Russes et les Autrichiens ont
100,000 homme» sur le terrain ,
les Français 90,000. La force de
l'artillerie est égale des deux côtés ;
la supériorité numérique de la
cavalerie est pour l'armée austro-
russe. Celle-ci, malgré l'avantage
du nombre, est frappée de terreur;
elle voudrait attendre une troi-
sième armée russe, mais elle a
affaire à un ennemi qui sait son
secret, et qui la force à un enga-
gement général. Le jour s'est levé
avec la bataille, et la nuit la ter-
mine. L'armée russe est foudroyée
sur un lac de glace relie n'oubliera
pas la guerre des frimas ! Soult ,
pendant 9 heures de suite, décida
du sort de cette grande journée ,
où combat l'élite de nos généraux,
Lannes , Bernadotte , Davoust ,
Murât, Junot , Oudinot. Rapp,
à la tête de la cavalerie de la garde
impériale , détruisant un corps
d'élite de la garde russe . donne
au peintre Gérard le sujet d'un de
ses plus beaux ouvrages. Soult ,
qui , dans celte journée, s'est
montré si grand capitaine, aquitte
noblçment la dette qu'il a con-
tractée avec Napoléon au camp de
Boulogne. L'armée française avait
voté à Napoléon une statue cidos-
sale en bronze , pour être élevée
au milieu du camp de César. Tous
les grades de l'armée avaient fait
les fonds pour ce monument d'une
gloire , vraiment nationale ; mais
le bronze manquait. Soult, qui est
à la tête de ce grand hoînmage de
l'armée à son héros, lui dit :
Sire y prêlez-moi du bronze , je
vous le rendrai à la première ba-
taille. Deux mois après, à Auster-
litz, à ce village de la Moravie ,
Soult donna 200 pièces de canon
à Napoléon. ( Voyez Soclt.)
Le résultat de cette incroyable
victoire est immense. Le comte
de Haugwitz était arrivé à Briinn
la surveille de la bataille. Le gé-
néral Caulaincourt lut chargé de le
voir et de négocier avec lui. Pen-
dant ce temps , on apprit que
les Russes avaient attaqué Tavant-
garde. C'est une bataille, dit l'em-
pereur à Caulaincourt , faites par-
tir Haugwitz pour Païenne , pour
en attendre le résultat. Trois jours
après le comte de Haugwitz , qui
mettait en doute, à briinn, les
dispositions de la Prusse , protes-
tait de sa partialité pour Napoléon ,
en le félicitant sur le gain de la
bataille. « Voilà, dit l'empereur,
•>M/i compliment dont la fortune a
n changé l'adresse. » C'était répon-
dre en hoiume supérieur au traité
NAP
54o
sentimental juré à Polzdam', sur
la tombe du grand Frédéric. L'em-
pereur d'Autriche vint saluer le
vainqueur à son bivouac. Je n'ha-
bite pas d'autre palais depuis deux
mois, lui dit Napoléon. Vous sa-
vez si bien tirer parti de cette habi-
tation , répond l'empereur Fran-
çois , qu'elle doit tous plaire ; et
il lui demanila la paix. L'empe-
reur Alexandre fit demander un
sauf-conduit pour quelques corps
de son armée, et l'obtint ; le prince
partit seul pendant la nuit. Enfin,
un généreux armistice est accordé ;
il sauve les débris de l'armée russe,
et assure leur retraite à journées
d'étape , par les monts Krapacks ,
hors des états autrichiens. Cette ar-
mée avait perdu tout son matériel ,
une trentaine de mille hommes et
une vingtaine de généraux. Le i3
décembre. Napoléon fut compli-
menté solennellement à Schœn-
brunn , par les maires de Paris ,
auxquels il remit 45 drapeaux pris
à Austerlitz, pour orner les voûtes
de l'église métropolitaine. La neu-
vième campagne de Napoléon, qui
sera la plus belle de son règne ,
détruit ainsi la troisième coalition
contre la France: mais sa politique
élève, par le traité de Presbourg,
du 26 décembre, le monument de
l'autocratie européenne. Le i5, il
s'est lait céder, par la Prusse, les
pays d'Anspach, Bareuth, Clèves,
le grand-duché de Bcrg, dont il
dote son beau -frère, le prince
Joachim Murât, et la principauté
de Neuchatel , qui doit récom-
penser les services de sou chef
d'état-major d'Italie , d'Egypte el
d'Allemagne. La Prusse reçoit en
indemnité, l'électoratde Hanovre,
dont elle dépouille avec plaisir l'aU
55o
NAP
liée de la Russie. A Presbourg ,
reconnu roi d'Italie , Napoléon
fuit céder à sa nouvelle cou-
ronne les états de Venise, la Dal-
matie et l'Albanie ; la principau-
té d'Eichstett , Angsbourg , le
ïyrol , la Souabe autrichienne ,
sont partagées entre l'électeur de
Bavière, les ducs de Wirtemberg
et de Bade^ Pour récompenser la
courageuse fidélité de ces princes,
Napoléon a créé rois les deux
premiers. Le 27 décembre , une
proclamation , relative à ses des-
seins, sur la couronne de Naples,
apprend à l'Europe qu'il la des-
tine à son IVére Joseph. Il donne à
son fils adoptif, reconnu prince et
vice-roi d'Italie, la main de la belle
princesse de Bavière, et le dé-
clare son successeur au trône d'I-
talie , s'il meurt sans postérité.
Il assiste à Munich au mariage du
prince Eugène.
L'année i8o5, à jamais mémo-
rable dans les fastes des prospérités
humaines, a vu Napoléon, vain-
queur de deux empereurs , distn-
buer des couronnes, et proclamer
la fortune la patrone de l'empire
français. Cependant l'empereur de
Russie n'avait pas voulu ratifier
l'armistice d'Austerlitz. Trop éloi-
gné du centre de l'Europe pour
être forcé de consentir à partager
l'humiliation de l'Autriche, il a
repris, le 6 décembre, la route de
Saint-Pétersbourg, et laisse indé-
cise entre la France et lui , non la
question de la guerre, mais celle
de sa prolongation. Toutefois la
paix de Presbourg est bien positi-
vement pour Napoléon l'idée mère
de cette confédération germani-
que , qui , sous le nom de confé-
dération du Rhin, destinée à éteu-
NAP
dre la frontière armée de la Fiiance
jusqu'auxbords de l'Elbe contre la
puissance russe, va jouer un rôle
important dans lesaffaires du grand
peuple, dont elle sera, jusqu'à la
fin , la vassale et l'ennemie.
Mais si l'empire d'Occrdent re-
naît sur la terre à la voix de Na-
poléon, le sceptre des mers reste
sans partage à son implacable en-
nemie. L'Angleterre compte aussi
d'éclatans triomphes. Sans la cam-
pagne du vice-amiral Missiessy,
qui, parti de Rochefort le 1 1 jan-
vier, a débarqué des munitions à
la Martinique, a fait une descente
heureuse à la Dominique , a ravi-
taillé la Guadeloupe , a ravagé
quelques îles anglaises , et déblo-
qué la ville de Santo- Domingo ,
la marine française n'aurait été
connue en i8o5 que par ses re-
vers. Après l'échec du 32 juillet ,
au cap Finistère , de la flotte com-
binée française et espagnole, con-
tre la flotte anglaise , l'Angleterre
avait gagné , le 21 octobre , sa ba-
taille d'Austerlitz au cap Trafal-
gar contre les deux alliés. Sur 53
vaisseaux, 10 seulement avaient
pu rentrer à Cadix, et les quatre
qui étaient parvenus si singuliè-
rement à s'échapper, sous les or-
dres du contre-amiral Dumanoir,
avaient été pris sur les côtes de
Galice, le 4 novembre, après un
combat de 4 heures contre des
forces supérieures. Mais à cette
bataille de Trafalgar, où l'amiral
Villeneuve avait été pris , où le
contre-amiral Magon avait été tué,
où les amiraux espagnols, Gravina
et Alava, avaient été blessés , l'a-
miral anglais, Nelson avait péri
d'un coup de feu , et 16 vaisseaux
anglais sur 28 étaient hors de ser-
NAP
vice. L'Angleterre et la France
ont eu le droit de chanter le Te
Deum de la victoire pour i8o5 ;
leur rivalité se justifie. Mais après
le combat du 6 février s-uivant ,
où dans la baie de Santo-Doiningo,
.>iept vaisseaux anglais battent cinq
vai'^seanx français , dont trois
sont pris, et les deux autres é-
chouent et sont brûlés , la France
ne reparaît plus sur les mers, et
ne doit plus opposer à l'Angleterre
que la domination et le blocus du
continent. La France a raison : elle
a une armée de ôoo.ooo hom-
mes, et l'Angleterre une flotte
de 5oo bûtimens de guerre.
1806.
Un deuil politique vient sur-
prendre cette puissance , le 23
janvier. Le fils de lord Chatam ,
le ministre Pitt, meurt, après a-
voir dirigé, pendant 20 ans, le
cabinet de la Grande-Bretagne.
Son rival Fox lui succède , mais
les temps sont changés en France
pour ce grand homme d'état : il
ne pardonnait pas à Napoléon d'a-
voir oublié Bonaparte. Cependant,
comme il n'avait cessé de combat-
tre dans le parlement l'opinion de
la guerre à la révolution française ,
il veut renouer avec la France des
négociations que sa mort doit an-
nuler Q mois après. L'empereur
venait de revenir de Munich à
Paris, et le 28 janvier, le sé-
nat décrète un monument à Na-
poléon-le-Grand- Le 10 février,
un décret ordonne la restauration
de l'église Saint-Denis , consacre
trois autels expiatoires aux cen-
dres royales , et y établit la sé-
pulture des Empereurs. Un autre
NAP
35 1
rend à la basilique Sainte-Gene-
vièvre l'exercice du culte catho-
lique, sans qu'elle cesse d^être la
sépulture des grands hommes. Le
public s'étonne de la différence
que Xapoléon-le-Grand met entre
les grands hommes et les empe-
reurs. Le 8 février , le royaume
de Naples est envahi ; Joseph est
général en chef de l'armée que
commande Masséna , qui, le i5,
le fait entrer dans la capitale de
son royaume. Ainsi l'Italie en-
tière est française , ou vassale dr
la France. L'empereur le déclare
le 2 mars, dans son discours d'oti-
verture du corps- législatif, u La
') maison de INapIes a perdu la cou-
D ronue sans retour; la presqu'île
»de l'Italie, tout entière, fait
» partie du grand empire. » M. de
Haugwitz signe le 8, à Paris, un
nouveau traité pour la Prusse ,
qui a accepté la possession du Ha-
novre. Ce traité , comme tous
ceux faits avec cette puissance, à
qui les doubles négociations ne
sont point étrangères , attire d'a-
bord sur ses ports l'embargo de
l'Angleterre en justes représailles
de l'occupation du Hanovre , et
huit mois après, il devient une
guerre, qui, tout-à-coup, sur-
prend la France, et toul-à-coup
détruit la Prusse. Celte puissance
avait pourtant vu de bien près lu
victoire d'Austerlilz.
Cependant les promotions sou-
veraines se continuent : le i5, le
maréchal Mural mi déclaré grand-
duc de Berg, et le 5o, Josepk ia>i
des Deux-Siciles. Trois mois après,
en vertu du traité du 24 mai,
Z«oM/\s recevra la couronne de Hol-
lande, et le même jour, 5 juin ,
ia principauté de Bénévcnt sera
r)52 NAP
donnée comme fief immédiat de
la couronne de France , à M. de
ïalleyrand, grand-chambellan, et
ministre des relations extérieures ,
en récompense de ses services. Les
services de M. de Talleyrand «ont
destinés à être toujours reconnus
et méconnus par tous les gouver-
nemens de la France. Le mois de
mai fut reniarquable par deux ac-
tes plus importans pour la France.
Le 9, eut lieu la promulgation de
C ensemble du Code de procédure ci-
vile, et le lo, celle de la loi de fon-
dation de VUniversité impériale.
Les opérations politiques, do la
plus haute importnnce , caracté-
risent le mois de juillet. Le 6,
la Russie envoie à Paris traiter de
la paix; elle est signée le 20 ,
mais le 25 aoTit, par une de ces
licences d'Llat , qu'autorise son
éloignement , la Russie se repen-
tit de son ouvrage, et désavouant
son négociateur, rendit, par cet-
te nouvelle rupture , sa position
plus hostile envers la France. Le
cabinet des Tuileries, dont Na-
poléon était l'âme , ne pouvait se
méprendresur une pareille rétrac-
tation; mais plus assuré contre le
grand ennemi du Nord, par le
traité de la confédération du Rhin,
qu'il avirit conclu le 12 juillet , et
qui fut notifié le i"" aoftt à ladiéte
de Ratisbonne, Napoléon voit avec
calme se fomenter dans l'ombre
l'orage d'une 4' coalition. Le ré-
sultat de sa confédération du Rhin,
est en premier lieu, de séparer
à perpétuité du territoire germa-
nique, et d'identifier à la politique
quelconque de la France les nou-
veaux rois de Bavière et de Wur-
temberg, l'électeur archi-chance-
îier de l'empire, sous le nom de
NAP
prince-primat, le grand -duc de
Berg , le duc de Bade et le land-
grave de Hesse-Darmstadt , sous le
titre de grands-ducs ; en second
lieu , de forcer, le () août , l'em-
pereur d'Autriche à abdiquer la
couronne impériale germanique ,
et à renoncer à tous ses droits sur
l'empire d'Allemagne. Napoléon
est le protecteur autocrate de cette
nouvelle ligue, qui va s'augmen-
ter de tous les autres princes de
l'Allemagne , excepté seulement
des souverains de la Pomérauie ,
du Holstein, deBrunswich, d'OI-
dembourg , de l'empereur d'Au-
triche et du roi de Prusse. Mais
celui-ci, alarmé de la nouvelle
prépondérance qu'une telle asso-
ciation donne à Napoléon , traite
secrètement avec l'Angleterre , la
Suède et la Russie; et tandis que
ce prince met sous les armes tous
ses sujets, il ose impérieusement
demander à la France raison des
armemens qu'elle a faits sur ses
frontières. Moins chevalier que
conquérant, Napoléon fit depuis
comparaître dans ses moniteurs
l'inviolable dignité de la belle reine
de Prusse, qui parcourait à che-
val, à cette époque, les rues de
Berlin avec un costume militaire,
et appelait aux armes le peuple
prussien. L'exaltation romanesque
qui en résulta avait sa générosité;
mais cette chevalerie s'aventura
dans une entreprise, où tout fut
mis en mouvement, excepté l'in-
térêt de la patrie. Les provoca-
tions insultantes de la garnison de
Berlin, qui ne respecta pas le ca-
ractère de l'ambassadeur de Fran-
ce, durent irriter Napoléon. Il osa
oublier, même après la bataille
de léna, le respect dû à une jeune
NAP
et malheureuse souveraine , et la
conloudre , dans sa vengeance ,
avec la cour insolente qui l'a bra-
vé , avec le gouvernement per-
fide qui le trahit depuis le traité
de Potsdam.
Dans le même moment, un fa-
vori inepte et arrogant, long-
temps courtisan de Napoléon, et
son instrument docile, se trouve,
sans le savoir, chargé par la des-
tinée, de provoquer la ruine du
maître de l'Europe. Le prince de
la Paix {voy. Godoï) appelle tout-
ù-coup aux armes , par une pro-
clamation insensée , la popula-
tion de l'Espagne. Cette procla-
mation est bientôt désavouée ,
et 20,000 Espagnols vont servir
Napoléon sur les rives de la Bal-
tique; mais le prince de la Paix a
blessé l'amitié naturelle des deux
nations. L'histoire recueille cette
petite cause, devenue une prodi-
gieuse circonstance; car qui ose-
rait affirmer (jue sans cet étrange
incident. Napoléon, obéi qu'il é-
tait de l'armée, de la flotte et du
gouvernement de l'Espagne, eût
conçu le projet de l'envahissement
qui a causé sa chute, et dont l'ef-
fet ébranle encore l'Europe en ce
moment? Les provocations des
Prussiens ont fermenté dans l'âme
irritable de Napoléon , et la perte
de la Prusse est jurée. Elle doit re-
tomber dans la condition d'un du-
ché. Cependant, le i" octobre, l'a-
vantage que Marmont remporte
sur les Russes réunis, aux Monté-
négrins, à Castel-Novo, près de
Raguse, conGrme à la France, les
intentions hostiles du cabinet de
Saint-Pétersbourg. Egaré loin de
sa métropole, ce corps d'armée
n'était que la pierre d'attente d'u-
NAP
.-):>:>
ne quatrième coalition. En effet,
l'amiral russe Siniavim avait re-
fusé de remettre à la France, con-
formément au dernier traité, les
Bouches-du-Cattaro. Force encore
de reprendre les armes, par ces pro-
vocations. Napoléon est à Wurti-
bourg le 3 octobre, le G à Bam-
berg, et tous les héros d'Austeriitz
sont chargés de sa vengeance.
Les affaires de Schleitz, de Hof,
de Saalfeld, où le prince Louis de
Prusse est tué , préludent à la
grande victoire qui, sept jours a-
près l'ouverture de la campagne,
va répondre aux manifestes ridi-
cules de la Prusse. Mais le i5, Na-
poléon a reçu la proclamation si
imprévue du prince de la Paix, et
il balance à la veille de son triom-
phe; il fait plus, il écrit au roi de
Prusse, pour prévenir Ceffusion du.
sangf et la perte assurée de la ba-
taille. En effet, l'armée française
bordait la Saâle, et tournait le dos
à l'Elbe, tandis que l'armée prus-
sienne a le Rhin derrière elle. Mais
l'aveuglement du roi repousse la
démarche de l'empereur, et le len-
demain 14, la monarchie prus-
sienne est détruite àléna, avec son
armée. La bataille était double : à
léna, elle est gagnée par Lannes,
Lefebvre, Soult, Ney et Augereau.
A six lieues d'Iéna, à Auerstaedt,
avec 3o,ooo hommes , Davoust
se bat contre le roi en person-
ne, et contre 80,000 hommes ,
l'élite de l'armée prussienne; cel-
le-ci est la belle bataille. Davoust
aura le nom d'Auerstaedt . mais
léna donnera le sien à la victoire.
Les Prussiens perdent ^OjOoo
hommes tués ou pris, 260 bou-
ches à feu, tous leurs magasin;*.
Les vieux compagnons d'armes
a3
^54
NAP
du grand Frédéric , le duc de
Brunswick, le maréchal de iVloèl-
lendorf et le lieutenant-général de
■Schiiictten, sont blessés dange-
reusement, et ne survivront pas
à cet anéantissement de la gloire
militaire de leur patrie. Le prince
Henri de Prusse et le général Ru-
fhel, sont aussi blessés. L'armée
française, au contraire, n'a (;u sur
ses deux champs de bataille que
12,000 hoinnjes hors de combat,
fcl elle ne regrette qu'un général
€t cinq colonels. Deux jours après,
le roi de Prusse sans armée, de-
mande un armistice, qui lui est
justement refusé. Le même jour,
au combat de Greussen, le maré-
chal Soult écrase le vieux maré-
chal Kalkreuth, autre grand sol-
dat du grand Frédéric, et le pour-
suit jusqu'à Magdebourg, avec le
fugitif royal du champ de bataille
d'Auerstaedt. Le même jour aussi,
16 octobre, Erfurt se rendait par
«'apitulation ; » 4,000 Prussiens
sont prisonniers de guerre; de ce
nombre sont le maréchal de Moèl-
lendorf, mortellement blessé à
léna, le prince d'Orange, aujour-
d'hui roi des Pays-Bas, et quatre
généraux. Cent pièces d'artillerie
et d'immenses magasins complè-
tent, indépendamment de l'avan-
tage de la position militaire d'Er-
furt, celui de sa capitulation. L'oc-
cupation de Léipsick, de Halbers-
tat, de Potzdam, de Brandebourg,
•de Spandaw, de Berlin, indique la
marche victorieuse des corps de
l'armée française jusqu'au 25 oc-
t;)bre. Le 18, le général Bliicher,
fuyant avec une troupe échappée
aux périls d'Auerstaedt, est arrêté
à Wcissensée , par le général de
■/;avalerie Klein, à (pii il ose allé-
NAI'
guer l'existence d'un armistice jar
j>a parole d' honneur, et il trompe
ainsi déloyalement la confiance
du général français. Ce parjure
militaire est dénoncé à toute l'Eu-
rope; mais la monarchie prus-
sienne doit être tout cnlière pri-
sonnière de la guerre qu'elle a
déclarée. Le 28, Preutzen doit
son illustration au beau combat où
le maréchal Murât et le général
Beliiard, à la tête de 10,000 che-
vaux, font mettre bas les armes à
lOjOoo hommes d'élite de la garde
royale de Prusse, que commande
le prince de Hohenlohe. Le 29,
3000 Prussiens se rendent, parca-
pitulation, à une colonne de i5oo
chevaux, sous les ordres du gêné*
rai Milhaud; la forte ville de Stet-
tin capitule le même jour, avec
une garnison de 5ooo hommes,
entre les mains du général La-
salle, qui n'a que 1200 chevaux. A
Andlaw, 4t'Oo Prussiens se ren-
dent au général de cavalerie Be-
cker. Le même jour, 1" novem-
bre, Rustrin, défendue par 4000
hommes et go pièces de canon, se
rend au maréchal Davoust. L'é-
lectorat de Hesse-Cassel, et sa
capitale, sont envahis et pris par
le maréchal 31ortier. Les maré-
chaux Mural , Soult et Berna-
dette, atteignent entia à Lubeck,
le fuyard Bliicher. La bataille
dure le G et le 7 novembre.
Elle a lieu hors de la ville et
dans la ville. Son résultat est en
faveur des Français , 4ï»^>oo pri-
sonniers, sans compter les ca-
pitules de Balkau , eu tout
20,000 hommes , y compris le
commandant en chef Bliicher ,
le duc de Brunswick - Oëls , 10
généraux et 5i8 ofûcieré; plus, 60
"'■{*
NAP
drapeaux, 4 ù 5ooo chevaux, et
tout le matériel échappé à la jour-
née d'Aiierslaedt. Le lendemains,
la nouvelle de la capitulation inat-
tendue de Magdebourg, apportée
eu toute hâte par le baron de
Saint-Aignan , aide -de -camp du
maréchal Berlhier, empêche d'ê-
tre signée la paix négociée entre
Duroc et le miirquià de Lucche-
sini. Lue demi-heure plus tard la
paix était faite. La prise de Magde-
bourg fut un des plus immenses
succès de cette campagne ; elle fut
due au maréchal Ney. Les Prus-
siens y perdirent vingt généraux,
18,000 hommes, 6 à 700 pièces de
canon, et d'énormes magasins de
guerre. £n un mois, du Khin à
l'Oder, toute la Prusse est occu-
pée , dans toutes ses places, ex-
cepté celles de H ameln, Nieu bourg
et Colberg, la Silésie, et les dé-
niembremens de la Pologne. Le
maréchal Mortier, au nom de la
France, prend possession du Ha-
novre, de Hambourg, de Brème
et des duchés de Mecklembourg :
jamais conquête ne fut plus com-
plète. D'un autre côté, les opéra-
tions de la Pologne s'aimoncent
par la prise de la ville et du grand-
duché de Posen. Cependant, Na-
poléon a frappe une contribution
de i5o millions sur la Prusse et
ses alliés.
Deux décrets sont sortis de Ber-
lin. L'un organise les gardes natio-
nales de France, et appelle à la for-
mation des cohortes les citoyens de
•20 à 60 ans, soit pour le service de
l'intérieur, soit pour le service ac-
tif. Cette institution peut être pa-
triotique, si jamais la France est
menacée; mais elle est despotique,
si elle ue doit produire qu'une
NAP 355
grande armée d'invasion. L'autre
décret, du 21 novembre, est celui
du fameux système continental, qui
déclare les iles britanniques en état
de blocus, et applique la saisie à
toute marchandise, atout Anglais,
trouvés surle territoire de la Fran-
ce, sur celui des pays qu'elle a con-
quis, et de ceux qui sont sous la
domination de ses alliés. Ce dé-
cret va remuer le monde, et le fai-
re conspirer contre ^iapoléon. La
commotion que produit dans toute
l'Europe le décret du conquérant
de la Prusse est incalculable. Ou
regarde d'abord comme un grand
acte de violence , ou comme une
grande hérésie politiquecette éton-
nante disposition; mais Napoléon
sait bien qu'il a frappé juste, et
sans la guerre d'Espagne, et sur-
tout celle de Russie, peu d'années
de ce blocus détruisaient peut-être
la puissance britannique. Elle seule
aussi en Europe a compris tout son
danger, surtout quand elle a vu
toutesles villes anséatiquesau pou-
voir des Français, et c'est peut-
être de ce jour qu'elle a juré à Na-
poléon une guerre à mort. Toute-
fois, et avec raison, elle est loin
de penser que si Napoléon suc-
combe, il poussera l'égarement
jusqu'à croire à la générosité de
ce cabinet envers un ennemi dé-
sarmé qui lui demande Thospita-
lilé, lui qui aura mis l'Angleterre
pendant huit ans sous le séquestre
européen. Lamort prényiluréedu
célèbre Fox avait replacé tout-à-
coup au pouvoir le parti anti-
français. Son effet immédiat avait
été le rappel de lord Lauderdale,
qui , le M octobre , avait demandé
ses passeports. La perle de ce
grand homme d'état fut uu' dq^
55G
NAP
cvénemcns les plus importans de
cette cpoq.iie ; elle changea la face
des choses, et donna un appui for-
midable aux vengeances continen-
tales, dans l'action renaissante de
la rivalité britannique.
Cependant la victoire signalait
partout la marche des armées fran-
çaises. Sur le Weser, la forte ville
de Hameln venait de se rendre : il
ne reste plus rien à prendre des
états de Brunswick. Des états de
Prusse, il n'y a plus à conquérir
que la Silésie, une partie de la
Poinéranie, et le premier partage
de la Pologne. La Russie, qui n'a
pu croire que la Prusse serait con-
quise enôsemaines, pense arriver
à temps sur ce dernier théâtre, et
le 12 novembre ses drapeaux ont
paru à Warsovie ; mais, le 28, Mu-
rat est entré dans cette ville. Un
9""= corps d'armée , formé des con-
tingens de la confédération, en-
vahit la Silésie avec une division
française, et, le 2 déceinbre, le
général Vandamme a reçu la capi-
tulation de Glogaw, où il trouve
200 pièces d'artillerie. Ihorn est
occupé. Davoust a forcé le pas-
sage du Bog ; 80,000 conscrits sont
levés; Napoléon est à Posen ; il
veut montrer à l'empereur Alexan-
dre le vainqueur d'Iéna. Il signe
dans cette ville un traité d'alliance
avec l'électeur de Saxe, dont les
troupes avaient combattu à léna
avec les Prussiens. Ce prince ac-
cède à la «confédération du Rhin,
avec toutes les branches de sa mai-
son, et reçoit le titre de roi. Cet
avijntage est,immense pour le con-
quérant de l'Allemagne du nord,
et pour sa campagne de Silésie :
l'excellente cavalerie saxonne sera
nommée par lui brave et loyale ,
NAP
jusqu'à la journée de Léipsick,etla
richesse des provinces de la Saxe
offrira de grandes ressources à ses
armées dans les temps difficiles.
Napoléon a placé avec plaisir la
couronne sur la tête du patriarche
des souverains allemande. L'effet
moral et politique de cette éléva-
tion attire sur lui une partie du
respect dès long -temps attaché
aux vertus de ce vieux prince. Le
système de la confédération rhé-
nane, ou plutôt germanique, se
trouve ainsi complet pour les des-
seins actuels ou futurs de ce grand
politique. Mais, avant de rentrer en
Allemagne pour combattre laPrus-
se révoltée, Napoléon a songé à pu-
nir la Russie d'avoir refusé l'armis-
tice d'Austerlitz;et, le igdécembre,
au moment où il va porter dans la
Prusse ducale, et dans les provin-
ces démembrées de l'ancienne Po-
logne, tout l'effort de ses armes,
le divan déclare la guerre à la Rus-
sie. Cette puissante diversion est
une des plus belles conceptions
militaires de Napoléon, qui con-
naît les immenses ressources que
possède la Russie pour enfanter
des armées. Cellequ'elle aenvoyée
en Pologne est de 160,000 com-
baltans, et ses frontières touchent
le théâtre de la seconde campa-
gne ; le fer est déjà engagé entre
les Français et les Russes. Les com-
bats de Czernovo et de Mohrun-
gen font honneur au général Mo-
rand et au maréchal Bernadottc ,
qui , avec des forces très-inférieu-
res, ont cidbuté l'ennemi. Au com-
bat de Pultusk, entre le maréchal
Lannes et le général Benningsen,
l'action est vive, et les Russes pro-
fitent de la nuit pour se retirer. Le
même jour 26 décembre, à Go-
NAP
lyiiiyn, le général Buxhooden est
repoussé par les maréchaux Au-
gereau et Murât. Ces deux affaires
terminent la campagne de 1806,
une des plus merveilleuses sans
doute dont l'histoire lasse men-
tion. Elle ne peut trouver de com-
paraison que dans les temps an-
ciens , où le roi de Macédoine, à
la tête des phalanges grecques,
anéantissait la puissance colossale
de Darius, où les armées romaines
allaient conquérir les royaumes de
l'Asie. Mais alors toute la science
militaire était du côté des vain-
queurs, et devant une légion grec-
que ou romaine se dissipaient au
premier choc les phalanges des
despotes efféminés du Gange et
de l'Euphrate. A cette époque ,
il n'y avait aussi que les Grecs et
l<;s Komains qui eussent de l'in-
fanterie de ligne disciplinée ,
manœuvrant et bien armée , et
c'était avec cette infanterie
qu'ils détruisaient l'innombra-
ble cavalerie de leurs ennemis.
Napoléon, au contraire, avait trou-
vé toute la Prusse armée sur sa
frontière , et plutôt en attitude
d'invasion qu'en attitude de dé-
fense. Les forces de la Prusse ,
dont l'infanterie et la cavalerie sont
encore aujourd'hui les meilleu-
res troupes de toute l'Allemagne,
étaient au moins de 260,000 hom-
mes, avec une excellente et nom-
breuse .artillerie , avec les souve-
nirs et les beaux débris du grand
Frédéric.
Au sein de tant de gloire, Na-
poléon a le bonheur de pouvoir se
reposer de ses émotions de con-
quérant par des actions généreuses
qui légitiment ses nouvelles pros-
pérités, même aux yeux de ceux
NAP
55'
qui en sont les victimes. Le lende-
main de la bataille d'Iéna, le vain-
queur s'arrête A Weymar, où il fut
reçu par la duchesse régnante ,
dont le mari commandait une di-
vision prussienne : « Vous avez sau-
»vé votre mari, madame, lui dit
«l'empereur, vous l'avez sauvé , en
D restant chei vous et en ayant con-
» fiance en moi; je lui pardonne à
• cause de vous.» Napoléon avait
eu aussi une autre raison, celle
d'être agréable à la princesse hé-
réditaire de Saxe-Weymar, sœur
de l'empereur Alexandre, dont il
ne voulait ni ne pouvait être tou-
jours l'ennemi. L'alliance contrac-
tée depuis à Posen avec l'électeur
assura la tranquillité" de toutes les
branches de la maison de Saxe. En
arrivant à Berlin, Napoléon saisit
encore l'occasion d'une semblable
générosité : il descendit au palais
où la princesse héréditaire de Hes-
se-Cassel était au moment d'ac-
coucher, et se trouvait par l'effet
des circonstances dans un état de
dénuement absolu. Napoléon ne
la vit point; mais il chargea le duc
de Vicence de la tranquilliser et
de lui remettre mille louis, et lui
assigna un traitement mensuel
pour le temps qu'elle voudrait res-
ter au palais. Mais un des actes de
clémence les plus mémorables
peut-être de l'histoire, signala en-
core , peu de jours après, le sé-
jour de Napoléon à Berlin. Il avait
confié le cowmandement civil de
la capitale au prince de Hatzfeld,
à présent membre du corps diplo-
matique de Prusse. Une lettre in-
terceptée et remise à Napoléon ,
lui apprit que le prince instruisait
le roi de Prusse des mouvemens
de l'armée française. Le crime
558
NAP
avéré, et la trahison prouvée, une
commission militaire allait juger
le coupable, quand la princesse de
Hatzfeld vint se jeter aux genoux
de Napoléon , et lui protester que
son mari était incapable d'une telle
perfidie : Vous conitaissez son écri-
ture, lui dit Napoléon en lin' don-
nant la lettre du prince, jugez-le
vous-même. La princesse lut et s'é-
vanouit. L'état de grossesse .avan-
cée où elle était, ajoutait encore
au malheur de sa situation , qui
avait déjà vivement ému l'empe-
reur. A force de secours elle re-
vint à elle : Tenez, madame, lui dit
Napoléon , cette lettre est la seule
preuve que j'aie contre votre mari;
jetez-la au feu. Ainsi fut sauvé le
prince de Hatzfeld. Dans sa propre
capitale, et dans tme circonstance
pareille, il eût été naturel que Na-
poléon eût pardonné à un Fran-
çais qui l'eût trahi. Il a montré ,
pendanttoul son règne et jusqu'au
dernier moment, une sorte d'in-
diftérence généreuse aux conspi-
rateurs et aux traîtres; mais de-
venu, par la victoire seule, après
une guerre de provocation, maî-
tre d'un grand état, où la conduite
du roi, et celle toute récente du
général Blucher, devaient porter
son irritation au plus haut degré,
où par conséquejit l'exemple de la
plus juste sévérité sur un grand
seigneur prussien , pouvait ê-
tre au moins d'une politique né-
cessaire, Napoléon, par cette ac-
tion vraiment sublime, a fourni à
l'histoire une de ses plus belles
pages , et à la peinture une de ses
plus belles productions. Les grands
caractères ont de grands secrets ,
qu'eux seuls peuvent révéler.
L'année i8o5 s'appellera encore
NAP
long-temps dans nos fastes l'année
d'Austerlitz , l'année 180O celle
d'Iéna, l'aimée 1807 va recevoir
le nom de Friedland, et 1809 au-
ra celui de Wagram. L'Autriche,
la Prusse et la Russie', se sont
chargées de l'illustration de nos
armes, jusqu'à ce que l'abus de la
gloire les fasse tomber avec celui
qui pendant vingt années les a ren-
dues victorieuses.
Cependant la conquête de laSi-
lésie se poursuivait, et Breslaw ,
sa capitale , se rendait, après 25
jours de siège. Les places fortes
de Brigg et de Schweidnitz étaient
au pouvoir des Français, dont la
grande-artnée occupe la position,
devenue si fameuse, de Preussich
Eylau. C'est là que la grande-ar-
mée russe vient chercher son en-
nemi, le 6 février. Elle compte
70,000 combattans, qu'aucune fa-
tigue, aucun revers, n'a encore é-
prouvés. La neige qui couvre la
terre ajoute une horreur particu-
lière à la sanglante bataille, qui au
bout de 12 heures a couvert le sol
de 3o,ooo cadavres. Jamais, peut-
être, journée plus meurtrière dans
les temps modernes, n'a souillé les
annales de la guerre : car la vic-
toire est indécise, et si le Te Déum
est chanté de<deux côtés, il n'est
qu'un hommage féroce rendu au
dieu de la destruction des hom-
ines, à la lueur des torches funè-
bres. Le peintre Gros a le courage
de transmettre A la postérité le ta-
bleau de cette scène de carnage.
Ce massacre ne peut être regardé
par les Français comme une vic-
toire ; trop de regrets se mêlent
pour eux aux miracles des iniré-
KAP
pides lieiUenans de Napoléon, et
les noms de Murât, de Lannes, de
SobU, d'Augereau, de Ney. de Da-
voust, appartiennent à des faits
d'armes d'une plus belle gloire.
Le lieu tenant- général d'Hautpoult
fut blessé à mort à Eylau, et mou-
rut le lendemain ; il avait fait, à la
tête de ses cuirassiers, celle fa-
meuse charge qui avait traversé
toute Carmée russe. Un décret lui
décerna une statue, qui devait être
placée sur la place desVictoires. La
restauration reste chargée de payer
cette dette vraiment nationale.
La seconde capitale de la Prus-
56, Kœnigsberg, la grande ville
de l'Allemagne septentrio/iale ,
manque à la conquête du royau-
me de Prusse, et le doute de la
victoire d'Eylau doit être vengé
par un triomphe plus certain. Cet-
te ville n'échappa aux Français
qu'à cause de l'incertitude de
la journée d'Eylau ; Beningsen
l'avait évacuée dans les premiers
momens, et on y attendait l'armée
française. Mais l'orgueil de l'ar-
mée russe ne pourra croire long-
temps à r^galilé de sa fortune mi-
litaire avec l'armée française. Si
cette armée parait avoir oublié
Austerlitz, toute l'activité, tout le
génie de Napoléon, toute la valeur
de ses soldats, vont être rais en
œuv^e, pour lui donner d'autres
souvenirs. D'ailleurs, par sa posi-
tion. Napoléon a conservé l'oflen-
sive, et les plus hautes combinai-
sons de la tactique, les plus bril-
lantes inspirations de l'art de la
guerre y vont encore montrer à
l'Europe l'arbitre de sa destinée.
Toutefois, les Russes se montrent
jusqu'à leur dernier échec, les di-
gnes ennemis des Français. Dans
NAP
ÔD9.
cette campagne, depuis léna, tout
ce qui est Prussien capitule : tout
ce qui est Russe combat. Le 16
février 1807, la victoire d'Oslro-
lenka , long-temps disputée, est
enfin arrachée au général Essen ,
par Savary, Suchet et Oudinot.
Ce fut à l'occasion de cette victoi-
re, que le général Savary reçut le
grand-cordon , et 20,000 francs d*'
pension sur la légion -d'hoimeur.
A Braunsbcrg. c'est Bernadotte,et
ce sont aussi les Russes, ils sont
repoussés : devant Danlzik, c'est le
maréchal Lefèvre, dans la ville ce
sont les Prussiens. Le vénérable
général Ralkreuth , après deux
mois de résistance, et 5i jours de
tranchée ouverte, où son vieux
courage a défendu la mémoire de
la Prusse guerrière de Frédéric,
capitule, et livre aux Français le
grand port militaire de la Baltique.
Lefèvre est duc de Danlzik. Le 2()
mai cette ville devient française,
et le i"' juin Napoléon y fait son
entrée. La journée de Spandow,
où Bernadolte est blessé, celles de
Guttstadt , celle si meurtrière
d'Heilsberg, le 10 juin, qui vitfinir
le combat aux pieds des rclranche-
mens que la grande- armée russe
évacue la nuit, précèdent la fa-
meuse bataille de Friedland, où
Napoléon déploya toute la puis-
sance de son génie militaire; où,
tranquille au milieu de 20,000
hommes de sa garde, qu'il con-
damne à être témoin immobile de
la victoire, il fait détruire la va-
leureuse garde et la grande-armée
de l'empereur Alexandre, par les
bataillons de la ligne, et par la ca-
valerie française et saxonne; 5o à
40 mille Russes, tués, blessés ou
prisonniers, 70 drapeaux, et la-
56o
KAP
grandeur du nom moskovite, a-
néantie par ses armes, sous les
yeux d'Alexandre et des grands-
ducs, et sous le commandement
des plus habiles généraux de l'em-
pire, portent, le 14 juin, jour des
plus glorieux anniversaires , la
gloire de Napoléon et la puissance
française, au plus haut degré d'é-
lévation politique et militaire où
jamais peuple et conquérant soient
parvenus. Ce fut alors, et sur le
champ de bataille de Friedland ,
dont l'étonnante victoire ouvre au
maréchal Soult, deux jours après,
les portes de Kœnigsberg, et que
suit immédiatement la conquête
de toute la Silésie; ce fut alors, et
alors seulement, que Napoléon,
selon son expression, si vainement
reproduite depuis, pouvait parta-
ger le monde en deux. C'est à Til-
sitt, dont le traité n'est devenu
pour lui qu'un procès , qu'il ira
perdre à Moskou, c'est à ïilsittque
le vainqueur d'Austerlitz , d'Iéna
et de Friedland pouvait procla-
mer la division de l'Europe, et
peut-être celle du monde, en deux
empires. Là il pouvait, et ce fut
aussi plus que sa pensée, renouve-
ler avec Alexandre le traité fait
avec l'aul j", pour la destruction
de l'empire européen du croissant,
et laconquête,au travers de la Per-
se et de l'Asie, de l'empire anglais
dans l'Inde. Là il pouvait, réali-
sant une grande idée européenne,
fonder avec la Pologne tout en-
tière, et de vastes démembremens
de la Prusse, une immense mo-
narchie, qui eût à jamais isolé
l'empire russe des frontières ger-
maniques de l'empire français, et
reléguer ainsi aii-delà du Cauca-
se les populations belliqueuses de
NAP
la Scylhie d'Europe, qui obéissent
au czar ou au sultan. Là il fondait
un empire grec, ami de la France,
et le plus grand crime d'état, dont
l'histoire fasse mention, l'aban-
don de la Grèce chrétieni>e, eût été
épargné à tous les cabinets de l'Eu-
rope, et depuis i5 ans la langue
grecque, la mère de toute civili-
sation , eût repris sa place parmi
les idiomes législateurs du monde.
On a prétendu qu'àTilsitt le vœu
de l'armée était de livrer une au-
tre bataille au-delà du Niémen, et
d'établir le royaume de Pologne.
Il est possible que cette idée eût
été politique pour l'avenir sur-
tout; mais, à cette époque, l'ar-
mée entière demandait la paix, et
elle se souvenait de ses misères
pendant l'hiver qu'elle avait passé
en Pologne. De plus, l'Autriche
était aux aguets, et elle eût cer-
tainement fait alors ce qu'elle fil
en i8i3. Napoléon n'ignorait pas
la possibilité d'un pareil obstacle,
au projet qu'il aurait pu former à
ïilsitt, de porter ses armes victo-
rieuses au sein de la Kussie. Il é-
lait loin de sa capitale : depuis
neuf mois il était absent, et il de-
vait se rapprocher de l'Espagne
dont l'attitude avait été menaçan-
le. L'armée était àTilsitt, ce qu'eU
le fut constamment sous l'aigle
impériale, soumise, infatigable,
victorieuse, et jamais délibérante.
Le Niémen va donner son nom
à une grande scène; un radeau a
reçu l'empereur victorieux et l'em-
pereur vaincu; ils se donnent la
main. La moitié de Tilsitt est neu-
tralisée. Alexandre y est reçu par
Napoléon. Derrière Alexandre est
un roi suppliant, à qui Tilsitt appar-
tenait la veille, àqui Memmel seule,
NAP
sur la frontière russe, appartient en-
core. Il n'a plus d'autre royaume,
et c'est avec cette faible couron-
ne qu'il marche à la suite des
deux empereurs; il voudrait se
confondre , mais il n'est jamais
confondu dans la foule des géné-
raux et des courtisans de Napo-
léon. Cependant, fldèle à l'allian-
ce dont le malheur a fait une cou-
rageuse amitié, Alexandre ne perd
pas de vue le prince dont il est la
sauve -garde, et il parvient à le
faire admettre devant le souverain
qu'il a si injustement provoqué.
Six ans après , sur les bords du
même fleuve, et au sein de l'in-
fortune de celui qui va pardonner
à la Prusse, la trahison d'un
général prussien punira Napo-
léon de sa générosité. Mais Na-
poléon est en dehors de tout
.-t:ntiment d'une adversité possi-
ble , et également au-dessus de
toute reconnaissance et de toute
crainte. Il aime à accorder aux
prières d'Alexandre l'amnistie de
Frédéric, et le traité de Til-
silt est conclu. Doté de la moi-
tié de ses états, le roi de Prusse
reprend une place parmi les rois.
Cette niagnauimité est impolitique
en ce qu'elle est impardonnable
pour le donataire lui-même, qui
ne voudra se souvenir que de la
haute intercession à qui il doit ce
spectre de royauté. Sans doute il
n'échappe pas à Napoléon qu'il
vient de faire du roi de Prusse un
faux ami, ou même un ennemi
caché ; mais Alexandre reconnaît
les trois couronnes de Louis, de
Joseph et celle de Jérôme , pour
lequel un royaume de Westpha-
lie, formé des états de Hesse-C.is-
sel, d'une partie de ceux de la
NAP
36 1
Prusse, de ceux de Brunswick, de
Paderborn, de Fulde, d'une par-
tie de l'électorat de Hanovre ,
vient d'être improvisé. Il y a plus
de faiblesse que de vanité dans
l'élévation des frères de Napo-
léon. Cet homme si terrible con-
tre les rois armés, soumet sa po-
litique et son caractère à ce qu'il
appelle des devoirs de famille.
Enfin ses frères sont rois : Alexan-
dre les a reconnus. Il a fait plus :
il a reconnu le roi de Saxe, grand-
duc de Warsovie , et Napoléon
protecteur de la confédération du
IVhîn. Ces deux grands souverains
se trompent tous deux sur leur
politique et sur le nœud de leur
alliance. La condition du blocus
continental en est le plus impor-
tant article. C'est à cette haine
légitime contre l'Angleterre, c'est
à cette faiblesse singulière pour
sa famille que Napoléon a sacrifié
les grands intérêts de la société
européenne, dont cette seule fois
il a pu être l'arbitre, La Pologne
renaît morcelée et vassale de trois
couronnes; elle n'a d'autre rang
en Europe que celui d'une indem-
nité pour un traité futur, et la
porte du Nord n'est point fermée.
La Prusse reste la prisonnière du
traité ; au sein de la paix , elle
pourra regretter la guerre. L'Eu-
rope entière, sauf l'Angleterre,
demeure humiliée; la chaîne du
blocts l'environne, et l'épée de
Brennus est sur sa tête.
Le 9 juillet, après trois semai-
nes de réunions journalières, les
trois souverains se séparent ùTil-
silt; cette séparation est une gran-
de époque. Le 29, Napoléon est
de retour à Paris. La France se
décerne à flle-mêmc les honneurs
362
NA
du triomphe et de la soiiTcraineté
européenne. Elle se croit la répu-
blique romaine , dont le dernier
citoyen marchait l'égal des rois
alliés. Mais le sénatus-consulte du
i() août, qui supprime le tribunat,
l'avertit qu'elle n'est qu'un em-
pire , et que c'est la gloire seule
d'un maître qu'elle vient de célé-
brer avec tant d'enthousiasme.
Condamnée au silence, la liberté
comme une religion vaincue, se
dérobe aux regards du conqué-
rant, et va cacher son culte dans
des exils domestiques. De religion
dominante, elle est devenue une
secte malheureuse, mais elle re-
paraîtra en suppliante au deuil de
la France,(lontellea conservé inu-
tilement le palladium.
La Suède avait signé un armis-
tice le 18 avril; son prince l'avait
rompu subitement après la paix
deTilsitl, comme avait fait le roi de
Prusse après celle d'Austerlilz, et
sans doute jaloux de ressusciter
Charles Xll, seul il avait repris
les armes contre le vainqueur de
la Russie et le dominateur de l'Al-
lemagne. Le maréchal Brune est
chargé de châtier ce prince im-
prudent. La prise importante de la
forte ville de Stralsund, et de l'île
de Rugen, complète les conquêtes
de la France sur la mer Baltique.
La Suède a perdu la Poméranie,
et Gustave perd l'affection et la
confiance de ses sujets. Il avait
follement compté sur les arme-
mens de l'Angleterre, dont il est
le plus ancien et le plus fidèle allié;
mais cette puissance aime mieux
frapper un prince voisin qui a re-
fusé sa dangereuse amitié, que de
servir, de secourir même celui
qui ne l'a jamjiis abandonnée.
NAP
Sans déclaration de guerre, le 7
septembre elle va brûler Copen-
hague. La flotte danoise et l'arse-
nal maritime sont la proie de la
capitulation dictée par l'amiral
anglais. Le roi de Danemark
trouve, dans celte agression vrai-
ment barbare, la justification du
blocus continental que la France
impose à ses alliés; il s'empresse
d'y adhérer, ordonne la saisie de
toutes les propriétés britanniques
dans ses états, l'arrestation de tous
les Anglais, interdit tout commer-
ce quelconque avec l'Angleterre,
et le 16 octobre il signe avec la
France un traité offensif et défen-
sif. Indigné de la violence com-
mise par l'Angleterre sur la capi-
tale du Danemark , l'empereur
Alexandre proclame hautement ,
par l'ukase du 3i octobre, les
principes de neutralité armée que
lui a légués la politique de Cathe-
rine-la-Grande, et il proscrit tou-
te communication entre les deux
états jusqu'à ce que le Danemark
soit satisfait, et jusqu'à la paix
entre la France et la Grande-Bre-
tagne. Le 10 novembre il fait plus,
il accède entièrement à toutes les
conditions du système continental ,
et fait exécuter dans tous ses étals
les mesures rigoureuses de ce pac-
te contre les sujets, les propriétés
et le commerce de l'Angleterre.
Jamais alliance entre deux états
puissans ne fut cimentée par de
plus grands engagemens. Telles
sont les dispositions du plus puis-
sant prince de TEurope après Na-
poléon. Par la simple exécution
du traité de Tilsitt, Napoléon fai-
sait à l'Angleterre une guerre mor-
telle. Il n'avait plus qu'à attendre
sur le trône continental la chute
NAP
du trône insulaire. Sans doute
l'année 1807 a suffisamment, a-
vec les deux précédenles, illustré
l'ère impériale; mais le vainqueur
des trois grandes couronnes du
Nord se souvient de la proclama-
tion insensée du favori de la reine
d'Espagne, et l'année qui a corn-
ai mencé par la plus noble gloire
des armes, doit finir par le plus
inexcusable de tous les attentats
politiques, attentat sans gloire, où
la force se fait l'instrument de la
perfidie, où la confiance est le
principal moyen de la trahison ,
où la plus violente et la plus im-
politique usurpation va donner à
la sécurité et à l'amitié d'un peu-
ple les armes du désespoir et les
droits de la vengeance.
Les acteurs de ce drame détes-
table sont au plus haut rang des
grandeurs humaines. C'est Char-
les IV, Ferdinand et Napoléon.
Bientôt il n'y aura plus entre eux
d'intermédiaires; ceux qui ont pré-
paré la scène. Murât et Godoï ,
seront rentrés dans la foule des
spectateurs.
Le 27 octobre, un traité secret
avait été conclu à Fontainebleau
entre la France et l'Espagne. L'in-
vasion du Portugal , alors colonie
britannique , en était le prétexte ,
et une armée française devait, par
ce traité, entrer en Espagne pour
marcher sur Lisbonne. Il en ré-
sultait aussi la cession du royau-
me d'Etrnrie , en faveur de la
France, qui s'engageait à donner
en échange le royaume de la Lu-
sitanle septentrionale. On sait qu'il
n'y a eu d'exécutée que la pre-
mière partie de cette convention,
et il était au moins singulier de
disposer ainsi de la moitié d'un
NAP
563
état (du Portugal) que l'on n'avait
pas encore conquis. Une souve-
raineté, également prise sur cette
conquête future, était affectée au
prince de la Paix, qui eût pris le
titre de prince des Algarves. Le
roi d'Espagne était reconnu suze-
rain de ces deux états , et empe-
reur des deux Amériques. L'inva-
sion du Portugal n'est qu'une par-
tie du plan de Napoléon ; son but
est d'ôter à la famille de Bourbon
son dernier trône, et de réaliser au-
trement, par la réunion à la France
des provinces septentrionales de la
péninsule, le vœu de Louis XIV :
Il n'y a plus de Pyrénées. Pour
y parvenir, la désunion entre le
roi et le prince royal était néces-
saire. Godoï en est l'instrument
naturel. 11 est U'ancien, 1 irrécon-
ciliable ennemi de Ferdinand, et
il est ie FAVORI. Le 5o octobre, le
prince des Asturies est arrêté com-
me chef d'un complot tendant à
détrôner son père. Le 5 novem-
bre. une lettre dictée, dit-on, à
Ferdinand, est publiée à Madrid.
Ce prince avouait à son père le
projet dont on l'accusait, dénon-
çait ses complices, témoignait son
repentir, et s'en remettait à la
clémence du roi. Une autre lettre,
de la même nature, parut aussi
du même prince à la reine sa mè-
re. Godoï triomph:4it. Le roi par-
donna à son fils, chargea le con-
seil de Castille de procéder contre
les autres coupables, et, comme
on devait s'y attendre, leur inno-
cence fut proclamée.
Cependant l'armée française du
Portugal était déjà le 29 novem-
bre à 20 lieues de Lisbonne , à
Abrantès, dont le général en chef
Junot doit prendre le nom. Le
364
NAP
prince Jean apprend la veille, par
le Moniteur du i5, que la maison
de Bragance a cessé de régner, et
le même jour, pressé qu'il se croit
d'obéir au déciet de INapoléon, il
embarque sa famille, son palais,
son trône sur 8 vaisseaux, et t'ait
voile pour le Brésil avec une mau-
vaise flotte. Il n'y a rien de com-
parable dans l'histoire h cette é-
migration subite d'une monarchie
devant un général ennemi. Junot,
qui n'a l'ait que lu campagne des
éperons , fait le 3o son entrée à
Lisbonne , et y remplace tout le
pouvoir fugitif. Du 17 octobre au
5o novembr-e , 28,000 Français
ont franchi les 200 lieues qui sé-
parent Bayonne de Lisbonne, et
pendant que la flotte royale arbo-
re sur le port le pavillon du dé-
part, les vaisseaux que le roi a ou-
bliés, arborent à sa vue le pavil-
lon de l'invasion. Le régent du
Portugal n'a su que la veille de
leur entrée à Lisbonne l'arrivée
des Français dans ses états. Une
contribution de cent millions ap-
prend également au royaume, non
qu'il a été conquis, mais qu'il est
occupé.
Le comte Tolstoy, ambassadeur
de Russie , arriva dans les pre-
miers jours de novembre à Fon-
tainebleau, où il fut plus qu'éton-
né d'apprendre ce qui venait de se
passer en Espagne. Le iG, le gé-
néral Caulaiucourt, grand-écuyer,
partit pour l'ambassade de Pé-
tersbourg, et Napoléon pour Ve-
nise et iMilan, où il alla attendre
le résultat des affaires de la pé-
ninsule espagnole. Le 1 1 du mê-
me mois, un traité avait été signé
à Paris entre la France et la Hol-
lande, qui lui cédait le territoire
NAP
et la ville de Flessingue. Sous tou-
tes les formes se poursuit le sys-
tème des réunions, soit politiques,
soit territoriales. Le 1" décembre,
le roi de Prusse se réunit plus for-
tement au système continental, par
une déclaration qui interdit toute
communication entre les Prus-
siens et les Anglais, jusqu'à la paix
entre la France et l'Angleterre. Le
8 , Jérôme prend possession du
royaume de Westphalie. Le lo, la
reine d'Etrurie renonce à la cou-
ronne pour son fds, et les trou-
pes françaises sont établies dans
ses états. En réponse à tous les
arrêts du système continental, l'An-
gleterre avait le 1 1 novembre sou-
mis à la visite, à une station obli-
gée dans un de ses ports, et à une
imposition sur leur chargement,
tous les navires neutres ou alliés.
En réponse au décret anglais , un
décret de Milan du 17 décembre
déclare dénationalisé et de bonne
prise tout bâtiment de toute na-
tion qui se serait soumis à la ty-
rannie du pavillon anglais. Ainsi
la déprédation est sur les mers, et
la violence de la politique rem-
place sur le continent la puissan-
ce des armes. L'Angleterre et le
continent font un échange perpé-
tuel de représailles. Une agitation
générale règne sur le monde. Un
homme seul tient la roue de la
fortune, et la dirige à son gré de-
puis les sommets glacés du Tau-
rus européen jusqu'aux rivages
les plus njéridionaux de la Médi-
terranée. La puissance de l'Angle-
terre est toute maritime, elle do-
mine le reste du globe, et avec une
flotte de plus de mille vaisseaux,
elle rend blocus pour blocus.
Le 5 novembre 1807, la cour
>AP
«les comptes avait élé installée;
ce grand contrôle de l'adminis-
tration financière de l'empire don-
ne à cette partie si importante de
l'administration générale de l'é-
tat, la garantie qui doit plus que
jamais l'investir de la confiance
publique; les comptes de l'empi-
re (irançais sont tenus et rendus
avec la fidélité et l'exactitude de
ceux d'une maison dont le cais-
sier e>t probe et le maître écono-
me. L'institution de la chambre
des comptes est très-ancienne, et
son principe honore la monarchie;
mais Napoléon ne crée pas les
places pour les hommes : son
grand art est de trouver les hom-
mes pour les places , et d'appli-
quer aux fonctions les facultés et
même les mœurs. Les parties aus-
tères de son gouvernement, telles
que l'administration civile, celle
des finances et celle de la justice,
étaient sous ce rapport plus en
harmonie peut - être avec leurs
fonctionnaires que les coraman-
demens militaires eux-mêmes,
que les emplois diplomatiques, et
même que les ministères. Ceci te-
nait à ce que voulant toujours être
son propre ministre dans chaque
département, ceux qui pouvaient
être pour la France des ministres
médiocres, ou même mauvais, é-
taient pour lui d'exceliens pre-
miers commis. Aussi il n'y eut
pas sous ce règne d'aristocratie
ministérielle. Il en était de même
aux armées où Napoléon com-
mandait en personne; car on ne
remarquait jamais la jalousie de
-es généraux, et peut-être même
leur habileté, que dans des armées
t[u"il ne commandait pas. Nul
homme n'a mieux entendu que
NAP
36.5
lui la conquête d'un pays et la
construction d'un état. Il «ait ren-
dre l'une si^omplète, et l'autre si
solide, que lui seul sera assez fort
pour rendre sa gloire et sa puis-,
sance passagères : mais partout
après lui on retrouvera ses fonda-
tions, et l'état qui les aurait dédai-
gnées, qui, comme lui, ne saurait
pas marier les fonctions avec les
hommes, ne serait pas assis sur des
bases naturelles. Il verrait s'établir,
entre les places et leurs titulaires,
une guerre singulière qui compro-
mettrait son administration.
1808.
La science du bien public avait
également inspiré à Napoléon d'ê-
tre aussi le législateur du com-
merce , et , le premier jour de
l'année 1808, vit mettre à exécu-
tion les dispositions du code de
commerce , dont la loi avait élé
promulguée l'année précédente.
Heureuse la France , heureuse
l'Europe, si leur dominateur trou-
vait assez de place , assez d'inté-
rêt, assez de grandeur pour l'exer-
cice de ses puis>^antes facultés ,
entre les vastes et lointaines fron-
tières que lui ont données son gé-
nie militaire et l'obséquieuse vas-
salité des monarchies continenta-
les ! Mais, l'année 1808 qui com-
mence par un code de commerce,
va voir la France se précipiter
dans les malheurs de l'Espagne
comme dans un gouffre sans fond
qui aspire et attire violemment
dans son abîme toute la France et
tout Napoléon.
Le sénat qui publie les oracles
de l'empereur, annonce , le -21
janvrer, la réunion à la France des
villes de Wesel , de Cassel , de
566
NAP
Rehl el de Flessingiie, avec leur
territoire. Le Rhin tout entier est
déclaré l'rançais. Le 22, un autre
sénatus-consulîe appelle 80,000
conscrits au drapeau. Cependant,
l'Europe entière est en paix, sauf
l'Angleterre, depuis que le Portu-
gal est occupé, et, le 27 du même
mois, tant les vents ont été favo-
rables à la fortune de Napoléon, il
apprend l'arrivée à Rio-Janeiro de
la famille de Bragance. Une pro-
menade militaire conduit à Rome
un corps français. C'est une me-
sure de haute police politique
contre des intrigues étrangères
qui se croient inattaquables à l'a-
bri de la chaire de Saint-Pierre.
Cependant , on apprend subite-
ment la prise de Pampelune et
celle de Barcelonne par l'armée
française ; cette armée , destinée
pour le Portugal et pour une ex-
pédition contre Gibraltar, reçoit
tout-àcoup l'attitude d'une armée
d'invasion. Suiprise dans la sécu-
rité du trc.ité qui a placé en Dane-
mark 20,000 Castillans sous les
aigles de Napoléon, l'Espagne ne
sort de la stupeur qui la saisit
qu'au bruit des troubles qui sou-
dainement agitent sa capitale.
Elle se voit placée en un moment
entre la guerre qui éclate au palais
et celle qui envahit sa frontière.
Figuières et Saint-Sébastien ont eu
le sort de Pampelune et de Bar-
celonne. Miuat, général en chef,
conduit l'expédition, tlne campa-
^na savante a lieu en pays ami.
La véritable guerre était à A-
ranjuès, où trois partis sont en
présence. Le plus fort, le plus o-
dieux, est celui de la reine et du
favori. On accuse leur haine
tcnamune d'un horrible complot
NAP
contre l'héritier de la couronne.
D'autres imputent au jeune prince
un parricide politique , le projet
de détrôner son père. Le parti du
roi , faible et vieux comme lui ,
aveuglé par le danger, plus fami-
liarisé aux combats de' la cour
qu'à ceux de la guerre, ne voit
que l'armée française, et séduit
par le contagieux exemple du
prince Jean de Portugal, n'a qu'u-
ne voix pour le plus lâche de tous
les partis, pour l'émigration de la
famille royale en Amérique. Le
peuple , qui ne se trompe jamais
quand il se dirige lui - même , ne
prend point le change sur ses sen-
limens , et court poursuivre et
atteindre de sa vengeance l'indi-
gne favori, à qui il reproche jus-
tement l'avilissement de l'Espa-
gne , la désunion de la famille
royale , et peut-être la trahison
française. La fureur populaire
dévaste le palais de Godoï. Pour
apaiser le peuple , Charles IV
déclare que le favori a déposé
tous ses tities, toutes ses charges :
ce sont les premières du royau-
me. Cet homme incapable accu-
mulait toutes les grandeurs hu-
maines. Indépendamment de son
mariage avec une princesse de
Bourbon , nièce du roi , il était
premier ministre, généralissime,
grand-amiral , capitaine-général.
Sa fortune dépassait une valeur
de 100 millions, et la somptuosité
de ses palais, routrageanle repré-
sentation de son luxe, la vériluble
souveraineté de son pouvoir, fai-
saient assez coimaîlre depuis long-
temps à l'Espagne à quel maître
elle obéissait. La haine pour le
favori devint pour les Espagnols*
de l'amour pour Ferdinand. Ce-
pendant, Charles IV, presque ar-
rêté dans sa fuite à Séville , se
croit obligé de déclarer , outre la
disgrâce du prince de la Paix, qu'il
ne quitte point le royaume, et que
l'armée de son cher allié Napoléon
traverse l'Espagne avec des senti-
mens de paix et d'amitié. Toute-
fois, le 19 février, ce prince abdi-
que en faveur de Ferdinand, et
rien ne peut exprimer avec plus
d'énergie la terreur qui s'est em-
parée du vieux monarque qu'une
telle détermination. Le 20 , par
ordre du nouveau roi, Godoï est
arrêté et ses biens confisqués. Cette
conduite de Ferdinand envers l'a-
mi de Charles IV devrait faire
craindre à la nation que l'héritage
n'ait été confié à des mains im-
prudentes. Cette circonstance, qui
satisfait momentanément la répro-
bation publique pour le favori ,
ne doit être ni honorable , ni utile
à Ferdinand, qui s'e?t trop pressé
de régner. Il ne voit pas ce qui se
passe au-delà des Pyrénées; il no
comprend pas ce qui se passe dans
le camp français. Il ne connaît ni
la valeur des intérêts qu'il vient
de blesser dans la personne du
prince de la Paix, ni l'influence
prochaine que cet outrage, fait à
son père, peut avoir sur sa propre
destinée.
Enfin, Madrid est occupé par
le général Murât et son armée. Le
premier soin de ce général , et
Ferdinand dut le remarquer, est
de faire rendre la liberté au prince
de la Paix après s'être laissé solli-
citer par la reine-mère. Il résulte
de cette circonst.uicc que le vieux
roi, décidé par iMurat, se repent
de son abdication, tt proleste en
iocrct le li I mars. Témoia et ac-
NAP
56?
teur principal du grand procès de
la famille d'Espagne , le général
en chef Murât est à Madrid le
mandataire de Napoléon, qui va
se déclarer juge entre le père et le
fils. Le tribunal est à Bayonne; le
i5 avril, l'empereur s'est trans-
porté dans cette ville. C'est là
qu'il veut entendre les membres
de la famille royale, dont il a, de-
puis quelques mois , prononcé
l'arrêt. Il ne sera pas difficile d'at-
tirer à Bayonne le confiant Charles
IV, la reine et le prince de la Paix.
Le séjour de l'Espagne est dange-
reux pour cette vieille cour. Il est
moins aisé d'y faire aller Ferdi-
nand, qui a tout à craindre, rien
à espérer. Cependant, un général
envoyé par l'empereur lui per-
suade que son titre est reconnu ,
et qu'il s'agit d'ua traité. Malgré
ses hésitations, le jeune prince,
entraîné par sa destinée , se met
en route, et, le 20 avril, arrive à
Bayonne. En arrivant , il n'y est
reçu que comme prince des Astu-
ries. La révocation de l'abdication
du père, dont Murât était devenu
le conseil, n'était sans doute pas
inconnue à Napoléon. Dix jours
après, le 3o avril, Charles IV, ta
reine et le prince de la Paix , sont
à Bayonne. Le lendemain 1" mai,
Ferdinand , obéissant sans doute
encore à une impulsion supérieu-
re, remet humblement à son père
la couronne d'Espagne. L'usage
que ce vieux roi doit faire de cette
restitution est prévu , mais n'en
est pas moins étrange. Son fils lui
est tellement odieux ainsi qu'à la
reine , par leur aveugle souniis-
sion à la volonté méprisable et
despotique du prince de la Paix,
que le 5 mai Charles IV a signé
i68
NAP
l'acte de la spoliation de toute sa
lamllle, afin que son fils aîné ne
règne pas sur les Espagnes. C'est
cet acte inouï par sa nature, par
sa forme, par ses causes, qui s'ap-
pelle le Traité de Bayonne. C'est
ainsi que se termine la vengeance
du père sur le fils, du fils sur le
favori, du fav(»ri sur le prince hé-
réditaire, et celle de la reine, plus
implacable encore parce qu'elle a
oublié depuis long -temps qu'elle
est la femme de Charles IV et la
mère de Ferdinand.
Ce drame odieux, où a été sa-
crifié tout ce qu'il y a de plus
saint parmi les hommes, la foi de
tous les sermens, les droits de la
nature , la religion de la patrie ,
celle des traités, est frappé juste-
ment par la France , par l'Espa-
gne , par l'Europe , d'un ana-
thême menaçant , dont la seule
Espagne va saisir la foudre. Les
signataires de ce traité , où la
bassesse égale la perfidie , en
sont les prisonniers naturels.
Leur aspect doit importuner le
dominateur qui l'a dicté. Le 1 1
mai , Ferdinand , son frère don
Carlos , son oncle don Antonio ,
sont transportés au çhAleau de
Valençay. Le i5 , Charles IV, la
reine et le prince de la Paix sont
partis pour Compiègne. Rien ne
manque, rien n'a été oublié dans
l'œuvre de ce complot inouï dans
l'histoire. Les princes espagnols,
avant de quitter Bayonne , s'em-
pressent de rendre hommage à la
violence qui leur est faite. Ils en-
voient au gouvernement provi-
soire de Madrid, dont Murât exer-
ce la régence, non-seulement leur
adhésion au traité du 5 mai, mais
encore une exhortation toute pa-
iNAP
ternelle aux Espagnols de s'y con-
former, et une déclaration qui les
relève du serment de fidélité. Les
Espagnols n'avaient pas attendu
l'autorisation de Ferdinand. La
désertion de la famille royale n'a- >
vait plus laissé de sujVts en Es-
pagne que ce petit nombre d'hom-
mes qui va se grouper autour du
trône de Joseph, soit par ambi-
tion, soit par mépris pour la dy-
nastie fugitive , soit enfin par a-
mour pour leur patrie, à laquelle
ils croient pouvoir donner une
heureuse destinée. La masse de la
nation est toute implacable; tous
les intérêts, tous les rangs, tous
les. ordres, se confondent en ar-
mée de vengeance et d'extermi-
nation. Le peuple espagnol seul
ne s'est point trompé, tandis que
Napoléon , malgré toute la saga-
cité dont l'a doué la nature , est
tombé dans un abîme dont il ne
connaîtra la profondeur qu'à l'heu-
re de sa propre perte. Sa procla-
mation aux peuples de l'Espagne
se terminait par ces paroles re-
marquables : « Votre monarc/de
» est vieille , ma mission est de la
» rajeunir Je veux que vos der -
» nier s neveux conservent mon sou-
M venir, et disent : Il est le régé-
dnérateur de notre patrie!! «Trois
jours après, le 27 mai, la fête de
Saint-Ferdinand est célébrée par
l'insurrection de plusieurs con-
trées, et notamment par celle de
la capitale maritime, de la ville de
Cadix. Le 27 aussi, en opposition
au conseil de Castille qui a offert
la couronne à Joseph, se forme à
Séville une junte provinciale. L'es-
prit de celte junte est celui de la
nation qui n'a reconnu que la
première abdication de Chartes
i
NAP
/F, et qui veut être gouvernée
au nom <ie Ferdinand. Malgré
iMnr4p>n du Portugal et de toute
ia frontière espagnole , malgré
Poccu|)ation de la capitale et la
présence de deux arniécs fraucai-
.-.es, la noble junte de Séville dé-
clare à l'Europe la royauté de Fer-
dinand, et à la France la guerre
de l'Espagn»;. Elle tut loin de son-
ger alors que sa généreuse résolu-
tion ne serait appréciée et hono-
rée que par les Français <|ui al-
laient la combattre.
De nombreuses juntes s'organi-
sent dans les provinces à l'exem-
ple de celle de Séville. Pendant
que le sentiment d'une résistance
courageuse préparait cette autre
guerre de sept-ans , qui devait
taire donner alors à l'Espagne le
beau surnom d'HÉROÏQiE. une au-
tre junte, sotis le nom de grande
jiinle d'état, dont les 1 5o mem-
bres ont été choisis à Madrid, par
Murât, dans les trois ordres, se
rassemblait à Bajonne par les or-
dres 'lu nouveau roi que le décret
imjiérial du 6 juin vient de pro-
clamer. 11 résulte de cette situa-
lion la nécessité de la conquête
de l'Espagne. La prise de la tlolte
française par les insurgés dans le
port de Cadix, ne laisse plus au-
cun doute sur les périls dont la
royauté de Joseph est entourée.
Il peut regretter le trône paisible
et voluptueux de l'hcureu'se Par-
lhenope,et Murât devra regretter
encore davantage l'abdication de
Charles IV. La faiblesse de ce
vieux souverain a précipité sou
royaume dans un abîuie de vicis-
situdes depuis i5 années. Son
trône était à Cadix, où toute une
armée nationale l'eflt conservé
T. ZIV.
NAP 569
comme elle a conservé le trône
de son fils absent.
Le 16 juin , les Portugais ont
imité les Espagnols. Le cri de l'in-
dépendance les appelle tous à la
plus sainte des insurrections , et
les provinces du Nord sont aban-
données par les Français. Les Es-
pagnols et les Portugais donnent
à l'Europe le beau spectacle de
deux peuples ennemis, se réunis-
sant fout-à-coup pour défendre
en commun leur droit domesti-
que, cette indépendance de famille
qui est la grande propriété de tou-
te nation, comme la terre est celle
du laboureur. Les Espagnols sont
battus le 12 juillet à Médina deL
RioSecco, par le maréchal liessiè-
res; mais au lieu de gagner, le 16,
la bataille de Baylen, le général
Dupont signe le 22 la capitulation
d'Andujar, à la lête de i3,ooo
Français, et au moment de faire,
avec le général Vedel , un«; jonc-
tion qui mettait entre deux feux
l'armée espagnole. « Ce sont nos
» fourches caudines , » dit ^apoléon
en apprenant la honteuse capitu-
lation d'Andujar. Exemple inouï
dans toute la guerre d'Espagne !
Il est vrai que les Espagnols a-
valent /|0,ooo hommes ; mais à
léna, Davoust n'en avait que
3o,ooo contre 100,000 Prussiens,
alors les premières troupes de
l'Europe. Le général Dupont, en
vingt occasions glorieuses , avait
illustré de sa personne le nom
français. D'immenses bagages hon-
teusement qualifiés retardèrent ,
dit-on, sa marche sur Baylen, et
le décidèrent à capituler! Il fut
jugé par l'indignation française et
l'exaltalion espagnole. La junte
nȎprisa aussi la capitulation elle-
4
:;;u iSAP
même. La haine de l'invasion de
TEspagne répondait ainsi à la per-
fidie par une autre perfidie , et
1 5,000 officiers et soldats français,
au lieu d'être conduits à Roche-
fort , furent traînés aux pontons
de Cadix , cachots pestilentiels
sortis des ports de la philantropi-
que Angleterre pour faire envier
aux valeureux captifs de la guerre
les bagnes de l'esclavage et ceux
du crime. Celle capitulation qui,
par eUe-nfCme, est un crime mi-
litaire contre l'honneur de l'ar-
mée , devient bienlôt un crime
politique contre la France elle-
même. Elle a rallié les dissidens,
a encouragé les faibles, a fanatisé
dans toute l'Espagne les amis de
l'indépendance. Elle a brisé le
prestige de l'invincibilité françai-
se, et a rendu le trône de Joseph
une simple position militaire qui
doit être assiégée et emportée par
l'opiniâtreté d une armée.
En etïet, Joseph, frappé du i»om
d'usurpateur par la justice nalio-
nale de l'Espagne, fait son entrée
le 20 juillet à Madrid, au milieu
d'une foule silencieuse. Huit jours
après, il doit craindre sa capitale,
et va se réfugier à Yittoria. La
haine des Espagnols, comme une
étincelle électrique , va tout-à-
coup à 8oo lieues des Pyrénées
avertir La llomana et ses 25,ooo
hommes des maux et des périls
de la patrie. La conjuration espa-
gnole a un camp ^ur les bords de
la mer Baltique au milieu de l'ar-
mée que commande Bernadotle.
Le3i est une grande époque : c'est
celle du débarquement en Portu-
gal d'une^ armée anglaise sous les
ordres de sir Arthur W^ellesley ;
c'est Wellington. Un armistice est
^AP
le résultat de la bataille de Vimei-
ro, donnée le 21 août, oi'i Junot,
à la tête de 10,000 hommeSf. seu-
lement contre 26,000 , laisse la
victoire au moins indécise. La va-
leur de l'armée française sous
l'intrépide Junot lui doinie, huit
jours aj)rès, la glorieuse capitula-
tion de Cintra. Cette armée n'est
pas de 20,000 hommes , et , en
présence d'une armée de 80,000
combatlans, souleims par toute
rinsurrection portugaise, elle quit-
te le Poilugul comme après une
victoire.
Cependant Napoléon était reve-
im ile liayonne à Paris le 14 août,
chargé de la haine de l'Espagne.
Le mauvais état des affaires dans
la péninsule, .l'impérieuse néces-
silé de rappeler les armées de la
Prusse pour les envoyer contre les
Espagnols, la difTicullé de faire
celle grande opération, quand on
n'était pas encore bien sûr de la
Uussie, et (juand l'Autriche me-
naçait déjà : ces importantes con-
sidérations décidèrent à faire de-
mander et négocier l'entrevue
d'Erfurt, par l'ambassadeur Cau-
laincourt. Chaque jour il stimu-
lait la cour de Pétersbourg contre
celle de Londres , chaque jour il
affermissait par toutes les ressour-
ces de son caractère loyal et con-
ciliateur les bonnes relations qu'il
avait su établir, malgré nos em-
barras d'Espagne et malgré la gê--
ne ruineuse que faisait éprouver à
la Russie la suspension de son com-
merce. L'idée de l'entrevue d'Er-
furt entre Napoléon et Alexandre,
était donc de la plus haute politi-
que. Elle devait étonner l*Eur;)pe,
ce qui était beaucoup, et briser
l'atlcntion qu'elle portait aveoavi-
NAP
vlité iur hi guerre d'Espagne. En
effet, toujours Adèle à elle-inème
et à elle seule. l'Espagne a de nou-
veau proclamé Ferdinand VII. Il
n'y a d'absens de sa capitale que
ses deux rois. La volonté de la na-
tion espagnole occupe le trône :
il est loin d'être vacant ; mais Na-
poléon a oublié le droit des peu-
ples pour le droit des conquêtes.
H signe peu de jours après à Paris,
la convention du 8 septembre, qui
écrase la Prusse sOus l'exécution
da traité deTilsitt, etq^i imprime
aussi 'à ce royaume une haine na-
tionale. La France trace dans la
Prusse sept routes militaires, et y
laisse une armée d'occupation. En
Espagne elle combat, et 160,000
conscrits des classes de 1 806 à 1 8 1 o
sont appelés au drapeau. La junte
suprême et centrale qui se ras-
semble à Aranjuezau nom de Fer-
dinand, oppose sa dictature à l'u-
surpation de Joseph. Au milieu
de t'es circonstances qui placent
la France entre la vengeance fu-
ture de la Prusse, et la vengeance
actuelle de l'Espagne, Ert'urt voit
arriver, le 27 septembre, Alexan-
dre, Napoléon et ses vassaux cou-
ronnés. Napoléon est chez lui à
Erfurt : il est également l'empe-
reur des Français et l'empereur
des Allemands; c'est à son ban que
se sont rendus ses alliés ; il exerce
envers eux, dans toute sa splen-
deur, son impériale hospitalité. L n
seul n'y est point appelé : c'est IVm-
pereur d'Autriche. Cette exclusion
prouve à ce prince que la destinée
de l'Europe doit se régler sans lui,
et que le partage du sceptre con-
tinental est entre Napoléon et A-
lexanilre. La destinée fera sortir
de celte injure un contra^Nors
NAP 371
bien inattendu : un lien de fa-
mille ! Mais le sang des deux
peuples doit rougir auparavant les
champs d'Essling et de Wagraui.
Ln thécître français avait été é-
tabli à Erfurt ; ce fut à une de ses
représentations qu'eut lieu cette
scène sentimentale, dont le sou-
venir est devenu presque ridicu-
le : A ce beau vers de la tragédie
d'Œdipe,
L'amitié d'un grand homme est un bienfait des
Dieux.
Alexandre saisit et serra fortement
la main de Napoléon. Ce mouve-
ment d'enthousiasme fut alors di-
versement interprété. Il reste au
moins comme anecdote de posi-
tion. Mais Napoléon attachait à
cette entrevue, placée sur le théâ-
tre de sa gloire, un tout autre in-
térêt que celui d'une affection pri-
vée ou admirative. Sa grande af-
faire, le but constant de sa politi-
que, de ses victoires, de son am-
bition, de ses usurpations elles-
mêmes, et notamment de celle de
l'Espagne, était la paix avec
l'Angleterre, Une lettre fut écrite
d'Erfurt par les deux empereurs
au roi d'Angleterre, pour l'inviter
^ admettre une négociation pour
la paix. 0 Beaucoup d'états ont éty
«bouleversés, disait cette lettre;
» de plus grands chang^mens encore
«peuvent avoir lieu, et tous con-
«traires à la politique anglaise, »
On répondit : « Le roi d'Angleter-
»re ayant pris des engagemens «-
Dvec les rois de Porlugal, de Si-
«cile et de Suède, et avec le gou-
nve.rnement espagnol actuel, il doit
«leur être permis de prendie part
«à la négociation à laquelle S. M.
nB. a été invitée. « Slais une fata-
lité toute-puissante atrachait Na-
Sja jSAP
poléon aux funestes royautés de
Naples et d'Espagne, et la négo-
ciation fut rompue. Le coMJîe iio-
inanzoff, chef du cabinet russe, é-
lait venu à Paris, et y passa deux
mois poursuivre ou pour lâcher de
nouer des négociations avec l'An-
gleterre. Son but était d'éviler par
une paix générale l'erabraseraent
nouveau de l'Europe, dont on était
menacé par le mécontentement
que l'Autriche ne cherchait pas à
dissimuler. Le congrès d'Krfurt
laissa les souverains, et tous sans
exception, ainsi que leurs cabinets,
plus indécis que jamais sur leurs
alliances et sur leurs intérêts,
(^uanl à Napoléon, il n'avait qu'un
champ de bataille pour combattre
une armée anglaise : c'était l'Es-
pagne; et à l'ombre des engage-
mens si précaires d'Erfurt, il se
précipita, avec sa confiance ordi-
naire, dans la double guerre de la
péninsule.
De retour à Paris, l'empereur
lit, le aG octobre, l'ouverture du
corps-législatif. Ce fut à cette cé-
jémonie solennelle qu'il dit :
u L'empereur Alexandre et moi
»fwus nous sommes vus ùErfurt :
» nous sommes d'accord, et inva-
n riablement amis pour la paix com-
«me pour la guerre... Bientôt mes
» aigles planeront sur les tours de
1. Lisbonne.» Finit jours après Na-
poléon est en Espagne, Lu politi-
que consoirimé, il a voulu aupara-
vant, par une habile concession
faite à la Prusse, par la remise de
'io millions sur sa dette de guerre,
et par l'évacuation de la plus gran-
de partie du territoire prussien,
pouvoir disposer de !>o,ooo vieux
soldats, avec lesquels il veut déci-
d(;r du sort de l'Espagne. Cette
NAP
formidable armée est en marche,
La prise de Burgos par le aiaré-
chal Soult, la victoire d'Espinosa,
due .iu maréchal Victor, celle de
ïudela, due au maréchal Lannes,
ces grands succès qui coûtent à
l'ennemi pièsdc 4o,noo hommes
et i5o pièces de canon, ouvrent à
Na-,oléon la route de Madrid, et
la veille du jour où les Français
ont Consenti à évacuer Berlin, le
4 décembre, au moment d'un as-
saut général , Madrid se rend à
Napoléon. Les grands faits d'ar-
mes <lu général Gouviwn-Saint-
Cyr terminent brillamment, par
la prise de Roses, et par deux
beaux combats, non loin de Bar-
celonne, les opérations militaires
de l'armée d'Espagne en 1809 ; et
la campagne de Catalogne prend
place parmi les plus mémorables
de la gloire française.
La présence de Napoléon sur le
sol ennemi établit l'empire de la
conquête, et y jette aussi les fon-
dations d'un nouvel ordre politi-
que, qui honore le grand peuple
qu'il peut vaincre, et qu'il ne peut
pas soumettre. Cependant si c'est
conmie vainqueur qu'il est reçu à
Madrid , il y entre aussi connne
législateur : il appoite aux vaincus
tous les élémens d'une indépen-
dance future, et toutes les garan-
ties d'une liberté légale. Il détruit
l'aristocratie du conseil de Castil-
le,il abolit l'exécrable inquisition,
il prononce la réduction des cou-
vens, l'anéantissement de la féo-
dalité des moines et des nobles.
Ces beaux souvenirs delà rôvolu-r
tion française sont devenus les
principes conservateurs et organi-
ques des monarchies, et n'ont
d'auf|Sis ennemis en Europe que
quelques individus à préjugé*. 11 est
iiiléreisanî d'observer que le des-
pote conquérant ne reconnaît pas
d'armes plus puissantes contre une
nation qui le repousse, que celles
qui ont fait tomber en France le
despotisme, et qui ont triomphé
des coalitions. Ainsi, il disait aux
Espagnols, dans sa proclamation
du j décembre : « Tout ce qui s'op-
» posait à votre prospérité et à vo-
»tre grandeur, je l'ai détruit : les
• entraves qui pesaient sur le peu-
'1 pie, je les ai brisées; une consti-
» tution libérale vous donne, au lieu
«d'une monarchie absolue, une
» monarchie lempàrèe et constitu-
» tionnelle. » Sa réponse à la dépu-
lation de Madrid, le i5 décembre,
renfermait ces passages remar-
quables... « Du surplus des biens
•)des couvens, j'ai pourvu aux be-
» soins des curés, de cette classe la
«plus intéressante et la plus utile
«dans le clergé. J'ai aboli ce tri-
nbunal contre lequel le siècle et
«l'Europe réclamaient. Les piè-
0 très doivent guider les conscien-
»ces, mais ne doivent exercer au-
• cune juridiction extérieure ni
• temporelle sur les citoyens. J'ai
«satisfait à ce que je devais à moi
» et à la nation. La part de la ven-
«geance est faite : elle est tombée
«sur dix des principaux coupables,
»Ie pardon est entier et absolu
»pour tous les autres. J'ai suppri-
«mé des droits usurpés parles sei-
"gneurs, dans le temps des guer-
»res civiles, où lesroisontétê trop
«souvent obligés d'abandonner
sieurs droits pour acheter leur
■) tranquillité, et le repos des pen-
«ples. J'ai supprimé les droits féo-
»daux,etc... Comme il n'y a qu'un
• Dieu, il ne doit y avoic dans un
» état qu'une justice; toutes les jus-
atices particulières avaient été
«usurpées, et étaient contraires
naux droits de la nation ; je les ai
i> àé\Tm\.e9i. . .La génération présente
» pourra varier dans ses opinions :
0 trop de passions ont été mises en
«jeu; mais vos neveux me béai-
)>ront comme votre régénérateur;
"ils placeront au nombre des jours
«mémorables ceux où j'ai paru
«parmi vous, et de ces jours da-
» tera la prospérité de l'Espagne. •
Par un contraste bien singulier, le
lendemain du jour où Napoléon
parlait ainsi à la députation de
Madrid, le A/o«//«ur publiait à Pa-
ri:» l'article suivant, expédié de
Madrid, écrit, disait-on, de la pro-
pre main de l'empereur : « Plu-
» sieurs de nos journaux ont im-
«primé que S. M. l'impératrice,
«dans sa réponse à la députation
»ducorps-législatif,avait ditqn'e/-
» te était bien aise de voir que le pre-
• m ier sentiment de l'empereur avait
oété pour te corps-législatif repré^
• sentant la nation. S. M. l'impéra-
«trice n'a pas dit cela : elle con-
«naît trop bien nos constitutions;
• elle sait trop bien que le premier
^1 re présentant de la nation c'est
nCempereur ; car tout pouvoir
«vient de Dieu et de la nation.
« Dans l'ordre de nos constitutions ,
«après l'empereur est le .sénat, a-
»près le sénat est le conseil-d'étaf,
». après le conseil-d'état est le corps-
» législatif; après le corps-législa-
» tir viennent chaque tribunal rt
«fonctionnaire public dans l'ordre
ode ses attributions. Car s'il y a-
• vait dans nos constitutions un
«corps représentant la nation, ce
»« corps serait souverain : les autres
• corps ne seraient rien, et ses va-
3^4 NAP
»Iontés seraient tout. La conv'en-
') tion , iTiêine le corps -législatif,
«ont été représentans. Telles é-
))taient nos constitutions alors;
» aussi le président disputa- 1- il le
>' fauteuil au roi, se fondant sur ce
«principe, que le président de l'as-
«semblée de la nation était avant
«les autorités de la nation. Nos
» malheurs sont venus en partie de
«cette exagération d'idées. Ce se-
nralt une prétention chimérique et
a même criminelle que de vouloir re-
y> présenter la nation avant l'empe-
nreur. Le corps-législatif, impro-
«prement appelé de ce nom, de-
»vrait être nommé conseil-législa-
«tif, parce qu'il n'a pas la faculté
»de faire les lois, n'en ayant pas
«la proposition. Le conseil-Iégis-
«latif est donc la réunion des man-
•) dataires des collèges électoraux.
»0n les appelle députés des dé-
xpartemens, parce qu'ils sont
«nommés par les départemens ,
«dans l'ordre de notre hiérarchie
» constitutionnelle ; le premier re-
» présentant de la nation est l'em-
« pereur et ses ministres, organes de
lises décisions; la seconde autorilé
» représentante est le sénat , la
«troisième, le conseil-d'état, qui a
y) de véritables attributions législa-
» tives; le conseil-législatif a lequa-
«trième rang. Tout rentrerait dans
»le désordre si d'autres idées cons-
ntitutionnelles venaient pervertir
» les têtes de nos constitutions mo-
» narchiques.» La sévérité de la ré-
primande , et la singularité de la
doctrine, furent également remar-
quées et désapprouvées, et durent
jeter un doute peu favorable sur
l'esprit constitutionnel qui sem-
blait inspirer alors Napoléon pour
la régénération espagnole.
NAP
1809.
Pendant le séjour de Napoléon
en Espagne, la victoire ne quitte
point ses drapeaux; mais après lui,
la guerre reste plus iiyplacable
que jamais. Une armée anglaise
est entrée en Espagne le 29 octo-
bre 1808. Le 14 janvier 1809,
J'alliance entre l'Angleterre et les
peuples qu'on appelle les insurgés
4'Espagne, est notifiée à l'Europe
par un traité. Les Amériques por-
tugaise et espagnole répondent
au cri de guerre de leurs métro-
poles, et comme elles, e-lless'tmis-
sent contre l'ennemi commun. Les
déserts de la Guyane française sont
envahis, et l'importante colonicde
Cayenne tombeau pouvoirdes hé-
ritiers de Cortès et de Pizare. Ce-
pendant le maréchal Soult pour-
suit doublement ses succès, et
c'est à Prieros (\m'\\ atteint et qu'il
bat pour la première fois les An-
glais réunis aux Espagnols. A la
Corogne, du 16 au 19 janvier, ses
opérations ont un grand résultat :
le général en chei, M oore, al tué ;
Baird, général ensecon<l, estbles-
sé dangereusement : tout ce qui
n'est pas détruit du corps anglais
doit se rembarquer précipitam-
ment. Gironne capitule, et quel-
ques jours après le Ferrai. De vé-
ritables conquêtes caractérisent
cette campagne d u maréchal Soult,
qui enlève aux ennemis de Napo-
léon leurs places et leurs ports les
plus importans. Il marche en Por-
tugal ; et après la prise de Chavas,
il livre une grande bataille sous
les muvsd'O porto, détruit l'armée
portugaise, et s'empare de la place
la plus riche et la plus anglaise de
ce royaume après Lisbonne. Les
NAP
perles que les Espagnols et les
Portugais ont éprouvées par les
armes du maréchal Soult, dans les
mois de janvier et de mars, en
munitions et en matériel de tout
genre, sont incalculables. Depuis
le coïnbal deTarracone, le lô jan-
vier, les succès du maréchal Vic-
tor avaient eu aussi une marche
progressive. Le 28 mars, il avait
battu complètement les Espagnols
à Medelen^ et il menaçait Badajoz;
le 21 février, la prise de la grande
et forte ville de Sarragosse. où fut
déployé, du côté des assiégés, tout
ce que le fanatisme^de l'indépen-
dance peut produire de plus éner-
gique et de plus barbare, étonne
au même degré les vainqueurs et
les vaincus. Attaquée par la bra-
voure, défendue par le désespoir,
cette cité supporte 28 jours de
tranchée ouverte, après huit mois
d'attaque, et elle se défend encore
pendant 20 jours de rue en rue,
de maison en maison; chaque ha-
bitation, chaque monastère, cha-
que église, est une citadelle sacrée,
qu'aucune capitulation ne peut li-
vrer. Tous les habitans, hommes,
femmes, enfans, prêtre>, moines,
tout combat, tout périt, et les
vainqueurs prennent possession en
pleurant de cette vaste enceinte de
ruines fumantes et ensanglantées,
où fut Sarragosse. Cette florissan-
te et antique cité n'est plus que la
ville des morts. Plus de 40,000
habitans de tout sexe, detoutâge,
tués pour la défendre, remplissent
ses places, ses avenues; ceux qui
survivent appartiennent à l'huma-
nité du vainqueur. Le plus brave
de tous les Français, le maréchal
Lannes, se charge d'acquitter cet-
te grande dette de la victoire. Ceux
NAP
5-5
qui restent de Sarragosse ne l'ou-
blieront jamais, et s'ils ne furent
pas soumis, ils furent reconnais.-
sans. Lue vertu antique et inexo-
rable se retrempa encore sur les
débris de Sarragosse.
Lne révolution qui eût fait la
fortune d'un des siècles de l'his -
toire moderne, sans le despotis-
me de la révolution française sur
tous les événemens contempo-
rains, vint tout-à-coup apprendre
à l'Europe l'abdication du roi de
Suède. C'était peu de chose sans
doute, après celle de Charles IV,
mais cette abdication eut un autre
caractère : elle fut nationale. Ce
jeune roi, si imprudemment voué
aux Anglais, auxquels il ne cessa
de sacrifier la modeste fortune de
sa couronne, se rend odieux le
i5 mars, par un acte de violence,
qui lui fait tourner son épée con-
tre des conseillers courageux, pa-
triotes et fidèles. On le désarme,
et on lui dit : « Votre épée vous
»a été donnée pour la patrie, et
» non contre elle. oLe duc de Su-
dermanie, oncle du roi, prend les
rênes du gouvernement, et le
31) mars, l'abdication de Gustave
Adolphe IV, est publiée à Stock-
holm. Cet événement n'est grand,
que pour la Suède; la guerre d'Es-
pagne, et la â°" coalition conti-
nentale, entre lesquelles s'est pas-
sée la révolution de Suède, com-
me une simple affaire domestique,
remuent et absorbent au premier
degré tous les intérêts et toutes les
hautes passions de l'Europe. Na-
poléon est épris de tous ces dan-
gers, qui le corrompent, comme
s'ils étaient des faveurs de la for-
tune.
Profondément blessée du droi-
St^ nap
nouveau que Napoléon s'était ar-
rogé sur i'Alleniajine, depiiis la
paix de Tilsilt et rétablissement
de la conrédération du llhin; ul-
cérée également de n'avoir pas
été appelée, et de n'avoir pas mê-
me été représentée aux conféren-
ces d'Erfurt; environnée de tous
les dangers que multipliaient au-
tour d'elle, soit les alliances ar-
mées, soit les occupations prolon-
gées, soit les incorporations ré-
centes do la France, la maison
d'Autriche se préparait silencieu-
senient à une rupture, depuis la
fin de l'année 1808. L'abdication
forcée de Bayonne, Tusurpation
de la couronne d'Espagne par
la famille Bonaparte, usurpation
d'autant plus sensible peut-être à
la maison d'Autriche, que le vœu
de plusieurs juntes avait offert cette
couronne à l'archiduc (Iharles, les
intelligences actives pratiquées a-
vec le cabinet de Londres, h s
subsides qui en étaient le résiil-
tat, la supériorité nuuiérique des
armées autrichiennes, et enfin la
nécessité pour Napoléon de laisser
en Espagne une grande parlie de
ses forces, ces causes matérielles
elles précédentes, décidèrent l'Au-
triche à reprendre les armes cou-
de la France, dans les premiers
jours d'avril. Cette puissance s'y
préparait silencieusement , de-
puis le mois de juillet de l'an-
née 1808. L'empereur François
fit une proclamalion à son ])eu-
ple , et l'archiduc Charles , géné-
ivdissime, en fit une à son armée;
elle était de 55o,ooo hommes, y
compris la landAveiu-. Napoléon
n'a pas 200,000 combaUans à leur
opposer, soit en Allemagne, soit
en Italie, mais ce sont les l'rançais
NAP
d'Ausferlitz, d'Iéna et de Fried-
land. Sous les ordres de l'archi-
d(jc Charles, sont les archiducs
Louis, Jean, Ferdinand, Joseph,
les généraux Rienmayer, Hiller,
Jean de Lichtenslein, lladdig. Le
9 avril rinn est passée, et IS Ba-
vière est envahie pour la seconde
fois, sans déclaration de guerre,
par les troupes autrichiennes.
Rappelé d'Espagne à Paris, le 4 fé-
vrier, par les préparatifs de l'Au-
triche, Napoléon avait demandé
raison à cette puissance, qin' lui
avait fièrement répondu. Pour la
première fois elle était prèle avant
lui , et elle l'était sur tous les
points. Napoléon part de Paris le
1 5 avril, traverse Strasbourg le i5,
est le ) 7 à Donawerlh , et le an,
son armée manœuvrait selon l'an-
(•icnne tactique d'Italie , pour
couper la ligne d'opérations autri-
chiennes; elle y réussit le 19, prt>
mier jour des hostilités, a Taunn,
à 4 lieues de IValisbonne. C'est le
maréchal Davoust qui est le hé-
ros de l'ouverture de celte mémo-
rable campagne, où les troupes de
la confédération se mesurent pour
la première fois avec les troupes
Je leur ancien empereur. Les suc-
cès brillans des Bavarois et des
Wmten'ibergeois, prouvent à la
maison d'Autriche, que son joug
est brisé, et donnent une grande
faveur morale à celui sous lequel
ils sont victorieux; le succès de
Davoust prépare à Napoléon, la
victoire d'Abensberg, qui a lieu le
lendemain. Le jour suivant, 21,
le coudrai de Landshut continue
la fortune française, qui le 22 ga-
gne la bataille d'Eckmuhl , dont
le nom doit illustrer Davoust. Le
25, Napoléon se confiant à la loyau-
NAP
té et à la bravoure des confédérés
de la Bavière et de \NiirtfciTiberg:,
est venu à la tête d'une faible es-
corte des dragons de sa garde, li-
vrer à l'archiduc Charles la gran-
de bataille qui Hii ouvre les portes
de Ratisbonne, et la route de Vien-
ne. Cette glorieuse journée, dont
tout l'honneur appartient à la
valeur des alliés, et au caractère
de Napoléon, rend la Bavière à son
prince, et répand uue juste popu-
larité dans toutes les troupes de
la confédération, sur le domina-
teur qui a vaincu par leurs armes
l'ancien chef de l'empire germa-
nique. Le 25, l'armée française a
passé rinn, et trois jours après,
par le passage de la Saltza à Burg-
îiausen, elle s'est emparée de la
rive droite du Danube, en rejetant
l'ennemi dans les défilés de la Bo-
hème. Le 4 mai, le sanglant com-
bat d'Ebersberg, où l'intrépidité
française rappela ces combats de
géans de la république, enlève aux
Autrichiens une forte position, et
le 10 mai, jour de l'évacuation du
Portugal par le maréchal Soult,
Kapoléon est aiix portes de Vien-
ne. Un bombardement de trente-
six heure?, lui donne celte capi-
tale, où son armée entre le i5.
L'armée d'Italie rivalisait de gloire
et de succès avec l'armée d'Alle-
magne. Le prince Eugène qui la
commande, avait battu l'archiduc
.leau, le 29 avril, au combat de
Caldiero, et le S mai, il avait pas-
sé la Piave, après avoir défait en-
tièrement le corps d'armée de ce
prince. Dans toute cette campa-
gne, un seul a vant.ige. devenu bien-
tôt inutile par la déclaration de
guerre de la Russie à la cour de
Vienne, le 3 uiai, et par Tinvasion
NAP 5:7
de la Gallicie, avait honoré le dr; -
peau autrichien : c'était la capi-
tulation de Warsovie. L'armée po-
lonaise avait dû se retirer au-d«là
de la Vistule; mais la politique a-
vait servi Napoléon aussi bien que
ses armes. Le duc de Vicence était
parvenu à décider la Russie à dé-
clarer la guerre à l'Autriche, et
même à la faire combattre pour
délivrer la capitale de la Pologne.
ArVarsovie, où les Autrichiens é-
taient entrés le 21 avril. On vit,
chose inouïe que l'époque seule
peut expliquer, 40,000 Russes sous
le prince Gallitzin, agir de con-
cert avec une armée polonaise,
poui' conquérir la Gallicie! Alors
Napoléon par un art magique avait
changé toutes les volontés et mé-
tamorphosé tous les intérêts.
Le séjour de Napoléon à Vien-
ne est marqué le ij mai, par un
grand acte de suprématie euro-
péenne que lui permet l'abaisse-,
ment de la maison d'Asitriche.
C'est de celte capitale, qui vit par-
tir en pénitent l'empereur Henri,
pour aller baiser les pieds du pon-
tife de Rome, qu'est daté le dé-
cret qui réunit à l'empire i'rançais
les Étals Romains. Cet événement
si extraordinaire ne fait pas plus
d'effet en Europe, que le détrône-
ment de Gustave IV et de sa pos-
térité par les états de Suède, le
10 mai, tant les temps sont chan-
gés! Il en est de même de l'excom-
munication jadis si redoutable,
que le pape Pie VII lança contre
Napoléon, sous l'anneau du pé-
cheur, trois semaines après. Ro-
me elle-même y est indiff'érente,
parce qu'elle ne voit dans cette ful-
mination, que la représaille d'une
vengeance temporelle.
ZrS
>?AV
Le 22 mai, le village d'Esling
donne son nom au maréchal Mas-
séna, et à une bataille sanglante
qui tait chanter le Te Deum aux
deux armées. Legénéral Bertrand
avait fait des miracles de concep-
tion et d'atidace en élevant trois
ponts sur le Danube ; mais ils tu-
rent subitement détruits par une
crue exlraordinfiire du fleuve. Cet
événement, qui fait dire à Napo-
léon, que le général Danube est le
meilleur officier de l' Autriche, en-
leva tout-a-coup aux Français, la
communication des deux rives et
les résultats de la journée. Cette
terrible affaire, illustrée par Mas-
séna, duc de Rivoli, est tristement
célèbre pour Napoléon et pour
l'armée, par la perte du maréchal
Lannes, duc de iMontebello, le
plus courageux ami de la gloire
de Napoléon et de celle de la
France. Ses adieux à l'empereur
furent aussi ceux d'un grand ci-
toyen. Dans cette journée. Napo-
léon s'exposa avec la témérité d'un
soldat, et au fort de l'action le gé-
néral W'alther, commandant les
grenadiers à cheval de la garde,
lui cria : « Retirez-vous, sire, ou je
S) vous fais enlever par mes grena-
» diers. >•>
Cependant, Trieste, Inspruck,
Laybach. Leoben, sont au pouvoir
des armées françaises, qui occu-
pent le pays de ^altzbourg, le Vo-
ralberg, le ïyrol , la Carinlhie,
la Carniole, le Frioul et l'Istrie :
l'armée de Dalmatie sous les or-
dres du maréchal Marmont, est
arrivée à Fiume: et le 26 mai, les
armées françaises, d'Allemagne et
d'Italie, opèrent leur jonction à
Bruch en Styrie, à trente lieues
de Vienne. Le 1*' juin, l'archiduc
NAP
Ferdinand évacue Warsovie; le i4«
la bataille de Raab en Hongrie,
gagnée par le prince Eugène, re-
jette l'archiduc .Jean de l'autre
côté du Danube, etassureles com-
munications de l'armé^ d'Italie
avec la grande-armée; le 22, la
place de llaab capitule; le 5 juil-
let, la bataille d'Enzersdorf met
fin à l'observation dans laquelle
sont restées les deux armées, sé-
parées par le Danube depuis la
journée d'Esling. Les Français é-
tablis dans l'île de Inder-Lobau,
passent le bras septentrional du
fleuve et préludent par cette ba-
taille à la bataille décisive de Wa-
gram. quia lieu le lendemain.
Napoléon la gagne complette-
ment par l'audace et l'habileté de
ses manœuvres, de ces mêmes
manoeuvres avec lesquelles le con-
quérant de l'Italie avait quinze ans
auparavant détruit cinq armées
autrichiennes : c'est encore l'ar-
chiduc Charles qui fuit diîvant le
général Bonaparte. Les Français
et les Autrichiens semble tJt dans
toutes les guerres de notre épo-
que, avoir contracté des habitudes
de bataille, ceux-ci par des atta-
ques de flanc, ceux-là par des at-
taques sur le centre. Cette tradi-
tion f\it encore mortelle à \Va-
gram pour la maison d'Autriche,
qui pour la 3'"'' fois demanda la
paix au vaitjqueur d'Arcole, quoi-
qu'elle eût encore une armée, et ce
fut l'existence de cette armée ain-
si que la menace des expéditions
anglaises qui décida Napoléon à
faire la paix. La journée de Wa-
gram fut illustre pour les généraux
Oudinot, Marmont et IMacdonald;
ils y reçurent le bâton de maré-
chal. François II va invoquer
NAP
encore la générosité du triom-
phateur de Wagram. Sa deman-
de sera accueillie comme après
Austerlitz , comme à Leobcn.
La fierté de la cour de Vienne,
forcée le la juillet à l'armistice
de Znaïm, devra marchander son
existence, et elle l'obtiendra par la
paix du 4 octobre, au prix de sa
rupture totale avec l'Angleterre,
de la perte, au profit de la France,
de tous les pays situés à la droite
de la Save, des villes de Gorilz,
Montefalcone, Trieste, W'illach,
et de la réunion proclamée le mê-
me jour par le décret de Schœn-
brunn de tous les pays cédés
ainsi que de la Dalmatie. sous la
dénomination de provinces Illy-
riennes. Enfin cette paix honteuse
sera achetée aussi par la reconnais-
sance de tous les changemens que
la volonté de Napoléon a opérés
ou se réserve d'opérer à l'avenir,
dans les gouvernemens des deux
péninsules espagnole et italienne.
La cour de Vienne passe facile-
ment de l'état de l'itggression à
celui de la défaite, et doit encore
appeler un bienfait l'excès de son
humiliation. Llle souscrit avec
joie au traité qui la rend la feuda-
taire de la politique anti-britanni-
que et autocrate de Napoléon.
Plus tard elle va aller au-devant
d'un autre contrat, qui semblera
être un des articles secrets du trai-
té de Wagrara, et qui sera loin
d'être un jour une garantie pour
Napoléon contre le traité de Fon-
tainebleau. Cependant au palais
impérial de Schœnbrunn, quartier-
général de Napoléon, le i5 août,
jour de sa fête, il institue pour les
mutilés des champs de bataille,
l'ordre des trois-toisons que l'on
NAP 5;9
nomme plaisamment l'ordre du
sépulcre, en raison des conditions
exigées pour en faire partie, soit
par le nombre des batailles, soit
par celui des blessures. La créa-
tion de cette nouvelle noblesse de
la mort, semble appartenir à l'hé-
roïsme barbare des rois Scandi-
naves. Aussi disparut -elle comme
étrangère au siècle, ainsi que h*
décrets qui déclaraient que la mai-
son de Habsbourg, que celle de
Prusse, que celle de Bourbon a-
vaient cessé de régner, ainsi que
les anathêmes mortels lancés con-
tre l'Angleterre, la Russie, le
Portugal et l'indépendance espa-
gnole. Le but véritable de l'institu-
tion de l'ordre des Irois-toisons,
était la destruction de celui de la
toison-d'or, dont une partie était
à la couronne d'Espagne, une au-
tre à celle des Pays-Bas, et la troi-
sième à celle d'Autriche; Napo-
léon, qui avait les Pays-Bas, et qui •
tenait l'Espagne, voulait humilier
l'Autriche vaincue, en créant l'or-
dre des trois-toisons, la France,
l'Espagne et les Pays-Bas autri-
chiens. A chaque p.is oti retrouve
dans cette période la pensée gi-
gantesque de la souveraineté eu-
ropéenne.
Le soir de l'armistice de Znaïm,
une contribution d'environ 200
millions de France, est frappée
par le vain<fuem' sur les états con-
quis. Le i4 juillet, par les mou-
Tcmens de l'armée russe, qui est
entrée en Gallicie le 5 mai, les
Autrichiens rendent Cracovie aux
troupes polonaises. Le même jour
les Anglais, à qui s'est rendue In
ville de Santo- Domingo, s'empa-
rent de tous les établissemens
français au Sénégal. Le mois de
38o
NAP
iiiillet, qui voit capitulerl'alliéttde
la Grande-Bretagne sur les bords
du Danube, est partout favorable
à ses armes. Le -28, le roi Joseph
perd contre Wellington, la bataille
de Talaveyra. Le lendemain l'Es-
caut est forcé par une armée an-
^daise, qui s'empare de Middel-
hourg, de Tervi^r, du fort de Batz,
et marche sur Flessingue. Quinze
jours après celte place forte et im-
portante, mal défendue, ouvre ses
portes aux Anglais : Anvers est
menacée.
Ici trouve sa place, l'anecdote si
connue, qui exila le maréchal Ber-
nadette du champ de bataille de
Wagram. Bernadotte avait publie
un ordre du jour,dans lequel il van-
tait les Saxons qui servaient sous
ses ordres; cependant les Saxons
s'étaient si mal conduits la veille,
qu'il avait cru devoir écrire lui-
même i l'empereur, et aussi lui
faire dire pendant l'action, qu'il
ne pouvait rien faire avec les
Saxons, et que S. M. ne devait
pas compter sur lui. Son ordre du
jour, où il tranchait étrangement
du maître, piqua l'empereur jus-
qu'au vif, et amena une explica-
tion, où Bernadotte osa lui dire,
que l'armée française n'était plus
celle de 1795. « Mon armée, lui
» répondit ÎSapoléon, est toujours
nia même, il n'y a de changé que
•^ quelques hommes que je ne recon-
nnais plus; »el Bernadotte partit
pour Paris. Mais l'invasion de
l'armée anglaise, qui menaça tout-
à-coup la Hollande et la Belgi-
que, fixa à Paris toute l'attention
du conseil des minisires. Fouché
y réunissait deux portefeuilles, ce-
lui de l'intérieur et celui de la po-
NAP
lice. Anciennement lié avec Ber-
nadotte, et peut-être dans le désir
de le venger de la sévérité de Na-
poléon, ce ministre le proposa au
conseil pour aller défendre An-
vers, et sou choix fut approuvé
avec d'autant plus de raison, que
toutes les grandes notabilités mi-
litaires étaient aux armées d'Alle-
magne et d'Espagne, et que ce
commandement supérieur dans
d'aussi graves circonstances, ne
poljvait être confié qu'à un des
premiers généraux de l'empire. Il
ne retira aucune gloire de celte
mission, malgré le succès éclatant
qu'elle parut avoir : ce furent la
lenteur des Anglais, la rapidité
des secours envoyés de France,
l'activité du ministère, et la fiè-
vre, qui en uiéritent tout l'hon-
neur. En moins de soixante jours,
lord Chatam et son armée avaient
évacué le pays, ej: la flotte anglai-
se ayant abandonné aussi ses sta-
tions, était de retour en Angle-
terre. Ce grand échec qu'éprou-
vent l'orgueil et la puissance de
l'Angleterre, ajoute à la fortune
de Napoléon un éclat européen ;
car cette puiss ince a armé 700
voiles dont 100 vaisseaux de guer-
re, sa flotte portait 80,000 hom-
mes pour combattre sur terre et
sur mer, et elle ne retira de celle
ruineuse et formidable expédi-
tion que la honte d'avoir démoli
les arsenaux et les chantiers de
Flessingue qu'elle a dû évacuer,
et celle de n'avoir produit aucune
diversion, ni en faveur de l'Autri-
che, ni en faveur de l'Espagne.
Mécontent du choix du maréchal
Bernadotte, l'empereur envoya le
maréchal Bessières pour le rem-
NAP
placer, et retira à Fouché le mi-
nistère de l'intérieur. On voulut
attribuer dans le temps celte con-
liuite de Napoléon, à Tinquiétude
({uc pourraient lui faire concevoir,
soit rintelligeuce qui unissait le
prince de Ponte -Corvo avec le
duc d'Otranlc, soit l'emploi que
ce ministre avait pu faire de ses
deux ministères pour faire subi-
tement lever, organiser, armer et
marcher les gardes nationales de
la Flandre, de la Hollande et de
la Belgique. Ce pouvoir d'impro-
viser une armée nationale sous
les ordres d'un rival ancien et
ïiiéconlent, devait naturellement
porter ombrage au chef de l'état;
d'ailleurs l'avenir ne le justiliera
que trop en i8i4<it en i8i5, de
cette sévérité envers celui qui sera
prince royal de Suède, envers le
généralissime de larmée du nord
rontre la France, envers le séna-
teur chargé de lu mission de Na-
ples, et surtout envers le ministre
des cent jours.
Pendant que les prodiges de l'art
militaire s'opèrent en Autriche,
lUie scène singulière occupe l'Ita-
lie. Le décret de Vienne, du 17
mai, a réuni les états romains à
l'empire français , et assigné au
pape deux millions de revenu, avec
la faculté de continuer de résider
à Piome. Le jo juin, ce décret a
été promulgué dans la capitale du
mfmde chrétien ; le lendemain ,
le pape a répondu à ce décret
temporel par une bulle d'excom-
munication contre Napoléon et
les coopérateurs de la spoliation
du saint-siége. Le 6 juillet, le roi
de Naples prend sur lui de termi-
ner cette guerre des deux pouvoirs
^AP
58i
par l'enlèvement du souverain-
pontife , qui gagne à celte impo-
litique et odieuse violation L« cou-
ronne du martyre. La tiare pri-
sonnière n'en est que plus sacrée :
persécutée, elle devient menaçan-
te. Le bruit de la gloire et de lu
puissance de Napoléon étouffe la
plainte du captif de Savone ; mais
le veillard qui refuse constamment
dans cette ville les honneurs, le
faste et la table du palais impé-
rial, attire les regards par sa rési-
gnation courageuse et sa vie mo-
nacale. Une autre particularité
caractérise cette époque. Au mi-
lieu des plus brillans triomphes de
tous les arts de la civilisation et de
l'ascendant irrésistible qu'exercent
sur les esprits l'empire de la for-
tune et celui du génie d'un grand
homme, la foi est rendue aux mi-
racles et l'oratoire de Savone à sa
puissance. Une propagande secrè-
te et active a filtré au travers des
pompes et des trophées du grand
empire; elle trouve asile dans un&
de ses métropoles ;\ Lyon , où la
trahison introduit la vengeance du
sainl-siége. La scène du moyen âge
est complète : il y a violence, ex-
conimunication, captivité, mira-
cles, trahison. Le jour même où le
pape était enlevé du palais Quiri-
nal. Napoléon tenait le foudre de
Wagram, et il n'apprit que quel-
ques jotu's après cet exploit obscur
de son beau-frère, que sa politique
ne lui permit pas de désavouer pu-
bliquement.
Cependant l'année française
poursuit ses succès en Espagne.
Le 8 août , trois armées sous le»
maréchaux duc de Dalmalie, de
Trévise. et d'Elchingen, »e rû,u-
oS-i
NAP
uirent pour passer le Tage, au
coup de la diane de midi, au-des-
sus du ponl de l'Arzobisbo. La
manœuvre la plus audacieuse exé-
cutée avec une heureuse valeur
2)ar le général de cavalerie Cau-
laincourt, à la tête de deux régi-
niens de dragons, avec lesquels
il passe le Tage à la nage sous la
ïijitraille et les boulets de l'enne-
mi, livre aux Français le pont de
l'Arzobisbo, défendu par 20,000
Espagnols. Le choc avait été lerri-
ble. Les carabiniers et la cavalerie
espagnole sous les ordres du duc
d'Albuquerque ac( oururent vaine-
ment au secours de son inlanlerie;
ils durent céder à l'habileté et au
bouillant courage du général Cau-
laincourt , qui, trfùs années plus
tard, devait trouver une mort glo-
rieuse dans une action aussi meur-
trière et non moins importante
pour les armes t'ranpaises. Le 19
novembre , le maréchal Mortier
détruit à Ocaria, près Aranjuez,
avec 25,000 Français, une armée
de 5o,ooo Espagnols. L'Andalou-
■sie est envahie par l'occupation
de la Sierra- Morena. Le 25, à
Alba de Tormes, le général Kel-
lermanu, à présent duc de Valmi,
remporte une victoire complète
sur un corps nombï'eux d'insur-
gés; le 10 décembre, après cinq
mois de siège, la forte place
de Gironne , où on trouve 200
pièces de canon, se rend au ma-
réchal Angereau.
Mil huit cent neuf est une
autre année de prodiges pour la
France et pour Napoléon; le 20
novembre, après trois ans d'ab-
sence, le roi de Prusse vient re-
prendre à Berlin ce faible trône
que le traité deTilsitt lui a laissé.
NAP
II rentre dans sa capitale comjne
un vassal ""amnistié. Vienne et
Berlin, encore frappées de stu-
j»eur, Londres humiliée, Paris dans
l'ivresse des fêles de la victoire
et de la paix, présentent un con-
traste que l'histoire s'empresse de
saisir, tant l'inconstance de la
f(n't«me lui est connue. Les rois
de l'Allemagne et de l'Italie, les
grands vassaux de Napoléon , «<:
sont rendus cjans la capitale. Les
souverains de la Saxe, de*la Ba-
vière, du Wurtemberg, de la West-
phalie, de la Hollande, de Naples,
y ont été appelés pour y paraître
comme les trophées de la paix,
qui vient de donner à Napoléon
la domination de l'Europe, depuis
les frontières de la Russie et de la
Turquie jusqu'à la Méditerranée.
Ces rois sont destinés aussi à être
les témoins d'un grand acte po-
litiqutf, que leur adulation ou leur
intérêt va sanctionner. Le sénat
vient de prononcer la dissolution
du mariage si heureux de Joséphi-
ne et de Bonaparte; mais Napoléon
veut un dis qu'il puisse élever à
conserver l'itumense héritage de
ses armes, et deux princesses im-
périales balaiicent son choix !
Ainsi le veut l'intérêt de sa dynas-
tie, création nouvelle, maistoule-
puissante, puisqu'elle réside en
lui seul. La France , qui aime
Joséphine, et pour qui Napoléon
n'a pas eu besoin d'aïeux, tout en
approuvant une union de laquel-
le vont dépendre la continuation
et la garantie de sa fortune, s'aflli-
ge un moment au bruit de cette
mésalliance, qui va briser son
lien de famille avec son héros et
son empereur.
NAP
1810.
NAP
383
Rome venait d'êlre le théâtre
«riinescènedu moyen âge, Paris est
celui d'une représentation de l'em-
pire romain. Parmi les courtisans
•le Napoléon , la capitale du grand
peuple compte six monarques es-
cortés des plus grands seigneurs
de leurs états. Elle distingue à
peine une troupe de petits souve-
rains d'Allemagne, qui, fiers de
faire partie de la confédération
rhénane, viennent attester le vas-
selage de l'orgueil germanique.
L'Europe tout entière est repré-
sentée parles plus brillantes am-
bassades, sauf l'Angleterre, dont
l'absence balaaice à elle seule tout
l'éclat qui environne le trôae im-
périal de France. Celte lacune
immense, qui laisse à découvert
une partie de sa puissance, n'é-
chappe point à Napoléon ; il ne
négligera aucun moyen de la rem-
plir par tout le poids de son sys-
tème continental.
Dans la foule des princes con-
voqués aux fêtes de la Paix, de la
Victoire et de l'Hymen, >e cache
le vainqueur de Kaab, le fils adop-
tif du maître du monde. Il cher-
che à se dérober aux grandeurs ,
aux hommages dont il est l'objet;
et, chnrgé d'une mission déchiran-
te pour son cœur, mais non pour
sa gloire, il est forcé d'êlre, après
Napoléon , le personnage sur le-
quel doivent s'attacher tous les
regards. Vice-roi de celte belle
Italie, que sa valeur vient d'arra-
cher à l'invasion autrichienne , et
dont la couronne lui esi assurée
si Napoléon meurt sans postérité;
fils de l'impératrice Joséphine ,
le- prince Eugène est chargé de lu
disposer à briser le nœud nuplial
auquel tant de gloire a été donnée,
et de contribuer à se dépouiller
lui-même du bel héritage que lui
assure la continuation du bonheur
de sa mère. Napoléon avait bien
choisi son inlerprèle : jamais l'hé-
roïsme de la reconnaissance ne fut
porté plus haut , ni contraint à
une plus filiale épreuve. Le dé-
vouement dut triompher de la na-
ture elle-même, et en perdant
deux couronnes, Joséphine et Eu-
gène donnèrent au monde l'exem-
ple du plus noble sacrifice. Cepen-
dant Joséphine avait paru crain-
dre cette révolution dans sa desti-
tinée , lorsqu'étant devenue impé-
ratrice, inquiète du simple contrat
civil qui l'avait unie au général
Bonaparte en mars «796, elle fit
consentir l'empereur à recevoir
secrètement, avec elle, la bénédic-
tion nuptiale de la main du cardi-
nal Ftsch.Ce fut aussi parce qu'elle
était constamment obsédée de la
crainte d'un divorce, qu'elle tra-
vailla et parvint enfin à obtenir de
Napoléon d'être couronnée au sa-
cre du pape : ce dont l'empereur
n'avait nulle envie. Il fallut donc
soumettre à l'officialité de Paris la
validité de ce mariage religieux,
pour en obtenir la rupture, Le i4
janvier 1810 il fut déclaré nul par
la disposition du concile de Trente:
« Que tout mariage est nul, du
moment quil n'est point fait en
présence du curé de l' une des deux
parties contractantes , ou de son
vicaire , assisté de deux témoins. »
Et remperenr fut condamné, par
l'olficialité, à une amende de 6
francs envers les pauvres. Il en
fut si irrité, que l'oflicialité mé-
tropolitaine le releva de la coji-
584
NAP
damnation. Les pauvres ri'y per-
dirent point ; l'église avait l'ait ou
avait cru faire son devoir en pro-
nonçant cette nullité, et Napoléon
se trouva canoriiquement libre de
contracter un nouveau mariage.
On parla, mais peu sérieuse-
ment d'abord, d'une princesse de
Saxe. La dignité d'empereur de-
mandait un lien plus élevé. Le
choix de Napoléon fut donc par-
tagé entre deux princesses impé-
riales , une graude-duchesse de
Russie et une archiduchesse d'Au-
triche. L'empereur se décide pour
la grande- duchesse ; l'ambassa-
deur fut chargé de la demander ,
et la demande fut accueillie. Mais
l'empereur Alexandre demandait
quelques mois de délai , à cause
de la grande jeunesse de la prin-
cesse, et aussi pour avoir le temps
de faire consentir à ce iriariage
l'impératrice-mère. La religion ,
au changement de laquelle on ne
consentait pas, étaitdéjà un grand
obstacle. Les choses en étaient là,
quand, inquiète et jalouse de ce
projet, qu'elle soupçonna, la mai-
son d'Autriche ofl'rit sa fdle., son
enfant chérie; telle fut l'expres-
sion. Les retards de la Russie , les
diflicullés pour la religion , que
TSapoléon aurait pu aplanir, en
admettant dans son intérieur la li-
berté des cultes, lui firent saisir
avec empressement l'offre de la
cour de Vienne. C'est un grand
tort dans les grandes affaires, de
ne pas admettre le temps dans ses
moyens. Napoléon fut toujours
pressé de vivre et pressé de jouir
de ce qu'il désirait. Dans la mê-
me journée, un conseil fut as-
semblé ; on y lut les dépêches
du duc de Vicence. Les avis furent
NAP
partagés ; mais Napoléon se décida
pour l'Autriche. Le soir même
l'arrangement fut conclu par le
prince Eugène avec le prince de
Schwarzenberg. Le fils adoptifde
Napoléon fut encore condamné à
signer l'acte politique qdi déshé-
rita sa mère; et le prince de Wa-
gram partit pour Vienne. Ainsi
Marie-Louise fut offerte par son
père , et acceptée par la Fran-
ce, et le prince de ÂN'agram, qui
devait ce titre à la dernière hu-
miliation de la cour de Vien-
ne , demanda la main de l'ar-
chiduchesse. Il l'épousa solen-
nellement au nom de l'empereur
Napoléon, à Vienne, le 1 1 mars. Le
i3 , la nouvelle impératrice partit
pour la France ; la cour se rendit le
'20 à Compiègne, où tout fut pré-
paré pour la réception de la prin-
cesse. Le 28 , jour de son arrivée.
Napoléon alla au-devant d'elle
dans la forêt, monta dans sa voi-
ture et revint au palais de Com-
piègne avec sa nouvelle épouse.
Le 3o , toute la cour fut réu-
nie à Saint-Cloud, où le maria-
ge civil fut contracté le 1" a-
vril. Le lendemain, l'empereur et
l'impératrice firent leur entrée
solennelle dans Paris. Ils reçu-
rent la bénédiction nuptiale du
grand -aumônier de France , le
cardinal Fesch , dans une salle
de la galerie du Louvre , qui
avait été disposée en chapelle ,
avec des tribunes pour les rois ,
les autres souverains et le corps
diplomatique. Les rois, reines et
princesses de la famille impériale
assistèrent l'empereur et l'impé-
ratrice à cette majestueuse et bril-
lante cérémonie, qui eut pour té-
moins les membres du sacré-col-
KAP
loge , excepté quelques cardinaux,
qui s'abstinrenl de paraître, et qui
furent éloignés; tous les corf^s de
l'état, toutes les dignités civiles
et militaires, et enCn tout ce que
la cour de France et les cours é-
trangèrcs pouvaient , indépen-
dainment de la capitale, offrir de
pins distingué. Jamais plus de luxe
ne fut déployé qu'à cette fêle, à la-
quelle il ne manqua que d'être na-
tionale. Le souvenir fatal des fêtes
du mariage de l'archiduchesse
Marie-Antoinette, le souvenir plus
fatal encore, de sa fin déplorable ,
étaient présens à tontes les généra-
tions. Le premier fut cruellement
renouvelé trois mois après, le i"
juillet, par l'incendie qui embra-
sa tout-à-coup la maison où le
prince de Schwarzenberg . am-
bassadeur d'Autriche, donnait un
bal à la fille de son souverain. Les
vieillards prédirent une issue fu-
neste à celte nouvelle alliance avec
la maison d'Autriche, et leur pro-
phétie s'est accomplie. Cette al-
liance fut contractée dans les renj-
parls de Vienne , détruits par Na-
poléon ; elle sera dissoute à ja-
mais, quatre ans plus tard, dans
les murs de • Paris , envahis par
François IL
Napoléon , épris de sa nouvelle
épouse, veut la montrer dans la
capitale des états conquis sur la
maison d'Autriche. Le 27 avril il
part avec elle pour Bruxelles, et
le 5o il arrive au château impé-
rial de Lacken. Quelques jours
sont donnés à ce voyage en Bel-
gique , dont les habitans saluent
avec ivresse la fille de leur ancien
souverain . et l'épouse de celui
qui les a élevés à toutes les pros-
pérités de la France. Après un sé-
NAP
58.Ï
jour à Bruxelles, le retour des
augustes voyageurs à Paris, a lieu
par Dunkerque, Lille, le Havre
et Rouen. Partout le cri de la paix
se mêle aux bénédictions des peu-
ples. Ce voeu de la patrie ne sera
pas entendu. L'Angleten-e man-
quait aux fêtes de la capitale :
Napoléon ne l'oublie pas, en par-
courant les côtes septentrionales
de son empire, et le sy-itéme con-
tinental va recevoir de sa politique
une nouvelle puissance. Dès le G
janvier, la Suéde avait du y accé-
der, et la restitution de la Poiué-
ranie l'avait réccmjiensée de sa
soumission. Désormais lés traités
n'auront plus d'autre base , le»
ruptures d'autres motifs , les al-
liances d'autre lien. L'année 1810
présente le système continental
comme une guerre à outrance
faite à la commerçante Angleterre ;
c'est aussi la seule que la France
puisse entreprendre contre les An-
glais avec ses infidèles alliés du
continent, pour lesquels son ami-
tié, sous ce rapport, doit être fine
tyrannie véritable, mais nécessai-
re. Celte terrible raison d'état plane
sur l'Europe entière, ;\ qui elle
est imposée comme une loi , et
aucune considération ne pourra y
soustraire ; celui qui l'impose,
seul pourra la violer, et le trafic
honteux des licences ne sera que
le monopole du dominateur. La
Hollande , terre commerciale, où
règne depuis quatre ans Louis
Bonaparte, attire les regards in-
quiets de Napoléon ; le 24 jan-
vier, ses ports sont déclarés sus-
pects, et le 16 mars, il se fait
céder, par son frère, le Brabant
hollandais , la Zélande , et une
partie delaGueIdre, qui prennent
35
S80
NAP
le; nom de dépaitemens des Bou-
ches-du-Rhin et des Boucbes-de-
l'Escaut. Cne armée de 18,000
Loinines, dont 12,000 mille Fran-
çais, doit soutenir en Hollande,
1,1 guérie du système contre l' An-
gleterre. A l'arrivée de ces for-
ces , le roi Louis, qui seul en
Kurope ne croit apparemment
pas qu'il n'est roi que par la
grâce de son frère, après avoir
opposé une résistance toute patrio-
tique à la violence faite au.coni-
inerce de ses états, abdique le 1"
juillet en faveur de son fils. Il ap-
prend alors quelle était la condi-
tion de sa couronne; son abdica-
tion elle-même est rejetée , et l'in-
corporation de son royaume à la
France est décrétée. La Hollande
a le sort de ses anciennes rivales ,
des republiques de Venise et de
Cènes, réduites comme elle à l'é-
tat de provinces.
INous avons dit , et avec raison,
que Napoléon ne pouvait faire
d'autre guerre que celle de son
svitème continental à cette An-
gleterre , qui envabissait toutes
ses colonies, qui devait, à la fin de
la même année, s'emparer de risle-
dc-France, et qui s'était si tyran-
niquement adjugé l'odieux droit
de visite sur tous les vaisseaux de
l'Europe. Dans cette position , où
tout était extrême entre les deux
colosses qui se partageaient le
monde , tout devenait légitime ,
même l'usurpation d'un état de
famille, dont les intérêts naturels
étaient ceux de l'ennemi mortel du
grand empire. Napoléon, pénétré
qu'il était de la puissaiîce de son
système continental, s'était trom-
pé en donnant la Hollande à son
frère, le 5 juiui8o6. Il eût mieux fait
NAP
d'agréger alors à son empire cette
ancienne succursale du commerce
anglais : il se fût épargné la créa-
tion d'un trône inutile, nuisible
peut-être, et la destruction de son
propre ouvrage. La première me-
sure eût été toute politique;, la
seconde fut odieuse, parce qu'elle
détruisit l'indépendance d'un peu-
ple. Tant que ce peuple ne fut que
conquis, sa réunion à la France
pouvait être un bienfait pour lui ,
parce qu'elle le faisait sortir de
l'état violent de l'occupation; mais
une fois rendu à lui-même , et re-
constitué en corps politique, l'in-
corporation du peuple batave au
peuple français , était un coup
d'état dans toute l'acception de ce
mot. Napoléon ne le jugea pas au-
trement; il voulut enlever à l'An-
gleterre un allié ancien et un ami
secret. Il commençait d'ailleurs a
se désintéresser des royautés de
ses fières , qui avaient eu une
place trop marquée dans le sys-
tème de sa grandeur personnelle,
mais qui n'en avaient conservé
aucune dans celui de sa politique.
La même nécessité éujanant du
même principe , se présenta à la
fin de cette année , où après avoir,
par décret du 17 août, ordonné
le brûlement de toutes les mar-
chandises anglaises en France, et
dans tous les états de la confédé-
ration, où, après avoir donné aux
douanes des cours prévotales,sans
recours en casî^ation , il réunit,
par le sénatus-consulle du i5 dé-
cembre , les villes aiiséatiqucs et
les rivages de la Baltique à l'em-
pire français. La France compta
alors 5o départemens maritimes ,
et l'Angleterre n'avait plus d'asile
en Europe que le Portugal, où se
NAP
battait contre elle uoe armée fran-
çaise. Tel fut le résultat du système
continental pendant l'année 1810.
Cet état était violent pour l'Euro-
pe, mais il était mortel pour l'An-
gleterre , et l'impossibilité de le
supporter plus long-temps, forma,
deux ans après , la ligue du Nord,
qui termina d'une manière si tra-
gique ce long duel entre Napoléon
et la Grande-Bretagne.
Pendant l'année j8io, la guerre
d'Espagne fut heureusq pour la
France , si une guerre pareille
pouvait l'être; le 2 lévrier la rési-
dence du gouvernement, que l'on
appelait alors insurrectionnel, delà
junte suprême , l'importante ville
du Séville. fut occupée par le ma-
réchal Soult. A celle époque des
victoires du maréchal Soult , il
n'y eut que les villes d'Alicante,
de Carthagéne et de Cadix , et la
fameuse île de Léon, où n'eussent
pas pénétré les armées françaises.
Le 25 avril, le général O'Donnel,
depuis comte de l'Abisbai, per-
dait, contre le maréchal Suchet,
la bataille de Lérida, qui est prise
après i5 joursde tranchéeouverte.
Le6 mai, le général Junot enlevait
d'assaut la ville d'Astorga; et le
2G du même mois , 600 Français,
presque tous officiers , prisonniers
de la honteuse capitulation de Bay-
len, sur les pontons pestiférés de
Cadix, par le coup le plus auda-
cieux, s'emparent d'un mauvais
navire sans agrès, traversent les
. escadres anglaises et espagnoles ,
sous le feu des chaloupes canf)n-
nières et des batteries , et abor-
dent le rivage où le maréchal Vic-
tor les reçoit dans ses rangs. Celte
guerre fut remarquable dans tou-
tes ses pbuses pur la foule d'ac-
NAP
587
lions héroïques, qui ne cessa d'il-
lustrer les deux armées. Cepen-
dant, tandis que le continent es-
pagnol de l'Europe se débattait
contre l'invasion tyrannique des
Français, le 19 avril , le con-
tinent espagnol de l'Amérique ,
déjà trop vieux pour n'êlre plus
que la province d'une métropol«
d'outre-mer, jetait les bases de
son indépendance future, en for-
mant le gouvernement fédéra-
tif de Venezuela. Exemple dont
la séduction puissante, inspirée
par la prospérité toujours crois-
sanle des États-Unis, doit gagner
insensiblement les royaume^ a-
méricains de l'Espagne et du Por-
tugal! Cette immense révolution,
qui donne une nouvelle face au
monde politique, est une des plus
grandes époques du régne de Na-
poléon ; elle aura tous les périls qui
font tri Miipher les nations éprises
de leur indépendance. La gloire des
armes sanctionnera, dansune guei'-
re opiniâtre de plusieurs années ,
le serment d'être libre, juré par le
peuple américain, contre ce mê-
me peuple espagnol, à qui il doit
le grand exemple de son courage et
de sa vertu. Les triomphes des
Français se succèdent dans la pé-
ninsule ; le 8 juin , la forte ville
de Méquinenza. au confluent de
l'Ebre et du bègre , se rend au
maréchal Suchet. Le 10 juillet,
après 25 jours de tranchée ou-
verte, le maréchal Ncy entre dans
Ciudad-Rodrigo. En Portugal, le
27 août, Alméida est prise par lo
maréchal Masséna , qui , le 27
septembre , après la bataille san-
glante de Busaco , force le géné-
ral Wellington à se retirer dans la
position de Torrés-Vedras : inaii
5S8
NAP
la fuite du général anglais devient
une campagne de défense. Tels
furent le» événeinens principaux
de la guerre d'Espagne et de Por-
tugal en 1810.
La révolution de Suède, prépa-
rée par lesévénemens du i3 mars,
du 10 mai et du 6 juin 1809, est
fixée, le 21 août i8io, par l'adop-
tion que le roi Charles XIII fait du
maréchal Bernadotle, prince, de
Ponte-Corvo, et par l'élection que
les états-généraux, assemblés en diè-
te extraoïdinaire, font de ce prince
pour être l'héritier de la couronne.
Napoléon n'a point contribué à l'é-
lévation de Bernadette, à qui il tût
préféré, pour occuper le trône de
Suède, son lils adoptif le ptince
Eugène; mais le vice-roi, à qui la
couronne d'Italie doit échapper
ijiar le second mariage de l'empe-
reur, refusa, dit-on, la puissante
intervention de ce prince auprès du
gouvernement suédois. Napoléon
ne s'est point opposé i\ l'élection
du prince de Ponle-Corvo, que la
Suède demande i\ la France. U
est au moins de sa gloire de l'ap-
prouver; aussi donne-t-il généreu-
sement à ce prince les moyens de
paraître avec éclat à la cour de Suè-
de : toutefois il résulte d'un tel é-
véneinent, presque toujours si heu-
reux pour les nations qui le pro-
voquent, que si la France perd un
de ses plus illustres défenseurs.
Napoléon ne perd pas un ennemi.
Le mois de décembre 1810 est
le mois fatal pour la France, dont
le nom s'égare depuis le détroit de
Charybde jusqu'andétroitdu Sund,
soit parla réunion, soit par les vas-
salités des peuples. L'incorporation
du Valais a été décrétée le même
jour que celle des villes anséaii-
NAP
qucs, afin que toute trace républi-
caine soit effacée du nouveau sol
fiançais; aussi la carte de cette par-
tie du monde, qui va s'appeler
FuANCE, présente 24 degrés de lon-
gitude sur 7 de latitude, habités par
4'^ millions de sujets, divjS'és entre
eux par quatre idiomes et autant
de religions; mais la domination
directe de Napoléon et de sa famil-
le s'étend sur 85,5oo,ooo sujets,
qui, réunis aux 16,000,000 d'hom-
mes soumis à sa domination indi-
recte, offrent la masse effrayante
de plus de cent millions d'Euro-
péens qui lui obéissent.
Paris est la capitale de l'Europe
vaincue; Londres est celle de l'Eu-
rope irritée. L'une reçoit les hom-
mages de la soumission, l'autre
les vœux de la vengeance. Tout
espoir de paix est détruit entre les
deux rivales par la rupture des né-
gociations entamées avec lord Lau-
derdale ; 160,000 hommes pour
les armées de terre et de mer sont
décrétés parle sénalus-consulte du
i5 décembre : le même jour avait
réuni la Baltique et le Valais au
grand empire. L'esprit s'effraie jus-
tement, en 1825, de cette puissan-
ce multiple de la volonté d'un
homme, qui, dans le même mo-
ment, ordonnait aux commerçans
d'une mer du Nord, aux pasteurs
des alpes Juliennes, et à 160,000
soldats de prendre rang parmi les
sujets et les instrumens de sa for-
tune. Au milieu de ces grande»
spoliations de la propriété des peu-
ples, les 19 et 29 décembre des
dispositions de détail frappent par-
ticulièrement l'attention de la
France : l'une rétablit l'institution
à jamais odieuse de la censure sur
les productions de la pensée; l'au-
>AP
tre remet généreusement aux émi-
grés les successions dévolues à l"é-
tat pour 5o années : ces deux ac-
tes sont au profit du pouvoir; mais
la haine des écrivains et la recon-
naissance des émigrés sei'out éga-
lement silencieuses.
Les opérations militaires de la
guerre d'Espagne et de celle de
Portugal sont les seules qui occu-
pent la France pendant l'année
181 1 ; cette année sera son dernier
repos sous Napoléon, car une pa-
reille guerre, malgré l'opiniàtrelé
de la résistance et la coopération
de l'Angleterre, ne saurait aOecter
les destins de la grande nation, si
pendant nue année encore la Fran-
ce n'avait pas d'autres ennemis que
l'indépendance de la péninsule et
l'opposition de ses corlès. Douze
années plus tard, peu avant le mo-
ment où nous écrivons, 100,000
Français franchissaientla Bidassoa.
Sans doute on n'a pu les croire
légataires d'une dernière volonté
de Napoléon; mais si en rappro-
chant les motifs de ces deux guer-
res, elles paraissent à rhistorien
également déplorables sous le
rapport de l'indépendance des
nations , à plus forte raison a-
t - il le droit de penser que ,
les Français vainqueurs, ils n'au-
ront point à s'applaudir du triom-
phe , et que, les Espagnols vain-
cus, ils n'auront point à rou-
gir de la défaite. Il en fut ainsi
pendant toute cette année 1811 ,
où les maréchaux Soult et Mor-
tier, où les généraux Suchct et
Clauzel, ajoutèrent aux armes fran-
çaises tant de lauriers inutiles, où
NAP 389
le maréchal Masscna ne gâta point
sa gloire en évacuant le Portugal
devant l'armée anglo-portugaise.
IjC récit de ces opérations ap-
partient à l'histoire militaire pro-
prement dite de Napoléon. Le
tableau de sa vie, rapidement tra-
cé par son biographe, ne permet
que l'exactitude des faits et ne
prescrit que la série de leurs da-
tes ; ainsi nous nous bornons à
présenter ces faits militaires dans
l'ordre où ils ont eu lieu. La gloi-
re de ces grands capitaines n'a
pas besoin de commentaires; elle
était depuis long -temps noble-
ment consacrée par de véritables
services rendus à la patrie ou à
son héros. Il ne s'agit ici que de
ceux rendus à la dictature impé-
riale, et, si on en excepte l'im-
mortelle campagne de 18 14» l'his-
toire n'en a plus d'autres à re-
cueillir jusqu'à l'abdication.
Le 2 janvier, après i3 jours de.
tranchée ouverte. la place de Tor-
tose se rend au général Suchet.
Du 30 au 22, Oporto et'Olivenza,
en Portugal, sont occupées parle
maréchal Masséna ; mais le 4
mars, malgré Tiinportance de cet-
te, occupation , Wellington, forti-
fié depuis cinq mois dans la posi-
tion inexpugnable de Torrès-Ve-
dras, répare en quelque sorte, par
la letraite à laquelle sa nombreu-
se armée force les débris de celle
de Masséna , les revers qui ont
moiilré si souvent, depuis le com-
mencement de la guerre, les trou-
pes de sa nation fuyant devant
les Français à Dunkerque, à Tou-
lon, au Helder, à Flessingue; deux
mois après, l'évacuation du Por-
tugal est complétée par celle de
la ville d'Alméida. Le 5 uiafS) à
?^r)0
NAP
Chiclana, l'ar-mce anglo-cspai^no-
le, qui veut liire lever le bloous
de Cadix, est tejclée par îe maré-
chal Victor daus l'île de Léon, qui
e?t déjà un asile où le duc de
Rellune n'o«e la suivre. Le lo,
après plus de 5o jours de siège,
Badajoz, capitale de l'Estramadu-
le, ouvre ses portes au luaiéohal
Mortier. Ce grand succès a été
pré|)aré le 19 lévrier par la batail-
le de la Geboia, où le maréchal
Soult a déî'ait une armée espagno-
le appelée au secours de Badajoz;
mais les troupes anglo-espagnoles,
aux ordres du général liéresl'ord,
veulent reprendre cette ville; at-
tacjuées vigoureusement par le
maréchal Soult an combat de
l'Alboirra, elles restent maîtresses
du terrain après avoir éprouvé des
pertes considérables. Cependant
lord Wellington apprend la jonc-
tion des forces du maréchal Mar-
mont avec celles du maréchal
Soult, et n'osant compromettre
la fortune qu'il a obtenue contre
le maréchal JMasséna, le 18 mai il
lève précipitamment le siège de
Badajoz et se relire en Portugal.
Enfin, après deux mois de siège et
cinq assauts, où toute bravoure
fut déployée des deux côtés, la
■ville de Tarragooe, encore défen-
due par 10,000 hommes, se rend
le 28 juin au général Suchet, qui
trouve dans ses remparts son bâ-
ton de maréchal. La plus brillan-
te illustration attend les armes du
nouveau maréchal. Le 29 octo-
})re, la bataille de Saguntc ou de
Murviedro , qu'il gagne sur les
généraux Blake et O'Donnell, lui
donne le lendemain la forte ville
de Sagunte, dont la position, dé-
fendue par la nature, par les Ro-
NAP
mains, par les Maures ot par dc^
constructions récentes, le rentl
maître des routes de Valence, de
Barcelonne, de Sarragosse, et as-
sure son établissement dans Test
de la péninsule.. Le passage du
Guadalaviar le 26 décembre, ob-
tenu par la prise du camp retran-
ché de Quarte , facilite à ce ma-
réchal l'investissement déjà com-
mencé de la grande ville de Va-
lence. Quinze jours après, cette
vaste cité, jadis capitale d'un beau
royaunje, devenue le dépôt géné-
ral de toutes les forces et de tous
les approvisionnemens des insur-
gés, est réduite à se rendre avec
une garnison de 18,000 hommes
commandés j)ar 10 généraux, et
900 officiers, et défendue par 4oo
pièces de canon.
Tel était l'état de la guerre dans
la péninsule : elle continuait la
gloire, ou plutôt elle prouvait la
force de nos armes. Mais, par une
fatalité attachée aux guerres con-
tre l'indépendance des nations,
les Espagnols s'armaient de leurs
revers, et leur patriotisme sortait
toujours victorieux des batailles
qu'ils avaient perdues. Le teiii^ps
allait venir où, n'ayant plus dans
leur vaste patrie que Cadix et l'île
de Léon , ils s'applaudiraient de
n'être plus renfermés dans des
murailles, et d'avoir pour forte-
resses, pour campemens , pour
champs de bataille, les monta-
gnes, les forêts, les fleuves et les
déserts de leur patrie. Toute la
terre espagnole conspire, quand
Napoléon , maître de toutes ses
cités, la croit vaincue, désarmée,
asservie. Cependant deux j)euples
protégés par la nature aux deux
fxirémités de l'Europe, séparés
I
l'un de l'autre par toute la civili-
sation, vont, par l'impulsion de
la plus terrible gravilal\(*n, pres-
ser du Nord au Midi le colosse
aux cent bras qui veut renverser
leurs autels domestiques. Tous
deux, sous l'empire d'un fana-
tisme religieux que leurs prêtres
armeront pour leur indépendan-
ce, poussés par la même néces-
sité, ils sembleront s'entendre de
l'Ebre à la ISewa pour écraser le
géant de la domination qui les a
tant de fois vaincus, et ils devront
à son ambition l'knnneur de pren-
dre rang parmi les peuples géné-
reux à qui la haine de la tyrannie
a donné un grand nom dans l'his-
toire. Les Espagnols ont de vieux
souvenirs; ils descendent de ceux
qui ont vu mourir les Carthagi-
nois et les Romains, ils sont aussi
les enfans de ces hommes du Nord
qui ont chassé les califes. Quant
aux Russes, ils n'ont point d'aïeux,
et tous leurs souvenirs sont récens
ou barbares; mais ils ont vu la
Suisse et l'Italie. Ils sont devenus
Européens et conquérans , et ils
ont l'exemple des héroïques Espa-
gnols.
Cependant, Napoléon paraît ou-
blier que celte nation neuve veut
occuper un rang sur le terrain
politique où ses traités l'ont pla-
cée. Il est en paix, en alliance a-
vec elle, en amitié avec son sou-
verain. La mémoire de Tilsil et
d'Erfurth est encore toute fraîche:
il en recueille tous les fruits. Le
blocus contre l'Angleterre, quel-
qtie nuisible qu'il soit aux inté-
rêts matériels de la Russie , est
rigoureusement exercé dans tous
ses ports. Cependant le profit illi-
cite des liccQccâ aveugla : ou crut
NAP
'9'
pouvoir jouir de cette infraction
aux engagemens de Tilsit et d'Er-
furth, sans que la Russie osât s'en
fâcher on s'en prévaloir, poursa
relâcher de son côté de ses mesu-
re; sévères envers les neutres qui
servaient de masque aux Anglais.
On lit plus: le i8 février fi8ii),
pour compléter l'interdit de la
Baltique, Napoléon a pris posses-
sion du duché d'Oldenbourg, et
il s'est peu inquiété de dépouiller
le beau-frère d'Alexandre, de son
allié le plus puissant et le plus dé-
voué. De tous les états de l'Eu-
rope, l'Angleterre est le seul qui
doive se réjotiir de relie impoli-
tique violation; au«si saura-t-el!e
se servir avec avantage de ce nou-
veau grief pour mincM- l'impertur-
bable fidélité d'Alexandre enver'4
Napoléon.
Mais, trois semaines après le
20 mars, un fils est né au maître
de l'Europe, l'hérédité du pouvoir
absolu consacre sa dynastie, et
tout l'orgueil de la félicité hu-
maine est entré dans son âme.
Comme père, et con)me souve-
rain , il doit sentir d'autant plus
vivement ce bonheur qu'il a pu
Itii échapper. 1-e plus grand dan-
ger a menacé l'impéralrice au
moment de mettre au monde ce
fils si désiré; mais Napoléon ou-
blie en un moment qu'il est em-
pereur, et n'est plus qu'un père
tendre, qu'un époux malheureux.
Les jours de l'impératrice et de
son enfant sont également en pé-
ril ; ils dépendent d'une opération
cruelle et douteuse. Le chinirgieo
Dubois vient consulter Napoléon.
« Ne pensez qu'à la mère, lui dit-
vil, et traitez l' impératrice comme
» une boiirseaise de la rue Saint-'
» Denis. » Il se rend de suite au-
près du lit de Marie- Louise , la
console, la soutient, l'encourage
par sa présence, et, après 26 mi-
nutes d'un travail douloureux,
l'enfant est mis an monde par le
secours des fers. Mais il reste pen-
dant 7 autres minutes privé de
toute espèce de sentiment. Le
tcuips parut moins long à Bona-
parte , disputant l'empire à la li-
Ijerté le i8 brumaire, à la séance
de Saint- Cloud. Enfin, à force
de soins l'enfant respire, il vit, il
vivra. Transporté, hors de lui-
même, l'empereur se précipite à
la porte du salon, où la France et
l'Europe attendent leurs destinées;
il l'ouvre et s'écrie : « C'est un roi
»de Rome ! ^y Cent un coups de
canon annoncèrent à la capitale
que Napoléon II était né. L'ivres-
se fut générale. A l'Hùtel-de-Vil-
le, M. Bellart et les membres du
conseil, qui proclameront, en
1814, la déchéance de Napoléon,
quand il aura encore de l'autre
côté de la Loire i5o,ooo hommes
pour repousser l'étranger, votè-
rent 10,000 francs de rente au
premier page qui vint leur an-
noncer la naissance de Napoléon
II. Ce fut la dernière fois qu'un
même sentiment de bonheur unis-
sait la France et Napoléon. La
nature n'avait produit qu'à regret
cet enfant sur lequel se confon-
daient les vœux des deux plus
grandes monarchies de l'Europe.
Il avait fallu le lui arracher, et en
contemplant le berceau impérial,
q!ii, après une anxiété si cruelle
vient de recevoir son fds , Napo-
léon dut s'applaudir de ce que sa
fortune triomphait aussi de la na-
ture elle-même.
NAP
Cependant la guerre continuait
entre le }).ipe et Napoléon, et elle
ne cessa de présenter un caractère
sin{jfulier, qui sert à donner la
preuve du déplacement des inté-
rêts européens, à cette époque :
Napoléon et Pie VII avaient é-
changé leurs rôles. L'empereur
militait pour son église, le pape
pour ses états. L'empereur de-
mandait vainement au pape l'ins-
titution canonique des évêques de
France, que le saint-siége aurait
dû provoquer, et le pape la refu-
sait, parce qu'il avait perdu sa sou-
veraineté temporelle. Le saint-pè-
re confondait la thiare et la cou-
ronne, l'anneau du pécheur et le
sceptre; le sacre de Napoléon é-
tait même un mauvais argument
en faveur du souverain-pontife.
Toutefois l'empereur, pressé de
compléter son système monarchi-
que, convoqua, le ii juin, un
concile à Paris, composé de cent
évêques français, allemands et
italiens : ce concile fut appelé na-
tional, comme il l'était en effet,
et il décréta sa compétence pour
statuer sur l'institution des évê-
ques. En vertu du concordat, le
pape devait ordonner cette ins-
titution; et sur son refus, celle
du métropolitain serait suffisante :
tel fut le décret du concile. Le 20
septembre, le pape confirma ce
décret par un bref de Savone ;
mais la terre l'emportera enco-
re sur le ciel. La cour ponti-
ficale refusera ce qu'elle a solen-
nellement promis, et jusqu'à la
fin de 1819, cinq ans après la
chute de Napoléon, et pendant
les cinq premières années de la
restauration , la France , pres-
que sans évêques , pourra croire
NAP
que son roi n'e*t plus le fils aî-
né de l'église. Toutefois le père
de rarrière-petit-fils de Marie-
Thérèse aura satisfait aux droits
de sa couronne, aux lois de son
concordat, et à cette étiquette
spirituelle qui consacre les rela-
tions des trônes cnlholiques avec
la chaire de Saint-Pierre. Il fallait
que tous les âges de Ihistoire eus-
sent des représeutans dans l'histoire
de Napoléon, et qu'il convoquât
aussi des conciles! Si, à cet égard,
il ne s'est pas mis en rapport avec
son siècle, du moins il s'est mis en
règle avec les usages et les passions
monarchiques qui avaient pris sur
lui tant d'empire. Et en effet, après
avoir, le 3 septembre, rendu un
décret en prorogation de l'auinis-
tie accordée aux émigrés, le i5
octobre un nouveau décret anéan-
tira la loi organique des constitu-
tions françaises, la grande loi de
nos droits politiques , celle de
la liberté de la presse. Lu nature,
les titres, et jusqu'au nombre des
feuilles périodiques, et même le
nom des villes où elles pourront
paraître , sont irrévocablement
lixés et déterminés. L'ne censure
inquiète, soupçonneuse, minutieu-
se, hostile, sous la responsabilité
des autorités locales, sera l'argus
de cette illusoire périodicité. Na-
poléon aurait-il été.àl'insu de l'u-
nivers, dont il était le spectacle,
le juge craintif de sa toute puis-
sance, en la soumettant aux ter-
reurs de la presse et à ces indignes
précautions qui caractérisent ou
les gouvernemens faibles, ou les
gouvernemens révolutionnaires et
passagers ?
Les opérations politiques qui
terminent l'aunée i8ii, consoli-
NAP 5o5
dent l'œuvre de la réunion du
royaume de Hollande au grand
empire. Ses départemens reçoi-
vent le i" et le 2 novembre leur
circonscription définitive, et l'or-
ganisation française. L'Espagne
est conquise ou occupée; tout le
continent est en paix ou soumis.
On se demande pourquoi un séna-
tus-consulle appelle itoul-à-coup
aux armes, le 21 décembre,
120,000 conscrits de la classe de
1812. La France a atteint la plé-
nitude de la prospérité. L'armée
elle-même déclare qu'elle est ras-
sasiée de gloire, et l'année 1811
expire dans le malaise de cette
haute fortune, qui ne peut plus
que descendre, parce qu'elle no
peut plus monter.
Cependant un homme seul ba-
lance et fait taire les terribles ora-
cles de la félicité de l'empire. La
suprématie européenne était aux
mainsde la France: mais Napoléon
a rêvé pour lui ladomination uni-
verselle, et l'Europe, loin de faire
un vœu contre l'audacieuse entre-
prise qui menace la Russie, et
doit de nouveau peser surelle-mè-
nie, se livre tout entière avec une
sorte d'enthousiasme de servitude,
à l'espoir de voir triompher Na-
poléon de cetennemi lointain qu'il
s'est choisi. L'Europe n'avaitqu'un
orgueil d'esclave; elle souhaitait
plus de puissance à son njaître.
Il est vrai qu'alors elle n'avait pas
d'autre condition que l'obéissance;
et le peu de fierté qui lui restait
ne consistait qu'à vouloir placer
sous le même joug la seule puis-
siance continentale qui fût restée}
594 NAP
libre, et dont l'indépenflance l'ef-
frayait.
La Prusse n'est pas libre : Ber-
lin seul a été évacné par les
Français; mais cette capitale peut
craindre le sort d'Amsterdam ;
le maréchal Ondinot comman-
de l'armée d'occupation. D'ail-
leurs une masse énorme de con-
tributions imposées par le traité
f!e Tilsit pèse sur la Prusse, et
dans la position malheureuse où
se trouve son gouvernement entre
sa dette envers la France et la
))résence d'ime de ses armée», il
doit aller au -devant de tous les
moyens qui peuvent conjurer la
fortune en sa faveur. De plus l'oc-
cupation du rivage de la Baltique
vient d'être consommée le 26 jan-
\icr, par l'occupation de la forte
ville de Stralsund, el la Poméra-
nie suédoise obéit au corps d'ar-
mée que commande le général
Friant. Ainsi, pressé de toutes
parts , le ministre prussien va
chercher dans le traité de Paris
du 24 février suivant un asile
j)Our ce qui reste de la monarchie
prussienne : il y renouvelle le pacte
du blocus continental. Dans le cas
d'une guerre entre la France et
^on ancien allié de Pétersbourg,
c'est-à-dire dans la certitude de
cette guerre très - prochaine , il
s'engage à fournir un contingent
de 40,000 hommes avec 60 pièces
de canon ; mais aussi la France
consent à rédiu're à 62 millions les
contributions arriérées delà Prus-
se. La Prusse saura faire valoir à
la Russie la nécessité qui lui a fait
signer ce traité, et Napoléon se
repentira trop tard de sa généro-
sité, qui, après les injustes pro-
vocations de la Prusse en i8o3,
NAP
après son anéanlissement ù lén?»
et à Lubeek, laissa em.'ore à Til-
sit un débris de couronne au roi
Frédéric -Guillaume. La monar-
chie prussienne devait être entiè-
rement détruite à Tilsit, ou plus
grandement reconstituée. La poli-
tique, qui était la justice du vain-
queur, le voulait ainsi. Dans \e
dernier ras, la Prusse eût été pou r
la France un ami ou un ennemi ;
mais comme elle eût été un grand
état intermédiaire entre rEuro])e
et la l\n.ssie. Napoléon n'aurait
jamais eu l'idée de la campagne
de Moskou, et la Prusse n'aurait
})as trahi son imprudent bienfai-
teur. La position de l'Autricho
était toute différente. Elle n'avait
pas été appelée aux fameuses con-
férences d'Erfurth. Elle avait alors
refusé de reconnaître Joseph , roi-
d'Espagne, et elle avait profilé
des embarras que l'opposition de
la péninsule donnait à Napoléon ,
pour lui faire brusquement une
guerre d'invasion en îSoq'. L*îs
victoires de Landshut , d'Ecmulh,
de Ratisbonne, d'Ebersberg , la
prise de Vienne vingt jours après
l'ouverture delà campagne , les
batailles de Raab , d'Enzersdorf ,
enfin celle de Wagram, avaient
forcé cette puissance à recourir,
comme la Prusse, à la pitié du
vainqueur. Le honteux armis-
tice d« Znaïm, tout-à-coup solli-
cité par l'Autriche, au moment
où toutes les populations de la
patrie allemande allaient se lever
pour sa défense, où le Piémont ,
où la Prusse elle-même se dispo-
saient déjà à leu"" affranchisse-
ment , avait amené cette paix dts
Vienne si différente de la derniè-
re. Cependant l'iiistilution moiliù
NAP
mysti(inc , moitié politique du
lien de la vertu, du Tugenil hund ,
qui doit jouer un si jrrand rôle un
au plus tard , avait étenrlu , du
scinde la Prusse où le patriotisme
l'avait enfantée, ses rainiflcations
populaires dans toutes les univer-
sités de l'Allemagne, dans celles
même qui appartenaient aux états
que Napoléon s'était plu à doter
sur la rive droite du Rhin. Celte
conspiration morale avait été dé-
noncée à ce prince qui la dédai-
gna, comme il avait refusé quel-
ques années plus tôt de se mettre
à la tête de la réformation politi-
que de la'Germanie protestante.
Le rôle de Luther lui convenait
aussi peu que sa doctrine. Alors
aussi il régnait dans le même pa-
lais impériaidu plus puissant prin-
ce de la Germanie , et ii méprisait
jusqu'au poignard du jeune fana-
tique quiy avait pénétré pour im-
moler l'oppresseur de sa patrie.
Mais l'Autriche ne s'était pas con-
tentée de n'avoir pas le courage
de survivre à la bataille de ^a-
gram , quand une seule victoire,
quand la seule prolongation de la
lutte si loin de la France , et dans
l'étal d'exaspération où étaient les
esprits , pouvaient effacer pour
elle tous les triomphes de son en-
neujî; elle s'était précipitée au-
devant d'une alliance de famille,
tant elle fut jalouse d'enlever aux
autres couronnes le nouvel hymen
que se proposait !S\ipoléon. Toute
l'activité de sa diplomatie se dé-
ploya pour obtenir cette grande
préférence, et- le sang de Marie-
Thérèse devint le gage nouveau ,
que la superbe cour de Vienne
oiTrit instamment au général de
vendémiaire. Napoléoo , qui avait
N\P
595
prî<; riiisfoire de la monarchie fraiv
çaise powr la sienne, voulut la
continuer; il accepta cette allian-
ce, et cimenta ainsi , en quelque
sorte, la vassalité de l'Autriche .
qui alors y «vit son salut. L'allian-
ce du 4 mars 1812 fut bien aiis>i
pour elle une nécessifé nouvelle ,
que lui imposa la guerre de Rus-
sie. Menacée qu'elle était du réta-
blissement de la Pologne , la mai-
son d'Autriche voulut se ménager
une indemnité dans le cas où elle
perdrait la Gallicie, et cette in-
demnité qu'elle convoitait était la
possession del'Illyrie, qui offrait
à son commerce les débouchés
maritimes, dont elle manquait ab-
solument ; par le traité d'alliance
siffné à Piuis . celte puissance sti-
pula un secours réciproque de
5o,ooo hommes et de 60 pièces
de canon. La cause de la France
et de lAulriche est devenue com-
mune, identique, inséparable,
c'est une cause de famille, et rol>-
jet de ce dernier pacte est si peu
douteux, qu'on y garantit mutuel-
lement l'intégralité en Kurope de
l'empire turc, alors en guerre avec-
la Russie. Celte garantie mutuelle
del'intégraliléde l'empire ottoman
n'avait d'autre motif que d'empê-
cher laPorle de signer la paix qu'el-
le négociait avec laRussie, ce qu'el-
le fit quelques mois après à Tinsu
de îiapoléon. Ainsi l'Autriche, tou-
jours forte et puissante malgré la
prépondérance effrayante de ta
France, allait au-devant d'un lien
qui plaçait ses diapeaux et sa poli-
tique sous la fortune de Napoléon.
Ce prince a pour allie toute PAI-
lemagne, toute l'Italie, la Polo-
gne, la Suède et la Hollande , et
il devait compter pour auxiliaira
5<)(J NAP
la Porte ottomane, si la craînte
de démasquer ses projets contre
la Russie n'avait mis dans cette
circonstance la diplomatie fran-
çaise en défaut, à Constantinople
et à Stockholm. La Russie a pour
elle le général français qui gou-
verne la Suéde et qui a oublié sa
première patrie ; elle a pour auxi-
liiu'res la haine anglaise, et. l'in-
surrection espagnole. Ses défen-
seurs naturels sont la flamme qui
dévorera ses cités , et les frimas
qui anéantiront ses ennemis. Le
5 mai, son attitude guerrière de-
vient plus imposante par l'acces-
sion de l'Angleterre au traité que
l.t Suède a signé le 24 mars. Les
(h.ux e;npereurs ont quitté leurs
capitales , Alexandre le 24 avril ,
Napoléon le g mai. 11 ne s'agit
plus entre eux de fixer les limi-
tes de l'empire d'Orient et de
l'empire d'Occident. Les intérêts
de Tilsit n'avaient pas tout-à-fait
disparu àErfurth, mais ils avaient
été modifiés, et sans doute affai-
blis par les événemens de l'Espa-
gne et du Portugal , et par les di-
verses réunions de la France. Il
s'agit à présent de l'empire de
l'Europe partagée en de grands
vassaux. Cette ambitieuse pensée
est toute de Napoléon, à qui elle
sera fatale. Alexandre héritera de
cette grande prépondérance, qu'il
abdiquera bientôt. Hercule pou-
vait succomber, mais sa massue
n'était point un héritage.
Le a6 n)ai , Napoléon est à
Dresde, oii sont abjurées les con-
férences d Erfurth, en présence de
plusieurs souverains de l'Allema-
gne. L'empereur et l'impératrice
d'Autriche, de leur plein gré, par
la plus éclatante démarche, ont
NAP
quitté Vienne, sont arrivés dans la
capitale de la Saxe, et donnent au
milieu et en présence de l'Europe,
une sanction authentiqueà la guer-
re gallo-germanique que levir gen-
dre va porter en Russie.' Le roi de
Prusse et tous les souverains du
Rhin à la Baltique, consacrent é-
galement cette ^guerre par leur
présence, et ils preiment A l'envi
leur part de complicité dans les
vœux et dans les moyens qu'ils
rassemblent pour l'asservissement
général de l'Europe. L'abais-^e-
ment commun de tous ces prin-
ces, a produit im nouveau droit
public au profit du dominateur,
tant qu'il sera victorieux. Mais si
la fortune l'abandonne, la cons-
piration sera universelle, comme
l'était la soumission.
Au moment oi^i Napoléon fait
consacrer à Dresde , par sa cour
de rois, les arrêts qu'il vient de
porter contre la Russie, un traité
secret pour une paix définitive et
fatale à son entreprise, était signé
à Cucharest, entre les Russes et
les Ottomans. Cette négociation
est duc à l'Angleterre, qui ne peut
servir plus habilement sa propre
haine et son allié de Pétersbourg.
L'étoile de Napoléon a pâli le aH
mai, jour de la signature de ce
traité qu'il ignore ; sa conclusion
fut brusquée. Kutusow, chargé
de la négociation et du comman-
dement de l'armée contre les
Turcs, ayant appris qu'il était rap-
pelé et remplacé par Tchitcha- ,J
goff, qui avait ordre de terminer, %
à quelque prix que ce fût, prit sr.r
lui de signer la paix, afin de n'en
pas laisser l'homieur à son suc-
cesseur. Napoléon ne fut pas le
seul trompé par ce traité, le sultan
le fut aussi, et quand il apprit l'in-
vasion de Napoléon en Russie, il
refusa de le ratifier, et ne s'y dé-
cida encore que par rinflueuce de
l'Angleterre. Ce relard a la ratifica-
tion ne permit à l'armée russe de
Moldavie, de s'ebranicr que dans
le mois d'octobre. La guerroque les
Etats-Unis d'Amérique déclarent
à l'Angleterre, Ie%i8 juin, est loin
de rempiacer.pour ^Napoléon, l'im-
portance delà diversion ottomane, ■
et de l'alliance de la Suède , et
n'ajoute aucune chance aux inté-
rêts de la guerre purement conti-
nentale qu'il va commencer. Cha-
cune de ces quatre puissances a
son motif de guerre particulier.
L'Amérique se hal pour la liberté
du commerce, la JltHsie pour se
soustraire au blocus continental
et pour ne pas perdre ses provin-
ces polonaises, l'Angleterre pour
abattre Napoléon, et Napoléon
pour régner sur tout ce qui s'ap-
pelle Europe.
lin demi-million d'hommes, et
plus de mille bouches à feu, sont
réunis déjà dans la Prusse orien-
tale. Le 2 juin, Napoléon est à
Thorn ; le 22, de son quartier-im-
périal de Willkoswiski, il adresse
à ses armées la proclamation sui-
Tante :
« Soldats, la seconde guerre de
«Pologne est commencée. La pre-
• mière s'est terminée à Friedland
net à Tilsit. La Russie a juré l'é-
» ternelle alliance à la France et
«guerre à l'Anglclerre : elle viole
• aujourd'hui ses sermens. Elle ne
«veut donner aucune explication
«de cette étrange conduite, que
les aigles françaises n'aient repas-
sé le Rhin, laissant par-là nos al-
liés ù sa discrétiour Lu Russie e<t
NAP
^97
» entraînée par la fatalité : ses des-
y>tins doivent s'accomplir. Nous
«croit-elle donc dégénérés .^ ne sc-
» rions-nous plus les soldats d'Aus-
>• terlitz ! Elle nous place entre le
«déshonneur et la guerre : le choix
«ne saurait êlre douteux. Mar-
• chons donc en avant ; passons le
» Niémen; portons la guerre sur
«son territoire : la seconde guerre
»de la Pologne sera glorieuse aux
• armées françaises, comme la pre-
«miére; ?nais ta paix que nouscov'
n durons portera avec elle sa gc-
hrantiCf et mettra un terme à la
«funeste influence que la Russie a
«exercée depuis 5o ans sur les af-
«faires de l'Europe.»
Le 24 juin, le Niémen a revu
Napoléon. Cette terrible limite
est dépassée aux appîaudisscmeiis
de la malheureuse et fidèle Polo-
gne. Le 28 juin, l'empereur est
à Wilna. capitale de la Lithuanie;
ce duché se réunit à la Pologne,
dont la diète proclame le même
jour, à^Varsovie, la trompeuse in-
dépendance. Lue confédération
générale réunit les membres
épars du royaume de Sobies-
ki. Les souvenirs de la longue
tyrannie de Repnin à Warsovie,
sous Catherine la grande, se ré-
veillent de toutes parts au bruit
de la marche de Napoléon. Une
dépntalionde la diète se rend près
de lui, à Wilna, et lui dit : « La
I) diète générale du grand-duché
«deAVarsovie s'est constituée en
«confédération de la Pologne : el
aie a déclaré le royaume de Polo-
))gne rétabli dansscs droits... Di-
«tes, sire, que le royaume de Pn-
nlognc existe, et ce décret sera
«pour le monde équivalent à la
«réalrté. «Napoléoo, qui persistait
T>98
NAP
dans la fausse idée de ne pas sa-
rriCer la Gallicie autrichienne au
nouveau système polonais, afin de
ne pas rendre l'Illyrie, que dési-
rait ardemnieut la maison d'Au-
triche, répondit:» Poh)nai», j'au-
»rais pensé comme vous dans l'as-
«seuibiée de Warsovie : l'anioiu'
»de sou pays est le preujier de-
»voir de l'homme civilisé. Dans
«ma situation, j'ai beaucoup d'in-
))léi*'ts à concilier, beaucoup de
• devoirs à reu)plir. Si j'avais ré-
«gné pendant le premier, le se-
»cond et le troisième partage de
» la Pologne, j'aurais armé mes
«peuples pour la détendre... J'ai-
»nie votre nation... J'autorise les
» efforts que vous voulez l'aire...
» c'est entièrement dans l'unani-
)>mité de la population que vous
«pouvez trouver l'espoir du suc-
»cès... Je dois ajouter que J'ai ga-
nranti à l'empereur d'Aalriche
» C intégrité de ses domaines >
Telle fut, en suljstance"^ la ré-
ponse de Napoléon à la députalion
«le la diète ; mais, par une fatalité
remarquable, et qu'il était loin de
pouvoir deviner, l'Autriche, dont
le contingent occupait la portion
de son territoire polonais, et à la-
quelle il saci ifiait le rétablissement
si politique du royaume de Polo-
gne, devait, quelques moi,s après,
])ar une défection subite, livrer la
Pologne entière à la Russie, con-
tre laquelle, à Dresde, elle était
venue solliciter la faveur de faire
cause commune avec la France!
l.a paix de Bucharest, l'alliance de
la Uussie avec la Suède, et le re-
fus de Wilna, furent les auspices
malheureux de la campagne de
L'armée impériide française é-
NAP
tait composée de dix corps d'in-
fanterie, aux ordres des maré-
chaux Davoust,Oudinnt, Ney, Vic-
tor, Macdonald , du prince Jîugè-
ne, du prince Poniatowski, et des
généraux Saint -Cyr, Régnier et
Junot. '
La vieille garde était conmian-
dée par le maréchal Lefèvre ; la
jeune par le maréchal Mortier; la
cavalerie de la garde par le maré-
chal Bessières; la réserve de la ca-
valerie formait les quatre corps de
Nansouty, Moutbrup, Grouchyet
LaTour-Alaubourg; elle était sous
les ordres du roi de Naples; le
corps autrichien était sons les or-
dres du prince de Schwarzen-
berg; le corps prussien sous ceux
du généial d'Yorck : la force de
l'armée française, y compris ses-
renforts et les garnisons, était de
439,700 lionunes.
La grande-armée russe était di-
visée en première et seconde ar-
mée d'occident, sous les généraux
Barclay-de-Tolly et Bagration, et
en armée de réserve sous le gé-
néral ïormasow; le corps d'ob-
servation élail, commandé par le
général Hertel, et l'armée de Mol-
davie par l'amiral ïchitchago»'. A
cette époquele gouvernement rus-
se fit paraître un étal de ses forces,
qui, y compris ses miliqes et ses
garnisons, et sans compter ses
paysans armés, présentait 926,370
bianmes, et 5,592 pièces d'artil-
lerie de campagne. m
De nouvelles alliances embras- *
sent et protègent puissamment la
cause de la Uussie : le 18 juillet,
l'Angleterre .-igné un traité avec la
Suède, et le i" aoAt elle signe à
Pètersbourg un traité de paix et
d'union. Le 20 juillet le cabinet d«
NAP
"Pétersbourg avait habilement pla-
cé la France entre deux grands
périls , par le traité de Weiiky-
iduski avec la régence de Cadix.
On ne nommait pas alors rebelles
ces cortès de Cadix : on traitait a-
vec elles. Celte conspiration des
deux extrémités de l'Europe con-
tre ?*apoléon, a quelque chose de
gigantesque, qui appartient parti-
culièrement à son histoire. Elle
prouve la grandeur du péril, com-
me celle de la haine, et rdève
Jiierveilleusement l'enneiui dé-
voué à la vengeance combinée du
Nord et du Midi. Ce traité est si-
gné en Russie, le 20 juillet, et le
•2-2 commence en Espagne, par la
bataille des^Aropiles , gagnée par
^Vellington sur le maréchal Mar-
iiiont, la décadence des armes fran-
çaises dans la péninsule. L'impor-
tance de cette victoire est telle,
que si elle eût été remportée par
les Français, les cortès faisaient
leur soumission au roi Joïcph ; au
contraire, cette victoire détrône ce
prince, et hi 12 août suivant ^Vel-
îington est à Madrid. La redouta-
ble union de l'Angleterre, de l'Es-
pagne et de la Russie, forme un
triairgle dont la France est la base.
Cependant Napoléon poursuit
sa marche en Russie, et voit dans
rabaissement prochain de cet enj-
pire, la soumission de toute l'Es-
pagne. Tout est extraordinaire
dans sa destinée actuelle, soit Tim'
iiiense espoir dont son Ame est
remp!ie,soijreacouragementdont
la fortune se plaît à Ibrliûer une
telle espérance. En effet, tous les
pas de l'armée française sur le ter-
ritoire russe , «ont marqués par
d'importans succès, qui sont au-
tant de pcrûdies de la destinée ,
NAP
5<)9
dont la gloire de Napoléon est de-
venue la complice. Le 20 juillet
Bagration est défait à Mohilow,
par le mas échal Davoust ; le 28
les Français sont à Wytepsk ; le
1" août la fjrte place de Duna-
bourg est évacuée à Tapproche du
maréchal Macdonald ; le même,
jour W'ittgenstein , battu par le
maréchal Oudinot, à Obaïavszma,
sur laDrissa, perd 7,000 hommes,
et une partie de son artillerie; le
1 •-, après quelques affaires d'à van !-
postes , les Russes abandonnent
l'importante ville de Smolensk ,
après y avoir mis le feu. Ils a-
vaient, en manœuvrant de l'autre
côté du fleuve, évité la grande ba-i
taille que Napoléon voulait leur li-
vrer, avant d'entrer à Smolensk.
Cette grande ville, le seul boule-
vart de l'ejnpire russe sur la fron-
tière de Pologne, fortiliée par des
ouvrages redoutables, et défendue
par ime nombreuse armée, pour-»
rait arrêter long-temps et diviser
les forces de Napoléon ; mais une
tactique barbare a remplacé chez
les Russes les nobles conceptions
de la guerre. La défaite, la honte
de leurs armées, l'embrasement de
leurs villes par leurs propres mains,
la ruine, le désespoir des habi-
tans, sont les ^M|binaisons que
la politique d^Rur gouverne-
ment a adoptées pour attirer le»
Français dans le cœur de son em-
pire : ce long suicide est le pre-
mier élément de sa vengeance.
On assure que plusieurs chefs de
l'année française engagèrent >a-
poléon à terminer sa campagne à
Sm(jleii>k. Mais il avait pris Mi-
lan, Vienne, Berlin, Madrid, et
l'orgueil d'entrer aussi à Moskou,
daui» lu ville iainte du Nord^ l'eui-
4oo
NAP
porta sur ces conseils d'une hante
prudence. Les Russes dès-lors pu-
rent aussi dire de lui : Napoléon
est entraîné pai' la fatalité; que ses
destins s'accomplissent ! et en ef-
fet la victoire qui le suit en pré-
« ipite raccoinpiissement. D'autres
alïlrnient que Napoléon voulait
rester à Smolensk, comme il a-
vait voulu s'arrêter à Vitepsk,
mais qu'aupaiavant il voulait ga-
gner cette grande bataille que les
Kusses refusèrent : et que l'espoir
seul de les jenconlrer enfin à une
ou deux marches, entraîna celle
suf Moskou ; il était d'ailleurs a-
morcé chaque jour par des suc-
cès qu'il devait regarder com-
me d'heureux présages de la vic-
toire décisive qu'il voulait rem-
porter au cœur de l'empire russe.
Après Smolensk, eut lieu le beau
combat de Valentina, où fut tué
le brave général Gudin. Le 18
août, après une vigoureuse affaire
donnée la veille sous les murs de
l'ololî-k, le général Gouvion-Saint-
Cyr gagne son bâton de maréchal
à la grande bataille qu'il livre au
général Wiltgenslein ; le ig, à
>Valutina-Gora, le maréchal Ney
battit l'arrière-garde delà grande-
armée russe, qui était en retraite
depuis trois i(>iM||L: le 29, l'armée
française, déjà iWo lieues de Smo-
lensk, entre à Wiazma, que les
Tinsses ont brfiléc en l'évacuant.
Le même jour le général Rutusow,
venu de l'armée de Moldavie, après
avoir négocié la paix de .lassy avec
îa Porte,-arrivait à la grande-ar-
mée en qualité de généralissime.
La faction des boyards de Moskou
le fit nommer, dit-on, en rempla-
cement de Barclay de Tolly, et
l'empereur Alexandre panit recc-
NAP
voir à celte occasion, la loi de la
vieille noblesse de son empire. En-
fin le 17 septembre a lieu cette
fameuse bataille de la Moskoœa
sur le plateau qui domine Borodi-
no, position formidable,, hérissée
de redoutes et de canons, où les
Russes, animés parles prédictions
du vieux général RutUhOAv, et par
une image miraculeuse de la Vier-
ge, ont juré de fermer aux Fran-
çais la route de Moskou. Rutu-
sow prophétise ainsi : « Diea va
)^ comhallre son ennemi avec l'épée
r> (le Saint-Michel, et avant que le
» soleil de demain ait disparu, vous
» aurez écrit votre foi et votre fidé-
nlité dans les champs de voire pn-
» trie avec le sang de l'agresseur et
nde ses légions. «Napoléon parle
autrement à son armée: « Soldats,
» dit-il, voici la bataille que vous
n avez tant désirée; désormais la vie-
filoire dépend de vous, elle vous
n donnera de bons quartiers d' hiver
net an prompt retour dans la pa-
htrie! Conduisez-vous comme à
K Àusterlitz, à Friedland , à Vi'
» tepsk et à Smolensk, et que la
1^ postérité la plus reculée cite avec
>t orgueil votre conduite dans cette
D journée ; que l'on dise de chacun
)) de vous : Il était à cette grande
n bataille sous les murs de Mos-
n kou. » 3o,ooo Russes et ^o de
leurs généraux, payèrent de leur
sang ou de leur liberté la prédic-
tion fanatique de Kutusow, et
l'exhortation guerrière de Napo-
léon; 20,000 Français, qu'aucune
victoire ne pouvait remplacer, eu-
rent le même sort, ainsi que huit
généraux; deux périrent à l'at-
taque <le la fameuse redoute par
les cuirassiers; le comte de Cau-
laincourt eut le fatal honneur dâ
NAP
»*emplacei' le général Monlbrun,
ttié ail coiumencementderaffaire,
et tomba d'un coup de l'eu, au
milieu de l'inexpugnable forliûca-
tion, que sa bouillante valeur ve-
nait d'enlever : celte brillante ac-
tion décida la bataille et causa de
justes regrets à l'armée. L'attaque
des redoutes par la grosse cavale-
rie est une concej)lion particulière
à Napoléon, à qui elle avait si bien
réussi aux batailles d'Esslinget de
Wagrani. Le deuil couvrait les
deux camps, mais par une lourbe-
rie contre le ciel lui-inênie et
contre l'armée russe, le Te Deuin
de la victoire retentit dans toutes
les églises delà Russie, et le grade
defeld maréchal lut donné à K.utu-
sow. Ainsi la civilisation ralfinait
encore sur la barbarie en chan-
geant le deuil en trophée, et en
décernant la palme an vaincu :
c'était a la fois corronjpre la re-
ligion et l'honneur. Tel est l'en-
nemi que poursuit Napoléon ;
sept jours après, le 14 septembre,
rarniée française entra à Moskou,
Elle se souvient avec ivresse de
la proclamation prophétique de
ISapoîuon, avant la bataille de la
Moskowa, qui lui donne la ville
des czars. Là est le repos, et la
récompense de tant de travaux, de
tant de victoiits; là, au sein de
l'abondance, et suivie par les ap-
plaudissemens de la patrie, elle
attendra noblement le signal de
la paix la plus glorieuse pour re-
tourner eu France, honorée et
triomphante. Elle aura porté le
nom Français au-dessus du nom
de tous les peuples modernes,
comme son chef a porté le sien
au-dessus de celui des plus grands
capitaines; désormaisrarméc fran-
T. XIV.
NAP 401
çaise et Napoléon vont marcher de
pair dans la postérité, et comme il
l'avait annoncé à ses soldats, cha-
cun d'eux à son retour en France
entendra dire : <• // ttait à celle
^grande bataille sous les murs de
» J/05, i ou 1 .)
Le gouverneur Rostopchinavait
rassemblé chez lui, dans la mati-
née du i4; touslesagens de la po-
lice, à qui il donna des ordres.
Napoléon arriva vers onze heures
du matin en vue de Moskou : il
approuva l'armistice que deman-
dait l'arrière-garde russe pour tra-
verser la ville. On ne sut que
vers 2 heures, que les dépulalions
de.'' autorités de Moskou, qui fu-
rent désirées et attendues, ne vien-
draient pas : on apprit en même
tenjps que les palais de cette vaste
cité étaient déserts, et qu'elle n'a-
vait plus pour habitans que les
blessés, les malades, et la plus
basse population. Cependant, cet-
te vi^e de 3oo mille habitans,
aussi vaste que Paris, renferme
d'imnienses u)agasins, et va pour-
voir encore mieux par le départ
de sa pi^ulation à tous les besoins
de l'armée. Napoléon n'y perdra
pas mêtue son triomphe, qui au-
ra pour témoins tous ses braves et
le palais des fondateurs de l'em-
pire russe. Il ira donc le lende-
main planter son aigle sur les mh
narets du Kremlin, et s'asseoir sur
le trône de Pierre-le-Grand. La
prudence ordonne ce retard : des
déserteurs de la milice restés à
Moskou, ainsi que des cosaques à
l'arsenal, causaient de grands dé-
sordres. Le général Dur-isnel, en-
voyé comme gouverneur et char-
gé de veiller à la conservation de
la ville et à lu tran(|uillité publi-
ai
'{02
^w
que, engagea l'empereur à n'ea-
îrer que le lendemain ; il fallait au
moins le reste de la journée pour
établir l'ordre, et pour connaître
cette vaste cité, ce que la dispa-
rition de tous les habitans rendait
impossible. Cependant Napoléon
traversa les faubourgs et la rivière,
fit travailler au pont qui était dé-
truit, et revint coiicber dans une
des grandes auberges du fau-
bourg. Le lendemain il se rendit
au Kremlin, où il n'eut d'autres
téinoins, que le silence de ce vaste
nionimient de l'antique puissance
des czars, et le deuil triomphal
de son armée ; car dans celte nuit
du i4au i5qu'il venait de passer
dans un faubourg, le système bar-
bare qui avait réduit en cendres
les villes de Smolensk, de Dorigo-
bui. Wiasma, Chiat, etc., incen-
dia le bazard près de la bourse, où
sont 10,000 boutiques, et quelques
maisons d'un faubourg éloigné. Le
général Durosnel et le duc de Tré-
vise qui commandait les troupes,
employèrent tous les moyens qui
étaient en leur pouvoir pour ar-
rêter l'incendie. Mais dès ce mo-
ment, si on ose le dire, commença
la complicilé de la nature avec la
politique russe, à laquelle elle dé-
voua tous ses fléaux. A 9 heures
du soir un vent terrible de nord-
ouest propagea subitement l'in-
cendie, et à 10 heures la flamme
s'éleva sur toute la ville. L'empe-
reur, faligué de la journée précé-
dente, s'était couché à 8 heures.
Tout le palai-^ Fut réveillé par les
cris de l'arinée et le bruit de la
destruction des édifices; la journée
du 16 lut employée à sauver l'ar-
senal, le Kremlin et plusieurs pa-
lais. Vers 5 heures du soir l'incen-
i\AP
die entourait tellement le palai:4
impérial, que Napoléon craignant
que ce grand désastre ne fût com-
biné avec une surprise de nuit de
la part de l'armée russe, donna
l'ordre du départ, et fut obligé de
traverser les flammes pour se ren-
dre au château de Pétroffski. Mos-
kou expira dans un océan de feu;
de 4rOoo maisons bâties en pierre,
200 seulement furent épargnées;
de 8,000 bâties en bois, 5oo; et
de 1600 églises, la moitié seule-
ment demeura intacte. Les toits
de la plupart des habitations cons-
truits en tôle, s'échauflërenl et
fomentèrent eux-mêmes dans tous
les édifices l'action du feu, que-des
mains mercenaires avaient allumé
par l'ordre du gouverneur Kos-
topchin, dernier exécuteur du fir-
man irtcendiaire sur la route de
l'armée française. La flamme qui
dévorait iMoskou , éclaira la mar-
che de Napoléon à Pelrofl"ski. Kien
n'avait été oublié par l'ordonna-
teur de cette grande destruction :
toutes les pompes avaient été dé-
truites; les soldats et les agens de
pulice, d'après les ordres de Ros-
topchin, avaient tout préparé dans
les maisons, et y mettaient tran-
quillement le feu; plusieurs furent
pris sur le fait : interrogés par
l'empereur lui-même, ils furent
renvoyés aux tribunaux militaires,
qui en firent exécuter sept ou huit:
les au tt es restèrentdans les prisons,
parce que Napoléon se convainquit
par lui-même que ces misérables
étaient les victimt;s de leur obéis-
sance aux ordres d'un chef despo-
tique, et non, comme on a voulu le
dire depuis, des fanatiques qui brfi-
laient la ville sainte pour qu'elle
ne fAt pas profanée par les Fran-
NAP
çais ; les plus affreux désordres se
mêlèrent à cette horrible scène.
Le reste de la populace, que l'on
estime à près de 5o,ooo Ames,
se livra au pillage , et acheva la
ruine des immenses ressources
que^ renfermaient les magasins
de Moskou. Cependant, les sol-
dats français, par les efforts que
peut seul inspirer la nécessité,
parvinrent à sauver du sein des
<lécombres embrasés une quantité
assez considérable de provisions
en tout genre, et pendant les six
jours que dura l'incendie, ils trou-
vèrent le moyen de réparer leurs
forces épuisées par une si longue
marche et par leurs propres ex-
ploits. Ce fut un spectacle nouveau
que celui d'une armée victorieuse
campée autour d'une ville en
flammes, et soulagée par des se-
cours conquis encore par elle sur
l'incendie qui anéantissait le fruit
de ses triomphes. Cette terrible
scène française se passait à 800
lieues de Paris, autour du palais
de Petroffski.
L'insouciance, et cette sorte de
mépris des biens de la terre, na-
turels à des soldats à qui l'habi-
tude de la victoire tenait lieu de
prévoyance, dissipèrent prompte-
ment les ressources immenses ,
et celte abondance miraculeuse
qu'ils avaient retirée de l'incen-
die . Napoléon était rentré au
Kremlin. La destruction de Mos-
kou , en lui enlevant subitement
l'a-^ile où devait se reposer sa
marche triomphale depuis le Nié-
men , lui rendit la paix nécessaire.
Ce fut le dernier piège que lui
tendait la fortune. M. de Tou-
tolmin , directeur de l'hospice des
cnfans-trouvés, était le seul fonc-
NAP
(|Od
tionnaire russe qui fût resté à
Moskou ; il en fut récompensé :
son établissement fut sauvé. Na-
poléon le chargea de faire un rap-
port à l'impératrice douairière ,
protectrice de l'hospice des en-
fans-trouvés; et, par le courrier
qui porta ce rapport àPétersbourg,
il Gt des ouvertures de paix. Ce-
pendant l'homme de la guerre ,
celui pour qui le chanip de ba-
taille était presque une patrie, et
à qui la perte de Moskou était si
fatale, le jour même de son retour
au Rremlin se déclare le protec-
teur de tous les hôpitaux de celte
ville : ce fut son premier soin. Il
pourvut d'abord à l'entretien d'un
hôpital de i5,ooo blessés russes,
qui, ainsi que les nombreux ha-
bitans des hospices de Moskou,
avaient été dévoués aux flammes
par leurs barbares compatriotes;
mais , grâce aux soins infatigables
du duc de Trévise et de l'inten-
dant Lesseps, l'incendie ne put
arriver au quartier des hôpitaux.
Les blessés, les malades , sauvés
delà flamme que leurs compatrio-
tes avaient allumée, furent tous
soignés par les médecins de l'ar-
mée française, les mêmes peut-
être qui, deux ans après, dans la
capitale de la France, soignèrent
aussi les blessés russes avec le
plus rare dévouement. Ce fut la
France qui veilla à Moskou sur
les Russes. Une administration
aussi régulière que pouvait le per-
mettre la situation de l'armée fran-
çaise, préleva pour les hospices,
sur les besoins nrgens qui déjà se
faisaient sentir au milieu d'elle,
la dîme d'une religieuse huma-
nité, et le surnom de grand fut
sans doute donné à Napoléon par
4o4 NAP
les malades, les blessés et les or-
phelins (le Moskou. Cependant
le cotiiiier envoyé à Pélershourg
pour porter le rapport de M. de
Toutolmin et des propositions
pour la paix, revint sans répon-
se. Si le nom du gouverneur
Kostopcliin, incendiaire de Mos-
kou, doit passer à la postérité,
celui de l'hospitalier Toutolmin,
conseiller de la paix, doit présen-
ter à l'histoire une douce com-
pensation.
Le crime de Moskou était con-
sommé ;des ncufdixiémes de celte
vaste cité, de la grande ville im-
périale , de l'anlique Sion des
Shives, étaient détruits. Le minis-
tore de Castelreagh eut, dit-on,
un représentant dans le conseil
secret qui avait prononcé l'arrêt de
Moskou; il se nommait Schmidt ,
très-habile artificier. Cet honune
avait été établi , dés le mois <Je
juillet précédent, sur la route de
Kaiuga, dans le château de Wo-
ronzolT, où il avait fait l'exécrable
essai d'un ballon incendiaire ; mais
cette invention n'ayant pas réussi,
il y l'abriqua cette foule de tor-
ches, de mèches, de fusées et de
Jin-ilières embrasantes qui passè-
rent de ses mains dans celles des
criminels de Moskou. On assure
également que les 200,000 livres
sterlings notées par le parlement
d'Angleterre pour les incendiés
de Moskou, reçurent une autre
destination! Cependant, à la mê-
me époque où Schmidt travaillait
à la défense de la Piussie par l'in-
cendie de sa 'japifale, l'empenrur
Alexandre, qui présidait , le 27,
dans cette ville l'assemblée géné-
rale ■ des marchands , leur avait
Itpnoigné sa haute satisfaction et
NAP
sa reconnaissance pour le rare et
unanime dévouement avec lequel,
pour le salut et la défense de leur
patrie , ils s'étaient empressés de
lui. offrir les plus généreux sacri-
fices. Il est donc absolument im-
possible de croire , non-seulement
que l'empereur Alexandre ait pu
consentir à la destruction delMos-
kou , mais même que ce prince
eût eu connaissance de ce détes-
table projet. L'historien n'est-il
pas alors entraîné à présumer que
la même faction oligarchique qui
avait fait nommer Kutusow gé-
néralissiuie, avait conçu et exé-
cuté à elle seule le dessein d'in-
cendier la ville où elle dominait
depuis l'origine de l'empire russe?
Le fait est que, le 1 3 septembre,
un conseil de guerre fut tenu à
une demi-lieue de Moskou : il y
fut agité si on livrerait une der-
nière bataille sous les mius de la
capitale, ou si, ne pouvant la dé-
fendre , on la détruirait. Quarante-
huit heures après Moskou était
en feu; or, l'empereur Alexandre
était à Pétersbourg, à cent lieues
de Moskou.
Cependant deux armées russes,
éloignées du principal théâtre de
la guerre, allaient entrer dans les
opérations du généralissime Ku-
tuzow : c'était l'armée de réserve,
commandée par Tormazow, et
l'armée de Moldavie, par l'amiral
Tchitschagoff. Ces deux armées
réunies, fortes d'environ Go, 000
hommes, opérèrent leur jonction
derrière la Slyr, du i5 au 18 sep-
tembre. Le prince de Schwar-
zenberg, comnjandant le contin-
gent autrichien, ne leur opposait
qu'environ 42,000 hommes, dont
3o,ooo Autrichiens , et le reste
NAP
Saxons et Polonais, II avait déjà
facilement battu le général Tor-
mazow; mais la réunion du gé-
néra! Tchitschagoff le décida à se
retirer sur le Bug, pour couvrir
la Gallicie. Dès ce moment com-
mença la singulière inaction du
prince de Schwarzcnberg , qui
parut s'être imposé de ne plus
jouer que le rôle de témoin des
destinées françaises en Russie. Le
négociateur anglais, Horace Wal-
pole , envoyé à Vienne, paraît
n'avoir pas été étranger au nou-
veau système de coopération ,
qu'adopta tout-à-coup le général
autrichien. Celte allégation , qui
fut hasardée alors , trouvera peut-
être son témoignage dans la con-
duite de ce prince en janvier i8i5,
et dans celle de son cabinet.
L'Angleterre, qui joue un si
grand rôle dans les affaires de cet-
te mémorable époque, et dont
linflueuce active avait fait rejeter
à Pétersbourg les propositions
de paix, jointes au rapport de M.
deîoutolniin, s'était opposée éga-
lement à l'admission du 'général
Lauriston , porteur d'une lettre
de l'empereur Napoléon à l'empe-
reur Alexandre. Ce général fut
envoyé deux fois au quartier-gé-
néral de Kutuzow , où , après
avoir perdu, dans la vaine at-
tente d'une audience de l'empe-
reur Alexandre, les trois semaines
qui devaient être si fatales à l'ar-
mée française, il n'eut, dit-on,
du général russe que cette répon-
se : « f^ous nous offrez la paix;
)' notre guerre va commencer. »
Il n'y avait plus d'espérance de
paix, et il ne restait à Napoléon ,
de tous les trophées conquis pour
obtenir l'humiliation de la Russie,
NAP
/}0>
que les cendres de quelques ville*
incendiées par les vaincus, et la
nienace de l'hiver; ainsi le sol rus-
se lui devenait inhospitalier pour
la paix comme pour la guerre.
Il fallut donc opérer la retraite
avec tous les insignes de la vic-
toire. L'armée conquérante dut se
dérober à sa propre conquête, et ie
nom de la patrie retentit avec une
acclamatioti presque séditieuse
dans les rangs de vingt peuples,
qui avaient suiviàMoskou la terri-
ble forUlne de Napoléon. Frap-
pés du refus de la paix commo
d'un arrêt du ciel, et subitement
désintéressés de l'honneurde leurs
armes et du prix de leurs travaux,
ils aspiraient tumultueusement à
reprendre la route de tant d'ex-
ploits inutiles, et à franchir, à
marches forcées, l'espace immen-
se qui les séparait de la patrie
européenne.
On était au milieu d'octobre.
L'ne première évacuation de bles-
sés avait déjà eu lieu sous le com-
mandement du général INansouty.
Trente jours après l'entrée à Mos-
kou, commença l'évacuation gé-
nérale des hôpitaux sur Smolensk
et sur Mojaisk; le ig, l'armée
fut mise en mouvement. Le dé-
part fut accéléré de 24 heures
par \ct malheureuse affaire de Wo-
ronowo, en avant de Moskou ,
où le roi de Naples se laissa sur-
prendre , et perdit toute son ar-
tillerie et ses équipages. Il fallait
venger cet affront, et ne pas don-
ner au mouvement de la retrait»
la couleur d'une fuite devant l'en-
nemi; en conséquence Napoléon
ordonna de marcher sur Kutu-
zow. Depuis ce moment, la vic-
toire resta fidèle à l'arniée; le
4o6
NAP
même jour, à Pololsk, le maré-
chal Gouvion-Saint-Cyr repous-
se et met en déroute le général
"NVittgenstein ; le lendemain 20,
à plus de mille lieues de Moskou,
le général Dubreton, aujourd'hui
pair de France, immortalisait
!,5oo Français, avec lesquels,
après trente-cinq jours d'attaque
de l'armée anglaise commandée
par Wellington, et après cinq
assauts, il faisait lever le siè-
ge de liurgos ; grand fait d'ar-
mes, auquel toute l'injmftice de
la guerre d'Espagne n'Imprime
yucune tache, parce que la rivali-
té de la France et de l'Angleterre
le rendait tout national pour nos
armes !
Cependant la fortune de Napo-
léon , et malheureusement celle
de la France, était cernée par
trois périls d'une égale fatalité ,
la conjuration physique et morale
de la Russie, la guerre à outrance
de l'Espagïie , et une autre cons-
piration dans le sein même de la
capitale de la France. L'empereur
avait quitté Moskou le 22. Ses a-
dicux ressemblèrent à des impré-
cations qui devaient retomber
sur lui-même. Le 25, au moment
môine où par ses ordres, sautait
le fameux Kremlin, trois prison-
niers, les généraux Malet, Laho-
rie et Guidai, tentèrent de ren-
verser à Paris le trône de Napo-
léon, de lui fermer tout retour
dans sa patrie, et de le dévouer à la
pioscription de l'Europe. Saisis
par les audacieux conspirateurs,
le ministre et le préfet de la poli-
ce sont jetés dans les prisons.
Le commandant de Paris échap-
pe au pistolet de Malet, qui sou-
dain est arrêté avec ses deuxcom-
NAP
plices, et le 27, ils sont fusillés
sur la plaine de Grenelle. Ces
ex-généraux étaient républicains,
de l'école du général Moreau ,
dont ils voulurent ressusciter la
conspiration; elle manq,ua, parce
qu»^ Paris élait un trop grand
thé;1tre pour d'aussi pelitsacteurs.
Hors de Paris, peut-être même
hors des quartiers habités par les
autorités attaquées par Malet,
son entreprise eût été presque
inconnue. Avilie par l'insoucian-
ce générale, elle n'eût pas eu
même l'inquiétude des citoyens
pour garant de leur soumission.
Napoléon était absent, peut-
être il était prisonnier, peut-être
il n'était plus; Malet allirmait sa
mort dans sa proclamation. Mais
Napoléon avait laissé à Paris, ou-
tre le poids de son nom , et la
gloire d'être entré à Moskou ,
l'impératrice, un héritier et un
gouvernement légal, un pouvoir
de fait protégé par toutes les ha-
bitudes, comme par tous les inté-
rêts d'une population subjuguée
depuis 1 5 ans par son génie. Ma-
let avait conspiré seul ; il avait été
plusieurs fois gracié par l'empe-
reur, et entre autres fois à l'épo-
que du couronnement. Mais ses
intrigues obligèrent Napoléon à
le faire arrêter de nouveau. Ce
général n'était sûrement pas un
homme ordinaire, il eût été peut-
être un grand homme dans une
petite république, mais, en 1812,
en France, il ne pouvait être qu'un
aventurier , et sa conspiration
retombait dans la criminalité
d'un simple complot contre l'or-
dre public. Toutefois deux opi-
nions rivales furent réveillées par
cette lentaiive extraordinaire : les
NAP
>"ieux royalistes et les vieux ré-
publicains donnèrent des regrets
aux conspirateurs du 23 octobre.
Cependant la malheureuse ar-
mée était en marche et toujours
victorieuse, elle fuyait avec hon-
neur la terre de la destruction. Le
24 octobre, le prince Eugène ga-
gnait, à 00 lieues de Moscou, la
bataille de Malojeroslawetz sur le
général Kutuzow, après i5 heu-
res de combat, et vengeait la sur-
prise de Woronowo, comme s'il
était déjà destiné à réparer les
fautes du roi de Naples. Ce furent
les Italiens qui décidèrent cette
belle victoire. Le 5 novembre à
TV'iazma, à 56 lieires de Moscou,
l'arrière - garde française battait
l'ennemi. Le 14, l'armée a fait
cent lieues; elle est à Smolensk
au sein de l'abondance. Mais dès
le (i, la guerre de l'hiver a com-
mencé, et elle efface par ses fléaux
la guerre de toute la population.
Le ;• novembre le thermomètre
de Réauinur descend à 18 degrés.
Les chemins sont devenus subite-
ment impraticables. Tout délai
cependant est mortel pour la mar-
che de Tarmée, et elie doit quit-
ter Smolensk. le iG, sans pouvoir
emporter avec elle les subsistan-
ces amassées pour elle dans cette
grande ville. Plus de 3o,ooo che-
vaux avaient péri, dont iu,ooo
dans la marche sur Borisow; la
cavalerie , l'artillerie , les trans-
ports étaient presque générale-
ment démontés. Ce ne fut pas
seulement la gelée qui fit périr les
hommes et surtout les chevaux;
ce fut la soif, tourment affreux
?ur une mer de glace ! Asphyxiés
par le froid . les hommes mou-
raient eu maj-chaat; quelquefois
NAP 40;
la mort s'annonçait sur leurs vi-
sages austères par les convulsions
d'un rire sardonique. et terminait
leur vie par celles du désespoir le
plus sombre. Elle semblait obéir
à des lois inconnues de la nature
pour anéantir les héros de la Mos-
kowa. Tout fut notjveau dans cet-
te grande calamité, jusqu'à la
mort elle-même !
Dans les i5 premiers jours de
la retraite, il ne restait déjà plus
que des débris des 100,000 hom-
mes qui avaient vu brûler Mos-
kou , et ce fut dans la marche sur
Smolensk , que Napoléon apprit
la conspiration Malet!! Telle fut
la distraction que la fortune de-
venue implacable offrit à sa pen-
sée. Dans l'âme de Napoléon, un
tel événementdut combattre puis-
samment tous les maux de la re-
traite de Mo*kou. « L'ennemi était
«aussi à Paris : le foyer impérial
• avait été envahi ; peut-être était-
nil encore menacé. » Après avoir
vu le conquérant vaincu par les
élémens , l'Europe aurait pu voir
le dominateur détrôné par trois
de ses sujets !... Qu"éfait-il à une
armée mourante et fugitire? Il
n'y avait plus de place, a sa tête
ou dans ses rangs, ni pour Na-
poléon , ni pour Bonaparte... Au
milieu de ses débris, proscrit avec
elle, il n'existait plus ni pour l'Eu-
rope , ni pour la France Il
croyait alors qu'il était de sa des-
tinée de périr dans une tempête,
et non dans l'agonie d'une longue
infortune. Il ne pouvait revivre
qu'à Paris, d'où seulement il pou-
vait parler encore au monde et à
ses sujets. Telles sont les pensées
qui peut-être fermentent dans l'â-
me ulcérée de Napoléon. Cepen-
4o8
NAP
(lant tandis qu'il peut, frappé par
tant d'inforlunes, nourrir de som-
bres inquiétudes sur le sort de la
France et sur le sien, la France
toujours fidèle n'espère qu'en lui;
elle fait son devoir ; il fait le sien.
Le retour dans la capitale est dé-
cidé.
Cependant l'ennemi, maître de
Minsk, malheureiJsenient évacuée
par nos troupes, s'est placé entre
le Niémen et notre armée. Riitu-
sow, à la tète de 70,000 combat-
tans, a pressé sa marche, et le 19
à Rrasnoïil veut couper l'arrière-
}ïarde française. Le nom de la
Béiésina va devenir inmjortel !
Poursuivis par tous les fléaux,
îs5,ooo Français se font jour au
travers de la nombreuse armée
du vieux satrape. On ne sait ce
qu'est devenu le maréchal Ney et
son corps d'armée. Mais il lui
veste son invincible courage et
6,000 braves. A leur tète, il affron-
te les 5o,ooo Russes de Milora-
dowitsch, les enfonce, et tout-à-
coup, arrêté par d'insurmontables
obstacles, la nuit il affronte aussi
le Dnieper, le pas-^e sur la glace à
]>eine formée , échappe ainsi au
général russe qui croyait recevoir
le lendemain Tépée du brave des
braves, et rejoint à Orcha aux ac-
clamations de l'armée. En vain les
généraux français-russes , Lam-
bert et Longeron, se sont empa-
rés dcBorisow pour fermer le pas-
sage de la Bérésina : le 23 un fau-
bourg de cette ville est repris par
le uiuréohal Oiidinot, qui s'empa-
re de tons les équipages des géné-
raux TcbitschagolT et I-ambert.
Cependant, la situation de l'armée
française est des plus critiques,
depuis qnc la ligne de la Diiina
NAP
a été forcée et que l'auxiliaire
Schwarzenberg s'est retiré der-
rièra le Bug. Resserrée dans une
ligne étroite, seul passage qui res-
te à sa fuite, pressée sur sa droite
par Witsgenstein , sur s/i gauche
par Tchitschagofî, poussée par
Kutusow, décimée par tons les
fléaux de la nature et de la guerre,
elle n'a plus d'autre condition que
celle de vaincre ou de mourir
tout entière. Il faut arriver à
Wilna , où seront le repos et l'a-
bondance; elle n'en est plus sé-
parée que par quatre marches.
Déjà depuis Moscou, elle a laissé
derrière elle 180 lieues de frimas
et 5o,ooo de ses combattans.
Elle n'en compte plus que 80,000
soutenus par les corps du maré-
chal Oudinot et du luaréchal Vic-
tor. Celui-ci vient d'être affaibli
encore par la perte d'une division
que le général Partounneaux a
égarée et qui est prisonnière.
Sans la capitulation de ce géné-
ral, plus fatale que celle de Du-
pont à Baylen, l'étonnant passage
de la Bérésina se serait opéré sans
perdre un homme. TchitschagofT,
appelé sur un autre point par
Kutusow, laissa établir deux ponts
à Weselowo. Un passage a été
heureusement reconnu trois jours
avant par l'audace du général Cor-
bineau , qui , détaché près du
corps bavarois, avait ordre de re-
joindre le duc de Reggio. Ce gé-
néral trouvant Borisow occupé, et
sentant l'importance de passer la
rivière à tout prix, osa la traver-
ser à la nage, à minuit, à la tête
de sa brigade, pour donner des
nouvelles! Le génie de la guerre
est resté avec Napoléon. Le gé-
néralissime Kutuzow s'est laissé
NAP
surprendre trois marclies; il croit
que les Français ne preudronl
d'autre roule que le pont de Bo-
risow, et il a été trompé par l'ac-
tion inouïe du général Corbineau.
A 4 lieues de cette ville , au vil-
lage de Studziauca en face de
Weselowo, uialgré l'affreuse dé-
tresse où sont réduits tous les ser-
vices de l'armée, les ponts fu-
rent jetés miraculeusement sur
les aSo toises de glaçons que char-
rie la Bérésina, bordée d'ailleurs
d'impraticables marécages aux-
quels l'intensité du froid lui-mê-
me n'a pu donner de solidité. Les
26 et 27 novembre, s'effectue ce
fameux passage. Le maréchal
Oudinot à l'avant-garde. est bles-
sé en repoussant l'armée de Mol-
davie; mais l'intrépide, l'illustre
maréchal Ney, a réuni à son corp>
celui du maréchal et celui du
prince Poniatowski , et met hors
de combat l'armée de Tchilscha-
goff. A la lête des .j""* et 5"' de
cuirassiers, le brave général Dou-
merc enfonce six carrés d'infan-
terie, bouleverse la cavalerie rus-
se et fait 1.800 prisonniers. Avec
1 2,000 hommes seulement le ma-
réchal Victor, qui était resté de
l'autre côté du fleuve pour atten-
dre le général Parlnunneaux,con-
licnt les L\o,noo que commande
W'itsgenstein. La perle des Rus-
ses fut considérable en hommes
tués ou pris. Enfin la Béiésina est
franchie. Il reviendra des brav«-s
de Moskou; ils marchent sur Wil-
na. L'nc population nombreuse
de fuyards de Moskou , d'fjtran-
gers, de femmes, d'enfans, pres-
sée, foulée au milieu dti choc des
deux armées, renversée sous les
fourgons, sous les caissons de
NAP
409
l'arlillerie, dépouillée par les co-
saques, expirant sur la neige dans
les angoisses de la mort la plus
douloureuse, couvrait la plaine
de Weselowo. Beaucoup d'équi-
pages et une partie seulement de
rarlillerie du maréchal Victor,
restèrent au pouvoir des Russes,
ainsi que beaucoup de prison-
niers faits dans l'action, ou tom-
bés entre les mains de l'ennemi
par rencombrement qui leur ren-
dit impossible le passage des
ponts. L'artillerie des autres corps
avait passé avec eux sans le moin-
dre embarras. L'infortune et la
gloire des armes françaises sont
égales. Les témoins de la grande
armée qui n'est plus, viennent de
franchir la Bérésina. Ils sont les
seuls héritiers des triomphes de
Smolensk , de Polotsk el de la
Moskowa. La France va l'appren-
dre en lisant les pages mortuaires
du 29* builelin daté de Molo-
detscho le 3 décembre; le 28',
daté d(î Smolensk, était du 12
novend)re. Depuis ce jour, la
France et ses alliés ignoraient le
sort d'un d<'mi-million de sol-
dais.
Deux jours après, au quartier-
général de Smorgony, N ipolcon
convoqua le roi de Naples , le
vice-roi d'Ilalie et ses maré-
chaux, remit en leur présence le
commandement général au roi
de Naples, et partit pour Paris
dans un traîneau, accompagné du
duc de Vicence, sous le nom du-
quel il voyageait. Le choix dn
roi de Naples déplut à l'armée^
qui eût préféré le vice-roi. Les
événemcns de la retraite le prou-
vèrent bientôt. Le départ de Na-
poléon jtiUe l'arinéo dans une in-
4io
NAP
quiétude profonde, malgré les
promesses de fortune et même
(le gloire qu'il mêle à «es adieux.
« Je reviendrai bientôt avec
» 5oo,ooo hommes , et nous dic-
» ttrons encore des lois à l'Eu-
» rope. t> Napoléon eût été plus
grand, plus digne de celte armée
et de la France, s'il avait dit :
n Je vais à Paris préparer la paix
n de l'Europe, et donner pour tou-
"jours le repos aux braves de
» Moskou. » Qu'étail-il besoin de
parler de gloire à celle arn)ée
qui ne périssait que par le froid
et par la faim, et qui ne cessa
jamais un seul moment de vain-
cre dans sa retraite comme elle
l'avait fait dans sa marche sur Mos-
kou! Aussi les peuples de la Russie
dirent depuis : Ce n'est point te
général Kulusow qui a détruit tes
Français, c'est le général Moro-
sow (la gelée).
L'armée s'est traînée sur la
roule de Wilna, où elle se préci-
pite le lo décembre ; là, elle trou-
ve la plus grande abondance et
sa dernière destruction. D'im-
menses magasins sont ouverts à
l'avidité funeste du soldat; ils
reçoivent dans les maisons la fa-
tale hospitalité d'une race bar-
bare. Ils ont contre eux la faim,
Ja soif, l'épuisement, les vivres,
les secours, le repos et l'impla-
cable cupidité des juifs, qui for-
ment une grande partie de la po-
pulation. Ceux-ci les reçoivent,
les dépouillent, et les rejettent
nus dans les rues , où le froid
achève le crime de l'avarice. « Si
«on entend un de ceux qui fu-
nrent à Wilna se louer de son
» hôte , dit le général Guillaume
»de Vaudoncourt, on peut har-
NAT
ndiment assfirer que cet hôle fut
»un Polonais.» Il avait dit a-
vant : « Les plus modérés de leurs
«bourreaux se contentèrent de
»les jeter dans la rue, où bientôt
ails avaient cessé d'exister. Le
«plus grand nombre les assassine
» ou les dépouille auparavant. Les
«juifs surtout se signalèrent par
«cette lârhe cruauté, dont on
«trouve tant d'exemples dans
» leurs annales. «Tous les peuples,
et surtout tous les malheureux,
sont-ils encore pour les juifs é-
trangcrs à la France, des Madia-
niles et des Amalécites? Cons-
tanlino[»le les a vus, en i8aa,
massacrer les Grecs pour les dé-
pouiller, saisir de leurs mains
sanglantes les nobles filles de
leurs victimes, et exercer dans
un infâme bazar, à marché ou-
vert, le trafic de la prostitution
de ces orpheline* infortunées!
Le désordre fut à son comble
àWilna ainsi que le malheur. Le
lieutenant de l'empereur sembla
avoir oublié le prix du dépôt qu'il
lui avait confié. Aucun ordre pour
les distributions, aucun acte de
la moindre discipline militaire;
ce fut bien pire, quand le lende-
main il fallut évacuer Wilna. Au-
cune police ne présida ni au pas-
sage des troupes, ni à la marche
de ce qui restait encore d'équi-
pages militaires de toute nature.
Près de la porte occidentale de
Wilna, s. 'élevait une montagne
de glace, celle de Ponary, où
s'encombrèrent les équipages ,
sans pouvoir la franchir. Une
simple garde eût suffi pour faire
marcher successivement toutes
ces voitures. Elle ne fut point
ordonnée, et tous les bagages,
NAP
tout ce qui rc-^tait encore d'artil-
lerie, de caissons, de charriots
pour le transport des malades et
des blessés, de vint la proie des co-
saques. Enfin le froid rigoureux Gt
qu'on ne se garda pns. Si le roi
de Naples et les généraux se
fussent mis à l'arrière-garde, tout
aurait passé sans pert»; ni péril.
Mais tout le monde se chauffait,
et les cosaques tirèrent parti de
celte insurmontable nécessité.
Enfin, ce qui échappe à l'hospi-
talité de Wilna, au pillage des
cosaques, aux fléaux de la natu-
re, arrive à Kowno, dernière vil-
le russe qu'il faut évacuer le 16
décembre. Cependant il reste à
protéger le départ de l'armée, et
c'est les armes à la main que les
Français doivent quitter le sol qui
les dévore. Mais où sont des sol-
dats pour se battre encore? Ney,
qu'on retrouve toujours, Ney pa-
raît armé d'un fusil ainsi que Bel-
liard ! A la vue do plus grand hom-
me de guerre de l'Europe, du héros
dElchiugen et de la Mosk.owa,du
plus illustre maréchal de l'empi-
re tirant en soldai sur les soldats
russes, ime troupe de braves
prend aussi le fusil et se range
à ses côtés ; l'ennemi est repous-
sé, et les flammes de Rowno ,
seule ville brûlée par l'armée
française dans cette campagne ,
que l'incendie de tant de villes et
de villages leur a ouverte, et que
l'hiver seul vient de leur fermer,
annoncent à l'armée russe qu'il
n'y a plus de Français sur leur
territoire, que ceux qui sont morts
et ceux qui sont prisonniers. Peu
après l'évacuatioD de la Russie,
la gazette de Pctersbourg publia
ainsi le fatal dénombrement de
NAP
iit\
nos pertes : ofliciers prisonniers,
6,000 ; soldats prisonniers ,
i3o,ooo ; cadavres brûlés dans
les districts de Moskou , Smo-
lensk.Witepsk, Mohilovr, "NViIna,
3o8,ooo. — goo Pièces de canon.
100,000 fusils, 35,000 charriots et
caissons laissés en Russie, complè-
tent le tableau de nos désastres.
Le maréchal Macdonald, qui
commandait, lors de l'entrée en
Russie, l'extrême gauche de l'ar-
mée, avait pénétré en Livonie, et
menaçait Riga, quand il apprit la
retraite de Moskou. Il avait sous
ses ordres le contingent prussien
du général York. Il dut quitter
Mittau, le 19 décembre, pour re-
prendre la route de Tilsitt , et se
mil en marche avec une division
française, 12 pièces d'artillerie, et
la cavalerie prussienne du général
Massenbach. Le général York eut
ordre de le suivre à une journée
de distance. Auprès de Tilsitt, un
corps russe aux ordres du général
Lasko'w, voulut inquiéter la mar-
che du maréchal, mais il fut écra-
sé par le général Barhelu : quant
au général de Massenbach, il per-
dit une partie de son artillerie, et
deux de ses régimens mirent bas
les armes. Le 2g, le maréchal pas-
sa le Niémen, se croyant suivi par
le général York; mais le 5o dé-
cembre, ce général capitulait au
moulin de Poschernu, près Tau-
roggen , tant en son nom qu'en
celui du général de cavalerie Mas-
senbach, avec le major russe de
Diébitsch, pour le contingent prus-
sien. Cette défection inattendue
livra tout-à-coup aux Russes, la
rive droite de la Yislnle; aussi le
roi de Naples se vit- il forcé de
transporter brusqiKMDenl son quar-
4l2
NAP
tier-généralfle Kœnigsbcrg à Var-
sovie, et de là à Posen. Dans le
temps où cette négociation se tra-
mait, non entre le roi de Prusse
et l'empereur Alexandre, mais
entre le commandant russe et le
général York , mandataire du
T ugend-hund prussien , l'inaction
singulière dont le contingent au-
trichien avait été frappé à l'épo-
que de la réunion de l'armée de
Moldavie à la réserve de Torma-
sow, prit la couleur d'une vérita-
ble neutralité, qui continua à en-
chaîner les mouvemens du géné-
ral Régnier, comme la défection
prussienne avait annulé les opéra-
tions défensives du maréchal Mac-
donald. Le prince de SchAvarzen-
berg rentra dans la Gallicie autri-
chienne, et le général Pœgnier,
abandonné tout-à-coup à ses pro-
pres forces , se retira sur le Bug
avec ses braves et fidèles Saxons.
Ainsi, ce lut entre deux défections,
dont une de famille, que les glo-
rieux restes de l'armée française
reparurent sur le territoire de
l'Europe alliée; ainsi, la fortune se
plaisait à prendre les formes les
plus monstrueuses pour accabler
les Français. Echappés aux fléaux
de la nature, ils étaient attendus par
ceux de la politique.
A cette fatale époque, l'armée
française présentait encore un é-
tat numérique de 146,000 hom-
mes, dont 68,900 formèrent les
garnisons de Dantzick, de ïhorn,
deModlin, de Zamosc, de Czento-
kau,de Stcttin, de Custrin, de
Glogau et de Spandau. 11 ne res-
tait donc de troupes de bataille
que 77,000 hommes, dont 12,000
Français sous le prince Eugène,
10,000 Saxons sous le général Re-
NAP
gnier, et 10,000 Polonais sous le
prince Poniatowski : eu tout
52,000 hommes. Les 20,000 Prus-
siens du général York , et les
25,000 Autrichiens du prince de
Schwarzenberg , alliés et auxi-
liaires si empressés de l'armée
française à son départ pour la
Russie, lui avaient enlevé 45,ooo
combattans , avec lesquels elle
aurait pu conserver la ligne de la
Vistule , dont elle occupait toutes
les forteresses. Ainsi le drapeau
français ne comptait que 12,000
nationaux en campagne , suivis
par toutes les forces de l'empire
russe, sur une terre infidèle ou dé-
jà ennemie!
Ce fut, comme nous l'avons
dit, pendant la route de Mos-
kou à Smolensk que Napoléon
avait pris le parti de revenir en
France. Il s'en était ouvert au
prince de Neuchâtel, et aux ducs
de Frioul et de Vicencc, avec
qui et sous le nom duquel il
déclara vouloir voyager. Je pè-
serai plus, lui dit -il, sur mon
trône aux Tuileries, qu'à la iêle
de C armée. Au surplus, je ne quit-
terai l'armée que quand elle aura
rejoint ses renforts, que ses sub-
sistances seront assurées, et quelle
n'aura plus de chances à courir.
Napoléon partit donc le 5 décem-
bre de Smorgouy (où le général
Hogendorp , gouverneur de W il-
na, s'était rendu), après qu'il se
fut bien assuré que les communi-
cations et les subsistances de l'ar-
mée étaient assurées dans cette
dernière ville, et que là serait le
ferme de la retraite. Arrivé dans
la nuit à Ochsmiana , petite ville
occupée par une réserve de 10,000
hommes venue de Kœnigsbcrg, il
NAP
s'en fallut peu qu'il ne courût
le plus grand danger. La garnison
s'élait laissé surprendre par les co-
saques, qui avaient pénétré sur la
place de la ville. Ils venaient seule-
ment d'être repoussés quand Napo-
léon y entra. Il s'arrêta dans le fau-
bourg de Wilna, où il vit le duc de
Bassano, son ministre des relations
extérieures, et où il eut la certi-
tude du bon étal des magasins de
cette place pour les subsistances
de l'armée. A Warsovie , il visi-
te les fortiflcations du faubourg
de Praga, si tristement fameux
par le massacre que les Russes
y firent des ba!)itans sous le rè-
gne de Catherine II. Le 14 dé-
cembre, il était à Dresde, où il
vit le roi de Saxe; de là il parlit
pour Erfurth , où il quitta son
traîneau pour prendre la voiture
du baron de Saint-Aignan , sou
ministre à Weymar. Il traversa
Mayence, et le 19 à minuit, a-
près un lête-à-tête de quatorze
jours et quatorze nuits, le duc de
Vicence déposa l'empereur au
palais des Tuileries , le lende-
main de la publication dans la ca-
pitale du fatal 29* bulletin. L'im-
pératrice venait de se mettre au
lit, et la consigne du palais en
rendait les approches dilFiciles
à la modeste voiture qui renfer-
mait l'empereur et le duc de Vi-
cence. Cependant les grilles s'ou-
vrirent, et Napoléon, rendu à sa
femme et à son fils, dut ressentir un
dccesmomensde félicité exlrordi-
naire, auquel il semble qu'aucune
âme humaine ne puisse suffire. Ce
souvenir si tendre fut sans doute,
I)endant les six années de Sainte-
tléléne, le plus cruel lounnent de
sa captivité.
NAP 4i3
Le lendemain, la salve accoutu-
mée annonça son retour à la capi-
tale. Il avait dérobé à l'Europe
quatorze jours de sa vie, dont les
dernières heures venaient d'être
données tout entières à ses plus
tendres affections; il rentra le 20
décembre dans le domaine de l'his-
toire. Le lever fut nombreux; tout
Paris y courut demander des nou-
velles de l'armée. Les harangues
du sénat, du conseil-d'état, des
cours judiciaires, des corps admi-
nistratifs, de l'université, reprirent,
ce jour et les suivans, ce protoco-
le obligé de félicitations et de flat-
teries qui, dans les circonstances
critiques où l'empereur se trouvait
précipité, ne lui montrèrent que
plus grands les périls qui le mena-
çaient. Napoléon sentait bien que
le partage de la fortune devenait
égal entre la nation et lui, et qu'il
plaidait, devant la France, la cause
du salut public. Il savait aussi que
si le malheur était général, il n'y
avait que lui pour le combattre.
Auss^i jamais son génie, comme
s'il venait d'être subitement rajeu-
ni par l'adversité, nedéveloppa-t-
il de plus vastes puissances. La
connaissance approfondie qu'il se
plut à prendre de tous les moyens
et de tous les détails de la conspi-
ration Malet, ne contribua pas peu
à retremper cette aclivité dévo-
rante, source de tant de créations.
Kien en effet, même à la tête des
naufragés de Moskou, et voyageant
sur leurs débris, rien ne devait pro-
duire sur un homme aussi passion-
né pour le pouvoir, une impression
plus profonde et plus tyrannique.
(|ue le complot de Malet. Il l'exa-
mina , et s'en fit rendre compte
dans les plus minutieux détails.
Il^
NAP
Ce qui le frappa beaucoup plus
que l'audace de Malet , l'ut ce
qu'il appela si improprement la
trahison du préfet de la Seine,
dont la conduite fut l'effet de la
plus déplorable crédulité. A la
première réquisition qui lui fut
faite au nom de Malet, ce Inagis-
trat avait fait préparer la salle des
conférences à l'hôtel de la Préfec-
ture,sans faire la moindre observa-
tion. Vainement on fit valoir et la
probité et les services du préfet,
et le saisissement dont le succès
de l'entreprise de Malet l'avait
soudainement frappé. Napoléon
ordonna une instruction, et exigea
un vote individuel des membres
de son conseil-d'état. Ils ne pu-
rent absoudre leur collègue, il fut
condamné par le conseil; mais Na-
poléon se contenta de l'éloigner
des affaires, et n'eut pas seulement
la pensée de lui appliquer la peine
des traîtres. Cependant il le con-
sidérait comme tel, en pensant
que le préfet de la capitale s'était
fait subitement, et sans opposition,
l'agent d'une révolution, plutôt
que d'aller se ranger près du fils
et de la femme de son souverain ,
à qui il avaitprêté serment. Il rap-
pela à cette occasion la conduite
de Mathieu Mole, en d'autres cir-
constances, et rien n'échappa à
Napoléon dans cette enquête, qu'il
fit aussi contre lui-même. Il vit
que la révolution n'était pas morte,
et que sa dynastie n'avait pas pris
racine, même parmi tes membres
fie son conseil. Il se sentit donc
blessé au cœur par les détails de
cette misérable entreprise, et il
prit à tâche de dompter par de
nouveaux efforts, par des travaux
surhumains, la conspiration euro-
NAP
péenne, que l'Angleterre condui-
sait contre lui dans le nord et dans
le midi de l'Europe. Il connaissait
toute la profondeur de l'abîme où
la destinée voulait le précipiter.
Peut-être même, par le secret que
lui seul avait de sou caractère, sa-
vait-il qu'il succomberait et était-
il déjà résigné à sa perte. Mais il
avait trop occupé le monde, pour
ne pas chercher à lui donner a-
vant sa chute la représentation d'un
grand duel entre l'Europe et lui :
drauje terrible dont la France se-
rait le théâtre, et la retraite de
Moskou l'avant-scène.
i8i3.
La France était devenue une
place d'armes, et le palais un con-
seil ; toutes les affaires civiles, po-
litiques et militaires, se ressen-
taient de la présence infatigable de
Napoléon. Il présidait chaque jour
plusieurs comités, et veillait assi-
duement à la fortune intérieure
et extérieure de l'état. Jamais il
n'avait plus gouverné : rien n'é-
chappait à sa prévoyance, rien ne
résistait à sa volonté de faire mar-
cher la France entière dans la nou-
yelle carrière où il allait s'enga-
ger avec elle. II trouvait partout
un élan vraiment national, que le
deuil de Moskou et le péril de la
patrie avaient produit. Cette é-
poque rappelait, douloureusement
il est vrai, celles où la défense de
la libertè'armait la France entière,
et elle devait avoir de plus toute
l'énergie que pouvait donner le
souvenir de 20 aimées d'une gloi-
re subitement réduite à protéger
le foyer paternel. Le 11 janvier,
une levée de 200,000 hommes fut
décrétée par le sénat; ces nouvel-
NAP
les phalanges coiirtirenl an dra-
peau. Le mot d'invasion fut élec-
trique, et le sentiment de se rallier
autour des nobles débris de .Mos-
kou.futtout-puissantsurcette jeu-
nesse belliqueuse, que Napoléon
allait commander eu personne.
Cependant s'il cherchait à obte-
nir un nouvel empire sur l'opi-
nion, par les immenses prépara-
tifs militaires dont toute la France
était ébranlée, il ne négligea pas
de se l'assurer encore par un trai-
té de haute politique, qui pouvait
rattacher la cause de la France à
celle de la cour de Rome, et res-
serrer nos relations avec les puis-
sances catholiques. Le 25 janvier,
à la suite d'une chasse à Grosbois,
il se rendit inopinément à Fontai-
nebleau , traita lui-même avec le
pape^ et après trente-six heures
de conversation et d'explication,
dans les meilleures formes , avec
le saint-père, il obtint ce que n'a-
vaient pu obtenir tous les négocia-
teurs qu'il lui avait envoyés. Ln
concordat fut signé. Mais la publi-
cation de ce traité, .yi'il voulait
tenir encore secret, l'irrita. Ce
traité eut le sort de ceux qui sont
conseillés par la nécessité, et qui
n'ont de garantie que la bonne foi
descontractans. Les intérêts tem-
porels remportèrent bientôt sur
ceux de l'église. L'institution ca-
nonique des évêques de France ,
convenue par le concordat, ne
leur fut pas donnée, et la nouvelle
religion de la co.dition prévalut
sur le rétablissement juré à Fon-
tainebleau, de Tantique exercice
du pontificat en France. Celte dé-
fectioa, toute p()liti(|(ie en elle-
même, exerça une grande puis-
sance morale sur l'Italie et s«ir les
états catholiques, et elle ne se
?nontra sous son vrai jour qu'aux
stipulations du traité de Paris.
Cependant , le 5 janvier , la
trahison du général York avait
ouvert aux Russes les portes de
Krenigsberg. et, le 27, le roi
de Naples avait remis au vice-roi
d'Italie le commandement géné-
ral de l'armée. Investi par l'em-
pereur de la conservation de ce
dépôt sacré pour la France , ce
souverain avait, de son propre
mouvement et sans avoir consulté
Napoléon , quitté le quartier-gé-
néral de Posen , et reprenait, dé-
guisé en voyageur allemand, la
route de ses états. Dix jours a-
près, le 27 janvier, le Moniteur
publia l'article suivant : •Le roi
» de Naples, étant indisposé^ a dû
» quitter le commandement de l'ar-
rimée, qu'il a remis au prince vice-
oroi. Ce dernier a plus l'habitude
r^ d'une grande administration ; il
»a la confiance entière de l'empe-
» reur. » Le 2.'j , Napoléon avait
écrit . de Fontainebleau , à la reine
de Naples : « Le roi a quitté l'ar-
" mée : votre mari est très-brave sur
1) le champ de bataille, mais il est
n plus faible qu une femme ouqu'un
» moine quand il ne voit pas l'en-
onemi; il n'a aucun courage mo-
«ral. o Deux jours après, il écri-
vait au roi lui-même : 1 Je ne
nvous parle pas de mon méconten-
» tementde la conduite que cous avez
n tenue depuis mon départ de l'ar-
» mée : cela provient de la faiblesse
a de votre caractère. Vous êtes un
• bon soldat sur le champ de balail-
»Ip; mais, hors de là, vous u'accz
» ni vigueur, ni caractère. Je sup-
>) pose que tous n'êtes pas de ceu.i-
nqui pensent que le lion est mort ,,
4iO
NAP
«et qu'on peut
») si vous faisiez ce calcul, il serait
vfauiv. Vous m'avez fait tout le
«mal que vous pouviez depuis mon
» départ de Wilna, mais nous ne
1) parlerons plus de cela. Le litre de
» roi vous a tourné la tête : si vou.s
«DÉSIREZ LE CONSEBYCK, COSDUISEZ-
» VOV8 BIEN. »
Cette dernière phrase, et sur-
tout l'article du Moniteur, ne
pouvaient qu'égarer davantage,
et peut-être irriter au pîus haut
degré, un esprit que Napoléon
lui-même savait être aussi faible
qu'il le dépeignait. Et ici, peut-
être, n'est-il pas hors de propos
de remarquer que Napoléon s'é-
tait plus fait d'ennemis implaca-
bles par les personnalités dont il
attaquait directement, dans son
Moniteur, les hommes puissans
de l'Europe, que par ses violences
envers les gouvernemens eux-
mêmes. On se rappelle ce qui fut
écrit contre lord Caslelreagh , con-
tre le comte de Stadion, coq Ire le
baron de Stein , contre la reine
de Prusse, etc. On se souvint de
tout, au ])remier et au second
traité de Paris, où la vengeance
était entre les mains des oilensés.
Le roi de Prusse avait publi-
quement témoigné son indigna-
lion sur la conduite du général
York. Une correspondance avait
lieu entre ce prince et le cabinet
de France; elle ne cessait de pro-
tester de la fidélité du roi à l'al-
liance, rendait compte des ordres
donnés pour le jugement du gé-
néral et son arrestation, et de son
remplacement dans le comman-
dement des troupes piussiennes.
Mais en assure que, dans le même
temps, d'autres protestations é-
NAP
talent faites à Wilna , et mieux
accueillies. On est même porté à
croire que la nouvelle des désas-
tres de notre armée était parvenue
à Berlin antérieurement au 20 dé-
cembre 1812, et que le cabinet,
à l'insu du roi, dont la bonne foi
ne fut jamais soupçonnée par le
gouvernement français, avait don-
né au général York des pouvoirs
extraordinaires, d'où était résul-
tée la convention de Tauroggen ;
de sorte que toutes ces protesta-
tions , les unes du roi à la France,
les autres de son cabinet à la
Russie, étaient également véri-
tables, et eurent alors le même
succès dans la confiance des deux
empereurs. Mais le cabinet, or-
gane caché du Tugend - bund ,
l'emporta bientôt sur le prince ,
et tandis qu'il arguait vis-à-vis de
celui de France de la neutralité
devenue nécessaire de son souve-
rain , toutefois sous le prétexte
que cette neutralité se trouvait
compromise à Berlin par le voisi-
nage et les inouvemens des armées
belligérantes, il décida le roi, le
22 janvier, à partir pour Breslaw.
Dans cette dernière ville, l'al-
liance conserva encore des for-
més amicales, et le 16 février,
elle en prit même de protectrices,
par la note que le baron de Har-
denberg adressa au comte de
Saint- Marsan, ambassadeur de
France. Cette note avait pour
objet la proposition de l'entremi-
se de la Prusse pour une négocia-
lion entre les deux empereurs, et
celle d'une trêve, en vertu de la-
quelle les places fortes de l'Oder
seraient remises aux Prussiens,
ainsi que les villes de Pillaw et
de Dantzick, conjointement aux
NAP
Saxons; les Russes «levaient «c re-
tirer sur la Vistule, et les Français
sur l'Elbe, et la neutralité serait
accordée aux provinces prussien-
nes et saxonnes situées entre ces
deux fleuves. Mais Napoléon re-
fusa cette proposition par la con-
fiuooe étrange qu'il donna an ca-
binet de Vienne, et aux serïtiinens
de son beau-père. Cependant, la
neutralisation subite du contin-
gent autrichien ne lui était pas
inconnue, et il devait calculer, in-
dépendanniieiit de l'exeniple si
dangereux de l'accession prussien-
ne aux intérêts de la Russie, tout
le poids que la Prusse entière al-
lait mettre militairement contre
lui dans l< s chiinces de la guerre.
Ce relus de Napoléon redoubla l'ir-
ritation du Tagend-bttnd [inissien,
dont il avait si impolitiquement re-
fusé les propositions à l'époque qui
suivit la bataille tl'Iéna. L'union de
la vertu lui demandait alors d'af-
IVanchir l'Allemagne, et de lui don-
ner des constitutions représenta-
tives. Son refus lui fit une ennemie
implacable de cette association,
qui venait de lui enb-ver If» coopé-
ration prussienne par la défection
du général Yoik, et qui le mena-
çait d'une vengeance nationale ;
mais Napoléon dédaigna la haine
de la Prusse et l'intervention de son
souverain , et dix jours après, le
2^ février, le baron de Harden-
bcrg sù;nait à Breslaw le traité
d'une alliance ofléusive et défen-
sive entre la Russie et la Prusse.
Ce traité n'était toutefois qu'une
anipliiition d'un premier traité
qui avait été stipulé dans les pre-
miers jours de février ù 'NVilna et
ù Kalisch, mais dont l'exécution
dépendait du refus de^ proposi-
T. xir.
AV
-IT
tions émises le i6 par la note dir
baron de Hardonberg. Cependant
à la faveur du maintien de sa neu-
tralité, ou sous le prétexte mê-
me de son alliance, la Prusse avait
employé les intervalles de la né-
gociation, à multiplier ses forces
et ses armemens. Les édits de Bres-
law des 5, 9 et 20 février irvaient
appelé aux armes toute la p(»pula-
tion virile de la Prusse, et un moi»
après, la Prusse comptait i5o,ooa
coinbatlans. Mais le traité du 27
février, signé à Breslaw, était en-
core secret pour 1 1 cour des ïui-
lerii's , à laquelle il ne fut notifié
que le 16 mars suivant. La sixiè-
me coalition continentale était for-
mée contre la France.
A celte époque, le grand coup
d'état européen se préparait silen-
cieusement dans le nord de l'Eu-
rope. Il était venu de l'Angleterre,
avait provoqué et suivi les mal-
heurs de nos armées. Il marchait
sotis les bannières russes, s'était
introduit déjà avec succès dans les
conseils de la Prusse, et avait pous-
sé une heureuse reconnaissance
jusque dans la capitale de l'Autri-
che. Deux diplomates, sir Horace
W'alpole, pour le cabinet de Lon-
dres, et le comte de Stakelberg
pour le cabinet russe, arrivaient
à Vienne, sans caractère officiel,
mais non pas sans mission. Ils y
furent bientôt accrédités par les
nouveaux intérêts dont ils flânè-
rent l'Autriche, et par la harnc
personnelle que M. de Sladion*
digne héritier des passions du
prince de Kaunitz, portait à la
Trance et à Napoléon. Vienne de-
vint bientôt un point central de
correspondance entre les cours
de Londres, de Pélersbourg et
4i8 TSAP
de Brcsiaw. RJ. de Leiizollern fut
envoyé par l'Autnche à AVilna,
où résidait le comte de Ne?selro-
de, et le comte de Stakolher^ a-
{j;issait à Vienne d'accord avec le
baron de Hiiniboldt , ministre
prussien. Il n'y avait donc que la
i'orce des armes qui , après son
dernier refus, pouvait protéger
Napoléon contre une conspira-
lion aussi l)ien ()ur4ie. Ce moyen
était extrCîme pour la France et
même pour l'Europe. Le besoin
de la paix était impérieux pour
le continent comme aussi pour la
Russie, dont toulelbis la'vengean-
ce était légitime ; la guerre à
outrance n'était continuée et ex-
citée que pour arriver à une paix
durable par ralïaiblisscment de la
puissance de Napoléoh. La Gran-
de-Bretagne, excentrique dans sa
politique comme dans sa position
physique, n'avait d'autre but pour
«îonserver l'empire des mers que
l'abaissement de la France ; et
tandis qu'elle dirigeait sur le con-
tinent la grande conjuration du
Nord et du Midi contre l'enne-
mi commun, son hôte auguste
d'Hartwell publiait, dans les pre-
tniers jours dq février, la déclara-
lion suivante, que le cabinet bri-
tannique faisait jeter par ses croi-
seurs sur les côtes de Franco :
« Louis XVIII, etc , etc
»Le moment est enfin arrivé où
»la divine providence semble prê-
»te à briser l'instrument de sa co-
»lère. L'usurpateur du trône de
» saint Louis, le dévastateur de
» l'Europe, éprouve à son tour des
«revers. Ne feront-ils qu'aggraver
»les maux de la France, et n'o-
»sera-t-elle renverser xin pouvoir
«odieux que ne protège plus le
NAP
«prestige de la victoire? Quelle»
«préventions, ou quelles craintes
«pourraient aujourd'hui l'empê-
»cher de se jeter dans les bras de
«son roi, et de reconnaître dans
«l'établissement de sa légitime au-
«torité le seul gage.de l'union, de
»Ia paix et du bonheur, que ses
«prtnnesses ont tant de fois garan-
»)lis à ses sujets opprimés?
«Ne voulant, ne pouvant tenir
» que de leurs efiorts le trône, que
«ses droits et leur amour peuvent
«seuls affermir, quels vœux seront
» contraires à ceux qu'il ne cesse de
9 former?quel doute pourrait s'éle-
«ver sur ses in tentions par ternelles?
«Le roi a dit dans ses déclara-
«tions précédentes (des n» mars
» 1799 et 2 décembre i8o4)'. et il
«réitère l'assurance que les corps
«administratifs et juiliciaires se-
«/;ont maintenus dans la plénitude
«de leurs attributions; qu'il con-
«s^ervera leurs places à ceux qui
«en seront pouvus et qui lui prê-
«teront serment de fidélité; que
«les tribunaux, dépositaires des
«lois, s'interdironttoutes poursui-
» tes relatives à ces temps malheu-
)) reux, dont son retour aura scellé
«pour jamais l'oubli; qu'enfin le
«code, souillé du nom de Napo-
«léon, mais qui ne renferme en
«grande partie que les anciennes
«ordonnances cl coutumes du
«royaume, restera en vigueur, si
«l'on en excepte les dispositions
» contraires aux dogmes religieux, '
«assujettis long-temps, ainsi que
«la liberté des peuples, aux capri-
«ces du tyran.
« Le sénat, où siègent des hom-
«mes que leurs talens distinguent
«à juste litre, et que tant de ser-
» vices peuvent illustrer aux yeux
«de la France et de la postérité,
» ce corps, dont l'utilité et lim-
» portance ne seront bien recon-
»nues qu'après la restauration,
» peut-il manquer d'apercevoir la
)i destinée glorieuse qui l'appelle
»à être le premier instrument du
• grand bienfait qui deviendra la
» plus solide comme la plus hono-
nrable garantie de son existence
«et de ses prérogatives?
• A l'égard des propriétés, le
»roi, qui a déjà annoncé l'inlen-
stion d'employer les moyens les
«plus propres à concilier les in-
Dtérêtsde tous, voit lesnombreu-
»ses t'-ansactions qui ont eu lieu
«entre les anciens et les nouveaux
«propriétaires, rendre ce soin
«presque superflu ; il s'engage
«maintenant à interdire aux tri-
«bunaux toutes procédures con-
«traires à ces transactions , à en-
j>courager les arrangemens volor-
«taires, et à donner lui-inème,
» ainsi que sa famille, l'exemple
»de tous les sacrifices qui pour-
» ront contribuer au repos de la
«France et à l'union sincère de
«tous les Français.
M Le roi a garanti à l'armée la
» conservation des grades, em-
»plois , solde et appoinlemens
«dont elle jouit à présent. l\ pro-
» met aussi aux généraux, officiers
■ et soldats qui se signaleront en
» faveur de sa cause, inséparable
• des intérêts du peuple français,
• des récompenses plus réelles,
» des distinctions plus honorables
»que celles qu'ils ont pu recevoir
«d'un usurpateur, toujours prêt
»à méconnaître ou même à re-
» douter leurs services. Le roi
• pieod de nouyeau l'eugagement
^AV
419
» d'abolir cette conscription fu-
nneste, qui détruit le bonheur des
«familles et l'espérance de la pa-
» trie.
«Telles ont toujours été, telles
«sont encore les intentions du roi.
» Son rétablissement sur le trône
»de ses ancêtres ne sera pour la
«France que Iheureuse transition
3 des calamités d'une guerre que
» perpétue la tyrannie, aux bien-
» faits d'une p-îix solide, dont les
» puissances étrangères ne peuvent
«trouver la garantie que dans la
«parole du souverain légitime.
» Donné ù llartwell , 1*' février
» i8i5. »
Lord Castelreagh inclinait dans
le conseil pour traiter avec Napo-
léon. Il n'en était pas de même
de lord Liverpool, et de quelques
autres ministres. Ceux-ci ne pou-
vaient pas négliger la publication
d'un pareil document, qui expri-
mait le renversement du trône de
Napoléon ; aussi les croiseurs an-
glais eurent-ils l'ordre de le ré-
pandre sur les côtes de France.
Mais le service des côtes était si
bien fait, que cette déclaration fut
tout-à-fait inconnue de l'immense
majorité des Français , et sans la
discussion qui eut lieu le la mars
suivant dans la chambre des com-
munes relativement à la part que
le ministère anglais avait pu avoir
ù la publication de cette adresse,
elle fût restée presque entièrement
ignorée de l'Europe. Ce fut alors
que lord Castelreagh , interpelé
de déclarer si cette pièce avait été
publiée avec le concours ou l'assen-
timeiit des ministres , répondit
simplement , qu'elle l'avait été
sans leur sanction. Le peuple fruu
4'-io
NAP
çais proprement dit n'eut aucune
connaissance de cette déclaration;
jl n'en fut pas de même de l'empe-
reur Napoléon , qui ne se trompa
ni sur la nature de cette hostilité,
ni sur la main puissante et cachée
qui la protégeait. L'Angleterre ne
négligea aucun intérêt dans cette
lutte, qui devait être la dernière ;
elle se ressouvint des anciennes
inimitiés de Bernadotte et de Na-
poléon, et, le 5 mars, elle signa
à Stockholm un traité qui donnait
à la coalition une armée de 5o,ooo
Suédois, et A laSuèdeun subside
de 24 millions, avec la cession de
la Guadeloupe , que le général
Ernouf avait abandonnée aux
Anglais le 6 février 1810. Tels
étaient, indépendamment de l'ac-
tion toujours croissante de la guer-
re de la péninsule, les périls ameu-
tés contre Napoléon ; mais la dé-
claration d'Hartwell fut peut-être
de toutes les armes employées
contre lui, celle qu'il redoutait
le plus; elle lui opposait tout-à-
coup un ennemi inconnu depuis
vingt ans , la iégitimité , et à la
face de l'Europe elle qualifiait
d'usurpation la puissance qu'il
avait reçue du peuple français,
et contre laquelle l'Europe allait
s'armer tout entière, parce qu'elle
n'en reconnaissait que trop bien
la possession.
On jugera du désintéressement
profond où l'Europe était alors de
l'ancienne dynastie française, par
les efforts qu'elle fit tout entière,
soit à Prague, soit à Dresde, soit à
Francfort, soit même à Châtillon ,
pour conserver à la nouvelle le trô-
ne de France proprement dit. Au-
cune puissance, pas même la Rus-
sie, à cette dernière époque, n'a
NAP
eu l'idée de la destruction du gou-
vernement impérial de France.
Alexandre voulut venir A Paris,
parce que Napoléon avait- été à
Moskou : cela seul rompit la né-
gociation de Châtillon. C'était à
Paris qu'Alexandre voulajt signer
et dicter la paix. Nous ne craignons
pas de le dire, parce que tous les do-
cumens de cette assertion sont
d'hier et dans la mémoire de trente
millions de Français, comme aus-
si dans celle du million d'étrangers
qui assistèrent aux derniers ino-
mens de l'empire. Napoléon seul,
par son opiniâtreté, a rendu le
trône à la maison de Bourbon, et
ce qu'il y a de plus précieux en
fait de témoignage à cet égard, c'est
qu'à Sainte-Hélène môme, pen-
dant les longs jours de ga captivi-
té, il persista à s'applaudir de sa
conduite à Châtillon. Selon lui, il
n'avait qu'un reproche à se faire,
celui de n'avoir pas fait la paix à
Prague. Cet homme, aussi étrange
que supérieur, cet homme tout-à-
fait à part dans la nature comme
dans l'histoire, mourut amoureux
de la volonté qui l'avait détrôné.
Dans sa réponse au sénat, le ao
décembre 1812, l'empereur avait
dit : K J'ai à cœur la gloire et la puis-
» sance de la F'rance, mais mes pre-
«raières pensées sont pour tout ce
»qui peut perpétuer la tranquillité
» intérieure, et mettre à jamais mes
«peuples à l'abri des déchiremens
» des factions et des horreurs de
«l'anarchie; c'est sur ces ennemies
))du bonheur des peuples que j'ai
«fondé, avec la volonté et l'amour
» des Français, ce trône auquel sont
«attachées désormais les destinées
»de la patrie Lorsque j'ai en-
» trepris la régénération de la Fran-
NAP
» ce, j'ai demandé à la providence
» un nombre d'années déternjiné. . .
«Nos pères avaient pour cri de ral-
«liement : Le roi est mort , vive le
• rail Ce peu de mots contient les
«principaux avantages de la nio-
» narchie. Je crois avoir bien étn-
«dié l'esprit que mes peuples ont
«montré dans les dilTérens siècles;
» j'ai réfléchi à ce qui a été fait aux
» différentes époques de notre histoi-
» re, j'y penserai encore. »
' Napoléon y pensa le 5 février
1 8 15, où parut le sénatus-consnlte
qui détermina la forme de la régen-
ce pendant la minorité de l'empe-
reur des Fiançais. Les lettres-pa-
tentes du 5o mars suivant conférè-
rent cette régence à l'impératrice.
L'empereur fit donc ce qui avait
été fait aux différentes époques de
notre histoire; et souverain nou-
veau, il se plut à rentrer ainsi dans
le droit coumiun des rois par héri-
tage. Il en avait subi la nécessité
le jour où sa tête consulaire avait
reçu du pontife de Rome l'onction
impériale.
Le i4 février, l'empereur fit
solennellement l'ouverture du
corps-législatif, et rendit compte
à grands traits des motifs et des
malheurs de la guerre de Russie,
de la magnanimité de l'armée
française, de la valeur de ses al-
liés, de leurs services, des com-
plots de l'Angleterre, de ses s»;n-
limens particuliers sur la paix.
«Je la désire, dit-il, elle est né-
«cessaire au monde. Quatre fois
"depuis la rupture qui a suivi le
«traité d'Amiens, je l'ai proposée
«dans des démarches solennelles.
Il Je ne ferai jamais qu'une paix
"honorable et conforme aux in-
» lérêts et à la grandeur de mou
NAP
42 1
«empire. Ma politique n'est point
"mystérieuse. J'ai fait connaître
«les sacrifices que je pouvais fai-
»re. Tant que cette guerre mari-
» lime durera, vus peuples doi-
nie7it se tenir prêts à toute espè-
■»ce de sacrifices » Il avait dit
au sénat : o La guerre que je sou-
» liens contre la Russie est toute
a politique, je l'ai faite sans ani-
«mosilé, j'eusse voulu lui épar-
»gner les maux qu'elle-même s'est
• faits.» Ainsi il élait hautement
avoué par Napoléon, que c'était
l'Angleterre qu'il était allé atta-
quer à Moskou, et qu'il voulait
retourner la combattre sur l'Elbe
et sur l'Oder : et^ en effet, comme
nous l'avons dit, c'éfait l'Angle-
terre qui dirigeait l'insurrection
du Nord, comme celle du Midi
de l'Europe, et qui présidait aux
défections actuelles et futures des
alliances de Napoléon.
Cependant le prince Eugène,
investi le 17 janvier à Posen, par
le départ du roi de Naples , du
connnandement général de l'ar-
mée, avait employé heureuse-
ment les 25 jours qu'il resta dans
cette ville à réorganiser l'ordre,
la discipline et les différens ser-
vices de l'armée. Bien qu'il fût
en présence de l'ennemi, il trou-
va le moyen d'armer et d'appro-
visionner les places de l'OJer, et
malgré le défaut total de cavale-
rie, il parvint à opérer jusque sur
l'Elbe une des plus belles retrai-
tes dont l'histoire militaire fasse
mention. Il arriva le 21 février ù
Berlin, où il fit stationner l'ar-
mée jusqu'au 4 mars. Quelques
renforts, successivement dirigés
à son armée, lui permirent de
leuir têle à l'ennemi, quoique Ce-
4!i2 NAP
lui -ci se fût renforcé de toute l'ar-
mée prussienne. Il sut se main-
tenir, soit en avant de Mngde-
bourg, soit en arrière sur la Bas-
KfvSaâle, la droite appuyée aux
inexpugnables positions du Hartz.
Ces opérations lui donnèrent le
temps d'attendre l'arrivée sur le
Rhin de cette autre grande-année
que la France et INapoléon im-
provisèrent tout-à-coup comme
par enchantement. Le 1 2, Ham-
bourg avait dû être évacuée. Le
9, le quartier-général du vice-roi
était à Léipsick. Le mC'me jour,
le prince d'Eckmiihl arrivait à
Dresde, avec 3, 000 hommes, et
réunissait, sous son commande-
ment,le corps du général Régnier,
à qui le général saxon Thiehnan
Tenait de refuser les portes de
Torgaw. Le 11* corps, sous les
ordres du général Grenier, était
à Wittemberg. Le général Mont-
hriin occupait Dessau avec quel-
que cavalerie. Quatre bataillons
représentaient à Bernbourg le 3"
corps du duc de Bellune. Le a*
corps de cavalerie était réuni à
Brunswick par le général Sébas-
tiani. Le i*', sons le général La-
lonr-Maubourg, se formait à Mag-
debourg, où le général Lauriston
organisait le 5' corps d'infanterie.
Derrière cette ligne, le prince de
la JMoskowa, qui va continuer les
prodiges de sa gloire militaire,
formait à Wurtzhourg le 3' corps
d'infanterie. Le 6* et la garde
arrivaient à Francfort sur le Mein
sous les ordres du duc de Raguse.
Le général Vandamme réunissait
à Wesel quelques bataillons du
»" corps, et le 4' accourait d'Ita-
lie par le Tyrol sous les ordres du
général Bertraad. Ainsi les beaux
ÎVAP
noms militaires de la France se
retrouvaient sous les yeux de
l'Allemagne, destinée à être en-
core pour eux le théâtre d'une
nouvelle illustration. Mais ces
troupes étaient loin encore d'être
disponibles, et à peine au i*'mars
le prince généralissime pouvait-il
compter 40^000 hommes à son
drapeau. A la fin de mars, sa pe-
tite armée était augmentée de 12
à i5, 000 hommes, il avait affaire
à 80,000 Russes des corps de
Wittgenstein , Czernicheff", et
Wintzingerode, qui allaient être
renforcés de 76,000 Prussiens des
corps de York, Bulow et Bliicher.
L'armée de Moldavie, de même
force , était déjà arrivée sur la
Vistule le 6 mars, et vingt autres
mille Prussiens allaient entrer en
ligne sous les généraux Tauent-
zien, Schocler et Thumen. L'ha-
bileté et l'audace du prince Eu-
gène pouvaient seules tenir tête
à des forces aussi nombreuses, à
une poursuite devenue passion-
née. Sa retraite avait été savante;
sa défensive sur la Sarde fut hé-
roïque. Il manœuvra de manière
à occuper la plus grande partie
des forces de l'ennemi, le força,
le 4 avril, à l'atTaire de Mœchern,
de déployer devant lui 60,000
hommes en avant de Magde-
bourg, enleva les têtes de pont
que l'ennemi avait établies sur la
Saâle inférieure, et enfin, après
avoir réuni le 5' et le 11' corps à
Mersebourg, il se trouva le 00
avril en communication avec la
grande-armée que commandait
l'empereur. Mais le 26 mars, le
prince d'Eckmiihl avait dû éva-
cuer Dresde, et se retirer sur
Slolberg. Le roi de Saxe avait
NAl*
dt'pui? quelque temps quille sa
capitale, s'était d'aburd retiré à
Ralisbonne, puis à Prague sous
la protection de l'Autriche, qui
domiDait sa politique. Ce prince
avait mis Dresde sous la sauve-
garde d'un armistice qui venait
d'expirer, et renforçait de la di-
vision du général Lecocq la gar-
nison de Torgaw, dont les portes
ne devaient s'ouvrir à aucune de»
armées belligéranles. Ainiji la
Saxe, amie et alliée de la France,
ne lui présentait plus que le ter-
rain de la campagne qui allait
s'ouvrir, et l'atlitude d'une neu-
tralité que l'Autriche avait im-
posée à la faiblesse du roi.
Napoléon partit de Paris le i5
avril, arriva le 17 à Mayence, le
25 à Erfurt, quitta cette ville le
29, et rejoignit à Eckarlzberg son
quartier-général. Il avait imprimé
sur sa roule un mouvement élec-
trique à la jeune armée; il lui a-
vait parlé partout où il l'avait ren-
contrée. Mais tout en étant prêt
pour la guerre, il voulait aussi pa-
raître l'être pour la paix; dans ce
dessein, à son arrivée en Allema-
gne,il avait chargé le duc deVicen-
ce de la correspondance diploma-
lique. L'opinion du grand-ecuyer
pour la paix, était depuis long-
temps connue en Europe, en Fran-
ce, et particulièrement en Russie.
Une grande a<.-tivité régna pendant
toute la campagne dans les rela-
tions du quartier-général de l'em-
pereur avec le cabinet de Vienne.
Cependant, comme la paix ne pou-
vait être que le prix de la victoire.
Napoléon employa tout son génie
» ouvrir d'une manière brillante
la campagne dont la Saxe allait
6tre !«- théâtre; et ce géoie, il le
NAP
423
lui fallait tout entier, soit pour
remplacer le défaut total de cava-
lerie devant des forces où cette
arme était ?i nombreuse et si aguer-
rie, soit pour tenir tête aux vieil-
les bandes de la Prusse et de la
Russie, avec une armée de cons-
crits, qui venait de passer subite-
ment du repos domestique aux pé-
rils des champs de bataille.
Cette jeunesse fut digne de la
France et de Napoléon. Le premier
jour où elle vit l'eimemi, ce fut le
29 avril, au combat de Weissen-
felds, où l'avanl-garde française,
toute d'infanterie, culbuta 7,000
Russes, presque tous de cavalerie,
commandés par le général Laods-
koy. L'ennemi dut évacuerla rive
gauche de la Saâle; cet avantage
important préludait à la campa-
gne qui s'ouvrit le 1" de mai, par
un autre combat en avant de Weis-
senfelds. Plusieurs ligues de cava-
lerie et d'infanterie, sous les or-
dres du général Wilsgenstein, dé-
fendaient, avec une nombreuse ar-
tillerie, les défilés de Poserna ; les
bataillons français, dont l'expé-
rience ne datait que de la veille ,
enlevèrent brillamment les hau-
teurs, tuèrent beaucojip de monde
à l'ennemi, elle chassèrent de tou-
tes ses positions. Celte gloire ne
fut pas sans mélange pour Napo-
léon , dont la fortune reçut ua
cruel avis , par la perte du maré-
chal Bessières; ce brave général,
après avoir commandé ses guide»
en Italie et en Egypte, comman-
dait depuis 16 ans la garde impé-
riale dans toutes ses campâmes.
La nuit suivante Napoléon oc-
cnipa Lutzen, petite ville fameuse
parla mort de Gustave-Adolphe,
«t pur savictoire sur les Inipériaux;^
424 NAP
il visita le tombeau <lu grand hom-
me, et voulut sans doute honorer
sa mémoire en donnant le nom de
bataille de Liitzen à la bataille de
Grosgœrschen, qu'il gagna le len-
demain. Le maréchal Ney occupait
ce dernier village avec son avant-
garde, et la position de Kaya avec
le centre de l'armée; la droite,
commandée par le duc de Raguse,
s'appuyait aux défilés de Poserna,
et la gauche à l'Elsler, sous les or- *
dres du vice-roi, dont le quartier-
général était à Mersebourg. Ce-
pendant Napoléon marchait sur
Léipsick, précédé du corps de
Lauriston, dans la persuasion où
il était que l'ennemi avait choisi
les vastes plaines de cette ville
pour y déployer avantageuse-
ment sa nombreuse cavalerie.
Mais informé dans sa route que
la maréchal Ney avait devant lui
toute l'armée alliée, il rebrous-
sa chemin avec sa garde, se porta
au feu au galop , et par la plus
brillante inspiration, il changea su-
bitement les dispositions qu'il a-
vait conçues, accepta le champ de
l)ataille de l'ennemi, envoya des
ordres au vice-roi, au général Ber-
trand, au duc de Raguse, annonça
pour trois heures après le gain de
la bataille, et la gagna. La jeune
garde et la conscription remportè-
rent un«; des victoires les plus
sanglantes de nos campagnes : les
villages de Kaya, deGrosgœrschen,
furent enjportés plusieurs fois à la
baïonnette sur l'élite de l'infante-
rie russe et prussienne. En arri-
vant sur le champ de bataille, Na-
poléon avait dit : C'est une ba-
taille d'Egypte^ l'infanterie et l'ar-
tillerie doivent suffire. L'armée,
française tira 4o,ooo coups deca-
NAP
non. Le champ de bataille avait
environ deux lieues d'étendue; il
fut éclairé le soir par l'incendie
des villages où la victoire avait
été disputée corps à corps. La per-
te de l'armée française fut de
10,000 hommes; celle de's alliésde
5o,ooo environ. Mais tout finit
pour les Français sur le terrain
où ils avaient défait l'armée com-
binée : à défaut de cavalerie, ils
ne purent continuer leur victoire,
et l'ennemi opéra sa retraite la
nuit sur Pegau. La bataille de Lut-
zcu fut, comme le dit Napoléon,
gagnée par le général en chef d'I-
talie et d'Egypte, et, selon la belle
expression du bulletin : Nos Jeu-
nes soldats x^elevèrent dans cette
grande circonstance toute la nobles-
se du sang français. Au plus fort
de l'action, Napoléon lui donna
lui-même l'exemple de l'audace
et de l'intrépidité, et aussi c'était
au cri de vive l'empereur, et sous
ses yeux, qu'elle l'ut invincible et
victorieuse. Nous paierons aujour-
d'hui de Jios personnes, avait-il dit
en arrivant sur le terrain.
La marche brillante du prince
Eugène, quiprécédaitl'empereur,
rouvrit le 8 mai au souverain de
la Saxe, les portes de Dresde. Le
maréchal Ney avait débloqué Wit-
temberg et Torgaw, et s'était ren-
forcé des 10,000 Saxons que ren-
fermait cette place. Le premier a-
vanlage politique de la victf)ire de
Lutzen, fut le retour de la fidélité
saxonne à la cause de Napoléon,
et celui du roi dans sa capitale ,
qui eut lieu le 12. Le même jour
le vice-roi l'ut envoyé par l'em-
pereur en Italie, pour y réorgani-
ser une nouvelle armée. Le 18 le
prince était ù Milan ; il y créa ini-
NAP
raculeusement une armée de
45,000 hommes d'infanterie et de
2,000 chevaux, qui entra en cam-
pagne dans le mois d'août. L'ar-
mée d'Italie avait fourni dans l'es-
pace de 1 1 mois go, 000 combat-
tans, 40, 000 au printemps de 1812,
pour la campagne de Russie ,
20,000 à la fin de la même année,
qui arrivèrent à Berlin sous les or-
dres du général Grenier, et 28,000
à la fin de mars, que le général
Bertrand fit amver à la grande-
armée, le jour même de la ba-
taille de Lutzen. Le départ du
prince Eugène pour l'Italie dut
avertir ou menacer l'Autriche,
qui , malgré son caractère d'alliée,
venait de déclarer celui de médiatri-
ce armée à l'Europe et à la France.
Napoléon avait extérieurement
accepté cette médiation en voulant
conserver l'alliance, mais en se-
cret il en était justement irrité, et
le 18 mai, jour où il expédia M, de
Bubna, envoyé près de lui à
Dresde, et où il quittait cette ville
pour se rendre à Harta, il fit de-
mander aux avant-postes russes,
l'admission du duc de Vicence,
chargé d'une mission pour l'em-
pereur Alexandre. Dans l'espoir
du succès de celte contre-négocia-
tion, il dicta h Harta des instruc-
tions au duc de Vicence. Mais l'em-
pereur Alexandre, qui par l'arri-
vée de divers corps se trouvait ù
la tête de 180, ouo comhattans,
et dans une position qu'il jugeait
inexpugnable, fit retarder l'envoi
de sa réponse jusqu'après l'issue
de la bataille, qui eut lieu le 21
mai ; ce fut celle de Bautzen. A
midi tous les passages de la Sprée ,
furent forcés par les corps fran-
çais, fiautzcn f|g| évacuée par l'en-
NAP
4?.5
nerai, et toutes ses positions, mal-
gré la plus opiniâtre défense et
l'avantage du terrain, furent bien-
tôt enlevées par les conscrits de
Lutzen; à 7 heures du soir, l'ar-
mée alliée fut rejetée sur sa se-
conde ligne retranchée, derrière
laquelle devait se livrer la bataille
du lendemain; celle-ci eût été dé-
cisive, si Napoléon avait eu de la
cavalerie ; le résultat de celle de
Bautzen, ne fui que l'enlèvement
des positions de l'ennemi, mais
l'armée frauçaise était aguerrie par
deux victoires.
Le 21 niai, Napoléon jugea sa
bataille des hauteurs en avant de
Bautzen. L'attaque était générale
depuis le matin, mais on se bor-
nait depuis quelques heures à
observer le centre pour donner à
la gauche le temps de déboucher,
et renouveler alors une attaque
vigoureuse sur le centre. Napo-
léon renouvela la prédiction et la
manœuvre de Lutzen, en annon-
çant à son armée que l'attaque gé-
nérale aurait lieu à 1 heure, et
que la bataille de W'urschen se-
rait gagnée à 5. En effet la droite
de l'ennemi fut tournée par le ma-
réchal Ney, et sou centre enfoncé
par le maréchal Soull; à 5 heures,
l'ennemi, forcé dans toutes ses po-
sitions, dut songer i la retraite, et
il aurait été rejeté au de-là de la
fistule, si l'armée française avait
eu quelques mille chevaux. Les
alliés se retirèrent derrière l'Oder;
mais la supériorité militaire de
Napoléon, et des soldats qu'il
commandait en personne, futprou-
yée de nouveau et retint sous sa
domination la confédération du
Rhin, déjà ébranlée dans sa fidé-
lité par l'exemple de U Prusse,
/p6
NAP
par les intrigues de l'Angleterre,
par celles du cabinet de Vienne,
et par l'atlitude militaire de cette
puissance.
Le lendemain 22, les alliés fu-
rent poursuivis sans relâche par
l'avant-garde française à la tête
de laquelle marcha constamment
Napoléon. L'aftaire de Reichen-
hach ne servit qu'à ralentir la
poursuite des Français et à proté-
ger !a retraite des alliés. Cette
journée ne trouverait place dans
aucun souvenir , si Napoléon et
l'armée n'avaient eu à regretter
le grand-maréchal Duroc, qui fut
tué par un boulet à l'entrée du
village de Markersdorf.Ses adieux
furent déchirans , et l'on peut dire
qu'en raison de la confiance et de
l'amitié que Napoléon accordait
depuis tant d'années au général
Duroc, sa fortune venait d'être
frappée au cœur. Il sentait que
personne ne pourrait remplacer
Duroc dans son intimité , et, dès
ce moment, l'isolement commen-
ça pour lui. En perdant le maré-
chal Lannes , il avait perdu son
camarade, son compagnon d'ar-
mes; en perdant le maréchal Bes-
sières , il pouvait regretter le té-
moin assidu de ses victoires, mais
la mort de Duroc lui enlevait le
confident de ses prospérités et de
ses infortunes. En trois journées,
la Saxe venait d'être délivrée. Ce
grand résultat pouvait seul distraiie
Napoléon du chagrin profond qu'il
éprouvait, mais jamais il n'oublia
son ami. Il s'en souvint deux ans
après, quand, détrôné pour la se-
conde fois, il voulait, sous le nom
de Duroc , aller se réfugier dans
une hospitalité étrangère. Huit
uns plus tard, au lit de lu mort, il
NAP
se rappela les adieux de MarkerS-
dorf, en plaçant la fille de Duroc
sur son testament.
Cependant , la démarche que
Napoléon avait fait fuîre de Dres-
de aux avant-postes russes, n'était
pas restée sans réponse; d;:tée du-
matin de la bataille de Bautzen ,
que l'empereur Alexandre croyait
gagner , cette réponse ne parvint
que le lendemain à Napoléon. Le
duc de Vicence fut chargé d'y
donner suite, et, après quelques
dinicultés d'usage entre ceux (jui
négocient les armes à la main ,
l'armistice de Plesswitz fut conclu
le 4 jnin. Napoléon l'avait deman-
dé entre deux victoires , et , si sa
proposition eût été admise , le,
sang , inutilement versé de part
et d'autre aux journées meurtriè-
res de Bautzen et de "W'urschen ,
eftt été épargné. Ce grand homme
de guerre sentait que par la vic-
toire de Lutzen elle - même sa
jeune armée avait besoin de re-
pos. Il espérait aussi , en grand
politique , gagner du temps et
profiler de ce l'cpos des armes ,
pour détacher la Russie de lu
coalition et traiter à part avec
elle; ou s'il ne pouvait parvenir à
la détacher de ses nouveaux enga-
gemens avec la Prusse, il conip-
tait se servir de toute Tinflnence
de l'Autriche ralliée à lui plus é-
troitement par le succès inattendu
de Lutzen, pour dominer la négo-
ciation dans le congrès qu'il pro-
posait d'ouvrir. Et en effet, cette
victoire si imprévue, si éclatante,
avait changé la face des affaires,
et M. de Bubna avait été expédié
de Vienne à Napoléon pour être
au nom de l'Autriche, auprès do
ce prince, ce qlfê M. de Siadiuu
NAP
était auprès des sonverains de la
Russie et de la Prusse. Les com-
missaires autrichiens, conformé-
ment aux ordres de leur cour, a-
vaient agi aux quartiers-généraux
respectifs dans l'intérêt des pro-
positions de Napoléon. Mais ce
prince avait été forcé de vaincre
le 20 et le 2 I mai. Enfin, l'armis-
tice avait été conclu. Si Napoléon
l'avait jugé indispensable pour le
repos de son armée, et pour lais-
ser le temps d'arriver à la tête de
sa cavalerie , ce manque de ca-
valerie était cause que Bautzen
avait été comme Lutzen sans ré-
sultat. Cet armistice était égale-
ment d'une - haute importance ,
non -seulement pour l'empereur
de Russie , qui attendait l'armée
de Saken, celle de Bernadotte et
celle de Pologne , mais aussi pour
l'empereur d'Autriche, à qui il
donnait le temps de completler
les forces nécessaires, soit au
maintien de son alliance avec la
France, si celle-ci continuait d'ê-
tre victorieuse , soit à son admis-
sion avec avantage dans la confé-
dération du Nord, soit enfin à la
prépondérance qu'elle voudrait
exercer dans les négociations du
congrès, en y suivant plus haute-
ment son rôle de médiateur armé.
C'était précisément aussi pour ne
pas rester dans une telle incerti-
tude que l'empereur Napoléon
demandait la discussion d'une
paix générale dans un congrès ,
ou , à défaut de celle-ci , d'une
paix continentale avec ou sans la
médiation de l'Autriche. Mais
l'Autriche intervint avec succès
pour la médiation , qui , après
plusieurs conférences, fut agréée
p.ir la France. M. de Metlcrnich
NAP
427
s'élaît rendu à Dresde , où une
convention fut signée par lui et le
duc de Bassano , le 5o juin. Ce
fut après la signature de ce traité,
et au moment où le comte de
Metternich prenait congé de Na-
poléon dans les jardins du palais
Marcolini, que ce prince, par une
de ces improvisations hostiles
auxquelles il n'était que trop su-
jet, lui dit, en lui frappant sur
l'épaule : « Eh bien, Metternich,
Ti) dites-moi à présent combien l'An-
Dgleterre vous arait promis pour
n me faire la guerre. » On doit dire
à la louange de ce ministre, qu'il
oublia noblement à Prague l'in-
jure reçue à Dresde , et qu'il ne
cessa de tenir an duc de Vicence
et au comte de Narbonne, pléni-
potentiaires de France au congrès.
le langage qu'il avait tenu à Dres-
de à Napoléon lui-même. En effet,
et la vérité nous commande de le
déclarer, le comte de Metternich
avait dit à Dresde, à l'empereur
et à son ministre , qu'il y avait
trois points irrévocablement arrê-
tés par son souverain. 1° Qum
l'Autriche ne pouvait rester neu-
tre, si la paix n'avait pas lieu; 2*
que dans ce cas elle marcherait
avec la coalition; 5° que le 10 août
était le terme irrémissible de l'ar-
mistice qui, en raison du traité de
médiation , avait été prolongé de
i5 jours.
Les souverains résidaient, leni-
pereur des Français à Dresde ,
l'etnpereur Alexandre et le roi de
Prusse à Schweidnilz , et l'em-
pereur François au château de
Gittschin. lin motif alors inconnu
des alliés avait décidé tout-à-coup
Napoléon h accepter la médiation
de rAutriche au congrès, ee fut
42$
NAP
la nouvelle de la perte de la ba-
taille de Viltoria. Cette bataille
détrônait le roi Joseph le 3i juin,
et Napoléon se vit forcé de ren-
voyer en Espagne le maréchal
Soult, en qualité de généralissime,
pour retenir encore dans la pénin-
sule le drapeau français.
Cependant, les traités de Rei-
chenbach, des 14 et i5 juin, l'un
entre l'Angleterre et la Prusse,
l'autre entre l'Angleterre et la
Russie , et celui de Petersvaldau
entre ces dernières puissances ,
venaient d'assurer à la coalition
la solde d'une armée de 260,000
hommes aux frais de l'Angleterre.
Au commencement de la campa-
gne, l'Angleterre était dans un tel
état de détresse, qu'elle n'avait pu
donner de subsides. Mais la défec-
tion de la Prusse , l'attitude de
l'Autriche, son intention déclarée
d'agir comme médiateur armé,
décidèrent le cabinet de Londres.
L'Autriche était aussi incognito à
Reichenbach, et y confondait dé-
jà ses intérêts avec ceux des qua-
tre couronnes du Nord, en parta-
geant avec elles les subsides bri-
tanniques pour solder une armée
de 200,000 hommes. Elle stipulait
aussi pour son état politique , et
demandait et obtenait les dépouil-
les de la France et de la Bavière,
l'Italie, onûn jle statu q uo de 1800.
On pensa, dans le temps, que M.
de Stadion, envoyé au quartier-
général des armées belligérantes,
ne fut pas étranger aux intrigues
et aux mesures prises pour déci-
der son maître à agir contre son
gendre. Toutefois, la convention
de Reichenbach demeurait secrè-
te, et, pour ne pas offenser la
loyauté de l'empereur François,
NAP
et obtenir la signature de ce prin-
ce qui la donna le 27 juillet, elle
ne lui fut présentée que comme
une mesure éventuelle et de pré-
caution. Enûn, ce fut sous les aus-
pices de toutes ces opérations ,
que la conspiration de l'Angleter-
re, de la Russie, de la Prusse, et
de l'Autriche médiatrice, ouvrit
le congrès de Prague le 29 juillet.
La difficulté prévue ou plutôt pré-
parée par ces puissances , fut de
voir un arbitre dans le médiateur,
tandis que la France ne devait et
ne voulait voir qu'un conciliateur.
Cependant , lié par les engage-
mens de son cabinet à Reichen-
bach, l'empereur François n'était
et ne pouvait plus être un média-
teur. D'un autre côté, l'empereur
Napoléon avait d'autant moins de
confiance' dans les opérations de
ce congrès, qu'il n'avait pas l'in-
tention d'y faire la paix, de sorte
qu'il paraissait avoir été ouvert
plutôt pour y combiner les chan-
ces de la guerre que les conditions
d'un traité. Effectivement, dès le
début et jusqu'au dernier mo-
ment, il y eut difficultés sur diffi-
cultés apportées par le cabinet de
France , et guerre ouverte entre
ses plénipotentiaires et ceux des
alliés. Enfin, le 6 août, quatre
jours avant la dénonciation finale
de l'armistice. Napoléon ordonna
à son premier plénipotentiaire, le
duc de Vicence , d'entamer avec
le comte de Metternich , ministre
du médiateur, une négociation
secrète pour connaître les condi-
tions de paix que l'Autriche serait
prête à soutenir de son influence,
et qui assureraient ainsi à la France
le maintien de l'alliance. Le comte
de Metternich s'empressa de faire
NAP
part à son maître de cette com-
munication faite sous le sceau du
secret le plus inviolable , et qui
devait être même ignorée du com-
te de' Narbonne , ambassadeur de
France. L'empereur François ré-
pondit ;i cette démarche par des
propositions complettement hono-
rables pour la France. Le temps
pressait : il n'y avait plus que deux
jours jusqu'au terme de l'armis-
tice. Napoléon discuta les propo-
sitions de son beau-père, en en-
voya d'autres, et, le loaoOt, les
alliés signifièrent à l'Autriche et
à la France la rupture de l'armis-
tice et de la négociation. Il fut
bien prouvé alors que Napoléon
n'avait voulu que gagner du temps
pour sacrifier encore au démon
de la guerre. Il avait écrit, dès le
principe , à son négociateur :
0 Qu'il préférait lai^uen-e de l' Au-
n triche à. sa neutralité. » Ainsi fut
brisée cette paix qui , garantie et*
proposée par l'Autriche sur la
demande de Napoléon, ne deman-
dait à ce prince que la dissolution
du duché de Varsovie, l'émanci-
pation de Hambourg et de Lu-
beck, la renonciation au protec-
torat du Rhin , le rétablissement
de la Prusse avec une frontière
sur l'Elbe, et la cession de l'IUy-
rie à l'Autriche. L'empire français
restait intact avec toutes les con-
quêtes de la république. L'état
de l'Europe était fixé. La fatigue
universelle assurait une longue
paix au monde, et la France, re-
posée de 5o années de gloire mi-
litaire, devenue l'équilibre de
l'Europe au lieu d'en être le Qéau,
riche do ses ports , de ceux de la
Hollande, de la Belgique, de l'I-
talie, rentrait enfin avec «on an-
NAP
4-^9
cienno rivale en partage de la sou-
veraineté des mers. Mais, descen-
dre de l'autocratie de l'Europe au
rang de son plus grand souverain,
paraître.y être forcé par l'Autri-
che en présence des vaincus de
Lutzen , de Bautzen et de Wurs-
chen , renoncer enfin à ce droit
public de la guerre qu'il avait
créé, une telle extrémité souleva
l'orgueil de Napoléon. Il refusa
la paix de l'Autriche , qui avait
cru à sa bonne foi. Il disait à son
ministre, il faisait dire à celui de
son beau-père, que la lutte dure-
rait plusieurs années. Il l'espérait.
Il ne vit que son projet d'abaisser
l'Angleterre. Il ne compta pas ses
ennemis : il oublia Moskou. Il
n'entendit point la France : il lui
préféra la guerre.
Après de telles inimitiés, cha-
cun sauta sur ses armes, et la re-
prise des hostilités fut une satis-
faction individuelle pour chacune
des armées belligérantes. En re-
fusant la paix. Napoléon avait ser-
vi la haine et la vengeance de tous
ses ennemis anciens et nouveaux;
il donnait carrière à de redouta-
bles trahisons sous son propre dra-
peau. Les exemples en étaient ré-
cens : cette contagion , colorée
de l'intérêt de la patrie alle^nande,
était menaçante; tout le passé,
tout l'avenir se réunirent sur le
champ de bataille que venaient
de rouvrir l'imprudence et l'opi-
niâtreté de Napoléon. Toutes les
hostilités de la mémoire se conju-
rèrent avec toutes les passions de
la vengeance. Bernadette, à qui
fnt donné le commandement en
chef de l'armée du nord de l'Alle-
magne, déclara dans sa proclama-
malion du 1 5 août, jour de la fête
43o
NAP
(le Napoléon , que l'Europe de-
tait marcher contre la France, a-
vec le même sentiment gui avait ar-
mé contre elle, la France, en 1792.
C'était proclamer la proscription
des Français, et dévouer la tête
de ISapoJéon. Dans Je même 1110-
iiieiit, appelé par Je prince-royal
de Suède, Moreau arrivait d'Amé-
lique, pour prendre part à cette
guerre d'extermination. Initié
bientôt dans les secrets de la ven-
geance du Nord, ce proscrit arri-
vait à l'armée, était consulté, et
donnait aux souverains confédé-
rés, le conseil de marcher sur
Dresde. Cette circonstance avait
été signalée aux plénipotentiaires
français, par M. de Metternich,
qui leur avait déclaré vouloir res-
ter étranger, ainsi que son souve-
rain , à ce qu'il appelait l'intri-
gue de Moreau. Cependant mal-
gré la rupture, une note du duc
de Bassano, en réponse à la note
finale du ministre du médiateur,
en avait été accueillie. Elle devait
avoir plus tard une sorte de ré-
sultat; il semblait alors que l'em-
pereur François voulait être aussi
prompt à releverle gant de lapaix,
que l'empereur Napoléon à jeter
celui de la guerre.
Au i5 aoCit, d'efîrayantes mas-
ses d'hommes allaient s'égorger
pour la politique de cinq chefs de
nations, et conquérir avec ivresse,
.nu nom de Tindépendance du
jnonde, le joug domestique qui
attendait leurs fronts victorieux.
]jC prince de Schwarzenberg,
nommé généralissime des armées
de la coalition, comptait sous son
commandement, 6o5,()oo hom-
mes, et Napoléon 552,700. Ainsi
Ic5 alliés avaient sous les armes
NAr
2495500 hommes de plus que la
France; ils avaient de plus en leur
faveur, l'avantage de se battre en
pays ami ; ils pouvaient éprouver
des pertes, des revers, battre en
retraite; tonte terre derrière eux
et devant eux leur serait hospita-
lière; mais Napoléon était obligé
de vaincre toujours. Il ne lui suf-
fisait pas contre cette ligue formi-
dable delà terre et des hommes,
que ses soldats fussent invulné-
rables, et qu'il fut lui-même pré-
sent à tous les corps de son ar-
mée, qui avaient des ennemis à
combattre. Jamais plus grande
nécessité ce pesa sur un liomrne:
elle n'eût été en proportion peut-
être qu'avec sa fortune passée. Le
comte de Metternich, pendant les
conférences de Pragae, disait au
duc de Vicence : * Votre position
» et celle de vos adversaires sont
» bien différentes; des batailles per-
•»dues par eux ne leur feraient pas
«signer une autre paix que celle
«que l'on peut faire aujourd'hui,
«tandis qu'une seule bataille per-
))due par Napoléon, change tout-
» à-fait la question. » C'était à
Prague , prophétiser sur Léip-
sick !
La campagne s'ouvrit le lende-
main de la rupture du congrès.
Le i3 août, les Autrichiens avaient
opère leur jonction avec les Prus-
so-Kiisses ; la prévoyance des al-
liés et du médiateur, fut merveil-
leuse sous ce rapport, tant ils a-
vaient su deviner les intentions de
Napoléon. Jamais on ne fut mieux
préparé à la guerre , en offrant la
paix. Napoléon n'apprit que le 20,
la jonction des forces autrichien-
nes, et le 21, il reprenait l'offen-
sive, repoussait Blurhcr, et enie-
NAP
Tait, le 23, la forte position de
Goldbt-rg; mais averti du mouve-
ment <ur Dresde, que son enne-
mi Moreau avait con.-seillé aux
alliés, il confla au duc de Taren-
le l'armée de Silésie, et se porta
en toute hâte avec sa garde sur la
capitale de la Saxe. La fortune le
protégeait encore; il arriva le 26
à Dresde, avant sa garde, à 10 heu-
res du matin; plusieurs ouvrages
venaient d'être enlevés dans les
faubourgs ; Napoléon vit à l'ins-
tant le péril et le salut. Au lieu
d'attendre l'assaut, il ordonne l'at-
taque dans les faubourgs ; les
Prussiens et les Russes sont chas-
sés des ouvrages et des retranche-
mens, et toute l'armée combinée,
après avoireu 4, f^oo hommes tués,
est rejetée en arrière des positions
qu'occupait avant l'attaque , le
maréchal Saint- Cyr, chargé de
la défense de Dresde. Napoléon
combattit, dans cette matinée,
avec 65,ooo hommes contre
180,000; le soir 45,ooo des 2"" et
ii°" corps d'infanterie et du 4"' de
cavalerie, entrèrent dans la ville.
Le général Vandamme , avec le
i" corps, déblofjuait Koenigstein,
et reprenait le camp de Pirna sur
les Russes. Le lendemain 27, à la
pointe du jour. Napoléon, à la tête
de 110,000 hommes, comman-
dant le centre , ayant le roi de
Naples à l'aide droite, et le prince
de la iMoskowa à l'aile gauche,
présente le combat à 180,000 Rus-
ses, Prussiens et Autrichiens. Frap-
pé d'un vide qu'il aperçoit dans
leur ordre de bataille, l'empereur
improvise sur cette lacune son
plan de combat, et en donne le
orignal avant que l'ennemi ne puis-
se réparer sa faute; l'iatervallt;
NAP
45 1
laissé était destiné au corps de
Klenau, qui ne devait arriv-^r qu'à
deux heures, ^'impétuosité de
l'attaque, égale la promptitude de
la pensée qui l'a conçue : les corps
ennemis sont repoussés, désunis,
rejelés en arrière, laissant )5,ooo
hommes sur le champ de ba-
taille, et 1 5,000 prisonniers pres-
que tous Autrichiens. Napoléoa
triomphait doublement, Alexan-
dre fuyait devant lui, et un bou-
let de la garde lui avait fait justice
du général Moreau : ce châtiment
avait eu pour témoins l'empereur
de Russie et le roi de Prusse.
Etrange destinée! Cy républicain,
dont toute la gloire militaire ap-
partenait à la cause de la liberté,
ce général qu'un jugement avait
frappé pour avoir conspiré pour
elle, que la terre libre d'Amérique
avait reçu comme un grand ci-
toyen malheureux, avait quitté
cette noble hospitalité, pour venir,
à la voix d'un de ses frères d'ar-
mes couronné, et sous le drapeau
d'un souverain despotique, porter
et diriger la guerre des rois contre
sa patrie ! A la nouvelle de son ar-
rivée sur le sol armé contre elle,
la France, encore divisée sur le
jugement qui l'avait banni, l'avait
tout-à-coup condamné, et une
volonté singulière du sort lui fai-
sait donner la mort par celui qui
l'avait proscrit. Moreau, tué sous
les yeux d'Alexandre par un ca-
non de la garde de Napoléon ,
a dans l'histoire le iriate privi-
lège d'une immoilalité particu-
lière.
Cependant le 2G, au moux.-nt
où la marche rapide et vraiment
inspirée de Napoléon l'avait porto
en 'y% heures aux murs de Dresde^
45a
NAP
le maréchal Macdonald, chargé du
commandement de l'armée île Si-
lésie, perdait, cdfctre le général
Bliicher, la bataille de la Ratz-
bach, qui coûta à l'armée française
aSjOOO honnnes, dont i5,ooo pri-
sonniers, et presque autant à l'ar-
mée prussienne. Mais les pertes
de la France étaient irréparable.^,
au centre de l'Allciiiagne, dans la
nécessité où elle était d'être tou-
jours victorieuse, et devant un en-
nemi qui avait sous les armes
25o,ooo hommes de plus qu'elle.
La bataille de la K-alzhach fut un
grand revers à opposer aux triom-
phes merveilleux des deux batail-
les de Dresde. La retraite du prin-
ce de Schwarzenberg s'était opé-
rée sur la Bohême; les succès du
roi deNaples lui fermaient la rou-
te de Freyberg, et ceux du général
Vandamme la route de Pirna.
Napoléon n'était pas heureux
par ses lieutenans. En suivant le
prince de Schwarzenberg, il avait
appris la défaite du duc de Reggio
par le prince royal de Suéde, aux
combats de Grossbeherren etd'Ah-
rensdorf, le 23 août, près de Ber-
lin. La fatale nouvelle de la batail-
le de la Ratzbach lui était annon-
cée. Le 3o, le général Vandam-
me, qui avait reçu l'ordre de tenir
les défilés de la Bohême, se lança
imprudemment à la poursuite du
corps russe qu'il avait battu à Pir-
na, et le 28 à NoUendorf, et il avait
eu rim[ rudence de descendre sur
Culm, avec dix bataillons, sans
en laisser un sur les hauteurs 'pour
assurer son mouvement. Ce géné-
ral se trouvait tout -à- coup enve-
loppé par les corps en retraite de
l'armée combinée, et avait aftaireà
70,ooohonjmes, qu'il voulut com-
NAP
battre avec i5,ooo. Il perdait
10,000 hommes, dont 7,000 pri-
sonniers, dans cette lutte témérai-
re, et il était pris lui-même avec
les généraux Haxo et Guyot, et
toute son artillerie. Le général
Vaudamme devait être , et se
croyait soutenu par le 14""* corps,
aux ordres du maréchal Saint-Cyr,
qui était en marche de Meissen,
et le quartier-général impérial, a-
vec la garde, était à Pirna. On at-
tribua alors, et on attribue encore
au)ourd'hui,le défaut d'ordre pour
la poursuite de l'ennemi, à un vo-
missement violent qu'éprouva Na-
poléon à Pirna, et qui le décida
brusquement à retourner à Dresde.
L'assaisonnement d'un mets servi
au déjeuner de l'empereur, eut ce
grave résultat. Napoléon s'en sou-
vint l'année suivante, après la ba-
taille de Brienne, à Troyes , où il
dit en voyant un mets semblable:
« C'est le déjeûner rie Pirna. »
Ainsi la brillante victoire de
Dresde n'offrit aux yeux mî'ine de
Napoléon, qu'une faible compen-
sation aux trois revers que ses
lieutenans venaient d'éprouver.
Le malheur allait lui devenir aus-
si fidèle que l'avait été la prospéri-
té, et il dut croire à l'abandon to-
tal de sa fortune, quand, peu de
jours après, il apprit que l'invin-
cible prince de la Moskowa, le
brave des braves, avait été battu le
6 à Interbogt, par le prince-royal
de Suède. Cette victoire, disputée
avec opiniâtreté, mais emportée
par la force numérique de l'enne-
mi, avait coûté au corps du maié-
chal 1 5,000 hommes, 5o pièces de
canon , et presque tous ses baga-
ges. Dans une pareille situation ,
après quatre échecs aussi funeste î,
J
NAP
qui avaient siiccéssi veinent illus-
tré les dillérens corps de la gran-
de-aruîée combinée , la paix était
le premier, Tunique besoin de Na-
poléon , et toute proposition de
négociation devait être saisie coai-
ine un bienfait inespéré du destin;
mais ce prince, toujours victorieux
partout où il commandait , écou-
tant moins peut-être son devoir de
souverain que sa gloire de grand
capitaine, ne prenait pas assez à
cœur les revers du duc de Reggio,
du général V'andamme, du due de
Tarente et du prince de la Mos-
kowa.
Cependant l'Autriche, dont l'u-
ni(jue but avait été, en se joignant
aux alliés après la rupture de Pra-
gue, de contribuer à enlever à Na-
poléon la domination qu'il exer-
çait despoliquemenl sur l'Europe
et sur elle, avait laissé une porte
ouverte à la reprise d'une négocia-
tion. M. de Melternich avait ré-
pondu de Prague, le 21 août, à la
note du 18, du duc de liassant».
La ville de Prague était toujours
neutralisée, et des conférences y
avaient été reprises par les pléni-
potentiaires alliés seulement, sous
l'influence de Jl. de Metternich.
Enfin les souverains confédérés,
malgré leurs victoires de Gross-
beherren,delaKatzbach,deCulm,
de Interbogt, malgré l'énormité
de leurs forces, deux fois plus con-
sidérables que celles de l'armée
française, malgré les désastres de
ia retraite des Français eu Espa-
gne, tant il était loin de leur pen-
sée de méditer la destruction de
Napoléon ou celle de sa dynastie,
lui proposèrent encore à peu prés
les mêmes conditions qu'il avait
refusées après ses victoires dé Lut-
I. IIV.
NAP
433
zen, de Baulzen et de Wursclien.
Telles étaient ces propositions :
.1 La paix devait être continentale
«et générale pour l'Europe ;leTy-
»rol et les provinces lllyriennes é-
)) laient restitués à l'Autriche; le
w trône d'Espagne était rendu à la
«maison de Bourbon ; la Hollande
» était indépendante sous un roi
«choisi par Napoléon, ainsi que
• l'Allemagne sous ses souverains
«actuels. Deux projets étaient pro-
» posés pour la confédération du
»)llhin : le premier la conservait et
«lui donnait pour limite le cours
»de l'Elbe, dont la ligne militaire
'.restait à Napoléon; au-delà des
«Alpes, la France s'étendait au
«cours du Pô, à la ligne du Mincie
«jusqu'à l'Apennin et la mer de
» Gênes ; le roi Joachim restait sur
»le trône de Naples; les autres é-
» tats de l'Italie, reconstitués, de-
onieuraient sous la dépendance de
•) la France. » Le second pro je t don-
nait pour limite à la France « le
«cours du Rhin jusqu'à son em-
«bouchure en Hollande, détrui-
»sait la confédération rhénane,
«rendait à l'empire d'Allemagne
«les frontières du traité de Luné-
» ville, et l'Italie entière restait
«sous la domination directe ou in-
a directe de la France. »
iMais Napoléon, confiant dans
son génie miPlaire et dans la fidé-
lité rhénane, non-seulement n'é-
couta pas ces propositions ,^nais
même n'envoya aucun plénipo-
tentiaire à Prague. Ainsi il fut
prouvé à toute l'Europe, pour la
seconde fois depuis l'ouverture
de la campagne, qu'il ne voulait
point faire la paix. Alors M. de
Metternich, réduit à devem'r de
conciliateur l'arbitre implacable
38
434
NAP
de la destinée de Napoléon, signa,
le 3 octobre, à Tœplitz, un trailé
avec lord Aberdeen , par lequel
l'Autriche engageait toutes ses
forces, et l'Angleterre tous s' s
moyens, contre l'ennemi commun.
Cette odieuse désignation fut in-
Tentée par l'Angleterre, qui ne
voulut pas, dans un acte aiiquel
elle concourait, admettre la qua-
lification d'empereur, titre qu'elle
avait constanunent décliné. Elle
fut adoptée pour la première fois
à celte occasion par le cabinet de
Vienne, dans le protocole de ce
traité. L'Angleterre faisait natu-
rellement la loi à la puissance qui
recevait ses subsides : ainsi Tœp-
litz vit régulariser et légitimer les
transactions secrètes consenties à
Heichembach et à Trachenberg,
trois mois auparavant. La condui-
te de Napoléon avec le cabinet de
Vienne et les souverains alliés,
dans une circonstance où ils lui
remettaient encore le sort de la
France et de l'Europe, prouve
une aberration de sentiment, dont
le mépris pour Tespèce humaiue
était peut-être la fatale inspira-
tion. La guerre à outrance contre
la France, devenait ainsi pour l'Eu-
rope un nouveau droit des gens ,
et la barbarie renaissait au 19* siè-
cle sous la bannière de l'extermi-
nation.
La veille de l'expiration du dé-
lai fixé pour accepter les derniè-
res bases de Prague , Napoléon
recevait du roi de Bavière l'assu-
rance de la continuation de son
alliance jusqu'à la fin de novem-
bre, malgré les eiforts de l'Autri-
che pour l'en détacher. On était
à la fin de septembre : il calculait
que la coopéralioa des Saxons,
NAP
des Bavarois, des Hessois et des
Wurtembergeois, lui suffirait pour
reprendre l'offensive avec avanta-
ge sur l'Elbe et niênic sur l'Oder.
La ligne de l'Elbe était défendue
par les forteresses de Magdebourg,
\Vittemberg et Torgaw.' Celle de
l'Oder, par les places de Glogaw,
Custrin et Stettin, et s'il gagnait
une seule baliiille sur l'aruiée de
Siîésie, il devait espérer de dé-
bloquer sur la Vistnle les villes de
ïhorn, de Modlin et celle de
Dantzig, où le général Rapp com-
mandait une armée de 3o,ooo
hommes. La ville de Dresde était
fortifiée, ainsi que les positions de
Pirua; le maréchal Gouvion Saint-
Cyr fut chargé de les défendre
avec 25,000 hommes: et 4^,000
sous les ordres du roi de Naples,
réunis à Freyberg, devaient arrê-
ter la marche de l'armée de Bo-
hême. Napoléon chargeait ainsi
l'art de la guerre de justifier la
seconde rupture des négociations
de Prague, ou plutôt, comme il
se plaisait à répéter après Louis
XIV : l'état, c'est moi, il ne trou-
vait d'autre fortune que la sienne
à mettre dans la balance du bon-
heur du monde.
Les hostilités recommencèrent
le 28 septembre, par un mouve-
ment combiné de trois armées des
alliés dans la direction de Léip-
sick. Le g octobre. Napoléon, à
la tête de 120,000 hommes, at-
taqua l'armée de Silésie. Bliicher
fui battu. Ce succès, qui forçait
l'armée prussienne à se retirer
sur la Saâle , affermissait dans
Napoléon la résolution qu'il avait
prise de renotiveler, sur la ligne de
l'Elbe, la gloire du grand Frédé-
ric. Il avait peu besoin de ce grand
NAl'
souvenir. Mais il ne pouvait se
maintenir en Allemagne qu'avec la
fidélité delà Bavière; et malgré le*
assurances récentes de cette puis-
sance , elle avait signé la veille,
8 octobre, le traité de Ried a-
vec l'Autriche. En Espagne, la
fortune était aussi contraire. Wel-
lington passait la Bidassoa le 7
avec une armée anglo-hispano-
portugaise. Les grands faits d'ar-
mes des maréchaux Soult et Su-
chel, la belle victoire remportée
le 10 septembre par ce deroier à
Villa-Franca, sur le général Ben-
tinck, ne laissaient aucune trace
sur la résistance compacte et uni-
verselle de tous K'S habitans de la
péninsule à l'invasion française.
Les deux nations voisines se ré-
concilièrent sous le drapeau de la
commune vengeance. Elles é-
(aient, à cette époque, arrivées à
cette crise d'énergie si rare et si
courte, qui donne la force de
chasser des envahisseurs injustes
et redoutables , et de reconquérir
la patrie. La même antipathie qui
divisait les Espagnols et les Por-
tugais, venait également de dis-
paraître entre les Autrichiens et
les Bavaroi>, et le 1 5 octobre, à
Braunau , l'armée austro -bava-
roise était réunie. Ce jour même.
Napoléon entrait à Léipsick. A-
verti depuis quelque temps par
le comte de Mercy, son ministre
à Munich, de la prochaine défec-
tion des états allemands, il avait
appiis la veille à Duben, la dé-
fection de la Bavière parle roi de
Wurtemberg, qui en même temps
lui annonçait la sienne. Ce fut le
dernier avis des opérations de la
politique allemande que ce prùi-
cc, dont la diplomatie était si bien
NAP
4ji>
servie en Allemagne, et avait été
si utile aux intérêts de la France,
donnait à Napoléon. Il lui prou-
vait jusqu'au dernier moment sa
franchise et sa loyauté : c'était en-
core être son ami. Uien ne dé-
montrait plus clairement à Napo-
léon que les peuples dominaient
les cabinets, et les cabinets les
souverains, et que l'esprit tout-
puissant du Tugend-bund, qu'il a-
vait méprisé, brisait sans obstacle
les intérêts quelconques des divers
états pour affranchir ce que ce
parti appela, avec tant de succès,
la pairie allemande. Les Germains
la conquirent alors, ils la cher-
chent aujourd'hui.
L'armée française venait d'être
séparée des 1" et 14' corps, par
l'attaque qui avait forcé le ma-
réchal Saint-Cyr et le comte de
Lobau à se rejeter dans la ville
de Dresde, devant laquelle le gé-
néral Beningsen avait laissé ao, 000
Russes. Le roi de Naples comman-
dait la droite de l'armée. Napo-
léon le centre, et le prince de la
Moskowa la gauche. Le général
Bertrand avait i5,ooo hommes en
arrière de Léipsick ; la garde for-
mait une réserve de 2 5, 000 hom-
mes. La grande-armée française,
la seule active qui restât à Napo-
léon, était de 107,000 hommes
avec 600 pièces de canon. Les
armées coalisées comptaient
548,000 combattans. La grande-
armée était sous les ordres du
prince de Schwarzenberg: celle de
Pologne, sous le général Bening-
sen ; celle de Silésie, sous le gé-
néral Bliicher; et celle du Nor4
sous le prince royal de Suède.
L'artillerie des alliés était de qSo
à t,ooo bouches à fea. Ijn deiui*
456 NAP
million d'hommes, destiné à être
défendu et foudroyé par i5 à
1,600 pièces de canon, se trou-
vait resserré dans un espace de 3
à 4 lieues ; le terrain encore san-
glant de Lutzen et de "NVeissen-
felds , qui avait vu triompher deux
fois Napoléon, allait le voir suc-
comber sous le poids de la trahi-
son de ses alliés naguère victo-
rieux sous ses aigles. Cependant
la. supériorité de son génie lui
donnait le 16 la victoire de Wa-
chau, où six attaques consécuti-
ves, alternant les succès des deux
armées, renouvelèrent dans ses
murs la sanglante journée de
Raya. A la gauche, le maréchal
Ney, moins heureux, était battu à
Rlœchern, qui fut enlevé. Par une
sorte de récrimination de la for-
tune, le plus beau souvenir de la
gloire de INapoléon l'attendait
sur le champ de bataille de Wa-
chau. Le comte de Meerfeld, gé-
néral autrichien, le même qui a-
vait été un des négociateurs du
fameux traité de Campo-Formio,
avait été pris. Cette circonstance
semblait être nn avis de la desti-
née. L'empereur se ressouvint du
général en chef de l'armée d'Ita-
lie, et renvoya le comte avec des
paroles de paix. Il acceptait une
des propositions de Dresde, celle
d'abandonner l'Allemagne jus-
qu'au Rhin. Mais apprenant le
mouvement de concentration de
l'armée française , l'arrivée des
120,000 hommes qui formaient l'ar-
mée du prince royal de Suèd(!, et la
jon'ction des corps de Colloredo et
de iicningsen , instruits d'ailleurs
du succès de diverses machina-
lions ourdies dans les rangs de
l'armée de Napoléon, les souve-
NAP
rains alliés, certains de leur triom-
phe sur des forces deux fois in-
férieures en nombre, refusèrent
l'armistice; Napoléon accepta le
combat.
Cependant il a en Allemagne
plus de i5o,ooo hommes dont il
ne peut disposer, et avec lesquels
il eût fait la loi à ses ennemis.
Une autre grande- armée , dont
3o,ooo vieux soldats à Dantzick,
et 20,000 à Magdebourg, est en-
fermée dans les places de la Vis-
tule, de l'Elbe et de l'Oder. Le
maréchal Davoust occupe avec
55,000 hommes Hambourg et
le Bas-Elbe. Le maréchal Saiut-
Cyr est bloqué à Dresde avec son
corps d'armée et les débris de
Vandamme. Réduite à i3o,ooo
combattansparles revers des ducs
de Reggio et de Tarente , et par
le dispersement de ses autres
corps , l'armée française attend
devant Léipsick six colonries de
5o à 60,000 hommes qui se di-
rigent contre ses positions. Le 18
juin va éclairer ce combat de
géants, autre bataille d'Actium,
où le César moderne luttera seul
contre un triumvirat de rois. Elle
fut gagnée par la trahison. Pen-
dant 7 heures le centre et la droi-
te de l'armée française, c'est-ù-
dire 95,000 hommes, en repous-
sèrent victorieusement 1 70,000.
Le maréchal Marmont, à l'extrê-
me gauche, fut d'abord opposé
au prince royal de Suède, avec
lequel il fut faiblement engagé.
Tout l'eftort se porta contre le
maréchal Ney : 4o!i00{> hommes
durent combattre les i5o,ooo
hommes que commandait ce
prince. Par des miracles de va-
leur et d'audace, les troupes
NAP
de Ney résistaient aux attaques
continuelles de cette masse d'en-
nemis . lorsque tout-ii-coup les
W'urlembergeois et les Saxons ,
passant traîtreusement sous les
drapeaux de l'ex- maréchal Ber-
nadotte , tournèrent contre leurs
frères d'armes, contre leurs hé-
roïques alliés , 60 pièces d'artil-
lerie, et les armes parricides de
26 bataillons et de 10 escadrons.
Napoléon accourut en personne
au secours de l'aile gauche, et
avec une division de sa garde et
les grenadiers à cheval il repous-
sa également les Saxons et les
Suédois. Les artilleries des deux
armées continuèrent jusqu'à la
nuit la destruction de leurs gran-
des masses immobiles. La batail-
le de Léipsick fut gagnée par le
centre et la droite de l'armée fran-
çaise, qui conservèrent leurs po«
sitions. Elle fut perdue par l'aile
gauche, qui fut livrée par les
Saxons. Ainsi cette journée si
meuririère restait un grand Hul
d'armes plus qu'honorable pour
la gloire de ?iapoléon et de son
armée; mais le défaut de muni-
tions , la trahison des Saxons et
des Wurtembergeois, et la réu-
nion de l'armée bavaroise aux
Autrichiens, commandaient impé-
rieusement la retraite, et ne per-
mettaient point de songer à don-
ner une troisième bataille devant
Léipsick. Il ne restait plus dans
les caissons de l'artillerie françai-
se que 10,000 coups de canon. II
falLiit donc se diriger sur Erfurlh
pour y renouveler les munitions,
et quoique l'ennemi se fût retiré
en arrière du champ de bataille,
et l'eût abandonné aux Français,
Napoléon ordonna le mouvement
NAP 4^7
de la retraite. Elle se fit dans l'or-
dre le plus parfait.
Les ponts étaient passés avant
le jour. Dix mille hommes envi-
ron d'arrière -garde défendaient
encore les barrières des faubourgs
pour donner le temps à l'artille-
rie et aux parcs de réserve de pas-
ser le grand pont, lorsque trom-
pé par la vue de quelques cosa-
ques qui avaient franchi l'Elster
à gué, le sous-ofljcier chargé de
détruire le pont, après l'évacua-
tion totale de la ville, crut que
l'ennemi en était déjà le maître,
et le fit sauter. L'arrière-garde de
l'armée n'ayant plus de retraite,
resta prisonnière, et avec elle tous
les bagages et 200 pièces d'artil-
lerie. Le valeureux prince Po-
niastouski, le héros de la Pologne
et de la fidélité, blessé à une
charge brillante qu'il venait de
faire dans les rues de Léipsick,
trouva la mort en s'élançant dans
le fleuve avec son cheval. Napo-
léon en traversant Léipsick avait
eu la générosité d'aller consoler
le roi de Saxe de la trahison de
ses troupes. Ce trait, d'une véri-
table grandeur d'âme, jette un
jour particulier sur le caractère
de Napoléon; mais il devint l'ar-
rêt du roi de Saxe, qui fut trai-
té comme un traître par les sou-
verains parce qu'il n'avait pas
trahi son allié. Il est du devoir
de l'historien de signaler cette
étrange différence entre la con-
duite de Napoléon fugitif et cel-
le des rois victorieux. Le vieux
souverain de la Saxe , le Nestor
du peuple allemand , fut em-
mené prisonnier, abreuvé d'ou-
trages, jugé à la paix et condam-
né à perdre la moitié de ses é-
458 NAP
tais! La sentence a été eiécutée.
Les journées du 16 au 19, fu-
rent fatales aux deux armées. Les
Français perdirent 30,000 hom-
mes tués, 5o,ooo prisonniers y
compris 23, 000 malades ou bles-
sés, qui étaient dans les hôpitaux
de Léipsick , et 55o bouches à
feu. Les coalisés laissèrent morts
sur les chan)ps de bataille l'ef-
frayante quantité de 47?ooo hom-
mes : on estime au double le nom«
bre des hommes mis hors de com-
bat.
Le 23, l'armée française, ré-
duite à 90.000 hommes, arriva à
Erfnrlh, où elle s'approvisioima:
elle poursuivit sa route le a5, et
le 36, elle trouva sa retraite cou-
pée à Hanau par 60,000 Austro-
Lavarois sous les ordres du géné-
ral de Wrède. Ainsi, après le dé-
sastre de Léipsick, elle rentrait en
France entre deux défections ,
comme elle était rentrée en Alle-
magne après celui de IMoskou.
Un reste de pudeur de la part de
deux alliés, tels que les souverains
de l'Autriche et de la Bavière, au-
rait au moins dft respecter le re-
tour de Napoléon dans sa patrie ;
mais nous devons le dire encore,
à cette époque si mémorable ,
les souverains étaient oubhés de
leurs armées, dont chaque géné-
ral, érigé par elles en dictateur,
aveuglé comme elles par l'enthou-
siasme d'une indépendance popu-
laire, ne les dévouait qu'au fata-
lisme de la vengeance, dont elles
furent toutes punies après leur
triomphe. L'armée du général de
Wrède fut enfoncée par la furie
française y et perdit 12,000 hom-
mes. Le général Bertrand, celui
qui devait partager le dernier asi-
NAP
le de Napoléon, occupa la derniè-
re position des Français sur le
sol germanique. 11 s'empara de
Hanau après avoir châtié le géné-
ral bavarois , qui fut blessé dan-
gereusement, et cette vigoureuse
occupation protégea la retraite sur
IMaycnce. La justice et la gloire
marquèrent ainsi les adieux de la
France ù l'Allemagne. Le 2 no-
vembre , l'armée avait repassé
cette grande limite, que la nature
et la république avaient donnée à
la patrie française , que la soif des
conquêtes n'avait pas su respecter,
et que celle plus implacable de la
vengeance allait franchir.
Cependant un simulacre de né-
gociations,réunissait à Francfort le
couite de Metternich , le comte de
Nesselrode , lord Aberdeen et le
baron de Saint- Aignan. Ce der-
nier, ministre de France près les
cours ducales de Saxe, arrêté et
envoyé prisonnier sur les derrières
et contre le droit des gens, avait
été rappelé par les plénipotentiai-
res alliés, et recevait, dans une
conférence , la réponse aux ou-
vertures faites de la part de Napo-
léon , par le comte de Meerfeldt ,
son prisonnier à l'affaire de \Va-
chau. Des bases furent posées,
communiquées à Napoléon par
son ministre. » La France avait
«pour limites le Rhin, les Alpes et
«les Pyrénées; l'Espagne était ren-
»due à son ancienne dynastie; l'I-
«talie, l'Allemagne, la Hollande,
«étaient rétablies comme états in-
» dépendans.» Mais il fut bien prou-
vé que cette communication, qui
eut lieu le 10 novembre, n'était
qu'un prétexte pour "mieux com-
biner l'invasion de la France. Cet-
te grande expédition effrayait les
NAP
alliés : les souvenirs héroïques de
1^92 leur en imposaient encore.
L'Autriche surtout dut redouter
de fouler celte terre alors si re-
doutable , à laquelle l'envahisse-
ment des étrangers avait fait pro-
duire tant de héros. Elle cherchait
donc par tous les moyens à se
soustraire aux chances douteuses
de l'invasion méditée, et celte 0-
pinion, cette crainte , partagées
par la Prusse, qui avait sa tradi-
tion particulière, par l'Angleterre,
qui avait en mémoire les désastres
de ses armées sur le sol français,
le furent aussi par la Russie, et
déterminèrent les alliés aux pro-
positions de Francfort. En consé-
quence de cette terreur qui arait
saisi les vainqueurs, on voulait, en
promettant et en n'arrêtant pas
l'ouverture d'un congrès, dans la
ville de Manhein, désignée par
Napoléon, avoir le temps de sé-
duire ou de violer la neutralité de
la Suisse, la faiblesse du roi de Na-
ples, lu Hollande déjà occupée.
La Russie et l'Autriche surtout,
dont la capitale était menacée par
l'armée du prince Eugène, le vou-
laient ainsi, et en attendant ces ré-
sultats, qu'ils obtinrent bientôt,
les souverains alliés publiaient à
Francfort, le 1" décembre, une
proclamation, qui tendait à désu-
nir la France elle-même, en sépa-
rant sa cause de celle de son sou-
verain. Ainsi dans le moment où
ils traitaient, ou avaient Tair de
traiter avec Napoléon , ils dé-
vouaient sa tête à ses propres su-
jets. Telle était la politique guer-
royante des alliés. Napoléon n'en
devint que plus exigeant, et il fut
trompé comme eux : car il crut
aussi que l'invasioa soulèverait les
NAP
4"^9
citoyen?, et qu'ils foraient pour lui
ce que leurs pères avaient fait
pour la liberté. Il crut qu'une na-
tion, fatiguée par vingt-cinq an-
nées de guerre, avait encore l'é-
nergie qui doit résulter d'une lon-
gue paix ; il crut même que les ré-
cents exemples des Espagnols ser-
viraient aux Français et arrête-
raient les alliés. Ainsi, au lieu d'ac-
cepter publiquement et de procla-
mer les bases offertes, comme un
gage de sa modération, de son a-
mour pour la France, et de sa
bonne foi envers l'Europe, il vou-
lut rester maître de ces conditions
dont il fit tant qu'il put un mystè-
re, et ne donna qu'une réponse é-
vasive. Les alliés n'en furent pas
les dupes : « Napoléon n'est pas
changé,» s^écvia l'empereur d'Au-
triche. Plus tard, à peu de temps
de là. Napoléon crut manifester
ses intentions pour la paix, en
changeant deux de ses ministres,
en appelant au ministère des re-
lations extérieures le ducdeVicen-
ce, désigné à Francfort par les sou-
verains et par l'opinion en France,
comme étant l'homme de la paix.
Le début de ces nouvellescommu-
nicalions diplomatiques fut l'ac-
ceptation des bases proposées par
les alliés, mais il était trop tard.
Les alliés, au lieu d'ennemis à re-
douter, avaient en France de puis-
sans auxiliaires.
Une conspiration déjàancienne,
très-habile et très-active, que l'en-
treprise du général Malet avait
peut-être réveillée, et qui l'année
précédente avait eu un moment
pour représentant à Dresde, le ré-
volutionnaire et contre -révolu-
tionnaire Fouché, duc d'Otranle,
accueillait s ::urdeuient en France
44o
NAP
le projet d'une séparotion avec
son cheC, si hautement procla-
mée par redit de Francfort. Le
projet d'une régence n^était pasé-*
tranger à une masse d'opinions,
que les grandes époques de la ré-
volution rendaient imposantes, et
que les dangers publics semblaient
appeler à son secours. Poiir tout
dire en un mot, les républicains
et les constitutionnels de la Fran-
ce, redoutaient autant que les é-
trangers le retour de la prospéri-
té-militaire de Napoléon, et aspi-
raient à lui voir imposer une paix
qui mît fin à son ambition et aux
malheurs de la patrie. Ces senti-
mens, ces opinions, cette volonté,
vont se trouver mis en action, à
la grande scène de famille que pro-
voquera la convocation du corps-
législatif, le 19 décembre.
Cependant la situation des trou-
pes françaises devenait chaque jour
plus déplorable au-delù du Rhin
et au-'delà des Pyrénées. Pampe-
lune avait capitulé le 3i octobre;
Napoléon apprenait cette nouvel-
le à Mayence, qu'il quitta le 8 no-
vembre pour se rendre à Saint-
Cloud, où il arriva le lendemain.
Le 10, le maréchal Soult était for-
cé dans les lignes de Saint- Jean-
de-Luz, par le général Wellington,
dont toutes les forces espagnoles,
anglaises et portugaises, sontréu-
nies. Il n'y a plus de Français en
Espagne. Le 1 1 , le maréchal Saint-
Cyr, enfermé dans la ville de Dres-
de avec 5o,ooo hommes, dont
6,000 malades, conclut avec les
généraux Rlénnu et ïolstoi une
convention honorable. Mais le sys-
tème qui faisait trahir les allian-
ces, fit aussi trahir jusqu'aux ca-
pitulations , et le généralissime
NAP
prince de Schwarzenberg refusa
de ratifier la convention faite par
ses lieutenan?. Le corps du maré-
chal Saint- Cyr, arrêté dans sa
marche, fut conduit prisonnier en
Autriche. Il en fut de même des
autres garnisons, qui capitulèrent
pour leur rentrée en France, telle
que celle de Dantzick , sous les
ordres du général Rapp : le prince
de Wurtemberg, qui commandait
le siège avec une armée russe,
imita, le 1" janvier 1814? la con-
duite du prince de Schwarzen-
berg. Le 21, après huit mois de
blocus, la ville de Stettin ouvrait
ses portes aux alliés. Le 24, le gé-
néral Bulovv prenait Amsterdam,
qui proclamait l'indépendance de
la Hollande et rappelait le prince
d'Orange : le 2 décembre ce gé-
néral entrait à Utrecht. Le 4» Lu-
beck était pris par les Suédois. Du
8 au i5, après des combats très-
acharnés entre l'armée du maré-
chal Soult et celle du général Wel-
lington, celui-ci, par la supériori-
té numérique de ses forces, fran-
chit la Nive à Locuboera Ustaritz.
Le 10 décembre, l'évacuation de
la Hollande continuait par celle
de Breda et de Williemstat, et le
1 5, afin qu'il ne restât plu? aii-delà
du Rhin un seid ami à la France,
les Russes stipulaient un armistice
avec les Danois, tandis que le aS"'
corps, fort de plus de 00,000 hom-
mes, sous les ordres du maréchal
Davoust, était condamné à attendre
dans les murs de Hambourg la
conclusion du grand drame poli-
tique dont la France va être la vic-
time. Il en est de même des
80,000 hommes que renferment
les villes de Dantzick, de Magde-
bourg, et les autres places du
NAP
Nord qui résistent encore au blo-
cus de l'ennemi. Ces nombreuses
légions seront assez malheureuses
pour apprendredans leurs prisons,
guerrières, tous les désastres de
celles à qui le champ de bataille
est ouvert, et pour sentir que la
coalition ne triomphe que parce
qu'elles sont captives. Arrivé le
9 novembre à Saint- Cloud l'em-
pereur ne perd pas un moment
pour la défense de la France, et
retrouve cette incroyable activité
qu'il avait déployée au commen-
cement de la même année, pour
aller venger sur l'Elbe et sur 10-,
der sa grande-armée de Russie.
Le i5, un sénatus- consulte met
5oo,ooo hommes à sa disposition,
et pour solenniser la séance d'ou-
verture du corps-législatif, où la
cause de la France va être portée,
un autre sénatus-consulte du mê-
me jour appelle à cette séance le
sénat et le conseil-d'état. 11 s'agit
de la paix du monde et du salut
de l'empire. Le 2 décembre, le
duc de Vicence, nommé ministre
des relations extérieures, déclarait
au comte de Metternich que Na-
poléon adhérait auxbases de Franc-
tort. En témoignage de ses inten-
tions pacifiques, ce prince signait,
le 11, le traité de Valançay, et
rendait l'Espagne à Ferdinand. Ce
traité pouvait être signé et surtout
exécuté plus tôt. Il y eut des relards
volontaires opposés à son exécu-
tion, de la part du général Clarke,
ministre de la guerre. Toute l'ar-
mée d'Espagne, les Soult , les Su-
chet, les Clauzel. se seraient trou-
vés au cœur d^la France dans le
mois suivant. Mais déjà on trahis-
sait la France et Napoléon. Le 17,
un décret impérial mobilisait
NAP 44»
160,000 gardes nationales . pnnr
former les garnisons de l'intérieur:
enûn, le 19. le corps-législatif est
convoqué ; l'empereur en fit l'ou-
verture en ces termes :
« Sénateurs, conseillers - d"é-
»tat, députés des départemens au
» corps-législatif,
« D'éclatantes victoires ont il-
» lustré les armés françaises dans
"cette campagne , des défections
» sans exemple ont rendu ces vic-
»toires inutiles : tout a tourné
«contre nous. La France même
«serait en danger sans l'énergie
»et l'union des Français. Dans ces
«grandes circonstances , ma pre-
«mière pensée a été de vous ap-
.) peler près de moi ; mon cœur
»a besoin de la présence et de
«l'affection de mes sujets. Je n'ai
"jamais été séduit par la prospéri-
»té : l'adversité me trouvera au-
« dessus de ses atteinte*. J'ai plu-
» sieurs fois donné la paix aux na-
«tions, lorsqu'elles avaient tout
«perdu. D'une part de mes con-
» quêtes, j'ai élevé des trônes pour
«des rois qui m'ont abandonné.
«J'avais conçu et exécuté de
«grands desseins pour la prospé-
«rité et le bonheur du monde
«-Monarque et père, je sens que la
«paix ajoute à la sécurité des trô-
«nes et à celle des familles.
« Des négociations ont été en-
«taméesavec les puissances coali-
«sées. J'ai adhéré aux bases préli-
«minaires qu'elles ont présen-
«tées. ..; j'ai ordonné qu'on vous
«communiquât toutes les pièces
«originales qui se trouvent au
«porte-feuille de mon département
«des affaires étrangères — Rien
«ne s'oppose de ma part au réta-
»hlis<ement da la paix. Je coona \€
442
iNAP
»et je partiio;e tous les senlimens
«des Franpairi je dis des Fran-
»oais, parce qu'il n'en est aucun
»(\m désirât l;i paix au prix de
wl'lionneur Sénateurs, conseil»
«lers-d'état, députés des départe-
»mens, vous êtes les organes na-
»tnrels de ce trône; c'est à vous
»de donner l'exemple d'une é-
«nergie qui recommande cette
«génération aux générations Cutu-
»res. Qu'elles ne disent pas de
«nous : Ils ont sacrifié les pre-
nmiers intérêts du pays; ils ont re-
» confia les lois que l' Angleterre a
■>^ cherché en vain pendant quatre
» siècles à imposer à lu France !
«Mes peuples ne peuvent pas
«craindre que la politique de leur
«empereur trahisse Jamais la gloi-
)>re nationale. De mon côté, j'ai
»la conliance que les Français se-
«ront constamment dignes d'eux
•> et de moi. »
Ce discours fit une grande im-
pression, et l'assemblée fut aussi
émue qu'on l'avait été à la premiè-
re audience après le retour de Alos-
kou; mais Napoléon fut écouté par
des esprits plus fiers. Les maux
de la patrie avaient affranchi tout-
à-coup les hommes naguère les
plus soumis. Le duc de Vicence,
ministre des affaires étrangères .
fut chargé des communications à
la commission du sénat, et le
conseiller-d'étatd'Hauterive à cel-
le du corps- législatif, qui s'assem-
Machez l'archichancelier. La com-
mission du sénat se réunit dans
son palais; elle communiqua avec
le ministre par M. de Fontanes,
son rapporteur. Le ministre-d'état
Ilegnauld fut chargé des messa-
ges aux deux chambres. La com-
mission du sénat, présidée par
NAP
M. de Lacepède, était composée
de MM. de Taîleyrand, Fonta-
nes, Saint-Marsan, Barbé-Mar-
bois et Beurnonvillo ; relie du
corps-législatif, présidée par le
duc de Massa , était composée
de MM. Rajnouard, Laine, Gal-
lois, Flauguergues et Maine de
Birali. L'empereur ne voulut ja-
mais consentir à cette époque à
faire communiquer aux deux com-
missions le rapportde M. de Saint-
Aignan, et ne permit que les com-
munications des bases. Les instan-
ces réitérées du duc de Vicence
.pour tout communiquer furent
inutiles. Le rapport ne fut inséré
dans le Moniteur que pendant le
congrès de Châtillon , et encore
l'empereur s'en repentit, au point
de faire arrêter la distribution de
ce numéro. Le 3o, une députalion
du sénat fut admise à présenter
le rapport de sa commission. Le
sénat approuvait tous les sacrifi-
ces detîiandés à la France, mais
dans le seul but delà paix. Il sup-
pliait l'emperevu' de faire un der-
nier effort pour l'obtenir :« C'est
»le vœu de la France, Sire, disait
«la députation , c'est le besoin
«de l'humanité. Si l'ennemi per-
«siste dans ses refus, eh bien!
» nous combattrons pour la patrie,
» cuire les tombeaux de nos pères
»et les berceaux de nos en-
•) fans. »
L'empereur répondit : « — Ma
«vie n'a qu'un but, le bonheur de>:
«Français; cep«îndaiit le Béarn ,
«l'Alsace, la Franche-Comté, le
«Brabant sont entamés. Les cris dt:
«cette partie de ii||pi famille me dé-
Dchirent l'âme; j'appelle les Fran
«çais au secours des Français
«j'appelle les Français de Paris,
NAP
• delà Bretagne, delà Normandie,
»de la Champagne, de la Bourgo-
» gne, et d'antres départemens, au
«secours de leurs frères. Lesaban-
wdonnerons-nons dans leur mal-
»heur? l*aix et délivrance de no-
»lre territoire, doit êlre notre cri
»de ralliement : A C aspect de tout
nce peuple en armes, l'étranger
•) fuira, ou signera la paix sur les
»ba<ies qu'il a lui-même proposées;
«il n'est plus question de recou-
«vrerles conquêtes que nous a-
» vions faites. »
Le rapport de la commission
du sénat , avait noblement déve-
loppé l'opinion généreuse, qui,
tout en justiflant ses vœux pour
une paix prochaine, justifiait éga-
lement les etTorts que le chef du
gouvernement demandait à la na-
tion pour l'obtenir; il ne s'occupa
qu(' des malheurs présens , et en
effet si dans la campagne de Rus-
sie , la gloire comme l'infortune
fut toute à la France, et le crime
aux élémens , il en était de même
de la campagne actuelle , dont la
trahison seule avait fait tous les
désartres. Le rapport traitait ha-
bilement cette dernière question,
et abordait avec grandeur la si-
tuation de la patrie. « Le moment
nest décisif; les étrangers tiennent
«un langage pacifique, mais quel-
«ques-unes de nos frontières sont
«envahies, et ra guerre est à nos
«portes; 56 millions d'hommes ne
»peuvent trahir leur gloire et leur
«destinée.... La France peut être
nfière de ses blessures, comme de
»sos triomphes passés; le décou-
» ragcment dans le malheur serait
«encore plus inexcusable que la
B jaclance dans le sticcès; ainsi donc
» en invoquant la paix, que le.» prc-
NAP
445
nparalifs militaires soient partout
«accélérés et soutiennent la négo-
ncialion. Rallion*-n'>us autour de
nce diadème, où l'éclat de cin-
nquante victoires brille au travers
nd'un nuage passager: la fortune
une manque pas long-temps aux
«nations qui ne se manquent pas à
-e'ies-mêmes.... » Le sénat avait
heureusement saisi celte occasion,
de prendre son rang dans la for-
tune de la France; mais peu de
mois après, ce grand principe
qu'il venait de proclamer était per-
du pour la France et pour lui.
Le corps-législatif, placé plus
près des besoins et des intérêts
domestiques de la nation, songea
à l'héritage de vingt-quatre années
de législature, qui avait précédé la
sienne. Il jugea le procès de l'em-
pire et de la liberté, et demanda
des garanties au souverain, qui
demandait la dictature ; tel fut
l'esprit de la commission dont
M. Raynouard fut l'orateur dans
la séance du 28 : * S'il s'agissait,
» dit-il, de discuter ici des condi-
otions flétrissantes, S. M. n'eflt
«daigné répondre qu'en faisant
« connaître à ses peuples les projets
»de l'étranger; mais on ne veut
«pas nous humilier, mais nous
«renfermer dans nos limites et ré-
a primer l'élan d'une activité umbi-
<) tieuse, si fatale depuis vingt ans,
Ȉ tous les peuples del'Euroi^e; de
"telles propositions nous parais-
»sent honorables pour la nation,
«puisqu'elles prouvent que Té-
«trangcr nous craint et nous res-
«pccte. Ce n'est pas lui qui assi-
') gne des bornes à notre puissan-
» ce : c'est le m.ondf effrayé qui in-
n toque le droit commun des nations;
nies Pyrénées, le Rhin et les Al-
444
NAP
»pes renferment un vaste terri-
»toire,dont plusieurs provinces
»ne relevaient pas de l'empire des
» lys, et cependant Im. royale couron-
nne de France était brillante de
* gloire et de majesté entre tous les
■» diadèmes. » — « Orateur, s'écrie
» le duc de Massa président, ce que
nvous dites est inconstitutionnel ! n
— 0 // n\ a ici d' inconstitution-
r>nel que votre présence, » répli-
qua M. Raynouard, et il continua
par le tableau du despotisme sous
lequel' gémissaient les peuples
du Rhin, du Brabant, de la Hol-
lande.
« Ne dissimulons rien, ajouta-
»t-il, nos maux sont à leur com-
»ble... : il n'est point de Français
«qui n'ait dans sa famille une
«plaie à guérir...; la conscription
«est devenue pour toute la France,
»un odieux fléau...; depuis deux
«ans on jmoissonne trois fois l'an-
«née...; les larmes des mères et
«les sueurs des peuples, sont-elles
» donc le patrimoine des rois ! Il est
• temps que les nations respirent...
«Notre auguste monarque, qui par-
» tage le zèle qui nous anime et qui
«brûle de consolider le bonheur
))de ses peuples, est le seul digne
«d'achever ce grand ouvrage....
» Les monarques français se sont
«toujours glorifiés de tenir leur
«couronne de Dieu, du peuple, et
»de leur épée; parce que la paix,
«la morale et la force sont, avec
«la liberté, le plus ferme sou-
»tien des empires.... »
C'était parler en tribun monar-
chique plutôt qu'en homme d'état;
car, par ce rapport qui signalait
en détail les maux de la situation
domestique de l'empire, l'Europe
connaissait le point où la France
NAP
était le plus vulnérable, et l;i
France apprit que le corps-légis-
latif était un parti d'opposition.
Parsuite de ce rapport, une adres-
se fut votée, ainsi que l'impression,
à la majorité de 220 voix contre
5i. — Le 3o décembre, l'épreuve
de l'imprimeur fut'saisie, la plan-
che brisée, et les portes du palais-
législalif furent fermées; le 5i ,
la législature fut dissoute. Cette
adresse, encore plus expressive
que le rapport, renfermait la de-
mande d'ime sorte de redresse- -
ment des griefs imputés au gou-
vernement de Napoléon, et lui
demandait des garanties contre
lui-même. Napoléon sentit à l'ins-
tant tout son péril ; il se vit isolé
de la nation par une délibération
du corps-législalif. — Ainsi, c'était
par une véritable guerre civile
entre Napoléon et les députés de
la dernière législature, que se
terminait la grande et solennelle
communication faite aux premiers-
pouvoirs de l'état, des espérances
et des besoins relatifs à la paix du
monde et au salut de la Francel
La discorde attendait l'invasion
étrangère; elle frappait d'un inter-
dit public le dictateur armé, et
couvrait de ses partis le sol de la
France, que l'union de tous pou-
vait seule sauver! On avait dit à
Rome, à Athènes : Nous délibérons
et l'ennemi est à nWf portes. On le
dira encore à Paris, et l'enne-
mi prendra deux fois la capi-
tale!
Le corps-législatif voidait. dans
son adresse, que la guerre devînt
nationale, ut il demandait des
garanties politiques à Napoléon,
pour engager la nation. Si ce grand
pouvoir avait proclamé lui-même
NAP
la guerre natiokale, s'il se fût lui-
tncme établi Je conseil permanent
de la défense de la patrie en dan-
ger, la France entière eût pris les
armes, et le million d'étrangers,
qui n'osaient déborder sur la Fran-
ce qu'après avoir violé la neu-
tralité helvétique, et avoir en-
traîné la Hollande , eflfrayé du
mur de fer que la population,
redevenue civique, lui eût tout-à-
coup opposé, fût retourné .«ur le
Mtiu renouveler les propositions
de Francfort. Napoléon ne pouvait
plus lever Ja France en masse; il
n'y avait que ses députés qui le
pouvaient. Il leur avait dit ce
qu'ils avaient à faire. « Il fautsui-
»vre l'exemple de l'Alsace, de la
» Franche-Comté et des Vosges;
«les habitans s'adressent à moi
"pour avoir des armes Je vous
> ai rassemblés pour avoir des
• consolations : ce n'est pas que
«je manque de courage, mais j es-
«pérais que le corps -législatif
«m'en donnerait, au lieu de cela
:> il m'a trompé; ati lieu du bien
» que j'attendais, il a fait du mal —
» Vous cherchez à séparer le sou-
)> verain de la nation. » .
L'empereur avait raison, et
l'événement le prouva; d'ailleurs
le rapport de la commission et
l'adresse du corps-législatif, après
avoir donné auxennemis intérieurs
et extérieurs le secret de la déplo-
rable situation de la France, ne
laissaient aucune garantie, quand
même Napoléon s'y serait montré
soumis; car une fois victorieux,
s'il n'eût pas voulu tenir les enga-
gemens demandés, quel recours
exislait-il contre lui? Il n'en eût
que plus régné par l'armée , et il
eût protesté de la violence du mo-
NAP
445
ment pour ne pas tenir ces enga-
gemens. Le corps-législatif avait
raison de vouloir rétablir les ba-
ses tant de fois ébranlées de la li-
berté publique; c'était avec raison
qu'il avait demandé de r<^/jr/m^r/^s
infractions aux Lois, mots sévères,*
mais justes, auxquels le duc de
Massa obtint de substituer ceux-
ci : maintenir l' exécution des lois.
Mais son premier devoir était de
concourir avec l'empereur à sau-
ver d'abord la patrie par tous les
moyens , de prendre l'initiative
légale du salut public, et de gar-
der en réserve ses justes re-
montrances, comme des titres
qui devaient survivre à nos mal-
heuis pour les empêcher de se re-
produire jamais. Au lieu de cela,
il décolora, en l'accusant, le pou-
voir, qui seul pouvait sauver l'état;
il légalisa la méfiance, il se décla-
ra l'opposition, il rompit l'unité.
Ces disssentions solennelles
trouvèrent bientôt de puissans
protecteurs dans les deux partis
qui, comme nous l'avons dit, s'é-
taient formés depuis la campagne
de Kussie, et qui s'étaient haute-
ment déclarés, quand Napoléon
refusa les premières propositions
de Dresde. L'un était composé
de celte minorité du sénat, qui
avait constamment opposé à l'ar-
bitraire les principes et les exem-
ples de 1789 et de la république.
Tout ce que la France renfermait
d'hommes constitutionnels et ré-
publicains s'y rattachait : ce parti
était celui qu'en d'autres circons-
tances, on aurait pu nommer le
parti national. Un autre, moins
généreux, et dont le duc d'Otran-
te avait été l'émissaire à Dresde,
était formé de tous ceux qui, pour
446
NAP
conserve»' la jouissance paisible
de leurs dignités et de leurs fortu-
nes de toutes les époques, vou-
laient détrôner Napoléon, et lui
substituer alors la régence : c'é-
tait un second iS brumaire que
«inéditait ce parti, qui avait fîiit le
premier. Un troisième, devenu
subitement plus dangereux que
les deux autres, était le parti
royaliste, qui conçut la grande
idée de faire son auxiliaire du
million d'étrangers qui pénétrait
en France. Il comptait dans ses
rangs le petit nombre des grands
seigneurs qui avaient refusé d'être
inscrits sur les registres delà cour
de Napoléon, le grand nombre de
ceux qui le servaient encore, et
qui attendaient l'événement pour
retourner leurs habits, et enfin,
indépendamment de cette foule
servile de tout temps attachée à
la noblesse, il comptait aussi les
anciens ennemis amnistiés de Na-
poléon, les Vendéens. Ce parti était
habile, actif; il avait son organisa-
lion politique , civile et militaire;
il avait la combinaison et la for-
ce des sociétés secrètes; il ouvrait
dans l'intérieur des cadres cachés,
prêts à recevoir les débris de
l'empire, si Napoléon était vain-
cu.
Napoléon avait pour lui vingt
années de gloire, les habitudes de
l'obéissance d'une nation amou-
reuse desa patrie, celle du dévoue-
ment de l'armée la plus héroïque
de l'histoire, l'empire d'une re-
nommée prépondérante , qui de-
puis son entrée en Italie asser-
vissait l'univers, et la puissance
^^l'un génie que rajeunissait l'ad-
versité; car il voyait tous ses pé-
rils, aucun ne lui fut inconnu;
NAP
et il aimait peut-être ces dangers,
par l'espoir de donner à la Fran-
ce le nouveau spectacle de son
héros triomphant de toute l'Euro-
pe pour la défense de ses autels
domestiques. Aussi, fatigué de
tant de trahisons, NapJléonse ré-
fugia dans linexpuguable fidélilé
de son courage et de son armée.
Cependant trois grandes routes
militaires sur la France sont ou-
vertes par les alliés. La Suisse,
livrée par les oligarques, a vu le
20 décembre sa neutralité violée
par 160,000 hommes : c'est la
grande -armée commandée par
le prince de Schwarzenberg. Le
comte de Bubna , qui la conduit,
passe le Rhin entre Rheinfeld et
Bâle; le centre ,»e précipite sur
Huningue et Béfort, la gauche
sur Colmar, où elle est repoussée;
la droite sur Genève, qui a ouvert
ses portes. La seconde armée, dite
de Silésie , est aux ordres du feld-
niaréchal Blucher; elle agira sur
la Lorraine par Manheim, La
troisième armée est celle de l'ex-
maréchal Bernadotle ; elle est
composée de tous les ennemis de
la France, Suédois, Russes, Prus-
siens, Anglais : elle doit envahir
la France par la Belgique ; mais
la terreur qu'inspire le soi fran-
çais à un million d'étrangers est
telle encore, que Bernadotte, qui
le défendit si bien lors de la pre-
mière coalition, craint d'y mettre
le pied avant d'avoir appris que
Blucher y aura pénétré, de même
que Blucher attend le succès du
mouvement de Schwarzenberg
sur Bâle , pour tenter le passage
du Rhin à Manheim. Le 3i dé-
cembre , Blucher a aussi passé le
grand fl«uve; mais une décision
NAP
extraordinaire cfn conseil des rois
interdit à leur généralissime Ber-
nadette l'entrée en France : cet
exil d'un genre n(.uv'eau retient
le prince royal de Suède à Aix-la-
Chapelle.
Tel fut le résultat de la fatale
expédition de Aloskou. Cette hau-
te entreprise, dont le succès eût
placé sur la tête d'un homme les
deux couronnes d'Orient et dOc-
cident, n'occupait cependant pas
à elle seule la vaste pensée de
Napoléon. L'Italie sacrée devait
venir rejoindre à Paris l'Italie
profane, et la chaire de saint Pier-
re transportée à l'archevêché eût
montré à la chrétienté le souve-
rain pontife représentant auprès
de Napoléon le vasselage catho-
lique. La face du monde civilisé
changeait; la religion chrétienne,
vaincue dans toutes ses confes-
sions, prêtait foi et hommage au
nouveau Cyrus. L'Evangile n'é-
tait plus qu'une adoption du grand
code. Une religion politique, tou-
te nouvelle, s'élevait sur les bases
de tous les trônes et de toutes les
croyances. L'athmosphère de Pa-
ris serait devenue le climat néces-
saire de toutes les suprématies du
globe, dans la religion, dans la
politique, dans les arts et dans la
guerre. Paris aurait pris le nom
de Ville éternelle, et Napoléon
celui du Grand roi. L'histoire res-
te veuve à jamais de cette immen-
se usurpation , dont sa propre
grandeur n'ose encore à présent
aborder la pensée. Quelques de-
grés d'un froid prématuré ren-
versèrent le plus audacieux é-
diûce que jamais le génie de
l'homme ait osé concevoir.
L'hiver seul emj)ècha l'invasion
NAP 447
de ce 18 brumaire universel.
L'année i8i5 expira dans ce
grand conflit des passions de la
France, et des vengeances de l'Eu-
rope. Les commencemens du 19*
siècle devaient être à jamais
mémorables pour les peuples et
pour les rois. Car, au milieu
de ces grandes commotions ,
ils posaient pour l'avenir les
bases du contrat que le génie
de l'ordre social doit, tôt ou tard,
leur imposer. D'autres agitations,
comme celles de la terre avant et
après l'éruption des grands vol-
cans, accompagneront et suivront
le bouleversement politique qui
va changer la face du monde.
Toutefois la société, qui est aussi
une puissance dans la nature,
doit renaître régénérée de ce tra-
vail, qui va l'agiter peut-être pen-
dant un demi-siècle, mais les
hommes et les choses reprendront
leur niveau. Cependant, en i8i3,
la France sert de creuset à la dé-
couiposition européenne, et elle
entendra dans trois mois sonner
une heare fatale.
1814.
Le 1" janvier 1814 ramène au
palais des Tuileries le retour des
hommages du 1" de l'an, et n'est
plus que le premier jour du der-
nier trimestre de l'empire fran-
çais. Les vœux d'usage que Na-
poléon y reçoit de sa cour ont la
couleur d'adieux extraordinaires.
Lui-uiême, encore profondément
irrité de l'adresse qui a brisé le
silence du corps - législatif, ac-
cueille sa députation par cette
improvisation violeute:
«J'ai supprimé l'impreàsion de
» votre adrcise. Elle était incen-
448 NAP
ndiaire. Les onze douzièmes du
«corps-législatii'sout composés de
»bons citoyens; je les connais, et
«j'aurai des égards pour eux. Mais
»\in autre douzième renferme des
» lactieux, et votre commission est
«de ce nombre. — Vous vous êtes
«laissés conduire par cinq l'ac-
» lieux. — Le nommé Laine est un
r> méchant homme, qui correspond
» avec le prince-régent par l'inler-
«médiaire de l'avocat Desèze. Je
»le sais. J'en ai la preuve. — Le
» rap[K)rt de votre commission m'a
» faitbiendu mal. J'aimerais mieux
«avoir perdu deux batailles. À
»quoi tendait-il ? à augmenter les
y> prétentions de l'ennemi. Si je vou-
wiais vous croire, je céderais a
«l'ennemi plus qu'il ne demande.
»Si l'on me demandait la Cham-
«pagne, il faudrait donc céder
» encore la Brie ! — Est-ce en pré-
»sence de l'ennemi qu'on doit fai-
»re des remontrances? Le but é-
» tait de m'humilier. — On peut me
» tuer, mais on ne me déshonore-
»ra point. — Je ne suis point né
» parmi les rois, je ne tiens pas au
«trône. — Qu'est-ce qu'un trône?
«quatre morceaux de bois doré
«couverts de velours. — Dansqua-
»tre mois je publierai l'affreux
» rapport de votre commission.
• Que prétendiez-vous faire? nous
«reporter à la constitution degi ?
I) — Qui êles-vous, pour réformer
» l'état ? — Vous n'êtes point les re-
«présentans de la nation. — Vous
«êtes les députés des départe-
«mens. — Moi seul, je suis le re-
» présentant du peuple; et qui de
» vous pourrait se charger d'un
Bj>areil fardeau? — Je ne suis à la
«tête de cette nation que parce
«que sa constitution me convient.
«Si la France en voulait une au-
»tre et qu'elle ne me convînt pas»
»je lui dirais de chercher un au-
«tre souverain. — C'est contre moi
«que les ennemis s'acharnent plus
«encore que contre les Français.
«Mais pour cela seul f;/ut-il qu'il
«me soit permis de démembrer
«l'état? Est-ce que je ne sacrifie
«pas ma fierté, mon orgueil pour
«obtenir la paix? Oui, je suis fier,
«parce que je suis courageux. Je
«suis fier parce que j'ai fait de
«grandes choses pour la France.
» — Si j 'éprou ve encore des revers,
«j'attendrai les ennemis dans les
«plaines de Champagne. — Dans
«trois mois nous aurons la paix,
«ou je serai mort. — Retournez
«dans vos foyers. — En supposant
« même que j'eusse des torts, vous
«ne deviez pas me faire des re-
» proches publics. C'est en famille
» qu'il faut laver son linge sale. —
» Au reste, la France a plus besoin
t>de moi que je n'ai besoin de la
1) France. »
C'était donner à la fois un ma-
nifeste et un testament politique
à la France et à l'Europe. Ces pa-
roles retentirent partout; et com-
me elles donnaient matière à une
foule de commentaires les plus
opposés entre eux, ce discours du
trône impérial devint la procla-
mation de la discorde, mais il ne
fut le signal d'aucune proscrip-
tion. L'orateur, les membres de
la commission ne furent pas mê-
me inquiétés. M. Laiué retourna
librement dans ses foyers, où il
était attendu !
Dans cette courte et mémorable
période, tout est extrême, vio- ■m
lent, imprévu. Toutes les facul- 9
tés, toutes les passions humaines.
NAP
vont se dessiner souvent avec une
effrayante et hideuse nudité. Il
n'y aura de vraiment grand, de
vraiment sublinie , d'éternelle-
ment glorieux que les combats
de Napoléon et de ses 4o,ooo bra-
ves. Hors de cette carrière, où
une nation, fatiguée d'être gran-
de, restera spectatrice presque
immobile de ce combat de gladia-
teurs, qui honore ses propres fu-
nérailles, tout ce qui est saint par-
mi les hommes est brisé avec une
impudeur insolente et une vanité
d'impunité, qui est le dernier ex-
cès de la bassesse dans le triom-
plie de la force.
Le 1" janvier, sur le bord de la
Baltique, ce qui restait de l'héroï-
que garnison de Dantzick sul)ite-
ment prisonnière de la capitula-
tion due à sa valeur, est envoyé
dans les déserts de la Russie, par
l'ordre du souverain au nom du-
quel les 10,000 braves de Dant-
zick ont été déclarés libres de re-
tourner en France. Le même mois
voit la Suisse trahissant tout-à-
coup ses traités, livrer elle-même
sa neutralité ainsi que ses défilés,
aux ennemis de la France, aux
sujets du père de Marie-Louise.
Le fort Louis, Montbclliard, Ha-
guenau, le fort l'Ecluse, Sain*»
Claude, Trêves, Vesoul, Epinal,
Forbach, Bourg-en-Bresse, Colo-
gne, Nancy, le fort de Joux, Lan-
gres , Dijon, Toul , Chambéry ,
(]hâlons-sur-Saône , Bar-sur-Au-
be , sont déjà occupés par la
coalition. Au a5 janvier, la Fran-
ce est saisie au nord et à l'est, oiï
elle n'a plus de frontières. La
violation , ou plutôt la défection
de la neutralité helvétique, un des
plus grands attentats sans doule.
• NAP 449
chez les nations civilisées, ne sera
toutefois aux yeux des alliés
qu'une simple manœuvre militai-
re : tant la violence domine dans
les conseils de la coalition. Ce
même mois de janvier est encore
destiné à devenir une époque fa-
tale à l'honneur du diadème. Si
l'empereur d'Autriche s'est vu
forcé à Prague de faire la guerre
à Napoléon , auquel il a proposé
la paix la plus honorable, il n'en
est pas de même sans doute du
roi de Naples. de ce Joaohim Mu-
rât, à qui la France donnait de-
puis 20 ans le titre de son pre-
mier soldat, et que Bonaparte, en
récompense de cette valeur deve-
nue historique pour la nation, a-
vait uni à sa famille et doté d'une
des plus belles couronnes de l'Eu-
rope. Joathim oublie tout-à-coup
qu'il n'est rien sans la France et
sans Napoléon, Il croit avoir le
droit de marcher à la suite des
intérêts ou des défections des an-
ciennes dynasties. Le 6 janvier,
il a signé un armistice avec l'An-
gleterre; le 1 1, un traité d'alliance
offensif et défensif avec l'Autri-
che; et 5o,ooo Napolitains doi-
vent marcher contre la France !
Ces étranges conventions, con-
seillées par les passions privées,
par les haines implacables de ses
obscurs amis, entraînent la périt;
de l'Italie, et sont une des princi-
pales causes de la chute de l'em-
pire français. Elles placent tout-
à-coup le prince Eugène entre
l'agression du beau-père de Na-
poléon et celle de son beau-frère.
Elles ferment au vice-roi la route
de Vienne, qu'une bataille com-
binée avec le roi de Naples devait
infailliblement lui ouvrir. Il ré-
'j5.) NAP 0
sulle (le ce dernier traité de Joa-
chim roccupation de Rome par
6,000 ISapolitains, le 19 janvier.
Mais Je général Wiollis, gouver-
neur des états romains, s'est en-
fermé dans le fort Saint- Ange,
devenu inexpugnable avec 1200
Français. La no])[e lidélité de ce
général , à laquelle se rattache
l'honneur sans mélange de six
années do la plus paternelle ad-
ministration, réveille dans Rome
reconnaissante quelques beaux
souvenirs de son histoire.
Cependant Napoléon s'est pré-
paré également pour la paix com-
me pour ia guerre. La suite, qui
a été donnée par son cabinet aux
avances laites à Francfort au ba-
ron de Saint- Aignan, nécessite
l'envoi d'un plénipotentiaire au-
près des puissances alliées pour
représenter la Fr.mce au congrès.
C'est encore le plénipotentiaire
de Prague, celui qui a voulu la
paix de Dresde et qui n'a pas été
écouté, c'est le duc de Vicence,
son ministre des relations exté-
rieures, que Napoléon a nommé.
Cette haute dignité ne peut qu'a-
jouter un nouveau crédit à !a mis-
sion dont il est chargé. Il n'aura
pas d'intermédiaire entre lui et
Napoléon ; au congrès , il aura
toute la pensée de son souverain.
M. de Vicence dut le croire : mais
une fois parti, il y eut un inter-
médiaire, et le ministre des rela-
tions extérieures n'eut plus la
pensée de Napoléon que par le
ministre secrétaire-d'élat ; ce qui
donna lieu à une explication. Au
moment du départ du duc de
Vicence pour Fribourg en Bris-
gaw, quartier-général des sou-
verains alliés, Napoléon lui re-
NAP
mit des instructions qu'il venait de
signer «J'ai accepté les bases
»do Francfort, dit Napoléon, mais
»il est plus que probable que les
«alliés ont d'autres idées. Leurs
«propositions n'ont été qy'un mas-
»que.... Veut-on réduire la Fran-
Bce à ses anciennes limites? c'est
» l'avilir — Si la nation me se-
»conde, l'ennemi marche à sa
'> perte. Si la fortune me trahit,
»MON PARTI EST PRIS; JE NE TIENS
«PAS AU TRÔNE. Je n'aVILIRAI NI LA
«NATION, NI MOI, EN SOUSCRIVANT A
» DES CONDITIONS HONTEUSES.» C'é-
tait son ultimatum de conscience
qu'il donnait au duc de Vicence,
et,quels que fussent les événemens
de la guerre, il ne devait pas s'en
départir. Le 4 janvier, jour de la
remise de ces instructions, le par-
ti DE Napoléon était déjà pars.
Le 25 de ce mois, Napoléon
quitte Paris, qu'il ne doit revoir
encore une fois que pour dispa-
raître à jamais du monde euro-
péen. Avant de partir il a solen-
nellement conféré la régence '»
l'impératrice, et confié le roi de
Rome et sa mère à la fidélité de la
garde nationale parisienne. Celte
dernière scène est publique. La
place du Carrousel retentit de
serments, qui furent bientôt ou-
bliés, même par les oITiciers su-
périeurs de cette garde. Frère
d'un roi détrôné, il confie aussi,
ou plutôt il abandonne Paris au
prince Joseph, et il se sépare de
l'impératrice régente et de son
fils, qu'il vient d'embrasser pour
la dernière fois. 11 part en pro-
mettant de vaincre et de reve-
nir sauveur de la patrie. Le 26,
le quartier-général impérial est à
Châlons- sur- Marne. Les mare-
NAP
tliaiix Mortier, Victor, Mîiimont,
Maciloiiald, Nej, Oudiimt, coin-
inanclent sous les ordres de Na-
poléon. Les maréchaux Soult et
Suchet défendent la frontière des
Pyrénées. Le général Maison dé-
fend celle du nord. Le maréchal
Augereau est à Lyon avec na
corps d'armée. Le maréchal
Davoust est renfermé à Ham-
bourg. Le général Clarke est mi-
nistre de la guerre! Débarrassés
de leurs titres de noblesse qui
peuvent les dérober à l'attention
publique, les noms de ces illus-
tres maréchaux vont répondre de
letirs actions , comme aux pre-
miers dangers de la France, com-
me aux premiers jours de leur
gloire. Il est permis sans doute à
l'historien de répugner à placer
leurs surnoms étrangers, quoique
glorieusement acquis, parmi les
noms français qui vont défendre
Ja pairie contre des étrangers.
Heureux ces beaux noms natio-
naux qui reparaîtront sans tache
au dernier jour des destinées de
Tempire ! Ceux qui les ont rendus
fameux et qui les conserveront
iidéles auront bien mérité de la
nation. Le bâton de maréchal
n'aura jamais cessé d'être pour
eux le sabre d'honneur de la patrie.
Napojéon est parti avec le gé-
néral Bertrand, qui, par l'absence
du duc d«* Vicence, plénii)olen-
tiairc à Châlillou, réunit le ser-
vice du grand écuyer à celui de
grand-maréchal , et va commen-
cer, auprès de Napoléon, l'ap-
prentissage d'une longue et cé-
lèbre Gdélité. L'empereur a pour
aides-de-camp. les généraux Fia-
haut , Corbineau , Dejan , et
Drouot qui retuplit les fondions
NAP
451
de major- général de la garde.
Les avant-postes français sont
à Vilry. Bliicher est à Saint-Di-
tier; il a dépassé cette ville le
27, mais il est repoussé par Na-
poléon, qui entre à Saint-Dizier.
L'armée de Silésie est divisée par
ce mouvement. Napoléon veut
encore empêcher la jonction de
liliicher avec Schwarzenberg en
lui coupant la route de Troyes.
Il se décide à marcher sur cette
ville, et pour dérober sûrement
sa marche, il se dirige sur Brien-
ne par la forêt reconnue imprati-
cable qui mène à Montier-en-
Der. Là, il apprend que Blucher
a été retenu à Brienne par la rup-
ture du pont de Lesmont sur
l'Aube. Il s'en réjouit; cette fiii-
bles>e est pardonnable. Napoléon
voudrait immortaliser par une
grande bataille rangée, livrée pour
le salut de la France, ce bourg
de Brienne, son second berceau,
celte école militaire, où naquit ce
génie funeste qui lui met trente
ans après les armes à la main pour
la reprendre sur des légions de
Russes et de Prussiens. L'action
fut des plus vives. Dans l'attaque
brusquée du cluiteau, Blucher
pensa être pris au milieu de tout
son état-major; il n'échappa que
parce qu'il ne fut pas connu. Le
bourg défendu par les Russes, le
chàleau par les Prussiens, ont vu
la bataille la plus acharnée, qu'u-
ne perte égale rend funeste aux
deuTC armées. Il semble que Brien-
ne soit pour elles un de ces lieux
sacrés dont la conquête assurait
la victoire aux anciens Grecs. La
nuit même, après 12 heures des
eflbrts les plus opiniâtres , n'a
point séparé les combattuns. Elit
4.')2
NAl»
pensa être funeste à Napoléon ,
qui, ù 10 heures du soir, rega-
gnait son quartier-général de Mé-
zières. L'n hurra de cosaques se
jette au travers de sa colonne; il
va être frappé d'une Jance, quand
d'uu coup de pistolet l'officier
d'ordonnance Gourgaud abat le
cosaque aux pieds de l'empereur.
Cette journée est malheureuse; la
fortune se plaît à rendre amers à
Napoléon , les souvenirs de son
enfance. L'eujpereur n'avait à op-
poser à Brieune aux forces bien
supérieures de l'euneini, qu'une
petite partie de sa vieille garde et
de son armée. Le gros de ses for-
ces était eu marche dans une
autre direction. La nuit, l'ennemi
s'est replié silencieusement sur
Bar-sur-Aube. Le 3o, à la pointe
du jour, Napoléon va occuper
Brienne, et passe la journée au
château. Là, au milieu des vains
projets qu'il forme pour rebâtir
la ville incendiée et en faire une
résidence impériale , il apprend
(|ue Blucher, qu'il doit croire iso-
lé, a fait sa jonction avec Schwar-
zenberg, et que 100,000 hommes
Tattendent dans les plaines de
l'Aube. Il accepte le combat avec
ses 5o,ooo hommes, presque tous
conscrits de nouvelles levées.
Il a en tête les vieilles bandes de
toutes les nations, celles qui se
sont formées à son école et sous
son drapeau, l'élite de l'armée de
Silésie , celle de l'armée autri-
chienne, la garde impériale rus-
se; un acharnement égal à celui
de l'avant- veille anime les deux
armées. Napoléon est au centre,
«m village de la Rothière, et sou-
tient avec opiniâtreté tout l'effort
de l'ennemi qui dirige sur ce point
NAP
son attaque principale. Mais la
supériorité numérique des alliés
rend inutiles les miracles de l'in-
trépidité fraufaise : leur victoire
fut le triomphe des ma^ses. La
nuit. Napoléon ordcjunc la retrai-
te sur Troyes . et tronipe ainsi
Blucher,qui espère l'écraser le len-
demain.
Cette bataille eut deux résul-
tats très- graves au début de la
campagne : elle soutint le moral
de l armée ennemie, qui pouvait
s'attendre à ne pas gagner la pre-
mière bataille rangée sur Napo-
léon au milieu de la France , et
elle affecta singulièicment le mo-
ral de l'armée française, où le dé-
couragement produisit la déser-
tion ! Elle laissa sur le champ de
bataille 04 bouches à feu, et prés
de 6,000 hommes, dont la moitié
prisonniers.
Le 2, l'armée française pour-
suit sa retraite sur la rive gauihe
de l'Aube après avoir coupé en-
core une fois le pont de Lesmont,
dont la destruction avait déjà ar-
rêté Blucher. Napoléon l'avait
fait rétablir pendant le combat.
Mais le maréchal Marmont, char-
gé de protéger la retraite, est res-
té sur la rive droite, et il n'a plus
d'autre route pour rejoindre, que le
passage de la Voire à Piosnay, où il
est attaqué par25,oooBavarois,que
commande le général de AVrede.
A ce nom, Marmont se souvient
de ceux qui ont trahi la France à
Hanau. L'épée à la main, il passe
avec ses braves au travers de ces in-
fidèles alliés, etlemêmejourilarri-
ve à Arcis. Mais la grande vicloire
que Napoléon acherchée, et dont il
ne peut se passer pour relever l'o-
pinion, pour soutenir la France
et pour la défendre, Tient de lui
échapper à la Rothière , et un
grand prestige est détruit : Au
sein même de la France, Napoléon
n'est pas invincible. Il en résulte
pour lui cette vérité fatale, que le
trône des conquérans une fois me-
nacé ne peut plus 5ubsister que
par la victoire. Le i" février.
Bruxelles avait été évacuée. Ne
pouvant plus défendre la Bel-
gique, envahie par Bernadotte, le
général Maisons était réduit à dé-
fendre pied à pied la frontière de
Flandre, Le 4^ le prince Etigène
était forcé, par la défection du roi
Joachim, de se replier de l'Adige
<ur le Mincio. où il attendait les
Autrichiens. Le 29 janvier, le vi-
ce-roi avait informé l'empereur de
la nécessité où il était de faire ce
mouvement rétrograde, en raison
(le la connivence des nouveaux
intérêts du roi de Naples avec les
opérations militaires de l'Autri-
che. Par sa lettre du 23 janvier,
il avait donné à Napoléon la preu-
ve de cette alliance, en lui ren-
dant compte de la mission du gé-
néral Gifilcnga qu'il avait envoyé
au roi de Naples. Joachim avait
répondu au général : » Anjou r-
«d'hui je dois ma couronne à l'Au-
» triche et à l'Autriche seule. Elle
'pouvait la rendre à la reine Ca-
'«roline, elle a mieux aimé me la
• conserver. En conséquence, je la
>> servirai fidèlement et chaudement
y comme j'ai servi l'empereur. Que
.)le vice-roi se dépèche de se re-
> tirer; je pars le 20, et infaillible-
>ment il sera bientôt attaqué de
>lVont par Beliegarde, qui a des
«forces supérieures, et je serai a-
• vaut lui à Alexandrie. » Joachim
r.'élait troir.pé ^ur tout, mtnne sur
NAP
i53
sa nouvelle fidélité. Les 5o,oco
vieux soldats de Beliegarde fureiit
battus le 8 février à Valeggia et
Pazzolo , par les 5o,ooo conscrits
du vice-roi, et perdirent 8 à 9,000
honmies.
Le 19 janvier Napoléon avait
été instruit de la défection de
Joachim , par Joachim lui-même,
qui. le 3 du même mois, lui a-
vait expédié à Paris le duc de Ca-
rignano, chargé de lui remettre
une lettre confidentielle; cette
lettre , dont M. de la Besnardière
parla au duc do Vicence dans la
dépêche du 19 janvier, est rem-
plie, dit-il, de protestations de
reconnaissance et de regrets, mais
annonce que le roi est forcé, par
la nécessité, d'accepter les propo-
sitions de l'Autriche et de l'An-
gleterre.
Ainsi Napoléon était prévenu
de la conduite du roi de Naplc<
quinze jours avant la lettre du vi-
ce-roi.
Cependant le 4 février, le con-
grès dont Napoléon avait proposé
la réunion à Manheim, dès le mois
de décembre , s'ouvrait à Châtil-
lon-sur-Seine, département de la
Côte-d'Or; l'Autriche y était re-
présentée par le comte de Stadion,
la Piussie par le comte Razomows-
ki, la Prusse par le baron de Hum-
boldt, et le gouvernement britan-
nique rétait près des souverains
par lord Castelreagh, ministre des
affaires étrangères. On sait que,
d'après les lois anglaises, le prin-
ce de Galles ne peut quitter le sol
de l'Angleterre. Les plénipoten-
tiaires anglais étaient lord Aher-
deen, lord Cathcart, et Ch. Sté-
wart. Pour la France, c'était le
duc de Viccncc. ministre des reU-
^•>4
NAl»
tions cxlérienres, lequel, au nom
de son souverain, avait déclaré dès
le principe l'acceptation des bases
de Francfort.
Toute l'Europe diplomatique et
toute l'Europe militaire est donc
réunie contre JSapoléon. Mais si la
}>osition était l)ien changée de Pra-
gue à Francfort, elle l'est bien
])lus de Francfort à Cbâtillon, A
Prague , Napoléon , maître de
Dresde, au caur de l'Allemagne,
vaincjueur dans trois batailles, é-
lait encore à la tête d'une armée
de 200.000 honmies. Egaré par
ses succès, trop séduit peut-être
par le génie de sa propre armée, il
iivait refusé la paix, et se trouvait
rejeté au milieu de la France par
vu million <i'ttrangers, auxquels
il ne pouvait opposer que lui et
les 5o,ooo braves qui viennent de
perdre la bataille de Brienne.
Le 5 février, il apprend au villa-
ge de Piney, entre Brienne et
Troyes, que le lendemain le con-
grès doit s'ouvrir. II s'agit à pré-
sent, non de perdre le protectorat
du Kbin, ou les villes anséatiques,
ou la Hollande : tous ces états sont
aflVanr-bis, et la France est con-
quise jusqu'à Troyes et Châlons-
sur-Marne. il n'y a eu encore de
résistance (|u'à Lyon. Le roi de Na-
ples a trahi. Le vice-roi a deux en-
nemis à combattre en Italie. Il n'y
a plus de diversion possible à es-
pérer de ce côté contre les Autri-
chiens. Le lieu du congrès est
presque au centre de la France ;
il est an centre de la guerre. Ses
roules sont occupées par les enne-
mis, et les courriels de Napoléon
et de son plénipotentiaire auront
besoin de passe-ports étrangers.
i> s'agit donc au a féwier, après
NAP
un début de campagne aussi ma)-
heureux, après une défaite, et
dans une retraite , d'aller au-de-
vant de la négocialion du con-
grès. En conséquence , dans la
journée du 5, Napoléo;i modifie
les premières instructions données
au duc de Vicence , et dans celle
du 5, il lui donne carte hlanclw
pour traiter, « «/?», dit-il, de sauver
» la capitale, et cl éviter une bataille
» où sont les dernières espérances de
l' la nation. «Mais la Russie inter-
ronq)t brusquement, et de sa seu-
le autorité, les négociations. Le
plénipotentiaire français n'a plus
d'autres moyens dêtre entendu
que de s'adresser à M. de Met-
lernich, ce qu'il fait ;'i l'instant;
et ce n'est qu'au bout de dix jouks
que les négociations sont reprises.
Dans cet intervalle, si long pour
le peu de temps qu'on avait encore
à vivre, les graves circonstances
qui avaient fait ^onmw carte blaii-
che au plénipotentiaire, avaient
totalement changé, et Napoléon
croyant, parce qu'il était victorieux
depuis huit jours, pouvoir encore
être maître de l'avenir, avait reti-
ré ce pouvoir à son ministre.
Heureuse la France si ce prince
eût persisté dans les principes de
celte sage modération ! Mais par
une exception singulière à la mar-
che de l'histoire de tout autre que
de Napoléon, par une fatalité tou-
te particulière à l'emjiire français,
les victoires de son héros ne peu-
vent plus que lui être funestes à lui-
même : elles ne détruiront pas ses
ennemi.-; elles ne doivent détruire
que sa prudence personnelle, et
plus les lauriers s'entasseront sur
sa tête, plus s'en éloignera le dia-
dèinepour lequel il aura triomphé»
Les souverains alliés élanl ren-
trés à Brienne, y arrêtèrent défi-
nitivement la marche sur Paris,
par les deux routes de Châlons-
&ur-Marne et par les deux rives de
la Seine. Châlnns était occupée le
5 par le corps du {général îork,
de l'aruiée de Bliiclier. Napoléon,
arrivé à Troyes, y avait donné
deux jours de repos à ses soldats;
mais ce repos devint fiital à leur
fidélité, ou plutôt le manque de
vivres et de secours, après tant
de fatigues, ût déserter environ
6.O00 conscrits dans l'espace de
huit jours. La désertion était une
maladie nouvelle dans une année
commandée par Napoléon. L'en-
trée en ligne de la division Hame-
linaye répara heureusement cette
perle inattendue. Le 6, l'empe-
reur avait quitté Troyes, où il fut
remplacé par les corps de la gran-
de - armée de Schwarzenberg ,
qui avaient, par leur jonctiun à
Bar-sur-Aube, décidé la victoire en
faveur de Bliicher. Celui-ci s'était
séparé de ses alliés pour agir iso-
léuient sur la Marne, et c'était
pour le pomsnivre, pour l'attein-
dre, pour le détruire, que Napo-
léon avait quitté le 6 la capitale
de l'Aube, et pris la route de Paris.
Mais les Autrichiens, repoussé»
vigoureusement le 5 et le 4 dans
de véritables batailles d'avant-
postes, efirayés de la démonstra-
tion qu'avait faite Napoléon le 5
pour masquer son mouvement,
avaient cru que ce prince voulait
leur présenter une affaire généra-
le, et ils s'étaient reployés le mê-
me jour à huit lieues de Troyes
sur Bar-sur-Aube. Napoléon avait
san< doute le dessein de reprendre
dans les plaines de Troyes la rc-
NAP
455
vanche de la bataille perdue dans
les plaines de Brienne; mais la
nouvelle de l'occupation de Châ-
lons par le général York avait dû
changer ses projets , et il réso-
lut de se retirer sur Nogent, où il
attendrait les renforts de Paris et
ceux de larmée d'Espagne, o Ou
nnous arrêterons-nous? «disaient
les soldats de Napoléon; car il leur
était encore impossible de croire
qu'ils marchaient au secours de
la capitale! Le 7, les alliés entrè-
rent à Troyes, et les Français
arrivèrent a Nogent. Le maréchal
Mortier avait habilement protégé
la retraite de l'armée par une at-
taque vigoureuse sur la route de
Bar-sur-Seine. Avant le jour, il
se déroba lui-même et se retira
sur Nogent, où tout allait être
disposé pour enlever aux Autri-
chiens le passage de la Seine. Ce
fut là que Napoléon apprit l'éva-
cuation de la Belgique, l'investis-
sement d'Anvers, où le général
Carnot est arrivé le 2, et la mar-
che rapide de Blucher par la gran-
de route de Châlons. Le maréchal
Macdonald, chassé du pays de Liè-
ge, se retirait deChâlons, qu'il avait
évacué le 5, de Vitry et dEpernay,
sur la Ferté-sous-Jouarre, et sur
Meaux, où arrivent les fuyards.
Au milieu de ces tristes nou-
velles, arrive l'ultimatum des al-
liés, envoyé deChâtillon : les ba-
ses de Francfort sont refusées, il
faut rentrer dans les anciennes li-
mites de la France. Ainsi , la belle
France, la véritable France, serait
perdue par celui qui a juré à son
sacr€ à\n maintenir à tout pris
l'intégrité! Ce n'est pas une pro-
position, c'est une sentence du tri-
bunal européen; le courrier at-
456
NAP
tend la réponse!... le prince de
Neuchâtel et le duc de Bassiino,
ministre secrélaire d'étal, étaient
auprèsde Tempereiir. « Lisez, leur
dit-il, ce qu'écrit Caulaincourt. »
Ils lurent, et ne balancèrent pas à
déclarer à Napoléon qu'il fallait
céder. « Céder, s'écria ce prince,
«signer un pareil traité? violer
«mon serment?... pour prix de
"tant de sanj?, d'efforts, de victoi-
»res, laisser la France plus petite
»que je ne l'ai reçue? jamais !...
)' il y aurait trahison, lâcheté : vous
"Craignez la guerre, moi je vois
"d'autres dangers : si nous aban-
» donnons le Rhin, ce n'est pas la
)> France qui recule, c'est l'Autri-
»che, c'est la Prusse, qui s'avan-
)>cent....La France a besoin de la
» paix , mais celle - ci est pire que
»la guerre la plus acharnée. Que
nserai-je pour les Finançais, quand
» j'aurai signé leur humiliation? q ue
'^répondrai-je aux républicains du
» sénat, quand ils me redemanderont
* leurs barrières du Rhin?... Ré-
« pondez à Caulaincourt^ puisque
»vous le voulez; mais ditos-lui que
f^je rejette ce traité ; je préfère cou-
» rir les chances les plus rigoureu-
i>ses de la guerre! »
Napoléon ordonne cependant au
duc deBas'iano, d'envoyer à Paris
les conditions qu'il vient de rece-
voir, pour qu'il en soit délibéré
par son conseil privé, dont cha-
que membre donnera son avis par
écrit. Pour la première fois de-
puis son règne, Napoléon sentait
qu'il était responsable. Il avait i\
Î!ii tout seul déchiré le traité de
Prague, il n'ose pas seul subirce-
lui de Chritillon. 11 a de plus, et il
doit avoir, une arrière- pensée ,
inspirée par l'étrange situation où
NAP
la guerre et la négociation, con-
duites de front et nécessairement
dépendantes l'une de l'autre, jet-
tent les deuxparties belligérantes;
car, si on peut le dire, dans cette
période loul-à-fait extraordinaire,
on laisait à outrance la giierre ou
la paix. Napoléon voit bien que
c'est le traité de la défaite de Brien-
ne qu'on lui impose, et il peut se
persuader que ce n'est pas seule-
ment la plume à la main qu'il faut
y répondre. La plaie qu'on lui a
faite est nouvelle, profonde, mor-
telle peut-être...; pour lui seul, el-
le n'est pas incurable.
Le lendetnain, de grand matin.
Napoléon suivait sur la carte la
marche téméraire de Bliicher, dé-
jà entré dans la Brie champenoise.
Le duc de Bassano .se rend chez
l'empereur, avec les dépêches pré-
parées pour Châtillon. « 11 s'agît
«d'autres choses, lui dit Napoléon,
»je suis dans ce moment à battre
» Bliicher de l'œil : il marche par
»Montmirail ; jepars; je le battrai
»den)ain; je le battrai après-de-
>>main : si je réussis, l'état des af-
»faires va changer, et nous ver-
»rons. »Tcl était Napoléon le 9 fé-
vrier. Hélas ! ce même jour, com-
me nous l'avons dit, il se passait
d'autres événemens. A Châtillon ,
le comte Razomowski demandait
et obtenait, au nom de son sou-
verain, la suspension indéfinie des
conférences, et rendait ainsi illu-
soire cette carte blanche que Na-
poléon avait envoyée le 5 au duc
de Vicence, sans toutefois lui pres-
crire ni lui indiquer les bases d'un
traité. Le 10, le duc de Vicence pro-
testait contre la déloyauté de la
Russie, qui par celte démarche
violait tous les principes d'union
NAP
on ire le? quatre puissances, et n-
surpait ainsi une autorifé contrai-
re aux intérêts de ses alliés et des
autres puissances de l'Europe,
«|ue les trois souverains avaient
déclaré représenter. Il fai^ait va-
loir également le principe établi
par les alliés, que rien de rela-
tif à la négociation ne pourrait
avoir lieu hors des conférences.
Les séances étant donc suspen-
dues, il avait écrit- le c) février,
ù M. de Metternich, dans le sens
et en exécution des ordres et des
pouvoirs qu'il venait de recevoir,
et il se plaignait le lo , au même
ministre, de la note du comte de
ftazomowski, comme entièrement
contraire au but et aux formes du
congrès. Mais le cabinet russe af-
fectait, en raison des succès de
lilûcher, l'autorité diplomatique
il Châtillon, et ne levait, le 17,
1 interdit du congrès, qu'à la nou-
velle des revers de Champaubert.
de Château -Thierry et de Vau-
champs.
Cependant Napoléon donna des
ordres. Le généial Bourmonl,
«lont il estime l'intelligence et la
bravoure , qui est pour lui un hom-
me de confiance depuis la pacifi-
cation delà Vendée, reste à îiogent
pour défendre le passage de la
Seine, et doit justifier l'opinion
de l'empereur. Le pont de Bray
est gardé par le maréchal Oudi-
not. Le soir Napoléon arrive à
Sézanne par la traverse : il a fait
«louze grandes lieues avec son ar-
mée. H apprend que le maréchal
Alacdonald but en retraite sur
Meaux , el que Blucher marche
en toute sécurité. Quatre lieues
Seulement le séparent de son en-
nemi. Les coureurs français et
NAP
457
les coureurs prussien»; se sont
montrés et ont échangé quelques
coups de sabre en avant de Sézan-
ne. Ceux-ci prennent les nôtres
pour de simples maraudeurs. Le
10 au matin on est en marche. Le
maréchal Marraont avec l'avant-
garde avait rétrogadé à cause des
mauvais chemins. Napoléon le
remet en route , et le lendemain
10 , ce maréchal force les défilés
de Saint-Gond sous les yeux de
1 e m pe re u r. L'a près - m id i Napo-
léon débouche à Champaubert sur
la grande route de Chàlons , bou-
leverse les colonnes russes qui a-
vaii.-nt défendu Brienne, et brise
1 armée de Blûcher, dont une
partie est suivie sur Montmirail
par le général Nansouty, et l'au-
tre sur (Jiâlons par le maréchal
Marmont. Complètement victo-
rieux , Napoléon s'arrête à Champ-
aubert, oiï il fait dîner avec lui
les généraux prisonniers. Ce n'est
déjà plus VuUimatum des alliés
qui l'occupe : ce qui l'inquiète a-
près ce succès, ce sont les pleins-
pouvoirs, c'est la carte blanche
qu'il a donnée à ïroyes au duc de
Vicence. Ces pouvoirs expédiés le
5 de Troyes à Châtillon, et révo-
qués le 1 1 , étaient devenus de
tdiitc .nullité , par la suspension
illégale du congrès pendant neuf
jours sur la demande de la Rus-
sie. Ainsi Napoléon fait écrire au
duc de Vicence qti'il est ticlo-
rieiuv, qu'il va l'ctre encore, -et
qu'il ait à prendre une attitude
plus fiére au congres Napo-
léon avait la singulière facuU»
de renaître sans cesse de lui-
même.
Le maréchal Marmont conte-
nait le maréchal Blucher entre
458
^Al»
Chûlnns i:l Champaubcrt. Le 1 1
Napoléon court après les géné-
raux York cl Saken , qui marchent
entre Champaubcrt et Paris. L'un
e.>t déjà à la vue de Meaux, l'ini-
tre c*t à La Ferlé. Cependant la
nouvelle de la délaite des Russes
à Champaubcrt arrête ces deux
généraux, et même ils rebrous-
sent chemin; mais ils trouvent
devant eux l'avant-garde française
en avant de Monlmirail. L'action
s'engage. La vieille garde arrive
avec le maréchal Mortier. Napo-
léon ordonne une attaque généra-
le. L«'s maréchaux Ney et Mortier
enlèvent, après la plus vive résis-
tance, l.i ferme des Grénanx , où
s'est concentrée la principale for-
ce de l'ennemi. Les Russes et les
Prussiens en pleine déroute fuien ta
Iraverschamps vers Château-Thier-
ry, pour rejoindre le maréchal
Rliichersur la Marne. Mais ils sont
poursuivis le 12 jusqu'à cette ville,
DU ils entrent pêle-mêle avec la
cavalerie française. Ils veulent
couper le pont. Ils sont forcés et
chassés par le maréchal Mortier
sui- la route de Soissons, par la-
quelle se retire ni les fuyards d'York
et de Saken. Une foule d'habitans
qu'anime la vengeance des excès
commis par les ennemis à Châ-
teau-Thierry, prend avec joie les
fusils qu'ils ont laissés dans leur
déroute, et se forme en corps de
partisans. Mais le maréchal Mar-
mont, détaché sur la route deChâ-
lons, a peine à contenir le maré-
chal Bliicher, quia réparé ses per-
tes par la réunion de deux corps
russes et prussiens arrivés de
Mayence. Il a même dû évacuer
Champaubcrt devant BUuher, qui
Je poursuit jusqu'auprès de Mont-
NAP
miiail. Mais tout-à-conp le ma-
réchal Marmont fait faire volte-
face à son corps d'armée et prend
position dans la plaine de Vau-
champs. Derrière lui est Napo-
léon arrivé de Château -Thierry
avec son armée en bataille. Il est
huit heures du matin. Bliicher
étonné voudrait refuser le com-
bat, mais les cris de l'armée fran-
çaise lui apprennent qucNapoléon
est là , et qu'il doit encore se bat-
tre. En elFet, notre cavalerie se
précipite sur les carrés prussiens,
les enfonce , les disperse , et
bientôt la retraite ordonnée par
Bliicher n'est plus qu'une fuite.
Lui - même , le soir enveloppé
{dusienrs fois comme à Brienne
avec son état -major, ne peut se
dégager que le sabre à la main
et à la faveur do l'obscurité. Le
maréchal Marmont continue sa
poursuite toute la nuit. Naj)oléon
retourne coucher au château de
Montmirail. Les deux routes de
Châlons sont balayées par 6 jours
de succès; mais celles de la Seine,
où s'avance Schwarzenberg, ap-
pellent Napoléon. Il laisse les ma-
réchaux Mortier et Marmont gar-
der les avenues de Châlons où il
a défait l'armée de Silésie, et se
dirige, '" i5, sur Meaux avec les
trou[>csau maréchal Macdonaldet
celte garde, qu'il rend connue lui
responsable du sahilde la capitale.
Les trophées de Chairipaubert, de
Montmirail , des deux jonrnét;s
de Château-Thierry, et ceux de
Yauchamps peuvent lui r.ippeler '
celte fameuse campagne des cimj
jours, qui marqua ses premiers
succès en Italie , comme ils illus-
trent ses derniers momens en
France. Il peut aussi se rcssou-
>A1»
venir que c'était ans;i fivtc des
forces bien intérieures qu'il avait
battu à léna et à Lul)eok ce mê-
me Blii'jher, qui vient de dispa-
raître devant lui. Les bulielitis
de cette glorieuse semaine sont
portés à Paris , par 8000 piison-
niers russes et prussiens.
Le i5 , Napoléon fait prévenir
les maréchaux Victor et Oudiuot
qu'il débouchera le lendemain sur
eux par Guignes. C'est à leur ca-
non que l'empereur se rallie le
16. Ils se battaient devant Gui-
gnes, où sou arrivée arrête Ten-
nemi. Schwarzenberg , avec ses
iSo.ooo hommes, avait à la fin
forcé les passages de logent, de
Bray, de 5lontereau , et s'avançait
avec tonte confiance sur Nangis,
dans l'espoir d'arriver à Paris a-
vant Bliicher. L'émulation de ces
deux généraux est prénialurée. Le
17, Napoléon présente le rombst
aux Austro-lUisses devant Nangis.
Les dragons arrivent de l'armée
d'Espagne, sous les ordres du géné-
ral Treillard, pour contribuer aux
succès de cette journée, conslam-
ment décidés par l'infanterie du
général Gérard , et par l'artillerie
du général Drouot. Schwarzen-
berg sera battu comme Blucher;
sa déroute est complète. Le
maréchal Oudinot et le général
Kellcrmann poursuivent les Rus-
ses jusqu'à Nogent; le maréchal
Macdonald , les Autrichiens du
côté de Bray; le général Gérard,
les Bavarois, qu'il écrase à Ville-
neuve et Oounemarie- Napoléon
a ordonné au maréchal Victor de
se sai«iir du pont de Monlerean le
soir même, et il va coucher au
château de Nangis, dans l'espoir
que .Moiitereau est occupe par ses
KAP
4^'9
troupes. Il a détruit toutes les
communications et ruiné toutes
les espérances de Schwarzenberg;
il compte bien traiter ce généra-
lissime comme il a traité Bliicher,
et l'attirer à une bataille rangée;
mais il ne pense pas assez que
quand même il gagnerait celle
urande bataille, il a trop peu de
troupes pour défendre contre les
flots de la coalition toutes les ave-
nues de Paris, où est le rendez-
vous des rois.
Cependant le comte de Parr
arrive aux avmt-posles, envoyé
par le prince de Schwarzenberg.
pour demander une suspension
d hoslililés. Celte démarche inat-
tendue inspire encore à Napoléon
la confiance de terminer avec son
beau-père, comme il a pu le faire
à Prague, et de se passer de Chis-
tillon. Il a reçu de Paris la déli-
bération de son conseil privé sur
l'outrageant ultimatum- du cou-
gré) ; excepté le comte de Cess.ic.
chaque membre est d'avis de s'y
soumettre. La mission du comité
de Parr lui paraît une faveur ines-
pérée de la fortune ; il en profit»'
pour écrire directement à l'empe-
reur d'Autriche. Ilveut unproiDpt
a(!Commodement , mais sur des
bases moins humiliantesque celle»
de Châtillon. Ses succès lui don-
nent le droit de l'exiger. Rem-
pli de cette idée, il écrit au duo
de Vicencc : « Je vous ai donné
n carte blanche pour sauver Paris,
net éviter une hat aille qui était la
nderniire espérance de la nation.
I) La bataille a eu lieu; la Provi-
ndence a béni nos armes; j'ai fait
» jo à 40.000 prisonniers; j'ai pri-
»)20O pièces de canon, un gramt
* nombre de généraux, et détiun
40o
NAP
» plusieurs armées presque sans
»oonp férir; j'ni entame hier l'ar-
»mée de Schwarzenberg, que j' es-
K père détruire avant qu'elle ait
nrepassé nos frontières. Votre atti-
» tilde doit être la mC-ine; vrms
"devez tout i'aire pour la paix,
'> niais mon intention est que cous
»ne signiez rien sans mon ordre,
«parce que seul je connais ma po-
» sition. En général je ne désire
«qu'une paix solide et honorable,
wet elle ne peut être telle, que
"Sur les hases proposées à Franc-
hi fort... e^f... )) Le lendemain, tant
la pensée de ses succès est unique-
ment dominante sur Napoléon , il
écrit, de Nangis , au vice-roi,
en lui renvoyant l'aidc-de-cajup
Tascher.
«Taschervous fera connaître la
«situation des choses. J'ai détruit
«l'armée de Silésie composée de
«Russes et dePrussiens. J'ai com-
» mencé liier à battre Schwaizen-
«berg... II est doncpossible, si la
«fortune continue à nous sourire,
«que l'ennemi soit rejeté en grand
«désordre hors de nos frontières
i> et que nous puissions alors conser-
i\ver l'Italie; dans celle supposi
«tion le roi de Naples changerait
«probablement de parti, etc. «
Ainsi Napoléon rapportait dans
la même journée les ordres qu'il
avait donnés au duc de Vicence,
et au prince Eugène; il se croyait
assez fort pour sauver la France
à lui touf seul, et il disait après
l'aflairc de Nangis, « Je sais plus
près de V ienne que mon beau- père
ne l'est de Paris. ■>
Napoléon était pénétré de cette
idée. Dans sa lettre à ce prince, il
avait abordé ses anciennes récri-
minations contre l'Angleterre. Il
NAP
avait fait écrire aussi dans le mê-
me style le prince de Neuchâlel ,
au prince de Schwarzenberg. Ce
fut ainsi que, par une démarche
qui devait être conciliatrice et non
hostile, il s'aliéna tout/- à -fait
l'Autriche, qui avait eu tant do
peine à amener ses alliés à con-
sentira l'armistice proposé. L'Au-
triche ne vit dans son langage
que l'intention de déplacer la né-
gociation , le désir de gagner du
temps, et la preuve que le mal-
heur n'avait pas rendu Napoléon
plus modéré. Ce fut dès ce mo-
ment qu'elle prit son parti, et
qu'elle laissa un libre cours aux
idées de bouleversement de ses
alliés.
(Cependant le maréchal Victor n'a
j)as exécuté, le 17 au soir, les or-
dres de Napoléon. Monlereau a été
occupé parles Wurlemhergeois,
qui couvrent la retraite sur Sens
du corps autrichien de Bianchi,
dont la marche sur Fontainebleau
est compromise par celle de l'a-
vant-garde française. Le maréchal
se présente devant Monlereau le
18 au matin, et veut forcer cette
importante position, où le brave
général Château, son gendre,
qui avait emporté les hauteurs de
lirienne, est tué d'un coup de
feu. L'affaire devient générale.
Napoléon a été précédé du géné-
ral Gérard, et la victoire est déci-
dée en faveur des Français, l^cs
gardes nationales bretonnes et
la cavalerie du général Pajol a-
chèvent la déroute du prince au-
jourd'hui roi de Wurtemberg, qui
a perdu presque toutes ses trou-
pes. Après cette bataille sanglan-
te, que l'obéissance et l'aclivilé
du maréchal Victor auraient épnr-
NAV
irnée. Napoléon songe à une ju;li-
ce sévère. Il donne au général
Gérard le commandement du ma-
réchal, à qui // permet de se retirer
diez lui. Celui-ci court chez l'em-
pereur, et après avoir essuyé des
refus et des reproches de la plus
grande violence :
« Si j'ai fait une grande faute
■> militaire, s'écrie-t-il les larmes
» aux yeux, je l'ai payée bien cher,
» sire, par la mort de mon gendre,
»le général Château. » A ce nom
Napoléon s'attendrit. <■ Je vais
« prendre un fusil, continue le
» maréchal.... Victor combattra
«dans les rangs de la garde. —
«Restez, Victor, répond Napoléon,
«restez, étaliez commander deux
«divisions de ma garde, a
Le 19, l'armée reçoit l'ordre de
chasser l'ennemi sur Truyes, et
de netto3er la rive droite de la Sei-
r.e. Les Autrichiens, les souverains
alliés, sont en pleine fuite. Paris
reçoit les drapeaux des journées
<le Nangis et de lUontereau: ils
.-ont portés à l'impératrice par M. de
Mortemart, officier d'ordonnance.
J.c 20, l'empereur Napoléon est à
Bray , où l'empereur Alexandre
a couché la veille; le soir, il est
à Nogent, que le général Bour-
mont a si vaillamment défendu le
10, le 1 1 et le 12, contre toute
j "armée de Schwarzenberg, et où
» il a gagné ses étoiles de lieutenant-
général. Nogent est incendié. Le
.22, Napoléon poursuit sa marche.
]-a retraite des alliés n'est plus
qu'une déroule : 100,000 hommes
'C précipitent vers nos frontières
«levant les 4oj00o braves de Na-
poléon, qui n'a pu décider Scliwar-
/onberg à une bataille rangée,
les équipages des alliés refluent
NAP
461
jusque sur les Vosges et sur les
bords du Rhin! On se présente le
22 à Mery-sur-Seiiie; de l'autre
côté, un corps enuemi en force le
passage, et l'un apprend, avec
la plus grande surprise , que ce
corps est celui de Saken, de cette
éternelle armée de Blucher, qui
partout se reproduit, et semble
renaître de ses ruines. Le général
Pierre Boyer engage avec les Rus-
ses une action vigoureuse dans les
rues de cette petite ville : c'était
le jour du mardi-gras. Nos cons-
crits ne veulent pas tout-à-lait en
perdre la fîîle. Ils prennent des
masques dans une boutique, vont
masqués au feu , et mêlant ainsi
la gaîté au courage, ils furcent les
Russes de se retirer précipitam-
ment de l'autre côté de l'Aube.
Mery ayant été incendiée, le quar-
tier impérial fut transporté au ha-
meau de Châtres , où NapoIéoM
passa la nuit du 23 au 20 dans ti
boutique d'un charron. Ce fut la
que le 20 au matin se présente le
prince Wentzei de Lichtenstein, ai-
de-de-camp du prince de Schwar-
zenberg , porteur d'une répon-
se de l'empereur d'Autriche, à la
lettre du ly, de l'empereur Napo-
léon. Une conversation secrète
prolongea l'audience que Napo-
léon accorda au prince. On assura
dans le temps que la réponse de
l'empereur d'Autriche était dans
les termes les plus pacifiques et
les plus flatteurs pour la gloire de
Napoléon, et qu'iuterrogé par ce
souverain sur l'influence que troi.*
princes de la maison de Bourbon,
arrivés sur le sol fiançais , sem-
blaient avoir prise sur 'es inten-
tions des souverains alliés, le prin-
ce de Lichtensteiq ay^it répondu :
'j(11
^AP
« Que l'Autriche ne se piele-
»rait à lien de semijlable... Qu'on
«n'en voulait ni à l'existence de
«Napoléon , ni à sa dynastie, et
«que sa mission était la preuve
«sans réplit|ue qu'on ne voulait
» faire q\ie la paix. » Après cet en-
tretien, dont une partie a transpi-
ré dans des ujémoires récens, Na-
poléon dit au prince qu'il serait
le soir même à Troyes, d'où il
enverrait aux avant-postes enne-
mis uu général pour y traiter d'un
armistice. Mais , immédiatement
après le départ de l'aide-de-camp
du généralissime autrichien , le
baron de Saint-Aignan, beau-frère
du duc de Vicence, revenait d'une
mission qu'il venait de remplir à
Paris, et était admis chez l'empe-
reur , qu'il trouva entièrement
rassuré sur la position des allaires.
Deux ministres, que n'avaient é-
hlouis aucuns des succès, bien quiî
miraculeux, qui venaient d'illus-
trer le mois de février , avaient
lait protnettre à 51. de Saint-Ai-
gnan , à son départ , de faire à
l'empereur le tableau véritable de
l'opinion, celui de la situation de
la capitale, et des dangers qui le
menaçaient Les paroles dont il
s'était chargé élaient sévères , il
les porta à ISapoléon avec autant
de courage que de fidélité , et le
pressa vivement de répondre aux
vrcux unanimes que l'on formait
à Paris pour la paix , et quelles
que fussent les concessions aux-
quelles il fallût descendre. Napo-
léon , tout rempli des dernières
paroles du prince de Lichleusiein,
repoussa avec violence les repré-
sentations du baron de Saint-Ai-
gnan. Mais la loyauté de ce pléni-
polenliuire de l'opinion publique
NAP
n'en fut point ébranlée. « Sire,
» dit-il en terminant, la paix .<«ra
«assez bonne, si elle est assez
» prompte. » — « Elle arrivera as-
))sez tfit, répliqua vivement Napo-
»léon, si elle est honteuse. » —
Ces dernières paroles se répan-
dent , et l'année reprend aussi
tristement la roule de Troyes
qu'elle avait repris de celte ville,
le 5 du même mois , la route de
la capitale. Alors elle disait : Où
nous arrêterons-nous ?
Le ?,5, dans l'après-midi, on est
devant Troyes; les portes en sont
fermées et barricadées. L'ennemi
paraît vouloir la défendre ou plu-
tôt la détruire avant de l'évacuer.
Le combat s'est engagé ; mais à
la nuit l'ennemi fit denuuider une
trêve pour évacuer et re(netlre les
portes à la pointe du jour. Napo-
léon préfère le salut de la ville à
un nouveau succès; c'était ce que
le baron de Saint Aignan lui a-
vait demandé pour la Fiance ;
l'empereiu- rentre à Troyes le 2^|.
Fatigués de dix-huit jours de do-
mination étrangère, les habitans
font éclater des accusations de
trahison et de connivence avec
l'ancienne dynastie. Deux indivi-
dus sont nommés pour avoir por-
té publiquement la croix de Saint-
Louis et la cocarde blanche, pen-
dant le séjour des alliés. Instruit
depuis quelques jours de l'arri-
vée du duc de IJerryà Jersey, de
celle du duc<rAngou[ème à Saint-
Jean de Luz, avec l'armée anglni-
se , et de celle du comte d'Arlois
en Franche - Comté , Napoléon
fulmine, le 24, un décret qui pro-
nonce la peine des traîtres contre
tous ceux qui auront porté les
insignes de l'ancienne monarchie.
NAP
Vn ancien émigré, l'un de ceux
qui ont été dénoncés par les habi-
tans, paye de sa tête cet empres-
sement prématuré; l'autre est
condamné par contumace. L'em-
pire n'a plus qu'un mois à vivre ;
il n'y a plus pour Napoléon ni pe-
tit danger, ni petit ennemi. Le
désespoir conduit le char de la
guerre; malheur à l'imprudent
qui se trouve sur son passage!
quelques cocardes blanches affec-
tent Napoléon, et doivent l'alTec-
ter plus vivement que les arrêts
de Châtillon. Il sent, en grand
politique, que l'intervention des
Bourbons, que les alliés n'appel-
lent qu'un moyen, un accessoire,
peut devenir un but pour la Fran-
ce, et est ini péril pour sa dynas-
tie ; il sait de plus que les procla-
mations d'Hartwell circulentdaiis
Paris, et que des lettres émanées
de Louis XVIIt «ont mystérieu-
sement arrivée» aux principaux
personnages de l'empire.
Cependant à Troyes , l'empe-
reur Alexiiidre avait déclaré à
M. de Vilrolles, envoyé de Paris,
<juc les alliés n'épousaient pas la
cause de la maison de Bourbon,
qu'il venait plaider; les sou venins
répondaient la même chose aux
ouvertures de quelques habilans.
A Châtillon on affirmait au pléni-
potentiaire français, que monsei-
gneur le comte d'Artois était ar-
rivé à Vesoul, sans en prévenir
les puissances, sans leur assenti-
ment, et qu'il allait repartir.
Dans l'espoir de tirer un grand
parti de sa nouvelle situation, Na-
poléon s'occupe de la suspensiotj
d'armes. Les alliés se sont retirés
sur Bar-sur-Aube, d'où le prince
do Sch^rai-zenberg fait proposer
NAP
4G5
le village de Lusigny pour traiter
de l'armistice. Le général Flahaut,
aide-decamp de Napoléon , est
nommé commissaire pour la Fran-
ce ; le général SchwaîoiT pour la
iVussie; le général Ranch pour la
Prusse; et le général Duca pour
l'Autriche. — Pour les alliés l'ar-
mistice n'est qu'une simple sus-
pension d'armes, mais pour Na-
poléon Lusigny est plus que Châ-
tillon. Il veut, comme à PlessAvitz,
éluder le congrès et négocier; et
de plus il ne veut rien perdre mi-
litairement des avantages que lui
donnent ses succès et la retraite
des alliés. Il continue donc de les
pousser vivement sur Langres ,
sur Dijon; il occupait même Lu-
signy à force ouverte, au moment
où arrivaient les commissaires.
La grande dilïïculté toutefois était
la ligne d'armistice. Suivant l'u-
sage de Napoléon, la diplomatie
rentra dans une simj)le convention
militaire. Ce n'était pas seulement
alors pour gagner du temps com-
me à Plesswitz, c'était aussi pour
obtenir d'autres bases pour un
traité définitif, et faire une honnir
paix an milieu et sous l'empire de
ses victoires. Ce secret fut bientôt
révélé par les propositions du gé-
néral Flahaut, qui demandait que
la ligne d'armistice s'étendît de-
puis .\nvers jusqu'à Lyon. C'était
réclamer les armes à la main la
Belgique et Anvers, oublier tout
à la fois Paris et Châtillon , la
mission du baron de Saint -Ai-
gnan, et les dépêches si éminem-
ment patriotiques du duc de Vi-
cence.
Napoléon était livré tout entier
aux espérances qu'il attachait aux
conférences da Lusigny. lorsque.
/,G4
NAP
dans la nuit du 26 au 27, il ap-
prend l'éiiignie de celle attaque
de Méry, où les ennemis ont dis-
paru devant ses troupes et se sont
jetés de l'autre côté de l'Aube.
Cette affaire avait été engagée par
l'avant-gnrde d'une nouvelle ar-
mée de Blucher , recrutée des
corps descendus de la Belgique et
portée à 100,000 combaltans.
BliJcher lui-même était au pont
de Méry, où il avait été blessé.
Son projet était pour la seconde
fois de se rallier au prince de
Schwarzenberg ; mais le mouve-
inent de retraite, imprimé à ce
général par les affaires de Nangis
et de Montereau, ne permet pas à
Blucher d'exécuter cette grande
conception militaire; il l'avait a-
bandonnée pour un projet plus
brillant à-lu-1'ois et plus auda-
cieux, celui d'arriver seul à Paris
par les deux rives de la Marne.
Devant lui, le maréchal Marmont
avait dû évacuer Sézanne le 24;
le maréchal Mortier se relirait
également de Soissons, où il avait
ui'e garnison, et tous deux se
trouvaient reployés sur la Ferlé-
sous-Jouarre. INapoléon , loin de
se laisser abattre un seul moment
par un événement si inattendu, se
retrouve au contraire dans son é-
lément naturel. Il a à mener de
Iront plusieurs diflicultés , dont
les moindres sont à ses yeux les
deux négociations. La plus grave
et la plus importante à surmonter
était la dilliculté de masquer son
départ et celui de son armée, pour
courir après Blucher , aûn (}ue
Schwarzenberg ne pût, dans sa
retraite, avoir le moindre soupçon
de celle troisième expédition. Les
juacéchaux Oifdinotel Macdonaid
]SAP
sont chargés de contenir les Autri-
chiens. Le premier se bat déjà à
Bar-sur-Aube. Le second, avec le
général Gérard, fait faiie sur toute
la ligne les acchunations qui an-
noncent la présence de jN^apoléon,
Celte ruse réussit , et à midi
l'empereur est déjà arrivé à Arcis.
Il se trouve pour la première fois
dans cette étrange position , d'a-
voir deux opérations militaires et
deux négociations à soutenir dans
le même temps.
Il marche vers Sézanne, où il
apprend la marche sur Meaux des
maréchaux Mortier et Marmont,
qui ont dû quitter la Ferté-sous-
Jouarre. Il faut sauver Meaux.
C'est un faubourg de la capitale.
JNapoléon quitte Sézanne et va
coucher près de la Ferlé-Gaucher.
C'est là qu'il est informé que les'
Autrichiens, instruits qu'ils n'onl
plus devant eux qu'Oudinot et
Gérard , ont repris vigoureuse-
ment l'offensive à Bar-sur-Aube;
que Witsgenslein et Schwar-
zenberg , blessés dans l'action ,
ont refoulé surTroyes, parla mas-
se de leurs troupes , les faibles
corps français qui les poursui-
vaient; que Macdonald, qui devait
fournir la garde -d'honneur au
congrès de Châtillon, a dû égale-
ment suivre le mouvement rétro-
grade sur la ville de Troyes , et
enfin, que le maréchal Augereau,
qui a reçu à Lyon des ordres de
coopération avec l'armée , va a-
voir à combattre , outre l'armée
de Bubna, le corps de Bianclii et
de Hesse-H()n)i)Ourg , que le gé-
néralissime Sclnvarzenberg, em-
barrassé du nombre de ses trou-
pes, vient d'envoyer contre lui.
Mais les ides de mais sont arri-
KAP
vue?. Napoléon e>t le 2 à la Ferlé-
<ous-Jouarre. Cependant il espi—
re encore altcindre Bliicher, quoi-
que les ponls soient coupés par
cet ennemi infatigable, qui vient
à sa vue de se jeter sur la rive
droite de la Marne, et de se diri-
ger sur Sûissons. Il s'agit d'arri-
ver à Soissons avant Blûcher. Les
rapports des paysans annoncent que
l'ennemi dans sa retraite, obligé
de prendre des routes de travers*;,
ne trouvera que des chemins im-
praticables. L'empereur ne perd
pas un moment. Il eipédie à Pa-
ris, à Châtillon, à 5lcaux : les
raaréchaux Mortier et Marmont,
qui sont dans cette dernière ville,
ont l'ordre de reprendre l'offensi-
se. Le pont de la Ferté est rétabli.
Napoléon a passé la Marne dans
la nuit du 2 au 5 mars; il se por-
te rapidement sur Château-Thier-
ry, et par la route de Soissons, il
manœuvre dé'^ sur les flancs de
l'ennemi. Ainsi le chemin de
Rheims est coupé. Tout se dirige
sur Soissons, qui est la clef de la
barrière de la Marne. Les maré-
chaux Marmont et Mortier y m.ir-
chent par deux routes différentes.
Cette ville est à nous. Le maré-
chal Mortier y a laissé une bonne
garnison , et les fortiflcalions ont
i:té réparées. Cerné de toutes
parts, Blùcher se dirige sur Sois-
sons : il n'a plus d'autre ressource
que de prendre cette place de vi-
ve force et de s'y renfermer. C'est
ie terme de ses mouvemens , de
ses stratagèmes. Il arrive, et il
voit les ponts s'abaisser. Bulow
et W'intzingerode, arrivant de la
Belgique, avaient menacé celte
ville le 2, et avaient décidé le
commandant à ouvrir se? portes!
NAP
465
Le 4 «''u matin, Napoléon apprend
à Fismes la perte de Soissons!
Le malheureux général comman-
dant de Soissons s'était lais-é
tromper par l'ennemi : il se nom-
mait Moreau. « Ah ! dit Napo-
liléon, ce nom m'a toujours été
«fatal, n
L'Angleterre venait de reparaî-
tre ostensiblement sur la scène
militaire et politique. A la fin d;;
février, son généralissime Wel-
lington, fortifié de la puissaoct;
morale que peut lui donner^lan»
le midi la présence du duc d'An-
goulême, s'était décidé enfin, a-
près des tergiversations dont le
généralissime Srhwarzenberg don-
ne également l'exemple dans l'est,
à marcher'avec ^0,000 hommes
contre les 3o,ooo hommes que
commande le maréchal Soult .
depuis deux mois retranchés à
Bayonne. Le maréchal , qui ne
celle qu'au nombre, ne s'était pas
laissé entamer, et avait pris posi-
tion à Orthezie 26. Le lendemain,
forcés par la supériorité numéri-
que de l'ennemi, les Français,
après lui avoir fait éprouver un»î
perte considérable, avaient eu
bon ordre exécuté leur retraite
sur Toulouse, et le 2 mars, à Tar-
bes. le maréchal Soult se vengeait
de W ellington sur le général por-
tugais d'Aco-sta, dont il détruit l<:
corps d'armée. Mais la levée du
camp sous Bayonne laissait Bor-
deaux à découvert. Avertie et in-
quiète des dispositions de Napo-
léon depuis ses succès, cl des pré-
tentions si contraires à l'ultimatum
de Châtillon, qu'il a manifeslécs
à son beau-père dans sa lettre du
17, l'Angleterre croit «levoir rat-
tacher par un nouveau lien If s
4G3
NAP
inlérfîts des puissances, peut-ê-
tre mêine plu» parliculièiement
ceux de l'Autriche. En conséquen-
ce, le»" mars a lieu le fameux
traité de la quadruple alliance,
à Chaumont. Ce traité "garantit
les dernières bases de Cliâtillon.
Chacune des puissances belligé-
rantes s'engage à tenir conslam-
irient en campagne active une
îirmée de i5o,ooo hommes, pour
lesquels la Grande - Bretagne
jîayera un subside annuel de 120
milli(|)ns. Unarlicledicté parla mé-
fiance de la Russie et de l'Angleter-
re, et qwi était réellement tout le
traité, stipulait qa aucune négocia-
tion séparée n' aurait Ueuavec l'enne-
mi covxmun. On se rappelait sans
doute la négociation incidentelle
de Prague entre Napoléon et son
beau-père, et peut-être craignait-
on aussi l' armistice de Lusigny ,
demandé par le généralissime au-
trichien.
Napoléon apprend i Fismes ce
nouveau pacte, qui esta ses yeux
un véritable arrêt de mort contre
lui et la Fi-ance. Il y répond par
deux décrets, dont l'uno requiert
ntout Français de courir aux ar-
»mes à l'approche de nos armées,
»et de faire main basse sur les en-
«nemis. — L'autre ordonne des re-
«présailles sur les prisonniers
wpourtoutcitoycn qui serait tué, et
«prononce le supplice des traîtres
«contre tout fonctionnaire public
«qui refroidirait l'élan patriotique
» des habitans au lieu de l'exciter. »
— Malheureusement les villes qui
ont été ou qui sont au pouvoir de
l'ennemi envoient dans la capitale
des députés rendre compte des
vexations et des infortunes qui les
aflligent. Les récits de ces députés,
au lieu d'irriter 4'esprit des Pari-
>AP
siens ne servent qu'à augmenter
la consternation publique, et à dé-
populariser les exploits merveil-
leux de celui qui a refusé la paix
aux délibérations de son conseil,
et aux instances de son plénipo-
tentiaire.
Mais il n'y a plus d'autre des-
tin que la guerre, et Napoléon
est tout entier à cette guerre si
nouvelle, à laquelle son génie
est devenu inutile. Il a effectué
le passage de la Marne ; il lui res-
te à surprendre le passage de l'Ais-
ne. Le 5, il est à Béry-au-Bac,
qu'enlève le général Nansouty. La
route de Rheims à Laon est à Na-
poléon. Le lendemain, il est en
marche sur Laon, et trouve une
armée russe en position sur les hau-
teurs de Craonne. Cette attaque
est remise au jour suivant. Le soir,
des nouvelles expédiées de Stras-
bourg rendent compte à l'empe-
reur du mouvement presque géné-
ral delà population des Vosges con-
tre les Autrichiens en retraite, et
du concert d'attaque qui semble
lier par des opérations offensives
les garnisons du Rhin,, celles de
la Lorraine et celles de l'Alsace.
Le 7, il faut emporter Craonne.
Les maréchaux Ney et Victor à la
tête de l'infanterie, les généraux
Grouchy et Nansouty, à la tête de
la cavalerie, sont arrivés sur le pla-
teau avec leur impétuosité ordi-
naire. Les trois derniers sont bles-
sés. Le général Belliard prend le
commandement de toute la cava-
lerie; il est soutenu par le géweral
Drouot, qui dirige le feu des batte-
ries. L'ennemi cède enfin après a-
voir résisté presque toute la jour-
née, et ne nous laisse aucun pri-
sonnier. Suivi jusqu'à l'embran-
chemcnt de la roule de Laon à
Suisson.î, il tient encore quelques
heures à l'auberge de V Juge-Gar-
dien, pour donner le temps aux
Prussiens d'évacuer Snissons et de
se rallier. Cette journée ne fut que
sanglante. Napoléon lui-même, à
qui les images de la mort se sont
présentées mille fois dans cette ba-
taille meurtrière, en est, dit-on, fa-
tigué. Il s'arrête à Bray, dans la
vallée de l'Aisne. Il y reçoit des
nouvelles de Châtillon. Les pré-
tentions de Napoléon aux conféren-
ces de Lnsigny ont dû effrayer le
congrès : elles lui avaient aliéné
jusqu'à l'Autriche, qui avait pu
craindre de paraître compromise
par leur coinmimication; et en ef-
fet, les propositions de Napoléon
à Lusigny sont qualifiées à Châtil-
lon d'infraction aux bases de la nc-
f^ociation; on ne veut plus admet-
tre de discussion : on exige que le
duc de Vicence souscrive à la con-
dition des anciennes limites, ou re-
mette un contre-projet : sans cela
on menace de se séparer. Le dtic
de Vicence écrivait avec sa loyau-
té et sa franchise ordinaires : « Sire,
a la question qui va se décider est
«si importante, elle peut, dans un
» instant, avoir tant de fatales con-
» séquences, que je regarde encore
o comme un devoir de revenir, au
» risque de lui déplaire, sur ce que
»j'ai mandé si souvent à V. M....
■)Je vois tous les dangers qui me-
■ nacent la France et le trône de
a V.M., et je la conjure delespréve-
onir. Il faut tles sacrifices : il faut
» les faire à temps... Plus je consi-
»dère ce qui se passe, plus je suis
"Convaincu que si nous ne remet-
'1 tons pas le contre-projet deman-
.) dé , et qu'il ne contienne pas des
» modifications aux bases de Fraue-
NAP 4'j;
«fort, tout est fini. J'ose le dire
» comme je le pense, sire, ni la puis-
« sauce de la France, ni la gloire do
i> V. M., ne tiennent à posséder An-
• vers, ou tel autre point des non-
wvelles frontières Les négocia-
«tions une fois rompues, que V.
» M. ne croie pas les renouer. ..; on
»ne veutqu'un prétexte.... Je snp-
oplie V. M. de réfléchira l'eftétquc
«produira en France la rupture des
a négociations, et d'en peser '.ouïes
nies conséquences; elle me rendra
»as«ez de justice pour penser que
» pour lui écrire comme je le fais,
»il faut porter au plus haut degré
nia conviction que ce moment va
wdéciderdes plus chers intérêts de
» V. M- et de ceux de monpays. » Au
lieu du contre-projet si impérieu-
sement démandé. M. de liumigny,
attaché au cabinet, et qui avait fait
plusieurs vqjMges de Châtillon au
quartier-général, après plusieurs
heures d'attente, quand tout délai
est mortel pour la France, reçoit
celleréponse verbale de Napoléoi^:
o S'il faut recevoir les étrivières,
»ce n'est pas à moi à m'y prêter,
net c'est bien le moins qu'on me
» fa*se violence.» L'envoyé du duo
de Vicence repart, et Napoléon va
rejoindre la tête de ses colonnes.
On est en pleine marche sur
Laon ; on fait occuper Soissons, et
à deux lieues de Laon, on se trou-
ve arrêté par l'ennemi, qui se dé-
fend dans un défilé formé par des
marais. Il est trop tard nour for-
cer ce passage. Napoléon rétrogra-
de jusqu'au village de Chavignon:
où le général Flahaut vient l'infor-
mer que la négociation de Lusi-
gny a été rompue. Un fait d'jr-
nies, à la fuis heureux et hardi,
entrepris, dans cette nuit du 8 au
4G3
NAP
9, par le colooel Gourgaud, pre-
mier o(riciertl'ordonnanoe,lui fait
xsiirprendrc les grand's-gardes des
alliés, et permet an maréchal Ney
de franchir le défdé. L'armée est
xurivée an pied des hauteurs de
Laon. Dans la journée du 9 les
corps de Warmont, de Ney, de
Mortier, toute l'armée, la garde,
prennent leurs positions d'attaque
pour le 10 à la pointe du jour,
li'arméc de Blïicher, encore gros-
sie de l'avaut-gardo de l'ex-maré-
chal Bernadottc, et triple de celle
de Napoléon, occupe ia position
presque inexpugnable de la crête
où est assise la ville de Laon, qui
est le centre de ses opérations. Le
même jour en Hollande, un corps
de 5,000 Anglais, ù qui les habi-
tans ont livré la porte de la ville
de Berg op-Zoom, en sont chas-
sés, avec perte de 4,000 des assié-
geans, par le général Bizannet, à
la tête de 2,5oo Français. Jamais
la bravoure nationale ne s'est si-
gnalée avec plus d'énergie que
j)endaut cette dernière époque de
l'empire; elle n'avait pas mieux il-
lustré les commencemens de la ré-
publique.
Le 10, à 4 heures du matin^ Na-
poléon , au moment de monter ù
cheval, iipprend que l'ennemi a
surpris et dispersé la nuit le corps
du maréchal Marmont, sans doute
en représaille de l'attaque faite la
nuit précédente par le colonel
Gourgaud. Si l'audace de cet of-
ficier a amené l'armée française
sous les remparts de Laon, la fau-
te du maréchal Marmont est tel-
lement grave, qu'elle force Napo-
léon à se retirer sur Soissons, et
lui fait perdre tout le fruit de la
ujarche pénible et habile qui l'a
* NAP
amené si précipitamment de la
ville de Troyes sur les bords de
l'Aisne. Le maréchal Mortier a or-
dre de défendre Soissons contre
BliJcher. Ce fut de Soisson«, le 1*2
mars, que Napoléon répondit à
vuie lettre qfu'il venait de recevoir
du vice-roi, el relativement à cel-
le qu'il recevait en même temps
du roi de Naples :<■ Je reçois la let-
»tre que vous m'écrivez, avec le
«projet du traité que le roi vous a
«envoyé. Vous sentez que cette
» idée est une folie. Cependant eii-
» voyez un agent auprès de ce trai-
»tre extraordinaire, et faites un
«traité avec lui en mon nom..:
«que ce traité reste secret jusqu'à
»oe qu^on ait chassé les Autri-
» chiens du pays, et que 2^ heures
B après sa signature, le roi se dé-
» ciareettombesurles Autrichiens.
«Vous pouvez tout faire dans ce
«sens; rien ne doit être épargné
)i dans la situation actuelle, pour
«ajouter à nos etibrts, les efforts
«des Napolitains... »
Le i3. Napoléon se porte stu'
Rheims , dont une armée russe,
auxordresdu général Saint Priest,
émigré français, vient de chasser
le général Corbineau, et sa petite
garnison. Le soir même, et dans
lanuit, l'ennemi, forcé dans la vil-
le, après une lutte opiniâtre, est
obligé de l'abandonner à Napo-
léon. Le général Corbinean n'a-
vait pu sortir de Rheims quand le
général Saint -Priest y entra; il
n'avait eu que le temps de se jeter
dans une maison ouverte, et se
trouva, par une circonstance sin-
gulière, devoir l'hospitalilé au ven-
déen Brulart. Une scène, qui pou-
vait rappeler celle du maréchal
Victor après Montcreau , eut lieu
NAP
à Piheims le lendemain. Le inaré-
chal Marmont est arrivé assez tôt
pour rendre compte des désastres
de Laon. Il essuie des leproches
foudroyans, s'explique, est par-
donné, et reste à dîner avec celui
qui l'appelle an desesenfansl Dans
cette journée. Napoléon reçoit
C.ooo hommes de renforts , que
lui amène le général hollandais
Jansens, commandant dans lesAr-
dennes. L'empereur n'avait pas né-
gligé de Tinformer de sa marche
sur l'Aisne. Ce brave arrivait à
Kheims par la route de Rethel : ce
faible renfort est un corps d'ar-
mée pour Napoléon, qui combat
avec 55,000 hommes le» forces
combinées des trois grandes puis-
sances militaires du continent, cel-
les de la Suède et de toute l'Alle-
magne. Le maréchal Ney marche
sur Chillons pendant les trois jours
de repos que l'année prend à
llheims. Cependant deux événe-
niens trcs-importanspour la Fran-
ce et pour l'Europe, avaient eu
lieu le. 12 et le iode mars : l'un
était l'entrée à Bordeaux du duc
d'Angoulême, avec l'avant -garde
anglo-espagnole. Ce prince enlè-
ve Bordeaux à Napoléon. L'autre
est la rentrée de Ferdinand VII en
Espagne, après la captivité de Va-
Irnçay. Sans les obstacles qu'une
intrigue funeste a mis à la lil)erté
de ce prince, depuis trois mois
5o,ooo Français, vieux soldats,
exilés et retenus en Espagne, au-
raient rejoint l'armée de Napo-
léon, et l'ultimatum outrageant de
Châtillon ne lui eût pas été im-
posé.
Nous sommes arrivés au 16
mars. Napoléon connaît tous ses
dangers. Bliichcr, BcrnadoUe ,
NAl»
4!>J
Scinvarzcnberg, les souverains de
la Prusse, de la Piussie, de l'Au-
triche, ne sont plus ses premiers
ennemis, puisqu'il peut les com-
battre et en triompher encore : ce
sont ceux qu'il ne peut atteindre,
ceux qui troublaient quelquefois
sa sécurité au milieu de ses vic-
toires, ce sont les princes de la
maison de Bourbon, qui l'assiègent
à Bordeaux, à Jersey, à Lons-!c-
Saulnier; c'est Louis XVIII qui
l'attaque àParis dans ses conseils;
ces nouveauxpérils sont si grands
à ses yeux, qu'en peut croire que
ce n'est plu^ comme empereur,
mais comme général français, qu'il
continue la guerre. Sa réponse ver-
bale à la sentence de Chraiilon ,
prouve assez qu'il dédaigne pour
lui le danger qui doit en résul-
ter! Il sent qu'il n'y a plus de né-
gociation possible; il sait aussi
que les alliés, qui ne lui donnent
que trois jours pour répondre,
peuvent faire égarer ses courriers
et entraver ses communications
avec son plénipotentiaire. Aussi le
congrès n'est plus une question :
tout est pour lui dans ce qu'une
singulière prévoyance lui a fait
écrireauduc deVicence, le igjan-
vicr, par M. de la Besnardière,
chargé du portefeuille des affaires
étrangères, au quartier- général.
« S. M. ne voit que trois par-
»tis : ou combattre et vaincre,
»ou combattre et mourir glorieu-
» sèment, ou enfin, si la nation
» ne la soutient pas , abdiquer. »
Plus haut dans la même lettre on
lit : « La chose sur laquelle S. M.
»a le plus insisté, et est revenue
"le plus souvent, c'est la néces-
»silè que la France conserve ses
);limites naturelles.... Le système
)>de ramener la France à ses an-
»)cienncs l'ronlières est insépaïa-
))ble du rétablissement des Bour-
»bons....)) L'empereur les voyait
toujours, et il en parlait sans ces«e,
n)Cnje dans sa correspondance.
Aussi sou plénipotentiaire à Cbâ-
tillon lui écrivait le 5 mars lîïia :
(' V. M. me reproche de voir piir-
»lout les Bourbons, dont peul-
«êlreà tort je ne pirlequ'à peine.
»Elle oublie que c'est elle qui en
»a parlé la première, dans les let-
»lres qu'elle a écrites ou dictées.
«Prévoir comme elle l'intérêt
» que pourrait inspirer dansce pays
»icur haule infortune, si la pré-
;)sence d'un prince et d'un parti
j) réveillaient les vieux souvenirs
"dans un moment de crise, ne
oserait pas à présent si dérai-
.) sonnable , si le» choses étaient
«poussées à bout. » Ainsi deux
intérêts seuls occupent et doi-
vent occuper Napoléon, les Bour-
bons et la guerre. Les uns sont ses
seuls ennemis , et l'autre est sa
seule espérance, si ses ordres sont
exécutés.
Mais la piùssante, la capitale
diversion sur laquelle il a le droit
de compter de la part de son vieux
compagnon d'armes le marécthal
Augereau , celle opération si sim-
ple .dont le succès infaillible chan-
geait à elle seule toute la foi lune
militaire, et détruisait par une
marche ra^nide surVesoul tous les
projets de la grande -armée des
s >uverains,vlen[ lui manquertout-
à-coup. Augereau n'a pas obéi!
Il s'est porté sur Genève contre
le général Bubna , et s'est lais-
sé surprendre par les deux corps
autrichiens, que Schwarzenberg
» détachés contre lui de Bar-sur-
NAI»
Aube, après le départ de Napo-
léon pour Arcis. Ainsi le grena-
dier de Castiglione, celui quedauà
les plus beaux jours de sa gloire
d'ilalie Napoléon nommait à côté
de l'enfaut chéri de la viotoire (de
Masséna), celui qu'il a élevé à la
plus haute fortune, devient aussi
une des causes de sa perte. L'em-
pereur a besoin de toule sa force
d'unie pour supporter celle acca-
blante nouvelle. La p(!tite armée
de Lyon, de 20,000 hf>mmes, n'est
plus pour lui cette précieuse ré-
serve qui, conduite par un vieux
capitaine, doit rallier dans bi
Franche - Coirité les belliqueux
Français du Jura et desVoges , de
la Bourgogne, de la Champagne,
et placer sur Napoléon et sur Au-
gereau les destinées de l'empire.
Augereau n'a pas voulu de celle
gloire. Il a refusé cette associa-
tion. Son armée el lui ne comptent
plus dans la défense nationale î
Alors Napoléon peut se repentir
d'avoir contremandé, après l'af-
faire de Nangis , la marche du
vice-roi sur Lyon ! Lyon ne sera
,plus à lui le 21.... D'un autre côté
l'horizon de la capitale est devenu
plus sombre. Le rejet de l'armis-
tice a décidé l'Autriche. A la nou-
velle du départ de Napoléon ,
Schwarzenlnu-g sonne le premier
le tocsin de l'irruption sur Paiis.
Les maréchaux Oudinot et Mac-
donald ont dû évacuer Troyes le
4 mars devant celle révolte de
la peur. L'ennemi est à Nogent et
n)arche celte fois avec assurance :
il n'a plus devant lui Napoléon
et sa troupe sacrée. A Paris, la
crainte, une crainte bien légiti-
me, a gagné tous les responsables
de raulorité. Napoléon ne pcul
NAP
l'ignorer. Il a su par l'impératrice
que le prince Joseph l'a priée d'é-
crire secrètement à l'empereur
son père. On est au 16 mars. Paris
peut être pris le 20. Le danger
est à Compiègne oùseraBIucher,
il estàiVogent où doit êtreSchwar-
zenberg. Entre ces deux périls il
tant choisir le plus pressant pour
le combattre. Napoléon ne veut
pas brûler ses vaisseaux : il veut
au contraire se battre à outrance ,
à Paris même s'il le faut. Sa fem-
me, son fils resteront-ils dans ses
murs les otages d'une destinée in-
connue ? .... Joseph reçoit l'ordre
de les envoyer sur la Loire avec
IfS ministres au 7uoindre danger.
Napoléon doit être bien sûr qtie
cet ordre sera exécuté dans toute
sa rigsieur. Mais au moins il doit
croire que Paris tout entier ne
songera plus alors qu'à se défen-
dre et lui donnera le temps d'ar-
river.
Le 16 au soir tout est arrêté.
Le choix est fait entre Bliicher et
Schwarzenberg. Le i", on mar-
che sur l'Aube par Épernay. Le
18, Napoléor» est à Fère- Cham-
penoise , où M. de Rumigny repa-
raît le soir venant deChâlillon. Il
vient dire que le ternie des négo-
ciations expire, et que sans doute
il n'y a plus de congrès. Napo-
léon reçoit celte nouvelle comme
un homme qui a pris d'avance son
parti , qui n'a plus que la négo-
ciation du champ de bataille et qui
la préfère. Le ig , l'empereur
se retrouve au hameau de Châ-
tres dans la maison du charron,
où il a si bien reçu le prince de
Lichlenstein et repoussé si dure-
ment les sages avertissemens que
lui apportait le baron de Çoiot-
NAP
47'
Aignan. Là il apprend que la dé-
route du corps de Saint-Priest à
Piheims, et que sa propre marche
sur Épernay,ontchangé en retraite
sur Troyesle mouvement général
des souverains alliés sur Paris.
Lneterreur panique a saisi les mas-
ses qui les suivent. S'il* viennent
à Paris, ce sera malgré eux, et ils
s'y montreront d'autant plus irrités
contre Napoléon , qu'ils auront pu
en triompherplustôt.Les corpsdes
maréchauxOudinotetMacdonald,
qui avaient dû rétrograder de Pro-
vins, sont revenus se rallier à Na-
poléon à Plancy. Ils croyaient
poursuivre W'itsgenstein, et Napo-
léon croyait manœuvrer sur les
flancs de l'ennemi sur un corps
isolé. Le 20, il est à Arcis, qu'il
veut traverser pour se diriger sur
Bar-sur-Aube. Mais les reconnais-
sances envoyées sur la route de
Troyes, trouvent l'ennemi. Une
affaire s'engage avec l'avant-gar-
de. Napoléon s'y porte avec sei
3o,ooo hommes. Une armée im-
mense est devant lui. C'est toute
celle de Schwarzenberg ! Ce
généralissime fatigué des combats
partiels dans lesquels Napoléon
multipliait successivement la vic-
toire contre les corps de la grande-
armée alliée, avait résolu, enfin,
de mettre un terme à tant de ba-
tailles perdues, et aussitôt que
le prince royal de Suède serait en
ligne, de faire simultanément un
mouvement général d'irruption
enropéenne sur la capitale. Mai*
l'avis de l'etnpereur Alexandre a-
vait prévalu de ne pas attendre
Bernadotte, et il avait été décidé
qu'on se mettrait en marche sans
autre délai. C'était ce mouvement
inattendu des nia.sses enoemies ^
n:2
TiAV
que Napolé*)n trouvait au - delà
d'Arcis devant lui, le 30 mars, jour
amiiversairede la naissance de son
iils , jour qui malheureusement
sera encore une fois célèbre dans
ta vie ! .. ..
Napoléon n'a jamais su reculer
tant qu'il a pu comballre. Cette
journée et celle d'après , il ne voit
en lui que le premier soldat de la •
France, à qui sa vie exposée en
combat ta ut pour elle appartient
tout entière. Il l'oftVc mille lois
au fer, au feu de l'ennemi, qui la
refusent. Souvent il est obligé de
ï^e servir de son épée pour se dé-
gager des masses qui l'entourent.
Un obus tombe à ses pieds, il y
pousse son cheval : la pièce écla-
te.... t!n nuage de poudre le dé-
robe tout- à-coup à ses troupes.
Mais ni lui ni son cheval ne sont
blessés, et i! va inutilement en-
core chercher la mort au milieu
«le ses batteries. Tant que ?Japo-
léonale fer àlamain.Arcisest inex-
puguablç pour l'armée dei5o,ooo
hommes, qui l'entoure! La nuit
Tient et ne suspend point les périls
de cette terrible journée. Les fau-
bourgs sont en flamme. L'incen-
die et le feu continuel des deux
armées éclairent les travaux des
asslégeans, dont les masses sem-
blent se renouveler. Un seul pont
reste h Napoléon pour se sous-
traire lui et son armée à une perte
inévitable. II ordonne d'en jeter
un second : le ai au matin Arcis
est évacué. Mais le combat ne se
ralentit point, et la retraite bril-
lante de Napoléon devant des for-
ces tant de fois supérieures aux
siennes , est un grand fait d'armes
de plus A ajouter à son histoire.
L'ennemi, qui pourrait détruire
N\r
rarmée française , semble la res-
pecter. Il la craint encore, tant la
retraite de Napoléon est mena-
çante. Elle s'opère avec le plus
bel ordre sur Vitry-le- Français.
Les routes de la capitale sont à
l'ennemi.
Napoléon passe à Somepuis la
nuit du 21 au 32. Le aS son quar-
tier-général est à Saint-Diz.ier, où
le rejoint le duc de Vicence. Il ap-
prend de son plénipotentiaire à 1 1
heures du soir la j-uplure du con-
grès ; le contre-projet a été refusé.
Il s'en afflige aussi peu qu'il s'en
étonne. Le congrès n'est depuis le
commencement pour lui et depuis
le 17 février pour les alliés, qu'une
affaire purement militaire, dont
les succès et les revers de la cam-
pagne font toute la négociation.
Le 24 , Napoléon porte le quartier
impérial à Doulevent en avant de
Saint-Dizier. Il envoie des corps
sur les routes occupées par l'en-
nemi, et se lient en embuscade
pour se jeter du côté où il appren-
dra que sont les alliés. Le lende-
main la cavalerie du général Pire
fait un mouvement si heureux à
Chaumont et sur la i-oute de Lan-
gres , que •l'empereur d'Autriche
est séparé malgré lui de l'empe-
reur Alexandre , et que dans la
confusion qui résulte de ce fla-
grant-délit, François II se réfugie
à Dijon avec un officier. Le 26 ,
une forte canonnade rappelle ino-
pinément Napoléon à Saint- Di-
zier, que son arrière- garde atta-
quée par des forces majeures est
contrainte d'évacuer. Les géné-
raux Milhaud etSébastiani, accou-
rus avec leur cavalerie, repoussent
l'ennemi au gué de Valcourt sur
la Mariie. Chassé de Saint-Dizier,
NAP
où rentre l'empereur , l'enneuii
<e disperse dans le plus grand dé-
sordre sur les routes de Vilry et
<Ie Bar - sur - Ornain. Napoléon,
trompé par les rapports de ses
généraux, qui se croient suivis
par la grande armée ennemie, ne
veut pas s'en rapporter à ce que
lui affirme le duc de Vicence , qui
.s'est convaincu sur sa route du
mouvement des alliés sur Paris.
Ainsi donc ce n'est malheureu-
sement pas Schvearzenberg qui
poursuit Jsapoléon, c'est Wintzin-
gerode , l'un des lieutenatis de
Blucher, détaché contre l'armée
française pour ifiasquer le mouve-
ment général de la grande-armée
des alliés sur Paris. Ce n'est que le
lendemain au soir près de Vilry,
que l'empereiirest informé decette
manœuvre. Il apprend encore la
réunion nouvelle de l'armée de
Bliicher à celle de Schwarzen-
berg, qui a eu lieu le aS dans les
plaines de Châlons, après son dé-
part d'Arcis. Le même jour une
proclamati^ dictée par les émis-
siiires du parti anli- impérial de
Paris , annonçait à la France la
rupture des négociations et la mar-
che sur la capitale des deux ar-
mées réunies. Les souverains al-
liés , avides de communications
avec Paris , ont eux-mêmes choisi
les membres de ce coniilé. « On
y avait poussé l'attention jksqiCà
n pourvoir à notre avenir, » dit in-
génuement l'abbé de Pradt, l'un
(les sociétaires de cette nouvelle
exploitation : « Les alliés, dit le
M général >ViIson, témoin oculaire,
»se trouvaient dans un cercle Ti-
ncieux d'où il leur était impossi-
»ble de se tirer, si la défection no
«fût venue û leur secours. ... Le
NAP
4;>
.) mouvement sur Saint-Dizier, qui
«devait assurer l'empire à Napo-
»Iéon, lui fit perdre la couronne. »
Tout était devenu fatal, jus-
qu'au talent et au courage persé-
vérant des chefs de l'armée. Les
maréchaux Mortier et Marmont,
dans la croyance naturelle où ils
étaient que Napoléon se reployait
sur eux devant Schwarzenberg,
étaient venus au-devant de lui
sur la roule de Fère-Champenoise,
et étaient tombés au milieu des
alliés, qui avaient intercepté tous
les courriers de Napoléon ; ils
avaient éprouvé une grande per-
te à cette action, que l'ennemi
nomma pompeusement la bataille
ou plutôt la vh-.loire de Fère-
Champenoise. L'immense cava-
lerie des alliés, un terrible oura-
gan qui battit le front de nos
troupes, une pluie violente qui
leur enleva la ressource de la
mousqueterie , triomphèrent en-
fin d'une résistance de plusieurs
heures, et forcèrent à la retraite
les maréchaux Mortier et Mar-
mont. — Cette affaire eut lieu le
25, et fut également funeste au
général Pactod, qui, chargé d'un
convoi de vivres considérable ,
marchait avec sécurité au-devant
des ordres qu'il attendait du ma-
. réchal Mortier. 11 escortait ce
convoi avec deux divisions, celle
du général Amey et la sienne, qu'il
commandait comme le plus an-
cien. Ces deux divisions n'étaient
ensemble que de 6000 hommes,
dont les deux tiers, encore en
habits de paysans , étaient des
recrues des nouvelles levées des
départemens de l'Ouest. Ce gé-
néral se trouva lout-à-coup as-
sailli par les masses de l'arinco
4:4
NAP
de Schwarzenberg, qui, à Fère-
ChampciioisH , surpris dans sa
route sur Paris par une colonne
qui débouchait sur sa droite, pré-
cipita sur elle tout ce qu'il avait
de combaltans. Ici l'histoire don-
ne un nouveau démenti à l'orgueil
des alliés pour cette seconde af-
faire de Fère-Champenoise. Pen-
dant plusieurs heures, attaqué,
entouré subitement , le général
Pactod soutint avec ses bataillons
de gardes nationales, qui voyaient
le feu pour la première fois, les
charges multipliées des premières
troupes de la grande-armée des
alliés. Celles-ci ne suffisant pas,
on lança contre ses faibles carrés,
les gardes rub.«cs , prussiennes,
Télite des combattans étrangers,
l'îlectrisés par une harangue courte
et vigoureuse de leiir général, les
braves paysans de la Vendée ju-
rent de mourir plutôt que de ca-
pituler. La mêlée fut affreuse. Les
hommes de toutes les nations as-
saillissent cette troupe de braves,
qui ne combattit qu'à la baïon-
nette , refusa quartier , remplit
son serment, et périt presque
tout entière. C'était le dévoue-
n)ent desïhermopiles, mais il ne
devait pas sauver la patrie. Toute
la cavalerie de l'armée coalisée
fut mise en mouvement, non pour
vaincre, mais pour détruire 6000
paysans ; leurs braves généraux
furent pris au milieu de leurs car-
rés renversés autour d'eux ; l-i
mort les respecta, pour que leur
salut donnât un dernier lustre à
nos armes. Les souverains qu'ils
venaient de combattre avec des
forces si inégales, placèrent jus-
tement leur gloire à honorer hau-
tement la valeur et l'infortune des
TNAP
généraux Pactod, Amey, Jamin,
Delort , Bouté et Thévenet. Le
combat avait été tellement achar-
né, que, dans la confusion de
cette lutte extraordinaire, beau-
coup d'alliés, Russes,/ Anglais,
Prussiens , Autrichiens , Aile-,
mands, Suédois, ne pouvant se
reconnaître à cause de la variété
des uniformes, se chargèrent et se
blessèrententreeux. Cette circons-
tance singulière décida le prince
généralissime à ordonner à toute
l'armée alliée, de porter, comme
les Suédois, une écharpe blan-
che au bras gauche. Cet ordre ,
que la brillante vttleur de nos gar-
des nationales fit proclamer dans
toutes les armées de la coalition ,
reçut deux jours après à Paris
une toute atjtre interprétation, à
l'entrée des alliés. Ce bracelet
blanc fit croire à la population que
les ennemis arboraient les couleuis
de la maison de Bourbon. Tout
est étrange , imprévu , dans cette
étonnante période, qui va finir
avec Napoléon. De^févénemens
■véritablepient romanesques dans
tous les genres y continuent le
merveilleux de son histoire; le
combat du général Pactod est du
nombre de ces événemens. Ainsi
la gloire colore les derniers mo-
niens de l'empire de Napoléon,
et, par unfî singularité qui carac-
térisa encore la merveilleuse his-
toire de ce grand capitaine , c'é-
taient des hommes de la Vendée,
qui, la veille du retour des Bour-
bons, combattaient et mouraient
pour lui! Toutefois cette gloire
de mourir pour la patrie était
commune à tous les Français dans
nos annales. En 1792 elle ne fut
que resiusoitée par le patriotisme
iSAr
de nos légions républicaines coiii-
battaut l'étranger, et vingt-deux
ans après \z même sang repro-
duisait dans les enfans rbéroïsnie
de leurs pères.
Après différens combats, qui
honorèrent la retraite d'^s maré-
chaux sur Paris, à Sézanne, à
Chailiy, à la Ferté- Gaucher, à
Trilport, à Meaux, a Ville-Parisi>,
ils se séparèrent à Nangis : le ma-
réchal Mortier se dirigea par Gui-
gues, et le maréchal Marmontpar
>l«lun. Ils se rejoignirent à Brie-
Comte-Robert, et arrivèrent en-
eemble à Charenton, où ils dispo-
sèrent leurs troupes pour la ba-
taille du lendemain. Ce lendemain
est le 3o mars. Cette bataille^ est
la bataille de Paris.
Sans la circonstance qui fit inter-
cepter les ordres de Napoléon aux
maréchaux Mortier et Marmoul,
ils se reployaient à l'instant sur
Paris, dont ils arrêtaient tous les
conv'iis et tous les envois d'hom-
mes ; ils présentaient alors à l'en-
nemi. devant les barricades des
faubourgs, une force intacte , qui
eût enlevé et réuni autour d'elle
toute la population de la capitale.
Le prudent Schwarrenberg eût re-
culé nécessairement devant la ba-
taille d'extermination que lui eût
présentée un million de Français,
combaliant pour ses foyers, de-
vant ses dieux domestiques. Aver-
ti de cette grande et neuve cir-
conslancr, Napoléon fût arrivé à
Tol d'aigle sur les flernères de la
grande-armée de la coalition, et
soutenu par l'insurrection généra-
le de-i braves habilans des Vosges,
du Jura, de l'Aube, de la Côte-
d'Or. il eût peut-être, en justes re-
présailles de l'ullimaïuin de Châ'
"SsAV
4:^
tiliou. envoyé aux rois confédérés
l'ultimatum de Paris.
Plongé dans ces graves ré-
flexions , Napoléon s'éloigne dw
Vitry, et revient le 27 à Saint-Bi-
zier, où il passe la nuit à travail-
ler. Dans ses prospérités il avait
toujours dit, l'état c'est moi : dan^
son adversité actuelle , pour la
première fois, il dit : Paris, c'es^t
la France. Soudain il se décide,
ou à tout perdre ou à tout sauver
à Paris. Il oublie qu'il a pris Vien-
ne deux fois, Berlin, Moskou,
Madrid , Lisbonne, et que les peu-
plt s dont ces grandes cités sontlf;s
capitales, sont debout chez lui et
contre lui, avec leurs souverains.
Ainsi la Seine va couler entre son
armée et celle de ses ennemis : lit
Seine est le Piubicou des deux
partis. Napoléon suivra sa lon-
gue rive gauche, lundis que ses
ennemis plus heureux suivront
la droite. Paris, la France, sont
le prix de la course. Cepen-
dant Napoléon ne marche sur Pa-
ris que parce qu'il croit y arriver
à temps, pouréleclriser lesesprils
et pour tout sauver , même en y
entrant seul de sa personne; car
s'il eût été certain d'arriver trop
tard, il eût repris son premier pro-
jet, celui de rallier les garnisons
de ses places de la Lorraine et de
l'Alsace, et de tomber sur les der-
rières de l'ennemi. Cette concep-
tion était grande et salutaire; car
elle avait p(Uirappui,indépenda;i:-
ment des localités défensives du
nord et de l'est de la France,
l'irruption dès long- temps péril-
leuse pour l'ennemi, des peuples
les plus guerriers de la terre na-
tale.
Kapolcon mon!ait à cheval a
m.
Saint -Dizier, pour se porter snr
Doulevenl, quand on lui amena le
baron de Wessenberg, ambassa-
deur extraordinaire de la cour
d'AtJtriche à celle de Londres,
d'où il revenait rejoindre son sou-
verain ; et le baron de Hiolde-
brand, lieutenant-général suédois,
envoyé de Liège par le prince
royal de Suède a l'empereur A-
lexandre, pour lui annoneer que
le prince Chrétien de Norwège ne
Toulait pas évacuer ce pays, et
pour demander à S. M. des trou-
pes russes, afin de l'aidera sou-
mettre la Norwège. Cette nouvel-
le et cette demande étaient une
singulière diversion dans les af-
t'aires de l'empereur Alexandre.
Ces personnages avaient été arrê-
tés par des paysans, entre Nancy
et Langres , avec d'autres étran-
gers, parmi lesquels était le baron
de Vitrolles, déguisé on domesti-
que. Napoléon n'a pas oublié qu'a-
vant la première campagne de
Saxe, et de concert avec lui, l'em-
pereur François a envoyé M. de
SVessenbergpour sonder le gouver-
nement anglais sur les bases d'une
paix générale. Il lui donne ordre
de le suivre à Doulevent. L'occa-
sion unique sans doute de tenter
encore une démarche auprès de
l'Autriche, n'échappe point au duc
de Vicence, qui finit par obtenir
de Napoléon l'autorisation d'écri-
re à M. de Melternich, que l'on
est disposé à tous les sacrifices.
3L de Wessenberg part chargé de
cette dépêche, et d'une communi-
cation verbale de Napoléon pour
son souverain. Mais quand même
M. de Wessenberg aurait trouvé
l'empereur d'Autriche au quartier-
général des alliés, où il fut dirigé,
NAP
sa mi?: ion serait restée sans effet.
Le princedeSchwarzenberg, com-
me nous l'avons dit, avait à la fin
pris son parti , et la volonté de
l'empereur Alexandre était d'en-
trer de^ vive force et sans délai à
Paris.
Napoléon trouva à Doulevent
un avis secret de l'honorable com-
te de Lavallette, directeur-géné-
ral des postes. Cet avis portait :
// n'y a pas un moment à perdre ,
si on veut sauver la capitale. Tout
concourait à la perte de Napoléon
et de l'empire, jusqu'à la fidélité.
Cet avis si important était daté de
dix jours : alors ce conseil de M.
de Lavallette était celui d'un bon
Français. Dix jours plus tard, il ne
valait plus rien ni pour Napoléon,
ni pour Paris. Napoléon, à qui ce
calcul échappe peut-être, ne voit
dans cet avis que ce qui flatte la
pensée qui le domine. Il part à
tire-d'aile pour la capitale ; il croit
arriver à Montmartre avant l'en-
nemi; il le croit d'autant plus que
la route de Troyes à Paris est li-
bre : ses courriers le lui appren-
nent. Tout ce qui est ennemi a
suivi la Marne. Il envoie à franc-
étrier son aide-de-camp, le gé-
néral Dejean, annoncer son retour
aux Parisiens, tant il compte, et
avec raison, sur l'impression puis-
sante que sa présence fera dans la
capitale. Dans cette journée il fait
quinze grandes lieues , avec sa
garde : le soir il est à Troyes ; de.
cette ville il^expédie aussi pour
Paris , et avec la même mission
que le général Dejean, le général
Girardin , premier aide-de-camp
xlu prince de iNeuchâtel. C'est le
ag; le 3o, de grand matin, après
quelques heures de repos, Napo-
NAP
léon est en route. A quelques
lieues de Troyes, la lenteur d'une
marche militaire , bien que tou-
jours si rapide avec lui, lui de-
vient insupportable : il se jette
dans une cariole de poste. C'est
le bateau de César : il porte aussi
«a fortune. A chaque relais l'empe-
reur demande où est l'impératri-
ce, où est le roi de Rome ; à cha-
que relais il apprend que sa fem-
me et son fils ont quitté Paris ,
qu'on se bat aux portes...; il vo-
le...; ù lo heures du soir il est à
à cinq lieues de Paris...; dans une
heure, il peut être à la tête des
défenseurs de la capitale...; il est
trop tard de deux heures...; Paris
VIENT D:^^P)Tt<LER !
NapoWBR était à pied sur la rou-
te au relais de Froraentcau, quand
il apprend cette fatale mnivellc du
général Belliard. que Paris vient
de voir flgurer parmi ^es plus il-
lustres défenseurs. Los maréchaux
Mortier et Marmont, surpris à Fè-
re-Champenoise par la grande-ar-
mée alliée, s'étaient reployés sur
Paris après une longue résistance.
Accablées le même jour, et pres-
«jue sur le même champ de batail-
le, par toute l'élite de cette mê-
me armée, les braves divisions
Pactod et Amej avaient dû suc-
comber. Elles avaient mieux aimé
mourir que capituler. La retraite
des maréchaux n'avait point été
tranquille. Ils avaient été cons-
tamment poursuivis par l'ennemi
jusqu'à Mcaux et à La Ferté-Gau-
cher; ils avaient été assaillis par
les corps prussiens, débouchés sou-
dainement des routi's de Rheims
et de Soissons. Enfin, le 29 les
alliés s'étaient réunis devant Pa-
li-i par toutes les avenues du
^AP
,' »-«
4:
nord et de l'est. Cependant,
ajoutait le général Belliard, dans
cette terrible extrémité, les ma-
réchaux purent réunir aux glo-
rieux débris qu'ils ramenaient,
quelques milliers de soldats des
dépôts, 10,000 braves de la gar-
de nationale parisienne; et y com-
pris plusieurs compagnies d'artil-
lerie, spontanément formées par le
dévouement héroïque des élèves
de l'école Polytechnique, ces ma-
réchaux avaient pu déployer une
trentaine de mille hommes, avec
lesquels ils avaient engagé le com-
bat le jour même à cinq heures du
matin. Les premiers pas de cette
faible armée avaient été des suc-
cès. Les villages de Pantin et de
Romainville avaient été pris et re-
pris plusieurs fois, et étaient de-
meurés à nos troupes.
Ici l'histoire de l'empire fran-
çais et de T^apoléon-le-Grand est
revenue aux temps de la Fronde et
de la Ligue; les villages, les ha-
meaux, qui avoisinent Paris, pren-
nent rang dans nos tristes annales,
et la gloire française gémit des
beaux faits d'armes, des dernier?
exploits, qui rendent fameux des
noms si obscurs.
L'ennemi avait laissé environ
1 2,000 hommes sur les champs de
bataille. La perte des nôtres était
bien moins considérable ; mais ils
ne se battaient que pour mourir,
sous les yeux de sept à huit cent
mille habitans, qui ne savaient ni
soutenir les vivans, ni remplacer
les morts. La défense matérielle
de la capitale n'avait point clé or-
ganisée par le prince Joseph, ni
par le général Clarkr, ministre de
la guerre, malgré les moyens suf-
fisans proposés par le cotm'té. Le
/,j8
ÎSAP
prince avait cru tlevoir, contre
j'iuiporlance des opinions et con-
tre la gravité des circonstances,
en référer à l'empereur ; et le
temps, qui seul alors, avec le cou-
rage de tous et l'exemple du géné-
ralissime, eût été capable de sau-
ver la capitale, avait été perdu en
vaines correspondances. Enfin, à
midi, la grande ville et la petite
armée avaient été enveloppées,
par l'inondation étrangère, à Mont-
martre, à Charonnes, à Vincen-
nes. Alors le prince Joseph, dans
la crainte de se trouver pris lui-
même , avait ordonné aux maré-
chaux de capituler, et était parti
pour la Loire. Le général Clarke,
le seul sans doute des ministres
qui dût rester à Paris jusqu'au
dernier moment, dans la catas-
trophe militaire où la capitale
se trouvait précipitée, s'était em-
pressé de suivre le prince Jo-
seph. Il avait laissé dans les ma-
gasins 20,000 bons fusils, qu'il
avait refusés à 20,000 braves qui
les avaient demandés. Il avait donc
fallu de toute nécessité recourir à
un armistice, pour prévenir la rui-
ne d'une vaste cité que l'on ne vou-
lait point défendre. Cependant
tandis, que le maréchal Marmont
négociait rarmistice, l'ennemi fai-
sait des progrès par le simple dé-
veloppementTleses masses. Il était
à Mont-Louis, à Belleville, à Mé-
nihnontant, sur la butte Chau-
uiont, à la Villetle, et le feld-ma-
réchal Bliïcher menaçait. de forcer
la barrière Saint-Denis, quand les
hostilités furent suspendues. L'or-
dre de capituler n'était parvenu
qu'à cinq heures au maréchal Mor-
tier, qui avait devant lui les corps
de KJei,-t, d"York. de "SVoronzovv
NAP
et de Langeron. Le maréchal Mor-
tier et le général Belliard igno-
raient le départ du prince Joseph.
Ils envoyèrent vainement vers lui,
et continuèrent cependant à en im-
poser à l'ennemi, encore indécis,
malgré sa supériorité nurtiérique^
à aborder Montmartre. Dans cette
situation, le général Dejean, aide-
de-camp de S. M., expédié par el-
le de Dolancourt, arrivait, et pre.*:-
crivait au maréchal de donner avis
au prince de Schvvarzenberg des
ouvertures de paix laites à l'em-
pereur d'Autriche. Le maréchal
avait obéi ; mais le prince lui avait
répondu par la déclaration des al-
liés après la rupture du congrès
de Châtillon. Dans l'intervalle de
cette communication, Infciréchal,
qui n'avait pu être informé par
son collègue de l'ordre de capitu-
ler, se tenait toujours sur la plus
vigoureuse défensive, et renvoyait
hautement un aide-de-canip de
l'empereur Alexandre, qui le som-
ujait de se rendre.
« Les alliés, lui dit le maréchal,
«pour être au pied de Montmar-
))tre, ne sont point dans Paris.
» Mes soldats et moi nous périrons
» plutôt sous ses ruines que d'ac-
ïcepter une honteuse capitulation.
»Au reste, quand je ne pourrai
«plus défendre Paris, je sais où
»et comment effectuer ma retrai-
» te, devant vous et malgré vous.»
Le maréchal Mortier rappelait,
et était toujours pour les Russes
le héros de Diruîtein. Cependant
le maréchal Mannont venait de
conclure sa suspension d'armes ,
et le maréchal Moi'tier en ayant
reçu l'avis, et peu après l'ordre
du prince Joseph , dont l'envoyé
s'était sajis doule égaré, s'était
NAP'
réuni au maréchal Marmont pour
traiter, et pour donner à la con-
vention le caractère de dignité et
d'honneur qui convenait à la gloi-
re de la résistance de l'année et
au rang qu'ils y occupaient. L'ar-
mistice conclu par le maréchal
Marmont donnait pour toute ligne
aux maréchaux l'enceinte de Paris.
Ainsi Montmartre et ses hauteurs
devaient être remises, sans coup
férir, aux alliés, et le corps rus-
se qui était deVant 3Iontmartre
en fut informé. Mais le général
Langeron , émigré français qui le
commandait, crut devoir s'en em-
parer de vive force, et malgré la
suspension d'armes, on se battit
encore depuis Montmartre jusqu'à
Neuilly. La capitulation avait été
discutée vivement à la Villette
par les deux maréchaux, et il avait
été convenu que l'armée se retire-
rait avec son matériel , et aurait
toute la nuit pour évacuer Paris.
Cette convention était verbale.
Le maréchal Marmont s'était char-
gé de la rédiger et de la signer
au nom de son collègue. Les
troupes des deux maréchaux é-
taient dirigées sur Fontainebleau
par les barrières du Maine et
d'Orléans. Celles du maréchal
Mortier avaient évacué Paris les
premières , et occupaient militai-
rement le village de Villejuif , fai-
sant face à Paris. La garde nationa-
le de Paris , commandée par le
maréchal Moncej , avait rivalisé
de bravoure avec la ligne , et a-
vait prouvé par son intrépidité,
par sa témérité mêine , de quel
poids elle eût été pour le salut de
la capitale , si les personnages
ehargés de cette grande respon-
sabilité avaient voulu en être
>AP 4:îi
dignes. Tel fut sommairement le
récit du général Belliard, chef
d'état-major de la brave armée
du maréchal Mortier. Les servi-
ces de toute nature qu'il avait
rendus dans toute cette campagne,
où il prit constamment le com-
mandement de la cavalerie, et
notamment aux brillantes et mal-
heureuses affaires qui venaient d'il-
lustrer le maréchal Mortier et son
corps d'armée sous les murs de
Paris, rendaient son témoignage
encore plus imposant à l'empe-
reur Napoléon.
Le maréchal Berthier et le dus
deVicence se tenaient à l'écart, de-
puis que l'empereur s'entretenait
avec le général Belliard. L'empe-
reur les appela. « Voici ce que dit
» Belliard, leur dit-il. Eh bien ! il
«faut aller à Paris : partons. » Et
on marcha pour joindre les voitu-
res qui étaient devant la poste.
Le général Belliard représenta
à l'empereur qu'il n'y avait plu«
de troupes à Paris. « N'impnrte ,
» dit-il, j'y trouverai la garde na-
«tionale. L'armée m'y rejoindra
«demain ou après, et je rétabli-
oriii les afl'aires. Suivez-moi aveo
1) votre cavalerie. Mais, sire, ré-
»pond le général Belliard, V. M.
B s'expose à se faire prendre et à
» faire saccager Paris. Il y a autour
;) i3o,ooo hommes. Je n'en suis
«sorti que par (me convention,
«je ne puis y rentrer, ni moi, ni
«mes troupes. «Après de nouvel-
les instances de l'empereur pour
marcher en avan^, et de nouvelles
représentations pour l'en dissua-
der, « Je vois , dit Napoléon ,
«que tout le monde a perdu
»la tête.. Joseph est un c...., et
• Clarke uu j... f ou un trai-
48o
NAP
»tre; car je commence à croire
»ce que m'en a dit Savary. «Ce-
pendant on approchait de la poste
dans le moment où la colonne
d'infanterie dn maréchal Mortier
paraissait,et l'empereur demandait
impérieusement au duc de licen-
ce de faire avancer ses voitures.
Pressé de nouveau par le maré-
chal Berthier , le duc de Vicence
et le général Belliard , Napoléon
parut renoncer à son projet, et
retourna sur ses pas avec le prin-
ce de Neuchâtel et le duc de Vi-
cence. 11 continua de se promener
avec eux, en causant, pendant
trois quarts d'heure. Enfin, il se
détermina à entrer à la poste ,
et donna ordre de prendre posi-
tion.
Il n'y avait encore de posées et
verbalement seulement que les
bases de la capitulation. L'empe-
reur resta à la poste plus de deux
heures la tête appuyée sur ses
mains. Tl répétait de temps en
temps quelques exclamations sur
la trahison, ou sur la bêtise de son
frère, de Clarke, etc., sans pren-
dre un parti. Le maréchal Ber-
thier, voyant que le temps s'écou-
lait, pressa l'empereur d'envoyer
ù Paris le duc de Vicence pour trai-
ter. Le duc représenta que l'envoi
du prince de Neuchâtel , lié avec
le prince de Scliwarzenberg , se-
rait plus utile, et que sa position
personnelle en imposerait davan-
tage à Paris. A 5 heures du malin.
Napoléon se décida à faire partir
le duc de Vicence.
Le 3i mars, à jr heures, le duc
de Vicence arrive à Paris, où il ne
trouve aucune des autorités loca-
les de la haule administration. Il
se rend alors àBondy, au quartier-
TV A F
général de l'empereur Alexandre.
Dans sa route , il rencontra les
deux préfets de Paris et deux
chefs de la garde nationale , qui
étaient, depuis la veille au soir,
au quartier-général des alliés, ils
revenaient de porter à l'^ripereuv
Alexandre la soumission de la ca-
pitale , et de réclamer sa haule
bienveillance en faveur des habi-
tans. Ainsi, la mission du duc de
Vicence, déjà douteuse par la ca-
pitulation de Paris et par les in-
trigues de la nuit, le devenait en-
core plus par la démarche que
venaient de faire les autorités ci-
viles, lesquelles, par le départ du
gouvernement et par celui de l'ar-
mée , se trouvèrent lout-à-coup
investies d'une sorte de souverai-
neté snr la capitale. La ville n'a-
vait plus d'autres chefs que ses
magistrats , ni d'autres troupes
que ses citoyens. Les deux préfets
s'adressèrent en conséquence au
maréchal iMarmont. pour le prier
de stipuler les intérC-ts da la ville
dans sa capitulation. Mais les com-
missaires des alliés, alléguant qu'i h
étaient sans instruction à cet é-
gard, offrirent seulement à la dé-
putation de Paris de lui servir de
sauve-garde jusqu'au quartier-gé-
néral des souverains alliés, où elle
demanda à se rendre. Elle y était
arrivée entre 3 et 4 heures du ma-
tin, avait été accueillie avec une
bienveillance extraordinaire par
l'empereur Alexandre , et avait
obtenu de ce prince, indépendam-
ment de la continuation du ser-
vice exclusif de la garde nationale,
soit aux barrières, soit dans l'inté-
rieur de la ville, l'assurance de ht
conservation des musées, desmo-
nuraens , des établissemens pu-
NAP
l)lics, et de toutes les institutions
civile?. Ce fut au retour de la dé-
pulation de Paris que le duc de
X icence la rencontra. ]' voulut
s'entretenir avec les principaux
magistrats, mais il en fut violem-
ment empêché par les commissai-
res étrangers qui reconduisaient
la députalion aux portes de la
capitale. Arrêté lui-même, il fut
obligé d'attendre l'autorisation de
l'empereur Alexandre pour parve-
nir jusqu'à lui. Il vit bientôt arri-
ver le comte Nesselrode, qui lui
demanda l'objet de sa mission.
Enfin, après avoir obtenu de venir
à Bondy, il rendit compte à l'em-
pereur Alexandre et au prince gé-
néralissime des ordres et des pou-
voirs dont il était porleur. L'em-
pereur Alexandre remit après son
eutrée à Paris , qui allait avoir
lieu, la réponse qu'il croirait pou-
voir lui faire. Le duc de Vicence
retourna à Paris, et iNapoléon se
décida alors à aller attendre à
Fontainebleau le résultat de cette
négociation. Il part... Il a encore
5o,ooo combatlans!!
Ils arrivent de la Champagne
par Sens, ils sont arrivés de Paris
par Essonne. Ces débris de 4'hon-
neur militaire de la France se re-
connaissent et se groupent autour
du vieux soldat pour lecjuel ils
sont toujours prêts à combattre et
à mourir. Les maréchaux Moncey,
Lefebvre, Berthier, Ney, Macdo-
nald, Oudinot, Mortier, Marmont,
rejoignent successivement le der-
nier quartier- général de Napii-
léon. Cependant, la capitulation
de Paris avait été signée à 2 heu-
res du matin par les colonels Fab-
vier et Denis pour le maréchal
Marmont, par le colonel Lapoiute
ISAP
481
pour le maréchal Mortier, et par
les colonels Orlow et ie Paer au
nom des alliés. Les intérêts mili-
taires avaient été ainsi réglés :
« Les corps des maréchaux, ducs
»de Tréviseetdt; Raguse, évacue-
nront la ville de Paris le 5i mars
Ȉ 7 heures du matin, ils emme-
» neront avec eux l'attirail de leurs
» corps d'armée - les hostilités ne
« pourront commencer qu'à 9 heu-
»res du matin; tous les arsenaux,
«ateliers, élablissemens et maga-
» sins militaires, seront laissés dan?
1) l'état où ils se trouvaient avant
»la présente capitulation. Les
«blessés et maraudeurs , restés à
I) Paris après 9 heures, seront pri-
Dsonniers de guerre. » Quant aux
intérêts-civils , la rédaction sui-
vante laissait une grande lacune à
remplir : « La garde nationale ou
«urbaine est totalement séparée
«des troupes de ligne. Elle sera
0 conservée, désarmée ou licen-
)iciée selon les dispositions des
• puissances alliées. Le corps de
»la gendarmerie municipale par-
wtagera entièrement le sort de la
M garde nationale : la ville de Paris
nest recommandée à la générosité
«des hautes puissances alliées. »
Ce fut la communication de ces
dernières dispositions, dont le va-
gue était elTrayant pour les dépo-
sitaires civils des intérêts de la
capitale, qui décida les deux pré-
fets, accompagnés des deux chefs
de la garde nationale et d'une dé-
pulation des conseils municipaux,
à se rendre à Bondy, et à solliciter
de l'eujpereur Alexiuiilre l'audien-
ce dont nous avons vu !e résidtat.
C'était en propres termes présen-
ter au vainqueur les ciels de Paris
uvec des mains suppliantes. Cette
01
.'|82
>AP
démarche , toute contraire à la
mission du duc de Vicence, irjais
favorable à la cause des alliés, l'a-
vertissait de tout ce qu'il devait
craindre, en même temps qu'elle
devait intéresser la générosité de
l'empereur Alexandre.
Le duc de Vicence est donc à Pa-
ris le seul champion officiel de
l'empereur Napoléon. Il doit faire
tête à deux ennen)is, dont l'un est
le comité anti-impérial étranger,
et l'autre plus redoutable, parce-
qu'il est composé de transfuges,
le comité anti-impérial français.
L'un se compose du généralissime
prince de Schwarzenberg, du
comte Nessclrode^ du comte Poz-
zo di Borgo, du prince de Lich-
tenstein; l'autre du prince de Bé-
névent, du duc de Dalberg, de l'ar-
chevêque de Malines et du baron
Louis. Il est vrai que le duc de
Vicence a pour lui sa fidélité, les
ressources de son caractère per-
sonnel, la confiance de Napoléon,
et l'estime d'Alexandre. Ce der-
nier souverain, dont les griefs sont
les plus récens, et qui seul a une
clientelle française, attire seul aus-
si les regards des partis. Le 3i
mars, à midi, il fait son entrée
dans Paris avec le roi de Prusse
et le généralissime à la tête des
armées de la coalition, dont il est
pour la capitale le seul souverain.
L'empereur d'Autriche, que le
mouvement des Français sur Lan-
gres avait porté à Dijon, se trouva
arrêté dans sa route sur Paris par
la marche de Napoléon sur Fontai-
nebleau. Le hasard servit heureu-
sement ce prince en le forçant de
se tenir alors éloigné des événe-
mens et de n'arriver qu'après ses
alliés dans la capitale de son gta-
NAP
dre. Celte sorte de bonne fortune,
fut partagée aussi par le ministre
responsable du gouvernement an-
glais, par le représentant du roi
de la Grande-Bretagne, lord Cas-
telreagh. Paris cherchait vaine-
ment dans le cortège du triom-
phe européen l'auguste père de
l'impératrice, le grand-père du
roi de Rome. Le parti royaliste
mit à profit cette absence forcée
dans le moment, mais prolon-
gée ensuite avec intention. Le
silence profond de la capitale au
passage des troupes étrangères ne
fut interrompu qu'au boulevard
Italien par des cris en faveur
de la maison de Bourbon. Le
bracelet blanc que le prince de
St;hwarzenberg avait ordonné de
prendre à toute l'armée coalisée à
la journée de Fère-Champenoise,
fut regardé, par les royalistes et
parla population étonnée, comme
un signal impérieux de ralliement
aux couleurs.de l'ancienne dynas-
tie. Plusieurs y-oyalistes qui avaient
été arrêtés par la garde nationale
pour avoir arboré la cocarde blan-
che furent alors relâchés. Quel-
ques étages des maisons du bou-
levard étaient couverts de drape-
ries blanches. Des cris de Vivent
les Bourbons, et vivent nos libéi^a-
teurs, partaieut de plusieurs fenê-
tres. Des dames de la plus haute
société se précipitèrent devant le
café Tortoni au milieu de la fou-
le, agitant leurs mouchoirs, dis-
tribuant des cocardes, et soute-
nues de quelques hommes, au pé-
ril de leur vie, elles se jetèrent au
milieu des chevaux dans les rangs
ennemis, pour approcher l'empe-
reur Alexandre. Elles lui deman-
dèrent le rétablissement de la
WAP
famille royale. Ce prince, qu'a-
vail frappé le long silence de la
ville, depuis la barrière de Bon-
dy jusqu'au boulevard Itidien ,
avait froidement continué sa rou-
te jusqu'aux Champs-Elysées, où
pendant trois heures, il fit défiler
l'armée. Ensuite il s'était rendu
à pied, vers 5 heures, chez le
prince de Bénévent, où il avait
désigné son quartier - général,
quoique, d'après le refus formel
qu'il avait fait par égard pour Na-
poléon, de n'habiter ni le château
des Tuileries, ni le palais de l'Ely-
sée, où il ne s'établit qu'après le
traité du 1 1 avril, on lui eût pro-
posé plusieurs grands hôtels, et
entre autres celui que le prince de
Bénévent avait cédé à l'empereur,
rue de Varennes. Sur le soir, le
comité aiili -impérial français fut
appelé au conseil de l'empereur
Alexandre , et l'archevêque de
Malines, lorsque son tour de par-
ler fut venu. J'éclatai, dit-il , par
la déclaration que nous étions tous
royalistes et que la France l'était
comme nous « Eh bien, dit
«alors l'empereur Alexandre, je
«déclare que je ne traiterai plus
«avec l'empereur Napoléon. » Ces
paroles furent à l'instant même
mises en circulation ; elles con-
firmèrent la déclaration faite par
ies alliés après le congrès de Châ-
tillon. Lue proclamation, signée
Alexandre et contre-signée Nes-
aelrode , rendait publique celte
dernière déclaration. Elle portail
en substance que : >« Les souverains
ralliés ne traiteraient plus avec
). Napoléon Bonaparte, ni avec au-
ncun de sa famille ; qu'ils respec-
» teiU l'intégrité de l'ancienne Fran-
NAP
4t>3
» ce, telle qu'elle a existé sous ses
• ruis légitimes; qu'ils reconnaî-
wtront et garantiront la constitu-
ntion que la nation française se
bidonnera. Enfin, que le sénat est
«invité à désigner un gouverne-
» ment provisoire qui puisse pour-
j, voir aux besoins de l'administra-
Dtion, et préoarer la constitution
»qui conviendra au peuple fran-
Bçais.» Cette proclamation, subi-
tement imprimée, fut colportée et
répandue avec ardeur par les é-
missaires de tous les ennemis du
gouvernement impérial. C'était
un coup de parti de publier cette
proclamation qui pouvait donner
l'espoir, particulièrement aux par-
tisans de la maison de Bourbon,
qu'on ne reviendrait plus sur cet-
te improvisation de la politique
étrangère. Le duc de Vicence ,
d'après les espérances données le
matin à Boudy, obtenait l'audien-
ce de l'empereur Alexandre, et il
avait encore le courage, malgré la
déclaration actuelle de ce prince,
de [)laider devant lui la cause de
son souverain , qu'il persistait à
ne pas reconnaître comme per-
due. Mais on lui avait signifié
qu'on ne le tolérait à Paris que
comme parlementaire. On lui de-
manda sa parole d'honneur qu'il
n'agirait en aucune manière, soit
près des autorités, soit près Aa
individus. La bienveillance de
l'empereur Alexandre le fit rester
à Paris en dépit de la contre-
révolution , qui lui fit cependant
imposer ces conditions par le gé-
néralissime prince de Schwarxen-
berg.
Ainsi l'opinion publique, qui n'a-
vait pu avoir encore le temps de se
484
NAP
prononcer, avait été surprise dans
luie oinbuscade. Prisonnière san?
cartel, elle n'était pas admise à ca-
pitulation. Cependant, autant au
moins par nécessité que par pu-
deur, il fallait un interprête plus
légal à cette opinion , vaincue
sans combat, et le sénat avait été
invité à désigner lui gouvernement
provisoire. Les preuves du sénat
étaient laites depuis long -temps.
Convoqué sous la présidence du
prince de liénévent, vice-grand-
electeur, sa minorité la plus zé-
lée, après différens conciliabu-
les, s'empressa de s'assembler au
nombre de 3o membres, dit-on,
au lieu de 1 40 qui le composaient,
et de la délibération convenue
sortit un gouvernement provisoi-
re composé de '♦IM, de Talley-
rand , de Jaucourl, de Beurnon-
ville, de Daîbeig et de l'abbé de
Montesquiou. L'ex - C(;nslituant
Dupont-de Nemours en fut nom-
mé le secrétaire. Les mémoires
jjarticuliers auront seuls le droit
de dire ce qu'iuie pareille associa-
tion préseniait de singulier à cette
opinion publique, dont la repré-
sentation souveraine lui était con-
liée par un mandat étranger. M.
Bellart fut pour ia capitale au con-
seil-général du département de la
Seine , ce que M. de Pradt a dit
avoir été pour ta France au con-
seil des souverains. Il déclara aussi
dans cette assemblée que le vœu
»les habitans de Paris était pour
le rappel delà maison de Bourbon.
Tel n'était pas encore le vœu con-
nu des souverains alliés.
Le 5 avril fut publié l'acte du
sénat, qui déclara « Napoléon
«déchu du trône,; le droit d héré-
odiié aboli dans sa famille; le
NAP
«peuple français et l'armée dé-
nués envers lui du serment de fidé-
«lité. » Ce fut en récompense de
cette déclaration que l'empereur
Alexandre prononça la remise de
tous les prisonniers frajiçais qui
étaient dans ses états. « Le gou-
ixvernement provisoire me l'avait
«déjà demandée, dit ce prince,
))je l'accorde à la résolution que
» vient de prendre le sénat. » D'au-
tres membres du sénat adhérèrent
le soir même et les jours suivans
à l'acte de la déchéance. Le len-
demain 77 membres du corps-lé-
gislatif et 5o de la cour de cassa-
tion suivirent leur exemple. Dans
les temps d'orage, pour une foule
de gens, le patriotisme c'est la
prudence, et le devoir c'est la sou-
mission. Des milliers d'exemplai-
res de l'acte de déchéance décré-
tée par le sénat furent envoyés
dans les départemens, aux corps
d'armée française et aux corps
étrangers. Due grande quantité de
courtisans civils et militaires de
Napoléon s'empressa d adhérer à
la déchéance de leur maître. Ils
pouvaient attendre au moins son
départ. Ils croyaient et aspiraient
à une autre obéissance. Mais si
tous furent appelés , peu furent
élus. Le repentir vint trop tard au
secours de leur mauvaise cons-
cience. Il répugna sans doute à la
morale politique de cette époque
de constituer un pays uniquement
sur la désertion. Les souverains
alliés, les princes de la maison de
Bourbon , le gouvernement pro-
visoire lui-même, ne pouvaient
regarder cette apostasie de cir-
constance, les uns comme une
garantie suffisante de leur triom-
phe , les autres comme un gage
NAP
certain d'une fidélité si nouvelle,
le dernier enfln comme une sanc-
tion de ses acte».
Prévenu ainsi par le comité de
défection qui occupait toutes les
avenues des souverains alliés, le
duc de Viceuce venait de se voir
enlever la cause pt;rsonnelle de
Napoléon. Mais il lui restait à
soutenir celle de la réj^ence et de la
dynastie. Toujours fidèle, et d'au-
tant moius découragé qu'il com-
battait seul, il avait été entendu,
il avait même été écouté. Il était
ainsi parvenu à assurer une sorte
de protection aux derniers inté-
rêt? qu'il s'était chargé de défen-
dre. Il avait en un mot balancé à
lui seul pendant douze heures
toute la coalition anti-impériale,
soit française, soit étrangère. II
fit plus, il regagna tout le terrain
qu'avait conquis la défection , et
remit en doute la question de
l'ancienne dynastie, que le prince
de Bénévent et tout le parti
croyaient avoir décidée. La pré-
sence de l'armée à Essonne, l'in-
certitude et l'agitation des esprits,
l'opinion qu'on avait remarquée
en France, le désir de terminer
une lutte déjà si longue, sans
courir les chances de l'opposition
intérieure que l'on prévoyait ,
l'éloignement que l'on croyait à
la nation pour un nouvel ordre
de choses, l'immense intérêt qu'a-
vaient les alliés de terminer, sans
se compromettre, dans une ba-
taille où ils seraient placés entre
Napoléon et la capitale, tous ces
motifs que le duc de Vicence avait
fait valoir avec force près de l'em-
pereur Alexandre, du roi de Prus-
se et du généralissime Schwarzen-
berg, avaient balancé la satisfac-
NAP
485
tion qu'on avait éprouvée dans
les premiers momeus, celle de se
venger de Napoléon par le rappel
des Bourbons. Les souverains al-
liés étaient donc plus qu'ébran-
lés.
Mais avant de se prononcer sur
une affaire aussi grave et aussi
compliquée dans ses chances ,
l'empereur de Russie voulut réu-
nir encore toutes les premières
notabilités de Paris, dans U'- senti-
ment de présider un grand con-
seil de famille, où seraient portés
et di.-icutés les intérêts de la Fran-
ce par rapport à elle et par rapport
à l'Europe. Dans celte réunion,
le prince fit de la véritable pnliti-
que. Il dit que chacun devait met-
tre de côté ses intérêts et ses pas-
sions, comnie lui et ses alliés dé-
pouillaient toutespritde vengean-
ce.Il n'avait pour but (jue le bon-
heur de la France, parce qu'il y
voyait l'assurance delà tranquillité
de l'Europe. « Il faut donc décider,
» dit-il, quel est le gowvernement
»qui convient à la France, pour
«remplir ces deux objets. » La dis-
cussion entamée dans l'esprit de mo-
dération dont l'empereur Alexan-
dre venait de donner l'exemple,
fut suivie en toute liberté, et la
balance des opinions étrangères
était pour la régence. Le lieute-
nant-général Dessoles , nommé
par le gouvernement provisoire
au commandement de la garde
nationale parisienne, dont il n'a-
vait pas encore exercé les fonc-
tions, faisait partie du conseil.
Effrayé de la marche que pre-
naient les opinions et de l'inûuen-
ce qu'ellesdevaientavoir surl'em-
pereur , le général Dessoles dé-
tourna habilement l'impressiou
486
NAP
que ce piii)ce venait de recevoir
en appliquant la question de la
France à sa situation personnelle.
« Il avait, dit-il, combattu vingt
»ans, non les Bourbons, mais l'é-
" tranger. Quand Napoléor» se mit
» à la tête des affaires, la France
«était non-seulement délivrée,
«mais agrandie. Mais l'fsprit de
»conqu«"^tes , auquel s'abandonna
«l'usurpateur des libertés de la
"France, mettant chaque jour en
» péril l'indépendance delà patrie,
))il avait cru devoir se retirer et
»ne plus continuer de servir une
«cause qui n'était plus celle de
"la France, mais qui était deve-
»nue celle d'un seul homme. Les
» calamités actuelles ne justifiè-
urentque tro[> bien sa conduite
«comme citoyen. Dans l'abîine
»où Napoléon venait de se préci-
«piter lui et le peuple français,
»il ne lui restait plus qu'ini asile,
«celui de la famille royale. Les
))maux de la révolution et ceux
»de l'empire disparaîtraient à-la-
» fois sous cette égide naturelle.
T> L'Europe y trouverait sa tran-
>>quillité, comme la France son
» salut. »
L'émotion du général Dessoles
devint plus vive, et s'adressant à
l'empereur Alexandre :«Sire, je
»suis, dit-il avec force, sans pas-
Msions, sans intérêts, sans ambi-
Dtion aucune. Je n'ai pris part à
»la restauration, je n'ai accej^té
»le poste que j'occupe, que sur
.)la foi de V. M. L, qui a daigné
«plusieurs fois me renouveler
nlasèurance que la déclaration
wdu 3i mars auraitson plein effet.
» C'est dans cette confiance seule
)>que moi, que ma famille, que
;)me« qrais, qu'une foule de ci-
NAP
»toyens, que des officiers-géné-
«rauxse sont engagés dans la cau-
»se de la restauration. Si V. M. L
»a d'autres intentions, je la supplie
» de faire donner des passeports à
«tous ceux qui , comme moi, se
» sont hautement prononc'es contre
»le gouverne;nent de Napoléon.
«Pour eux et pour moi, sire, je
» vous demande un asile, où nous
«soyons à l'abri des vengeances
» de Napoléon et des maux innom-
abrables qui vont retomber sur la
» France. »
L'empereur Alexandre fut en-
traîné par les paroles, par l'émo-
tion du général Dessoles , et la
déclaration du 3i mars reprit tout
son empire. Ainsi fut perdue la
cause personnelle de Napoléon.
L'empereur remonta dans ses ap-
partemens, reçut le duc de Vicen-
ce, et lui déclara que Napoléon
devait abdiquer. Le duc de Vicen-
ce repartit de suite pour Fontai-
nebleau,et rendit compte à Napo-
léon, pendant la nuit, de la déci-
sion fatale dont il était porteur.
Napoléon voulait qu'il retournât
de suite à Paiis pour conjurer un
nouvel orage, mais le duc de
Vicence s'y refusa, si S. M. ne
voulait pas lui adjoindre deux
plénipotentiaires, qui, par leur
influence personnelle, donneraient
des représentans aux intérêts de
la France et à ceux de l'armée, et
du poids aux vœux que cette ar-
mée, encore menaçante pour les
aIliés,formait hautement pour lui.
Napoléon y consentit, et le len-
demain matin, il nomma les ma~
réchaux Ney et iMarmont. Cepen-
dant au moment où il allait faire
expédier les pouvoirs du maré-
chal Marmont, qui commandait
les troupes entre Essonne et Pa-
ris, le maréchal Macdonald arriva
de Saint-Dizier avec son corps
d'armée. Entraîné par sa desti-
née, l'empereur, frappé tout-à-
ooupde l'importance du comman-
dement d'Essonne, qui était le
point de contact entre Paris et
l'armée, dit au duc de Vicence :
« C'est là que s'adresseront îou-
»tes les intrigues, toutes les tra-
shisons de Pari>. Il faut que j'aie
«à ce poste un homme comme
niVlarmont, mon enfant, élevé
»dans ma tente. » Et il nomma à
sa place le maréchal MacuionaUl.
Il fallut s'occuper de l'acte d'ab-
dication. 11 y eut discussion mi-
nutieuse sur sa forme. Napoléon
faisait toutes les difllcultés. Enfin,
après bien des hésitations, il se
décida à signer la déclaration sui-
vante :
« Les puissances alliées ayan t
«proclamé que l'empereur Napo-
wléon était le seul obstacle au ré-
«tablissemcnt de la paix en Eu-
HTope, l'empereur Napoléon, û-
»dèle à son serment, déclare qu'il
nest prêt à descendre du trône, à
» quitter la Fiance, et même la vie,
«pour le bien de sa patrie, insé-
nparable des droits de son fils, de
I ceux de la régence de l'impéra-
»trice et du maintien des lois de
«l'empire. Fait en notre palais de
«Fontainebleau, le 4 avril i8i4-«
INapolÉon.
Cependant une toute autre pen-
sée que la négociation dominait
Napoléon. A la tête de 4'^''>0'^
hommes, il avait rejeté l'ultima-
tum de Chraillon ; avec 5o,ooo,
l'empereur des champs de batail-
le voudrait-il abdiquer sa pourpre
T. XIV.
NAP 487
toute militaire? Et il dit au duc de
Vicence :« Pendant que vous nô-
>• gocierez à Paris, je leur tombe-
orai dessus avec mes braves. Je
«pars demain, « — En eiïet, dès le
1*^' avril, le lendemain de son ar-
rivée à Fontainebleau, Napoléon
n'avait pas perdu un seul moment
pour la réorganisation de l'armée,
et le jour suivant avait été em-
ployé à la discussion d'un nou-
veau plan de campagne. La ques-
tion était, ou de manœuvrer au-
tour de Paris, ou de se retirer sur
la Loire, et le premier avis pré-
valut, quoique dans le conseil l'au-
tre eût obtenu une grande majo-
rité. Le voisinage de Paris était
devenu contastieux pour Napo-
léon, et il comptait trop sur sa
population. Le 5, jour du retour
de M. de Vicei>ce, porteur de la
déclaration i]ei alliés, jour de l'ac-
te du sénat pour la déchéance ,
Napoléon avait passé la revue de
sa garde, et lui avait dit : « Soldats,
«l'ennemi nous a dérobé trois
«marches, et s'est rendu maître
«de Paris. Il faut l'en chasser. D'in-
» dignes Français, des émigrés
«auxquels nous avions pardonné,
sont arboré la cocarde blanche et
»se sont joints à nos ennemis. Les
n lâches ! ils recevront le prix de
«ce nouvel attentat. Jurons de
» vaincre ou de mourir, et de fai-
«rc respecter celle cocarde trico-
• lore qui depuis vingt ans nous
a trouve dans le chemin de la gloi-
are et de l'honneiir. «Ce serment
avait été prononcé par la garde
avec acclamations. Toute la soirée
les suidais dansèrent des farando-
les^ et criaient vice f empereur \
alloua à Paris. Les têtes s'étaient
488
NAP
échauffées au point que les dis-
positions guejfières des soldats
donnèrent de l'inquiétude à Na-
poléon i'ui-n!cme,qui fit cesser ce
tumulte. Mais toujours plein de
son projet de marcher sur Paiis,
il avait dési|^iié son quartier-gé-
néral il JJoulignon , au lieu de
Ponlhierry. Cependant dans cette
journée même, la nouvelle de la
déchéance qui venait d'être pro-
noncée par le sénat, celle de l'ab-
dication demandée par les alliés,
tous les actes de Paris , tous les
journaux, tous les pamphlets ré-
pandus dans la capitale, étaient
oflicieusemcnt colportés par les
émissaires du gouvernement pro-
visoire et par les amis des hôtes
du palais de Fontainebleau. C'é-
tait par Essonne, que toutes ces
nouvelles avaient pénétré dans
rintérieur de Nafioléon, et sous
les tentes de ta fidèle armée; mais
si la déchéance était an moins
disculée dans le palais, au camp
elleétait hiutemcnt rejetée, et les
acclamations menaçantes de la
garde avaient suffisamment prou-
vé l'esprit du soldat. Quant aux
chefs de l'armée, il s'en trouvait
qui paraissaient regarder la ques-
tion de l'abdication comme un
asile, au moins pour la patrie, et
ils étaient disposés à l'aborder à
la première occasion avec l'em-
pereur.
Le 4 avril, porteurs de la dé-
claration que Napoléon venait de
si(j,ner, les trois plénipotentiaires
se mettent en route pour Paris.
Le mouvement avait été ordonné
aux troupes, et la garde impéria-
le s'était ébranlée pour occuper
le nouveau quartier-'général que
Napoléon avait choisi. Les nou-
NAP
veaux plénipotentiaires arrivés à
Essonne, descendent chez le ma-
réchal Marmont, à qui ils avaient
ordre de confier la nature de leur
mission. Ils devaient y attendre
aussi, pouraller plus avaiit, l'auto-
risation du général ennemi qu'on
avait fait prévenir de leur arri-
vée. Le maréchal les retint à dî-
ner; resté avec les deux maré-
chaux, il leur confie qu'il est en
traité avec le prince de Schivar-
zenberg. C'est la convention qui
est connue sous le nom de con-
vention de Chevilly. Le duc de
Vicence reçoit un instant après
cette confidence du maréchal
Macdonald, qui partage toute son
indignation. La conversation de-
venue alors générale, le maréchal
Marmont est ébranlé de la puis-
sance des sentimens qui condjat-
tenl vivement sa conduite. Il leur
répète encore q»ie rien n'est signé
par lui, et qu'il va rompre avec
le prince Schwarzenberg. Les plé-
nipolentiaires, dans la persuasitui
que toute celte affaire ne repose
que sur Marmont, lui proposent
ou d'aller à Fontainebleau tout
avouer à l'empereur, ou d'aller
avec eux tout dénouer avec
Schwarzenberg. Ce généralissime
s'était rendu à Chevilly, à une
lieue d'Essonne , pour suivre la
négociation du maréchal Mar-
mont. Marmont se décide pour le
dernier parti. Avant de mouler en
voiture, il déclare à ses géné-
raux que l'arrangement avec le
prince généralissime doit être re-
gardé comme nul , qu'ils aient à
garder leurs positions, et qu'il ne
lardera pas à revenir. Il ajout«
qu'il ne séparait point sa cause <1«
celle de l'armée, et il partit avec
NAP
les trois plénipotentiaires pour se
rendre à Chevilîy. Arrivés an chû-
teau. les trois plénipolenliaires
entrèrentchezleprincede Schwar-
zenberg, et le maréchal i^lnrraont
resta dans la voiture, préférant ne
Toir le généralissime qn'aprè? la
Tisite des plénipotentiaires. Le
maréch.'l MacdonaKl ayant appris
que le prince royal de Wurtem-
berg était malade dans le château,
monte chez lui. Le prince lui dé-
clare que la convention faite par
Marmont était réelle, et aurait son
exécution. Le maréchal Mucdo-
nald quitta le prince, et alla à la
Toiture où il avait laissé le maié-
chal Marmont pour le faire expli-
quer de nouveau. Mais il ne le
trouva plus : le maréchal était chez
le prince de Schwarzenberg. Le
maréchal Macdonald raconta alors
au duc de Vicence ce que le prin-
ce de Wurtemberg lui avait allir-
mé. Un moment après, le maré-
chal Marmont entra dansle salon,
où il fut suivi presque immédia-
tement par le généralissime; il
essuya de vifs reproches du ma-
réchal Macdonald, balbutia, allé-
gua l'embarras de s'expliquer de-
vant tant de persoimes, et assura
qu'il avait rempli sa promesse. Le
prince de Schwarzeuberg se tint
dans une mesure que lui prescri-
raient la délicatesse de sa posi-
tion , et les difficultés de celle du
maréchal Marmont, dont il ne dé-
mentit aucune des paroles. Enfin
l'autorisation d'arriver à Paris é-
tant venue , les plénipotentiaires
se mirent en route. Le maréchal
Marmont les suivit à Paris, pour
répéter, dit- il, la même décla-
ration à l'empereur Alexandre^ la
négociation avec Schwarzenbcrg é-
KAP
489
tant connue de sa majesté impé-
riale.
A une heure du matin ils furent
admis chez l'empereur, qui les re-
çut avec bienveillance. Ils repro-
duisirent avec force les premier»
argumens du duc de Vicence re-
latifs ù la déclaration du 5i mars.
«La régence, dirent-ils, n'avait
«point eu de défenseurs, elle avait
»cté jugée et condamnée par dé-
»fant. n L'empereur Alexandre,
loin d'éconduire leurs prétentions,
écouta avec intérêt la lecture de
différens articles rédigés d'avance
à Fontainebleau, que lui fit le duc
de Vicence. Il les discuta même
«ans beaucoup d'observations; ain-
si fortifiés qu'ils étaient d'ailleurs
par la parole donnée par le maré-
chal Marmont de renoncer à la
négoci tion de Chevilîy, les plé-
nipotentiaires de Napoléon ne pu-
re.'it qu'augurer favorablement de
l'impressiiui qu'ils avaient repro-
duite et des dispositions qu'r»n
leur montrait. L'empereur de
Russie les congédia et les ajour-
na à midi. 11 était deux heures
du matin.
A 1 1 heureset demie, les pléni-
potentiaires finissaient de déjeu-
ner chez le maréchal Ney et se
disposaient à se rendi'e chez l'em-
pereur Alexandre, lorsqu'on an-
nonça le maréchal Marmont. Ils
étaient tous pleins d'espérance, en
raison de l'accueil qu'ils avaient
reçu lu nuit, quand le nraréclial
Marmont fut averti que son aide-
de-camp, le colonel Fabvier, le
demandait. Il sortit, et rentra ci!)q
minutes après , pûle comme Id
mort.
« L-e général qui commande en
«mon absçace, dil-ij^ a enlevé
49«
INAP
«rnoii corps d'armée. Fabvier est
» venu en lonlc hâte... » Et Fab-
vier fut artpeîé, qui rendit comp-
te de ce <pii s'était passé. Il fallait
aviser aux moyens de tout répa-
rer, sans cela tout était perdu.
Le maréchal Marmont dit qu'il
allait ramener ses troupes, ce qui
était impossible, puisqu'elles é-
taient d«^puis la poiiUe du jour
dans les lignes des ennemis.
Quoique les plénipotentiaires
ne se fissent pas illusion, ils en-
couragèrent le maréchal à faire
tout ce qu'il croirait devoir faire
pour tenir la parole donnée à
llssonne, renouvelée ù Chevilly, à
Paris, et le nouvel engagement
qu'il venait de prendre avec eux.
L'heure était déjà passée, ils n'a-
vaient pas un moment à perdre
pour se rendre chez l'empereur
Alexandre. Ils y arrivèrent avec
ime inquiétude cruellequ'ils cher-
chèrent à surmonter. Ce souve-
rain les reçut aussi bien que la
nuit précédente, et la conversa-
tion avait re})ris un cours favora-
ble , quand un officier entra et
parla en russe à l'empereur A-
lexaudre. Le duc de Vicence com-
prit ce que dit cet oflicier : A'^ou*
sonivws perdasy dit-il tout bas à
Macdonald, l'empereur sait que le
corps a passe. Ce prince sortit un
moment, piiis rentra. Mais la dis-
cussion des articles qui avaient été
presque approuvés dans la confé-
rence de ianuit, ayant été reprise,
donna lieu dv. la part de l'empe-
reur à une foule d'objections. La
défection du i" corps avait tout
changé.
La fln de cette conférence fut
ajournée à quelques heures. —
« Messieurs , dit l'empereur aux
NAP
» plénipotentiaires, vous faites son-
» ner bien haut la volonté de l'ar-
»mée, et vous n'ignorez pas quu
))le corps du duc de Raguse a pas-
»sé de notre côté; d'autres sont
«encore dansla même disposition.
))0n est las delà guerre. L'eni-
n pereur Napoléon n'a point voulu
»la paix. Chacim sait qu'il n'y a
» point de repos à espérer avec lui.
«Le sénat a prononcé, les souve-
«rains ont déclaré qu'ils ne vou-
» huent plus traiter avec lui. L'ar-
»mée ne peut s'obstinera garder
»un chef qui n'a pas voulu sacri-
«fier sa passion pour la guerre au
»bien de sa patrie. Nous ne vou-
wlons que le bonheur de la France;
>>peu nous importe son gouverne-
» ment, s'il la rend heureuse. Nous
«ne voulons aujourd'hui que ce
«que le vœu national a déjà pro-
» clamé. Il repousse la régence
«comine il a repoussé l'empereur
M Napoléon. Je vous déclare donc
• que nous ne pouvons admettie
«que son abdication absolue. A
«cette condition seule, vous pou-
» vez regarder la paix comme faite.
«Nous nous engageons à faire as-
«surcr à l'empereur Napoléon une
«existence indépendante et con-
» venable sous tous les rapports. «
L'empereur Alexandre représen-
ta encore qu'avec Napoléon l'in-
térêt des peuples prescrirait aux
souverains d'exiger de la Fran-
ce des sacrifices considérables, des
places fortes, et en un mot de
telles garanties que l'Europe pOt
être pleinement rassurée sur sa
tranquillité future, tandis qu'a-
vec le gouvernement que l'on
proposait les conditions seraient
beaucoup plus UYanlageuse& à lu
France»
NAP
Les plénipolcnliaires se récriè-
rcnl vainement contre cotte étran-
ge déteiuiinalion,5i dilTérenle des
espérances qu'on leur avait don-
nées. Ils repoussèrent avec indi-
gnation la conséquence que tirait
l'empereur Alexandre de ladélec-
tiou du corps de Marmont, en di-
sant qu'elle serait suivie par d'au-
tres Tout fut inutile. Ils du-
rent se résigner à retournera Fon-
tainebleau pour porter à l'empe-
reur Napoléon la nouvelle déci-
sion des souverains.
Voici ce qui s'était passé après
le départ des trois [dénipolenliai-
res. La pensée de la renonciation
que Napoléon avait signée en la-
veur de son fils lui revint à l'es-
prit, non plus comme un sacrifice
qu'il venait de faire généreuse-
ment à la tranquillité de la Fran-
ce , mais connue une démarche
que sa haute raison frappait de
nullité. « On a voidu, dit-il, me
«faire abdiquer en faveur du roi
»de Rome. Je l'ai fait. Cependant
flce n'e^t pas linterêt de la Fran-
«ce. Mon ûls est un enfant, ma
» femme n'entend rien aux alîaires.
"Vous auriez donc Uîie régence au-
«trichienne pendant 12 ou i5ans,
y> et vous verriez .M. de Scliwarzen-
»berg vice-empereur des Fran-
wçais. Cela ne peut vous conve-
nnir. D'ailleurs il faut raisonner.
«Quand même cela entrerait dans
«les vues de VXulrlche, croit-on
r>rjue les autres puissances consen-
» tcnl Jamais à ce que mon. fils rè-
ngne tant ijiirje vivrai? Non certai-
nncmctil, car elles auraient trop
«peur que j'arrachasse le timon
»des affaires des mains de ma fem-
» me. Aussi je n'attends rien de bon
» de la démarche des maréchaux, s
NAP
49»
Napoléon disaitùFonlainebleau
ce que le prince de Bénévent di-
sait à Paris:Napoléon voj'ait mieux
que personne toute sa position; et
ces réflexions, profondément gra-
vées dans son esprit, ne le por-
taient qu'à tenter encore le sort
des armes. Mais avant de se por-
ter lui-même sur Essonne, le len-
demain 5, avec le gros de l'ar-
mée, il envoya dans l'après-midi
son premier oflicier d'ordonnance,
le colonel Gourgaud, à Essonne,
pour inviter à dîner le maréchal
Marmont, le génér.d Sonham et
le duc de Trévise. Il voulait cau-
ser avec eux sur les opérations
qu'il projetait.
Le colonel Gourgaud ne trouva
plus le maréchal Marmont, qui
était parti pour Paris avec les
plénipotentiaires, et ne put trou-
ver le général Souham, qui pour-
tant était à Essonne. Cette invita-
tion de Napoléon aurait- elle fait
croire à ce général que l'empereur
était instruit du traité de Chevil-
ly, et qu'il le faisait appeler avec
le maréchal Marmont pour liriM-
d'eux une vengeance éclatante?
En vertu des ordres, ou (s'il faut
en croire le maréchal Marmo:.l)
malgré les ordres si précis quil
avait donnés en présence des trois
plénipotentiaires , le général qui
commandait en l'absence du m;»-
réchal s'était mis en marche à la
pointe du jour, pour s'approcher
du camp ennemi, et le premier
corps passait sous les Fourches-
Caudines, escorté comme un pri-
sonnier par deux régimens de ca-
valerie bavaroise. Les généraux
de division Caslel et Lucotte
n'avaient point eu la confidence
du maréchal, «t ne furent pas a-
493 NAP
vei lis par leurs collègues du mon-
Tfcment qui leur enlevait leurs
troupes. Ainsi le corps de i>lar-
niont, chose nouvelle, admis à
désertion par les avant-postes é-
Irangers, traversa les cantonne-
mens de toutes les nations devant
lesquelles depuis Essonne jusqu'à
Versailles, il dut contraindre son
indignation. Car, à la vue de l'es-
corte bavaroise, les officiers et les
soldats qui étaient partis avec joie
daus l'espoir qu'on leur lai sait
opérer un mouvement pour atta-
quer le flanc droit de l'ennemi,
connurent qu'ils étaient livrés.
Des murmures sinistres parcou-
rurent tous les rangs; quelques
clameurs menaçâmes avertirent
énergiqiiement les génér.iux des
sentimens qui agitaient leurs trou-
pes. Enlio, arrivées à Versailles,
l'explosion eut lieu; elles se sou-
levèrent tumultueusement contre
les chefs qui les avaient enlevées
à ?vapoléon. Les généraux n'eu-
rent que le temps de se dérober à
la vengeance du soldat, ils lui é-
chappèrent au milieu des coups de
fusil. Le lendemain l'indignation
des soldats de Alarment se renou-
vela d'une manière encore plus
alarmante : ils ne poussèrent
qu'un cri, celui de retourner vers
jSapoléon, et de venger son inju-
re et leur honneur. Ils se rassem-
blèrent en armes auprès de l'O-
rangerie, et ils voulaietit, en se
r*îportant sur Essonne, passer sur
le ventre des légions étrangères,
à qui leurs généraux avaient con-
fié le succès de la défection. Le
bruit de cette insurrection mili-
taire vint à Paris, où le gouver-
nement provisoire et les souvc-
NAÇ
rain, étrangers surent apprécier
tout le péiil d'une semblable ré-
solution. Alors le maréchal Mar-
mont, faute sans doute de pouvoir
remplir la mission dont il s'était
chargé envers les plénipotentiai-
res po<ir le retour de ses trou-
pes à Fontainebleau, dut rem-
plir par ordre du gouvernement
provisoire et des souverains alliés,
celle de remettre sous le joug é-
tranger les troupes dont il avait
l'avant-veille hautement contre-
iriandé la défection. Le maréchal
Warmont arriva, mais, n'osant
leur parler, il mit à l'ordre du
jour une proclamation on il leur
dit : 11 Vous êtes les soldats de la
«patrie. Ainsi c'est l'opinion pu-
wbiique que vous devez suivre,
)>et c'est elle qui m'a ordonné de
«vous arracher à des dangers dé-
» sonnais inutiles, pour conserver
«votre noble sang, que vous sau-
» rez répandre encore , lorsque la
» voix de la patrie et de l'intérêt
«public réclamera vos efforts »
Ces paroles ne forent paséloquen-
tes pour le soldat, mais elles le
sont pour l'histoire, àqui il ne reste
presque plus aucun doute sur les
moyens qui décidèrent le maré-
chal au traité de Chevilly, ni sur
la véracité de ce que le prince de
Wurtemberg y alfirina au maré-
chal iMacdonald, Ainsi la course
de Chevilly, faite par les plénipo-
tentiaires de Napoléon conjointe-
ment avec le maréchal MarmoTit,
ne dut leur paraître qu'une cruel-
le mystification. Il tant rendre à
chacun ce qui lui appartient : au
gouvernement provisoire, aux al-
liés doit être attribuée l'idée de la
négociation avec le maréchal; au
J
NAP
marécijal appartient le trailé; au
premier divisionnaire, commaii-
dant par intérim, l'initiative de son
exécution.
A la lecture de cette proclama-
tion, les odîciers arrachèrent leurs
épaulcttes et brisèrent leurs épées;
les soldats se trouvant sans chefs ,
pour les ramener à l'empereur,
durent subir la loi de la nécessité
et se laissèrent conduire à Mantes.
Que serait-il arrivé cependant si,
comme le générai Souham pou-
vait s'y attendre, d'après imues
les lois de la guerre, le oournan-
dant dos avant-postes ennemis, qui
n'avait point de pouvf)irs définitifs
et spéciaux du généralissime prin-
ce de Schwarzenberg, eût refusé
le passage aux Iroup^-s de Mar-
moul? Cette circonstance singu-
lière manque aux aventures si é-
tranges de cette époque. Aussitôt
le départ du corps de .Uarmonf,
un autre otlicier, envoyé par Na-
poléon à trois heures du matin, au
général ^Souham, q.i'il ne voyait
point arriver, revint lui porter
cette terrible nouvelle. Ainsi,
Fontainebleau était à découvert
aux yeux de l'étranger : l'hon-
neur de l'armée n'était plus intact,
et tout espoir était perdu , jusqu'à
celui qui n'avait jamais manqué,
l'espoir dans les armes. Napoléon
se lait, il ne veut pas croire que
Marmout, son élève, son ami, son
enfant, son j)rolégé «L'ingrat,
"s'ficric-t-il avec force, il sera plus
»malheuroux que moi!» Cepen-
dant il ordonne au général Bel-
liard de faire couvrir Fontaine-
bleau pur quelques escadrons. Ce
général partit à l'instant, mais ar-
rivé ^ Essonne, il y trouva le duc
NAP
'ï9^
de Trévise, qui y avait pourvu.
Ce malheur, tout nouveau pour
Napoléon, le touche de trop près,
etson âme est depuis quelques jours
oppressée sous le poids de trop de
chagrins, pour qu'il ne ressente
pas Timpérieui besoin de lui don-
ner un confident, digne de toute
sa douleur. Ce confident ne pou-
vait être que l'armée de Fontai-
nebleau. Voici comme il lui parle
dans l'ordre du jour du 5 avril :
« L'empereur remercie l'armée
o pour rattachement (fu'elle lui té-
«moigoe, et principalemnt parce
«qu'elle reconnaît que la France
» est en lui et non dans le peuple
» de sa capitale. Le soldat suit là
«fortune et l'infortune de son gé-
» néral, son honneur est sa reli-
ft gion. Le <luc de Raguse n'a pas
«inspiré ces sentimens à ses corn-
«pagnons d'araies : il est passé
«aux alliés. L'empereur ne peut
«a^iprouver la condition sous la-
«qu'-'lle il a fait cette dJmar-
»che : il ne peut accepter la vie
«ni la liberté de la merci d'un
«sujet. »
La convention du maréchal Mar-
mout avec le prince de Scliwar-
zenberg, portait, article 2 : « Si les
«événemens de !a guerre faisaient
» tomber entre les mains des puis-
» sauces alliées, la personne de Na-
• poléon Bonaparte, sa vie et sa li-
"berté lui seront garanties, dans
»uu espace de terrain et dans nu
«pays circonscrit, au choix des
«puissances alliées et du gouver-
•) nctneutlVarîçais.» L'aide-de-camp
lAlarmont, mesurer la terre où sou
général doit être captif!... un es-
pace de terrain!... C'n cachot of-
fre aussi un espace de terrain.
Wi
NAI»
L'empereui" continue ainsi dans
C€t ordre du jour, où Ja vérité de
sa position, quelque cruelle qu'elle
lût, est présentée avec une uio-
déralion qui ferait honneur aux
plus grands caractères.
<'Le sénat s'est pernriis de dis-
» poser du gouvernement français.
»ll a oublié qu'il doit à l'enipe-
»reur le pouvoir dont il abuse
» maintenant; que c'est lui qui a
» sauvé une partie de ses membres
»de l'orage de la révolution, tiré
i)de l'obscurité et protégé l'autre
"Contre la haine de la nation. Le
«sénat se fonde sur les articles de
«la constitution pour la renverser.
»Il ne rougit pas de faire des re-
» proches à l'empereur, sans re-
» marquer que, comme le pren)ier
«corps de l'état, il a pris part à
»tous les événemens; il a été si
«loin, qu'il a osé accuser l'empe-
itreur d'avoir changé des actes
«dans la publication. Le monde en-
);tier sait qu'il n'avait pas besoin
» de tels artifices : un signe était un
«ordre pour le sénat, qui toujours
» faisait plus qu'on ne désirait de
«lui. L'empereur a été toujours
«accessible aux sages remontran-
»ces de ses ministres, et il atten-
.>dait d'eux, dans cette circonstan-
»ce, une juslilication la plus in-
«définie des mesures qu'il avait
«prises. Si l'enthousiasme s'est
•> mêlé dans les adresses et dis-
•) cours publics, alors l'empereur a
«clé trompé. iMaisceuxqui ont tc-
» nu ce langage, doivent s'attribuer
»à eux mêmes la suite funeste de
» leurs {laiteries. Le sénat ne rou-
«git pas de parler des libelles pu-
«bliés contre lesgouvernemcns
«étrangers : il oublie qu'ils furent
NAP
') rédigés dans son sein. Si long-
» tenips que la fortune s'est montrée
«fidèle cl leur souverain, ces born-
âmes sont restés fidèles, et nulle
«plainte n'a été entendue sur les
«abus du pouvoir. Si l'empereur a-
» vait méprisé ces hommes comme
» on le lui a reproché, alors le mon-
» de reconnaîtrait aujourd'hui qu'il
» a eu des raisons qui motivent son
«mépris. Il tenait sa dignité de
«Dieu et de la nation : eux seuls
«pouvaient l'en priver. Il l'a tou-
» jours considérée comme un far-
»deau, et lorsqu'il l'accepta, c'é-
»tait dans ia C(Hiviction que lui
«seul était à même de la porter
«dignement. Aujourd'hui que la
«fortune s'est décidée contre lui,
» la volonté de la nation seule pour-
«rait le persuader de rester plus
«long-temps sur le trône. S'il se
» doit considérer comme le seul obs-
«tacle à la paix, il fait ce di;rnier
«sacrifice à la France. Il a en con-
» séquence envoyé le prince de la
«Moskowa, les ducs de Vicence
«et de Tarente, à Paris pour cn-
« tamer les négociations. L'armée
» peut être certaine que son bon-
»heur ne sera jamais en contra-
» diction avec le bonheur de la
«France.»
La régence et le gouvernement
s'étaient établis à Blois. Ce fut de
cette ville que, le 3 avril, l'impé-
ratrice régente fit publier la pro-
clamation suivante :
« Français,
-> Les événemens de la guerre
«ont mis la capitale au pouvoir
«de l'étranger. L'empereur, ac-
» couru pour la défendre, est à lu
«tête de ses armées si souvent vic-
» torieuse*. Llles sont en présence
NAP
»de rennemi, sous les murs de
«Paris. C'est de la résidence que
»)'ai choisie et des ministres de
"l'empereur, qu'émanent les seuls
• ordres que vous puissiez recon-
•) naître. Toute ville au pouvoir de
• l'ennemi cesse d'être libre : tou-
»te direction qui en émane est le
«langage de l'étranger, ou celui
«qu'il convient à ses vues hostiles
a de propager. Vous serez fidèles
))àvos sermens; vous écouterez
»la voix d'une princesse qui fut
» remise à votre loi, qui fait sa
• gloire d'être princesse, d'être as-
usociée aux destinées du souve-
»rain que vous avez choisi. Mon
»fils était moins sûr de vos cœurs
»au temps de vos prospérités : ses
» droits et sa personne sont sous vo-
atre sauve garde. » Cette procla-
mation fut inconnue à Paris, où
elle ne fut colportée que secrète-
ment. Elle était datée de Blois,
mais elle portait le cachet de Fon-
tainebleau.
Ainsi, par la défection du corps
du maréchal Marmont, Napoléon
se trouvait a la discrétion des sou-
verains alliés, et l'armée , livrée
par quelques généraux , perdait
le lien , encore redoutable aux
ennemis de la France, d'une fidé-
lité compacte et jusqu'alors à tou-
te épreuve, envers son plus grand
capitaine. C'était ce double but
que les alliés avaient voulu attein-
dre, ainsi que le gouvernement
provisoire, pour ne pas risquer la
bataille du désespoir contre 5o,ooo
soldats de Napoléon, combattant
pour lui et avec lui, sous les yeux
d'une population de 7 à 800 mille
habitais, que la prise de leur ville
et la haine des étrangers eussent
NAP
49'>
peut-être armés à l'aspect de l'em-
pereur. A présent Fontainebleau
n'est plus une position militaire,
et Napoléon, qui ne peut plus in-
voquer hautement la garantie de
l'armée française, n'a plus de voix
au tribunal européen, qui le juge
dans la capitale envahie. Il ne lui
reste plus qu'un seul acte politi-
que à remplir : c'est celui de pro-
noncer la déchéance de son fils et
celle de sa famille. Telle e>t la dé-
claration que la défection du corps
de Marmont décida tout-à-coup
l'empereur de Russie à faire aux
plénipotentiaires de Napoléon, à
la seconde conférence du 6 avril.
Le ëoir même, les plénipoten-
tiaires, de retour à Fontainebleau,
rendent compte à Napoléon de
tout ce qui s'est passé dans cette
fatale journée. L'empereur ne ré-
pond rien et les congédie promp-
tement. Mais il fait rappeler le duc
de Vicence, et, après une longue
conversation sur les événemens,
sur les funestes conséquences de la
perte du corps de Marmont, sur l'ef-
fet qu'elle produisait déjà sur plu-
sieurs chefs à Fontainebleau, em-
brassant toute la questiou avec la
rapidité et la sûreté accoutumée
de son jugement, il lui déclara ne
pas vouloir exposer la France aux
horreurs de la guerre civile , lui
dit qu'il était décidé à abdiquer,
mais qu'il lui recommandait le
secret sur cette détermination, et
enfin, qu'il voulait voir les maré-
chaux afin de sonder leurs dispo-
sitions... Il fit en effet appeler le
maréchal Ney, avec lequel il eut
cette nuit un long entretien.
On a vu que l'esprit de défec-
tion s'était établi parmi les chcts
49«
NAl»
de l'arince de Fontainebleau, déjà,
à la nouvelle de l'abdication con-
ditionnelle : la régence n'oflVait
plus d'avantages à ceux qui ne
s'étaient donnés qu'à la personne
de Napoléon , et l'intérêt de sa
cause disparaissait chaque jour
devant les intérêts privés. Cette
journée du 6 avril vit sortir du
gouvernement provisoire, accep-
ter par le sénat après de légers
amendemens, signer par les sou-
verains, imprimer, proclamer et
insérer au bulletin des lois, la cons-
titution française. Cet acte appe-
lait librement « au trône Louis-
» Sïanislas-Xavikr de France, et
«après lui les membres de sa fa-
» mille. La constitution devait être
rt soumise à l'acceptation du peuple
M français. Louis devait être pro-
» clamé roi de France après son
«serment. » Le sénat ne s'était pas
ou n'avait pas été oublié. Une dis-
position faisait « des sénateurs
«actuels le fonds du sénat consti-
»lutionnel, attachait à leurs litres
«des majorats formels avec la do-
station de l'ancien ou des sénato-
» reries, avec transmission hérédi-
» taire à leurs fds aînés. » Le dé-
sintéressement des sénateuis de-
vint l'ordre du jour des journaux,
des pamphlets et des conversa-
tions. Au lieu d'usufruitiers, ils se
faisaient propriétaires. C'était im-
mobiliser un traitement viager et
en fiiire un patrimoine. Le sénat
fut jugé et condamné par l'opi-
nion comme il avait été jugé et
condamné [)ar l'alloculion de Na-
poléon à sa garde. Ce scandale
constitutionnel devait à lui seul
laire rejeter la conslittition du
gouvernement provisoire. La
constitution s'appela le marché
NAP
du sénat , et les sénateurs fui'cnt
nommés les maltôtiers de la patrie.
Le 7 avril. Napoléon annonça
lui-même la nouvelle mission de
ses plénipotentiaires et le parti
qu'il avait pris de signer son abdi-
cation absolue. Malgré cette dé-
claration authentique, et comme
s'il eût été encore souverain , il
ordonna la revue des 2"°' et 7°"
corps. Le maréchal Oudinot reçut
cet ordre avec une surprise qui
frappa Napoléon. La revue eut
lieu, et les acclamations des sol-
dats prou valent à l'empereur la con-
tinuation des senlimens qui les ani-
maient. Toujours plein de sa pen-
sée dominante, à laquelle l'encou-
rageait encore l'enthousiasme non
équivoque des soldats , il dit au
maréchal Oudinot : « Puis - je
» compter sur votre corps -d'ar-
»mée? — Non, sire, répondit le
» maréchal , votre Majesté a abdi-
«qué. — Oui, mais sous condi-
»tion. — Il est vrai, sire, mais le
«soldat ne connaît point les res-
«trictions. — Eh bien, maréchal!
» attendons les nouvelles de Paris. »
Après la revue, Napoléon avait
été reconduit dans ses apparte-
mens par les maréchaux Berthier,
Ney, Lefebvre, Oudinot, Macdo-
nald : les ducs de Vicence , de
Bassano , le grand-maréchal Ber-
trand, s'y trouvaient aussi. L'eui-
f>ereur engage la conversation sur
es affaires, sur sa position faible-
ment, mais fortement sur celle de
la France, de l'armée, et traite
celte haute question avec un dé-
sintéressement remarquable, com-
me s'il discutait des intérêts qui
ne lui fussent plus communs que
comme citoyen français; le dé-
veloppement qu'il donna à ses i-
I
NAP
liées le ramena naturellement ù
celles d'une juste défense, et ù
mettre encore en balance les chan-
ces de la guerre avec l'ignominie
d'une paix mortelle pour la Fran-
ce. Il sait bien que quatre armées
resserrent chaque jour davantage
le camp de Fontainebleau : qu'une
armée russe est entre Essonne et
l'aris; qu'une autre est entre Me-
lun et Montereau ; que des corps
nombreux sont en marche par les
routes de Chartres et d'Orléans,
tandis que d'autres troupes accou-
rent par celles de la Bourgogne et
de la Champagne, et tiennent le
pays entre l'Yonne et la Loire.
Mais, d'un autre côté, les alliés
seraient forcés de se battre ayant
Paris à dos. Le canon des braves
sera entendu par l'immense popu-
lation de Paris. La garde natio-
nale, le peuple des faubourgs, en
partie vétéran des rangs de la
vieille gloire républicaine et de
celle de l'empire, voudront parta-
ger les périls de l'armée, mena-
ceront l'ennemi et le feront trem-
bler. Aucune des chances favora-
bles d'une telle position n'échappe
à Napoléon. Il compte aussi sur
l'armée du maréchal Soult sous
Toulouse, sur celle du maréchal
Suchel, qui revient de Catalogne
et qui peut se réunir à celle de
Soult; sur celle du maréchal Auge-
reau dans les Cévenncs; celle en-
core du prince Eugène, et sur celle
du général Maisons dans la Flan-
dre, ainsi que >ur les nombreuses
garnisons de nos places frontiè-
res. « Pourquoi, forçant les lignes
«ennemies conmie il l'a fait tant
"de fois avec les braves éprouvés
uqui lui restent , n'irait -il pas
«chercher les armées du midi!....
NAP
497
«quand il reste à leombattre der-
wrière la Loire! >) N^ipcléon est
d'avis d'y marcher sans délai. On
se tait autour de lui, tant on est
dominé par la pensée que le suc-
cès le plus Indispensable dans ce
moment laisserait encore peut-
être en doute la conclusion de la
paix. Cependant , ceux qui rom-
pent le silence opposent à ce pro-
jet les forces immenses qui occu-
pent toutes les routes de Fontai-
nebleau, les distances qui séparent
de l'armée de Napoléon et d'elles-
mêmes les armées du midi , le
blocus étroit qui intercepte toutes
les communications, qui arrête les
courriers Napoléon réfute ces
objections , et il ajoute : « Une
• route fermée pour des courriers
«s'ouvre bientôt devant v'o,ooo
» hommes. » On lui parle alors des
maux de la France, qui serait li-
vrée tout-à-coup aux horreurs de
la guerre civile, dont il serait l'au-
teur et l'objet. Les mois de guerre
civile ont sur lui la force d'un ta-
lisman , et su résolution s'éva-
nouit. En cela, plus v'toyen que
guerrier, il avait de tout temps
montré une antipathie invincible
pour cette sorte de calamité. « Eh
«bien, dit-il, puisqu'il me faut re-
«noncer à défendre plus long-
» temps la France, l'Italie n'est-
«elle pas une retraite digne de
«moi? Veut-on m'y suivre encore
«une fois? Marchons vers les Al-
»pes. »
Ce projet était trop brillant ,
trop jeune pour les vieux courti-
sans militaires qui l'entourent.
C'eût été des paroles ujagiques
pour le camp de Fontainebleau ,
elles n'eurent point d'échos dans
les galeries du palais. « Vous vou-
3a
49»
NAP
»Iez (lu repos , s'écria vivement
î) Napoléon. Ayez-en donc. Hélas !
«vous ne savez pas combien de
«chagrins et de dangers vous at-
» tendent sur vos lits de duvet.
«Quelques années de cette paix
')q;ie vous allez payer si cher en
«moissonneront un plus grand
«nombre d'entre vous, que n'au-
»rait lait la guerre, la guerre la
» plus désespérée. » Dans les paro-
les qu'il venait de dire aux maré-
chaux , Napoléon fut proj héte.
Douze d'entre eux, dont trois ont
péri de njort violente , Berthier,
Ney et Brune , sont déjà sous la
tombe.
Mais Napoléon était sans le sa-
voir le prisonnier de sa grandeur
passée, encore plus que celui des
rois coalisés. S'il avait cru pou-
voir parler à d'autres qu'aux
grands-oiïiciers de cette couronne
qu'il allait abdiquer, de cette ar-
mée qui n'attendait qu'un signal
pour la défendre encore , c'est-à-
dire, à ceux qui, suivant inie ex-
pression si heureuse de ses jeunes
anntes, avaie7it leur fortune à faire ,
il eût été encore porté par eux sur
les sommets des Alpes; et si l'heu-
re de son destin l'y eût suivi, une
fin glorieuse l'eût peut-être illus-
tré dans les champs de Marengo!
seule mort digne du grand capi-
taine qui près de ce village, re-
poussé pendant huit heures par
la fortune , conquit enfin sur
elle la dictature uiilitaire de l'Eu-
rope!
On a dit qu'à celte scène nié-
morable, que l'on a voulu appeler
l;i scène des maréchaux, le maré-
chal Ney avait pris la parole; que
traçant d'une manière énergique
la déplorable situation de la Fran-
NAP
ce, il avait interpelé vivement
l'empereur de déclarer quels
moyens il avait pour sauver la
France , et que Napoléon avait
gardé le silence; on ajoute que le
maréchal dit encore : // ne reste
plus qu'un moyen, sire^ c'est vo-
tre abdication absolue , et nous ve-
nons vous la demander. Telle est
la version qui a couru dans le
public et qui a été répétée dans
quelques onvr.iges; cependant des
témoins de cette gran-le audience
assurent que rien de semblable
n'a eu lieu de la part du maréchal
Ney; ils disent qu'après cette al-
locution si dramatique aux maré-
chaux,Napoléon congédia l'audien-
ce et réunit dans son cabinet ses
trois plénipotentiaires; que rien
ni de la part de Napoléon, ni de
la part du maréchal, n'indiqua dans
la discussion qui eut lieu, le sou-
venir d'une pareille interpellation;
mais que Napoléon, apparemment
convaincu que ses espérances ne
pouvaient plus reposer su ries chefs
de l'armée, déclara qu'il se déci-
dait à signer l'abdication absolue.
Toutefois il ajouta que celte réso-
lution ne devait nullement con-
trarier les opérations militaires
qu'il pouvait avoir projetées.
Les conférences avec ses pléni-
potentiaires furent reprises trois
fois. La forme de celle abdication
y fut vivement discutée par Na-
poléon , et enlin , après bien des
résistances, l'acte d'abdication fut
ainsi rédigé:
« Les puissances alliées ayant
«proclamé que l'empereur Napo-
wléon était le seul obstacle au ré-
.) lablissemcnt delà paix en Eu-
»rope, l'empereur Napoléon, fi-
»dèle à son serment, déclare qu'il
(
NAl»
«renonce pour lui et ses héritiers
«aux couronnes de France et d'I-
«talie, et qu'il n'est aucun sacri-
«fice personnel, même celui de la
«vie, qu'il ne soit prêta l'aire à l'in-
«térêt de la France. » Napoléon.
Napoléon expédia ses plénipo-
tentiaires, etremit l'acte d'abdica-
tion au duc de Vicence.
Les plénipotentiaires se mettent
en route pour Paris, et ils arrivent
chez l'empereur Alexandre dans
la nuit, à deux heures. Le luemier
mot de ce prince à leur arrivée
l'ut: «Apportez-vous rabdicaliouPo
Le duc de Vicence lui en fit la lec-
ture, mais l'empereur ne s'en con-
tenta point et en exigea une copie,
sans doute pour satisfaire le goii-
yernement provisoire qui était der-
rière la négociation des alliés. La
suite de la conférence fut favora-
ble aux intérêts que les plénipo-
tentiaires de Fontainebleau avaient
à défendre; il était plus de trois
heures du matin quand l'empereur
les congédia.
Indépendamment de la négocia-
lion relative à l'abdication abso-
lue, au choix d'une principauté
pour Napoléon, et aux arraiige-
mens relatifs à sa famille, ses plé-
nipotentiaires devaient encore
traiter d'un armistice, afin de met-
tre un terme aux agitations de l'ar-
mée et aux inquiétudes de la Fran-
ce envahie. Ils passèrent toute la
journée du lendemain chez le prin-
ce généralissime j»ourconclurecet
armistice; enfin après beaucoup
de difficultés tout était convenu,
et les plénipotentiaires élaient ren-
trés chez eux pour s'occuper de la
dernière rédadion, quand un bil-
let du comte de Nesseirode les ap-
pela à minuit, chez l'empereur
NAP 4<^
Alexandre. A l'arrivée des pléni-
p(.lentiaires l'empereur leur dit
que Napoléon venait de quitter
Fontainebleau, qu'on le trompait,
qu'il voulait bien par égard pour
le caraclère des plénipotentiaires
et par l'estime qu'il leur portait
individuellement, ne pas laisserle
généralissime s'assurer de leurs
persormes, mais qu'il voulait une
explication franche. Le chef d'é-
lat-major du général Curial, qui
était arrivé l'après-midi de Fon-
tainebleau, n'avait pu laisser au-
cun doute aux plénipotentiaires
sur la fausseté de cette nouvelle ;
le duc de Vicence venait égale-
ment de recevoir de l'empereur
une lettre particulière par un de
ses officiers d'ordonnance ; il re-
poussa donc avec, force cette allé-
gation, et il proposa à l'empereur
Alexandre, qui l'accepta, d'en-
voyer de suite un de ses aides-dc-
cainp s'assurer à Fontainebleau,
de la présence de l'empereur Na-
poléon. Cependant l'empereur
Alexandre déclara aux plénipo-
tiaires que celui qui transmettait
cette nouvelle au gouvernement
provisoire ne lui hiissait aucun
doute sur son authenticité; il
ajouta que tout ce qui avait été
fait et convenu jusqu'alors, devait
être regardé comme non avenu,
que tout était rompu, et il c^ongé-
dia les plénipotentiaires. Ils reçu-
rent également la même déclara-
tion du généralissime, qui leur fai-
sait redemander les articles rédi-
gés de l'armistice : ils se rendirent
chez lui, mais leurs protestations
fjrent inutiles.
Le lendemain, l'aide-dc-camp-
géuéral de l'empereur du Russie
étant revenu de Funluincbleau, ce
5oo
NAP
prince fit appeler les plénipoten-
tiaires, leur avoua qu'il avait été
trompé, et leur dit avec une no-
ble franchise que, tenant à se jus-
tifier à leurs yeux, il voulait leur
montrer ce qui avait dû produire
sa conviction : alors il donna ;\ lire
la lettre d'un général français at-
taché à la maison de l'empereur,
qui écrivait de la Ferté-Gaucher
au général commandant les avant-
postes russes, qu'il venait d'êti-e
averti du départ de Napoléon de
Fontainebleau, et de sa fuite par
la roule de Bourgogne; qu'il priait
le général de faire parvenir cette
nouvelle au gouvernement pro-
visoire , afin qu'il pût prendre des
mesures convenables. « La nature
»de cet avis, dont je suis bien aise
» de vous montrer la preuve, ajoii-
ntal'empercur, vous prouvera que
«mes doutes étaient plus que f(m-
»dés. Hier au soir j'ai tout sus-
» pendu; mais dès à présent les
» choses sont remises où elles é-
«taient avant cette fausse nou-
» velle. » Ainsi l'armistice fut con-
clu, et les négociations continuè-
rent.
La publicité qui fut donnée à
cet armistice dut influer puissam-
ment sur le soldat, qui devenait
tout- à -coup en quelque sorte
étranger au sort de son géné-
ral , à la fortune de Napoléon.
Chaque jour, dans les premiers
rangs de l'armée, une désertion
silencieuse s'échappait de Fontai-
nebleau ; le cercle diminuait au-
tour de celui qui avait eu les rois
pour courtisans, et Napoléon put
faire jusqu'au dernier moment de
sombres réflexions sur la cons-
tance des hommes à suivre l'in-
constance de la fortune. Chaque
NAP
jour il se voyait dépouillé par
d'incroyables ingratitudes de ses
plus chères, de ses plus anciennes
affections. Les noms de ceux qui
sont restés auprès de Napoléon
jusqu'au dernier moment , sont
conservés par l'histoire.' La poli-
tique de cette époque n'imposait
l'ingratitude à personne. Le roi
n'était point dans son palais des
Tuileries. Il ne s'agissait pas de
choisir entre Paris et Fontaine-
bleau , entre la reconnaissance et
la révolte. Le gouvernement pro-
visoire, qui venait de naître de la
conquête des alliés , n'était pas la
restauration; sa constitution n'é-
tait pas une loi. Les souveraias
étrangers n'étaient légitimes pour
aucun Français. Encore peu de
jours, tout était sauvé pour les
déserteurs de la première et de la
seconde abdication, jusqu'à leur
fidélité. Napoléon n'eût pas con-
nu l'affreux supplice de l'abandon
des siens, de ses vieux frères d'ar-
mes, de ses derniers courtisan? !
Le peu d'intérêts personnels qui
restaient à Napoléon , était confié
à Paris au dévouement paiticulier
du duc de Vicence. Dans les conver-
sations particulières qu'il avait eues
avec l'empereur Alexandre, ce sou-
verain, en parlant du séjour qui
serait accordé à Napoléon , de la
Corse, de Corfou , de l'île d'Elbe,
avait insisté pour celte dernière
résidence. Ce fut, ce qui est i re-
marquer, d'après cette première
ouverture, que lesplénipolentiaircs
firent valoir comme un engage-'
ment, que l'île d'Elbe fut obtenue
pour Napoléon comme souverai-
neté indépendante. Il fut heureux
que cet engagement fût antérieur
à la défection de Marmont; car.
après cet éTénement, les alliés,
éveillés par les agens de la restau-
ration sur le danger de ce voisi-
nage pour la France, ne voulaient
plus accorder l'île d'Elbe à Napo-
léon; mais fidèle à sa parole, et
sommé en quelque sorte par le duc
de Vicence, l'empereur Alexandre
ne crut pas loyal d'y manquer
parce que les circonstances avaient
changé.
Napoléon n'aurait-il pas été plus
grand s'il eût jeté sa pourpre to^it
entière au lieu d'en conserver un
lambeau, et s'il eût choisi, comme
Dioclétien, une maison dans un
village? Mais l'île dElbe était un
port sur la France.
Cependant, dans le temps où
Napoléon traitait encore d'une om-
bre de grandeur avec les souve-
rains, le maréchal Soult faisait de
nobles adieux à la gloire militaire
de la France, le jo avril, sous les
murs de Toulouse. Après la ba-
taille d'Orthez du 27 février, sa
petite armée, échappant à 70,000
combattans, s'était lentement et
glorieusement dirigée, pendant un
mois de marche , d'Orlhez sur
Tarbes, où elle avait, le 20 mars,
continué sa belle retraite , malgré
l'armée anglaise aux ordres du
maréchal Beresford ; enfin , elle
était arrivée au nombre de 3o,ooo
hommes, dont un quart de nou-
veaux conscrits, le 24 mars dans
la ville de Toulouse. En quinze
Jours le maréchal, fort de lui-
même et de la valeur de ses trou-
pes, avait fait un vaste camp re-
tranché de la capitale du Langue-
doc; quinze jours aussi avaient
semblé nécessaires au circonspect
Wellington, que Soult tient eu
échec depuis six mois, pour atl:i-
NAP
5oi
quer 3o,ooo Français avec une
armée de 8o»ooo vieux soldais.
Enfin le 10 avril, à six heures dn
matin, l'action s'était engagée au-
tour de l'immense enceinte que le
génie du maréchal avait su forti-
fier sous les yeux de son ennemi.
La^uit seule avait terminé cette
grande journée, où une seule re-
doute, un seul canon tombèrent
au pouvoir des Anglais, où un
seul moment d'hésitation, causée:
par la mort d'un de ses généraux,
empêcha l'armée française d'être
victorieuse. Les Français ont 5, 60a
hommes tués ou blessés, Welling-
ton en a 18,000. Le lendemain,
trompant encore Wellingtoa, à
qui il doit abandonner Toulouse,,
le maréchal se met en marche par
le département de l'Aude, pour
amener à Napoléon une de ses
plus braves armées. Il ne sait pas
que la grande bataille qu'il vient
de donner a été dérobée à un ar-
mistice, que la cause qu'il défend
n'est plus, que la gloire qu'il lui
donne est une gloire posthume,
il l'apprend dans sa marche le 12,
par la nouvelle de l'armistice que
Wellington lui envoie. Ainsi l'hé-
roïque résistance de son armée n'a
été qu'un dernier sacrifice à la
France. Si cependant, et en sup-
posant toujours l'ignorance de
l'abdication, l'armée d'Arragon,
commandée par le maréchal
Suchet, et dont une partie était
déjà arrivée à Narbonue , eût
pu se joindre à Toulouse à l'ar-
mée du généralissime maréchal
Soult, toute la campagne de Wel-
lington en France était anéantie;
il n'eût jamais vu i»vec ses troupes
les bords de la Seine. La jonction
avec l'armée du maréchal Auge-
5o2 NAP
reiUi Sfi fnt faite ;ilors dans les Cé-
vcnnes; celle du vice roi, qui é-
lait alors en marche, y eftt égale-
inent été réunie; et une autre
France, sous les drapeaux d'une
armée de cent mille comhaltans,
\enait sur les bords de la Loire,
et sous le commandement du nia-
réclial Sonlt, réclamer noblement
celle qui était envahie, et délivrer
le grand prisonnier. Les popula-
tions, revenues de leur première
stupeur, se seraient ralliées autour
du palladium de la patrie, qu'une
autre grande-armée aurait seule
conservé. Une nouvelle canipagne
se fût ouverte par des combats
vraiment dignes de la France; la
terre natale eût enl'anté des légions
dont Napoléon eût entendu les
acclamations du donjon impérial
de Fontainebleau , et ressaisissant
sans doute alors sa première réso-
lution de marcher sur la Loire, il
eût avec sa troupe sacrée brisé les
entraves d'une négociation dont
il n'est que le captif; il eût réparé
ainsi la faute mortelle de sa mar-
che sur Paris, celle plus mortelle
encore d'être resté à Fontaine-
bleau, quand il avait pour ma-
nœuvrer les deux tiers de la Fran-
ce; et il eût été justement absous
d'avoir été pendant vingt ans l'ar-
bitre de ses destinées, en sachiuit
jusqu'à la fin combattre, vaincre
ou mourir pour elle. L'irruption
romanesque de l'île d'Elbe, mal-
gré son merveilleux, n'aura jamais
dans la postérité française la place
qu'aurait eue le noble exemple
d'un pareil dévouement. Le sui-
cide de Fontainebleau ne serait il
pas le repentir de la négociation
de Paris?
Pendant cette négociation, Na-
NAP
poléon , qui n'avait pas oublié le
chagrin que lui avait causé sa der-
nière abdication, fil écrire et écri-
vit lui-mC'me au duc de Vicence
pour la lui redemander. Le duc
lui répondit : Que manquer aux
engagemens qu'il avait pris, serait
sacrifier tous les intérêts de Sa
Majesté; que l'acte d'abdication
était la base principale de la né-
gociation, et qu'Une prendrait ja-
mais sur lui les graves inconvéniens
qui pourraient en résulter, s'il cé-
dait à ses intentions. Cependant
Napoléon parut le premier jour
avoir pris son parti , et la manière
dont il l'annonça à ceux qui len-
lom-aient mérite d'être conservée.
vMaintenant , dit-il, que tout est
» terminé, puisque je ne puis rester,
»ce qui vous convient le mieux c'est
nia famille des Bourbons; elle ral-
D liera tous les partis... Moi, je ne
» pouvais garder la France autre
nqu'etle était quand je l'ai prise...
» Lotis ne voudra pas attacher son
nnom à un mauvais régne; s'il
• fait bien, il se mettra dans mon
«lit, car il est bon... Qu'on se
» garde surtout de toucher aux
«biens nationaux. Le roi aura
«beaucoup à faire avec le faubourg
wSaint-Gennaiu ; s'il veut régner
«long-temps, il faut qu'il le tienne
»en état de blocus: il est vrai
«qu'alors il n'en sera pas plus ai-
»mé que moi; c'est une colonie
n anglaise au milieu de la France,
«qui rapporte tout à elle, et s'in-
» quiète peu du repos et du bon-
»heur de la patrie, pourvu qu'elle
«jouisse des privilèges, des hon-
«neurs et de la fortune... Si j'étais
»de Louis XVIII. je ne conserve-
»rais pas ma garde, il n'y a que
«moi qui puisse la manier... A
NAP
«présent, messieurs, que vous
»;ivez un autre gouvernement, il
«faut vous y attacher franclie-
»ment, je vous y engage, je vous
a l'ordonne même; ainsi ceux qui
» désirent aller à Paris, avant que
»je parte, sont libres de s'y ren-
»'dre; ceux qui veulent rester, fe-
nront bien d'envoyer leur adhé-
« sion. »
Beaucoup de témoins, par leur
prompte soumission au gouverne-
ment provisoire, ««^donnèrent la
satisfaction de colorer leur em-
pressement d'une dernière et gé-
néreuse soumission aux intenlioHS
de l'empereur.
Cependant Napoléon ne prend
pas pour lui la résignation qu'il
conseille à ceux qui renlourent ,
et il repousse le traité de Paris.
«A quoi bon ce traité, dit-il à ses
» plénipotentiaires , puisqu'on ne
» veut pas régler avec moi ce qui
«concerne les intérêts de la Fran-
rtce? du moment qu'il ne s'agit
»p!us que de ma personne, il n'y
»a plus de traité à faire. Je suis
«vaincu, je cède au sort des ar-
j>mes; seulement je demande à
• n'être pas prisonnier de guerre,
»el pour me l'accorder, un simple
• cartel doit suflTire; d'ailleurs il ne
"faut j)as wne. grande place pour
«enterrer un soldat. »
Napoléon ne pense pas qu'il est
déjà plus qu'un prisonnier de
guerre, qu'il est un véritable pri-
sonnier d'état, écroué par l'Eu-
rope dan!< son propre palais, sous
la qualification de l'es>"Emi com-
Wi'N ; qu'il est devenu le justicia-
ble des armées ennemies : qu'il
n'est plus le général de celle qu'il
appelle la sienne, de cette armée
qui voudrait toujours le défendre.
NAP
5o3
et qui est condamnée à paraître le
garder pour les roi? qui atlcnden t,
sous peine d'un châtiment incon-
nu, la ratification du traité de Pa-
ris! ses jours sont peut-être me-
nacés s'il ne signe pas. Rien aussi
ne le garantit quand il aura signé;
pour lui tout est fatal. Dans le
moment où l'on publiait à Paris
l'acte d'abdication absolue et l'ad-
hésion de l'armée à la restaura-
tion , on annonçait aussi l'arrivée
de Monsieur, frère du roi. Le len-
demain, ce prince fit son entrée
solennelle, Napoléon n'ignorait
aucune de ces circonstances, ni
aucun de ses périls; mais, inflexi-
ble dans sa volonté comme au
temps de ses prospérités, n'ayant
plus qu'elle pour puissance, ne
reconnaissant plus qu'elle pour
destinée , il persista toute la jour-
née du 12 avril dans le refus de
ratifier le traité.
Ce traité se ressentait de l'in-
fluence des malheureuses circons-
tances qui y avaient présidé. Les
difficultés et les objections se suc-
cédaient à Paris lors de sa discus-
sion , comme les adhésions se
succédaient à Fontainebleau. Maî-
tres de tout, plus sûrs chaque
jour d'une grande défection, les
alliés usèrent amplement du droit
du plus fort. L'empereur d'Autri-
che se tenait toujours loin, par
une sorte de pudeur d'état, qui
naissait autant de sa politique
que de son lien de famille avec
Napoléon M. de Melternich était
resté près de son souverain. Lord
Castelreagh , menacé peut-être
de quelque disgrâce parlementai-
re de la part de l'opposition .
échappait également à toute ppr-
tialilc, en partageant la retraite
ao4
ISAP
du cabinet autrichien; et à Paris,
l'on profilait de leur absence pour
ne rien terminer. Enfin, le ii a-
vril le traité fut signé avec toutes
les puissances, et l'abdication fut
remise au gouvernement provi-
' soire en échange de son accepta-
tion au traité. 11 était plus de mi-
nuit quand les plénipotentiaires
se présentèrent au gouvernement
provisoire. Des formalités le re-
tinrent toute la nuit.
Le duc de Vicence et le maré-
chal Wacdonald se rendirent seuls
immédiatement à Fontainebleau ,
pour reuietlre le traité A l'empe-
reur. Ils n'y arrivèrent que le 12
dans la journée. Un plénipoten-
tiaire russe y arriva aussi pour
en échanger les ratifications, afin
que Napoléon n'eût aucun doute
sur son exécution. Mais rien ne
pressait Napoléon de se décider.
11 semblait également indifférent
au refus età l'acceptation des ra-
tifications. Il était intérieurement
dominé par un autre sentiment.
La secrétairerie d'état travaillait
aux expéditions, et elle y passa
toute la nuit. Le plénipotentiaire
russe se présenta avec de nouvel-
les diffîcultés qui blessaient l'hon-
neur de Napoléon. Les prétentions
qu'il mit en avant pour avoir un or-
dre de l'empereur, relatif à la re-
mise des places fortes aux alliés,
indignèrent ce prince, et quelques
discussions assez vives eurent lieu
chez le prince de Neuchûtel. La
demande incidentellc du plénipo-
tentiaire russe fut refusée. Puis-
qu'on n'avait pas voulu continuer
de traiter avec Napoléon pour la
France , il était au moins é-
trange de vouloir lui faire donner
Tordre de livrer ses forteresses.
NAP
N
Napoléon passa une partie de la
soirée avec le duc de Vicence, et se
retira à 1 1 heures.
Le palais de Fontainebleau est
plongé dans le silence le plus pro-
fond. Personne n'y dormait peut-
être. Mais ce vaste édifice parais-*
sait au moins livré au repos, qui
succède à de grandes agitations.
Nul bruit au dedans. Au dehors,
on n'entendait que les pas des
sentinelles françaises, qui veil-
laient sur le captif européen.
Au loin, les échos pouvaient ré-
péter le bruit inquiet et inégal du
qui-vke étranger, dont les appels
monotones répétés dans les idio-
mes de l'Europe, et d'une partie
de l'Asie, circulaient sans inter-
ruption autour du camp français.
Au mileu du silence qui remplit
le palais, dont le repos majes-
tueux fut une fois troublé par la
vengeance sanglante d'une reine
du Nord, et tant de fois l>ar les
fêtes brillantes de nos derniers
rois. Napoléon, qui veille, fait
demander à une heure du matin le
duc de Vicence. Quand ce ministre
entra, l'empereur posait une tasse
vide sur une table. Napoléon lui
dit de prendre dans son cabinet
le portefeuille qui contenait le
portrait et les lettres de l'impéra-
trice. « (iardez-les, lui dit l'empe-
«reur, vous les remettrez un jour
))à mon fils; ne le quittez pas.
» Soyez-lui fidèle comme à moi.
"Remettez à l'impératrice la let-
«tre que voici. Dites-lui que je
»ne déplore mes malheurs qu'à
«cause d'elle et du roi de Rome.
«N'ayant pu faire triompher la
«France de ses ennemis, je ne
«regrette point la vie. » L'empe-
reur lui dicta ses atitrcs volonté.s.
NAl*
rt lui fil présent de son porlrail
«ur un camée. Napoléon lui par-
lait encore, quand il fut interroui-
pu par une crise subite qui eCFraya
le duc de Vicence. Ln voile sem-
blait couvrir les yeux de l'empe-
reur, qui invoquait la fin d'une a-
gonie si douloureuse pour lui,
51 affreuse pour celui qu'il en ren-
dait le témoin. Parfois il parais-
sait s'assoupir pour ne plus se ré-
veiller, quand une sueur de glace
le couvrit, et soudain une convul-
sion violente , qui roidit tous ses
membres , amena des vomisse-
njens. Napoléon tenait fortement
Je duc de Vicence, afin qu'il ne
lui échappât point, lui répétant,
que s'il était son ami, il ne devait
pas s'opposer à cequ'il terminât son
existence, et qu'il n'avait aucune
raison pour vouloir que d'autres
fussent témoins de son agonie.
Ce combat de la vie contre la
mort dura près de trois quarts
d'heure. Enfin les vomissemeus
ayant débarrassé l'empereur ,
« C'en est fait , dit-il, la mort ne
rtveut pas de moi. » Il permit alors
au duc de Vicence d'appeler un
valet-de-chambre, et il en profita
pour faire demander son chirur-
gien. M. Yvau arriva, et Napoléon
lui demanda avec instance, avec
autorité même, de lui donner
une potion. Altéré par cette étran-
ge demande, M. Yvan sortit,
descendit précipatemment , sauta
sur un cheval, et quitta Fontaine-
bleau. Le duc de Vicence fit aver-
tir le grand-maréchal Bertrand ,
et le comte de Turenne, maître
de la garde-robe, qui arrivèrent
dans l'appartement.
11 y avait deux jours que Na-
poléon menait tout en usage pour
NAl'
5u5
que ses gens lui apportassent du
charbon dans le dessein de s'as-
phyxier dans le bain. N'ayant pu
obtenir d'eux ce qu'il leur deman-
dait, il avait préparé ses pisto-
lets, mais son mameluck et ses
valets-de- chambre s'en étant a-
perous, avaient Ole l'amorce et
fait disparaître la poudre.
La crise fut si violente, qu'il fut
impos!?ible à l'empereur de se le-
ver avant II heures, pour expé-
dier le maréchal Macdonald.ïl es-
saya vainement<lese lever plus tôt.
Ses jambes ne pouvaient le soute-
nir. Sou visage était renversé . ses
yeux renfoncés dans leur cavité,
son teint livide, ses membres bri-
sés ; enfin cette nature extraordi-
naire triompha de la mort, et son
âme et son caractère reprirent
toute leur supériorité sur ses in-
fortunes. Sa dernière volonté avait
été la mort. Il n'en avait plus à
remplir, il n'en avait plus à oppo-
ser à sa destinée. Il signales rati-
fications. Il congédia ensuite le
maréchal Macdonald, à qui il don-
na un sabre, pour le remercier de
la fidélité qu'il lui avait montrée,
regrettant de n'avoir plus à lui of-
frir d'autres témoignages de son
estime. Ces adieux furent égale-
ment honorables pour Napoléon
et pour le maréchal . que pendant
tout le temps de la négociation il
se plut à nommer «M hommed' hon-
neur.
Le poison que Napoléon avait
pris, avait été inventé par Caban»
dans le temps des fureurs révolu-
tionnaires, pour soustraire ses ami>
et lui aux supplices de la terreur.
Napoléon l'avait constamment por-
té sur lui depuis le départ de Mos-
kou; il avait peut-être craint de
5o() NAP
toïiiber vivant dans les mains de
l'empereur de Russie. Il étiiitloin
de prévoir alors qu'il ne se servi-
rait de ce funeste secouis, que
quiiudson palais de Fontainebleau
lui servirait de prison, et après a-
"V'oir refusé trois fois la paix de ce-
lui qu'il était venu attaquer, à huit
cents lieues de sa propre capitale!
Le destin ne voulut point que le
poison du fugitif de Moskou ven-
{jeàt de sa défaite le vaincu de
i'^ontainebleau.
Par le traité signé le i i à Pa-
ris et le i5 à Fontainebleau, l'em-
pereur Napoléon, l'impératrice et
tous les membres de la famille im-
périale, conservent leurs titres et
qualités. L'île d'Elbe est donnée à
Napoléon en tante souveçaineté ,
avec deux millions, dont un ré-
versible à l'impératrice, à la char-
ge de la France; les duchés de Par-
me, Plaisance et Guastalla, sont
donnés à l'impératrice en toute
propriété, et passeront à son fds ,
qui en prendra le titre. Deux mil-
lions cinq cent mille francs de ré-
venus, sont ailcctés comme pro-
priété, et transmissibles à leurs hé-
ritiers, aux membres de la famille
impériale , indépendamment de
h'ur fortune particulière; un mil-
lion est fixé pour le traitement an-
nuel de l'impératrice Joséphine;
un établissement convenable est
assuré, hors de France, au prince
\ice-roi. Sur les fonds que l'em-
pereur abandonne à la couronne ,
vn capital de deux millions est
réservé pour des gratifications aux
généraux de sa garde, à ses aides-
de-camp, à sa maison." L'art. i3
» porte que les obligations du Mon-
»te-Napoleone de Milan, envers
«tous les créanciers de Napoléon,
1NAP
»soit français, soit étrangers, sc-
nront exactement remplis. » (^C'é-
tait la seule condition que Napoléon
avait mise à r abdication du trône
d'Italie: elle n'a pas été remplie.^
L'article 17 porte ce qui/Suit : « S.
M. l'empereur Napoléon pourra
emmener avec lui, et coriservei
pour sa garde, quatre cents hom-
mes de bonne volonté, «etc... Lu
an plus tard la France devait mal-
heureusement apprendre ce que
pouvait Napoléon avec ces 4^0
hommes !
Tel fut le traité de Fontaine-
bleau. L'armistice pidjlié par le
major-géjiéral Berthier, avec l'or-
dre d'adhésion au gouvernement
provisoire, arrêta tout -à- coup ,
dans le Nord, les succès du géné-
ral iMaisons, que les Bt-lges rap-
pelaient en libérateur. Le maré-
chal Soiilt, en son nom et au nom
du maréchal Suchet, dut conclu-
re un armistice avec lord Welling-
ton. Le général en chef Decaen
en signa un pour son armée de la
Gironde , avec lord Dalhousie ; et
le maréchal Aiigereau, après avoir
conclu le sien avec le prince de
Hesse-Hombourg, ailressait à son
armée cette allocution également
loyaliste et républicaine :
« Soldas, vous êtes déliés de
» vos sermens. Vous en êtes déliés
« par la nation , en qui réside la
i> souveraineté. Vous l'êtes encore
«par l'abdication d'un houunequi,
«après avoir immolé des milliers
» de victimes à sa cruelle ambition,
wAt'fl pas sa mourir en soldat. Ju-
«rons fidélité à Louis XVIII, et
i> arborons la couleur irainientfran-
rtçaise. » Le soldat Augereau, ou-
bliant qu'il était duc de Castiglio-
ne, maréchal de l'empire, recon-
KAP
naissait un peu tardqnela couleur
sous laquelle il avait fait sa haute
IVirtune, n'était pas la couleur fran-
çaise : il dcvaitcependaiit le savoir,
puisqu'il était déserteur avant la
lévoluliou , à laquelle, dé>erteur
aussi du service étranger, il vint
demander son auuiislie. D'ailleurs
il n'avait pas acquis dans celle
dernière cainj)agne le droit de di-
re que >'apoléon n'avait pas su
viourir en soldat, quand lui-uiên)e
n'avait pas su obéir, le 16 mars,
à son général en chef, qui lui a-
vait ordonné de marcher sur Ye-
soul. Il n'en avait pas le droit,
(|uand il avait tait à l'armée de
Champagne le même mal que la
• léfeclion du général York avait
lait à celle de Moskou; quand, par
sa désobéissance , il avait livré
l.yon le 2 1 mars, aux Autrichiens;
quand enfin ilavait été lapreujière
cause militaire des désastres de l'ar-
mée de Napoléon, après les prodi-
gieuse succès qui, par la seule coo-
p' ration de l'armée de Lyon, pou-
vaient chasser l'étranger du terri-
toire de la FrAnce! L'armée à qui
il parla ainsi fit tout son devoir:
t-liç obéit à Augereau, et elle
respecta Napoléon.
L'abdication passa aussi les Al-
pes, et vint avertir le vice-roi qu'il
n'y arait plus p(»ur lui ni drapeau
français ni drapeau italien. L'éva-
cuation de rilalie fut convenue,
entre ce prince el le maréchal Bel-
legarde, par des cnmtnissaires.
Iajs adieux de l'armée française à
la belle Italie, durent arriver jus-
qu'au cœur de Napoléon. Ce ber-
ceau de sa gloire devint aussi pour
lui un monument funèbre. Ainsi
tombaient succcssivemant les lam-
beaux du grand empire : il ne rcs-
KAP
Do-
tait plus que les échos d'une gran-
deur déjà tout ensevelie, et Na-
poléon survivant à l'empire fran-
çais et à lui-même, rappelait d'u-
ne manière bien tragique, cet au-
tre autocrate. Charles-Quint, qui
voulut être le témoin de ses propres
funérailles. ¥,n effet, depuis le i3,
le pavillon blanc et la cocarde
royale avaient été substitués au
pavillon et à la cocarde tricolores.
Napoléon, depuis ce jour, était le
banni justiciable du royaume de
France. Le lenden»ain, i4< Mo>-
siEi'R était proclamé lieutenant-
général du royaume; le i5, Na-
poléon n'était plus ni époux ni pè-
re. L'empereur d'Autriche ne re-
paraissait sur la scène que pour
lui enlever sa femme et son fils,
auxquels Napoléon s'était obs-
tiné, on ne sait pourquoi, à ne
pas se réunir. Leur départ pour
Yienne fut «lécidé au Peiit-Tria-
non.
La veille du jour où Napoléon
devait quitter Fontainebleau, ar-
riva de Moulins le général Mon-
tholon ; admis dans le cabinet de
l'empereur, ce général lui proposa
de se rendre, soit à Koannes, soit
à 31ou!ins, où il serait reçu par
un corps de 10,000 hommes. H
assura que par la roule des mon-
tagnes. Napoléon pourrait rallier
les corps d'armée des maréchaux
Soult, Augereau et Suchel , et se
trouver à la tête d'une armée de
100,000 hommes. «// n'est plus
» temps, répondit Napoléon, j'flt
«abdiqué , tout est fini; Je ne veux
n point avoir à me reprocher la guer'
n re civile. Mais je n'oublierai Ja-
nmais ce que vous êtes veiut me
B proposer. Jamais, enlendez-vous. »
Enfin le -Jo avril, N.ipoléon doit
fioS
NAP
quitter son dernier palais, il doit
quitter sa dernière armée, il doit
se séparer de sa garde!... elle est
encore sous les armes!... Ils sont
tous rangés dans les cours du pa-
lais pour la parade des adieux!...
Leurs vieux .visages guerriers,
noircis par tous les climats, ne se
lèvent point vers Tastre qui les
guidait toujours à la victoire...;
cet astre est à son déclin. Ils sui-
vent sa triste fortune; leurs re-
gards sont fixés sur la terre que
^Napoléon va quitter.,.. En traver-
sant les rangs de ses braves, il re-
voit toute sa gloire; il reconnaît
tous ses exploits. Il y a encore
parmi eux quelques grenadiers
d'Arcole, d'Aboukir, de Marengo.
Tous les autres datent d'Auster-
litz, d'Iéna, de Friedland, de Ma-
«Irid, de Wagram, de iMoskou, de
Lutzen, de Bautzen, de AVurschen;
ils viennent d'être décimés en
France dans vingt combats, où
ils ont toujours vaincu.... En con-
templant ces témoins de tant de
travaux glorieux si loin de lui, Na-
poléon se croirait transporté en
songe dans la galerie des ancêtres,
tant il est déshérité, tant ils sont
immobiles et silencieux.
Cependant, par un effort pres-
que surnaturel , il rassemble le
peu de forces qui lui restent, et
d'une voix brisée comme son
âme :
«Je vous fais mes adieux , leur
»dit il; depuis vingt ans que nous
') sommes ensemble je suis content
» de vous. Je vous ai toujours trou-
») vés sur le chemin de la gloire.
«Toutes les puissances de l'Euro-
» pc se sont armées contre moi.
«Quelques-uns de mes généraux
«ont trahi leur devoir, et la Fran-
NAP
»ce elle-même a voulu d'autres
«destinées. Avec vous et les bra-
»ves qui me sont restés fidèles
«j'aurais pu entretenir la guerre
«civile, mais la France eût été
» malheureuse. Soyez fidèles à vo-
«tre nouveau roi : soyez soumis à
«vos chefs, et n'abandonnez point
• notre chère patrie. Ne plaignez
«pas mon sort : je serai heureux
«lorsque je saurai que vous l'êtes
«vous-mêmes. J'aurais pu mou-
«rir, mais je veux suivre encore
«le chemin de l'honneur. J'écri-
»rai les grandes choses que nous
«avons faites; je ne puis vous em-
» brasser tous, mais j'embrasse
«votre général. Venez, général
» Petit, que je vous presse sur mon
«cœur. Qu'on m'apporte l'aigle,
nque je l'embrasse aussi! Ah!
«chère aigle, puisse le baiser que
«je te donne retentir dans la pos-
«térité! Adieu, mes enfans, mes
«vœux vous accompagneront tou-
» jours. Gardez mon souvenir. »
Cet adieu solennel fut déchirant
par l'émotion qui , pour la pre-
mière fois, attendrit le visage de
Napoléon devant ses soldats. 11
pleurait, ils pleurèrent aussi. Cet-
te douleur commune eut quelque
chose de sublime parce qu'elle é-
tait généreuse de la part des sol-
dats. Napoléon monta en voiture
avec le général Bertrand : une
faible escorte le suivit; il fut ac-
compagné, pour en être protégé
en France pendant son voyage,
par des commissaires des puis-
sances étrangères. Le même jour
où Napoléon quittait Fontaine-
bleau en exilé, Louis XVIII fai-
sait son entrée solennelle en qua-
lité de roi de France à Londres,
dans la capitale de l'état qui vc-
nait de détrôner Napoléon, Ainsi
rien ne manquait à la catastrophe
qui précipitait cet homme si ex-
traordinaire; la fortune qui le
proscrivait se plaisait à fournir à
l'histoire cet étrange rapproche-
ment ou cet étrange contraste, le
20 avril 1814.
Le départ de Napoléon éprouva
des retards par des difficultés sans
nombre qui furent suscitées par
le gouvernement provisoire, soit
pour soa voyage, soit pour la re-
n)ise de i'ile d'Elbe. On ne voulait
ni qu'il partît, ni qu'il restât: c'esi-
sà-dire, on ne voulait point qu'il
fût souverain de l'île d'Elbe, mal-
gré le traité, et on multipliait les
entraves à son exécution sans dou-
te afin d'irriter tellement Napo-
léon, qu'on pût le porter à ou-
blier lui-même le traité, et que
dès-lors on dût le considérer com-
me un proscrit qui aurait rompu
son ban, et à qui suffirait pour
résidence dernière l'enceinte d'une
prison. Le duc de Vicence dut
retourner à Paris pour lever tant
de difficultés, et Napoléon dut
1 accomplissement de tout ce qui
avait été promis, convenu et si-
gné , à la loyale assistance de
l'empereur de Russie.
Il en fut de même pour les ra-
tifications du traité avec les puis-
sances : elles étaient de la plus
haute importance pour Napoléon.
Elles ne purent être, en raison des
formalités, que successivement
échangées avec le duc de Vicence,
qui continua à défendre, avec un
courage imperturbable , tous les
intérêts d'un auguste malheur.
Les ratifications de l'Angleterre
n'arrivèrent que lorsque Napo-
léon était déjà ù l'île d'Elbe, et ce
NAP
5og
ne fut pas sans peine que le duc
de Vicence obtint enfin l'acces-
sion promise du gouvernement
royal au traité de Fontainebleau.
Cette accession ne lui fut remise
qu'après la signature du traité du
3i mai; Napoléon la reçut à l'île
d'Elbe par M""* la comtesse Ber-
trand, à qui le duc de Vicence la
confia. Cette pièce importante fait
justice de ceux qui, depuis 1814,
se sont hasardés à dire que le gou-
vernement du roi n'avait pas re-
connu le traité de Fontainebleau,
qu'il ne s'était engagé à rien, n'a-
vait rien garanti, et que le fugitif
de l'île d'Elbe se plaignait à tort
que le traité fait avec lui ne fût
pas exécuté.
La haine, ot peut-être l'assassi-
nat, s'étaient embusqués dans le
midi sur la route de Napoléon. On
sait qu'une troupe est partie ar-»
mée ot disposée par Maubreuil
pour de sinistres desseins. La per-
sécution avait disposé ses relais.
Aux différentes stations, Napoléon
reçut les imprécations et entendit
les menaces de ces monstres que
produisent les troubles , de ceux
qui s'appelèrent à Paris les égor-
geurs de septembre; à Avignon,
les massacreurs de la glacière; à
Lyoti, les mitrailleurs ; les noyeurs
à Nantes; dans toute la France,
les assassins des prisons; de ceux
qui ddivent bientôt égorger le gé-
néral Ramel et le maréchal Bru-
ne, et qui, tout couverts de for-
faits révolulionnairc'i, doivent en-
sanglanter, au nom du trône et de
l'autel qui les réprouvent, les dé-
parfemens de l'Hérault et du
Gard. Cette confrérie du crime
reparaît à toutes les grandes cri-
ses de la France; il suÛit que le.
5io
INAP
mot le vengeance soit prononcé,
il produil. sur elle ce que la vue
du sang protiuil &ur le ligre ; cet-
te faction du itieurtre est pour les
hommes, ce que cet animal san-
guinaire est pour tout ce qui a
vie; plus cruelle encore, elle ne
s'attache qu'au sang de sts sem-
blables. Napoléon lui échappa le
2iS à Saint-ilapheau , il s'embar-
qua sur une frégate anglaise : ainsi
le pavillon français ne déporta
point Napoléon. Le 5 mai, à 6
lieures du soir, ce prince entra à
l'orto-Ferrajo, où il fut reçu par
le général Dalesme, conmiandant
français.
«Général, lui-dit-il, j'ai sacri-
))fié mes droits aux intérêts de
«ma patrie, et je me suis réservé
»la propriété et la souveraineté
«de l'île d'Elbe; faites connaître
«aux habitans le choix que j'ai
»fait de leur île pour mon séjour.
«Dites-leur qu'ils seront toujours
«pour moi l'objet de mon intérêt
»le plus vif. » Le maire de Porto-
Fcrrajo remit à Napoléon les
clefs de la ville. La mairie devint
le palais. Un Te Dearn, où assista
l'empereur Napoléon, fut chanté
à la cathédrale. Ce fut ainsi que
se termina l'inauguration de cette
souveraineté bourgeoise. L'île
d'Elbe, donnée pour résidence à
Napoléon par l'Europe , semblait
être une maison de santé politi-
que, où elle venait de renfermer
un homme dévoré de la soif de
régner sur le monde. Napoléon
était digne de C' tte grandeur, et il
y fût parvenu si à ses hautes facul-
tés il eût pu joindre aussi les vertus
du citoyen. L'exercice de ce nou-
veau gouvernement ne fut pour
lui qu'une simple administiuliou
NaP
de fauiille pendant les dix mois
qu'il régna sur les Elbois. Il é-
tendit le travail des mine», piaula
des arbres, bâtit des maisons, ré-
pandit des bienfaits. Sa mère, sa
sœur Pauline, princesse Borghèse,
quittèrent leurs palais dé Rome et
leurs jardins enchantés, pour ve-
nir adoucir sur les rochers de l'île
d'Elbe, l'exil d'un fils et d'un frè-
re constamment chéri d'elles :
tendres soins, dévouement tou-
chant, où l'histoire se repose de
son austère devoir!
Cependant, l'île qui renfermait
Napoléon n'était pour lui qu'un
observatf)ire d'où il voyait, d'où il
croyait entendre la France. Il er-
rait sur SCS sommets comme un
aigle égaré qui plonge sur l'im-
mensité ses regards perçants , et
qui y cherche sa route vers l'aire
paternelle.
Bien qu'il fût impossible sans
doute , à l'époque du traité de
Fontainebleau, de prévoir l'entre-
prise inou'ie du 16 février 181 5,
toutefois on ne peut comprendre
quelle fut la pensée de la diplo-
matie enropéeime, en plaçant Na-
poléon dans le voisinage de la
France et de l'Italie. La France
entière et son nouveau gouverne-
ment ne cessèrent un seul mo-
ment d'être dominés par cette
grave observation, qui, à elle seu-
le, quelque inoll'ensive qii'elle fût
constamment, révélait à chacun
et peut-être même à l'Europe le
péril d'un pareil voisinage. Cette
rédexion n'a besoin ni de preu-
ves , ni de commentaires. Napo-
léon n'était tombé tout entier
pour personne, encore moins pour
lui-même. Les souvenirs tle sa fur-
tuiie, les impressions de son gé-
nie, les espérances de tant d'inté-
rêts brisés par sa chute, les infrac-
tions au traité que l'Europe avait
souscrit avec lui , les agitations
que les déplacemens individuels
avaient semées sur toute la Fran-
ce, les confidences échappées du
congrès de Vienne, la proposition
parvenue à Napoléon par ses par-
tisans de Paris, de Naples et de
Vienne, faite dans le congrès, de
le surprendre dans l'îie d'Elbe, et
de le transporter dans celle de
Sainte-Hélène : tout lui fut con-
nu , tout le décida à rompre son
ban et à concevoir le dessein d'a-
jouter à l'histoire de sa vie le ro-
man de la conquête de la Fran-
ce. Le merveilleux était si na-
turel à Napoléon, que le projet
et son exécution furent pour ainsi
dire du même jet. Il est vrai qu'il
avait calculé, que son parti, celui
des méconlens, n'aurait à faire en
France qu'au parti de la restaura-
tion, et que la nation, non en-
core reposée de ses calamités,
resterait comme en mars et en
avril 1814 5 specl itrice de la
lutte de l'empire avec la monar-
chie. Il croyait aussi, et peut-être
en cela sa pensée ne fut-elle pas
égarée, que le faisceau de la coa-
lition , qui l'avait détrôné , était
moins uni ; que la Russie n'était
plus aussi engagée; que l'Autri-
che, selon son ancienne lactique,
et en raison des gages qu'elle avait
dans la personne de l'impératrice
et du roi de iiome, ne serait pas
le premier ennemi qu'il trouverait
sur le champ de bataille. Une seu-
le chose avait échappé à sa pré-
NAP 5i I
voyance, c'était lui-même. 11 ne
sentait pas que l'âge des grandes
entreprises était piissé pour lui, et
que si le penchant de son caractè-
re l'élevait encore aux desseins
d'une portée surhumaine , la na-
ture pouvait le condamner à ne
pouvoir les accomplir. Il ignorait
aussi que la faculté de conserver
le trône qu'il voulait ressaisir n'é-
tait pas comme sa volonté , une
simple inspiration , et que les ha-
bitudes d'une puissance sans con-
tradiction n'étaient plus en har-
monie arec les sentimens d'un
peuple que le despotisme venait
de précipiter. Mais , aussi éveillé
par ces rumeurs, averti par ces
symptômes précurseurs d'une ré-
volution qui semblait menacer
incessamment la France, il voulut
se f&ire l'homme de cette révolu-
tion , dont les intérêts ne lui é-
taient pas destinés , c'est-à-dire ,
s'en emparer pour s'en appro-
prier toute la fortune, et pour
nationaliser enfin , s'il triomphait
de tous ses ennemis, le pouvoir
absolu.
Tille fut la pensée puissante
qui dominait l'impatient Napo-
léon, tourmenté déjà depuis quel-
ques jours de la crainte d'arriver
trop tard sur le sol de la France.
Tout était préparé; il avait acheté
les munitions de guerre à Naples,
les armes à Alger, les transports à
Gênes. Une troupe de 1 , 100 hom-
mes , dont 600 de sa garde , 200
chasseurs corses , 200 hommes
d'infanterie, et 100 chevau- lé-
gers polonais, reçut l'ijrdre d'em-
barquement par tm coup de canon
le 2O février à 8 heures du soir. 11
saisit ce jour où le commandant
5 12 NAl>
de la station anglaise était parti
pour Livourne, et, pour éloigner
tout soupçon, il donnait lui-même
une fêle dont sa mère et sa sœur
faisaient les honneurs. Il s'y dé-
roba. « Le sort en est jeté, » dit-il
en mettant le pied sur le bâtiment.
C'était le brick l' Inconstant. Il
portait 26 canons et l\oo grena-
diers. Six autres petits bâtimens
légers composaient la flottille im-
périale. Bientôt l'île fut perdue de
vue. Exciipté peut-être les géné-
raux Bertrand , Drouot et Cam-
hrone, personne ne savait où on
allait. Cependant, l'opinion com-
mune sur la flottille était que Na-
poléon débarquerait en Italie. On
s'en inquiétait peu. Il était là.
^Grenadiers, dit-il après une heu-
»re de roule, nous allons en Fran-
y>ce. Nous allotis à Paris. » Le cri
de vive la France! vice Napoléon!
s'éleva dans les airs, et la joie re-
parut sur le front des vieux guer-
riers de Fontainebleau. Ainsi, la
Méditerranée allait rapporter en-
core en France celui que 20 ans
plus tôt elle avait ramené d'iigypte.
Âlais le vent devint contraire a-
près avoir doublé le cap Saint-
André. On n'avait fait que 6 lieues
à la pointe du jour ; de plus , la
mer était gardée par la croisière
française et anglaise. Les marins
furent d'avis de revenir à Porto-
Ferrajo. Mais la même volonté
qui avait décidé , au retour d'E-
gypte, le général Bonaparte à sui-
vre sa route sur la France, malgré
le même péril, se reproduisit en-
core, et on continua de tenir la
mer. Son projet était , s'il était
inquiété , ou de s'emparer de la
croisière , ou d'aller en Corse.
Dans le premier cas , il fallait
:sAl»
peut-être se battre, et, pour y êtrf
préparé, il ordonna de jeter à la
mcj- tous les elVets embarqués, sa-
crifice que chacun fit avec joie. A
5 heures du soir , on aperçut 2
frégates; et un bâtiment de guerre
français, qu'on reconiuit pour ê-
tre le Zéphir , vint droit sur la
flottille. Napoléon préféra passer
incognito avec sa fortune, et or-
donna à sa garde de se coucher
sous le pont. Une heure après, les
deux bricks étaient bord à bord,
et le Zéphir ayant demandé à l' In-
constant des nouvelles de l'empe-
reur, Napoléon lui-même répon-
dit avec le porte-voix qu'il se por-
tait bien. Le 28 , à la pointe du
jour, on reconnut un vaisseau de
7/j qui ne s'occupa point du ba-
teau de César. La journée fut
employée à copier trois proclama-
lions dictées par l'empereur, deux
en son nom : la première aux
Français, l'autre à l'armée, et la
troisième à l'armée, au nom de sa
garde. Les ponts se couvrirent de
copistes. Tout ce qui savait écrire
écrivait. Enfin, le t" mars 181 5,
à 5 heures du matin , Napoléon
remit le pied sur la terre françai-
se , dans le golfe Juan. Son bi-
vouac fut établi dans une planta-
tion d'oliviers. « Beau présage ,
»tlil-il, puisse-t-il se réaliser! » —
Parmi quelques paysans qui arri-
vèrent, l'un d'eux avait servi sou-;
l'empereur. Il le reconnut et ne
voulut plus le quitter. « Eh bien,
y) Bertrand, dit^apolèon au grand-
» maréchal , voilà déjà du ren-
»for{. »
Au moment du débarquement,
un capitaine de la garde et 2;)
hommes avaient été envoyés à An-
tibcs. avec ordre de s'y présenter
I
NAP
comme di''serle'irs, et de séduire
1:» garnison. îlais Napolério avait
cette lois :aial choisi ses négocia-
teurs : ils entrèrent dans l.i ville
en criant vice l'empereur, et furent
à l'instant désarniés et arrêtés.
N'ayant point de nouvelles de ce
détachement, Napoléon envoya à
Antibes un oflicier civil, chargé
d'instructions pour le comman-
dant, mais cet officier trouva les
porîes fermées, et ne put commu-
niquer avec personne. A 1 1 heu-
res du soir l'armée se mit en mar-
che. Les Polonais à pied poriaient
sur leurs dos l'équipement des
chevaux qu'ils n'avaient pas. On
les remonhiità mesure qji'on trou-
vait des chevaux à acheter. Après
vingt lieues d'une marche conti-
nue. Napoléon arriva au village
de Cérénon , dans la soirée du 2 ;
le 3 il coucha à Barème, le 4 i» Di-
gne, le 5 à Gap, Il ne conserva
près de lui, dans cette ville, que
6 hommes à cheval et 40 grena-
diers. Ce fut à Gap qu'il fit impri-
mer les proclamations qu'il avait
dictées à bord le 28 février. N'ayant
pu déchiffrer lui-même celles qu'il
avait écrites à Porto -Ferrajo la
veille de son départ, il les avait
jetées à la mer. Ces proclamations
furent répandues par toute la
France, avec la plus grande pro-
fusion. Elles produisirent d'abord
cet effet magique, dont Napoléon
avait besoin pour intéresser la
France, et pour étonner son gou-
vernement. Elles avaient le cachet
de cette éloquence deconquérans,
qui tant de fois avait remué les â-
mes des Français, et leur avait pré-
dit de si grandes choses.
Le titre de ces proclamations
était tout impérial, comme si elles
NAP 5i3
fussent émanées du cabinet des
Tuileries ou de la capitale d'un
souverain vaincu par Napoléon, et
comme si les deux abdications de
Fontainebleau ne lui avaient pas
ôté ledroit de dire : « Napoléo:» ,
PAR LA GBACE DE DlEr ET LES CO>S-
TITCTIOSS DE l'eMPIRE , EMPEP.El'U
DES Français, etc. » Il ne l'était
plus , et s'il a été possible de
croirefà cette époque que la Fran-
ce accordait à une si téméraire
entreprise l'étonnement d'une sor-
te d'admiration, on peut croire
aussi qu'elle n'avait pas oublié en
dix mois, ces dix années de pou-
voir absolu, dont l'excès l'avait
détrônée elle-même à Prague et à
Châtillon.
La première proclamation com-
mençait ainsi :
a Français ! la défection du duc
de Castiglione livra Lyon sans
défense à nos ennemis. L'armée
dont je lui avais confié le com-
mandement était, par le nombre
de ses bataillons , la bravoure et
le patriotisme des troupes qui la
composaient, en état de battre le
corps d'armée autrichien qui lui
était opposé, et d'arriver sur les
derrières du flanc gauche de l'ar-
mée ennemie qui menaçait Pa-
ris.
» Les victoiresde Charap-Aubert,
de Montmirail, de Château-Thier-
ry,de Vauchamp, de Normand, de
>iontereau,deCraonne, delieims,
d'Arcy-siir-Aube et de Saint-Di-
zier; l'insurrection des braves
paysans de la Lorraine et de la
Champagne, de l'Alsace, de la
Franche -Comté et de la Bour-
gogne, et la position que j'avais
prise sur les derrières de l'armée
ennemie, en la séparant de ses
il
5i4
NAP
magasins, de ses parcs de réserve,
de ses convois et de tous s<;s équi-
pages , l'avaient placée dans une
situation désespérée. Les Français
ne furent jamais sur le point
d'être plus puissans, et l'élite de
l'armée ennemie était perdue sans
ressources : elle eût trouvé son
tombeau dans ces vastes contrées
qu'elle avait si impitoyablement
saccagées, lorsque la trabi."5()n du
du duc de llaguse livra la capitale
et désorganisa l'armée. La con-
duite inattendue de ces deux
généraux, qui trahirent à la l'ois
leur patrie, leur prince et leur
bienfaiteur, changea le destin de
la guerre; la situation de Ten-
nen)i était telle qu'à la fin de l'af-
faire qui eut lieu devant Paris,
il était sans nmnitions , par la
séparation de ses parcs de ré-
serve.
«Dans ces nouvelles et grandes
circonstances, mon cœur fut dé-
chiré, mais mon âme resta iné-
branlable; «etc., etc.
Le G, Napoléon partit de Gap
pour Grenoble. A Saint-Bonnest,
on voulut sonner le tocsin pour
faire lever les villages eu sa fa-
veur. « Non, dit-il aux habitans,
«vos sentimens me garantissent
))Ceux de MES soldats. Plus j'en
«rencontrerai, plus j'en aurai
opour moi ; restez donc tran-
nquilles chez vous. » A Sisteron,
le maire voulut soulever sa com-
mune ; mais le général Cam-
bronne arrivé seul en avant de
ses grenadiers, dont il venait pré-
parer le logement, l'intimida au
point que le municipal s'excusa
sur la crainte que ses administrés
ne seraient point payés. « Eh
» bien! payez-vous, » dit Cambron-
ÎNAP
ne en jetant sa baurse. Les habi-
tans fournirent des vivres en a-
bondance, et offrirent un drapeau
tricolore au bataillon de l'île
d'Elbe. Cependant en sortant de
la mairie, le général Cambronne
se trouva arrêté avec ses quaran-
te grenadiers d'avant-garde, par
un bataillon envoyé de Grenoble.
11 voulut parlementer. On ne Té--
couta pas. Napoléon, instruit de
ce conlre-iemps, se porlaen avant,
et fut bientôt rejoint par sa garde,
accourue au danger, malgré la fa-
tigue qui l'accablait. « Avec vous,
«mes braves, leur dit Napoléon,
)• j'e ne craindrais pas 10,000 hom-
»mes. » Ct^pendant le bataillon
de Grenoble avait rétrogradé et
avait pris position. Napoléon alla
le reconnaître, et lui envoya un
officier, qui ne fut pas entendu.
{' On m'a trompé , dit l'empereur
»au général Bertrand; n'importe»
»en avant. » Il mit pied à terre,
et découvrant sa poitrine. « S'il
«est parmi vous, dit-il aux soldats
«de Grenoble, s'il en est un seul
«qui veuille tuer son général , son
>; empereur, il le peut, le voici. »
Les soldats répondirent par accla-
mation Vive l'empereur! et deman-
dèrent à marcher avec lui sur
Grenoble. Ce moment fut décisif
pour Napoléon. Lin seul coup
de fusil enlevait tout-à-coup à la
postérité le plus étonnant épisode
de l'histoire de la France, et la
moindre résistance de la part
de ce bataillon eût produit celle
de toute la division qui couvrait
Grenoble. Le colonel la Be-
doyère (?;o}'. ce nom) n'aurait pu
amener le lendemain à Napoléon
le y' de ligne. Ce puissant renfort
décida ce prince à entrer le soir
NAP
même à Grenoi)le, où le général
Marchand s'élait mis en état de
défense.
Les portes de la ville étaient
fermées. La garnis »n couvrait les
remparts. Elle était composée du
5* régiment du g'^nie, du 5* de
ligne, dont un bataillon marchait
depuis le matin sous le drapeau
impérial, du 4' de hussards, et
du 4' d'artillerie , où Napoléon
avait été capitaine. Du haut des
remparts, où s'était portée la po-
pulation de la ville, la garnison
était frappée d'étonnement de voir
s'avancer JNapoléon avec sa trou-
pe, l'arme renversée, et marchant
avec joie anx cris de vive Gre-
noble ! victf la France ! vive l'em-
pereur \ L'enthousiasme est élec-
trique chez tous les hommes dans
les circonstances qui surprennent
tout-à-coup leur raison. Les rem-
parts de Grenoble retentirent sou-
dain des mêmes acclamations, et
soudain les portes de la ville furent
bçisées par les habitans. « Tiens,
«dirent- ils à Napoléon, au défaut
«des clefs de ta bonne ville, en
«voici les portes. » — Tout est
«décidé maintenant, dit Napoléon
»à ses officiers, tout est décidé,
«nous allons à Paris. »I1 fit réim-
primer et publier ses proclam'a-
tions, et répandre le bruit qu'il
était suivi du roi de Naples , à
lu tête de 8o,ooo hommes; que
l'Autriche marchait aussi pour
lui, etc.; ceci était pour le peuple,
exalté déjà au plus haut degré par
la lecture des proclamations. Le
lendemain 8 mars, reconnu et
complimenté solennellement com-
me emperiHir par toutes les auto-
rités civiles, judiciaires, militaires
et ecclésiastiques, il leurdit : « J'ai
NAP
5i5
» su que la France était malheureu-
»se; j'ai entendu ses gémissemens
»et ses reproches.... Mes droits
«ne sont autres que les droits du
«peuple je viens les repren-
»dre, non pour régner, le trône
«n'est rien pour moi ; non pour
»nie venger, je veux oublier tout
«ce qui a été dit, fait et écrit de-
»puis la capitulation de Paris....
"J'ai trop aimé la guerre, je ne
«la ferai plus Nous devons
«oublier que nous avons été les
«maîtres du monde.... Je veux
«régner pour rendre notre belle
«France libre, heureuse et indé-
» pendante — Je veux être moins
Dson souverain que le premier et le
n meilleur de ses citoyens J'au-
nrais pu venir attaquer les Bour-
y>bons avec des vaisseaux et des
» flottes nombreuses ; Je n'ai voulu
»des secours ni de Murât, ni de
nC Autriche.... « Napoléon n'était
point changé. Il était aussi peu
disposé à rendre ses droits à la
nation qu'il avait pu être dans le
cas de refuser les flottes et les
armées de Vienne et de Naples ;
mais il redevint subitement l'hom-
me des soldats et du peuple, dont
son retour merveilleux avait subi-
tement saisi , exalté toutes les fa-
cultés. Aussi, à la revue qu'il passa
de la garnison de Grenoble, l'en-
thousiasme public fut porté jus-
qu'au délire, surtout après ces
paroles qu'il adressa au 4* d'artil-
lerie :
« C'est parmi vous que j'ai fait
• mes premières armes; je vous
»aime tous comme d'anciens ca-
«marades. Je vous ai suivis sur
«le champ de bataille, et j'ai lou-
» jours été content de vous; mais
«j'espère que uous n'aurons pas
5i6 NAP
«besoin tic vos canons. Il faut à
»la Fratice de la modération et
»du repos. L'armée jouira, dans
»le sein de la paix, du bien que je
«lui ai déjà fait et que je lui ferai
«encore. Les^oldats ont retrouvé
«en nioi leur père; ils peuvent
«compter sur les récompenses
«qu'ils ont méritées. » Après la
revue, la garnison se'mit en mar-
che sur Lyon, au nombre de 6,000
hommes. Le soir. Napoléon écri-
vit à l'impératrice et au roi Joseph.
Les courriers ne manquèrent pas
tie dire sur leur passage, et le
peuple de répéter, qu'ils portaient
l'ordre à l'impératrice de venir
avec le roi de Home rejoindre
l'empereur. Cependant Napoléon
ne se contenta pas à Grenoble de
prendre possession de l'opinion ;
il reprit aussi ce lie du pou voir impé-
rial, en décrétant qu'à dater du i5
mars, les actes publics seraient faits
et la justice rendue en son non*. L'or-
ganisation des gardes nationales
dans les cinq départemens qu'il ve-
nait de traverser ne fut point ou-
bliée, et avant de quilttr Grenoble,
il adressa celle proclamalion aux
habitans de l'Isère:
« Citoyens, lorsque dans mon
a exil , j'appris tons les malheurs
<)qui pesaient sur la nation, que
«tous les droits du peuple étaient
«méconnus, et qu'on me repro-
«chaitlereposdans lequel je vivais,
«je ne perdis pas un moment, je
«m'embarquai sur un frêle navi-
»re, je traversai les mers au mi-
nlieu des vaisseaux de guerre de
«différentes nations. Je débarquai
«seul sur le sol de la patrie, et je
«n'eus en vue que d'arriver avec
«la rapidité de l'aigle dans cette
«bonne ville de Grenoble, dont le
NAP
«patriotisme l'.i l'attachement à
«ma personne m'étaient particu-
«lièrement coimus; Dauphinois,
0 vous avez rempli mon attente ;
»j'ai supporté, non sans déchire-
« ment de cœur, mais sans abatte-
» ment, les malheurs auxquels j'ai
» été en proie il y a un an. Le spec-
» tacle que m'a offert le peuple sur
» mon passage m'a vivement ému.
«Si quelques nuages avaient pu
«altérer la grande opinion que j'a-
«vais du peuple français, ce que
«j'ai vu m'a convaincu, qu'il était
j toujours digne de ce nom -de
» GRAND PEi'PLE, dont je le saluai il
«y a 20 ans. Dauphinois , sur le
«point de quitter vos contrées
«pour me rendre dans ma bonne
«ville de Lyon, j'ai senti le besoin
«de vous exprimer toute l'estime
«que m'ont inspirée vos senlimens
«élevés. Mon cœur est tout plein
«des émotions que vous y avez
«fait naître; j'en conserverai tou-
» jours le souvenir. »
Il y avait sept jours que NajK»-
léon était en France, lorsque le Mo-
niteur apprit à la France ce grand
événement par une ordonnance
royale, qui mettait ce prince hors
LA. LOI, et par une proclamalion qui
convoquait sur-le-champ les deux
chambres. Le lendemain, ce mê-
me journal annonça que Napoléon,
abandonné des siens, poursuivi
par la population et les garnisons,
errait dans les montagnes et ne
pouvait manquer d'échapper à la
haine commune. Comme on con-
naissait le Moniteur depuis le com-
mencement de la révolution, et
qu'on connaissait aussi Bonaparte,
les nouvelles de cette feuille offi-
cielle n'eurent pas un grand cré-
dit. Toutefois il y eut daux opi-
NAP
nions : l'une était celle de la mas-
se, qui croj'ait aux succès de Na-
poléon"; l'autre était celle de la
cour, qui méprisait cet enne:i)i,
comme 25 ans auparavant elle a-
vait méprisé celui qui s'appela la
révolution. Cependant ou ne put
cacher long -temps l'épisode de
Grenoble, ni la marche sur Lyon;
en conséquence, MoNsiErR, iM. le
duc d'Orléans, et le maréchal Mac-
donald, partirent en toute hâte
pour cette ville, où ils devaient
marcher avec 25, ooo hommes con-
tre le fugitifconquérant. M. le duc
d'Angoulème, le maréchal Massé-
na, les généraux Marchand et Du-
vernet, devaient lui fermer la re-
traite. Sur ses flancs était le géné-
ral Leconrbe. Le maréchal Oudi-
not marchait à la tête de ses invin-
cibles grenadiers : tout le midi
était levé. Enfin, le 1 1 mars, on an-
nonça à Paris que Bonaparte \e.na\t.
d'être complètement battu du cô-
té de Bourgoing. Cependant il a-
vait couché à Bourgoing le 9 sans
coup-férir, et le 10, à 7 heures du
soir, il avait fait son entrée à Lyon,
à la tête de l'armée envoyée pour
le combattre. Il était descendu à
l'archevêché que venait de quitter
RloNsiErR, et il avait voulu y être
gardé par la gardé nationale à pied:
celle à cheval s'étant présentée,
«Nos institutions, lui dit-il, ne re-
.) connaissent pas de gardes natio-
» nalcs à cheval ; d'ailleurs, vous
«vous êtes si mal conduits avec le
«comte d'Artois, que je ne veux
» point de vous.» En effet, de tous
les nobles dont cetle garde était
presque entièrement composée,
un seul avait suivi le prince, jus-
qu'à ce que sa personne fût hors
de tout danger. Napoléon le Ot np-
NAP
5.7
peler. « Je n'ai jamais laissé, lui
» dit-il, ime belle action sans ré-
» compense. Je vous donne la croix
»de la légion-d'honneur. » Cetle
action serait héroïque , si Napo-
léon n'avait pas voulu récompen-
ser la fidélité qu'il voulait réveil-
ler pour lui-même.
Aussi la scène va-t-elle changer
parce que Napoléon n'est point
changé. Jusqu'aux portes de Lyon,
depuis le golfe Juan, il s'est dit le
premier citoyen de la France.
A Lyon , il reprend le sceptre.
Il écrit à l'impératrice : Je suis
remonté sur mon trône. Il écrit
au roi Joseph retiré en Suis-
se : J'ai ressaisi ma couronne. Il le
charge de faire déclarer à la Rus-
sie, à l'Autriche, aux puissances,
qu'il veut tenir loyalement le trai-
té de Paris. On doit croire cepen-
dant qu'il était entièrement déci-
dé, vis-à-vis de lui-même, à abju-
rer l'esprit de conqiîêtes, puisqu'il
répète à Lyon, aux autorités, ce
qu'il avait dit sur sur sa route : (J'ai
»été entraîné par la force des évé-
»nemens dans une fausse route.
«Mais instruit par l'expérience,
•) j'ai abjuré cet amour de la gloi-
»re, si naturel aux Français, qui
» a en pour la France et pour moi
• tant de funestes résultats Je
nme suis trompé en croyant que le
)) siècle était tenu de rendre la Fran-
nce le chef-lieu d'un grand empi-
>irc. n II est clair, en songeant aux
proportions de l'empire qu'il avait
perdu , que par grand empire Na-
poléon entendait parler au moins
de l'Europe. Telle était donc sa
première pensée , en rentrant en
France , celle de n'être plus un
conquérant. Mais la seconde fut
d'être un souverain.
5i8
NAP
« J'y sais décidé^ disait-il le len-
» demain ; je veux dès aujourd' liui
yt anéantir l'autorité royale et ren-
■ voyer les chambres. Puisque j'ai
«repris le gouvernement, il ne doit
r^ plus exister d'autre autorité que
» lu mienne. Il faut qu'on sache,
odes à présent, que c'est A. moi
«SEUL qu'on doit obéir.» Alors il
dicla ces frop fameux et trop jus-
tement fameux dt'-crets de Lyon.
Par le premier, il prononçait la
dissolution des deux chambres, et
il ordonnait la réunion à Paris
en assemi)iée extraordinaire du
champ-de-Mai, des collèges élec-
toraux de l'empire, soit pour car-
riger, disait-il, nos institutions,
soit aussi pour assister au couron-
nement de l'impératrice , notre
très-chère et bien uim^ée épouse, et
à celui de notre très-cher et bien
aimé fils. Par le second décret, il
rétablissait contre les émigrés non
radiés, rentrés en France depuis
le i" janvier 18 i4'» la rigoureuse
législation des assemblées natio-
nales, et de plus il frappait leurs
biens du séquestre. Par le troisiè-
me, il rentrait au 1" article dans
le système de la révolution, en
abolissant la noblesse et les titres
féodaux. Mais au 5'" article, il
rentrait dans son système impé-
rial, en confirmant la jouissance
des titres à ceux qui les avaient
reçus de lui , et en se réservant
par le 4"* article de les concéder
à sa volonté, aux héritiers des
grandes notabilités de la France
dans tons les âges et dans tous les
genres d'illustration. Le quatriè-
me décret congédiait tous géné-
raux et officiers de terre ou de
iner, qui avaient été introduits
dans nos armées depuis le 1" a-
NAP
vril 18 14? et qui soit émigrés on
non avaient quiité le service à la
première coalition contre la Fran-
ce. Le c\t\q\i\èmc rappelait à leurs
fonctions tous les magistrats éli-
minés, parce que tous les mem-
bres de l'ordre judiciaire sont ina-
movibles par nos constitutions. Un
sixième décret ordonnait le séques-
tre sur les biens des émigrés à tous
les établissemens publics à qui ils
avaient été repris. Le huitième, li-
cenciait la maison du roiel les Suis-
ses. Le neuvièmeenfin, supprimait
tous les ordres royaux. Tels furent
les décrets de Lyon. Ils reconsti-
tuaient tout l-e pouvoir impérial,
et satisfaisaient, non aux intérêts
moraux, mais aux intérêts indivi-
duels de la révolution, ainsi qu'aux
vengeances de l'époque. Le séques-
tre et la proscription d'un côté, de
l'autre la noblesse impériale par
privilège exclusif, le couronne-
ment de l'impératrice, celui de
son iils, étaient loin d'être les ga-
ges de celte liberté que voulait la
France et dont Napoléon s'était,
au golfe Juan, proclamé le dis-
pensateur. De tous ces décrets il
n'y avait de populaire que celui qui
abolissait en France le service é-
tranger; les autres furent et du-
rent être désavoués par les amis
d'une véritable liberté, par ceux
qui ne voulaient, ni la proscrip-
tion, ni le bon plaisir. Mais com-
me les vrais citoyens sont en pe-
tit nombre dans tout état, ces dé-
crets eurent la faveur du peuple,
faveur que l'enthousiasme rendait
séditieuse contre lui-même, et qui
dans l'adversité devint au moins
inutile si ce n'est fatal-e à celui qui
l'avait provoquée. Le noble refus
que fit le grand-maréchal Bertrand,
NAP
en sa qualité de major-généial, de
coniresigner les décrets , ne doit
pas être passé sous silence.
Le 12 mars i8i5, Napoléon re-
prenait la nute du pouvoir avec la
même pensée,la même volonté, qui
lui avaient fait rompre à Châtillon ,
et même à Prague, les négocia-
lions de la paix, qui l'avaient por-
té à se taire empereur, consul à
vie, premier consul, à détruire au
18 brumaire la représentation na-
tionale par la force, à concevoir
le projet de conquérir l'Asie à
Saint-Jean d'Acre, et la France à
Aboukir, à être déjà à sa premiè-
re entrée à Milan le maître de
l'armée de la république, et le
souverain de ses conquêtes, et en-
fin à faire la paix à Léoben sans
l'aveu de son gouvernement. Pour
arriver à la domination, Napoléon
était tout d'une pièce, si on peut
le dire, il n'agissait qu'avec un
seul moyen. Il séduisait et fanati-
sait le peuple et les soldats, pro-
clamait son pouvoir en leur nom,
restait seul, tout seul hors de l'é-
galité, traduisait la liberté légale
par l'indépendance politique, don-
nait la législature à un conseil-
d'élat, ajoutait la police au code
civil, ne concevait la responsabi-
lité des ministres qu'envers lui
seul, et couvrait de trophées le
joug sous lequel la nation déci-
mée criait : f^ive l'empereur ! Dans
une telle combinaison, qui fut in-
variable, aucune aristocratie , ni
parlementaire, ni nobiliaire, ni
ministérielle, ne pouvait exister.
Par conséquent les élémcus de la
moindre résistance étaient incon-
nus. Il y avait égalité uiverselle
devant celui qui tenait le sce[>tre ;
NAP
519
le grand empire présentait deux
êtres complets dans leur condi-
tion, le sujet et le maître. C'é-
tait une grande fatalité, mais sans
laquelle Napoléon ne pouvait exis-
ter. Il en était dominé lui-même,
et il y succomba deux fois. Les
décrets de Lyon ne furent que les
échos du passé. La tendre popu-
larité de ses adieux aux habitans
de celte importante cité les livrait
comme de nouveaux oracles à l'i-
vresse de la multitude.
«Lyonnais, leur dit-il le i3
omars, au moment de quitter ve-
ntre ville pour me rendre dans ma
• capitale, j'éprouve le besoin de
))Vous faire connaître les senti-
«mens que vous m'avez inspirés.
» Vous avez toujours été au premier
nrang dans mes affections. Sur le
» trône ou dans l'exil vous m'avez
«toujours montré les mêmes sen-
Dtimens; le caractère élevé qui
«vous dislingue, vous a mérité
«toute mon estime. Dans des mo-
»mens plus tranquilles, je revien-
»drai pour m'occuper de vos ma-
«nufactures et de votre ville.
«Lyonnais, je vous aime. » Elles
cris de vive la nation ! vive l'empe-
reur ! accueillirent tumultueuse-
ment les adieux de Napoléon.
La veille de son départ Napo-
léon apprit que le maréchal Ney
avait un comuiandement. Il char-
gea le général Bertrand de lui é-
crire ce qui venait de se passer, et
de lui dire qu'il serait responsa-
ble de la guerre civile. « Flattez-
» le, mais ne le caressez pas trop; il
» croirait que je le crains et se fe-
» 7'ait prier. »
Le i3, Napoléon coucha à Châ-
lons , où il reçut un envoyé de
530
NAP
Paris. Il apprit que la garde na-
tionale était disposée àdéfendrele
roi, et que le roi avait déclaré
qu'il ne quitterait pT)int les Tuile-
ries— «J'en doute fort, dit Na-
«poléon, quand je serai à 20 lieues
»de Paris, les émigrés l'abandon-
«neront comme les nobles de Lyon
«ont abandonné le comte d'Ar-
1 tois. La garde nationale crie de
"loin; quand je serai aux barriè-
Dres, elle se taira; son métier
«n'est pas de faire la guerre civi-
i)le. Pietournez à Paris; dites à
nmes anu's de ne point se com-
» promettre, et que anus dix jours
«mes grenadiers seront de garde
«aux Tuileries. »
Le i/'i, Napoléon arriva à Cbû-
lons. Le maire ne parut point;
on l'envoya sermoner par un aiïi-
dé, auquel il objecta son serment
au roi, et l'abdication. Cependant
il se rendit aux raisons qui com-
battirent son opinion , et le len-
demain il fut destitué. Cette anec-
dote du voyage de Napoléon dut
prouver que le temps même de la
réflexion n'était plus accordé dès
le 14 avril pour se souniettre et
redevenir son sujet, tant à lïnsu
de la nation il avait fait de che-
min vers le pouvoir absolu, tout
en marchant à journées d'étapes
sur la capitale encore occupée par
le roi, et défindue par des armées
qu'il allait rencontrer. Le lende-
main, il reçut l'ordre du jour
du maréchal Ney du quartier- gé-
néral de Lons-le-Saulnier. Sol-
dats, disait le maréchal, y> vous
ai souvent menés à la victoire ,
maintenant je vais vous conduire à
cette phalange immortelle que l'em-
pereur Napoléon conduit à Paris,
et (juiy sera sous peu de jours; l i-
NAl»
ve l'empereur ! L'exemple du ma-
réchal Ney donnait le reste de l'ar-
mée à Napoléon. Le 18, Napoléon
l'embrassa à Auxerre. « Quels gé-
«néraux avez^vous avec vous? lui
«dit Napoléon. — Lecourbe et
«Bourmont. — En êtes-vous sûr?
n — De Lecourbe oui, sire, mais
» moins de Bourmont. — Ne crai-
»gnez-vous pas que Bourmont ne
«remue? — Non, sire; d'ailleurs il
» ne trouverait personne pour le
«seconder. — N'importe, je ne
«veux point lui laisser la possibi-
«lité de nous inquiéter. Vous or-
» donnerez qu'on s'assure de lui
«jusqu'à notre entrée à Paris. J'y
«serai du 20 au 25, etplus tôt :...
«je ne voudrais pas qu'une tache
«de sang souillât mon retour...»
Le soir, Napoléon fit embarquer
une partie de son armée. Malgré
les avis qu'il recevait, soit par les
correspondances interceptées, soit
autrement, des projets sinistres
tramés contre ses jours, il se per-
dait lui-même dans la foule qui se
pressait autour de lui à Auxerre,
et il popularisait ainsi sa propre
confiance. Cependant l'ordonnan-
ce royale du 6 mars portait : i^ Na-
poléon Bonaparte est déclaré traî-
tre et rebelle pour s'être introduit
à main armée dans le département
du Var. Il est enjoint à tous les
gouverneurs , commandans de la
force armée, gardes nationales ,
autorités civiles, et même aux sim-
ples citoyens, de lui courir sus, de
l'arrêter et de le traduire inconti-
nent devant un conseil de guerre,
qui, après avoir reconnu l'identi-
té, provoquera contre lui l'appli-
cation des peines portées par la
loi. »
Les autres articles appliquaient
NAP
les mêmes dj<po?itions à toiiles
les autorités et tous les individus
civils et militaires qui auraient
pris part à l'entreprise de Napo-
léon. Il était donc autorisé, soit à
craindre pour ses jours , soit à
croire à dos vengeances contre les
royalistes de la part de ceux qui,
se déclarant ses partisans, met-
traient ainsi leur vie en danger.
Il ne s'arrêta toutefois qu'à cette
dernière inquiétude, et il écrivait
à un général : « On m'assure que
» vos troupes, connaissant les dé-
BCrets de Paris, ont résolu par
» représailles de l'aire main-basse
«surles royalistes qu'elles rencon-
«treront : Fous ne rencontrerez
»que des Français. Je vous dé-
» tends de tirer un seul coup de
«fusil... Dites à vos soldats que je
»ne voudrais pas entrer dans ma
«capitale à leur tête, si leurs ar-
»mes étaient teintes du sang fran-
açais. » Les troupes que Napoléon
rencontra sur sa route vinrent à
lui et prirent rang dans son ar-
mée.
Tandis que Napoléon marche
sur l'aris à la tête d'une armée
française, que la stupeur et l'en-
thousiasme improvisent sur sa
route, le congrès de Vienne re-
nouvelait le i5 mars l'ordonnance
royale du 6, et publiait la décla-
ration .suivante.
Déclarai ion.
• Les puissances, qui ont signé
«le traité de Paris, réunies en
«congrès à Vienne, informées fie
» révasion de Napoléon Bonapar-
» te et de son entrée à main armée
«en France, doivent à leur pro-
»prc dignité et à l'intérêt social
• une déclaration ?oU:nnclle des
NAP
52 1
»senlimens que cet événement
«leur a fait éprouver. En ronipant
«ainsi la convention qui l'avait
«établi à l'île d'Elbe, Bonaparte.
«détruit le seul titre légal, auquel
y>son existence se trouvait atla-
«chée. En reparaissant en France
«avec des projets de troubles et
«de bouleversemens, il s'est privé
«lui-même de la ]trotecliou des
«lois, et a manifesté à la face de
^l'univers, qu'il ne saurait y avoir
» ni paix ni trêve avec lui. Les
«puissances déclarent en consé-
«quence, que Napoléon Bonapar-
0 te s'est placé hors des relations
<) civiles et sociales; et que, com-
» me ennemi et perturbateur dii
«repos du monde, il s'est livré à
«la vindicte publique ; elles décla-
» rent en même temps que ferme-
«ment résolues de maintenir in-
« tacts le traité de Paris du 5o mai
i8i4, et les dispositions sanction-
«nées par ce traité, et celles qu'el-
»les ont arrêtées ou qu'elles arrê-
«leront encore pour le compléter
«et le consolider; elles emploie-
«ront tous les moyens et réuniront
» tous leurs efforts pour que la paix
n générale, objet des vœux de l'Eu-
«rope, ce vœu constant de leurs
«travaux, ne soit pas troublée de
«nouveau, et pour la garantir de
«tout attentat qui menacerait de
«replonger les peuples dans les
«désordres et les malheurs des ré-
«volutions; et, quoique intime-
«ment persuadés que la France
«entière se ralliant autour de son
«souverain légitime fera inces-
«samment rentrer dans le néant
«cette dernière tentative d'un dé-
«lire criminel et impuissant, tous
«les souverains de l'Europe, ani-
«més des mêmes senlimens et
Sac
NAP
n guidés par les mêmes principes,
» déclarent que si, contre tout cal-
"Ciil, il pouvait résulter de cet é-
«vénement un danger réel (|uel-
» conque, ils seraient prêts à don-
»ner au roi de France et à la na-
»lion française, ou à tout autre
'^gouvernement attaqué, dès que la
«demande en serait formée, les
"Secours nécessaires pour rétablir
» la tranquillité publique et à faire
» cause commune contre tous ceux
«qui entreprendraient de la com-
M promettre. .) Cette déclaration
rendue publique était signée par
les plénipotentiaires d'Autriche,
d'Espagne, de France, de la Gran-
de-Bretagne, du Portugal, de la
Prusse, de la llussie et de la Suè-
de. Ainsi Napoléon qui , après
Moskou, était rentré en Allema-
gne entre deux défections , celle
du général York et du prince
Schwarzenberg, qui avait perdu la
bataille de Léipsick par celle des
Saxons et des Bavarois, qui avait
dû, en i8i4, saïuine totaleà deux
autres défections, celles des maré-
chaux Augereau et Marmont, al-
lait rentrer à Paris et marchait en
France entre deux proscriptions.
Ce manifeste, cet arrêt com-
mun de toutes les puissances, de-
vint pour elles un nouveau lien.
La nécessité réunit subitement
ceux que l'intérêt avait déjà divi-
sés. L'entreprise trop prématurée
de Napoléon resserra le faisceau
des cabinets, qui allait, disait-
on, se briser. On parlait d'une
convention secrète, qui unissait
déjà l'Angleterre, l'Autriche, et
la France avec toutes les vastes
dépendances de leurs alliés et des
trônes de famille, contre la Russie
et la Prusse. L'apparition de l'en-
NAP
nemi. commun, la peur historique
de Niipoléon , rapprochèrent sou-
dain les politiques de Vienne, ef-
frayés du murmure des âmes que
l'on s'était partagées. Un nou-
veau pacte, qui depuis/s'est ap-
pelé SAINTE-ALLIANCE, naquit de
cette perplt^xité des cabinets. Si
Napoléon s'est reproché d'être
descendu trop tôt en France, lui
seul aussi a pu s'en justifier, en
alléguant que le congrès avait ré-
solu son enlèvement de l'île d'El-
be, et sa déportation à Sainte-Hé-
lène. Alors son entreprise n'a été
que l'effet d'une résolution , dont
son salut personnel était le seul
objet.
Le 20 mars, à minuit, le roi
part du château des Tuileries. A
4 heures du matin Napoléon arri-
ve à Fontainebleau : il revoit, sans
émotion apparente, ce théâtre de
son abdication, qu'il ne regarde
plus que comme une anecdote
rayée de sa vie , et qu'il se promet
bien de faire oublier. A 9 heures
du soir, il est à Paris. La foule le
porte dans les escaliers du palais,
jusque dans la salle des Maré-
chaux. Mais, jusqu'aux Tuileries,
il a traversé une population pres-
que silencieuse, en comparaison
de la joie triomphale qui l'a ac-
cueilli sur sa route depuis Lyon
jusqu'à Paris. On a avancé que ce
n'était point incognito ni la nuit
qu'il devait rentrer dans la capi-
tale. Cet homme si confiant pen-
dant les périls de son voyage, si
habile à saisir la faveur du peuple,
à interprêter la fortune, si intelli-
gent sur ses intérêts, si fort de sa
propre valeur contre la malveil-
lance elle-même, aurait-il une
fois, et dans une circonstance aus-
NAP
si importante, désespéré de son
empire sur la multitude et sur
lui? Non, saris doute, et quoi-
qu'on l'ait répété, Napoléon ne
manqua point son entrée dans la
capitale. 11 eut une grande raison
pour y arriver le 20 à la nuit,
au lieu du 21 en plein jour. On
apprenait en France 24 heures
plus tôt la nouvelle de son suc-
cès; et ce succès n'était prouvé
que par l'arrivée à Paris. Par
cela seid, il en imposait à ^es en-
nemis,qui auraient eu un jour de
plus pour travailler les troupes
non.'breuses qui étaient dans la
capitale, et dont les chefs dévoués
à la cour disposaient exclusive-
ment. Personne mieux que Na-
poléon , et notamment dans une
telle circonstance , ne connaissait
le prix du temps et son emploi. Il
surprit donc le 20, à 9 heures du
soir, la fidélité des casernes qu'il
aurait peut-être eue à combattre
le lendemain. Le lendemain, il é-
tait déjà établi; il régnait. Les
grenadiers de Tile d'Elbe, les gé-
néraux Drouot, Bertrand, Cam-
bronne , n'étaient plus au palais
que les trophées d'une victoire,
qui avait duré 20 jours, et dont
Paris était le repos et le
terme!...
Cependant les paroles de Napo-
léon étaient toutes populaires. Le
jour et le lendemain de son arri-
vée, et en présence des anciennes
puissances et des voltigeurs de sa
cour, de ceux surtout qui n'avaient
presque pas quitté le palais depuis
son départ, il affectait de dire : aCe
«sont les gens désintéressés qui
t m'ont ramené à Paris : ce sont les
■a sous-Ueutenans et les soldats qui
*ont tout fait : c'est au peuple.
NAP
523
9 c'est à l'armée que je dois tout. »
Le ai mars. Napoléon, qui mal-
gré sa nouveauté avait la routine
des rois, rappelle presque tout son
ministère. Il n'y eut de nouveaux
choix que celui du comte Carnot,
à qui il donna l'intérieur pour po-
pulariser son gouvernement, et du
prince d'Ekmuhl, qui fut nommé
à la guerre, à cause de sa belle dé-
fense de Hambourg. Ce dernier
choix fut aussi peu populaire que
celui du duc Decrès , rappelé à la
marine, et que celui du duc d'Otran-
te, rappelé à la police. Il n'en fut
pas de même du duc de Gaëte et du
comte MoUien, à qui les finances
et le trésor furentrendus. Il y avait
un portefeuille nécessairement
vide, depuis la déclaration du
congrès européen à Vienne, c'é-
tait celui des affaires étrangères;
le duc de Vicence le refusa. Mais
Napoléon, à qui une voix intègre
était utile dans son conseil, revint
à la charge, et le duc de Vicence
accepta le 20. La secrétairerie d'é-
tat revenait de droit à l'inaltéra-
ble dévouement du duc de Bassa-
no. Tel fut le ministère; sa com-
position devait déplaire : il était
loin de présenter à l'opinion , aux
périls, aux intérêts, aux besoins
du moment, une garantie com-
pacte, une solidarité morale, telle
que la nation avait le droit de l'exi-
ger et de l'attendre de Napoléon ,
qu'elle avait accueilli, mais qu'el-
le n'avait point rappelé. Le coni-
mandement général de la gendar-
merie fut donné au duc de Rovi-
go, ex-ministre de la police, an-
cien aide-de-camp de l'empereur.
M. de Montalivet, ex-ministre de
l'intérieur , fut intendant de la
liste civile. M. Molé^ qui avait re-
524 NAP
fusé les ministères de l'intérieur
et des aiï'aires étriingères, reprit
la direction des poiits-et-chaussées
qu'il avilit en i8i3. Le duc de Ca-
dore, ex-ainbassadeiir, ex-minis-
tre de l'intérieur et des relations
extérieures, accepta la place d'in-
tendant des bâtimens. Les audi-
teurs murmurèrent du désintéres-
sement de ce ministre, qui leur
enlevait un patrimoine. Le con-
seil-d'état reprit à peu près dans
son intégralité son service extra-
légal auprès de Napoléon. Les
chambellans ne sont jamais incons-
tans, ils ne sont qu'infidèle?. Ils
revinrent tous au palais, qu'une
bonne partie d'entr'eux n'avait
quitté qu'à njinuit l'avant-veille,
après avoir vu monter le roi en
voiture. Napoléon les admit tous,
il ne renvoya que la livrée du»châ-
teau. Ainsi rien n'était changé au-
tour de Napoléon, si ce n'était la
France, qui avait eu le temps et
qui avait conservé la prérogative
de faire le procès aux habitudes
impériales. Elle fut découragée de
voir que pendant son séjour à l'île
d'Elbe, Napoléon n'avait rien ap-
pris ni rien oublié ; qu'il n'avait
été fidèle qu'à lui seul.
Le 22 mars, Napoléon passa la
revue du corps d'armée que com-
?nandait le duc de Berry. Il parla
aux soldats, et au moment où le
général Cambronne, et les offi-
ciers du bataillon de l'île d'Elbe,
parurent avec les anciennes aigles
de la garde,il reprit la parole, et dit:
« Soldats, voïlà les ofTiciers du
«bataillon qui m'a accompagné
»dans mon malheur. Ils sont tous
» mes amis, ils étaient chers à mon
» ( œnr : toutes les fois que je les
NAP
» Toyais, ils me représentaient Iffs
»difiérens régimeiis de l'armée.
» Dans ces six cents brave*, il y a
» des hommes de tous les régimens.
»Tous me rappelaient ces grandes
» journées dont le souveni*' m'est si
» cher : car tous sont couverts d'ho-
» norables cicatrices reçues à ces
I) batailles mémorables. En les ai-
» mant, c'est vous tous, soldats de
» l'armée française, que j'aimais.
»Ils vous rapportent ces aigles.
» Qu'elles vous servent de rallie-
«ment ! En les donnant à la garde,
»je les donne à toute l'armée. La
«trahison et des circonstances mal-
» heureuses les avaient couvertes
«d'un voile funèbre, mais grâce au
«peuple français et à vous, elles
«reparaissent resplendissantes de
«toute leur gloire. Jurez qu'elles
«se trouveront toujours partout
n où l'intérêt de la patrie les appel-
nlera ; que les traîtres, et ceux qui
«voudraient envahir notre territoi-
»re, n'en puissent jamais soutenir
«les regards! "
Les troupes s'écrièrent avec vio-
lence : « Nous le jurons ! »
Le lendemain, 35 mars, le roi
avait quitté Lille etétait*parli pour
Gand. Ce ne fut qu'ime fausse
victoire pour Napoléon, qui croyait
que la famille royale retournerait
en Angleterre. Le duc d'Orléans, à
qui le roi avait laissé le commande-
ment de Lille, quitta cette ville 2^
heures après, et écrivit au maré-
chal duc de Trévise : «Je suis trop
«bon Français pour sacrifier les
«intérêts de la France, parce que
«de nouveaux malheurs me for-
« cent à la quitter — Le roi n'étant
«plus en France, je ne puis plus
M transmettre d'ordres en son non>.
NAP
oet il ne me reste plus qu'à vous
a dégager de lobservation de tous
«les ordres que je vous avais trans-
» unis, en vous recommandant de
» faire tout ce que votre excellent
«jugement et votre patriotisme si
«pur vous suggéreront de mieux
» pour les intérêts de la France...»
îSapoiéon lut cette lettre «et dit:
(i Cette lettre fait honneur au duc
» d'Orléans !... » iM"" la duchesse
d'Orléans , mère du prince , et
M°" la duchesse de Bouiboo sa
tante, n'avaient point suivi la fa-
mille royale. Ces princesses a-
vaient écrit à Napoléon sur les
embarras de leur position depuis
le décret qui séquestrait les biens
de la maison de Bourbon. « Je
nveux, dit Napoléon, que la mère
«du duc d'Orléans soit traitée a-
» vec les égards qu'elle mérite.»
Et il ordonna que M""' la duches-
se d'Orléans toucherait annuelle-
ment 5oo,ooo francs sur le trésor,
et M"" la duchesse de Bourbon
j5o,ooo. m. le duc de Bourbon
nvait inutilement tenté de faire
insurger la Vendée, et venait de
s'embarquer sous la protection
spéciale des autorités militaires.
11 ne restait en France de la fa-
mille royale, que M. le duc et
M"* la ducheste d'Angoulême. Le
prince était à Toulouse et la prin-
cesse à Bordeaux, quand Napoléon
débarqua au golfe Juan. Au lieu
de se sauver en Espagne, la du-
chesse prit la généreuse résolu-
tion de défendre Bordeaux; elle
courut aux casernes, harangua les
soldais. Elle appela la garde na-
tionale, organisa des bataillons de
volontaires qui se présentèrent en
foule, et elle donna des ordres
militaires pour défendre au loin
NAP
5^5
les avenues de Bordeaux, intercep-
ter toute communication et assu-
rer la tranquillité intérieure. Ce
spectacle était nouveau en Fran-
ce; la duchesse d'Angoulême se
souvenait mieux que Marie-Loui-
se qu'elle était du sang de Ma-
rie-ïhérçse. Le général Clausel,
dont le nom rappelait de si glo-
rieux service's , avait été choisi
par Napoléon pour aller faire la
guerre à Madame. Il commandait
en chef la 1 1' division, et il arriva
à G lieues de Bordeaux avec quel-
ques gendarmes et un détache-
ment de la garnison de Blaye. Un
bataillon de volontaires lui dispu-
ta d'abord à coups de canon le
passage de la Dordogne à Saint-
André de Cubsac , mais , saisi
d'une terreur panique, il se re-
ploya sur Bordeaux. Devenu maî-
tre de la rivière, le général Cliui-
sel reçut de M. de Martignac l'as-
surance que Madame quitterait
cette ville dans les 24 heures.
Mais la princesse voulu tenter un
nouvel effort sur l'esprit des ca-
sernes, et entraîner les soldats à
faire cause commune avec les vo-
lontaires. De la rive droite du
fleuve, le général Clausel voyait
Madame passer à cheval la revue
des gardes nationales ; il entendait
leurs acclamations. Il se plaignit
à M. de Martignac de l'inexécu-
tion de sa promesse. (>eiui - ci
s'excusa sur le parti que les trou-
pes de ligne et les volontaires
royaux venaient de prendre de
défendre la ville. « Vous êtes trom-
pé, monsieur, dit le général, la
garnison du château Trompette
est à moi. » Aussitôt il fit élever
le drapeau tricolore, et M. de
Martignac le vit arborer sur la ci-
026
NAP
ladelle. Cette scène, à laquelle la
garde nationale de Bordeaux ne
s'attendait point, changea tout-à-
coup sa résolution, et les Borde-
lais demandèrent à capituler. Ma-
dame avait en vain essayé de dé-
cider les troupes. Les officiers et
les soldats lui déclarèrent qu'elle
était et qu'elle ferait l'objet de
l«;ur respect, mais, qu'étant Fran-
çais, ils ne tourneraient pas leurs
armes contre des Français, et ne
souffriraient pas que la garde na-
tionale tirât sur les troupes du
général Clauscl. Cette réponse
avait précédé la scène du drapeau
tricolore, et dut déterminer Ma-
dame à quitter Bordeaux dans la
journée du i" avril.
« Tout ce qui s'est passé à Bor-
odeaux, dit Napoléon, est vrai-
»ment extraordinaire, et je ne
«sais ce qui doit étonner le plus
))de la noble audace de madame
)>d'Angoulême, ou de la palien-
«ce magnanime de mes soldats. »
Tandis que Madame défendait,
ou voulait défendre Bordeaux, le
duc d'Angoulème occupait et en-
traînait le midi à la tête de i 2,000
hommes de ligne, ou de gardes
nationales. La guerre civile ré-
gnait en Provence et en Langue-
doc. Le prince avait demandé
des secours aux Sardes et aux
Suisses : il marchait avec deux
corps d'armée , l'un sous ses or-
dres, l'autre sous ceux du géné-
ral Ernouf, celui qui avait subi
le procès de la Guadeloupe {voyez
ce nom). Cette armée n'éprouva
de résistance qu'au passage de
la Drôme. Une fausse démonstra-
tion d'amitié trompa les impé-
riaux, qui furent reçus à coups
de fusil par ceux qu'ils attendaient
NAP
sans défense, et le duc d'Angou-
lême entra victorieux à Valence.
Ce prince était maître de Siste-
ron , de Cap , et se disposait à
marcher sur Grenoble et sur
Lyon. Mais c'était le 5 mars, et
non le 3 avril , qu'il eû{ fallu être
en armes sur la route de Greno-
ble. Cependant Napoléon donna
l'ordre au général Grouchy de
se rendre à Lyon et de faire lever
en masse les gardes nationales
du Dauphiné, du Lyonnais et de
la Bourgogne. L'élan fut si una-
nime que le général Caml)ronnc
fut obligé de l'arrêter, et déjà les
proclamations de Mapoléon, qu'un
mois auparavant il avait répan-
dues lui-même sur la roule ac-
tuelle de l'armée royale, avaient
réveillé les souvenirs des soldats
dans les divisions Gardanne et
Loverdo, où deux régimens d'in-
fanterie, le 58' et le 83', et une
partie du 4' de chasseurs, arborè-
rent le drapeau tricolore. Un essai
malheureux en avant de Gap ,
les iivis multipliés de désertions
partielles, la retraite forcée du
général Ernouf sur Sisteron , la
nouvelle de la marche du général
Grouchy, l'arrestation à Toulouse
de M. de Vitrolles , rédacteur
du Moniteur royal , l'occupation
de vive force du pont Saint-Es-
prit par le général Gilly sur les
derrières de l'armée royale, et
enfin les dépêches des gouverne-
mens sarde et helvétique, qui
portaient le refus des secours
promis au duc d'Angoulême,
toutes ces causes réunies, dont
une seule était fatale à l'entrepri-
se de ce prince, durent le décider
à battre en retraite et à se re-
ployer sur Valence, qu'il dut a-
NAP
bandonner le G. Les troupes lé-
gères du général G'roucliy attei-
gnirent l'armée royale, et le con-
tact de la désertion la réduisit
bientôt au lo* de li^ne , dont la
fidélité fut inébranlable , ei à
quelques centaines d'hounines res-
tés des autres corps. Le duc d'/. a-
gouième se trouva abandonné
comme le comte d'Artois l'avait
été à L3'on. Et enfin par les mou-
vemens rapides des troupes impé-
riales, il fut renfermé entre le Drô-
me, le llhône, la Durance, et les
montagnes. Il pouvait se sauver
seul; il préféra juslilier la fidélité
du petit nombre de braves qui
l'avaient suivi, et capituler. Le
prince fut généreux de croire à
la générosité de Napoléon, qui
pouvait penser à en faire un pré-
cieux otage. En effet , la capi-
tulation par laquelle le prince
licenciait son armée , et s'embar-
querait à Cette, fut approuvée
par Napoléon. Mais au moment
où l'expédition de celte réponse
était envoyée par le télégraphe,
une seconde déptche informait
que le général Grouchy n'ayant
pas cru devoir exécuter la con-
vention sans un ordre spécial de
Napoléon , le duc d'AngoulOMiie
s'ctait constitué prisonnier. Mal-
gré cet incident important, Napo-
léon persista dans sa première
volonté, et la fit ainsi connaître
au général Grouchy:
« M. le comte Grouchy, l'or-
«donnance au roi, en date du G
» mars,. et la déclaration siirnée
aie 1 J à Vienne par ses ministres,
«pourraient m'autoriser à traiter
»lc duc d'AngoulcMue comme
"Celle ordonnance et cette décla-
NAl»
527
sralion voulaient qu'on IraîtSt
«moi et ma fumille. .Mais cons-
»tant dan< les dispositions qi'i
• m'avaient porté à ordonner que
nies membres de la famille de
» Bourbon pussentsorlir librement
«de France, mon intention est
«que vous donniez des ordres pour
»que le duc d'Angoulême soit
n conduit à Cette,- où il seraem-
» barque, et que vous veilliez à sa
n sûreté, et à écarter de sa person-
» ne aucun mauvais traitement ,
«etc. » Le prince s'embarqua à
Cette pour Cadi^, et le général
Grouchy fui nommé maréchal
de l'empire. Cette haute dignité
due aux plus éminens services,
mais décernée dans une pareille
circonstance, et après une pareille
lettre, sembla alors avoir été des-
tinée à. récompenser plutôt le sa-
lut que la défaite du duc d'An-
goulême.
Le duc de Bourbon s'était em-
barqué le 1" avril à Faiubœnf
pour TAngleteire, le duc d'Angou-
lême le iG au port de Celle pour
l'Espagne. L'ouest, que l'on n'a-
vait pu soulever, le midi qu'on
venait de soumeltre, rendaient
à l'heureux Napoléon la France
tranquille. Aux approches de la
crise dont la déclaration «le Vien-
ne, du 25 mars, menaçait sou
repos, peut-être fût-elle rentrée
avec enthousiasme encore, non
plus au nom de la liberté, mais
au nom de l'indépendance natio-
nale, dans la carrière d'une résis-
tance compacte à l'agression é-
irangère. La nation, plutôt in-
quiète qu'incertaine, avait besoin
que la voix pui5^anle qui la rap-
pelait aux armes lui parlât haute-
52«
NAP
ment et franchement le langap;e
du })atriolisnie. Elle attendait le
manil'csle de sa défense de la mê-
me bouche, qui au golfe Juan a-
vait j)roclamé sa délivrance; elle
rallendait de celui qui venait de
la metlre en péril. Mais au lieu
de celte garantie qui lui était
due , le despotisme proclama
Vjicte additio7incl aux coîistUu-
iions de t' empire. Par cette pro-
mulgation, qui frappa la capitale
le ai avril, la France connut que
le retour de l'île d'Ell)e lui rame-
nait toute l'autocratie impériale,
et y joignait l'aristocratie de la
nouvelle charte. Le sénat, qui
avait besoin sans doute d'une ré-
génération , y reparaissait sous le
nom de Cluuubre des Pairs; et
])Our lu troisième fois, depuis l'a-
vènement de Napoléon à l'enjpi-
re, une noblesse héréditaire était
donnée à la France. Ainsi ce n'é-
tait plus que le grand roi que
le grand peuple était sommé de
défendre au prix de sa liberté fu-
ture , et de trente années de sa-
crifices. La commotion que cau-
sa cette audacieuse conception
fut crilitjue au plus haut degré,
ou plutôt elle fut mortelle, et le
talut public fut abandonné aux
soldats, qui ne pouvaient être
appelés à délibérer. Le temps du
patriotisme avait fini pour l'armée
avant la chute du directoire, où
déjà elle avait cessé d'être le seul
moyen de salut public, parce que
l'on n'avait plus besoin d'ellepour
assurer l'indépendance de la patrie.
Cette époque, ce jour, présentè-
rent donc à la crise funeste où était
la France , une armée tout im-
périale, une nation toute silen-
NAP
cieuse. Des registres fiwent ou-
verts dans toutes les mairies de
lacapilale pourle vote à l'acte ad-
ditionnel. Ln votant écrivit sur
un des registres , Je refuse à cau-
se de l'article qui proscrit ta fa-
mille royale; un autre écrivit au-
dessous , C'est pour cet article
que j'adhère à l'acte additionnel.
Et ils signèrent tous les deux. La
liberté de ces deux votes est remar-
quable. [Mais le pouvoir s'assura de
la majorité comme il arrive dans
les grands états; il aurait pu épar-
gner cette humiliation à un peu-
ple malheureux, et respecter au
moins sa dignité aux yeux de
l'Europe. Napoléon devait bien
aux Français cette reconnaissan-
ce. Ses conseils d'abord géné-
reux, ensuite incertains, étaient
redevenus violcns, et les symp-
tômes d'une grande catastrophe
se répandirent bientôt dans les
rangs des citoyens et même dans
ceux de l'armée. Pour comble
d'infortune , la déclaration de
Vienne du 14 mars et le traité du
uS, qui ne laissaient plus d'espoir
pour la paix, vinrent terrifier l'o-
j)inion déjà si partagée , et pour
la seconde fois le monstre de la
trahison se glissa sous les tentes
françaises !...
Dans la séance du conseil des
ministres du 29 mars, Napoléon
avait, sur le rapport du duc d'O-
trante, renvoyé l'examen de cette
déclaration à une commission
composée des présidens de son
conseil-d'état, et il en était résul-
té une réfutation, dont le style
énergique, le rapprochement des
faits, la vigueur desraisonnemens
et la déclaration des principes.
Î^AP
ne laissèrent pas long-temps mé-
connailrc l'auteur. Napoléon y
répondait lui-inèino à l'Europe.
Cette pièce, de la plus haute im-
portance, restera comme un des
ilocumens les plus curieuxde l'his-
toire de Napoléon , et comme un
des plus habiles et éloquens ma-
nile-ites qui soient sortis de la
plume d'un homme d'état. Mal-
gré réchange de ces violi;ntes
provocations , Napoléon ne dou-
tait encore ni de lui-même, ni
même d'une partie des cabinets
de la coalition, et il crut pouvoir
avec succès reprendre, tout banni,
tout proscrit qu'il était, des rela-
tions soit avec la Russie , soit a-
vec l'Autriche. Un traite secret
entre la France , l'Autriche et
l'Apgleterre, pour défendre la
Saxe du démembrement dont la
Kussie et la Prusse la menaçaient,
avait été oublié dans le cabinet
du ministie des aîTaires étrangè-
res, au départ de la cour. A l'ar-
rivée de Napoléon à Paris, les
ministres d'Autriche et de iîussie
étaient encore dans la capitale.
Napoléon pensa que la communi-
cation de ce traité secret au mi-
nistre de Russie détacherait cette
puissance des intérêts de la mai-
son de Bourbon, et jetterait la dis-
corde dans le congrès de Vienne.
En conséquence , ce traité fut
montré à M. de Bundiskeen; d'au-
tres démarches furent faites au-
près de l'empereur Alexandre, et
quelques ouvertures au cabinet
de Londres. Après ces tentatives
préliminaires, dont aucune n'eut
le succès qu'il avait osé espérer,
il avait cru devoir, le 4 avril,
répondre aussi par \\\\q déclaru-
T. XIV.
NAP 52t)
tion à celle du congrès de Vienne,
etilavai* écrit aux souverains la
lettre suivante :
« Monsieur mon frère, vous
• aurez appris dans le cours du
»mois dernier mon retour sur les
«côtes de France, mon entrée à
«Paris et le départ de la famille
«des Bourbons. La véritable na-
» tore de ces événemens doit être
n maintenant connue de V. M.
«Ils sont l'ouvrage d'une irrésis-
wtiblc puissance, l'ouvrage et la
«volonté tinanime d'une grande
«nation qui connaît ses devoirs et
«ses droits.
«... La France a dû se sépa-
»rer d'eux, sa voix appelait un li-
«bérateur. L'attente qui m'avait
0 décidé au plus grand des sacri-
nficcs avait été trompée. Je suis
«venu, et du point où j'ai touché
» le rivage, l'amour de mes peu-
oples m'a porté jusqu'au sein de
«ma capitale. Le premier besoin
»de mon cœur est de payer tant
«d'affection par une honorable
» tranquillité. Le rétablissement du
n trône impérial étant nécessai-
» re au bonheur de.i Français, ma
«plus douce pensée est de le ren-
» dre en même temps ulile à l'affer-
» missement du repos de l'Europe.
0 Assez de gloire a illustré tour-à-
» tour les drapeaux des diverses
«nations. Les vicissitudes du sort
«ont assez fait succéder de grands
«revers à de grands succès. Une plus
«belle arène est aujourd'hui ou-
» verte aux souverains, et je suis
«le premier à y descendre. Après
«avoir présenté au monde le spec-
«tacle de grands combats, il se-
«raplus doux de ne connaître dé-
«sormais d'autre rivalité que celle
04
55o INAP
»des avantages delà paix, d'autre
» lutte que la lutte sainte de la
«félicité des peuples. La France
«se plaît à proclamer avec fian-
rtchise le noble but de tous ses
I) vœux. Jalouse de son indépeudau-
»ce, le principe invariable de sa
«politique sera le respect le plus
«absolu pour l'indépendance des
«autres nations. Si tels sont, com-
-> me j'en ai eu l'iieureuse confian-
»ce, les sentiinens personnels de
iiV. M. , le calme général est as-
wsuré pour long- temps, et la jus-
ntice, assise.aux contins des états,
«suffit seule pour en garder les
» fronlièreïi. »
Cette lettre , trop suspecte sans
doute aux intérêts eux-mêmes,
que Napoléon croyait pouvoir
rétablir, n'eut point cours au-
près de la politique étrangère,
qui avait rigoureusement lér-
mé toutes les avenues à toutes
communications avec le gouver-
nement de Napoléon. Rlalgré ce
rigoureux interdit, ce prince, à
qui la confiance souriait comme
une expression de sa volonté, re-
nouvela des démarches auprès
de la cour de Vienne, et en fit mê-
me auprès du prince de Talley-
rand , plénipotentiaire du roi au
congrès. Mais une victoire écla-
tante était de piemière nécessité
pour Napoléon. H s'y préparait
par tous les moyens, et par tous les
souvenirs de son génie et de son
ascendant sur le soldat français.
Il avait paru seul dans les rangs
de la garde nationale, malgré les
craintes qu'on avait cherché à lui
inspirer. Il avait habilement ci-
menté l'alliance de cette garde
avec la garde impériale par un
ISA F
banquet de i5,ooo couverts que
la garde impériale avait donné au
Champ-de-Mars à la garde natio-
nale. JJuit armées s'étaient for-
mées depuis le retoin- de Napo-
léon; elles reçurent le nom d'ar-
mée du Nord, de la' Moselle,
du Rhin, du Jura, des Alpes,
des Pyrénées ; l'armée de ré-
serve se réunissait à Paris et à
Laon. Cent cinquante batteries é-
taient en marche pour toutes ces
armées; 5oo bouches à feu allaient
être placées sur les hauteurs de
Paris. Les corps francs et les par-
tisans s'organisaient. La levée
en masse des sej>4; départemens
frontières du Nord et de l'Est é-
lait préparée. Toutes les places
étaient fortifiées jusque dans le
centre de la France : tous les Re-
filés étaient gardés, toiïs les pas-
sages retranchés : les redoutes,
les ouvrages de campagne s'éle-
vaient partout où il y avait un
obstacle à défendre, une issue ik
fermer, une route à protéger.
La France était disposée comme
une citadelle à soutenir l'assaut
de l'Europe, et ses forces ^ pla-
cées pour la défense, étaient orga-
nisées, armées, approvisionnées
pour l'invasion. Napoléon possé-
dait au plus haut degré la magie
militaire sur le soldat français ; il
avait rendu aux régimens ces
beaux surnoms A' Invincible, de
Terrible, ô^ Incomparable , d'un
contre dix. Aussi de 80,000 hom-
mes l'armée se trouva tout-à-
coup portée à 200,000. Dix mille
soldats d'élite entrèiiMit dans les
vieux rangs de la garde. Les bra-
ves maj'ins de Lutzen et de Baut-
zen formèrent un corps de 18,000.
I
NAP
La grosse cavalerie fut remontée
par 10,000 chevaux de la gendar-
merie. Enfin la garde nationale de
France Sut réorganisée en 5, 1 3o ba-
taillons, présentant une masse de
2,a5o,ooo hommes, et i,5oo com-
pagnies de chasseurs et de grena-
diers de la garde nationale, formant
j8o,ooo hoinmes , furent mises
à la disposition du ministre de la
guerre. Si Napoléon n'avait voirlu
être que le dicfalenr de îa Fran-
ce en péril au lieu d'être son pro-
pre successeur à l'empire , qui
peut^iire que la république n'eût
pas tenté de sortir de ses ruiÉics?
Napoléon en eut peur, quand il
vit de près les fédérés, et qu'il en-
tendit les motions des clubs qu'il
avait fait rouvrir. Il en eul peur,
et l'élan prêt à éclater sur toute la
France d'une sorte de fanatisme
national fut comprimé. Les provin-
ces montagneuses, dont la nature
plus sauvage est plus en rapport
avec les sentimens austères du
patriotisme, avaient repris avec
ardeur lessouvenirs de ces grands
efîbrts qui les avaient illustrées
pour la cause do la liberté. Il y
eut dans les ïhermopyles des Vos-
ges et du Jura de nombreux exem-
ples des dévoucmens antiques. Il
y eut en Alsace et en Franche-
Comté beaucoup de femmes ,
beaucoup de mères de Home et de
Sparte qui excitaient à la guerre
leurs maris et leurs enfans. Ces
vertus terribles pour les ennemis
de la patrfe étaient aussi bien
redoutables pour celui qui ne
voulait la délivrer que pour l'as-
servir. Cependant il pouvait exis-
ter en France", ou plutôt renaître,
cette force morale qni fait lever
toute une nation sous le drapeau
NAP
55 1
d'un chef pour défendre avec lui
contre l'étranger l'indépendance
<le la pairie, et celle qui après
la victoire tient encore cette na-
tion debout pour défendre sa
liberté contre ce même chef. La
fédération bretonne, qui produi-
sit un traité entre les villes de
Renues et de Nantes, en est la
preuve. Après avoir lu ce traité,
qui lui avait été dénoncé. Napo-
léon disait : « C'est bon pour la
» France , mais ce n'est pas bon
«pour moi. » Jamais sans doute
gloire plus grande ni plus utile
n'eût été donnée à aucun peuple,
si au 18 brumaire les Français
avaient pu forcer Napoléon à de-
venir citoyen. iMais Napoléon a-
vait une idée fixe, le pouvoir ab-r
soli\. Son génie fut assez fort pour
l'établir, trop peu pour le con-
server, parce qu'il fallait pOur ê-
tre toujours le maître, et l'être de
tous les peuples, posséder une é-
gale activité de prudence et de
force : aussi en 181 5 les fédérés
lui parurent des ennemis, les clu-
bistes des factieux. Il n*était pas
dans sa nature de vouloir en faire
des citoyens : il en fit des mécon-
tens. Il dit un jour, « Les prêtres
»et les nobles jouent gros jeu. Si
nje leur lâche le peuple , ils seront
» tous dévorés dans un olin-d'œil. »
Cependant qui avait rétabli les
prêtres et les nobles? Lue autre
fois, en parlant des souvejains de
l'Europe , il disait : « Si demain
»je mettais le> bonnet rouge, ils
«seraient tous perdus. «Il l'aurait
été lui-même. Mais --i à sou re-
tour d'É;4;ypte il ne se fût pas
plu à confondre la révolution a-
vec la terreur, ni lui ni les rois
de l'Europe, n'auraient rien eu à
552
NAP
craindre de la liberté légale que
la France lui demandait alors.
On était au 24 avril, et l'acte
additionnel parut dans le Moni-
teur, malgré les inutiles efforts
elles vives remontrances de quel-
ques
s grands if)ersonna":es.
is pe
Fouché de Nantes venait d'être
surpris par Najioléon, dans une in-
trigueavecle prince de Metternich,
mais Napoléon ne retira d'autre
IVuit de sa découverte, que la certi-
tude d'être trahi par Fouché, et
l'impossibilité de s'en défaire. Il
avait été trompé dans toute cette
affaire, au point de croire qu'il était
le maître d'accepter la régence, et
de placer son fils sur le trône de
France ; et comme il croyait tout
ce qu'il espérait, il disait :« Puis-
.) qu'ils m'offrent la régence, mon
» attitude leur impose : qu'ils me
«laissent encore un mois, et je ne
»!es craindrai plus. »
Cependant Joachim Murât, qui
avait trahi Napoléon en 1814» qui
en récompense avait conservé sa
couronne, qui enfin allait être re-
connu par l'Angleterre elle-même
légitime roi de Naples, comme
Bernadotte l'avait été de Suède,
Joachim , par une sorte de re-
mords de vanité, s'était aussi mis
dans la tête de ne plus craindre
l'Europe, quoique Napoléon n'eftt
cessé depuis son départ de l'île
d'Elbe, de l'engager à ne rien en-
treprendre. Une ridicule et fatale
présomption lui fait rêver de de-
venirtout-à-conp l'arbitre de l'in-
dépendatjce italienne ; de longues
et fastueuses proclamations vont
porter jusqu'aux Alpes Juliennes,
le nom du libérateur. Ce n'était
pas celui de Napoléon, le seul ce-
pendant qui pût donner crédit à
NAP
l'entreprise de son beau- frère.
Une étroite combinaison, on peut-
être même un orgueil excessif,
décida le roi Joachim à. ne pas
s'annoncer comme le lieutenant
de Napoléon, dont le ^prestige,
toujours historique pour ces bel-
les contrées , parlait encore si
haut aux rives de l'Adige, du Pô,
du Tibre, aux palais de Gênes, à
ceux de Venise, aux monumens
triomphaux et civils qui attes-
taient sa grandeur et son amitié
aux Lombards , aux Toscans et
aux Romains. Le 28 mars , à la
tête de 5o,ooo Napolitains, na-
tion que ces peuples ne comptent
pas dans les rangs de la patrie
italienne, Joachim conuiiença son
irruption. Il croit qu'il donne sa
bravoure à ses troupes , comme
Napoléon donnait son génie à ses
armées. Le désir de cette indé-
pendance était tel en Italie , que
plusieurs villes se levèrent au pre-
mier appel de Joachim. Mais le
5 avril, le général autrichien Bel-
legarde répond de Milan à la pro-
clamation du roi de Naples, et
le général anglais Benlinck y ré-
pond au^si de Livournc, en unis-
sant ses armes à celles de l'Au-
triche. Les Alienumds surpris ,
sont d'abord obligés de se replier,
mais les généraux Blanchi et Neip-
perg combinent leurs mouve-
mens, prennent à leur tour l'offen-
sive, chassent bientôt devant eux
les bandes napolitaines, et le 2 et
le 5 de mai, les mettent dans une
déroule complète à la bataille de
Tolenlino.
L'intention de Joachim fut de
servir Napoléon en s'élevant lui-
même, mais par celle folle entre-
prise, il contribua encore à la des-
NAr
Iruclion de ce prince , en appe-
santissant le joug autrichien sur
cette malheureuse Italie, donJ la
destinée ne devait être décidée
que par la victoire ou par la dé-
faite de Napoléon. Napoléon ap-
prit avec douleur la levée de bou-
clier de son beau-Irére, à qui il
avait prescrit d'attendre. Il en-
voya auprès de lui un général
habile qui avait la confiance du
roi de Naples, mais il n'était déjà
plus temps : un mois avait sufli
pour détruire l'armée de Joachim,
et pour le détrôner. Vainement sa
bouillante valeur, encore excitée
par son désespoir, l'avait vingt
fois précipité seul au milieu des
rangs ennemis , pour y chercher
lu mort. Jiélas ! il était invulné-
rable!» Je n'ai pu mourir, mada-
»me, dit-il à la reine, en rentrant
"dans Naples. »En peu d'heures
le trône de Joachim avait disparu.
Il avait dû fuir sur un bateau pé-
cheur, et la reine, toujours cou-
rageuse dans cette extrême fatali-
té, avait pu stipuler avec les An-
glais son départ de Naples, et le
transport de toute sa famille sur
un vaisseau britannique, dans le
port de Trieste. ( Voyez Joachim
MïRAT, voyez la reine Caroline
3itRAT. ) Ce funeste épisode de la
catastrophe qui attendait Napo-
léon , lui enleva l'appui de 11-
lalie, dont l'immobilité silen-
cieuse soutenue par l'attitude du
prince le plus guerrier de l'Euro-
pe après Napoléon, ef.t imposé à
l'Autriche, jusqu'au dénouement
de la grande scène, dont le midi
de la Belgique allait être le théâ-
tre. Ces auspices furent malheu-
reux. La présomptueuse ineptie
NAP 535
des conseillers de l'infortuné Joa-
chim, abusa de la jactance de son
caractère, causa sa perle, celle de
l'Italie, et contribua puissamment
à celle de Napoléon. Dès ce mo-
ment, le nom de Joachim devient
sacré pour la France elle-même,
et l'histoire a le droit d'appeler à
la postérité du jugement qui a
violé envers ce prince le caractère
inviolable de la royauté. Elle dira
que Joachim est mort en roi et en
brave.
Cependant l'orage approche de
la France, et la conjuration diplo-
matique resserre tous les liens des
rois de l'Europe contre l'ennemi
commun. Le 12 mai, un rapport
était publié à Vienne par ordre du
congrès. C'était un manifeste de
l'autocratie future des rois sur les
libertés publiques.
«...Les puissances ne se croient
1) pas autorisées à imposer un gou-
nverncment à la France, mais
«elles ne renonceront jamais AO
«DROIT d'empêcher, que sous le
» titre de gouvernement, il ne s'é-
» tabiisse en France un foyer de dé-
nsordre et de bouleversement pour
»les autres états... Cet homme n'a
» d'autre garantie à proposer à
«l'Europe que sa parole, etc....»
La Prusse, l'Autriche et l'Angle-
terre, venaient donc d'acquérir le
droit de faire oublier à l'Europe
les nombreuses infractions aux
traités avec via France , lesquels
avaient eu une toute autre garan-
tie que celle de la parole de leurs
plénipotentiaire?. On ne devait
donc plus de part et d'autre , au
moins extérieurement , procéder
que par voie d'extermination. Car,
malgré l'intérêt si fastueiisement
55A
"SAP
publié diirepos de l'Europe par l'a-
néantissement de Napoléon, et du
rélablissenient de la maison de
Bourbon sur le Irône de Fi-ance, la
marche des alliés vers le llhin ne
fut pas égale, et cette fois la con-
quête de la France n'était pas le
prix de la course. Ainsi toute cette
haute menace européenne pouvait
tomber devant une bataille, où les
Seules armées anglaises et prus-
siennes représentaient toute la coa-
lition.
Cependant toutes les précau-
tions étaient prises, et la Sjiisse,
qui l'année précédente avait laissé
violer sa neutralité, se rangea d'el-
le-même du côté du plus fort, en
signant le 20 mai la convention de
Zurich, avec les qiiatre grandes
puissances. Ce fut pour sa politi-
que une occasion de vanité qu'elle
ne dut pas laisser échapper, que
celle dêtre recherchée par des
puissances qui pouvaient se passer
de son consentement, en renou-
velant, en i8i5 , l'occupation mi-
litaire de i8i4- Le même jour, la
convention de Capoue remettait
aux Anglais et aux Autrichiens,
pour le roi Ferdinand, toutes les
places du royaume de Naples. Le
27, les trois souverains de Russie,
d'Autriche et de Prusse, partaient
de Vienne pour se rendre à leurs
armées. Enfin, le 5i mai, un trai-
té était signé à Vietme entre les
quatre grandes pni*is;inces et le
nouveau roi des Pays-Bfis. Ce trai-
té reconnaissait l'érection de son
royaume, et en arrêtait la délimi-
tation, d'un côté aux provinces
prussiennes el hanovriennes, de
l'autre aux départemens français
de la Moselle, de la Meuse, des
Ardennes el du Nord. Ainsi le
NAP
champ de bataille était choisi, et
le nom de Fleurus allait reparaître
encore dans les destinées de la
France.
Napoléon ouvrit auparavant le
champ-de-mai. Celait re'ssusciter
de plus vieux souvenirs. Cette in-
tervention gothique parut à quel-
ques bons esprits déparer le péril
de la grande crise de la France. Les
anciens sacrifiaient aux dieux pro-
tecteurs et aux dieux infernaux a-
vanl les batailles qui pouvaient dé-
cider du sort de l'état. Mais quel
était le but du moderne Napoléon,
d'exhumer au ig* siècle un usage
des premières races? qu'avaient
de commun les libertés françaises
sous Charlemagne avec celles qui
venaient do passer sous le niveau
de l'acte additionnel? Napoléon y
parut aussi entouré de ses barons
et de ses preux. Rien ne fut ou-
blié de la pompe impériale, et
même il y fut ajouté, afin que les
5oo électeurs qui avaient été dé-
putés à Paris par tous les collèges
électoraux, et que les députes des
armées de terre et de mer, ne pus-
sent pas ignorer la nature du pac-
te solennel qu'ils allaient contrac-
ter pour la France avec Napoléon.
Le costun)e cfe Napoléon el celui
de ses frères, quoique déjà con-
nu et consacré, ne parut que théâ-
tral et peu analogue avec la sévé-
rité des circonstances; la majori-
té des spectateurs , tous les élec-
teurs et toute l'armée eussent pré-
féré voir Napoléon, ses frères et sa
cour, en babils de guerre, offrant
à l'Europe le spectacle, fel à laFran-
ce la garantie de grands citoyens
réunis pour un serment tout pa-
triotique, celui de vaincre ou de
mourir pour l'indépendance na-
NAP
tion^Ie. Mais Napoléon, par la con-
Tocalion du chainp-de-mai au
Champ-rJe-AIars, au milieu d'une
année de 5o,ooo hommes dé-
voués, ne fil et ne voulut faire
qu'un acte extraordinaiie de sou-
veraineté. La cérémonie religieu-
se qui précéda le serment fut de la
plus noble solennité. Un autel im-
mense s'élevait au milieu du
Champ-de-i>]ars. et rappelait aux
citoyens de 1789 le serment de la
première fédération.'! Ce rappro-
chement ne trompa personne.
Maià Napoléon était là, et son pres-
tige exerça sur toute la population
cet asojindant magiqi:e. qu'im-
posent toujours à la multitude la
pompe d'une grande cérémonie
et la présence de celui de qui dé-
pend sa destinée. Le recueille-
ment de Napoléon au pied de l'atj-
tel eut un grand caractère, qui a-
vait (|uelque chose de funèbre à-
la-fois et de triomphal. L'attitude
des électeurs au pied du trône fut
imposante. Leurs vœux étaient
presque unanimes, et le discours
qui fut prononcé par leur orateur,
homme libre des anciens temps,
produisit un grand effet sur l'as-
semblée. La réponse de Napoléon
était empreinte de son caractère,
et produisit une sensation d'autant
plus profonde, que l'espérance de
salut était moins populaire parmi
les nombreux auditeurs. Le résul-
tat des votes pour l'acte addition-
nel avait été proclamé par l'ora-
teur des collèges électoraux. Le
vote négatif ne s'était élevé qu'à
4,80a, et l'affirmatif était porté à
1,532,557, Ce résultat ne parut
qu'une victoire de la puissance sur
l'opinion générale, et décolora ce
que la réponse de Napoléon ren-
NAl»
555
fermait de généreux et de patrio-
tique. Après son discours, qui fut
prononcé d'une voix feruie, Napo-
léon prêta serment sur l'évangile
aux constitutions et à l'observa-
tion des conslilutions de J'empire,
et reçut après le serment de fidéli-
té du peuple par la deputation élec-
torale; celui des armées, par les
ministres de la g(jerre et de la ma-
rine ; celui des gardes nationales,
])ai- !e ministre de rinlérieur, ei
enfin, il distribua lui-même de-» ai-
gles à la garde nationale de Paris
et à la garde impériale. Le cri de
vive l'enifiereur retentit tout-à-coup
dans l'assemblée et dans le Champ-
de-.Mars, et fut au loin répété par
la fouie. Les troupes défilèrent
devant Napoléon. Les hubflans de
Paris ne pouvaient se rassasier de
voir ces bataillons sacrés de la
vieille et de la jeurjc garde, où la
cioix-d'honneur désignait à la re-
connaissance et reoiîimandait à
l'inquiétude publique des rangs
entiers de soldats. On" se pressait
autour d'eux; on lessaluait, on le*
admirait. Ces derniers gardes de
Napoléon traversèrent les adieux
de la capitale. Ils emportaient a-
vec eux tous les souvenirs de la
gloire militaire, delà liberté, et de
l'empire. Leur attitude, tonjours
héroïque, était pourtant silencieu-
se. Ils avaient l'air de savoir tous
qu'ils marchaient à un sacrifice qui
ne devait ni sauver l'empire, nt
conquérir la liberté. Les citoyens,
partagés entre ces deux opinions,
se séparaient en se disait : Dfous
ne tes reverrons plus!
Cette grande solennité avait été
loin de faire sur la partie politi-
que des assistans l'impression que
Napoléon avait espéré. Beaucoup
526
NAr
de personnes .avaient pensé que
Napoléon proclamerait son fils
an champ-dc-mai, et déclarerait
Tonloir se retirer en signant la
paix, afin d'épargner la guerre à
la France. Il reçut des lettres où
celte question était traitée, et où
il était lortenient engagé à prendre
ce parti. Cette opinion l'inqniéta
beaucoup dans le moment, et lui
laissa de tristes prcssentimens ,
Qn lui prouvant (jue la France é-
tait- encore plus avide de repos
que de son gouvernenuuit. IJne
autre opinion , non moins hosti-
le contre lui, se présentait sans
cesse à. son esprit. L'acte addi-
tionnel s'était élevé comme un
ennemi entre la France et lui, et
les témoins de la cérémonie du
cbamp-dcrmai , les électeurs sur-
tout, y avaient attaché une toute
antre imj)ortanceque la prestation
d'un serment, une distribution
de drapeaux, où une grande revue
militaire. Ilsnvaient cru que Na-
poléon protilerait de celte fête des
citoyens et; des soldats pour la
rendre patriotique, et donner des
garanties réparatrices du passé et
protectrices de l'avenir. Napo-
léon en i'ut averti, et conçut l'i-
dée de trajler cette grande al-
faire dans une autre grande fête
de famille, dontil ordonna lapom-
pe au sein môme de son palais.
Il n'avait au champ-de-mai dis-
tribué les aigles qu'à la garde, à
la garde nationale et à la garde
impériale. Il voulut aussi remet-
tre de sa main aux électeurs les ai-
gles de leurs départeniens et celles
des régimens aux députalions de
l'armée; en conséquence 10,000
personnes furent réunies dans
les vastes galeries du Louvre,
NAP
dont un côté était occupé par les
députations de l'armée, et l'au-
tre par les députés et les élec-
teurs de l'empire. L'aigle de cha-
que département fut placée en
têle du groupe de ses dçpulés et
de ses électeurs; Taigle de cha-
que régiment était en avant de sa
députai ion. Si Napoléon eût en-
tendu le vœu de tous ces grou-
pes de citoyens et de soldats ,
il aurait connu dès co moment
tous ses périls. Il aurait su qu'il
n'eût pas été absous de sa dictatu-
re impériale par la victoire elle-
même; mais il crut en remporter
nue grande sur lui et sur l'opi-
nion, en répétant aux députés et
aux électeurs que de tontes nos lois,
il s'occuperait avec les deux cham-
bres à ne former qu'une grande
loi fondamentale pour la nation.
Cependant Napoléon redoutait
l'ouverture dos chandires, et il
avait raison. La première cham-
bre, composée de 118 pairs, dé-
clara son opposition , par le refus
qu'elle fit de choisir le prince
Lucien pour son président, et le
corps-législatif, par le choix qu'il
lit du comte Lanjuinais. Cent
dix-huit pairs, nommés le 2 juin
par Napoléon, rappelaient à la
fois les grandes notabilités de la
révolution, de l'empire, des ar-
mées et du commerce. Les élec-
tions avaient placé sur les bancs
de la législature toutes les clas-
ses de l'opposition, sauf l'opposi-
tion royale. Celle-ci , comme la
dépulation de Bretagne à l'époque
des états-généraux , avait adopté
pour tactique de ne pas se présen-
ter, afin de frapper d'illégalité au-
tant qu'il était en elle la nouvelle
assemblée. Le corps-législatif a vai
nommé pour ses vices présidens
le général Lalayette et M. Du-
pont-de-l'Eure. Le 7 juin, il fait
lui-même l'ouverture des cham-
bres législatives, et pénétré qu'il
est de la difficulté de sa mission,
il débute en ces termes :
«MM. de la chambre des pairs
»et MM. de la chambre des re-
* présentons :
«Depuis trois mois les circons-
» tances et la confiance du peuple
» m'ont revêtu d'un pouvoir illi-
smité. Aujourd'hui s'accomplit le
• désir le plus pressant de mon
« cœur, je viens commencer la mo-
r)narchieconstUulioniielle.l.eshom-
»mes sont trop impuissans pour
«assurer l'avenir. Le» institutions
«seules fixent les destinées des
«nations. La monarchie est né-
«cessaire en France pour garan-
»lir la liberté , Tindépeudance et
»les droits du peuple.- Nos ins-
ntitutions sont épar^es : une de
«nos plus importantes occupations
«sera de les réunir dans uu seul
«cadre et de les coordonner dans
«une seule pensée. Ce travail re-
»commandera l'époque actuelle
«aux générations futures. J'am-
nbitioufie de voir la France jouir
»de toutes les libertés possibles.
»Je dis possibles, parce que l'a-
anarc/iie ramène toujours un gou~
tiverncment absolu. Cne coalition
«formidable de rois en veut à no-
»tre indépendance II est possi-
»ble que le premier devoir du
«prince m'appelle bientôt à la
« tête des enlans de la nation
«pour combattre pour la patrie.
»L'arméeet moi nous ferons noire
«devoir. Vous, pairs et représen-
nlans, donnez à la nation l'exem-
ople de la confiance, de l'énergie
NAP
537
'>et du patriotisme; et comme le
«sénat du grand peuple de l'anti-
«quité, soyez décidés à mourir
«plutôt que de survivre au dés-
» honneur et à la dégradation de
«la France. La cause sainte de la
«patrie triomphera. »
Deux jours après, la chambre
des pairs et la chambre des repré-
sentans furent admises à pronon-
cer leurs adresses au pied du trô-
ne. Ces deux discours étaient é-
minemment patriotiques, et celui
de la chambre représentante était
même personnellement plus ap-
plicable au caractère connu de
Napoléon , et aux actes émanés
depuis son retour, de sorte que
Napoléon eut le loisir d'entendre
proclamer la toute souveraineté
du peuple; les félicitations relati-
ves à sa démission du pouvoir
absolu, formellement énoncées au
commencement de son discours,
ne lui furent pas épargnées. Il
supporta avec un grand calme,
et on peut dire avec une grande
fermeté, l'aspect des deux opposi-
tions que lui présentaient les
chambres. Il se rappelait avec
douleur les mêmes périls dans
la même position aux pre-
miers jours de i8i4> et il sentit
plus énergiquement qu'alors , que
désormais . c'est-à-dire dans le
peu de jours où la force des armes
devait décider entre l'Europe et
lui, il n'avait à consulter que lui
et son armée. l'outefois, il répon-
dit avec une haute dignité et une
haute indépendance à ces deux
adresses. Il dit aux pairs : « La
«lutte dans laquelle nous som-
«mes engagés est sérieuse. L'en-
«traînement de la prospérité n'est
«pas le danger qui nous me-
558
NAP
)»nace aujourd'hui. C'est sous les
» fourches-caudines que les étran-
agers veulent nous faire passer
«C'est dans les temps difficiles
«que les grandes nations comme
» les grands hommes déploient tou-
» te l'énergie de leur caractère, et
»derioinient un objet d'admira-
»tion pour la postérité. »
11 dit aux représentans : «... La
» constitution est notre point de
«ralliement; elle doit être notre
«étoile polaire dans ces momens
«d'orage. Toute discussion publi-
» que qui tendrait ù diminuer di-
» reclement ou indirectement la
"Confiance qu'on doit avoir dans
»ses dispositions, serait un mal-
1) heur pour l'élaf. Nous nous trou-
«verions au milieu des écueils
«sans boussole et sans direction.
«La crise où nous sommes enga-
»gés est forte. N'imitons pas
«l'exemple du lias-Empire qui,
«pressé de tous côtés par les bar-
nbares, se rendit la risée de la
«postérité, en s'occupant de dis-
') eussions abstraites au moment
'>oii le bélier brisait les portes de
»la ville Dans toutes les aifai-
«res, ma marche sera toujours
«droite et ferme. Aidez-moi à sau-
» ver la patrie. Premier reprcseii-
niimt du peuple, j'ai contracté
«l'obligation que je renouvelle,
«d'employer dans des temps plus
«tranquilles toutes les prérogati-
»ves de la couronne et le peu
«d'expérience que j'ai acquise, à
«vous seconder dans l'améliora-
«tion de nos constitutions. «Ainsi
se plaida ce grand procès la veille
des armes. Ce furent les mêmes
élémens d'attaque et de défense
qu'avant la mémorable campa-
gne de France, et la France fut
NAP
envahie alors parce que Napoléon
fut abandonné.
Dans la nuit du 12 juin, Napo-
léon partit pour l'armée , chargé
de toute la responsabilité de la
guerre , de la trahison ^ 'des dis-
sensions politiques qu'il avait
laissées derrière lui, et de celle de
la rupture de son ban à Porto-
Ferrajo.
Pendant que la France don-
nait à l'Europe le singulier spec-
tacle du blocus èe la liberté au-
tour du despote qui s'était pré-
senté pour la défendre, le congrès
de Vienne lui donnait celui d'hé-
riter hautement de toutes les spo-
liations qui lui avaient fait proscrire
l'ennemi commun, et la traite des
blancs était stipulée le 9 juin par
im acte définitif, signé par tous
les princes de la chrétienté. Cette
opération est connue en diploma-
tie sous le nom mystique de parta-
ge des âmes. Les peuples à qui
ces âmes appartietment ne furent
représentés à cet étrange contrat
que par leurs adjudicataires. Ces
âmes forment depuis leur saisie
une classe nouvelle de domaines
royaux, dont la perception n'ap-
partenait jadis qu'aux conquérans
barbares. On se dispensa de vain-
cre ces peuples; on trouva plus
humain de les confisquer. L'his-
toire a sans doute le droit de qua-
lifier la nature d'un procédé qui
était depuis long-temps oublié
dans la diplomatie européenne.
Ainsi dans le moment où les cham-
bres législatives, où le conseil-
d'étal lui-même, traçaient autour
de Napoléon le cercle de Popilius,
et imposaient à son génie irrité
et la victoire contre l'étranger et
la liberté contre lui-même, au
NAP
moment où Napoléon abjurait
jusqu'au souvenir de ses conquê-
tes et faisait à l'Europe amende
honorable de l'asservissement qui
l'avait précipité, les ennemis , les
alliés, les vainqueurs de Napoléon,
!*e divisaient ainsi la succession du
grand usurpateur de l'Europe. La
Russie s'adjugeait le grand- duché
de ^Varsovie. La Prusse, pour
se consoler du traité de Tilsitt,
s'adjugeait 1 1,000,000 d'âmes au
détriment de la moitié du royau-
me de Saxe , une partie de la
Pologne, de la Westphalie, de la
Frantonie, et d'ime longueur de
70 lieues de la France républi-
caine sur la rive gauche du Rhin.
L'Autriche reprenait tout ce qu'el-
le avait perdu au traité de Campo-
Formio en 1797, oubliant tout
ce qu'elle avait abandonné par
les traités de Lunéville, de Pres-
bourg et de Vienne. Il n'y a que
la Belgique qu'elle ne recouvre
pas parce que la promotion qui a
fait un roi du stalhoudcr de Hol-
lande, dorme à ce prince , par or-
dre de l'Angleterre, la Belgique,
le pays de Liège et le duché de
Luxembourg. C'est un présent
de 5,000,000 d'âmes que lord
Castelreagh fait à la maison d'O-
fange. L'électeur de Hanovre se
fait roi par le même droit, et a-
joute à son petit royaume confi-
nental quelques villes catholiques,
qui complètent un million deux
cent mille sujets allemands pour
la (Îrande-Bretagne. Le roi de
Sardaigne, qui a vécu si long-
temps dans les montagnes de son
île comme l'anachorète de la
royauté, réclame et obtient la
réunion de l'état de Gênes à son
royaume continental, dont il est
NAP
559
absent depuis 25 ans. Ces peu-
ples, convertis en dons de joyeux
avènement , n'apprennent leur
changement de condition que par
les journaux ou par les édits qui
les incorporent. Les Belges, les
Italiens, les Polonais, les Saxons,
les Génoisse réveillent Hollandais,
Autrichiens , Russes , Prussiens
et Piémontais. La fable n'a rien de
plus merveilleux que ces méta-
morphoses de l'histoire de nos
jours. Mais aussi plus ces aggré-
gaiions sont violentes, plus elles
sont le résultat d'un système
de la plus implacable |;ombinai-
son, afin que les souverains do-
minés par de plus grands intérêts,
et liés entre eux par une telle so-
lidarité, marchent avçc plus d'u-
nion contre celui dont ils viennent
de se partager les dépouilles. Ain-
si la conjuration est compacte, et
les peuples reconnus par Napoléon
libres etindépendans, aujourd'hui
morcelés sous des drapeaux étran-
gers, sont forcés de faire cause
commune contre lui et contre
leurs anciennes patries. Ce pacte
est terrible. L'Europe est en mar-
che.
Napoléon avait fait trois plans
de campagne. Le premier était
de rester sur la défensive, et d'at-
tirer les années ennemies sous Pa-
ris et sous Lyon. C'était livrer
tout le nord et tout l'est de la
France sans coup-fèrir. Il y renon-
ça. Le second était de prendre
l'ofiensive le i5 juin, et d'enva-
hir la Belgique , et , après la vic-
toire, de se porter sur les Vosges
contre les armées russes et autri-
chiennes. Mais il ne pouvait dis-
poser que d'une armée de j/jo.ooo
hommes, dont 20,000 avaient dû
54o INAP
être détnchés pour contenir la Ven-
dée. II ne restait donc que 120,000
hommes , non pour repousser ,
mais pour détruire l'armée anglo-
hollandaise, de 104,000 combal-
tans sous les armes , et l'armée
prusso-saxonne de 120,000. Na-
poléon, après avoir médité ce
deuxième projet tout le mois de
mai, s'arrêta à vjn troisième, celui
d'attaquer ces deux armées le i5
juin , de les séparer , de les
battre, et s'il échouait, de re-
ployer son armée sous Paris et
sous Lyon, Dans le premier cas,
la guerre était heureuse. La Bel-
gique et fe Rhin se soulevaient
pour la France. Dans le second,
la guerre pouvait devenir natio-
nale , fcî Napoléon reconquérir le
titre de l'homme de la patrie.
La France se battant tout entiè-
re, et triomphant pour sa pro-
pre indépendance , Napoléon en
redevenait le premier citoyen.
iMais la fortune refusa le triom-
phe de la liberté à celui qui
l'avait asservie, et la France de-
vait encore s'abandonner elle-mê-
me comme en 1814 : car, malgré
la proclamation de la monarchie
constitutionnelle faite par Napo-
léon le jour de l'ouverture des
deux chambres, et les gages don-
nés aux électeurs et aux députés
à la cérémonie de la distribution
des aigles dans les galeries du Lou-
vre, l'acte additionnel, par cela
seul qu'il continuait le régiine
impérial, était devenu contre Na-
poléon une arme à deux tranchans
entre les mains des royalistes et
des amis de la liberté.
Toutefois la chambre des dépu-
tés et Napoléon, offraient dans
leurs dissentimens de vœux et d'o-
NAP
pinion, un spectacle du plus haut
intérêt à l'observateur impartial.
Au moment où Napoléon cher-
chait, peut-être, à s'échapper au-
tant à lui-même qu'à ses antago-
nistes, en précipitant le;^ prépara-
tifs de la guerre, la chambre sui-
vait une iriarche imperturbable
dans la ligne qu'elle s'était tracée;
elle avait besoin de l'armée, mais
elle lui refusait un hommage pu-
blic qui eût pu inquiéter la na-
tion : elle se déclarait la protec-
trice de la liberté individuelle :
elle forçait la police à relâcher les
détenus politiques, et enfin aprè»
Waterloo, elle proposa l'abolition
de la confiscation pour tous les
délits, même pour la trahison !
Napoléon, également inipassible
contre toutes les attaques dont il
était l'objet, suivait aussi, non son
système, mais la pente naturelle
de son caractère pour le pardon
ou le mépris des injures , pour
l'oubli de ses dangers personnels,
pour une sorte de grande indiffé-
rence qu'il jetait sur les événe-
mens passés et sur les événemens
à naître. Ainsi M. de Vitrolles ar-
rêté à Toulouse , en flagrant-dé-
lit, n'était pas mis en jugement.
M. de Rergorlay motivait libre-
ment son vote négatif contre l'acte
additionnel, parce qu'il était con-
vaincu que le rétablissement de la
dynastie des Bourbons, était le seul
moyen de rendre le bonheur aux
Français. M. Laine, président du
corps -législatif dissous, s'expli-
quait avec plus de force et autant
d'impunité que l'année précé-
dente! Il appelait Napoléon, l'op-
presseur de la France, et il décla-
rait que tous les propriétaires é-
taient dispensés de payer lescontri'
NAP
butions, et les habit uns d' obéir a
la conscription. Ces deux députés
restèrent tranquilles chez eux; ils
étaient protégés par l'insouciance
de Napoléon, qui respecta la li-
berté de la presse jusqu'à l'exagé-
ratioh : car les journaux publiaient
toutes les proclamations de Gand,
les manifestes des étrangers, les
diatribes contre l'illégalité de son
pouvoir, et les libraires vendaient
publiquement des provocations à
sa destruction.
Napoléon partit de Paris le 12
juin, coucha à Laon, était le i5 à
Avesnes, et le i/j, lit camper l'ar-
mée sur trois directions : la gau-
che, de 45,528 hommes sur la rive
droite de la Sambre; le centre,
de 65,724 hommes à Beaumont,
où était le quartier- général; la
droite, de 16,542 hommes en a-
vant de Philippevilîe. L'armée é-
tait de 122,404 homujes, et avait
35o bouches à feu.
Le i4 <iii soir, Napoléon fit pu-
blier l'ordre du jour suivant :
« Soldats î c'est aujourd'hui
nTanniversuire de Marengo et de
• Friedland, qui décida deux fois
»du destin de l'Europe. Alors
«comme après Austerlitz, comme
«après Wagram, nous fûmes trop
• généreux. Nous crûmes auxpro-
«teslations et aux sermens des
«princes que' nous laissâmes sur
»le trône. Aujourd'hui , cepeu-
>'dant, coalisés entre eux, ils en
«veulent à l'indépendance et aux
«droits les plus sacrés de la Fran-
»cc. Ils ont commencé la plus in-
» juste des agressions. Marchons
• donc à leur rencontre. Eux et
a nous, ne simimes-nous plus les
» mêrnos hommes ? Soldats ! à
NAP 541
niéna contre ces mêmes Prus-
» siens, aujourd'hui si arrogans,
«vous étiez un contre deux, et à
wMontmirail, un contre trois. Que
«ceux d'entre vous qui ont été
«prisonniers des Anglais, vous
» fassent le récit de leurs pontons,
» et des maux afiVeux qu'ils ont
«soufferts. Les Saxons, les Bel-
«ges, les Hanovriens, les soldats
»de la confédération du Rhin,
• gémissent d'être obligés de prê-
«ter leurs bras à la cause des
«princes ennemis de la justice et
«des droits de tous les peuples.
«Ils savent que cette coalition est
«insatiable. Apcès avoir dévoré
«deux millions de Polonais, douze
«millions d'Italiens, un million de
• Saxons, six millions de Belges;,
«elle devra dévorer les états du
«deuxième ordre de l'Allemagne.
«Les insensés! un moment de
«prospérité les aveugle. L'oppres-
«sion et l'humiliation du peuple
«français sont hors de leur pou-
»voir. S'ils entrent en France, ils
«y trouveront leur tombeau. Sol-
«dats! nous avons des marches
«forcées à faire, des batailles à
«livrer, des périls à courir, mais
«avec de la constance, la victoire
«sera à nous. Les droits, l'hon-
• neur, et le bonheur de la patrie
»)serontreconquis. Pourtout Fran-
• çais qui a du cceur, le moment
«est arrivé de vaincre ou depérir.t
Napoléon avait calculé par les
positions, soit de l'armée de Wel-
lington , dont le quartier- général
était à Bruxelles, soit de celle de
B'.iicher, dont le quartier-général
était à Namur , qu'elles avaient
besoin de deux jours au moins
pour se réunir et opérer sur le
:>/• •».
NAP
même champ de bataille. En con-
séquence, il s'étudia avec succès
à leur dérober ses mouvemens,
alin de les surprendre, et de les
mettre dans l'impossibililé de se
secourir. Calculant de plus avec
la sagacité d'un homme supérieur,
autant le caractère des deux gé-
V néraux ennemis, que les avanta-
ges du terrain, il jugea qu'ayant
plus à craindre de la promptitude
de Bliicher à venir au secours du
circonspect Wellington, il devait
attaquer les Prussiens les pre-
miers. En conséquence, le i5 c\ la
pointe du jour, il mit en luarche
ses trois colotmes. Les Prussiens
furent vivenient repoussés, avec
perte de quelques mille hommes;
Charleroi fut pris, et dans la nuit
du i5 au lO, toute l'armée fran-
çaise avait passé la Sambre, la
droite sur le pont du Chûtelet, le
centre sur celui de Charleroi, et
la gauche sur celui de Marchien-
nes. Elle bivouaqua dans un carré
de quatre lieues, entre les deux
armées ennemies, surprises par
l'habileté et la vivacité des mou-
vemens de Napoléon. Ce succès
est d'autant plus remarquable,
que le lieutenant- général Bour-
mont , chef d'état-major du 4'
corps aux ordres du comte Gé-
rard, lequel en avait répondu à
Napoléon , avait passé la veille
aux ennfMTiis. La capacité de cet
oITicier-général ne pouvait laisser
aucun doute sur la valeur des
renseignemens à donner aux é-
trangers. Le i(3, dans la nuit, le
maréchal Mey, qui commandait la
gauche, reçut Tordre formel de
Napcriéon, d'occuper à la pointe
du jour, avec ses 43>ooo hommes,
en nynulde<i Qualre-BraSj une po-
NAP
silion sur la route de Bruxelles,
en gardant eu même temps celles
de Nivelle et de Namur. Le défaut
d'exécution de cet ordre empê-
cha d'être décisive la bataille de
Ligny, qui se donna da;is la jour-
née, et qui coûta aux Prussiens et
aux Anglais , une trentaine de
mille hommes. Ce village fut pris
et repris cinq fois. Jamais achar-
nement pareil n'avait existé en-
tre des ennemis, si ce ne fut
peut-être au village de Raya à
la bataille de Lutzen. Mais à Li-
gny, les Français combattaient
pour leurs foyers, et à Kaya,
les Prussiens et les Russes ne
combattaient que pour leur ven-
geance. Sans entrer dans les dé-
tails de celte brillante journée
qui eut un surlendemain si fa-
tal, il suffit de dire que si le
maréchal N*'y eût obéi aux or-
dres réitérés de Napoléon. Wel-
lington n'eût pas eu le soir mê-
me son quartier-général aux Qua-
tre Bras, et que l'armée française,
par les savantes combinaisons de
Napoléon, par les immenses cer-
vices du comte Gérard et par l'in-
trépidité du général Girard, qui
fut blessé à mort, était en pleine
marche sur Bruxelles à 8 liiiues
du champ de bataille. L'opinion
de Napoléon ne peut être douteu-
se à cet égard, et malheureuse-
ment le maréchal Ney ne survit
point comme tant d'autres té-
moins de la journée du i6. t II se
«peut, dit Napoléon au comte
«Gérard, qui allait emporter le
«village de Ligny, il se peut que
«dans trois heures le sort de la
Bgcurre soit décidé. Si Ney exé-
»cule bien ses ordres, il ne s'é-
u chiippera pa? uncauondc Tanjiùe
NAP
• prussienne. Elle est prise en fla-
«grant-délit. »
Les généraux P;ijol, Excelmans,
le maréchal Grouchy, acquirent
dans cette bataille, de nouveaux
titres de gloire. Napoléon écrivit
depuis à^Saiiite- Hélène.... « L'ein-
• pereur, satisfait du comte Gé-
»rard, commandant le 4' corps,
«lui destinait le bâton de maréchal
»de l'empire : il le considérait
• comme une des espérances de la
» France. »
Il résulta pour cette journée, de
la faute encore inexplicable du ma-
réchal Ney, l'occupation des Qiia-
ire-Bras par le prince d'Orange, et
la nécessilé pour enlever cette po-
sition à ce prince d'y livrer une au-
tre bataille, à laquelle le maréchal
fut décidé par la canonnade de Li-
gny. Le prince régnant de Bruns-
wick y perdit la vie. Le maréchal,
privé de sa seconde ligne, qui é-
tait restée à 3 lieues en arrière,
fut obligé de passer la nuit à Fres-
nes, à mille toises AcsQualre-Bras,
que l'ennemi conserva jusqu'à la
nuit, après avoir éprouvé une per-
te de tS à 9,000 hommes.
Cependant l'armée française bi-
vouaqua sur ses champs de batail-
le à Saint-Amand, à Ligny, à Som-
bref, a Bry, et sur la chaussée de
Namur. Blùcher se retira sur >Va-
vres, par Tilly et par Gembloux,
où le soir même le général Bulow
arrivait de Liège avec le 4' corps.
Le 17, à la pointe du jour, le gé-
néral Pajol se mit à la poursuite
des Prussiens dans la direction de
>Vavres, et prit beaucoup de ba-
gages. ' Napoléon avait renouvelé
uu maréchal Ney Tordre de la veil-
le, celui de se porter sur la ferme
des Quatre-Bras à la pointe du
NAP
545
jour, et d'en chasser I arrière-gar-
de anglaise. Le comte de Lobau
devait favoriser l'opération du ma-
réchal, en attaquant par la route
de Namur. Le maréchal Grouchy
devait suivre le mouvement du
général Pajol, ne pas perdre de
vue Bliicher, et il lui était positi-
vement prescrit d'arriver à Wavres
en même temps que lui. Ainsi l'ar-
mée marchait sur Bruxelles en
deux colonnes, l'une de 69,000
hommes que commandait Napo-
léon, et l'autre de 54.000, sous
les ordres du maréchal Grouchy.
Mais aucun des ordres de Napo-
léon ne fut exécuté. Le maréchal
Ney n'avait point encore fait son
mouvement sur la ferme des Qua-
tre-Bras, et Napoléon fut obligé
de la faire enlever par les généraux
Reille et d'Erlon. Le maréchal,
averti par plusieurs officiers, pa-
rut enfin, et reçut les reproches de
Napoléon de lui avoir fait perdre
trois heures bien précieuses. Elles
l'étaient en effet. Ce retard fut cau-
se que la poursuite de l'armée an-
glaise sur Bruxelles fut ralentie, et
que Napoléon dut prendre posi-
tion à Plauchenoit, à une lieue du
village de iMont-Saint-Jean, avec
(){<.900 hommes et 242 pièces de
canon , à 4 lieues et demie de
Bruxelles. Il avait devant lui l'ar-
mée anglo-hollandaise de 90,000
hommes et de 255 pièces de canon,
dont le quartier-général était à
Waterloo. Napoléon comptait sur
l'établissement du maréchal Grou-
chy à Wavres. Mais Bluchèr lui
avait dérobé sa marche et y avait
réuni ^5,ooo hommes. Napoléotï
attribue à cette fatalité la perte de
la bataille de Waterloo , qui se
fût donnée le 17 si se» ordres eus-
544
.\AP
ient été exécutés, et qui se fût ap-
peléfi la bataille de Bruxelles, ou
la conquête de la Belgique.
Le 18, l'armée française s'é-
branla et marcha sur onze colon-
nes; à dix heures et demie elle é-
tait rangée sur six lignes. Napo-
léon se porta à leur sommet à la
tête de sa garde sur les hauteurs
de Bossomme. Son armée était de
69,000 hommes; celle de Welling-
ton de 90,000 : il se crut, et avec
raison, supérieur en force, quoi-
qu 'inférieur en nombre. 11 n'y
avait que moitié d'Anglais dans
l'armée de Wellington, Il n'y avait
dans la sienne que des Français, et
des Français faisant alors entre
eux cause commune de gloire sous
ses drapeaux. Aussi était-il plein
de conliance dans la puissance mo-
rale dont sa présence et leurs sou-
venirs animaient ses soldats. Na-
poléon se décida à tourner la gau-
che de l'ennemi, afin d'offrir un
point de jonction à l'armée du ma-
réchal Grouchy, qu'il attendait à
chaque instant. Par les dernières
nouvelles, il avait su que ce ma-
réchal avait couché à Gembloux.
Par ses derniers ordres, expédiés
à 10 heures du terrain même, le
^ maréchal devait attaquer Wavres
à la pointe du jour, et achever la
destruction de Bliicher, à qui il
restait à peine 3o,ooo hommes.
Napoléon ignorait la jonction de
Bulow avec son général en chef.
Une attaque sur la gauche, où le
corps du général Reille enleva le
bois et le château d'Hongomont,
commença la journée. Cependant
Napoléon n'avait pas encore don-
né l'ordre au maréchal Ney, à qui
la grande attaque du centre avait
été confiée, quand il aperçut un
NAP
nuage qui lui parut être un corps
de troupes dans la direction de
Saint- Lambert. Un corps de cava-
lerie fut détaché à une lieue pour
observer. Bientôt il apprit d'un
prisonnier que ce qu'il avait aper-
çu du côté de Saint- L'ampert était
l'avant-garde d'un corps de 5o,ooo
hommes sous les ordres du géné-
ral Bulow, que trois corps prus-
siens, aux ordres de Bliicher, é-
taienl campés à AVavres, et qu'il
n'y avait point de troupes françai-
ses aux environs. La première par-
tie du récit de ce prisonnier, cer-
tifiée par la lettre dont il était por-
teur pour le duc de Wellington, fut
bientôt confirmée par le général
comuumdant le corps de cavalerie,
qui venait d'être détaché eu ob-
servation. Cette grave circonstan-
ce détermina Napoléon à donner
10,000 hommes au comte de Lo-
bau, avec ordre d'arrêter les Prus-
siens de Bulow, aussitôt qu'il se-
rait averti par le canon de Grou-
chy. Car Napoléon , qui ne doutait
point qne son ordre de la veille ne
fût parvenu au maréchal Grou-
chy, croyait fermement que ce
maréchal avait attaqué Wavres à
la pointe du jour, et avait déjà sur
les derrières de ce corps de Bulow
un détachement de 7 à 8,000 hom-
mes. Napoléon se trouva donc,
par cette fatalité si imprévue, af-
faibli de 10,000 combattans sur sa
hgne de bataille, et n'avait plus
que 59,000 hommes, tandis que
l'armée ennemie, renforcée do
5o,ooo Prussiens de troupes fraî-
ches, était forte de 120,000 hom-
mes. «Nous avions ce matin qua-
» tre- vingt-dix chances pour nous,
» dit-il au duc de Dalmatie. L'arri-
» véc de Bulow nous en fait perdre
NAP
5)ti*ente; mais nous en aTon? en-
«core soixante contie quarante, et
«si Grouchy répare Thorrible tau-
■> le qu'il a commise hior de s'ar-
Miêter à Gembloux, et envoie sou
«détachement avec rapidité, !a vic-
»toire en sera pins décisive, car
»le corps deliliicher sera entière-
«ment perdu.» Napoléon n'avait
aucun doute sur la marche de
Grouchy, et d'après son caractère
bien connu, celte certitude était
pour lui la victoire elle-même.
Il était midi. Il n'y avait d'en-
gagé que les tirailleurs sur toute
la ligne, et que les troupes de
l'extrême gauche. Sur rextrênie
droite celles de Bulow étaient en-
core stationnaires. Napoléon don-
ne l'ordre au maréchal Ney de
commencer le l'eu et de s'emparer
de la ferme de la Haye -Sainte
et du village de la Haye, afiu
de couper toute communication
entre les Anglais et les Prussiens.
Lue division anglaise est fou-
droyée par 80 bouches à feu , et
au bait de 5 heures la ferme est
emportée après un beau combat
de cavalerie, où les Anglais cou-
vrirent de leurs morts le champ
de bataille. Aussitôt , un grand
mouvement de retraite , dans le
plus aft'reux désordre , précipite
les Anglais sur la chaussée de
Bruxelles. Il était quatre heu-
res. La victoire était (J^cidée ,
si le général Bulow n'eût pas
opéré à l'instant une fatale di-
version avec ses 5o,0'jo houames.
Pour comble de malheiir, dans le
même in tant Napoléon apprenait
que le maréchal Grouchy n'avait
pas attaqué Wavres à la pointe
du jour. Le comte de Lobau
n'avait que ses dix mille hommes
z. XIV.
NAP 5^5
à opposer aux trentiî mille de
Biilow. Il eut bientôt raison de
la première ligne, qu'il repoussa,
mais il dut se leployer devant
le? deux autres, dans la crainte
d'êîre tourné. Cependant Napo-
léon ordonne de si heureux mou-
vemen<* contre cette nouvelle ar-
mée, el ils sont si merveilleuse-
uieut exécutés par le gén.'ral i)u-
hcsme, à la tête de la jeune garde
et de son artillerie, et par le géné-
rnl Morand, avec quatre bataillons
de la vieille garde, que la ligne
de Bulow est débordée à son
tour el forcée à la retraite. Il est
sept heures. De l'antre côté, sur
la droite , ^pendant la chaleur de
l'action contre Bulow , le com-
te d'Erlon s'était emparé du vil-
lage de La-Haye, et les géné-
raux de cavalerie Milhaud et Le-
febvre Desnonëttes avaient chas-
sé les Anglais du champ de ba-
taille, entre la Haj'e-Sainte et
Mont-Saint-Jean. La droite de
l'armée de Vellington et la gau-
che de celle de Bulow étaint dé-
bordées, et les cris de victoire re-
tentissaient sur le terrain conquis
par nos braves. « C'est trop tôt
» d'une heure, dit Napoléon. Ce-
» pendant il faut soutenir ce qui
»est fait. »
Napoléon avait raison. On avait
trop tôt crié victoire. Le mouve-
ment que l'impétuosité du maré-
chal Ney avait fait faire à toute
la cavalerie sur le plateau de
la Haye-Sainte était prématuré.
Mais il était fait, et Napoléon
donna ordre de le soutenir. Ce fut
alors que le général Bulow me-
naçajes flancs et les derrières de
l'armle, en faisant des progrès.
Par l'ordre de Napoléon, les cui-
15
l'ajsiers du jj>énérul Kellennann é-
taient partis ai'i grand trot pour ap-
4»uyer la cavalerie Milhaud ; mais
inalheureusemeiu*» etpar un mon-
tement spontané, \h furent suivis
de la grosse cavalerie delà garde.
Wapoléoii la demande j;H)ur frap-
per le coup décisif; c'était* sa ré-
serve : mais elle était déj« l'enga-
gée.C'était la cinquantième batail-
le rangée qu'il livrait, et c<'lle-ci
décidait de toute sa destinée!...
Les 12,000 hommes de cavalerie,
qui avaient été lancés sur le pla-
teau, avaient détruit tout ce qlii
leur était opposé, cavalerie, infan-
terie,artillerie, et s'étaient emparés
de 60 bouches à feu. Le général
Colbert, avec les lanciers ronges
de la garde, enfonça tonte une bri-
gade de cavalerie anglaise , dont
le général fut tué. Le prihce d'O-
range fut grièvement blessé. La
cavalerie française était restée
iDuîtressè du plateau. Ainsi à y
heures du soir lu bataille était
gagnée pour la deuxième fois de
la journée , et cette fois elle avait
été arrachée par (J9.000 Français
â 120,000 étrangers!
Il était donc 7 heures du soir.
L'armée française était restée, par
d'incroyables prodiges, maîtresse
du champ de bataille, après avoir
pu craindre pour sa retraite elle-
même. Dans ce jnoineut on en-
tendit, dans la direction de Saitit-
Lambert, la cannonade du maré-
chal Grouchy. Il n'était arrivé de-
vant Wavres qu'à 4 heures et de-
mie du soir, où il avait reçu les
ordres qui lui avaient été expédiés
le matin du champ de bataille.
En conséquence il détacha le gé -
néral Pajol avec 12,000 hommes
A Limale, sur le pont de la Dyle,
NAP
et pendant ce temps, le maréchal
attaqua Wavres; le m.uéchal Blii-
cher y avait couché avec ses qua-
tre corps d'armée, dont était ce-
lui de Bulow. Mais il en était parti,
et n'avait laissé à Wavrjis que le
troisième corps, sous les ordres
du général saxon Thielman, avec
l'ordre de tenir pour masquer sou
départ. Cette marche de Bliicher
coïncida d'une manière si fatale
pour l'armée française, avec la
rîiarche rétrograde de Bulow et la
position désespérée du duc de
Wellington, qu'elle établit lu con>
munica vion entre ces deux armées,
arrêta V\m dans sa fuite, et devint
le salut dtf l'autre. Les Français
eurent alors,, à la fin de cette jour-
née, que leurs propres succès n-
Vaient rendue L"^i pénible, à com-
battre i5o,ooo hommes, c'est-à-
dire deux et demi contre un!
L'armée française avait cru
plus que jamais à s.» victoire par
la retraite du corps de Bulow ,
quand elle aperçut les colonnes
de Bliicher. Ici commença la
troisième et la dernière bataille.
Napoléon connut tout son péril,
tant à cause du peu de troupes
qu'il avait à opposer à d'aussi
g;randes niasses, qu'en raison du
mouvement d'hésitation que l'as-
pect de la nouvelle armée prus-
sienne avait imprime h quelques
i-égimeos. Le soleil était déjà cou-
ché. Il avait éclairé les prodiges
de la valeur française; il semblait
vouloir dérober sa lumière à l;t
mort de tant de braves. La garde
n'était pas encore toute engagée,
elle allait donner son dernier coin-
bat de géans. Napoléon faisait
dire sur toute la ligne qne Iti
maréchal Gouchy arrivait : c'était
NAP
l'espérance de l'arniéo. Peut-être
eu était-il encore une plus j)i<j-
chaine! Ln quart d'heure pouvait
donner le ?alul à cette brave ar-
mée : ce quart d'iieure était né-
cessaire pour laisser déboucher
et arriver en ligne le reste de la
gai-de; inaistemonienlsi précieux,
Blûcher s'en empara . en se por-
tant avec quatre divisions sur la
Ha\'e|, que détendait une seule
division française. Celte division
fut oulbulf-r. Là, dit-on, fut en-
tendu le cri , le cri funeste de
sauve qui peut;\-i fut faite la trouée
par laquelle l'iiuiombrable cavale-
rie ennemie inonda le champ de
bataille. En un moment tout fut
perdu. La nuit augmentait le dé-
sordre. Les corps fran(;ais se
trouvèrent séparés par la cavale-
rie des alliés; ce fut alors qu'eut
lieu ce beau trait d'un général de
la garde : La garde meurt, et ne
se rettd paSy dit-il en tombant per-
cé de coups, au milieu de ses gre-
nadiers. On est porté à croire que
ce mot, digne de d'Assas ou de
Léonidag, appartient au brave gé-
néral Michel, tuéà>\ aterloo : celui
qui l'a dit ne pouvait lui survivre.
Napoléon dut se réfugier dans un
carré de la garde, avec une partie
de son état-major, qui avait .mis
comme lui l'épée à la main. 11 or-
<lonna le feu. «La mort ne veut
«pas de vous, lui «lirentses grena-
»diers, retirez- vous , » et il Tui
enlevé de celte scène de destruc-
tion. L'obscurité le dérobant à
ses troupes elles perdirent leur
point de ralliement. La retraite
s'opéra par de nouveaux prodiges
ei de sanglans sacrifices. Le feu
de rennenii était à 4oo toises
NAP s;.;-
derrière la malheureuse année
française. Les chaussées étaient
rompues. L'n pêle-mêle général,
qui entraîna Napoléon et les dé-
bi is de sa garde , confondit bien-
tôt à travers cham|>s, la cavalerie,
l'infanterie, l'artillerie, les cha-
riots, les bagages. On vit des
officiers, des soldats, se tuer de
désespoir pour ne pas survivre
au grand désastre. Beaucoup, Je
général Duhesme entre autres,
un des plus braves de l'armée,
furent pris et assassinés parles Prus-
siens. L'humanité, l'amitié, la dou-
leur des Belges dérobèrent une
foule de blessés à la barbarie prus-
sienne. Le désespoir de ceux qui
survécurent et suivirent Napoléon
sur Paris ne peut être comparé
qu'à la gloire dont ils s'étaient
couverts depuis le ctmimencement
de la journée jusqu'à la nuit. Ln
cortège funèbre s'échappait si-
lencieusement de ces champs de
bataille, où deux fois le cri de vic-
toire avait ictenti. Chaque sol-
dât français était ungrand homme
pleurant sui^sa patrie et sur ses
huniers. L'élat-major gagna Jém-
mapes, où il voulut vainement
organiser quelques moyens d^
défense. Les équipages de JNapo-
léon avaient été pris. Une sorte
de charrelle servit à tran«porter
la victime deWalerloo à Philippe-
ville, où arrivèrent les voitures
du maréchal Soull. Napoléon mon-
ta en calèche avec le général Ber-
trand, qui ne devait plus le quit-
ter que pour lui fermer les yeux
à trois mille lieues de la Fran-
ce!...
Ainsi finit la journée de Mont-
Sainî-Jearj ou d« Waterloo, qui
r»i8
NAP
vit deux foisNapeléon victorieux.
Les quatre journées de celte cam-
pagne coûtèrent 68,000 hommes
aux alliés et 4'?ooo aux Fran-
çais. Napoléon , dans son plan ,
n'avait pas prévu la non exécution
ou lu non réception de ses or-
dres , mais il avait prévu qu'en
cas de revers, il pourrait soutenir
la guerre sous Paris et sous Lyon.
En conséquence l'armée reçut
ordre de rallier à Laon, position
forte, que l'eunemi avait su dé-
fendre l'année précédente conli-e
Napoléon lui-même. Ce prince,
avant de quitter Philippeville,
envoya l'ordre au maréchal Grou-
chy de se porter sur Laon, où il
prescrivit au général Rapp de se
rendre en toute hâte avec son ar-
mée d'Alsace. Il arriva le 20 à
Laon , où il organisa le servi-
ce pour une armée de 80,000
hommes. Il y reçut de son frère',
le prince Jérôme, la nouvelle que
25,000 hommes s'étaient déjà ral-
liés avec 5o pièces de canon der-
rière Avesnes, que la garde à pied
marchait sous le commandement
du général Morand , la garde à
cheval sous celui du général Col-
vert, et que si on avait été obligé
d'abandonner 170 pièces d'artil-
lerie, plus de la moitié du maté-
riel était sauvé, ainsi que les hom-
mes et les chevaux des batteries
abandonnées. En conséquence Na-
poléon ordonna à ces équipages
de venir prendre des pièces à la
Fère , et au prince Jérôme de se
rendre avec toutes les forces qu'il
aurait pu rassembler à Laon, où
devait s'opérer le ralliement des
armées de Rapp et de Grouchy. Ce
deruit^r corps était intact. II avait
NAP
battu les Prussiens de Thielman i
Wavres. Le général Gérard, a-
avec le quatrième corps, avait
forcé le passage de la Dyle, com-
me avait fait à Limate le général
Pajol. Le 19, Thielman jwah en-
core été battu par le maréchal
Grouchy, qui marchait victorieu-
sement sur Bruxelles, quand il
apprit en route la perte de la ba-
taille de Waterloo, et reçut l'or-
dre de se retirer sur Namur. En-
fin le 26, le corps d'armée de ce
maréchal était arrivé à Laon, fort
de 52,000 hommes et de 108 piè-
ces de canon. Le 27 , 70,000
hommes étaient ralliés entre cette
ville et Paris , d'où 2 5 à 5o mille
hommes étaient en marche pour
Laon. Le général Rapp avec
25,000 hommes d'élite devait fai-
re sa jonction d.ms les premiers
jours de juillet. On avait perdu
170 pièces do canon, mais on en
trouvait 5oo à Piiris. Ainsi Napo-
léon serait sous peu de jours
en état de couvrir Paris avec
120,000 hommes de vieilles trou-
pes et 55o bouches à feu. Cette ar-
mée était également offensive et
défensive, et aurait derrière elle ,
dans les murs de la capitale, 56,ooa
hommes de garde nationale ,
5o,ooo tirailleurs et fédérés qu'on
pouvait porter à 80,000 ; 6000
canonniers et 600 bouches à feu
en batterie , avec des retranche-
mens formidables. Napoléon cal-
cula également la force de l'arméô
ennemie. Les alliés avaient perdu
80,000 combattans dans les quatre
jours de la campagne, et ne pou-
vaient disposer que de 140, 000, dont
5o,ooo au moins devaient rester en
arrière pour l'investissement des
NAP
places et garder les communica-
tions. Ces 90,000 hommes d'armée
acli ve ne pouvaient agir contre l'ar-
mée de Paris sans la coopération
des armées russe et autrichienne,
dont 3o,ooo hommes au plus pou-
vaient être arrivés sur la Marne le
i5 juillet. Les nouvelles des autres
armées étaient excellentes pour Na-
poléon. Le maréchal Suchet avait
enlevé iMontmélian, et les Pio-
montais étaient chassés des gor-
ges du IMont-Cenis ; le général
Desaix, sous ses ordres, s'était é-
galcment emparé de tous les dé-
filés du Jura et tenait Carrouge.
Le général Lamarque venait de
terminer à la bataille de la Roche-
Servière la guerre de la Vendée.
Le général Lecourhe, maître des
Vosges, devait se réunir au maré-
chal Suchet, et l'armée sous Lyon
serait de 5o,ooo hommes, ifjdé-
pendamment de la forte garnison
et de la population de cette gran-
de ville. Toutes les places qui for-
maient les lignes du nord r.i de
l'est étaient dans un état complet
de défense , et commandées par
des généraux éprouvés. « Tout
«pouvait se réparer, a dit depuis
«Napoléon; niais il fallait du ca-
nractère, de lénergie , de la fer-
nmeté de la part des olficiers, du
» gouvernement, des chambres, de
»la nation tout entière. 11 fallait
9 qu'elle fût animée par les senti-
«mens de l'honneur, de la gloire ,
»de l'indépendance nationale ,
iD qu'elle fixât les yeux sur Rome a-
» près la balaille de Cannes, et non
nsur Carthage après la bataille de
nZamal » Napoléon se trompait.
C'était la bataille d'Actium , qu'il
venait de perdre contre l'i'lu-
rope , et il allait perdre centre
NAP
3:9
les chambres le propès d'Anni-
bal.
Dans la position extrême où
se trouve un gra^d homnie char-
gé de la destinée d'une nation, il
peut être possédé d'un instinct de
conservation qui n'appartient qu'à
lui. Napoléon aurait-il eu cet ins-
tinct, quand il déclara, à Laon,
qu'il voulait y rester et y défendre,
ne fût-ce qu'avec 13,000 hommes,
les approches de Paris ? Cet avis
fut vivement combattu par une
objection qui était grave : le peu-
ple de Paris, disait-on, pourrait
douter si Napoléon cicait encore
pour défendre la cupitale ; person-
ne ne s'armera à Paris , que sous
les yeux de Napoléon. L'exemple
de l'année précédente, le décou-
ragement naturel a cette partie de
la population, qui devait remplir
les rangs des fédérés , lui furent
vivement présentés ; N.ipoléon cé-
da malgré lui. « Puisqu'on le croit
1) nécessaire, dit-il, j'irai à Paris;
"mais je suis persuadé qu'on me
«fait faire une sottise : ma vraie
n place est ici. Je pourrais y diri-
» ger ce qui se passe à Paris, et
«mes frères feraient le reste. » A-
prés avoir pris celte résolution ,
Napoléon mil la dernière main au
fatal bulletin de la balaille de Mont-
Saint-Jean... « 3lon intention,
»dit-il, est de ne rien dissimuler,
»il faut conime après Moskon, ré-
» vêler à la France la vérité tout
«entière; j'aurais pu rejeter sur le
«maréchal Ney ane partie desmal-
» heurs de cette journée; mais le
«mal est fait, il ne faut plus eu
» parler. »
Le lendemain il arriva au palais
de l'Elysée. L'ostracisme rallen-
dait d.mi la cupilale; il aviiit dCi
53o NAP
vainrrc, et il revenait sans armée;
aussi il perdit îont-à-couplepouvoii*
et jusqu'à la liberté. Les chambres
se déclarèrent en permanence ;
c'était lui dire qu'il n'était plus
chef de la nation. La chambre des
députés exprima un vœu plus sé-
vère : I) Toute tentative pour ladis-
«soudre, dit-elle, est un crime de
«haute trahison; quiconque seren-
»drait coupable de cette tentative,
«sera déclaré traître à ta patrie^ et
» sur-le-champ jugé comme tel. ,>
Ainsi Napoléon trouva à son ar-
rivée dans la capitale la peine de
mort, si, comme il l'avait impru-
demment dit lui-même, il pre-
nait la résolution d»; dissoudre les
chambres par la force, et d'exer-
cer le pouvoir dictatorial. Cette
délibération de la chambre l'irrita
violemment; il lutta contre elle
pendant 24 heures. Il se rcpenlit
alors d'avoir quitté Laon ; il avait
bien senti qu'il n'y avait plus de
pouvoir pour lui qu'au milieu des
soldats , et pai- les soldats : il se
débattit sous le joug de fer qu'on
lui imposait; il re<;arda autour de
lui, et ne vit que des visai;es aus-
tères dans son propre conseil.
Une injustice singulière avait
saisi tout à- coup les courtisans
de Napoléon ; ils crurent s'ac-
quitter envers la liberté en lui
.sacrifiant celui pour lequel ils l'a-
vaient trahie depuis i5 années.
Ainsi que les députés, ainsi que
les pairs, les ministres, les con-
seillers d'état redevinrent tous ci-
toyens, quan 1 le Capilole allait
être envahi pour la seconde fois.
Jîst-il encore à présent possii>lc
de croire que tant d'honnnes é-
clairés et si bien instruits par l'ab-
dication de Fontainebleau, aient
NAÏ'
pensé que la nouvelle abdication
qu'ils demandaient à Napoléon,
dût fermer aux ennemis l'entrée
de la capitale, et rendre à la Fran-
ce ton le son indépendance poli-
tique?..,. « Il ne s'agit pa^ de moi,
«disait-il à l'Klysée, à M. Cons-
».tant, il s'agit de la France. On
»veut que j'abdique : c'est au-
» tour de moi, autour de mon nom
«que se groupe l'armée; si j'ab-
ndique aujourd'hui, vous n'aurez
nplus d'armée dans deux jours...
» Me repousser quand je débarquai
»à Cannes, je l'aurais conçu... si
))on tireCit renversé il y a 1 5 jours,
«c'eût été du courage....; mais je
» fais partie actuellement de ce que
«l'étranger attaque, je fais donc
«partie de ce que la France doit
«défendre : ce n'est pas la li-
rtberté qui me dépose , c'est \Va-
«teiloo, c'est la peur. » Comme
il parlait, une foule tumultueuse
aOîuait tout-à-coup dans l'avenue
de Warigny et criait violemment:
Vive l'empereur! « Que me doivent
» ceux-ci ? reprit Napoléon ; je les
»ai trouvés, je les ai laissés pau-
»vres. L'instinct de la nécessité
«les éclaire : la voix du pays parle
«par leur bouche ; et si je le veux,
»si je le permets, la chambre re-
nl)elle, dans une heure n'existera
«plus ; mais la vie d'un homme
«ne vaut pas ce prix : je ne suis
«pas revenu de l'île d'Elbe, pour
«que Paris fût inondé de sang! »
Napoléon avait trop pesé sur le
monde. Après Waterloo et au mi-
lieu de la proscription dont chacun
le frappait à l'envi, comme le lion
malade, il sentit qu'il pesait aussi
sur lui-même. Fatigué, dégoûté
de lui cl des hommes et des cho-
ses, cerné, pressé de toutes parts,
NAP
il ronsentit enfin à signer la décla-
ration suivante :
Au peuple Français.
«En commençant la guerre ,
» pour soutenir l'indépendance iia-
«lionale, je comptais sur la réu-
■ nion de tous les efforts, de toutes
«les volontés et le conconrs de
«toutes les autorités nationales.
».)'élais fondé à en espérer le
» succès, et j'avais bravé toutes
• les déclarations des puissances
• contre moi. Les circonstances
» me paraissent changées. Je m'oC-
»fre en sacrifice à la haine des
• ennemis de la France. Puissent-
ails être sincères dans leurs décla-
» rations, et n'en avoir voulu réel-
slement qu'à ma personne! Ma
» vie politique est terminée, et je
• proclame mon fils sous le titre
«de Napoléon II, empereur des
«Français. Les ministres actuels
a formeront provisoirement lecon-
• seil de gouvernement. L'intérêt
• que je porte à mon fils, m'enga-
»ge à inviter les chambres à or-
«gtuiser sans délai la régente par
• une loi. Unissez-vous tous pour
» le salut public et pour rester une
«nation indépendante.»
ISapoléox.
Au palais de l'Elysée, 22 juin i^ i5.
Le duc d'Otranle, le duc de
Vicence et le duc Decrés, furent
chargés ))ar Napoléon de porter
cette déclaration à la chambre des
députés; le duc de Gaëte, le com-
te Mollicn et le comte Caraot à
la cliaini)re des pairs, fiion ne
manqua à la catastrophe de Na-
poléon. In de ses ministres d'elal
lui avait déjà déclaré dans le con-
seil qu'il fallait abdiquer, que le
«alut de lu France le demandait.
NAP
001
Il revint lui dire que la chambre
exigeait son abdication , et qu'il
n'}"^ avait pas un moment à per-
dre. Enfin, il pressa tellement Na-
poléon d'abdi(|u«r, qu'après deux
missions qu'il remplit pour le mê-
me objet , il envoya renouveler
encore la même instance à Napg-
léon par un olïicier supérieur dn
la garde nationale, auquel Napo-
léon répondit : « Ces bonnes gens
»sont bien presses : dites-leur que
nje sais ce (jue j'ai à faire. » Enfin
il se décida à donner cette abdica-
tion. La chambre des représen-
laiis nomma alors une dépiitation
qui reçut ordre de se rendre au-
près de NapolétMi, pour lui expri-
mer avec quel respect et avec
quelle reconnaissance la chambre
acceptait le noble sacrifice que ce
prince faisait à l'indépendance et
au bonheur de la France.
Napoléon répondit ainsi à cette
députation : « Je vous remercie
))des sentimens que vous m'ex-
•) primez. Je désire que mon ab-
»dication puisse faire le bonheur
«de la France; mais je ne l'espère
• point. £//^ laisse t'élat sans chef,
» sans exislence politique. Le temps
«perdu à renverser la monarchie
«aurait pu être employé à mettre
» la France en état d'écraser l'eii-
>- nemi. Je recommande à la cham-
»bre de renforcer prompteujcnl
«les armées. Qui veut la paix, doit
«se préparer à la guerre. Ne virl-
» tez pas cette grande nation à la
»Tnerci des étrangers. Craignez
» d'être défus dans vos esp^érances;
• c'est là qu'est le danger. Dans
«quelque position que je me trou-
»ve, je serai toujours bieu si la
• France est heureuse. Je recouir
» mar.do uwu fib à la France ;
552
NAP
i>)'e?père qu'elle n'oubliera pas
»que je n'ai abdiqué que pour lui.
»Je l'ai fait aussi ce grand sacri-
»fice pour le bien de la nation :
«ce n'est qu'avec ma dynastie
«qu'elle peut espérer d'être libre,
«heureuse et indépendante. » C'é-
tait précisément cette vanité de
dynastie qui perdait Napoléon
pour la seconde l'ois. Jusqu'au
dernier moment, il ne manqua
jamais une occasion d'aflecter
bautement ce sentiment; car, un
instant après, un ministre d'é-
tat se félicitant justement d'a-
voir provoqiié i'bommage que
Napoléon venait de recevoir de la
chambre : « Puisque cette déli-
nbération est votre ouvrage, lui
» répondit-il, vous auriez dfi vous
«ressouvenir que le titre d'empe-
•>) rcur ne se perd point. » Effecti-
vement, la délibération de la cham-
bre ne pariait que de Napoléon
Bonaparte. Ce trait si singulier
dans une telle circonstance se re-
produisit encore souvent , même
sur le rocher de Sainte-Hélène I
Si Napoléon eu débarquant au
golfe Juan eût apporté avec lui
non la contre-révolution de la rao-
narchie , mais celle de l'empire,
il n'eût jamais été responsable
d'une défaite, et l'Europe aurait
eu à abattre plus qu'un seul
homme.
Il résultait formellement, et
sans discussion aucune, de l'ac-
eeptation de l'abdication de Na-
poléon en faveur de son fils par
les deux chambres, une raison de
gouvernement toute faite , puis-
qu'elles avaient reconnu le père:
c'était la reconnaissance de Napo-
léon II, et la proclaniatio» de son
NAP
avènement. Mais dans la deuxième
chambre, des esprits orageux s'étu-
dièrent à prouver h l'Europe l'en-
tière vacance du trône et l'absence
de tout pouvoir légal. L'un proposa
à la chambre de se former en as-
semblée nationale, un autre en as-
sembée constituanife. C'était pro-
poser l'exhérédation de Napoléon
II; c'était dénier l'abdication re-
connue, en déclinant son objet,
soti but fondamental. Puisqu'on
l'avait acceptée solennellement, on
s'était retiré le droit d'en repousser
la condition nécessaire; la chambre
consentit à éluder li reconnais-
sance de Napoléon II, en admet-
tant la formation d'une commis-
sion executive de cinq membres,
deux de la chanibrc des pairs, et
trois de celle des députés. Cette
proposition communiquée à la
chambre des pairs fut violem-
ment repoussée par le jeune et
infortuné Lubédoyère. «S'ils re-
» jettent Napoléon II, s'écria-t-il,
«l'empereur doit recourir à son
»épce et à ses braves, qui, tout
» couverts de sang et de blessures,
«crient encore vive l'empereur !
«C'est en faveur de son fils qu'il
»a abdiqué; son abdication est
«nulle si on ne reconnaît point
«Napoléon II.... II y a peut-être
«encore ici des généraux qui mé-
«dilent de nouvelles trahisons ,
«mais malheur à tout traître!... >
Hélas! la même mort devait bien-
tôt réunir les accusés etl'accusa-
teuiîCette séance fut tumultueuse,
et présenta le fatal ca)actère d'une
société qui marche par le trouble
à sa dissolution. Enfui un pair
proposa d'adopter la proposition
de la chambre des députés, sans
^AP
rien préjuger sur l'indivisibilité de
l'abdication de Napoléon. Celte
subtilité politique lut avidement
saisie par la chambre, qui nomma
de suite le duc deVicence et le
baron Quinette pour faire partie
de la eommis.-ion executive. La
chambre des députés nomma les
généraux Carnot et Grenier, et le
duc d'Otrante, lequel lut élu pré-
sident par ses collègues. Ainsi il
n'y avait que trois ministres de
Napoléon dans la commission. tan-
dis que Tacle de son abdication
portait que ses ministres actuels
la composeraient. Aussi donna-t-
il avec raison le nom de directoire
à cette autorité improvisée par
les chambres.
Toutefois on pouvait croire,
parce que c'était une chose de
tait, que reite commission gou-
vernerait et publierait ses actes au
-nom de Napoléon II. Cependant
la ch;ui)brc des députés, divisée
par les opinions et p-ar les intérêts
qui avaient partagé la séance pré-
cédente, se crut encore obligée de
laisser intervenir à cet égard \me
discussion au milieu de laquelle
une sorte d'acclamation de cir-
constance, d'entraînement physi-
que plutôt que de conscience po-
litique, proclama que Napoléon
Il était empereur des Français.
L^ne voix déjà connue dans la der-
nière séance fit cependant enten-
dre ces paroles : « .Si Napoléon I"
»n'a pu sauver l'état, comment
'>Nap(^.léon II le pourra-t-il davan-
'. lage? D'ailleurs ce prince et sa
«mère sont captifs. Avez-vous l'es-
■»poir qu'ils tous soient rendus?,..
• C'est de la nation que nous atten-
itdons le choix d'un souverain. La
«nation précè.dc tous les gotner-
NAP 555
> nemens et survit à tous. » Enfin,
sur la proposition d'un autre dé-
puté, et ce qui est plus étrange,
aux bruyantes acclamations de
vive Napo/éonll, il fut passé à l'or-
dre du jour : i° Sur ce que Napo-
léon Il était devenu empereur par
le fait de l'abdication de Napoléon
I", et par la force des constitutions
de l'empire; i° Sur ce que les deu.v
chambres avaient voulu et entendu,
en nommant une coinmission de
gouvernement, assurer à la nation
les garanties dont elle a besoin ,
dans les circonstances extraordi-
naires où elle se trouve, pour con-
server sa liberté et son repos. La
capitale ne fut pas la dupe de la
séduction où la chambre s'était
laissée entraîner pour la seconde
fois , et Napoléon le fut encore
moins. Chacun au surplus se
trouvasuffisamment averti, quand
il vit le surlendemain les actes du
gouvernement piovisoire , intitu-
lés au nom du peuple français. Les
chambres demantlèrent une ex-
plication à la commission execu-
tive sur cette application de sou
pouvoir. Cette demande était au
moins iuu tile, car la majorité de la
chami)re ue voulait ni de Napo-
léon I", ni de Napoléon II; la
commission réponJit, que puis-
que Napoléon II n'avait encore été
reconnu par aucune puissance, on
ne pouvait traiter en so7i nom, et
qu'il avait fallu ôter aux ennemis
tout préle.Tle à un refus de négo-
cier. Eu effet , l'embarras de la
commission était extrême : elle
N
était un gouvernement non re-
connu, qui émanait d'un gouver-
nement également non reconnu.
En parlant au nom de la France.
elle évitait de prendre un titie
554
NAP
qu'on pouvait lui contester. Gal-
les souverains, qui voulaient faire
la loi l'épée à la ujain, n'auraient
pas manqué de saisir le prétexte
(le Napoléon 1" ou de Napoléon
II, pour refuser même d'écouter.
Or, il était danp;ereux de donner
des prélexles d'ajournement dans
des questions de cette importance,
que des plénipotentiaires devaient
aller tiaiter à plus de çeut lieues
du {2;ouvernement.
Cependant beaucoup de voix
de l'armée y rappelaient Napo-
léon, et le duc d'Otrante [)arvint
à faire craindre aussi aux cham-
bres la prolongation dans la capi-
tale du séjour de l'empereur des
soldais. Napoléon voulut lui-
même mettre fin à sa présence à
Paris, mais ce fut par la crainte
que les alliés ne pussent douter
de sa bonne foi et calomnier son
abdication. En conséquence , it
paitit le 25 pour la Malmaison,
où il fut reçu par la princesse
Horlensc. Hélàs! il y rétrouva tous
les reproches de sa gloire consu-
laire, et peut-être aussi toutes les
passions de sa toute-puissance !
Ce séjour fut pour lui un nouveau
supplice : c'était celui de Tantale.
Mais il devait encore sid)ir sur i\n
rocher celui de Prométhée.
Une violente agitation s'empa-
ra de Napoléon à la Malmaison.
Tous les souvenirs de sa gloire
militaire l'y attendaient; tout lui
parlait de l'armée. D'oi'i pouvait-il
lui faire de plus touchans, de plus
nobles adieux, que du séjour où
il avait trouvé tant de fois la pen-
sée et le repos de ses victoires? Et
il adiessa aux braves soldats de
rar)n/:e devant Paris, la procla-
uiatioi^ suivante :
NAP
f Soldats ! quand je cède à la
«nécessité qui me force de m'é-
nloigner de la brave armée fran-
Dçaise, j'emporte avec moi l'heu-
wreuse certitude qu'elle justifiera,
">par les services éminens que la
«patrie attend d'elle, les éloges
))que nos ennemis eux-mêmes no
"peuvent pas lui refuser. Soldats!
» je suivrai vos pas, quoiqu'a!)-
Msent. Je connais tous les corps,
«et aucun d'eux ne remportera un
«avantage signalé sur l'ennemi
«que je ne rende justice au conra-
»ge qu'il aura déployé. Vous et
«moi, nous avons été caloiuniés.
» Des hommes indignes d'appré-
ncier vos travaux ont vu dans les
«marques d'attachement que vous
»n»'avez données un zèle dont j'e-
stais le seul objet; que vos succès
» futurs lem-apprennent que c'était
»la patrie par-dessus tout que
«vous serviez en m'obéissant, et
«que si j'ai quelque part à votre
» ailection, je la dois à mon ardent
«amour pour la France, notre
«mère commune. Soldats! encore
«quelques efforts, et la coalition
«est dissoute. Napoléon vous re-
» connaîtra aux coups que vous
«allez porter. Sauvez Thonneur,
n l'indépendance des Français,
«soyez jusqu'à la fin, tels que je
«vous ai connus depuis vingt ans,
»et vous serez invincibles! «
Napoléon avait beau vouloir
se tromper lui-même par les vœux
qu'il adressait aux soldats, de tels
adieux leur disaient : Ai) pelez-moi
et je vole à votre tète. Le gouverne-
ment le comprit ainsi, et la pro(;Ia-
mation de la Malmaison ne fut ni en-
voyée à l'armée de Paris, ni insérée
au Moniteur. Ainsi cette dernière
allpcutiou de Napoléon à l'ar-
NAT
mée fraiiçaisn fut perdue pour lui.
Soit à Paris, soit à la iMaimai-
50n , Napoléon vojilait se faire
rappeler par l'armée; il voulait
aussi que le gouverntment le re-
plaçât à la tète des soldats ,
comme si un pouvoir quelcon-
que en avait le droit à Paris, où
les t'iiainhres étaient ouvertement
contre lui. Lui seul avait le droit
de se remettre à la tête de l'armée;
jusqu'au dernier moment il en
eut la faculté. Ses chevaux furent
souvent à sa porte pendant plu-
sieurs heures. Il avait à sa dispo-
sition tout ce qui l'entourait. Les
{grilles de la Malmaison étaient à
lui. Le général Becker, qui lui
fut donné par la commission du
gouvernement, n'était pas même
un témoin de ses actions. A Fon-
tainebleau aussi , l'année précé-
dente, il aurait pu, le premier jour
et même le second, faire une trouée
avec .ses braves, et manœuvrer sur
la J>oire. Pourquoi Napoléon ne
risqua-t-il pas celte noble évasion
de Fontainebleau? C'est qu'il
comptait èiir un traité plus favo-
rable. Pourquoi attendit-il à l'E-
lysée et à la Malmaison . qu'on
Tînt le Te|»lacer à la tête de Tar-
niée, au lieu d'y aller lui-même
de son propre mouvement ? C'est
parce qu'il savait ce qui se passait
à l'armée. Ln général fut arrêté
aux avant-postes passant à l'enne-
mi. C'était à qui arriverait le pre-
mier à Paris pour s'atnnisticr,
pour purger la contumace de
Waterloo. M. de \ilr<dles ne
quittait pas le quartier-général du
prince d'Eckmiilh. Ce maréchal
avait proposé à la commission
d'envoyer au-devant de la famille
royale, et de proclamer le roi.
NAP
r.55
La commission avait rejeté sa [<ro-
posilion. Le lendemain, il la re-
nouvela par écrit.
Cependant l'avis que Nap(»-
léoti avait donné aux chambres
dans l'acte de son abdication a-
vait été suivi, et de gratids pré-
jiaratifs de résistance étaient or-
ganisés pour appuyer la négocia-
tion que la commis'^ion executive
sélait proposé d'ouvrir avec les
armées étrangères. Fouché, qui
était dans le secret de l'avenir,
présidait lin-même avec une im-
perturbable djipliciléaux soins de
la guerre et à ceux de la paix.
Masséna , priflce d'Esiing, fut
nonimé au commandement eii
chef de la garde nationale. Le
maréchal Grouchy eut celui
de l 'armée du Nord; le géné-
ral Reiile, celui des i", 2' et ()"=
rorps; le général Drouot , celui
de la garde: le maréchal .lourdan,
celui de l'armée du Rliin. Enfin
la commission chargea MM. de
la Fayette, dePontécoulaul, d'Ar-
genson, de La Forêt, Sébastiani .
et Benjamin -Constant , d'aller
négocier une suspen>ion d'armes
et traiter même de la paix. Le
choix des généraux et celui des
négociateurs prouvent la diversi-
té dus intérêts qui y présidèrent.
Mais il est diincile de ne pas com-
prendre la nature de lintérct
qui avait fait nommer le duc d<'
Bassano secrétaire -d'état de la
connnission, ce qu'il refusa, et
qui y attacha M. Fain, secrétaire
de Napoléon, en qualité de sous-
secrétaire-d'étal , et enfin tout le
cabinet, et<nlre autres .M. de Fleu-
ry de Chaboulou, qui (\eux fois-
par joitr se rendait à la 3LTlinai-
sun.
556
^AP
Dans k commission , le choix
du duc d'Otrantc était le seul qui
fut désapprouvé hautement; mais
la loyauté des quatre autres mem-
bres du gouvernement ne pouvait
déiendre la France des machina-
nations de celui qui les prési-
dait.
Telle était aussi l'opinion à la
Malmaison. Napoléon s'en expli-
qua hautement le jour du départ
des plénipotentiaires.
« Fouché , disait-il, jouera les
«chambres. Les alliés le joueront,
)'et vous aurez Louis XVIII. Il
«se croit en état de tout conduire
Ȉ sa {^uise : il se trompe : il ver-
» ra qu'il faut une main autrement
"trempée que la sienne pour te-
»nir les rênes d'une nation, sur-
»tout lorsque l'ennemi est chez
«elle.... » — Puis reprenant cette
idée qui par une déplorable fata-
lité, lui était revenue toute do-
minante; « Moi seul 3 ajoutait-îl,
))je pourrais tout réparer, mais vos
n meneurs n'y consentiraient ja-
» mais : ils aimeront mieux s'en-
wgloutir dans l'abîme que de
n s' unir à moi pour le fermer. «
Cette idée, devenue fixe, se pré-
sentait sans cesse à sa pensée à
chaque occasion : elle devint si
publique, que la nécessité de son
départ [larut instante à ceux qui
avaient un grand intérêt à le sé-
questrer du contact de l'armée,
si contagieux encore pour elle et
pour lui. En conséquence, on lui
fit insinuer de songer à s'éloigner
prompfementetde quitter la Fran-
ce. Il demanda deux frégates pour
se T'cudre aux Etats-Unis avec sa
famille. La veille, le ministre de
la niariae lui avait proposé de
partir avec un Américain, qui
NAP
l'emmènerait incognito tin Havre,
el l'embarquerait sur son navire.
Il avait refusé, sous le prétexte
qu'on désirait trop vivement
son départ , mais la véritable
raison, et cette faiblesse ne l'a ja-
mais quitté , c'était le déplaisir
de ne pas quitter la France avec
une sorte de pompe et le dégoût
de partir comme un fugitif. L'or-
dre fut donné en conséquence
d'armer les deux frégates; mais le
gouvernement exigea des passe-
ports et des sauf- conduits du
duc de Wellington pour la garan-
tie de ces deux frégates. Une au-
tre garantie parut aussi nécessai-
re à la chambre des représentans,
qui l'exigea; ce fut celle qui s'ap-
pliquerait spécialement à Napo-
léon lui-même, et le lieutenant
général Becker fut heureusement
choisi pour devenir auprès de
Napoléon le répondant de sa pro-
pre sûreté envers le gouverne-
ment. On voulut par cette mesu-
re , qui, mal interprétée dans le
premier moment, devait blesser
l'âme de Napoléon, non-seulement
l'entourer d'une protection oiïi-
cielle , indispensable pour son
voyage, mais encore contribuer
par sa présence à déterminer les
alliés à conclure promptement
un traité. L'arrivée du général
Becker à la Malmaison donna lieu
d'abord à une vive inquiétude,
que devait dissiper promptement
le caractère si bien connu de cet
officier-général. En eflet, il s'em-
pressa de déclarer qu'il avait mis-
sion pour veiller à la conservation
de Napoléon, lequel était placé sous
ta sauve-garde de l'honneur natio-
nal. Mais Napoléon comprit bien
qu'il était le prisonnier de Fouché,
NAP
qui exploitait, pour des desseins
futtirs, ses inquiétudes person-
nelles et celles des autres enne-
mis de Napoléon.
La réponse du duc de Welling-
ton pour les sauf-conduits n'était
point arrivée, et Napoléon ron-
geHJt impatiemment le frein du
séquestre sons lequel il était cap-
tif, lorsque le ministre de la mari-
ne vint déclarer que , l'ennemi é-
tant à Compiègne, la sûreté de
Napoléon ne permettait pas d'at-
tendre plus long -temps les sauf-
conduits de l'Angleterre, et néces-
sitait un prompt départ. Napo-
léon promit de partir; mais un
coup de canon tiré au loin se fit
entendre , et devint électrique
pour cette âme encore guerrière.
« Qu'on me fasse général , dit-
«il vivement au comte Becker, je
• commanderai l'armée; je vais
«en faire la demande. Général,
))Vous porterez ma lettre, partez
• de suite.... Expliquez-leur que
aje ne veux pas ressaisir le pou-
»voir. que je veux écraser l'en-
»nemi, et le forcer par sa des-
»truction à traiter d'uiie manière
«plus avantageuse pour le peuple
» français.... Qu'ensuite je pour-
» suivrai ma route.... » Malgré
l'austérité de son mandat et l'in-
quiétude à luquelle la passion subi-
te de Napoléon pouvait exposer
la mission qui l'attachait à sa per-
sonne, le général Becker partit et
porta la kllre au gouvernement.
La confiance du général fut hono-
rable sans doute. Celle de Napo-
léon le fut davantage, parce qu'il
avait pris envers lui-n)ètne tous
les engagemens du général avec
le gouvernement. Cette anecdote
Serait une graode actioD dans uue
NAP 55;
vie moins pleine que celle de Na'
poléon. Il se réduisait lui-même
à demander à ses sujets de la veil-
le, par l'entremise du sujet qui
le gardait, à mourir pour la Fran-
ce , et à la quilter s'il la sauvait.
Mais Napoléon avait affaire à un
homme dont Tame aguerrie de-
puis long-temps par les mitrailla-
des de Lyon ne s'était reposée de '
la terreur que par les abus du
pouvoir, la cupidité, l'intrigue et
la trahison. Napoléon écrivait :
« J'offre mes services comme gé-
»uéral, me regardant encore com-
«me le premier soldat de la pa-
rt trie. 1) — Est-ce qu'il se moque dr
nous, dit Fouché; d'ailleurs Usera
sans doute déjà parli y et il est à.
présent a haranguer les soldats.
Telle fut la réponse du président
de la commission. Le général
Becker se rendit garant de la foi
de Napoléon. Le comte Carnot
fut chargé d'aller à la Malmaison
porter à Napoléon la pensée du
gouvernement sur sa demande.
Cette journée fut très-orageuse.
Napoléon ne voulait pas se dessai-
sir de sa passion dominante. Il
avait eu encore ses chevaux prêts
pour se rendre à l'armée; mais
cédant enfin à la réponse de la
comiVii«sion, il s'écria : « Partons
puisqu'il le faut. Il donna des
ordres pour son départ, et il en-
voya à Paris pour le concerter
avec le gouvernement. Tout-à-
coup ne pouvant plus résister aux
combats qui s'élevaient dans son
Sme, et irrité du refus des mem-
bres de la commision.... « Pour-
«quoi les laisserais-je régner? di-
» sait-il. .l'ai abdiqué, pour sau-
ver la France , pour sauver le
«trôn« de mon fils. Si ce trûue
SàS
>'AP
»((i)itr;tre perdu, j'aime mieux le
» perdre sur le champ de liataille
» qu'ici. Je n'ai rien de mieux à faire
»puur vous tous, pour mon fils et
«pour moi, que de me jeter dans
«les bras de mes soldats : mon ap-
«parition Ibudniyera les étrangers,
néloclrisera l'armée. Ils sauront
«que je ne suis revenu su rie terrain
«que pour leur marcher sur le
» corps, ou me faire tuer, et ils
«vous accorderont, pour se délivrer
» de moi, tout ce que vous leur de-
» manderez. Si, au contraire, vous
» melaissez ici ronger mon épée,ils
»se moqueront de vous, et vous
» serez forcés de recevoir Louis
«XVIII chapeau bas. Il faut en
«finir : si vos cinq empereuis ne
MveuleJit pas de moi pour sauver
» la France , je me passeiai de
«leur consentement. Il me sullira
»de me montrer, et Paris et l'ar-
wmée me recevront une seconde
nfois en libérateur. «Après un tel
discours , qui empêchait dune
îs'apoléoa d'aller lui-même res-
saisir le commandement de l'ar-
mée, où l'on s'atlendait à chaque
instant d'apprendie qu'il s'était
rendu ! La guerre était pour lui
un péril connu. Savait-il ce qui
jxmvait l'atteTidrc ailleurs? Ce fut
dins de telles agitations, souvent
renouvelées, que ^e passèrent les
derniers niomens de Napoléon à
la Malmaiion. Le jour suivant,
iiprès une longue conversation,
où fut dél)attu le parti qui lui
restait à prendre, il lui fut i)ropo-
sé de se livrer aux étrangers, et
(l'acheter par ce sacrifice l'iadé-
pendiince de la France. — « Ce
«dévouement serait beau, répon-
ndit Napoléon, uniis une nidiou
ï'de 50jOOO,ooo d'hommes qui
NAλ
«le soulTrirait , serait à jamais des-
« honorée. » Cette belle répon>e
prouve l'élévation que ce grand
caractère avait encore conservée
au milieu de la plus déplorable in-
fortune.
(Cependant l'ennemi faisait des
progrès, et les environs de Paiis
étaient menacés. Il devenait ur-
gent de soustraire Napoléon à ce
«ou veau danger, qui en était un
pour le gouvernement; mais, d'a-
près une dépêche des plém'poten-
tiaires envoyés pour traiter, la
c(»mmission fut instruite eue l'é-
vasion de Napoléon avant l'issue
des iiéiiociulions , serait regardée
comme un acte de mauvaise foi de
la part 'des plénipotentiaires , et
pourrait compromettre ' essentielle-
inent le salut de la France. En con-
séquence, elle fit une seconde fois
déclarer à Napoléon qu'il devait
attendre pour partir l'arjivée des
sauf- conduits ; mais pn apprit
que Bliiclier avait déjii envoyé
des partis du côté de Saint-Ger-
-Uiain , et le séjour de la Malmai-
son pouvait devenir très-dange-
reux d'un moment à l'autre. En-
fin le duc de Vel!ingt<ui mit fin
aux tergiversations du gouverno-
uient provisoire, aux anxiétés
4le Napoléon, et aux inquiétudes
de ses ennemis: il répondait au
gouvernement qu'il n'était nulle-
ment autorisé à donner les sauf-
conduits demandés. Dès ce mo-
ment, le départ fut réordonné de
nouveau par la commission, qui
ne vit plus que le salut de iSapo-
léon , et prit toutes les mesures
convenables pour l'assurer mê-
me hors de France. Lui-même il
prit aussi la résolution de s'aban-
donuer à la fortune et aux vents.
NAl»
Les ordres furent tlonnés pour
Rochefort, où se trouvaient le?
frégates la Saale , et la Méduse^
«pie le gouvernement avait fait
armer pour transporter Napoléon
aux Etats-Unis d'Amérique. Ceux
qui avaient choisi pour destinée
ladversilé de Napoléon, se pressè-
rent autour de lui. Leurs noms
sont beaux à conserver. Ils sont
devenus inséparables de celui de
Napoléon. Ce sont les comtes Ber-
trand, Monlholon, avec leurs fa-
milles , Las-Cases et son ûls, le
])aron Gourgaud. Tout fut prêt
pour le départ. Le 29 juin Napo-
léon avait opposé une sorîe de
stoïcisme aux adieux déchirans,
aux souvenirs plus déchirans en-
core de la .Malmaison ; u);iis à
cinq heures du soir, il sentit qu'il
était temps _de s'arracher aux au-
tres et à Inî-même , et il se jeta
dans la première voiture qui se
trouva. C'était une voiture de
suite. La sienne fut occupée par ses
olficiers.
Arrivé à Rambouillf t, et c'était
la dernière séduction du trône
(ju'il venait de perdre, Napoléon
voulut passer la nuit au château.
Son projet avait été cependant
de gagner Rochefort sans s'arrê-
ter; mais il s'y arrêta jusqu'à 1 1
heures du matin du jour suivant,
où il n'Cut un courrier de Paris,
par lequel on lui anuançail qu'il
ne devait plus espérer son rappel
à la tète de l'armée. Jusque-là.
Napoléon s'yétait encore attendu!
immédiatement apré-, il partit a-
près avoir donné des ordres pour
qu'uue partie du mobilier lui fût
cuvo3'ée. Arrivé à Niort, il y trou-
va un triomphe populaire. Su
NAl»
o.»9
route était semée d'écueils pour
son courage , sans compter ceux
qui étaient cachés dans les replis
de son âcne, dont le profond dé-
sespoir rêvait touj;)urs de nou-
velles espérances. Entraîn»^ par
les acclamations dont il ét.iit l'ob-
jet de la part de la population et
des soldits dans la pefet'«*rille de
Niort, il ordonna au général Bec-
ker d'écrire au gouvernement.
« Dites- lui qu'il connaît mal l'es-
nprit de la France, qu'il s'est trop
«pressé de m'éloigner. ..; que je
» pourrais encore, au nom de la na-
«tion, exercer une grande influen-
i»ce en appuyant le- ncgocialions
«par une armée, à laquelle mou
«nom aurait servi de point d«
» ralliement Nous espérons que
» l'ennemi vous donnera le temps
»de couvrir Paris, et de voirl'isstie
«des négociations : Si dans cette
n situation ta croisière anglaise ar-
e réte le dcpart de l'empereur, voi's
«POLVRZ 'DISPOSER DE LUI COMME
«SOLDAT. » Napoléon mendiait la
gloire comme une aumône ,
sans laquelle il ne pouvait plus
vivre. Il ne faut pas chercher
de la philosophie dans ce caractè-
re. Il n'y avait pas de place pour
elle. Le malheur ne lui convenait
point. Le péril, au contraire, lui
souriait, parce qu'il ne faut que
de la ft)rce pour le surmonter,
'lant qu'il n'y avait qu'à com-
battre, Napoléon était sur de hii;'
niais il n'avait plus qu'à souf-
frir!
Enfin il arriva à Rochefort,
où il trouva les issues de la mer
occupées par l'eimeini : la veille
encore elles étaient libres. Ainsk
la fuite ellcniême, devenue tout-
56o
TSAP
ù-coup sa plus chère esp«';rance,
-jllciit aussi lui être refusée!...
Ce qui s'est passé à Paris de-
puis le séjour de Napoléon à la
rtlalmaison et depuis son départ,
n'appartient plus ii son histoire.
Le 8 juillet, jour où Louis XVIII
faisait sa rentrée dans la capitale,
PSapoléoii iiionta à bord de la fVé-
gule la Saale, et aborda le iende-
îîiain à l'île d'Aix. Sou habitude
le suivit encore dans celte premiè-
re station de son exil. 11 visita
les ouvrages» fit mettre la garni-
son sous les armes, et y fut en-
core empereur. Le lO, la croisiè-
re anglaise empêcha d'appareil-
ler. Le 11, il chargea le comte de
Las-Cases d'aller demandera l'a-
miral anglais s'il lui permettrait
de suivre sa route pour l'Améri-
que. L'amiral répondit qu'il n'a-
vait aucune instruction à cet é-
gard, mais qu'il recevrait Napoléon
à so!i bord, et le conduirait en
Angleterre s'il le désirait. Mécon-
tent de cette réponse, Napoléon
tenta divers moyens de s'échap-
per, et il dut bien alors regret-
ter de n'avoir pas profité du na-
vire américain que le duc De-
ccès lui avait proposé à la Mal-
maison. Cependant il fit encore
la même faute ; car ayant appris
qu'un navire de cette nation é-
tait à l'embouchure de la Giron-
do, il envoya parler au capitai-
ne, qui se mit lui et son bâ-
timent à sa disposition; mais il
était de sa destinée d'être le captif
de l'Angleterre et le proscrit de
la France, après avoir été la ter-
reur de l'une et l'idole de l'autre.
Lîne faiblesse pardonnable sans
doute à l'e.vGè» de sa misère lui
NAP
fit embrasser le seul parti qu'il
ne devait pas prendre , et il céda
aux conseils qui lui furent don-
nés dans son intérieur de se li-
vrer à la génésosité anghiise, et
de lui demander l'hospitalité sous
le nom du général Duroc. Le i^,
il fit prévenir l'amiral anglais
de son dessein. Le i5, il se
rendit à son bord. Le général
Becker le suivit; mais au moment
d'aborder le vaisseau anglais. Na-
poléon lui dit ces belles paroles :
« Betirez-vous , général, je ne
nvenx pas qu'on puisse croire
«qu'un Français soit venu me li-
»vrer à mes ennemis. »I1 n'existe
dans toute l'histoire aucun grand
caractère qui n'eût été jaloux de
cette noble et généreuse pensée.
Napoléon n'avait pas d'autre con-
solation que sa propre grandeur.
Son naturel le portait moins à
s'élever au - dessus de ses maux
qu'au-dessus de ceux qui les cau-
saient. Ce fut dans ce sentiment,
qu'il avait écrit de Rochefort au
prince-régent d'Angleterre la let-
tre suivante, dont il chargea le
général Gonigaud.
« Altesse royale,
»En butte aux factions qui divi-
«sentnion pays et à l'ininnlié des
«plus grandes puissances de l'Iîu-
arope, j'ai terminé ma ctrrière
«politique, et je viens comme
nThémistocle, m'asseoir au foyer
«du peuple britannique. Je me
» mets sous la protection de ses
«lois, que je réclame de V. A. R.
«comme du plus puissant, du plus
«constant et du plus généreux de
«mes ennemis. »
Rocliefort , i3 juillet i8i5.
NAP
La coalition se chai:gea de !a
réponse du prince-régent. Napo-
léon apprit dans la rade de Ply-
mouth qu'il était prisonnier de
guerre, et qu'il serait renfermé à
Sainte - Hélène ! Il prolesla en
ces termes ; « Je proteste solen-
nnellement ici , à la face du"
nciel et des hommes , contre la
«violence qui m'est faite , con-
»tre la violation de mes droits
• les plus sacrés, en disposant par
• la force de ma personne et de
»ma liberté. Je suis veau libre-
» ment à bord du Bellérophon. Je
• ne^uis pas prisonnier, je suis
• l'hôte de l'Angleterre. J'y suis
avenu à l'instigation même du
«capitaine, qui a dit avoir des
«ordres du gouvernement de me
"recevoir et de me conduire en
«Angleterre avec ma suite, si ce-
))la m'était agréable. Je me suis
«présenté de bonne foi, pour ve-
»nir me mettre sous la protec-
» tion des lois d'Angleterre. Aus-
»tôl assis à bord du Bellérophon ,
"je fus sur le foyer du peuple bri-
»tannique. Si le gouvernement
«en donnant des ordres au capitai-
BDC du Bellérophon, de me rece-
» voir ainsi que ma suite, n'a vou-
»lu que me tendre une embûche,
»il a forfait à l'honneur et flétri
«son pavillon. Si cet acte se con-
» sommait, ce serait en vainque
«les Anglais voudraient parler
• désormais de leur loyauté, de
'> leurs lois et de leur liberté. La
"foi britannique se trouvera per-
odue dans l'hospitalité du Bclléro-
nphon. J'en appelle à l'histoire.
• Elle dira qu'un ennemi, qui fit
I) vingt ans la guerre au peuple an-
» glais, vint librement dans son in-
» fortune chercher un asile sous ses
T. XIT.
NAP 56 1
«lois. Quelle plus éclatante preu-
»Ye pouvait-il lui donner de sou
«estime et de sa confiance ? Mais
«comment répondit-on, en Angle-
» terre, à une telle magnanimité?
»0n feignit de tendre une main
» hospitalière à cet ennemi ; et
• quand il se fut livré de bonne
»foi, on l'immola. » Napoléon.
A bord du Bellérophon , à
la mer.
Cette protestation eut le sort
de la lettre au prince-régent , et
l'hospitalité du Bellérophon de-
vint la captivité sur le Northum-
berland . où Napoléon fut trans-
féré le iG. On mit à la voile. Les
vents furent favorables à la ven-
geance des rois. Le 17, Napoléon
passa en vue du cap La Hogue
et fit ces adieux à la France :
« Adieu, terre des braves! Adieu,
«chère France! quelques traîtres
»de moins et lu serais encore la
«grande nation et la maîtresse
I) du monde !... >>
Trois mois après, le 17 octobre,
00 lui fit apercevoir les rochers
qu'il allait habiter. Le i8,il descen-
dit, pour ne jamais la quitter,
sur la terre meurtrière de Sainte-
Hélène !
i8i5, i8it), 1817, 1818,
1819, 1820, 1821.
Ainsi finit Napoléon. L'histoire
voudrait le suivre sur le rocher
de Sainte-Hélène. Mais elle ne
trouve pas de place dans l'hum-
ble habitation de Longwood pour
y continuer le récit des dernières
années de Napoléon Bonaparte.
Repoussée par la tyrannie qui ré-
trécit chaque jour l'isolement du
captif, elle n'a pu sai.sir que les
56
5G-2
NAl»
plaintes de quelques compagnons
dont rafiection a été arrachée
à Napoléon. Elle a su que dans
les intervalles des viles persécu-
tions qui mesurèrent pendant près
de six ans l'air, l'eau et la terre
au maître du monde , il a eu
le courage de remplir à Sainte-
Hélène la promesse de l'île d'El-
be. « J'écrirai les <:randes choses
Il que nous avons faites. «Jusqu'à
ses derniers momeiis, tout a été
inconnu à l'histoire. Elle n'a pu
être admise qu'à son lit de mort.
La victime ne pouvait plus échap-
per. La surveillance à la fin s'é-
tait endormie avec l'illustre captif.
Elle a pu alors recueillir quel-
ques anecdotes, quelques frag-
mens de cette grande vie, qui
s'éteignait au sein des mers, après
avoir éclairé le monde.
Trois mois avant la mort de Na-
poléon,une comète parut à Sainte-
Hélène; chacun s'empressa d'aller
la voir et d'en parler à Napoléon,
dont le silence ne tut remarqué
que par un seul de ses olïiciers ,
qui seul aussi ne lui avait point
parlé de celte comète. « Vous
«m'avez compris , vous, lui tlit-
»il. «Napoléon, de qui un poète
avait dit :
Les grands hommes sont tes aïeux ,
avait songé à la comète qui parut
avant la mort de Jules-César, et,
selon lui, celle de Sainte-Hélène
prophétisait sa fin. Une mélan-
colie héroïque accompagna ses
derniers jours. « J'ai eu , dit - il
«quelque temps après, un songe
«dont l'image me poursuit. J'ai
» vu Joséphine paréede gloire dans
»le ciel. — Ta place est ici, près
«de moi, ?n'a-t-elle dit. Dans un
NAP
» mois tu seras heureux à jamais. «
Si César, Alexandre et Charlema-
gne étaient ses aïeux , Ossian
était son poète aussi -bien que
Corneille. Il était trop épris de
sa propre grandeur pour ne pas
croire à l'immortalité dfe l'âme.
Il rendit l'hommage du chrétien
à ce dogme consolateur. La veille
de sa moit, et à l'insu de ses pre-
miers olïiciers, l'autel se trouva
dressé dans la pièce voisine de sa
chambre mortuaire. 11 reçut le
viatique. Il avait tout ordonné
lui-n)ême sans passer par ses in-
termédiaires. Un simple valet de
pied avait de sa part, et sous le
sceau du secret, averti le ohape-
pclain, et à l'heure indiquée, Na-
poléon se trouva seul avec le
prêtre pour ne donner à cet acte
d(! sa dernière abdication aucun
témoin de sa fortune passée.
La maladie dont Napoléon est
mort est la maladiede Sainte-Hélè-
ne. Il n'a pas été malade sept se-
maines comme le dit la dépê-
che du gouverneur sir Hudson
Lowe. Il a été malade pendant
cinq ans. La correspondance et
la relation de son chirurgien ,
le docteur O'Méara, ainsi que les
rapports de son successeur, le doc-
teur Stokoe, prouvent que Napo-
léon était déjà dangereusement
malade en 1818. Au mois de juin
de cette année, M. O'Méara de-
mandait , en raison de l'étal du
patient, l'avis d'tm autre méde-
cin.— L'expression si énergique
de patient avait été proposée par
le grand -maréchal Bertrand et
acceptée par le gouverneur sir
Hudson Lowe, en remplacement
des qualifications d'empereur et
de géiiérnl, dont l'une était refu-
NAP
Ȏe par les Anglais t't l'autre par
Jcs Français.
Le 28 octobre 1818, le docteur
O'Méara écrivit au secrétaire de
rainirauté la lettre suivante, qui
d'après les lumières et la probité
si reconnues de cet honorable
chirurgien , est devenue un docu-
ment historique de la plus haute
importance. » Je pense que la vie
»de Napoléon Bonaparte est en
«dangers'il réside pluslong-temps
«dans nn climat tel que celui de
«Sainte- Hélène ; surtout si les
«périls de ce séjour sont aggravés
»par la continuité de ces contra-
is riétés et de ces violations aux-
» quelles il a été jusqu'à présent
«assujéli, et dont la nature de sa
H maladie le rend particulièrement
• susceptible d'être affecté.
0'MÉ\RA .
dernier chirurgien de Napoléon.
Dans une lettre à S. S. le
comte Bathurst, M. O'iMeara é-
crivait en juin 1820:
« V. S. me rendra la justice
' de se rappeler que la crise actuel-
j'Iement arrivée a été prédite par
» moi, et ofliciellement annoncée
i>à rainirauté à mon retour de
«Sainte - Hélène en 1818. Un
"temps bien court a trop malheu-
«>reusement justifié une opinion
«que le simple bon sens suffisait
«pour faire prononcer, et que la
» probité la plus ordinaire obligeait
«de divulguer. Cette opinion était
» que la mort prématurée de Napo-
^léon était aussi certaine, sinon
>) aussi prochaine, si le même traile-
»menl était continué à son égard,
• quesion ratait livréau bourreau. »
Le digne M. O'Méara sollicitait
par la tnêtne lettre de retourner
NAP
f,G3
soigner à Sainte-Hélène Napoléon,
dont il avait penîant trois ans étu-
dié la constitution. Il demandait
à partir gritnitement et même à
résider 11 ses frais a après du patient.
Lord Barhurst refusa. Napoléon
mourut.
Le gouvernement anglais é-
lait sulfisamment instruit de
l'état mortel où était son captif,
par une lettre pressante du comte
Bertrand à lord Liverpool, sous
la date du 2 septembre 18.40, trois
mois après celle du bon docteur
O'Méara. Le 17 mars 1821, le
comte de Montholon écrivait à la
princesse Borghèse, « que la ynala-
« die de foie dont Napoléon était
» attaque depuis plusieurs années,
»et qui est endémiqiie et mortelle à
>i Sainte-Hélène , avait fuit depuis
')six mois des progrès effrayans;
■) qu'il ne pouvait marcher dans
«son appartement sans être soute-
»nu.... A sa maladie de foie se
«joint une autre maladie égale-
«ment endémique dans cette île.
«Les intestins sont gravement atta-
iiqués — M. le comte Bertrand a
«écrit au mois de septembre à
«lord Liverpool, pour deraandfr
«que l'empereur soit changé de
«climat, et lui faire connaître le
«besoin qu'il a des eaux minérales.
« Le gouverneur sir Hudson Lowe
» s'est refusé à faire passer cette- tet-
» tre à son gouvernement sous le vain
» prétexte que le titré d'empereur
«y était donné à sa Majesté. L'em-
apereur compte sur V. A. pour
«faire connaître à des Anglais in-
«fluens l'état véritable de sa ma-
nladie. Il meurt sans secours sur
«cet aflreux rocher. Son agoniu
«est effroyable. « — Le 11 juilb't
1821, la princesse Borghèse é-
5g:i
NAt'
Clivait à lord Livorpool pour
oLiienir la permission d'aller re-
cevoir les derniers soupirs de son
frère.
n Je sais , niilord, que tous les
»momens de la, vie de l'empereur
»sonl comptés, et je me reproche-
»rais éternellement de n'avoir
>ipas employé tous les moyens
«qui peuvent dépendre de moi
«pour adoucir ses derniers mo-
« mens — » La princesse apprit
bientôt après que depuis le 5
mai son frère n'était plus; mais
sa généreuse résolution de quitter,
les délices de l'Italie pour aller
fermer les yeux à son frère à qua-
tre mille lieues de l'Europe, sous
un climat pestilentiel , mérite
d'être attachée aux derniers mo-
lîiens de ce grand homme, qn'el-
1<! avait été consoler à l'île d'Elbe.
{t^oy. Pauline BoRGHîîSE.) Oui, les
derniers momens de JNapoléon
furent aussi grands que les plus bel-
les phases de sa vie. Lui seul de-
puis long- temps avait le secret
de sa mort, et il souriait de pitié,
ou plutôt de compassion, à ceux
qui en doutaient. « Poavez-vous
^) Joindre cela, » dit-il à M. Monk-
honse, officier anglais, après avoir
coupé en deux le cordon de la
sonnette de son lit? — «Aucun
» remède ne peut me guérir, mais
»ma mort sera un baume salutai-
» re pour ines ennemis. J'aurais
«désiré de revoir ma femme et
nmon ûls, mais que la volonté de
» Dieu soit faite! — Il n'y arien
»de terrible dans la mort : elle a
M été la compagne de mon oreiller
«pendant ces trois semaines , et
«à présent elle est sur le point de
«s'emparer de moi pour jamais. —
»Les monstres me font-ils assez
IVAP
«souffrir! Encore s'ils m'avaient
«fait fusiller, j'aurais eu la mort
«d'un soldat. — J'ai fait plus d'in-
» grats qu'Auguste; que ne sui-î-jc
ncon)mc lui en situation de leur
•.pardonner! » La veille de sa mort
il fredonna plusieurs fois:
O Richard ! ô mon roi !
L'univers t'abandonne :
La maison nouvelle destinée à
Napoléon venait d'être terminée,
« Elle me servira de tombeau, i>
dit - il ; et en effet, on en prit les
pierres pour bâtir le caveau oii il
repose.
Le 17 mars avait commencé la
crise qui devait l'emporter deux
mois après. — Là, c'est là, disait-
il en montrant sa poitrine. Le doc-
teur Antomarchi lui présenta un
flacon d'alkali. « Oh, non, ce n'est
«pas faiblesse, s'écrie Napoléon,
«c'est la force qui m'étouffe, c'est
« la vie qui me tue. » Puis il s'élan-
ça à une fenêtre ouverte, et re-
gardant le ciel ittiy mars , dit-il ,
»à pareil jour, il 3' a 6 ans (il é-
lait (ïAuxerre venant de L'Ile d'El-
be,) il y avait des nuages au
«ciel! Ah! je serais guéri , si je
«revoyais ces nuages!» Il saisit
la main du docteur, et l'appuyant
sur son estomac :« C'est un cou-
rt teau déboucher qu'ils ont mis là,
«et ils ont brisé la lame dans la
«plaie. •) Plusieurs jours avant sa
mort, il fit placer au pied de son
lit le buste de son fds , qui reçut
son dernier regard et son dernier
soupir.
On trouva quelques papiers dé-
chirés parNapoléon. Ces tVagmens
sont précieux comme étant plus
confidentiels encore que ses paro-
les, puisqu'il les détruisit après
les avoir tracés, c Ils n'y enten-
NAP
«dent rien. Pylore, obstruclion ,
"hépatite, hépatocèle ; je crois
rt mêiue qu'ils ont dit hépatouipha-
»le : science de mot? qui caclie
"l'ignorance de lacho«e. Docteur.
» voulez-vous savoir quelle est ma
» maladie ? c'est un Waterloo len-
»tré. »
«' Le café fort et beaucoup me
«ressuscite. Il cause une cuisson
«interne, im rongement singulier,
• une douleur qui n'est pas sans
nplaisir. J'aime mieux souffrir que
ode ne point sentir. — Mon mal
nme naord, je pense que les insec-
»tes éclos de la fange contre-révo-
ulutionnaire bourdonnent; que,
«nouveau Promélhée , je suis
«cloué à un roc où un vautour
>^me ronge! -Oui. j'avais dérobé
!)le feu du ciel pour en doter la
I) France : le feu est remonté à sa
nsource, et me voilà! — L'amour
ode la gloire ressemble à ce pont
«que Satan jette sur le chaos pour
• passer de l'enfer au paradis :
»la gloire joint le passé à l'avenir,
ndont il est séparé par un abîme
«immense; mais.... Rien à mon
nuls, que mon nom. — Mon dieu!
rtLa nation française... Mon fils...
«France, France... » furent les
derniers mots qu'il prononça, à
7 heures du matin, le samedi 5
mai , jour de sa mort. Onze heu-
res après, il expira. Il n'était âgé
que de 5i ans et 8 mois. Son
visage était calme comme son â-
me. « Je suis en paix avec tout le
» genre humain, avait-il ditia veil-
«le. » Et en eflét, après cinq années
de tortures, il pouvait croire avoir
expié les maux que son ambition
uyait faits à l'Europe.
D'après le désir manifesté par
Napoléon, son corps fut ouvert
NAP
565
par les chirurgii^ns anglais. ' Le
cœur et l'estomac en furent dis-
traits, et renfermés dans des cou-
pes d'esprit d'* vin. Après cette
opération, le corps fut habillé de
l'uniforme des chasseurs à cheval
delà garde impériale, couvert de
toutes les étoiles des ordres que
Naooléon avait créés bu reçus
pendant son règne. Dans cet étal,
il fut exposé sur son lit, qui lui
servit de lit de panide, et son corps
était étendu sur le manteau bleu
de Marengo, devenu sou drap
mortuaire. — • Ces rapprochemens
sont éloquens par eux-mêmes.
Le captif des rois allait descendre
dans la tombe avec toutes les dé-
corations de la royauté européen-
ne, et le lit de fer sur lequel il se
reposa pendant vingt ans des ^9
batailles rangées, dans lesquelles
il les avait tous vaincus, devenait
un lit funèbre, autour duquel
la religion et la vénération histori-
que rassemblaient au sein des mers
le respect d'un état-major britan-
nique et les regrets d'une famille
fratjcaise!
Napoléon resta exposé le 6 elle
7 mai. La tyrannie du gouverneur
Lowe avait expiré avec le patient.
Il fut permis à tout Anglais de
contempler mort l'hôte du Bellé-
roplion! Le 8, il fut embaumé.
Le corps fut revêtu de l'uniforme
et des décorations qu'il avait sur
le lit de parade, et renfermé ainsi
dans un cercueil de plomb. Le
9 mai eut lieu la pompe funèbre
dans l'ordre suivant : Napoléon
Bertrand, fils aîné du grand maré-
chal ; l'aumônier, revêtu de ses
habita sacerdotaux; le docteur
Arrioft , médecin de Napoléon.
Le corps dans une voilure de
666
NAl»
deuil, attelée de quatre chevaux.-
Douze grenadiers anglais, pour
descendre le cercueil au bas de la
colline : le cheval de Napoléon :
les comtes Bertrand et Montholon
portaient les coins du drap mor-
tuaire, de ce manteau de iVIaren-
go : sur le cercueil était l'épée de
Napoléon. La comtesse Bertrand
suivait en voiture avec sa fille.
Des deux côté? et derrière étaient
les domestiques de Napoléon; là,
finissait la famille française ; ve-
naient ensuite un groupe d'ofli-
ciers de marine et d'ctat-major
anglais; les meiribres du conseil-
de l'île; le général Coffin; le mar-
quis de Montchenu , commissaire
du roi de France et de l'empereur
d'Autriche; l'amiral et le gouver-
neur sir Hudson Lowe , le héros
de U pompe funèbre de Napoléon.
Lady Lowe et sa fille; en grand
deuil suivaient en voiture. Trois
mille hommes recurent le corps
au, sortir de Longwood; Arrivé au
tombeau, le cercueil reçut la bé-
nédiction du prêtre. Les coupes
renfermant le cœur et l'estomac
furent déposées dans le cercueil,
lequel fut des(;endu dans une
chambre pratiquée sous un caveau
de pierre. Douz.e salves d'artille-
rie apprirent à l'Océan que Napo-
léon n'existait plus. Une garde
d'officiers anglais est chargée de
vqillçr sur le tombeau.
• Le lieu où Napoléonrçpos^î est
un site trés-romantique, ,au fond
d'ime petite vallée, Géranium' s
vallée. Auprès, coule un filet d'eau
limpide, qui descend du Pic- de
Didîie; au-dessus est Huts Gqté;
la porte de la cabane, première
habitation du grandi- niaréchal
Bertr.'tqd. Dans le commencemer^t
NAP
de l'exil, celle vallée était un de»
repos favoris des promenades de
Napoléon; ce lieu lui plaisait, et
un sentiment élégiaque l'y attirait
souvent. « Si je dois niourir sur ce
«rocher, dit-il un jour au général
«Bertrand, failes-moi enterrer près
» de ce ruisseau au-dessous de ces
«saules. » — L'aspect tranquille
d'un sile de la nature, qui seule
lui élail hospitalière, devait après
tantd'agitations répandre un char-
me puissant sur cette âme encore
si peu connue. Celle petite scène
du grimd tableau de la vie de Na-
poléon n'en est pas moins inléres-
sante. Après la mort de Napoléon,
les généraux Bertrand et Montho-
lon se ressouviurent de la vallée du
Géranium. Le testament porte ,
V je désire être enterré sur les bords
^}de la Seine, au milieu des Fran-
nçais que j'ai tant aimés. » Mais au
congrès d'Aix-la-Chapelle, où
l'on avait tout prévu, il avait
été décidé que Napoléon se-
rait enterré à Sainte - Hélène.
Ni les ; réclamations des géné-
raux Bertrand et Montholon, qui
invoquèrent le traité de Paris, ni
les instances de la famille Bona-
parte, qui sollicita la permission
de transporter à Rome le corps
de son cheC, ne purent rien chan-
ger à la décision du congrès, dont
Hudson Lowe prescrivit impérieu-
sement l'exécution. Ce fut alors
que ce premier vœu de Napoléon
pour sa sépulture revint à la mé-'
moire de ses amis, heureux encore
de pouvoir tromper la rigueur de
l'arrêt européen, en désignant /«
pallée du Géranium pour le dernier
asile du patient de Sainte-Hélène !
Il j; a peut-être un beau livre
à écrire syr les 6 nonée^ de Sain-
NAl»
te- Hélène. Le comte de Las-Ca-
ses a publié d'utiles matériaux à
cet éffard dans les huit volumes
qu'il a livrés ù Timpatieuce et a
l'avidité de l'Europe. IMais n'ayant
séjourné que lo mois à Sainte-
Hélène, ses mémoires ne présen-
tent pour la partie anecdotique,
qui seule est du ressort de l'his-
toire , que des souvenirs incom-
plets. Les deux volumes de l'ho-
norable docteur O'.Méara, écrits
en grande partie sous la dictée
de Napoléon, renferment égale-
ment les matériaux les plus pré-
cieux, et ont obtenu un grand
crédit en Europe. Toutefois on a
le droit ou au moins le désir, d'at-
tendre un ouvrage plus complète-
ment et plus émineiriment histori-
que sur la période de Sain le- Hé-
iV-ne. Les mémoires publiés par le
général Montholon. ceux publiés
par le général Gourgaud, malgré
leur immense et universel intérêt,
ne suffisent pas pour combler la
Lacune qui reste encore. Ils ne fi-
gurent dans un séjour de prés de 6
années que comme une partie de
l'emploi du temps Je Napoléon.
Leur objet jusqu'il présent est tout
en dehors de sa captivité, et ne pré-
sente que d'importantes incursions
ou sur le paesé, ou sur ce qtie le
présent pouvait lui offrir de digne
de ses méditations dans le mon-
de européen. Les jugemens de
Napoléon sur les hommes et sur
les choses dans les quatre ouvra-
ges que nous venons île citer peu-
vent se ressentir ou de la tyran-
nie sous laquelle il gémissait, ou
de quelques passions privées , ou
de quelques intérêts futurs, ou
enfln de l'absence des matériaux
nécessaires pour leur donner la lé*
NAP
567
galisalion historique. Ils portent,
et notamment les recueils des gé-
néraux 3Iontholon et Gourgaud ,
le cachet de l'homme supérieur
qui les a dictés, et jettent sur les
époques politiques et les èvéïie-
mens militaires de sa vie, un
grand éclat et une. juste recom-
mandation. Mais ce qui manque
pour corupléter les matériaux
d'une histoire de Napoléon, c'est
un journal de Sainte-Hélène pen-
dant six ans, c'est la confession
du Patient, écrite non par un phi-
losophe, encore moins par un
courtisan, mais par un témoin as-
sidu, par un esclave, si on peut
le dire, de la pensée de cet hora «
me extraordinaire. Lui-même a
essayé quelques révélations sur sa
vie d'Europe; mais comme sur le
rocher de Sainte-Hélène, il ne ces-
sa jamais im seul moment d'êti-e
einpereur et de se rroire toujours
en présence de l'histoire , le lec-
teur se trouvtf quelquefois partagé
entre le respect qu'il porte A Napo-
léon et sa propre conscience. Il voit
dansce-i importantes pages sur cer-
tains événemens de la révolution,
sur certaines opérations ou militai*
res, on politiques, ou administrati-
ves , plutôt le reflet d'une grande
pensée sur l'avenir que les aveux
de la mémoire. Le souvenir était
trop p.jresseux pour l'action per-
pétuelle de l'esprit <le Napoléon ,
et quand i! croyait se rappeler, il
inventait. A Saifite-Hélène surtout,
il se pressait de vivre, et il espéra
toujours en sortir, non par la for-
ce ou par un complot d'évasion
(il refusa constamment de pren-
dre un semblable parti), mais par
une délibération des rois de l'Eu-
rope. Une telle illusion le caraclé-
5G8
NAP
rise piirticulièremeiit. « Je pense,
» disait-il au docteur O'Méura, que
"dès que les affaires de France
"seront réglées, et que tout sera
«tranquille, le gouvernement an-
"glais me permettra de retourner
»en Europe et de finir mes jours
»en Angleterre. » L'hospitalité
anglaise dans la Grande-Bretagne
était devenue une idée fixe pour
Nappléon depuis l'embarquement
de Kochefort. Sa passion était
de devenir le citoyen de la terre
la plus ennemie de sa gloire. Ce
genre de torture avait échappé
au D.mte dans son inlei-nale co-
médie. Dans la persuasion que Na-
poléon nourrissait de son rappel
infaillible en Europe, il se tenait
toujours en haleine dans sa cap-
tivité pour le rôle qu'une modifi-
cation quelconque dans son in-
fortune pouvait lui permettre. Il
n'ajamaiseu de lacune à cet égard
vis-à-vis de lui-même, et les com-
pagnons de sa captivité en sont
les témoins irrécusables. L'éti-
quette, qui probablement avait
l'ait refuser l'embarquement l'urlif
du Havre et celui de la Gironde,
l'avait suivi sur le Bellérophon,
avait passé avec lui sur /eiVor//mm-
ber/and , et le palais s'exila avec
Jui à Longwood. Honneur à ces
Français généreux qui ont chéri
pendant 6 ans sous le climat pes-
tilentiel de Sainte-Hélène, la con-
dition de leur servitude domesti-
que! Honneur à eux! L'histoi-
re les remercie d'avoir respec-
té jusqu'au dernier moment cet-
te faiblesse du roi de leur captivi-
té ! Le testament par lequel Napo-
léon reconnaît leur devouetnent ,
la disposition si religieusement
suivie par eux, par laquelle il a
NAP
placé la fidélité du valet-de-cham-
bre Marchand à côté de la leur,
celle aussi, quelque étrange quel-
le puisse être de la part d'un cap-
tif, par laquelle il doime à cet
homme excellent le titre f\e com-
te et l'engage à épouser la fille
d'un des généraux de sa garde ;
ces volontés donnent la preuve
singulière que jamais le caractère
de Napoléon n'a varié un seul
instant jusqu'au dernier de sa vie,
ni vis-à-vis de ses compagnons,
qui furent toujours pour lui des
sujets , ni vis - à - vis de lui-
mi^uie , qui régnait à Longwood.
Mais malgré cet empire exclu-
sif que l'amour de la doininalion
exerça sur lui même. Napoléon
était homme au moins en secret,
et de louchans souvenirs, gravés
profondément dans son cœur, ho-
norent aussi ses dernières vo-
lontés. Personne ne fut oublié
dans ce testament, que quelques
bizarreries semblent déparer. Il
se souvint non-seulement de ceux
qui l'avaient suivi, mais aussi de
ceux qu'il avait laissés en France,
qui l'avaient servi, qui avaient
souflert pour lui, et pour qui ce
souvenir était un bienfait. Use sou-
vint aussi des soldats de Waterloo.
Avec quelle tendresse, dans ce tes-
tament,il parle de sa femme, de son
fils! de ce fils à qui, pour dernière
volonté, il recommande de ne ja-
mais oublier qu'il est né Français!
Nous l'avons déjà dit, il n'y a
pas de place pour la philosophie,
ni au 18 brumaire, ni au cou-
ronnement de Paris , ni à celui
deiMilan, ni aux triomphes d'Aus-
terlilz, d'Iéna, de Friedland, de
Wagram, ni au désastre de Mos-
kou, ni à l'abdication de Fontai-
NAP
nehieau, ni à l'irruption de lile
d'Llhe, ni à la ruine de Waterloo,
ni au passage spontané sur le
Bellérophon, ni au lit de mort de
Sainte-Hélène. L'histoire seule
a le droit de réclamer les qualités
et les défauts de Napoléon , ses
. prospérités et ses revers, ses gran-
des actions et ses grandes injusti-
ces, son courage et ses faiblesses,
parce qu'ils n'ont eu qu'elle pour
objet, et que Napoléon n'a voulu
qu'elle pour témoin. Ainsi la
tombe, près de sa source, sous
les deux saules, cette sépulture
d'un pasteur ou d'un sage, était
pour lui le monument sépulcral
du maître du monde. C'est un
empereur, c'est Napoléon tout
entier qu'a reçu le rocher de Huts
G.'ite. Il l'a compris ainsi, et sa
pensée est remplie. Pour qui
aussi écrivait-il ce testament ,
où une partie de la France est
sa légataire, où il stipule des in-
térêts qui doivent après lui occu-
per deux empires , où il lègue à
son fils les annales de son règne?..
Jamais homme ne fut plus avide
de la postérité. Sa cendre, placée
sous la garde des tempêtes, au
sein de l'Océan africain, lui pro-
phétisait peut-être dans les siècles
le pèlerinage de l'univers 7 II a pu
se dire:0« sont les restes de Cyras,
d' Alexandre, de César, de Char-
lewaqne? Les miens seront im péris-
itthles : ils ne sont pas placés sur
le rliemin des conquérons. — «Quoi!
» disait-il un jour à M. de Ft-r-
» mont.vous pensez que je n'ai rien
»à désirer en fait de gloire! Voyez
>» Alexandre-le-Grand : il a voulu
«être le fils de Jupiter, et il l'a
»élé. Sa bonne femme de mère
«cul beau crier que cela n'était
NAP
56g
» pas vrai, ainsi que le précepteur
»Aristote, et l'institut d'Athènes,
')il fut pour tous les peuples le di-
» vin Alexandre. »
Dors en paix, homtne de la
guerre et de la puissance; dors
en paix. Sois heureux! ta mémoi-
re est immortelle !
Il résulte de tous les ouvrages
qui ont été publiés sur le séjour
de Napoléon à Sainte - Hélène ,
que jamais tyrannie plus basse,
plus odieuse, plus mesquine n'.i
été exercée sur aucun homme,
depuis le retour de la civilisation
en Europe. A chaque instant on
s'aperçoit que la scène se passe
en Afrique, dans une île qui sem-
ble une fraction repoussée par la
grande terre pour servir d'asile
aux forbans, et de sépulcre aux
niaheureux. Napoléon avait été
chercher l'hospitalité du peuple
anglais dans le plus grand port de
sa patrie; il y fut comdan)né à al-
ler porter à une extrémité du
monde les fers de la Grande-Bre-
tagne. A l'aspect de celte grande
infortune, qui venait noblement
lui demander une place à son
foyer, cette puissance, toute-puis-
sante alors, improvisa ime lolex-
tr.iordinaire. Elle fit de son hôte
désarmé un prisonnier de guerre,
d'un voyageur un captif, nomma
un geôlier, et lui abandonna Na-
poléon. La grande majorité du
peuple anglais a sans doute pris
pour lui rinjure que son goiiver-
netnent crut devoir faire légaliser
par l'Europe. Si ce gouvernement
ne se crut pas assez fort pour sup-
porter le poids d'une telle hospi-
talité sur le soi britannique, il se
crut aussi trop faible p^ur suppor-
tera lui seul celui de la captivité de
jyo
NAP
Napoléon à Sainte-Hélèno. Mais
en se taisant représenter dans cet-
te colonie par Hudson Lowe ,
on souffrant que l'eau, l'air, la
terre, les alimeiis, les subslanoes
et les soins sanitaires fussent me-
surés et relranchés graduellement
au dominateur déchu, sa haute
politique s'est ravalée à la geolc
d'une maison de force, à la des-
tructi(in lente du prisonnier. Mais
ce gouvernement n'a pu vaincre
son caplif , qui n'a cessé de pro-
tej-trr au moins comme un étran-
ger inviolable dans son infortune;
il n'a pu également triompher du
nom (le Napoléon après sa mort,
ni eiiiprcher que la caverne sé-
pulcrale de Huis Gâte ne soit
devenue un lieu sacré. Cette tom-
be exilée est déjfi un rendez-vous
pour le commerce du monde. —
Drms tel mois , dans telle année ,
noua nous reverrons au grand tom-
beau ^ se disent les facteurs des
deux Indes. — L'Angleterre a vou-
lu vainement offrir en sacrifice
le despotisme de la terre au des-
j^otisme des mers; ses marins
chargé"* de l'or de l'Asie viennent
tous déposer un hommage sur la
cendre de Napoléon Bonaparte.
L'erreur qui conduisit Napo-
léon à bord du BclUrophon fut,
sans contredit, la plus haute et
la plus éclatante manifestation de
la générosilé d'un grand caractè-
re. Mais qui peut mesurer le poids
d'une telle erreur sur l'âme du
patient de Sainte-Hélène pendant
une éternité de six années? Il s'é-
tait tromj)é souvent dans sa gloi-
re elle-même; mais excepté l'en-
treprise de Moskou, qui seule a
renversé l'usurpation de l'Espa-
gne, la fortune avait couron-
NAP
né toutes ses volontés, et cons-
tamment entraîné par elle dans
la carrière de la plus audacieu-
se prospérité, il n'avait pas é-
té préparé à l'horrible châti-
ment qu'elle lui réservait : ainsi
chaque instant, chaque souve-
nir, chaque contrariété, ont dû ê-
tre pour lui, sur le rocher de Sain-
te-Hélène, l'aiguillon d'un nou-
veau supplice. Il s'était trompé la
dernière fois, parce qu'il avait don-
né à sou adversité la même con-
fiance qu'il avait douriée à son
bonheur. Tout déchu qu'il était,
il n'avait pu cesser de se croire un
grand honune, et il avait pensé
qu'à l'exemple d'un autre grand
homme proscrit comme lui, il
irait s'asseoir tranquille au foyer
d'un grand pciiple! L'élévation de
Napoléon, la rapidité de sa chute,
la lenteur de son supplice, ef-
fraient l'iinagination, autant que
sa crédulité dans la générosilé
britannique étonne ses comtempo-
rains.
Nous ne pouvons nous séparer
de Napoléon sans rendre un hom-
mage particulier aux facultés ex-
traordinaires de sou esprit, aux
qualités qui dans la vie privée
le rendaient souvent si aimable,
aux connaissances si remarqua-
bles qui, indépendamment de la
science des armes, à qui il dut
le titre de créateur «l'un nouvel
art de la guerre, lui eussent assu-
ré une si haute place parmi les
grands administrateurs, les grands
politiques , et aussi parmi les
grands écrivains de toutes les é-
poques. Par cela seul, il eût à
lui seul illustré son règne et ho-
noré sa patrie. Les législateurs ,
les historiens, les mathématiciens,
NAP
1er stratégistes , les économistes,
el les orateurs, réclament aussi Na-
poléon. II sut être en même temps
Justinien et César. Le code de ses
loi> était au moment de devenir
universel, et l'antiquité n'olïre
rien de plus parfait que ses com-
mentaiies et se? mémoires, si ce
n'est ses harangues ou ses impro-
visations aux soldats. Nul conqué-
rant ne porta aussi haut que lui
ce genre d'éloquence . terrible
instrument, qui ne cessa de ren-
dre populaire jusqu'au dernier
moment l'homme de la domina-
tion. Nul souverain ne poussa
si loin que Napoléon l'oubli des
injures. Etait-ce un effet du wé-
pris qu'on lui reproche pour lu
race humaine ? Si cela est , il
était donc bien élevé au-dessus
des autres hommes, car il a par-
donné à tous ses ennemis. Il ne
fut implacable que pour les traî-
tres, [larce que îa traluson est une
injure faite à la pairie. Cependant,
il leur pardonne aussi dans son tes-
tament, comme dans le sien Louis
XVI pardonne à ses bourreaux.
Napoléon possédait à un grand
degré la justice personnelle, celle
qui tient à la propre grandeur.
Ain.»i à Sainte-Hélène, on lisait
le récit de la bataille de Lodi , où
il était dil : Le général Bonapar-
te passa le pont le premier : Lan-
nes l<; suivit. — Cela n'est pas vrai,
s'écria Napoléon , ce fat Lannes
qui passa le prernitr, et moi ensui-
te : rectifiez cela. Sa passion do-
minante était l'amour du pouvoir.
L'amour de la gloire n'en était
devenu que le nKjyeii. Il les pous-
sa tous deux à l'excès, parce qu'il
y avait encore des rois anciens en
Lurope. Celle pa!«>ion le rendait
souvent indulgent ou aveuglepour
NAP
57.
ceux qui, avant lui , avaient gou-
verné les hommes, et il bravait
avec plaisir la justice que l'histoire
avait exercée sur eux. — Un jour
de visite de l'institut, il dit à M.
Suard , secrétaire perpétuel :
« M. Suard, il faut réfuter Tacite;
» ila mal jugé Tibère. Tibèreélait un
n homme de génie : il était aimé
n des soldats. nM. Suard futeffrayé
d'avoir affaire à Tibère, à Tacite
et à Napoléon, et supplia l'empe-
reur de se charger "le la réfutation.
L'historien de Napoléon aura
deux grand.-^ devoirs à remplir: il
devra, comme l'historien du siècle
de Louis XIV, non-seulement fai-
re connaître les travaux civils en-
trepris, les monumens achevés,
les fondations créées, les établis-
semens perfectionnés , pendant
cette course de quinze annexé que
la victoire seule et ses fastes sem-
blent avoir occupée tout entière;
mais il devra encore non»mer les
hommes qui , indépendamment
de la gloire des armes, ont illus-
tré le règne consulaire et le règne
impérial de Napoléon , dans les
arts, dans les sciences, et dans le»
lettres. Ces travaux sont innom-
brables : ces hommes se présen-
tent en foule; ceux-ci appartien-
nent exclusivement à la France,
où ils sont nés; ceux-là appartien-
nent en partie à l'Europe, à qui
ils sont restés. Ainsi l'historien de
Napoléon parlera des route-s du
Monl-Cenis, du Simplon, de la
corniche de Gênes, des fortifica-
tions d'Alexandrie, de Cassel, de
Kehl, du port d'Anvers, des tni-
vaux de Home, des établissemens
pa>sagers de la civilisation de rji-
gypte, etc. Il parlera aussi des ca-
n lux de Saint-Quentin , de Bré-
sagul, des Deux-Alers, de l'Ourcq;
0^3
NAP
des fontaines qui embellissent la
capitale; de ses superbes quais,
des ponts débarrassés des habita-
lions qui les obstruaient; des trois
ponts nouveaux, dont deux nom-
més par la victoire; de la rue de
la Paix, que le bronze d'Auster-
litz, élevé en colonne triomphale,
sépare de la rue Casliglione et de
la rue de Rivoli; du Louvre et des
Tuileries, continués; des arcs de
triomphe; de la basilique sépul-
crale de Saint-Denis, dédiée aux
cendres royales ; de l'église de la
Madeleine , destinée à honorer la
mémoire de deux augustes victi-
mes, etc. ; il parlera aussi des tra-
vaux de Cherbourg, et des éta-
blissemeus de Toulon, Brest, llo-
chefort, complétés; il devra dire
que Napoléon, à son avènement,
n'avait trouvé que 55 vaisseaux et
45 IVégates, et qu'il avait porté,
en 1814, la marine (Vançaise à 102
vaisseaux de ligne, et 60 frégates,
équipés de plus de()o,ooo hom-
mes; il n'oubliera pas les grandes
fondations, telles quele code civil,
l'ordre judiciaire, l'ordre admi-
nistratif, le régime financier, le
crédit ; ni les fondations secon-
daires, l'école Polytechnique, les
écoles militaires , l'université ,
les établisseftiens de la légion-
d'honneur, l'école des arts et mé-
tiers, ni l'exposition des produits
de l'industrie, ni la fondation des
prix décennaux, ni les brevets
d'invention, ni les autres primes
d'encouragement données aux
arts, aux sciences, anx nouvelles
découvertes. Quand il aura à par-
ler des hommes qui, en-dehors de
l'art de la guerre, ont illustré la
NAP
France sous Napoléon, sa mémoi-
re sera infidèle, tant ils sont nom-
breux; mais il dira : Chaptal ,
Fourcroix, Delambre, Berthollet,
Monge, Vauquelin, Gay-Lussac,
Cuvier, Dolomieu, Prony, Lan-
glès, Visconli, Lacepède,/Laplace,
Brongniart, Percier, Fontaines,
Ternaux, Houdon, Canova, Le-
mot, les deux Dupaty, David ,
Gros, Gérard, Girodet, Guérin,
Granet, les deux Vernet, Leihiers,
Hersant, Forbin,Ysabey, Redouté,
etc.; Chénier, Daru, Château-
briant, B. Constant, Andrieux,
Raynouard, Lémontey, Lacretelle
aîné, Michaud, Aignan, Lemer-
cier, Jay, Jouy, les deux Arnault,
Clavier, Fontanes, Alex. Duval ,
Picard, le comte de Ségar, Baour-
Lormian, Parny, Alex. Laborde,
Lancival, Tissot, Baranle, Guizot,
Sismondi, Parseval Grandmaison,
Bonald, de Béranger, Bignon, les
deux Lebrun, les deux Garât, les
deux Dupin, Hennequin, Mau-
guin, Mérilhou, Jominy, Corvi-
visart, Dupuylrein, M""* de Staël,
M"' Collin, iVl"°° Dufresnoy,Talma,
M"° Mars, M"* Duchesnois, etc.,
etc., sont comme Sonlt, Murât,
Bernadotte, Macdouald, Suchet,
Gouvion-Saint-Cyr, Valmy, Bru-
ne, Ney, Mortier, Lannes, Jour-
dan , Kléber , Junot, Bessière ,
Rapp, Gérard, Clausel, Molitor,
Montbrun, Lasalle, Caulaincour!,
Colbert, Éblé, Andréossy, Pajol,
Lamarque, Sébastiani, Foy, Ber-
trand, Bachelu, Kellerman, Du-
hesme, les deux Delort, etc., etc.,
etc., les houjmes du siècle de Na-
poléon Bonaparte.
FIN DU QUATORZIEME VOLUME.
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