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Full text of "Biographie nouvelle des contemporains; ou, Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célèbrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers"

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BIOGRAPHIE 


NOUVELLE 


DES  CONTEMPORAINS 


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f  Les  soussignés  déclarent  que  les  Exemplaires  non  revêtus  de 

leurs  signatures  seront  réputés  contrefaits. 


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DE  L 


IMPRIMERIE  DE  PLASSAN,  RUE  DE  VAUGIRARD,  N"  i5, 
DERRIÈRE  l'odÉON. 


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J^qM^,.  oJlalùL 


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y        i^iuGRAPHIE  NOUVELLE 
t     ^ 

DES 

CONTEMPORAINS, 

ou 

DICTIONNAIRE 

.  HISTORIQUE    ET    KAISONNÉ 

DE  TOUS  LES  HOMMES  QL-I,   DEPUIS  LA  RÉVOLUTION 
FRANÇAISE,  ONT  ACQUIS  DE  LA  CÉLÉBRITÉ 

PAK  ttrns  ACTI05S,   I.ErRS  KCBITS,  LECRS  EBBECRS  Or  LEIRS  CRIMES. 

SOIT  EN  FRANCE,  SOIT  DANS  LES  PAYS  ÉTRANGERS; 

Précédée  d'un  Tableau  par  ordre  chronologique  des  époques  cétèbrei  et  des  èvént- 
mens  remarquables,  tant  en  France  qu'à  l'étranger,  depuis  lyiiy  jusqu'à  ce  jour, 
et  d'une  Table  alphaiétique  des  assemblées  législatives,  à  partir  de  i'assetnMée 
constituante  jusqu'aux  dernières  chambres  des  pairs  et  des  députés. 

Par  mm.  A.  Y.  ARNAULT,  ascie>  membre  de  l'Institit;  A.  JAY; 
E.  JOUY,  DE  l'Académie  française;  J.  NORVINS,  et  autre» 
Hommes  de  lettres.  Magistrats  et  Militaires. 

ORNÉE    DE    30O    POBTttAlTS    AU    BVRIN, 

d'après    les    plu  s    célèbres    artistes. 

TOME  QUATORZIÈME. 
MONO— NAP 


PARIS,  ^x^\ 


ir.AXIGRl 


A  LA    LIBRAIRIE  HISTORIQUE,  HOTEL  D'.AXIGRE, 

Rl'E  SAIKT-HONORÉ,    K'  IVl3. 
1824. 


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BIOGRAPHIE 

NOUVELLE 

DES  CONTEMPORAINS. 


MO^'o 


MONOD  (Hesai),  l'un  des  lao- 
dainmans  du  canton  de  Vaud,  est 
né  à  Morges ,  pelite  ville  de  ce 
canton,  en  ijôS.  Il  était  parent, 
par  sa  mère,  du  célèbre  ingénieur 
Pebro>'>"et  {Voyez  ce  nom).  11  étu- 
dia le  droit  à  l'université  de  Tu- 
bingue,  où  il  rencontra  Frédéric- 
César  de  La  Harpe,  aujourd'hui 
lieutenant-général  (l^ojÉZ  La  Har- 
pe), çt  se  lia  avec  lui  d'une  amitié 
qui,  dès-lors,  n'a  jamais  été  in- 
terrompue. Le  nom  de  M.  Monod 
se  rattache  naturellement  à  l'his- 
loire  récente  du  canton  de  la  Suis- 
se où  il  est  né,  et  c'est  ajouter  à 
l'intérêt  de  cet  article,  que  de  rap- 
peler les  principaux  événemens 
agxquels  il  a  pris  part.  Sa  conduite 
a  bfifert  le  vrai  modèle  d'un  bon 
citoyen.  Il  n'a  rien  fait  pour  jeter 
son  pays  dans  les  hasards  d'une  ré- 
volution ;  mais,  après  qu'elle  a  é- 
claté  sans  lui,  il  a  cru  qu'il  était 
de  son  devoir  de  concourir  à  la  di- 
riger, et  c'est  peut-être  à  ses  lu- 
mières, à  une  rare  union  de  pru- 
dence €l  de  fermeté,  que  l'on  doit, 
eu  partie,  .attribuer  le  caractère 

r.  XIV. 


paisible  et  modéré  de  la  révolu- 
tion qui  a  détaché  le  canton  de 
Vaud  de  celui  de  Berne ,  et  assuré 
son  indépendance.  Déjà,  en  17S2, 
comme  magistrat  de  sa  ville,  M. 
Monod  s'opposa ,  de  concert  avec 
ses  collègues  ,  avec  autant  de  me- 
sure que  de  fermeté,  à  un  impôt 
décrété  par  le  gouvernement  de 
Berne  sur  les  terres  du  bailliage  de 
Morges,  pour  la  reconstruction  de 
la  grande  route  qui  le  traversait. 
Le  refus  était  fondé  sur  des  titres 
positifs,  jusqu'alors  trop  souvent 
méconnus,  en  vertu  desquels  au- 
cune imposition  ne  pouvait  être 
établie  que  de  l'aveu  du  pays  en 
général,  et  de  la  ville  en  particu- 
lier. Ainsi  fut  élevée,  dans  le  pay? 
de  Vaud,  plusieurs  années  avant 
qu'elle  le  fût  en  France,  cette 
grande  question,  Tune  des  plus 
importantes  qui  y  furent  ensuite 
débattues.  Berne,  qui  ne  pouvait 
méconnaître  le  droit,  voulut  élu- 
der la  décision  et  en  ajourner  l'exa- 
men, tout  en  ordonnant  de  ppyer 
provisoirement,  sous  peine  de 
châtiment.  Il  fallut  se  soumettre: 


3  MON 

mais  le  rétablissement  de  la  route 
s'élant  prolongé  jusqti'en  1789, 
chaque  année  l'impôt  et  la  récla- 
mation se  renouvelaient,  et  cha- 
que année  la  décision  était  ren- 
Toyée.  Cependant,  la  révolution 
commençait  en  France,  et  l'effer- 
vescence gagnait  les  environs.  M. 
Monod,  en  craignant  les  résultats, 
proposa  une  adresse  au  gouverne- 
ment bernois,  qu'il  rédigea,  et 
qui  fut  adoptée.  Elle  rappelait  les 
droits  de  sa  ville;  cependant,  à 
raison  des  circonstances  ,  on  con- 
sentait à  ne  plus  solliciter  de  dé- 
cision, bien  entendu  qu'il  n'en  ré- 
sulterait aucun  préjudice  pour  le 
droit,  qu'on  réservait  en  entier. 
Cette  sage  conduite  n'empêcha 
pas  qu'en  1791^^  la  suite  de  quel- 
ques dîners  publics  un  peu  trop 
bruyans  peut-être,  et  où  plu- 
sieurs convives  montrèrent  de 
la  légèreté ,  on  ne  traitât  d'as- 
semblées séditieuses  ces  réu- 
nions de  plaisir,  et  qu'on  ne 
soumît  une  partie  du  pays,  et 
Morges  en  particulier,  à  une  exé- 
cution militaire;  la  magistrature 
des  villes,  à  une  véritable  amende 
honorable;  et,  plus  tard,  quelques 
individus  à  des  procès  criminels. 
M.  Monod  avait  désapprouvé  ces 
fêtes;  il  n'y  avait  pas  assisté,  et 
il  ne  fut  point  inquiété  personnel- 
lement ;  mais  il  n'en  parta_gea 
pas  moins  l'indignation  générale 
qu'excitèrent  ces  mesures  violen- 
tes et  arbitraires,  dirigées  contre 
des  magistrats  qui  n'avaictit  pas 
même  le  pouvoir  d'eemêcher  les 
réunions  dont  on  se  plaignait,  et 
contre  plusieurs  individus  très-in- 
nocens.  Lorsqu'en  1797,  après  le 
ti*aité  de  Campo-Formio,  et  lors  du 
congrès  de  Rastadt,  la  France  com- 


MON 

mença  à  intervenir  dans  les  affai-  '' 
res  de  la  Suisse,  M.  Monod  fit  ce 
qu'il  put  pour  engager  les  Bernois 
à  prendre,  de  leur  chef,  des  mesu- 
res propres  à  prévenir  cette  inter- 
venlion.  Pour  atteindre  ce  but, 
il  résolut  de  profiler  de  sa  liaison 
avec  M.  ïhorman  ,  bailli  de  Mor- 
ges,  qui  était  Bernois,  et  avec  M. 
de  La  Harpe,  qui  était  alors  à  Pa- 
ris; il  parvint  à  fjire  agréer  une  en- 
trevue entre  ce  dernier  et  les  dépu- 
tés que  Berne  avait  auprès  du  di- 
rectoire-exécutif de  France.  Ces 
intentions  conciliatrices  échouè- 
rent :  les  députés,  après  avoir  con- 
senti à  l'entrevue,  s'y  refusèrent; 
Berne  crut  qu'on  voulait  l'etfrayer, 
et  ne  fit  rien.  Ce  fut  dans  ces  cir- 
constances que  l'avant-garde  de 
l'armée  d'Italie  arriva  à  la  frontiè- 
re suisse.  Alors  se  forma,  à  Lau- 
sanne, un  comité,  composé  d'une 
quinzaine  de  députés  des  principa- 
les communes  du  pays;et, dans  l'es- 
pérance de  parvenir  aux  arrange- 
mens  désirés,  M.  Mouod  fut  chargé 
de  se  rendre  à  Berne,  tandis  qu'on 
travaillait  à  arrêter  la  marche  du 
général  Ménard,  qui  commandait 
cette  troupe.  Un  accident  fatal  dé- 
rangea ces  mesures.  Le  général 
français  avait  envoyé  un  de  ses  ad- 
judans,  escorté  de  deux  hussards, 
au  commandant  bernois  Weiss,  à 
Yverdun.  L'adjudant  traversait,  de 
nuit,  uneconunune  suisse;  une  pa- 
trouille crie  :  qui  vive  !  les  hus- 
sards, échauffés  par  le  vin,  au  lieu 
de  répondre,  coiu'urent  sur  la  pa- 
trouille, qui  fit  feu  et  les  tua.  L'ad- 
judant rebroussa,  et  le  général,  se 
prétendant  insulté,  entra  dans  le 
pays.  M.  Monod  était,  dans  ce 
moment,  président  du  comité  for- 
mé pour  se  saisir  du  pouvoir  que. 


MON 

les  Bernois  avaient  abandonné, 
el  einpciher  l'au-irchie.  Ce  fut 
sou»  la  (lireclion  'Je  ces  magistrats 
que  s'opéra  la  révolulion,  sans  au- 
tre effusion  de  sang  que  celle  des 
deux  hussards,  avec  plus  de  tran- 
quillité et  d'ordre  qu'on  n'aurait 
osé  l'espérer,  et  qu'on  ne  l'a  vu 
nulle  part  ailleurs.  Aussitôt  après 
l'eulrée  des  Frarjçais,  M.  Monod 
fui  envoyé  a  Paris,  avec  deux  au- 
tres députés,  pour  chercher  à  con- 
naître les  intentions  du  directoire, 
et  les  rendre  favorables,  s'il  était 
nécessaire  ;  ils  rencontrèrent  en 
route  le  général,  depuis  maréchal 
Brune,  qui  se  rendait  en  Suisse  en 
toute  hâte,  et  qui  parut  effrayé 
d'apprendre  que  le  général  Mé- 
oard  y  était  entré.  Cette  nouvelle, 
apportée  à  Paris  par  la  députation 
vaudoise,  parut  également  y  causer 
de  la  surprise.  La  constitution  qui 
établissait  une  république  helvéti- 
que, une  et  indivisible,  fut  accep- 
tée pendant  l'absence  de  M.  Mo- 
nod. A  son  retour,  il  fut  nommé 
président  de  la  ciiambre  adminis- 
trative du  canton  de  Vaud.  Mais, 
eu  1800,  son  ami,  M.  de  La  Har- 
pe, membre  du  directoire  helvéti- 
que, en  ayant  été  éloigné ,  il  don- 
na sa  démission,  pour  ne  pas  pa- 
raître approuver  ce  changt^ment, 
et  se  relira  à  Paris  avec  sa  famil- 
le. Rappelé  en  1802,  par  des  cir- 
constances domestiques,  il  arriva 
au  moment  où  le  gf)ii versement 
sévissait  contre  les  habitatis  des 
campagnes,  qui  avaient  cru  se  dé- 
barrasser des  droits  féodaux,  en 
brûlant  les  archives  qui  en  renfer- 
maient les  titres.  Des  mesures  trop 
sévères  avaient  exaspéré  les  es- 
prit>  ;  personne  n'était  plus  pro- 
pre que  M.  Moood  à  les  calmer. 


MON  5 

Il  apprit,  en  arrivant,  qu'il  était 
nommé  préfet,  et  malgré  sa  réso- 
lution contraire,  vaincu  surtout 
par  les  sollicitations  des  habitant 
de  la  campagne,  il  accepta,  sous 
la  condition  d'une  entière  amnis- 
tie, qui  fut  accordée.  Le  calme  ne 
tarda  pas  à  renaître;  mais  bientôt 
des  mouvemens  plus  sérieux  écla- 
tèrent dans  les  petits  cantons,  et 
s'étendirent  sur  presque  toute  la 
Suisse  allemande.  Le  gouverne- 
ment, chassé  de  Berne,  se  réfugia 
à  Lausanne.  M.  Monod  profita  de 
sa  présence  pour  lui  faire  décréter 
l'abolition  des  droits  féodaux,  à 
des  conditions  équitables  pour  les 
seigneurs  et  pour  le  peuple.  En 
même  temps  il  prenait  des  mesu- 
res pour  repousser  des  bandes  in- 
surgées qui  marchaient  sur  Lau- 
sanne, quand  une  proclamation 
du  premier  consul  Bonaparte,  ap- 
portée par  le  général  Kapp,  fit  ces- 
ser les  hostilités.  M.  Monod.  en- 
voyé par  son  pays  à  la  célèbre 
conférence  que  le  premier  consul 
tint  à  Paris,  pour  régler  les  inté- 
rêts de  la  Suisse,  fut  un  des  dix 
députés  nommés  pour  discuter, 
avec  le  chef  du  gouvernement 
français,  l'acte  de  médiation,  par 
lequel  la  paix  fut  rétablie  et  main- 
tenue, à  la  satisfaction  générale, 
pendant  onze  ans.  Dans  cette  con- 
férence, qui  dura  huit  heures,  M. 
Monod  était  à  la  tête  des  cinq 
membres  chargés  de  défendre  les 
intérêts  des  nouveaux  cantons:  pla- 
cé à  côté  du  premier  consul,  il  en 
reçut  un  compliment  flatteur,  sur 
la  manière  énergique  et  mesurée 
dont  il  s'était  condu.t  dans  les  der- 
nières circonstatices.  Nommé  pré- 
sident de  la  commission  chargée 
d'organiser  la  nouvelle  constitu- 


4  510N 

tion,  il  fut  ensuite  élu  membre  du 
grand-conseil  du  canton  de  Vaud, 
par  quarante  -  huit  des  soixante 
cercles  qui  formaient  les  assem- 
blées électorales,  puis  président 
du  petit-conseil,  qui  était  l'autori- 
té executive.  Mais  impatient  de 
rentrer  dans  la  vie  privée,  dès 
qu'il  vit  la  tranquillité  de  la  Suis- 
se assurée  par  son  traité  d'al- 
liance avec  la  France,  en  i8o3, 
M.  Monod  donna  sa  démission,  et 
se  retira  au  sein  de  sa  famille  , 
qu'il  ne  quitta  momentanément 
que  pour  quelques  missions,  dont 
son  gouvernement  le  chargea  au- 
près de  celui  de  France.  Ce  fut 
pendant  ce  temps  de  paisible  re- 
traite qu'il  publia  des  Mémoires , 
tendant  à  retracer  les  événemens 
auxquels  il  avait  pris  part,  et  à 
en  tirer  des  conséquences  propres 
à  former  l'esprit  public  de  ses  con- 
citoyens. Cet  ouvrage  distingué 
parut  sous  le  titre  de  Mémoires  de 
Henri  Monod,  Lausanne,  i8o5,  2 
Tol.  in-S".  Il  publia  aussi,  dans 
le  même  esprit,  k  l'époque  du  re- 
nouvellement des  élections,  un 
petit  ouvrage  sous  le  litre  du 
Censeur  :  il  y  rappelait  du  peu- 
ple, qu'en  s'occupant  du  choix 
de  ses  représentans  ,  il  pou- 
vait exercer  une  utile  censure , 
et  il  établissait  les  principes  qui 
devaient  le  diriger.  Il  consacrait 
ainsi  ses  loisirs  à  son  pays,  et 
s'était  plus  d'une  fois  refusé  à 
rentrer  dans  le  gouvernement, 
lorsqu'en  1811  de  vives  sollici- 
tations l'engagèrent  à  accepter 
de  nouveau  une  place  dans  le 
petit-conseil  ;  il  se  trouva  par-là 
au  nombre  des  premières  autori- 
tés lors  de  la  crise  de  18 13  et 
1814  ,  qui  remit  en  quelque  sor- 


MON 

teau  hasard  le  sort  de  la  Suisse.  Il 
se  rendit  auprès  de  l'empereur 
Alexandre,  avec  des  lettres  du 
général  de  La  Harpe,  et  arri- 
va à  Schafihouse  au  moment 
où  les  Autrichiens  violaient  la 
neutralité  de  la  Suisse.  Ce  ne 
fut  qu'avec  peine  qu'au  bout 
de  quelques  jours  ,  il  put  joindre 
le  monarque  russe  à  Fribourg. 
Alexandre  l'accueillit  avec  bonté, 
et  lui  donna  l'assurance  que  c'é- 
tait en  son  absence ,  ù  son  insu 
et  contre  son  gré,  qu'on  était  en- 
tré en  Suisse;  ce  prince  l'assura 
de  sa  protection  pour  son  canton 
et  le  maintien  de  son  intégrité. 
Envoyé  de  là  à  la  diète  de  Ziuich, 
M.  Monod  fut  un  des  trois  dépu- 
tés qu'elle  chargea  d'aller  présen- 
ter ses  hommages  au  roi  de  Fran- 
ce, et  le  complimenter  sur  la  res- 
tauration de  la  maison  royale. 
Depuis  lors  il  s'efforça ,  durant 
celte  longue  diète  (jusqu'en  181 5), 
de  rompre  les  trames  ourdies 
contre  son  pays  et  les  nouveaux 
cantons.  A  la  nouvelle  du  débar- 
quement de  Napoléon  sur  les 
côtes  de  Prpvence,  il  eut  la  com- 
mission d'aller  faire  garnir  les 
frontières  du  canton  de  Vaud 
les  plus  menacées ,  par  ses  mili- 
ces, qui  furent  les  premières  sur 
pied.  La  nouvelle  constitution  de 
la  Suisse  ayant  enfin  été  reconnue 
et  garantie  par  les  huit  principa- 
les puissances  de  l'Europe,  M. 
Monod  fut  nommé  un  des  landam- 
mans  de  son  canton ,  et  il  siège 
encore  dans  le  conseil-d'état. 

MONOD  (Jean)  ,  l'un  des  pas- 
teurs de  l'église  réformée  de  Paris, 
membre  de  la  légion-d'honneur, 
est  né  à  Genève,  en  1 765,  et  a  exer- 
cé les   fonctions   de   ministre  dw 


MON 

culte  réformé,  d'abord  à  Copenha- 
gue, puis  à  Paris,  où  il  est  depuis 
1808.  Il  a  publié  :  i*  Sermon  sur 
la  paix ,  et  pour  la  commémora- 
tion de  la  mort  de  Louis  XP^I , 
1814,  in-8°;  2°  Lettres  de  F.  V. 
Reinhard  sur  ses  études  et  sa  car- 
rière de  prédicateur,  traduite*  de 
l'allemand,  avec  une  notice  sur  les 
écrits  de  Reinhard,  parPhil.  Alb. 
Stapfer,  Paris,  1816,  in-S".  Le 
père  de  M.  31onod  était  aussi 
ministre  de  l'évangile.  Lorsque 
la  Guadeloupe  tomba  au  pouvoir 
dt's  Anglais,  dans  la  guerre  dite  de 
sept  ans  ,  il  y  fut  envoyé  comme 
chapelain  du  gouverneur  anglais, 
et  pasteur  des  protestans  français, 
assez  nombreux  dans  cette  ile.  La 
paix  rendit  la  Guadeloupe  à  la 
France,  et  priva  les  protestans 
de  leur  culte;  ils  baignèrent  de 
larmes  le  rivage  où  ils  virent  s'em- 
barquer leur  pasteur;  les  temps 
sont  heureusement  changés.  Au- 
jourd'hui la  France  donne  l'exem- 
ple des  lois  les  plus  généreuses 
sur  la  liberté  des  cultes,  et  le  fils 
et  le  petit-fils  de  Monod  sont  pas- 
teurs protestans  dans  la  capitale 
de  ce  même  pays,  qui  refusait,  il 
y  a  soixante  ans,  un  culte  à  une 
portion  de  ses  citoyens. 

MONRO  (Alexasdre),  méde- 
cin anglais,  fils  du  célèbre  anato- 
miste  de  ce  nom,  naquit  à  Edim- 
bourg, fit  de  bonnes  études,  et 
remplaça  son  père  dans  la  chaire 
de  médecine  et  d'anatomie  qu'il 
avait  fondée  à  l'université  de  celte 
ville.  11  devint  membre  de  la  so- 
ciété royale  et  du  collège  royal  de 
médecine.  Éditeur  des  œuvres  de 
son  père,  qu'il  a  publiées  en  1781, 
1  vol.  in-4",  il  a  composé  lui- 
même  les  ouvrages  suivans  :  i' 


MON  5 

Observations  sur  la  structure  et  tes 
fonctions  du  système  nerveux,  ia- 
fol. ,  1 785  ;  2"  Structure  et  physio- 
logie des  poissons,  in- fol.,  1786; 
5°  Observations  sur  toutes  les  bur- 
sae  muccosae  du  corps  humain,  in- 
4%  1788;  4°  Observations  sur  le 
système  nerveux,  faites  avec  l'o- 
pium et  les  substances  métalliques, 
in-4%  1793;  5°  Trois  traités  sur 
le  cerveau,  Cœil  et  l' oreille,  in-^", 
1797  ;  6°  Observations  sur  C hernie 
crurale,  avec  une  notice  générale 
sur  les  autres  variétés  de  cette 
maladie,  in  8°,  i8o5;  '"''  Anato- 
mie  médicale  du  gosier,  de  l'esto- 
mac et  des  intestins,  in-8°,  1812; 
8°  Esquisse  de  l' anatomie  du  corps 
humain,  4  vol.  in-8°,  i8i5;9^ 
Observations  sur  le  conduit  thora- 
chique{Û\OTa\n  duct.),  in-4"',  1814; 
10"  Esquisse  de  l'anatomie  ducorps 
humain,  dans  l'état  de  santé  et 
dans  l'état  de  maladie,  181 5  ou 
1816,  5  vol.  in-S",  et  1  vol.  de 
planches.  Il  est  aussi  l'auteur  d'ua 
\.ra\{kà'  Anatomiecompdrée,\r'd.A\xit 
en  français  parM.Sue,  1786,  in-12. 
MONROE  (James)  ,  président 
des  Etats-Unis  d'Amérique, ancien 
ambassadeur  près  de  la  républi- 
que française  ,  etc. ,  est  né  , 
vers  1757,  dans  l'état  de  Vir- 
ginie. Destiné  par  sa  famille  à  la 
carrière  du  ban-eau  ,  il  fit  de  bon- 
nes éludes,  et  ayant  terminé  son 
droit,  il  exerça  la  profession  de 
jurisconsulte  sous  la  direction  de 
M.  Jefterson,  qui  avait  pour  lui  , 
et  lui  a  constamment  conservé, 
les  sentimens  les  plus  alîectueux. 
A  l'âge  de  21  ans,  il  fut  nommé 
député  au  congrès;  mais  la  guer- 
re de  l'indépendance  venant  d'é- 
clater ,  il  préféra  servir  son  pays 
sur  le  champ  de  bataille.  Sa  bra- 


G 


MON 


voure,  ses  talens,  le  firent  succes- 
siveinenl  élever  à  différens  gra- 
des, et  il  était  déjà  colonel  lors- 
(jue  la  paix  fut  signée.  De  retour 
dans  ses  foyers  ,  il  reprit  ses  oc- 
cupations comme  légiste  ,  et  de- 
vint peu  de  temps  après  dépiilé 
au  congrès,  où,  pendant  dix  ans, 
il  justifia  la  confiance  de  ses  con- 
citoyens, qui  l'y  avaient  réélu  sans 
interruption.  Ses  principes  s'ac- 
(H>rdaienl  parfaitement  avec  ceux 
de  la  révolution  française,  dont 
il  ne  blâmait  que  les  excès  :  ils  le 
firent  nommer,  en  ijg'i,  ambas- 
sadeur à  Paris.  Présenté  en  cette 
qualité,  le  i5  août  de  la  même 
année,  à  la  contention  nationale, 
il  reçut  du  président  Taccolade 
fraternelle.  M.  Monroë  déploya 
dans  ses  relations  diplomatiques 
le  caractère  le  plus  honorable, 
et  sut  mériter  l'estime  du  gouver- 
nement français,  tout  en  défen- 
dant avec  la  plus  vive  sollicitude 
les  intérêts  et  l'indépendance  de 
sa  patrie.  Lorsqu'en  1797,  le  di- 
rectoire-exécutif suspendit  ses  re- 
lations avec  les  Etats-Unis,  dont 
le  gouvernement  était  dirigé  par 
.lohn  Adam,  tout  dévoué  au  mi- 
nistère anglais,  il  refusa  de  recon- 
naître comme  ambassadeur  M, 
Pinckeney,  et  montra  les  plus 
grands  égards  à  M.  Monroë.  Rappe- 
lé peu  de  temps  après,  ce  dernier 
remit  solennellement  ses  lettres 
de  rappel,  et  repartit  pour  l'Amé- 
rique, où,  à  son  arrivée,  il  ré- 
clama vivement  du  secrétaire-d'é- 
tat une  déclaration  écrite  des  mo- 
tifs qui  avaient  fait  mettre  fin  à  sa 
mission.  Washington  était  à  la 
tête  du  parti  fédératif.  La  lutte  é- 
tablie  entre  ce  parti  et  le  parti  ré- 
publicain, auquel  M.  Monroë  ap- 


MON 

partenait,  faisant  craindre  à  ce- 
lui-ci que  les  mesures  de  ses  ad- 
versaires ne  missent  en  danger 
les  institutions  de  sa  patrie  ,  et  ne 
fissent  triompher  l'aristocratie  et 
le  despotisme,  il  livra  à  l'impres- 
sion sa  correspondance  pendant 
sa  niission  diplomatique  ,  et  y 
ajouta  des  observations  prélimi- 
naires. Ce  mode  de  justifier  sa 
conduite  })olitique,  et  de  mettre 
au  jour  celle  de  l'administration, 
produisit  un  excellent  effet,  et, 
quelques  années  après,  en  i8o5, 
sous  la  présidencede  M.  Jelferson, 
il  fut  nommé  gouverneur  de  la 
Virginie,  où,  par  réélection,  il 
fut  maintenu  pendant  trois  ans. 
La  France  avait  acquis  de  la  cour 
de  Madrid  la  Louisiane;  des  dis- 
cussions s'élant  élevées  entre  le 
gouvernement  espagnol  et  celui 
des  Etats-Unis,  an  sujet  de  la  na- 
vigation du  Mississipi,  par  suite  de 
cette  cession ,  M.  Monroë  fut  en- 
voyé eu  qualité  d'ambassadeur 
en  France,  puis  en  Espagne, 
pour  y  aplanir  ces  difficultés,  dont 
il  triompha  enfin,  gr.lce  à  la  fran- 
chise et  ù  la  loyauté  qu'il  mil  dans 
sa  conduite.  En  1806,  il  se  ren- 
dit à  Londres,  afin  de  faire  cesser, 
s'il  était  possible,  les  différens  qui 
existaient  entre  l'Amérique  et 
l'Angleterre.  Ne  pouvant  y  réus- 
sir, il  demanda,  l'année  suivan- 
te, son  rappel.  De  retour  à  Phi- 
ladelphie, M.  Monroë  devint,  en 
1811,  secrétaire-d'état.  Au  mois 
d'août  1814,  après  la  prise  de 
Washington  par  les  Anglais,  on  le 
revêtit  du  conunarulement  géné- 
ral des  forces  américaines,  et  il 
conserva  le  ministère  de  la  guerre 
jusqu'à  la  paix;  alors  il  reprit  le 
déparlement  des  affaires   étrange- 


WON 

res,  qu'il  n«  remit  qu'en  18 «7. 
Ses  concitoyens  voulant  lui  don- 
ner une  marque  de  leur  reconnais- 
sance pour  la  sagesse  de  son  ad- 
ministration, l'élurent,  à  une  très- 
grande  majorité,  président  du 
gouvernement.  En  vertu  d'un 
acte  du  congrès,  il  se  disposa  à 
inspecter  les  côtes  maritimes,  et  à 
cet  eflet,  il  se  rendit  successive- 
ment à  Baltimore,  à  Philadel- 
phie, à  New-York,  etc.  Il  s'efforça 
pendant  cette  tournée  administra- 
tive de  ranimer  l'esprit  public,  et 
de  le  diriger  exclusivement  vers 
l'intérêt  unique  de  la  patrie.  On 
rapporte  qu'il  déclara  à  Hartford 
qu'il  entendait  être,  «  non  le  chef 
«d'ime  secte  ou   faction,  mais   le 

•  président  des  Etats-Unis.  »Il  a- 
dressa  au  congrès  un  message , 
dans  lequel  il  faisait  le  tableau  le 
plus  satisfaisant  de  la  situation 
tant  intérieure  qu'extérieure  des 
Etats-Unis,  et  déclarait  que  ja- 
Htiais  elle  n'avait  été  aussi  satis- 
faisante. Il  terminait  son  élo- 
quent rapport,  «  en  félicitant  la 
«nation  d'avoir  atteint  la  quaran- 
«tième  année   de  son    existence 

•  politique,  et  de  ce  que  l'expé- 
orience  d'une  génération  entière 

•  avait  consacré  une  constitution 
«libre,  et  consolidé  un  gouver- 
«neinent  dont  la  seule  ambition 
«est  de  favoriser  les  progrès  des 

•  lumières,  le  maintien  d'une  paix 

•  universelle   et   le    bien-être   de 

•  l'humanité.  «But  à  la  fois  grand, 
juste  et  philantropique.  Au  mois 
de  mars  i8i>S,  M.  Monroë  exposa 
ù  la  chambre  l'état  des  relations 
entre  les  Etals-Unis  et  l'Espagne, 
déclarantqu'il  n'avait  pas  jugé  utile 
d'accepter  la  médiation  de  l'An- 
gleterre   relativement  à  la  pri^c 


MON  r 

de  possession  d'Amelia,  que  le 
gouvernement  américain  ne  de- 
vait pas  considérer  comme  une 
conquête.  31.  Monroë  a  été  réélu, 
le  4  mars  1821,  président  des  Étals- 
Unis.  Ce  célèbre  magistrat  a  pro- 
noncé à  l'ouverture  de  la  session 
du  congrès  pour  iS'î^  un  discours 
des  plus  remarquables,  et  qui  of- 
frira une  des  plus  belles  pages 
de  l'histoire  des  gouvernemens, 
eu  laissant  de  profonds  souve- 
nirs dans  la  mémoire  des  peu- 
ples. Il  y  trace  avec  autant  de  sim- 
plicitéque  de  grandeur,  la  marche 
du  Nouveau-Monde,  et  y  expose 
les  principes  de  la  véritable  indé- 
pendance et  ceux  de  la  plus  sage 
liberté  :  principes  qui  ont  fait  la 
prospérité  et  consacré  la  puissan- 
ce de  ces  nouveaux  et  célèbres  é- 
tals,  à  la  gloire  desquels  la  Fraoce 
s'est  associée  ,  en  concourant  à 
les  défendre  à  l'époque  osi  à  peine 
consolidés,  ils  appelaient  un  gé- 
néreux appui.  Dans  ce  mémorable 
discours,  on  voit  le  gouvernement 
réclamer  les  lumières  des  citoyens 
et  chercher  à  rapprocher .  par  la 
confiancela  plus  intime  et  la  plus 
franche,  les  dépositaires  de  l'auto- 
rité et  les  peuples  qui  lui  obéis- 
sent. On  y  voit  surtout  avec  un 
vif  intérêt  les  Etats-Unis  devant 
toutes  les  nations  poser  comme 
principe  fondamental  ,  que  le 
continent  de  l'Amérique,  par  la 
condition  libre  et  indépendante 
dont  il  jouit,  ne  doit  plus  être 
considéré  à  l'avenir  comme  sus- 
ceptible de  forir»er  encore  des 
colonies  européennes,  a  Je  ne  suis 
«plus   terre    d'oC(!upalion ,  fem- 

•  ble   dire  le  nouveau    continent 

•  H  l'ancien  ;  ici  sont  des  homme» 

•  maîtres  du  sol  qu'ils  habitent , 


8  MOIS 

»  égaux  des  hommes  dont  ils  sont 
«issus  jadis,  et  résolus  ù  ne  trai- 
»  ter  avec  eux  que  sur  le  pied  de  la 
»  plus  exacte  justice.  »Ce  mémo- 
rable discours  ajoute  une  nouvel- 
le étendue  à  la  carrière  déjà  si 
vaste  du  célèbre  magistrat  qui  l'a 
prononcé. 

MONSEIGNAT  (HippotYTE),ju- 
risconsulte  ,  ancien  magistrat , 
membre  de  plusieurs  assemblées 
législatives,  chevalier  de  la  légion- 
d  honneur,  est  né  à  Rhod<:z,  dé- 
partement de  l'A  veyron,  en  1764. 
il  fut  reçu  avocat  en  1 786,  et  s'étant 
prononcé  en  faveur  du  nouvel  or- 
dre de  choses,  il  devint,  en  1791, 
procureur  de  la  commune  qu'il  ha- 
bitait, et  en  1793,  juge  au  tribu- 
nal du  district.  M.  ]Monseignal,qui 
n'approuvait  pas  les  excès  de  la 
révolution,  fut  chargé  de  rédiger 
et  de  porter  à  la  barre  de  la  con- 
vention nationale,  l'adresse  votée 
par  toutes  les  autorités  réunies  de 
Rhodez,  pour  protester  contre  la 
violation  de  la  liberté  des  députés 
dans  le  sanctuaire  même  des  lois, 
le  5i  mai;  destitué  à  cette  Cpoque, 
il  fut  bientôt  arrêté  et  conduit  à 
la  Force,  comme  suspect  de  fédé- 
ralisme. Mis  en  liberté  par  suite 
de  la  révolution  du  9  thermidor 
an  2  (27  juillet  1794)»  il  se  ren- 
dit, en  1798,  en  qualité  de  com- 
missaire du  directoire-exécutif, 
près  de  l'administration  centrale 
du  département  de  l'Aveyron.  En 
1799,  le  collège  électoral  de  ce 
département  l'élut  au  conseil  des 
cinq-cents.  Il  fit  partie  de  la  pre- 
mière formation  du  corps-législa- 
tif en  1801 ,  y  fut  conservé  par  le 
sénat  en  1802,  et  réélu  en  1807. 
Nommé  secrétaire  en  1808,  il  de- 
Tint  en  1809,  par  les  suffrages  de 


MON 

ses  collègues,  l'un  des  sept  mem- 
bres destinés  à  former  la  coinmis- 
sionde législation  ci  vile  et  criminel- 
le, qui  seule  était  appelée  à  pren- 
dre part  aux  travaux  préliminaires 
de  la  confection  des  lois.  Choisi  de 
nouveau  en  1810  et  continué  en 
)8ii,  il  fut  nommé,  par  l'empe- 
reur, président  de  la  commission 
de  législation,  reçut  en  récom- 
pense de  ses  services,  la  croix  de 
la  légion  d'honneur,  et  s'associa 
activement  aux  discussions  prépa- 
ratoires du  Code  d'instruction  cri- 
minelle et  du  Code  pénal  :  il  fit  sur 
ce  dernier,  i\  la  séance  du  17  fé- 
vrier 1810,  un  rapport  qu'on  li-t 
avec  le  plus  vif  intérêt  dans  le 
recueil  des  matériaux  de  la  légis- 
lation de  celte  époque.  Conseiller 
de  préfecture  en  1812,  sous-pré- 
fet de  Pihodez,  et  membre  de  la 
chambre  des  représentans  en  181 5, 
il  a  donné  sa  démission  de  toute 
foi.ctiou  publique  en  1816,  et  il 
se  livre  depuis  cette  époque  aux 
occupations  de  jurisconsulte,  dans 
lesquelles  il  s'est  concilié  l'estime 
publique. 

MONSIAU  (Nicolas),  peintre 
distingué,  s'est  fait  plusieurs  fois 
remarquer  aux  expositions  du  Lou- 
vre. Ses  principales  compositions 
sont  :  la  Mort  d' Agis,  et  Louis 
XVI  donnant  des  instructions  à 
La  Peyrouse;  enfin  une  Scène  du 
quatrième  acted'I plûgénià:  la  pre- 
mière de  ces  deux  compositions  a 
été  commandée  parle  roi,  et  la 
seconde  par  le  ministre  de  l'in- 
térieur. Les  autres  lableatix  de 
M.  Mousiau  sont  :  Eponine  et  Sa- 
binus,  (\\ù  lui  a  valu  un  prix  d'en- 
couragement; le  lion  de  Florence; 
Aspasie;  Molière  Usant  chez  Ni- 
non   sa  comédie   du  Tartufe;    ta 


Hovert-Lefevre  vuuc , 


Iremv  ael .et  Saii? , 


MON 

Mort  de  Raphaël;  le  Couronnement 
de  Marie  de  Médicis,  et  la  Prédi- 
cation de  Saint  Denis.  Il  a  com- 
posé les  dessins  d'une  partie  des 
gravures  qui  ornent  la  magnifique 
édition  des  Métamorphoses  d'Ovi- 
de, par  M,  Villenave;  une  partie 
de  ceux  du  recueil  des  Œuvres  de 
l'abbé  Delil le;  ceux  qui  représen- 
tent la  mort  de  Cléopâire  ,  le 
triomphe  de  Paul  Emile;  et  plu- 
sieurs autrcî.  On  trouve  dans  la 
manière  de  cet  artiste,  une  grande 
facilité,  du  mouvement;  mais  on  y 
cherche  eu  vain  de  la  chaleur  et  un 
meilleur  ton  de  couleur.  M.  Mon- 
siau  avait  été  appelé  à  l'acadé- 
mie en  1790.  Mais  il  ne  fut  pas 
compris  dans  l'organisation  de 
l'institut  national. 

MO.NSIGNY  (Pierre -Alexan- 
dre), rival  de  Grétry,  soutint,  par 
la  vérité  de  se^?  chants  et  la  naïveté 
pathétique  de  son  expression,  une 
concurrence  si  redoutable.  «  Il 
«chante  d'instinct,  disait  Grétry; 
i)une  sensibilité  vraie  lui  inspirait 
»ces  mélodies  ravissantes  qui,  a- 
»prés  5o  ans,  répandent  encore 
»  tant  de  charmes  sur  les  partitions 
»  du  Déserteur  et  de  Félix.»  Il  était 
né,  le  17  octobre  1729,  à  Fau- 
quemberg,  en  Artois,  dune  famil- 
le noble.  Euj ployé  dès  l'âge  de  19 
ans  dans  la  comptabilité  du  cler- 
gé, il  sentit  se  développer  en  lui 
son  goût  iimé  pour  la  musique, 
en  assistant  à  une  représentation 
de  la  Servante  maîtresse  de  Pergo- 
lése.  Son  instinct  nmsical,  éveillé 
par  le  ha-ard,  lut  perfectionné 
par  Gianotli,  contre-basse  de  l'O- 
péra, et  as^ez  bon  harmoniste.  A 
peine  5  mois  s'étaient  écoulés  que 
Monsigny  essaie  de  composer  lui- 
même  une  partition,  et  donne,  en 


MON  9 

ijSg,  à  la  foire  Saint-Laurent, 
son  petit  opéra-comique  des  Aveux 
indiscrets.  Cet  ouvrage,  qui  pré- 
céda les  chef-d'œuvres  de  Grétry 
de  quelques  années,  place  son  au- 
teur au  rang  des  créateurs  de  no- 
tre second  théâtre  lyrique.  En 
1760,  Monsigny  donna  le  Maître 
en  droit;  et,  eu  1761,  le  Cadi  du- 
pé :  ces  deux  pièces  sont  de  Le- 
moiinier.  Trop  modeste  pour  sa 
gloire,  il  refusa  long-temps  de  li- 
vrer au  public  son  nom,  qui  fut 
cependant  connu;  la  grâce  de  ses 
compositions  et  la  terminaison  ita- 
lienne du  mot  Monsigny,  le  firent 
prendre  pour  un  Italien.  Il  passa 
long-temps  pour  tel,  et  l'on  ne 
parlait  que  de  M.  Moncini,  c'est 
ainsi  que  l'on  défigurait  son  nom 
dans  les  journaux.  Sedaine ,  né 
pour  l'art  dramatique ,  comme 
Monsigny  pour  l'art  musical,  re- 
chercha avec  empressement  l'au- 
teur du  Cadi  dupé;  leur  liaison 
fut  prompte  et  leur  amitié  vraie. 
C'est  à  Talliance  de  ces  deux  ta- 
lens  que  l'on  doit  Rose  et  Colas,  le 
Déserteur,  le  Roi  et  le  Fermier, 
qui  eut  })lu3  de  200  représenta- 
tion, et  Féli.v  ou  l'Enfant  trouvé. 
Ses  autres  alliances  dramatiques 
furent  moins  heureuses.  Il  fit,  avec 
Collé,  Vile  sonnante;  avec  An- 
seaume,  le  Rendez-vous  bien  em- 
ployé; avec  Favart,  la  Belle  Arsè- 
ne. Il  a  composé  trois  grands  opé- 
ras, dont  les  paroles  sont  de  Se- 
daine :  Aline,  reine  de  Golconde; 
et  deux  autres  non  représentés, 
Pagaminde  Monêgue,  et  Philemon 
et  Baucis.  La  sensibilité  vive  et 
noble  qui  lui  donnait  ses  succès 
en  abrégea  le  cours.  A  4<»  »"s,  a- 
piès  avoir  beaucoup  produit,  il 
cessa  de  produire.  Les  hommes  de 


lo  MON 

talent  devraient,  par  une  habile 
économie  de  leurs  lacuités,  réser- 
ver fies  succès  à  leurs  vieux  jours. 
Monsigiiy  du  moins  avait  trouvé 
des  prot(;cfeurs  sincères  et,  des  a- 
mis  généreux,  qui  avaient  pris 
soin  de  son  avenir,  et  garanti  son 
talent  contre  les  atteintes  de  la  mi- 
sère. Vers  l'an  1760,  une  place 
lui  fut  assurée  dans  la  maison  de 
l'avant-dernier  duc  d'Orléans.  La 
révolution  la  lui  eideva;  mais  les 
artistes  du  théâtre  Favart,  qui  lui 
devaient  ime  partie  de  leur  Ibrtu- 
ne,  lui  flreut  une  pension  de  2400 
francs.  En  1800,  il  reinplaça  Pic- 
cini,  dans  la  place  supplénjentai- 
re  d'inspecteur  de  l'enseignement 
au  Conservatoire  de  musique. 
Successenr  de  Grélry,  à  l'institut 
impérial,  en  18 13,  meml)re  de 
la  légion-dhonneur,  en  181 5,  et 
de  l'académie  des  beaux-arts,  en 

1816,  il   mourut,  le    14   janvier 

1817,  à  88  ans,  doyen  des  musi- 
ciens. M.  Quatremère  de  Quincy 
a  lu,  en  séance  piddique  de  l'aca- 
démie des  beaux-arts  (octobre 
1818),  un  éloge  de  ce  composi- 
teur; 31.  P.  Hedoin  a  dédié  au 
même  musicien  une  Notice  hislo- 
n"<7Mc,  beaucoup  mieux  écrite  et 
beaucoup  plus  complète.  M.  de 
Lachabeaussière  a  composé  quel- 
ques vers  heureux,  sous  le  titre 
à'Hommage  à  Monsigny. 

aïONTAGNAG  (  Krakçois  de 
Gain  de),  évêque  de  ïarbes,  na- 
quit au  chSteau  de  iMontagnac , 
dans  le  ci-devant  Limousin  ,  le  6 
janvier  1744-  -^^^  études  ecclésias- 
itiques  terminées,  il  devint  bientôt 
après  aumônier  du  roi ,  et  grand- 
vicaire  de  Reims.  Abbé  de  Quu- 
'rante,  dans  le  diocèse  de  Narbon- 
Tie,  il  lut  nommé,  en  1782,  évê- 


MON 

que  de  Tarbes,  et  sacré  peu  de 
temps  après.  Un  nouveau  béné- 
fice, qu'il  obtint  en  1788,  lui  fit 
résigner  son  abbaye  de  Quarante. 
Dès  le  commencement  de  la  ré- 
volution, il  s'en  déclara  l'ennemi, 
et  se  montra,  avec  une  rare  per- 
sévérance, opposé  aux  actes  de 
l'assemblée  constituante  ,  pu- 
bliant, dans  difterenles  circons- 
tances, des  écrits  fortement  em- 
preints de  son  opposition,  adres- 
sés à  ses  diocésains.  11  se  retira 
en  Espagne  vers  la  fin  de  1790; 
mais,  au  mois  de  mars  1791,  étant 
revenu  à  Tarbes,  il  annonça,  dans 
la  chaire  épiscopale ,  les  motifs 
qui  l'avaient  porté  à  refuser  de 
prêter  serment  à  la  notivelle  cons- 
titution civile  du  clergé.  Cette 
conduite  le  fit  dénoncer  comme 
ennemi  des  nouvelles  doctrines 
politiques, et  des  poursuites  furent 
dirigées  contre  lui.  Le  gouverne- 
ment nomma,  pour  le  remplacer, 
et  occuper  le  siège  constitution- 
nel du  département  des  Hautes- 
Pyrénées,  M.  de  Molinier,  ancien 
doctrinaire,  que  le  prélat  dépos- 
sédé chercha  inutilement  à  rame- 
ner, selon  ses  propres  expressions, 
«à  des  opinions  moins  schisma- 
»  tiques.  »  Menacé  dans  sa  liberté, 
M.  de  Montagnac  se  retira  de  nou- 
veau en  Espagne,  dans  la  vallée 
d'Aran,  qui,  étant  très-rapprochée 
de  son  diocèse ,  lui  permettait 
d'envoyer  des  exhortations  et  des 
instructions  au  clergé  et  aux  per- 
sonnes qui  lui  étaient  restées  fi- 
dèles. L'autorité  française  menaça 
les  habilans  du  territoire  étranger 
que  M.  de  Montagnac  habitait, 
d'employer  la  force  pour  les  con- 
traindre à  éloigner  le  prélat  dissi- 
dent, s'il  continuait  d'y  faire  son 


MON 

séjour.  II  fut  obligé  J'en  partir, 
et  il  se  réfugia  en  Catalogne,  dans 
le  monastère  de  Montferrat.  De 
ce  lieu  même,  il  rédigea  plusieurs 
écrits,  qu'il  fit  encore  parvenir 
en  France.  Retiré  en  Italie,  de 
Lugo,  où  il  s'était  fixé,  il  conti- 
nua de  rédiger  et  d'expédier  à 
Tarbes  des  mandemens  et  instruc- 
tions, datés  de  i^gS  et  de  1797. 
Il  se  prononça  contre  les  conces- 
sions des  prélats  qui  n'avaient 
point  quitté  la  France,  passa  en 
Portugal ,  en  1800.  envoya  sa  dé- 
mission, et  protesta  contre  le  con- 
cordat de  1801;  enfin,  M.  de 
Montagnac  alla  se  fixer  en  Angle- 
terre, où  il  mourut  en  1806. 

iMONTAGU  (Jea\,  comte  de 
Sandwich),  pair  de  la  Grande- 
Bretagne,  naquit  en  1718,  à  West- 
minster. Orphelin  dès  l'âge  de 
quatre  ans,  il  dut  à  la  tendre  sol- 
licitude de  son  aïeul,  lord  Sand- 
wich, une  éducation  brillante, 
qu  il  perfectionna  encore  par  les 
voyages.  Son  goftt  pour  les  anti- 
quités le  détermina,  en  1758  et 
1739.  à  des  excursions  scientifi- 
ques dans  la  iMéditerranée,  dont 
il  rapporta  dilïï-rens  objets,  tels 
que  nioiiiies,  ibis,  médailles,  etc. 
Dans  les  principales  pièces  qui 
composaient  sa  colleclion.  se  trou- 
vait une  table  de  marbre  de  deux 
pieds  de  long,  sur  laquelle  était 
giavec  une  in>cri|Jtion  que  le  sa- 
Tant  f^.  Taylor  put  seul  déchiflrer, 
en  1743  :  it  donna  à  cette  table  le 
nom  de  marbre  de  Sandivich.  La 
carrière  politique  de  Montagu  fut 
honorable.  Dès  1729,  il  devint 
pair  à  la  place  de  son  aïeul  ;  mais 
il  ne  put  être  admis  à  prendre 
séance  que  lorsqu'il  eut  atteint 
l'âge  fixé  par  les  statuts  de  la  cham- 


MON  1 1 

bre.  Second  lord  de  l'amirauté 
en  174-1»  pourvu  d'un  grade  dans 
l'armée  en  174^,  ministre  pléni- 
potentiaire depuis  i74^>  jusqu'a- 
près la  sij>nalure  du  traité  d'Aix- 
la-Chapelle,  en  octobre  1748, 
membre  du  conseil  privé  à  son  re- 
tour à  Londres,  et  premier  lord 
de  l'amirauté  ,  il  devint,  pendant 
le  voyage  de  Georges  II  en  Ha- 
novre, l'un  des  lords -justiciers 
du  royaume.  De  1701  à  1705,  il 
ne  fut  point  employé  ;  cette  année 
même  (i^âS),  on  le  nomma  vice- 
trésorier-adjoint  d'Irlande,  et  on 
lui  rendit,  en  1  76'i .  son  emploi 
de  premier  lord  de  l'amirauté.  En 
1765,  la  fortune  politique  de  Mon- 
tagu  éprouva  encore  de  nouvelles 
ricissiludes  ,  et  il  resta  éloigné 
des  affaires  publiques  jusqu'en 
1768,  qu'il  fut  nommé  à  la  place 
d'adjoint  -  directeur-  général  des 
postes.  Pour  la  troisième  fois,  en 
1783,  il  derint  premier  lord  de 
l'amirauté  .  fonctions  qu'il  exerça 
pendant  toute  la  durée  de  la  guer- 
re d'Amérique  :  il  y  renonça  du 
moment  que  le  ministère  qui  l'a- 
vait provoquée,  eut  été  changé. 
C'est  dans  l'exercice  de  cet  em- 
ploi, au  milieu  des  circonstances 
les  plus  didiciles,  que  lord  Sand- 
wich a  établi  sa  réputation  d'hom- 
me d  ét.t.  Sa  conduite,  il  est  vrai, 
fut  souvent  alors  l'objet  des  plus 
vives  attaques;  mais,  mieux  ap- 
préciée depuis,  elle  a  acquis  à 
Montagu  l'estime  de  ses  conci- 
toyens. Il  mourut  le  3o  avril 
1793.  Depuis  plusieurs  années,  il 
s'était  retiré  des  affaires  publiques. 
Homme  d'état  distingué,  hom- 
me privé,  doué  des  qualités  les 
plus  estimables,  il  ne  négligea  au- 
cune occasion  de  rendre  service. 


12  MON 

Après  sa  mort,  John  Cook,  son 
chapelain,  publia  le  Voyage  fait 
par  le  comte  de  Sandwich  dans  la 
Méditerranée,  dans  les  années  ly'ùS 
et  1739,  écrit  par  lui-même.  Cet 
ouvra<;e  est  précédé  d'une  Notice 
historique  de  l'éditeur,,  sur  Jean 
Montagu  ,  comte  de  Sandwich. 
On  attribue  an  noble  pair  une 
brochure  assez  remarquable,  sous 
le  titre  de  Etat  de  la  question  re- 
lative à  l' hospice  de  Greenwich  , 
brochure  qui  parut  en  1779,  ^" 
réponse  à  l'écrit  intitulé  État  de 
L'hospice  royal  de  Greenwich ,  par 
le  capitaine  Baillie ,  publié  en- 
viron une  année  auparavant. 

MOJNTAGU  (Geobge),  natura- 
liste, meinbre  de  la  société  lin- 
néenne,  naquit  en  Angleterre,  et 
se  fit  bientôt  remarquer  par  ses 
connaissances  dans  l'histoire  na- 
turelle. II  mourut,  jeune  encore, 
en  i8j5,  à  Knowle,  dans. le  De- 
vonshire.  Montagu  a  publié  :  1° 
Dictionnaire  ornithologique^  2  vol. 
in-8",  18 12;  •i'Testacea  britaïaiica, 
ou  Histoire  naturelle  des  coquil- 
lages anglais f  i  vol.  in-4">  1808; 
3°  Supplément  à  l'ouvrage  précé- 
dent,   1809. 

MONTAGU  (Elisabeth),  dame 
anglaise  qui  a  cultivé  la  litté- 
rature avec  quelque  succès.  Son 
père,  Mathieu  llobinson,  seigneur 
(leHorton,  dans  le  comté  de  Dent, 
lui  fit  donner  une  éducation  soi- 
gnée,  que  le  docteur  Middelton 
se  chargea  de  perfectionner.  De 
très-b'^nne  heure,  elle  se  sentit 
du  goût  pour  la  littérature,  et  à 
huit  ans,  elle  avait  transcrit  en 
entier  le  Spectateur.  Liée  avec 
les  hommes  les  plus  distingués 
dans  les  sciences  et  dans  les  let- 
tres, elle  comptait  des  succès  litté- 


MON 

raires  à  un  âge  où  les  femmes  ne 
songent  encore  qu'à  se  livrer  aux 
plaisirs  de  la  société.  Le  célèbre 
auteur  du  Dialogue  des  morts  y 
lord  Litlelton ,  convient  avec  bon- 
ne foi  qu'il  a,  comme  écrivain, 
quelques  obligations  à  celte  dame. 
Mariée  à  lord  Montagu  de  Aller- 
ihorpe,  de  l'illustre  famille  des 
comtes  de  Sandwich,  elle  le  per- 
dit de  très-boime  heure,  ainsi  que, 
dans  son  enfance,  un  fils,  seul 
fruit  de  leur  union.  Libre  et  maî- 
tresse d'une  immense  fortune  , 
elle  voulut  conserver  toute  son 
indépendance,  et  refusa  de  se  re- 
marier. Sa  maison  devint  le  ren- 
dez-vous des  gens  de  lettres,  et 
elle  se  consacra  elie-mêine  an 
culte  des  muses.  Son  principal 
ouvrage  est  un  Essai  sur  le  génie 
et  les  œuvres  de  Shakespeare,  dans 
lequel  elle  entreprit,  avec  succès, 
la  défense  du  père  du  théâtre  an- 
glais, contre  l'autorité  imposante 
de  Voltaire.  Lady  Montagu  mou- 
rut à  Londres  en  1800,  dans  sa 
belle  maison  de  Portmann-Squa- 
re ,  à  un  âge  fort  avancé.  Cette 
dame,  non  moins  célèbre  par  la 
finesse  de  son  esprit  que  par  l'o- 
riginalité de  son  caractère,  avait 
fondé,  sous  le  titre  de  Club  des 
bas  bleus,  une  société  littéraire 
dont  les  statuts  étaient  aussi  bi- 
zarres que  le  titre.  On  lui  prête 
encore  quelques  autres  singulari- 
tés, mais  à  tort,  celle  d'un  dîner 
de  fondation,  qu'elle  donnait  tous 
les  ans  aux  ramoneurs  de  Londres. 
MONTAGUT-BARRAL  (le  ba- 
konde),  député  par  la  noblesse 
de  Comminges  et  de  Nébouzan  aux 
états -généraux,  en  1789,  vota 
avec  la  majorité  de  son  ordre.  Il 
protesta  contre  la  réunion  opérée 


MON 

en  juin,  fut  un  dos  signataires 
des  protestations  des  12  et  i5  sep- 
tembre 1791,  contre  les  actes  de 
l'assemblée  constituante,  et  dis- 
parut de  la  scène  politique  après 
la  session. 

MONTAIGU  (Anse-Charles- 
Basset),  général  de  division,  né  à 
Versailles,  le  10  juin  i^Si.  Le 
goût  qu'il  manifesta  de  bonne 
heure  pour  la  profession  des  ar- 
mes, le  fit  entrer  à  dix-sept  ans  dans 
le  corps  de  la  gendarmerie.  Après 
un  service  de  20  années  consécu- 
tives, M.  Montaigu  le  quitta  au 
moment  de  la  réforme,  en  ij88, 
mais  il  rentra  de  nouveau  sons 
les  drapeaux,  en  1791,  épo- 
que où  le  plus  héroïque  dévoue- 
ment à  la  patrie  éclatait  de  toutes 
parts.  Le  5°"  bataillon  de  la  Meur- 
the  venait  de  se  former;  il  en  fut 
nommé  adjudant  -  major,  le  1" 
septembre,  et  se  rendit  à  Metz,  a- 
vec  ce  bataillon.  Convaincu  de  la 
nécessité  de  rétablir  la  discipline 
militaire,  alors  un  peu  affaiblie,  il 
fit,  pour  l'ordre  du  service,  un  rè- 
glement provisoire  qui  reçut  l'ap- 
probation de  M.  de  Belmont,  lieu- 
tenant-général, commandant  les 
troupes  de  Metz,  et  des  villes  en- 
vironnantes. Ce  règlement  fut  im- 
primé et  envoyé  à  tous  les  batail- 
lons de  volontaires,  qui  l'exécutè- 
rent par  ordre  du  lieutenant-gé- 
néral. Nommé  commandant  de 
bataillon  au  camp  de  la  Lune,  en 
septembre  1792,  et  chef  de  briga- 
de en  1 790,  M.  Montaigu  fut  char- 
gé provisoirement,  en  cette  der- 
nière qualité,  du  commandement 
de  l'aile  droite  de  l'armée  des  Ar- 
dennes.  Avec  5  bataillons  de  grena- 
diers, et  2  de  volontaires,  il  força 
les  Prussiens  à  abandonner  leur 


MON 


i3 


camp,  et  ne  cessa  de  les  poursui- 
vre, que  lorsqu'ils  eurent  évacué, 
près  de  Longwy,  le  territoire  fran- 
çais. L'idée  qu'on  s'était  faite  de 
sa  bravoure,  inspirait  autant  de 
confiance  au  général  en  chef, 
qu'aux  soldats,  et  déjà  l'opinior. 
de  l'un  et  des  autres  l'avait  dési- 
gné, dans  le  cas  où  l'on  serait 
obligé  d'assiéger  Verdun,  occupé 
par  l'ennemi,  pour  monter  le  pre- 
mier à  l'assaut.  La  reddition  de 
cette  ville  le  priva  d'un  honneur 
dont  il  était  digne  ;  mais  il  l"ut  en- 
voyé à  l'avant-garde  qui  marcha 
contre  Namur,  et  contribua  à  la 
prise  du  château ,  le  2  décembre 
1790.  Après  de  brillans  succès, 
qui  soumirent  la  Belgique  à  nos 
armes,  la  défection  de  quelques 
chefs  amena  d'éclatans  revers  : 
Dumouriez,  battu  à  Nenvinde, 
crut  couvrir  la  honte  d'une  dé- 
faite, en  abandonnant  son  poste. 
Le  chef  de  brigade  Montaigu  se 
soutint,  pendant  20  jours,  au  poste 
de  l'abbaye  d'Hannon,  entre  deux 
camps  ennemis  qu'il  sut  contenir, 
ayant  seulement  avec  lui  trois  ba- 
taillons, deux  détachemens  de  ca- 
valerie ,  et  une  demi  -  compagnie 
d'artillerie  légère.  Il  participa  à  la 
brillante  affaire  qui  eut  lieu  le  1" 
mai ,  près  de  Valenciennes  ;  et 
chargé  de  s'emparer  de  deux  vil- 
lages, il  s'acquitta,  avec  un  succès 
complet,  de  cette  mission.  Lors 
de  l'évacuation  du  camp  de  César, 
par  les  Français,  le  chef  de  bri- 
gade Montaigu  occupait  le  village 
d'Escodœuvre,  qu'il  avait  fortifié 
de  manière  à  arrêter  toutes  les 
forces  de  la  coalition,  et  protégea 
eflicacomeut  la  retraite  de  notre 
armée,  dont  il  sauva  les  voilures, 
qu'il  parvint  à  conduire  à  'Cam- 


i6 


MON 


son  sein  en  i747'  Pendant  la  guer- 
re de  sept  ans,  où  il  fut  employé, 
pour  le  compte  de  la  France,  dans 
les  armées  suédoise  et  russe,   il 
eut  de  fréquenles   occasions    de 
taire  une  heureuse  application  du 
système  perpendiculaire ,  nolam- 
iTient  aux  travaux  de  siège  d'Ha- 
novre et  de  Brunswick.  11  fut  de- 
puis chargé  de   fortifier  les  îles 
d'Oleron  et  d'Aix,  et  il  construisit 
dans  cette  dernière  un  fort  en  bois 
qui  passa  pour  un  ouvrage  remar- 
quable.  Les  événemens  de  la  ré- 
volution ayant  dérangé  fortement 
ses  affaires,   il  fut  contraint,   en 
1790,  de  vendre  en  assignats  une 
terre  considérable  qui  composaità 
peu  près  toute  sa  fortune.  Il  avait 
déjà  renoncé,  en  faveur  de  l'état, 
le  i4  juillet  1789,  à  la  pension  qui 
lui   avait   été   accordée  pour  la 
perle  d'un  œil,  en  sorte  qu'il  se 
trouva  bientôt  réduit  à   la  situa- 
tion la  plus  déplorable.  Monta- 
lembert  se  montra  d'abord  parti- 
san du  nouvel  ordre  de  choses; 
tnais  lorsqu'il  vit  l'anarchie  rem- 
placer le  pou  voir  absolu,  il  quitta  la 
France.  Après  uii  court  séjour  en 
Angleterre,  il  revint  à  Paris,  où 
il  fut  incarcéré  pendant  quelque 
temps  comme  noble  et  comme 
émigré.    Il  s'était  séparé    de    sa 
femme,  et  il  épousa,  par  suite  de 
la  loi  sur  le  divorce,  mademoiselle 
Cadet,  de  la  famille  des  célèbres 
pharmaciens  de  ce  nom.    M.    de 
Montalembert  mourut  au  mois  de 
mars  1802,   avec  le  grade  de  gé- 
néral de  division  :  il  était  le  doyen 
de  l'armée  et  de  l'académie.    Ses 
nombreux  ouvrages  lui  ont  mé- 
rité la  répiilalion  d'écrivain  dis- 
tingué, et  de  tacticien  habile.  En 
1793,  la  convention  agréa,  avec 


MON 

mention  honorable,  l'hommage 
qu'il  lui  fit  de  VÀrt  défcnsif  supé- 
rieur à  i'  Art  offensifs  et  lui  fit  ac- 
corder des  encouragemens  par  le 
comité  d'instruction  publique.  Il 
avait  fait  hommage  de  ses  ouvra- 
ges au  conseil  des  cinq-cents,  au 
mois  de  février  1 796  ;  deux  ans  a- 
près,  il  présenta  à  la  tnême  assem- 
blée un  projet  tendant  à  réduire 
des  deux  tiers  le  nombre  des  ca- 
nonniers  sur  chaque  vaisseau  de 
guerre.  Ce  vétéran  de  la  littéra- 
ture militaire  a  publié  un  grand 
ouvrage  sur  la  fortification  perpen- 
diculaire et  sur  l'art  défensif,qm  est 
le  fruit  de  20  ans  de  travaux  assi- 
dus. Enfin,  on  lui  doit  encore  trois 
volumes  de  correspondances  offi- 
cielles; un  grand  nombre  de  mé- 
moires sur  divers  sujets;  des  co- 
médies de  sociétés,  des  chansons, 
des  contes  et  autres  poésies  lé- 
""ères. 

MONTALEMBERT  (M""  Co- 

MARRIEU,   MARQUISE  DE)  ,  épOUSC  du 

précédent,  femme  reconiinanda- 
ble  par  son  esprit  et  son  amabi- 
lité, partagea  l'émigration  de  son 
mari;  mais  ils  se  séparèrent,  et 
elle  resta  quelques  années  dans 
uue  situation  voisine  de  la  gêne. 
Elle  revint  en  France  après  l'éta- 
blissement du  gouvernement  con- 
sulaire, en  1799.  Elle  y  a  publié 
un  roman  agréable,  intitulé  Elise 
Dumesnil,  Paris,  1800,  6  vol. 
in- 12.  Cet  ouvrage  eut  un  égal 
succès  en  France  et  en  Angle- 
terre. 

MONTALEMBERT  (Gaspari- 
ke-Rosalie  de)  ,  fille  du  marquis 
et  de  sa  seconde  épouse.  M"'  Ca- 
det. On  se  rappelle  le  procès  que 
cette  demoiselle  perdit,  contre 
M.  le  comte  d'Artois,   en  1817. 


MON 

11  s'agissaitd'une  demande  en  res- 
cision, pour  cause  de  lésion  d'ou- 
tre-moitié, de  la  vente  faite  à  ce 
prince,  en  1774»  ^^^  forges  de 
Ruel,  appartenant  au  marquis  de 
Montalembert ,  qui  avait  déjà 
voulu  revenir  sur  cette  vente  en 
1784  :  sa  fille  ne  fut  pas  plus  heu- 
reuse en  1817. 

MONTALEMBERT   (le  comte 

Lons-FRANÇOIS-JOSEPH-BONAVEN- 

TiiRE  DE  Tryon)  ,  de  la  famille 
du  marquis  de  ce  nom,  est  né  le 
18  octobre  1758,  et  fut  tenu  sur 
les  fonts  de  baplême  par  le  prince 
de  Conti.  Au  sortir  de  l'école  de 
La  Flèche,  oii  il  avait  été  élevé, 
il  fut  nommé  sous-lieutenant  au 
régiment  de  la  Marche  cavalerie  ; 
bientôt  élevé  au  grade  de  capitai- 
ne, à  la  suite  du  régiment  de 
Conti,  il  échangea  encore  ce  titre 
contre  celui  de  chef  d'escadron  au 
régiment  de  chasseurs  de  Gévau- 
dan ,  et  ne  le  conserva  que  jus- 
qu'en 178g.  A  cette  époque,  ayant 
donné  sa  démission  au  camp  de 
Saint-Denis,  il  rentra  clans  la  vie 
privée,  et  reparut  quand  le  calme 
fut  rétabli.  Le  département  de  la 
Vienne  le  nomn^a,  au  mois  de 
juin  1809,  'ïïf^'ïibre  du  corps- 
législatif.  M.  de  Montalembert 
remplaça  M.  de  Fontanes  dans  la 
présidence,  le  i5  février  1810.  Il 
devint  ensuite  chambellan  de 
l'empereur,  et  reçut  la  décoration 
de  la  légion-d'hoiMteur.  Après 
la  première  restauration  en  1814, 
il  fut  nommé  ofFicier  du  même 
ordre ,  et  devint  membre  de  la 
chambre  des  députés,  dont  il  a 
cessé  depuis  de  faire  partie. 

MONTALIVET  (le  comte  Jean- 
Pierre  Bachasson  de  ) ,  pair  de 
France,  ancien  ministre  de  l'in- 

T.  XJV. 


MON  17 

térieur,  grand-officier  de  la  lé- 
gion-d'honneur, grand'croix  de 
l'ordre  delà  réunion,  etc.,  na- 
quit le  5  juillet  1766.  Son  père, 
maréchal-de-camp ,  le  destina  à 
la  carrière  de  la  magistrature,  et 
lui  acheta  une  charge  de  conseiller 
au  parlement  de  Grenoble.  M.  de 
Montalivet  remplit  pendant  la  ré- 
volution les  fonctions  de  maire  de 
la  ville  de  Valence,  et  s'y  fit  hono- 
rer et  aimer  par  son  administra- 
lion  sage,  éclairée  et  paternelle  : 
c'est  même  de  cette  époque  que 
date  l'origine  de  sa  fortune  sous  le 
consulat  et  sous  l'empire.  Il  avait 
pendant  sa  magistrature  munici- 
pale, accueilli  avec  une  extrême 
bienveillance  un  jeune  officier 
d'artillerie,  dont  le  régiment  é- 
lait  en  garnison  à  Valence.  Ce 
jeune  officier,  devenu  général  ea 
chef,  et  après  la  révolution  du 
18  brumaire  an  8  (9  novembre 
1799),  premier  consul,  n'oublia 
point  les  témoignages  d'affection 
qu'il  avait  reçus  au  commence- 
ment de  sa  carrière  militaire;  il 
voulut  récompenser  à  la  fois  un 
digne  magistrat,  et  augmenter  le 
nombre  des  hommes  démérite 
dont  il  s'entourait  :  M.  de  Monta- 
livet fut  appelé  à  la  préfecture 
du  département  de  la  Manche, 
et,  en  1804  »  à  celle  de  Saône- 
et-Loire.  Dans  Ja  même  année, 
il  devint  conseiller-d'état  et  com- 
mandant de  la  légion-d'honneur. 
Le  3  mai  i8o5,  il  fut  créé  com- 
te de  l'empire  et  nommé  direc- 
teur-général des  ponts-et-chaus- 
sés.  Son  mérite,  pour  briller,  de- 
vait être  placé  sur  un  plus  grand 
théâtre.  Le  1"  octob««t8io,  M. 
de  Montalivet  reçut  I«3^rtefeuil- 
le  de  l'intérieur,  auparavant  dans 


i8  RI  ON 

les  niJiins  de  M.  Crétet.  C'est 
quelque  temps  après  qu'il  posa 
la  prernitie  pierre  du  magnifique 
bassin  d'Anvers.  M.  de  Montali- 
vel  embrassa  bientôt  d'un  même 
coup-d'œii  les  diftërentes  parties 
de  son  administration  ;  leur  don- 
na l'activité  que  réclamait  alors 
l'état  brillant  et  prospère  de  la 
France,  et  fit,  avec  un  zèle  infa- 
tigable, tout  ce  qui  pouvait  con- 
courir à  l'utilité  publique.  Les 
sciences,  les  lettres  et  les  arts  re- 
çurentde  puissans  encouragemens 
de  sa  sollicitude  particulière,  et 
l'on  se  rappelle  encore  ses  rap- 
ports à  la  tribune  du  corps-lé- 
gislatif sur  la  splendeur  où  "l'em- 
pire était  parvenu.  Au  commen- 
cement de  18 15,  il  présenta  à  la 
même  tribune  un  nouveau  tableau, 
mais  bien  difl'érent  desprécédens: 
le  territoire  de  l'empire  était  en- 
vahi en  partie.  Ainsi  que  les  autres 
ministres,  M.  de  Montalivet  sui- 
vit a  Blois,  au  mois  de  mars  1814, 
l'impératrice  Marie- Louise  ,  qui 
s'y  était  retirée.  Après  la  premiè- 
re restauration,  il  revint  à  Paris, 
et  y  resta  sans  fonctions.  Pendant 
les  cent  jours f  eu  i8i5,  Napo- 
léon nomma  >l.dc  Montalivet  in- 
tendant-général de  la  couronne 
et  membre  de  la  chambre  des 
pairs,  qu'il  venait  de  former.  Au 
second  retour  du  roi,  il  fut  rendu 
à  la  retraite.  Rappelé  à  la  cham- 
bre des  pairs  par  l'ordonnance 
royale  de  1819,  il  mourut  en 
iSaS,  emportant  les  regrets  de 
tous  ceux  qui  avaient  été  à  mê- 
me d'apprécier  ses  talens  comme 
administrateur,  et  ses  qualités  es- 
timables "«pâme  homme  privé. 

MOiNlJ^pCLOS  (Marie-Émilie 
Mayon,  dame  de),  naquit  i\  Aix, 


fliON 

département  des  Bouches -du - 
Rhône,  en  1766.  Elle  épousa  en 
premières  noces  François-René, 
baron  de  Princen ,  et  en  secondes 
Charlemagne  Guvelier-Grandin 
de  Montanclos.  Cette  dame  a  cul- 
tivé la  littérature  avec  succès , 
comme  auteur  dramatique  et  com- 
me poète.  Le  caractère  de  son  ta- 
lent est  généralement  la  douceur 
et  la  sensibilité.  Ses  vers  sont  faciles 
et  gracieux,  mais  un  peu  négligés  ; 
ils  ornent  la  plupart  des  recueils 
périodiques,  entre  autres  VAlmu' 
nach  des  Muses.  Voici,  d'après  le 
Dictionnaire  historique,  littéraire 
et  bibliograplùque  des  Françaises , 
par  M°"  Fortunée  B.  Briquet,  la 
liste  de  ses  ouvrages  :  1°  Journal 
des  Dames,  in-12.  Cet  ouvrage  pé- 
riodique, commencé  par  Campi- 
gneulles  en  175g,  fut  interrompu 
en  1769,  et  repris  en  1776  par 
M"""  de  Montanclos,  qui  le  céda 
ensuite  à  M.  Mercier.  2°  Le  Choix 
des  fées  par  l'amour  et  l' hymen, 
à  la  naissaiice  du  dauphin,  comé- 
die en  un  acte,  en  prose,  Paris, 
in-8",  1781.  Cette  pièce,  reçue 
par  les  comédiens  français,  ne  fut 
pas  représentée,  par  suite  de  cir- 
constances particulières.  3"  Le 
Déjeuner  interrompu,  comédie  en 
2  actes  et  en  prose,  Paris,  1785. 
4"  Œuvres  diverses,  en  vers  et  en 
prose,  2  vol.  in-12,  Paris,  1791. 
5"  liobert  le  Bossu,  opéra-cou)i- 
que  (joué  en  l'an  7  sur  le  théâtre 
Wontansier),  musique  de  Men- 
gozzi.  Cet  ouvrage  est  agréable; 
il  respire  la  plus  douce  morale. 
6"  Les  Habitans  de  Vaacluse,  opé- 
ra-comique joué  au  même  théâtre, 
dans  la  même  année ,  et  dont  la 
musique,  également  de  Mengozïi , 
a  été  applaudie;  mais  cette  pièce 


MON 

ne  vaut  pas  la  précédente,  r'  Le 
Fauteuil,  comédie.  8"  Les  trois 
Sœurs  dans  leur  viénage,  ou  la 
Suite  fie  Robert  le  Bossu,  vaude- 
ville joué  en  l'an  8  au  théâtre 
Montansier.  9'  La  bonne  Maîtres- 
se, comédie  en  un  acte  et  en 
prose,  représentée  en  l'an  11, 
Paris,  in-8°.  io°Enfln,  un  grand 
nombre  de  Poésies  fugitives^  in- 
sérées dans  plusieurs  recueils. 

MONT  AN  É  (Jean)  ,  avocat  à 
Paris,  adopta  avec  chaleur  la 
cause  de  la  révolution,  et  prési- 
dait, en  1795,  le  tribunal  ré- 
volutionnaire de  Paris.  Accusé 
p.ir  Fouquier  -  Tinville  du  délit 
d'interpolation  dans  la  minute  de 
phisieiirs  ju^emens,  et  entre  au- 
tres dans  celui  de  Charlotte  Cur- 
day,  il  l'ut  traduit,  le  5o  juillet, 
par-devant  le  même  tribunal,  qu'il 
présidait  peu  de  temps  aupara- 
vant. Il  aurait  vraisemblablement 
succombé;  mais  sa  cause  n'ayant 
été  appelée  qu'un  an  après  la  jour- 
née du  g  thermidor  an  2",  il  fut 
sauvé  par  la  chute  de  son  dénon- 
ciateur. Il  rentra  depuis  ce  mo- 
ment dans  l'obscurité. 

MONTANI,  de  Crémone,  poète 
aimable  et  gracieux;  on  doit  à  sa 
nmse  anacréontique  un  bouquet 
de  vingt-quatre  fleurs,  décrites 
dans  autant  de  petits  poèmes  ou 
chansons,  sous  le  titre  de  Fiori, 
tanzonette  ^  Lodi ,  1817.  Ce  petit 
recueil,  dédié  à  M""  Albrizzi  , 
est  enrichi  de  notes,  dont  la  par- 
tie botanique  est  du  savant  Se- 
bastiano  Stella.  11  a  encore  donné 
un  recueil  de  six  autres  chansons 
.«ur  la  Vénus  italique  de  Canova, 
intitulée  la  Venere  italica,  can- 
ionette,  Lodi,  1817,  et  plusieurs 
autres  poésies  légères. 


MON  19 

MONTANIER  DE  BELMONT 

(JEAN-ÉLÉOî<ORE),évêquedeSainl- 
Flour,  naquit  à  Seyssel,  départe- 
ment de  l'Ain ,  au  mois  de  mars 
1750.  Il  embrassa  l'état  ecclésias- 
tique, et  devint  grand-vicaire  de 
l'évêché  de  Nîmes.  Il  traversa 
sans  en  être  atteint  les  orages  de 
la  révolution;  fut  nommé,  en 
1802  ,  par  le  premier  consul  Bo- 
naparte, à  l'évêché  de  Saint-Flour, 
et  décoré,  quelque  temps  après,  de 
la  croix  de  la  légion-d'h«mneur. 
M.  de  Belmont  possédait  toutes 
les  qualités  du  véritable  ministre 
de  lévangile.  Il  mourut  généra- 
lement regretté,   en  1809. 

MONTANSIER  -  NEUVILLE 
(M"*),  ancienne  directrice  de 
-•spectacles.  Après  avoir  administré 
pendant  quelque  temps  le  théâtre 
de  Versailles,  elle  prit  la  direction 
de  la  petite  salle  depuis  dite  Mon- 
tansier^ au  Palais-Royal,  Dénon- 
cée à  la  commune,  en  1793,  pour 
avoir  colporté  des  emblèmes  pros- 
crits, elle  fut  incarcérée;  mais 
elle  échappa  aux  suites  de  cette 
accusation.  Son  théâtre,  fermé 
provisoirement  ,  prit  quelque 
temps  après  le  titre  de  Théâtre  de 
laMontagne.  M"' Montansier  avait 
fait  construire  à  ses  frais  ,  dans  la 
rue  de  Richelieu,  la  belle  salle 
qu'occupait  l'académie  royale  de 
musique,  et  que  l'on  démolit  en 
ce  moment  par  suite  de  l'assassi- 
nat de  M.  le  duc  de  Berri  (  Voyez 
Charles-Febdinand  ).  Dans  l'ori- 
gine, le  gouvernement  s'était  em- 
paré, pour  y  établir  l'Opéra,  de 
la  propriété  de  M"'  Montansier, 
à  laquelle  il  alloua  une  indemnité 
de  3oo,ooo  francs,  quoique  les 
prétentions  de  la  propriétaire 
lussent  bien  plus  élevées.  Après^ 


20  MON 

avoir  adressé  de  vaincs  réclama- 
lions  aux  tribunaux  et  au  con- 
seil-d'état, M"'  Montansier  eut, 
en  i8i4>  recours  à  la  chambre 
des  députés,  qui  rejeta  sa  deman- 
dé. La  salle  de  spectacle  du  Ha- 
vre a  été  également  construite  à 
ses  frais. 

MONTA  RAND  (Jean-Baptiste- 
AtGVSTE  CouET  de),  né  au  Cap- 
Français  en  1^56,  d'une  famille 
orléunaise.  Il  fut  destiné  à  la  ma- 
gistrature ,  et  obtint,  à  l'âge  de 
a4  «lis,  le  titre  de  conseiller-as- 
sesseur près  le  conseil  supérieur 
de  sa  ville  natale.  Après  l'incen- 
die du  Cap,  arrivé  en  1793,  il 
se  réfugia  aux  Etats-Unis,  d'où 
il  passa,  en  1802,  au  Port-au- 
Prince  ,  pour  y  remplir  les  fonc- 
tions de  président  du  tribunal  de 
première  instance.  L'année  ;sui- 
vante,  la  colonie  étant  tonjbée  au 
pouvoir  des  Anglais,  il  fut  con- 
duit comme  prisonnier  à  la  Ja- 
maïque. Après  la  cession  de  San- 
to- Domingo  à  la  France,  M.  de 
Montarand,  qui  venait  de  recou- 
vrer sa  liberté,  se  rendit  auprès 
du  "énéral  Ferrand,  comman<lant 
des  troupes  (lancaises  dans  cette 
colonie,  et  fut  nommé  successi- 
vement conseiller  de  la  cour  d'ap- 
pel de  Santo-Domingo,  puis  pro- 
cureur-général; mais,  aux  pre- 
mières nouvelles  de  la  déclaration 
de  guerre  faite  à  l'Espagne,  par 
l'empereur  Napoléon,  les  habi- 
Uujs  espagnols  de  Saint-Domin- 
gue s'insurgèrent  contre  les  Fran- 
çais, et  les  enfermèrent  dans  la 
capitale,  où  ils  finirent  par  les 
assiéger.  Les  Français  et  la  garni- 
son ,  déterminés  à  se  défendre 
jusqu'à  la  dernière  extrémité,  ri- 
valisèrent de  zèle  et  d'efforts,  et 


MON 

supportèrent  avec  constance  pen- 
dant huit  mois  toutes  les  priva- 
tions et  tous  les  dangers  de  ce 
siège.  De  retour  en  France  sur  pa- 
role, par  suite  de  la  capitulation 
qui  livra  la  place  à  l'armée  anglo- 
espagnole,  il  devint  conseillera 
la  cour  impériale  d'Orléans,  et 
reçut  la  croix  de  la  légion-d'hon- 
neur en  1814.  En  mars  i8i5,  il 
s'enrôla  comme  volontaire  dans 
les  gardes  de  la  porte.  Le  roi  le 
nomma  conseillera  la  cour  royale 
de  Paris,  au  mois  de  juillet  de  la 
même  année,  et  procureur- gé- 
néral près  de  la  cour  d'Orléans,  le 
5i  janvier  suivant,  fonctions  qu'il 
exerce  encoreaujourd'hui  (1824). 

MONTAllDIER  (N.  ).  Après 
avoir  rempli  plusieurs  fonctions 
publiques  à  Versailles  ,  il  fut  élu, 
par  le  département  de  Seine-el- 
Oise,  député  au  conseil  des  cinq- 
cents,  où  il  entra  en  1799.  Mou- 
tardier passa  ensuite  au  corps- 
législatif,  fit  peu  parler  de  lui  dans 
ces  deux  assemblées,  et  mourut 
en  i8o3. 

MONÏALT-DESILLES  (Pier- 
re), ancien  receveur  des  finance» 
de  l'élection  de  Condom,  dépar- 
tement du  Gers,  est  né  le  9  mai 
ijSj,  d'une  fomille  estimée  dans 
la  robe.  Il  adopta  avec  sagesse  les 
nouveaux  principes,  et  fut  nom- 
mé par  le  département  de  la  Vien- 
ne, député  à  l'assemblée  législa- 
tive, en  1791.  Il  retourna  dans 
ses  foyers  à  la  fin  de  la  session  , 
et  reparut  en  1797  au  conseil  des 
anciens.  M.  Montaut-Desilles  fut 
du  nombre  des  membres  qui  en- 
trèrent au  nouveau  corps-législa- 
tif. Nommé  quelque  temps  après 
préfet  de  Maine-et-Loire,  il  per- 
dit cette  préfecture  en  i8o.i,  et 


MON 

rentra  au  corps-législalif ,  dont  il 
sortit  de  nouveau  en  1808.  Il  a 
cessé  depuis  cette  époque  de  rem- 
plir des  fonctions  publiques. 

MONïALT-i>lARlBON(Loi'is), 
conventionnel,  servait  en  17S9 
dans  les  mousquetaires  de  la  mai- 
son du  roi.  Quoique  toute  sa  fa- 
mille se  fût  prononcée  dès  cette 
époque  pour  la  cause  royale,  il 
se  jeta  avec  exagération  dans  le 
parti  contraire,  devint  successi- 
vement administrateur  du  district 
de  Condoin,  lieutenant- colonel 
de  la  garde  nationale,  et  membre 
de  l'assemblée  législative,  où  le 
nomma  le  département  du  Gers. 
Il  fut  réélu  par  le  même  dépar- 
tement à  la  convention  nationale  ; 
il  vola  avec  la  majorité  dans  le 
procès  du  roi.  Membre  du  comité 
de  sûreté  générale,  il  se  joignit  à 
Marat  pour  accuser  le  général  Du- 
mouriez.  Le  5  avril  1 795,  il  fit  ren- 
dre un  décret  d'arrestation  contre 
le  duc  de  Montpensier,  qui  servait 
alors  sous  les  drapeaux  de  la  répu- 
blique ,  et  concourut  avec  la  Mon- 
tagne à  la  proscription  des  Giron- 
dins. Le  ig  novembre  1794?  '' 
fit  décréter  la  confiscation  des 
biens  des  accusés  qui  se  donne- 
raient la  mort  en  prison  ;  deinan- 
da  l'exclusion  de  Fourcroy,  qu'il 
dénonça  pour  son  peu  d'assiduité 
aux  séances.  N'ayant  point  été  at- 
teint par  la  révolution  du  9  ther- 
midor an  2  ,  il  fut  un  des  fauteurs 
du  mouvement  du  12.  germinal 
an  3(1''  avril  (fe)5),  et  eut  l'a- 
dresse de  ne  pas  se  compromet- 
tre ;  mais  le  18  avril  il  fut  décré- 
té d'accusation.  Il  se  défendit  '.- 
vec  beaucoup  d'adresse,  et  toute- 
fois ne  put  détruire  entièrement 
les  griefs  dont  il  était  l'objet  :  il 


MON  21 

fut  amnistié  en  1 796.  Atteint  com- 
me votant  par  la  loi  du  12  janvier 
1816,  Mnntaut-Maribon  quittais 
France,  et  passa  en  Suisse. 

MOiNÏBARREY  (Alexandre- 

MiBIE-LÉONOR  DE  SaINT-W  A.UR1CE, 

PRINCE  de),  ancien  ministre  de  la 
guerre,  naquit  à  Besançon,  dé^- 
partement  du  Doubs,  le  20  avril 
1732,  d'une  famille  ancienne. 
Destiné  au  service  militaire  par 
son  père,  lieutenant- général,  il 
obtint,  dès  l'^lge  de  douze  ans, 
une  compagnie  dans  le  régiment 
de  Lorraine,  avec  lequel  il  fit 
plusieurs  campagnes,  et  fut  blessé 
devant  Fribourg  et  à  la  bataille 
de  Laufelt.  Colonel  par  brevet  en 
1749,  il  ne  commanda  le  régi- 
ment de  la  Couronne  que  huit  ans 
après.  Le  jeune  de  Montbarrey, 
blessé  à  la  bataille  de  Crevelt,  et 
fait  brigadier  par  suite  ,  continua 
à  se  distinguer  dans  plusieurs  au- 
tres affaires,  et  enleva  au  prince 
de  Brunswick,  en  1762,  six  pièces 
de  canon,  que  le  roi  lui  donna. 
Après  la  paix  de  1763,  il  se  ren- 
dit à  Paris,  où  il  devint  capitaine 
des  cent-  suisses,  à  la  formation 
de  la  maison  de  Monsieur  (au- 
jourd'hui Louis  XVIII).  M.  de 
Montbarrey  se  fit  connaître  com- 
me administrateur,  par  des  M^- 
moire5m//<7fl/7-P5  auxquels  il  dut, en 
1776,  d'être  adjoint  à  M.  de  Saint- 
Germain,  ministre  de  la  guerre, 
qu'il  remplaça  en  1777  :  ce  fut 
pendant  son  administration  qu'eut 
lieu  la  guerre  d'Amérique.  M.  de 
Ségurlui  succéda  en  1780;  mais 
la  bienveillance  de  Louis  XVI,  à 
laquelle  il  devait  sa  fortune,  ne 
cessa  point  de  lui  être  acquise,  et 
il  resta  attaché  à  la  personne  de 
ce  prince.    Il  courut  des  dangers 


Îi2 


^  MON 


lors  des  événemens  du  i/j  juillet 
1789  :  le  peuple,  qui  le  prenait 
pour  M.  de  Launay,  gouverneur 
de  la  Bastille,  le  conduisait  à  la 
place  de  Grève,  lorsque  M.  de  La 
Salle,  commandant  de  la  garde 
nationale,  l'aperçut  et  le  sauva. 
Bientôt  M.  de  Montbarrey  quitta 
Paris,  puis  la  France,  par  suite  de 
la  rapidité  des  événemens,  pour 
se  réfugier  en  Suisse.  Il  mourut 
à  Constance,  le  5  mai  i7()6.  On 
prétend  qu'il  avait  rédigé  des  Mé- 
moires sur  sa  vie  et  sur  les  évé- 
nemens auxquels  il  avait  pris  part  : 
ils  n'ont  pas  été  retrouvés  dans  ses 
papiers. 

MONTBARREY  (le  prince  de 
Saint-Maubice  de),  fils  du  pré- 
cédent, naquit  à  Besançon,  et  é- 
tait,  à  l'époque  de  la  révolution, 
colonel  du  réghnenlde Monsieur. 
Il  se  prononça,  dès  1788,  avec  un 
grand  nombre  de  gentilshommes 
de  la  Franche-Comté,  pour  la 
suppression  des  privilèges  de  la 
noblesse.  Cette  conduite  ne  fut 
pas  oubliée,  lorsque  par  suite  des 
événemens  il  quitta  sa  patrie  pour 
se  rendre  à  Coblenlz  ,  et  y  olTrir 
ses  services  aux  princes,  qui  s'y 
étaient  réfugiés.  Mal  accueilli  par 
plusieurs  émigrés,  il  prit  la  réso- 
lution de  rentrer  en  France,  et 
se  cacha  à  Paris,  où,  en  i^p'i,  il 
fut  arrêté  comme  complice  d'une 
prétendue  conspiration  contre 
Robespierre.  Traduit  au  tribunal 
révolutionnaire,  il  périt  avec  la 
famille  Sainte-Amaranlhe,  le  jeu- 
ne de  Sartine,  etc.  La  veuve  de 
cet  infortuné,  qui  partagea  sa  dé- 
tention, a  épousé  le  prince  de  la 
Trémouille.  Sa  sœur  avait  été 
précédemment  mariée  au  prince 
de  Nassau-Sarrebruck. 


MON 

MONTBOISSIER(lecomtede), 
naquit  en  Auvergne,  d'une  an- 
cienne famille  de  cette  province, 
et  était,  en  17H7,  chevalier  des 
ordres  du  roi  et  lieutenant-géné- 
ral des  armées  françaises.  Nommé 
député  de  son  ordre  A  la  première 
asscînblée  des  notables,  il  se  trou- 
va doyen  d'âge,  et  fut  en  cette 
qualité  honoré  de  la  présidence. 
Il  fit  ensuite  partie  des  états-gé- 
néraux en  1789,  et  donna,  en 
1791,  sa  démission  pour  passer  à 
l'étranger.  Il  commandait,  à  l'ar- 
mée du  prince  de  Condé,  les 
mousquetaires  de  la  maison  du 
roi,  et  mourut  hors  de  France 
quelques  années  après. 

MONTBOISSIER  (N.),  frère 
du  précédent,  ancien  comman- 
dant du  régiment  de  Royal-Vais- 
seau, était  maréchal-de-camp  en 
1789.  La  noblesse  de  Chartres  le 
nomma  député  aux  états-géné- 
raux. Il  suivit  l'exemple  du  com- 
te de  Montboissier,  en  se  démet- 
tant de  ses  fonctions  législatives, 
et  en  passant  à  l'étranger.  M.  Ta- 
lon le  remplaça  à  l'assemblée 
constituante. 

MONTBRON  (Joseph  Cherade 
DE,  comte),  membre  de  lachamhrc 
des  députés,  se  montra  constam- 
ment opposéàlarévolution.Il  ser- 
vit dans  divers  corps  d'émigrés,  et 
fut,  en  1795,  du  très-petit  nom- 
bre de  ceux  qui  survécurent  au 
désastre  de  Quiberon.  La  littéra- 
ture a  fourni  quelquefois  à  M.  de 
Moutbron  des  (IPassemens  agréa- 
bles. Il  a  publié  :  i"  les  Scandi- 
naves, poëme,  suivi  d'observations 
sur  tes  mœurs  et  la  religion  des 
anciens  peuples  de  l'Europe  bar- 
bare, 1801,  2  vol.  in-S";  2°  quel- 
ques Nouvelles,   insérées  dans  la 


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w  pitlJC  , 


Y 


FtY-Z/II/   </f  .  ce  ,f(7lÂ>  , 


MON 

Bibliothèque  des  Romans  ;  5*  Récit 
fie  l'évasion  d'un  officier  prisàQui- 
heron,  i8i5.  Par  suite  du  nouveau 
système  électoral,  le  département 
de  la  Haute -Vienne  a  élu  IVl.  de 
Montbron  à  la  chambre  des  dépu- 
tés, où  il  a  siégé  jusqu'à  l'époque 
de  son  entière  dissolution,  en 
1824.  Il  a  très-rarement  occupé 
la  tribune. 

MONTBRUN  (le  comte  i>e),  gé- 
néral de  division,  commandant  de 
la  légion-d'honneur.  Ses  premiers 
pas  dans  la  carrière  des  armes  fu- 
rent marqués  par  des  succès  qui  le 
placèrent    bientôt    au    rang    des 
meilleurs  officiers  de  cavalerie  de 
l'armée  française.  Il  obtint  par  son 
niéritelecommandementdu  i"  ré- 
giment des  chasseurs  à  cheval,  qui 
fit   des   prodiges   de   valeur    à   la 
bataille  d'Austerlitz;  et  oi'i  le  co- 
lonel Montbrun  fut  promu  au  gra- 
de de  général  de  brigade.  Il  fit  les 
campagnes  de  1806,  1807  et  1809, 
à  la  tête  d'une  brigade  de  cavale- 
rie, remporta  plusieurs  avantages 
aux  journées  d'Iéna,  d'Eylau,  de 
Friedland  et  de  Raab.    La  pacifi- 
cation de  l'Allemagne  l'ayant  ra- 
mené en  Fratice,  il  fut  nommé  gé- 
néral de  di  vision  et  envoyé  au  corps 
d'armée  du  maréchal  Masséna.  Il 
»e  distingua  à   l'affaire   d'Alméi- 
da  le  5  juin  1 8 1 1  ;  et  battit  à  Ciu- 
dad-Rodrigo  ,    T arrière-garde  de 
l'armée   anglaise,  qu'il  conduisit 
l'épée  dans  les  reins  jusqu'à  Fuen- 
te-Guinaldo.    Rappelé  d'Espagne 
en   1812,  pour  faire  partie  de  la 
grande-armée,  il  cueillit  en  Rus- 
sie de  nouveaux  lauriers,  et  trou- 
va dans  les  plaines  de  Moj^ikz  la 
mort  des  braves  :  un   boulet  de 
canon  vint  le  frapper,  tandis  qu'à 
la  tête  d'une  division  de  cavalerie, 


MON 


2J 


il  donnait  des  marques  de  la  plus 
brillante  valeur. 

MONTBRLN  (le  baroh  de), 
frère  du  précédent,  suivit  la  mê- 
me carrière  et  devint  colonel  du 
;;*  régiment  de  chasseurs  à  cheval. 
Nommé  général  de  brigade  en  oc- 
tobre 1812,  il  remporta,  l'année 
suivante,  quelques  avantages  sur 
les  Russes,  qui  s'étaient  avancés 
jusque  dans  la  52""  division  mili- 
taire ,  et  reprit  la  ville  de  Luné- 
bourg  après  avoir    défait   un  de 
leurs  corps,  f^ campagne  de  Fran- 
ce en  »8i4  hd  fut  moins  favora- 
ble :  chargé  de  garder  la  forêt  de 
Fontainebleau  avec  1800  hommes, 
il  crut  devoir  se  replier  à  l'appro- 
che   d'un    ennemi    supérieur    en 
nombre.    La  disgrâce  qui   fut  la 
suite  de  ce  mouvement  ne  dura 
pas  long-temps,  le  roi  l'ayant  pres- 
qu'aussilôt  réintégré  sur  le  tableau 
de  l'armée.  Le  baron  de  Montbrun 
fut  un  des  juges  du  général  Boyer 
de  Peyreleau ,  condamné  à  mort 
en  1816. 

MONTBRUN  (IlrccEs),  était 
lieutenant-général  des  armées  du 
roi  et  gouverneur  de  la  partie 
ouest  de  Saint-Domingue ,  lors- 
que le  commissaire  du  directoire- 
exécutif  le  fit  arrêter  en  1796  et 
conduire  en  France,  pour  y  être 
jugé  comme  prévenu  de  haute 
trahison.  Lepouvoir  exécutif  resta 
chargé  de  cette  affaire,  et  le  conseil 
des  cinq-cents  nomma  dans  son 
sein  une  commission  qui  devait 
en  hâter  la  conclusion.  Ce  ne  fut 
cependant  qu'au  mois  de  mai  1798 
que  le  prévenu  comparut  devant 
le  conseil  de  guerre  spécial,  con- 
voqué à  Nantes.  Il  fat  acquitte  , 
mais  rayé  de?  contrôles  de  l'ar- 
mée. 


*4 


MON 


M0?ÎTCAL>1  -  GOZON  (  le 
MARQUIS  de),  fils  du  marquis  de 
Montcalm ,  mort  en  1 769  sous  les 
murs  de  Québec,  entra  de  bonne 
heure  dans  la  marine,  où  il  mérita 
la  croix  de  Saint- Louis,  et  fut 
nommé  par  la  noblesse  de  Ville- 
franche  député  aux  états -géné- 
raux ,  en  1  789.  Il  s'occupa  de  ma- 
tières financières,  et  concourut  à 
la  publication  du  fameux  livre 
rouge ,  en  qualité  de  membre  du 
comité  des  pensions,  dont  il  fut 
souvent  rapporteur.  Sa  carrière 
politique  cessa  avec  la  session  de 
l'assemblée  constituante. 

MONTCALM  -  GOZON  (  le 
coiviTE  de)  ,  frère  cadet  du  précé- 
dent, était  maréchal-de-camp  à 
l'époque  de  la  révolution.  Élu  par 
la  noblesse  de  Carcassonnc  député 
aux  états-généraux,  il  ne  partagea 
pas  les  opinions  de  son  frère,  et 
signa  les  protestations  des  12  et 
i5  septembre  1791,  contre  les 
opérations  de  l'assemblée.  Il  dis- 
parut de  la  scène  politique  après 
la  session. 

MONTCALM  -  GOZON  (  le 
MARQUIS  de),  fils  du  comtc  de 
Montcalm  {poy.  Fart,  précédent), 
membre  de  la  chambre  des  dé- 
putés, resta  étranger  aux  événe- 
mens  politiques  jusqu'au  débar- 
quement de  Napoléon  en  181 5, 
et  devint  alors  l'un  des  principaux 
organisateurs  de  l'insurrection 
royaliste  dans  le  Midi.  Il  fit,  com- 
me officier  de  cavalerie ,  la  cam- 
pagne de  M.  le  duc  d'Angoulème, 
et  contribua  à  la  prise  de  Monteli- 
mart;  mais  il  échoua  devant  Mon- 
tauban,  dont  il  chercha  vainement 
àsoulever  la  population.  Les  évé- 
nemens  qui  suivirent  tinrent  M. 
de  MoDlcalm  éloigné  du  théîître 


MON 

de  la  guerre.  Au  second  retour 
du  roi,  il  se  rendit  dans  le  dépar- 
tement de  l'Hérault,  et  y  prit  le 
commandement  d'un  corps  de 
volontaires  royaux,  avec  lequel  il 
renversa  le  drapeau  tricolore  qui 
flottait  encore  à  Montpellier.  Com- 
pris dans  la  nouvelle  organisation 
de  l'armée,  il  reçut  le  grade  de 
colonel  et  le  commandement  de 
la  légion  de  l'Hérault.  Les  élec- 
teurs de  ce  département  le  nom- 
mèrent membre  de  la  chambre 
des  députés  (celle  dite  des  introu- 
vables), qui  fut  dissoute  par  l'or- 
donnance du  5  septembre.  Réélu 
à  la  nouvelle  chambre,  il  a  com- 
battu constamment  toutes  les  ins- 
tutions  libérales.  Le  5o  décembre 
18 16,  il  parla  contre  la  loi  des  élec- 
tions, qui,  selon  lui,  appelait  un 
trop  grand  nombre  de  Français  à 
jouir,  dans  les  collèges  électoraux, 
de  leurs  droits  constitutionnels; 
prétendit  à  cette  occasion  que  le 
talent  de  Démosthènes  et  de  Ci- 
céroii  avait  été  nuisible  à  leur  pa- 
trie :  assertion  assez  singulière, 
devant  des  hommes  qui  ne  doi- 
vent généralement  leur  fortune 
ou  leur  illustration  qu'à  leurs  ta- 
lens  oratoires,  et  à  leur  attache- 
ment à  leur  pays.  Il  prit  aussi  part 
aux  lois  sur  les  cris  réputés  sédi- 
tieux ,  et  sur  l'organisation  des 
cours  prévôtales,  et  nia  que  cette 
dernière  fût  entachée  d'un  prin- 
cipe de  rétroactivité.  L'année  sui- 
vante, on  l'entendit,  à  l'occasion 
de  la  loi  des  finances,  regretter 
«ces  lois  justes  qui  exemptaient 
»de  l'impôt  certaines  classes  et 
«certains  fiefs.  »  Il  prit  plusieiir? 
fois  la  parole  dans  les  sessions  sui- 
vantes pour  appuyer  les  proposi- 
tions ministérielles,    et  proposa 


MON 

divers  ainendeinens  qui  tendaient 
presque  tous  à  accorder  plus  que 
le  gouvernement  ne  deniaudiu't. 
Les  discussions  relatives  à  la  loi 
du  double  vote,  et  les  troubles 
qui  en  furent  les  résultats,  déter- 
minèrent différentes  fois  M.  de 
Montcalm  à  monter  à  la  tribune. 
Dans  la  séance  du  16  mai  i8ao, 
il  s'attacha  particulièrement  à  fai- 
re ressortir  les  avantages  du  nou- 
Teau  système  sur  celui  que  l'on 
voulait  remplacer  ;  avantage  d'au- 
tant plus  grand,  selon  cet  hono- 
rable député  ,  que  les  petits  élec- 
teurs auront  bien  moins  de  peine, 
n'ayant  plus  à  s'occuper  de  rien. 
Le  10  juin,  il  interpella  plusieurs 
fois  M.  Laffitte,  qui  rendait  comp- 
te à  l'assemblée  des  charges  de 
cavalerie  qui  avaient  lieu,  sur  les 
boulevarts,  contre  des  personnes 
qui  criaient  Five  la  Charte!  justifia 
ceraouvementmiiitaire,  et  signala 
à  la  chambre,  étonnée  ,  le  cri  de 
FivelaCliarte!  parti  des  groupes, 
comme  séditieux.  M.  de  Mont- 
calm n'a  été  étranger  à  aucun  des 
nombreux  projets  de  loi  qui  ont 
marqué  les  différentes  sessions , 
jusqu'à  sa  sortie  de  la  chambre 
en  1822  ,  par  suite  du  renouvel- 
lement de  la  1"  série. 

MONTCHENU  (le comte CLAr- 
de-Marie-Henri  de),  maréchal-de- 
camp,  né  en  1757,  entra  an  ser- 
vice, quitta  le  territoire  français 
au  commencement  de  la  révolu- 
lion  ,  et  fit  les  campagnes  de  l'ar- 
mée des  princes.  Il  resta  ignoré 
jusqu'à  la  première  restauration 
en  181  ',  époque  où  il  fut  fait  ma- 
réchal-de-camp. Désigné ,  le  20 
octobre  18 15,  pour  être  l'une  des 
personnes  envoyées ,  conjointe- 
ment avec  les  commissaires  de  la 


MON 


25 


sainte- alliance  ,  à  l'île  Sainte- 
Hélène,  il  partit  pour  sa  destina- 
tion le  1 1  mai  de  l'année  suivante. 
Moins  puissant  et  plus  heureux 
que  sir  Hudson  Lowe,  il  a  rem- 
pli cette  misMon  de  manière  à  ne 
mériter  ni  blâme  ni  élojes.  Quand 
Napoléon  mourut,  il  était  le  seul 
représentant  d'une  puissance  eu- 
ropéenne qui  résidât  en  cette  île, 
où  de  fait  il  avait  l'honneur  de  re- 
présenter à  lui  seul  toute  la  sain- 
te-alliance, ses  collègues  lui  ayant 
successivement  rerais  leurs  pou- 
voirs en  partant  pour  l'Europe. 

MONTCHOISY  (Lons-AMOi- 
NE,  BARo>"  de),  général  de  division, 
commandant  de  la  légion -d'hon- 
neur, était  major  de  chasseurs  a- 
vant  la  révolution,  dont  il  adopta 
les  principes.  Il  fit  avec  distinc- 
tion, sous  les  ordres  de  Dumou- 
riez,  la  campagne  de  1792  à  1793, 
pendant  laquelle  il  obtint  le  com- 
mandement d'une  brigade.  Quoi- 
que étranger  à  la  défection  de  son 
général,  il  fut  disgracié  jusqu'a- 
près la  chute  de  Robespierre.  M. 
de  Montchoisy  devint  alors  com- 
mandant de  la  ville  de  Lyon. 
Frappé  d'une  seconde  disgrâce, 
au  uiois  de  septembre  1797,  il  é- 
tait  encore  sans  emploi  lors  de  la 
révolution  du  j8  brumaire  an  8. 
Nommé  commandant  des  troupes 
que  la  république  entretenait  en 
Suisse,  il  fut  rappelé  en  1801, 
pour  avoir  coopéré  dans  ce  pays 
à  la  révolution  Reding.  Privé  mo- 
mentanément de  son  grade,  il  ac- 
cepta de  l'emploi  comme  inspec- 
teur aux  revues,  et  obtint,  en  :8o3, 
sa  réintégration,  avec  le  comman- 
dement de  la  18*  division  militai- 
re, qu'il  quitta  en  juin  i8o5  pour 
celui  de  la  ville  de  Gènes.  Les  é- 


un 


MON 


vénemens  de  18 14»  en  ibrpanl  les 
troupes  l'rançaises  à  évacuer  cette 
place,  ont  ramené  M.  de  Mout- 
cboisy  dans  sa  patrie. 

MÔiNTÈGRE  (  Antoine-Fraîî- 
çois-Jemn  de),  médecin,  l'un  d»;s 
fondateursde  la  société  pour  l'en- 
seignement élémentaire,  naquit  à 
Belley,  département  de  l'Ain,  le 
6  mai  1779.  Jeune  encore  lorsque 
la  révolution  éclata,  il  embrassa, 
au  sortir  du  collège,  la  profession 
des  armes,  et  après  quelques  an- 
nées de  service,  il  vint  à  Paris,  où 
il  étudia  la  médecine.  Reçu  doc- 
teur, mais  sans  clientelle  à  cause 
de  sa  jeunesse  et  de  son  peu  d'ex- 
périence dans  la  science  médica- 
le ,  il  accepta  une  place  d'ingé- 
nieur du  cadastre.  De  retour  à 
Paris,  quelque  temps  après,  il  se 
maria  et  s'occupa  exclusivement 
de  la  médecine.  Bon  praticien ,  il 
fut  bientôt  connu.  La  Gazette  de 
Santé,  dont  il  devint  rédacteur, 
en  18 in,  reçut  sous  sa  direction 
un  éclat  qu'elle  n'avait  point  en- 
core obtenu.  Montègre  a  lu  :\  l'a- 
cadémie des  sciences  des  Mémoi- 
res qui  ont  fixé  son  attention.  Les 
plus  remarquables  sont  :  sur  la  di- 
gestion ,  sur  le  vomissemeiit ,  sur 
les  habitudes  des  lombrics  ou  vers 
de  terre,  sur  Vart  du  ventriloque, 
enfin ,  contre  le  magnétisme  ani- 
mal. Il  a  fourni  au  Dictionnaire 
des  Sciences  médicales,  des  articles 
remarquables,  entre  autres  un  sur 
les  hémorroïdes.  Cet  article,  de- 
venu depuis  un  ouvrage  impor- 
tant, a  été  publié  par  la  veuve  de 
Montègre  en  1819,  Paris,  in-8° , 
sous  ce  titre  :  Des  Hémorroïdes, ou 
Traité  analytique  de  toutes  les  af- 
fections hémorroidales.  Outre  ces 
travaux  il  a  publié  :  1"  Du  Magnc- 


MON 

tisme  animal  et  de  ses  partisans, 
ou  Recueil  de  pièces  importantes 
sur  cet  objet,  précédé  des  Obser- 
vations récemment  publiées,  1812, 
in-S";  2"  Expériences  sur  la  di- 
gestion dans  l' homme,  présentées  à 
la  première  classe  de  l'Institut  de 
France,  le  8  septembre  1812,  Pa- 
ris, 1814  j  in-é";  "b"  Examen  ra- 
pide du  gouvernement  des  Bour- 
bons en  France,  depuis  le  mois  d^n- 
vril  1814  jusqu'au  mois  de  mars 
181  5,  Paris,  i8i5,  in-8^  Montè- 
gre fut,  en  18 14?  l'un  des  fondateurs 
de  la  société  pour  l'enseignement 
élémentaire.  Cet  estimable  savant 
conçut  dans  le  sein  même  de  la 
société  qui  le  regardait  comme  nu 
de  ses  membres  les  plus  distin- 
gués, le  désir  généreux  de  porter 
chez  les  Haïtiens  l'utile  institution 
dont  la  France  populaire  com- 
mençait à  sentir  les  bienfaits;  il 
proposait  aussi  d'étudier  sur  les 
lieux  mêmes  les  véritables  carac- 
tères de  la  fièvre  jaune,  et  par  de 
nombreuses  expériences  ,  d'en 
combattre  les  ravages.  Il  partit 
pour  cette  destination  dans  l'été 
de  1818.  Arrivé  au  port  de  Jac- 
quemel  au  mois  d'août ,  il  y  trou- 
va le  président  de  la  république 
d'Haïti,  qui  l'accueillit  de  la  ma- 
nière la  plus  distinguée.  Fortement 
encouragé  dans  son  entreprise , 
Montègre  se  rendit  au  Port-au- 
Prince  ,  où  le  président  devait 
bientôt  le  rejoindre,  lorsque  tra- 
versant une  rivière,  une  femme 
entraînée  par  le  courant  allait  pé- 
rir. Le  médecin  français  ne  con- 
sultant que  son  humanité,  se  jette 
à  l'eau  quoiqu'il  fût  trempé  do 
sueur,  et  sauve  la  victime;  mais 
cet  événement  développe  en  lui  la 
fièvre  meurtrière,  et  en  moins  de 


MON 

4juatre  jours,  le  4  septembre  i8i8, 
il  avait  cessé  d'exister.  Le  prési- 
dent de  la  république  de  Haïti  fit 
élever  un  monument  sur  sa  tombe. 
31.  Colombel  a  publié,  dans  VJ- 
beUle  d'Haïti,  en  1818,  l'Éloge  de 
Monlégre.  A  Paris,  M.M.  Jomard, 
Virey,  de  Jussieu  et  plusieurs  au- 
tres de  ses  amis,  ont  honoré  sa 
mémoire  des  plus  justes  regrets. 
MONTEGLT  (  jEAN-FBA^içois 
de),  naquit  à  Toulouse  en  1 700,  de 
Bernard  de  Montegut,  président 
des  trésoreries  de  France,  et  de 
Jeanne  de  Sègla,  femme  illustre 
par  ses  talens  aimables,  et  qui  oc- 
cupe un  rang  distingué  sur  le  Par- 
nasse des  dames  françaises;  ce  fut 
elle  qui  soigna  l'éducation  de  son 
fils.  Envoyé  jeune  à  Pari?  ,  en 
1^47»  Montegut  se  lia  avec  tons 
les  hommes  célèbres  de  cette  é- 
poque,  et  Voltaire  fut  du  nombre. 
Ce  grand  homme  aimait  Monte- 
gut;  il  lui  fit  don  de  ses  œuvres, 
les  accompagnant  d'une  de  ces 
lettres  flatteuses  par  lesquelles  il 
savait  si  bien  encourager  les  jeunes 
littérateurs  qui  annonçaient  d'heu- 
reuses dispositions.  Caylus  ins- 
pira également  à  Monlegut  son  a- 
mour  pour  l'archéologie.  Rappelé 
à  Toulouse,  il  entra  au  parlement 
de  cette  ville ,  en  qualité  de  con- 
seiller, ayant  à  peine  vingt  ans. 
L'académie  des  Jeux-Floraux,  cel- 
le des  sciences,  inscriptions  et  bel- 
les-lettres de  Toulouse,  lui  ouvri- 
rent leurs  portes,  et  ce  ne  fut  ni  à 
son  nom  ni  à  sa  robe  qu'il  du*  ces 
honneurs.  On  n'eut  égard  qu'à  ses 
travaux  et  à  ses  titres  littéraires; 
on  a  depuis  changé  de  coutume. 
Montcgut  lutta  avec  fermeté  dans 
l'intérêt  du  peuple  contre  les  cour- 
tisans de  la  cour  de  Louis  XV.  On 


510N  «7 

conserve  encore  dans  sa  ville  na- 
tale le  souvenir  des  pbilipjiiques 
éloquentes  qu'il  prononça  à  diver- 
ses époques  contre  d'ineptes  et 
coupables  mini-tres.  La  révolution 
ne  l'épargna  pas  cependant  :  vai- 
nement avait-il  toujours  cherché 
à  soutenir  les  intérêts  de  la  nation, 
il  dut  fuir  pour  sauver  sa  tête,  et 
passa  en  Espagne,  où  il  essaya  de 
se  distraire  en  se  livrant  plus  que 
jamais  à  ses  paisibles  occupations. 
Il  classa  les  médailles  de  la  société 
des  arts  de  Biscaye,  et  entretint 
une  active  correspondance  avec  les 
savans  de  la  péninsule.  Il  eût  pu 
trouver  parmi  eux  le  repos;  mais 
il  était  exilé.  Louis  XVI  ayant  a- 
dopté  la  constitution  (en  1791)  y 
cet  heureux  événement  fut  signa- 
lé par  une  amnistie.  Monlegut  en 
profita  et  rentra  en  France.  Mais 
en  1793,  il  fut  arrêté,  conduit  à 
Paris,  avec  son  fils,  magistral 
comme  lui  au  même  parlement,  et 
au  mois  d'avril  1794-  condamné  i\ 
mort  par  le  tribunal  révolution- 
naire de  cette  ville.  Sa  profonde 
érudition  se  fait  remarquer  dan« 
ses  ouvrages,  dont  voici  la  liste: 
1'  Œiitres  de  M"*  de  Montcgut^ 
2  vol.  in- «2.  Dans  le  second  tome 
il  a  placé  la  traduction  qu'il  fit 
d'une  partie  des  Odes  d'Horace  et 
des  Idylles  de  Théocrite.  2°  Re- 
cherches sur  les  antiquités  de  Tou- 
louse, in-4°;  3°  Essai  historique 
sar  la  famille  de  l'empereur  Valé^ 
rius  ;  4'  Conjectures  sur  quelques 
fragmens  d'inscriptions  romaines 
découvertes  à  Toulouse  vers  la  fin 
de  l'année  1 782  ;  5"  Mémoires  sur 
un  tombeau  qui  était  dans  l'ancien- 
ne église  de  la  Daurade  et  sur  une 
épitaphe  gravée  sur  un  marbre  at- 
taché  au  mur  de  cette  église;  G* 


ti8 


MON 


Observalions  sarcles  vases  antiques 
trouvés  à  Laabiac  au  mois  de  mai 
1785;  7"  Antiquités  décomiertes  à 
Toulouse  pendant  le  cours  des  an- 
nées 1785,  1784,  178;");  8"  Obser- 
vations sur  une  médaille  grecque, 
de  Caius  Vihius  Sabinianus  Gai- 
las;  9"  Histoire  des  Césars^  desti- 
née à  mettre  principalement  en  or- 
dre les  médailles  imprimées  en  Es- 
pagne; 10°  Antiquités  de  la  ville. 
d'Aucfi;  11°  Observations  sur  des 
ruines  de  bains  antiques  près 
d^Auchet  deRoquclaure;  ii'Con- 
jectures  sur  une  monnaie  Bructeale 
découverte  à  Toulouse;  1  "5' Antiqui- 
tés découvertes  à  Toulouse  pendant 
les  années  1786,  1787,  1788,  1789 
et  1 790  ;  1 4°  Essai  sur  les  médail- 
les espagnoles  chargées  de  caractè- 
res inconnus;  i5°  Mémoire  sur  un 
tombeau  trouvé  près  de  Castelnau- 
dary  ;  i6'  Explication  d'un  bas- 
relief  en  verre  antique;  17"  Mé- 
moires sur  la  colonne  dite  de  Pom- 
pée ;  18°  Mémoires  critiques  sur 
l'église  de  la  Daurade;  it)°  Répon- 
se au  Mémoire  de  l'abbé  Magy^  sur 
l'éslise  de  la  Daurade.  Ces  hnil 
derniers  ouvra^çes  sont  inaniiscrits 
dans  les  archives  de  l'académie 
des  sciences  de  Toulouse.  Enfin, 
Monteguta  encore  donné  plusieurs 
/i7o5'^*etPo(;me5imprimésdansles 
recueils  des  Jeux-Floraux,  et  une 
traduction  des  Psaumes  de  David. 
MONTEGUT(N.),  inembre  de 
la  convention  nationale,  fut  nom- 
mé à  cette  assemblée  au  mois  de 
septembre  1  792  ,  par  le  départe- 
ment des  Pyrénées -Orientales. 
Dans  le  procès  du  roi ,  il  vota  a- 
vec  la  majorité.  Il  passa  ensuite 
au  conseil  des  cinq-cents,  où  il  ne 
prit  la  parole  que  pour  faire  re- 
jeter la  nomination  de  Job  Aymé, 


MON 

qu'il  accusa  du  meurtre  des  pa- 
triotes dans  le  Midi.  Rendu  à  la 
vie  privée,  le  20  mai  1797,  il  a 
été  atteint  par  la  loi  du  12  janvier 
1816,  rendue  contre  les  conven- 
tionnels dits  votans.  Il  s'est  retiré 
en  Suisse. 

MON  TESQCIOU-FEZENZAC 
(le  comte  Philippe-André  de),  est 
né,  en  1753,  au  chSleau  de  Mar- 
san, près  Auch,  d'une  famille 
dont  l'origine  remonterait,  sui- 
vant les  généalogistes,  au  berceau 
de  la  monarchie.  Destiné  à  l'état 
militaire  ,  il  entra  de  bonne  heu- 
re dans  le  régimen  t  de  Royal- Vais- 
seau ,  obtint  bientôt  le  grade  de 
capitaine  de  dragons,  qu'il  rem- 
plitdans  le  régiment  de  Lorraine, 
et  fut  nommé,  en  1785,  colonel 
du  régiment  de  Lyonnais.  Sévère, 
mais  juste,  il  sut  se  faire  aimer 
et  respecter  du  soldat.  Au  com- 
mencement de  la  révolution,  lors- 
que la  plupart  des  chefs  quittaient 
leurs  drapeaux,  il  resta  à  la  tête 
de  son  régiment,  et  y  maintint 
la  discipline.  Il  devint,  en  1792, 
maréchal-de-camp.  Une  foule  tie 
Marseillais  à  cette  époque  se  dis- 
posait ,  assure-t-on  ,  à  renouve- 
ler les  scènes  affreuses  de  la  Gla- 
cière. Le  roi ,  qui  connaissait  la 
fermeté  du  comte  de  Montesquioii- 
Fezenzac,  l'envoya  contre  eux, 
et  ils  furent  forcés  de  se  retirer. 
La  même  année,  il  reçut  l'ordre 
départir  pour  Saint-Domingue, 
afin  d'y  commander  la  partie  du 
Sud;  il  remplit  sa  mission,  et 
garantit  la  partie  de  l'île  oC\  il  se 
trouvait,  des  excès  qui  désolaient 
les  autres  parties,  où  tes  commis- 
saires Polverel  et  Sothonax  vou- 
laient faire  exécuter  les  décrets 
de  l'assemblée  constituante.   Gel 


'* 


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cy^  ûrmS'  ae  t  7&/fM^mû/i^ 


'RoinatpieJi  - 


Premti  dfl .efScii/r 


MON 

état  de  choses  ne  dura  que  jus- 
qu'à la  nouvelle  de  la  mort  de 
Louis  XVI.  M.  de  iMontesquiou- 
Fezenzac  quitta  alois  son  com- 
mandement, alléguant  qu'il  ne 
lui  était  plus  permis  de  continuer 
de  servir.  Les  commissaires  le 
firent  arrêter  et  détenir  sur  un 
vaisseau,  décidés  à  l'enyoyer  à  la 
convention  dès  que  la  mer  serait 
libre.  Elle  ne  le  fut  de  long-temps; 
et  l'on  lit  à  plusieurs  reprises  des 
offres  au  prisonnier  de  le  remet- 
tre à  terre  s'il  voulait  commander 
de  nouveau  :  il  se  refusa  à  toutes 
les  propositions  ,  et  passa  une  an- 
née en  prison;  la  liberté  ne  lui  fut 
rendue  qu'après  le  9  thermidor  an 
2.  Il  partit  alors  pour  les  Etats- 
Unis  d'Amérique ,  et  y  vécut  jus- 
qu'à l'époque  du  consulat.  De  re- 
tour en  France ,  il  se  retira  dans 
ses  propriétés,  où  il  resta  jusqu'au 
retour  du  roi,  en  i8i4'  Nommé 
lieutenant  -  général  et  comman- 
dant du  département  du  Gers,  il 
s'abstint  de  remplir  aucune  fonc- 
tion, après  le  retour  de  Napoléon, 
en  181 5,  et  présida,  en  septembre 
suivant,  le  collège  électoral  du  dé- 
partement où  il  commandaitdepuis 
i8i4-  Le  comte  de  Montesquiou- 
Fezenzac  a  cessé  d'être  porté  sur 
les  cadres  de  l'armée. 

MONTESQUIOL-FEZENZAC 
{  l'abbé  Frasçois-  Xavier-  Marie- 
Antoine  DE  )  ,  ancien  ministre  du 
roi,  duc  et  pair  de  France,  né  en 
1^57.  au  château  de  Marsan,  est 
le  frère  du  précédent.  Il  embras- 
sa de  bonne  heure  l'état  ecclésias- 
tique, y  acquit  beaucoup  de  con- 
sidération, et  devint  agent  géné- 
ral du  clergé.  Ces  fonctions,  qu'il 
remplitdepuis  1785  jusqu'à  l'épo- 
que de  la  révolution,  firent  renmr- 


MON 


«9 


quer  en  lui  des  talens  distingués. 
Nommé,  en  1789,  député  aux  é- 
tats-généraux  par  le  clergé  de  Pa- 
ris ,  malgré  son  dévouement  aux 
deux  premiers  ordres ,  ce  fut  a- 
vec  une  grande  modération  qu'il 
en  défendit  les  privilèges;  comme 
il  ne  voulait  employer  que  des 
moyens  de  persuasion  en  se  ren- 
fermant dans  les  bornes  d'uns 
discussion  modérée,  il  resta  ,  en 
quoique  sorte,  étranger  aux  dé- 
bats qui  trop  souvent  agitèrent 
l'assemblée  constituante.  Cette 
modération  lui  fit  un  grand  nom- 
bre de  partisans  dans  l'un  et  l'au- 
tre côté  de  l'assemblée,  et  le  cé- 
lèbre Mirabeau,  qui  redoutait  l'em- 
pire d'une  éloquence  douce  et 
persuasive,  s'écria  un  jour  de  sa 
place,  lorsque  l'abbé  de  Montes- 
quiou  était  à  la  tribune  :  «  Méfiez- 
i>  vous  de  ce  petit  serpent,  il  vous 
«séduira.  ^) Nommé  deux  fois  pré- 
sident de  l'assemblée  nationale , 
le  5  janvier  1790,  et  le  28  février 
de  la  même  année,  il  en  remplit 
les  fonctions  avec  autant  d'im- 
partialité que  d'habileté,  et  mérita 
des  remerciemens  qui  furent  vo- 
tés à  l'unanimité,  honneur  que 
n'obtint  aucun  des  membres  du 
clergé  ou  de  la  noblesse  qui  pro- 
fessaient les  mêmes  principes. 
Bien  qu'il  eût  refusé  avec  la  mi- 
norité de  la  chambre  du  clergé, 
de  ^e.  réunir  à  l'assemblée  natio- 
nale, jusqu'au  moment  où  le  roi 
en  donna  l'ordre  positif,  il  avait 
déclaré  :  <  que  son  ordre  regardait, 
»non  comme  un  sacrifice,  mais 
0  comme  un  acte  de  justice,  l'abaa- 
«don  de  ses  privilèges  pécuniai- 
»  res.  »  Lors  de  la  discussion  sar 
l'aliénation  des  biens  du  clergé, 
il  s'efforça  d'établir  la  validité  des 


3o 


MON 


titres  que  dix  siècles  semblaient 
gamntir  à  cet  ordre,  et  s'op- 
posa fortement  à  la  proposition 
de  vendre  d'abord  pour  4oo  mil- 
lions de  biens  ecclésiastiques,  pré- 
textant qu'il  fallait  au  moins  ré- 
p:ler  les  dépenses  de  l'église  avant 
de  procéder  à  cette  opération.  II 
combattit  également ,  mais  sans 
succès ,  la  proposition  de  créer 
des  assignats,  prévoyant  bien  que 
c'était  un  moyen  sûr  de  faire  pas- 
ser les  biens  du  clergé  dans  les 
mains  des  séculiers.  Malgré  cette 
opposition,  la  confiance  qu'inspi- 
rait sa  probité  ne  laissait  aucun 
doute  sur  sa  soumission  aux  lois, 
du  moment  qu'elles  étaient  ren- 
dues; dès  que  celles-ci  le  furent, 
on  le  nomma  l'un  des  douze  com- 
missaires chargés  de  procéder  à 
rexécution  de  la  première.  La 
chambre  des  vacations  de  l'ancien 
parlement  de  Bretagne,  mandée 
par  un  décret  à  la  barre  de  l'as- 
semblée ,  y  parut ,  ayant  à  sa  tê- 
te son  président,  M.  de  la  Hous- 
saye.  L'abbé  de  Montesquiou , 
qui  présidait  alors  l'assemblée  na- 
tionale, adressa  au  magistrat  bre- 
ton ces  paroles  remarquables  ■ 
«L'assemblée  nationale  a  ordonné 
«à  tous  les  tribunaux  du  royaume 
ode  transcrire  sur  leurs  registres, 
»sans  retard  et  sans  remontrances, 
«toutes  les  lois  qui  leur  seraient 
«adressées;  cependant  vous  avez 
»  refusé  l'enregistrement  du  dé- 
«cret  qui  prolonge  les  vacances 
«de  votre  parlement.  L'assemblée 
>»nationaleétonnéedece  refus, vous 
»a  mandés  pour  en  savoir  les  mo- 
»  tifs.  Comment  les  lois  se  Irou- 
»  vent- elles  arrêtées?  Gonnnenl 
«des  magistrats  ont-ils  pu  jamais 
•  cesser  de  donner  l'exemple  de  l'o- 


MOiN 

«béissance?  Parlez  :  l'assemblée 
»  nationale,  juste  dans  les  moindre» 
•  détails  comme  sur  les  grands  ob- 
»jet5,  veut  vous  entendre;  et  si  la 
»  présence  du  corps /e>is/a/^ttr  vous 
«rappelle  l'inflexibilité  de  ses 
»  principes,  n'oubliez  pas  que  vous 
«paraissez  aussi  devant  les  pères 
»de  la  patrie,  toujours  heureux 
»de  pouvoir  excuser  ses  enfans.  » 
Ce  discours  plein  de  dignité  fut 
entendu  avec  recueillement,  et 
lorsque  M.  de  la  Houssaye  eut  es- 
sayé de  justifier  la  conduite  du 
corps  dont  il  était  l'organe,  le 
président  de  l'assemblée  lui  dit 
qu'il  pouvait  se  retirer.  Les  hom- 
mes dont  l'abbé  de  Montesquiou 
partageait  les  principes,trouvèreiit 
qu'il  avait  montré  beaucoup  de 
sévérité  dans  cette  circonstance, 
mais  ils  n'osèrent  l'en  blâmer. 
Lorsqu'on  mit  en  discussion  la  sup- 
pression des  monastères,  il  sou- 
tint, contre  l'avis  d'un  assez  grand 
nombre  de  députés  ,  que  l'assem- 
blée n'avait  pas  le  droitde  dispen- 
ser les  religieux  de  leurs  vœux. 
Néanmoins  on  rapporte,  d'après 
les  mémoires  du  temps,  que,  dans 
une  assemblée  particulière  d'évC- 
ques  et  de  députés  ecclésiastiques, 
où  l'on  délibéra  sur  la  prestation 
du  serment  d'obéissance  àla  cons- 
titution civile  du  clergé,  il  se  pro- 
uoufa  pour  l'affirmative;  mais  la 
majorité,  entraînée  par  M.  de 
lionald,  évêque  de  Clermont,  en 
décida  autrement.  Alors  M.  de 
Montesquiou  réunit  son  opinion 
à  celle  de  ses  autres  collègues. 
C'est  ce  motif,  sans  doute,  qui 
lui  fit  désirer  que  le  pape  accor- 
dât sa  sanction  à  cette  loi  ;  et  dans 
la  séance  du  27  novembre  1790, 
il  proposa  que  le  roi  fût  prié  d'en 


M  os 

foire  la  demande  au  souverain 
pontife. Cette  proposition  fut  reje- 
tée, après  une  discussion  des  plus 
orageuses.  Lorsqu'on  agita  la  ques- 
tion du  droit  de  faire  la  guerre  et  la 
paix,  M.  de  Montesquiou  soutint 
que  le  roi  devait  seul  jouir  de  cet- 
te prérogative  :  il  consentit  néan- 
moins à  ce  que  l'assemblée  na- 
tionale conservât  le  droit  de  ratifi- 
cation. Après  avoir  voté  avec  le 
côté  droit  dans  toutes  les  occa- 
t-ions  importantes,  il  signa  la  pro- 
testation du  12 septembre  irQi,et 
par  cette  détermination,  cessa  d'ê- 
tre bien  avec  un  assez  grand  nom- 
bre de  membres  du  côté  opposé. 
Pendant  le  cours  de  la  session  lé- 
gislative, il  demeura  à  Paris,  se 
présenta  souvent  à  la  cour,  et 
obtint  du  roi  et  de  la  reine  des 
marques  distinguées  de  bienveil- 
lance. A  la  suite  des  événemens 
du  10  août,  qui  ne  l'atteignirent 
pas,  il  se  retira  en  Angleterre,  et 
ne  rentra  en  France  qu'après  la 
révolution  du  9  thermidor  an  2. 
Sous  le  directoire- exécutif ,  et 
sous  le  consulat, M.  l'abbé  de  Mon- 
tesquiou ne  cessa  point  de  s'oc- 
cuper des  intérêts  de  la  famille 
royale;  on  assure  même  qu'il  pré- 
senta au  premier  consul  Bonapar- 
te,de  la  part  du  frère  de  Louis  XVI 
(S.  31.  Louis  XVIII)  ,  une  lettre 
qui  est  devenue  célèbre,  et  que  le 
chef  du  gouvernement  lui  remit  sa 
réponse  sans  lui  témoigner  aucun 
mécontentement  de  la  mission 
dont  il  s'était  chargé.  Cependant 
la  politique  conseilla  au  premier 
consul  d'éloigner  de  Paris  M. 
l'abbé  de  Montesquieu,  qui  reçut 
l'ordre  de  se  rendre  à  Menton,  dé- 
partement des  Alpes -Maritime*, 
liientôt  après,  informé  que  cet  ho- 


MO.^ 


3i 


norable  exilé  ne  trouverait  aucun 
moyen  d'existence  dans  ce  lieu,  il 
le  laissa  tranquille  à  Paris.  Nommé, 
au  commencement  d'avril  1814. 
membre  du  gouvernement  pro- 
visoire, M.  l'abbé  de  Montesquiou 
fut,  après  le  retour  du  roi,  l'ua 
des  commissaires  choisis  par  S. 
M.  pour  travailler  à  la  rédaction 
de  la  charte,  dont  on  lui  attribue 
la  plus  grande  partie.  Dans  le  mois 
de  juillet  suivant ,  le  roi  confia  à 
M.  de  Montesquiou  le  portefeuile 
de  l'intérieur.  La  modération 
qu'il  avait  précédemment  montrée 
ne  se  démentit  point  dans  ses 
nouvelles  fonctions  ;  néanmoins 
le  plan  de  conduite  qu'il  adopta 
n'obtint  pas  l'approbation  géné- 
rale. Les  royalistes  lui  reprochè- 
rent la  préférence  que,  selon  eux, 
il  accordait  aux  hommes  de  la  ré- 
volution, relativement  à  l'occu- 
pation des  places.  Ces  reproches 
réitérés  engagèrent  le  ministre  à 
déclarer  :  <»  que  le  roi  ne  connais- 
»sait  point  de  révolutionnaires; 
«qu'il  ne  venait  pas  pour  punir  la 
«révolution,  mais  pour  la  faire 
«oublier.  »  Les  motifs  qui  le  diri- 
gèrent furent  toujours  les  vérita- 
bles intérêts  du  roi  ;  mais  peut- 
être  que  parmi  les  hommes  aux- 
quels il  accorda  sa  confiance,  tous 
n'en  furent  pas  également  di- 
gnes; c'est  du  moins  ce  que  le» 
événemens  de  181  5  autorisent  A 
croire.  M,  de  Montesquiou  ne 
suivit  point  le  roi  à  Gand  pendant 
les  cent  Jours,  mais  il  se  retira 
en  Angleterre.  Rentré  en  France 
après  la  seconde  restauration  , 
il  refusa  ,  malgré  la  médiocri- 
té de  sa  fortune,  l'indemnité  de 
100,000  francs,  accordée  aux  mi- 
nistres par  la  munificence  roya- 


53  MON 

le.  Il  fut  élevé  à  la  dignité  de 
pair,  et  conserva  le  titre  de  uii- 
iiistre-d'état.  On  attribue  à  M. 
de  Montesquiou  VA  dresse  aux  pro- 
vinces, ou  Examen  des  opérations  de 
L' assemblée  yiationale^  ï/QOt  in-8°. 
Il  a  été  nommé,  en  1816,  membre 
de  l'académie  française.  C'est  lui 
qui  avait  proposé  de  n'accorder 
qu'aux  écrits  de  trente  feuilles  la 
liberté  de  paraître  sans  être  assu- 
jettis à  la  censure  ;  et  cependant 
il  avait  précédemment  fait  un  bel 
éloge  de  la  liberté  de  la  presse , 
en  disant  (voyez  son  rap[)ort  à 
la  chambre  des  députés  le  5  juil- 
let 1814)  :«  que  le  roi  n'en  avait 
»  pas  moins  besoin  que  ses  sujets , 
«cette  liberté  étant  le  moyen  le 
«plus  sûr  de  faire  arriver  la  vé- 
«rité  jusqu'au  trône.  » 

MONlESQUiOU-FEZENZAC 
(le  vicomte  Raymond-Aimeri-Phi- 
LippE-JosEPH  de)  ,  maréchal-de- 
camp  ,  aide -major  de  la  garde 
royale,  chevalier  de  Saint-Louis, 
commandeur  de  la  légion -d'hon- 
neur, etc.,  neveu  du  précédent  et 
fils  du  comte  Philippe  André,  est 
né  à  Paris  en  1784.  Il  montra  dès 
sa  jeunesse  un  goût  décidé  pour  la 
profession  des  armes,  mais  sa  fa- 
mille se  montra  peu  empressée  à 
le  seconder.  Rien  néanmoins  ne 
put  empêcher  la  détermination 
((u'il  prit,  de  ne  devoir  sa  fortune 
militaire  qu'à  son  épée,  et  il  s'en- 
rôla, comme  sitiiple  soldat,  dans 
le  5°"  régiment  de  ligne,  en  i8o4- 
Il  fit,  l'année  suivante,  sa  premiè- 
re campagne  contre  l'iV^triche,  et 
la  seconde  contre  les  Prussiens, 
en  1806.  Alors  attaché,  en  qualité 
de  lieutenant,  à  l'état-major  du 
njaréchal  Ney,  il  accompagna  son 
chef  en  Espagne,   en    1807,    s'y 


*  MON 

distingua  en  plusieurs  occasions, 
et  revint  faire  la  campagne  d'Au- 
triche, en  1809.  Ce  fut  en  qualité 
de  capitaine  et  aide -de -camp  du 
prince  de  Neufchâtel  [voyez  Ber- 
thier),  qu'il  se  trouva  à  la  bataille 
de  Wagram.  Chef  d'escadron  en 
i8i2,  il  partit  pour  l'expédition 
de  Russie,  et  fut,  après  la  bataille 
de  la  Moskwa,  nommé  colonel  du 
4""*  régiment  de  ligne.  Sa  condui- 
te, pendant  la  retraite  de  Moscow, 
lui  fit  le  plus  grand  honneur,  et  le 
4  mars  i8i3  il  obtint  le  grade  de 
général  de  brigade.  Il  se  trouvait 
à  Dresde  lorsque  cette  ville  tomba 
au  pouvoir  des  alliés,  et  fut  fait 
prisonnier  avec  la  garnison.  Ren- 
tré en  France  après  le  premier 
retour  du  roi,  le  vicomte  de  Mon- 
tesquiou  continua  d'être  emplo3'^é 
dans  son  grade.  Il  ne  prit  point 
de  service  pendant  les  cent  jours, 
en  181 5,  et  fut,  après  le  second 
retour  du  roi,  nommé  aide-major- 
général  de  la  garde  royale.  Une 
ordonnance  royale  du  12  septeni- 
bre  1817  lui  a  transuus  l'hérédité 
de  la  pairie,  accordée  à  M.  l'abbé 
duc  de  Montesquiou ,  son  oncle. 
Le  vicomte  de  Montesquiou,  qui 
a  épousé  M"°  Clarke,  fille  du  duc 
de  Feltre,  occupait  encore  les  mê- 
mes emplois  en  1824- 

MONTESQUIOL-FEZENZAG 
(Anne -Pierre  MARQUIS  de)  lieute- 
nant-général, ancien  membre  de 
l'académie  française  et  député  aux 
états-généraux,  naquit  à  Paris  en 
1  741.  De  la  même  famille  que  M. 
l'abbé  de  Montesquiou,  mais  d'u- 
ne autre  branche,  il  fut  élevé  a- 
vecles  enfans  de  France,  dont  son 
caractère  aimable  et  la  facilité  de 
son  esprit  lui  méritèrent  la  bien- 
veillance. Soi\  goût  pour  les  Ici- 


MON 

1res  l'aUacha  plus  paiticulière- 
jiient  à  Monsieur  [  aujourd'hui  S. 
M.  Louis  XVlII),'et  dès  1771,  il 
lut  nommé  premier  écuyer  de  ce 
prince.  Destiné  de  bonne  heure  à 
l'état  militaire,  il  obtint  en  1780  le 
grade  de  raaréchal-de-camp ,  et 
devint  en  1783  chevalier  des  or- 
dres du  roi.  En  1784  l'académie 
française  l'admit  au  nombre  de  ses 
membres,  pour  y  remplacer  iM.de 
Coetlosquet,  évêque  de  Limoges, 
qui  venait  de  mourir.  Nommé  en 
1789  député,  par  la  noblesse  de 
Paris,  aux  états- généraux,  il  fut 
du  nombre  des  quarante  membres 
de  la  minorité  de  cet  ordre  qui  se 
réunirent  les  premiers  au  tiers-é- 
tat. Les  matières  de  finances  l'occu- 
pèrent plus  spécialement  pendant 
la  session,  et  les  connaissances  qu'il 
montra  dans  cette  partie,  étonnè- 
rent tous  ses  collègues.  Rappor- 
teur de  la  commission  nommée 
pour  déterminer  le  mode  de  fabri- 
cation des  assignats ,  il  montra 
beaucoup  de  sagesse  dans  les 
moyens  qu'il  proposa  pour  en  pré- 
venir le  discrédit.  Après  le  voyage 
de  Varennes,  Monsieur,  qui  avait 
quitté  la  France,  fit  demander  au 
marquis  de  iMontesquiou  sa  démis- 
sion de  l'emploi  de  son  premier  é- 
ci^yer.  Chaigé,  à  la  fin  de  la  ses- 
sion, du  commandement  de  l'ar- 
mée du  Midi,  il  se  rendit  à  Avi- 
gnon, que  des  troubles  récens  ve- 
naient d'ensanglanter,  et  prit  des 
mesures  propres  à  en  prévenir  le 
retour.  Cependant  il  devint  l'ob- 
jet des  dénonciations  les  plus  vio- 
lentes, m  lis,  au  lieu  d'y  répondre, 
il  s'occupa  avec  succès  des  moyens 
de  mettre  celle  contrée  à  l'abri 
de  l'invasion  étrangère  ;  et  pre- 
nant lui-même  l'ollensive ,  il  en- 
T.  xir. 


MON  55 

tra,  sans  presque  rencontrer  d'obs- 
tacles, en  Savoie,  le 22  septembre 
1792.  Le  paj's  entier  ne  tarda  pas 
à  être  soumis,  et  cette  conquête 
ne  coûta  point  de  sang.  Pendant 
qu'il  triomphait,  la  convention  na- 
tionale, influencée  par  ses  enne- 
mis ,  avait  rendu  un  décret  qui  le 
destituait  de  ses  fonctions  de  gé- 
néral, mais  ses  succès  en  firent  sus- 
pendre l'exécution;  et  plus  lard, 
malgré  les  efforts  de  ceux  qui  ne 
lui  pardonnaient  pas  d'avoir  cher- 
ché à  prévenir  les  événemens  du 
10  août,  en  rattachant  les  Giron- 
dins à  la  cause  du  trône,  ce  décret 
fut  entièrement  rapporté.  Des 
hommes  exagérés  avaient  juré  sa 
perte  :  le  9  novembre  suivant,  en 
l'accusant  d'avoir  compromis  la 
dignité  de  la  république  dans  une 
négociation  avec  les  magistrats  de 
Genève,  relative  à  l'éloignement 
des  troupes  suisses,  ils  obtinrent 
contre  lui  un  décret  d'accusation. 
Instruit  à  temps,  il  se  retira  en  Suis- 
se, dans  la  petite  ville  de  Bremgar- 
len,  canton  de  Zurich,  où  il  demeu- 
ra jusqu'après  la  révolution  du  g 
thermidor  an  2.  En  1795,  il  fit  par- 
venir à  la  convention  un  mémoire 
justificatif  de  sa  conduite,  et  dans 
le  cas  où,  malgré  ce  mémoire,  des 
doutes  subsisteraient  encore,  il  de- 
mandait des  juges.  Cette  assuran- 
ce produisit  l'effet  qu'il  en  atten- 
dait :  son  nom  fut  immédiatement 
rayé  de  la  liste  des  émigrés.  Il  re- 
vint à  Paris,  où  il  mourut  trois  an- 
nées après,  le  5o  décembre  1798. 
Outre  plusieurs 'iî<7/;^orf5  et  Aïé- 
moires  sur  les  finances  du  royau- 
me, le  marquis  de  iMontesqùiou  a 
pnhUt:i"MémoirejustificatifUyg5j 
'n\L\'';i°  D  u  gouvernement  (les  finan- 
ces de  France, d'après  les  loiscon^- 
i 


34 


MON 


îif.ultonnellcs,et  (Vaprès  le  principe 
d' an  gouvernement  libre  et  repré- 
sentatif,  ^797»  in-S"  ;  3°  Coup- 
trœil  sur  la  révolution  française , 
in-S".  On  a  aussi  de  lui  une  coxnh.- 
dieintilulée:£/m7iV,o«/e5./(^«ear*, 
et  plusieurs  pièces  de  vers  très-a- 
gréables qui  se  retrouvent  dans  la 
Correspondance  de  La  Harpe  et 
dans  les  Mémoires  de  Grimm.  Le 
marquis  de  3Jontesquiou  a  aussi 
iburni  des  Articles  au  Journal  de 
Paris. 

MONTESQUIOU-FEZENZAG 
(  Elisabeth  -  Pierre  ,  comte  de  )  , 
commandeur  de  la  légion -d'hon- 
neur et  chevalier  de  Saint-Louis, 
né  à  Paris  en  1764»  est  le  fils  aîné 
d'Anne-Pierre,  marquis  de  Mon- 
tesquiou.  Il  entra  fort  jeune,  en 
qualité  de  sous-lieutenant,  au  ré- 
giment Dauphin-dragons. En  1779 
il  obtint  la  survivance  de  la  char- 
ge de  premier  écuyer  de  Monsieur 
(aujourd'hui  Louis  XVIII),  oc- 
cupée par  son  père.  Le  comte  de 
Mnnlesquiou  resta  étranger  aux 
événemcns  de  la 'révolution ,  et 
vécut  dans  la  retraite  jusqu'en 
1804,  époque  où  le  premier  con- 
sul Bonaparte  se  fit  couronner 
empereur.  Alors  il  se  rendit  à  Pa- 
ris, en  qualité  de  président  de  can- 
ton, et,  peu  de  temps  après,  entra 
au  corps-législalil".  Le  16  septem- 
bre 1808  il  fut  nojnmé  président 
de  la  commission  des  finances, et, 
le  12  novembre  suivant,  chargé 
par  cette  même  commission  de 
rendre  compte  de  ses  travaux,  ce 
qu'il  fit  dans  un  rapport  qui  eut 
beaucoup  de  succès.  Il  rempla- 
ça, dans  les  fonctions  de  grande 
chambellan  ,  M.  de  Talleyrand, 
nommé  vice-grand-électeur;  eu 
1809,  il   reçut  la  décoration  de 


MOxV 

grand'croix  de  l'ordre  de  la  cou- 
ronne de  Saxe,  et,  le  4  avril  1810, 
les  grandes  croix  des  ordres  de 
Saint- Léopold  d'Autriche  et  de 
Saint-Joseph  de  Wurtzbourg.  En 
janvier  i8i  1,  il  présida  le  collège 
électoral  du  département  du  Nord, 
et  fut  élu  par  celui  de  Seine-et- 
Marne,  candidat  au  sénat-conser- 
vateur. Appelé  le  17  juin  à  la  pré- 
sidence du  corps-législatif,  il  en 
remplit  une  seconde  fois  les  fonc- 
tions en  181 3,  et  entra  au  sénat  le 
5  février  de  la  même  année.  Nom- 
mé, au  commencement  de  i8i4» 
aide- major- général  delà  garde 
nationale  parisienne,  il  fut  créé 
pair  de  France  et  chevalier  de 
Saint- Louis  après  le  premier  re- 
tour du  roi.  M.  de  Montesquiou 
ayant  repris, pendant  les  fe??^J(?«r5, 
en  181 5,  près  de  Napoléon,  les 
fonctions  qu'il  occupait  précédem- 
ment, a  cessé  d'être  employé  de- 
puis la  seconde  restauration.  Il 
s'était  retiré  dans  l'une  de  ses  pro- 
priétés du  département  de  la  Sar- 
the ,  et  y  vivait  paisiblement  au 
sein  de  sa  famille,  lorsqu'il  a  été 
rappelé,  en  1819,  à  la  chambre 
des  pairs,  dont  il  continue  à  faire 
partie  (1834). 

MONTESQUIOU-FEZENZAC 

(madame  tA  COMTESSE  DE  )  ,  épOUSO 

du  précédent,  fut  nommée  en 
1811,  gouvernante  du  fils  de  Na- 
poléon. Lors  des  événemcns  de 
1814,  elle  suivit  à  Vienne  l'archi- 
duchesse Marie-Louise,  et  demeu- 
ra près  de  cette  princesse  jusqu'au 
mois  d'avril  i8i5.  La  tentative 
faite,  à  ce  qu'on  assure,  pour  en- 
lever le  jeune  prince  confié  à  ses 
soins,  détermina  l'empereur  d'Au- 
triche à  nelaisser  désormais  aucun 
Français  près  de  sa  fille.  Madame 


MON 

la  comtesse  de  Montesquiou  revint 
dans  sa  patrie  avec  son  fils ,  le 
conUe  Anatole  de  Montesquiou  , 
qui  avait  été  la  retrouver  à  Vien- 
ne. Le  comte  Anatole  de  Mostes- 
QtJioc,  ci-devant  aide-de-cauip  de 
Napoléon  ,  et  chargé  par  lui  de 
plusieurs  missions  importantes,  a 
cessé  d'être  employé  par  le  gou- 
vernement depuis  18 1 5.  Il  a  été 
nommé  ,  au  mois  de  décembre 
1823,  chevalier  d'honneur  de  S. 
A.  R.  madame?'la  duchesse  d'Or- 
léans. Le  comte  Alfbed  de  Mon- 
TESQriotT,  frère  du  précédent ,  est 
gendre  du  général  Perron,  qui  s'est 
illustré  dans  l'Inde,  où  il  fut  pre- 
mier ministre  de  Scindiah  et  gé- 
néral en  chef  de  ses  armées. 

MONTES0LIOL-FEZENZAC 
(lE  COMTE  Henri  de),  second  fils 
du  marquis  de  Montesquiou  ,  est 
né  en  i^jGH.  Il  avait  été  nommé 
en  survivance ,  capitaine-colonel 
de  la  compagnie  des  Suisses,  atta- 
chée à  la  garde  ordinaire  de  M.  le 
comte  d'Artois,  avant  1789.  On  ne 
le  voit  figurer  nulle  part  pendant 
les  troubles  de  la  révolution,  mais, 
sous  le  gouvernement  iinpérial,  il 
fut  appelé  au  corps-législatif.  M. 
de  Montesquiou  a  marié  l'une  de 
ses  filles  au  général  Arrighi,  duc 
de  Padoue  [voy.  Abrichi). 

MONTESSON   (CHARr.orrE- 

.IEA.SNE     BÉRArD     DE     LA     HaTE     DE 

Riou,  MARQVisE  de),  née  à  Paris, 
en  1757,  d'une  ancienne  et  illus- 
tre famille  de  Bretagne,  fut  don- 
née en  mariage,  à  l'âge  de  iG  ans, 
au  marquis  de  Montesson,  riche 
gentilhomme  du  Maine,  lieutenant 
général  des  armées  du  roi.  Son 
mari,  déjà  avancé  en  âge,  la  lais:»a 
veuve  de  bonne  heure.  Elle  avait 
perdu,  quelques  années  au[»ara- 


MON  5r> 

vant,  son  frère  unique,  le  marquis 
de  La  Haye  de  Riou,  officier  supé- 
rieur de  la  gendarmerie  de  Fran- 
ce, qui  succomba  glorieusement 
sur  le  champ  de  bataille  de  Min- 
den.  M""*  de  Montesson  joignait  à 
tous  les  avantages  d'une  grande 
fortune  l'esprit  naturel  le  plus 
heureusement  cultivé,  une  figure 
charmante,  des  talens  très-distin- 
gués ,  et  un  caractère  plein  de 
bonté.  Son  excellente  réputation 
et  son  amabilité  l'avaient  de  tout 
temps  fait  rechercher  dans  le  mon- 
de. Le  duc  d'Orléans,  petit-fils  du 
régent,  éprouva  bientôt  pour  elle 
une  passion  aussi  vive  que  dura- 
ble; ce  prince,  qui  jusqu'alors  a- 
vait  été  très-innonstant  dans  ses 
goûts,  resta  fidèle  aux  sentimens 
qu'elle  lui  avait  inspirés,  et  l'es- 
pèce de  culte  qu'il  lui  voua  n'eut 
d'autre  terme  que  celui  de  sa  vie. 
Quoique  veuve,  et  libre  dans  ses 
affections,  elle  opposa  une  longue 
résistance  aux  vœux  du  prince, 
mais  accepta  enfin  l'offre  formelle 
qp.'il  lui  fit  de  sa  main.  L"n  ancien 
édil  de  Louis  XIII  défendait  à 
tout  prélat  du  royaume  de  marier 
aucun  prince  du  sang,  sans  une 
autorisation  écrite  de  la  propre 
main  du  roi.  Louis  XV  accorda 
enfin,  en  1775,3  son  cousin,  la 
permission  de  contracter  ce  ma- 
riage, et  en  écrivit  à  l'archevêque 
de  Paris,  ajoutant  toutefois  qu'il 
désirait  que  cette  union  restât  se- 
crète, autant  que  faire  se  pourrait, 
c'est-à-dire,  aussi  long  -  temps 
qu'aucun  enfant  n'en  serait  le 
fruit.  Le  curé  de  Saint-Eustache, 
dont  M""'  de  Montesson  était  la  pa  - 
roissienne,  autorisé  par  l'archevê- 
que de  Paris,  donna  la  bénédic- 
tion   nuptiale  aux  deux  époux, 


56 


MON 


MON 


dans  la  chapelle  de  cette  dame.     Quand  M""  de  Montesson  s'appro- 


Ln  voile  bien  léger  couvrit  ce 
mariage  ,  qui  ne  resta  ignoré  ni 
à  la  cour  ni  à  la  ville.  M""  de 
Montes?on  continua  à  porter  le 
même  nom;  son  étal  dans  le  mon- 
de rappelait  en  quelque  sorte  ce- 
lui de  M"'*  de  Mainteuon  à  la  cour 
de  Louis  XIV;  mais  elle  sut  mieux 
que  celle-ci  répandre  du  charme 
sur  les  jours  de  son  auguste  époux, 
et  du  bonheur  sur  tous  ceux  qui 
l'entouraient.  Sans  faste  et  sans 
orgueil  dans  son  intérieur,  sa  mai- 
sou  était  ouverte  non-seulement 
aux  personnes  illustres  par  leur 
naissance,  mais  aussi  à  celles  qui 
s'étaient  lait  un  nom  dans  les  let- 
tres, les  sciences,  et  les  arts.  Le 
bon  goût  et  les  talens  y  régnaient 
encore  plus  que  la  magniticence. 
Ingénieuse  dans  le  choix  des  amu- 
semens  de  société,  qui  variaient 
tous  les  jours  les  plaisirs  du  prin- 
ce, M°"  de  Montesson  enrichissait 
cette  société  du  tribut  de  ses  pro- 
pres talens.  et  faisait  valoir  ceux 
des  personnes  qui  se  plaisaient  à 
la  seconder.  Les  mémoires  de  cet- 
te époque  (voyez  la  correspondan- 
ce de  Grimm,  de  Collé  et  autres) 
sont  pleins  de  détails  sur  les  fêtes 
élégantes  et  sur  les  représentations 
théâtrales  qui  se  donnaient  chez 
M°"  de  ftlontesson.  La  plupart  des 
pièces  étaient  de  sa  composition, 
et  elle  y  jouait  un  rôle,  ainsî  que 
le  duc  d'Orléans.  Voltaire  fut  in- 
vité à  une  de  ces  représentations, 
et  applaudit  avec  transport  aux 
pièces  et  aux  acteurs.  Il  devint  à 
son  tour  l'objet  des  plus  flatteuses 
attentions.  Le  duc  d'Orléans  so 
réunit  à  la  dame  du  lieu  pour 
combler  d'honneurs  et  de  caresses 
Tauteur  de  tant  de  chefs-d'œuvre. 


cha  de  sa  loge.  Voltaire  se  mit  à 
genoux,  et  témoigna,  par  les  ex- 
pressions de  la  plus  vive  recon- 
naissance, combien  il  était  sensi- 
ble ao  bonheur  dont  on  l'avait  fait 
jouir.    Les  représentations  conti- 
nuèrent pendant  plusieurs  hivers; 
on  regardait  comme  une  grande 
faveur  d'y  être  admis;  et  l'exécu- 
tion théâtrale  était  aussi  remar- 
quable que  le  rang  des  acteurs  et 
l'éclat  de  l'assemblée.  Collé,  dans 
son  enthousiasme ,  compare  M"" 
de   Montesson  à  M"'  Clairon  ;  et 
Grimm  ajoute  qu'elle  jouait  suc- 
cessivement, avec    le  même   ta- 
lent, les  rôles  de  M"'  d'Oligny,  de 
M"*  Arnould,  et  de  M""  Laruette. 
Les  succès,  toujours  croissans,  de 
M"*  de  Montesson ,  ainsi  que  les 
vives  instances  de  Mole  et  des 
principaux    acteurs    du   Théâtre- 
Français,  l'engagèrent  enfin  à  fai- 
re paraître  sur  la  scène  publique 
une  de  ses  pièces,  la  Comtesse  de 
ChazelfeSy  comédie  en  5  actes  et 
en  vers.  La  pièce  ,  présentée  sans 
nom  d'auteur,  mais  reçue  à  l'una- 
nimité et  aux  vives  acclamations 
des  acteurs,  jouée  le  G  mai  1786, 
n'obtint  pas  les  suffrages  du  par- 
terre.   Les  juges    se    montrèrent 
d'autant  plus  sévères,  que  la  plu- 
part d'entre  eux  n'avaient  jamais 
pu  être  admis  aux  représentations 
du  théâtre  particulier  de  l'auteur; 
exclusion  qui  ne  disposait  point  à 
la  bienveillance.  La  pièce  alla  ce- 
pendant jusqu'à  la  fin,  et  aurait 
pu  être  reproduite  avec  quelques 
changemens;  mais  M°"  de  Montes- 
son la  retira  après  la  première  re- 
présentation ,  s'en    déclara   l'au- 
teur, et  la  fil  imprimer  à  un  petit 
nombre  d'exemplaires ,    pour  la 


MON 

soumettre  au  jugement  de  ses  a- 
mis,  et  répondre  aux  critiques  qui 
avaient  été  jusqu'à  dire  que  la 
Comtesse  de  Chazellcs  était  une 
pièce  immorale.  En  1^85,  M°"  de 
Montesson  eut  le  malheur  de  per- 
dre le  duc  d'Orléans,  qui  mourut 
dans  ses  bras,  et  à  qui  elle  n'avait 
cessé,  jusqu'au  dernier  moment, 
de  prodiguer  les  plus  tendres  soins. 
Pendant  cette  union,  sa  conduite, 
modèle  à  la  fois  de  dignité  et  de 
prudence,  lui  avait  acquis  l'estime 
et  la  considération  générales.  Ma- 
riée au  premier  prince  du  sang, 
mais  sans  avoir  le  titre  de  prin- 
cesse, elle  sut  garder  une  mesure 
parfaite  avec  les  premières  per- 
sonnes de  l'état,  qui  s'empres- 
saient autour  d'elle,  et  sut  égale- 
ment établir  les  nuances  conve- 
nables dans  son  langage  et  ses 
manières,  suivant  les  divers  rap7 
ports  où  elle  se  trouvait  dans  la 
société.  Respectueuse  envers  les 
princes  du  »ang,  elle  en  obtenait 
les  mêmes  formes  de  déférence 
qu'elle  employait  elle-même.  M°" 
de  Montesson  fut  payée  do  douai- 
re qui  lui  avait  été  stipulé  dans 
son  contrat  de  mariage;  et  quel- 
ques légères  contestations  s'étant 
élevées,  le  roi  Louis  XVI  autorisa 
M"*  de  Montesson  à  signer  tons 
ses  actes  :  F/2«pe  d'Orléans.  Elle 
échappa  heureusement  aux  plus 
grands  dangers  de  la  révolution; 
nulle  haine  personnelle  ne  la 
poursuivait,  tandis  que  sa  dou- 
ceur et  son  affabilité  lui  avaient  ac- 
quis de  nombreux  amis.  Elle  fut 
cependant  arrêtée  pendant  le  rè- 
gne de  la  terreur,  et  ne  sortit  de 
prison  qu'après  le  9  thermidor. 
On  savait  qu'elle  se  plaisait  à  ré- 
{landre  des  bieufuits  daus  la  classe 


MON 


37 


indigente;  peut-être  se  rappelait- 
on  encore  que,  dans  le  rigoureux 
hiver  de  1788  à  1789,  elle  avait 
fait  retirer  les  arbres  et  plantes 
exotiques  de  son  orangerie  et  de 
ses  serres,  pour  changer  ces  bâ- 
timensen  salles  de  travail,  où  les 
pauvres  trouvaient  de  l'ouvragt;, 
un  abri  contre  l'intempérie  de  la 
saison ,  une  nourriture  saine  et 
des  secours  de  toute  espèce.  Na- 
poléon ,  parvenu  au  pouvoir,  eut 
constamment  pour  M°"  de  Mon- 
tesson les  plus  grands  égards.  On 
assure  qu'une  circonstance  parti- 
culière lui  avait  inspiré  pour  elle 
cette  bienveillance  remarquable. 
Elle  avait  rencontré  dans  la  so- 
ciété M°"  de  Beauharnais,  qui  ve- 
nait d'épouser  le  général  Bonapar- 
te. Pendant  l'expédition  d'Eg3pte, 
et  après  avoir  passé  ensemble  lu 
saison  des  eaux  à  Plombières,  une 
liaison  plus  intime  et  une  corres- 
pondance fréquente  par  lettres  s'é- 
tablirent entre  ces  deux  dames.  A 
son  retour  d'Egypte  .et  peu  de  jours 
après  le  18  brumaire,  le  premier 
consul,  en  parcourant  quelques 
papiers,  trouva  les  lettres  de  M"" 
de  Montesson  à  sa  femme.  Elles 
contenaient  les  plus  sages,  les  plus 
utiles  conseils.  Il  eut  lieu  d'en  être 
content,  et  remarqua  surtout  cet- 
te phrase  :  Vous  ne  devez  jamais, 
en  aucune  circonstance  de  voire  vie, 
oublier  que  vous  êtes  la  femme  d'un 
grand  homme.  M""  de  Montesson 
ne  profita  de  son  crédit  auprès  du 
chef  de  l'état,  que  pour  satisfaire 
de  nobles  sentimens  :  elle  obtint 
de  lui  que  la  somme  allouée  an- 
nuellement aux  membres  de  la  fa- 
mille d'Orléans,  qui  se  trouvaient 
alors  en  Espagne,  et  qui  avaient 
été  privés  de  tous  leurs  biens  eu 


58 


MON 


France,  fût  considérablement  aug- 
mentée.   Chérie    et  vénérée    de 
ceux  (jiii  lui  appartenaient  par  les 
liens  du  sang,  entourée  des  soins 
les  plus  délicats,  M""  de  Montes- 
son  eut  une  vieillesse  calme  et  heu- 
reuse. Elle  mourut  à  Paris  le 6  fé- 
vrier 1806.  Selon  ses  désirs,  son 
corps  fut  transporté  à  Saint-Porl, 
paroisse  du  château  de  Sainte-As- 
sise, qui  lui  avait  appartenu,  et 
où   le  duc  d'Orléans  était  mort. 
Par    son    testament,    ce    prince 
avait   ordonné  que  son   cœur  et 
ses  entrailles  lussent  portés  dans 
cette  église,  «espérant  que  la  da- 
n  me  du  lieu  y  serait  inhumée  à 
«ses  côtés,  et  voulant  qu'ils  fus- 
»sent  aussi  imis  après  leur  mort, 
«qu'ils  l'avaient  été  pendant  leur 
»  vie.  »  Les  funérailles  de  M""  de 
Montessou  furent  célébrées  avec 
une  pompe  solennelle.  Après  avoir 
fait  plusieurs  legs  considérables  à 
divers  membres  de  sa  famille,  elle 
avait  institué  pour  son  légataire  u- 
niversel  le  général  comte  de  Valen- 
ce, qui  avait  épousé  sa  nièce.  Sous 
le  titre  d'OEuvres  anonymes.  M""* 
de  Montesson  a  livré  à  l'impres- 
sion le  recueil   de  ses  pièces  de 
théâtre,  de  ses  poésies ,  et  de  ses 
compositions  en  prose,  8  volumes 
grand  in-8":  Didot,   1782.  Cette 
collection  ,  imprimée  à  un  très- 
petit  nombre  d'exemplaires  et  don- 
née uniqueujent  à  ses  amis,  est  de- 
venue très-rare.  Rangée  parmi  les 
livres  précieux,  elle  a  été  payée 
très-cher  par  des  amateurs.  On  y 
trouve    16  pièces  de  théâtre,  un 
roman,  Pauline;  Rosanwnde,  poè- 
me   en   5   chants;    une   lettre  de 
Saint-Preux   à  milord  Edouard; 
un  conte  allégorique,  les  Dix-huit 
Portes  3    anecdote   tirée   des   fa- 


MO!S 

bliaux,  etc.  Il  reste  encore  d'elle» 
à  ce  qu'on  assure,  2  tragédies  qui 
n'ont  point  été  imprimées,  Elfrè- 
de  et  la  prise  de  Grenade;  et  2  co- 
médies.  Elève  distinguée  de  Van 
Spacndonck,  elle  a  aussi  laissé  plu- 
sieurs tableaux  de  fleurs,  dignes 
de  l'école  de  ce  peintre  célèbre. 
MONTEVERDE  (N.),  l'un  des 
généraux   de  l'armée    royale  que 
l'Espagne  envoya,  en  1812,  con- . 
treses  colonies  insurgées,  est  aussi 
l'un  des  chefsqui,  par  leurinflexi- 
bli!  sévérité,  nuisirent  le  plus  à  h» 
cause  qu'ils  étaient  appelés  à  faire 
triompher.  Monleverde ,    opposé 
à  M1RAND.4   (lyoj.   ce  nom) ,   dans 
l'état   de  Venezuela,    commença 
brillamment  la  campagne.  Maître 
deRarquisimeto,  où  nombre  d'ha- 
bitans  se  réunirent  à  ses  drapeaux, 
il   pénétra  dans  Araure ,  que   les 
Lndépendans  défendirent  mal ,  et 
dont  le  chef  tomba  en  son  pou- 
voir; de  là  il  se  répandit  dans  les 
vastes    plaines   appartenant   aux 
provinces  de  Rarinas  et   de  Ca- 
raccas ,  et  s'efforça  de  s'emparer 
de  la  place  de  Rarinas,  où  il  de- 
vait   trouver  un    point    d'autant 
plus  précieux  qu'une  fois  y  étant 
établi,  il  pouvait  affamer  les  vil- 
les de  la  partie  montagneuse  de 
Venezuela,   qui    tiraient  de    ces 
plaines  lesbestiaux destinés  à  leur 
approvisionnement.  Pendant  qu'u- 
ne partie  de  ses  troupes  occupait 
Rarinas,  il  attaquait  avec  des  for- 
ces supérieures  San -Carlos,  où 
il  eût  échoué  si   la  cavalerie  des 
indépendans,    en  passant  de  son 
côté,  ne  lui  eût  assuré  une   vic- 
toire qu'il  n'avait  pu  obtenir  sur 
l'infanterie  :  ces  triomphes  frap- 
pèrent de  stupeur  le  parti   des 
patriotes,  dont  les  forces,  encore 


MON 

peu  nombreuses  et  disséminées 
sur  une  grande  étendue  de  ter- 
rain, ne  pouvaient  oppOvSer  une 
longue  et  utile  résistance.  Les  in- 
dépendans  éprouvèrent  presque 
en  même  temps  sur  l'Orénoque 
les  mêmes  désavantages ,  et  leur 
position  devint  extrêmement  cri- 
tique. Miranda,  se  voyant  forcé  de 
se  retirer  de  Valenciay,  s'établit 
dans  les  défilés  de  la  Cabrera.  Il 
espérait  y  arrêter  long- temps  les 
troupes  de  Monteverde.  Trahi  par 
les  babitans  des  montagnes,  que 
le  général  espagnol  avait  gagnés, 
il  apprit,  bientôt,  que  l'ennemi 
avait  évité  le  passage  des  défilés; 
néanmoins  il  fit  une  si  bonne  con- 
tenance dans  sa  retraite  sur  Vitto- 
ria,  distant  de  près  de  60  lieues 
de  Caraccns,  que  Monteverde  ne 
put  l'entamer.  La  mauvaise  for- 
tune des  inilépendans  se  signala 
plus  particidièrement  à  Puerto- 
Cabello.  Les  prisonniers  espa- 
gnols renfermés  dans  cette  ville 
parvinrent  à  s'en  rendre  maîtres, 
circonstance  qui  détermina  la 
retraite  de  Bolivar  {voy.  ce  nom), 
et  assura  aux  royalistes  une  supé- 
riorité marquée.  La  possession  de 
Puerto-Caballo,  où  Monteverde 
trouva  des  munitions  qui  lui  man- 
quaient, lui  permit  de  rétablir  les 
communications  avec  Coro  et 
Puerto- Rico,  où  il  put  se  procu- 
rer des  renforts,  qu'auparavant 
il  était  forcé  de  faire  venir  par 
terre  et  d'une  distance  de  plus 
de  i5o  lieues.  Le  général  espa- 
gnol usant  de  tout  l'ascendant  que 
lui  donnait  sa  position ,  menaça 
des  dernières  rigueurs  militaires 
les  habitaus  de  Caraccas,  s'ils 
s'exposaient  à  être  réduits  de  vi- 
ve force.   Miranda    fut    autorisé 


MON  Zçf 

par  le  pouvoir  exécutif,  à  capi- 
tuler ,  et  Monteverde  consentit 
aux  C(mditions  suivantes  :  «  1"  la 
"Constitution  offerte  par  les  Cor- 
»tès  à  la  nation  espagnole  ,  sera 
»  établie  à  Caraccas  ;  2°  personne 
n  ne  sera  inquiété  pour  ses  opi- 
»  nions;  5°  toutes  les  propriétés 
«particulières  seront  respectées; 
»4'  chaque  citoyen  aura  la  faculté 
))de  quitter  le  territoire  de  Vene- 
nzuela.  ))En  vertu  de  cette  capitu- 
lation ,  signée  et  ratifiée  de  Mon- 
teverde ,  rapportc-t-on  dans  u» 
ouvrage  imprimé  à  l'étranger, 
les  troupes  royales  furent  mises 
en  possession  de  Caraccas,  du 
fort  de  la  Guayra,  des  provinces 
de  Cumana  et  de  Barcelonne; 
mais  celte  convention  ne  tarda 
pas  à  être  violée  avec  la  perfidie 
dont  cette  guerre  a  fourni  des 
exemples  aussi  nombreux  que 
déplorables.  Non-seulement  Mi- 
randa, livré  par  un  traître,  fut 
retenu  prisonnier  et  envoyé  en 
Europe,  ainsi  que  plusieurs  de 
ses  compagnons  d'armes ,  mais 
d'autres  articles  furent  enfreints 
avec  la  même  audace.  Une  foule 
d'habitans  sont  incarcérés,  et  la 
florissante  capitale  de  Venezuela 
est  transformée  en  une  vaste  pri- 
son. Rien  ne  donnait  lieu  cepen- 
dant à  tant  do  rigueur,  pas  même 
l'excuse  de  la  nécessité.  Les  pa- 
triotes avaient  été  battus  complè- 
tement dans  une  attaque  sur  la 
Guayra,  et  deux  départemens  ve- 
naient d'être  conquis  parles  roya- 
listes de  Maracaybo;  enfin  les  Ès- 
pagnolsétaientvainquenrs  sur  tous 
les  points.  Mais  l'abus  que  fai- 
saient de  leur  triomphe  les  agens 
et  les  partisans  de  la  métropole,  ne 
Serf  itqu'à  rallumer  plus  fortement 


/jo 


MON 


J'inceiulie  qu'on  se  flattait  d'avoir 
éteint  à  lorce  de  sévérité.  La  f{»r- 
tune  chanf!^«.:a  bientôt  cet  état  de 
choses.  A  la  tête  des  insurgés  de 
Cuniana,  Marine  reprend  la  ville 
de  Malurin  ,  et  repousse  le  corps 
royaliste  qui  \eut  l'en  chasser. 
Monteverde  en  personne  attaque 
la  place  au  mois  d'avril  i8i3,  et 
est  contraint  de  se  retirer.  Bientôt 
liolivar ,  qui  commande  6,000 
soldats  de  la  Nouvelle-Grenade, 
reprend  l'offensive,  et,  dès  ce  mo- 
ment, marche  de  succès  en  suc- 
cès; il  défait  Monteverde  dans  six 
combats  différens.  A  Lostagua- 
nes ,  le  général  espagnol  est  for- 
cé, après  la  plus  vigoureuse  ré- 
sistance, à  se  retirer  sur  Puerto- 
Cabello.  Bolivar  se  dirige  sur  Ca- 
ruccas ,  qu'il  réduit  par  capitula- 
tion :  elle  était  avantageuse  aux 
Espagnol-^,  mais  Monteverde  re- 
fuse delà  ratifier,  déclarant  :  «que 
»ce  s«irait  dérogera  la  dignité  es- 
»pagnole  que  de  traiter  avec  des 
to rebelles.  »  Des  renforts  qu'il  re- 
çoit d'Europe  lui  permettent  de 
soutenir  ce  langage  altier,  et  lui- 
même  attaque  avec  la  plus  gran- 
de audace  les  indépendans  ;  mais 
ils  étaient  préparés  à  le  bien  re- 
cevoir :  de  part  et  d'autre  on  ût 
des  prodiges  de  valeur.  La  batail- 
le d'Aqua-Caliente,  où  Monte- 
verde se  conduisit  avec  autant  de 
talent  que  de  courage,  mais  qu'il 
perdit  entièrement,  le  força  de 
se  retirer  de  nouveau  à  Puerto- 
Cabello  ;  il  avait  été  grièvement 
blessé  dans  cette  sanglante  affaire, 
où  les  deux  tiers  de  ses  troupes; 
restèrent  sur  le  champ  de  bataille. 
Ces  défaites  successives  le  firent 
remplacer  dans  son  commande- 
ment général  par  Cagigal  {voyez 


MON 

ce  nom).  Depuis  cette  époque,  il  a 
été  entièrement  perdu  de  vue. 
MONTFALCON(Jean-Baptiste), 

médecin  de  Lyon,  né  dans  cette 
ville  en  179'^,  a  inséré  dans  le  Dic- 
tionnaire dis  Sciences  médicales  un 
grand  nombre  d'articles,  qui  se 
recommandent  sous  le  double  rap- 
port de  l'instruction  et  du  style.  Il 
est  l'un  des  collaborateurs  de  la 
Biograplûe  médicale,  et  du  Journal 
complémentaire  du  Dictionnaire 
des  sciences  médicales.  On  trouve 
plusieurs  dissertations  et  analyses 
d'ouvrages,  écrites  par  lui  dans  les 
Bulletins  de  ta  société  médicale  d'é- 
mulation,  dans  le  Journal  général 
de  médecine  et  dans  les  Annales 
physiologiques.  M.  Montfalcon  suit 
avec  hi>nneur  les  traces  des  Lecal 
et  des  Camper,  et  en  1823  ,  trois 
couronnes  académiques  lui  ont  été 
décernées  par  des  compagnies  sa- 
vantes. Il  appartient  à  la  plupart 
des  académies  des  sciences  et  des 
sociétés  de  médecine  de  la  Fi-ance. 
Voici  les  titres  de  quelque-uns  de 
ses  ouvrages  :  1°  Mémoire  sur  l'é~ 
tat  actuel  de  la  chirurgie,  in-8", 
Paris,  1816;  2"  de  l'Influence  que 
l'âge  exerce  sur  l' habileté  des  mé- 
decins,  in-4°>  Paris,  18 «8;  3' 
Quelques  réflexions  sur  les  rapports 
(les  médecins  avec  la  société,  in- 8", 
Lyon  ,  1818;  4°  Iconographie  lit- 
téraire, in-8",  Lyon,  1823;  5° Es- 
sai pour  servir  à  l'histoire  des  fiè- 
vres ataxiques  et  adynamiques,  iu- 
8°,  Lyon,  1823. 

MONÏFORT  (le  baron  Jac- 
QtEs),  maréchal-de-camp,  com- 
mandant de  l'ordre  royal  de  la  lé- 
gion-d'honneur et  chevalier  de 
Saint- Louis  ,  naquit  à  Salanches 
en  Savoie,  le  22  juillet  1770.  Il 
entra  au   service  comme  simple 


MON 

«oldat,  dans  le  4°"  bataillon  du  Bas- 
Rhin,  en  1  792,  et  fut  nommé  ,  en 
1793,  capitaine  commandant  la 
compagnie  de  canonniers  de  ce 
bataillon.  A  l'affaire  de  Jokrim, 
près  Rhinzabern,  il  fut  fait  prison- 
nier; mais  il  parvint,  par  son  cou- 
rage, à  se  dégager  des  mains  de 
rennemi.  et,  aidé  de  quelques  ca- 
nonniers, il  ramena  à  Lauterbourg 
deux  pièces  d'artillerie,  laissées  sur 
le  champ  de  bataille.  Ses  services 
furent  bon  )rablement  appréciés 
par  les  généraux  Desaix,  Laribois- 
sjère  et  Dorsner.  Passé  aide -de- 
camp  du  li<  utenant-général  Le- 
courbe,  sa  bravoure,  dans  les  jour- 
nées des  27,  28  et  29  thermidor 
an  7,  le  fit  nommer,  sur  le  champ 
de  bataille,  chef  de  bataillon  par 
Masséna,  général  en  chef  de  l'ar- 
mée d'Helvétie.  Le  27  il  franchit, 
à  la  tête  de  trois  compagnies  de 
grenadiers,  le  pont  de  la  Mutthen, 
près  Schwilz.  en  Suisse,  sous  une 
grêle  de  mitraille  et  de  balles.  Il 
se  distingua  également  aux  batail- 
les de  Moerskirch,  .Memmingen 
et  Neubourg,  en  l'an  8;  il  com- 
mandait alors  le  5°"  bataillon  de 
la  84""  demi-brigade.  Le  18  ven- 
démiaire an  9,  il  fut  désigné  pour 
commander  les  troupes  chargées 
d'exécuter  le  passage  de  l'Inn,  à 
Neuperg,  près  Rosenheim;  il  gagna 
le  premier  la  rive  opposée.  Après 
la  paix  d'Amiens,  il  fut  envoyé  à 
la  Martinique  avec  son  bataillon, 
et  il  y  fut  nommé,  en  )8o5,  colo- 
nel du  82°  régiment.  Il  eut  une 
part  glorieuse  à  tous  les  com- 
bats qui  furent  livrés  aux  Anglais 
lors  de  la  prise  de  la  colonie,  en 
1809.  Prisonnier  de  guerre,  il  fut 
rendu  sur  parole,  rentra  en  Fran- 
ce et  passa  en  Espagne  en  1810, 


MON 


4» 


après  son  échange,  pour  y  pren- 
dre le  commandement  des  batail- 
lons de  son  régiment;  nommé  gé- 
néral de  brigade,  le  6  août  181 1, 
il  fit  avec  une  grande  distinction 
les  campagnes  d'Espagne  et  de 
Portugal,  et  fut  remarqué  aux  dif- 
férentes affaires  sur  la  Bidassoa  et 
devant  Rayonne.  Appelé  avec  la 
division  Levai  à  la  grande-armée, 
en  Champagne  ,  au  commence- 
ment de  1814?  il  rendit  d'émincns 
services  dans  les  journées  de  Bar- 
sur-Aube,  Arles-sur-Aube,  Troyes, 
etc.  Le  roi  le  nomma,  le  14  mars 
1810,  commandant  du  départe- 
ment de  Seine-et-Marne  ;  il  passa 
ensuite  au  commande;jient  de  ce- 
lui de  la  Meurthe,  d'où  le  lieute- 
nant-général comte  Lecourbe  , 
commandant  alors  en  chef  le  corps 
d'observation  du  Jura ,  l'appela 
près  de  lui  pour  être  chef  d'état- 
major-général.  Son  activité  con- 
tribua aux  avantages  que  rempor- 
ta ce  faible  corps  sur  les  Autri- 
chiens. Depuis  cette  époque  le  gé- 
néral Montfort  a  eu  plusieurs  ins- 
pections d'infanterie.  Le  maréchal 
Gouvion-Saint-Cyr,  juste  appré- 
ciateur du  mérite,  lui  confia,  en 
1819,  le  commandement  de  l'é- 
cole militaire  préparatoire  de  La 
Flèche,  où  il  déploya  des-connais- 
sances  supérieures  dans  l'art  diffi- 
cile d'élever  la  jeunesse.  Sévère, 
mais  juste,  il  se  fit  chérir  des  élè- 
ves, comme  lui-même,  lorsqu'il 
était  sous  les  drapeaux,  s'était  fait 
aimer  par  son  courage  et  son  in- 
telligence, de  ses  camarades  et  de 
ses  chefs.  11  eut  constamment  l'es- 
time des  généraux  Desaix,  Lecour- 
be et  Moreau.  Une  paralysie, qu'il 
contracta  dans  l'école  militaire  de 
La  Flèche  et  qui  le  pri?a  d'abord 


4  3 


MON 


de  la  vue ,  le  força  de  se  démettre 
de  son  emploi,  en  1821;  elle  l'a  ravi 
à  ses  amis  et  à  ses  frères  d'armes,  le 
3  janvier  1824.  Sa  dépouille  mor- 
telle a  été  déposée  au  cimetière  de 
l'Est  (dit  du  P.  Lachaise),  à  Paris, 
MOiNTGAILLARD  (iMaubice- 
Jacques-IIoques  de),  est  né  à  Tou- 
louse vers  1770.  Au  sortir  de  ses 
études,  qu'il  fit  au  collège  de  So- 
rèze,  il  entra  dans  la  carrière  mili- 
taire, et  passa  en  Amérique;  il  re- 
nonça bientôt  à  cet  état,  revint  en 
France,  et  se  retira  à  Brest.  Il  y  res- 
ta jusqu'au  moment  où  la  révo- 
lution éclata.  Il  se  rendit  alors  à 
Paris  ,  sortit  de  France  après  le 
10  îtoCit  1792,  y  revint  quel- 
que temps  après,  et  ne  tarda  pas 
d'en  sortir  de  nouveau.  Les  trou- 
pes autrichiennes  l'arrêtèrent  en 
Flandre,  le  conduisirent  à  Ypres  , 
et  ensuite  à  ïournay,  où  il  eut 
une  audience  de  l'empereur  Fran- 
çois. Il  ne  passa  en  Angleterre 
que  deux  moisaprès,  en  juin  sui- 
vant ,  et  prit  à  cette  époque  le  titre 
de  comte.  D'ahord  on  le  regarda 
comme  un  émissaire  du  parti  do- 
minant; néanmoins  il  fit  quatre 
mois  de  séjour  dans  le  pays,  et  les 
journaux  publièrent  qu'il  en  avait 
été  r(?nvoyé  :  ce  bruit  s'accrédita 
à  Paris,  et  ne  fut  point  démenti. 
M.  de  Montgaillard  se  réfugia  d'a- 
bord à  La  Haye;  forcé  bientôt 
d'en  sortir,  il  alla  à  Brucksal, 
fut  présenté  au  prince  de  Condé, 
et  lui  offrit  ses  services,  qui  fu- 
rent acceptés.  On  négociait  alors 
avec  Pichegru.  M.  de  Montgail- 
lard ,  en  possession  de  la  con- 
fiance du  prince ,  eut  ordre  de 
rédiger  les  propositions  qui  furent 
faites  à  ce  général,  au  mois  d'août 
1795-.  M<?rts/e«?' (aujourd'hui  S.  M. 


MON 

Louis  XVIII)  arriva  de  Vérone 
au  quartier-général  de  Reigel , 
le  28  avril  1796.  M.  de  Montgail- 
lard partit  d'Ofleubourg,  où  il  se 
trouvait  alors  pour  aller  rendre 
compte  de  la  négociation  au  prin- 
ce, qui  parut  satisfait  du  tableau 
qu'il  avait  dressé  de  tout  le  tra- 
vail, et  qui,  dit-on,  lui  en  témoigna 
sa  satisfaction  par  une  lettre  écri- 
te de  sa  main.  Ce  premier  succès 
lui  valut  d'autres  missions,  soit 
pour  M.  Wickam,  soit  pour  l'ar- 
chiduc Charles,  daiis  lesquelles 
il  donna  de  nouvelles  preuves  de 
son  adresse;  mais  ce  zèle  chan- 
gea tout-à-coup  de  direction  après 
la  reddition  du  fort  de  Rehl  ;  il 
renonça  à  des  négociations  deve- 
nues, rapporte-t-il  lui-même,  «  un 
«ensemble d'intrigues, de  manœu- 
)^vres  sourdes,  de  dilapidations 
«ministérielles  et  particulières.  » 
M,  de  Montgaillard  fit  plus  :  il 
révéla  les  secrets  du  parti  qu'il 
avait  servi ,  et  les  dévoila  aux 
chefs  du  parti  contraire.  Dans 
le  même  temps,  il  continua  de  se 
ménager  la  confiance  du  prince 
de  Condé,  et  parut  se  prêter  aux 
desseins  de  M.  d'Entraigues,  agent 
des  princes  à  Venise,  et  cepen- 
dant M.  de  Mongaillard  représen- 
te, dans  ses  Mémoires  sur  la  cons- 
piration de  Pichegru,  le  comte 
d'Entraigues  comme  un  homme 
sans  cesse  occupé  des  moyens  de 
lui  nuire,  et  de  le  perdre  même, 
s'il  eût  pu  y  parvenir;  et  c'est 
pour  se  dérober  à  ses  vengeances 
qu'il  aurait  été  habiter  la  Suis- 
se, où  le  prince  de  Condé,  sur  sa 
demande ,  eut  la  générosité  de 
lui  faire  payer  ses  frais  de  voya- 
ge et  ses  avances,  ce  qui  ne  l'em- 
pêcha pas  de  paraître  encore  à 


MON 

rarmée  pendant  les  cinq  premiers 
mois  de  Tannée  1797.  11  se  retira 
ensuite  à  Soleure,  d'où  il   reçut 
bientôt  l'ordre  de  sortir.  Déj^oû- 
té  ,  en  apparence  ,  de  cette  vie  va- 
gabonde, il  annonça  le  dessein  de 
rentrer  en  France.  Le  prince  de 
Condé ,  qui  en  fut    instruit,    lui 
dépêcha  le  marquis  de  Montesson 
pour  lui  redemander  les   papiers 
qui  prouvaient  les  différentes  mis- 
sions  dont   il    avait   été   chargé. 
Non-seulement  M.   de  Monfgail- 
lard  s'y  refusa,  mais  il  remit  tout 
ce   qu'il  possédait  de   la    corres- 
pondance des  princes  au  ministre 
delà  république  française,  Rober- 
jot.  Ces  faits  ne  peuvent   être  ré- 
voqués en  doute  ,  quand  c'est  M. 
de    Mongaillard     lui-même    qui 
prend  soin  de  nous  en  instruire, 
dans  la  vue   de  prouver  que   ses 
Mémoires   concernant  la   trahison 
de  Pichegru ,  ont  été  rédigés  an- 
térieurement au  procès  de  ce  gé- 
néral.    Le    comte    d'Entraigues 
ayant  été  arrêté  à  cette    époque 
àTrieste,  et  ses  papiers,    conte- 
nant les  détails  de  tout  ce    qa'a- 
vait  dévoilé  M.   de  Mongaillard, 
lui  ayant  été  enlevés,  il  paraîtrait 
que  le   gouvernement    français  y 
vit  la  nécessité  d'un  changement, 
qui    s'opéra  par  le  18  fructidor; 
aussi  M.    de    Monlgaillard ,  sans 
doute  en  reconnaissance  de  la  part 
qu'il  avait  prise  à  cet  événement, 
rentra  en  France  après  le  18  bru- 
maire, et  leparut  à  Paris,  au  mois 
de  novembre  iBoi.  Une  situation 
tranquillcconvenaitpeuà  unhom- 
me  qui  avait  jusque-là  vécu  dans 
la  plus  grande  agitation  ;  bientôt  il 
fut  arrêté  et  enfermé  au  Temple  , 
d'où  il  sortit  néanmoins  quelques 
mois  après.  Pendant  sa  détention 


MON 


43 


au  Temple,  il  avait  obtenu  sa  ra- 
diation de  la  liste  des  émigrés.  Eu 
1804,  le  gouvernement  français 
se  servit  de  la  plume  de  cet  écri- 
vain pour  composer  l'ouvrage  in- 
titulé :  Mémoires  secrets  de  M. 
de  Montgaillard.  Il  reçut  pour  ré- 
compense un  traitement  de  24,000 
francs,  qui  fut  réduit  à  1 2,000  l'an- 
née suivante,  puis  à  6,000,  jus- 
qu'à ce  que  ses  services  eussent 
cessé  d'être  utiles.  On  l'avait  per- 
du de  vue,  lorsqu'en  i8i4»  i*u 
moment  du  rétablissement  du 
gouvernement  roj'al,  il  reparut 
sur  le  scène  politique  pour  re- 
pousser les  allégations  extrême- 
ment graves  que  M.  Gallais  s'était 
permises  dans  son  Histoire  du  iS 
brumaire.  Il  y  est  dit  que  l'ancien 
agent  des  Bourbons  ,  M.  de 
Montgaillard,  avait  été  envoyé  en 
Angleterre  par  le  premier  consul 
Bonaparte  pour  les  assassiner.  L- 
ne  attaque  en  calomnie  fut  diri- 
gée contre  l'auteur  devant  les 
tribunaux;  mais  il  se  rétracta,  et 
l'affiiirc  n'eut  pas  d'autre  suite. 
Quelque  chose  de  bien  plus  sur- 
prenant s'était  répandu  dans  le 
public  peu  de  jours  avant  ce 
procès  :  on  prétendait  que  M-  de 
Montgaillard  avait  été  jusqu'à 
Compiègne  au-devant  du  roi. 
Nous  certifions  que  le  souverain 
n'a  pas  trouvé  depuis  ce  moment 
d'admirateur  plus  prononcé.  Pour 
établir  la  sincérité  de  sa  nouvelle 
conduite, il  dut  justifier  celle  qu'il 
avait  précédemment  tenue;  la 
tâche  était  difficile.  Il  crut  l'avoir 
remplie,  dans  un  ouvrage  où  il 
parle  ainsi  des  Bourbons  :  'Il  fal- 
»  lait  dénaturer  leur  caractère  pour 
«assurer  la  restauration  de  leurs 
»  droits.  Je  dois  frapper  de  faux  y. 


k 


44 


MON 


»  effacer  et  détruire  tout  ce  qui  a 
»été  publié  sous  mon  nom  d'at- 
«tentoire  à  la  vérité,  à  la  sainteté 
»du  caractère  du  roi  Louis  XVIII, 
»  de  son  auguste  frè''e  ,  et  de  tous 
»les  princes  de  cette  auguste  ra- 
»ce....  J'ai  dit  ces  choses;  et  si 
»pour  inspirer  plus  de  confiance 
»aux  usurpateurs  du  trône  des 
«Bourbons,  il  eût  fallu  multiplier, 
«aggraver  ces  sacrilège?  menson- 
»ges  ,  j'aurais  ajouté,  sans  hési- 
»ter,  de  nouvelles  ticlions  à  tou- 
»tes  celles  qui  ont  été  imprimées 
«par  ordre  de  l'empereur  Napo- 
»léon.  En  signant  de  tels  blasphê- 
»mes  politiques,  j'ai  l'ait  à  mon 
»roi  le  plus  innnense  sacrifice; 
«mais  sa  restauration  l'exigeait.  » 
^1.  de  Montgaillard  avoue  cepen- 
dant, en  parlant  de  sa  justification  : 
«  Elle  n'est  .point  encore  à  son 
«point  d'évidence  et  de  maturité.  « 
Prenant  ensuite  un  ton  plus  mo- 
deste ,  il  ajoute  :  «  Je  ne  me  flatte 
«pas  d'avoir  puissamment  contri- 
»bué  à  la  restauration  de  la  mo- 
»  narchie;  mais  j'ose  croire  être  un 
«des  instrumens  qu'il  a  plu  à  la 
«Providence  de  ne  pas  rendre 
«tout-à-fait inutiles  ;\  celte restau- 
»  ration  véritablement  européen- 
»  ne;  j'ose  encore  espérer  quel'his- 
I)  toire  me  conservera  le  titre  de 
«bon  Français,  de  Sujet  fidèle, 
»  puisque  j'ai  été  assez  malheureux 
«pour  être  obligé  de  rendre  mon 
t-nom  public.  »  Au  reste,  M.  de 
Montgaillard  ne  renonce  pas  à  se 
justifier  pleinement;  il  annonce, 
dans  son  ouvrage  intitulé  :  de  la 
Restauration  des  Bourbons  et  du 
Retour  à  L' ordres  d'où  les  passa- 
ges ci-dessus  sont  extraits,  la  pu- 
blication d'environ  mille  pièces 
de  correspondance ,  qui  ne  laisse- 


MON 

ront  rien  à  désirer  pour  cet  objet. 
En  attendant,  il  est  exposé  aux 
démentis  formels  que  lui  portent 
des  hommes  dont  il  invoquait  le 
témoignage,  entre  autres  M.  de 
Guilbermy.  M.  de  Montgaillard 
a  publié  :  i"  État  de  la  France 
au  mois  de  mai  179I,    Londres, 

1794,  in-8°;  2°  Suite  de  l'Etat  de 
la  France j  1794»  in-S";  '0°  Néces- 
sité de  la  guerre  et  dangers  de  la 
paix,  1794?  in  8°;  4°  ''^^  Condui- 
te pendant  le  cours  de  la  révolution, 

1795,  in-S";  5"  l'An  1795,  ou 
Conjectures  sur  les  suites  de  la 
révolution  française  y  1795,  in-S"; 
6"  Mémoires  concernant  la  trahison 
de  Plclugru,  dans  les  années  5  à 
5,  Paris,  i8o4>  in-8";  7°  la  Fran- 
ce sous  le  gouvernement  de  Bona- 
parte, 1804,  in-8°;  S"  Mémoires 
secrets  de  Montgaillard  pendant  les 
années  de  son  émigration  ,  1804, 
\n-S''',Q''du  Rétablissement  duroyau- 
me  d' Italie  sous  l'empereur  Napo^ 
léoti ,  et  des  droits  de  la  couronne 
de  France  sur  le  duché  de  Rome  » 
1809,  in-H";  10°  Situation  de 
l'Angleterre  en  1811,  in-8°,  i8ii; 
11°  Seconde  guerre  de  Pologne, 
ou  Considérations  sur  la  paix  pu- 
blique du  Continent ,  et  sur  l'in- 
dépendance maritime  de  l' Europe, 
1813,  in-8";  \2'  de  la  Restaura- 
tion de  la  monarchie  des  Bourbons 
et  du  retour  à  l'ordre,  i8i4)  in- 
8";  i3"  Lettreà  M.  Raynouardsur 
le  projet  de  loi  relatif  à  la  liberté 
de  la  presse,  1814,  in-8°;  14° 
Seconde  lettre,  1814»  10-8°;  i5°rfe 
la  Calomnie  publique  et  périodique^ 
1814?  \x\-%".\}r\Q  Histoire  secrète  de 
la  cour  de  Coblentz  a  été  réimpri- 
mée sous  son  nom,  1814»  in-8°. 
La  première  édition  portant  le 
nom  de  Rivarol,  on  serait  disposé 


MON 

à  croire,  jusqu'à  plus  ample  éclair- 
cissemenl,  que  cet  ouvrage  n'est 
pas  de  M.  de  Montgaillard. 

MONTGELAS  (Maximilien-Jo- 
*EPH,  COMTE  de),  premier  miaislrc 
de  Bavière  et  l'un  des  hommes  d'é- 
tat les  plus  célèbres  de  l'Allema- 
gne, est  né  à  Munich,  en  1709, 
d'une  famille  originaire  de  Savoie, 
qui  était  depuis  long-temps  éta- 
blie en  Bavière.  Après  avoir  l'ait 
dans  sa  première  jeunesse  plu- 
sieurs voyages  en  France ,  il  em- 
brassa l'état  militaire;  mais  il  le 
quitta  peu  de  temps  après  pour 
suivre  la  carrière  diploinatique,  où 
il  obtint  de  rapides  succès.  11  lut 
nomuîé,  en  1777,  conseiller  à  la 
cour  de  Munich,  et  chambellan  en 
1779.  Appelé,  en  1785.  auprès  de 
Charles  II,  duc  des  Deux-Ponts, 
il  sut  se  concilier  l'estime  et  l'ami- 
tié du  prince  Maximiiien-Joseph, 
qui  le  combla,  par  la  suite,  de  fa- 
veurs. Il  suivit  ce  prince  à  Munich 
lors  de  son  avènement  au  trône, 
et  fut  chargé  des  portefeuilles  du 
ministère  des  affaires  étrangères  et 
des  ûnances.  Diverses  innovations 
qj'il  introdnisit  dans  l'administra- 
tion ,  en  lui  attirant  de  nombreux 
ennemis,  lui  acquirent  la  réputa- 
tion d'avoir  comme  diplomate  un 
mérite  supérieur.  Il  attaqua  sur- 
tout avec  vigueur  les  abus  qui  s'é- 
taient introduits  dans  les  ordres 
religieux,  priva  quelques  couvens 
de  leurs  énormes  revenus,  et  opéra 
des  réformes  utiles  dans  les  lois  de  la 
Bavière.  C'est  en  vain  que  ses  en- 
nemis cherchèrent  à  le  combattre. 
Le  comte  de  Montgelas,  sur  de 
l'approbation  de  son  souverain,  fit 
peu  d'attention  à  leurs  clameurs, 
et  marcha  tranquillement  ù  son 
but.   En  i8ot),  il  joignit  le  porte- 


MON 


45 


feuille  de  l'intérieur  à  ceux  qu'il 
avait  déjà,  et  reçut,  en  1809,  en 
récompense  de  ses  nombreux  ser- 
vices, le  titre  de  comte.  C'est  ce 
ministre  qui  par  sa  prédilection  é- 
clairée  pour  la  France,  détourna  de 
la  coalition  des  puissances  étrangè- 
res, lerôi  Maximitien,  et  l'engagea 
à  conclure  un  traité  entre  ce  prin- 
ce et  l'empereur  Napoléon,  dont 
il  seconda  les  Vues  jusqu'en  i8i/j, 
épo<Jue  où  le  parti  opposé  à  M.  de 
Montgelas  commença  à  dominer 
dans  les  délibérations  de  la  cour 
de  iMunich.  Depuis  lors,  le  crédit 
du  ministre  alla  toujours  en  décli- 
nant :  la  chute  de  Napoléon  aug- 
menta l'espoir  de  ses  ennemis,  qui 
mirent  tout  en  œuvre  pour  le  ren- 
verser. Le  maréchal  de  Wrède 
parut  à  leur  tête,  et  ne  craignit 
pas  de  se  signaler  par  une  agres- 
sion injuste.  Il  publia  contre  Iv 
ministre  un  pamphlet  intitulé  :  dfi 
la  Bavière  sous  le  gouvernement 
du  ministre  Montgelas  ;  celui-ci 
réfuta  avec  beaucoup  de  modéra- 
tion et  de  sagesse  les  faits  avancés 
par  son  adversaire,  dans  une  bro- 
chure qu'il  lit  paraître  sous  le  ti- 
tre :  Le  ministre  comte  Montgelas 
sous  le  gouvernement  du  roi  Maxi- 
milien.  Le  triomphe  des  ennemis 
de  ce  ministre  ne  fut  pas  d'abord 
aussi  complet  qu'ils  s'y  attendaient; 
néanmoins  cette  intrigue  porta  un 
coup  funeste  à  l'autorité  de  M.  de 
Montgelas,  et  il  eut  même  le  cha- 
grin de  se  voir  préférer  le  maré- 
chal de  Wrède,  comme  ministre 
du  roi  de  Bavière  au  congrès  de 
Vienne.  Il  parut  rentrer  en  faveur 
sur  la  fin  de  i8i4>  mais  ce  retour 
de  fortune  dura  peu,  et  il  sortit  du 
ministère,  le  2  février  1817,  avec 
une  pension  de  00,000  florins.  Il 


46 


MON 


quitta  à  cette  époqi>e  la  Bavière , 
et  après  divers  voyages  en  Savoie 
et  en  France,  il  se  retira  en  Suis- 
se avec  sa  famille.  M.  le  comte 
Montgelas  est  grand'croix  de  l'or- 
dre de  Saint-Hubert  et  de  la  cou- 
ronne de  Bavière.  11  avait  épousé, 
en  i8o3,  la  comtesse  d'Arco,  dont 
il  a  un  ûls. 

MONTGILBERT  (N.),  conven- 
tionnel, adopta  avec  chaleur  les 
principes  de  la  révolution,  et  fut 
élu,  par  le  département  de  Saône- 
ct-Loire,  député  à  la  convention 
nationale.  Dans  le  procès  du  roi, 
il  vota  conditionnellement  la  mort. 
Le  12  mars  1793,  au  nom  de  la 
\ille  de  Bourbon-Lancy,  il  deman- 
da «qu'il  lût  permis  à  cette  com- 
»mune  de  quitter  le  nom  de  Bour- 
))bon  pour  prendre  celui  de  Belle- 
»  Vue-les-Bains.  »  N'ayant  passé 
ni  à  l'un  ni  à  l'autre  des  conseils 
qui  remplacèrent  la  convention, 
M.  Montgilbert  fut  employé  après 
la  session,  par  le  directoire-exé- 
cutif, en  qualité  de  commissaire, 
et  n'a  plus  reparu  depuis  dans  les 
assemblées  législatives. 

MONTGOLFIER  (Joseph-Mi- 
chel), qui  s'est  rendu  célèbre,  ain- 
si que  son  frère,  par  l'invention 
des  ballons  aérostatiques,  né  à  Vi- 
dalontès-Annonay,  était  déjà  con- 
nu comme  un  habile  mécanicien 
avant  cette  découverte.  Son  père, 
chef  d'une  famille  nombreuse, 
dirigeait  avec  succès  la  grande  pa- 
peterie d'Annonay.  Entraîné  dès 
son  enfance  par  une  passion  encore 
ilésordonnée  pour  l'indépendan- 
ce, Joseph  s'enfuità  l'âgede  i5ans 
du  collège  de  Tournon,  où  il  avait 
été  placé  avec  deux  de  ses  frères. 
Son  projet  était  de  gagner  les 
Lords  de  la  Méditerranée,  et  d'y 


MON 

vivre  de  coquillages.  On  le  re- 
trouva dans  une  fernje  du  Bas- 
Languedoc,  occupé  à  cueillir  des 
feuilles  de  mûrier  pour  les  vers  à 
soie.  Ramené  au  collège,  l'étude 
delà  théologie  ,  à  laquelle  on  vou- 
lut l'astreindre  ,  lui  inspira  un  dé- 
goût insurmontable;  mais  il  mon- 
tra d'heureuses  dispositions  pour 
les  sciences  exactes,  et,  sans  s'as- 
sujettiràune  méthode  rigoureuse, 
il  parvint,  à  force  de  tâtonnemens 
et  de  combinaisons  particulières, 
à  résoudre  des  problèmes  de  géo- 
méfrie  transcendante.  Les  décou- 
vertes qu'il  ne  devait  qu'à  ses 
propres  méditations  eurent  pour 
lui,  pendant  toute  sa  vie,  les  plus 
grands  charmes;  et  comme  il  n'y 
avait  rien  à  inventer  en  théologie, 
il  s'enfuit  une  seconde  fois,  pour 
échapper  à  ces  cours  forcés  du 
collège,  et  se  retira  dans  un  pelit 
réduit  de  la  ville  de  Saint-Etienne 
en  Forez.  Là,  il  se  livra  d'abord  en 
toute  liberté  à  ses  goûts  pour  les 
expériences,  obtint  quelques  pro- 
duits chimiques  utiles  aux  arts, 
fabriqua  du  bleu  de  Prusse,  des 
sels  et  autres  ingrédiens  propres 
aux  teinturiers,  colportait  lui- 
même  ses  produits  dans  les  villa- 
ges du  Vivarais,  et  suppléait  à 
sa  nourriture  par  la  pêche  dans 
les  rivières  du  pays.  Réconcilié 
enfin  avec  ses  parens,  il  obtint 
quelques  secours  pour  se  rendre 
à  Paris,  où  il  rechercha  les  savans 
les  plus  distingués,  suivit  avec 
assiduité  leurs  cours ,  et  acquit 
des  connaissances  très-étendues. 
Son  père  le  rappela  auprès  de  lui 
pour  l'aider  dans  la  direction  de 
sa  manufacture  de  papier;  mais 
le  jeune  Moulgolfier  ayant  voul» 
y  opérer  plusieurs  changemens  et 


MON 

tenter  quelques  expériences  nou- 
velles, son  père,  attaché  aux  an- 
ciennes méthodes  qui  avaient  jus- 
que-là l'ait  prospérer  son  com- 
merce, se  sépara  bientôt  de  l'in- 
novateur, qui,  de  son  côté,  as- 
socié avec  un  de  ses  frères  ,  for- 
ma deux  établissemens  nouveaux, 
l'un  à  Voiron  et  l'autre  à  Beaujeu. 
Les  jeunes  entrepreneurs  éprou- 
vèrent d'abord  de  grands  revers. 
Se  lançant  imprudemment  dans 
le  vaste  champ  des  expériences, 
leur  fortune  se  trouva  compro- 
mise. Joseph  Montgolfier,  sortant 
une  fois  de  son  insouciance  habi- 
tuelle, poursuivit  devant  les  tri- 
bunaux un  débiteur  de  mauvaise 
foi;  mais  ce  fut  le  débiteur  qui 
eut  assez  de  crédit  auprès  des  ju- 
ges pour  faire  emprisonner  son 
créancier.  Ce  jugement  singulier 
fut  enfin  réformé  ;  et  quelque 
temps  après,  des  découvertes  uti- 
les devinrent  le  fruit  de  longues 
et  coûteuses  tentatives,  et  établi- 
rent la  réputation  de  l'inventeur. 
Il  avait  fait  exécuter  une  machi- 
ne pneumatique  ingénieusement 
conçue ,  au  moyen  de  laquelle  il 
put  raréfier  l'air  dans  les  moules 
et  formes  de  sa  papeterie  ;  la  fa- 
brication du  papier  ordinaire  fut 
simplifiée,  celle  des  papiers  de 
«;ouleur  considérablement  amé- 
liorée. Il  avait  aussi  conçu  l'i- 
dée d'opérer  des  impressions  au 
moyen  de  caractères  fixes,  et  pré- 
ludait ainsi  à  l'invention  des  plan- 
ches stéréotypes  perfectionnéps 
depuis  par  Didot  et  Hcrhan.  Mais 
bientôt  une  nouvelle  découverte, 
faite  en  commun  avec  son  frère  K- 
tienne,  vint  étonner  l'Europe  en- 
tière. On  se  rappelle  encore  lesac- 
claixiations  du  public  et  Tenthou- 


Moy 


'M 


siasme  général  à  la  vue  des  pre- 
miers aérostats,  et  des  audacieux 
navigateurs  aériens.  Le  nom  de 
Montgolfier  volait  de  bouche  en 
bouche,  et  fut  porté  au-delà  des 
mers.  On  répéla  dans  plusieurs 
villes  de  la  France,  et  bientôt  chez 
presque  toutes  les  nations  civili- 
sées, les  expériences  des  deux 
frères;  on  perfectionna  par  des 
procédés  nouveaux  le  remplissage 
des  ballons  ;  mais  les  grands  ré- 
sultats qu'on  s'était  promis  dans 
l'espoir  de  les  diriger  à  volonté  , 
n'ont  point  été  obtenus ,  et  ne  le 
seront  probablement  jamais.  Par 
un  retour  ordinaire,  après  avoir 
exalté  outre  mesure  Tinveulion 
des  aréostats ,  quelques  personnes 
cherchèrent  à  la  déprécier  bien 
au-dessous  de  sa  valeur.  On  alla 
jusqu'à  contester  aux  frères  Mont- 
golfier le  mérite  de  la  première 
découverte.  On  exhuma  de  vieux 
romans  de  physique;  on  cita  des 
noms  de  savans  ignorés  ou  depuis 
long-temps  oubliés,  un  Cavallo 
qui,  à  Londres,  avait  lancé  des 
bulles  d'eau  de  savon,  imprégnées 
d'air  inflamtnable  ;  un  Vénitien  , 
qui,  au  i5°"  ou  i4"*  siècle,  avait 
fait  voyager,  disait-on,  dans  l'es- 
pace un  globe  d'air  raréfié,  dont 
l'enveloppe  était  fabriquée  en  min- 
ces feuilles  métalliques,  etc.  L'a- 
cadémie des  sciences  de  Paris  fit 
justice  de  tous  ces  détracteurs 
d'une  gloire  en  quelque  sorte  na- 
tionale; elle  admit  les  deux  frè- 
res Montgolfier  au  nombre  de  ses 
membres,  et  une  soramede4o,ooo 
fr.  fut  destinée  à  des  expérience-» 
nouvelles,  pour  parvenir  à  la  di- 
rection des  aérostats.  Mais  si  l'ou 
ne  peut  refuser  aux  deux  inven- 
teurs la  priorité  de  leur  décoii- 


48  MON 

verte  ingénieuse^  on  ignore  encore 
auquel  des  deux  la  première  idée 
en  est  venue,  et  si  le  hasard  seul 
ou  de  savantes  combinaisons  l'ont 
fait  naître.  On  raconte  diverses  a- 
necdotes  à  ce  sujet.  Etienne  Mont- 
golfier,  dit-on,  vit,  de  son  bain, 
une  chemise  liée  par  le  haut,  qu'on 
avait  placée  en  rond  au-dessus 
d'un  réchaud,  s'élever  par  l'ellot 
de  l'air  raréfié,  et  voltiger  dans 
la  chambre.  Il  forma  aussitôt  un 
grand  cornet  ou  ballon  de  pa- 
pier, qu'il  gonfla  avec  la  fumée 
de  son  foyer,  et  qui  s'éleva  sur-le- 
champ  vers  le  plafond.  Voilà  le 
premier  aérostat.  Selon  une  autre 
version,  son  frère  Joseph,  ense- 
veli, selon  son  habitude,  dans  de 
jirofondes  méditations,  seiil  au 
coin  de  son  feu,  jette  par  hasard 
les  yeux  sur  une  gravure  de  Gi- 
braltar qui  ornait  sa  cheminée. 
On  assiégeait  alors  depuis  long- 
temps celte  place.  11  paraissait 
impossible  de  la  réduire  ni  par 
terre  ni  par  mer.  Il  faudrait,  se 
dit  Joseph,  s'y  fiayer  un  passage 
à  travers  les  airs,  y  touiber  com- 
me des  nues.  Mais,  comment  trou- 
ver dans  la  nature  un  moteur  as- 
sez puissant  pour  enlever  des 
hommes?  Il  voit  de  sa  fenêtre  des 
masses  considérables  de  fumées 
qui  s'élèvent  avec  rapidité  dans 
l'atmosphcre.  Si  l'on  pouvait  em- 
magasiner {c'était  son  expression) 
des  vapeurs  pareilles  ou  encore 
plus  légères ,  en  quantité  suffisan- 
te, on  trouverait  un  principe  de 
force  ascensionnelle.  Poursuivant 
cette  idée,  il  forme,  avec  des  ban- 
des de  taffetas,  une  enveloppe 
sphérique  ouverte  par  en  bas,  en 
échauftèl'intérieuravec  du  papier, 
et  voit  avec  une  satisfaction  inex- 


MON 

primable  sa  frêle  construction  se 
gonfler  et  s'élancer  dans  l'espace. 
Selon  d'autrtîs  enfin,  c'est  Etienne 
qui,  revenant  de  Montpellier,  où 
il  avait  acheté  l'ouvrage  du  doc- 
teur Priestley  sur  les  dilJerentes  es- 
pèces d'air,  et  méditant  cet  ou- 
vrage dans  les  montagnes  du  \i- 
varais,  où  l'exploitation  des  bois 
est  si  diflicile,  vu  le  ujauvais  état 
des  chemins,  se  demandait  com- 
ment on  pourrait  leur  frayer  un 
nouveau  passage,  en  élevant  de 
grands  blocs  à  une  certaine 
hauteur;  combinant  ensuite  les 
moyensde  s'emparer  d'un  gaz  plus 
léger  que  l'air  atmosphérique,  il 
rentre  chez  lui  en  s'écriant  avec 
enthousiasme  :  Maintenant  nous 
pouvons  voguer  dans  l'air.  Quoi 
qu'il  en  soit  de  ces  difl'érentes 
versions,  ce  qu'il  y  a  de  certain  , 
c'est  que  les  deux  frères,  qu'une 
atleclion  mutuelle,  indépendam- 
ment des  mêmes  goûts  et  des  mê- 
mes poursuites  scientifiques ,  liait 
depuis  l'enfance,  firent  leurs  cal- 
culs et  leurs  expériences  en  com- 
mun. On  ne  saurait  donc  assigner 
à  chacun  une  part  distincte  de  gloi- 
re, et,  selon  leurs  piopres  désirs, 
la  leur  est  restée  indivise.  Ce  fut 
le  5  juin  I  jj83,  en  présence  de  tous 
les  habitans  de  la  ville  d'Annonay, 
et  des  députés  aux  états  particu- 
liers du  Vivarais,  qu'ils  lancèrent 
un  premier  ballon  de  grande  di- 
mension. La  machine  était  cons- 
truite en  toile,  doublée  de  papier, 
avait  I  lo  pieds  de  circonférence, 
et  pesait  5oo  livres.  Elle  s'éleva 
majestueusement  en  quelques  mi- 
nutes à  une  hauteur  de  plus  de 
1000  toises,  et  alla  tomber  au  loin 
dans  un  champ,  où  elle  causa  une 
grande  frayeur  aux  paysans  des 


MON 

environs,  qui  la  prirent  d  aii.^rfl 
pour  un  être  surnaturel  et  raalfai- 
i:ant,  mais  qui  s'enhiirdirent  enfin, 
l'attaquèrent  et  la  délruisireiit  à 
coups  de  fourches.  Etienne  Mont- 
golôer  se  rendit  à  Pari»,  et  répéta 
le  20  septembre  suivant,  à  Ver- 
sailles, son  expérience  devant  la 
cour  et  une  foule  'immense  de 
spectateurs.  Cette  fois  on  avait 
placé  des  animaux  dans  un  grand 
panier  sous  l'appareil;  ils  repri- 
rent terre  sans  avoir  éprouvé  de 
mal,  et  Ton  put  dcs-lors  se  con- 
vaincre que  (]e^  hommes  vague- 
raient sans  imminent  danger  dans 
le«  hantes  régions  de  Tair.  Pilaire 
du  Rosier  et  le  marqiii-^d'Arlandes 
fni-ent  les  premiers  qui  prirent  pos- 
session de  cet  élément,  en  s'élan- 
."ant  dans  un  ballon  perdu ,  un 
château  de  la  Muette,  et  parcou- 
rurent en  un  quart  d'heure  un  es- 
pace de  8000  t(M|es.  Joseph  Aiont- 
golûer  exécuta*  à  Lyon,  le  19 
janvier  de  l'année  suivante,  un 
nouveau' voyage  aérien.  Il  avait 
«hoisi  six  personnes  pour  l'ac- 
ccmipagner;  mais  l'enthousiastne 
«les  prétendans  à  cet  honneur  était 
tel,  qu'ils  furent  sur  le  point  nen 
venir  aux  mains  pour  soutenir 
leurs  droits.  L'engouement  pour 
T  e  genre  de  voy;iges  devint  extrê- 
me; nn  se  faillit  illusion  sur  le 
danger,  fli»ron  mettait  une  osten- 
tation de  courage  à  le  braver.  Le 
duc  d'Orléans  se  hasarda  aussi 
dan?  un  ballon  qui  partit  du  jar- 
din deMousscaux,  et  manqua  pé- 
rir. Dans  les  premières  monti^olfir- 
re«,  on  opérait  la  dilatation  de  Tiur 
atmosphérique  p-si-Ja  chaleur  d'un 
grand  fourneau  placé  ««ous  l'orifice 
de  l'appareil,  et  l'on  entretenait 
le  feu  avec  de  la  laine  et  de  la 

T.  XI r. 


310' 


w 


pnillo  bacliées  et  mêlées  ensemble. 
Cette  méthode  avait  de  graves  in- 
convéniens,  qu'on  reconnut  plus 
tard.  Le  feu  pouvait  facilement 
pafner  les  parois  de  la  galerie, 
et  embraser  le  ballon  même.  Il 
était  en  outre  impossible  de  cal- 
culer exactement  le  degré  néces- 
saire de  chaleur,  qu'il  fallait  aug- 
menter pour  s'élever  et  diminuer 
pour  descendre.  Des  secousses  dan- 
gereuses résultaient  cependant, 
pour  l'aérostat,  de  toute  erreur  gra- 
ve àcet  égard.  M.  Charles, physicien 
habile,  employa  le  premier  peur 
remplir  un  ballon  le  gaz  liydroscnr., 
dont  la  densité  n'est  qu'un  quin- 
zième de  celle  de  l'air  atmosphé- 
rique, et  choisit  pour  enveloppe 
dutaffetas.,  quil  rendit  imperméa- 
ble avec  un  vernis  composé  de- 
gomme  élastique,  dissoute  dans 
de  l'huile  bouillante.  Il  obtint  ainsi 
une  force  ascensionnelle  plus  gran- 
de et  indépendante  de  tout  travail 
ou  entretien  de  feu.  Son  expérien- 
ce, faite  en  commun  avec  le  mé- 
canicien Kobert ,  eut  im  succès 
complet.  Ils  partirent  des  Tuile- 
ries et  retombèrent  à  neuf  lieues 
de  Paris.  Robert  remonta  ensuite 
seul,  et  s'éleva  à  une  hauteur  de 
17.50  toises.  Ce  mode  d'ascension 
eut  dès-lors  la  préférence,  et  les 
r/iar/o/<t'5  prévalurent  sur  les  mow^- 
golfiéres.  Les  deux  frères  s'occu- 
pèrent ensuite  de  la  construction 
d'un  aérostat  de  270  pieds  de  dia- 
mètre, pour  lequel  le  gouverne- 
ment leur  avait  accordé  quelques 
secours.Il  devait  être, à  ce  qu'on  es- 
pérait,d'unecapacitéet  d'une  tcrce 
à  enlever  1200  hommes  avec  armes 
et  bagages  :  mais  la  révolution  vint 
interrompre  ces  travaux.  Joseph 
avait  en  attendant  inventé  le  pa- 
4 


5o  mo^ 

rachute,  dont  oti  fit  fl'aljord  Vcoî- 
wi  avec  des  animaux  à  Avignon, 
et  qu'il  appliqua  depuis  aux  bal- 
lons qn'ii  fit  construire  à  Anrtonay. 
Il  tut  peu  question  des  (Vère!<  Mo«t- 
golfier  pendant  les  orages  de  la 
révolution.  Joseph  poursuivait  en 
paix  ses  méditations  et  ses  expé- 
riences. Un  de  ses  ballons  fut  em- 
ployé avec  succès  pour  reconnaî- 
tre les  positions  et  les  manœuvres 
de  l'ennemi,  à  la  bataille  de  Flcu- 
rus.  Bonaparte,  parvenu  au  con- 
sulat, lui  donna  la  décoration  de 
la  légion-d'honneur.  Il  fut  ensuite 
nommé  administrateur  du  conser- 
ratoire  des  arts  et  métiers,  et  en 
1807,  membre  de  l'institut.  Ce 
fut  lui  qui  donna  la  première  idée 
de  la  Société!  d' encouragement  pour 
l'industrie.  Il  eut  aussi,  et  encore 
en  commun  avec  son  frère  Etien- 
ne,  le  mérite  de  l'invention  du 
bélier  hydraulique^  invention  émi- 
hemment  utile  aux  arts ,  et  à  une 
foule  de  jouissances  sociales.  Cette 
machine,  parla  seule  impulsion 
d'une  très-médiocre  chute  d'eau, 
la  porte  à  60  pieds  d'élévation.  Il 
en  avait  fait  la  première  applica- 
tion ,  dès  1792,  à  sa  papeterie  de 
Voiron,  et  perfectionna  depuis 
cette  machine  à  Paris.  Les  Anna- 
les des  arts  et  manufactures  don- 
nent la  description  d'une  autre 
machine,  qu'il  inventa  pour  dé- 
terminer la  qualité  des  différentes 
espèces  de  tourbes  du  Dauphiné, 
et  à  laquelle  il  donna  le  nom  de 
calorimètre.  Il  exécuta  aussi  ujie 
presse  hydraulique,  et,  dans  un 
voyage  en  Angleterre,  communi- 
qua celte  invention  à  Bramah, 
qui  l'établit  à  Londres,  en  recon- 
naissant les  droits  de  priorité  de 
Joseph  MontgeîÊer.  N.  de  Gôra»?- 


do,  dans  un  éloge  de  hii,  cite  Ie« 
Annales  de  chimie,  qui  ont  donné 
la  description  de  son  ventilateur, 
pour  distiller  à  froid  ,  par  le  con- 
tact de  l'air  en  mouvement,  com- 
me aussi  de  son  appareil  pour  la 
dessication  en  grand  et  à  froid 
des  fruits  et  autres  objets  de  pre- 
mière nécessité,  de  manière  à  ce 
qu'ils  soient  conservés  sans  alté- 
ration, et  puissent  être  rétablis 
ensuite  dans  leur  état  primitif  par 
la  restitution  de  l'eau.  Il  voulait 
dessécher  par  ce  procédé  le  moût 
de  raisin,  le  vin  et  le  cidre;  les 
rendre,  après  qu'ils  auraient  été 
ainsi  réduits  en  tablettes  de  petit 
volume,  transportables  à  de  gran- 
des distances  avec  économie. 
Montgolfier  a  enfin  légué  à  son 
fils,  héritier  de  ses  goûts  et  de 
ses  talens,  un  projet  pour  la  subs- 
titution aux  pompes  à  vapeurs 
maintttnant  en  usage,  un  appareil 
bien  plus  économique,  qu'il  ap- 
pela pyrobélier.  Monigolfier  fut 
frappé,  au  commencement  de 
1810,  d'une  apoplexie  qui  lui 
ôta  le  libre  usage  de  la  parole.  li 
se  rendit  aux  eaux  de  Balaruc , 
où  il  mourut  le  2O  juin  de  la  mê- 
me aimée.  Cet  homme  estimable, 
à  qui  les  sciences  et  les  arts  doi- 
vent de  si  grands,  de  si  utiles  pro- 
grès, était  d'une  douceur  et  d'u- 
ne simplicité  de  mœurs  remar- 
quables. Sa  naïve  bonhomie,  son 
abnégation  de  tout  intérêt  per- 
sonnel, ses  rêveries  et  ses  distrac- 
tions, l'ont  souvent  fait  comparer 
à  La  Fontaine.  Il  s'entretenait 
volontiers  d'objets  scientifiques, 
et  communiquait  facilement  dans 
la  conversation  ses  idées  sur  les 
i^rls,  mais  il  écrivait  peu.  On  n'a 
ÛQ  lui  que  de»  articles  en  petit 


MON 

nombre,  insérés  dans  qneltjues 
recueils,  un  Discours  sur  l'aéros- 
tat, 1783,  in -8°;  Mémoire  sur  la 
machine  aéroslalique,  1784,  in-8"; 
et  les  Voyageurs  uériera,  '784, 
iu-8".  MM.  "Uelanibr*:  et  de  Gu- 
rando  ont  chacun  composé  un  é- 
loge  de  Joseph  .Montgolfier. 

iMOMGOLFIER  (Jacqces- 
Etie>5E),  frère  du  précédent,  né 
à  Vidalon-les-Annonay  le  7ianvitT 
1745,  fnt  envoyé  très -jeune  à 
Paris,  où  il  ût  ses  élU'Ies  au  col- 
lège de  Sainte-Barbe.  Il  s"y  dis- 
tingua par  de  rapides  progrès  dans 
les  sciences  exactes,  et  se  d»;sti- 
nant  à  létat  d'architecte,  il  devint 
au  sortir  du  collège  élève  de  Soui- 
flot.  Tout  l'argent  qu'il  pouvait 
épargner  sur  la  liùble  pension  que 
son  père,  déjà  chargé. de  famille, 
lui  faisait  tenir,  ainsi  que  le  prix 
des  dessins  et  plans  qu'il  fut  hion- 
tôt  chargé  de  faire,  était  employé 
à  acheter  des  instrumens  de  ma- 
thématiques et  des  livres,  ou  à 
faire  des  expériences.  On  lui  con- 
fla  la  construction  de  l'église  du 
village  de  Fareujoutier,  dont  il  a- 
vait  donné  le  plan.  M.  lléveilloîi, 
qui  dirigeait  une  grande  manufac- 
ture de  papiers  à  Paris,  au  fau- 
bourg Saint-Antoine,  avait  aussi 
une  propriité  dans  ce  village  ,  et 
y  fit  la  connaissance  du  jeune  ar- 
chitecte, dont  il  sut  bientôt  ap- 
précier tout  le  mérite,  l^ue  étroite 
amitié  s'établit  entre  eux.  Réveil- 
lon le  chargea  de  donner  les  plans 
d'une  nouvelle  manufacture  qu'il 
voulait  établir,  et  les  ayant  ap- 
prouvés, le  chargea  encore  de  les 
faire  exécuter.  Plusieurs  années 
après,  il  lui  abandonna  ses  beaux 
jardins  du  faubourg  Saint-Antoi- 
ue,  pour  y  faire  ses  expériences 


WON 


5i 


aérostatique?.  Li  mort  d'un  frère 
aîné  fit  rappeler  Montgolfier  dans 
hi  maison  paternelle,  pour  pren- 
dre la  direction  de  la  grande  fa- 
brique de  papiers  d'Annonay. 
Moins  aventureux  dans  ses  expé- 
riences que  son  frère  Joseph,  et 
trop  habile  mathématicien  pour 
procéder  sans  de  rigoureux  cal- 
culs, il  obtint  cependant  d'impor- 
tantes améliorations,  et  rendit  son 
établissement  florissant.  Il  sut  en 
partie  deviner  et  bientôt  s'appro- 
prier entièrement  les  procédés  des 
ateliers  anglais  et  hollandais,  jus- 
qu'alors inconnus  en  France;  in- 
venta des  formes  pour  le  papiei" 
grand-monde ,  ftt  le  premier  du 
papier  vélin  ^  perfectionna  les  col- 
les et  les  séchoir-!,  et  enrichit  ainsi 
sa  patrie  de  découvertes  utiles. 
Sa  réputation  était  déjà  établie, 
quand  ses  méditations  sur  l'ou- 
vrage de  Priestley  [voyez  l'article 
précédent),  communiquées  à  son 
frère  Joseph,  les  conduisit  tous 
deux  à  l'invention  des  aérostats. 
Depuis  cette  époque,  sa  destinée 
se  trouva  si  étroitement  liée  à  celle 
de  ce  frère,  que  l'histoire  du  pre- 
mier devient  en  grande  partie  celle 
du  second.  Ils  firent,  ainsi  que 
nous  l'avons  déjà  dit,  toutes  leurs 
expériences  en  commun;  ils  es- 
sayèrent, pour  gonfler  les  pre- 
miersbailons, plusieurs  combusti- 
bles, plusieurs  substances  aérifor- 
mes  plus  légères  que  l'air  atmos- 
phérique,telles  que  l'eauréduiteeii 
l'état  de  vapeurs,  le  fluide  électri- 
que, le  ga7  inflammable  ;  ils  firent 
de> globes  de  papier,  de  toile,  de 
taffetas;  essayèrent  enfin  le  pre- 
mier grand  aréostat  aux  Célestins, 
prés  d'Annonay ,  et  répétèrent 
eelte  expérience  en  public  dan? 


52 


MON 


Annonay  même.  Ce  fut  Etienne 
qui,  engagé  par  son  frère  et  lous 
ees  amis  ,  se  chargea  d'exposer  ;\ 
Paris  leur  découverte  consmune, 
dont  ils  espéraient  de  plus,  à  cette 
époque,  pouvoir  tirer  parti  pour 
l'exploitation  des  beaux  bois  des 
montagnes  du  Vivarais.  Les  expé- 
riences furent  faites  eu  présence  de 
la  famille  royale,  à  Versailles  et  au 
château  de  la  Muette.  Etienne  fut 
présenté  à  la  cour;  Louis  XVI  le 
décora  du  cordon  de  Saint^Michel, 
donna  à  son  frère  Joseph  une  pen- 
sion de  looo  livres,  et  des  lettres 
de  noblesse  à  leur  vieux  père. 
Sous  la  direction  de  Faujas  de 
•Saint- Fond,  une  souscription  fut 
ouverte  et  bientôt  remplie  ,  dont 
le  produit  fut  employé  à  faire 
frapper  deux  médailles  en  hon- 
neur de  cette  découverte,  la  pn- 
raière  de  18  lignes,  la  seconde  de 
22,  portant  l'effigie  des  deux  frè- 
res, et  rappelant  les  diverses  as- 
censions. Accueilli  partout  avec 
enthousiasme  ,  Montgolfier  fut 
surtout  sensible  aux  témoignages 
d'estime  et  d'amitié  que  lui  valu- 
rent, non  moins  que  ses  talens  ou 
le  bonheur  de  sa  découverte,  son 
caractère  honorable.  Admis  dans 
l'intimité  de  Lavoisier,  du  ver- 
tueux duc  de  la Rochefoucault,  de 
Condorcet,  de  M.  Boissy-d'Anglas, 
il  ne  cessa  depuis  d'entretenir  des 
relations  avec  ces  hommes  distin- 
gués. La  révolution  vint  inter- 
rompre les  travaux  auxquels  il  se 
livrait  avec  son  frère,  et  pour  les- 
quels ils  avaient  amassé  à  grands 
frais  des  matériaux  considérables. 
Montgolfier  ne  prit  aucune  part 
aux  troubles  politiques ,  se  retira 
dans  sa  manufocture,  poursuivant 
le  cours  de  ses  recherches  et  per- 


MON 

feclionnant  sans  cesse  ses  pro- 
duits. C'est  à  cette  époque,  et  peu 
de  temps  avant  le  règne  de  la  ter- 
reur, qu'Etienne  et  Joseph  inven- 
tèrent Ifi  bélier  hydraulique.  Ils 
rendirent  tous  deux  de  grands  ser- 
vices à  plusieurs  personnes  me- 
nacées ou  poursuivies,  dans  le 
midi  de  la  France,  pendant  les 
orages  de  la  révolution.  Etienne 
fut  lui-même  dénoncé  plusieurs 
fois,  et  n'échappa  que  parl'airec- 
tion  et  !e  dévouement  des  nom- 
breux ouvriers  qu'il  employait,  à 
une  airestalion  qui,  à  cette  épo- 
que, et  surtout  dans  la  contrée 
qu'il  habitait,  était  toujours  ac- 
compagnée d'un  danger  imminent 
pour  la  vie  même.  Il  eut  le  bon- 
heur cependant  de  voir  luire  le  () 
thermidor,  et  de  retrouver  du 
calme  et  une  sécurité  parfaite  a- 
près  la  chute  du  parti  de  Robes- 
pierre :  mais  il  n'en  jouit  que  cinq 
années.  Atteint  depuis  quelque 
temps  d'une  maladie  au  cœur,  il 
se  rendit  à  Lyon  avec  sa  famille; 
il  y  reconnut  bientôt  toute  l'inef- 
ficacité des  secoiu'S  de  la  médeci- 
ne, et  pressentant  lui-mêtne  sa  fin 
prochaine,  pour  ne  point  donner 
à  sa  femme  et  ses  enîans  le  triste 
spectacle  de  sa  mort,  il  prétexta 
un  voyage  indispensable,  partit 
seul  pour  Annonay,  et  succomba, 
ainsi  qu'il  l'avait  prévu,  avant  d'y 
arriver.  Ce  fut  à  Serrières ,  le  ft 
aofit  1799,  qu'il  mourut,  laissant 
de  bien  vifs  regrets  à  ses  nom- 
breux amis  comme  à  son  frère 
Joseph,  plus  âgé  que  lui.  Ce  der- 
nier (ni  survécut  plusieurs  années, 
mais  resta  toute  sa  vie  inconso- 
lable de  la  perte  du  fidèle  compa- 
gnon de  ses  travaux,  et  de  cet  au- 
tre modèle  de  l'amitié  fraternelle. 


MON 

MONTGRAND  (Jean-Baptiste- 
Jacqves  -  Gci  -  Thébèse  ,   marqvis 
de),   d'une   ancienne   famille  de 
Provence,  né  en  1776,  quitta  la 
France  en  1790,   se  retira  à  Vé- 
rone,  et  ayant  obtenu  sa  radia- 
tion de  la  liste  des  émigrés,  rentra 
dans  sa  patrie,  où,  jusqu'en  i8i5, 
il  vécut  ignoré,  A  cette  époque, 
il  devint  maire  de  Marseille,    et 
membre  de  la  légion -d'honneur 
après   la   première    restauration , 
en  i8i4-  Maintenu  daas  ses  fonc- 
tions de  maire  par  le  gouverne- 
meut  du  roi,  il  fut  ensuite  nommé 
officier  de  Ja  légion -d'honneur. 
Lors  des  événemens  du  20  mars 
)8i5,  M.  de  Montgrand  s'opposa 
de  tout  son  pouvoir  aux  mou»e- 
meusqui  se  préparaient  en  faveur 
de  Napoléon;  il  donna  sa  démis- 
sion au  moment  même  où  la  ville 
venait  de  se  soumettre  :  sa  desti- 
tution et  son  remplacement  ne  lui 
furent,  notifiés  que  deux  jours  a- 
près.  On  le  regarde  comme  l'au- 
teur de  ]a  Lettre  d'un  Marseillais 
au  marcchat  Masséna,  sans  date. 
Depuis  cette  époque,  M.  de  Mont- 
grand  a  cessé  d'être  en  évidence. 
MONTHION    (  Fr.v>çois-GÉ- 
dÉon-Bailly,   comte  de)  ,   lieute- 
nant-général,  graiul'croix    de   la 
légion -d'honneur,    chevalier    de 
Saint-Louis,  et  de  diOérens  ordres 
étrangers,  est  né  ù  l'île  Bourbon, 
ea  Afrique,  le  27  janvier  1770.  Sa 
famille  avait   servi   avec  dislinc- 
lion    dans  la  guerre  de  sept  ans, 
et  son  père,  comme  officier,  au 
régiment  de  Condé.  Destiné  à  )a 
carrière  militaire,  et  après  avoir 
fait  de  bonnes  études  à  Paris,  il 
entra,  à  i'ûge  de  17  ans,  en  qua- 
lité de   sous -lieutenant  au   74"* 
régiment ,  le  24  février  i-i}.*».   Il 


MON  53 

lit  sa  prertîière  campagne  à  l'ar-         ipi 
niée  de  la  Moselle,  et  se  trouva  à  ' 

plusieurs  affaires.  Avant  d'entrer 
dans  les  détails  de  sa  vie  itiilitaire 
et  des  opérations  auxquelles  il  a 
pris  part,  nous  remarquons  qu'il 
passa  successivement  parles  gra- 
des de  lieutenant,  capitaine,  chef 
'd'escadron,  colonel,  général  de 
brigade,  général  de  division,  de- 
puis 1790  jusqu'en  1812,  époque 
où  il  obtint  ce  dernier  grade;  qu'il 
futchargé  de  hautes  missions,  et  fut 
(■hefderétat-major-géaéral de  gran- 
des armées,  en  Allemagne,  en  Es- 
pagne, en  Pologne  et  en  Russie, 
peudaÉlô  ans;  eut  le  titre  d'aide- 
major-général  des  armées,  et  exer- 
ça lui-même  les  fonctions  de  ma- 
jor-général, depuis  le  1"  février 
18 15  jusqu'au  jour  de  la  bataille 
de  L'Jlien,  le  2  juin,  et  depuis  le 
24  août  jusqu'à  la  fin  d'octobre  de 
la  même  année.  Rappeler  ces 
fonctions,  c'est  donner  l'idée  de 
tous  les  moyens  qu'il  fallait  dé- 
ployer en  activité  et  en  précision, 
dans  les  ordres  et  les  détails  d'une 
armée  colossale,  manœuvrant  sans 
ces;<e  4t:vant  un  ennemi  plus  nom- 
breux encore,  et  dont  on  ne  pou- 
vait déjouer  les  entreprises  que 
par  des  attaques  journalières.  Il  a 
servi  aux  armées  de  la  Moselle,  du 
îSord,  des  Pyrénées-Orientales,  de 
l'Ouest,  de  Sambre-et-.Meusc,  de 
Mayence  et  d'Italie,  et  s'est  trou- 
vé aux  affaires  du  bois  du  Tilleul, 
forêt  de  Mormal,  armée  du  Nord; 
à  celles  de  Tiffange* ,  Cholet, 
Landes  de  Bonin  et  Corpoué  , 
Machecould;  prise  de  l'île  de  Noir- 
nioutiers,  armée  de  l'Ouest,  etc. 
Précédemment  il  avait  été  compris 
dans  une  mesure  de  sûreté,  em- 
ployée   par   les   représentaiis   en 


D4 


MON 


mission  aux  armées,  qui  destituè- 
rent, sans  dietinclion,  tous  les  of- 
ficiers nobles  à  la  division  de  Mau- 
beuge.  11  quitta  son  n'jgiment , 
tnais  on  le  réintégra  bientôt  en 
(pialité  d'aide-de-camp  du  géné- 
ral en  chef  de  'l'armée  des  Py- 
rénées-Orientales. En  1800,  il 
fut  de  la  célèbre  campagne  d'Ita- 
lie, eut  un  cheval  tué  au  combat 
<lu  4  juin,  près  Suze,  et  fut  du 
nombre  des  officiers  récompensés 
après  la  bataille  de  IMarengo  :  il 
obtint  le  brevet  de  chef  d'esca- 
dron au  9™*  régiment  de  chasseurs 
à  cheval,  A  la  reprise  des  hostili- 
tés, en  iS«5,  il  fut  choisllil^>ar  le 
ministre  de  la  guerre,  maréchal 
Berthier,  depuis  prince  de  Neuf- 
châtel  et  de  W'agram,  pour  faire 
partie  du  petit  nombre  des  olli- 
ciers  qui  lui  étaient  partSIfclière- 
jnent  attachés,  et  ne  l'a  pas  quitlé 
jusqu'en  i8i4-  H  s'est  trouvé  aux 
affaires  d'IJlm,  Memingen,  Holla- 
brun,  et  à  la  bataille  d'Austerlitz  ; 
tUc  lui  valut  le  grade  de  colonel 
et  d'ofTicier  de  la  légion-d'hon- 
neur, ainsi  que  la  croix  ùil  mérite 
militaire  de  Bavière.  Immédiate- 
ment après,  il  fut  chargé  de  mis- 
sionsdiplomatiques,  près  des  cours 
de  Wurtemberg,  de  Bade  et  de 
H  esse,  dont  il  reçut  des  témoigna- 
ges de  considération.  Ce  fut  pen- 
dant la  campagne  de  Prusse,  en 
1806,  qu'il  commença  à  exercer 
les  fonctions  d'aide-major-général; 
cette  campagne  fut  suivie  de  celle 
de  Pologne  ;  il  s'est  trouvé  aux 
principales  afl'aires  de  Nasielz , 
Novemiasto,  Golimin,  Hoff,  et  à 
la  bataille  d'Eylau,  pour  la  cam- 
pagne d'hiver,  et  à  celles  de  Gud- 
stadl,  Heilsberg,  et  à  la  bataille  de 
Triedland,  pour  celles  d'été.  Lors- 


M0>^ 

qu'on  traitait  de  la  paix,  il  fut 
gouverneur  de  ïilsilt,  pendant  le 
séjour  des  souverains.  11  fut  élevé 
au  grade  de  commandant  de  la 
légion-d'honneur.  En  1808,  par 
suite  d'un  traité  entre  la  France 
et  l'Espagne,  trois  corps  d'armée 
furent  dirigés  sur  la  frontière, 
pour  pénétrer  en  Portugal.  Dési- 
gné pour  être  chef  d'état-major  du 
prince  qui  les  commandait  en  chef, 
il  reçut  le  grade  de  général  de  bri- 
gade, fit  la  campagne,  se  trouva 
aux  affaires  de  Bilbao,  de  Somo- 
s!erra  et  de  Benavente,  et  quitta 
l'Espagne  pour  exercer  les  fonc- 
tions de  chef  d'état-major-général 
de  la  grande-armée,  lorsde  la  cam- 
pagne de  1809,  contre  l'Autriche. 
Arrivé  seul  à  Donawerth,  il  y  fut 
suivi  par  un  régiment  provisoire 
de  cuirassiers;  le  roi  de  Bavière 
abandonnait  Munich,  et  l'armée 
autrichienne ,  commandée  par  le 
prince  Charles,  passait  l'Inn,  à 
Landshutt;  le  prince  de  Wagrau) 
et  l'empereur  arrivèrent  quelques 
jours  après.  Il  rendit  compte  à 
l'empereur  des  mouvemetis  de 
Trinnemi.  qui,  après  le  passage  de 
l'Inn,  avait  fait  tête  de  colonne  à 
droite,  se  dirige.int  sur  Batisbon- 
ne.  Sur  cet  avis,  et  sur  l'aperçu 
de  la  carte ,  ce  prince  s'écria  : 
«  L'armée  autrichienne  est  per- 
»due,  nous  ea  aurons  bon  comp- 
»te;  dans  un  mois  nous  serons  ;\ 
«Vienne.  »  Paroles  que  les  évènc- 
mens  justifièrent.  A  la  première 
alîaire  de  Rorh,  les  troupes  bava- 
roises, avec  lesquelles  on  se  battit 
contre  les  Autrichiens,  furent  mi- 
ses sous  le  commandement  imn)é- 
diat  du  prince  de  Whgram  (  l'em- 
pereur voularU  avoir,  pendant 
l'action,  le  prince  de  Bavière  au- 


MON 

près  de  sa  personne  ).  Le  prince 
avait  donné  an  général  Monthion 
le  comnnandement  de  l'aile  gau- 
che ;  des  bataillons  entiers  avec 
drapeaux  et  artillerie,  furent  faits 
prisonniers.  Ce  premier  avantage, 
suivi  d'une  campagne  brillante, 
fera  époque  par  les  victoires  rem- 
portées aux  batailles  d'Eckmiihl, 
d'Essiing  et  de  Wagram.  Le  gé- 
néral Monthion,  qui  fut  constam- 
ment employé  pendant  ces  jour- 
nées, eut  trois  chevaux  tués,  et 
reçut  du  prince  de  Wagram,  au 
nom  de  l'empereur,  une  lettre  de 
félicitation  ,  pour  lui  et  son  état- 
major.  Son  titre  de  baron  fut  rem- 
placé par  celui  de  comte,  et  sa  do- 
tation, de  10,000  francs  de  rente, 
fut  portée  au  double  :  il  reçut  é- 
galement  le  grand  cordon  de  l'or- 
dre de  Hesse,  et  celui  de  com- 
mandeur de  l'ordre  militaire  de 
"Wurtemberg.  La  paix  de  Pres- 
bourg  le  ramena  à  Paris,  avec  le 
prince  do  Wagram.  Il  fut  chargé. 
en  1810,  de  l'inspection  des  divi- 
.Mons  qui  marchaient  vers  l'Espa- 
gne. En  181 1.  il  fut  nommé  com- 
mandant de  la  frontière  de  France 
et  d'Espagne,  et  d^une  division 
d'infanterie  de  20,000  hommes, 
campée  sous  Bayonne.  Dans  ce 
commandement  important,  il  re- 
çut les  félicitations  de  l'empe- 
reur, pour  les  dispositions  qu'il 
prit  sur  lui,  âam  des  cas  d'urgen- 
ce, et  notamment  lors  de  l'attaque 
des  Espagnols,  en  avril  1811.  La 
guerre  de  Russie,  en  1812,  le  fit 
appeler  aux  fonctions  de  chef  de 
l'élal-major-général  de  la  grande- 
armée.  Il  vint  prendie  ses  ins- 
tructions à  Paris,  et  porta  le  quar- 
tier-général à  Berlin.  Le  général 
Monihinn   fut  élevé,  dans   celle 


MON  55 

canjpagne,  au  grade  de  général  de 
division.   Il  s'est  trouvé  aux  ba- 
tailles de  Smolensk  ,    Borodino, 
Moskowa,  Mala-Yo,  Roslawetz;  à 
la  retraite,  au  passage  de  la  Béré- 
sina,  et  arriva  à  Konigsberg  avec 
les  débris  d'une  armée  couverte 
de  gloire,  mais  en  partie  détruite 
par  l'excessive   rigueur  des  élé- 
mens.  Par  suite  du  départ  de  l'em- 
pereur, et  de  l'absence  du  prince 
de  Wagram,  attaqué  d'une  mala- 
die grave,  l'armée  fut  placée  sous 
le  eommandetnent  du  prince  Eu- 
gène, et  les  fonctions  de  major- 
général  furent  confiées  au  géné- 
ral Monthion,  le  i"  février  181 5. 
On  rallia  les  débris  des   troupes, 
d'abord  à  Poscn,  puis  sur  l'Oder, 
et  enfin  sur  l'Elbe,  que   l'on  prit 
pour  ligne  d'opérations  ,   afin  d« 
laisser  à  l'empereur  le  temps  de 
créer   et    d'organiser    ces   jeunes 
conscrits  qui  vinrent  cueillir  leurs 
premiers  lauriers  dans  les  plaines 
de  Lutzen  :  il  fallut,  à  cet  effet,  se 
porter  successivement  du  haut  au 
bas  Elbe,   le  passer  quelquefois, 
attaquer  souvent   l'ennemi    pour 
l'empêcher  de  faire  usage  de  ses 
moyens  ofl'ensifs.  Tous  les  enga- 
gemens    furent  à   l'avantage  des 
Français,    et   comme  partoiit  le 
prince    Eugène   commandait    en 
personne ,    le   général   Monthion 
disposait  les  divisions  destinées  à 
toutes  les  attaques.  Vers  la  fin  d'a- 
vril, l'armée  de  l'Elbe  reçut  l'or- 
dre de  se  joindre  aux  troupes  de 
l'empereur,   sur  Mersebourg,  et 
après  avoir  pourvu  aux  places  de 
Torgau  ,   Wurtemberg,   Magde- 
bourg,  l'armée,  en  trois  jours,  ar- 
riva dans  les  plaines  de  L»»fzen,  la 
veille  au  soir  du  jour  de  la  bataille. 
Celle  bataille,  comme  les.  précé- 


jO 


MON 


«lentes,  fut  gagnée  par  les  Fran- 
çais; on  sait  la  part  que  prit  à  la 
A'ictoire.  l'aile  gauche  comtnandce 
})ar  le  prince  Kugène ,  et  où  se 
trouvait  le  gcnùral  Monlliion.  Le 
surlendemain,  il  reprit  ses  îonc- 
lions  auprès  du  prince  de  NVagiarn, 
et  se  trouva  aux  alTaires  de  Baut- 
zen  et  de  >Vurchen.  Le  général" 
Monthion  tomba  d angerensemeiit 
malade,  le  lendemain  de  la  ba- 
taille de  "VVurchen  ;  le  prince  de 
^yagram,  quelque-^  jour»  après, 
lui  écrivit,  à  ce  sujet,  le  billet  le 
plus  flatteur.  Une  silspension  d'ar- 
mes eut  lieu  :  les  hostilités  ne  re- 
prirent qu'au  mois  d'août.  Le 
prince  de  AYagram ,  éloigné  de 
nouveau  des  altaircs  par  une  forte 
maladie,  fut  remplacé  parlegéné- 
ral  Monthion,  dans  les  importan- 
tes fonctions  de  inajor-général.  Il 
fut  nommé  grand-ulïicier  de  la 
légion-d'honueur,  et  fit  la  campa- 
gne de  France  de  18  i  4-  Après  l'ab- 
dication de  l'empereur,  il  reçut  la 
croix  de  Saint  Louis.  Ln  18 15,  a- 
prés  le  départ  du  roi,  les  armées 
étrangères  menaçant  le  territoire 
français,  il  accepta  les  fonctious 
de  chef  de  l'état-rnajor-général  de 
l'armée  commandée  par  Napo- 
léon; il  s'est  trouvé  aux  batailles 
de  Ligny  et  de  Waterloo.  A  celle 
dernière,  il  fut  légèrement  blessé. 
Le  général  Monthion  est  porté  sur 
le  tableau  des  huit  lieulenans-gé- 
néraux  du  corps  royal  d'état- 
juajor,  créé  par  ordonnance  roya- 
le du  6  n)ai  1818. 

MONTIIOLON  (Chari-es-Tris- 
XAN,  COMTE  de),  général,  aide- 
de-campde  l'empereur  Napoléon, 
commandant  de  la  légion-d'hon-. 
neur,  et  revêtu  deplusieurs  grîsnds 
oj-drcs  élranscrs.   né   i   l'aris  ou 


MON 

1785.8011  père, le  marquis  deMon- 
tholon, colonel  du  régi  m  eut  de  dra- 
gons de  Pcnthièvreet  premierve- 
neur  de  Monsieur  (aujourd'hui 
Louis  XVIil),  mourut  l'année  qui 
précéda  la  révolution,  laissant 
plusieurs  cnfans  en  bas  âge.  Se 
destiuantdès  sa  première  jeunesse 
à  la  carrière  des  armes,  M.  de 
Montholon,  encore  enfant,  avait 
été  embarqué  vers  1792  sur  la 
frégate  la  Junon ,  qui  faisait  par- 
tie de  l'escadre  commandée  par 
l'amiral  Truguet,  lors  de  l'expé- 
dition deSardaigne.  Étant  débar- 
qué en  Corse  i  il  y  fut  connu  et 
disii'jgué,  inalgré  sa  jeunesse,  par 
Bonaparte,  alors  lieutenant-colo- 
nel d'artillerie.  En  1797,  à  jieine 
âgé  de  i5  ans,  le  jeune  Montholon 
entra  dans  un  régiment  de  cava- 
lerie légère,  et  toujours  en  activi- 
té de  service  depuis  celte  époque 
jui^qu'en  i8i5,  sa  conduite  mili- 
taire fut  des  plus  honorables.  Il 
a  fait  les  campagnes  d'Italie, 
d'Allemagne,  de  Pologne,  d'Ls- 
jiagne  et  de  France;  s'est  trouvé 
à  toules  les  batailles  mémorables; 
s'est  particulièrement  distingué  à 
celles  d'Austerlitz,  de  Wagram  , 
d'Icna,  de  Friediand,  et  a  été  l)les- 
sé  cinq  fois.  En  1807,  il  passa  à 
l'éîat-major  en  qualité  de  colonel- 
aide-de-campdu  maréchalBerthier, 
prince  de  Neuchâtel,  et  fut,  en 
1809,  attaché  à  la  maison  de  l'em- 
pereur, dont  il  devint  chambellan. 
Il  remplit  avec  succès  plusieurs 
nu'ssions  particulières,  et  fut  nom- 
mé par  Niipoléon  ,  en  1811, 
ministre  plénipotentiaire  près  de 
l'archiduc  d'Autriche  Ferdinand, 
alors  grand-duc  de  Wurtzbourg. 
C'est  de  cette  ville  qu'il  envoya 
au  gouvernement  français  un  rap- 


^/^'  ^ 

^  y 


^V/  //  Yf/     <_/  /U'/lûLT^/ly. 


MON 

port  remarquable  sur  la  situation 
intérieure  de  rAllemague  ,  et  sur 
la  disposition  secrète  des  princi- 
paux cabinets,  qui  n'attendaient 
et  ne  désiraient  qu'une  occasion 
favorable  pour  renouer  les  liens 
des  ancieiuies  coalitions,  et  pour 
tourner  de  nouveau  leurs  armes 
contre  la  France.  Rappelé  de 
"NVurtrbourg  en  i8i4j  M-  àe 
Montholon  eut  le  commandement 
en  chef  du  département  de  la  Loi- 
re, où  il  avait  déjà  pris  toutes 
les  mesures  nécessaires  pour  op- 
poser une  vigoureuse  résistance 
a  l'invasion  des  troupes  autrichien- 
nes, lorsqu'il  reçut  la  nouvelle  de 
l'abdication  de  l'empereur.  Il  vo- 
le aussitôt  à  Fontainebleau  polir 
lui  oftVir  de  nouveaux  services, 
déjà  résolu  à  l'accompagner  par- 
tout,  et  à  s'attacher  à  son  infor- 
tune; mais  Napoléon  crut  devoir  a- 
lors  se  refuser  à  ce  généreux  dé- 
vouement. Au  retour  delUe d'El- 
be, et  pendant  les  cent  jours,  M. 
de  Montholon  reprit  les  fonctions 
d'aide -de-camp-général,  assista 
à  la  bataille  de  Waterloo,  accom- 
pagna enfln  Napoléon  à  Sairjte- 
Héléne  ,  et  n'a  cessé  depuis  de  lui 
donner  des  preuves  du  plus  ten- 
dre attachement.  Investi  de  sa 
conGance,  et  nommé  son  premier 
exécuteur-testamentaire,  M.  de 
Montholon  est  devenu  aussi  le 
dépositaire  d'une  partie  de  ses 
manuscrits.  Il  en  a  déjà  publié  5 
volumes  conjointement  avec  le 
général  Gourguud,  qui  eut  paru 
chez  les  fréies  Bo*sange. 

MONTHUREUX(le  baron 

FRAiSeoiS-LoriS-JoSEPH  BoiiRCIEK), 

colonel  de  cavalerie,  chevalier  de 
Saint-Louis,  de,  la  légion-d'hon- 
neur et  du  Croi-ssanl,  est   ué  à 


MON 


57 


Nancy,  le  4  mai  1768.  Il  émigra 
en  1790,  alla  rejoindre  le?  armées 
rassemblées  au-delà  du  Rhin,  fit 
cinq  campagnes  sous  les  ordres  du 
prince  de  Condé,  et  huit  dans 
l'armée  anglaise,  qu'il  suivit  en 
Egypte.  En  18145  ''U  moment  de 
l'invasion  des  troupes  alliées  en 
Lorraine,  il  fut  choisi  par  ses  con- 
citoyens pour  commandant  civil 
de  la  ville  de  Nancy.  Nommé  pré- 
fet de  la  Corse  à  la  première  res- 
tauration en  i8i4j  il  rentra  dans 
ses  foyers  par  suite  du  retour  de 
Napoléon  ,  au  mois  de  mars  181 5. 
Le  'J.5  juin,  nommé  commandant 
supérieur  de  l'arrondissement 
d'Aix,  il  le  défendit  contre  le  ma- 
réchal Brune.  M.  de  Rivière,  gou- 
verneur pour  le  roi  dans  le  Midi, 
le  chargea  de  se  rendre  à  Toulon, 
afin  d'y  entamer  des  négociations 
pour  la  reddition  de  cette  place. 
En  décembre  181  5,  le  roi  le  nom- 
ma préfet  de  la  Dordogne,  d'où 
il  fut  rappelé  en  1817.  Depuis  cette 
é})oque,  M.  Monthureux  a  cessé 
d'être  en  évidence. 

MONTHYON  oc  MONTYON 
(Antoine -Jeak-Baptiste -RoBERT- 
AccrsTE,  BAROîi  de),  ancicu  con- 
seiller-d'état, chancelier  de  Mon- 
sieur,  etc.,  naquit  le  26  décembre 
1735,  et  mourut  dans  sa  87*  an- 
née (le  29  décembre  1820).  Hé- 
ritier d'une  fortune  considérable, 
il  en  employa  une  partie  à  encou- 
rager les  lettres,  et  à  protéger  les 
jeunes  gens  qui  les  cultivaient. 
Souvent,  sous  le  voile  de  l'anony- 
me, il  venait  au  secours  de  nos  a- 
cadémies,  lorsqu'elles  exprimaient 
le  regret  de  n'avoir  pas  de  seconds 
prix  à  donner;  il  s'empressait  a- 
lors  d'en  fournir  les  fonds.  On  re- 
marqua que  dans  un    coiicours. 


58 


MON 


l'acadénnie,  qui  l'avait  ouvert, 
ayant  jugé  favorablement  4  ou- 
vrages et  n'ayant  qu'un  prix  à  dis- 
tribuer, elle  reçut  aussitôt,  dans 
3  lettres  anonymes,  les  fonds  des 
3  autres  prix,  comme  s'ils  étaient 
offerts  par  5  bienfaiteurs  différens. 
Ce  fui  M.  deMonlhyon  qui  fonda, 
«n  1782,  un  prix  de  1,200  francs, 
pour  l'ouvrage  que  l'académie 
française  aurait  reconnu  le  meil- 
leur de  ceux  publiés  dans  l'année. 
H  fonda  aussi  à  la  même  époque 
•un  prix  de  vertu.  Cet  homme  es- 
timable donna  souvent  des  preu- 
ves de  sa  bienveillance  pour  les 
jeunes  littérateurs.  L'un  d'eux, 
dont  on  lui  parla  avec  intérêt,  an- 
nonçait des  talens  remarquables; 
mais  il  était  sans  fortune.  M.  de 
Monthyon  lui  fait  offrir  une  pen- 
sion ,  à  la  seule  condition  que  la 
personne  qui  en  constituerait  les 
fonds,  resterait  inconnue.  Le  jeu- 
ne écrivain  refusa  précisément  à 
cause  de  la  réserve;  noble  combat, 
où  cependant  l'homme  de  lettres 
eut  l'avantage,  puisque,  par  déli- 
catesse, il  se  priva  de  la  pension 
qui  lui  était  offerte.  M.  de  Mon- 
thyon,  alors  intendant  d'Auver- 
gne, se  faisait  chérir  dans  son  ad- 
ministration, par  ses  talens  et  par 
son  humanité.  Sa  fortune  sup- 
pléait à  l'insuffisance  des  fonds  mis 
à  sa  disposition;  et  les  pauvres  du- 
rent à  sa  constante  sollicitude, 
dans  toutes  les  grandes  circons- 
tances, d'utiles  travaux  et  d'abon- 
dans  secours.  Les  habitans  d'Au- 
rillac  lui  consacrèrent,  lorsqu'il 
quitta  sojn  intendance,  un  obélis- 
que en  témoignage  de  leur  recon- 
naissance. Certes,  il  méritait  cet 
hommage,  non-seulement  par  sa 
bienfaisance,  mais  encore  par  sa 


MON 

fermeté  à  résister  au  pouvoir.  Les 
auteurs  d'une  îiotice  sur  cet  ancien 
magistrat  s'expriment  ainsi  à  cet 
égard  :  »  Entré  au  conseil  du  roi, 
»il  fut  le  seul  qui.  en  1766,  tenta 
»de  s'opposer  à  l'infraction  de$ 
«lois  de  l'état,  par  laquelle  ce  con- 
»seil  se  trouvait  transformé  en 
«commission  criminelle  pour  ju- 
»ger  La  Chalotais.  Plus  tard,  il 
»  refusa  de  coopérer  à  la  suppres- 
Bsion  des  cours  de  justice  en  ins- 
wtallant,  dans  la  province  dont 
«l'administration  lui  avait  été  con- 
»  fiée,  le  corps  de  magistrats  dési- 
»  gné  par  le  chancelier  Maupeou 
»(voy.  MAtPEOxj)  pour  y  rempla- 
»cer  la  cour,  depuis  long-temps 
«existante.  Il  perdit  son  inten- 
»dance  par  ce  refus,  et  ne  devint 
«conseiller -d'état  qu'en  1775.  » 
M.  de  Monthyon  obtint,  en  1780, 
une  charge  à  la  cour  par  un  évé- 
nement assez  singulier.  Un  jour 
qu'il  devait  être  admis  à  une  au- 
dience du  roi,  il  excita,  par  son 
costume  antique  et  sa  perruque 
énorme,  la  gaîté  de  quelques  jeu- 
nes seigneurs;  Monsieur  [alors  M.. 
le  comte  d'Artois),  bien  jeune  en- 
core ,  se  laissa  entraîner  à  cette 
gaîté  communicative,  et  en  fut 
sévèrement  réprimandé  par  le  mo- 
narque. Le  lendemain,  le  jeune 
prince  se  présentadevantlui  :«  J'ai 
«imaginé,  dit  S.  A.  R.  ,  un  bon 
«moyen  de  réparer  mon  tort  en- 
»  vers  M.  de  Monthyon  ;  votre  ma- 
«jesté  n'a  point  encore  nommé  à 
«l'emploi  de  chancelier  dans  ma 
)» maison  :  je  viens  le  demander 
«pour  lui.  »  C'est  ainsi  que  M.  de 
Monthyon  devint  chancelier  de 
Monsieur,  qu'il  suivit,  en  1791,  à 
l'étranger.  Il  ne  rentra  en  France 
qu'en  181 5.  Outre  les  dotations 


MON 

qu'il  a  faites  en  faveur  des  acadé- 
mies pour  différens  prix,  et  dont 
le  capital  s'c'evait.  avant  la  révolu- 
tion, à  plu?  de  60.000  francs,  il  a 
légué  par  leetament,  aux  hospices, 
une  somme  de  près  de  trois  mil- 
lions de  fr^cs.  M.  de  Monthyon 
a  concouru  deux  fois  à  l'académie 
française.  En  1777.  il  obtint  un  ac- 
cessit pour  Y  Eloge  du  chancelier  de 
/'^t>/)<7fl/;  et  plus  lard,  le  prix  qu'el- 
le avait  proposé  sur  celft;  ques- 
tion :  De  V Influence  de  la  décou- 
verte (le  l' Amérique  sur  C Europe; 
onfln  il  fut  couronné  ,  en  1800,  à 
l'académie  de  Stockholm,  pour 
son  Ménxoire  sur  les  progrès  des 
lumières  dans  le  18*  sieclc.Em^oy, 
M.  de  Monihyon  composa  un 
Eloge  de  Corncifie,  sujet  mis  au 
roncours  par  l'institut  impérial;  ce 
discours  ne  fut  point  admis  à  con- 
courir, par  des  considérations  par- 
ticulières: néanmoins  l'auteur  le  fit 
imprimer,  et  il  parut  à  Londres.  On 
doit  encore  à  M.  de  iVl!)nthyon:i'' 
Rapport  adressé  à  Louis  XV lll, 
sur  les  principes  de  l'ancienne  mo- 
narchie française,  Londres,  1 7p8, 
ouvrage  auquel  donna  lieu  le  Ta- 
bleau de  PEurope,  de  M.  de  Ga- 
lonné, et  où  cet  ancien  ministre 
établissait  que  la  nation  françai- 
se avait  été  quatorze  siècles  sans 
constitution.  M.  de  Monthyon  sou- 
tenait dans  son  ouvrage  que  cette 
conslitution  existait,  mais  il  re- 
connaissait qu'elle  avait  été  a  cons- 
ntaunnent  violée  par  les  rois  de 
«France.»  2"  Particularités  et  ob- 
servations sur  les  ministres  des  fi- 
nances les  plus  célèbres ,  depuis 
\';iw  jusqu'en  1791  ,  Londres  et 
Paris,  1812,  in -8";  3'  Quelle  in- 
fluence ont  les  diverses  espèces  (f  im- 
pôts sur  la  moralité,  l'activité  et 


MON 


59 


l'industrie  des  peuples  ,  Paris , 
j8o8.  Celte  question  avait  été  pro- 
posée par  la  société  royale  de 
Goettinguc.  Les  événemens  poli- 
tiques ne  lui  permirent  pas  d'eu 
décerner  le  prix.  4"  -E'a^  statis- 
tique du  Tunkin;  5°  on  lui  at- 
tribue généralement  la  plus  gran- 
de partie  du  livre  de  Moheau,  qui 
parut  en  1778  et  qui  a  pour  titre  : 
Recherches  et  considérations  sur  la 
population  de  la  France.  6*  On  lui 
attribue  encore  la  rédaction  du 
Mémoire  des  princes,  qui  parut 
en  1789.  La  vie  constamment  ho- 
norable de  ce  magistrat  est  peinte 
en  quelque  sorte  dans  les  paroles 
qu'il  adressait  à  S.  M.,  en  1790  : 
«'Ma  vie  n'a  pas  eu  un  grand  éclat; 
«peut-être  en  a-t-elle  eu  trop  pour 
»  mon  bonheur.  Cependant,  si  je 
«puis  me  féliciter  de  quelques  ac- 
«tions  louables,  j'ai  pris  plus  de 
«soin  pour  les  cacher,  que  d'au- 
ntres  n'en  ont  pris  pour  en  cacher 
»de  répréhensibles.  Celles  de  mes 
«artions  qui  ont  eu  une  publicité 
«indispensable  prouvent  que  je 
«n'ai  point  l'âme  servile.  »  Lne 
clause  du  testament  de  cet  excel- 
lent citoyen  portait  que  les  diiTé- 
rens  legs  qu'il  a  fondés  en  faveur 
de  l'académie-française  et  des  hô- 
pitaux augmenteront  dans  une 
proportion  déterminée,  en  raison 
de  la  fortune  qu'il  laissait,  et  dont 
il  ignorait  en  mourant  toute  l'é- 
tendue. L'exécution  de  cette  clau- 
se a  décuplé  la  valeur  des  diflY'- 
rens  legs. 

ftlONTI  (Vincent),  un  des  plu* 
célèbres  poètes  de  l'Italie  moder- 
ne, auquel  ses  compatriotes  ont 
donné  le  surnom  d'jV  Dante  en- 
gentUito  (le  Dante  gracieux)  ,  est 
né  a  Fu.xignagno,  dans  le  Ferra- 


6o 


MON 


rais,  en  1753.  Après  avoir  fait  de 
bonnes    études   à  l'université   de 
Ferrare,   où   il  eut  pour  maître 
Onufre  Minzoni,  poète  et  pi'ofes- 
seur  de  belles-lettres,  qui  jouissait 
d'une  réputationdistinguéc, Mon- 
lisefit  connaître  avantageusement 
par  diverses  poésies  qui  obtinrent 
un  grand  succès.  Admirateur  pas- 
sionné du  Dante ,  il  le  prit  long- 
temps  pour  modèle.  Les  talens 
du  jeune   poète  lui  valurent  de 
bonne  heure  des  amis  et  des  pro- 
tecteurs. Parmi  ces  derniers ,  on 
cite  le  riche  banquier  bolognais 
Gondijétabli  àRome,et  monsignor 
Nardini,     secrétaire    des    lettres 
latines  du  pape  Pie  VI;  mais  ces 
mêmes  talens,  dont  il  savait  bien 
lui-même  apprécier  toute  la   va- 
leur, joints  à  un  caractère  ardent, 
et  peut-être  trop  facilement  irri- 
table ,    lui   suscitèrent    aussi   de 
nombreux    adversaires  ,    contre 
lesquels  il  ne  cessa  de  lutter.  Mon- 
li  a  pu  dire  comme  bien  d'autres 
hommes  do  lettres  :«  Ma  vie  est 
»un  combat.»  Se  trouvant  trop  à 
l'étroit  dans  le  petit  pays  de  Fer- 
rare,  il  chercha,   jeune  encore, 
un  plus  grand  théâtre ,  et  se  ren- 
dit à  Rome ,  où  il  fut  bieafôt  ad- 
mis dans  la  maison  de  Louis  Bras- 
chi ,  neveu   du  pape,  et  lui  fut 
même  pendant  quelque  temps  at- 
taché   en  qualité   de    secrétaire. 
L'académie  des  Arcades  le  reçut 
au  nombre  de  ses  membres;  mais 
accusé  presque  aussitôt  de  s'être 
égayé  dans  une  satire,  et  quelques 
épigrammes  sur  le  compte  de  l'il- 
lustrissime assemblée,  il  fut  at- 
taqué à  son  tour  par  plusieurs  de 
ses  collègues,  et  particulièrement 
par  l'abbé  Berardi,  qui  lança  con- 
tre lui  des  sonnets  très-piquans, 


MON 

auxquels  il  riposta  avec  la  même 
amertume.  Le  public  prit  part  à 
cette  guerre  littéraire,  et  s'amusa, 
selon   son  habitude,  aux   dépens 
des  divers   combattans.  Monti  a- 
bandonna  enfin  ce  triste  et  futile 
genre  de  composition.  Les   suc- 
cès du    comte   Alûeri ,   qui   était 
venu  à  Rome  vers  cette  époque, 
et  qui  y  fit  représenter  quelques- 
unes  de  ses  tragédies,  enflammè- 
rent Monti  d'une  noble  émulation. 
Il  fit  paraître  à  son  tour  les  deux 
tragédies  de  Galcotlo  Manfredo  et 
Aristodemo f    où   l'on   trouve   de 
beaux  vers  ,  et  dont  on  loua  en 
général  le  style,  mais  dont  le  vide 
d'action  et  des  dénouemens  aussi 
terribles  qu'invraisemblables  don- 
nèrent lieu  à  de  sévères  critiques: 
ces  pièces  n'eurent  point  un  grand 
nombre  de  représentations,  et  ne 
sont  pas  restées  au  théâtre.  Alfie- 
ri ,  peu  édifié  pendant  son  géjour 
à  Rome  des  moeurs  de  la   capi- 
tale du  monde  chrétien,  avait,  se- 
lon l'habitude  des  poètes  de  l'Ita- 
lie, exprimé  ses  sentimens  en  un 
sonnet,    qui    fut   avidement    re- 
cherché comme  tout  ce  qui  sor- 
tait de  la  plume  de  cet  écrivain; 
mais  le  gouvernement  et  le  clergé, 
prenant  fait  et  cause  pour  les  Ro- 
mains modernes,  en  furent  hau- 
tement scandalisés.    Monti  y  ré- 
pondit par  un  autre  sonnet  sur  les 
mêmes  rimes,  qui  obtint  les  suf- 
frages du  souverain- pontife  et  de 
tout  le  sacré-coUége.  Un  de   ces 
crimes  odieux,  dont  les  peuples 
sauvages  n'ofiVent   point  d'exem- 
ples, mais  dont  les  fastes  des  na- 
tions civilisées  ont  été  par  deux 
fois     souillés     en     ces    derniers 
temps,  fut  ensuite  assigné,  com- 
me sujet  d'un  poëme  national,  au 


MON 

poète  le  plus  célèbre  de  l'époque. 
Le  droit  des  gens  avait  été  outra- 
geusement violé  h  Rouie,  en  la 
personne  de  Basseville,  ambassa- 
deur de  France,  qui ,  longtemps 
poursuivi  par  une  populace  ameu- 
tée, fut  enfin  lâchement  assassiné 
par  un  misérable  sorti  des  derniers 
rangs  de  cette  tourbe.  La  Biogra- 
phie des  frères  Michaud  dit  «qu'a- 
uprès l'assassinat  de    Basseville, 

I  quelques  membres  du  gouverne- 
»ment  pontifical  trouvant  le  sujet 
»  poétique,  et  ayant  conçu  une  o- 
o  pinion  très-avantageuse  du  talent 
n  cf^mme  du  dévouement  de  l'abbé 
rtMonti,  le  chargèrent  de  célébrer 
«cet  événement  par  un  poëme  a- 
«nalogue  à  leurs  vucsi)olitiques, 
«et  qu'il  se  surpassa  !ui-mê- 
»  me  dans  son  genre  Dantesque.  » 

II  est  propable  cependant  que,  si 
cet  auteur  n'avait  point  composé 
d'autres  poëmes  que  sa  BasvilUa- 
na,  ou  des  écrits  comme  ceux 
qui  le  suivirent  de  près  dans  ce 
genre  Dantesque,  il  n'aurait  point 
obtenu  de  son  vivant  une  grande 
renommée  ,  et  son  nom  ne  passe- 
rait pas  avec  gloire  à  la  postérité. 
11  fit  paraître  ensuite  deux  autres 
poëmes  demandés  aussi  par  le 
pape,  et  conçus  dans  les  intérêts 
<le  l'église,  la  Musogonia  et  la  Fe- 
roniade ,  qui  sont  peu  connus  ,  et 
dont  lui-même,  peu  content, 
parvint  depuis  à  retirer  de  la  cir- 
culation et  à  détruire  presque  tous 
les  exemplaires.  Mais  bientôt  la 
destinée  du  poète  vint  changer 
avec  celle  de  l'Italie  entière.  Les 
maîtres  d'une  grande  partie  de 
cette  belle  contrée,  les  Germains, 
ses  derniers  vainqueurs,  fuyaient 
de  toutes  parts  devant  un  vain- 
queur nouveau.  A  la  tête  de  ses 


MON 


6i 


invincibles  phalanges,  un  jeune 
chef  français,  déjà  couvert  de 
gloire,  promettait  a  l'Ausonie  é- 
tonnée  une  existence  nationale  et 
des  jours  plus  heureux,  avec  le 
premier  des  biens,  la  liberté. 
Quelques  étincelles  d'un  patrio- 
tisme antique,  que  la  longue  do- 
mination et  la  discipline  des  Alle- 
mands n'avaient  pu  étouffer,  se 
ranimèrent  dans  le  coeur  des  Ita- 
liens. Monti  ne  fut  pas  le  seul  qui 
saisit  avidement  les  espérance* 
offertes  à  sa  patrie,  mais  il  fut  ce- 
lui qui  exprima  avec  le  plus  de 
bonheur  et  en  vers  souvent  su- 
blimes ,  toujours  harmonieux , 
ses  nobles  sentimens.  11  monta  a- 
lors  sa  lyre  sur  un  ton  plus  élevé, 
et  aux  sonnets  on  aux  chants  com- 
mandés par  l'église ,  sHCcédèrent 
des  chants  de  triomphe.  Doué 
d'urîf-  imagination  brillante,  et  a- 
vec  une  âiîîf-  de  feu ,  si  suscepti- 
ble d'enthousiasiîîe.  il  est  à  croi- 
re que  la  chaleur  et  la  verve  qu'il 
mit  à  célébrer  un  héros  {j:^QS  le- 
quel il  voyait  le  futur  libérateur 
de  l'Italie,  n'étaient  point  les  pro- 
duits d'un  enthousiasme  de  com- 
mande. Des  biographes  observent, 
avec  quelque  malignité,  qu'à  celte 
époque  Monti  cessa  d'être  abbé 
pour  devenir  citoyen.  Leur  iro- 
nie ne  saurait  flétrir  ce  dernier 
titre ,  et  il  est  certain  que,  sans  a- 
voir  jamais  été  dans  les  ordres 
sacrés,  le  poète,  ainsi  que  beau- 
coup d'hommes  de  lettres  sans 
autre  état,  porta  long-temps  à 
Rome  l'habit  ecclésiastique,  et 
qu'on  l'appelait  l'abbé  Monti.  H 
fit  bientôt  plus  que  de  cesser  d'ê- 
tre abbé;  il  devint  père  de  fa- 
mille. Une  personne  très-distin- 
guée par  sa  beauté  et  ses  taleus , 


f)2 


MON 


la  fille  du  plus   fameux  des  gra- 
veurs modernes  en  pierres  dures, 
le  PiOmain  Picler,  asssocia  sa  des- 
tinéeà  celle  de  JVlonti.  Lorsque  le 
général   en    chef  Bonaparte    eut 
fondé    la  république    Cisalpine , 
Monti   fut  appelé   à   Milan   pour 
remplir  les  fonctions  de  secrétaire 
du  directoire-exécutif  de  cette  ré- 
publique. Il  remplit  plusieurs  mis- 
sions honorables  pendant  la  cour- 
te existence  de  cet  état,  et  publia 
iiussi  à  Milan  quelques  ouvrages; 
entre  autres  une  nouvelle  Muso- 
gonia,  dans  laquelle  son  premier 
poëme  sous  ce  titre  était  entière- 
ment refondu.  Lors  de  l'invasion 
des  Austro-Russes  en  Italie,  Moni» 
vint  chercher  un  asile  en  France, 
où  depuis  long-teur>ps  sa  réputa- 
tion l'avait  précédé,  et  où  il  eut 
constamment  à   se  louer  de  l'ac- 
cueil flatteur  que  lui  firent  les  jiom- 
mes  de  lettres,  les  foïjclionnaires 
publics  et  les  ^rtcilleures  sociétés 
de  Paris.  Après  la  bataille  de  Ma- 
rengo-,  quand  le  vainqueur  eut  ré- 
tabli la  république  Cisalpine,  Mon- 
ti retourna  k   Milan.   Il  y  publia 
trois  chants  d'un  poëme  sur   la 
mort  de  Mascheroni,  qui  obtinrent 
le  plus  grand  succès.  Nommé  suc- 
cessivement professeur  de  belles- 
lettres  au  collège  de  Milan  et  pro- 
fesseur d'éloquence  à  l'université 
de  Pavie,  il  devint,  après  la  créa- 
tion du  royaume  d'Italie,  eni8o5, 
historiographe    de    ce   royaume. 
C'est  alors  qu'il  composa  son  ^ar- 
do  délia  Setva  Nera  (le  Barde  de  la 
Forêt-Noire), dont  il  publia  les  six 
premiers  chants  en  1806.  Ce  poë- 
me, étincelant  de  beautés  du  pre- 
mier ordre,  prêtait  aussi ,  en  cer- 
tains endroits,  i\  la  critique.  Elle 
ne  lui    fut  point  épargnée.   Les 


MON 

Guelfes  et  les  Gibelins,  les  parti- 
sans des  pontifes  et  des  empereurs 
germains,  se  réunirent  cette  fois 
pour  l'attaquer.  Monti  répliqua  a- 
vec  amertume  à  ses  nombreux  ad- 
versaires, et  publia  une  défense  de 
son  Barde,  en  forme  de  lettres  a- 
dressées  à  l'abbé  Xavier  Betlinelli. 
Il  ajouta  un  nouveau  chant  à  ce 
poëme  pendant  un  séjour  qii'il  tit 
à  Naples  auprès  du  roi  Joseph. De 
retour  à  Milan,  il  composa  les  poè- 
mes de  plusieurs  opéras,  une  tra- 
gédie de  Caio  Gracco ,  des  ode»  et 
des  dithyrambes  ,  etc.  L'epée  du. 
grand  Frédéric ,  pri<c  dans  Bt^rîln 
après  la  conquête  de  la  plus  gran- 
de partie  du  royaume  de  Prusse, 
le   maria;;*;  de  Napoléon   avec  la 
fille  de  l'empereur  d'Autriche,  lui' 
Avûrnirent  les  sujets  de  deux  au- 
tres poèmes.  11  publia  ensuite  une 
traduction  en  vers  des  Satires  de 
Perse,    et   une   autre  de  Cllinde 
d'Homère.  Cette  dernière,  com- 
me tous  les  ouvrages  de  l'auteur, 
pleine  de  vers  admirables,  fut  at- 
taquée par  les  hellénistes,  et  par- 
ticulièrement par  Ugo  roscolo(atj- 
teur  des  Lettres  d' Or  lis),  TpnirxoiK 
ardent,  littérateur  distingué,  qui 
avait  été  long-temps  ami  de  Mon- 
ti, mais  qui  depuis  s'était  brouillé 
avec  lui.  Le  traducteur  d'Homère 
avouait  franchement  qu'il  ne  sa- 
vait point  le  grec,  et  qu'il  n'avait 
travaillé  qu'à  l'aide   des  traduc- 
teurs   et   nombreux    commenta- 
teurs latins;  aussi  lui  reprocha-t- 
on de  n'avoir  pu  saisir  la  couleur 
homérique.  Monti  eut  encore  des 
discussions  littéraires  assez  vives 
av€C  les  poètes  Gianni  et  Lattanzi. 
Après  la  destruction  du  royaume 
d'Italie,  et  la  rentrée  des  Autri- 
chiens à  Milan,  privé,  comme  de 


MON 

raison,  de  ses  titres  d'historiogra- 
phe et  des  fonctions  de  poète  iau- 
réat,qu'il  exerçait  volontairement, 
Monti  n'a  d'ailleurs  éprouvé  aucu- 
ne persécution  particulière;  renon- 
çant de  son  côté  à  toute  polémi- 
que, les  inimitiés  littéraires  se  sont 
peu  à  peu  assoupies.  La  haute  ré- 
putation que  ses  talens  lui  ont  ac- 
quise, a  survécu  aux  révolutions 
de  son  pays.  Il  séjourne  habituel- 
lement à  Milan,  estime,  chéri  de 
ses  concitoyens ,  et  respecté  des 
étrangers.  Le  journallittéraire  Bi- 
blioteca  itaiiana,  a  depuis  été  en- 
richi par  lui  de  plusieurs  articles 
intéressans.  Il  travaille  aussi  à  un 
nouveau  lexique  italien,  et  a  pu- 
blié, en  1818,  une  partie  de  ce 
travail,  sous  le  titre  de  Proposition 
de  quelques  corrections  et  additions 
au  y^ocabulaire  de  la  Crusca.  Lu 
recueil  des  œuvres  de  Monli  a  été 
publié  à  Milan,  en  1817.  Ce  poète 
célèbre  est  chevalier  de  la  légion- 
d'honneur  et  de  l'ordre  de  la  cou- 
ronne de  fer  d'Italie,  et  membre 
de  presque  toutes  les  sociétés  sa- 
vantes de  l'Europe. 

MON  riGNY(CHàBLES-Cl,ADDE), 

l'un  des  doyens  de  l'ordre  des  a- 
vocats,  commissaire  du  gouver- 
nement près  des  tribunaux  du 
l'uy-de-Dôine,  membre  de  la  so- 
ciété royale  académique  des  s^cien- 
ces  de  Paris,  etc..  est  né  à  Caen 
\k  8  avril  5  744-  ^'  *  publié  :  1" 
Histoire  générale  d'Allemagne , 
depuis  l'an  de  Rome  640  jusqu'à 
nos  jours,  1799,  6  vol.  in-12;  i" 
Défense  contre  une  accusation  de 
lèse-nation,  plaidoyer  pour  le  sieur 
Martin,  conseiller  du  roi,  i;,90, 
in -8*;  5°  Réclamation  pour  C. 
Desmoulins,  auteur  de  la  France 
libre ,  précédée  de  notei  historiques 


MON 


63 


tnr  l'état  de  bourreau  chez  les  dif- 
férentes nations  connues ,  et  suivie 
d'une  plainte  sur  les  atteintes  por- 
tées à  la  liberté,  par  M.  Mitouflet, 
1790.  in-8°;  4°  Alphabet  univer- 
sel, ou  Sténographie  méthodique, 
appliquée  à  l'art  typographique , 
1"  partie,  1799,  in-8°;  5"  Mémoi- 
res historiques  de  M""  Adélaïde  et 
Victoire  de  France,  i8o5,  2  vol. 
in-12;  6°  tes  plu-s  illustres  Victi- 
mes vengées  des  injustices  de  leurs 
contemporains ,  et  réfutation  des 
paradoxes  de  M.  Soulavie,  1802  , 
in-12;  7°  Abrégé  du  traité  de  la 
langue  exacte ,  adaptée  à  l'impri' 
merie  et  à  la  sténographie  de  Tny- 
lor,  i8o5,  in-4',  avec  7  planches; 
8"  De  la  monarchie  de  la  maison  de 
Bourbon,  1810,  in-8°;  9"  Adresse 
aux  Français  et  aux  alliés,  sur  le 
retour  de  Louis  XV III,  en  18  1 5. 
MONTIGNY  (François- EMMà- 
NUEL  Dehaies  de),  gouverneur  des 
établissemens  français  au  Bengale, 
naquit  à  Versailles,  le  7  août  \  743, 
et  mourutà  Paris,  le  27  juin  1819. 
Il  est  peu  d'hommes  doat  la  vie 
soit  remplie  d'évéoeniens  plus 
propres  à  exciter  l'intértlt  et  la 
curiosité.  Capitaine  en  1772,  dans 
la  légion  de  Lorraine ,  il  fit  la 
guerre  en  Corse,  et  fut  l'Ain  des 
commissaires  employés  aux  re- 
connaissances des  frontières  dcA 
Alpes,  de  Flandre  et  d'Artois.  £a 
177G.  il  passa  au  service  de  la  ma- 
rine, en  qualité  de  major.  Il  partit 
de  Paris,  chargé  de  missions  im- 
portantes, se  rendit  à  Vienne,  passa 
à  Constantinople,  de  là  en  Egypte, 
et  ensuite  aux  Indes,  en  traver- 
sant la  mer  Rouge.  Pris  par  les 
pirates  de  Zafrevad,  menacé  par 
d'autres  peuplades ,  il  n'échappa 
à  ces  différeus  dang^ers  qu'A  force 


r>4 


MON 


d'adresse  et  de  présence  d'esprit, 
soit  en  parlant  les  diverses  langues, 
soit  en  portant  les  costumes  des 
pays  qu'il  parcourait  :  il  fut  mf-me 
obligé  de  se  garantir  de  quelques 
partis  anglais,  qui  le  poursuivirent 
à  plusieurs  reprises.  Une  ibis  ar- 
rivé à  Goa,  il  lui  fut  facile  alors 
de  se  rendre  à  Delhy  et  à  Pounah  : 
c'était  le  but  de  son  voyage.  Lors- 
qu'il eut  terminé,  près  de  ces  deux 
cours,  les  missions  dont  il  était 
chargé,  il  retourna  à  Goa,  où  il 
se  rembarqua  pour  Lisbonne ,  et 
rentra  en  France  par  l'Espagne , 
en  1779.  Dès  1778,  Louis  XVI  l'a- 
vait nommé  colonel  et  chevalier 
de  Saint -Louis.  Il  le  fit  repartir 
pour  l'Inde  en  1781,  avec  de  nou- 
veaux pouvoirs  et  de  nouvelles 
instructions  pour  la  cour  des  Ma- 
rattes.  Pendant  sept  ans  qu'il  ré- 
sida près  la  cour  de  Pounah,  il  y 
fut  comblé  d'honneurs  et  de  dis- 
tinctions, et  reçut  du  grand-mo- 
gol  le  diplôme  de  nabab.  11  fut 
civargé,  en  17S8,  de  missions  pour 
le  soubah  du  Décan,  et  nommé 
bientôt  après  gouverneur  de  Chan- 
dernagor.  C'est  dans  ce  nouveau 
poste  qu'il  donna  surtout  des  preu- 
ves de  zèle  et  de  désintéressemesit  : 
aucun  de  ses  prédécesseurs  n'avait 
rendu  compte  du  produit  de  l'o- 
pium, il  le  fit  connaître  le  premier 
au  gouvernement  français,  qui  en 
jouit  encore  aujourd'hui.  Dans 
des  momens  difficiles  où  des  res- 
sources promptes  étaient  absolu- 
ment nécessaires,  il  sut  en  trou- 
ver sous  la  seule  garantie  de  son 
nom,  et  sauva  ainsi  plusieurs  fois 
les  établissemens  français.  Lors- 
que les  principes  de  la  révolution 
pénétrèrent  dans  les  colonies ,  ne 
les  ayant  point  approuvés,  il  fut 


MON 

mis  en  prison  et  embarqué.  Lord 
Cornwallis,  gouverneur  de  Cal- 
cutta, le  fit  délivrer  et  conduire 
dans  cette  ville.  M.  de  Montigny 
revenant  en  France,  fit  naufrage 
sur  la  côte  de  l'est  de  l'Afrique, 
dans  la  baie  de  Saint- Sél)astien. 
Il  se  rendit  par  terre  au  cap  de 
Bonne  -  Espérance,  où  il  trouva 
im  vaisseau  pn't  à  faire  voiîc  pour 
la  Hollande.  Enfin,  il  arriva  à  Pa- 
ris en  1791.  Il  échappa  aux  orages 
de  la  révolution,  et  attendit  de»i 
temps  plus  tranquilles  pour  re- 
prendre de  l'activité.  Elevé ,  en 
1800,  au  grade  de  général  de 
brigade  ,  Montigny  repartit  en 
1800,  pour  aller  reprendre  le  gon- 
vernement  de  Chandernagor.  Mais 
nos  établissemens  dans  celte  p;ir- 
tie  de  l'Inde  nous  ayant  été  enle- 
vés par  l'cîCfet  de  la  guerre  avec 
l'Angleterre  ,  il  fut  forcé  de  se  re- 
plier sur  les  îles  de  France  et  de 
Bourbon,  où  il  resta  jusqu'A  ia 
prise  de  ces  colonies,  en  1810, 
époque  à  laquelle  il  revint  dons  sa 
patrie.  Il  parut  oublié  jusqu'en 
1817,  où  il  obtint  le  grade  de 
lieutenant-général.  Ses  blessures 
l'avaient  considérableenent  afYai- 
bli  ;  il  était  privé  de  la  vue  et  de 
l'usage  de  la  main  gauche,  et  ne 
survécut  que  deux  ans  à  la  ré- 
compense qu'il  venait  de  recevoir 
de  ses  longs  et  iniportans  services. 
Comme  il  avait  perdu  à  plusieurs 
reprises  ses  livres,  ses  effets,  ses 
cartes,  etc.,  il  n'a  laissé  que  des 
fragmens  manuscrits,  au  Heu  d'u- 
ne histoire  complète  qu'il  se  pro- 
posait de  publier. 

MONTILLA  (don  Maruno),  co- 
lonel américain  indépendant,  est 
néàCaraccas,  vers  1787,  d'une  fa- 
mille riche  et  distinguée.  Il  com- 


MON 

mença   son   éducation   dans    son 
pays  et  Ja  termina  eu  Espagne.  Se 
destinant  à  l'état  militaire,  il  en- 
tra dans  les   gardes-du-corps  du 
roi;  mais  la  mort  de  son  père  le 
détermina  à  retourner  à  Caraccas. 
Il  s'y  occupa  de  la  culture  de  ses 
terres  jusqu'au  moment  de  la  ré- 
Toluliou,  dont  il  se  montra  parti- 
san. Il  remplit  d'abord  une  mis- 
sion pour  les  Antilles,  dont  l'avait 
chargé  le  gouvernement  de  Vene- 
zuela, puis   il  passa  à  l'armée  en 
qualité  de  colonel;  mais  lorsque 
les   défaites   du   général  Miranda 
eurent  réduit  à  lextrémité  les  af- 
faires de  la  république,  don  IMon- 
tilla  se    réfugia  dans  le  nord  de 
l'Amérique,  et  y  attendit  un  mo- 
ment plus  favorable  pour  le  suc- 
cès de  la  liberté.  Il  n'eut  pas  plu- 
tôt appris  le  changement  opéré  par 
l'offensive  que  Bolivar   avait  re- 
prise, qu'il  abandonna  sa  lelraite, 
et  accourut  à  Caraccas  pour  com- 
battre les  troupes  royales.  Les  vi- 
cissitudes delà  guerre  le  forcèrent 
avec  Bolivar  à  chercher  un  asile  à 
Carthagène.   Don  Montilla  obtint 
depuis  le  gouvernement  militaire 
de  cette  place  ;  il  y  était  à  peine 
installé  qu'il  fut  assiégé  par  Mo- 
rillo.  Il  y  souffrit  tous  les  maux 
qui  accompagnent   les  sièges  ré- 
guliers ;   la  famine  seule   lui  en- 
leva i,5oo  hommes.  Les  sentinel- 
les mouraient  à  côté  de  leurs  fu- 
sils, la  détresse  était  à  son  comble, 
aucun  espoir  de  secours  ne  restait 
aux  assiégés;  il  fallait  périr.  Dans 
cette  déplorable  situation,et  ne  pre- 
nant conseil  que  de  la  nécessité,  il 
résolut  à  tout  prix  de  sauver  les  res- 
tes de  son  armée.  Il  avait  de  pe- 
tites goélettes;  il  s'y  embarque  au 
point  du  jour,  rompt  la  ligne  enne- 


MON 


65 


mie,  composée  de  nombreux  vais- 
seaux fournis  d'artillerie  de  gros 
calibre,  et,  malgré  le  feu  le  plus 
épouvantable,  il  parvient ,  à  force 
d'audace,  à  s'ouvrir  un  passage  à 
travers  l'escadre  espagnole.  Il  n'a- 
vait vaincu  que  les  premières  dif- 
ficultés; il  fallait  arriver  à  la  Ja- 
maïque ,  et  les  fatigues  étaient 
presque  insurmontables  ;  il  y  dé- 
barqua enfin  un  petit  nombre 
d'hommes,  épuisés  par  la  faim  et 
parles  souffrances  de  toute  espè- 
ce. Ils  parurent  aux  yeux  des  in- 
sulaires, des  objets  propres  à  exci- 
ter également  l'admiration  et  la 
pitié.  Le  colonel  Montilla  devait, 
après  cet  événement,  prendre  part 
à  la  guerre;  des  querelles  particu- 
lières le  privèrent  de  cet  avanta- 
ge ;  mais  un  gouvernement  légal 
s'étant  formé  depuis  dans  sa  pa- 
trie, il  a  été  tiré  de  son  inactivité, 
et  a  continué  do  rendre  de  nou- 
veaux services  à  son  pays. 

MONTILLA  (don  Thomas),  gé- 
néral indépendant,  gouverneur  de 
la  Guyane  américaine,  etc.,  frè- 
re du  précédent ,  est  né  à  Carac- 
cas, vers  1791;  il  fit  ses  études  à 
l'université  de  cette  ville,  où  il  ob- 
tint de  grands  succès.  La  révolu- 
tion ayant  ensuite  éclaté  dans  sa 
patrie,  oii  le  vil  en  embrasser  la 
cause  avec  chaleur  et  la  servir 
avec  autant  de  talent  que  de  bra- 
voure. Il  fut  constamment  attaché 
à  l'armée  de  Bolivar.  Chargé  par 
ce  chef  d'une  mission  à  Santa- Fé, 
il  se  trouvait  dans  cette  ville  lors- 
que le  général  Morillo,  après  s'être 
emparé  de  Carthagène, se  disposait 
avec  ses  troupes  à  pénétrer  dans 
l'intérieur  du  pays.  Don  Montilla 
se  voyant  bloqué  de  toutes  parts, 
ne  trouva  d'autre  moyen  d'é- 
5 


6Q 


MON 


chapper  que  d'enlreprendre  un 
voyage  que  personne  jusqu'à  lui 
n'avait  osé  hasarder  :  il  s'agissait 
de  se  rendre  de  Santa -Fé  à  la 
Guyane,  située  au-delà  du  Bré- 
sil Le  chemin  à  parcourir  était  de 
plus  de  deux  mille  lieues.  Don 
Montilla  se  mit  aussi t(jt  en  roule 
malgré  des  obstacles  innombra- 
bles. Ni  les  déseris  remplis  de  bê- 
tes féroces  ,  ni  des  contrées  où  ré- 
gnaient des  fièvres  contagieuses, 
et  qui  étaient  habitées  par  des  In- 
diens anfropophages,  ni  des  fleuves 
fréquentés  par  des  animaux  veni- 
meux, qu'il  fallait  passera  la  nage, 
ni  le  manque  d'alimens,  quand  on 
ne  rencontrait  pas  sur  la  route  de 
fruits  sauvages  qu'on  pût  cueillir, 
ou  de  gibier  qu'on  pût  atteindre, 
rien  ne  ralentit  son  ardeur  ni  celle 
de  ses  compagnons.  L'amour  de 
la  patrie  fit  braver  les  périls  les 
plus  imminens  et  les  fotigucs  les 
plus  inouïes  à  ce  chef  intrépide, 
qui  vit  enfin  le  terme  de  son  voya- 
ge avec  un  très-  petit  nombre  de 
ses  compatriotes;  la  plupart  de 
ceux  qui  l'avaient  suivi  ayant  péri 
en  roule,  et  d'autres ,  qui  crai- 
gnaient les  difficultés  d'une  aussi 
longue  course,  s'étant  rendus  au 
chef  royaliste,  qui  les  avait  fait 
mettre  à  mort.  En  arrivant  près  de 
Caraccas,  il  apprit  que  Eolivar  ve- 
nait d'y  débarquer  pour  s'en  em- 
parer. Ils  étaient  liés  dès  leur  ten- 
dre jeunesse  de  Tamitié  la  plus  é- 
troite,  et  rien  ne  peut  exprimer 
leur  joie  en  se  revoyant  après  des 
événemens  si  divers.  Don  Mon- 
tilla a  été  élevé  depuis  au  grade 
de  général,  et  il  remplit  actuelle- 
ment la  place  de  gouverneur  de 
la  Guyane.  Son  patriotisme  lui 
a  mérité  la  confiance  de  ses  conci- 


MON 

toyens,  qui  l'élurent  représentant 
du  congrès  national  qui  s'est  réu- 
ni en  1819. 

MO]NTJOIE(Féux-Crhisïophe- 
Galart  DEJ,  ancien  avocat  et  litté- 
rateur,  naquit  à  Aix,  département 
des  lioiiches-du-Rhône  ,  d'une  fa- 
mille noble.  Le  Journal  de  la  li- 
brairie, de  1816,  indique  uneiVo- 
tice  sur  Monljoie,  d'après  laquelle 
ses  véritables  noms  seraient  Char- 

LES-FÉLlX-LoriS-VENTREDE  LAÏOU- 

LOt'BRE.  Reçu  avocat  dans  sa  ville 
natale,  et  fixé  ensuite  à  Paris, 
Montjoie  parut  d'abord  vouloir 
suivre  exclusivement  la  carrière 
du  barreau;  mais  la  société  de 
quelques  gens  de  lettres  et  une 
plus  grande  intimitéaveclesRoyou 
e(  les  Geoffroy,  le  déterminèrent  à 
cultiver  la  littérature  polémique.  Il 
concourut,  en  1790,  à  la  rédaction 
de  VJnnée  littéraire,  et  plus  tard 
à  la  feuille  politique,  VÀmi  duroiy 
dont  la  publication  cessa  d'avoir 
lieu  après  les  événemens  du  10 
août  1792.  Quelques  écrits  où  il 
prit  avec  courage  la  défense  de 
Louis  XVI,  le  forcèrent  à  se  ca- 
cher; mais  après  la  révolution  du 
9  thermidor  an  2  (27  juillet  1794)? 
il  reparut  et  manifesta,  dans  de& 
journaux  et  dans  quelques  brochu- 
res, des  opinions  qui  le  firent  pros- 
crire en  1797.  Condamné  à  la  dé- 
portation, il  parvint  à  s'y  soustrai- 
re et  se  retira  en  Suisse. A  la  suite 
de  la  révolution  du  18  brumaire 
an  8  (9  novembre  1799)?  il  revint 
à  Paris.  Cette  fois  il  s'abstint  de 
combattre  les  opinions  du  lemp9,et 
trouva  la  tranquillité  en  se  livrant 
à  la  composition  d'où  vrageset,dans 
les  journaux,  à  la  rédaction  d'arti- 
cles purement  littéraires.  Le  gou- 
vernement royal,  après  la  seconde 


MON 

i'Cstauralion,  le  récompensa  de  ses 
anciens  efforts  en  faveurdelacause 
inonarchique.  11  l'ut  pensionné  par 
le  roi  et  nommé  l'uu  des  conser- 
vateurs de  la  bibliothèque  Mazari- 
Jie;  il   mourut  le  4   avril   1816. 
Montjoie  a  publié  les  ouvragessui- 
vans  :  i'  Divertissement  national, 
oomposé  pour  célébrer  la  naissan- 
ce du   dauphin,   17S1,  in-8*';  2° 
Lettre  sur  le  magnétisme  animât, 
1784,  in-S";  5'  Des  principes  (U  la 
monarchie  française  ,   1789,  2  vol. 
in-8°.  C'est  une  espèce  d'histoire 
de  l'ancien  droit  public  français  ; 
l'auteur  y  montre  des  principes  li- 
béraux qu'il  cessa  bientôt  de  pro- 
fesser. 4°  L' Ami^turoif  des  Fran- 
çais, de  l'ordre^  et  surtout  de  la  vé- 
rité,  écrit  dans   lequel  Montioie 
prétend  tracer  la  marche  ou  l'his- 
toire de  la  révolution  et  de  l'assem- 
blée nationale,   1791,  2  part.,  in- 
4°.  Ce  travail  est  regardé  comme 
le  complément  du  Journal  de  l'ab- 
bé Royou.     5°  Réponse   aux   ré- 
flexions de  M.  Necker,  sur  le  pro- 
cès de  Louis  XI V,   1792,  in -8°; 
b°   Avis  à  la   convention,   sur   Le 
procès  de  Louis  XVl,   1792.,   in- 
h".  Dans  <îet  écrit,  Montjoie  s'ef- 
force de  démontrer  que  cette  as- 
semblée n'a  pas  le  droit  d'exami- 
ner les  actes  du  gouvernement  de 
ce  prince,  et  qu'il  ne  peut  pas  en 
être  responsable.  7°  Almanach  des 
honnêtes  gens,  Paris,   1 792  -  1 793, 
3  vol.  in- 18  ;  Almanach  des  gens 
de  bien,  Varis,  1796-1797,  3vol., 
recueil  de  pièces  et   d'anecdotes 
politiques  et  littéraires.  8'  Histoi- 
re de  la  conjuration  de  Robespierre, 
179^^  ,   in-8%  ouvrage  dont  on  a 
donné  une  traduction  en  anglais. 
<)"  Histoire  de  la  Conjuration  de 
d'Orléans,   1796,   3  vol.    iu-8". 


MON  67 

Ces'  de  tous  les  ouvrages  de  l'au- 
teur le  plus  inexact  et  le  plus  in- 
complet. 10^  Eloge  historique  de 
Louis  Xf^I,  Neuchâtel,  1797,  in- 
8  '  ;  11°  Eloge  historique  de  Marie- 
Antoinette,  reine  de  France,  1797, 
in-8'.  Cette  pièce,  qui  parut  en 
18 14  sous  le  titre  cV Histoire  de 
Marie- Antoinette  (2  vol.  in-8°), 
eut  les  honneurs  de  la  traduction 
en  Angleterre  et  en  Hollande.  L'i- 
nexactitude des  faits  dans  l'édition 
de  18  i4  f  donna  lieu  à  une  vive 
discussion  entre  l'auteur  et  M.  Ber- 
trand de  Molleville.  x^"  Histoire 
de  la  révolution  de  France,  depuis 
la  présentation  au  parlement  de 
l'impôt  territorial,  jusqu'à  la  con- 
version des  états- généraux  en  as- 
semblée nationale,  1797,  2  vol. 
in-8";  i3°  Histoire  de  quatre  Es- 
pagnols^ 1801,4  vol.  in-12;  réim- 
primée pour  la  troisième  fois  en 
i8o5,  6  vol.  in-12;  14"  înés  de 
Léon,  ou  Histoire  d'un  manuscrit 
trouvé  sur  le  mont  Pausilippe , 
1802,  5  vol.  in-12  :  ces  deux  ro- 
mans sont  médiocres  pour  le  plan, 
la  marche  et  le  style.  15"  Eloge 
historique  de  Bochart  de  Saron, 
1800,  in-S";  i6*  les  Bourbons, 
ou  Précis  historique  sur  les  aïeux 
du  roi  et  sur  sa  majesté,  etc.,  181 5, 
in -8°,  avec  20  portraits. 

MONTJOIE-  DE-VANFRAYE 
(N.,  COMTE  de),  député  aux  étatà- 
généraux  en  1789,  par  la  noblesse 
des  bailliages  de  Béfort  et  d'Hu- 
ningue,  se  fit  peu  remarquer  dans 
cette  assemblée,  et  après  la  ses- 
sion il  disparut  entièrement  de  la 
scène  politique.  Les  événemens 
postérieurs  le  déterminèrent  à 
quitter  sa  patrie  et  à  aller  habiter 
la  Suisse,  où,  en  mars  1797,  il  fut 
signalé  à  l'aoïbassadeur  du   direc- 


68 


MON 


toire-exécutif  de  France,  M.  Bar- 
thélémy (aujourd'hui  marquis  et 
membre  de  la  chambre  des  pairs), 
comme  dirigeant  chez  des  person- 
nes influentes  de  la  ville  de  Bûle, 
des  réunions  secrètes  d'émigrés, 
et  entretenant  à  Paris  des  corres- 
pondances avec  les  amis  du  gou- 
vernement monarchique;  l'en- 
Yoyé  français  obtint  des  magis- 
trats l'ordre  qui  éloignait  M. 
MontJoie-de-Vanfraye  du  territoi- 
re helvétique.  Depuis  lors  il  a  été 
entièrement  perdu  de  vue. 

MONTLINOÏ  (Charles-Anto)^ 
ne-Leclerc  de),  ecclésiastique, 
médecin  et  libraire,  naquit  à  Cré- 
py ,  département  de  l'Oise,  vers 
1752.  D'heureuses  dispositions 
pour  l'étude  lui  firent  embrasser 
successivement  l'état  ecclésiasti- 
que et  celui  de  médecin.  Il  était 
chanoine  de  l'église  collégiale  de 
Saint-Pierre  de  Lille  lorsque,  par 
siiite  de  discussions  littéraires  à 
l'occasion  de  V Histoire  de  la  ville 
(le  Lille,  dont  il  sera  question  plus 
bas,  il  fut  en  butte  à  des  inimi- 
tiés qui  le  forcèrent  non-seule- 
ment à  quitter  Lille,  en  1765, 
mais  encore  à  résigner  son  béné- 
fice. Il  vint  à  Paris  et  se  fit  librai- 
re. Les  haines  qui  le  poursuivaient 
ne  lui  permirent  pas  d'exercer  long- 
tempsenpaixcette  profession.  Une 
lettre -de -cachet,  délivrée  sur  la 
demande  du  commandant  de  la 
Flandre  française  ,  l'exila  à  Sois- 
sons.  Là,  il  irouva  dans  l'intendant 
de  la  province  un  protecteur  qui 
lui  confia  la  direction  du  dépôt 
de  mendicité  de  sa  juridiction. 
IVlontlinot  adopta  avec  franchise , 
mais  sans  exagération,  lès  princi- 
pes du  nouvel  ordre  de  choses. 
Son  expérience  et  ses  lumières  en 


MON 

administration  lui  permirent  de 
rendre  d'importans  services  dans 
le  poste  que  l'intendant  de  Sois- 
sons  lui  avait  confié,  et  dans  le- 
quel plus  tard  il  fut  confirmé. 
Montlinot  mourut  à  Paris  en  1801. 
Les  ouvrages  qu'il  a  publiés  X)nl 
paru  pour  la  plupart  sous  le  voile 
de  l'anonyme  ;  ce  sont  :  1°  Préju- 
gés légitimes  contre  ceux  du  sieur 
Ctiaumeix,  in-12,  1709  :  c'est  une 
espèce  de  réponse  à  un  ouvrage 
de  ce  dernier.  Cet  ouvrage,  attri- 
bué à  Diderot ,  et  par  suite  do 
cette  méprise  inséré  dans  l'édition 
de  ses  œuvres,  de  1773,  fut  pu- 
blié de  nouveau  en  1760,  sous  le 
litre  de  Justification  de  plusieurs 
articles  de  l' Encyclopédie,  ou  Pré- 
jugés légitimes ,  etc.  3°  Etrennes 
aux  bibliographes,  ou  Notice  abré- 
gée des  livres  les  plus  rares,  in-24j 
1760;  "5"  Esprit  de  Lamotlie-Le- 
vayer,  in-12,  1763;  /j°  Histoire  de 
la  ville  de  Lille  depuis  sa  fonda- 
tion jusqu'en  1434^1"  vol.,  1764. 
Cet  ouvrage  fut  attaqué  en  1765, 
avec  tant  de  violence,  par  un 
moine  nommé  Wartel,  prévôt  de 
Hertzberghe  ,  dans  une  brochure 
iiilituiée  Observations  sur  l' histoire 
de  Lille,  queMontlinotn'osa  point 
mettre  au  jour  le  2""  vol. ,  déjà 
sous  presse,  et  qu'il  se  vit  dans  la 
nécessité  de  résigner  son  canoni- 
cat.  5°  Discours  qui  a  remporté  le 
prix  proposé  en  1 779^  par  la  so- 
ciété d' agriculture  de  S oissons y  sur 
les  moyens  de  détruire  la  mendicité 
et  d'occuper  utilement  les  pauvres , 
Lille,  1780;  Q"  Etat  actuel  du  dé- 
pôt de  mendicité  de  Soissons,  précé- 
dé d'un  Essai  sur  ta  mendicité,  in- 
4°,  1789.  Cette  seconde  partie  pa- 
rut séparément,  in-8''.  Déjà  l'au- 
teur avait  publié  plusieurs  comp- 


iMON 

tes  rendus^  qui  avaient  été  Irès-fa- 
vorablement  accueillis  par  legou- 
veruement.  Ils  firent  associer  l'au- 
teur aux  travaux  du  comité  de 
mendicité  de  l'assemblée  consti- 
tuante. ^■'  Observations  sur  les  en- 
fans  trouvés  i  dans  la  généralité  de 
Soissons,  in-8°,  1790.  On  trouve 
dans  cette  brochure  des  idées  fort 
judicieuses  sur  les  causes  de  la  pro- 
gression toujours  croissante  des 
enf'ans  abandonnés  dans  la  géné- 
Talité  de  Soissons,  sur  les  moyens 
d'amélioration  dans  cette  partie  , 
et  sur  la  législation  des  entans  na- 
turels. 8'  Essai  sur  la  Iransporta- 
tion  comme  récompense  et  sur  la  dé- 
portation comme  peine,  in-8°,  1797; 
9°  Préface  de  l'édition  en  5  vol. 
in-S**  de  Robinson  Crusoé;  10°  il 
a  travaillé  avec  MM.  de  Pomme- 
reul,  Peuchet,  etc.,  à  la  rédaction 
du  journal  politique  intitulé  :  la 
Clef  du  cabinet  des  souverains. 

MONTLIVAULT  (Casimir 
GcYos,  COMTE  de),  ancien  cheva- 
lier de  Malte,  est  né  en  1770.  Il 
n'avait  quitté  cette  île  que  depuis 
peu  de  temps,  lorsque  l'armée 
française  s'en  empara  lors  de  l'ex- 
pédition d'Egypte.  A  cette  époque, 
31.  de  MontlivauU  passa  en  I^lie, 
et  revint,  par  l'Allemagne  et  la 
Suisse,  dans  sa  patrie,  où  le  gou- 
vernement consulaire  l'avait  auto- 
risé à  rentrer.  Il  devint  secrétaire- 
général  de  l'impératrice  Joséphi- 
ne après  le  divorce  de  cette  prin- 
cesse, et  fut,  le  2  mai  1814»  nom- 
mé préfet  du  département  des  Vos- 
ges, par  Monsieur^  lieutenant-gé- 
néral du  royaume.  M.  de  Monlli- 
vault  était  à  son  poste  lorsqu'au 
mois  de  mars  181 5,  il  apprit  le  re- 
tour de  Napoléon  et  son  entrée  à 
Paris  ;  alor?  ue  croyant  plus  devoir 


MON  .         69 

remplir  ses  fonctions,  il  en  remit 
l'exercice  à  un  conseiller  de  pré- 
fecture. Après  la  seconde  restaura- 
tion, le  roi  le  nomma  préfet  de 
l'Isère.  Il  reçut  et  traita  magnifi- 
quement dans  le  même  temps  le 
prince  impérial  ethéréditaire  d'Au- 
triche, qui  fit  un  séjour  de  24  heu- 
res à  Grenoble.  Lorsque  des  trou- 
bles éclatèrent  dans  cette  ville, 
pendant  la  nuit  du  4  au  5  mai  1816, 
il  approuva  toutes  les  mesures  pri- 
ses par  le  général  Donnadieu 
{voy.  ce  nom).  L'accord  unanime 
des  autorités  civiles  et  militaires 
ayant  rétabli  l'ordre  dans  cette 
malheureuse  partie  du  départe- 
ment de  l'Isère  ,  et  les  habitans 
ayant  pu  reprendre  leurs  occupa- 
tions habituelles,  M.  de  Montli- 
vauU fut  nommé  conseiller-d'é- 
tat en  service  extraordinaire,  et, 
en  1817,  préfet  du  Calvados.  Il 
est  chevalier  de  la  légion- d'hon- 
neur et  de  Saint-Louis. 

MONTLIVAULT  (Jacqves-Ma- 
RiE-CÉciLE  GuYos,  COMTE  de),  l'aî- 
né des  membres  de  cette  famille, 
est  né  vers  1760,  et  entra  fort  jeu- 
ne dans  les  chevau-légers  de  la 
maison  du  roi.  Il  quitta  ce  corps 
pour  faire  en  qualité  de  volontai- 
re, sous  les  ordres  du  bailli  de  Suf- 
fren ,  la  guerre  de  l'indépendance 
américaine.  Arrêté  en  179^,  le 
comte  de  MontlivauU  subit  quel- 
ques mois  de  détention,  et  profita 
de  sa  mise  en  liberté  pour  aller  se 
réunir  aux  Vendéens,  qui  le  nom- 
mèrent président  du  comité  roya- 
liste du  Blaisois.  En  1814»  il  reçut 
du  roi  la  décoration  de  la  légion- 
d'honnetir  et  celle  de  Saint-Louis, 
et  fut  après  la  seconde  restauration 
nommé  inspecteur  des  postes. 

MONTLIVAULT  (Eléono»-Jao- 


7» 


MON 


QLES-FRAKÇOIS-DE-SAtES      GuTOW  , 

CHEVALIER  de),  né  en  i^^GS,  frère 
du  précédent,  fut  destiné  au  servi- 
ce de  la  marine,  et  fit  la  guerre 
d'Amérique,  où  il  obtint  le  grade 
de  lieutenant  de  vais'san.  Ce  fut 
au  retour  de  la  baie  d'Hudson 
qu'il  acheva  ses  caravanes,  et  de- 
vint chevalier  de  Maitc.  En  178J), 
le  chevalier  de  Montlivault,  ne 
partageant  pas  les  principes  de  la 
révolution,  émigra  et  vécut  long- 
temps à  Hambourg,  où  Rivarol, 
dont  il  devint  l'ami,  s'était  retiré. 
Rentré  en  France,  sous  le  gouver- 
nement de  Napoléon,  il  n^occupa 
point  d'emploi.  En  iBi4<  le  roi  le 
nomma  chevalier  de  Saint-Louis 
et  capitaine  de  frégate. 

MONTLIVAULT  (Jacques -Pier- 
re-Marie GiîTOR,  COMTE  de),  mem- 
bre de  la  légion-d'honneur  et  che- 
valier de  Saint-Louis,  né  le  28  mai 
1786,  du  comte  J.  M.  de  Mont- 
livault, entra  en  i8o4à  l'école  mi- 
litaire de  Fontainebleau ,  et  fut 
nommé  en  1807  sous-lieutenant 
au  92'  de  ligne,  et  lieutenant  dans 
la  même  année.  Capitaine  en 
iSog,  il  devint  quelque  temps  a- 
près  aide'de-camp  du  duc  de  Ra- 
guse,  puis,  en  181 3,  chef  de  batail- 
lon au  4°  de  ligne.  Il  faisait  partie, 
comme  major  provisoire,  de  la 
garnison  de  Magdebourgen  1814. 
De  retour  en  France,  M.  de  Mont- 
livault fut  d'abord  nommé  major 
en  pied  du  régiment  de  Monsieur, 
infanterie.  Destitué  dans  les  cent 
jours,  en  181 5,  il  obtint  après  la 
seconde  restauration  le  grade  de 
lieutenant-colonel  du  5"  régiment 
d'infanterie  de  la  garde  royale,  et 
reçut  le  brevet  de  colonel  le  25  oc- 
tobre 1816.  Le  plus  jeune  des  frè- 
res MontIivault,le  chevalier  Henri» 


MON 

oncle  de  celui-ci,  est  membre  de 
la  légion-d'honneur  et  capitaine 
dans  l'artillerie  à  cheval  de  la  gar- 
de royale. 

MONTLOSIER  (Frakçois-Do- 

MlNIQXJE-REGNAT]tT,eOMTE   »e)  ,     né 

dans  la  ci-devant  province  d'Au- 
vergne, fut  nommé  député  aux 
états -généraux,  en  1789,  par  la 
noblesse  de  Riom.  Jusqu'à  l'épo- 
que des  événemens  des  5  et  6  oc- 
tobre, il  ne  se  fit  point  remarquer^ 
mais  aloi-s  on  le  vit  s'élever  aveo 
force  contre  ce  qu'il  appelait  des 
insultes  faites  à  l'assemblée,  en 
la  personne  de  quelques  députés  , 
que  le  peuple  ne  considérait  pas^ 
comme  les  défenseurs  de  ses  droits, 
et  demanda  des  mesures  à  cet  é- 
gard.  Dévoué  aux  anciennes  pré- 
rogatives de  son  ordre,  il  les  sou- 
tint quelquefois  de  manière  à  in- 
disposer plusieurs  de  ceux  qui  par- 
tageaient ses  opinions  ,  mais  qui 
craignaient  que  l'excès  de  son  zè- 
le et  la  clwleuc  avec  laquelle  il 
s'exprimait  ne  devinssent  plus 
nuisibles  qu'utiles  à  la  cause  qu'il 
voulait  servir.  Dans  d'autres  oc- 
casions ,  il  employait  des  argu- 
mens  que  les  partisans  de  l'égalité 
n'auraient  pas  désavoués;  il  re- 
poussa, lors  de  la  discussion  sur 
les  principes  constitutionnels ,  la 
dénomination  de  citoyen  actif, 
par  la  raison  qu'elle  supposait  des 
citoyens  passifs.  Il  défendit,  dans 
la  séance  du  18  mai,  la  mémoire 
de  Henri  IV,  dont  un  de  ses  col- 
lègues avait  rappelé  les  faibles- 
ses, et  dit  qu'on  ne  pouvait  par- 
ler de  ces  sortes  de  choses  sans 
jeter  de  la  défaveur  sur  la  cause 
des  rois.  Dans  la  même  séance , 
lors  de  la  discussion  sur  le  droit 
de   paix  et   de    guerre ,  il   vota 


MON 

pour  que  ce  droit  fût  accordé 
au  roi,  et  lit  un  grand  éloge  de 
la  noblesse,  après  s'êtro  plaint  des 
persécutions  qu'elle  éprouvait. 
Il  défendit  de  tout  son  pouvoir 
les  privilèges  et  l'autorité  de  la 
couronne ,  dont  les  biens  ,  selon 
lui,  ne  pouvaient  être  aliénés, 
même  dans  la  circonslance  où 
l'état  éprouverait  des  besoins  pres- 
sans.  M.  de  Montlosier  demanda 
que  la  plus  grande  liberté  fût  ac- 
cordée à  la  famille  ro^'ale ,  lors- 
qu'on discuta  lu  question  de  rési- 
dence. Afin  d'empêcher,  dit-il, 
ceux  qui  avaient  renversé  le  des- 
potisme d'en  recueillir  les  débris, 
il  vota  contre  la  réélection  des 
députés  constituans  à  la  législatu- 
re. Ses  discours  excitèrent  sou- 
vent du  désordre  dans  l'assemblée. 
Bien  qu'il  soutînt  que  les  biens  ec- 
clésiastiques n'appartenaient  point 
à  la  nation,  il  finit  néanmoins  par 
convenir  qu'elle  pouvait  en  dispo- 
ser. Après  la  session,  .M.  de  Montlo- 
sier quitta  la  France, ne  fut  pas  tou- 
jours d'accord  en  pays  étranger 
avec  ceux  dont  il  partageait  le 
sort,  et  de  ce  dissentiment  d'opi- 
nions naquirent  quelquefois  des 
altercations  assez  vives.  Il  fut 
nommé,  en  179^,  conjointement 
avec  le  prince  d'Aremberg  et  M. 
Pillène,  l'un  des  commissaires 
chargés  de  faire  prendre  les  armes 
contre  la  France  aux  habitans  des 
Pays-Bas;  il  passa  ensuite  en  An- 
gleterre avec  M.  de  Mercy  , 
qui  mourut  pendant  le  cours 
de  ses  négociations.  M.  de  Montlo- 
sier prit  la  rédaction  du  journal 
français  intitulé  :  le  Courrier  de 
Londres  ,  dont  il  devint  proprié- 
taire. En  1800,  on  le  chargea  d'u- 
ne mission  ea  France ,  dont  l'ob- 


MON  -1 

jet  était,  dit-on  ,  de  proposer  au 
premier  consul  Bona,  arte  une 
souveraineté  en  Italie,  s'il  voulait 
consentir  au  réla!)lissement  de  la 
famille  des  Bourbons.  Malgré 
les  passeports  dont  le  négociateur 
était  muni,  il  fut  arrêté  à  Calais  ; 
coîiduit  à  Paris,  et  enfermé  au 
Temple,  dont  il  sortit  après  une 
détention  de  trente-six  heures.  Eï\ 
lui  faisant  obtenir  sa  liberté  ,  le 
ministre  de  la  police  ,  Fouché  , 
depuis  duc  d'Otranle,  l'avertit 
que  son  arrestation  n'avait  eu  lieu 
que  par  suite  d'une  méprise  ;  ce- 
pendant il  lui  défendit  de  reniplir 
sa  mission,  et  ne  lui  donna  que  dix 
jours  pour  retourner  en  Angleter- 
re. Il  eut  toutefois  pendant  ce 
temps  des  conférences  secrètes  a- 
vec  le  ministre  des  affaires  étran- 
gères, qui  lui  fit  connaître  confi- 
denliellement  l'intention  qu'avait 
le  premier  consul  Bonaparte  de 
rétablir  l'ancienne  église  de  Fran- 
ce, défaire  rentrer  les  émigrés, 
et  de  les  remettre  en  possession 
de  leurs  biens  non  vendus.  Ces 
confidences  eurent  pour  objet  sans 
doute  de  fournir  quelques  maté- 
riaux aux  écrits  de  M.  de  Montlo- 
sier, qui  jusqu'alors  avait  été  bien 
éloigné  de  se  montrer  dans  son 
journal  favorable  au  chef  de  l'état; 
mais  depuis  il  y  parla  souvent  des 
bonnes  intentionsdu  premiercon- 
sul,  ce  qui  donna  nécessairement 
au  Courrier  de  Londres  une  autre 
physionomie,  et  indisposa  le  gou- 
vernement anglais,  au  point  de  le 
porter  à  faire  retirer  la  protection 
qu'il  avait  jusqu'alors  accordée  à 
l'auteur.  En  1800,  M.  de  Montlo- 
sier fut  rappelé  en  France  par  les 
ministres  de  la  police  et  des  affai- 
res étrangères.  Il  se  rendit  à  Pa- 


73  MON 

ris,  où  d'abord  il  continua  le  Cour- 
rier de  Londres,  que  le  gouverne- 
ment supprima  trois  mois  après. 
M.  de  Montlosier  obtint,  ^  titre 
d'indemnité,  une  place  qui  l'atta- 
chait au  ministère  des  affaires  è- 
trangères.  Il  fut  chargé  par  Napo- 
léon ,  devenu  empereur,  de  com- 
poser un  ouvrage  sur  l'ancienne 
monarchie,  dans  lequel  seraient 
indiquées,  d'une  part,  les  causes 
qui  avaient  pu  amener  la  révolu- 
tion ,  et  de  l'autre ,  les  tentatives 
employéespourla  combattre,  et  la 
manière  dont  elle  devait  être  termi- 
née. Ce  tiavail  occupa  M.  Montlo- 
sier pendant  quatre  ans;  il  était  en 
Suisse  lorsqu'il  envoya  le  manus- 
crit àrempereur,qui, dit  un  biogra- 
phe, ne  se  souvenait  plus  de  l'avoir 
demandé,  bien  que  cette  assertion 
contraste  singulièrement  avec  l'é- 
tonnante mémoire  qu'on  accordait 
généralement  à  Napoléon.  L'ou- 
vrage fut  examiné  par  une  com- 
iiiission;  il  fut  jugé  digne  d'éloge, 
mais  on  décida  qu'il  ne  ser.ait  pas 
imprimé.  Cependant  l'empereur 
fit  donner  l'ordre  à  M.  de  Montlo- 
sier de  quitter  immédiatement  la 
Suisse,  et  de  rentrer  en  France, 
où  il  l'autorisait  à  lui  écrire  direc- 
tement sur  les  affaires  politiques. 
Cette  correspondance,  qui  ne  ces- 
sa que  vers  la  fin  de  i8ivi,  dura 
quinze  mois;  alors  M.  de  Montlo- 
sier denianda  et  obtint  la  permis- 
sion de  se  rendre  en  Italie,  afin 
de  s'y  livrer  à  des  travaux  sur  l'his- 
toire naturelle,  qu'il  avait  précé- 
demment abandonnée  pour  la  po- 
litique. Il  obtint  même  du  gou- 
vernement impérial  tout  ce  qui 
pouvait  favoriser  ce  voyage.  De 
retour  en  France  après  la  première 
restauration,  en  i8i4,  il  y  publia 


MON 

son  ouvrage  intitulé  :  de  la  Mo- 
narchie française ,  auquel  il  n'a- 
vait point  fait  de  changemens, 
mais  seulement  ajouté  une  notice 
sur  la  chute  de  Napoléon  et  sur 
les  causes  qui  l'avaient  amenée. 
Cet  ouvrage  n'avait  alors  que  trois 
volumes  ;  l'auteur  se  proposait 
d'en  publier  un  quatrième  sous 
peu  de  temps  ,  mais  comme  il 
ne  put  paraître  que  pendant  les 
cent  jours ,  en  i8i5,  et  qu'il  con- 
tenait une  censure  assez  sévère 
des  opérations  du  gouvernement 
depuis  la  restauration,  M. de  Mont- 
losier craignant  qu'on  ne  le  crût 
composé  dans  l'intérêt  de  Napo- 
léon, le  fit  précéder  d'une  préface 
destinée  à  produire  un  effet  contrai- 
re. Au  mois  de  janvier  1816,  il  fut 
autorisé,  par  le  président  du  con- 
seil des  ministres, àse  retireràCler- 
lïiont-Ferrand.  M.  de  Montlosier 
a  publié  les  ouvrages  suivans  :  1* 
Essai  sur  la  théorie  des  volcans 
cf  Auvergne,  1789,  in-S",  1802: 
2°  Observations  sur  l'Adresse  à 
l'ordre  de  la  noblesse  faite  à  M.  le 
comte  d' Entrai  gués  ;  3°  Observa- 
lions  sur  les  assignats,  1790,  in-S"; 
/j"  Essai  sur, l'art  de  constituer  les 
peuples,  ou  Examen  des  opérations 
constitutionnelles  de  l' assemblée  na- 
tionale de  France  ,  i79i,in-8°;  5" 
Grand  Discours  que  prononcèrent 
les  commissaires  de  l'assemblée  na- 
tionale au  roi,  en  lui  présentant  la 
grande  charte,  et  Réponse  du  roi 
aux  commissaires  ainsi  qu'il  est 
présumé,  1791,  in-S";  (î"  Opinion 
sur  le  nouveau  serment  demandé  à 
l'année,  1791,  in-8°/  7°  de  la 
Nécessité  d'une  contre-révolution  , 
1791  ,  in-8'';  8°  des  Moyens  d'opé- 
rer une  contre-révolulioîi ,  1791, 
in-S"  ;  9°  Fues  sommaires  sur  les 


MON 

moyens  de  paix  pour  la  France , 
pour  l'Europe  ,  pour  les  émigrés, 
1796,  in-S";  10"  Observations  sur 
le  projet  du  code  civile  1 80 1 ,  in- 1 2  ; 
11°  de  la  Monarchie  française  de- 
puis son  établissement  Jusqu'à  7ios 
Jours,  1814?  5  vol.  in-8°;  12°  de 
la  Monarchie  française  depuis  le 
retour  delamaison  de  Bourbon  Jus- 
qu'au i"  avril  i8i5,  in-8°,  i8i5- 
1817;  iS"  Quelques  Vues  sur  l'ob- 
jet de  la  guerre  et  sur  les  moyens 
déterminer  la  révolutiori ,  181 5, 
in-8°;  14°  des  Désordres  actuels 
de  la  France,  et  des  jnoyens  d'y 
remédier.  181 5,  111-8°;  iS'  de  la 
Monarchie  française  depuis  la  se- 
conde restauration  Jusqu'à  la  fin  de 
la  session  de  1816,  avec  un  supplé- 
ment sur  la  session  actuelle,  Paris, 
1818,  in -8°.  La  prédilection  de 
M.  de  Montlosier  pour  les  institu- 
tions féodales  se  fait  remarquer 
dans  tous  ses  ouvrages.  ' 

MONTLUEL  (N.  Jussieu),  con- 
seiller en  la  cour  des  monnaies  et 
membre  de  l'académie  de  Lyon  , 
naquit  dans  cette  ville  vers  1727, 
et  mourut  en  1797  à  Paris,  où  il 
était  venu  se  fixer  dans  ses  der- 
nières années.  On  lui  doit  deux  ou- 
vrages, dont  l'éloge  se  trouve  dans 
le  grand  nombre  de  réimpressions 
qu'ils  obtinrent.  Ils  sont  destinés 
à  servir  de  guide  aux  jeunes  gens 
qui  se  livrent  à  l'étude  du  droit; 
ce  sont  :  1°  Instruction  facile  sur 
les  conventions  ;  2°  Réflexions  sur 
les  principes  de  la  justice. 

MONTMIGNON  (Jean-BAptis- 
te),  théologien  et  littérateur,  est 
né  à  Luci ,  département  de  l'Aisne, 
en  1737.  Destiné  à  l'état  ecclésias- 
tique, il  fit  ses  cours  à  l'univer- 
sité de  Paris,  fut  nommé  secré- 
tairedcM.  do  Bourdeillcs,  évêque 


MON 


r3 


de  Soissons,  puis  chanoine  de  la 
cathédrale  ,  vice-gérant  de  l'offi- 
cialité  et  archidiacre,  enfin  vicaire- 
général  du  diocèse  en  1780.  Les 
événemens  de  la  première  époque 
de  la  révolution  obligèrent  M. 
Montmignon,  dès  1789,  à  quitter 
Soissons  pour  se  rendre  à  Paris, 
où  il  travaille^  à  la  rédaction  du 
Journal  ecclésiastique,  jusqu'à  ce 
que,  devenu,  par  la  mort  de  l'abbé 
Dinouart,  seul  propriétaire  de  ce 
journal ,  il  en  céda  l'entreprise  à 
l'abbé  Barruel.  En  1795  il  quitta 
la  France,  et  n'y  rentra  que  quel- 
ques mois  avant  le  concordat,  eu 
1801.  Nommé,  en  1811,  cha- 
noine de  Paris,  M.  Montmignon 
devint  vicaire-général  du  diocèse 
en  181 5.  Il  a  publié  les  ouvrages 
suivans  :  1°  Système  de  pronon- 
ciation figurée,  applicable  à  toutes 
les  langues,  et  exécutée  sur  les 
langues  française  et  anglaise,  Paris, 
1785,  in-8°,  avec  figures;  ^'Let- 
tre à  r éditeur  des  Œuvres  de  d' A- 
guesseau,  insérée  dans  le  8'  volu- 
me ;  3"  Du  crime  d'apostasie,  é- 
crit  relatif  à  la  suppression  des 
ordres  monastiques;  4°  ^'*  <^^ 
vénérable  Labre,  traduit  de  l'ita- 
lien; 5°  Réfutation  du  préservatif 
contre  le  fanatisme,  ou  les  nou- 
veaux Millénaires  rappelés  aux 
principes  fondamentaux  delà  règle 
de  foi  catholique,  dernier  ouvrage 
du  P.  Lambert;  6°  Choix  de  Let- 
très  édifiantes,  contenant  un  grand 
nombre  d'observations  pour  l'in- 
telligence de  l'histoire  des  mis- 
sions;  7°  la  Clef  de  toutes  les  lan- 
gues, ou  Moyen  prompt  et  facile 
d' établir  un  lien  de  correspondance 
entre  tous  les  peuples,  et  de  sim- 
plifier extrêmement  les  méthodes 
d'enseignement   pour    l'étude    des 


y  4 


MON 


langues,  1811,  irj-8';  8°  Régie 
suprême  de  vérité.  Cet  ouvrage, 
cjiie  l'auteur  destinait  à  servir  d'in- 
troduction au  précédent ,  fut  im- 
primé, mais  non  publié. 

MONTMORENCY  (Anne- 
Chahles-Fr4iPçois,  duc  de),  pair 
de  France,  chevalier  de  Saint- 
Louis,  chef  de  l'arK*ienne  famille 
dont  le  fondateur  reçut  le  titre  de 
premier  baron  chrétien,  est  né  le 
28  juillet  1768.  M.  de  Montmo- 
rency entra  de  bonne  heure  dans 
la  carrière  militaire ,  et  fit  ses 
premières  armes  dans  le  régiment 
de  Colonel-général-dragons.  Dès 
l'aurore  de  la  révolution,  il  quitta 
avec  sa  famille  sa  patrie ,  et  fît  la 
campagne  des  princes  en  1791  et 
1792.  Il  résida  ensuite  successi- 
vement à  Hambourg  et  à  Muns- 
ter, où  son  père  mourut  en  1799. 
Le  calme  rétabli ,  il  rentra  en 
France,  où  il  vécut  dans  la  re- 
traite, jusqu'à  l'époque  des  évé- 
nemens  politiques  de  1814.  Il  de- 
vint major-général  de  la  garde 
nationale  de  Paris ,  le  8  janvier 
de  cette  année,  et  prêta  serment, 
le  16,  en  cette  qualité,  dans  les 
mains  de  l'empereur.  Le  roi  le 
maintint  dans  ce  poste,  le  nomma 
pair  de  France,  le  4  ju'"  •8i4> 
et,  le  27  du  même  mois,  cheva- 
lier de  Saint-Louis. 

MONTMORENCY  (Anne- 
Louis  -  Christian  ,  PRINCE  de), 
frère  du  précédent,  grand-d'Es- 
pagne de  première  classe ,  mem- 
jj  bre  de  la  légion-d'honneur  et  de 
la  chambre  des  députés,  ex-ins- 
pecteur-général de  la  garde  na- 
tionale du  département  de  la  Seine- 
Inférieure,  est  né  le  26  mai  1769. 
Gomme  membre  de  la  seconde 
chambre ,  où  l'a  nommé  ce  dé- 


MON 

partement ,  le  prince  de  Mont- 
morency a  rarement  pris  la  pa- 
role ;  mais  il  a  voté  avec  la  ma- 
jorité, en  18 15,  et  s'est  placé 
dans  les  sessions  suivantes  à  la 
première  section  du  côté  droit. 
Réélu  à  l'expiration  de  son  man- 
dat, par  le  haut-coIlége  du  dé- 
partement de  la  Seine-Inférieure, 
il  a  fait  partie  de  la  chambre  jus- 
qu'à son  entière  dissolution  en 
1824.  Le  prince  de  Montmorency 
était,  en  1820,  vice-président  du 
comité  d'administration  de  l'asso- 
ciation paternelle  des  chevaliers 
de  Saint-Louis. 

MONTMORENCY  (le  comte 
Anne- Joseph-Thibaut  de),  second 
frère  du  duc  Anne-Charles-Fran- 
çois de  Montmorency,  maréchal- 
de-camp  ,  chevalier  de  Saint- 
Louis,  est  né  le  i5  mars  1775. 
Il  émigra  avec  sa  famille,  servit 
dans  les  armées  à  la  solde  de  l'An- 
gleterre, et  fut  l'un  des  réfugiés 
de  Calais  avec  MM.  de  Choiseul- 
Stainville  elCharles  deDamas(»oj. 
ces  noms).  M.  de  Montmorency  é- 
tait  rentré  en  France  sous  le  gou- 
vernement consulaire,  et  vivait 
dans  la  retraite  lorsque  les  événe- 
mens  politiques  de  1814  lui  four- 
nirent l'occasion  de  déployer  son 
zèle  pour  la  cause  royale.  Il  se 
donna  un  grand  mouvement  à 
cette  époque,  et  devint  aide-de- 
camp  de  M.  le  duc  d'Orléans  lors 
du  retour  de  ce  prince  dans  sa 
patrie.  En  récompense  de  ses  ser- 
vices ,  le  roi  le  nomma,  en  i8i4» 
maréchal-de-camp  et  chevalier  de 
Saint-Louis. 

MONTMORENCY  (le  baron 
Anne -Louis -Raoul  de),  ancien 
chambellan  de  l'empereur  Napo- 
léon ,  olïïcier  de  la  légion-d'hon- 


MON 

iieur,  aide-de-cainp  Je  M.  le  «lue 
d'Orléans,  fils  du  duc  de  Mont- 
morency,est  né  à  Soleure  en  1790. 
Il  vint  de  bonne  heure  en  France, 
pritdu  service  dans  un  régiment  de 
hussards ,  et  fut  nommé  aide-de- 
camp  du  maréchal  Davoust,  prin- 
ce d'Eckmiihl.  Successivement 
officier  d'ordonnance  de  l'empe- 
reur, et  chef  d'escadron,  il  se  vit 
forcé ,  â  cause  de  la  faiblesse  de 
«a  santé  ,  de  quitter  le  service  mi- 
litaire. L'empereur  le  nomma  l'un 
de  ses  chambellans  en  18 15,  mais 
il  n'en  remplit  pas  les  fonctions. 
iM.  de  Montmorency  fut  successi- 
vement nommé  chevalier,  puis 
officier  de  la  légion-d'honneur, 
enfin,  en  181 5,  chevalier  de  Saint- 
Louis.  Il  était  en  1818  aide-de- 
i-ainp  de  M.  Je  duc  d'Orléans. 
MONTMORENCY    (Mathieb- 

.ÏEAN-FÉLICITÉ  DE  MoNTMORENCY-La- 

VAL,  Dt'C  de),  membre  de  la  cham- 
bre des  pairs,  ancien  ministre  des 
affaires  étrangères,  etc.,  cousin 
des  précédens,  est  né  à  Paris,  le 
10  juillet  1766.  C'est  en  Améri- 
que, où  il  servit  dans  le  régiment 
d'Auvergne,  dont  son  père  était 
colonel,  qu'il  puisa  ces  principes 
de  liberté  et  d'indépendance  dont 
il  donna  des  preuves  éclatantes  à 
l'assemblée  des  états-généraux, 
en  1789.  Il  avait  été  nommé  à 
cette  assemblée  par  la  noblesse 
du  bailliage  de  Montfort-l'Amau- 
ry,  df/ht  il  était  grand-bailli  d'épée. 
L'un  des  premiers  de  son  ordre, 
il  se  réunit  à  ceux  qu'on  nommait 
alors  les  députés  du  tiers-état , 
vota  constamment  pendant  toute 
la  session  avec  la  majorité ,  et  prit 
une  part  active  à  toutes  les  mesu- 
res de  réforme  qui  devaient  re- 
construire l'édifice  politique  sur 


MON  75 

de  nouvelles  bases  ;  ce  fut  même 
sur  sa  proposition  que  fut  adoptée 
l'abolition  de  la  noblesse.  La  ses- 
sion terminée,  il  servit  en  qualité 
d'aide-de  camp  du  maréchal  de 
Luckner  (voyez  ce  nom).  Bientôt 
la  république  s'établit  sur  les  dé- 
bris de  la  constitution  de  1790, 
et  M.  de  Montmorency,  pour 
éviter  les  dangers  de  la  réaction, 
quitta  sa  patrie.  Il  se  réfugia  en 
Suisse  ,  où  ,  après  avoir  erré  quel- 
que temps,  il  trouva  un  asile  et 
les  secours  les  plus  généreux  dans 
la  maison  de  M"*  de  Staël,  à  Cop- 
pet.  Une  tendre  et  inaltérable  ami- 
tié s'établit  entre  cette  femme 
célèbre  et  M.  de  Montmorency, 
malgré  la  différence  de  leurs  doc- 
trines politiques  et  religieuses. 
C'est  pendant  son  séjour  en  Suis- 
se qu'il  apprit  que  son  frère  [voy. 
plus  bas  Montmorency-Laval)  a- 
vait  été  frappé  par  un  jugement 
du  tribunal  révolutionnaire,  et 
qu'il  avait  péri  sur  l'échafaud  le 

17  juin  1794-  Quelque  temps  a- 
près  le  9  thermidor  (1794)^  il  re- 
vint à  Paris.  Le  26  décembre  1790, 
il  fut  arrêté,  mais  sa  détention 
fut  de  courte  durée  ;  ayant  été  de 
nouveau  inquiété  à  l'époque   du 

18  fructidor  an  5  (1797),  il  se 
voua  à  la  retraite,  et  même  après 
la  révolution  du  18  brumaire  an  8 
(1799),  qui  promettait  de  rendre 
à  la  France  le  calme  dont  elle  a- 
vait  si  peu  joui  depuis  l'assemblée 
constituante,  il  ne  voulut  remplir 
que  des  fonctions  de  bienfaisance, 
et  se  trouva  associé  dans  ces  no- 
bles occupations  avec  les  hommes 
les  plus  distingués,  entre  autres 
le  duc  de  La  Rochefoucault  [voy. 
KoCBEFoccAULT.)  Lc  sèjouT  à  Pa- 
ris de  M™"  de  Staël,  avec  laquelle 


r6  MON 

il  renouvela  ses  relations  de  re- 
connaissance et  d'amitié,  que  le 
gouvernement  impérial  ne  vit  pas 
sans  défiance,  le  fit  d'abord  sur- 
veiller, et  ensuite  exiler  (1811). 
Il  fut  cependant  autorisé  à  revenir 
à  Paris  :  toutefois  la  police  impé- 
riale ne  le  perdit  pas  de  vue.  En- 
fin les  événemeus  politiques  de 
1814  firent  naître  un  changement 
total  dans  ses  principes,  et  il  se 
rendit,  au  mois  d'avril  de  cette 
année,  auprès  de  Monsieur,  lieu- 
tenant-général du  ro3'aume;  il  de- 
vint son  aide-de-camp.  Nommé 
chevalier  d'honneur  de  Madame, 
duchesse  d'Angoulême,  au  mois 
de  mars  181 5,  il  accompagna  S. 
A.  R.  A  Bordeaux  et  à  Londres, 
d'où  il  se  rendit  à  Gand ,  auprès 
du  roi.  De  retour  à  Paris  avec  ce 
prince,  il  entra,  le  ly  août  181 5, 
à  la  chambre  des  pairs.  Depuis 
cette  époque,  M.  de  Montmoren- 
cy n'a  cessé  de  voter  avec  la  ma- 
jorité, et  a  parlé  plusieurs  fois 
sur  des  matières  de  finances,  sur 
le  clergé,  sur  les  journaux,  etc.; 
mais  l'homme  de  l'époque  actuelle 
n'est  plus  le  publiciste  de  1789. 
Il  combat  aujourd'hui  les  mêmes 
principes  qu'il  défendait  alors  a- 
vec  conviction  et  éloquence.  Ap- 
pelé au  ministère  des  affaires  é- 
trangères  après  la  chute  de  MM. 
Siméon  et  Pasquier,  et  nommé 
président  du  conseil ,  il  entra  ou- 
vertement dans  le  système  adopté 
par  le  côté  droit  de  la  chambre 
des  députés.  Ce  fut  pendant  l'une 
des  séances  de  1822  qu'il  pro- 
nonça cette  fameuse  rétractation 
de  ses  premières  doctrines,  qui 
excita  des  sentimens  divers  dans 
le  public.  Appelé  au  congrès  de 
Vérone,  il  s'y  trouva  avec  M.  le 


MON 

vicomte  de  Chateaubriand.  M.  de 
Montmorency  poussait  à  la  guer- 
re d'Espagne  avec  une  chaleur 
que  ne  partageaient  ni  M.  de  Vil- 
lèle,  ni  M.  de  Corbière,  ses  col- 
lègues; aussi  il  éclata  quelques 
dissentimens  à  son  retour,  et  M. 
le  vicomte  de  Chateaubriand,  qui 
s'était  tenu  prudemment  en  ob- 
servation, reçut  le  portefeuille 
des  affaires  étrangères.  On  ne 
soupçonnait  pas  à  l'auteur  des 
Martyrs  le  talent  requis  pour  se 
glisser  aussi  adroitement  dans  le 
fiiuteull  ministériel  de  son  illustre 
ami.  Il  est  juste  d'ajouter  que  M. 
le  vicomte  de  Chateaubriand  mit 
dans  cette  occupation  les  formes 
d'une  exquise  politesse,  et  ne  prit 
le  portefeuille  des  mains  de  M.  de 
Montmorency  qu'en  lui  adressant 
les  plus  vives  protestations  d'a- 
mitié et  de  dévouement.  Depuis 
cette  époque,  M.  de  Montmorency 
se  livre  à  ses  actes  accoutumés  de 
bienfaisance,  et  médite  ,  dit-on, 
quelquefois  à  Montrouge  sur  la 
sincérité  des  amitiés  de  cour,  et 
sur  l'instabilité  des  grandeurs  hu- 
maines. 

MONTMORENCY  (madame  M. 
L.  L.  de),  de  la  famille  des  pré- 
cédens,  naquit  vers  lyaS;  elle  a- 
vait  pris  le  voile  dès  sa  jeunesse , 
et  était  supérieure  de  l'abbaye  de 
Montmartre,  lorsque  la  révolution 
éclata.  Les  couveus  et  tous  les 
autres  ordres  religieux  aya'nt  été 
supprimés,  elle  vivait  dans  la 
plus  profonde  retraite;  mais  sous 
le  règne  de  la  terreur  son  obscu- 
rité et  son  grand  âge  ne  purent  la 
soustraire  à  sa  malheureuse  des- 
tinée. D'abord  arrêtée  et  mise  en 
détention  à  Saint-Lazare,  elle  en 
fut  bientôt  extraite  pour  être  li- 


l 


MON 

vrée  au  tribunal  révolutionnaire, 
qui  la  coudamaa  à  mort  sur  l'ac- 
cusatioa  bannale  de  conspiration. 
Une  conspiratrice  septuagénaire! 
Sa  mort  précéda  de  trois  jours 
la  révolution  du  9  thermidor  au  2: 
M""*  de  Montmorency  fut  exécutée 
le  24  juillet  1794. 

MONTMORENCY  -  LAVAL 
(de)  ,  frère  du  duc  Mathieu  de 
Montmorency,  était  à  peine  âgé 
de  34  '"^ris  lorsqu'il  fut  arrêté  et 
enfermé  dans  la  prison  de  la  Bour- 
be, comme  complice  de  l'Admi- 
rai {voy.  Admiral)  ,  dont  le  nom 
et  la  personne  lui  étaient  absolu- 
ment inconnus.  Il  parut  avec  lui 
au  tribunal  révolutionnaire,  et 
fut  atteint  par  le  même  arrêt  de 
mort.  II  périt  sur  l'échafiiud  le  17 
juin  1794»  revêtu  d'une  chemise 
rouge.  Ce  jeune  infortuné  s'était 
livré  dans  sa  prison  à  la  culture 
des  lettres.  On  trouve  deux  de  ses 
pièces  de  poésie  dans  le  recueil 
intitulé  :  Tableau  des  prisons  sous 
Robespierre  :  elles  annonçaient  un 
talent  agréable. 

MONTMORENCY  -  LUXEM- 
BOURG (  AsNE  -  Charles-Sigis- 
MOND,  Dcc  de),  père  du  duc  de 
Luxembourg  {voy.  Lixemboirg), 
l'un  des  quatre  capitaines  des  gar- 
des-du -corps  du  roi.  Le  duc 
de  Montmorency- Luxembourg, 
pair  de  France  et  premier  ba- 
ron chrétien,  membre  de  l'as- 
semblée des  notables  en  1787, 
ainsi  que  le  prince  Anne-Louis- 
Alexandre  de  Montmorency-Robec 
et  le  duc  Anne-Alexandre-Marie- 
Sulpice-Joseph de  Montmorency- 
Laval  ,  fut  nommé  député ,  par  la 
noblesse  du  Poitou,  aux  états- 
généraux  ,  en  1789.  Lors  des  as- 
semblées de  cet  ordre ,  pour  dé- 


libérer  s'il  se  réunirait  au  tiers-é- 
tat ,  il  fut  nommé  président.  Le 
26  juin,  il  obtint  du  roi  une  au- 
dience, dans  laquelle  il  exposa  à 
S.  M.  que  la  noblesse  se  refusait 
à  toute  réunion  ,  moins  encore 
dans  son  propre  intérêt  que  dans 
celui  de  la  couronne.  Le  monar- 
que témoignant  sa  surprise  de 
ce  dernier  motif,  on  rapporte  que 
le  duc  lui  adressa  ce  discours  : 
«La  noblesse,   forte  de  sa  con- 

•  sidération,  de  ses  immenses 
«richesses  et  des  talens  de  plu- 
»  sieurs  de  ses  membres ,  est  sû- 
ore  de  jouer  un  rôle  dans  l'as- 
»  semblée  nationale,  où  elle  sera 
»  reçue  avec  transport.  Mais  quel- 

•  les  suites  cette  réunion  peut  a- 
»voir  pour  le  trône!  L'opinion 
«publique  et  les  droits  de  la  na- 
»  tion  décernent  à  ses  représen- 
»  tans  une  telle  puissance,  que 
»  l'autorité  royale  elle-même  de- 
»  meure  comme  nulle  en  sa  pré- 
«sence.  Ce  pouvoir  sans  bornes 
«existe  dans  les  états-généraux; 
«mais  leur  division  en  plusieurs 
«chambres  enchaîne  leur  action 
«et  conserve  la  vôtre.  Réunis  en 
«une  seule,  ils  ne  connaissent 
«plus  de  maître  :  divisés  en  trois, 
«ils  sont  vos  sujets.  Le  déficit  des 
«finances,  l'insubordination  de 
«l'armée,  abattent  votre  conseil; 
«mais,  sire,  il  vous  reste  encore 
«votre  fidèle  noblesse.  Elle  a  le 
»  choix  de  partager  avec  ses  co- 
»  députés  le  pouvoir  suprême  ou 
ode  mourir  pour  défendre  votre 
«prérogative;  son  choix  ne  sera 
npas  douteux  :  elle  mourra,  mais 
»en  mourant,  elle  frappera  de 
«nullité  les  opérations  d'une  as- 
I) semblée  incomplète,  puisqu'un 
»  tiers  de  ses  membres  aura   été 


78 


MON 


«livré  à  la  fureur  du  peuple  ou  au 
»  Ter  des  assassins.  »  Le  roi  ordon- 
na néanmoins  la  réunion ,  en  di- 
sant avec  fermeté  au  duc  :  «  lléu- 
onissez-vous,  je  le  veux.  »  La 
noblesse,  malgré  la  volonté  roya- 
le, persistait  dans  son  opposition. 
Lne  lettre  de  31.  le  comte  d'Ar- 
tois lui  annonçant  que  cette  hési- 
tation prolongée  mettrait  en  dan- 
}Cer  les  jours  de  sa  majesté,  M. 
de  Montmorency  se  détermina  en- 
fin à  se  présenter  à  la  chambre 
des  communes  ,  à  laquelle  il 
déclara  «  que  l'amour  de  la  paix 
»et  le  désir  de  déférer  auxinten- 
»tions  du  roi  amenaientla  nobles- 
»sie  au  sein  de  l'assemblée.  »  Il 
donna  le  20  août  de  la  même  année 
sa  démission,  et  se  retira  immé- 
diatement en  Portugal,  où  sa  fille 
épousa  un  des  infans. 

MONTMORENCY-  MORRÈS 
(Hervé  de),  adjudant-comman- 
dant, avec  le  rang  de  colonel  au 
service  de  France,  membre  de  la 
légion- d'honneur  et  chevalier  de 
Saint- Louis,  naquit  le  8  mars 
1J67,  à  Raihlin  en  Irlande.  Son 
père,  Mathieu  de  Montmorency , 
baron  de  Montmarisco,  ayant  le 
premier  prouvé  judiciairement  sa 
descendance  directe  de  Geoffroi, 
second  fils  d'Hervey  de  Montmo- 
rency, grand-sommelier  de  Fran- 
ce (  lequel  Geoffroi  vint  en  An- 
gleterre avec  Guillaume-le-Con- 
quérant,  et  fut  attaché  à  sa  belle- 
lille  la  reine  Mathilde,  femme 
de  Henri  I"),  a  été  autorisé,  en 
181 5,  par  le  roi  d'Angleterre,  à 
reprendre  son  ancien  nom  de  fa- 
mille. La  branche  protestante  de 
la  même  maison,  établie  depuis 
six  siècles  en  Irlande,  et  repré- 
sentée aujourd'hui  par  lord  vi- 


MON 

comte  de  Montn)orency- Franc- 
fort, pair  d'Irlande,  a  obtenu  le 
même  droit.  Le  jeune  Hervé  en- 
tra, à  l'ûge  de  1 5  ans,  au  service  de 
l'empereur  d'Autriche  Joseph  II. 
Employé  d'abord  dans  le  régi- 
ment de  Viersel ,  il  passa  ensuite 
dans  celui  du  l'eld-maréchal  Lacy, 
et  fit  avec  lui  toutes  les  campa- 
gnes contre  les  Turcs.  Il  se  distin- 
gua particulièrement  au  siège  et 
à  l'assaut  de  Belgrade.  Etant  passé 
au  corps  d'armée,  commandé  par 
le  prince  de  Hohenlohe  ,  il  fit  d'a- 
bord partie  de  l'état -major  du 
lieutenant- général  comte  Edouard 
d'Alton,  et  commanda  ensuite  une 
compagnie  de  tirailleurs  ,  pen- 
dant le  siège  de  Thionville.  En 
1793,  il  se  rendit  sur  le  Rhin,  à 
l'armée  du  feld-marécbal  Wurm- 
ser,  y  servit  avec  distinction  dans 
les  grenadiers,  et  fut  depuis  atta- 
ché, en  qualité  d'aide-de-camp , 
au  général  prince  Charles  de  Furs- 
temberg.  Après  les  sanglantes  cam- 
pagnes de  1793  et  1794,  il  donna 
sa  dén)ission  du  service  d'Autri- 
che, et  retourna  dans  sa  patrie  avec 
la  jeune  baronne  Louise  de  Helm- 
stadt,  qu'il  venait  d'épouser  à 
Heidelberg.  M,  de  Montmorency 
trouva  l'Irlande  en  proie  à  de  vio- 
lentes dissentions  civiles.  Deux 
factions  se  poursuivaient  avec  a- 
charnement,  et  déchiraient  tonr- 
à-tour  le  sein  de  leur  patrie.  L'in- 
tolérance, le  fanatisme  et  la  hai- 
ne, sentimens  habituels  des  sectes 
déjà  dominantes,  ou  qui  aspirent 
à  le  devenir,  animaient  surtout  la 
faction  dite  des  Orangistes ,  toute 
composée  de  protestans  fougueux. 
Les  catholiques  d'Irlande,  ancien- 
nement dépouillés  de  la  plus 
grande  partie  de  leurs  biens,  op- 


MON 

primés  et  persécutés  depuis  plus 
d'un  siècle,    se  réunirent  à  leur 
tour  et  formèrent  le  parti  des  De- 
fenders  (défenseurs).  On  eut  bien- 
tôt à  se  reprocher,  de  part  et  d'au- 
tre, d'odieux  excès  et   d'atroces 
vengeances.  M.  de  Montmorency, 
qui  habitait  Knockalton  ,    et  qui 
voyait  la  province  dXlsler  mena- 
cée de  toutes  les  horreurs  d'une 
guerre  civile,  présenta  à  cette  é- 
poque  un  mémoire  au  comte  de 
Camden,  vice-roi  d'Irlande,  dans 
lequel  il  lui  proposait  les  mesures 
les  plus  sages  et  les  plus  propres 
à  prévenir  une  révolte  générale. 
II  insistait  surtout  sur  la  prompte 
réunion  d'un  corns   de   troupes, 
que  le  gouvernement  ferait  agir 
contre  les  perturbateurs  du  repos 
public,   quels   qu'ils   fussent,   et 
sans  distinction  de  parti  ou  de  re- 
ligion. Le  vice-roi  lui  fit  répondre 
par  le  sous-secrétaire,  M.  E.  Cooke, 
que  son  mémoire  avait  été  lu  et 
médité;  que  le  plan  n'était  pas, 
en  tous  points,  exécutable  pour 
le  moment,  mais  qu'il  fournissait 
une  preuve  non  équivoque  du  zèle 
et  de  la  loyauté  de  M.  de  Mont- 
morency, et  qu'on  ne  doutait  nul- 
lement  qu'il    ne    s'empressilt   de 
coopérer  aux  mesures  que  le  gou- 
vernement prendrait,  etc.  Il  don- 
na en  eflfel  plusieurs  preuves  de 
son  dévouement  à  l'autorité  roya- 
le, et,  en  1796,  lorsqu'une  expé- 
dition française,  commandée  par 
le  général  Hoohe,   parut  sur  les 
côtes  méridionales  de  l'Irlande,  il 
se  présenta  comme  volontaire,  et 
accepta  la  commissjpn  d'aide-de- 
camp    près    du     général    anglais 
Ralph  Dundas,  son  ami.  Les  vais- 
seaux de  la  flotte  française  furent 
«n  partie  dispersés  parla  tempête: 


MON 


-o 


le  petit  corp?  de  troupe*  qui  avait 
pu  débarquer,   sous  les  ordres  du 
brave  général  Humbert  [voyez  ce 
nom) ,  fut  cerné  de  toutes  parts, 
et,  après  des  prodiges  de  valeur, 
fut  enfin  forcé  de  se  rendre.   Mais 
à  peine  l'ennemi  du  dehors  avait- 
il  cessé  d'être  redoutable,  que  les 
troubles  intérieurs  éclatèrent  avec 
une  nouvelle  fureur.  Le  comté  de 
Tipperary  en  fut  d'abord  le  plus 
violemment  agité.    Le  gouverne- 
ment, au   lieu  de  suivre  les  avis 
qui  lui  avaient  été  donnés  ,   et  de 
sévir  avec  rigueur,  mais  avec  im- 
partialité,   contre   tous    les  fac- 
tieux, protégeait  évidemment  le 
parti  des  Orangistes.  Les  deux  ré- 
gimens   de  Tyrcyic  et  de   Down- 
shire,  composés  en  entier  d'hom- 
mes dévoués   à   ce  parti,   furent 
envoyés  par   le   vice-roi  dans   le 
comté  de  Tipperary,  et  le  mirent 
à  feu  et  à  sang.  Les  violences  com- 
mises envers  les  catholiques  furent 
enfin  portées  à  un  tel  excès,  qu'el- 
les indignèrent  tous  les  hommes 
de  bien.  Aux  anciens  Defenders  se 
réunirent  bientôt  des  Irlandais  de 
toutes  les  classes  et  de  toutes  les  opi- 
nions. Alors  se  forma  cette  associa- 
tion armée,  qui  devint  redoutable 
sous  le  nom  à' Irlandais-unis,  et  à 
laquelle  non-seulement  des  catho- 
liques ,   mais  des  calvinistes  ,   des 
quakers,  des  pairs  du  royaume, 
des  membres  des  communes,  des 
bourgeois  des  villes  et  des  habi- 
tans  des  campagnes  prirent  la  part 
la  pins  active.  On  s'engagea,  sous 
la  foi  du  serment,   à  résister  par 
la  force  des  armes  à  une  oppres- 
sion  qu'on   déclarait  intolérable. 
On  attaqua  même,  avec  le  courage 
du  désespoir,  les  troupes  réglées 
qno  les  Orangistes  eurent  bientôt 


8o 


MON 


pour  auxiliaires.  Le  gouverne- 
ment déclara  à  son  lour  ses  adver- 
saiies  rebelles,  arma  ses  partisans, 
fit  marcher  des  corps  nombreux, 
et  la  guerre  intestine  la  plus  cruel- 
le ensanglanta  la  malheureuse  Ir- 
lande. Les  insurgés-unis,  organi- 
sés militairement ,  avaient  choisi 
pour  leur  généralissime  le  jeune 
lord  Edouard  Fitz-Gérald  {voy.  ce 
nom  AU  Supplément  du  vol.  XIII), 
de  la  famille  des  ducs  de  Leinster, 
et  un  des  hommes  les  plus  estimés 
dans  l'île  entière,  oii ,  malgré  sa 
fin  tragique,  le  peuple  ne  pro- 
nonce encore  son  nom  (ju'avec 
une  vénération  profonde.  Pour 
seconder  ce  chef,  on  avait  en  ou- 
tre eu  recours,  dans  chaque  com- 
té,;! un  ancien  militaire  retiré  dans 
SCS  foyers,  qu'on  nomma  général. 
Dans  le  comté  de  ïipperary ,  M. 
Hervé  de  Montmorency  fut  porté 
tout  d'une  voix  à  ce  poste  dange- 
reux. Après  une  suite  rapide  de 
faibles  succès  et  d'éclatans  revers, 
l'insurrection  eut  l'issue  funeste 
qu'il  aurait  été  facile  de  lui  pré- 
dire. Les  soldats  du  gouverne- 
ment britannique  triomphèrent, 
et  le  parlement  d'Irlande  sévit  par 
un  acte  judiciaire,  The  rebel  fu- 
gitive bill ,  contre  les  chefs  dis- 
persé»*. M.  de  Montmorency  s'é- 
tait réfugié  en  pays  neutre  ,  et 
crut  trouver  un  asile  dans  la  ville 
dite  libre  de  Hambourg.  Mais  le 
sénat  de  cette  petite  république, 
obéissant  à  une  réquisition  du  ré- 
sident anglais,  M.  James  Cravr- 
furd ,  le  fit  arrêter  le  23  novem- 
bre 1799,  ainsi  que  le  général 
Napper-Tandy,  le  chef  d'escadron 
Blackwell,  et  le  capitaine  Corbett, 
tous  trois  officiers  au  service  de 
France,  mais  nés  en  Irlande.  MaJ- 


MON 

gré  les  protestations  en  forme  pré- 
sentées au  sénat  par  les  ministres 
de  France ,  d'Espagne  et  de  Hol- 
lande, qui  réclamèrent  en  vain 
contre  une  violation  aussi  mani- 
feste de  la  neutralité  et  du  droit 
des  gens,  les  quatre  prisonniers, 
après  une  captivité  de  onze  mois 
dans  les  prisons  de  Hambourg,  fu- 
rent livrés  à  l'agent  britannique, 
et  transportés,  sur  une  frégate, 
d'abord  en  Angleterre  et  ensuite 
en  Irlande,  pour  être  jugés  à  Du- 
blin ,  comme  criminels  d'état. 
Cette  extradition  fit  une  sensation 
extraordinaire  dans  le  public.  La 
conduite  du  sénat  de  Hambourg 
fut  généralement  blâmée,  même 
en  Angleterre.  Les  trois  ministres 
cités  ci-dessus  quittèrent  sur-le- 
champ  la  ville,  et  se  retirèrent  à 
Altona.  M.  Pitt  délibéra,  dit-on, 
pendant  plusieurs  jours,  sur  le 
parti  le  plus  convenable  à  pren- 
dre,  et  fut  sur  le  point  de  céder 
à  la  clameur  publique,  et  de  ren- 
voyer les  prisonniers  sur  le  conti- 
nent pour  y  être  remis  en  liberté. 
Le  gouvernement  français  déclara 
hautement  qu'il  tirerait  vengeance 
de  i'outrage  fait  à  des  officiers  au 
service  de  France,  et  le  sénat  de 
Hambourg,  effrayé,  se  hâta  d'en- 
voyer deux  de  ses  membres  à  Pa- 
ris, avec  une  lettre  très-soumise, 
dans  laquelle,  tout  en  avouant  sa 
faute,  il  en  rejetait  le  blâme  sur 
le  gouvernement  anglais,  dont  les 
menaces  avaient  intimidé  les  bour- 
guemestres  et  les  sénateurs. Ceux- 
ci  cherchaient,  par  les  expressions 
les  plus  adulatrices,  à  captiver  la 
bienveillance  du  premier  consul. 
Sa  réponse,  devenue  célèbre  dans 
les  fastes  de  la  diplomatie,  fut 
conçue  en  ces  termes  :  «  Nous  a- 


MON 

»  vnns  reçu  votre  lettre,  messieurs  ; 
«elle  ne  vous  excuse  pas.  Le  cou- 
»rage  et  les  vertus  conservent  les 
•  étals,  la  lâcheté  et  les  vices  les 
Bruinent.  —  Vous  avez  violé  les 
»  lois  de  l'hospitalité  :  cela  ne  serait 
«pas  arrivé  parmi  les  hordes  les 
«plu»  barbares  du  désert.  Vos  con- 
»  citoyens  vous  le  reprocheront  à 
n jamais.  —  Les  infortunés  que 
»  vous  avez  livrés  meurent  illus- 
»tres,  mais  leur  sang  fera  plus  de 
«mal  à  leurs  persécuteurs  que 
«n'aurait  pu  faire  une  armée.  « 
La  cour  du  banc  du  roi ,  à  Dublin, 
prononça  son  arrêt  le  18  mai  1800. 
Napper -Tandy  fut  condamné  à 
mort,  et  exécuté.  M.  de  Mont- 
morency fut  renvoyé  de  l'accusa- 
tion ,  vu  qu'il  avait  été  arrêté  en 
pays  étranger,  par  ordre  de  S.  M. 
britannique,  7  jours  avant  celui 
qui  avait  été  fixé  par  l'acte  du 
parlement,  comme  ternie  de  ri- 
gueur assigné  aux  fugitifs  pour  se 
constituer  prisonniers,  et  vu  que 
l'arrestation  l'avait  mis  dans  l'im- 
possibilité d'obtempérer  audit  ac- 
te ,  etc.  Mais  quoique  acquitté 
par  cet  arrêt,  remarquable  sous 
tous  les  rapports,  il  ne  fut  remis 
eu  liberté  qu'après  la  paix  d'A- 
miens, et  à  la  sollicitation  du  pre- 
mier consul.  Sorti  du  château  fort 
de  Kilmainham,  le  10  décembre 
1801,  après  une  captivité  de  plus 
de  trois  années  ,  son  premier  soin 
fut  de  se  rendre  ù  Paris,  pour  té- 
moigner sa  reconnaissanceau  gou- 
vernement qui  l'avait  si  elFicace- 
mont  protégé.  Af)rès  avoir  salis- 
fait  à  ce  sentiment  de  gratitude, 
il  retourna  à  Dublin,  où  il  épous  », 
en  secondes  noces,  lady  Esmond, 
veuve  de  son  cousin- germain;  sa 
première  femme,  personne  d'un 

T.  XIV. 


MON 


81 


mérite  distingué,  était  morte  le 
jour  même  où  son  mari  fut  arrêté 
à  Hambourg.  En  1806,  M.  de 
Montmorency,  en  sa  qualité  da 
franc-tenancier  du  comté  deWex- 
ford,  fut  nommé  l'un  des  députés 
catholiques  dans  ce  comté,  chaigé 
de  se  rendre  auprès  du  duc  de 
Bedford,  lors  de  l'avènement  de 
ce  dernier  à  la  vice-royauté  d'Ir- 
lande. Il  fit ,  quelques  années 
après  ,  un  nouveau  voyage  en 
France,  où  l'appelaient  des  affaires 
personnelles,  entièrement  étran- 
gères à  la  politique.  Encouragé 
par  l'accueil  distingué  qu'il  reçut 
de  Napoléon ,  et  par  les  offres  du 
duc  de  Feltre,  ministre  de  la  guer- 
re [voy.  Clarke}  ,  qui  était  aussi 
Irlandais  d'origine,  il  résolut  de 
rentrer  dans  la  carrière  militaire  , 
et  de  s'attacher  au  service  de 
France.  Nommé  adjudant- com- 
mandant, avec  le  grade  de  colonel, 
et  membre  de  la  légion-d'honneur, 
par  décret  impérial  daté  de  Dres- 
de le  19  mai  1812,  il  rejoignit 
l'armée,  et  fit  les  dernières  cam- 
pagnes sous  les  ordres  du  maré- 
chal Augereau.  Il  a  été  nommé , 
par  le  roi,  chevalier  de  Saint- 
Louis  en  1817.  M.  de  Montmo- 
rency s'est  depuis  livré  à  des  oc- 
cupations littéraires;  il  est  mem- 
bre correspondant  de  la  société 
des  Antiquaires  de  Londres.  De- 
puis long-temps  occupé  de  re- 
cherches scientifiques,  il  a  publié 
])lusieurs  ouvrages.  On  lui  doit  : 
\°  Noinenclatura  Hibernica ,  Du- 
blin, 1810;  2°  Réflexions  sur  le 
veto;  5'  Recherches  historiques  et 
critiques  sur  l'origine  et  C objet 
primaire  des  tours-colonnes  de 
C Irlande,  in-S",  avec  planches, 
Sherwood ,  Londres,  1821;  4* 
6 


8a 


MON 


Mcmoires  généalogiques  sur  la  fa- 
initle  de  Montmorency ,  i  vol. 
grand  in-4°»  avec  planches.  Il 
travaille  encore  à  une  nouvelle 
édition  ,  corrigée  et  augineulée, 
du  Monasticutn  Hibernicam,  de 
M.  Archdall ,  pour  servir  de  pen- 
dant au  Monaslicutn  AngUcanam, 
de  M.  Dugdale,  et  à  un  Diction- 
naire iopographique  de  l'Irlande. 
Il  est  l'un  des  collaborateurs  de 
M.  Urewer  pour  l'ouvrage  qui 
s'imprime  actuellement  à  Lon- 
dres, intitulé  :  Tlie  Beauties  of 
Ireland,  etc. 
MONTMOMN  SAINT  HEREU 

(LECOMTELoUlS-VlCTOlBE-LtX   De), 

fils  du  marquis  du  même  nom, 
lieutenant  -général ,  gouverneur 
de  Fontainebleau,  gouvernement 
auquel  lecomte  deMontmorin  fut 
lui-même  appelé,  naquit  en  1762,  . 
et  fut  tenu  sur  les  fonts  baptis- 
maux par  Louis  XV,  en  person- 
ne ,  honneur  qu'il  ne  partagea  a- 
vec  aucun  autre  sujet  de  ce  prin- 
ce. Destiné  dès  sa  naissance  à  la 
profession  des  armes ,  le  comte 
de  Montmorin  parvint  rapidement 
au  grade  de  colonel  du  régiment 
de  Flandre.  A  l'époque  de  la  ré- 
volution, il  resta  attaché  à  la 
cause  de  la  monarchie,  et  s'effor- 
ça long-temps  avec  succès  de 
maintenir  dans  les  mêmes  dis- 
positions le  régiment  qu'il  com- 
mandait. On  rapporte  que  dans  la 
nuit  du  5  au  6  octobre  1789,  les 
drapeaux  du  régiment,  dont  les 
principes  étaient  équivoques, ayant 
été  enlevés  et  déposés  à  l'Hôtel- 
de-\ille ,  il  se  mit  à  la  tête  de 
deux  compagnies,  et  alla  les  re- 
prendre. Plusieurs  dénonciations 
lui  faisant  craindre  pour  sa  liber- 
té, il  émigra  ,  mais  il   se  hâta   de 


MON 

revenir  à    Paris,   et    demanda  à 
Louis  XVI  la  permission  de  rester 
près  de  sa  persotme.  Le  roi  lui 
fit  donner  un  logement  au  château 
des  Tuileries.  Le  comte  de  Mont- 
morin fut  l'une  des  victimes  dot* 
massacres  du  2  septembre   1792. 
MOMTMOKIN  SAINT  HEREM 
LE  COMTE  Armand-Marc  be)  ,  mi- 
nistre des  affaires  étrangères  sous 
Louis  XVI,  appartient  à  la  bran- 
che cadette  de  la  famille  du  pré- 
cédent; il  commença   sa  carrière 
politique    par   être   ambassadeur 
près  du  roi  d'Espagne,  et  reçut  de 
ce  prince    l'ordre  de   la   Toison - 
d'Or.  De  retour  en  France  ,  il  ob- 
tint le  cordon  de  l'ordre  du  Saint- 
Esprit,  et  fut  nommé   comman- 
dant en  Bretagne.  Membre  de  l'as- 
semblée des  notables  en  1787,  il 
devint  peude temps  aprèsrainistrc 
des  affaires  étrangères,  et  il  avait 
encore  ce  portefeuille  lors  de  la 
convocation  des  états -généraux 
en  1789.  Homme  faible  et  facile 
à  diriger,  il  ne  sut  point  se  pro- 
noncer avec  énergie  pour  ou  con- 
tre les  événemens  qui  signalèrent 
bientôt  cette  époque  mémorable, 
et  on  le  vit  agir  alternativement 
tantôt  de  concert  avec  le  parti  de 
la  cour,  tantôt  en  faveur  des  nou- 
veaux principes.  Son  refus  d'ad- 
hésion à  la  déclaration  du  23  juin 
le  fit  renvoyer  le  12  juillet;  mais 
il  fut  rappelé  après  la  révolution 
du  14  de  ce  mois.  Il  se  fit  affilier 
à  la  société  des  amis  de  la  consti- 
tiou  ,  qui ,  plus  tard ,  prit  le  nom 
de     société    des    Jacobins.     Ses 
tergiversations  continuelles  ame- 
nèrent, au  mois  de  juin  1791,  son 
exclusion   de   la  société  «  comme 
»  un  traître  vendu  aux  puissances 
»  étrangères  j  »  néanmoiiis  ilmit  as- 


MON 

sLî  d'adreisedanssaiontluite  pour 
Ctie  chargé,  par  intérim,  du  u)inis- 
tère  de  l'intérieur.  Le  roi  ayant  fait 
prendre  des  passeports  sous  des 
noms  supposés,  et  s'en  étant  ser- 
vi pour  se  rendre  à'Varcnnes, 
M.  de  iMontnjorin  fut  mandé  à  la 
barre  de  l'assemblée  constituante, 
où  les  explications  qu'il  donria  fi- 
rent juger  qu'il  avait  réellement 
ignoré  le  but  du  voyage,  et  les  vé- 
ritabiesnomsdeceux  qui  devaient 
faire  usage  des  passeports;  ii  re- 
prit ses  fonctions  ministérielles. 
Sous  l'assemblée  législative  (qui 
succéda,  en  1791,  à  l'assemblée 
constituante),  il  fft  connaître  aux 
puissances  étrangères  l'accepta- 
tion de  l'acte  constitutionnel  par 
Louis  XVI,  et  donna  connaissan- 
ce des  réponses  que  les  souverains 
étrangers  avaient  officiellemeut 
faites  à  cette  notification.  Dans  ces 
circonstances  ,  la  conduite  des 
ministres  parut  tellement  équi- 
voque, que  l'assemblée  les  man- 
da collectivement  à  sa  bar- 
re. M.  de  Montmorin  montra 
dans  cette  circonstance  beau- 
coup de  noblesse  ,  et  une  fermeté 
qui  ne  lui  était  pas  habituelle.  Il 
sortit  du  ministère  à  la  lin  de  no- 
vembre 1791  ,  et  offrit  ensuite  sa 
démission; il  forma  avec  MM.  Mal- 
houet ,  Bertrand  de  Molieville  et 
quelques  autres  personnes,  un 
conseil  mixte,  qui  fut  dénoncé 
dans  le  journal  de  Carra,  sous 
le  nom  de  comité  autrichien.  iM. 
de  Wonlmorin  cita  le  journaiisle 
devant  le  juge-dc-paix ,  con7u-.e 
calomniateur  :  celle  plainte  n  eut 
pas  de  suites.  Immédiatement  a- 
près  les  événemens  du  10  aofit 
1792  ,  il  se  réfugia  chez  une  blan- 
chisseuse du  faubourg  Saint-An - 


3iON 


S.". 


toine,  où  il  fut  découvert  le  i>i 
du  même  mois.  Conduit  devant 
l'assemblée  législative,  il  répon- 
dit avec  autant  de  fermeté  que  de 
présence  d'esprit  à  toutes  les  ques- 
tions qui  lui  furent  adressées;  mais 
l'assemblée  ne  fut  pas  entièrement 
convaincue  de  .«-on  innocence. 
Conduit  en  prison,  il  fut,  peu  de 
temps  après,  livré  au  tribunal 
révolutionnaire  et  condamné  à 
mort.  Nous  terminerons  cette  no- 
tice par  le  portrait  que  M.  Fer- 
rand,  aujourd'hui  ministre-d'état 
et  pair  de  France,  fait  de  Mont- 
morin dans  sa  Théorie  des  révolu- 
tions. 0  C'était  un  ministre  faible, 
•imais  pur  et  honnOte;  il  aimait  le 
»roi,  et  en  était  aimé  comme  un 
»  véritable  ami  ;  cette  amitié  fut 
nmême  un  malheur.  Trompé  par 
»Necker  (nous  ne  faisons  que  ci- 
uter),  qui  avait  pris  un  grand  as- 
»  Cendant  sur  lui,  il  était  son  sou- 
»  tien  auprès  du  roi  :  par  lui,  il  fut, 
»  sans  le  savoir,  un  des  grands  véhi- 
wcules  de  la  révolution  ,  et  perdit 
*  le  monarque  et  la  monarchie,  pour 
«lesquels  il  aurait  donné  sa  vie.» 
MOMOLIEL  (Isabelle,  bi- 
RONXE  de),  est  née  à  Lausanne, 
sur  les  bords  du  lac  Léman.  Le 
tableau  pittoresqnedes  montagnes 
de  la  Suisse  électrisa  sa  jeune  ima- 
gination ,  que  secondait  un  goût 
plein  de  délicatesse.  Les  romans 
et  les  nouvelles  dé  M"'  de  Mon- 
tolieu  se  font  généralement  re- 
marquer par  une  diction  facile  et 
des  situations  dramatiques  ;  ses 
principaux  ouvrages,  pour  la  plu- 
part traduits  ou  imités  de  l'alle- 
mand ou  de  l'anglais,  sont  :  i' 
Caroline  de  Lichteficld,  »'*  édit. 
2  vol.  io-12,  1781,  5'  édit.,  en 
5  vol.  ,  1 8 1 5  ;  2"  te&Iori  stnUmfn- 


8i 


MON 


ial,  011  te  Mariage  comme  il  y  en. 
a  quelques-uns,  ir85,  t  vol.  in-i8; 
"5"  Tableau  de  famille,  1801,  2  vol. 
in-8°,  a'  édilinn,  a  vol.  in-12, 
i8o3  ;  4°  Nouveau  Tableau  de  fa- 
mille,  ou  Vie  d'un  pauvre  minis- 
tre dans  un  village  allemand,  1802, 
5vol.  in-12,  2'  édition,  i8o4; 
5°  le  Village  de  Lobenstein,  ou  le 
Nouvel  Enfant  trouvé;  6"  Tliéo- 
dora,  1802,  5  vol.  in-12;  7°  la 
Rencontre  au  GarigHuno ,  ou  les 
Quali-e  Femmes;  8"  Jmour  et  Co- 
quetterie, ou  l' Enfant  d'adoption, 
i8o3,  5  vol.  in-12;  9"  Recueil  de 
contes,  1804,  5  vol.  in-12;  10" 
Aristoméne y  i8o4>  5  vol.  in-12; 
11°  Marie  Menzickoff  et  Fedor 
Dolgorouki ,  histoire  russe,  sous 
la  forme  épi.slolaire,  1804,  2  vol. 
in-12;  12"  Corisandre  de  Beau- 
vilUcrs ,  anecdote  française  du  i6* 
siècle,  traduite  d'un  roman  an- 
glais de  Charlotte  Smith,  1806, 
2  vol.  in-12.  1 5°  L'union  malheu- 
reuse du  czarowilz  Alexis ,  fils  de 
Pierre-le-Grand ,  avec  Charlotte 
de  Brimswik- Wolfembuttel ,  h 
fourni  à  M""  de  Montolieu  le  sujet 
d'un  roman  intéressant,  sous  le 
litre  de  lu  Princesse  de  I^Volfem- 
h  ut  tel ,  1807,  2  vol.  in-12.  14° 
Saint-Clair  desiles,  ou  les  Exilés 
à  l'île  de  Barca,  traduction  de 
mistriss  Helme  ,  1808,  4  v^'- 
in-12;  il  en  parut  une  nouvelle 
édition  dans  le  même  format  l'an- 
née    suivante.      i5°     Emmerich , 

1810,  6  vol.  in-12;  16°  le  Né- 
cromancien ou  le  Prince  à  Venise^ 
ou  Mémoires  du  comte  d'O.  .  . , 
traduit  de  l'allemand  de  Schiller, 

1811,  2  vol.  in-12;  ly"  J  g  al /io- 
des, ou  Lettres  écrites  de  Borne 
et  de  la  Grèce  au  commencement  du 
4"  siècle,   4  vol.   in-12,    1"    édit. 


MOIS 

eu  1812,  a'  et  o'  édit.,  i8i5;  18" 
Douze  Nouvelles,  4  vol.  ;  19" 
Falhenberg ,  ou  l'Oncle,  2  yol. 
in-12;  20"  le  Comte  de  fV  aldhei  m, 
et  son  intendant  IVildam,  4  vol. 
in-12;  21°  Suite  des  Nounelles , 
5  vol.  ;  22°  le  Chalet  des  Hautes- 
Alpes  ;  25°  le  Robinson  suisse, 
ou  Journal  d'un  père  de  famille 
naufragé  avec  ses  enfans,  2  vol. 
in-12;  24°  la  Ferme  aux  Abeilles, 
ouïes  Flcurs-de-lys,  iSi^?  2  vol.  ; 
25"  Charles  et  Hélène  de  Moldorf, 
ou  f/uit  Ans  de  trop;  26°  Dix 
Nouvelles,  i8i5,  3  vol.  ;  27°  Rai- 
son et  Sensibilité,  ou  les  deux 
Manières  d'aimer,  même  année, 
4  vol.  in-12;  28°  tes  Châteaux 
suisses ,  recueil  de  chroniques  an- 
ciennes ,  1816,  5  vol.,  nouvelle 
édit.  ,  1817,  4  vol.  in-8";  29» 
Ludovico,  ou  le  Fils  d'un  homme 
de  génie,  1816,  2  vol.  in-12;  5o" 
Histoire  du  comte  Rodrigo,  1817, 
in-18;  31°  Exaltation  et  Piété, 
1818,  1  vol.  in-12. 
MONTPENSIER(<;oj.OrlÉans). 
MONTPELLIER  (N.),  député 
au  conseil  des  cinq-cents,  par  le 
département  de  l'Aude  en  1799* 
fit,  dans  la  séance  du  17  juillet 
de  la  même  année  ,  un  rapport 
sur  les  dénonciations  portées 
contre  l'ex-ministre  Schérer  cl 
c<nitre  les  membres  remplacés  du 
directoire-exécutif  :  il  les  accusa, 
dans  ce  rapport,  d'avoir  dilapi- 
dé et  vendu  à  vil  prix  le  matériel 
des  arsenaux  delà  république; 
d'avoir  sacrifié  k  la  peur  que  leur 
inspirait  le  général  en  chef  Bona- 
parte, l'élite  de  l'armée,  celle  de 
nos  savans  et  de  nos  artistes,  en 
imaginant  l'expédition  d'Égypie, 
qui  pouvait  être  regardée  comme 
une  déportation  honorable  et  dé- 


MON 

guisée,  plutôt  que  comme  une 
conquête  réelle;  d'avoir  renversé 
par  la  force  la  constitution  de  la 
république  cisalpine;  enfln,  d'a- 
voir soustrait  à  un  juste  châtiment 
les  agens  du  pouvoir,  dénoncés 
par  le  corps-législatif.  11  parla 
dans  la  séance  du  25  contre  la 
dénomination  d'anarchistes,  qui 
senlail,  disait-il,  les  réactions. 
Ce  député,  qui  voyait  une  dépor- 
tation dans  l'expédition  d'Egypte, 
si  glorieuse  pour  la  France  et  si 
chère  au  monde  savant,  fut  exclu 
do  l'assemhlée  par  •Juite  de  la  ré- 
volution du  i8  brumaire  an  8  ('jf) 
novembre  i  799  ) ,  et  est  rentré 
depuis  dans  l'obscurité. 

MONTP£TIT(A.  V.  de),  pein- 
tre etmécanicien,  naquit  à.Mâcon, 
le  i3  décembre  1710,  et  mourut 
à  Paris,  le  00  avril  1800.  Il  fit  de 
très-bonnes  études  au  collège  de 
Dijon  et  à  Lyon ,  et  s'adonna 
d'abord  à  la  jurisprudence,  qu'il 
quitta  bientôt  pourla  mécaniqueet 
les  beaux-arts.  Le  désirde  perfec- 
tionner ses  études  l'ayant  attiré  à 
Paris,  il  y  apporta,  en  ijSo,  une 
pendule  où  la  révolution  annuelle 
était  marquée  à  la  seconde ,  et 
plusieurs  autres  machines  chro- 
Mométriques  de  son  invention. 
Il  présentai!  l'académie  des  scien- 
ces une  série  de  machines  pro- 
pres à  fabriquer  les  fusées,  dentu- 
res, et  généralement  toutes  les 
pièces  d'horlogerie.  Des  événe- 
mens  imprévus  dérangèrent  sa 
fortune,  et  le  forcèrent,  en  1765, 
il  se  livrer  presque  exclusivement 
a  la  peinture  :  il  fit,  d'après  Tor- 
lire  de  Louis  XV,  quarante  et 
quelques  portraits  de  ce  monar- 
que, d'après  un  procédé  pour 
li.verla  peiiUure  sous  verre,  pro- 


MON 


85 


cédé  qu'il  avait  soumis  à  l'acadé- 
mie. Ce  nouveau  genre  de  traviril 
ne  l'empccha  pa.'«  de  s'occuper  de 
quelques  objetsd'ulilitépublique;iI 
imagina  un  blanc  de  zinc  beaucoup 
moins  dangereux  dans  son  usage 
que  le  blanc  de  plomb  et  dont  la 
décou verte  fut  accueillie  avec  é- 
loge;  publia,  en  1770,  un  mé- 
moire sur  les  poêles  hydrauliques, 
et  démontra  le  premier  l'utilité 
de  l'eau  mise  en  évaporation  sur 
les  poêles;  présenta  au  roi,  en 
1780,  le  projet  et  la  description 
d'un  pont  de  fer  d'une  seule  arche 
dt;  400  pieds  d'ouverture,  sans 
poussées,  et  remit  un  mémoire 
sur  cet  objet  au  comité  d'instruc- 
tion publique  dix  ans  après.  A- 
lors,le  bureau  de  consultation  ren- 
dit justice  au  méii  te  de  ce  savant,  en 
lui  accordant  la  grande  gratifica- 
tion de  8,000  francs.  Mont  petit  a 
laissé,  comme  peintre,  des  copies 
de  cabinets  entiers,  un  grand 
nombre  de  portraits;  un  mémoire 
curieux  sur  le  genre  éludorique , 
inventé  par  lui  en  1759.  et  où  il 
employait  l'huile  sous  l'eau;  un 
petit  mémoire  sur  les  moyens  de 
laire  passer  les  portraits  à  Fhuile 
intacts  à  la  postérité  ;  enfin  ,  il  a 
donné  au  Dictionnaire  des  beaux- 
arts  de  Joubert  ,  plusieurs  Mé- 
moires intéressans. 

MONTllEVEL  (le  comte  de), 
maréchal-de-camp,  député  aux 
états-généraux,  était  chef  de  l'u- 
ne des  plus  riches  familles  du  Mâ- 
conais.  En  1789,  la  noblesse  de 
sa  province  l'élut  à  cette  assem- 
blée,  où  il  abjura,  comme  il  l'a- 
vait fait  précédemment  à  M5con, 
la  cause  des  privilèges.  Du  parti 
de  la  minorité  de  son  ordre,  il 
se  réunit  avec  elle  au  tiers-état. 


m 


MON 


etsou  tint  avecénergie  les  principes 
qu'il  avait  adoptés.  Cet  excellent 
citoyen  ne  put  échapper  à  ces  hom- 
mes funestes  qui  ne  semblent  em- 
brasser une  cause  que  pour  la 
souiller  par  leurs  excès.  Montre- 
vel,  arrêté  à  Paris,  sur  la  dénon- 
ciation du  comité  révolutionnaire 
de  Bourg,  fut  enfermé  au  Luxem- 
bourg, et  livré  au  tribunal  révo- 
luiionnaire,  qui  le  condamna  à 
mort  le  8  juillet    1794. 

MONTRICHARD  (Joseph-Élie- 
DÉsiRÉ) ,  lieutenant-général ,  issu 
d'une  famille  honorable  du  dé- 
partement de  l'Ain  ,  est  né  le  24 
janvier  1760;  il  entra  de  très-bonne 
heure  au  service.  OlFicicr  d'artil- 
lerie en  1789,  il  fit,  en  qualité  de 
général  de  brigade ,  les  premiè- 
res campagnes  du  la  révolution 
aux  armées  de  la  Moselle  et  du 
Rhin,  et,  chef  d'état-major  de  l'ar- 
mée de  Mayencc,  en  1797,  il 
passa  à  l'armée  d'Italie  avec  le 
grade  de  général  de  division,  le 
5  février  1799.  Peu  de  jours  avant 
que  le  général  Schérer  n'en  prît  le 
commandement  en  chef,  il  com- 
mandait la  place  de  Bologne.  Sché- 
rer ayant  été  défait  à  Mngnagno, 
Je  5  avril  (1799),  le  général  Mon- 
trichard  fut  chargé  de  prévenir 
les  suites  de  celte  défaite,  en  cou- 
vrant la  Ligurie  et  la  Toscane , 
mission  dont  il  s'acqtiitta  avec 
un  plein  succès;  Il  battit  les  im- 
périaux en  plusieurs  rencontres, 
et  délivra  le  fortUrbino,  qu'ils  te- 
naient assiégé.  Il  eut  à  la  même 
époque  une  altercation  assez  vi- 
ve avec  le  général  Lahoz  ,  com- 
mandant des  troupes  cisalpines, 
par  suite  de  laquelle  il  suspen- 
dit cet  officier  de  ses  fonctions, 
en  déliant  les  troupes  ,  sous  son 


MON 

commandement,  de  l'obéissance 
militaire  :  cette  mesure,  peut-ê- 
tre trop  rigoureuse,  fit  oublier  à 
Lahoz  ce  qu'il  devait  à  la  France, 
et  le  jeta  dans  les  rangs  ennemis. 
Yers  le  milieu  de  la  même  année, 
le  général  Montrichard  passa  à 
l'armée  commandée  par  Macdo- 
nald,  qui  était  destinée  à  agir  con- 
tre Modène  et  Plaisance;  mais  sa 
division  ,  formant  l'aile  droite 
à  la  bataille  de  la'f  rébia,  n'appor- 
ta dans  ses  mouvemens  ni  la  pré- 
cision ni  la  promptitude  qu'exi- 
geait la  gravité  des  circonstances. 
Elle  fut  mise  en  déroule  par  la 
cavalerie  ennemie,  presque  sans 
coup-férir,  peu  d'instans  avant 
que  la  victoire  récompensât  nos 
troupes,  le  19  juin  1799,  de  trois 
journées  d'efforts  et  de  combats 
continuels.  A  la  vérité  ,  la  di- 
vision Montrichard  'ne  tarda  pas 
à  trouver,  dans  les  revers  de 
l'armée  de  Naples,  l'occasion  de 
réparer  son  échec,  en  protégeant, 
avec  autant  d'ordre  que  de  bravou- 
re ,  la  retraite  des  débris  fugitifs 
decccorps.LcgénéralMontrichard 
reput,  vers  la  fin  de  la  même  an- 
née, l'ordre  de  se  rendre  à  l'ar- 
mée d'Allemagne  ,  commandée 
par  Morcau  ,  et  prit  une  part  acti- 
ve aux  victoires  remportées  par 
ce  générai  pendant  les  six  pn- 
miers  mois  de  l'année  suivante  , 
à  Enghen,  Moëskirch.  Hochstedt, 
et  se  distingua  aussi  dans  les  com- 
bats de  Stockach,  Memmingen  et 
OI)erhausen.  Il  prit  ensuite  le 
commandement  de  l'une  des  trois 
divisions  chargées  de  couvrir  la 
Haule-Souabe,  le  pays  des  Gri- 
sons et  le  Voralberg;  fut  nommé 
général  en  chef  des  troupes  fran- 
çaise» au  service  de  la  république 


MON 

batave,  en  1802  ,  et  euToyé  bien- 
tôt après  dans  le  Hanovre.  Gou- 
verneur du  duché  de  Lunébourg, 
au  mois  de  juillet  i8o3,  il  devint 
commandant  de  la  légion-d'hon- 
neur,  le  i4  juin  1804,  et  s-ervit 
constamment  jusqu'à  la  fin  du 
^gouvernement  impérial.  Il  fut  fait 
chevalier  de  Saint-Louis  le  10 
décembre  1814»  et  mis  à  la  retrai- 
te le   4 '^^ptenibre    i8i5. 

MONTRICHARD  (He>ri-René, 
COMTE  de),  ancien  page  de  la  rei- 
ne, fit,  comme  oiricier  de  cavale- 
rie, la  campagne  de  1791  à  1792 
dans  l'armée  des  princes.  Mais 
voulant  rentrer  en  France ,  il  profi- 
ta, en  1799,  «le  l'amnistie  accordée 
aux  émigrés.  Il  s'acquitta  avec 
soin  de  plusieurs  missions  délica- 
tes, qui  lui  furent  confiées  par  son 
beau-père,  M.  Imbert  Colomès,  et 
fut  nommé,  en  180G,  maiie  de  la 
petite  commune  de  Saint-Pierrc- 
ia-lloaille,  département  de  la  Loi- 
le.  11  se  montra  dès  le  rétablisse- 
ment du  gouvernement  royal  l'un 
de  ses  plus  actifs  partisans, etdonna 
lieu  à  se  faiie  destituer  par  le  com- 
missaire extraordinaire  ilu  gouver- 
nement impérial  pendant  les  cent 
jours  en  1 8  1 5.  ÎSommé,  après  la  se- 
conde leslauration,  sous-préfel  de 
Villefranche,  près  de  Lyon,  il  prit 
des  mesures  lors  des  troubles  du 
mois  de  septembre  1817,  qui  le  fi- 
rent destituer  de  nouveau;  mais 
celte  fois  ce  fut  par  ordre  du  duc 
dellaguse,envoyé  à  Lyon  avec  des 
pleins-pouvoirs.  M.  de  Montri- 
chard  est  membre  de  la  légion- 
d'honneur  depuis  le  i5  novembre 
1814. 

MONTllICnÉ     (  GONDREVIM.E 

de),  homme  dd  lettrtîs'et  sous-i:hef 
au   ministère  de  la  guerre,  a  pu- 


MON 


8- 


blié  les  ouvrages  suivan?  :  1°  Con- 
quête de  la  Prusse,  poëme,  Paris, 
181G;  2'  Co'ilnfe  sur  la  naissance 
du  roi  de  Rome,  1 8 1 1  ;  3"  E°ysU  et 
Clytemnestre,  tragédie  en  5  actes, 
181 3;  4°  É pitres  à  NapoU'on, 
i8i5,  avec  celte  épigraphe: 

Qui  pourrait  arrêter  ce  torrent  dans  sa  course? 

5°  Épltre  à  Caruot,  i8i5.  M.  de 
Montriché  s'est  fait  remarquer  par 
son  patriotisme  et  son  cotuage,  à 
la  défense  de  Paris,  le  5o  mars  i8i4? 
à  la  tête  d'une  compagnie  de  la 
garde  nationale,  dans  laquelle  il 
était  lieutenant. 

Mois TROSE  (  James-Graham  , 
DEC  deI,  pair  d'Angleterre  et  d'L- 
cosse,  chancelier  de  l'université  de 
Glasgow,  président  de  la  banque 
royale  d'Ecosse,  etc.,  d'une  famil- 
le très-ancienne ,  est  né  le  8  fé- 
vrier 1755.  Admis  dans  V\  cham- 
bfe-haute,  en  1790,  il  se  dévoua 
au  parti  ministériel,  et  manqua 
rarement  une  occasion  de  louer 
les  mesures  du  gouvernement. 
Dans  la  séance  du  2  février  1801, 
examinant  la  position  de  l'Angle- 
terre à  l'égard  des  autres  nations  , 
il  ne  trouva  rien  que  de  rassurant 
dans  ses  rapports  avec  elles;  lors- 
qu'il en  vint  au  tour  delà  France, 
il  déclara  ijue  cette  puissance  était 
plus  grande,  plus  formidable  que 
sous  le  règne  de  Louis  XIV  même, 
«mais,  ajouta-t-il,  c'est  une  rni- 
»son  déplus  pour  que  nous  soyons 
»en  garde  contre  elle,  et  grâces  à 
nia  sage  conduite  du  ministère, 
nnous  sommes  plus  en  état  que 
«nous  ne  Tétions  de  soutenir  nos 
«droits.  »  Après  ce  discours,  il 
protesta  de  son  dévouement  au 
roi  ,  et  de  son  empressement 
à  seconder,    de    tout   son    pou- 


L 


88 


MON 


Toir,  les  intentions  de  la  couronne, 
<]ans  un  projet  d'adresse  dont  il  fit 
lecture  à  l'assemblée.  Il  s'opposa, 
peu  de  feins  après,  à  la  motion  de 
<!resser  une  enquête  sur  l'état  ac- 
tuel de  la  nation,  s'attachant  à 
prouver  que  la  conduite  de  l'an- 
cien miiiiétère  était  exempte  de 
tout  reproche,  et  que  ses  actes  a- 
\aient  été  dictés  par  l'intérêt  gé- 
néral. Il  fut  chargé,  au  mois  de  fé- 
Arier  181  (S,  de  déclarer,  au  nom 
du  comité  secret,  que  les  ministres 
avaient  usé  de  leurs  pouvoirs  ex- 
traordinaires avec  modération  et 
clémeucc. 

MOm'UCCI  (Antonio),  doc- 
teur en  droit,  et  célèbre  littéra- 
teur italien ,  est  né  à  Sienne,  le 
22  mai  1762.  Son  ardeur  à  s'instrui- 
re se  développa  dés  son  enfance; 
il  obtint  une  bourse  à  la  faculté 
de  droit  de  Sienne,  et  reçut  le 
grade  de  docteur.  L'étude  des  lan- 
gues vivantes  devint  bientôt  sa 
passion  favorite  ;  il  s'y  appliqua 
avec  une  telle  assiduité,  qu'on  le 
disait,  en  plaisantant,  possédé  de 
la  polyglottomanie.  En  1^85  il 
occupait  la  chaire  de  langue  an- 
j;laise  au  collège  de  ïolomeï  ; 
mais  il  quitta  cette  place  l'année 
suivante,  et  se  rendit  h  Florence, 
où  il  fit  la  connaissance  d'un  ami 
des  arts,  de  M.  Josiali  Wedgwood, 
qui  avait  fondé  une  espèce  de  co- 
lonie, sous  le  nom  de  Nouvelle 
htrurie,  dans  le  cointé  de  Staftbrt- 
shire,  et  qui  l'engagea  à  s'y  ren- 
dre ,  ce  que  M.  iMontucci  accepta. 
Se  trouvant  à  Londres  en  1792, 
lorsque  lord  Macartucy  fut  nom- 
mé ambassadeur  à  la  Chine,  et  té- 
jnoin  des  préparatifs  de  son  dé- 
part, il  profita  des  progrès  qu'il 
.îvait  faits  dans  h  lungue  chinoise, 


xMON 

sans  autre  secours  que  le  livre  de 
Fourmont,  pour  écrire  aux  jeunes 
interprètes  chinois  une  lettre  obli- 
geante  sur  leur  voyage;  elle  lui 
valut  de  leur  part  un  livre  qu'on 
ne    trouve   point   en   Europe,  le 
dictionnaire  chinois  Tchlng-Tsen- 
Tlioung.    Il  s'occupa  alors  d'une 
manière  plus    particulière   de   la 
langue  chinoise,    et  ce  fut  pour 
s'y  livrer  tout  entier,  qu'à  quel- 
ques absences   près,  il  demeura 
dans   la   capitale   de  l'Angleterre 
jusqu'en  1804.  Il  conçut  le  plan 
d'un  dictionnaire  chinois  perfec- 
tionné à  l'usage  des   Européens; 
mais  ses  moyens  ne  lui  permet- 
tant   pas    d'entreprendre ,    à  ses 
frais,  l'impression  d'un  pareil  our 
vrage,  il  enfitle  prospectas ,  qu'il 
couuTiuniqua  à  plusieurs  acadé- 
mies et  aux  souverains  qu'il  crut 
les  plus  zélés  pour  encourager  ses 
savantes  études.  Le  roi  de  Prusse 
fut  le  seul  qui  l'honora  d'une  ré- 
ponse.   Il   se  rendit   à  Berlin  en 
1806,  à  peu  près  vers  le  tenxps  de 
l'entrée   des    Français  dans  cette 
capitale.  Le   moment  n'était  pas 
favorable  à  l'exécution  de  son  pro- 
jet; il  fut  forcé,  en  attendant,  de 
donner  des  leçons  d'anglais  et  d'i- 
talien. Enfin,  en  1810,  il  fit  ^;raver 
en  bois  les  types  des  caractères  pro- 
pres à  Timpression  de  ce  grand  et 
important  dictionnaire  ,    et  ,    en 
1819,  les  trois  quarts  d'un  aussi  im- 
mense travail  étaieutdéjà  terminés, 
le  nombre  des  caractères  s'élevant 
alors  à  près  de  vingt  mille.  C'est 
l'ouvrage  le  plus  parfait  qui  existe 
en   ce  genre;   jamais    ou   n'avait 
exécuté  dans  l'occident  des  types 
d'une  pareille  netteté.    M.   Mon- 
tucci  est  aussi  auteur  de  plusieurs 
ouvrages,  qu'il  a  publiés  succès-^ 


MON 

si  rement ,  et  parmi  lesquels  on  dis- 
lingue particulièrement  :  i"  Poésie 
ftnora  inédite  del  niagnifico Lorenzo 
de  Medici,  édilion  dont  M.  Koscoë 
Tu  les  frais  ;  2°  Kerto  the  italian 
classies;  3°  Metastasio  opère  scelle 
con  eloggio  e  riltratlo  del  autore; 
!\"  Letlere  d'iina  Peruviana;  5' 
Essai  sur  la  décadence  actuelle  de 
ta  littérature  toscane,  inséré  dans 
le  Monlhly  >l;igazine;  5°  Quin- 
ilici,  tragédie  di  Vittorio  Alfieri, 
con  la  Merope  de  Maffei  e  CAris- 
trjdemo  di  Monti;  G"  et  cnùn  Select 
dranimatic  pièces,  suivi  de  Mé- 
moires littéraires  sur  Goldoni, 
Métastase  et  Alficri,   etc. ,  etc. 

MONTUCLA  ( Jeas -Étie»e ) , 
savant  astronome,  membre  de 
\  l'institut  de  France  et  de  l'acadé- 
mie des  sciences  de  Berlin,  naquit 
à  Lyon  en  1725,  et  tut  destiné  à 
la  carrière  du  commerce,  dans  la- 
quelle son  père  s'était  fait  estimer. 
Son  éducation  s'opposa  au  vœu  de 
sa  famille.  Placé  au  collège  des  Jé- 
suites de  Lyon,  il  se  livra  avec  tant 
d'ardeur  à  l'étude  «les  langues  an- 
ciennes et  à  l'étude  des  mathéma- 
tiques, qu'il  y  fit  de  rapides  et  re- 
marquables progrès.  Devenu  or- 
phelin avant  sa  i6*=  année,  il  fut 
obligé  de  choisir  un  état,  et  il  sui- 
vit, à  Toulouse,  des  cours  de  droit 
pour  devenir  avocat.  Pourvu  de 
tous  ses  grades,  il  vint  à  Paris,  où 
la  société  des  gens  de  lellres  qui 
fréquentaient  la  maison  de  Jom- 
bert,  savant  libraire,  le  rendit  à 
>es  premières  éludes,  celles  des 
s;  iences.  D'Alembert,  l'abbé  Le- 
l)!ond,  Cochin,  et  autres  hommes 
distingués  dans  divers  genres,  fu- 
ient ses  amis,  ses  conseils,  et  on 
le  compta,  tjuoique  jeune  encore, 
au  nombre  de  nos  meilleurs  ma- 


MOX 


89 


thématiciens.  Il  était,  suivant  ses 
propres  expressions, possédé  du  dé- 
mon de  la  potyglottonianie;  il  ap- 
prit, sans  maître^v»  les  langues  ita- 
lienne, anglaise,  allemande  et  hol- 
landaise. Il  devint  un  des  princi- 
paux rédacteurs  de  la  Gazette  de 
France,  qui  alors  était  à  peu  près 
exclusivement  consacrée  à  la  litté- 
rature, aux  sciences  et  aux  arts. 
Ce  fut  à  cette  époque  qu'il  publia, 
chez  son  ami  Jombert,  plusieurs 
opuscules,  auxquels  il  n'attacha 
pas  son  nom.  L'accueil  qu'ils  re- 
çurent du  monde  savant  l'encou- 
ragea à  poursuivre  le  grand  ouvra- 
ge auquel  il  dut  sa  juste  célébrité. 
On  sait  que  Bacon  avait  exprimé 
le  désir  de  voir  composer  une  his- 
toire où  seraient  traités  les  dévelop- 
pemens  de  l'esprit  humain  dans  les 
diverses  branches  de  ses  connais- 
sances. Le  savant  Montmort  avait 
tracé,  d'après  cette  idée  si  digne 
de  ce  profond  penseur,  une  Histoi' 
re  des  niatliéniatiques  :  cet  ouvrage 
fut  perdu.  Montucla,  qui  touchait 
à  peine  à  sa  5o'  année,  voulut  eu- 
richir  les  sciences  de  cet  impor- 
tant ouvrage,  et  surmontant  tou- 
tes les  ditlicultés  inséparables  d'un 
aussi  important  travail,  il  mit  au 
jour,  en  1758,  son  Histoire  des  ma- 
thématiques, 2  vol.  in  4";  dans  la- 
quelle on  admira  également  la 
profondeur  des  recherches,  et  la 
méthode  claire  et  précise  avec  la- 
quelle l'auteur  avait  traité  les  ma- 
tières les  plus  abstraites.  Néan- 
moins il  ne  fut  point  récompensé 
selon  son  mérite.  En  i^Oi,  il  obtint 
la  modeste  place  de  secrétaire  de 
l'inlendancc  deGrenoble,  ville  où  il 
se  maria.  Trois  ans  après,  il  suivit 
le  chevalier  Turgot,  qui  se  rendait 
à  Cayenne  pgur  y  former  une  co- 


îjo  MON 

Jonie,  en  qualité  de  secrétaire  du 
chef  de  l'établissement  et  d'astro- 
nome du  roi  :  aprys  1 5  mois  d'ab- 
sence, il  revint. en  France,  muni 
d'observations, qui  furent  perdues, 
de  plantes  curieuses  et  du  haruot 
sucré.  Cochin  ,  informé  du  retour 
de  Montucla,  fit  obtenir  à  son  ami, 
pour  le  fixer  à  Paris,  la  place  de 
premier  commis  des  bâtimens  de 
la  couronne.  IH'exerça  jusqu'à  l'é- 
poque de  la  révolution,  ne  négli- 
j^eant  point  pour  cela  la  science  à 
laquelle  il  devait  sa  renommée.  Les 
bouleversemens  politiques  lui  fi- 
rent perdre  sa  fortune.  Cependant 
le  gouvernement,  sans  qu'il  l'eût 
sollicité,  le  comprit,  en   179;),  au 
nombre  des  savans  et  gens  de  let- 
tres qu'il  jugeait  dignes  de  ses  se- 
cours. Il  fut  en  même  temps  char- 
gé de  l'analyse  des  traités  déposés 
<Jans  les  archives  du  ministère  des 
relations  extérieures,  et,  en  i7<^|6, 
nommé  professeur  de  mathémati- 
ques à  l'une  des  écoles  de  Paris  : 
il  ne  put  accepter  cet  emploi  pour 
cause  de  santé.  C'est  à  Versailles, 
où  il  s'était  retiré,  qu'il  prépara 
une  nouvelle  édition  de  son  Histoi- 
re des  malkématiques,  enrichie  des 
découvertes  fixités  dans  celle  scien- 
ce pendant  le   18*  siècle.  Depuis 
trois  mois  seulement   il  jouissait 
d'une  pension  que  M.  François  de 
Neufchâleau  lui  avait  fait  obtenir 
à  la  place  de  Saussure,  récemment 
ravi  aux  sciences,  lorsqu'il  mou- 
rut le  18  décembre  1799.  ^^  S'^" 
vaut  était  devenu  membre  de  l'ins- 
titut à  la  réorganisation  des  acadé- 
7i)ies,   honneia-  que  ne  lui  avait 
point  accordé  l'ancierme  académie 
des  sciences.  Dès  1755,  une  aca- 
démie étrangère  lui  rendit  plus  de 
justice,  en  l'adinetlant  au  nombre 


WON 

de  ses  membres.  Les  qualités  les 
plus  estimables  ne  le  distinguaient 
pas  moins  que  ses  talens.  Il  était 
bon,  généreux,  modeste,  et  de  la 
plus  douce  société.  On  lui  doit  :  1* 
Histoire  des  reckerches  sur  la  qua- 
drature du  cercle  y  Paris  1754,  in- 
12,  ornée  de  figures:  cet  ouvrage, 
devenu  fort  rare,  offre  le  tableau  de 
toutes  les  tentatives  qui  furent  fai- 
tes,mais  sans  fruit, pour  la  solution 
de  ce  fameux  problême.  1°  Recueil 
de  pièces  concernant  l' inoculation  da 
la  pétite-verole,  traduction  de  l'ati- 
glais,  Paris,  iu-12.  1756;  3°  His- 
toire des  inatlunialiqueSi  Paris,  2 
vol.  in-4",  1758  :  une  nouvelle  édi- 
tion de  cet  ouvrage  parut  considé- 
rablement augmentée,  Paris, 
1799-180.'!,  4  vol.  in-4".  L'auteur 
éSant  mort  au  moment  de  l'im- 
pression du  5'  volume ,  Lalande 
eu  a  revu  le  manuscrit,  et  s'est  as- 
socié pour  ce  travail  plusieurs  sa- 
vans distingués.  Le  5'  volume  ren- 
fernu!  luie  prélace  de  l'éditeur  et 
le  portrait  de  l'auteur;  le  tome  4  •» 
où  l'on  trouva  l'Histoire  de  l'aslrr- 
noniie,  et  auquel  Lalande  eut  le 
plus  de  part,  est  orné  du  portrait 
de  Lalande,  que  son  ami,  et  non 
son  élève,  iM.  Janvier  [voyez  ce 
nom\  comme  on  l'aprétendu  à  tort 
dans  la  Biograp/iie  universelle,  a- 
vail  fait  graver,  non  pour  VHistoi' 
re  des  mat  hém  a  tiques  de  Montucla, 
mais  bien  pour  l'Histoire  de  l'as- 
tronomie de  Lalande;  ce  mcMTie  4" 
volume  contient  encore  un  extrait 
de  V Éloge  de  Montucla,  par  M. 
Sav.  Leblond.  ]ai  M agazin  encyclo- 
pédique (tom.  V,  pag.  4<^6-4io, 
année  1799),  •>  consacré  une  No- 
tice historique  à  ce  savant.  4°  Kn- 
fin,  Montucla  a  donf'é  une  très- 
bootie  édition  des  Récréations  ma- 


I 


MON 

thématiques  d'Ozanam.  4  vol.  in- 
8",  1778,  et  une  traduction  des 
f^oyages  de  Carrer  dans  l'intérieur 
de  r Amérique  septentrionale,  Pa- 
ris. 17S/1,  un  vol.  in-8°.  Ces  deux 
ouvrage?  sont  précieux,  outre  leur 
mérite  propre,  par  les  notes  re- 
iriarquahles,  etc.,  de  l'éditeur.  La 
publication  des  Récréations  mathé- 
matiques a  cela  de  particulier  que 
l'ouvrage  parut  sous  les  initiales 
C.  G.  F.  qui  signifient,  rapporte- 
t-on  ,  Chanta,  géomètre  forézien, 
du  nom  d'un  petit  domaine  que  sa 
finulle  avait  dans  le  Forez.  Au 
moyen  de  ce  déguisement,  il  put 
lui-même  approuver  ce  livre,  qui 
lui  fut  renvoyé  comme  censeur 
pour  les  ouvrages  de  mathémati- 
que->. 

iMONVEL  (.lACQrES-MABiE  P.or- 
TET  de),  célèbre  acteur  du  Théâtre- 
Français,  et  auteur  d'un  grand 
noinbre  d'ouvrages  dramatiques, 
naquit  à  I.unéville,  en  l'^^ô.  Son 
père  jouait  la  comédie  en  provin- 
ce, et  dès  l'enfance,  le  jeune  Slon- 
vel  suivit  la  même  carrière.  Il 
débuta  avec  succès  ,  à  Paris,  en 
1770,  et  fut  reçuauThéàlre-Fran- 
çais,  en  1772.  pour  doubler  Mole, 
dans  l'emploi  des  jeunes  premiers. 
Il  eut  long- temps  à  lutter  contre 
ce  rival  redoutable,  déjà  en  pos- 
8Çs«ion  de  la  faveur  du  public,  et 
douéid'avanlages  extérieurs  que 
la  nature  avait  refusés  à  Monvel. 
Mais  celui-ci  joignait  à  une  rare 
intelligence,  l'élude  approfondie 
de  son  art.  et  une  habileté  exi re- 
ine à  ménager  et  à  faire  valoir 
tous  ses  moyens  ;  il  avait  une  â- 
ine  de  feu,  et  une  sensibilité  pro- 
fonde. Vivement  ému  lui-nièmc, 
il  savait  faire  partager  aux  specta- 
teurs tous  les  senîimens  ^uil  é- 


MOÎH 


0< 


prouvait,  et  parvenait  à  arracher 
des  applaudissemens  et  des  lar- 
mes, à  ceux-là  mêmes  qui  étaient 
le  plus  prévenus  en  faveur  de  son 
rival.  Monvel  excellait  surtout 
dans  plusieurs  rôles  tragiques,  tels 
que  ceux  de  Séïde ,  Xipharès , 
l'Orphelin  de  la  Chine,  le  jeune 
Bramine  de  la  veuve  du  Malabar, 
etc.  Après  avoir  donné  à  l'Opéra- 
Comique  quelques  pièces,  dont 
Dezède  fil  la  musique,  et  qui  ob- 
tinrent un  grand  succès ,  il  fit  re- 
présenter, en  1777,  au  Théâtre- 
Français,  la  jolie  comédie  de  l'À- 
mant  Bourra.  U«  roman  de  M"* 
Biccoboni,  dont  il  sut  tirer  le  pins 
heureux  parti,  lui  en  avait  fourni 
le  sujet,  et  il  obtint  à  la  fois,  comme 
acteur  et  comme  auteur,  un  dou- 
ble triomphe.  Monvel  avait  em- 
ployé tout  son  talent  à  faire  valoir 
le  rôle  de  Montalais.  Mole,  de  son 
côté,  chargé  de  celui  d'Estellan,  y 
mit  une  verve  et  une  chaleur  qui 
contribuèrent  au  succès  brillant  de 
lou  vrag?.Dans  une  scène  du  secon  J 
acte ,  Montalais  dit  :  C'est  aujour- 
d'hui qaon  juge  mon  procès;  une 
voix  lui  répondit  du  parterre:  Il  est 
gagnée  et  tout  le  public  répéta  ces 
mots,  en  y  mêlant  les  plus  vifs  ap- 
plaudissemens. La  reine  Marie- An- 
toinette, veuueà  cette  première  r<-- 
présenlation,  y  joignit  ostensible- 
ment les  siens,  avec  une  grâce  et 
une  bonté  qui  furenlgénèralement 
remarquées.  A  la  fin  de  la  pièce, 
le  public  demanda  à  grands  criî 
Monvel  et  Mole;  ces  deux  enne- 
mis partirent  ensemble  sur  la  scè- 
ne, et  tous  deux  vivement  émus, 
se  précipitèrent  avec  enthousias- 
me dans  les  bras  l'un  de  l'autre. 
Leur  réconciliation  fut  ainsi  scel- 
lée au  milieu  des  acclamalious  dq 


*J'^ 


x^iON 


public,  ot  ils  vécurent  toujours 
depuis  en  parJaite  intelligence. 
Mais  le  cours  des  succès  de  Mon- 
vel  fut  interrompu  inopinément 
en  France,  quelque  temps  après  , 
par  ordre  de  la  haute  police,  qui 
lui  enjoignit,  au  grand  étonne- 
ment  du  public,  de  quitter  sa  pa- 
trie. La  chronique  scandaleuse  du 
temps  assigna  divers  motifs  à 
cette  mesure,  tous  pris  dans  la  vie 
privée  de  l'auteur,  et  qui  ne  sont 
pas  du  ressort  de  l'histoire.  Le 
"roi  de  Suède,  Gustave  III,  lui  fit 
aussitôt  les  offres  les  plus  brillan- 
tes, qu'il  accepta,  et  il  devint,  pen- 
dant plusieursannées,  le  principal 
ornement  du  Théâtre-Français  de 
Stockholm.  En  1786,  il  lui  fut 
permis  de  revenir  à  Paris,  et  d'y 
faire  représenter  ime  pièce  qu'il 
avaft  achevée  en  Suède,  les  J- 
inours  de  Bayard.  Elle  n'eut  pas  le 
succès  qu'il  s'en  était  promis. 
Quelques  années  après,  il  reparut 
.>;ur  la  scène,  et  fut  accueilli  par 
des  applaudissemcns  unanimes. 
l^e  nouveau  spectacle  établi  au 
Palais-Uoyal,  et  qui  prit,  en  1792, 
le  titre  de  Théâtre  de  la  républi- 
que, fut  celui  auquel  Monvel  s'at- 
tacha. La  plupart  des  anciens  ac- 
teurs de  la  Comédie-Française,  dis- 
persés pendant  le  règne  de  la  ter- 
reur ,  vinrent  successivement  se 
joindre  à  lui.  Son  âge  et  sa  santé 
délicate,  le  forcèrent,  cependant, 
à  renoncer  aux  grands  rôles  tragi- 
ques qui  avaient  fait  sa  renommée, 
niais  on  le  revit  toujours  avec  plai- 
sir dans  ceux  des  pères  nobles,  et 
dans  Fénélon,  Calas,  l'abbé  de 
l  £pée,  le  curé  de  Méianic,  etc.; 
il  remplit  encore  le  rôle  d'Augus- 
te dans  Cinna,  de  la  manière  la 
plus  remarquable.  Sa  mémoire  le 


MON 

trahit  vers  la  fin  de  sa  carrière,  et 
sa  prononciation  étant  devenue 
dinicile,  par  la  perte  de  ses  dents, 
il  se  relira  du  théâtre  en  1806,  et 
mourut  le  i5  février  1811,  à  l'âge 
de  66  ans.  M"*  Clairon,  qui  jugeait 
parfois  sévèrement  ses  contempo- 
rains, disait  de  lui  :  «  On  annonce 
»  Achille,  Horace,  un  héros  quei- 
»  conque  qui  vient  de  gagner  une 
«bataille,  en  combattant  presque 
»  seul  contre  des  ennemis  formida- 
»bles;  ou  bien  un  prince  si  char- 
»mant,  que  la  plus  grande  prin- 
«cesse  lui  sacrilie  sans  regret  son 
«trône  et  sa  vie,  et  l'on  voit  arri- 
»  ver  un  petit  homme  fluet,  sans 
»  force  et  sans  organe:  que  devient 
«alors  l'illusion?  1)  Monvel  avait, 
en  effet,  un  physique  peu  agréa- 
ble; ses  yeux  étaient  cependant 
grands,  pleins  de  feu,  sa  physio- 
nomie très-mobile,  et  son  admira- 
ble talent  ne  laissait  guère  au 
spectateur,  séduit,  le  loisir  de  s'oc- 
cuper d'autres  avantages.  Ainsi 
que  Lekain,  Monvel  savait  tout 
ennoblir  et  embellissait  la  laideur 
même.  Son  mérite,  comme  au- 
teur dramatique,  était  gans  doute 
inférieur  à  celui  du  comédien.  On 
re[)rochait  à  son  style,  de  fréquen- 
tes négligences,  mais  il  entendait 
bien  la  scène,  savait  amener 
d'heureux  effets  ,  son  dialogu<î 
était  bien  coupé  et  plein  de  cha- 
leur. Dans  ses  opéras-comiques , 
il  réussissait  mieux  que  personne 
à  employer  le  patois,  et  à  faire 
parler  ses  paysans  avec  grâce  et 
naïveté.  Presque  ti>us  ses  ouvra- 
ges furent  applaudis  dans  la  nou- 
veauté ,  et  plusieurs  se  revoient 
encore  avec  plaisir.  Il  a  donné  au 
'i.\\cSiiï-e-Vi'nnçA\\r,:\"V  Amant  Bour- 
ru., en  3  actes  et  en  vers  libres, 


iMON 

IJ77,  in-8';  i"  Clémentine  et  De- 
sorme ,  drame  en  5  actes  et  en 
prose,  1780,  in-8°;  If  les  Amours 
deBayard,  comédie  héroïque  en  5 
actes  et  en  prose,  1786,  in-8°;  4° 
les  Victimes  cloîtrées,  drame  en  4 
actes  et  en  prose.  1791.  in-8°;  5" 
Rixleben,  ou  la  Main  de  fer,  co- 
médie en  4  actes  et  en  prose, 
1 794  ;  6°  la  Jeunesse  du  duc  de 
Richelieu,  ou  le  Lovelace  français, 
drame  en  4  actes,  composé  en  so- 
ciété avec  M.  Alexandre  Durai, 
1796,  in-8°;  y  Mathilde,  drame 
en  5  actes,  1799,  in-8''.  A  l'opéra- 
comique  :  i*  Julie,  comédie  en  5 
actes,  mêlée  d'ariettes,  musique 
de  Dezède,  1 770,  in-8"'  :  a"  l'Er- 
reur d' un  moment,  ou  la  Suite  de 
Julie,  comédie  en  1  acte,  mêlée 
d'ariettes,  musique  de  Dezède, 
1773,  in-S";  5»  le  Stratagème  dé- 
couvert^ comédie  en  2  actes,  mêlée 
d'ariettes,  musique  de  Dezède, 
1773,  in -8°;  4"  les  Trois  Fer- 
miers, comédie  en  2  actes,  mêlée 
d'ariettes  ,  musique  de  Dezède, 
i777,in-8°;  5° /e  Porteur  de  chai- 
se, comédie -parade  en  2  actes, 
mêlée  d'ariettes,  musique  de  De- 
zède, 1778,  in-8°;  Q°  le  Charbon- 
nier, ou  le  Dormeur  éveillé,  co- 
médie en  4  actes,  1780;  7°  D'aise 
et  Babet,  ou  la  Suite  des  Trois 
Fermiers,  comédie  en  2  actes, 
mêlée  d'ariettes,  musique  de  De- 
zède, 1785,  in-8°:  8"  Alexis  et 
Justine,  comédie  en  2  actes,  mê- 
lée d'ariettes,  musique  de  f)ezède, 
1785,  in-8'';  g"  Sargine,  ou  l'élève 
de  l' Amour,  comédie  chevaleres- 
que en  4  actes,  musique  de  Da- 
leyrac,  1788,  in-8"';  10»  Raoul, 
sire  de  Créqui,  comédie  en  3  ac- 
tes, mêlée  d'ariettes,  musique  de 
Daleyrac,  1789,  in-S"  ;  w'  le  Chê- 


MON 


9^ 


7ie  patriotique,  ou  la  Matinée  dut^ 
Juillet,  comédie  en  2  actes,  mêlée 
d'ariettes,  musique  de  Daleyrac, 
1790;  12°  Agnès  et  Olivier,  opé- 
ra en  3  actes,  musique  de  Daley- 
rac, 1791  ;  i3"  Roméo  et  Juliette, 
ou  Tout  pour  l' Amour,  opéra  en 
4  actes,  musique  de  Dnle^'rac , 
1792  :  14°  Ambroise,  ou  Voilà  ma 
journée,  opéra-comique  en  1  acte, 
musique  de  Daleyrac,  1793;  i5* 
Urgande  et  Merlin,  opéra  en  5 
actes,  musique  de  Daleyrac,  1793; 
16°  Philippe  et  Georgette,  opéra- 
comique  en  1  acte,  musique  de 
Daleyrac,  1793,  in-8*;  17"  le  Gé- 
néral Suédois,  fait  historique  en  2 
actes,  musique  de  Délia  Maria, 
1799.  Au  ihéiltre  des  Variétés  au 
Palais-Royal  :  i"  l' Heureuse  indis- 
crétion, comédie  en  3  actes  et  en 
vers,  1789;  le  Potier  de  terre, 
comédie  eu  5  actes  et  en  prose, 
1791.  Il  fit  jouer  au  théâtre  de  la 
C(»uràChoisy,en  1777,  une  farce, 
AEIOU,  qui  n'a  pas  été  impri- 
mée. On  a  en  outre  de  lui,  un  ro- 
man historique ,  Frédégonde  et 
Brunehaut,  1776,  in-S",  et  quel- 
ques poésies  fugitives.  Monvel 
embrassa,  avec  une  grande  exal- 
tation, les  principes  républicains. 
En  1795,  il  monta  en  chaire  à  l'é- 
glise de  Saint-Roch,  et  y  déclama 
avec  véhémence  une  philippique 
contre  les  prêtres  et  les  rois,  qu'il 
fit  ensuite  imprimer  sous  le  titre 
de  :  Discours  fait  et  prononcé  par 
le  citoyen  Moncel,  dans  ta  section 
de  la  Montagne  ,  le  'jour  de  la  fête 
de  la  Raison,  célébrée  dans  la  ci- 
devant  église  de  Saint-Roch,  le  10 
frimaire  an  2  de  la  république  une 
et  indivisible,  Paris,  an  2  ,  in  -  8". 
Peu  de  temps  après  la  création  de 
rinstitut,  il  en  fut  nommé  mem-« 


f)^ 


MON 


bre,  et  devint  aussi  un  des  profes- 
seurs du  Conservatoire.  II  a  laissé 
plusieurs  enians  ,  dont  un  fils 
(  voyez  l'article  suivant  )  qui  a 
cultivé  les  lettres,  et  une  lîlle,  l'or- 
neuientdu  Théâtre-Français,  dont 
les  talens  pour  la  comédie  surpas- 
sent ceux  de  son  père,  et  qui  a  été 
j'ichement  douée  par  la  nature  de 
tous  les  avantages  qui  manquaient 
à  celui-ci.  Unedéputation  de  l'Ins- 
titut, et  presque  tous  les  acteurs 
de  la  capitale,  accompagnèrent  le 
convoi  funèbre  de  Monvel.  Le  se- 
crétaire perpétuel  de  la  4°"  classe 
de  l'Institut,  et  Lafond,  sociétaire 
du  Théâtre -Français,  prononcè- 
rent chacun  un  discours  sur  sa 
tombe.  11  est  inhumé  au  cimetiè- 
re de  Montmartre. 

MO]NVEL(N),filsdu  précédent,  a 
été  successivement  chef  du  bureau 
particulier  du  ministre  de  la  justi- 
ce, secrétaire  de  l'archichancelier 
Cambacérès,  et  attaché  à  la  Gazet- 
te de  Fi-unce  en  qualité  de  censeur. 
11  a  rempli  ces  dernières  fonctions 
pendant  plusieurs  années.  II  a  pu- 
blié quelques  ouvrages  :  \"  le  Deuil 
prématuré,  comédie;  i^J unius,ou 
les  proscrits,  tragédie  en  cinq  ac- 
tes et  en  vers,  1798,  in-S";  5"  le 
Comte  de  Donamar,  traduit  de  l'al- 
lemand ;  4°  Recueil  de  poésies, 
1801,  in-8";  5"  Ode  sur  la  guerre 
d'Autriche,  i8o5,  in-8°;  6'  Ode 
aux  Turcs,  1807,  in-S". 

MONVILLE  (T.  B.  G.  Boissfx, 
nifiON  de),  d'une  ancienne  famille 
du  ci-devant  Kouennais  ,  pair  de 
France,  se  livra  à  l'étude  de  quel- 
ques objets  d'utilité  publique,  et 
se  retira  à  Seissel,  département 
de  l'Ain ,  pendant  le  règne  de  la 
terreur.  Il  conçut  alors  l'idée  d'ex- 
plorer le  cours  du  Rhône  depuis 


M  00 

celte  ville  jusqu'à  Genève,  et  il 
en  entreprit  la  navigation  ,  en  par- 
tie souterraine,  afin  de  s'assurer 
par  lui-même  s'il  ne  serait  pas 
possible  de  rendre  navigable  celle 
partie  du  fleuve,  et  d'utiliser  par- 
la les  ressources  que  les  bois  du 
Valais  peuvent  fournir  à  notre 
marine  pour  la  mâture  des  vais- 
seaux. De  retour  de  son  voyage  , 
où  il  n'éprouva  aucun  accident 
grave,  il  en  publia  la  relation, 
sous  le  titre  de  Voyage  pittoresque 
et  navigation  exécutée  sur  une  par- 
tie du  Rhône  réputée  non  îiavigable, 
Paris,  1795,  I  vol.  in-4'',  avec  18 
planches  gravées  par  lui-même. 
M.  deMonville  a  publié,  en  1818, 
sous  ce  tilre  :  de  ta  Législation  des 
cours  d'eau,  une  excellen le  ana- 
lyse, en  forme  de  mémoire  ,  des 
lois  et  réglemens  qui  régissent 
cetle  matière,  source  inépuisable 
de  procès  entre  l'industrie  et  l'a» 
griculture,  entre  le  pouvoir  ad- 
ministratif et  le  pouvoir  judiciaire. 

MOOR  (Edouard),  célèbre  é- 
crivain  anglai»,  a  publié  les  ou- 
vrages suivans  :  f  Récit  des  opéra- 
tions du  capitaine  Little  et  de  l'ar- 
mée Mahratte,  vol.  iu-4''î  '774; 
2°  le  Panthéon  indou,  in-4'',  '810; 
3"  Récit  des  mesures  prises  pour 
supprimer  les  assassinats  systéma- 
tiques des  enfans  du  sex»  féminin 
par  leurs  parens,  et  d'autres  cou~ 
tûmes  particulières  aux  nctturels  de 
rinde,  in-4",  1811.  Les  fonctions 
importantes  que  M.  Moor  exerça 
pendant  long-temps  à  Hombay, 
l'avaient  mis  à  niên)e  d'observer 
avec  fruit  les  mœurs  des  habilans 
de  ces  contrées.  Il  est  membre  de 
la  société  royale  de  Londres  et  de 
celle  de  Calcutta. 

MOOJIE  (Thomas),  un  des  plus 


MOO 

célèbres  poêles  vivans  dont  la 
Grande-Bretagne  s'honore,  né  le 
28  mai  1780,  à  Dublin,  en  Irlan- 
de, est  fils  d'un  respectable  négo- 
ciant de  cette  ville.  La  première 
éducation  du  jeune  Moore  fut 
confiée  à  M.  Samuel  White  de 
Dublin,  homme  estimé,  qui  fut 
aussi  le  premier  instituteur  du 
célèbre  Shéridan  ,  et  sous  la  di- 
rection duquel  iM.  Moore  fit  des 
progrès  rapides.  A  Tâge  de  14 
ans,  il  entra  au  collège  de  la  Tri- 
nité, à  Dublin,  où  il  se  fit  remar- 
quer par  son  enthousiasme  pour  la 
liberté,  et  par  son  amour  pour  le 
pays  qui  l'avait  vu  naître,  senti- 
mens  auxquels  il  s'est  toujours 
montré  fidèle,  et  qu'il  manifestait, 
dès  sa  première  jeunesse,  avec 
autant  d'énergie  que  d'éloquence. 
Il  se  distingua,  en  outre,  par  les 
brillans  succès  qu'il  obtint  dans 
ses  études  et  la  douceur  de  ses 
mœurs.  En  1800,  il  publia  une 
traduction  en  vers  anglais  des  O- 
des  (TAnaa'éon ,  qu'il  avait  com- 
mencée, dit-on,  à  l'âge  de  laans, 
et  où  l'on  retrouve  en  partie  la 
grâce  et  le  charme  de  l'original  : 
elle  est  précédée  d'une  ode  grec- 
que du  traducteur,  et  dédiée  au 
prince  de  Galles.  Dès-lors,  le  jeu- 
ne poète  ne  fut  plus  désigné  par 
ses  concitoyens  que  sous  la  dénr)- 
mination  flatteuse  <ï  Anacréon 
Moore.  Eu  1801,  il  publia,  sous 
le  surnom  de  Lillle  (Petit) ,  qui 
convenait  à  sa  taille  et  à  son  air 
de  jeunesse ,  un  volume  de  Poé- 
sies légères.  «  La  plupart  de  ces 
»vers,  dit-il  dans  sa  préface,  ont 
»  été  composés  à  un  âge  si  tendre, 
»  que  les  critiques  doivent  avoir  tin 
«peu  d'indulgence  en  les  lisant.  » 
C'est  Catulle  que  lauleur  iemble 


MOO 


9^ 


avoir  pris  pour  modèle,  et  qu'il  a 
parfois  imité  jusque  dans  sa  licen- 
ce; comme  le  poète  de  Vérone,  il 
brille  par  la  délicatesse  et  le  sen- 
timent. Ces  deux  ouvrages  obtin- 
rent du  succès,  eteurent  plusieurs 
éditions  consécutives;  quelques 
autres  productions  fuient  accueil- 
lies avec  la  même  faveur  par  le 
public;  mais  l'ouvrage  qui  a  sur- 
tout popularisé  M.  Moore,  c'est 
son  recueil  de  Mélodies  irlandaises 
(irish  Mélodies).  «  C'est  principa- 
»lement  aux  vers  que  j'ai  adaptés 
»  aux  délicieux  airs  irlandais  ,  dit- 
nil  avec  modestie,  que  je  dois 
«la  réputation  dont  je  jouis.  Ces 
«vers  en  eux-mêmes  n'ont  qu'un 
nbien  faible  mérite;  mais,  comme 
»  les  insectes  conservés  dans  l'am- 
))bre,  ils  acquièrent  une  valeur  de 
nia  précieuse  matière  qui  les  en- 
wtoure.  »A  côté  de  ce  jugement^ 
porté  par  M.  Moore  sur  lui-mê- 
me, nous  citerons  ce  que  disait 
Shéridan  :  :<  Jamais  homme  ne  mit 
autant  de  son  cœur  dans  son  imagi- 
n nation  que  Thomas  Moore;  son 
«âme  semble  un  rayon  de  feu  sé- 
»paré  du  soleil,  et  tend  sanS'  cesse 
»à  .«e  réunir  à  cette  source  decha- 
rtleur  et  de  lumière.  »  On  voit 
que  c'est  eu  poète  que  Shéridan 
parle  d'un  poète.  «  Nous  avon» 
»  trop  long-temps  négligé,  écri- 
i>  vait  M.  Moore  au  sujet  de  ses 
t  Mélodies  ,  le  seul  talent  que  nos 
s  voisins  les  Anglais  aient  jamais 
»  consenti  à  nous  accorder.  Notre 
«musique  nationale  n'a  pas  en- 
Hcore  été  recueillie.  Tandis  que 
«les  compositeurs  du  continent 
»ont  enrichi  leurs  opéras  et  leurs 
«sonates  des  mélodies  emprun- 
»  tées  à  l'Irlande,  et  très-souvept 
osaus    daigner    reconnaître    leur 


<)6  MOO 

«larcin,  nous  avons  lait  peu  de 
«cas  (le  nos  propres  trésors;  c'est 
«ainsi  que  nos  airs,  comme  un 
»  très-grand  nombre  de  nos  com- 
»  patriotes,  ont  passé  au  service 
»  de  l'étranger,  parce  qu'ils  man- 
«quaient  de  protection  dans  leur 
«patrie.  Nous  sommes  arrivés, 
«j'espère,  à  une  époque  plus 
«heureuse  pour  notre  état  po- 
«litique  et  noire  musique;  le 
«rapport  qui  existe  entre  ces 
«deux  choses,  en  Irlande  du 
«moins,  est  évidemment  prouvé 
«par  l'accent  de  tristesse  et  de 
«douleur  qui  caractérise  la  plu- 
«part  de  nos  anciennes  chansons. 
«Adapter  des  paroles  à  ces  airs 
«n'est nullement  une  chose  facile; 
»le  poète  qui  voudrait  suivre  les 
«diverssentimens  qu'ils  expriment 
odoit  être  susceptible  d'une  rapi- 
»de  fluctuation  d'idées,  et  d'un 
•  bizarre  mélange  de  mélancolie 
«sombre  et  de  légèreté  :  c'est  le 
»  fonds  de  notre  caractère  et  la  cou- 
rt leur  denotremusique.  «M.  Moo- 
re  a  su  vaincre  heureusement 
ces  difficultés.  Les  sites  romanti- 
ques du  comté  de  Wichlow,  les 
ondes  de  l'A  von  et  de  l'Ovoca, 
les  superstitions  de  ce  peuple,  à 
la  fois  sensible,  brave  et  passion- 
né, reçoivent  une  nouvelle  vie 
de  la  muse  créatrice  du  barde  de 
l'Irlande.  Tour-à-tour  gracieux  et 
tendre  comme  Catulle  et  Parny, 
philosophe  et  inspiré  par  la  gloi- 
re nationale  ccmme  notre  Béran- 
ger,  gai  comme  Horace  et  Ana- 
créon,  M.  Moore  cause  de  douces 
émotions,  et  s'élève  quelquefois 
au  sublime  de  l'ode  ;  quelquefois 
aussi  il  se  couronne  du  pampre  de 
Bacchus.  Dans  le  courant  de  Fan- 
née  i8o5,  M.  Moore  s'était  em- 


MOO 

barque  pour  les  iles  Bemmdes , 
où  il  avait  obtenu  la  placo  de  se- 
crétaire de  l'amirauté,  place  im- 
portante, mais  nullement  confor- 
me à  ses  goûts,  et  qu'il  fit  bien- 
tôt remplir  par  un  suppléant. 
Après  avoir  satisfait  sa  curio- 
sité, en  parcourant  les  princi- 
pales provinces  de  l'Amérique 
septentrionale,  il  était  revenu  en 
Angleterre  au  mois  d'octobre 
i8o4-  Ses  remarques  et  ses  ré- 
flexions sur  l'Amérique  sont  con- 
signées dans  un  ouvrage  publié, 
en  1806,  sous  le  ùtie  iVOdes  et 
Épltres,  et  dont  la  préface  ,  très- 
intéressante  ,  prouve  les  talens 
«le  l'écrivain  comme  prosateur. 
Quelques  années  après,  M.  Moo- 
re épousa  miss  Dyke ,  jeune 
et  belle  personne,  d'un  aima- 
ble caractère,  avec  laquelle  il 
passe  la  plus  grande  partie  do 
son  temps  à  Bath,  charmant  ses 
loisirs  par  la  culture  de  la  poé- 
sie et  de  la  musique;  car  non-seu- 
lement M.  Moore  est  poèt«,  mais 
il  est  encore  excellent  musicien.  Il 
fit  un  voyage  à  Paris  dans  l'été  de 
1817,  et  son  séjour  en  F'rance  lui 
donna  l'idée  d'une  production  o- 
riginale  et  piquante,  qu'il  publia, 
à  son  retour  en  Angleterre  ,  sous 
ce  titre  :  the  Fudge  Family  in 
Paris  (kl  Famille  Fudge  à  Paris). 
M.  Fudge  est  une  espèce  d'espiou 
anglais ,  envoyé  par  lord  Castlc- 
reagh,  auquel  il  rend  compte  de 
ses  observations  sur  la  France, 
observations  ridicules,  mais  très- 
plaisantes  en  leur  absurdité  même. 
On  attribue  aussi  à  M.  Moore  VA- 
dresse  de  Tom  Cibb  au  congrès. 
CeTomCibb  est  un  fameux  l^oxeur 
de  Londres,  qui  conseille  aux 
souverains  de  vider  leurs  querel- 


MOO 

lescomme  il  vide  les  siennes.  Mais 
le  principal  ouvrage  de  M.  Moo- 
reest,  sans  contredit,  Lulla  Rookli. 
Ce  poëme,  qui  s^uffirait  seul  pour 
faire  passer  son  nom  à  la  postéri- 
té comme  celui  d'un  des  premiers 
poètes  de  la  Grande-Bretagne,  fut 
acheté  5,ooo  guinées  (^5,000  tV. ) 
par  les  libraires,  et  le  débit  fut  si 
rapide,  qu'ils  firent  encore  une 
bonne  spéculation  :  il  a  été  tra- 
duit en  français.  En  1818,  M 
Moore  fit  une  tournée  en  Irlande, 
son  pays  natal;  partout  il  fut  ac- 
cueilli avec  enthousiasme;  un 
banquet  splendide  fur^lonné,  à 
Dublin,  en  son  honneur;  pendant 
le  repas,  plusieurs  toasts  lui  fu- 
rent adressés,  et  l'un  des  con- 
vives le  proclama,  dans  une 
chanson  ,  le  premier  poète  du 
siècle.  Lord  Charlemont  ayant 
porté  ensuite  ce  toast  :  aux  poè- 
tes vivons  de  la  Grande-  Breta-' 
gne,  M.  Moore,  se  levant,  pro- 
nonça un  discours  remarquable , 
dont  nous  allonsciter  un  fragment, 
qui  a  rapport  à  deux  autres  cé- 
lèbres poètes,  ses  compatriotes, 
ses  contemporains  et  ses  rivaux 
de  gloire.  «  Messieurs  ,  malgré  la 
«chanson  pleine  d'esprit  que  vous 

•  venez  d'entendre,  et  la  place  é- 
»  levée  que  l'auteur  a  bien  voulu 
«m'assigner,  je  ne  puis  m'empê- 
Bcher  d'appeler  ici  votre  attention 
nsur  la  constellation  poétique  que 
n  forment  les  noms  illustres  aux- 
»  quels  nous  allons  rendre  hom- 
smage,  et  vous  me  permettrez  de 

•  m'arrêter  un  moment  sur  l'éclat 
«que  jette  chacun  de  ces  astres  en 
«particulier...  Puis-je  vous  nom- 
»  mer  Byron,  sans  réveiller  en  vous 
»  le  souvenirdetoutcequece grand 
■  génie  vous  a  fait  éprouver^  sans 

T.  XIV. 


MOO 


97 


»  vous  rappeler  son  énergie ,  ses 
«mots  brûlans,  et  cette  imagina- 
»  tion  qui,  aimant  à  errer  parmi  les 
"ruines  du  cœur,  semblable  à  ces 
»  arbres  qui  croissent  de  préféren- 
»ce  dans  un  terrain  volcanique, 
»  se  complaît  surtout  dans  les  lieux 
uqu'a  ravagés  le  feu  dévorant  des 
•passions?....  Ai  -  je  besoin  de 
«vanter  un  \N'alter  Scott,  poète 
«magique  et  fécond  ,  dont  î'ûme 
3  joint  la  végétation  rapide  des  é- 
ntés  du  Nord  à  la  richesse  des 
n  moissons  du  Midi  ;  ce  poète 
»dont  les  belles  créations  se  suc- 
»  cèdent  comme  les  fruits  dans  le 
»  jardin  enchanté  d'Armide,  etc.  »> 
En  1825,  M.  Moore  a  publié  les 
amours  des  Auges:  deux  traduc- 
tions françaises  de  ce  poëme  ont 
aussitôt  paru  à  Paris.  Pendant 
que  M.  Moore  le  composait,  lord 
Byron,  qui  se  trouvait  alors  en 
Italie,  traitait  le  même  sujet  sous 
ce  titre  :  le  Ciel  et  la  Tei-re,  sujet 
qu'ils  ont  puisé  tous  deux  dans  le 
second  verset  du  chapitre  6  de  la 
Genèse:  «Et  les  fils  de  Dieu  virent 
»que  les  filles  des  hommes  étaient 
»  belles,  et  ils  prirent  pour  femmes 
«•celles  qui  leur  plurent.  »  Le* 
deux  poètes  ont  supposé  que  le^^  fils 
de  Dieu  étaient  les  anges,  opinion 
qui  est  aussi  celle  de  quelques  pè- 
res de  l'église.  A  cela  près,  leurs 
poèmes  sont  aussi  diflerens  que 
leur  génie.  En  1822,  M.  Moore  a- 
vait  fait  un  second  voyage  à  Paris, 
et  il  a  été  accueilli  avec  empres- 
sement dans  les  meilleures  socié- 
tés. Il  s'exprime  avec  facilité  en 
français,  et  plusieurs  de  nos  hom- 
mes de  lettres  les  plus  distingués 
qui  se  sont  rencontrés  avec  lui , 
ont  apprécié  par  eux-mêmes  son 
amabilité ,  sa  modestie  et  sa  con- 


98  M  00 

versation  animée  et  spiiitucllc. 
MOORE  (John),  médecin  ef  lit- 
térateurécossais,  naquit  en  i^Soà 
Sliriing.  II  perdit,  dès  l'âge  de  5 
ans,  son  père,  ministre  de  l'église 
réforinée,  et  dnt  aux  leçons  et  aux 
soins  des  professeurs  Hamilton  et 
Cullen,  les  talens  qui  le  firent  em- 
ployer en  1 747?  ^  l'armée  de  Flan- 
dre ,  comme  aide-chirurgien.  Il 
passa  des  hôpitaux  militaires  de 
IVlaestricht  et  de  Flessingue ,  au 
régiment  des  gardes  à  pied,  en 
qualité  de  chirurgien-adjoint.  S'é- 
tant  rendu  à  Londres  après  la  paix 
de  17485  ''  reprit  le  cours  de  ses 
études  médicales  sous  le  docteur 
Hunier.  Le  comte  d'Albermale, 
ambassadeur  en  France,  qui  l'a- 
vait connu  en  Flandre,  l'appela  à 
Paris  ,  et  le  fit  chirurgien  de  sa 
maison.  Le  séjour  de  Moore  dans 
cette  ville  fut  très-utile  à  son  ins- 
truction. 11  suivit  les  cours  d'ac- 
couchemens  de  Smellie,  qui  était 
en  grande  réputation,  et  de  retour 
en  Ecosse ,  il  exerça  son  art  à 
Glascow.  Ses  succès  comme  pra- 
ticien et  ses  qualités  personnelles 
fixèrent  sur  lui  l'attention,  et  il 
devint  le  médecin  du  jeune  fils  du 
duc  d'Argyle,  attaqué  d'une  mala- 
die de  poitrine,  à  laquelle  bientôt 
il  succomba.  Moore  s'était  atta- 
ché à  ce  jeune  homme,  qui  don- 
nait les  plus  belles  espérances.  Sa 
mort  l'affligea  \ivement,  et  il  ex- 
prima ses  regrets  dans  une  épita- 
phe,  dont  la  duchesse  d'Argyle  fut 
si  touchée,  qu'elle  confia  aux  soins 
de  Moore,  qui  avait  été  reçu  quel- 
que temps  auparavant  docteur  en 
médecine,  un  autre  de  ses  fils  dont 
la  santé  exigeait  beaucoup  de  soins 
et  de  ménagemens.  Moore  voya- 
gea  avec   ce  jeune  seigneur  en 


MOO 

France,  en  Italie,  en  Suisse  et  en 
Hollande,  et  repartit  pour  Lon- 
dres après  5  ans  d'absence.  Il  s'y 
fixa  iivec  sa  famille.  Ce  praticien 
avait  une  instruction  étendue  et 
un  goût  très-vif  pour  les  lettres. 
Pendant  ses  différens  séjours  en 
France,  il  avait  étudié  avec  soin 
les  mœurs  des  Français  et  la 
marche  de  leur  gouvernement. 
Moore  rendit  aux  habitans  de 
cette  contrée  la  justice  qu'ils 
méritaient;  mais  il  jugea  sévère- 
ment l'administration  de  l'état. 
Ce  fut  avec  une  joie  extrême  qu'il 
vit  éclater  la  révolution,  et  il  ac- 
cepta la  proposition  d'accompa- 
gner 'e  comte  de  Lauderdale  à 
Paris,  où  ils  arrivèrent  au  mois 
d'août  1792.  Les  événemens  de 
cette  époque  ne  leur  permirent 
pas  d'y  faire  un  long  séjour,  et  ils 
repartirent  pour  Londres,  où  Moo- 
re mourut  le  28  février  1802.  Il  a 
publié  :  1°  Coup-U'œil  sur  la  so- 
ciété et  les  mœurs  en  France ,  en 
Suisse  et  en  Allemagne, "i-yoL  in-8", 
1779;  2"  Coup  d' œil  sur  la  société 
et  tes  mœurs  en  Italie ,  2  vol.  in- 
8°,  1781.  Cet  ouvrage  et  le  pre- 
mier, auquel  il  fait  suite,  ont  été 
traduits  en  français,  et  publiés  à 
Genève,  par  M.  Henri  Rieu,  4 
vol.  in-8°,  1799.  Le  Coup-d'œil, 
etc. ,  fut  reproduitpar  un  nouveasi 
traducteur,  M"'=  de  Fontenay,  sous 
le  titre  de  Voyage  de  John  Moore, 
fff.,  2  vol.  in-8",  Paris.  1.S06.  5" 
Esquisses  médicales,  1  786;  4"  ^^- 
luco,  roman  moral,  Londres, -1786, 
traduit  en  français,  par  Cantwels. 
4  vol.  in-18.  Des  événemens  in- 
téressans,  un  style  pur,  des  idée? 
philosophiques,  une  morale  douce 
et  touchante ,  tels  sont  les  princi- 
paux caractères  de  ce  roman  où  l'an- 


M  00 

leur  pe  nt  avec  un  talent  rare  les 
passions  déiéglécs  auxqneHes  se 
livre  un  entant  _q;1té  par  l'aveugle 
tendresse  de  sa  mère.  5'  Edouard, 
roman  d'une  morale  éj^aleraent 
pure,  et  que  recouiufande  à  l'at- 
tention le  tableau  fidèle  des 
mœurs  anglaises.  Il  a  aussi  été 
traduit  en  français  par  Cantwels, 
3  vol.  in-i2,  1797.  6°  Journal 
écrit  pendant  mon  séjour  en  France 
dans  les  mois  d  août ,  septembre  , 
octobre  et  décembre ,  '792?  3  vol. 
in-8°,  avec  carte,  1795;  7"  F'aes 
des  causes  et  des  progrès  de  la  ré- 
vclation  française ,  2  vol.  in-S" , 
1795.  L'aut«;ur  remonte  jusqu'au 
règne  de  Henri  IV,  et  s'arrête  à 
l'époque  de  la  déchéance  de  la  la- 
mille  royale.  8°  Mordaunt,  ou  Es- 
quisses de  la  lie,  des  mœurs  et  des 
caractères  des  divers  pays,  contenant 
l'Histoire  d'une  française  de  qua- 
lité :  recueil  de  lettres  supposées 
écrites  par  Jean  Mordaunt,  et  dans 
lesquelles  ce  personnage  retrace 
ses  sotivenirs  pendant  ses  voyages 
en  Italie,  en  AllemaçRe,  en  Fran- 
ce  et  en  Portugal.  Quoique  histo- 
rique ce  livre  a  tout  le  charme  du 
roman.  9"  OEuvres  morales,  con- 
tenant les  portraits  de  plusieurs 
personnages  célèbres  de  la  révo- 
lution française ,  et  des  aper- 
çus géographiques  des  villes  les 
plus  remarquables  de  l'Europe. 
Bien  que  cet  ouvrage  ne  porte 
point  le  nom  de  l'auteur,  on  y 
trouve  néanmoins  une  f^ie  de  John 
Moore,  par  les  éditeurs.  1 0°  Enfin 
il  est  éditeur  des  ouvrages  de  To- 
hie  Mallet,  auxquels  il  a  ajouté 
une  notice,  des  remarques,  etc. ,  sur 
la  vie  et  les  travaux  de  ce  célébi'e 
médecin.  8  vol.  in-S"  ,  1797. 
Moore  fut  un  homme  de  beau- 


JlOO 


99 


coup  d'esprit,  un  observateur  très- 
judicieux,  que  l'on  accuse  à  tort 
d'avoir  été  quelquefois  un  peu  lé- 
ger et  superficiel.  Ses  f^'oyages  et  ses 
Romans  se  font  lire  arec  plaisir. 

MOORE  (sir  John)  ,  général 
anglais,  fils  du  précédent,  naquit 
en  1761,  à  Glasgow.  Il  accompa- 
gna son  père  sur  le  continent  à 
l'époque  où  celui-ci  le  parcourait 
avec  le  duc  d'Hamilton,  fils  du 
duc  d'Argyle,  et  obtint  en  1776, 
p^ir  la  protection  de  la  famille  de 
ce  jeune  seigneur,  le  grade  d'en- 
seigne, dans  un  régiment  d'infan- 
terie alors  en  garnison  à  M  inor- 
que. Cet  officier  fit  la  guerre  d'A- 
mérique ,  et  à  la  paix,  en  1785, 
il  retourna  à  Londres.  Quelque 
temps  après,  il  représenta  au  par- 
lement le  bourg  de  Lanerk.  Dès 
1788,  il  rentra  au  service  et  passa, 
en  1795,  à  Gibraltar,  d'où  en  1794 
il  se  rendit  en  Corse,  où  il  fut  em- 
ployé sous  le  général  Stevvart,  qui 
lui  confia  le  commandement  de  la 
réserve.  S'étant  distingué  au  siège 
de  Calvi  et  à  l'assaut  du  fort  M.0- 
rello,  où  il  fut  blessé,  il  devint  ad- 
judant-général. Des  discussions 
élevées  entre  le  vice-roi  et  le  gé- 
néral Stewart,  firent  rappeler  ce 
dernier,  que,  par  amitié,  Moore 
accompagna  à  Londres  en  1790.  A 
la  fin  de  cette  année,  il  devint  bri- 
ga<lier-genéral  et  fut  attaché  à  un 
corps  d'émigrés  français.  Le  aS 
février  1796,  il  prit  le  commande- 
ment de  la  brigade  du  général 
Perryn  ;  et  s'embarqua  pour  les 
Indes-Occidentales,  peu  après  sir 
Ralph  Abercromby,  à  l'expédiJinn 
duquel  il  était  attaché.  Il  le  rejoi- 
gnit aux  Barbades,  et  obtint  sa 
confiance.  Sir  Ralph  Abercromby 
l'employa  utilemeut  dans  âon  at- 


loo  M  00 

laque  coplre  l'île  Sainle-Lucic,  qui 
capitula  au  mois  de  mai  1796,  et 
dont  il  le  nomma  gouverneur. 
Les  soins  et  la  vigilance  de  John 
Moore  parvinrent  à  nettoyer  les 
bois  où  de  nombreuses  bandes  de 
noirs  s'étaient  réfugiés,  et  inquié- 
taient par  leurs  excursions  les 
troupes  de  son  gouvernement. 
Atteint  deux  lois  de  li  lièvre  jau- 
ne, il  fut  ol)ligé,  au  mois  d'août 

1797,  de  repasser  en  Angleterre 
pour  y  rétablir  sa  santé.  Le  géné- 
ral Abercromby  ayant  été  nomme 
commandant  des  forces  anglaises 
en  Irlande,  John  Moore  l'y  suivit, 
et  fut  employé  sous  le  général 
Johnstone,  lors  des  troubles  qui 
éclatèrent  dans   cette  contrée  en 

1798,  Il  se  distingua  particuliè- 
rement au  combat  de  New-Ross, 
où  les  Irlandais  éprouvèrent  une 
défaite  considérable.  Envoyé  à 
Wexford,  qui  était  au  pouvoir  des 
insurgés  ,  il  les  attaqua  avec  vi- 
gueur, les  battit  quoique  inférieur 
en  nombre,  et,  ayant  reçu  un  ren- 
fort de  deux  régimens,  il  s'empara 
de  vive  force  de  cette  ville.  Il  fut 
élevé  peu  de  temps  après  au  gra- 
de de  major-général.  Dans  l'expé- 
dition d'Irlande  au  mois  de  juin 

1 799,  il  fut  blessé  plusieurs  fois,  et 
forcé  de  retourner  à  Londres  pour 
y  prendre  du  repos.  Lorsqu'il  put 
rentrer  au  service ,  il  accompa- 
gna, en  1800,  le  général  Aber- 
cromby, commandant  des  forces 
anglaises  en  Egypte.  John  Moore 
débarqua  successivement  à  Malte 
et  à  Jaft'a;  blessé  de  nouveau  à  la 
bataille  d'Aboukir,  il  fut  encore 
obligé  de  cesser  momentanément 
son  service.  Il  revint  à  son  corps 
dès  qu'il  fut  rétabli,  et  après  la 
prise  d'Alexandrie,  où  il  se  fit  re- 


MOO 

marquer,  il  retourna  eu  Angle- 
terre et  y  reçut  de  nombreuses 
récompenses.  Créé  chevalier,  dé- 
coré de  l'ordre  du  bain  et  promu 
à  un  commandement  supérieur, 
il  parlit,  en  1800,  à  la  tête  d'un 
corps  de  10,000  hommes,  pour 
appuyer  la  Suède, menacée  parles 
attaques  combinées  des  troupes 
françaises,  russes  et  de  Danemark. 
Le  7  mai  de  la  même  année,  le  cor[>s 
du  généial  anglais  arriva  à  Gùtheu- 
bourg.  Mais  des  dilTicultés  sur- 
vinrent entre  Gustave  IV  et  le  gé- 
néral Moore,  et  celui-ci  fut,  par  or- 
dre du  roi,  retenu  momentané- 
ment à  Stockholm.  Dès  qu'il  put 
être  libre,  il  se  hâta  de  ramener 
ses  troupes  en  Angleterre.  Dirigé 
ensuite  sur  le  royaume  de  Portu- 
gal, il  arriva  au  moment  où  s'ef- 
fectuait la  capitulation  de  Cintra. 
Après  le  départ  de  sir  H.  Dalrim- 
ple  et  de  flarry  liurrard,  qui  a- 
vaient  signé  cette  capitulation,  et 
que  le  gouvernement  britannique 
rappelait  pour  les  entendre  sur  les 
causes  de  la  capitulation,  il  prit 
le  commandement  en  chef  de» 
troupes.  Chargé  d'agir  en  E:<- 
pagne,oùune  armée  espagnole 
devait  concourir  à  ses  opérations, 
il  marcha  sur  Salamanque,  et  bien- 
tôt se  convainquit  qu'il  était  réduit 
à  ses  seules  forces,  qui  d'ailleurs 
étaient  disséminées.  Il  se  vit  dans 
la  nécessité  de  se  retirer  vers  le 
Portugal  et  de  presser  sa  jonction 
avec  les  troupes  du  général  Hop- 
pcj.qui  s'était  dirigé  sur  Madrid. 
11  se  dirigea  lui-même  sur  ce  point, 
de  l'avis  des  autres  généraux  , 
mais  contre  son  gré.  Le  maréchal 
Soult  occupait  Saldanha  :  le  géné- 
ral Moore  voulut  l'en  chasser  ; 
mais  après  quelques  attaques  de 


MOO 

peu  d'importance  ,  informé  que 
l'empereur  en  personne  se  portait 
entre  l'armée  anglaise  et  la  mer, 
afin  de  l'envelopper,  il  prit  sur-le- 
champ  le  parti  de  la  retraite. 
Poursuivi  vivement  par  l'empe- 
reur et  par  le  maréchal  Soult,  il 
fut  atteint  par  le  maréchal  à  Luge. 
L'engagement  fut  vif  et  brave- 
ment soutenu  par  lesAnglais.  Pour 
tromper  le  commandant  français, 
le  général  Moore  fit  allumer  de 
grands  feux  pendant  la  nuit  qui  sui- 
vit la  bataille.  Cette  ruse  lui  réussit; 
mais  quoiqu'il  eût  gagné  quelque 
avance  dans  sa  retraite,  et  qu'à 
marche  forcée  il  eût  atteint  la 
Corogne,  où  il  espérait  s'embar- 
quer, il  ne  put  éviter  enfin  une  at- 
taque générale.  Le  16  janvier  1809, 
il  donnait  des  ordres  pour  l'em- 
barquement, lorsqu'il  vit  les  Fran- 
çais se  déployer  sur  toute  la  ligne. 
Son  courage  ne  lui  permit  plus 
d'éviter  le  combat.  Il  monta  aus- 
sitôt à  cheval  et  donna  des  ordres 
pour  soutenir  l'action.  Dès  le  pre- 
mier choc,  sir  David  Baird,  un  de 
ses  oflficiers-généraux,  eut  le  bras 
emporté  et  fut  forcé  de  quitter  le 
champ  de  bataille.  Le  général 
Moore  se  mit  à  la  tète  du  So""  ré- 
giment et  fondit  sur  les  Français. 
Les  majors  Napier  et  Stanhope,qui 
le  commandent  sous  ses  ordres, 
sont,  l'un  blessé  et  fait  prisonnier, 
et  l'autre  tué  d'un  coup  de  feu 
dans  la  poitrine.  Le  général  Moore 
désespéré  ,  s'écrie  en  s'adressant 
au  42"*  régiment  :  «  Montagnards, 
»souvenei-vous  de  l'Egypte!» 
Les  montagnards  font  bonne  con- 
tenance ;  mais  leurs  munitions  é- 
tant  épuisées,  ils  reculent.  Le  gé- 
néral Moore  vole  à  eux  :  «  Soldats 
H  de  mon  brare  43"%  leur  dit-il, 


MOO  loi 

'> rejoignez  vos  camarades;  lesmu- 
j»  nitions  vont  arriver,  et  d'ailleurs 
«vous  avez  vos  baïonnettes  •>  Ra- 
menés sur  le  champ  de  bataille, 
par  ces  paroles  et  jtar  la  contenan- 
ce intrépide  de  leur  général,  ils 
combatlent  de  nouveau.  Ln  bou- 
let renverse  le  général  Moore;  il 
se  relève ,  les  exhorte  à  faire  leur 
devoir...  Il  était  blessé  mortelle- 
ment, et  lorsque  le  chirurgien  ar- 
riva, il  avait  cessé  de  vivre.  Ses 
dernières  paroles  furent  pour  de- 
mander des  nouvelles  de  la  batail- 
le. Ainsi  périt  d'une  manière  glo- 
rieuse, le  16  janvier  1809,  l'un 
des  officiers  -  généraux  anglais 
les  plus  distingués.  On  lui  a  éle- 
vé un  monument  dans  la  ca- 
thédrale de  Saint-Paul  de  Londres, 
et  un  autre  à  Glasgow,  où  il  était 
né.  Le  général  Moore  fui  honoré  de 
l'estime  des  Français,  estime  qu'il 
avait  su  mériter  par  sa  bravoure  et 
ses  vertus  guerrières.  Son  frère  , 
Jacqces  Moore,  a  donné  des  dé- 
tails sur  sa  conduite  en  Espagne  , 
dans  un  ouvrage  sous  le  titre  de  : 
Histoire  des  campagnes  de  l'armée 
anglaise  en  Espagne,  Le  général 
Hoppe  fit  sur  les  événemens  de  la 
Corogne  un  rapport  qui  fut  vive- 
ment combattu  dans  le  Moniteur. 
Le  général  anglais  prétendait  que 
la  victoire  était  restée  aux  armes 
de  sa  nation.  T,c  fait  est  cepen- 
dant qu'à  la  suite  de  l'affaire  où 
périt  le  général  Moore ,  l'armée 
anglaise  évacua  entièrement  l'Es- 
pagne. 

MOORSEL  (le  baron  de),  chef 
de  partisans  belges  ,  se  fit  remar- 
quer par  sa  haine  contre  la  domi- 
nation française,  et  par  les  efforts 
qu'il  fit  pour  l'anéantir  en  Belgi- 
que.   Profitant    de  l'insurrection 


103  M  OR 

qui  éclata  en  1796,  dans  les  pro- 
vinces réunies  à  la  France,  il  ar- 
ma ses  vassaux,  et  parvint  à  réu- 
nir un  petit  corps  de  troupes  irré- 
{^ulières,  avec  le-squelies  il  atta- 
qua les  Français;  mais  il  succom- 
ba bientôt,  et  crut  écliapper  aux 
troupes  qui  le  poursuivaient,  à  la 
laveur  d'un  déguisement.  Décou- 
vert dans  sa  retraite,  et  traduit 
devant  une  commission  n^ilitaire, 
il  fut  condamné  à  mort,  et  exécu- 
té à  Bruxelles,  au  mois  de  février 

tVlORA-Y-JARABA  (don  Pa- 

BLo),  célè})re  jurisconsulte,  d'une 
i'amille  n()ble  de  Caslille,  se  livra 
à  l'élude  de  la  jurisprudence  avec 
une  ardeur  qui  fut  couroîmée  par 
(les  succès  auxquels  il  dut  d'être 
placé  parmi  les  prenjiers  juriscon- 
sultes espagnols.  11  obtint  la  laveur 
de  Charles  III,  qui  le  nomma  con- 
seiller-d'état. Don  Mora  mourut 
t»  Madrid  en  1800 ,  laissant  un 
grand  nombre  d'ouvrages  de  ju- 
risprudence ;  les  principaux  sont  : 
1"  Erreurs  du  droit  civil,  ou  les 
Abus  de  la  jurisprudence,  ouvrage 
que  les  Esgagnols  préfèrent  à  ce- 
lui de  iMuratori  sur  le  même  su- 
jet,; 2"  Traité  sur  les  lois  de  la 
guerre;  5°  la  Science  i^engée;  4"  de 
la  Liberté  du  commerce;  5"  enfin  , 
un  grand  nombre  de  Mémoires  et 
de  Consultations  sur  des  matières 
importantes. 

MORALES  (Thomas),  chef, 
sons  Morillo,  d'une  partie  des 
forces  royales  d'Espagne,  dans 
l'état  de  Venezuela,  est  né  aux 
(Canaries  vers  l'année  1774-  L'obs- 
curité de  sa  naissance  et  la  pau- 
vreté de  ses  parens  ne  lui  laissaient 
d'autre  ressource  que  celle  de  se 
faire  soldat.   II  s'engagea,   et  lé 


iMOR 

temps  de  son  engagement  expiré, 
il  rentra  dans  sa  fannlle,  et  exerça 
pour  vivre  le  métier  de  pêcheur 
<\  Barselo,  province  de  Venezuela. 
Depuis  long-temps  il  était  marié, 
lorsque  la  révolution  de  l'Améri- 
que du  sud  éclata.  Morales  n'hé- 
sita pas  à  quitter  sa  famille,  et  à 
prendre  du  service,  non  dans  les 
rangs  (ïc$  indépendans,  mais  dans 
les  troupes  du  général  espagnol 
don  Juan  Manuel  Cagigal,  qui 
bientôt  le  fit  son  aide-de-camp. 
La  fortune  lui  sourit,  et  il  parvint 
rapidement  au  grade  de  général; 
il  remplaça  le  général  Boves,  et 
marcha  bientôt  sur  ses  traces. 
Morales  est  un  de  ceux  qui,  par 
leuis  cruautés,  ont  fait  le  plus 
détester  le  pouvoir  qu'ils  étaient 
appelés  à  ré(al)lir.  Sa  vie  militaire 
est  presque  un  massacre  conti- 
nuel. Nous  ne  citerons  que  très- 
peu  de  faits,  et  nous  n'entrerons 
point  dans  le  détail  des  innombra- 
bles vols  et  rapines  qui  lui  sont 
reprochés.  A  la  prise  du  pont  de 
San- Fernando,  en  181 5,  il  fit 
passer  au  fil  de  l'épée  tous  les  indé- 
pendans qui  avaient  défendu  cette 
position.  Ses  funestes  conseils  dé- 
cidèrent de  la  destinée  d'im  grand 
nombre  d'hommes  distingués,  que 
le  sort  des  armes  mit  au  pouvoir 
du  vainqueur  de  Garthagène  (doj. 
MoEiLLo).  Ses  propres  officiers 
étaient  révoltés  de  sa  barbarie, 
dont  il  les  rendait  complices.  Et 
l'un  d'eux  éciivit  une  lettre,  qui 
fut  insérée  dans  les  journaux  an- 
glais, et  où  il  l'accusait  «d'avoir 
«fait  massacrer  S/jô  personnes  à 
«la  prise  de  Bocachica,  et  d'avoir 
»fait  atnener  à  Ocanna,  où  il  se 
«trouvait,  un  nommé  Miguel, 
«pour  qu'il  fût  exécuté  en  sa  pré- 


M  OR 

>»*ence.  »  Morales  avait  de  l'acli- 
>ité  et  fies  lalens.    Il  contribua 
I>rincipalcment  à  la  défaite  de  Bo- 
livar (voy.  ce  noin),  lorsque  celui- 
ci  débarqua  à  Ocuinare;  mais  il 
fut  moins  heureux  en  poursuivant 
Mac-rGrégor,  après  la  retraite  de 
Bolivar  :  il  fut  battu  à  Alacran  et 
défait  complètement  à  Juncal.  En 
1816,  de  concert  avec  Real,  autre 
chef  royaliste,  il  marcha  de  nou- 
veau contreBolivar,qui  avait  rallié 
ses  troupes  et  obtenu  des  renforts. 
Cette  fois,   le  chef  indépendant, 
quoique  inférieur  en  nombre  lors- 
qu'il attaqua  Morales,  lui  fit  éprou- 
ver une  perte  considérable,  et  le 
contraignit  à  une  retraite  préci- 
pitée.   Le  nom  de  Morales  était 
tellement  en  horreur  aux  Aniéri- 
cains,  que  les  habit:jns  de  Corro- 
lilos,  informés  que  ce  chef  com- 
mandait, au   mois   d'août  de   la 
même  année,  l'avant -garde  des 
troupes  royales,   brûlèrent  leurs 
maisons  et  s'enfuirent  dans   les 
bois.    Morales  avait  été  perdu  de 
vue  dans  les  affaires  ultérieures 
de  l'Amérique,  et  l'on  s'étonnait 
de  ce  qu'il  n'avait  point  figuré  dans 
la  dernière  guerre  que  la  pénin- 
sule a  soutenue  contre  la  France 
en  1823;  mais  on  trouve  dans  les 
journaux  anglais,  et  notamment 
dans  le  Courrier,  du  mois  de  jan- 
vier 1824»  le  paragraphe  suivant  : 
«On  pourrait  ajouter  quelquefois 
«au  rapport  qui  annonce  que,mal- 
Bgré  son  serment  de  ne  pas  servir 
"Contre  les  patriotes  delà  Colom- 
nbie,  le  général  Morales  était  oc- 
»cupé  è  rassembler  des  forces  à  la 

•  Havanncpour  attaquer  cette  ré- 
»publique.  Une  lettre  deSan-Jago- 

•  Cuba,  du  i5  octobre,    publiée 

•  dans  les  papiers  de  la  Jamaïque, 


MOR  io5 

»  fait  part  de  rarrivée,dans  deux  vais- 
»  seaux  de  la  Havane,  de  47»'-'*^*^ 
»  dollai'S  pour  Morales.  Quatre  mille 
n  hommes  de  troupes  étaient  par- 
»  venus  à  Principe,  sur  la  route  de 
))San-Jago.  « 

MORAND   (le  comte  Lobis- 
Cbaries-Amoi>e-Alexis\  géné- 
ral de  division ,  grand-officier  de 
la  légion-d'honneur,  chevalier  de 
Saint-Louis  et  de  l'ordre  dfe  Saint- 
Henri  de  Saxe,   etc.,    est  né  en 
1758.11  fit,  en  i8o5,  les  campagnes 
d'Autriche  comme  général  de  bri- 
gade ,  et  mérita  ,  par  ses  talens 
aussi  bien  que   par  la   bravoure 
qu'il    déploya    dans    les    plaines 
d'Autsterlitz  ,    le  grade  de  géné- 
ral  de  division,   que  l'empereur 
lui  conféra  le  24  décembre  de  la 
même  année.    Son  nom  est  cité 
honorablement  dans  toutes  les  af- 
faires où  il  fut  appelé  à  prendre 
part ,    surtout    aux   niémorables 
batailles  de  léna,  Eylau ,  Fried- 
land,  Essiing  et  "VNagram.  Il  fut 
présenté,  en  1807,  comme  candi- 
dat au  sénat-conservateur,  nom- 
mé dans  la  même  année  grand- 
officier  delalégion-d"honneur,  et, 
en  1808,  décoré,  par  le  roi  de  Saxe, 
de  l'ordre   de   Saint -Henri.    La 
campagne  de  181 3  lui  fournit  de 
fréquentes     occasions     de     faire 
briller  la  valeur  dont  il  avait  déjà 
donné  des  preuves  nombreuses. 
Il  fit  des  prodiges  à  Mf»jaïsk,  à 
Lulzen,  à  Bautzen,  et  sauva  l'ar- 
mée par  son  sang-froid  à  Denne- 
witz.  Il  reçut  la  croix  de  Saint- 
Louis  lors  de  la  première  restaura- 
lion ,  en  1814.  Après  le  20  mars 
tSiS,  il  fut  nommé  aide-de-camp 
de  Napoléon ,  colonel  des  chas- 
seurs de  la  vieille-garde,  pair  de 
France,  et  commandant  des  12% 


io4 


MOR 


i3*,  21"  et.  22*  divisions  militai- 
res. Il  se  rendit,  en  cette  dernière 
qualité,  à  Nantes,  après  s'être  fait 
précéder  d'une  proclamation,  par 
suite  de  laquelle,  après  la  seconde 
restauration,  un  conseil  de  guerre, 
séant  à  La  Rochelle,  le  condannia 
à  mort,  par  contumace,  le  29  août 
1816.  Rentré  en  France,  le  géné- 
ral iVIorand  est  aujourd'hui  (1824) 
en  dispônihilité. 

MORAND  (FBàNçois),  avocat 
à  la  cour  royale  de  Paris,  docteur 
en  droit,  professeur  de  droit  civil 
français  à  la  faculté  de  Paris,  mem- 
bre de  l'athénée  des  aMs  ,  de  la 
société  pour  l'encouragement  de 
l'industrie  nationale,  et  de  plu- 
sieurs antres  sociétés  savantes  , 
e?t  né  en  176^,  dans  la  ci -devant 
province  de  Bourbonnais.  M.  Mo- 
rand a  publié,  en  1794?  à  Bour- 
ges, où  il  était  professeur  de  phy- 
sique, un  ouvrage  in- 8°  sous  le 
titre  de  Développement  du  nouveau 
système  des  poids  et  mesures ,  et 
Traité  d'arithmétique  adapté  à  ce 
système.  Devenu  ensuite  prol'es- 
seur  de  législation  à  l'école  cen- 
trale de  la  rue  Saint-Antoine ,  à 
Paris;  de  droit  crinjinel,  à  l'aca- 
démie de  législation;  de  droit  ro- 
main et  de  droit  civil,  à  l'univer- 
sité de  jurisprudence ,  il  a  été 
nommé  aux  fonctions  d'adminis- 
trateur de  celte  même  école  cen- 
trale ,  et  a  publié ,  dans  les  bulle- 
tins des  deux  autres  établisse- 
mens,  divers  écrits,  notamment 
un  Cours  de  législation  criminelle, 
imprimé  en  grande  partie  dans  le 
bulletin  de  l'académie  de  législa- 
tipn.  Il  est  encore  auteur  d'un 
Cours  de  droit  civil  français.  Ce 
dernier  cours,  quoique  manuscrit, 
ne  laisse  pas  d'avoir  a;;quis  beau- 


AlOR 

coup  de  publicité  ,  soit  par  de 
nombreuses  copies,  dont  une  a 
même  été  partiellement  impri- 
mée, soit  par  les  leçons  publiques 
de  l'auteur. 

MORAND  (Jean-Antoine),  ar- 
chitecte distingué,  naquit  à  Brian- 
çon  ,  département  des  Hautes-Al- 
pes, vers  1737.  Sa  famille  le  des- 
tinait à  l'état  ecclésiastique;  mais 
le  goût  des  arts,  inné  en  lui,  le 
délermina  à  quitter  secrètement 
la  maison  paternelle.  Il  se  rendit 
à  Lyon,  y  séjourna  quelque  temps, 
et  vint  à  Paris.  Morand  prit  des 
leçons  de  perspective  et  de  déco- 
ration dans  l'école  de  Servando- 
ni,  et  passa  ensuite  sous  la  direc- 
tion de  Soufilol ,  qui  fut  à  la  fois 
son  maître  et  son  ami.  Morand 
repartit  pour  Lyon,  où  il  exécuta, 
en  1767,  la  salle  de  spectacle  dont 
Soufflot  avait  tracé  les  plans.  Le 
succès  de  cette  entreprise  le  fit 
favorablement  connaître,  et  il  fut 
appelé,  en  1769,  à  Parme,  pour 
y  construire  un  théâtre  à  machines 
que  la  ville  avait  ordonné  à  l'oc- 
casion du  mariage  de  l'archidu- 
chesse avec  l'empereur.  II  justifia 
la  confiance  dont  il  av'ait  été  ho- 
noré, et  obtint  même  le  suffrage 
des  artistes  italiens.  Morand  se 
rendit  à  Rome,  où  il  fortifia  son 
talent  par  l'étude  des  monumens 
dont  cette  ville  célèbre  est  em- 
bellie. De  retour  à  Lyon  ,  il  fut 
chargé  de  présider  à  la  construc- 
tion des  édifices  du  quai  Saint- 
Clair.  En  1762,  il  donna  un  pro- 
jet de  la  ville  circulaire,  destiné  à 
l'agrandissement  de  cette  cité; 
mais  on  préféra  le  projet  de  Per- 
rache.  Il  construisit,  dans  la  mê- 
rhe  ville,  un  pont  en  bois  qui  por- 
te son  nom,  et  qui  repose  sur  17 


MOR 

arches,  dans  une  longueur  de  640 
pieds  et  une  largeur  de  42.  Cette 
construction,  où  l'élégance  s'unit 
à  la  précision  et  à  la  solidité ,  fut 
approuvée  par  l'école  des  ponts- 
et-chaussées;  et  les  principes  qui 
ont  servi  de  base  à  l'exécution 
font  partie  de  l'enseignement  ac- 
tuel. Le  pont  Morand  a  cela  de 
remarquable ,  «  que  chacune  de 
n  ses  parties  peut  se  démonter  pour 
»être  refaite,  sans  nuire  à  la  so- 
olidité  du  reste  de  l'ouvrage.  »  En 
1773,  Morand  avait  obtenu,  à  la 
recommandation  de  Monsieur  (au- 
jourd'hui Louis  XVIII),  lors  du 
passage  de  ce  prince  dans  cette 
\ille,  la  décoration  de  l'ordre  de 
Saint-Michel.  En  1793,  pendant  le 
siège  de  Lyon,  Morand  défendit 
avec  succès  le  pont  qu'il  avait 
construit,  contre  une  espèce  de 
machine  infernale  destinée  à  le 
détruire.  Après  le  siège ,  il  fut  ar- 
rêté et  condamné  à  mort,  le  24 
janvier  i7q4'  Indépendamment 
de  son  mérite  comme  artiste,  c'é- 
tait un  homme  probe  et  de  mœurs 
irréprochables. 

MORANDE  (N.  TaÉVEîfOT  de), 
folliculaire  qui  prétendit  répéter 
en  France  le  rôle  que  l'Arétin  a- 
vait  joué  en  Italie,  en  faisant  a- 
cheter  son  silence  par  ceux  qui 
avaient  quelque  chose  à  craindre 
du  cynisme  de  s;i  plume.  Quoique 
né  d'une  bonne  famille  d'Arna^'- 
le-Duc,  en  Bourgogne,  Morande 
annonça  de  très -bonne  heure  ses 
dispositions  à  une  vie  aventu- 
reuse. S'étant  engagé  dans  un 
régiment  de  dragons  ,  il  en  fut 
retiré  par  sa  famille,  qui  le  desti- 
nait a»i  barreau  ;  mais  il  ne  profita 
de  la  liberté  qui  lui  était  rendue, 
que  pour  s'échapper  une  seconde 


MOR 


io5 


fois  de  la  maison  paternelle ,  et 
venir  à  Paris,  se  livrer  à  toutes 
sortes  de  débordemens.  Le  scan- 
dale de  sa  conduite  força  son  père 
à  le  faire  enfermer  dans  la  maison 
de  détention  d'Armentières.  Après 
une  assez  longue  captivité  ,   qui 
n'apporta  aucun  changement  dans 
ses  mœurs,  il  passa  en  Angleterre, 
où  il  continua  le  genre  de  rie  qu  il 
avait  mené  à  Paris.   Là,  sous  le 
titre  de  Gazetier  cuirassé ,  il  en- 
treprit la  publication  d'un  recueil 
périodique ,   non-seulement    d'a- 
necdotes scandaleuses  de  la  cour 
de  Louis  XV,  mais  encore  de  dé- 
nigrement des  personnes  les  plus 
recommandables,    afin   d'en  tirer 
de  l'argent;  car  sa  haine  pour  les 
vices  qu'il  se  plaisait  à  dévoiler, 
n'était  pas  si  forte  qu'elle  ne  se 
laissât  souvent  désarmer  par  l'ap- 
pât du  gain.  M""  Dubarry,  mena- 
cée de  la  publication  d'une  satire 
où  elle  était  fort  maltraitée  ,   se 
trouva    trop    heureuse    d'acheter 
son  silence  par   une   pension   de 
4000  fr.  Parmi  les  hommes  célè- 
bres qu'il   prit  pour  but   de  ses 
traits,  on  cite  Voltaire;  mais  cet 
immortel  écrivain  dédaigna  de  ré- 
pondre aux  menaces  du   follicu- 
laire.   Dès  les  premiers  momens 
de  la  révolution,  Morande  revint 
à   Paris,  où  bientôt  il   fut  arrêté 
par  suite    de  ses  nouvelle.*  intri- 
gues. Il  périt  dans  les  massacres  des 
prisons  aux  9.  et  3  septembre  1792. 
Parmi  les  écrits  les  plus  scandaleux 
qui  sortirent  de  sa  plume,  on  cite  : 
1°  ses   Mélanges    confus   sur  des 
matières  fort  claires,   et  le  philo- 
sophe cynique,  Londres,  1771;  3* 
le    Gazetier    cuirassé ,    Londres, 
1772-1775;  3°  le  Courrier  de  l'Eu- 
ropc  ;  4*  l*  Argus  politique ,  Paris, 


io{i 


MOU 


1791-1 792.  II  avait  publié,  avant  la 
révolution,  sous  le  titre  de  :  le 
Diable  dans  un  bénitier,  un  pam- 
phlet anonyme  qu'il  attribua  à 
Brissot,  et  qui  valut  à  celui-ci 
d'être  enfermé  à  la  Bastille,  jus- 
qu'à ce  que  le  crédit  de  M°"  de 
Genlis  parvint  à  faire  reconnaître 
la  fausseté  de  l'accusation. 

MORANDO  (FÉlice),  pharma- 
cien à  Gênes,  fut  l'un  des  fonda- 
teurs de  la  république  lygurienne. 
Lorsqu'on  projeta  d'introduire  à 
Gênes  les  principes  de  la  révolu- 
tion française,  la  maison  Moran- 
do  devint  le  rendez-vous  des  parti- 
sans de  la  France,  et  le  lieu  secret 
où  ils  tenaient  leurs  assemblées. 
Le  corps-législatif  lygurien  rendit, 
en  1798,  un  décret  qui  reconnut 
Morando  premier  fondateur  de  la 
liberté  lyguriençe,  et  consacra  sa 
maison,  comme  le  berceau  de  cette 
liberté. 

MORANGIÈS  (le  baron  Jean- 
Baptiste  ) ,  maréchal  -  de  -  camp  , 
commandant  de  la  légion-d'hon- 
neur, est  né  à  Brioude,  départe- 
qaent  de  la  Haute-Loire,  en  no- 
vembre 1758.  11  embrassa  la  pro- 
fession des  armes  dès  Ttlge  de  17 
ans,  et  se  distingua  dans  les  pre- 
mières guerres  de  la  révolution, 
plus  particulièrement  en  Italie  et 
en  Orient,  et  parvint  rapidement 
aux  premiers  grades.  Blessé  dan- 
gereusement sous  les  murs  de  Mi- 
lan, il  fut  fait  prisonnier,  et  échan- 
gé quelque  temps  après.  Des  pri- 
sons d'Italie,  il  passa,  avec  le  gé- 
néral en  chef  Bonaparte,  en  Egyp- 
te; perdit  successivement  les  deux 
bras  aux  batailles  d'Aboukir  et 
d'Alexandrie  ;  fut  nommé  général 
de  brigade  en  1801;  commandant 
de  la  légion-d'honneur,  le  1.4  juin 


MOR 

i8o5,  et  depuis  commandant  de  hi 
place  de  Gênes,  enfin  chevalier  de 
Saint- Louis,  le  11  septembre 
1814.  Le  général  Morangiès,  qui 
se  trouvait  dans  le  département 
du  Var  au  mois  de  mars  181 5, 
voulut,  à  la  tête  de  quelques  gar- 
des nationales,  s'opposer  à  la  mar- 
che de  Napoléon  sur  Paris.  Néan- 
moins, le  général  iMorangiès  fut 
employé  dans  la  8°'  division  mili- 
taire. Il  est  rentré  dans  la  vie  pri- 
vée, après  la  seconde  restauration. 
MORARD  DE  GALLES  (le 
comte),  amiral,  membre  du  sénat, 
grand-officier  de  la  légion -d'hon- 
neur, naquit  dans  la  ci-devant 
province  du  Dauphiné  ,  d'une  fa- 
mille noble,  mais  peu  riche;  il 
voulut  marcher  sur  les  traces  de 
ses  frères,  qui  tous  servaient  ho- 
norablement, et  entra  de  bonne 
heure  dans  les  compagnies  rouges 
de  la  maison  du  roi.  Dégoûté  bien- 
tôt d'un  service  peu  compatible  a- 
vec  son  avidité  de  gloire  et  de 
dangers,  il  demanda  et  obtint  de 
l'activité  daris  la  marine  royale. 
Il  parcourut  rapidement  les  grades 
inférieurs,  et  se  distingua  plusieurs 
fois  par  sa  bonne  conduite,  ses  la- 
lens  et  son  courage.  Il  fit,  comme 
lieutenant  de  vaisseau,  les  campa- 
gnes d'Amérique,  sous  les  ordres 
du  bailli  de  Sulfren,  et  donna  plus 
d'une  fois  dans  cette  guerre  si  glo- 
rieuse pour  nos  armes,  des  preu- 
ves de  la  plus  brillante  valeur.  Le 
vaisseau  (ju'il  montait  se  trouva 
un  jour  séparé  de  l'escadre  et  en- 
touré par  cinq  bâlimens  ennemis: 
les  premiers  coups  de  canon  rom- 
pirent les  manœuvres  et  enlevè- 
rent le  commandant;  mais  le  bra- 
ve Morard,  quoique  couvert  de 
blessures,  continue  à  faire  la  plu» 


MOR 

vigoureuse  résistance,  et  parvient 
à  rejoindre  l'escadre,  après  avoir 
causé  de  js^randes  pertes  à  l'enne- 
mi. Le  grade  de  capitaine  du  vais- 
seau qu'il  venait  de  sauver,  fut  la 
récompense  de  cette  action.  Lors- 
que la  révolution  éclata,  il  n'aban- 
donna point  sa  patrie,  qu'il  eut 
encfire  le  bonheur  de  servir  dans 
quelques  occasions.  Il  parvint  au 
grade  de  vice-amiral,  et  comman- 
dait, en  celle  qualité,  une  des  es- 
cadres de  la  grande  flotte  destinée 
à  débarquer,  sur  les  côte^^  d'Irlan- 
de, les  troupes  du  général  Hoche. 
Il  partit  de  Brest,  à  la  tête  de  sa 
division,  le  i5  décembre  i^cjj, 
mais  les  vents  contraires  le  forcè- 
rent de  rentrer  à  Rochefort,  le  17 
janvier  suivant,  après  avoir  vu 
disperser,  par  la  tempête,  la  plu- 
part de  ses  vaisseaux.  Cette  expé- 
dition malheureuse  lui  valut  une 
espèce  de  disgrâce  qui  dura  jus- 
qu'au 9  novembre  1799.  Nommé 
membre  du  sénat,  dès  cette  épo- 
qiie ,  il  en  devint  secrétaire  en 
i8o3.  et  obtint,  l'année  suivante, 
la  sénatorerie  de  Limoges  et  le 
cordon  de  grand-officier  de  la  lé- 
gion-dhonneur.  Il  s'était  retiré  à 
Guéret  (  département  de  la  Creu- 
se), où  il  mourut  le  25  juillet 
1809,  emportant  l'estime  et  les 
regrets  de  ses  concitoyens.  Le 
conseil  municipal,  voulant  rendre 
à  la  mémoire  de  cet  honorable 
marin' nu  hommage  digne  de  lui, 
a  fait  ériger  un  moniiment  aux 
frais  de  la  commune. 

MURAS  (  (ÏASPiRo),  capitaine 
de  vaisseau,  oilicier  de  la  légion- 
d'bonueur,  chevalier  de  Sainl- 
Louis,  est  né  à  Boulogne-sur-Mer, 
département  du  Pas-de-Cabis,  au 
mois  de  janvier  1772.   Sou  père, 


MOR 


lo- 


originaire  de  la  ci-devant  province 
de  Franche-Comté,  était  chirur- 
gien-major du  régiment  de  Fo- 
rez ,  et  médecin  des  hôpitaux  ci- 
vils et  militaires  de  Boulogne-sur- 
Mer.  M.  Moras  entra  comme  vo- 
lontaire dans  la  marine,  et  parvint 
successivement  au  grade  de  capi- 
taine de  vaisseau  ;  il  avait  été  ad- 
judant -  particulier  des  amiraux 
Villaret-Joyeuse,  Morard  de  Gal- 
les et  Bruix.  Le  général  Hoche  , 
appréciant  son  mérfle,  le  chargea, 
lors  de  l'espédilion  d'Irlande,  de 
relever  les  plans  des  divers  mouil- 
lages ,  à  prendre  par  l'armée  na- 
vale dans  la  baie  de  Bantry  et  la 
rivière  de  Schanon  ,  où  devait 
s'opérer  le  débarquement.  M.  Mo- 
ras a  comuiandé  des  bâlimens  de 
tout  rang,  et  reçu  des  félicitations 
du  gouvernement  pour  sa  con- 
duite dans  les  combats  des  mois 
de  prairial  et  messidor  an  3.  Sous- 
chef  d'état-major  de  la  flottille,  et 
par  suite  colonel  de  divers  régi- 
mens  de  marine,  il  s'est  distingué 
dans  tous  les  emplois.  Atteint  par 
les  épurations  de  i8i5  ,  il  perdit 
son  état,  au  licenciement  de  son 
régiment  composé  d'anciens  pri- 
sonniers de  guerre  ,  surnommés 
les  Romains  de  Pontons  ,  et  fut 
admis  à  prendre  sa  retraite  après 
12  ans  d'activité,  comme  capitaine 
de  vaisseau.  Rentré  dans  la  vie 
privée,  M.  Moras  a  prouvé  dauà 
les  fonctions  gratuites  d'adminis- 
trateur des  hospices,  ce  que  peu- 
vent ajouter  à  l'éclat  des  fonctions 
militaires,  des  connaissances  éten- 
dues en  administration,  et  les  sen- 
timens  les  plus  humains.  Son  zèle, 
l'ordre  et  l'économie  qu'il  a  con- 
tribué à  ramener  dans  ces  établis- 
semens  et  le  bien  qu'il  y  a  fait , 


io8 


MOR 


ont  porté  le  minisire  de  l'intérieur 
à  lui  décerner  le  titre  de  membre 
honoraire  de  la  commission.  Les 
frères  de  M.  Moras  ayant  suivi  la 
carrière  de  leur  père,  n'ont  pas 
été  moins  utiles  à  l'état  qu'à  l'hu- 
manité. 

MORAS  (Louis-Acgcste),  mé- 
decin en  chef  de  l'expédition  des 
Indes-Orienlales,  fit  d'excellentes 
études  sous  le  savant  oratorien 
Daunou,  et  suivit  avec  le  même 
succès  les  cours  de  matière  médi- 
cale et  d'anatomie  de  M.  Daunou, 
père,  médecin  recommandable  de 
BouIogne-sur-Mer.  D'élève  méde- 
cin de  la  marine,  il  passa  médecin 
à  l'armée  des  Alpes,  et  fut  ensuite 
nommé  médecin  en  chef  de  l'ex- 
pédition des  Indes-Orientales.  Il 
a  laissé  de  ses  campagnes  ,  à  la 
côte  d'Afrique  et  aux  Antilles,  plu- 
sieurs Mémoires  sur  le  meilleur 
traitement  à  employer  dans  les 
maladies  graves  de  ces  climats. 
Les  savantes  réflexions  qu'ils  ren- 
ferment ont  fait  apprécier  l'éten- 
<lue  de  ses  connaissances  par  feu 
M.  Poissonnier,  médecin-inspec- 
teur des  hôpitaux  de  la  marine,  et 
par  les  membres  du  conseil  de 
santé  des  armées.  Il  a  terminé  sa 
carrière  en  1817,  au  service  des 
établissemens  de  charité. 

MORAS  (François), chirurgien- 
ïTiajor  de  la  frégate  la  Perdrix,  se 
trouvait  avec  deux  officiers  de  ce 
hiitiment  dans  un  canot  qui  traver- 
sait la  rivière  de  New- York,  pour 
aller  à  Longue-Islande.  Celle  em- 
barcation chavira  par  la  force  du 
vent  et  du  courant.  Assez  heureux 
pour  échapper  à  ce  danger,  le  gé- 
néreux Moras  voulut  sauver  l'un 
des  deux  officiers,  et  périt  étouffé 
dans  les  bras  de  celui-là  même 


MOR 

qu'il  cherchait  à  soustraire  à  la 
mort. 

MORAS(.Toseph-He58i),  ancien 
chirurgien-major  du  16'  de  ligne, 
des  bataillons  Corses  réunis  ,  et 
du  régiment  de  Walcheren,  mem- 
bre de  la  légion-d'honneur,  a  fait 
toutes  les  campagnes  de  la  ré- 
volution, et  n'a  quitté  le  service 
qu'en  1821,  en  passant,  d'après  sa 
demande  ,  de  l'état  *ë  disponibi- 
lité à  la  retraite.  Il  montra  autant 
d'ardeur  sur  le  champ  de  bataille 
que  de  talens  et  d'humanité  à  se- 
courir les  blessés.  Son  ïèle  et  son 
dévouement  furent  remarqués  de 
l'empereur,  qui ,  à  l'aflaire  d'Hei- 
berg ,  le  décora  de  la  croix  de  la 
légion-d'honneur  pour  avoir  sau- 
vé dans  la  mêlée  l'aigle  de  son 
régiment.  C'est  avec  un  juste  sen-» 
timent  d'orgueil  national  qu'on 
remarque  que  tous  les  membres 
de  cette  famille  se  sont  montrés 
constamment  dévoués  à  l'huma- 
nité et  à  la  patrie. 

xMORATIN  (  DON  Leandro- 
Fernandez),  auteur  dramatique, 
suinommé  le  Molière  espagnol, 
est  né  à  .Madrid;  son  père,  qui  était 
un  poète  lyrique  distingué,  le  gui- 
da dans  la  carrière  littéraire,  où 
bientôt  il  concourut  pour  les  deux 
prix  proposés  par  l'académie  roya- 
le, et  les  remporta  tous  deux;  le 
sujet  de  l'un  était  un  petit  poëme 
épique  intitulé  :  Grenada  rendida 
(Grenade  reconquise),  et  celui  de 
l'autre  une  satire  sur  la  corruption 
de  la  langue  espagnole.  Doué  de 
tontes  les  qualités  propres  à  deve- 
nir un  premier  poète  comique,  il 
fut  surtout  un  excellent  observa- 
teur. Enthousiaste  de  Molière, 
qu'il  relisait  sans  cesse,  il  était  gui- 
dé par  cet  immortel  géuie,  lor!>- 


MOR 

qu'il  n'était  pas  inspiré  par  la  na- 
ture. Il  disait  souvent  «que  la  na- 
wture  et  Molière  étaient  inimita- 
wbles.  •>  Touchant  hommage  que  le 
Molière  ilaVien  [voyez  Goldom),  a- 
vait  déjà  rendu  à  noire  célèbre 
comique.  M.  Muratin  donna  suc- 
cessivement et  fit  imprimer  cinq 
comédies.  Ce  sont  :  le  Café , 
le  Baron  ,  la  Jeune  Hypocrite ,  le 
Vieux  Mari  et  la  Jeune  femme  ,  le 
Oui  des  jeunes  filles,  etc.  La  mo- 
rale de  toutes  ces  pièces  est  excel- 
lente; cependant  la  dernière  n"a 
pu  échapper  à  la  censure  de  1  in- 
quisition, qui  l'a  mi^eàVindex.  M. 
Moratm  a  voulu  peindre  les  clas- 
ses moyennes  de  la  société  en  Es- 
pagne ;  il  a  représenté,  sous  les 
couleurs  les  plus  vraies  et  les  plus 
plaisantes,  leurs  mœurs,  leurs  ha- 
bitudes, leurs  idées,  leurs  travers 
et  leurs  vices,  et  jamais  il  ne  bles- 
se le  goût  ni  les  règles  de  l'art; 
son  style  est  pur,  gracieux  et  origi- 
nal, mais  comme  celui  de  Cervan- 
tes il  offre  de  grandes  difficultés 
aux  traducteurs.  M.  Moratin  a 
constamment  flétri  le  vice,  et  fait 
aimer  la  vertu,  en  la  rendant  tou- 
chante et  aimable.  Il  a  traduit  en 
espagnol  deux  comédies  de  Moliè- 
re, V Ecole  des  Maris  et  le  Médecin 
malgré  lui,  et  l'a  fait  en  homme  de 
goût;  il  a  encore  traduit  Hamlet, 
de  Shakespeare,  et  y  a  joint  des 
notes  critiques  et  la  vie  du  poète 
anglais:  on  y  reconnaît  l'impartia- 
lité, ia  pralondeur  et  les  lumières 
d'un  véritable  littérateur.  M.  Mo- 
ratin avait  voyagé  eu  France,  en 
Angleterre  et  en  Italie,  et  il  n'est 
pas  douteux  que  son  esprit  judi- 
cieux ne  se  soit  beaucoup  exercé 
dans  ses  voyages  ,  et  n'ait  recueilli 
une    foule  de  matériaux   dont   sa 


MOR  109 

féconde  imagination  aura  su  ti- 
rer le  plus  grand  parti;  mais  à  son 
retour  dans  sa  patrie,  une  nouvelle 
carrière  s'ouvrit  pour  lui.  Il  fut 
nommé  ,  par  Charles  IV ,  chef  du 
bureau  de  l'interprétation  des  lan- 
gues et  membre  honoraire  du  con- 
seil royal.  Il  conserva  sous  le  gou- 
vernement du  roi  Joseph  Napo- 
léon, sa  dignité  de  membre  hono- 
raire du  conseil,  et  devint  chef  de 
la  bibliothèque  royale.  Les  trou- 
bles qui  succédèrent  à  ces  pre- 
miers momens  n'ayant  fait  qu'aug- 
menter dans  la  suite ,  il  se  déter- 
mina à  quitter  l'Espagne,  et  à  se 
fixer  à  Paris.  Les  lettres  avaient 
fait  jusque-là  son  bonheur  et  sa 
prospérité;  elles  le  suivirent  dans 
sa  retraite,  et  furent  sa  consola- 
tion. Il  s'y  est  occupé  à  élever  un 
monument  à  la  gloire  de  feu  don 
Nicolas  Moratin,  son  père,  en  pu- 
bliant plusieurs  de  ses  poésies.  II 
y  a  aussi  préparé  une  seconde  édi- 
tion de  ses  propres  ouvrages  dra- 
matiques et  lyriques  ;  enfin,  il  y  a 
composé  une  Zfis/oire  littéraire  du 
théâtre  espagnol  depuis  son  origi- 
ne. Personne  n'est  plus  en  état 
que  M.  Moratin  de  donner  à  cet 
ouvrage  toute  la  perfection  dont  il 
est  susceptible;  on  doit  regarder 
comme  une  garantie  certaine  de 
son  succès,  l'esprit  de  critique  et 
les  connaissances  profondes  qui  dis- 
tinguent cet  estimable  auteur. 

MORAWITZKY  (HEsai-TflÉo- 
DoaE ,  COMTE  TopoB  ) ,  savaut  di- 
plomate, naquit  à  Munich,  le  3i 
octobre  i^Sd.  Après  avoir  fait  de 
très-bonnes  études  au  collège  d'In- 
golstadt,  il  voyagea  quelque  temps 
en  France  et  en  Allemagne,  et  fut 
nommé,  à  son  retour,  conseiller 
de  la  cour.  Mais  ne  pouvant  ré- 


1 10  MOR 

sister  au  désir  de  vivre  auprès  de 
sou  père ,  président  de  la  régence 
à  Aniberg,  il  obtint  un  emploi 
dans  cette  régence,  avec  la  faveur 
de  conserver  son  titre  de  conseil- 
ler, et  la  dispense  de  résidence. 
Rappelé  à  son  poste  en  1764, 
il  fut  nommé ,  bientôt  après  , 
membre  du  conseil  de  révision 
et  de  l'académie  des  sciences  de 
Municb.  En  1776,  vice-président 
du  conseil  de  la  cour,  il  passa  en- 
suite à  la  chambre  des  finances,  et 
fut  désigné,  par  l'électeur  Charles- 
Théodore  ,  pour  présider  la  hau- 
te-régence que  ce  prince  venait 
d'instituer.  Mais  Morawitzky  sacri- 
fiabientôt  l'ambition  à  l'amour  des 
sciences;  il  se  retira  à  Bibourg  en 
1 791 ,  où  il  vécut  totalement  étran- 
ger aux  affaires  publiques  jusqu'en 
1797.  A  cette  époque  cependant 
il  accepta  le  titre  de  ministre  plé- 
ûipotentiaire  de  sa  cour  au  con- 
grès de  Rastadt.  Le  nouveau  roi 
de  Bavière,  charmé  de  l'habileté 
et  de  la  prudence  que  venait  de 
déployer  ce  diplomate ,  lui  conféra 
le  titre  de  ministre  d'état  et  des 
conférences ,  et  la  direction  des 
affaires  ecclésiastiques.  Chargé  , 
par  intérim,  du  portefeuille  de  la 
police  et  de  la  justice,  au  com- 
mencement de  l'année  1806,  il 
fut  définitivement  nommé  minis- 
tre de  ce  dernier  département  le 
24  octobre  de  !a  même  année.  Les 
services  signalés  que  le  comte 
Morawitzky  rendit  à  sa  patrie  dans 
une  foule  de  missions  importan- 
tes, lui  valurent  successivement 
la  décoration  de  l'ordre  de  Saint- 
Hubert,  la  grand-croix  du  mérite 
civil  de  la  couronne  de  Bavière, 
et  celle  de  la  légion-d'honneur. 
Enfin  il  fut  chargé  provisoirement, 


MOR 

en  1810,  des  portefeuilles  des  fi- 
nances, de  l'intérieur,  et  des  re- 
lations étrangères ,  en  l'absence 
du  comte  de  Montgelas  {voyez 
MoNTGELAs);  il  soutiut  honorable- 
ment ce  surcroît  de  travaux  mal- 
gré son  grand  âge,  mais  sa  santé 
s'affaiblit  considérablement,  et  il 
mourut  au  commencement  de 
l'année  suivante. 

MORCELLI  (le  P.  IiItiesne- 
Antoi>eJ  ,  jésuite,  célèbre  archéo- 
logue italien,  naquit  à  Chiari, 
dans  le  Brescian ,  vers  1757?  et 
mourut  dans  la  ville  où  il  était  né, 
le  1"  juin  1821.  Admis,  jeune 
encore ,  dans  la  société  des  jésui- 
tes, il  s'y  distingua  par  son  zèle 
pour  l'étudu  ,  et  devint  professeur 
de  rhétorique  du  collège  de  Ro- 
me. Il  était  préfet  du  musée  Kir- 
c/ieriano,  où  ses  connaissances  en 
théologie  l'avaient  fait  nommer, 
lorsque  la  trop  fameuse  société  à 
laquelle  il  appartenait,  fut  suppri- 
mée. Il  eut  à  celte  époque  à  choi- 
sir entre  les  princes  de  la  maison 
Albani ,  qui  voulaient  l'avoir  pour 
bibliothécaire,  et  ses  concitoyens, 
qui  lui  offraient  la  prévôté  de  leur 
église  principale.  Le  choix  du  P. 
Morcelli  ne  fut  pas  un  instant  dou- 
teux; ce  savant  retourna  à  Chiari, 
et  y  exerça  jusqu'à  sa  mort,  c'est- 
à-dire  pendant  plus  de  trente  ans, 
les  fonctions  modestes,  mais  ho- 
norables, qu'il  devait  à  l'estime 
et  à  l'amitié  de  ceux  qui  l'avaient 
vu  naître.  En  relation  avec  les 
principaux  savans  de  l'Italie  ,  il  a 
formé  plusieurs  élèves,  cnti'e  au- 
tres le  docteur  Labus,  devenu  son 
ami ,  et  qui ,  dans  les  quatre  vers 
latins  que  nous  allons  rapporter, 
fait  allusion  aux  quatre  principaux 
ouvrages  du  P.  Morcelli  : 


1 


Mon 

DuUia  cm  Joett  iUiariuit  earmint  muutj 
Cui  Laiijs  rctus  litulos  afture  rtaisui, 
HxUi^o^uc  aeait  Grai-s  pcnttrat  rectsius 
■^frorum  sacTos  nunc  àat  dejciberc  fastot. 

•  Le  premier  vers  ,   dit   l'auteur 
d'une   Notice  sur  ce  savant  ,  in- 
dique   d'une   manière    générale  , 
des  poésies  et  autres  opuscules  ; 
le  second,  rappelle  son  ouvrage  : 
De  stylo  inscriptionum  latinarum 
tibri  très ,  Rome,    1780,  in- fol. 
L'abbé  Roberli  estimait  que   cet 
écrit  vivrait  dans  le  monde  tant 
qu'on    y    estimera    ou    qu'on   y 
conservera  'a  mémoire   du  siècle 
d'or.    Lanzi    l'appelait     un    titre 
d'or;  et  le  cardinal  Garampi  pré- 
tendait que  l'on  ne  pourrait  pas 
taire    une   mauvaise  inscription, 
si  on  le  lisait  avant  de  la   com- 
poser.  L'auteur   publia  ,   l'année 
suivante ,    un    supplément    sous 
ce  titre  :  Inscriptiones    commen- 
tariis  subjectis ,  Rome,  1780,  in- 
4"-    Le  second    vers   du   docteur 
Labus  est  relatif  à  un  autre  ou- 
vrage publié  sous   ce  titre  :  Ser- 
inonum  tibri  duo,  Rome,  1784, 
io-8°.     On  y  ti'ouve  des   poésies 
qui  semblent  écrites  par  Horace 
lui-même.  Le  troisième  vers  fait 
allusion  à  deux  autres  oiîvrages, 
dont  l'un  a  pour  titre  :  Kalenda- 
rium     ecclcsice     Constantinopoli- 
lanœ,  Rome,   1788  ,  in-4%  et  l'au- 
ti"e  ,  S.  Gregorii  secundi  pontifî- 
cis    Agriqentinorum    iihri    decem 
«xplanationis  ecclesiasticœ  ,  grœcè 
primum  ,  et  f.um  latinâ  interpre- 
tutione  ac  commentariis  ru/gati  , 
quibus  prœposita  est  vita  ejnsdem 
pontificis  à  Leontio  Monacito  srrip- 
ta  nec  fiactenàs  grœcè  édita  ,  Ve- 
nise ,  1791.  Enfin  ,  le  quatrième 
vers  nous  apprend  que  le  P.  Mor- 
relii  avait  encore  en  porlcfeuiMe 
un  manuscrit  considérablr ,  que 


MOR  111 

les  coonaisseur»  regardent  com- 
me le  plus  précieux  de  ses  écrits; 
il  a  pour  titre  :  Africa  christiana, 
et  il  a  été  imprimé  depuis  ,  Rres- 
cia,  1S17,  in-i".  »  Le  docteur  La- 
bus a  publié.  Milan,  1816,  deux 
dissertations  du  P.  Morcelli,  et  il 
y  a  ajouté  des  notes,  l'une  est  Suit' 
agone  Capitolino,  et  l'autre,  Salla 
Botta  d'oro  de'  fanciulli  romani. 
On  doit  encore  au  docteur  Labus, 
la  publication  de  l'opuscule  du 
même  auteur,  qui  a  pour  titre  : 
Steph.  Antonii  Morcetli  Micfiaelis 
site  Dies  festi  principis  angetorum 
apud  Clarenses,  Milan,  181 7.  Cet 
éditeur  zélé,  qui  avait  déjà  inséré 
dans  le  n""  i3  de  la  Bibliotfiéquc 
italienne,  un  long  extrait  d'une 
autre  dissertation  du  P.  Morcelli, 
a  encore  publié  celte  dissertation 
en  entier,  ainsi  que  quatre  autres 
du  même  antiquaire,  sur  l'écriture 
des  Romains. 

MORE  (Miss  Ha»-ah),  née  aux 
environs  de  Bristol,  est  fille  d'un 
ministre  protestant  qui  tenait  une 
école.  Cette  demoiselle  fit  de  bon- 
nes études,  et  forma  elle-même 
une  maison  d'éducation  qu'elle 
dirigeait  avec  ses  sœurs.  C'est 
dans  la  société  du  célèbre  Garrick, 
qu'elle  puisa  le  goût  de  la  littéra- 
ture dramatique,  et  elle  composa 
un  grand  nombre  de  pièces  de 
théâtre;  mais  ses  sentimens  reli- 
gieux ne  lui  permirent  pas  de  le» 
laisser  jouer,  dans  la  craintequela 
représentation  n'en  fût  dangereu- 
se. Les  produits  de  son  établisse- 
ment, et  le  débit  prodigieux  de 
ses  ouvrages  ,  lui  ayant  procuré 
une  honorable  aisance,  elle  re- 
nonça à  la  carrière  de  l'enseigne- 
ment, pour  se  livrer  tout  entière 
à  la  culture  des  lettres  et  à  la  pra- 


112 


MOR 


tique  de  la  bienfaisance.  Retirée  à 
Mendip,  au  milieu  d'une  popula- 
tion  pauvre   et  laborieuse ,   elle 
fonda,  avec  ses  sœurs,  plus  de  60 
écoles  de  charité,  malgré  les  obs- 
tacles qu'apportèrent,   à  la  créa- 
tion de  ces  établissemens,  quel- 
ques   ecclésiastiques    dont,   sans 
doute,  ils  froissaient  les  intérêts. 
Parmi    les   productions   de   iVliss 
More ,  ses  Drames  sacrés  et  son 
É pitre  sur  la  sensibilité ,  ont  eu 
dix-sept  éditions,  depuis  1782  jus- 
qu'en 1812;  Cœlebs  cherchant  une 
épouse,  imprimé  en  1809,   a  vol. 
in-8°,  en  a  eu  dix  dans  une  seule 
année.    Enfin  ses  tragédies,    ses 
drames,  ses  contes,  ses  poèmes  en 
vers  et  en  prose ,  ont  eu  un  suc- 
cès populaire.  Nous  citerons  par- 
mi les  ouvrages  de  miss  31ore  :  i" 
Remarques  sur  le  discours  pronon- 
cé à  la  convention  nationale,  par 
M.  Dupont,  sur  la  religion  et  l'é- 
ducation ,   in-8'',  1 795  ;  a°  Essai 
sur  le  système   moderne  d'éduca- 
tion des  filles,    2  vol.,   1799;   3° 
Idées  sur  le   mode  à  suivre  pour 
former    le   caractère    d'une  Jeune 
princesse,  2  vol.,  i8o5.  Cet  ou- 
vrage  avait  pour  but  de  recher- 
cher le  meilleur  système  à  adopter 
dans  l'éducation  de  la  princesse 
Charlotte.  4°  Piété- pratique,   ou 
influence  de  la  religion   du  cœur 
sur  la  conduite  de  la  vie,   2  vol. 
(huit  éditions,  1811-1812);  5°  Essai 
sur  le  caractère  des  écrits  de  Saint- 
Paul,  2  vol.,  i8i3. 

MOREAU    (Jean-Victor),   un 
/  des  plus  anciens  et  des  plus  célè- 

'  bres  généraux  de  la  république 
française,  naquit  à  iVIorlaix,  en 
Bretagne,  le  11  août  i7()3.  Son 
père  ,  homme  de  bien ,  avocat 
très-estimé,    et  que  le  peuple  de 


MOR 

Morlaix  appelait  le  père  des  pau- 
vres ,  destinait  son  fils  à  la  carriè- 
re judiciaire.   Moreau  fit  de  très- 
bonnes  éludes;  mais  entraîné  par 
une    vocation    décidée    pour    les 
armes,  il  interrompit  tout-à-coup 
son  cours  de  droit,   et  s'engagea 
dans  un  régiment,  avant  d'avoir 
atteint  sa  iS""  année.  Il  ne  lui  fut 
cependant  pas  permis  alors  de  se 
livrera  sa  passion  dominante.  Son 
père    parvint  à  faire  annuler    un 
engagement    contracté    contre  le 
vœu  de  sa  famille  entière ,  et  le 
jeune  Moreau,    cédant   à   ses  or- 
dres ,   alla  reprendre   l'étude   du 
droit  à  Rennes.    11   s'y  distingua 
bientôt  parmi  tous   ses  camara- 
des ,    par    une    heureuse    apti- 
tude aux  sciences,  des  formes  a- 
gréablcs ,  un   courage   qui   se  si- 
gnala dans  plusieurs  occasions,  et 
les  qualités  personnelles  les  plus 
cstimables.Des  troubles  sérieux  ve- 
naient d'éclater  e«  Bretagne  quel- 
ques années  avant  la  révolution; 
le  cardinal  de  Brienne  avait  voulu 
opérer  de  grands  changemens  dans 
la  magistrature,  et  éprouva  une  ré- 
sistance aussi  opiniâtre  qu'inatten- 
due. Moreau  était  prévôt  de  l'école 
de  droit  deRennes;il  exerçait  la  plus 
grande  influence  sur  toute  la  jeu- 
nesse de  cette  ville,  qui  le  plaça  à 
sa  tête,  et  il  obtint  en  même  temps 
la  confiance  des  membres  les  plus 
distingués  du  parlement.  Pendant 
cette  guerre  singulière,  qui  se  pro- 
longea pendant  plus  de  cinq  mois, 
\e  général  du  parlement  (c'est  ainsi 
qu'on  désignait  Moreau  ),  donna 
de  fréquentes  preuves  signalées  de 
son  intrépidité,  et  en  même  temps 
d'une  sagesse  et  d'une  prudence 
au-dessus  de  son  âge.    Dans  les 
journées  des  26  et  27  janvier  1 787 , 


'^e. 


J3<rrAffr  r,r//t,„,^(.  y,,;,^. 


r^/' 


r^^y^/'^/' 


■^rcff, (/  ,ii,/' ,.t-,i; .gf^ 


MOR 

il  parvint  heureusement,  à  force  de 
zèle  et  en  employant  tout  le  crédit 
qu'il  avait  déjà  acquis  sur  l'esprit 
du  p'uple,  à  calmer  une  émeute 
des  plus  menaçantes  et  à  prévenir 
l'effu^ioQ  du  sang.  Le  gouverneur 
de  la  province  avait  donné  des 
ordres  réitérés  pour  qu'on  arrêtât 
Moreau,  mais  on  tenta  vainement 
de  les  exécuter.  Il  se  montrait 
cependant  tous  les  jours  dans  les 
rues  et  sur  les  places  publiques, 
n'ayant  souvent  avec  lui  qu'une 
faible  escorte  de  jeunes  étudians; 
mais  son  courage  imposait  à  la 
force  ouverte,  et  son  habileté  lui 
fit  éviter  les  embûches  secrètes  qui 
lui  étaient  dressées  Un  de  ses  nom- 
breux historiens  affirme quMl  mon- 
tra alors  une  fermeté  de  caractère 
et  une  loyauté  qui  ne  se  démenti- 
rent jamais.  On  serait  heureux  de 
pouvoir  porter  le  même  jugement 
sur  toutes  les  époques  de  Ha  vie 
d'un  homme  qui  s'est  illustré  à  la 
tête  des  armées  françaises  par 
tant  de  faits  d'armes  glorieux,  par 
des  lalens  militaires  si  éminens.  Kn 
1788,  Moreau  parut  avoir,  sous 
quelques  rapports,  changé  de  sys- 
tème; il  seconda  les  mesures  du 
gouvernement  qui  se  trouvaient 
plus  en  harmonie  avec  ses  propres 
opinions.  Adoptant  les  espérances 
que  la  promesse  d'ime  jirompte 
convocation  des  états- généraux 
avait  fait  naître,  quoique  le  mode 
en  déplût  aux  anciens  nobles  et 
parlementaires  de  la  Bretagne,  le 
général  du  parlement  commanda, 
dès  le  conunencement  de  1789, 
les  réunions  armées,  qu'opposè- 
rent les  villes  de  Rennes  (t  de 
Nantes  à  ce  même  parlement  et  aux 
états  de  Bretagne.  Une  confédéra- 
tion générale  de  la  jeunesse  bre- 

T.   XIV. 


MOR  ij5 

tonne  s'étant  formée  à  Pontivy, 
en  1790,  Moreau  en  fut  nommé 
président;  il  de  vintaussi  comman- 
dant du  premier  bataillon  de  to- 
lontaires  qui  s'organisa  dans  le  dé- 
partement du  Morbihan  ,  et  se  ren- 
dit avec  ce  corps  à  l'armée  duNord. 
Dès  ce  moment,  Moreau  s'occupa 
avec  ardeur  de  la  théorie  comme 
de  la  pratique  de  l'art  militaire,  et 
acquit  ces  hautes  connaissances 
qui  l'ont  fait  distinguer  parmi  les 
meilleurs  tacticiens  de  l'Europe. 
La  nouvelle  de  la  révolution  du  10 
août  179a  arriva  à  l'araiée  du 
Nord  ;  le  i5  du  même  mois  ,  Mo- 
reau et  son  bataillon  y  donnèrent 
leur  adhésion,  et  se  proQoncèrent 
avec  enthousiasme  en  faveur  de 
la  république, lorsqu'elle  fut  décré- 
tée le  22  septembre  de  la  même 
année.  Il  parut  s'être  rallié  fran- 
chement à  ce  système  de  gouver- 
nement jusqu'à  l'époque  du  5i 
mai  1795;  mais  la  chute  du  parti 
de  la  Gironde,  dans  lequel  il  comp- 
tait de  nombreux  amis ,  et  les  ex- 
cès commis  après  cette  désas- 
treuse journée  par  le  parti  vain- 
queur, l'affectèrent  vivement;  ii 
n'accepta  qu'avec  une  extrême 
répugnance,  qu'il  ne  cachait  point 
à  ses  amis ,  la  constitution  de 
1795,  présentée  à  l'armée  dans 
le  mois  de  septembre;  cependant 
sou  bataillon  faisait  chaque  jour 
des  prodiges  sous  ses  ordres,  et  é- 
tait  cité  dans  tous  les  rapports 
c;)mme  un  des  plus  braves  et  des 
mieux  organisés  de  l'armée.  Piche- 
gru,  général  en  chef  de  celle  du 
Nord,  contribua  de  tout  son  pou- 
voir à  la  fortune  militaire  de  Mo- 
reau, qu'il  résolut  de  s'attacher  par 
les  liens  de  la  reconnaissance,  et 
dès  -  lors  s'établit  entre  eux  une 


n4 


MOR 


liaison  inlirae ,  qui  eut  depuis 
des  suites  lunestes  ù  tous  deux. 
Sur  les  demandes  instantes  de  sou 
chef  et  de  son  ami,  Moreau  fut 
nommé  général  de  brigade  à  la 
iin  de  1793,  et  général  de  divi- 
sion le  i4  avril  «794'  1'  cnt  aus- 
sitôt lecommandemeut  d'un  corps 
séparé,  destiné  à  agir  dans  la  Flan- 
dre maritime,  où  il  justifia  la  con- 
fiance du  gouvernement  parla  con- 
duite la  plus  brillante,  s'empara  do 
Menin ,  le  5o  avril ,  après  un  blocus 
de  quatre  jours,  et  d'Ypres  le  17 
juin  ,  après  douze  jours  de  tran- 
chée Ouverte.  Le  29  du  même 
mois,  il  prit  Bruges,  et  dans  le 
mois  suivant,  Ostende,  Nieuport 
et  l'île  de  Cassandria.  Il  attaqua 
ensuite  le  fort  de  l'Écluse,  qui  se 
rendit  par  capitulation  le  26  août. 
Il  est  douloureux  d'avoir  à  rappe- 
ler qu'au  moment  où  le  fils  faisait 
de  si  glorieuses  conquêtes  pour  la 
république ,  la  tête  de  son  véné- 
rable père,  accusé  de  fédéralisme, 
tombait  à  Brest  sous  la  hache  de 
stupides  et  sanguinaires  prescrip- 
teurs. Moreau  continua  cependant 
à  servir  la  république,  et  prit  une 
part  glorieuse  à  cette  mémorable 
campagne  d'hiver  de  1794  ?  pen- 
dant laquelle  il  conunanda  l'aile 
droite  de  l'armée  de  Pichegru , 
qui,  traversant  des  fleuves  et  des 
bras  de  mer  sur  la  glace,  soumit 
toute  la  Hollande.  Ce  fut  aussi 
lui  qui  conçut  un  plan  général  de 
défense  pour  ce  pays,  plan  qui  fut 
adopté  par  le  gouvernement  fran- 
çais, et  dont  l'exécution  fut  con- 
fiée aux  généraux  Daendels  et  Du- 
monceau.  Nommé  au  commande- 
ment en  chef  de  l'armée  du  Rhin 
et  de  la  Moselle,  après  la  retraite 
de  Pichegru,  il  ouvrit,  en  1796, 
une  campagne  devenue  non  moins 


MOR 

fameuse,  qui  fonda  sa  réputation 
militaire,  et  le  couvrit  de  gloire. 
Il  força  d'abord  près  de  Franc- 
kenthal  le  camp  du  général  Wurm - 
ser,  qui  fut  obligé  de  chercher 
sou  salut  sous  les  murs  de  Man- 
heim.  Dans  la  nuit  du  aS  au  24 
juin,  Moreau  fit  passer  le  Rhin  à 
l'armée  française ,  prè.s  de  Stras- 
bourg. Les  troupes  autrichienne» 
qui  se  trouvaient  à  Rehl  fu- 
rent forcées  de  fuir  en  désordre, 
et  ime  partie  tomba  entre  les 
mains  du  vainqueur.  Il  envoya 
ensuite  le  général  Férino  contre 
l'armée  de  Condé,  qui  se  trouvait 
faiblement  soutenue  par  quelques 
petits  corps  autrichiens,  et  qui 
fut  dispersée.  Lui-même  marcha 
contre  la  grande  armée  autrichien- 
ne commandée  par  l'archiduc 
Charles,  et  après  avoir,  par  d'ha- 
biles nAnœuvres,  forcé  à  ki  re- 
traite toutes  les  troupes  qui  occu- 
paient le  Brisgau,  il  alt.iqua  le  prin- 
ce à  Rastadt,  le  G  juilh't,  et  l'olili- 
gea  après  la  plus  opiniâtre  résis- 
tance à  se  retirer  sur  Elllingen  , 
où  il  l'attaqua  de  nouveau  le  9,  et 
le  battit  complètement.  L'archi- 
duc gagna  alors  la  forte  position  de 
Pfortzlieim,  où  il  se  croyait  inex- 
pugnable. Moreau  parvint  cepen- 
dant à  l'en  déloger  le  i5,  et  dès 
ce  moment  il  ne  cessa  de  se  por- 
ter en  avant  pour  pénétrer  dans 
le  cœur  de  l'Allemagne.  Les  gé- 
néraux des  deux  nations  déployè- 
rent dans  toutes  ces  affaires,  des 
talens  remarquables,  et  les  sol- 
dats le  plus  grand  courage.  Mo- 
reau avait  trouvé  tous  ses  géné- 
raux divisionnaires^gnes  de  lui. 
Le  brave  Desaix,  dont  un  trépas 
glorieux  immortalisa  depuis  le 
nom  à  Marengo,  commandait  sous 
lui ,  et  rendit  les  plus  grand.s  ser- 


MOR 

vices;  le  général  Férino  fut  ho- 
norablement cité  dans  tous  les 
rapports,  ainsi  que  tant  d'autres 
chefs  qui  établirent  alors  leur  ré- 
putation dans  une  armée  devenue 
une  pépinière  de  héros.  L'armée 
autrichienne, malgré  ses  nombreu- 
ses défaites,  ne  se  retirait  qu«.»  len- 
tement; elle  fut  encore  vaincue 
à  Constadt,  Berg  et  Ettlingen, 
dans  les  journées  des  18,  21  et  22 
juillet.  Cette  série  de  briilans  suc- 
cès rendit  les  Français  maîtres  de 
tout  le  cours  du  iSecker,  et  ils  en- 
trèrent en  triomphe,  le  5  août, 
dans  la  ville  de  Constance ,  qu'ils 
venaient  d'emporter.  L'archiduc 
Charles  oppo*a  à  la  mauvaise  for- 
tune une  constance  héroïque.  Réu- 
nissant toutes  ses  forces,  il  réso- 
lut de  faire  une  nouvelle  tentative, 
et  attaqua  le  ii ,  au  matin ,  les 
Français  sur  toute  leur  ligne.  Le 
combat  fut  des  plus  acharnés;  dé- 
jà les  avant-postes  de  Moreau  a- 
vaient  été  mis  en  déroute  ,  et 
son  aile  droite  repoussée  jus- 
qu'à Hejrdenheim,  lorsqu'il  vint, 
à  la  tête  d'un  corps  de  réser- 
ve ,  réparer  cet  échec  et  don- 
ner la  main  à  Desaix  ,  qui  triom- 
phait à  la  tête  de  l'aile  gauche.  A- 
prèsij  heures  d'une  lutte  obstinée, 
les  deux  armées  étaient  encore 
en  présence  le  soir,  et  la  victoire 
paraissait  indécise.  Le  général 
français  venait  même  de  donner 
ses  ordres  pour  faire  partir  les 
équipages  de  l'armée,  si  la  retrai- 
te devenait  nécessaire  ;  mais  il  vit 
bientôt,  avec  une  joie  inexprima- 
ble, les  Autrichiens,  qui  avaient 
fait  des  pertes  immenses,  opérer 
la  leur,  et  lui  céder  tout  l'honneur 
de  la  journée.  L'archiduc  Charles 
alla  se  réunir  au  généralWarlens- 


MOR  11  5 

Loben ,  qui  était  dans  une  po« 
sition  dangereuse  en  présence 
du  général  Jourdan.  Moreau  se 
porta  en  avant,  et  se  trouva  bien- 
tôt avoir  en  tête  le  général 
Latour,  qui  recevait  sans  cesse 
des  renforts  considérables.  IlTutta- 
qua  à  Friedberg,  le  battit  complè- 
tement, et  lui  fit  un  grand  nombre 
de  prisonniers.  L'intention  de  Mo- 
reau était  de  passer  le  Danube, 
et  d'aller  au  secours  de  Jourdan, 
qui  avait  fait  une  invasion  paral- 
lèle à  la  sienne  vers  Ratisbonne; 
mais  ce  dernier  venait  d'être  acca- 
blé par  des  forces  supérieures,  et 
son  armée  était  dans  une  déroute 
complète.  La  prudence  exigeait 
alois  que  Moreau  songeât  lui- 
même  à  opérer  sa  retraite.  II  la 
commença  le  11  septembre;  el- 
le fut  longue  et  glorieuse,  et  a 
été  citée  connne  un  des  beaux 
faits  d'armes  qui  aient  illustré  la 
vie  de  ce  général.  Du  fond  de 
l'Allemagne,  il  regagna  les  frontiè- 
res de  la  France  sans  se  laisser 
entamer  par  un  ennemi  supérieur 
en  forces,  et  le  battit  en  plusieu^ 
rencontres.  Au  combat  de  Ribe- 
rach  il  remporta  un  avantage  si- 
gnalé ,  et  tit  plusieurs  régimens 
autrichiens  prisonniers.  Ce  fut  en 
vain  que,  pour  lui  disputer  le 
passage  de  la  Forêt-Noire,  l'archi- 
duc Charles  avait  envoyé  plusieurs 
corps,  pour  le  tourner  et  s'empa- 
rer des  défilés  :  ils  furent  tous 
successivement  battus  et  disper- 
sés. iMoreau  respecta  religieuse- 
ment la  neutralité  de  la  Suisse  , 
que  les  armées  des  coalisés  ont  si 
peu  respectée  depuis,  préférant 
.se  faire  jour  à  travers  la  Forêt- 
Noire  et  multiplier  ses  marches 
pénibles,  plutôt  que  de  viole»  le 


ii6 


MOIV 


territoire  neutre  d'un  peuple  indé- 
pendant. Il  arriva  enfin  intact  sur 
le lUiin,  qu'il  passa  à  Huningueet  à 
Brissach,  conservant  devant  la  pre- 
mière de  ces  places  une  tête  de 
pont,  et  jetant  une  garnison  dans 
le  fort  de  Kehl,  qui  sedél'endil  avec 
la  plus  haute  valeur  et  arrêta  les 
Autrichiens  pendant   deux  mois. 
Ils   perdirent  devant    ce  fort   uVi 
temps  précieux  et  un  nombre  con- 
sidérable d'hommes.  La   tête   de 
pont  de  iluningue,  quoique  do- 
minée par  les  batteries  autrichien- 
nes, offrit  aussi  une  résistance  di- 
gne  d'admiration.  Les   Français, 
qui   s'étaient    creusé   des  habita- 
tions au  sein  de  la  terre,  ne  lais- 
sant que  les  hommes  nécessaires 
à   la   garde   des  redoutes  ,    sem- 
blaient, au  moment  des  attaques, 
renouveler  la  fable  des  soldats  de 
Cadmus.  Au  mois  de  février  1797, 
Moreau    se  rendit   à   Cologne,   y 
réorganisa  l'armée  de  Sambre-et- 
Meuse ,  en  céda  le   commande- 
ment au  général  Hoche,  et  se  re- 
porta sur  le  Haut-Rhin.  Il  passa 
de  nouveau  ce  fleuve  le  20  avril 
en  plein  jour,  et  en  présence  de 
l'armée  autrichienne  rangée  en  ba- 
taille, qu'il  attaqua  et  força  dans 
ses  positions,  lui  fit  4j000  prison- 
niers, enleva  20  pièces  de  canon, 
des  drapeaux,  équipages,  etc.,  et 
reprit,  en  peu  de  jours,  ce  fort  de 
K-ehl,  qui  avait  coûté  à  l'ennemi 
un  siège  de  2  mois  et  l'élite  de 
son  armée.  Le  passage  du  Rhin  a 
mérité  à  son  tour  d'être  cité  par- 
mi les  plus  glorieux  faits  d'armes 
des  armées  françaises.  Les  succès 
de  Moreau  ne  se  seraient    sans 
doute  pas  arrêtés  là ,  si  les  préli- 
minaires de  la  paix  signée  à  Léo- 
ben  ne  fussent  venus  en  interrom- 


MOI\ 

pre  le  cours.  La  république  triom- 
phait à  cette  époque  de  tous  ses 
ennemis  du  dehors,  mais  elle  était 
déchirée  dans  l'intérieur  par  des 
factions  acharnées  qui  s'en  dispu- 
taient les  lambeaux.    Une  vaste 
conspiration,  dont  Pichegru  était 
l'âme,    avait   depuis  long-temps 
été  ourdie  contre  elle  ;  les  preuves 
s'en   trouvaient  depuis   plusieurs 
mois  entre  les  mains  de  Moreau; 
elles   étaient    complètement   éta- 
blies par  une  correspondance  tom- 
bée en  son  pouvoir,  lors  de  la  pri- 
se des  fourgons  du  général  émi- 
gré Klinglin.  Moreau  avait  hésité 
à  les  faire  connaître  au  gouverne- 
ment français  par  suite   de  l'isn- 
cienne    amitié    qui   l'avait   lié   à 
Pichegru,  et  de  la  reconnaissance 
qu'il  avait  vouée   à  ce    général. 
Mais    enfin   le   danger    lui   parut 
pressant;  la  journée  du  18  fructi- 
dor an  5  (4  septembre  1797),  *^"* 
en   le    neutralisant   pour  le  mo- 
ment, mettait  au  grand  jour  les 
périls  dont  la  république  était  me- 
nacée. Moreau  se  détermina  en- 
fin, quoiqu'un   peu   tard,  a  en- 
voyer au  directoire  les  pièces  dont 
il  se   trouvait   possesseur.    Il  fit 
même  arrêter  quelques  personnes 
compromises    par   la   correspon- 
dance  de    Pichegru  ,   et    adressa 
une    proclamation    énergique    à 
l'armée,  pour  l'instruire  de  la  tra- 
hison de  ce  général ,  que  depuis 
lon^-temps  il  n'estimait  plus  :  tel- 
les furent   au  moins  ses  expres- 
sions. La  conduite  de  Moreau  en 
cette  occasion  fut,  connue  il  était 
facile   de  le  prévoir,   hautement 
blâmée  par  les  royalistes,  et  non 
moins   fortement  improuvée   par 
les  républicains.  Ces  derniers  é- 
cartaient    avec     peine    quelque» 


MOR 

îoupçons  de  déloyauté ,  et  ne 
pouvaient  s'empêcher  d'attribuer 
le  long  silence  que  Moreau  avait 
gardé  sur  une  atïaire  aussi  im- 
portante, à  des  vues  secrètes  et 
personnelles,  peu  favorables  à  leur 
cause.  Mandé  à  Paris  par  le  direc- 
toire, il  s'y  rendit  aussitôt;  mais 
les  explicatioiis  qu'il  donna 
n'ayant  pas  satisfait  entièrement 
un  gouvernement  ombrageux,  et 
les  plans  qu'il  proposait  pour  la 
campagne  prochaine  ne  paraissant 
pas  convenir  davantage  ,  il  de- 
manda sa  retraite,  qui  lui  fut  sur- 
le-champ  accordée.  Moreau  s'é- 
tablit alors  dans  une  petite  maison 
située  à  peu  de  distance  de  Paris, 
où  il  vécut  éloigné  des  aflaires,  a- 
▼ec  son  ami,  le  général  Rléber, 
qui  se  trouvait  aussi,  à  cette  épo- 
que, en  disgrâce  auprès  du  gou- 
vernement directorial.  En  i^-gS, 
le  besoin  qu'on  eut  de  chefs  mili- 
taires d'une  habileté  consommée 
fit  encore  avoir  recourra  à  Moreau, 
qui,  acceptant  les  offres  du  gou- 
vernement, rentra  en  activité  de 
service.  Nomcné  d'abord  inspec- 
teur-général ,  il  fit  ensuite  partie 
de  la  commission  établie  pour 
préparer  les  plans  des  opérations 
de  la  campagne  de  1799,  et  fut 
enfin  envoyé  à  l'armée  d'Italie 
commandée  par  Schérer.  Il  y  fut 
témoin  de?  désastres  que  l'impé- 
ritie  d'un  chef  inhabile  attirait  sur 
elle,  et  que  de  meilleurs  conseils 
ne  purent  ni  prévenir  ni  réparer. 
Scliérer  prit  enfin  le  parti  de  se 
retirer  de  sa  personne,  et  remit  à 
Moreau,  avec  le  commandement 
de  l'armée,  le  soin  de  la  sauver. 
Ce  général  proposa  alors  et  fit 
adopter  dans  un  conseil  de  guer- 
re, lavis  de  se  replier  sur  le  Pié- 


MOR  117 

mont;  mais  pour  y  parvenir,  il  fal- 
lait soigneusement  éviter  tout  en- 
ga;rement  sérieux  avec  une  armée 
formidable,  animée  par  ses  der- 
niers succès.  Les  Français  étaient 
réduits  à  25, 000  hommes,  et  en 
avaient  90.000  en  tète,   dont  le 
fameux    Suwarow    dirigeait    les 
raouvemens.     Moreau    n'en    mit 
pas  moins  son  plan  à  exécution. 
Il  rassembla  son  armée  derrière 
l'Adda ,    et  manœuvra  avec  une 
précision  et  une  habileté  admira- 
bles ,   portant  sa  droite   vers   les 
Apennins,    et  formant   un   camp 
retranché  entre  Alexandrie  et  Va- 
lence, derrière  le  Pô  et  le  Tana- 
ro ,  où  il  espérait  que  le  général 
Macdonald.qui  accourait  du  royau- 
me de  Naples ,   pourrait  venir  le 
joindre  avec  son  armée.  Le  1 1  mai, 
il    battit    12,000   Russes   près  de 
Bassignano,  et  passa  la  Bormida. 
Attaqué  par  toutes  les  forces  réu- 
nies de  Suwarow,  il  fut  obligé  de 
changer  sa  direction,  mais  péné- 
tra néanmoins   dans   le  pays    de 
Gènes,  tenant  les  hauteurs  et  les 
passages  des  Apennins,  et  espé- 
rant   bien    reprendre    l'offensive 
dès  qu'il  aurait  opéré  sa  jonction 
avec  l'armée  de  Naples.  Celle-ci 
fut  malheureusement  défaite  dans 
les  sanglantes  journées  de  la  Tré- 
bia  par  Suwarow;  et  Moreau,  qui 
était  sorti  de  Gènes  avec  i5,ooo 
hommes,  qui  avait  battu  le  corps 
autrichien  du  général  Bellegarde, 
débloqué  Tolose  et  poussé   l'en- 
nemi jusqu'à  Voghera,  fut  obligé, 
après  les  désastres  de  Macdonald, 
de  renoncer  à  l'offensive  et  de  se 
retirer  dans  les  Apennins.  Sur  ces 
entrefaites,  le  gouvernement  ap- 
pela Moreau  au  commahdement 
en  chef  de  l'armée  du  Rhin,  et 


ii8 


M  OR 


envoya  le  général  Jou!»ert  pour 
le  remplacer  en  Italie.  Ce  der- 
nier trouva  l'année  en  présence 
de  l'ennemi  et  forcée  à  en  venir  à 
une  bataille;  le  nouveau  chef 
voulut  laisser,  dansla  join-née  qui 
se  préparait,  l'honneur  du  com- 
mandement à  Moreau;  mai?  il  le 
refusa  et  déclara  qu'il  combattrait 
sous  les  ordres  de  Joubert  en  qua- 
lité de  simple  volontaire.  La  mal- 
heureuse bataille  de  Novi  fut  li-" 
vrée,  le  brave  Joubert  y  trouva 
une  mort  glorieuse;  Moreau  cou- 
rut les  plus  grands  dangers,  eut 
trois  chevaux  tués  sous  lui ,  fut 
blessé  à  l'épaule ,  mais  parvint 
heureusement  à  sauver  l'armée. 
S'il  n'avait  pu  arracher  la  victoire 
à  un  ennenii  triple  en  forces,  au 
moins  sut-il  lui  en  dérober  le  fruit, 
etopéra  sa  retraite  avec  unehabilelé 
admirée  de  cet  ennemi  même,  qui 
ne  put  l'entamer.  En  allant  pren- 
dre le  commandement  de  l'armée 
du  Rhin,  Moreau  vint  à  Paris.  Le 
gouvernement  directorial  penchait 
déjà  vers  sa  ruine;  les  partis,  qu'il 
n'avait  su  contenir,  réagissaient 
contre  lui.  Oncrutqu'un  général 
d'une  haute  réputation,  adoré  des 
soldats,  pourrait  rendre  de  l'éner- 
gie et  de  la  considération  au  gou- 
vernement :  on  fit  des  propositions 
à  Moreau,  mais  il  ne  voulut  point 
prendre  part  aux  agitationsciviles, 
oa  du  moins  hésila-t-il  à  jouer  le 
premier  rôle.  Il  ne  larda  pas  mê- 
me à  se  ranger  sous  les  bannières 
du  jeune  vainqueiir  de  l'Italie,  re- 
venu de  l'Egypte  par  une  espèce 
de  miracle,  à  travers  toutes  les 
croisières  anglaises.  Bonaparte 
fixait  alors  les  regards  de  la  Fran- 
ce entière,  et  tous  les  partis  s'a- 
dressèrent en  secret  à  lui.  Moreau 


M  OR 

seconda  efficacement  ce  général 
dans  les  célèbres  journées  des  18 
et  19  brumaire;  mais  il  parut  s'en 
repentir  presque  aussitôt,  et  mon- 
tra quelque  froideur  au  premier 
consul.  Celui-ci  lui  confia  cepen- 
dant le  commandement  des  ar- 
mées du  Danube  et  du  Rhin.  Le 
passage  de  ces  Heuves,  les  combats 
de  Moeskirch,  d'Engen,  de  Mem- 
mingen,  dcBiberach,  les  batail- 
les d'Hochstedt,  de  Nedenheim, 
de  Northlingen  ,  d'Oberhausen, 
et  enfin  la  victoire  décisive  de 
Ilohenlinden,  vinrent  ajouter  un 
nouvel  éclat  à  la  gloire  militaire 
de  ce  grand  capitaine.  Le  général 
Bonaparte  avait  de  son  côté  rem- 
porté des  succès  non  moins  déci- 
sifs en  Italie,  et  la  bataille  de  Ma- 
rengo  venait  de  le  rendre  de  nou- 
veau le  maître  de  la  plus  grande 
partie  de  ce  pays,  et  l'arbitre  de 
ses  destinées  futures.  Moreau  n'é- 
tait plus  qu'à  a5  lieues  de  Vienne, 
quand  les  Autrichiens  dejiiandè- 
rent  la  paix.  Il  revint  à  Paris,  oii 
le  premier  consul  le  félicita  pu- 
blicfuement  sur  ses  triomphes,  et 
lui  fit  accepter  le  don  d'ime  pai- 
r«i  de  pistolets  richement  garnis 
de  diamans ,  où  on  regrettait  de 
n'avoir  pu,  faute  d'espace ,  gra- 
ver le  nom  de  tontes  ses  victoires. 
Telles  furent  les  paroles  flatteu- 
ses du  donateur  qui  accompagnè- 
rent ce  don.  Il  fut  même  ques- 
tion d'un  mariage  avec  la  sœur 
cadette  du  premier  consul,  qui 
épousa  depuis  le  prince  Bor- 
ghèse  ;  uKiis  des  circonstances 
particulières  empêchèrent  cette 
imion ,  et  Moreau  contracta  bien- 
tôt d'autres  liens.  Une  jeune  per- 
sonne belle,  aimable,  riche  et 
ficre  de  tous  ses  avantages ,  mais 


M  OR 

surtout  de  son  union  avec  un 
homme  aussi  illustre ,  prit ,  en 
épousant  le  général  Moreau,  un 
grand  ascendant  sur  son  esprit  : 
elle  était,  à  ce  qu'on  assurait,  bien 
plus  ambitieuse  que  son  mari,  et  sa 
tnère  encore  plus  que  tous  deux. 
On  ne  cessait  de  répéter  au  vain- 
queur de  Hohenlinden  que  tout 
rôle  secondaire  dans  l'état  était 
au-dessous  de  lui.  De  futiles  pré- 
tentions s'élevèrent  en  sa  maison  ; 
on  s'indignait  d'être  forcé  de  cé- 
der le  pas  à  la  femme  du  premier 
consul;  on  voulut  établir  d"ah- 
surdes  rivalités-  i^loreau  se  retira 
bientôt  dans  sa  terre  de  Grosbois , 
neparaissaitquerarementàParis,et 
jamais  auxTuileries;  mais  nombre 
de  personnes  mécontentes  du  gou- 
vernement venaient  se  rallier  au- 
tour de  lui  à  la  campagne.  De 
faux  amis  se  joignirent  à  elles  , 
et  d'innocens  propos  étaient  en- 
véninjés  dans  leurs  rapports.  Plus 
ami  de  l'égalité,  et  plus  républi- 
cain qu'il  n'avait  paru  juqu'alors, 
Moreau  blâma  hautement  l'éta- 
blissement de  la  légion-d'honneur, 
déclara  qu'il  n'en  porterait  jamais 
la  décoration,  et  ne  voulut  pas 
non  plus  être  compris  dans  la  no- 
mination des  maréchaux  de  Fran- 
ce. EnGn,  on  parvint  à  l'impli- 
quer dans  une  conspiration  dont' 
Pichegru  et  Georges  Cadoudul  é- 
taient  les  chefs,  et  dont  la  police 
tenait  déj;'r  tous  les  fils.  Un  abbé 
David,  qui  se  rendait  en  Angle- 
terre, avait  été  arrêté  à  Calais;  il 
étaitporteur  de  lettres  à  Pichegru; 
on  assura  qu'il  y  en  avait  ime  de 
Moreau,  mais  le  fait  ne  fut  point 
légalemenfci  pro\ivé.  David  avoua 
cependant,  au  Temple,  qu'il  était 
chargé  de  rapprocher  ces  deux  an- 


MOR 


ȕ9 


ciens  amis.  Pichegru,  Georges  et 
plusieurs  de  leurs  affîdés  arrivèrent 
quelque  temps  après,  de  Londres 
à  Paris  :  la  police  en  avait  été  a- 
verlie  par  les  révélations  du  nom- 
mé Querelle,  et  ils  furent  tous 
successivement  arrêtés.  Moreau 
l'avait  été  dès  le  i5  février  1804, 
sur  un  ordre  du  grand-juge  Ré- 
gnier, qui  était  aussi  ministre  de 
la  police.  Plusieurs  des  prévenus 
avouèrent,  dès  les  premiers  in- 
terrogatoires, qu'ils  étaient  venus 
à  Paris  dans  l'intention  d'enlercr 
îc  premier  consul.  Moreau,  sur 
l'accusation  d'avoir  reçu  chez  lui 
Pichegru,  depuis  que  ce  général 
avait  trahi  la  république,  répon- 
dit qu'il  était  l'ami  et  non  le  com- 
plice de  Pichegru,  qu'il  lui  devait 
sa  fortune  militaire,  et  qu'il  pou- 
vait lui  en  avoir  conservé  de  la 
reconnaissance,  sans  être  pour  ce- 
la traître  à  sa  patrie  et  ennemi  du 
pouvoir.  Cette  dénégation,  quoi- 
que très  -  vraisemblable,  en  tout 
ce  qui  concernait  sa  participation 
directe  à  un  complot,  ne  satisfit 
point  le  gouvernement.  Le  général 
Moreau  resta  pendant  trois  mois 
enfermé  au  Temple,  sous  le  poids 
J'une  accusation  capitale,  comme 
ayant  attenté  à  la  vie  du  premier 
consul  et  à  la  sûreté  de  l'état.  Mis 
en  jugement  devant  la  cour  cri- 
minelle, les  débats  commencèrent 
le  9  prairial  an  12  (29  mai  1804). 
11  ne  se  trouva  point  contre  lui  de 
preuves  écrites;  140  témoins  fu- 
rent entendus ,  aucun  ne  présenta 
de  charges  graves.  Un  des  accusés, 
le  sieur  Roland ,  entrepreneur  des 
vivres  de  l'armée,  qui  avait  cach6 
Pichegru  dans  sa  maison,  dit,  à 
la  vérité,  qu'il  avait  été  chargé 
par  ce  général  de  négocier  avec 


120 


MOR 


Moreau,    et  que  celui-ci  lui  avait 
répondu  :  «  Je  ne  puis  me  mettre 
))à  la  tête  d'un  mouvement  pour 
»  les  Bourbons  :  un  essai  semblable 
»  ne  réussirait  pas.  Si  Pichegru  fait 
»agir  en  un  autre  sens   (et  en  ce 
»  cas  je  lui  ai  dit  qu'il  faudrait  que 
»\es  consuls  et  le  gouvernement 
»de  Paris  disparussent) ,  je  crois 
»  avoir  un  parti  assez  fort  dans  le 
»  sénat  pour  obtenir  l'autorité;  je 
«m'en  servirai  aussitôt  pour  niet- 
»  Ire  tout  le  monde  à  couvert  :  l'o- 
t)  pinion   dictera   ensuite   ce   qu'il 
«conviendra  de  faire,  mais  je  ne 
»  m'engagerai  à  rien  par  écrit.  »  Ro- 
land ne  put  apporter  aucune  preu- 
ve de  son  allégation.  On  n'en  eut 
pas  davantage  de  la  réponse  qu'on 
prêtait  à  Pichegru.  a  Je  vois  que 
«Moreau    veut  aussi    gouverner, 
nmais  je  ne  lui  en  donne  pas  pour 
«huit  jours.  »  Il  est  à  observer  qu'à 
cette  époqua  la  loi  n'avait  pas  en- 
core mis  la  non  révélation  au  nom- 
bre des  crimes.   Pendant  le  cours 
des  débats,  Moreau  fit  publier  un 
mémoire  justificatif,   et  prononça 
devant  ses  juges  un  discours  noble 
et  touchant.  Ces  deux  pièces  furent 
supprimées  par  l'ordre  du  procu- 
reur-général,   et  les  juges   n'eu 
eurent  qu'une  édition   tronquée; 
mais  l'accusé  inspirait  un  intérêt 
général,  et  son  parti  se  prononçait 
assez  ouvertement.  Aux  Tuileries 
même,  quelques  personnes  osèrent 
prendre  sa  défense;  des  officiers 
et  des  soldats  qui  avaient  servi  sous 
ses    ordres   murmuraient    haute- 
ment, et  la  force  armée  de  service 
près  le  tribunal  ne  manquait  ja- 
mais de  lui  rendre  tous  les  hon- 
neurs   militaires  lorsqu'il   passait 
devant  elle.  Le  réquisitoire  du  pro- 
cureur-général   fut   très-mal    ac- 


MOR 

cueilli  par  l'auditoire.  Ce  magis- 
trat avait  consacré  tout  son  travail 
à  incriminer  le  général  Moreau,  et 
paraissait  avoir  oublié  les  44  ^"~ 
très  accusés,  jusqu'au  moment  où 
il  requit  contre  eux  en   masse  la 
peine  capitale,  se  dispensant  mê- 
me de  les  nommer,  et  ayant  perdu 
de  vue  qu'une  feumie  au  nombre 
de  ses  accusés  n'avait  pu  ,  pour 
cause  de  grossesse  et  de  maladie, 
comparaître  devant  le  tribunal. On 
sentit  tout  le  danger  du  zèle  ex- 
cessif de  l'organe  du   gouverne- 
ment, et  il  fut  ordonné  au  premier 
substitut  du  procureur-général  de 
mettre  plus  de  soins  et  de  réparer 
ces  torts,  dans  sa  réplique.  Celle- 
ci  ne  fut  cependant  point  pronon- 
cée, car  dans  le  besoin  pressant  de 
clore  les  débats,  on  fil  dès  le    19 
prairial  (8  juin)   proposer  au  tri- 
bunal d'entrer  en  délibération,  im- 
médiatement après  les  plaidoiries 
des  avocats,  que  l'on  jugea  ne  de- 
voir tenir  qu'une  faible  partie  de 
la  séance.  Les  juges  firent  connaî- 
tre que  ce  qu'on  demandait  d'eux 
était  impossible,  et  qu'ils  n'avaient 
pas  rassemblé  les  élémeiis  néces- 
saires  pour  former  leur   opinion 
définitive;   on   leur  lépondit  que 
tout  était  préparé  pour  laisser  ce 
temps  à    leurs  méditations;    que 
chacun  d'eux  serait  libre  de  tra- 
vailler dans   son   cabinet;   qu'on 
leur  ferait  tenir  individuellement 
tout  ce  qui  serait  nécessaire  à  la 
vie  et  au  repos,  et  que,  quoique 
retirés  de  l'audience,  ils  n'entre- 
raient  en   délibération   qu'autant 
qu'ils  y  seraient  préparés.  La  pre- 
mière discussion  donna  l'idée  du 
caractère  que  cliaque«juge  déve- 
lopperait dans  la  suite  du  procès; 
jusque-là  on  n'avait  pu  se  procu- 


M  OR 

rer  aucun  indice  sur  leur  opinion. 
Ils  avaient  évité  toute-*  communi- 
cations, même  entre  eux.  La  cour 
criminelle  entra  en  délibération  le 
ao  prairial  à  8  heures  du  matin. 
L'ordre  de  la  délibération   même 
devint  l'objet  d'un  premier  tra- 
vail, et  il  fut  convenu  :  que  les 
questions   seraient  posées   par  le 
président  dans  l'ordre  de  l'accu- 
sation ;  que  le  rapporteur  aurait 
le  premier  la  parole  pour  déve- 
lopper la  question  et  émettre  son 
opinion;  que  le  président  recueil- 
lerait successivement  l'opinion  de 
chaque  juge  en  commençant  par 
le  dernier  conseiller  dans  l'ordre 
de    réception;   que    l'opinion   du 
président  serait  ainsi  la  dernière 
pour  le  prononcé  de  l'arrêt;  qu'il 
ne  serait  pas  fait  de  double  épi-eu- 
ve  dans  le  cas  d'absolution  ;  que 
les  épreuves  pouvaient  avoir  lieu 
jusqu'à  trois  fois,  en  cas  de  con- 
damnation, si  un  seul  juge  en  ré- 
clamait, suivant  l'usage  des  an- 
ciennes cours  souveraines.  La  dé- 
libération fut  ensuite  suivie  Indi- 
viduellement pour  chaque  accusé. 
Le    président   ayant   recueilli  les 
voix  relativement  au  général  Mo- 
reau,  il  s'en  trouva  7  pour  absou- 
dre et  5  pour  la  condamnation  à 
la  peine  capitale.   Le  procureur- 
général  avait  fortement  insisté  sur 
la  peine  de  mort,  bien  convaincu, 
disait -il,  que  l'accusé  aurait  sa 
grâce  :  •  Eh  qui  nous  la  donnera  à 
'nous,  notre  grâce?  »   s'écria   un 
juge  intègre,  M.  Clavier.  Une  dis- 
cussion très-vive  avait  eu  lieu  en- 
tre le  procureur-général  et  M.  Le- 
courbe,  ainsi  que  deux  autres  ju- 
ges,   le    premier   soutenant  que 
l'acquittement  de   Moreau   serait 
un  signal  de  guerre  civile.  «Vous 


MOR  121 

«voulez,  disait-il,  mettre  ce  gé- 
«néral  en  liberté;  il  n'y  sera  pas 
«mis.  Vous  forcerez  le  gouverne- 
»ment  à  faire  un  coup  d'état;  car 
•  ceci  est  une  affaire  politique  plu- 
»tût  qu'une  affaire  judiciaire,  et  il 
»y  a  quelquefois  des  sacrifices  né- 
«cessaires  à  la  sûreté  de  l'état.  » 
Misérable  argutie  d'un  instrument 
subalterne  de  l'autorité,  plus  oc- 
cupé de  sa  fortune  particulière  que 
des  vrais  iatérêts  de  l'état,   dont 
le  premier  intérêt,  comme  le  plus 
sacré,  est  d'être  confié  à  des  magis- 
trats inaccessibles  à  la  crainte  et  à  la 
corruption  !  Après  trois  heures  de 
débats  et  de  délais,  la  cour  crimi- 
nelle avait  repris  ses  délibérations. 
Pendant  cet  intervalle,  des  cour- 
riers avaient  été  expédiés  du  par- 
quet à  Saint- Cloud.    De  grands 
personnages  s'étaient  rendus  chez 
lepremierprésident,  où  furentsuc- 
cessivement  mandés  les  juges  sur 
lesquels  on  comptait  pour  obtenir 
la  majorité.  Il  fut  enfin  décidé,  sur 
la  proposition  de  l'un  d'entre  eux 
qui  avait  d'abord  volé  la  peine  de 
mort,  que  le  général  Moreau  se- 
rait déclaré  coupable,  mais  excu- 
sable.   L'arrêt  fut  porté,   en  con- 
séquence, à  la  majorité  de  9  voix 
contre  3,  et  l'accusé  fut  condamné 
à  deux  années  d'emprisonnement 
et  aux  frais  du  procès,  solidaire- 
ment avec  les  autres  condamnés. 
Au  prononcé  de  la  sentence  éclatè- 
rent des  transports  de  joie,  le  peu- 
ple s'écriait  de  toutes  parts  :  //  est 
sauvé!   Deux  des  magistrats   qui 
avaient  courageusement  persisté 
dans  leur  première  opinion ,  fu- 
rent  signalés    au   gouvernemeot 
par  le  procureur- général  comme 
des  ennemis  dangereux,  et  furent 
par  la  suite  privés  de  leurs  foac- 


1 22  MOR 

lions,  mesure  aussi  peu  honorable 
pour  l'aulorifé  trompée,  que  les 
récompenses  données  par  elle  aux 
juges  qui  la  servent  clans  ses  in- 
justes animosi  tés.  M""  Moreau  sol- 
licita, comme  une  grâce,  qu'il 
fût  permis  à  son  mari  de  voyager 
pendant  les  2  années  que  devait 
durer  sa  détention.  Fouché,  rede- 
venu ministre  de  la  police,  fut 
l'intermédiaire  actif  de  ses  com- 
munications avec  le  chef  du  gou- 
vernement, et  il  fut  permis  à  Mo- 
reau de  se  rendre  aux  Etats-Unis 
d'Amérique,  à  condition  qu'il 
ne  pourrait  rentrer  en  France 
qu'avec  raulorisalion  du  gouver- 
nement français.  11  partit  aussitôt 
avec  sa  femme  et  ses  enfans,  es- 
corté jusqu'à  la  frontière  d'Espa- 
gne par  des  gendarmes.  Ses  biens 
furent  vendus  en  France  par  sa 
belle-mère,  et  suffirent  à  peine 
pour  payer  les  frais  énormes  de  la 
procédure  criminelle.  Il  s'embar- 
qua à  Cadix  en  i8o5,  et  arriva 
sans  accident  aux  Etats-Unis,  oii 
il  acheta  une  belle  campagne  près 
de  Morinville  ,  au  pied  de  la  chute 
de  la  Delavare.  Cette  retraite,  où 
il  se  livrait  aux  paisibles  occupa- 
tions de  la  pêche  et  de  la  chasse,/ 
parut  avoir  pour  lui  pendant  quel- 
ques années  les  plus  grands  char- 
mes. Mais  bientôt  les  nouvelles 
suggestions  de  l'ambition  et  de  la 
vengeance,  ou  peut-être  l'irrésis- 
tible entraînement  d'une  destinée 
funeste,  le  portèrent  à  abandon- 
ner les  champs  de  l'Amérique  et 
à  traverser  les  mers  pour  joindre 
de  nouveaux  amis.  Moreau  s'em- 
barqua dans  le  plus  grand  secret, 
le  21  juin  181 5,  avec  M.  de  Svi- 
nine ,  conseiller  d'ambassade  rus- 
se, arriva  le  24  juillet  suivant  dans 


MOR 

le  port  de  Gothembourg,  et  se 
rendit  de  là  à  Prague ,  où  se  trou- 
vaient réunis  les  empereurs  de 
Russie,  d'Autriche  et  le  roi  de 
Prusse.  Là,  comblé  de  caresses  et 
de  faveurs,  il  contracta,  dit -on, 
l'engagement  de  diriger  les  opé- 
rations des  armées  de  ces  souve- 
rains, coalisés  de  nouveau  contre 
la  France.  Il  lui  parut  pénible  sans 
doute,  pour  ne  rien  dire  de  plus, 
d'avoir  à  combattre  ses  conci- 
toyens, de  se  trouver  dans  les 
rangs  d'anciens  ennemis ,  et  de 
voir  en  face  les  drapeaux  qu'il  a- 
vait  Iui-n)Gme  illustrés  par  tant  de 
victoires.  Quelquefois  il  cherchait 
à  soulager  son  âme  oppressée.  Un 
général  étranger,  distingué  par  ses 
talens,  et  qui  avait  acquis  sa  ré- 
putation au  service  de  France, 
mais  qui  venait,  par  des  motifs 
particuliers  de  mécontentement, 
de  quitter  ses  drapeaux  et  de  se 
donner  aux  Russes,  rencontrant 
un  jour  Moreau  ,  celui-ci  lui  dit  : 
«  Il  a  fallu  un  concours  singulier 
«  de  circonstances ,  pour  que  nous 
nnous  trouvassions  ici  ensemble.  » 
i.  Sans  doute,  général,  répondit 
»  l'étranger,  il  est  étonnant  de  nous 
»  trou  ver  ici  tous  deux  ;  mais  il  n'y 
«a  point  d'ailleurs  de  parité  entre 
«nous  :  je  ne  suis  pas  François.  » 
('  Ah!  vous  me  déchirez  le  cœur,  » 
s'écria  Moreau.  L'heure  fatale 
à  ce  dernier  devait  bientôt  son- 
ner. Le  27  août  18 13,  dans  u- 
ne  reconnaissance  devant  Dres- 
de, un  des  premiers  boulets  par- 
tis de  l'armée  française  vint  lui 
fracasser  le  genou  de  la  jambe 
droite,  et  traversant  son  cheval, 
lui  emporta  le  mollet  de  la  gau- 
che. On  fit  à  la  hâte  un  brancard 
de  piques  de  cosaques,  sur  lequel 


MOR 

on  le  porta  dans  une  maison  voi- 
sine. Le  premier  chinirsien  de 
l'empereur  Alexandre  fit  d'abord 
l'amputation  de  la  jambe  droite; 
Moreau  lui  dit  d'examiner  la  gau- 
che .  et  sur  la  réponse  qu'il  était 
impossible  de  la  conserver  :  Eh 
bien,  coupez-la  donc  au«5i,  lui  ré- 
pondit-il froidement.  L'armée  al- 
lié» avait  été  battue  et  forcée  à  la 
retraite;  on  fut  obligé  de  trans- 
porter le  blessé  plus  loin.  Il  souf- 
frit encore  pendant  cinq  jours,  et 
expira  dans  la  nuit  du  i"  au  2  sep- 
tembre. Son  corps  fut  porté  à  Pra- 
gue pour  y  être  embaumé ,  et  de 
là  transféré  à  Pétersbourg,  où  il 
a  été  inhumé  dans  l'église  catho- 
lique de  cette  ville.  L'empereur 
Alexandre,  trés-touché  de  la  mort 
de  celui*à  qui  il  avait  donné  le  ti- 
tre de  son  ami  et  de  son  conseil, 
fit  don  à  sa  veuve  de  5oo,ooo  rou- 
bles, et  d'une  pension  annuelle  de 
jo,ooo.  S.  M.  Louis  XVIII  lui 
donna  le  titre  de  maréchale.  Elle 
est  morte  en  1821.  Moreau  sera 
toujours  compté  au  premier  rang 
des  plus  célèbres  capitaines  d'une 
époque  féconde  en  grands  hom- 
ries  de  guerre.  Ses  mœurs  étaient 
simples  et  pures  ;  modeste  dans 
son  intérieur,  humain  et  généreux 
autant  que  brave  à  la  tête  des  ar- 
mées, il  était  chéri  des  soldats  et 
des  officiers.  Son  caractère  doux 
et  facile  le  soumettait  souvent  à 
des  influences  étrangères;  les  fem- 
mes exercèrent  toujours  sur  lui 
un  grand  empire.  Sa  fin  fut  dé- 
plorable :  ce  n'était  point  ainsi  que 
devait  succotnber  un  tel  homme. 

MOREAU  (Joseph),  ancien  tri- 
bun, membre  de  la  chambre  des 
députés  et  de  la  légion-d'honneur, 
est  frère  du  général  Moreau.  Son 


MOR  123 

père  ayant  péri  surrécliafaud  pen- 
dant que  ses  cinq  fils  combattaient 
aux  frontières.  M.  J.  Moreau  se 
présenta  hardiment,  le  24  janvier 
1795,  à  la  barre  de  la  convention 
nationale,  et  y  dénonça  le  tribunal 
révolutionnaire  de  Brest,  qui  avait 
rendu  le  jugement.  Après  la  révo- 
lution du  i8  brumaire  an  8,  M. 
Joseph  Moreau  fut  appelé  au  tri- 
bunat,  où  il  ne  prit  la  parole  qu'à 
l'occasion  du  procès  de  son  frère; 
il  rentra  dans  la  retraite  après  la 
dissolution  du  tribunat.  Nommé, 
en  18 16,  président  du  collège  élec- 
toral du  département  d'Ille-et-\ilai- 
ne,  il  fut  porté  ,  par  les  électeurs, 
à  la  chambre  des  députés.  Préfet 
de  la  Lozère  en  1817.  il  a  été 
remplacé  par  M.  de  Valdeunit. 

MOREAU  (Étiense-Vincent ), 
suivait  la  carrière  du  barreau, 
lorsque  le  tiers-état  de  la  Tourai- 
ne  le  nomma  député  aux  états- 
généraux,  en  1789.  Il  y  parla  sur 
diverses  matières,  notamment  sur 
la  proposition  de  réunir  Avi- 
gnon à  la  France,  réunion  en 
faveur  de  laquelle  il  se  prononça. 
En  1796,  il  devint  membre  de  la 
haute-cour,  convoquée  à  Vendô- 
me, pour  instruire  le  procès  de 
Babeuf.  Il  fut  depuis  nommé  suc- 
ce?sivement  juge  à  la  cour  d'appel 
du  Loiret,  conseiller,  et  enfin  pré- 
sident de  chambre,  à  celle  d'Or- 
léans. Il  paraît  avoircessé  ses  fonc- 
tions depuis  quelques  années, 

MOREAU  (Jeas),  avocat  au 
commencement  de  la  révolution, 
fut  nommé,  en  1790,  procureur- 
syndic  du  département  de  la  Meu- 
se ,  et  membre  de  l'assemblée 
législathre,  en  1791-  H  manifes- 
ta son  adhésion  aux  sentimens 
exprimés  dans  l'adresse  que  la  sec- 


124  MOR 

tion  de  la  Croix-Rouge  présenta 
au  mois  de  juillet  1792,  et  fit  dé- 
créter la  lormation  d'une  commis- 
sion chargée  d'examiner  les  dan- 
gers dont  la  patrie  était  menacée. 
En  1792,  il  passa  à  la  convention 
nationale,  où,  dans  le  procès  du 
roi,  il  vota  le  bannissement  ju?quà 
la  paix,  et  donna  sa  démission  au 
mois  d'août  i^gS,  sa  mission  se 
trouvant,  disait-il,  terminée  par 
l'acceptation  de  la  constitution. 
Elu,  en  septembre  1795,  au  con- 
seil des  anciens,  dès  l'année  sui- 
vante,il  renonça  encore  aux  fonc- 
tions législatives.  Il  n'a  plus  repa- 
ru depuis  sur  la  scène  politique. 
MOREAL'  (Jacqxies-Louis),  plus 
connu  sous  le  nom  de  M  or  eau  de 
la  Sartlie,  médecin,  sous-bibliothé- 
caire et  professeur  à  l'école  de  mé- 
decine de  Paris,  membre  de  la  so- 
ciété de  médecine  de  la  même  vil- 
le, a  publié  :  1  "  Essai  sur  la  gangrè- 
ne humide  des  hôpitaujc,  1796,  in- 
8"  (i^vec  Burdin);  2°  jB/o^crfe  Vicq- 
d'Azir^  '797Î  3°  Esquisse  d'un 
cours  d' hygiène ,  ou  de  médecine 
appliquée  à  l'art  d'user  de  la  vie 
et  de  conserver  la  santé,  1799,  in- 
8"  ;  4°  Traité  historique  et  pratique 
de  ta  vaccine,  1801;  5°  Histoire  na- 
turelle de  la  femme,  suivie  d'un 
traité  d'hygiène  appliquée  à  son  ré- 
gime physique  et  moral  aux  différen- 
tes époques  de  la  vie,  5  vol.  in-8'', 
i8o3.  11  a  publié,  en  1804,  les 
Œuvres  de  Vicq-d'Azir,  en  (>  vol. 
in-8%  avec  atlas,  et  donné,  en  1 806 
et  années  suivantes,  une.  nouvelle 
édition,  en  10  vol.  ih-8%  de  V Art 
de  connaître  les  hommes  par  la  phy- 
sionomie, de  Lavater.  Le  docteur 
Moreau  de  la  Sarthe  a  été  un  des 
principaux  rédacteurs  du  Journal 
de  Médecine;  il  a  encore  fourni  les 


MOR 

articles  de  médecine  clinique  de 
Y  Encyclopédie,  et  publié  un  grand 
nombre  de  mémoires  sur  divers 
sujets. 

MOREAU  (Jean-Nicolas),  an- 
cien magistrat ,  littérateur  et  his- 
toriographe de  France  >  naquit  à 
Saint-Florentin ,  le  20  décembre 
1 7 1 7  ;  il  fit  de  bonnes  études  ,  de- 
vint successivement  avocat,  oqu- 
seiller  à  la  cour  des  comptes  de 
Provence  ,  premier  conseiller  de 
Monsieur  (  aujourd'hui  Louis 
XVIII),  bibliothécaire  de  la  reine, 
et  enfin,  historiographe  de  France. 
Il  eut  à  ce  titre  la  mission  de  .ras- 
sembler les  chartes,  édits,  décla- 
rations et  monumeus  historiques 
qui  avaient  établi  la  législation 
fiançaise  depuis  Charlemagne  jus-  ^ 
qu'à  nos  jours.  Le  dépcjt  de  ces 
documens  lui  fut  confié  sous  le 
titre  de  :  Dépôt  des  chartes  et  de 
législation.  Subjugué  p;ir  sa  pas- 
sion pour  les  lettres,  il  vint,  jeune 
encore,  à  Paris,  où  il  se  fit  con- 
naître par  une  Ode  sur  la  bataille 
de  Fontenoi.  Cette  pièce,  qui  fut 
imprimée  en  1745,  ne  permit  pas 
à  Moreau,  auquel  elle  attira  des 
critiques  sévères,  de  s'abuser  sur 
ses  dispositions  pour  la  poésie,  et 
il  eut  la  sagesse  de  se  livrer,  du 
moins,  plus  particulièrement  à  des 
études  sérieuses.  La  science  de  la 
politique,  celle  de  l'administra- 
tion ,  et  l'ancien  droit  public  de  la 
France,  furent  les  principales  ma- 
tières auxquelles  il  se  consacra. En 
1755,  il  essaya  ses  forces  dans  une 
espèce  de  journal  :  l'Observateur 
hollandais  ,  dirigé  spécialement 
contre  l'Angleterre.  Moreau  se 
prononça  en  nïême  temps  contre 
les  pbilosophes,  qu'il  attaqua  as- 
sez étourdiment,  en   1757,  dans 


MOR 

des  Mémoires  pour  servir  à  r his- 
toire des  Cacouacs.\o\c\  l'opinion 
que  Laharpe  donne  dans  sa  Cor- 
respondance de  l'auteur  de  ce  bi- 
tarre  ouvrage  :  «  C'est,  dit-il,  un 
«homme  d'esprit,  mais  qui  s'en 
«est  servi  beaucoup  plus  pour 
j)sa  fortune  que  pour  sa  réputa- 
ntion,  et  qui,  avec  quelque  crédit 
Ȉ  la  cour,  n'a  jamais  eu  de  consi- 

•  dération  dans  le  monde,  et  en- 
wcore  moins  parmi  les  gens  de 
»  lettres.  »  Moreau  se  déclara  aussi 
contre  les  protestans  dans  ^a  Let- 
tre d'un  magistrat  f  dans  laquelle 
on  examine  ce  que  la  justice  doit 
aux  protestans,  écrit  où  il  avance 

•  qu'on  devait  se  borner  à  marier 
«les  protestans,  et  maintenir  ri- 
n  goureusement  l'exécution  des  lois 
«qui  les  excluaient  des  emplois, 
«des  dignités  et  de  toute  espèce 
«d'administration  publique.  »  Il 
augmenta  encore  le  nombre  des 
ennemis  que  lui  attiraient  ses  doc- 
trines politiques  et  religieuses  en 
livrant  sa  plume  au  chancelier 
Maupeou  {voy.  ce  nom);  ce  fut  lui 
qui  rédigea  les  préambules  de  tous 
les  édits  du  chancelier;  il  y  gagna 
le  sobriquet  de  Moreau-Préambule. 
Il  lui  manquait  de  se  fermer  les 
portes  de  racadémie-lrançaise,  où 
il  avait  la  prétention  de  se  faire  ad- 
mettre. C'est  à  quoi  il  réussit  en 
publiant  (de  iryn  ;',  1789)  son 
principal  ouvrage,  intitulé  ;  Prin- 
cipes de  morale  politique  et  du 
droit  public.  L'auteur,  outre  l'ab- 
sence de  tout  mérite  réel  sous 
le  rapport  littéraire  ,  y  professe 
ouvertement  les  principes  du  des- 
potisme et  du  pouvoir  arbitraire. 
Moreau  n'occupa  aucun  emploi 
pendant  la  révolution  ,  et  ne  fut 
point,  comme  le  disent  les  auteurs 


MOR 


laS 


de  plusieurs  biographies,  condam- 
né à  mort  le  27  mars  1794  par  le 
tribunal  révolutionnaire  de  Paris. 
11  mourut  paisiblement  dans  la 
retraite  qu'il  s'était  choisie  près 
de  Saint-Germain,  le  29  juin  i8o3. 
Il  a  publié  :  1°  Ode  sur  la  bataille 
de  Fontenoi,  1745,  in-4°;  2°  l'Ob' 
servateur  hollandais  ,  ou  Lettres 
de  M.  Fan**  à  M.  H**,  sur  l'état 
présent  des  affaires  de  l'Europe  , 
la  Haye  (Paris),  1755-1759,  5  vol. 
in-8°.  Dans  ces  lettres,  au  nombre 
de  47,  l'auteur  examine  avec  quel- 
que talent  les  intérêts  et  la  situa- 
tion des  différens  états  de  l'Euro- 
pe. 5"  Lettres  du  chevalier  de***  à 
Monsieur***,  conseiller  au  parle-- 
m.tnt,  ou  Réflexions  sur  l'arrêt  du 
parlement  du  iS  mars  1755,  in- 12; 
4°  l'Europe  ridicule,  ou  Réflexions 
politiques  sur  la  guerre  présente  , 
Cologne  (Paris),  1757,  in-12;  5" 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
de  notre  temps,  par  l'Observateur 
hollandais,  1757,  2  vol.  in-12;  6° 
nouveau  Mémoire  pour  servir  à 
l'histoire  des  Cacuuacs ,  Amster- 
dam, 1757,  in-12.  L'auteur,  per- 
suadé que  son  sujet  devait  être 
traité  dans  toutes  ses  parties,  don- 
na, en  1758,  in-13  :  Catéchisme  et 
décisions  de  cas  de  conscience  à  l'u- 
sage des  Cacouacs  ,  avec  un  dis- 
cours du  patriarche  des  Cacouacs 
pour  la  réception  d'un  nouveau 
disciple.  Cependant  ,  on  a  fait 
honneur  de  celle  facétie  à  l'abbé 
Giry  de  Saint-Cyr,  membre  de 
l'académie-française.  7°  iVémoire 
pour  les  doyens,  syndics  et  compa- 
gnie des  conseillers  du  roi,  commis- 
saires enquêteurs  et  examinateurs 
au  châtelet  de  Paris  ,  contre  MM. 
les  prévôts  de  Paris  ,  lieutenants 
civil,  de  police,  criminel,  particu- 


126 


MOU 


lier,  et  conseillers  du  Châtelet  de 
Pitr-is,  Paris,  i;58,  in-4";  8"  ii'j;a- 
men  des  effets  qite  doivent  produire 
l'usage  et  la  fabrication  des  toiles 
peintes  f  Genève  et  Paris,   1739, 
in- 12;   9"  le  Moniteur  français  , 
Paris,  Desaint  et  Saillant,  1760, 
in- 12;  10°  Mémoire  (second)  pour 
les  conseillers  du  roi,  commissaires 
enquêteurs  et  examinateurs  au  Châ- 
telet de  Paris ,  en  réponse  au  Mé- 
moire de  MM.  les  prévôts  de  Paris, 
lieutenants  civil ,  criminel  ,    etc.  , 
Paris,  1763,  in-4°;  1 1"  Entendons- 
nous  I  ou  Radotage  d'un  vieux  no- 
taire sur  la  richesse  de  l'état  (1763) , 
in-8"  ;    12°  Lettre  sur  la  paix  de 
I7()a,  à  M.  le  comte  de***",  Paris, 
1763,    in-S";    i3"    Lettres  histo- 
riques sur  le  comtat   Venaissin  et 
sur  la  seigneurie  d' Avignon,  Ams- 
terdam (Paris),  1768,  in-8°;    i4" 
Bibliothèque  de  M""  la  Dauphine, 
n"  I,   Paris,  Saillant  et   Noyon, 
1770,  in-S"  :  une  seconde  édition 
annoncée  n'a  point  paru;  i5"Lffo«.? 
de  morale ,  de  politique  et  du  droit 
public,    puisées  dans   r histoire   de 
notre  monarchie,   ou  Nouveau  plan 
d'études  de    l'histoire  de   France, 
rédigées  par  les  oi'cù'cs  et  d'après  le 
vœu  de  Monseigneur  le  Dauphin, 
pour   r  instruction   des  princes   ses 
enfans,  Versailles  et  Paris,  1773, 
in-8°;  16°  les  Devoirs  d'un  prince, 
réduits  à  un  seul  principe,  ou  Dis- 
cours sur  Injustice,  dédiés  au  roi, 
Versailles,   1775,  in-(S»  :  réimpri- 
mé en  1782,  et  traduit  en  hollan- 
dais,   Leyde,     1778,  in-S";    17° 
Principes  de  morale  politique  et  du 
droit  public,  puisés  dans  l'histoire 
de  noire  monarchie,  ou   Discours 
sur  l'histoire  de  France,    Paris, 
'777  "17^9»    31  vol.    in-S";   iB° 
liecherchcs  et  considérations  sur  la 


MOU 

population  en  France,  1778,  in- 
6";  19°  le  Pot-Pourri  de  Ville- 
d'Avray,  Paris,  1781,  in-i2:ce 
sont  des  poésies  assez  médiocres  ; 
20°  Plan  des  travaux  littéraires 
ordonnés  par  Sa  Majesté^  pour  la 
recherche,  la  collection  et  l'emploi 
des  monumens  de  l'histoire  et  du 
droit  public  de  la  ?nonarchie  fran- 
çaise, Paris,  imprimerie  royale, 
1782,  in -8°;  21°  Variétés  morales 
et  philosophiques ,  Paris,  1783,  't 
vol.  in-12;  ^2°  Lettre  d'un  magis- 
trat ,  dans  laquelle  on  examine  ce 
que  la  justice  du  roi  doit  aux  pro- 
testans ,  1787,  in-8";  23"  Exposé 
historique  des  administrations  popu- 
laires aux  plus  anciennes  époques  de 
notre  monarchie,  1789,  in-S";  a4° 
Exposition  et  défense  de  la  constitu- 
tion de  la  monarchie  française , 
1789,  2  vol.  in-8°. 

MOREAU  (Jean -Michel),  dit 
Moreaa  lejeune^  graveur  et  dessi- 
nateur du  cabinet  du  roi,  membre 
de  l'ancienne  académie  royale  de 
peinture, sculpture  et  architecture, 
de  l'athénée  des  arts  et  de  la  socié- 
té pliilolcchnique,  naquit  ù  Paris  , 
en  1741.  il  entra  dans  la  carrière, 
en  quelque  sorte,  avec  le  génie  de 
son  art,  et  commença  à  l'exercer 
de  si  bonne  heure  qu'il  ne  pouvait 
fixer  lui-même  l'époque  de  ses 
premiers  essais.  Moreau  le  jeune 
avait  à  peine  17  ans  lorsque  M.L. 
le  Lorrain,  son  maître,  nommé  di- 
recteur de  l'académie  des  beaux - 
arts  de  Saint-Pétersbourg,  l'em- 
mena avec  lui,  moins  comme  son 
élève  qu'en  qualité  d'adjoint,  pour 
le  seconder  dans  les  nombreux 
travaux  auxquels  sa  place  devait 
l'assujettir.  A  peine  avait -il  de- 
meuré deux  ans  à  Saint- Pélers- 
Ijourg,  qu'il  fut  obligé  de  revenir 


MOR 

à  Paris  par  suite  de  la  mort  de  son 
maître.  Uniquement  occupé  de 
son  art,  il  n'avait  pu  songer  à  sa 
fortune,  et  dès  son  retour  dans  sa 
patrie,  il  fut  en  proie  à  toutes  sor- 
tes de  besoins.  Il  connut  heureu- 
sement Lebas,  graveur  habile  et 
homme  excellent  :  celui-ci  lui  don- 
na du  travail ,  et  les  eaux  fortes 
qu'il  exécuta  bientôt  avec  un  rare 
talent  lui  procurèrent  des  ressour- 
ces suffisantes.  Lebas  se  conduisit 
avec  le  jeune  Moreau  en  véritable 
père.  Il  lui  confia  une  partie  des 
planches  du  bel  ouvrage  du  comte 
de  Caylus,  sur  les  antiquités  grec- 
ques, romaines  et  étrusques.  «  Le 
«samedi  de  chaque  semaine  (  dit 
»  M.  Ponce  ,  dans  sa  Notice  sur 
»  Moreau  f  imprimée  dans  le  iîe- 
»cueil  fie  r Athénée  des  arts,  Paris, 
-■)  1822)  Lebas  lui  donnait  la  bc" 
«sogne  qu'il  devait  faire  le  diman- 
»che,  afin  de  ne  pas  le  détourner 
/•des  études  de  la  semaine,  et  lui 
•  payait  assez  son  travail  pour  qu'il 
0  pût  suffire  à  ses  dépenses  journa- 
nlières.  »  Moreau  avait  cessé  d'exer- 
cer la  peinture;  mais  il  cultivait 
avec  soin  son  art  comme  dessina- 
teur, et  bientôt  il  fut  chargé  pres- 
que seul  de  dessiner  et  de  compo- 
ser les  planches  des  éditions  les 
plus  remarquables  de  cette  épo- 
que. Sa  réputation  devint  telle  que 
Cochin ,  dessinat'jur  des  menus- 
plaisirs  du  roi,  le  demanda  pour 
successeur  lorsqu'il  se  démit  de  sa 
place,  en  1770.  Le  mariage  du 
dauphin  (depuis  Louis  XVI),  qui 
eut  lieu  vers  cette  époque,  fit  con- 
fier à  Moreau  le  jeune  les  des- 
sins des  fêtes  données  à  cette  oc- 
casion. Le  dessin  et  la  gravure  du 
sacre  de  ce  prince  le  firent  admet- 
tre à  l'académie,  nommer  dessina- 


MOR  127 

leur  du  cabinet  du  roi,  loger  au 
Louvre,  et  lui  valurent  une  pen- 
sion. En  1785,  il  visita  l'Italie,  y 
épura  son  goût ,  et  perfectionna 
son  talent.  La  révolution ,  dont  il 
embrassa  avec  chaleur  les  princi- 
pes, ne  le  compta  point  parmi  les 
hommes  qui  la  déshonorèrent  par 
leurs  forfaits  ou  leurs  folies.  Il  l'ai- 
ma en  véritable  ami  de  la  liberté, 
et  lui  resta  fidèle.  En  1790,  en 
qualité  de  membre  de  la  commis- 
sion temporaire  des  arts,  dont  fai- 
saient partie  l'abbé  Barthélémy, 
Brétigny,  et  plusieurs  autr<?s  sa- 
vans  et  artistes  distingués,  il  ren- 
dit des  services  à  ses  confrères,  et 
s'efforça  de  soustraire  à  la  destruc- 
tion nombre  d'objets  précieux.  Il 
fut  nommé ,  en  1 797 ,  professeur 
aux  écoles  centrales  de  Paris.  Sous 
l'empire ,  il  exposa  au  musée  du 
Louvre  deux  grands  dessins  repré- 
sentant les  fêtes  données  par  la 
ville  de  Paris  en  réjouissance  de  la 
paix  de  Vienne,  en  1S09,  et  du 
mariage  de  l'empereur  ]NapoIéon 
avec  l'archiduchesse  Marie-Louise, 
en  1810;  dessins  où,  dit  M.  Ponce, 
on  retrouve  son  talent  tout  entier. 
Après  le  rétablissement  du  gouver- 
nement royal,  en  1814,  Louis 
XVIII  lui  rendit  sa  place  de  dessi- 
nateur de  son  cabinet,  et  sa  pen- 
sion, à  peu  près  son  unique  res- 
source, et,  en  1819,  à  la  sollicita- 
tion de  la  fille  de  cet  artiste,  épou- 
se de  M.  Carie  Vernet,  acquit 
pour  ce  même  cabinet  les  19  des- 
sins originaux  suivans  :  Deux  vi- 
gnettes in-4'  pour  les  Satires  dt 
Juvénal  ;  deux  vignettes  in  -  4° 
pour  les  Pensées  de  Marc-Aurèle', 
deux  vignettes  iu-4°  pour  les  En^ 
treliens  de  Phocion;  cinq  figure» 
iu-18  pour  les  Œuvres  df  Gress^t'^ 


ia8  MOR 

quatre  flgures  in- 18  pour  ïe  ro- 
man de  chevalerie,  Gérard  de  Ne- 
vers,  et  quatre  vignettes  iti-4''ponr 
VEnéide  de  Virgile.  VŒavre  de 
Moreau  le  jeune  est  de  plus  de 
deux  mille  pièces  gravées  sur  ses 
dessins.  Les  plus  remarquables  de 
ces  compositions,  dessins  ou  gra- 
vures, sont  :  deux  suites  j)our  les 
Œuvres  de  Voltaire ,  contenant 
plus  de  deux  cents  estampes;  la 
suite  pour  l'édition  in-4''  de  J .  B. 
Rousseau,  imprimée  à  Bruxelles  ; 
pour  l'Histoire  de  France  ,  cent 
soixante  figures  ;  cent  estampes 
pour  les  Evangiles  el  les  Actes  des 
apôtres  ;  deux  dessins  représen- 
tant l'un  la  Peinture  moderne  et 
l'autre  la  Gravure,  pour  le  Musée 
français  da  Laurent  et  Robillard; 
les  figures  pour  des  éditions  des 
Métamorphoses  d'Ovide,  de  P.  et 
Th.  Corneille,  Molière,  La  Fon- 
taine, Racine,  Regnard ,  Montes- 
quieu, Rayiial,  Marmontet,  Gess- 
ner,  Barthelenfy,  Delille,  elc. ,  etc.  ; 
les  dessins  du  roman  de  JVer- 
ther ,  la  célèbre  estampe  du  sacre 
de  Louis  XVI,  les  quatre  estam- 
pes des  fêtes  du  mariage  du  dau- 
phin, dont  il  a  gravé  lui-même 
les  eaux  fortes;  vingt -cinq  sujets 
pour  les  Chaiisons  de  Laborde,  etc. 
Les  dessins  de  Moreau  le  jeune 
ont  presque  tous  figuré  aux  ex- 
positions publiques  du  musée  du 
Louvre.  Cet  artiste  était  très-ins- 
truit et  avait  un  génie  varié,  une 
heureuse  fécondité.  Il  évitait  avec 
un  soin  extrême  de  se  répéter  dans 
la  pose  de  ses  figures  et  dans  les 
airs  de  ses  têtes.  Ce  fut  peu  de 
temps  après  la  première  restaura- 
tion qu'il  mourut  (le  5o  novem- 
bre 181 4)-  ^onElogesLGiii  fait  par 
M.  Feuillet,  bibliothécaire  de  l'ins- 


MOR 

titut,  et  imprimé,  tant  dans  le 
Moniteur  de  cette  année  que  sépa- 
rément. Son  confrère  et  son  ami, 
M.  Ponce,  graveur  distingué,  a  é- 
galemcnt  donné  son  Eloge,  qui  a 
paru  dans  le  Mercure  de  France  du 
i5  juin  i8j6.  Moreau  le  jeune  a 
formé  un  très-grand  nombre  d'élè- 
ves, dont  la  plupart  sont  des  hom- 
mes du  premier  mérite. 

MOREAli  (Louis),  dit  Moreau 
ainéj  peintre,  frère  du  précédent, 
mourut  à  Paris  quelques  années 
avant  lui.  Louis  Moreau,  l'un  des 
élèves  les  plus  distingués  de  M. 
Machy,  est  plus  particulièrement 
connu  par  ses  peintures  à  la  goua- 
che, lesquelles  sont  très-récher- 
chées  des  amateurs,  et  méritent 
bien  de  l'être  par  leur  fouchie 
spirituelle ,  et  en  général  par 
leur  effet  agréable  et  pittores- 
que. Moreau  a  plusieurs  fois  expo- 
sé au  musée  du  Louvre.  En  l'an  9 
(1800),  il  a  fourni  un  paysage,  et 
en  l'an  i2(i8o5),  une  Vue  prise 
dans  le  parc  de  Saiiit-Cloud ,  les 
Ruines  du  monastère  de  Montmaj'- 
tre,  une  V  ue  de  la  maison  indien- 
ne de  Petit- Bourg,  et  une  Vue  de 
Paris,  prisede  l'entréedes  Champs- 
Elysées,  etc. 

MOREAU    DE  JONNÈS    (le 

CHEVALIER  AlEXANDBe),  clicf  d'cS- 

cadroh,  membre  de  la  lôgion- 
d'honncur,  chevalier  de  Saint- 
Louis,  associé-correspondant  de 
rinstitut,  est  né  en  1778,  dans  la 
ci-devant  province  de  Bretagne. 
A  peine  avait-il  terminé  ses  étu- 
des, qu'il  embrassa  la  profession 
des  armes,  et  fit  plusieurs  campa- 
gnes sur  mer,  comme  artilleur. 
Nommé  bientôt  officier  dans  le 
corps  lie  l'artillerie,  il  devint  aide- 
de-camp  du  général  Perrigny,  el 


xMOR 

se  rendit  avec  lui  à  la  Martini- 
que, en  i8o2.  Quoiq  .'il  consacrât 
à  ?es  devoirs  niilitaires  la  plus 
grande  partie  de  sort  temps ,  il 
trouvait  encore  les  moyens  de  se 
livrer  à  l'élude  des  sciences  géo- 
graphiques et  de  l'histoire  natu- 
relle. La  fièvre  jaune  qui  se  décla- 
ra dans  l'armée,  vint  encore  oft'rir 
un  nouveau  sujet  à  ses  médita- 
tions. Bravant  les  atteintes  de  cet- 
te terrible  maladif-,  il  en  étudia 
tous  les  effets  dans  les  hôpitaux  et 
au  lit  des  malades,  et  fut  bientôt  à 
même  de  seconder,  par  ses  con- 
seils, les  efforts  des  honunes  de 
l'art,  et  d'avertir  les  soldats  eux- 
mêmes,  sur  les  précautions  qu'ils 
avaient  à  prendre.  iM.  Moreau  de 
Jounès  fit  un  séjour  de  près  de 
quinze  ans  à  la  Martinique,  et  y 
exécuta  des  travaux  très-impor- 
tans  en  géographie,  topographie 
et  histoire  naturelle.  De  retour  à 
Paris,  il  s'occupa  de  mettre  en  or- 
dre ses  nombreux  matériaux,  les 
communiqua  aux  sociétés  savan- 
tes, et  les  fit  imprimer,  soit  dans 
leurs  mémoires,  bulletins  ou  jour- 
naux, soit  séparément.  Il  devint 
membre  de  la  plupart  des  socié- 
tés nationales  et  étrangères,  et  fut 
nonuné  ,  au  mdis  de  novembre 
i8i6,  correspondant  de  l'institut, 
section  de  géographie.  Les  princi- 
paux Mémoires  qu'il  a  mis  au  j  :ur 
sont  :  1°  Minéralogie  des  volcans 
éteints  de  la  Martinique,  desti'ne  a 
être  insérée  dans  la  collection  des 
Mémoires  des  savans  étrangers , 
publiée  par  l'académie  des  scien- 
ces ;  2"  Monographie  du  trigono- 
cèphale  des  'Antilles,  ou  grande 
ripère,  fer-de-lance  de  la  Martini- 
(fue,  ouvrage  curieux,  et  qui  con- 
tient des  détails  entièrement  neufs 


MOR 


120 


sur  ce  dangereux  reptile,  Paris, 
in-8°,  1S16.  Dans  une  séance  de 
l'académie  des  sciences,  en  1817, 
M.  Moreau  de  Jonnès  a  lu  un  nou- 
veau Mémoire,  où  il  ajoute  des 
renseignemens  inédits  à  rhi:?toi- 
re  de  cette  vipère.  On  lui  doit 
encore  im  Mémoire  sur  une  grosse 
araignée  de  la  Martinique,  qui  at- 
taque et  tue  les  petits  oiseaux.  3* 
Carte  physique,  miner  al  ogique, 
statistique  et  militaire  de  l'ilede  la 
Martinique  ;  4°  Tableau  du  climat 
des  Antilles  et  des  phénomènes  de 
son  influence  sur  les  plantes,  les  a- 
nimaïuv  et  l'espèce  humaine  ;  5° 
Essai  sur  Chygiène  militaire  des 
Antilles.  Cet  excellent  ouvrage , 
que  les  ministres  de  la  marine  et 
de  la  guerre  ont  fait  distribuer 
dans  les  hôpitaux  et  aux  chefs  du 
service  de  santé  des  armées  de 
mer  et  de  terre,  a  été  inséré  dans 
le  8°"  volume  des  Mémoires  de  la 
société  médicale  d'émulation  ,  et 
imprimé  séparément,  in-S",  Paris, 
1817.  6°  Précis  historique  sur 
l'irruption  de  la  fiècre  jaune  à  la 
Martinique,  en  1802  (  inséré  dans 
le  bulletin  de  la  société  médicale 
d'éniulation ,  1816),  et  imprimé 
séparément ,  in-8°  ;  7"  Observa- 
tions sur  les  géophagcs  des  Antil- 
/^«(égalernent  insérées  dans  le  bul- 
letin de  la  société  nsédicale  d'é- 
muiatinn,  1816),  et  tirées  à  part, 
in-8";  8°  Observations  pour  servir 
à  l'histoire  de  la  fièvre  jaune,  sui- 
vies de  Tables  nécrologiques  indi- 
quant la  proportion  dt-  la  morta- 
lité des  troupes  françaises  et  an- 
glaises dans  les Indei-Occidentales, 
accompagnées  d'une  carte  nécro- 
nu  frique,  exprimant  le  rapport 
arithmétique  par  des  projections 
géométriques  (elles  ont  été  insé- 
9 


i5o  M  011 

lées  dans  le  bulletiu  de  la  sociélé 
d'émulation,  septembre  1817), 
in-8°;  g°  Précis  topographique  et 
géologique  sur  l'île  de  la  Martini- 
que (  imprimé  dans  les  annales 
maritimes  et  coloniales,  5817), 
à  part,  in-8'';  10°  Carte  orthogra- 
phique et  botanique  davolcan  éteint 
du  Piton  du  Carbet  à  la  Marti' 
nique ,  pour  servir  à  la  connais- 
sance de  l' habitation  des  plantes  de 
la  flore  de  celle  lie;  1  1°  Mémoire 
quia  remporté  (septembre  i823) 
le  prix  de  2000  francs,  proposé 
par  l'académie  de  Lyon,  sur  cette 
question  importante  :  «  Quels  se- 
»  raient  les  moyens  à  employer, 
)»soit  dans  le  régime  actuel  des  co- 
«lonies,  soit  dans  la  fondation  de 
«colonies  nouvelles,  pour  rendre 
«ces  établissemens  les  plus  utiles 
»  à  eux-mêmes  et  aux  métropoles?» 
On  espère  que  le  suffrage  que  l'a- 
cadémie de  Lyon  a  accordé  au 
travail  de  M.  Moreau  de  Jonnès, 
le  déterminera  à  le  publier. 

MOREAU  DE  LA  ROCHETTE 
(François-Thomas),  célèbre  agri- 
culteur, inspecteur-général  despé- 
pinières royales  de  France,  cheva- 
lier de  Saint-Michel,  naquit,  le  4 
novembre  1720,  à  Aigny-le-Fe- 
rou,  près  de  Villeneuvc-l'Archevê- 
que,  département  de  l'Aube.  Tout 
entier  aux  devoirs  de  sa  place,  qu'il 
occupait  à  Melun  en  qualité  de  di- 
recteur des  fermes  du  roi,  il  lui 
consacrait  tous  les  instans  de  la 
journée;  mais  le  soir  et  pendant 
une  partie  des  nuits,  il  s'occupait 
des  moyens  de  rendre  fertile  une 
terre  appelée  La  Rochelle,  dont  le 
sol  était  si  pauvre,  que  l'on  disait 
dans  le  pays  «  qu'une  poule  n'y 
"trouvait  pointa  vivre  en  août.»  Il 
l'avait  acquise  en  ijSi;  mais  ce 


M  OR 

ne  fut  qu'en  1760  qu'il  put  essayer 
de  la  défricher.  Le  succès  répon- 
dit ù  ses  espérances ,  et  en  1 767,  il 
proposa  au  gouvernement  d'éta- 
blir à  La  llochettc  une  école  d'a- 
griculture, à  laquelle  cinquante, 
puis  cent  enfans  trouvés  furent  at- 
tachés. Sous  sa  direction,  ou  vit 
bientôt  cet  établissement  jouir  d'u- 
ne prospérité  que  celui  qui  l'avait 
créé  n'avait  pas  osé  lui-niême  se 
promettre.  Un  terrain  défriché,  ni- 
velé et  planté,  de  belles  forêts,  des 
champs  féconds,  une  maison  élé- 
gante, commode  et  spacieuse,  éle- 
vée sur  les  dessins  de  Louis,  ar- 
chitecte distingué,  des  bàtimens 
nécessaires  à  l'exploitation,  de  lon- 
gues terrasses,  de  vastes  jardins, 
de  riches  pépinières  prirent  insen- 
sibleinent  la  place  de  bruyères  ari- 
des, de  montagnes  de  sable.  Le 
sol  le  plus  disgracié  de  la  nature 
devint  fécond  et  riche  de  tout  le 
luxe  de  la  végétation.  Dans  l'espa- 
ce de  treize  années,  on  retira  de 
ce  domaine  (de  la  contenance  d'en- 
viron 200  hectares)  un  million 
d'arbres  de  tige  et  trente-un  mil- 
lions de  plants  forestiers.  Quatre 
cents  élèves  tirés  des  hôpitaux,  et 
formés  dans  l'établissement  pen- 
dant à  peu  près  quatre  anrjées, 
revinrent,  à  leur  sortie,  d'excellens 
jardiniers  ou  pépiniéristes.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux  furent  de 
très-bons  dessinateurs  et  planteurs 
de  jardins  d'agrément.  En  1780, 
lorsque,  par  suite  des  réformes  de 
Necker,  la  pépinière  de  La  Rochet- 
te  cessa  d'être  au  compte  du  gou- 
vernement, on  y  comptait  plus  de 
sept  millions  de  plants  d'arbres  de 
toute  espèce.  Les  premiers  succès 
de  Moreau  de  La  Rochelte  avaient 
été    appréciés  du    gouvernement 


MOR 

et  récompensés.  En   17G6,  il  lut 
noinaié  inspecteur- général  des  fa- 
milles  acadiennes  restées  sur  les 
ports  de  mer;  en  1767,  inspecteur- 
général  des  pépinières  royales,  et 
en  1769,  honoré  rie  lettres  de  no- 
blesse  et    décoré   du   cordon    de 
.Saint-Michel.  En  1783,  en  qualité 
*ie  commissaire  du  roi,  il  l'ut  char- 
gé   de    l'aménagement  des   bois, 
destinés  à  l'approvisionnement  de 
la  capitale.  Par  ses  soins,  plusieurs 
ruisseaux  furent  rendus  flottables; 
il  créa  à  Urcel,  près  de  Laon,  dé- 
partement de  l'Aisne,  la  première 
manufacture  de  sulfate  de  fer  (cou- 
perose verte),  dont  la  France  ait 
été  enrichie;  enlin,  il  donna  des 
projets  et  des  plans,  pour  les  dé- 
iVichemens  des  landes  de  Bordeaux 
qu'il  croyait  susceptibles  de  bonne 
culture  et  de  productions  fertiles. 
Voltaire    avait    conçu    beaucoup 
d'estime  pour  Moreau  de  La  Ro- 
chette,  et  il  existe,  entre  ce  grand 
homme  et  cet  utile  et  excellent 
citoyen,  une  correspondance  sous 
le  rapport  agricole.  Elle  se  com- 
pose, de  la  part  de  Voltaire,  de 
six  lettres,  et  de  quatre  de  iMoreau 
de  La  Rochette,  qui  toutes  ont  é- 
té  publiées  dans  les  Mémoires  de 
la  société  d'agriculture  du  dépar- 
tement de  la  Seine  (tom.  IV,  pag. 
264  et  suiv.).  Cette  publication  est 
due  ii   M.    François  de  Neufcha- 
leau,  ainsi  qu'une  Notice  sur  les 
pépinières  de  La  Kochette.  Moreau 
de  La  Rochette  mourut  dans  le 
lieu  même  qu'il  a  inunortalisé  par 
ses  créations  et  ses  soins,   le  20 
juillet  1791,  à  Tûge  de  71  ans. 

M0RE.4U  DE  LA  ROCHETTE 
(Jean-EtieSxNe),  membre  de  la 
société  d'agriculture  ilu  départe- 
ment de  Sein»-cl-Marnu,  tiU  du 


M  OR 


î3i 


précédent,  naquit,  le  17  novem- 
bre 1730,  à  La  Rochette.  Il  reçut 
une  éducation  distinguée,  et  sou- 
tint la  célébrité  du  nom  qu'il  por- 
tait, par  ses  soins  et  son  zèle  à  se- 
conder les  utiles  et  honorables  oc- 
cupations de  son  père.  C'est  lui 
qui,  malgré  sa  jeunesse,  était  char- 
gé de  l'exécution  des  plans,  de  l'é- 
tablissement et  de  la  culture  des 
domaines,  enfin,  de  la  direction 
des  ouvriers  employés  aux  travaux 
de  tous  genres  de  La  Rochette- 
Malgré  les  troubles  de  la  révolu- 
tion, il  continua  l'amélioration  et 
la  culture  des  pépinières  et  les  se- 
mis d'arbres  :  soins  conslans  et 
précieux  dont  nos  écoles  forestiè- 
res ont  receuiili  tant  d'avantages. 
Il  mourut  à  La  Rochette,  le  8 
uiars  1804. 

moreal  de  la  rochette 

(le  BARON  Armand-Bebsabd),  mem- 
bre de  la  légion-d'honneur,  ex- 
préfet des  départemens  de  la 
Vienne  et  du  Jura,  fils  et  petit-fils 
des  précédens,  naquit  le  12  avril 
1787,  à  La  Rochette.  Il  fut  confié 
dans  son  enfance  aux  soins  de  l'ab- 
bé L'Ecuy ,  et  devint  l'un  des  élèves 
les  plus  distingués  du  professeur 
Luce  de  Lancival.  Auditeur  au 
conseil-d'état  le  9  janvier  1810, 
commissaire  spécial  de  police  le  a8 
juillet  i8i  I,  et  sous-préfet  de  Pro- 
vins le  18  juillet  i8i4j  il  a  montré 
le  zèle  le  plus  éclairé  pour  les  dé- 
tails de  l'administration.  M.  Mo- 
reau de  La  Rochette  fut  chargé,  ea 
18 15,  d'un  travail  sur  l'organisa- 
tion de  la  garde  nationale,  et  la 
manière  dont  il  s'en  acquitta  lui 
valut,  dans  le  mois  de  janvier  d«j 
la  mtMTie  année,  la  décoration  de 
la  légion-d'honneur.  De  la  sous- 
préfticturu  de  PruviuSj  il  p.i$j>a,  lu 


iSa  MOR 

9  janvier  i8ig,  à  la  préfeclure  du 
départeinenl  de  la  Vienne,  et  le 
ig  juillet  1820  à  celle  du  départe- 
ment du  Jura,  qu'il  administrait 
encore  en  cette  qualité  en  1822. 
i\l.  Moreau  de  La  Rochette  fut  créé 
baron  le  28  janvier  1819;  dans  la 
même  année,  il  épousa  M"'  de 
Saint-Cricq  Casaux,  fille  de  M.  de 
Saint-Critq-Casaux,  propriétaire 
des  belles  manufactures  de  faïence 
de  Creil  et  de  Monlereau,  et  nièce 
de  M.  de  Saint-Cricq,  conseiller- 
d'état,  directeur-général  des  doua- 
nes. Il  niourut  le  8  août  1822,  à 
Lons- le- Saulnier.  On  lui  doit 
couime  auteur  :  1°  l'Amour  cru- 
cifié, traduction  d'Ausone,  Paris, 
in- 12,  1806,  et  sans  date,  in-S"; 
2°  tes  Adieux  d'Androniaque  et 
d'Hector,  traduction  du  grec. 

MOREAU  DE  MERSAN  (N.), 
fils  d'un  ancien  procureur  au  par- 
lement de  Paris,  devint  eu  1790 
procureur-général-syndic  du  dé- 
partement du  Loiret,  qui  le  nom- 
ma, au  mois  de  septembre  1795, 
membre  du  conseil  des  cinq-cents. 
Mais  des  recherches  sur  sa  con- 
duite antérieure  ayant  fait  recon- 
naître qu'il  avait  signé  une  décla- 
ration par  laquelle  la  convention 
nationale  était  inculpée,  et  les 
mouvemens  populainîs  contre  el- 
le approuvés,  il  fut  exclu  de  l'as- 
semblée jusqu'à  la  paix.  Lors  du 
triomphe  du  parti  dit  de  CUchy, 
il  rentra  au  conseil  en  mai  1797; 
il  fut  atteint  par  la  proscription 
du  18  fructidor  an  5  (4  septem- 
bre 1797)  lorsque  le  directoire- 
exécutif  l'emporta  sur  la  majorité 
des  conseils.  Il  évita,  en  se  ca- 
chant,d'être  déporté.  Le  gouverne' 
mentèonsulairelerappelaeniSoo 
et  il  futemployé  au  ministère  de  la 


MOR 

guerre.  Lorsduprocès  de  Duver- 
ne  de  Presle,  il  fut  signalé  comme 
un  des  agens  royalistes ,  et  plus 
particulièrement  comme  intermé- 
diaire entre  Monsieur  (aujour- 
d'hui Louis  XVIII)  et  plusieurs 
membres  intluens  des  conseils  des 
cinq-cents  et  des  anciens.  On  pré- 
tend que  depuis  la  restauration  du 
gouvernement  royal,  en  1814,  «  il 
»a  eu  le  courage  de  manifester 
«des  sentiment  favorables  au  gé- 
»  néralCarnot.  etde  réclamercon- 
))tre  diverses  inculpations  dont  il 
«était l'objet,  en  raison  de  sa  con- 
oduite  politique.  >>  M.  Moreau  de 
Mersanest  auteur  de  plusieurs  ou- 
vrages sur  la  politique  et  les  fi- 
nances. Le  plus  remarquable  a 
pour  titre  :  Essai  sur  le  Système 
politique  et  commercial  de  la  Hol- 
lande depuis  l' établissement  de  la 
banque  d' Amsterdam, 

MOREAU  DE  SAINT-MÉRY 
(MÉderic-Louis-Elie),  consriller- 
d'état,  commandeur  de  la  légion- 
d'honneur,  ancien  administrateur- 
général  des  états  de  Parme ,  Plai- 
sance etGuastalIa,  etc.,  naquit 
à  la  Martinique  le  i3  janvier  1760, 
d'une  famille  distinguée  dans  cette 
île,  et  qui  était  originaire  de  la 
ci-devant  province  de  Poitou.  Or- 
phelin de  père  dès  l'âge  de  trois 
ans,  Moreau  de  Saint- Méry  ne 
reçut  de  sa  mère,  qui  craignit  de 
se  séparer  de  lui,  qu'une  éduca- 
tion très-incomplète  sous  le  rap- 
port de  l'instruction,  mais  excel- 
lente sous  le  rapport  de  la  morale 
et  de  l'usage  du  monde.  Dès  sa 
plus  grande  jeunesse,  il  donna 
des  preuves  de  la  bonté  de  son 
cœur.  Parmi  plusieurs,  nous  n'en 
citerons  qu'une,  où  néanmoins  il 
n'eut  pas  le  bonheur  de  réussir. 


MOR 

Le  code  alors  en  usage  dans  les 
îles  portait  peine  de  mort  contre 
tout  esclave  dénoncé  par  son  maî- 
tre, comme  ayant  trois  lois  cher- 
ché à  s'échapper.  Un  de  ces  mal- 
heureux est  dans  ce  cas;  on  le 
condamne  à  mort  Le  jeune  Mo- 
reau  fie  Saint-Méry,  qui  s'était  en 
quelque  sorte  fait  l'avocat  des 
Noirs ,  court  se  précipiter  aux 
pieds  de  son  aïeul,  grand-séné- 
chal de  l'île ,  implore  la  grâce  du 
Nègre  infortuné,  emploie  le  se- 
cours de  ses  amis,  met  en  usage 
tous  les  moyens  qui  sont  en  son 
pouvoir;  la  loi  était  précise  :  ses 
larmes,  ses  pHires  sont  inutiles. 
On  lui  indique  cepend.mt  une 
dernière  ressource,  celle  de  dé- 
terminer le  Noir  condamné  à  ac- 
cepter la  place  d'exécuteur  des 
hautes-œuvres.  Moreau  de  Saint- 
Méry  s'efforça  inutilement  d'en- 
gager ce  Noir  à  sauver  sa  vie  en 
adoptant  le  seul  parti  qui  lui  res- 
te. «Non,  dit  ce  malheureux;  je 
«ne  dois  mourir  qu'une  fois  :  si 
»  je  devenais  bourreau  ,  mon  sup- 
«plice  recommencerait  chaque 
«jour.»  Moreau  de  Saint-Méry 
était  appelé  à  succéder  à  son  aïeul 
dans  la  charge  de  sénéchal  ;  mais 
pour  l'occuper  il  devait  se  faire 
recevoir  avocat.  Il  avait  seize  ans 
lorsque  le  sénéchal ,  se  sentant 
près  de  terminer  sa  carrière,  lui 
indiqua  le  lieu  où  il  avait  déposé 
6f>,ooo  francs,  qu'il  lui  destinait. 
Il  mourut,  et  le  jeune  Moreau,  au 
lieu  d'employer  cette  somme  à  ses 
études  de  droit,  la  partagea  entre 
les  héritiers  du  défunt.  A  l'âge  de 
•  9  ans,  il  obtint  enfin  dé  sa  mère 
la  permission  de  passer  en  France 
pour  y  compléter  son  éducation. 
11  vint  à  Paris,  et  ses  parens,  ma- 


MOR 


lOÙ 


gisirats  et  ofliciers-généraux,  le 
présentèrent  dans  le  monde,  et  le 
fircnl  recevoir  dans  le:^  gendarmes 
du  roi.  Néamoins  il  fit  ses  cours 
de  droit,  et  apprit  le  latin  sans 
maitre.  Il  suivit  aussi  les  cours  du 
collège  royal,  pour  les  mathéma- 
tiques et  la  géométrie.  Quatorze 
mois  après,  il  soutint  en  latin  sa 
thè?e  de  bachelier  en  droit.  Ami 
de  l'étude  et  des  plaisirs,  pour 
avoir  plus  de  tenjps  à  leur  sacri- 
fier, il  s'était  habitué  â  ne  dormir 
qu'une  nuit  sur  trois.  Sans  négli- 
ger son  service  militaire,  en  moins 
de  trois  années,  il  se  fit  recevoir 
avocat  au  parlement.  Il  retourna 
à  la  Martinique  ;  mais  sa  mère  é- 
tait  morte  et  sa  fortune  dissipée. 
Alors  il  se  fixa  au  Cap- Français, 
et  devint  avocat  au  conseil-supé- 
rieur de  Saint-Domingue,  où, 
après  huit  ans  d'exercice  en  cette 
qualité,  il  fut  nommé  conseiller. 
Mettant  à  profit  les  loisirs  que  lui 
laissaient  ses  fonctions  de  magis- 
trat, il  commença  à  classer  les 
nombreux  matériaux  qu'il  avait 
réunis  sur  les  lois,  jusque-là  é- 
parses ,  des  colonies.  Le  gouver- 
nement l'encouragea  dans  cette 
entreprise,  et  lui  permit  d'explo- 
rer tous  les  greffes  et  toutes  les 
archives  de  cette  contrée.  C'est 
pendant  une  de  ses  excursions 
qu'il  découvrit,  dans  une  ancien- 
ne église  de  San -Domingo,  le 
tombeau  de  Christophe  Colomb, 
ignoré  même  des  habitans  de  la 
colonie.  Louis  XVI  l'appela  à  Pa- 
ris, pour  s'y  occuper  de  son  grand 
travail .  sur  l'administration  des 
colonies  et  sur  les  lois  de  Saint- 
Domingue.  Lié  avec  les  gens  de 
lettres,  fondateur  de  la  société 
des  philadelpbcs  du  Cap-Français, 


1^4 


i\lOR 


il  fonda  ,  de  concert  avec  PilâJre 
du  Rozier,  le  musée  de  Paris,  dont 
furent  membres  la  plupart  des  lit- 
térateurs de  celte  époque.  La  ré- 
volution éclata.  Electeur  delà  ville 
de  Paris,  et  président  de  l'assem- 
blée connue  sous  la  dénomina- 
tion des  Électeurs  de  1789,  ce  fut 
lui  qui,  eu  montrant  le  buste  de 
M.  de  La  Fayette,  décida  ses  col- 
lègues à  le  nommer  commandant- 
général.  Ce  fut  également  lui  qui 
harangua  Louis  XVI  à  l'hôtel-de- 
ville,  à  la  suite  du  i4  juillet,  et 
le  harangua  de  nouveau  lors  de 
son  entrée  à  Paris ,  le  6  octobre. 
Sa  conduite  noble  et  ferme  dans 
une  assemblée  qui,  dit-on,  «  exer- 
ȍa  pendant  un  mois  la  puissance 
«souveraine  sur  toute  la  France,  » 
fut  récompensée  par  l'estime  de 
tous  les  gens  de  bien  .  et  par  une 
médaille  que  ses  collègues,  inter- 
prètes du  vœu  de  la  ville  de  Paris, 
lui  votèrent  à  l'unanimité.  Nom- 
mé,  en  1790,  député  de  la  Mar- 
tinique à  l'assemblée  constituan- 
te, il  s'y  occupa  plus  particulière- 
ment des  affaires  des  colonies,  et 
devint  membre  du  conseil  judi- 
ciaire établi  près  le  ministère  de 
la  ju&tice.  Après  la  session  de  l'as- 
semblée nalioi  aie,  il  resta  à  Paris, 
et  fut  attaqué,  aux  Champs-Ely- 
sées ,  peu  de  jours  avant  le  10 
aoftt,  par  quelques  hommes  de 
la  bande  des  Marseillais,  qui  ve- 
nait d'arriver.  Grièvement  bles- 
sé, il  se  retira  dans  la  petite  ville 
de  Forges,  où  il  fut  bientôt  arrêté 
avec  le  duc  de  la  Ifocliefoucault, 
dont  il  n'évita  de  partager  le  sort 
funeste  qu'en  échappant  par  une 
prompte  fuite  :  ce  fut  un  des  hom- 
mes mêmes  chargés  de  le  conduire 
à  Paris,  et  qu'il  avait  autrefois  obli- 


MOR 

gé,  qui  facilita  son  évasion.  Il  se 
rendit  au  Havre ,  où  il  eut  encore 
lebonheurd'être  informé  à  propos 
que  Robespierre  avait  donné  l'or- 
dre de  se  saisir  de  sa  personne.  Il 
s'embarqua  précipitamment  en 
1793,  avec  sa  femme  et  deux  en- 
fans  en  bas-âge,  pour  les  Etats- 
Unis.  Dans  sa  fuite,  il  n'avait  eu 
que  le  temps  de  s'emparer  de  ses 
manuscrits,  et,  en  arrivant  à  New- 
York,  il  fut  réduit  à  se  faire  le 
commis  d'un  marchand,  dont  la 
dureté  et  la  grossièreté  rendirent 
sa  position  extrêmement  doulou- 
reuse. Les  secours  de  quelques 
amis  lui  donnèrent  la  facilité  de 
passer  à  Philadelphie,  où  il  de- 
vint libraire,  puis  imprimeur.  Il  y 
publia  son  ouvrage  sur  Saint-Do- 
mingue et  plusieurs  traductions. 
Une  certaine  aisance,  fruit  de  son 
travail,  lui  permit  de  rendre  des 
services  importans  à  plusieurs  de 
ses  compatriotes ,  comme  lui  fu- 
gitifs, et  d'attendre  paisiblement 
que  le  calme  se  rétablît  en  France. 
Après  une  absence  de  cinq  années, 
il  revint  à  Paris,  et  fut  nommé, 
par  son  ami  l'amiral  Bruix,  mi- 
nistre de  la  marine,  historiogra- 
phe de  ce  département,  et  chargé 
de  préparer  le  Code  pénal  mari- 
time. En  1800,  le  gouvernement 
consulaire  le  comprit  au  nombre 
des  membres  du  conseil-d'état  ; 
et,  en  1801,  l'envoya  à  Parme, 
en  qualité  de  résident  de  France. 
L'année  suivante  ,  l'infant  duc  de 
Parme  étant  mort,  Morcau  de 
Saint-Méry  fut  chargé  de  l'admi- 
nistration générale  des  états  de 
Parme,  Plaisance  et  Guastalla. 
Son  autorité  était  immense  ;  il 
exerçait  les  droits  régaliens,  et  a- 
vail  même  le  droit  de  faire  grâce. 


M  OR 

11  s'attacha  à  remplir  les  devoirs 
de  sa  place  avec  sagesse  et  modé- 
ration; il  protégea  les  établisse- 
mens  d'utilité  et  de  bienfaisance. 
L'instruction  publique,  les  lettres, 
la  justice  furent  l'objet  de  toute 
sa  sollicitude.  Honoré  et  chéri  de 
ses  administrés ,  il  paraît  qu'il 
manqua  quelquefois  de  fermeté, 
et  ses  ennemis  lui  ont  reproché 
de  s'être  trop  souvent  fait  illusion 
sur  la  nature  de  ses  pouvoirs,  et 
de  s'être  plutôt  cru  souverain  du 
pays  qu'il  administrait,  qu'agent 
du  gouvernement  français.  Quoi 
qu'il  en  soit,  la  cause  apparente 
de  la  disgrâce  qu'il  éprouva  en 
1806,  et  qui,  après  cinq  années 
d'exercice,  le  fit  rappeler  dans  sa 
patrie,  fut  de  n'avoir  point  répri- 
mé assez  sévèrement  plusieurs 
compagnies  de  la  niilice  des  états 
de  Parme,  qui  refusèrent  de  se 
vendre  au  camp  de  réserve,  formé 
à  Bologne.  La  politique  conseil- 
lait à  Napoléon  des  mesures  ex- 
trêmement sé\ères;  et  le  général 
Junot,  depuis  duc  d'Abrantès , 
fut  envoyé  à  Parme  avec  des  pou- 
voirs illimités.  Il  y  établit  une 
commission  militaire ,  fit  recher- 
cher les  auteurs  de  la  révolte, 
les  fit  punir,  et  ordonna  la  des- 
truction de  deux  villages  par  les 
flammes.  Moreau  de  Saint- Méry, 
à  son  arrivée  à  Paris,  étaiten  pleine 
disgrâce.  On  le  priva  de  ses  ap- 
pointemens  ,  et  on  lui  refusa  mê- 
me le  remboursement  de  4o»ooo 
francs  d  arrérages.  Dans  une  au- 
dience qu'il  eut  de  l'empereur, 
après  une  explication  assez  vive, 
il  dit  à  ce  prince,  avec  plus  d'es- 
prit que  de  prudence,  et  peut-être 
de  politique  :  «  Sire ,  je  ne  vous 
«demande  point  de  récompenser 


MOR  i35 

»ma  probité;  je  demande  seule- 
»ment  qu'elle  soit  tolérée;  ne 
«craignez  rien  :  cette ^aladie n'est 
«pas  contagieuse.  La  reconnais- 
«sance  est  la  fleur  des  tombeaux.  » 
L'empereur  sourit,  mais  le  fonc- 
tionnaire disgracié  n'en  éprouva 
pas  un  sort  plus  heureux.  Il  faut 
être  en  première  ligne  ,  ou  puis- 
samment protégé ,  pour  que  des 
vérités  de  cette  importance  res- 
tent dans  la  mémoire  d'un  souve- 
rain, et  rappellent  son  attention 
et  sa  faveur  sur  l'homme  probe  et 
vrai  qui  a  eu  le  courage  de  les  dire. 
Moreau  de  Saint-Méry  ne  reparut 
plus  i\  la  cour  ;  il  fut  entièrement 
oublié.  Jusqu'en  1812,  il  ne  vécut 
que  des  bienfaits  de  l'impératrice 
Joséphine  ,  sa  parente.  A  cette  é- 
poque,  on  lui  accorda  une  modi- 
que pension,  qui  suflîsait  à  peine 
à  ses  besoins,  puisqu'il  fut  obli- 
gé, et  c'est  un  fait  notoire,  de  se 
défaire  successivement  de  ses  ta. 
bleaux,  de  ses  livres,  et  même 
de  ses  vôlemens  :  pauvreté  hono- 
rable, qui  attestait  sa  probité  et 
son  désintéressement,  à  une  é- 
poque  où  il  pouvait  sans  obstacle 
élever  l'édifice  de  sa  fortune.  Son 
courage  dans  le  malheur  ne  l'a- 
bandonna pas.  Chaque  jour,  pen- 
dant dix  heures ,  il  s'occupait  de 
la  mise  eu  ordre  et  de  la  rédac- 
tion des  ouvrages  qu'il  a  laissés 
eu  manuscrit ,  et  notamment  des 
Mémoires  de  sa  vie ,  auxquels  il 
a  rattaché  l'histoire  politique  c% 
littéraire  du  temps,  et  la  relation 
de  ses  voyages.  La  restauration , 
en  1814,  lui  rendit  un  moment  de 
bonheur.  Le  roi,  qui  l'avait  connu 
avant  la  révolution ,  informé  de 
sa  détresse,  lui  fit  remettre,  en 
1817,  une  somme  de  i5,ooo  fr., 


i3G 


M  OR 


qui  servit  à  acquitter  les  dettes 
qu'il  avait  contractées,  et  à  re- 
riiettre  un  [^u  d'aisance  dans  sa 
famille.  Il  mourut  le  'àS  janvier 
1819,  dans  la  69"  année  de  son 
âge.  Moreau  de  Saint- Méry  était 
membre  de  la  société  d'agricul- 
ture, de  l'ancien  musée  de  Paris, 
de  l'alhénéc  des  arts,  et  de  lu  so- 
ciété royale  académique  des  scien- 
ces, aux  réunions  desquelles  il  se 
faisait  un  devoir  d'assister  régu- 
lièrement. Chacune  de  ces  socié- 
tés a  payé  un  juste  tribut  d'hom- 
mages à  sa  mémoire.  Outre  la  so- 
ciété d'agriculture ,  par  l'organe 
de  son  secrétaire  perpétuel,  M. 
Silvestre,  M.  Fournier  prononça 
sur  sa  tombe  un  discours  funèbre. 
Moreau  de  Saint-Méry  a  publié  : 
1°  Lois  et  constitutions  des  colonies 
françaises  de  l' ATn.criqae-sous-le 
f^enty  de  i55oà  1786,  6  vol.  in- 
4%  Paris,  1784-1790,  travail  d'une 
haute  importance ,  et  dont  Louis 
XVI  ordonna  qu'un  exemplaire 
serait  déposé  dans  chaque  bureau 
d'administration  et  dans  chaque 
greffe  des  colonies  de  l'Amérique. 
Cet  ouvrage  est  devenu  Irès-rare. 
l'Description  de  la  partie  espagnole 
de  Saint-Domingue ,  2  vol.  in-8", 
Philadelphie,  1796;  3"  Idée  géné- 
rale ou  Abrégé  des  sciences  et  des 
orts^  à  l' usage  de  la  jeunesse ,  in- 
12,  Philadelphie,  1795  :  livre  élé- 
mentaire, imité  de  l'ouvrage  pu- 
blié par  Formey  en  1754;  il  est 
infiniment  supérieur  à  son  modèle, 
et  a  été  traduit  en  anglais.  On  l'a 
adopté,  comme  classique,  dans  les 
collèges  des  Etats-Unis.  4°  Rela- 
tion de  l' ambassade  de  lu  compagnie 
des  Indes-Orientales  hollandaises , 
à  la  Chine,  rédigée  parVan-Uraum, 
traduite  en  français,  3  vol.  in-4"j 


MGR 

Philadelphie,  1796-1797.  Cette 
traduction  fut  elle-même  tradui- 
te en  anglais,  et  publiée  à  Lon- 
dres. L'ouvrage  de  Moreau  Saint- 
Méry  a  été  réimpriîné  à  Paris.  5" 
Description  de  la  partie  française 
de  ta  colonie  de  Saint-Domingue^ 
2  vol.  in-4°,  Philadelphie,  1797- 
1798.  Elle  renferme,  ainsi  que 
l'ouvrage  où  se  trouve  la  descrip- 
tion de  la  partie  espagnole ,  des 
notions  importantes  et  suffisam- 
ment détaillées  sur  l'agriculture 
des  Antilles,  l'indiislrie  et  le  com- 
merce ,  l'histoire  physique  et  na- 
turelle, les  usages  anciens  et  mo- 
dernes des  peuplesde  ces  contrées. 
6'  De  la  Danse,  un  vol.  in-12, 
Philadelphie,  «797;  réimprimé 
par  Bodoni,  Parme,  in- 16,  1801. 
Dans  cet  opuscule,  écrit  avec  grâ- 
ce ,  l'auteur  montre  l'analogie  qui 
existe  entre  les  danses  coloniales 
et  celles  des  Maures  ,  des  Afri- 
cains, et  surtout  celles  des  Grecs. 
7"  Discours  sur  l'utilité  du  musée 
de  Paris,  prononcé  le  jour  de  l'i- 
nauguration de  cette  société,  en 
1784,  i»-4°»  Parme,  180 5.  8° 
Discours  sur  les  assemblées  publi- 
ques littéraires ,  prononcé  au  mu- 
sée de  Paris,  en  1785,  in -4", 
Parme,  i8o5.  Parmi  les  princi- 
paux manuscrits  lais-^és  par  Mo- 
reau de  Saint-Méry,  on  remarque  : 
1°  Histoire  générale  des  Antilles 
françaises.  C'était  son  ouvrage  de 
prédilection,  et  il  s'est  jusqu'à  sa 
mort  efforcé  de  le  periectionner. 
Ce  manuscrit  peut  former  plu- 
sieurs volumes.  On  y  trouve  des 
faits  curieux  et  ignorés,  tant  his- 
toriques que  biographiques ,  wet 
particuliers  aux  mœurs  et  à  l'ori- 
gine des  premiers  naturels,  'i.'' Ré- 
pertoire de  notions  coloniales.  Ce 


MOR 

manuscrit  formera  également  plu- 
sieurs volumes;  il  est  consacré  à 
fournir  des  anecdotes  et  des  faits 
historiques  sur  les  premiers  fon- 
dateurs des  colonies,  les  indigè- 
nes, Indiens  et  Caraïbes.  Il  ren- 
ferme les  lois  coloniales  inédites, 
dont  le  gouvernement  lui  avait 
confié  la  rédaction,  par  suite  des 
abus  qu'il  avait  signalés.  3°  Des- 
cription de  la  Jamaïque;  4°  His- 
toire de  Porto-Rico ;  5°  Obser ca- 
tions sur  le  climat ,  l' histoire  natu- 
relle, les  mœurs  et  le  commerce  des 
Étals-Unis  d' Amérique;  Q" Maté- 
riaux d' un  traité  général  sur  les 
cultures  coloniales  ;  ■^°  Histoire  des 
états  de  Parme,  Plaisance-et  Guas- 
talta.  Ce  dernier  ouvrage  renfer- 
me ,  sur  cette  partie  de  l'Italie, 
des  détails  intéressans  ,  principa- 
lement sur  les  mœurs  et  sur  la 
politique.*  8°  f^ie  de  Moreau  Saint- 
Méry ,  écrite  par  iui-même.  Il  a 
traduit,  sur  le  manuscrit  espagnol 
de  D.  F.  Azara,  V Histoire  natu- 
relle des  quadrupèdes  du  Paraguay, 
2  vol.  in-8".  Paris,  1800.  Moreau 
de  Saint-Méry  y  a  ajouté  un  grand 
nombre  de  Notes  instructives  et 
intéressantes  :  son  travail  fut  ap- 
prouvé par  l'institut.  On  doit  en- 
core à  cet  écrivuin  un  grand  nom- 
bre (V Articles  sur  l'histoire,  la  lit- 
térature et  les  sciences,  et  des 
Mémoires,  soit  séparément,  soit 
dans  différens  recueils.  Désessarts 
a  inséré  dan<  le  Jounlaldes  causes 
célèbres  plusieurs  de  ses  factums. 

WOREAU  U£  SAINÏ-MEKY, 
(Médebic-Louis-Mahie-Narcisse), 
ancien  chef  de  bureau  au  minis- 
tère de  l'inférieur,  fils  du  précé- 
dent, reçut  une  éducation  disfin- 
guée,  et  devint  audilciir  de  pre- 
mière classe  au  conseil-d'état.    Il 


MOR 


i3- 


accompagna  son  père  à  Parme,  et 
remplit  près  de  lui  les  fonctions 
de  secrétaire-général  de  l'adminis- 
tration de  Parme ,  Plaisance  et 
Guastalla.  Plus  lard,  successive- 
ment secrétaire  de  la  préfecture 
du  département  de  la  Stura,  et 
sous-préfet  de  Coni,  il  passa,  en 

1814,  au  ministère  de  l'intérieur, 
en  qualité  de  chef  de  bureau.  II 
perdit  cet  emploi  au  mois  de  mars 

181 5. 

MOREL  (N.  ),  secrétaire  du 
cabinet  de  Monsieur,  aujourd'hui 
Louis  XVIII ,  secrétaire  des  me- 
nus plaisirs  et  poète  lyrique,  est 
un  de  ces  auteurs  qui,  sans  talent 
littéraire,  trouvent  le  moyen  de 
s'emparer  du  théâtre,  au  détri- 
ment du  talent  réel.  Morel  règne 
depuis  40  ans  à  l'Opéra,  où  ses 
ouvrage?,  qui  ont  survécu  à  ceux 
de  Marmofitel ,  se  représentent 
encore  quelquefois.  Il  est  vrai  que 
ce  poète  a  eu  l'habileté  de  s'asso- 
cier au  musicien  en  vugue,  et  de 
chercher  dans  le  génie  d'autrui , 
la  compensation  de  ce  qui  lui  man- 
quait; d'ailleurs  sa  placelui  donnait 
la  facilité  d'obtenir  de  l'intérêt, 
une  complai*anre  qu'il  n'eût  sans 
doute  pas  obtenue  par  ses  talens. 
Cela  surtout  explique  les  rapports 
de  Morel  avec  Grétry.  Certain  A 
peu  près  de  faire  applaudir  sa  mu- 
sique, si  médiocre  que  fût  le  poè- 
me auquel  il  l'applirjuât,  (irétry  é- 
tait  certain  aussi  d'être  jniié  de  pré- 
férence à  tout  autre  compositeur, 
en  s'associant  à  un  homme  tout- 
puissant  dans  le  conseil  qui  ad- 
ministrait i'Opéra.  Tous  les  ou- 
vrages que  Morel  a  composés  a- 
vec  Grétry,  n'ont  pourtant  pas 
obtenuun  égal  sucrés.  L'ennuyeu- 
se   nullité  du    poémc   d'Aspasie 


i58  MOR 

prévalut  sur  le  charme  de  la  mu- 
sique gracieuse  et  spiriluelle  de 
l'Orphée  liégeois.  Cet  opéra,  non 
moins  riche  comme  composition 
musicale  que  sa  Caravane  et  Pa- 
nurgej  n'a  eu  que  quelques  re- 
présentations. Morel,  depuis  em- 
pruntant de  l'étranger  l'appui  que 
Gréiry  ne  lui  prêtait  plus,  a  com- 
posé un  opéra  avec  Winter.  Se 
donnant  aussi  pour  associés  les 
chefs  de  toutes  les  écoles,  et  em- 
ployant à  son  caprice  leur  musi- 
que, souvent  composée  sur  des 
paroles  et  pour  des  situations 
différentes  de  celles  auxquelles  il 
les  applique,  il  a  donné  à  la  scène 
lyrique  deux  parodies,  les  Mystè- 
res d'Isis,  où  il  n'emploie  que  de 
la  musique  de  Mozart,  et  Saitl, 
pasticcio  où  il  met  à  contribution 
Piccini,  Paësiello ,  ITandel,  Gos- 
sec,  Haydn  et  Sacchini,  et  encore 
Mozart  et  tant  d'autres.  Cette  ten- 
tative a  été  justifiée  par  quelques 
succès,  mais  elle  ne  prouve  (\i\^eM 
laveur  des  musiciens;  jamais  le 
triomphe  de  leur  art  n'a  été  plus 
surprenant  et  plus  complet  que 
dans  les  Mystères  d'Isis,  ouvra- 
ge con'^u  et  écrit  en  dépit  du  bon 
sens;  Saàl^  dans  la  composition 
duquel  Morel  s'était  fait  aider,  ne 
mérite  pas  tout-à-fait  les  mêmes 
reproches.  Si  mauvais  que  soient 
les  opéras  de  Morel,  on  lui  en  a 
pourtant  contesté  la  propriété. 
Panurge  serait,  dit-on,  l'ouvrage 
d'un  homme  de  la  cour  de  Louis 
XVI.  Cette  réclamation  n'est  flat- 
teuse ni  pour  le  poète  qu'on  juge 
incapable  d'avoir  fait  cet  opéra, 
ni  pour  celui  qu'on  croit  capable 
de  l'avoir  fait.  Les  ouvrages  de 
Morel  sont  :  i"  Alexandre  aux 
/ndes,  opéra  en  5  actes,  musique 


MOil 

de  Méreaux,  1782;  2'  la  Carava- 
ne du  Caire,  opéra  en  5  actes, 
musique  de  Grétry,  1783;  o' Pa- 
nurge  dans  l'île  des  Lanternes, 
musique  de  Grétry,  1785;  4"  -^*"* 
pasie,  opéra  en  5  actes,  musique 
de  Gréiry,  1789;  ^''  les  Mystères 
d'isis,  opéra  en  5  actes,  parodié 
sur  la  musique  de  Mozart,  i8oi  ; 
G°  Tamerlan ,  opéra  en  3  actes , 
musique  de  Winter,  1802;  7°  de 
moitié  avec  M.  Després,  d'abord 
secrétaire  du  baron  de  Besenval, 
puis  secrétaire  des  commande- 
mens  de  la  reine  Hortense,  Saul, 
oratorio  en  3  actes,  parodie  dont 
il  a  été  question  plus  haut;  8° 
le  Laboureur  chinois,  autre  pastic- 
cio en  un  acte  ;  enfin 9°  Sophocle , 
opéra  en  3  actes,  musique  de  Fioc- 
chi;  ouvrage  commandé  par  la 
cour  à  ce  compositeur  distingué. 
Morel  a  écrit  aussi  l'histoire  de 
France  en  vers  techniques,  forme 
sous  laquelle  Voltaire  a  essayé  de 
graver  dans  la  mémoire  les  évé- 
nemens  si  compliqués  et  si  mul- 
tipliés dont  se  composent  les  an- 
nales de  l'empire.  Dans  ce  genre, 
qui  repousse  toute  élégance,  Mo- 
rel s'est  moins  éloigné  de  Voltaire 
que  de  Quinault  dans  ses  opéras. 
C'est  le  meilleur  de  ses  ouvrages. 
Nous  ignorons  s'il  est  imprimé. 
Morel,  que  nous  ne  jugeons  ici 
que  comme  poète,  seul  rapport 
sous  lequel  il  soit  justiciable  du 
biographe,  était  d'ailleurs  un  hom- 
me de  mœurs  douces  et  faciles.  Il 
ne  manquait  pas  d'amabilité,  il 
aurait  même  pu  passer  pour  hom- 
me d'esprit  s'il  n'eût  pas  écrit.  Il 
est  mort,  en  18 15,  âgé  de  68  ou 
70  ans. 

MOREL  (Hyacinthe),  homme 
de  lettres,  né  à  Avignon,  en  1759, 


MOR 

(  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  le  précédent),  a  publié  plu- 
sieurs ouvrages  en  prose  et  en 
vers.  Nous  citerons  les  plus  re- 
marquables: i°Épitre  àZulmésnr 
les  inconvéniens  du  liure  flans  une 
jeune  demoiselle  d'une  médiocre  for- 
Urne ,  1788,  in-S";  a"  le  Coup- 
d'Œil  de  ma  raison  sur  le  célibat 
ecclésiastique,  ij<)i,  in-S";  ô*"  Mes 
Distractions ,  ou  Poésies  diverses, 
1799,  in- 12; 4*  iés  Malheurs  et  les 
Crimes  de  C ignorance,  discours  en 
vers  ,  suivi  de  la  Philosophie  louée 
par  elle-même,  discours  en  vers  , 
j8o4,  in-S";  5°  l'Jrt  épistolaire, 
poëme  traduit  en  vers  français , 
d'HerveyMontaigu,  jésuite,  1812, 
in-18. 

MOREL  (Alexandre-Jean),  pa- 
rent du  précédent  (  Hyacinthe 
Morel),  professeur  de  mathémati- 
ques à  l'école  d'artillerie  de  la 
garde  royale,  est  ancien  chef  de 
brigade,  employé  à  l'école  Poly- 
technique. Il  a  publié  :  Principe 
acoustique  nouveau  et  universel  de 
la  théorie  musicale,  ou  musique  ex- 
pliquée ,   1816,  in-S". 

MOREL (N.),  député  auxétats- 
généraux,  en  1789,  était  cnltiva- 
leur  à  Chaumont  en  Bassigny 
(déparlement  delà  Haute-Marne) 
lorsque  le  tiers-état  d  u  bailliage  de 
Chaumont  le  nomma  à  cette  as- 
semblée. Il  se  ûtpeu  remarquer,  et 
ne  prit  qu'une  seule  fois  la  parole, 
en  novembre  1789,  afin  de  pres- 
ser l'achèvement  de  la  constitu- 
tion qui  devait  amener  une  nou- 
velle législature.  En  1790,  il  don- 
na sa  démission,  fut  remplacé  par 
M.  Gombert,  et  se  relira  dans  ses 
foyers,  qu'il  n'a  plus  quittés. 

MOREL  (N.),  député  suppléant 
aux  ^  états -généraux  en  1789,  é- 


MUR  109 

tait  avocat  à  Sarguemincs  (dé- 
partement du  Nord)  à  l'époque 
de  la  convocition  des  états-géné- 
raux. Le  liers-étatdu  bailliage  de 
Sarguemincs  le  nomma  député 
suppléant  à  cette  assemblée.  Il 
fut  appelé  à  remplacer  M.  Mayer, 
et  eut  peu  d'occasions  d'occuper 
la  tribune.  Cependant  le  20  juin 
1791,  il  y  parut  pour  demander  la 
suspension  du  paiement  des  pen- 
sions de  tout  Français  qui  alors  se 
trouvait  absent  du  royaume.  Après 
la  fin  de  la  session,  il  disparut  en- 
tièrement de  la  scène  politique. 

MOREL  (N.),  intendant  de /Von- 
sieur ,  aujourd'hui  Louis  XVIII, 
se  trouva  inculpé  dans  l'affaire  du 
marquis  de  Favras  {voy.  ce  nom). 
Morel  se  hâta  de  se  justifier  ;  ses 
déclarations  chargèrent  le  préve- 
nu, que  bientôt  il  accusa  ouver- 
tement de  conspiration  contre  la 
sûreté  de  l'état.  Après  sa  justifica- 
tion, il  avait  été  autorisé,  par  le 
comité  des  recherhes  de  la  com- 
mune de  Paris ,  à  faire  afficher 
les  dépositions  par  lesquelles  il  se 
disculpait.  On  ne  sait  ce  qu'il 
est  devenu  depuis  cette  époque. 

MOREL  (Loris- Sébastien), 
membre  de  plusieurs  assemblées 
législatives,  exerçait  les  fonctions 
de  procureur-syndic  du  district 
d'Epernay,  département  de  la 
Marne,  lorsque  les  suffrages  de  ses 
concitoyens  le  portèrent,  au  mois 
de  septembre  1791,  à  l'assemblée 
législative,  où  il  resta  incomiu. 
Après  la  session ,  n'ayant  pas  été 
renommé  à  la  convention  natio- 
nale, il  rentra  dans  ses  foyers,  et 
biejitôt  devint  commi;*saire  près 
de  l'administration  centrale  de  son 
département.  En  mars  1799»  il 
fut  élu  au  conseil  des  cinq-ceuts. 


i4*> 


WOR 


et  après  la  révolution  du  18  bru- 
maire an  8  (9  novembre  1799), 
il  passa  au  corps^législatif.  On  l'a 
ensuite  entièrement  perdu  de  vue. 

MOR.EL  (Antoine-Alexandbe), 
graveur,  élève  de  M.  David,  de 
Massard  et  d'Ingou  f,  s'est  consacré 
à  la  gravure  des  sujets  histori- 
ques. Le  talent  de  M.  Morel  rappel- 
le avec  bonheur  la  manière  des 
graveurs  célèbres.  Son  estampe 
du  Serment  des  Horaces,  ainsi  que 
celle  de  Bélisaire,  d'après  son 
maître  M.  David,  ont  obtenu  un 
succès  mérité.  Nous  citerons  en- 
core son  Œdipe,  d'après  Giroux; 
le  Concert^  d'après  le  Dominicain  ; 
YEnfant  prodigue,  d'après  Spada. 
Ces  dernières  compositions  ont 
été  entreprises  pour  le  musée 
royal. 

MOREL-VINDÉ  (le  vicomte 
Charles-Gilbert  de),  pair  de  Fran- 
ce, correspondant  de  l'institut, 
est  né  à  Paris  le  20  janvier  1759; 
il  était,  depuis  1778,  conseiller  au 
parlement  de  cette  ville,  lorsque 
la  révolution  éclata.  Il  en  adopta 
avec  sagesse  les  principes,  et  fut 
nommé,  en  Ï790,  parmi  les  mem- 
bres de  l'un  des  six  tribunaux 
de  Paris.  11  donna  sa  démission, 
au  mois  de  juin  1791,  pour  se  li- 
vrer exclusivement  à  ses  goûis 
agricoles.  Par  suite  de  ses  obser- 
vations et  de  nombreuses  expé- 
riences ,  il  l'ut  bientôt  en  état  de 
publier  différens  Mémoires  sur 
l'agriculture ,  l'amélioration  des 
troupeaux,  etc.  :  ils  lui  valurent, 
en  1808,  le  titre  de  correspondant 
de  la  i"  classe  de  l'institut  (sec- 
tion d'économie  rurale),  et  le 
firent  admettre  au  nombre  des 
membres  ou  associés  des  sociétés 
d'agriculture  de  Paris,  Versailles, 


MOR 

Lille,  Caen  ,  Toulouse,  etc.  11  ne 
sortit  point  de  la  vie  privée  sous  le 
régime  iujpérial.  Après  le  rétablis- 
sement du  gouvernement  royal, 
en  1814,  M.  de  Morel-Vindé  re- 
çut, le  6  décembre  de  la  même 
année,  la  croix  de  la  légion-d'htin- 
neur;  fut  nommé  pair  de  France, 
le  17  mars  181 5,  au  titre  de  vi- 
comte, et  compris, en  1818,  dans 
la  formation  du  conseil  royal  d'a- 
griculture. 11  s'est  aussi  occupé 
avec  succès  de  littérature.  On  lui 
doit  :  1°  Morale  de  r enfance,  pu- 
bliée pour  la  première  fois  en 
1790,  in- 16.  Ce  petit  traité  de 
morale,  qui  est  aujourd'hui  (1824) 
à  sa  10*  édition,  a  eu  les  honneurs 
de  contrefaçons  multipliées;  il  a 
été  traduit  en  latin  par  M.  Leclerc, 
professeur  de  l'université.  2°  Dé- 
claration des  droits  de  fliomme  et 
dacitoyen,  mise  à  la  portée  de  tout 
le  monde,  et  comparée  avec  les 
vrais  principes  de  toute  société , 
Paris,  1790,  in-8".  "5°  Des  Révolu- 
tions du  globe,  conjecture  formée 
d'après  les  découvertes  de  Lavoi- 
sier  sur  la  décomposition  et  la 
recomposition  de  l'eau,  Paris, 
1797,  in-8°;  4°  Primerose,  ro- 
man, Paris,  1797,  in-iG,  plusieurs 
fois  réimprimé.  Voici  le  jugement 
qu'en  porte  Chénier,  dans  son 
Tableau  historique  de  l'état  et  des 
progrès  de  la  littérature  française 
depuis  1789  :  «  Les  aventures, 
»  dit-il,  de  Primerose,  fille  du 
•  comte  de  Beaucaire ,  et  de  son 
«amant  de  Gerardet,  fils  du  duc 
»  de  Valence ,  y  sont  racontées  avec 
«agrément.  Le  duc  Gérard,  qui 
«veut  toujours  ménager  des  sur- 
»  prises,  offre  un  caractère  plai- 
ssant  et  vrai;  du  fonds  même  de 
»ce  caractère  naît  un  dénouement 


.^/"eMe^. 


J^a/ona   pùicc , 


r  refny  del-  ei^  <  '  cuii> 


MOR 

»  très-bien   filé.    La   composition 

•  est  faible,  mais  amusante,  et  le 

•  stjle  n'est  pas  dépourvu  de  grâ- 
»ces.  ')  5"  Clément  de  Lautrec, 
roman,  Paris,  2 vol.  in- 12, 1798; 
6'  Modèle  d'un  bail  à  ferme,  Paris, 
1799 ,  in-fol.  ;  r°  Zélomir,  roman, 
Paris,  in-i6,  1801;  ^'Mémoire 
sur  les  dangers  de  la  loi  qui  défend 
r exportation  des  béliers-mérinos  , 
1 807,  in-S"  ;  9°  Mémoire  sur  l'exac- 
te parité  des  laines -mérinos  de 
France  et  des  laines-mérinos  d'Es- 
pagne, Paris,  1807,  în-8°  ;  10° 
Mémoire  et  Instruction  sur  les  trou- 
peaux de  progression,  Paris,  in-8% 
1808;  14°  l^lan  des  râteliers  de  la 
Celle-Saint-Cloud,  1808,  in-S"; 
12°  Plan  d'un  gerbier  à  toit  mobi- 
le, 1811,  in-8°  ;  i5°  Sur  les  ani- 
maux microscopiques;  14  '  Spéci- 
fique contre  la  pesogne ,  1812, 
in-8°;  lo"  Plan  d'une  grange  sur 
poteaux,  181 3,  in-8°;  16"  Obser- 
vations sur  la  monte  et  sur  l'agne- 
lage, i8i3,  in-8°;  17*»  Suite  des 
Observations  sur  la  monte  et  l'a- 
gnelage, i8i4iîn-8'';  1^°  seconde 
Suite  des  Observations,  etc.,  18 1 5, 
in-8";  19°  troisième  Suite  des  Ob- 
servations, etc.,  1816,  in-8°;2o'' 
Notice  sur  le  dépôt  de  laines  formé 
à  Paris,  1816,  in-S";  ^i"  Notice 
sur  deux  espèces  d' avoine,  1816, 
in-8°;  22°  assolement  de  la  Celle- 
Saint-Cloud,  1819,  in-8*;  23' 
Notice  sur  le  chancre  de  la  bouche 
des  agneaux,  1817,  in -8°;  24° 
Plan  d'une  bergerie,  1812,  in-fol.  ; 
2  5°  Instruction  sur  le  fraisier  des 
Alpes,  1822,  in-8°;  a6"  Obser- 
vations pratiques  sur  la  théorie 
des  assolemens,  1822,  in-8°  ;  27'' 
Appendice  aux  Observations  sur  ta 
théorie  des  assolemens,  1823,  in-S"; 
38°  Essai  sur  les  constructions  ru- 


MOR 


141 


raies,  in-fol.,  avec  beaucoup  de 
planches  lithographiées.  Cet  ou- 
vrage est  sous  presse  (  1824). 

MORELLET  (l'abbé  A>dré), 
naquit  à  Lyon,  le  7  mars  1727; 
il  était  l'aîné  de  quatorze  enfans. 
Son  père,  marchand  papetier,  ne 
retirait  pas  un  grand  profit  de  son 
commerce  ;  il  s'imposa  néan- 
moins, pour  subvenir  aux  frais 
de  rédueation  de  son  fils,  des  sa- 
crifices que  sa  fortune  semblait 
ne  pas  pouvoir  comporter,  Mo- 
rellct  fut  envoyé  au  collège  chez 
les  jésuites.  Soit  que  les  disposi- 
tions de  leur  élève  n'aient  pas  été 
précoces,  soit  qu'ils  aient  pensé 
que  les  chiîtimens  en  favorise- 
raient le  développement,  ces  bons 
pères  ne  témoignèrent  d'abord 
leur  attention  au  jeune  Morellet, 
qu'en  le  traitant  avec  une  rigueur 
dont  il  leur  girdait  encore  ran- 
cune dans  les  dernières  années  de 
sa  vie.  Ses  humanités  finies,  il 
n'en  songeait  pas  moins  à  entrer 
dans  la  société  de  Jésus,  quand 
ses  parens  l'envoyèçent  à  Paris, 
dans  un  séminaire  dit  des  Trente- 
trois.  C'est  de  celte  maison,  o\\ 
la  discipline  était  des  plus  rigou- 
reuses et  les  études  des  plus  for- 
tes ,  que  Paris  lirait  ses  curés  ,  les 
évêques  leurs  grands-vicaires,  et 
l'université  ses  professeurs.  Mo- 
rellet s'y  distingua  ;  ses  succès 
n'eurent  toutefois  d'autre  résultat 
que  de  lui  ouvrir  un  accès  à  la 
Sorbonne.  Là  il  se  foMifia  dans 
les  études  théologiques ,  moins 
pourtant  que  dans  la  foi.  L'abbé 
Morellet,  qui  était  dialecticien 
subtil,  avait  été  plus  frappé  de 
l'insufTisance  et  des  inconvénicns 
de  la  doctrine  qu'on  enseignait  à 
cette  école  ,  que  de  sa  sublimité  ; 


i'43 


MOR 


et,  comme  cela  arrive  quelque- 
fois dans  d'autres  salles  d'escri- 
me, à  force  de  férailler,  il  avait 
appris  à  toucher  ses  maîtres.  Ila- 
vait, dit-il,  pasgé5  ans  en  Sorbonne, 
«  toujours  lisant  y  toujours  dis- 
rtputant,  toujours  très- pauvre ,  et 
»  toujours  content.  »  Il  en  sortit 
en  1762,  philosophe  et  licencié. 
Morellel  forma  dans  cet  établis- 
sement des  liaisons  avec  plusieurs 
jeunes  gens  qui,alors  abbés  comme 
lui,  devinrent  par  la  suite  des 
personnages  plus  importans  :  tels 
que  Turgot,  qui ,  laissant  bientôt 
la  carrière  ecclésiastique  pour 
entrer  dans  celle  de  l'administra- 
tion, devint  contrôleur-général; 
tels  que  l'abbé  de  Loménie,  qui , 
.sans  changer  de  profession,  par- 
vint aux  preinièresdignités  de  l'é- 
tat et  de  l'église,  et  mourut  sim- 
ple citoyen,  après  avoir  été  car- 
dinal et  premier  ministre.  Le  mo- 
ment où  ces  hommes  pouvaient 
lui  être  utiles  n'était  pas  encore 
venu.  C'est  sur  la  recommanda- 
tion du  supérieur  du  séminaire 
des  Trente-trois  qu'il  fut  chargé 
de  l'éducation  de  l'abbé  de  la 
Galairière,  /ils  du  chancelier  du 
roi  de  Pologne.  Dès -lors  il  so 
trouva  à  l'abri  du  besoin;  cette 
place  lui  procura  même  des  avan- 
tages que  la  richesse  seule  peut 
donner.  Chargé  de  conduire  son 
élève  en  Italie ,  il  coiupléta  ainsi 
sa  propre  éducation  ,  et  s'enrichit 
gratuiteniênt  de  toutes  les  connais- 
sances qu'on  procurait  à  grands 
frais  à  cet  opulent  écolier.  C'est 
pendant  le  séjourqu'il  fit  à  Rome, 
^qu'il  tira  d'un  in-folio  intitulé  Di- 
.rectorium  inquisitornni,  par  Ni- 
colas Eymerick,  grand-inquisi- 
«iteur  au  i4*siècl«,  un  petit  vo- 


MOR 

lume,  qu'il  publia  sous  le  titre 
de  Manuel  des  inquisiteurs,  mi- 
niature d'un  monument  colossal 
de  la  plus  féroce  stupidité. C'est  à 
Rome  aussi  qu'il  contracta  le  goût 
delà  musique.  De  retour  à  Paris, 
devenu  libre  ,  et  grâce  A  une  pen- 
sion qjie  le  père  de  son  élève  lui 
fit  avoir  sur  une  abbaye,  ne  vou- 
lant plus  aliéner  sa  liberté,  et, 
quoique  prêtre,  répugnant  à  vivre 
de  l'autel, vil  se  livra,  par  incli- 
nation autant  que  par  spéculation, 
à  l'étude  du  droit  public  et  de 
l'économie  politique  ,  tout  en  cul- 
tivant la  philosophie.  La  tendance 
de  son  esprit,  la  nature  de  ses 
opinions  le  mit  bientôt  en  rapport 
avec  les  hommes  les  plus  influens 
dans  les  sociétés  qui  donnaient  le 
ton  à  Paris,  les  Économistes  et  les 
Encyclopédistes.  Les  uns  et  les  au- 
tres l'adoptèrent;  les  uns  et  les 
autres  n'ont  pa?  eu  de  sectateurs 
plus  zélés,  de  plus  assidus  colla- 
borateurs. Pendant  soixante  ans  il 
a  exposé  et  soutenu  leurs  opinions 
dans  ses  ouvrages,  produit  des 
profondes  études  qu'il  avait  faites 
des  objets  de  leurs  méditations, 
et  où  il  émet  nombre  d'idées 
utiles,  adoptées  depuis  par  les  lé- 
gislateurs. Dans  ces  sortes  d'ou- 
vrages, où  l'on  réfute  aussi  sou- 
vent qu'on  affirme,  où  la  critique 
est  continuellement  mêlée  ù  la 
doctrine ,  l'abbé  Morellet  égaie 
fré({uemment  par  la  plaisanterie , 
la  sévérité  de  la  discussion.  Cet  art 
surtout  lui  fit  trouver  des  lecteurs 
en  France,  où  l'on  n'a  évidem- 
ment raison  que  lorsqu'on  anmse. 
Il  l'employa  avec  succès  dans  la 
guerre  que  s'était  attirée  le  Franc 
de  Pompignan,  par  son  discours 
à  l'académie-française.  Lc'^  si^  les 


MOR 

pourquoi,  qui  succédèrent  aux 
quand ,  facétie  de  Voltaire,  pas- 
sèrent dans  le  temps  pour  être 
«orties  de  la  plume  de  ce  malin 
yieillard  dont  x^lorellet  s'était  fait 
l'auxiliaire.  Il  eut  à  se  reprocher 
d'avoir  usé  une  fois  inconsidéré- 
ment de  cette  faculté  ,  ou  ,  disons 
le  mot,  d'en  avoir  une  fois  abusé 
Dans  un  pamphlet  où  il  vengeait 
les  encyclopédistes  des  attaques 
qui  leur  avaient  été  portées  par 
Palissot,  dans  la  comédie  des  Phi- 
losophes ,  enveloppant  dans  son 
ressentiment  les  personnes  qui  ap- 
plaudissaient cette  satire,  avec 
l'auteur  même  de  cette  satire,  il 
poussa  l'oubli  de  toute  conve- 
nance jusqu'à  révéler  à  une  dame 
mêlée  dans  celte  intrigue  (la  prin- 
cesse de  Robecq  ) ,  le  secret  que 
lui  cachaient  les  médecins  ,  et 
toute  l'intensité  du  danger  où  la 
jetait  la  maladie  incurable  dont 
elle  était  attaquée.  C'était  blesser 
des  principes  plus  sacrés  encore 
que  ceux  de  la  courtoisie.  Voltaire 
le  premier  s'éleva  contre  un  pro- 
cédé si  peu  français.  Morellet, 
moins  délicatement  organisé  que 
lui,  n'a  jamais  reconnu  bien  com- 
plètement son  tort  en  cette  circons- 
tance, le  seul  de  ce  genre,  au  reste, 
qu'on  puisse  lui  reprocher  dans  le 
cours  de  sa  longue  carrière;  et  il 
est  effacé  par  tant  d'actions  hono- 
rables !  C'est  au  sujet  de  cette 
pièce,  intitulée  Vision  de  Charles 
Palissot,  qu'il  fut  mis  à  la  Bastille. 
Dès-lors  ceux  qui  l'avaient  le  plus 
hautement  blâmé,  se  turent;  une 
lettre-de-cachet  leur  parut  une 
punition  plus  que  suffisante  pour 
une  faute  qui  n'était  justiciable 
que  de  l'opinion  publique.  La  vie 
de  Morellet ,  plus  féconde  en  tra- 


MOR 


145 


vaux  qu'en  événemens ,  n'est 
guère  rem?.rquable  depuis  cette 
époque  que  pur  les  écrits  qu'il  a 
publié*  :  ils  sont  très-nombreux, 
et  se  rattachent- pour  la  plupart 
à  des  objets  du  plus  grand  intérêt. 
En  tête  il  faut  mettre  la  traduction 
du  judicieux  ouvrage  de  Beccaria, 
le  Traité  des  délits  et  des  peines. 
Les  philantropes  lui  sauront  gré 
aussi  d'avoir  rédigé,  en  1764» 
sous  la  dictée  du  docteur  Gatti ,  à 
qui  la  langue  française  n'était  pas 
familière ,  des  Réflexions  sur  les 
préjugés  qui  s'opposent  au  progrès 
et  à  la  perfection  de  l'inoculation 
en  France.  Il  n'est  pas  une  décou- 
verte utile  dont  il  ne  se  soit  fait 
l'apologiste,  comme  il  n'y  a  pas 
de  fausse  doctrine  dont  il  n'ait  été 
le  dénonciateur.  Il  avait  dévoilé 
l'horrible  jurisprudence  du  saint- 
office  dans  le  Manuel  des  inquisi- 
teurs; il  l'ombattit  avec  moins  de 
gravité,  mais  non  moins  d'obstina- 
tion, les  opinions  de  l'abbé  Galliani 
sur  te  commerce  des  grains,  et  celles 
de  iVl.  jSecker  sur  la  même  matière. 
Mais  c'est  surtout  contre  Linguet 
qu'il  déploya  toutes  les  ressources 
dont  la  nature  l'avait  pourvu  pour 
ce  genre  de  guerre.  Réunissant 
les  opinions  absurdes,  contradic- 
toires, ou  hasardées,  éparses  dans 
les  nombreux  écrits  de  ce  publi- 
ciste,  il  en  composa  la  Théorie  du 
paradoxe,  celui  de  ses  ouvrages 
où  il  a  peut-être  le  plusmultiplié  les 
preuves  de  son  talent  polémique. 
Morellet  écrivit  fréquemment,  à 
l'invitation  des  ministres,  sur  des 
questions  d'économie  publique. 
Les  services  qu'il  leur  rendit  sont 
constatés  par  un  arrêt  du  conseil 
qui,  en  1770,  lui  alloua,  sur  la 
caisse  du  commerce,  une  gratiû'' 


'44 


MOR 


cation  perpétuelle  de  2,000  livres 
pour  differeiis  ouvrages  et  mc- 
moires  publiés  sur  les  matières  de 
C administration.  C'e.st  à  son  an- 
cien cauiaratle  de  séminaire,  à 
M.  Tuigot,  alors  ministre,  qu'il 
fut  redevable  de  cette  récompen- 
se. Antérieurement  à  cette  épo- 
que, l'abbé  Morellet  avait  con- 
tracté, avec  le  public  et  avec  lui- 
même,  un  grand  engagement.  En 
1769,  il  avait  annoncé  un  Nou- 
veau dictionnaire  du  commerce.  Le 
prospectus  dans  lequel  il  exposait 
le  plan  de  cet  ouvrage,  était  un 
ouvrage  lui-même.  Il  est  à  re- 
gretter que  des  obstacles  indé- 
pendans  de  la  volonté  de  Morel- 
let, ne  lui  aient  pas  permis  de 
conduire  à  fin  cette  utile  entre- 
prise, pour  laquelle  il  avait  amas- 
sé des  matériaux  j)endant  20  ans, 
et  dont  le  succès  lui  était  garanti 
par  la  multiplicité  et  l'étendue  de 
ses  connaissances  dans  cette  par- 
lie,  qu'il  avait  étudiée  toute  sa 
vie.  Croyant  qu'il  pouvait  encore 
les  étendre  par  des  voyages  ,  il 
pas<a  en  Angleterre  en  1772,  et 
parcourut  plusieurs  de  ses  pro- 
\  vinces.  C'est  là  qu'il  se  lia  avec 
plusieurs  personnages  célèbres  à 
des  titres  ditïérens,  tels  que  lord 
Shelburne ,  depuis  marquis  de 
Lansdown,  Franklin,  qui  n'était 
encore  connu  que  par  ses  décou- 
vertes en  physique ,  Ciarrick  le 
comédien,  et  l'évêque  Waburton. 
De  ces  liaisons ,  la  moins  utile 
pour  lui,  n'est  pas  celle  qu'il  for- 
ma avec  le  marquis  de  Lans- 
down. M-^M-ellet,  sans  embrasser 
rimj)raticable  système  de  l'abbé 
de  Saint-Pierre,  pensait  que  des 
nations  pouvaient  subsister  riva- 
les sans  être  ennemies,    et  que 


MOR 

leurs  industries  particulières  pou- 
vaient accroître  leur  prospérité 
réciproque,  à  la  faveur  d'une  paix 
utile  à  toutes  les  deux.  Par  suite 
de  l'estime  qu'il  avait  conçue  pour 
le  publiciste  qui  professait  de  pa- 
reils principes,  le  marquis  de  Lans- 
down rechercha  Morellet  à  Paris, 
et  lui  ouvrit  sa  maison  à  Londres  : 
il  ne  s'en  tint  pas  là.  En  1783, 
devenu  ministre,  et  en  cette  quali- 
té négociant  la  paix  entre  la  Fran- 
ce et  l'Angleterre,  il  sollicita  et 
obtint  de  Louis  XVI,  pour  l'abbé 
Morellet,  une  pension  de  4?ooo 
livres  sur  les  économats;  et,  chose 
assez  plaisante,  c'est  à  la  recom- 
mandation d'un  étranger  et  d'un 
hérétique  que  le  théologien  de 
l'Encyclopédie  fut  récompensé 
sur  les  fonds  du  clergé,  des  servi- 
ces qu'il  avait  rendus  à  la  Fran- 
ce. Le  ministre  anglais  motivait 
sa  demande  sur  ce  que  l'écrivain 
français  avait  libéralisé  ses  idées. 
Il  est  douteux  qu'aujourd'hui  on 
obtînt  une  grâce  du  ministère  à 
pareil  litre.  La  fortune  de  l'abbé 
Morellet  s'était  insensiblement  a- 
méliorée  comme  on  le  voit  et 
toujours  à  des  titres  honorables. 
Elle  s'accrut  une  fois  aussi  par 
un  malheur,  par  la  mort  de  M"" 
Geoffrin ,  qui  avait  placé,  tant 
sur  sa  propre  tête  que  sur  la  tête 
de  Morellet,  une  rente  de  1,200 
livres,  en  jouissance  de  laquelle  il 
entra  en  perdant  cette  excellente 
amie,  «  Je  ne  veux  pas,  lui  avait- 
elle  dit  en  lui  annonçant  ce  place- 
ment, que  vous  dépendiez  des 
gens  en  place,  qui  peuvent  vous 
retirer  ce  qu'ils  vous  donnent;  «et 
pourtant  les  principes  soutenus 
par  Morellet  avaient  été  souvent 
en    opposition'  avec    les   intérêts 


MOR 

privés  de  iM°"  Geoffriii,  qui,  non 
contente  de  le  protéger  pendant 
sa  vie,  voulut  être  sa  bienfaitrice 
même  après  sa  mort.  Morellet 
s'est  aquitté,  autant  qu'il  le  pou- 
vait envers  elle,  dans  un  écrit  in- 
titulé :  Portrait  de  M"'  Geoffrin. 
Le  mérite  de  l'abbé  Morellet,  plus 
reconimandable  par  la  force  de  sa 
raison  que  par  l'éclat  de  l'esprit, 
et  par  la  solidité  que  par  la  grâce, 
parut  cependant  au  parti  phi- 
losophique, que  cet  abbé  avait 
constamment  servi,  un  titre  suffi- 
sant pour  lui  mériter  accès  à  l'a- 
cadémie-française.  En  1780,  Mo- 
rellet y  fut  appelé  à  la  place  de 
l'abbé  Millot.  Quoiqu'il  ait  excité 
quelques  réclamations,  ce  choix 
était  juste.  Les  esprits  solides  ne 
sont  pas  moins  utiles  aux  travaux 
de  cette  société  que  les  esprits 
brillans,  et  le  génie  qui  analyse  les 
propriétés  d'une  langue,  n'y  est 
pas  déplacé  auprès  du  génie  qui 
les  met  en  œuvre  et  sait  les  éten- 
dre. L'abbé  Morellet  s'était  beau- 
coup occupé  de  grammaire  et 
d'étymologie;  il  avait  fait  une  é- 
tude  approfondie  de  l'origine  et 
du  mécanisme  de  la  langue  fran- 
çaise; il  contribua,  autant  qu'au- 
cun de  ses  confrères,  à  la  confec- 
tion du  dictionnaire.  Peu  de  temps 
après,  un  événement  plus  heu- 
reux, quoique  moins  honorable, 
mit  le  comble  i\  la  prospérité  de 
cet  abbé.  Morellet,  dont  les  tra- 
vaux avaient  été  de  peu  d'utilité 
pour  l'église,  ne  s'en  croyait  pas 
moins  en  droit  de  participer  uaua> 
B  biens  que  Dieu  prodigue  à  ceux 
'■qui  font  vœu  d'être  siens.»  En 
1788,  un  fort  bon  bénéfice,  le 
prieuré  de  Thiraers,  lui  échut  en 
vertu  d'un  induit  dont  il  avait  étç 

I.  XIV. 


MOR 


14;^ 


grevé  20  ans  auparavant  par  M. 
Turgot  au  profit  de  l'abbé  Morel- 
let. C'était  une  bonne  terre  située 
en  Beauce,  et  valant  16,000  fr.  de 
rentes.  L'abbé  se  hâta  d'en  pren- 
dre possession, l'embellit  et  l'amé- 
liora.   «A  62   ans,  dit-il,   j'étais 
«pressé  de  jouir;»   sa  jouissance 
fut  courte.  Déjà  la  révolution  se 
préparait;  un  an  après  elle  était 
accomplie.  La  plume  de  Morellet 
ne  resta  pas  oisive  en  cette  occa- 
sion. Le  principal  ministre,  M.  de 
Brienne,  y  eut  plus  d'une  fois  re- 
cours.   Fidèle   encore   aux    prin- 
cipes qu'il  oublia  quelque --ji»  de- 
puis ,  Morellet  les   défendit  avec 
chaleur  en  plusieurs  circonstances, 
et  surtout  à  l'occasion  de  la  dou- 
ble représentation   du  tiers-état. 
Il  soutint  dans  cette  question  une 
opinion  qui  lui  était  commune  a- 
vec  M.  Necker,  et  avec  le  prince 
à  qui   la  France  est  aujourd'hui 
redevable  de  la  charte  ;  une  par- 
tie  de  la  noblesse  s'éleva   néan- 
moins contre  lui.  Lors  des  élec- 
tions, le  prieur   de  Thimers  eut 
un    moment    l'espérance    d'être 
nommé  député  de  son  ordre  aux 
états  généraux.  Trompé  deux  fois 
dans  sa  prétention,  le  candidat  en 
conçut    quelque   humeur    contre 
les  assemblées  électorales,  et  par- 
ticulièrement contre  celle  qui  s'é- 
tait tenue  à  Paris  dans  l'église  do 
Saint-Roch ,  et   lui  avait  préféré 
l'abbé  Fauchet.  Ce   désappointe- 
ment refroidit  tant  soit  peu  le  pa- 
triotisme de  l'abbé  Morellet;  mais 
ce  qui  l'éteignit  tout-à-fait,  c'est 
le  décret  qui  supprimait  les  dîmes 
et  ordonnait  la   vente  des  biens 
du  clergé.  Le  philosophe  dispa- 
rut alors,  et  l'on  ne  vit  plus  en 
lui  que  l'ecclésiastique.   En  vain 


ï'id 


M  OR 


la  inajeure  partie  cic  ses  vœux  .«e 
réalisait-  elU;  :  la  perte  de  ses  re- 
venus le  rendit  insensil)le  au  triom- 
phe de  ses  principes.  L'assemblée, 
qui  par  ses  lois  lui  portait  ce  dom- 
mage,   lui  parut  si  incapable  de 
faire  le   bonheur   de   la   France, 
(|u'en  ce  moment,  où  il  était  per- 
mis   d'en    airendre     «hi   bien,    il 
prit  la   révolutioi!  dans  une  hor- 
reur égale  à  celle  qu'elle  inspira 
depuis  aux  âmes  généreuses,  lors- 
qu'au règne  de  la  liberté  eut  suc- 
cédé le  despotisme  de  la  terreur. 
L'abbé  Morellct  ne  voyait  pas  les 
choses  du  même  œil  que  le  mar- 
quis deLansdoAvn  ,  qui,  en  l'invi- 
tant à  chercher,   dans  l'avantage 
dont  le  décret  relatif  au  clergé  é- 
tait  pour  l'intérêt  public,  une  con- 
solation du  dommage  qu'il  portait 
à  son  intérêt  particulier,  lui  écri- 
vait :  f^ous  êtes  an  soldat  blessé  dans 
une  bataille  que  vous  aeez  gagnée. 
Morellet,  loin  de  chanter  victoire, 
criait  en  toute  occasion  contre  les 
vainqueurs,  et  porta  même  le  zèle 
de  la  maison  de  Dieu  jusqu'à  dé- 
fendre cette  Sorbonne  dont  il  s'é- 
tait si   publiquement  moqué.   La 
destruction  de  l'académie-françai- 
5ie  surtout  l'aftïigea  vivement  :  on 
tient  d'autant  plus  auxchoses  qu'on 
les  a  plus  péniblement  gagnées.  II 
recfuivra  toutefois  sa  philosophie 
quand  il  fallut  combattre  l'adver- 
sité.   Echappé  aux  proscriptions, 
il  chercha  dans  le  travail  des  res- 
sources contre  le  besoin ,  et  se  mit 
à  traduire,  non  plus  l(;s  ouvrages 
de  Gatti  ou  deBeccaria  ,  mais  ceux 
A'Jnne  Radcliffe   ou    de   Regina 
^  Maria  Roche;  non  plus  des  his- 
toires, mais  des  romans.  «  Occu- 
«palion  frivole,  dit-il,  mais  à  la- 
T»quelle  j'ai  été  réduit  par  le  bc- 


MOR 

«soin,  et  dont  je  suis  loin  de  rou- 
»gir.  I)  En  eflet,  quand  un  esprit 
grave  est  obligé  de  se  livrer  à  des 
travaux  futiles  pour  vivre,  ce  n'est 
pas  à  lui  qu'en  est  la  honte.  Ces 
travaux  frivoles,  qu'il  exécuta  en 
homme  d'esprit,  ne  l'empêchaient 
pas  cependant  de  revenir  dans  l'oc- 
casion à  des  objets  sérieux,  à  des 
travaux  de  la  plus  haute  impor- 
tance. Il  avait  combattu  avec  vé- 
hémence les  théories  politiques  de 
Brissot,  l'un  des  hommes  qui  aient 
fait  le  plus  de  mal  à  la  société  a- 
vec  l'intention  contraire;  prenant 
ia  défense  des  enfans  des  condam- 
nés, il  s'éleva  avec  plus  de  véhé- 
mence encore,  en  1795,  contre 
la  loi  qui  confisquait  leurs  bienx; 
et  son  ouvrage,  intitulé  le  Cri  des 
familles ,  fut  le  signal  de  cette  réac- 
tion généreuse  qui  se  manifesta 
dans  lesein  mêmede  la  convention. 
Le  courage  n'a  jamais  fait  un  plus 
heureux  emploi  du  talent,  la  phi- 
losophie n'a  jamais  servi  plus  ho- 
norablement l'humanité.  L'abbé 
Morellet  ne  réclama  pas  moins 
hauteiiient  en  faveur  des  pères , 
mères  et  aïeuls  des  émigrés.  Enfin, 
en  1799,  ^'^'^^  11''  n'ii  attaqua  la 
loi  des  otages.  Le  noble  usage  qu'il 
faisait  de  ses  Facultés  fut  générale- 
ment apprécié,  même  à  cette  é- 
poque  où  la  terreur  semblait  prête 
à  revivre.  L'estime  publique  l'in- 
vestissait d'une  inviolabilité  réel- 
le. Elle  le  fit  désigner  p.uir  pro- 
fesseur d'économie  politique  et  de 
législation  aux  écoles  centrales , 
fonctions  qu'il  ne  crut  pas  toute- 
fois devoir  accepter.  Le  sort  de 
l'abbé  Morellet  s'améliora  parsui- 
tede  la  révolution  du  18  brumaire. 
Appelé  i\  l'institut,  par  la  réunion 
des  membres  de  racridémic-fran- 


5I0R 

çai<e  à  ceux  de  cette  société  ea 
i8o3,  il  se  vit  bientôt  réinté- 
gré dans  ses  honneurs  littéraires, 
et  ces  honneurs-iù  n'étaient  plus 
stériles  :  ils  lui  assuraient  uu  re- 
venu de  9000  francs  à  peu  près , 
composé  des  honoraires  fixés  par 
la  loi  pour  chacun  des  uje-mbres 
de  l'institut,  d'uivepensionde  1000 
Irancs  que  la  seconde  classe,  au 
inoyen  d'une  retenue,  attribuait  à 
ifes  huit  doyens  d'Age  .  et  du  trai- 
tement alloué  aux  membres  de 
la  commission  du  Dictionnaire, 
traitement  double  pour  Morellet, 
qui  figurait  la  comme  membre 
-et  comme  secrétaire.  Les  prin- 
ces de  la  famille  dominante  alors 
fie  firent  un  plaisir  d'ajouter,  sous 
les  prétextes  les  plus  délicats^  a 
une  aisance  si  justement  acquise. 
Morellet  recevait,  à  titre  de  corres- 
pondant littéraire  de  Joseph  Bo- 
naparte, un  traitement  honor4Tble 
aussi  pour  le  prince  qui  le  lui 
payait.  Morellet,  au  reste,  ne  fut 
pas  ingrat  :  Erit  ille  vii/ii  semper 
Deus ,  dit-il,  en  appliquant  à  son 
bienfaiteur  ce  que  Virgile  disait 
d'Auguste.  A  l'institut  aussi ,  il  se 
trouva  quelquefois  en  opposition 
avec  sa  vieille  philosophie.  Quand 
le  cardinal  Maury  prétendit  y  è- 
tre  traité  de  Monseigneur,  on  fut 
assez  surpris  d'entendre  Morellet 
appuyer  cette  ridicule  prétention. 
Le  désir  qu'il  avait  de  parvenir  à 
la  députation  fut  enfin  satisfait  en 
1808.  A  l'âge  de  81  ans,  il  se  vit 
porté  au  corps-législatif,  dont  il 
a  fait  partie  jusqu'en  1810.  L'exer- 
cice des  fonctions  législatives  , 
dans  lesquelles  il  a  presque  fini  sa 
vie,  n'a  pas  ajouté  à  l'éclat  de  sa 
réputation.  L'organisation  de  cet- 
te partie  de  la  représent;ilion  na- 


MOR 


u: 


tionale  ne  lui  ofi"rait  pas  les  moyens 
d'appeler  sur  lui  l'attention   pu- 
blique. Le  corps-législatif  ne  dis- 
cutait alors  qu'à  huis-clos,   dans 
ses   bureaux-    L'accès    de   la  tri- 
bune lui  eùt-il  été  ouvert,  il  est 
douteux  que   Morellet   y  eût  été 
chercher  des  succès  inaccessibles 
aux  orateurs  qui  ne  jouissent  pas 
de  toute  l'énergie  de  leurs  facul- 
tés. Mais  les  succès  qui  tiennent 
à  la    droiture   des    intentions,    à 
la  rectitude  des  idées,  à  la  force 
des  raisonnemens,  lui  auraient  é- 
chappé  rarement.  La  faible  voix, 
que   cet   octogénaire  eût  fait  en- 
tendre dans  le  temple  de  la  loi , 
eût  été  souvent  celle   de   la  rai- 
son, et  toujours  celle  de  la  pro- 
bité. La  restauration   le  retrouva 
encore  plein  de   vigueur.   L'abbè 
Morellet ,  constitué  de  manière  à 
atteindre  au  dernier  période  de  la 
vieillesse    la    plus   reculée,    était 
parvenu,  sans  infirmités,  à  l'âge 
de  88  ans,  lorsqu'une  chute  qu'il 
fit,    en  montant    dans    une   voi- 
ture  à    la    sortie    du    spectacle , 
mit  ses   jours   en   danger.    Il  se 
cassa  la  cuisse  en  décembre  i8i4> 
€t  fut  contraint,  par  suite  de  cet- 
te fracture,   à  garder  sa  cham- 
bre pendant   plus  de  deux  ans. 
Malgré    son   extrême   affaiblisse- 
ment,  il  prenait  cependant   une 
part  toujours  active  au  travail  du 
Dictionnaire  :  la  commission  s'as- 
sembla long-temps  autour  de  son 
lit.  Il  en  sortit  en  1817,  pour  assis- 
ter à  une  séance  publique  de  l'ins- 
titut, espèce  de  résurrection  que 
les  assistons    célébrèrent  p.'«r  les 
témoignages  les  plus éclalans  d'es- 
time et   de   vénération.    Devenu 
<loyen  der.icadémie-française  par 
la  mort  de  Siiard,  à  qui  des  Ihrti 


i48  MOtl 

moins  nombreux  et  moins  recotn- 
manJables  avaient  obtenu  quinze 
ans  avant  lui  les  honneurs  du  fau- 
teuil, Morcllet  trouva  sans  doute 
dans  le  plein  rétablissement  de 
cette  académie,  où  les  avantage» 
dont  il  jouissait  comme  membre 
de  l'institut,  ne  lui  furent  pourtant 
pas  entièrement  conservés,  une 
indemnité  des  pertes  qu'il  éprou- 
vait par  suite  de  la  chule  du  ré- 
gime impérial.  Le  roi  lui  accorda 
une  pension  de  2,000  francs,  et 
s'il  n'était  plus  dans  l'opulence, 
du  moins  n'était-il  pas  dans  le  be- 
soin quand  il  mourut.  31orellet, 
douéj  au  moral  comme  au  phy- 
sique, delà  constitution  la  plus 
robuste,  était  plutôt  bon  que  sen- 
sible. Les  vertus  de  son  cœur  te- 
naient aux  qualités  de  son  esprit; 
son  cœur  était  juste,  parce  que 
son  esprit  était  droit  :  appliquant 
sa  dialectique  h  tout,  il  aimait  le 
bien  comme  il  aimait  l'ordre,  et 
le  mal  lui  déplaisait  à  l'égal  d'une 
fausse  conséquence.  Il  eut  pour 
amis  ses  plus  illustres  contempo- 
rains, parmi  lesquels  on  compte 
plusieurs  philosophes.  «  Chez  ces 
«hommes  taxés  d'une  trop  grande 
«liberté  de  penser,  j'ai  vu  souvent, 
»  disait-il,  toutes  les  vertus,  l'éloi- 
«gnement  du  vil  intérêt,  la  justi- 
»ce,  l'humanité,  la  bienfaisance, 
»la  générosité,  et  surtout  la  pas- 
»sion  du  vrai ,  le  désir  ardent  de 
«le  voir  triompher  de  l'ignorance 
«et  de  la  sottise.  Voilà  ce  que  j'ai 
«recherché  en  eux,  et  si  avec  ces 
»disposiiions  on  peut  les  appeler 
«uléchans  et  pervers,  je  veux 
«partager  cette  injure  avec  eux.  » 
Tout  honnête  homme  fera  le  mê- 
me vœu  ,  pour  peu  qu'il  soit  hom- 
me de  bon  sens.   Exempt  de  tout 


/  MOR 

fanatisme,  Morellet  aiiria  moin» 
hi  société  du  baron  d'Holbach 
que  celle  dont  Voltaire  absent  é- 
tait  le  chef  ou  plutôt  Tâuie,  et 
dont  la  philosophie  était  établie 
sur  la  tolérance  la  plus  absolue. 
Voltaire,  dans  sa  correspondance, 
parle  souvent  et  toujours  avec  es- 
time du  talent  et  des  opinions  de 
l'abbé  Morellet.  Il  s'amusait  à  le 
voir  se  ruer  sur  les  ennemis  de  la 
raison ,  et  à  l'y  exciter,  en  l'appe- 
lant Mordstes,  par  allusion  à  sa 
vigilance  et  à  sa  ténacité,  qui  sont 
aussi  les  qualités  d'un  dogue.  La 
dernière  discussion  où  Morellet  ait 
figuré  fut  provoquée  par  le  sin- 
gulier succès  à^Atala.  Avec  une 
raison  moins  sévère  et  un  goût 
plus  complaisant,  on  pourrait, 
comme  Chénier,  ne  pas  tout  ad- 
mirer dans  cet  assemblage  confus 
de  beautés  réelles  et  d'innovations 
bizarres.  Mais  Morellet,  plus  frap- 
pé des  fautes  que  des  beautés, 
trouvait  naturellement  tout  mau- 
vais dans  un  ouvrage  qui  n'est 
pas  entièreuient  bon.  Dans  un  pe- 
tit écrit  très -simple,  très -clair, 
très-raisonné  et  très-raisonnable, 
il  indiqua  avec  une  grande  jus- 
tesse les  faux  brillans,  soit  en 
pensées,  soit  en  expressions,  dont 
abonde  cette  étrange  production. 
L'aigreur  avec  laquelle  cette  cri- 
tique a  été  relevée  par  certains 
journaux  prouve  qu'il  y  avait  déjà 
quelque  courage  à  prendre ,  à 
cette  occasion,  la  défense  du  bon 
goût  et  de  la  saine  raison.  On 
ne  s'étonnera  pas  qu'un  esprit  si 
enclin  au  scepticisme  et  à  l'iro- 
nie ait  eu  quelque  prédilection 
pour  Rabelais  :  l'abbé  Morellet 
possédait  à  fond  le  livre  de  ce 
docte  en  plu»  d'une  science,  et 


MOR 

démêlait  avec  une  admirable  sa- 
g-acité  l'or  enfoui  dans  ce  fumier. 
Le  commentaire  qu'il  en  a  laissé 
doit  être  précieux  sous  plus  d'un 
rapport.  L'imagination,  ainsi  que 
nous  l'avons  dit,  n'était  pas  dans 
Slorellet  la  faculté  dominante  :  il 
aimait  pourtant  les  beaux-arts.  Il 
jouaitmême  delà  basse, de  la  viole. 
Passionné  pour  la  musique  autant 
qu'il  pouvait  l'être,  il  ne  resta  pas 
neutre  dans  la  querelle  des  gluc- 
kistes  et  des  piccinistes.  Il  s'est 
aussi  quelquefois  occupé  de  poé- 
sie. On  trouve  dans  ses  mémoires 
quelques  chansons,  où  la  gaieté 
est  assez  heureusement  alliée  à  la 
raison.  Il  s'en  faut  de  beaucoup 
que  ses  poésies  approchent  de 
celles  de  Voltaire,  quoi  qu'on  ait 
dit  ;  mais  il  est  une  de  ces  pièces 
dans  laquelle  la  doctrine  d'Horace 
et  celle  de  Salomon  sont  assez  in- 
génieusement rapprochées  pour 
qu'on  la  retienne  :  c'est  celle  qu'il 
chantait  le  plus  volontiers.  On  pour- 
rait l'appeler  le  décalogue  des  hon- 
nêtes gens.  Personne  plus  que 
l'abbé  Morellet  n'avait  mission 
pour  les  prêcher;  il  était  aussi  leur 
doyen.  Morellet  était,  en  société, 
du  commerce  le  plus  sûr,  mais  non 
pas  toujours  le  plus  aimable  :  il  y 
apportait  quelquefois  une  humeur 
despotique  que  sa  bonhomie  ne 
tempérait  pas  assez.  Plus  habi- 
tuellement porté  à  décider  qu'à 
discuter,  il  répondait  trop  souvent 
à  des  objections  par  des  assertions 
énoncées  de  ce  ton  brusque  et 
tranchant  qui  étonne  peu  dans  un 
théologien,  ou  dans  un  métaphysi- 
cien ,  mais  qui  n'en  est  que  plus 
déplaisant  dans  le  monde;  habi- 
tude contractée  sur  les  bancs  de 
l'école ,  et  que  la  polémique  à  la- 


MOR  149 

quelle  il  se  livra  pendant  toute  sa 
vie  n'avait  fait  que  forti6er.  Ce 
défaut  se  faisait  surtout  sentir  dans 
les  discussions  académiques  ,  où 
son  avis  lui  semblait  devoir  être 
reçu  comme  loi,  où  toute  contra- 
diction lui  était  insupportable, 
où  il  exigeait  qu'on  eût  pour  sou 
goût  et  pour  sa  raison  la  défé- 
rence qu'on  devait  à  son  âge. 
Cette  exigence  s'explique  toute- 
fois. Ce  vieillard  ne  trouvait  au- 
tour de  lui  personne  qu'il  pût 
mettre  sur  la  ligne  des  Voltaire, 
des  Rousseau,  des  Buffon,  avec 
lesquels  il  avait  vécu,  et,  en  cela, 
il  n'était  pas  injuste.  Mais,  avait- 
il  été  l'égal  de  ces  grands  hom- 
mes ,  et  la  nouvelle  génération 
n'avait-elle  produit  aucun  écri- 
vain qu'il  pût  égaler  à  lui  ?  C'est 
ce  qu'on  ne  saurait  croire  quelque 
estime  qu'on  lui  porte.  Voici  la 
liste  exacte  des  ouvrages  com- 
posés par  ce  laborieux  écrivain  : 
1°  Petit  Ecrit  sur  une  matière  in- 
téressante,  1736,  in-S";  2°  Ré- 
flexiojis  sur  les  avantages  de  la  li- 
bre fabrication  et  de  Cusage  des 
telles  peintes  en  France,  pour  ser- 
vir de  rcpûnsfi  aux  divers  mémoires 
des  fabricans  de  Paris,  Lyon, 
Tours,  Rouen,  etc.,  sur  cette 
matière,  i^ôS,  in-;2;  3°  les  5/, 
les  Pourquoi;  ta  Prière  universelle; 
la  Vision  de  Palissot,  1760  ('dans 
les  Facéties  parisiennes) ;  4°  Mé- 
moires des  fabricans  de  Lorraine  et 
de  Bar ,  présenté  à  Monseigneur 
l'intendant  de  la  province  ,  concer- 
nant le  projet  d'un  nouveau  tarif, 
et  servant  de  réponse  à  un  ouvrage 
intitulé  :  Lettres  d'un  citoyen  à  un 
magistrat,  1761,  in-8°;  5*  Ré- 
flexions sur  les  préjugés  qui  s'op- 
posent à  l'établissement  et  aux  pro^ 


IJO 


MOU 


grès  de  f  inoculation,  d'après  Gat-* 
ti,  17C3,  in-12;  6°  Lettre  (à  M. 
de  Malesherbes)  sur  la  police  des 
grains  y  1 764 ,  in- 1 2  ;  7°  Observa- 
lions  sur  une  dénonciation  de  la 
Gazette  littéraire,  1^65,  in-8";  8° 
Traité  des  délits  et  des  peines,  tra- 
duit par  Beccaria,  1766,  in-12;  9° 
Nouvelles  réflexions  sur  la  prati- 
que de  l' inoculation ,  1767,  in-12; 
1 0°  Recherches  sur  le  style,  traduit 
de  Beccaria,  1771,  in-12;  11° 
Legs  d'un  Père  à  ses  filles,  traduit 
de  Grégory,  1774?  in-12;  12° 
Théorie  du  paradoxe,  iy'^5  ,  in- 
12;  15°  de  la  Liberté  d'écrire  et 
d' impriîner  sur  les  matières  d'ad- 
ministration, 1775?  in-8°;  14° 
Portrait  de  M'''  Geoffrin  ,  1777, 
in-12;  i5°  de  l'Esprit  de  contra- 
diction, 1780;  16°  Essai  sur  la 
conversation ,  maximes  et  pensées 
détachées,  imitées  de  Swift,  et  in- 
sérées dans  le  Mercure,  1780;  17" 
Lettres  de  Brûlas  àCicéron,  1782, 
in-52 ,  lire  à  25  exemplaires;  i8* 
Discours  de  réception  à  l'académie 
française,  1785;  19"  Essai  d'une 
cométologie  nouvelle ,  1 786  ;  20° 
Observations  sur  la  f^irginie,  tra- 
duit de  .leflerson,  1786,  in-8°; 
21°  Observations  sur  le  projet  de 
former  une  assemblée  nationale  sur 
le  modèle  des  états -généraux  de 
i6i4j  1788,  in-8°;  ot^."  Avis  aux 
faiseurs  de  constitutions,  traduit 
de  Francklin,  1789,  in-8";  25" 
Moyens  de  disposer  utilement  pour 
la  nation  des  biens  ecclésiastiques  , 
1  789,  in-8°;24°^/<3 1' Académie- fran- 
çaise,  ou  Réponse  à  l'écrit  de  M. 
Chain  fort  contre  les  académies  , 
1791;  25"  kl  Cause  des  pères,  1785, 
in- 8°;  26"  Pensées  libres  sur  la 
liberté  de  la  presse,  à  l'occasion 
d'un  rapport  du  représentant  Ché- 


MOR 

nier  à  la  convention  nationale , 
1795,  in-8";  27°  l'Italien  ou  le 
Confessional  des  pénitens  noirs, 
par  Anne  Radclifle ,  traduit  de 
l'anglais,  5  vol,  in-12,  1797;  28° 
les  En  fans  de  l' Abbaye ,  par  M"" 
Rcgina-Maria-Boclie ,  traduit  de 
l'anglais,  6  vol.  in-12,  1797; 
29"  Histoire  de  ('Amérique ,  con- 
tenant l'histoire  delà  Virginie  jus- 
qu'à l'aïuiée  1G88,  el  celle  de  la 
jSonvelle-Anglelerre  jusqu'à  l'an- 
née 1762,  ouvrage  posthume  de 
Robertson,  1798.  1  vol.  in-i2;5o° 
Clermont,  par  M"*  Regina-Maria- 
Roche,  traduit  de  l'anglais,  1  798,  3 
V.  in  - 1 2  ;  5 1  "Pliédora,  ou  la  Forêt  de 
Minski,  par  Mar.  Charllon,  traduit 
de  l'anglais,  4  vol.  in-12,  1799; 
52°  Voyages  de  Vancouver,  1799, 
in-4°;  35"  du  Projet  annoncé  par 
l'institut  national  de  continuer  le 
Dictionnaire  de  l' a  cadé  mie- franc  ai- 
se, 1800,  in-8^;  54"  Observations 
critiques  sur  le  roman  d'Atata, 
1801,  10-8°;  35°  Éloge  de  Mar- 
montel ,  i8o5,  in-8";  36°  quelques 
Réflexions  sur  un  article  du  jour- 
nal de  l'empire,  1806,  in-8°;  37° 
Observations  sur  un  ouvrage  ano- 
nyme  intitulé: Remarques  morales, 
philosophiques  et  grammaticales  sut" 
le  Dictionnaire  de  l'académie,  1 807, 
in-8°;  38°  Mélanges  de  littérature 
et  de  philosophie  du  18*  siècle  , 
1818,  4  vol.  in-S".  Les  Mémoires 
de  l'abbé  Morellet  ont  été  publiés 
après  sa  mort,  en  1821,  chez 
Ladvocat,  et  il  en  a  été  fait,  en 
1822,  une  seconde  édition,  aug- 
mentée de  sa  correspondance  a- 
vec  un  ministre  du  roi  Joseph.  Ce 
n'est  pas  le  .seul  ouvrage  posthu- 
me de  l'abbé  Morellet;  il  a  encore 
laissé  ,  manuscrits  ,  les  suivans  : 
1"  Lettre  à  un  athée;  2°  traduc- 


MOR 

tinn  complète  de  la  Richesse  des 
nations,  par  Smilh  ;  5°  deux  vo- 
lumes d'Jna,  ou  traits  détachés, 
recueillis  selon  la  méthode  de 
I.ocke  ;  4°  Re^tiête  des  chats  de 
M""'  Helvétius  ;  5"  Commentaire 
sur  le  chapitre  de  Rabelais ,  où  il 
donne  le  catalogue  de  la  biblio- 
thèque de  Saint-Victor;  G"  Projet 
d'une  caisse  de  secours  pour  les 
pauvres  opprimés  ;  7°  Projet  de 
statuts  et  réglemens  pour  les  maî- 
tres poètes  de  la  ville  et  faubourgs 
de  Paris;  8"*  Observations  sur  la 
traduction  de  Shakespeare,  par  Le  - 
tourneur;  9°  Remarques  sur  Vau- 
lenargues ;  10°  te  Préjugé  vaincu; 
1 1°  plusieurs  Traités  d'économi«î 
politique  :  de  la  population  ;  de 
l'administration,  du  commerce  des 
colonies;  du  crédit  public;  de  la 
richesse;  du  luxe;  du  travail  et 
des  salaires  de  la  dette  publique  ; 
12"  un  Traité  de  la  propriété;  iS" 
vm  Plaîi  de  Dictionnaire  étymolo- 
gique ;  14°  Pratiques  utiles  dans 
les  travaux  littéraires. 

MORELLI  (Jacques)  ,  célèbre 
bibliographe  italien,  bibliothécai- 
re de  Saint-Marc  à  Venise,  con- 
seiller aulique  de  l'empereur 
d'Autriche,  chevalier  de  la  cou- 
ronnede-fer,  membre  de  l'insti- 
tut du  royaume  d'Italie,  corres- 
pondant de  l'institut  de  France, 
des  académies  de  Berlin ,  Goet- 
lingue,  etc.,  naquit  ù  Venise  le  i4 
avril  1745.  Son  père,  proto-mura- 
tore,  était  amateur  passionne  de  la 
poésie  et  de  la  musique,  et  aurait 
voulu  inspirer  à  cet  enfant  les  mê- 
mes goûts;  mais  il  préféra  les  c- 
tudes  solides,  et,  pour  s'y  livrer 
avec  plus  de  facilité,  il  se  fit  ad- 
mettre au  sacerdoce.  Protégé  par 
des  savans  et  des  hommes  en  pla- 


MOR  i5i 

ce,  il  devînt,  à  sa  grande,  satisfac- 
tion, bibliothécaire  de  Saint-Marc 
à    Venise.    Cette   nomination   lui 
valut  les  félicitations  générales,  et 
l'abbé   Betlinelli   lui    adressa   les 
siennes  par  ces  paroles  flatteuses  : 
«Un  ancien,  en  habit  moderne, 
»ne  pouvait  être  mieux  placé  que 
»  dans  cette  illustre  bibliothèque.» 
Tous  ses  soins  furent  consacrés  à 
embellir   et  à  augmenter  les  ri- 
chesses de  cet  établissement,  dont 
il  ne  parlait  qu'avec  enthousias- 
me, et  dont  l'éloge  était  à  la  fm 
de  chacun   de   ses   discours   :  ce 
n'était  point  du  zèle  qu'il  mettait 
dans  laccomplissemcnt  de  ses  de-., 
voirs,  c'était  de  la  passion,  et  une 
passion  extraordinaire.  La  notice 
d'où  nous  tirons  les  matériaux  de 
cet  article,  nous  fournit  à  cette 
occasion  une  anecdote  que  nous 
allons  rapporter:  «Un  jour   que 
Morelli  assistait  au  dîner  du  prin- 
ce Eugène  Beauharnais,   vice-roi 
d'Italie,   un  des  principaux  per- 
sonnages de    cette    co»»r  lui   de- 
manda si,  placé  au  milieu  de  tant 
de  richesses,  il  pouvait  dire  quels 
seraient  les  douze  volumes  qu'il 
choisirait,  au  cas  où  il  lui  serait 
permis  de  les  emporter.  Excusez- 
moi,  répondit  Morelli,  je  ne  puis, 
en  ce  moment  de  bonheur,   fati- 
guer  ma    tête  d'une  question   si 
diflicile. — liien!  s'écria  le  prince 
Eugène,  bien  Morelli  !   il  ne  faut 
jauiais  faire  connaître,  en  les  dé- 
voilant,   tous   les    attraits   de   sa 
maîtresse.  •>  Morelli  mourut  dans 
sa  74°"  année,  le  5  mai  1819.   Il 
avait  été  cité   avec  de  grands  é- 
loges  dans  le  rapport  que  fit  en 
1811,  à  l'occasion  des  prix  décen- 
naux ,  la  classe  d'histoire  et  de 
littérature  ancienne  de  l'institut 


1D2  MOR 

impérial.  Le  caractère  de  cet  ou- 
vrage ne  nous  permet  pas  d'entrer 
dans  le  détail  de  tous  les  services 
que  Morelli  a  rendus  aux  lettres 
comme  auteur  et  surtout  comme 
bibliographe.  On  trouvera  dans  le 
premier  volume  de  l'ouvrage  inti- 
tulé :  Opérette  di  Jacopo  Morelli 
(Venise,  5  vol.  in-8",  1820),  pu- 
blié par  Barth.  Gamba ,  élève  et 
ami  de  ce  savant,  une  IS arrazione 
intorno  alla  vit  a  e  aile  opère  de  D. 
Jacopo  Morelli  y  par  Moschini, 
l'un  de  ses  autres  élèves,  et  une 
notice  de  tous  les  écrits  de  Morelli, 
ainsi  que  la  nomenclature  des  ins- 
criptions latines  qu'il  fit  pour 
l'empereur  Napoléon,  l'empereur 
d'Autriche,  le  pape  Pie  VII,  l'im- 
pératrice Marie -Louise,  l'amiral 
Villaret-Joyeuse ,  et  le  comte  de 
Goëss  ,  gouverneur  de  Venise 
sous  la  domination  française  et 
sous  la  domination  autrichienne. 
MORELLI  (Mabie-Magdelei- 
ke),  membre  de  l'académie  des 
arcades  de  Rome,  sous  le  nom  de 
Corilla  o/<H»/;<ta,  naquit  à  Pisloie, 
en  1728,  et  mourut  à  Florence, 
en  1800.  De  rapides  et  éclatans 
succès  dans  la  poésie  ,  lui  ouvri- 
rent les  portes  de  l'académie  des 
arcades  de  Rome  ;  luais  de  plus 
grands  honneurs  lui  étaient  réser- 
vés- un  triomphe  solennel  lui  fut 
décerné  au  Capitole,  et  Corilla 
vit  placer  sur  sa  tête,  le  3i  août 
1766,  la  couronne  de  laurier  qui 
ombragea  le  front  du  célèbre  a- 
mant  de  Laure,  et  qui  avait  orné  la 
dépouille  mortelle  du  chantre  de  la 
Jérusalem  délivrée.  Ces  triomphes 
excitèrent  un  peu  l'envie,  et  les 
sarcasmes  devinrent  même  assez 
nombreux  pour  faire  dire  à  l'abbé 
Pizzi,  qui,  en  qualité  de  directeur 


MOR 

de  l'Arcadie,  avait  présidé  \  cette 
dernière  solennité,  «  que  le  cou- 
)>ronnement  de  Corilla  était  de- 
wvenu  pour  lui  le  couronnement 
«d'épines.  »  La  description  des  cé- 
rémonies du  couronnement  de 
Corilla  olimpica  a  été  recueillie  et 
jiubliée  ,  à  Parme  ,  par  le  célèbre 
imprimeur  Bodoni. 

MORELLOT  (SiMOp),  ancien 
pharmacien  en  chef  des  armées 
françaises,  docteur  en  médecine 
de  l'université  deLéipsick,  naquit 
en  1751.  Il  commença  ses  études 
dans  la  ville  de  Beaune,  et  les  ter- 
mina à  Paris,  où  il  devint  phar- 
macien. Ses  taleus  lui  firent  ob- 
tenir les  deux  chaires  de  chiinie 
pharmaceutique  et  d'histoire  na- 
turelle médicale,  à  l'école  de  mé- 
decine: ils  lui  procurèrent  en- 
suite de  l'emploi  dans  le  servi- 
ce de  santé  des  armées,  en  qua- 
lité de  pharmacien  en  chef.  A- 
près  avoir  fait  les  campagnes  de 
Prusse  et  d'Allemagne,  il  passa, 
en  la  même  qualité,  au  7""  corps, 
dit  Armée  d'observation  des  Pyré- 
nées-Orientales, et  mourut  eu  Ca- 
talogne (  à  (iironne,  le  18  novem- 
bre 1809),  à  la  suite  d'une  mala- 
die de  36  heures,  qu'il  avait  puisée 
dans  les  hôpitaux.  Cet  homme 
respectable  était  passionné  pour 
sa  profession ,  qu'il  plaçait  au- 
dessus  de  toutes  les  autres  :  on  l'a 
entendu  dire  plusieurs  fois»  qu'il 
«avait  embrassé  la  pharmacie, 
«parce  qu'il  ne  connaissait  pas 
«d'état  plus  honorable.  »  Morel- 
lot  est  auteur  d'un  Traité  de  chi- 
mie pharmaceutique. 

MORELOS  (J.  M.  ),  l'un  des 
chefs  des  indépendans  de  l'Amé- 
rique méridionale,  exerçait  le  mi- 
nistère des  autels  dans  le  Mexique, 


MOR 

où  il  était  né  et  où  soa  père  était, 
dit-on,  menuisier.  Les  projets  d'as- 
servissement de  la  métropole  par 
l'empereur  Napoléon,  vers  1808, 
le  déterminèrent  l'un  des  premiers 
à  concourir  à  la  révolution  qui  de- 
vait affranchir  les  colonies  espa- 
p:noles  de  toute  espèce  de  dépen- 
dance. Ardent,  intrépide,  dévoué 
à  la  liberté,  il  renonça  aux  fonc- 
tions sacerdotales, se  maria,  et  de- 
vint un  des  chefs  les  plus  actifs  de 
la  révolution.   Hidalgo   (  voyez  ce 
nom)  se  l'adjoignit   comme   l'un 
des  plus  capables  de  le  seconder 
«'nicacement,  et  en  effet,  Morelos 
('oncourut  d'une  manière  brillante 
aux  succès  que  le  principal  corps 
(l'armée   des  indépendans   obtint 
dès  la  première  campagne ,  en  se 
portant  sur  Mexico.  Plusieurs  vil- 
les du  midi  de  cette  capitale  tom- 
bèrent au   pouvoir  des  insurges. 
Hidalgo  fut  défait  et  périt  eniSi  1. 
Ses  successeurs  dans  le  comman- 
dement, Morelos,  Rayon  et  Ville- 
gran  ,   réparèrent   les  pertes  que 
leur    cause  avait  faites.   Morelos 
soumit  en  grande  partie  les  côtes 
méridionales   du    Mexique,  et   la 
\ictoire  de  Rixtla,  qu'il  remporta 
le  19  août  (1811),  lui  permit  de 
marcher  avec  la  plus  grande  partie 
de  se?  forces  sur  Mexico.  Pendant 
ce  temps  il  faisait  assiéger,  par  un 
corps  détaché,  la  placed'Acapulco, 
dont  la  possession  importait  à  son 
plan  d'opérations.  Il  occupait  Izu- 
car,  l'une  desvillesqu'il  avaitsou- 
niises,  et  où  deux  fois,  dans  les 
premiers  mois  de  1812,  les  roya- 
listes tentèrent  en  vain  de  le  délo- 
ger. Cependant  il  apprit  que  le 
général   espagnol,    Llano,    avait 
pris  le  commandement  de  l'armée 
royale,  et  ayait  reçu  d'Europe  des 


MOR  i53 

renforts    considérables.    Morelos 
choisit  pour  centre  de  ses  opéra- 
tions la  ville  de  Quantla  ,  fortifiée 
par  ses  soins.  Il  y  fut  assiégé  par 
le  général  Callejas,  depuis  vice- 
roi,  commandant  en  chef  des  for- 
ces espagnoles.  Inspirant  aux  sol- 
dais et  aux  habitans  un  courage  à 
la  fois  religieux  et  patriotique,  dé- 
ployant dans  la  défense  des  talens 
et  des  ressources  qu'on  eût  à  pei- 
ne osé  exiger  des  généraux  les  plus 
instruits  et  les   plus   consommés 
dans  leur  art ,  il  prolongea  long- 
temps sa  belle  défense,  et  ne  se 
détermina  à  évacuer  la  ville  que 
lorsque  le  manque  de  vivres  s'y 
fit  sentir,  et  que  l'attaque  du  camp 
espagnol  ,  par  les  guérillas  indé- 
pendans, eut  été  sans  fruit.  II  fit  sa 
retraite  en  bon  ordre ,  ayant  sous 
ses  ordres  environ   7000  hommes 
bien  armés,  et  la  presque  totalité 
des  habitans.  Les  assiégeant  se  mi 
rent  à  sa  poursuite,  et,  quoiqu'il 
■  eût  beaucoup  à  souffrir  de  leurs 
attaques,  il  tint  bon,  et  s'empara 
même  de  places  d'une  haute  im- 
portance. A  Orizaba,  Tune  d'elles, 
il  livra  aux  flammes  le  magasin 
royal  des  tabacs,  estimé  plusieurs 
millions.  A  Anteguerra,  ville  prin- 
cipale de  l'intendance  d'Oxaca,  il 
fit  exécuter  quatre  officiers  supé- 
rieurs de  l'armée  royale,  en  expia- 
tion de  la  mort  de  quatre  chefs  in- 
dépendans ,    fusillés    récemment 
dans  cette  ville  même.  Maître  d'A- 
capulco,  il  intercepta  de  là  toute 
communication  avec  Mexico ,  au 
moyen  de  plusieurs  corps  de  gué- 
rillas qu'il  plaça  entre  Xalapa  et 
Vera-Cruz-  Des  actions  partielles 
et  journalières  firent  beaucoup  de 
mal  aux  Espagnols,  et  permirent 
à  Morelos  de  tenter  des  opérations 


i54 


M  OR 


plus  décisivess.  S'étant  porté  sur 
Valladolid  vers  la  fin  de  i8i5,il 
f'ijt  repoussé  par  le  général  LIano, 
et  poursuivi  à  son  tour.  Le  7  jan- 
vier 1814  >  il  ne  put  éviter  d'être 
attaqué,  et  comme  l'action  com- 
mença avant  le  jour,  deux  corps 
indépendans  se  fusillèrent  l'un 
l'autre,  par  une  méprise  qui  devint 
bien  fatale  à  Morelos.  LIano  pro- 
fita du  désordre  que  cet  événe- 
ment avait  apporté  parmi  les  in- 
dépendans :  il  les  fit  charger  sans 
leur  donner  le  temps  de  se  recon- 
naître, et  les  défit  entièrement. 
Dans  ce  combat,  Matamoros,  an- 
cien prêtre  et  lieutenant-général, 
étant  tombé  avec  six  cents  hom- 
mes de  sa  troupe  au  pouvoir  des 
Espagnols,  Morelos  offrit  de  les 
échanger  contre  un  nombre  pareil 
de  prisonniers  qu'il  avait  faits  pré- 
cédemment. Le  général  espagnol 
refusa  ces  propositions  et  fit  exé- 
cuter les  prisonniers.  De  terribles 
représailles  furent  alors  exercées 
surles  soldats  espagnols  qui  étaient 
au  pouvoir  des  indépendans.  Tel 
était  le  caractère  de  la  guerre  dans 
ces  malheureuses  contrées,  où, 
par  les  exécutions  les  plus  san- 
glantes, on  croyait  sans  doute  a- 
néantir  l'insurrection.  L'armée 
royale,  forte  de  quatre  divisions  , 
poursuivit  les  indépendans  et  les 
chassa  de  la  plupart  de  leurs  pos- 
sessions, et  reprit  Acapulco.  Mo- 
relos et  quelques  autres  chefs  oc- 
cupaient cependant  le  territoire 
de  Valladolid  et  de  iMexico,  atten- 
dant le  moment  favorable  de  re- 
prendre l'offensive.  II  crut  la  trou- 
ver dans  l'approche  de  ïoledo, 
qu'accompagnait  le  général  fran- 
çais réfugié  Humbert:  Toledo  a- 
menait  aux  indépendans  des  ap- 


MOU 

provisionnemens  de  guerre,  et  s'é- 
tait rendu  au  poste  fortifié  de 
Puente-del-Rey,  entre  Xalapa  et 
Vera-Cruz.  Dans  l'espoir  de  le  re- 
joindre, Morelos  se  mit  secrète- 
ment en  marche;  njais  il  fut  trahi 
et  fait  prisonnier,  près  d'Atacarna, 
malgré  la  défense  héroïque  de  ses 
soldats,  nui  périrent  presque  tous. 
Inforiné  de  cette  défaite  et  dusort 
que  l'on  préparait  au  prisonnier, 
le  congrès  mexicain  le  réclama  vi- 
vement près  du  vice- roi  Calleja, 
annonçant  que  les  plus  sanglantes 
représailles  vengeraient  sa  mort, 
s'il  était  frappé  par  les  lois  de  la 
guerre.  Les  prières  et  les  menaces 
furent  inutiles  :  on  le  conduisit  à 
Mexico  et  on  le  mit  en  jugement. 
Accusé  d'abord  d'hérésie ,  il  se 
justifia  ;  mais  comme  il  s'était  ma- 
rié, l'inquisition  le  fit  dégrader 
suivant  les  lois  canoniques,  et  le 
livra  ensuite  aux  tribunaux  sécu- 
liers. Les  juges  le  condamnèrent 
à  être  fusillé  par  derrière  comme 
traître  à  la  patrie.  L'intérêt  qu'il 
avait  inspiré  à  tous  les  habitans  de 
Mexico  ,  empêcha  l'exécution  de 
la  sentence  dans  la  ville.  Ce  fut 
au  village  de  San-Christobal,  qui 
en  est  éloigné  de  six  lieues,  qu'on 
lui  donna  la  mort  :  il  l'a  reçut  avec 
la  plus  grande  fermeté.  Cette  ex- 
cessive rigueur  excita  le  mécon- 
tentement général  et  l'indignation 
des  indépendans.  Elle  donna  aux 
hostilités  un  nouveau  degré  de  fé- 
rocité, que  les  juges  eux-mêmes 
ont  eu  plus  d'une  fois  l'occasion 
de  déplorer.  Manuel  Teran  {voy. 
Teran)  lui  succéda  dans  le  com- 
mandement, et,  par  ses  talens  et 
sa  valeur,  il  rendit  d'importans 
services  à  la  cause  de  la  liberté 
dans  cette  contrée. 


MOR 

MORENCY  (M"'  Illtrine  de), 
a  publié  quelques  romans  qui  ont 
eu  du  succès  et  dont  voici  les  ti- 
tres :  1°  lUyriue ,  ou  les  Dangers 
de  l'inexpérienee ,  5  Yol.  in-8";  a* 
Euphéniie,  ou  les  Suites  du  siège 
de  Lyon,  ouvrage  historique,  4 
vol.  in-ia;  5*  Lise,  ou  les  Hei'mites 
du  Montblatic,  i8o  i  ;  4*  Rosalina, 
ou  les  Méprises  de  l'amour  et  de  la 
nature,  i8oi,  i  vol.  in- 12;  5°  Or- 
phana  ,  ou  l'Enfant  du  liumeau  , 
1803,  2  vol.  in-12;  6°  Zephira  et 
Fidgella,  ou  les  Débutantes  dans 
le  inonde,  1806,  1  vol.  in-12.  Cet 
auteur,  dont  la  fécondité  promet- 
tait de  nombreux  ouvrages  aux 
amateurs  de  romans,  paraît  avoir 
renoncé  depuis  long -temps  à  cn 
genre  de  composition. 

xMORESCHI  (Alexandre),  pro- 
fessait l'anatomie  à  l'université  de 
Bologne  lorsque  le  fameux  sys- 
tème de  crânologie  du  docteur 
Gall  attira  l'attention  de  fous  les 
anatomisles  de  l'Europe.  Le  pro- 
fesseur bolonais,  après  avoir  l'ait 
à  ce  sujet  des  recherches  appro- 
fondies sur  la  théorie  de  l'ossifi- 
cation en  général,  et  de  celle  du 
crâne  en  particulier,  ainsi  que  sur 
la  nature  de  la  substance  cérébra- 
le, se  déclara  fortement  contre  le 
nouveau  système,  et  publia,  en 
1807,  le  résultat  de  ses  investiga- 
tions dans  un  petit  volume,  sous 
le  titre  modeste  de  Discours,  avec 
cette  épigraphe  tirée  de  Rlencke  : 
Et  quis  nescit  nostris  temporihus 
r.etitissc  pluresqi'inovam  quamdavi 
artein  exploratoriam  commenti;  in- 
limos  mentis  humanœ  recessus  per- 
reptarunt,  et  irœ,  avaritiœ,  cupidi- 
tatis  nune  semiunciam,  nunc  assem 
depreliendisse  sibi  risi  sunt.  Dans 
cet  ouvrage,  l'auteur  s'attache  à 


MOR 


il)j 


combattre  le  système  crânologique 
en  rendant  pour  ainsi  dire  palpa- 
bles au  lecteur  tous  les  phénomè- 
nes de  l'ossification  de  la  tète,  soit 
dans  des  planches  très -bien  dé- 
taillées, soit  dans  un  texte  clair  et 
précis.  Après  avoir  démontré  que 
cette  opération  de  la  nature  est 
soumise  à  des  lois  immuables  ,  il 
regarde  la  diversité  des  proéïiii- 
nences,  qui  fait  la  base  du  système 
du  docteur  Gall,  comme  le  pro- 
duit de  causes  accidentelles.  D'ail- 
leurs, il  observe  que  l'on  voit  tous 
les  jours  les  facultés  intellectuelles 
et  morales  d'un  homme  éprouver 
les  changemens  les  plusdispcvales 
sans  que  la  nature  prenne  la  peine> 
de  donner  à  son  crâne  une  autre 
conformation.  Pour  beaucoup  de 
gens  la  question  est  encore  indécise. 
MORGAN  (Jean),  médecin  a- 
méricain ,  associé  correspondant 
de  la  société  royale  de  Londres, 
fondateur  delà  société  philosophi- 
que d'Amérique  ,  etc.  ,  naquit  en 
1755^ à  Philadelphie,  où  il  termi-" 
na  ses  études,  qu'il  avait  commen- 
cées a  Nottingham.  Ce  fut  d'a- 
bord comme  littérateur  qu'il  se 
fit  connaître.  S'étant  livré  ensiu'te 
j\  l'étude  de  la  médecine,  il  ser- 
vit comme  lieutenant-chirurgien 
dans  les  troupes  de  sa  province 
lors  de  la  guerre  de  l'indépendan- 
ce américaine.  Il  mérita  ,  par  les 
soins  qu'il  donna  aux  blessés  et 
par  sa  grande  habileté  dans  les  o- 
pérations  de  son  art,  une  grande 
réputation.  Il  passa  en  Europe  en 
1760,  et  y  reçut  des  leçons  de 
Hunier,  Munroé,  Cullen,  Ru- 
therfort,Whytet  Ilope.  Reçu  doc- 
teur en  médecine  à  la  faculté 
d'Edimbourg,  il  vint  peu  de  lemp«» 
après  à  Paris,  où  il  suivit  les  cours 


i56 


MOR 


d'anatomiedu  célèbre  docteur  Sue. 
Il  visita  l'Italie  et  la  Hollande,  et 
s'étant  rendu  en  Angleterre,  il  de- 
vint associé  correspondant  de  la 
société  royale  de  Londres.  Morgan 
de  retour  à  Philadelphie  en  1765, 
y  devint  professeur  de  médecine 
théorique  et  pratique  au  collège 
de  cette  ville,  et  y  fonda,  après 
avoir  réuni,  en  1769,  le  collège 
et  l'école  de  médecine,  la  société 
philosophique  d'Amérique.  En 
1775,  il  alla  à  la  Jamaïque  ,  afin 
de  réclamer  dos  secours  en  faveur 
de  l'avancement  de  la  littérature 
dans  le  collège.  Son  mérite  porta  le 
congfès  à  le  nommer,  en  1775,  di- 
recteur-général et  médecin  en  chef 
des  hôpitaux  de  l'armée  américai- 
ne, en  remplacement  de  Church, 
détenu  comme  soupçonné  d'in- 
telligence avec  l'ennemi.  Morgan 
se  rendit  en  conséquence  à  Cam- 
bridge; mais  des  discussions  entre 
les  chirurgiens  derhôpital-général 
et  les  chirurgiens  des  régimens, 
discussions  dans  lesquelles  il  se 
trouva  compromis  ,  le  déterminé^ 
rent,  en  177,7,  à  donner  la  dé- 
mission de  ses  fonctions  ,  afin  de 
s'occuper  de  sa  propre  défense. 
Il  provoqua  une  enquête  sur  sa 
conduite,  et  se  justifia  devant  le 
comité  du  congrès  des  calomnies 
dont  il  était  l'objet.  Morgan  mou- 
rut en  1789.  Il  était  très-instruit, 
el  avait  fait  une  étude  approfon- 
<lie  de  la  médecine  et  de  la  chi- 
rurgie. Ses  soins  infatigables,  sa 
bonté,  sa  douceur  pour  les  mala- 
des ,  le  faisaient  chérir,  et  ont 
rendu  son  nom  digne  de  l'estime 
générale.  On  doit  à  ce  savant  pra- 
ticien :  Tentamen  medicum  de  pu- 
ris  confectione,  Edimbourg,  1763; 
Discours  sur  rjnstitution    des  éco- 


MOR 

les  de  médecine  en  Amérique,  1^65; 
(\viairii  Dissertations  sur  les  avanta- 
ges réciproques  d'une  union  per- 
pétuelle entre  la  Grande-Bretagne 
et  ses  colonies  en  Amérique ,  1776; 
Recommandation  de  l'inoculation 
par  la  méthode  du  baron  de  Dims- 
dale ,  1776;  Défense  du  caractère 
public  du  docteur  Morgan  dans  sa 
place  de  directeur-général  et  de  mé- 
decin en  chef  des  hôpitaux  de  l'armée 
américaine. 

MORGAN  (George-Cadogan), 
chimiste  et  prédicateur  ,  naquit 
dans  le  Glamorganshire,  et  obtint, 
ses  études  terminées ,  une  chaire 
dans  l'église  des  dissidens  à  Nor- 
wich;  quelques  années  après,  il  se 
rendit  à  Yarmouth  ,  et  se  retira, 
en  1786,  à  Hackney,  où  il  pro- 
fessa ,  dans  un  établissement  pu- 
blic, les  mathématiques,  la  philo- 
logie et  l'histoire  naturelle ,  sous 
le  célèbre  docteur  Price,  son  on- 
cle. Il  se  livra  alors  plus  particu- 
lièrement à  la  physique  et  à  la 
chimie,  sciences  dans  lesquelles  il 
acquit  de  la  profondeur.  Ses  prin- 
cipaux écrits  sont  :  1°  Observa- 
tions et  expériences  suf  la  lumière 
des  corps  en  combustion ,  insérées 
dans  le  75*  vol.  des  Transactions 
philosophiques,  1"  partie;  2°  Lec- 
tures on  electriciti ,  Londres  ,  2 
vol.  in-8°;  3"  plusieurs  Mémoires 
de  chimie;  4"  enfin,  toute  la  partie 
météorologique  des  douze  pre- 
miers numéros  du  M  ont  hfy  maga- 
zine. Il  mourut,  le  17  novembre 
1798,  dans  sa  44'  année. 

MORGAN  (N.),  célèbre  écono- 
miste anglais,  frère  du  précédent, 
a  publié,  sur  l'administration  fi- 
nancière du  gou  vcrnement  britan- 
nique, quelques  ouvrages  estimés. 
Ses  écrits  sur  la  dette  publique 


UOR 

(l'Angleterre ,  et  son  Traité  des 
annuités  et  des  assurances,  annon- 
cent un  homme  qui  connaît  bien 
les  ressorts  de  l'économie  des  é- 
tals. 

MORGAN  (Jacques-Philippe)  , 
lieutenant-général,  est  né  à  A- 
miens,  en  1760.  Sa  position  so- 
ciale et  son  goût  particulier  le 
destinaient  à  la  carrière  des  ar- 
mes ,  qu'il  embrassa  en  1777, 
époque  à  laquelle  il  fut  reçu  com- 
me olRcier  dans  le  régiment  de 
Dillon.  S'étant  fait  remarquer  ho- 
norablement dans  la  campagne  de 
la  guerre  de  l'indépendance,  en 
Amérique,  ilfut  nommé, en  1782, 
aide-de-camp  du  marquis  de  Ver- 
dière,  son  beau-frère,  pour  servir 
dans  l'Inde.  La  révolution  ayant 
éclaté,  SI.  Morgan  se  trouva  du 
nombre  des  personnes  qui  dési- 
raient la  réforme  des  abus  ,  sans 
exagération  et  sansaiiarchie  ,  telle 
qu'elle  a  été  opérée  par  la  charte 
constitutionnelle.  En  septembre 
1792,  il,  fut  nommé  lieutenant- 
colonel  aide-de-camp  du  général 
Dumouriez ,  et,  le  10  mars  1795, 
colonel  du  9*  régiment  de  hus- 
sards. Dumouriez  avait  placé  une 
confiance  particulière  dnns  son 
aide-de-camp,  et  l'employa  avec 
succès,  soit  pour  la  partie  mili- 
taire, soit  pour  la  pariie  politi- 
que ,  jusqu'à  sa  catastrophe  à 
Saint-Amand.  Le  colonel  Morgan 
avait  été  blessé  ù  la  brillante  affaire 
de  la  première  prise  de  Menin,  le 
2  brumaire  an  2.  Malgré  les  ser- 
vicesqu'il avait  rendus  et  l'estime 
dont  il  jouissait  dans  l'armée,  le 
colonel  Morgan  n'en  fut  pas  moins 
renvoyé,  comme  noble,  en  vertu 
d'un  arrêté  du  comité  de  salut 
public.  Cependant  le  règne  de  la 


MOR  15; 

terreur  eut  un  terme,  et  les  excès 
de  l'anarchie  populaire  cessèrent 
le  9  thermidor.  Les  esprits  étant 
revenus  à  des  principes  de  mo- 
dération et  de  sagesse  ,  le  colonel 
Morgan  fut  attaché  à  la  section 
de  la  guerre  du  comité  de  gouver- 
nement, et,  en  ventr)se  an  5,  fut 
chargé  ,  sous  la  direction  du  même 
comité,  des  mesures  d'exécution 
et  de  répression  que  rendirent  né- 
cessaires les  événemens  mémo- 
rables du  12  et  du  i5  germinal, 
et  des  premiers  jours  de  prairial. 
Dès  le  moisde  ventôse  précédent, 
il  avait  été  nommé  général  de  bri- 
gade. Au  mois  de  messidor  sui- 
vant ,  il  fut  choisi  pour  comman- 
der, sous  les  ordres  du  général 
Moreau,  un  camp  d'observation 
de  10,000  hommes,  qui  se  for- 
mait à  Anvers;  mais  les  événemens 
du  i5  vendémiaire  ayant  rendu  la 
puissance  au  parti  que  le  général 
avait  vivement  combattu  et  répri- 
mé, il  se  trouva  compris  dans  la 
réactioQ,  et,  le  18  du  même  mois, 
il  reçut  sa  destitution.  Le  général, 
rentré  dans  la  vie  privée,  ne  repa- 
rut sur  le  théâtre  mobile  des  évé- 
nemens qu'à  la  fameuse  époque 
du  18  fructidor  an  5.  Le  directoire 
lui  avait  proposé  du  service,  à 
diverses  reprises;  mais  le  géné- 
ral ,  qui  avait  contracté  des  liaison* 
avec  le  parti  modéré  des  deux 
conseils,  s'était  constamment  re- 
fusé à  ces  avances.  Irrités  de  sa 
conduite,  les  proscripteurs  du  di- 
rectoire le  placèrent  sur  leur  liste , 
ave  les  sept  premiers  proscrits  de 
fructidor,  Barthelemi ,  Pichegru  , 
Villot,  Caniot,  etc.  Le  général 
Morgan  fut  assez  heureux  pour 
échapper  aux  satellites  chargés  de 
son  anestation   :  on  assure  qu'il 


j58 


MOR 


ne  parvint  à  se  sauver  que  par  une 
suite  d'incidens  peu  ordinaires, 
et  d'une  couleur  tout-à-fail  roma- 
nesque; ils  intéresseront  vivement 
le  public,  si,  comme  on  l'assure, 
ils  l'ont  partie  des  Mémoires  que 
rédige  cet  officier,  et  qui  embras- 
sent toute  l'époque  de  1789  jus- 
qu'à ce  jour.  Il  fut  témoin  ou  acteur 
dans  les  événemens,  et  nul  ne  peut 
mieux  en  faire  connaître  les  cau- 
ses secrètes  et  en  juger  les  résul- 
tats. Le  général  Morgan  fut  rap- 
pelé, au  18  brumaire,  et  accueilli 
avec  distinction  par  le  premier 
consul ,  qui,  aprèss'ètre entretenu 
avec  lui  près  d'une  heure  dans 
son  cabinet  du  Luxembourg,  lui 
offrit  sur-le-champ  de  l'emploi.  Ce 
témoignage  de  bienveillance  n'eut 
point  d'effet.  Le  général  n'apprit 
<|u'une  année  aj)rès,  le  motif  de 
«;e  refroidissement  inattendu;  et 
ce  fut  par  le  moyen  de  Joseph 
lionaparte  ,  qui  ,  se  trouvant  à 
Lunéville,  logeait  chez  la  com- 
tesse de  Fresnel ,  sœur  du  géné- 
ral. Celui-ci  apprit  qu'il  avait  été 
nommé  dans  un  rapport  du  mi- 
nistre Fouché  sur  une  prétendue 
«onspiration ,  comme  frère  d'un 
des  conspirateurs.  H  n'en  fallait 
pas  tant  pour  éveiller  les  soupçons 
<lu  premier  consul;  cependant, 
l'affaire  une  fois  éclaircie,  on  s'a- 
perçut que  l'accusation  était  faus- 
se :  le  général  fut  replacé  dans 
l'état-major  de  l'armée  ,  mais  son 
Hjaractère  de  franchise  et  d'indé- 
pendance convenait  peu  au  chef 
-de  l'état  ;  il  ne  fut  point  placé 
dans  les  voies  de  l'avancement. 
En  1802,  le  général  fut  envoyé 
à  Saint-Dom.ingue,  à  l'époque  où 
celte  colonie  et  l'armée  française 
«étaient  dans  l'étal  le  plus  déses- 


MOR 

péré,  et  au  moment  de  la  rupture 
avec  l'Ajiglelerre.  Le  premier  acte 
d'hostilité  de  celte  guerre  fut  la 
prise  de  la  frégate  la  Créole^  sur 
laquelle  le  général  Morgan  était 
parli  du  Cap  pour  aller  comman- 
der dans  l'ouest  de  l'ile.  Ce  fut  le 
12  messidor  an  12  que  la  Créole 
fut  enlevée  par  une  escadre  an- 
glaise de  sept  vaisseaux,  sous  les 
ordres  de  l'amiral  Duckw^ortli. 
Conduit  d'abord  à  la  Jamaïque, 
puis  en  Angleterre,  il  eut  le  bon- 
heur d'obtenir,  par  son  ami  le 
général  Dumouriez,  d'être  échan- 
gé contre  le  général  Baird.  De 
retour  en  France ,  il  reprit  de 
l'emploi ,  lit  partie  du  camp  de 
Boulogne  en  1809  et  1810,  fut 
envoyé  à  l'armée  de  Naples  en 
18 ji,  et  passa  ensuite  à  celle  du 
Midi  de  l'Espagne  ,  commandée 
parle  maréchal  Soult.  Le  général 
Morgan  a  fait  les  deux  dernières 
campagnes  de  l'armée  d'Espagne, 
jusqu'à  la  restauration.  En  dé~^ 
cembre  1814»  le  général  fut  nom- 
mé au  commandement  d'une  sous- 
division  dans  la  16*  division  mili- 
taire; il  s'y  trouvait  à  l'époque  du 
20  mars  18  1 5.  Au  mois  de  juin  sui- 
vant,il  futchargéd'un  commande- 
ment à  l'armée  de  la  Somme,  sous 
les  ordres  du  comte  Gazau.  Au  dé- 
sastre de  Waterloo,  il  ne  put  s'oc- 
cuper qu'à  faire  refluer  les  trou- 
pes sur  Paris,  et  à  sauver  le  ma- 
tériel de  l'armée.  Au  mois  d'aoftt 
de  la  même  année,  il  fut  mis  à  la 
retraite ,  comme  ayant  5o  ans  de 
service.  Le  16  janvier  1816,  le 
général  Morgan  fut  arrêté  ,  mis 
au  secret ,  puis  à  la  Force.  On 
l'avait  dénoncé  comme  conspira- 
teur, et  entretenant  une  corres- 
pondance avec  Dumouriez.  Le  gé- 


MOR 

néral  Morgan  demanda  avec  ins- 
tance d'être  mis  en  jugement.  Le 
ridicule  de  l'accusation  fut  enfin 
connu,  et  la  liberté  lui  fut  rendue, 
le  1"  août  suivant.  Depuis  cette 
époque  le  général  n'a  rempli  au- 
cune fonction  publique.  On  le 
croit  retiré  à  la  campagne  ,  et  oc- 
cupé d'un  grand  ouvrage,  qui  se 
compose  des  mémoires  de  ce  qu'il 
a  vu,  fait  et  appris  depuis  1790 
jusqu'à  ce  jour  :  peu  d'hommes 
sont  plus  en  état  que  lui ,  par  leur 
expérience  et  leurs  lumières ,  de 
préparer  des  matériaux  curieux  et 
importans  à  l'histoire  contempo- 
raine. Les  Mémoires  dont  ii  pré- 
pare la  publication  inspirent  d'a- 
vance un  vif  intérêt.  On  pense  gé- 
néralement que,  pendant  plusieurs 
années,  il  a  été  très-utile  à  im  per- 
sonnage éminent  qui  mettait  à 
profit  la  connaissance  des  hommes 
et  des  choses.  Aussi,  la  partie  la 
plus  piquante  des  Mémoires  du  gé- 
néral Morgan  sera  nécessairement 
celle  où  il  traite  l'histoire  des  mi- 
nistères depuis  la  re^tauration.  On 
assure  que  cette  partie  détachée  de 
son  ouvrage  sera  la  première  li- 
vrée au  public. 

MORGAN  (BÉTHCSE-) ,  procu- 
reur-général pièsde  la  cour  royale 
d'Amiens,  est  frère  du  précédent. 
Sa  profession  d'avocat  l'ayant  nus 
à  même  de  rendre  des  services  é- 
ininens  à  la  famille  de  Béthune , 
il  en  fut  récompensé  par  son  ad- 
mission dans  cette  famille ,  dont 
il  ajouta  depuis  le  nom  au  sien. 
Contre  l'exemple  de  la  plupart  de 
>es  confrères,  il  repoussa  les  prin- 
cipes de  la  révolution,  se  pronon- 
ça en  faveur  de  l'aristocratie  et 
des  privilèges,  et  défendit,  en 
1796,   avec  autant  de  hardiesse 


MOR 


ijij 


que  de  talent,  les  émigrés  nau- 
fragés de  Calais  [Voyez  Choisecl- 
Staisville).  Ses  opinions  politi- 
ques le  firent  enfermer  en  1802, 
dans  la  prison  du  Temple,  d'où  il 
sortit  au  bout  de  quelques  mois, 
pour  aller  reprendre  à  Amiens 
l'exercice  de  sa  profession.  M. 
Morgan  fit  partie  du  barreau  de 
cette  ville  jusqu'après  les  événe- 
mens  de  181 5.  A  celte  époque, 
le  roi  le  nomma  procureur-géné  • 
rai  près  la  cour  royale  de  la  Som- 
me, en  remplacement  de  M.  La- 
mardelle.  Le  nouveau  procureur- 
général  fut  destitué  ù  son  tour, 
ainsi  que  M.  Séguier,  préfet  du 
département ,  pour  être  entrés 
l'un  et  l'autre  dans  une  de  ces  so- 
ciétés secrètes  qui  prétendaient 
exclusivement  conserveries  véri- 
tables doctrines  du  gouvernemen*^ 
monarchique  ,  et  qui  se  multipliè- 
rent après  la  seconde  restauration; 
mais  ils  furent  bientôt  réintégrés 
dans  leurs  emplois.  M.  Morgan- 
Béthune  remplit  encore  aujour- 
d'hui (1824)  les  fonctions  du  mi- 
nistère public  près  de  la  cour  roya- 
le d'Amiens. 

MORGAN  (ladt).  L'Angleterre, 
féconde  en  femmes  auteurs,  comp- 
te lady  Morgan  au  premier  rang 
de  celles  que  leurs  écrits  ont  illus- 
trées dans  l'Europe.  Un  esprit  ori- 
ginal, de  la  verve,  du  trait,  peu  de 
goût,  un  abandon  qui  n'est  pas 
toujours  de  la  grâce  :  tels  sont  le» 
principaux  caractères  qui  distin- 
guent son  talent.  Aussi  célèbre 
sur  le  continent  que  dans  son 
pays  ,  elle  a  un  peu  compromis  , 
par  la  singularité  audacieuse  qui 
a  dicté  ses  voyages,  la  rcputatior» 
que  ses  romans  lui  avaient  faite. 
S'il   fallait  la  comparer   à  quel- 


iGo 


M  OR 


ques-unes  de  nos  compatriotes, 
l'auteur  du  parallèle  serait  fort  em- 
barrassé; sa  pensée  est  plus  forte, 
plus  étendue  et  plus  hardie  que 
celle  de  M"'  de  Genlis;  on  ne  peut 
la  rapprocher  de  M""  Coltin,  qui 
écrit  si  purement;  elle  a  un  carac- 
tère original  et  étrange  qui  manque 
peuUêtre  à  M""'  de  Flahaut;  enfin, 
lady  Morgan  mérite  une  place  ab- 
solument à  part,  et  cet  isolement , 
dont  elle  subit  les  inconvéniens , 
n'est  pas  sans  mérite  ni  sans  gloi- 
re. Son  nom  de  famille  est  Owen- 
son.  Son  père  était  comédien  du 
théâtre  de  Dublin.  Elle  épousa  le 
médecin  de  lord  Abercome  ,  M. 
Morgan,  qui  reçut,  à  l'époque  de 
son  mariage  et  d'après  les  sollici- 
tations de  sa  nouvelle  épouse,  le 
titre  de  Kniglit ,  chevalier.  Lady 
Morgan  débuta  dans  le  monde 
littéraire  par  des  romans  fort  re- 
marquables, par  un  mélange  d'é- 
rudition et  d'imagination  dont  peu 
d'écrivains  avaient  empreint  leurs 
ouvrages.  La  jeune  fille  d'Irlande 
(ihe  \Yild  irish  Giri),  Ida,  oal'A- 
thénienne,  le  Missf0Tinaire,O'  Don- 
nel,  avaient  obtenu  un  grand  suc- 
cès ,  non-seulement  à  Londres  , 
mais  à  Paris,  où  les  traductions 
des  deux  premiers  de  ces  romans 
eurent  plusieurs  éditions.  Après 
avoir  consulté  son  imagination 
pour  composer  ces  ouvrages,  elle 
voulut  écrire  d'après  son  observa- 
tion. Elle  vint  en  France  en  1816, 
et  entreprit  de  peindre  sur  place 
la  scène  mobile  et  bruyante  de 
déraison,  de  folie,  de  haine,  d'in- 
constance, d'esprit  et  d'intrigue, 
qu'oflVait  alors  ce  malheureux 
pays.  Son  livre  fit  du  bruit  (  la 
France,  1817).  Il  était  semé  d'er- 
reurs, rempli  d'esprit,  brillam- 


MOR 

ment  coloré,  et  aussi  remarquable 
par  l'heureuse  audace  de  quelques 
peintures  que  par  le  mauvais  gen- 
re de  plusieurs  traits.  Une  légè- 
reté, une  vivacité  d'esprit,  aux- 
quelles cette  dame  avait  cru  devoir 
s'abandonner  avec  moins  de  ré- 
serve encore  en  écrivant  sur  la 
France  et  sur  les  Français,  dégé- 
néraient trop  souvent  en  pétJilan- 
ce  ,  en  partialité  ;  causaient  des 
erreurs  grossières,  et  gâtaient  une 
suite  de  pages  pleines  d'éclat,  d'o- 
riginalité ,  d'indépendance  et  de 
raison.  Les  mêmes  défauts,  exa- 
gérés encore  et  poussés  jusqu'à 
une  sorte  de  dévergondage  d'ima- 
ginalion  bien  extraordinaire  chez 
une  femme,  se  retrouvèrent  dans 
l'ouvrage  qu'elle  publia,  en  1820, 
sur  l'Italie.  Le  malheur  ou  le  dé- 
faut qui  entraîne  lady  Morgan 
dans  des  écarts  indignes  de  sou 
talent  ^  c'est  la  manière,  le  désir 
d'être  lue,  et  le  besoin  de  faire  ef- 
fet. Elle  x\''&n  est  pas  moins  une 
des  femmes  les  plus  spirituelles  et 
les  plus  remarquables  de  l'époque. 
Le  mot  d'un  journaliste  anglais  : 
Lady  Morgan  a  ensevelimiss  Owen- 
son,  nous  semble  trop  sévère. 

MORGAN  -  DE  -  BELLOY  (  le 
baron),  membre  de  la  chambre 
des  députés  depuis  i8i5,  a  pris 
successivement  place  au  centre  et 
à  la  droite.  Il  s'est  principalement 
occupé  de  matières  de  finances, 
soit  comme  rapporteur,  soit  com- 
me membre.  Il  saisit  l'occasio» 
du  projet  de  loi  sur  les  douanes, 
présenté  dans  la  session  de  i8i5- 
1816 ,  pour  proposer  des  mesures 
répressives  contre  la  contrebande, 
et  demander  que  les  cours  prévô- 
tales  prononçassent  la  peine  de 
l'exposition  contre  les  contrebaa- 


MOR 

diers  en  récidive.  Membre  de  la 
commission  du  budget,qui  le  nom- 
ma rapporteur,  il  demanda  plu- 
sieurs modilicalions  au  projet  des 
ministres,  présenta  des  vues  neu- 
ves sur  les  importations  et  expor- 
tations, et  sur  le  système  des  doua- 
nes. 11  fit,  dans  la  session  de  1816- 
181^,  le  rapport  sur  le  projet  de 
loi  des  douanes,  et  parla,  l'année 
suivante,  en  faveur  des  habitans 
de  la  petite  ville  de  Saint -Valéry 
(Somme),  qui  réclamaient  pour 
leur  département,  dont  il  est  l'un 
des  députés,  un  entrepôt  exclusif 
de  sel.  A  l'occasion  du  projet  de 
loi  des  finances  de  la  même  année, 
il  évalua  à  plus  de  5 1,000,000  fr. 
l'excédant  que  les  receltes  devaient 
offrir  sur  les  dépenses;  proposa 
que,  sur  cette  somme,  26,000,000 
lussent  affectés  au  dégrèvement 
de  la  propriété  foncière  ;  parla 
contre  les  droits  d'enregistrement, 
contre  les  contributions  indirec- 
tes, et  demanda  que  le  gouverne- 
ment fût  supplié  de  présenter  à 
une  session  prochaine  un  nouveau 
système  de  droits- réunis  njoins 
onéreux,  et  surtout  moins  vexa- 
toire.  Nommé  rapporteur  de  la 
commission  des  douanes,  en  1819, 
il  exposa  quelques  considérations 
sur  ce  genre  d'impôt,  el  établit 
que,  si  des  taxes  modérées  favori- 
sent le  commerce  tout  en  enrichis- 
sant l'état,  des  taxes  trop  fortes 
ruinent  le  commerce  pour  n'en- 
richir que  les  contrebandiers.  Dans 
les  sessions  suivantes,  il  a  cher- 
ché par  ses  discours  à  adoucir  le 
sort  des  contribuables.  Il  était  en- 
core membre  de  la  chambre  lors 
de  sa  dissolution  totale  en  1824. 
MORGHEN  (Raphaël),  né  à 
Kaplesen  i;58,  est  fils  d  un  gra- 

X.  XIV. 


MOR  lut 

veur  de  cette  ville.  Il  reçut  de 
son  père  les  premiers  principes 
de  son  art.  Les  leçons  de  ce  maî- 
tre ne  suffisant  bientôt  plus  au 
génie  de  Morghen ,  ce  jeune  ar- 
tiste se  rendit  à  Rome,  où  il  sui- 
vit celles  de  Volpato,  dont  il  de- 
vint le  gendre  et  l'ami.  Il  partagea 
avec  cet  artiste  célèbre  la  gloire 
dereproduii  e  parle  burin  les  chefs- 
d'œuvre  de  Raphaël ,  les  loges  du 
Vatican,  et  fit  paraître,  sous  son 
nom,  celle  qui  représente  le  mira- 
cle dt  Bolsena.  Le  grand -duc  de 
Toscane  le  chargea,  en  1762,  de 
graver  les  principaux  tableaux  de 
la  riche  galerie  de  Florence  ;  et  le 
talent  avec  lequel  il  remplit  cett<i 
honorable  mission,  lui  acquit  dès- 
lors  une  célébrité  méritée.  En 
1794»  les  artistes  florentins  s'ho- 
norèrent eux-mêmes,  en  priant  le 
grand  duc  de  confier  au  talent  de 
M.  Morghen  le  soin  de  faire  revi- 
vre, par  la  gravure,  la  fameuse 
Cène  de  Léonard  de  Vinci.  L'entre- 
prise était  difficile;  ce  morceau, 
peint  sur  l'une  des  murailles  du 
réfectoire  des  dominicains,  à  Mi- 
lan, en  i497<  était  devenu  pres- 
que méconnaissable,  soit  par  l'ef- 
fet des  dégradations  qu'il  avait 
souffertesjsoit  par  des  restaurations 
mal  exécutées.  Aussi,  ne  faut  il 
point  être  étonné  des  reproches 
que  le  peintre  Bossi  adresse  à  l'ar- 
tiste napolitain,  dans  son  petit 
ouvrage  del  Cenacolo  di  Leonardo 
dat^inciy  Milan,  1810,  in-4°,  lors- 
que, après  avoir  rendu  justice  à 
la  beauté  de  cette  gravure ,  qui 
estadmirablc,  il  dit  que  tout  hom- 
me impartial  «  verra  qu'il  restait 
«encore  beaucoup  ù  faire  à  M. 
»  Morghen  pour  se  rapprocher  da 
»la  manière  de  Léonard  de  Vinci; 
II 


iCa 


MOR 


«qu'il  manque  dans  cette  gravure 
«précisément  ce  qu'il  y  avait  de 
«plus  exquis   dans   l'original,   et 
«dans  tous  les  ouvrages  de  ce  grand 
«maître.   »   Mais   ces   reproches, 
quoique  fondés,  porteront  d'au- 
tant moins  atteinte  à  la  gloire  de 
M.  Morghen  ,  qu'il  n'a  exécuté  sa 
gravure  que  d'après  une  copie  de 
ce   tableau,   levée   par   Matteïni. 
On  remarque  parmi  les  œuvres  de 
ce  graveur  célèbre  :  i°  une  belie 
traduction  du  chef-d'œuvre   de 
Raphaël,  représentant  ta  Trhisfi- 
guration  :  il  en  avait  commencé 
unepremière  beaucoup  moin?  par- 
faite, qui,  ayant  été  achevée  par 
son  frère,   fut   répandue  dans   le 
public  sous  son   nom,    par  une 
maison  de  commerce  de  Manheim. 
a"*  Une  Madeleine,  d'après  Murillo; 
5°  te  char  de  l'Aurore,  d'après  le 
Guide;  4°  ^^  /""'^  d.^  Diane,  d'a- 
près le  Dominiquin;   5°  Apollon 
et  les  muses,  de  Mengs  ;  6"  le  C«- 
•»fl/i<r,  d'après Vandyck;  y"  tes  Heu- 
res, d'après  le  Poussin;  S^taVier- 
ge  à  la  chaise  {Madone  de  laSedia), 
de  Raphaël  :  cette  charmante  com- 
position fait  partie  de  la  suite  de 
gravures  exécutées  par  ordre  du 
grand-duc  de  Toscane;  g"  Thésée 
vainqueur  du  minotaure ,   d'après 
Canova;   lo'  monument  à  la  mc- 
moire  de  Clément  XIII ,  d'après 
le  même.  M.  Morghen,  déj;\  mem- 
bre associé  de  Tinstitut  de  France 
depuis  i8o3,  fut  attiré  à  Paris  par 
l'empereur  en  1812,  et  remporta 
dans  sa  patrie  des  marques  de  la 
munificence  de  ce  prince.  Affaibli 
par  l'âge  et  le  travail,  M.  Mor- 
ghen paraît  avoir  déposé  son  bu- 
rin ;   mais  il  a  formé  un   grand 
nombre  d'élèves  distingués. 
MORIER   (James),  diplomate 


MOR 

anglais,    neveu  de    l'amiral  Wil- 
liam   AValdegrave  ,    baron    Rad- 
stock,   fut  d'abord   secrétaire  d&. 
lord  Elgin,  ambassadeur  à  Cons- 
tantinople.  A  l'époque  de  l'occu- 
pation de  l'Egypte  par  les  Fran- 
çais, il  reçut  l'ordre  de  solliciter, 
auprès  du  grand-visir,  l'évacua- 
tion de  ce  pays  ;  mais  il  tomba  en- 
tre les  mains  de  ceux  qui  l'avaient 
conquis.   La  saisie   de  son   porte- 
feuille ayant  découvert  le  secret 
de  sa  mission,  on  voulut  d'abord 
le  traiter  en  espion,  mais  enfin  on 
ïe  renvoya  avec  menace  de  le  con- 
sidérer comme  tel,  s'il  était  arrêté 
de  nouveau  sur  le  territoire  que 
l'armée  française  occupait.  De  re- 
tour à  Londres,   il  y  publia   un 
Mém.oire  sur  la  campagne  qu'il  a- 
vait  faite  avec  l'armée  ottomane  , 
en  Egypte.  Il  a  depuis  rempli  suc- 
cessivement les  fonctions  de  se- 
crétaire   d'ambassade   en   Perse , 
puis  à  Vienne.  M.  James  Morier 
a  acquis  une  connaissance  parfaite 
des  langues  orientales;  il  a  publié 
une   relation    de    ses    excursion» 
dans  l'ancien    pays  des    Mages , 
sous  ce  titre  :  Voyage  à  travers  ta 
Perse,  l'Arménie  et  l'Asie-Mineu- 
re jusqu'à  Constantinople ,  in-4*, 
1811.  On  a  traduit  en  français  cet 
ouvrage,  dans  lequel  se  trouvent 
des  détails  curieux: 

MORIER  (J.  P.),  envoyé  ex- 
traordinaire à  la  cour  de  Dresde, 
reçut,  en  1814»  l'ordre  de  se  ren- 
dre en  Norwège,  afin  de  donner  au 
prince  Christian  Frédéric,  des  ex- 
plications sur  la  situation  de  l'An- 
gleterre, en  raison  de  ses  enga- 
gemens  avec  les  puissances  alliées 
et  notamment  avec  la  Suède.  Le- 
but  principal  de  cette  mission  é- 
tait  de  savoir  si  les  habitans  de  hi 


MOR 

Norwège  voulaient  accepter,  en 
laveur  d'une  garantie  de  leurs 
droits  constitutionnels,  la  média- 
tion de  la  Grande-Bretagne,  ou 
s'ils  préféraient  courir  les  chances 
d'une  guerre  avec  les  puissances 
qui,  dans  ce  moment,  réclamaient 
par  leurs  agens  l'exécution  du 
traité  de  Kehl.  Lorsque  M.  Mo- 
rier  arriva  à  Chrisliana  ,  rassem- 
blée des  représentans  de  la  nation 
norwégienne  venait  d'être  dissou- 
te ;  alors  il  crut  devoir  remettre 
au  gouvernement  qui  l'avait  rem- 
placée, la  note  dont  il  était  por- 
teur, en  déclarant  toutefois,  au 
nom  de  son  gouvernement,  qu'il 
ne  reconnaissait  point  la  légitimité 
de  celui  auquel  il  s'adressait. 

MOllILLO  (don  Pablo),  comte 
de  Carthagène,  grand'croix  de  l'or- 
dre de  Saint- Ferdinand,  lieute- 
nant-général, et,  dans  la  dernière 
guerre  d'Espagne,  en  iSaô,  com- 
mandant de  la  2°"  armée  de  ré- 
serve, est  né  à  Fuenle  de  Mal  va, 
dans  la  province  deToro,  et  ap- 
par^^ent  à  une  famille  obscure;  on 
assure  même  que  dans  sa  jeunesse 
il  a  été  berger  :  il  ne  tient  donc 
son  illustration  que  de  lui-mên)e. 
A  l'époque  de  la  révolution  fran- 
çaise, il  était  sergent  de  marine. 
Le  premier  trait  de  courage  qui 
l'ait  fait  remarquer  de  ses  compa- 
triotes, date  de  la  journée  de  Tra- 
falgar.  Monté  sur  un  vaisseau  dont 
un  coup  de  canon  précipita  le  pa- 
villon à  la  mer,  il  se  jelle  à  ta  na- 
ge, l'arrache  aux  flols  et  le  rap- 
porte à  son  bord.  Jusqu'à  l'inva- 
sion de  l'Espagne  par  l'empereur 
Napoléon,  Morillo  fut  à  peu  prés 
inconnu,  et  même  sa  célébrité  ne 
date  que  de  l'époque  des  événe- 
mens  politiques  en  18 1 5,  qu'il  de- 


vint  commandant  en  chef  de  l'ex- 
pédition destinée  à  combattre  les 
indépendans  d'Amérique.  Dans  la 
guerre  fle  lapéninside,  en  1808  ^ 
il  commandait  un  corps  de  gué- 
rillas, qui  n'étendit. pas  ses  opé- 
rations au-delà  du  royaimie  de 
Murcie.  Son  courage  ,  son  activi* 
té,  la  discipline  de  ses  soldats,  le 
mirent  bientôt  en  état  de  rendre 
des  services  importans,  et  il  fut 
nommé  général  :  ce  grade ,  il  le 
dut  à  ses  talens  et  à  son  courage. 
Il  aurait  obtenu  les  grades  infé- 
rieurs par  un  moyen  assez  singu- 
lier, si  on  en  croit  l'ouvrage  inti- 
tulé :  Galerie  espagnole,  ou  Notices 
biographiques  sur  les  membres  des 
cortès  et  du  goavernemait ,  les  gé- 
néraux en  chef  et  commandans  de 
guérillas  des  armées  conslitutioimel- 
le  et  de  la  foi,  Paris,  in-8°,  1825. 
Voici  ce  que  dit  l'auteur  de  cet 
ouvrage  :  «En  mars  1809,  i'  i"~ 
vestit,  avec  ses  guérillas  encore 
indisciplinées,  la  place  deVigo, 
qui,  n'ayant  pour  garnison  que 
des  employés  d'administation  et 
des  soldats  convalescens ,  fut  ai- 
sément réduite  aux  dernières  ex- 
Irémilés.  Cependant  le  comman- 
dant français,  M.  Ch***,  refusait 
obstinément  de  se  rendre  à  un 
corps  de  partisans,  et  ne  voulait 
traiter  qu'avec  un  officier  ayant 
un  rang  au  moins  égal  au  sien. 
Morillo  imagina  de  supposer  son 
avancement,  fut  ensuite  annon- 
cer lui-même  au  gouvernement 
la  conquête  qu'il  avait  faite,  l'ar- 
tifice auquel  elle  l'avait  obligé , 
et  en  reçut  la  confirmation  du 
grade  dont  il  lui  avait  fallu  pren- 
dre les  décorations  pour  entrer  à 
Vigo.  Cet  incident  avait  contri- 
bué à  le  faire  colonel.  •  Le  corps 


i64  MOR 

fie  Morillo  suivit  les  inouvemens 
de  ratmée  espagnole.  Son  chef  se 
fit  particulièreinent  remarquer,  le 
20  juin  i8i5,  sur  les  hauteurs  de 
la  Puebla  d'Arlanzon  :  il  repoussa 
la  droite  des  Français  qui  occu- 
paient ces  hauteurs,  et  parvint  à 
s'y  établir.  Cependant,  les  troupes 
françaises  entreprirent  à  leur  tour 
de  l'en  chasser,  et  y  réussirent  a- 
près  un  combat  vigoureux  où  Mo- 
rillo fut  blessé  :  il  ne  quitta  point 
pour  cela  le  champ  de  bataille.  Au 
mois  de  novembre  de  la  même 
année,  au  combat  de  Saint-Pé,  il 
mérita  d'être  cilé  honorablement 
dans  les  rapports  officiels.  Morillo 
resta  sans  activité  depuis  le  réta- 
blissement de  Ferdinand  VII  sur 
le  trône  jusqu'au  commencement 
de  i8j5,  qu'il  partit  de  Cadix,  en 
qualité  de  commandant  de  l'armée 
destinée  à  faire  la  guerre  aux  in- 
dépendans  de  l'Amérique  espa- 
gnole. Il  prit  d'abord  terre  à  l'î- 
le de  Marguerite,  près  des  côtes 
<le  Terre  -  Ferme  ,  où  le  mauvais 
temps  le  retint  assez  long-temps, 
et  lui  fit  perdre  i5oo  hommes  et 
plusieurs  bâlimens  de  transport 
renfermant  4^0,000  piastres  et 
beaucoup  de  munitions.  Enfin,  il 
remit  à  la  voile,  et  jeta  l'ancre  le 
8  août  (181 5)  devant  Corrolitos, 
ayant  avec  lui  environ  40  voiles. 
Son  débarquement  opéré ,  non 
sans  difficulté,  par  suite  des  nom- 
breuses escarmouches  des  indé- 
pendans,  il  mit  le  siège  devant 
Carthagène.  Le  gouverneur,  qu'il 
eomma  impérieusement  de  se  ren- 
dre, ne  répondit  point  à  ses  me- 
naces, et  se  prépara  à  se  défendre 
avec  vigueur.  Morillo  investit  la 
place  par  terre  et  par  mer,  mais 
sang  succè?  de  ee  dernier  côté,  les 


MOR 

chaloupes  Canonnières  des  indé- 
pendans  ayant  repousse  ses  vais- 
seaux, et  protégé  l'entrée  de  plu* 
sieurs  bâtimens  chargés  de  vivres. 
Désespérant  de  réduire  les  insur- 
gés parle  blocus,  il  attaqua  Car- 
thagène à  force  ouverte  :  huit 
jours  de  bombardement  ne  ralen- 
tirent point  le  courage  de  la  gar- 
nison ni  l'énergie  des  habitans. 
Pendant  que  la  place  faisait  un  feu 
bien  nourri,  les  femmes,  du  haut 
de  leurs  balcons,  augmentaient 
encore  le  courage  des  assiégés  par 
le  cri  de  Vive  la  patrie!  Morillo 
donna  l'assaut  à  la  ville  le  jour 
même  où  la  garnison  célébrait 
l'anniversaire  de  l'indépendance  ; 
mais  cette  solennité  n'avait  point 
endormi  la  prudence  des  assiégés. 
Quoique  attaqués  sur  différenti 
points  par  des  corps  d'élite,  les 
indépendans  se  comportèrent  avec 
tant  de  valeur,  que  les  assiégeant 
se  retirèrent  en  désordre,  et  firept 
des  pertes  assez  considérables 
pour  être  forcés  d'attendre  de? 
renforts  avant  de  hasarder  de 
nouvelles  attaques.  Ces  renforts 
arrivèrent,  et  Morillo  put  repren- 
dre le  blocus  par  mer  et  par  terre, 
cette  fois  avec  un  tel  succès,  que 
la  place  ne  put  être  ravitaillée, 
et  que  bientôt  on  y  ressentit  toutes 
les  horreurs  de  la  famine.  Le  cou- 
rage des  indépendans, soldats  et  ha- 
bitans de  tout  sexe  et  de  tout  âge, 
surmonta  cette  situation  affreuse. 
Ils  dévorèrent  successivement  les 
chevaux,  les  animaux  les  plus  im- 
mondes, et  jusqu'aux  cuirs  de» 
chaises  et  des  malles.  Ces  derniè- 
res ressources  manquèrent  enfin , 
et  le  4  décembre  le  gouverneur 
fut  obligé  d'assembler  un  conseil 
de  guerre^  qui  décida  que  la  plac«: 


k 


M  OR 

devait  être  évacuée.  La  garnison, 
réduite  à  un  très-petit  nombre  de 
braves,  et  quelques  habitans  s'em- 
barquèrent sur  les  bâlimens  dont 
on  pouvait  encore  disposer,  et 
passèrent  au  travers  des  batteries 
des  îisiégeans,  se  dirigeant  sur  Sa- 
vannah-el-Mar,  oii  très-peu  de  ces 
bâtimens  arrivèrent,  les  autres 
ayant  été  coulés  bas  ou  étant  tom- 
bés au  pouvoir  des  vainqueurs.  Le 
6  du  même  mois  ,  Morillo  fit  son 
entrée  sur  des  ruines  de  toute 
espèce.  Au  milieu  des  débris  des 
mai*ns  consumées  ou  renversées 
par  les  bombes,  on  trouva,  disent 
des  lettres  authentiques ,  près  de 
5,000  individus  morts  de  faim; 
et  le  même  jour  de  l'évacuation  , 
ajoutent  ces  lettres,  520  expirè- 
rent. Cette  résistance  héroïque, 
dont  les  guerres  modernes  n'ont 
peut-être  pas  fourni  un  second 
exemple,  fit  juger  au  vainqueur 
quels  sentimens  l'avaient  inspirée, 
et  quels  hommes  il  avait  combattus 
et  avait  encore  à  combattre.  Mo- 
rillo  poursuivit  les  indépendans 
dans  le  royaume  de  Terre-Ferme; 
Bes  succès  furent  souvent  balan- 
eés,  et  plusieurs  fois  surpassés. 
Au  combat  de  San-Carlos,  et  peu 
de  temps  après  sur  les  bords  de  la 
rivière  Polo,  il  éprouva  deux  dé- 
faites considérables.  Sur  mer,  les 
corsaires  indépendans  non-seule- 
ment nuisaient  au  commerce  es- 
pagnol par  leurs  nombreuses:  pri- 
ses, mais  empêchaient  l'arrivée 
des  renforts,  ou  leur  faisaient  é- 
prouver  des  échecs  multipliés  :  ils 
s  emparaient  des  convois  ou  les 
détruisaient  en  partie.  Le  vaisseau 
le  San- Pedro ,  qui  sauta  em  l'air 
près  de  l'île  de  Coche,  fut  pour 
le  chef  royaliste  une  perte  d'au- 


MOR 


i65 


tant  plus  notable,  que  les  flottilles 
des  indépendans  agirent  désormais 
avec  plus  d'audace  et  de  sécurité. 
Morillo  supporta  avec  une  grande 
fermeté  l'extrême  embarras  de  sa 
position.  Il  obtint  même  de  nou- 
veaux avantages  en  attaquant  S;m- 
ta-Ké,  que  les  indépendans  défen- 
dirent avec  opiniiltreté ,  mais  où 
il  entra.  Leur  résistance  excita  la 
vengeance  du  vainqueur,  et  les 
exécutions  les  plus  sanglantes  sî- 
gn.dèrent  son  triomphe.  Les  Amé- 
ricains et  les  Anglais  qui  avaient 
aidé  les  indépendans,  en  leur  four- 
nissant des  armes  ou  des  provisi- 
sions,  furent,  les  uns  mis  à  mort, 
et  les  autres ,  grâce  aux  réclama- 
tions énergiques  de  leurs  gouver- 
nemens  ,  retenus  en  captivité  ; 
mais,  par  un  etfet  de  la  vengeance 
du  chef  espagnol  ,  elle  fut  en- 
core longue  et  cruelle.  Les  indé- 
pendans combattaient  avec  l'exal- 
tation du  patriotisme,  et  la  haine 
qu'inspirait  tant  de  barbarie.  La 
défense  de  l'île  de  Marguerite  par 
un  fort  détachement  d'indépen- 
dans,  et  le  zèle  enthousiaste  des 
habitans,  firent  donner  à  ces  hom- 
mes intrépides  le  surnom  à*i  S  par- 
tiales modei'ties.  Les  troupes  roya- 
listes elles-mêmes  offrirent  des 
preuves  d'un  courage  peu  com- 
mun. On  rapporte  que  dans  un 
des  combats  multipliés  pour  la 
conquête  de  cette  île,  5oo  soldats 
du  régiment  de  La  Union,  enve- 
loppés par  les  indépendans i  pré- 
férèrent mourir  jusqu'au  dernier 
plutôt  que  de  se  rertdre  :  il  sem- 
blait que  de  part  et  d'autre  on 
voulût  une  guerre  d'extermina- 
tion. Les  Espagnols,  après  un  nou- 
veau combat,  furent  forcés  d'éva- 
euer  l'île,  presque  au  moment  où 


iG6 


M  OR 


le  chef  indépendant  Zaraza,  à  la 
tête  d'un   grand   nombre    de  ses 
Tartares,   s'emparait  de  la  place 
de  Ëarinas.  «  La  position  générale 
de  Morilio,  disent  les  auteurs  d'u- 
ne Biographie  étrangère,  malgré 
quelques  brillans  succès,  se  trou- 
vait donc  très- critique,  et  don- 
nait   peu   d'espérances  quant  au 
résultat  déUnitif.  La  prise  deCar- 
thagène  ne   lui  avait  guère  valu 
d'autres  avantages  que  ceux  qu'il 
retirait   de   l'occupation  de  cette 
place  :  la    plupart   des    détache- 
mens   qu'il    envoyait    pour  faire 
des    incursions    dans    l'intérieur 
du  pays,  continuellement  harce- 
lés par   les  guérillas,  et  de  plus 
atteints  d'une   maladie  épidémi- 
que   causée  par  le  manque  d'ali- 
mens  convenables,  et  par  la   fa- 
tigue de  leurs  marches,  à  travers 
les  montagnes  et  les  forêts,  fu- 
rent totalement   détruits ,  ou    ne 
rentrèrent  dans  la  place  qu'après 
avoir  perdu  la  plus  grande  partie 
de  leurs  hommes.  Espérant  plus 
de  succès  d'une  attaque  générale, 
Morilio  marcha  en  personne  con- 
tre  Santa -Fé,   que  les  indépen- 
dans  avaient  reconquis  à  la  suite 
d'un  combat  très- vif.   Les  som- 
mations qu'il  adressa  aux  habitans 
de  la  Nouvelle-Grenade  n'eurent 
aucun   effet,    et  partout  il   reçut 
pour  réponse,  que  les   républi- 
cains de    cet  état  avaient  résolu 
de   se   défendre  jusqu'au  dernier 
soupir.  Les  effets  répondirent  aux 
paroles:  dans  trois  attaques  suc- 
cessives, les  royalistes  furent  re- 
poussés et   contraints  de  rentrer 
dans    leurs    lignes  de    Mompox. 
Leurs  affaires  prenaient  toutefois 
nn  aspect  plus   favorable  sous  le 
rapport  martitime;  leurs  navires 


MOR 

de  guerre  avaient  pris  ou  détruit 
grand   nombre    de    corsaires    in- 
surgés, et  les  renforts,  ainsi  que 
les  convois,  arrivaient  avec  plus 
de  facilité.»   Cet  état  ne  pouvait 
durer  :  il  fatiguait  également  les 
deux  partis,  qui  se  déterminèrent 
à  tenter  une  affaire  générale.    Le 
25  février  18 16,  dans  la  matinée, 
les  indépendans  furent  les  premiers 
à  donner  le  signal  du  combat,  en 
se  précipitant  sur  l*armée   espa- 
gnole, qui  occupait  Puenle  ,  Cii- 
pey  et  Mamey ,   postes  impf^ans 
dont  le  premier  fut  plusieurs  fois 
pris  et  repris.  Un  explosion  ter- 
rible dans  le  fort  de  Santa-Rosa  , 
où  se  trouvait  un  détachement  de 
l'armée  royale,  et  produite  par  un 
obusqin',  en  éclatant,   fit  sauter 
plusieurs  caissons,   détermina  les 
indépendans  à  profiter  du  désor- 
dre que  cet  événement  avait  oc- 
casioné  parmi  leurs  ennemis  :  ilsse 
précipitèrent  de  nouveau  sur  les 
Espagnols,  mais  ceux-ci  les  reçu- 
rent avec  autant  de  sang-froid  que 
de  courage,  les  chargèrent  à  leur 
tour,  et  malgré  les  efforts  de  leur 
chef  Arismendi  {yoy.  ce  nom),  les 
mirent  dans  une  déroute  complète. 
Ils  reprirent  bientôt  courage.   Le 
29  avril,  près  d'Ocanno,  dirigés 
par  IJrdaneta  etïorrices,  ils  bat- 
tirent  complètement    Morilio    et 
Morales,    qui    commandaient   en 
personne,    et  les   forcèrent  à    se 
retirer  précipitamment  :  pendant 
l'action  ,  ^00  soldats  espagnols  se 
joignirent  aux  indépendans.     De 
son  côté,    Bolivar  {voy.  ce  nom) 
redoublait  d'efforts.    Après  avoir 
rallié  à  Haïti  les  braves  et  mal- 
heureux réfugiés  de  Carthagène, 
et  des  autres  places  de  la  Nouvelle- 
Grenade,  et  obtenu  du  président 


MOR 

rùlliion  i5oo  Noirs  et  nuilâtrcs 
liien  aguerris,  dirigeant  vers  l'O- 
réno(^je  ces  forces  réparties  sur 
55  bâtimens  de  guerre,  il  détrui- 
sit une  petite  escadre  espagnole , 
f]ui  prétendait  s'opposer  à  son  pas- 
sage, débarqua  à  Margarita,  et 
punit  sévèrement  la  garnison  de 
Pampatar,  qui  n'avait  pas  voulu 
se  rendre.  Au  moyen  de  ces  nou- 
veaux renforts,  l'armée  républi- 
caine fut  portée  à  7000  hommes  : 
elle  descendit  à  Ocumare.  «Quoi- 
que cette  entreprise  échouât,  di- 
sent les  auteurs  de  l'ouvrage  que 
nous  avons  déjà  cité,  elle  lut  ce- 
pendant utile  à  la  cause  améri- 
caine, en  obligeant  les  Espagnols 
à  diviser  leurs  forces,  et  en  leur 
fiusant  perdre  par-là  les  fruits  de 
leurs  succès.  En  effet ,  la  plus 
impétueuse  vaiM.ince  n'avait  pas 
empêché  les  patriotes  d'être  com- 
plètement battus  à  Cachiri  ;  et 
malgré  un  succès  obtenu  par  eux 
à  Remedios,  mais  qui  fut  suivi 
de  plusieurs  revers,  Morillo,  en 
juin  1816,  réoccupa  enfin  Santa- 
Fé  de  Rogota.  Ce  triomphe  acheté 
si  cher  ne  labusa  pas  néanmoins 
sur  la  véritable  situation  des  cho- 
ses, comme  le  fait  connaître  une 
lettre  qu'il  écrivit,  vers  celte  é- 
poque.  au  ministre  delà  guerre 
eu  Espagne,  et  qui  fut  trouvée  à 
bord  d'un  bâtiment  capturé  par 
les  républicains  pendant  sa  tra- 
versée de  la  Havane  à  Cadix. 
Nous  extrairons  de  cette  lettre, 
où  le  général  espagnol,  par  la 
manière  dont  il  juge  les  cho- 
ses ,  a  fait  preuve  d'un  coup 
d'œil  sûr,  et  d'un  esprit  à  la  fois 
vaste  et  ferme,  divers  passages 
qui  servent  mieux  que  tout  autre 
récit,   ù   faire  connaître  la  nature 


MOR 


167 


de  cette  guerre.  Après  avoir  tra- 
cé les  embarras  de  sa  situation, 
résultant  du  nombre  et  de  l'en- 
thousiasme de  ses  adversaires  , 
de  la  dilTiculté  des  communica- 
tions, des  secours  que  leur  pro- 
curent des  spéculateurs  d'Euro- 
pe, et  surtout  des  mauvaises 
dispositions  des  ecclésiastiques 
dans  toute  la  vice-royauté,  il  a- 
joute  :  «  J'ai  déji  exprimé  mon 
désir  que  votre  excellence  en- 
voyât ici  des  missionnaires.  Je 
dirai  mainten;mt  qu'il  est  indis- 
pensable d'envoyer  aussi  des 
hommes  de  loi.  Si  le  roi  a  tou- 
jours l'intention  de  subjuguer 
ces  provinces,  il  faut  prendre  les 
mêmes  mesures  que  loi-s  de  la 
première  conquête,  cest-à-dire 
celles  qui  furent  prises  parCortei 
et  Pizarre  !  »  Les  mêmes  auteurs 
citent  une  autre  lettre,  qui  fut  é- 
crite  quelque  temps  après,  et  éga- 
lement interceptée  :  il  observait, 
disent-ils  :  0  Que,  suivant  les  or- 
dres du  roi,  il  avait  rétabli  l'au- 
dwncla  de  Caraccas ,  mais  qu'il 
regardait  cette  mesure  comme 
fausse  et  désastreuse,  vu  que  l'é- 
tat des  choses  dans  ce  pays  exi- 
geait un  gouvernement  pure- 
ment militaire;  sur  quoi  il  faisait 
cette  observation  remarquable  :  ■> 
«  Personne  ne  sait  mieux  que  moi 
qu'un  gouvernement  militaire 
est  par  essence  excessivement 
dur  et  despotique.  C'est  le  plus 
tyrannique  et  le  plus  destructif 
de  tous;  mais  c'est  le  plus  éner- 
gique, c'est  celui  que  les  rebelles 
ont  adopté.  Au  surplus,  conti- 
nuait Morillo  ,  chaque  provinc» 
de  l'Amérique  demande  un  systè- 
me différent.  A  Santa-Fé,  il  y  a 
fort  peu  de  noirs  et  de  mulâtres; 


i68 


MOR 


à  Venezuela  au  contraire  ,  une 
grande  partie  des  blancs  a  péri 
dans  la  révolution.  Les  habitans 
de  Santa-Fé  sont  naturellement 
indolens;  ceux  de  Venezuela,  har- 
dis et  sanguinaires.  A  Santa-Fé  , 
les  différens  étaient  réglés  par  les 
tribunaux;  à  Garaccas,  c'est  le  fer 
fjui  les  décidait.  De  ces  divers 
caractères,  provient  la  diversité 
des  oppositions  que  nous  avons 
rencontrées  ;  néanmoins,  la  dissi- 
inulation  et  la  perfidie  sont  les 
mêmes  dans  toutes  les  provinces. 
Probablement  les  habitans  de  cet- 
te vice -royauté  n'auraient  pas 
si  fermement  résisté  aux  troupes 
du  roi,  si  ceux  de  Venezuela  n'é- 
taient venus  les  soutenir.  C'est 
à  leur  instigation  que  les  habi- 
tans de  Carlhagène  prirent  la  ré- 
solution de  combattre  avec  tant 
de  vigueur.  Poussé  par  eux,  le 
gouvernement  d'Antioquia  pro- 
clama deux  fois  la  guette  à  mort, 
et  fit  savamment  fortifier  les  dé- 
filés de  la  province  par  des  in- 
génieurs qu'ils  lui  fournirent.  Ce 
fut  par  l'activité  de  ces  mêmes 
j'évoltés  que  Santa-Fé  fut  obligée 
♦ie  se  soumettre  au  congrès,  et 
d'adopter  leurs  plans  sanguinai- 
res. En  un  mot,  les  rebelles  de 
Venezuela  ont  tout  conseillé,  tout 
fiJt  ;  quand  ils  combattent  sur 
leur  propre  territoire,  ce  sont  de 
■•.  éritables  bêtes  féroces.  Quand 
jarrivai  ici  pour  prendre  le  com- 
mandement de  l'armée  royale,  je 
fus  saisi  d'horreur  en  apprenant 
le  nombre  des  tués  dans  chaque 
bataille  ,  soit  gagnée  ,  soit  per- 
due. Persuadé  qu'un  pareil  achar- 
nement prenait  ses  ressources 
dans  les  implacfibles  ressentimens 
de  l'esprit  de  parti,  je  cherchai 


MOR 

à  les  calmer,  en  déployant  cette 
clémence  sans  bornes  que  m'a 
tant  recommandée  le  roi  :•  quel 
effet  a-t-elle  produit?  de  nou- 
velles trahisons.  Si  le  peuple  de 
Venezuela  se  soumet  enfin,  ce  ne 
sera,  j'en  ai  la  conviction,  que 
pour  attendre  l'occasion  favora- 
ble de  se  révolter  de  nouveau. 
Pour  réduire  ce  peuple,  des  trou- 
pes plus  nombreuses  sont  néces- 
saires; et,  je  répète  à  votre  ex- 
cellence, il  faut  que  le  capitaine- 
général  de  Venezuela  soit  investi 
du  pouvoir  militaire.  Soyez  bien 
assuré  que  le  succès  ne  sera  pas 
l'ouvrage  d'un  jour,  et  qu'il  ne 
peut  être  obtenu  que  par  la  per- 
sévérance et  l'activité  :  c'est  une 
guerre  féroce  comme  celle  des 
Noirs  contre  les  Blancs.  »  Peu 
de  modifications  doivent  être  fai- 
tes dans  ce  tableau  de  la  situation 
des  esprits  et  des  dispositions  des 
partis.  Les  royalistes  évacuèrent 
Margarita.  Le  chef  indépendant, 
Arismendi ,  se  rendit  sur  le  conti- 
nent, à  la  tête  d'une  partie  de  ses 
troupes,  afin  d'augmenter  les  for- 
ces et  l'énergie  des  armées  de  la 
nouvelle  république.  Bolivar,  que 
le  mauvais  succès  de  ses  opéra- 
tions à  Ocumare  avait  déterminé 
à  repartir  pour  les  Cayes,  en  revint 
avec  des  forces  nouvelles.  Il  con- 
voqua un  congrès-général  à  Vene- 
zuela ,  et  se  rendit  ensuite  à  Bar- 
celonne,  où  il  établit  un  gouver- 
nement provisoire.  Les  chefs  roya- 
listes, effrayés  de  voir  organiser 
avec  celte  imposante  régularité  la 
nouvelle  république,  marchèrent 
contre  Bolivar.  Ils  eurent  peu  de 
succès,  et  furent  repoussés  avec 
perte  dans  le  courant  de  février  et 
mars  1817.  La  puissance  maritime 


MOR 

df!s  indépendans  Pe  fortifiait  de 
plus  eu  plu^.  L'iimiral  Brion  (voy. 
ce  nom)  tenait  dans  un  blocus  ri- 
goureux les  places  qui  étaiwit  en- 
core au  pouvoir  des  Espagnols, 
et  lançait  des  corsaires  qui  s'em- 
paraient, jusque  dans  les  mers 
d'Europe,  des  vaisseaux  espagnols 
chargés  de  munitions  et  d'appro- 
visionnemens  pour  les  troupes 
royales.  Il  résulte  des  rapports 
que  publièrent  les  journaux  an- 
glais de  cette  époque,  que  les  for- 
ces des  insurgés  de  la  Nouvelle- 
Grenade  et  de  Venezuela  s'élevaient 
à  plus  de  19.000  hommes  ,  non 
compris  les  forces  de  mer,  qui 
étaient  de  près  de  20  navires  de 
guerre.  Les  forces  qui  leur  étaient 
opposées  n'étaient  pas,  tant  en 
troupes  réglées  qu'en  troupes  ir- 
régulières, de  plus  de  6')Oo  hom- 
mes; environ  12  petits  bâtimens 
armés  formaient  toute  leur  mari- 
ne. On  trouve,  dans  le  Diario 
mercantU  de  Cadix,  de  1817,  '^ 
liste  des  principaux  chefs  de  la 
révolution  dans  la  Nouvelle-Gre- 
nade qui  avaient  subi  la  peine  ca- 
pitale. Cette  liste  effrayante  con- 
tenait les  noms  de  43  personnes, 
toutes  d'une  haute  distinction,  et 
ayant  rempli  des  fonctions  émi- 
nentes  ,  telles  que  celles  de  séna- 
teurs, de  meu)bres  d'une  junte,  de 
commissaires  du  gouvernement, 
etc.  Malheureusement,  ces  exé- 
cutions ne  furent  pas  les  seules  ; 
elles  ne  servirent  qu'à  redoubler 
la  fureur  des  partis  :  royalistes  et 
indépendans  rivalisèrent  de  cruau- 
tés. La  campagne  des  premiers 
mois  de  1817  fut  toute  favorable 
aux  insurgés.  Un  grand  nombre 
d'oITiciers  et  de  soldats  anglais  li- 
cenciés vinrent  se  mêler  dan»  leurs 


MOR  irM) 

rangs,  et  régulariser,  par  la  dis- 
cipline et  l'expérience,  l'intrépi- 
dité désordonnée  des  soldats  amé- 
ricains, et  a>surer  le  succès  des 
plans  de  leurs  chefs.  Bolivar  rem- 
porta devant  Cmnana  une  victoire 
signalée.  On  rapporte  qu'à  l'affaire 
de  Barcelonne  les  indépendans  imi- 
tèrent, avec  autant  de  succès  que 
de  valeur,  l'exemple  des  soldats 
d'AgJthocles.  Le  général  Paez,  à 
la  tête  d'un  nombreux  corps  de 
cavalerie,  attaqua  Morillo  dans  les 
plaines  de  Banco-Largo,  le  battit, 
et  le  força  de  repasser  l'Apure  et 
de  se  renfermer  dans  la  place  de 
San-Feruando.  Dans  celte  situa- 
tion ,  il  se  vit  encore  obligé  de 
faire  arrêter  deux  des  chefs  de  sou 
armée.  Morales  et  Real,  dont  les 
dissentions  menaçaient  de  porter 
un  grand  préjudice  à  la  cause 
royale.  Mu  premier  renfort  de 
6,000  hommes,  la  reprise  de  Bar- 
celoime  par  le  gouverneur  espa- 
gnol de  Caraccas,  qui  en  fit  passer 
la  garnison  au  fil  de  l'épée.  et  un 
nouveau  renfort  de  i5oo  hom- 
mes, rétablirent  momentanément 
les  affaires  des  royali-^îes,  et  per- 
mirent à  Morillo  de  quitter  San- 
Fernando.  Il  se  rendit  à  Carac- 
cas ,  afin  d'y  concerter  ses  opéra- 
tions avec  les  autres  conunandanK 
des  troupes  royales.  Il  y  apprit 
la  mort  du  colonel  Lopez,  gou- 
verneur de  Barinas,  qui  fut  fait 
prisonnier  par  les  indépendans  . 
et  sur  qui  se  trouvait,  disent  les 
auteur»  que  nous  avons  déjà  ci- 
tés, la  correspondance  de  Moril- 
b).  dans  laquelle  ce  dernier  lui  fai- 
sait part  de  toutes  les  exécution» 
qui  avaient  eu  lieu  par  ses  ordres 
à  Santa- Fé  et  à  Carlhagène,  ea 
recommandant  à  Lopez  de  suivre 


170  BlOli 

la  inêine  marche  dans  son  gou- 
Ycrncmenl,  recommandation  à  la- 
quelle celui-ci  ne  s'était  que  tnq) 
ctnilormé.  Celte  découverte  dé- 
cida de  son  sort;  le  général  Paez 
le  fit  décapiter  au  milieu  du  mar- 
ché d'Achaguas.  Morillo  reprit  ses 
opérations,  et  découvrit,  peu  de 
temps  après  ,  un  complot  tendant 
à  livrer  au  chef  indépendant  Fiar 
la  place  d'Augustura,  Le  gouver- 
neur, nommé  Fitz-Gérald,  accusé 
d'en  être  l'auteur,  fut  arrêté  :  ou 
exécuta  militairement  les  conju- 
rés, et  le  gouverneur  lui-même 
reçut  |;i  mort  dans  la  prison.  Au 
mois  de  mai,  la  correspondance 
du  général  en  clicfde  l'armée  roya- 
le ave(;  le  gouverneur  de  Santa- 
I''é  fut  interceptée  par  les  guérillas 
indépendantes,  et  rendue  publi- 
<jue.  On  y  vit,  de  l'aveu  même  du 
général  en  chef,  que,  malgré  les 
avantages  obtenus  depuis  peu  par 
les  troupes  royales,  la  révolte  était 
presque  générale.  Plusieurs  com- 
bats partiels,  où  les  iudépend.ins 
eurent  l'avantage,  et  l'augmenla- 
lion  de  leur  marine,  qui  alors  é- 
tail  de  plus  de  5o  navires  de  dillë- 
riMites  diu)ensions,  montés  par 
des  honmies  déterminés,  les  pré- 
parèrent à  soutenir  une  aftaiie  gé- 
nérale entre  les  forces  comman- 
dées par  Murillo  et  par  Arismen- 
di  :  elle  eut  lieu  dans  le  même 
mois  (mai  1817),  sur  les  bords  de 
i'Orénoque.  Long-temps  incertai- 
ne, la  bataille  fut  enfin  gagnée  par 
les  indépendans  :  Morillo  et  son 
état -major  ne  durent  leur  salut 
qu'à  un  régiment  de  cavalerie, 
qui  se  fraya  un  passage  au  travers 
ile  l'armée  ennemie.  3Iaîtres  de 
toute  la  côte,  les  indépendans  for- 
cèrent les  royalistes  à  se  retirer 


MOR 

dans  l'inférieur  du  pays,  et  à  res- 
ter inactifs  :  plusieurs  places,  niai 
défendues  ou  mal  approvision- 
nées, tombèrent  successivement 
au  pouvoir  des  vainqueurs.  Mo- 
rillo, que  l'on  croyait  hors  d'état 
de  tenter  aucune  entreprise  capi- 
tale, parut  tout -à -coup  devant 
Margarita,  où  se  reliraient  ordi- 
nairement les  flottilles  des  indé- 
pendans. Il  débarqua  le  14  juillet, 
et  somma  Gomez,  gouverneur  de 
l'île,  de  se  rendre ,  s'il  ne  voulait 
s'exposer  lui,  la  garnison  et  les 
habitans,  aux  châlimens  les  plu» 
terribles.  Gomez  répondit  en  hom- 
me de  cœur,  et  Morillo  se  prépara 
à  enlever  la  place  de  vive  force. 
Il  prit  d'assaut  Porlamar,  point 
d'une  haute  importance,  et  met- 
tant ses  menaces  à  exécution  ,  il 
passa  au  fil  de  l'épée  tous  ceux  qui 
avaient  pris  les  armes;  tourna  et 
enleva  des  positions  défendues  par 
une  formidable  artillerie;  enfin, 
une  de  ses  escadres  obtint  une  vic- 
toire signalée  sur  l'amiral  Brion. 
Les  habitans  de  Margarita  ne  se 
laissèrent  point  abattre  par  ces  re- 
vers :  ils  se  défendirent  de  position 
en  position ,  de  rocher  en  rocher, 
pied  à  pied.  Enfin  Morillo,  qui 
désespérait  de  les  vaincre,  ayant 
été  informé  que  Bolivar  faisait  des 
progrès  rapides  du  côté  de  Guya- 
na ,  prit  le  parti  de  repasser  sur  le 
continent.  Arrivé  à  Cumana,  il 
réorganisa  ses  troupes  considéra- 
blement affaiblies  par  les  pertes 
qu'il  venait  d'essuyer,  et  fit  mar- 
cher une  forte  division  contre  Ma- 
rino,  que  de  uombreuxsuccèsdans 
cette  province  avaient  rendu  re- 
doutable. Le  combat  eut  lieu  près 
de  la  rivière  de  Cariaca.  Des  pro- 
diges de  valeur  furent  faits  de  part 


MOR 

rt  d'autre  :  sept  fois  les  iiidépen- 
dans  atlaquèrcnl  la  position  qu'oc- 
cupaient les  ro3'alistcs ,  et  ils  re- 
venaient pour  la  huitième,  lors- 
que leur  chef  reçut  une  blessure 
dangereuse;  ils  se  retirèrent.  Sur 
d'autres  point; ,  Cadeno,  Bermu- 
dez  et  Paez  balançaient,  par  leurs 
victoires ,  le  revers  que  Marine 
avait  éprouvé;  et  vers  la  On  de 
septembre,  les  indépendant  étaient 
maîtres  de  presque  toute  la  Nou- 
velle-Grenade. Morillo,  pendant 
ce  temps,  levait  d'énormes  contri- 
butions. Il  imposait  les  négociaus 
de  Caraccas  et  de  Guiyra ,  déjà 
épuisés,  à  une  somme  de  200,000 
piastres  ,  et  faisait  des  recrues 
parmi  les  créoles  dévoués  au  parti 
royaliste.  Par  une  proclamation, 
il  oiTrit,  au  nom  du  roi  dJEspagne, 
une  amnistie  à  tous  les  insurgés 
qui  déposeraient  les  armes,  et, 
pour  les  déterminer  plus  promp- 
tement,  il  rendit  la  liberté  à  tous 
ses  prisonniers.  Les  Américains 
furent  insensibles  à  unegénérosité 
qui  lui  était  si  peu  ordinaire.  Bien 
loin  de  se  soumettre,  ils  firent  de 
nouvelles  levées, et  virent  leurs  for- 
ces s'augmenter  d'un  grand  nom- 
bre d'étrangers.  Anglais  pour  la 
plupart,  qu'animait  généralement 
l'amour  de  l'indépendance.  L'ar- 
mée royale  éprouvait  au  contraire 
im  affaiblissement  journalier,  par 
la  désertion,  la  fatigue  et  les  ma- 
ladies. Le  manque  d'argent,  et 
t(1utes  sortes  de  privations,  éner- 
vaient ceux  qui  restaient  sous  les 
drapeaux;  et  lorsqu'en  1818,  Mo- 
rillo  recommença  la  guerre,  il  se 
vit  dans  la  pénible  position  de  com- 
battre à  la  fois  des  hommes  enflam- 
més par  le  double  amour  de  la  pa- 
trie et  de  la  liberté .  et,  ânni»  ses 


MOR  1:1 

propres  troupes. le  découragement 
et  souvent  les  dispositions  à  la  ré- 
volte. Celte  guerre  ,  où  les  succès 
et   les  vicissitudes   furent   à  peu 
près  les  mêmes  de  part  et  d'autre, 
donna  aux  indépendans   plus  de 
confiance  dans  leurs  forces,  et  leur 
fit  penser  que  la  métropole  ne  par- 
viendrait jamais  à  les  replacer  sous 
sa   domination.    Cette  campagne 
pensa  être  funeste  à  Morillo.  A  la 
bataille  deCoro,  qui  fut  remar- 
quable parl'acbarnement  des  deux 
partis,  il  fut  très-grièvement  \)\e^- 
sé  d'un  coup  de  lance  que  lui  por- 
ta un  chef  de  guérillas.   La  cam- 
pagne de  1819  fut  également  fé- 
conde en  faits  remarquables  .  mais 
qui  n'arrêtèrent  point  l'essor  de 
l'indépendance   américaine,    qu« 
les  derniers  événemens  politiques 
en  Espagne  sembleraient  vouloir 
remettre  en  question.  Ne  pouvant 
enfin  surmonter  les  obstacles  sans 
nombre  que  lui  opposaient  le  ter- 
ritoire, les  habitans,  l'épuisement 
de  ses  troupes  et  leuréloignement 
de  la  métropole,  Morillo  proposa 
une  trêve  et  revint  dans^a  patrie, 
où  il  fut  nommé,  par  le  roi,  comte 
de  Carthagène  ;  il  avait  été  décoré, 
en    1818,    de    la    grand'croix   de 
Saint-Ferdinand.    En  1820,  il  a- 
dopta,    ou   feignit   d'adopter,   la 
constitution  des  cortès,  qui  venait 
d'être  rétablie.  Tout  porte  à  croir;; 
cependant  qu'il  favorisa  l'insurrec- 
tion des  gardes-du-corps,  dans  la 
journée  du  7  juillet  182a;  mais, 
se  voyant  près  d'être  compromis, 
par  la  mauvaise  direction  que  prit 
celle  affaire,   il  n'hésita  pas  à  se 
tourner  du  côté  des  constitution- 
nels, qui  ne  s'éblouirent  pas  sur 
ses  véritables  dispositions.   II  stj- 
rait  même  payé  de  sa  vie  le  peu 


fie  confjjince  qu'il  leur  inspirait, 
si  Riego  n'erjulétournélebrasd'uu 
milicien  qui  allait  lui  tirer  un  coup 
de  pistolet.  Nonuné,  dès  le  com- 
iiienceinent  de  la  campagne  de 
1823,  au  commandement  général 
de  la  Galice  et  des  Asluries,  il  eut 
sous  ses  ordres  Quiroga,  Campil- 
]<>,  le  Pastor  et  l'Euipecinado.  En 
avril,  Morille,  conjointement  a- 
vec  Quiroga,  se  mit  à  la  poursuite 
du  comte  d'Amarante,  qui,  ayant 
voulu  rétablir  l'autorité  royale  en 
Portugal,  fut,  après  une  première 
défaite,  obligé  de  se  réfugier  en 
Espagne;  mais  la  suite  a  fuit  voir 
que  l'intention  du  comte  de  Car- 
lliagèuen'étaitsans  doute  pas  d'ar- 
irttr  le  général  portugais.  Vers  la 
fin  du  mois  de  mai,  Morillo  était 
à  Benavente,  occupé  àrasseinbler 
les  débris  des  corps  constitution- 
nels dispersés  par  l'armée  fran- 
çaise. Dans  le  courant  de  juin,  le 
général  Wilson,  venu  en  Espagne 
pour  défendre  la  cause  des  cons- 
titutionnels, reujit  à  Morillo  un 
plan  de  défense  pour  la  Galice  et 
Jes  Asluries;  mais  le  général  es- 
pagnol, qui  d'ailleurs  accueillit 
très-l^ien  le  général  anglais,  ne 
jugea  pas  à  propos  d'en  faire  usa- 
ge ,  parce  que  vraisemblablement 
il  n'entrait  pas  dans  ses  projets  de 
soutenir  le  gouvernement  des  cer- 
tes. Le  général  Morillo  ayant  ap- 
pris que  les  cortès  avaient  suspen- 
du le  roi  de  ses  fonctions  pendant 
»a  translation  de  Séville  à  Cadix, 
adressa  de  suite  à  l'armée  qu'il 
commandait,  et  aux  habitans  de 
la  Galice  ,  deux  proclamations  , 
dans  lesquelles  il  manifestait  ses 
sentimens  d'improbalion  pour  cet 
acte.  Il  demanda  en  même  temps 
un  arniistice  un   général  français 


MOR 

Bourck,  qui  lui  fit  répondre  qu'il 
n'obtiendrait  une  suspension  d'ar- 
mes qu'en  reconnaissant  la  régen- 
ce. Morillo  avait  fait  précéder  cet- 
te démarche  de  la  destitution  de 
Quiroga,  dont  il  redoutait  les  prin- 
cipes et  la  fermeté.  lous  les  jour- 
naux ont  rapporté  ses  proclama- 
tions à  ce  sujet.  Morillo ,  qui ,  à 
la  tête  de  forces  encore  assez  con- 
sidérables, croyait,  en  ne  recon- 
naissant ni  les  cortès  ni  la  régence, 
avoir  assez  d'influence  pour  faire 
adopter  un  gouvernement  mixte, 
se  trompa.  Ses  propositions  fu- 
rent rejetées.  Devenu  un  objet  de 
défiance  pour  ceux  dont  il  était 
précédemment  l'espoir,  il  se  vit 
clans  la  dure  nécessité  d'accepter 
les  conditions  du  général  à  la  mer- 
ci duquel  il  s'était  mis,  et  l'on  ne 
peut  se  dissimuler  que  c'est  sa  dé- 
fection qui  a  livré  presque  sans 
défense  la  Galice  aux  Français. 
Cet  acte  néanmoins  ne  fut  con- 
sommé qu'après  une  négociation 
qui  dura  depuis  le  37  juin  jusqu'au 
17  juillet,  et  Morillo,  en  recon- 
naissant la  régence,  ne  put  mettre 
à  sa  disposition,  au  rapport  des 
Bulletins  français,  que  le  nombr^ 
de  3ooo  hommes  :  le  reste  de  ses 
troupes  se  dispersèrent.  Quiroga 
en  réunit  une  partie;  mais,  mal- 
gré une  proclamation  énergique, 
il  ne  put  les  retenir  sous  son  com- 
mandement que  quelques  jours. 
Depuis  cette  époque,  le  rôle  qu'a 
joué  Morillo  ne  fut  rien  moins  que 
brillant;  le  peu  de  considération 
qu'il  obtint  de  la  régence  ne  s'est 
point  augmenté  après  les  événe- 
mens  de  Cadix.  Affecté  sans  doute 
de  l'indifférence  dont  le  gouver- 
nement récompensait  ses  services, 
il  a  volontairement  donné  sa  dé-» 


mission  du  commandement  géné- 
ral de  la  Galice.  Depuis  cette  dis- 
grâce ,  le  projet  qu'il  avait  unani- 
i'esté  de  se  retirer  en  France,  s'est 
enfin  effectué.  Les  feuilles  publi- 
ques annoncent  qu'il  vient  (jan- 
vier* 1824)  de  débarquer,  avec  sa 
fumilie,  à  llochefort,  à  bord  du 
vaisseau  le  SurveiUant.  Moriilo  a 
acquis  dans  l'Amérique  du  sud  u- 
ne  des  plus  remarquables  réputa- 
tions militaires  de  l'époque.  On 
admire  généralement  avec  quelle 
habileté,  séparé  de  la  métropole 
par  des  mers  immenses,  dans  un 
climat  dévastateur,  entouré  d'en- 
nemis implacables  ,  il  a  «u  , 
n'ayant  qu'un  petit  nombre  d'hom- 
mes, se  créer  des  ressources  de 
toute  espèce ,  enûn ,  soutenir  pen- 
dant plusieurs  années  une  guerre 
où  il  fut  souvent  vainqueur.  Mal- 
heureusement, la  célébrité  qu'il  a 
acquise  en  Amérique  est  entachée 
par  des  cruautés  que  sans  doute  il 
détestait  lui-même,  mais  dont  le 
souvenir  est  inhérent  à  sa  gloire. 
Aux  qualités  de  l'âme,  l'énergie, 
le  courage,  l'indomptable  persé- 
vérance, il  joint  des  avantages  phy- 
siques dignes  de  leur  être  associés. 
Sa  taille  haute,  sa  démarche  fiére, 
«on  air  martial ,  sou  teint  que 
le  séjour  de  l'Amérique  a  bruni , 
tout  en  lui  annonce  un  homme 
digne  de  commander  à  des  braves. 
MORIN  (N.),  conventionnel, 
exerça,  jusqu'en  1789,  la  profes- 
sion d'avocat  dans  la  petite  ville 
de  Saint-Nazaire  (Loire-Inférieu- 
re). Nommé  à  celte  époque  dépu- 
té du  tiers-état  de  la  sénéchaus- 
sée de  Carcassonne,  aux  états-gé- 
néraux, il  combalil  avec  force  le 
projet  proposé  pour  la  création 
d'un  papier-monnaie,  et  déveiop- 


pn  quelques  idées  générales  sur  Its 
finances.  Le  département  de  l'Au- 
de l'élut,  au  mois  de  septembre 
j^pa,  député  à  la  convention  na- 
tionale, où,  dans  le  procès  du  roi, 
il  demanda  la  réclusion  et  le  ban- 
nissement à  la  paix.  Membre  d» 
conseil  des  anciens,  par  suite  de 
la  réélection  des  deux  tiers  con- 
ventionnels, il  y  occupa  peu  la 
tribune,  sortit  en  1798,  et  mou- 
rut vers  1808. 

MORIN  (N.),  était  membre  du 
tribunal  de  Bitche  lorsque  le  dé- 
partement de  la  Moselle  le  nomma 
député  à  l'assemblée  législative. 
Le  -29  juillet  1792,  on  agita  la 
question  de  mettre  en  vente  les  ri- 
ches propriétés  de  l'abbaye  de 
Vadgass;  mais  M.  Morin  prétendit 
que  la  nation  n'en  avait  pas  le 
droit,  parce  que  plus  des  deux 
tiers  de  ces  biens  étaient  situés  sur 
le  territoire  de  l'empire  germani- 
que. Cette  opinion  fut  partagée 
par  le  comité  de  diplomatie.  A  la 
fin  de  la  session.,  il  est  rentré  dan» 
la  vie  privée. 

MORIN  (Claude-Marie),  e^t 
né  à  Lyon ,  dans  le  mois  d'avril 
1768.  Son  père,  qui  occupait  une 
place  dans  les  finances,  où  de  lon- 
gues années  de  travail  et  une  sé- 
vère économie  lui  avaient  acquis 
une  fortune  considérable,  avait 
dirigé  son  éducation  vers  l'étude 
des  lois,  et  il  allait  acheter  pour 
lui  la  charge  d'avocat  du  roi  pré:^ 
de  la  sénéchaussée  de  Lyon  - 
lorsque  les  événemens  de  la  ré- 
volution détruisirent  ces  projets, 
en  supprimant  toutes  les  charges 
de  la  magistrature.  M.  Morin  é- 
tait  le  compatriote  de  .M,  Ravcz , 
président  de  la  chambre  dts  dépu- 
tés ,  et  tous  deux  se  firent  reuiar- 


>74 


310R 


quer  par  des  succès,  dès  leur  dé- 
but dans  la  carrière  du  barreau; 
tous  deux  se  prononcèrent  coura- 
geusement, quoique  tiès-jcunes, 
contre  les  excès  de  la  révoluliou; 
et  tous  deux  luttèrent  avec  éner- 
gie contre  des  entreprises  qui  fi- 
nirent néanmoins  par  amener  le 
siège  de  Lyon,  et  les  catastrophes 
épouvantables  qi;i  le  suivirent.  M. 
Alorin  avait  été  deux  l'ois  président 
des  trente-deux  sections  réuin'es 
de  sa  ville  natale  ,  qu'il  avait  eu 
le  bonheur  de  préserver,  avec  le 
concours  des  aujis  de  l'ordre  et 
des  lois,  du  joug  qui  devait  l'op- 
primer, et  il  avait  été  appelé  pour 
la  troisième  lois  aux  mêmes  fonc- 
tions, lorsqu'une  allaiie  de  la- 
mille  (la  destitution  de  son  père, 
provoquée  par  le  parti  ultrù-ré- 
volulionnaire  dans  les  premiers 
mois  de  17921)  le  força  de  se  ren- 
dre à  Paris,  pour  obtenir  la  révo- 
cation de  cet  acte  arbitraiie.  C'est 
à  cette  époque,  et  pendant  son 
séjour  dans  celle  capitale,  que  le 
siège  de  Lyon  fut  décidé.  La 
"ville  investie,  M.  Morin  se  trouve 
dans  l'impossibilité  de  rejoindre 
ses  compatrioles.  Bientôt  la  vil- 
le est  prise.  Proscrit  avec  trois 
lie  ses  frères,  il  se  réfugie,  ain- 
si qu'eux,  à  Nice,  où  était  le 
quartier-général  de  l'armée  du 
Yar.  Les  tribunaux  inilitaires,  ju- 
geant avec  jurés,  avaient  été  pré- 
cédemment institués;  mais  l'orga- 
nisation de  ceux  del'arméedu  Var 
élait  incomplète.  Privé  de  toutes 
ressources  personnelles,  ainsi  que 
du  côté  de  sa  famille ,  ruinée  dès 
cette  époque,  M.  Morin  accepta 
ditîérentes  fonctions  judiciaires, 
et  fut  enfin  nommé  accusateur 
4nililaire,   ensuite  du   départ  du 


MOU 

magistrat,  titulaire  de  cette  place. 
Mandé  à  Paris  par  les  comités  du 
gouvernement,  M.  Morin  a  rem- 
pli ces  fonctions  pendant  environ 
deux  années,  et  jusqu'au  moment 
où  ces  tribunaux,  créés  par  une 
loi,  furent  supprimés  de  même. 
Il  est  constant  que  par  ses  soins 
et  son  influence ,  les  tribunaux 
de  l'armée  du  Var  n'ont  pas  cessé 
de  conserver  leur  organisation 
par  jurés,  et  que,  non-seulement 
il  n'y  a  point  eu  de  condamnation 
pour  délits  politiques,  mais  pas 
même  une  seule  arrestation.  M. 
Morin  s'est  acquis  pendant  cette 
péiiode  de  temps,  (jui  était  par- 
tout ailleurs  celle  du  deuil ,  des 
larmes  et  du  sang,  l'estime,  la 
confiance,  et  même  la  vénération 
de  toute  la  populationdeces  p<iys, 
de  l'armée  et  de  ses  chefs,  dont 
il  fut  constamment  le  défenseur. 
De  retour  à  Paris,  il  mit  à  profit 
les  connaissances  qu'il  avait  acqui- 
ses au  milieu  des  canjps,  et  après 
deux  années  de  nouvelles  recher- 
ches et  de  travaux,  il  fit  paraître 
sa  r liéorie de L' administration  mili- 
taire ,  ouvrage  remarquable  pour 
le  temps  où  il  a  été  écrit,  qui  se 
dislingue  par  des  opinions  sages 
et  un  esprit  rare  d'analyse  et  de 
méthode.  Cet  ouvrage  a  été  beau- 
coup consulté,  lorsqu'il  s'est  agi  de 
sortir  l'administration  militaire  du 
chaos  où  elle  était  plongée  :  ill'est 
encore  avec  fruit  aujourd'hui.  L'ap- 
parition de  cet  écrit  révélait  un 
admim'strateur.  Le  directoire-exé- 
cutif appela  son  auteur  aux  fonc-^ 
lions  de  liquidateur-général  des 
Invalides,  puis  à  celles  d'un  des 
chefs  de  la  liquidation  centrale  du 
minislère  de  la  guerre;  enfin  il 
l'envoya  comme  son  commissaire 


WOR 

extraordinaire,  auprès  de  l'ariiit'je 
d'Helvétie  ,  pour  eu  apurer  tou- 
te la  comptabilité.  A  cette  époque 
allait   couunencer    cette    célèbre 
campagne   de  l'an   ^,    couronnée 
par  la  uiéinorable  bataille  de  Zu- 
rich, où  une  arinéeentière  de  Rus- 
ses devait  trouver  son  tombeau,  et 
la  coalition  sa  ruine.  M.   Worin  é- 
tait   attaché    au    général  en    chef 
Masséna  ,    qui   l'avait   prié   de  se 
charger  auprès  de  lui,  en  qualité 
d'ami  sûr,  de  la  direction  des  opé- 
rations politiques   et  administra- 
tive* de  l'armée  sous  ses  ordres. 
Une  circonstance  ,  dont  quelques 
notices  ou  mémoires  contempo- 
rains   ont    déjà    rendu   compte, 
fournit  à  M.  Morin  l'heureuse  oc- 
casion de  sauver  5oo  Français  de 
beaucoup  de  persécutions,  et  peut- 
être  même  de  la  mort;  c'était  la 
moitié  d'une  colonne  de  l'armée 
du  prince  de  Condé ,  coupée  par 
nos   soldats  au    moment   où   elle 
défilait  sur  le  pont  de  Constance, 
sur  le  Rhin.  Déjà  il  était  question 
de  signaler  ces  victimes  de  la  guer- 
re au  gouvernement,  et  de  s'as- 
surer de  leurs  personnes,  lorsque 
sur  les  instances  de  M.  Morin  on 
les  laissa  rentrer  dans  leur  patrie 
sous  la  sauA'e-gardede  l'unilorme 
russe  qui  les  couvrait.  Au  moment 
où  finissait  cette  merveilleuse  cam- 
pagne ,   le  général  en  chef  Bona- 
parte, débarqué  à  Fréjus,  s'em- 
parait des  rênes  du  gou  vernemcnt. 
Far  ses    ordres ,   le    général   qui 
commandait  l'armée  d'Helvétie, 
l)assa  à   l'armée  d'Italie  ;  il  place 
de    suite  son  quartier-général  au 
poste    le  plus   périlleux  à  Gênes; 
M.  Moriu  l'y  avait  suivi. Après  des 
prodiges  de  valeur  de  la  part   de 
i'armée  frauçaisc,  et  une  défense 


M  OR  i^r» 

qu.e  rien  ne  surpasse  dans  aucu!i 
fait  de  même  nature    des  temps 
anciens  ou  modernes,  il  fallait  ce- 
pendant traiter  avec  l'armée  enne- 
mie, pour  sauver  la  population  et 
les  débris  glorieux  de  nos  braves 
phalange"*.   M.  Morin,  chargé  de 
cette  dilficile  négociation,  la  rem- 
plit au-delà  même  des  espérances 
du  général  en  chef,  en  obtenant, 
non    pas  nne  capitulation ,    mais 
des  conventions  qui  rendirent  l'ai- 
mée  à  la  liberté,  et  la  mit  en  po- 
sition de  recommencer  la  campi- 
gne  aux  portes  mêmes  de  la  ville 
qu'elle    n'avait  pu   sauver,   n)ais 
qu'elle  avait  à  jamais  illustrée,  en 
lassociant    à     sa   propre    gloire. 
^Jéanmoius   le  chef  du  gouverne- 
ment rappela  à  Paris   le  général 
en  chef  :  M.  Morin  y  revint  aussi; 
mais,  étranger  à  toute  espèce  d'aî^- 
faires  publiques,  il  s'occupa  de  li!- 
téralure,  et,  mêlant  à  cette  étude 
ses  souvenirs  de  guerre,  il  mit  au 
jour  un  poëmeen  4chants  intitulé: 
le  Siège  de  Gènes.  Le  conquérant 
qui  gouvernait   la    France  y    est 
caractérisé  de  la  manière  suivante, 
et   l'auteur  lui    adressait  ce   sage 
avertissement  qui,  depuis,  est  de- 
venu une  véritable  prophétie  : 

Salut ,  pu-ssant  vainqueur  !  poursuis  tes  grand» 

desseins  ! 
Les  trônes  tomberontou  naîtront  sous  tes  mains. 
Oui ,   j'armerai  ton  bras  des  foudres  meurtrières 
Qui  frappent  les  états, renversent  leurs  barrières. 
Jusque-là  du  destin  les  décrets  sont  connus  ; 
Mais  quand  les  jours  de  paix  seront  enfin  venus. 
De  l'Europe  ébranlée  apaise  la  .{«urmente. 
Arb:tre  de  toi-même,  et  d'une  main  orudente 
Assigne  ladimite  où  tu  dois  t'arrêter; 
L'univers  est  d'un  poids  difficile  à  porter. 

En  eflet,  l'Europe  a  écrasé  à  sort 
tour  celui  qui  l'avait  si  long-lemp** 
dominée.  Sous  le  gouvernement 
royal,  M.  Morin  fut  appelé  à  h» 
place  de  chef  de  la  première  di- 
vision  de   la  policé   génératc  du 


i;6  MOK 

royaume.  La  tendance  des  choses 
qui  devait  amener  ou  faciliter  la 
rentrée  de  jNapoléon  fit  perdre  à 
M.  Morin  cette  place  :  depuis  il 
n'a  rempli  aucune  fonction  publi- 
que ;  on  peut  en  avoir  quelque 
regret,  parce  que  son  passage  à 
la  police  n'a  pas  été  assez  rapide 
pour  qu'il  n'y  ait  pas  laissé  des 
regrets.  On  se  rappellera  long- 
temps son  impartialité,  son  obli- 
geance et  son  esprit  de  conciliation 
et  de  concorde.  On  pense  que  M. 
Morin,  ayant  été  rapproché  de 
beaucoup  de  personnages  impor- 
tans  qui  ont  figuré  successivement 
dans  tous  les  actes  de  notre  drame 
politique,  pourrait,  s'il  voulait 
s'en  occuper,  écrire  des  Mémoires 
qui  se  reconnuanderaient  par  l'im- 
porlance  des  faits,  et  par  des  no- 
tions entièrement  inconnues  sur 
certains  hommes  et  certaines  cho- 
ses. Voici  jusqu'à  ce  jour  les  ou- 
Trages  qu'il  a  publiés  :  i°  Essai 
sur  la  théorie  de  l'administration 
militaire  y  en  temps  de  paix  et  en 
temps  de  guerre,  1799,  in-S";  2" 
Gènes  sauvée  y  ou  le  passage  du 
mont  Saint-Bernard ,  poëme  en  4 
chants,  1810.  in-8°  ;  3°  Ode  à 
leurs  majestés  impériales  et  royales , 
1810,  in-8°  ;  4"  Développement 
sommaire  d' an  nouveau  système  de 
(Tédit  et  d  amortissement  de  la  det- 
te publique,  applicable  à  la  Fran- 
ce,  ou  contre-épreuve  du  système 
d'emprunt  et  d' amortissement  pra- 
tiqué eu  Angleterre,  i8i5,  in-4"; 
5"  Plan  de  finance  portant  création 
d'une  banque  générale  de  France, 
aucapital constitué  de  {[00,000,000 
îiuméraire,  et  création  d' un  milliard 
de  bons  de  crédit,  ayant  privilège  et 
hypothèque  sur  2,000,000,000  de 
propriétés  tcrtùtoriales,  1816,  in-8". 


MOR 

MORIN  (le  BARON;,  maréchal- 
de-camp,  estné  auprès  de  Lizieux. 
Il  ne  dut  son  avancement  qu'à  lui- 
même,  et  ce  ne  fut  qu'après  avoir 
passé  par  tous  les  grades  inférieurs 
qu'il  fut  élevé,  le  ig  juin  179^, 
au  grade  de  chef  d'escadron  dans 
le  2'  régiment  des  carabiniers, 
dont  il  obtint  enfin  le  commande- 
ment le  5i  août  i8o3  :  dès-lors 
son  avancement  devint  beaucoup 
plus  rapide.  Ollicier  de  la  légioa- 
d'honneur  dès  le  mois  de  juin 
1804,  1^  croix  de  commandant  de 
cet  ordre  et  le  titre  de  baron  de 
l'empire,  avec  une  dotation  de 
4,000  francs,  furent  le  pnx  de  sa 
belle  conduile  à  Austerlitz.  En 
1806,  il  fut  nommé  électeur  dans 
le  département  du  Calvados;  ob- 
tint le  grade  de  général  de  brigade 
peu  de  temps  après,  et  devint  com- 
mandant du  département  des  Ar- 
dennes  en  1807.  Il  conserva  cet 
emploi  pendant  trois  années  con- 
sécutives, et  commanda  momen- 
tanément la  2'  division  militaire 
dont  le  quartier-général  était  à 
Mezières,  chet-lieu  de  ce  déparle- 
ment. Cet  ollicier  général,' admis 
à  la  retraite  en  1 8 1  o,  a  reçu  la  croix 
de  Saint- Louis  en  18 14- 
»  MORISOÏ  (Joseph-Madkleine,- 
Rosk)  ,  architecte-vérificateur  des 
biltimens  de  la  couronne,  naquit 
le  23  août  1767,  à  Champeaux, 
département  de  Seine-et-Marne. 
Il  s'est  moins  distingué  par  ses 
constructions  que  par  la  partie 
spéciale  de  l'architecture ,  dite 
Comptabilité  des  bCdimcns,  partie 
ingrate  pour  la  gloire  de  celui  qui 
lui  consacre  ses  soins ,  mais  aussi 
utile  aux  particuliers  qu'au  gou- 
vernement, puisqu'elle  tend  à  é- 
elaircr  sur  leurs  intérêts  respew- 


MOR 

tifs-les  hommes  de  l'art  et  Icà  per- 
sonnes qui  font  construire.  Mori- 
»ot  fut  élève  de  M.  Delagrange, 
vériûcateur  en  chef  des  bâtimeus 
de  Monsieur ,  aujourd'hui  Louis 
XVIII,  et  devint,  par  la  protec- 
tion de  M.  le  comte  Darti ,  lors- 
qu'il était  intendant-général  de  la 
liste  civile,  architecte-vériticateur 
des  bâtimens  de  la  couronne.  A 
la  restauration,  en  i8i4»  Morisot 
passa  dans  la  même  qualité  à  la 
résidence  de  Versailles,  où  il  mou- 
rut au  mois  d'octobre  1821.  Il  a 
publié  :  1"  Essai  sur  un  nouveau 
mode  de  mesurer  les  outrages  de 
bâtiment,  en  supprimant  les  usages^ 
1802,  in-S";  2°  Tableaux  détaillés 
des  prix  de  tous-  les  ouvrages  de 
bâtiment f  divisés  suivant  les  diffé- 
rentes espèces  de  travaux,  et  suivis 
(l'un  Traité  particulier  pour  cha- 
que espèce,  Paris,  1804,7  vol.  in- 
8',  avec  planches.  L'auteur  pré- 
parait, au  moment  où  il  mourut, 
une  2"*  édition  de  cet  ouvrage, 
dont  il  avait  déjà  donné  ,  en 
1820,  les  deux  derniers  vol.  in-S". 
On  remarque  dans  Y  introduction 
une  espèce  de  bibliographie  criti- 
que ou  revue  des  auteurs  qui  ont 
écrit  sur  cette  matière. 

MORISSKT  (le  BAR05),  mem- 
bre de  la  chambre  des  députés, 
faisait  valoir  les  riches  propriétés 
qu'il  possède  dans  le  départe- 
ment des  Deux- Sèvres  ,  lorsque 
ce  déparlement  le  nomma  ,  en 
1811,  membre  de  la  députation 
chargée  de  féliciter  l'empereur 
■iur  la  naissance  de  son  fils;  cette 
mission  lui  valut  le  titre  de  ba- 
ron, et,  peu  de  temps  après,  son 
admission  au  corps-législatif.  A- 
près  les  évcnemens  politiques  de 
j8i4,  m.  Morisset  passa  du  corps- 


MOIV  17; 

législatif  dans  la  première  cham- 
bre des  députés.  Le  20  mars  i8i5 
le  rendit  à  la  vie  privée.  Il  rentra 
à  la  chambre  après  le  second  re- 
tour du  roi,  et  depuis  ce  moment 
M.  Morisset  n'a  pas  cessé  de  faire 
partie  de  la  repr«;senîalion  natio- 
nale jusqu'en  1822;  il  siège  au 
centre.  Constant  approbateur  des 
projets  luinistériels,  il  s'est  cepen- 
dant récrié  sur  l'énormité  du  bud- 
get de  i8i4)  mais  il  s'est  montra 
beaucoup  plus  traitable  par  la  sui- 
te; et  s'il  a  encore  quelquefois 
censuré  les  lois  de  finances ,  ce 
n'a  été  que  pour  défendre  les  pro- 
priétaires fonciers,  beaucoup  trop 
froissés,  selon  lui,  et  pour  enga- 
ger le  gouvernement  à  reporter 
sur  les  autres  classes  de  contri- 
buables une  portion  des  impôts 
supportés  par  celle-ci.  La  discus- 
sion du  budget  de  1817  lui  fournit 
rocca%ion  de  défendre  avec  cha- 
leur les  ministres  vivement  atta- 
qués par  M.  de  Villèle,  aujourd'hui 
(1S24)  ministre  lui-même.  Dans  lu 
session  suivante,  il  avait  préparé 
un  discours  en  faveur  du  projet 
de  loi  sur  la  liberté  de  la  presse, 
mais  la  liste  des  adversaires  du 
projet  s'épuisant,  la  discussion  al- 
lait être  fermée  saus  que  M.  Mo- 
risset pût  monter  à  la  tribune, 
lorsque  l'honorable  député  jugea 
à  propos  de  demander  la  parole 
contre  la  loi;  mais  bientôt  il  fut 
obligé  de  se  retirer,  nou  sans  a- 
voir  occasioné  quelques  marques 
d'hilarité.  Dans  le  courant  de  la 
même  année,  il  vola  pour  la  loi 
de  recrutement  après  avoir  pro- 
posé une  disposition  exception- 
nelle eu  faveur  des  û!s  uniques  ; 
prit  plusieurs  fois  la  parole  dans 
la  discussion  du  budget  pour  ap- 


i-S 


MOR 


puyer  tontes  les  demandes  des 
ministres,  et  s'occupa  du  cadastre, 
des  conlributions  directes,  etc., 
etc.  Il  appuya  de  tout  son  pouvoir 
les  deux  lois  d'exception  présen- 
tées en  1819;  se  prononça  Ibrte- 
inent  en  faveur  du  nouveau  sys- 
tème électoral,  et  s'éleva  de  nou- 
veau contre  le  taux  de  la  contri- 
bution foncière  et  contre  la  mau- 
vaise organisation  du  cadastre, 
qu'il  regardait  comme  un  vérita- 
ble chaos.  Il  a  continué  à  parler 
et  à  voter  minislériellement  dans 
les  sessions  suivantes.  Depuis 
1819,  il  est  l'un  des  sept  adminis- 
trateurs des  eaux-et-forêts. 

MOKISSO?^  (C.  F.  G.),  avocat, 
nommé,  en  1790,  administrateur 
du  département  de  la  Vendée,  et 
successivement  membre  de  l'as- 
semblée législative  et  de  la  con- 
vention nationale,  montra  beau- 
coup de  modération  dans  le  pro- 
cès du  roi;  il  prononça  un  dis- 
cours, le  1 3 novembre  1792,  pour 
établir  que  le  roi  ne  pouvait  être 
mis  en  jugement,  et  lorsqu'il  fut 
question  d'appliquer  la  peine,  il 
dit  :  «J'opinerais  sur  la  question 
«s'il  ne  s'agissait  que  de  prendre 
»une  mesure  de  sûreté  générale; 
»  mais  l'assemblée  a  décrété  qu'el- 
))le  porterait  un  jugement,  et  moi 
»je  ne  crois  pas  que  Louis  soit 
»  justiciable.  Je  m'abstiens  donc 
i>de  prononcer.  »  Le  12  août  1793 
il  demanda  i\  l'assemblée  des  se- 
cours pour  son  département,  et 
fut,  quelque  temps  après,  accusé 
d'entretenir  des  relations  avec  la 
faction  royaliste.  Cette  inculpation 
n'eut  aucun  résultat  ,  et  M.  Mo- 
risson  lit  depuis  partie  de  la  com- 
mission chargée  d'aller  présenter 
ù    Tartnée  de  l'ouest    le    décret 


MOR 

d'amnistie,  rendu  par  la  conven- 
tion nationale ,  le  2  décembre 
1794,  en  faveur  des  insurgés  de 
la  Vendée.  Plus  heureux  que  la 
plupart  de  ses  collègues,  il  traver- 
sa sans  accident  les  époques  les 
plus  périlleuses  de  la  révolution. 
Membre  du  conseil  des  cinq-cents, 
il  proposa,  en  faveur  des  chouans, 
un  projet  d'amnistie  qui  fut  adop- 
té, et  cessa  de  faire  partie  de  ce 
corps  au  mois  de  mai  1797.  De- 
puis cette  époque,  il  n'a  plus  re- 
paru dans  les  fonctions  publiques. 
MORIÏZ  (Charles-Philippe), 
littérateur  allemand,  naquit,  en 
1767,  à  Hameln,  d'une  famille 
obscure,  et  dont  la  pauvreté  ne 
permit  pas  au  jeune  Moritz  de  fai- 
re aucune  espèce  d'études.  Placé 
chez  un  chapelier,  il  en  fut  bien- 
tôt renvoyé  parce  qu'il  ne  mon- 
trait aucune  disposition  à  appren- 
dre cet  état.  Il  avait  i4  ans,  et 
était  sur  le  point  de  ne  savoir  que 
devenir,  lorsque  le  commandant 
de  Hanovre  s'intéressa  à  son  mal- 
heur et  lui  fit  donner  de  l'éduca- 
tion. Subjugué  de  bonne  heure 
par  ses  passions,  il  négligea  ses 
études,  se  rendit  indigne  des  bon- 
tés de  son  protecteur,  et  quitta 
secrètement  Hanovre.  Son  projet 
était  de  se  réunir  à  une  troupe  de 
comédiens;  on  ne  lui  trouva  au- 
cune disposition  ,  et  on  le  refu- 
sa. Il  se  rendit  à  Erfurt  ,  où  il 
se  fil  recevoir  parmi  les  éludians 
pauvres,  se  proposant  de  concou- 
rir comme  candidat.de  théologie. 
Ce  n'était  pas  encore  là  sa  voca- 
tion. Il  retourna  aux  comédiens, 
qui  le  refusèrent  encore.  Accueilli 
par  la  communauté  des  frères  Mo- 
raves,il  en  obtint  des  secours, 
dont  il  profita  pour  se  rendre"  « 


AlOR 

Wilteiïiberg,  où  il  acheva  ses  étu- 
des. Ln  travail  excessif,  des  dé- 
bauches égaleiiienl  extrêmes ,  lui 
donnèrent  les  plus  fortes  disposi- 
lions  à  la  mélancolie.  Bassedow 
s'intéressa  à  lui  et  l'emmena,  pour 
le  seconder,  à  Dessau,  où  il  avait 
fondé  une  maison  d'éducalion. 
Moritz  fut  fidèle  ù  ses  devoirs  pt-n- 
dant  quelque  temps,  puis  il  quit- 
ta l'établissement,  et  se  rendit  à 
Potsdam  dans  l'espérance  d'y  de- 
venir pasteur.  Le  peu  de  succès 
de  ses  démarches  le  réduisit  au 
désespoir,  et  il  résolut  de  se  lais- 
ser mourir  de  faim.  Le  directeur 
de  la  maison  des  orphelins  de  cet- 
te ville  eut  pitié  de  sa  situation 
affreuse,  et  donna  à  cet  infortuné 
une  place  d'instituteur.  Sa  dispo- 
sition à  la  mélancolie  le  subjugua 
de  nouveau,  et  on  le  voyait  par- 
courir les  environs  de  la  ville, 
donnant  tous  les  signes  d'une  ma- 
ladie mentale.  Quelques-uns  de 
ses  amis  vinrent  à  son  secours,  et 
]ui  promirent  un  emploi  d'institu- 
teur dans  l'une  des  écoles  de  Ber- 
lin, et  enfin  celle  de  co-rector.  Sa 
situation  morale  paraissait  amé- 
liorée; ses  écrits  lui  donnaient 
une  certaine  aisance  pécuuiaire; 
-enfin  admis  parmi  les  francs-ma- 
çons, il  paraissait  jouir  de  la  plus 
parfaite  tranquillité,  lorsqu'il  re- 
tomba tout-ù-coup  dans  ses  an- 
ciennes dispositions  au  marasme. 
Pour  se  distraire,  il  prit  le  parti  de 
voyager.  Il  parcourut  l'Angleter- 
re, l'intérieur  de  l'Allemagne,  et 
revint  en  Prusse,  où  sa  mélanco- 
lie le  reprit;  une  maladie  le  mit 
aux  portes  du  tombeau.  Rétabli, 
il  devint,  en  1784,  professeur  au 
{jymuase  de  Berlin,  et  s'acquit  de 
la  réputation  par  ses  cours  de  lan- 


MOR  179 

gue  allemande,  de  belles -lettres 
et  d'histoire.  Il  voyagea  encore, 
retourna  à  Berlin ,  d'où ,  après  un 
séjour  de  quelque  temps,  il  partit 
pour  la  Suisse.  Là,  amoureux 
d'une  femme  mariée  qui  repoussa 
ses  hommages,  il  se  crut  un  nou- 
veau Werther,  en  fit  toutes  les 
extravagances ,  reparut  à  Berlin  , 
se  démit  de  sa  place  de  profes- 
seur, partit  pour  Brunswick,  où  il 
recouvra  un  peu  de  liberté  d'es- 
prit. Il  fit,  avec  Campe,  un  traité 
ayant  pour  objet  de  recueillir,  dans 
un  séjour  qu'il  ferait  en  Italie,  dont 
il  lui  payait  à  l'avance  les  frais  de 
voyage  ,  les  matériaux  de  plu- 
sieurs ouvrages  sur  les  antiquités 
de  cette  contrée.  Il  remplit  im- 
parfaitement cette  téîche  sous  le 
rapport  scientifique ,  mais  avec 
succès  comme  observateuret  com- 
me écrivain.  Il  se  lia  avec  Goethe 
et  Angelica  Kaufmann.  Dissipa- 
teur et  sans  ordre,  en  moins  de 
deux  années  il  se  vit  réduit  à  la 
misère  la  plus  profonde,  et  repa- 
rut à  Berlin  couvert  de  haillons. 
Goethe  le  retira  de  cet  état  hon- 
teux ,  et  lui  fit  avoir  la  place 
de  professeur  à  l'académie  des 
beaux-arts  et  d'archéologie.  Cam- 
pe, mécontent  de  son  travail,  se 
brouilla  avec  lui  et  publia,  à  cet- 
te occasion,  une  brochure  piquan- 
te sous  le  titre  singulier  de  ilTo- 
l'itz,  triste  supplément  à  la  psycho- 
loi^ie  expérimentale ,  à  laquelle 
Moritz  répondit;  mais  les  deux 
écrivains  se  réconcilièrent.  Parais- 
sant plus  tranquille  et  jouissant 
d'une  honnête  aisance,  Moritz  é- 
pousa  la  fille  d'un  libraire,  mais 
bientôt  il  s'en  sépara  et  fut  le  pre- 
mier à  désirer  de  se  rapprocher 
d'elle.  Les  époux  rapprochés  fireol 


j8o 


MOK 


ensemble,  en  1793,  un  voyage  à 
Dresde ,  où  Moritz  mourut  dans 
la  même  année.  Il  est  estimé  pour 
ses  ouvrages  sur  la  langue  alle- 
mande, et  joint,  rapporte -l-on 
dans  une  Notice  sur  sa  vie,  «le 
précepte  à  l'exemple  :  son  style 
est  pur,  naturel  et  d'une  sitnpli- 
cité  élégante.  Son  traité  sur  la 
prosodie  est  un  modèle.  Ses  ou- 
vrages sur  les  antiquités  man- 
quent d'érudition,  mais  on  les  lit 
avec  plaisir.  Ses  voyages  ont 
les  mêmes  défauts  et  les  mêmes 
qualités.  »  Les  px'-incipaux  ou- 
vrages de  ce  littérateur  sont  : 
1°  Entreliena  avec  mes  élèves, 
Berlin,  1779,  nouvelle  édition, 
1780;  a°  Lettres  sur  la  diffé- 
rence de  l'accusatif  et  du  datif, 
ou  du  Me  et  du  Moi,  Berlin, 
1780:  la  4°"  édition  de  cet  ouvra- 
ge parut  à  Berlin  en  1798;  '5° Sup- 
plément aux  Lettres  sur  la  diffé- 
rence, etc.,  Berlin,  1780;  i\°  Ins- 
truction pour  l' accentuation  anglai- 
se, Berlin,  1780;  5°  Blunt,  ou  le 
Convive,  comédie  en  un  acte,  Ber- 
lin, 1781;  6"  Lettres  sur  le  dia- 
lecte de  la  Marche,  Berlin;  7° 
Mémoires  pour  servir  à  la  philoso- 
phie du  cœur  humain.  S""  édition, 
Berlin,  1791  ;  8°  Opuscules  sur  la 
langue  allemande ,  Berlin,  1792; 
9°  Grammaire  allemande  pour  les 
dames,  en  forme  de  lettres,  plu- 
sieurs éditions,  Berlin,  1762, 
1791,  1794?  10"  Magasin  de  la 
psychologie  expérimentale,  10  vol. 
in-8°,  1785-1793  :  il  a  eu  pour 
collaborateurs  Pockels  et  Mai- 
mon;  11"  Instruction  pour  écrire 
des  lettres,  Berlin,  1783-1795; 
12°  Grammaire  anglaise,  Berlin, 
1783,  4°"  édit.,  i79t);  13"  roya- 
les d'an  A  llemm^d  en  Angleterre, 


MOR 

Berlin,  1783- 1786  ;  1 4"  ^e  TOr- 
thographe  alte7nande,Ber\in,  1 784; 
I  5"  Idéal  d'une  gazette  parfaite, 
Berlin,  1784;  \6"  Antoine  Reiser, 
roman  philosophique, 4  vol., Ber- 
lin, 1785-1790  :  c'est  l'histoire 
des  aventures  de  Moritz  sous  le 
titre  de  Souvenirs  des  dix  dernières 
années  de  mon  ami  A.  Reiser;  l'é- 
diteur Rlischnig  a  donné  une 
suite  à  ces  aventures,  1794-  ^7** 
Essai  d'une  prosodie  allemande, 
Berlin,  1786;  x^"  Essai  d'une  pe- 
tite'' logique  pratique  des  enfans , 
Berlin  ;  19°  de  l' Imitation  du  beau 
dans  les  arts ,  Brunswick,  1788; 
20°  sur  un  Mémoire  de  M.  Ca?n- 
pe,  Berlin,  1789;  21"  Manuel  my- 
thologique, orné  de  figures,  Ber- 
lin, 1790;  22°  1^ ie  du  pasteur  An- 
dré Hartknopf,  Berlin  ;  23  '  Fic- 
tions  mythologiques  des  anciens, 
avec  un  grand  nombre  de  figures 
d'après  l'antique,  1791;  24°  ^"~ 
thousa,  ou  les  Antiquités  de  Rome 
[l"  vol.),  ou  Description  des  fê- 
tes religieuses  des  Romains,  dans 
l'ordre  de  leur  calendrier ,  Berlin, 
1791-1797,  ouvrage  orné  de  fi- 
gures; 25°  Grammaire  italienne, 
1790;  26'  Voyage  d'un  Allemand 
en  Italie,  .3  vol.,  Berlin,  1792- 
1793;  27°  de  la  bonne  Expression 
en  allemand,  Berlin,  1792;  28" 
Correspondant  général  allemand, 
Berlin,  1795  :  Heinsius  en  a  don- 
né une  7"*  édition  qu'il  a  augmen- 
tée, i8»6;  39"  la  Grande  loge,  ou 
la  Franche-maçonnerie,  1 793:  c'est 
un  recueil  des  discours  prononcés 
dans  les  réunions  de  cet  ordre; 
3o°  Dictionnaire  grainmatical  de  la 
langue  allemande,  tome  1",  Ber- 
lin, 1793,  in-8°:  Sturz  et  Stenzel 
ont  donné  les  2  volumes  qui  font 
suite  <i  cet  ouvrage  ;  5i"  Prélimi- 


MOR 

nalres  d'une  théorie  des  ornemeris, 
lîeriin,  i;9J,  ouvrage  enrichi  de 
figures;  52°  plusieurs  traductions 
de  l'anglais,  telles  que  Principes 
delà  psychologie,  par  Beattie,  et 
Voyages  de  IValker  en  Flandre, 
en  Allemagne,  en  Italie  et  en 
France  ;  53°  enfin  des  Sermons  et 
des  Poésies. 

MORIZOT  jeune  (le  baros), 
chevalier  de  la  légion-d'honneur, 
ex-membre  du  conseil  des  cinq- 
cents  ,  et  ex-président  à  la  cour 
royale  de  Dijon,  était  avocat  dans 
cette  ville,  à  l'époque  de  la  révo- 
lution, dont  il  embrassa  les  prin- 
cipes avec  sagesse.  Après  avoir 
occupé  différens  emplois  dans  son 
département ,  il  fut  nommé ,  en 
i;:99,  membre  du  conseil  des 
cinq-cents.  La  session  terminée, 
il  devint  successivement  membre 
du  tribunal  d'appel  de  Dijon,  et 
président  du  tribunal  crii»inel  du 
département  de  la  Côte-d'Or.  Il 
reçut  la  décoration  de  la  légion- 
d'honneur,  à  la  formation  de  cet 
ordre,  et  fut  nommé  successive- 
ment baron  de  l'empire,  membre 
et  l'un  des  présidens  de  la  cour  im- 
périale ,  depuis  cour  royale  de 
î)ijon.  M.  Morizot  était  encore 
l'un  des  présidens  de  cette  cour 
en  1816;  mais  l'année  suivante, 
il  fut  atteint  par  l'épuration ,  et 
mis  à  la  retraite. 

MORLA  (don  Thomas),  capi- 
taine -  général  de  l'Andalousie  , 
membre  du  conseil -d'état,  etc., 
sous  le  roi  Joseph,  fit  ses  premiè- 
res armes,  en  ijpô,  dans  la  cam- 
pagne de  Roussillon,  où  son  acti- 
vité et  sa  valeur  relevèrent  bien- 
tôt aux  grades  supérieurs.  Mais  si 
sa  conduite  militaire  fut  brillante, 
elle  a  été   susceptible  de  blâme 


MOR 


181 


sous  le  rapport  de  la  discipline, 
qu'il  ne  sut  pas  maintenir  parmi 
les  troupes  soumises  à  son  com- 
mandement. Néanmoins,  les  im- 
porlans  services  qu'il  rendit  à  l'Es- 
pagne pendant  cette  guerre,  le  fi- 
rent parvenir  au  rang  de  capitaine- 
général  de  l'Andalousie,  auquel  on 
joignit  celui  d'inspecteur  général 
de  l'artillerie.  Au  moment  où  les 
desseins  de  Napoléon  sur  l'Es- 
pagne commençaient  à  recevoir 
leur  exécution,  il  s'opposa  à  l'in- 
vasion des  Français,  et  fit  fou- 
droyer leur  flotte  qui  se  trouvait 
encore  sous  le  feu  des  batteries 
de  Cadix.  Nommé,  en  décembre 
1808,  membre  de  la  junte  mili- 
taire chargée  de  pourvoir  à  la  dé- 
fense de  Madrid,  il  fut,  au  moment 
de  l'attaque,  envoyé  avec  l'un  de 
ses  collègues,  au  quartier-général 
de  l'empereur,  pour  proposer  une 
capitulation.  Napoléon  n'accueillit 
pas  favorablement  les  députés  de 
la  junte  :  il  leur  reprocha  collecti- 
vement l'exaspération  que  l'on  a- 
vait  excitée  parmi  le  peuple,  et 
particulièrement  au  général  Mor- 
la,  les  excès  commis  dans  le  Rous- 
sillon, quinze  ans  auparavant.  II  y 
ajouta  un  reproche  non  moins 
grave,  celui  d'avoir  dirigé  l'artil- 
lerie d'une  place  où  il  comman- 
dait, sur  la  flotte  d'une  nation  al- 
liée de  l'Espagne.  Napoléon  se 
plaignit  aussi  de  la  violation  de  la 
capitulation  de  Baylan,  et  de  la 
trahison  des  troupes  de  La  Ro- 
mana ,  qui  d'abord  étaient  char- 
gées de  soutenir  les  intérêts  de  la 
France  dans  le  nord  de  l'Espagne. 
Ces  reproches,  que  l'empereur  fit 
du  ton  le  plus  sévère,  furent  ter- 
minés par  ces  mots  :  «  Que  si  la 
»  ville  ne  se  soumettait  pas  dans  b 


l83 


MGR 


•  matinée  du  lendemain,  elle  au- 
»rait  bientôt  cessé  d'exister.  »  La 
junte  ne  crul  pas  devoir,  par  une 
résistance  prolongée,  exposer  la 
capitale  des  Espaj^nes,  aux  suiles 
funestes  qu'entraîne  •  une  prise 
d'assaut  ;  et  le  lendemain  ,  au 
point  du  jour,  le  général  Morla 
revint  annoncer  la  soumission  de 
Madrid;  résolution  qui  s'effectua 
malgré  quelques  obstacles  occa- 
sionés  par  la  grande  ii-ritation  ries 
esprits.  Le  général  Morla  devint, 
sous  le  roi  Joseph,  conseiller  d'é- 
tat. Après  le  rétablissement  de 
Ferdinand  VII,  il  fut  privé  de  tous 
ses  emplois,  et  se  retira  au  sein  de 
sa  famille,  où  l'on  croit  qu'il  est 
mort  depuis  quelques  années. 

MORLAND  (Georges),  peintre 
célèbre  d'animaux  et  de  paysages, 
naquit  à  Londres  en  1764.  Son 
père,  qui  cultivait  la  peinture, 
mais  dont  le  talent  était  médiocre, 
lui  donna  les  premières  leçons  de 
dessin.  Le  jeune  Morland,  bien- 
tôt dirigé  par  des  maîtres  habiles, 
devint  un  excellent  peintre  de  gen- 
re. Malheureusement  les  exem- 
f)les  de  conduite  qu'il  reçut  dans 
a  maison  paternelle,  et  ceux  que 
lui  offrirent  les  hommes  dont  il 
faisait  sa  société  habituelle,  rendi- 
rent sa  vie  triste  et  misérable,  et  en 
quelque  sorte  honteuse  ;  il  ne  sor- 
tait pas  des  tavernes,  et  souvent 
ses  tableaux,  exécutés  dans  les  ca- 
barets mêmes  ,  servaient  à  payer 
les  dépenses  qu'il  y  avait  faites. 
Les  petits  tableaux  de  Teniers,  np- 
^elès déjeuners,  et  nombre  décom- 
positions de  Lantara  au  pinceau 
ou  au  crayon,  n'ont  pas  une  autre 
origine  que  les  Pêcheurs  et  les  Â- 
nimaux  de  Morland.  Les  différen- 
tes compositions  de  ces  trois  pein- 


MOR 

très,  traitées  de  verve,  étaient  très- 
recherchées  des  amateurs,  et  les 
marchands  de  tableaux  en  fai- 
saient l'objet  de  leurs  avides  spé- 
culations. Eloigné  par  ses  habitu- 
des de  la  société  des  personnes 
qui  auraient  pu  le  protéger,  ou 
lui  faire  obtenir  un  juste  dédom- 
magement de  ses  travaux,  pres- 
que toujours  forcé  de  travailler  à 
vil  prix,  Morland  était  souvent  dé- 
tenu pour  dettes,  et  ne  rachetait  si» 
liberté  qu'en  s'abandonnant,  pen- 
dant quelques  journées,  à  son 
heureuse  fécondité  :  elle  ne  put 
néanmoins  l'empêcher  de  mourir 
en  prison  en  i8o4-  Sa  femme,  qui 
l'aimait  tredrement,  ne  lui  survé- 
cut que  de  deux  jours.  Cet  artiste 
jouit,  dans  le  genre  qu'il  avait  »- 
dopté,  d'une  grande  rép>itation, 
et  tous  les  amateurs  des  arts  na- 
tionaux ou  étrangers  ont  dans 
leurs  cdlîinets  des  Cours  de  fermes, 
des  Paysages,  des  Contrebandiers^ 
des  pêcheurs ,  des  Animaux,  des 
Scènes  populaires,  etc.,  dus  à  l'o- 
riginalité et  à  l'habileté  de  son 
pinceau. 

MORLANT  (Feançois-Lolts), 
colonel  des  chasseurs  de  la  garde 
impériale,  commandant  de  la  lé- 
gion-d'honneur, naquit  à  Souilly, 
département  de  la  Meuse,  le  11 
août  1771,  et  se  consacra  à  la  car- 
rière des  armes,  comme  la  plupart 
des  ]eunes  Français,  lorsque  notre 
territoire  fut  menacé  par  les  armes 
de  la  première  coalition.  Il  avait 
à  peine  20  ans,  lorsqu'il  entra,  en 
1791  ,  en  qualité  de  simple  chas- 
seur,dans  le  1 1°"  régiment  de  cette 
arme.Toutesles  qualités  de  l'âme, 
tous  les  dons  extérieurs,  le  zèle, 
l'activité,  le  courage,  beaucoup 
d'aptitude  à  s'instruire,  un  désir 


MOU 

constant  de  se  distinguer,  tels  é- 
laient  ?es  droits  à  l'esliine  et  à  la 
protection  de  ses  chefs,  et  ses  ti- 
tres à  la  reconnaissance  de  la  pa- 
trie. Sous-lieutenant,  le  i5  sep- 
tembre 1791,  lieutenant,  le  20 
août  1792,  capitaine,  le  11  aofit 
1793,  il  était,  en  l'an  9,  chef  d'es- 
cadron des  chasseurs  de  la  garde 
consulaire.  Bientôt  il  se  fait  re- 
marquer du  premier  consul;  est 
promu,  le  10  pluviôse  an  12,  au 
grade  de  major  du  corps  où  il  s'est 
illustré,  et  devient,  le  20  prairial 
an  i5,  colonel  -  commandant  en 
second  du  même  corps ,  depuis 
chasseurs  de  la  garde  impériale  ; 
il  avait  fait  depuis  1791  jusqu'à 
cette  époque,  toutes  les  campa- 
gnes de  la  révolution,  et  avait  été 
plusieurs  fois  blessé,  et  une  entre 
autres  très-grièvement  à  l'affaire 
de  Sprimont,  le  5°"  jour  complé- 
mentaire an  5.  Ce  fut  eu  i8o5, 
à  la  bataille  d'Austerlitz,  où  le 
colonel  Morlant  donna  les  preu- 
ves les  plus  éclatantes  de  son  in- 
trépidité et  de  ses  talens,  qu'il  fut 
tué  d'un  coup  de  canon  chargé  à 
mitraille,  au  moment  même  où 
la  victoire  consacrait  de  nouveau 
la  gloire  des  armes  françaises. 
L'empereur  fut  vivement  affligé 
de  sa  perte;  il  fit  transporter  son 
corps  à  Paris,  et  par  un  décret  du 
mois  de  février  1806,  ordonna 
que  l'un  des  quais,  alors  en  cons- 
truction, recevrait  le  nom  de  ce 
brave.  Son  corps,  qui  avait  été 
apporté  à  Paris,  fut  donné,  en 
1814,  à  l'école  de  médecine,  et 
déposé  avec  celui  du  général  Bar- 
banègrc  {voyez  ce  nom),  dans  le 
cabinet  d'anatomie,  où  ils  furent 
exposés  sous  la  désignation  de 
momies.   Cette  étrange  inconve- 


MOK 


i85 


nance  cessa  en  1817,  par  suite 
de  réclamations  énergiques  con- 
signées dans  les  journaux. 

MORLOT  (N.),  général  de  di- 
vision, commandant  de  la  légion- 
d'honueur,  était  simple  menuisier 
au  commencement  de  la  révolu- 
tion; mais  de  la  bravouve  et  de 
l'intelligence  secondèrent  son  dé- 
vouement à  son  pays,  et  il  mérita 
sur  le  champ  de  bataille  tous  les 
grades  qu'il  obtint  rapidement 
pendant  les  premières  campa- 
gnes de  la  révolution.  Il  sélait 
enrôlé  dans  un.  régiment  d'in- 
fanterie .  avait  passé  dans  un  ba- 
taillon de  volontaires,  et,  en  1795, 
il  commandait  déjà  une  division 
à  l'armée  de  la  Moselle.  Sur- 
pris à  Arlon  ,  il  éprouva  un  lé- 
ger échec.  Il  prit  une  belle  revan- 
che à  la  bataille  de  Fleurus  et  aux 
diflërentes  affaires  où  cette  armée 
opéra  en  1794-  Les  comités  de  la 
convention  l'appelèrent  à  Paris  en 
1795,  afin  d'obtenir  quelques  é- 
claircissemens  sur  une  accusation 
dirigée  contre  lui  pour  concus- 
sions, en  1795,  à  Deux-Ponts. 
S'ctant  parfaitement  justifié,  il  re- 
prit le  commandement  de  sa  divi- 
sion. *Il  commanda  à  Metz,  en 
1797  et  1798,  la  3*  division  mi- 
litaire. Nommé  commandant  de 
Toulouse,  le  général  iMorlot  ces- 
sa ensuite  d'être  en  activité;  néan- 
moins il  fut  encore  employé 
dans  son  grade  en  1807,  et  de 
plus  compris  au  nombre  des  com- 
mandans  de  la  légion-d'honneur. 
Quelque  temps  après,  il  fut  mis  à 
la  retraite. 

M  ORRISON  (Robert),  mission- 
oaire  anglais,  fut  envoyé  auprès 
des  factoreries  de  Macao  et  de 
CantoD,  par  la  société  biblique  de 


i84 


MOR 


Londres,  afin  d'étudier  la  langue 
chinoise  sur  les  lieux  mêmes.  Lin 
séjour  de  huit  ans  dans  ces  con- 
trées lui  permit  de  remplir  le 
vœu  de  la  société  biblique,  et  il 
traduisit  en  chinois  plusieurs  ou- 
vrages qu'il  distribua  parmi  le 
peuple.  Il  accompagna  lord  Am- 
herst  dans  son  ambassade  infruc- 
tueuse auprès  de  la  cour  de  Pékin. 
Morrison  a  publié  plusieurs  ou- 
vrages, parmi  lesquels  nous  cite- 
rons :  1°  Horœ  slnicœ,  ou  traduc- 
tions tirées  de  la  littérature  vul- 
gaire des  Chinois,  Londres,  1813, 
1  vol.  in-8°  ;  il  n'y  en  a  plus  un 
seul  exemplaire  dans  le  commer- 
«îe,  et  M.  Montucci,  qui  a  fait  ré- 
imprimer ce  recueil  dans  son  pa- 
raliel,  fut  obligé  de  se  servir  d'une 
copie  manuscrite;  2"  Dictionnaire 
chinois^  dont  les  premières  livrai- 
sons parurent  à  IVIacao,  en  i8i5  : 
cet  ouvrage  doit  former  5  à  6  vol. 
iu-4°  (  on  peut  consulter,  à  ce  su- 
jet, le  Journal  des  Savans  de  1 8 1 7  ); 
5°  Grammaire  de  la  langue  chinoi- 
se, imprimée  sous  la  direction  de 
M.  Marsham,  Serampore,  181 5, 
in-4".  Il  trouva  dans  mi  Évangé- 
liaire,  déposé  aujourd'hui  a^  mu- 
séum britannique,  et  écrit  à  Can- 
ton, en  1^38,  par  un  naturel  du 
pays,  devenu  catholique,  une  ver- 
sion du  Nouveau-Testament,  qu'il 
a  publiée  lui-même  en  Chine,  en 
8  vol.  in-8'',  imprimés,  gravés  et 
brochés  à  la  manière  du  pays. 

MORTARIEU  (le  baron  Joseph- 
PiERKE-ViALETES  de)  ,  d'une  an- 
cienne famille  du  département  de 
Tarn-et-Garonnc,  est  né  à  Mon- 
tauban,  le  i5  juillet  1768.  Il  évita 
de  se  mettre  en  évidence  après  les 
troubles  qui  éclatèrent  en  1790, 
dans  sa  ville  natale,  et  ne  fût  l'ob- 


MOR 

jet  d'aucune  poursuite  pendant  le» 
tomps  les  plus  orageux  de  la  ré- 
volution. Devenu  maire  de  Mon- 
tauban ,  en  )8o6,  il  contribua 
beaucoup  aux  embellissemens  de 
cette  cité,  pour  laquelle  il  obtint 
de  l'empereur,  en  1808,  l'établis- 
sement d'un  siège  épiscopal  et  le 
titre  de  chef-lieu  du  département 
deTarn-et-Garonne.  En  i8i5,  le 
baron  de  iMorlarieu  fut  nommé 
meiiibre  du  corps-législatif;  il  ad- 
héra, en  181 4»  à  la  déchéance  de 
Napoléon.  Au  mois  de  septembre 
suivant,  il  fit  à  la  chambre  des 
députés,  une  motion  tendante  à  ce 
que  le  roi  fût  supplié  de  faire  pré- 
senter un  projet  de  loi  qui  assurTit 
aux  réfugiés  espagnols  civils  ,  un 
traitement  égal  à  celui  des  réfu- 
giés militaires.  Se  trouvant  à 
fllontauban,  au  mois  de  mars 
181  5,  il  y  fit  enrôler  un  grand 
nombre  de  volontaires  destinés  à 
grossir  l'escorte  de  M.  le  duc 
d'Angoulême,  qui  se  rendait  à 
Nimes.  Obligé,  par  les  circons- 
tances, de  cesser  ses  fonctions  de 
maire,  le  baron  de  Mortarieu  les 
reprit  le  i5  juillet  de  la  même  an- 
née, après  le  second  retour  du  roi. 
Il  fut  nommé  président  du  collège 
électoral  de  Tarn -et -Garonne  , 
pour  la  session  de  1817,  puis  élu 
membre  de  la  chambre  des  dépu- 
tés, où  il  siégea  au  centre  de  droi- 
te, et  vota  en  faveur  des  lois  d'ex- 
ception et  du  nouveau  système 
électoral.  M.  de  Mortarieu  a  cessé 
de  faire  partie  de  la  chambre  en 
1822.11  est  (1824)  préfet  du  dépar- 
tement de  TArriége,  et  grand-offi- 
cier de  la  légion-d'honneur. 

MORTCZINNI  (le  baron  Fré- 
déric-Joseph de),,  fameux  aventu- 
rier, dont  on  prétend  que  les  vé- 


MOR 

ritables  noms  étaient  JeanThéo- 

PHII.B     HeRMAN  ,     dit     ElCHHOBSt, 

naquit  vers  1700,  à  Baiilzen,  d'u- 
ne famille  catholique  pauvre  et 
obscure.  Néanmoins  il  reçut  de 
l'éducation  et  fut  placé  chez  un  a- 
Tocat,  dont  il  abandonna  bientôt 
l'étude  pour  s'engager  dans  un 
régiment  d'artillerie  saxon,  où  il 
devint  sous-oflicier.  Ennuyé  de  sa 
nouvelle  profession,  il  prit  le  parti 
de  déserter,  et  de  parcourir  difië- 
rens  pays  sous  des  noms  supposés, 
vivant  de  ressources.  En  1778,  il 
se  fixa  à  Willemberg,  où,  comme 
dans  plusieurs  autres  villes,  il  se 
donna  pour  un  Ilussite  persécuté, 
et  se  présenta  pour  être  admis  au 
nombre  des  étudians.  L'année  sui- 
vante, il  parcourut  la  frontière  de 
Bohême,  muni  d'un  grand  nom- 
bre de  Bibles;  prêcha  dans  laThu- 
ringe,  et,  de  retour  à  Wittemberg, 
il  fit  imprimer,  en  1782,  des  Mé- 
moires sur  sa  vie,  que  dans  la  mê- 
me année  un  anonyme  critiqua 
vivement  dans  une  brochure  ayant 
pour  litre  :  Jugement  raisonné  et 
impartial  sur  les  aventures  du  baron 
de  Mortczinni.  L'impitoj'able  A- 
vîslarque  y  démontrait,  «  que  les 
»  événemens  de  son  prétendu  voya- 
»ge  en  Italie  étaient  copiés  mot 
«pour  mot  d'un  vieux  livre  inti- 
«tulé  :  Vasse- partout  de  l'Église 
nromaine,  et  que  toute  son  histoire 
ndcs  martyrs  ou  des  confesseurs 
»de  la  foi  était  tirée  du  Martyro- 
a  logiu7n  Bohemicum.  »  Mortczinni 
ne  se  dé«,oncerfa  point  pour  cela  : 
il  donna  audacieusement  une  se- 
conde édition  de  ses  Mémoires', 
où  il  fit  disparaître  les  plagiats  et 
1rs  mensonges  qui  lui  étaient  re- 
proché*, et  désavoua  la  preujière 
édition,  pour  laquelle  il  avait  lui- 


MOR 


i85 


roêine  proposé  une^  souscription 
qui  fut  en  partie  remplie.  Quelque 
temps  après,  il  partit  pourNurem- 
berg,  où  il  fit  de  nouvelles  dupes. 
P,endant  un  séjour  momentané  à 
Berlin,  sur  la  fin  de  1782,  il  se 
livra  à  la  prédication,  cl  publia  un 
écrit  contre  le  nouveau  livre  des 
cantiques.  Cette  idée  fut  heureuse 
pour  lui;  elle  lui  procura  de  l'ar- 
gent et  des  recommandations,  a- 
vec  lesquels  il  se  rendit  à  Stet- 
tin  ,  où  son  séjour  fut  également 
lucratif.  Il  alla  ensuite  dans  la  Po- 
méranie  suédoise,  espérant  se  faire 
nommer  recteur  de  Tribbesées  ; 
mais,  trompé  dans  son  attente, 
il  se  dirigea  sur  Marienbourg.  Par- 
toTit,  sur  son  passage,  il  annonçait 
qu'il  était  appelé  à  Saint-Péters- 
bourg, pour  y  remplir  la  chaire 
des  mathématiques  :  son  but  était 
de  se  faire  nommer  à  quelque  em- 
ploi qui  le  dispenserait  de  ce  pré- 
tendu voyage.  A  Marienbourg,  les 
adversaires  du  nouveau  livre  des 
cantiques  lui  offrirent  la  place  de 
troisième  prédicateur,  et  il  l'ac- 
cepta par  attachement»  disait-il, 
aux  doctrines  que  les  fonctions 
qu'on  lui  confiait  l'appelaient  à 
soutenir.  Mortczinni  se  donnait 
aussi  pour  franc-maçon,  et  se  pré- 
senta hardiment  à  la  loge,  où 
n'ayant  pu  répondre  aux  questions 
qui  lui  furent  faites,  il  ne  fut  point 
admis.  Cette  circonstance  lui  fut 
très-défavorable,  et  donna  occa- 
sion de  vérifier  plusieurs  faits  qui 
furent  reconnus  faux  :  il  se  h;1ta 
de  s'éloigner.  Son  séjour  ne  lui 
avait  pas  été  aussi  désavantageux 
sous  le  rapport  pécuniaire.  A  El- 
bing  et  à  Kœnisberg,  où  il  se  ren- 
dit successivement,  il  obtint  des 
succès  comme  prédicateur.   Dans 


i86  MOR 

cette  dernière  ville,  il  livra  ses 
Sermons  à  l'impression,  ainsi  que 
plusieurs  autres  écrits,  dont  il  tira 
un  très-bon  parti.  Ce  fut  dans  une 
voiture,  achetée  de  ses  propres 
deniers,  qu'il  arriva  à  Uiga.  Après 
avoir  exploité  la  piété  des  Livo- 
niens,  il  alla  mettre  à  contribution 
celle  des  habitans  de  Reval  :  elle 
ne  lui  lut  pas  aussi  profitable,  et 
il  eut  même  la  mortification  d'être 
renvoyé  de  la  ville.  Rentré  en 
Prusse,  il  annonça  qu'il  quittait 
la  Russie  parce  qu'il  ne  pouvait  se 
prêter  à  la  manière  de  vivre  des 
habitans.  Après  quelque  séjour  à 
Wittemberg,  il  fit  un  voyage  en 
Lithuanie.  L'enthousiasme  qu'il 
inspira  au  peuple  de  Rowno  fut 
tel,  que  malgré  les  chefs  de  l'é- 
glise on  voulait  le  nommer  pré- 
dicateur. Ses  partisans  employè- 
rent la  violence,  et  son  triomphe 
avait  lieu  au  milieu  du  plus  grand 
désordre,  si  le  ministre  de  Russie 
et  le  roi  lui-même  n'eussent  a- 
paisé,  par  leur  intervention  ,  les 
diiférens  survenus,  dans  cette  oc- 
casion, entre  le  peuple  et  les  chefs 
de  l'église.  Mortczinni,  qui  voulait 
toujours  se  faire  passer  pour  franc- 
mafon,  oh{\ni  gratis  de  la  loge  de 
Varsovie  le  grade  de  maître.  En 
même  temps  qu'il  recevait  cette 
faveur,  arrachée  par  l'importunité, 
il  était  forcé,  par  ordre  du  gou- 
vernement polonais,  de  quitter 
non-seulement  la  capitale,  mais 
encore  le  royaume.  Il  obéit,  non 
sans  murmurer  et  sans  se  promet- 
tre d'enfreindre  bientôt  la  défense. 
En  effet,  après  s'être  fait  ordonner 
à  Oels  (en  Silésie),  il  retourna  à 
Rowno,  où,  bravant  toute  oppo- 
sition, il  parut  en  chaire.  Il  fallut 
employer  la  force  militaire  pour 


MOR 

l'en  arracher,  et  le  conduire  hors 
des  frontières.  Cette  prétendue 
persécution  augmentait  le  nombre 
de  ses  partisans.  Des  scènes  tu- 
multueuses signalaient  partout  son 
passage.  Enfin,  le  la  mai  1784, 
on  l'arrêta  à  Elberfeld  en  \Vest- 
phalie.  Ses  papiers  furent  saisis, 
et  lorsqu'on  lui  rendit  la  liberté, 
il  ne  put  obtenir  des  magistrats 
que  son  diplôme  de  maître-ès-arts. 
Au  moment  de  son  arrestation,  il 
avait  avec  lui  une  femme,  une  do- 
mestique et  un  cocher,  outre  une 
très-belle  voiture  et  quatre  che- 
vaux. Mis  en  liberté,  il  soutint 
une  lutte  polémique.  Après  deux 
ans  de  séjour  à  Rurgsteinfurt,  il  se 
rendit  à  Copenhague,  mais  sous 
un  autre  nom.  Les  francs-maçons, 
trompés,  l'accueillirent  et  le  pro- 
tégèrent. Il  prêcha,  et  captiva  la 
multitude.  Malheureusement  pour 
lui,  il  voulut  élever  une  loge  ri- 
vale. Reconnu  par  un  des  mem- 
bres de  la  loge  à  qui  il  avait  dû 
son  appui,  il  'fut  démasqué,  et 
obligé  de  quitter  la  ville  du  mo- 
ment que  le  nom  de  Mortczinni  y 
eut  été  annoncé  publiquement. 
On  l'arrêta  à  Corsoer,  et  on  le  ra- 
mena à  Copenhague.  11  crut  dis- 
poser l'opinion  en  sa  faveur  en 
accusant  les  deux  loges  de  cette 
ville;  il  se  trompa,  et  les  accusa- 
tions tournèrent  contrelui.  Bientôt 
il  tomba  dans  le  mépris.  N'ayant 
plus  la  liberté  de  prêcher,  il  es- 
saya d'instruire  la  jeunesse  dans 
\^es  trois  communions  chrétiennes. 
Ses  tentatives  furent  sans  succès, 
et  il  cessa  d'occuper  l'attention 
publique;  enfin  on  le  perdit  tota- 
lement de  vue  dès  l'année  1790. 
Ainsi  rentra  dans  le  néant  un  hom- 
me que  le  génie  de  l'intrigue  sou- 


MOR 

tint  quelques  années,  et  dont  on 
ne  s'occupa  plus  du  moment  où  il 
fut  connu  comme  un  imposteur 
subalterne.  Mortczinni  a  publié  en 
allemand  l;'s  ouvrages  dont  voici 
les  titres  :  i°  Pensées  raisonnables 
sur  la  religion  révélée,  Zerbst, 
1781  ,  in-S";  2"  Petit  recueil  de 
poésies  jnêlèes  pour  mes  amis, 
Witlemberg,  1782,  in-8";  5"  Fie 
et  aventures  du  baron  de  Mortczin- 
ni, Wittemberg,  1  ;83,  in-8' ;  4° 
beaucoup  de  Sermons;  5"  sous  le 
nom  de  Pallini  :  le  Précepteur  fia- 
hile,  pour  les  trois  principales  re- 
ligions chrétiennes  ;  ouvrage  pour 
(es  élèves  en  théologie.  Munster  et 
Osnabruck,  1785,  in-8°  ;  6"  i*u- 
nition  des  étourderies  de  la  jeunes- 
se,  ou  aventures  du  comte  de***, 
histoire  véritable, 0^nahruck,i'^H6, 
in-8°  ;  7°  le  Mystagogue ,  ou  de 
l'Origine  et  de  ta  naissance  de  tous 
tes  mystères  et  hiéroglyphes  des  an- 
ciens qui  se  rapportent  aux  francs- 
maçons  ,  dérivés  et  extraits  des 
sources  les  plus  anciennes,  por  un 
vrai  franc-maçon ,  Osnabruck  et 
Hamm,  1789,  in-8°  ;  8"  plusieurs 
brochures  polémiques.  On  attri- 
bue à  Mortczinni  :  Principes  pour 
bien  connaître  la  sphère  et  le  pla- 
niglobe  ,  destinés  à  la  jeunesse , 
Sebwerin,  1792,  in-S".  On  a  es- 
sayé de  faire  connaître  les  jongle- 
ries de  ce  hardi  imposteur  dans 
un  ouvrage  intitulé  :  V Aventurier 
spirituel,  ou  le  Chevalier  errant 
de  l* ordre  de  Saint-Etienne,  baron 
de  Mortczinni ,  voyageant  comme 
vainqueur  dans  la  foi,  et  virtuose 
en  prédication,  Kœnigsberg,  1784, 
in-S";  c'est  au  professeur  C.  J. 
Krauf  de  Kœnigsberg  que  l'on 
doit  cet  ouvrage  piquant.  On  sait 
qrtc  la  plupart  des  journaux  litté- 


MOR  187 

raires  d'Allemagne  s'occupèrent 
de  Mortczinni ,  et  que  les  auteurs 
de  VAlmanach  de  l'église  et  des  hé- 
rétiques àe.  1797  voulurent  bien  lui 
consacrer  un  article. 

MORTEMART(ViCTrRsiE>JEAS- 
Baptiste-Marie  de  Rochechocart, 
Drc  de),  naquit  le  8  février  1752, 
entra  fort  jeune  dans  l'artillerie, 
et  fut  nommé  à  22  ans,  le  20  mars 
1774,  colonel  du  régiment  de  Lor- 
raine infanterie,  brigadier  le  1" 
janvier  1784.  et  maréchal-de-camp 
le  9  mars  1788.  Il  fit  partie  de  la 
seconde  assemblée  des  notables, 
et,  comme  pair  de  France,  il  sou- 
tint au  parlement  de  Paris  la  cau- 
se des  protestans,  pour  leur  faire 
rendre  leurs  droits  civils.  L'assem- 
blée bailliagère  de  la  noblesse  de 
Gueret  et  celle  de  Sens  le  nommè- 
rent toutes  les  deux,  en  1789,  dé- 
puté aux  états-généraux,  ou  il  sié- 
gea pendant  une  année  seulement. 
Il  donna  sa  démission  et  se  retira 
à  la  compagne.  A  la  fin  de  1791  , 
il  quitta  la  France,  et  après  la  cam- 
pagne des  princes,  passa  en  An- 
gleterre, où  des  rapports  singu- 
liers dans  les  goûts  et  le  caractère 
le  firent  accueillir  avec  une  extrê- 
me bienveillance  par  le  roi  Geor- 
ge III.  Ce  prince  le  nomma  pour 
commander  un  corps  français  à  la 
solde  britannique.  M.  de  Morte- 
mart  revint  sur  le  continent  dans 
l'automne  de  1794-  Son  régiment, 
formé  en  i795,.fut  envoyé  a  Guer- 
nesey  dans  le  courant  de  l'année 
suivante,  et  en  janvier  1796,  en 
Portugal,  d'où  il  fut  rappelé,  en 
1802,  pour  être  licencié.  M.  de 
Mortemart  rentra  aussitôt  dans  sa 
patrie,  et  ne  s'occupa  plus  que  de 
l'éducation  de  ses  enfans.  Il  ve- 
nait cependant  d'être  désigne  pour 


ï88  MOR 

remplir  une  place  dans  le  conseil- 
général  du  département  de  la  Sei- 
ne, lorsqu'une  fièvre  maligne  l'en- 
leva le  14  juillet  1812.  M.  de  Mor- 
temart  aimait  la  littérature;  dans 
les  loisirs  de  l'exil,  il  acheva  mê- 
me une  traduction  en  vers  du  Pa- 
radis perdu,  de  Milton,  que  sa  mo- 
destie et  une  concurrence  redouta- 
ble (celle  de  l'abbé  Delille)  ne  lui 
ont  pas  permis  de  publier  :  cet  ou- 
vrage est  resté  en  portefeuille, ainsi 
qu'un  poëme  de  Joseph  en  Egypte, 
des  Contes,  et  autres  poésies  légè- 
res,  échappées  à  sa  plume  facile. 
MORTEMART  (Casimir-Louis- 

VlCTUHNIEN  DE  RoCHECHOt'ART,  DUC 

de),  fils  du  précédent,  est  né  à 
Paris,  le  20  mars  1787;  il  suivit 
son  père  hors  de  France,  et  y  ren- 
tra avec  sa  mère  en  1801.  Il  prit, 
en  septembre  i8o5,  du  service 
dans  les  gendarmes  d'ordonnance 
sous  les  ordres  de  iM.  le  comte  de 
Ségur  ;  passa  sous  -  lieutenant 
au  1"  régiment  de  dragons,  le  10 
février  1806;  rejoignit  la  grande- 
armée  à  la  fin  d'octobre,  et  depuis 
ce  moment,  prit  une  part  active 
à  la  plupart  des  combats  qui  ont 
illustré  nos  armées  en  Prusse,  en 
Pologne,  en  Autriche  et  en  Russie. 
II  fut  nommé  membre  de  la  lé- 
gion-d'honneur le  1"  octobre 
1807,  lieutenant  au  26*  régiment 
de  dragons  le  2  mars  1809,  et  8 
jours  après  aide-de-camp  du  gé- 
néral Nansouty,  enfin  capitaine 
le  28  juillet  de  la  même  année. 
C'est  lui  qui  apprit  à  l'empereur, 
pendant  la  bataille  d'EssIing,  que 
le  pont  sur  le  Danube  était  empor- 
té,et  que  les  matériaux  manquaient 
pour  le  rétablir.  Nommé  officier 
d'ordonnance  le  12  février  1811  , 
•  il  remplit  plusieurs  missions  sur 


MOR 

les  côtes  du  Nord,  et  reçut  une 
dotation  de  2,000  francs  de  reve- 
nu en  Belgique;  il  accompagna 
l'empereur  en  Russie,  fut  créé  ba- 
ron de  l'empire  à  Moscou,  chargé 
de  nouvelles  missions,  et  nommé 
officier  de  la  léginn-d'honncur  a- 
près  la  bataille  d'Hanau,  le  3o  no- 
vembre i8i5.  Il  revint  malade  à 
Paris,  et  retourna  au  quartier-gé- 
néral aussitôt  que  ses  forces  le  lui 
permirent.  11  fut  chargé  d'appor- 
ter à  l'impératrice  les  drapeaux  pris 
sur  l'ennemi  aux  affaires  de  Cham- 
paubert,  de  Nangis  et  de  Monte- 
reau.  M.  de  Mortemart  rejoignit 
le  roi  après  l'occupation  de  Paris, 
en  1814,  et  reçut  le  7  juin  de  la 
même  année  le  grade  de  capitai- 
ne-colonel des  cent-suisscs,  em- 
ploi qu'avait  rempli  long-temps 
son  grand'père  maternel,  le  duc 
de  Brissac.  Créé  chevalier  de 
Saint-Louis  le  25  août,  il  suivit  le 
roi  à  Gand  avec  son  corps.  Major- 
général  de  la  garde  nationale  de 
Paris,  le  i4  octobre  181 5;  maré- 
chal-de-camp le  10  octobre  i8i5; 
commandeur  de  la  légion-d'hon- 
neur le  22  janvier  1816,  M.  de 
Mortemart  a  donné  sa  démission 
de  major-général  de  la  garde  na- 
tionale, après  la  perte  qu'il  a  faite 
de  sa  mère  en  février  1818. 
Nommé  grand-officier  de  la  lé- 
gion-d'honneur le  17  août  1822,  il 
fait  partie  de  la  chambre  des  pairs 
depuis  le  4  jui"  î8i4;  'nais  il  n'a 
eu  voix  délibérative  qu'en  mars 
1817. 
MORTEMART  (Victurnien-Bo- 

NAVENTURE -  ViCTOR  DE  RoCHE- 
CHOXJART,  MARQUIS  DE),  né  Ic  28  OC- 

tobre  1753,  entra  dans  l'artillerie 
en  même  temps  (octobre  1768) 
que  son  frère  aîné,  le  duc  de  Mor- 


MOR 

teuiart,  et  passa  ensuite  comme 
capitaine  dans  le  régiment  de  Na- 
varre en  1771.  Colonel  en  second 
du  régiment  de  Brie  en  1778,  il 
devint,  en  mai  1784?  colonel-com- 
mandant de  ce  même  régiment  de 
Navarre,  dont  son  père  avait  été 
chef.  Promu  au  grade  de  maré- 
chal-de-camp le  1"  mars  1791,  M. 
de  Mortemart  présida  l'assemblée 
bailliagère  de  la  noblesse  à  Rouen 
en  1 789,  et  fut  chargé  de  la  repré- 
senter aux  états-généraux.  Enne- 
mi des  abus,  mais  craignant  que 
le  désir  d'améliorer  et  d'innover 
n'entraînât  au-de  là  du  but  l'as- 
semblée, qui  se  trouva  tout-à-coup 
investie  de  la  toute-puissance,  il  se 
rangea  parmi  les  défenseurs  des 
anciennes  institutions.  Sorti  de 
France  en  1792,  il  servit  d'abord 
dans  l'armée  des  princes,  puis  se 
retira  à  Heidelberg.  Il  quitta  cet 
asile  vers  la  fin  de  »794?  pour  con- 
courir, sous  les  ordres  de  son  frè- 
re, à  la  formation  d'un  corps  au 
service  britannique,  corps  qui  tint 
garnison  dans  l'île  de  Guernesey 
pendant  le  cours  de  l'année  1796  ; 
il  fut  ensuite  envoyé  en  Portugal , 
où  il  resta  jusqu'à  l'époque  de  son 
licenciement,  c'est-à-dire,  à  la  paix 
d'Amiens.  Devenu  libre,  M.  I« 
marquis  de  iMortemart  s'empressa 
de  rentrer  dans  sa  patrie,  et  y  vé- 
cut au  sein  de  sa  famille,  sans  ac- 
cepter d'autre  fonction  politique 
que  celle  de  membre  du  conseil- 
général  de  son  département  (la 
Seine-Inférieure),  à  laquelle  il  lut 
nommé,  en  1809,  parl'empereur, 
sur  la  présentation  presqu'unani- 
me  de  ses  compatriotes.  Lors  de  la 
seconde  restauration,  le  roi  le  lit 
entrer  à  la  chambre  des  pairs,  et 
lui  conféra  eo  même  temps  le  gra- 


MOR 


189 


de  de  lieutenant-général.  Sa  santé 
ne  lui  permettait  pas  de  reprendre 
un  service  actif;  mais  dans  la 
chambre,  sa  loyauté  et  sa  modé- 
ration lui  acquirent  l'estime  et  la 
bienveillance  dans  toutes  les  nuan- 
ces d'opinion.  Une  mort  subite  l'a 
enlevé  à  sa  famille  le  16  janvier 
1825. 
MORTEMART  (Victor-Louis- 

VlCTURSIEN  DE  RoCHECnoUART,  COM- 
TE de),  né  aux  environs  de  Diep- 
pe, le  12  août  1780,  fils  du  mar- 
quis de  Mortcmort,  qu'il  suivit  en 
Allemagne  pour  terminer  son  édu- 
cation. Son  âge  ne  lui  permit  de 
prendre  aucune  part  aux  événe- 
mens  politiques  et  militaires  des 
commencemens  de  la  révolution, 
et  comme  les  lois  sur  l'émigration 
ne  pouvaient  même  lui  être  appli- 
quées, il  revint  en  France  dès  le 
printemps  de  1799.  Deux  ans  a- 
près  ,  il  épousa  la  coeur  du  duc  de 
Montmorency,  et  resta  étranger 
aux  affaires  ainsi  qu'au  gouverne- 
ment jusqu'à  l'époque  où  Napo- 
léon crut,  dans  les  intérêts  de  sa 
politique,  devoir  appeler  à  sa  cour 
quelques  représentans  de  ce  qu'il 
nommait  les  familles  historiques 
de  la  France.  Alors  M°"  de  Morte- 
mart fut  choisie  pour  dame  du  pa- 
lais, avec  sa  belle-sœur  M""  de 
Montmorency,  M""  de  Chevreuse 
et  M°"  Maret,  depuis  duchesse  de 
Bassano.  Deux  ans  plus  tard,  31. 
de  Mortemart  fut  nommé  gouver- 
neur du  p.tlais  impérial  de  Ram- 
bouillet, et  dans  le  cours  de  1809, 
comte  de  l'empire  et  membre  de  la 
légion-d'honneur.  En  1817,  il 
remplaça  son  père  au  conseil-gé- 
néral du  département  de  la  Seine- 
IrjférJeure;  en  1819  et  1820,  il 
présida  une  des  sections  du  collé- 


KJO 


MOR 


ge  électoTaî  du  même  départe- 
ment, sans  se  placer  au  nombre 
des  candidats  pour  la  députation. 
La  mort  de  son  père  vient  de  le 
faire  entrera  la  chambre  des  pair?, 
mais  il  n'a  pris  séante  que  dans  les 
derniers  jours  de  cette  session 
(1823).  Il  avait  été  nommé  officier 
de  la  légion-d'honneur  en  décem- 
bre 1820. 

MORl  IER(Antoïne-Chables-Jo- 
seph),  députa  aux  états-généraux, 
naquit  auGateau-Cambresis,  le  18 
août  1730,  et  était  négociant  et 
cultivateur  lorsqu'il  fut  nommé  à 
cette  assemblée,  en  «789,  par  le 
tiers-état  du  Cambresis.  A  la  fin 
de  la  session,  il  rentra  dans  ses 
foyers,  et  devint  président  de  l'ad- 
ministration de  son  district.  Lors- 
que les  Autrichiens  envahirentmo- 
inentanémcnt  la  place  de  Cambrai 
en  1793,  ils  emmenèrent  comme 
otage  M.  Mortier,  alors  premier 
officier  municipal,  et  le  tinrent 
plus  de  dix  mois  en  état  de  dé- 
tention. Rendu  à  sa  patrie,  il  re- 
prit ses  travaux  habituels,  et  mou- 
rut en  1808,  peu  de  temps  après 
l'élévation  ,  de  son  fils  ,  dont  l'ar- 
ticle suit,  à  la  dignité  de  maréchal 
de  l'empire. 

MORTIER  (Éoovabd-Adolphe- 
Casimir-Joseph)  ,  duc  de  Trévise, 
maréchal  et  pair  de  France,  gou- 
verneur de  la  I  5""°  division  mili- 
taire, graud'croix  de  la  légion- 
d'honneur,  chevalier  de  Saint- 
Louis,  etc.,  né  à  Cambrai  en 
1768,  est  fils  du  précédent.  Em- 
brassant avec  ardeur  la  cause  de 
la  liberté,  il  entra,  en  1791»  en 
^jualité  de  capitaine, dansle  premier 
J>ataillon  de  volontaires  du  dépar- 
tement du  Nord.  Dès  la  première 
^iffaire  qui  eut  lieu   à  Mévrain  ,   il 


MOR 

donna  des  preuves  de  courage, 
et  eut  un  cheval  tué  sous  lui.  A 
Hondscoot,  le  1 3  octobre  1793, 
il  gagna  le  grade  d'adjudant-gé- 
néral. Rlessé  par  la  mitraille  sous 
les  murs  de  Maubeuge,  où  il  se 
signala,  il  se  trouva  ensuite  acx 
afl'aires  de  Mons,  Bruxelles,  Lou- 
vain ,  Fleuru.s,  et  se  porta  sur 
Maëstrich  avec  le  général  Rléber: 
ce  fut  l'adjudant-généra!  iMorlier 
qui  dirigea  l'attaque  du  fort  Saint- 
Pierre. Il  était  avec  le  général  Mar- 
ceau au  passage  de  Neuwied,  et 
commanda  sous  les  ordres  du  gé- 
néral Lefebvre,  dans  la  campa- 
gne de  179G,  les  avant -postes 
de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse. 
Le  3i  mai  de  la  même  année,  il 
battit  les  Autrichiens,  et  les  repous- 
sa au-del;i  de  l'Acher;  il  prit  en- 
suite une  part  glorieuse  au  combat 
d'Altenkirchen.  A  la  bataille  de 
l'riedberg,  il  passa  la  Nidda;  le  4 
juillet,  enleva  les  hauteurs  de 
Wilnsdorffet  fit  2000  prisonniers; 
le  8,  s'empara  de  Giessen,  et  ar- 
riva devant  Francfort,  assiégé. 
Le  r4i  le  général  Rléber  l'envoya 
au  général  autrichien  Wartens- 
leben,  pour  lui  proposer  la  reddi- 
tion de  la  place,  qui  eut  lieu  dans 
la  mrmie  journée;  le  20  juillet,  à 
la  suite  d'un  combat  opiniâtre,  il 
entra  dans  Gemmauden  ;  et  le  12/j 
dans  Schwenitl'ort,  chassant  l'en- 
nemi au-delà  du  Mein  ,  en  s'éta- 
blissant  sur  ses  derrières  :  il  rem- 
plaça le  général  Richepanse  au 
combat  d'flirsheid  le  8  août.  Le 
traité  de  Gampo-Formio  signé,  il 
préféra  au  grade  de  général  de 
brigade  qu'on  lui  offrait,  celui  de 
ooniuiandant  du  23*  régiment  de 
cavalerie.  Appelé  à  l'armée  du 
Danube    dans    la    campagne    de 


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£^  cJIC„  d/tùrrfiej^. 


MOR 

179g,  ce  fut  en  qualité  de  géné- 
ral de  brigade  commandant  les 
avant-posles  de  l'avant-garde  qu'il 
s'y  rendit.  Ses  services  y  furent 
importans  ,  particulièrement  à 
Leptingen  et  en  avant  d'Offen- 
bourg.  Envoyé  à  Tarmée  d'Helvé- 
tie,  il  y  soutint  sa  réputation,  et 
obtint  de  nouveAux  succès  à  la 
tête  de  sa  division  à  Walishoffen, 
et  dans  plusieurs  des  affaires  qui 
précédèrent  et  suivirent  la  prise 
de  Zurich,  à  laquelle  il  concou- 
rut en  dirigeant  avec  le  général 
Klein  l'attaque  de  la  ville  sur  la 
rive  gauche.  Seul  avec  sa  division, 
il  soutint  à  Mutlen  les  efforts  du 
corps  russe  du  général  Rosemberg, 
qu'il  chassa  de  sa  position;  en 
poursuivant  les  débris  de  cette 
armée  dans  le  Multathal,  il  s'em- 
para de  Melz  et  Sargans,  et  exécu- 
ta avec  une  grande  habileté  le 
mouvement,  combiné  par  le  géné- 
ral Masséna  pour  rentière  expul- 
sion de  l'ennemi  du  temtoirehel- 
Tétique.  Commandant  de  la  2' 
division  de  l'armée  du  Danube , 
il  fut  appelé  au  mois  de  mars  1800, 
par  ordre  du  premier  consul  Bona- 
parte ,  au  commandement  des  i5' 
et  16"  divisions  militaires  à  Paris. 
En  i8o3,  lors  de  la  reprise  des 
hostilités  avec  l'Angleterre,  il  re- 
çut le  commandement  de  l'armée 
destinée  à  s'emparer  du  Hanovre  ; 
cette  expédition  ,  où  l'armée  an- 
glaise fut  faite  prisonnière  de  guer- 
re, se  termina  par  la  convention  de 
Suhlingen  du  2  juin,  qui  mitl'élec- 
lorat  de  Hanovre  au  pouvoir  des 
Français.  A  son  retour  à  Paris,  il 
reçut  du  pretnier  consul  les  élo- 
ges les  plus  flatteurs,  et  devint 
l'un  des  quatre  comniandans  de 
la  garde  consulaire  ;  le  comman- 


MOR 


»9' 


dément  de  l'artillerie  lui  fut  spé- 
cialement confié.  En  1804,  il  pré- 
sida le  collège  électoral  du  dépar- 
tement du  Nord,  et  devint  suc- 
cessivement ,  dans  la  même  an- 
née, maréchal  de  l'empire,  chef 
de  la  2'  cohorte  et  grand-aigle  de 
la  légion-dhonneur.  En  iHo5.  il 
reçut  l'ordre  du  Christ  du  Portu- 
gal; fut  nommé  peu  de  temps  a- 
près  (septembre)  au  commande- 
ment d'une  division  de  la  grande- 
armée  sous  les  ordres  de  l'empe- 
reur, et  se  dirigea  eii  octobre  sur 
la  rive  gauche  du  Danube,  il  cou- 
pa les  communications  de  l'armée 
russe  avec  la  Moravie,  el  en  dé- 
fit complètement  une  partie  au 
combat  de  Diernstein.  Se  portant 
aussitôt  en  avant  avec  un  corps 
de  4»ooo  hommes,  il  rencontra 
l'armée  entière  commandée  par  le 
général  Kutusow.  Malgré  l'immen- 
se infériorité  de  ses  forces,  il  n'hé- 
sita pas  à  combattre  :  il  y  fit  des  pro- 
diges de  valeur,mais  il  allait  sucora- 
ber,  accablé  par  le  nombre,  lors- 
qu'il futsecouru  à  temps.  Cette  af- 
faire, l'une  des  plus  considérables 
de  la  campagne  et  l'une  des  plus 
sanglantes  .  fut  également  hono- 
rable aux  deux  partis,  et  quoique 
les  Français  en  eussent  tout  l'hon- 
neur, l'empereur  d'Autrrche  crut 
en  attribuer  la  gloire  à  ses  armes  , 
en  envoyant  au  général  Kutusow 
l'ordre  de  3Iarie-Thérèse.  Voulant 
éterniser  un  aussi  brillant  fait 
d'armes,  les  habitans  de  Cambrai, 
où  le  maréchal  iMortier  était  né, 
arrêtèrent  qu'un  monument  se- 
rait élevé  au  général  français. 
Le  maréchal  Mortier  refusa  no- 
blement d'y  consentir.  En  1806, 
il  fut  nommé  président  animel  du 
collège  électoral  du  départemeni 


19*2  310R 

du  Gard.  Au  mois  d'octobre  de  la 
même  année,  il  occupa  Cassel, 
à  la  tête  du  8*  corps  de  la  gran- 
de-année, et  au  mois  de  novembre 
suivant,  ils'eraparade  Hambourg. 
Son  premier  soin  fut  de  mettre 
tous  les  négocians  anglais  en  état 
d'arrestation,  et  de  confisquer  tou- 
tes If  s  propriétés  britanniques.  En 
avril  1807,  il  vainquit  les  Suédois  à 
Anclam,  et  conclut,  le  18  du  même 
mois,  à  Schaltkow,  avec  le  baron 
d'Essen,  une  suspension  d'armes, 
par  suite  de  laquelle  les  îles  d'U- 
sedom  et  de  WoUin  durent  rece- 
voir des  garnisons  françaises.  Il 
prit  une  part  brillante  à  ia  bataille 
'de  Friedland.  En  1808,  nomme 
duc  de  Trévise ,  il  reçut  en 
même  temps  une  dotation  de 
100,000  francs  de  rentes  sur  les 
domaines  de  l'ancien  électorat  de 
Hanovre.  Presque  à  la  même  é- 
poque,  il  prit  le  commandement 
du  5'  corps  de  l'armée  d'Espa- 
gne, se  distingua  au  siège  de  Sar- 
ragosse,  au  mois  de  février  i8og, 
gagna  la  bataille  d'Occana,  au 
mois  de  novembre,  concourut  a- 
vec  le  maréchal  Soult,  duc  de 
Dalmatic,  aux  opérations  contre 
Badajoz,  fut  chargé  du  siège  de 
Cadix,  et  gagna,  le  19  février 
181  1  ,  la  bataille  de  la  Gebora. 
En  1812,  l'empereur  l'envoya  en 
Kussie.  Jl  loi  donna  l'ordre  de 
rester  à  Moscow,  et  de  faire  sau- 
ter le  Kremlin  :  opération  qui  eut 
lieu  le  a5  octobre  à  deux  heures 
du  matin,  et  qui  détruisit  l'arse- 
nal, les  casernes  et  les  magasins. 
Le  maréchal  Mortier,  poursuivi 
dans  sa  retraite,  fut  attaqué  au 
passage  de  la  Bérézina.  I!  redou- 
bla de  soinsetde  valeur  pour  sau- 
ver les  débris  de  ses   troupes.    A 


MOR 

Francfort,  où  il  se  rendit,  il  orga- 
nisa la  jeune  garde,  dont  le  com- 
mandement lui  fut  confié  pendant 
la  campagne  de  i8i3.  Successi- 
vement il  combattit  à  Lutzen, 
Dresde',  Wachau,  Leipsick  et 
Hanau.  Le  11  janvier  i8i4>  il  ar- 
riva à  Langres.  Le  maréchal  Mor- 
tier a  fait  tou*e  la  campagne  de 
1814  ?  et  a  défendu  Paris  avec  le 
maréchal  Marmont,  duc  de  l\agu- 
se.  Après  avoir  concentré  son 
corps  d'armée  aux  Plessis-les-Che- 
nets,  le  8  avril,  il  adressa  son  ad- 
hésion aux  actes  du  gouvernement 
provisoire.  Envoyé  peu  de  jours 
après  à  Lille  en  qualité  de  com- 
missaire extraordinaire  de  la  16" 
division  militaire,  il  devint  gou- 
verneur de  celte  division,  et  fut 
nommé  par  le  roi  chevalier  do 
Saint-Louis  et  pair  de  France  les 
2  et  4  juin.  A  l'approche  du  20 
mars  i8i5,  on  vojjlut  former  à 
Péronne  une  armée  de  réserve, 
dont  le  maréchal  Mortier  devait 
avoir  le  commandement;  mais 
le  retour  rapide  de  Napoléon  ne 
permit  pas  l'exécution  de  ce  pro- 
jet. Louis  XVIII  ayant  quitté 
Paris  dans  la  nuit  du  19  au  ao 
mars ,  le  maréchal  Mortier  arriva 
;\  Lille  un  peu  avant  l'entrée  du 
roi  dans  cette  ville.  Inquiet  des 
ordres  que  Napoléon  venait  de 
faire  adresser  au  préfet  du  dépar- 
tement du  Nord,  le  maréchal  Mor- 
tier conjura  iM.  de  lîlacas  d'enga- 
ger S.  M.  à  partir  le  plus  tôt  pos- 
sible, ne  lui  dissimulant  pas  que 
le  moindre  retard  pourrait  lui  enle- 
ver le  reste  d'autorité  qu'il  conser- 
vait encore  sur  les  troupes.  Louis 
XVIII  céda  à  ces  conseils,  et  le 
maréchal  Mortier  l'accompagna 
jusqu'au  bas  des  glacis.  Il  rentra 


MOR 

à  Lille,  et  en  repartit  bientôt  pour 
Paris.  Napoléon  le  conipritau  nom- 
bre des  pairs  qu'il  venait  d'ins- 
tituer, et  le  chargea  d'inspecter 
les  frontières  de  l'Est  et  du  Nord.' 
Après  la  ><econde  restauration,  il 
fut  exclu  de  la  clirtinbre  des  pairs 
que  le  roi  venait  de  reformer.  En 
novembre  i8i5,  membre  du  con- 
seil de  guerre  chargé  de  juger  le 
maréchal  Ney,  prince  de  la  Mosk- 
wa ,  il  fijt  d'avis,  comme  tous 
ses  collèuues,  de  l'incompétence 
du  conseil.  Le  20  janvier  1816, 
nomuié  gouverneur  de  la  i5*  di- 
vision militaire  à  Rouen,  il  fut 
élu  dans  la  même  année,  par  le 
département  du  Nord,  membre 
de  la  chambre  des  députés  ;  il  y 
siégea  jusqu'à  la  fin  de  1818,  et 
vota  constamment  avec  la  majori- 
té. Lne  ordonnance  royale  du 
mois  de  mars  1819,  rétablit  le 
maréchal  Mortier  dans  les  hon- 
neurs de  la  pairie. 

MORTIER-DL-PARC  (N.), 
ancien  avocat,  membre  du  con- 
seil des  cinq-cents,  et  président 
du  tribunal  civil  du  Mans,  suivit 
la  carrière  du  barreau  jusqu'à  Té- 
poque  de  la  révolution,  dont  il  a- 
dopta  les  principes  avec  sagesse. 
Après  avoir  rempli  diverses  fonc- 
tions dans  le  département  de  la  Sar- 
the,oùilétaitdomicilié,il  futnom- 
mé,  au  mois  de  septembre  1793, 
par  le  collège  électoral  de  ce  dé- 
partement, membre  du  conseil 
des  cinq-cents.  Il  y  parla  plusieurs 
fois,  entre  autres  sur  l'instruction 
publique  ,  et  y  fit  un  rapport  con- 
cernant le  portrait  du  jeune  et 
brave  général  Marceau  (voy.  ce 
nom), aux  vertus  civiques  et  guer- 
rières duquel  il  rendit  un  écla- 
tant hommage.  Néanmoins  sa  pro- 


MOR 


J9J 


position,  tendant  à  charger  le 
directoire-exécutif  d'envoyer  ce 
portrait  à  toutes  les  autorités,  ue 
fut  pas  acciieillie.  Il  sortit  du  con- 
seil en  1797.  Par  suite  de  la  révo- 
lution du  18  brumaire  an  8  (9  no- 
vembre 1 799},  à  laquelle  il  se  mon- 
tra favorable  ,  il  fut  nommé  pré- 
sident du  tribunal  civil  du  Mans. 
Au  bout  de  quelques  années ,  il 
cessa  ces  fonctions,  et  rentra  dans 
la  retraite,  dont  il  n'est  pas  sorti 
depuis. 

MORTIMER  (Thomas),  littéra- 
teur-traducteur anglais,  naquit 
vers  1729,  et  mourut  octogénaire 
à  Londres  en  1809.  Cet  auteur  in- 
fatigable, que  la  pauvreté  força 
de  travailler  toute  sa  vie,  s'en  é- 
tait  fait  une  telle  habitude  que 
mêmedanssa  quatre-vingtième  an- 
née il  se  plaignait,  au  rapport  de 
M.  Israeli  {^Cnlamities  of  authors, 
page  101  du  tome  1"),  «que  les 
«travaux  littéraires  étaient  rares 
net  qu'on  employait  de  préféren- 
rce  les  jeunes  aventuriers.  >^  Une 
Notice  fut  publiée  sur  cet  écrivain 
laborieux,  dont  les  ouvrages  sont 
utiles  et  généralement  estimés , 
quoique  sous  le  rapport  littéraire 
ils  soient  susceptibles  de  quelque 
critique;  elle  parut,  ornée  de  sou 
portrait,  dans  VEuropean  magazi- 
ne (page  219.  tome  35).  Les  ou- 
vrages les  plus  remarquables  de 
Mortimer  sont  :  i*  lePlutarque  an- 
glais, ou  f^ies  des  plus  illustres 
personnages  de  la  Grande-Breta- 
gne ,  depuis  le  règne  de  Henri 
Fin  jusqu'à  George  //,  176a, 
12  vol.  in-8°:  cet  ouvrage  a  été 
traduit  en  français  par  M""  la  ba- 
ronne de  Vasse,  Paris,  1785-1786, 
12  vol.  in-8';  2°  le  Directeur  uni- 
versel, ou  Vrai  ^uide  de  la  Jeune 
i3 


194  MOS 

noblesse  vers  les  sciences  et  les 
beaux-arts,  1765,  in-S"  ;  5'"  Dic- 
tionvaire  du  commerce,  1766,  2 
Tol.  in-fol.  ;  4°  J^lémetis  du  com- 
merce, de  la  politique  et  des  finan- 
ces, 1772,111-4°;  ^"Dictionnaire 
de  poche  de  l'ctudiant,  ou  Abrégé 
de  l'histoire  universelle,  delà  chro- 
nologie et  de  la  biographie,  etc.*, 
1777:  ouvrage  très-estlmé  et  ce- 
lui qui  a  obtenu  le  plus  de  suc- 
cès ;  6°  Every  rnan  his  own  broker, 
1782,  iu-8",  espèce  de  diction- 
naire domestique  h  l'usage  des 
ménages;  7°  traduction  de  l'ou- 
Trage  de  Necker  sur  les  Finances, 
i78(),  in-8°;  8"  Leçons  sur  les  élé- 
mens  du  commerce,  de  la  politique 
et  des  finances,  1801  ,  in-8*;  9° 
Dictionnaire  général  de  commerce, 
i8io,  in  8". 

WOllY  D'ELVANGE  (N.),  sa- 
vant numismate ,  naquit  vers 
1742.  Il  se  livra  de  bonne  heure 
à  l'étude  des  médailles,  et  s'atta- 
cha spécialement  à  la  connaissan- 
ce des  antiquités  de  la  contrée 
qu'il  habitait.  Sous  le  régime  de 
la  terreur  il  fut  traduit  au  tribu- 
nal révolutionnaire,  qui  le  con- 
damna à  mort  le  aS  floréal  »»  2 
(14  mai  1794)-  Mory  d'Elvange  a 
publié  les  ouvrages  suivans  :  1° 
Notice  d'un  ouvrage  intitulé  :  Re- 
cueil pour  servir  à  l'histoire  mé- 
tallique des  duchés  de  Lorraine  et 
de  Bar,  Nanci ,  1782,  in-8°;  2° 
Essai  historique  sur  les  progrès  de 
la  gravure  en  médailles  chez  les  ar- 
tistes lorrains,  1783,  in-S"  ;  5* 
Notice  d'une  collection  métallique, 
donnée  A  la  bibliothèque  de  Nanci 
par  le  roi  Stanislas  I" ,  1787, 
grand  in-8°. 

M  ose  ATI  (PiERBE,  comte), 
grand-dignitaire  de  la  couronne- 


MOS 

de-fer,  ex-directeiu'-général  de 
l'instruction  publique  en  Italie , 
sénateur,  etc.,  est  né  vers  iy'56. 
Il  exerçait  la  profession  de  méde- 
cin à  Âlilan  ,  lorsqu'il  s'attacha 
aux  intérêts  de  la  famille  du  géné- 
ral en  chef  Bonaparte.  On  rap- 
porte sur  l'origine  de  la  faveur  dans 
laquelle  il  fut  constamment  près  de 
cet  homme  extraordinaire,  un  con- 
te tellement  ridicule  qu'il  ne  con- 
vient point  à  un  ouvrage  du  genre 
de  celui-ci  d'en  faire  mention.  M. 
Moscali  fit  d'abord  partie  du  con- 
grès cisalpin  en  1797;  l'^n^ée  sui- 
vante, il  fut  persécuté  loisque  les 
Austro-Russes  envahirent  momen- 
tanément l'Italie.  Conduit  dans  la 
forteresse  de  Cattaro ,  il  en  fut 
bientôt  extrait  pour  aller  à  Vienne 
donner  les  secours  de  son  art  au 
prince  Charles,  qui  était  dange- 
reusement malade.  Il  rentra  dans 
sa  patrie  après  la  victoire  de  Ma- 
rengo,  et  fit  partie,  en  i8oi,  de 
lAconsulta(]e  Lyon, où  furent  chan- 
gés la  forme  et  le  nom  de  la  ré- 
publique Cisalpine.  Nommé  en- 
suite directeur-général  de  l'ins- 
truction publique  en  Italie,  il  en 
exerça  encore  les  fonctions  long- 
temps après  la  création  de  cette 
contrée  en  royaume  par  l'empe- 
reur Napoléon.  11  fut  successive- 
ment élevé  aux  dignités  de  com- 
te, de  grand-dignitaire  de  la  cou- 
ronne-de-fer et  de  sénateur.  Le 
vice-roi  et  sa  famille  avaient  la 
plus  grande  confiance  dans  M. 
Moscati,  qui  leur  resta  fidèle  dans 
toutes  les  fortunes  ,  et  qui ,  er» 
1814,  fut  un  des  membres  du  sé- 
nat italien  les  plus  ardens  à  de- 
mander que  le  vice-roi  occupât 
le  trône  comme  souverain.  Les 
événemens  politiques  de  celte  an- 


MOS 

née  ne  permirent  pas  l'accom- 
plisseuieiit  de  ce  vœu.  M.  Moscati 
s'était  fait  aimer  de  ses  conci- 
toyens, et  quoiqu'il  soit  mainte- 
nant étranger  aux  affaires  publi- 
ques, il  jouit,  dans  une  heureuse 
et  paisiiile  vieillesse,  de  l'estime 
{générale  due  à  ses  qualités  per- 
sonnelles et  à  ses  talens  pour  la 
science  qu'il  cultive  encore ,  et 
pour  l'administration  des  affaires 
publiques.  Comme  physicien,  il 
fit,  en  1817,  devant  le  goHver- 
neur  de  la  Lombardie,  des  expé- 
riences sur  la  fusion  des  substan- 
ces réfractaires  par  la  combustion 
du  gaz  hydrogène  et  du  gaz  oxi- 
gène  :  elles  eurent  le  plus  grand 
succès. 

MOSCHIM  (Jeas  -  Artoine)  , 
littérateur  et  directeur  du  sémi- 
naire de  Murano,  l'une  des  îles 
qui  avoisinent  Venise.  Son  ou- 
vrage le  plus  remarquable  est  un 
hommage  qu'il  se  plaît  à  rendre 
patriotiquementà  la  gloire  des  Vé- 
nitiens illustres  du  18""  siècle.  Il 
est  intitulé  :  Delta  Vtteralura  Ve^ 
tieziana  del  Secolo  XFIII,  fino  a 
noslri  Giorrii,  Venise,  4vol,in-4° , 
1  ^o~- 1 809.  Un  autre  ouvrage  bien 
moins  important,  mais  qui  a  le 
même  but,  publié  sous  le  litre  de 
Rivista,  est  une  description  des 
environs  de  Venise,  M.  Moschini 
se  fait  remarquer  parmi  les  colla- 
borateurs du  Journal  littéraire  de 
Padoue.  Ce  littérateur  est  un  hom- 
me estimé  pour  ses  talens  et  pour 
ses  qualités  personnelles. 

xMOSELEY  (Besjamin)  ,  savant 
médecin  anglais ,  mais  homme 
passionne  dans  ses  systèmes,  na- 
quit dans  le  comté  d'Essex.  Il  se 
forma  d'abord  à  la  pratique  de  son 
art  dans  les  hôpitaux  de  Londres 


MOS  193 

et  dans  ceux  de  Paris,  et  alla  exer- 
cer la  chirurgie  et  la  pharmacie  à 
Kingston  (Jamaïque).  La  guerre 
de  l'indépendance  américaine  é- 
tait  alors  dans  toute  sa  force,  et 
les  maladies  épidémiques  mois- 
sonnaient chaque  jour  un  grand 
nombre  de  soldats  anglais.  Il  de- 
vint chirurgien  en  chef  de  l'île,  et, 
la  guerre  terminée,  il  visita  NeiV- 
York ,  Philadelphie,  et  se  rendit 
successivement  à  Londres  et  à 
Leyde,où  il  prit  ses  grades  comme 
médecin,  et  se  fixa  enfin  à  Lon- 
dres en  1785.  Là  il  exerça  la  mé- 
decine avec  succès,  et  obtint,  par 
la  protection  du  comte  Mulgrave, 
qu'il  guérit  d'une  maladie  ner- 
veuse, la  place  de  directeur  de 
l'hôpital  de  Chel.>«éa.  Il  fut  aussi 
le  médecin  de  Fox  dans  sa  der- 
nière maladie.  M^seley,  qui  avait 
des  t.dens,  s'est  malheureusement 
plus  fait  remarquer  par  son  ini- 
mitié envers  ses  confrère.'.,  et  sur- 
tout par  sa  haine  violente  contre 
la  vaccine.  Un  de  ses  biographe* 
annonce  que  :  «Ce  fut  en  i8o5 
qu'il  entra  en  lutte  presque  seul 
contre  la  faculté  :  il  assura  dès- 
lors  que  le  monstre  avait  expiré 
sur  son  sol  natal.  Ses  écrits  à  ce 
sujet  offrent  un  style  plein  d'ima- 
ges, mais  aussi  beaucoup  d'âcreté. 
11  prétend  qu'outre  que  la  vaccine 
ne  donne  point  de  sûreté  contre 
la  petite- vérole,  elle  a  produit 
elle-même  nombre  de  maladies 
inconnues  auparavant,  qu'il  nom- 
me faciès  bovilla,  scabies  bovilla, 
tirtea  bovilla ^  etc.  En  1808,  un 
ecclésiastique  ,  Kowland  Hill  , 
grand  partisan  de  la  vaccine,  et 
qui  s'était  vanté  d'avoir,  de  sa 
propre  main,  vacciné  heureuse- 
ment plus  de  4&00  personnes,  s'é- 


ig'J 


M  OS 


tant  attaqué  à  notre  médecin,  en 
fut  traité  ,  dans  une  épîlre  à  son 
adresse,  avec  une  extrême  gros- 
sièreté sur  des  points  qui  n'étaient 
nullement  médicaux.  »  Voici  la 
liste  de  ses  ouvrages,  sur  le  mérite 
desquels  il  ne  nous  convient  pas  de 
prononcer  :  j"  Observations  sur  lu 
dysscnlerie  des  ] ndes-Occidentales, 
in-8°,  i;8i,  réimprimé  à  Londres 
en  i;'83;  2°  Traité  sur  les  proprié- 
tés et  les  effets  du  café,  in-S",  i'-Sù: 
la  dernière  édition  de  cet  ouvrage, 
qui  a  été  réimprimé  cinq  fois,  est 
de  1793;  3"  Traité  sur  les  mala- 
dies des  tropiques,  in-8°,  Jj85  : 
quatre  éditions,  la  dernière  est  de 
1 806  ;  4"  Traité  sur  le  sucre,  2""" 
édition,  in-8",  1799  ;  5°  Essais  sur 
des  sujets  de  médecine,  2"' édition, 
in-8",  i8o5  ;  0°  Traité  sur  la  vac- 
cine,  in-8",  1805,  traduit  en  fran- 
çais ,  et  imprimé  dans  la  collec- 
tion intitulée  :  la  Vaccine  combat- 
tue dans  le  pays  où  elle  a  pris  nais- 
sance; 7°  Commentaires  sur  la 
vaccine  ou  lues  hovilla,  in-8",  1806; 
8  '  Revue  du  rapport  du  collette  de 
médecine,  sur  la  vaccine,  in-S", 
1 808  ;  9°  Epîlre  sur  la  vaccine,  au 
révérend  Rowland  Hill,  in-8",  1 807; 
10°  Traité  sur  l'hydropliobie ,  m- 
8°,  1808.  Son  antipathie  contre  lu 
vaccine  l'a  rendu  Tobjet  de  plu- 
sieurs critiques  fort  piquantes.  Lu 
principale  a  pour  titre  :  E pitres 
liéroiques  de  la  mort  à  B.  Moseley 
sur  la  vaccine,  1810.  Ce  savant 
mourut  dans  un  âge  très-avancé, 
le  i5  juin  1819. 

MOSNERON  (J.  B.),  chef  d'u- 
ne des  principales  maisons  de 
commerce  de  Nantes,  au  moment 
de  la  révolution,  fut  nommé  of- 
ficier municipal,  et,  en  1791, 
par  le  département  de  la   Loire- 


MOT 

Inférieufe,  membre  de  l'asseui- 
blée  législative.  Dans  la  séance  dn 
21  octobre,  il  défendit  les  ecclé- 
siastiques insermentés,  et  deman- 
da que  l'autorité  ne  sévît  que 
contre  ceux  dont  la  conduite  don- 
nerait lieu  à  des  mesures  de  ri- 
gueur. Il  éprouva  quelques  per- 
sécutions pendant  le  régime  de  la 
terreur,  et  fut  incarcéré  au  Luxem- 
bourg. Par  suite  de  la  révolution 
<^u  18  brumaire  an  8,  il  devint 
meinfcre  du  corps-législalif,dont  il 
fit  partie  jusqu'en  i8o5.  Il  passa 
ensuite  en  Amérique,  où  il  réside 
encore.  Les  spéculations  commer- 
ciales et  les  affaires  publiques  n'ont 
point  empêché  M.  Mosneron  de 
cultiver  la  littérature  avec  succès. 
Il  a  donné  :  1°  une  traduction  nou- 
velle en  prose  du  Paradis  perdu 
de  Milton,  1786,  qui  a  eu  une  4"" 
édition  en  1810;  2°  de  Quelques 
réformes  et  améliorations  à  faire 
en  Bretagne,  1789;  5"  Vie  de 
Milton;  4°  Mcmnon  ou  le  Jeune 
Israélite;  5^  le  Vallon  aérien,  ou 
Relation  du  voyage  d' un  aéronaule 
dans  un  pays  inconnu,  1809;  6" 
Vie  du  législateur  des  chrétiens 
sans  lacunes  et  sans  miracles. 

MOTARD  (  LE  baron)  ,  contre- 
amiral,  fils  d'un  capitaine  de  vais- 
seau ,  est  né  à  Honfleur  ;  il  entra 
de  bonne  heure  dans  la  marine  , 
parvint,  en  1797,  au  grade  de 
capitaine  de  frégate,  et,  en  i8o3, 
à  celui  de  capitaine  de  vaisseau  de 
2*  classe.  Il  commandait,  à  cette 
époque,  la  frégate  la  Sémillante , 
avec  laquelle  il  accompagnct  le 
contre-amiral  Linois  dans  les  mers 
de  l'Inde  ,  où  il  resta  pendant  6 
ans.  La  frégate  que  montait  le  ca- 
pitaine Motard  fut  attaquée,  à  la 
hauteurdes  îles  Philippines,  par  des. 


MOL 

forces   supérieures  ;   elle  soutint 
pendant  long-temps   un   combat 
opiniâtre,  où  elle^ut  très-maltrai- 
tée,mais  dont  l'honneur  lui  resta. 
Pendant  qu'elle   était   à   l'ile  de 
France,  où  on  réparait  ses  avaries, 
deux  vaisseaux  anglais  se  présen- 
tèrent dans  l'intention  de  la  blo- 
quer. Son  brave  commandant  don- 
ne ordre  d'appareiller,  inarche  à 
l'ennemi,  et  parvient  à  lui  échap- 
per. Plus  tard ,  il  livre  le  combat 
à  un  vaisseau  anglais  de  ^4  ^t  '^ 
une  frégate  de  48,  et  s'empare  de 
huit  navires  marchands  qu'il  con- 
duit à  l'île   de  France.  Il  entre- 
prend ensuite  dans  les  mêmes  pa- 
rages une  nouvelle  expédition  non 
inoins  funeste  que  la  précédente 
au  commerce  anglais  ,  sur  lequel 
dans  l'espace  de  six  années,  il  fit, 
dit-on,  pour  28  millions  de  prises. 
Celte  glorieuse  campagne  valut  au 
capitaine  Motard,  en  1809,  la  dé- 
coration de  commandant  de  la  lé- 
gion-d'honneur. Il  eut,  en  18 10,  le 
titre  de  baron  de  l'empire,  et,  en 
janvier  181 1,  lecommandementen 
chef del'école  spécialede  marine  de 
Toulon;  enfin,  il  devint  major  des 
marins  de  la  garde,  et  obtint  en- 
fin, en  1812,  le  grade  de  capitaine 
de  vaisseau  de  1"  classe.  Admis  à 
la  retraite  en  i8i5  ,  avec  la  croix 
de   Saint- Louis  et  le  brevet  de 
contre-amiral ,   le  baron  Motard 
vit  aujourd'hui  dans  une  campa- 
gne située  aux  environs  de  Paris. 
MOLCHET  (Geobge-Jean),  sa- 
vant lexicographe  ,  premier  em- 
ployé  de   la  bibliothèque  impé- 
riale, naquit  près  de  Rouen,  dé- 
partement de  la  Seine-Inférieure, 
vers  i75/(.  Ses  études  terminées, 
il  s'adonna  h  la  science,  où  se  sont 
distingués  les  Fonccmagne,Saintc- 


MOO 


ïo: 


Palaye,Brequigny,Legrand-d'Aus- 
si,  de  Roquefort,  ftc.  Foncema- 
gne,  qui  l'avait  dirigé  dans  ses  pre- 
miers travaux  ,  lui   fit  connaître 
Sainte-Palaye   et  Brequigny  ;   ils 
se  l'associèrent  dans  leurs  recher- 
ches, et  Brequigny,  dont  il  était 
devenu  l'ami  intime,  l'emmena  à 
Londres,  où  il  le  fit  concourir  à  la 
rédaction  de  la  Table  chronologi- 
que des  diplômes  ,  Chartres  ,  titres 
et  actes  imprimes  concei'nant  l' his- 
toire de  France  ,   ouvrage  qui  fut 
mis  au  jour  de  1769  à  1785,  en  3 
vol.  in-fol.  Sainte-Palaye  ,  émule 
de  Ducange,  résolut  de  publier  un 
Glossaire  de  l'ancienne  langue  fran- 
çaise ,  depuis  son  origine  jusqu'au, 
siècle    de   Louis   XI  F.    L'auteur 
sentit  bien  qu'une  aussi  vaste  et 
importante  entreprise  ne  pouvait 
être  exécutée  sans  le  secours  d'un 
habile  collaborateur;  il  détermina 
Mouchet  à  lui  prêter  son  appui. 
Quelques  années  après,  en  1J70, 
Mouchet  se  trouva  seul  à  la  têle 
de  cet  immense  travail.  Le  prince 
de  Beauveau  devint  le  protecteur 
de  Mouchet,  et  lui  fit  obtenir,  en 
1773,  une  pension  ou  traitement 
annuel  de   1,000  francs  ,  qui  fut 
portée  à  2,000  en   1773.  Le  pre- 
mier volume  du  Glossaire  fut  con- 
fié à  l'imprimerie  royale  ,  mais  il 
n'alla  pas  à  plus  de  740  pages,  qui 
formaient  les  deux  tiers  du  volu- 
me, et  qui  se  terminaient  à  la  syl- 
labe AST.    «  Chaque  article,    dit 
l'auteur  d'une  iVo//V^  sur  Mouchet, 
réunit  les  variantes  d'orthographe, 
etc.,  la  filiation  des  idées  différen- 
tes, exprimées  par  le  même  mot. 
L'histoire  métaphysique  des  ac- 
ceptions successives  par  lesquelles 
a  Mssé  toute  locution  complexe, 
n'cfl  pas  toujours  satisfaisante  ni 


igS 


MOU 


complète  :  peut-êfre  est-on  égale- 
ment en  droit  de  blâmer  les  déve- 
loppemeus  trop  étendus  qu'entraî- 
nent des  digressions,  intéressantes 
d'ailleurs,- sur  nos  antiquités,  et  le 
scrupuledénesacrifierquebien  peu 
des  citations  d'auteurs  qui  avaient 
tant  cofité  à  extraire.  Du  moins 
ces  citations  sont  souvent  ratta- 
chées Tune  à  l'autre  par  des  tran- 
sitions qui  ne  manquent  pas  d'a- 
grément. Nous  indiquerons  pour 
exemple  l'article  Amour.  Les  arti- 
cles Advocal,  Apanage,  Arbales- 
trier.  Arme,  Armet,  Arnoul,  Art, 
Asne,  peu  vent  donner  une  idée  suf- 
fisante d'un  glossaire  avec  lequel  ni 
Borel,  ni  Lacombe,  ni  le  bénédic- 
tin Jean  François,  ne  fournissent 
point  de  comparaison.  »  La  révo- 
lution surprit  JVlouchet  dans  le 
cours  de  ses  lents  et  pénibles  tra- 
vaux. Ils  étaient  peu  avancés  à 
cette  époque  ,  parce  qu'entraîné 
par  la  multitude  des  matériaux,  il 
avait  dû  extraire  des  notes  des  ma- 
nuscrits des  anciens  chroniqueurs 
et  romanciers  sur  la  signification 
des  vieux  mots.  Ces  documens 
qui,  à  l'époque  de  sa  mort,  arrivée 
en  1807,  forment  un  noml)re  con- 
sidérable de  volumes  ,  sont  dé- 
posés à  la  bibliothèque  du  roi. 
«  La  partie  métapli3'sique,  ajoute 
l'auteur  de  la  notice  que  nous  a- 
vons  citée,  y  est  à  peine  eflleurée; 
l'indication  des  sources  et  des  au- 
torités, et  des  citations  nombreu- 
ses, remplissent  ces  pages,  où  les 
recherches  historiques  ne  trou- 
vent place  que  bien  rarement,  d 
En  attendant  que  le  travail  de 
Mouchet  soit  continué  et  mis  au 
jour,  les  savans  et  les  personnes 
qui  aiment  à  s'occuper  de  ces  ma- 
nières rccherchersl  le  Glossaii'e  a- 


MOU 

brégé  que  M.  B.  de  Roquet>)rt 
(  voy.  Roquefort  )  a  publié.  On 
peut  aussi,  sur  ce  sujet,  consulter 
le  Journal  des  Savaus  du  mois  de 
décembre  1791.  Mouchet  ayant 
perdu,  par  suite  de  la  révolution, 
la  pension  de  2,000  francs  que  lui 
faisait  le  gouvernement,  était  tom- 
bé dans  un  état  voisin  de  Tindi- 
gence.  Brequigny,  qui  avait  éga- 
lement perdu  sa  fortune  ,  vint  gé- 
néreusement au  secours  de  son 
ami,  en  le  mettant  gratuitement 
en  possession  de  sa  bibliothèque. 
Legrand-d'Aussy,  nommé  conser- 
vateur des  manuscrits  de  la  bi- 
bliothèque impériale,  ne  lui  mon- 
tra pas  des  sentimens  moins  affec- 
tueux :  il  le  fit  placer  successive- 
ment comme  troisième  et  premier 
eiiiployé  de  cet  établissement. 

MOUCHET  (François -Nico- 
las), peintre,  ancien  fonctionnaire 
public ,  naquit  à  Gray,  départe- 
ment de  la  Haute-Saône.  Son  père, 
avocat  du  roi  au  bailliage  de  (iray, 
voulut  lui  faire  suivre  la  carrière 
du  barreau  ;  mais  le  jeune  Mou- 
chet préféra  celle  des  arts  ,  et  il 
vint  à  Paris,  où  il  prit  des  leçons 
de  Greuze.  Il  remporta,  en  1776, 
le  premier  prix  à  l'académie.  Le 
besoin  de  s'occuper  du  soin  de  sa 
fortune  le  déteimina  à  adopter  le 
genre  de  portrait  en  miniature  , 
où  il  eut  du  succès.  Cependant , 
il  reprit  le  genre  historique,  et  fut 
employé  par  le  gouvernement.  La 
révolution  le  compta  au  nombre 
de  ses  partisans,  et  il  devint  mem- 
bre de  la  municipalité  de  Paris  , 
puis  juge-de-paix  de  l'une  des  sec- 
tions de  celte  ville.  Il  fut  envoyé, 
en  1792,  dans  la  Belgique,  en  qua- 
lité de  commissaire  pour  la  dési- 
gnation des  objets  d'arts  qui  de- 


lUOU 

raient  augmenter  notre  collection 
a«sez  faible  dan>  cette  partie.  Sa 
mission  terminée,  il  revint  à  Pa- 
ris, les  mains  pures  de  toute  dila- 
pidation. L'anarchie  qui  pesait  a- 
lors  sur  sa  patrie  révolta  son  âme 
honnête,  et  la  liberté  avec  laquelle 
il  exprima  ses  sentimens  le  rendit 
suspect  ;  il  fut  enfermé.  Pendant 
quinze  mois  de  détention,  Mon- 
chet  trouva  des  ressources  dans 
ses  talens  ,  et ,  rendu  à  la  liberté 
par  suite  de  la  révolution  du  9 
thermidor  an  2  (27  juillet  1794)? 
il  se  hâta  de  retourner  dans  sa 
•ville  natale,  où  il  continua  l'exer- 
cice de  son  art.  Mouchet  y  fonda 
à  ses  frais  une  école  de  dessin,  et 
s'attacha  à  inspirer  à  ses  élèves  le 
goût  de  l'antique,  dont  le  célèbre 
David  était  le  créateur  en  France, 
et  qu'il  regrettait  de  n'avoir  pas 
étudié  dans  sa  jeunesse.  Mouchet 
mourut  à  Gray  au  mois  de  février 
181 4»  Les  deux  plus  remarqua- 
bles de  ses  ouvrages  sont  :  l'Ori- 
gine de  la  peinture,  qui  fut  exposé 
au  Louvre,  et  le  Triomphe  de  la 
peinture,  qui  eut  également  les 
honneurs  de  l'exposition.  Le  bu- 
rin a  reproduit  quelques-uns  des 
petits  sujets  qu'il  avait  traités  , 
tels  que  :  le  Larcin  d'amour,  l' Il- 
lusion ,  le  Coucher,  et  plusieurs 
portraits. 

MOUCHON  (Piebre),  pasteur 
de  l'église  de  Genève,  où  il  naquit 
en  1755  et  mourut  en  1797,  a  lais- 
sé la  réputation  d'un  citoyen  res- 
pectable, d'un  savant  distingué , 
d'un  des  premiers  prédicateurs  de 
l'église  protestante.  On  a  publié , 
après  sa  mort,  un  choix  de  ses 
Sermons,  Genève,  1798,  2  vol. 
in-8°.  L'épreuve  de  la  lecture,  l'é- 
cucil  de  tant  d'orateurs  renom- 


MOLi  199 

mes.  n'a  rien  ôté  à  l'estime  dont 
celui-ci  jouissait  de  son  vivant, 
parce  que  le  mérite  de  ses  discours 
e*t  dans  la  force  des  choses,  dans 
la  grandeur  des  pensées,  dans  la 
sagesse  de  l'expression,  la  noblesse 
du  style  et  l'heureuse  alliance  d'un 
esprit  philosophique  avec  un  cœur 
profondément  religieux.  ?fé  sans 
fortune,  Mouchon  surmonta,  par 
son  ardeur  pour  l'étude,  les  dilTi- 
cultés  de  sa  position  ;  il  montra 
une  égale  aptitude  pour  toutes  les 
sciences,  mais  il  s'appliqua  surtout 
à  celles  qui  élèvent  l'âme  et  exer- 
cent la  méditation.  Après  avoir 
rempli  les  fonctions  de  l'enseigne- 
ment dans  le  collège  de  Genève  , 
il  desservit  l'église  française  de 
Bâle  pendant  douze  ans,  et  revint 
à  Genève  en  1778,  pour  s'y  con- 
sacrer tout  entier  au  ministère  é- 
vangélique.  Ce  fut  pendant  son 
séjour  à  Bâle  qu'il  entreprit  et  a- 
cheva  une  tâche  immense,  la  Ta- 
ble analytique  et  raisonnée  des  ma- 
tières contenues  dans  l'Encyclopr- 
die,  Paris,  1780,  a  vol.  iii-fol., 
la  plus  grande  table  des  matières  , 
sans  doute,  qui  existe ,  et,  par  la 
manièrc  dont  elle  est  exécutée,  vrai 
chef-d'œuvre,  non  pas  seulement, 
comme  on  pourrait  le  croire,  dr 
courage  et  de  patience,  mais  enco- 
re d'un  esprit  lumineux,  méthodi- 
que, accoutumé  à  coordonner  ses 
idées,  habite  à  rapprocher  celles 
qui  se  rapportant  à  un  même  su- 
jet, se  trouvent  éparses  dans  les 
volumes  de  ce  vaste  recuvil ,  dont 
la  Table  raisounée  a  bien  facilité 
l'usage  et  accru  l'utilité.  Ce  tra- 
vail, êuivi  sans  relâche  pendant 
cinq  années,  au  milieu  de  beau- 
coup d'autres  occupations,  ne 
pou v^  convenir  ^u'à  un  homme 


\ 


\ 


aoo  MOU 

déjà  riche  de  connaissances  va- 
riées; mais  il  contribua  beaucoup 
à  étendre  celles  de  Mouchon,  et 
l'on  a  dit  avec  raison ,  qu'il  était 
probablement  le  seul  homme  qui 
eût  lu  l'Encyclopédie  en  entier  ; 
nous  ajouterons,  et  celui  qui  en 
ait  retiré  le  plus  de  fruit.  Il  joignait 
à  des  talens  très-distingués  le  plus 
noble  caractère  et  les  vertus  les 
plus  aimables  :  la  modestie,  la 
simplicité,  l'aménité  des  mœurs. 
Dans  les  troubles  politiques  de  sa 
patrie,  il  fut  toujours  l'ami  sin- 
cère et  sage  de  la  liberté ,  opposé 
par  cela  même  aux  partis  extrê- 
mes, mais  respecté  de  tous,  parce 
que  sa  franchise  parfaite  laissait 
voir  tout  ce  qui  se  passait  dans 
son  âme,  et  qu'on  n'y  pouvait 
lien  voir  que  d'excellent.  Il  eut 
des  relations  avec  plusieurs  hom- 
mes distingués,  et  particulière- 
ment ses  compatriotes,!.  J.  Rous- 
seau, Bonnet,  Necker,  etc.  On  lit 
dans  la  Vie  de  J.  J.  Rousseau  ^ 
par  M.  de  Musset,  et  dans  le  Lycée 
français^  tom.  III,  quelques  dé- 
tails intéressans  sur  une  visite 
qu'il  fit  à  J.  J.  Rousseau,  à  Mo- 
tiers-Traver,  en  1762.  Ou  s'est 
servi  pour  cet  article  d'une  notice 
insérée  dans  VAlmanacli  des  pro- 
testons pour  1809,  et  de  l'intéres- 
sant Eloge  historique  de  Mouchon, 
placé  en  tête  de  ses  sermons ,  par 
Picot,  professeur  de  théologie  à 
Genève,  mort  en  1823. 

MOUCHY  (le  prince  de  Poix, 
DUC  de),  lieutenant-général  et  l'un 
des  quatre  capitaines  des  gardes- 
du- corps  du  roi,  chevalier  des 
ordres  du  Saint-Esprit ,  de  Saint- 
Louis  ,  de  la  légion-d'honneur, 
elc,  fut  élevé  à  l'école-militaire, 
et  entra  ensuite  dans  un  régiment 


MOU 

de  Cavalerie,  commandé  par  le  vi- 
comte de  Noailles,  son  oncle,  qui 
passait  pour  l'un  des  meilleurs 
officiers  de  celte  arme.  Opposé 
aux  principes  de  la  révolution,  il 
sortit  de  France  en  1792,  prit  du 
service  dans  le  corps  d'émigrés  du 
duc  de  Bourbon,  et  fit  la  campa- 
gne de  cette  année.  Réfugié  en 
Angleterre  par  suite  du  licencie- 
ment de  l'armée  des  princes,  il 
profita  du  bénéfice  des  lois  d'am- 
nistie pour  se  faire  rayer  de  la 
liste  «les  émigrés,  et  concourut  de 
tout  son  pouvoir  au  retour  des 
Bourbons  en  i8i4-  Le  roi,  vou- 
lant reconnaître  les  services  du 
duc  de  3Iouchy,  le  nomma  colo- 
nel et  chevalier  de  Saint -Louis 
peu  après  la  première  restaura- 
tion. A  l'époque  du  20  mars  181 5, 
il  suivit  la  famille  royale  jusqu'à 
Béthune  :  là,  il  reçut  du  roi  une 
mission  auprès  de  M.  le  duc  d'An- 
goulème,  qui  venait  de  passer  en 
Espagne,  et  fut  nommé,  le  3i 
mai  (1815),  maréchal-  de -camp. 
Rentré  en  France  avec  S.  A.  R. 
au  mois  de  juillet  suivant,  il  pré- 
sida le  collège  électoral  du  dé- 
partement de  la  Meurthe ,  et  fit 
partie  de  la  députation  de  ce  dé- 
parlement à  la  chambre  dite  in- 
trouvable. Le  prince  de  Poix,  son 
père,  lui  céda,  en  1816,  le  com- 
mandement de  la  3°"  compa- 
gnie des  gardes-du-corps  du  roi, 
dont  le  comte  de  Saint -Morys  é- 
tait  lieutenant.  Cet  officier  ayant 
eu  l'année  suivante,  avec  le  colo- 
nel Barbier  Dufay,  une  affaire  qui 
a  loiîg-temps  fixé  l'attention  publi- 
que, le  duc  de  Mouchy  usa  de  l'au- 
torité de  son  grade  pour  forcer  M. 
de  Saint-Morys  à  satisfaire  à  une 
provocation  contre  laquelle  les  lois 


-  / 


MOU       / 

na  prononcent  aucune  peine.  La 
comtesse  de  Saiiit-Morys,  deve- 
nue veuve  par  suite  de  cette  que- 
relle, non  contente  de  faire  retentir 
les  tribunaux  de  ses  plaintes,  pu- 
bliaunmémoireetattaquaaucnmi- 
nel  celui  qu'elle  appelait  l'assassin 
rie  son  mari;  elle  impliqua  dans  cet- 
te affaire  le  duc  de  Mouchy  pour 
avoir  fait  ce  qu'exigeait  l'honneur 
du  corps  dont  le  commandement 
lui  était  confié.  Ce  procès  eut  l'is- 
sue à  laquelle  on  s'attendait  gé- 
néralement. M.  Barbier  Dufay 
et  le  duc  de  Mouchy  furent  ren- 
voyés de  la  plainte  portée  contre 
eux,  et  la  veuve  Saint- Morys  dé- 
boutée de  sa  demande. 

MOUGiN  (l'abbé  Pierre-Astoi- 
ke),  astronome,  correspondant  de 
l'ancienne  académie  des  sciences, 
naquit  à  Charquemont,  prés  de 
Baume,  département  du  Doubs, 
le  32  novembre  i^Sd.  Destiné  par 
sa  famille  A  l'état  ecclésiastique, 
il  fit  ses  études  au  séminaire  de 
Besançon,  et  fut  pourvu  de  la  cure 
de  la  Grand'Combe  des  Bois,  pa- 
roisse située  sur  le  revers  du  Lo- 
mont.  Sans  ambition,  et  passion- 
né pour  l'astrononiie,  à  l'élude  de 
laquelle  ses  fonctions  lui  permet- 
taient de  consacrer  tout  le  temps 
nécessaire,  il  fit  des  observations 
qu'il  adressa  à  Lalande  ,  en  1766, 
et  qui  lui  valurent,  de  la  part  de 
ce  célèbre  astronome,  une  lettre 
très-flatteuse,  un  grand  télescope, 
et  divers  instrumens  dont  la  pos- 
session était  indispensable  pour 
donner  de  l'exactitude  aux  expé- 
riences. La  révolution  le  surprit 
dan?  l'exécution  d'un  travail  sur 
les  comètes,  qu'il  avait  promis  de 
livrer  à  l'académie  des  sciences 
(à  laquelle  il  appartenait  comme 


MOU  201 

correspondant),  et  non  au  bureau 
des  longitudes,  comme  le  dit  par 
erreur  une  biographie,  le  bureau 
des  longitudes  n'ayant  été  créé 
que  depuis  la  révolution.  Il  fut 
nommé  par  ses  concitoyens  mem- 
bre de  l'administration  centrale  du 
département  du  Doubs;  mais  il  re- 
fusa cet  emploi ,  ne  voulant  pas  se 
distraire  de  ses  travaux  habituels. 
Vers  la  fin  de  1795,  il  fut  obligé 
de  quitter  sa  cure;  et,  pour  éviter 
la  persécution  dont  les  personnes 
exerçant  son  ministère  étaient  l'ob- 
jet, de  se  cacher  «  dans  le  creux 
«d'un  vallon,  d'où  je  ne  vois  plus 
»le  ciel  »,  écrivait-il  à  Lalande. 
Sur  les  instances  des  membres 
de  l'observatoire  de  Paris  ,  il  fut 
autorisé  ,  par  le  gouvernement  , 
à  retourner  à  sa  cure,  dont  on  a- 
vait  fait  valoir  la  position  pour  la 
recherche  des  comètes.  Lalande  a- 
vait  conçu  pour  Mougin  une  gran- 
de estime.  Lorsqu'il  annonça  la 
Table  de  prècession  (  ou  change- 
geniens  annuels  des  étoiles  en  as- 
cension droite)  de  ce  laborieux 
et  modeste  savant,  qu'il  avait  re- 
çue en  1801,  il  dit  :  «  Il  y  a  tren- 
))te  ans  que  nous  recevons  de  ce 
«digne  pasteur  des  marques  de 
•  zèle,  d'application,  de  curiosité 
net  de  courage,  qui  sont  bien  ra- 
nres,  surtout  dans  les  déserts.  ■> 
On  a  de  Mougin,  qui  mourut  plus 
qu'octogénaire  à  la  Grand'Combe, 
le  22  août  1816  :  1°  des  Calculs 
dans  la  connaissance  des  temps  ,  de 
1775  à  i8o3;  2°  les  Tables  du  no- 
nugcsime,  dans  le  volume  de  177^ 
de  la  Connaissance  des  temps;  3°  les 
Calculs  de  l'éclipsé  de  soleil,  obser- 
vée ù  la  Grand'Combe,  le  19  jan- 
vier 1787,  dans  le  Journal  des  Sa- 
vans,\i,  5o5,  etc.  Lalande  exprime. 


202  MOU 

flans  son  Histoire  abrégée  de  l'as- 
tronomie,  la  crainte  que  les  ins- 
trument et  les  manuscrits  de  Mou- 
gin  ,  achetés  par  un  Suisse  ,  ne 
soient  perrlus  pour  les  sciences. 

MOUGINS  DE  ROQUEFORT 
(N.),  curé  de  Grasse,  fut  nommé, 
par  Je  clergé  de  la  sénéchaussée 
de  Dragiu"gnan  ,  député  aux  états- 
généraux  en  1789.  l'artisan  zélé, 
mais  sage,  des  idées  nouvelles,  il 
se  prononça  l'un  des  premiers  en 
faveur  de  la  réunion  des  trois  or- 
dres, prêta  le  serment  civique, 
adhéra  à  la  consliiution  civile  du 
clergé,  et  devint  secrétaire  de  l'as- 
semblée constituante,  le  9  avril 
1791.  Rendu  aux  fonctions  ecclé- 
siastiques à  la  fin  de  la  session,  il  n'a 
plus  reparu  sur  la  scène  politique. 

MOUGINS  DE  ROQUEFORT 
(iV.),  frère  du  précédetït ,  maire 
et  premier  consul  de  la  ville  de 
Grasse,  fit  aussi  partie  des  états- 
généraux  en  qualité  de  député  du 
bailliage  de  Draguignan.il  parta- 
gea les  opinions  de  son  frère,  et 
montra  des  talens  dans  les  matiè- 
res judiciaires,  qu'il  traita  de  pré- 
férence. Il  rentra  dans  la  vie  pri- 
vée à  la  fin  de  la  session  de  l'as- 
semblée constituante. 

MOULIN  (N.),  général  des  ar- 
mées de  la  république ,  s'enrôla 
comme  simple  soldat,  et  obtint 
successivement  tous  ses  grades 
jusqu'à  celui  d'officier- général. 
Chargé,  en  1793,  du  commande- 
ment d'un  des  corps  de  troupes 
employés  dans  la  Vendée,  il  y  ac- 
quit une  nouvelle  gloir^',et  termi- 
na, d'une  manière  héroïque,  une 
carrière  illustrée  par  plusieurs  ac- 
tions d'éclat.  Grièvement  blessé  à 
l'affaire  de  ChoUet ,  en  lévrier 
1794,  il  est  au  moment  de  tomber 


MOU 

entre  les  mains  des  Vendéens  vain- 
queurs. Un  pistolet  lui  reste,  il 
le  saisit  et  se  brûle  la  cervelle. 
Le  gouverneuiont  fit  élever  à  la 
mémoire  de  ce  brave  un  monu- 
ment sur  lequel  on  grava  cette 
inscription  :  «Républicain,  il  se 
»  donna  la  mort  pour  ne  pas  tom- 
»ber  vivant  au  pouvoir  des  roya- 
»  listes.  » 

MOULIN  (N.),  général  fran- 
çais, membre  du  directoire-exé- 
cutif, officier  de  la  légion-d'hon- 
neur, frère  du  précédent,  suivit  la 
même  carrière,  et  parvint  des 
grades  inférieurs  au  commande- 
ment des  armées  de  la  république. 
Il  ac<(uit  de  la  réputation  dans  le 
commandement  de  l'armée  des 
côtes  de  Brest,  et  dans  celui  de 
l'armée  des  Alpes,  en  1794;  i^ 
passa  de  ce  dernier  corps  en  Al- 
sace, où  il  commandait  ime  divi- 
sion, et,  par  un  mouvement  hardi 
autant  que  bien  combiné,  sauva, 
le  18  septembre  179I},  le  fort  de 
Kehlprès  de  tomber  entre  les  mains 
des  troupes  autrichiennes  aux  or- 
dres du  général  L'étrarsch.  Il  fut 
chargé,  en  1798  et  1799,  du  com- 
mandement de  la  division  de  Pa- 
ris. L'agitation  populaire  du  3o 
prairial  (18  juin  1799),  à  laquelle 
il  ne  fut  pas  étranger,  le  porta  au 
directoire,  dont  Merlin,  Treillard 
et  La  Reveillère-Lépaux,  avaient 
cessé  de  faire  partie.  Il  s'y  lia  avec 
Barras  et  Gohier,  et  projetait  avec 
eux  du  changement  de  la  constitu- 
tion, lorsque  la  révolution  du  18 
brumaire  et  l'avènement  du  géné- 
ral en  chef  Bonaparte  au  consulat, 
les  renversèrentà  leur  tour.  Moulin 
chercha  vainement  à  tenir  tête  à 
l'orage,  refusa  pendant  long-temps 
de  donner  sa  démission  de  direc- 


BIOU        ^ 

teur,  et  finit  par  reprendre  du 
service  >ou5  le  nouveau  gouver- 
nement. Il  comniandail  la  place 
d'Anvers,  lorsqu'il  mourut  en 
j8io. 

xMOLLINES  (GciLLACME  de), 
pasteur  de  l'église  réformée  et 
historien,  naquit  à  Berlin  enijaS, 
et  mourut  le  i4  mars  1802  dans 
la  même  ville;  il  était  issu  d'une 
famille  protestante  que  la  révoca- 
tion de  l'édit  de  Nantes  avait 
forcée  de  s'expatrier.  Il  a  cultivé 
avec  succès  plusieurs  branches  de 
la  littérature,  et  ses  ouvrages  sont 
écrits  en  français  :  il  fut  toujours 
favorablement  accueilli  de  Voltai- 
re pendant  le  séjour  que  ce  grand 
honnne  fit  à  Berlin.  Guillaume  de 
Moulines  a  publié  :  1°  Réflexions 
d' un  Jurisconsulte  sur  l'ordre  de  la 
procédure ,  et  sur  les  décisions  ar- 
bitraires et  imtDidiates  du  souve- 
rain, Berlin,  i;"^^,  vol.  in-S";  La 
Haye,  1777;  "i."  Lettre  d'un  habi- 
tant de  Berlin  à  son  ami  à  La 
Haye,  La  Haye,  1775:  cette  let- 
tre est  relative  à  un  passage  de 
l'histoire  philosophique  de  l'abbé 
Raynal  sur  Frédéric  II;  5''  Tra- 
duction des  18  litres  d' Ammien  Mar- 
cellin,  5  vol.  in-12,  Berlin,  1775; 
Lyon,  1778;  4"  les  Ecrivains  de 
l  histoire  d'Auguste  traduits  en 
français,  5  vol.  in-12,  Berlin, 
1783;  Paris,  1806  :  cet  ouvrage, 
nécessaire  à  toute  personne  qui 
■veut  étudier  avec  fruit  l'histoire 
des  empereurs  ,  offre  le  tableau 
fidèle  et  rapide  du  règne  de  plus 
de  70  princes  qui ,  pendant  la 
courte  période  de  16a  années  , 
ont  successivement  occupé  le 
trône  des  Césars;  en  sorte  que  la 
durée  moyenne  du  règne  de  cha- 
cun d'eux  n'a  été  que  d'un  peu 


MOU 


303 


plus  de  deux  ans.  Cette  traduc- 
tion joint  au  mérite  de  l'exaclitu- 
de  celui  d'être  écrite  avec  facilité; 
elle  se  fait  lire  avec  intérêt. 

MOLLINIEll  (Charies-Eties- 
ke-Frascûis)  ,  pasteur  de  l'église 
de  Genève,  né  dans  cette  ville  en 
1757,  a  publié  plusieurs  ouvrages 
religieux  :  i°un  catéchisme  élé- 
mentaire sous  le  titre  de  Lait  de  la 
parole,  Genève,  1789;  2'  Lettres 
à  une  mère  chrétienne ,  1*  édition, 

1821,  in-8°  ;  5°  Moyens  de  connaî- 
tre J)ieu,  181 5  :  cet  ouvrage  a  été 
réuni  au  précédent  dans  la  der- 
nière édition;  ^"Instructions  et 
méditations  sur  Jésus  -  Christ  , 
1817.  in-8°;  5"  Promenades  philo- 
sophiques et  religieuses  aux  envi- 
rons du  Mont-Blanc^  2'  édition, 
1820,  in-12;  6"  Enseignement  gra- 
duel des  vérités  religieuses  par 
J.-C.  et  ses  apôtres;  7"  Chaînes 
des  vérités  étangéiiques  ;  8°  Opus- 
cules ;  9°  Leçons  de  la  parole  de 
Dieu  sur  l'étendue  et  L'origine  du 
mal  dans  l'homme,  1821,  in-S^"; 
I  G"  Leçons  de  la  parole  de  Dieu 
sur    ta  divinité    du   Rédempteur, 

1822,  in-8'';  11°  Leçons  de  la  pa- 
role de  Dieu  sur  la  rédemption  de 
l'homme,  1825,  in-8".  L'auteur 
de  ces  ouvrages  s'est  abstenu  de 
toute  controverse  avec  l'église  ro- 
maine :  aussi  sa  personne  et  ses 
écrits  ont  reçu  les  témoignages  de 
l'estime  de  plusieurs  ecclésiasti- 
ques de  cette  communion. 

MOLLLAND  (X.),  était,  au 
commencement  la  révolution , 
commissaire  du  roi  près  le  tribu- 
nal correctionnel  de  Bayeux  (Cal- 
vados). Il  adopta  avec  beaucoup 
de  modération  les  nouveaux  prin- 
cipes, et  fut  nommé,  en  1798,  dé- 
puté de  ce  département  au  coa- 


204 


MOU 


scil  des  cinq-cents,  d'où  il  passa 
l'année  suivante  an  corps-législa- 
tif. Sorti  en  i8o3  de  cette  assem- 
blée, il  n'a  pas  reparu  dans  les 
fonctions  publiques. 

MOULTRIE  (Guillaume),  ma- 
jor-général de  l'armée  des  Etats- 
Unis,  s'enrôla,  en  1760,  comme 
simple  volontaire,  et  fit  la  guerre 
contre  les  Cherkoées ,  d'abord 
sous  les  ordres  du  gouverneur 
Litlleton ,  ensuite  sous  ceux  du 
colonel  Montgommerj.  II  se  dis- 
tingua dans  plusieurs  rencontres 
et  devint  capitaine.  En  1761,  il 
eut  la  gloire  de  terminer  lui-mê- 
me cette  guerre  en  battant,  avec 
sa  seule  compagnie,  ces  différen- 
tes peuplades,  qui  furent  forcées 
de  recevoir  la  loi  du  vainqueur. 
Lorsque  le  cri  d'indépendance  se 
fit  entendre  dans  les  provinces  a- 
méricaines,  le  capitaine  Moultrie 
y  répondit  un  des  premier.«,et  tra- 
vailla dès-lors  avec  beaucoup  d'ac- 
tivité à  briser  le  joug  de  la  métro- 
pole. Parvenu  par  ses  services  au 
grade  de  colonel  du  2°"  régiment 
de  la  Caroline  méridionale,  il  se 
distingua  parliciilièremenl  à  l'af- 
faire de  l'île  de  Sulivau,  en  ren- 
dant infructueuses  les  attaques  de 
l'armée  anglaise,  quoiqu'il  n'eût 
avec  lui  que  540  hommes  de  son 
régiment  et  quelques  miliciens.  Le 
congrès  national  lui  décerna  la 
récompense  la  plus  flatteuse  en 
ordonnant  qu'à  l'avenir  le  fort 
qu'il  avait  si  vaillamment  défendu 
porterait  son  nom.  En  1779  il  bat- 
tit les  Anglais  à  la  bataille  de 
Beau  fort,  commanda  en  second 
nu  siège  de  Charlestovi'^n,  et  vint  à 
Philadelphie  après  la  reddition  de 
la  place.  11  fut  nommé,  en  1782, 
gouverneur  do  la  Caroline,  sa  pa- 


MOU 

trie,  et  remplit  pendant  long-temps 
ce  poste  honorable.  Forcé  d'en 
résigner  les  fonctions  par  suite  de 
son  grand  âge  et  de  sa  mauvaise 
santé,  il  vécut  dans  la  retraite  et 
mourut  à  Charlcstown,  en  i8o5, 
à  l'âge  de  76  ans.  Il  a  publié  des 
Mémoires  sur  les  événemens  de 
la  révolution  dans  la  province  de 
Géorgie  et  dans  les  Deux-Caro- 
lines. 

MOUNIEIl  (Jean-Joseph),  l'un 
des  députés  les  plus  célèbres  des 
états-généraux,  en  1789,  naquit 
à  Grenoble,  le  12  novembre  1758. 
Son  père,  commerçant  estimé,  lui 
fit  donner  une  excellente  éduca- 
tion; mais  la  sévérité  souvent  in- 
juste de  son  premier  instituteur, 
et  les  obstacles  qu'il  rencontra 
lorsque,  méconnaissant  sa  voca- 
tion, il  voulut  entrer  dans  l'état 
militaire,  jetèrent  dans  son  cœur 
les  premières  semences  de  sa  hai- 
ne contre  l'oppression  et  les  privi- 
lèges. Mounier  était  né  pour  être 
jurisconsulte;  il  le  sentit  enfin, 
entra  chez  un  avocat,  où  il  passa 
quelque  temps,  obtint  le  titre  de 
bachelier  en  droit  à  l'université 
d'Orange,  et  après  trois  ans  d'é- 
tudes chez  les  membres  les  plus 
éclairés  du  parlement  de  Greno- 
ble ,  il  fut  reçu  avocat.  A  l'âge  de 
25  ans ,  il  acheta  la  charge  de  ju- 
ge royal ,  qu'il  exerça  pendant  six 
années  avec  la  plus  grande  dis- 
ijnction.  Tout  le  temps  qu'il  ne 
donnait  pas  à  ses  fonctions  était 
employé  i\  l'histoire  naturelle,  à 
la  politique  et  au  droit  public,  et, 
s'étant  lié  avec  quelques  Anglais, 
il  étudia  leur  langue,  la  théo- 
rie, et  surtout  la  pratique  de  leurs 
institutions.  Mounier  s'était  ainsi 
préparé,  sans  le  savoir,  aux  événe- 


à 


MOU 

meus  importans  qui  devaient  sui- 
Tre:  aussi,  lorsqu'après  la  convoca- 
tion infructueuse  des  notables  en 
1787,  l'arrêt  du  parlement  de 
Paris,  même  année,  exigeant  la 
convocation  immédiate  des  états- 
généraux,  l'annonce  d'une  cour 
pléniére  imaginée  par  les  minis- 
tres pour  réduire  à  l'obéissance 
les  cours  de  justice,  nouveauté  que 
le  parlement  de  Grenoble  repous- 
sa avec  énergie  ;  lorsque  surtout 
après  l'exil  de  ses  magistrats,  cette 
ville,  craignant  de  perdre  toutes 
ses  libertés,  eut  demandé  et  obte- 
nu une  assemblée  de  ses  notables. 
Meunier,  juge  royal,  y  parut  avec 
tous  les  avantages  que  lui  don- 
naient ses  fonctions,  ses  qualités 
personnelles  et  ses  connaissances 
politiques;  il  fut  en  quelque  sor- 
te l'âme  de  cette  assemblée,  et  y 
posa  les  bases  d'un  gouvei'nement 
représentatif.  Ce  qu'il  y  eut  de 
remarquable  encore,  c'est  qu'on 
y  voit  consacrées,  en  quelque 
sorte,  la  Réunion  des  ordres,  et  l  O- 
pinion  par  tête,  qui  devaient  bien- 
tôt donner  lieu  aux  plus  vifs  dé- 
bats. Meunier  attachait  beaucoup 
d'importance  à  cette  mesure  :  c'é- 
tait alors  l'opinion  de  toute  la 
France;  il  y  tenait  plus  fortement 
encore  par  ce  qui  venait  de  se 
passer  sous  ses  yeux,  et  qui  était 
si  opposé  à  l'exemple  donné  par 
les  anciens  états-généraux,  dont 
Voltaire  avait  dit  : 

Que  de  ces  grands  conseils,  l'efTet  le  plus  commun 
E$t  de  voir  tous  les  maux  «ans  en  reparer  un. 

Il  était  persuadé  que  c'était  le  seul 
moyen  d'établir  une  constitution 
sage,  qui  assurât  les  droits  du 
prince  et  ceux  du  peuple ,  par 
le  concours  du  monarque  et  de  la 


MOU  20.» 

nation  pour  la  formation  des  lois  , 
la  balance  du  pouvoir  et  l'éloi- 
gnement  de  l'arbitraire.  Cette  as- 
semblée, où  triomphèrent  les  prin- 
cipes de  Mounier  sur  la  réunion 
des  ordres  et  sur  le  vote  par  tête  , 
fut  suivie  de  deux  autres  assem- 
blées également  remarquables  par 
la  concorde  qui  régna  entre  les 
ordres  réunis,  l'oubli  des  intérêts 
personnels,  et  le  respect  pour  l'au- 
torité du  monarque  ;  Mounier  y 
remplit  les  fonctions  de  secrétaire, 
et  s'y  montra  orateur  distingué. 
Au  mois  de  janvier  1789,  arriva 
à  Grenoble  l'instruction  ministé- 
rielle sur  l'élection  des  députés  aux 
états  généraux;  Mounier  fut  nom- 
mé le  premier  par  acclamation,  et 
quoique  les  états  eussent  consacré 
deux  grandes  innovations,  débat- 
tues et  arrêtées  dans  les  états  pré- 
cédens ,  en  défendant  à  leurs  dé- 
putés de  voler  sur  aucune  propo- 
sition autrement  que  dans  la  réu- 
nion des  ordres  et  par  tête,  le 
commissaire  du  roi  leur  dit,  en 
fermaiit  leur  session  :  «  Une  sages- 
nse  profonde  a  dirigé  vos  démar- 
oches  et  présidé  à  vos  choix.  »Et 
lorsqu'au  mois  de  mars,  Mounier 
accompagna  à  Versailles  l'archevê- 
que de  Vienne ,  qui  avait  présidé 
l'assemblée,  et  que  le  roi  remer- 
ciait d'avoir  sauvé  le  Dauphinéf 
l'archevêque  répondit.  Sire ,  ce 
n'est  pas  moi ,  c'est  notre  secrétai- 
re-général; tant  était  connue  la 
pureté  des  motifs  qui  avaient  cons- 
tamment dirigé  Mounier  dans  ses 
opinions  et  dans  ses  votes.  La  ré- 
putation dont  il  jouissait  à  Greno- 
ble le  suivit  aux  états-généraux, 
environné  d'abord  d'une  grande 
faveur,  pour  avoic  puissamment 
influé  sur  la  double  représentation 


ao6 


MOU 


du  tiers  et  le  vote  par  tête;  il  exer- 
ça une  sorte  d'empire  sur  les  pre- 
mières délibéralions  de  son  ordre; 
mais  toujours  son  équité  égala  sa 
franchise.  Lorsque,  dans  des  con- 
férences préliminaires,  quelques 
députés,  pour  engager  les  commis- 
saires de  la  noblesse  i\  vérifier  les 
pouvoirs  en  commun,  assuraient 
qu'ils  ne  feraient  pas  de  ce  précé- 
dent un  argument  en  faveur  de  la 
délibération  sur  le  fond  des  affai- 
res. Motmier  déclarait  franche- 
ment »  qu'il  s'agissait  d'assurer, 
«par  une  constitution,  la  liberté 
»  publique;  que  la  réunion  des  dé- 
»  pûtes  était  nécessaire  pour  un  si 
«grand  objet;  qu'elle  était  exigée 
«par  le  vœu  de  la  nation;  qu'on 
')ne  pouvait  y  résister,  non-seu- 
wlementsan^  une  extrême  injusti- 
»ce,  mais  sans  une  extrême  im- 
»  prudence.  »  Et  d'un  autre  cô- 
té, il  appuyait  le  projet  d'adres- 
se au  roi,  proposé  par  Malouet, 
et  ainsi  conçu  :  «  Toujours  nous 
«reconnaîtrons,  dans  le  clergé 
»et  .dans  la  noblesse,  de  grands 
«propriétaires,  les  premiers  ci- 
«toyens  de  l'empire,  et  les  préé- 
«minences  raisonnables  de  rangs 
«et  d'honneurs  qui  leur  appar- 
»  tiennent;  les  droits  de  proprié- 
»  té,  sacrés  pour  toutes  les  classes 
•  de  vos  sujets,  ne  seront  violés 
»pour  aucune.  »  Une  proposition 
aussi  modérée  fut  repoussée  par  un 
arrêté  hostile  de  la  noblesse  con- 
tre le  tiers-état.  Le  i5  juin,  cet- 
te chambre  ayant  décidé  qu'elle 
se  constituerait  définitivement  , 
délibéra  sur  la  dénomination  qu'el- 
le prendrait;  on  en  proposa  trois, 
qui  touffes  trois  parurent  à  Mou- 
uier  inexactes  et  dangereuses,  et 
pour  donner  aux  esprit»  le  temps 


MOU 

de  8e  calmer,  il  présenta  l'arrêté 
suivant  :  «  La  majorité  des  dépu- 
»tés,  délibérant  en  l'absence  de 
»!a  minorité  duement  invitée,  a 
«arrêté  que  les  délibérations  se- 
»  raient  prises  par  tête  et  non  par 
«ordre,  et  qu^on  ne  reconnaîtra 
«jamais  aux  membres  du  clergé 
«et  de  la  noblesse,  le  droit  de  dé- 
»  libérer  séparément.  »  Cette  pro- 
position, accueillie  d'abord  avec 
enthousiasme,  fut  bientôt  regar- 
dée comme  un  moyen  dilatoire. 
La  chambre  des  communes  se  dé- 
clara le  lendemain ,  à  une  grande 
majorité.  Assemblée  nationale.  Un 
autre  incident  vint  aggraver  ces 
difficultés  naissantes  :  une  séance 
royale  devait  avoir  lieu,  et  l'on 
faisait  à  la  salle  de  l'assemblée  les 
dispositions  convenables;  les  dé- 
putés, qui  n'étaient  pas  prévenus, 
s'y  présentèrent,  et  s'en  virent 
refuser  l'entrée;  de  là,  mille  con- 
jectures; ils  se  réfugièrent  dans 
un  jeu  de  paume,  où,  sur  la  pro- 
position de  Mounier,  ils  firent  le 
serment  de  ne  se  séparer  qu'après 
avoir  achevé  la  constitution  :  telle 
est  l'origine  de  celte  fameuse 
séance  du  jeu  de  paume ,  qui  fut 
véritablement  l'ouverture  de  la 
révolution,  en  donnant  à  quel- 
ques membres  la  première  idée 
qui  fut  réalisée  plus  tard  ,  de 
transporter  l'assemblée  à  Paris, 
et  d'y  solliciter  un  asile  contre  les 
dangers  qui  la  menaçaient  à  Ver- 
sailles. La  séani;e  royale,  qui  eut 
lieu  le  25  juin,  n'eut  pas  des  effets 
heureux:  Mounier  n'y  vitqu'un  Ut 
de  justice  incompatible  avec  l'idée 
qu'il  se  faisait  des  états-généraux, 
et  il  a  imprimé,  en  1789  et  eu 
179a,  que  «  la  séance  du  a3  juin 
«était  certainement  une  des  eau- 


MOU 

«ses  quiavaient préparé  l'anarchie 
«qui  déchirait  hi  France.  »  Il  fit 
nommer,  le  6  juillet,  im  comité, 
central,  chargé  d'établir  un  ordre 
de  travail  constitutionnel  ;  chaque 
bureau  devant  fournir  un  de  ses 
membres  pour  sa  formation.  Meu- 
nier fut  choisi  par  le  sien  pour 
commissaire,  et  parle  comité  cen- 
tral pour  rapporteur.  L'occasion 
d'exercer  ces  fonctions  ne  tarda 
pas  à  se  présenter  :  des  Iroupes 
se  rassemblaient  dans  la  capitale  et 
dans  les  environs.  Mirabeau  avait 
proposé  une  adresse  au  roi,  pour 
demander  leur  éloignenienl;  Mou- 
nier,  toujours  en  garde  contre  les 
envahissemens  du  pouvoir,  ne 
manqua  pas  de  l'appuyer;  mais 
en  même  temps  il  fit,  au  nom  du 
comité  central,  le  rapport  le  plus 
favorable  à  l'autorité  royale.  Ce 
discours  parut  calmer  les  esprits, 
et  il  ne  fut  plus  question  du 
renvoi  des  troupes.  Les  disposi- 
tions changèrent  tout-à-coup  à  la 
nouvelle  de  l'exil  de  Necker  et  de 
la  disgrâce  de  ses  collègues;  l'as- 
semblée fut  consternée,  et  un  vio- 
lent mécontentement  se  manifesta 
dans  Paris.  Mou  nier  crut  que  le  rap- 
pel desministres  était  le  seul  remè- 
de aux  maux  qu'il  prévoyait,  et, 
dans  l'intention  de  calmer  les  es- 
prits, il  proposa  une  adresse  au 
roi.  Elle  fut  long-temps  débattue. 
Cependant,  le  sang  coulait  dans 
la  capitale.  L'assemblée  se  déter- 
mina enfin  à  voter  l'envoi  de 
deux  députations  ,  l'une  au  roi 
pour  demander  l'éloignement  des 
troupes,  l'autre  à  Paris,  pour  faire 
cesser  les  désordres.  (] 'était  le  i5 
juillet;  le  14,  on  apprit  que  le  peu- 
ple de  Paris  s'était  emparé  de  la 
Bastille.   Les  circonstances  deve- 


MOU  ao7 

nant  de  plus  en  plus  critiques,  de 
nouvelles  mesures  furent  propo- 
sées; on  commençait  à  les  discuter 
lorsque  Louis  XVI  entra  dans  l'as- 
semblée :  sa  présence  calma  d'a- 
bord toutes  les  agitations,  elles  ces- 
sèrent entièrement  lorsqu'on  l'en- 
tendit engager  les  représentans  à 
s'unir  à  lui  poui-  sauver  l'état ,  an- 
noncer qu'il  avait  donné  l'ordre 
aux  troupes  de  s'éloigner,  et  invi- 
ter l'assemblée  à  faire  connaître  ces 
dispositions  à  la  capitale.  Quelques 
membres  voulaient  néanmoins 
qu'on  exigeât  du  roi  ,  comme  un 
droit  de  l'asscmijlée,  le  rappel  des 
minisires.  Mounier  prétendit  que 
ce  serait  violer  la  prérogative 
royale;  il  soutint  qu'on  devait  se 
borner  à  faire  un  vœu  à  cet  égard, 
en  le  manifestant  par  hi  voie  d'ime 
prière  humble  et  soumise;  son  o- 
pinion  triompha,  mais  elle  devint 
inutile ,  tous  les  ministres  ayant 
donné  leur  démission.  Mounier, 
malgré  quelques  succès  passagers 
en  faveur  d'une  sage  liberté,  s'a- 
percevant  enfin  des  dangers  tou- 
jours croissans  de  la  patrie  ,  ne 
s'occupa  plus  que  des  moyens 
qu'il  jugeait  propres  à  les  préve- 
nir. Il  fit  ou  appuya  toutes  les 
motions  qui  tendaient  à  ce  but,  et 
n'en  continua  pas  moins  ses  tra- 
vaux au  comité  de  constitution  , 
dont  il  soumettait  le  résultat  â 
l'assemblée  nationale.  La  tâche 
de  ce  comité  s'avançant  au  milieu 
de  mille  obstacles ,  elle  devint 
bien  plus  pénible  après  la  séance 
nocturne  du  4  août.  Mounier  ap- 
prouvait l'abolition  des  droits  et 
des  devoirs  féodaux  et  censuels  > 
mais  il  regardait  comme  une  vio- 
lation du  droit  de  propriété  de  le» 
abolir  sans  indemnité.  Ayant  ré- 


ao8 


MOU 


clamé  et  même  protesté  en  vain 
contre  cette  mesure,  il  publia  ses 
Considérations  sur  le  gouverne- 
ment, et  principalement  sur  celui 
qui  convient  à  la  France.  Il  y  pose 
les  bases  d'une  charte  constitu- 
tionnelle ,  telle  à  peu  près  que 
celle  qui  régit  la  France  depuis  la 
première  restauration  en  1S14. 
L'instant  approchait  où  allaient 
s'agiter  deux  questions  importan- 
tes qui  devaient  décider  du  sort 
de  l'état  :  l'une  concernant  la 
sanction  royale,  et  l'autre  la  for- 
mation d'un  corps-législatif.  Mou- 
nier  fit  Je  rapport  du  comité  de 
constitution  le  3i  aoftt,  et,  le  4 
septembre,  il  développa  avec  élo- 
quence deux  des  articles  du  pro- 
jet présenté;  il  proposa  à  l'accep- 
t<ition  de  l'assemblée  la  sanction 
royale  dans  toute  sa  plénitude,  et 
la  division  du  corps-législatif  en 
deux  chambres.  Ses  efforts  furent 
inutiles.  L'assemblée  décréta  une 
chambre  unique  et  permanente; 
et,  ce  qui  est  digne  de  remarque 
pour  la  connaissance  des  causes 
qui  ont  amené  les  excès  de  la  ré- 
volution, le  côté  droit  vota  pour 
une  chambre  unique.  La  sanction 
des  lois  ne  fut  accordée  au  roi  que 
sous  le  nom  de  teto  suspensif. 
Dès  le  lendemain ,  Mounier  et 
quelques  autres  membres  de  son 
opinion  envoyèrent  au  président 
de  l'assemblée  leur  démission , 
motivée  sur  ce  qu'ils  ne  pou- 
vaient plus  rester  membres  d'un 
comité  dont  le  eèle  et  les  lumiè- 
res avaient  inspiré  si  peu  de  con- 
fiance. Toutefois  il  n'en  conserva 
pas  moins  l'eslimede  ses  collègues, 
qui  rélevèrent  à  la  présidence  le 
ii8  septembre  ;  il  accepta ,  parce 
que  le  poste  était  périlleux  et  qu'il 


MOU 

y  avait  quelque  courage  à  braver 
le  danger.  Le  5  octobre  au  malin, 
l'assemblée  avait  arrêté  que  son 
président,  à  la  tête  d'une  grande 
dépulation,  irait  demander  au  mo- 
narque une  acceptation  pure  et 
simple  des  articles  déjà  décrétés 
de  la  constitution  et  de  la  déclara- 
lion  des  droits.  Quelques  individus 
envoyés  par  une  foule  considéra- 
ble rassemblée  à  la  porte  de  la 
salle,  demandaient  du  pain  à 
grands  cris  ,  et  annonçaient  la  ré- 
solution d'en  obtenir  par  la  force. 
«  Le  seul  nioycn  d'obtenir  du 
)>pain  ,  leur  dit  Mounier,  est  de 
«rentrer  dans  l'ordre  :  plus  vous 
"menacerez,  moins  il  y  aura  de 
»pain.  <)  Mounier  se  rendit  au 
château  avec  la  dépulation  de  son 
choix.  Admis  dans  le  cabinet  du 
roi ,  il  lui  soumit  les  mesures  qu'il 
croyait  nécessaire  de  prendre 
dans  la  circonstance;  le  prince  les 
trouva  justes  et  les  adopta  ,  mais 
ceux  qui  l'approchaient  et  qui*a- 
vaient  sa  confiance  ,  mirent  trop 
de  lenteur  à  les  exéculer.  Pendant 
six  heures  qu'ils  perdirent  à  déli- 
bérer ,  une  foule  d'honnncs  des 
plus  basses  classes  avait  envahi  le 
lieu  des  séances,  et  s'y  était  por- 
tée à  toutes  sortes  d'excès.  Lors- 
qu'à dix  heures  du  soir  Mounier 
retourna  dans  l'assemblée  ,  il  la 
trouva  livrée  au  plus  affreux  dé- 
sordre. Etant  parvenu  ,  après  les 
plus  grands  efforts,  à  se  faire  en- 
tendre des  députés,  il  leur  propo- 
sa de  se  rendre  auprès  du  roi  et  de 
lui  faire  un  rempart  de  leurs  corps. 
Mirabeau  opposa  la  dignité  de 
l'assemblée.  Mounier  alla  presque 
seul  chez  le  roi.  C'est  là  qu'était  le 
danger,  mais  le  remède  était  ail- 
leurs ;  avant  d'y  recourir,  il  fut 


MOU  ^ 

témoin  des  sages  dispositions  que 
prenait  le  commandant  de  la  mi- 
lice parisienne,  en  distribuant  ses 
poste*  dans  les  cours  et  aux  envi- 
roDS  du  châleau  ;  il  rentra  ensuite 
dans  l'assemblée  au  moment  mê- 
me oi"i  arrivait  l'acceptation  royale 
si  long-temps  sollicitée.  Il  était 
trois  heures  du  malin,  Teffroi  s'é- 
tait emparé  des  esprits  faibles,  les 
autres  membres  étaient  accablés 
de  fatigues;  Meunier,  crachant  le 
sang,  pouvant  à  peine  se  faire  en- 
tendre ,  se  serait  exposé  à  tout 
pour  prévenir  les  dangers  qu'il 
redoutait ,  mais  il  fut  obligé  de 
céder  à  la  nécessité.  Il  alla  pren- 
dre quelques  heures  de  repos.  Ou 
cocuiait  les  événemens  de  cette 
nuit.  iMounier  quitta  son  poste 
pour  ne  pas  paraître  participer  à 
des  mesures  qu'il  désapprouvait. 
Une  nouvelle  assemblée  pouvait 
seule  à  ses  yeux  arrêter  la  marche 
rapide  des  événemens,  et  son 
jtrojet  était  que  tous  les  députés  se 
rendissent  auprès  de  leurs  com- 
nsettans  ^our  en  solliciter  de  nou- 
veaux choix;  c'est  dans  cette  vue 
que  le  7  octobre  au  soir  il  délivra, 
tn  sa  qualité  de  président,  plus  de 
Ouo  passeports  à  des  députés  qui 
partageaient  ses  opinions.  Le  8,  il 
venait  d'envoyer  sa  démissioti  et 
était  encore  rempli  de  l'imprcs- 
sit)n  que  lui  avait  causée  cette  ré- 
solution extrême,  lorsque  le  com- 
te de  Lally  entrant  chez  lui  et  le 
trouvant  absorbé  dans  ses  ré- 
flexions, lui  demanda  :  «A  quoi 
»  pensez -vous  si  profondément? 
n — Je  pense,  répondit  Mounier, 
»  qu'il  faut  se  battre.  Le  Dauphiué 
l'a  appelé  les  Français  à  établir  la 
0  liberté;  il  faut  qu'il  les  appelle 
•  aujourd'hui  à  défendre  la  royau- 
T.  xir. 


MOU 


20f) 


V  lé.  J'ai  déjà  écrit  à  notre  com- 
»  mission  intermédiaire;  je  lui  de- 
D  mande  une  protestation  contre 
«les  actes  d'une  assemblée  qui  ne 
1)  peut  plus  être  regardée  comme 
»  libre;  puis  la  convocation  de  nos 
•  étals.  Le  reste  suivra.  »  Tous 
deux  jiigeant  qu'il  n'y  aurait  pas 
de  sûreté  pour  eux  dans  la  capi- 
tale, partirent  le  jour  même.  Mou- 
nier trouva  à  Grenoble  quelques 
personnes  disposées  à  suivre  ses 
instructions  :  déjà  des  protesta- 
tions contre  les  actes  d'une  as- 
semblée qu'il  disait  asservie  a- 
vaient  été  imprimées;  mais  bien- 
tôt le  roi  défendit  comme  illéirale 
toute  espèce  d  assemblée  d'états, 
et  annula  toutes  les  résolutions 
qui  auraient  pu  y  être  prises.  Mou- 
nier, contrarié  dans  ses  Tues,  re- 
nonça à  toute  idée  de  résistance, 
et  vécut  dans  la  retraite, cherchant 
des  consolations  dans  ses  souve- 
nirs; il  employa  ses  loisirs  à  ren- 
dre compte  de  sa  conduile  à  l'as- 
semblée dans  un  ouvrage  intitulé  : 
Exposé  de  la  conduite  de  Mounier  y 
etc.  Cet  écrit  ne  laissa  aucun  dou- 
te sur  ses  principes,  ses  inlen- 
tions,  la  marche  qu'il  avait  suivie 
et  le  but  où  il  voulait  arriver,  mais 
ne  satisfit  pas  tout  le  monde,  parce 
que  le  rang  oiï  il  s'était  placé  par- 
mi ses  collègues  lui  faisait,  disait- 
on ,  un  devoir  de  l'occuper  plus 
long-temps  :  il  était  un  de  ceux 
qui  avaient  le  plus  influé  sur  la 
direction  qu'avait  suivie  l'assem- 
blée nationale  ;  il  avait  été  une  des 
principales  causes  de  la  fusion  des 
ordres  et  du  vote  par  tête;  il  avait 
provoqué  le  serment  du  jeu  de 
Paume,  qui  privait  le  roi  du  droit 
de  dissoudre  l'assemblée;  il  avait 
souteou  que  la  déclaratioa  des 
»4 


210  MOU 

droits  cl  la  constitution  ne  de- 
vaient être  soumises  qu'à  l'accei)- 
tation  el  non  pas  à  la  sanction  du 
roi,  et  c'était  cette  acceptation 
pure  et  simple,  attendue  depuis 
six  mois,  qu'il  se  plaignait  de  n'a- 
voir reçue  qu'à  lo  heures  du  soir 
le  5  octobre.  Cette  journée  et  la 
suivante,  ainsi  que  la  translation 
de  l'assemblée  dans  la  capitale, 
rendaient  les  fonctions  de  dépu- 
té plus  difficiles,  mais  ne  pou- 
vaient pas  dispenser  de  subir  les 
conséquences  des  précédens  aux- 
quels on  avait  pris  part,  et  Meu- 
nier, disait  -  on,  devait  s'j  sou- 
mettre plus  qu'un  autre.  D'ailleurs 
l'ascendant  de  ses  vertus  et  des 
services  qu'il  n'avait  cessé  de  ren- 
dre, sa  voix  éloquente  et  patrio- 
tique, en  ralliant  autour  de  lui  les 
vrais  amis  du  trône  et  de  la  liber- 
té, les  auraient  peut-être  garantis 
l'un  et  l'autre  de  la  chute  ot^  les 
entraînèrent  dans  la  suite  l'exagéra- 
tion des  esprits  et  les  intrigues  de 
l'étranger.  Mounier  ne  jouit  pas 
du  repos  qu'il  s'était  promis.  Bien- 
tôt son  dévouement  au  roi  le  fit 
signaler  conmie  un  traître,  et  la 
crainte  de  compromettre  les  hom- 
mes honnêtes  qui  lui  prodiguaient 
des  marques  d'estime ,  l'obligea 
de  quitter  sa  patrie;  il  y  revint 
néanmoins  au  mois  de  janvier 
ij-go,  avec  le  comte  de  Lally; 
mais  les  dangers  toujours  crois- 
sans  qui  l'environnaient,  le  déci- 
dèrent à  se  rendre  en  Savoie ,  et 
il  arriva  à  Chambéri  le  23  mai 
1790.  Il  y  trouva  sa  femme  et  ses 
enfants  qu'il  avait  envoyés  en  a- 
vant,  ne  voulant  pas  se  séparer 
d'eu?  pendant  un  exil  qu'il  pré- 
voyait devoir  être  long.  C'est  à 
Genève  où  il  se  fixa  d'abord,  qu'il 


MOU 

écrivit  son  Appel  à  l'opinion  pu- 
blicfue  (Genève,  1790,  1  vol.  in- 
S*"),  ouvrage  dans  lequel  il  dé- 
tailla les  événemensdes  5  et  H  oc- 
tobre, en  développant  les  causes 
auxquelles  il  les  attribue.  De  Ge- 
nève, qu'il  fut  obligé  d'abandon- 
ner, il  se  rendit  à  Berne,  où  les 
magistrats  l'accueillirent  avec  une 
distinction  particulière;  les  con- 
seils qu'il  eut  occasion  de  donner 
à  celte  sage  république,  appré- 
ciés comme  d'importans  services, 
lui  valurent  de  la  part  du  petit- 
conseil  une  grande  médaille  d'or 
dont  l'exergue  portait  :  J .  J .  Mou- 
nier, civi  gallico,  de  republicâ  be~ 
nèmerito.  Il  profita  de  son  séjour 
à  Genève  et  en  Suisse  pour  écrire 
et  publier  ses  Recherches  sur  les 
causes  qui  ont  empêché  les  Fran- 
çais de  devenir  libres,  etc.  (2  vol. 
in-8°,  Genève,  1792),  un  des  ou- 
vrages les  plus  distingués  qui 
aient  été  faits  sur  la  révolution. 
M.  Geutz  l'a  traduit  en  allemand, 
et  y  a  ajouté  des  notes.  Pour  ne 
pas  exposer  à  une  mort  certaine 
ceux  de  ses  concitoyens  qui  lui 
auraient  envoyé  des  secours  dont 
sa  famille,  qui  allait  être  augmen- 
téed'un  troisième  enfant,  allait  a- 
voir  besoin,  il  se  chargea  de  l'é- 
ducation du  fils  d'un  pair  de  la 
Grande-Bretagne,  ce  qui  l'obligea 
de  se  rendre  à  Londres.  Il  y  reçut 
des  lords  Grenvilie,  de  Loiigbo- 
rough  et  du  roi  lui-même,  auquel 
il  fut  présenté  par  lord  Hawke  et 
le  comte  de  Lally,  l'accueil  le  plus 
flatteur.  On  lui  offrit  la  place  de 
grand-juge  au  Canada  avec  de* 
appointemens  considérables  ;  mais 
il  fallait  renoncer  à  sa  patrie,  et  il 
ne  put  en  supporter  l'idée.  De  re- 
tour en  Suisse  auprès  de    sa  fa- 


MOU  / 

mille,  il  en  parcourut  tous  les 
caillons  avec  son  élève,  pour  en 
connaître  les  dift'érentes  constitu- 
tions, et  pénétra  jusqu'à  Milan  ; 
il  y  fut  reçu  avec  tous  les  égards 
dus  au  mérite  malheureux.  >lou- 
nier,  témoin  de  Tabus  qu'on  avait 
fait  en  France  du  dogme  de  la 
souveraineté  du  peuple,  voulut 
en  détruire  les  séduisantes  illu- 
sions en  composant  un  ouvrage 
intitulé  :  Adolphe  (Berne,  ijQ-îi 
in-S"),  et  crut  avoir  bien  servi 
son  pays  en  le  publiant.  Les  dé- 
sastres dont  fut  victime  à  cette 
époque  la  république  de  Genève, 
subjuguée  par  les  idées  d'indé- 
pendance qui  régnaient  en  Fran- 
ce, furent  l'objet  d'un  nouvel  ou- 
vrage qu'il  intitula  :  Relation  des 
mallieurs  de  Gencce.  Il  prévit  a- 
lors  que  la  Suisse  ne  resterait  pas 
long-temps  tranquille  spectatrice 
des  orages  qui  l'environnaient  , 
et  jugea  qu'elle  ne  serait  bientôt 
plus  un  lieu  de  sûreté  pour  lui; 
il  la  quitta  au  mois  d'octobre 
1795,  se  rendit  à  Erfurt  et  de  là 
à  Weimar.  Tous  le?  genre*»  d'af- 
Ûictions  devaient  l'assaillir  en  mê- 
me temps;  jusque-là  il  avait  trou- 
vé dans  son  bonheur  domestique 
une  sorte  de  compensation  aux 
chagrins  de  voir  sa  patrie  en  proie 
à  la  violence  des  partis,  et  celte 
consolation  lui  fut  enlevée  :/il  per- 
dit son  épouse.  Le  soin  qu'il  de- 
vait à  ses  enfans  encore  jeunes , 
put  seul  lui  df)nner  le  courage  de 
supporter  cette  perte  ;  njais  les 
efforts  mêmes  qu'il  fit  pour  sur- 
monter sa  doideur,  n'en  furent 
pas  moins  le  germe  de  la  maladie 
qui  l'emporta  quelques  années  plus 
tard.  iMounier,  cédant  alors  à  la  pro- 
position que  lui  fil  le  duc  de  Wei- 


MOL'  an 

inar,  de  former  un  établissement 
d'éducation  dans  un  de  ses  châ- 
teaux, nommé  le  Belvédère,  fit 
annoncer  qu'il  ne  >e  chargerait 
que  des  jeunes  gens  qui,  se  dé- 
vouant aux  fonctions  publiques, 
avaient  besoin  de  compléter  leur 
éducation.  Cet  établissement,  com- 
me tous  ceux  de  ce  genre,  ne  se 
peupla  que  très-lenlement,  mais 
enfin  il  réunit  un  assez  grand  nom- 
bre d'élèves  allemands,  et  surtout 
anglais,  sur  lesquels  il  exerça  le 
plus  grand  ascendant  par  le  dé- 
vouement avec  lequel  il  se  livra  à 
leur  instruction  :  outre  la  surveil- 
lance générale,  il  leur  fit  des  cours 
de  philosophie,  de  droit  public  et 
d'histoire,  et  il  lui  resta  encore 
assez  de  momens  pour  composer 
uii  ouvrage  intitulé  :  De  l'influen- 
ce  altriliuêe  aux  philosophes,  aux 
francs-maçons  et  aux  illuminés,  sur 
la  rétolution  française ,  in-S",  Tu- 
biuge,  1801;  Paris,  1S21.  Il  don- 
ne dans  la  première  partie  ses 
idées  sur  les  causes  de  la  révolu- 
tion ;  il  traite  les  denx  suivantes 
avec  la  candeur  et  l'esprit  de  jus- 
tice qui  le  caractérisaient,  et  pré- 
sente dans  la  dernière  un  tableau 
aussi  impartial  que  satisfaisant  de 
tout  ce  qu'on  avait  écrit  de  mieux 
sur  cette  matière.  Il  existe  de  cet 
ouvrage  deux  traductions,  l'une 
anglaise,  l'autre  allemande.  Le  18 
brumaire  ayant  annoncé  le  retour 
de  l'ordre  en  France,  Mounier  solli- 
cita et  obtint  sa  radiation  de  la  liste 
des  émigrés,dans  les  premiers  mois 
de  1801;  il  se  rendit  à  Grenoble 
au  mois  d'octobre  suivant.  Son 
intention  était  de  reconstruire  à 
Lyon  l'établissement  qu'il  venait 
d'abandonner,  mais  cédant  aux 
sollicitations  de  ses  anciens  collé- 


213  MOU 

gnes.ilfit  le  voyage  de  Paris,  et  ne 
put  ré:>ister  aux  instances  qu'ils 
lui  firent  de  servir  encore  son  pays 
sous  un  gouvernement  qui  com- 
mençait sous  les  plus  heureux 
auspices.  On  lui  ofîrit  et  il  ac- 
cepta, au  printemps  de  1802, 
les  fonctions  de  préfet  du  dé- 
partement d'Ille- et -Vilaine.  La 
terreur  et  la  guerre  civile  avaient 
tour- à- tour  exercé  leurs  fureurs 
dans  ce  malheureux  pays.  Il  lui 
fallait  un  administrateur  juste  et 
ferme,  pour  cicatriser  des  plaies 
encore  sanglantes,  et  Mounier  é- 
tait  éminemment  l'un  et  l'autre, 
prêt  à  servir  le  pouvoir  contre  les 
désorganisateurs,  et  à  protéger  les 
citoyens  contre  les  envahissemens 
du  pouvoir.  luihu  des  principes 
du  gouvernement  constitutionnel, 
le  seul  qu'il  croyait  convenir  à  sa 
patrie,  il  en  faisait  constamment 
la  règle  de  sa  conduite,  réprimant 
tous  les  excès,  et  repoussant  tou- 
tes,les  mesures  arbitraires.  Appelé 
à  Paris,  sur  la  fin  de  i8o4,  il  de- 
manda à  passer  dans  un  départe- 
ment dont  le  climat  lui  fût  plus 
favorable  ;  la  crainte,  sans  doute, 
de  ne  pas  le  trouver  assez  docile 
aux  mesures  du  gouvernement,  fit 
écarter  sa  demande,  et  Napoléon, 
par  forme  de  compensation ,  le 
nomma  conseiller-d'étal.  Mounier 
y  conserva  son  indépendance  ,  et 
mérita  cet  éloge  du  chef  de  l'état: 
«  Oh  1  pour  celui-là,  c'est  un  hon- 
»nête  homme;  je  sais  ce  qu'il 
«pense.  »  Mounier  goûta  enfin 
le  bonheur  dans  la  capitale  :  en- 
touré de  ses  enfans  et  de  ses 
nombreux  amis,  il  s'occupait,/ a- 
nrès  avoir  rempli  ses  fonctions 
publiques,  à  revoir  ses  cours  du 
Belvédère^  pour  les  refondre  en- 


MOTJ 

suite  et  les  publier.  La  mélapliy- 
sique  et  la  politique  surtout,  fai- 
saient le  sujet  le  plus  ordinaire  de 
ses  conversations  ;  il  développait, 
avec  complaisance,  ses  idées  sur 
la  irjouiirchie  constitutionnelle  , 
pour  laquelle  il  avait  combattu 
quinze  ans  auparavant.  Bientôt 
ses  forces  l'abandonnèrent,  et  il 
ne  lui  resta  plus  que  son  zèle  pour 
continuer  ses  travaux  :  une  mala- 
die de  foie,  dont  il  était  depuis 
long-temps  attaqué  ,  ayant  pris 
tout -à-coup  un  caractère  alar- 
mant, on  vit  se  manifester  les 
symptômes  d'une  hydropisie  de 
poitrine,  et  il  expira  le  2G  janvier 
1806.  Son  éloge  funèbre  fut  pro- 
noncé par  Regnault-de-Saint- 
Jean-d'Angely,  son  ancien  collè- 
gue, qui  le  peignit  d'un  mot,  en 
disant  de  lui  :  Cet  homme  avait  la 
soif  de  Justice.  Un  Eloge  histori- 
que de  Mounier  fut  aussi  publié 
quelque  temps  après,  à  Grenoble, 
par  M.  Berriat-Saint-Prix;  on  y 
trouve  des  détails  intéressans.  Au 
reste,  l'histoire  de  Mounier  est 
tout  entière  dans  les  écrits  men- 
tionnés précédemment  ;  il  s'y  est 
peint  tel  qu'il  était  réellement; 
il  y  rend  compte  de  ses  actions,  et 
même  de  ses  pensées,  et  si  l'on 
veut  avoir  une  notion  juste  de  son 
caractère,  on  ajoutera  à  tout  ce 
que  nous  avons  dit  de  cet  homme 
estimable,  ce  vers  de  Virgile  qui  se 
trouve  au  bas  de  l'un  de  ses  por- 
traits : 

Illum  non  populi  fascts^  non  purpura  rcgum  fitxit, 
MOUNIER  (  LE  BARON  CLArOE- 

Edocard  Philippe),  fils  du  précé- 
dent, est  né  à  Grenoble  en  1784; 
il  suivit  sa  famille  à  l'étranger, 
et  rentra  en   France  avec  elle  ù 


MOU  * 

l'époque  du   i8  brumaire    an   8. 
11  était  auditeur  au  conseil -d'état 
lors  de  la  mort  de  son  père,  à  Toc- 
casion  de  Inquelle  l'empereur  lui 
téraoi{jna  des  regrets  qui   hono- 
riiienl  la  mémoire  du  déftmt,  et 
donnaient  à  M.  Motmier  fils  Tes- 
poir  que  le  chef  du  gouvernement 
s'intéresserait  à  sa  fortune.  En  ef- 
fet ,  il  fut   nommé  secrétaire  du 
cabinet  en  i8og,   maître  des  re- 
quêtes en  iSio,  et,  le  12  décem- 
bre 181 5,  il  prêta  sei-ment  en  qua- 
lité d'intendant  des  bâtimens  de 
la  cûuroime.    Il  avait  été  précé- 
demment gratifié,  par  Napoléon, 
d'une  action  de  23,000  francs  sur 
le  Journal  de  C Empire  (aujour- 
d'hui Journal  des  Débats)^  au  mo- 
ment où  il  était  devenu  propriété 
de  l'état.  Le  roi,  à  son  retour  en 
iSi/},  le  maintint  dans  ses  em- 
plois ;  et  le  collège  électoral   de 
(irenoble  le  porta,  en  181 5,  com- 
me candidat    à   la    chambre  des 
députés.    Dans  la  même   année, 
conseiller-d'état ,   et  chargé  ,   en 
iSi;*,  de  présider  la  commission 
mixte  de  liquidation,  il  fut  nom- 
mé, vers  le  même  temps,  direc- 
teur-général des  domaines,  et,  en 
18  ig,  directeur- général  de  l'ad- 
ministration départementale  et  de 
la  police.  Administrateur  sage  et 
modéré,  il  laissa  des  regrets  lors- 
qu'il quitta  celte  dernière  direction 
au  changement  de  ministère.  En 
1S19,  il  a  été  nommé  pair  deFiauce. 
MOLl\AD-BEY,  le  plus  redou- 
table des  chefs  de  Mamelouks  que 
l^'s  Français  eurent  ù  combattre  en 
Egypte,  naquit  en  Circassie  vers 
i;5o,  et  fut  acheté,  dans  son  en- 
fance, par  Mohamed  Abou-Dha- 
hdb,  sous  les  auspices  duquel  ses 
lidens  el  .-on  courage  le  firent  éle- 


MOU 


2l3 


ver  an  nng  des  24  beys  qui  gou- 
vernaient riî'gypte.  En  1770,  il 
signala  sa  valeur  contre  Ali-Fey, 
qu'il  vainquit  et  fit  prisonnier.  A- 
près  la  njort  de  Mohamed ,  en 
1776,  il  conçut  le  projet  de  s'em- 
parer du  gouvernement  du  Caire, 
auquel  prétendait  Ibrahim-Bey,et 
partit  d'Acre  pour  combattre  ce 
dernier.  Les  forces  des  deux  rivaux 
étaient  à  peu  près  égales;  mais  é- 
galeuient  frappés  de  la  crainte  que 
qnelqu'autre  prétendant  ne  s'éle- 
vât sur  les  ruines  de  celui  qui  suc- 
comberait dans  la  lutte,  ils  résolu- 
rent de  faire  la  paix,  et  après  une 
courte  négociation,  ils  convinrent 
de  partager  la  puissance  sous  les 
titres  de  C/u'U-al-Belad ,  pour  I- 
brahim,  et  d'Ernir-el-HadJ,  pour 
Mourad  :  cet  accord  était  fait  à  pei- 
ne, qu'une  ligue  des  anciens  beys, 
à  la  tête  desquels  était  Ismaël,  se 
forma  contre  eux.  Obligés  de  cé- 
der à  l'orage,  ils  se  réfugièrent  d'a- 
bord dans  le  château  du  Caire , 
d'où  Us  parvinrent  à  gagner  la 
Haute-Egypte.  Ils  en  revinrent 
bientôt  avec  des  forces  considéra- 
bles, et  après  une  longue  alterna- 
tive de  succès  et  de  revers,  mal- 
gré les  fréquentes  divisions  que 
l'ambition  formait  entre  eux,  mais 
que  leur  intérêt  commun  faisait 
toujours  cesser,  ils  vainquirent  Is- 
maiil  et  les  autres  beys,  et  les  for- 
cèrent de  reconnaître  leur  domi- 
nation. En  1 786,  la  Porte-Ottoma- 
ne, voulant  ressaisir  son  autorité 
presque  perdue  dans  ce  pays,  en- 
voya au  Caire  le  capitan-pacha 
Ghazy-Haçan.  qui  obtint  quelques 
avantages  sur  Mourad  et  Ibrahim, 
et  nomma  pour  les  remplacer  les 
beys  Ilacen  et  Ismaël;  mais  tandis 
qu'il  g'oecf.pait  spécialement  ù  le- 


31 A  MOU 

ver  au  Caire  une  contribution  de 
45  millions,  les  troupes  ottoma- 
nes furent  complètement  battues 
par  les  Mamelouks.  Le  capitan- 
pacha  quitta  l'Egypte,  où  les  nou- 
veaux beys,  qu'il  avait  investis  du 
pouvoir,  ne  purent  se  soutenir  con- 
tre leurs  redoutables  adversaires. 
Ces  deux  chefs  ayant  réussi  à  ne 
laisser  au  gouvernement  du  grand- 
seigneur  qu'une  ombre  d'autorité, 
représentée  par  un  pacha,  auquel 
on  payait  un  faible  tribut,  donnè- 
rent alors  un  libre  cours  à  leur  am- 
bition, et  se  disputèrent  souvent 
la  suprématie  les  aru)es  à  la  main; 
cependant  ils  paraissaient  vivre  en 
bonne  intelligence,  lorsque  les 
Français,  sous  la  conduite  du  gé- 
néral en  chef  Bonaparte,  débar- 
quèrent en  Llgyple,  et  ceux-ci  eu- 
rent à  combattre,  d'une  part,  les 
beys  et  leur  milice  (les  Marner 
louks),  et  de  l'autre,  le  pacha  et 
les  troupes  ottomanes.  Quoiqu'u- 
nis  par  les  mêmes  intérêts,  les 
deux  beys  n'opposèrent  point  aux 
Français  la  même  résistance;  Ibra- 
him, à  qui  Mourad  reprochait  de 
les  avoir  attirés  par  sa  conduite  ty- 
rannique ,  après  leur  avoir  livré 
quelques  combats  partiels,  sem- 
bla depuis  presque  toujours  fuir 
devant  eux,  tandis  que  Mourad, 
fortement  décidé  à  défendre  l'E- 
gypte, midgré  ses  défaites  à  Rha- 
inanié  et  à  Chel)reisse,  reparut 
plus  terrible  sur  le  champ  de  ba- 
taille des  Pyramides,  où  la  valeur 
française  put  seule  trioiiipher  de 
?on  active  persévérance.  Dans  cet- 
te mémorable  journée,  il  osa,  avec 
5  ou  6,000  Mamelouks,  soutenir 
l'attaque  de  3o, 000  guerriers  habi- 
tués à  vaincre.  Cependant  la  per- 
te de  SCS  chameaux,  de  ses  baga- 


MOU 

ges  et  de  presque  toute  son  artil- 
lerie, le  contraignit  de  gagner  1» 
Haute-Egypte,  quand,  de  son  côté, 
Ibrahim,  plus  prudent  que  belli- 
queux, se  relirait  dans  la  Syrie, 
en,  côtoyant  la  rive  droite  du  Nil. 
Chargé  de  poursuivre  Mourad, 
l'infatigable  Desaix  ne  cessa  de  le 
harceler  dans  sa  fuite  ;  mais,  tou- 
jours battu  et  repoussé,  le  bey 
trouvait  constamment  de  nouvel- 
les ressources  dans  son  activité  et 
«on  génie.  Desaix  néanmoins  par- 
vint à  l'éloigner  déflnitivement  du 
INil,  en  remportant  sur  lui  1  iiupm'- 
tante  victoire  de  Sédiman,  qui  ou- 
vrit aux  Français  l'entrée  de  la 
Haute-Egypte.  Lorsqu'après  avoir 
levé  le  siège  d'Acre,  nos  troupes, 
évacuèrent  la  Syrie,  Mourad,  qui 
était  parvenu  à  organiser  de  nou- 
velles forces,  fit  une  tentative, 
dont  le  but  était  de  favoriser  la 
descente  de  la  flotte  turque;  mais, 
après  des  efforts  infructueux,  il  fut 
encore  obligé  de  regagner  la  Hau- 
te-Egypte, pour  y  réparer  ses  per- 
tes. Ce  qui  lui  en  assurait  les 
moyens,  c'est  que  persomie  ne 
connaissant  comme  lui  toutes  les 
routes  du  désert,  bien  que  cons- 
tamment battu,  il  réussissait  tou- 
jours à  s'échapper  avec  un  petit 
nombre  de  cavaliers  d'élile,  prêts 
à  reprendre  l'olfensi  Vf, aussitôt  que 
l'occasion  s'en  présentait.  Après 
le  retour  du  général  en  chef  Bona- 
parte ejr»  Europe,  Kléber,  à  qui  il 
avait  laissé  en  partant  le  comman- 
dement de  l'armée  française  d'O- 
rient, eut  une  entrevue  avec  Mou- 
rad-Bey,  qui  depuis  long-temps 
la  désirait  :  elle  eut  lieu  dans  une 
île  au-dessus  de  Djizeb,  où  ces 
deux  braves  conclurent  la  paix, 
le  ôo  avril  »8oo,  dix  jours  aprc:> 


AiOU  / 

la  célèbre  victoire  d'HéliopoIis , 
remportée  par  le*  Français  sur  l\ir- 
mée  turque ,   commandée  par   le 
grand-visir.  Mourad,  pénétré  d'es- 
time pour  la  valeur  et  la  franchi- 
se reconnue   du  général  en  chef 
Kléber,  lui  jura  une  amitié  qui  ne 
s'est  jamais  démentie,  et  consen- 
tit à  recevoir,  au  nom  de  la  Fran- 
ce, le  litre  de  prince  gouverneur 
des    provinces    d'Assouan   et    de 
Djirdjeh,  dans  le  Saïd  (Haute-E- 
gypte). Depuis  celle  époque,  ûdè- 
le  à  ses  eugagemens,  il  contribua 
de  tous  ses  moyens  au  succès  des 
opérations  de  l'armée  française. 
Après  la  mort  funeste  de  Kléber, 
Mourad  envoya  proposer  des  se- 
cours au  général  .>lenou,  son  suc- 
cesseur, en  lui  faisant  remettre, 
par  un  de  ses  officiers,  le  plan  de 
campagne  des  Anglo-Turcs,  et  les 
propositions   du    grand-visir.    Le 
général  français,  par  un  motif  de 
défiance  que  l'on  conçoit  diincile- 
ment,  refusa  l'offre  du  bey,  qu'on 
sf  trouva  obligé  de  solliciter  ()lus 
tard,  et  dans  des  circonstances  qui 
rendirent  son  intervention  sans  ef- 
fet. Les  revers  des  Français  affligè- 
rent  sensiblement    Mourad-Bt-y; 
l'estime  qu'il  avait  conçue   pour 
eux,  l'empêchades'uniràleurs  en- 
nemis; enûn.  il  ne  participa  nulle- 
ment aux  événemens  qui  les  for- 
cèrent d'abandonner  TEgypte.   Il 
mourut,  après  trois  jours  de  mala- 
die,  le  22  avril  »8oi.  On  a  varié 
sur  les  causes  de  cette  mort,  que, 
dans  quelques  récits,  on  attribue  ù 
une  attaque  de  peste,  et  dans  d'au- 
tres à  une  tasse  de  café  empoison- 
née. Mourad-Bey,  sans  être  d'une 
haute  stature,  était  un  homme  de 
très  bonne  mine;  il  possédait  cet 
jiir  de  dignité  que  donne  assez  or- 


MOU  2i5 

dintîirement  l'exercice  d'un  grand 
pouvoir;  il  joignait  l'adresse  à  la 
force  du  corps,  était  somptueux 
dans  ses  habits,  et  sa  magniûceu- 
ce  égala  qut-lquefois  celle  des  an- 
ciens despotes  de  l'Asie.  On  lui  re- 
proche avec  raison  quelques  actes 
de  cruauté,  malheureusement  trop 
communs  dans  ces  contrées,  où 
la  civilisation  est  encore  imparfai- 
te ;  cependant  il  montra  en  beau- 
coup d'occasions  de  la  grandeur 
d'âme.  La  fermeté,  la  franchise 
et  la  loyauté  formaicat  le  fond  de 
son  caractère. 

MOURADGEAD'OHSSON,  é- 
crivain    ottoman,  envoyé   extra- 
ordinaire de  Suède  à  Constantino- 
ple,   naquit  dans  cette  ville.    Sa 
famille,  originaire  de   la   Grèce, 
l'éleva  avec  soin  et  le  fit  attacher 
de  bonne  heure  à  la  légation  de 
Suède,  près  de  la  sublime  Porte. 
II  suivit,  avec  succès,  la  carrière 
diplomaiique,  et  parvint,  avec  ra- 
piilité,  au  poste  de  chargé  d'aifai- 
res,  puis  de  ministre  plénipoten- 
tiaire, enfin,  d'envoyé  extraordi- 
naire.   Ses  talens  et  ses  services 
furent  récompensés  par  l'ordre  de 
W'asa.   La  diplomatie  ne  remplis- 
sait pas  tellement  sa  vie  active  et 
laborieuse,  qu'il  ne  trouvât  enco- 
re le  temps  de  se  livrer  à  la  cul- 
ture des  lettres.  A  l'âge  de  moins 
de  a5  ans,  il  possédait  à  fond  les 
langues  orientales    et  connaissait 
parfaitement  les  annales  de  sa  pa- 
trie, qu'il  avait  étudiées  dans  la 
langue  originale.  Très-instruit  des 
moeurs  et  des  usages  de  l'Orient, 
il  résolut,  pour  mettre  à  exécution 
le  projet  que  depuis  long-temps  il 
avait  formé,  de  donner  l'histoire 
générale  de  l'empire  ottoman,  de 
se  procurer  des  luatériaux  dignes 


aiG 


MOU 


de  confiance,  sur  les  pratiques  in- 
térieures du  sérail,  de  la  mosquée, 
et  même  sur  l'histoire  secrète  des 
principales  familles:  il  obtint  des 
renseignemens  précieux.  Libre  de 
choisir  le  lieu  où  il  pourrait  se  li- 
•vrer  à  la  mise  en  ordre  de  cet  im- 
portant travail,  il  vint  à  Paris,  en 
1761,  et  s'y  maria  quelques  années 
après.  Le  premier  volume  du  Ta- 
bleau général  de  l'empire  ottoman, 
parut  en  1788;  le  second,  en  1789, 
et  successivement  le  Tableau  his- 
torique de  l'Orient  et  VHistoire  de 
(a  maison  ottomane,  depuis  Os- 
man I"  jusf/u^au  Sultan,  m^ort  en 
1768.  Ell'rayé  des  orages  de  la  ré- 
volution, il  se  relira  à  Constanti- 
nople.  C'est  pendant  le  séjour 
qu'il  fit  dans  celte  ville,  que  Sé'^ 
lim  m,  saiisfait  de  la  portion  de 
travail  que  Monradgca  d'Ohsson 
avait  publiée,  fit  mettre  à  sadispo- 
sition,  tous  les  dépôts  où  il  pour- 
rait puiser  des  renseignemens  pro- 
pres à  compléter  son  ouvrage.  Le 
calme  rétabli  en  France,  Mourad- 
gea  d'Ohsson  revint  ù  Paris  :  il  y 
acheva  le  grand  ouvrage  dont 
nous  avons  précédemment  parlé, 
et  y  mourut,  généralement  re- 
gretté, dans  le  courant  de  1807. 

MOURCIN  (Joseph  de),  licen- 
cié en  droit  et  helléniste,  appar- 
tient à  une  f;miille  ancienne  de 
Périgneux,  où  il  est  né,  le  0.7  juin 
1784.  Il  ût  ses  études  dans  sa 
■ville  natale,  et  vint  jeune  encore 
à  Paris.  Après  s'y  être  fait  rece- 
voir licencié  en  droit,  il  se  livra 
exclusivement  à  la  lillérature  an- 
cienne. Il  a  publié  :  1°  Lexique 
fvec- français  de  tous  la  laots  con- 
tenus dans  les  fables  d' Esope  ,  /es 
riialogues  des  morts,  le  Songe  ou 
le  Coq,  Char  on  ou  les  Contempla- 


tion 

teurs,  Paris,  1  vol.  in- 12,  1812; 
nouvelle  édition  ,  Paris  ,  in-12  , 
1 8 1 5.  1°  Sermens  prêtés  à  Stras- 
bourg en  8ZJ2,  par  Chartes-le-Chau- 
ve,  Louis-le-ùermanique,  et  leurs 
armées  respectives ,  recueillis  de 
Nithard  ,  manuscrit  de  la  biblio- 
thèque du  roi,  traduit  en  fi-ançais 
et  publié  à  Paiis  en  181  5,  in-8°. 
5"  On  connaît  encore  de  M.  de 
Mourcin,  d'après  des  lettres  parti- 
culières, dilTéiens  fragmens  d'un 
Traité  des  noms  propres  et  d'une 
Grammaire  romaine ,  dont  on  at- 
tend la  publication;  4"  plusieurs 
Morceaux  traduits  de  l'arménien 
en  français. 

MOdllEAU  (Agricol),  avocat 
à  la  cour  royale,  né  h  Avignon  en 
1766,  fit  de  bonnes  études  au  col- 
lège que  les  doctrinaires  avaient 
dans  cette  ville,  et  entra  dans  leui» 
congrégation  à  l'âge  de  16  ans. 
Lorsque  la  révolution  survint,  il 
était  [)rofesseur  de  rhétorique  au 
collège  de  Beaucaire.  Le  discours 
d'ouvertiu'e  des  classes  fut  ,  à  la 
demande  du  maire,  prononcé  eu 
français;  il  traitait  des  devoirs  des 
citoyens  envers  la  patrie.  La  mu- 
nicipalité fit  imprimer  co  discours, 
que  l'auteur,  à  la  sollicitation  des 
autorités  constituées  de-  JNimes  , 
alla  répéter  dans  cette  ville,  lin 
1791  ,  il  fut  nommé  procureur 
de  la  commune  de  Beaucaire.  Il 
justifia  l'estime  publique  comme 
bon  professeur  et  comme  admi- 
nistrateur actif  et  éclairé.  Il  sauva 
de  la  fureur  populaii-e,  autant  par 
sa  présence  d'esprit  que  par  sa 
fermeté  ,  en  le  couvrant  de  son 
écharpe ,  un  des  plus  violens  si- 
phoniers  d'Arles  ,  nom  que  l'on 
donnait  dans  cette  ville  aux  parti- 
sans de  l'aristocratie, dont  les  réu~ 


MOU  ' 

nions  avaienl  lieu  au  cercle  appelé 
la  Siphone ,  comme  on  appelait 
Monnaidif.rs  les  patriotes  ,  parce 
qu'ils  tenaient  leurs  assemblées 
dans  un  autre  Iie\i  public  situé  au 
quartier  de  la  Monnaie.  Tant  que 
M.  iMourcau  demeura  à  Beaiicaire, 
la  plus  grande  union  régna  entre 
les  citoyens  de  cette  ville.  A  la 
suppression  des  congrégations  en- 
seignantes, vers  la  fin  de  1792,  M. 
Moureau  rentra  dans  su  ville  na- 
tale. Il  y  fut  nommé  secrétaire- 
greffier  de  la  municipidité ,  plate 
vacante  par  la  démission  de  M. 
ChazaI,  nommé  député  à  la  con- 
vention nationale.  Quelque  temps 
après,  M.  Moureau  devint  pro- 
cureur de  la  commune  ;  sur  ces 
entrefaites,  deux  bataillons  de  vo- 
lontaires, qui  passaient  par  celte 
ville,  étaient  ,  sous  les  prétextes 
les  plus  frivoles,  sur  le  point  d'en 
venir  aux  mains;  il  arrêta  refîu- 
sion  de  sang  prêt  à  couler  par  un 
trait  que  les  journaux  du  temps 
recueillirent  avec  éloge.  En  vain 
les  citoyens  invitaient  les  militai- 
res à  s'expliquer  avant  de  s'entre- 
égorger,  leur  voix  était  perdue  au 
milieu  des  cris  universels  ;  M. 
Moureau  arrive  ,  décoré  de  son 
écharpe,  et  n'est  accompagné  que 
de  huit  tambours  qui  battent  le 
pas  de  charge.  Aussitôt  il  monte 
sur  tm  tertre,  fait  battre  un  ban; 
on  se  tait;  il  harangue  les  volon- 
taires, et  la  paix  est  rétablie  entre 
rux.  En  mai  1790,  le  district  de 
Vaucluse  forma  un  troisième  ba- 
taillon de  volontaires  ,  dont  le 
commandement  en  chef  lui  fut 
confié.  Mais  ce  bataillon  ayant  été 
incorporé  dans  une  levée  de (5, 000 
liommes,  faite  à  celle  époque  par 
le  députeuienl  de>  Eouches-du- 


MOU  217 

Rhône,  fut,  quelques  jours  après, 
momentanément  licencié  avec 
cette  force  départementale.  A  cette 
époque  ,  M.  Moureau  conçut  le 
projet  de  soustraire  sa  ville  natale 
à  la  domination  marseillaise  ,  en 
obtenant  la  formation  d'un  84* 
département  sous  la  dénomination 
de  dcparlement  de  Vaucluse.  Il 
se  rendit  à  Carpentras  ,  où  ses 
vues  furent  mal  accueillies  dc3 
habitans,  qui,  par  suite  de  leur  an- 
tipathie pour  les  Avignouais,  ai- 
maient mieux  traiter  leurs  affaires 
adn)inistratives  à  Valence, chef-lieu 
du  département  delà  Drôme,dont 
leur  district  ressortissait,  quoi- 
qu'à  une  distance  de  3o  lieues  , 
q\ie  se  rendre  à  Avignon,  simple- 
ment éloigné  de  quatre.  1!  ne  per- 
dit point  courage  ,  et  se  fit  nom- 
mer député  par  la  municipalité 
d'Avignon  pour  venir  à  Paris  en 
faire  la  demande  à  la  convention 
nationale.  Il  se  présenta  à  la  barre 
de  cette  assemblée,  et  réclama: 
1°  la  formation  du  département 
de  Vaucluse,  qui  serait  composé 
des  districts  d'Apt,  d'Avignon,  de 
Carpentras  et  d'Orange;  2°  le  clas- 
sement dans  la  ligue  de  l'armée , 
du  3'  bataillon  des  volontaires  du 
district  de  Vaiicluse  ;  3°  une  pen- 
sion de  retraite  pour  les  vieux 
soldats  de  la  garde  du  pape  à  A- 
vignon,  qui,  par  l'efTet  de  la  réu- 
nion de  cette  ville  à  la  France, 
n'avaient  plus  de  moyens  d'exis- 
tence ;  4"  une  pension  pour  un 
père  de  famille  de  lieaucaire,  le- 
quel, en  se  plaçant  devant  la  bou- 
che d'un  canon  ,  avait  empêché 
une  partie  des  citoyens  de  celte 
ville  de  mitrailler  l'autre.  Toutes 
ces  demandes  furent  successive- 
menl  converties  en  autant  de  dé- 


2l8 


MOU 


crels.  Les  conventionnels  Rovnre 
et  Poultier  se  rendirent  dans  ce 
nonveau  département  à  l'efl'et  de 
l'organiser,  M.  Moureau  en  fut 
nommé  l'un  des  administrateurs 
par  l'assemblée  électorale.  Ce 
fonctionnaire  ,  qui  mettait  de  la 
franchise  et  de  la  loyaulé  dans  sa 
conduite,  ne  larda  pas  à  déplaire 
aux  deux  représentans,  parce  qu'il 
ne  cachait  pas  l'horreur  que  lui 
inspirait  le  massacre  de  la  Gtaciè- 
re,  et  parce  qu'il  plaida,  dans  une 
assemblée  publique,  la  cause  d'u- 
ne cinquantaine  de  Marseillais, 
faits  prisonniers  par  l'armée  répu- 
blicaine et  détenus  dans  le  fort 
d'Avijînon.  Il  vint  à  bout  de  les 
sauver  tous.  Rovère  et  Poultier  le 
firent  arrêter  par  Jouvdan  ,  dit 
Jourdan  Coupetêle,  qu'ils  avaient 
nommé  commandant  de  la  gendar- 
merie du  département,  et  traduire 
d'Avignon  à  la  conciergerie  à  Pa- 
ris. M.  Moureau  fut  transféré  de 
celte  prison  à  celle  du  Luxem- 
bourg, où  il  demeura  cinq  mois. 
Payan  aîné  ,  conseiller  au  parle- 
irient  de  Grenoble,  alors  directeur 
de  l'instruction  publique,  et  frère 
du  procureur  de  la  conunune  de 
Paris,  qui  connaissait  M.  Moureau 
sans  en  être  connu,  obtint  sa  mise 
en  liberté.  De  retour  à  Avignon, 
il  en  partit  de  suite  pour  Mar- 
seille, où  il  fut  appelé  par  le  re- 
présentant du  peuple  Maignet,  qui 
le  chargea  d'une  mission  pour  Ar- 
les. Un  méd«scin  ,  nommé  Paris  , 
prêchait  dans  cette  ville  le  partage 
<les  récoltes.  M.  Moiu'eau  assem- 
i)la  le  peuple,  il  parla  avec  beau- 
coup de  force  sur  le  respect  dû 
aux  propriétés.  Le  moderne  Salur- 
ninus  fut  arrêté  ,  et  les  proprié- 
taires jouirent  de  tous  leurs  droits. 


MOU 

Le  Q  thermidor  an  2  (27  juillet 
1794  )  arriva  sur  ces  entrefaites  ; 
de-j  amis  du  médecin  Paris  parti- 
rent sur-le-champ  puur  la  capitale, 
et  dénoncèrent  M.  Moin-eau  au 
comité  de  sûreté-générale  comme 
ayant  persécuté  les  patriotes  Arlé- 
siens;  le  comité  de  sûreté-générale 
décerna  contre  lui  un  mandat  d'ar- 
rêt. M.  Moureau  se  retira  dans 
une  maison  de  campagne  d'une 
de  ses  sœurs  ,  où  il  resta  caché  , 
non  sans  courir  de  grands  dan- 
gers, jusqu'après  le  i3  vendémiai- 
re an  4-  A  cette  époque,  M.  Mou- 
reau accusa  Rovère,  dans  les  pa- 
piers publics  du  temps  (le  Journal 
des  Hommes  libres ,  le  Patriote  de 
89,  etc.),  d'avoir  falsifié,  dans  le 
rapport  de  Courtois  ,  qu'il  s'était 
chargé  de  rédiger  pour  la  partie 
du  Midi,  les  lettres  qu'il  avait  é- 
criles  à  Pa^^an,  son  bienfaiteur;  il 
somma  Rovère  et  Courtois  de  dé- 
poser ces  lettres  au  greffe  du  tri- 
bunal qu'il  leur  plairait  de  choisir 
dans  toute  la  France  ,  avec  décla- 
ration qu'il  voulait  être  puni  com- 
me faussaire  s'il  ne  les  convain- 
quait pas  eux-mêmes  de  faux. 
Rovère  et  Courtois  gardèrent  le 
plus  profond  silence,  et  Rovère  et 
Poultier  continuèrent  à  attaquer 
dans  les  feuilles  publiques  celui 
qu'ils  avaient  fait  vainement  tra- 
duire au  ti'ibunal  révolutionnair»-. 
Cette  conduite  de  la  part  de  Ro- 
vère n'a  rien  d'étonnant  ,  mais 
elle  doit  étonner  de  la  part  de 
Poultier;  voici  pourquoi.  Quand 
M.  Moureau  fut  sorti  du  Luxem- 
bourg ,  il  rencontra  Poultier  qui 
lui  témoigna  le  regret  d'avoir  cé- 
dé aux  sollicitations  de  Rovère  en 
concourant  à  son  arrestation  et  à 
sa  traduction  à  la  Conciergerie,  et 


MOU  ' 

lui  demanda  TGubli  du  passé  en 
l'embrassant.  Qiielqucsjours  après, 
Payan  dit  à  M.  Moureau  qu'il  ve- 
nait de  recevoir  une  pièce  autîien- 
tique  qui  constatait  une  trahison 
manifeste  de  Rovère;  c'était  l'or- 
dre donné  par  ce  représentant  au 
général  Cartaux  ,  qui  était  à  la 
poursuite  de  l'armée  marseillaise, 
de  rétrojïrader,  de  repasser  la  Du- 
rance  ,  et,  par  conséquent,  de  li- 
Trer  la  Provence  aux  Anglais  qui 
venaient  d'entrer  à  Toulon.  AI. 
iMoureau  demanda  si  Poullier  a- 
vait  signé  cet  ordre.  Sur  la  ré- 
ponse aiFirmative  de  Payan,  il  lui 
dit  que  Poultier  ne  pouvait  avoir 
signé  que  de  confiance  ;  que  si 
cette  pièce  était  produite,  Poullier 
était  perdu  ,  et  il  le  supplia  de  ne 
pas  en  faire  usage.  Poultier  n'a 
peut-être  pas  igioré  cette  parti- 
cularité ;  néanmoins,  après  le  i5 
vendémiaire  ,  il  continua  de  le 
poursuivre  dans  un  journal  (/'y^m< 
des  Lois)  dont  il  était  le  directeur. 
M.  Moureau  se  livra  à  cette  épo- 
que, avec  la  plus  grande  assiduité, 
à  l'étude  des  lois  ,  et  se  consacra 
entièrement  à  la  carrière  du  bar- 
reau. M.  de  l'Estang  ,  chef  des 
Vendéens  méridionaux  ,  fut  fait 
prisonnier  en  l'an  'i  ;  il  écrivit  à 
M.  Moureau  pour  le  prier  de  le 
défendre.  Celui-ci  lui  répondit  : 
«  Vous  n'avez  pas  en  vain  fut 
»  appel  à  la  vertu  républicaine; 
«j'accepte.  »  Mais  il  fut  écarté 
sous  le  prétexte  qu'il  n'était  pas 
militaire.  Au  mois  de  février  s'.ii- 
vanl  (pluviôse  an  5)  ,  le  parti  ul- 
tramontain  voulut  éloigner  des  é- 
lections  le  parti  français.  Il  y  eut 
un  choc  ;  le  parti  patriote  resta 
vainqueur.  Le  général  qui  com- 
mandait pour  la  république  dans 


MOU 


2  M) 


la  8*  division,  arriva  bientôt  aprè'* 
à  Avignon.  M.  Moureau  fut  arrêté 
avec  5o  de  ses  concitoyens.  La 
cour  de  cassation ,  pour  cause  de 
suspicion  légitime  ,  les  renvoya 
pour  être  jugés  devant  le  tribunal 
criminel  de  Valence  ,  et  successi- 
vement devant  celui  de  Grenoble. 
Après  une  année  de  détention,  M. 
Moureau  et  ses  5o  prétendus  com- 
plices furent  jugés  et  honorable- 
ment acquittés.  Il  fut  le  défenseur 
de  tous  ses  co-accusés  :  les  débals 
offrirent  la  preuve  que  le  principal 
accusé  avait  sauvé  la  vie  à  un 
nommé  Mani,  fait  prisonnier  dans 
ce  tumulte.  Il  se  retira  alors  dans 
sa  famille  à  Aix,  où  il  continua  ;\ 
s'adonner  à  l'étude  de  la  jurispru- 
dence. En  l'an  ;■,  il  fut  nommé 
député  au  conseil  des  cinq -cents 
par  l'assemblée  électorale  du  dé- 
parlement de  Vaucluse  ,  et  non, 
comme  l'a  avancé  la  biographie 
des  frères  Michaud  ,  par  la  scis- 
sion cle  cette  asseniblée,  qui  ne  se 
couiposait  que  de  sept  électeurs. 
Il  était,  à  cette  époque,  encore  à 
Aix,  mais  l'état  de  sa  santé  le  dé- 
cida à  envoyer  sa  démission.  Quel- 
ques mois  après  ,  il  fut  nommé , 
par  le  directoire  ,  commissaire 
près  le  tribunal  du  département 
de  Vaucluse,  et  successivement 
près  de  l'administration  centrale 
du  même  déparlement.  La  ma- 
nière dont  il  remplit  ces  fonctions 
lui  concilia  l'estime  de  beaucoup, 
de  ses  concitoyens,  qui,  d'abord ,^ 
ayant  été  opposés  à  la  réunion  à 
l.t  France  ,  l'avaient  enveloppé 
dans  la  haine  qu'ils  portaient  aux 
partisans  de  la  révolution  françai- 
se, et,  par  contre-coup,  de  la  réu-» 
nion.  Au  i8  brumaire  an  8  (9  no-» 
vcmbre  i^îX))?  il»e  déclara  ouvert 


ri-îo  MOU 

tement  contre  celte  jonnKje,  mal- 
gré les  promesses  (laiteuses  que 
Iiii  avait  faites  par  écrit  un  des 
nouveaux  ministres  du  premier 
consul.  Il  reprit  alors  les  paisibles 
occupations  de  la  vie  privée,  dont 
quelques  amis  qu'il  avait  à  Pai-is 
le  sollicitèrent  en  vain  de  sortir. 
A  la  réorganisation  du  barreau,  il 
y  entra,  et  se  consacra  tout  entier 
à  la  défense  publique.  Il  jouissait, 
dans  l'exercice  de  sa  profession  , 
de  la  confiance  générale  qu'il  a- 
Taitméritée  surtout  parses  talens, 
son  désintéressement,  et  son  es- 
prit conciliateur.  La  veuve  de 
llovère,  qui  l'avait  poursuivi  par 
des  calomnies  qui  n'ont  pas  été 
ensevelies  avec  sa  cendre  dans  les 
déserts  de  la  Guiane  ,  lui  donna 
une  marque  de  confiance  bien  ho- 
norable pour  tous  deux.  Elle  lui 
écrivit  pour  le  prier  de  la  défen- 
dre,  ainsi  que  son  fils  mineur, 
dans  différeiis  procès  qu'elle  avait 
au  tribunal  d'Avignon  ;  il  accepta 
avec  empressement  ,  et  l'estime 
publique  le  récompensa  du  zèle 
qu'il  mit  à  soutenir  les  intérêts  de 
la  femme  et  du  fils  de  son  persé- 
cuteur. Quand  Fouché,  duc  d'O- 
trante,  retourna  de  Naples  en  iSi^, 
il  passa  par  Avignoii,  et  il  dit  pu- 
bliquement ,  en  parlant  de  M. 
Moureau,(i  qu'il  était  un  deshom- 
»mes  de  France  qui  avaient  été  le 
«plus  calomniés.  »  Par  siu'te  de  sa 
preuiière  abdication  ,  Napoléon  , 
se  rendant  à  l'île  d'FIbe  et  passant 
à  Avignon,  courut  un  grand  dan- 
ger dans  cette  ville.  On  craignit, 
lorsqu'il  eut  ressaisi  le  pouvoir  au 
30  mars  i8i5,  qu'il  ne  se  vengeât 
ôes  Avignonais,  et  plusieurs  d'en- 
tre eux  crurent  que,  pour  prévenir 
les  effets  de  celte  vengeance,  il  fal- 


MOD 

lait  lui  envoyer  luie  députation. 
31.  Moureau  en  fut  membre  ;  il 
vint,  à  cette  époque,  à  Paris,  et 
les  journaux  du  temps  remarquè- 
l'cntque,  faisant  allusion  à  un  mot 
célèbre,  il  dit  à  Napoléon,  dans  le 
discours  qu'il  lui  adressa  :  «  L'em- 
spereur  des  Français  ne  voudrait 
«pas  être  le  vengeur  des  insultes 
«faites  au  souverain  de  l'île  d'El- 
»be.  »  Il  fut,  à  cette  époque,  nom- 
mé procureur-impérial  près  de  la 
cour  d'assises  de  Vaucluse;  mais  il 
ne  se  rendit  pas  à  ce  poste  parce 
qu'il  ne  voidait  pas  remplacer  le 
n)agistrat  qui  l'occupait.  Après  la 
bataille  de  Waterloo,  M,  Moureau , 
prévoyant  les  troubles  qui  allaient 
éclater  dans  le  Midi,  manda  à  sa 
famille  de  quitter  Avignon  et  de 
venir  le  joindre  dans  le  départe- 
ment de  la  Drôme.  Il  y  demeur.» 
avec  elle  dans  la  commune  de  Lo- 
riol,  vivant  dans  la  plus  profonde 
retraite,  jusqu'à  ce  que  le  préfet 
du  département  se  rendit  dans 
cette  commune  pour  le  faire  arrê- 
ter. Il  n'y  parvint  pas.  Le  préfet 
donna  ordre  à  sa  femme,  et  à  sa 
sœur,  mère  du  jeune  et  célèbre 
ViALA,  de  quitter  le  département 
de  la  Drôme  avec  leurs  sept  en- 
fans.  Ces  mères  de  famille  furent 
bien  accueillies  à  Vienne.  M.  Mou- 
reau revint  à  Paris,  où  il  fut  obligé 
de  se  cacher ,  poursuivi  comme 
bonapartiste  par  ceux-  là  mêmes  à 
la  sollicitation  desquels  et  pour 
lesquels  surtout,  il  était  venu  m- 
plorer  la  clémence  impériale.  Au 
conunencement  de  181G,  il  fut 
envoyé  en  surveillance  à  Rouen 
par  le  ministre  de  la  police.  Il  re- 
vint à  Paris  en  18 ir,  avec  toule 
sa  famille,  «'t  y  fixa  son  domicile. 
C'est  alors  qu'il  demanda,  à  l'or- 


MOU  / 

dre  des  avocats  de  la  capitale,  d'ê- 
tre inscrit  sur  leur  tableau.  Le 
conseil  de  discipline,  après  les  en- 
quêtes les  plus  sévères,  tant  à  Avi- 
gnon qu'à  Rouen  et  à  Paris,  fit 
droit  à  sa  demande.  Depuis  il 
n'a  cessé  de  mériter  l'estime  de 
tous  ceux  de  ses  nouveaux  con- 
frères avec  lesquels  il  a  eu  des 
rapports.  C'est  depuis  son  sé- 
jour à  Paris  qu'il  a  donné  au  pu- 
blic :  1°  Essai  nur  l'e.spril  des  lois 
françaises  relatives  à  l'adoption  des 
en  fans  naturels;  2°  Traité  sur  le 
testament  mystique;  5°  Projet  de 
loi  sur  la  répression  des  abus  de 
la  presse,  avec  l'exposé  des  motifs; 
4**  Réflexions  sur  les  protestations 
du  pape,  relatives  à  Avignon  et  au 
ci- devant  comtat  Venaissin;  5° 
Traité  sur  l' incompatibilité  entre 
le  judaïsme  et  l'exercice  des  droits 
de  cité.  On  lui  attribue  une  bro- 
chure intitulée  :  Napoléon  Bona' 
parte,  lieutenant  d'artillerie.  Ces 
divers  ouvrages  lui  ont  mérité  la 
réputation  de  bon  jurisconsulte  et 
d'écrivain  éclairé.  Les  Tablettes 
historiques  ont  dit  qu'il  était  l'a- 
vocat consultant  des  propriétai- 
res du  Constitutionnel.  11  passe 
l)Our  être  auteur  des  articles  de 
ce  journal,  sur  la  législation  civi- 
le, criminelle  et  électorale.  On  ne 
peut  attribuer  qu'à  la  baine  de 
l'esprit  de  parti,  l'article  consacré 
ù  iM.  Moureau  dans  la  Biographie 
des  hommes  vivons,  des  frères  Mi- 
chaud  ;  c'est  un  sentiment  encore 
plus  odieux  qui  a  inspiré  l'article 
sur  le  même  citoyen,  dans  la  Bio- 
graphie de  Bruxelles,  puisque 
c'est  avec  préméditation  que  l'au- 
teur de  cet  article,  moine  réfugié 
rn  Belgique,  a  dénaturé  tous  les 
f.iits  pour  s'ubsliner  ù  outrager  et 


MOU  221 

à  nuire  à  un  homme  qui  lui  avait 
sauvé  la  vie.  Nous  avoiis  rétabli  la 
vérité  ,  et  nous  l'avons  puisée  dans 
les  Mémoires,  et  dans  les  Journaux 
du  temps  oi'i  ces  faits  se  sont  passés. 

MOLiREK  (  N.  )  ,  membre  du 
conseil  des  cinq-cents,  exerçait, 
lorsqu'il  fut  nommé  à  cette  assein- 
blée  en  1798  par  le  département 
de  la  Meurthe  ,  ies  fonctions  de 
commissaire  du  directoire- exécu- 
tif près  de  l'administration  cen- 
trale du  même  département.  M. 
Mourer  montra  beaucoup  de  mo- 
dération surtout  dans  l'exercice 
de  ses  fonctions  législatives.  Le 
28  décembre  de  la  même  année, 
il  réclama  des  adoucissemens  au 
projet  relatif  à  la  déportation  des 
prêtres.  Cependant  ,  le  1"  mai 
1799,  '^  ^^^  '^^^  l'avis  de  la  mise  en 
jugement  des  naufragés  de  Calais. 
Élu  secrétaire  le  21,  il  demanda, 
le  8  juin  suivant ,  des  mesures 
propres  à  détruire  lesscissionsdans 
les  assemblées  électorales ,  et  la 
répression  des  abus  que  les  com- 
missaires du  directoire  se  permet- 
taient à  ce  sujet  dans  l'exercice 
de  leurs  fonctions.  Après  la  révo- 
lution du  18  brumaire  an  8  (9  dé- 
cembre 1799),  il  passa,  en  qualité 
de  secrétaire-général,  à  la  préfec- 
ture du  Haut-Rhin  ,  d'où  il  fut 
rappelé  ,  en  1802  .  par  suite  de 
discussions  assez  vives  qu'il  avait 
eues  avec  le  préfet  de  ce  départe- 
ment. Nommé  magistrat  de  sûreté 
à  Colmar,  en  1806,  il  a  été  en- 
suite perdu  de  vue. 

MOIJRGUES  (JACQCEs-Accrs- 
tin),  ministre  de  l'intérieur  en 
1792,  naquit  à  Montpellier,  le  a 
juin  1754.  Il  avait  été  pendant 
quelque  temps  à  la  tête  des  tra- 
vaux du  port  de  Cherbourg,  ets'é- 


322  MOU 

tait  fait  aventageusement  connaî- 
tre par  sa  probité  et  ses  talens, 
quand  le  général  Dumouriez,  son 
ami,  engagea  le  roi  Louis  XVI  à 
l'appeler  au  ministère  de  linlé- 
rieur,  où  il  remplaça  Roland;  :nais 
il  conserva  peu  de  temps  un  poste 
qu'il   était  devenu  impos.sible   de 
remplir  d'ime  manière  à-!a-fois  sa- 
tisfaisante  pour   le   monarque   et 
pour  l'assemblée  législative.  Son 
successeur,  M.  Terrier-de-Mon- 
ciel,  ne  fut  pas  plus  heureux,  et  se 
trouva  à  son  tour  forcé  de  sortir 
du  ministère  le  même  mois  où  son 
prédécesseur  et  lui  y  étaient  en- 
trés. Rendu  ,  par  sa  démission  ,  à 
Iri  vie  privée,  M.  Mourgues  eut  le 
bonheur  d'échapper  aux  dangers 
qui  environnèrent  long-temps  tous 
ceux  que  de  hautes  fonctions  a- 
vaient  mis  en  évidence  vers  la  fin 
du  règne  de  Louis  XVL  II  a  publié 
les    ouvrages    suivants  :   i°  de  la 
France  relativement  à  t' Angleterre 
et  à  la  maison  d' Autriche,  i79j',in- 
8°;  2°  Convient- il  à  la  France  d'a- 
voir an  Acte  de  Navigation  général 
et  indéfini?  lygfi,  in- 8°;  3°  Essai 
de  statistique,    i8oo. 

MOURGUES  (Scipion),  fils  du 
précédent,  est  né  à  Paris,  fut  quel- 
que temps  secrétaire-général  sous 
M.  Chaptal,  ministre  de  l'inté- 
rieur, et  ensuite  conservateur  des 
archives,  et  en  i8i5  député  du 
département  de  la  Somme  à  la 
<hambre  des  représentans,  où  il 
parut  plusieurs  fois  à  la  tribu- 
ne; dans  la  séance  du  22  juin, 
lorsqu'il  fut  question  de  détour- 
ner les  dangers  imminens  qui  me- 
naçaient l'état  et  d'obtenir  une 
seconde  abdication  de  Napoléon  , 
il  proposa  de  mettre  la  personne 
de  ce  prince  sous  la  sauve-gar- 


MOU 

do  des  lois,  de  déclarer  la  cham- 
bre Assemblée  constituante,  et  le 
trune  vacant  jusqu'à  la  libre  émis- 
sion du  vœu  national.  Il  demanda 
de  plus,  comme  mesure  prélimi- 
naire, que  le  maréchal  Macdonald 
fût  mis  à  la  tête  des  armées  fran- 
çaises, et  le  général  La  Fayette  à 
la  tête  des  gardes  nationales.  Le 
côté  droit  et  le  cûlé  gauche,  par 
des  motifs  diflérens,  repoussèrent 
ces  propositions,  et  le  député  Gar- 
rau  s'élant  fortement  prononcé 
contre  elles,  l'assemblée  passa  à 
l'ordre  du  jour.  M.  Mourgues  n'a 
plus  depuis  occupé  de  fonctions 
publiques,  mais  il  a  fondé  un  grand 
établissement  industriel  et  manu- 
facturier dans  le  département  de 
la  Somme.  Deux  fois  il  à  eu  le  mal- 
heur d'en  voir  les  bâtimens  consi- 
dérables qu'il  avait  fait  élever  à 
grands  frais,  devenir  la  proie  des 
flammes,  ainsi  que  toutes  les  ma- 
chines et  mécaniques  ingénieuses 
qu'ils  contenaient.  Son  crédit,  ob- 
tenu par  de  longs  ethonorables  tra- 
vaux et  par  une  fidélité  scrupuleu- 
se dans  tousses  engagemens,  n'a 
éprouvé  aucune  atteinte.  Ses  nom- 
breux amis  espèrent  qu'il  aura 
bientôt  réparé  ses  perles,  et  que 
des  établissemens  utiles,  qui  font 
subsister  un  grand  nombre  d'ou- 
vriers, renaîtront  de  leurs  cendres. 
MOURICAULT  ( Tiiomas-Lai- 
rent),  ex-législateur,  conseiller- 
maître  à  la  cour  des  comptes,  et 
chevalier  de  la  légion-d'honneur, 
exerçait  la  profession  d'avocat 
lorsque  la  révolution  éclata.  Suc- 
cessivement commissaire  près  le 
tribunal  de  cassation,  et  membre 
du  conseil  des  anciens,  où  le  dé- 
partement de  la  Seine  l'avait  nom- 
mé en  mars  1799,  ''  devint,  dans 


MOU  , 

la  même  année,  membre  du  tri- 
bunal, et  se  fit  remar(juer  dans 
cette  assemblée  en  provoquant , 
en  i8oo,  la  réorganisation  du  tri- 
bunal de  cassation.  Elu  secrétaire 
quelque  temps  après,  il  félicita  le 
premier  consul  Bonaparte  d'avoir 
échappé  à  l'attentat  du  5  nivôse. 
En  i8o4,  il  fut  fait  chevalier  de  la 
Jégion-d'honneur,  et  nommé,  en 
1807,  conseiller  à  vie  à  la  cour 
des  comptes.  Lors  des  événemens 
politiques  de  1814  >  il  donna  son 
adhésion  aux  actes  du  sénat  et  du 
gouvernement  provisoire,  relatifs 
à  la  déchéance  de  l'empereur.  Au 
mois  de  mars  181 5,  il  signa,  com- 
me ses  collègues  ,  l'adresse  que  la 
Cour  des  comptes  présenta  à  Na- 
poléon. I\l.  Mouricault  a  ce>sé  , 
depuis  plusieurs  armées ,  de  faire 
partie  des  conseillers  -  maîtres  de 
la  cour  des  comptes.  On  le  croit 
mort  en  1819. 

MOLRLENS  (Jeas-Piebre  de), 
naquit  en  1722,  dans  le  dépai- 
tement  de  la  Haute-Garonne.  11  fit 
de  brillantes  études,  et  devint  con- 
seiller au  parlement  de  Toulouse 
en  1760.  Il  lutta  avec  courage 
contre  les  entreprises  du  chance- 
lier Maupeou ,  et  partagea  avec 
ses  confrères  tous  les  inconvé- 
niens  de  cette  courageuse  résis- 
tance; peu  de  temps  après  le  réta- 
blissement ,  par  Louis  XVI ,  des 
cours  souveraines,  en  1^74'  Mour- 
lens  perdit  au  parlement,  dont  il 
était  membre  ,  un  procès  qu'il 
croyait  très-bon.  Irrité  contre  ce 
qu'il  appela  l'injustice  de  ses  con- 
Irères,  il  tourna  vers  eux  sa  colè- 
re, et,  plaidant  contre  tous,  il  les 
contraignit  à  se  défendre  ,  multi- 
pliant ses  attaques  et  ses  mémoi- 
res ,  où  la  passion  éclatait  plu» 


MOU  2  25 

que  le  boo  droit.  Le  fait  est  as- 
sez remurqu.ible.  Mourlens  aimait 
les  beaux  arts  ,  il  les  cultiva  avec 
succès,  et  forma  une  bibliothèque 
d'environ  vingt  mille  volumes  , 
parmi  lesquels  il  en  était  de 
très-précieux.  Quand  la  révolution 
éclata ,  il  crut  n'avoir  rien  à  en 
redouter,  ayant  refusé  de  prendre^ 
part  à  la  protestation  des  parle- 
mens,  et  pensant  d'ailleurs  que 
ses  querelles  qui,  depuis  tant  d'an- 
nées, duraient  entre  lui  et  sa  com- 
pagnie, devaient  le  faire  regarder 
comme  il'en  faisant  plus  partie  :  il 
se  trompa.  Mis  en  arrestation  f 
conduit  à  Paris ,  il  fut  condamné 
à  mort  le  6  juillet  «794  »  fausse- 
ment accusé  d'avoir  signé  les  pro- 
testations du  parlement  de  Tou- 
louse en  1790. 

MOUROT  (N.),  député  aux  é- 
tats-généraux,  était  avocat  et  pro- 
fesseur en  droit  à  l'université  de 
Pau  ,  lors  de  la  convocation  des 
états-généraux  en  178g.  Il  fut 
nommé  à  cette  assemblée  par  le 
tiers-état  du  Béarn ,  et  s'y  ût  peu 
remarquer;  mais  il  défendit  avec 
zèle  les  intérêts  de  la  province 
dont  il  était  l'un  des  représenlans. 
Ses  concitoyens  lui  votèrent  par 
reconnaissance  des  remercîmen* 
publics.  M.  Mourût  sortit  de  l'as- 
semblée à  la  ^\\  de  la  session,  re- 
tourna dans  ses  foyers,  et  reprit 
les  occupations  de  la  vie  privée. 

MOtRRE  (i.E  baron),  procu- 
reur-général à  la  cour  de  cassa- 
tion, commandeur  de  la  légion— 
d'honneur,  était  avocat  au  com- 
mencement delà  révolution.  Non- 
seulement  il  eut  le  bonheur  de* 
n'être  point  proscrit  en  1795,  mais' 
il  fut  même  nommé,  dans  le  cou- 
rant de  cette  anuée,  secrétaire»  dis 


^.14 


MOU 


conseil  établi  près  du  ministère 
de  la  iuslicc.  Il  contiiuia  à  suivie 
la  carrière  judiciaire,  et  l'ut  appelé 
par  le  premier  consul  Bonaparte, 
})eu  de  temps  après  la  révolution 
du  i8  brumaire  an  8  (9  novembre 
1799),  aux  fonctions  de  procu- 
reur-général près  de  la  cour  d'ap- 
pel de  Paris.  Il  devint,  sous  le 
gouvernement  impérial,  l'un  des 
présidens  de  la  cour  de  cassation, 
et  lors  de  la  réorganisation  de  cette 
cour  par  le  roi,  en  1814,  procu- 
reur-général, place  que  le  comte 
Merlin  de  Uouay  avait  précédem- 
ment occupée  avec  une  haute  dis- 
tinction. Pendant  les  cent  jours, 
en  181  5,  M.  3Iourre  refusa,  dit- 
on  ,  de  signer  l'adresse  de  la  pre- 
mière cour  judiciaire,  au  chef  du 
gouvernement,  et  donna  même 
sa  démission.  Après  le  nouveau 
rétablissement  du  gouvernement 
royal ,  il  rentra  de  droit  dans  ses 
fonctions,  qu'il  exerce  encore  au- 
jourd'hui (1824).  Nommé  cheva- 
lier de  la  légion- d'honneur  par 
Napoléon,  il  est  devenu  successi- 
vement depuis  les  deux  restaura- 
tions, officier,  puis  commandeur 
du  même  ordre. 

MOUSNIER- BUISSON  (N.), 
membre  de  la  chambre  des  dépu- 
tés, président  de  la  cour  royale  de 
Limoges,  officier  de  la  légion- 
d'honneur,  ne  s'est  fait  remar- 
quer sur  la  scène  politique,  que 
depuis  le  rétablissement  du  gou- 
\ernement  royal.  Député  du  dé- 
parlement de  la  Haute- Vienne,  en 
i8i5,  il  a  d'abord  fait  partie  de  la 
minorité  ministérielle;  mais  de- 
puis 1816,  il  est  passé  au  côté 
droit,  et  n'a  plus  changé.  Dans  la 
session  de  i8i5-i8i6,  il  propose, 
«n  qualité  do  rapporteur  du  projet 


MOU 

de  loi  relatif  aux  dettes  des  colons 
de  Saint-Domingue,  de  prolonger 
le  sursis  qui  leur  avait  été  accor- 
dé, et  vole,  peu  après,  en  faveur 
du  même  projet ,  sans'  amende- 
ment ni  moiiificalion.  Sur  les 
douanes,  il  demande  que  les  con- 
trebandiers soient  jugés  par  les 
tribunaux  correctionnels;  de  18  iG- 
1817,  il  vole  relativemenl  au  pro- 
jet de  loi  sur  les  militaiies  ab- 
sens ,  pour  que  les  disjiositions 
soient  favorables  à  ces  militaires. 
Rapporteur  de  la  pétition  d'un 
sieur  chevalier  Decombe,  qui  de- 
mande la  révision  des  généalogies 
afin  que  les  vilains  n'usurpent  pas 
les  distinctions  nobiliaire^,  il  pro- 
pose l'ordre  du  jour,  et  fait  diver- 
ses observations  dans  la  discus- 
sion sur  le  système  électoral;  de 
1 8 1 7- 18  18,  à  l'article  recrutement, 
il  appuie  l'amendement  de  M. 
Clauselde  Coussergues,  qui  tend  à 
exempter  les  aînés  des  familles  et 
les  frères  de  la  doctrine  chrétien- 
ne. Comme  rapporteur  de  la  péti- 
tion d'un  sieur  Lardeuois,  ayant 
pour  objet  le  rétablissement  de  la 
vénalité  des  charges,  il  propose 
purement  et  simplement  l'ordre 
du  jour,  et  réclame  de  nouveau 
un  sursis  en  faveur  des  colons  de 
Saint-Domingue  et  de  leurs  cau- 
tions; de  1818-1819,  prenant  part 
à  la  discussion  sur  la  liberté  de  la 
presse,  il  ne  veut  pas  qu'un  pré- 
venu se  fasse  représenter  par  un 
tiers  dans  le  jugement  à  interve- 
nir sur  l'opposition  à  l'arrêt  rendu 
par  défaut.  Il  rejette  dans  la  dis- 
cussion des  Journaux,  l'amende- 
ment de  la  commission  qui  per- 
met à  ces  feuilles  de  rendre  compte 
des  séances  secrètes,  toutes  les 
fois  que  les  chambres  n'en  auront 


MOU 

pas  interdit  la  publication  ;  de 
1819-1820,  en  qualité  de  iaj)por- 
teur  de  Lrpélitiun  d'un  sieur  vi- 
comte Bec-de-Lièvre,  tendant  à 
ce  que  ta  salle  de  l'académie  roya- 
le de  musique,  où  M.  le  duc  de 
Béni  a  été  assassiné,  soit  conver- 
tie en  une  cliapelle  sépulcrale,  il 
propose  et  l'ail  adopter  la  demande 
du  pétitionnaire,  ainsi  que  l'ou- 
verture d'une  souscription  pour 
l'érection  d'un  monument  expia- 
toire. Il  vote  ensuite  pour  les  lois 
d'exception,  et  pour  le  nouveau 
système  électoral.  Dans  les  ses- 
sions suivantes ,  M.  Mousnier- 
Buisson  a  pris  une  part  moin-»  ac- 
tive aux  discussions.  Le  zèle  de 
cet  honorable  député  a  reçu  sa 
récompense.  De  conseiller  à  la 
cour  royale  de  Limoges,  il  est  de- 
venu président,  et  de  chevalier  de 
la  légion  -  d'honneur ,  oificier  du 
même  ordre. 

xMOlSSON  (N.),  ancien  chan- 
celier de  la  confédération  suisse, 
fit  échouer,  dit-on,  au  mois  de 
septembre  1799»  le  projet  formé 
par  MM.  La  Hurpe,  Secretan  et 
Oberliu,  d'opérer  dan*  leur  patrie 
une  révolution  semblable  à  celle 
qui  venait  d'être  effectuée  en  Fran- 
ce. Son  zèle,  dans  cette  circonstan- 
ce, lui  valut  la  place  de  secrétaire- 
général  de  la  commission  execu- 
tive qui  succéda  au  dii-ectoire  hel- 
vétique. Au  mois  de  juin  1800,  le 
gouvernement  le  lit  arrêter  com- 
me étant  impliqué  dans  une  de 
ces  intrigues  formées  pour  dé- 
truire la  nouvelle  république. 
Bientôt  mis  en  liberté  ,  il  obtint  , 
à  la  suite  de  lu  réorganisation  des 
cantons,  la  place  de  chancelier  de 
la  confédération  suisse.  En  1808, 
M.  Muussoa  fit  iusérer  dans  les 


MOU  22Ô 

feuilles  publiques  un  article  sur 
l'arrestation  de  l'abbé  de  Saint- 
Urbain,  qui  porta  le  gouvernement 
de  Lucerne  à  le  faire  mettre  aux  ar- 
rêts. Il  protesta  contre  cet  acte, 
prétendant  que  le  chancelier  n'é- 
tait responsable  envers  aucun  can- 
ton en  particulier  de  la  conduite 
qu'il  jugeait  à  propos  de  tenir,  et 
fit  retirer  la  garde  de  l'hôtel  de  la 
chancellerie.  Au  mois  de  juin 
1809,  il  fut  réélu  chancelier  pour 
deux  ans.  Le  canton  de  Lucerne 
ne  voulut  prendre  aucune  part  à 
celte  élection.  M.  Mousson  a.cou- 
tinué  à  remplir  des  fonctions  pu-  ^ 
bliques. 

MOLSTALON  (N.),  instituteur 
à  Versailles  et  littérateur,  mem- 
bre-correspondant de  la  société 
royale  académique  des  sciences,  a  ^ 
publié  un  assez  grand  nombre 
d'ouvrages,  qui  ne  sont,  pour  la 
plupart,  que  des  compilations; ce- - 
pendant  elles  jouissent  de  quelque 
estime,  ayant  toutes  un  objet  d'u- 
tilité et  élaut  faites  avec  assez  de 
goût.  Voici  les  plus  remarquables  : 
1°  Précis  de  l' histoire  de  France  de- 
puis rétablissement  de  la  monar- 
chie jusqu'au  règne  de  Louis  Xf^I, 

1785,  in-12;  2°  Lycée  de  la  Jeu- 
nesse, ou  les  études  réparées;  nou- 
xeau  cours  d' instruction  à  l' usage 
des  jeunes  gens,  et  particulière- 
ment de  ceux  dont  les  études  ont 
été    interrompues    ou    négligées , 

1786,  2  vol.  in-12:  cet  ouvrage  a 
été  réimprimé  en  1792,  2  vol. 
in-12;  eu  1801,  2  vol  in-12,  et 
en  1810,  2  vol.  in- 1 2  ;  5°  if/t^- 
mcns  de  géographie  historique , 
tirés  du  Notionnairc  historique, 
par  Garsault,  1804,  in-12,  nou- 
velle édition,  1811,  2  vol.;4'iNV 
tionnaire,  etc.,  par  Garsault,  nou- 

i5 


226 


M0« 


velle  édition;  5°  Instruction  sur 
l' lùsloire  de  France  et  sur  l'histoire 
romaine,  par  Le  llagois,  corrigée  et 
continuée,  1806,  2  vol.  in-i2:elle 
a  été  réimprimée  plusieurs  fois, 
1810,  2  vol.  in-12;  i8i5,  2  vol. 
in  -  1 2  ;  6"  Encyclopédie  des  jeu- 
nes g'^n*,  nouvelle  édition,  1807, 
2  vnl.  in-8°;  7°  Morale  des  poètes, 
ou.  Pensées  extruites  des  plus  célè- 
bres poètes  latins  et  français,  1 809, 
in-12;  8°  Supplément  à  la  Morale 
des  poètes,  <j  l  c . ,  1 8 1  /[ ,  111-12;  la 
troisième  édilion  de  l;t  Morale, etc. , 
en  2  vol. in- 12,  est  augmentée  des 
pensées  de  Delille  et  tle  Ducis,  et 
onicedes  portraits  de  Virgile,  Ho- 
race, Boilcau  et  J.  li.  Kousseau. 

MOIjSIIER  (lemarquis-Eléo- 
ifORE- François  Eue  de),  maré- 
chal-de-camp, clievalier  de  Saint- 
Louis,  ancien  ambassadeur,  na- 
quit ;'i  Paris,  le  i  5  mai  1 76 1 ,  d'une 
ancienne  famille  originaire  de  la 
Franche -domté.  Il  termina  «es 
études  à  l'université  de  Heidel- 
berg ,  et,  dès  l'âge  de  14  ans,  il 
entra  dans  la  carrière  militaire  et 
suivit  concurremment  celle  de  la 
diplomatie.  Successivement  gen- 
tilhomme et  secrétaire  d'ambas- 
sade à  Lisbonne,  à  Londres,  à 
Naples,  ministre  de  France  à  Trê- 
ves, envoyé  extraordinaire  et  mi- 
nistre plénipotentiaire  en  Angle- 
terre, il  succéda,  en  1787,  à  M. 
de  la  Luzerne,  ambassadeur  près 
des  Etats-Unis  d'Amérique,  et, 
en  1790,  il  devint  ministre  près 
de  la  cour  de  Prusse.  En  1791  , 
Louis  XVI  le  rappela  et  lui  oflVit, 
dit-on,  le  ministère  des  affaires  é- 
trangères,  occupé  par  M.  de  iMonl- 
morin.  Le  marquis  de  Moustier 
refusa  ce  portefeuille,  et  n'ayant 
pas  voulu,  à  la  demande  de   ce 


M015 

prince,  se  rendre  en  Prusse  pour 
dissuader  le  roi  d'entrer  dans  la 
coalition  contre  la  France,  il  partit 
comme  ambassadeur  à  Constanti- 
nople.  Il  émigra  en  Î792,  et  fut 
chargé  dans  la  même  année,  par 
les  princes  français,  de  veiller  ù 
leurs  intérêts  près  de  Frédéric- 
Guillaume;  [lar  suite  de  la  guerre 
contre  la  France ,  sa  correspon- 
dance ayant  été  enlevée  avec  les 
équipages  de  Monsieur  dans  les 
environs  de  Verdun,  par  un  parti 
de  l'armée  du  général  depuis  ma- 
réchal Kellerman,  il  fut  décrété 
d'accusation  par  la  convention  na- 
tionale, le  22  octobre  1792,  sur  le 
nipport  d'Hérault  de  Séchelles. 
Ses  biens  furent  en  conséquence 
confisqués.  Choisi,  en  1793,  après 
l'expédition  de  Quiberon  pour  in- 
termédiaire entre  le  gouverne- 
ment anglais  et  le  comte  de  Puy- 
saye,  chef  des  forces  royales  de 
l'Ouest,  il  fit  de  vains  efforts  pour 
hâter  le  départ  de  l'expédition 
anglaise,  q\ii  enfin  n'eut  point 
lieu  par  suite  de  la  pacification 
de  la  Vendée  en  1796.  Il  se  fixa 
en  Prusse  ;  en  1797  ,  les  suc- 
cès de  l'armée  française  comman- 
dée par  l'empereur  Napoléon  le 
forcèrent,  en  1806,  à  se  réfugier 
en  Angleterre.  De  retour  en  Fran- 
ce avec  le  roi  en  18 14,  il  suivit  ce 
prince  à  Gand  au  mois  de  mars 
i8i5,  et  revint  avec  lui  après  le 
second  rétablissement  du  gouver- 
nement royal.  Le  marquis  de 
Moustier  niourut  près  de  Versail- 
les le  i"  février  1S17,  à  l'âge  de 
66  ans;  il  était  maréchal-de-camp 
de})uis  1794-  t)'>  ''li  doit  :  i"  de 
l'Intérêt  delà  France  à  une  consti- 
tution monarcliique,  Berlin,  1791; 
2'  de  l'Intérêt  de  l'Europe   dans 


MOU 

la  récolution  française,  Londres, 
1795;  S"  Obser Dations  sur  les  dé- 
clarations du.  maréchal  prince  de 
Colfourg  aux  Français,  par  un 
royaliste,  Londres,  1795;  4°  un 
grand  nombre  de  manuscrits,  no- 
tes et  docuinen*  politiques  inédits. 
MOLSTIER(lE  COMTE  Clément- 
Edoiarb  de),  ex-ministre  de  Fran- 
ce, fils  du  précédent,  est  né  à  Co- 
blentz  le  2  janvier  1779.  Il  accom- 
pagna son  père  dans  ses  difieren- 
tes  missions,  fit  ses  études  à  New- 
York,  et  vint  en  France  ayant  à 
peine  atteint  sa  quinzième  année. 
Il  prit  part  aux  mouvemens  po- 
pulaires de  prairial  an  5,  et  du  i5 
vendémiaire  an  4-  Arrêté  par  sui- 
te de  ces  derniers  événemens,  il 
ne  dut  sa  liberté  qu'à  sa  graftde 
jeunesse.  Il  quitta  la  France  et 
rejoignit  son  père  en  Angleterre; 
mais  bientôt  il  reparut  en  Nor- 
mandie, et  devint  aide-dc-camp 
de  M. de  Frotté,  chef  de  chouans; 
Il  l'ut  blessé  en  luttant  corps  à 
corps  avec  un  soldat  républicain. 
Après  la  pacification,  il  retourna 
à  Londres  et  revint  se  fixer  à  Pa- 
ris. Atteint  par  la  conscription,  il 
entra  comme  soldat  dans  un  régi- 
ment de  "liussards,  d'où  il  sortit 
pour  suivre  la  carrière  diplom  i- 
tique  ;  il  était  secrétaire  de  lég^i* 
lion  à  Dresde  en  1801.  Après  la 
bataille  d'Iéna,  un  lui  confia  la 
garde  des  prisonniers  saxons,  mis- 
sion qui  lui  valut,  de  la  part  du 
roi  de  Saxe,  une  boîte  enrichie  de 
diamans.  Il  épousa  la  fiile  du  com- 
te Laforêt,  et  devint,  par  le  cré- 
dit de  son  beau -père,  ministre 
plénipotentiaire  à  la  courde  Bade, 
et  ensuite  à  celle  de  Wurtemberg. 
Après  la  campagne  de  Moscow , 
il  demanda  son  rappel,  et  se  ri:n- 


MOU  aa; 

dit  à  Paris, où  il  se  prononça  avec 
chaleur  pour  le  rétablissement  du 
gouvernement  royal.  Il  lut  nom- 
mé, à  celte  époque,  maire  de  la 
commune  de  Brie,  où  il  a  ses  pro- 
priétés. 

MOUSTIEa  (le  comte  de),  de 
la  famille  des  précédens,  cheva- 
lier de  Saint-Louis.  l'un  des  troi^ 
gardes-du-corps  qui  accompagnè- 
rent Louis  XVI,  lors  du  voyage  de 
ce  prince  à  Varennes,  courut  de 
grands  dangers  au  retour  de  ce 
voyage,  et  fut  enfermé  à  l'Ab- 
baye avec  ses  camarades,  MM.  dts 
Malden  et  de  Valori,  jusqu'à  ce 
que  le  roi  eut  accepté  la  constitu- 
tion. Remis  en  liberté,  il  se  hâta 
<le  quitter  la  France,  et,  après  un 
assez  court  séjour  en  Allemagne, 
se  rendit  en  Russie,  où  il  prit  du 
service,  devint  colonel,  et  fut  dé- 
coré de  l'ordre  de  Sainte-Anne  et 
de  la  médaille  d'argent.  Il  est  ren- 
tré dans  sa  patrie,  ainsi  que  ses 
deux  fils,  après  la  seconde  restau- 
ration en  i8i5.  M.  de  Moustier  a 
publié  cette  même  année  une 
brochure  in -8"  portant  pour  ti- 
tre :  Relation  du  voyage  de  S.  M. 
Louis  Xf^I ,  lors  de  son  départ 
pour  Montmédy,  et  de  son  arresta~ 
lion  à  Varennes. 

MOUTARDIER  (Acgcstin)  ,  a- 
vocat,  naquit  à  Lesparra,  en  lySl). 
Après  avoir  fait  d'excellentes  étu- 
des au  collège  de  l'Oratoire  du 
Mans,  il  entra  dans  la  carrière  du 
barreau.  Reçu,  à  lâge  de  25  ans, 
avocat  au  parlement  de  Bordeaux, 
il  se  plaça  au  premier  rang  des 
orateurs  et  des  jurisconsultes  d« 
cette  époque  ,  la  plus  brillan- 
te du  barreaii  de  Bordeaux;  Sa 
probité  égalait  ses  lumières,  et  il 
>c  fit  des  amis,  qui,  dans  les  chir.- 


228  .MOU 

ces  diverses  de  sa  fortiiiK^,  ne  l'ont 
jamais  abandonné.  Il  exerça  pen- 
dant une  grande  partie  de  la  révo- 
lution ,  les  fonctions  de  président 
du  tribunal  civil  de  Lesparra,  où 
le  souvenir  de  ses  talens,  de  sa 
inodération  et  de  ses  qualités  pri- 
vées, ne  s'est  point  effacé,  (^oin- 
Hjcil  s'était  trouvé  avec  M.  Laîné, 
^t  d'autres  citoyens  respectables, 
en  opposition  avec  le  parti  de  la 
Gironde  ,  et  que  la  bonne  foi  de 
son  opinion  ne  lui  permit  pas  de 
chercher  une  protection  dans  les 
rangs  du  royalisme,  il  fut  égale- 
ment en  butte  aux  calomnies  et 
aux  persécutions  des  deux  partis, 
qui  se  réunirent  dans  une  funes- 
te réaction  ,  et  dans  un  désir  im- 
modéré de  vengeance.  Toutefois 
Moutardier  continua  d'exercer  a- 
vec  honneur  la  profession  d'avo- 
cat, et  ses  plus  ardens  ennemis  é- 
laient  souvent  contraints  de  re- 
courir à  ses  lumières.  Oublieux 
du  mal,  il  ne  faisait  acception  de 
personne,  et  rendait  d'éuiinens 
services,  sans  exiger  de  reconnais- 
sance. Député  de  la  Gironde,  à  la 
chambre  desrepréseutansde  i8i5, 
il  n'ambitionna  point  les  succès  de 
la  tribune;  mais  la  sagesse  de  ses 
vues,  lapureté  de  son  patriotisme, 
le  firent  distinguer  dans  les  bu- 
reaux et  les  comités.  De  retour  à 
Bordeaux,  après  la  seconde  res- 
tauration, il  fut  de  nouveau  exposé 
à  la  violence  de  l'esprit  de  parti,  qui 
ne  respecte  rien.  Son  nom  fut  rayé 
du  tableau  des  avocats;  il  s'en 
faisait  honneur  et  prenait  en  pitié 
la  rage  envieuse  de  ses  ennemis. 
Il  est  mort,  en  i8i8,  avec  le  cal- 
me et  la  résignation  d'une  âme 
élevée  et  d'une  conscience  sans  re- 
proches. Paulin  Moutaudikr,  son 


MOU 

frère,  tlicidogien  distingué,  et 
homme  de  beaucoup  d'esprit,  a 
été  long-temps  vicaire-général  de 
l'archevêque  de  Bordeaux.  Il  mou- 
rut en  1817  ,  regretté  de  ses  con- 
frères, dont  il  avait  obtenu  la  con- 
fiance et  l'amitié. 

MOUTIE  (N.),  député  ans  é- 
tats-généraux  en  1789,  était  cha- 
noine et  grand-chantre  de  la  caf- 
thédrale  d'Orléans,  à  l'époque 
de  la  convocation  de  cette  assem- 
blée ,  où  il  fut  élu  par  le  clergé 
du  bailliage  d'Orléans.  Il  prêta, 
en  1791,  le  serment  exigé  parla 
nouvelle  constitution  du  clergé  , 
et  se  retira  dans  ses  foyers  à  la  fia 
de  la  session. 

MOUTIEll  (N.),  lieutenant- 
général  du  bailliage  do  Sezanne, 
fut  nommé  député  du  tiers-état 
de  ce  bailliage,  à  l'assemblée  des 
états-généraux  en  1789.  Il  rem- 
plit son  mandat  en  votant  cons- 
tamment pour  les  réformes  politi- 
ques, adoptées  par  la  majorité. 
Après  la  session  ,  il  disparut  tota- 
lement de  la  scène  politique. 

MOUTON  (  Geohges  ,  comte 
LoBAu),  lieutenant-général,  est  né 
le  21  février  1770,  à  Phalsbourg. 
C'est  encore  un  de  ces  hommes  à 
qui  la  révolution  ouvrit  la  carriè- 
re où  des  facultés  supérieures  les. 
appelaient.  On  le  destinait  au  com- 
merce; mais,  en  1792,  le  terri- 
toire français  ayant  été  envahi, 
les  braves  prirent  les  armes  :  dès- 
lors  il  fut  militaire.  Il  partit,  en 
qualité  de  volontaire,  dans  la  lé- 
gion de  la  Meurthe,  et  mérita  ses 
j)remiers  grades  à  l'armée  du 
lUiin  ;  puis  il  passa  avec  le  géné- 
ral Championnet  en  Italie,  où  il 
fil  les  campagnes  de  1798  et  1799. 
11    commanda    pc!ida:it    quciquo 


MOU 

temps  le  château  Saint-Ange,  en 
'799»  ^-^  remplissait  à  la  bataille 
fie  Novi  les  fonctions  d'aide-de- 
camp  aiiprès  du  général  Joiibert. 
Il  était  colonel  du  5°"  de  ligne, 
l'un  des  régimens  que  les  revers 
qui  signalent  cette  année  désas- 
treuse, rejetèrent  dans  les  monta- 
gnes de  Gènes ,  où ,  livrés  à  tous 
les  besoins ,  ils  s'étaient  portés  à 
tous  les  excès.  Grâce  à  la  fermeté 
de  son  caractère,  le  colonel  Mou- 
ton maintint  le  bon  ordre  dans  ce 
corps  auquel  son  intelligence  sut, 
il  est  Yrai,  créer  quelques  ressour- 
ces contre  la  misère.  Ce  régiment 
fit  partie  de  l'armée  de  Massé- 
ua;  c'est  un  de  ceux  qui,  en  1800, 
concoururent  à  la  défense  de  Gè- 
nes. Pendant  les  i5  jours  de 
guerre  offensive  qui  précédèrent 
le  blocus  de  cette  ville,  le  colonel 
Mouton  prit  part  à  tous  les  com- 
bats dont  les  montagnes  de  la  Li- 
gurie  furent  le  théTilre.  L'un  des 
plus  briltans  est  celui  qu'il  livra, 
Ui  1 1  avril,  sur  la  Verreria  :  2,000 
prisoimiers ,  plusieurs  pièces  de 
canon  tombèrent  entre  les  mains 
des  vainqueurs.  Sur  sept  drapeaux 
qui  furent  enlevés  aux  ennemis 
dans  cette  occasion,  son  régiment 
en  prit  six.  A  l'allaque  du  fort 
Quezzi .  le  colonel  Mouton  reçut 
une  balle  à  travers  le  corps  ;  on  le 
crut  mort  :  un  ami  seul  en  douta; 
U  lui  dut  son  salut.  Retenu  au  lit 
'  par  sa  blessm'e  ,  il  se  croyait  en- 
core sur  le  cbamp  de  bataille  ; 
on  voulut  le  transporter  en  lieu 
sûr  au  moment  du  l>ombardemeiil 
de  Gêoes  ,  il  s'y  opposa  ;  il  au- 
rait cru  fuir.  Rentré  en  France  a- 
vec  son  régiment,  il  résida  quel- 
que temps  à  Monlpelliei*,  où  il  se 
fit  reuiorqucr,  soit  par  la  discipli- 


xMOL" 


229- 


ne  sévère  qu'il  avait  introduite 
dans  sa  troupe,  soit  par  la  supé- 
riorité avec  laquelle  il  la  faisait 
manoeuvrer.  Il  se  fit  remarquer 
aussi  sous  ces  deux  rapports  au 
camp  de  Boulogne  par  le  premier 
consul,  qui,  jaloux  de  s'attacher 
tous  les  militaires  supérieurs,  à 
quelque  titre  que  ce  fût,  prit  le 
colonel  Mouton  pour  aide-de- 
camp  et  le  nomma  général  de 
brigade.  Il  accompngna ,  en  celle 
qualité,  Napoléon  dans-  toutes  ses 
campagnes  ;  dans  celle  de  Polo- 
gne, le  14  juin  1807,  il  fut  blessé 
à  Fricdiand  ,  et  promu  le  5  no- 
vembre de  la  jucme  année  au 
grade  de  général  de  division.  Eu 
1808,  il  commandait  en  Espagne 
une  division  d'infanlerie  de  l'ar- 
mée du  maréchal  Bessières;  le  1  y 
juillet,  à  la  bataille  de  Médina  de 
Rio-Seco,  c'est  iui  qui  coiTunença 
l'attaque  et  prépara  le  succès  en 
enlevant  à  la  baïonnette  la  ville 
de  Médina.  Le  10  novembre,  il 
ne  contribua  pas  moins  à  la  vic- 
toire qui  ouvrit  à  Tempcreur  Na- 
poléon les  portes  de  Burgos.  En 
i8o§,  le  21  avril,  veille  de  la  ba- 
taille d'Eckmuhl,  il  préluda  nu 
triomphe  du  lendemain  par  un 
fait  d'armes  des  plus  audacieux  : 
le  général  Hiller,  qui  manœuvrait 
pour  faire  sa  jonction  avec  l'ar- 
mée du  prince  Chailes,  s'était 
jeté  dans  Landshtit  derrière  l'I- 
ser,  et  avait  fait  mettre  le  feu  au 
pont  après  l'avoir  passé.  Le  gé- 
néral Mouton,  à  la  tète  du  i^"'- 
régiment  d'infanterie  de  ligne  ». 
traverse,  l'arme  au  bras,  ce  pont 
enflammé,  pénètre  dans  la  ville» 
où  il  est  bientôt  rejoint  par  le  gé- 
néral Oudinot,  et,  par  cet  acte 
ai  hardi  que  «"empereur  Napoléon 


n'nvait  pas  cru  pouvoir  l'onlon- 
ner,  il  sépare  à  jamais  les  deux 
armées.  Le  si  mai  ,  il  rendit 
encore  des  services  pins  écla- 
tarjs  à  la  têle  des  fusiliers  de  la 
garde  :  c'est  lui  qui  rentra  dans 
Esslinc^,  dont  les  Autrifhiens  s'é- 
taient emparés  quatre  lois  dans  la 
journée  et  que  les  Français  occu- 
pèrent définitivement.  Le  titre  de 
comte  Lobau  que  reçut  le  gé- 
néral Mouton  ,  atteste  l'utilité 
dont  il  l'ut  à  l'armée  pendant 
le  séjour  qu'elle  fit  dans  Tîle  de 
Lobau  ,  entre  la  bataille  d'Essling 
et  celle  de  "NVagram.  En  1812,  il 
accompagna  l'empereur  Napoléon 
en  Russie,  et  partagea  la  gloire  et 
la  misère  de  cette  déplorable  ex- 
pédition. Dans  la  campagne  de 
i8i5,  il  commandait  à  Dresde  le 
6"°*  corps  d'armée  ;  resté  dans  cet- 
te ville  après  la  bataille  de  Lcip- 
sick,  son  sort  fut  celui  du  maré- 
chal Saint-Cyr;  sans  respect  pour 
la  foi  des  traités ,  il  fut  envoyé 
prisonnier  en  Hongrie,  d'où  il 
revint,  en  18 14)  après  la  premiè- 
re abdication  de  l'empereur.  Il  re- 
çut la  croix  de  Saint-Louis  le  8 
juillet,  mais  ne  fut  pas  mis  en  ac- 
tivité de  service.  En  i8i5,  Na-- 
poléon  ,  à  son  retour  de  l'île 
d'Elbe,  nomma  le  comte  Lobau 
pair  de  France,  et  lui  donna  le 
commandement  de  la  1"  division 
militaire.  Pendant  la  campagne 
qui  précéda,  le  second  retour  du 
roi,  il  commanda  le  G""  corps  de 
Tarmée  du  Nord.  Le  18  juin,  dans 
la  fatale  journée  de  Waterloo, 
chargé  d'arrêter  la  marcbedu  géné- 
ral Bulow,  il  soutint  long-temps, 
avec  6,000  hommes,  Tcfiort  de  5o 
mille,  et,  malgré  cette  prodigieuse 
inégalité  de  forces,  remporta  sur 


MOV 

eux  d'imporfans  avantages.  Mal- 
gré la  perte  de  la  bataille,  ne  dé- 
sespérant pas  encore  de  la  fortu- 
ne, il  s'occupait  à  rallier  les  dé- 
bris de  l'armée  ,  lorsque  surpris 
par  les  Prussiens,  il  fut  fait  pri- 
sonnier et  conduit  comme  tel  en 
Angleterre.  Porté,  pendant  sa  cap- 
tivité ,  sur  la  liste  des  trente-hin't 
personnes  à  qui  l'ordonnance  du 
2]  juillet  interdisait  le  séjour  en 
France  ,  il  passa  en  Belgique  le 
temps  de  son  exil,  qui  expira  vers 
la  fin  de  1818.  Le  comte  Lobau 
méritait  à  plus  d'un  titre  la  con- 
fiance dont  il  fut  honoré  par  Na- 
poléon :  t\  une  grande  capacité 
militaire,  il  unissait  des  qualités 
peu  communes  ù  la  cour  et  même 
aux  camps,  qui  alors  étaient  sou- 
vent la  cour.  Aussi  homme  de 
cœur,  il  y  disait  la  vérité.  Napoléon 
l'aimait  néanmoins,  et  s'en  rap- 
portait volontiers  à  son  jugement^ 
il  faisait  peu  de  promotions  danv 
J'armée  sans  consulter  le  comte 
Lobau,  qu'il  avait  chargé  du  tra- 
vail sur  le  personnel  de  l'armée. 

MOUTON  (Philiuebt),  mem- 
bre delà  légion-d'honneur,  l'un 
des  chirurgiens  en  chef  qui  ont 
partagé  les  dangers  et  la  gloire  de 
nos  armées,  naquit  à  Châlons-sur- 
Saône,  département  de  Saône-et- 
Loire,  et  reçut  de  son  père,  chirur- 
gien distingué  de  cette  ville,  les  pre- 
mières leçons  de  l'art  dans  lequel  il 
s'est  fait  im  nom  honorable.  Elè- 
ve des  écoles  de  santé  de  Paris, 
oùil  soutint  brillamment  tous  ses 
examens, il  parlitpour  les  armées  en 
qualité  de  chirurgien  de  2' classe  et 
fit  presque  toutes  les  campagnes  de 
la  révolution  dans  la  garde  consu-^ 
laire  et  dans  la  garde  impériale.. 
Devenu  chirurgien-major  de  pre-^ 


MOU 

mière  classe  de  cette  garde,  il 
obtint  la  Ofoix  de  la  légion-d'hon- 
neur. Il  s'était  fait  aimer  de  ses 
chefs  par  son  mérite  personnel  et 
par  son  amour  pour  ses  devoirs, 
et  des  soldats  par  son  humanité. 
Il  allait  leur  prodiguer  ses  secours 
jusque  sous  le  feu  de  l'ennemi,  et 
nombre  de  fois  il  faillit  devenir  la 
victime  de  ce  zèle  infatigable. 
Mouton  mourut,  jeune  encore,  en 
i8i4;  il  a  publié  plusieurs  ouvra- 
ges et  donné  quelques  articles  im- 
portans  au  Dictionnaire  des  Scien- 
ces médicales. 

MOUTON- DU -VERNET  (le 
BARox),  lieutenant-général,  com- 
mandant de  la  légion-d'honneur . 
nietnbre  de  la  chambre  des  repré- 
sentans  ,  et  gouverneur  de  Lyon, 
àdiQ%  [es  cent  jours ,  en  i8i5,  sui- 
vit avec  distinction  la  carrière  des 
armes,  et  était  major  du  G4*  régi- 
ment d'infanterie  de  ligne ,  qui  fit 
les  campagnes  de  Prusse  el^de  Po- 
logne. Le  10  février  1807,  il  fut 
nommé  colonel  du  63°  régiuient. 
Appelé  à  l'armée  d'Espagne,  il  y 
donna  de  nouvelles  preuves  de  bra- 
voure et  de  talens,  et  mérita,  au 
combat  de  Cuença,  le  grade  de 
général  de  brigade,  auquel  il  fut 
promu  peu  de  temps  après;  il  ob- 
tint par  les  mêmes  moyens  le 
grade  de  général  de  division, 
qu'il  reçut  le  4  a'^ût  i8i3.  Il  fit 
avec  éclat  les  célèbres  et  malheu- 
reuses campagnes  d'Allemagne  et 
de  France  eu  i8i4-  Pendant  les 
cent  jours,  en  18 15,  il  devint 
membre  de  la  chambre  des  repré- 
tans.  Ses  discours  à  la  tribune  na- 
tionale ont  servi ,  après  le  second 
retour  du  roi,  de  motifs  à  sa  mise 
en  jugement  et  à  sa  condamna- 
tion. Compris  dans  l'ordonnance 


MOU  25» 

royale  du  24  juillet  (j8i5),  il  fut 
obligé  de  quitter  Lyon,  dont  Na- 
poléon lui  avait  confié  le  gouver- 
nement,  le  2  du  mT-me  mois,  et 
de  se  soustraire  par  L  fuite  au 
conseil  de  guerre ,  devant  lequel 
il  devait  être  traduit.  Préférant 
s'abandonnera  toute  sa  mauvaise 
fortune  plutôt  que  de  mener  une 
vie  qui  convenait  si  peu  à  son  ca- 
ractère ,  il  cessa  de  prendre  pour 
sa  sûreté  les  précautions  que  ses 
amisavaient  eu  quelquesorte  prises 
pour  lui.  Découvert  et  arrêté  à 
Montbrisson  ,  dans  les  premiers 
jours  de  mars  de  1816,  il  fut 
transféré  à  Lyon,  et  livré  au  con- 
seil de  guerre,  qui  le  condamna 
à  mort  le  jg  juillet.  On  remar- 
qua généralement  que  sa  défense 
fut  simple  et  noble  ,  et  exempte 
de  faiblesse  comme  d'ostentation. 
Il  appela  de  ce  jugement  au  con- 
seil de  révision,  qui  le  confirma. 
Conduit  au  lieu  de  l'exécution 
le  26 ,  à  cinq  heures  du  matin  , 
il  mourut  avec  le  courage  et  le 
sang  froid  qu'il  avait  si  souvent 
déployés  sur  le  champ  de  bataille. 
MOUTONNET-  CLAIRFONS 
(Julien- Jacques),  homme  de  let- 
tres, censeur  royal,  membre  des  a- 
cadémies  de  la  Crus<a,  de  Lyon,  de 
Rruien,  etc.,  naquît  au  Mans,  dé- 
partement de  la  Sarlhe,  vers  1740» 
d'une  famille  honorable,  mais  peu 
riche,  et  il  ne  dut  son  éducation 
qu'aux  soins  et  aux  sacrifices  d'un 
oncle  ,  curé  d'un  village  aux  envi- 
rons du  Mans.  Il  termina  d';s  étu- 
des distinguées  chez  les  oraloriens, 
et  vint  à  Paris  pour  y  rendre  ses  ta- 
lens utiles  et  acquérir  des  moyens 
d'existence  qu'il  ne  pouvait  espé- 
rer que  de  son  travail.  C'est  pen- 
dant son  voyage,  qu'il  fut  obligé 


î>r»3  MOU         * 

fie  faire  à  pied,  qu'il  prit  le  surnoiT» 
(le  Clairfons,  d'une  fontaine  près 
de  laquelle  il  s'était  reposé,  et  qui 
l'avait  désaltéré  dans  le  moment 
(fù  il  éprouvait  tme  «oif  extrême; 
il  avait  alors  i8  ans,  Une  éduca- 
tion particulière  qui  lui  fut  con- 
iiée  lui  procura  un  peu  d'aisance, 
«t  bientôt  il  produisit  ses  premiers 
ouvrages,  au  mérite  desquels  il 
<iut  Testime  et  l'amitié  de  deux 
hommes  célèbres,  J.  J.  Rousseau 
et  le  P.  Elisée  {voyez  ce  dernier 
nom).  Sa  carrière  fut  paisible,  mais 
sa  mauvaise  santé  affaiblit  souvent 
le  bonheur  qu'il  goCitait  dans  la  so- 
ciété d'une  famille  estimable. 
Lorsqu'il  mourut,  le  5  juin  i8i5, 
des  suites  de  l'opération  de  la  tail- 
le, il  était  employé  dans  l'adminis- 
tialion-générale  des  postes.  On  lui 
doit  :  1°  les  Baisers  de  Jean  second, 
traduction  estimée  de  cet  auteur, 
que  l'on  compte  parmi  les  restau- 
rateurs de  la  poésie  latine,  Paris, 
in-8°,  i'^yi;'i"\cs  Iles  fortunées,  ou 
Aventures  de  BalhiUc  cl  de  Cléobu- 
le,  Paris,  i  vol.,  1771  :  cet  ouvra- 
ge, auquel  on  ajoute  ]a  Bonne  mè- 
ve,  la  F'dlehien  née,  V Hirondelle  et 
.^cs petits, eic,  aété  aussiimprimé, 
en  1787,  dans  les  Voyages  imagi- 
naires, recueil  formant  Sg  vol.  in- 
K";  j°Anacréon,  Sapho,  Bion^  Mos- 
</«<5,  etc.,  traduction  du  grec  en 
français,  Paris,  in-8",  1775.  Quatre 
(  ontre-façons  publiées  avant  la  se- 
conde édition,  qui  parut  en  1779, 
Paris,  2  vol.  in- 12,  attestent  le  mé- 
rite du  travail  de  IMoutonnet- 
(Jairfons.  On  réunit  ordinaire- 
ment à  cet  ouvrage  Héro  et  Léan- 
drCy  poëme  de  Musée,  avec  la  tra- 
duction de  plusieurs  idylles  de 
Théocrite,  Paris,  2  petits  vol. 
in-8°,  1 774*  î'^'impvimé l'année sui- 


MOU 

vante;  le  Permgilium.  veneris,  difFé- 
reiis  morceaux  d'Horace  et  de  Ca- 
tulle, et  quelques  épigrammes  ti- 
rées de  l'anthologie  grecque.  4* 
'L'Enfer,  poëme  du  Dante,  avec  lo 
texte,  des  notes  et  une  vie  de  l'au- 
teur, Paris,  in-8%  1776.  Cette  tra- 
duction est  le  principal  ouvrage 
de  Moutonnet-Clairfons,  et  sans 
être  du  premier  mérilr,  elle  est 
généralement  recherchée.  5°  Ma- 
nuel éplstolaire,  ou  Choix  de  lettres 
puisées  dans  les  meilleurs  auleiir» 
français  et  latins,  Paris,  1785,  in- 
12.  On  y  trouve  un  excellent  pré- 
cis sur  la  vie  et  les  écrits  de  Cicé- 
ran.  G"  Lettre  à  M-  Clément,  dans 
laquelle  on  examine  son  épîlre  de 
Boileau  à  Voltaire,  par  un  homm^ 
impartial,  Paris,  1772,  in-S"  de 
23  pag.;  7°  le  Véritable  philantro- 
pe,  Philadelphie  (Paris),  1790,  in- 
8».  Dans  cet  ouvrage,  qui  lui  a  é- 
tc  inspiré  par  son  amitié  pour  J. 
J.  P»o«isseau,  il  se  plaît  à  proclamer 
les  principes  de  morale  de  cet  élo- 
quent philosophe.  8°  La  Galéide, 
ou  le  Chat  de  la  nature,  poëme, 
1798,  in-S".  A  la  suite  de  cet  opus- 
cule se  trouvent  différens  mor- 
ceaux, où  l'on  remarque  plus  par- 
ticulièrement une  dissertation  fort 
intéressante  et  très-bien  faite  sur 
le  Manlouan,  poète  latin  trop  fé- 
cond du  quinzième  siècle.  9"  il/*** 
(Morel)  dénoncé  au  public  comme  te 
plus  grand  j)lagiuire  (à  la  suite  de 
Ptinurge,  ballet-comique, par  Fran- 
çoisParfait),  Paris, an  11  (i8o5),in- 
8°;  io"enl]n,un  assez  grand  nombre 
à'  Articles  àansXeJ  ournal  des  ArlSf 
des  Sciences  et  de  la  Liltérature. 
Moutoimet-Clairfons  prenait  avec 
complaisance  pour  épigraphe  ce 
distique  ,  qu'un  de  ses  amis  avait 
inscrit  au  bas  de  son  portrait  : 


510X 

Aurea  lihvtas  blanae  rc^pexit  amcntem  : 
Spcr/io  divitiaSf  otijhquc  fruor, 

MOLYSSET  (G.),  iu^e  au 
tribunal  de  Villeneuve,  lui  nom- 
mé, en  179»,  député  à  l'assem- 
blée législative  par  le  département 
de  Lot-et-Garonne  ;  '  il  s'occupa 
pendant  le  cours  de  la  session  d'un 
grand  nombre  d'objets  de  judica- 
ture.  En  février  1792,  il  deman- 
da que  les  députés  fussent  auto- 
risés à  se  réunir  le  soir  dans  le  lieu 
même  de  leurs  séances,  aûn  d'é- 
tablir des  conférences,  dont  le  ré- 
sultat serait  de  rallier  franchement 
au  parti  constitutionnel  les  hom- 
mes qui  jusqu'alors  avaient  montré 
de  l'hésitation.  Cette  proposition 
fut  jugée  équivoque  ;  elle  parais- 
sait concertée  d'avance  avec  les 
ministres,  et  elle  fut  repoussée  à  la 
suite  dune  discussion  très-orageu- 
se, où  l'on  avait  objecté  pour  la 
faire  écarter,  .<  que  le  local  de  l'as- 
«semblée  ne  devait  point  servir 
*à  une  réunion  particulière  de 
«députés  qui,  dans  une  circons- 

•  tance  donnée,  et  offrant  un  nom- 
»bre  suffisant  pour  délibérer,  pour- 
>•  raient  se  convertir  en  assemblée 

•  nationale,  et  agir  sans  ou  même 

•  contre  le  parti  de  l'opposition.  » 
ftl.  Motiyssel  ne  ût  point  partie  de 
la  convention  nationale  ni  des 
deux  conseils;  mais  après  la  révo- 
lution du  18  brumaire  an  8  (9  no- 
Tembre  1799^,11  fut  nommé  com- 
missaire du  gouvernement  con- 
sulaire près  le  tribunal  d'appel  du 
déparlement  de  Lot-et-Garonne. 
Il  occupa  cette  place  plusieurs 
années  sous  le  gouvernement  im- 
périal,  pnis  il  fut  entièrement 
perdu  de  yuc. 

MOXO  (dox  Salvador),  ca- 
pitaine-général de  la  provinoo  do 


MOX 


433 


Caraccas,  s'est  rendu  fameux  par 
une  férocité  dont  les  exemples 
n'ont  été  que  trop  nombreux  dans 
les  dissensions  politiques  moder- 
nes. Envoyé,  en  1816,  par  3011 
gouvernement,  en  qualité  de  ca- 
pitaine -  général  de  la  province 
de  Caraccas  ,  lors  du  blocus  de 
l'île  de  Margaiila,  par  les  trou- 
pes navales  de  Ferdinand  VII, 
il  déclara  dans  un  ordre  du 
jour  :  «  Que  dans  le  cas  où  un 
'  navire,  soit  espagnol ,  soit  étran- 
ger, serait  surpris  portant  aux 
insurgés  des  armes  ,  des  mu- 
nitions, ou  des  secours  de  quel- 
qu'espèce  que  ce  put  être ,  le 
patron  et  les  principaux  chefs 
du  convoi  seraient  pendus  sur-le- 
champ  aux  vergues,  et  l'équipa- 
ge quinliiné,  si  les  hommes  qui 
le  composeraient  n'étaient  pas  ju- 
gés aussi  coupables  que  les  au- 
tres; auquel  cas  ils  subiraient  tous 
le  même  sort.  «Ces  ordres  atroces 
furent  bientôt  suivis  de  plus  a- 
troces  encore.  Au  printemps  de 
la  même  année,  il  écrivit  au  gou- 
verneur de  cette  ile,  nommé 
Lrreisticta  :«  Je  vous  enjoins  for- 
mellement de  mettre  à  part  fou- 
te considération  d'humanilé.  Toiis 
les  insurgeas  et  ceux  qui  les  sui- 
vent, avec  ou  sans  armes  ,  ceux 
qui  ont  secondé  leurs  entreprises, 
enfin  ceux  qui  ont  pris  part,  d'u- 
ne manière  quelconque,  à  l'état 
de  crise  où  l'île  se  trouve  aujour- 
d'hui, doivent  être  fusillés  s>ir- 
Ic-champ,  sans-aucime  forme  de 
procès  ,  et  après  un  simple  inter- 
rogatoire verbal  en  présence  de 
trois  officiers.  »  l  ne  aussi  inexpli- 
cable barbarie  fut  sans  doute  la 
cause  de  la  disgrâce  que  don  Sal- 
-çador  Slo;co    éprouva    en    1817. 


234 


MOY 


Non-seulement  le  «général  en  chef 
Morlllo  le  suspendit  tle  son  coin- 
mandement,  après  lui  avoir  a- 
dressé  les  reproches  les  j)lns 
sévères,  mais  bientôt  il  lui  fit 
connaître  que  le  roi  lui  retirait 
tous  les  pouvoirs  qu'il  lui  avait 
confiés.  On  ne  sait  ce  que  cet  o- 
dieux  agent  est  devenu  depuis 
cette  époque. 

310Y  (C.  A.  de)  ,  ancien  curé 
de  Saint-Laurent ,  et  trésorier 
de  la  Sainte-Chapelle  ,  d'une  fa- 
mille distinguée  de  la  ci -devant 
Lorraine,  s'était  l'ait  connaître 
avant  la  révolution  par  plusieurs 
ouvrages,  et  notamment  p:ir  l'Ac- 
cord de  La  Religion  et  des  Cuites, 
qui  eut  alors  le  plus  grand  succès. 
Ce  livre  renferme  les  principes 
d'une  philosophie  douce  et  tolé- 
rante, dont  le  but  est  d'engager 
les  hommes  à  vivre  en  frères, 
sans  s'inquiéter  de  la  manière  dont 
chacun  d'eux  adresse  ses  vœux 
à  l'Éternel.  Il  mérita  à  son  auteur 
l'approbation  de  tous  les  hommes 
sages,  et  fut  loué  par  La  Harpe 
dans  le  Mercure  de  France.  M.  de 
Moy  nommé  ,  par  le  département 
de  Paris,  député  suppléant  à  l'as- 
semblée législative,  y  remplaça, 
le  17  avril  1792,  M.  de  Gouvion. 
Il  parla,  le  iG  mai  suivant,  sur  la 
constitution  civile  du  clergé ,  et 
proposa  des  mesures  contre  les 
prêtres  qui  refusaient  de  prêter  le 
nouveau  serment.  On  a  dit  dans 
une  biographie  que  M.  de  Moy 
avait  donné  sa  démission  de  la 
cure  de  Saint- Laurent  dans  le 
mois  de  juillet  de  la  même  an- 
née; c'est  une  erreur,  il  avait 
quitté  cette  cure  pour  la  céder 
à  son  frère ,  lorsqu'il  fut  nom- 
mé,  par  le  roi,  vers  17S6,  tréso- 


MOY 

rier  de  la  Sainte-Chapelle;  mais 
il  est  très-vrai  qu'à  l'époque  citée 
parle  biographe,  M,  C.  A.  de 
iMoy  renonça  aux  fonctions  ecclé- 
siastiques. Rentré  dans  la  vie  pri- 
vée, il  a  cessé  d'occuper  l'attention 
publique. 

MO  Y  A  NO  (don  Thomas),  con- 
seiller-d'élat  espagnol  ,  fut,  après 
le  rétablissement  de  Ferdinand 
VII ,  nommé,  dans  le  mois  de  no- 
vembre i8i4i  ministre  de  grâce 
et  de  justice.  Celle  place,  dans 
laquelle  il  avait  succédé  à  don 
Pedro  Macanaz,  ne  lui  resta  pas 
long-temps  ,  et  sans  que  la  cause 
de  sa  disgrâce  y  fût  indiquée,  ou 
vit  paraître  dans  la  Gazelle  officiel- 
le de  Madrid,  du  27  janvier  18 lO, 
une  lettre  du  roi,  à  don  Pedro 
Cevallos,  conçue  en  ces  termes  : 
«  Ayant  jugé  à  propos  de  retirer 
«l'emploi  de  secrétaire -d'état  au 
«département  de  la  justice  ,  à  don 
«Thomas  Moyano,  je  lui  accorde 
»une  place  effective  dans  mon 
«conseil-d'état,  avec  appointe- 
jument  ert  entier,  mais  «a»*  qa'd 
n puisse  y  assister,  et  j'ai  résolu 
«en  même  temps  q.ie  vous  seriea 
«chargé,  par  intérim,  de  ce  dépar- 
»teuient.  «A  la  suite  de  cette  des- 
titution, M.  Moyauo  reçut  l'ordre 
de  se  rendre  au  village  de  la  Seca, 
où  déjà  son  prédécesseur  se  trou- 
vait  exilé. 

MOYESSET  (N.),  membre  de 
plusieurs  assemblées  législatives, 
fut  nommé,  au  mois  de  septembre 
1792,  par  le  déparlement  du 
Gers,  député  à  la  convention  na- 
tionale, où  il  manifesta  des  prin- 
cipes très-modérés.  Dans  le  pro- 
cès du  roi,  il  vota  la  détention 
provisoire.  Signataire  des  pro- 
testations du  16  juin  1793,  coa- 


RIO  Y 

tKe'les  cvénenieiis  du  oi  mac  pré- 
cédent, il  fut  du  nombre  des  ^3 
députés  mis  eu  arrestation ,  et 
qui  reprirent  rexercicc  de  leurs 
fonctions  législatives  après  la  ré- 
volution du  9  thermidor  an  2  (27 
juillet  179/1).  Membre  du  conseil 
des  anciens  par  suite  de  la  réé- 
lection des  deux  tiers  convention- 
nels ,  il  devint  secrétaire  de  cette 
assemblée,  dont  il  sortit  en  1797. 
Depuis  cette  époque ,  il  ne  paraît 
pas  avoir  exercé  de  fonctions  pu- 
bliques. 

MOYLAN  (François)  ,  évêque 
catholique  de  Cork,  en  Irlande, 
naquit,  en  i-oS.  à  Cork.  Sa  fa- 
mille, qui  se  livrait  au  commerce, 
l'envoya  en  France,  et  il  fit  ses 
études  au  séminaire  fondé  à  Tou- 
louse, en  faveur  des  catholiques 
irlandais,  par  Anne  d'Autriche. 
Il  s'y  lia  d'une  amitié  qui  ne  s'al- 
téra jamais  avec  l'abbé  Edge- 
"worlh,  son  condisciple.  En  sor- 
tant du  séminaire,  l'abbé  Moylan 
YintàParis.oùilfut  admis  dans  les 
ordresen  1761.  Aprèsavoir rempli 
pendant  quelque  temps  les  fonc- 
tions de  vicaire  à  Chatou,  village 
peudistantde  Paris,  il  retourna  en 
Irlande,  y  fut  missionnaire  jus- 
((u'en  J775,  et  ensuite  évêque  de 
Kerry,  puis,  en  1787,  de  Cork. 
Ce  prélat,  aidé  de  miss  Nano  Na- 
gle,  fonda  lu  congrégation  des 
religieuses  de  la  Présentation,  qui 
se  consacrent  plus  spécialement  à 
l'éducation  des  filles;  il  fonda  égale- 
ment une  école  pour  les  garçons, 
et  concourut  à  l'établissement  du 
collège  de  Maynooth  en  faveur 
des  catholiques  irlandais.  Lors 
des  troubles  qui  éclatèrent  dans  .sa 
patrie  en  1797,  il  s'opposa  de 
toutes  ses  forces >  par  ses  adresses 


MOT 


33S 


et  ses  mandemens,  à  ce  que  ses 
diocésains  prissent  part  aux  mou- 
vemensqui  agitaient  l'Irlande,»  et 
aie  gouvernement  anglais  lui  en 
•  témoigna  sa  reconnaiss.'vnce  ,  » 
suivant  l'expression  de  lord  Castle- 
reagh.  Burke  lui-même  y  joignit 
ses  félicitations  dans  plusieurs  let- 
tres que  ce  p)ibliciste  lui  adressa. 
L'^cvêquedc  Cork  mourut,  octo- 
génaire, le  10  février  181 5.  Il  n'a 
laissé  aucun  ouvrage  imprimé. 

MOYNE  (N.),  membre  du  con- 
seil des  anciens,  remplissait  avec 
une  rare  intégrité  les  fonctions 
d'accusateur-public,  près  le  tri- 
bunal criminel  du  département 
de  Saône  -  et  -  Loire  ,  lorsqu'il 
fut  nommé  par  ce  départemeivt , 
en  179SJ  membre  du  conseil  des 
anciens.  Il  se  rendit  utile  dans  le 
travail  des  bureaux,  mais  il  n'oc- 
cupa point  la  tribune.  Cet  honora- 
ble citoyen  mourut  généralement 
regretté  dans  le  mois  de  mai  1799. 

MOYSANT  (François),  biblio- 
thécaire de  la  ville  de  Caen,  doc- 
teur en  médecine,  membre  de 
plusieurs  sociétés  savantes,  na- 
quit au  village  d'Andrieu,  près  de 
Caen,  le  5  mars  1755.  Il  fit  ses 
études  chez  les  jésuites,  qui  vou- 
lurent l'attacher  à  leur  société: 
mais  il  aima  mieux  entrer  dans  la 
congrégation  des  Eudistes;  ils  l'en- 
voyèrent professer  au  collège  de 
Lizieux,  la  grammaire  et  la  rhéto- 
rique. Forcé  par  la  faiblesse  de  sa 
santé  de  renoncer  au  professorat, 
il  vint  à  Paris.  Après  six  ans  d'é- 
ludés, il  se  rendit  à  Caen,  et  y 
fut  reçu  docteur  en  médecine.  Il 
y  pratiqua  pendant  plusieurs  an- 
nées; mais  un  dos  malades  aux- 
quels il  donnait  des  soins,  étant 
mort    p'ir    suite    d'imprudeuCe^ 


2ÔG 


RIOY 


Moysont  renonça  à  sa  prolo-'Sion, 
et  reprit  l'enseignement  qu'il  a- 
vait  quitté  avant  ses  études  iiié- 
dtcales,    et    qu'il    ne    qi\itla    de 
nouveau  que   pour  se   consaci-er 
exclusivement   aux   soins    exigés 
par  la  place  de  bibliothécaire  de 
la  ville  de  Caen,  à  laquelle  il  a- 
vait  été  nommé  lors  de  la  suppres- 
sion des  maisons  religieuses.  Il  rut 
chargé  de  la  surveillance  des  bi- 
bliothèques de  ces  élablissemens. 
C'est  en  visitant  les  dépôts  confiés 
à  ses  soins  qu'il  forma  le  projet,  à 
l'instar  du  Monasticon  ang/icanuni 
de  Dodsworth  et  Dugdale,  de  créer 
le  monasticon  netistria<nim,  auquel 
il  devaitjoindrele-rvues  des  édifices 
gothiques  les  plus   remarquables 
et.  les  inscriptions  qui  présentaient 
le  plus  d'intérêt.    Les   premières 
secousses  de  la  révolution  s'oppo- 
sèrent à  l'exécution  de  ce  projet, 
et    forcèrent   bientôt   Moysant    à 
cliercher  un  refuge  en  Angleterre. 
Son  départ  le  fit  comprendre  sur 
la  liste  des  émigrés.  Ne  pouvant 
sans  danger  rentrer  dans  sa  patrie, 
il  publia  à  Londres,  pour  subvenir 
à   ses   besoins,   une   compilation 
faite  avec  gofit,  en  4  vol.  in-S", 
sous  le  titre  de  Bibliollièquc  des  é- 
eru'ohis   français,   ou   Choix  des 
meilleurs  morceaux  en  vers  et  en 
prose,  extraits  de  leurs  ouvrages; 
peu  de  temps  après,  il  donna  un 
Dictionnaire  porlalif  anglais-fran- 
çais.  Tous  leà  vœux  de  Moysant 
étaient   pour   son  retour  dans   sa 
patrie,  et  il  se  hâta  de  profiter  de 
l'amnistie  accordée  aux  émigrés 
par  le  gouvernement  consulaire, 
il  revint  à  Caen  eu   1802,  Il  fut 
iKîmmc  membre  des  sociétés  sa- 
vinles  de   celte  ville,   et  chargé 
de  réorganiser  l;i  Ijiiilwlhèque  pu- 


MOT 

blique,  dont  il  devint  directeur. 
Il  mourut  dans  l'exercice  de  sa 
place,  le  5  août  i8i3.  Moysant  a 
fourni  plus  d'un  volume  au  Dic- 
tionnaire historique  de  MM.  Chau- 
don  et  Delandine,  qui  s'imprimait 
à  Caen  ,  et  dont  l'impression  é- 
tait  confiée  à  ses  soins.  M.  Bar- 
bier, dans  son  Dictionnaire  des 
anonymes,  et  M.  Henniker  ,  dans 
un  ouvrage  anglais  sur  les  briques- 
armorii^es  de  Saint-Etienne  de 
Caen,  s'empressentd'avouer  qu'ils 
lui  doivent  d'utiles  renseignemens^ 
Il  avait  fourni  bien  antérieure- 
ment un  nombre  considérable  d'ar- 
ticles an'  Grand  Vocabulaire  fran- 
çais, publié  à  Paris,  en  1767,  en 
3o  vol.  in-^",  et  donné,  dans  la 
même  année,  avec  MM.  Lamaul- 
Jerie  et  Vacher,  le  Dictionnnire  de 
chirurgie,  Paris,  2  vol  in-8°.  Ou- 
tre ces  différens  travaux,  on  doit 
encore  à  Moysant  :  1°  Prospectus 
d' un  cours  public  gratuit  des  bel- 
les-lettres françaises ,  etc.,  Caen, 
1761  ,  in-4°;  2°  In  felices  nuptias 
Ludovici  Augusti  Galliarum  del- 
phini,  etc.  ,  ibid.  ,  1770,  in-4°, 
26  pag  :  3°  Rcchc-rches  historiques 
sur  la  fondation  du  collège  de  No- 
tre-Dame de  Bale.ux ,  fondé  dans 
C université  de  Pa^'is ,  par  maître 
Grrvais,  1783,  in-4°.  M.  Hébert, 
bibliothécaire  actuel  de  la  ville 
de  Caen  ,  a  publié  :  Notice  histori- 
que sur  la  vie  de  François  Moysant, 
Caen  ,  iu-8",   1814. 

MOYSE  (N.),  général  noir,, 
neveu  de  Toussaint-Louverture , 
naquit  à  Saint  -  Domitigue  vers 
1772.  L'intelligence  et  le  coura^ 
ge  qu'il  montra  dans  diverses  oc- 
casions le  firent  avantageusement 
remarquer  à  l'époque  des  premiers 
troubles  di;  la  colonie.  Il   obtint 


^  ' 


a4loxart. 


WOY 

d'abord  de  Jean-François.  Tiin 
de«  chefs  de:-  noirs  insurgés,  le  com- 
mandement du  quartier  du  Don- 
don  ;  mais  Toussaint-Lonverture, 
autre  cliel",  qui  bientôt  l'emporla 
sur  ses  concurrens,  l'attira  dans 
son  parti,  et  lui  donna,  en  1797, 
le  grade  de  général  de  brigade, 
et  eu  1800,  celui  de  général  de  di  • 
vision.  Le  jeune  Moyse,  qui  avait 
plus  d'élévation  dans  l'âme  que 
sa  première  condition  ne  le  faisait 
supposer,  voulait,  en  combattant 
les  Européens,  mériter  leur  esti- 
me, et  pour  y  parvenir,  il  sentit  la 
nécessité  de  s'instruire.  CtJ  fut  au 
milieu  des  camps,  et  pendant  les 
orages  de  la  révolution  qui  ensan- 
glanta Saint-Domingue,  qu'il  se 
mit  en  état  de  tenir  un  journal 
exact  de  tout  ce  qui  se  passait  sous 
ses  yeux.  Ami  sincère  de  la  liberté, 
il  ne  vit  qu'avec  chagrin  l'ambi- 
tion excessive  de  Toussaint- Lou- 
verture,  et  le  nouveau  despotisme 
qu'il  substituait  chaque  jour  à  ce- 
lui des  blancs;  il  osa  en  marquer 
son  mécontentement,  et  le  peu  de 
ménagement  qu'il  mit  dans  ses  ex- 
pressions enhardit  ses  rivaux  à 
devenir  ses  dénonciateurs  auprès 
du  général  en  chef;  ils  l'accusèrent 
d'avoir  eu  des  conférences  secrè- 
tes avec  des  Français  prêts  à  re- 
tourner dans  leur  patrie,  et  de 
leur  avoir  confié  sa  résolution  de 
seconder,  de  tous  ses  moyens  , 
les  forces  que  la  métropole  se  dé- 
ciderait à  envoyer  contre  Saint- 
Domingue.  Il  n'en  fallut  pas  d'a- 
vantage pour  le  faire  traduire , 
sur  l'ordre  de  Toussaint- Louvertu- 
re,  devant  une  connnission  mili- 
taire, qui  le  condamna  à  mort 
comme  l'un  des  instigateurs  de  la 
révolte  du  ai  décembre  1801.  En 


MOZ  27)7 

conséquence,  Moyse  fut  placé  à  la 
bouche  d'un  canon,  et  périt  de 
cette  manière  à  la  fleur  de  son 
âge. 

MOYZEN  (N.),  membre  de  la 
chambre  des  dé[Mités  ,  où  il  fut 
élu  ,  en  1817,  par  le  département 
du  Lot,  se  rangea  d'abord  parmi 
les  membres  dévoués  au  ministè- 
re; mais  bientôt  il  passa  au  centre 
gauche  ,  qu'il  n'u  plus  quitté.  Cet 
honorable  mandataire  du  peuple 
a  voté  contre  les  deux  lois  d'ex- 
ception et  contre  le  nouveau  svs- 
tème  électoral.  M.  Moyzen,  réélu 
en  1822,  a  fait  partie  de  la  cham- 
bre jusqu'à  sa  dissolution  totale 
en  1824.  Il  comptait  dans  les 
rangs  des  défenseurs  dos  libertés 
constitutionnelles. 

MOZART(Wolfga.sg-Amédée), 
compositeur  célèbre, naquit  àSaltz- 
bourg,  le  27  juin  175G;  son  père, 
Léopuld  Mozart,  né  à  Angsbourg, 
en  1719,  directeur  do  la  musique 
de  l'archevêque  de  Saltzbourg,  e-t 
auteur  de  plusieurs  ouvrages,  en- 
tre autres  d'une  Méthode  raison- 
née  de  violon,  traduite  en  français, 
en  1 770,  et  qui,  d'après  les  témoi- 
gnages des  pins  grands  maîtres,  a 
servi  à  former  tout  ce  que  FAlle- 
magnc  posséflait  d'excellens  vio- 
lonistes dans  la  seconde"  moitié  du 
18^  siècle.  Léopold  Mozart  eutsepl 
enfans,  dont  deux  seuls  ne  mouru- 
rent pas  en  bas  âge  :  une  fille.  Ma-  ' 
rie-Anne,  et  Wolfgang-Amédée , 
qui  s'est  acquis  par  ses  composi- 
tions une  réputation  si  brillante. 
Le  jeune  Mozart  avait  à  peine  trois 
ans,  lorsque  son  père  commença 
à  donner  des  leçons  de  clavecin  A 
sa  sœur,  âgée  alors  de  sept  ans,  »t 
il  manifesta  dès-lors  des  disposi- 
tions bien  étonnantes  à  cet  âge» 


^238 


ftio;. 


qu'on  s'empressa  de  cultiver  dan» 
sa  famille.  Il  avait  reçu  de  la  na- 
ture le  génie  de  cet  art  ;  ses  pro- 
grès furent  aussi  rapides  qu'ex- 
traordinaires, et  dès  l'âge  de  cinq 
ans  il  composait  de  petits  mor- 
ceaux pleins  de  grâce,  qu'il  jouait 
sur  le  clavecin,  et  que  son  père 
avait  soin  de  noter.  En  1762, 
toute  la  famille  Mozart,  compo- 
sée du  père,  de  la  mère,  de  la 
niie  et  du  fils,  se  rendit  à  Munich. 
Les  deux  enfans  furent  présentés 
à  l'électeur,  jouèrent  devant  lui, 
et  reçurent  de  nombreux  applau- 
dissemens.  \ers  la  fin  de  la  même 
année,  ils  allèrent  à  Vienne,  oùils 
jouèrent  du  clavecindansplusieurs 
sociétés.  Un  talent  aussi  précoce 
étonna  tout  le  monde,  et  bientôt 
il  ne  fut  plus  question  que  du  petit 
virtuose  de  six  ans.  L'empereur 
François  I"  voulut  l'e.ntendre,  et 
fut  si  charmé  de  son  jeu  qu'il  l'ap- 
pela son  petit  sorcier.  Au  mois  de 
novembre  1763,  Mozart  vint  à  Pa- 
ris, fut  présenté  à  la  cour  de  Ver- 
sailles, et  toucha  de  l'orgue  à  la 
chapelle  du  roi ,  en  présence  de 
toute  la  cour.  Il  n'avait  que  sept 
ans  à  cette  époque,  et  un  enfant 
se  montra  l'égal  des  meilleurs  or- 
ganistes. Mozart  et  sa  sœur  jouè- 
rent à  Paris  dans  plusieurs  con- 
certs ;  le  succès  qu'ils  obtinrent  fut 
tel  que  l'on  grava  le  portrait  du  pè- 
re et  des  deux  enfans,  d'après  un 
dessin  de  Carmontelle.  Mozart  fil 
paraître  à  Paris  deux  œuvres  de 
sonates,  qu'il  dédia,  l'un  à  mada- 
me Victoire,  fille  du  roi,  cl  l'autre 
à  madame  la  comtesse  de  Tcssé;  ce 
sont  les  premières  productions  gra- 
vées du  compositeur  qui  a  le  plus 
illustré  l'école  allemande.  L'année 
suivante,  eu  1764»  le  jeune  virtuo- 


MOZ 

se  passa  en  Angleterre,  où  sa  répu- 
tation l'avait  devancé.  Le  roi  Geor- 
ges III,  passionné  pour  la  musi- 
que, fit  à  Mozart  l'accueil  le  plus 
flatteur;  il  se  plaisait  à  exercer  le 
jeune  artiste,  le  gardait  plusieurs 
heures  avec  lui ,  et  lui  présentait 
les  morceaux  les  plus  dilïiciles  de 
Haendel,  Bach,  et  autres  maî- 
tres ,  que  l'enfant  exécutait  à  la 
première  vue  avec  toute  la  justes- 
se possible,  et  dans  la  mesure  con- 
venable. Mozart,  âgé  alors  de  huit 
ans,  publia  à  Londres  six  soiiates, 
qu'il  dédia  à  la  reine  Charlotte. 
Il  revint  ensuite  sur  le  continent, 
parcourut  successivement  les  vil- 
les principales  des  Pays-Bas,  et  se 
rendit  en  Hollande,  où  il  composa 
une  symphonie  à  grand  orchestre 
pour  l'installation  du  prince  d'O- 
range, A  son  retour  en  Allemagne, 
l'électeur  de  Bavière  lui  proposa 
un  thème  musical  à  traiter  sur-le- 
champ,  te  qu'il  fit  sans  se  servir 
de  clavecin  ni  de  violon;  il  le  joua 
ensuite  et  frappa  d'admiration  l'é- 
lecteur et  tous  les  assistans.  Le 
jeune  Mozart ,  de  retour  dans  sa 
ville  natale  après  quatre  ans  d'ab- 
sence, s'y  livra  avec  une  nouvelle 
ardeur  à  l'étude  de  la  composition, 
et  à  celle  des  grands  maîtres  alle- 
mands Emmanuel  Bach,  Hasse, 
Haendel,  et  des  anciens  maîtres 
italiens,  qu'il  plaçait  bien  au-des- 
sus des  modernes.  En  1768,  âgé 
de  douze  ans,  Mozart  fit  un  second 
voyage  à  Vienne.  L'empereur  Jo-  'm 
seph  II  le  chargea  de  la  composi-  « 
tion  d'un  opéra -buffa  :  c'était  la 
PintasimpUce,  qui  ne  fut  pas  jouée, 
mais  cette  partition  obtint  les  suf- 
frages de  liasse  et  de  Métastase  , 
qui  voua  une  amitié  sincère  à  Mo- 
zart, dont  il  devint  le  plus  ardeal 


MOZ 

admirateur.  En  1769,  Mozart  par- 
tit pour  l'Italie  avec  j>.on  père;  on 
s'injagine  facilement  que  le  jeune 
virtuo.-.e  dut  être  bien  accueilli 
chez  un  peuple  enthousiaste  de  la 
musique.  Il  ne  put  quitter  .Milan 
qu'après  s'être  formellement  en- 
gagé à  y  venir  composer  le  pre- 
mier opéra  pour  le  carnaval  de 
1771.  De  Milan  il  se  rendit  a  Bo- 
logne, où  il  visita  le  P.  Martini, 
célèbre  contre -pointiste  ;  ce  der- 
nier, jugeant  par  ce  que  Mozart 
était  de  ce  qu'il  serait  un  jour,  lui 
prédit  qu'il  n'aurait  point  de  ri- 
vaux. .Mozart  fut  comblé  d'hon- 
neurs à  la  cour  de  Toscane,  et  l'on 
mil  tout  en  œuvre  pour  l'y  fixer; 
mais  il  désirait  ardemment  se  ren- 
dre à  Rome,  poury  assister  à  tou- 
tes les  solennités  qui  ont  lieu  pen- 
dant la  semaine-saillie.  Ses  désirs 
furent  remplis;  à  peine  arrivé  dans 
la  capitale  du  monde  chréiien  ,  il 
courut  à  la  chapelle  sixtine  pour 
entendre  le  fameux  miserere  d'AI- 
legri,  dont  il  était  défendu  .  sous 
peine  d'excommunication,  de  don- 
ner ou  de  prendre  copie.  Mozart. 
averti  de  cette  défense,  se  p.laça 
dans  un  coin  retiré,  et  prêta  l'at- 
tention lu  plus  soutenue.  An  sortir 
de  l'église,  il  avait  retenu  le  nior- 
ceau,  et  en  rentrant  chez  lui  il  le 
nota  entièrement.  Quelques  jours 
après,  dans  un  concert,  il  chanta 
ce  niisci-ere  en  s'accompagnaut  du 
clavecin.  Cette  organisation  mu- 
sicale et  ce  trait  d'une  mémoire 
prodigieuse, attirèrent  à  Rome  tous 
l«;s  regards  sur  le  jeune  Allemand. 
Il  fut  présenté  au  pape  Clément 
XIV,  qui ,  loin  de  le  réprimanrler 
d'avoir  éludé  sa  défense  ,  le  reçut 
de  la  m  mièrc  la  plus  gracieuse, et 
le  créa  chevalier  de  l'éperon-d'ox. 


MOZ 


aoQ 


De  Rome  ,  Mozart  alla  à  Naples  ; 
l'enthousiasme  des  Napolitains  fut 
extrême,  et  l'on  allait  jusqu'à  dire 
que  son  talent  surnaturel  était  pro- 
duit par  un  talisman  qui  lui  venait 
d'en-haut.  En  repassant  à  Bologne, 
il  reçut  une  distinction  bien  flat- 
teuse, qu'aucun  musicien  n'avait 
obtenue  dans  un  ûge  aussi  peu  a- 
vancé  :  la  société  des  philharmo- 
niques l'admit  à  l'unanimité  dans 
son  sein,  après  les  épreuves  requi- 
ses, auxquelles  il  satisfit  avec  une 
promptitude  surprenante.  On  ra- 
conte que,  suivant  l'usage  ,  il  fut 
enfermé  dans  une  chambre  avec 
le  thème  d'une  fugue  à  quatre 
voix,  dont  le  sujet  était  d'une  dif- 
ficulté proportionnée  à  l'idée  qu'on 
avait  de  sa  force,  et  qu'en  une  de- 
mi-heure il  termina  le  morceau. 
Mozart  revint  bientôt  après  à  Mi- 
lan, pour  remplir  l'engagement 
qu'il  avait  contracté  avec  le  théâ- 
tre de  cette  ville.  Le  36  décembre 

1770,  deux  mois  après  son  arri- 
vée, et  n'ayant  pas  encore  quinze 
ans  accomplis,  il  y  donna  sou  Mi- 
tliridate  ,  opéra  sérieux,  qui  eut 
plus  de  vingt  représentations  de 
suite.  Le  directeur  fit  aussitôt  avec 
Mozart  un  accord  par  écrit  pour 
la  composition  du  preînier  opéra 
de  l'année  1772;  ce  fut  LucioSillOf 
qui  ué  réussit  pas  nmins  que  Mi- 
tkri(tnte.  et  qui  eut  vingt-six  repré- 
sentations consécutives.  Entre  ces 
deux  compositions  il  avait  fait, en 

177 1 ,  à  Milan.  Ascamo  in  Alba,  et 
eu  1772,  à  Saltzbourg,  pour  l'é- 
lection du  nouvel  archevêque,  // 
soi;no  di  Scipione.  Deux  ans  après, 
appelé  sncoessivcment  à  Vietme, 
à  Munich  et  à  Saltzbourg,  il  fit,  en- 
tre autres  ouvrages,  la  Finta  giar- 
diluera,  opéra boulFon;  deux  gran» 


2:|0 


MOZ 


dos  messes  pour  la  chapelle  de  l'é- 
leclour  de  Ûavitre,  et  pour  le  pas- 
sade de  l'archiduc  Ferdinand  à 
Saltzbourg,  la  cantate  //  Re  Pas- 
iore.  C'était  en  177D;  il  avait  at- 
teint le  plus  haut  degré  de  son  art; 
sa  gloire  était  répandue  dans  toute 
l'Europe  ;  il  n'avait  que  19  ans  , 
et  sa  réputation  était  faite  à  cet 
yge  où  l'on  sort  pour  l'ordinaire 
des  bancs  de  l'école.  A  Vienne, 
Mozart  rechercha  le  chevalier 
Gluck,  dont  le  génie  avait  tant  d'a- 
nalogie avec  le  sien;  l'amitié  s'éta- 
blit bientôt  entre  eux  ,  irialgré  la 
diflérence  d'âge,  et  Mozart  se  plai- 
sait à  répéter  que  les  entretiens  de 
Gluck  et  l'étude  des  ouvrages  de 
ce  dernier,  avaient  préparé  les  suc- 
cès qu'il  obtint  depuis  au  théâtre. 
Il  se  lia  aussi  avec  Haydn,  qu'il 
appelait  son  maître,  et  il  lui  dédia 
des  quatuors,  hommage  digne  de 
l'un  et  de  l'autre.  «  Cette  dédicace 
«lui  est  bien  due,  disait-il,  puis- 
»que  c'est  de  Haydn  que  j'ai  ap- 
»!  pris  à  taire  des  quatuors.»  En 
1776,  Mozart  fit  un  second  voya- 
ge à  Paris  avec  sa  mère.  Gluck,  la 
même  année,  y  mit  sur  la  scène 
son  y^/c^5/^;  ce  chef-d'œuvre  n'ob- 
tint d'abord,  comme  on  sait,  que 
peu  de  succès.  Après  la  première 
représentation,  Gluck  était  dans  le 
foyer,  entouré  de  gens  qui  lui  a- 
dressaient  des  complimens  de  con- 
doléance. Toul-à-coup  entre  un 
jeune  homme,  qui,  tout  en  larmes, 
ge  précipite  dans  ses  bras  en  s'é- 
criant  :  «  Ah  !  les  barbares  !  ah  !  les 
«cœurs  de  bronze!  que  faut-il  donc 
>>pom'  les  émouvoir?  »  ce  jeune 
homme  était  Mozart.  «Console-toi, 
«petit,  repartit  Gluck,  dans  trcu- 
»  te  ans  ils  me  rendront  justice.  » 
Pfédiction  qui  s'est  réalisée.  Mo- 


MOZ 

znrt  avait  l'intention  de  composer 
un  opéra  pour  l'académie  royale  do 
Paris  ;  il  est  à  regretter  que  le  mau- 
vais goût  qui  régnait  alors  dans  la 
plus  grande  partie  du  public  fran- 
çais, et  l'état  de  faiblesse  dans  le- 
quel languissait  la  musique  vocale, 
l'aient  empêché  de  mettre  ce  projet 
à  exécution;  nous  aurions  un  chef- 
d'œuvre  de  plus.  Il  donna  cepen- 
dant une  symphonie  et  quelques 
autres  morceaux  au  concert  spiri- 
tuel; bientôt  après,  il  eut  le  mal- 
heur de  perdre  sa  mère,  et  le  sé- 
jour de  Paris  lui  devint  odieux. 
De  retour  auprès  de  son  père,  au 
commencement  de  1779,  il  com- 
posa son  Idoménée,  que  l'électeur 
de  Bavière  lui  avait  demandé  pour 
le  théâtre  de  Munich.  Mozart, dans 
toute  la  force  de  l'âge  et  du  talent, 
écrivit  de  verve  cet  ouvrage,  qu'il 
a  toujours  regardé  comme  un  de 
ses  meilleurs ,  et  dont  il  a  mêmti 
emprunté  souvent  des  idées  dau* 
ses  compositions  suivantes.  Peu 
de  temps  après  il  se  rendit  à  Vien- 
ne, où  il  entra  au  service  de  l'em- 
pereur Joseph  II,  auquel  il  resta 
attaché  toute  sa  vie.  Quoiqu'il  n'en 
reçût  que  le  traitement  modique 
de  800  florins  (environ  2000  fr.), 
il  refusa  constamment  les  ofl'res 
brillantes  qui  lui  furent  foites  par 
d'autres  souverains,  et  notamment 
par  Frédéric  le  grand.  En  178*2, 
Mozart  fit  représenter  V  Enlèvement 
du  serait.  A  l'issue  de  la  première 
représentation,  Joseph  II  lui  dit: 
«  C'est  fort  bt?au ,  mon  cher  Mo- 
«zart,  mais  il  faut  convenir  que 
»  voilà  prodigieusement  de  notes!» 
«Précisément  ce  qu'il  en  faut,  si- 
are,  «répliqua  vivement  l'artiste. 
Quelque  temps  auparavant,  Mo- 
zart avait  épousé  M"' Weber,  vii- 


MOZ 

luose  d'uQ  mérite  distingué,  et 
dout  il  eut  deux  enfans.  En 
1786,  Mozart  mit  eu  musique  le 
Mariage  de  Figaro,  à  la  deman- 
de de  l'empereur.  Le  premier  acte 
de  ce  bel  ouvrage  fut  très -mal 
exécuté  par  leschimteurs  italiens, 
qui  voyaient  l'auteur  avec  mal- 
veillance. Mozart  indigné  courut 
à  la  loge  de  Joseph  II  pour  s'en 
plaindre  ;  auïsitôt  l'empereur  fit 
dire  aux  acteurs  que,  si  l'exécu- 
tion du  second  acte  n'était  pas 
plus  satisfaisante,  toute  la  troupe 
irait  coucher  en  prison  :  celte  me- 
nace fit  son  effet,  l'exécution  de- 
vint parfaite  et  le  succès  fut  com- 
plet. Pendant  l'hiver  de  1787, 
Mozart  vint  à  Prague,  et  donna, 
au  théâtre  Italien  de  celte  ville, 
son  chef-d'œuvre  de  Don  Juan, 
dont  le  succès  fut  encore  plus 
brillant  que  celui  du  Mariage  de 
Figaro.  L'opéra  de  Don  Juan /\oaè 
ensuite  à  Vienne,  n'y  fut  pas  senti 
géuéralement ,  lors  des  premières 
représentations.  On  critiquait  un 
jour  cet  opéra  dans  une  société 
où  se  trouvait  l'élite  des  connais- 
seurs et  des  musiciens  de  la  capi- 
tale, entre  autres  Haydn.  Chacun 
avait  émis  son  opinion  excepté  ce 
dernier;  on  la  lui  demanda:  «Je 
ne  suis  pas  en  état  de  prononcer, 
répondit-il  avec  sa  modestie  ac- 
coutumée, mais,  ce  que  je  sais, 
c'est  que  Mozart  est  le  plus  grand 
compositeur  qui  existe.  >  Mozart 
semblait  devoir  fournir  encore 
une  longue  et  brillante  carrière  ; 
tout-à-coup  ^a  santé  devint  chan- 
celante. On  dit  que  des  excès  aux- 
quels il  se  livrait  parfois,  lui  de- 
vinrent funestes  ;  il  expira,  le  5 
septembre  1791,  avant  d'avoir  at- 
teint ^a  trente-sixième  anaée;  mais, 
T.  zir. 


MOZ 


241 


infatigable  jusqu'au  tombeau,  il 
créa,  dans  les  derniers  mois  de 
sa  vie,  trois  chefs-d'œuvre  :  la 
Flûte  enchantée  y  la  Clémence  de 
Titus,  et  un  Requiem;  c'est  à  lu 
demande  d'un  inconnu  qu'il  a- 
vait  entrepris  ce  Requiem.  Pen- 
dant qu'il  le  composait  son  sang 
s'enflamma,  sa  têle  se  remplit 
d'idées  sinistres,  et  il  avoua  à  sa 
femme  qu  il  était  persuadé  que 
c'était  pour  ses  propres  funérail- 
les qu'il  travaillait.  Désolée  de  ne 
pouvoir  dissiper  une  si  funeste 
impression,  elle  lui  enleva  sa  par- 
tition, de  lavis  du  médecin.  Il  pa- 
rut reprendre  un  peu  de  calme  et 
de  gaieté;  son  manuscrit  lui  fut 
rendu ,  mais  bientôt  après  une 
fièvre  ardente  vint  le  saisir.  Le 
jour  de  sa  mort,  il  fit  apporter  le 
Requiem  sur  son  lit.  0  N'avais- je 
pas  raison,  s'écria-t-il,  quand  j'as- 
surais que  c'était  pour  moi  que  je 
composais  ce  chant  de  mort  ?» 
Puis  il  ajouta  :  «Je  meurs  au  mo- 
ment où  j'allais  jouir  de  mes  tra- 
vaux, lorsqu'après  avoir  triom- 
phé de  tous  les  obstacles,  j'allais 
écrire  sous  la  dictée  de  mon 
cœur!  »  et  des  larmes  s'échappè- 
rent de  ses  yeux  :  c'était  le  der- 
nier adieu  qu'il  faisait  à  son  art. 
Le  Requiem  avait  été  payé  d'avan- 
ce; l'inconim  vint  le  réclamer.  On 
a  su  depuis  quel  était  cet  homme. 
Désespéré  de  la  mort  d'une  fem- 
me qu'il  aimait  éperducment,  il 
avait  pensé  que  le  génie  seul  pou- 
vait servir  d'interprète  à  sa  dou- 
leur. Le  Requiem  lui  fut  remis; 
mais  la  veuve  de  Mozart  eut  soin 
de  garder  copie  de  la  partition. 
Mozart,  mort  si  jeune,  a  com- 
posé dans  tous  les  genres,  et  il 
excella  dans  chacun  d'eux ,  de- 
16 


24  i 


MOZ 


puis  la  simple  chanson  jusqu'à  la 
tragédie  lyrique  et  à  la  musique 
sacrée,  depuis  les  airs  de  danse 
jusqu'à  la  symphonie.  Jamais  mu- 
sicien n'a  embrassé  l'art  dans  une 
si  grande  étendue.  II  était  doué 
d'une  (écondifé  prodigieuse  ;  ou 
ne  se  lasse  pas  d'admirer  dans  ses 
diverses  productions  des  motifs 
tVancs  et  heureux,  des  développe- 
mens  suivis  avec  une  grande  a- 
dresse,  el  dans  lesquels  le  travail 
le  plus  profond  ne  nîiit  point  à  la 
grâce;  l'harmonie  et  le  goût  des 
morceaux  d'ensemble,  et  surtout 
des  finales;  un  emploi  neuf  et  ha- 
bilement ménagé  de  l'orchestre 
et  des  instrumens  à  vent;  enfin 
un  talent  extraordinaire  pour 
transporter  dans  l'accompagne- 
ment, les  richesses  de  la  sympho- 
nie avec  une  expression,  une  vi- 
gueur et  une  verve  que  rien  n'é- 
gale. Dans  ses  momeus  d'inspira- 
tion, jamais  Mozart  n'approchait 
du  piano;  dès  qu'il  avait  pris  la 
plume,  il  écrivait,  sans  s'arrêter, 
avec  une  rapidité  qui  n'était  pas 
de  la  précipitation,  et  l'on  trou- 
vait à  peine  quelques  ratures  dans 
ses  manuscrits.  Quand  il  était  saisi 
d'une  idée,  rien  ne  pouvait  le  dis- 
traire de  son  ouvrage.  Il  com- 
posait au  milieu  de  ses  amis;  il 
passait  les  nuits  entières  au  tra- 
vail. Quelquefois  il  n'achevait  un 
morceau  que  presqu'au  moment 
même  où  il  devait  être  exécuté; 
c'est  ainsi  qu'il  improvisa,  en  trois 
heures,  l'ouverture  de  Don  Juan 
avec  toutes  ses  parties,  la  nuit 
même  qui  précéda  la  première 
représentation ,  et  lorsque  la  ré- 
pétition générale  avait  déjà  eu 
lieu.  Mozart  jugeait  ses  ouvrages 
avec  sévérité.  Un  jour,  exécutant 


MOZ 

sur  le  clavecin  un  des  airs  les  plus 
applaudis  de  l'Enlèvement  du  sé- 
rail: «Cela  est  bon  dans  la  cham- 
bre, dit-il,  mais  pour  le  théâtre, 
il  y  a  trop  de  verbiage;  quand  je 
l'ai  composé,  je  me  complaisais 
dans  tout  ce  que  je  faisais  et  je 
n'y  trouvais  rien  de  trop  long.  » 
Idoménée  et  Don  Juan  étaient  ceux 
de  ses  opéras  dont  il  faisait  le  plus 
de  cas.  Au  sujet  de  ce  dernier,  il 
disait  :  «  Cet  opéra  n'a  pas  été 
composé  pour  le  public  de  Vien- 
ne; il  convenait  mieux  à  celui  de 
Prague  ;  mais  au  fond  je  ne  l'ai 
fait  que  pour  moi  et  mes  amis.  » 
Parmi  les  compositeurs  de  mu- 
sique, il  estimait  principalement 
les  Italiens,  tels  que  Léo,  Duran- 
te, Porpora ,  A.  Scarlatî,  mais 
encore  plus  le  célèbre  .allemand 
Haendcl,  dont  il  savait  par  cœur 
les  principaux  ouvrages.  «  De 
nous  tous,  disait-il,  ilaendel  sait 
le  mieux  ce  qui  est  d'un  grand 
effet.  Lorsqu'il  le  veut,  il  va  et 
frappe  comme  la  foudre.  »  Mozart 
a  composé  onze  opéras  sur  paro- 
les italiennes  :  i"  la  Finta simplice, 
1768;  2"  Mithridate,  1770;  3" 
Ascanio  in  Alba,  177»  ;  4°  I-ucio 
Silla,  1 773;  5°<7  Sogno  di  Scipione, 
ïipr^;  6"  la  Giardiniera,  1774»  7" 
IdomeneOf  i7Î^o;  8"  le  Dfozze  di 
Figaro,  1786;  9°  Don  Giovanni, 
1787;!  o"  Cosi  fan  lutte,  1790;  11° 
la  Clemenza  di  Tito,  1791  ;  trois 
opéras  sur  paroles  allemandes  : 
die  Entfiihrung  aus  dern  Sérail 
(['Enlèvement  du  sérail),  1782; 
der  Schauspiel  Direktor  (le  Direc- 
teur de  spectacle),  1786  ;  die  Zau- 
ber-flœte  (la  Flûte  enchantée), 
1791.  On  a  encore  de  lui  dix-sept 
symphonies,  des  sonates,  des  qua- 
tuors, des  quintetti,  des  cantates, 


MUC 

des  scènes  détachée?,  des  roman- 
ces et  deschansons  allemandes,  des 
canons,  deswalses,  des  airs  de  bal- 
lets de  tous  les  genres,  des  séréna- 
des pour  instrumens  à  vent,  et  en- 
fin lies  messes  et  plusieurs  motels. 
MUCIIEMBLED  (Alexasdre- 
Louis),  ancien  magistrat,  naquit  à 
Aire,  dans  la  ci-devant  province 
tl'Artois,  le  21  octobre  i744-  ^^^ 
père,  avocat  et  procureur -syndic 
de  cette  yille,  le  destina  à  suivre 
la  même  carrière,  et  lui  lit  donner 
une  éducation  analogue.  Le  jeuae 
Mî.chembled  fut  reçu  avocat  au 
parlement  de  Paris,  à  l'âge  de  25 
ans,  le  9  juillet  1767.  Après  deux 
années  de  stage,  il  alla  exercer  sa 
profession  à  SainL-Oiner,  où  il  é- 
tait  déjà  connu  par  deux  Mémoires 
en  faveur  d'un  sit.'nr  Boubers  de 
Corbeville  ,  imprimeur -libraire, 
victime  d'une  détention  qu'il  n'a- 
vait pas  méritée.  Il  fut  bientôt 
charge  de  demander  la  révision 
d'un  procès  au  conseil  provincial 
d'Artois,  qui,  le  g  novembre  1770, 
avait  condamne  à  mort  un  homme 
et  sa  femuie,  l'un  comme  assassin 
de  sa  mère,  et  l'autre  camme  com- 
plice du  même  parricide.  Cette 
cause  est  celle  de  Moiibailly,' que 
Voltaire  a  fait  connaître  à  l'Eu- 
rope, et  dont  il  parle  souvent  dans 
sa  correspondance  générale,  sous 
Je  nom  de  la  Méprise  d' Arras. 
Monbailly  avait  expiré  sur  la  roue 
en  protestant  constamment  de  son 
innocence,  et  une  fécondité  pro- 
pice avait  fait  surseoir  à  l'exécu- 
tion de  l'arrêl,  à  l'égard  de  sa 
fenune.  Muchernbled  profita  de  ce 
délai,  pour  publier  deux  Mtinol- 
rér*  justificatifs,  suivis  de  deux  con- 
sultations savantes  du  célèbre  chi- 
rurgien  Louis   {voyez  ce  nom), 


MUC 


240 


dans  lesquelles  ce  dernier  décidait 
que  le  rapport  des  médecins  et 
chirurgiens  n'avait  pas  constaté  le 
crime,  ni  prouvé  que  la  femme  fût 
morte  assassinée.  La  révision  du 
procès  ayant  eu  lieu,  un  arrêt  du 
conseil  supérieur  d'Arras,  rendu  à 
l'unanimité,  le  8  avril  1772,  dé- 
chargea la  veuve  Monbaiily,  et  la 
mémoire  de  son  mari,  de  l'accu- 
satioft^e  parriv"ide.  Lorsque  le  gé- 
néreux défenseur  ramena  des  pri- 
sons d'Arras,  la  veuve  infortunée 
à  qui  il  venait  de  sauver  la  vie,  il 
fut  reçu  dans  la  ville  aux  accla- 
mations de  la  population  entière. 
L'évêque,  en  le  complimentant  de 
son  succès,  offrit  d'assurer  à  la 
veuve  Monbailly,  une  pension 
pour  le  reste  de  ses  jours.  L'éclat 
de  cette  affaire  confirma  la  répu- 
tation de  Muchembled,  et  lui  as- 
sura la  plus  honorable  clientelle. 
Il  se  distingua  également  dans 
l'administration  publique.  Long- 
temps échevin  de  la  ville  de  Saint- 
Omer,  il  en  devint  le  lieutenant- 
mayeur,  et  le  corps  municipal , 
chaque  fois  qu'il  en  fit  partie,  le 
nomma  son  député  aux  états  d'Ar- 
tois, où  il  combattit  avec  une  im- 
perturbable persévérance,  les  abus 
et  l'arbiiraire.  En  décembre  17S8, 
iMuchembled  rédigea  une  protes- 
tation en  son  nom  et  en  celui  de 
plusieurs  habilans  notables,  con- 
tre tout  ce  qui  pouvait  être  con- 
traire au  rétablisseujent  des  droits 
du  tiers-état  d'Artois,  et  il  publia, 
en  même  temps,  un  Mémoire  sur 
la  députation  du  tiers-état  à  l'as- 
semblée des  états-généraux,  en 
1789,  dans  lequel  il  réclamait, 
dès-lors,avec  énergie  et  une  remar- 
quable spécialité ,  tous  les  droits 
publics  que  les  Français  ont  voulu 


•44 


MLD 


obtenir.  Ces  deux  écrits  firent 
nojTHiier  leur  iiuteur  officier  mu- 
nicipal et  juge  au  tribunal  de  dis- 
trict, lorsque  le  peuple  exerça, 
par  lui-même,  ces  droits  d'élec- 
tion. Muchembled  mourut  àSaint- 
Oiner,  le  ]8  octobre  1810,  géné- 
ralement regretté. 

MUCHEMBLED  (Alexandre- 
Nicolas-Benoist),  fils  du  précé- 
dent, est  né  à  Saint-Omer,  le  20 
février  1775.  La  conscription 
Tayaut  empêclié  de  suivre  la  car- 
rière que  son  père  avait  parcou- 
rue, il  exerça  les  fonctions  d'ad- 
joint au  génie  militaire,  et  fut 
j)0urvu  d'un  brevet  do  capitaine 
du  génie,  réformé  par  suite  de  la 
suppression  des  adjoints  au  génie. 
Nommé  ensuite  capitaine  de  gre- 
nadiers dans  la  garde  nationale  de 
sa  ville  natale,  il  fut  mis  en  acti- 
vité dans  ce  grade  et  avec  l'emploi 
d'officier- payeur  de  la  légion  du 
Pas-de-Calais,  jusqu'à  son  liceji- 
ciement,  en  1809.  Adjoint  au 
maire,  pendant  les  cent  Jours,  en 
181 5,  il  devint  en  butte,  après  la 
seconde  restauration,  à  la  haine 
d'un  parti,  auquel  l'estime  publi- 
que imposa  silence.  Aujourd'hui, 
M.  Muchembled  s'occupe  de  Ira- 
vaux  agricoles  ,  et  particulière- 
ment du  dessèchement  des  marais. 
MDUGE  (Thomas),  célèbre  mé- 
canicien anglais,  horloger  de  S. 
M.  britannique,  naquit  en  1715, 
à  Exeler,  d'une  famille  honorable; 
son  père,  ecclésiastique  et  maître 
d'école  à  Biddefort,  commença  son 
éducation,  et  espérait  trouver  en 
lui  son  successeur  pour  ces  deux 
fonctions.  Mais  remarquant  que  le 
goût  de  cet  enfant  le  portait  à  l'é- 
tude de  la  mécanique,  il  ne  voulut 
point  contrarier  ses  dispositions  , 


MUD 

et  à  l'âge  de  i4  ans,  Mudge  entra 
comme  apprenti  chez  Graham , 
célèbre  horloger,  qui  le  prit  en  a- 
mitié,  se  plut  à  Je  diriger,  et  finit, 
frappé  de  ses  rapides  progrès,  par 
lui  confier  les  travaux  les  plus  dé- 
licats et  les  plus  difficiles,  et  que 
le  jeune  ouvrier  exécutait  avec  une 
rare  habileté.  Depuis  quelque 
temps  Mudge,  qui  avait  terminé 
son  apprentissage,  travaillait  pour 
son  compte,  lorsqu'un  nommé  El- 
licot,  horloger  de  Londres,  chargé 
parle  roi  d'Espagne, Ferdinand  IV, 
de  lui  procurer  une  montre  à  équa- 
tion ,  lui  proposa  de  l'exécuter. 
Mudge  mit  dans  ce  travail  autant 
de  promptitude  que  de  talent,  et 
livra  son  ouvrage  à  EUicot ,  qui  y 
mit  son  nom  et  s'en  fit  honneur. 
Malheureusement  pour  le  plagiai- 
re, en  expliquant  aux  curieux  le 
mécanisme  de  cette  pièce,  il  en 
dérangea  quelques  parties,  et  fut 
obligé  d'avoir  recours  à  l'auteur. 
L'imposture  d'Elliot  fut  connue, 
et  particulièrement  du  roi  d'Es- 
pagne ,  qui  chargea  directement 
Mudge  d'entreprendre  les  ouvrages 
dansce  genre  qu'iljugerait  les  plus 
curieux.  Il  le  laissa  aussi  maître 
d'en  fixer  le  prix.  L'artiste  anglais 
se  montra  digne  de  la  confiance  du 
monarque  étranger.  «Entre  autres 
ouvrages,  dit  l'auteur  d'une  iVo^<- 
ce  sur  cet  habile  mécanicien,  il  fit 
une  montre  à  répétition  qui  indi- 
({uait  le  temps  vrai  et  le  temps 
moyen  ;  elle  sonnait  et  répétait 
l'un  et  l'autre,  ce  qui  auparavant 
n'avait  eu  lieu  dans  aucune  mon- 
tre; de  plus,  elle  répétait  les  heu- 
res, les  quarts  et  même  les  minu- 
tes. Le  roi  avait  vouiu  que  cette 
montre  fût  enfermée  sous  verre, 
dans  le  gros  bout  d'une  canne,  en 


MUD 

sorfe  que,  par  des  coulisse?,  il  pou- 
vait voir,  dans  ses  promenades, 
marcher  le  mécanisme  de  ce  beau 
travail.  Mudge  se  le  fit  payer  4*^0 
guinées;  ses  amis  l'avaient  engagé 
à  en  demander  au  moins  5oo;  mais 
il  répondit  qu'il  avait  calculé  stric- 
tement le  profil  honnête  qu'il  de- 
vait avoir  sur  un  travail  de  ce  gen- 
re, et  qu'il  ne  voyait  pas  de  raison 
de  surfaire  à  un  souverain  plus 
qu'à  un  simple  particulier.  »  La  ré- 
putation de  Mudge  s'étendait  de 
jour  en  jour.  Il  s'associa,  en  ij-So, 
avec  un  autre  élève  de  Graham , 
rîommé  Dulton  ,  et  ouvrit  un  ate- 
lier d'horlogerie.  Un  seigneur 
saxon,  le  comte  de  Bruhl,  avait 
apporté  à  Londres  une  moiUre  du 
célèbre  horloger  Ferdinand  Ber- 
ihoud;  mais  cette  montre  avait  un 
défaut  que,  disent  les  Anglais,  l'au- 
teur lui-même  «  était  incapable  de 
corriger.»  Que  cette  assertion  soit 
exacte  ou  non,  c'est  ce  qu'il  n'est 
pas  dans  notre  objet  d'examiner; 
le  fait  est  que  Mudge  refusa  d'a- 
bord par  délicatesse  de  se  charger 
de  corriger  le  travail  de  l'artiste 
français,  et  celte  modestie  est  di- 
gne d'un  homme  aussi  distingué. 
Cependant  il  céda  à  de  nouvelles 
et  vives  instances,  et  répara  ce  qui 
était  défectueux  dans  la  montre. 
La  construction  des  montres  ma- 
rines ou  garde -temps,  l'occupa 
ensuite,  et  il  publia,  en  1765,  un 
ouvrage  sur  ce  sujet,  sous  le  titre 
de  :  Pensées  sur  les  moyens  de  per- 
fectionner les  montres,  particulière- 
ment celles  de  la  ynarine.  Mudge, 
plus  occupé  de  donner  à  son  art 
toute  la  perfection  possible,  que 
jaloux  d'augmenter  sa  fortune,  ré- 
solut de  quitter  le  commerce  :  il 
se  relira  à  Plyinoulh  en  1771,  et 


MUD 


2_,0 


s'y  occupa  pendant  plusieurs  an- 
nées de  construire  un  garde- 
temps,  qu'il  donna  à  l'essai  à  l'ob- 
servatoire de  Greenvvich.  Cet  ou- 
vrage fut  ensuite  remis  au  baron 
de  Zach,  astronome  du  duc  de 
Golha,  et  passa  dans  les  mains  de 
l'amiral  Cauipbell,  qui  en  fit  usa- 
ge lors  de  son  voyage  ùTerre-Neu- 
ve.  Sa  précision  bien  constatée, 
l'instrument  fut  acquis  par  le  gou- 
vernement, et  le  bureau  des  lon- 
gitudes alloua  à  Mudge  une  som- 
me de  5oo  livres  sterling,  en  l'in- 
vitant à  en  construire  une  parfai- 
tement semblable,  afin  de  concou- 
rir pour  le  grand  prix  que  le  par- 
lement avait  fondé  en  faveur  du 
meilleur  travail  dans  ce  genre. 
L'arlisle  exécuta  deux  montres  au 
lieu  d'une;  après  une  année  d'es- 
sai, l'astronome  royal,  Maskelyne, 
fit  un  rapport  très-favorable,  par 
suite  duquel  les  montres  de  Mud- 
ge furent  essayées  sur  mer.  Cette 
fois  le  rapporteur  déclara  qu'elles 
ne  pouvaient  soutenir  une  épreuve 
rigoureuse.  Il  fut  alors  arrêté  que 
les  essais  à  cet  égard  cesseraient. 
Mudge  attaqua  Maskelyne  dans  un 
Exposé  des  faits  relatifs  au  garde- 
temps  construit  par  Th.  Mudge, 
qui  fut  publié  en  1790  :  une  lutte 
polémique  s'établit  entre  l'auteur 
et  le  rapporteur.  Mécontent  d'une 
discussion  qui  semblait  affaiblir  se* 
droits  à  une  récompense  ,  Mudge 
s'adressa  directement  au  bureau 
des  longitudes,  faisant  remarquer 
que  ses  garde- temps,  jugés  les 
meilleurs,  ne  s'étaient  pas  déran- 
gés pendant  vingt  ans  d'essai ,  et 
que,  s'ils  n'avaient  pas  été  jugés 
dignesdu  grand  prix,  ils  méritaient 
du  moins  u»)e  récompense. Le  bu- 
reau des  îongiludes  ne  se  mon- 


a4'3 


MUI> 


Irant  pas  disposé  à  accueillir  ses 
prétentions,  il  s'adressa,  en  1792, 
à  la  chambre  des  communes,  qui 
lui  vota,  en  179^,  une  somme  de 
aSoo  livres  sterling.  Mudge  a  in- 
venté un  nouveléchappementpour 
les  montres  ordinaires;  il  avait  ob- 
tenu, en  1777,  le  litre  d'horloger 
du  roi,  qui  estimait  ses  talens  et  se 
plaisait  quelquefois  à  l'entretenir. 
Marié  à  la  fille  d'un  membre  de 
l'université  d'Oxford,  qu'il  perdit 
en  1789,  il  en  eut  deux  enfans  : 
l'un  fut  recteur  à  Lastlcigth  ,  l'au- 
tre fait  le  sujet  de  la  notice  sui- 
vante. Mudge  mourut  presque  oc- 
togénaire, au  mois  de  novembre 

»794- 

MUDGE  (William),  major-gé- 
néral anglais,  membre  de  la  so- 
ciété royale  de  Londres,  corres- 
pondant de  l'institut  de  France, 
etc.  ,  fils  aîné  du  précédent,  naquit 
en  1762  à  Plymoulh.  Ses  études 
terminées,  il  fut  admis  à  l'école 
militaire  deAVoolwich,  en  qualité 
de  cadet,  et  s'y  fit  remarquer  par 
son  application,  son  zèle  et  ses  ta- 
lens. Il  servit  ensuite  dans  l'artil- 
lerie royale,  où  il  obtint  le  grade 
de  capitaine.  Sa  faible  santé  ne  lui 
permit  pas  vme  longue  activité; 
mais  son  mérite  le  fit  admettre  par- 
mi les  membres  de  la  société  roya- 
le de  Londres,  et  employer  suc- 
cessivement à  l'instruction  des  é- 
lè.ves  à  l'arsenal  militaire  royal,  et 
à  l'école  de  la  compagnie  des  In- 
des-Orientales. Une  nouvelle  ré- 
compense lui  fut  décernée  par  le 
bureau  des  longitudes,  qui  le  nom- 
ma l'un  de  ses  commissaires- Mud- 
ge seconda  les  savans  français,  A- 
rago  et  Biot,  dans  les  opérations  de 
la  mesure  de  l'arc  méridien  d'Ecos- 
se. K'a3'antpu  accompagner  ces  sa- 


MUF 

vans  aux  îles  Shetland,  il  leur  don- 
na son  fils,  alors  capitaine,  l'un 
des  collaborateurs  de  la  descrip- 
tion trigonométrique  de  la  Grande- 
Bretagne.  Il  est  l'auteur  principal 
des  cartes  de  divers  comtés;  elles 
sont  remarquables  parleur  correc- 
tion. Il  devint  membre  de  l'aca- 
démie des  sciences  de  Copenha- 
gue et  correspondant  de  l'institut 
de  France.  Les  sciences  ont  perd» 
cet  officier -général  au  mois  d'a- 
vril iS-îo.  On  trouve  dans  les  Tron- 
sactions  p/iUo.sophiques  plusieurs 
mémoires  très-importans  de  sa 
composition,  et  dans  le  même  ou- 
vrage(années  1795,  1797  et  1800), 
un  long  rapport  de  ses  travaux  tri- 
gonométriques  depuis  1791  jus- 
qu'à 1799.  Le  recueil  intitulé: 
Ed'mbargli Review  (janvier  i8o5), 
offre  une  notice  très-détaillée  de 
ses  travaux  pour  le  levé  trigono- 
métrique de  l'Angleterre  et  du  pay* 
de  Galles. 

MUFFLING  (le  baron  de),  gé- 
néral au  service  de  Prusse ,  se 
trouvait  pendant  la  campagne  de 
181 5  au  quartier-général  du  duc 
de  Wellington  ,  et  près  de  sa  per- 
sonne, quand  ce  dernier  était  pla- 
cé sur  la  route  de  Bruxelles,  au  mo- 
ment où  la  fortune  décidait  la  vic- 
toire contre  les  Français  au  champ 
de  Waterloo.  M.  de  Muffling  fut 
l'un  des  plénipotentiaires  étrangers 
chargés  de  signer,  avec  les  pléni- 
potentiaires de  la  France,  la  con- 
Yention  du  5  juillet,  relative  à  l'oc- 
cupation de  Paris.  Nommé  gou- 
verneur de  cette  capitale  ,  par  les 
souverains  alliés,  il  en  remplit  les 
fonctions  pendant  quelques  mois, 
puis  retourna,  on  qualité  de  com- 
missaire du  roi  de  Prusse,  au  quar- 
tier-général du  duc  de  Wellington- 


On  attribue  au  général  Muflling 
un  ouvrage  publié»  en  1817,  sur 
la  campagne  de  181 5. 

MLLGRAVE  (Constastis-Phi- 
J-ippe),  lord  et  pair  de  la  Grande- 
Bretagne,  naquit  en  1  y^6,  et  entra 
de  bonne  heure  dans  la  marine. 
Il  s'j  distingua,  et  devint  capitaine 
de  haut-bord  ù  19  ans.  Élu  ,  en 
1768,  membre  du  parlement  pour 
le  comté  de  Limala ,  il  se  montra 
l'un  des  plus  chauds  défenseurs 
du  parti  populaire,  et  soutint  cette 
cause  avec  zèle  dans  l'affaire  dite 
des  libelles,  et  au  sujet  des  élec- 
tions de  Westminster.  Il  publia, 
même  à  cette  dernière  occasion , 
une  brochure  intitulée  :  Lettre 
(fun  membre  du  parlement  à  ses 
commettons  sur  les  derniers  procé- 
dés de  la  chambre  des  communes  , 
relativement  à  l'élection  de  Midle- 
sex.  Non  moins  bon  mathémati- 
cien qu'habile  marin ,  lord  Mul- 
grave  associa  le  capitaine  Lutwid- 
ge  au  projet  qu'il  avait  formé 
d'aller  explorer  les  mers  du  pôle 
septentrional,  afln  d'y  faire  de  nou- 
velles découvertes;  il  partit  effec- 
tivement, en  1773,  pour  celte  ex- 
pédition, dont  il  publia  la  relation 
à  son  retour  en  Angleterre.  .4yant 
perdu,  en  1790,  lord  Mulgrave, 
son  père,  il  lui  succéda  à  la  pairie, 
et  mourut  deux  ans  après,  dans  la 
force  de  l'âge. 

MULGRAVE  (Hesri-Philippe), 
pair  de  la  Grande-Bretagne,  minis- 
tre d'état,  etc.,  fils  du  précédent, 
est  né  en  1770.  Il  entra,  en  1793, 
à  la  chîimbre  des  pairs,  par  droit 
d'hérédité,  avec  le  titre  de  baron; 
devint  successivement  vicomte  , 
rainistre-d'état,  comte,  et  mem- 
bre du  conseil  privé  du  roi.  Voué 
tout  entier  au  parti  ministériel,  il 


MLL 


u: 


appuya,  pendant  long-temps,  tous 
les  actei  du  gouvernement,  et  se 
lia  d'une  étroite  amitié  avec  "Wil- 
liams Pitt,  dont  il  devint  le  collè- 
gue. Les  suites  inattendues  de  la 
troisième  coalition,  formée  contre 
la  France  à  l'instigation  de  l'An- 
gleterre,  attirèrent  de  vifs  repro- 
ches aux  ministres.  Lord  Mulgra- 
ve,  qui  fiiisait  partie  du  ministère, 
profita  de  la  rentrée  du  parlement 
en  1806,  pour  défendre  avec  cha- 
leur la  conduite  de  ses  collègues, 
alléguant  que  les  revers  dont  on 
se  plaignait  devaient  être  attribués 
bien  moins  au  gouvernement  an- 
glais qu'à  une  précipitation  mal 
entendue  de  la  part  de  l'Autriche, 
qui,  disait-il,  s'était  mise  en  avant 
sans  attendre  que  ses  alliés  fussent 
en  état  de  la  soutenir.  Exclu  du 
ministère  par  suite  de  la  mort  de 
Pitt,  il  se  rangea  du  parti  de  l'op- 
position ,  et  s'attacha  à  combattre 
les  nouveaux  ministres  avec  au- 
tant de  chaleur  qu'il  en  avait  mis 
à  soutenir  les  anciens.  Redevenu 
premier  lord  de  l'amirauté  à  la 
mort  de  Fox,  il  prit  occasion  de 
l'adresse  au  roi,  votée  par  le  par- 
lement à  l'ouverture  d«  la  session 
de  1807,  pour  reprocher  au  der- 
nier ministère  la  proposition  d'un 
bill  d'émancipation  eu  faveur  des 
catholiques,  et  revint  avec  plus  de 
force  sur  cette  question  dans  la 
séance  du  27  mai  1808.  Lors  de 
l'expédition  projetée  en  1809  con- 
tre l'ile  de  Walcheren,  il  alla  lui- 
même  présider  à  l'embarquement 
de»  troupes ,  et  eut  ensuite  à  re- 
pousser les  attaques  de  l'opposi- 
tion à  ce  sujet.  Enfin,  en  1810,  il 
échangea  sa  place  de  lord  de  l'a- 
mirauté, contre  celle  de  grand- 
maître  de  l'artillerie  ,  qui  renait 


24 


^8 


MUL 


d'être  enlevée  au  comte  Chatam, 
et  dont  il  rempHssait  encore  les 
fonctions  il  n'y  a  pas  long-temps. 
Lord  Mulgrave  a  réuni  à  toutes 
sf;s  autres  dignités  le  titre  de  gé- 
néral de  l'armée  anglaise,  et  celui 
de  gouverneur  de  Scarborough. 

MULGRAVE  (Edmond),  frère 
cadet  du  précédent  ,  est  né  en 
1 760.  Il  a  embrassé  la  carrière 
des  armes,  et  occupe  aujourd'hui 
les  emplois  de  général  de  divi- 
sion ,  colonel  du  60'  régiment 
d'infanterie  ,  et  de  payeur  de  la 
marine.  Il  est  en  outre  membre 
de' la  députation  de  Scarborough, 
au  parlement  anglais. 

MULLER  (Jean  de),  célèbre 
historien  suisse,  ancien  ministre 
secrétaire-d'état  du  roi  de  West- 
phalie,  directeur  de  l'instruction 
publique,  grand-cordon  de  l'ordre 
royal  de  Hollande ,  membre  de 
l'académie  de  Berlin,  etc.,  naquit 
à  Schaffhouse  le  3  janvier  1753. 
Il  commença  ses  études  au  gym- 
nase de  cette  ville  et  les  termina  à 
l'université  de  Goeltingue,  Son 
aïeul  maternel,  qui  remplissait  des 
fonctions  pastorales,  le  destinait  à 
suivre  la  carrière  de  la  théologie; 
mais  le  jeune  MuUer,  qui  s'occu- 
pait, depuis  l'âge  de  douze  ans, 
de  travaux  sur  l'histoire,  travaux 
dans  la  continuation  desquels  l'en- 
gagèrent ses  maîtres,  et  entre  au- 
tres Miller,  Heyne  et  Schloezer, 
eut  enfin  la  liberté  de  suivre  le 
penchant  qui  l'entraînait.  Ce  fat 
d'après  les  conseils  de  Schloezer 
qu'il  composa  l'histoire  de  la  guer- 
re des  Cimbres  qu'il  publia  à  Zu- 
rich, en  1772,  et,  d'après  ceux  de 
Miller,  qu'il  se  disposa  à  écrire 
l'histoire  de  son  propre  pays.  Mul- 
1er,  de  retour  à  Schaffhouse,  re- 


MLL 

eut  du  gouvernement  la  chaire  de 
langue  grecque,  et  il  en  remplit 
les  fonctions  sans  renoncer  à  ses 
occupations  favorites.  En  1774-»  il 
obtint  l'autorisation  de  se  rendre 
à  (ienève,  où  il  devint  l'instituteur 
du  fils  du  conseiller  ïronchin,  et 
l'ami  des  Bonnet  ,  des  Fuessli 
et  des  Bonstetten;  il  donna  dans 
cette  ville  des  leçons  d'histoire 
universelle.  Il  publia  au  commen- 
cement de  1780  la  première  partie 
de  VHistoire  de  la  confédération 
suisse;  mais  il  n'a  pas  continué  cet- 
te première  édition.  Peu  de  temps 
après,  il  se  rendit  à  Berlin  où  Fré- 
déric-le -Grand  l'accueillit  avec 
bienveillance.  Muller  donna  dans 
cette  ville  des  Essais  historiques, 
et  accepta  du  landgrave  de  Hesse 
la  chai>>e  de  Cassel,  où  il  recom- 
mença les  cours  d'histoire  qu'il 
avait  faits  à  Genève.  Trois  ans  a- 
près  (en  1783),  il  rentra  dans  sa 
patrie  et  s'y  livra  exclusivement 
à  ses  travaux  habituels  dans  la 
maison  de  Bonstetten,  son  ami. 
L'électeur  de  Mayence  voulut  l'a- 
voir à  son  service,  et  le  fit  secré- 
taire du  cabinet  et  conseiller  inti- 
me. Il  s'y  montra  véritablement 
propre  aux  aftaires  publiques,  et 
publia,  en  1787,  contre  les  pro- 
jets de  domination  de  la  maison 
d'Autriche,  les  motifs  d'une  coa- 
lition des  princes  allemands  pour 
la  défense  de  la  constitution  ger- 
manique. Dans  un  second  écrit, 
eu  1788,  il  déplora  les  malheurs 
que  devait  entraîner  le  peu  de 
disposition  que  l'on  montrait  pour 
cette  réunion.  Il  s'occupait,  vers 
le  même  temps,  des  rapports  de 
la  puissance  ecclésiastique  avec 
celle  de  l'état.  La  ville  de  Mayence 
étant  tombée  au  pouvoir  des  Fraiir 


MrL 

«'ais  dans  la  première  guerre  de  la 
révolution,  il  partit  pour  Vienne. 
L'empereur  Léopold,  qui,  à  l'é- 
poque  de   son   couronnement    à 
Francfort,  lui  avait  conféré  des  lel- 
Ires  de  noblesse,  voulut  se  l'atta- 
cher en  lui  donnant  le  titre  de  con- 
seiller à  la  chancellerie  d'état,  et 
peu  après  la  place  de  bibliothé- 
caire. Mais  MuUer  éprouva  dans 
l'exercice  de  cette  dernière  fonc- 
tion des  dégoûts  qui  lui  Greut  vi- 
vement désirer  sa  liberté.  La  pros- 
cription de  son  histoire  de  la  Suis- 
se, qui  fut  comprise  au  nombre 
des  livres  prohibés,  le  porta  à  ac- 
cepter ,   en    i8o4»   de   Frédéric- 
Guillaume,  roi  de  Prusse,    une 
place  h  l'académie  de  Berlin,  et  il 
partit  aussitôt  pour   sa   nouvelle 
destination.  Il  voulut  justifier  la 
confiance  de  Frédéric-Guillaume, 
et  témoigner  sa  gratitude  à  la  mé- 
moire de  Frédéric-le-Grand,  en 
écrivant  la  vie  de  ce  prince.  Deux 
discours  qu'il  prononça  à  l'acadé- 
mie, en  i8o5eten  1807,  donnaient 
une  idée  favorable  de  la  manière 
dont  il  avait  envisagé  son  sujet, 
lorsque  la  guerre  avec  la  France 
le  força  de  suspendre  son  travail. 
L'empereur    Napoléon ,   lors    de 
son  séjour  à  Berlin ,  avait  distin- 
gué  Muller.    Pendant   le  voyage 
de  celui-ci  à  Tubingue,  où  le  roi 
de  Wurtemberg  l'appelait  en  qua- 
lité de  professeur,  il  reçut  de  Na- 
poléon l'invitation  de  se  rendre  à 
Paris,   qu'il   quitta  bientôt  pour 
passer  en  Westphalie,  où  il  devint 
secrétaire-d'état. Il  fut  nommé, peu 
de  temps  après,  directeur-général 
de  l'instruction  publique  dans  ce 
royaume.    Ses    soins    multipliés 
pour  la  réorganisation  des  études 
et  les  autres  travaux  auxquels  il 


MLL 


249 


se  livrait,  hâtèrent  sa  fin:  il  mou- 
rut le  iç)  mai  1809.  Muller  a  laissé 
les    plus    honorables    souvenirs; 
simple,  modeste,  généreux,  dé- 
sintéressé, il  mourut  pauvre,  et 
ce  ne  fut  que  par  la  publication 
de  ses  œuvres  posthumes  que  Von 
put  acquitter  les  dettes  peu  nom- 
breuses   qu'il    avait    contractées. 
Comme  savant,  il  a  mérité  le  suf- 
frage de  deux  hommes  bien  faits 
pour  l'apprécier  :  Chénier  et  Char- 
les Villors.  «L'histoire  de  la  con- 
fédération helvétique,  dit  le  pre- 
mier, est  pleine  de  recherches  sur 
les  origines  des  villes  et  sur  leurs 
traditions  particulières.  Quoique 
fort  érudite,  elle  n'est  point  sè- 
che ;    elle   abonde   en   réflexions 
toujours  judicieuses  et  quelque- 
fois d'une  grande  portée.  Quant 
à  l'exécution  générale,  la  manière 
de  l'auteur  est  large  et  grave  :  la 
chaleur  n'est  pas  sa  qualité  domi- 
nante, mais  il  a  souvent  delà  no- 
blesse ;  et  dans  ce  qui  concerne 
l'histoire  naturelle  de  la  Suisse, 
partie  traitée  de  main  de  maître, 
son  style  s'élève  à  des  formes  ma- 
jestueuses... L'ouvrage  est  dédié 
à  tous  les  confédérés  de  la  Suisse. 
Cette  dédicace,  que  l'auteur  fait 
à  ses  pairs,  n'est  pas  d'un  ton  su- 
balterne. Oii  y  remarque,  comme 
en  tout  le  reste  du  livre,  un  pro- 
fond sentiment  de  liberté;  et  ce 
qui  pourrait,  à  l' malyse,  se  trou- 
ver  encore  la  même   chose,  un 
grand  respect  pour  le  genre  hu- 
main. I)  M.  Ch.  Villers  ,  auteur  de 
plusieurs   ouvrages  estimés  dans 
les  deux  langues,  et  d'un  Mémoire 
couronné  par  l'institut ,  s'expire 
ainsi  :  «  L'opinion  publique  accor- 
de assez  généralement  à  Muller  le 
premier  rang  parmi  les  historiens 


25o 


MU£ 


de  son  temps,  et  reconnaît  en  lui 
la  plus  exquise  réunion  des  qua- 
lités nécessaires  pour  qui  se  voue 
à  la  haute  fonction  d'écrire  les  Cas- 
tes de  l'humanité.  LeS'  uns  le  com- 
parent à  Tacite  ;  d'autres  ,  avec 
plus  de  raison,  le  nomment  le 
Thucydide  de  l'Helvétie.  Sans  dou- 
te que  la  grave  majesté  de  son  sty- 
le, que  la  vigueur  de  ses  tableaux, 
que  la  grandeur  de  ses  vues,  que 
la  richesse  de  son  imagination , 
enfin  que  sa  manière  vraiment 
antique,  autorisent  ces  comparai- 
sons. Mais  un  genre  de  mérite  que 
n'ont  pu  avoir  ces  anciens  histo- 
riens, c'est  celui  des  recherches 
les  plus  laborieuses,  les  plus  pro- 
fondes et  les  plus  exactes.  L'his- 
torien suisse  conduit  cette  histoi- 
re de  sa  patrie  depuis  l'origine  de 
la  nation,  au  travers  de  toutes  les 
relations  qu'eut  celle-ci  avec  la 
France,  l'Italie  et  l'Allemagne;  ce 
qui  rend  ce  bel  ouvrage  un  com- 
plément indispensable  à  l'histoire 
de  ces  diverses  contrées.  »  Le 
frère  de  ce  célèbre  historien,  M. 
.Tean-Georges  Muller,  professeur 
à  Schaffhouse,  a  publié  la  collec- 
tion complète  des  Œuvres  de  Jean 
de  M  aller  f  dont  le  27^  volume  a 
paru  en  1819.  On  trouve  dans 
cette  importante  collection,  outre 
l'histoire  de  la  confédération  hel- 
vétique, le  Cours  d'histoire  na- 
turelle, formant  à  lui  seul  trois 
volumes,  la  correspondance  fa- 
rnilière,  l'abrégé  de  la  vie  de  Jean 
de  Muller,  écrit  par  lui-même,  etc. 
Cet  abrégé  forme  le  1"  cahier  des 
vies  et  portraits  des  hommes  let- 
tré^ de  Berlin,  1806,  in-8",  publié 
par  M.  Lovfe.  Plusieurs  autres  é- 
trangers  ont  écrit  la  vie  de  cet 
historien,  et  M.  Guizol  a  donné, 


MIL 

dans  le  Mercure  de  France  du  17 
février  1810,  une  Notice  biogra- 
phique sur  J.  de  Muller. 

MULLER  (Othon-FbÉdÉric), 
naturaliste  danois,  naquit  à  Co- 
penhague, en  1730,  d'une  famille 
peu  favorisée  de  la  fortune.  Il  ne 
put  même  compléter  son  éduca- 
tion qu'en  se  procurant,  comme 
musicien ,  des  ressources  pécu- 
niaires qu'il  employait  à  payer  ses 
maîtres  ,  rare  exemple  d'amour 
du  travail,  et  de  la  bonne  destina- 
tion du  fruit  qu'il  en  retirait.  Il 
s'acquit  ainsi  des  protecteurs  qui, 
voulant  également  le  récompenser 
de  la  régularité  de  sa  conduite,  lui 
firent  obtenir,  en  1753,  l'emploi 
de  précepteur  du  jeune  comte  dft 
Schulin,  dont  le  père  avait  été  mi- 
nistre d'état.  M""  de  Schulin,  re- 
tirée à  la  campagne,  veillait  elle- 
même  à  l'éducation  de  son  fils.  Elle 
sut  apprécier  le  mérite  de  Muller, 
et  ce  fut  à  ses  sollicitations  que 
le  professeur  se  livra  à  l'étude  des 
sciences  naturelles.  Il  y  fit  de  ra- 
pides progrès,  et  parvint  à  dessi- 
ner, avec  une  parfaite  exactitude, 
les  plantes  et  les  animaux  qu'il  dé- 
crivait, avec  le  même  talent.  Mul- 
ler accompagna  son  élève  dans  ses 
voyages,  où  il  augmenta  ses  pro- 
pres connaissances,  et  de  retour  à 
Copenhague,  en  1767,  il  publia, 
en  latin,  2  vol.  in-S",  une  histoire 
des  insectes  et  des  plantes  de  la 
campagne  du  ministre  de  Schulin. 
Elle  parut  sous  le  titre  de  :  Fauna 
insectorum  Friedrichsdaliana,  et 
sous  celui  de  :  Flora  Friedrichsda- 
liana.  Le  succès  de  ces  ouvrages 
détermina  le  gouvernement  à  lui 
confier  la  continuation  de  la  Flore 
de  Danemark,  commencée,  en 
1761,  par  G.   Chr.   Oeder,   sur 


MUL 

l'ordre  de  Frédéric  V,  et  dont  trois 
volumes  seulement  avaient  été 
mis  au  jour.  Muller  en  ajouta 
deux  autres,  dont  le  dernier  parut 
eu  1782.  Cet  ouvrajçe  passe  pour 
le  plus  beau  que  l'on  eût  alors 
publié  dans  ce  genre.  Les  faveurs 
de  la  cour  et  celles  de  la  fortune, 
se  répandirent  bientôt  sur  ce  sa- 
vant, à  tant  de  titres,  estimable.  11 
devint,  eu  1769,  conseiller  de 
chancellerie  ;  eu  1771,  archiviste 
de  la  chambre  de  Norwège,  et 
peu  après,  il  fit  un  mariage  des 
plus  avantageux.  L'aisance  qui  en 
fut  la  suite,  le  porta  à  renoncer  à 
ses  emplois,  et  à  se  livrer  exclusi- 
vement aux  sciences.  En  1772,  il 
donna,  en  allemand,  un  vol.  in- 
4",  des  Observations  sur  certains 
vers  d'eau  douce  et  d'eau  salée, que 
Linné  nomme  AphroUites  et  Né- 
réides, et  sur  lesquels  les  travaux 
de  Bonnet  (  voyez  ce  nom  )  ve- 
naient d'appeler  l'attention  des 
savans  et  des  amateurs  de  l'his- 
toire naturelle.  iMuller  les  divisa 
en  quatre  genres,  découvrit  plu- 
sieurs espèces  nouvelles,  et  com- 
muniqua des  observations  curieu- 
ses sur  la  structure,  les  habitudes 
et  les  propriétés  de  ces  petits  ani- 
maux. Un  ouvrage  bien  plus  im- 
portant vint  fixer  l'attention.  Il 
donna,  en  latin,  2  vol.  in-4", 
1775-1774»  Jc'  Observations  sur 
les  vers  de  terre  et  d'eau  douce.  «  La 
preujière  partie,  dit  M.  Cnvier 
dans  une  Notice  sur  ce  savant,  est 
consacrée  aux  animaux  inlusoircs, 
c'est-à-dire,  à  ces  petits  êtres  in- 
visibles à  l'œil  nu,  et  dorit  la  plu- 
part ne  noui  apparaissent  qu'à 
Paide  de  forts  microscopes.  Il  en 
découvrit  un  grand  nombre;  et  le 
premier  parmi  les  naturalLsles,  il 


MUL  a5i 

eut  le  courage  de  les  distribuer  en 
genres,  et  d'assigner  à  chacune  de 
leurs  espèces,  des  caractères  dis- 
tinctifs.  La  seconde  partie  con- 
tient des  observations  intéressan- 
tes sur  les  vers  des  intestins.  La 
troisième,  qui  remplit  le  second 
volume,  a  pour  objet  les  coquil- 
lages; et  l'auteur  essaya  de  les 
classer,  à  l'exemple  d'Adanson  et 
de  Geoffroy,  d'après  l'organisation 
des  animaux  qui  les  habitent;  mais 
l'anatomie  de  ces  animaux  était 
trop  peu  avancée  alors,  et  lui- 
même  était  trop  peu  anatomisle, 
pour  qu'il  eût  de  grands  succès 
dans  cette  entreprise.  »0n  cite  en- 
core ,  comme  des  ouvrages  fort 
remarquables,  un  traité  en  latin, 
sur  les  Uydraclines,  ou  Araignées 
a'iuatiques,  imprimé  en  1781,  in- 
4°,  avec  planches,  et  un  autre,  en 
1785,  dans  la  même  langue,  éga- 
lement in-4",  ''^^cc  planches,  sur 
les  Eutomostracés,  que  Linné  clas- 
se dans  le  genre  des  Monocles. 
fl  L'auteur,  dit  M.  Cuvier,  que 
nous  avons  déjà  cité,  y  fait  con- 
naître une  multitude  d'êtres  ani- 
més, dont  on  soupçonnait  à  pei- 
ne l'existence,  bien  qu'ils  rem- 
plissent, par  millions,  toutes  nos 
eaux  douces,  et  même  celles  que 
nous  regardons  comme  les  plus 
pures.  Cependant  Muller  travail- 
lait sans  relâche  à  multiplier  ses 
découvertes  sur  les  animaux  infu- 
soires;  et  à  sa  mort,  il  en  laissa 
l'histoire  et  les  descriptions  dé- 
taillées en  un  fort  vol.  in-4%  orné 
de  5o  planches,  qui  fut  publié  par 
les  soins  de  son  ami  Othon  Fabri- 
cius.  Ces  trois  écrits,  sur  les  infu- 
soires,  sur  les  monocles  et  sur  les 
hydrachnes,  ont  assigné  à  Muller 
l'un  àti  premiers  rangs  parmi  Ioî». 


i 


252 


MUL 


naturalistes  qui  ont  enrichi  îa 
science  d'observations  originales  : 
ils  sont  classiques,  chacun  pour  la 
famille  à  laquelle  il  se  rapporle, 
et  ils  le  demeureront  long-temps, 
non-seulement  à  cause  de  la  pa- 
tience et  de  l'exactitude  infinie  de 
l'auteur,  mais  encore  à  cause  des 
obstacles  nombreux  qu'opposent 
aux  observateurs  la  petitesse  ex- 
trême et  le  peu  de  consistance  des 
animaux  qui  composent  ces  famil- 
les. Les  infusoires  surtout  forment 
en  quelque  sorte  un  nouveau  rè- 
gne animal,  que  Muller  a  révélé 
au  monde,  et  sur  lequel  depuis 
lors  on  n'a  guère  faitque  le  copier.» 
Muller  mourut  en  1794.  H  a  pu- 
blié, outre  les  ouvrages  déjà  cités, 
1",  en  danois,  sur  f/ue/ques  Cliam- 
pignons,  1763  :  c'est  son  premier 
ouvrage;  2",  en  danois,  sur  laChe- 
■nille  à  queue  fourchue,  1771  >  3" 
sous  le  titre  de  Zoologiœ  Danlcce 
prodromus,  1777,  in-8%  l'histoire 
des  animaux  du  Danemark;  4°, 
en  danois,  Voyage  à  Chistiavsand, 
Ï778;  5°  différens  Mémoires  im- 
primés dans  les  recueils  de  diver- 
sessociétés  savantes. 

MULLER  (N.),  général  républi- 
cain, était  à  l'époque  de  la  révolu- 
lion  danseur  à  l'Opéra;  mais  il  a- 
vait  reçu  de  l'éducation,  et  se 
montrait  bien  au-dessus  de  son  é- 
tat.  En  1795,  il  partit  de  Paris  avec 
les  premières  troupes  qui  furent 
dirigées  contre  les  insurgés  des  dé- 
partemens  de  l'Ouest.  La  Taleur 
et  les  talens  qu'il  inontra  dans  tou- 
tes les  occasions  le  firent  parvenir 
rapidement  au  grade  de  général, 
et  déjà  il  commandait  une  divi- 
sion ,  lorsque  l'armée  vendéenne 
passa  la  Loire  pour  attaquer  Grand- 
villc.  îkfuUer  se  signala  de  nou- 


MUL 

veau  dans  cette  circonstance.  Réu- 
ni à  Westermann  ,  il  prit  part  aux  ' 
diflërens  combats  où  cet  intrépide 
guerrier  mena  presque  toujours 
les  républicains  à  la  victoire.  De- 
puis le  général  Muller  fut  em- 
plo^'é  contre  les  chouans,  organi- 
sés dans  la  ci-devant  Bretagne.  On 
trouve  dans  un  rapport  qu'il  fit  en 
avril  1796,  les  détails  suivans  : 
«Les  chouans,  au  nombre  de  4jOoo 
hommes,  formaient  un  front  d'u- 
ne lieue  et  demie.  A  la  suite  d'un 
feu  très-vif  de  quatre  heures,  j'ai 
fait  essuyer  à  l'ennemi  une  perte 
considérable,  et  je  n'ai  à  regretter 
qu'un  mort  et  quatre  blessés  :  la 
victoire  au  reste  à  été  complète.» 
Muller,  demeuré  sans  emploi  après 
la  pacification,  fut  pendant  quel- 
que temps  remis  en  activité  sous  le 
directoire-exécutif,  et  réformé  en- 
suite. La  manifestation  de  ses  prin- 
cipes politiques  le  rendit  suspect 
au  gouvernement  impérial,  qui 
l'exila  de  Paris  en  i8o5.  On  n'a 
])oint  entendu  parler  de  lui  depuis 
cette  époque. 

MULLER  (Léon),  général  répu- 
blicain, eut,  pendant  les  années 
1793  et  1794»  le  commandement 
en  chef  de  l'armée  des  Pyrénées- 
Occidentales.  En  1799,  il  com- 
mandait près  du  Rhin,  et  parvint, 
par  une  savante  manœuvre,  à 
s'emparer  de  la  place  de  Stuttgard , 
vers  laquelle  il  avait  dirigé  son 
corps  d'armée.  Cette  diversion 
produisit  l'effet  qu'en  attendait  le 
général  français,  en  forçant  l'ar- 
chiduc Charles,  qui  se  trouvait  en 
Suisse,  à  détacher  une  partie  de 
ses  forces  pour  l'envoyer  vers  le 
Bas-Rhin.  Muller  a  fait  les  célèbres 
campagnes  de  i8o5  et  de  1806, 
ot  n'a  point  reparu  depuis  sur  le 


tableau  des  généraux  en  activité. 
-  MLLLER(N.),lieulenant-gént;- 
ral  au  service  de  Russie,  naquit  en 
Suisse.  Il  se  distingua  dans  la  guer- 
re que  fit  cette  puissance  contre 
les  Turcs,  notamment  en  1788,  où 
il  se  couvrit  de  gloire  à  la  prise 
d'Oczakow.  Chargé,  au  mois  d'oc- 
tobre 1790,  d'enlever,  avec  un 
corps  détaché,  le  camp  retranché 
des  Turcs  à  Rilia-Nova,  il  réussit 
dans  son  attaque,  mais  il  y  trouva 
la  mort.  Il  fut  regretté  de  toute 
l'armée. 

MULLER  (Ada.m),  conseiller  de 
régence,  et  consul-général  d'Au- 
triche ,  à  Léipsick,  en  1816,  s'est 
fait  connaître  par  plusieurs  écrits 
politiques  sur  les  événemens  mé- 
morables qui  ont  signalé  le  com- 
mencement du  19°"  siècle.  Il  a 
publié  à  Berlin,  après  la  seconde 
invasion  de  la  France,  un  ouvra- 
ge du  plus  grand  intérêt  sur  les 
finances  de  l'Angleterre.  Indépen- 
damment de  ses  ouvrages  politi- 
ques, on  a  aussi  de  M.  5luller  des 
Mélanges  sur  la  philosophie ,  les 
arts  et  la  pratique. 

MULLER  (JEis-AoAM),  est 
l'un  de  ces  hommes  qui  se  pré- 
tendent inspirés  (genre  de  fo- 
lie ou  d'imposture  assez  com- 
mun en  Allemagne  depuis  quelque 
temps);  il  a  fait,  en  sa  prétendue 
qualité  de  prophète,  beaucoup  de 
bruit  pendant  plusieurs  années, 
notamment  en  1807,  où  ses  pro- 
phéties avaient  pour  objet  le  réta- 
blissement de  la  monarchie  prus- 
sienne. Ce  visionnaire  a  publié  son 
histoire  en  iSib,  sous  ce  litre: 
le  Prophète  M  aller  peint  par  lui- 
même. 

MULLER  (le  babox),  officier 
suisse,  oé  à  Aarwaoge,  daus  le  can- 


MUL  a55 

ton  de  Berne,  montra  une  grande 
opposition  aux  projets  du  gouver- 
nement français  ,  et  se  distingua  , 
en  combattant  pour  sa  patrie,  sous 
les  ordres  du  général  Erlach.  Ne 
voulant  pas  se  soumettre  à  la  do- 
uiination  de  Napoléon,  le  baron 
Muller  quitta  la  Suisse,  mais  il  fut 
arrêté  en  Allemagne,  et  conduit  ù 
Magdebourg,  d'où  il  trouva  le 
moyen  de  s'échapper  pour  se  reti- 
rer d'abord  en  Suéde,  et  ensuite 
en  Angleterre.  11  retourna  en  Suè- 
de après  l'abdication  de  Gustave- 
Adolphe,  avec  lequel  il  s'était  lié 
dans  son  premier  voyage;  et  com- 
me alors  cette  liaison  le  rendait 
suspect,  le  comte  de  Lœwenhaupt, 
commandant  d'Helsingborg,  le 
fit  arrêter,  comme  espion  de  Gus- 
tave, dès  qu'il  mit  le  pied  dans 
celte  ville,  en  i8ii.  Cependant, 
après  une  détention  de  six  semai- 
nes, il  fut  reconduit  au-delà  des 
frontières.  Le  baron  Muller  con- 
serva un  vif  ressentiment  de  sa  dé- 
tention, et  lorsque,  après  les  évé- 
nemens de  1814,  il  put  reparaître 
librement  sur  le  continent,  il  se 
rendit  à  Copenhague,  d'où  il  en- 
voya, pendant  l'été  de  18 16,  plu- 
sieurs cartels  au  comte  de  Loe- 
wenbaupt,  qui  ne  crut  pas  devoir 
y  répondre,  {^e  baron  Muller,  en- 
core plus  irrité  de  ce  silence,  prit 
le  parti  de  s'adresser  à  l'envoyé 
extraordinaire  de  Suède  (le  géné- 
ral Tawast),  à  la  cour  de  Dane- 
mark. Ce  dernier  détermina  le 
comte  de  Lœwenhaupt  i\  accepter 
le  combat,  qui  eut  lieu  au  com- 
mencement de  septembre,  et  où 
il  reçut  une  blessure  dont  il  mou- 
rut au  bout  de  quelques  jours.  Lç 
baron  Muller  fut  arrêté  le  27  du 
même  mois^  et  conduit  à  la  cita- 


254  Ml^L 

délie  de  Friedrichshaft-n;  mais  il  fut 
ïuis  on  liberté  peu  lie  temps  après. 
MULLER  (Philppe- Jacques), 
professeur  de  philosophie,  naquit 
à  Strasbourg  en  1752,  et  se  livra 
avec  ardeur  à  l'étude  de  la  philo- 
sophie, delà  théologie,  des  lan- 
gues latine,  grecque  et  hébraïque. 
II  cultiva  aussi  avec  succès  la  phy- 
sique et  les  niathéniatiques.  Pro- 
fesseur de  philosophie  et  de  théo- 
logie à  l'universiléde  Strasbourg, 
il  lit  en  France,  en  Suisse  et  dans 
quelques  autres  contrées  de  l'Eu- 
rope, plusieurs  voyages  qui  le 
mirent  en  relation  avec  les  hom- 
mes les  plus  recommandables  par 
leursvertusetleur  n)érite.  Il  mou- 
rut, en  1795,  dans  sa  ville  natale. 
JJès  l'iige  de  18  ans,  il  s'était  fait 
un  nom  dans  le  monde  savant,  en 
faisant  imprimer,  en  forme  de  thè- 
se, une  Dissertation  historique  et 
philosophique  sur  la  pluralité  des 
inondes,  ouvrage  qui  eut  beaucoup 
de  succès.  Il  publia  depuis  quel- 
ques autres  écrits  dans  la  même 
forme,  dont  voici  les  principaux 
litres  :  1°  Observationes  iniscella- 
neœ  circà  uniones  animi  et  corpo- 
ris,  1751  ;  2°  De  origne  et  permis- 
sione  viali,  iySi;  "b"  Deextantibus 
recentiorum  pkilosophorum  conati- 
bus  certitudineniprincipiorum  mo- 
ralium  vindicandis 3  1773  ;  l\''  Pro- 
lusio  de  miraculis  ;  observationes 
in  psjcologiam  scholœ  pythagori- 
<œ,  17^7;  5°  Aniniadversiones  his- 
toriée philosophicce  de  origine  ser- 
monis  ,  1777»  etc. 

MULLER  (Charles),  naquit 
îi  Friedberg,  et  a  publié  en  alle- 
mand un  écrit  sor  l'Intérêt  politi- 
que de  la  Suisse,  relaticement  à  la 
principauté  de  Neuchâtet  et  Valan- 
£in.  Cet  ouvrage  a  été  traduit  en 


MLL 

français,  par  J.  J.  de  Sandoz  de 
Travers  ,  conseiller  -  d'état  prus- 
sien ;  Neuchâlel,  1790-  Muller 
mourut  en  i8o3. 

MULOT  (l'abbé  François-Va- 
lentin),  membre  de  la  première 
commune  de  Paris ,  puis  de 
l'assemblée  législative,  ancien 
commissaire  du  gouvernement  i< 
Mayence  ,  professeur  de  belles- 
lettres ,  membre  de  la  société 
des  Rosati,  de  celle  des  lettres , 
sciences  et  arts,  et  du  lycée,  de- 
puis athénée  des  arts  de  Paris, 
naquit,  en  1749»  A  Paris,  où  il  fit 
ses  études  ecclésiastiques.  Reçu, 
à  l'âge  de  16  ans,  dans  l'ordre  des 
chanoines  réguliers  de  Saint-Vic- 
tor ,  il  y  fut  admis  au  sacerdoce  , 
et  y  obtint  successivement  to«i- 
tes  les  dignités  jusqu'à  celle  de 
prieur.  Comme  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  avait  droit  de  cure  dans  son 
enclos,  ra!)bé  Mulot  y  fut  nommé 
en  même  temps  curé.  Il  visitait, 
en  cette  qualité,  les  prisons  de  la 
Force,  où  un  de  ses  paroissiens 
était  détenu  pour  dettes.  C'est  là, 
dit-on  ,  qu'il  vit,  en  1784?  Bette- 
d'Elieuville,  qui  plus  tard  fut  com- 
promis dans  l'alfaire  du  collier 
\voy.  Lamothe),  et  qu'il  s'y  trouva 
indirectement  impliqué  lui-même, 
non  dans  le  fond,  mais  dans  un 
épisode  de  cette  scandaleuse  affai- 
re. Le  seul  tort  de  l'abbé  Mulot  fut 
de  s'êlre  trouvé  lié  avec  des  intri- 
gans.  Il  adopta  avec  chaleur,  mai^ 
sans  exagération,  les  nouveaux 
principes  politiques,  et  devint v 
en  1789,  membre  de  la  commu- 
ne provisoire  de  Paris,  qu'il  prési- 
da truis  fois.  Son  zèle  sincère,  sa 
modération,  sa  douceur  habituelle, 
lui  valurent  d'être  conservé  dans  la 
municipalité  définitive.  Trois  fois  il 


MUL 

fit  partie  des  dôputations  que  le 
corps  municipal  envoya  à  l'assem- 
blée constituante,  et  ce  fut  lui  qui, 
dans  les  deux  dernières,  fut  char- 
gé de  porter  la  parole.  Le  double 
objet  de  sa  mission  était  d'obtenir, 
en  faveur  des  Juifs  don)iciIiés  en 
France,  la  qualité  de  citoyens  ac- 
tifs; et  de  présenter  un  travail  dont 
il  était  l'auteur,  sur  les  maisons 
de  jeu.  L'honorable  caractère  de 
l'abbé  Mulot  était  même  connu 
de  Louis  XVI,  qui  nomma  cet  ec- 
clésiastique l'un  des  commissaires 
médiateurs  dans  le  comtat  Venais- 
sin.  Ses  collègues  étant  repartis 
pour  Paris,  afin  d'y  rendre  comp- 
te des  résullats  de  leur  mission,  il 
se  retira  à  Cuurthezon  (principau- 
té d'Orange),  pour  être  plus  à 
portée  de  surveiller  Avignon, 
Carpentras,  et  plus  particulière- 
ment Bédarrides,  qui  était  le  siège 
de  l'assemblée  électorale  de  Vau- 
cluse.  Lesempiètemens  continuels 
que  l'on  effectuait  sur  le  traité  de 
pacification,  furent  plusieurs  fois 
la  matière  de  ses  rapports.  Bien- 
tôt obligé  de  parcourir  avec  des 
troupes  plusieurs  points  du  Com- 
tat, il  s'arrêta  sucessivement  à 
Lille,  à  Cavaillon  età  Pont-de-Sor- 
gues,  et  néanmoins  ne  put  empê- 
cher les  entreprises  de  la  faction 
avignonaise  qui  présida  aux  mas- 
sacres des  16  et  17  octobre.  Épou- 
vantédesTengeauces  auxquelles  se 
livraient  les  factieux,  il  requit 
plusieurs  fois,  et  toujours  sans 
succès,  mais  avec  la  plus  grande 
énergie,  le  général  commandant, 
de  marcherau  secours  d'Avignon, 
et  les  administrateurs  de  la  ville 
de  faire  arrêter  les  assassins,  et 
de  recevoir  les  troupes  françaises: 
les  réponses  du  général  furent  é- 


MtJL  255 

vasives,  et  celles  de  la  municipa- 
lité d'une  déception  inconceva- 
ble. Il  était  dit  mensongèrement 
dans  la  lettre  des  administrateurs: 
«  Nous  sommes  parvenus  à  réta- 
xblir  la  tranquillité;  il  n'y  a  de 
«nouveaux  émigrans,  que  les  au- 
«teurs  et  complices  de  l'assassinat 
»du  patriote  Lescuyer.  La  loi  est 
»en  vigueur  :  nous  avons  pour  té- 
»  moins  de  notre  conduite  ,  des 
1)  membres  de  l'assemblée  consti- 
»  tuante.  »  L'abbé  Mulot  ,  trop 
convaincu  de  ce  qui  se  passait , 
fit  de  nouvelles  instances;  elles  fu- 
rent encore  impuissantes,  et  les 
massacres  continuèrent.  Il  rendit 
néanmoins  des  services  aux  parens 
des  victimes  qui  se  réfugiaient 
près  de  lui,  en  leur  prodiguant 
des  secours  et  des  consolations. 
Dans  l'impuissance  d'arrêter  les 
désordres,  il  sollicita  son  rempla- 
cement, et  l'obtint.  De  retour 
dans  la  capitale  j  il  siégea  à  l'as- 
semblée législative,  où  il  avait  été 
nommé  par  le  département  de 
Paris.  La  conduite  pleine  d'huma- 
nité de  l'abbé  Mulot  ne  l'avait  pas 
mis  à  l'abri  des  dénonciations,  et 
ses  ennemis  portèrent  l'audace 
jusqu'à  le  dénoncer  comme  le 
principal  auteur  des  massacres. 
Le  19  novembre,  il  fit  à  la  barre 
de  l'assemblée ,  un  rapport  dé- 
taillé des  scènes  déplorables  dont 
il  avait  été  le  témoin  impuissant. 
Sa  justification  fut  facile,  et  il  re- 
jeta avec  plus  de  succès  sur  Uovè- 
re,  l'un  de  ses  accusateurs,  une 
grande  partie  du  blâme  dont  celui- 
ci  s'était  efforcé  de  le  couvrir.  La 
carrière  législative  de  l'abbé  Mu- 
lot a  été  peu  remarquable.  On  le 
rit  renouveler,  le  5  décembre, 
la  motion  qu'il  avait  faite,  étant 


256 


MLL 


membre  du  corps  municipal,  con- 
tre les  maisons  de  jeu  ;  il  annonça 
le  28  février  1792  que  le  roi  avait 
cessé  de  faire  distribuer  des  secours 
aux  pauvres  de  Paris;  proposa  le 
i5  mars,  par  suite  des  troubles 
d'Arles,  la  suspension  des  fonc- 
tionnaires publics,  tant  de  la  ville 
que  du  département,  et  de  les 
mander  tous  à  lu  barre;  soutint,  le 
19,  la  motion  tendant  à  accorder 
la  parole  à  la  députation  extraor- 
dinaire d'Avignon,  qui  venait  ren- 
dre compte  de  la  situation  présen- 
te de  la  ville.  Intimidé,  ainsi  que 
plusieurs  deses  collègues,  lorsque 
Thuriotfit  son  rapport  sur  les  mas- 
sacres de  la  Glacièjc,  il  n'osa  point 
éclairer  l'opinion  de  l'assemblée, 
ni  s'opposer  au  décret  d'amnistie 
qui  fut  rendu  le  6  avril.  Incarcéré 
sous  le  règne  de  la  terreur,  il  fut 
nommé,  presque  immédiatement 
après  sa  mise  en  liberté,  membre 
de  la  commission  des  monumens. 
Le  directoire-exécutif  l'envoya  en 
qualité  de  commissaire  à  Mayeu- 
ce,  où  il  devint  ensuite  professeur 
de  belles-lettres  à  l'école  centrale 
de  la  même  ville.  L'abbé  Mulot 
mourut  à  Paris  le  9  juin  i8i>4;  il 
s'était  marié  à  une  des  époques 
les  plus  critiques  de  la  révolution. 
On  s'accorde  généralement  à  lui 
reconnaître  des  qualités  sociales  , 
et  des  talens  comme  littérateur. 
Il  a  publié  un  assez  grand  nombre 
d'ouvrages;  ses  principaux  sont  : 
1°  Essai  de  sei^mons  prêches  àl'  Hô- 
tel-Dieu de  Paris,  1781,  in-12; 
2"  Traduction  àv.Daphniset  Cliloé, 
Mitylène  (Paris),  1782,  in-S"; 
nouvelle  édition,  Paris,  1793, 
in-i6;  'o"  Requête  des  xieax  auteurs 
de  la  bibliothèque  de  Sainl-Victor 
à  M.  de  Marbeuf,  évêquçd' Autan, 


MLL 

en  vers  ,  Paris ,  in-S"  Je  8  p ag.  ; 
4"  Collection  des  fabulistes ,  avec 
un  discours  sur  tes  fables,  et  la  tra- 
duction des  Fables  de  Lockman  , 
Paris,  1785,  in-8°  :  le  1"  vol.  seul 
de  cette  collection  a  paru;  5°  le 
Muséum,  de  Florence  (gravé  par 
David),  avec  des  explications 
françaises,  Paris,  1788  et  années 
suivantes ,  6  vol.  in-S"  ;  6"  Rêve 
d  un  pauvre  moine,  1 789;  7"  Comp- 
te rendu  à  l' assemblée  nationale, 
comme  commissaire  du  roi  à  Avi- 
gnon, avec  supplément  et  corres- 
pondance officielle,  1791,  un  vol. 
in-8°;  8"  Almanach  des  sans-cu- 
lottes, Paris,  1794»  in- 8",  dans 
lequel  l'auteur  annonce  que  cet 
ouvrage  est  deslinéà  rappeler  aux 
sans-culottes  les  véritables  princi- 
pes de  la  société  ;  9"  Discours  sur 
les  funérailles  et  le  respect  dû  aux 
morts,  ouvrage  remarquable  sous 
le  double  rapport  des  sentimens 
et  du  ^mérite  littéraire ,  et  que 
l'auteur  prononça  à  la  cérémonie 
funèbre  consacrée,  par  le  lycée 
des  arts,  à  la  mémoire  de  Lavoi- 
sier,  le  2  août  1796;  10°  F'ues 
d'un  citoyen,  ancien  député,  sur  les 
sépultures ,  Paris,  »797?  iu-8": 
l'auteur  refondit  ces  deux  discours 
dans  celui  qui  suit;  ii"  Discours 
qui  a  partagé  le  prix  proposé  par 
l'institut,  sur  celte  question  : 
Quelles  sont  les  cérémonies  à  faire 
pour  tes  funérailles,  et  le  règlement 
à  adopter  pour  le  lieu  des  sépultures? 
Paris,  an  9  (1800),  in-8'*;  12° 
Rapport  fait  au  lycée  des  arts,  sur 
une  machine  propre  à  faire  des  al- 
lumettes, in-8°;  l'a"  Réflexions  sur 
l'état  actuel  de  l'instruction  publi- 
que, in-8°  ;  lù^'  Mémoire  sur  l'état 
actuel  de  nos  bibliothèques,  an  5 
('797)5  in- 8";    i5°  Discours  pro- 


AiLN 

voncc  à  la  société  littéraire  des  Ro- 
sali  de  Paris,  pour  le  couronnement 
des  Rosières,  floréal  an  5  (mai 
1797);  16°  Essai  de  poésies  légè- 
res,  Majence,  1799»  in-8°;  17* 
des  Notices  Biographiques  sur  l'ab- 
bé Lemonnier,  Deinoustier,  etc.; 
18°  Notices  nécrologiques  des  volu- 
mes 2  ft  5  du  Nouvel  Almanach  des 
Muses;  ig"  Hymnes  et  Discours 
pour  différentes  l'êtes  nationales, 
et  pour  des  cérémonies  publiques. 
MLNXH  DE  BELLINGIIAL- 
SEN  (le  barox  de),  président  ac- 
tuel (182^)  de  la  diète  germanique 
siégeant  à  Francfort,  est  né  aux  en- 
virons de  Mayence.  Il  eut,  jeune 
encore,  le  bonlieur  de  faire  con- 
naître avantageusement  ses  lalens 
diplomatiques,  et  de  se  signaler 
par  le  plus  entier  dévouement  à 
la  maison  d'Autriche.  Le  prince 
do  Metternich,  chancelier  d'état 
et  premier  ministre  de  l'empereiu' 
François,  honorant  le  baron  de 
Munch  d'une  affection  toiite  par- 
ticulière ,  lui  a  fait  confier  le  poste 
éminent  qu'il  occupe  aujourd'hui, 
et  dans  lequel  il  remplace  le 
comte  Buol  de  Schauenstein  ,  mis 
en  retraite.  Après  avoir  accom- 
pagné son  prolecteur  au  dernier 
congrès  de  Vérone,  et  avoir  en- 
suite reçu  les  instructions  les  plus 
étendues  à  Vienne,  M.  de  Munch 
fui  nommé  ministre  d'Autriche 
auprès  de  la  diète  de  la  confédé- 
ration, en  1820,  et  se  hâta  d'aller 
prendre  possession  de  la  prési- 
dence attachée  à  cette  place.  Initié 
dans  tous  les  projets  éventuels  du 
cabinet  de  Vietine  sur  l'Allemagne, 
tomme  dans  les  vues  particulières 
du  ministre  qui,  depuis  les  der- 
niers congrès  cl  les  conférences 
de    Czerno'wilz  et   de  Lemberg, 

T.  XIV. 


M  UN  2"- 

a  acquis  le  surnom  glorie4ix  dg 
prince  de  la  diplomatie  européenne, 
le  jeune  président  de  la  diète  de 
Francfort  montra  un  zèle  extrême 
à  justifier  la  confiance  que  le  prince 
de  Melternich  avait  mise  en  lui. 
Loin  de  suivre  l'exemple  de  quel-i 
ques  fonctionnaires  publics,  aussi 
rares-  àla  vérité,  que  mal  inspirés, 
qui  cherchent  une  vaine  faveur 
populaire,  M.  de  Munch  la  dé- 
daigne, et  sait  braver  courageu- 
sement les  murmures  toujours  sé- 
ditieux de  la  multitude,  comme 
les  plaintes  inconvenantes  des  par- 
ticuliers. Il  a  obtenu  le  renvoi  de 
la  diète  de  Francfort  du  ministre 
de  Wurtemberg,  M.  de  Wan- 
genheim ,  dont  l'ancienne  répu- 
tation de  patriotisme,  les  talens 
oratoires  et  l'inflexible  caractère 
rendaient  parfois  ro}>position  im- 
portune. II  a  depuis  pin'ssamment 
contribué  à  faire  repousser  par 
un  décret  d'incompétence,  et  ù 
faire  rejeter  définitivement,  en 
décembre  1820  et  janvier  1824, 
toutes  les  demandes  si  souvent 
renouvelées  des  acquéreurs  de  do- 
maines dans  le  ci-devant  royaume 
de  \N'estphalie.  Depuis  sept  ans  et 
plus,  ces  familles  ruinées  fati- 
guaient la  haule-diète  de  leurs 
plaintes  et  sollicitations;  elles  es- 
péraient, par  l'intervention  bien- 
veillante de  cette  assemblée,  ren- 
trer dans  les  propriétés  qu'elles 
avaient  acquises  d'un  gouverne- 
ment d'abord  reconnu  par  les  prin- 
cipales puissances  de  l'Europe, 
mais  renversé  depuis.  Cet  espoir, 
quelque  vivement  sollicité  qu'il 
fût,  a  été  déçu  complètement. 
M.  de  Munch  de  Bellinghausen  u 
même  fait  admonester,  pardécret, 
le  fondé  de  pouvoir  de  ces  famil- 


258 


MIJ?Î 


les ,  M.  le  docteur  Schreiber,  et 
lui  a  fait  enjoindre  d'employer  à 
l'avenir,  s'il  avait  quelque  pétition 
à  adresser  à  la  haute-diète,  un 
style  plus  humble  et  plus  conve- 
nable-. Eu  efiVit,   un  plébéien  qui 
parle  aux  représentans  des  prin- 
ces,   des  rois  et  des  empereurs, 
ne  doit  jamais ,  ainsi  qu'on  le  lui 
a  intimé ,  perdre  de  vue  son  infé- 
riorité; la  justice  même  qui  éma- 
nerait de  si  haut  doit  toujours  être 
considérée  et  sollicitée  comme  une 
grâce.  Une  autre  classe  de  péti- 
tionnaires qui  réclamaient  des  ar- 
riérés de  pniemens  pour  valeurs 
fournies,  des  pensions  pour  d'an- 
ciens services,  le  remboursement 
des    cautionnemens   en    argent, 
qu'ils  avaient  déposés    pour  des 
emploisdont  une  autorité  nouvelle 
lésa  dépouillés,  ont  également  été 
déboutés  de  leurs  demandes  (jan- 
vier 1824)»    P''*''  ""  décret  d'in- 
compétence proposé  par  le  pré- 
sident de  la  diète.  Pour  simplifier 
la  marche  des  affaires  et  écarter 
toutes  les  demandes  importunes, 
M.  de  Munch  a  habilement  saisi 
cette  occasion,  et  a  fait  décréter 
que  toutes  les  pétitions  qu'on  a- 
dresserait  dorénavant  à  la  haute- 
diète  ,  seraient  au  préalable  sou- 
mises à  uae  Judicieuse  censure,  qui 
décidera  si  la   lecture  en  pourra 
être  permise.  Les  principes  adop- 
tés par  les  hautes-puissances  aux 
congrès    de   Laybach  ,    Carlsbad 
et  Vérone ,    ont  trouvé   le   plus 
éloquent  défenseur  en  la  personne 
du  jeune   président   de  la  diète; 
aussi   le   conseil  amphyctionique 
de  l'Allemagne  otfre-l-il  aujour- 
d'hui, sous  sa  direction,  un  spec- 
tacle aussi  nouveau  qu'imposarît, 
celui  d'une  grande  assemblée  dé- 


libérant  sans  opposition  quel- 
conque, où  l'orateur  propose,  où 
les  membres  adoptent,  et  où  tout 
se  décrète  à  l'unanimité.  M.  le 
baron  Munch  de  Bellinghausen  a 
sans  doute  le  droit  de  réclamer 
personnellement  une  grande  part 
à  la  haute  estime  et  à  l'affection 
générale  que  cette  illustre  assem- 
blée s'est  acquise,  comme  chacun 
sait,   dans  l'Allemagne  entière. 

MUNGO-PARK,  célèbre  voya- 
geur anglais,  était  né  avec  un  es- 
prit entrepenant,  et  totites  les  qua- 
lités propres  aux  grandes  décou- 
vertes;   une   fin   prématurée  vint 
malheureusement  anéantir  les  es- 
pérances que  ses    premiers  essais 
faisaient  concevoir.  Il  avait  formé 
le  projet  de  traverser  l'Afrique , 
du  nord  au  cap  de  Bonne-Espé- 
rance, et  l'entreprit  en  1790;  mais 
assailli  par  des  maux,  des  dangers 
et  des  fatigues  de  toute  espèce,  il 
fut  obligé  d'y  renoncer,  et  manqua 
plusieurs  fois  de   perdre   la    vie. 
Quoiqu'il  n'eût  qu'imparfaitement 
atteint  le  but  de  son  voyage,  les 
notions  qu'il  en  rapporta,  et  qu'il 
consigna  dans  une  relation  publiée 
•à  Londres,  en  1798,  relatives  au 
cours    du    Niger ,    sur    lequel  il 
n'existait  que  des  conjectures  op- 
posées les  unes  aux  autres,  satis- 
firent les  géographes.  Jusqu'alors 
on  avait   prétendu  que  le  Niger 
coulait   à    l'ouest,  et   se  perdait, 
soit   dans  quelques   grands    lacs, 
soit   dans    la    mer.    Mungo-Park 
soutient,  au  contraire,  que  le  cours 
de  ce  fleuve  se  dirige  à  l'est  jus- 
qu'à la  ville  de  Tombuctoo,  men- 
tionnée dans   toutes  les  relations 
modernes.  Depuis  il  varia  un  peu 
dans  cette  opinion  ,  ayant  cru  re- 
connaître que  ie  Niger  tournait  au 


MtJN 

sud,  ?e  joignait  ensuite  au  Zaïre, 
et  se  jetait  avec  lui  dans  l'Atlan- 
tique. JI  se  promettait  de  nouvel- 
les investigations  qui  auraient  é- 
clairci  tous  les  doutes  à  cet  égard, 
mais  la  mort  ne  lui  a- pas  permis 
d'exécuter  ce  qu'on  pouvait  at- 
tendre de  son  zèle  et  de  sa  sagaci- 
té ;  son  ardeur  pour  les  excur- 
sions lointaines  triompha  encore 
de  la  crainte  des  dangers  auxquels 
elles  l'exposaient;  il  repartit  pour 
l'Afrique  en  i8o5,  et  arriva  vers 
la  fin  de  mars  à  Gorée,  d'où  il  ga- 
gna les  hauteurs  de  Gambie.  Il  s'en- 
fonça alors  dans  l'intérieur  du 
pays,  avec  assez  deprécaution  pour 
qu'on  eût  pendant  un  certain  temps 
la  faculté  de  communiquef  avec  lui. 
Tout-à-coup  on  cessa  de  recevoir 
de  ses  nouvelles,  et  l'on  craignit 
qu'il  n'eût  succombé  dans  sa  pé- 
rilleuse entreprise.  DifFérens  dé- 
tails, parvenus  depuis  en  Europe, 
quoiqu'ils  s'accordent  assez  mal 
entre  eux,  ont  achevé  de  confir- 
mer cette  opinion.  Sur  le  récit 
de  quelques  nègres,  on  avait  cru 
d'abord  que  Mungo-Park  et  ceux 
de  ses  compagnons  qui  avaient  sur- 
vécu aux  fatigues  et  aux  souflran- 
ces  du  voyage,  avaient  péri  sous 
les  coups  d'une  peuplade  noire,  qui 
leursoupconnait  des  projets  hosti- 
les; mais  il  a  été  fourni,  en  1817, 
à  un  agent  anglais  auprès  du  roi 
des  Ashantees,  des  détails  certains, 
qui  ne  permettent  pas  de  douter 
que  ce  hardi  voyageur  ne  se  soit 
noyé  .au  passage  é'une  rivière.  La 
mémoire  d'un  homme  qui,  par  son 
audace,  ses  connaissances  et  son 
activité,  pouvait  fournir  d'utiles 
notions  sur  la  moins  connue  des 
quatre  parties  du  monde ,  doit 
luisier  des  regrets  chez  tous  ceux 


MUN 


339 


qui  s'intéressent  au  progrès  des 
sciences.  La  relation  du  premier 
voyage  de  Mungo-Park  a  été  tra- 
duite en  français. 

MLNNIKS  (Wikold),  médeciu 
hoUandais,  naquit  le  4  décembre 
1744  à  Joure  en  Frise,  el,  à  l'âge 
de  14  an^,  fut  envoyé  par  sa  famil- 
le en  France  pour  en  apprendre 
la  langue.  Destiné  à  la  profession 
de  médecin,  il  reçut  les  premières 
instructioits  en  botanique  et  en 
chimie  chez  un  des  pharmaciens 
les  plus  distingués  d'Amsterdam. 
Elève  ensuite  de  l'académie  de 
Groningue,  il  s'y  lia  d'amitié  avec 
plusieurs  hommes  distingués,  en- 
tre autres  Camper,  qui  lui  donna 
constamment  des  marques  de  la 
plus  vive  affection.  Il  suivit  plu^ 
tard  les  cours  de  l'université  de 
Leyde,  et  vint  achever  ses  études 
médicales  à  Paris,  aux  leçons  dos 
Louis,  Nollet,  Sabatier  et  Portai. 
En  retournant  dans  sa  patrie,  il 
visita  Rouen,  où  il  fut  accueilli  par 
Lecat,  comme  il  le  fut  à  Lyon  par 
Pouteau  et  Flamand.  De  retour  à 
Leyde,  il  y  soutint  une  thèse  bril- 
lante Sur  la  maladie  vénérienne  et 
sur  ses  principaux  remèdes  ^  spé- 
cialement ceux  de  Fan  Swieten  et 
de  Plauck.  Ce  fut  sa  thèse  de  ré- 
ception pour  le  grade  de  docteur 
(1769).  La  Hollande  était  affligée 
d'une  épizootie.  Munniks  et  Van 
Dœveren  s'associèrent  pour  l'ino- 
culation de  ce  mal  funeste,  qui 
avait  mérité  la  vive  sollicitude  de 
Camper.  Munniks  se  voua  tout 
entier  au  traitement  de  la  maladie, 
et  ses  soins  furent  couronnés  du 
succès  le  plus  flatteur.  Ce  patri- 
cien, dont  la  réputation  augmen- 
tait de  jour  en  jour,  succéda,  eu 
1771,  à  Camper,  son  prolecteur 


^Oo 


WLN 


et  sou  ami,  dans  la  partie  anato- 
inique  et  médicale  de  ses  fonc- 
tions à  l'université  de  Groiiingue. 
Ce  fut  le  19  juin  de  cette  année 
qu'il  entra  en  exercice  en  pronon- 
çant un  discours  latin ,  sur  les 
Jouissances  attachées  à  t'anatomie, 
et  en  taisant  sa  leçon  inaugurale 
sur  les  étroits  Rapports  qui  exis- 
tent entre  la  mécanique  et  l'art  de 
guérir.  En  1773,  iVlunniks  oc- 
cupa exclusivement  la  chaire  de 
Camper,  qui  la  lui  avait  résignée. 
Les  nombreux  travaux  auxqu-els 
le  nouveau  professeur  se  livra,  al- 
térèrent sa  santé.  Camper,  qui 
avait  pour  lui  l'affection  d'un  pè- 
re, lui  conseilla  un  voyage  dans 
le  midi  de  la  France,  qui  eut  tout 
l'eflet  qu'il  en  avait  espéré.  En- 
tièrement rétabli,  JVlunniks  re- 
prit l'exercice  de  ses  fonctions,  se 
maria  et  saisit  avec  joie,  en  1784? 
l'occasion  d'un  concours  ouvert 
par  l'académie  d'Amiens  sur  les 
causes  des  hernies  et  les  moyens  de 
les  prévenir,  pour  disputer  «ne 
palme  à  laquelle  il  attachait  le  plus 
grand  prix,  et  qui  lui  fut  unani- 
mement décernée.  Il  triompha  é- 
galement  au  concours  ouvert  par 
la  société  roj^ale  de  médecine  de 
Paris,  dont  il  était  correspondant 
depuis  1780,  sur  cette  question  : 
Quels  sont  en  France  les  abus  à 
réformer  dans  l'éducation  physi- 
que, etc.  Il  avait  obtenu ,  d'un 
grand  nombre  d'académies  ou  so- 
ciétés savantes  nationales  ou  é- 
trangères,  l'honneur  d'être  inscrit 
sur  leur  tableau,  et  il  vivait  heu- 
reux et  paisible,  lorsqu'en  1796, 
les  événemens  politiques  de  la 
Hollande  vinrent  le  frapper  sans 
y  avoir  donné  lieu,  du  moins  vo- 
loutairemeut.    II    supporta    avec 


fermeté  la  perte  de  plusieurs  de 
ses  attributions ,  et  quelques  au- 
tres actes  d'tme  injuste  sévérité. 
Il  mourut  d'une  attaque  de  para- 
lysie,  le  8  septembre  1806,  re- 
gretté généralement.  Son  fds,  J. 
ftlunniks,  médecin,  a  publié, 
Groniiigue,  1812,  in-8',  une  iVa- 
tice  historique  sur  la  vie  et  les  tra- 
vaux de  Winold  Munnicks,  et  l'u 
ornée  du  portrait  de  ce  savant. 

MLiNOZ(  AsTOMo),  naquit,  en 
1745,  ;\  Museros,  village  près  de 
Valence,  et  fit  ses  études  en  l'u- 
niversité de  cette  ville.  Ses  pro- 
grès dans  tous  les  objets  d'ensei- 
gnement, et  surtout  dansles  belles- 
lettres,  la  philosophie  et  la  théo- 
logie, ftirent  des  plus  remarqua- 
bles. L'idole  péripatéticienne  de- 
puis long -temps  renversée  en 
France  recevait  encore,  à  cette 
époque,  le  culte  des  Espagnols. 
Munoz  osa  la  remplacer  par  des 
méthodes  aussi  sûres  que  sainei*. 
qu'il  emprunta,  il  est  vrai,  à  la 
France  ,  mais  dont  le  premier  il  fil 
jouir  sa  patrie.  Dès  l'âge  de  22  ans. 
il  déploya  une  grande  érudition 
dans  les  préfaces  delà  rhétorique 
du  P.  Luis  de  Granada ,  et  de  la  lo- 
gique de  Vernei.  Le  gouvernement 
l'appela  bientôt  û  la  place  de  ços- 
mographe  majeur  des  Indes,  em- 
ploi qu'il  remplit  avec  un  rare  ta- 
lent, et  qu'il  étendit  à  toutes  les 
connaissances  qui  s'y  rattachaient; 
mais  il  n'eut  pas  le  temps  d'y  met- 
tre la  dernière  main.  Le  ministre 
Galvez  le  chargea  de  la  commis- 
sion d'écrire  VHistoire  d'Améri- 
que. Munoz  se  livra  à  cette  entre- 
prise avec  toute  l'ardeur  de  son 
caractère,  et  consacra  cinq  années 
à  puiser  dans  les  archives  de  Si- 
oiaucas,  de  Séville,  de  Cadix,  de 


MUN 

Lisbonne,  etc.,  les  matériaux  né- 
cessaires à  son  exécution  ;  maté- 
riaux d'autant  plus  précieux,  que 
les  sources  en  avaieut  été  incon- 
nues jusque-là.  personne  n'ayant 
eu  avant  lui  la  permission  de  les 
explorer.  Le  travail  le  plus  soute- 
nu pendant  cet  espace  de  temps, 
lui  procura  i5o  volumes  de  pièces 
inconnues,  de  lettres  originales  de 
Chr.  Colomb,  Pizzare,  Ximenés, 
des  ouvrages  précieux  sur  l'Améri- 
que, et  son  Histoire  naturelle  et  po- 
litique, etc. ,  etc. ,  tels  lurent  les  lon- 
demens  sur  lesquels  il  commença 
son  vaste  édiGce  ,  qu'il  n'eut  pas 
la  gloil^e  d'achever.  Le  premier 
volume  seul  a  paru;  les  deux  pre- 
miers livres  du  deuxième  volume 
sont  complets,  et  le  troisième  est 
presque  achevé;  il  y  travaillait  en- 
core la  veille  de  sa  mort.  Ce  sa- 
vant distingué  lut  enlevé  aux  let- 
tres et  à  ses  noudireux  admira- 
teurs, le  19  juillet  i79<J.  Il  a  laissé 
les  ouvrages  suivans  :  1"  rfe  Recto 
philosophiœ  récent is  in  theologiâ 
usa  (lissertatiOf  .Valence,  ijtij;  2' 
Ue  scriptoruni  gentilium  lectione, 
et  profavarum  disciplinarum  stu- 
diis  ail  christianœ  pietatis  normam 
exigendis.  Valence,  1768;  5°  Ins- 
titutiones  philosopliicœ  ,  Valence  , 
i^WJ;  4'  Traité  sur  la  philosophie 
d' Aristote ,  et  Jugement  sur  ses 
sectateurs.  Valence,  1768. 

MUNSTER  (le  comte  de\  mi- 
nislre-d'état  du  cabinet  britanni- 
que, chancelier  de  l'ordre  des 
Guelphes,  est  né  dans  le  Hanovre, 
où  il  fut  employé,  en  i8o5,  par  le 
roi  d'Anglelerre,  pour  y  exercer 
les  fonctions  de  ministre-d'état. 
Après  avoir  protesté  contre  l'oc- 
cupation de  ce  pays  par  les  trou- 
pe» prussieQDuâ,    il    retourna   à 


M  UN 


a6i 


Londres  dans  le  courant  de  février 
180G.  En  181 4,  le  comte  de  Muns- 
ter assista  au  congrès  de  Vienne, 
en  qualité  de  ministre  plénipoten- 
tiaire du  Hanovre.  Il  était  chargé 
de  remettre  au  gouvernement  ai  - 
trichien  une  note  du  prince-régent 
d'Angleterre,  dans  laquelle  S.  A.R. 
annonçait  qu'il  avait  érigé  en 
royaume  l'électorat  de  Hanovre. 
Cette  mission  fut  remplie  le  3  no- 
vembre de  la  même  année.  En 
181 5,  il  signa  la  déclaration  des 
souverains  réunis  au  congrès  à 
l'occasion  du  débarquement  de 
Napoléon  eu  France.  Au  mois  de 
novembre  «uivant,  il  reçut,  à  titre 
de  récompense  de  ses  services , 
un  riche  domaine  situé  dans  le 
pays  d'Hildesheim.  Le  comte  de 
Munster  fut  chargé,  en  1817,  de 
représenter  le  Hanovre  à  la  cour 
de  Londres,  où  il  acquit  bientôt 
la  plus  haute  iuûuence.  Les  peu- 
ples de  l'Allemagne  ne  le  dési- 
gnent plus  que  sous  le  titre  i:np«— 
saut  de  Munster,  roi  d'Hauovre. 
Il  a  aussi  dirigé  en  chef  le  gouver- 
nement du  duché  de  Brunswick, 
au  nom  du  roi  d'Angleterre,  tuteur 
du  jeune  duc;  mais  le  prince,  par- 
venu à  sa  ujajorité  en  iSaS,  a  re- 
mercié le  ministre  anglais  de  ses 
soîjis,  et  pris  en  main  les  rênes 
de  l'état.  Le  comte  de  Munster  a 
épousé  une  princesse  de  la  mai- 
son de  Lippe-Buckebourg. 

MLNTER  (FnÉDÉi.ic),  littéra- 
teur danois,  est  né  en  1761;  il  fut 
élevé  dans  l'état  ecclésiastique  par 
son  père,BaIthazar  Munter,  célè- 
bre prédicateur  et  théologien  ,  et 
devint  évêque  de  Copenhague. 
De  fréquens  voyages  scientifiques, 
pendant  lesquels  il  explora  .les 
plus  riches  bibliothèques  de  l'ita- 


2ff2  M  UN 

lie,  lui  fournirent  en  abondance 
des  matériaux  précieux,  qu'il  sut 
employer  avec  autant  de  gofit  que 
de  discernement.  Il  se  livra  à  des 
recherches  aussi  laborieuses  que 
savantes  sur  la  littérature  des  an- 
ciens Cophtes,  et  prit  rixn<^  parmi 
les  plus  célèbres  antiquaires  de 
son  époque,  par  ses  travaux  sur 
les  ruines  de  Persépolis,  et  leurs 
nombreuses  inscriptions.  La  bi- 
Idiothèque  royale  de  Paris  fut 
aussi  l'objet  de  ses  investigations; 
et  au  retour  d'un  voyage  qu'il  fit 
en  France,  en  1790,  il  publia  une 
Histoire  de  la  procédure  instruite 
contre  les  Templiers^  écrite  en  al- 
lemand ,  et  rédigée  d'après  les 
pièces  authentiques  du  procès, 
Berlin,  1794.  M.  Monter  est  au- 
teur d'un  grand  nombre  d'ouvra- 
ges, parmi  lesquels  on  remarque  : 
1°  une  traduction  de  V Apocalypse 
en  vers  métriques  allemands,  Co- 
penhague, 1784;  1°  Spécimen  ver- 
sionum  Danielis  copticarum, novum. 
ejus  caput  memphjticè  et  saliidicè 
exhibens ,  IVome  ,  1786,  in-4°; 
7i^  Voyage  dans  les  Deux-Siciles  en 
1785  et  1786,  2  volumes  in-4°  : 
cette  relation  a  eu  deux  éditions, 
dont  l'une  en  danois  et  l'autre  en 
allemand  ;  c\''De  JEtate  versionum 
copticarum,  1 790;  5°  Magasin  pour 
l'histoire  et  le  droit  ecclésiastiques 
fluNord,  Altona,i792-i796,2  vol. 
in -8°;  6°  Manuel  de  l'histoire  an- 
cienne des  dogmes  chrétiens^  1802- 
1 804,  2  vol.  in-8",  en  danois  et  en 
allemand;  7°  0dm  gnosticœ  Salo- 
moni  tributœ ,  tliebaicè  et  latine , 
Copenhague,  1812,  in-4°.  Ce  sa- 
vant prélat  a  encore  publié  un 
traité  fort  intéressant  sur  la  reli- 
gion des  anciens  Scandinaves, 
avant  Odin,  cl  une  espèce  de  dis- 


MUN 

sertation  Sur  les  tombeaux  de  la 
famille  de  David  dans  la  monta- 
gne de  Sion.  Ce  dernier  ouvrage, 
qui  est  une  critique  lumineuse 
d'un  voyage  eritrepris  ,  dit- on  , 
par  Benjamin  de  Tudela,  entre 
1160  et  1173,  était  destiné  par 
l'auteur  à  servir  de  suite  à  la  dis- 
sertation de  Michaëlis  ,  sur  les 
montagnes  de  Sion  et  de  Moriah, 
publiée  en  1795.  Monter  est  frère 
de  M""  Brunn  ,  dont  la  muse  gra- 
cieuse et  spirituelle  est  connue  de 
tous  les  amateurs  de  la  poésie  al- 
lemande. 

MIJNTINGHE  (Hebman),  pro- 
fesseur de  théologie  en  l'univer- 
sité de  Groningue,  chevalier  de 
l'ordre  du  lion-belgique,  membre 
de  l'institut  royalties  Pays-Bas  et 
de  plusieurs  autres  académies  na- 
tionales et  étrangères,  est  né  en 
1702,  dans  les  environs  de  Gro- 
ningue, d'une  famille  honorable. 
Il  termina  ses  études  à  l'universi- 
té de  cette  ville,  et  s'y  distingua 
dans  la  théologie  et  dans  les  lan- 
gues orientales,  où  il  eut  pour 
maître  le  célèbre  orientaliste, 
Schronder;  c'est  même  sous  les 
auspices  de  ce  savant  qu'il  soutint, 
en  1775,  sa  thèse  inaugurale,  sous 
le  titre  de  :  Dissertatio  philologicO' 
critica  adqacedam  veteristestamenti 
loca.  Elle  lui  valut  le  doctorat;  et 
après  avoir  exercé  la  prédication 
dans  plusieurs  villes  secondaires, 
il  fut  pourvu,  en  1780,  delà  chai- 
re de  théologie  et  d'histoire  ecclé- 
siastique à  l'université  d'Harder- 
wyk,  qu'il  occupa  un  peu  moins 
de  vingt  ans.  Il  en  prit  possession 
par  un  discours  intitulé  :  De  sa- 
pientiâ  et  lenitate  divinâ  in  anti- 
quissimâ  religionis  patefactione 
conspicuâ,  Harderwyk,  1781,  in- 


4°.  Sa  modestie  lui  fit  refuser,  cq 
1  795,  la  chaire  de  langues  orien- 
tales de   l'Hniversilé  de    Leyde. 
Trois  ans  après  il  devint  profes- 
seur de  théologie  en  ^univer^ité 
de  Grnningue,  qu'il  occupe  en- 
core aujourd'hui  (1824).  Le  dis- 
cours par  lequel  il  s'annonça  dans 
son  dernier  professorat   parut   à 
Groningue  en  1799,  in-4",  sous  le 
litre  de  Oratio  exhibens  aliquot  il- 
(us triera  quœ  ecclesiœ  historia  sup- 
peditat,  damnorum  retigioni  chrls- 
liance  ab  amicis  ac  fautoribus  illa- 
torum  specimina.  Le  mérite  prin- 
cipal de  M.  Muntinghe  est  d'avoir 
î^u,  dès  le  commencement  de  ses 
exercices,  «dégager,  disent  les  au- 
teurs d'un  ouvrage  étranger,  l'en- 
seignement de  la  science  théolu- 
gique,  de  tout  ce  qu'elle  avait  en- 
core conservé  de  scholaslique,  et 
de  la  ramener  à  sa  pureté  et  à  sa 
simplicité  originelles.  Il  ne  s'est 
pa<  borné  seulement  à  communi- 
quer son   nouveau  système  aux 
jeunes  gens  qui  fréquentaient  ses 
cours,   mais  il  a  voulu  en  faire 
jouir  le  public,   et  il   l'a  publié 
sous    le  titre  de   Pars    iheotogiœ 
christianœ   tlieoretica,   in  compen- 
dium.  redacla,  1801.  »  Cet  excel- 
lent ouvrage,  corrigé  et  augmen- 
té, parut  de  nouveau,  en  i8ao,  à 
Groningue,   en  2  vol.  in-S".  Les 
autres  productions  de  M.    Mun- 
tinghe   sont   :    1'   nouvelle    tra- 
«luction  en  hollandais  des  Psau- 
mes ^  avec  des  remarques ,  Leyde, 
1792  ;  u°autre  traduction  en  hol- 
landais des  Proverbes  de  Salomon, 
Leyde,  1796,  iu-8°;5°  traduction 
hollandaise  du  Livre  de  Job  ^  avec 
des  remarques  :  cette  traduction, 
que  H.  A.  Schulieus  avait  com- 
uiencée  ,  l'ut  itrmioée,  après  sa 


M  UN 


26^ 


mort,  par  M.  ÎMiintinghe,  à  partir 
du  chapitre  XXIX;  elle  parut  à 
Amsterdam,  1796,  in-8";  4°deux 
Mémoires  sur  l'influence  de  la  re- 
ligion sur  le  bonheur  du  peuple  y 
1795;  5"  Histoire  de  l'homme  d'à- 
prés  ta  Bible,  Amsterdam,  1801- 
1819,  11  vol.  iu-8°.  VHistoirede 
/'/«omme,  etc.,  est  l'ouvrage  le  plus 
remarquable  et  le  plus  étendu  de 
M.  Muntiughc,  et  celui  où  il  a  fait 
preuve  de  plus  de  connaissances 
profondes;  elle  est  d'ailleurs  écri- 
te avec  beaucoup  de  soin.  6°  Un 
recueil  de  Sermons;  7"  enfin  une 
nouvelle  édition  corrigée  de  sa 
traduction  des  Psaumes. 

MLNTZ-BERGER  (Joseph), 
compositeur  de  musique ,  pre- 
mier violoncelliste  du  théâtre  de 
rOpéra-Comique,  attaché  à  l'an- 
cienne chapelle  impériale  des  Tui- 
leries, est  né  en  1769,  à  Bruxel- 
les, d'une  famille  originaire  d'Al- 
lemagne. Le  père  de  M.  Muntz- 
Berger,  musicien  de  la  cour  du 
prince  Charles,  gouverneur  des 
Pays-Bas,  lui  donna  des  leçons 
dès  sa  plus  tendre  jeunesse,  et  le 
mit  en  état  d'exécuter  dès  l'âge 
de  six  ans  un  concerto  de  basse 
sur  un  alto.  Le  prince  fut  enchan- 
té de  la  précocité  du  jeune  artiste, 
et  lui  tit  donner  pour  maître  de 
violon  Vaumalder,  élève  distin- 
gué de  Tarlini.  Vanmalder  étant 
mort,  M.  Munlz- Berger  rentra 
sous  la  direction  paternelle,  et 
apprit  de  son  père  à  jouer  avec 
succès  de  plusieurs  instrumens, 
et  plus  particulièrement  du  vio- 
loncelle. 11  vint  à  Paris  à  l'âge  de 
quatorze  ans,  et  y  perfectionna 
son  talent.  On  le  vit  s'efforcer  de 
donner  au  violoncelle  la  douceur 
de  ht  voix  humaine.  &1.  Muntr^ 


i64 


MUR 


lierger  s'est  fait  remarquer  dans 
différens  concerts  ,  notamment 
dans  ceux  de  la  rue  de  Cléry,  où 
il  exécuta  avec  beaucoup  de  suc- 
cès des  concerto  de  ?a  composi- 
tion. Le  Dictionnaire hislorique  des 
musiciens,  aiMCi  avoir  dit  «que  l'on 
«reconnaît  dans  les  compositions 
»de  M.  Muutz-Berger  le  guftt  é- 
»puré  et  les  principes  des  meil- 
»  leurs  maîlresdes  écoles  alleraan- 
"de  et  italienne,  dont  il  a  été 
»npurri  dans  sa  jeunesse,  ainsi 
«que  leur  excellente  musique d'é- 
»glisc,i)  donne  la  liste  suivante  de 
ses  ouvrages.  Deux  œuvres  de 
grandes  sonates  pour  le  violon- 
celle; quatre  œuvres  de  grands 
duos;  quatre  œuvres  de  petits 
duos;  deux  œuvres  de  petites  so- 
nates; quatre  concertos  de  violon- 
celle; deux  œuvres  de  nocturnes; 
iii;e  synjphonie  concertante  pour 
violon  et  basse;  une  méthode  tle 
basse;  deux  œuvres  de  petites  so- 
nates, faisant  suite  à  la  méthode; 
deux  œuvres  de  caprices;  deux 
autres  de  caprices,  dans  lesquels 
il  se  trouve  à  la  fin  des  points 
d'orgue  dans  les  tons  n>ajeurs  et 
mineurs;  deux  œuvres  de  trios  de 
violoncelle  obligé  avec  accompa- 
gnement de  violon  et  basse; seize 
romances,  paroles  de  madame 
Quinette,  née  iVIarguerittcs;  qua- 
tre airs  variés  pour  piano  et  vio- 
loncelle ou  violon;  trois  airs  va- 
riés pour  violon  et  basse;  six  thè- 
mes des  symphonies  d'iïaydn  , 
variés  en  quatuors;  deux  pols- 
pouris;  huit  recueils  d'airs  variés 
pour  divers instrumens;  plusieurs 
ouvrages  arrangé.'?  pour  la  basse; 
la  gavotte  de  Grétry  et  une  autre 
'variée  pour  violoncelle. 

MURAIRE  (r.E  comle  HokobÉ), 


MUR 

né  à  Draguignan ,  le  5  novembre 
1730,  exerçait,  avant  la  révolu- 
tion ,  la  profession  d'avocat ,  et  y 
avait  acquis  un  nom  distingué.  Il 
se  montra  favorable  à  la  cause  de 
la  liberté,  et  en  suivit  les  princi- 
pes avec  sagesse  et  modération. 
Lors  de  l'établissement  des  pre- 
mières autorités  judiciaires  en 
1791,11  devint  président  du  tri- 
bunal du  district  de  Draguignan, 
et  fut  élu  dans  la  même  année, 
par  le  département  du  Var,  dépu- 
té à  l'assemblée  législative,  où  il 
siégea  sur  les  bancs  des  défen- 
seurs de  la  constitution;  mais  il 
montra  dans  toutes  les  circonstan-. 
ces  un  esprit  de  conciliation  et 
d'impartialité  ,  apprécié  par  ses 
adversaires  mêmes,  qui  cédèrent 
souvent  à  son  influence.  Attaché 
au  comité  do  législation,  il  en  fut 
un  des  membres  les  plus  actifs,  et 
fut  presque  exclusivement  char- 
gé des  r<q>ports  de  ce  comité  à 
l'assemblée,  sur  les  questions  les 
plus  importantes  de  droit  civil. 
Il  proposa^  le  16  février  1792,  au 
noni  du  comité,  de  transférer  aux 
municipalités  le  droit  de  consta- 
ter l'élat-civil  des  citoyens,  que  les 
curés  avaient  exercé  jus(}u'aiors.  Il 
joignit  à  son  rapport  des  réflexions 
importantes  sur  les  lois  qui  y  sont 
relatives,  et  soutint  particulière- 
ment qu'il  n'appartenait  qu'à  la 
législalion  civile  de  déterminer  les 
cas  d'empêchemens  aux  mariages 
entre  les  membres  d'une  même 
famille,  et  que  la  législation  fran- 
çaise devait  abolir  à  jamais  l'usa- 
ge de  demander  des  dispenses  à 
la  cour  de  Rome.  Le  28  juin,  il  re- 
vint sur  le  même  objet,  et  insista 
pour  que  le  mariage  fût  aifranchi 
de  lajru'idiclioa  ecclésiastique.  En 


MUR 

ii>êine  temps,  il  fit  décréter  que  les 
jeunes  gens,  âgés  de  21  ans.  pour- 
raient se  marier  sans  le  consenle- 
ment  de  leur-  parens;  le  5o  juin, 
ii  fit  adopter  le  principe  de  la 
loi  du  divorce;  et  sans  dissimu- 
ler les  graves  inconvéniens  que 
pouvait  avoir  celte  loi,  il  démon- 
tra qu'avec  certaines  restriclions, 
elle  pouvait  produire  les  plus 
grands  avantages  :  aussi  Je  princi- 
pe en  fut-il  adopté  pour  le  moment. 
Le  i5  juillet,  au  nqm  du  comité 
de  législation,  il  proposa  la  levée 
de  la  suspension  de  Pétion,  maire 
de  Paris,  et  de  Manuel,  procureur 
de  la  ('ommune,  prononcée  par 
l'admirustralion  départe^neiitalc , 
et  approuvée  par  le  roi,  contre 
ces  deux  magistrats,  accusés  d'a- 
voir provoque  et  secondé  les  siio'.i- 
vemens  du  20  juin  précédent.  Une 
commission  spéciale,  dont  il  était 
membre,  ayant  été  nommée  pour 
examiner  la  conduite  de  M.  de  La 
Fayette,  qui  avait  demandé  que 
les  auteurs  des  attentats  commis 
dans  «elle  journée  tussent  sévè- 
rement punis,  M.  Muraire,  or- 
gane de  cette  commission,  vint 
déclarer  en  son  nom,  qu'elle  n'a- 
vait rien  trouvé  qui  fût  contrai- 
re aux  lois  ,  dans  la  conduite 
qu'avait  tenue  le  corjimandant  de 
la  garde  nationale.  Ce  ne  fut  (jue 
le  3o  août  de  la  luèmp  année  qu'il 
fit  décider,  au  nom  du  comité  de 
législation,  la  question  du  divor- 
ce, dont  le  principe  avait  été 
adopte  le  5o  juin  précédent.  A- 
près  une  discussion  approfondie 
et  lnmineu<ie.  le  divorce  devint 
une  loi  de  l'état.  M.  Muraire  ne 
fut  point  réélu  à  la  convention; 
il  eut  le  bonheur  d'échapper  à 
la  j)rosciiption  pondant  le  ré^i- 


MLR 


2f;3 


me  de  la  (erreur,  et  ne  reparut 
sur  la  scène  politique  qu'en  sep- 
tembre 1795,  époque  où  il  fut 
nommé ,  par  le  département  de 
la  Seine,  membre  du  conseil  de-* 
anciens.  Il  y  porta  les  principes 
d'ordre  et  de  justice  qui  l'avaient 
guidé  jusque-là;  mais  les  excès  dont 
îl  venait  d'être  témoin  l'aviiieiit 
rendu  contraire  à  l'esprit  et  aux 
institutions  de  l'anarchie;  il  se  lia 
avec  la  faction  de  Clicby  contre 
l'autorité  directoriale,  et  vota  en 
faveur  de  toutes  les  propositions 
qui  tendaient  à  la  détruire.  Com- 
pris dans  les  listes  de  déportation 
des  18  et  ig  fructidor  an  5  (4  t^t 
5  septembre  1797),  il  se  déroi).i 
par  la  fui  te  à  l'exécution  des  ordre-* 
du  directoire;  mais  plus  tard  il  se 
rendit  a  Tile  d'Oleron  ,  assi- 
gnée pour  retraite  aux  proscrits. 
Le  gouvernement  consulaire  le 
rappela  en  1800,  et  le  nomma  son 
commissaire  près  le  tribunal  d'ap- 
pel. Devenu  membre  du  tribunal 
de  cassation,  il  félicita  le  4  nivôse, 
au  nom  de  ce  tribunal,  le  pre- 
mier consul  davoir  échappé  à  l'ex- 
plosion de  la  machine  infernale.  Il 
devint  président  du  tribunal  dont 
il  était  membre,  et  le  5  mai  i8o5, 
conseiller-d'élat.  L'année  suivan- 
te, il  reçut  le  titre  de  comte,  et  la 
décoration  d'olficier  de  la  légion- 
d'honneur.  Les  événemens  de  la 
fin  de  mars  1814  le  trouvèrent  à  lii 
tête  de  la  cour  de  cassation  ;  et  le 
20  avril  suivant ,  accompagné  des 
membres  de  ce  corps,  il  fut  admis 
à  présenter  ^es  félicitations  i  Mon- 
sieur, lieutenant-généraldu  royau- 
me; au  mois  de  février  181 5,  il 
fut  remplacé  par  M.  Desèze.  Le 
retour  de  Napoléon,  le  20  mars 
suivant,  rendit  M.  Muraire  à  ses 


ûCi; 


MLR 


hautes  (onctions,  et,  dès  le  2  5,  il 
parut  devant  ce  prince,  avec  la 
tour  dont  il  était  le  premier  pré- 
sident, et  lui  adressa  une  délibé- 
ration remplie,  comme  celle  du 
conseil-d'état  {voy.  Defermont)  , 
des  éternels  principes  de  droit  pu- 
blic, délibération  qui  fut  signée  de 
la  presque  totalité  des  membres. 
Aprt  s  le  second  rc-toiir  <les  Bour- 
bons ,  M.  le  comte  Muraire  a  été 
rendu  à  la  vie  privée;  il  y  jouit 
au  sein  de  sa  fanjille  de  l'estime 
générale,  qu'il  a  si  bien  méritée  par 
!«es  longs  et  honorables  travaux. 

MLlVAT(.IoAcniM), ex-roi  de  Na- 
plcs,  naquit  le  25  mars  1767,  à  la 
lîaslide  Fronloniére,  arrondisse- 
ment de  Gourdon,  département 
du  Lot.  Fils  d'un  aubergiste,  il  de- 
\int  grand-amiral  de  France,  duc 
de  Berg  et  roi  de  Naplt's.  L'histoi- 
re a  conservé  le  nom  de  plusieurs 
hommes  qui,  d'une  condition 
obscure,  sont  parvenus  au  pou- 
voir suprême  :  A gathocle  eut  pour 
père  un  potier;  T allias- H ostUius, 
qui  fut  roi  de  Rome,  avait  gardé 
les  troupeaux;  Titrijuinas-Priscus 
naquit,  dans  l'exil,  d'un  mar- 
chand banni  de  Corinlhe  ;  une 
esclave  donna  le  jour  à  Servias- 
Tallius.  Tous  ces  monarques,  de 
race  plébéienne,  s'élevèrent  au 
pouvoir  suprême  par  des  quali- 
tés vraiment  royales,  mais  le  mé- 
rite de  Joachiin  Murât  fut  pure- 
ment militaire,  et  ne  lui  permet- 
tait d'aspirer  qu'aux  premiers 
honneurs  de  l'armée,  et  un  trône 
lui  fut  donné  tomme  l'apanage 
d'un  grand  homme  de  guerre, 
doté  par  un  conquérant,  dont  il 
avait  épousé  la  sœur.  Dès  son  en- 
liince,  Mural  se  fit  remarquer  par 
nu  air  vif  et  décidé,  par  des  in- 


MLR 

clinations  martiales  et  par  une  au- 
dace singulière  dans  l'exercice  de 
l'équitation.  Protégé  par  una  an- 
cienne famille  du  Périgord  ,  il 
obtint  une  bourse  au  collège  de 
Cahors,  et  il  alla  achever  ses  étu- 
des à  Toulouse.  Destiné  k  la  prê- 
trise, il  porta  le  petit  collet,  et 
fut,  pendadit  quelque  temps,  con- 
nu dans  son  pays  sous  le  nom  de 
Vabbé  Murât.  Une  étourderie  de 
jeunesse  lui  fit  quitter  le  manteau 
court  pour  l'uniforme.  Après  a- 
voir  dissipé  dans  les  plaisirs  et 
perdu  au  jeu  le  peu  d'argent  dont 
il  pouvait  disposer,  il  s'engagea 
dans  le  12""  régiment  de  chas- 
seurs qui  passait  à  Toulouse.  Il 
y  devitit  bientôt  maréchul-des- 
ïogis.  Mais  ayant  pris  part  à  un 
acte  d'insubordination,  il  fut  ren- 
voyé de  ce  régiment.  Retiré  dans 
sa  famille,  il  y  menait  avec  im- 
patience une  vie  inaclive;  il  è- 
tait  tourmenté  par  une  ambition 
vague,  qui,  pour  nous  servir  des 
expressions  d'un  de  ses  compa- 
triotes, le  portait  sans  cesse  à 
élever  ses  regards  vers  les  étoiles. 
Lorsque  la  garde  couslitulionne- 
le  de  Louis  XVI  fut  formée,  cha- 
que département  dut  y  envoyer 
un  certain  nombre  de  fils  de  ci- 
toyens actifs;  Murât,  qui  se  mit 
sur  les  rangs,  fut  repoussé  et  ne 
dut  qu'à  la  protection  de  J.  B. 
Cavaignac,  membre  du  directoi- 
re du  département  du  Lot,  d'être 
choisi  par  ce  département  et  en- 
voyé à  Paris  avec  le  jeune  Bes- 
sières,  devenu  dans  la  suite  ma- 
réchal de  l'empire  et  (Un;  d'Istrie. 
Joachim  Murât,  admis  dans  la 
garde  du  roi,  n'y  dissimulait  pas 
ses  opinions  politiques,  ce  qui  lui 
attira  plusieurs  querelles.   On  a 


C.'ji. 


irr^fit. 


J  1t 


M  LU 

dit  qu'un  ancien  dôpulé,  parli?.in 
du  pou-voir  absolu,  lui  avait  fait 
des  propositions  tendonl  à  ren- 
verser la  constitution  de  1791,  et 
que  Mural  en  avait  inlormé  le 
directoire  de  sou  département,  ce 
«jui  avait  décidé  rassemblée  lé- 
gislative à  ordonner  le  licencie- 
ment de  la  garde  constitutionnel- 
le du  roi.  Ce  fait  paraît  au  moins 
douteux  :  Murât  était  sorti  de  cet- 
te garde  avant  son  licenciement. 
Peu  de  temps  après,  il  entra  dans 
un  régiment  de  chasseurs  avec  le 
grade  de  sous-lieutenant.  C'était 
la  première  époque  des  épura- 
tions. La  conduite  des  hommes, 
dont  les  emplois  étaient  convoi- 
tés, était  soumise  à  un  examen 
sévère.  Mural  présida  un  de  ces 
comités  é pur ato'wes ,  f  isa  pren- 
dre, en  changeant  la  seconde  let- 
tre de  son  nom,  celui  d'un  hom- 
me qui  jouissait  alors  d'un  affreux 
crédit  sur  la  populace  :  il  conti- 
nua pendant  plusieurs  mois  de  le 
porter;  mais,dénonoépour  ce  fait, 
après  le  9  thermidor  an  2,  il  al- 
lait être  destitué  lorsque  celui 
qui  lavait  protégé  près  du  direc- 
toire de  son  département,  deve- 
nu député  ù  la  convention  nationa- 
le, parvint  à  faire  rayer  la  dénon- 
ciation des  registres  du  comité  de 
salut-public.  Sou  avancement  fut 
rapide,  mais  il  eut  beaucoup  de 
peine  à  se  faire  reconnaître,  par 
le  directoire-exécutif,  dans  le  gra- 
de de  chef  de  brigade  que  lui 
avaient  conféré  les  représenfans 
du  peuple  en  mission  aux  ar- 
mées. Le  général  Bonaparte  , 
nommé  commandant  en  chef  de 
l'armée  d'Italie,  prit  Murât  pour 
un  de  ses  aides-de-camp  ;  dès- 
lors  la  fortune  militaire  de  Mu- 


MIR 


*r>T 


rat  fut  décidée.  Il  inèiila  et  ob- 
tint toutes  les  récompenses  dues 
au  courage.  Dans  cette  armée , 
alors  si  brillante  de  jeunesse  , 
d'audace  et  de  patriotisme,  il  é- 
lait  difficile  de  se  faire  remar- 
quer, et  cependant  il  y  parvint 
par  un  mélange  de  valeur  et  de 
galanterie  chevaleresque  qui  dans 
tout  autre  que  lui  aurait  paru  une 
singularité.  Il  avait  fait  graver 
sur  la  lame  de  son  sabre  :  l'hon- 
neur et  les  dames.  Grand ,  bien 
fait,  très-bel  homme  de  guerre, 
une  certaine  fanfaronnade  gas- 
conne ne  déplaisait  pas  dans  un 
militaire  d'une  bravoure  bien  re- 
connue, qu'il  savait  d'ailleurs  se 
faire  pardonner  par  des  maniè- 
res aimables ,  et  par  une  po- 
litesse obligeante,  quoique  déjà 
un  peu  protectrice.  Chargé,  au 
mois  de  floréal  an  4  ('^lâ'  iTO^)* 
d'apporter  au  directoire-exécutif 
21  drapeaux  enlevés  à  l'ennemi, 
il  fut  accueilli  de  la  manière  la 
plus  distinguée,  et  retourna  à 
l'armée  avec  le  grade  de  général 
de  brigade.  Bientôt  il  eut  de  fré- 
quentes occasions  de  se  signaler, 
et  n'en  laissa  échapper  aucune. 
Le  18  fructidor,  à  la  bataille  dr. 
Roveredo,  il  poursuivit  vivemenf 
l'ennemi,  et,  suivi  dun  détache- 
ment de  chasseurs  du  10""  régi- 
ment dont  chaque  cavalier  por-* 
tait  en  croupe  un  fantassin ,  il 
passa  l'Adige  à  gué.  Le  22  du 
même  mois,  il  commandait  uu 
corps  de  cavalerie  à  Bassano  ;  it 
reçut  une  blessure  le  27,  au  com- 
bat de  Saint-George ,  et  il  eut 
beaucoup  de  part  aux  avantages 
remportés  à  la  Corona.  Le  géné- 
ral en  chef  lui  confia  plusieurs- 
missions  près  la  cour  de  Turin, 


2G8 


r.uu 


et  les  autoiilijs  de,  la  r(:p!ii)Iiqiic 
de  Gcrics.  De  retour  à  rarinée,  il 
contribiia,  par  sa  valeur,  aux 
brillantes  victoires  de  llivoli,  dt; 
la  Favorite,  et  exécuta  le  passage 
du  Tagliaitiento,  h  la  tête  de  sa 
cavalerie,  sous  un  feu  des  plus 
meurtriers.  Mnrat  suivit  le  gé- 
néral Bonaparte  dans  son  ex- 
pédition d'Egypte.  Arrivé  de- 
vant Malte,  le  comniandant  en 
chef  chargea  le  général  Murât 
d'adre.'-ser  au  grajid  -  maître  des 
propositions  cpj'il  ne  put  parve- 
nir à  faire  agréer;  alors  il  se  mit 
à  la  tête  d'une  des  colonnes  q'ii 
avaient  été  débarquées,  et  tout 
était  disposé  pour  l'attaque  au 
inonicnl  où  la  [)lace  de  la  Valette 
capitula.  Le  général  \lurat.  dont 
la  prudence  n'était  pas  toujours 
celle  d'un  officier-général,  faillit 
perdie  la  vie  dans  les  premiers 
conibaîs  qui  se  livrèrent  en  Egyp- 
te. Emporté  par  son  courage,  et 
ne  picnant  pas  garde  qu'il  s'éloi- 
gnait trop  de  l'armée,  il  se  trouva 
seul  au  milieu  d<s  niameloucks, 
qui  l'eussent  infailliblement  ac- 
cablé s'il  n'eût  été  dégagé  par  un 
peloton  de  cavalerie,  accouru  h 
son  secours.  La  réputation  qu'il 
se  fit  en  Egypte  égala  bientôt 
celle  qu'il  avait  acquise  en  Ita- 
lie, et  l'on  assure  que  Mourad- 
Bey  [vojfiz  Mourad-Buy),  s'hono- 
rait du  rapport  qui  existait  entre 
son  nom  et  celui  du  général  fran- 
çais, dont  il  ne  parlailjamais  qu'a- 
vec admiration.  Le  7  ventôse  an  7, 
les  Français  se  dirigèrent  sur  Ga- 
za ;  le  général  Murât  com:nandait 
une  division  de  cavalerie  forte 
d'environ  mille  hommes  et  de  six 
pièces  de  canon.  Vers  la  fin  du 
siège  de    Saint- Jean- d'Acre  ,   il 


MUR 

sollicita  et  obtint,  non  sans  quel- 
que peine,  du  général  en  chef, 
l'honneur  périlleux  de  monter  à 
l'assaut  de  cette  place.  Une  balle 
perça  le  collet  de  son  habit,  tra- 
versa sa  cravate  et  lui  effleura  le 
col;  une  autre  abattit  son  pana- 
che, qui  tomba  du  côté  des  assié- 
gés ,  et  que  le  pacha  conserva 
jusqu'à  sa  mort  comme  un  dos 
trophées  de  sa  glorieuse  défense. 
Ce  fut  alors  que  le  général  Murât 
reçut  l'ordre  de  se  porter  à  gran- 
des journées  à  la  tête  d'un  régi- 
ment de  cavalerie,  et  de  100  hom- 
mes d'infanterie,  au  secours  de 
la  forteresse  de  Laffel,  située  sur 
la  rive  droite  du  Jourdain;  cette 
forteresse,  bloquée  par  les  Turcs, 
manquant  de  provisions  de  guei- 
re  et  de  bouche,  était  au  moment 
de  tomber  entre  leurs  mains  , 
mais  à  l'approche  du  général  Mu- 
ral ils  prirent  la  fuite.  Cette  ex- 
pédition, commencée  et  achevée 
dans  l'espace  de  trois  jours,  pré- 
luda à  la  victoire  du  Mont-Tha- 
bor,  remportée  le  27  germinal  an 
7  {16  avril  1799).  De  retour  en 
Egypte ,  au  mois  de  messidor 
suivant,  ce  général  fut  chargé  de 
disperser  les  nombreux  rassem- 
blemens  d'Arabes  qui  s'étaient 
formés,  et  d'empêcher  leur  jonc- 
tion avec  les  troupes  de  Mourad- 
Bey.  Fn  peu  de  jours,  tous  les 
partis  arabes  se  virent  repousses, 
et  le  pacha  qui  s'était  avancé  jus- 
qu'aux pieds  des  pyramides  de 
Giseh,  fut  rejeté  datis  le  désert. 
Quinze  mille  Turcs,  sous  les  or- 
dres de  Mustapha  pacha,  ve- 
naient d'aborder  dans  la  radiî 
d'Aboukir  et  menaçaient  Alexan- 
drie. Le  général  Murât  reçut  l'or- 
dre de  se  rendre  ù  Rhaninuié  a- 


ML'R 

vec  sa  cavalerie ,  les  grenadiers 
des  iS"",  32""  et  69"*  deini-bri- 
grades,  les  éclaireurs  et  un  ba- 
taillon de  la  13°";  il  y  joignit  les 
dromadaires,  le  premier  bataillon 
de  la  6t)"",  et  arriva  à  Bisket  au 
Mwment  où  les  Turcs  commen- 
taient à  se  retrancher.  L'armée 
irançaise  prit  position  entre  A- 
boukir.  et  Alexandrie,  où  était  le 
quartier  général.  Le  7  thermidor, 
au  point  du  jour,  elle  aitaqua, 
avec  son  impétuosité  ordinaire, 
Je  camp  des  Turcs.  Ceux-ci  la 
reçurent  en  faisant  un  l'eu  terri- 
ble; les  Français  se  trouvaient 
dans  une  position  trè-s-dangereu- 
se,  quand  le  général  Murât,  qui 
commandait  l'avant-garde,  pro- 
Jitant  d'un  moment  favorjible,  or- 
donna ù  un  de  ses  escadrxms  de 
charger  l'ennemi  .  et  de  traver- 
ser toutes  ses  positions  jusque 
sur  les  fossés  d'ime  redoute 
qu'attaquait  en  ce  moment  le  gé- 
néral Lannes ,  avec  la  aa""  et  la 
tk)"*  demi  -  brigade.  Ce  mouve- 
ment fut  exécuté  avec  tant  d'in- 
telligence et  de  promptitude  que 
les  Turcs,  à  qui  toute  retraite 
vers  le  fort  se  trouvait  coupée, 
furent  mis  dans  une  déroute  com- 
plète. Lu  très-grand  nombre  fut 
tué,  et  un  plus  grand  nombre  en- 
core périt  en  se  précipitint  dans 
la  mer.  tant  était  forte  la  terreur 
dont  ils  étaient  frappés.  Le  géné- 
ral iMurat ,  quoique  blessé  dès  l« 
commencement  de  l'aftaire,  pé- 
nétra dans  le  camp  ennemi,  se 
battit  comme  un  soldat  à  la  tête 
de  sa  cavalerie,  et  reçut  à  la  mâ- 
choire inférieure  un  coup  de  pis- 
tolet que  lui  tira  presque  à  bout 
portant  le  fils  du  pacha  du  Caire 
«ju'il  voulait  f<ure prisonnier.  Cel- 


ai UR  z(k) 

te  seconde  blessure  semble  dou- 
bler la  vigueur  du  général  fran- 
çais; il  fond  sur  son  adversaire, 
d'un  coup  de  sabre  lui  abat  deux 
doigt»  de  la  main  droite,  et  le 
force  à  se  rendre.  Le  général  en 
chef  récompensa  tant  de  bra- 
voure en  élevant  le  général  de 
brigade  iMurat  au  grade  de  géné- 
ral de  division,  et  lorsqu'il  quitta 
l'Egypte,  il  le  ramena  en  France. 
Ils  arrivèrent  ensemble,  à  Paris, 
le  24  vendémiaire  an  8  (it)  octo- 
bre 1799).  Murât  rendit  les  ser- 
vices les  plus  importans  au  gé- 
néral en  chef  llonaparle  dans  la 
journée  du  iN  brumaire.  Au  com- 
mencement de  1800,  le  général 
Murât  épousa  la  plus  jeHne  des 
sœurs  du  premier  consul  iigna- 
parte  [voyez  Tarlicle  ci-ajirès),  et 
fut  nommé  commandant  de  la 
garde  du  nouveau  gouvernemenU 
l'eu  de  temps  après,  il  suivit  le 
premier  consul  en  Italie,  et  se 
couvrit  de  gloire  dans  la  guerre 
qui  éclata  entre  la  France  et 
l'Autriche.  Le  7  prairial  an  8,  il 
entra  à  Verccil;  après  avoir  passé 
sur  le  corps  (ies  ennentis.  enlevé 
une  grand'gardc  ,  et  dispersé  la 
garnison,  il  s'empara  de  tous  les 
magasins  de  la  place.  Il  s'avance 
ensuite  vers  la  Sésia,  dont  rap- 
proche était  défendue  par  mille 
hommes  de  cavalerie ,  renverse 
tout  ce  qui  se  présente  devant 
lui.  traverse  le  fleuve,  se  rend 
maître  de  Novarre,  et,  après  un 
combat  sanglant  sur  les  bords  du 
Tésin,  qu'il  franchit,  il  prend  po- 
sition sur^la  rire  droite.  Le  mô- 
me jour,  il  entra  à  Milan,  cerim 
la  citadelle  qui  refusait  de  se  ren- 
dre, et,  passant  ensuite  le  ï'ô  ;'i 
ISocella,  il  se  porta  sur  Plaisance. 


270  MLTt 

Le  i8  prairial  (9  juin  1800),  cel- 
le place,  ses  magasins  immenses 
et  deux  mille  prisonniors  étaient 
:iu  pouvoir  du  général  français. 
Toutes  ces  brillantes  actions  se 
passaient  sous  les  yeux  du  premier 
consul  en  personne.  Le  général 
Mural  commandait  la  cavalerie  à 
la  bataille  de  Marengo;  il  reçut 
un  sabre  d'honneur  pour  sa  belle 
conduite  dans  celte  mémorable 
journée,  au  succès  de  laquelle  il 
eut  beaucoup  de  part.  Nommé, 
l'année  suivante  ,  commandant 
en  chef  de  l'armée  d'observation 
qui  devait  prendre  possession  des 
pays  cédés  à  la  France  par  l'ar- 
mistice de  Trévise,  et  de  rétablir 
le  pape  dans  ses  états,  il  n'eut 
besoin  que  de  paraître  pour  éloi- 
gner du  territoire  de  rÉgiisc,  et 
chasser  du  château  Saint -Ange, 
ces  Napolitains  qu'il  devait  gou- 
verner un  jour.  Il  signa  l'armis- 
tice conclu  le  29  pluviôse  an  9, 
entre  la  France  et  le  roi  des  Deux- 
Siciles.  Le  désir  de  connaître 
ilome  et  Naples  le  conduisit  dans 
ces  deux  villes.  A  Naples,  des 
honneurs  et  des  décorations  lui 
furent  offerts,  il  ne  crut  pas  de- 
voir les  accepter;  seize  ans  après 
il  reçut  la  mort  par  les  ordres 
d'un  gouvernement  dont  il  avait 
refusé  des  présens.  Il  refusa  é- 
galement  un  sabre  magnifique 
que  lui  avait  décerné  la  républi- 
que Cisalpine,  comme  un  témoi- 
gnage public  de  reconnaissance 
pour  les  services  qu'il  avait  ren- 
dus. Le  premier  con-nl ,  qui  sem- 
blait préparer  pour  les  temps  de 
paix  tme  occupation  à  la  valeur 
et  des  distractions  à  l'ambition 
de  ses  lieutenans,  nomma,  on 
j8o5j  le  général  Mural  président 


MUR 

du  collège  électoral  du  déparle- 
ment du  Lot.  Les  compatriotes 
de  ce  général  l'accueillirent  en 
hommes  qui  ne  voulaient  se  sou- 
venir que  de  sa  gloire,  ou  qui 
briguaient  sa  protection.  Ils  le 
nommèrent  député  au  corps-lé- 
gislatif. 11  fut  ensuite,  et  succes- 
sivement, gouverneur  de  Paris, 
avec  rang  de  général  en  chef, 
maréchal  de  l'empire,  prince, 
grand-amiral,  et  grand-aigle  de 
la  légion-d'honneur;  le  roi  de 
Prusse  le  décora,  en  i8o5,  de 
l'ordre  del'Aigle-Noire  ,  el  le  roi 
de  Bavière,  de  l'ordre  de  Saint- 
Hubert.  Lorsque  la  guerre  recom- 
mença enti-e  la  France  et  l'Autri- 
che (i8o5),  le  prince  iViurat  fut 
chargé  du  cominandement  géné- 
ral de  la  cavalerie.  Après  avoir 
passé ,  avec  la  réserve  ,  le  Rhin  à 
Rehl  ,  il  s'empara  des  débouchés 
de  la  Forêt-Noire.  Le  8  octobre,  à 
la  tête  de  la  division  du  général 
Nansouty,  il  enfonce  et  disperse 
une  forte  division  autrichienne, 
composée  de  12  bataillons  et  de 
4  escadrons  de  cuirassiers  :  l'ar- 
tillerie ,  les  drapeaux  et  4oo*' 
hommes  de  cette  division  tom- 
bèrent en  son  pouvoir.  Le  succès 
de  cette  journée  eut  une  grande 
influence  sur  le  reste  de  la  cam- 
pagne; elle  déconcerta  les  plans 
des  Autrichiens,  et  jeta  laterreur 
dans  leurs  rangs.  Dix  joursaprès, 
le  corps  de  troupes  commandé 
par  le  général  Werneck,  pour- 
suivi el  enveloppé  par  la  cavalerie 
du  prince  Mural,  fut  forcé  de 
capituler  et  de  se  rendre.  La 
marche  de  ce  prince,  d'Albech  à 
Nuremberg,  avait  eu  pour  résul- 
tat la  prise  de  i5oo  charriols,  de 
r»)  pièces  de  canoD  el  de  16^000 


MtR 

hommes.   Dix  généraux,   parmi 
ïesqiiels  était  le  général  Werneck, 
s'étaient  vus  forcés  de  mettre  bas 
les  aripes,    trois   autre?   avaient 
été   tués;  Wertingen,    Langue- 
nau  et  Neresheim  avaient  été  le 
théâtre  de  ces  succès.  Le  général 
Murât  en  poursuivit  rapidement 
le  cours  :  il  battit,  sur  les  hau- 
teurs  de    Rieëd  ,   l'arrière-garde 
autrichienne,  forte  de 6000  hom- 
mes,  attaqua  l'ennemi  en  avant 
de  Lambach,  où  il  s'était  réuni  à 
une  division  russe  ,  et  le  contrai- 
gnit à  se  retirer,  après  lui  avoir 
enlevé  5  pièces  de  canon  et  fait 
5oo  prisoimiers  ;   il  l'attaque  de 
nouveau  sur  les  hauteurs  d'Am- 
stetten ,  et  lui  prend  1800  hom- 
mes;  le   7  novembre,   H  arriva 
sous    les   murs    de   l'abbaye   de 
Molek  ,    que    venait  de    quitter 
l'empereur  d'Autriche,  et,  le  i5 
novembre,  il  entra  dans  Vienne. 
Le  prince  Murât  s'arrêta  peu  d.ms 
cette  ville;  l'arrière-garde  russe, 
qo'il  atteignit  à  HoUabrun  ,  le  20 
novembre,  fut  battue.  Il  accorda 
aux  troupes  allemandes  la  per- 
mission de    s'en   séparer,   après 
avoir  accepté,  pour  les  Russes, 
une  capitulation  trop  généreuse, 
que  Napoléon    n'approuva    pas. 
Aussitôt  il  leur  annonce  la  rup- 
ture de  l'armistice,  recommence 
les  hostilités ,  enlève  ,   près  du 
village  deGuntersdorf,  1800  pri- 
sonniers et  12  pièces  de  canon, 
après  un  combat  qui  dure  jusqu'à 
onze  heures  du  soir.  Enfin,  le  s 
décembre,  il  paraît  sur  le  champ 
de  bataille  d'Austerlitz,  où  il  con- 
tribue, par  ses  manœuvres,  ses 
attaques  et  sa  prodigieuse  valeur, 
à  la  victoire  que  remportent  les 
Vrançais  dans  cette  journée  d'im- 


MLR  271 

mortelle  mémoire.  En  1806,   la 
politique    de    Napoléon    étonna 
l'Europe,  partm  acte  qui  annon- 
çait  ses   vues  sur   l'Allemagne  ; 
il  fit  de  son  beau-frère  un  prince 
souverain.  Murât  fut  nommé  par 
lui,  et  reconnu  par  toute  l'Eu- 
rope, grand-duc  de  Berg.    Sans 
avoir  été  admis  dans  les  secrets 
de  l'empereur,  il  pénétra  sesdes^ 
seins  contre  l'ancien  empire  ger- 
manique, et  s'attacha  à  les  se- 
conder, en  se  conciliant  l'affec- 
tion de  ses  nouveaux  sujets  par 
une  administration  douce  et  pa- 
ternelle,  et  par  le  respect  qu'il 
montra  pour  les  mœurs  et  pour 
les  usages  allemands.  Forcé  d'o- 
pérer   des    change?nens   dans   le 
système  administratif  de  ce  pays, 
il  ne  les  admit  qu'avec  une  sage 
lenteur,  n'introduisit  dans  le  du- 
ché de  Berg,  ni  l'enregistrement, 
ni  les  droits-réunis ,  ni  le  mono- 
pole du   sel  et  du   tabac,  et   n« 
soumit   qu'à    un   droit    léger   et 
tiniforme    les   marchandises   nui 
entraient  dans   le   pays,   ou   qui 
devaient  le  îraverscr.   Les  habi- 
tans  du  duché  de  Berg  ne  le  vi- 
rent   pas  sans  regret   s'éloigner 
d'eux,  pouraller  occuper  le  trône 
de  Naples;  et  lorsqu'en  i8i5  de? 
insurrections    éclatèrent    feur    la 
rive  droite  du  Rhin,  A  l'approche 
de«  armées  de  la  coalition  ,  toutes 
les  images  de  ce  prince,  conser- 
vées dans  le  grand-duché .  y  I'>i- 
rent  respectées.  Une  jeufiesse  dn 
cour,  ardente  et  inexpérimentée, 
poussa  le  gouvernement  prussien 
àrompreavec  la  France,  au  com- 
mencement de  l'automne  de  l'an- 
née i8o6.  La  campagne  fut  vive  ; 
elle  eût  été  plus  courte,  si  les  Uns- 
jies  ne  fussent  venus  au  s«cour4 


272 


MLiR 


des  Prussiens,  quand  il  n'y  avait 
plusricn  à  fairepourlenrsalut.  Le 
jirince  Murut,  auquel  l'empereur 
donna  le  commandement  de  sa 
cavalerie^  traversa  la  Saaie  vis- 
à-vis  Saisbourg.  Ln  régiment 
Voulut  lui  en  disputer  le  passage, 
et  lut  promptement  dispersé.  Le 
grand-duc  fit  avancer  le  général 
Lasalle  j^isqu'aux  portes  deLéip- 
sick,  avec  ordre  de  mettre  celle 
ville  à  conlribulion.  La  valeur, 
l'audace  et  l'à-propos  des  attaques 
de  ce  prince  contribuèrent  puis- 
samment à  la  victoire  d'iéna  , 
dont  le  champ  de  bataille  put 
être  considéré  alors  comme  le 
tombeau  de  la  monarchie  pius- 
sieune.  Dès  le  lendeiriain,  AJurat 
se  dirigea  surErfurth,  et  lorra 
cette  place  à  capituler;  elle  ren- 
fermait 120  pièces  d'artillerie,  et 
des  magasins  immenses.  Il  s'em- 
para successivement  de  tous  les 
magasins  des  Prussiens,  poursui- 
vit les  débris  de  leur  armée,  par- 
vint à  les  atteindre  à  Zehdenieîi, 
ou  il  leur  lit  700  prisonniers,  et 
leur  enleva  l'éte-iiUud  du  régi- 
ment de  la  Heine;  el  àWigneens- 
dorf,  où  il  oblige.!  une  brigade 
ù  capituler  dans  le  faubourg  de 
Preutzlaw.  Il  ne  permit  pas  aux 
troupes  françaises  de  poursuivre 
l'ennemi  jusque  dans  la  ville  , 
quoique  les  portes  en  fussent  bri- 
sées ;  il  voulait  éviter  les  mal- 
heurs inséparables  d'un  assaut: 
<i4  pièces  d'artillerie,  /^5  dra- 
peaux, 6  régimens  de  cavalerie, 
iCoo  hommes  d'infanterie  el  ie 
général  qui  commandait  ces 
iroupes,  le  prince  de  Ilohenlohe, 
tombèrent  en  son  pouvoir,  par 
capitulation.  En  apprenant  ces 
succès,    l'eaipcreur    écrivit   au 


Ml  II 

grand-duc  de  Rerg  :  «  Tant  qiiil 
reste  à  faire ^  il  n'y  a  rien  de  fuit  : 
apprencz-vioi  bientôt  que  les  trou- 
pes du  général  Bluclier  ont  éprouvé 
le  sort  de  celtes  du  prince  de  Ho- 
henlolie.  »  ISenfiouri- après,  Blu- 
cher  se  rendit  avec  tout  ce  qui 
lui  restait  de  Iroupes  et  de  maté- 
riel. Entre  ces  deux  capitulations, 
le  prince  31urat  avait  lait  prendre 
la  ville  de  Steltin  par  une  des  di- 
visions de  sa  cavalerie,  que  com- 
mandait le  général  Lasalle,  et  fuiS; 
mettre  en  déroute  par  le  général 
Erfurt  la  colonne  pru^^sienne  du 
général  Bila.  L'empereur  lui  écri- 
vil,  à  l'occasion  de  !a  prise  do 
Sleltin  :  Puisque  vous  prenez  les 
places  forte.i  arec  votre  cavalerie. 
Je  pourrai  congédier  le  génie,  et 
faire  fondre  vies  grosses  pièces. 
Dans  la  campagne  d'hiver  de  i8o6 
à  1807,  le  grand-duc  de  Bergprit 
une  j)art  glorieuse  à  cette  suite 
de  triomphes  qui  eussent  rendu 
la  guerre  décisive  pour  la  fortune 
de  Napoléon  ,  si  Napoléon  avait 
voulu  mettre  des  limites  à  ses 
vastes  désirs.  Le  piince  Alural 
était  entré  dans  Varsovie  le  28 
novembre.  Ses  troupes,  qui  a- 
vaient  passé  la  Vislule  à  la  nage, 
et  s'élaienl  emparées  du  fau- 
bourg de  Praga  ,  avaient  mis  en 
déroute  une  avant-garde  qu'elles 
rencontrèrent  à  quelque  distance 
de  Wittemberg.  11  ne  fit  que  tra- 
verser Passenheim..  L'eriipereur 
lui  ayant  ordonné  de  poursuivre 
l'arrière-garde  russe,  il  l'atteignit 
entre  les  villages  de  GIoss-Glau- 
dau  et  de  Hofl',  lui  prit  des  dra- 
peaux et  des  canons.  Mural  ne 
paraissait  sur  aucun  champ  de 
bataille  sans  y  recueillir  d'écla- 
taaîj  trophées.  Sur  celui  d'EylaU;,. 


MLR 

il  enleva  à  l'intanlerie  russe  une 
parlie  de  son  artillerie.  Quinze 
mille  hommes  d'infanterie  ,  et 
neuf  à  dix  mille  de  cavalerie,  oc- 
cupaient la  position  de  Gloltau; 
le  grand-duc  de  Berg  força  les 
Piusscs  d'abandonner  celte  posi- 
tion, et,  le  soir  même,  il  entra  à 
(inttstadt,  où  il  fit  un  grand  nom- 
bre de  prisonnier?.  Dans  ces  guer- 
res où  des  forces  iirunenses  se 
heurtaient  sur  une  ligne  d'opéra- 
tions très  étendue,  les  lieutenans 
de  ^Napoléon,  quoique  n'agissant 
que  d'après  ses  ordres  ,  doivent 
être  considérés  comme  autant  de 
généraux  en  (  hef;  les  corps  qu'ils 
commandaient  étaient  des  ar- 
mées ,  et  les  combats  qu'ils  li- 
Traient,  des  batailles. On  a  dit,  par 
erreur,  <jue  le  prince  JMurat  avait 
contribué  à  la  victoire  de  Fried- 
laud;  il  n'y  prit  aucune  part  ;  le 
jour  de  cette  bataille,  il  investis- 
sait, avec  le  maréchal  Soult,  Roe- 
nigsberg,  seconde  capitale  de  la 
Prusse,  faisait  mettre  bas  les  ar- 
mes à  4»ooo  Russes  devant  cette 
place,  et  leur  enlevait  six  pièces 
de  canon.  Dans  l'entrevue  des 
deux  empereurs  sur  le  Niémen, 
le  grand-duc  de  Berg  accompa- 
gnait Napoléon.  C'était  à  lui  que 
le  prince  Bagralion  et  le  général 
en  chef  Bcningsen  s'étaient  a- 
dressés  pour  solliciter  l'armistice 
qui  précéda  cette  entrevue.  Après 
la  signature  du  glorieux  traité  de 
Tilsilt ,  le  grand-duc  se  rendit  à 
Paris  :  il  y  resta  peu  de  temps. 
Napoléon,  décidé  à  s'emparer  de 
l'Espagne,  lui  conGa  le  comman- 
dement de  l'armée  secrètement 
destinée  à  faire  la  conquête  de  ce 
royaume.  Le  25  mars  1808,  le 
priDcc  Mural  entra  dans  Madrid 


MLR  2;5 

à  la  tête  de  ses  troupes.  L'ne  in- 
surrection dangereuse  ne  tarda 
pas  à  éclater  dans  cette  ville;  des 
rassemblemens  nombreux  s'é- 
taient formés  sur  plusieurs  points, 
et  l'existence  de  tous  les  Français 
était  menacée.  Après  avoir  em- 
ployé les  moyens  de  conciliation 
pour  arrêter  le  sang  qui  coulait 
déjà,  il  se  vit  obligé  de  recourir  ù 
la  force;  il  s'agissait  du  salut  de 
l'armée.  La  journée  du  2  avril 
fut  fatale  à  un  grand  nombre 
d'Espagnols.  Le  général  en  chef 
invita  par  une  proclamation  les 
babitans  à  la  confiance,  et  les  sol- 
dats à  l'oubli  ;  mais  les  soldats 
répondirent  seuls  à  cette  invita- 
lion.  Charles  IV  investit  le  grand- 
duc  de  toute  l'autorité  royale  :  ces 
pouvoirs  extraordinaires  ne  lui 
furent  pas  retirés  par  Napoléon. ni 
même  par  son  frère  Joseph, appelé 
au  trône  d'Espagne.  Appelé  lui- 
même  au  trône  de  Naples ,  mais 
attaqué  d'une  maladie  dangereu- 
se ,  Murât  ne  put  se  rendre  dans 
ses  nouveaux  états  qu'au  mois  de 
septembre  de  celte  année  (1808), 
si  remarquable  par  la  création 
des  majorais  ,  le  rétablissement 
des  titres  héréditaires  de  prince, 
de  duc,  de  comte ,  de  baron,  de 
chevalier,  et  surtout  par  la  perte 
et  l'échange  de  quelques  cou- 
ronnes. Le  nouveau  roi  de  Na- 
ples partit  de  Paris  accompagné 
du  marquis  dcl  Gallo  ,  ministre 
des  affaires  étrangères  de  son 
royaume  ;  il  trouva  sur  la  fron- 
tière Salliceti,  son  ministre  de  la 
police  générale  ,  avec  lequel  il 
eut  un  entretien  particulier  qui 
dura  plusieurs  heures.  Les  habi-; 
tans  des  villes  qu'il  traversa  le 
reçurent  avec  ces  démonstrations 
18 


274 


MUR 


de  joie  si  vives  et  si  peu  durables 
qui  distinguent  surtout  le  peuple 
napolitain.  Les  ambassadeurs  de 
France  et  de  Hollande,  les  mi- 
nistres, les  grands-officiers  de  la 
couronne  ,  les  personnages  les 
plus  distingués  parmi  la  haute 
noblesse,  et  tous  les  courtisans 
de  Joseph  ,  qui  avaient  été  ceux 
de  Ferdinand  et  qui  allaient  de- 
venir les  siens,  s'étaient  portés 
au  devant  de  lui  jusqu'à  Averse; 
en  entrant  à  Naples,  son  cortège 
était  brillant  et  nombreux.  L'en- 
thousiasme parut  extrême;  il  n'é- 
tait toutelois  que  ce  qu'on  l'avait 
vu  à  toutes  ces  entrées  ,  une 
espèce  d'ivresse,  de  délire,  aussi 
prompt  à  naître  qu'à  se  dissiper. 
La  reine  Caroline  ne  tarda  pas  à 
suivre  son  époux;  l'accueil  qu'elle 
reçut  ne  fut  pas  signalé  par  des 
acclamations  moins  bruyantes  . 
par  des  démonstrations  moins  a- 
nimées.  Murât,  devenu  roi ,  prit 
le  nom  de  Joachim  ,  et  y  ajouta 
celui  de  Napoléon,  qui  devint 
commun  aux  frères  ,  aux  beaux- 
frères  et  au  fils  de  la  première 
femme  de  l'empereur.  Des  fenê- 
tres de  son  palais,  Joachim  aper- 
cevait l'île  de  Capri,  occupée  par 
les  Anglais  ;  il  résolut  de  les  en 
chasser,  et  s'occupa  sur  le-champ 
de  tout  préparer  pour  l'attaque. 
Il  disait,  faisant  allusion  à  son 
litre  de  grand-amiral  :  «  C'est  (m 
«coup  de  canon  dont  j'ai  besoin 
»pour  assurer  mon  pavillon.  » 
Celte  île,  défendue  par  une  gar- 
nison nombreuse,  île  que,  depuis 
long-temps,  les  Anglais  avaient 
fortifiée  avec  tant  de  soin  qu'ils 
la  regardaient  comme  imprena- 
ble, et  la  nommaient  le  Peif<7-G«- 
hraltar^  fut  attaquée  par  environ 
f>,ooo  hommes  ;  mais  le  général 


MLR 

Lamarque  les  commandait.  L;i 
descente  fut  décidée  vers  la  par- 
lie  occidentale  qui  regarde  Na- 
ples;  les  rochers  y  sont  coupés  à 
pic;  il  fallait  des  échelles  [)Our 
les  gravir  ,  et  l'on  n'y  songea 
qu'au  moment  du  départ.  A  l'ins- 
tant les  échelles  qui  servaient  à 
allumer  les  réverbères  de  la  ville, 
sont  enlevées  et  embarquées. 
L'expédition  partit  dans  la  nuit, 
et  arriva  à  la  pointe  du  jour.  A- 
vant  midi,  elle  était  maîtresse  de 
la  partie  de  l'île  appelée  Anna 
Capri.  L'autre  partie,  qui  en  est 
séparée  par  un  ravin  profond  , 
escnr|)é,  est  l'ancienne  résidence 
de  Tibère;  elle  était  alors  celle  de 
sir  Hiidson-Lowe  (voy.  IIudson- 
Lowe),  qu'on  a  vu  depuis  gouver- 
neur de  l'île  de  Sainte  -  Hélène  , 
où  il  prouva  qu'il  savait  garder 
un  captif  qu'on  ne  venait  pas  dé- 
livrer. Alors  il  se  contenta  de 
prouver  qu'il  ne  savait  pas  dé- 
fendre un  rocher  qu'on  venait 
attaquer,  car  certainement,  sous 
un  chef  tant  soit  peu  guerrier, 
les  troupes  qui  se  trou  valent  dans 
cette  particî  escarpée  et  presque 
inattaquable  o\\  elles  pouvaient 
attendre  des  renforts  ,  devaient 
mettre  en  péril  les  assaillans  ; 
mais,  dans  celte  circonstance,  le 
courage  ,  la  constance  et  les  ta- 
lens,  ne  se  trouvèrent  que  d'un 
côté.  Au  bout  de  trois  ou  quatre 
jours,  sir  Hudson-Lowe  demanda 
à  capituler,  et  fut,  avec  sa  troupe, 
renvoyé  sur  parole.  Lne  entre- 
prise si  audacieuse,  exécutée  par 
les  ordres  de  Joachim  et  sous  ses 
yeux  (car  pendant  tout  le  temps 
de  la  lutte  il  resta  à  la  pointe  de 
la  Campanelle  ,  éloignée  de  Ca- 
pri de  la  portée  d'un  boulet  d<^ 
canon  )  ,  donna  aux  Napolitain* 


ttne  îiatite  iJcc  «le  In  fortnno  mi- 
litaire de  leur  nouveau  roi.  Ce 
peuple  peu  guerrier,  mais  sensi- 
ble à  la  gloire  ,  aime  el  resnecte 
les  hommes  qui  savent  braver 
les  périls  qu'il  n'ose  affronter 
lui-même.  Les  premiers  actes 
de  l'administration  de  Joachim 
ne  parurent  pas  d'un  moins  fa- 
vorable augure.  Le  lendemain 
de  son  arrivée  à  Naples,  il  avait 
rendu  la  tranquillité  à  un  grand 
nombre  de  f'amilics  ,  en  inter- 
disant toute  arrestation  arbi- 
traire, chose  nouvelle  dans  un 
pays  où,  durant  plusieurs  siècles, 
l'arbitraire  seul  avait  régné.  Il  af- 
fermit les  institutions  françaises, 
plutôt  introduites  qu'établies  dans 
le  royaume,  sous  le  gouverne- 
ment du  roi  Joseph.  Les  vanités 
du  roi  Joachim  lui  eussent  nui 
ailleurs,  à  Naples  elles  le  ser- 
vaient. Il  aimait  à  paraître  velu  en 
chevalier  de  théâtre,  coifle  d'une 
toque  noire,  ornée  d'une  longue 
plume  blanche,  qui  flottait  sur  sa 
tête.  On  Ta  vu  au  camp  de  Capo- 
di-Chino ,  dans  tme  journée  d'au- 
tomne ,  et  au"  milieu  des  plus 
fortes  averses  ,  passer  la  revue 
de  20,000  hommes  sous  ce  cos- 
tume. Les  hommes  sensés  sou- 
riaient ;  le  peuple  le  trouvait  su- 
perbe ,  le  suivait  des  yeux  et  ap- 
plaudissait. Il  établit  le  système 
des  levées  par  la  conscription  , 
mais  celle  loi  rigoureuse  reçut 
tous  les  adoucissemens  qu'exi- 
geait le  pays.  D'ailleurs,  l'esprit 
des  autorités  ,  d'accord  avec  le 
caractère  des  habilans  ,  tend  sans 
cesse,  dans  ce  pays,  à  affaiblir  les 
ressorts  les  plus  violens,  et  finit 
bientôt  par  les  as<ouplir,  a\i  point 
de  rendre  lelir  action  tolérable  ù 


511:11  a;:; 

CCS  hommes  ,  ennemis  de  tout  ce 
qui  exige  des  fatigues  et  de  la 
constance.  Joachim  ,  en  arrivant 
;V  Naples  ,  n'avait  trouvé  pour 
toute  armée,  qu'environ  16,000 
hommes,  mal  vêtus,  mal  com- 
mandés, mfll  disciplinés;  dans 
l'espace  de  six  ans  il  porta  cette 
armée  à  70,000  hommes  de  belles 
troupes;  il  ne  leur  manquait, 
pour  devenir  bonnes  ,  que  d'être 
engagées  ,  moins  promplement, 
dans  une  guerre  aussi  étrangère 
à  leurs-intérêts  que  celles  qu'elles 
firent  à  la  France  en  1814  ;  elles 
le  firent  plus  imprudemment  en- 
core en  181  5.  Ces  troupes  man- 
quaient, surtout,  de  bons  oili- 
ciers;  cenx-ci,  presque  tons  Fran- 
çais ,  s'étaient  retirés  en  1S14 
pour  ne  pas  prendre  part  à  la 
défection  de  Joachim.  La  cavale- 
rie ,  l'artillerie  ,  le  génie  étaient 
dans  l'état  le  plus  briiiant  ;  la 
garde  royale,  forte  de6,ooo  hom- 
mes ,  était  composée  d'anciens 
soldats  français,  et  de  l'élite  de 
la  jeunesse  napolitaine.  Sous  le 
gouvernement  nouveau  ,  la  ma- 
rine n'eut  plus  à  se  plaindre  de 
l'espèce  d'abandon  où  elle  avait 
été  laissée  pendant  le  règne  pré- 
cédent. Deux  vaisseaux  et  plu- 
sieurs frégates  sortirent  des  chan- 
tiers de  Castellamare  ;  les  équi- 
pages reçurent  une  organisation 
meilleure:  mais  dans  l'armée  de 
mer  comme  dans  celle  de  terré, 
les  officiers  valaient  moins  que  les 
soldats.  Indépendamment  de  l'ar- 
mée régulière  ,  Joachim  avait  or- 
ganisé en  légions  provinciales,  les 
gardes  nationales  du  royaume  ; 
cette  force  s'élevait  à  plus  da 
5o,ooo  hommes.  Les  chefs  et  des 
dépulations  de  chaque  légion  fu- 


2^6 


MUR 


rent  appelés  à  Naples  ;  le  2(3 
mars  liiog,  Joachiiu  leur  remil» 
dans  toiil  Tapparatdes  solennités 
royales,  dos  drajteaiix  sur  les- 
quels étaient  écrits  ces  deux  mots: 
sicurezza  interna  (  sûreté  inté- 
rieure); une  médaille  fut  frappée 
et  distribuée  à  toutes  les  députa- 
lions.  Ces  cérémonies  sont  plus 
utiles  à  Naples  qu'ailleurs  ,  parce 
que  les  communications  entre  la 
capitale  et  les  provinces  y  sont 
rares.  Au  mois  de  juin,  une  flotte 
auglo  -  sicilienne  parut  sur  les 
côtes  de  la  Calabre,  où  elle  jeta 
l'épouvante  ,  et  vint  se  présenter 
devant  Naples.  Elle  fil  quelques 
démonstrations  de  débarquement 
vers  Cnme.  Joachim  alla  camper 
avec  ses  troupes  sur  la  côte  me- 
nacée,  côte  malsaine,  où  elles 
perdirent  beaucoup  de  monde 
}>ar  la  maladie  ,  et  n'éprouvèrent 
presque  aucune  perle  de  la  part  de 
l'ennemi.  Après  s'être  emparésdes 
îles  d'Ischia  et  de  Procida,  les 
Anglais  et  les  Siciliens  furent 
contraints  de  les  abandonner  et 
de  se  retirer,  n'ayant  pu  attein- 
dre le  but  principal  de  cette  expé- 
dition. Elle  avait  été  tentée  pour 
opérer  des  soulèvemensà  Naples, 
et  pour  reprendre  Capri ,  deux 
entreprises  dont  le  succès  était 
impossible  avec  d'aussi  faibles 
moyens.  Joachim  ,  qui  venait 
d'être  bravé  parle  gouvernement 
sicilien  et  par  les  Anglais,  con- 
çut le  projet  de  les  braver  à  son 
tour,  et  peut-être  l'espoir  de 
s'emparer  de  la  Sicile  ;  il  y  fut 
excité  par  Napoléon,  auquel  cette 
expédition  devait  procurer  un 
double  avantage,  celui  de  dimi- 
nuer les  forces  des  Anglais  en 
Espagne ,^  en  les  Qbligeant   d'en 


flJLR 

retirer  des  troupes  pour  les  por- 
ter au  secours  de  la  Sicile  ,  et 
celui  de  les  empêcher  d'attaquer 
Corfou  et  de  s'opposer  au  ravi- 
taillement de  cette  île.  Quant  à 
la  conquête  de  la  Sicile,  Napoléon 
ne  la  jugeait  peut-être  pas  pos- 
sible, et  ne  désirait  probablement 
pas  qu'elle  fût  fuite  par  le  roi  de 
Naples.  Deux  projets  lui  furent 
soumis:  il  devait  concourir  à  leur 
exécution,  soit  d'une  manière  di- 
recte, soit  par  les  démonstrations 
qu'une  flotte  partie  de  Toulon 
aurait  faite  vers  Palerme  ;  ce* 
projets  ne  furent  point  approuvés 
par  lui  ,  ou  du  moins  il  ne  lit  rien 
d'ostensible  pour  en  assurer  l'exé- 
cution. Joachim  parvint,  ce  qui 
paraissait  le  plus  dilTicile  ,  à  réu- 
nir vis-à-vis  de  la  Sicile,  et  sous  le 
feu  de  la  flotte  anglo-sicilienne  , 
une  flottille  assez  nombreuse  pour 
transporter  ses  troupes  sur  la  rive 
opposée.  Le  passage  fut  ordonné  ; 
une  seule  division,  celle  sous  les 
ordres  du  lieutenant-général  Ca- 
vaignac,  débarqua  de  l'autre  côté 
du  Phar.  Les  motifs  qui  empê- 
chèrent les  autres  divisions  d'exé- 
cuter cet  ordre  sont  encore  igno- 
rés ;  mais  on  peut  être  fondé  à 
croire  qu'ils  appartiennent  à  une 
politique  d'un  ordre  supérieur. 
Alors  Joachim  dut  renoncer,  dès 
ce  moment,  à  son  expédition,  el 
revint  dans  sa  capitale.  La  n)é- 
sintelligence  entre  la  cour  de  Na- 
ples et  celle  des  Tuileries  ne  tar- 
da pas  à  éclater,  et  ne  fut  pas 
long -temps  secrète.  Soit  que, 
mécontent  de  la  résistance  qu'il 
avait  éprouvée  de  la  part  des  gé- 
néraux français,  Joachim  voulût 
se  débarrasser  de  la  tutelle  de  cette 
armée,   qui  pesait  moins  à   sea 


MUR 

peuples  qu'elle  n'était  importune 
à  se<  propres  regards  ;  soit  que  , 
jaloux  de  son  autorité,  et  crai- 
gnant d'être  réduit  un  jourau  rôle 
du  mari  de  la  princesse  Élisa  [voy. 
Bacciochi),  il  ne  yît  dans  cette  ar- 
mée française  qu'un  instrument 
propre  à  favoriser  de  pareils  pro- 
jets; soit  qu'excité  par  ses  sujets, 
qui  ne  savent,  ni  supporter,  ni  re- 
pousser rétranger,  il  crût  pou- 
voir se  passer  de  l'appui  de  la 
France,  il  sollicita  l'éloigneinent 
des  troupes  de  l'empereur  Napo- 
léon. Cette  demande  fut  mal  ac- 
cueillie ;  le  refus  qu'il  éprouva 
acheva  de  l'aigrir  ;  ses  méfiances 
devinrent  extrêmes.  Une  autre 
tentative  ne  lui  réussit  pas  mieux: 
il  voulut  engager  tous  les  étran- 
gers, employés,  dans  son  royau- 
me ,  à  se  faire  naturaliser  Napo- 
litains ,  ou  à  renoncer  à  leurs 
places  ;  c'était  déclarer  qu'il  ne  se 
considérait  plus  lui-même  comme 
Français.  Un  décret  de  l'empereur 
lui  rappela  durement  son  origine. 
.•  Considérant  que  le  royaume  de 
«Naples  fait  partie  du  grand  em- 

•  pire  ;   que  le  prince  qui   règne 

•  dans  ce  pays  est  sorti  des  rangs 
»de  l'armée  française;  qu'il  a  été 
"élevé  sur  le  trône  par  les  efforts 
■  et  le  sang  des  Français  ,  Napo- 
"léon  déclare  que  les  citoyens 
a  Français  sont,  de  droit,  ci- 
«toyens  du  royaume  des  Deux-Si- 
»  cilcs.  »  Ce  décret  fut  un  coup  de 
foudre  pour  le  roi  Joachim;  dans 
son  dépit,  il  différa  de  célébrer 
la  fête  du  roi  de  Home  ,  ne  porta 
plus  ,  ni  la  croix  ,  ni  le  ruban  de 
l'ordre  de  la  légion-d'honneur, 
s«e  retira  dans  son  palais  de  Capo- 
di-iVJonle,  et  y  tomba  malade.  A- 
Jors  réclal  de  sa  vie  fut  voilé  par 


MLR  277 

le  scandale  des  querelles  de  fa- 
mille et  l'obscurité  des  intrigues 
de  cour.  En  proie  à  des  soupçons, 
dont  certains  intérêts  privés  ti- 
raient parti  ,  il  passait  presque 
tout  son  temps  à  lire  d»;s  rapports 
de  police  ou  à  recevoir  des  déla- 
teurs. Oubliant  la  majesté  royale, 
il  donnait  à  de  vils  espions  le  droit 
de  l'approcher  et  de  se  vanter  pu- 
bliquement de  l'accès  qu'ils  a- 
vaient  auprès  de  sa  personne.  La 
guerre  qui  éclata  ,  au  mois  d'a- 
vril 1812,  entre  la  France  et  la 
Russie,  le  rendit  à  la  gloire.  Ap- 
pelé par  l'empereur,  il  parut  hé- 
siter, mais  les  hommes  qui  con- 
naissaient et  ses  dispositions  na- 
turelles ,  et  l'ascendant  que  Na- 
poléon conservait  encore  sur  son 
esprit,  ne  doutèrent  pas  du  parti 
qu'il  allait  prendre.  Huit  mille 
hommes  de  troupe*  de  ligne  é- 
talent  partis  deNaples  le  38  de  ce 
mois  (avril  1812)  pour  se  rendre  i\ 
la  grande-armée,  et,  le  19  mai  sui- 
vant, 2,000  hommes  de  la  garde 
royale  avaient  pris  la  même  di- 
rection. Joachim,  rentré  dans  les 
champs  de  la  gloire,  y  reparut 
bientôt  ce  qu'il  y  avait  toujours 
été,  chef  hasardeux,  mais  souvent 
habile  et  toujours  vaillant.  Au 
combat  d'Ostrowno,  le  25  juillet, 
il  attaqua  l'ennemi ,  joncha  la 
terre  de  ses  morts,  et  lui  prit  i4 
pièces  de  canon.  Le  lendemain, 
il  battit  complètement  le  général 
Ostermann,  lui  prit  8  pièces  de 
canon  et  mit  i5,ooo  Russes  hors 
de  combat.  A  une  heure  après 
midi,  une  forte  colonne  manœu- 
vrait sur  la  droite  et  menaçait  de 
le  tourner  ;  il  ordonne  de  charger 
celle  colonne ,  mais  un  mouve- 
ment d'hésitation    se  manifeste 


27  s  MLR 

dans  sa  cavalerie.  Aussitôt  il  lire 
son  épée,  crie  :  Que  les  braves  me 
suivent  1  et  fond  sur  les  ennemis 
qui,  dans  un  moment,  sont  tail- 
lés en  pi(:ces.  Le  28,  il  traversa 
Witepï^k,  et  se  porta  à  la  tête  de 
la  cavalerie  sur  la  route  qui  re- 
monte la  Dwina.   Le  17  août,  au 
combat  de  Smolensk,  il  prit  po- 
sition sur  le  plateau  à  droite  de 
la  ville,  et  y  fit  établir  une  batte- 
rie de  Go  pièces  qui  foudroyaient 
les  Russes,  arrivés  en  masse  sur 
l'antre  rive  du  Boristliène.  L'en- 
nemi, pour  répondre  à  cette  bat- 
terie, en  établit  une  de  4^»  piè- 
ces. Le  plateau  où  se  trouvait  le 
roi  de  Naples  ,  dominé  par  cette 
batterie,  était  devenu  un  champ 
de  carnage;  il  s'obstina  à  ne  pas 
le  quitter,  mais  il  ordonna  à  tous 
ses  officiers  de  s'en  éloigner.   Le 
général  Beliiard  qu'il  voulut  faire 
retirer  aussi  lui  répondit  :  «  Sire, 
«chacun  est  maître  de  son  exis- 
»tence;    V.    M.   le   prouve   bien 
«puisqu'elle  veut  absolument  se 
«faire  tuer  aujourd'hui;  elle  me 
»  permettra  de  mourir  à  ses  cô- 
»tés.  »  Les  historiens  de  la  cam- 
pagne de  Russie  ont  rapporté,  d'a- 
près des  renseignemens  inexacts, 
que  le  roi  de  Naples  avait  opiné 
pour  le  passage  du   Borislhène. 
Joachiin  et  le  maréchal  Ney  s'op- 
posèrent fortement  à  ce  projet. 
Le  roi  écrivit  le  18  août  au  ma- 
tin :  «ISous  sommes  à  Smolensk, 
»irons-nous  plus  loin?   C'est  le 
«secret  de  l'empereur;  pour  moi 
»je  trouve  que  nous  sommes  dé- 
»jii  à  une   trop   grande  distance 
»de   nos  ressources.»  Le  5  sep- 
teiribre  il  enleva,  avec  la  division 
Compans,  la  grande  redoute  qui 
devait  servir  de  base  aux  opéra- 


MUR 

tions.  L'empereur  y  resta  pen- 
dant toute  la  journée  du  surlen- 
demain où  se  livra  la  sanjïlante 
bataille  de  la  Moskowa.  Dans 
cette  terrible  journée,  ce  fut  le 
roi  qui.  à  9  heures  du  nuyliu  avec 
la  division  Morand ,  enleva  la 
grande  redoute  russe,  et  ce  fut 
encore  au  changement  de  front 
qu'il  fit  faire  à  l'armée,  vers  4 
heures  de  l'après-midi,  que  fut 
dû  ,  en  grande  partie,  le  brillant 
succès  qui  mit  fin  au  carnage  en 
décidant  la  retraite  des  Russes. 
Le  roi  de  Naples,  commandant 
l'avaut-garde  de  l'armée  françai- 
se, forte  de  18,000  hommes  et 
de  2,000  chevaux,  s'était  porté 
en  avant,  et  avait  pris  position  à 
Czernisna,  à  18  lieues  de  Mos- 
cow;  il  avait  sous  ses  ordres  le 
prince  Poniatowsky  ,  les  lieu- 
tenans-généraux  Saint-Germain. 
Dufour  et  Sébasliani.  Le  général 
Claparède  occupait  le  village  de 
Winkowo ,  elle  général  Latour- 
Maubourg  était  en  réserve.  C'est 
dans  cette  position  qu'il  fut  sur- 
pris et  attaqué  par  la  grande  ar- 
mée russe,  forte  de  80,000  hom- 
mes. Cette  armée  ,  commandée 
par  le  prince  Kutusoff,  avait,  par 
une  marche  de  nuit  et  à  la  favetir 
des  bois  ,  débordé  les  flancs  de 
l'armée  française  et  s'était  empa- 
rée du  défilé  de  Winkowo.  A  7 
heures  du  matin,  les  cosaques 
enlevèrent  l'ailillerie  du  général 
Sébasliani,  et  l'attaque  devint 
générale  sur  toute  la  ligne.  Les 
efforts  faits  par  les  généraux  Po- 
niatowski  etClaparède, donnèrent 
aux  troupes  françaises  le  temps 
de  se  former.  Le  roi  de  Naples, 
.•■i  la  tête  des  carabiniers  con)man- 
dés   par    le    général    Defrance, 


MUR 

chargea  et  sabra  une  division 
ru!>«e  ;  alors  l'atlaqiie  lui  moins 
vive,  et  le  roi,  blessé  ,  mai?  qtii 
n'avait  pas  quitté  le  combat,  de- 
vint maître  de  ses  mouvemens. 
Le  défilé  de  Winkowo  fut  repri?, 
et  20,000  Français  se  retirèrent 
en  bon  ordre,  sans  perdre  un 
caisson,  devant  les  80,000  Rus- 
ses qui  les  avaient  surpris  mais 
non  déconcertés.  Pendant  la  dé- 
sa>treuse  retraite  de  Moscow,  le 
roi  de  Naples  commandait  en 
chef  l'escadron  sacré  qui  formait 
la  garde  de  Napoléon.  Les  fonc- 
tions de  sous-ofiicier  étaient  rem- 
plies dans  cet  escadron  par  des 
colonels  ;  des  générauxy  faisaient 
le  service  de  capitaine.  L'empe- 
reur, en  quittant  l'armée  le  5 
décembre,  remit  le  commande- 
ment au  roi  de  Naples.  On  a  vou- 
lu établir  que  Joachim  refusa 
d'abord  d'accepter  ce  comman- 
dement, et  que  sur  les  instances 
de  l'empereur,  il  consentit  seu- 
lement i\  conduire  l'armée  sur 
le  territoire  prussien,  déclarant 
qu'il  partirait  pour  Naples  aussi- 
tôt qu'il  aurait  atteint  Kœnigs- 
berg.  Ces  refus  et  ces  conditions 
ne  sont  nullement  d'accord,  ni 
avec  ce  que  Napoléon  fit  insérer 
au  Moniteur^  lors  du  départ  du 
ici  à  Po?en,  ni  avec  l'idée  que 
Napoléon  a  laissée  de  son  carac- 
tère. Il  aurait  fallu  que  l'empe- 
reur se  fût  senti  bien  humilié  par 
la  fortune,  pour  se  soumettre 
à  une  telle  volonté  du  roi  de  Na- 
ples. On  est  «également  incertain 
sur  le  motif  qui  fil  quitter  si  brus- 
quement l'armée  par  le  roi  de 
Naples.  Le  départ  de  Naples , 
d'un  oflicier  auquel  l'état  de  sa 
santé   sc»iblait   interdire    un    si 


MUR 


270 


long  voyage,  et  son  arrivée  im- 
prévue au  quartier  -  général  de 
Joachim;  des  propos  tenus  à  des- 
sein ou  par  élourderie,  rapportés 
au  roi  pendant  qu'il  était  à  l'ar- 
mée ,  et  qui  furent  suivis  de  si 
près  de  sa  résolution  de  se  mettre 
en  route  pour  ses  états,  sa  mélan- 
colie profonde  pendant  le  voyage 
qu'il  fit  sans  s'arrêter  ni  le  jour 
ni  la  nuit,  et  presque  sans  pren- 
dre de  nourriture  ;  son  état  de 
langueur,  et  d'autres  circonstan- 
ces qui  furent  remarquées  à  son 
entrée  à  Naples  ,  tout  servit  à 
donner  la  plus  grande  vraisem- 
blance au  bruit  qui  courut  alors  : 
que  ce  brusque  départ  avait  été 
le  résultat  d'une  intrigue  de  cour- 
tisans ;  et  le  décret  impérial  qui 
remit  le  commandement  de  l'ar- 
mée au  vice-roi,  acheva  de  don- 
ner à  ce  bruit  les  caractères  de  la 
vérité.  Comment  Napoléon  se 
fût-il  montré  si  sévère  envers  le 
roi  de  Naples,  si  le  départ  de  Joa- 
chim pour  ses  états  eût  été  d'a- 
vance arrêté  entre  eux?  Joachim 
partit  de  Posen  le  17  janvier 
1810,  avec  le  général  Rosselti  , 
son  aide-de-camp  ,  à  qui  il  dit 
plus  d'une  fois,  pendant  la  roule  : 
«  Je  ne  serais  pas  étonné  d'ap- 
»  prendre  en  arrivant  à  Piome  que 
«les  Atiglais  sont  en  Calabre.  » 
Un»  intérêt  si  pressant  suffisait 
sans  doute  pour  l'engager  à  reve- 
nir en  toute  hâte  à  Naples.  Mais 
Napoléon  aurait  dû  en  savoir 
quelque  chose,  et  il  eût  ordonne 
lui-même  au  roi  de  Naples  d'aller 
défendre  se5  états.  Ici  se  termine 
la  gloire  de  Murât;  les  trois  der- 
nières années  de  sa  vie  vont  dé- 
mentir tout  le  reste,  et,  comme 
si  C€tie  fois  la    fortune  eût  été 


>8o 


MUR 


fl'accord  avec  la  jusliee  ,  on  va 
Ja  voir  trahir  et  abandonner  ce 
prince  à  mesure  qu'il  trahira  et 
qu'il  abandonnera  la  France  ;  il 
perdra  la  couronne  avant  de  per- 
dre la  vie,  et  avant  de  cesser  d'ê- 
tre roi,  il  aura  cessé  d'être  soldat 
heureux.  Joachim  ne  se  rendit 
point  directement  dans  la  capi- 
tale de  ses  états  ;  il  descendit  au 
palais  de  Caserte  ,  où  sa  famille 
i'aitendait.  Les  courtisans  remar- 
quèrent dans  cette  première  en* 
trevue  un  peu  de  froideur  et  de 
contrainte.  Un  duc  napolitain  , 
écuyer  depuis  long-temps  de  ser- 
vice, reput  l'ordre  de  s'éloigner, 
et,  peu  de  jours  après,  celui  de  se 
rendre  à  sou  régiment.  Ces  ordres 
accréditèrent. les  soupçons,  et  a- 
joutèrent  un  nouveau  poids  à  l'o- 
pinion de  ceux  qui  attribuaient  à 
une  intrigue  de  cour  le  retour 
inattendu  de  Joachim  à  Naples. 
Depuis  cette  époque,  sa  politique 
devint  sombre  et  inquiète.  On  vit 
arriver  et  partir  des  agens  mys- 
térieux qui  ne  venaient  ni  de 
France  ,  ni  de  la  Haute-Ilalie , 
mais  qui  se  rendaient  dans  des 
lieux  inaccoutumés.  On  a  dit  que 
dès-lors  Joachim  préparait  sa  dé- 
fection ;  ce  qu'il  y  a  de  certain, 
c'est  que  déjà  il  existait  des  intel- 
ligences entre  la  cour  de  Naples 
elles  Anglais,  maîtres  de  la  Sicile. 
La  reine  Caroline,  femme  de  Fer- 
dinand, n'existait  plus;  et  Ferdi- 
nand, réduit  à  une  condition  pri- 
vée, avait  remis  les  rênes  de  l'état 
à  son  fils  ,  devenu  vicaire  du 
royaume.  Mais  les  Anglais  gou- 
vernaient en  effet ,  et  rien  ne  se 
faisait  en  Sicile  qu'ils  ne  l'eussent 
ordoimé  ou  permis.  L'hiver  se 
passa  au  milieu  de  ces  intrigues 


MUR 

diplomatiques.  Au  moment  où  la 
campagne  de  i8i3  allait  recom- 
mencer, Joachin)  ne  fit  aucune 
disposition  propre  à  faire  juger 
qu'il  y  prendrait  part.  L'arrivée 
d'un  courrier  venu  de  Paris  don- 
na lieu  à  un  conseil  extraordi- 
naire.Le  roi  apprit  à  ses  ministres 
que  Napoléon  l'invitait  à  se  ren- 
dre à  l'armée.  On  crut  qu'il  cher- 
chait des  prétextes  pour  motiver 
un  refus.  Tout  le  monde  lui  en 
fournit.  «  N'avait-il  pas  assez  fait 
«pour  sa  gloire,  assez  fait  pour 
»  l'empereur?  Le  peuple  napoli- 
»tain  ne  pouvait  plus  se  passer 
»de  sa  présence  ;  son  intérêt ,  sa 
«sécurité,  exigeaient  qu'il  ne  se 
«séparât  plus  de  ce  peuple  pour 
«aller  défendre  une  cause  qui 
«n'était  pas  la  sienne.  D'ailleurs, 
«le  repos  était  devenu  nécessaire 
«à  la  santé  du  roi  ,  altérée  par 
«tant  de  travaux  et  de  fatigues.  » 
Joachim  parut  céder;  chacun  se 
retira,  persuadé  que  le  roi  ne 
partirait  pas  :  le  bruit  s'en  répan- 
dit aussitôt  dans  la  ville;  elle  ap- 
prit le  lendemain  malin  qu'il  était 
en  route  pour  l'Allemagne.  Dans 
celte  campagne  de  i8i3,  si  fatale 
à  la  France,  Joachim  déploya  sa 
valeur  accoutumée.  L'empereur, 
qu'il  avait  rejoint  pendant  l'ar- 
mistice, lui  donna  le  commande- 
ment de  l'aile  droite  de  son  ar- 
mée le  jour  de  la  bataille  de  Dres- 
de ;  la  gauche  du  prince  de 
Schwartzemberg,  qui  se  trouvait 
en  face,  fut  accablée,  et  le  roi  de 
Naples  parvint  à  couper  aux  al- 
liés les  routes  de  Freyberg  et  de 
Pirna.  Le  lo  octobre,  à  la  bataille 
de  Wachau,  il  enfonça  une  divi- 
sion de  grenadiers  russes  et  le 
corps  commandé  par  le  prince  de 


MLR 

Wurtemberg.  Il  se  conduisit  en- 
core avec  bravoure  à  la  bataille 
de  Leipsick  ;  mais .  qiîatre  jours 
après  la  perte  de  cette  bataille,  il 
prit  congé  de  l'empereur  sous 
prétexte  d'aller  lever  des  troupes 
en  Italie  pour  venir  à  son  secours, 
mais  il  revenait  à  Naples  pour 
préparer  sa  défection  et  se  réunir 
aux  ennemis  de  la  France.  On  a 
voulu  excuser  la  conduite  de  Joa- 
chim  par  l'embarras  de  sa  posi- 
tion ;  elle  était  périlleuse  sans 
doute ,  mais  admettre  qu'il  est 
des  circonstaÉces  où  les  iotérêts 
politiques  peuvent  servir  d'excuse 
à  l'ingratitude  et  à  la  perfidie  , 
c'est  outrager  la  raison  et  la  mo- 
rale ,  c'est  violer  tout  ce  qui  lait 
la  garantie  des  nations  comme  la 
sécurité  des  individus,  la  foi  des 
paroles  et  des  engagemens;  Na- 
poléon paraissait  abandonné  de 
la  fortune,  c'était  bien  assez  d'i- 
miter son  inconstance,  mais  Joa- 
chim  fit  plus,  il  affecta  de  rester 
fidèle  alors  même  qu'il  trahissait: 
il  manquait  d'armes,  disait-il, 
pour  mettre  ses  soldats  en  état 
de  venir  au  secours  de  la  France. 
Douze  mille  fusils  lui  furent  en- 
voyés d'Alexandrie,  et  ces  armes, 
dont  les  Français  avaient  besoin, 
qu'ils  lui  accordèrent  à  regret,  il 
s'en  servit  contre  eux  !  Il  se  trou- 
vait dans  la  garde  royale  de  Na- 
ples, des  compagnies  entières  de 
grenadiers,  prises,  sans  leur  aveu, 
dans  les  corps  de  Napoléon  ,  et 
qui  n'avaient  jamais  cessé  de  se 
considérer  comme  Français.  Lors- 
que Joachim  fit  avancer  ses  trou- 
pes eu  Italie,  sous  prétexte  de  se 
joindre  au  vice-roi,  mais  en  cfFel 
pour  le  combattre,  les  Français 
tic  la  garde  napolitaine,  ne  pou- 


MUR 


a8i 


vant  plus  douter  de  ses  desseins, 
déclarèrent  qu'ils  ne  passeraient 
pas  Rome,  où  déjà  ils  étaient  ar- 
rivés. Les  menaces,  les  prières, 
les  séductions,  furent  inutilement 
employées  auprès  d'eux,  il  fallut 
les  ramener  à  Naples.  De  nou- 
veaux efforts  furent  tentés,  et  les 
trouvèrent  inébranlables;  ils  de- 
mandaient à  être  renvoyés  en 
France  :  on  les  désarma  ;  on  les 
déclara  prisonniers  ,  et  ils  furent 
renfermés  dans  la  forteresse  de 
Gaële!  Deux  frégates  françaises 
avaient  quitté  Ancône  à  l'appro- 
che des  ennemis ,  et  s'étaient 
réfugiées  à  Brindisi  ;  elles  se 
croyaient  en  sûreté  dans  un  port 
soumis  à  la  domination  du  beau- 
frère  de  l'empereur.  Bientôt  le» 
coramandans  de  ces  deux  bâti- 
timcns  apprirent  que  le  gouver- 
nement de  Naples  avait  décidé  de 
s'en  emparer.  Bloqués  par  des 
bâlimens  anglais,  d'une  force  su- 
périeure ,  les  commandans  de» 
deux  frégates  françaises  furent  ré- 
duits à  y  mettre  le  feu  pour 
qu'ellesoe  devinssent  pas  la  proie 
d'un  allié  perfide  ;  ils  traversèrent, 
à  la  tête  de  leurs  équipages,  for- 
més en  bataillons,  les  états  du 
prince  déloyal  chez  lequel  ils  é- 
taient  venus  chercher  on  refuge. 
Joachim  n'était  plus  à  Naples 
quand  ces  choses  s'y  passaient  , 
mais  rien  ne  s'y  faisait  que  par 
son  ordre  ou  de  son  aveu.  La 
reine  était  régente.  Le  1 1  janvier 
1814.  le  roi  de  Naples  conclut 
avec  le  comte  de  Neupperg,  agis- 
sant au  nom  de  l'empereur  d'Au- 
triche, un  traité  d'alliance  ofTen- 
sivc  et  défensive  ,  par  lequel  il 
s'engageait  à  joindre  5o,ooo  hom- 
mes de  ses  troupes  aux  armccâ 


282  MLifi  MUR 

formidables  avec  lesquelles  les  pagne.L'ItalierenfermaitUDgrond 
alliés  s'avançaient  pour  envahir  nombre  d'hoiniiies  hardis,  qui  at- 
et  dévaster  ht  France.  L'Angle-  tendaient  avec  impatience  le  mo- 
lerre  accéda  à  ce  traité  ;  l'etnpc-  ment  de  soustraire  leur  pays  à  la 
leur  François  promit,  par  écrit,  domination  de  l'étranger.  L'Au- 
de le  ratifier ,  du  moins  le  bruit  triche  put  craindre  quc/Joachim 
s'en  répanditalors,  etn'a  point  été  ne  fît  un  appel  aux  peuples  de 
démenti  depuis.  Ce  traité  garan-  l'Italie,  mais  jamais  le  roi  n'a- 
tissait  à  Joachim  la  possession  du  vait  su  ,  par  des  concessions  fai- 
royaume  deNa[)leset  lui  promet-  tes  au  temps  et  aux  lumières  de 
tait  une  augmentation  de  terri-  son  siècle  ,  se  ménager  cette 
toire,  par  la  cession  de  quelques  ressource  précieuse.  Il  ne  s'avisa 
provinces  des  états  de  l'Église,  de  parler  de  lois  et  de  régime 
Joachim  se  crut  tellement  sûr  constitutionnel  qu'au  moment  du 
de  la  foi  des  souverains  alliés  péril  ;•  il  valait  irwux  tomber, 
que,  sans  attendre  les  ratifica-  comme  il  sut  mourir,  avec  con- 
tions promises,  il  annonça,  par  rage,  que  de  démentir  son  carac- 
uneproclamation,lesengagcmens  tère  ,  et  de  parler  de  liberté  dans 
qu'il  venait  de  contracter,  et  se  un  pays  où  il  n'avait  régné  qu'en 
h5la  de  commencer  les  hostili-  monarque  absolu.  On  a  dit  que 
tés  en  faisant  assiéger  Ancône  et  l'ambassadeur  de  France,  au  con- 
en  s'emparant de  Bologne.  Il  ren-  grès  de  Vienne,  avait  demandé  à 
voya  au  vice-roi  les  prisonniers  l'empereur  d'Autriche  le  passage 
qu'il  fit  sous  les  murs  de  Reggio  ,  de  80,000  hommes  de  troupes 
pour  éviter,  sans  doute  ,  d'avoir  françaises,  destinées  à  chasser 
à  rougir  à  l'aspect  des  vaincus.  Joachim  de  Naples,  et  que,  par 
Cette  pudeur  lui  fut  imputée  à  une  espèce  de  représailles,  ce 
crime,  quand  les  événemens  de  princeavaitaussi  demandé  lepas- 
1814,  ayant  renversé  Ni^^oléon  ,  sage  de  80,000  Napolitains  pour 
Joachim,  réduit  à  n'avoir  pour  faire  la  guerre  à  la  France;  mais 
protecteurs  que  ceux  dont  il  s'é-  celle  jactance  de  sa  part  n'était 
tait  fait  si  précipitamment  l'allié,  pas  plus  sérieuse  que  la  menace  : 
ne  vit  bientôt  en  lui-même  qu'un  ni  d'un  côté  ni  de  l'autre  on  n'é- 
prince  parvenu,  demeuré  seul,  et  tait  disposé  à  entrer  en  campa- 
déconvert  devant  les  dynasties  an-  gne  ;  c'était  la  diplomatie  et  non 
ciennes,  rétablies  ou  consolidées,  la  guerre  qui,  alors,  disposait  du 
Il  apprit ,  par  ses  ministres  au  sort  des  peuples  et  du  deslin  des 
congrès  de  Vienne,  que  les  al-  princes.  Vers  la  fin  des  discus- 
liances  qu'il  venait  de  contracter  sions  diplomatiques,  et  lorsque 
étaient  moins  sfires  que  ne  l'était,  tout  semblait  définitivement  ar- 
au  moment  où  il  l'avait  abandon-  rêté  par  les  ptiissances  réunies  à 
née,  la  fortune  de  Napoléon.  II  Vienne,  le  départ  de  Napoléon 
chercha  alors  à  se  rendre  rcdou-  de  l'île  d'Klbc;  et  son  débarque- 
table  ,  en  portant  son  armée  au  ment  en  France,  donna  aux  af- 
complet etenétatd'enlrercncam-  faires  de  l'Europe  une  face  non- 


VfKe.  Dans  la  nuit  du  i"  au  2 
iiiur?;  le  niinistre  irAulriche  fit 
parvenir  au  roi  île  Naplesune  note 
pour  l'informer  de  l'entreprise  de 
Napoléon  ;  Joachim  oc  l'ignorait 
pa?.  Dans  la  position  où  il  se  trou- 
vait, celte  eulreprise  pouvait  dé- 
terminer les  puissances  de  l'Eu- 
rope à  tenir  les  pronie.-ses  qui  lui 
avaient  été  faites  et  ^iTelles  pa- 
raissaient décidées  à  oublier.  Déjà 
le  cabinet  de  Londres  avait  en- 
voyé à  ses  représcntans,  au  con- 
près  de  Vienne.  Tordre  de  con- 
clure un  traité  définitif  avec  Mu- 
rât, tuais  il  n'était  pins  en  mesure 
de  profiler  d'une  disposition  qui 
pouvait,  sinon  le  consolider  sur 
le  trône  de  Naples  -  du  moins  re- 
euler  le  jour  où  il  serait  forcé 
d'en  descendre.  Joachim  ,  lron)pé 
par  sa  bravoure  personnelle  , 
comptait  sur  le  courai^e  de  son 
armée  ;  il  s'attendait  à  trouver  de 
nombreux  auxiliaires  dans  toutes 
les  ailles,  dans  toutes  les  campa- 
gnes de  l'Italie.  Le  moment  d'af- 
franchir ce  pays  du  joug  deTé- 
tranger  lui  parut  arrivé,  et  il  se 
crut  les  talens  nécessaires  pour 
opérer  celte  grande  révolulioii 
])olitique.  Un  motif  plus  puis.-ant 
«•ucore,  la  crainte  de  voir  Napo- 
léon ressaisir  sa  puissance  ,  dans 
les  pays  qui  avaient  été  soumis  à 
sa  domination,  ajoutait  à  son  im- 
patience naturelle,  et  donnait  à 
i»es  mesures  cette  précipilalion 
aventureuse,  qui  était  le  trait  le 
plus  marquant  de  son  caractère. 
Son  armée  avait  déjà  franchi  les 
frontières  du  rt>yaume  de  Naples 
tt  s'avançait  eu  Italie,  lorsqu'il 
reçut  l'avis  des  dispositions  fa- 
vorables du  cabinet  de  Londres. 
Deux  divisions  marchaient  sur  !a 


MIT» 


285 


Toscane  ,  une  autre  division  cou- 
vrait la  route  de  llofiie  à  Naples; 
les  quatre  autres,  que  comman- 
dait Joachim  en  personne,  débou- 
chèrent par  les  Abruzzes.  Arrivé 
à  Rimini ,  le  5i  mars,  il  annonça 
ses  desseins  dans  une  proclama- 
tion dont  voici  un  extrait  d'aprè? 
K'S  feuilles  publiques  du  temps. 
0  Italiens  ,  disait- il  ,  un  seul 
»cri  retentit  des  Alpes  jus- 
»  qu'au  détroit  de  Scylla  .  Tindé- 
npendance  de  l'Ilalio.  D«;  quel 
"droit  les  étrangers  veulent- 
sils  vous  ravir  votre  indépen- 
»dance,  le  premier  bien  .  le  pre- 
)imier  droit  de  tous  les  peuples? 
»  De  quel  droit  emmènent-ils  vos 
»fils  pjiur  les  faire  servir  et  mou- 
»rir  loin  des  tombeaux  <îe  leurs 
»  pères  ?  E>t-ce  que  la  nature  vou9 
»a  donné  en  vain  les  boulevarls 
«des  Alpes? Non,  non  :  que  toute 
«domination  étrangère  disparaisse 
ndu  solde  l'Italie;  qu'aujourd'hui 
«votre  gloire  soit  de  n'avoir  plus 
0  de  maîtres.  Vous  avez  pour  fron- 
"tières  la  mer  et  des  montagnes 

•  inaccessibles  ;  ne  les  franchissez 
«jamais  ,  mais  repoussez  l'étrao- 
■  ger  qui  ose  les  franchir,  et-c6n- 

•  trai^nez-le  de  rentrer  {l^tB?  Ifcs 
«siennes.  8o,ooo  Italien»;  (Ïe'-N«- 
nples  accourent  à  vous,  sous'  l/*- 
«commandement  de  leur  roi  ;  ils, 

•  jurent  de  ne  pas  se  reposer  que 
nl'Itaiie  ne  soit  libre.  ïtalieus  de 
"toutes  les  contrées,  secondez 
«leurs  efforts  magnanin\es;  que 
»tous  les  citoyens,  amis  de  leur 
«patrie  ,  élèvent  une  voix  géné- 
»  retise  pour  la  liberté  ;  que  la. 
«lutte  soit  décisive,  et  nous  an- 
nrons  fondé,  pour  toujours,  le: 
«bonheur  de  notre  belle  patrie^ 
1)  Les  hommes  éclairés  de  tous  les 


a84 


MCR 


»pays,  les  peuples  dignes  d'un 
»  gouvernement  libéral,  les  princes 
«qui  se  distinguent  par  la  gran- 
wdeurde  leur  caractère,  applau- 
»  diront  à  vos  triomphes;  l'Angle- 
»  terre  pourra-t-elle  vous  rel'user 
«ses  suffrages? J'ai  la  preuve  de  la 
•  perfidie  de  vos  ennemis  ;  et  il 
«était  nécessaire  que  vous  fussiez 
»  convaincus,  par  une  récente  ex- 
«périence,  combien  les  libéralités 
«de  vos  maîtres  actuels  sont  vaines 
»  et  fausses;combien  leurs^promes- 
«ses  sont  illusoires  et  menson- 
»  gères.  Je  vous  prends  à  témoins, 
«braves  et  malheureux  Italiens 
«de  Milan,  de  Bologne,  de  Turin, 
>»de  Venise  ;  combien  ,  parmi 
«vous,  de  malheureux  guerriers 
«et  patriotes  vertueux  sont  arra- 
«chésdu  sol  paternel?  Combien 
"gémissentdans  lescachots?com- 
«bien  sont  victimes  d'exactions 
»et  d'humiliations  inouïes?  Ita- 
»  liens,  levez- vous,  marchez,  je 
niais  un  appel  à  tous  los  braves 
«pour  qu'ils  viennent  combattre 
«avec  moi;  je  fais  un  appel  à  tous 
«les  hommes  éclairés,  pourqne, 
«dans  le  silence  des  passions,  ils 
«préparent  la  constitution  elles 
«lois,  qui,  désormais,  doivent 
»  régir  l'Italie  indépendante.  » 
Ou  voit  dans  celte  proclama- 
tion que  Joachim,  quoiqu'il  eût 
encore  à  la  tête  d'une  des 
divisions  de  son  armée  un  gé- 
néral né  en  Franco,  n'exceptait 
pas  les  Français  de  ces  étrangers 
rontre  lesquels  il  appelait  l'Italie 
aux  armes  ;  il  promettait  aux  Ita- 
liens les  suffrages  de  l'Angleterre, 
et  se  taisait  sur  ceux  de  la  France. 
Il  attaqua  les  Autrichiens  à  Cé- 
sène,  passa  le  Tanaro,  maigre 
lotis  les  efforts  du  général  Bian- 


MIJR 

chi ,  cl  obligea  ce  général  à  se  re- 
tirer au-delà  de  Reggio.  La  gau- 
che de  son  armée  occupait  Flo- 
rence et  Pistoie,  dont  elle  s'était 
emparée.  Bologne  lui  ouvrit  ses 
portes,  il  y  fui  reçu,  et  salué 
comme  libérr^teur;  mars  un  agent 
anglais,  portant  avec  lui  ces  con- 
seils Â^i  cabinet  britannique  y 
plus  funestes  aux  nations  et  aux 
princes  q^ue  ne  le  furent  jadis 
ceux  des  Grecs,  Williams  Ben- 
tink,  demanda  que  le  territoire 
du  roideSardaigne,  allié  de  l'An- 
gleterre ,  fût  respecté.  Joachim  y 
consentit ,  et  cette  condescen- 
dance fut  une  des  causes  qui  pré- 
cipitèrent sa  chute.  Forcé  de  ten- 
ter le  passage  du  Pô  à  Occhio- 
liello  ,  il  échoua  dans  cette  entre- 
prise. Les  divisions  Pignalelli  et 
Lionon  ,  battues  par  le  général 
Nugent  entre  Florence  et  Pistoie, 
furent  forcées  de  se  replier  sur  la 
première  de  ces  deux  villes.  Le 
général  anglais,  qui  sans  doute 
attendait  ce  moment  pour  lever 
le  masque  de  médiation  dont  il 
s'était  couvert  ,  annonça  alors 
qu'il  avait  i-eçu  de  son  gouverne- 
ment l'ordre  de  joindre  ses  forces 
à  celles  des  généraux  autrichiens, 
et  le  roi  de  Naples  dut  songer  à 
la  retraite.  Elle  devint  diflicile, 
par  la  précipitation  avec  laquelle 
les  divisions  qui  étaient  à  Floren- 
ce abandonnèrent  celte  ville,  la 
route  de  Rome  étant  ouverte  aux 
Autrichiens.  Joachim  évacua  lio- 
logne  le  1 5  avril,  et  se  relira  par 
la  Marche  d'Ancône.  Il  défendit 
pendant  trois  jours  le  passage  du 
Ronco  ,  dont  il  fil  brûler  le  pont. 
Après  un  engagement  assez  vif, 
qui  força  les  Autrichiens  de  re- 
passer  la  rivière;  il  continua, 


MLR 

sans  être  inquiété  par  l'ennemi, 
son  mouvement  rtjlrograde.  An- 
cône  était  bloquée,  une  escadre 
anglaise  entrait  flans  la  Méditer- 
ranée :  poursuivi  par  les  troupes 
des  généraux  Bentinck,  Friinont 
etNeupperg,  loachim  tenta  un 
dernier  effort  pour  relever  sa  for- 
lune.  Atteint,  près  de  ïolenlino, 
par  le  général Bianchi ,  il  accepta 
la  bataille  qui  lui  était  présentée; 
commencée  dans  la  matinée  du 
2  mai,  elle  ne  fut  interrompue 
que  par  la  nuit,  et  se  renouvela 
nu  point  du  jour.  Joachim  s'y 
montra  avec  sa  brillante  valeur, 
et  y  déploya  des  talens  militaires 
^iuxquels  ses  ennemis  mêmes  ren- 
dirent justice  ;  mais  il  manquait 
de  grosse  artillerie,  el  la  jonction 
des  forces  du  général  Neupperg 
à  celles  du  général  Bianchi,  ache- 
vait de  rendre  le  combat  inégal  : 
dès  ce  moment  la  retraite  devint 
une  déroule  complète,  les  com- 
bats de  Caprano,  de  Ponte-Gorvo, 
de  Mignano  el  de  San-Germano 
consommèrent  la  ruinede  l'armée 
napolitaine.  La  garde  royale,  les 
2*  et  3'  divisions  étaient  eatiè- 
remeot  dissoutes,  plus  encore 
par  la  désertion  des  soldats  et  par 
l'abandon  des  officiers,  que  par 
les  combats  qu'elles  avaient  li- 
vrés. Le  i8mai,  a  huit  heures 
du  soir,  Joachim  fit  demander 
une  suspension  d'armes  aux  Au- 
trichiens :ils  refusèrent  de  traiter 
avec  lui.  Après  avoir  remis  le 
commandement  de  l'armée  au 
général  Carascosa,  il  entra  dans 
Naples  avec  son  escorte  ordinai- 
re ,  ses  officiers  de  services  ,  et 
dans  l'appareil  où  il  se  montrait 
habituellement.  Le  calme  régnait 
dans  la  Tille.  Va  projet  de  consti- 


MLR  285 

tulicn  fut  officiellement  annoncé 
et  affiché  dans  les  rues,  ressource 
tardive  ,  ruse  impuissante  ,  qui 
ne  trompa  personne.  Il  en  repar- 
tit dans  la  soirée  du  19.  Le  duc 
de  La  Romana ,  grand-écujer, 
les  généraux  Bosselti,  Giulianu, 
le  colonel  Beaufremont,  ses  deux 
neveux,  le  maréchal-de-camp  et 
le  colonel  Bonafoux,  et  son  se- 
crétaire Goucy  avaient  été  dési- 
gnés pour  le  suivre.  Tous  se  ren- 
dirent au  palais  à  l'heure  indi- 
quée, et  en  partirent  en  habits 
bourgeois;  mais  il  n'est  pas  vrai, 
comme  on  Ta  dit,  que  Joachim 
eût  coupé  ses  cheveux  et  ses 
moustaches.  Le  roi  et  son  escorte 
montèrent  à  cheval  hors  de  Na- 
ples ,  etse  rendirent  le  soir  même  . 
sur  la  plage  de  Miniscola,  où  le 
major  MalcesMki,  officier  d'or- 
donnance ,  les  attendait  avec  deux 
bateaux;  ils  s'y  embarquèrent, 
emportant  avec  eux  environ  cent 
mille  écus  en  or,  que  leur  apporta 
le  secrétaire  Coucy.  Le  projet  de 
Joachim  était  de  se  renfermer 
dans  la  place  de  Gaëte,  où  la 
reine  avait  envoyé  ses  enfans  ,  et 
de  s'y  défendre  jusqu'à  la  der- 
nière extrémité.  A  deux  heures 
du  matin,  ils  rencontrèrent  le 
grand  bateau  ponté,  qui  trans- 
porte les  passagers  de  Gaëte  à 
L^chia.  Joachim  et  les  siens  mon- 
tèrent sur  ce  bateau  ,  et  firent 
voile  pour  Gaëte;  mais  une  croi- 
sière anglaise  ,  établie  devant  ce 
port,  ne  permettait  pas  d'y  abor- 
der. Ils  revinrent  sur  leurs  pas, 
et  se  firent  débarquer  à  Ischia. 
Le  roi  désirait  vivement  avoir 
«les  nouvelles  de  sa  famille;  le 
brave  et  dévoué  i\lalceswki  se 
jeta  dans  une  barque,  et  tenta 


(1«;  pénéircr  dans  Gaëto,   tnais  il  naître  un  Ijâtiment  venant  de  Na» 
tomba  entre    les  mains  des  An-  pies  ,    et   qui    faisait  voile    pour 
glais  ;    sa    généreuse    action    ne  doubler  l'iled'Ischia.  Ce  bâtiment 
trouva   point  grâce  devant  eux  ,  portait  un  des  aides-de-cainp  du 
et  ils  usèrent  à  son  égard  de  ri-  roi,    le  général   Manhiz  ,  qui   se. 
gneurs  révoltâmes.   Quoique  les  rendait  en  France  avec  sa  i'ainil- 
habitans    d'Ischia     fussent    tous  le.  Joachira  y  fut  reçu  avec  son 
dévoués  à  Joacbim,  il  ne  pouvait  neveu,  le  colonel  Bonafoux,  son 
prolonger  son  séjour  dans  celte  secrétaire  et  un  valet-de-chain- 
île,  sans  s'exposer  à  tomberenlre  bre  :  le  général   Manhiz  n'admit 
les  mains  de  ses  ennemis.    Dans  point  à  son  bord  les  antres  coui- 
la  soirée  du  20,  le  roi,  retiré  à  la  pagnoiis  du  roi.  Un  second  bâli- 
maison    de  la  douane,   reçut  la  meut,  allant  également  en  Fran- 
visite   de  sa  nièce,    la  duchesse  ce,  passa  le  lendemain  près  de 
de  Corégliano,  qui  se  trouvait  à  l'île   et   les  recueillit  :  h    reine, 
Ischia  pour  prendre  les  bains   :  d'après  une  convention  faite  avec 
leur  entrevue  fut  ^ongue  et  ton-  le  comuiodore  Campbell,  devait 
chante.    La  duchesse  avait  frété  s'embarquer  et  mettre  à  la  voiie 
c\  TNaples  im  bâtiment  danois  qui  aussilàt  que   la  ville  de    Naples 
devait  la  transporter  en  France,  serait  remise  aux  troupes  Aulri- 
II  fut  décidé  que  le  roi  partirait  chiennes.    Joachim    débarqué    à 
avec  elle  sur  ce  bâtiment,  et  il  se  Cannes ,  le  25  mai ,  avait  envoyé 
rendit  au  milieu  de  la  nuit  dans  un  courrier  à  Napoléon  pour  l'in- 
la   maison    où    elle   était    logée,  former  de  son  arrivée  et  lui  de- 
C'est  là  qu'il  apprit,  par  le  retour  mnnfler  ses  ordres.  Il  n'en  reçut 
de  son  secrétaire,  qu'une  flotte  point  de  réponse  :  seulement  iM. 
anglaise,  co1i)mandée  par  l'ami-  Baudus,  qui  avait  été  précepteur 
rai  Fxmoulh,  était  entrée  dans  de  son   enfance,  lui   fut  envoyé 
la  rade  de  Naples,  et  qu'il  eut  par   le   duc  d'Ofrante.    Le."»   dis- 
connaissance de   la   cypitula'ion  cours    réservés    et    la    conduiti; 
de  Casa-Lauza  ,  en  vertu  de  la-  mystérieuse   de   cet  envoyé,  é- 
quelle    les  Autrichiens   devaient  taient  peu  propres  à  calmer  les 
prendre  possession  du  royaume  inquiétudes  du  roi.  Il  quitta  Can- 
de  Naples  au  nom  du  roi  Ferdi-  nés,  et  vint  s'établir  prés  deTou- 
nand   IV.   Celte  capitulation   ne  Ion  ,    à    Plaisance  ,     maison    de 
eontenai!  pas  un  seul  article  en  campagne  du  vire-amiral  Lalle- 
faveurde  Joachim  ;  pas  une  seule  mant.  Il  y  reçut  la  noiivt.lle  que 
disposition   qui   p(\t    le  rassurer  lord  Exmoulh  n'avaitfxdnt  ratifié 
sur  le  sort  de  sa  famille.  L't^xem-  la  convention  signée  par  le  com- 
ple  qu'il  avait  donné  en  1814..  ses  modore  Campbell,  et  que  la  rei- 
généraux  l'imitaient  en  181 5.   Il  ne  et  ses  enfans,  au  lieu  de  venir 
garda  le  silence,  s'avouant  sans  le  rejoindre  en  France,  seraient 
doute  secrètement  à  lui-même  transportés  à   Trieste.    Telle  fut 
qu'il  avait  perdu  le  droit  di;  se  toujours  la  politique  de  l'Angle- 
plaindre  des  ingrats.  Dans  la  ma-  terre  :  les  agens  qui  stipulent  pour 
tinée  du  ai,  le  roi  envoya  recon-  elle  sont  désavoués  par  des  agcn» 


iViin  ordre  supérieur  toutes  les 
fois* qu'elle  Irouve  quelque  avan- 
tage à  modifier  ou  à  changer  en- 
tièrement ses  projets;  une  ex- 
plication entre  le  roi  et  l'en- 
voyé du  duc  d'Otrante  fit  con- 
naître à  Joachim  que  l'empe- 
reur n'ayant  point  oublié  qu'en 
1814  il  avait  pris  les  armes  contre 
lui,  et  s'était  joint  aux  ennemis 
de  la  France,  il  jugeait  convena- 
ble de  le  laisser  éloigné  de  Paris 
et  de  l'armée.  Il  reçut  par  des 
lettres  du  duc,  Tassurance  que 
tels  étaient  en  effet  les  sentimens 
de  Napoléon  à  son  égard.  Joa- 
chim songea  alors  à  s'établir  dans 
les  environs  de  Lyon,  et  le  25 
juin  il  se  mit  en  route  pour  s'y 
rendre.  Mais,  en  changeant  de 
chevaux  à  Aubîigne ,  il  apprit 
qu'une  révolution  avait  éclaté  à 
Marseille,  où  la  garnison  s'était 
vue  obligée  de  se  retirer  dans  les 
forts  après  avoir  perdu  beaucoup 
de  soldats  massacres  par  la  po- 
pulace qui  avait  eu  connaissance 
(les  évéïiemens  de  Waterloo.  Le 
roi  revint  sur  ses  pas.  et  se  rendit 
de  nouveau  à  la  maison  du  vice- 
amiral  Lallemant.  où  sa  position 
devint  de  jour  en  jour  plus  péril- 
leuse ;  tous  les  chemins  qui  con- 
duisaient dans  l'intérieur  de  la 
France  lui  étaient  fermés.  Il  en- 
voya im  de  ses  officiers  auprès 
du  maréchal  ISrune,  dont  le  quar- 
tier-général se  trouvait  à  Antibes; 
le  maréchal  n'avait  sous  ses  or- 
dres  qu'une  poignée  de  soldats, 
et  l'armistice  conclu  entre  les 
Autrichiens  et  le  maréchal  qui 
commandait  dans  la  Maurienne, 
le  laissait  entièrement  à  décou- 
vert :  le  caractère  indécis  de  Bru- 
ne  n'était  pas  propre  à  le  tirer 


MLR 


287 


d'un  pas  si  diflicile,  et  l'officier 
revint  sans  savoir  à  quel  parti  le 
maréchal  s'arrêterait.  Le  général 
Permont  commandait  à  Marseil- 
le :  le  roi  l'avait  connu ,  il  lui  fit 
écrire,  et  lui  écrivit  lui-même 
pour  lui  demander  les  moyens  de 
traverser  la  Provence,  et  de  se 
rendre  à  Paris  où  sa  présence  é- 
lait  nécessaire  pour  sanctionner 
une  transaction  faite,  en  son 
nom,  avec  M.  de  Melternich.  Cet- 
te demande,  déjà  si  difficile  à  ac- 
corder ,  Joachim  la  rendit  pres- 
«{ue  ridicule;  il  voulait  traverser 
la  Provence  à  la  tête  d'un  déta- 
chement de  chasseurs  de  l'armée 
du  maréchal  Brune,  et  menaçait, 
en  cas  de  refus,  de  s'ouvrir  le 
passage  de  vive  force.  Le  général 
Permont  répondit  qu'il  espérait 
n'être  pas  réduit  par  le  roi  de 
Naples  à  employer  des  troupes 
pour  le  faire  renoncer  à  une  si 
téméraire  entreprise.  Il  arrivait 
journellement  auprès  de  Joachina 
des  officiers  qui  venaient  lui  de- 
mander des  secours,  et  qui,  pour 
le  flatter,  lui  annonçaient  à  l'en- 
vi  qu'il  lui  restait  dans  le  royau- 
me de  Naples  un  parti  puissant. 
Les  uns  lui  peignaient  les  Cala- 
bres  soulevées,  et  les  autres,  l'au- 
torité prête  à  échapper  de<  mains 
du  roi  Ferdinand.  Ces  récils  exal- 
taient l'imagination  de  Joachim  : 
il  pensait,  il  disait  que  sa  présen- 
ce seule  à  Naples  suffirait  pour 
changer  sa  fortune,  et  le  rétablir 
sur  le  trône.  Il  ne  parlait  que  de 
l'insurrection  des  Calabr»*s  et  ou 
désir  qu'il  avait  de  se  rendre  dan» 
ces  provinces.  Ses  serviteurs  les 
plus  raisonnables  et  les  plu'*  dé- 
TOués  eurent  beaucoup  de  peine 
à  lui  faire  coneevoir  qa'il  nu  lui 


288 


MLR 


restait  d'aulre  parli  à  preutlrc 
que  de  solliciter  de  Teuipereur 
d'Autriche  l'autorisation  de  se 
rendre  dans  ses  états,  et  de  s'y 
réunir  à  la  reine  cl  à  leurs  enfans: 
le  duc  d'Olrante  fut  chargé  de 
cette  négociation.  Le  maréchal 
Brune  avait  conclu  un  armistice 
a^ec  les  Piémontais,  et  revenait 
vers  Toulon  où  le  drapeau  trico- 
lore flottait  toujours  :  Joachim 
alla  au-devant  du  maréchal,  et 
eutaveclui  une  longue  conférence 
à  la  suite  de  laquelle  il  prévint  ses 
o(Ticiers,qu'euxetlui,  ne  devaient 
plus  compter  que  sur  leurs  seuls 
moyens  pour  sortir  de  la  terrible 
situation  où  ils  se  trouvaient. 
L'amiral  Exmouth  venait  d'arri- 
ver à  Marseille  :  le  roi  envoya 
près  de  lui  le  général  Rossclti 
pour  lui  proposer  de  le  recevoir 
à  bord  d'un  des  vaisseaux  de  la 
Grande-Bretagne,  et  de  le  con- 
duire en  Angleterre,  où  il  s'en- 
gageait à  vivre  dans  une  condi- 
tion privée,  et  partout  ailleurs 
qu'à  Londres,  pourvu  qu'il  y  fût 
libre  au  milieu  de  sa  famille. 
L'amiral  consentit  à  recevoir  le 
roi  sur  son  bord,  mais  il  ne  s'en- 
gagea à  rien  de  plus  :  c'était  dé- 
clarer qu'il  le  considérait  comme 
prisonnier.  Napoléon  fit  bientôt 
après  la  fatale  épreuve  de  cette 
singulière  hospitalité.  Le  général 
Rossetli  rencontra  à  Marseille  un 
des  valets-de-chambre  du  roi.  Cet 
homme  était  porteur  d'une  lettre 
du  ducd'Otrantc,  annonçant  que 
l'empereur  d'Autriche  recevrait 
Joachim  dans  ses  états,  sous  la 
«ouïe  condition  d'abdiquer,  et 
de  ne  porter  que  le  litre  de  comte. 
Le  roi  répondit  qu'il  acceplail  ces 
conditions  ,   et  envoya  sur  -  le- 


MUR 

champ  un  cou rrier  porter  sa  répon. 
se.  Deux  jours  après  il  reçut  des 
autorités  militaires  l'avis  qu'une 
bande  d'assassins ,  partie  de  Mar- 
seille, devait  l'enleverou  le  tuer 
dans  la  nuit  du  17  au  18  juillet  : 
il  vint  se  réfugier  à  Toulrîn ,  mais 
il  ne  put  y  rester.  Le  maréchal 
Brune  ayant  rétabli  dans  cette 
ville  l'autorité  du  roi  de  France, 
Joachim  se  retira  secrètement 
dans  une  petite  maison  sur  1.» 
route  d'Antibes,  à  une  lieue  tt 
demie  de  Toulon  ,  et  peu  éloignée 
de  la  mer,  n'emmenant  avec  lui 
que  son  seul  valet-de-chambre. 
lie  duc  délia  Rocca-Romaiia  ,  les 
généraux  Rossetti  et  Giuliani,  et 
les  deux  neveux  du  roi,  Joseph 
et  Eugène  Bonafoux,  restèrent  à 
Toulon  ,  où  ils  firent  courir  le 
bruit  que  le  prince  s'était  mis  en 
route  pour  l'intérieur  de  la  Fran- 
ce ;  mais  la  nuit  ils  se  rendaient 
tour-à-tour  auprès  du  roi,  lui 
portaient  des  nouvelles  et  pre- 
naient ses  ordres.  On  lui  proposa^ 
et  il  consentit,  de  traverser  les 
montagnes,  pour  se  rendre,  par 
des  chemins  détournés,  à  Roan- 
ne ,  où  il  avait  déjà  envoyé  une 
partie  de  sa  maison.  Tout  était 
prêt,  et  le  moment  du  départ 
fixé,  lorsqu'il  apprit  qu'un  bûti- 
mont  marchand  allait ,  sous  peu 
de  jours,  mettre  à  la  voile  pour 
le  Hûvre.  Le  duc  délia  Rocca- 
Romana  conseilla  au  roi  de  s'em- 
barquer sur  ce  bâtiment.  Joachim 
renonça  aussitôt  au  voyage  par 
terre;  toutes  les  diiïicultés  furent 
aplanies ,  mais  la  plus  grande 
restait  à  vaincre  :  le  roi  ne  pou- 
vait s'embarquer  à  Toulon.  Le 
bâtiment  sortit  du  port  à  quatre 
heures  du  matin,    le  10  août; 


I 


MLR 

donna  le  signal  convenu  (c'élait 
un  drapeau  blanc  déployé  à  la 
poupe)  ,  et  attendit  jusqu'à  une 
heure  après  midi.  Joachiiu  ne  vint 
pas.  Un  commissaire  de  police, 
parti  de  Toulon,  aborda  le  bâ- 
timent, et  lui  ordonna  de  s'éloi- 
gner. Il  fallut  obéir.  Abandonné 
par  son  valet-de-chamhre ,  qui, 
sous  prétexte  d'aller  chercher  du 
linge  ,  s'éloigna  et  ne  reparut 
plus,  le  roi  s'était  rendu  seul  au 
rivage;  il  voulut  se  faire  conduire 
au  bâtiment  qui  l'attendait,  mais 
la  barque  dans  laquelle  il  s'était 
jeté  fut  deux  fois  ramenée  par  le 
vent  et  par  la  violence  des  flots; 
il  lui  fallut  passer  la  nuit  san» 
nourriture,  et  mouillé  par  une 
grosse  pluie  qui  était  tombée 
pendant  tout  le  jour.  Dans  Id 
crainle  d'être  découvert,  il  n'o- 
sait faire  du  feu  pour  se  réchauf- 
fer et  sécher  ses  habits.  Le  vent 
se  calma,  le  jour  reparut,  mais 
le  bâtiment  n'était  plus  en  vue. 
Joachim  ne  voulut  pas  compro- 
nieUre  plus  long-temps  les  marins 
qui  s'étaient  exposés  pour  le  sau- 
ver; de  dix  pièces  d'or  qui  lui 
restaient,  il  ne  s'en  réserva  qu'une 
seule,  et  leur  ayant  donné  les 
autres,  il  gagna  les  hauteurs.  11 
heurta  à  la  porte  d'une  cabane 
isolée,  où  une  vieille  femme  le 
reçut,  lui  donna  un  peu  de  nour- 
riture grossière  :  il  laissa  dans 
cette  cabane  sa  dernière  pièce 
«l'or,  et  sortit  pour  se  rapprocher 
de  Toulon,  d'où  il  espérait,  à  la 
cîmie  du  jour,  tirer  des  rensei- 
gnemens  et  des  secours.  Le  malin 
du  même  jour,  sa  tête  availété  mi- 
se à  prix  dans  celte  ville;  il  eu  re- 
yutl'avisparson  neveu, qui  venait 
lui  apporter  un  peu  d'argent  cl 

T.  XIV. 


MLR 


28;) 


l'engager  à  se  réfugier  de  nouveiîu 
dans  la  montagne.  11  y  passa  une 
semaine  entière,  se  cachant  pen- 
dant le  jour  et  se  retirant,  quand 
la  nuit  était  venue  ,  chez  une 
femme  pauvre,  mais  pleine  d'iin- 
manité  ,  qui  ,  en  lui  donnant  ua 
asile  ,  n'ignorait  pas  les  j)érils 
auxquels  elle  s'exposait.  Enfin  , 
Joachim  se  vit  en  état  de  recon- 
naître des  soins  si  généreux  ;  quel- 
ques personnes  dévouées  lui  pro- 
curèrent une  b:irque  non  pontée, 
sur  laquelle  il  monla  pour  se  ré- 
fugier en  Corse.  Assailli  dans  la 
traversée  par  une  tempête  ,  il  im- 
plora le  secours  d'un  bâtiment 
qui  faisait  la  môme  route,  mais 
le  capitaine,  par  un  trait  de  bar- 
barie dilUcile  à  expliquer,  ma- 
nœuvra pour  couler  à  fond  cette 
barque  que  les  flots  menaçaient 
d'engloulir.  Le  conjmandant  du 
paquebot  de  Toulon  à  Bastia  fut 
plus  humain,  il  recula  son  bord 
le  roi  et  ses  compagnons;  quel- 
ques minutes  plus  tard  ,  la  frêle 
embarcation  ,  qu'il  venait  de 
quitter,  s  engloutit  dans  les  flots. 
Il  était  nuit  quand  ils  entrèrent 
dans  le  port  de  Bastia  ;  le  roi  fit 
prévenir  de  son  arrivée  un  an- 
cien sénateur;  il  en  reçut,  pour 
toute  consolation  ,  le  con.»eil  île 
s'éloigner_au  plutôt  et  de  partir 
pour  Vescovato,  où  se  trouvait 
un  de  ses  anciens  ollîciers  ,  le  gé- 
néral Franceschetli;  il  s'y  rendit 
à  cheval  et  y  fut  reçu  avec  tous 
les  égards  dus  à  son  rang  et  à  son 
infortune.  C'est  là  que,  victime 
d'une  intrigue  non  encore  quali- 
fiée, il  reçut  de  perfides  messa- 
gers, envoyés  pour  réveiller  sa 
vanité,  facile  à  séduire  encore, 
malgré  tant  d'infortunes,  et  pour 
»9 


290 


MLR 


lui  peindre  le  peuple  napolitain 
soupirant  après  son  retour.  Pour 
remonter  sur  le  trône  tle  Naples 
il  lui  suffiniit,  disait -on,  de  ?o 
montrer  à  ses  anciens  sujets.  II 
le  crut,  engagea  ses  diamans  et 
nolisa  six  l>iir<jues  ;  il  fit  enrôler 
200  soldats,  parvint  à  se  procu- 
rer des  armes  ,  et  fit  les  prépara- 
tifs nécessaires  poui'  s'embarquer 
à  Ajaccio.  C'est  là  que  M.  Ma- 
cirone  vint  de  Paris  lui  appor- 
ter les  passeports,  en  vertu  des- 
quels il  était  autorisé  à  se  ren- 
dre et  à  vivre  dans  les  états  de 
l'empereur  d'Autriche.  Joachim 
dit  qu'il  était  trop  tard,  s'embar- 
qua et  mil  ù  la  voile  dans  la  nuit 
du  28  septembre  181 5,  pour  aller 
reconquérir  son  royaume.  Barbara, 
d'origine  maltaise  ,  n>arin  obs- 
cur,  que  le  roi,  dans  l'exercice 
de  sa  puissance ,  avait  élevé  au 
grade  de  capitaine  de  frégate , 
élait  venu  le  rejoindre  ou  avait 
été  envoyé  vers  lui  ej;i  Corse  ; 
c'est  à  cet  homme  qu,;é  le  com- 
mandement de  l'escadre  fut  con- 
fié. Les  vents  Contraires  retardè- 
rent sa  marche  ;  le  5  octobre  les 
bâtimens  furent  dispersés  par  la 
tempête  ,  il  n'en  resta  qu'un  avec 
celui  que  montait  le  roi.  Le  6  au 
matin  ils  se  virent  tout  prochesde 
la  côte  des  Calabres,  et  les  si- 
gnaux qu'ils  firent  toute  la  jour- 
née ne  parvinrent  A  rallier  qu'une 
seule  des  barques  de  transport  ; 
elle  portait  quarante  soldats  qui 
avaient  servi  dans  la  garde  royale 
napolitaine.  Les  douaniers  me- 
naçaient de  faire  feu  sur  ces  bar- 
ques, il  fallut  s'éloigner,  en  aban- 
donnant l'oflicier  qui  avait  été  en- 
voyé pour  répondre  auxquestions 
de  la  douane.  La  barque  qui  avait 


MU  IV 

rallié  celle  du  roi  était  comman- 
dée par  un  officier  nommé  Cou- 
rant; il  profila  de  la  nuit  pour  s'é- 
loigner, et  ne  reparut  plus.  Alors 
Joachim  abandonna  ses  projets  , 
fit  jeter  à  la  mer  les  procla/nalions 
imprimées  dont  il  s'était  pourvu 
avantdequ-ilterlaCorse, et  projeta 
de  se  retirer  àTricste.  Mais  la  bar- 
que qu'il  montait  avait  reçu  des 
avaries,  manquait  d'eau  et  avait 
pende  vivres;  il  devt;nait  indis- 
pensable de  s'en  procurer  pour 
traverser  l'Adriatique.  Barbara 
proposa  de  se  rendre  au  Pizzo  , 
où  il  avait,  disait-il  ,  des  intelli- 
gences. On  fit  voile  pour  ce  port  ; 
la  felouque  se  trouva  en  vue  du 
port  de  Pizzo  le  8  octobre  vers 
midi.  Barbara  demanda  au  roi 
son  passeport  pour  se  rendre  à 
terre  ;  Joachim  lui  fit  observer 
que  ce  passeport  ne  pouvait  ser- 
vir qu'à  le  faire  reconnaître,  mais 
Barbara  insista  avec  tant  d'obsti- 
nation ,  que  le  roi  ,  perdant  pa- 
tience, déclara  qu'il  allait  lui- 
même  desrendre  sur  le  rivage. 
Tout  ce  qu'on  lui  dit  pour  le  dé- 
tourner de  ce  funeste  dessein  fut 
inutile ,  il  ne  resta  à  ses  plus 
fidèles  serviteurs  d'autre  parti  à 
prendre  que  de  descendre  avec 
lui,  et  de  partager  les  périls  au- 
devant  desquels  il  semblait  cou- 
rir. Avant  de  quitter  la  felouque  , 
Joachim  ordonna  à  Barbara  de 
se  tenir  prêt  à  tout  événement 
et  en  état  de  les  recevoir  ,  s'ils 
étaient  forcés  de  se  rembarquer. 
Il  descendit  sur  le  rivage  avec 
une  trentaine  d  hommes  ,  offi- 
ciers ,  soldats  et  domestiques  ; 
quelques  marins  qui  le  reconnu- 
rent, crièrent  :  Five  Joachim! 
Un  sergenf ,  qui  commandait  le 


MLR 

poste  de*  can^nniers.  Gt  prendre 
«"t  {>rév«!ealer  le*  armes  à  ses  sol- 
ilats,  et  battre  aux  champs.  Le 
roi  dit  à  ce  sergent  de  le  suivre,  et 
il  prit  la  route  de  iMonteleone  , 
inîiis  il  fut  arrêté  dans  sa  marche 
par  fe  feu  d'une  bande  de  paysans, 
qu'un  capitaine  de  gendarmerie, 
nommé  Capeliani,  avait  réuni^^. 
Forcés  de  revenir  vers  le  rivage, 
le  roi  et  sa  troupe  n'y  trouvèrent 
plus  la  felouque;  aux  premif^rs 
coups  de  fusil  Barbara  s'était  éloi- 
gné. Toute  la  populace  courut 
sur  eux  :  des  personnes  qui  en- 
touraient Joachiin,  une  fut  tuée, 
sept  furent  blessées,  les  autres,  et 
lui-même,  tombèrent  entre  les 
mains  de  leurs  ennemis,  qui  les 
conduisirent  au  fort.  Le  capitaine 
de  gendarmerie  insulta  son  pri- 
sonnier par  des  paroles  outra- 
geantes, lâcheté  digne  d'un  chef 
de  sbires;il  le  fouilla, lui  enleva  «es 
papiers  et  aa  diamaus,  seuls  dé- 
bris de  sa  fortune  et  de  ses  gran- 
deurs passées.  On  trouva  aussi , 
sur  lui,  un  exemplaire  de  la  pro- 
clamation.  qu'un  de  ses  ofîîriers 
avait  imprudemment  conservé  et 
que  Joachim  lui  avait  repris.  Le 
général  Nuuziante.  commandant 
en  Calabre,  arriva  de  Monleleone 
dans  la  nuit  du  8  au  9.  Un  Espa- 
gnol.  régisseur  des  biens  du  duc 
de  rinfantado.  vint  offrir  au  roi 
ses  services,  lui  fit  accepter  du 
linge  et  des  babils.  Le  lend<'maiii 
le  roi  fut.  par  l'ordre  du  généwil 
Ntintiante  ,  transféré  dans  une 
(  hambre  particulière,  où  il  fut 
traité  avec  égards  par  ce  général 
et  les  officiers  de  garde.  Il  y  resta 
trois  jours  :  pendant  ce  temps, 
.loachim  avait  inutilement  de- 
inandéde  passersur  un  bâtiment; 


MLR 


î>f)i 


portant  pavillon  anglais,  qui  se 
trouvait  dans  le  port.  Le  qua- 
trième jour,  le  général  Nunziante 
annonça  au  roi  qu'il  avait  reçu  , 
par  le  télégraphe,  l'ordre  de  le 
consigner,  et  ne  s'expliqua  pas 
plus  clairement,  sotis  le  prétexte 
que  cet  ordre  n'en  disait  pas  da- 
vantage. Le  roi  avait  écrit  à  Na- 
ples  aux  ambassadeurs  d'Autriche 
et  d'Angleterre.  Il  s'était  adressé 
aux  consuls  étrangers  résidant  au 
Pizzo,  mais  les  lettres  avaient 
été  toutes  envoyées  au  gouverne- 
ment napolitain.  Le  15, sous  pré- 
texte de  faire  subir  un  interroga- 
toire aux  généraux  Franceschetli 
et  Natale  ,  on  les  éloigna  du  roi. 
Ln  ordre  arriva  pendant  la  nuit 
au  général  Nunziante  ,  de  faire 
juger  Joachim  par  un  de  ces  tri- 
bunaux exceptionfiels  ,  connu» 
sou>  le  nom  de  commissions  mili- 
taires. Cet  ordre  équivalait  à  une 
conjiamnation,  et  des  mesures  fu- 
rent prises  en  conséquence.  Ou 
éloigna  au."^sitôt  du  roi  détrôné  son 
valet-de-chambre  Armand  ,  qui 
n'avait  cessé  de  lui  donner  les 
preuves  les  plus  touchantes  d'un»- 
incorruptible  fidélité.  Sur  les  trois 
heures,  le  roi  demanda  à  dîner, 
on  lui  servit  un  pigeon  désossé 
et  son  pain  était  coupé  par  petits 
morceaux  :  ces  précautions  an- 
nonçaient le  sort  qui  lui  était  ré- 
servé ;  une  heure  après  sa  sen- 
tence était  portée.  Il  demanda  , 
avant  de  mourir,  à  voir  ses  géné- 
raux,et  son  valet-de  chambre;celte 
grSce  lui  fut  refusée  :  on  pouvait  a- 
lorsètre  impunément  cruel  envers 
lui.  La  seule  faveurqu'il  obtint  fut 
celle  d'écrire  à  la  reine.  Voici  sa 
lettre :i5octobre  181 5.  «Ma  chère 
»  Caroline,  ma  dernière  heure  est 


292 


31 LR 


«somiî'e  :  encore  f|uelqiies  ins- 
))tans,  j'iiiirai  cessé  de  vivre  ;  tu 
«n'auras  plus  d'époux,  et  mes 
«enlans  n'auront  plus  de  père. 
»  Pense  à  moi ,  ne  maudis  pas  ma 
«mémoire.  Je  meurs  inuoct^nt  ; 
«ma  vie  n'a  été  souillée  par  au- 
«cune  injustice.  Adieu,  mon  A- 
»  chille  ;  adieu,  ma  Letitia  ;  adieu, 
»mon  Lucien;  adieu,  ma  Louise  : 
«montrez -vous  toujours  dignes 
»  de  moi.  Je  vous  laisse  sans  biens, 
«sans  royaume,  au  milieu  de  mes 
«nombreux  ennemis  :  restez  tou- 
»  jours  unis;  montrez-vous  supé- 
«rieurs  à  l'adversité,  et  pensez 
«plus  à  ce  que  vous  êtes  qu'à  ce 
«que  vous  élicîz.  Que  Dieu  vous 
«bénisse!  Souvenez- vous  que  la 
«plus  vive  douleur  que  j'éprouve 
«dans  mes  derniers  momens,  est 
«de  mourir  loin  de  mes  en  fans. 
«Recevez  ma  bénédiction  pater- 
«nelle,  mes  larmes  et  mes  len- 
«dres  embrassemeus.  N'oubliez 
«pas  voire  malheureux  père!» 
Il  coupa  une  mèche  de  ses  che- 
veux, la  renferma  dans  la  lettre, 
et  chargea  le  capitaine  rapporteur 
de  la  faire  parvenir  à  sa  femme. 
Au  moment  de  mourir,  il  refusa  le 
bandeau  et  la  chaise  qui  lui  furent 
offerts.  «  J'ai  trop  souvent  bra- 
«  vé  la  mort  pour  la  craindre,  dit- 
»  il  à  l'oflicier  chargé  de  taire  exé- 
N  ou  ter  sa  sentence.»  Le  portrait  de 
ia  reine  était  empreint  sur  le  ca- 
chet de  sa  montre  :  il  le  posa  sur 
son  cœur,  recommanda  ses  com- 
pagnons d'infjrtune,  et  entendit, 
sans  pâlir,  donner  l'ordre  qui  l'é- 
leiidit  sans  vie  aux  pieds  des 
liouimes  dont  il  avait  été  sept  ans 
le  généra!  et  le  souverain.  La  plu- 
part des  officiers  qui  le  condam- 
nèrent lui  devaient  leurs  épau- 


MLR 

letles,  particulièrement  le  prési- 
dent Joseph  Fassulo,  adjudant- 
général,  et  Raphaël  Scalfaro,  chef 
de  légion  de  la  Calabre  ultérieu- 
re ;  pas  un  d'eux  n'avait  un  grade 
assez  élevé  pour  être  juge  d'un 
officier-général;  et,  à  ne  considé- 
rer Joachim  que  sous  le  rapport 
a)ilitaire,  il  était  maréchal  de 
France.  Les  hommes  qui  l'ont 
jugé  placent  sans  doute  celte 
action  parmi  leurs  titres  de  gloi- 
re :  il  est  juste  de  la  consacrer 
en  plaçant  ici  leurs  noms.  Outre 
les  deux  qui  viennent  d'être  ci- 
tés, les  officiers  qui  composaient 
la  commission  tnilitaire  du  Pizzo, 
étaient  Litterio  Natali,  lieutenant- 
colonel  de  la  marine  royale  ;  Jan- 
vier Lanzetta,  lieutenant- colonel 
du  génie;  les  lieutenans  d'artil- 
lerie Mathieu  Cancelli,  François 
Devouge,  François  Paul  Martel- 
lari;  François  Frojo,  lieutenant, 
faisait  les  fonctions  de  rappor- 
teur. Jean  La  Caméra,  procureur- 
général  au  tribunal  criminel  de  la 
Calabre,  fut  adjoint  à  cette  com- 
mission. Cent  dix-sept  individus 
du  Pizzo  obtinrent  à  cette  occa- 
sion des  faveurs  de  la  cour  ;  et  les 
juges  ne  furent  pas  oubliés  dans 
la  distribution  des  grâces.  N'o- 
sant prendre  sur  nous  cette  res- 
ponsabilité, nous  renvoyons  aux 
successeurs  du  révérend  père  Es- 
cobar,  la  question  de  savoir  si  le 
nom  de  rcgicide  doit  être  donné  à 
la  tnort  de  Joachim  Murât.  Nous 
ne  leur  soumettons  pas  celle  de 
savoir  si  le  caractère  de  roi  est  in- 
violable; nous  n'en  avons  jamais 
douté. 

MURAT  (  Caroline -Marie- 
Ansonciade  Bonaparte),  sœur  de 
Napoléon,  ex-reine  de  Naples, 


MLR  MUR                 290 

f'st  née  le  26  mars  1782,  à  Aiac-  forcé»  de  rendre  hommage.  S'en- 
cio,  en  Corse.  Avec  une  figure  toiiriint  de?  lumières  et  des  con- 
lemarquablement  belle,  douée  de  seilsdes  hommes  les  plus  éclairés, 
toutes  les  grâces  qui  pouvaient  elle  cherch;iit  la  vérité,  sans  se 
en  accroître  le  charme,  Caroline  laisser  jamais  entraîner  par  l'in- 
Bonaparte  annonçait,  dès  sa  ten-  fluence  d'aucune  considération 
dre  jeunesse,  les  qualités  aima-  particulière.  Comme  tout  ce  qui 
bles  et  le  digne  et  noble  caractère  pouvait  contribuer  11  la  prospérité 
qu'elle  n'a  jimiais  démenti.  L'em-  de  la  nation  napolitaine  était  sans 
peieur  appréciait  dès- lors  ce  cesse  dans  sa  pensée,  les  arts  et  les 
qu'elle  serait  nn  jour,  et  a  ton-  sciences  devaient  naturellement 
jours  eu  pour  elle  un  attachement  trouver  en  elle  une  protectrice 
dont  il  se  plaidait  à  donner  des  éclairée  par  le  gofit  et  par  le  sen- 
témoignages jusque  dans  ses  der-  liment  exquis  du  beau;  et  c'est  à 
nitTs  momens.  En  1800  elle  é-  elle  qu'est  due  la  restauration  et 
pousa  le  général  Murât,  dont  la  Ki  nt)uvelle  disposition  du  riche 
l'ortune  s'accrut  avec  celle  de  niusée  des  antiques  à  Naples  ;  la 
Napoléon.  Il  fut  nommé  succès-  création  d'une  maison  d  éduca- 
!?ivement  général  en  chef,  gou-  tion  de  5oo  jeunes  demoiselles,  à 
verueur  de  Paris,  maréchal  de  la  perfection  de  laquelle  elle  ap- 
France  .  prince  et  grand-amiral,  portait  un  soin  particulier,  eldont 
gnind-duc  de  Berg,  enfin  roi  de  elle  faisait  une  grande  partie  delà 
Naples  en  1808.  Sa  femme,  en  dépense  sur  ses  revenus  person- 
partageant  ces  honneurs  et  ces  nels.  Il  en  était  de  même  à  l'égard 
dignités,  faisait  de  sa  fortune  des  fouilles  de  Pompeïa,  qu'el- 
l'emploi  le  plus  honorable,  et  le  a  organisées  sur  un  meilleur 
trouvait  dans  sa  brillante  posi-  système,  et  d'où  elle  a  exhunié, 
tion  des  moyens  sans  cesse  re-  pour  ainsi  dire,  un  grandnombre 
naissans  de  répandre  des  bien-  de  monnmens  précieux.  Les  di- 
faits.  Sur  le  trône  de  Naples  ,  elle  vers  établissemens  qu'elle  a  for- 
ent souvent  ,  et  toutes  les  f'-is  mes  ont  tous  été  conservés  par 
qu'elle  exerçait  la  régence,  en  le  roi  Ferdinand,  et  subsistent 
l'absence  du  roi,  l'occasion  de  encore  tels  qu'elle  les  a  institués, 
montrera  quel  degré  elle  pos^é-  Fofin ,  après  avoir  pendant  sept 
dait  les  qualités  qui  font  digne-  années  donné  aux  Napolitains 
nient  occuper  nn  rang  élevé;  et  des  preuves  de  sa  constante  stil- 
l'iin  des  moindres  mérites  de  son  licitude  pour  leur  bonheur,  elle 
aflmiui?tration  ,  était  l'ordre  ,  a  trouvé  encore  dans  la  catastro- 
J'exactitude  et  la  rapidité  de  sa  phe  qui  l'a  précipitéedu  trône, une 
marche.  Une  grande  justesse  de  non \ elle  occasion  de  montrer 
jugement,  une  rare  |)énétriilion  cette  firmelé  et  ce  caractère  sans 
et  une  volonté  bien  pronuncée  de  lesquels  la  ville  de  Naples  aurait 
laire  le  bien, donnaient;!  toulesses  été,  dans  celte  circonstance  ,  Id 
décisions  un  caractère  de  justice  théâtre  des  scènes  les  plus  san- 
auquel  ceux  mêmes  à  qui  ellesé-  glanles.  Le  pillage,  le  meurtre, 
talent  contraires,  étaient  toujours  l'incendie    meuaçaient  cette  ca- 


^o\ 


ML  il 


pitale  ,  et  devaient  avoir  lieu 
an  moment  où  elle  la  quitterait. 
Instruite  de  ces  complots,  elle 
prépara  toutes  les  mesures  capa- 
bles de  comprimer  la  populace; 
elle  fit  assembler  la  garde  natio- 
nale ,  au  zèle  et  au  courage  de 
laquelle  elle  confia  la  sûrelô  de 
la  ville;  elle  donna  tous  les  or- 
dres nécessaires  pour  empêcher 
l'exéculion  des  projets  sinistres 
qui  devaient  éclater;  et  afin  de 
ne  pas  laisser  aux  brigands  le 
temps  de  les  accomplir,  elle  ne 
voulut  s'embarquer  que  pfiu  de 
temps  avant  l'entrée  des  Autri- 
chiens dans  Naples.  Les  mesures 
qu'elle  avait  ordonnées  ne  furent 
pas  vaines,  car,  quelques  heures 
après  son  départ,  plusieui's  mil- 
liers de  prisonniers  forcèrent  les 
portes  des  prisons  pour  se  répan- 
dre dans  la  ville,  et  y  commettre 
les  ravages  qu'ils  avaient  proje- 
tés ;  mais  la  garde  nationale  les 
repoussa,  et  les  fit  rentrer  dans 
leurs  cachots,  où  ils  furent  con- 
tenus jusqu'à  l'arrivée  des  Autri- 
chiens. A  cette  époque  difficile, 
elle  déploya  le  même  caractère, 
et  donna  encore  des  preuves  d'un 
calme  et  d'un  sang-froid  imper- 
turbables. Dans  le  traité  qu'elle 
fit  avec  le  Commodore  Campell, 
alors  dans  la  rade  de  Naples,  sa 
seule  pensée  se  dirigeait  sur  les 
intérêts  des  Napolitains,  et  ce 
n'est  qu'après  les  avoir  assurés, 
qu'elle  stipula  pour  les  siens  pro- 
pres, c'est-à-dire  pour  la  conser- 
vation de  ses  propriétés  person- 
nelles et  particulières  ;  stipulation 
inexéoutée,  puisque  la  restitution 
lui  en  a  été  refusée  par  le  roi 
Ferdinand,  et  que  même  un  mo- 
bilier précieux,  considérable,  d'u- 


MCR 

ne  valeur  de  [dusieurs  millions, 
qu'elle  avait  fait  veilir  de  France, 
et  acquis  de  ses  propn'S  deniers, 
existe  encore  dans  les  palais  de 
Naples,  de  Porlici,  etc.,  malgré 
les  réclamations.  Retirée  depuis 
stpt  ans  en  Autriche,  M""  Murât 
s'est  entièrement  livrée  à  l'édu- 
cation de  ses  quatre  enfans;  aux 
principes  qu'elle  a  cherché  à  leur 
inspirer,  elle  joint  l'exemple  de 
la  résignation  la  plus  parfaite,  de 
celte  force  d'âme  qui  ne  se  laisse 
point  éblouir  dans  la  prospérité, 
et  qui  fait  supporter  la  mauvaise 
fortune  avec  courage.  L'ordre  et 
l'économie  rendent  suffisante  à 
son  existence  et  à  celle  de  ses 
enfans  sa  médiocre  fortune,  et  sa 
seule  pensée,  comme  sa  seule'oc- 
cupation,  est  de  tâcher  d'adoucir, 
par  ses  soins  et  par  les  témoi- 
gnages de  la  plus  vive  tendresse  , 
l'espèce  de  captivité  à  laquelle  ils 
sont  condamnés  depuis  leur  ten- 
dre jeunesse,  heureuse  de  trouver 
dans  leur  reconnaissance  et  leur 
amour  la  récompense  de  tous  les 
sacrifices  qu'elle  fait  pour  eux. 
Sa  conduite  pleine  de  modéra- 
tion, de  réserve  et  de  simplicité 
depuis  qu'elle  réside  en  Autricb»; 
a  été  telle,  qu'il  était  impossible 
qu'elle  n'y  inspirât  pas  le  plus  vé- 
ritable intérêt,  aussi  y  jouit-» 'le 
de  tous  les  égards  et  de  toute  la 
considération  qu'elle  mérite,  et 
le  gouvernement  autrichien,  eu 
la  privant  de  l'exercice  de  sa  li- 
berté, remplit  probablement  dr.i 
conventions  dont  chaque  jour 
semble  désormais  faire  recon- 
naître l'inutilité.  Au  surplus,  sa 
consolation  la  plus  douce  dans  sa 
solitude,  est  d'avoir  fait  tout  le 
bien  qti'une  brillante  position  lui 


permetlait  de  tiire,  et  d'avoir 
1  heureuse  assurance  que  ses 
bienfaits  n'ont  pas  toujours  été 
oubliés  par  ceux  qui  en  ont  été 
l'objet. 

ML  liET  (Jeas-Lottis),  miaisire 
du  saint  Evangile,  naquit  à  Mor- 
ges  (Suisse),  vers  ijiS,  et  fut  re- 
çu au  sortir  de  ses  éludes  ministre 
du  saint  Evangile,  à  Berne.  Après 
avoir  successivement  exercé  ses 
fonctions  dans  cette  ville  et  à  Or- 
be, Granson  et  Corsier,  il  devint 
diacre,  puis  premier  pasteur  de 
Vevei,  enfin  doyen  du  synode  de 
celte  ville  et  de  Lausanne.  Muret 
avait  cultivé  avec  succès  l'url 
de  Timprovisation  :  on  rapporte 
qu'assistant  un  jour  au  sermon 
d'un  de  ses  confrères,  qui  se  trou- 
va subitement  indisposé,  il  mon- 
ta en  chaire  et  continua  le  ser- 
mon sans  rien  changer  au  plan  ni 
au  texte  de  son  prédécesseur.  «Cet 
ecclésiastique,  dit  l'auteur  d'une 
des  notices  qui  lui  ont  été  consa- 
crées,  s'occupa  surtout  dans  sa 
longue  et  honorable  carrière, d'a- 
méliorer l'état  moral  et  politique 
de  ses  concitoyens  :  Eclairer  le 
peuple  des  campagnes  sur  ses 
vrais  intérêts,  rédiger  un  caté- 
chisme d'agriculture,  ouvrir  des 
dépôts  où  le  cultivateur  pût  se 
procurer  les  graines  des  plantes 
céréales  et  des  graminées  nouvel- 
lement découvertes,  à  la  simple 
charge  de  les  rendre  en  nature  a- 
près  la  récolte;  établir  une  sorte 
de  banque,  où  le  lal)oureur  trou- 
vât les  avances  nécessaires  à  ses 
travaux  ;  rendre  les  almanachs 
plus  utiles,  et  en  faire  des  organes 
d'instruction  populaire  ;  amener 
dans  son  canton  l'uniformité  des 
poids  et  mesures  ;  obtenir  une  ré- 


MLR 


293 


forme  de  la  jurisprudence  crimi- 
nelle :  tels  furent  ses  plans  favo- 
ris.» On  voit  par  cet  exposé  que 
Muret  s'occupa  beaucoup  d'agro- 
nomie, et  il  a  publié  sur  ce  sujet 
plusieurs  Mémoires,  dont  les  prin- 
cipaux sont  :  1°  Lettre  sur  le  per- 
feitionnementde  l^agricn  II  are,  1  ^6'i  ; 
2°  Mémoire  sur  t'étal  de  la  popula- 
tion dans  le  pays  de  f^aud,  couron- 
né en  ij66:  3"  Mémoire  sur  cette 
question:  Quel  est, flans  le  canton 
de  Berne,  le  prix  des  grains  le  plus 
arantageu-x?  17O7;  4"  i'  «^  fourni 
à  Court  de  Gébeliu  un  Glosaire  dit- 
patois  du  pays  de  Vaud.  Muret 
mourut,  vivement  regretté,  le  4 
mars  1796.  M.  le  pasteur  Bridcl 
lui  a  consacré  une  Notice  dans  le 
6*  vol.  du  Conservateur  suisse. 

MURINAIS  (le  CDEVALIE&  de), 
membre  de  l'assemblée  consti- 
tuante, où  il  fut  appelé,  dans  les 
premiers  mois  de  1790,  à  rempla- 
cer un  membre  démissionnaire, 
avait  été  nommé,  par  la  noblesse 
de  la  province  du  Daupbiné,  dé- 
puté-suppléant aux  eUts-généraux 
eu  1789.  Le  chevalier  de  Murinais 
tit  partie  de  la  n)inorité  si  im- 
puissante à  repousser  les  réforme* 
qui  ont  immortalisé  l'assemblée 
constituante.  Dépourvu  de  taleii» 
oratoires  ,  n'ayant  aucun  empire 
sur  lui-même,  sans  influence  dans 
son  propre  parti ,  il  tenta  vaine- 
ment de  jouer  un  rôle.  On  le  vit 
néanmoins,  le  7  août  1790,  atta- 
quer avec  une  certaine  énergie 
Robespierre,  qu'il  traita  même  de 
factieux  parce  que  celui-ci  récla- 
mait contre  quelques  articles  du 
code  pénal  maritime,  où  le  député 
de  la  provint e  d'Artois  voyait 
trop  de  disproportion  de  peine  en- 
tre l'oflicicr  et  le  matelot,  l^  11 


af)6  MUR 

du  mcme  mois,  i!  invita  brutale- 
ment Goupil  de  Prcfcln  à  aller 
loucher  la  rétribution  due  aux  dé- 
lateurs pour  avoir  signalé  un  écrit 
où  Frondcville  déclarait  s'honorer 
de  la  censure  de  l'assemblée.  Dans 
la  discussion  qui  s'éleva  le  26  jan- 
vier 1 791 ,  à  l'occasion  des  pi  êtres 
réfraclaires,  il  combattit  le  projet 
de  les  remplacer ,  et  proposa  de 
poursuivre  la  société  des  jacobins. 
Il  repoussa,  le  i5  mai  suivant,  la 
proposition  d'accorder  le  droit  de 
cité  aux  hommes  de  couleur,  issus 
de  pères  et  mères  libres.  Il  atta- 
qua encore  ,  le  18  juin,  Robes- 
j»ierrc,  alors,  comme  en  1790,  à 
peu  près  inconnu  et  sans  influeii- 
<;e,  parce  qu'il  avait  dénoncé  une 
émeute  survenue  à  Brie-Comte- 
Robert.  Lors  du  départ  du  roi 
pour  Varennes  ,  le  chevalier  de 
Murînais  sembla  chanceler  dans 
ses  principes  en  prêtant  serment 
de  fidélité  A  l'assemblée.  Le  retour 
du  roi  à  Paris  parut  le  replacer 
dans  son  ancienne  position,  et,  le 
14  aofit ,  il  demanda  que  le  fils 
aîné  du  monarque  conservât  le 
titre  de  dauphin.  Il  signa  les  pro- 
testations des  12  et  i5  septembre, 
et  disparut  de  la  scène  politique 
à  la  fin  de  la  session. 

MURISSAIS-  D'AUBERJON 
(N.),  officier-général,  fut  député 
par  le  département  de  la  Seine  au 
conseil  des  anciens,  en  mars  1797. 
Sa  carrière  politique  fut  d'une 
bien  courte  durée.  S'étant  rangé 
parmi  les  membres  du  parti  de 
Clicliy,  il  fut  atteint  par  la  révo- 
lution du  18  fructidor  an  5  (4  sep- 
tembre i797)«  dont  il  n'eut  con- 
naissance qu'au  moment  où  ,  se 
rendant  au  conseil  dans  la  matinée 
même  de  l'événement,  il  fut  arrê- 


MLR 

té.  L'opinion  pnblique,  qui  ven- 
ge toujours  les  proscrits  en  flé- 
trissant les  proscripteurs,  leur 
reprocha  vivement  la  peine  pro- 
noncée contre  un  vieillard  jus- 
qu'alors irréprochable  ,  ^et  qui 
ne  pouvait,  sous  aucun  rapport , 
apporter  d'obstacles  à  la  mar- 
che des  choses.  Conduit  à  Cayen- 
ne,  Murinais-d'Auberjon  y  devint 
bientôt  la  victime  de  ce  climat 
meurtrier.  Le  5  décembre  1797» 
il  mourut  au  milieu  de  ses  com- 
pagnons d'infortune,  en  leur  a- 
dressant  ces  mots  louchans  et  que 
son  grand  ûge  rendait  sublimes  : 
«  Plutôt  mourir  sans  reproches  A 
»  Sinamary  que  de  vivre  coupable 
»à  Paris.  »  Son  éloge  funèbre  fut 
prononcé  par  Tronçon  Ducou- 
dray,  qui  ne  lui  survécut  que  de 
quelques  mois. 

MURPHY  (Abthbb),  littérateur 
anglais,  naquit  en  1727,  dans  le 
comté  de  Roscommon  en  Irlande, 
d'une  famille  de  commerçans.Bien 
jeune,  lorsque  son  père  périt  acci- 
dentellement en  se  rendant  à  Phi- 
ladelphie, il  fut  placé  par  sa  mère 
au  collège  anglais  de  Saint-Omer, 
où  il  fit  de  très-bonnes  études.  De 
retour  dans  sa  famille,  il  se  livra 
aux  opérations  commerciales  que 
sa  mère  avait  continuées,  mais  ce 
futmalgrélui  et  contre  sa  vocation, 
qui  le  portait  à  la  profession  des 
lettres.  Il  se  fit  connaître  par  la 
création  d'une  feuille  hebdoma- 
daire qu'il  parvint  à  soutenir  pen- 
dant deux  ans  ,  et  qui  lui  acquit 
la  réputation  d'homme  instruit  et 
de  littérateur  agréable;  elle  lui  fit 
aussi  des  amis,  parmi  lesquels  on 
doit  citer  même  ses  concurrens , 
les  Moore  ,  les  Johnson  et  les 
Havtkesvorth.    Son   amour  pOMC 


MLR 

les  plaisirs  ,  l'espérance  trompée 
«l'une  «uccession.  le  mirent  dans 
le  plus  grand  embarras,  et.  forcé 
par  le  besoin  autant  que  par  son 
goût  inné,  il  monta  sur  le  théâtre, 
où  il  parut  avec  quelques  succès; 
mais  il  n'y  resta  qu'une  année. 
Repoussé  de  la  société  de  juris- 
prudence de  Middle -Temple  ,  à 
cause  de  la  profession  de  comé- 
dien qu'il  avait  exercée,  il  s'adres- 
sa, en  ,1707,  à  celle  de  Lincoln's- 
Inn .  et  y  fut  reçu.  D'abord  atta- 
ché à  Fox  (depuis  lord  Holland), 
il  créa  un  journal  politique  qui 
eut  de  la  vogue  tant  que  le  minis- 
tre fut  en  [>iace,  mais  qui  lomba 
lors  de  la  révolution  ministérielle. 
Il  ne  fut  pas  dans  la  suite  plus 
fidèle  aux  opinions  parlementaires 
de  Fox  ,  dont  il  cessa  même  de 
cultiver  l'amitié.  Cette  mobilité 
d'idées  et  de  principes  politiques 
porta  Murphy  à  composer  quel- 
ques comédies  en  même  temps 
qu'il  se  livrait  à  ses  études  de  ju- 
risprudence. Son  Apprenti  parut 
en  1756,  et  son  Tapbsiei-  en  1758. 
On  remarqua  dans  cette  dernière 
im  rùle  de  barbier-poète  qui,  po- 
litique ridicule  ,  réalisait  sur  la 
scène  le  portrait  satirique  qu'Ad- 
disson  avait  créé  dans  le  Specta- 
teur. Le  drame  chinois  de  l'Or- 
phelin, et  la  tragédie  de  l'Orphe- 
lin de  la  Chine,  de  Voltaire,  lui 
servirent  dans  la  composition  de 
l'Orphelin  de  la  Chine,  qu'il  fit 
jouer  en  1761.  L'année  suivante, 
il  s'essaya  au  barreau .  et  créa  en 
même  temps  pour  lord  Bute,  ainsi 
qu'il  l'avait  fait  pour  Fox ,  une 
feuille  politique  iutilulée  :  The 
Aaditor.  Lord  Bute  «t  ses  parti- 
sans soutinrent  mal  l'entreprise 
de  .Hurphy,  qui,  d'iûll<;urs,  était 


.      MIR  51  If 

un  politique  fort  inhal)ilp.  Son- 
vent  mystifié  par  ses  rivaux  WiK- 
kes  et  Churchill,  et  raillé  par  les 
deux  partis,  il  fut  obligé  de  renon- 
cer à  la  rédaction  de  son  journal. 
Il  alla  cacher  sa  honte  parmi  les 
gens  de  loi  du  comté  de  Norfolk  , 
qu'il  abandonna  en  1787  par  suite 
du  mécontentement  de  s'être  vu 
préférer  un  de  ses  jeunes  confrè- 
res pour  la  place  de  conseiller  rfu 
roi.  Se  consacrant  tout  entier  à  la 
littérature  ,  il  acheva  la  publica- 
tion de  ses  œuvres  en  7  vol.  iu-S% 
qu'il  avait  commencée  en  1781). 
Il  donna  ,  en  1792,  une  édition 
des  ouvrages  de  Johnson,  avec  un 
essai  sur  la  vie  et  le  mérite  de  cet 
écrivain.  Ennemi  de  la  révolution 
française,  Murphy  resta  fidèle  au 
parti  de  lord  Bute,  et  dédia  à  ce 
lord  sa  traduction  de  Tacite  ,  4 
vol.  in-8°,  accompagnée  d'un  es- 
sai sur  la  vie  de  l'historien  romain, 
de  notes  et  d'un  supplément  his- 
torique. Elle  fut  froidement  ac- 
cueillie. On  reprocha  au  traduc- 
teur toutes  sortes  d'infidélités,  et, 
dans  les  notes ,  des  rapproche- 
meus  politiques  avec  le  temps  où 
il  vivait,  sans  goût,  sans  esprit,  et 
tellement  passionnés,  que  les  par- 
tisans de  lord  Bute  l'accusèrent 
de  maladresse.  Murpb}'^  ne  trouva 
pas  sans  doute  sufTisans  les  gages 
qu'il  avait  donnés  aux  doctrines 
du  ministère.  Il  publia,  en  1798, 
son  Arminius  ,  dans  l'intention 
évidente  de  démontrer  «  la  justice 
»et  la  nécessité  de  la  guerre  con- 
«tre  la  France.  »  Le  poète  mini>- 
tériel  eut  raison  :  il  obtint  un  em- 
ploi très-lucratif  à  la  banque,  et 
plus  tard  une  pension  de  200  li- 
vres sterling.  C'était  beaucoup 
san5  doute,  beaucoup  trop  inêititt 


2-,8 


MLR 


pour  ses  services  constamment 
subalternes;  mais  il  se  croyait  en 
droitd'ohtcnir  davantage,  des  pla- 
ces, desdignilés.  lien  conçut  une 
mélancolie  profonde,  qui  altéra 
sensiblement  son  moral,  et  il 
mourut  dans  l'état  le  plus  déplo- 
rable ,  le  18  juin  i8o5.  Cet  écri- 
vain, que  ses  principes  exagérés 
en  politique  ne  privaient  heureu- 
sement pas  de  qualités  personnel- 
les très-estimables,  est  fort  judi- 
cieusement caractérisé  dans  une 
ÎSotice,  où  on  le  traite  presque 
toujours  avec  une  grande  bien- 
veillance, notice  dont  nous  allons 
extraire  le  passage  suivant  :  «  Dans 
ses  productions  dramatiques  il  a- 
vait  mis  sotjvent  à  contribution  les 
écrivains  français;  ce  qui  ne  l'a 
pas  empêché,  ou  plutôt  ce  qui  a 
été  pour  lui  une  raison  de  les  dé- 
nigrer. Il  se  permet  surtout  une 
ciili(|uc  injuste  contre  Voltaire. 
C*est  néanmoins  dans  VAlzire  de 
ce  dernier,  qu'il  parait  avoir  puisé 
ridée  de  sa  tragédie  d'^/zM/na/  et 
sa  Zénobie  doit  beaucoup  au  Rha- 
dmniste  de  Crébillon.  En  revan- 
<he,  il  n'a  pris,  dit-il,  pour  sa 
Fille  grecque,  que  trois  vers  de  la 
Zelmire  de  Dubelloy.  Sa  conié- 
tlie,  nWhvAî^Q,  Knovo  jour  ownmind, 
une  de  ses  meilleures  pièces,  offre 
des  traces  d'imitation  de  Vlrréso- 
tii  de  Destouches.  Dans  celle  qui 
a  pour  titre,  le  Moyen  de  le  fixer, 
(ouvrage  que  M"""  Kiccoboni  a  tra- 
duit), et  dans  laquelle  il  apprend 
aux  femmes  à  rendre  leur  inté- 
rieur agréable,  si  elles  veulent  ré- 
gner sur  le  cœur  de  leurs  maris, 
\lurphy  a  encore  fait  un  emprunt 
considérable  à  Lachaussée.  »  iVlur- 
phy  a  traduit  en  vers  latins,  l'Elé- 
gie de  Gray,  sur  un  Cimetière  de 


WLR 

Campagne.  Il  écrivait  sa  langue 
maternelle  avec  pureté  et  même 
élégance.  Comme  auteur  tragi- 
que, son  style  est  sans  énergie  ; 
comme  poète  comique,  cet  auteur 
a  un  mérite  plus  réel  sous  le  dou- 
ble rapport  du  dialogue  et  de  l'ac- 
tion dramatique,  et  l'on  cite  com- 
me étant  restés  au  courant  d\\ 
répertoire  :  1°  V École  des  Tuteurs; 
Tout  le  monde  a  tort,  imitée  du 
Cocu  imaginaire  de  Molière;  2°  le 
Choix;  3"  C Ennemi  de  lui-même; 
4°  le  Bourgeois  ;  5°  la  Vieille  fille  ; 
6°  l'Ile  déserte,  d'après  la  piètre  du 
même  nom  de  Métastase;  7°  le 
Mariage  clandestin,  qui  a  fourni  à 
son  tour,  le  sujet  del  Matrimonio 
Secrcto ,  musique  de  Cimarosa. 
Outre  les  diflërens  ouvrages  dont 
il  a  déjà  été  question,  on  lui  doit 
un  Essai  sur  Fielding,  dans  l'édi- 
tion de  1762;  une  traduction  du 
Bélisaire  de  Marmontel,i79i;  una 
autre  de  Salluste  et  des  Catilinai- 
res  de  Cicéron;  une  imitation  de 
la  treizième  satire  de  Juvénal;  un 
poëme,  des  Abeilles,  en  quatre 
chants,  avec  des  notes.  Dans  cet 
ouvrage,  Murphy  a  imité  le  qua- 
torzième livre  du  Prœdium  rusti- 
cum,  de  Vanière;  une  vie  de  Gar- 
rick,  1801,  2  vol.  in-8",  traduit  en 
français,  1  vol.  in-8".  Un  de  ses 
amis,  Jessefoot,  a  publié  en  1812, 
in-4%  une  Vie  de  Murphy ,  où 
l'on  trouve  des  détails  assez  pi- 
quans,  des  fragmens  de  plusieurs 
comédies  et  les  matériaux  de  la 
vie  de  Samuel  Foote,  célèbre  ac- 
teur, avec  lequel  Murphy  avait 
joué  la  comédie. 

MURPHY  (Jacques  Cavanach), 
architecte  anglais,  plus  connu 
comme  voyageur  que  par  les  mo- 
numens  qu'il  a  exécutés»,  naqMit 


MLR 

en  Irlande,  et  s'occupa  toute  sa 
\ie  de  la  recheiclie  des  nionu- 
niensde  l'art.  Il  partit  de  Dublin, 
en  1788,  visita  le  Portugal  et 
l'Espagne  ,  et  ,  à  son  retour  en 
Irlande,  publia  le  résultat  de  ses 
excursions  dans  la  péninsule.  On 
lui  doit  :  i\  en  anglais,  Voyage 
en  Portugal,  dans  les  provinces 
d'entre  Douro  et  Minho,  Beira, 
Estramadoure  et  Alentejo ,  dans 
les  années  i;8g  et  1790,  contenant 
des  observations  sur  les  mœurs,  les 
usages,  le  commerce,  les  édifices 
publics,  les  arts,  les  antiquités  de 
ce  royaume,  Londres,  1793,  1 
vol.  in-4%  fig. ,  traduit  en  fran- 
çais par  M.  Lallemant,  1  vol.  in- 
4",  Paris,  1797,  avec  figure»;  il 
a  aussi  été  tiré  in-8°,  2  volumes. 
On  reproche  à  cette  lraduclk)n 
différentes  inexactitudes.  L'ou- 
vrage de  Murphy  fait  connaître 
l'état  de  l'archilecture  et  des  an- 
tiquités dans  cette  contrée  que 
l'on  jugeait  ne  renfermer  aucun 
monument  digne  de  fixer  Tatlen- 
tion  des  savan?,  des  artistes  ou 
des  philosophes.  2°  Plan  ,  éléva- 
tion, coupes  et  vues  de  l'église  de 
Batalha,  dans  la  province  d'Estra- 
madure  en  Portugal ,  traduction 
de  F.  L.  de  Souza  ,  Londres  , 
1796,  1  vol.  in-fol.  ,  avec  27 
planches;  5°  enfin.  Antiquités  des 
Arabes  en  Espagne ,  Londres  , 
1816,  1  vol.  grand  in-fol.  avec 
reiit  gravures  exécutées  par  les 
artistes  anglais  les  plus  distin- 
gués, sur  les  dessins  de  l'auteur 
qui  mourut,  en  1816,  pendant  la 
publication  de  ce  magnifique  ou- 
vrage. Mnrphy  avait  des  con- 
naissances dans  l'histoire  des 
monumens;  il  les  décrit  avec 
soin  ,  el  se;  ouvrajjcsi,  bien  lé- 


ML'R  299 

digés,  se  font  lire  avec  intérêi» 
MLRR  (Cdristophe-Tuéophile 
de),  écrivain  célèbre  de  l'Alle- 
uiagne,  membre  des  académies 
de  Goltingue,  Cassel,  Berlin, 
Munich,  Strasbourg,  etc.,  cor- 
respondant de  l'institut  de  Fran- 
ce, naquit,  en  1705,  à  Nurem- 
berg. Il  termina  ses  études  à  l'ii- 
niversilé  d'Alldorf,  et  visita  1rs 
bibliothèques  des  principales  vil- 
les de  l'Europe.  Le  soin  de  sa 
fortune  le  détermina  à  accepter, 
en  1770,  la  place  de  directeur  des 
douanes  de  sa  ville  natale,  uù  il 
se  fixa.  Un  amour  malheureux, 
dans  un  voyage  en  Angleterre, 
le  détermina  à  se  vuuer  au  céli- 
bat. Toute  sa  vie  est  dans  ses  ou- 
vrages, dont  cinq  sont  en  fran- 
çais, trente  en  latin  et  le  reste 
dans  sa  langue  maternelle.  Il 
mourut,  en  181 1,  presque  octo- 
génaire. Le  nombre  de  ses  ou- 
vrages est  considérable,  nous  nu 
citerons  que  les  principaux.  Ce 
sont  :  1°  Essai  sur  l'histoire  des 
poètes  tragiques  grecs ,  Nurem- 
berg, 1760,  in-8";  -i'  Bibliothè- 
que de  peinture,  de  sculpture  et  de 
graimre,  Francfort,  1770,  a  vol. 
in-8°;  5°  Bibliothèque  glyptogi'a- 
phique,  Dresde,  1804»  in-8°,  de 
296  pages;  4"  Description  du  ca- 
binet de  M.  Paul  de  Praun,  Nu- 
remberg, 1797,  in-8°,  avec  sept 
planches  ;  5"  Description  des  or- 
nemens  impériaux,  etc.,  gardés  1^ 
Nuremberg  et  à  Aix-la-Chapelle, 
Nuremberg,  1790,  in-8°,  aveu 
quinze  planches;  6°  Commenta- 
tio  de  re  diptomaticâ  Friderici  II, 
Altdorf,  1756,  in-4»:  ^°  CataU>- 
gus  omnium  opérant  Mss.  et  sche- 
malum  Gforgii  CItr.  Eimmart  , 
Nuremberg,  1779»  i«i-4":  collée- 


5oo  MUR 

tion  qu'il  donna,  en  1786,  à  la 
bibliothèque  des  jcsnites  de  Po- 
locz,  en  Russie  •,^''Memorabilia  bi- 
bliothecarum  publicaramN orimber- 
gi'Ttsium  et  universitatis  A  Itdorfinœ, 
Aildorl",  in-8",  tom.  1,  1786,  avec 
buil  planches;  tom.  II,  1788,  qua- 
torze planches;  lom.  III,  1791, 
deux  planches;  9°  Notitia  libri 
rarisslrni  geograpliiœ  Fr.  Bertiii- 
ghicrif  '79O1  in-8",  de  2^1  pages  ; 
10°  Notitia  fluor um  codicum  masi- 
eorum  Guidonis  Aretini,  etc.  , 
j8oi,  in-4%  deux  planches  ;  11" 
Notitia  trium  codicum  aulogra- 
pboruni  Job.  Regiomontani,  1801 , 
Ju-4°«  I  planche;  1  a°  Adnotalio- 
nes  ad  bibliotbecas  Uallerianax,  in- 
/|°  ;  1 5"  Coiispectus  bibliothecœ  glot- 
licœ  aviver  sa  Us  propedieyn  edemlce, 
opus  (/ainquaginia  annorum,  INu- 
r»'uiberg,  180/4,  in-8";  il^"  Essai 
d'aiie  bistoire  de  la  langue  anglai- 
se et  de  ses  dialectes,  Léipsick, 
j8o5,  in-S";  15°  Notices  sur  divers 
sacans  anglais  et  italiens  vivans, 
1770,  in  8°;  16°  Histoire  diplo- 
matique de  Martin  Debaim,  1778, 
in-8";  17°  Notice  sur  la  vie  et  les 
écrits  de  Giorduno  Bruno,  180  5, 
in-8",  fig.  ;  18°  Sur  le  meurtre 
d'Albert,  duc  de  Friedland,  Hal- 
Je,  1806,  in-8%  2  pi.  ;  19°  Cala- 
logus  cbirograpboriim  et  epistola- 
rum  autograpbarum  personarum 
celebrium  ,  Nurennberg  ,  in -8°, 
1797  ,  1802  ;  20"  CItirograpbia 
personarum  celebrium  è  colleclione 
C.  T.  de  Murr,  rnissus  primus, 
Weimar,  1804?  in-fol.  ,  12  pi., 
contenant  le  fac  simile  de  si<5na- 
tures  et  d'éciitures  autographes 
de  28  personnages  célèbres,  Pé- 
trarque, le  Tasse,  Albert  Durer, 
Cardan,  Luther,  Calvin,  Si.  Igna- 
ce de  Loyola,  la  reine  Christine, 


i^lUR 

Juste-Lipse,  Sanmaise,  Leibnilz, 
Voltaire,  Rousseau,  etc.;  2  1"  Ben. 
de  Spinosa  adnotationes  ad  tracta- 
tiim  tbeologico-politicum,  ex  auto- 
graplio,  cum.  imagine  et  chirogra- 
pho  philosopbi,  La  Haye/,  1802, 
in-4°;  22"  Antiquités  d'Hercula- 
7m/?? ,  Augsbourg,  1777-1782,  6 
part,  in-i'ol.  ,  contenant  jusqu'à 
io5  pi.,  septiènae  partie,  Nu- 
remberg, 1793,  in-fol.,  98  pi.  ; 
25°  Specimina  antiquissimœ  scrip- 
turœ  grœcœ  tenuioris  seu  cursivce, 
unie  Vespasiani  tempora,  ISurcin- 
berg,  1792,  in-fol.,  fig.;  J79">i 
in-fol.,  fig.;  'XlC  De  papyris  seu 
itoluminibus  grœcis  Herculanensi- 
bus ,  Strasbourg,  ï8o4,  in-S"  de 
60  pages  et  2  planches  ;  25°  Ex- 
trait du  quatrième  livre  de  Pbilo- 
dème ,  sur  la  musique,  lierlin  , 
1806,  111-4";  26°  Mémoires  pour 
l'histoire  des  premiers  essais  de 
gravureen  taille  douce,  Augsbourg, 
i8o4i  'H-4"?  5  planches;  27°  Al 
cotba  fi  Meksowra ,  on  Discours 
pronon<é  par  le  niuphli  au  sul- 
tan acliiel  Mustapha  III,  l'an 
1179  ('7'^'5)'  Nuremberg,  i7t)7, 
in-4'',  avec  i  planche  de  texte  a- 
rabe;  1%° Inscriptio  arabica  litteris 
eu  fiels  aura  textili  picla  in  infimâ 
fimbriâ  paltii  imperialis,  Nurem- 
berg, 1790,  in-8°,  avec  2  pi.  et 
16  grav.  en  bois;  29"  Mémoires 
(lieitrœge)  pour  la  littérature  ara- 
be,  Erlang,  i8o3,  in-4%  5  pi.  ; 
5o"  Astrolabium  cufico-arahicam 
quod  adservatur  in  bibliotbecâ  pu- 
blicâ  Norimbergensi ,  cum  biblio- 
tbecâ scriptorum  de  astrolabiis , 
Léipsick,  1806,  iu-4'''»  '.'-planches; 
5i°  Haoli  Kjoeh  Tsbwen,  roman 
chinois,  traduit  sur  la  version  an- 
glaise, Léipsick,  1766,  in-8°,  et 
en  français,  par  Eidous,  d'après 


MLR 

la  même  version;  Paris,  1766; 
7)1°  Litterœ  patentes  imper atoris 
Sinarum  Kong-hi;  Notitiœ  S.  S. 
Bibiiorum  Judœoram  in  imper io 
Sinensi;  55°  Essai  d'une  histoire 
des  Juifs  à  la  Chine,  Halle,  1807, 
in-8°;  54°  Voyage  de  quelques  mis- 
sionnaires jésuites  en  Amérique , 
Nuremberg.  1^85,  a  part,  in-8", 
avec  2  planches  et  une  carte  de  la 
province  de  Majna«;  55"  Voyage 
du  P.  fVolfi^ang  Baicr  au  Pérou, 
1776,  in-8%  Halle,  in-8";  56° 
Description  des  principales  curio- 
sités de  Nuremberg  et  d' Alldorf, 
1778,  iu-S°,  avec  fig.  et  grav.  ea 
bois  ;  57°  Curiosités  de  la  v'ile  de 
Bamberg,  1799,  in-8°;  58°  C^o//«?r- 
tio  ampUssima  scriptorum  de  Kli- 
nodiis  S.  R.  Imp.  Germanici ,  de 
coronatione  Imp.,  etc.,  1795,  in- 
8°;  59°  Description  des  objets  ser- 
vant au  couronnement  des  empe- 
reurs, et  d'autres  reliques  conser- 
vées à  Aix  la-Chapelle  ,  1801, 
in-4°;  2*  édit.,  i8o5,  in-4°,  4  p'-î 
^it'Sur  la  fabuleuse  prétendue  sain- 
te ampoule  de  Reims,  1801,  in-8'; 
4 1  °  Sur  la  vraie  origine  des  rose- 
croix  et  des  francs-maçons,  et  sur 
l'histoire  des  Templiers  ,  Sulz- 
bach,  i8o5,  in-8°;  42°  Notice  lit- 
téraire sur  l'histoire  des  prétendus 
faiseurs  d'or,  Léipsick,  i8o5,in- 
8°;  45°  l'Homme  content  [der  Zu- 
friedné)  ,  feuille  hebdomadaire, 
Nuremberg,  1765-1764»  4  ^'ol- 
Jn-8°,  avec  musique  et  portraits; 
44°  Journal  pour  l' histoire  des  arts 
et  de  la  littérature',  1775-1789,  17 
vol.  in-8°,  fl;;.  ;  l\5°  Nouveau  jour- 
nal pour  l'histoire  de  la  littérature 
et  des  arts,  Léipsick,  1798-1800, 
•i  vol.  iiï-8°:  il  a  été  Tédileurd'un 
Irèi-grand  nombre  d'ouvrages. 
WIJR11AY(  Adolphe  ),  incdecin 


ÎMLR  5oi 

du  roi  de  Suède,  j>r(»fe«?eur  d'aua- 
tomie,niemijre  de  l'académie  des 
sciences  deSlutkholm, de  la  socié- 
té royale  d'L'psal,  des  académies 
de  Berlin,  Flurenre.  etc.,nuquità 
Stockholm  en  1700,  d'une  famille 
honorable  ,dont  le  chef  était  pas- 
teur de  l'église  allemande  de  celte 
capitale;  élevé  avec  soin,  et  ses 
études  terminées  à  l'université 
d'Lpsal ,  il  fixa  l'attention  des  sa- 
vaus. entre  autres  du  célèbreHal- 
ler,  par  la  thèse  qu'il  soutint  pour 
obtenir  le  doctorat.  Afin  de  se  per- 
fectionner dans  cette  partie  de  la 
science,  il  voyagea.  Pendant  son 
séjour  à  Florence,  il  visita  sou- 
vent le  musée,  et  ii  étudia  tout 
ce  qui  avait  rapport  à  l'anatomie. 
Le  grand -duc  lui  fit  un  accueil 
trts-tlistingué.  .Murray  retourna  , 
eu  1774»  dans  sa  patrie,  et  pro- 
fessa avec  une  grande  distinction 
l'anatomie  a  l'université  même 
où  il  avait  pris  ses  grades.  Depui,-i 
cette  époque  jusqu'à  sa  mort,  ar- 
rivée le  5  mai  i8o5.  il  enrichit 
les  recueils  académiques  de  sa- 
vons mémoires ,  et  donna  aux  élè- 
ves pour  sujet  des  thèses  qu'ils 
devaient  soutenir  des  sujets  pres- 
que toujours  d'un  haut  intérêt. 
Devenu  médecin  du  roi  de  Suéde 
et  membre  d'un  grand  nombre 
d'académies  nationales  et  étran- 
gères, il  mérita, par  ses  talens  et 
ses  qualités  personnelles,  l'estime 
générale. 

IMURRAY(  Jeau-André),  frère 
puîné  du  précédent,  professeur 
de  médecine  et  directeur  du  jar- 
din de  botanique  de  Gôttingue . 
naquit  à  Stockholm,  le  27  janvier 
1740.  Connu  par  ses  recherches 
hisioriques  et  philologiques ,  il  fut 
ù  la  fois  pruticieo    distingué  l't 


^'uvant  déinonstraleur,  ot  ac- 
«init  une  r(';piitulion  iTiérifée  dans 
l'exercice  de  ces  deux  fonctions. 
11  mourut  le  2:î  >nai  1791.  Wen- 
sel ,  dan?  sa  bibliographie  ,  adon- 
né la  liste  de  tous  les  ouvrages  de 
Murray.  Nous  citerons  les  prin- 
cipaux. Ce  sont  :  1°  Eimmerntio 
librorum  prcecipuorum  viedici  ar- 
gumentati^  in-S",  i^jS,  Léipsick. 
Une  seconde  édition  de  cet  ou- 
vrage a  été  publiée  par  F.  G.  de 
Halërn,  Aurirh,  in -8",  >792. 
a"  Enalleuiand,  Bibliothèque  de 
médecine ,  (iocttiugiie,  lu  cahiers 
formant  3  vol.  in-8°,  1 774-» 781  ; 
'ù"  A  pparatusmedicaminain,  177O- 
1792,  6  vol.  in-S",  nouvelle  édi- 
tion, 1795  :  cet  ouvrage  a  été 
deux  fois  traduit  en  allemand  ; 
4"  avec  son  frère  Jean-Puilippe 
Murray,  professeur  de  médecine, 
qui  mourut  en  1776,  traduction 
en  allemand  da  ^  oyage  de  Pierre 
Kalm. 

MLIRRAY  (  GriLT.\T'ME-VAN  ) , 
minisire  des  États-  Unis  près  de 
la  république  bâta ve  ,n;!quil  dans 
le  Maryl.md  vers  17G1.ll  termi- 
na ses  études  à  Londres  ,  au  col- 
lège du  Temple  ,  où  sa  famille  l'a- 
vait envoyé  après  la  paix  de  178."), 
et  où  il  passa  trois  années,  pen- 
dant lesquelles  il  fil  de  grands 
progrès  dans  les  sciences  qui  ont 
pour  objet  le  droit  public.  Vers 
cette  époque,  le  docteur  Priée, 
Turgot  et  Tabbc  Mably  avaient 
public  des  observations  impor- 
tantes sur  la  constitution  de  la 
nouvelle  république.  Klles devin- 
rent l'objet  spécial  des  médita- 
tions de  Murray,  qui  les  mit 
au  jour  dans  une  brochure  qui 
fixa  l'attention.  Il  se  rendit  en 
Hollande  en  1784,  cl  y  publia  le 


MLR 

fruit  d'une  foule  de  nouvelles  re- 
cherches qui  obtinrent  le  mC'me 
succès.  Rappelé  dans  sa  patrie  par 
des  affaires  de  famille,  il  se  dis- 
posait à  suivre  la  carrière  du  b;>r- 
reau  ;  mais  ses  concitoyens  l'ap- 
pelèrent à  la  législature.  Membre 
de  la  chambre  des  représentans 
des  États-Unis  ,  il  prit  avec 
distinction  une  part  trè^-aclive 
aux  débats,  et  fixa  l'attention  de 
Washington  ,  qui  le  nomma  mi- 
!»i«tre  près  de  la  république  ba- 
tave.  Cette  mission  était  des 
plus  délicates  à  cette  époque. 
Il  fallait  ménager  la  Hollande 
pour  que  son  influence  fût  fa- 
vorable à  son  pays,  et  éviter  que 
la  France  ne  prît  ombrage  de  ces 
dispositions  favorables,  et  ne  vou- 
lût roinpre  avec  le  gouvernement 
américain.  Il  réussit  pleinement 
dans  ce  doubleobjet,  et  il  eut  en 
outre  le  bonheur  de  négocier  le 
traité  qui  fut  signé  ,  le  5o  septem- 
bre 1800,  entre  le  premier  con- 
sul Bftnaparte  et  le  gouvernement 
des  États-Unis,  traité  qui  fut  si 
avantageux  à  cette  dernière  pui^- 
sance.  Là  se  termine  la  carrière 
diplomatique  de  Murray,  qui ,  sa- 
tisfait d'avoir  payé  un  tribut  d'at- 
tachement à  sa  patrie,  voulut  ren- 
trer dans  la  vie  privée.  C'est  en 
;8or»  qu'il  mourut,  à  peine  âgé  de 
i\'?.  ans.  Tous  ses  concitoyens  dé- 
plorèrent cette  mort  prématurée. 
MURRAY  (  SIR  John  )  ,  lieute- 
nant-général anglais,  membre  de 
la  chambre  des  communes,  fit  a- 
vec  quelque  succèîla  guerre  d'Es- 
pagne en  i8i3;  mais  mal  servi 
par  les  éloges  des  journaux  de  son 
pays,  sir  John  Murray  vit  bientôt 
s'éidipsenme  gloire  qu'il  ne  devait 
qu'aux  gazettes.  An  rapport  de  ces 


MLR 

feuilles,  il  avait  battu  le  maré- 
chal Suchct,  lui  avait  tué  ou  pris 
()Ooo  homme? ,  et  avait  forcé  les 
Français  à  fuir  de  la  ville  d'Alcoy 
tu  il?  étaient  établis  ,  jusqu'à  une 
distance  de  plus  de  sept  milles. 
Ce  qui  est  un  peu  plus  certain  , 
c'est  que  le  5i  mai  il  investit  Tar- 
ragone  ;  s'empara  de  suite  du  fort 
Saint-Philippe  sur  le  col  de  Bala- 
guer,  et  fit  avancer  des  batteries 
contre  la  place  assiégée.  Mais  in- 
formé que  le  maréchal  Suchet 
marchait  au  secours  de  la  ville, 
il  se  rembarqua  précipitamment , 
laissant  sa  grosse  artillerie  et  ses 
bagages.  Celte  affaire  fut  soumise 
à  une  cour  martiale,  qui  acquitta 
le  général  Murray  sur  plusieurs 
points  ;  «  mais  le  condamna  à  re- 
»  cevoir  une  admonition  pour  a- 
»voir,  sans  nécessité  absolue, 
»  laissé  en  arrière  sa  grosse  arlil- 
»  lerie  et  ses  bagages.  «  Le  prince- 
régent  (  aujourd'hui  Georges  IV) 
confirma  cette  sentence. 

ML'RRAY  (Georges),  général 
anglais  ,  se  distinguadans  laguer- 
re  d'Espagne,  à  l'époque  où  la 
puissance  de  Napoléon  louchait 
u  son  terme.  Cet  officier-général 
se  fit  plus  particulièrement  remar- 
quer à  la  bataille  de  Vitloria.  En 
1 8 i4»ltiS souverains  alliés  lenom- 
mèrent  commandant  supérieur 
des  troupes  de  la  Belgique.  Depuis 
il  a  été  envoyéau  Canada  en  qua- 
lité d'inspecteur  des  troupes  bri- 
tanniques. 

MURRAlY  ((  Jonx).  professeur 
de  médecine,  naquit  à  Edim- 
bourg, où  il  mourut  le  22  juillet 
1820.  Il  s'était  fîMt  remarquer 
comme  professeur  de  physique  , 
de  chimie  et  de  pharmacie,  et  a 
laissé  en  anglais  les  ouvrage»  sui- 


MUR  ô-.î 

vans:  \'  Elémens  de  chimie  ^  2  vol. 
in-S",  1801,  réimprimés  eu  1810; 
2°  Élémens  de  matière  médicale  et 
de  pharmacie ,  1801,  2  vol.  in-S"; 
5°  Système  de  chimie,  1806,  4  ^o'- 
in-i)";  4°  Supplément  au  système 
de  chimie  y  in-S",  1809  ;  5'  Systè- 
me de  matière  médicale  et  de  phar- 
macie, 1810,  2  vol.  in-b". 

MLRVILLE  (Andbé  P.  N. }. 
homme  de  lettres,  né  à  Paris,  en 
1754,  débuta  dans  la  carrière  lit- 
téraire sous  le  nom  A  André  que 
portait  sa  famille,  mais  qui  ne  lui 
paiTjt  poii»t  assez  poétique.  Il  a- 
dopta  celui  de  Murville,  en  an- 
nonçant avec  quelque  emphase 
qu'il  le  rendrait  bientôt  fameux. 
Dès  l'âge  de  18  ans,  il  concourut 
pour  tous  les  prix  de  l'académie 
française;  ?es  efforts  furent  long- 
temps aussi  vains  qu'ignorés  du 
public.  Mais  enfin,  en  1776,  l'a- 
cadémie partagea  un  de  ses  prix 
entre  MM.  Murville  et  Gruel.  Le 
dernier  mourut  peu  de  temps  a- 
près.  Dans  l'ivresse  de  son  demi- 
triomphe,  Murville  ne  cessait  de 
répéter  :  Je  serai  de  l'académie  à 
00  ans  ou  je  me  brûlerai  la  cervelle. 
Taisez-vous  donc,  cerveau  brûlé, 
lui  répondit  une  amie,  la  célèbre 
M"'Arnould,  dont  il -devint  de- 
puis le  gendre.  Eu  1779,  l'acadé- 
mie avait  proposé,  pour  son  prix 
de  poésie,  l'éloge  de  Voltaire. 
Murville  concourut  comme  d« 
coutume,  mais  n'obtint  que  l'ac- 
cessit. Un  dithyrambe  avait  éié 
jugé  digne  de  la  couroime.  La 
Harpe  en  élail  l'auteur,  et,  en  sa 
qualité  d'académicien,  il  n'avait 
pa*  le  droit  de  concourir;  aussi 
fit-il  déclarer  par  M.  d'Argental 
qui  avait  favorisé  cette  infraction 
au  règktment ,  que  l'auteur  du 


3o- 


MUR 


dithyrambe,  désirant  garder  l'a- 
nonyme, cédait  la  médaille  au 
poète  qui  avait  eu  l'accessit,  et 
lUurville  en  devint  ainsi  posses- 
seur. Il  donna,  en  1783,  au  Théâ- 
tie-Français,  Melcour  et  Verseuil, 
cotnédie  en  un  acte  et  en  vers, 
qui  obtint  quelque  succès.  Une 
aventure  de  M"' Arnould,  sa  bel- 
le-mère ,  lui  en  avait  fourni  le 
sujet.  11  remporta,  la  même  an- 
née ,  le  prix  d'encouragement 
fondé  à  l'académie-française  par 
M.  de  Valbelle.  En  1790,  elle 
mentionna  encore  honorablement 
deux  pièces  de  vers  de  Murville  : 
le  Paysage  du  Poussin,  ou  Mes 
illusions;  et  Dioclétien  à  Salone,  ou 
Dialogue  entre  Dioclétien  et  Maxi- 
me. Mais,  indigné  de  n'avoir  point 
remporté  le  prix,  Murville  se  le- 
va au  milieu  d'une  séance  publi- 
que et  voulut  haranguer  l'assem- 
blée :  on  refusa  de  l'écouter,  et, 
pour  se  venger,  il  publia  ses  deux 
opuscules  avec  une  préface,  dans 
laquelle  il  dit  «  qu'il  ne  tenait 
qu'à  lui  d'attaquer  l'académie  en 
restitution,  mais  qu'il  était  au- 
dessus  de  400  livres.  »  C'était  a- 
lors  la  valeur  des  prix  qui  a  élé 
portée  depuis  à  i,5oo  francs.  Il 
déclara,  er>  outre,  que  ce  prix  qui 
lui  appartenait  de  droit  ayant  été 
remis  à  l'année  prochaine  il  dé- 
nonçait d'avance  l'homme  de  let- 
tres qui  s'en  emparerait  comme 
un  voleur  de  son  bien.  Il  ne  pa- 
raît pas  que  cette  protestation  ait 
empêché  les  poètes  de  concourir, 
et  il  ne  fut  plus  question  de  31ur- 
ville  à  l'académie.  Mais  il  se  si- 
gnala cette  année  par  un  nouveau 
Irait  d'originalité.  Une  tragédie 
qu'il  avait  donnée  au  ïhéâlre- 
Trançais  ,  Ahdclazis  et  Zuleima, 


M  un 

y  avait  obtenu  du  succès.  La  ma- 
ladie d'un  acteur  allait  en  inter- 
rompre les  représentations,  quand 
l'auteur  s'offrit  de  le  remplacer. 
Murville  parut  en  effet  sur  la  scè- 
ne le  24  décembre  1791.^  Il  y  dé- 
bita d'abord  une  fable  de  sa  com- 
position ,  faite  pour  captiver  la 
bi(;nveillance  du  public,  et  rem- 
plit ensuite  le  rôle  de  Nasser 
dans  sa  propre  pièce.  Cette  re- 
présentation tragique  devint  des 
plus  gaies.  L'auteur-acteur,  sous 
un  énorme  turban,  avait  laisse 
les  lunettes  que  sa  vue  basse  l'o- 
bligeait à  porter  habituellement. 
St;s  gestes  et  sa  diction  excitèrent 
bientôt  une  hilarité  générale.  Peu 
satisfait  de  ce  mélange  de  rire  et 
d'applaudissemens  outrés,  il  ne 
se  donna  plus  ainsi  en  spectacle, 
et  se  lança  bientôt  avec  ardeur 
dans  une  carrière  toute  nouvelle. 
La  guerre  venait  d'être  déclarée, 
les  ennemis  menaçaient  les  fron- 
tières de  la  France.  Murville  s'y 
rendit  avec  un  des  bataillons  dt; 
volontaires  que  fournit  la  ville  de 
Paris,  servit  honorablement  pen- 
dant plusieurs  campagnes  ,  et 
parvint  au  grade  de  capitaine. 
L'amour  des  lettres  l'emportant 
cependant  sur  son  ardeur  guer- 
rière, il  revint  à  Paris,  et  fit  re- 
présenter 9U  théâtre  quelques 
pièces  de  circonstance,  en  l'hon- 
neur de  la  cause  que  son  bras 
avait  défendue.  Vers  la  fin  de 
1812  on  joua  à  l'Odéon  son  der- 
nier ouvrage  dramatique,  ^^j/oï^c, 
pièce  en  5  actes  et  en  vers.  Le 
succès  en  fut  d'abord  assez  vive- 
meïit  contesté.  L'auteur  n'en  pa- 
rut j)as  moins  sur  le  théâtre,  et 
remercia  le  public  de  l' indulgence 
cju'il  avait  montrée  pour  un  faible 


MLR 

(aient.  Son  compliment  lut  sou- 
vent interrompu  par  un  bruit  peu 
flatteur;  et  un  acleurde  ce  ihéâlre 
s'élant  permis,  quelques  jours 
après,  de  parodier ftlurville d'une 
n)ani€re  burlesque  et  inconve- 
n;mte  ,  celui-ci .  justement  irrité, 
et  n'ayant  pu  obtenir  la  reparu- 
tion qu'il  réclamait  ,  retira  sa 
pièce.  Il  n'avait  cependant  alors 
pour  subsister,  que  le  faible  pro- 
duit des  représtntations  de  ses 
ouvrages  dramatiques.  L'estima- 
ble auteur  de  la  Mort  d' Abel, 
de  Nn-on  et  d'Epicharis,  M.  Le- 
gouvé,  prit  soin  d'adoucir  la  ri- 
^neurdu  sort  d'un  ami  de  sa  jeu- 
nesse; mais  la  mort  eideva  bien- 
tôt au  malheureux  Murville  cet 
appui  généreux.  L'auteur  d'^^rfe- 
lazis,  etde  tantd'aulres  ouvrages, 
ne  l'ut  point  de  l'académie,  quoi- 
qu'il survécût  de  beaucoup  à  l'é- 
poque qu'il  avait  fixée  pour  y 
entrer.  Il  célébra,  dans  une  ode, 
la  restauration  du  gouvernement 
royal  ,  et  mouriit  peu  île  temps 
après,  accablé  de  chagrins  etde 
misère.  Murville  a  publié  les  ou- 
vrages suivans  :  r  Épitre  d'un 
jeune  poète  à  un  jeune  guerrier, 
i;7;;3,  in-S";  a"  les  Bienfaits  de  la 
nuit,  ode,  1774  '  in- «2  ;  5"  Epitre 
sur  les  avantages  des  femmes  de 
trente  ans,  1775,  in-è";  4°  '^' 
dieux  d'Hector  et  d' Andronn- 
que,  1776,  pièce  qui  partagea  le 
prix  de  l'académie  ;  5*  l' Amant 
de  Julie  d' Etange ,  ou  Epitre 
d'Hernwtime  à  son  ami,  1776, 
in-8°  ;  6"  Epitre  à  Voltaire,  1 779;, 
in-S",  qui  obtint  l'accessit  à  l'u- 
cadémie  ;  7"  les  Rendez-vous  du 
mari,  ou  le  Mari  à  la  mode,  co- 
médie en  1  acte  et  en  vers;  8° 
Melcour  et  Verseuil,   comédie  en 

T.  HT. 


MLR  5o5 

1  acte  et  en  vers  ;  9°  Linval  et 
Viviane,  ou  les  Fées  et  les  Cheva- 
liers, comédie  héroï-féerie,  en  5 
actes  et  en  wen,  qui  eut  une 
dizaine  de  représentaiions  ;  10" 
le  Paysage  du  Poussin,  et  Diocté- 
tien à  Salone,  pièces  mentionnées 
honorablement  par  l'académie, 
1790,  in-S";  1 1°  Abdelazis  et  Zu- 
leima,  tragédie  en  5  actes  et  en 
vers,  1791,  in-S";  12°  Eumène  et 
Lodem,  ou  la  Liberté  de  Thébes, 
tragédie  en  5  actes  et  en  vers, 
Bordeaux,  1794»  in-8';  ûy"  les 
Saisons  sous  la  zone  tempérée,  poè- 
me en  4  chants.  Rayonne,  1796, 
in-8°;  14°  l'Année  champêtre , 
poëme  en  4  chants,  suivi  de  Poé- 
sies diverses,  1807,  in-8°;  i5" 
Ode  sur  l' accouchement  de  l'impé- 
ratrice, i8ii,  in-S";  iH"  Héloise, 
drame  en  5  actes  et  en  vers,  1812, 
in-8'';  17°  les  infiniment  Petits, 
ou  Précis  anecdotiquc  des  évène- 
mens  qui  se  sont  passés  à  t'Odéon 
les  22  ^f  29  novembre  1812,  ou 
Détails  sur  les  vices  d'administra- 
tion de  ce  théâtre,  qui  sont  la  cause 
de  tous  ces  désordres,  181 5,  in-8°; 
18°  la  Paix  de  Louis  XVIII, 
ode,  i8i4î  in-S".  Les  pièces  sui- 
vantes n'ont  pas  été  imprimées  : 
1°  le  Souper  magique,  ou  les  deux 
Siècles,  comédie  mêlée  de  chants 
et  de  danses,  représentée  sur  le 
Thérare-Français  en  février  1790; 
2'  le  Huila  de  Samarcande,  co- 
médie en  5  actes  et  en  vers,  re.- 
présentée  sur  le  théâtre  de  la 
iîépublique  en  1795;  5"  l'Inté- 
rieur de  ta  comédie,  représenté  à 
rOiléon  en  1810;  ^'' les  Journa- 
listes, comédie  lue  à  l'Alhénée  de 
Paris.  La  Harpe,  dans  sa  Corres- 
pondance littéraire,  lui  attribue, 
de  plus  ,  la  comédiu  de  l'Amour 
ao 


3o6 


MUS 


exilé  des  deux,  imprimée  sous  le 
nom  de  lVi°"  Dufresimi.  Murville 
a  coopéré  à  la  rédaction  du  Cour- 
rier lyrique  et  amusant,  ou  Passe- 
-temps  des  toilettes,  publié  en 
1786  et  1787,  et  a  fait  insérer 
une  Foule  de  pièces  de  vers  dans 
YAlmnnacli  des  Muses,  et  antres 
recueils  périodiques, 

MUSCART,  colonel  comman- 
dant de  la  place  d'Ostende,  che- 
valier de  la  légion-d'honneur,  em- 
brassa le  parti  des  armes  ,  long- 
temps avant  la  révolution:  il  devint 
sous-officier  au  régiment  de  Viva- 
rais ,  et  parvint  successivement 
jusqu'au  grade  de  chef  de  batail- 
lon. En  1 78c),  il  se  déclara  pour  le 
parti  patriotique,  et  fréquenta  les 
sociétés  populaires.  Il  fut  mis  en 
prison  par  ordre  du  ministre  de  la 
marine,  sous  le  prétexte  qu'il  a- 
tait  méconnu  l'autorité  de  ses 
chefs.  Le  16  avril  1790,  Dùpré 
s'éleva  avec  énergie  contre  le  mi- 
nistère, à  l'assemblée  nationale, 
qui  rendit  un  décret,  poitant  que 
la  conduite  de  Muscart  devait  être 
examinée  par  ses  juges  naturels; 
ce  décret  resta  néanmoins  sans 
exécution  ,  mais  l'assemblée  fit 
mettre  Muscart  en  liberté,  le  4 
juin  1791.  Il  fit  depuis,  avec  dis- 
tinction ,  les  principales  campa- 
gnes de  la  révolution  ,  parvint  à 
un  des  premiers  grades  de  l'ar- 
mée, et  fut  ensuite  nommé  com- 
mandant d'Ostende.  Lorsque  les 
Anglais  y  effectuèrent  une  descente 
en  1 798,  il  se  défendit  avec  la  plus 
grande  bravoure,  les  battit  coui- 
plétement,  et  les  força  de  se  réfu- 
gier sur  leurs  vaisseaux  ,  après 
leur  avoir  fait  2000  prisonniers. 
Après  la  révolution  du  18  bru- 
maire an  8  (  9  novembre  1799)? 


MUS 

il  fut  confirmé  dans  le  comman- 
dement de  la  place  d'Ostende , 
fonctions  qu'il  n'occupait  plus  de- 
puis plusieurs  années,  lors  de  la 
restauration  du  gouvernement 
royal,  en  1814.  / 

MUSGRAVE  (siR  Richard),  bis- 
ronnet  et  publiciste  anglais,  s'est 
montré,  dans  plusieurs  écrits  sur 
l'Irlande,  un  des  plus  sévères  an- 
tagonistes des  prêtres  catholiques. 
Sir  Musgrave  est  auteur  des  ou- 
vrages suivans  :  1"  Lettre  sur  la 
situation  des  affaires  publiques,  in- 
8",  1794;  2"  Considérations  sur 
l'état  actuel  de  la  France  et  de 
l' Angleterre,  1796,  in-8°;  3°  f^ui 
succincte  de  la  situation  politique 
des  états  du  Nord,  1801,  10-8°;  4' 
Mémoires  des  différetites  rebellions 
de  Clrlande,  depuis  l'arrivée  des 
Anglais,  avec  des  détails  particu- 
liers sur  celle  qui  éclata  en  1798, 
in-4'',  1801,  2*  édit.,  même  an- 
née, S'édit.,  1802,  2  vol.  in-S"; 
5°  Observations  sur  une  réplique  du 
docteur  Caulfield,  1802,  in-S"  ;  6* 
Observations  sur  un  discours  pro- 
noncé par  le  docteur  Drumgole  à 
l'assemblée  des  Catholiques,  en  dé- 
cembre i8i5,  in-8",  i8i4-  Quel- 
ques-uns de  ces  ouvrages  offrent 
de  l'inténêt. 

MUSNIERDE  LACONSERVE- 
RIE  (Louis-Fkançois-Félix,  com- 
te), lieutenant-général,  grand-of- 
ficier de  la  légion-d'honneur,  che- 
valier de  Saint-Louis,  etc.,  etc., 
est  né  à  l)Oulogne-sur-Mer  en 
1766,  d'une  famille  noble;  éle- 
vé à  l'école  royale  militaire,  il  en- 
tra sous-lieutenant  en  1782,  au 
3*  régiment  d'infanterie,  où  il  était 
capitaine  lorsque  la  guerre  de  la 
révolution  éclata.  Il  en  fit  la  pre- 
mière   campagne   à   l'armée  da 


.  MUS 

Rhin,  en  qualité  d'aide-de-camp 
du   générai  eu    chef  LamorHèie. 
Nommé  chef  de  bataillon  au  io6' 
régiment,  le  27  mars  1790,  il  fut 
employé  à  l'armée  des  côtes   de 
l'Ouest,  où  11  obtint,  le  5  septem- 
bre suivant,  le  grade  de  colonel  a- 
■vec  le  commandement  de  la  187* 
demi-brigade.  En  juillet  1796,  il  fut 
fait  adjudant-général,  et  passa  en 
cette   qualité  à  l'armée  du  Nord, 
en  Hollande,  où  il  remplit  les  fonc- 
tions de  chef  de  l'état-major-géné- 
ral.  Envoyé  à  l'armée  d'Italie,  en 
octobre  1  798,  il  s'empara  par  sur- 
prise, le  mois  suivant,  de  la  for- 
teresse de  Novarre,  en  Piémont, 
et  fut  promu  au  grade  de  général 
de  brigade  pour  cette  action,  où, 
selon  les  expressions  de  la  lettre 
dont  le  ministre  de  la  guerre  ac- 
compagna l'envoi  du  brevet  de  ce 
grade,  «  il  avait  déployé  autant  d'in- 
»  lelligence  que  de  bravoure»;   il 
remplit  ensuite  les   fonctions   de 
chef  de  Télat-major-général  de  l'ar- 
mée, et   après  cette   campagne, 
dont  la  fin  fut  si  désastreuse,  il  fut 
envoyé  à  Bordeaux,  pour  apaiser 
les  troubles  qui  s'y  étaient  élevés. 
Il  fut  assez  heureux  pour  y  réta- 
blir le  calme  par  la  seule  voie  de 
la  conciliation.  L'anaée  suivante, 
il  fut  chargé  du   commandement 
d'une  brigade  à  l'armée  de  réser- 
ve, qui,  après  les  revers  que  nous 
avions  éprouvés  dans  la  dernière 
campagne,  était  rentrée  en  Italie, 
en  franchissant  le  mont  Saint-lîer- 
nard.  Le  général  de  division  Bou- 
det  a  rendu  compte  en  ces  termes 
de  la  prise  de  Plaisance  :  «  Le  18 
I  prairial  (7  juin  1800),  à  quatre 

•  heures  du  matin,  on  commença  le 
«passage  du  Pô,  à  Nocetto,  à  une 

•  lieue  au-dessus  de  Plaisance,  au 


MUS 


507 


«moyen  de  quelques   mauvaises 
»  barques  qu'on  s'était  procurées. 
»  La  9"  légère, conduite  par  le  gêné- 
«rai  de  brigade  Musnier,  ayant  ef- 
»  fectué  son  passage,  se  porta  sur 
>,  Plaisance,  sans  attendre  le  reste 
»de  la  division  ,  attaqua  et  défit 
)>  complètement  le  régiment  deRle-        ^ 
nbeck,  qui  marcha  à  sa  rencontre; 
«présenta  une  résistance  opiniâtre 
«à  plusieurs  charges  de  cavalerie, 
net  entra  dans  la  ville,  où  elle  fit 
»  5oo  prisonniers.  L'ennemi  fut  en 
«outre   obligé  d'abandonner  600 
»  malades  dans  les  hôpitaux,  et  des 
»  magasins  de  toute  espèce.»  A  Ma- 
rengo  (le  \[\  du  même  mois),  le 
général  Musnier  commandait  éga- 
lement la  9*  demi-brigade  d'in- 
fanterie légère,  et  l'on  sait  com- 
bien la  conduite  de  ce  corps,  qui 
formait  la  tête  de  la  réserve,  aux 
ordres  du  général  Desaix,  a  con- 
tribué au  succès  de  cette  mémora- 
ble journée.  Dans  la  campagne  sui- 
vante, le  ^5  décembre   1800,   le 
général  Musnier  passa  le  l'Me  Min- 
cio,  au-dessous  de  Mozambano, 
entre  le  village  de  Pozzolo  et  le 
moulin  de  la  Volta,  à  la  tête  des 
compagnies  d'élite  du  6'  régiment 
d'infanterie  légère  et  du  28*  de  li- 
gne, et  s'empara  de  l'autre  rive, 
malgré  les  efforts  d'un  corps  en- 
nemi de  1,200  hommes,  qui  lui  dis- 
putait le  passage.  Promu  au  gra- 
de de  général  de  division,  le   1*' 
février  i8of),  il  fut  chargé  du  com- 
uiaudement  de  la  1  5*  division  mi- 
litaire, et  spécialement  de  l'ins- 
pection des  côtes.  Le  gouverne- 
ment mettait  une  grande  impor- 
tance, à  cette  époque,  à  protéger 
le  rassemblement  des  billimens  de 
la  flottille  et  tous  les  autres  prépa- 
ratifs de  l'expédition  qu'il  médi- 


5o8  MUS 

tait  contre  l'Angleterre,  Au  mois 
de  novembre  1^07,  il  fut  nommé 
au  commandement  de  la  i"  divi- 
sion du  corps  d'observation  des 
côtes  de  l'Océan,  qui,  passant  les 
r3'rénées,  aussitôt  sa  formation, 
prit  le  nom  de  5*  corps  de  l'armée 
d'Espagne,  et  ensuite  celui  d'ar- 
mée d'Arragon.  Sa  division  fut 
employée  au  mémorable  siège  de 
Saragosse ,  et  s'y  distingua  par  la 
persévérance  et  l'intrépidité  avec 
lesquelles  elle  soutint  les  travaux 
et  les  combats  sans  cesse  renais- 
sans  de  ce  siège,  dont  la  durée  fut 
de  deux  mois  de  tranchée  ouverte, 
et  ne  linit  qu'avec  lu  destruction 
presque  entière  d'une  garnison  qui 
était  le  double  en  nombre  de  l'ar- 
iiiée  assiégeante.  Le  général  Mus- 
iiier  combattit  le  i4  juin  1809,  à 
ia  bataille  de  31aria,  devant  Sara- 
gosse, où  l'armée  espagnole,  sous 
Itf:  ordres  de  Blake,  qui  se  flattait 
hautement  de  reprendre  posses- 
sion de  cette  place,  fut  défaite. 
Cette  armée  s'élant  ralliée  à  quel- 
ques lieues  en  arrière  dans  la  forte 
position  de  Belchite,  le  général 
Musnier  culbuta  sa  première  ligne, 
et  lui  lit  abandonner  son  artillerie 
et  ses  bagages.  A  Margalef,  devant 
X'érida,  il  commandait  la  division 
qui  fit,  le  25  avril  1810,  G, 000  pri- 
-sonniers  à  la  colonne  ennemie  , 
qu'O'Donnell  conduisait  au  se- 
cours de  Lérida,  donirarniéed'Ar- 
lagon, aux  ordresdu  général  en  chef 
comte  Suchet,  faisait  le  siège.  Au 
mois  de  juin  suivant,  il  assiégea 
et  prit  le  fort  de  iMèquinenza,dont 
la  situation,  au  milieu  de  rochers 
inaccessibles,  et  à  la  jonction  du 
Sègre  et  de  l'Èbre,  rendait  la  pos- 
session indispensable  à  l'armée 
ïrançaise,    pour    pouvoir   entre- 


MUS 

prendre  le  siège  de  Tortose.  En 
récompense  de  ce  succès,  le  gé- 
néral Musnier  fut  nommé  grand- 
officier  de  la  lègion-d'honneur. 
Le  général  en  chef,  comte  Su- 
chet, ayant  mis  le  siège  devant 
Tortose,  au  mois  d'octobre  de  la 
même  année,  ordonna  au  général 
Musnier  de  couvrir  les  troupes 
chargées  de  ce  siège.  Posté,  à  cet 
effet,  à  Llldecona,  sur  la  route  de 
Tortose  à  Valence,  le  général  Mus- 
nier battit,  le  26  novembre  1810, 
l'armée  ennemie,  forte  de  12,000 
hommes,  qui  était  venue,  par  une 
marche  forcée  de  5o  heures,  pour 
le  surprendre  de  nuit  et  faire  lever 
le  siège  de  Tortose.  Quctiqu'il 
n'eût  avec  lui  que  2,000  hommes 
d'infanterie  et  5oo  cuirassiers,  a- 
vec  6  pièces  d'artillerie  légère, 
il  mit  l'ennemi  dans  une  déroute 
complète,  le  poursuivit  jusque 
sous  les  murs  de  Peniscola,  lui 
tua  on  noya  5  à  600  hommes,  et 
lui  fit  plus  de  200  prisonniers. 
Tortose  ayant  été  forcée  de  se  ren- 
dre cinq  semaines  après  la  brillan- 
te affaire  d'Uldecona,  le  général 
Musnier  fut  nommé  gouverneur 
de  cette  place.  Il  fut  employé  {i^u 
siège  de  Valence,  qui  fut  entre- 
pris au  mois  de  novembre  de  la 
même  année,  et  tenniné  le  12 
janvier  suivant  par  la  reddition 
de  cette  place.  Rentré  en  France  en 
décembre  i8i3,  il  reçut  l'ordre  de 
mettre  en  état  de  défense  et  d'ap- 
provisioiuier  les  places  de  la  fron- 
tière de  l'est;  mais  l'invasion  des 
armées  ennemies  l'ayant  obligé  de 
borner  cette  mission  à  la  place  de 
Besancon,  il  se  rendit  à  Lyon,  où, 
avec  une  poignée  de  monde,  il  tint 
en  échec  le  corps  autrichien  aux 
ordres  du  général  Bubna,  jusqu'à 


RILS 

l'arrivée  du  maréchal  Augereau, 
qui  y  réunit  un  corps  d'armée 
composé  de  trois  divisions.  Le 
général  xMusnier.  à  la  tête  de  la 
première  de  ces  divisions,  obtint 
diflférens  avantages  contre  les  trou- 
pes autrichiennes  à  Meximieux,  à 
Bourg,  à  Lons-le-Saulnier,  etc., 
jusqu'au  moment  où,  par  leur 
nombre,  elles  forcèrent  le  maré- 
chal Augereau  à  évacuer  Lyon, 
et  à  se  retirer  derrière  l'Isère. 
Cette  campagne  ayant  été  termi- 
née par  l'abdication  de  l'empereur, 
le  général  Musnier  fut  nommé 
inspecteur-général  des  troupes  de 
Boulogne,  Calais,  Dunkerque,  et 
Saint-Omer,  et  l'année  suivante, 
inspecteur-général  des  5*  et  i8* 
divisions  militaires.  Lne  ordon- 
nance du  roi,  du  i"  août  181D, 
ayant  admis  à  la  retraite  les  offi- 
ciers-généraux qui  avaient  trente 
années  de  services,  le  lieutenant- 
général  Musnier,  qui  en  avait  alors 
trente-deux,  et  qui  avait  fait  25 
campagnes  de  guerre,  demanda  à 
jouir  du  repos  qu'une  carrière 
aussi  longue  et  aussi  laborieuse 
lui   rendait  nécessaire. 

MUSQLITZ  (le  marquis  don 
Igkace  de),  ambassadeur  espa- 
gnol, conseiller-d'état,  était  issu 
d'une  famille  noble  originaire  de  la 
Navarre.  Né  avec  les  plus  heureu- 
ses dispositions,  il  cultiva  quel- 
que temps  les  belles-lettres ,  et 
obtint  des  succès  dans  cette  car- 
rière; mais  il  s'attacha  spéciale- 
ment à  la  diplomatie  ;  on  le  vit 
successivement  ministre  d'Espa- 
gne près  de  diverses  cours,  et  enfin 
ambassadeur  à  celle  de  France. 
Partout  sa  conduite  loyale  et  ho- 
norable lui  mérita  les  suffrages  et 
l'estime  des  gens  de  bien.  Il  rem- 


MUS  5ogr 

plit  encore  d'autres  missions  di- 
plomatiques dans  le  nord  de  l'Eu- 
rope, et  se  trouvait  à  Madrid  à 
l'époque  où  le  frère  de  l'empereur 
Napoléon  monta  sur  le  trône 
d'Espagne.  Appelé  près  du  nou- 
veau monarque,  en  qualité  de 
conseiller-d'état,  le  8  mars  1809, 
il  se  prononça  hautement  en  sa  fa- 
veur, et  seconda  de  tout  le  poids 
de  sa  considération  personnelle, 
toutes  les  nouvelles  mesures  poli- 
tiques. En  décembre  de  la  même 
année  1809,  il  fut  décoré  du  cor- 
don de  commandeur  de  l'ordre 
royal  d'Espagne.  Il  ne  jouit  pas 
long-temps  des  avantages  que  lui 
promettait  sa  position;  il  mourut 
peu  d'années  après,  vivement  re- 
gretté de  tous  ceux  qui  avaient  été 
à  même  d'apprécier  ses  talens  et 
ses    vertus. 

MUSSET  (  Locis  -  Alexandre- 
Marie  de),  marquis  de  Cognors, 
membre  du  corps  législatif,  de- 
puis 1809  jusqu'en  18  i^*  né  dans 
les  environs  de  Vendôme  en  1753, 
d'une  ancienne  famille  noble,  se 
destina  dès  *a  jeunesse  à  la  carriè- 
re militaire.  Il  entra  dans  le  régi- 
ment d'Auvergne,  en  1769,  en 
qualité  de  sous-lieutenant,  y  fut 
nommé  capitaine  en  1778,  et  ob- 
tint une  charge  de  lieutenant  des 
maréchaux  de  France  quelque 
temps  avant  la  révolution.  Appelé 
en  1801  à  faire  partie  du  conseil- 
général  du  département  de  la 
Sarthe ,  il  fut  élu  par  le  même 
département  député  au  corps-lé- 
gislatif, d'où  il  sortit  en  1814, 
et  s'est  retiré  depuis  dans  sa  terre 
de  Cognors.  M.  de  Musset  a  culti- 
vé les  lettres  avec  succès.  On  lui 
doit  les  ouvrages  suivans  :  i" 
Mémoire  sur  la  confrérie  de  Saint- 


y 


5io 


MUS 


Georges  ,  en  Franche  -  Comté  , 
1773;  2°  Correspondance  d'un 
Jeune  militaire,  ou  Mémoires  du 
marquis  de  Lusigny  et  d'Hor- 
tense  de  Saint- J ust,  1778,  2  vol. 
in-8°  :  ce  joli  roman  a  eu  sept  édi- 
tions; 5"  le  Duel  et  l' Amitié  à  l'é- 
preuve de  l'amour- propre  et  de  l'a- 
mour, 1774»  in- 8°;  4°  ^^  ^^  Reli- 
gion et  du  Clergé  catholique  en 
France,  1797,  in-8°;  5*  Considé- 
rations sur  l'état  des  finances  du 
royaume  de  France,  1814,  in-8°. 
Il  a  été  l'un  des  collaborateurs 
da  Cours  d'Agriculture,  publié 
chez  Buisson ,  par  Sonnini. 

MUSSET  (J.   M.),  était  curé 
de  Falleron ,    lorsqu'au  mois   de 
septembre   1792,   il   fut  nommé 
député  à  la  convention  nationa- 
le par  le  département  de  la  Ven- 
dée.  Il  se  prononça  avec  la  ma- 
*         jorité   dans   le   procès    de   Loui.s 
XVI ,    et  fut  ensuite    chargé    de 
diverses    missions    dans   les    dé- 
partfemens.  Après  la  session  con- 
ventionnelle, il  passa  au  conseil 
des   cinq-cents,  dont  il  sortit  le 
20  mai  1797,  et  fut  nommé  suc- 
cessivement administrateur  de  la 
loterie,  et  conunissaire  du  direc- 
toire-exécutif à  Turin.  M.  Musset 
fut  contraint  de  quitter  le  Piémont, 
qu'il  avait  organisé  en  quatre  dé- 
partemens,  lorsque  Suwarow  en- 
vahit   ce  pays   après    la  retraite 
des  Français  sur  l'Adige.  Nommé 
au  18  brumaire  an  8,    préfet   du 
département    de    la    Creuse,    il 
fut  appelé  au  corps-législatif  dans 
le  mois  de  mars  1802,  et  fit  long- 
temps partie  de  ce  corps.  M.  Mus- 
set ,  exilé  par  la  loi  du  12  janvier 
1816,  rendue  contre  les  conven- 
tionnels dits  votons,  s'est  réfugié 
en  Belgique;   il    \it  retiré   dans 


MUS 

une  campagne  près  de  Bruxelles. 
MUSSET-PATHAY  (Victor- 
Donatien)  ,  littérateur,  ancien 
chef  de  bureau  aux  ministères  de 
la  guerre  et  de  l'intérieur,  est  né 
le  6  juin  1768.  Élevé  à  l'école 
n)ilitaired(;  Vendôme  ,  il  lut  em- 
ployé pendant  1 1  ans  dans  l'arme 
du  génie,  et  fut.  en  1793,  arrêté 
et  détenu  pendani quelque  temps 
comme  frère  d'émigré;  au  retour 
delà  tranquillité  ,il  redevint  libre 
et  dut  au  général  Clarke,  depuis 
duc  de  Feltre ,  une  place  de  chef 
de  bureau  au  ministèrede  la  guer- 
re. De  cette  administration ,  il 
passa,  en  la  môme  qualité,  au 
niini'^tèrede  l'intérieur,  où  il  ces- 
sa d'être  employé  en  1818.  Long- 
temps attaché  au  général  Ma- 
rescol  (  voy.  ce  nom) ,  il  lui  resta 
fidèle  dans  toutes  les  fortunes. 
M.  Musset-Palhaya  publié  comme 
littérateur  un  grandnombre  d'ou- 
vrages. On  cite  parmi  les  princi- 
paux :  1°  la  Cabane  mystérieuse , 
2  vol.  in-12,  1798  ;  2°  l'Anglais 
cosmopolite,  2*  édition,  1798; 
3°  Voyage  en  Suisse  et  en  Italie  , 
fait  avec  l'armée  de  réserve,  in-8° 

1800  ;  4°  Abrégé  de  l'histoire  grec- 
que, traduit  de  l'anglais  deGolds- 
mith,  1  vol.  in^°,  1801  ;  5°  Abré- 
gé de  l'Histoire  romaine,  I  v.  in-8', 

1801  :  ces  ouvrages  ont  été  réim- 
primés plusieurs  fois;  Q"  Voyage 
à  Pétersbeurg,  ou  Nouveaux  mé- 
moires sur  laRussie,  parM.  le  com- 
te de  la  Messelière,  ouvrage  que 
M.  Musset-Pathay  a  fait  précéder 
d'un  tableau  historique  de  cet  em- 
pire, 1802;  7"  Vie  militaire  et  pri- 
vée d'Henri  IV,  etc.,  in-8°,i8o5; 
8°  Relations  des  principaux  sièges 
faits  ou  soutenus  en  Europe  par  les 
armées  françaises  depuis  1  799,^  pré- 


ML'S 

cédées  d'un  précis  historique  des 
guerres  de  la  France  ,  depuis  1792 
jusqu'au  traité  de  Prcsbourg  en 
1806,  Paris,  in -4°,  avec  atlas; 
9"  Recherches  historiques  sur  le 
cardinal  de  Retz  ,  in -8°,  1807; 
\o°  Bibliograplûe  agronomique,  in- 
8%  1810. 1  i°Il  a  été  l'undKS  colla- 
boniteursdu  Cours  d' agriculture , 
par  Sonniui,  et  a  donné  diflërens 
Mémoires  au  Recueil  de  l'acadé- 
mie celtique.  M.  Musset-Palhay 
publie  en  ce  moment  (  1824)  nne 
nouvelle  édition  àeèCEuvres  com- 
plètes de  J.  «/»  Rousseau  y  classées 
dans  un  meilleur  ordre  ,  avec  des 
notes  historiques  et  des  éclaircis- 
scmens. 

MLSSEY  {  Charles- Fbançois- 
Aluotde),  d'imc  famille  atta- 
chée au  roi  de  Pologne,  Stanis- 
las, duc  de  Lorraine  et  beau-père 
de  Louis  XV,  est  fils  d'un  tVrniier 
général.  Il  montrade  bonne  heure 
du  goût  pour  les  beaux-arts  et  la 
littérature,  et  lorqu'il  s'expatria 
par  suite  des  événemens  de  la  ré- 
volution, il  trouvade  grands  avan- 
tages dans  son  talent  paur  la  mu- 
sique. De  retuur  en  France,  M.  de 
Mussey  reprit  le  cours  de  ses  oc- 
cupations ordinaires;  mais  parmi 
tant  d'autres  objets  de  sa  haute  es- 
time, M"*  de  Sévigné  obtint  de 
lui  un  hommage  tout  particulier, 
11  a  enrichi  un  exemplaire  des 
Lettres  de  celte  femme  célèbre, 
d'un  grand  nombre  de  morceaux 
inédits,  de  portraits,  de  vues  ,  de 
fac  simile,tlf  ne  voulant  pas  jouir 
seul  de  l'avantage  de  posséder  un 
recueil  d'autant  plus  précieux, 
qu'il  était  unique  dans  ï'on  genre, 
il  le  communiqua  et  le  mit,  avec 
tm  désintéressement  remarqua' 
ble,  à  la  disposition  des  auteurs  de 


MUS 


5n 


la  nouvelle  édition  de^I"*  de  Sévi- 
gné, Pari.-.  Biaise,  1^18.  Il  est  di- 
recteur de-^  douanes  à  Montpellier. 
MUSTAPHA  -  BAIR-\RD.\R  , 
dont  le  nom  est  plus  communé- 
ment écrit  Mi>tapha.-Batbacta», 
pacha  de  Routschouk,  grand-visir 
ottoman,  naquit  vers  1700,  d'ime 
famille  obscure.  D'abord  labou- 
reur, puis  marchand  de  chevaux^ 
il  prit  le  parti  des  armes,  et  s'en- 
rôla, comme  simple  soldat,  dan» 
les  troupes  du  pacha  de  Routs- 
chouk, poste  où  devaient  le  porter 
ses  talens  et  son  courage.  Le  sur- 
nom de  BaIuakoàr  lui  fut  donné 
à  4a  suite  d'un  combat  sanglant, 
dans  lequel,  par  des  prodiges  de 
valeur,  il  parvint  à  conserver, 
quoique  criblé  de  blessures,  un 
étendard  qu'il  avait  enlevé  à  l'en- 
nemi. Sa  riire  intrépidité  le  fit  re- 
marquer de  Tersanik-Oglou,  chef 
des  troupes,  qui  se  l'attacha  par 
ses  bienfaits,  et  l'employa  dans 
toutes  ses  guerres,  et  plus  partir 
culièrement  dans  celle  qu'il  sou- 
tint contre  Paswan- Oglou.  Mus- 
tapha-Baïrakdar  s'était  acquis  la 
confiance  et  l'amitié  de  Tersanik- 
Oglou  ,  et  lui  succéda,  en  1804, 
dans  le  pachali  de  Routschouk. 
En  1806,  les  Russes  s'emparèrent 
de  la  Moldavie;  Mustapha-Baïrak- 
dar  s'opposa  vainement  auxsuccès 
des  troupes  impériales,  et  il  fut 
plusieurs  fois  battu  par  le  général 
Michelson.  Mais,  en  1807,  il  prit 
nne  revanche  éclatante,  et  la  Porte 
ottomane  reçut  plusieurs  sanglans 
trophées  de  sa  nouvelle  fortune. 
Celte  année  môme ,  au  mois  de 
mai,  Sélim  III  fut  précipité  du 
trône;  les  janissaires  de  l'armée 
de  Valachic,  se  révoltèrent;  le 
grand-vi-sir  fut  mis  à  mort.   Mus- 


5ia  MLS 

tapha-Buïra|^dar,  devenu  chef  dos 
forces  oHomaiies,  se  disposait  à 
marcher  de  nouveau  contre  los 
troupes  rosses,  mais  son  attache- 
ment pour  le  sultan  détrône  , 
changea  ses  résolutions;  il  con- 
clut un  armistice  avec  le  général 
russe ,  et  annonça  le  projet  de 
combattre  les  Servieiis.  C'est  sous 
ce  prétexte ,  qu'il  se  rapprocha 
d'Andrinople ,  où  le  grand-visir 
Tchelcby-Mustapha  avait  rétabli 
son  camp.  Mustapha -Baïrakdar 
gagna  les  troupes  de  ce  ministre, 
et  le  contraignit  bientôtà  le  suivre 
à  Constantinople,  pour  y  rétablir 
le  sultan  détrôné.  Couvrant  ^es 
projets  d'un  dévouement  feint  au 
sultan  Mustapha  IV,  il  envoie  des 
hommes  qui  lui  sont  dévoués,  au- 
près des  commandans  des  forte- 
resses du  Bosphore,  avec  ordre  de 
les  étrangler  en  secret,  et  d'occu- 
per leurs  places.  Arrivé  à  Cons- 
tantinople, son  premier  soin  est 
de  déposer  le  mufty,  l'aga  des  ja- 
nissaires, et  de  s'assurer  de  tous 
les  chefs  qui  ont  renversé  Séliin, 
dont  il  proclama  le  rétablissement, 
en  même  temps  qu'il  pénètre,  a- 
près  avoir  éprouvé  une  faible  ré- 
sistance, dans  le  sérail;  mais  le 
premier  objet  qui  frappe  ses  re- 
gards, est  le  cadavre  de  Sélim. 
Mustapha-Biiïrakdar  ordonne  aus- 
sitôt que  tous  ceux  qui  ont  con- 
seillé et  exécuté  ce  meurtre,  soient 
mis  à  mort;  il  dépose  Mustapha 
IV,  et  proclame  empereur,  fllah- 
moud  II,  frère  de  ce  prince.  Après 
cette  nouvelle  révolution,  qui  eut 
lieu  le  28  juillet  1808,  Mustapha- 
Baïrakdar  est  élevé  au  poste  de 
grand-visir.  Redoublant  de  vigi- 
lance et  d'activité,  il  s'occupe, 
sans  relâche,  de  l'organisation  de 


MUS 

toutes  les  parties  de  l'administra- 
lion,  en  même  temps  que  par  des 
mesures  énergiques,  il  maintient 
les  pachas  dans  l'obéissance.  Plus 
éclairé  que  ses  prédécesseurs  , 
ayant  su  apprécier  tous  l^JS  avan- 
tages de  la  tactique  européenne, 
digne,  enfin,  d'opérer  d'utiles  ré- 
formes, et  de  donner  de  sages  ins- 
titutions A  sa  patrie,  il  réorganise 
et  augmente  l'armée,  diminue  l'in- 
fluence des  janissaires,  et  leur  op- 
pose le  corps  des  seymens.  Mais  la 
discipline  nouvelle  ne  peut  conve- 
nir à  ces  milices  turbulentes,  et 
Mustapha-Baïrakdar  croit  consoli- 
der les  institutions  qu'il  a  créées, 
par  une  ex  trênie  se  vérité.  Quelques 
mois  sudirent  pour  préparer  une 
révolution  terrible,  et  dès  le  10 
novembre  (1808),  peu  après  l'ar- 
rivée de  différens  corps  de  troupes 
des  Dardanelles  et  de  la  Bomélie, 
une  violente  agitation  se  manifeste 
à  Constantinople.  Il  s'efforce  en 
vain  de  la  calmer,  et  d'en  arrêter 
les  rapides  progrès.  La  sédition 
éclate.  A  la  tête  des  seymens,  il 
attaque  les  janissaires  révoltés,  en 
fait  un  horrible  carnage;  mais  ses 
ennemis  sont  tellement  nom- 
breux, que,  quoique  vainqueur 
partout  où  il  se  porte,  il  est  enfin 
réduit  à  se  renfermer  dans  le  sé- 
rail. Assiégé  dans  cette  retraite  où 
l'on  met  le  feu,  et  que  l'on  esca- 
lade sur  plusieurs  points,  il  jette, 
aux  séditieux  qui  redemandent 
pour  souverain  Mustapha  IT,  le 
corps  de  ce  prince  qu'il  vient  de 
faire  étrangler,  et  ne  voulant  pas 
tomber  vivant  entre  leurs  mains, 
il  met  lui-même  le  feu  au  maga- 
sin des  poudres,  et  se  fait  sauter 
lui  et  ses  ennemis  les  plus  achar- 
nés à  sa  poursuite.  C'est  ainsi  que 


ML'S 

périt,  le  i5  novembre  «SoS,  triine 
manière  digne  de  son  indompta- 
ble courage,  un  homme  qui  avait 
de  grandes  qualités,  des  vue»  su- 
périeures, et  à  qui  il  n'a  manqué, 
pour  assurer  ses  nobles  innova- 
tions, que  la  prudence,  sans  la- 
quelle il  n'y  a  pas  de  succès  du- 
rable;. 

MUSTAPHA,  gnind-visir  otto- 
man, dut  le  jour  à  une  famille 
obscure,  et  s'éleva  des  derniers 
emplois  du  sérail,  au  premier 
poste  de  l'empire.  Son  courage 
lui  fit  obtenir  plusieurs  comman- 
demens,  dans  lesquels  il  montra 
autant  de  bravoure  que  d'intelli- 
gence, et  qui  le  conduisirent  rapi- 
dement au  poste  de  grand-visir. 
Secondé  par  les  troupes  de  l'expé- 
dition anglaise,  ilessa^'a,  en  1799 
et  1800,  de  chasser  les  Français 
de  l'Egypte;  mais  toutes  ses  ten- 
tatives échouèrent  contre  la  va- 
leur de  l'armée  *jue  commandait 
Kléber.  Mustapha  résolut  alors  de 
négocier  avec  le  général  français, 
afin  d'amener  l'évacuation  de  cette 
contrée.  Les  Anglais  ayant  rompu 
le  traité  conclu  à  del  Arish,  le 
grand-visir  reprit  les  armes,  et 
quelque  temps  après,  périt  glo- 
rieusement sur  le  champ  de  ba- 
taille. 

MUSTOXÏDI  (AsDRÉ),  né  à 
Corlbu  en  1786,  annonça  dès  sa 
jeunesse  les  dispositions  les  plus 
heureuses,  et  mérita  par  ses  con- 
naissances,  et  surtout  par  la  pu- 
blication de  notices  en  italien 
per  servire  ait'  Istoria  Corciresa 
(la  i  tempi  eroici  al  secolo  XII, 
d'être  nommé,  en  1806,  par  le 
gouvernement  des  Sept-Iles,  leur 
historiographe.  Il  s'était  rendu  à 
Venise  dès    1797,    et   ensuite  à 


MUS  5i5 

Milan,  où  il  se  fixa  quelques  an- 
nées après.  Il  vint  à  Paris,  et  y 
reçut  de  l'empereur  des  marques 
particulières  d'estime  et  rie  bien- 
veillance; en  1811  et  i8!4'>  il  pu- 
blia, à  Milan,  les  deux  premiers 
volumes  d'une  histoire  de  Corcy- 
re,  sous  le  titre  d'Illuslrasioni 
Corciresi,  in-S".  Il  avait  été  pré- 
cédé dans  cette  carrière,  d'abord 
par  le  cardinal  Quirini,  q«ii  n'avait 
parlé  que  des  premiers  temps,  et 
ensuite  par  André  Marmora ,  qui 
en  avait  publié  l'histoire  presque 
entière;  mais  ce  dernier  ouvrage 
était  regardé  comme  fabuleux,  ce 
qui  donna  plus  de  prix  à  celui  de 
M.  jMustoxidi.  M.  Ginguené  ren- 
dit compte  du  premier  dans  le 
Mercure  étranger,  et  l'analyse,  en 
grec  moderne,  fut  insérée  par 
M.  Démétrius  Schinas ,  dans 
VHer'mès  ho  logios,  qui  s'imprime 
à  Vienne.  Faisant  à  Florence 
des  recherches  d'érudition  dans 
la  bibliothèque  Laurentienne,  M. 
Musloxidi  s'attacha  à  un  manus- 
crit du  i5*  siècle,  contenant  la 
Panatenaica,  ou  Panegyrica  d'I- 
socrate,  et  passa  pour  y  avoir  dé- 
couvert un  long  fragment  qui 
manque  à  toutes  les  éditions  con- 
nues. On  s'est  trompé  sur  ce  der- 
nier point;  ce  fragment  avait  été 
indiqué  successivement  par  plu- 
sieurs savans.  et  entre  autres  par 
Baudini,  qui, dans  son  catalogue  de 
la  bibliothèque  Laurentienne  (cod. 
XIV),  regardait  ce  passage  com- 
me une  interpolation.  Dans  la 
même  année  1811,  M.  Mustoxidi 
inséra  dans  le  journal  littéraire 
il  Po'.igrapho,  des  observations 
sur  V Hymne  de  Denjs.  En  181 5, 
il  reçut  de  l'empereur  de  Russie 
l'ordre    de   Saint-Wladimir.    Cet 


5i4 


MUT 


historiographe  publia,   en    1816, 
une  lettre,  dont  le  but  était   de 
prouver  que    les  quatre  chevaux 
de  bronze,  placés  à  Venise  devant 
la  basilique  de  Saint-Marc,  et  qui 
ont  orné  long-lemps  l'arc  de  triom- 
phe du  Carrousel,  à  Paris,  avaient 
été  faits  à  Chio,  et  que  de  cette 
île,  ils  avaient  été  transportés  par 
l'empereur  Théodose  au  cirque  de 
Constantinople,   Il  n'eut  pas  de 
peine  à  démontrer  un  fait  sur  le- 
quel les  témoignagnes  de  trois  é- 
crivains  du  Bas-Enjpire  sont  d'ac- 
cord,   quoique    d'autres   préten- 
dent,   sans  preuves   à    la  vérité  , 
que  ces  chevaux  ont  orné  l'arc  de 
triomphe  de  Néron  à  Rome.   M. 
Mustoxidi,  pour  faire  jouir  le  pu- 
blic de  sa  vaste  érudition,  a  com- 
mencé à  V^enise,   en   1816,   avec 
le  jeune  Démétrius  Schinas,    un 
recueil  périodique  de   morceaux 
grecs  inédits.   Leur  premier  ca- 
hier contient  quelques   chapitres 
du  9*  livre  d'Aétius,  et  les  argu- 
mens  de  sept  discours  d'Isocrate. 
Il  a  refusé  la  chaire  d'histoire  et 
d'antiquités  grecques  que  le  prin- 
ce de  Valachie  lui  offrait  au  lycée 
de  lîucharesf, parce  qu'il  se  prupo- 
sait  de  retourner  dans  sa  patrie, 
où  l'on  organisait  une  université, 
dont  il  n'est  pas  douteux  qu'il  ne 
soit  devenu  un  des  premiers  orne- 
niens.  M.  Mustoxidi  passe  pour  é- 
crire  l'italien  avec  une  pureté  peu 
commune;  il  a  publié  dans  cette 
langue  une  vie  d'Anacréon  ,  dont 
on  fait  le  plus  grand  éloge.  Il  est  cor- 
respondant de  l'institut  de  France. 
MUTEL   DE  BOLTHEVILLE 
(Jacqies-Frainçois),    uïaire  de    la 
ville  de  Bernay   (département  de 
la    Sein«  -  Inférieure) ,   où  il  na- 
quit le  25  mars  1  ^50,  et  où  il  mou- 


MUT 

rut  le  4  février  1814»  fit  des  étu- 
des distinguées  au  collège  des  jé- 
suites de  IVouen,  et  devint  con- 
seiller de  la  cour  des  comptes  de 
cette  ville.  Son  goût  pour  les  let- 
tres se  m'auifesta  de  bonnç  heure, 
et  il  fut  admis,  en  1777,  comme 
juge  à  l'académie  de  l'immaculée 
Conception  ,  et  successivement 
comme  membre  de  l'académie  de 
Rouen  et  de  la  société  d'agri- 
culture d'Evreux.  Il  adopta  a- 
vec  Sagesse  les  principes  de  la  ré- 
volution, et  devint  maire  de  Ber- 
nay, fonctions  qu'il  exerça  pen-i- 
dant  plusieurs  années.  Outre  di- 
verses brochures  politiques  que 
la  modération  avec  laquelle  elles 
étaient  écrites  fit  peu  remarquer, 
il  a  publié,  sous  le  rapport  litté- 
raire, les  ouvrages  suivans,  signés 
des  initiales  J.  F.  M.  :  1°  Discours 
sur  cette  question  proposée,  en 
1783,  par  l'académie  de  l'immacu- 
lée Conception  :  Combien  il  est  in- 
téressant pour  la  gloire  et  pour  le 
bonheur  des  Français  de  conserver 
le  caractère  national,  Lisieux,  «784, 
in-S"  :  l'académie  couronna  cette 
pièce,  (qui  porte  le  nom  de  son  au- 
teur) ;  2°  l'Éducation,  poëme  en 
4  chants,  suivi  de  la  Conquête  de 
la  Sicile  par  les  Normands,  poëme 
en  6  chants;  de  Gunide,  tragédie; 
du  Voyage  à  Honfleur;  de  la  Tra- 
duction en  vers  des  quatre  premiers 
livres  de  l'Enéide,  etc.,  2  vol.  in- 
80.,  1807  et  1809.  5"  Eloge  de 
l'agriculture,  poëme,  1808,  in- 
8°.  Les  poésies  de  Mutel  de  Bou- 
cheville  se  font  remarquer  pir  une 
verijification  facile,  mais  trop  sou- 
vent négligée. 

MUTUEL  (Je4îï-Godefroy), 
organiste  allemand,  naquit  dans 
le  duché  de  Saxe-LuucDbourg  , 


et  reçut  dans  son  enfance  les  pre- 
mières leçons  de  clavecin  de  son 
père,  qui  était  lui-même  organis- 
te. Dès  l'âge  de  6  ans,  H  fut  en- 
Toyé  à  Lubeck,  et  confié  aux  soins 
de  Paul  Kuntz,  professeur  dis- 
tingué de  clavecin,  qui  le  perfec- 
tionna sur  cet  instrument,  et  lui 
donna  des  leçons  de  composition. 
A  i5ans,  Mathel  devint  musicien 
de  la  chambre  et  organiste  du  duc 
de  Mecklenbourg- Schwerin,  et 
maître  de  musique  du  prince  hé- 
réditaire Louis,  et  de  la  princesse 
Amélie,  sa  sœur.  Il  reçut  quel- 
ques années  après,  de  son  souve- 
rain, la  permission  de  visiter  les 
(  ours  étrangères,  conservant  pen- 
dant ces  voyages  le  traitement 
qui  lui  avait  été  accordé.  A  Léip- 
sick,  il  reçut  des  leçons  de  Sébas- 
tien Bach.  Après  la  mort  de  ce 
célèbre  compositeur,  il  se  rendit 
i  Dresde,  où  il  suivit  concurrem- 
ment le  cours  de  musique  religieu- 
se, l'opéra  et  les  concerts.  De  cet- 
te ville,  il  alla  à  Berlin,  et  s'y  lia 
d'amitié  avec  Emmanuel  Bach  , 
alors  musicien  de  la  chambre  du 
roi.  Plus  savant,  meilleur  exécu- 
tant, il  voulut  faire  jouir  de  ses  ta- 
lens  nouveaux  son  protecteur, 
et  il  retourna  àla  cour  de  Mecklen- 
bourg. Sans  y  être  froidement  ac- 
cueilli, il  n'y  trouva  pas  les  ea- 
Xîouragemens  qu'il  espérait,  et 
bienlùt  il  s'en  éloigna.  Directeur 
de  la  petite  chapelle  de  M.  Wit- 
linghoU',  Conseiller  de  lempereur 
tFe  llussic,  il  fut  désigné  pour  oc- 
cuper, et  il  obtint  peu  de  temps 
après ,  la  place  d'organiste  de 
l'église  principale  de  Uiga,  place 
où  il  resta  jusqu'à  l'époque  de  sa 
mortj  arrivée  au  commencement 
du  19*  siècle.  Sçs  ouvrages  sont 


MUT 


3i5 


peu  nombreux  ,  maU  estimés, 
et  Duruey  les  trouvait  tellement 
remplis  d'idées  neuves  et  origina- 
les, de  goût  et  d'agrément,  qu'il 
les  plaçait  parmiles  meilleures  pro- 
ductions  de  nos  jours. 

MUTIS  (don  JOSEPH-CÉIESTIX), 

astronome  et  botaniste  célèbre  , 
membre  de  l'académie  des  scien^ 
ces  de  Stockholm,  etc. ,  naquit  à 
Cadix  le  6  avril  ijôa,  et  mérita 
que  le  célèbre  Linné  l'appelât 
phytologorum  americanorum  prin- 
ceps.  En  effet,  on  lui  doit  la  dé- 
couverte des  quinquinas  dans  le* 
contrées  où  ils  étaient  ignorés,  (^c 
savant,  forcé  dans  sa  jeunesse  de 
se  livrer  à  l'étude  de  la  médecine- 
pratique  ,  fut  nommé  ,  en  17Ô7. 
suppléant  de  la  chaire  d'anatomie 
de  Madrid.  Mutis  avait  appris  à 
fond  les  mathématiques,  et  il  s'é- 
tiit  livré  de  passion  à  l'étude  de 
la  botanique.  Ce  fut  lui  qui  enri- 
chit les  herbiers  de  Linné,  des 
plantes  de  la  péninsule.  En  1700, 
quoiqu'il  eût  été  nommé  par  le 
gouvernement  espagnol  pour  per- 
fectionner ses  études  ei  Paris,  à 
Leyde  et  à  Bologne,  il  suivit  en 
Amérique  ,  en  qiialilé  de  méde- 
cin, le  vice-roi  don  Pedro  Mesia 
de  La  Cerda.  Il  séjourna  à  Car- 
thagèue,  à  Turbaco  et  a  Honda, 
et  traversa ,  entre  cette  dernière 
ville  et  Santa-Fé  de  Bagota  ,  des 
forêts  où  se  trouvaient  en  abon- 
dance ,  sans  néanmoins  qu'il  les 
reconnût,  excepté  en  177a,  les 
précieuses  substances  de  cincho- 
na  ou  quinquina.  Professeur  de 
mathématiques  au  collège  supé- 
rieur de  Nuestra  Senora  del  Rosa- 
rio,  il  fit  connaître  à  Santa-Fé  les 
premières  notions  du  système 
plauctaire.  Les  moines  répandus 


3i6  MUT 

dans  cette  contrée  virent  avec  une 
vive  inquiétude  ce  qu'ils  appe- 
laient les  hérésies  de  Copernic  se 
propager  dans  la  Nouvelle-Grena- 
de; ils  prétendaient  que  la  terre 
était  immobile.  Mutis  ,  protégé 
par  le  vice-roi,  soutint  avec  fer- 
meté un  système  que  Bouguer, 
Goflin  et  La  Condamine,  avaient 
déjà  professé  à  Quito.  Entraîné 
par  le  désir  d'examiner  les  plantes 
de  la  région  chaude,  et  d'observer 
les  mines  argentées  de  la  Nou- 
velle-Grenade,il  quitta  Sanla-Féet 
séjourna  successivement  à  Mon- 
tuosa  ,  entre  Giron  et  Pamplona, 
au  Real  del  Sapo  et  à  Mariquita,  au 
pied  des  Andes  de  Quindio  et  du 
Paramo  de  Herveo.  Il  commença 
à  Montuosa  la  grande  Flore  de  la 
Nouvelle-Grenade  f  à  laquelle  il 
travailla  pendant  l\o  ans.  Linné, 
par  une  erreur  fâcheuse  en  bota- 
nique, indiqua,  comme  venant  du 
Mexique ,  dans  son  supplément 
des  Spccies  planlarum  et  dans  son 
Mantissa ,  les  espèces  rares  que 
Mutis  lui  avait  adressées  de  Mon- 
tuosa. En  1786  ,  pendant  son  sé- 
jour à  Real  del  Sapo,  Mutis  fit  la 
découverte  d'une  mine  de  mer- 
cure à  Ibaguè-Viéjo  ,  situé  entre 
le  Nevado  de  Tolima  et  le  Rio  Sal- 
dâna.  Ces  travaux  importans  dé- 
terminèrent le  gouvernement  de 
Madrid  à  fonder,  en  1790,  à  San- 
ta-Fé  de  Bagota,  un  établissement 
de  botanique,  qui  prit  le  nom  de 
Expedicion  real  bolanica ,  et  dont 
la  direction  fut  confiée  à  Mutis. 
Ce  savant  ,  subjugué  par  l'in- 
fluence des  prêtres  qu'il  voulait  se 
rendre  favorables,  s'était  détermi- 
né ,  dès  1772  ,  à  embrasser  l'état 
ecclésiastique  ,  détermination  qui 
le  fit  nommer  chanoine  de  l'église 


M(JT 

métropolitaine  de  Santa-Fé  de  Ba- 
gota, et  confesseur  d'un  couvent 
de  religieuses,  fonctions  peu  com- 
patibles avec  la  science  à  laquelle 
il  s'était  d'abord  exclusivement 
consacré.  Il  forma,  aveC/un  soin 
particulier,  une  école  de  dessina- 
teurs indigènes  ,  et  leur  confia 
l'exécution  de  son  herbier.  Pen- 
dant leur  séjour  à  Santa-Fé  de  Ba- 
gota, en  i8oi,  MM.  de  Humboldt 
et  Bonpland  reçurent  de  Mutis 
l'hospitalité  la  plus  affectueuse  , 
et  ils  virent  que  déjà,  à  cette  épo- 
poque  ,  le  nombre  des  dessins 
terminés  de  sa  collection  botani- 
que était  de  plus  de  deux  mille, 
y  compris  quarante -trois  espèce^ 
de  passiflores  et  cent  vingt  espèces 
d'orchidées.  A  l'âge  de  77  ans,  en 
1802  ,  Mutis  fit  construire  dans 
son  jardin  un  observatoire.  «  C'est , 
dit  M.  de  Humboldt  dans  une  sa- 
vante Notice  sur  Mutis,  une  tour 
octogone  de  72  pieds  d'élévation, 
qui  renfermait,  en  1808,  un  gno- 
mon de  57  pieds  ,  un  quart  de 
cercle  de  Sisson  ,  la  pendule  de 
Graham,  que  La  Condamine  avait 
laissée  à  Quito  ,  deux  chronomè- 
tres d'Emery ,  et  des  lunettes  de 
Dollond.  fi  Mutis  mourut  le  1 1 
septembre  1808,  peu  de  temps  a- 
vant  la  révolution  qui  a  procuré 
l'indépendance  à  sa  seconde  pa- 
trie. Il  a  laissé  un  grand  nom- 
bre de  manuscrits,  mais  il  a  fait 
imprimer  peu  d'ouvrages.  Ceux 
qu'il  a  publiés  ont  paru  dans  les 
Mémoires  de  l' Académie  des  scien- 
ces de  Stockholm,  année  1769,  et 
dans  le  Papel  periodico  ,  journal 
imprimé  à  Santa-Fé  de  Bagota  en 
179^).  On  doit  recourir,  pour  avoir 
une  connaissance  détaillée  de  ses 
nombreux    travaux ,   au   supplé- 


MUT 

ment  de  Linné ,  aux  ouvrages  de 
l'abbé  Cavanilles  et  de  i>l.  de 
Humboldt,  et  au  Semanario  del 
nueto-reino  de  Grenade,  années 
1808  et  180g,  rédigé  par  M.  Cal- 
das,  directeur  de  l'observatoire  de 
Santa- Fé  de  Bagola,  et  l'un  des  é- 
lèves  les  plus  distingués  de  Mutis. 
«  L'honnme,  dit  l'auteur  de  la  No- 
tice dont  nous  avons  déjà  parlé, 
qu»  a  déployé  une  si  étonnante 
activité  pendant  48  ans  de  travaux 
danj>  le  .Nouveau-Monde  ,  était 
doué,  par  la  nature,  de  la  consti- 
tution physique  la  plus  heureuse. 
Il  était  d'une  stature  élevée  ;  il 
avait  de  la  noblesse  dans  les  traits, 
de  la  gravité  dans  le  maintien,  de 
l'aisance  et  de  la  politesse  dans  les 
manières.  Sa  conversation  était 
aussi  variée  que  les  objets  de  ses 
études.  S'il  parlait  souvent  avec 
chaleur,  il  aimait  à  pratiquer  aussi 
cet  art  d'écouler ,  auquel  Fonte- 
nelle  attachait  tant  de  prix,  et  que 
déjà  il  trouvait  si  rare  de  son 
temps.  Quoique  fort  occupé  d'une 
science  qui  rend  nécessaire  l'étu- 
de la  plus  minutieuse  de  l'organi- 
sation, Mutis  ne  perdait  jamais  de 
vue  les  grands  problèmes  de  la 
phj'sique  du  monde.  Il  avait  par- 
couru les  Cordilières,  le  baromè- 
tre à  la  main  :  il  avait  déterminé 
la  température  moyenne  de  ces 
plateaux  qui  formeat  comuie  des 
îlots  au  milieu  de  l'Océan  aérien. 
11  avait  été  frappé  de  l'aspect  de 
la  végétation,  qui  varie  à  mesure 
que  l'on  descend  dans  les  vallées 
ou  que  l'on  gravit  vers  les  som- 
mets glacés  des  Andes.  Toutes  les 
questions  qui  ont  rapport  à  la  géo- 
graphie des  plantes,  l'intéressaient 
vivement  ;  et  il  avait  cherché  à 
connaître    les    limites    plus    ou 


MLY  517 

moins  étroites  entre  lesquelles  se 
trouvent  renfermées,  sur  la  pente 
des  montagnes,  les  différentes  es- 
pèces de  ciuchona.  Ce  goût  pour 
les  sciences  phj-siques,  cette  cu- 
riosité active  qui  se  porte  sur  l'ex- 
plication des  phénomènes  de  l'or- 
ganisation et  de  la  météorologie, 
s'est  maintenu  en  lui  jusqu'au 
dernier  moment  de  sa  vie.  Rien 
ne  prouve  plus  la  supériorité  de 
son  talent,  que  l'enthousiasme  a- 
vec  lequel  il  recevait  la  nouvelle 
d'une  découverte  importante.  Il 
n'avait  pas  vu  de  laboratoire  de 
chimie  depuis  17G0;  et  cependant, 
la  lecture  assidue  des  ouvrages  de 
Lavoisier,  de  Guyton-Morveau  et 
de  Fourcro}',  lui  avait  donné  des 
connaissances  très-précises  sur  l'é- 
tat de  la  chimie  moderne.  » 

3ILYART  DE  VOLGLANS 
(Pierre-Frasçois)  ,  conseiller  au 
grand-conseil,  naquit,  en  1715,  à 
Moirans,  dans  le  département  du 
Jura.  Destiné  de  bonne  heure  à 
la  carrière  du  barreau,  il  se  livra 
à  l'étude  du  droit,  fut  reçu  avo- 
cat au  parlement  de  Paris,  et  se 
distingua  bientôt  parmi  les  crî- 
minalistes  français.  En  1771,  il 
devint  membre  du  parlement  qui 
fut  convoque  à  cette  époque  par  le 
chancelier  Maupeou,  et  fut  nom- 
mé peu  de  temps  après  conseiller 
au  grand-conseil.  On  lui  doit  un 
grand  nombre  d'ouvrages  sur  les 
matières  criminelles;  les  princi- 
paux sont  :  i*>  Traité  particulier 
des  crimes  y  Paris,  1707,  iii-4°;  a" 
Instruction  criminelle  suivant  les 
lois  et  ordonnances  du  royaume , 
Paris,  1762,  in-4°;  5'  Réfutation 
des  principes  hasardés  dans  le  traité 
des  délits  et  des  peines,  Paris,  1767, 
in  8°;  réimprimée  à  IJireeht,  en 


5i8 


MU  Y 


i^68,io-i2,et  traduite  en  ilalien  et 
en  allemand;  4°  Motifs  de  ma  foi 
en  Jésus -Christ,  ou  Points  fonda- 
mentaux de  la  ï'eiigion  chrétienne, 
Paris,  1776,   în-12,  traduits  en 
espagnol  :  c'est  à  celte  occasion 
que    le    pape    Pie  VI   écrivit    à 
l'auteur  une  lettre  pour  le  félici- 
ter du  succès  de  son  ouvrage;  5" 
Réfutation  du  traité  de  Beccaria, 
et   Mémoire    sur    les    peines    in- 
famantes, Paris,  1785;  6"  les  Lois 
a'iminelles  de  la  France  dans  leur 
ordre  naturel,  Paris,  i7>^3,  in-fol: 
l'auteur  employa  vingt  ans  à  con- 
fectionner cet  ouvrage,  qui  est  ré- 
digé sur  le  plan   des  Lois  ecclé- 
siastiques,    publiées  par  d'Héri- 
court  ;  7"  Preuves  de  l'authenticité 
de  nos  évangiles  contre  les  asser- 
tions de  certains  critiques  moder- 
nes, Paris,  1780,  in-12;  8°  Lettre 
sur  le  systènie  de  l'auteur  de  l'es- 
prit des  lois  touchant  la  modération 
des  peines ,    Paris,    1786,  in-12. 
Muyart    de   Vouglas    mourut    à 
Paris,  le  14  mars  1791,  à  l'âge 
de  78  ans.  C'est  peut-être  le  seul 
de  nos  anciens  criminalisles  dont 
on  recherche  encore  les  ouvrages. 
MUYSSART    (  Jea>  Baptiste  , 
COMTE  i>e),  maire  de  Lille,  est  né 
dans  celte  ville  en  1759,  et  était, 
avant  la  révolution, l'un  des  quatre 
grnuds-baiMis  des  châtellenies  de 
Lille,  Douai  et  Orchies;  en  1790 
et  1791,  il  fut  président  de  l'admi- 
nistration du  district  de  Lille.  Il 
émigra   hienlôt  après,  et  établit 
un  pensionnat,  en  Angleterre;   il 
rentra  en  France  long-temps  a- 
vant  la  restauration.   En  181 5  et 
i8i4  il  était  maire  de  Marq,  en 
Barœul,  commune  rurale  de  l'ar- 
rodi  iseœcnlde  Lille,  où  il  pos- 


MUZ 

séde  ^une  maison  de  campagne. 
Devenu  maire  de  Lille,  en  i8i5, 
en  remplacement  de  M.  le  comte 
de  Brigode,  nonimé  pair  de  Fran- 
ce, il  accepta  un  traitement  de 
12,000  francs  que  M.  de  Brigode 
avait  refusé;  il  est  encore  actuel- 
lement maire  de  Lille  et  continue 
à  jouir  de  ce  traitement.  Le  jour 
de  son  installation  dans  la  place 
de  maire,  il  a  fait  brCder  publi- 
quement, en  face  de  la  maison 
commune,  un  portrait  du  premier 
consul  Bonaparte;  c'était  un  des 
ouvrages  de  David,  dont  un  ama- 
teur belge  avait  offert  des  sommes 
considérables.  En  1820  ,  M.  de 
Rluyssart  a  été  vice-président  du 
collège  électoral  du  dépar-lement 
qui  l'a  nommé  membre  de  la 
chambre  des  députés,  où  il  a  siégé 
au  côté  droit  jusqu'en  1824,  épo- 
que de  la  dissolution  totale  de  la 
chambre.  Il  est,  depuis  i8i5,  che- 
valier de  la  légion-d'honneur. 

MUZîO-GALLO  (Nicolas), 
cardinal-évêque  de  Viterbe  ,  na- 
quit à  Osimu  en  1721.  Il  embras- 
sa de  bonne  heure  l'état  ecclésias- 
tique ,  et,  malgré  les  vertus  et 
l'humanité  qui  ne  cessèrent  de  le 
distinguer,  il  était  déjà  âgé  quand 
il  devint  évêque  de  Viterbe,  et  ne 
fut  agrégé  au  sacré  collège,  en 
qualité  de  cardinal, qu'au  mois  de 
mai  1785.  Lorsque  le  général 
Rellermann  assiégeait  sa  ville  é- 
piscopale  en  1800,  le  peuple  fu- 
rieux menaça  de  massacrer  trente 
Français  qui  s'y  trouvaient  ren- 
fermés comme  prisonniers;  mais 
le  cardinal  flluzio  Gallo,  prévenu 
à  temps  de  ce  projet  sanguinaire, 
les  prit  sous  sa  sauve-garde,  leur 
donna  asile  dans  son  palais,  ha- 


MUZ 

rangua  la  populace ,  et  parvint 
enfin  à  l'apaiser  par  le  seul  ascen- 
dant de  son  âge  et  de  ses  vertus. 
Adressant  ensuite  la  parole  à  ceux 
dont  il  venait  d'être  le  lib:';rateur, 
il  leur  dit  :  «Souvenez-vous  du 
«vieillard  de  Viierbe,  il  prit-ra 
»Dieu  pour  vous;  mais  il  vous 
«détend  de  parler  du  faible  ser- 
»vice  qu'il  a  eu  le  bonheur  de 
•  vous  rendre.»  Ceîle  action  est 
en  effet  restée  ignorée  tant  que 
ce  vieillard  généreux  a  vécu;  ce 
ne  fut  qu'.iprès  sa  mon,  arrivée 
quelque  mois  après,  que  M.  Mé- 
chin  (voyez  ce  nom),  qui  se  trou- 
vait au  nombre  de  ceux  qui  lui 
devaient  la  vie,  a  fait  connaître, 
dans  une  notice  publiée  en  1802, 
cet  acte  éclatant  d'humanité. 

MLZZARELLI  (Alphonse),  jé- 
suite théologien  romain,  appar- 
tient à  la  maison  des  comtes  iMuz- 
zarelii;  il  naquit  à  Ferrare  le  22 
août  i740î  fi*  *6^  études  chez  les 
jésuites,  et  entra  dans  leur  ordre 
en  1^68.  Il  se  livra  exclusivement 
à  l'étude  de  la  théologie,  et,  après 
la  suppression  de  la  société  dont 
il  faisait  partie,  il  obtint  un  bé- 
néfice à  Ferrare  ;  nommé  par  le 
duc  de  l'arme,  directeur  du  col- 
lège des  nobles,  il  fut  appelé  en- 
suite par  l'ie  VII  à  Rome,  où  il 
reçut  le  litre  de  théologien  de  la 
péiiitencerie.  Il  accompagna  le 
^ouverain-ponlife,  lorsque  S.  S. 
se  rendit  à  Paris,  en  1809.  Le  P. 
xMuzzarelli  mourut  dans  cette 
ville  en  ]8i5.  Ses  ouvrages  sont 
très-nombreux.  Nous  citerons  les 
principaux  :  1°  de  fa  Vanité  du 
iiLJce  dans  les  vélemens  viodei'nes, 
1794'  in-S";  2°  le  Trésor  caché 
dans  le  cœur  de  Marie,  1806,  in- 
12;  ù'  Dissertation  sur  UsrègUs  a 


HUZ  5 10 

observer,  pour  parler  et  écrire  avec 
exactitude  sur  la  dévotion  au  cœur 
de  Jésus,  Rome,  1806,  in-12;  4* 
Recherches  sur  les  richesses  du  cler- 
gé, Ferrare,  1776,  in-8*;  ^' deum 
Opinions  de  Charles  Bonnet  {voyez 
ce  nom),  sur  la  résurrection  et  les 
miracles,  réfutées,  Ferrare,  1781, 
in-8'';  6'  Emile  détrompé.  Sien- 
ne, 1782,  2  vol.;  7°rfM  Bon  usag» 
de  la  logique,  en  matière  de  reli- 
gion, Foligno,  1787,  5  vol.  in-8", 
seconde  édition,  1789,6  vol.;  troi- 
sième éd.  1810,  10  vol.;  8°/,<?///'e  à 
Sophie ,  sur  la  secte  dominante  de 
son  temps ,  1791,  in-4*;  9''  de  l'O- 
bligation  des  pasteurs,  dans  les 
temps  de  persécution,  1791,  in-8''; 
1 0°  des  Causes  des  maux  /rrésens, 
et  de  la  crainte  des  maux  futurs, 
et  leurs  remèdes,  1792,  10-8";  11" 
Examen  critique  des  principales 
fêtes  de  Marie  ;  12'  Jean-Jacques 
Rousseau,  accusateur  des  nouveaux 
philosophes.  Assise,  1798;  réim- 
primé à  Ferrare  sous  le  titre  de 
Mémoires  du  jacobinisme ,  extraits 
des  œuvres  de  J .  J .  Rousseau;  10' 
Opuscules  inédits,  composés  pen- 
dant la  persécution  de  l'Italie,  Foli- 
gno, 1800,  10-8°;  14"  Question 
proposée  aux  détenteurs  des  biens 
ecclésiastiques  dans  la  Cisalpine, 
Ferrare,  1800  ;  i5*  Recueil  d'évé- 
nemens  singuliers  et  de  documens 
authentiques  sur  la  vie  de  François 
de  Girolamo,  jésuite  missionnaire 
de  Naples,  mort  en  1716,  béatifié 
en  1807;  16°  Dissertatiotis  choi- 
sies, Rome,  1807,  '^-8°:  l'une  de 
ces  dissertations  sur  le  pouvoir 
que  le  pape  auraitde  destituer  un 
évêque  malgré  lui,  a  élé  traduite 
en  français,  et  publiée  sous  ce 
litre  :  le  Souverain-pontife  a-l-il  le 
droit  d«  priver  un  évêque  de  son 


520  NAD 

siège  dans  un  cas  de  nécessité  pour 
C église,  ou  de  grande  utilité,  Pa- 
ris, 1809,  in-8";  17°  de  l'Autorité 
du  pontife  romain  dans  les  conciles 
généraux,  Gand,  i8i5,  2  vol.  in- 
8".  Ce  jésuile  avait  collivé  la 
poésie  dans  sa  jeunesse,  il  a  pu- 
blié à  Venise,  en  1780,  la  Voca- 
tion de  saint  Louis  de  Gonzagae, 
poëme,  Ferrarc,  1789;  l'Enfant- 
Jésus,  traduit  en  vers  italiens  du 
latindeCeva,  Rome, 1808,  in  12; 
et  Douze  faits  de  l' Histoire-Sain- 
te^ en  vers,  Ferrare,  1807,  in-8°. 
MYELSRY  (N.  de),  lieutenant- 
général  polonais, naquit,  en  1713, 
dans  le  palalinatde  Posen,  d'une 
famille  noble  et  ancienne.  Il  en- 
tra fort  jeune  au  service  de  Rus- 
sie, se  distingua  dans  différentes 
occasions  par  sa  bravoure  ,  et 
quitta  ensuite  les  drapeaux  russes 
pour  suivre  ceux  du  roi  de  Saxe, 
dont  il  avait  reçu  un  accueil  dis- 
tingué. Nommé  lieutenant-géné- 
ral à  Tavénement  de  Stanislas- 
Auguste  au  trône  de  Pologne,  son 
âge  avancé  l'empêcha  de  prendre 
part  aux  efforts  que  tentèrent  ses 
malheureux  compatriotes  pour  se 
soustraire  au  despotisme  de  Ca- 
therine II.  11  vit  avec  douleur  le 
démembrement  de  cette  antique 
monarchie  ,  et  se  retira  dans  sa 
terre  de  Wiski  ,  au  duché  de  Po- 
sen,  où  il  mourut  au  mois  de  juil- 
let i8i8,  à  l'âge  de  loSans. 


NAD 

MYRIS    (N.),   dessinateur   et 
graveur,  né  en  France  d'une  fa- 
mille originaire  de  Pologne,  était, 
à  l'époque  de  la  révolution,  atta- 
ché en  qualité  de  professeur  de 
dessin  à  l'éducation   des   enfans 
du  duc  d'Orléans.  Lorsqàe  l'aîné 
de  ces  princes  accompagna  à  l'ar- 
mée le  général  Dumouriez,   M. 
Myris  le   suivit,   et  se  conduisit 
avec  tant   de    distinction   dés   le 
commencement  de  la  campagne 
de  1792,   qu'il   fut  nommé  chef 
de    bataillon    après    l'importante 
victoire    de  Jemmapes.    Lorsque 
Dumouriez  eut,  avec  une  partie 
de  son  état-major,  abandonné  l'ar- 
mée ,  le  chef  de  bataillon  Myris 
traversa  la  France  pour  aller  en 
porter   la    nouvelle    au   duc    de 
Beaujolais,  le  plus  jeune  de  ses 
élèves  qui  se  trouvait  alors  sous 
les  ordres  de  Biron  à  l'ariTjée  des 
Alpes,  mais  il  ne  prit  point  de 
service  dans  celle  armée.  De  re- 
tour à  Paris,  il  y  courut  quelques 
dangers, auxquels  la  protection  de 
Barère  put  seule  le  soustraire.  Ce 
dernier  le  fit  autoriser  ù   conti- 
nuer, aux  frais  de  la  république, 
sa  magnifique  collection  des  gra- 
vures de  l'hisloire  romaine  qu'il 
avait  commencée  pour  les  jeunes 
princes.   Cet  important  ouvrage 
fut  achevé  sous  le  gouvernement 
impérial.  M.  Myris  a  été  depuis 
lors  perdu  de  vue. 


N 


NADALDESAINTRAC  (N.  ) ,  adopté  les  principes  de  la  révolu- 
député  aux  états-généraux,  était  lion,  il  fut  nommé  par  la  colonie, 
né  à  la  Guadeloupe,  et  y  possé-  en  1789,  député  aux  étals-géné- 
dait  de  grandes  propriétés;  ayant  raux;  il  s'y  fit  peu  remarquer, 


NAG 

irnvant  pris  part  à  aucune  des 
discuasion»  importantes  qui  eu- 
rent lieu  dans  cette  asbeaiblée  ,  et 
vota  conitaminent  avec  le  parti 
modéré.  La  (in  de  1j  session  tut  aus- 
si celle  de  ses  fonctions  publiques  ; 
il  retourna  daus  sa  patrie  et  ne  re- 
parut plus  ?ur  la  scène  politique. 

NAGEL  (A.  W.  C.  baron  de), 
ministre  secrétaire-d'état  au  dé- 
partement des  affaires  étrangères, 
dans  le  nouveau  royaume  des 
Pays-Bas  ,  était  ambassadeur  de 
la  république  de  Hollande,  auprès 
de  la  cour  d'Angleterre  ,  quand  la 
révolution  de  1795  lorça  le  stad- 
bouder  de  se  réfugier  à  Londres. 
Le  baron  de  Nagel,  entièrement 
dévoué  au  prince  d'Orango,  en- 
voya aussitôt  sa  démission  au  gou- 
veraiMUent  établi  en  Hollande 
sous  la  protection  de  la  France,  et 
continua  à  résider  à  Londres  sans 
caractère  public.  Après  les  désas- 
tres des  armées  françaises  en  1 8 14> 
une  nouvelle  révolution  ayant 
éclaté  dans  sa  patrie,  et  le  slad- 
Ijouder  étant  de  retour  à  La  Haye, 
M.  de  Nagel  fut  appelé  au  minis- 
tère des  relations  extérieures.  Sa 
nomination  à  ce  poste  important 
fut  généralement  considérée  com- 
me une  récompense  accordée  uni- 
quement au  dévouement  du  nou- 
veau ministre  à  Ja  maison  d'O- 
range. Les  nombretix  adversaires 
du  baron  de  Nagel  ne  cessèrent 
du  mcins  de  lui  contester  les  au- 
tres droits  que  cet  bomme  d'état 
pouvait  avoir  à  u:ie  telle  place 
par  ses  qualités  personnelles.  Au 
mois  de  juin  de  la  même  année, 
il  fut  chargé,  par  le  prince  d'O- 
range ,  qui  avait  alors  pris  le  nom 
de  prince -régent ,  d'annoncer  à 
lord  CUmcar^j,  anabassudeur  bri- 


N-4.G  5a  I 

tanniqne,  «que  le  nouveau  sou- 
verain des  Pays-Bas  avait  dé- 
crété l'abolition  de  la  traite  des 
nègres,  et  qu'il  désirait  en  outre 
quedans  la  cou  vention  éventuelle, 
pour  la  restitution  de»  colonies 
hollandaises,  la  prohibition  per- 
pétuelle du  con)merce  d'esclaves 
dans  ces  colonies,  fût  expressé- 
ment statiiée.  »  Au  mois  de  mars 
i8i5,  lorsque  le  retour  de  Napo- 
léon à  Paris  fut  connu,  M.  de 
Nagel  invita  l'ambassadeur  d'An- 
gleterre ,  les  ministres  de  Russie 
et  de  Prusse,  et  le  chargé  d'af- 
faires d'Autriche,  à  ime  confé- 
rence ;il  leur  déclara  que  le  prince 
d'Orange  venait  de  prendre  la  ré- 
solution de  se  proclamer  le  jour 
même  roi  des  Pays-Bas ,  quoiqu'il 
n'eût  pas  encore  reçu  du  congrès 
de  Vienne  l'autorisation  de  pren- 
dre ce  titre.  Insistant  sur  l'urgence 
des  circonstances,  sur  la  fermen- 
tation qui  était  à  redouter,  princi- 
palement dans  les  provinces  de  la 
Bejgique,  et  sur  le  danger  d'un 
état  provisoire,  le  ministre  cher- 
cha à  établir  la  nécessité  de  cette 
proclamation  immédiate,  qui  eut 
en  effet  lieu  après  la  conférence 
diplomatique.  Depuis  cette  épo- 
que, la  carrière  ministérielle  du 
baron  de  Nagel  n'a  été  marquée 
par  aucun  événement  important  ; 
elle  vient  d'être  terminée  par  une 
honorable  démission  qu'il  a  ob- 
tenue en  janvier  1824.  Le  roi  de 
t'rance  avait  envoyé  en  1814  à 
Jl.  de  Nagel  la  décoration  de 
l'ordre  de  Saint-Louis  ,  en  re- 
conriaissance  des  services  que  ce 
ministre  a  rendus  aux  émigrés 
pendant  le  cours  de  la  révolu- 
tion française.  H  a  été  aussi  dé- 
x'Vff^    par    son    souverain  ,    des 


Saa 


ÎSAÏ 


ordres  ihi  royaume  des  Pays-Bas. 
NAIGEON  (Jacqves- André), 
homme  de  lettres,  ancien  membre 
de  rinslitiit,  né  à  Paris,  en  i^SH, 
se  livra,  dès  sa  jeunesse,  à  une  é- 
tude  apj)rorondie  des  langues  an- 
ciennes, et  des  auteurs  classiques. 
IJ  a  depuis  commenté  et  repro- 
duit par  des  traductions,  plusieurs 
ouvrages  de  ces  derniers.  Joignant 
a  ces  travaux  l'étude  des  sciences 
exactes,  il  se  lia  bienlôt  avec  les 
mathématiciens  et  les  philosophes 
les  plus  estimés  du  i8*  siècle. 
Une  amitié  étroite  l'unit  particu- 
lièrement à  Diderot,  et  tant  que 
reçut  cet  homme  célèbre,  il  ne 
cessa  de  lui  donner  des  preuves  du 
plus  tendre  attachement.  Quand 
la  mort  eut  brisé  les  liens 
d'une  aftection  réciproque,  Nai- 
geon,,  fidèle  <i  ses  premiers  senti- 
mens,  saisit  toutes  les  occasions 
d'honorer  la  mémoire  de  son  ami. 
Il  devint  l'éditeur  de  ses  œuvres 
complètes,  et  y  joignit  un  volume 
de  commentaires ,  dont  la  publi- 
cation a  été  défendue  en  1825. 
Admis  dans  l'intimité  du  baron 
d'Holbach,  chez  qui  je  réunis- 
saient d'Alembert  ,  La  Grange  , 
J.  J.  Rousseau.  Diderot,  Condor- 
cet,  Morellel,  Grimm  ,  et  tant 
d*autres  littérateurs,  artistes,  sa- 
vans  et  hommes  du  monde,  Nai- 
geon  s'y  fit  bientôt  remarquer  par 
l'exaltation  et  l'opiniâtreté  avec 
lesquelles  il  soutenait  ses  opi- 
nions. Il  avait  adopté  l'aride  doc- 
trine du  matérialisme.  Ennemi 
prononcé  des  causes  finales,  c'é- 
tait avec  ostentation  qu'il  se  pro- 
clamait lui-même  athée.  On  assu- 
re qu'il  prit  une  part  active  à  la 
publication  de  plusieurs  ouvrages 
anonymes  ou  pseudonymes,  tels 


KAI 

que  le  Système  de  la  nature^  et  au- 
tres, qui  sortirent  successivement 
des  presses  de  la  Hollande,  et  qui 
depuis  ont  été,  en  grande  partie, 
attribués  au  baron  d'Holbach. 
Naigeon  travailla  en  même  temps 
avec  son  ami  La  Grange,  à  des 
traductions  de  Lucrèce  et  de  Sé- 
nèque,  et  publia  la  dernière,  avec 
des  notes  critiques,  historiques  et 
littéraires,  sur  la  vie  d«  Sénèqiie, 
augmentée  de  l'essai  de  Diderot  , 
Paris,  1779,  7  vol.  in-12.  H  fut 
aussi  chargé,  par  Diderot  et  d'A- 
lembeit,  de  coopérer  à  la  grande 
entreprise  de  l'Encyclopédie,  et  il 
y  fournit  plusieurs  articles  iinpor- 
tans.  On  le  désigne  encore  com- 
me un  des  collaborateurs  de  l'abbé 
Raynal,  pour  son  Histoire  philo- 
sophique et  politique  de  l'élablifse- 
mcnt  des  Européens  dans  les  Deux- 
Indes.  Parmi  la  foule  d'ouvrages 
auxquels  Naigeon  travailla ,  on 
cite,  comme  celui  où  il  a  mis  le 
plus  du  sien  ,  le  Militaire  philoso- 
phe,  ou  difficultés  sur  la  religion, 
proposées  au  P.  Mallebranche,  Lon- 
dres (Amsterdam),  1768,  in-12. 
Il  publia  ensuite  une  traduction 
du  Traité  de  la  tolérance  dans  la 
religion,  ou  la  liberté  de  conscience, 
par  Crellius,  auquel  il  ajouta, 
l' [ntolérance  convaincue  de  crime 
et  de  folie,  et  qu'il  fit  suivre  par 
un  Hecueil  philosophique,  ou  Mé- 
lange de  pièces  sur  la  religion  et  la 
morale ,  Londres  (  Amsterdam  ), 
1770,  2  vol.  in-12.  On  trouve  dans 
ce  dernier,  plusieurs  morceaux 
de  Vauvenargues,  Duinarsais,  Mi- 
rabaud,  Burigny,  d'Holbach,  et 
une  Dissertation  sur  l'origine  des 
principes  religieux,  par  Meister. 
En  1784,  il  donna  la  Vie  de  l'etn- 
pereur  Julien,  et  en  1788,  il  tut 


I 


\ 

NAl 

chargé  de  publier  le  Conciliuleiir 
de  Turffot.  La  mort  lui  enleva, 
deux  ans  après  ,  l'ami  de  sa  jeu- 
nesse, le  baron  d'Holbach ,  et  il 
publia  les  Elémens  de  morale  uni- 
verselle de  ce  dernier,  avec  des 
iioles  et  additions  considérables. 
Naigeon  avait ,  pendant  long- 
temps ,  pris  soin  d'assurer  à  ses 
nombreuses  productions,  hétéro- 
doxes en  matière  de  foi,  une  cer- 
taine cl.indestinitc.  Son  nom  n'a- 
vait été  attaché  à  aucune,  et  loin 
d'affronJerla  Bastille,  comme  plu- 
sieurs écrivains  contemporains,  il 
avait  cherché,  el  compléleiuent 
réussi ,  à  mettre  sa  personne  à 
l'abri  des  atteintes  de  l'autorité. 
Mais  à  l'époque  de  la  révolution, 
il  jugea  que  toutes  ces  précau- 
tions, qu'il  traita  bientôt  lui-même 
de  pusillanimes,  devenaient  inuti- 
les. Convaincu  '  que  l'empire 
des  préjugés  allait  être  anéan- 
ti ,  et  comprenant  sous  ce  nom  , 
non-seulement  tous  les  dogmes 
des  religions  révélées,  mais  le 
théisme  même,  il  présenta  à  l'as- 
semblée nationale,  en  1790,  une 
adresse  remarquable.  Il  y  insistait 
d'abord  sur  une  liberté  illimitée 
pour  la  presse,  et  réclamait  parti- 
culièrement l'exercice  du  droit 
indéfîni,  appartenant,  selon  lui,  à 
tout  citoyen  ,  d'énoncer  ses  opi- 
nions en  matières  religieuses. 
Pour  sa  part,  il  usa  largcinent  de-- 
puis  de  celte  faculté.  L'adresse 
lut  vantée  dans  le  Mercure  et  dans 
plusieurs  autres  écrits  du  temps, 
mais  elle  fut  vivement  attaquée-, 
ainsi  que  son  auteur  ,  presque 
aussitôt.  Le  ton  dogmatique  que 
Naigeon  avait  adopté  ,  }e  mé- 
pris qu'il  affectait  pour  les  philoso- 
phes sceptiques,  pour  les  .théistes, 


NAI  ,"520 

et  généralement  pour  tous  les  es- 
prits faibles  qui  ne  s'élevaient  pas 
à  la  hauteur  de  sa  métaphysique, 
lui  suscitèrent  de  nombreux  enne- 
mis, et  Ton  accusait  l'auteur  de 
l'Intolérance  convaincue  de  crime 
et  de  folie,  d'être  devenu  un  athée 
intolérant,  ce  qui  ne  s'était  point 
vu  jusqu'alors.  La  Harpe  venait 
de  se  convertir,  el,  néophyte  fou- 
gueux, dogmatique  aussi  intolé- 
rant, il  ne  cessait  d'attaquer  le 
parti  auquel  il  s'était  long-temps 
fait  gloire  d'appartenir.  Les  deux 
missionnaires  emportés  en  sens 
inverse,  furent  assez  heureuse- 
ment signalés  par  Chénier,  dans 
la  pièce  suivante  : 

Or,  connaissez-vous  en  France 
Certain  couple  sauvageon, 
Prisant  peu  la  tolérance  , 
Messieurs  La  Harpe  et  N.aigeon  ? 

Entre  eux  il  s'élève  un  schisme: 
L'an  étant  grave  docteur, 
Ferré  sur  le  catéchisme  ; 
L'autie,  athée  inquisiteur. 

Tous  deux  braillent  comme  pies; 
Déistes  ne  sont  leurs  saints  : 
La  Harpe  les  nomme  impies, 
Naigeon  les  dit  capucins. 

Leur  élcttiuence  modeste 
Amollit  les  coeurs  de  fei; 
La  Harpe  a  le  feu  céleste. 
Et  Naigeon  le  feu  d'enfer. 

Partout  ces  deux  Prométhées 
V'ont  formant  mortels  noaveauj.  : 
La  Harpe  f a  t  les  athée^. 
Et  Naigeon  fait  les  dévots. 

Il  t- 

Vers  la  fin  de  la  carrièi'é  ne  îïai- 
geon,  on  remarqua  cependant  qu'il 
avait  renoncé  au  désir  de  faire  des 
prosélytes,  et  qu'il  mettait  même 
une  grande  circonspection  dans 
son  langage.  Au  reste,  quelles  que 
fussent  ses  opinions,  sa  vie  resta 
toujours  irréprochable.  Ses  mœurâ 
étaient  pures;  il  sut  mériter  l'ei- 
time  et  TafTection  de  ceux  qui  a- 
vaient  des  rapports  avec  lui,  el  il 
eut  de  véritables  amis.  Il  mourut 
à  Paris,  le  38  février  j8io.  Nai- 


52 'i 


NAI 


f^eon  a  coopéré  ,  ainsi  qu'il  a 
été  dit  précédemment  ,  à  une 
foule  d'ouvrages.  L'histoire  de  la 
philosophie  ancienne  et  moderne, 
dans  l' Encyclopédie  méthodique,  a 
été  rédigée  par  lui.  Il  en  parut  3 
vol.  in-/|°,  de  1791  à  1791;  mai;-, 
l'ouvrage  est  re?té  incomplet:  on 
attendait  un  4'  vol.,  dans  lequel 
les  articles  de  Voltaire,  de  J.  J. 
llou^seau  et  de  plusieurs  autres 
philosophes,  devaient  être  com- 
pris, mais  ce  volume  n'a  point 
paru.  En  1798,  il  donna  la  pre- 
mière édition  des  Œuvres  com- 
plètes de  Diderot,  et  en  1801,  il 
présida  à  celle  dos  Œuvres  de  J .  if. 
Rousseau,  imprimée  par  Didot, 
20  vol.  in-S".  Il  publia,  en  1799, 
une  nouvelle  édition  des  Essais  de 
Montaigne,  faite  d'après  un  exem- 
plaire de  l'édition  de  i588, conservé 
à  la  bibliothèque  centrale  de  Bor- 
deaux, et  chargé  de  notes  margi- 
nales de  la  main  de  Montaigne. 
Naigeon  a  accompagné  celte  édi- 
tion d'un  commentaire etde  notes. 
On  a  trouvé,  après  sa  mort,  plu- 
sieurs ouvrages  manuscrits,  aux- 
quels il  n'avait  point  encore  mis 
la  dernière  main,  et  dont  quelques 
extraits  ont  été  imprimés. 

KAILLAC  (N.  de),  ministre  de 
France  près  du  duc  des  Deux- 
Ponts, en  1792.  Destiné  à  ladiplo- 
malie,  il  fut  admis,  jeune  encore, 
dans  les  bureaux  du  ministère  des 
affaires  étrangères  ,  et  envoyé  , 
au  commencement  de  la  révolu- 
tion, près  le  duo  des  Deux-Ponls, 
en  qualité  de  ministre  de  France. 
Lorsque  Dumouriez ,  en  1792, 
bouleversait  tout  le  ministère,  et 
échangeait  le  portefeuille  des  af- 
faires étrangères,  qui  lui  était  con- 
lié  pour  celui  de  la  guerre,  il  fit 


NAI 

nommer  M.  de  Naillac  à  la  place 
qu'il  venait  de  quitter;  mais  sa 
nomination  fut  aussitôt  révo- 
quée que  prononcée,  et  quelque 
diligence  qu'il  fît  pour  arriver 
à  Paris,  il  trouva  le  poste  pour 
lequel  on  l'avait  appelé,  occupé 
par  \l.  de  Chambonas.  Son  pro- 
tecteur, pour  le  dédommager  en 
partie  de  cette  mésaventure,  le  fit 
passer  A  Gênes,  en  qualité  de  mi- 
nistre. M.  de  Naillac  en  remplit 
les  fonctions  jusqu'en  i794'  A  cet- 
te époque,  il  fut  soupçonné  de  fa- 
voriser le  parti  contre-révolution- 
naire, et  la  convention  le  décréta 
d'arrestatioa.  Forcé  de  prendre  la 
fuite,  il  changea  de  nom,  s'enrôla 
dans  l'armée  d'Italie,  et  se  trouva 
au  siège  d'Ancône,  dont  il  subit 
tous  les  hasards;  il  est  rentré  en 
France  avec  la  garnison  de  cette 
place,  et  a  cessé  depuis  cette  épo- 
que  d'être  en  évidence. 

NAIKAC  (P.),  négociant,  fut 
nommé,  par  le  tiers-état  de  la  sé- 
néchaussée de  Bordeaux,  députe 
aux  états-généraux,  en  1789.  Ses 
rapportsavec  les  colonies  l'avaient 
instruit  dans  cette  partie  de  l'ad- 
ministration,  et  il  s'occupa  pres- 
que exclusivement,  pendant  la 
session,  des  colonies  et  du  com- 
merce. Eu  1790,11  transmit  à  l'as- 
sen)blée,  au  nom  de  la  garde  na- 
tionale de  Bordeaux,  une  dénoncia- 
tion relative  à  l'affront  fait  à  l'uni- 
forme national  par  le  parti  contre- 
révolutionnaire  de  Saint-Pierre  de 
"la  Martinique.  Il  futnommé,  après 
la  session,  un  des  hauts-jurés  du 
département  de  la  Charente-In- 
férieure. La  ville  de  La  Rochel- 
le' l'envoya,  en  1 796,  en  qualité  de 
dépuu*^  à  l'assemblée  du  commer- 
ce ,  que  le  gouvernement  dirccto- 


>AJ 

riiil  convoqua  alors  à  Paris.  L'an- 
née suivante,  il  tut  nommé,  par 
le  département  de  la  Charente- 
Inférieure,  député  au  conseil  des 
einq-cents.  Il  passa,  en  décembre 
1799,  au  corps-législatif,  où  il 
siégea  jusqu'en  i8o4-  H  renonça 
alors  aux  fonctions  publiques  , 
pour  ne  plus  s'occuper  que  de 
spéculations    commerciales. 

?iAJAC  (le  comte  Be>oit- 
Geokge  de),  préfet,  conseiller- 
d'état,  commandeur  de  la  légion - 
d'honneur,  intend"ant-général  des 
classes  de  la  marine,  est  né  le  22 
novembre  174^-  -^  l'époque  de  la 
révolution,  dont  il  adopta  les  prin- 
cipes ,  il  était  commissaire-ordon- 
nateur. Le  ministre  Dalbarade  le 
nomma,  en  1790,  adjoint  à  son 
ministère,  et  l'emploj'a  ensuite  en 
qualité  d'ordonnateur  à  Brest  et  à 
Toulon.  Le  zèle  et  l'intelligence 
qu'il  y  développa  lors  des  prt*pa- 
ratifs  de  l'expédition  d'Egjjle, 
lui  valurent  des  récompenses  du 
général  en  chef  Bonaparte ,  qui  le 
chargea  :iussi  de  témoigner  sa  sa- 
tisfaction à  tous  les  employés  de 
l'administration  de  ce  dernier 
port,  p'inr  l'activité  avec  laquelle 
ils  avaient  secondé  ses  vues.  Après 
le  18  brumaire  an  8,  il  fut  appelé  au 
conseil-d'élat,  et  nommé,  en  août 
1801.  préfet  du  département  du 
Rhône;  il  cessa  d'occuper  ce  pos- 
te, eu  i8o3,  pour  reprendre  sa 
place  au  conseil-d'état,  section  de 
la  marine,  et  reçut  à  cette  époque' 
la  décoration  de  commandant  de 
la  légion- d'honneur.  En  1807, 
M.  de  Najac  fut  chargé  de  présen- 
ter, au  nom  du  conseil-d'élat, 
quelques  dispositions  supplémen- 
taires du  code  civil,  et  parut  à  cet 
effet  à  la  tribune  du  corps-législa- 


NAN-  3a 5 

tif.  Il  conserva  les  mêmes  fonc- 
tions jusqu'à  l'abdication  de  l'e^n- 
pereur  en  i8i4-  Le  roi  le  nomma 
intendant-général  de  la  marine  et 
conseiller-d'état  honoraire.  Après 
le  retour  de  Napoléon,  en  i8i5, 
W.  de  Najac  rentra  dans  ses  fonc- 
tions, et  signa  la  délibération  du 
ccnseil-d'état  du  25  mars  [voyez 
Defermos).  Au  second  retour  du 
roi,  il  fut  remplacé,  puisremis  en 
activité  en    1817. 

NANNOI  (AsGKLo),  chirur- 
gien florentin,  naquit  en  ijiD,  et 
commença  ses  éludes  anatomi- 
ques  dès  sa  première  jeunesse  h 
l'hôpital  général  de  Sainte-Marîc- 
la-Neuve,  de  Florence ,  dont  le 
savant  Antoine  Benevoli  était  chi- 
rurgien en  chef.  Son  ardeur  pout: 
l'élude ,  ses  heureuses  disposi- 
tions, une  prompte  célébrité  ,  ac- 
quise par  des  succès, dfs  cures, ob- 
Itnues  plus  particulièrement  dans 
l'opération  de  la  taille,  d'après  la 
méthode  latérale,  déterminèrent 
le  chevalier  Maggio  ,  qui  le  sou- 
tenait par  ses  bienfaits  ,  à  lui  faire 
entreprendre,  en  ijA"»  '^^  voyage 
de  Paris.  Il  suivit,  dans  cette  ville, 
les  cours  établis  dans  les  hôpi- 
taux, puis  à  Rouen,  ceux  que  l^e- 
cal  y  avait  ouverts  avec  le  plus 
grand  succès.  N^nnoni  n'était  pns 
moins  praticien  que  profond  ob- 
servateur. L'abus  des  médicbmens 
dans  les  maladies,  les  vices  des 
différentes  opérations  lui  firent 
concevoir  le  projet  de  réformer, 
du  moins  pour  ses  concitoyens  , 
le  code  chirurgical,  projet  qu'il 
mit  à  exécution  à  son  retour  dans 
sa  patrie  ,  où,  à  peine  arrivé,  il 
devint  professeur  et  chirurgien 
en  chef  de  l'hôpital  dont  naguère 
il  avait  été  l'élève.  Tout,  dansées 


laO 


3NAN 


opérations,  d.ins  ses  leçons,  dans 
i^es  écrits,  tendait  à  ce  but.   Au 
rapport  de   M.  Fournier,  auteur 
d'une  Notice  sur  Nonnoni ,  l'hu- 
inorisme     galénique    régnait   de 
toutes  parts;  il  le  combattit.  «  11 
établissait,  ajoute  cet  auteur,  que, 
dans  les  maladies,  la  nature  veut 
être  secondée  et  quelquelois  ai- 
dée :  cet  axiome    lut  la   base  de 
son   système   médical.   Il  bannit 
du  pansement  des  plaies,  les  corps 
huileux^  les  baumes,  les  résines, 
les  terres,  les  spiritueux.  Les  ca- 
taplasmes de  mie  de  pain  ,  la  char- 
pie sèche,  les  décoctions  émol- 
lientes  ,  l'eati  pure  ,  tels  étaient 
les  moyens  simples  et  salutaires 
qu'il  introduisit  dans  cette  partie 
iu)portante  de  la  thérapeutique. 
Défendre  les  plaies  du  contact  de 
l'air  était  un  préalable  nécessaire. 
■' — «Je  voudrais,  disait-il,  pouvoir 
«me    garantir   de   l'influtnice    de 
«l'air,  comme  je  le  fais  des  mé- 
j»dicamens  nuisibles.  »  — La  phi- 
losophie qui  brille  dans  ses  pré- 
ceptes d'hygiène  et  de  thérapeu- 
tique ,  ei.t  lorl  remarquable  pour 
le  temps  où  il  a  vécu;  car  alors, 
l'humorisme,  la  chémiatrie  et  le 
mécanisme,  Se  disputaient  l'em- 
pire médical ,  et  détournaient  les 
])Uis  grands  esprits  de  la  route  du 
vrai.  Les  opérations  dilTiciles  qu'il 
exécutait  t  h.iquc  jouravec  un  suc- 
cès non  interrompu  ,  ainsi  que  ses 
sages  et  lumineuses  leçons,  atti- 
rèrent auprès  de  lui  les  disciples 
et  les  malades,  non-seulement  de 
l'Italie  ,   mais    des    contrées    les 
plus  éloignées  de    l'Europe  :  on 
venait   le  consulter   comme    un 
oracle.  »  Cet  éloge  est  néanmoins 
leVnpéré  dans  quelques  parties  , 
par  les  soins  que  prend  son  au- 


!SAN 

teur  de  lui  reprocher  «  de  rejeter 
trop   exclusivement    la   méthode 
opératoire    de    la    cataracte    par 
l'extraction  inventée  par  Dariel  ; 
il  craignait  que  ce  procédé  ne  dé- 
terminai l'inflammation  de  l'iris  •• 
l'ancienne  manière,  qui  consiste  à 
abaisser  le  cristallin  dans  la  cham- 
bre postérieure,  an  moyen  d'une 
aiguille  romle,   lui  paraissait  1» 
seule    avantageuse ,    parce   qu'il 
croyait   que    quand  le    cristallin 
vient  à  remonter  dans  la  chaip- 
bre    antérieure    de    l'humeur   a- 
quense,  il  ne  larde  point  à  se  dis- 
soudre et  à  être  absorbé.  Il  erra 
encore, lorstin  an  sujet  de  lafislnle 
lacrymale ,  il  blâme  la  perforation 
qu'on  a  faite  de  l'os  angaisy  dans 
certains  cas,  pour  introduire  une 
canule  propre  à  entretenirle  cours 
des  larmes.  Ce  savant  atteste  avoir 
vu    reprendre  ,    api  es    plusieurs 
points   de  suture,  des  nez  qui  ne 
tenaient  plus  qu'à  une  étroite  lan- 
guette de  peau.  «Nannoni,  que 
recommandait  à  l'estime  générale 
ses  talens,  son  humanité,  toutes^ 
les  qualités  personnelles  les  plus 
nobles,  mourut  dans  la  ville  où 
il   était  né,    à    Florence,    le   3o 
avril    1790.    Parmi   les  ouvrages 
qu'il  a  publiés  ,   on   cite  les  sui- 
vans  :    1°  Trattato  sopra.  i   mali 
délie  mammelle,  Florence,  in-4"» 
174^);  2"  Dissertadoni  cliirurgiclie 
cioè  délia  fistola  lagrimale ,    dalle 
cularatlc  ;  de  medicamenlis  exsic- 
cavtibus,  de  med.  causticis ,  Paris, 
1 748  ;  3°  Discorso  c/iirurgico  per 
l'introduziotie  al  corso  dell  opera- 
7toni  da  dirnostrarsi  sopra  dcl  ca~ 
davere,  Florence,  i75o;  4°  ^^~ 
morie  ed  osservazioni  chirurgiclie , 
colla  sloria  de  molle  e  diverse  ma- 
UïltiefclicemcntesHarite, Florence , 


NAN 

i755,in-4°i  5"  Délia  simplicità 
lii  medicare  i  mali  Ui  altinenza  alla 
chirurgia ,  coW  aggiunla  sopra  le 
malalde  délie  mammelle ^  Venise  , 
1764  ,  in- 4°  ;  6°  Lettera  scritta  in 
difesa  délia  simplicilà  del  medicare 
à  Giu'ieppe  Blanchi  chirurgo  in 
Cremona,  i^SS;  7°  Delta  siinpii- 
rilà  del  medicare,  5  vol.,  1761- 
17G7  ;  8''  Traltalo  chirurgico  so- 
pra la  simplicilà  à  del  medicare  ^ 
eon  osservazioni  eragionamenti  ap- 
parlenente  alla  chirurgia,  aggiun- 
tovi  il  Irattato  sopra  le  malattie 
délie  mammelle ,  Venise,  1770  , 
in-4''  ;  9°  Memoria  sull'  anevrisma 
délia  piegalura  del  cubito  ^  Flo- 
rence, 1784. 

NA^iSOUTY  (le  COMTE  de), 
lieutenara-généraljgrantl-cordon 
de  la  légion -d'honneur,  etc., 
naquit  en  1768  à  Bordeaux,  où 
boa  père  avait  le  comnîandeinent 
du  Château-Trompette.  Le  nom 
de  cette  famille  était  Champion  de 
Nax.s-sou5-Thii,,  d'où  s'est  formé; 
par  laps  de  temps,  celui  de  Nan- 
soiTY.  Destiné  à  la  carrière  des 
armes,  il  y  entra  de  bonne  heure, 
et  dès  l'âge  de  12  ans  il  était 
élève  de  l'École-iMiiitaire  ;  trois 
ans  après  il  passa,  en  qualité  de 
bous-lieuteuant,  an  régiment  de 
Bourgogne  c;> Valérie.  La  révo- 
lution ,  dont  il  adopta  les  princi- 
pes, le  trouva  dans  ce  dernier 
grade  ;  mais  les  occasions  fré- 
quentes qu'il  eut  de  développer 
un  mérite  réel  et  une  rare  intrépi- 
«iilé  ,  rélevèrent  rapidement  aux 
rangs  supérieurs:  il  fut  successive- 
ment lieut. -colonel  et  colonel  des 
carabiniers  ;  le  24  mars  i8o3,  il 
obtint  le  grade  de  général  de  divi- 
sion. Employéà  l'armée  d'Allema- 
gne à  la  fin  de  i8o5,  il  se  distingua 


>AN  537 

d'une  manière  particulière  à  la 
tête  du  corps  des  cuirassiers  , 
qu'il  commandait  au  combat  de. 
"VVertingcn  ,  et  fut  mentionné 
comme  ayant  contribué  beaucoup 
aux  premiers  succès  de  cette  cam- 
pagne. Sa  conduite  à  la  bataille 
d'Austerlitz,  le  2  décembre,  fut 
également  brillante  ;  et  les  rap- 
ports officiels  firent  le  plus  grand 
éloee  de  sa  bravoure  dans  cette 
mémorable  journée  ;  il  fut  à  cette 
occasion  nommé  grand -officier 
de  la  légion-d'hunneur.  Il  com- 
mandait, dans  la  campagne  de 
1806  contre  les  Prussiens  ,  les 
corps  réunis  des  carabiniers  et  des 
cuirassiers,  et  eut  ta  plus  grande 
part  aux  succès  de  cette  c.impa- 
gne  ;  il  se  surpassa  aux  batailleâ 
d'Eylau  et  de  Friedland;  les  jour- 
nées d'Eckmuhl ,  d'Essling  et  de 
Wagram  en  1809,  mirent  le  com- 
ble à  sa  réputation  militaire.  En 
1812,  il  fît  la  malheureuse  cam- 
pagne de  Russie,  en  qualité  de 
colonel  -  général  de  dragons,  et 
mérita  ,  à  différentes  reprises  , 
d'être  cité  honorablement.  Il  re- 
doubla de  courage  en  i8i3  et 
18 14  à  mesure  que  les  dangers 
devenaient  plus  imminens  ;  à 
Dresde  ,  à  W'achau  ,  à  Leipsig  et 
à  Hanau  ;  en  France,  à  Champ- 
Aubcrt,  i\  Montrairail ,  à  Craonne» 
il  fit  des  prodiges  de  valeur.  Au 
mois  d'avril  1814»  il  fut  envoyé, 
par  ordre  du  roi,  en  qualité  de 
commissaire  extraordinaire  dans 
la  18'  divi>ion  militaire,  et  nom- 
mé chevalier  de  Saint-Louis  ;  il 
devint  ensuite  capitaine- lieute- 
nant de  la  première  compagnie 
des  monsquetaires.  Les  suites 
d'une  maladie,  occasiooée  par  les 
fatigues  de  la  guerre,  realevèreut 


328 


ISAN 


'      à  sa  famille  et  à  ses  amis,  le  12 
février  181  5. 

NANSOUTY- BEALREGARD 

(Jean  -  Kaptiste  -  François  -  Cham- 
pion DE  )  ,  lieutenant  des  maré- 
chaux de  France ,  de  fa  même  fa- 
mille que  le  précédent  ,  dont  il 
devint  le  beau-frère,  était  né  le  i4 
février  i^Si.  Il  se  voua  comme 
lui  à  l'état  militaire  ,  parvint  au 
grade  de  capitaine  dans  le  régi- 
ment de  Guyenne  infanterie,  et 
était  lieutenant  des  maréchaux  de 
France,  dans  sa  ville  natale,  lors- 
q^ue  la  révolution  éclata.  Il  échap- 
pa heureusement  aux  proscrip- 
tions des  jours  de  la  terreur  ,  et 
fut,  sous  la  répub!i<^|ue ,  un  des 
employés  chargés  de  la  surveil- 
lance des  armes,  poudres  et  sal- 
pêtres ,  etc.  Napoléon  l'appela 
dans  la  suite  aux  fonctions  de 
membre  du  conseil  -  général  du 
département  de  la  Côte  -  d'Or  , 
dont  le  collège  électoral  l'élut,  en 
1810,  candidat  au  corps-législatif; 
M.  de  Nansouty  n'y  siégea  point, 
et  a,  depuis  ce  moment,  cessé  de 
figurer  parmi  les  fonctionnaires 
publics. 

NANÏEUIL  (Gaucikan),  hom- 
me de  lettres,  né  à  Toulouse,  est 
auteur  de  plusieurs  ouvrages  dra- 
matiques qui  ont  obtenu  du  suc- 
cès. Les  principaux  sont  :  1°  LalU 
et  Quinault;  2"  les  Maris  garçons, 
musique  de  BertOn ,  1806;  5°  la 
Mode  ancienne  et  vouvelfe  ;  4°  l^ 
Tuteur  fanfaron  ;  5°  ie  Charme  de 
lavoix,  pièce  refaite  d'après  lai?o- 
mance,  musique  de  Berton,  1811. 
M.  Nanteuil  a  fait  en  société,  avec 
M.  Etienne  ,  ancien  membre  de 
l'institut  {voy.  ce  nom),  les  pièces 
suivantes  :  1°  V Apollon  du  Belvé- 
dère; 2*  le  Carnaval  de  Beaugencjf 


NAP 

5°  le  Pacha  de  Surène,  ou  l' Amitié 
des  femmes,  1802;  [\°  Isabelle  de 
Portugal  ;  5"  les  Deux  Mères  ;  6° 
la  petite  Ecole  des  Pères  ;  7°  le 
Noicveau  Réveil  cC  Epiménide.  On 
a  aussi  de  lui  quelques  poésies  lé- 
gères, insérées  dans  diiferens  re- 
cueils. M.  Nanteuil  est  secrétaire 
du  garde-meuble  royal.  Il  avait 
déjà  occupé  le  même  emploi  pen- 
dant le  gouvernement  impérial. 

NANTOUILLET  (le  comte  A- 
lexandre -Marie- Louise- Charles- 
Lalmand  de),  lieutenant-général, 
quitta  la  France  au  commence- 
ment de  la  révolution,  et  n'y  ren- 
tra qu'en  1814»  î"«  l-'»  suite  des 
princes  de  la  maison  de  Bourbon. 
Le  25  aoTit  de  la  même  année,  le 
comte  de  Nantouillet  fut  nommé 
par  le  roi  commandeur  de  l'ordre 
de  Saint-Louis,  et,  le  6  décembre 
suivant  ,  chevalier  de  la  légion- 
d'honneur.  Attaché  à  M.  le  duc 
de  Berry  en  qualité  de  premier 
écuyer,  il  suivit  ce  prince,  et  d<'- 
vint  membre  de  son  état-major 
pendant  les  cent  jours  en  i8i5.  A 
la  même  époque,  il  reçut  succes- 
sivement, à  Gand,  le  titre  d'ofîi- 
eier  de  la  légion-d'honneur  et  ce- 
lui de  grand'croix  de  l'ordre  de 
Saint-Louis.  Après  le  second  re- 
tour du  roi,  M.  de  Nantouillet  a 
été  nommé  commandeur  de  l'or- 
dre de  la  légion-d'honneur  ,  et  , 
depuis ,  aide-de-camp  du  jeune 
duc  de  Bordeaux.  Il  mourut  au 
mois  de  février  i8:i4- 

NAPJONE  (le  COMTE  Jean-FrAn- 
çois-Galeani),  de  Cocconato,  che« 
valier  grand'croix  de  l'ordre  mili- 
taire de  Saint- Maurice  et  de  Saint- 
Lazare,  surintendant  et  président 
en  chef  des  archives  royales,  pre- 
mier président ,  conseiller-d'éiat 


NAP 

au  roi  Je  Sardaip;nc,  représentant 
du  chef  du  magistrat  de  la  réfor- 
me, membre  de  l'académie  royale 
deïuriH,etc.  .est  un  débris  de  cette 
ancienne  famille  de  littérateurs 
italiens  qui  ont  illustré,  la  seconde 
moitié  du  iS"  siècle;  il  a  été  l'a- 
mi ou  le  correspondant  de  Betti- 
nelli,  de  Cesarotti,  de  Tiraboschi, 
du  président  Jean  Binaldo  Carli 
et  de  tant  d'autres,  avec  la  plu- 
part desquels  il  lutta  souvent ,  si- 
non pour  l'importauce  ,  du  moins 
par  le  nombre  et  la  variété  de  ses 
travaux.  L'ouvrage  auquel  M, 
Napioiie  paraît  attacber  le  plus  de 
prix,  et  qui  lui  a  valu  en  eflét  une 
Çrande  pury'e  de  sa  réputation  , 
est  celui  qu'il  publia  en  i^gi  :  Sud' 
uso  ed  i  pregi  délia  lingua  italiana. 
A  cette  époque,  le  Piémont  n'avait 
pas  de  langue  arrêtée  :  sa  position 
géographique  et  ses  rapports  avec 
la  France  et  la  Savoie,  lui  avaient 
donné ,  mên)e  avant  la  conquête 
de  l'Italie,  un  goût  presque  géné- 
ral pour  la  langue  française.  On 
la  parlait  au  barreau  comme  à 
l'académie  ;  elle  était  employée 
avec  prédilection  par  le  courtisan 
et  par  le  laboureur.  Cette  fille 
d'adoption  avait  tout  usurpé,  en 
déshéritant  la  langue  du  pays  de 
ses  droits  les  plus  légitimes.  M. 
Napione,  animé  par  un  sentiment 
patriotique,  prit  à  tâche  de  rame- 
ner ses  concitoyens  à  l'usage  de 
la  langue  italienne  ,  dont  il  fait 
un  pompeux  éloge,  en  rfiagérant 
un  peu  trop  les  défauts  de  sa  riva- 
le. Sa  cause  est  juste,  parce  qu'elle 
est  nationale;  mais  après  avoir  lu 
son  plaidoyer  en  deux  gros  vol. 
in-S",  chaqtie  lecteur  sera  tenté  de 
se  demander  lequel  est  le  plus  à 
plaindre,  ou  de  l'auteur  qui  n'a 


NAP 


529 


pas  sn^tre  plus  concis,  ou  de  la 
nation  qui  a  besoin  qu'on  lui 
prouve  longuement  la  nécessité 
de  parler  sa  propre  langue,  et  une 
langue  comme  l'italienne.  Egaré 
par  un  noble  désir  d'augmenter 
les  titres  de  gloire  de  sa  patrie  , 
M.  Napione  tantôt  dispute  à  la 
ville  de  Gênes  l'honneur  d'avoir 
vu  naître  ce  hardi  navigateur  qui 
révéla  à  la  vieilleEurope  Texistèn- 
ce  d'un  nouveau  uîonde  ;  tantôt 
enlève  au  chancelier  Gerson  ,  au- 
teur reconnu  de  L'Imiiatiov  de 
J .  C,  son  plus  beau  litre  à  l'ini- 
mortalité  pour  en  décorer  un  ab- 
bé de  'V^erceil  ;  tantôt  force  les 
nobles  chevaliers  de  l'ordre  de 
Saint-Jean  de  Jérusalem  d'accep- 
ter pour  leur  fondateur  un  obscur 
habitant  d'Asti.  Après  tant  d'ef- 
forts pour  relever  le  mérite  des 
illustres  Piémontais,  ou  pour  en 
accroître  le  nombre  ,  on  a  de  lu 
peine  à  s'expliquer  pourquoi  M. 
Napione  s'est  montré  si  jaloux  de 
la  réputation  d'Alûeri,  qu'il  appe- 
lait un  poète  médiocre,  et  qu'il  se 
plaisait  à  signaler  comme  un  hom- 
me dangereux  pour  la  tranquillité 
de  l'Italie.  Si  l'on  ne  peut  pas 
partager  l'opinion  de  M.  Napione 
sur  la  patrie  de  Christophe*  Co- 
lomb, on  doit  reconnaître  la  vali- 
dité des  argumens  dont  il  fait 
usage  pour  soutenir  les  droits  du 
ce  grand  homme  à  la  découverte 
du  continent  du  Nouveau-Monde. 
Ou  doute  pourtant  qu'il  trouve 
des  lecteurs  disposés  à  souscrire 
égalenjent  à  l'apologie  que  dans 
l'Ksame  critico  del  primo  viaggio 
d\4merigo  Vespacci ,  il  fait  de 
Philippe  II,  et  aux  reproches  qu'il 
adresse  à  Hayley  et  à  Pinkerton, 
pour  avoir  osé  dire  que  «  ce  tyr»a 


35o  NAP 

»  descendit  dans  la  lonibe  accom- 
))pa}2;né  des  lualédiclions  du  genre 
"humain.  »  On  ne  peut  deviner 
quels  seraient  h  s  actes  de  son  rè- 
gne qui  ont  le' plus  séduit  le  conjte 
Napione.  Sont -ce  les  traitemens 
barbares  qu'il  faisait  essuyer  à  ses 
prisonniers  ?  est-ce  le  zèle  avec 
lequel  il  travaillait  à  propager 
dans  ses  états  le  tribunal  de  l'in- 
quisition? est-ce  le  goût  qu'il 
montrait  pour  les  auto-da-fé?  ou 
bien  cette  longue  série  de  cruau- 
tés exercées  en  son  nom  et  par 
ses  ordres  dans  le  Milanais  et  dans 
les  Flandres?  Si  ce  sont  là  des 
titres  à  l'amour  des  peuples,  M. 
Napione  n'aura  que  reml)arras  du 
choix.  Voici  la  liste  de  ses  ouvra- 
ges :  1°  Dell'  uso  e  de  pregi  délia 
If  ligna  italinno ,  3  vol.  ,  1791;  a" 
J)tilla  palria  di  Cristoforo  Coloni- 
ho,  con  gianle,  i8o3.  L'auteur  re- 
produit dans  ce  volume  une  an- 
cieiuie  prétention  des  Piémontais 
sur  la  [)alrie  de  ce  célèbre  navi- 
gateur. On  se  rappelle  que  l'on  a 
long-temps  agité  la  question  de  sa- 
voir quel  a  été  son  véritable  lieu  de 
naissance.  Les  opinions  se  parta- 
geaient entre  Pradello  ,  Guccaro 
et  Gênes.'  Cette  dernière  avait 
aussf  beaucoup  d'autres  rivales 
autour  d'elle.  Final,  Oneiîle,  Sa- 
vone,  placées  sur  la  riviera  di  Po- 
nentc,  et  Quinto,  Nervi,  Boggias- 
co  et  Cogolelo,  se  pressaient  tou- 
tes autour  de  leur  capitale  pour 
lui  arracher  un  des  plus  beaux 
fleurons  de  sa  couronne.  Les  Gé- 
nois ,  en  laveur  desquels  étaient 
les  plus  fortes  présomptions,  im- 
patientés de  ces  longs  débals  , 
nommèrent  en  1812,  au  sein  de 
leur  académie,  une  commission, 
qui  réussit  à  rassembler  plus  de 


NAP 

preuves  qu'il  n'en  fallait  pouf 
conserver  à  Gênes  la  gloire  d'avoir 
été  le  berceau  de  Colomb.  5"  Dis- 
sertazione  intorno  aW  autor  del 
lihro:  delmitatione  Christi,  i8o5; 
4"  Dizertazione  intorno  al.  mss.  d' 
Arona,  i8o5.  On  compte  aussi 
trois  hypothèses  principales  sur 
l'auteur  de  C Imilation  de  J .  C- 
Thomas  à  Kempis,  qui  était  resté 
long-tenips  en  possession  de  cette 
gloire,  en  a  été  dépouillé  sur  deux 
personnages  homonymes  :  Jean 
Ger^^on  ,  chancelier  de  régli>e  de 
Paris,  thér)logien  et  écrivain  célè- 
bre de  son  temps,  et  .lean  Gersou, 
abbé  de  Saint-Etienne  de  Verceil. 
C'est  à  ce  dernier  que  j^L  Napione 
voudrait  faire  attribuer  le  livre  de 
l'Imitation.  M.  Gence,  dans  une 
dissertation  où  il  rapporte  le  litre 
d'environ  cent  vingt  ouvrages  im- 
primés et  manuscrits  sur  cette  lon- 
gue controverse  ,  répond  à  tous 
les  argumens  mis  en  avant  par  M. 
Napione  ,  et  écarte  le  plus  fort  , 
celui  de  la  prétendue  antiquité  du 
manuscrit  d'Arone,  conservé  à  la 
bibliothèque  de  Turin.  5"  Esaine 
crilico  del  primo  viaggio  di  Ameri- 
go  Fespucei.  Le  P.  Canovaï  a  é- 
crit  un  grand  ouvrage  pour  prou- 
ver que  c'est  Vespuce  qui  a  le 
pnanier  abordé,  en  i4i)7'  '^'^  ^''"' 
tinent  du  Nouveau- Monde.  M. 
Napione,  profilant  de  tout  ce  qui  a 
été  dit  par  Timl)0schi  et  sur  d'au- 
tres, couibat  victorieusement  les 
assertions  de  ce  panégyriste  de 
Ve><puce.  6"  Dell'  origine deli'  ordi- 
ne  di  Sant-Giovani  di  Jeriualcnvne, 
an  i3.  L'auteur  prétend  que  le  fon- 
dateur de  cet  ordre  a  été  un  certain 
Gérard  d'Asti ,  en  Piémont ,  mal- 
gré toutes  les  traditions  et  tous 
les  monumens  historiques  qui  eu 


iNAP 

onlioujonrs  placé  le  berceau  dans 
lii  ville  d'Aiitalfî,  cêlèhre  aussi 
potir  avoir  donné  le  jour  à  Fl;ive 
Gîoja  ,  l'invenleurde  la  boussole. 
7°  De'  Templari ,  e  dell'  aholizcone 
detloro  orditie.  L'auteur  se  déclare 
en  faveur  de  l'abolition  de  cet  ordre 
célèbre  qu'il  juge  coupable  df  tous 
les  crime- qu'on  lui  a  iinpulés,siir 
la  triple  auturité  de  Bernard  Gui- 
donis,  évT'que  de  Lodèves  ;  de 
Ploiomée  de  Lucques,  évêque  de 
Torctllo  ,  et  de  M.  Ferrand,  pair 
de  France.  8'  Elogi  di  Botero,  di 
Banddlo,  de  cronisti  Piemontesi; 
di  Mnratori .  di  Palladio ,  del  con- 
te Jsinari,  di  Molinieri,  e  di  Bet- 
tinelli;  g*  Liscorso  intorno  alla 
scienza  militnre  del  Tassa ,  i  777  , 
in-8°;  10"  Essai  sur  l'art  histori- 
que, 1778;  11°  Traduzione  dclle 
Tusculaiie  di  Cicérone,  con  un  dis- 
carso  intorno  misteri  d'Elcusi, 
i8o3  ;  12"  Traduzione  délia  Vita 
d' Agricola,  con  un  ragionamento 
intorno  alla  conquista  delta  Britan- 
nia  fal ta da'  Romani,  1806;  i5"/î/- 
cerclie  ijilorno  à  terremoti  del  Pie- 
monte  ,  an  i3;  14°  Ragionamento 
intorno  alla  durnla  de  regni  de 
rc  di  Roma  ;  15"  Notizie  de  pr'in- 
ripçli  scrittori  Italiani  dcll' arfe 
tnililare,  i8o5;  xG"  Paratlelo  fra 
le  storic  dell'  Italin  antica  e  délia 
modem  a  ;  17"  Purallelo  fra  la  cn- 
duta  detr  impero  rom'ino,  e  gli  av- 
tenimenti  délia  fine  del  secolo  xviii  ; 
18"  Discorso  intorno  aile  monele 
del  Piemonte;  i  rf  Dell' origine  délie 
stampe  délie  figure  in  tegno  ed  in 
rame,  i8o5;  20°  Letterc  intorno 
aile  ravine  delta  Grecia  ;  21°  J.et- 
tere  intorno  à  monumenti  d*archi- 
tettara;  11"  Dette  prime  edizione  c 
di  un  mss.  dell'  opère  del  gênerai 
tUonlecuccoli ;  23"  Discorso  intor- 


NA?  5r>t 

no  ait'  antickità  cristiane;  24'  Det 
ricendevole  rantaggio  clie  la  reii- 
gione  reca  aile  belle  arti ,  e  le  belle 
arti  alla  religione;  2  5°  Degli  sfudj 
délie  gentildonne;  26°  Délia  félicita 
de'  letterati  ;  27"  Estratfi  délie  opè- 
re di  Barthrlrmy ,  di  Blair,  di 
Gibbon,  di  Denina ,  etc.  28°;  la 
Grise  H  a,  tragedia  ;  la  Morte  di 
Clc'opatra ,  poemetto  ;  traduzions 
in  tersi  Sciolti  del  l'  oe  del  4"  Ubro 
di  Virgilio;  Rime  e  poésie  varie, 
La  plupart  de  ces  ouvrages  ont 
été  insérés  dan<  les  volumes  des 
Mémoires  de  l'académie  royale 
de  Turin.  Les  ceuvres  du  comte 
Napione  ont  été  réunies  à  Flo- 
rence, en  iG  volumes  in-8'.  Eu 
relevant  quelques-unes  deserreur-^ 
de  cet  écrivain  distingué,  nous  a- 
vons  rendu  justice  à  son  mérite. 

NAPIO>E   (  LE    CHEVALIER  An- 

toine-Galeam  )  ,  frère  du  précé- 
dent, généralissime  des  armées 
de  terre  et  de  mer  du  roi  de  Por- 
tugal, directeur  général  des  mines 
au  Brésil,  chevalier  de  plusieurs 
ordres  ,  membre  de  l'académie 
royale  de  Turin,  etc.  ,  servait  en 
qualité  de  major  nu  corps  royal 
d'artillerie ,  en  Piémont ,  en  1800. 
Lorsqu'il  crut  que  son  pays  fut 
perdu  sans  retour  pour  la  dynas- 
tie qui  le  gouvernait .  elàlaquelle 
il  était  très-dévoué,  il  résolut  d'al- 
ler offrir  ses  services  il  une  puis- 
sance étrangère.  Il  passa  en  Por- 
tugal, et  il  y  obtint  le  grade  de 
général  d'artillerie.  Doué  de  beau- 
coup d'intelligence  ,  et  versé  dans^ 
toutes  les  théories  et  les  pratiques 
de  l'art  militaire,  il  apporta  dan« 
son  arme  des  changeinens  très- 
utiles,  et  on  peut  dire  que  c'est  .i 
lui  que  les  Portugais  en  doivent 
la  création.   Il  suivit   la  cour  au 


5r>2 


NAP 


Brt'fsil ,  où  il  fut  élevé  au  grnde 
de  généralissime  et  décoré  des 
difforeiis  ordre?  du  Portugal.  Ce- 
lait un  .«avant  cbimisle  et  miné- 
ralogiste; il  avait  été  l'élève  du 
célèbre  "NVerner,  avec  lequel  i! 
conserva  des  rapports  très -sui- 
vis. Pendant  son  séjour  au  Brésil , 
M.  Napione  recueillit  beaucoup 
de  matériaux  pour  les  ouvraj^es 
sur  les  bois  de  ce  pays,  en  déter- 
minant leur  pesanteur  spécifique , 
leur  nature  et  les  usages  auxquels 
ils  pou  valent  être  employés.  Ce 
serai*  un  travail  précieux  pour  la 
marine  ;  il  est  à  désirer  qu'il  ne 
«oit  pas  perdu.  M.  Napione  moii- 
l'ût  au  Brésil  vers  l'année  1814. 
Ses  ouvrages  sont:  i" Description 
viuiiralogique  des  montagnes  du 
Canavois ,  1786;  2°  Analyse  de  la 
mine  de  manganèse  du  Piémont , 
1790  ;  3"  sur  une  nouvelle  méthode 
employée  en  Suède  pour  tirer  parti 
des  scories  de  fer,  1790;  4"  Obser- 
vations sur  l'état  dans  lequel  peut 
se  trouver  le  fer  combiné  avec  le 
soufre,  1790;  5°  sur  les  principes 
constiiuans  de  la  mine  d'argent 
grise ,  1 795  ;  6°  Lettre  à  JVerner 
sur  la  montagne  de  Fer ,  près  de 
Taberg  ;  7°  Mémoire  sur  le  Lincu- 
rio;  8"  Essai  sur  les  nouveaux  pro- 
cédés d' amalgamai  ion  suivis  enifon- 
grie,en  Bohèmeet  enSa.xe{\ninUi); 
9"  Sur  quelques  espèces  de  roches 
prétendues  volcaniques ,  et  en  par- 
ticulier sur  les  basaltes,  1793  ; 
10°  Observations  iUhologiques  et 
chimiques  sur  une  espèce  singulière 
de  marbre  primitif,  180 1  ;  1 1" Des- 
cription des  lies  de  Saint-Pierre  et 
de  Saint-  Antloche ,  près  celle  de 
Sar daigne ,  i8o4;  il" Essai  sur  la 
manière  de  séparer  le  cuivre  du.  mé- 
tal des  cloches. 


ISAP 

N  A  P  0  L  l^:  O  N ,  empereur  des 
Français,  roi  d'Italie,  protecteur 
de  la  confédération  du  Kbin  ,  mé- 
diateur de  la  confédération  suisse, 
souverain  de  l'île  d'Elbe ,  mort 
captif  à  Sainte-Hélène.       ^ 

Napoi>éon  vivait  quand  nous 
écrivions  l'article  Bonaparte.  A 
présent  Bonaparte  aussi  est  mort, 
et  il  est  mort  des  misères  de 
Sainte-Hélène!  Nous  avons  assez 
bonoré  ce  grand  homme,  tout  vi- 
vant qu'il  était  encore  en  1821, 
pour  le  placer  déjà  devant  la  pos- 
térité. Nous  avons  nous-mêmes 
osé  nous  asseoir  à  ce  tribunal  sans 
appel  ;  nous  avons  osé  tenter  d\'>tre 
justes  envers  le  plus  grand  citoyen 
des  républiques  modernes.  Il  nous 
convient  de  l'être  aussi  envers  le 
souverain  le  plus  puissant  des  é- 
tats  monarcbi^^ues  depuis  Cbarle- 
magne  ,  et  le  plus  infortuné  de- 
puis Darius  et  Louis  XVI. 

Placés  entre  le  trône  et  le  cer- 
cueil de  Napoléon  ,  entre  le  mois 
de  mai  1804  et  le  m  ois  de  mai  1821, 
entre  le  palais  impérial  de  la  Seino 
et  la  prison  de  Longwood ,  nous  al- 
lons parcourir,  avec  une  religieuse 
fidélité,  la  plus  grande  époque  de 
l'bistoire  depuis  la  réformation. 

Nous  avons  vu  Bonaparte  se 
proclamer  l'héritier  de  la  révo- 
lution française  ,  nous  allons  le 
montrer  se  proclamant  l'héritier 
de  la  monarchie  ;  mais  aussi  quand 
il  tombera,  ce  sera  à  son  tour  la 
révolution  française  qui  voudra 
réclamer  dans  toute  l'Europe  l'hé- 
ritagede  ladominalion  universelle. 
Avant  Bonaparte,  cettej'évolution 
était  peut-être  moins  ambitieuse. 
C'est  aussi  à  celte  vérité,  qui  (,ba- 
que  jour  se  débat  sous  nos  yeux  , 
que  l'époque  do  Napoléon  devru 


Davùi 


tnr 


J'remt/  aet.efSc 


SAP 

sa  suprémalie  sur  tontes  celles  qui 
ont  suivi  la  ruine  de  l'empire  ro- 
main. C'est  elle  qui  renrl  «i  im- 
portante, «i  grave,  si  indispensa- 
ble ,  l'étude  de  cette  course  de 
dix  années  que  nous  allons  retra- 
cer. Pendant  ce  temps  la  destinée 
de  toute  T Europe  fut  confondue 
avec  celle  de  Napoléon  :  l'Europe 
est  restée  violemment  ébranlée  de 
la  chute  de  son  dominateur,  et  les 
commotions  politiques  qui  soulè- 
vent les  deux  mondes,  rappellent 
à  la  pensée  ces  jeux  funèbres  des 
gladiateurs  Scythes, Grecs,Gaulois 
et  Romains,  combattant  à  mort 
autour  du  bûcher  des  guerriers, 
des  grands  hommes  et  des  empc-^ 
reurs. 

La  cendre  d'un  homme  serait- 
elle  donc  assez  lourde  pour  que  la 
société  tout  entière  doive  fléchir 
sous  son  poids  ?  ou  bien  lu  société 
serait-elle  tellement  étourdie  par 
l'absence  du  jnug  qui  la  réglait, 
qu'elle  se  croie  obligée  de  recourir 
à  toutes  les  extrémités  d'une  régé- 
nération? 

Préparée  depuis  quelque  temps, 
parles  courtisans  de  l'époque. c«»n- 
sulaire  ,  désirée  par  les  amnistiés 
encore  inquiets  de  l'époque  cons- 
titutionnelle, prévue  par  tous  les 
républicains  à  la  journée  de  Saint- 
Cloud  ,  au  vote  pour  le  consulat  à 
vie  et  à  la  signature  du  concordat, 
l'époque  impériale  est  aimoncée 
le  5o  avril  i8o4  par  la  motion  du 
citoyen  Curée,  membre  du  tribu- 
na't.  Une  volonté  singulière  de  Na- 
poléon faisait  sortirle  premier  vote 
à  l'empire  ,de  la  dernière  en<einte 
où  fut  encore  réfugiée  l'ombre  de 


NAP  553 

la  liberté  française.  La  proposition 
de  nommer  Iimperei  R  le  premier 
consul  et  de  fixer  l'hérédité  dans  sa 
famille  était  admise  à  l'unanimité 
î-ans  l'opposition  du  citoyen  Car- 
not.  On  ne  peut  s'empêcher  de 
remarquer,  que  le  seul  qui  vote 
dans  le  tribunat  contre  l'empire, 
est  le  même  qui  doit  contribuer 
puissamment  à  le  ressusciter  dans 
les  cent  jours,  qui  en  sera  un  des 
ministres  et  un  des  exécuteurs  tes- 
tamentaires, et  que  ce  même  hom- 
me vient  de  payer,  par  sa  mort 
dans  l'exil ,  ce  premier  et  ce  der- 
nier eflort  pour  la  liberté  et  pour 
l'indépendance  de  sa  patrie. 

Le  1"  mai,  le  même  vœu  avait 
été  proclamé  par  le  corps-législa- 
tif, et  le  18  un  sénatus-consulte , 
qui  est  nommé  organique,  consa- 
cre le  vote  du  tribunat  et  du  c<:»rps- 
législatif.  Le  même  acte  compre- 
nait dans  la  ligne  de  rbérédilc 
Joseph  et  Louis  ,  frères  de  l'em- 
pereur; créait  l'un  ,  grand-élec- 
teur, Vaulre  connétable  ;  nommait 
le  général  Murât  grand  amiral;  le 
second  consul  archi- chancelier, 
le  troisième  archi-trésorier  de  l'em- 
pire, Eugène  Beauharnais,  orchi- 
chancelier  d'état,  et  M.  deTalley- 
rand  Périgord,  vice-grand-électeur. 
Les  collèges  électoraux  ,  les 
grandes  dignités  ,  la  haute-cour 
complètent  celte  première  opéra- 
tion du  sénat,  qui  vient  de  procla- 
mer une  quatrième  dynastie  fran- 
çaise. Le  sénat  se  rend  en  députa- 
tion  à  Saint-Cloud,  sous  la  prési- 
dence de  Cambacérès,  charge  de 
porter  son  vœu  à  Napoléon.  Le  19, 
les  ^andes  charges  civiles  ,  de 
gouverneur  du  palais  ,  de  grand- 
écuyer  ,    de    grand -veneur  ,    d« 


OÔ:\ 


NAP 


grand-maréchal,  de  grand -au- 
mônier, de  grand-muîlre  des  cé- 
rémonies, de  grand -chambellan 
sont  instituées.  Le  même  jour  la 
dignité  de  maréchal  de  l'empire  est 
conférée  aux  dix-huit  généraux  les 
plus  célèbres  de  l'arniéé  :  ce  sont, 
Alexandre  lîerthier.  iMurat,  Mon- 
«ey,  Jourdan,  Masséna,  Augereau, 
Jiernadotte,  Soult,  Brune,  Lannes, 
Mortier,  Ney,  Davoust,  Bessières, 
Kelleruiann,  Lel'ebvre,  Pérignon 
et  Serrurier.  De  ces  premiers  ma- 
léchaux,  seize  vivaient  encore  à  la 
chute  de  l'empire.  Deux  seule- 
ment, Lannes  et  Bessières,  avaient 
eu  la  Tin  des  braves.  Depuis  181 5, 
quatre  d'entre  eux,  Bcrthier,  Mu- 
rat,  Ney  et  Brune,  ont  péri  de 
mort  violente  ,  signalée  par  une 
afl'reusc  variété.  Masséna,  Auge- 
reau, Lel'ebvre,  Kellermann,  Pé- 
rignon ,  Serrurier  et  Duvoust  ont 
«;u  des  funérailles  dans  leur  patrie. 
Jiernadotte  est  roi  en  Suède. 

Le  27  mai,  le  sénat  prête  ser- 
ment à  l'empereur,  et  le  v,œu  des 
108  départemens  de  la  France  ar- 
rive bientôt  au  pied  du  trône. 
Le  clergé  qui,  seul  avec  les  répu- 
blicains ,  a  deviné  l'époque  qui 
vient  de  s'ouvrir,  salue  le  nouvel 
empereur  de  tous  les  litres  que  les 
livres  saints  peuvent  fournir  à  sa 
pédantesque  adulation.  Il  appelle 
Napoléon  le  nouveau  Cyrus ,  le 
nouveau  Moïse  appelé  des  déserts 
de  l' Egypte,  le  nouvel  Auguste,  le 
nouveau  M  alalhias  envoyé  par  le^ei- 
gîieur,  le  pieux  Onias ,  le  nouveau 
Josapliat,  etc.  L'église  devait  cette 
reconnaissance  à  l'auteur  du  con- 
cordat de  i8o2.  Les  ailaires  avec 
la  cour  de  Rome  donnèrent,  de- 
puis le  concordat,  beaucoup  d'em- 
barras à  Napoléon  ;  c'est  ce  qui  lui 


NAP 

fit  dire  au  célèbre  Fox  :  J'aurais 
eumoins  de  peine  à  établir  la  confes- 
sion d' Augsbourg.  Ceci,  toutefois, 
est  douteux, mais  ce  qui  ne  l'est  pas, 
c'est  que  le  rétablissement  du  culte 
catholique,  deconcert  avecla  cour 
de  Rome,  contribua  et  detait  con- 
tribuer puissamment  à  rétablisse- 
ment du  pouvoir  de  Napoléon  en 
France,  et  à  la  réconciliation  de 
la  France  avec  l'Europe  catholi- 
que. L'influence  de  la  hiérarchie 
des  pouvoirs  spirituels  n'était  pas 
un  moyen  à  négliger  pour  un 
homme  qui ,  sous  le  nom  du  pape, 
dont  il  voulait  faire  un  vassal,  se 
faisait  réellement  le  grand  pontife 
de  la  France. 

Ln  grand  acte  de  clémence  si- 
gnala les  premiers  jours  de  l'em- 
pire. Parmi  les  47  complices  de 
Georges  Cadoudal ,  19  avaient  été 
condamnés  à  mort.  De  ce  nom- 
bre étaient,  Armand  de  Polignac, 
le  marquis  de  Rivière ,  Bouvet  de 
t' Hozier,  la  Jollais  ,  Rochelle, 
Gailiiard,  Roussillon  et  Charles 
d' Hozier.  L'iinpératrice  Joséphine 
joignit  ses  larmes  à  celles  de  m;i- 
daine  de  Polignac.  «  Je  puis  par- 
donner à  votre  mari,  dit  Napoléon, 
car  c'est  à  ma  vie  qu'on  en  voulait.  » 
Et  la  grâce  d'Armand  de  Polignac 
fut  prononcée.  Madame  Murât  se 
chargea  de  celle  du  marquis  de 
Rivière  et  l'obtint.  (V.  J.  Murât, 
madame  Murât,  le  marquis  de  Ri- 
vière); de  ces  trois  bienfaiteurs,  la 
reine  Caroline  survit  seule  ,  dé- 
trônée dans  l'exil!  Les  autres  con- 
damnés furent  également  graciés. 
Ainsi  ,  8  conjurés  sont  enlevés  à 
l'échafaud.  Ces  commencemens 
sont  heureux;  la  France,  l'Eu- 
rope applaudissent  à  ce  grand  aclt^ 
d'une   véritable    générosité.     Ces 


NAP 

condamnés  sont  tous  amnistiés  par 
!N;ipoléon;  Napoléon  le  sera-t-il 
par  chacun  d'eux  ?  Mais,  maigre 
cette  preuve  authentique  de  la  for- 
ce et  de  la  puissance,  Napoléon  croit 
avoir  besoin  d'assurer  la  tr;mquil- 
lité  intérieure,  etson  élévalion  ré- 
cente, par  le  rappel  d'une  institu- 
tion révolulionnaire,  connue  sous 
le  nom  de  ministère  de  la  police 
générale.  Par  une  sagacité  qiu' ap- 
partenait à  celte  époque  du  passa- 
ge de  la  république  ù  l'empire,  il 
donne  le  portefeuille  de  ce  niiuis- 
tère  à  un  faux  républicain,  qui  a 
servi  le  despotisme  de  la  terreur. 
Cet  homme  sera  pour  toute  la 
France  l'homme  de  la  liberté,  et 
pour  Napoléon  seid  l'homme  du 
pouvoir.  Fouché  de  Nantes,  qu'il 
faut  à  jamais  appeler  Fonché  de 
Lyon,  va  aussi  régner  sur  la  Fran- 
ce, en  mettant  en  surveillance 
la  vie  privée  et  la  vie  publique, les 
opinions  et  les  écrits;  m;ds  Fouché 
ne  sera  pas  toujours  dans  le  secret 
de  Napoléon,  ni  malheureusement 
Napoléon  dans  celui  de  Fouché. 
Toutefois  l'empereur,  qui  seul  con- 
naît tout  ce  qu'il  veut  faire,  plane 
sur  ses  destinées  futures  à  l'insu 
de  tout  ce  qui  l'entoure,  et  il  ne 
Toit  dans  Fouché  que  le  concierge 
de  sa  politique  domestique,  quand 
les  événemens  qu'il  médite  l'ap- 
pelleront hors  de  sa  capitale,  ou 
des  frontières  de  l'empire.  Parmi 
ces  événemens  figure  au  premier 
rang,  dans  les  vastes  conceptions 
de  Napoléon,  l'invasion  qu'il  pré- 
pare contre  l'Angleterre  dans  tous 
les  ports  de  sa  domination.  Ceux 
de  la  Manche  sont  aussi  les  chan- 
tiers, mais  ils  sont  en  même  temps 
les  'arsenaux  de  l'expédition  qui 
doit  rapjHslcr,  par  l'itumensilé  des 


NAP 


55 'i 


troupes  et  des  transports,  celle  de 
Xercès  contre  la  Grèce.  Le  port 
de  Boulogne  contenait  déjà  rjoo 
bâlimens;  ceux  d'Etaples,  de  Vin- 
creux  «  de  Calais  ,  de  Dunker- 
que,  en  élaienl  remplis.  Le  port 
d'Ambleteuse,  également  recreiisé 
et  reconstruit,  attendait  les  5oo 
voiles  de  la  flottille  batave  sous 
les  ordres  de  l'amiral  Verhue!; 
elle  formait  l'aile  droite,  et  devait 
porter  le  corps  d'armée  du  ma- 
réchal Davoust,  qui  commandait 
les  camps  de  Montreuil  et  de 
Dnnkerque.  Le  16  mai,  après  un 
beau  combat  entre  le  commodorc 
Sydney,  l'am'ral  Yerhuel  faisait 
entrer  dans  le  port  d'Ostende  l.t 
première  division  de  sa  flottille  : 
la  seconde  suivit  de  près  avec  le 
même  danger  et  le  même  succès. 
L'amiral  Cornwallis  n'avait  pas 
été  plus  heureux  devant  Brest;  il 
en  avait  été  de  même  à  Harfleur. 
Les  Anglais  voulurent  brûler  le 
Havre,  afin  de  détruire  le  chantier 
principal  où  se  construisaient  les 
bâtimensde  lai  flottille  expédition- 
naire :  ils  échouèrent  les  17,  2/» 
juillet  et  i"  août.  Les  divisions 
françaises  partirent  du  Havre,  et 
elles  arrivèrent  toutes,  non  sans 
combat,  à  leur  destination.  Le 
contre-amiral  Magon  et  le  capitai- 
ne de  vaisseau  Moncabrié  eurent 
des  affaires  brillantes  avec  les 
croisières  anglaises,  l'un  devant 
Calais,  l'autre  devant  Boulogne. 
Acclimatées  à  ce  nouveau  genre 
de  guerre,  les  troupes  de  terre, 
qui  bivouaquaient  par  divisions 
sur  les  bateaux  de  la  flottille,  sol- 
licitaient l'honneur  de  former  le> 
garnisons  des  corsaires  et  des  bû- 
timens  qui  appareillaient  ;  elles 
portèrent     souvent    leur    audace 


336 


NAP 


jusqu'aux  eniboucliures  de  la  Ta- 
mise, où  les  grenadiers  de  la  li- 
gne capturèrent  des  bâtiinens 
marchands  etunecorvelte.  L'ami- 
ral Lalouche -Tréville  avait  éga- 
lement raison  de  l'amiral  Nelson 
à  Toulon,  où  il  commandait  tou- 
tes les  forces  navales  de  la  Mé- 
diterranée comme  l'amiral  Bruix 
commandait  à  Boulogne  toutes 
celles  de  l'Océan,  et  spécialement 
la  flottille  contre  l'Angleterre.  Cet- 
te puissance  connut  peut-être 
mieux  que  la  France ,  où  l'on 
cbansonnait  la  flottille,  le  danger 
de  l'expédition  dont  Boulogne  é- 
tait  à  la  fois  le  chantier,  l'arsenal, 
le  port  et  la  citadelle.  Cependant 
une  déclaration  ,  à  laquelle  les 
évéuemens  de  iSi/j  ontdonné  une 
aiitorilé  prophétique,  était  en- 
voyée à  tous  les  gouvernemens 
de  l'Europe.  Dédaignée  par  Napo- 
léon ,  elle  l'ut  alors  peu  connue 
des  Français  :  cette  pièce  était 
datée  de  Varsovie,  le  6  juin  1804. 

Protestation  de  Louis  Xf^III, 
roi  de  France,  contre  l'usurpa- 
tion de  Bonaparte. 

«  En  prenant  le  titre  d'empe- 
»reur,  en  voulant  le  rendre  héré- 
«ditaire  dans  sa  Famille,  Bonapar- 
»  te  vient  de  mettre  le  sceau  à  son 
0 usurpation.  Ce  nouvel  acte  d'u- 
)>  ne  révolution,  où  tout  dans  l'ori- 
))gine  a  été  nul,  ne  peut  sans  dou- 
»  teinfirmermesdioit.<;  inaiscomp- 
)t table  de  ma  conduite  à  tous  les 
«souverains  dont  les  droits  ne  sont 
»  pas  moins  lésés  que  les  miens , 
a  et  dont  les  trônes  sont  tous  é- 
M branles  par  les  principes  dange- 
wrcux  que  le  sénat  de  Paris  a  osé 
«mettre  en  avant;  com[»lable  à  la 
I. France,  à   ma  iamille,    à  mon 


NAP 

»  propre  honneur,  je  croirais  Ira- 
«hirla  cause  conunune  en  gardant 
»  le  silence  en  cette  occasion.  Je 
«déclare  donc  (après  avoir,  au 
«besoin,  renouvelé  mes  protesta- 
»  lions  contre  tous  les  actes  illé- 
Mgaux  qui,  depuis  l'ouverture  des 
«étals-généraux  de  France,  ont  a- 
nmené  la  crise  effrayante  dans  la- 
»  quelle  se  trouvent  la  France  et 
«l'Europe),  je  déclare,  en  présen- 
))Ce  de  tous  les  souverains,  que 
»loin  de  reconnaître  le  titre  im- 
»périal  que  Bonaparte  vient  de 
»se  l'aire  déférer  par  un  corps 
»qui  n'd  pas  mêîne  d'existence  lé- 
ogitime  [le  sénat),  je  proteste 
«contre  Ce  titre  et  contre  tous  les 
»  actes  subséquens  auxquels  il 
«pourrait  donner  lieu.  » 

L'intérieur  est  heureux  de  tou- 
tes les  prospérités  de  la  nouvelle  pa- 
trie et  de  toutes  les  garanties  que 
le  trône  iuipérial  semble  donner 
aux  institutions  chères  aux  Fran- 
çais. Napoléon  en  donne  un  gage 
public  le  25  juin,  en  faisant  justi- 
ce des  sectaires  de  Lovola,  qui  sous 
le  nom  l'enouvelé  de  Pères  de  la 
foi  ,  sous  celui  d'adorateurs  de 
Jésus,  de  paccanaristes,  venaient 
d'élever  deux  établissemens  sur 
les  ruines  de  la  république  et  sm- 
les  fondations  de  l'empire.  Comuie 
Napoléon  ne  doit  pas  prendre  le 
titre  de  défenseur  de  ta  foi,  laquel- 
le ne  lui  semble  pas  en  danger, 
il  n'a  pas  besoin  de  cette  milice 
obscure,  de  ce  corps  naissant  des 
mineurs  religieux,  qui  veut  s'éta- 
blir dans  les  souterrains  de  son 
gouvernement;  mais  ils  sauront 
bien  y  rentrer  un  jour  sous  la  pro- 
tection de  sou  oncle,  le  cardinal 
Fesch,  qui  se  chargera  des  repré- 
sailles ecclésiastiques  sur  les  con- 


NAP 

quêtes    de    la     révolution    fran- 
çaise. 

L'ordre  de  la  légion -d'honneur 
avait  été  créé  par  la  loi  du  29  mai 
1 802.  L'inauguration  de  cette  noble 
institution  reçoit  une  époque  chè- 
re à  la  France  depuis  treize  années, 
celle  du  14  juillet,  et  elle  a  eu  lieu 
au  temple  de  Mars,  dans  l'église 
des  Invalides.  La  cérémonie  bril- 
le de  tout  l'éclat  de  la  gloire  répu- 
blicaine et  de  toute  la  pompe  im- 
périale. C'est  dans  l'édifice  de 
Louis  XIV,  fondateur  de  l'ordre 
de  Saint-Louis ,  que  Napoléon, 
donne  solennellement  la  décora- 
tion à  la  gloire  militaire  de  la  li- 
berté. Quatre  jours  après,  il  est 
parti  pour  les  ports  de  la  Man- 
che ,  où  il  est  allé  renouveler, 
comme  souverain,  l'inspection 
qu'il  fit  comme  général  avant  son 
départ  pour  l'Egypte.  Le  but  os- 
tensible du  voyage  est  l'armement 
des  flottilles  expéditionnaires  con- 
tre l'Angleterre.  Napoléon  en  a  un 
autre  plus  direct  pour  les  intérêts 
privés  de  sa  couronne,  celui  de 
montrer  au  camp  de  Saint-Omer 
l'empereur  des  champs  de  batail- 
le :  aussi  va-t-il  éterniser  le  sou- 
venir de  ce  voyage,  en  appelant 
l'armée  à  la  récompense  des  bra- 
ves. L'étoile  de  la  légion  la  dirige 
à  Boulogne  vers  la  Tour  d'ordre, 
qui  reprend  son  nom  de  Toiir  de 
César  ,  et  pour  que  rien  ne 
manque  ù  l'illustration  que  l'em- 
pereur et  l'armée  doivent  recevoir 
de  cette  grande  cérémonie,  elle  a 
lieu  le  iG  août,  jour  de  la  Saint- 
Napoléon.  Quatre-vingtmilte  hom- 
mes des  camps  de  Boulogne  et  de 
Montreuil  sont  rassemblés  sous 
les  ordres  du  maréchal  Soult.  A  la 
droite  du  port,  au-dessous  de  lu 


NAP 


oor 


tour  de  César,  la  nature  a  tracé 
un  vaste  amphithéâtre  au  centre 
duquel  s'élève  un  trône  sur  un 
socle  triomphal.  Le»  colonnes  de 
l'armée  y  sont  dirigf-es  comme  au- 
tant de  rayons  qui  figurent  ceux 
de  l'étoile  d'honneur.  Entouré  de 
ses  frères,  de  ses  grands-otliciers 
civils  et  militaires,  Napoléon  pro- 
nonce le  serment  de  l'ordre;  il  est 
répété  a  vecacclamation  par  tous  les 
récipiendaires  disposés  en  pelo- 
tons à  la  tête  de  chaque  colonne. 
Après  le  serment  les  étoiles  sont 
distribuées  aux  légionnaires.  Un 
vivat  général  de  l'armée  salue  cel- 
te brillante  inauguration  de  l'or- 
dre du  mérite  français.  Par  la 
plus  heureuse  conjoncture,  tandis 
que  l'armée  défile  devant  l'empe- 
reur, le  capitaine  de  vaisseau 
Daugier  entre  dans  le  portde  Bou- 
logne avec  une  division  du  Havre, 
forte  de  45  voiles,  et  y  reçoit  les 
acclamations  de  la  terre.  De  nom- 
breuses distributions  aux  trou- 
pes, des  danses,  des  chants  guer- 
riers prolongent  jusqu'à  la  nuit  la 
fête  des  soldats.  Pour  y  faire  par- 
ticiper les  Anglais,  un  beau  feu 
d'artifice  attire  l'attention  de  la 
croisière  ennemie  et  du  rivage  de 
Douvres,  sur  le  plateau  du  camp 
de  gauche,  où  i5,ooo  hommes  en 
bataille  exécutèrent  un  feu  de  file 
avec  des  cartouches  à  étoiles  : 
hommage  rendu  par  l'armée  à  l'é- 
toile de  la  légion  qu'elle  venait  de 
recevoir.  Le  même  jour,  la  fête 
de  Napoléon  était  aussi  célébrée 
à  Cherbourg  par  l'inauguration  de 
la  digue,  et  à  Anvers  par  celle  de 
l'arsenal  maritime.  Deux  corvet- 
tes y  furent  lancées.  Ce  grand 
port  de  construction  comptait  à 
peine  une  aQnéed'étabUssement,et 


358  NAP 

trois  vaisseaux  de  ligne  et  une  IVé- 
gate  allaient  sortir  de  ses  chantiers. 
Avant  de  quitter  Boulogne  pour  se 
rendre  dans  les  quatre  déparle- 
inens  du  Piliin,  l'empereur  s'étant 
embarqué,  inspecta  la  flottille, 
pour  la  dernière  fois.  11  eut  le  bon- 
heur de  pouvoir  juger  par  lui- 
même  des  chances  d'un  combat, 
qui  fut  livré  sous  ses  yeux,  com- 
me le  spectacle  d'une  naumachie, 
«ntre  la  ligne  d'embossage  fran- 
çaise, composée  de  Il\Q  bateaux, 
et  la  flotte  anglaise  forte  de  14 
bûlimens  de  guerre,  dont  deux 
vaisseaux  de  ligne  et  deux  gros- 
ses frégates.  Pour  la  première  fois 
de  sa  vie,  il  trouvait  l'occasion  de 
commander  aussi  sur  mer,  et  il 
monta  à  bord  du  canot  de  l'amiral 
Bruix.  Lui-même  il  donna  l'ordre 
de  serrer  au  feu,  et  après  deux 
heures  d'vui  combat  acharné,  les 
Anglais  durent  battre  en  retraite, 
Après  avoir  perdu  un  bâtiment. 
Les  batteries  de  terre  soutinrent 
merveilleusement  le  fou  de  la  rade; 
plusieurs  bombes  tombèrent  sur 
les  ponts  ennemis.  Cène  fut  sans 
doute  pas  une  petite  satisfaction 
pour  Napoléon  d'avoir  humilié 
lui-même  le  pavillon  britannique, 
à  la  vue  de  son  armée  de  terre.  Ce 
combat  était  une  de  ces  bonnes 
fortunes,  qui  depuis  son  avène- 
ment au  consulat  signalaient  les 
circonstances  importantes  de  sa 
vie  publique,  Pendant  ce  séjour  à 
Boulogne,  Napoléon  multipliait 
les  gages  de  la  prospérité  in- 
térieure de  la  France,  en  don- 
nant à  la  première  école  de  l'Euro- 
pe, à  l'école  Polytechnique,  une 
nouvelle  organisation,  et  en  fon- 
dant les  grands  prix  décennaux. 
€etle  haute  récompense,  àlaquel- 


NAP 

le  doivent  concourir  toutes  Ie« 
sciences,  consacrera  l'époque  d'u- 
ne restauration  ,  car  elle  sera  don- 
née le  18  brumaire. 

Tandis  que  l'empereur  des  Fran- 
çais prépare,  sans  le  savoir  enco- 
re, à  la  guerre  d'Allemagne,  son 
armée  d'Angleterre,  l'empereur 
d'Autriche  ajoutait  à  ses  titres  celui 
d'empereur  héréditaire,  comme 
s'il  prévoyait  que  ce  titre  seul  lui 
dût  Être  laissé  par  Napoléon.  Ce- 
pendant de  Boulogne,  Napoléon  est 
parti  pour  Mayence,  après  s'être 
arrêté  à  Aix-la-Chapelle.  Dans 
cette  antique  résidence  du  premier 
empereur  des  Français,  il  retrou- 
ve el  il  s'applique  les  souvenirs 
de  Charlemagne.  Comme  Pépin, 
fondateur  d'une  dynastie,  à  son 
exemple  aussi,  il  se  propose  de 
faire  venir  le  pape  en  France, 
pour  en  recevoir  l'onction  impé- 
riale. Une  démarche  politique 
d'une  haute  importance  pour  le 
nouvel  empereur  signala  son  séjour 
à  Aix-la-Chapelle.  Le  comte  de 
Cobenlzel,  ambassadeur  d'Autri- 
che, vint  lui  présenter  ses  nouvel- 
les lettres  de  créance.  Lors  de  la 
notification  aux  cours  étrangères 
de  l'avènement  de  Napoléon  à 
l'empire,  l'Autriche  avait  jugé  de- 
voir consulter  la  Russie,  et  n'en 
avait  reçu  aucune  réponse.  Dans 
la  crainte  d'une  rupture  avec  la 
France,  cette  puissance  se  hâtait 
d'en  reconnaître  authentiquement 
le  nouveau  souverain.  Quant  à  la 
cour  de  Rome,  elle  n'avait  pas 
balancé  un  moment  :  le  concor- 
dat consulaire  l'avait  préparée  \ 
la  reconnaissance  impériale.  On 
priait  à  Rome,  et  dans  toute  la 
catholicité,  pour  l'empereur  Na- 
poléon et  pour  sa  famille.  L'Es- 


NAP 

pagne  n'avait  pas  eu  besoin  rie 
l'exemple  de  Rome.  Ainsi  les  trois 
grandes  puissances  catholiques 
saluaient  Napoléon  du  titre  im- 
périal :  c'était  une  grande  con- 
quête sur  les  souvenirs,  les  ha- 
bitudes, et  peut-être  sur  les  pas- 
sions de  la  royauté  européenne. 
La  négociation  avec  le  saint- 
père  pour  le  sacre  fut  conduite 
avec  le  même  succès.  Cette  gran- 
de cérémonie,  faite  au  sein  de  sa 
capitale,  dans  la  basilique  métro- 
politaine, était  pour  Napoléon 
de  la  plus  haute  politique  :  car  elle 
sanctionnait  sou  élévation  aux 
yeux  des  peuples  de  toute  la  chré- 
tienté. Elle  leur  interdisait,  ainsi 
qu'à  leurs  souverains,  toute  idée, 
tout  reproche  d'usurpation.; 

Le  12  novembre  l'empereur  est 
de  retour  à  Saint-Cloud ,  et  les 
apprêts  du  sacre  sont  ordonnés. 
Le  ij-  du  même  mois,  un  décret 
convoque  le  corps-législatif  pour 
assister  à  celte  cérémonie.  Le  3 
novembre  le  saint-père  quitte  la 
capitale  du  monde  chrétien  ;  le  18 
arrive  à  Lyon;  le  25,  est  reçu  par 
l'empereur  à  Fontainebleau,  et  le 
28  se  rend  avec  lui  à  Paris.  Le  i'"^ 
décembre  le  sénat  présente  à  Na- 
poléon le  vœu  du  peuple  pour 
l'hérédité  à  l'empire  dans  sa  fa- 
mille. Un  sénatus-consulte  l'a  an- 
noncé à  la  France.  Soixante  mille 
registres  avaient  été  ouverts 
dans  les  108  départemens.  Sur 
5,574,898  votans,  2,569  votes  é- 
taient  négatifs.  Cette  minorité,  pu- 
rement républicaine,  disséminée 
sur  toute  la  surface  du  sol  français, 
prouve  suflîsan)ment  combien  a- 
lors  la  contre-révolution  impériale 
était  complète.  Le  sénateur  Fran- 
çois de  Neufchâteau,  qui  a  le  pri- 


NAP  539 

vilége  des  harangues  solennelle^, 
le  même  qui,  au  18  brumaire,  a- 
vait  dit  :  La  constitution  est  placée 
sur  l'autel  du  dieu  Terme,  dit  à 
l'empereur  :  Le  vaste  miroir  du 
passé  est  la  leçon  de  l'avenir  ;  et  à 
la  fin  de  sa  réponse,  l'empereur 
disait  :  Nos  descendans  conserve- 
ront long-temps  ce  trône  ! ...  Ils  ne 
perdront  jamais  de  vue  que  le  mé- 
pris des  lois,  et  l' ébranlement  de 
l'ordre  social  ne  sont  que  lerésul' 
tat  de  la  faiblesse  et  de  l' inca'titu- 
de  des  princes  !  Le  lendemain  ,  3 
décembre,  par  le  froid  le  plus  ri- 
goureux, la  cérémonie  du  sacre  a 
lieu  à  l'église  de  Notre-Dame.  La 
bizarrerie  de  la  pompe  pontificale 
contraste  singulièrement  dans  le 
cortège  avec  l'éclat  de  la  pompe 
impériale.  L'ancien  évêque  répu- 
blicain d'Imola  sacre  l'empereur 
Napoléon,  et  limpératrice  José- 
phine, en  présence  des  membres 
du  sacré  collège,  des  prélats  fran- 
çais, de  tous  les  ordres  de  l'état 
et  du  corps  diplomatique.  Mais 
aussitôt  que  Pie  VII  a  béni  la  cou- 
ronne. Napoléon  la  saisit,  la  place 
sur  sa  tête  et  couronne  aussi  l'im- 
pératrice. Cette  scène  est  d'hier, 
et.elle  n'est  déjà  plus  de  notre  âge. 
Dès  ce  jour,  les  foudres  du  Vati- 
can sont  éteints,  et  il  n'y  a  plus 
dans  le  monde  que  l'excommuni- 
cation politique.  Celle-ci  reste  aux 
mains  de  celui  que  le  pape  s'est 
empressé  de  venir  sacrer,  et  qui 
s'est  couronné  lui-même. 

Une  belle  cérémonie  militaire 
rassemble  les  troupes  au  Champ- 
de-Mars  le  5  décembre  :  c'est  celle 
de  la  distribution  des  aigles.  «  Sol- 
n  dats,  dit  Napoléon,  voici  vos  dra- 
n  peaux.  Ces  aigles  vous  serviront 
»  toujours  de  point  de  ralliement  : 


54o 


NAP 


i)  elles  seront  partout  où  votre  eiii- 
y>  perear  les  jugera  nécessaires  pour 
nia  défense  de  son  trône  et  de  son 
n peuple.  »  L'année,  la  inémonihle 
année  1804?  se  termine  par  l'ou- 
verture (lu  corps-législatif.  On  ap- 
plaudit à  ces  mots  du  discours  de 
l'empereur  :  «Je  ne  veux  point  ac- 
»  croître  le  territoire  de  l'empire, 
nmais  en  maintenir  l'intégrité!» 
Dans  l'exposé  de  la  situation  de 
l'empire,  le  ministre  de  l'intérieur 
déclare  :  que  la  France  n'acceptera 
point  d'autres  conditions  que  celles 
du  traité  d'jlmiens. 


Les  incorporations  à  l'empire 
français  de  la  république  de  Gê-^ 
nés  et  de  quelques  petits  élats  d'I- 
talie ,  le  meurtre  du  duc  d'En- 
ghien,  et  la  violation  du  territoire 
hadois,  avaient  tout-à-coup  allé- 
ré  la  bonne  intelligence  de  la  Rus- 
sie avec  la  France  et  de  la  France 
avec  son  empereur.  Un  échange 
de  notes  hostiles,  une  véritable 
guerre  de  récriminations,  avaient 
eu  lieu  entre  les  cabinets  de  Pé- 
tersbonrg  et  de  Paris.  L'empereur 
Alexandre  avait  fait  prendre  le 
deuil  à  sa  cour  pour  la  mort  de 
l'infortuné  rejeton  de  la  maison 
de  Condé.  Le  chargé  d'affaires 
d'Oubril ,  resté  à  Paris  après  le 
départ  de  l'ambassadeur  Markoff, 
avait  pris  ses  passeports  le  29  août 
de  l'année  précédente,  et  la  diète 
de  Ratisbonne  avait  reçu  les  dé- 
clarations de  l'empereur  Alexan- 
dre, dont  le  roi  de  Suède  soute- 
nait les  griefs  de  toute  son  in- 
fluence. La  Russie  était  donc  pu- 
bliquement engagée  i\  ne  pas 
reconnaître  l'empereur  des  Fran- 


NAP 

çais.  Le  cabinet  de  Londres  avait 
habilement  profité  de  ces  circons- 
tances pour  engager  celui  de  Pé- 
tersbonrg  à  romprre  av«3c  la  Fran- 
ce,  et  pour  signer  avec  lui  un 
traité  le  11  avril  i8o5.  De  son 
côté,  la  Russie  avait  'décidé  le 
divan  à  refuser  de  reconnaître  Na- 
poléon en  qualité  d'empereur,  et 
le  maréchal  Brune  avait  dû  quit- 
ter Constantinople,  comme  le  gé- 
néral Hédouville  avait  quitté  Pé- 
tersbourg.  Des  flottes  russes  a- 
vaient  franchi  les  Dardanelles  et 
le  Sund  ;  elles  menaçaient  l'Italie, 
avaient  débarqué  des  troupes  aux 
Iles  Ioniennes,  et  semblaient  mar- 
cher de  concert  avec  les  flottes 
britanniques.  Celles-ci,  dès  le  5 
octobre  1804,  avaient,  sans  dé- 
claration de  guerre,  attaqué  l'Es- 
pagne, l'alliée  de  Napoléon,  s'é- 
taient violemment  emparées  des 
galions,  incendiaient  dans  les  ports 
de  la  péninsule  les  navires  du 
commerce  ,  et  détruisaient  ses 
convois.  Cette  piraterie  de  for- 
bans avait  lieu  pendant  que  l'am- 
bassadeur d'Espagne,  le  chevalier 
d'Andiiana,  était  encore  à  Lon- 
dres. Le  14  décembre,  don  Ce- 
vallos,  ministre  des  affaires  étran- 
gères, avait  publié  un  manifeste 
de  la  plus  grande  énergie  contre 
le  gouvcinement  anglais,  et  lui 
avait  déclaré  la  guerre.  Le  3  du 
même  mois,  la  Grande-Bretagne 
s'était  fortifiée  d'un  nouvel  auxi- 
liaire, et  avait  signé  à  Stokholm 
une  convention  de  subsides  avec 
la  Suède,  pour  agir  de  concert 
contre  la  France.  D'un  autre  cô- 
té, Napoléon  était  entraîné,  par 
sa  propre  politique,  à  croire  qu'il 
avait  besoin  de  conquérir  sur  l'Eu- 


iNAP 

rope  le  trône  que  vient  de  lui  don- 
ner la  France,  et  l'Angleterre  é- 
tait  allée  au-devant  de  celte  fatu- 
Itî  nécessilé  en  suscitant  dans  le 
Nord  et  en  ionientanten  Autriche 
la  guerre  que  désire  Napoléon. 

Cependant  ce  prince,  dès  les 
premiers  jours  de  janvier  i8o5, 
veut  donner  à  la  France  un  gage 
authentique  de  ses  dispositions 
pour  la  paix:  car  s'il  sont  qu'il  a 
besoin  de  la  victoire  pour  l'aire 
respecter  sa  couronne,  il  n'ignore 
pas  que  la  paix  avec  l'Angleterre 
peut  seule  rallerniir  sur  î^a  tête. 
En  conséquence  ,  par  un  effet  de 
cette  confiance  que  la  fortune  lui 
donne  h;  droit  d'avoir  en  lui,  il 
écrit  directement,  le  14  janvier, 
au   roi   d'Angleterre  : 

«  Je  n'attache  pas  de  déskoii- 
>yneur  à  faire  les  premiers  pas,... 
ij'ai  assez ,  Je  pense,  prouoé  au 
»  monde  que  je  ne  redoute  aucune 
vdes  chances  de  la  guerre....  La 
«paix  est  le  vceu  de  mon  cœur,  mais 
«  la  guerre  n' a  Jamais  été  contraire 
Ȉ  ma  gloire...  Je  conjure  V .  M. 
«de  ne  pas  se  refuser  au  bonheur 
■de  donner  la  paix  au  monde.... 
»  Une  coalition  ne  fera  jamais  quac- 
)'  a'oitre  la  prépondérance  et  la 
a  grandeur  continentale  de  la  Fran- 
nce.  » 

Mais  Napoléon  empereur  s'est 
trompé  comme  l'avait  fait  Bona- 
parte consul  [toyez  Bo^AP.4RTE) , 
et  c'est  une  lettre  vagu«  de  lord 
Mulgrave  à  M.  de  Talle^rand,  (|ui 
répond  à  cette  iuipurtanle  démar- 
che et  prononce  sur  le  sort  du 
monde.  Jamais  la  politique  res- 
pective de  l'Angleterre  et  de  la 
France  n'avait  été  réduite  à  une 
plus  simple  cxpressiou.  Ces  deux 

T.    XIV. 


NAP  541 

puissances  étaient  également  con- 
vaincues que  la  paix  générale  as- 
surait la  domination  de  Napoléon. 
Aussi  l'une  avait  la  même  raison 
de  demandersans  cesse  cette  paix, 
quel'autre  avait  de  larefuser.  Ce- 
pendant lo.s  propositions  de  Napo- 
léon avaient  trouvé  sur  les  bancs 
de  l'opposition  anglaise  un  énergi- 
que protecteur  dans  la  personne 
du  célèbre  Fox.  Aussi  turent-elles 
par  l'ordre  de  l'empereur  com- 
muniquées, ainsi  que  la  réponse 
de  lord  Mulgrave,  aux  trois  corps 
de  la  législature.  La  franchise  de 
cette  cominunication  excita  au 
plus  haut  degré  l'enthousiasme 
public  déjà  exalté  par  la  généro- 
sité de  la  démarche  faite  auprès 
du  prince-régent.  La  guerre  ainsi 
sanctionnée  par  l'opinion,  la  guer- 
re devint,  par  ce  nouveau  refus 
de  l'Angleterre,  dc|)uis  la  rupture 
du  traité  d'Amiens,  la  seule,  la 
véritable,  la  légitime  politique 
de  Napoléon.  Aussi  toutes  les 
guerres  continentales,  qui  vont 
en«angiauler  l'Europe,  n'auronl- 
elles  d'autre  but  que  celui  d'ob- 
tenir à  force  de  triomphes  la  paix 
générale.  Elle  sera  refusée  cons- 
tannncnt  par  Finvinciiile  machia- 
vélisme d'un  gouvernement  dont  la 
splendeur  ne  date  cependant  que  de 
Foccupaliondu  trônepar  la  maison 
de  ILanôvre.  Ainsi  l'Europe  est  des- 
tinée, par  le  cabinet  de  Saint-Ja- 
mes, à  s'immoler  périodiquement 
à  la  haine  qu'il  porte,  non  ;\  l'é- 
lévation de  Napoléon,  mais  aux 
prospérités  de  la  France;  et  dix 
années  après,  aOn  que  la  postérité 
ne  se  méprenne  jamais  sur  l'au- 
teur de  ces  prospérités-,  celle  mê- 
me Angleterre  proclamera  dan» 


34a 


NAP 


toute  l'Europe  soulevée  et  soldée 
par  file,  que  c'est  contre  Napo- 
léon seul  que  la  vengeance  du 
monde  est  armée,  et  la  France 
sera  la  proie  de  la  jalousie  bri- 
tannique ! 

Dans  l'incertitude  où  le  prudent 
Napoléon  était  du  succès  de  la 
démarche  qu'il  méditait  auprès 
du  prince-régent  d'Angleterriî,  il 
avait  habilement  prolilé  de  la  jus- 
te exaspération  du  cabinet  de  Ma- 
drid contre  la  violation  britanni- 
que, et,  le  12  janvier,  une  con- 
vention fut  signée  à  Aranjuez  en- 
tre lu  France  et  l'Espagne.  Cette 
convention,  par  laquelle  l'Espa- 
gne s'engageait  à  tenir  à  la  dispo- 
sition de  sou  alliée  5o  vaisseaux 
et  5,000  hommes  de  débarque- 
ment.  renfermait  aussi  le  détail 
des  lorces  de  l(,'rre  et  de  mer  ras- 
semljîées  dans  les  principaux  ports 
de  l'enopire  :  au  Texel ,  5o,ooo 
hommes  sous  le  général  War- 
mont,  avec  les  bâtimens  de  trans- 
port nécessaires;  à  Oslende,  Dun- 
kerque.  Calais,  Boulogne,  au 
Havre,  des  flottilles  propres  à 
embarquer  lio.ooo  hommes  et 
r>5,ooo  chevaux;  à  Brest,  21  vais- 
seaux do  ligne  et  des  transports 
pour  un  camp  de  25, 000  hom- 
mes; à  Rochetbrt,6  vaisseaux, 
4  IVégates  avec  4->ooo  hommes  de 
troupes;  enfin  à  Toulon,  1 1  vais- 
seaux, 8  frégates  et  des  transports 
pour  9,000  hommes.  Ainsi  au  mo- 
ment où  Napoléon  demandait  la 
paix  h  l'Angleterre,  ii  avait  prêts 
à  être  embarqués  190,000  hom- 
mes sur  69  vaisse;».ux  de  ligne,  et 
plus  de  2,000  bâtimens  de  trans- 
port et  de  guerre,  frégates,  cor- 
ACttes,  baleaux  de  flottilles,  tons 
armés  et  n'attendant  que  son  or- 


NAP 

dre ,  ou  l'espérance  de  5  heures 
de  calme,  pour  voguer  vers  la 
Tamise.  C'était  pendant  sou  sé- 
jour à  Mayeuce  que  Napoléon  a- 
vait  arrêté  les  dispositions  de  ses  . 
furces  uavalfs,  qu'il  avait  divisées 
en  trois  expéditions  :  la  {Première 
aux  Antilles,  sous  les  ordres  du  gé- 
néral La  Crange  et  du  contre-a- 
miral Misssiessv;  la  seconde  contre 
Surinam,  commandée  par  le  gé- 
néral Lauriston;  la  troisième  était 
confiée  au  général  Reille,  qui  était 
chargé  de  s'emparer  de  Sainte- 
Hélène!  !  Ce  fut  peu  de  jours 
après  que  Napoléon  fut  couronné! 
Peu  de  jours  aussi  après  son  avè- 
nement au  consulat  à  vie,  l'île 
d'Elbe  avait  été  réunie  à  la  répu- 
blique! Une  destinée  mystérieu- 
se semblait  avoir  voulu  désigner 
aux  deux  élévations  de  Napoléon, 
les  apanages  de  ses  deux  infortu- 
nes. 

Les  mouvemens  de  l'amiral 
Gantheaume  hors  de  Brest,  et 
l'expédition  aux  Antilles  de  l'ami- 
ral Villeneuve  avec  les  flottes  de 
Toulon  et  d'Espagne ,  avaient 
pour  objet  d'entraîner  loin  de  la 
Manche  les  forces  navales  de  l'An- 
gleterre, et  de  faciliter  la  réunion 
et  le  départ  de  la  flottille  expédi- 
tionnaire. Pour  atteindre  ce  but 
si  important,  les  flottes  de  Ville- 
neuve et  de  Graviua  devaieu!: 
franchir  le  détroit,  faire  route  ù 
l'ouest,  et  à  leur  retour  des  An- 
tilles, se  réunir  aux  flottes  de 
l'Océan  à  Rochefort  et  à  Brest. 
Cette  réunion  devait  présenter  u- 
ne  force  de  5G  vaisseaux  de  haut 
bord ,  avec  lesquels  l'amiral  Vil- 
leneuve entrerait  dans  le  canal. 
Ce  plan,  dont  le  succès  eût  fait 
réus;;ir  l'incrovalde  projet   de  la 


rlcscenle  en  Angleterre,  lut  une 
conception  de  Napoléon ,  qui  de 
Lyon  ,  où  il  s'arrêta  en  allant  à 
Milan,  en  transmit  de  sa  main 
toute  Tinstruction  au  ministre  de 
la  marine. 

Mais  au  milieu  des  immenses 
préparatifs  que  Napoléon  multi- 
pliait dans  tous  les  ports  de  la 
France ,  de  l'Espagne ,  de  la  Hol- 
lande et  de  la  Belgique ,  pour 
triompher  de  l'Angleterre  à  Lon- 
dres, ou  pour  la  forcer  à  la  paix, 
une  nouvelle  couronne  était  Te- 
nue se  poser  sur  son  front.  C'est 
celle  de  sa  gloire  républicaine. 
C'est  la  couronne  de  Fer  d'Italie. 
Le  16  mars,  l'empereur  vient  dé- 
clarer au  sénat  qu'il  accepte  le 
vœu  de  la  nation  italienne,  qu'une 
députalion  solennelle  de  la  con- 
sulta de  Milan  est  venue  lui  offrir. 
Cette  dépulation,  composée  des 
grands  corps  du  nouveau  royau- 
me ,  est  présente  au  sénat.  C'est 
celle  qui,  conduite  par  M.  de  Mel- 
zi,  président  de  la  consulta,  a  as- 
sisté au  couronnement  à  Paris.  Le 
2  avril,  l'empereur  et  l'impéra- 
trice quittent  leur  capitale  de 
France  pour  leur  capitale  d'Italie. 
Trois  jours  après,  moins  heureux, 
le  pape  repart  pour  celle  de  l'é- 
glise. Il  avait  espéré,  en  recon- 
naissance du  sacre  de  Napoléon  , 
recouvrer  les  légations  cédées  à  la 
France  par  le  traité  de  Tolentino; 
mais  si  le  saint-père  a  quitté  Rome 
avec  les  idées  d'un  souverain  tem- 
porel ,  il  n'a  été  appelé  et  reçu  à 
Paris  que  comme  souverain  spiri- 
tuel. Napoléon,  devenu  roi  d'Ita- 
lie, est,  par  cela  seul,  encore  plu? 
assuré  de  la  dépendance  du  saint- 
siége.  Mais  avant  d'aller  prendre 
lu  couroone  de  Fer,  il  s'arrête  sur 


NAP  543 

le  champ  de  bataille  où  il  a  con- 
quis l'Italie  pour  lu  seconde  fois. 
Là,  au  milieu  de  oo.ooo  hommes, 
dont  il  appelle  les  plus  braves  à  l;i 
décoration  de  la  légiond'honneur, 
il  pose  solennellement  la  pierre  du 
monument  que  sa  reconnaissance 
élève  aux  héros  moissonnés  à  Ma- 
rengo.  C'était  rentrer  dans  Milan 
par  un  arc  de  triomphe.  Le  8  mai, 
il  y  fait  une  entrée  magnifique.  Le 
26,  le  couronnement  a  lieu.  Cette 
cérémonie  efface  celle  de  Paris 
par  sa  splendeur  historique.  Le 
nouveau  roi  était  à-la-fois  Charle- 
magne  et  Napoléon.  Au  bout  de 
dix  siècles,  la  couronne  des  Lom- 
bards, placée  sur  la  tète  d'un  em- 
pereur des  Français,  apprenait  au 
monde  que  Charlemagne  avait  un 
successeur.  Comme  à  Paris,  Na- 
poléon se  couronne  lui-même  ,  et 
en  prenant  la  couronne  sur  l'au- 
tel :  Dieu  me  la  dot^se  ,  dit-il  à 
haute  voix.  Gare  a  qdi  la  tocche. 
Il  créa  l'ordre  de  la  couronne  de 
Fer,  et  ces  mots  en  furent  la  de- 
vise. Le  8  juin,  le  prince  Eugène, 
son  fils  adoptif,  fut  proclamé  vice- 
roi  d'Italie.  Napoléon  ne  croit  pas 
et  avec  raison  donner  à  ses  nou- 
veaux sujets  un  gage  plus  certain 
de  son  affection,  que  de  choisir, 
pour  le  représenter  comme  sou- 
verain ,  le  fils  de  son  adoption  et 
l'élève  de  sa  gloire. 

Le  4  juin  ,  Le  doge  Durazzo  , 
l'archevêque  de  Gêues,  et  une  dé- 
putalion du  sénat  de  cette  répu- 
blique ,  étaient  venus  à  Milan 
demander  la  réunion  de  l'état  de 
Gênes  à  l'empire  français.  Le  9, 
M.  de  Champagny,  ministre  de 
l'intérieur  ,  proclamait  à  Gênes 
cette  incorporation  et  la  division 
du  territoire  en  trois  départemens^ 


344  '  NAP 

Gênes ,  Montenotie  et  les  Apen- 
nins. Le  même  jour,  l'empereur 
fit  à  Milan  l'ouverture  solennel- 
Je  du  corps-législatif  du  royau- 
me d'Italie,  et  y  reçut  le  serment 
du  vice-roi.  Il  termina  son  dis- 
cours par  ces  mots  ,  qui  devaient 
faire  trembler  la  maison  d'Autri- 
i:he  :  «  J'espère  qu'à  leur  tour  mes 
f>  peuples  d  Italie  voudront  occuper 
»la  place  que  Je  leur  destine  dans 
»ma  pensée.  Ils  t/'j  parviendront 
y)  qu'en  se  persuadant  bien  que  la 
'^  force  des  armes  est  le  principal 
n  soutien  des  étals.  Il  est  temps 
»  enfin  que  cette  jeunesse  ,  qui  vit 
ndans  l'oisiveté  des  grandes  villes, 
n  cesse  de  craindre  les  fatigues  et  les 
»  dangers  de  la  guerre.  » 

L'Italie  releva  noblement  sous 
son  vice-roi  le  gant  que  venait  de 
jeter  Napoléon.  Sa  gloire  militaire 
«lébuta  par  étendre  celle  de  la 
France  ,  vécut  son  égale  et  mou- 
rut avec  elle  du  même  supplice, 
par  l'invasion  étrangère  et  la  tra- 
hison. 

Deux  ambassades  spéciales  é- 
taient  arrivées  à  Milan.  L'une  ap- 
portait à  Ncipoléon  la  décoration 
du  Portugal,  l'autre  une  lettre  de 
félicitation  du  saint-père.  Sa  sain- 
teté tenriinait  sa  lettre  par  une 
sorte  de  madrigal.  «  La  réciprocité 
nde  notre  amour,  et  cette  tendresse 
w  paternelle  que  nous  éprouvons 
n  pour  vous,  nous  rendent  très-cher 
y)  ce  qui  vous  est  glorieux.  » 

Le  lO  juin,  l'empereur  partit 
de  Milan  pour  continuer  la  revue 
de  ses  trophées  d'Italie.  Quarante 
mille  hommes  ,  commandés  par 
les  maréchaux  Jourdan  et  Bessiè- 
res,  l'attendaient  au  camp  de  Cas- 
tiglione,  où  il  fit,  comme  à  celui 
de  Marcngo,  une  distribution  so- 


NAP 

lennelle  de  la  croix-d'honneur.  De 
là,  il  visita  Peschiera,  Véronne,  et 
l'imprenable  Mantoue,  où  il  arriva 
le  17  juin  et  séjourna  jusqu'au  21. 
A  Bologne,  il  reput  le  marquis  de 
Gallo,  envoyé  par  le  roi  de  Naples 
pour  solliciter  et  garantit' la  neu- 
tralité de  ce  prince,  ainsi  qu'une 
dépntation  du  sénat  de  Lucques, 
qui  lui  demandait  un  souverain. 
Peu  de  temps  après  ,  celte  petite 
république  fut  érigée  en  princi- 
pauté ,  et  devint  l'apanage  de  la 
princesse  Elisa  ,  depuis  grande- 
duchesse  de  Toscane.  Un  mois  a- 
près  le  21  juillet,  l'état  de  Parme 
obtenait  aussi  l'honneur  de  l'in- 
corporation au  grand  empire.  En- 
fin ,  le  3o  juin  ,  Napoléon  fait  son 
entrée  à  Gênes,  suivi  des  ambas- 
sadeurs de  Naples  et  de  Portugal. 
Le  plus  grand  éclat  fui  donné  à  la 
cérémonie  de  prise  de  possession 
de  l'ancienne  rivale  de  Venise. 
Elle  eut  lien  dans  la  cathédrale, 
où  l'empereur,  dans  toute  la  pom- 
pe d'un  troisième  couronnement, 
reçut  les  sermens,  et  distribua  les 
décorations.  Le  8  juillet,  il  arriva 
à  Turin  ,  d'où  il  sortit  au  milieu 
d'une  manœuvre  de  la  garnison  : 
le  1 1  il  était  à  Fontainebleau. 

Ce  fut  dans  cette  résidence  que 
Napoléon  apprit  le  second  combat 
de  la  flottille  batave,  qui,  sous  les 
ordres  de  l'amiral  Verhuel,  triom- 
pha ,  les  17  et  18  juillet,  des  ef- 
forts de  la  croisière  anglaise,  réu- 
nie le  premier  jour  au  nombre  de 
i5  vaisseaux,  et  le  second,  forte 
de  45.  La  flottille  parvint  à  sa  des- 
tination au  port  d'Ambleteuse. 
Cette  action  audacieuse,  qui  plaça 
l'amiral  Verhuel  au  rang  des  pre- 
miers hommes  de  guerre  de'l'Eu- 
rope,  fut  encore  remarquable  par 


NAP 

une  particularité  cKevaleresque 
coalbrme  au  génie  belliqueux  des 
grands  militaires  de  cette  époque. 
Le  maréchal  Davoust ,  comman- 
dant le  camp  de  Dunkerque.  d'oi^ 
la  flottille  appareilla  ,  voulut  être 
volontaire  sous  le  pavillon  de  l'a- 
miral ,  monta  à  son  bord,  qui  prit 
la  tête  de  la  ligne  de  bataille  ,  et 
l'ut  à-la-fois  un  illustre  témoin  et 
un  historien  fidèle  de  ce  beau  fait 
d'armes,  dont  il  partagea  les  pé- 
rils ,  et  dont  la  gloire  «levait  lui 
rester  étrangère.  Il  est  vrai  que 
Napoléon  avait  donné  cet  exem- 
ple au  maréchal  la  veille  de  son 
départ  de  Boulogne. 

Mais,  pendant  que  Napoléon  se 
couronnait  à  Milan ,  l'Angleterre 
stipulait  à  Pétersbourg  un  traité 
par  lequel  la  Russie  s'engageait  à 
mettre  sur  pied  une  armée  de 
180,000  hommes  pour  reprendre 
le  Hanovre,  affranchir  la  Hollande 
et  la  Suisse,  rétablir  sur  son  trône 
le  roi  de  Sardaigue,  faire  évacuer 
Je  royaume  de  Naples  par  l'armée 
française,  et  enfin,  pour  donner 
en  Italie  une  frontière  à  l'Autri- 
rhe.  Cette  dernière  puissance  est 
dans  les  plus  vives  alarmes  ,  en 
raison  de  la  force  nouvelle  que 
donnent  à  Napoléon  et  la  couron- 
ne d'Italie,  et  l'incorporation  de 
Gênes  et  des  autres  principautés, 
et  le  voyage  aus<i  militaire  que 
politique  qu'il  vient  de  faire  dans 
ses  anciennes  conquêtes.  Cepen- 
dant ,  l'Autriche  paraît  d'abord 
vouloir  se  contenter  du  rôle  de 
conciliatrice,  en  se  proposant  à  la 
France  pour  intermédiaire  entre 
elle  et  la  coalition  des  cabinets  de 
Londres  ,  de  Pétersbourg  et  de 
Slokholm.  Bientôt  après,  elle  crie 
hautement  et  avec  raison  à  l'in- 


NAP  545 

fraction  du  traité  de  Lunéville  du 
9  février  i8of.  Alors  se  voyant  com- 
plètement déchue,  et  de  toute  in- 
fluence en  Italie,  et  de  toute  espé- 
rance de  rapprocher  les  parties  , 
elle  prend  conseil  de  sa  frayeur  , 
et,  le  9  août,  elle  va  se  réfugier 
dans  la  coalition  anglo-russe.  Le 
29,  ses  armées  sont  en  mouve- 
ment ;  80,000  hommes  s'ébran- 
lent sous  les  ordres  de  l'archiduc 
Ferdinand,  dont  la  tutelle  militai- 
re est  confiée  à  l'impuissante  pré- 
somption du  général  Mack.  Mais, 
dans  le  moment  où  l'Autriche  se 
lève  contre  la  violation  du  traité 
de  Lunéville,  elle  viole  tout-à-coup 
l'indépendance  d'un  état  voisin, 
et ,  sans  déclaration  de  guerre  , 
elle  envahit  la  Bavière  dont  elle  a 
voulu  incorporer  Tarmée  dans  la 
sienne.  En  Espagne,  l'Angleterre 
a  fourni  à  l'Autriche  l'exemple 
d'une  pareille  violation.  La  cour 
électorale  de  Munich  dut  aller  se 
réfugier  à  Wurtzbourg.  Trente 
mille  hommes  ,  commandés  par 
l'archiduc  Jean,  prennent  position 
dans  le  Tyrol,  et  100,000  combat- 
tans  marchent  sur  l'Adige  sous 
les  drapeaux  de  l'archiduc  Char- 
les ,  qui  ,  malgré  lui  ,  part  pour 
venger  ses  souvenirs  d'Italie. 

Napoléon  apprend  ces  mouve- 
mens  au  camp  de  Boulogne,  et  il 
donne  sur-le-champ  le  nom  d'ar- 
jnée  d'Allemagne  à  Varmée  d'An- 
gleterre. Le  même  jour  ,  il  char- 
geait son  grand-maréchal,  le  gé- 
néral Duroc  ,  d'aller  s'assurer  à 
Berlin  de  la  neutralité  du  roi  de 
Prusse.  Cette  mission  eut  un  plein 
succès,  et  la  neutralité  de  la  Prus- 
se fut  déclarée  malgré  les  eflbrtg 
des  envoyés  impériaux  de  Vienne 
et  de  Pétersbourg.    Une    armée 


546 


NAP 


d'observation  de  100,000  hom- 
mes, et  une  de  réserve  de  5o,ooo, 
commandée  par  le  foi  lui-même, 
devaient  garantir  la  neutralité  ar- 
mée de  la  Prusse.  Naples  envoya 
à  Paris  pour  négocier  sa  neutra- 
lité désarmée,  qui  fut  réglée  le  21 
septembre  par  un  traité.  Quatre- 
vingt-dix  mille  Français  sont  en 
marche  pour  l'Autriche.  Un  mois 
après ,  sept  corps  d'armée ,  com- 
mandés par  les  maréchaux  Berna- 
dotte  ,  Davoust,  Soult,  Lanncs  , 
Ney,  Augereau,  et  le  général  Mar- 
niont,  une  grande  réserve  de  ca- 
valerie aux  ordres  du  maréchal 
Murât  ,  se  dirigent  sur  la  rive 
droite  du  Rhin.  Le  8°"  corps  de 
cette  grande-armée  se  compose 
de  la  garde  impériale.  Napoléon 
est  en  Allemagne  à  la  tête  de 
160,000  hommes;  Masséna,  avec 
Ce, 000  soutenus  des  20,000  de 
l'occupation  napolitaine  du  géné- 
ral Gouvion-Saint-Cyr,  doit  com- 
battre l'archiduc  Charles.  L'em- 
pereur a  adressé  de  Paris  au  ma- 
réchal, le  17  septembre,  un  plan 
de  campagne,  par  lequel  il  lui 
prescrit  de  <;ommencer  les  hostili- 
tés le  27.  Toute  l'Europe  est  en 
armes.  Le  1"  octobre,  malgré  la 
neutralité  proclamée  par  la  Prus- 
se, une  scène  sentimentale  a  lieu 
à  Potzdam,  où  un  traité  est  juré 
sur  la  tombe  du  Grand  -  Frédéric 
par  Alexandre  et  par  Frédéric- 
Guillaume.  Mais  le  roi  de  Prusse 
tient  secrets  ce  traité  et  ce  ser- 
ment, sauf  à  les  rendre  publics,  si 
la  fortune  favorise  son  nouvel  a- 
mi.  Le  traité  de  Beckaskog  venait 
de  proclamer  l'alliance  offensive 
et  défensive  de  l'Angleterre  et  de 
In  Suède  contre  la  France. 
Cependant ,  Napoléon  n'avait 


NAP 

négligé  aucune  occasion  de  don- 
ner des  gages  à  l'Europe  contre 
les  souvenirs  de  la  république.  Le 
sénatus- consulte  du  2  sej)lembre 
avait  rétabli  l'usage  du  calendrier 
grégorien.  Mais  ,  si  l'Europe  a 
cru  triompher  avec  Napoléon  de 
la  république  au  i8  brumaire  , 
elle  regrette  à  présent  le  consulat 
et  surtout  le  directoire  ,  quand 
elle  voit  deux  grandes  couronnes 
sur  la  tête  du  premier  capitaine 
des  temps  modernes.  Le  gouver- 
nement consulaire,  sous  Bonapar- 
te, convenait  mieux  à  la  tranquil- 
lité de  l'Europe  et  peut-être  au 
bonheur  de  la  France.  Mais,  plus 
la  haine  est  violente  hors  de  la 
France  contre  son  empereur,  plu* 
ardente,  plus  passionnée  aussi  est 
l'exaltation  de  la  France  pour  Na- 
poléon. Le  23  septembre,  l'em- 
pereur se  rendit  solennellement 
au  sénat ,  où  il  fit  lire ,  par  son 
ministre  des  relations  extérieures, 
l'exposé  de  ses  griefs  contre  la 
cour  d'Autriche.  Après  cette  lec- 
ture, deux  sénatus-consultes  fu- 
rent proposés  :  l'un  était  relatif  à 
une  levé'e  de  80,000  hommes  sur 
la  classe  de  1806,  et  le  second,  à 
la  réorganisation  des  gardes  natio- 
nales. Le  sénat  décréta  les  deux 
propositions  ,  et  déféra  de  plus  , 
à  l'empereur,  la  nomination  des 
officiers  des  gardes  nationales  ,. 
dont  la  réorganisation  serait  arrê- 
tée par  des  décrets  impériaux. 
C'était  une  nouvelle  usurpation 
du  régime  impérial  sur  les  liber- 
tés nationales.  Les  décrets  paru- 
rent et  comprirent  tous  les  Fran- 
çais depuis  Tâge  de  21  ans  jusqu'à 
60.  Tout  fut  changé.  Les  batail- 
lons se  nommèrent  cohortes.  L'or- 
ganisation s'étendit  de  suite  pour 


NAP 

les  déparreraens  limitrophes,  de- 
puis le  Pas-de-Calais  jusqu'au  lac 
de  Genève.  Elle  fut  divisée  en 
quatre  arrondissemcns  ,  dont  les 
commandemens  furent  donnés  à 
quatre  sénateurs  ,  aux  généraux 
Rair.pon,  d'Aboville,  et  aux  ma- 
réchaux Lefebvre  et  Kellermann. 
Ces  deux  maréchaux  reçurent  de 
plus  le  commandement  de  deux 
corps  d'armée  de  réserve ,  l'un  à 
Mayence  ,  l'autre  à  Strasbourg; 
le  maréchal.  Brune  en  comman- 
dait un  troisième  à  Boulogne.Trois 
camps  volans  de  grenadiers  de- 
Taient  être  formés  àftennes, dans  la 
Vendée,  et  au  camp  d'honneur  de 
Marengo.  Un  enthousiasme  ex- 
traordinaire exaltait  l'esprit  de 
l'armée,  qui  ne  délibère  pas  sur 
les  actes  récens  de  Napoléon.  C'est 
pour  elle  aussi  qu'elle  aime  la 
guerre,  et,  en  se  pressant  autour 
de  son  empereur,  elle  soutient  son 
propre  ouvrage.  Les  gardes  natio- 
nales aussi ,  malgré  la  perte  de 
leurindépendance,  sont  fiéres  d'ê- 
tre chargées  de  défendre  les  côtes. 
Les  Français  brûlent  d'essayer 
les  armes  impériales;  ce  sont  en- 
core les  mêmes  mains  qui  faisaient 
triompher  les  armes  républicaines. 
SJais-la  victoire  est  montée  sur  le 
Irône  avec  Napoléon  ;  les  maré- 
chaux soutiennent  et  surpassent 
les  hauts  faits  d'armes  qui  ont 
rendu  leurs  noms  européens.  Le 
huit  octobre  ,  à  Wertingen  , 
Lannes  ,  Murât,  Oudinot  ont  dé- 
truit une  division  autrichienne. 
Le  lendemain,  àGuntzbourg,  Ney 
voit  fuir  l'archiduc  Ferdinand,  et 
Soult  occupe  Augsbourg.  Le  12  , 
Bernadotte  est  à  Munich.  La  ven- 
geance de  la  Bavière  est  commen- 
cée.  La  forte  yUIc  de  Memmia- 


NAP  347 

gen  capitule  le  14  entre  les  mains 
de  Soult ,  et  le  14  aussi ,  Ney  ga- 
gnait un  titre  à  Elchingen.  Le  16, 
Murât  fait  5, 000  prisonniers  à  Lan- 
genau.  Le  20  ,'è^.  général  Mack  ca- 
pitule dans  Ulm  avec  une  armée 
de  00,000  hommes,  prisonniers  de 
guerre.  Du  8  au  20  octobre,  les 
Français  ont  fait  plus  de  5o,ooo 
prisonniers.  Le  28,  Lannes  a  pris 
Braunau.  Le  5o  ,  Bernadotte  est  à 
Saltzbourg.  Murât  et  Lannes  at- 
teignent enGn  une  arrière-garde 
russe,  le  4  novembre,  à  Amstetten; 
le  même  jour  ,  Davoust  occupe 
Steyer  dans  la  Haute-Autriche,  et 
Vicence  se  rend  à  l'armée  d'Italie. 
Masséna  a  déjà  fait  capituler  un 
corps  autrichien  ;  et  dès  le  2  dé- 
cembre l'archiduc  Charles  est  en 
retraite.  Le  ^,  Ney  occupe  les  villes 
d'Inspruck.  et  de  Hall ,  et  a  mis 
en  fuite  l'archiduc  Jean,  qui  com- 
mande en  chef  l'armée  du  Tyrol. 
Davoust,  trois  jours  après,  ren- 
verse le  corps  de  Merfeldt  au  com- 
bat de  Marienzell,  pendant  que 
Marmont  arrive  à  Léobeu.  Cette 
petite  ville  est  fameuse  dans  les 
fastes  de  la  gloire  républicaine.  Le 
même  archiduc  y  reçut  la  paix  de 
Bonaparte  ;  mais  cette  fois  Napo- 
léon veut  aller  à  Vienne,  car  il  a 
à  faire  sa  fortune  de  souverain  ,  et 
c'est  dans  les  capitales  des  empi- 
res qu'il  fera  reconnaître  son  titre 
d'empereur.  Enfin  le  1 1 ,  l'héroï- 
que comhatde  Darnsteinvaouvrir 
à  Napoléon  les  portes  de  Vienne. 
Le  maréchal  Mortier  a  5, 000  hom- 
mes, et  rencontre,  dans  un  défilé, 
l'arrière  -  garde  russe ,  forte  de 
25,000.  Après  un  combat  de  plu- 
sieurs heures ,  Mortier  s'est  fait 
jour,  et  a  rejoint  l'armée  sur  la 
rive  droite  du  Danube.  Le  i3;  les 


548 


NAP 


bourgeois  de  Vienne  ,  abandon- 
nés de  leur  souverain  et  de  leurs 
princes  ,  ouvrent  leurs  portes 
au  vainqueur.  La  capitnle  est 
prise  ;  mais  Vier.^  n'est  pas  la 
monarchie  autrichienne  ,  et  le 
champ  de  bataille  est  porté  ailleurs. 
Napoléon  néglige  ce  grand  avis 
que  lui  donne  alors  l'empereur 
François,  et  il  ne  doit  pas  s'en 
souvenir. 

L'archiduc  se  relire  de  toutes 
les  positions  où  l'armée  autri- 
chienne a  été  battue  sous  la  répu- 
blique. Il  a  le  même  sort  :  Mas- 
séna  a  passé  le  Tagliamento  le  i3, 
et  le  14,  Ney  occupe  la  ville  de 
Trente.  Le  Haut-Adige,  l'Isonzo, 
Gradisca,  Udine  et  Palnia  Nova 
ont  revu  les  phalanges  de  la  France. 
Augereau  répond  à  ces  succès  par 
ceux  qu'il  obtient  dans  la  Forêt- 
Noire,  il  s'empare  de  Lindau,  de 
Bergen ,  de  Fcldkirch  ,  et  par  la 
belle  capitulation  de  Doeruberg, 
il  reste  maître  de  tout  le  Voral- 
berg,  et  force  les  Autrichiens  à  se 
retirer  en  Bohême.  Cependant  une 
seconde  armée  russe  a  fait  sa  jonc- 
tion à  Wischau  ,  avec  celle  du  gé- 
néral en  chef  Rutusow,  le  18  no- 
vembre; mais  le  lendemain  Brunn 
évacuée,  est  occupée  parles  Fran- 
çais ,  et  Napoléon  a  son  quartier- 
général  à  "W  ischau.  La  position  du 
vainqueur  est  critique;  le  génie 
seul  ne  lui  suffît  pas,  il  lui  faut 
encore  la  fortune.  Figaré  par  la 
victoire  ,  à  200  lieues  de  ses 
frontières,  au  centre  de  la  Mora- 
vie, opérant  sur  un  espace  de  90 
lieues  en  pays  ennemi,  harcelé  sur 
sa  gauche  par  l'insurrection  de  la 
Bohême  ,  menacé  sur  sa  droite  par 
la  Hongrie,  ayant  à  combattre  les 
deux  armées  réunies  de  l'archiduc 


>;ap 

Charles  et  de  Rutusow,  inquiété, 
de  plus,  par  l'accession  secrète  de 
la  Prusse  à  la  coalition  ,  et  entouré 
de  la  fermentation  du  peuple  de 
Vienne,  Napoléon  a  besoin  d'un 
décret  spécial  du  destin  pour  é- 
chappcr  à  tant  de  périls. 'Un  astre 
nouveau  doit  éclore  sur  sa  tête 
pour  lui  doimer  la  victoire.  Mais 
Trieste  est  occupée  par  Masséna, 
Gouvion  Saint-Cyr  fait  capituler 
le  corps  du  prince  de  Rohan  à 
Bassano  ;  et  enfin  ,  par  la  plus  glo- 
rieuse comme  par  la  plus  savante 
combinaison  ,  les  deux  armées 
françaises,  d'Allemagne  et  d'Ita- 
lie, unissent  leurs  lauriers  à  Rla- 
genfurth ,  le  29  novembre.  Le  sort 
de  Napoléon  et  de  la  monarchie 
autrichienne  va  se  décider  dans  les 
plaines  de  laMoravie,  autour  d'un 
village  ,  à  deux  lieues  de  Brijnn. 
Le  2  décembre  se  donne  la  ba- 
taille des  trois  empereurs.  Les 
Russes  et  les  Autrichiens  ont 
100,000  homme»  sur  le  terrain  , 
les  Français  90,000.  La  force  de 
l'artillerie  est  égale  des  deux  côtés  ; 
la  supériorité  numérique  de  la 
cavalerie  est  pour  l'armée  austro- 
russe.  Celle-ci,  malgré  l'avantage 
du  nombre,  est  frappée  de  terreur; 
elle  voudrait  attendre  une  troi- 
sième armée  russe,  mais  elle  a 
affaire  à  un  ennemi  qui  sait  son 
secret,  et  qui  la  force  à  un  enga- 
gement général.  Le  jour  s'est  levé 
avec  la  bataille,  et  la  nuit  la  ter- 
mine. L'armée  russe  est  foudroyée 
sur  un  lac  de  glace  relie  n'oubliera 
pas  la  guerre  des  frimas  !  Soult , 
pendant  9  heures  de  suite,  décida 
du  sort  de  cette  grande  journée  , 
où  combat  l'élite  de  nos  généraux, 
Lannes  ,  Bernadotte  ,  Davoust  , 
Murât,  Junot ,  Oudinot.  Rapp, 


à  la  tête  de  la  cavalerie  de  la  garde 
impériale  ,  détruisant  un  corps 
d'élite  de  la  garde  russe .  donne 
au  peintre  Gérard  le  sujet  d'un  de 
ses  plus  beaux  ouvrages.  Soult , 
qui  ,  dans  celte  journée,  s'est 
montré  si  grand  capitaine,  aquitte 
noblçment  la  dette  qu'il  a  con- 
tractée avec  Napoléon  au  camp  de 
Boulogne.  L'armée  française  avait 
voté  à  Napoléon  une  statue  cidos- 
sale  en  bronze ,  pour  être  élevée 
au  milieu  du  camp  de  César.  Tous 
les  grades  de  l'armée  avaient  fait 
les  fonds  pour  ce  monument  d'une 
gloire  ,  vraiment  nationale  ;  mais 
le  bronze  manquait.  Soult,  qui  est 
à  la  tête  de  ce  grand  hoînmage  de 
l'armée  à  son  héros,  lui  dit  : 
Sire  y  prêlez-moi  du  bronze  ,  je 
vous  le  rendrai  à  la  première  ba- 
taille. Deux  mois  après,  à  Auster- 
litz,  à  ce  village  de  la  Moravie  , 
Soult  donna  200  pièces  de  canon 
à  Napoléon.  (  Voyez  Soclt.) 

Le  résultat  de  cette  incroyable 
victoire  est  immense.  Le  comte 
de  Haugwitz  était  arrivé  à  Briinn 
la  surveille  de  la  bataille.  Le  gé- 
néral Caulaincourt  lut  chargé  de  le 
voir  et  de  négocier  avec  lui.  Pen- 
dant ce  temps  ,  on  apprit  que 
les  Russes  avaient  attaqué  Tavant- 
garde.  C'est  une  bataille,  dit  l'em- 
pereur à  Caulaincourt ,  faites  par- 
tir Haugwitz  pour  Païenne ,  pour 
en  attendre  le  résultat.  Trois  jours 
après  le  comte  de  Haugwitz ,  qui 
mettait  en  doute,  à  briinn,  les 
dispositions  de  la  Prusse ,  protes- 
tait de  sa  partialité  pour  Napoléon  , 
en  le  félicitant  sur  le  gain  de  la 
bataille.  «  Voilà,  dit  l'empereur, 
•>M/i  compliment  dont  la  fortune  a 
n  changé  l'adresse.  »  C'était  répon- 
dre en  hoiume  supérieur  au  traité 


NAP 


54o 


sentimental  juré  à  Polzdam',  sur 
la  tombe  du  grand  Frédéric.  L'em- 
pereur d'Autriche  vint  saluer  le 
vainqueur  à  son  bivouac.  Je  n'ha- 
bite pas  d'autre  palais  depuis  deux 
mois,  lui  dit  Napoléon.  Vous  sa- 
vez si  bien  tirer  parti  de  cette  habi- 
tation ,  répond  l'empereur  Fran- 
çois ,  qu'elle  doit  tous  plaire  ;  et 
il  lui  demanila  la  paix.  L'empe- 
reur Alexandre  fit  demander  un 
sauf-conduit  pour  quelques  corps 
de  son  armée,  et  l'obtint  ;  le  prince 
partit  seul  pendant  la  nuit.  Enfin, 
un  généreux  armistice  est  accordé  ; 
il  sauve  les  débris  de  l'armée  russe, 
et  assure  leur  retraite  à  journées 
d'étape  ,  par  les  monts  Krapacks  , 
hors  des  états  autrichiens.  Cette  ar- 
mée avait  perdu  tout  son  matériel , 
une  trentaine  de  mille  hommes  et 
une  vingtaine  de  généraux.  Le  i3 
décembre.  Napoléon  fut  compli- 
menté solennellement  à  Schœn- 
brunn ,  par  les  maires  de  Paris  , 
auxquels  il  remit  45  drapeaux  pris 
à  Austerlitz,  pour  orner  les  voûtes 
de  l'église  métropolitaine.  La  neu- 
vième campagne  de  Napoléon,  qui 
sera  la  plus  belle  de  son  règne , 
détruit  ainsi  la  troisième  coalition 
contre  la  France:  mais  sa  politique 
élève,  par  le  traité  de  Presbourg, 
du  26  décembre,  le  monument  de 
l'autocratie  européenne.  Le  i5,  il 
s'est  lait  céder,  par  la  Prusse,  les 
pays  d'Anspach,  Bareuth,  Clèves, 
le  grand-duché  de  Bcrg,  dont  il 
dote  son  beau -frère,  le  prince 
Joachim  Murât,  et  la  principauté 
de  Neuchatel ,  qui  doit  récom- 
penser les  services  de  sou  chef 
d'état-major  d'Italie  ,  d'Egypte  el 
d'Allemagne.  La  Prusse  reçoit  en 
indemnité,  l'électoratde  Hanovre, 
dont  elle  dépouille  avec  plaisir  l'aU 


55o 


NAP 


liée  de  la  Russie.  A  Presbourg  , 
reconnu  roi  d'Italie  ,  Napoléon 
fuit  céder  à  sa  nouvelle  cou- 
ronne les  états  de  Venise,  la  Dal- 
matie  et  l'Albanie  ;  la  principau- 
té d'Eichstett  ,  Angsbourg  ,  le 
ïyrol ,  la  Souabe  autrichienne  , 
sont  partagées  entre  l'électeur  de 
Bavière,  les  ducs  de  Wirtemberg 
et  de  Bade^  Pour  récompenser  la 
courageuse  fidélité  de  ces  princes, 
Napoléon  a  créé  rois  les  deux 
premiers.  Le  27  décembre  ,  une 
proclamation ,  relative  à  ses  des- 
seins, sur  la  couronne  de  Naples, 
apprend  à  l'Europe  qu'il  la  des- 
tine à  son  IVére  Joseph.  Il  donne  à 
son  fils  adoptif,  reconnu  prince  et 
vice-roi  d'Italie,  la  main  de  la  belle 
princesse  de  Bavière,  et  le  dé- 
clare son  successeur  au  trône  d'I- 
talie ,  s'il  meurt  sans  postérité. 
Il  assiste  à  Munich  au  mariage  du 
prince  Eugène. 

L'année  i8o5,  à  jamais  mémo- 
rable dans  les  fastes  des  prospérités 
humaines,  a  vu  Napoléon,  vain- 
queur de  deux  empereurs  ,  distn- 
buer  des  couronnes,  et  proclamer 
la  fortune  la  patrone  de  l'empire 
français.  Cependant  l'empereur  de 
Russie  n'avait  pas  voulu  ratifier 
l'armistice  d'Austerlitz.  Trop  éloi- 
gné du  centre  de  l'Europe  pour 
être  forcé  de  consentir  à  partager 
l'humiliation  de  l'Autriche,  il  a 
repris,  le  6  décembre,  la  route  de 
Saint-Pétersbourg,  et  laisse  indé- 
cise entre  la  France  et  lui  ,  non  la 
question  de  la  guerre,  mais  celle 
de  sa  prolongation.  Toutefois  la 
paix  de  Presbourg  est  bien  positi- 
vement pour  Napoléon  l'idée  mère 
de  cette  confédération  germani- 
que ,  qui ,  sous  le  nom  de  confé- 
dération du  Rhin,  destinée  à  éteu- 


NAP 

dre  la  frontière  armée  de  la  Fiiance 
jusqu'auxbords  de  l'Elbe  contre  la 
puissance  russe,  va  jouer  un  rôle 
important  dans  lesaffaires  du  grand 
peuple,  dont  elle  sera,  jusqu'à  la 
fin  ,  la  vassale  et  l'ennemie. 

Mais  si  l'empire  d'Occrdent  re- 
naît sur  la  terre  à  la  voix  de  Na- 
poléon, le  sceptre  des  mers  reste 
sans  partage  à  son  implacable  en- 
nemie. L'Angleterre  compte  aussi 
d'éclatans  triomphes.  Sans  la  cam- 
pagne du  vice-amiral  Missiessy, 
qui,  parti  de  Rochefort  le  1 1  jan- 
vier, a  débarqué  des  munitions  à 
la  Martinique,  a  fait  une  descente 
heureuse  à  la  Dominique ,  a  ravi- 
taillé la  Guadeloupe  ,  a  ravagé 
quelques  îles  anglaises  ,  et  déblo- 
qué la  ville  de  Santo- Domingo  , 
la  marine  française  n'aurait  été 
connue  en  i8o5  que  par  ses  re- 
vers. Après  l'échec  du  32  juillet , 
au  cap  Finistère  ,  de  la  flotte  com- 
binée française  et  espagnole,  con- 
tre la  flotte  anglaise  ,  l'Angleterre 
avait  gagné  ,  le  21  octobre  ,  sa  ba- 
taille d'Austerlitz  au  cap  Trafal- 
gar  contre  les  deux  alliés.  Sur  53 
vaisseaux,  10  seulement  avaient 
pu  rentrer  à  Cadix,  et  les  quatre 
qui  étaient  parvenus  si  singuliè- 
rement à  s'échapper,  sous  les  or- 
dres du  contre-amiral  Dumanoir, 
avaient  été  pris  sur  les  côtes  de 
Galice,  le  4  novembre,  après  un 
combat  de  4  heures  contre  des 
forces  supérieures.  Mais  à  cette 
bataille  de  Trafalgar,  où  l'amiral 
Villeneuve  avait  été  pris ,  où  le 
contre-amiral  Magon  avait  été  tué, 
où  les  amiraux  espagnols,  Gravina 
et  Alava,  avaient  été  blessés  ,  l'a- 
miral anglais,  Nelson  avait  péri 
d'un  coup  de  feu  ,  et  16  vaisseaux 
anglais  sur  28  étaient  hors  de  ser- 


NAP 

vice.  L'Angleterre  et  la  France 
ont  eu  le  droit  de  chanter  le  Te 
Deum  de  la  victoire  pour  i8o5  ; 
leur  rivalité  se  justifie.  Mais  après 
le  combat  du  6  février  s-uivant  , 
où  dans  la  baie  de  Santo-Doiningo, 
.>iept  vaisseaux  anglais  battent  cinq 
vai'^seanx  français  ,  dont  trois 
sont  pris,  et  les  deux  autres  é- 
chouent  et  sont  brûlés  ,  la  France 
ne  reparaît  plus  sur  les  mers,  et 
ne  doit  plus  opposer  à  l'Angleterre 
que  la  domination  et  le  blocus  du 
continent.  La  France  a  raison  :  elle 
a  une  armée  de  ôoo.ooo  hom- 
mes, et  l'Angleterre  une  flotte 
de  5oo  bûtimens  de  guerre. 

1806. 

Un  deuil  politique  vient  sur- 
prendre cette  puissance  ,  le  23 
janvier.  Le  fils  de  lord  Chatam  , 
le  ministre  Pitt,  meurt,  après  a- 
voir  dirigé,  pendant  20  ans,  le 
cabinet  de  la  Grande-Bretagne. 
Son  rival  Fox  lui  succède  ,  mais 
les  temps  sont  changés  en  France 
pour  ce  grand  homme  d'état  :  il 
ne  pardonnait  pas  à  Napoléon  d'a- 
voir oublié  Bonaparte.  Cependant, 
comme  il  n'avait  cessé  de  combat- 
tre dans  le  parlement  l'opinion  de 
la  guerre  à  la  révolution  française , 
il  veut  renouer  avec  la  France  des 
négociations  que  sa  mort  doit  an- 
nuler Q  mois  après.  L'empereur 
venait  de  revenir  de  Munich  à 
Paris,  et  le  28  janvier,  le  sé- 
nat décrète  un  monument  à  Na- 
poléon-le-Grand-  Le  10  février, 
un  décret  ordonne  la  restauration 
de  l'église  Saint-Denis ,  consacre 
trois  autels  expiatoires  aux  cen- 
dres royales  ,  et  y  établit  la  sé- 
pulture des  Empereurs.  Un  autre 


NAP 


35 1 


rend  à  la  basilique  Sainte-Gene- 
vièvre  l'exercice  du  culte  catho- 
lique, sans  qu'elle  cesse  d^être  la 
sépulture  des  grands  hommes.  Le 
public  s'étonne  de  la  différence 
que  Xapoléon-le-Grand  met  entre 
les  grands  hommes  et  les  empe- 
reurs. Le  8  février ,  le  royaume 
de  Naples  est  envahi  ;  Joseph  est 
général  en  chef  de  l'armée  que 
commande  Masséna ,  qui,  le  i5, 
le  fait  entrer  dans  la  capitale  de 
son  royaume.  Ainsi  l'Italie  en- 
tière est  française  ,  ou  vassale  dr 
la  France.  L'empereur  le  déclare 
le  2  mars,  dans  son  discours  d'oti- 
verture  du  corps- législatif,  u  La 
')  maison  de  INapIes  a  perdu  la  cou- 
D  ronue  sans  retour;  la  presqu'île 
»de  l'Italie,  tout  entière,  fait 
»  partie  du  grand  empire.  »  M.  de 
Haugwitz  signe  le  8,  à  Paris,  un 
nouveau  traité  pour  la  Prusse  , 
qui  a  accepté  la  possession  du  Ha- 
novre. Ce  traité  ,  comme  tous 
ceux  faits  avec  cette  puissance,  à 
qui  les  doubles  négociations  ne 
sont  point  étrangères  ,  attire  d'a- 
bord sur  ses  ports  l'embargo  de 
l'Angleterre  en  justes  représailles 
de  l'occupation  du  Hanovre  ,  et 
huit  mois  après,  il  devient  une 
guerre,  qui,  tout-à-coup,  sur- 
prend la  France,  et  toul-à-coup 
détruit  la  Prusse.  Celte  puissance 
avait  pourtant  vu  de  bien  près  lu 
victoire  d'Austerlilz. 

Cependant  les  promotions  sou- 
veraines se  continuent  :  le  i5,  le 
maréchal  Mural  mi  déclaré  grand- 
duc  de  Berg,  et  le  5o,  Josepk  ia>i 
des  Deux-Siciles.  Trois  mois  après, 
en  vertu  du  traité  du  24  mai, 
Z«oM/\s  recevra  la  couronne  de  Hol- 
lande, et  le  même  jour,  5  juin  , 
ia   principauté   de   Bénévcnt   sera 


r)52  NAP 

donnée  comme  fief  immédiat  de 
la  couronne  de  France  ,  à  M.  de 
ïalleyrand,  grand-chambellan,  et 
ministre  des  relations  extérieures  , 
en  récompense  de  ses  services.  Les 
services  de  M.  de  Talleyrand  «ont 
destinés  à  être  toujours  reconnus 
et  méconnus  par  tous  les  gouver- 
nemens  de  la  France.  Le  mois  de 
mai  fut  reniarquable  par  deux  ac- 
tes plus  importans  pour  la  France. 
Le  9,  eut  lieu  la  promulgation  de 
C ensemble  du  Code  de  procédure  ci- 
vile, et  le  lo,  celle  de  la  loi  de  fon- 
dation de  VUniversité  impériale. 

Les  opérations  politiques,  do  la 
plus  haute  importnnce  ,  caracté- 
risent le  mois  de  juillet.  Le  6, 
la  Russie  envoie  à  Paris  traiter  de 
la  paix;  elle  est  signée  le  20  , 
mais  le  25  aoTit,  par  une  de  ces 
licences  d'Llat  ,  qu'autorise  son 
éloignement ,  la  Russie  se  repen- 
tit de  son  ouvrage,  et  désavouant 
son  négociateur,  rendit,  par  cet- 
te nouvelle  rupture ,  sa  position 
plus  hostile  envers  la  France.  Le 
cabinet  des  Tuileries,  dont  Na- 
poléon était  l'âme  ,  ne  pouvait  se 
méprendresur  une  pareille  rétrac- 
tation; mais  plus  assuré  contre  le 
grand  ennemi  du  Nord,  par  le 
traité  de  la  confédération  du  Rhin, 
qu'il  avirit  conclu  le  12  juillet ,  et 
qui  fut  notifié  le  i""  aoftt  à  ladiéte 
de  Ratisbonne,  Napoléon  voit  avec 
calme  se  fomenter  dans  l'ombre 
l'orage  d'une  4'  coalition.  Le  ré- 
sultat de  sa  confédération  du  Rhin, 
est  en  premier  lieu,  de  séparer 
à  perpétuité  du  territoire  germa- 
nique, et  d'identifier  à  la  politique 
quelconque  de  la  France  les  nou- 
veaux rois  de  Bavière  et  de  Wur- 
temberg, l'électeur  archi-chance- 
îier  de  l'empire,  sous  le  nom  de 


NAP 

prince-primat,  le  grand -duc  de 
Berg  ,  le  duc  de  Bade  et  le  land- 
grave de  Hesse-Darmstadt ,  sous  le 
titre  de  grands-ducs  ;  en  second 
lieu  ,  de  forcer,  le  ()  août ,  l'em- 
pereur d'Autriche  à  abdiquer  la 
couronne  impériale  germanique  , 
et  à  renoncer  à  tous  ses  droits  sur 
l'empire  d'Allemagne.  Napoléon 
est  le  protecteur  autocrate  de  cette 
nouvelle  ligue,  qui  va  s'augmen- 
ter de  tous  les  autres  princes  de 
l'Allemagne  ,  excepté  seulement 
des  souverains  de  la  Pomérauie  , 
du  Holstein,  deBrunswich,  d'OI- 
dembourg  ,  de  l'empereur  d'Au- 
triche et  du  roi  de  Prusse.  Mais 
celui-ci,  alarmé  de  la  nouvelle 
prépondérance  qu'une  telle  asso- 
ciation donne  à  Napoléon ,  traite 
secrètement  avec  l'Angleterre  ,  la 
Suède  et  la  Russie;  et  tandis  que 
ce  prince  met  sous  les  armes  tous 
ses  sujets,  il  ose  impérieusement 
demander  à  la  France  raison  des 
armemens  qu'elle  a  faits  sur  ses 
frontières.  Moins  chevalier  que 
conquérant,  Napoléon  fit  depuis 
comparaître  dans  ses  moniteurs 
l'inviolable  dignité  de  la  belle  reine 
de  Prusse,  qui  parcourait  à  che- 
val, à  cette  époque,  les  rues  de 
Berlin  avec  un  costume  militaire, 
et  appelait  aux  armes  le  peuple 
prussien.  L'exaltation  romanesque 
qui  en  résulta  avait  sa  générosité; 
mais  cette  chevalerie  s'aventura 
dans  une  entreprise,  où  tout  fut 
mis  en  mouvement,  excepté  l'in- 
térêt de  la  patrie.  Les  provoca- 
tions insultantes  de  la  garnison  de 
Berlin,  qui  ne  respecta  pas  le  ca- 
ractère de  l'ambassadeur  de  Fran- 
ce, durent  irriter  Napoléon.  Il  osa 
oublier,  même  après  la  bataille 
de  léna,  le  respect  dû  à  une  jeune 


NAP 

et  malheureuse  souveraine ,  et  la 
conloudre ,  dans  sa  vengeance , 
avec  la  cour  insolente  qui  l'a  bra- 
vé ,  avec  le  gouvernement  per- 
fide qui  le  trahit  depuis  le  traité 
de  Potsdam. 

Dans  le  même  moment,  un  fa- 
vori inepte  et  arrogant,  long- 
temps courtisan  de  Napoléon,  et 
son  instrument  docile,  se  trouve, 
sans  le  savoir,  chargé  par  la  des- 
tinée, de  provoquer  la  ruine  du 
maître  de  l'Europe.  Le  prince  de 
la  Paix  {voy.  Godoï)  appelle  tout- 
ù-coup  aux  armes ,  par  une  pro- 
clamation insensée  ,  la  popula- 
tion de  l'Espagne.  Cette  procla- 
mation est  bientôt  désavouée  , 
et  20,000  Espagnols  vont  servir 
Napoléon  sur  les  rives  de  la  Bal- 
tique; mais  le  prince  de  la  Paix  a 
blessé  l'amitié  naturelle  des  deux 
nations.  L'histoire  recueille  cette 
petite  cause,  devenue  une  prodi- 
gieuse circonstance;  car  qui  ose- 
rait affirmer  (jue  sans  cet  étrange 
incident.  Napoléon,  obéi  qu'il  é- 
tait  de  l'armée,  de  la  flotte  et  du 
gouvernement  de  l'Espagne,  eût 
conçu  le  projet  de  l'envahissement 
qui  a  causé  sa  chute,  et  dont  l'ef- 
fet ébranle  encore  l'Europe  en  ce 
moment?  Les  provocations  des 
Prussiens  ont  fermenté  dans  l'âme 
irritable  de  Napoléon ,  et  la  perte 
de  la  Prusse  est  jurée.  Elle  doit  re- 
tomber dans  la  condition  d'un  du- 
ché. Cependant,  le  i"  octobre,  l'a- 
vantage que  Marmont  remporte 
sur  les  Russes  réunis,  aux  Monté- 
négrins, à  Castel-Novo,  près  de 
Raguse,  conGrme  à  la  France,  les 
intentions  hostiles  du  cabinet  de 
Saint-Pétersbourg.  Egaré  loin  de 
sa  métropole,  ce  corps  d'armée 
n'était  que  la  pierre  d'attente  d'u- 


NAP 


.-):>:> 


ne  quatrième  coalition.  En  effet, 
l'amiral  russe  Siniavim  avait  re- 
fusé de  remettre  à  la  France,  con- 
formément au  dernier  traité,  les 
Bouches-du-Cattaro.  Force  encore 
de  reprendre  les  armes,  par  ces  pro- 
vocations. Napoléon  est  à  Wurti- 
bourg  le  3  octobre,  le  G  à  Bam- 
berg,  et  tous  les  héros  d'Austeriitz 
sont  chargés  de  sa  vengeance. 

Les  affaires  de  Schleitz,  de  Hof, 
de  Saalfeld,  où  le  prince  Louis  de 
Prusse  est  tué  ,  préludent  à  la 
grande  victoire  qui,  sept  jours  a- 
près  l'ouverture  de  la  campagne, 
va  répondre  aux  manifestes  ridi- 
cules de  la  Prusse.  Mais  le  i5,  Na- 
poléon a  reçu  la  proclamation  si 
imprévue  du  prince  de  la  Paix,  et 
il  balance  à  la  veille  de  son  triom- 
phe; il  fait  plus,  il  écrit  au  roi  de 
Prusse,  pour  prévenir  Ceffusion  du. 
sangf  et  la  perte  assurée  de  la  ba- 
taille. En  effet,  l'armée  française 
bordait  la  Saâle,  et  tournait  le  dos 
à  l'Elbe,  tandis  que  l'armée  prus- 
sienne a  le  Rhin  derrière  elle.  Mais 
l'aveuglement  du  roi  repousse  la 
démarche  de  l'empereur,  et  le  len- 
demain 14,  la  monarchie  prus- 
sienne est  détruite  àléna,  avec  son 
armée.  La  bataille  était  double  :  à 
léna,  elle  est  gagnée  par  Lannes, 
Lefebvre,  Soult,  Ney  et  Augereau. 
A  six  lieues  d'Iéna,  à  Auerstaedt, 
avec  3o,ooo  hommes  ,  Davoust 
se  bat  contre  le  roi  en  person- 
ne, et  contre  80,000  hommes  , 
l'élite  de  l'armée  prussienne;  cel- 
le-ci est  la  belle  bataille.  Davoust 
aura  le  nom  d'Auerstaedt .  mais 
léna  donnera  le  sien  à  la  victoire. 
Les  Prussiens  perdent  ^OjOoo 
hommes  tués  ou  pris,  260  bou- 
ches à  feu,  tous  leurs  magasin;*. 
Les  vieux  compagnons  d'armes 
a3 


^54 


NAP 


du  grand  Frédéric  ,  le  duc  de 
Brunswick,  le  maréchal  de  iVloèl- 
lendorf  et  le  lieutenant-général  de 
■Schiiictten,  sont  blessés  dange- 
reusement, et  ne  survivront  pas 
à  cet  anéantissement  de  la  gloire 
militaire  de  leur  patrie.  Le  prince 
Henri  de  Prusse  et  le  général  Ru- 
fhel,  sont  aussi  blessés.  L'armée 
française,  au  contraire,  n'a  (;u  sur 
ses  deux  champs  de  bataille  que 
12,000  hoinnjes  hors  de  combat, 
fcl  elle  ne  regrette  qu'un  général 
€t  cinq  colonels.  Deux  jours  après, 
le  roi  de  Prusse  sans  armée,  de- 
mande un  armistice,  qui  lui  est 
justement  refusé.  Le  même  jour, 
au  combat  de  Greussen,  le  maré- 
chal Soult  écrase  le  vieux  maré- 
chal Kalkreuth,  autre  grand  sol- 
dat du  grand  Frédéric,  et  le  pour- 
suit jusqu'à  Magdebourg,  avec  le 
fugitif  royal  du  champ  de  bataille 
d'Auerstaedt.  Le  même  jour  aussi, 
16  octobre,  Erfurt  se  rendait  par 
«'apitulation  ;  »  4,000  Prussiens 
sont  prisonniers  de  guerre;  de  ce 
nombre  sont  le  maréchal  de  Moèl- 
lendorf,  mortellement  blessé  à 
léna,  le  prince  d'Orange,  aujour- 
d'hui roi  des  Pays-Bas,  et  quatre 
généraux.  Cent  pièces  d'artillerie 
et  d'immenses  magasins  complè- 
tent, indépendamment  de  l'avan- 
tage de  la  position  militaire  d'Er- 
furt,  celui  de  sa  capitulation.  L'oc- 
cupation de  Léipsick,  de  Halbers- 
tat,  de  Potzdam,  de  Brandebourg, 
•de  Spandaw,  de  Berlin,  indique  la 
marche  victorieuse  des  corps  de 
l'armée  française  jusqu'au  25  oc- 
t;)bre.  Le  18,  le  général  Bliicher, 
fuyant  avec  une  troupe  échappée 
aux  périls  d'Auerstaedt,  est  arrêté 
à  Wcissensée ,  par  le  général  de 
■/;avalerie  Klein,  à  (pii  il  ose  allé- 


NAI' 

guer  l'existence  d'un  armistice  jar 
j>a  parole  d' honneur,  et  il  trompe 
ainsi  déloyalement  la  confiance 
du  général  français.  Ce  parjure 
militaire  est  dénoncé  à  toute  l'Eu- 
rope; mais  la  monarchie  prus- 
sienne doit  être  tout  cnlière  pri- 
sonnière de  la  guerre  qu'elle  a 
déclarée.  Le  28,  Preutzen  doit 
son  illustration  au  beau  combat  où 
le  maréchal  Murât  et  le  général 
Beliiard,  à  la  tête  de  10,000  che- 
vaux, font  mettre  bas  les  armes  à 
lOjOoo  hommes  d'élite  de  la  garde 
royale  de  Prusse,  que  commande 
le  prince  de  Hohenlohe.  Le  29, 
3000  Prussiens  se  rendent,  parca- 
pitulation,  à  une  colonne  de  i5oo 
chevaux,  sous  les  ordres  du  gêné* 
rai  Milhaud;  la  forte  ville  de  Stet- 
tin  capitule  le  même  jour,  avec 
une  garnison  de  5ooo  hommes, 
entre  les  mains  du  général  La- 
salle,  qui  n'a  que  1200  chevaux.  A 
Andlaw,  4t'Oo  Prussiens  se  ren- 
dent au  général  de  cavalerie  Be- 
cker.  Le  même  jour,  1"  novem- 
bre, Rustrin,  défendue  par  4000 
hommes  et  go  pièces  de  canon,  se 
rend  au  maréchal  Davoust.  L'é- 
lectorat  de  Hesse-Cassel,  et  sa 
capitale,  sont  envahis  et  pris  par 
le  maréchal  31ortier.  Les  maré- 
chaux Mural ,  Soult  et  Berna- 
dette, atteignent  entia  à  Lubeck, 
le  fuyard  Bliicher.  La  bataille 
dure  le  G  et  le  7  novembre. 
Elle  a  lieu  hors  de  la  ville  et 
dans  la  ville.  Son  résultat  est  en 
faveur  des  Français  ,  4ï»^>oo  pri- 
sonniers, sans  compter  les  ca- 
pitules de  Balkau  ,  eu  tout 
20,000  hommes  ,  y  compris  le 
commandant  en  chef  Bliicher  , 
le  duc  de  Brunswick  -  Oëls  ,  10 
généraux  et  5i8  ofûcieré;  plus, 60 


"'■{* 


NAP 

drapeaux,  4  ù  5ooo  chevaux,  et 
tout  le  matériel  échappé  à  la  jour- 
née d'Aiierslaedt.  Le  lendemains, 
la  nouvelle  de  la  capitulation  inat- 
tendue de  Magdebourg,  apportée 
eu  toute  hâte  par  le  baron  de 
Saint-Aignan  ,  aide -de -camp  du 
maréchal  Berlhier,  empêche  d'ê- 
tre signée  la  paix  négociée  entre 
Duroc  et  le  miirquià  de  Lucche- 
sini.  Lue  demi-heure  plus  tard  la 
paix  était  faite.  La  prise  de  Magde- 
bourg  fut  un  des  plus  immenses 
succès  de  cette  campagne  ;  elle  fut 
due  au  maréchal  Ney.  Les  Prus- 
siens y  perdirent  vingt  généraux, 
18,000  hommes,  6  à  700  pièces  de 
canon,  et  d'énormes  magasins  de 
guerre.  £n  un  mois,  du  Khin  à 
l'Oder,  toute  la  Prusse  est  occu- 
pée ,  dans  toutes  ses  places,  ex- 
cepté celles  de  H  ameln,  Nieu bourg 
et  Colberg,  la  Silésie,  et  les  dé- 
niembremens  de  la  Pologne.  Le 
maréchal  Mortier,  au  nom  de  la 
France,  prend  possession  du  Ha- 
novre, de  Hambourg,  de  Brème 
et  des  duchés  de  Mecklembourg  : 
jamais  conquête  ne  fut  plus  com- 
plète. D'un  autre  côté,  les  opéra- 
tions de  la  Pologne  s'aimoncent 
par  la  prise  de  la  ville  et  du  grand- 
duché  de  Posen.  Cependant,  Na- 
poléon a  frappe  une  contribution 
de  i5o  millions  sur  la  Prusse  et 
ses  alliés. 

Deux  décrets  sont  sortis  de  Ber- 
lin. L'un  organise  les  gardes  natio- 
nales de  France,  et  appelle  à  la  for- 
mation des  cohortes  les  citoyens  de 
•20  à  60  ans,  soit  pour  le  service  de 
l'intérieur,  soit  pour  le  service  ac- 
tif. Cette  institution  peut  être  pa- 
triotique, si  jamais  la  France  est 
menacée;  mais  elle  est  despotique, 
si  elle    ue   doit  produire  qu'une 


NAP  355 

grande  armée  d'invasion.  L'autre 
décret,  du  21  novembre,  est  celui 
du  fameux  système  continental,  qui 
déclare  les  iles  britanniques  en  état 
de  blocus,  et  applique  la  saisie  à 
toute  marchandise, atout  Anglais, 
trouvés  surle  territoire  de  la  Fran- 
ce, sur  celui  des  pays  qu'elle  a  con- 
quis, et  de  ceux  qui  sont  sous  la 
domination  de  ses  alliés.  Ce  dé- 
cret va  remuer  le  monde,  et  le  fai- 
re conspirer  contre  ^iapoléon.  La 
commotion  que  produit  dans  toute 
l'Europe  le  décret  du  conquérant 
de  la  Prusse  est  incalculable.  Ou 
regarde  d'abord  comme  un  grand 
acte  de  violence  ,  ou  comme  une 
grande  hérésie  politiquecette  éton- 
nante disposition;  mais  Napoléon 
sait  bien  qu'il  a  frappé  juste,  et 
sans  la  guerre  d'Espagne,  et  sur- 
tout celle  de  Russie,  peu  d'années 
de  ce  blocus  détruisaient  peut-être 
la  puissance  britannique.  Elle  seule 
aussi  en  Europe  a  compris  tout  son 
danger,  surtout  quand  elle  a  vu 
toutesles  villes  anséatiquesau  pou- 
voir des  Français,  et  c'est  peut- 
être  de  ce  jour  qu'elle  a  juré  à  Na- 
poléon une  guerre  à  mort.  Toute- 
fois, et  avec  raison,  elle  est  loin 
de  penser  que  si  Napoléon  suc- 
combe, il  poussera  l'égarement 
jusqu'à  croire  à  la  générosité  de 
ce  cabinet  envers  un  ennemi  dé- 
sarmé qui  lui  demande  Thospita- 
lilé,  lui  qui  aura  mis  l'Angleterre 
pendant  huit  ans  sous  le  séquestre 
européen.  Lamort  prényiluréedu 
célèbre  Fox  avait  replacé  tout-à- 
coup  au  pouvoir  le  parti  anti- 
français.  Son  effet  immédiat  avait 
été  le  rappel  de  lord  Lauderdale, 
qui ,  le  M  octobre ,  avait  demandé 
ses  passeports.  La  perle  de  ce 
grand  homme  d'état  fut  uu'  dq^ 


55G 


NAP 


cvénemcns  les  plus  importans  de 
cette  cpoq.iie  ;  elle  changea  la  face 
des  choses,  et  donna  un  appui  for- 
midable aux  vengeances  continen- 
tales, dans  l'action  renaissante  de 
la  rivalité  britannique. 

Cependant  la  victoire  signalait 
partout  la  marche  des  armées  fran- 
çaises. Sur  le  Weser,  la  forte  ville 
de  Hameln  venait  de  se  rendre  :  il 
ne  reste  plus  rien  à  prendre  des 
états  de  Brunswick.  Des  états  de 
Prusse,  il  n'y  a  plus  à  conquérir 
que  la  Silésie,  une  partie  de  la 
Poinéranie,  et  le  premier  partage 
de  la  Pologne.  La  Russie,  qui  n'a 
pu  croire  que  la  Prusse  serait  con- 
quise enôsemaines,  pense  arriver 
à  temps  sur  ce  dernier  théâtre,  et 
le  12  novembre  ses  drapeaux  ont 
paru  à  Warsovie  ;  mais,  le  28,  Mu- 
rat  est  entré  dans  cette  ville.  Un 
9""=  corps  d'armée ,  formé  des  con- 
tingens  de  la  confédération,  en- 
vahit la  Silésie  avec  une  division 
française,  et,  le  2  déceinbre,  le 
général  Vandamme  a  reçu  la  capi- 
tulation de  Glogaw,  où  il  trouve 
200  pièces  d'artillerie.  Ihorn  est 
occupé.  Davoust  a  forcé  le  pas- 
sage du  Bog  ;  80,000  conscrits  sont 
levés;  Napoléon  est  à  Posen  ;  il 
veut  montrer  à  l'empereur  Alexan- 
dre le  vainqueur  d'Iéna.  Il  signe 
dans  cette  ville  un  traité  d'alliance 
avec  l'électeur  de  Saxe,  dont  les 
troupes  avaient  combattu  à  léna 
avec  les  Prussiens.  Ce  prince  ac- 
cède à  la  «confédération  du  Rhin, 
avec  toutes  les  branches  de  sa  mai- 
son, et  reçoit  le  titre  de  roi.  Cet 
avijntage  est,immense  pour  le  con- 
quérant de  l'Allemagne  du  nord, 
et  pour  sa  campagne  de  Silésie  : 
l'excellente  cavalerie  saxonne  sera 
nommée  par  lui  brave  et  loyale , 


NAP 

jusqu'à  la  journée  de  Léipsick,etla 
richesse  des  provinces  de  la  Saxe 
offrira  de  grandes  ressources  à  ses 
armées  dans  les  temps  difficiles. 
Napoléon  a  placé  avec  plaisir  la 
couronne  sur  la  tête  du  patriarche 
des  souverains  allemande.  L'effet 
moral  et  politique  de  cette  éléva- 
tion attire  sur  lui  une  partie  du 
respect  dès  long -temps  attaché 
aux  vertus  de  ce  vieux  prince.  Le 
système  de  la  confédération  rhé- 
nane, ou  plutôt  germanique,  se 
trouve  ainsi  complet  pour  les  des- 
seins actuels  ou  futurs  de  ce  grand 
politique.  Mais,  avant  de  rentrer  en 
Allemagne  pour  combattre  laPrus- 
se  révoltée, Napoléon  a  songé  à  pu- 
nir la  Russie  d'avoir  refusé  l'armis- 
tice d'Austerlitz;et, le  igdécembre, 
au  moment  où  il  va  porter  dans  la 
Prusse  ducale,  et  dans  les  provin- 
ces démembrées  de  l'ancienne  Po- 
logne, tout  l'effort  de  ses  armes, 
le  divan  déclare  la  guerre  à  la  Rus- 
sie. Cette  puissante  diversion  est 
une  des  plus  belles  conceptions 
militaires  de  Napoléon,  qui  con- 
naît les  immenses  ressources  que 
possède  la  Russie  pour  enfanter 
des  armées.  Cellequ'elle  aenvoyée 
en  Pologne  est  de  160,000  com- 
baltans,  et  ses  frontières  touchent 
le  théâtre  de  la  seconde  campa- 
gne ;  le  fer  est  déjà  engagé  entre 
les  Français  et  les  Russes.  Les  com- 
bats de  Czernovo  et  de  Mohrun- 
gen  font  honneur  au  général  Mo- 
rand et  au  maréchal  Bernadottc , 
qui ,  avec  des  forces  très-inférieu- 
res, ont  cidbuté  l'ennemi.  Au  com- 
bat de  Pultusk,  entre  le  maréchal 
Lannes  et  le  général  Benningsen, 
l'action  est  vive,  et  les  Russes  pro- 
fitent de  la  nuit  pour  se  retirer.  Le 
même  jour  26  décembre,  à  Go- 


NAP 

lyiiiyn,  le  général  Buxhooden  est 
repoussé  par  les  maréchaux  Au- 
gereau  et  Murât.  Ces  deux  affaires 
terminent  la  campagne  de  1806, 
une  des  plus  merveilleuses  sans 
doute  dont  l'histoire  lasse  men- 
tion. Elle  ne  peut  trouver  de  com- 
paraison que  dans  les  temps  an- 
ciens ,  où  le  roi  de  Macédoine,  à 
la  tête  des  phalanges  grecques, 
anéantissait  la  puissance  colossale 
de  Darius,  où  les  armées  romaines 
allaient  conquérir  les  royaumes  de 
l'Asie.  Mais  alors  toute  la  science 
militaire  était  du  côté  des  vain- 
queurs, et  devant  une  légion  grec- 
que ou  romaine  se  dissipaient  au 
premier  choc  les  phalanges  des 
despotes  efféminés  du  Gange  et 
de  l'Euphrate.  A  cette  époque  , 
il  n'y  avait  aussi  que  les  Grecs  et 
l<;s  Komains  qui  eussent  de  l'in- 
fanterie de  ligne  disciplinée  , 
manœuvrant  et  bien  armée  ,  et 
c'était  avec  cette  infanterie 
qu'ils  détruisaient  l'innombra- 
ble cavalerie  de  leurs  ennemis. 
Napoléon,  au  contraire,  avait  trou- 
vé toute  la  Prusse  armée  sur  sa 
frontière  ,  et  plutôt  en  attitude 
d'invasion  qu'en  attitude  de  dé- 
fense. Les  forces  de  la  Prusse , 
dont  l'infanterie  et  la  cavalerie  sont 
encore  aujourd'hui  les  meilleu- 
res troupes  de  toute  l'Allemagne, 
étaient  au  moins  de  260,000  hom- 
mes, avec  une  excellente  et  nom- 
breuse .artillerie  ,  avec  les  souve- 
nirs et  les  beaux  débris  du  grand 
Frédéric. 

Au  sein  de  tant  de  gloire,  Na- 
poléon a  le  bonheur  de  pouvoir  se 
reposer  de  ses  émotions  de  con- 
quérant par  des  actions  généreuses 
qui  légitiment  ses  nouvelles  pros- 
pérités, même  aux  yeux  de  ceux 


NAP 


55' 


qui  en  sont  les  victimes.  Le  lende- 
main de  la  bataille  d'Iéna,  le  vain- 
queur s'arrête  A  Weymar,  où  il  fut 
reçu  par  la  duchesse  régnante , 
dont  le  mari  commandait  une  di- 
vision prussienne  :  «  Vous  avez  sau- 
»vé  votre  mari,  madame,  lui  dit 
«l'empereur,  vous  l'avez  sauvé ,  en 
D  restant  chei  vous  et  en  ayant  con- 
»  fiance  en  moi;  je  lui  pardonne  à 
•  cause  de  vous.»  Napoléon  avait 
eu  aussi  une  autre  raison,  celle 
d'être  agréable  à  la  princesse  hé- 
réditaire de  Saxe-Weymar,  sœur 
de  l'empereur  Alexandre,  dont  il 
ne  voulait  ni  ne  pouvait  être  tou- 
jours l'ennemi.  L'alliance  contrac- 
tée depuis  à  Posen  avec  l'électeur 
assura  la  tranquillité" de  toutes  les 
branches  de  la  maison  de  Saxe.  En 
arrivant  à  Berlin,  Napoléon  saisit 
encore  l'occasion  d'une  semblable 
générosité  :  il  descendit  au  palais 
où  la  princesse  héréditaire  de  Hes- 
se-Cassel  était  au  moment  d'ac- 
coucher, et  se  trouvait  par  l'effet 
des  circonstances  dans  un  état  de 
dénuement  absolu.  Napoléon  ne 
la  vit  point;  mais  il  chargea  le  duc 
de  Vicence  de  la  tranquilliser  et 
de  lui  remettre  mille  louis,  et  lui 
assigna  un  traitement  mensuel 
pour  le  temps  qu'elle  voudrait  res- 
ter au  palais.  Mais  un  des  actes  de 
clémence  les  plus  mémorables 
peut-être  de  l'histoire,  signala  en- 
core ,  peu  de  jours  après,  le  sé- 
jour de  Napoléon  à  Berlin.  Il  avait 
confié  le  cowmandement  civil  de 
la  capitale  au  prince  de  Hatzfeld, 
à  présent  membre  du  corps  diplo- 
matique de  Prusse.  Une  lettre  in- 
terceptée et  remise  à  Napoléon , 
lui  apprit  que  le  prince  instruisait 
le  roi  de  Prusse  des  mouvemens 
de   l'armée   française.    Le  crime 


558 


NAP 


avéré,  et  la  trahison  prouvée,  une 
commission  militaire  allait  juger 
le  coupable,  quand  la  princesse  de 
Hatzfeld  vint  se  jeter  aux  genoux 
de  Napoléon  ,  et  lui  protester  que 
son  mari  était  incapable  d'une  telle 
perfidie  :  Vous  conitaissez  son  écri- 
ture, lui  dit  Napoléon  en  lin'  don- 
nant la  lettre  du  prince,  jugez-le 
vous-même.  La  princesse  lut  et  s'é- 
vanouit. L'état  de  grossesse  .avan- 
cée où  elle  était,  ajoutait  encore 
au  malheur  de  sa  situation ,  qui 
avait  déjà  vivement  ému  l'empe- 
reur. A  force  de  secours  elle  re- 
vint à  elle  :  Tenez,  madame,  lui  dit 
Napoléon  ,  cette  lettre  est  la  seule 
preuve  que  j'aie  contre  votre  mari; 
jetez-la  au  feu.  Ainsi  fut  sauvé  le 
prince  de  Hatzfeld.  Dans  sa  propre 
capitale,  et  dans  tme  circonstance 
pareille,  il  eût  été  naturel  que  Na- 
poléon eût  pardonné  à  un  Fran- 
çais qui  l'eût  trahi.  Il  a  montré , 
pendanttoul  son  règne  et  jusqu'au 
dernier  moment,  une  sorte  d'in- 
diftérence  généreuse  aux  conspi- 
rateurs et  aux  traîtres;  mais  de- 
venu, par  la  victoire  seule,  après 
une  guerre  de  provocation,  maî- 
tre d'un  grand  état,  où  la  conduite 
du  roi,  et  celle  toute  récente  du 
général  Blucher,  devaient  porter 
son  irritation  au  plus  haut  degré, 
où  par  conséquejit  l'exemple  de  la 
plus  juste  sévérité  sur  un  grand 
seigneur  prussien  ,  pouvait  ê- 
tre  au  moins  d'une  politique  né- 
cessaire, Napoléon,  par  cette  ac- 
tion vraiment  sublime,  a  fourni  à 
l'histoire  une  de  ses  plus  belles 
pages  ,  et  à  la  peinture  une  de  ses 
plus  belles  productions.  Les  grands 
caractères  ont  de  grands  secrets  , 
qu'eux  seuls  peuvent  révéler. 
L'année  i8o5  s'appellera  encore 


NAP 

long-temps  dans  nos  fastes  l'année 
d'Austerlitz ,  l'année  180O  celle 
d'Iéna,  l'aimée  1807  va  recevoir 
le  nom  de  Friedland,  et  1809  au- 
ra celui  de  Wagram.  L'Autriche, 
la  Prusse  et  la  Russie',  se  sont 
chargées  de  l'illustration  de  nos 
armes,  jusqu'à  ce  que  l'abus  de  la 
gloire  les  fasse  tomber  avec  celui 
qui  pendant  vingt  années  les  a  ren- 
dues victorieuses. 


Cependant  la  conquête  de  laSi- 
lésie  se  poursuivait,  et  Breslaw  , 
sa  capitale ,  se  rendait,  après  25 
jours  de  siège.  Les  places  fortes 
de  Brigg  et  de  Schweidnitz  étaient 
au  pouvoir  des  Français,  dont  la 
grande-artnée  occupe  la  position, 
devenue  si  fameuse,  de  Preussich 
Eylau.  C'est  là  que  la  grande-ar- 
mée russe  vient  chercher  son  en- 
nemi, le  6  février.  Elle  compte 
70,000  combattans,  qu'aucune  fa- 
tigue, aucun  revers,  n'a  encore  é- 
prouvés.  La  neige  qui  couvre  la 
terre  ajoute  une  horreur  particu- 
lière à  la  sanglante  bataille,  qui  au 
bout  de  12  heures  a  couvert  le  sol 
de  3o,ooo  cadavres.  Jamais,  peut- 
être,  journée  plus  meurtrière  dans 
les  temps  modernes,  n'a  souillé  les 
annales  de  la  guerre  :  car  la  vic- 
toire est  indécise,  et  si  le  Te  Déum 
est  chanté  de<deux  côtés,  il  n'est 
qu'un  hommage  féroce  rendu  au 
dieu  de  la  destruction  des  hom- 
ines,  à  la  lueur  des  torches  funè- 
bres. Le  peintre  Gros  a  le  courage 
de  transmettre  A  la  postérité  le  ta- 
bleau de  cette  scène  de  carnage. 
Ce  massacre  ne  peut  être  regardé 
par  les  Français  comme  une  vic- 
toire ;  trop  de  regrets  se  mêlent 
pour  eux  aux  miracles  des  iniré- 


KAP 

pides  lieiUenans  de  Napoléon,  et 
les  noms  de  Murât,  de  Lannes,  de 
SobU,  d'Augereau,  de  Ney.  de  Da- 
voust,  appartiennent  à  des  faits 
d'armes  d'une  plus  belle  gloire. 
Le  lieu  tenant- général  d'Hautpoult 
fut  blessé  à  mort  à  Eylau,  et  mou- 
rut le  lendemain  ;  il  avait  fait,  à  la 
tête  de  ses  cuirassiers,  celle  fa- 
meuse charge  qui  avait  traversé 
toute  Carmée  russe.  Un  décret  lui 
décerna  une  statue,  qui  devait  être 
placée  sur  la  place  desVictoires.  La 
restauration  reste  chargée  de  payer 
cette  dette  vraiment  nationale. 

La  seconde  capitale  de  la  Prus- 
56,  Kœnigsberg,  la  grande  ville 
de  l'Allemagne  septentrio/iale  , 
manque  à  la  conquête  du  royau- 
me de  Prusse,  et  le  doute  de  la 
victoire  d'Eylau  doit  être  vengé 
par  un  triomphe  plus  certain.  Cet- 
te ville  n'échappa  aux  Français 
qu'à  cause  de  l'incertitude  de 
la  journée  d'Eylau  ;  Beningsen 
l'avait  évacuée  dans  les  premiers 
momens,  et  on  y  attendait  l'armée 
française.  Mais  l'orgueil  de  l'ar- 
mée russe  ne  pourra  croire  long- 
temps à  r^galilé  de  sa  fortune  mi- 
litaire avec  l'armée  française.  Si 
cette  armée  parait  avoir  oublié 
Austerlitz,  toute  l'activité,  tout  le 
génie  de  Napoléon,  toute  la  valeur 
de  ses  soldats,  vont  être  rais  en 
œuv^e,  pour  lui  donner  d'autres 
souvenirs.  D'ailleurs,  par  sa  posi- 
tion. Napoléon  a  conservé  l'oflen- 
sive,  et  les  plus  hautes  combinai- 
sons de  la  tactique,  les  plus  bril- 
lantes inspirations  de  l'art  de  la 
guerre  y  vont  encore  montrer  à 
l'Europe  l'arbitre  de  sa  destinée. 
Toutefois,  les  Russes  se  montrent 
jusqu'à  leur  dernier  échec,  les  di- 
gnes ennemis  des  Français.  Dans 


NAP 


ÔD9. 


cette  campagne,  depuis  léna,  tout 
ce  qui  est  Prussien  capitule  :  tout 
ce  qui  est  Russe  combat.  Le  16 
février  1807,  la  victoire  d'Oslro- 
lenka  ,  long-temps  disputée,  est 
enfin  arrachée  au  général  Essen  , 
par  Savary,  Suchet  et  Oudinot. 
Ce  fut  à  l'occasion  de  cette  victoi- 
re, que  le  général  Savary  reçut  le 
grand-cordon ,  et  20,000  francs  d*' 
pension  sur  la  légion  -d'hoimeur. 
A  Braunsbcrg.  c'est  Bernadotte,et 
ce  sont  aussi  les  Russes,  ils  sont 
repoussés  :  devant  Danlzik,  c'est  le 
maréchal  Lefèvre,  dans  la  ville  ce 
sont  les  Prussiens.  Le  vénérable 
général  Ralkreuth ,  après  deux 
mois  de  résistance,  et  5i  jours  de 
tranchée  ouverte,  où  son  vieux 
courage  a  défendu  la  mémoire  de 
la  Prusse  guerrière  de  Frédéric, 
capitule,  et  livre  aux  Français  le 
grand  port  militaire  de  la  Baltique. 
Lefèvre  est  duc  de  Danlzik.  Le  2() 
mai  cette  ville  devient  française, 
et  le  i"' juin  Napoléon  y  fait  son 
entrée.  La  journée  de  Spandow, 
où  Bernadolte  est  blessé,  celles  de 
Guttstadt  ,  celle  si  meurtrière 
d'Heilsberg,  le  10  juin,  qui  vitfinir 
le  combat  aux  pieds  des  rclranche- 
mens  que  la  grande- armée  russe 
évacue  la  nuit,  précèdent  la  fa- 
meuse bataille  de  Friedland,  où 
Napoléon  déploya  toute  la  puis- 
sance de  son  génie  militaire;  où, 
tranquille  au  milieu  de  20,000 
hommes  de  sa  garde,  qu'il  con- 
damne à  être  témoin  immobile  de 
la  victoire,  il  fait  détruire  la  va- 
leureuse garde  et  la  grande-armée 
de  l'empereur  Alexandre,  par  les 
bataillons  de  la  ligne,  et  par  la  ca- 
valerie française  et  saxonne;  5o  à 
40  mille  Russes,  tués,  blessés  ou 
prisonniers,    70  drapeaux,  et  la- 


56o 


KAP 


grandeur  du  nom  moskovite,  a- 
néantie  par  ses  armes,  sous  les 
yeux  d'Alexandre  et  des  grands- 
ducs,  et  sous  le  commandement 
des  plus  habiles  généraux  de  l'em- 
pire, portent,  le  14  juin,  jour  des 
plus  glorieux  anniversaires ,  la 
gloire  de  Napoléon  et  la  puissance 
française,  au  plus  haut  degré  d'é- 
lévation politique  et  militaire  où 
jamais  peuple  et  conquérant  soient 
parvenus.  Ce  fut  alors,  et  sur  le 
champ  de  bataille  de  Friedland , 
dont  l'étonnante  victoire  ouvre  au 
maréchal  Soult,  deux  jours  après, 
les  portes  de  Kœnigsberg,  et  que 
suit  immédiatement  la  conquête 
de  toute  la  Silésie;  ce  fut  alors, et 
alors  seulement,  que  Napoléon, 
selon  son  expression,  si  vainement 
reproduite  depuis,  pouvait  parta- 
ger le  monde  en  deux.  C'est  à  Til- 
sitt,  dont  le  traité  n'est  devenu 
pour  lui  qu'un  procès ,  qu'il  ira 
perdre  à  Moskou,  c'est  à  ïilsittque 
le  vainqueur  d'Austerlitz ,  d'Iéna 
et  de  Friedland  pouvait  procla- 
mer la  division  de  l'Europe,  et 
peut-être  celle  du  monde,  en  deux 
empires.  Là  il  pouvait,  et  ce  fut 
aussi  plus  que  sa  pensée,  renouve- 
ler avec  Alexandre  le  traité  fait 
avec  l'aul  j",  pour  la  destruction 
de  l'empire  européen  du  croissant, 
et  laconquête,au  travers  de  la  Per- 
se et  de  l'Asie,  de  l'empire  anglais 
dans  l'Inde.  Là  il  pouvait,  réali- 
sant une  grande  idée  européenne, 
fonder  avec  la  Pologne  tout  en- 
tière, et  de  vastes  démembremens 
de  la  Prusse,  une  immense  mo- 
narchie, qui  eût  à  jamais  isolé 
l'empire  russe  des  frontières  ger- 
maniques de  l'empire  français,  et 
reléguer  ainsi  aii-delà  du  Cauca- 
se les  populations  belliqueuses  de 


NAP 

la  Scylhie  d'Europe,  qui  obéissent 
au  czar  ou  au  sultan.  Là  il  fondait 
un  empire  grec, ami  de  la  France, 
et  le  plus  grand  crime  d'état,  dont 
l'histoire  fasse  mention,  l'aban- 
don de  la  Grèce  chrétieni>e,  eût  été 
épargné  à  tous  les  cabinets  de  l'Eu- 
rope, et  depuis  i5  ans  la  langue 
grecque,  la  mère  de  toute  civili- 
sation ,  eût  repris  sa  place  parmi 
les  idiomes  législateurs  du  monde. 
On  a  prétendu  qu'àTilsitt  le  vœu 
de  l'armée  était  de  livrer  une  au- 
tre bataille  au-delà  du  Niémen,  et 
d'établir  le  royaume  de  Pologne. 
Il  est  possible  que  cette  idée  eût 
été  politique  pour  l'avenir  sur- 
tout; mais,  à  cette  époque,  l'ar- 
mée entière  demandait  la  paix,  et 
elle  se  souvenait  de  ses  misères 
pendant  l'hiver  qu'elle  avait  passé 
en  Pologne.  De  plus,  l'Autriche 
était  aux  aguets,  et  elle  eût  cer- 
tainement fait  alors  ce  qu'elle  fil 
en  i8i3.  Napoléon  n'ignorait  pas 
la  possibilité  d'un  pareil  obstacle, 
au  projet  qu'il  aurait  pu  former  à 
ïilsitt,  de  porter  ses  armes  victo- 
rieuses au  sein  de  la  Kussie.  Il  é- 
lait  loin  de  sa  capitale  :  depuis 
neuf  mois  il  était  absent,  et  il  de- 
vait se  rapprocher  de  l'Espagne 
dont  l'attitude  avait  été  menaçan- 
le.  L'armée  était  àTilsitt,  ce  qu'eU 
le  fut  constamment  sous  l'aigle 
impériale,  soumise,  infatigable, 
victorieuse,  et  jamais  délibérante. 
Le  Niémen  va  donner  son  nom 
à  une  grande  scène;  un  radeau  a 
reçu  l'empereur  victorieux  et  l'em- 
pereur vaincu;  ils  se  donnent  la 
main.  La  moitié  de  Tilsitt  est  neu- 
tralisée. Alexandre  y  est  reçu  par 
Napoléon.  Derrière  Alexandre  est 
un  roi  suppliant, à  qui  Tilsitt  appar- 
tenait la  veille, àqui  Memmel  seule, 


NAP 

sur  la  frontière  russe,  appartient  en- 
core. Il  n'a  plus  d'autre  royaume, 
et  c'est  avec  cette  faible  couron- 
ne qu'il  marche  à  la  suite  des 
deux  empereurs;  il  voudrait  se 
confondre ,  mais  il  n'est  jamais 
confondu  dans  la  foule  des  géné- 
raux et  des  courtisans  de  Napo- 
léon. Cependant,  fldèle  à  l'allian- 
ce dont  le  malheur  a  fait  une  cou- 
rageuse amitié,  Alexandre  ne  perd 
pas  de  vue  le  prince  dont  il  est  la 
sauve -garde,  et  il  parvient  à  le 
faire  admettre  devant  le  souverain 
qu'il  a  si  injustement  provoqué. 
Six  ans  après ,  sur  les  bords  du 
même  fleuve,  et  au  sein  de  l'in- 
fortune de  celui  qui  va  pardonner 
à  la  Prusse,  la  trahison  d'un 
général  prussien  punira  Napo- 
léon de  sa  générosité.  Mais  Na- 
poléon est  en  dehors  de  tout 
.-t:ntiment  d'une  adversité  possi- 
ble ,  et  également  au-dessus  de 
toute  reconnaissance  et  de  toute 
crainte.  Il  aime  à  accorder  aux 
prières  d'Alexandre  l'amnistie  de 
Frédéric,  et  le  traité  de  Til- 
silt  est  conclu.  Doté  de  la  moi- 
tié de  ses  états,  le  roi  de  Prusse 
reprend  une  place  parmi  les  rois. 
Cette  niagnauimité  est  impolitique 
en  ce  qu'elle  est  impardonnable 
pour  le  donataire  lui-même,  qui 
ne  voudra  se  souvenir  que  de  la 
haute  intercession  à  qui  il  doit  ce 
spectre  de  royauté.  Sans  doute  il 
n'échappe  pas  à  Napoléon  qu'il 
vient  de  faire  du  roi  de  Prusse  un 
faux  ami,  ou  même  un  ennemi 
caché  ;  mais  Alexandre  reconnaît 
les  trois  couronnes  de  Louis,  de 
Joseph  et  celle  de  Jérôme ,  pour 
lequel  un  royaume  de  Westpha- 
lie,  formé  des  états  de  Hesse-C.is- 
sel,  d'une  partie  de  ceux  de  la 


NAP 


36 1 


Prusse,  de  ceux  de  Brunswick,  de 
Paderborn,  de  Fulde,  d'une  par- 
tie de  l'électorat  de  Hanovre , 
vient  d'être  improvisé.  Il  y  a  plus 
de  faiblesse  que  de  vanité  dans 
l'élévation  des  frères  de  Napo- 
léon. Cet  homme  si  terrible  con- 
tre les  rois  armés,  soumet  sa  po- 
litique et  son  caractère  à  ce  qu'il 
appelle  des  devoirs  de  famille. 
Enfin  ses  frères  sont  rois  :  Alexan- 
dre les  a  reconnus.  Il  a  fait  plus  : 
il  a  reconnu  le  roi  de  Saxe,  grand- 
duc  de  Warsovie ,  et  Napoléon 
protecteur  de  la  confédération  du 
IVhîn.  Ces  deux  grands  souverains 
se  trompent  tous  deux  sur  leur 
politique  et  sur  le  nœud  de  leur 
alliance.  La  condition  du  blocus 
continental  en  est  le  plus  impor- 
tant article.  C'est  à  cette  haine 
légitime  contre  l'Angleterre,  c'est 
à  cette  faiblesse  singulière  pour 
sa  famille  que  Napoléon  a  sacrifié 
les  grands  intérêts  de  la  société 
européenne,  dont  cette  seule  fois 
il  a  pu  être  l'arbitre,  La  Pologne 
renaît  morcelée  et  vassale  de  trois 
couronnes;  elle  n'a  d'autre  rang 
en  Europe  que  celui  d'une  indem- 
nité pour  un  traité  futur,  et  la 
porte  du  Nord  n'est  point  fermée. 
La  Prusse  reste  la  prisonnière  du 
traité  ;  au  sein  de  la  paix ,  elle 
pourra  regretter  la  guerre.  L'Eu- 
rope entière,  sauf  l'Angleterre, 
demeure  humiliée;  la  chaîne  du 
blocts  l'environne,  et  l'épée  de 
Brennus  est  sur  sa  tête. 

Le  9  juillet,  après  trois  semai- 
nes de  réunions  journalières,  les 
trois  souverains  se  séparent  ùTil- 
silt;  cette  séparation  est  une  gran- 
de époque.  Le  29,  Napoléon  est 
de  retour  à  Paris.  La  France  se 
décerne  à  flle-mêmc  les  honneurs 


362 


NA 


du  triomphe  et  de  la  soiiTcraineté 
européenne.  Elle  se  croit  la  répu- 
blique romaine ,  dont  le  dernier 
citoyen  marchait  l'égal  des  rois 
alliés.  Mais  le  sénatus-consulte  du 
i()  août,  qui  supprime  le  tribunat, 
l'avertit  qu'elle  n'est  qu'un  em- 
pire ,  et  que  c'est  la  gloire  seule 
d'un  maître  qu'elle  vient  de  célé- 
brer avec  tant  d'enthousiasme. 
Condamnée  au  silence,  la  liberté 
comme  une  religion  vaincue,  se 
dérobe  aux  regards  du  conqué- 
rant, et  va  cacher  son  culte  dans 
des  exils  domestiques.  De  religion 
dominante,  elle  est  devenue  une 
secte  malheureuse,  mais  elle  re- 
paraîtra en  suppliante  au  deuil  de 
la  France,(lontellea  conservé  inu- 
tilement le  palladium. 

La  Suède  avait  signé  un  armis- 
tice le  18  avril;  son  prince  l'avait 
rompu  subitement  après  la  paix 
deTilsitl,  comme  avait  fait  le  roi  de 
Prusse  après  celle  d'Austerlilz,  et 
sans  doute  jaloux  de  ressusciter 
Charles  Xll,  seul  il  avait  repris 
les  armes  contre  le  vainqueur  de 
la  Russie  et  le  dominateur  de  l'Al- 
lemagne. Le  maréchal  Brune  est 
chargé  de  châtier  ce  prince  im- 
prudent. La  prise  importante  de  la 
forte  ville  de  Stralsund,  et  de  l'île 
de  Rugen,  complète  les  conquêtes 
de  la  France  sur  la  mer  Baltique. 
La  Suède  a  perdu  la  Poméranie, 
et  Gustave  perd  l'affection  et  la 
confiance  de  ses  sujets.  Il  avait 
follement  compté  sur  les  arme- 
mens  de  l'Angleterre,  dont  il  est 
le  plus  ancien  et  le  plus  fidèle  allié; 
mais  cette  puissance  aime  mieux 
frapper  un  prince  voisin  qui  a  re- 
fusé sa  dangereuse  amitié,  que  de 
servir,  de  secourir  même  celui 
qui   ne    l'a    jamjiis  abandonnée. 


NAP 

Sans  déclaration  de  guerre,  le  7 
septembre  elle  va  brûler  Copen- 
hague. La  flotte  danoise  et  l'arse- 
nal maritime  sont  la  proie  de  la 
capitulation  dictée  par  l'amiral 
anglais.  Le  roi  de  Danemark 
trouve,  dans  celte  agression  vrai- 
ment barbare,  la  justification  du 
blocus  continental  que  la  France 
impose  à  ses  alliés;  il  s'empresse 
d'y  adhérer,  ordonne  la  saisie  de 
toutes  les  propriétés  britanniques 
dans  ses  états,  l'arrestation  de  tous 
les  Anglais,  interdit  tout  commer- 
ce quelconque  avec  l'Angleterre, 
et  le  16  octobre  il  signe  avec  la 
France  un  traité  offensif  et  défen- 
sif.  Indigné  de  la  violence  com- 
mise par  l'Angleterre  sur  la  capi- 
tale du  Danemark ,  l'empereur 
Alexandre  proclame  hautement , 
par  l'ukase  du  3i  octobre,  les 
principes  de  neutralité  armée  que 
lui  a  légués  la  politique  de  Cathe- 
rine-la-Grande,  et  il  proscrit  tou- 
te communication  entre  les  deux 
états  jusqu'à  ce  que  le  Danemark 
soit  satisfait,  et  jusqu'à  la  paix 
entre  la  France  et  la  Grande-Bre- 
tagne. Le  10  novembre  il  fait  plus, 
il  accède  entièrement  à  toutes  les 
conditions  du  système  continental , 
et  fait  exécuter  dans  tous  ses  étals 
les  mesures  rigoureuses  de  ce  pac- 
te contre  les  sujets,  les  propriétés 
et  le  commerce  de  l'Angleterre. 
Jamais  alliance  entre  deux  états 
puissans  ne  fut  cimentée  par  de 
plus  grands  engagemens.  Telles 
sont  les  dispositions  du  plus  puis- 
sant prince  de  TEurope  après  Na- 
poléon. Par  la  simple  exécution 
du  traité  de  Tilsitt,  Napoléon  fai- 
sait à  l'Angleterre  une  guerre  mor- 
telle. Il  n'avait  plus  qu'à  attendre 
sur  le  trône  continental  la  chute 


NAP 

du  trône  insulaire.  Sans  doute 
l'année  1807  a  suffisamment,  a- 
vec  les  deux  précédenles,  illustré 
l'ère  impériale;  mais  le  vainqueur 
des  trois  grandes  couronnes  du 
Nord  se  souvient  de  la  proclama- 
tion insensée  du  favori  de  la  reine 
d'Espagne,  et  l'année  qui  a  corn- 
ai mencé  par  la  plus  noble  gloire 
des  armes,  doit  finir  par  le  plus 
inexcusable  de  tous  les  attentats 
politiques,  attentat  sans  gloire,  où 
la  force  se  fait  l'instrument  de  la 
perfidie,  où  la  confiance  est  le 
principal  moyen  de  la  trahison , 
où  la  plus  violente  et  la  plus  im- 
politique usurpation  va  donner  à 
la  sécurité  et  à  l'amitié  d'un  peu- 
ple les  armes  du  désespoir  et  les 
droits  de  la  vengeance. 

Les  acteurs  de  ce  drame  détes- 
table sont  au  plus  haut  rang  des 
grandeurs  humaines.  C'est  Char- 
les IV,  Ferdinand  et  Napoléon. 
Bientôt  il  n'y  aura  plus  entre  eux 
d'intermédiaires;  ceux  qui  ont  pré- 
paré la  scène.  Murât  et  Godoï  , 
seront  rentrés  dans  la  foule  des 
spectateurs. 

Le  27  octobre,  un  traité  secret 
avait  été  conclu  à  Fontainebleau 
entre  la  France  et  l'Espagne.  L'in- 
vasion du  Portugal ,  alors  colonie 
britannique  ,  en  était  le  prétexte  , 
et  une  armée  française  devait,  par 
ce  traité,  entrer  en  Espagne  pour 
marcher  sur  Lisbonne.  Il  en  ré- 
sultait aussi  la  cession  du  royau- 
me d'Etrnrie ,  en  faveur  de  la 
France,  qui  s'engageait  à  donner 
en  échange  le  royaume  de  la  Lu- 
sitanle  septentrionale.  On  sait  qu'il 
n'y  a  eu  d'exécutée  que  la  pre- 
mière partie  de  cette  convention, 
et  il  était  au  moins  singulier  de 
disposer  ainsi  de  la   moitié  d'un 


NAP 


563 


état  (du  Portugal)  que  l'on  n'avait 
pas  encore  conquis.  Une  souve- 
raineté, également  prise  sur  cette 
conquête  future,  était  affectée  au 
prince  de  la  Paix,  qui  eût  pris  le 
titre  de  prince  des  Algarves.  Le 
roi  d'Espagne  était  reconnu  suze- 
rain de  ces  deux  états ,  et  empe- 
reur des  deux  Amériques.  L'inva- 
sion du  Portugal  n'est  qu'une  par- 
tie du  plan  de  Napoléon  ;  son  but 
est  d'ôter  à  la  famille  de  Bourbon 
son  dernier  trône,  et  de  réaliser  au- 
trement, par  la  réunion  à  la  France 
des  provinces  septentrionales  de  la 
péninsule,  le  vœu  de  Louis  XIV  : 
Il  n'y  a  plus  de  Pyrénées.  Pour 
y  parvenir,  la  désunion  entre  le 
roi  et  le  prince  royal  était  néces- 
saire. Godoï  en  est  l'instrument 
naturel.  11  est  U'ancien,  1  irrécon- 
ciliable ennemi  de  Ferdinand,  et 
il  est  ie  FAVORI.  Le  5o  octobre,  le 
prince  des  Asturies  est  arrêté  com- 
me chef  d'un  complot  tendant  à 
détrôner  son  père.  Le  5  novem- 
bre.  une  lettre  dictée,  dit-on,  à 
Ferdinand,  est  publiée  à  Madrid. 
Ce  prince  avouait  à  son  père  le 
projet  dont  on  l'accusait,  dénon- 
çait ses  complices,  témoignait  son 
repentir,  et  s'en  remettait  à  la 
clémence  du  roi.  Une  autre  lettre, 
de  la  même  nature,  parut  aussi 
du  même  prince  à  la  reine  sa  mè- 
re. Godoï  triomph:4it.  Le  roi  par- 
donna à  son  fils,  chargea  le  con- 
seil de  Castille  de  procéder  contre 
les  autres  coupables,  et,  comme 
on  devait  s'y  attendre,  leur  inno- 
cence fut  proclamée. 

Cependant  l'armée  française  du 
Portugal  était  déjà  le  29  novem- 
bre à  20  lieues  de  Lisbonne  ,  à 
Abrantès,  dont  le  général  en  chef 
Junot  doit  prendre  le  nom.   Le 


364 


NAP 


prince  Jean  apprend  la  veille,  par 
le  Moniteur  du  i5,  que  la  maison 
de  Bragance  a  cessé  de  régner,  et 
le  même  jour,  pressé  qu'il  se  croit 
d'obéir  au  déciet  de  INapoléon,  il 
embarque  sa  famille,  son  palais, 
son  trône  sur  8  vaisseaux,  et  t'ait 
voile  pour  le  Brésil  avec  une  mau- 
vaise flotte.  Il  n'y  a  rien  de  com- 
parable dans  l'histoire  h  cette  é- 
migration  subite  d'une  monarchie 
devant  un  général  ennemi.  Junot, 
qui  n'a  l'ait  que  lu  campagne  des 
éperons  ,  fait  le  3o  son  entrée  à 
Lisbonne ,  et  y  remplace  tout  le 
pouvoir  fugitif.  Du  17  octobre  au 
5o  novembr-e ,   28,000   Français 
ont  franchi  les  200  lieues  qui  sé- 
parent Bayonne  de  Lisbonne,  et 
pendant  que  la  flotte  royale  arbo- 
re sur  le  port  le  pavillon  du  dé- 
part, les  vaisseaux  que  le  roi  a  ou- 
bliés, arborent  à  sa  vue  le  pavil- 
lon de  l'invasion.    Le   régent  du 
Portugal  n'a  su  que  la  veille  de 
leur  entrée  à  Lisbonne  l'arrivée 
des  Français  dans  ses  états.    Une 
contribution  de  cent  millions  ap- 
prend également  au  royaume,  non 
qu'il  a  été  conquis,  mais  qu'il  est 
occupé. 

Le  comte  Tolstoy,  ambassadeur 
de  Russie ,  arriva  dans  les  pre- 
miers jours  de  novembre  à  Fon- 
tainebleau, où  il  fut  plus  qu'éton- 
né d'apprendre  ce  qui  venait  de  se 
passer  en  Espagne.  Le  iG,  le  gé- 
néral Caulaiucourt,  grand-écuyer, 
partit  pour  l'ambassade  de  Pé- 
tersbourg,  et  Napoléon  pour  Ve- 
nise et  iMilan,  où  il  alla  attendre 
le  résultat  des  affaires  de  la  pé- 
ninsule espagnole.  Le  1 1  du  mê- 
me mois,  un  traité  avait  été  signé 
à  Paris  entre  la  France  et  la  Hol- 
lande, qui  lui  cédait  le  territoire 


NAP 

et  la  ville  de  Flessingue.  Sous  tou- 
tes les  formes  se  poursuit  le  sys- 
tème des  réunions,  soit  politiques, 
soit  territoriales.  Le  1"  décembre, 
le  roi  de  Prusse  se  réunit  plus  for- 
tement au  système  continental,  par 
une  déclaration  qui  interdit  toute 
communication  entre  les  Prus- 
siens et  les  Anglais,  jusqu'à  la  paix 
entre  la  France  et  l'Angleterre.  Le 
8 ,  Jérôme  prend  possession  du 
royaume  de  Westphalie.  Le  lo,  la 
reine  d'Etrurie  renonce  à  la  cou- 
ronne pour  son  fds,  et  les  trou- 
pes françaises  sont  établies  dans 
ses  états.  En  réponse  à  tous  les 
arrêts  du  système  continental,  l'An- 
gleterre avait  le  1 1  novembre  sou- 
mis à  la  visite,  à  une  station  obli- 
gée dans  un  de  ses  ports,  et  à  une 
imposition  sur  leur  chargement, 
tous  les  navires  neutres  ou  alliés. 
En  réponse  au  décret  anglais ,  un 
décret  de  Milan  du  17  décembre 
déclare  dénationalisé  et  de  bonne 
prise  tout  bâtiment  de  toute  na- 
tion qui  se  serait  soumis  à  la  ty- 
rannie du  pavillon  anglais.  Ainsi 
la  déprédation  est  sur  les  mers,  et 
la  violence  de  la  politique  rem- 
place sur  le  continent  la  puissan- 
ce des  armes.  L'Angleterre  et  le 
continent  font  un  échange  perpé- 
tuel de  représailles.  Une  agitation 
générale  règne  sur  le  monde.  Un 
homme  seul  tient  la  roue  de  la 
fortune,  et  la  dirige  à  son  gré  de- 
puis les  sommets  glacés  du  Tau- 
rus  européen  jusqu'aux  rivages 
les  plus  njéridionaux  de  la  Médi- 
terranée. La  puissance  de  l'Angle- 
terre est  toute  maritime,  elle  do- 
mine le  reste  du  globe,  et  avec  une 
flotte  de  plus  de  mille  vaisseaux, 
elle  rend  blocus  pour  blocus. 
Le  5  novembre  1807,  la  cour 


>AP 

«les  comptes  avait  élé  installée; 
ce  grand  contrôle  de  l'adminis- 
tration financière  de  l'empire  don- 
ne à  cette  partie  si  importante  de 
l'administration  générale  de  l'é- 
tat, la  garantie  qui  doit  plus  que 
jamais  l'investir  de  la  confiance 
publique;  les  comptes  de  l'empi- 
re (irançais  sont  tenus  et  rendus 
avec  la  fidélité  et  l'exactitude  de 
ceux  d'une  maison  dont  le  cais- 
sier e>t  probe  et  le  maître  écono- 
me. L'institution  de  la  chambre 
des  comptes  est  très-ancienne,  et 
son  principe  honore  la  monarchie; 
mais  Napoléon  ne  crée  pas  les 
places  pour  les  hommes  :  son 
grand  art  est  de  trouver  les  hom- 
mes pour  les  places ,  et  d'appli- 
quer aux  fonctions  les  facultés  et 
même  les  mœurs.  Les  parties  aus- 
tères de  son  gouvernement,  telles 
que  l'administration  civile,  celle 
des  finances  et  celle  de  la  justice, 
étaient  sous  ce  rapport  plus  en 
harmonie  peut  -  être  avec  leurs 
fonctionnaires  que  les  coraman- 
demens  militaires  eux-mêmes, 
que  les  emplois  diplomatiques,  et 
même  que  les  ministères.  Ceci  te- 
nait à  ce  que  voulant  toujours  être 
son  propre  ministre  dans  chaque 
département,  ceux  qui  pouvaient 
être  pour  la  France  des  ministres 
médiocres,  ou  même  mauvais,  é- 
taient  pour  lui  d'exceliens  pre- 
miers commis.  Aussi  il  n'y  eut 
pas  sous  ce  règne  d'aristocratie 
ministérielle.  Il  en  était  de  même 
aux  armées  où  Napoléon  com- 
mandait en  personne;  car  on  ne 
remarquait  jamais  la  jalousie  de 
-es  généraux,  et  peut-être  même 
leur  habileté,  que  dans  des  armées 
t[u"il  ne  commandait  pas.  Nul 
homme  n'a   mieux  entendu   que 


NAP 


36.5 


lui  la  conquête  d'un  pays  et  la 
construction  d'un  état.  Il  «ait  ren- 
dre l'une  si^omplète,  et  l'autre  si 
solide,  que  lui  seul  sera  assez  fort 
pour  rendre  sa  gloire  et  sa  puis-, 
sance  passagères  :  mais  partout 
après  lui  on  retrouvera  ses  fonda- 
tions, et  l'état  qui  les  aurait  dédai- 
gnées, qui,  comme  lui,  ne  saurait 
pas  marier  les  fonctions  avec  les 
hommes,  ne  serait  pas  assis  sur  des 
bases  naturelles.  Il  verrait  s'établir, 
entre  les  places  et  leurs  titulaires, 
une  guerre  singulière  qui  compro- 
mettrait son  administration. 

1808. 

La  science  du  bien  public  avait 
également  inspiré  à  Napoléon  d'ê- 
tre aussi  le  législateur  du  com- 
merce ,  et ,  le  premier  jour  de 
l'année  1808,  vit  mettre  à  exécu- 
tion les  dispositions  du  code  de 
commerce  ,  dont  la  loi  avait  élé 
promulguée  l'année  précédente. 
Heureuse  la  France ,  heureuse 
l'Europe,  si  leur  dominateur  trou- 
vait assez  de  place ,  assez  d'inté- 
rêt, assez  de  grandeur  pour  l'exer- 
cice de  ses  puis>^antes  facultés , 
entre  les  vastes  et  lointaines  fron- 
tières que  lui  ont  données  son  gé- 
nie militaire  et  l'obséquieuse  vas- 
salité des  monarchies  continenta- 
les !  Mais,  l'année  1808  qui  com- 
mence par  un  code  de  commerce, 
va  voir  la  France  se  précipiter 
dans  les  malheurs  de  l'Espagne 
comme  dans  un  gouffre  sans  fond 
qui  aspire  et  attire  violemment 
dans  son  abîme  toute  la  France  et 
tout  Napoléon. 

Le  sénat  qui  publie  les  oracles 
de  l'empereur,  annonce  ,  le  -21 
janvrer,  la  réunion  à  la  France  des 
villes   de  Wesel ,  de  Cassel ,   de 


566 


NAP 


Rehl  el  de  Flessingiie,  avec  leur 
territoire.  Le  Rhin  tout  entier  est 
déclaré  l'rançais.  Le  22,  un  autre 
sénatus-consulîe  appelle  80,000 
conscrits  au  drapeau.  Cependant, 
l'Europe  entière  est  en  paix,  sauf 
l'Angleterre,  depuis  que  le  Portu- 
gal est  occupé,  et,  le  27  du  même 
mois,  tant  les  vents  ont  été  favo- 
rables à  la  fortune  de  Napoléon,  il 
apprend  l'arrivée  à  Rio-Janeiro  de 
la  famille  de  Bragance.  Une  pro- 
menade militaire  conduit  à  Rome 
un  corps  français.  C'est  une  me- 
sure de  haute  police  politique 
contre  des  intrigues  étrangères 
qui  se  croient  inattaquables  à  l'a- 
bri de  la  chaire  de  Saint-Pierre. 
Cependant ,  on  apprend  subite- 
ment la  prise  de  Pampelune  et 
celle  de  Barcelonne  par  l'armée 
française  ;  cette  armée  ,  destinée 
pour  le  Portugal  et  pour  une  ex- 
pédition contre  Gibraltar,  reçoit 
tout-àcoup  l'attitude  d'une  armée 
d'invasion.  Suiprise  dans  la  sécu- 
rité du  trc.ité  qui  a  placé  en  Dane- 
mark 20,000  Castillans  sous  les 
aigles  de  Napoléon,  l'Espagne  ne 
sort  de  la  stupeur  qui  la  saisit 
qu'au  bruit  des  troubles  qui  sou- 
dainement agitent  sa  capitale. 
Elle  se  voit  placée  en  un  moment 
entre  la  guerre  qui  éclate  au  palais 
et  celle  qui  envahit  sa  frontière. 
Figuières  et  Saint-Sébastien  ont  eu 
le  sort  de  Pampelune  et  de  Bar- 
celonne. Miuat,  général  en  chef, 
conduit  l'expédition,  tlne  campa- 
^na  savante  a  lieu  en  pays  ami. 
La  véritable  guerre  était  à  A- 
ranjuès,  où  trois  partis  sont  en 
présence.  Le  plus  fort,  le  plus  o- 
dieux,  est  celui  de  la  reine  et  du 
favori.  On  accuse  leur  haine 
tcnamune  d'un  horrible  complot 


NAP 

contre  l'héritier  de  la  couronne. 
D'autres  imputent  au  jeune  prince 
un  parricide  politique  ,  le  projet 
de  détrôner  son  père.  Le  parti  du 
roi  ,  faible  et  vieux  comme  lui  , 
aveuglé  par  le  danger,  plus  fami- 
liarisé aux  combats  de'  la  cour 
qu'à  ceux  de  la  guerre,  ne  voit 
que  l'armée  française,  et  séduit 
par  le  contagieux  exemple  du 
prince  Jean  de  Portugal,  n'a  qu'u- 
ne voix  pour  le  plus  lâche  de  tous 
les  partis,  pour  l'émigration  de  la 
famille  royale  en  Amérique.  Le 
peuple  ,  qui  ne  se  trompe  jamais 
quand  il  se  dirige  lui  -  même  ,  ne 
prend  point  le  change  sur  ses  sen- 
limens  ,  et  court  poursuivre  et 
atteindre  de  sa  vengeance  l'indi- 
gne favori,  à  qui  il  reproche  jus- 
tement l'avilissement  de  l'Espa- 
gne ,  la  désunion  de  la  famille 
royale  ,  et  peut-être  la  trahison 
française.  La  fureur  populaire 
dévaste  le  palais  de  Godoï.  Pour 
apaiser  le  peuple  ,  Charles  IV 
déclare  que  le  favori  a  déposé 
tous  ses  tities,  toutes  ses  charges  : 
ce  sont  les  premières  du  royau- 
me. Cet  homme  incapable  accu- 
mulait toutes  les  grandeurs  hu- 
maines. Indépendamment  de  son 
mariage  avec  une  princesse  de 
Bourbon  ,  nièce  du  roi  ,  il  était 
premier  ministre,  généralissime, 
grand-amiral  ,  capitaine-général. 
Sa  fortune  dépassait  une  valeur 
de  100  millions,  et  la  somptuosité 
de  ses  palais,  routrageanle  repré- 
sentation de  son  luxe,  la  vériluble 
souveraineté  de  son  pouvoir,  fai- 
saient assez  coimaîlre  depuis  long- 
temps à  l'Espagne  à  quel  maître 
elle  obéissait.  La  haine  pour  le 
favori  devint  pour  les  Espagnols* 
de  l'amour  pour  Ferdinand.  Ce- 


pendant,  Charles  IV,  presque  ar- 
rêté dans  sa  fuite  à  Séville  ,  se 
croit  obligé  de  déclarer ,  outre  la 
disgrâce  du  prince  de  la  Paix,  qu'il 
ne  quitte  point  le  royaume,  et  que 
l'armée  de  son  cher  allié  Napoléon 
traverse  l'Espagne  avec  des  senti- 
mens  de  paix  et  d'amitié.  Toute- 
fois, le  19  février,  ce  prince  abdi- 
que en  faveur  de  Ferdinand,  et 
rien  ne  peut  exprimer  avec  plus 
d'énergie  la  terreur  qui  s'est  em- 
parée du  vieux  monarque  qu'une 
telle  détermination.  Le  20  ,  par 
ordre  du  nouveau  roi,  Godoï  est 
arrêté  et  ses  biens  confisqués.  Cette 
conduite  de  Ferdinand  envers  l'a- 
mi de  Charles  IV  devrait  faire 
craindre  à  la  nation  que  l'héritage 
n'ait  été  confié  à  des  mains  im- 
prudentes. Cette  circonstance,  qui 
satisfait  momentanément  la  répro- 
bation publique  pour  le  favori  , 
ne  doit  être  ni  honorable  ,  ni  utile 
à  Ferdinand,  qui  s'e?t  trop  pressé 
de  régner.  Il  ne  voit  pas  ce  qui  se 
passe  au-delà  des  Pyrénées;  il  no 
comprend  pas  ce  qui  se  passe  dans 
le  camp  français.  Il  ne  connaît  ni 
la  valeur  des  intérêts  qu'il  vient 
de  blesser  dans  la  personne  du 
prince  de  la  Paix,  ni  l'influence 
prochaine  que  cet  outrage,  fait  à 
son  père,  peut  avoir  sur  sa  propre 
destinée. 

Enfin,  Madrid  est  occupé  par 
le  général  Murât  et  son  armée.  Le 
premier  soin  de  ce  général ,  et 
Ferdinand  dut  le  remarquer,  est 
de  faire  rendre  la  liberté  au  prince 
de  la  Paix  après  s'être  laissé  solli- 
citer par  la  reine-mère.  Il  résulte 
de  cette  circonst.uicc  que  le  vieux 
roi,  décidé  par  iMurat,  se  repent 
de  son  abdication,  tt  proleste  en 
iocrct  le  li  I  mars.  Témoia  et  ac- 


NAP 


56? 


teur  principal  du  grand  procès  de 
la  famille  d'Espagne  ,  le  général 
en  chef  Murât  est  à  Madrid  le 
mandataire  de  Napoléon,  qui  va 
se  déclarer  juge  entre  le  père  et  le 
fils.  Le  tribunal  est  à  Bayonne;  le 
i5  avril,  l'empereur  s'est  trans- 
porté dans  cette  ville.  C'est  là 
qu'il  veut  entendre  les  membres 
de  la  famille  royale,  dont  il  a,  de- 
puis quelques  mois  ,  prononcé 
l'arrêt.  Il  ne  sera  pas  difficile  d'at- 
tirer à  Bayonne  le  confiant  Charles 
IV,  la  reine  et  le  prince  de  la  Paix. 
Le  séjour  de  l'Espagne  est  dange- 
reux pour  cette  vieille  cour.  Il  est 
moins  aisé  d'y  faire  aller  Ferdi- 
nand, qui  a  tout  à  craindre,  rien 
à  espérer.  Cependant,  un  général 
envoyé  par  l'empereur  lui  per- 
suade que  son  titre  est  reconnu  , 
et  qu'il  s'agit  d'ua  traité.  Malgré 
ses  hésitations,  le  jeune  prince, 
entraîné  par  sa  destinée  ,  se  met 
en  route,  et,  le  20  avril,  arrive  à 
Bayonne.  En  arrivant ,  il  n'y  est 
reçu  que  comme  prince  des  Astu- 
ries.  La  révocation  de  l'abdication 
du  père,  dont  Murât  était  devenu 
le  conseil,  n'était  sans  doute  pas 
inconnue  à  Napoléon.  Dix  jours 
après,  le  3o  avril,  Charles  IV,  ta 
reine  et  le  prince  de  la  Paix ,  sont 
à  Bayonne.  Le  lendemain  1"  mai, 
Ferdinand  ,  obéissant  sans  doute 
encore  à  une  impulsion  supérieu- 
re, remet  humblement  à  son  père 
la  couronne  d'Espagne.  L'usage 
que  ce  vieux  roi  doit  faire  de  cette 
restitution  est  prévu  ,  mais  n'en 
est  pas  moins  étrange.  Son  fils  lui 
est  tellement  odieux  ainsi  qu'à  la 
reine ,  par  leur  aveugle  souniis- 
sion  à  la  volonté  méprisable  et 
despotique  du  prince  de  la  Paix, 
que  le  5  mai  Charles  IV  a  signé 


i68 


NAP 


l'acte  de  la  spoliation  de  toute  sa 
lamllle,  afin  que  son  fils  aîné  ne 
règne  pas  sur  les  Espagnes.  C'est 
cet  acte  inouï  par  sa  nature,  par 
sa  forme,  par  ses  causes,  qui  s'ap- 
pelle le  Traité  de  Bayonne.  C'est 
ainsi  que  se  termine  la  vengeance 
du  père  sur  le  fils,  du  fils  sur  le 
favori,  du  fav(»ri  sur  le  prince  hé- 
réditaire, et  celle  de  la  reine,  plus 
implacable  encore  parce  qu'elle  a 
oublié  depuis  long -temps  qu'elle 
est  la  femme  de  Charles  IV  et  la 
mère  de  Ferdinand. 

Ce  drame  odieux,  où  a  été  sa- 
crifié tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
saint  parmi  les  hommes,  la  foi  de 
tous  les  sermens,  les  droits  de  la 
nature  ,  la  religion  de  la  patrie  , 
celle  des  traités,  est  frappé  juste- 
ment par  la  France ,  par  l'Espa- 
gne ,  par  l'Europe  ,  d'un  ana- 
thême  menaçant  ,  dont  la  seule 
Espagne  va  saisir  la  foudre.  Les 
signataires  de  ce  traité  ,  où  la 
bassesse  égale  la  perfidie  ,  en 
sont  les  prisonniers  naturels. 
Leur  aspect  doit  importuner  le 
dominateur  qui  l'a  dicté.  Le  1 1 
mai ,  Ferdinand  ,  son  frère  don 
Carlos  ,  son  oncle  don  Antonio  , 
sont  transportés  au  çhAleau  de 
Valençay.  Le  i5  ,  Charles  IV,  la 
reine  et  le  prince  de  la  Paix  sont 
partis  pour  Compiègne.  Rien  ne 
manque,  rien  n'a  été  oublié  dans 
l'œuvre  de  ce  complot  inouï  dans 
l'histoire.  Les  princes  espagnols, 
avant  de  quitter  Bayonne  ,  s'em- 
pressent de  rendre  hommage  à  la 
violence  qui  leur  est  faite.  Ils  en- 
voient au  gouvernement  provi- 
soire de  Madrid,  dont  Murât  exer- 
ce la  régence,  non-seulement  leur 
adhésion  au  traité  du  5  mai,  mais 
encore  une  exhortation  toute  pa- 


iNAP 

ternelle  aux  Espagnols  de  s'y  con- 
former, et  une  déclaration  qui  les 
relève  du  serment  de  fidélité.  Les 
Espagnols  n'avaient  pas  attendu 
l'autorisation  de  Ferdinand.  La 
désertion  de  la  famille  royale  n'a-  > 
vait  plus  laissé  de  sujVts  en  Es- 
pagne que  ce  petit  nombre  d'hom- 
mes qui  va  se  grouper  autour  du 
trône  de  Joseph,  soit  par  ambi- 
tion, soit  par  mépris  pour  la  dy- 
nastie fugitive  ,  soit  enfin  par  a- 
mour  pour  leur  patrie,  à  laquelle 
ils  croient  pouvoir  donner  une 
heureuse  destinée.  La  masse  de  la 
nation  est  toute  implacable;  tous 
les  intérêts,  tous  les  rangs,  tous 
les. ordres,  se  confondent  en  ar- 
mée de  vengeance  et  d'extermi- 
nation. Le  peuple  espagnol  seul 
ne  s'est  point  trompé,  tandis  que 
Napoléon  ,  malgré  toute  la  saga- 
cité dont  l'a  doué  la  nature ,  est 
tombé  dans  un  abîme  dont  il  ne 
connaîtra  la  profondeur  qu'à  l'heu- 
re de  sa  propre  perte.  Sa  procla- 
mation aux  peuples  de  l'Espagne 
se  terminait  par  ces  paroles  re- 
marquables :  «  Votre  monarc/de 
»  est  vieille  ,  ma  mission  est  de  la 

»  rajeunir Je  veux  que  vos  der  - 

»  nier  s  neveux  conservent  mon  sou- 
M  venir,  et  disent  :  Il  est  le  régé- 
dnérateur  de  notre  patrie!! «Trois 
jours  après,  le  27  mai,  la  fête  de 
Saint-Ferdinand  est  célébrée  par 
l'insurrection  de  plusieurs  con- 
trées, et  notamment  par  celle  de 
la  capitale  maritime,  de  la  ville  de 
Cadix.  Le  27  aussi,  en  opposition 
au  conseil  de  Castille  qui  a  offert 
la  couronne  à  Joseph,  se  forme  à 
Séville  une  junte  provinciale.  L'es- 
prit de  celte  junte  est  celui  de  la 
nation  qui  n'a  reconnu  que  la 
première   abdication    de    Chartes 


i 


NAP 

/F,  et  qui  veut  être  gouvernée 
au  nom  <ie  Ferdinand.  Malgré 
iMnr4p>n  du  Portugal  et  de  toute 
ia  frontière  espagnole  ,  malgré 
Poccu|)ation  de  la  capitale  et  la 
présence  de  deux  arniécs  fraucai- 
.-.es,  la  noble  junte  de  Séville  dé- 
clare à  l'Europe  la  royauté  de  Fer- 
dinand, et  à  la  France  la  guerre 
de  l'Espagn»;.  Elle  tut  loin  de  son- 
ger alors  que  sa  généreuse  résolu- 
tion ne  serait  appréciée  et  hono- 
rée que  par  les  Français  <|ui  al- 
laient la  combattre. 

De  nombreuses  juntes  s'organi- 
sent dans  les  provinces  à  l'exem- 
ple de  celle  de  Séville.  Pendant 
que  le  sentiment  d'une  résistance 
courageuse  préparait  cette  autre 
guerre  de  sept-ans  ,  qui  devait 
taire  donner  alors  à  l'Espagne  le 
beau  surnom  d'HÉROÏQiE.  une  au- 
tre junte,  sotis  le  nom  de  grande 
jiinle  d'état,  dont  les  1 5o  mem- 
bres ont  été  choisis  à  Madrid,  par 
Murât,  dans  les  trois  ordres,  se 
rassemblait  à  Bajonne  par  les  or- 
dres 'lu  nouveau  roi  que  le  décret 
imjiérial  du  6  juin  vient  de  pro- 
clamer. 11  résulte  de  cette  situa- 
lion  la  nécessité  de  la  conquête 
de  l'Espagne.  La  prise  de  la  tlolte 
française  par  les  insurgés  dans  le 
port  de  Cadix,  ne  laisse  plus  au- 
cun doute  sur  les  périls  dont  la 
royauté  de  Joseph  est  entourée. 
Il  peut  regretter  le  trône  paisible 
et  voluptueux  de  l'hcureu'se  Par- 
lhenope,et  Murât  devra  regretter 
encore  davantage  l'abdication  de 
Charles  IV.  La  faiblesse  de  ce 
vieux  souverain  a  précipité  sou 
royaume  dans  un  abîuie  de  vicis- 
situdes depuis  i5  années.  Son 
trône  était  à  Cadix,  où  toute  une 
armée    nationale    l'eflt    conservé 

T.  ZIV. 


NAP  569 

comme  elle  a  conservé  le  trône 
de  son  fils  absent. 

Le  16  juin  ,  les  Portugais  ont 
imité  les  Espagnols.  Le  cri  de  l'in- 
dépendance les  appelle  tous  à  la 
plus  sainte  des  insurrections  ,  et 
les  provinces  du  Nord  sont  aban- 
données par  les  Français.  Les  Es- 
pagnols et  les  Portugais  donnent 
à  l'Europe  le  beau  spectacle  de 
deux  peuples  ennemis,  se  réunis- 
sant fout-à-coup  pour  défendre 
en  commun  leur  droit  domesti- 
que, cette  indépendance  de  famille 
qui  est  la  grande  propriété  de  tou- 
te nation,  comme  la  terre  est  celle 
du  laboureur.  Les  Espagnols  sont 
battus  le  12  juillet  à  Médina  deL 
RioSecco,  par  le  maréchal  liessiè- 
res;  mais  au  lieu  de  gagner,  le  16, 
la  bataille  de  Baylen,  le  général 
Dupont  signe  le  22  la  capitulation 
d'Andujar,  à  la  lête  de  i3,ooo 
Français,  et  au  moment  de  faire, 
avec  le  général  Vedel ,  un«;  jonc- 
tion qui  mettait  entre  deux  feux 
l'armée  espagnole.  «  Ce  sont  nos 
»  fourches  caudines ,  »  dit  ^apoléon 
en  apprenant  la  honteuse  capitu- 
lation d'Andujar.  Exemple  inouï 
dans  toute  la  guerre  d'Espagne  ! 
Il  est  vrai  que  les  Espagnols  a- 
valent  /|0,ooo  hommes  ;  mais  à 
léna,  Davoust  n'en  avait  que 
3o,ooo  contre  100,000  Prussiens, 
alors  les  premières  troupes  de 
l'Europe.  Le  général  Dupont,  en 
vingt  occasions  glorieuses  ,  avait 
illustré  de  sa  personne  le  nom 
français.  D'immenses  bagages  hon- 
teusement qualifiés  retardèrent  , 
dit-on,  sa  marche  sur  Baylen,  et 
le  décidèrent  à  capituler!  Il  fut 
jugé  par  l'indignation  française  et 
l'exaltalion  espagnole.  La  junte 
nȎprisa  aussi  la  capitulation  elle- 
4 


:;;u  iSAP 

même.  La  haine  de  l'invasion  de 
TEspagne  répondait  ainsi  à  la  per- 
fidie par  une  autre  perfidie  ,  et 
1 5,000  officiers  et  soldats  français, 
au  lieu  d'être  conduits  à  Roche- 
fort  ,  furent  traînés  aux  pontons 
de  Cadix  ,  cachots  pestilentiels 
sortis  des  ports  de  la  philantropi- 
que  Angleterre  pour  faire  envier 
aux  valeureux  captifs  de  la  guerre 
les  bagnes  de  l'esclavage  et  ceux 
du  crime.  Celle  capitulation  qui, 
par  eUe-nfCme,  est  un  crime  mi- 
litaire contre  l'honneur  de  l'ar- 
mée ,  devient  bienlôt  un  crime 
politique  contre  la  France  elle- 
même.  Elle  a  rallié  les  dissidens, 
a  encouragé  les  faibles,  a  fanatisé 
dans  toute  l'Espagne  les  amis  de 
l'indépendance.  Elle  a  brisé  le 
prestige  de  l'invincibilité  françai- 
se, et  a  rendu  le  trône  de  Joseph 
une  simple  position  militaire  qui 
doit  être  assiégée  et  emportée  par 
l'opiniâtreté  d  une  armée. 

En  etïet,  Joseph,  frappé  du  i»om 
d'usurpateur  par  la  justice  nalio- 
nale  de  l'Espagne,  fait  son  entrée 
le  20  juillet  à  Madrid,  au  milieu 
d'une  foule  silencieuse.  Huit  jours 
après,  il  doit  craindre  sa  capitale, 
et  va  se  réfugier  à  Yittoria.  La 
haine  des  Espagnols,  comme  une 
étincelle  électrique  ,  va  tout-à- 
coup  à  8oo  lieues  des  Pyrénées 
avertir  La  llomana  et  ses  25,ooo 
hommes  des  maux  et  des  périls 
de  la  patrie.  La  conjuration  espa- 
gnole a  un  camp  ^ur  les  bords  de 
la  mer  Baltique  au  milieu  de  l'ar- 
mée que  commande  Bernadotle. 
Le3i  est  une  grande  époque  :  c'est 
celle  du  débarquement  en  Portu- 
gal d'une^  armée  anglaise  sous  les 
ordres  de  sir  Arthur  W^ellesley  ; 
c'est  Wellington.  Un  armistice  est 


^AP 

le  résultat  de  la  bataille  de  Vimei- 
ro,  donnée  le  21  août,  oi'i  Junot, 
à  la  tête  de  10,000  hommeSf.  seu- 
lement contre  26,000  ,  laisse  la 
victoire  au  moins  indécise.  La  va- 
leur de  l'armée  française  sous 
l'intrépide  Junot  lui  doinie,  huit 
jours  aj)rès,  la  glorieuse  capitula- 
tion de  Cintra.  Cette  armée  n'est 
pas  de  20,000  hommes  ,  et ,  en 
présence  d'une  armée  de  80,000 
combatlans,  souleims  par  toute 
rinsurrection  portugaise,  elle  quit- 
te le  Poilugul  comme  après  une 
victoire. 

Cependant  Napoléon  était  reve- 
im  ile  liayonne  à  Paris  le  14  août, 
chargé  de  la  haine  de  l'Espagne. 
Le  mauvais  état  des  affaires  dans 
la  péninsule, .l'impérieuse  néces- 
silé  de  rappeler  les  armées  de  la 
Prusse  pour  les  envoyer  contre  les 
Espagnols,  la  difTicullé  de  faire 
celle  grande  opération,  quand  on 
n'était  pas  encore  bien  sûr  de  la 
Uussie,  et  (juand  l'Autriche  me- 
naçait déjà  :  ces  importantes  con- 
sidérations décidèrent  à  faire  de- 
mander et  négocier  l'entrevue 
d'Erfurt,  par  l'ambassadeur  Cau- 
laincourt.  Chaque  jour  il  stimu- 
lait la  cour  de  Pétersbourg  contre 
celle  de  Londres  ,  chaque  jour  il 
affermissait  par  toutes  les  ressour- 
ces de  son  caractère  loyal  et  con- 
ciliateur les  bonnes  relations  qu'il 
avait  su  établir,  malgré  nos  em- 
barras d'Espagne  et  malgré  la  gê-- 
ne  ruineuse  que  faisait  éprouver  à 
la  Russie  la  suspension  de  son  com- 
merce. L'idée  de  l'entrevue  d'Er- 
furt entre  Napoléon  et  Alexandre, 
était  donc  de  la  plus  haute  politi- 
que. Elle  devait  étonner  l*Eur;)pe, 
ce  qui  était  beaucoup,  et  briser 
l'atlcntion  qu'elle  portait  aveoavi- 


NAP 

vlité  iur  hi  guerre  d'Espagne.  En 
effet,  toujours  Adèle  à  elle-inème 
et  à  elle  seule.  l'Espagne  a  de  nou- 
veau proclamé  Ferdinand  VII.  Il 
n'y  a  d'absens  de  sa  capitale  que 
ses  deux  rois.  La  volonté  de  la  na- 
tion espagnole  occupe  le  trône  : 
il  est  loin  d'être  vacant  ;  mais  Na- 
poléon a  oublié  le  droit  des  peu- 
ples pour  le  droit  des  conquêtes. 
H  signe  peu  de  jours  après  à  Paris, 
la  convention  du  8  septembre, qui 
écrase  la  Prusse  sOus  l'exécution 
da  traité  deTilsitt,  etq^i  imprime 
aussi  'à  ce  royaume  une  haine  na- 
tionale. La  France  trace  dans  la 
Prusse  sept  routes  militaires,  et  y 
laisse  une  armée  d'occupation.  En 
Espagne  elle  combat,  et  160,000 
conscrits  des  classes  de  1 806  à  1 8 1  o 
sont  appelés  au  drapeau.  La  junte 
suprême  et  centrale  qui  se  ras- 
semble à  Aranjuezau  nom  de  Fer- 
dinand, oppose  sa  dictature  à  l'u- 
surpation de  Joseph.  Au  milieu 
de  t'es  circonstances  qui  placent 
la  France  entre  la  vengeance  fu- 
ture de  la  Prusse,  et  la  vengeance 
actuelle  de  l'Espagne,  Ert'urt  voit 
arriver,  le  27  septembre,  Alexan- 
dre, Napoléon  et  ses  vassaux  cou- 
ronnés. Napoléon  est  chez  lui  à 
Erfurt  :  il  est  également  l'empe- 
reur des  Français  et  l'empereur 
des  Allemands;  c'est  à  son  ban  que 
se  sont  rendus  ses  alliés  ;  il  exerce 
envers  eux,  dans  toute  sa  splen- 
deur, son  impériale  hospitalité.  L  n 
seul  n'y  est  point  appelé  :  c'est  IVm- 
pereur  d'Autriche.  Cette  exclusion 
prouve  à  ce  prince  que  la  destinée 
de  l'Europe  doit  se  régler  sans  lui, 
et  que  le  partage  du  sceptre  con- 
tinental est  entre  Napoléon  et  A- 
lexanilre.  La  destinée  fera  sortir 
de   celte  injure  un  contra^Nors 


NAP  371 

bien  inattendu  :  un  lien  de  fa- 
mille !  Mais  le  sang  des  deux 
peuples  doit  rougir  auparavant  les 
champs  d'Essling  et  de  Wagraui. 
Ln  thécître  français  avait  été  é- 
tabli  à  Erfurt  ;  ce  fut  à  une  de  ses 
représentations  qu'eut  lieu  cette 
scène  sentimentale,  dont  le  sou- 
venir est  devenu  presque  ridicu- 
le :  A  ce  beau  vers  de  la  tragédie 
d'Œdipe, 

L'amitié  d'un  grand  homme  est  un  bienfait  des 
Dieux. 

Alexandre  saisit  et  serra  fortement 
la  main  de  Napoléon.  Ce  mouve- 
ment d'enthousiasme  fut  alors  di- 
versement interprété.  Il  reste  au 
moins  comme  anecdote  de  posi- 
tion. Mais  Napoléon  attachait  à 
cette  entrevue,  placée  sur  le  théâ- 
tre de  sa  gloire,  un  tout  autre  in- 
térêt que  celui  d'une  affection  pri- 
vée ou  admirative.  Sa  grande  af- 
faire, le  but  constant  de  sa  politi- 
que, de  ses  victoires,  de  son  am- 
bition, de  ses  usurpations  elles- 
mêmes,  et  notamment  de  celle  de 
l'Espagne,  était  la  paix  avec 
l'Angleterre,  Une  lettre  fut  écrite 
d'Erfurt  par  les  deux  empereurs 
au  roi  d'Angleterre,  pour  l'inviter 
^  admettre  une  négociation  pour 
la  paix.  0  Beaucoup  d'états  ont  éty 
«bouleversés,  disait  cette  lettre; 
»  de  plus  grands  chang^mens  encore 
«peuvent  avoir  lieu,  et  tous  con- 
«traires  à  la  politique  anglaise,  » 
On  répondit  :  «  Le  roi  d'Angleter- 
»re  ayant  pris  des  engagemens  «- 
Dvec  les  rois  de  Porlugal,  de  Si- 
«cile  et  de  Suède,  et  avec  le  gou- 
nve.rnement  espagnol  actuel,  il  doit 
«leur  être  permis  de  prendie  part 
«à  la  négociation  à  laquelle  S.  M. 
nB.  a  été  invitée.  «  Slais  une  fata- 
lité toute-puissante  atrachait  Na- 


Sja  jSAP 

poléon  aux  funestes  royautés  de 
Naples  et  d'Espagne,  et  la  négo- 
ciation fut  rompue.  Le  coMJîe  iio- 
inanzoff,  chef  du  cabinet  russe,  é- 
lait  venu  à  Paris,  et  y  passa  deux 
mois  poursuivre  ou  pour  lâcher  de 
nouer  des  négociations  avec  l'An- 
gleterre. Son  but  était  d'éviler  par 
une  paix  générale  l'erabraseraent 
nouveau  de  l'Europe,  dont  on  était 
menacé  par  le  mécontentement 
que  l'Autriche  ne  cherchait  pas  à 
dissimuler.  Le  congrès  d'Krfurt 
laissa  les  souverains,  et  tous  sans 
exception,  ainsi  que  leurs  cabinets, 
plus  indécis  que  jamais  sur  leurs 
alliances  et  sur  leurs  intérêts, 
(^uanl  à  Napoléon,  il  n'avait  qu'un 
champ  de  bataille  pour  combattre 
une  armée  anglaise  :  c'était  l'Es- 
pagne; et  à  l'ombre  des  engage- 
mens  si  précaires  d'Erfurt,  il  se 
précipita,  avec  sa  confiance  ordi- 
naire, dans  la  double  guerre  de  la 
péninsule. 

De  retour  à  Paris,  l'empereur 
lit,  le  aG  octobre,  l'ouverture  du 
corps-législatif.  Ce  fut  à  cette  cé- 
jémonie  solennelle  qu'il  dit  : 
u  L'empereur  Alexandre  et  moi 
»fwus  nous  sommes  vus  ùErfurt  : 
»  nous  sommes  d'accord,  et  inva- 
n  riablement  amis  pour  la  paix  com- 
«me  pour  la  guerre...  Bientôt  mes 
»  aigles  planeront  sur  les  tours  de 
1.  Lisbonne.»  Finit  jours  après  Na- 
poléon est  en  Espagne,  Lu  politi- 
que consoirimé,  il  a  voulu  aupara- 
vant, par  une  habile  concession 
faite  à  la  Prusse,  par  la  remise  de 
'io  millions  sur  sa  dette  de  guerre, 
et  par  l'évacuation  de  la  plus  gran- 
de partie  du  territoire  prussien, 
pouvoir  disposer  de  !>o,ooo  vieux 
soldats,  avec  lesquels  il  veut  déci- 
d(;r  du  sort  de   l'Espagne.   Cette 


NAP 

formidable  armée  est  en  marche, 
La  prise  de  Burgos  par  le  aiaré- 
chal  Soult,  la  victoire  d'Espinosa, 
due  .iu  maréchal  Victor,  celle  de 
ïudela,  due  au  maréchal  Lannes, 
ces  grands  succès  qui  coûtent  à 
l'ennemi  pièsdc  4o,noo  hommes 
et  i5o  pièces  de  canon,  ouvrent  à 
Na-,oléon  la  route  de  Madrid,  et 
la  veille  du  jour  où  les  Français 
ont  Consenti  à  évacuer  Berlin,  le 
4  décembre,  au  moment  d'un  as- 
saut général  ,  Madrid  se  rend  à 
Napoléon.  Les  grands  faits  d'ar- 
mes <lu  général  Gouviwn-Saint- 
Cyr  terminent  brillamment,  par 
la  prise  de  Roses,  et  par  deux 
beaux  combats,  non  loin  de  Bar- 
celonne,  les  opérations  militaires 
de  l'armée  d'Espagne  en  1809  ;  et 
la  campagne  de  Catalogne  prend 
place  parmi  les  plus  mémorables 
de  la  gloire  française. 

La  présence  de  Napoléon  sur  le 
sol  ennemi  établit  l'empire  de  la 
conquête,  et  y  jette  aussi  les  fon- 
dations d'un  nouvel  ordre  politi- 
que, qui  honore  le  grand  peuple 
qu'il  peut  vaincre,  et  qu'il  ne  peut 
pas  soumettre.  Cependant  si  c'est 
conmie  vainqueur  qu'il  est  reçu  à 
Madrid ,  il  y  entre  aussi  connne 
législateur  :  il  appoite  aux  vaincus 
tous  les  élémens  d'une  indépen- 
dance future,  et  toutes  les  garan- 
ties d'une  liberté  légale.  Il  détruit 
l'aristocratie  du  conseil  de  Castil- 
le,il  abolit  l'exécrable  inquisition, 
il  prononce  la  réduction  des  cou- 
vens,  l'anéantissement  de  la  féo- 
dalité des  moines  et  des  nobles. 
Ces  beaux  souvenirs  delà  rôvolu-r 
tion  française  sont  devenus  les 
principes  conservateurs  et  organi- 
ques des  monarchies,  et  n'ont 
d'auf|Sis  ennemis  en  Europe  que 


quelques  individus  à  préjugé*. 11  est 
iiiléreisanî  d'observer  que  le  des- 
pote conquérant  ne  reconnaît  pas 
d'armes  plus  puissantes  contre  une 
nation  qui  le  repousse,  que  celles 
qui  ont  fait  tomber  en  France  le 
despotisme,  et  qui  ont  triomphé 
des  coalitions.  Ainsi,  il  disait  aux 
Espagnols,  dans  sa  proclamation 
du  j  décembre  :  «  Tout  ce  qui  s'op- 
»  posait  à  votre  prospérité  et  à  vo- 
»tre  grandeur,  je  l'ai  détruit  :  les 

•  entraves  qui  pesaient  sur  le  peu- 
'1  pie,  je  les  ai  brisées;  une  consti- 
»  tution  libérale  vous  donne,  au  lieu 
«d'une  monarchie  absolue,  une 
»  monarchie  lempàrèe  et  constitu- 
»  tionnelle.  »  Sa  réponse  à  la  dépu- 
lation  de  Madrid,  le  i5  décembre, 
renfermait  ces  passages  remar- 
quables... «  Du  surplus  des  biens 
•)des  couvens,  j'ai  pourvu  aux  be- 
»  soins  des  curés,  de  cette  classe  la 
«plus  intéressante  et  la  plus  utile 
«dans  le  clergé.  J'ai  aboli  ce  tri- 
nbunal  contre  lequel  le  siècle  et 
«l'Europe  réclamaient.  Les  piè- 
0  très  doivent  guider  les  conscien- 
»ces,  mais  ne  doivent  exercer  au- 

•  cune   juridiction    extérieure    ni 

•  temporelle  sur  les  citoyens.  J'ai 
«satisfait  à  ce  que  je  devais  à  moi 
»  et  à  la  nation.  La  part  de  la  ven- 
«geance  est  faite  :  elle  est  tombée 
«sur  dix  des  principaux  coupables, 
»Ie  pardon  est  entier  et  absolu 
»pour  tous  les  autres.  J'ai  suppri- 
«mé  des  droits  usurpés  parles  sei- 
"gneurs,  dans  le  temps  des  guer- 
»res  civiles, où  lesroisontétê  trop 
«souvent  obligés  d'abandonner 
sieurs  droits  pour  acheter  leur 
■)  tranquillité,  et  le  repos  des  pen- 
«ples.  J'ai  supprimé  les  droits  féo- 
»daux,etc... Comme  il  n'y  a  qu'un 

•  Dieu,  il  ne  doit  y  avoic  dans  un 


»  état  qu'une  justice;  toutes  les  jus- 
atices  particulières  avaient  été 
«usurpées,  et  étaient  contraires 
naux  droits  de  la  nation  ;  je  les  ai 
i>  àé\Tm\.e9i. .  .La génération  présente 
»  pourra  varier  dans  ses  opinions  : 
0  trop  de  passions  ont  été  mises  en 
«jeu;  mais  vos  neveux  me  béai- 
)>ront  comme  votre  régénérateur; 
"ils  placeront  au  nombre  des  jours 
«mémorables  ceux  où  j'ai  paru 
«parmi  vous,  et  de  ces  jours  da- 
»  tera  la  prospérité  de  l'Espagne.  • 
Par  un  contraste  bien  singulier,  le 
lendemain  du  jour  où  Napoléon 
parlait  ainsi  à  la  députation  de 
Madrid,  le  A/o«//«ur publiait  à  Pa- 
ri:» l'article  suivant,  expédié  de 
Madrid,  écrit,  disait-on,  de  la  pro- 
pre main  de  l'empereur  :  «  Plu- 
»  sieurs  de  nos  journaux  ont  im- 
«primé  que  S.  M.  l'impératrice, 
«dans  sa  réponse  à  la  députation 
»ducorps-législatif,avait  ditqn'e/- 
»  te  était  bien  aise  de  voir  que  le  pre- 

•  m ier  sentiment  de  l'empereur  avait 
oété  pour  te  corps-législatif  repré^ 

•  sentant  la  nation.  S.  M.  l'impéra- 
«trice  n'a  pas  dit  cela  :  elle  con- 
«naît  trop  bien  nos  constitutions; 

•  elle  sait  trop  bien  que  le  premier 
^1  re présentant  de  la  nation  c'est 
nCempereur  ;  car  tout  pouvoir 
«vient  de  Dieu  et  de  la  nation. 
«  Dans  l'ordre  de  nos  constitutions , 
«après  l'empereur  est  le  .sénat,  a- 
»près  le  sénat  est  le  conseil-d'étaf, 
».  après  le  conseil-d'état  est  le  corps- 
»  législatif;  après  le  corps-législa- 
»  tir  viennent  chaque  tribunal  rt 
«fonctionnaire  public  dans  l'ordre 
ode  ses  attributions.  Car  s'il  y  a- 

•  vait  dans  nos  constitutions  un 
«corps  représentant  la  nation,  ce 
»«  corps  serait  souverain  :  les  autres 

•  corps  ne  seraient  rien,  et  ses  va- 


3^4  NAP 

»Iontés  seraient  tout.  La  conv'en- 
')  tion  ,  iTiêine  le  corps -législatif, 
«ont  été  représentans.  Telles  é- 
))taient  nos  constitutions  alors; 
»  aussi  le  président  disputa- 1- il  le 
>'  fauteuil  au  roi,  se  fondant  sur  ce 
«principe,  que  le  président  de  l'as- 
«semblée  de  la  nation  était  avant 
«les  autorités  de  la  nation.  Nos 
»  malheurs  sont  venus  en  partie  de 
«cette  exagération  d'idées.  Ce  se- 
nralt  une  prétention  chimérique  et 
a  même  criminelle  que  de  vouloir  re- 
y>  présenter  la  nation  avant  l'empe- 
nreur.  Le  corps-législatif,  impro- 
«prement  appelé  de  ce  nom,  de- 
»vrait  être  nommé  conseil-législa- 
«tif,  parce  qu'il  n'a  pas  la  faculté 
»de  faire  les  lois,  n'en  ayant  pas 
«la  proposition.  Le  conseil-Iégis- 
«latif  est  donc  la  réunion  des  man- 
•)  dataires  des  collèges  électoraux. 
»0n  les  appelle  députés  des  dé- 
xpartemens,  parce  qu'ils  sont 
«nommés  par  les  départemens  , 
«dans  l'ordre  de  notre  hiérarchie 
»  constitutionnelle  ;  le  premier  re- 
»  présentant  de  la  nation  est  l'em- 
«  pereur  et  ses  ministres,  organes  de 
lises  décisions;  la  seconde  autorilé 
»  représentante  est  le  sénat ,  la 
«troisième,  le  conseil-d'état,  qui  a 
y)  de  véritables  attributions  législa- 
»  tives;  le  conseil-législatif  a  lequa- 
«trième  rang.  Tout  rentrerait  dans 
»le  désordre  si  d'autres  idées  cons- 
ntitutionnelles  venaient  pervertir 
»  les  têtes  de  nos  constitutions  mo- 
»  narchiques.»  La  sévérité  de  la  ré- 
primande ,  et  la  singularité  de  la 
doctrine,  furent  également  remar- 
quées et  désapprouvées,  et  durent 
jeter  un  doute  peu  favorable  sur 
l'esprit  constitutionnel  qui  sem- 
blait inspirer  alors  Napoléon  pour 
la  régénération  espagnole. 


NAP 

1809. 

Pendant  le  séjour  de  Napoléon 
en  Espagne,  la  victoire  ne  quitte 
point  ses  drapeaux;  mais  après  lui, 
la  guerre  reste  plus  iiyplacable 
que  jamais.  Une  armée  anglaise 
est  entrée  en  Espagne  le  29  octo- 
bre 1808.  Le  14  janvier  1809, 
J'alliance  entre  l'Angleterre  et  les 
peuples  qu'on  appelle  les  insurgés 
4'Espagne,  est  notifiée  à  l'Europe 
par  un  traité.  Les  Amériques  por- 
tugaise et  espagnole  répondent 
au  cri  de  guerre  de  leurs  métro- 
poles, et  comme  elles,  e-lless'tmis- 
sent  contre  l'ennemi  commun.  Les 
déserts  de  la  Guyane  française  sont 
envahis,  et  l'importante  colonicde 
Cayenne  tombeau  pouvoirdes hé- 
ritiers de  Cortès  et  de  Pizare. Ce- 
pendant le  maréchal  Soult  pour- 
suit doublement  ses  succès,  et 
c'est  à  Prieros  (\m'\\  atteint  et  qu'il 
bat  pour  la  première  fois  les  An- 
glais réunis  aux  Espagnols.  A  la 
Corogne,  du  16  au  19  janvier,  ses 
opérations  ont  un  grand  résultat  : 
le  général  en  chei,  M oore, al  tué  ; 
Baird,  général  ensecon<l,  estbles- 
sé  dangereusement  :  tout  ce  qui 
n'est  pas  détruit  du  corps  anglais 
doit  se  rembarquer  précipitam- 
ment. Gironne  capitule,  et  quel- 
ques jours  après  le  Ferrai.  De  vé- 
ritables conquêtes  caractérisent 
cette  campagne  d  u  maréchal  Soult, 
qui  enlève  aux  ennemis  de  Napo- 
léon leurs  places  et  leurs  ports  les 
plus  importans.  Il  marche  en  Por- 
tugal ;  et  après  la  prise  de  Chavas, 
il  livre  une  grande  bataille  sous 
les  muvsd'O porto,  détruit  l'armée 
portugaise,  et  s'empare  de  la  place 
la  plus  riche  et  la  plus  anglaise  de 
ce  royaume  après  Lisbonne.  Les 


NAP 

perles  que   les   Espagnols   et  les 
Portugais  ont  éprouvées   par  les 
armes  du  maréchal  Soult,  dans  les 
mois   de   janvier  et  de   mars,  en 
munitions  et  en  matériel  de  tout 
genre,  sont  incalculables.  Depuis 
le  coïnbal  deTarracone,  le  lô  jan- 
vier, les  succès  du  maréchal  Vic- 
tor avaient  eu  aussi  une  marche 
progressive.  Le  28  mars,  il  avait 
battu  complètement  les  Espagnols 
à  Medelen^  et  il  menaçait  Badajoz; 
le  21  février,  la  prise  de  la  grande 
et  forte  ville  de  Sarragosse.  où  fut 
déployé,  du  côté  des  assiégés,  tout 
ce  que  le  fanatisme^de  l'indépen- 
dance peut  produire  de  plus  éner- 
gique et  de  plus  barbare,  étonne 
au  même  degré  les  vainqueurs  et 
les  vaincus.  Attaquée  par  la  bra- 
voure, défendue  par  le  désespoir, 
cette    cité   supporte   28  jours  de 
tranchée  ouverte,  après  huit  mois 
d'attaque,  et  elle  se  défend  encore 
pendant  20  jours  de  rue  en  rue, 
de  maison  en  maison;  chaque  ha- 
bitation, chaque  monastère,  cha- 
que église,  est  une  citadelle  sacrée, 
qu'aucune  capitulation  ne  peut  li- 
vrer. Tous  les  habitans,  hommes, 
femmes,  enfans,  prêtre>,  moines, 
tout   combat,    tout  périt,  et  les 
vainqueurs  prennent  possession  en 
pleurant  de  cette  vaste  enceinte  de 
ruines  fumantes  et  ensanglantées, 
où  fut  Sarragosse.  Cette  florissan- 
te et  antique  cité  n'est  plus  que  la 
ville  des   morts.   Plus  de  40,000 
habitans  de  tout  sexe,  detoutâge, 
tués  pour  la  défendre,  remplissent 
ses  places,  ses  avenues;  ceux  qui 
survivent  appartiennent  à  l'huma- 
nité du  vainqueur.  Le  plus  brave 
de  tous  les  Français,  le  maréchal 
Lannes,  se  charge  d'acquitter  cet- 
te grande  dette  de  la  victoire. Ceux 


NAP 


5-5 


qui  restent  de  Sarragosse  ne  l'ou- 
blieront jamais,  et  s'ils  ne  furent 
pas  soumis,  ils  furent  reconnais.- 
sans.  Lue  vertu  antique  et  inexo- 
rable se  retrempa  encore  sur  les 
débris  de  Sarragosse. 

Lne  révolution  qui  eût  fait  la 
fortune  d'un  des  siècles  de  l'his  - 
toire  moderne,  sans  le  despotis- 
me de  la  révolution  française  sur 
tous   les    événemens    contempo- 
rains, vint  tout-à-coup  apprendre 
à  l'Europe   l'abdication  du  roi  de 
Suède.  C'était  peu   de  chose  sans 
doute,  après  celle  de  Charles  IV, 
mais  cette  abdication  eut  un  autre 
caractère  :  elle  fut  nationale.   Ce 
jeune  roi,  si  imprudemment  voué 
aux  Anglais,  auxquels  il  ne  cessa 
de  sacrifier  la  modeste  fortune  de 
sa  couronne,   se   rend  odieux  le 
i5  mars,  par  un  acte  de  violence, 
qui  lui  fait  tourner  son  épée  con- 
tre des  conseillers  courageux,  pa- 
triotes et  fidèles.  On  le  désarme, 
et  on  lui  dit  :  «  Votre  épée  vous 
»a  été  donnée  pour  la  patrie,  et 
»  non  contre  elle.  oLe  duc  de  Su- 
dermanie,  oncle  du  roi,  prend  les 
rênes    du    gouvernement,    et    le 
31)  mars,  l'abdication  de  Gustave 
Adolphe  IV,  est  publiée  à  Stock- 
holm. Cet  événement  n'est  grand, 
que  pour  la  Suède;  la  guerre  d'Es- 
pagne, et  la   â°"  coalition  conti- 
nentale, entre  lesquelles  s'est  pas- 
sée la  révolution  de  Suède,  com- 
me une  simple  affaire  domestique, 
remuent  et  absorbent  au  premier 
degré  tous  les  intérêts  et  toutes  les 
hautes  passions  de  l'Europe.  Na- 
poléon est  épris  de  tous  ces  dan- 
gers, qui  le  corrompent,  comme 
s'ils  étaient  des  faveurs  de  la  for- 
tune. 

Profondément  blessée  du  droi- 


St^  nap 

nouveau  que  Napoléon  s'était  ar- 
rogé sur  i'Alleniajine,  depiiis  la 
paix  de  Tilsilt  et  rétablissement 
de  la  conrédération  du  llhin;  ul- 
cérée également  de  n'avoir  pas 
été  appelée,  et  de  n'avoir  pas  mê- 
me été  représentée  aux  conféren- 
ces d'Erfurt;  environnée  de  tous 
les  dangers  que  multipliaient  au- 
tour d'elle,  soit  les  alliances  ar- 
mées, soit  les  occupations  prolon- 
gées, soit  les  incorporations  ré- 
centes do  la  France,  la  maison 
d'Autriche  se  préparait  silencieu- 
senient  à  une  rupture,  depuis  la 
fin  de  l'année  1808.  L'abdication 
forcée  de  Bayonne,  Tusurpation 
de  la  couronne  d'Espagne  par 
la  famille  Bonaparte,  usurpation 
d'autant  plus  sensible  peut-être  à 
la  maison  d'Autriche,  que  le  vœu 
de  plusieurs  juntes  avait  offert  cette 
couronne  à  l'archiduc  (Iharles,  les 
intelligences  actives  pratiquées  a- 
vec  le  cabinet  de  Londres,  h  s 
subsides  qui  en  étaient  le  résiil- 
tat,  la  supériorité  nuuiérique  des 
armées  autrichiennes,  et  enfin  la 
nécessité  pour  Napoléon  de  laisser 
en  Espagne  une  grande  parlie  de 
ses  forces,  ces  causes  matérielles 
elles  précédentes,  décidèrent  l'Au- 
triche à  reprendre  les  armes  cou- 
de la  France,  dans  les  premiers 
jours  d'avril.  Cette  puissance  s'y 
préparait  silencieusement  ,  de- 
puis le  mois  de  juillet  de  l'an- 
née 1808.  L'empereur  François 
fit  une  proclamalion  à  son  ])eu- 
ple  ,  et  l'archiduc  Charles  ,  géné- 
ivdissime,  en  fit  une  à  son  armée; 
elle  était  de  55o,ooo  hommes,  y 
compris  la  landAveiu-.  Napoléon 
n'a  pas  200,000  combaUans  à  leur 
opposer,  soit  en  Allemagne,  soit 
en  Italie,  mais  ce  sont  les  l'rançais 


NAP 

d'Ausferlitz,  d'Iéna  et  de  Fried- 
land.  Sous  les  ordres  de  l'archi- 
d(jc  Charles,  sont  les  archiducs 
Louis,  Jean,  Ferdinand,  Joseph, 
les  généraux  Rienmayer,  Hiller, 
Jean  de  Lichtenslein,  lladdig.  Le 
9  avril  rinn  est  passée,  et  IS  Ba- 
vière est  envahie  pour  la  seconde 
fois,  sans  déclaration  de  guerre, 
par  les  troupes  autrichiennes. 
Rappelé  d'Espagne  à  Paris,  le  4  fé- 
vrier, par  les  préparatifs  de  l'Au- 
triche, Napoléon  avait  demandé 
raison  à  cette  puissance,  qin'  lui 
avait  fièrement  répondu.  Pour  la 
première  fois  elle  était  prèle  avant 
lui ,  et  elle  l'était  sur  tous  les 
points.  Napoléon  part  de  Paris  le 
1 5  avril,  traverse  Strasbourg  le  i5, 
est  le  )  7  à  Donawerlh ,  et  le  an, 
son  armée  manœuvrait  selon  l'an- 
(•icnne  tactique  d'Italie  ,  pour 
couper  la  ligne  d'opérations  autri- 
chiennes; elle  y  réussit  le  19,  prt> 
mier  jour  des  hostilités,  a  Taunn, 
à  4  lieues  de  IValisbonne.  C'est  le 
maréchal  Davoust  qui  est  le  hé- 
ros de  l'ouverture  de  celte  mémo- 
rable campagne,  où  les  troupes  de 
la  confédération  se  mesurent  pour 
la  première  fois  avec  les  troupes 
Je  leur  ancien  empereur.  Les  suc- 
cès brillans  des  Bavarois  et  des 
Wmten'ibergeois,  prouvent  à  la 
maison  d'Autriche,  que  son  joug 
est  brisé,  et  donnent  une  grande 
faveur  morale  à  celui  sous  lequel 
ils  sont  victorieux;  le  succès  de 
Davoust  prépare  à  Napoléon,  la 
victoire  d'Abensberg,  qui  a  lieu  le 
lendemain.  Le  jour  suivant,  21, 
le  coudrai  de  Landshut  continue 
la  fortune  française,  qui  le  22  ga- 
gne la  bataille  d'Eckmuhl ,  dont 
le  nom  doit  illustrer  Davoust.  Le 
25,  Napoléon  se  confiant  à  la  loyau- 


NAP 

té  et  à  la  bravoure  des  confédérés 
de  la  Bavière  et  de  \NiirtfciTiberg:, 
est  venu  à  la  tête  d'une  faible  es- 
corte des  dragons  de  sa  garde,  li- 
vrer à  l'archiduc  Charles  la  gran- 
de bataille  qui  Hii  ouvre  les  portes 
de  Ratisbonne,  et  la  route  de  Vien- 
ne. Cette  glorieuse  journée,  dont 
tout  l'honneur  appartient  à  la 
valeur  des  alliés,  et  au  caractère 
de  Napoléon,  rend  la  Bavière  à  son 
prince,  et  répand  uue  juste  popu- 
larité dans  toutes  les  troupes  de 
la  confédération,  sur  le  domina- 
teur qui  a  vaincu  par  leurs  armes 
l'ancien  chef  de  l'empire  germa- 
nique. Le  25,  l'armée  française  a 
passé  rinn,  et  trois  jours  après, 
par  le  passage  de  la  Saltza  à  Burg- 
îiausen,  elle  s'est  emparée  de  la 
rive  droite  du  Danube,  en  rejetant 
l'ennemi  dans  les  défilés  de  la  Bo- 
hème. Le  4  mai,  le  sanglant  com- 
bat d'Ebersberg,  où  l'intrépidité 
française  rappela  ces  combats  de 
géans  de  la  république,  enlève  aux 
Autrichiens  une  forte  position,  et 
le  10  mai,  jour  de  l'évacuation  du 
Portugal  par  le  maréchal  Soult, 
Kapoléon  est  aiix  portes  de  Vien- 
ne. Un  bombardement  de  trente- 
six  heure?,  lui  donne  celte  capi- 
tale, où  son  armée  entre  le  i5. 
L'armée  d'Italie  rivalisait  de  gloire 
et  de  succès  avec  l'armée  d'Alle- 
magne. Le  prince  Eugène  qui  la 
commande,  avait  battu  l'archiduc 
.leau,  le  29  avril,  au  combat  de 
Caldiero,  et  le  S  mai,  il  avait  pas- 
sé la  Piave,  après  avoir  défait  en- 
tièrement le  corps  d'armée  de  ce 
prince.  Dans  toute  cette  campa- 
gne, un  seul  a  vant.ige.  devenu  bien- 
tôt inutile  par  la  déclaration  de 
guerre  de  la  Russie  à  la  cour  de 
Vienne,  le  3  uiai,  et  par  Tinvasion 


NAP  5:7 

de  la  Gallicie,  avait  honoré  le  dr;  - 
peau  autrichien  :  c'était  la  capi- 
tulation de  Warsovie.  L'armée  po- 
lonaise avait  dû  se  retirer  au-d«là 
de  la  Vistule;  mais  la  politique  a- 
vait  servi  Napoléon  aussi  bien  que 
ses  armes.  Le  duc  de  Vicence  était 
parvenu  à  décider  la  Russie  à  dé- 
clarer la  guerre  à  l'Autriche,  et 
même  à  la  faire  combattre  pour 
délivrer  la  capitale  de  la  Pologne. 
ArVarsovie,  où  les  Autrichiens  é- 
taient  entrés  le  21  avril.  On  vit, 
chose  inouïe  que  l'époque  seule 
peut  expliquer,  40,000  Russes  sous 
le  prince  Gallitzin,  agir  de  con- 
cert avec  une  armée  polonaise, 
poui'  conquérir  la  Gallicie!  Alors 
Napoléon  par  un  art  magique  avait 
changé  toutes  les  volontés  et  mé- 
tamorphosé tous  les  intérêts. 

Le  séjour  de  Napoléon  à  Vien- 
ne est  marqué  le  ij  mai,  par  un 
grand  acte  de  suprématie  euro- 
péenne que  lui  permet  l'abaisse-, 
ment  de  la  maison  d'Asitriche. 
C'est  de  celte  capitale,  qui  vit  par- 
tir en  pénitent  l'empereur  Henri, 
pour  aller  baiser  les  pieds  du  pon- 
tife de  Rome,  qu'est  daté  le  dé- 
cret qui  réunit  à  l'empire  i'rançais 
les  Étals  Romains.  Cet  événement 
si  extraordinaire  ne  fait  pas  plus 
d'effet  en  Europe,  que  le  détrône- 
ment  de  Gustave IV  et  de  sa  pos- 
térité par  les  états  de  Suède,  le 
10  mai,  tant  les  temps  sont  chan- 
gés! Il  en  est  de  même  de  l'excom- 
munication jadis  si  redoutable, 
que  le  pape  Pie  VII  lança  contre 
Napoléon,  sous  l'anneau  du  pé- 
cheur, trois  semaines  après.  Ro- 
me elle-même  y  est  indiff'érente, 
parce  qu'elle  ne  voit  dans  cette  ful- 
mination,  que  la  représaille  d'une 
vengeance  temporelle. 


ZrS 


>?AV 


Le  22  mai,  le  village  d'Esling 
donne  son  nom  au  maréchal  Mas- 
séna,  et  à  une  bataille  sanglante 
qui  tait  chanter  le  Te  Deum  aux 
deux  armées.  Legénéral  Bertrand 
avait  fait  des  miracles  de  concep- 
tion et  d'atidace  en  élevant  trois 
ponts  sur  le  Danube  ;  mais  ils  tu- 
rent subitement  détruits  par  une 
crue  exlraordinfiire  du  fleuve.  Cet 
événement,  qui  fait  dire  à  Napo- 
léon, que  le  général  Danube  est  le 
meilleur  officier  de  l' Autriche,  en- 
leva tout-a-coup  aux  Français,  la 
communication  des  deux  rives  et 
les  résultats  de  la  journée.  Cette 
terrible  affaire,  illustrée  par  Mas- 
séna,  duc  de  Rivoli,  est  tristement 
célèbre  pour  Napoléon  et  pour 
l'armée,  par  la  perte  du  maréchal 
Lannes,  duc  de  iMontebello,  le 
plus  courageux  ami  de  la  gloire 
de  Napoléon  et  de  celle  de  la 
France.  Ses  adieux  à  l'empereur 
furent  aussi  ceux  d'un  grand  ci- 
toyen. Dans  cette  journée.  Napo- 
léon s'exposa  avec  la  témérité  d'un 
soldat,  et  au  fort  de  l'action  le  gé- 
néral W'alther,  commandant  les 
grenadiers  à  cheval  de  la  garde, 
lui  cria  :  «  Retirez-vous,  sire,  ou  je 
S)  vous  fais  enlever  par  mes  grena- 
»  diers.  >•> 

Cependant,  Trieste,  Inspruck, 
Laybach.  Leoben,  sont  au  pouvoir 
des  armées  françaises,  qui  occu- 
pent le  pays  de  ^altzbourg,  le  Vo- 
ralberg,  le  ïyrol ,  la  Carinlhie, 
la  Carniole,  le  Frioul  et  l'Istrie  : 
l'armée  de  Dalmatie  sous  les  or- 
dres du  maréchal  Marmont,  est 
arrivée  à  Fiume:  et  le  26  mai,  les 
armées  françaises,  d'Allemagne  et 
d'Italie,  opèrent  leur  jonction  à 
Bruch  en  Styrie,  à  trente  lieues 
de  Vienne.  Le  1*'  juin,  l'archiduc 


NAP 

Ferdinand  évacue  Warsovie;  le  i4« 
la   bataille  de   Raab  en    Hongrie, 
gagnée  par  le  prince  Eugène,  re- 
jette   l'archiduc   .Jean   de   l'autre 
côté  du  Danube,  etassureles  com- 
munications   de   l'armé^   d'Italie 
avec  la   grande-armée;  le  22,  la 
place  de  llaab  capitule;  le  5  juil- 
let, la   bataille  d'Enzersdorf  met 
fin   à  l'observation   dans  laquelle 
sont  restées  les  deux  armées,  sé- 
parées par  le   Danube  depuis  la 
journée  d'Esling.  Les  Français  é- 
tablis  dans  l'île  de  Inder-Lobau, 
passent  le   bras  septentrional   du 
fleuve  et  préludent  par  cette  ba- 
taille à  la  bataille  décisive  de  Wa- 
gram.    quia    lieu  le   lendemain. 
Napoléon    la     gagne    complette- 
ment  par  l'audace  et  l'habileté  de 
ses   manœuvres,    de    ces   mêmes 
manoeuvres  avec  lesquelles  le  con- 
quérant de  l'Italie  avait  quinze  ans 
auparavant  détruit   cinq   armées 
autrichiennes  :  c'est   encore  l'ar- 
chiduc Charles  qui  fuit  diîvant  le 
général   Bonaparte.  Les    Français 
et  les  Autrichiens  semble tJt  dans 
toutes  les  guerres  de  notre  épo- 
que, avoir  contracté  des  habitudes 
de  bataille,  ceux-ci  par  des  atta- 
ques de  flanc,  ceux-là  par  des  at- 
taques sur  le  centre.  Cette  tradi- 
tion f\it  encore   mortelle  à   \Va- 
gram  pour  la  maison  d'Autriche, 
qui  pour  la   3'"''  fois   demanda  la 
paix  au  vaitjqueur  d'Arcole,  quoi- 
qu'elle eût  encore  une  armée,  et  ce 
fut  l'existence  de  cette  armée  ain- 
si que  la  menace  des  expéditions 
anglaises  qui  décida   Napoléon  à 
faire  la  paix.  La  journée  de  Wa- 
gram  fut  illustre  pour  les  généraux 
Oudinot,  Marmont  et  IMacdonald; 
ils  y  reçurent  le  bâton  de  maré- 
chal.   François    II    va    invoquer 


NAP 

encore   la   générosité    du   triom- 
phateur de  Wagram.   Sa  deman- 
de sera   accueillie  comme   après 
Austerlitz  ,     comme    à    Leobcn. 
La  fierté   de  la  cour  de  Vienne, 
forcée  le  la  juillet  à  l'armistice 
de  Znaïm,  devra  marchander  son 
existence,  et  elle  l'obtiendra  par  la 
paix  du  4  octobre,   au  prix  de  sa 
rupture  totale  avec  l'Angleterre, 
de  la  perte,  au  profit  de  la  France, 
de  tous  les  pays  situés  à  la  droite 
de  la  Save,  des  villes  de  Gorilz, 
Montefalcone,  Trieste,  W'illach, 
et  de  la  réunion  proclamée  le  mê- 
me jour  par  le  décret  de  Schœn- 
brunn    de    tous    les    pays    cédés 
ainsi  que  de  la  Dalmatie.  sous  la 
dénomination   de  provinces  Illy- 
riennes.  Enfin  cette  paix  honteuse 
sera  achetée  aussi  par  la  reconnais- 
sance de  tous  les  changemens  que 
la  volonté  de   Napoléon  a  opérés 
ou  se  réserve  d'opérer  à  l'avenir, 
dans  les  gouvernemens  des  deux 
péninsules  espagnole  et  italienne. 
La  cour  de  Vienne  passe   facile- 
ment de  l'état  de  l'itggression   à 
celui  de  la  défaite,  et  doit  encore 
appeler  un  bienfait  l'excès  de  son 
humiliation.     Llle   souscrit    avec 
joie  au  traité  qui  la  rend  la  feuda- 
taire  de  la  politique  anti-britanni- 
que  et    autocrate   de    Napoléon. 
Plus  tard  elle  va  aller  au-devant 
d'un  autre  contrat,  qui  semblera 
être  un  des  articles  secrets  du  trai- 
té de   Wagrara,  et  qui  sera  loin 
d'être  un  jour  une  garantie  pour 
Napoléon  contre  le  traité  de  Fon- 
tainebleau.   Cependant  au   palais 
impérial  de  Schœnbrunn,  quartier- 
général  de  Napoléon,  le  i5  août, 
jour  de  sa  fête,  il  institue  pour  les 
mutilés  des  champs  de  bataille, 
l'ordre  des  trois-toisons  que  l'on 


NAP  5;9 

nomme   plaisamment  l'ordre  du 
sépulcre,  en  raison  des  conditions 
exigées  pour  en  faire  partie,  soit 
par  le  nombre  des  batailles,  soit 
par  celui  des  blessures.  La  créa- 
tion de  cette  nouvelle  noblesse  de 
la  mort,  semble  appartenir  à  l'hé- 
roïsme barbare  des  rois  Scandi- 
naves. Aussi  disparut -elle  comme 
étrangère  au  siècle,  ainsi  que  h* 
décrets  qui  déclaraient  que  la  mai- 
son de  Habsbourg,    que  celle  de 
Prusse,  que  celle  de  Bourbon  a- 
vaient  cessé  de  régner,  ainsi  que 
les  anathêmes  mortels  lancés  con- 
tre   l'Angleterre,     la    Russie,    le 
Portugal  et  l'indépendance  espa- 
gnole. Le  but  véritable  de  l'institu- 
tion de  l'ordre  des   Irois-toisons, 
était  la  destruction  de  celui  de  la 
toison-d'or,  dont  une  partie  était 
à  la  couronne  d'Espagne,  une  au- 
tre à  celle  des  Pays-Bas,  et  la  troi- 
sième à  celle  d'Autriche;   Napo- 
léon, qui  avait  les  Pays-Bas,  et  qui  • 
tenait  l'Espagne,  voulait  humilier 
l'Autriche  vaincue,  en  créant  l'or- 
dre  des   trois-toisons,  la  France, 
l'Espagne  et   les    Pays-Bas  autri- 
chiens. A  chaque  p.is  oti  retrouve 
dans  cette  période  la   pensée  gi- 
gantesque de  la  souveraineté  eu- 
ropéenne. 

Le  soir  de  l'armistice  de  Znaïm, 
une  contribution  d'environ  200 
millions  de  France,  est  frappée 
par  le  vain<fuem'  sur  les  états  con- 
quis. Le  i4  juillet,  par  les  mou- 
Tcmens  de  l'armée  russe,  qui  est 
entrée  en  Gallicie  le  5  mai,  les 
Autrichiens  rendent  Cracovie  aux 
troupes  polonaises.  Le  même  jour 
les  Anglais,  à  qui  s'est  rendue  In 
ville  de  Santo- Domingo,  s'empa- 
rent de  tous  les  établissemens 
français   au  Sénégal.  Le  mois  de 


38o 


NAP 


iiiillet,  qui  voit  capitulerl'alliéttde 
la  Grande-Bretagne  sur  les  bords 
du  Danube,  est  partout  favorable 
à  ses  armes.  Le  -28,  le  roi  Joseph 
perd  contre  Wellington,  la  bataille 
de  Talaveyra.  Le  lendemain  l'Es- 
caut est  forcé  par  une  armée  an- 
^daise,  qui  s'empare  de  Middel- 
hourg,  de  Tervi^r,  du  fort  de  Batz, 
et  marche  sur  Flessingue.  Quinze 
jours  après  celte  place  forte  et  im- 
portante, mal  défendue,  ouvre  ses 
portes  aux  Anglais  :  Anvers  est 
menacée. 

Ici  trouve  sa  place,  l'anecdote  si 
connue,  qui  exila  le  maréchal  Ber- 
nadette du  champ  de  bataille  de 
Wagram.  Bernadotte  avait  publie 
un  ordre  du  jour,dans  lequel  il  van- 
tait les  Saxons  qui  servaient  sous 
ses  ordres;  cependant  les  Saxons 
s'étaient  si  mal  conduits  la  veille, 
qu'il  avait  cru  devoir  écrire  lui- 
même  i  l'empereur,  et  aussi  lui 
faire  dire  pendant  l'action,  qu'il 
ne  pouvait  rien  faire  avec  les 
Saxons,  et  que  S.  M.  ne  devait 
pas  compter  sur  lui.  Son  ordre  du 
jour,  où  il  tranchait  étrangement 
du  maître,  piqua  l'empereur  jus- 
qu'au vif,  et  amena  une  explica- 
tion, où  Bernadotte  osa  lui  dire, 
que  l'armée  française  n'était  plus 
celle  de  1795.  «  Mon  armée,  lui 
»  répondit  ÎSapoléon,  est  toujours 
nia  même,  il  n'y  a  de  changé  que 
•^  quelques  hommes  que  je  ne  recon- 
nnais  plus;  »el  Bernadotte  partit 
pour  Paris.  Mais  l'invasion  de 
l'armée  anglaise,  qui  menaça  tout- 
à-coup  la  Hollande  et  la  Belgi- 
que, fixa  à  Paris  toute  l'attention 
du  conseil  des  minisires.  Fouché 
y  réunissait  deux  portefeuilles,  ce- 
lui de  l'intérieur  et  celui  de  la  po- 


NAP 

lice.  Anciennement  lié  avec  Ber- 
nadotte, et  peut-être  dans  le  désir 
de  le  venger  de  la  sévérité  de  Na- 
poléon, ce  ministre  le  proposa  au 
conseil  pour  aller  défendre   An- 
vers, et  sou  choix  fut  approuvé 
avec  d'autant  plus  de  raison,  que 
toutes  les  grandes  notabilités  mi- 
litaires étaient  aux  armées  d'Alle- 
magne et   d'Espagne,   et  que  ce 
commandement    supérieur    dans 
d'aussi  graves   circonstances,   ne 
poljvait  être   confié  qu'à   un   des 
premiers  généraux  de  l'empire.  Il 
ne   retira  aucune  gloire  de  celte 
mission,  malgré  le  succès  éclatant 
qu'elle  parut  avoir  :  ce  furent   la 
lenteur  des   Anglais,    la   rapidité 
des  secours  envoyés    de  France, 
l'activité  du  ministère,  et   la  fiè- 
vre, qui  en   uiéritent  tout  l'hon- 
neur. En  moins  de  soixante  jours, 
lord  Chatam  et  son  armée  avaient 
évacué  le  pays,  ej:  la  flotte  anglai- 
se ayant  abandonné  aussi  ses  sta- 
tions,  était  de  retour  en   Angle- 
terre.  Ce  grand  échec  qu'éprou- 
vent l'orgueil  et  la  puissance  de 
l'Angleterre,  ajoute  à   la   fortune 
de  Napoléon  un  éclat  européen  ; 
car  cette  puiss  ince   a    armé   700 
voiles  dont  100  vaisseaux  de  guer- 
re, sa  flotte  portait  80,000  hom- 
mes pour  combattre   sur  terre  et 
sur  mer,  et  elle  ne  retira  de  celle 
ruineuse     et   formidable   expédi- 
tion que   la  honte  d'avoir  démoli 
les  arsenaux   et   les  chantiers   de 
Flessingue  qu'elle  a  dû  évacuer, 
et  celle  de  n'avoir  produit  aucune 
diversion,  ni  en  faveur  de  l'Autri- 
che, ni  en    faveur  de   l'Espagne. 
Mécontent  du  choix  du  maréchal 
Bernadotte,  l'empereur  envoya  le 
maréchal  Bessières  pour  le  rem- 


NAP 

placer,  et  retira  à  Fouché  le  mi- 
nistère de  l'intérieur.  On  voulut 
attribuer  dans  le  temps  celte  con- 
liuite  de  Napoléon,  à  Tinquiétude 
({uc  pourraient  lui  faire  concevoir, 
soit  rintelligeuce  qui  unissait  le 
prince  de  Ponte -Corvo  avec  le 
duc  d'Otranlc,  soit  l'emploi  que 
ce  ministre  avait  pu  faire  de  ses 
deux  ministères  pour  faire  subi- 
tement lever,  organiser,  armer  et 
marcher  les  gardes  nationales  de 
la  Flandre,  de  la  Hollande  et  de 
la  Belgique.  Ce  pouvoir  d'impro- 
viser une  armée  nationale  sous 
les  ordres  d'un  rival  ancien  et 
ïiiéconlent,  devait  naturellement 
porter  ombrage  au  chef  de  l'état; 
d'ailleurs  l'avenir  ne  le  justiliera 
que  trop  en  i8i4<it  en  i8i5,  de 
cette  sévérité  envers  celui  qui  sera 
prince  royal  de  Suède,  envers  le 
généralissime  de  larmée  du  nord 
rontre  la  France,  envers  le  séna- 
teur chargé  de  lu  mission  de  Na- 
ples,  et  surtout  envers  le  ministre 
des  cent  jours. 

Pendant  que  les  prodiges  de  l'art 
militaire  s'opèrent  en  Autriche, 
lUie  scène  singulière  occupe  l'Ita- 
lie. Le  décret  de  Vienne,  du  17 
mai,  a  réuni  les  états  romains  à 
l'empire  français ,  et  assigné  au 
pape  deux  millions  de  revenu,  avec 
la  faculté  de  continuer  de  résider 
à  Piome.  Le  jo  juin,  ce  décret  a 
été  promulgué  dans  la  capitale  du 
mfmde  chrétien  ;  le  lendemain , 
le  pape  a  répondu  à  ce  décret 
temporel  par  une  bulle  d'excom- 
munication contre  Napoléon  et 
les  coopérateurs  de  la  spoliation 
du  saint-siége.  Le  6  juillet,  le  roi 
de  Naples  prend  sur  lui  de  termi- 
ner cette  guerre  des  deux  pouvoirs 


^AP 


58i 


par  l'enlèvement  du  souverain- 
pontife  ,  qui  gagne  à  celte  impo- 
litique et  odieuse  violation  L«  cou- 
ronne du  martyre.  La  tiare  pri- 
sonnière n'en  est  que  plus  sacrée  : 
persécutée,  elle  devient  menaçan- 
te. Le  bruit  de  la  gloire  et  de  lu 
puissance  de  Napoléon  étouffe  la 
plainte  du  captif  de  Savone  ;  mais 
le  veillard  qui  refuse  constamment 
dans  cette  ville  les  honneurs,  le 
faste  et  la  table  du  palais  impé- 
rial, attire  les  regards  par  sa  rési- 
gnation courageuse  et  sa  vie  mo- 
nacale. Une  autre  particularité 
caractérise  cette  époque.  Au  mi- 
lieu des  plus  brillans  triomphes  de 
tous  les  arts  de  la  civilisation  et  de 
l'ascendant  irrésistible  qu'exercent 
sur  les  esprits  l'empire  de  la  for- 
tune et  celui  du  génie  d'un  grand 
homme,  la  foi  est  rendue  aux  mi- 
racles et  l'oratoire  de  Savone  à  sa 
puissance.  Une  propagande  secrè- 
te et  active  a  filtré  au  travers  des 
pompes  et  des  trophées  du  grand 
empire;  elle  trouve  asile  dans  un& 
de  ses  métropoles  ;\  Lyon ,  où  la 
trahison  introduit  la  vengeance  du 
sainl-siége.  La  scène  du  moyen  âge 
est  complète  :  il  y  a  violence,  ex- 
conimunication,  captivité,  mira- 
cles, trahison.  Le  jour  même  où  le 
pape  était  enlevé  du  palais  Quiri- 
nal.  Napoléon  tenait  le  foudre  de 
Wagram,  et  il  n'apprit  que  quel- 
ques jotu's  après  cet  exploit  obscur 
de  son  beau-frère,  que  sa  politique 
ne  lui  permit  pas  de  désavouer  pu- 
bliquement. 

Cependant  l'année  française 
poursuit  ses  succès  en  Espagne. 
Le  8  août ,  trois  armées  sous  le» 
maréchaux  duc  de  Dalmalie,  de 
Trévise.  et  d'Elchingen,  »e  rû,u- 


oS-i 


NAP 


uirent   pour   passer  le  Tage,   au 
coup  de  la  diane  de  midi,  au-des- 
sus  du  ponl   de   l'Arzobisbo.    La 
manœuvre  la  plus  audacieuse  exé- 
cutée avec   une  heureuse    valeur 
2)ar  le   général  de  cavalerie  Cau- 
laincourt,  à  la  tête  de  deux  régi- 
niens  de  dragons,  avec  lesquels 
il   passe  le  Tage  à  la  nage  sous  la 
ïijitraille  et  les  boulets  de  l'enne- 
mi, livre  aux  Français  le  pont  de 
l'Arzobisbo,    défendu  par  20,000 
Espagnols.  Le  choc  avait  été  lerri- 
ble.  Les  carabiniers  et  la  cavalerie 
espagnole  sous  les  ordres  du  duc 
d'Albuquerque  ac(  oururent  vaine- 
ment au  secours  de  son  inlanlerie; 
ils  durent  céder  à  l'habileté  et  au 
bouillant  courage  du  général  Cau- 
laincourt ,    qui,  trfùs  années  plus 
tard,  devait  trouver  une  mort  glo- 
rieuse dans  une  action  aussi  meur- 
trière   et  non    moins   importante 
pour  les  armes  t'ranpaises.  Le  19 
novembre ,   le   maréchal  Mortier 
détruit  à  Ocaria,   près  Aranjuez, 
avec  25,000  Français,  une  armée 
de  5o,ooo  Espagnols.  L'Andalou- 
■sie   est  envahie  par  l'occupation 
de   la    Sierra- Morena.   Le    25,    à 
Alba  de  Tormes,  le  général  Kel- 
lermanu,  à  présent  duc  de  Valmi, 
remporte  une   victoire  complète 
sur   un  corps  nombï'eux  d'insur- 
gés; le  10  décembre,  après  cinq 
mois    de    siège,    la    forte    place 
de   Gironne ,    où  on  trouve   200 
pièces  de  canon,  se  rend  au  ma- 
réchal   Angereau. 

Mil  huit  cent  neuf  est  une 
autre  année  de  prodiges  pour  la 
France  et  pour  Napoléon;  le  20 
novembre,  après  trois  ans  d'ab- 
sence, le  roi  de  Prusse  vient  re- 
prendre à  Berlin  ce  faible  trône 
que  le  traité  deTilsitt  lui  a  laissé. 


NAP 

II  rentre  dans  sa  capitale  comjne 
un  vassal  ""amnistié.  Vienne  et 
Berlin,  encore  frappées  de  stu- 
j»eur,  Londres  humiliée,  Paris  dans 
l'ivresse  des  fêles  de  la  victoire 
et  de  la  paix,  présentent  un  con- 
traste que  l'histoire  s'empresse  de 
saisir,  tant  l'inconstance  de  la 
f(n't«me  lui  est  connue.  Les  rois 
de  l'Allemagne  et  de  l'Italie,  les 
grands  vassaux  de  Napoléon ,  «<: 
sont  rendus  cjans  la  capitale.  Les 
souverains  de  la  Saxe,  de*la  Ba- 
vière, du  Wurtemberg,  de  la  West- 
phalie,  de  la  Hollande,  de  Naples, 
y  ont  été  appelés  pour  y  paraître 
comme  les  trophées  de  la  paix, 
qui  vient  de  donner  à  Napoléon 
la  domination  de  l'Europe,  depuis 
les  frontières  de  la  Russie  et  de  la 
Turquie  jusqu'à  la  Méditerranée. 
Ces  rois  sont  destinés  aussi  à  être 
les  témoins  d'un  grand  acte  po- 
litiqutf,  que  leur  adulation  ou  leur 
intérêt  va  sanctionner.  Le  sénat 
vient  de  prononcer  la  dissolution 
du  mariage  si  heureux  de  Joséphi- 
ne et  de  Bonaparte;  mais  Napoléon 
veut  un  dis  qu'il  puisse  élever  à 
conserver  l'itumense  héritage  de 
ses  armes,  et  deux  princesses  im- 
périales balaiicent  son  choix  ! 
Ainsi  le  veut  l'intérêt  de  sa  dynas- 
tie, création  nouvelle,  maistoule- 
puissante,  puisqu'elle  réside  en 
lui  seul.  La  France ,  qui  aime 
Joséphine,  et  pour  qui  Napoléon 
n'a  pas  eu  besoin  d'aïeux,  tout  en 
approuvant  une  union  de  laquel- 
le vont  dépendre  la  continuation 
et  la  garantie  de  sa  fortune,  s'aflli- 
ge  un  moment  au  bruit  de  cette 
mésalliance,  qui  va  briser  son 
lien  de  famille  avec  son  héros  et 
son    empereur. 


NAP 


1810. 


NAP 


383 


Rome  venait  d'êlre  le  théâtre 
«riinescènedu  moyen  âge,  Paris  est 
celui  d'une  représentation  de  l'em- 
pire romain.  Parmi  les  courtisans 
•le  Napoléon  ,  la  capitale  du  grand 
peuple  compte  six  monarques  es- 
cortés des  plus  grands  seigneurs 
de  leurs  états.  Elle  distingue  à 
peine  une  troupe  de  petits  souve- 
rains d'Allemagne,  qui,  fiers  de 
faire  partie  de  la  confédération 
rhénane,  viennent  attester  le  vas- 
selage  de  l'orgueil  germanique. 
L'Europe  tout  entière  est  repré- 
sentée parles  plus  brillantes  am- 
bassades, sauf  l'Angleterre,  dont 
l'absence  balaaice  à  elle  seule  tout 
l'éclat  qui  environne  le  trôae  im- 
périal de  France.  Celte  lacune 
immense,  qui  laisse  à  découvert 
une  partie  de  sa  puissance,  n'é- 
chappe point  à  Napoléon  ;  il  ne 
négligera  aucun  moyen  de  la  rem- 
plir par  tout  le  poids  de  son  sys- 
tème continental. 

Dans  la  foule  des  princes  con- 
voqués aux  fêtes  de  la  Paix,  de  la 
Victoire  et  de  l'Hymen,  >e  cache 
le  vainqueur  de  Kaab,  le  fils  adop- 
tif  du  maître  du  monde.  Il  cher- 
che à  se  dérober  aux  grandeurs  , 
aux  hommages  dont  il  est  l'objet; 
et,  chnrgé  d'une  mission  déchiran- 
te pour  son  cœur,  mais  non  pour 
sa  gloire,  il  est  forcé  d'êlre,  après 
Napoléon  ,  le  personnage  sur  le- 
quel doivent  s'attacher  tous  les 
regards.  Vice-roi  de  celte  belle 
Italie,  que  sa  valeur  vient  d'arra- 
cher à  l'invasion  autrichienne  ,  et 
dont  la  couronne  lui  esi  assurée 
si  Napoléon  meurt  sans  postérité; 
fils  de  l'impératrice  Joséphine , 
le- prince  Eugène  est  chargé  de  lu 


disposer  à  briser  le  nœud  nuplial 
auquel  tant  de  gloire  a  été  donnée, 
et  de  contribuer  à  se  dépouiller 
lui-même  du  bel  héritage  que  lui 
assure  la  continuation  du  bonheur 
de  sa  mère.  Napoléon  avait  bien 
choisi  son  inlerprèle  :  jamais  l'hé- 
roïsme de  la  reconnaissance  ne  fut 
porté  plus  haut  ,  ni  contraint  à 
une  plus  filiale  épreuve.  Le  dé- 
vouement dut  triompher  de  la  na- 
ture elle-même,  et  en  perdant 
deux  couronnes,  Joséphine  et  Eu- 
gène donnèrent  au  monde  l'exem- 
ple du  plus  noble  sacrifice.  Cepen- 
dant Joséphine  avait  paru  crain- 
dre cette  révolution  dans  sa  desti- 
tinée ,  lorsqu'étant  devenue  impé- 
ratrice, inquiète  du  simple  contrat 
civil  qui  l'avait  unie  au  général 
Bonaparte  en  mars  «796,  elle  fit 
consentir  l'empereur  à  recevoir 
secrètement,  avec  elle,  la  bénédic- 
tion nuptiale  de  la  main  du  cardi- 
nal Ftsch.Ce  fut  aussi  parce  qu'elle 
était  constamment  obsédée  de  la 
crainte  d'un  divorce,  qu'elle  tra- 
vailla et  parvint  enfin  à  obtenir  de 
Napoléon  d'être  couronnée  au  sa- 
cre du  pape  :  ce  dont  l'empereur 
n'avait  nulle  envie.  Il  fallut  donc 
soumettre  à  l'officialité  de  Paris  la 
validité  de  ce  mariage  religieux, 
pour  en  obtenir  la  rupture,  Le  i4 
janvier  1810  il  fut  déclaré  nul  par 
la  disposition  du  concile  de  Trente: 
«  Que  tout  mariage  est  nul,  du 
moment  quil  n'est  point  fait  en 
présence  du  curé  de  l' une  des  deux 
parties  contractantes  ,  ou  de  son 
vicaire  ,  assisté  de  deux  témoins.  » 
Et  remperenr  fut  condamné,  par 
l'olficialité,  à  une  amende  de  6 
francs  envers  les  pauvres.  Il  en 
fut  si  irrité,  que  l'oflicialité  mé- 
tropolitaine le  releva  de  la  coji- 


584 


NAP 


damnation.  Les  pauvres  ri'y  per- 
dirent point  ;  l'église  avait  l'ait  ou 
avait  cru  faire  son  devoir  en  pro- 
nonçant cette  nullité,  et  Napoléon 
se  trouva  canoriiquement  libre  de 
contracter  un  nouveau  mariage. 

On  parla,   mais   peu  sérieuse- 
ment d'abord,  d'une  princesse  de 
Saxe.   La  dignité  d'empereur  de- 
mandait  un  lien    plus   élevé.   Le 
choix  de  Napoléon  fut  donc  par- 
tagé entre  deux  princesses  impé- 
riales ,    une   graude-duchesse  de 
Russie  et  une  archiduchesse  d'Au- 
triche. L'empereur  se  décide  pour 
la  grande- duchesse  ;   l'ambassa- 
deur fut  chargé  de  la  demander  , 
et  la  demande  fut  accueillie.  Mais 
l'empereur  Alexandre  demandait 
quelques  mois  de  délai  ,  à  cause 
de  la  grande  jeunesse  de  la  prin- 
cesse, et  aussi  pour  avoir  le  temps 
de   faire  consentir  à  ce  iriariage 
l'impératrice-mère.    La  religion  , 
au  changement  de  laquelle  on  ne 
consentait  pas,  étaitdéjà  un  grand 
obstacle.  Les  choses  en  étaient  là, 
quand,  inquiète  et  jalouse  de  ce 
projet,  qu'elle  soupçonna,  la  mai- 
son d'Autriche  ofl'rit  sa  fdle.,  son 
enfant  chérie;  telle   fut  l'expres- 
sion. Les  retards  de  la  Russie  ,  les 
diflicullés  pour   la  religion  ,  que 
TSapoléon   aurait   pu  aplanir,  en 
admettant  dans  son  intérieur  la  li- 
berté des  cultes,  lui  firent  saisir 
avec  empressement  l'offre   de  la 
cour  de  Vienne.  C'est   un   grand 
tort  dans  les   grandes  affaires,  de 
ne  pas  admettre  le  temps  dans  ses 
moyens.   Napoléon    fut   toujours 
pressé   de  vivre  et  pressé  de  jouir 
de  ce  qu'il  désirait.  Dans   la  mê- 
me journée,  un    conseil   fut   as- 
semblé ;   on  y   lut  les    dépêches 
du  duc  de  Vicence.  Les  avis  furent 


NAP 

partagés  ;  mais  Napoléon  se  décida 
pour  l'Autriche.  Le  soir  même 
l'arrangement  fut  conclu  par  le 
prince  Eugène  avec  le  prince  de 
Schwarzenberg.  Le  fils  adoptifde 
Napoléon  fut  encore  condamné  à 
signer  l'acte  politique  qdi  déshé- 
rita sa  mère;  et  le  prince  de  Wa- 
gram  partit  pour  Vienne.  Ainsi 
Marie-Louise  fut  offerte  par  son 
père ,  et  acceptée  par  la  Fran- 
ce, et  le  prince  de  ÂN'agram,  qui 
devait  ce  titre  à  la  dernière  hu- 
miliation de  la  cour  de  Vien- 
ne ,  demanda  la  main  de  l'ar- 
chiduchesse. Il  l'épousa  solen- 
nellement au  nom  de  l'empereur 
Napoléon,  à  Vienne,  le  1 1  mars.  Le 
i3  ,  la  nouvelle  impératrice  partit 
pour  la  France  ;  la  cour  se  rendit  le 
'20  à  Compiègne,  où  tout  fut  pré- 
paré pour  la  réception  de  la  prin- 
cesse. Le  28  ,  jour  de  son  arrivée. 
Napoléon  alla  au-devant  d'elle 
dans  la  forêt,  monta  dans  sa  voi- 
ture et  revint  au  palais  de  Com- 
piègne avec  sa  nouvelle  épouse. 
Le  3o ,  toute  la  cour  fut  réu- 
nie à  Saint-Cloud,  où  le  maria- 
ge civil  fut  contracté  le  1"  a- 
vril.  Le  lendemain,  l'empereur  et 
l'impératrice  firent  leur  entrée 
solennelle  dans  Paris.  Ils  reçu- 
rent la  bénédiction  nuptiale  du 
grand -aumônier  de  France  ,  le 
cardinal  Fesch  ,  dans  une  salle 
de  la  galerie  du  Louvre  ,  qui 
avait  été  disposée  en  chapelle  , 
avec  des  tribunes  pour  les  rois  , 
les  autres  souverains  et  le  corps 
diplomatique.  Les  rois,  reines  et 
princesses  de  la  famille  impériale 
assistèrent  l'empereur  et  l'impé- 
ratrice à  cette  majestueuse  et  bril- 
lante cérémonie,  qui  eut  pour  té- 
moins les  membres  du  sacré-col- 


KAP 

loge ,  excepté  quelques  cardinaux, 
qui  s'abstinrenl  de  paraître,  et  qui 
furent  éloignés;  tous  les  corf^s  de 
l'état,  toutes  les  dignités  civiles 
et  militaires,  et  enCn  tout  ce  que 
la  cour  de  France  et  les  cours  é- 
trangèrcs  pouvaient  ,  indépen- 
dainment  de  la  capitale,  offrir  de 
pins  distingué.  Jamais  plus  de  luxe 
ne  fut  déployé  qu'à  cette  fêle,  à  la- 
quelle il  ne  manqua  que  d'être  na- 
tionale. Le  souvenir  fatal  des  fêtes 
du  mariage  de  l'archiduchesse 
Marie-Antoinette,  le  souvenir  plus 
fatal  encore,  de  sa  fin  déplorable  , 
étaient  présens  à  tontes  les  généra- 
tions. Le  premier  fut  cruellement 
renouvelé  trois  mois  après,  le  i" 
juillet,  par  l'incendie  qui  embra- 
sa tout-à-coup  la  maison  où  le 
prince  de  Schwarzenberg .  am- 
bassadeur d'Autriche,  donnait  un 
bal  à  la  fille  de  son  souverain.  Les 
vieillards  prédirent  une  issue  fu- 
neste à  celte  nouvelle  alliance  avec 
la  maison  d'Autriche,  et  leur  pro- 
phétie s'est  accomplie.  Cette  al- 
liance fut  contractée  dans  les  renj- 
parls  de  Vienne  ,  détruits  par  Na- 
poléon ;  elle  sera  dissoute  à  ja- 
mais,  quatre  ans  plus  tard,  dans 
les  murs  de  •  Paris  ,  envahis  par 
François  IL 

Napoléon  ,  épris  de  sa  nouvelle 
épouse,  veut  la  montrer  dans  la 
capitale  des  états  conquis  sur  la 
maison  d'Autriche.  Le  27  avril  il 
part  avec  elle  pour  Bruxelles,  et 
le  5o  il  arrive  au  château  impé- 
rial de  Lacken.  Quelques  jours 
sont  donnés  à  ce  voyage  en  Bel- 
gique ,  dont  les  habitans  saluent 
avec  ivresse  la  fille  de  leur  ancien 
souverain  .  et  l'épouse  de  celui 
qui  les  a  élevés  à  toutes  les  pros- 
pérités de  la  France.  Après  un  sé- 


NAP 


58.Ï 


jour  à  Bruxelles,  le  retour  des 
augustes  voyageurs  à  Paris,  a  lieu 
par  Dunkerque,  Lille,  le  Havre 
et  Rouen.  Partout  le  cri  de  la  paix 
se  mêle  aux  bénédictions  des  peu- 
ples. Ce  voeu  de  la  patrie  ne  sera 
pas  entendu.  L'Angleten-e  man- 
quait aux  fêtes  de  la  capitale  : 
Napoléon  ne  l'oublie  pas,  en  par- 
courant les  côtes  septentrionales 
de  son  empire,  et  le  sy-itéme  con- 
tinental va  recevoir  de  sa  politique 
une  nouvelle  puissance.  Dès  le  G 
janvier,  la  Suéde  avait  du  y  accé- 
der, et  la  restitution  de  la  Poiué- 
ranie  l'avait  réccmjiensée  de  sa 
soumission.  Désormais  lés  traités 
n'auront  plus  d'autre  base  ,  le» 
ruptures  d'autres  motifs  ,  les  al- 
liances d'autre  lien.  L'année  1810 
présente  le  système  continental 
comme  une  guerre  à  outrance 
faite  à  la  commerçante  Angleterre  ; 
c'est  aussi  la  seule  que  la  France 
puisse  entreprendre  contre  les  An- 
glais avec  ses  infidèles  alliés  du 
continent,  pour  lesquels  son  ami- 
tié, sous  ce  rapport,  doit  être  fine 
tyrannie  véritable,  mais  nécessai- 
re. Celte  terrible  raison  d'état  plane 
sur  l'Europe  entière,  ;\  qui  elle 
est  imposée  comme  une  loi ,  et 
aucune  considération  ne  pourra  y 
soustraire  ;  celui  qui  l'impose, 
seul  pourra  la  violer,  et  le  trafic 
honteux  des  licences  ne  sera  que 
le  monopole  du  dominateur.  La 
Hollande  ,  terre  commerciale,  où 
règne  depuis  quatre  ans  Louis 
Bonaparte,  attire  les  regards  in- 
quiets de  Napoléon  ;  le  24  jan- 
vier, ses  ports  sont  déclarés  sus- 
pects, et  le  16  mars,  il  se  fait 
céder,  par  son  frère,  le  Brabant 
hollandais  ,  la  Zélande ,  et  une 
partie  delaGueIdre,  qui  prennent 
35 


S80 


NAP 


le;  nom  de  dépaitemens  des  Bou- 
ches-du-Rhin  et  des  Boucbes-de- 
l'Escaut.  Cne  armée  de  18,000 
Loinines,  dont  12,000  mille  Fran- 
çais, doit  soutenir  en  Hollande, 
1,1  guérie  du  système  contre  l' An- 
gleterre. A  l'arrivée  de  ces  for- 
ces ,  le  roi  Louis,  qui  seul  en 
Kurope  ne  croit  apparemment 
pas  qu'il  n'est  roi  que  par  la 
grâce  de  son  frère,  après  avoir 
opposé  une  résistance  toute  patrio- 
tique à  la  violence  faite  au.coni- 
inerce  de  ses  états,  abdique  le  1" 
juillet  en  faveur  de  son  fils.  Il  ap- 
prend alors  quelle  était  la  condi- 
tion de  sa  couronne;  son  abdica- 
tion elle-même  est  rejetée ,  et  l'in- 
corporation de  son  royaume  à  la 
France  est  décrétée.  La  Hollande 
a  le  sort  de  ses  anciennes  rivales  , 
des  republiques  de  Venise  et  de 
Cènes,  réduites  comme  elle  à  l'é- 
tat de  provinces. 

INous  avons  dit ,  et  avec  raison, 
que  Napoléon  ne  pouvait  faire 
d'autre  guerre  que  celle  de  son 
svitème  continental  à  cette  An- 
gleterre ,  qui  envabissait  toutes 
ses  colonies,  qui  devait,  à  la  fin  de 
la  même  année,  s'emparer  de  risle- 
dc-France,  et  qui  s'était  si  tyran- 
niquement  adjugé  l'odieux  droit 
de  visite  sur  tous  les  vaisseaux  de 
l'Europe.  Dans  cette  position  ,  où 
tout  était  extrême  entre  les  deux 
colosses  qui  se  partageaient  le 
monde  ,  tout  devenait  légitime  , 
même  l'usurpation  d'un  état  de 
famille,  dont  les  intérêts  naturels 
étaient  ceux  de  l'ennemi  mortel  du 
grand  empire.  Napoléon,  pénétré 
qu'il  était  de  la  puissaiîce  de  son 
système  continental,  s'était  trom- 
pé en  donnant  la  Hollande  à  son 
frère,  le  5  juiui8o6.  Il  eût  mieux  fait 


NAP 

d'agréger  alors  à  son  empire  cette 
ancienne  succursale  du  commerce 
anglais  :  il  se  fût  épargné  la  créa- 
tion d'un  trône  inutile,  nuisible 
peut-être,  et  la  destruction  de  son 
propre  ouvrage.  La  première  me- 
sure eût  été  toute  politique;,  la 
seconde  fut  odieuse,  parce  qu'elle 
détruisit  l'indépendance  d'un  peu- 
ple. Tant  que  ce  peuple  ne  fut  que 
conquis,  sa  réunion  à  la  France 
pouvait  être  un  bienfait  pour  lui , 
parce  qu'elle  le  faisait  sortir  de 
l'état  violent  de  l'occupation;  mais 
une  fois  rendu  à  lui-même  ,  et  re- 
constitué en  corps  politique,  l'in- 
corporation du  peuple  batave  au 
peuple  français  ,  était  un  coup 
d'état  dans  toute  l'acception  de  ce 
mot.  Napoléon  ne  le  jugea  pas  au- 
trement; il  voulut  enlever  à  l'An- 
gleterre un  allié  ancien  et  un  ami 
secret.  Il  commençait  d'ailleurs  a 
se  désintéresser  des  royautés  de 
ses  fières ,  qui  avaient  eu  une 
place  trop  marquée  dans  le  sys- 
tème de  sa  grandeur  personnelle, 
mais  qui  n'en  avaient  conservé 
aucune  dans  celui  de  sa  politique. 
La  même  nécessité  éujanant  du 
même  principe  ,  se  présenta  à  la 
fin  de  cette  année  ,  où  après  avoir, 
par  décret  du  17  août,  ordonné 
le  brûlement  de  toutes  les  mar- 
chandises anglaises  en  France,  et 
dans  tous  les  états  de  la  confédé- 
ration, où,  après  avoir  donné  aux 
douanes  des  cours  prévotales,sans 
recours  en  casî^ation  ,  il  réunit, 
par  le  sénatus-consulle  du  i5  dé- 
cembre ,  les  villes  aiiséatiqucs  et 
les  rivages  de  la  Baltique  à  l'em- 
pire français.  La  France  compta 
alors  5o  départemens  maritimes  , 
et  l'Angleterre  n'avait  plus  d'asile 
en  Europe  que  le  Portugal,  où  se 


NAP 

battait  contre  elle  uoe  armée  fran- 
çaise. Tel  fut  le  résultat  du  système 
continental  pendant  l'année  1810. 
Cet  état  était  violent  pour  l'Euro- 
pe, mais  il  était  mortel  pour  l'An- 
gleterre ,  et  l'impossibilité  de  le 
supporter  plus  long-temps,  forma, 
deux  ans  après  ,  la  ligue  du  Nord, 
qui  termina  d'une  manière  si  tra- 
gique ce  long  duel  entre  Napoléon 
et  la  Grande-Bretagne. 

Pendant  l'année  j8io,  la  guerre 
d'Espagne  fut  heureusq  pour  la 
France  ,  si  une  guerre  pareille 
pouvait  l'être;  le  2  lévrier  la  rési- 
dence du  gouvernement,  que  l'on 
appelait  alors  insurrectionnel,  delà 
junte  suprême  ,  l'importante  ville 
du  Séville.  fut  occupée  par  le  ma- 
réchal Soult.  A  celle  époque  des 
victoires  du  maréchal  Soult ,  il 
n'y  eut  que  les  villes  d'Alicante, 
de  Carthagéne  et  de  Cadix  ,  et  la 
fameuse  île  de  Léon,  où  n'eussent 
pas  pénétré  les  armées  françaises. 
Le  25  avril,  le  général  O'Donnel, 
depuis  comte  de  l'Abisbai,  per- 
dait, contre  le  maréchal  Suchet, 
la  bataille  de  Lérida,  qui  est  prise 
après  i5  joursde  tranchéeouverte. 
Le6  mai,  le  général  Junot  enlevait 
d'assaut  la  ville  d'Astorga;  et  le 
2G  du  même  mois  ,  600  Français, 
presque  tous  officiers  ,  prisonniers 
de  la  honteuse  capitulation  de  Bay- 
len,  sur  les  pontons  pestiférés  de 
Cadix,  par  le  coup  le  plus  auda- 
cieux, s'emparent  d'un  mauvais 
navire  sans  agrès,  traversent  les 
.  escadres  anglaises  et  espagnoles  , 
sous  le  feu  des  chaloupes  canf)n- 
nières  et  des  batteries ,  et  abor- 
dent le  rivage  où  le  maréchal  Vic- 
tor les  reçoit  dans  ses  rangs.  Celte 
guerre  fut  remarquable  dans  tou- 
tes ses  pbuses  pur  la  foule  d'ac- 


NAP 


587 


lions  héroïques,  qui  ne  cessa  d'il- 
lustrer les  deux  armées.  Cepen- 
dant, tandis  que  le  continent  es- 
pagnol de  l'Europe  se  débattait 
contre  l'invasion  tyrannique  des 
Français,  le  19  avril  ,  le  con- 
tinent espagnol  de  l'Amérique  , 
déjà  trop  vieux  pour  n'êlre  plus 
que  la  province  d'une  métropol« 
d'outre-mer,  jetait  les  bases  de 
son  indépendance  future,  en  for- 
mant le  gouvernement  fédéra- 
tif  de  Venezuela.  Exemple  dont 
la  séduction  puissante,  inspirée 
par  la  prospérité  toujours  crois- 
sanle  des  États-Unis,  doit  gagner 
insensiblement  les  royaume^  a- 
méricains  de  l'Espagne  et  du  Por- 
tugal! Cette  immense  révolution, 
qui  donne  une  nouvelle  face  au 
monde  politique,  est  une  des  plus 
grandes  époques  du  régne  de  Na- 
poléon ;  elle  aura  tous  les  périls  qui 
font  tri Miipher  les  nations  éprises 
de  leur  indépendance.  La  gloire  des 
armes  sanctionnera, dansune  guei'- 
re  opiniâtre  de  plusieurs  années  , 
le  serment  d'être  libre,  juré  par  le 
peuple  américain,  contre  ce  mê- 
me peuple  espagnol,  à  qui  il  doit 
le  grand  exemple  de  son  courage  et 
de  sa  vertu.  Les  triomphes  des 
Français  se  succèdent  dans  la  pé- 
ninsule ;  le  8  juin  ,  la  forte  ville 
de  Méquinenza.  au  confluent  de 
l'Ebre  et  du  bègre  ,  se  rend  au 
maréchal  Suchet.  Le  10  juillet, 
après  25  jours  de  tranchée  ou- 
verte, le  maréchal  Ncy  entre  dans 
Ciudad-Rodrigo.  En  Portugal,  le 
27  août,  Alméida  est  prise  par  lo 
maréchal  Masséna  ,  qui  ,  le  27 
septembre  ,  après  la  bataille  san- 
glante de  Busaco  ,  force  le  géné- 
ral Wellington  à  se  retirer  dans  la 
position  de  Torrés-Vedras  :  inaii 


5S8 


NAP 


la  fuite  du  général  anglais  devient 
une  campagne  de  défense.  Tels 
furent  le»  événeinens  principaux 
de  la  guerre  d'Espagne  et  de  Por- 
tugal en  1810. 

La  révolution  de  Suède,  prépa- 
rée par  lesévénemens  du  i3  mars, 
du  10  mai  et  du  6  juin  1809,  est 
fixée,  le  21  août  i8io,  par  l'adop- 
tion que  le  roi  Charles  XIII  fait  du 
maréchal  Bernadotle,  prince,  de 
Ponte-Corvo,  et  par  l'élection  que 
les  états-généraux, assemblés  en  diè- 
te extraoïdinaire,  font  de  ce  prince 
pour  être  l'héritier  de  la  couronne. 
Napoléon  n'a  point  contribué  à  l'é- 
lévation de  Bernadette,  à  qui  il  tût 
préféré,  pour  occuper  le  trône  de 
Suède,  son  lils  adoptif  le  ptince 
Eugène;  mais  le  vice-roi,  à  qui  la 
couronne  d'Italie  doit  échapper 
ijiar  le  second  mariage  de  l'empe- 
reur, refusa,  dit-on,  la  puissante 
intervention  de  ce  prince  auprès  du 
gouvernement  suédois.  Napoléon 
ne  s'est  point  opposé  i\  l'élection 
du  prince  de  Ponle-Corvo,  que  la 
Suède  demande  i\  la  France.  U 
est  au  moins  de  sa  gloire  de  l'ap- 
prouver; aussi  donne-t-il  généreu- 
sement à  ce  prince  les  moyens  de 
paraître  avec  éclat  à  la  cour  de  Suè- 
de :  toutefois  il  résulte  d'un  tel  é- 
véneinent,  presque  toujours  si  heu- 
reux pour  les  nations  qui  le  pro- 
voquent, que  si  la  France  perd  un 
de  ses  plus  illustres  défenseurs. 
Napoléon  ne  perd  pas  un  ennemi. 

Le  mois  de  décembre  1810  est 
le  mois  fatal  pour  la  France,  dont 
le  nom  s'égare  depuis  le  détroit  de 
Charybde  jusqu'andétroitdu  Sund, 
soit  parla  réunion,  soit  par  les  vas- 
salités des  peuples.  L'incorporation 
du  Valais  a  été  décrétée  le  même 
jour  que  celle  des  villes  anséaii- 


NAP 

qucs,  afin  que  toute  trace  républi- 
caine soit  effacée  du  nouveau  sol 
fiançais;  aussi  la  carte  de  cette  par- 
tie du  monde,  qui  va  s'appeler 
FuANCE,  présente  24  degrés  de  lon- 
gitude sur  7  de  latitude,  habités  par 
4'^  millions  de  sujets,  divjS'és  entre 
eux  par  quatre  idiomes  et  autant 
de  religions;  mais  la  domination 
directe  de  Napoléon  et  de  sa  famil- 
le s'étend  sur  85,5oo,ooo  sujets, 
qui,  réunis  aux  16,000,000  d'hom- 
mes soumis  à  sa  domination  indi- 
recte, offrent  la  masse  effrayante 
de  plus  de  cent  millions  d'Euro- 
péens qui  lui  obéissent. 

Paris  est  la  capitale  de  l'Europe 
vaincue;  Londres  est  celle  de  l'Eu- 
rope irritée.  L'une  reçoit  les  hom- 
mages de  la  soumission,  l'autre 
les  vœux  de  la  vengeance.  Tout 
espoir  de  paix  est  détruit  entre  les 
deux  rivales  par  la  rupture  des  né- 
gociations entamées  avec  lord  Lau- 
derdale  ;  160,000  hommes  pour 
les  armées  de  terre  et  de  mer  sont 
décrétés  parle  sénalus-consulte  du 
i5  décembre  :  le  même  jour  avait 
réuni  la  Baltique  et  le  Valais  au 
grand  empire.  L'esprit  s'effraie  jus- 
tement, en  1825,  de  cette  puissan- 
ce multiple  de  la  volonté  d'un 
homme,  qui,  dans  le  même  mo- 
ment, ordonnait  aux  commerçans 
d'une  mer  du  Nord,  aux  pasteurs 
des  alpes  Juliennes,  et  à  160,000 
soldats  de  prendre  rang  parmi  les 
sujets  et  les  instrumens  de  sa  for- 
tune. Au  milieu  de  ces  grande» 
spoliations  de  la  propriété  des  peu- 
ples, les  19  et  29  décembre  des 
dispositions  de  détail  frappent  par- 
ticulièrement l'attention  de  la 
France  :  l'une  rétablit  l'institution 
à  jamais  odieuse  de  la  censure  sur 
les  productions  de  la  pensée;  l'au- 


>AP 

tre  remet  généreusement  aux  émi- 
grés les  successions  dévolues  à  l"é- 
tat  pour  5o  années  :  ces  deux  ac- 
tes sont  au  profit  du  pouvoir;  mais 
la  haine  des  écrivains  et  la  recon- 
naissance des  émigrés  sei'out  éga- 
lement silencieuses. 


Les  opérations  militaires  de  la 
guerre  d'Espagne  et  de  celle  de 
Portugal  sont  les  seules  qui  occu- 
pent la  France  pendant  l'année 
181 1  ;  cette  année  sera  son  dernier 
repos  sous  Napoléon,  car  une  pa- 
reille guerre,  malgré  l'opiniàtrelé 
de  la  résistance  et  la  coopération 
de  l'Angleterre,  ne  saurait  aOecter 
les  destins  de  la  grande  nation,  si 
pendant  nue  année  encore  la  Fran- 
ce n'avait  pas  d'autres  ennemis  que 
l'indépendance  de  la  péninsule  et 
l'opposition  de  ses  corlès.  Douze 
années  plus  tard,  peu  avant  le  mo- 
ment où  nous  écrivons,  100,000 
Français  franchissaientla  Bidassoa. 
Sans  doute  on  n'a  pu  les  croire 
légataires  d'une  dernière  volonté 
de  Napoléon;  mais  si  en  rappro- 
chant les  motifs  de  ces  deux  guer- 
res, elles  paraissent  à  rhistorien 
également  déplorables  sous  le 
rapport  de  l'indépendance  des 
nations  ,  à  plus  forte  raison  a- 
t  -  il  le  droit  de  penser  que , 
les  Français  vainqueurs,  ils  n'au- 
ront point  à  s'applaudir  du  triom- 
phe ,  et  que,  les  Espagnols  vain- 
cus, ils  n'auront  point  à  rou- 
gir de  la  défaite.  Il  en  fut  ainsi 
pendant  toute  cette  année  1811  , 
où  les  maréchaux  Soult  et  Mor- 
tier, où  les  généraux  Suchct  et 
Clauzel,  ajoutèrent  aux  armes  fran- 
çaises tant  de  lauriers  inutiles,  où 


NAP  389 

le  maréchal  Masscna  ne  gâta  point 
sa  gloire  en  évacuant  le  Portugal 
devant  l'armée  anglo-portugaise. 
IjC  récit  de  ces  opérations  ap- 
partient à  l'histoire  militaire  pro- 
prement dite  de  Napoléon.  Le 
tableau  de  sa  vie,  rapidement  tra- 
cé par  son  biographe,  ne  permet 
que  l'exactitude  des  faits  et  ne 
prescrit  que  la  série  de  leurs  da- 
tes ;  ainsi  nous  nous  bornons  à 
présenter  ces  faits  militaires  dans 
l'ordre  où  ils  ont  eu  lieu.  La  gloi- 
re de  ces  grands  capitaines  n'a 
pas  besoin  de  commentaires;  elle 
était  depuis  long  -temps  noble- 
ment consacrée  par  de  véritables 
services  rendus  à  la  patrie  ou  à 
son  héros.  Il  ne  s'agit  ici  que  de 
ceux  rendus  à  la  dictature  impé- 
riale, et,  si  on  en  excepte  l'im- 
mortelle campagne  de  18 14»  l'his- 
toire n'en  a  plus  d'autres  à  re- 
cueillir jusqu'à  l'abdication. 

Le  2  janvier,  après  i3  jours  de. 
tranchée  ouverte.  la  place  de  Tor- 
tose  se  rend  au  général  Suchet. 
Du  30  au  22,  Oporto  et'Olivenza, 
en  Portugal,  sont  occupées  parle 
maréchal  Masséna  ;  mais  le  4 
mars,  malgré  Tiinportance  de  cet- 
te, occupation  ,  Wellington,  forti- 
fié depuis  cinq  mois  dans  la  posi- 
tion inexpugnable  de  Torrès-Ve- 
dras,  répare  en  quelque  sorte,  par 
la  letraite  à  laquelle  sa  nombreu- 
se armée  force  les  débris  de  celle 
de  Masséna  ,  les  revers  qui  ont 
moiilré  si  souvent,  depuis  le  com- 
mencement de  la  guerre,  les  trou- 
pes de  sa  nation  fuyant  devant 
les  Français  à  Dunkerque,  à  Tou- 
lon, au  Helder,  à  Flessingue;  deux 
mois  après,  l'évacuation  du  Por- 
tugal est  complétée  par  celle  de 
la   ville  d'Alméida.  Le  5  uiafS)  à 


?^r)0 


NAP 


Chiclana,  l'ar-mce  anglo-cspai^no- 
le,  qui  veut  liire  lever  le  bloous 
de  Cadix,  est  tejclée  par  îe  maré- 
chal Victor  daus  l'île  de  Léon,  qui 
e?t  déjà  un  asile  où  le  duc  de 
Rellune  n'o«e  la  suivre.  Le  lo, 
après  plus  de  5o  jours  de  siège, 
Badajoz,  capitale  de  l'Estramadu- 
le,  ouvre  ses  portes  au  luaiéohal 
Mortier.  Ce  grand  succès  a  été 
pré|)aré  le  19  lévrier  par  la  batail- 
le de  la  Geboia,  où  le  maréchal 
Soult  a  déî'ait  une  armée  espagno- 
le appelée  au  secours  de  Badajoz; 
mais  les  troupes  anglo-espagnoles, 
aux  ordres  du  général  liéresl'ord, 
veulent  reprendre  cette  ville;  at- 
tacjuées  vigoureusement  par  le 
maréchal  Soult  an  combat  de 
l'Alboirra,  elles  restent  maîtresses 
du  terrain  après  avoir  éprouvé  des 
pertes  considérables.  Cependant 
lord  Wellington  apprend  la  jonc- 
tion des  forces  du  maréchal  Mar- 
mont  avec  celles  du  maréchal 
Soult,  et  n'osant  compromettre 
la  fortune  qu'il  a  obtenue  contre 
le  maréchal  JMasséna,  le  18  mai  il 
lève  précipitamment  le  siège  de 
Badajoz  et  se  relire  en  Portugal. 
Enfin,  après  deux  mois  de  siège  et 
cinq  assauts,  où  toute  bravoure 
fut  déployée  des  deux  côtés,  la 
■ville  de  Tarragooe,  encore  défen- 
due par  10,000  hommes,  se  rend 
le  28  juin  au  général  Suchet,  qui 
trouve  dans  ses  remparts  son  bâ- 
ton de  maréchal.  La  plus  brillan- 
te illustration  attend  les  armes  du 
nouveau  maréchal.  Le  29  octo- 
})re,  la  bataille  de  Saguntc  ou  de 
Murviedro  ,  qu'il  gagne  sur  les 
généraux  Blake  et  O'Donnell,  lui 
donne  le  lendemain  la  forte  ville 
de  Sagunte,  dont  la  position,  dé- 
fendue par  la  nature,  par  les  Ro- 


NAP 

mains,  par  les  Maures  ot  par  dc^ 
constructions  récentes,  le  rentl 
maître  des  routes  de  Valence,  de 
Barcelonne,  de  Sarragosse,  et  as- 
sure son  établissement  dans  Test 
de  la  péninsule..  Le  passage  du 
Guadalaviar  le  26  décembre,  ob- 
tenu par  la  prise  du  camp  retran- 
ché de  Quarte ,  facilite  à  ce  ma- 
réchal l'investissement  déjà  com- 
mencé de  la  grande  ville  de  Va- 
lence. Quinze  jours  après,  cette 
vaste  cité,  jadis  capitale  d'un  beau 
royaunje,  devenue  le  dépôt  géné- 
ral de  toutes  les  forces  et  de  tous 
les  approvisionnemens  des  insur- 
gés, est  réduite  à  se  rendre  avec 
une  garnison  de  18,000  hommes 
commandés  j)ar  10  généraux,  et 
900  officiers,  et  défendue  par  4oo 
pièces  de  canon. 

Tel  était  l'état  de  la  guerre  dans 
la  péninsule  :  elle  continuait  la 
gloire,  ou  plutôt  elle  prouvait  la 
force  de  nos  armes.  Mais,  par  une 
fatalité  attachée  aux  guerres  con- 
tre l'indépendance  des  nations, 
les  Espagnols  s'armaient  de  leurs 
revers,  et  leur  patriotisme  sortait 
toujours  victorieux  des  batailles 
qu'ils  avaient  perdues.  Le  teiii^ps 
allait  venir  où,  n'ayant  plus  dans 
leur  vaste  patrie  que  Cadix  et  l'île 
de  Léon ,  ils  s'applaudiraient  de 
n'être  plus  renfermés  dans  des 
murailles,  et  d'avoir  pour  forte- 
resses, pour  campemens ,  pour 
champs  de  bataille,  les  monta- 
gnes, les  forêts,  les  fleuves  et  les 
déserts  de  leur  patrie.  Toute  la 
terre  espagnole  conspire,  quand 
Napoléon  ,  maître  de  toutes  ses 
cités,  la  croit  vaincue,  désarmée, 
asservie.  Cependant  deux  j)euples 
protégés  par  la  nature  aux  deux 
fxirémités  de  l'Europe,   séparés 


I 


l'un  de  l'autre  par  toute  la  civili- 
sation, vont,  par  l'impulsion  de 
la  plus  terrible  gravilal\(*n,  pres- 
ser du  Nord  au  Midi  le  colosse 
aux  cent  bras  qui  veut  renverser 
leurs  autels  domestiques.  Tous 
deux,  sous  l'empire  d'un  fana- 
tisme religieux  que  leurs  prêtres 
armeront  pour  leur  indépendan- 
ce, poussés  par  la  même  néces- 
sité, ils  sembleront  s'entendre  de 
l'Ebre  à  la  ISewa  pour  écraser  le 
géant  de  la  domination  qui  les  a 
tant  de  fois  vaincus,  et  ils  devront 
à  son  ambition  l'knnneur  de  pren- 
dre rang  parmi  les  peuples  géné- 
reux à  qui  la  haine  de  la  tyrannie 
a  donné  un  grand  nom  dans  l'his- 
toire. Les  Espagnols  ont  de  vieux 
souvenirs;  ils  descendent  de  ceux 
qui  ont  vu  mourir  les  Carthagi- 
nois et  les  Romains,  ils  sont  aussi 
les  enfans  de  ces  hommes  du  Nord 
qui  ont  chassé  les  califes.  Quant 
aux  Russes,  ils  n'ont  point  d'aïeux, 
et  tous  leurs  souvenirs  sont  récens 
ou  barbares;  mais  ils  ont  vu  la 
Suisse  et  l'Italie.  Ils  sont  devenus 
Européens  et  conquérans ,  et  ils 
ont  l'exemple  des  héroïques  Espa- 
gnols. 

Cependant, Napoléon  paraît  ou- 
blier que  celte  nation  neuve  veut 
occuper  un  rang  sur  le  terrain 
politique  où  ses  traités  l'ont  pla- 
cée. Il  est  en  paix,  en  alliance  a- 
vec  elle,  en  amitié  avec  son  sou- 
verain. La  mémoire  de  Tilsil  et 
d'Erfurth  est  encore  toute  fraîche: 
il  en  recueille  tous  les  fruits.  Le 
blocus  contre  l'Angleterre,  quel- 
qtie  nuisible  qu'il  soit  aux  inté- 
rêts matériels  de  la  Russie  ,  est 
rigoureusement  exercé  dans  tous 
ses  ports.  Cependant  le  profit  illi- 
cite des  liccQccâ  aveugla  :  ou  crut 


NAP 


'9' 


pouvoir  jouir  de  cette  infraction 
aux  engagemens  de  Tilsit  et  d'Er- 
furth, sans  que  la  Russie  osât  s'en 
fâcher  on  s'en  prévaloir,  poursa 
relâcher  de  son  côté  de  ses  mesu- 
re; sévères  envers  les  neutres  qui 
servaient  de  masque  aux  Anglais. 
On  lit  plus:  le  i8  février  fi8ii), 
pour  compléter  l'interdit  de  la 
Baltique,  Napoléon  a  pris  posses- 
sion du  duché  d'Oldenbourg,  et 
il  s'est  peu  inquiété  de  dépouiller 
le  beau-frère  d'Alexandre,  de  son 
allié  le  plus  puissant  et  le  plus  dé- 
voué. De  tous  les  états  de  l'Eu- 
rope, l'Angleterre  est  le  seul  qui 
doive  se  réjotiir  de  relie  impoli- 
tique violation;  au«si  saura-t-el!e 
se  servir  avec  avantage  de  ce  nou- 
veau grief  pour  mincM- l'impertur- 
bable fidélité  d'Alexandre  enver'4 
Napoléon. 

Mais,  trois  semaines  après  le 
20  mars,  un  fils  est  né  au  maître 
de  l'Europe,  l'hérédité  du  pouvoir 
absolu  consacre  sa  dynastie,  et 
tout  l'orgueil  de  la  félicité  hu- 
maine est  entré  dans  son  âme. 
Comme  père,  et  con)me  souve- 
rain ,  il  doit  sentir  d'autant  plus 
vivement  ce  bonheur  qu'il  a  pu 
Itii  échapper.  1-e  plus  grand  dan- 
ger a  menacé  l'impéralrice  au 
moment  de  mettre  au  monde  ce 
fils  si  désiré;  mais  Napoléon  ou- 
blie en  un  moment  qu'il  est  em- 
pereur, et  n'est  plus  qu'un  père 
tendre,  qu'un  époux  malheureux. 
Les  jours  de  l'impératrice  et  de 
son  enfant  sont  également  en  pé- 
ril ;  ils  dépendent  d'une  opération 
cruelle  et  douteuse.  Le  chinirgieo 
Dubois  vient  consulter  Napoléon. 
«  Ne  pensez  qu'à  la  mère,  lui  dit- 
vil,  et  traitez  l' impératrice  comme 
»  une  boiirseaise  de  la  rue  Saint-' 


»  Denis.  »  Il  se  rend  de  suite  au- 
près du  lit  de  Marie- Louise  ,  la 
console,  la  soutient,  l'encourage 
par  sa  présence,  et,  après  26  mi- 
nutes d'un  travail  douloureux, 
l'enfant  est  mis  an  monde  par  le 
secours  des  fers.  Mais  il  reste  pen- 
dant 7  autres  minutes  privé  de 
toute  espèce  de  sentiment.  Le 
tcuips  parut  moins  long  à  Bona- 
parte ,  disputant  l'empire  à  la  li- 
Ijerté  le  i8  brumaire,  à  la  séance 
de  Saint- Cloud.  Enfin,  à  force 
de  soins  l'enfant  respire,  il  vit,  il 
vivra.  Transporté,  hors  de  lui- 
même,  l'empereur  se  précipite  à 
la  porte  du  salon,  où  la  France  et 
l'Europe  attendent  leurs  destinées; 
il  l'ouvre  et  s'écrie  :  «  C'est  un  roi 
»de  Rome  !  ^y  Cent  un  coups  de 
canon  annoncèrent  à  la  capitale 
que  Napoléon  II  était  né.  L'ivres- 
se fut  générale.  A  l'Hùtel-de-Vil- 
le,  M.  Bellart  et  les  membres  du 
conseil,  qui  proclameront,  en 
1814,  la  déchéance  de  Napoléon, 
quand  il  aura  encore  de  l'autre 
côté  de  la  Loire  i5o,ooo  hommes 
pour  repousser  l'étranger,  votè- 
rent 10,000  francs  de  rente  au 
premier  page  qui  vint  leur  an- 
noncer la  naissance  de  Napoléon 
II.  Ce  fut  la  dernière  fois  qu'un 
même  sentiment  de  bonheur  unis- 
sait la  France  et  Napoléon.  La 
nature  n'avait  produit  qu'à  regret 
cet  enfant  sur  lequel  se  confon- 
daient les  vœux  des  deux  plus 
grandes  monarchies  de  l'Europe. 
Il  avait  fallu  le  lui  arracher,  et  en 
contemplant  le  berceau  impérial, 
q!ii,  après  une  anxiété  si  cruelle 
vient  de  recevoir  son  fds ,  Napo- 
léon dut  s'applaudir  de  ce  que  sa 
fortune  triomphait  aussi  de  la  na- 
ture elle-même. 


NAP 

Cependant  la  guerre  continuait 
entre  le  }).ipe  et  Napoléon,  et  elle 
ne  cessa  de  présenter  un  caractère 
sin{jfulier,  qui  sert  à  donner  la 
preuve  du  déplacement  des  inté- 
rêts européens,  à  cette  époque  : 
Napoléon  et  Pie  VII  avaient  é- 
changé  leurs  rôles.  L'empereur 
militait  pour  son  église,  le  pape 
pour  ses  états.  L'empereur  de- 
mandait vainement  au  pape  l'ins- 
titution canonique  des  évêques  de 
France,  que  le  saint-siége  aurait 
dû  provoquer,  et  le  pape  la  refu- 
sait, parce  qu'il  avait  perdu  sa  sou- 
veraineté temporelle.  Le  saint-pè- 
re confondait  la  thiare  et  la  cou- 
ronne, l'anneau  du  pécheur  et  le 
sceptre;  le  sacre  de  Napoléon  é- 
tait  même  un  mauvais  argument 
en  faveur  du  souverain-pontife. 
Toutefois  l'empereur,  pressé  de 
compléter  son  système  monarchi- 
que, convoqua,  le  ii  juin,  un 
concile  à  Paris,  composé  de  cent 
évêques  français,  allemands  et 
italiens  :  ce  concile  fut  appelé  na- 
tional, comme  il  l'était  en  effet, 
et  il  décréta  sa  compétence  pour 
statuer  sur  l'institution  des  évê- 
ques. En  vertu  du  concordat,  le 
pape  devait  ordonner  cette  ins- 
titution; et  sur  son  refus,  celle 
du  métropolitain  serait  suffisante  : 
tel  fut  le  décret  du  concile.  Le  20 
septembre,  le  pape  confirma  ce 
décret  par  un  bref  de  Savone  ; 
mais  la  terre  l'emportera  enco- 
re sur  le  ciel.  La  cour  ponti- 
ficale refusera  ce  qu'elle  a  solen- 
nellement promis,  et  jusqu'à  la 
fin  de  1819,  cinq  ans  après  la 
chute  de  Napoléon,  et  pendant 
les  cinq  premières  années  de  la 
restauration  ,  la  France  ,  pres- 
que sans  évêques ,  pourra  croire 


NAP 

que  son  roi  n'e*t  plus  le  fils  aî- 
né de  l'église.  Toutefois  le  père 
de  rarrière-petit-fils  de  Marie- 
Thérèse  aura  satisfait  aux  droits 
de  sa  couronne,  aux  lois  de  son 
concordat,  et  à  cette  étiquette 
spirituelle  qui  consacre  les  rela- 
tions des  trônes  cnlholiques  avec 
la  chaire  de  Saint-Pierre.  Il  fallait 
que  tous  les  âges  de  Ihistoire  eus- 
sent des  représeutans  dans  l'histoire 
de  Napoléon,  et  qu'il  convoquât 
aussi  des  conciles!  Si,  à  cet  égard, 
il  ne  s'est  pas  mis  en  rapport  avec 
son  siècle,  du  moins  il  s'est  mis  en 
règle  avec  les  usages  et  les  passions 
monarchiques  qui  avaient  pris  sur 
lui  tant  d'empire.  Et  en  effet,  après 
avoir,  le  3  septembre,  rendu  un 
décret  en  prorogation  de  l'auinis- 
tie  accordée  aux  émigrés,  le  i5 
octobre  un  nouveau  décret  anéan- 
tira la  loi  organique  des  constitu- 
tions françaises,  la  grande  loi  de 
nos  droits  politiques  ,  celle  de 
la  liberté  de  la  presse.  Lu  nature, 
les  titres,  et  jusqu'au  nombre  des 
feuilles  périodiques,  et  même  le 
nom  des  villes  où  elles  pourront 
paraître  ,  sont  irrévocablement 
lixés  et  déterminés.  L'ne  censure 
inquiète, soupçonneuse,  minutieu- 
se, hostile,  sous  la  responsabilité 
des  autorités  locales,  sera  l'argus 
de  cette  illusoire  périodicité.  Na- 
poléon aurait-il  été.àl'insu  de  l'u- 
nivers, dont  il  était  le  spectacle, 
le  juge  craintif  de  sa  toute  puis- 
sance, en  la  soumettant  aux  ter- 
reurs de  la  presse  et  à  ces  indignes 
précautions  qui  caractérisent  ou 
les  gouvernemens  faibles,  ou  les 
gouvernemens  révolutionnaires  et 
passagers  ? 

Les    opérations    politiques  qui 
terminent  l'aunée  i8ii,  consoli- 


NAP  5o5 

dent  l'œuvre  de  la  réunion  du 
royaume  de  Hollande  au  grand 
empire.  Ses  départemens  reçoi- 
vent le  i"  et  le  2  novembre  leur 
circonscription  définitive,  et  l'or- 
ganisation française.  L'Espagne 
est  conquise  ou  occupée;  tout  le 
continent  est  en  paix  ou  soumis. 
On  se  demande  pourquoi  un  séna- 
tus-consulle  appelle  itoul-à-coup 
aux  armes,  le  21  décembre, 
120,000  conscrits  de  la  classe  de 
1812.  La  France  a  atteint  la  plé- 
nitude de  la  prospérité.  L'armée 
elle-même  déclare  qu'elle  est  ras- 
sasiée de  gloire,  et  l'année  1811 
expire  dans  le  malaise  de  cette 
haute  fortune,  qui  ne  peut  plus 
que  descendre,  parce  qu'elle  no 
peut  plus  monter. 


Cependant  un  homme  seul  ba- 
lance et  fait  taire  les  terribles  ora- 
cles de  la  félicité  de  l'empire.  La 
suprématie  européenne  était  aux 
mainsde  la  France:  mais  Napoléon 
a  rêvé  pour  lui  ladomination  uni- 
verselle, et  l'Europe,  loin  de  faire 
un  vœu  contre  l'audacieuse  entre- 
prise qui  menace  la  Russie,  et 
doit  de  nouveau  peser  surelle-mè- 
nie,  se  livre  tout  entière  avec  une 
sorte  d'enthousiasme  de  servitude, 
à  l'espoir  de  voir  triompher  Na- 
poléon de  cetennemi  lointain  qu'il 
s'est  choisi.  L'Europe  n'avaitqu'un 
orgueil  d'esclave;  elle  souhaitait 
plus  de  puissance  à  son  njaître. 
Il  est  vrai  qu'alors  elle  n'avait  pas 
d'autre  condition  que  l'obéissance; 
et  le  peu  de  fierté  qui  lui  restait 
ne  consistait  qu'à  vouloir  placer 
sous  le  même  joug  la  seule  puis- 
siance  continentale  qui  fût  restée} 


594  NAP 

libre,  et  dont  l'indépenflance  l'ef- 
frayait. 

La  Prusse  n'est  pas  libre  :  Ber- 
lin seul  a  été  évacné  par  les 
Français;  mais  cette  capitale  peut 
craindre  le  sort  d'Amsterdam  ; 
le  maréchal  Ondinot  comman- 
de l'armée  d'occupation.  D'ail- 
leurs une  masse  énorme  de  con- 
tributions imposées  par  le  traité 
f!e  Tilsit  pèse  sur  la  Prusse,  et 
dans  la  position  malheureuse  où 
se  trouve  son  gouvernement  entre 
sa  dette  envers  la  France  et  la 
))résence  d'ime  de  ses  armée»,  il 
doit  aller  au  -devant  de  tous  les 
moyens  qui  peuvent  conjurer  la 
fortune  en  sa  faveur.  De  plus  l'oc- 
cupation du  rivage  de  la  Baltique 
vient  d'être  consommée  le  26  jan- 
\icr,  par  l'occupation  de  la  forte 
ville  de  Stralsund,  el  la  Poméra- 
nie  suédoise  obéit  au  corps  d'ar- 
mée que  commande  le  général 
Friant.  Ainsi,  pressé  de  toutes 
parts ,  le  ministre  prussien  va 
chercher  dans  le  traité  de  Paris 
du  24  février  suivant  un  asile 
j)Our  ce  qui  reste  de  la  monarchie 
prussienne  :  il  y  renouvelle  le  pacte 
du  blocus  continental.  Dans  le  cas 
d'une  guerre  entre  la  France  et 
^on  ancien  allié  de  Pétersbourg, 
c'est-à-dire  dans  la  certitude  de 
cette  guerre  très  -  prochaine  ,  il 
s'engage  à  fournir  un  contingent 
de  40,000  hommes  avec  60  pièces 
de  canon  ;  mais  aussi  la  France 
consent  à  rédiu're  à  62  millions  les 
contributions  arriérées  delà  Prus- 
se. La  Prusse  saura  faire  valoir  à 
la  Russie  la  nécessité  qui  lui  a  fait 
signer  ce  traité,  et  Napoléon  se 
repentira  trop  tard  de  sa  généro- 
sité, qui,  après  les  injustes  pro- 
vocations de  la  Prusse  en  i8o3, 


NAP 

après  son  anéanlissement  ù  lén?» 
et  à  Lubeek,  laissa  em.'ore  à  Til- 
sit un  débris  de  couronne  au  roi 
Frédéric -Guillaume.  La  monar- 
chie prussienne  devait  être  entiè- 
rement détruite  à  Tilsit,  ou  plus 
grandement  reconstituée.  La  poli- 
tique, qui  était  la  justice  du  vain- 
queur, le  voulait  ainsi.  Dans  \e 
dernier  ras,  la  Prusse  eût  été  pou  r 
la  France  un  ami  ou  un  ennemi  ; 
mais  comme  elle  eût  été  un  grand 
état  intermédiaire  entre  rEuro])e 
et  la  l\n.ssie.  Napoléon  n'aurait 
jamais  eu  l'idée  de  la  campagne 
de  Moskou,  et  la  Prusse  n'aurait 
})as  trahi  son  imprudent  bienfai- 
teur. La  position  de  l'Autricho 
était  toute  différente.  Elle  n'avait 
pas  été  appelée  aux  fameuses  con- 
férences d'Erfurth.  Elle  avait  alors 
refusé  de  reconnaître  Joseph  ,  roi- 
d'Espagne,  et  elle  avait  profilé 
des  embarras  que  l'opposition  de 
la  péninsule  donnait  à  Napoléon  , 
pour  lui  faire  brusquement  une 
guerre  d'invasion  en  îSoq'.  L*îs 
victoires  de  Landshut  ,  d'Ecmulh, 
de  Ratisbonne,  d'Ebersberg ,  la 
prise  de  Vienne  vingt  jours  après 
l'ouverture  delà  campagne ,  les 
batailles  de  Raab  ,  d'Enzersdorf , 
enfin  celle  de  Wagram,  avaient 
forcé  cette  puissance  à  recourir, 
comme  la  Prusse,  à  la  pitié  du 
vainqueur.  Le  honteux  armis- 
tice d«  Znaïm,  tout-à-coup  solli- 
cité par  l'Autriche,  au  moment 
où  toutes  les  populations  de  la 
patrie  allemande  allaient  se  lever 
pour  sa  défense,  où  le  Piémont , 
où  la  Prusse  elle-même  se  dispo- 
saient déjà  à  leu""  affranchisse- 
ment ,  avait  amené  cette  paix  dts 
Vienne  si  différente  de  la  derniè- 
re. Cependant  l'iiistilution  moiliù 


NAP 

mysti(inc ,  moitié  politique  du 
lien  de  la  vertu,  du  Tugenil  hund , 
qui  doit  jouer  un  si  jrrand  rôle  un 
au  plus  tard  ,  avait  étenrlu ,  du 
scinde  la  Prusse  où  le  patriotisme 
l'avait  enfantée,  ses  rainiflcations 
populaires  dans  toutes  les  univer- 
sités de  l'Allemagne,  dans  celles 
même  qui  appartenaient  aux  états 
que  Napoléon  s'était  plu  à  doter 
sur  la  rive  droite  du  Rhin.  Celte 
conspiration  morale  avait  été  dé- 
noncée à  ce  prince  qui  la  dédai- 
gna, comme  il  avait  refusé  quel- 
ques années  plus  tôt  de  se  mettre 
à  la  tête  de  la  réformation  politi- 
que de  la'Germanie  protestante. 
Le  rôle  de  Luther  lui  convenait 
aussi  peu  que  sa  doctrine.  Alors 
aussi  il  régnait  dans  le  même  pa- 
lais impériaidu  plus  puissant  prin- 
ce de  la  Germanie  ,  et  ii  méprisait 
jusqu'au  poignard  du  jeune  fana- 
tique quiy  avait  pénétré  pour  im- 
moler l'oppresseur  de  sa  patrie. 
Mais  l'Autriche  ne  s'était  pas  con- 
tentée de  n'avoir  pas  le  courage 
de  survivre  à  la  bataille  de  ^a- 
gram ,  quand  une  seule  victoire, 
quand  la  seule  prolongation  de  la 
lutte  si  loin  de  la  France  ,  et  dans 
l'étal  d'exaspération  où  étaient  les 
esprits ,  pouvaient  effacer  pour 
elle  tous  les  triomphes  de  son  en- 
neujî;  elle  s'était  précipitée  au- 
devant  d'une  alliance  de  famille, 
tant  elle  fut  jalouse  d'enlever  aux 
autres  couronnes  le  nouvel  hymen 
que  se  proposait  !S\ipoléon.  Toute 
l'activité  de  sa  diplomatie  se  dé- 
ploya pour  obtenir  cette  grande 
préférence,  et- le  sang  de  Marie- 
Thérèse  devint  le  gage  nouveau  , 
que  la  superbe  cour  de  Vienne 
oiTrit  instamment  au  général  de 
vendémiaire.  Napoléoo  ,  qui  avait 


N\P 


595 


prî<;  riiisfoire  de  la  monarchie  fraiv 
çaise  powr  la  sienne,  voulut  la 
continuer;  il  accepta  cette  allian- 
ce, et  cimenta  ainsi ,  en  quelque 
sorte,  la  vassalité  de  l'Autriche  . 
qui  alors  y  «vit  son  salut.  L'allian- 
ce du  4  mars  1812  fut  bien  aiis>i 
pour  elle  une  nécessifé  nouvelle  , 
que  lui  imposa  la  guerre  de  Rus- 
sie. Menacée  qu'elle  était  du  réta- 
blissement de  la  Pologne  ,  la  mai- 
son d'Autriche  voulut  se  ménager 
une  indemnité  dans  le  cas  où  elle 
perdrait  la  Gallicie,  et  cette  in- 
demnité qu'elle  convoitait  était  la 
possession  del'Illyrie,  qui  offrait 
à  son  commerce  les  débouchés 
maritimes,  dont  elle  manquait  ab- 
solument ;  par  le  traité  d'alliance 
siffné  à  Piuis  .  celte  puissance  sti- 
pula  un  secours  réciproque  de 
5o,ooo  hommes  et  de  60  pièces 
de  canon.  La  cause  de  la  France 
et  de  lAulriche  est  devenue  com- 
mune, identique,  inséparable, 
c'est  une  cause  de  famille,  et  rol>- 
jet  de  ce  dernier  pacte  est  si  peu 
douteux,  qu'on  y  garantit  mutuel- 
lement l'intégralité  en  Kurope  de 
l'empire  turc,  alors  en  guerre  avec- 
la  Russie.  Celte  garantie  mutuelle 
del'intégraliléde  l'empire  ottoman 
n'avait  d'autre  motif  que  d'empê- 
cher laPorle  de  signer  la  paix  qu'el- 
le négociait  avec  laRussie, ce  qu'el- 
le fit  quelques  mois  après  à  Tinsu 
de îiapoléon.  Ainsi  l'Autriche,  tou- 
jours forte  et  puissante  malgré  la 
prépondérance  effrayante  de  ta 
France,  allait  au-devant  d'un  lien 
qui  plaçait  ses  diapeaux  et  sa  poli- 
tique sous  la  fortune  de  Napoléon. 
Ce  prince  a  pour  allie  toute  PAI- 
lemagne,  toute  l'Italie,  la  Polo- 
gne, la  Suède  et  la  Hollande  ,  et 
il  devait  compter  pour  auxiliaira 


5<)(J  NAP 

la  Porte  ottomane,  si  la  craînte 
de  démasquer  ses  projets  contre 
la  Russie  n'avait  mis  dans  cette 
circonstance  la  diplomatie  fran- 
çaise en  défaut,  à  Constantinople 
et  à  Stockholm.  La  Russie  a  pour 
elle  le  général  français  qui  gou- 
verne la  Suéde  et  qui  a  oublié  sa 
première  patrie  ;  elle  a  pour  auxi- 
liiu'res  la  haine  anglaise,  et.  l'in- 
surrection espagnole.  Ses  défen- 
seurs naturels  sont  la  flamme  qui 
dévorera  ses  cités  ,  et  les  frimas 
qui  anéantiront  ses  ennemis.  Le 
5  mai,  son  attitude  guerrière  de- 
vient plus  imposante  par  l'acces- 
sion de  l'Angleterre  au  traité  que 
l.t  Suède  a  signé  le  24  mars.  Les 
(h.ux  e;npereurs  ont  quitté  leurs 
capitales  ,  Alexandre  le  24  avril  , 
Napoléon  le  g  mai.  11  ne  s'agit 
plus  entre  eux  de  fixer  les  limi- 
tes de  l'empire  d'Orient  et  de 
l'empire  d'Occident.  Les  intérêts 
de  Tilsit  n'avaient  pas  tout-à-fait 
disparu  àErfurth,  mais  ils  avaient 
été  modifiés,  et  sans  doute  affai- 
blis par  les  événemens  de  l'Espa- 
gne et  du  Portugal ,  et  par  les  di- 
verses réunions  de  la  France.  Il 
s'agit  à  présent  de  l'empire  de 
l'Europe  partagée  en  de  grands 
vassaux.  Cette  ambitieuse  pensée 
est  toute  de  Napoléon,  à  qui  elle 
sera  fatale.  Alexandre  héritera  de 
cette  grande  prépondérance,  qu'il 
abdiquera  bientôt.  Hercule  pou- 
vait succomber,  mais  sa  massue 
n'était  point  un  héritage. 

Le  a6  n)ai ,  Napoléon  est  à 
Dresde,  oii  sont  abjurées  les  con- 
férences d  Erfurth,  en  présence  de 
plusieurs  souverains  de  l'Allema- 
gne. L'empereur  et  l'impératrice 
d'Autriche,  de  leur  plein  gré,  par 
la  plus    éclatante  démarche,  ont 


NAP 

quitté  Vienne,  sont  arrivés  dans  la 
capitale  de  la  Saxe,  et  donnent  au 
milieu  et  en  présence  de  l'Europe, 
une  sanction  authentiqueà  la  guer- 
re gallo-germanique  que  levir  gen- 
dre va  porter  en  Russie.' Le  roi  de 
Prusse  et  tous  les  souverains  du 
Rhin  à  la  Baltique,  consacrent  é- 
galement  cette  ^guerre  par  leur 
présence,  et  ils  preiment  A  l'envi 
leur  part  de  complicité  dans  les 
vœux  et  dans  les  moyens  qu'ils 
rassemblent  pour  l'asservissement 
général  de  l'Europe.  L'abais-^e- 
ment  commun  de  tous  ces  prin- 
ces, a  produit  im  nouveau  droit 
public  au  profit  du  dominateur, 
tant  qu'il  sera  victorieux.  Mais  si 
la  fortune  l'abandonne,  la  cons- 
piration sera  universelle,  comme 
l'était  la  soumission. 

Au  moment  oi^i  Napoléon  fait 
consacrer  à  Dresde  ,  par  sa  cour 
de  rois,  les  arrêts  qu'il  vient  de 
porter  contre  la  Russie,  un  traité 
secret  pour  une  paix  définitive  et 
fatale  à  son  entreprise,  était  signé 
à  Cucharest,  entre  les  Russes  et 
les  Ottomans.  Cette  négociation 
est  duc  à  l'Angleterre,  qui  ne  peut 
servir  plus  habilement  sa  propre 
haine  et  son  allié  de  Pétersbourg. 
L'étoile  de  Napoléon  a  pâli  le  aH 
mai,  jour  de  la  signature  de  ce 
traité  qu'il  ignore  ;  sa  conclusion 
fut  brusquée.  Kutusow,  chargé 
de  la  négociation  et  du  comman- 
dement de  l'armée  contre  les 
Turcs,  ayant  appris  qu'il  était  rap- 
pelé et  remplacé  par  Tchitcha-  ,J 
goff,  qui  avait  ordre  de  terminer,  % 
à  quelque  prix  que  ce  fût,  prit  sr.r 
lui  de  signer  la  paix,  afin  de  n'en 
pas  laisser  l'homieur  à  son  suc- 
cesseur. Napoléon  ne  fut  pas  le 
seul  trompé  par  ce  traité,  le  sultan 


le  fut  aussi,  et  quand  il  apprit  l'in- 
vasion de  Napoléon  en  Russie,  il 
refusa  de  le  ratifier,  et  ne  s'y  dé- 
cida encore  que  par  rinflueuce  de 
l'Angleterre.  Ce  relard  a  la  ratifica- 
tion ne  permit  à  l'armée  russe  de 
Moldavie,  de  s'ebranicr  que  dans 
le  mois  d'octobre.  La  guerroque  les 
Etats-Unis  d'Amérique  déclarent 
à  l'Angleterre,  Ie%i8  juin,  est  loin 
de  rempiacer.pour  ^Napoléon,  l'im- 
portance delà  diversion  ottomane,  ■ 
et  de  l'alliance  de  la  Suède ,  et 
n'ajoute  aucune  chance  aux  inté- 
rêts de  la  guerre  purement  conti- 
nentale qu'il  va  commencer.  Cha- 
cune de  ces  quatre  puissances  a 
son  motif  de  guerre  particulier. 
L'Amérique  se  hal  pour  la  liberté 
du  commerce,  la  JltHsie  pour  se 
soustraire  au  blocus  continental 
et  pour  ne  pas  perdre  ses  provin- 
ces polonaises,  l'Angleterre  pour 
abattre  Napoléon,  et  Napoléon 
pour  régner  sur  tout  ce  qui  s'ap- 
pelle Europe. 

lin  demi-million  d'hommes,  et 
plus  de  mille  bouches  à  feu,  sont 
réunis  déjà  dans  la  Prusse  orien- 
tale. Le  2  juin,  Napoléon  est  à 
Thorn  ;  le  22,  de  son  quartier-im- 
périal de  Willkoswiski,  il  adresse 
à  ses  armées  la  proclamation  sui- 
Tante  : 

«  Soldats,  la  seconde  guerre  de 
«Pologne  est  commencée.  La  pre- 

•  mière  s'est  terminée  à  Friedland 
net  à  Tilsit.  La  Russie  a  juré  l'é- 
»  ternelle  alliance  à  la  France  et 
«guerre  à  l'Anglclerre  :  elle  viole 

•  aujourd'hui  ses  sermens.  Elle  ne 
«veut  donner  aucune  explication 
«de  cette  étrange  conduite,  que 

les  aigles  françaises  n'aient  repas- 
sé le  Rhin,  laissant  par-là  nos  al- 
liés ù  sa  discrétiour  Lu  Russie  e<t 


NAP 


^97 


»  entraînée  par  la  fatalité  :  ses  des- 
y>tins  doivent  s'accomplir.  Nous 
«croit-elle  donc  dégénérés .^ ne sc- 
»  rions-nous  plus  les  soldats  d'Aus- 
>•  terlitz  !  Elle  nous  place  entre  le 
«déshonneur  et  la  guerre  :  le  choix 
«ne  saurait   êlre    douteux.    Mar- 

•  chons  donc  en  avant  ;  passons  le 
»  Niémen;  portons  la  guerre  sur 
«son  territoire  :  la  seconde  guerre 
»de  la  Pologne  sera  glorieuse  aux 

•  armées  françaises,  comme  la  pre- 
«miére;  ?nais  ta  paix  que  nouscov' 
n  durons  portera  avec  elle  sa  gc- 
hrantiCf  et  mettra  un  terme  à  la 
«funeste  influence  que  la  Russie  a 
«exercée  depuis  5o  ans  sur  les  af- 
«faires  de  l'Europe.» 

Le  24  juin,  le  Niémen  a  revu 
Napoléon.  Cette  terrible  limite 
est  dépassée  aux  appîaudisscmeiis 
de  la  malheureuse  et  fidèle  Polo- 
gne. Le  28  juin,  l'empereur  est 
à  Wilna.  capitale  de  la  Lithuanie; 
ce  duché  se  réunit  à  la  Pologne, 
dont  la  diète  proclame  le  même 
jour,  à^Varsovie,  la  trompeuse  in- 
dépendance. Lue  confédération 
générale  réunit  les  membres 
épars  du  royaume  de  Sobies- 
ki.  Les  souvenirs  de  la  longue 
tyrannie  de  Repnin  à  Warsovie, 
sous  Catherine  la  grande,  se  ré- 
veillent de  toutes  parts  au  bruit 
de  la  marche  de  Napoléon.  Une 
dépntalionde  la  diète  se  rend  près 
de  lui,  à  Wilna,  et  lui  dit  :  «  La 
I) diète  générale  du  grand-duché 
«deAVarsovie  s'est  constituée  en 
«confédération  de  la  Pologne  :  el 
aie  a  déclaré  le  royaume  de  Polo- 
))gne  rétabli  dansscs  droits...  Di- 
«tes,  sire,  que  le  royaume  de  Pn- 
nlognc  existe,  et  ce  décret  sera 
«pour  le  monde  équivalent  à  la 
«réalrté.  «Napoléoo,  qui  persistait 


T>98 


NAP 


dans  la  fausse  idée  de  ne  pas  sa- 
rriCer  la  Gallicie  autrichienne  au 
nouveau  système  polonais,  afin  de 
ne  pas  rendre  l'Illyrie,  que  dési- 
rait ardemnieut  la  maison  d'Au- 
triche, répondit:»  Poh)nai»,  j'au- 
»rais  pensé  comme  vous  dans  l'as- 
«seuibiée  de  Warsovie  :  l'anioiu' 
»de  sou  pays  est  le  preujier  de- 
»voir  de  l'homme  civilisé.  Dans 
«ma  situation,  j'ai  beaucoup  d'in- 
))léi*'ts  à  concilier,  beaucoup  de 
•  devoirs  à  reu)plir.  Si  j'avais  ré- 
«gné  pendant  le  premier,  le  se- 
»cond  et  le  troisième  partage  de 
»  la  Pologne,  j'aurais  armé  mes 
«peuples  pour  la  détendre...  J'ai- 
»nie  votre  nation...  J'autorise  les 
»  efforts  que  vous  voulez  l'aire... 
»  c'est  entièrement  dans  l'unani- 
)>mité  de  la  population  que  vous 
«pouvez  trouver  l'espoir  du  suc- 
»cès...  Je  dois  ajouter  que  J'ai  ga- 
nranti    à    l'empereur    d'Aalriche 

»  C intégrité  de  ses  domaines > 

Telle  fut,  en  suljstance"^  la  ré- 
ponse de  Napoléon  à  la  députalion 
«le  la  diète  ;  mais,  par  une  fatalité 
remarquable,  et  qu'il  était  loin  de 
pouvoir  deviner,  l'Autriche,  dont 
le  contingent  occupait  la  portion 
de  son  territoire  polonais,  et  à  la- 
quelle il  saci  ifiait  le  rétablissement 
si  politique  du  royaume  de  Polo- 
gne, devait,  quelques  moi,s  après, 
])ar  une  défection  subite,  livrer  la 
Pologne  entière  à  la  Russie,  con- 
tre laquelle,  à  Dresde,  elle  était 
venue  solliciter  la  faveur  de  faire 
cause  commune  avec  la  France! 
l.a  paix  de  Bucharest,  l'alliance  de 
la  Uussie  avec  la  Suède,  et  le  re- 
fus de  Wilna,  furent  les  auspices 
malheureux  de  la  campagne  de 

L'armée  impériide  française  é- 


NAP 

tait  composée  de  dix  corps  d'in- 
fanterie, aux  ordres  des  maré- 
chaux Davoust,Oudinnt,  Ney, Vic- 
tor, Macdonald  ,  du  prince  Jîugè- 
ne,  du  prince  Poniatowski,  et  des 
généraux  Saint -Cyr,  Régnier  et 
Junot.  ' 

La  vieille  garde  était  conmian- 
dée  par  le  maréchal  Lefèvre  ;  la 
jeune  par  le  maréchal  Mortier;  la 
cavalerie  de  la  garde  par  le  maré- 
chal Bessières;  la  réserve  de  la  ca- 
valerie formait  les  quatre  corps  de 
Nansouty,  Moutbrup,  Grouchyet 
LaTour-Alaubourg;  elle  était  sous 
les  ordres  du  roi  de  Naples;  le 
corps  autrichien  était  sons  les  or- 
dres du  prince  de  Schwarzen- 
berg;  le  corps  prussien  sous  ceux 
du  généial  d'Yorck  :  la  force  de 
l'armée  française,  y  compris  ses- 
renforts  et  les  garnisons,  était  de 
439,700  lionunes. 

La  grande-armée  russe  était  di- 
visée en  première  et  seconde  ar- 
mée d'occident,  sous  les  généraux 
Barclay-de-Tolly  et  Bagration,  et 
en  armée  de  réserve  sous  le  gé- 
néral ïormasow;  le  corps  d'ob- 
servation élail,  commandé  par  le 
général  Hertel,  et  l'armée  de  Mol- 
davie par  l'amiral  ïchitchago»'.  A 
cette  époquele  gouvernement  rus- 
se fit  paraître  un  étal  de  ses  forces, 
qui,  y  compris  ses  miliqes  et  ses 
garnisons,  et  sans  compter  ses 
paysans  armés,  présentait  926,370 
bianmes,  et  5,592  pièces  d'artil- 
lerie de  campagne.  m 

De  nouvelles  alliances  embras-  * 
sent  et  protègent  puissamment  la 
cause  de  la  Uussie  :  le  18  juillet, 
l'Angleterre  .-igné  un  traité  avec  la 
Suède,  et  le  i"  aoAt  elle  signe  à 
Pètersbourg  un  traité  de  paix  et 
d'union.  Le  20  juillet  le  cabinet  d« 


NAP 

"Pétersbourg  avait  habilement  pla- 
cé la  France  entre  deux  grands 
périls  ,  par  le  traité  de  Weiiky- 
iduski  avec  la  régence  de  Cadix. 
On  ne  nommait  pas  alors  rebelles 
ces  cortès  de  Cadix  :  on  traitait  a- 
vec  elles.  Celte  conspiration  des 
deux  extrémités  de  l'Europe  con- 
tre ?*apoléon,  a  quelque  chose  de 
gigantesque,  qui  appartient  parti- 
culièrement à  son  histoire.  Elle 
prouve  la  grandeur  du  péril,  com- 
me celle  de  la  haine,  et  rdève 
Jiierveilleusement  l'enneiui  dé- 
voué à  la  vengeance  combinée  du 
Nord  et  du  Midi.  Ce  traité  est  si- 
gné en  Russie,  le  20  juillet,  et  le 
•2-2  commence  en  Espagne,  par  la 
bataille  des^Aropiles  ,  gagnée  par 
^Vellington  sur  le  maréchal  Mar- 
iiiont,  la  décadence  des  armes  fran- 
çaises dans  la  péninsule.  L'impor- 
tance de  cette  victoire  est  telle, 
que  si  elle  eût  été  remportée  par 
les  Français,  les  cortès  faisaient 
leur  soumission  au  roi  Joïcph  ;  au 
contraire,  cette  victoire  détrône  ce 
prince,  et  hi  12  août  suivant  ^Vel- 
îington  est  à  Madrid.  La  redouta- 
ble union  de  l'Angleterre,  de  l'Es- 
pagne et  de  la  Russie,  forme  un 
triairgle  dont  la  France  est  la  base. 
Cependant  Napoléon  poursuit 
sa  marche  en  Russie,  et  voit  dans 
rabaissement  prochain  de  cet  enj- 
pire,  la  soumission  de  toute  l'Es- 
pagne. Tout  est  extraordinaire 
dans  sa  destinée  actuelle,  soit  Tim' 
iiiense  espoir  dont  son  Ame  est 
remp!ie,soijreacouragementdont 
la  fortune  se  plaît  à  Ibrliûer  une 
telle  espérance.  En  effet,  tous  les 
pas  de  l'armée  française  sur  le  ter- 
ritoire russe  ,  «ont  marqués  par 
d'importans  succès,  qui  sont  au- 
tant de  pcrûdies  de  la  destinée  , 


NAP 


5<)9 


dont  la  gloire  de  Napoléon  est  de- 
venue la  complice.  Le  20  juillet 
Bagration  est  défait  à  Mohilow, 
par  le  mas  échal  Davoust  ;  le  28 
les  Français  sont  à  Wytepsk  ;  le 
1"  août  la  fjrte  place  de  Duna- 
bourg  est  évacuée  à  Tapproche  du 
maréchal  Macdonald  ;  le  même, 
jour  W'ittgenstein ,  battu  par  le 
maréchal  Oudinot,  à  Obaïavszma, 
sur  laDrissa,  perd  7,000  hommes, 
et  une  partie  de  son  artillerie;  le 
1  •-,  après  quelques  affaires  d'à  van  !- 
postes  ,  les  Russes  abandonnent 
l'importante  ville  de  Smolensk  , 
après  y  avoir  mis  le  feu.  Ils  a- 
vaient,  en  manœuvrant  de  l'autre 
côté  du  fleuve,  évité  la  grande  ba-i 
taille  que  Napoléon  voulait  leur  li- 
vrer, avant  d'entrer  à  Smolensk. 
Cette  grande  ville,  le  seul  boule- 
vart  de  l'ejnpire  russe  sur  la  fron- 
tière de  Pologne,  fortiliée  par  des 
ouvrages  redoutables,  et  défendue 
par  ime  nombreuse  armée,  pour-» 
rait  arrêter  long-temps  et  diviser 
les  forces  de  Napoléon  ;  mais  une 
tactique  barbare  a  remplacé  chez 
les  Russes  les  nobles  conceptions 
de  la  guerre.  La  défaite,  la  honte 
de  leurs  armées,  l'embrasement  de 
leurs  villes  par  leurs  propres  mains, 
la  ruine,  le  désespoir  des  habi- 
tans,  sont  les  ^M|binaisons  que 
la  politique  d^Rur  gouverne- 
ment a  adoptées  pour  attirer  le» 
Français  dans  le  cœur  de  son  em- 
pire :  ce  long  suicide  est  le  pre- 
mier élément  de  sa  vengeance. 

On  assure  que  plusieurs  chefs  de 
l'année  française  engagèrent  >a- 
poléon  à  terminer  sa  campagne  à 
Sm(jleii>k.  Mais  il  avait  pris  Mi- 
lan, Vienne,  Berlin,  Madrid,  et 
l'orgueil  d'entrer  aussi  à  Moskou, 
daui»  lu  ville  iainte  du  Nord^  l'eui- 


4oo 


NAP 


porta  sur  ces  conseils  d'une  hante 
prudence.  Les  Russes  dès-lors  pu- 
rent aussi  dire  de  lui  :  Napoléon 
est  entraîné  pai'  la  fatalité;  que  ses 
destins  s'accomplissent  !  et  en  ef- 
fet la  victoire  qui  le  suit  en  pré- 
«  ipite  raccoinpiissement.  D'autres 
alïlrnient  que  Napoléon  voulait 
rester  à  Smolensk,  comme  il  a- 
vait  voulu  s'arrêter  à  Vitepsk, 
mais  qu'aupaiavant  il  voulait  ga- 
gner cette  grande  bataille  que  les 
Kusses  refusèrent  :  et  que  l'espoir 
seul  de  les  jenconlrer  enfin  à  une 
ou  deux  marches,  entraîna  celle 
suf  Moskou  ;  il  était  d'ailleurs  a- 
morcé  chaque  jour  par  des  suc- 
cès qu'il  devait  regarder  com- 
me d'heureux  présages  de  la  vic- 
toire décisive  qu'il  voulait  rem- 
porter au  cœur  de  l'empire  russe. 
Après  Smolensk,  eut  lieu  le  beau 
combat  de  Valentina,  où  fut  tué 
le  brave  général  Gudin.  Le  18 
août,  après  une  vigoureuse  affaire 
donnée  la  veille  sous  les  murs  de 
l'ololî-k,  le  général  Gouvion-Saint- 
Cyr  gagne  son  bâton  de  maréchal 
à  la  grande  bataille  qu'il  livre  au 
général  Wiltgenslein  ;  le  ig,  à 
>Valutina-Gora,  le  maréchal  Ney 
battit  l'arrière-garde  delà  grande- 
armée  russe,  qui  était  en  retraite 
depuis  trois  i(>iM||L:  le  29,  l'armée 
française,  déjà  iWo  lieues  de  Smo- 
lensk, entre  à  Wiazma,  que  les 
Tinsses  ont  brfiléc  en  l'évacuant. 
Le  même  jour  le  général  Rutusow, 
venu  de  l'armée  de  Moldavie,  après 
avoir  négocié  la  paix  de  .lassy  avec 
îa  Porte,-arrivait  à  la  grande-ar- 
mée en  qualité  de  généralissime. 
La  faction  des  boyards  de  Moskou 
le  fit  nommer,  dit-on,  en  rempla- 
cement de  Barclay  de  Tolly,  et 
l'empereur  Alexandre  panit  recc- 


NAP 

voir  à  celte  occasion,  la  loi  de  la 
vieille  noblesse  de  son  empire.  En- 
fin le  17  septembre  a  lieu  cette 
fameuse  bataille  de  la  Moskoœa 
sur  le  plateau  qui  domine  Borodi- 
no,  position  formidable,,  hérissée 
de  redoutes  et  de  canons,  où  les 
Russes,  animés  parles  prédictions 
du  vieux  général  RutUhOAv,  et  par 
une  image  miraculeuse  de  la  Vier- 
ge, ont  juré  de  fermer  aux  Fran- 
çais la  route  de  Moskou.  Rutu- 
sow prophétise  ainsi  :  «  Diea  va 
)^  comhallre  son  ennemi  avec  l'épée 
r>  (le  Saint-Michel,  et  avant  que  le 
»  soleil  de  demain  ait  disparu,  vous 
»  aurez  écrit  votre  foi  et  votre  fidé- 
nlité  dans  les  champs  de  voire  pn- 
»  trie  avec  le  sang  de  l'agresseur  et 
nde  ses  légions.  «Napoléon  parle 
autrement  à  son  armée:  «  Soldats, 
»  dit-il,  voici  la  bataille  que  vous 
n  avez  tant  désirée;  désormais  la  vie- 
filoire  dépend  de  vous,  elle  vous 
n  donnera  de  bons  quartiers  d' hiver 
net  an  prompt  retour  dans  la  pa- 
htrie!  Conduisez-vous  comme  à 
K  Àusterlitz,  à  Friedland ,  à  Vi' 
»  tepsk  et  à  Smolensk,  et  que  la 
1^  postérité  la  plus  reculée  cite  avec 
>t  orgueil  votre  conduite  dans  cette 
D  journée  ;  que  l'on  dise  de  chacun 
))  de  vous  :  Il  était  à  cette  grande 
n  bataille  sous  les  murs  de  Mos- 
n  kou.  »  3o,ooo  Russes  et  ^o  de 
leurs  généraux,  payèrent  de  leur 
sang  ou  de  leur  liberté  la  prédic- 
tion fanatique  de  Kutusow,  et 
l'exhortation  guerrière  de  Napo- 
léon; 20,000  Français,  qu'aucune 
victoire  ne  pouvait  remplacer,  eu- 
rent le  même  sort,  ainsi  que  huit 
généraux;  deux  périrent  à  l'at- 
taque <le  la  fameuse  redoute  par 
les  cuirassiers;  le  comte  de  Cau- 
laincourt  eut  le  fatal  honneur  dâ 


NAP 

»*emplacei'  le  général  Monlbrun, 
ttié  ail  coiumencementderaffaire, 
et  tomba  d'un  coup  de  l'eu,  au 
milieu  de  l'inexpugnable  forliûca- 
tion,  que  sa  bouillante  valeur  ve- 
nait d'enlever  :  celte  brillante  ac- 
tion décida  la  bataille  et  causa  de 
justes  regrets  à  l'armée.  L'attaque 
des  redoutes  par  la  grosse  cavale- 
rie est  une  concej)lion  particulière 
à  Napoléon,  à  qui  elle  avait  si  bien 
réussi  aux  batailles  d'Esslinget  de 
Wagrani.  Le  deuil  couvrait  les 
deux  camps,  mais  par  une  lourbe- 
rie  contre  le  ciel  lui-inênie  et 
contre  l'armée  russe,  le  Te  Deuin 
de  la  victoire  retentit  dans  toutes 
les  églises  delà  Russie,  et  le  grade 
defeld  maréchal  lut  donné  à  K.utu- 
sow.  Ainsi  la  civilisation  ralfinait 
encore  sur  la  barbarie  en  chan- 
geant le  deuil  en  trophée,  et  en 
décernant  la  palme  an  vaincu  : 
c'était  a  la  fois  corronjpre  la  re- 
ligion et  l'honneur.  Tel  est  l'en- 
nemi que  poursuit  Napoléon  ; 
sept  jours  après,  le  14  septembre, 
rarniée  française  entra  à  Moskou, 
Elle  se  souvient  avec  ivresse  de 
la  proclamation  prophétique  de 
ISapoîuon,  avant  la  bataille  de  la 
Moskowa,  qui  lui  donne  la  ville 
des  czars.  Là  est  le  repos,  et  la 
récompense  de  tant  de  travaux,  de 
tant  de  victoiits;  là,  au  sein  de 
l'abondance,  et  suivie  par  les  ap- 
plaudissemens  de  la  patrie,  elle 
attendra  noblement  le  signal  de 
la  paix  la  plus  glorieuse  pour  re- 
tourner eu  France,  honorée  et 
triomphante.  Elle  aura  porté  le 
nom  Français  au-dessus  du  nom 
de  tous  les  peuples  modernes, 
comme  son  chef  a  porté  le  sien 
au-dessus  de  celui  des  plus  grands 
capitaines;  désormaisrarméc  fran- 

T.  XIV. 


NAP  401 

çaise  et  Napoléon  vont  marcher  de 
pair  dans  la  postérité,  et  comme  il 
l'avait  annoncé  à  ses  soldats,  cha- 
cun d'eux  à  son  retour  en  France 
entendra  dire  :  <•  //  ttait  à  celle 
^grande  bataille  sous  les  murs  de 
»  J/05,  i  ou  1  .) 

Le  gouverneur  Rostopchinavait 
rassemblé  chez  lui,  dans  la  mati- 
née du  i4;  touslesagens  de  la  po- 
lice, à  qui  il  donna  des  ordres. 
Napoléon  arriva  vers  onze  heures 
du  matin  en  vue  de  Moskou  :  il 
approuva  l'armistice  que  deman- 
dait l'arrière-garde  russe  pour  tra- 
verser la  ville.  On  ne  sut  que 
vers  2  heures,  que  les  dépulalions 
de.''  autorités  de  Moskou,  qui  fu- 
rent désirées  et  attendues,  ne  vien- 
draient pas  :  on  apprit  en  même 
tenjps  que  les  palais  de  cette  vaste 
cité  étaient  déserts,  et  qu'elle  n'a- 
vait plus  pour  habitans  que  les 
blessés,  les  malades,  et  la  plus 
basse  population.  Cependant,  cet- 
te vi^e  de  3oo  mille  habitans, 
aussi  vaste  que  Paris,  renferme 
d'imnienses  u)agasins,  et  va  pour- 
voir encore  mieux  par  le  départ 
de  sa  pi^ulation  à  tous  les  besoins 
de  l'armée.  Napoléon  n'y  perdra 
pas  mêtue  son  triomphe,  qui  au- 
ra pour  témoins  tous  ses  braves  et 
le  palais  des  fondateurs  de  l'em- 
pire russe.  Il  ira  donc  le  lende- 
main planter  son  aigle  sur  les  mh 
narets  du  Kremlin,  et  s'asseoir  sur 
le  trône  de  Pierre-le-Grand.  La 
prudence  ordonne  ce  retard  :  des 
déserteurs  de  la  milice  restés  à 
Moskou,  ainsi  que  des  cosaques  à 
l'arsenal,  causaient  de  grands  dé- 
sordres. Le  général  Dur-isnel,  en- 
voyé comme  gouverneur  et  char- 
gé de  veiller  à  la  conservation  de 
la  ville  et  à  lu  tran(|uillité  publi- 
ai 


'{02 


^w 


que,  engagea  l'empereur  à  n'ea- 
îrer  que  le  lendemain  ;  il  fallait  au 
moins  le  reste  de  la  journée  pour 
établir  l'ordre,  et  pour  connaître 
cette  vaste  cité,  ce  que  la  dispa- 
rition de  tous  les  habitans  rendait 
impossible.  Cependant  Napoléon 
traversa  les  faubourgs  et  la  rivière, 
fit  travailler  au  pont  qui  était  dé- 
truit, et  revint  coiicber  dans  une 
des  grandes  auberges  du  fau- 
bourg. Le  lendemain  il  se  rendit 
au  Kremlin,  où  il  n'eut  d'autres 
téinoins,  que  le  silence  de  ce  vaste 
nionimient  de  l'antique  puissance 
des  czars,  et  le  deuil  triomphal 
de  son  armée  ;  car  dans  celte  nuit 
du  i4au  i5qu'il  venait  de  passer 
dans  un  faubourg,  le  système  bar- 
bare qui  avait  réduit  en  cendres 
les  villes  de  Smolensk,  de  Dorigo- 
bui.  Wiasma,  Chiat,  etc.,  incen- 
dia le  bazard  près  de  la  bourse,  où 
sont  10,000 boutiques, et  quelques 
maisons  d'un  faubourg  éloigné.  Le 
général  Durosnel  et  le  duc  de  Tré- 
vise  qui  commandait  les  troupes, 
employèrent  tous  les  moyens  qui 
étaient  en  leur  pouvoir  pour  ar- 
rêter l'incendie.  Mais  dès  ce  mo- 
ment, si  on  ose  le  dire,  commença 
la  complicilé  de  la  nature  avec  la 
politique  russe,  à  laquelle  elle  dé- 
voua tous  ses  fléaux.  A  9  heures 
du  soir  un  vent  terrible  de  nord- 
ouest  propagea  subitement  l'in- 
cendie, et  à  10  heures  la  flamme 
s'éleva  sur  toute  la  ville.  L'empe- 
reur, faligué  de  la  journée  précé- 
dente, s'était  couché  à  8  heures. 
Tout  le  palai-^  Fut  réveillé  par  les 
cris  de  l'arinée  et  le  bruit  de  la 
destruction  des  édifices;  la  journée 
du  16  lut  employée  à  sauver  l'ar- 
senal, le  Kremlin  et  plusieurs  pa- 
lais. Vers  5  heures  du  soir  l'incen- 


i\AP 

die  entourait  tellement  le  palai:4 
impérial,  que  Napoléon  craignant 
que  ce  grand  désastre  ne  fût  com- 
biné avec  une  surprise  de  nuit  de 
la  part  de   l'armée  russe,    donna 
l'ordre  du  départ,  et  fut  obligé  de 
traverser  les  flammes  pour  se  ren- 
dre au  château  de  Pétroffski.  Mos- 
kou  expira  dans  un  océan  de  feu; 
de  4rOoo  maisons  bâties  en  pierre, 
200  seulement  furent  épargnées; 
de  8,000  bâties  en  bois,    5oo;  et 
de  1600  églises,   la  moitié  seule- 
ment demeura  intacte.  Les  toits 
de  la  plupart  des  habitations  cons- 
truits   en   tôle,    s'échauflërenl   et 
fomentèrent  eux-mêmes  dans  tous 
les  édifices  l'action  du  feu,  que-des 
mains  mercenaires  avaient  allumé 
par  l'ordre   du   gouverneur  Kos- 
topchin,  dernier  exécuteur  du  fir- 
man  irtcendiaire  sur   la  route  de 
l'armée  française.  La  flamme  qui 
dévorait  iMoskou ,  éclaira  la  mar- 
che de  Napoléon  à  Pelrofl"ski.  Kien 
n'avait  été  oublié  par  l'ordonna- 
teur de  cette  grande  destruction  : 
toutes  les  pompes  avaient  été  dé- 
truites; les  soldats  et  les  agens  de 
pulice,  d'après  les  ordres  de  Ros- 
topchin,  avaient  tout  préparé  dans 
les  maisons,  et  y  mettaient  tran- 
quillement le  feu;  plusieurs  furent 
pris    sur   le  fait  :    interrogés    par 
l'empereur   lui-même,   ils  furent 
renvoyés  aux  tribunaux  militaires, 
qui  en  firent  exécuter  sept  ou  huit: 
les  au  tt  es  restèrentdans  les  prisons, 
parce  que  Napoléon  se  convainquit 
par  lui-même  que  ces  misérables 
étaient  les  victimt;s  de  leur  obéis- 
sance aux  ordres  d'un  chef  despo- 
tique, et  non,  comme  on  a  voulu  le 
dire  depuis,  des  fanatiques  qui  brfi- 
laient  la  ville  sainte  pour  qu'elle 
ne  fAt  pas  profanée  par  les  Fran- 


NAP 

çais  ;  les  plus  affreux  désordres  se 
mêlèrent  à  cette  horrible  scène. 
Le  reste  de  la  populace,  que  l'on 
estime  à  près  de  5o,ooo  Ames, 
se  livra  au  pillage  ,  et  acheva  la 
ruine  des  immenses  ressources 
que^  renfermaient  les  magasins 
de  Moskou.  Cependant,  les  sol- 
dats français,  par  les  efforts  que 
peut  seul  inspirer  la  nécessité, 
parvinrent  à  sauver  du  sein  des 
<lécombres  embrasés  une  quantité 
assez  considérable  de  provisions 
en  tout  genre,  et  pendant  les  six 
jours  que  dura  l'incendie,  ils  trou- 
vèrent le  moyen  de  réparer  leurs 
forces  épuisées  par  une  si  longue 
marche  et  par  leurs  propres  ex- 
ploits. Ce  fut  un  spectacle  nouveau 
que  celui  d'une  armée  victorieuse 
campée  autour  d'une  ville  en 
flammes,  et  soulagée  par  des  se- 
cours conquis  encore  par  elle  sur 
l'incendie  qui  anéantissait  le  fruit 
de  ses  triomphes.  Cette  terrible 
scène  française  se  passait  à  800 
lieues  de  Paris,  autour  du  palais 
de  Petroffski. 

L'insouciance,  et  cette  sorte  de 
mépris  des  biens  de  la  terre,  na- 
turels à  des  soldats  à  qui  l'habi- 
tude de  la  victoire  tenait  lieu  de 
prévoyance,  dissipèrent  prompte- 
ment  les  ressources  immenses  , 
et  celte  abondance  miraculeuse 
qu'ils  avaient  retirée  de  l'incen- 
die .  Napoléon  était  rentré  au 
Kremlin.  La  destruction  de  Mos- 
kou ,  en  lui  enlevant  subitement 
l'a-^ile  où  devait  se  reposer  sa 
marche  triomphale  depuis  le  Nié- 
men ,  lui  rendit  la  paix  nécessaire. 
Ce  fut  le  dernier  piège  que  lui 
tendait  la  fortune.  M.  de  Tou- 
tolmin  ,  directeur  de  l'hospice  des 
cnfans-trouvés,  était  le  seul  fonc- 


NAP 


(|Od 


tionnaire  russe  qui  fût  resté  à 
Moskou  ;  il  en  fut  récompensé  : 
son  établissement  fut  sauvé.  Na- 
poléon le  chargea  de  faire  un  rap- 
port à  l'impératrice  douairière , 
protectrice  de  l'hospice  des  en- 
fans-trouvés;  et,  par  le  courrier 
qui  porta  ce  rapport  àPétersbourg, 
il  Gt  des  ouvertures  de  paix.  Ce- 
pendant l'homme  de  la  guerre , 
celui  pour  qui  le  chanip  de  ba- 
taille était  presque  une  patrie,  et 
à  qui  la  perte  de  Moskou  était  si 
fatale,  le  jour  même  de  son  retour 
au  Rremlin  se  déclare  le  protec- 
teur de  tous  les  hôpitaux  de  celte 
ville  :  ce  fut  son  premier  soin.  Il 
pourvut  d'abord  à  l'entretien  d'un 
hôpital  de  i5,ooo  blessés  russes, 
qui,  ainsi  que  les  nombreux  ha- 
bitans  des  hospices  de  Moskou, 
avaient  été  dévoués  aux  flammes 
par  leurs  barbares  compatriotes; 
mais ,  grâce  aux  soins  infatigables 
du  duc  de  Trévise  et  de  l'inten- 
dant Lesseps,  l'incendie  ne  put 
arriver  au  quartier  des  hôpitaux. 
Les  blessés,  les  malades ,  sauvés 
delà  flamme  que  leurs  compatrio- 
tes avaient  allumée,  furent  tous 
soignés  par  les  médecins  de  l'ar- 
mée française,  les  mêmes  peut- 
être  qui,  deux  ans  après,  dans  la 
capitale  de  la  France,  soignèrent 
aussi  les  blessés  russes  avec  le 
plus  rare  dévouement.  Ce  fut  la 
France  qui  veilla  à  Moskou  sur 
les  Russes.  Une  administration 
aussi  régulière  que  pouvait  le  per- 
mettre la  situation  de  l'armée  fran- 
çaise, préleva  pour  les  hospices, 
sur  les  besoins  nrgens  qui  déjà  se 
faisaient  sentir  au  milieu  d'elle, 
la  dîme  d'une  religieuse  huma- 
nité, et  le  surnom  de  grand  fut 
sans  doute  donné  à  Napoléon  par 


4o4  NAP 

les  malades,  les  blessés  et  les  or- 
phelins (le  Moskou.  Cependant 
le  cotiiiier  envoyé  à  Pélershourg 
pour  porter  le  rapport  de  M.  de 
Toutolmin  et  des  propositions 
pour  la  paix,  revint  sans  répon- 
se. Si  le  nom  du  gouverneur 
Kostopcliin,  incendiaire  de  Mos- 
kou, doit  passer  à  la  postérité, 
celui  de  l'hospitalier  Toutolmin, 
conseiller  de  la  paix,  doit  présen- 
ter à  l'histoire  une  douce  com- 
pensation. 

Le  crime  de  Moskou  était  con- 
sommé ;des  ncufdixiémes  de  celte 
vaste  cité,  de  la  grande  ville  im- 
périale ,  de  l'anlique  Sion  des 
Shives,  étaient  détruits.  Le  minis- 
tore de  Castelreagh  eut,  dit-on, 
un  représentant  dans  le  conseil 
secret  qui  avait  prononcé  l'arrêt  de 
Moskou;  il  se  nommait  Schmidt , 
très-habile  artificier.  Cet  honune 
avait  été  établi ,  dés  le  mois  <Je 
juillet  précédent,  sur  la  route  de 
Kaiuga,  dans  le  château  de  Wo- 
ronzolT,  où  il  avait  fait  l'exécrable 
essai  d'un  ballon  incendiaire  ;  mais 
cette  invention  n'ayant  pas  réussi, 
il  y  l'abriqua  cette  foule  de  tor- 
ches, de  mèches,  de  fusées  et  de 
Jin-ilières  embrasantes  qui  passè- 
rent de  ses  mains  dans  celles  des 
criminels  de  Moskou.  On  assure 
également  que  les  200,000  livres 
sterlings  notées  par  le  parlement 
d'Angleterre  pour  les  incendiés 
de  Moskou,  reçurent  une  autre 
destination!  Cependant,  à  la  mê- 
me époque  où  Schmidt  travaillait 
à  la  défense  de  la  Piussie  par  l'in- 
cendie de  sa  'japifale,  l'empenrur 
Alexandre,  qui  présidait ,  le  27, 
dans  cette  ville  l'assemblée  géné- 
rale ■  des  marchands  ,  leur  avait 
Itpnoigné  sa  haute  satisfaction  et 


NAP 

sa  reconnaissance  pour  le  rare  et 
unanime  dévouement  avec  lequel, 
pour  le  salut  et  la  défense  de  leur 
patrie  ,  ils  s'étaient  empressés  de 
lui.  offrir  les  plus  généreux  sacri- 
fices. Il  est  donc  absolument  im- 
possible de  croire ,  non-seulement 
que  l'empereur  Alexandre  ait  pu 
consentir  à  la  destruction  delMos- 
kou ,  mais  même  que  ce  prince 
eût  eu  connaissance  de  ce  détes- 
table projet.  L'historien  n'est-il 
pas  alors  entraîné  à  présumer  que 
la  même  faction  oligarchique  qui 
avait  fait  nommer  Kutusow  gé- 
néralissiuie,  avait  conçu  et  exé- 
cuté à  elle  seule  le  dessein  d'in- 
cendier la  ville  où  elle  dominait 
depuis  l'origine  de  l'empire  russe? 
Le  fait  est  que,  le  1 3  septembre, 
un  conseil  de  guerre  fut  tenu  à 
une  demi-lieue  de  Moskou  :  il  y 
fut  agité  si  on  livrerait  une  der- 
nière bataille  sous  les  mius  de  la 
capitale,  ou  si,  ne  pouvant  la  dé- 
fendre ,  on  la  détruirait.  Quarante- 
huit  heures  après  Moskou  était 
en  feu;  or,  l'empereur  Alexandre 
était  à  Pétersbourg,  à  cent  lieues 
de  Moskou. 

Cependant  deux  armées  russes, 
éloignées  du  principal  théâtre  de 
la  guerre,  allaient  entrer  dans  les 
opérations  du  généralissime  Ku- 
tuzow  :  c'était  l'armée  de  réserve, 
commandée  par  Tormazow,  et 
l'armée  de  Moldavie,  par  l'amiral 
Tchitschagoff.  Ces  deux  armées 
réunies,  fortes  d'environ  Go, 000 
hommes,  opérèrent  leur  jonction 
derrière  la  Slyr,  du  i5  au  18  sep- 
tembre. Le  prince  de  Schwar- 
zenberg,  comnjandant  le  contin- 
gent autrichien,  ne  leur  opposait 
qu'environ  42,000  hommes,  dont 
3o,ooo  Autrichiens ,   et  le  reste 


NAP 

Saxons  et  Polonais,  II  avait  déjà 
facilement  battu  le  général  Tor- 
mazow;  mais  la  réunion  du  gé- 
néra! Tchitschagoff  le  décida  à  se 
retirer  sur  le  Bug,  pour  couvrir 
la  Gallicie.  Dès  ce  moment  com- 
mença la  singulière  inaction  du 
prince  de  Schwarzcnberg  ,  qui 
parut  s'être  imposé  de  ne  plus 
jouer  que  le  rôle  de  témoin  des 
destinées  françaises  en  Russie.  Le 
négociateur  anglais,  Horace  Wal- 
pole ,  envoyé  à  Vienne,  paraît 
n'avoir  pas  été  étranger  au  nou- 
veau système  de  coopération , 
qu'adopta  tout-à-coup  le  général 
autrichien.  Celte  allégation ,  qui 
fut  hasardée  alors ,  trouvera  peut- 
être  son  témoignage  dans  la  con- 
duite de  ce  prince  en  janvier  i8i5, 
et  dans  celle  de  son  cabinet. 

L'Angleterre,  qui  joue  un  si 
grand  rôle  dans  les  affaires  de  cet- 
te mémorable  époque,  et  dont 
linflueuce  active  avait  fait  rejeter 
à  Pétersbourg  les  propositions 
de  paix,  jointes  au  rapport  de  M. 
deîoutolniin,  s'était  opposée  éga- 
lement à  l'admission  du 'général 
Lauriston ,  porteur  d'une  lettre 
de  l'empereur  Napoléon  à  l'empe- 
reur Alexandre.  Ce  général  fut 
envoyé  deux  fois  au  quartier-gé- 
néral de  Kutuzow ,  où  ,  après 
avoir  perdu,  dans  la  vaine  at- 
tente d'une  audience  de  l'empe- 
reur Alexandre,  les  trois  semaines 
qui  devaient  être  si  fatales  à  l'ar- 
mée française,  il  n'eut,  dit-on, 
du  général  russe  que  cette  répon- 
se :  «  f^ous  nous  offrez  la  paix; 
)'  notre  guerre  va  commencer.  » 
Il  n'y  avait  plus  d'espérance  de 
paix,  et  il  ne  restait  à  Napoléon  , 
de  tous  les  trophées  conquis  pour 
obtenir  l'humiliation  de  la  Russie, 


NAP 


/}0> 


que  les  cendres  de  quelques  ville* 
incendiées  par  les  vaincus,  et  la 
nienace  de  l'hiver;  ainsi  le  sol  rus- 
se lui  devenait  inhospitalier  pour 
la  paix  comme  pour  la  guerre. 
Il  fallut  donc  opérer  la  retraite 
avec  tous  les  insignes  de  la  vic- 
toire. L'armée  conquérante  dut  se 
dérober  à  sa  propre  conquête,  et  ie 
nom  de  la  patrie  retentit  avec  une 
acclamatioti  presque  séditieuse 
dans  les  rangs  de  vingt  peuples, 
qui  avaient  suiviàMoskou  la  terri- 
ble forUlne  de  Napoléon.  Frap- 
pés du  refus  de  la  paix  commo 
d'un  arrêt  du  ciel,  et  subitement 
désintéressés  de  l'honneurde  leurs 
armes  et  du  prix  de  leurs  travaux, 
ils  aspiraient  tumultueusement  à 
reprendre  la  route  de  tant  d'ex- 
ploits inutiles,  et  à  franchir,  à 
marches  forcées,  l'espace  immen- 
se qui  les  séparait  de  la  patrie 
européenne. 

On  était  au  milieu  d'octobre. 
L'ne  première  évacuation  de  bles- 
sés avait  déjà  eu  lieu  sous  le  com- 
mandement du  général  INansouty. 
Trente  jours  après  l'entrée  à  Mos- 
kou,  commença  l'évacuation  gé- 
nérale des  hôpitaux  sur  Smolensk 
et  sur  Mojaisk;  le  ig,  l'armée 
fut  mise  en  mouvement.  Le  dé- 
part fut  accéléré  de  24  heures 
par  \ct  malheureuse  affaire  de  Wo- 
ronowo,  en  avant  de  Moskou , 
où  le  roi  de  Naples  se  laissa  sur- 
prendre ,  et  perdit  toute  son  ar- 
tillerie et  ses  équipages.  Il  fallait 
venger  cet  affront,  et  ne  pas  don- 
ner au  mouvement  de  la  retrait» 
la  couleur  d'une  fuite  devant  l'en- 
nemi; en  conséquence  Napoléon 
ordonna  de  marcher  sur  Kutu- 
zow. Depuis  ce  moment,  la  vic- 
toire  resta   fidèle    à  l'arniée;  le 


4o6 


NAP 


même  jour,  à  Pololsk,  le  maré- 
chal Gouvion-Saint-Cyr  repous- 
se et  met  en  déroute  le  général 
"NVittgenstein  ;  le  lendemain  20, 
à  plus  de  mille  lieues  de  Moskou, 
le  général  Dubreton,  aujourd'hui 
pair  de  France,  immortalisait 
!,5oo  Français,  avec  lesquels, 
après  trente-cinq  jours  d'attaque 
de  l'armée  anglaise  commandée 
par  Wellington,  et  après  cinq 
assauts,  il  faisait  lever  le  siè- 
ge de  liurgos  ;  grand  fait  d'ar- 
mes, auquel  toute  l'injmftice  de 
la  guerre  d'Espagne  n'Imprime 
yucune  tache,  parce  que  la  rivali- 
té de  la  France  et  de  l'Angleterre 
le  rendait  tout  national  pour  nos 
armes  ! 

Cependant  la  fortune  de  Napo- 
léon ,  et  malheureusement  celle 
de  la  France,  était  cernée  par 
trois  périls  d'une  égale  fatalité , 
la  conjuration  physique  et  morale 
de  la  Russie,  la  guerre  à  outrance 
de  l'Espagïie ,  et  une  autre  cons- 
piration dans  le  sein  même  de  la 
capitale  de  la  France.  L'empereur 
avait  quitté  Moskou  le  22.  Ses  a- 
dicux  ressemblèrent  à  des  impré- 
cations qui  devaient  retomber 
sur  lui-même.  Le  25,  au  moment 
môine  où  par  ses  ordres,  sautait 
le  fameux  Kremlin,  trois  prison- 
niers, les  généraux  Malet,  Laho- 
rie  et  Guidai,  tentèrent  de  ren- 
verser à  Paris  le  trône  de  Napo- 
léon, de  lui  fermer  tout  retour 
dans  sa  patrie,  et  de  le  dévouer  à  la 
pioscription  de  l'Europe.  Saisis 
par  les  audacieux  conspirateurs, 
le  ministre  et  le  préfet  de  la  poli- 
ce sont  jetés  dans  les  prisons. 
Le  commandant  de  Paris  échap- 
pe au  pistolet  de  Malet,  qui  sou- 
dain est  arrêté  avec  ses  deuxcom- 


NAP 

plices,  et  le  27,  ils  sont  fusillés 
sur  la  plaine  de  Grenelle.  Ces 
ex-généraux  étaient  républicains, 
de  l'école  du  général  Moreau  , 
dont  ils  voulurent  ressusciter  la 
conspiration;  elle  manq,ua,  parce 
qu»^  Paris  élait  un  trop  grand 
thé;1tre  pour  d'aussi  pelitsacteurs. 
Hors  de  Paris,  peut-être  même 
hors  des  quartiers  habités  par  les 
autorités  attaquées  par  Malet, 
son  entreprise  eût  été  presque 
inconnue.  Avilie  par  l'insoucian- 
ce générale,  elle  n'eût  pas  eu 
même  l'inquiétude  des  citoyens 
pour  garant  de  leur  soumission. 
Napoléon  était  absent,  peut- 
être  il  était  prisonnier,  peut-être 
il  n'était  plus;  Malet  allirmait  sa 
mort  dans  sa  proclamation.  Mais 
Napoléon  avait  laissé  à  Paris,  ou- 
tre le  poids  de  son  nom  ,  et  la 
gloire  d'être  entré  à  Moskou , 
l'impératrice,  un  héritier  et  un 
gouvernement  légal,  un  pouvoir 
de  fait  protégé  par  toutes  les  ha- 
bitudes, comme  par  tous  les  inté- 
rêts d'une  population  subjuguée 
depuis  1 5  ans  par  son  génie.  Ma- 
let avait  conspiré  seul  ;  il  avait  été 
plusieurs  fois  gracié  par  l'empe- 
reur, et  entre  autres  fois  à  l'épo- 
que du  couronnement.  Mais  ses 
intrigues  obligèrent  Napoléon  à 
le  faire  arrêter  de  nouveau.  Ce 
général  n'était  sûrement  pas  un 
homme  ordinaire,  il  eût  été  peut- 
être  un  grand  homme  dans  une 
petite  république,  mais,  en  1812, 
en  France,  il  ne  pouvait  être  qu'un 
aventurier  ,  et  sa  conspiration 
retombait  dans  la  criminalité 
d'un  simple  complot  contre  l'or- 
dre public.  Toutefois  deux  opi- 
nions rivales  furent  réveillées  par 
cette  lentaiive  extraordinaire  :  les 


NAP 

>"ieux  royalistes  et  les  vieux  ré- 
publicains donnèrent  des  regrets 
aux  conspirateurs  du  23  octobre. 
Cependant  la  malheureuse  ar- 
mée était  en  marche  et  toujours 
victorieuse,  elle  fuyait  avec  hon- 
neur la  terre  de  la  destruction.  Le 
24  octobre,  le  prince  Eugène  ga- 
gnait, à  00  lieues  de  Moscou,  la 
bataille  de  Malojeroslawetz  sur  le 
général  Kutuzow,  après  i5  heu- 
res de  combat,  et  vengeait  la  sur- 
prise de  Woronowo,  comme  s'il 
était  déjà  destiné  à  réparer  les 
fautes  du  roi  de  Naples.  Ce  furent 
les  Italiens  qui  décidèrent  cette 
belle  victoire.  Le  5  novembre  à 
TV'iazma,  à  56  lieires  de  Moscou, 
l'arrière  -  garde  française  battait 
l'ennemi.  Le  14,  l'armée  a  fait 
cent  lieues;  elle  est  à  Smolensk 
au  sein  de  l'abondance.  Mais  dès 
le  (i,  la  guerre  de  l'hiver  a  com- 
mencé, et  elle  efface  par  ses  fléaux 
la  guerre  de  toute  la  population. 
Le  ;•  novembre  le  thermomètre 
de  Réauinur  descend  à  18  degrés. 
Les  chemins  sont  devenus  subite- 
ment impraticables.  Tout  délai 
cependant  est  mortel  pour  la  mar- 
che de  Tarmée,  et  elie  doit  quit- 
ter Smolensk.  le  iG,  sans  pouvoir 
emporter  avec  elle  les  subsistan- 
ces amassées  pour  elle  dans  cette 
grande  ville.  Plus  de  3o,ooo  che- 
vaux avaient  péri,  dont  iu,ooo 
dans  la  marche  sur  Borisow;  la 
cavalerie  ,  l'artillerie  ,  les  trans- 
ports étaient  presque  générale- 
ment démontés.  Ce  ne  fut  pas 
seulement  la  gelée  qui  fit  périr  les 
hommes  et  surtout  les  chevaux; 
ce  fut  la  soif,  tourment  affreux 
?ur  une  mer  de  glace  !  Asphyxiés 
par  le  froid .  les  hommes  mou- 
raient eu  maj-chaat;  quelquefois 


NAP  40; 

la  mort  s'annonçait  sur  leurs  vi- 
sages austères  par  les  convulsions 
d'un  rire  sardonique.  et  terminait 
leur  vie  par  celles  du  désespoir  le 
plus  sombre.  Elle  semblait  obéir 
à  des  lois  inconnues  de  la  nature 
pour  anéantir  les  héros  de  la  Mos- 
kowa.  Tout  fut  notjveau  dans  cet- 
te grande  calamité,  jusqu'à  la 
mort  elle-même  ! 

Dans  les  i5  premiers  jours  de 
la  retraite,  il  ne  restait  déjà  plus 
que  des  débris  des  100,000  hom- 
mes qui  avaient  vu  brûler  Mos- 
kou ,  et  ce  fut  dans  la  marche  sur 
Smolensk ,  que  Napoléon  apprit 
la  conspiration  Malet!!  Telle  fut 
la  distraction  que  la  fortune  de- 
venue implacable  offrit  à  sa  pen- 
sée. Dans  l'âme  de  Napoléon,  un 
tel  événementdut  combattre  puis- 
samment tous  les  maux  de  la  re- 
traite de  Mo*kou.  «  L'ennemi  était 
«aussi  à  Paris  :  le  foyer  impérial 
•  avait  été  envahi  ;  peut-être  était- 
nil  encore  menacé.  »  Après  avoir 
vu  le  conquérant  vaincu  par  les 
élémens  ,  l'Europe  aurait  pu  voir 
le  dominateur  détrôné  par  trois 
de  ses  sujets  !...  Qu"éfait-il  à  une 
armée  mourante  et  fugitire?  Il 
n'y  avait  plus  de  place,  a  sa  tête 
ou  dans  ses  rangs,  ni  pour  Na- 
poléon ,  ni  pour  Bonaparte...  Au 
milieu  de  ses  débris,  proscrit  avec 
elle,  il  n'existait  plus  ni  pour  l'Eu- 
rope ,    ni  pour  la   France Il 

croyait  alors  qu'il  était  de  sa  des- 
tinée de  périr  dans  une  tempête, 
et  non  dans  l'agonie  d'une  longue 
infortune.  Il  ne  pouvait  revivre 
qu'à  Paris,  d'où  seulement  il  pou- 
vait parler  encore  au  monde  et  à 
ses  sujets.  Telles  sont  les  pensées 
qui  peut-être  fermentent  dans  l'â- 
me ulcérée  de  Napoléon.  Cepen- 


4o8 


NAP 


(lant  tandis  qu'il  peut,  frappé  par 
tant  d'inforlunes,  nourrir  de  som- 
bres inquiétudes  sur  le  sort  de  la 
France  et  sur  le  sien,  la  France 
toujours  fidèle  n'espère  qu'en  lui; 
elle  fait  son  devoir  ;  il  fait  le  sien. 
Le  retour  dans  la  capitale  est  dé- 
cidé. 

Cependant  l'ennemi,  maître  de 
Minsk,  malheureiJsenient  évacuée 
par  nos  troupes,  s'est  placé  entre 
le  Niémen  et  notre  armée.  Riitu- 
sow,  à  la  tète  de  70,000  combat- 
tans,  a  pressé  sa  marche,  et  le  19 
à  Rrasnoïil  veut  couper  l'arrière- 
}ïarde  française.  Le  nom  de  la 
Béiésina  va  devenir  inmjortel  ! 
Poursuivis  par  tous  les  fléaux, 
îs5,ooo  Français  se  font  jour  au 
travers  de  la  nombreuse  armée 
du  vieux  satrape.  On  ne  sait  ce 
qu'est  devenu  le  maréchal  Ney  et 
son  corps  d'armée.  Mais  il  lui 
veste  son  invincible  courage  et 
6,000  braves.  A  leur  tète,  il  affron- 
te les  5o,ooo  Russes  de  Milora- 
dowitsch,  les  enfonce,  et  tout-à- 
coup,  arrêté  par  d'insurmontables 
obstacles,  la  nuit  il  affronte  aussi 
le  Dnieper,  le  pas-^e  sur  la  glace  à 
]>eine  formée ,  échappe  ainsi  au 
général  russe  qui  croyait  recevoir 
le  lendemain  Tépée  du  brave  des 
braves,  et  rejoint  à  Orcha  aux  ac- 
clamations de  l'armée.  En  vain  les 
généraux  français-russes ,  Lam- 
bert et  Longeron,  se  sont  empa- 
rés dcBorisow  pour  fermer  le  pas- 
sage de  la  Bérésina  :  le  23  un  fau- 
bourg de  cette  ville  est  repris  par 
le  uiuréohal  Oiidinot,  qui  s'empa- 
re de  tons  les  équipages  des  géné- 
raux TcbitschagolT  et  I-ambert. 
Cependant,  la  situation  de  l'armée 
française  est  des  plus  critiques, 
depuis  qnc  la  ligne  de  la  Diiina 


NAP 

a  été  forcée  et  que  l'auxiliaire 
Schwarzenberg  s'est  retiré  der- 
rièra  le  Bug.  Resserrée  dans  une 
ligne  étroite,  seul  passage  qui  res- 
te à  sa  fuite,  pressée  sur  sa  droite 
par  Witsgenstein ,  sur  s/i  gauche 
par  Tchitschagofî,  poussée  par 
Kutusow,  décimée  par  tons  les 
fléaux  de  la  nature  et  de  la  guerre, 
elle  n'a  plus  d'autre  condition  que 
celle  de  vaincre  ou  de  mourir 
tout  entière.  Il  faut  arriver  à 
Wilna ,  où  seront  le  repos  et  l'a- 
bondance; elle  n'en  est  plus  sé- 
parée que  par  quatre  marches. 
Déjà  depuis  Moscou,  elle  a  laissé 
derrière  elle  180  lieues  de  frimas 
et  5o,ooo  de  ses  combattans. 
Elle  n'en  compte  plus  que  80,000 
soutenus  par  les  corps  du  maré- 
chal Oudinot  et  du  luaréchal  Vic- 
tor. Celui-ci  vient  d'être  affaibli 
encore  par  la  perte  d'une  division 
que  le  général  Partounneaux  a 
égarée  et  qui  est  prisonnière. 
Sans  la  capitulation  de  ce  géné- 
ral, plus  fatale  que  celle  de  Du- 
pont à  Baylen,  l'étonnant  passage 
de  la  Bérésina  se  serait  opéré  sans 
perdre  un  homme.  TchitschagofT, 
appelé  sur  un  autre  point  par 
Kutusow,  laissa  établir  deux  ponts 
à  Weselowo.  Un  passage  a  été 
heureusement  reconnu  trois  jours 
avant  par  l'audace  du  général  Cor- 
bineau  ,  qui  ,  détaché  près  du 
corps  bavarois,  avait  ordre  de  re- 
joindre le  duc  de  Reggio.  Ce  gé- 
néral trouvant  Borisow  occupé,  et 
sentant  l'importance  de  passer  la 
rivière  à  tout  prix,  osa  la  traver- 
ser à  la  nage,  à  minuit,  à  la  tête 
de  sa  brigade,  pour  donner  des 
nouvelles!  Le  génie  de  la  guerre 
est  resté  avec  Napoléon.  Le  gé- 
néralissime Kutuzow  s'est   laissé 


NAP 

surprendre  trois  marclies;  il  croit 
que  les  Français  ne  preudronl 
d'autre  roule  que  le  pont  de  Bo- 
risow,  et  il  a  été  trompé  par  l'ac- 
tion inouïe  du  général  Corbineau. 
A  4  lieues  de  cette  ville  ,  au  vil- 
lage de  Studziauca  en  face  de 
Weselowo,  uialgré  l'affreuse  dé- 
tresse où  sont  réduits  tous  les  ser- 
vices de  l'armée,  les  ponts  fu- 
rent jetés  miraculeusement  sur 
les  aSo  toises  de  glaçons  que  char- 
rie la  Bérésina,  bordée  d'ailleurs 
d'impraticables  marécages  aux- 
quels l'intensité  du  froid  lui-mê- 
me n'a  pu  donner  de  solidité.  Les 
26  et  27  novembre,  s'effectue  ce 
fameux  passage.  Le  maréchal 
Oudinot  à  l'avant-garde.  est  bles- 
sé en  repoussant  l'armée  de  Mol- 
davie; mais  l'intrépide,  l'illustre 
maréchal  Ney,  a  réuni  à  son  corp> 
celui  du  maréchal  et  celui  du 
prince  Poniatowski ,  et  met  hors 
de  combat  l'armée  de  Tchilscha- 
goff.  A  la  lête  des  .j""*  et  5"'  de 
cuirassiers,  le  brave  général  Dou- 
merc  enfonce  six  carrés  d'infan- 
terie, bouleverse  la  cavalerie  rus- 
se et  fait  1.800  prisonniers.  Avec 
1 2,000  hommes  seulement  le  ma- 
réchal Victor,  qui  était  resté  de 
l'autre  côté  du  fleuve  pour  atten- 
dre le  général  Parlnunneaux,con- 
licnt  les  L\o,noo  que  commande 
W'itsgenstein.  La  perle  des  Rus- 
ses fut  considérable  en  hommes 
tués  ou  pris.  Enfin  la  Béiésina  est 
franchie.  Il  reviendra  des  brav«-s 
de  Moskou;  ils  marchent  sur  Wil- 
na.  L'nc  population  nombreuse 
de  fuyards  de  Moskou ,  d'fjtran- 
gers,  de  femmes,  d'enfans,  pres- 
sée, foulée  au  milieu  dti  choc  des 
deux  armées,  renversée  sous  les 
fourgons,  sous    les  caissons   de 


NAP 


409 


l'arlillerie,  dépouillée  par  les  co- 
saques, expirant  sur  la  neige  dans 
les  angoisses  de  la  mort  la  plus 
douloureuse,  couvrait  la  plaine 
de  Weselowo.  Beaucoup  d'équi- 
pages et  une  partie  seulement  de 
rarlillerie  du  maréchal  Victor, 
restèrent  au  pouvoir  des  Russes, 
ainsi  que  beaucoup  de  prison- 
niers faits  dans  l'action,  ou  tom- 
bés entre  les  mains  de  l'ennemi 
par  rencombrement  qui  leur  ren- 
dit impossible  le  passage  des 
ponts.  L'artillerie  des  autres  corps 
avait  passé  avec  eux  sans  le  moin- 
dre embarras.  L'infortune  et  la 
gloire  des  armes  françaises  sont 
égales.  Les  témoins  de  la  grande 
armée  qui  n'est  plus,  viennent  de 
franchir  la  Bérésina.  Ils  sont  les 
seuls  héritiers  des  triomphes  de 
Smolensk  ,  de  Polotsk  el  de  la 
Moskowa.  La  France  va  l'appren- 
dre en  lisant  les  pages  mortuaires 
du  29*  builelin  daté  de  Molo- 
detscho  le  3  décembre;  le  28', 
daté  d(î  Smolensk,  était  du  12 
novend)re.  Depuis  ce  jour,  la 
France  et  ses  alliés  ignoraient  le 
sort  d'un  d<'mi-million  de  sol- 
dais. 

Deux  jours  après,  au  quartier- 
général  de  Smorgony,  N  ipolcon 
convoqua  le  roi  de  Naples ,  le 
vice-roi  d'Ilalie  et  ses  maré- 
chaux, remit  en  leur  présence  le 
commandement  général  au  roi 
de  Naples,  et  partit  pour  Paris 
dans  un  traîneau,  accompagné  du 
duc  de  Vicence,  sous  le  nom  du- 
quel il  voyageait.  Le  choix  dn 
roi  de  Naples  déplut  à  l'armée^ 
qui  eût  préféré  le  vice-roi.  Les 
événemcns  de  la  retraite  le  prou- 
vèrent bientôt.  Le  départ  de  Na- 
poléon jtiUe  l'arinéo  dans  une  in- 


4io 


NAP 


quiétude  profonde,  malgré  les 
promesses  de  fortune  et  même 
(le  gloire  qu'il  mêle  à  «es  adieux. 
«  Je  reviendrai  bientôt  avec 
»  5oo,ooo  hommes  ,  et  nous  dic- 
»  ttrons  encore  des  lois  à  l'Eu- 
»  rope.  t>  Napoléon  eût  été  plus 
grand,  plus  digne  de  celte  armée 
et  de  la  France,  s'il  avait  dit  : 
n  Je  vais  à  Paris  préparer  la  paix 
n  de  l'Europe,  et  donner  pour  tou- 
"jours  le  repos  aux  braves  de 
»  Moskou.  »  Qu'étail-il  besoin  de 
parler  de  gloire  à  celle  arn)ée 
qui  ne  périssait  que  par  le  froid 
et  par  la  faim,  et  qui  ne  cessa 
jamais  un  seul  moment  de  vain- 
cre dans  sa  retraite  comme  elle 
l'avait  fait  dans  sa  marche  sur  Mos- 
kou!  Aussi  les  peuples  de  la  Russie 
dirent  depuis  :  Ce  n'est  point  te 
général  Kulusow  qui  a  détruit  tes 
Français,  c'est  le  général  Moro- 
sow  (la  gelée). 

L'armée  s'est  traînée  sur  la 
roule  de  Wilna,  où  elle  se  préci- 
pite le  lo décembre  ;  là,  elle  trou- 
ve la  plus  grande  abondance  et 
sa  dernière  destruction.  D'im- 
menses magasins  sont  ouverts  à 
l'avidité  funeste  du  soldat;  ils 
reçoivent  dans  les  maisons  la  fa- 
tale hospitalité  d'une  race  bar- 
bare. Ils  ont  contre  eux  la  faim, 
Ja  soif,  l'épuisement,  les  vivres, 
les  secours,  le  repos  et  l'impla- 
cable cupidité  des  juifs,  qui  for- 
ment une  grande  partie  de  la  po- 
pulation. Ceux-ci  les  reçoivent, 
les  dépouillent,  et  les  rejettent 
nus  dans  les  rues  ,  où  le  froid 
achève  le  crime  de  l'avarice.  «  Si 
«on  entend  un  de  ceux  qui  fu- 
nrent  à  Wilna  se  louer  de  son 
»  hôte ,  dit  le  général  Guillaume 
»de  Vaudoncourt,  on  peut  har- 


NAT 

ndiment  assfirer  que  cet  hôle  fut 
»un  Polonais.»  Il  avait  dit  a- 
vant  :  «  Les  plus  modérés  de  leurs 
«bourreaux  se  contentèrent  de 
»les  jeter  dans  la  rue,  où  bientôt 
ails  avaient  cessé  d'exister.  Le 
«plus  grand  nombre  les  assassine 
»  ou  les  dépouille  auparavant.  Les 
«juifs  surtout  se  signalèrent  par 
«cette  lârhe  cruauté,  dont  on 
«trouve  tant  d'exemples  dans 
»  leurs  annales.  «Tous  les  peuples, 
et  surtout  tous  les  malheureux, 
sont-ils  encore  pour  les  juifs  é- 
trangcrs  à  la  France,  des  Madia- 
niles  et  des  Amalécites?  Cons- 
tanlino[»le  les  a  vus,  en  i8aa, 
massacrer  les  Grecs  pour  les  dé- 
pouiller, saisir  de  leurs  mains 
sanglantes  les  nobles  filles  de 
leurs  victimes,  et  exercer  dans 
un  infâme  bazar,  à  marché  ou- 
vert, le  trafic  de  la  prostitution 
de  ces  orpheline*  infortunées! 

Le  désordre  fut  à  son  comble 
àWilna  ainsi  que  le  malheur.  Le 
lieutenant  de  l'empereur  sembla 
avoir  oublié  le  prix  du  dépôt  qu'il 
lui  avait  confié.  Aucun  ordre  pour 
les  distributions,  aucun  acte  de 
la  moindre  discipline  militaire; 
ce  fut  bien  pire,  quand  le  lende- 
main il  fallut  évacuer  Wilna.  Au- 
cune police  ne  présida  ni  au  pas- 
sage des  troupes,  ni  à  la  marche 
de  ce  qui  restait  encore  d'équi- 
pages militaires  de  toute  nature. 
Près  de  la  porte  occidentale  de 
Wilna,  s. 'élevait  une  montagne 
de  glace,  celle  de  Ponary,  où 
s'encombrèrent  les  équipages , 
sans  pouvoir  la  franchir.  Une 
simple  garde  eût  suffi  pour  faire 
marcher  successivement  toutes 
ces  voitures.  Elle  ne  fut  point 
ordonnée,  et  tous  les  bagages, 


NAP 

tout  ce  qui  rc-^tait  encore  d'artil- 
lerie, de  caissons,  de  charriots 
pour  le  transport  des  malades  et 
des  blessés, de  vint  la  proie  des  co- 
saques. Enfin  le  froid  rigoureux  Gt 
qu'on  ne  se  garda  pns.  Si  le  roi 
de  Naples  et  les  généraux  se 
fussent  mis  à  l'arrière-garde,  tout 
aurait  passé  sans  pert»;  ni  péril. 
Mais  tout  le  monde  se  chauffait, 
et  les  cosaques  tirèrent  parti  de 
celte  insurmontable  nécessité. 
Enfin,  ce  qui  échappe  à  l'hospi- 
talité de  Wilna,  au  pillage  des 
cosaques,  aux  fléaux  de  la  natu- 
re, arrive  à  Kowno,  dernière  vil- 
le russe  qu'il  faut  évacuer  le  16 
décembre.  Cependant  il  reste  à 
protéger  le  départ  de  l'armée,  et 
c'est  les  armes  à  la  main  que  les 
Français  doivent  quitter  le  sol  qui 
les  dévore.  Mais  où  sont  des  sol- 
dats pour  se  battre  encore?  Ney, 
qu'on  retrouve  toujours,  Ney  pa- 
raît armé  d'un  fusil  ainsi  que  Bel- 
liard  !  A  la  vue  do  plus  grand  hom- 
me de  guerre  de  l'Europe,  du  héros 
dElchiugen  et  de  la  Mosk.owa,du 
plus  illustre  maréchal  de  l'empi- 
re tirant  en  soldai  sur  les  soldats 
russes,  ime  troupe  de  braves 
prend  aussi  le  fusil  et  se  range 
à  ses  côtés  ;  l'ennemi  est  repous- 
sé, et  les  flammes  de  Rowno , 
seule  ville  brûlée  par  l'armée 
française  dans  cette  campagne , 
que  l'incendie  de  tant  de  villes  et 
de  villages  leur  a  ouverte,  et  que 
l'hiver  seul  vient  de  leur  fermer, 
annoncent  à  l'armée  russe  qu'il 
n'y  a  plus  de  Français  sur  leur 
territoire,  que  ceux  qui  sont  morts 
et  ceux  qui  sont  prisonniers.  Peu 
après  l'évacuatioD  de  la  Russie, 
la  gazette  de  Pctersbourg  publia 
ainsi  le  fatal  dénombrement  de 


NAP 


iit\ 


nos  pertes  :  ofliciers  prisonniers, 
6,000  ;  soldats  prisonniers  , 
i3o,ooo  ;  cadavres  brûlés  dans 
les  districts  de  Moskou  ,  Smo- 
lensk.Witepsk,  Mohilovr,  "NViIna, 
3o8,ooo. — goo  Pièces  de  canon. 
100,000  fusils,  35,000  charriots  et 
caissons  laissés  en  Russie,  complè- 
tent le  tableau  de  nos  désastres. 

Le  maréchal  Macdonald,  qui 
commandait,  lors  de  l'entrée  en 
Russie,  l'extrême  gauche  de  l'ar- 
mée, avait  pénétré  en  Livonie,  et 
menaçait  Riga,  quand  il  apprit  la 
retraite  de  Moskou.  Il  avait  sous 
ses  ordres  le  contingent  prussien 
du  général  York.  Il  dut  quitter 
Mittau,  le  19  décembre,  pour  re- 
prendre la  route  de  Tilsitt ,  et  se 
mil  en  marche  avec  une  division 
française,  12  pièces  d'artillerie,  et 
la  cavalerie  prussienne  du  général 
Massenbach.  Le  général  York  eut 
ordre  de  le  suivre  à  une  journée 
de  distance.  Auprès  de  Tilsitt,  un 
corps  russe  aux  ordres  du  général 
Lasko'w,  voulut  inquiéter  la  mar- 
che du  maréchal,  mais  il  fut  écra- 
sé par  le  général  Barhelu  :  quant 
au  général  de  Massenbach,  il  per- 
dit une  partie  de  son  artillerie,  et 
deux  de  ses  régimens  mirent  bas 
les  armes.  Le  2g,  le  maréchal  pas- 
sa le  Niémen,  se  croyant  suivi  par 
le  général  York;  mais  le  5o  dé- 
cembre, ce  général  capitulait  au 
moulin  de  Poschernu,  près  Tau- 
roggen ,  tant  en  son  nom  qu'en 
celui  du  général  de  cavalerie  Mas- 
senbach, avec  le  major  russe  de 
Diébitsch,  pour  le  contingent  prus- 
sien. Cette  défection  inattendue 
livra  tout-à-coup  aux  Russes,  la 
rive  droite  de  la  Yislnle;  aussi  le 
roi  de  Naples  se  vit- il  forcé  de 
transporter brusqiKMDenl  son  quar- 


4l2 


NAP 


tier-généralfle  Kœnigsbcrg  à  Var- 
sovie, et  de  là  à  Posen.  Dans  le 
temps  où  cette  négociation  se  tra- 
mait, non  entre  le  roi  de  Prusse 
et  l'empereur  Alexandre,  mais 
entre  le  commandant  russe  et  le 
général  York  ,  mandataire  du 
T ugend-hund  prussien  ,  l'inaction 
singulière  dont  le  contingent  au- 
trichien avait  été  frappé  à  l'épo- 
que de  la  réunion  de  l'armée  de 
Moldavie  à  la  réserve  de  Torma- 
sow,  prit  la  couleur  d'une  vérita- 
ble neutralité,  qui  continua  à  en- 
chaîner les  mouvemens  du  géné- 
ral Régnier,  comme  la  défection 
prussienne  avait  annulé  les  opéra- 
tions défensives  du  maréchal  Mac- 
donald.  Le  prince  de  SchAvarzen- 
berg  rentra  dans  la  Gallicie  autri- 
chienne,  et  le  général  Pœgnier, 
abandonné  tout-à-coup  à  ses  pro- 
pres forces ,  se  retira  sur  le  Bug 
avec  ses  braves  et  fidèles  Saxons. 
Ainsi,  ce  lut  entre  deux  défections, 
dont  une  de  famille,  que  les  glo- 
rieux restes  de  l'armée  française 
reparurent  sur  le  territoire  de 
l'Europe  alliée;  ainsi,  la  fortune  se 
plaisait  à  prendre  les  formes  les 
plus  monstrueuses  pour  accabler 
les  Français.  Echappés  aux  fléaux 
de  la  nature,  ils  étaient  attendus  par 
ceux  de  la  politique. 

A  cette  fatale  époque,  l'armée 
française  présentait  encore  un  é- 
tat  numérique  de  146,000  hom- 
mes, dont  68,900  formèrent  les 
garnisons  de  Dantzick,  de  ïhorn, 
deModlin,  de  Zamosc,  de  Czento- 
kau,de  Stcttin,  de  Custrin,  de 
Glogau  et  de  Spandau.  11  ne  res- 
tait donc  de  troupes  de  bataille 
que  77,000  hommes,  dont  12,000 
Français  sous  le  prince  Eugène, 
10,000  Saxons  sous  le  général  Re- 


NAP 

gnier,  et  10,000  Polonais  sous  le 
prince  Poniatowski  :  eu  tout 
52,000 hommes.  Les  20,000  Prus- 
siens du  général  York  ,  et  les 
25,000  Autrichiens  du  prince  de 
Schwarzenberg ,  alliés  et  auxi- 
liaires si  empressés  de  l'armée 
française  à  son  départ  pour  la 
Russie,  lui  avaient  enlevé  45,ooo 
combattans ,  avec  lesquels  elle 
aurait  pu  conserver  la  ligne  de  la 
Vistule  ,  dont  elle  occupait  toutes 
les  forteresses.  Ainsi  le  drapeau 
français  ne  comptait  que  12,000 
nationaux  en  campagne ,  suivis 
par  toutes  les  forces  de  l'empire 
russe,  sur  une  terre  infidèle  ou  dé- 
jà ennemie! 

Ce  fut,  comme  nous  l'avons 
dit,  pendant  la  route  de  Mos- 
kou  à  Smolensk  que  Napoléon 
avait  pris  le  parti  de  revenir  en 
France.  Il  s'en  était  ouvert  au 
prince  de  Neuchâtel,  et  aux  ducs 
de  Frioul  et  de  Vicencc,  avec 
qui  et  sous  le  nom  duquel  il 
déclara  vouloir  voyager.  Je  pè- 
serai plus,  lui  dit -il,  sur  mon 
trône  aux  Tuileries,  qu'à  la  iêle 
de  C armée.  Au  surplus,  je  ne  quit- 
terai l'armée  que  quand  elle  aura 
rejoint  ses  renforts,  que  ses  sub- 
sistances seront  assurées,  et  quelle 
n'aura  plus  de  chances  à  courir. 
Napoléon  partit  donc  le  5  décem- 
bre de  Smorgouy  (où  le  général 
Hogendorp  ,  gouverneur  de  W il- 
na,  s'était  rendu),  après  qu'il  se 
fut  bien  assuré  que  les  communi- 
cations et  les  subsistances  de  l'ar- 
mée étaient  assurées  dans  cette 
dernière  ville,  et  que  là  serait  le 
ferme  de  la  retraite.  Arrivé  dans 
la  nuit  à  Ochsmiana ,  petite  ville 
occupée  par  une  réserve  de  10,000 
hommes  venue  de  Kœnigsbcrg,  il 


NAP 

s'en  fallut  peu  qu'il  ne  courût 
le  plus  grand  danger.  La  garnison 
s'élait  laissé  surprendre  par  les  co- 
saques, qui  avaient  pénétré  sur  la 
place  de  la  ville.  Ils  venaient  seule- 
ment d'être  repoussés  quand  Napo- 
léon y  entra.  Il  s'arrêta  dans  le  fau- 
bourg de  Wilna,  où  il  vit  le  duc  de 
Bassano,  son  ministre  des  relations 
extérieures,  et  où  il  eut  la  certi- 
tude du  bon  étal  des  magasins  de 
cette  place  pour  les  subsistances 
de  l'armée.  A  Warsovie ,  il  visi- 
te les  fortiflcations  du  faubourg 
de  Praga,  si  tristement  fameux 
par  le  massacre  que  les  Russes 
y  firent  des  ba!)itans  sous  le  rè- 
gne de  Catherine  II.  Le  14  dé- 
cembre, il  était  à  Dresde,  où  il 
vit  le  roi  de  Saxe;  de  là  il  parlit 
pour  Erfurth  ,  où  il  quitta  son 
traîneau  pour  prendre  la  voiture 
du  baron  de  Saint-Aignan ,  sou 
ministre  à  Weymar.  Il  traversa 
Mayence,  et  le  19  à  minuit,  a- 
près  un  lête-à-tête  de  quatorze 
jours  et  quatorze  nuits,  le  duc  de 
Vicence  déposa  l'empereur  au 
palais  des  Tuileries  ,  le  lende- 
main de  la  publication  dans  la  ca- 
pitale du  fatal  29*  bulletin.  L'im- 
pératrice venait  de  se  mettre  au 
lit,  et  la  consigne  du  palais  en 
rendait  les  approches  dilFiciles 
à  la  modeste  voiture  qui  renfer- 
mait l'empereur  et  le  duc  de  Vi- 
cence. Cependant  les  grilles  s'ou- 
vrirent, et  Napoléon,  rendu  à  sa 
femme  et  à  son  fils,  dut  ressentir  un 
dccesmomensde  félicité  exlrordi- 
naire,  auquel  il  semble  qu'aucune 
âme  humaine  ne  puisse  suffire.  Ce 
souvenir  si  tendre  fut  sans  doute, 
I)endant  les  six  années  de  Sainte- 
tléléne,  le  plus  cruel  lounnent  de 
sa  captivité. 


NAP  4i3 

Le  lendemain,  la  salve  accoutu- 
mée annonça  son  retour  à  la  capi- 
tale. Il  avait  dérobé  à  l'Europe 
quatorze  jours  de  sa  vie,  dont  les 
dernières  heures  venaient  d'être 
données  tout  entières  à  ses  plus 
tendres  affections;  il  rentra  le  20 
décembre  dans  le  domaine  de  l'his- 
toire. Le  lever  fut  nombreux;  tout 
Paris  y  courut  demander  des  nou- 
velles de  l'armée.  Les  harangues 
du  sénat,  du  conseil-d'état,  des 
cours  judiciaires,  des  corps  admi- 
nistratifs, de  l'université,  reprirent, 
ce  jour  et  les  suivans,  ce  protoco- 
le obligé  de  félicitations  et  de  flat- 
teries qui,  dans  les  circonstances 
critiques  où  l'empereur  se  trouvait 
précipité,  ne  lui  montrèrent  que 
plus  grands  les  périls  qui  le  mena- 
çaient. Napoléon  sentait  bien  que 
le  partage  de  la  fortune  devenait 
égal  entre  la  nation  et  lui,  et  qu'il 
plaidait,  devant  la  France,  la  cause 
du  salut  public.  Il  savait  aussi  que 
si  le  malheur  était  général,  il  n'y 
avait  que  lui  pour  le  combattre. 

Auss^i  jamais  son  génie,  comme 
s'il  venait  d'être  subitement  rajeu- 
ni par  l'adversité,  nedéveloppa-t- 
il  de  plus  vastes  puissances.  La 
connaissance  approfondie  qu'il  se 
plut  à  prendre  de  tous  les  moyens 
et  de  tous  les  détails  de  la  conspi- 
ration Malet,  ne  contribua  pas  peu 
à  retremper  cette  aclivité  dévo- 
rante, source  de  tant  de  créations. 
Kien  en  effet,  même  à  la  tête  des 
naufragés  de  Moskou,  et  voyageant 
sur  leurs  débris,  rien  ne  devait  pro- 
duire sur  un  homme  aussi  passion- 
né pour  le  pouvoir,  une  impression 
plus  profonde  et  plus  tyrannique. 
(|ue  le  complot  de  Malet.  Il  l'exa- 
mina ,  et  s'en  fit  rendre  compte 
dans  les  plus  minutieux  détails. 


Il^ 


NAP 


Ce  qui  le  frappa  beaucoup  plus 
que  l'audace  de  Malet  ,  l'ut  ce 
qu'il  appela  si  improprement  la 
trahison  du  préfet  de  la  Seine, 
dont  la  conduite  fut  l'effet  de  la 
plus  déplorable  crédulité.  A  la 
première  réquisition  qui  lui  fut 
faite  au  nom  de  Malet,  ce  Inagis- 
trat  avait  fait  préparer  la  salle  des 
conférences  à  l'hôtel  de  la  Préfec- 
ture,sans  faire  la  moindre  observa- 
tion. Vainement  on  fit  valoir  et  la 
probité  et  les  services  du  préfet, 
et  le  saisissement  dont  le  succès 
de  l'entreprise  de  Malet  l'avait 
soudainement  frappé.  Napoléon 
ordonna  une  instruction,  et  exigea 
un  vote  individuel  des  membres 
de  son  conseil-d'état.  Ils  ne  pu- 
rent absoudre  leur  collègue,  il  fut 
condamné  par  le  conseil;  mais  Na- 
poléon se  contenta  de  l'éloigner 
des  affaires,  et  n'eut  pas  seulement 
la  pensée  de  lui  appliquer  la  peine 
des  traîtres.  Cependant  il  le  con- 
sidérait comme  tel,  en  pensant 
que  le  préfet  de  la  capitale  s'était 
fait  subitement,  et  sans  opposition, 
l'agent  d'une  révolution,  plutôt 
que  d'aller  se  ranger  près  du  fils 
et  de  la  femme  de  son  souverain , 
à  qui  il  avaitprêté  serment.  Il  rap- 
pela à  cette  occasion  la  conduite 
de  Mathieu  Mole,  en  d'autres  cir- 
constances, et  rien  n'échappa  à 
Napoléon  dans  cette  enquête,  qu'il 
fit  aussi  contre  lui-même.  Il  vit 
que  la  révolution  n'était  pas  morte, 
et  que  sa  dynastie  n'avait  pas  pris 
racine,  même  parmi  tes  membres 
fie  son  conseil.  Il  se  sentit  donc 
blessé  au  cœur  par  les  détails  de 
cette  misérable  entreprise,  et  il 
prit  à  tâche  de  dompter  par  de 
nouveaux  efforts,  par  des  travaux 
surhumains,  la  conspiration  euro- 


NAP 

péenne,  que  l'Angleterre  condui- 
sait contre  lui  dans  le  nord  et  dans 
le  midi  de  l'Europe.  Il  connaissait 
toute  la  profondeur  de  l'abîme  où 
la  destinée  voulait  le  précipiter. 
Peut-être  même,  par  le  secret  que 
lui  seul  avait  de  sou  caractère,  sa- 
vait-il qu'il  succomberait  et  était- 
il  déjà  résigné  à  sa  perte.  Mais  il 
avait  trop  occupé  le  monde,  pour 
ne  pas  chercher  à  lui  donner  a- 
vant  sa  chute  la  représentation  d'un 
grand  duel  entre  l'Europe  et  lui  : 
drauje  terrible  dont  la  France  se- 
rait le  théâtre,  et  la  retraite  de 
Moskou  l'avant-scène. 

i8i3. 

La  France  était  devenue  une 
place  d'armes,  et  le  palais  un  con- 
seil ;  toutes  les  affaires  civiles,  po- 
litiques et  militaires,  se  ressen- 
taient de  la  présence  infatigable  de 
Napoléon.  Il  présidait  chaque  jour 
plusieurs  comités,  et  veillait  assi- 
duement  à  la  fortune  intérieure 
et  extérieure  de  l'état.  Jamais  il 
n'avait  plus  gouverné  :  rien  n'é- 
chappait à  sa  prévoyance,  rien  ne 
résistait  à  sa  volonté  de  faire  mar- 
cher la  France  entière  dans  la  nou- 
yelle  carrière  où  il  allait  s'enga- 
ger avec  elle.  II  trouvait  partout 
un  élan  vraiment  national,  que  le 
deuil  de  Moskou  et  le  péril  de  la 
patrie  avaient  produit.  Cette  é- 
poque  rappelait,  douloureusement 
il  est  vrai,  celles  où  la  défense  de 
la  libertè'armait  la  France  entière, 
et  elle  devait  avoir  de  plus  toute 
l'énergie  que  pouvait  donner  le 
souvenir  de  20  aimées  d'une  gloi- 
re subitement  réduite  à  protéger 
le  foyer  paternel.  Le  11  janvier, 
une  levée  de  200,000  hommes  fut 
décrétée  par  le  sénat;  ces  nouvel- 


NAP 

les  phalanges  coiirtirenl  an  dra- 
peau. Le  mot  d'invasion  fut  élec- 
trique, et  le  sentiment  de  se  rallier 
autour  des  nobles  débris  de  .Mos- 
kou.futtout-puissantsurcette  jeu- 
nesse belliqueuse,  que  Napoléon 
allait  commander  eu  personne. 
Cependant  s'il  cherchait  à  obte- 
nir un  nouvel  empire  sur  l'opi- 
nion, par  les  immenses  prépara- 
tifs militaires  dont  toute  la  France 
était  ébranlée,  il  ne  négligea  pas 
de  se  l'assurer  encore  par  un  trai- 
té de  haute  politique,  qui  pouvait 
rattacher  la  cause  de  la  France  à 
celle  de  la  cour  de  Rome,  et  res- 
serrer nos  relations  avec  les  puis- 
sances catholiques.  Le  25 janvier, 
à  la  suite  d'une  chasse  à  Grosbois, 
il  se  rendit  inopinément  à  Fontai- 
nebleau ,  traita  lui-même  avec  le 
pape^  et  après  trente-six  heures 
de  conversation  et  d'explication, 
dans  les  meilleures  formes ,  avec 
le  saint-père,  il  obtint  ce  que  n'a- 
vaient pu  obtenir  tous  les  négocia- 
teurs qu'il  lui  avait  envoyés.  Ln 
concordat  fut  signé.  Mais  la  publi- 
cation de  ce  traité,  .yi'il  voulait 
tenir  encore  secret,  l'irrita.  Ce 
traité  eut  le  sort  de  ceux  qui  sont 
conseillés  par  la  nécessité,  et  qui 
n'ont  de  garantie  que  la  bonne  foi 
descontractans.  Les  intérêts  tem- 
porels remportèrent  bientôt  sur 
ceux  de  l'église.  L'institution  ca- 
nonique des  évêques  de  France , 
convenue  par  le  concordat,  ne 
leur  fut  pas  donnée,  et  la  nouvelle 
religion  de  la  co.dition  prévalut 
sur  le  rétablissement  juré  à  Fon- 
tainebleau, de  Tantique  exercice 
du  pontificat  en  France.  Celte  dé- 
fectioa,  toute  p()liti(|(ie  en  elle- 
même,  exerça  une  grande  puis- 
sance morale  sur  l'Italie  et  s«ir  les 


états  catholiques,  et  elle  ne  se 
?nontra  sous  son  vrai  jour  qu'aux 
stipulations  du  traité  de  Paris. 

Cependant ,  le  5  janvier  ,  la 
trahison  du  général  York  avait 
ouvert  aux  Russes  les  portes  de 
Krenigsberg.  et,  le  27,  le  roi 
de  Naples  avait  remis  au  vice-roi 
d'Italie  le  commandement  géné- 
ral de  l'armée.  Investi  par  l'em- 
pereur de  la  conservation  de  ce 
dépôt  sacré  pour  la  France  ,  ce 
souverain  avait,  de  son  propre 
mouvement  et  sans  avoir  consulté 
Napoléon  ,  quitté  le  quartier-gé- 
néral de  Posen ,  et  reprenait,  dé- 
guisé en  voyageur  allemand,  la 
route  de  ses  états.  Dix  jours  a- 
près,  le  27  janvier,  le  Moniteur 
publia  l'article  suivant  :  •Le  roi 
»  de  Naples,  étant  indisposé^  a  dû 
»  quitter  le  commandement  de  l'ar- 
rimée, qu'il  a  remis  au  prince  vice- 
oroi.  Ce  dernier  a  plus  l'habitude 
r^  d'une  grande  administration  ;  il 
»a  la  confiance  entière  de  l'empe- 
»  reur.  »  Le  2.'j ,  Napoléon  avait 
écrit .  de  Fontainebleau ,  à  la  reine 
de  Naples  :  «  Le  roi  a  quitté  l'ar- 
"  mée  :  votre  mari  est  très-brave  sur 
1)  le  champ  de  bataille,  mais  il  est 
n plus  faible qu  une  femme  ouqu'un 
»  moine  quand  il  ne  voit  pas  l'en- 
onemi;  il  n'a  aucun  courage  mo- 
«ral.  o  Deux  jours  après,  il  écri- 
vait au  roi  lui-même  :  1  Je  ne 
nvous  parle  pas  de  mon  méconten- 
»  tementde  la  conduite  que  cous  avez 
n  tenue  depuis  mon  départ  de  l'ar- 
»  mée  :  cela  provient  de  la  faiblesse 
a  de  votre  caractère.  Vous  êtes  un 
•  bon  soldat  sur  le  champ  de  balail- 
»Ip;  mais,  hors  de  là,  vous  u'accz 
»  ni  vigueur,  ni  caractère.  Je  sup- 
>)  pose  que  tous  n'êtes  pas  de  ceu.i- 
nqui  pensent  que  le  lion  est  mort ,, 


4iO 


NAP 


«et  qu'on  peut 

»)  si  vous  faisiez  ce  calcul,  il  serait 
vfauiv.  Vous  m'avez  fait  tout  le 
«mal  que  vous  pouviez  depuis  mon 
»  départ  de  Wilna,  mais  nous  ne 
1)  parlerons  plus  de  cela.  Le  litre  de 
»  roi  vous  a  tourné  la  tête  :  si  vou.s 

«DÉSIREZ  LE  CONSEBYCK,  COSDUISEZ- 
»  VOV8  BIEN.    » 

Cette  dernière  phrase,  et  sur- 
tout l'article  du  Moniteur,  ne 
pouvaient  qu'égarer  davantage, 
et  peut-être  irriter  au  pîus  haut 
degré,  un  esprit  que  Napoléon 
lui-même  savait  être  aussi  faible 
qu'il  le  dépeignait.  Et  ici,  peut- 
être,  n'est-il  pas  hors  de  propos 
de  remarquer  que  Napoléon  s'é- 
tait plus  fait  d'ennemis  implaca- 
bles par  les  personnalités  dont  il 
attaquait  directement,  dans  son 
Moniteur,  les  hommes  puissans 
de  l'Europe,  que  par  ses  violences 
envers  les  gouvernemens  eux- 
mêmes.  On  se  rappelle  ce  qui  fut 
écrit  contre  lord  Caslelreagh ,  con- 
tre le  comte  de  Stadion,  coq  Ire  le 
baron  de  Stein ,  contre  la  reine 
de  Prusse,  etc.  On  se  souvint  de 
tout,  au  ])remier  et  au  second 
traité  de  Paris,  où  la  vengeance 
était  entre  les  mains  des  oilensés. 

Le  roi  de  Prusse  avait  publi- 
quement témoigné  son  indigna- 
lion  sur  la  conduite  du  général 
York.  Une  correspondance  avait 
lieu  entre  ce  prince  et  le  cabinet 
de  France;  elle  ne  cessait  de  pro- 
tester de  la  fidélité  du  roi  à  l'al- 
liance, rendait  compte  des  ordres 
donnés  pour  le  jugement  du  gé- 
néral et  son  arrestation,  et  de  son 
remplacement  dans  le  comman- 
dement des  troupes  piussiennes. 
Mais  en  assure  que,  dans  le  même 
temps,  d'autres  protestations  é- 


NAP 

talent  faites  à  Wilna ,  et  mieux 
accueillies.  On  est  même  porté  à 
croire  que  la  nouvelle  des  désas- 
tres de  notre  armée  était  parvenue 
à  Berlin  antérieurement  au  20  dé- 
cembre 1812,  et  que  le  cabinet, 
à  l'insu  du  roi,  dont  la  bonne  foi 
ne  fut  jamais  soupçonnée  par  le 
gouvernement  français,  avait  don- 
né au  général  York  des  pouvoirs 
extraordinaires,  d'où  était  résul- 
tée la  convention  de  Tauroggen  ; 
de  sorte  que  toutes  ces  protesta- 
tions ,  les  unes  du  roi  à  la  France, 
les  autres  de  son  cabinet  à  la 
Russie,  étaient  également  véri- 
tables, et  eurent  alors  le  même 
succès  dans  la  confiance  des  deux 
empereurs.  Mais  le  cabinet,  or- 
gane caché  du  Tugend  -  bund  , 
l'emporta  bientôt  sur  le  prince , 
et  tandis  qu'il  arguait  vis-à-vis  de 
celui  de  France  de  la  neutralité 
devenue  nécessaire  de  son  souve- 
rain ,  toutefois  sous  le  prétexte 
que  cette  neutralité  se  trouvait 
compromise  à  Berlin  par  le  voisi- 
nage et  les  inouvemens  des  armées 
belligérantes,  il  décida  le  roi,  le 
22  janvier,  à  partir  pour  Breslaw. 
Dans  cette  dernière  ville,  l'al- 
liance conserva  encore  des  for- 
més amicales,  et  le  16  février, 
elle  en  prit  même  de  protectrices, 
par  la  note  que  le  baron  de  Har- 
denberg  adressa  au  comte  de 
Saint- Marsan,  ambassadeur  de 
France.  Cette  note  avait  pour 
objet  la  proposition  de  l'entremi- 
se de  la  Prusse  pour  une  négocia- 
lion  entre  les  deux  empereurs,  et 
celle  d'une  trêve,  en  vertu  de  la- 
quelle les  places  fortes  de  l'Oder 
seraient  remises  aux  Prussiens, 
ainsi  que  les  villes  de  Pillaw  et 
de  Dantzick,  conjointement  aux 


NAP 

Saxons;  les  Russes  «levaient  «c  re- 
tirer sur  la  Vistule,  et  les  Français 
sur  l'Elbe,  et  la  neutralité  serait 
accordée  aux  provinces  prussien- 
nes et  saxonnes  situées  entre  ces 
deux  fleuves.  Mais  Napoléon  re- 
fusa cette  proposition  par  la  con- 
fiuooe  étrange  qu'il  donna  an  ca- 
binet de  Vienne,  et  aux  serïtiinens 
de  son  beau-père.  Cependant,  la 
neutralisation  subite  du  contin- 
gent autrichien  ne  lui  était  pas 
inconnue,  et  il  devait  calculer,  in- 
dépendanniieiit  de  l'exeniple  si 
dangereux  de  l'accession  prussien- 
ne aux  intérêts  de  la  Russie,  tout 
le  poids  que  la  Prusse  entière  al- 
lait mettre  militairement  contre 
lui  dans  l<  s  chiinces  de  la  guerre. 
Ce  relus  de  Napoléon  redoubla  l'ir- 
ritation du  Tagend-bttnd [inissien, 
dont  il  avait  si  impolitiquement  re- 
fusé les  propositions  à  l'époque  qui 
suivit  la  bataille  tl'Iéna.  L'union  de 
la  vertu  lui  demandait  alors  d'af- 
IVanchir  l'Allemagne,  et  de  lui  don- 
ner des  constitutions  représenta- 
tives. Son  refus  lui  fit  une  ennemie 
implacable  de  cette  association, 
qui  venait  de  lui  enb-ver  If»  coopé- 
ration prussienne  par  la  défection 
du  général  Yoik,  et  qui  le  mena- 
çait d'une  vengeance  nationale  ; 
mais  Napoléon  dédaigna  la  haine 
de  la  Prusse  et  l'intervention  de  son 
souverain  ,  et  dix  jours  après,  le 
2^  février,  le  baron  de  Harden- 
bcrg  sù;nait  à  Breslaw  le  traité 
d'une  alliance  ofléusive  et  défen- 
sive entre  la  Russie  et  la  Prusse. 
Ce  traité  n'était  toutefois  qu'une 
anipliiition  d'un  premier  traité 
qui  avait  été  stipulé  dans  les  pre- 
miers jours  de  février  ù  'NVilna  et 
ù  Kalisch,  mais  dont  l'exécution 
dépendait  du  refus  de^  proposi- 
T.  xir. 


AV 


-IT 


tions  émises  le  i6  par  la  note  dir 
baron  de  Hardonberg.  Cependant 
à  la  faveur  du  maintien  de  sa  neu- 
tralité, ou  sous  le  prétexte  mê- 
me de  son  alliance,  la  Prusse  avait 
employé  les  intervalles  de  la  né- 
gociation, à  multiplier  ses  forces 
et  ses  armemens.  Les  édits  de  Bres- 
law des  5,  9  et  20  février  irvaient 
appelé  aux  armes  toute  la  p(»pula- 
tion  virile  de  la  Prusse,  et  un  moi» 
après,  la  Prusse  comptait  i5o,ooa 
coinbatlans.  Mais  le  traité  du  27 
février,  signé  à  Breslaw,  était  en- 
core secret  pour  1 1  cour  des  ïui- 
lerii's ,  à  laquelle  il  ne  fut  notifié 
que  le  16  mars  suivant.  La  sixiè- 
me coalition  continentale  était  for- 
mée contre  la  France. 

A  celte  époque,  le  grand  coup 
d'état  européen  se  préparait  silen- 
cieusement dans  le  nord  de  l'Eu- 
rope. Il  était  venu  de  l'Angleterre, 
avait  provoqué  et  suivi  les  mal- 
heurs de  nos  armées.  Il  marchait 
sotis  les  bannières  russes,  s'était 
introduit  déjà  avec  succès  dans  les 
conseils  de  la  Prusse,  et  avait  pous- 
sé une  heureuse  reconnaissance 
jusque  dans  la  capitale  de  l'Autri- 
che. Deux  diplomates,  sir  Horace 
W'alpole,  pour  le  cabinet  de  Lon- 
dres, et  le  comte  de  Stakelberg 
pour  le  cabinet  russe,  arrivaient 
à  Vienne,  sans  caractère  officiel, 
mais  non  pas  sans  mission.  Ils  y 
furent  bientôt  accrédités  par  les 
nouveaux  intérêts  dont  ils  flânè- 
rent l'Autriche,  et  par  la  harnc 
personnelle  que  M.  de  Sladion* 
digne  héritier  des  passions  du 
prince  de  Kaunitz,  portait  à  la 
Trance  et  à  Napoléon.  Vienne  de- 
vint bientôt  un  point  central  de 
correspondance  entre  les  cours 
de    Londres,  de  Pélersbourg  et 


4i8  TSAP 

de  Brcsiaw.  RJ.  de  Leiizollern  fut 
envoyé  par  l'Autnche  à  AVilna, 
où  résidait  le  comte  de  Ne?selro- 
de,  et  le  comte  de  Stakolher^  a- 
{j;issait  à  Vienne  d'accord  avec  le 
baron  de  Hiiniboldt ,  ministre 
prussien.  Il  n'y  avait  donc  que  la 
i'orce  des  armes  qui ,  après  son 
dernier  refus,  pouvait  protéger 
Napoléon  contre  une  conspira- 
lion  aussi  l)ien  ()ur4ie.  Ce  moyen 
était  extrCîme  pour  la  France  et 
même  pour  l'Europe.  Le  besoin 
de  la  paix  était  impérieux  pour 
le  continent  comme  aussi  pour  la 
Russie,  dont  toulelbis  la'vengean- 
ce  était  légitime  ;  la  guerre  à 
outrance  n'était  continuée  et  ex- 
citée que  pour  arriver  à  une  paix 
durable  par  ralïaiblisscment  de  la 
puissance  de  Napoléoh.  La  Gran- 
de-Bretagne, excentrique  dans  sa 
politique  comme  dans  sa  position 
physique,  n'avait  d'autre  but  pour 
«îonserver  l'empire  des  mers  que 
l'abaissement  de  la  France  ;  et 
tandis  qu'elle  dirigeait  sur  le  con- 
tinent la  grande  conjuration  du 
Nord  et  du  Midi  contre  l'enne- 
mi commun,  son  hôte  auguste 
d'Hartwell  publiait,  dans  les  pre- 
tniers  jours  dq  février,  la  déclara- 
lion  suivante,  que  le  cabinet  bri- 
tannique faisait  jeter  par  ses  croi- 
seurs sur  les  côtes  de  Franco  : 

«  Louis  XVIII,  etc ,  etc 

»Le  moment  est  enfin  arrivé  où 
»la  divine  providence  semble  prê- 
»te  à  briser  l'instrument  de  sa  co- 
»lère.  L'usurpateur  du  trône  de 
»  saint  Louis,  le  dévastateur  de 
»  l'Europe,  éprouve  à  son  tour  des 
«revers.  Ne  feront-ils  qu'aggraver 
»les  maux  de  la  France,  et  n'o- 
»sera-t-elle  renverser  xin  pouvoir 
«odieux  que  ne  protège   plus  le 


NAP 

«prestige  de  la  victoire?  Quelle» 
«préventions,  ou  quelles  craintes 
«pourraient  aujourd'hui  l'empê- 
»cher  de  se  jeter  dans  les  bras  de 
«son  roi,  et  de  reconnaître  dans 
«l'établissement  de  sa  légitime  au- 
«torité  le  seul  gage.de  l'union,  de 
»Ia  paix  et  du  bonheur,  que  ses 
«prtnnesses  ont  tant  de  fois  garan- 
»)lis  à  ses  sujets  opprimés? 

«Ne  voulant,  ne  pouvant  tenir 
»  que  de  leurs  efiorts  le  trône,  que 
«ses  droits  et  leur  amour  peuvent 
«seuls  affermir,  quels  vœux  seront 
»  contraires  à  ceux  qu'il  ne  cesse  de 
9  former?quel  doute  pourrait  s'éle- 
«ver  sur  ses  in  tentions  par  ternelles? 

«Le  roi  a  dit  dans  ses  déclara- 
«tions  précédentes  (des  n»  mars 
»  1799  et  2  décembre  i8o4)'.  et  il 
«réitère  l'assurance  que  les  corps 
«administratifs  et  juiliciaires  se- 
«/;ont  maintenus  dans  la  plénitude 
«de  leurs  attributions;  qu'il  con- 
«s^ervera  leurs  places  à  ceux  qui 
«en  seront  pouvus  et  qui  lui  prê- 
«teront  serment  de  fidélité;  que 
«les  tribunaux,  dépositaires  des 
«lois,  s'interdironttoutes  poursui- 
»  tes  relatives  à  ces  temps  malheu- 
))  reux,  dont  son  retour  aura  scellé 
«pour  jamais  l'oubli;  qu'enfin  le 
«code,  souillé  du  nom  de  Napo- 
«léon,  mais  qui  ne  renferme  en 
«grande  partie  que  les  anciennes 
«ordonnances  cl  coutumes  du 
«royaume,  restera  en  vigueur,  si 
«l'on  en  excepte  les  dispositions 
»  contraires  aux  dogmes  religieux,  ' 
«assujettis  long-temps,  ainsi  que 
«la  liberté  des  peuples,  aux  capri- 
«ces  du  tyran. 

«  Le  sénat,  où  siègent  des  hom- 
«mes  que  leurs  talens  distinguent 
«à  juste  litre,  et  que  tant  de  ser- 
»  vices  peuvent  illustrer  aux  yeux 


«de  la  France  et  de  la  postérité, 
»  ce  corps,  dont  l'utilité  et  lim- 
»  portance  ne  seront  bien  recon- 
»nues  qu'après  la  restauration, 
»  peut-il  manquer  d'apercevoir  la 
)i  destinée  glorieuse  qui  l'appelle 
»à  être  le  premier  instrument  du 

•  grand  bienfait  qui  deviendra  la 
»  plus  solide  comme  la  plus  hono- 
nrable  garantie  de  son  existence 
«et  de  ses  prérogatives? 

•  A  l'égard  des  propriétés,  le 
»roi,  qui  a  déjà  annoncé  l'inlen- 
stion  d'employer  les  moyens  les 
«plus  propres  à  concilier  les  in- 
Dtérêtsde  tous,  voit  lesnombreu- 
»ses  t'-ansactions  qui  ont  eu  lieu 
«entre  les  anciens  et  les  nouveaux 
«propriétaires,  rendre  ce  soin 
«presque  superflu  ;  il  s'engage 
«maintenant  à  interdire  aux  tri- 
«bunaux  toutes  procédures  con- 
«traires  à  ces  transactions  ,  à  en- 
j>courager  les  arrangemens  volor- 
«taires,  et  à  donner  lui-inème, 
»  ainsi  que  sa  famille,  l'exemple 
»de  tous  les  sacrifices  qui  pour- 
»  ront  contribuer  au  repos  de  la 
«France  et  à  l'union  sincère  de 
«tous  les  Français. 

M  Le  roi  a  garanti  à  l'armée  la 
»  conservation  des  grades,  em- 
»plois  ,  solde  et  appoinlemens 
«dont  elle  jouit  à  présent.  l\  pro- 
»  met  aussi  aux  généraux,  officiers 
■  et  soldats  qui  se  signaleront  en 
»  faveur  de  sa  cause,  inséparable 

•  des  intérêts  du  peuple  français, 

•  des  récompenses  plus  réelles, 
»  des  distinctions  plus  honorables 
»que  celles  qu'ils  ont  pu  recevoir 
«d'un  usurpateur,  toujours  prêt 
»à  méconnaître  ou  même  à  re- 
»  douter   leurs    services.    Le   roi 

•  pieod  de  nouyeau  l'eugagement 


^AV 


419 


»  d'abolir  cette  conscription  fu- 
nneste,  qui  détruit  le  bonheur  des 
«familles  et  l'espérance  de  la  pa- 
»  trie. 

«Telles  ont  toujours  été,  telles 
«sont  encore  les  intentions  du  roi. 
»  Son  rétablissement  sur  le  trône 
»de  ses  ancêtres  ne  sera  pour  la 
«France  que  Iheureuse  transition 
3 des  calamités  d'une  guerre  que 
»  perpétue  la  tyrannie,  aux  bien- 
»  faits  d'une  p-îix  solide,  dont  les 
»  puissances  étrangères  ne  peuvent 
«trouver  la  garantie  que  dans  la 
«parole  du  souverain  légitime. 

»  Donné  ù  llartwell ,  1*'  février 
»  i8i5.  » 

Lord  Castelreagh  inclinait  dans 
le  conseil  pour  traiter  avec  Napo- 
léon. Il  n'en  était  pas  de  même 
de  lord  Liverpool,  et  de  quelques 
autres  ministres.  Ceux-ci  ne  pou- 
vaient pas  négliger  la  publication 
d'un  pareil  document,  qui  expri- 
mait le  renversement  du  trône  de 
Napoléon  ;  aussi  les  croiseurs  an- 
glais eurent-ils  l'ordre  de  le  ré- 
pandre sur  les  côtes  de  France. 
Mais  le  service  des  côtes  était  si 
bien  fait,  que  cette  déclaration  fut 
tout-à-fait  inconnue  de  l'immense 
majorité  des  Français ,  et  sans  la 
discussion  qui  eut  lieu  le  la  mars 
suivant  dans  la  chambre  des  com- 
munes relativement  à  la  part  que 
le  ministère  anglais  avait  pu  avoir 
ù  la  publication  de  cette  adresse, 
elle  fût  restée  presque  entièrement 
ignorée  de  l'Europe.  Ce  fut  alors 
que  lord  Castelreagh ,  interpelé 
de  déclarer  si  cette  pièce  avait  été 
publiée  avec  le  concours  ou  l'assen- 
timeiit  des  ministres ,  répondit 
simplement ,  qu'elle  l'avait  été 
sans  leur  sanction.  Le  peuple  fruu 


4'-io 


NAP 


çais  proprement  dit  n'eut  aucune 
connaissance  de  cette  déclaration; 
jl  n'en  fut  pas  de  même  de  l'empe- 
reur Napoléon ,  qui  ne  se  trompa 
ni  sur  la  nature  de  cette  hostilité, 
ni  sur  la  main  puissante  et  cachée 
qui  la  protégeait.  L'Angleterre  ne 
négligea  aucun  intérêt  dans  cette 
lutte,  qui  devait  être  la  dernière  ; 
elle  se  ressouvint  des  anciennes 
inimitiés  de  Bernadotte  et  de  Na- 
poléon, et,  le  5  mars,  elle  signa 
à  Stockholm  un  traité  qui  donnait 
à  la  coalition  une  armée  de  5o,ooo 
Suédois,  et  A  laSuèdeun  subside 
de  24  millions,  avec  la  cession  de 
la  Guadeloupe ,  que  le  général 
Ernouf  avait  abandonnée  aux 
Anglais  le  6  février  1810.  Tels 
étaient,  indépendamment  de  l'ac- 
tion toujours  croissante  de  la  guer- 
re de  la  péninsule,  les  périls  ameu- 
tés contre  Napoléon  ;  mais  la  dé- 
claration d'Hartwell  fut  peut-être 
de  toutes  les  armes  employées 
contre  lui,  celle  qu'il  redoutait 
le  plus;  elle  lui  opposait  tout-à- 
coup  un  ennemi  inconnu  depuis 
vingt  ans ,  la  iégitimité  ,  et  à  la 
face  de  l'Europe  elle  qualifiait 
d'usurpation  la  puissance  qu'il 
avait  reçue  du  peuple  français, 
et  contre  laquelle  l'Europe  allait 
s'armer  tout  entière,  parce  qu'elle 
n'en  reconnaissait  que  trop  bien 
la  possession. 

On  jugera  du  désintéressement 
profond  où  l'Europe  était  alors  de 
l'ancienne  dynastie  française,  par 
les  efforts  qu'elle  fit  tout  entière, 
soit  à  Prague,  soit  à  Dresde,  soit  à 
Francfort,  soit  même  à  Châtillon  , 
pour  conserver  à  la  nouvelle  le  trô- 
ne de  France  proprement  dit.  Au- 
cune puissance,  pas  même  la  Rus- 
sie, à  cette  dernière  époque,  n'a 


NAP 

eu  l'idée  de  la  destruction  du  gou- 
vernement impérial  de  France. 
Alexandre  voulut  venir  A  Paris, 
parce  que  Napoléon  avait-  été  à 
Moskou  :  cela  seul  rompit  la  né- 
gociation de  Châtillon.  C'était  à 
Paris  qu'Alexandre  voulajt  signer 
et  dicter  la  paix.  Nous  ne  craignons 
pas  de  le  dire, parce  que  tous  les  do- 
cumens  de  cette  assertion  sont 
d'hier  et  dans  la  mémoire  de  trente 
millions  de  Français,  comme  aus- 
si dans  celle  du  million  d'étrangers 
qui  assistèrent  aux  derniers  ino- 
mens  de  l'empire.  Napoléon  seul, 
par  son  opiniâtreté,  a  rendu  le 
trône  à  la  maison  de  Bourbon,  et 
ce  qu'il  y  a  de  plus  précieux  en 
fait  de  témoignage  à  cet  égard,  c'est 
qu'à  Sainte-Hélène  môme,  pen- 
dant les  longs  jours  de  ga  captivi- 
té, il  persista  à  s'applaudir  de  sa 
conduite  à  Châtillon.  Selon  lui,  il 
n'avait  qu'un  reproche  à  se  faire, 
celui  de  n'avoir  pas  fait  la  paix  à 
Prague.  Cet  homme,  aussi  étrange 
que  supérieur,  cet  homme  tout-à- 
fait  à  part  dans  la  nature  comme 
dans  l'histoire,  mourut  amoureux 
de  la  volonté  qui  l'avait  détrôné. 

Dans  sa  réponse  au  sénat,  le  ao 
décembre  1812,  l'empereur  avait 
dit  :  K  J'ai  à  cœur  la  gloire  et  la  puis- 
»  sance  de  la  F'rance,  mais  mes  pre- 
«raières  pensées  sont  pour  tout  ce 
»qui  peut  perpétuer  la  tranquillité 
»  intérieure,  et  mettre  à  jamais  mes 
«peuples  à  l'abri  des  déchiremens 
»  des  factions  et  des  horreurs  de 
«l'anarchie;  c'est  sur  ces  ennemies 
))du  bonheur  des  peuples  que  j'ai 
«fondé,  avec  la  volonté  et  l'amour 
»  des  Français,  ce  trône  auquel  sont 
«attachées  désormais  les  destinées 

»de  la  patrie Lorsque  j'ai  en- 

»  trepris  la  régénération  de  la  Fran- 


NAP 

»  ce,  j'ai  demandé  à  la  providence 
»  un  nombre  d'années  déternjiné. . . 
«Nos  pères  avaient  pour  cri  de  ral- 
«liement  :  Le  roi  est  mort ,  vive  le 
•  rail  Ce  peu  de  mots  contient  les 
«principaux  avantages  de  la  nio- 
»  narchie.  Je  crois  avoir  bien  étn- 
«dié  l'esprit  que  mes  peuples  ont 
«montré  dans  les  dilTérens  siècles; 
»  j'ai  réfléchi  à  ce  qui  a  été  fait  aux 
»  différentes  époques  de  notre  histoi- 
»  re,  j'y  penserai  encore.  » 
'  Napoléon  y  pensa  le   5  février 

1 8 15,  où  parut  le  sénatus-consnlte 
qui  détermina  la  forme  de  la  régen- 
ce pendant  la  minorité  de  l'empe- 
reur des  Fiançais.  Les  lettres-pa- 
tentes du  5o  mars  suivant  conférè- 
rent cette  régence  à  l'impératrice. 
L'empereur  fit  donc  ce  qui  avait 
été  fait  aux  différentes  époques  de 
notre  histoire;  et  souverain  nou- 
veau, il  se  plut  à  rentrer  ainsi  dans 
le  droit  coumiun  des  rois  par  héri- 
tage. Il  en  avait  subi  la  nécessité 
le  jour  où  sa  tête  consulaire  avait 
reçu  du  pontife  de  Rome  l'onction 
impériale. 

Le  i4  février,  l'empereur  fit 
solennellement  l'ouverture  du 
corps-législatif,  et  rendit  compte 
à  grands  traits  des  motifs  et  des 
malheurs  de  la  guerre  de  Russie, 
de  la  magnanimité  de  l'armée 
française,  de  la  valeur  de  ses  al- 
liés, de  leurs  services,  des  com- 
plots de  l'Angleterre,  de  ses  s»;n- 
limens  particuliers  sur  la  paix. 
«Je  la  désire,  dit-il,  elle  est  né- 
«cessaire  au  monde.  Quatre  fois 
"depuis  la  rupture  qui  a  suivi  le 
«traité  d'Amiens,  je  l'ai  proposée 
«dans  des  démarches  solennelles. 
Il  Je  ne  ferai  jamais  qu'une  paix 
"honorable  et  conforme  aux  in- 
»  lérêts  et  à  la  grandeur  de  mou 


NAP 


42  1 


«empire.  Ma  politique  n'est  point 
"mystérieuse.  J'ai  fait  connaître 
«les  sacrifices  que  je  pouvais  fai- 
»re.  Tant  que  cette  guerre  mari- 
»  lime  durera,  vus  peuples  doi- 
nie7it  se  tenir  prêts  à  toute  espè- 

■»ce  de  sacrifices »  Il  avait  dit 

au  sénat  :  o  La  guerre  que  je  sou- 
»  liens  contre  la  Russie  est  toute 
a  politique,  je  l'ai  faite  sans  ani- 
«mosilé,  j'eusse  voulu  lui  épar- 
»gner  les  maux  qu'elle-même  s'est 
•  faits.»  Ainsi  il  élait  hautement 
avoué  par  Napoléon,  que  c'était 
l'Angleterre  qu'il  était  allé  atta- 
quer à  Moskou,  et  qu'il  voulait 
retourner  la  combattre  sur  l'Elbe 
et  sur  l'Oder  :  et^  en  effet,  comme 
nous  l'avons  dit,  c'éfait  l'Angle- 
terre qui  dirigeait  l'insurrection 
du  Nord,  comme  celle  du  Midi 
de  l'Europe,  et  qui  présidait  aux 
défections  actuelles  et  futures  des 
alliances  de  Napoléon. 

Cependant  le  prince  Eugène, 
investi  le  17  janvier  à  Posen,  par 
le  départ  du  roi  de  Naples ,  du 
connnandement  général  de  l'ar- 
mée, avait  employé  heureuse- 
ment les  25  jours  qu'il  resta  dans 
cette  ville  à  réorganiser  l'ordre, 
la  discipline  et  les  différens  ser- 
vices de  l'armée.  Bien  qu'il  fût 
en  présence  de  l'ennemi,  il  trou- 
va le  moyen  d'armer  et  d'appro- 
visionner les  places  de  l'OJer,  et 
malgré  le  défaut  total  de  cavale- 
rie, il  parvint  à  opérer  jusque  sur 
l'Elbe  une  des  plus  belles  retrai- 
tes dont  l'histoire  militaire  fasse 
mention.  Il  arriva  le  21  février  ù 
Berlin,  où  il  fit  stationner  l'ar- 
mée jusqu'au  4  mars.  Quelques 
renforts,  successivement  dirigés 
à  son  armée,  lui  permirent  de 
leuir  têle  à  l'ennemi,  quoique  Ce- 


4!i2  NAP 

lui -ci  se  fût  renforcé  de  toute  l'ar- 
mée prussienne.  Il  sut  se  main- 
tenir, soit  en  avant  de  Mngde- 
bourg,  soit  en  arrière  sur  la  Bas- 
KfvSaâle,  la  droite  appuyée  aux 
inexpugnables  positions  du  Hartz. 
Ces  opérations  lui  donnèrent  le 
temps  d'attendre  l'arrivée  sur  le 
Rhin  de  cette  autre  grande-année 
que  la  France  et  INapoléon  im- 
provisèrent tout-à-coup  comme 
par  enchantement.  Le  1 2,  Ham- 
bourg avait  dû  être  évacuée.  Le 
9,  le  quartier-général  du  vice-roi 
était  à  Léipsick.  Le  mC'me  jour, 
le  prince  d'Eckmiihl  arrivait  à 
Dresde,  avec  3, 000  hommes,  et 
réunissait,  sous  son  commande- 
ment,le  corps  du  général  Régnier, 
à  qui  le  général  saxon  Thiehnan 
Tenait  de  refuser  les  portes  de 
Torgaw.  Le  11*  corps,  sous  les 
ordres  du  général  Grenier,  était 
à  Wittemberg.  Le  général  Mont- 
hriin  occupait  Dessau  avec  quel- 
que cavalerie.  Quatre  bataillons 
représentaient  à  Bernbourg  le  3" 
corps  du  duc  de  Bellune.  Le  a* 
corps  de  cavalerie  était  réuni  à 
Brunswick  par  le  général  Sébas- 
tiani.  Le  i*',  sons  le  général  La- 
lonr-Maubourg,  se  formait  à  Mag- 
debourg,  où  le  général  Lauriston 
organisait  le  5'  corps  d'infanterie. 
Derrière  cette  ligne,  le  prince  de 
la  JMoskowa,  qui  va  continuer  les 
prodiges  de  sa  gloire  militaire, 
formait  à  Wurtzhourg  le  3'  corps 
d'infanterie.  Le  6*  et  la  garde 
arrivaient  à  Francfort  sur  le  Mein 
sous  les  ordres  du  duc  de  Raguse. 
Le  général  Vandamme  réunissait 
à  Wesel  quelques  bataillons  du 
»"  corps,  et  le  4'  accourait  d'Ita- 
lie par  le  Tyrol  sous  les  ordres  du 
général  Bertraad.  Ainsi  les  beaux 


ÎVAP 

noms  militaires  de  la  France  se 
retrouvaient  sous  les  yeux  de 
l'Allemagne,  destinée  à  être  en- 
core pour  eux  le  théâtre  d'une 
nouvelle  illustration.  Mais  ces 
troupes  étaient  loin  encore  d'être 
disponibles,  et  à  peine  au  i*'mars 
le  prince  généralissime  pouvait-il 
compter  40^000  hommes  à  son 
drapeau.  A  la  fin  de  mars,  sa  pe- 
tite armée  était  augmentée  de  12 
à  i5, 000  hommes,  il  avait  affaire 
à  80,000  Russes  des  corps  de 
Wittgenstein ,  Czernicheff",  et 
Wintzingerode,  qui  allaient  être 
renforcés  de  76,000  Prussiens  des 
corps  de  York,  Bulow  et  Bliicher. 
L'armée  de  Moldavie,  de  même 
force ,  était  déjà  arrivée  sur  la 
Vistule  le  6  mars,  et  vingt  autres 
mille  Prussiens  allaient  entrer  en 
ligne  sous  les  généraux  Tauent- 
zien,  Schocler  et  Thumen.  L'ha- 
bileté et  l'audace  du  prince  Eu- 
gène pouvaient  seules  tenir  tête 
à  des  forces  aussi  nombreuses,  à 
une  poursuite  devenue  passion- 
née. Sa  retraite  avait  été  savante; 
sa  défensive  sur  la  Sarde  fut  hé- 
roïque. Il  manœuvra  de  manière 
à  occuper  la  plus  grande  partie 
des  forces  de  l'ennemi,  le  força, 
le  4  avril,  à  l'atTaire  de  Mœchern, 
de  déployer  devant  lui  60,000 
hommes  en  avant  de  Magde- 
bourg,  enleva  les  têtes  de  pont 
que  l'ennemi  avait  établies  sur  la 
Saâle  inférieure,  et  enfin,  après 
avoir  réuni  le  5'  et  le  11'  corps  à 
Mersebourg,  il  se  trouva  le  00 
avril  en  communication  avec  la 
grande-armée  que  commandait 
l'empereur.  Mais  le  26  mars,  le 
prince  d'Eckmiihl  avait  dû  éva- 
cuer Dresde,  et  se  retirer  sur 
Slolberg.   Le  roi  de   Saxe  avait 


NAl* 

dt'pui?  quelque  temps  quille  sa 
capitale,  s'était  d'aburd  retiré  à 
Ralisbonne,  puis  à  Prague  sous 
la  protection  de  l'Autriche,  qui 
domiDait  sa  politique.  Ce  prince 
avait  mis  Dresde  sous  la  sauve- 
garde d'un  armistice  qui  venait 
d'expirer,  et  renforçait  de  la  di- 
vision du  général  Lecocq  la  gar- 
nison de  Torgaw,  dont  les  portes 
ne  devaient  s'ouvrir  à  aucune  de» 
armées  belligéranles.  Ainiji  la 
Saxe,  amie  et  alliée  de  la  France, 
ne  lui  présentait  plus  que  le  ter- 
rain de  la  campagne  qui  allait 
s'ouvrir,  et  l'atlitude  d'une  neu- 
tralité que  l'Autriche  avait  im- 
posée à  la  faiblesse  du  roi. 

Napoléon  partit  de  Paris  le  i5 
avril,  arriva  le  17  à  Mayence,  le 
25  à  Erfurt,  quitta  cette  ville  le 
29,  et  rejoignit  à  Eckarlzberg  son 
quartier-général.  Il  avait  imprimé 
sur  sa  roule  un  mouvement  élec- 
trique à  la  jeune  armée;  il  lui  a- 
vait  parlé  partout  où  il  l'avait  ren- 
contrée. Mais  tout  en  étant  prêt 
pour  la  guerre,  il  voulait  aussi  pa- 
raître l'être  pour  la  paix;  dans  ce 
dessein,  à  son  arrivée  en  Allema- 
gne,il  avait  chargé  le  duc  deVicen- 
ce  de  la  correspondance  diploma- 
lique.  L'opinion  du  grand-ecuyer 
pour  la  paix,  était  depuis  long- 
temps connue  en  Europe,  en  Fran- 
ce, et  particulièrement  en  Russie. 
Une  grande  a<.-tivité  régna  pendant 
toute  la  campagne  dans  les  rela- 
tions du  quartier-général  de  l'em- 
pereur avec  le  cabinet  de  Vienne. 
Cependant,  comme  la  paix  ne  pou- 
vait être  que  le  prix  de  la  victoire. 
Napoléon  employa  tout  son  génie 
»  ouvrir  d'une  manière  brillante 
la  campagne  dont  la  Saxe  allait 
6tre  !«- théâtre;  et  ce  géoie,  il  le 


NAP 


423 


lui  fallait  tout  entier,  soit  pour 
remplacer  le  défaut  total  de  cava- 
lerie devant  des  forces  où  cette 
arme  était  ?i  nombreuse  et  si  aguer- 
rie, soit  pour  tenir  tête  aux  vieil- 
les bandes  de  la  Prusse  et  de  la 
Russie,  avec  une  armée  de  cons- 
crits, qui  venait  de  passer  subite- 
ment du  repos  domestique  aux  pé- 
rils des  champs  de  bataille. 

Cette  jeunesse  fut  digne  de  la 
France  et  de  Napoléon.  Le  premier 
jour  où  elle  vit  l'eimemi,  ce  fut  le 
29  avril,  au  combat  de  Weissen- 
felds,  où  l'avanl-garde  française, 
toute  d'infanterie,  culbuta  7,000 
Russes,  presque  tous  de  cavalerie, 
commandés  par  le  général  Laods- 
koy.  L'ennemi  dut  évacuerla  rive 
gauche  de  la  Saâle;  cet  avantage 
important  préludait  à  la  campa- 
gne qui  s'ouvrit  le  1"  de  mai,  par 
un  autre  combat  en  avant  de  Weis- 
senfelds.  Plusieurs  ligues  de  cava- 
lerie et  d'infanterie,  sous  les  or- 
dres du  général  Wilsgenstein,  dé- 
fendaient, avec  une  nombreuse  ar- 
tillerie, les  défilés  de  Poserna  ;  les 
bataillons  français,  dont  l'expé- 
rience ne  datait  que  de  la  veille  , 
enlevèrent  brillamment  les  hau- 
teurs, tuèrent  beaucojip  de  monde 
à  l'ennemi,  elle  chassèrent  de  tou- 
tes ses  positions.  Celte  gloire  ne 
fut  pas  sans  mélange  pour  Napo- 
léon ,  dont  la  fortune  reçut  ua 
cruel  avis  ,  par  la  perte  du  maré- 
chal Bessières;  ce  brave  général, 
après  avoir  commandé  ses  guide» 
en  Italie  et  en  Egypte,  comman- 
dait depuis  16  ans  la  garde  impé- 
riale dans  toutes  ses  campâmes. 

La  nuit  suivante  Napoléon  oc- 
cnipa  Lutzen,  petite  ville  fameuse 
parla  mort  de  Gustave-Adolphe, 
«t  pur  savictoire  sur  les  Inipériaux;^ 


424  NAP 

il  visita  le  tombeau  <lu  grand  hom- 
me, et  voulut  sans  doute  honorer 
sa  mémoire  en  donnant  le  nom  de 
bataille  de  Liitzen  à  la  bataille  de 
Grosgœrschen,  qu'il  gagna  le  len- 
demain. Le  maréchal  Ney  occupait 
ce  dernier  village  avec  son  avant- 
garde,  et  la  position  de  Kaya  avec 
le  centre   de  l'armée;  la  droite, 
commandée  par  le  duc  de  Raguse, 
s'appuyait  aux  défilés  de  Poserna, 
et  la  gauche  à  l'Elsler,  sous  les  or-  * 
dres  du  vice-roi,  dont  le  quartier- 
général  était  à  Mersebourg.   Ce- 
pendant   Napoléon   marchait   sur 
Léipsick,   précédé   du    corps    de 
Lauriston,  dans  la  persuasion  où 
il  était  que  l'ennemi  avait  choisi 
les   vastes  plaines  de  cette   ville 
pour    y    déployer    avantageuse- 
ment   sa    nombreuse    cavalerie. 
Mais  informé  dans  sa   route  que 
la  maréchal  Ney  avait  devant  lui 
toute  l'armée  alliée,  il   rebrous- 
sa chemin  avec  sa  garde,  se  porta 
au  feu  au  galop  ,  et  par  la   plus 
brillante  inspiration, il  changea  su- 
bitement les  dispositions  qu'il  a- 
vait conçues,  accepta  le  champ  de 
l)ataille  de  l'ennemi,  envoya  des 
ordres  au  vice-roi,  au  général  Ber- 
trand, au  duc  de  Raguse,  annonça 
pour  trois  heures  après  le  gain  de 
la  bataille,  et  la  gagna.  La  jeune 
garde  et  la  conscription  remportè- 
rent un«;    des    victoires    les  plus 
sanglantes  de  nos  campagnes  :  les 
villages  de  Kaya,  deGrosgœrschen, 
furent  enjportés  plusieurs  fois  à  la 
baïonnette  sur  l'élite  de  l'infante- 
rie russe   et  prussienne.  En  arri- 
vant sur  le  champ  de  bataille, Na- 
poléon   avait  dit  :  C'est    une  ba- 
taille d'Egypte^  l'infanterie  et  l'ar- 
tillerie   doivent    suffire.     L'armée, 
française  tira  4o,ooo  coups  deca- 


NAP 

non.  Le  champ  de  bataille  avait 
environ  deux  lieues  d'étendue;  il 
fut  éclairé  le  soir  par  l'incendie 
des  villages  où  la  victoire  avait 
été  disputée  corps  à  corps.  La  per- 
te de  l'armée  française  fut  de 
10,000 hommes;  celle  de's  alliésde 
5o,ooo  environ.  Mais  tout  finit 
pour  les  Français  sur  le  terrain 
où  ils  avaient  défait  l'armée  com- 
binée :  à  défaut  de  cavalerie,  ils 
ne  purent  continuer  leur  victoire, 
et  l'ennemi  opéra  sa  retraite  la 
nuit  sur  Pegau.  La  bataille  de  Lut- 
zcu  fut,  comme  le  dit  Napoléon, 
gagnée  par  le  général  en  chef  d'I- 
talie et  d'Egypte,  et,  selon  la  belle 
expression  du  bulletin  :  Nos  Jeu- 
nes soldats  x^elevèrent  dans  cette 
grande  circonstance  toute  la  nobles- 
se du  sang  français.  Au  plus  fort 
de  l'action,  Napoléon  lui  donna 
lui-même  l'exemple  de  l'audace 
et  de  l'intrépidité,  et  aussi  c'était 
au  cri  de  vive  l'empereur,  et  sous 
ses  yeux,  qu'elle  l'ut  invincible  et 
victorieuse.  Nous  paierons  aujour- 
d'hui de  Jios  personnes,  avait-il  dit 
en  arrivant  sur  le  terrain. 

La  marche  brillante  du  prince 
Eugène,  quiprécédaitl'empereur, 
rouvrit  le  8  mai  au  souverain  de 
la  Saxe,  les  portes  de  Dresde.  Le 
maréchal  Ney  avait  débloqué  Wit- 
temberg  et  Torgaw,  et  s'était  ren- 
forcé des  10,000  Saxons  que  ren- 
fermait cette  place.  Le  premier  a- 
vanlage  politique  de  la  victf)ire  de 
Lutzen,  fut  le  retour  de  la  fidélité 
saxonne  à  la  cause  de  Napoléon, 
et  celui  du  roi  dans  sa  capitale , 
qui  eut  lieu  le  12.  Le  même  jour 
le  vice-roi  l'ut  envoyé  par  l'em- 
pereur en  Italie,  pour  y  réorgani- 
ser une  nouvelle  armée.  Le  18  le 
prince  était  ù  Milan  ;  il  y  créa  ini- 


NAP 

raculeusement  une  armée  de 
45,000  hommes  d'infanterie  et  de 
2,000  chevaux,  qui  entra  en  cam- 
pagne dans  le  mois  d'août.  L'ar- 
mée d'Italie  avait  fourni  dans  l'es- 
pace de  1 1  mois  go, 000  combat- 
tans,  40, 000  au  printemps  de  1812, 
pour  la  campagne  de  Russie  , 
20,000  à  la  fin  de  la  même  année, 
qui  arrivèrent  à  Berlin  sous  les  or- 
dres du  général  Grenier,  et  28,000 
à  la  fin  de  mars,  que  le  général 
Bertrand  fit  amver  à  la  grande- 
armée,  le  jour  même  de  la  ba- 
taille de  Lutzen.  Le  départ  du 
prince  Eugène  pour  l'Italie  dut 
avertir  ou  menacer  l'Autriche, 
qui ,  malgré  son  caractère  d'alliée, 
venait  de  déclarer  celui  de  médiatri- 
ce armée  à  l'Europe  et  à  la  France. 
Napoléon  avait  extérieurement 
accepté  cette  médiation  en  voulant 
conserver  l'alliance,  mais  en  se- 
cret il  en  était  justement  irrité,  et 
le  18 mai,  jour  où  il  expédia  M,  de 
Bubna,  envoyé  près  de  lui  à 
Dresde,  et  où  il  quittait  cette  ville 
pour  se  rendre  à  Harta,  il  fit  de- 
mander aux  avant-postes  russes, 
l'admission  du  duc  de  Vicence, 
chargé  d'une  mission  pour  l'em- 
pereur Alexandre.  Dans  l'espoir 
du  succès  de  celte  contre-négocia- 
tion, il  dicta  h  Harta  des  instruc- 
tions au  duc  de  Vicence.  Mais  l'em- 
pereur Alexandre,  qui  par  l'arri- 
vée de  divers  corps  se  trouvait  ù 
la  tête  de  180, ouo  comhattans, 
et  dans  une  position  qu'il  jugeait 
inexpugnable,  fit  retarder  l'envoi 
de  sa  réponse  jusqu'après  l'issue 
de  la  bataille,  qui  eut  lieu  le  21 
mai  ;  ce  fut  celle  de  Bautzen.  A 
midi  tous  les  passages  de  la  Sprée , 
furent  forcés  par  les  corps  fran- 
çais, fiautzcn  f|g|  évacuée  par  l'en- 


NAP 


4?.5 


nerai,  et  toutes  ses  positions,  mal- 
gré la  plus  opiniâtre  défense  et 
l'avantage  du  terrain,  furent  bien- 
tôt enlevées  par  les  conscrits  de 
Lutzen;  à  7  heures  du  soir,  l'ar- 
mée alliée  fut  rejetée  sur  sa  se- 
conde ligne  retranchée,  derrière 
laquelle  devait  se  livrer  la  bataille 
du  lendemain;  celle-ci  eût  été  dé- 
cisive, si  Napoléon  avait  eu  de  la 
cavalerie  ;  le  résultat  de  celle  de 
Bautzen,  ne  fui  que  l'enlèvement 
des  positions  de  l'ennemi,  mais 
l'armée  frauçaise  était  aguerrie  par 
deux  victoires. 

Le  21  niai,  Napoléon  jugea  sa 
bataille  des  hauteurs  en  avant  de 
Bautzen.  L'attaque  était  générale 
depuis  le  matin,  mais  on  se  bor- 
nait depuis  quelques  heures  à 
observer  le  centre  pour  donner  à 
la  gauche  le  temps  de  déboucher, 
et  renouveler  alors  une  attaque 
vigoureuse  sur  le  centre.  Napo- 
léon renouvela  la  prédiction  et  la 
manœuvre  de  Lutzen,  en  annon- 
çant à  son  armée  que  l'attaque  gé- 
nérale aurait  lieu  à  1  heure,  et 
que  la  bataille  de  W'urschen  se- 
rait gagnée  à  5.  En  effet  la  droite 
de  l'ennemi  fut  tournée  par  le  ma- 
réchal Ney,  et  sou  centre  enfoncé 
par  le  maréchal  Soull;  à  5  heures, 
l'ennemi,  forcé  dans  toutes  ses  po- 
sitions, dut  songer  i  la  retraite,  et 
il  aurait  été  rejeté  au  de-là  de  la 
fistule,  si  l'armée  française  avait 
eu  quelques  mille  chevaux.  Les 
alliés  se  retirèrent  derrière  l'Oder; 
mais  la  supériorité  militaire  de 
Napoléon,  et  des  soldats  qu'il 
commandait  en  personne,  futprou- 
yée  de  nouveau  et  retint  sous  sa 
domination  la  confédération  du 
Rhin,  déjà  ébranlée  dans  sa  fidé- 
lité par  l'exemple  de  U  Prusse, 


/p6 


NAP 


par  les  intrigues  de  l'Angleterre, 
par  celles  du  cabinet  de  Vienne, 
et  par  l'atlitude  militaire  de  cette 
puissance. 

Le  lendemain  22,  les  alliés  fu- 
rent poursuivis  sans  relâche  par 
l'avant-garde  française  à  la  tête 
de  laquelle  marcha  constamment 
Napoléon.  L'aftaire  de  Reichen- 
hach  ne  servit  qu'à  ralentir  la 
poursuite  des  Français  et  à  proté- 
ger !a  retraite  des  alliés.  Cette 
journée  ne  trouverait  place  dans 
aucun  souvenir  ,  si  Napoléon  et 
l'armée  n'avaient  eu  à  regretter 
le  grand-maréchal  Duroc,  qui  fut 
tué  par  un  boulet  à  l'entrée  du 
village  de  Markersdorf.Ses  adieux 
furent  déchirans ,  et  l'on  peut  dire 
qu'en  raison  de  la  confiance  et  de 
l'amitié  que  Napoléon  accordait 
depuis  tant  d'années  au  général 
Duroc,  sa  fortune  venait  d'être 
frappée  au  cœur.  Il  sentait  que 
personne  ne  pourrait  remplacer 
Duroc  dans  son  intimité  ,  et,  dès 
ce  moment,  l'isolement  commen- 
ça pour  lui.  En  perdant  le  maré- 
chal Lannes  ,  il  avait  perdu  son 
camarade,  son  compagnon  d'ar- 
mes; en  perdant  le  maréchal  Bes- 
sières  ,  il  pouvait  regretter  le  té- 
moin assidu  de  ses  victoires,  mais 
la  mort  de  Duroc  lui  enlevait  le 
confident  de  ses  prospérités  et  de 
ses  infortunes.  En  trois  journées, 
la  Saxe  venait  d'être  délivrée.  Ce 
grand  résultat  pouvait  seul  distraiie 
Napoléon  du  chagrin  profond  qu'il 
éprouvait,  mais  jamais  il  n'oublia 
son  ami.  Il  s'en  souvint  deux  ans 
après,  quand,  détrôné  pour  la  se- 
conde fois,  il  voulait,  sous  le  nom 
de  Duroc  ,  aller  se  réfugier  dans 
une  hospitalité  étrangère.  Huit 
uns  plus  tard,  au  lit  de  lu  mort,  il 


NAP 

se  rappela  les  adieux  de  MarkerS- 
dorf,  en  plaçant  la  fille  de  Duroc 
sur  son  testament. 

Cependant  ,  la  démarche  que 
Napoléon  avait  fait  fuîre  de  Dres- 
de aux  avant-postes  russes,  n'était 
pas  restée  sans  réponse;  d;:tée  du- 
matin  de  la  bataille  de  Bautzen  , 
que  l'empereur  Alexandre  croyait 
gagner  ,  cette  réponse  ne  parvint 
que  le  lendemain  à  Napoléon.  Le 
duc  de  Vicence  fut  chargé  d'y 
donner  suite,  et,  après  quelques 
dinicultés  d'usage  entre  ceux  (jui 
négocient  les  armes  à  la  main  , 
l'armistice  de  Plesswitz  fut  conclu 
le  4  jnin.  Napoléon  l'avait  deman- 
dé entre  deux  victoires  ,  et ,  si  sa 
proposition  eût  été  admise  ,  le, 
sang  ,  inutilement  versé  de  part 
et  d'autre  aux  journées  meurtriè- 
res de  Bautzen  et  de  "W'urschen  , 
eftt  été  épargné.  Ce  grand  homme 
de  guerre  sentait  que  par  la  vic- 
toire de  Lutzen  elle  -  même  sa 
jeune  armée  avait  besoin  de  re- 
pos. Il  espérait  aussi  ,  en  grand 
politique  ,  gagner  du  temps  et 
profiler  de  ce  l'cpos  des  armes  , 
pour  détacher  la  Russie  de  lu 
coalition  et  traiter  à  part  avec 
elle;  ou  s'il  ne  pouvait  parvenir  à 
la  détacher  de  ses  nouveaux  enga- 
gemens  avec  la  Prusse,  il  conip- 
tait  se  servir  de  toute  Tinflnence 
de  l'Autriche  ralliée  à  lui  plus  é- 
troitement  par  le  succès  inattendu 
de  Lutzen,  pour  dominer  la  négo- 
ciation dans  le  congrès  qu'il  pro- 
posait d'ouvrir.  Et  en  effet,  cette 
victoire  si  imprévue,  si  éclatante, 
avait  changé  la  face  des  affaires, 
et  M.  de  Bubna  avait  été  expédié 
de  Vienne  à  Napoléon  pour  être 
au  nom  de  l'Autriche,  auprès  do 
ce  prince,  ce  qlfê  M.  de  Siadiuu 


NAP 

était  auprès  des  sonverains  de  la 
Russie  et  de  la  Prusse.  Les  com- 
missaires autrichiens,  conformé- 
ment aux  ordres  de  leur  cour,  a- 
vaient  agi  aux  quartiers-généraux 
respectifs  dans  l'intérêt  des  pro- 
positions de  Napoléon.  Mais  ce 
prince  avait  été  forcé  de  vaincre 
le  20  et  le  2  I  mai.  Enfin,  l'armis- 
tice avait  été  conclu.  Si  Napoléon 
l'avait  jugé  indispensable  pour  le 
repos  de  son  armée,  et  pour  lais- 
ser le  temps  d'arriver  à  la  tête  de 
sa  cavalerie  ,  ce  manque  de  ca- 
valerie était  cause  que  Bautzen 
avait  été  comme  Lutzen  sans  ré- 
sultat. Cet  armistice  était  égale- 
ment d'une  -  haute  importance  , 
non -seulement  pour  l'empereur 
de  Russie  ,  qui  attendait  l'armée 
de  Saken,  celle  de  Bernadotte  et 
celle  de  Pologne  ,  mais  aussi  pour 
l'empereur  d'Autriche,  à  qui  il 
donnait  le  temps  de  completler 
les  forces  nécessaires,  soit  au 
maintien  de  son  alliance  avec  la 
France,  si  celle-ci  continuait  d'ê- 
tre victorieuse ,  soit  à  son  admis- 
sion avec  avantage  dans  la  confé- 
dération du  Nord,  soit  enfin  à  la 
prépondérance  qu'elle  voudrait 
exercer  dans  les  négociations  du 
congrès,  en  y  suivant  plus  haute- 
ment son  rôle  de  médiateur  armé. 
C'était  précisément  aussi  pour  ne 
pas  rester  dans  une  telle  incerti- 
tude que  l'empereur  Napoléon 
demandait  la  discussion  d'une 
paix  générale  dans  un  congrès  , 
ou  ,  à  défaut  de  celle-ci ,  d'une 
paix  continentale  avec  ou  sans  la 
médiation  de  l'Autriche.  Mais 
l'Autriche  intervint  avec  succès 
pour  la  médiation  ,  qui  ,  après 
plusieurs  conférences,  fut  agréée 
p.ir  la  France.  M.  de  Metlcrnich 


NAP 


427 


s'élaît  rendu  à  Dresde  ,  où  une 
convention  fut  signée  par  lui  et  le 
duc  de  Bassano  ,  le  5o  juin.  Ce 
fut  après  la  signature  de  ce  traité, 
et  au  moment  où  le  comte  de 
Metternich  prenait  congé  de  Na- 
poléon dans  les  jardins  du  palais 
Marcolini,  que  ce  prince,  par  une 
de  ces  improvisations  hostiles 
auxquelles  il  n'était  que  trop  su- 
jet,  lui  dit,  en  lui  frappant  sur 
l'épaule  :  «  Eh  bien,  Metternich, 
Ti) dites-moi  à  présent  combien  l'An- 
Dgleterre  vous  arait  promis  pour 
n  me  faire  la  guerre.  »  On  doit  dire 
à  la  louange  de  ce  ministre,  qu'il 
oublia  noblement  à  Prague  l'in- 
jure reçue  à  Dresde ,  et  qu'il  ne 
cessa  de  tenir  an  duc  de  Vicence 
et  au  comte  de  Narbonne,  pléni- 
potentiaires de  France  au  congrès. 
le  langage  qu'il  avait  tenu  à  Dres- 
de à  Napoléon  lui-même.  En  effet, 
et  la  vérité  nous  commande  de  le 
déclarer,  le  comte  de  Metternich 
avait  dit  à  Dresde,  à  l'empereur 
et  à  son  ministre  ,  qu'il  y  avait 
trois  points  irrévocablement  arrê- 
tés par  son  souverain.  1°  Qum 
l'Autriche  ne  pouvait  rester  neu- 
tre, si  la  paix  n'avait  pas  lieu;  2* 
que  dans  ce  cas  elle  marcherait 
avec  la  coalition;  5°  que  le  10  août 
était  le  terme  irrémissible  de  l'ar- 
mistice qui,  en  raison  du  traité  de 
médiation  ,  avait  été  prolongé  de 
i5  jours. 

Les  souverains  résidaient,  leni- 
pereur  des  Français  à  Dresde  , 
l'etnpereur  Alexandre  et  le  roi  de 
Prusse  à  Schweidnilz ,  et  l'em- 
pereur  François  au  château  de 
Gittschin.  lin  motif  alors  inconnu 
des  alliés  avait  décidé  tout-à-coup 
Napoléon  h  accepter  la  médiation 
de  rAutriche  au  congrès,  ee  fut 


42$ 


NAP 


la  nouvelle  de  la  perte  de  la  ba- 
taille de  Viltoria.  Cette  bataille 
détrônait  le  roi  Joseph  le  3i  juin, 
et  Napoléon  se  vit  forcé  de  ren- 
voyer en  Espagne  le  maréchal 
Soult,  en  qualité  de  généralissime, 
pour  retenir  encore  dans  la  pénin- 
sule le  drapeau  français. 

Cependant,  les  traités  de  Rei- 
chenbach,  des  14  et  i5  juin,  l'un 
entre  l'Angleterre  et  la  Prusse, 
l'autre   entre   l'Angleterre    et    la 
Russie  ,  et  celui  de  Petersvaldau 
entre   ces   dernières   puissances , 
venaient  d'assurer  à  la  coalition 
la  solde  d'une  armée  de  260,000 
hommes  aux  frais  de  l'Angleterre. 
Au  commencement  de  la  campa- 
gne, l'Angleterre  était  dans  un  tel 
état  de  détresse,  qu'elle  n'avait  pu 
donner  de  subsides.  Mais  la  défec- 
tion  de  la   Prusse  ,  l'attitude  de 
l'Autriche,  son  intention  déclarée 
d'agir  comme  médiateur  armé, 
décidèrent  le  cabinet  de  Londres. 
L'Autriche  était  aussi  incognito  à 
Reichenbach,  et  y  confondait  dé- 
jà ses  intérêts  avec  ceux  des  qua- 
tre couronnes  du  Nord,  en  parta- 
geant avec  elles  les  subsides  bri- 
tanniques pour  solder  une  armée 
de  200,000  hommes.  Elle  stipulait 
aussi  pour  son  état  politique  ,  et 
demandait  et  obtenait  les  dépouil- 
les de  la  France  et  de  la  Bavière, 
l'Italie,  onûn jle statu q uo  de  1800. 
On  pensa,  dans  le  temps,  que  M. 
de  Stadion,  envoyé  au  quartier- 
général  des  armées  belligérantes, 
ne  fut  pas  étranger  aux  intrigues 
et  aux  mesures  prises  pour  déci- 
der son  maître  à  agir  contre  son 
gendre.  Toutefois,  la  convention 
de  Reichenbach  demeurait  secrè- 
te, et,   pour  ne  pas  offenser  la 
loyauté  de  l'empereur  François, 


NAP 

et  obtenir  la  signature  de  ce  prin- 
ce qui  la  donna  le  27  juillet,  elle 
ne  lui  fut  présentée  que  comme 
une  mesure  éventuelle  et  de  pré- 
caution. Enûn,  ce  fut  sous  les  aus- 
pices  de  toutes   ces   opérations  , 
que  la  conspiration  de  l'Angleter- 
re, de  la  Russie,  de  la  Prusse,  et 
de   l'Autriche  médiatrice,    ouvrit 
le  congrès  de  Prague  le  29  juillet. 
La  difficulté  prévue  ou  plutôt  pré- 
parée par  ces  puissances  ,  fut  de 
voir  un  arbitre  dans  le  médiateur, 
tandis  que  la  France  ne  devait  et 
ne  voulait  voir  qu'un  conciliateur. 
Cependant  ,  lié   par  les  engage- 
mens  de  son  cabinet  à  Reichen- 
bach, l'empereur  François  n'était 
et  ne  pouvait  plus  être  un  média- 
teur. D'un  autre  côté,  l'empereur 
Napoléon  avait  d'autant  moins  de 
confiance'  dans  les  opérations  de 
ce  congrès,  qu'il  n'avait  pas  l'in- 
tention d'y  faire  la  paix,  de  sorte 
qu'il   paraissait   avoir  été  ouvert 
plutôt  pour  y  combiner  les  chan- 
ces de  la  guerre  que  les  conditions 
d'un  traité.  Effectivement,  dès  le 
début  et   jusqu'au    dernier    mo- 
ment, il  y  eut  difficultés  sur  diffi- 
cultés apportées  par  le  cabinet  de 
France  ,  et  guerre  ouverte  entre 
ses  plénipotentiaires  et  ceux  des 
alliés.   Enfin,  le  6  août,  quatre 
jours  avant  la  dénonciation  finale 
de  l'armistice.  Napoléon  ordonna 
à  son  premier  plénipotentiaire,  le 
duc  de  Vicence  ,  d'entamer  avec 
le  comte  de  Metternich ,  ministre 
du    médiateur,   une    négociation 
secrète  pour  connaître  les  condi- 
tions de  paix  que  l'Autriche  serait 
prête  à  soutenir  de  son  influence, 
et  qui  assureraient  ainsi  à  la  France 
le  maintien  de  l'alliance.  Le  comte 
de  Metternich  s'empressa  de  faire 


NAP 

part  à  son  maître  de  cette  com- 
munication faite  sous  le  sceau  du 
secret  le  plus  inviolable  ,  et  qui 
devait  être  même  ignorée  du  com- 
te de' Narbonne ,  ambassadeur  de 
France.  L'empereur  François  ré- 
pondit ;i  cette  démarche  par  des 
propositions  complettement  hono- 
rables pour  la  France.  Le  temps 
pressait  :  il  n'y  avait  plus  que  deux 
jours  jusqu'au  terme  de  l'armis- 
tice. Napoléon  discuta  les  propo- 
sitions de  son  beau-père,  en  en- 
voya d'autres,  et,  le  loaoOt,  les 
alliés  signifièrent  à  l'Autriche  et 
à  la  France  la  rupture  de  l'armis- 
tice et  de  la  négociation.  Il  fut 
bien  prouvé  alors  que  Napoléon 
n'avait  voulu  que  gagner  du  temps 
pour  sacrifier  encore  au  démon 
de  la  guerre.  Il  avait  écrit,  dès  le 
principe  ,  à  son  négociateur  : 
0  Qu'il  préférait  lai^uen-e  de  l' Au- 
n  triche  à.  sa  neutralité.  »  Ainsi  fut 
brisée  cette  paix  qui ,  garantie  et* 
proposée  par  l'Autriche  sur  la 
demande  de  Napoléon,  ne  deman- 
dait à  ce  prince  que  la  dissolution 
du  duché  de  Varsovie,  l'émanci- 
pation de  Hambourg  et  de  Lu- 
beck,  la  renonciation  au  protec- 
torat du  Rhin  ,  le  rétablissement 
de  la  Prusse  avec  une  frontière 
sur  l'Elbe,  et  la  cession  de  l'IUy- 
rie  à  l'Autriche.  L'empire  français 
restait  intact  avec  toutes  les  con- 
quêtes de  la  république.  L'état 
de  l'Europe  était  fixé.  La  fatigue 
universelle  assurait  une  longue 
paix  au  monde,  et  la  France,  re- 
posée de  5o  années  de  gloire  mi- 
litaire, devenue  l'équilibre  de 
l'Europe  au  lieu  d'en  être  le  Qéau, 
riche  do  ses  ports ,  de  ceux  de  la 
Hollande,  de  la  Belgique,  de  l'I- 
talie, rentrait  enfin  avec  «on  an- 


NAP 


4-^9 


cienno  rivale  en  partage  de  la  sou- 
veraineté des  mers.  Mais,  descen- 
dre de  l'autocratie  de  l'Europe  au 
rang  de  son  plus  grand  souverain, 
paraître.y  être  forcé  par  l'Autri- 
che en  présence  des  vaincus  de 
Lutzen  ,  de  Bautzen  et  de  Wurs- 
chen  ,  renoncer  enfin  à  ce  droit 
public  de  la  guerre  qu'il  avait 
créé,  une  telle  extrémité  souleva 
l'orgueil  de  Napoléon.  Il  refusa 
la  paix  de  l'Autriche  ,  qui  avait 
cru  à  sa  bonne  foi.  Il  disait  à  son 
ministre,  il  faisait  dire  à  celui  de 
son  beau-père,  que  la  lutte  dure- 
rait plusieurs  années.  Il  l'espérait. 
Il  ne  vit  que  son  projet  d'abaisser 
l'Angleterre.  Il  ne  compta  pas  ses 
ennemis  :  il  oublia  Moskou.  Il 
n'entendit  point  la  France  :  il  lui 
préféra  la  guerre. 

Après  de  telles  inimitiés,  cha- 
cun sauta  sur  ses  armes,  et  la  re- 
prise des  hostilités  fut  une  satis- 
faction individuelle  pour  chacune 
des  armées  belligérantes.  En  re- 
fusant la  paix.  Napoléon  avait  ser- 
vi la  haine  et  la  vengeance  de  tous 
ses  ennemis  anciens  et  nouveaux; 
il  donnait  carrière  à  de  redouta- 
bles trahisons  sous  son  propre  dra- 
peau. Les  exemples  en  étaient  ré- 
cens :  cette  contagion  ,  colorée 
de  l'intérêt  de  la  patrie  alle^nande, 
était  menaçante;  tout  le  passé, 
tout  l'avenir  se  réunirent  sur  le 
champ  de  bataille  que  venaient 
de  rouvrir  l'imprudence  et  l'opi- 
niâtreté de  Napoléon.  Toutes  les 
hostilités  de  la  mémoire  se  conju- 
rèrent avec  toutes  les  passions  de 
la  vengeance.  Bernadette,  à  qui 
fnt  donné  le  commandement  en 
chef  de  l'armée  du  nord  de  l'Alle- 
magne, déclara  dans  sa  proclama- 
malion  du  1 5  août,  jour  de  la  fête 


43o 


NAP 


(le  Napoléon  ,  que  l'Europe  de- 
tait  marcher  contre  la  France,  a- 
vec  le  même  sentiment  gui  avait  ar- 
mé contre  elle,  la  France,  en  1792. 
C'était  proclamer  la  proscription 
des  Français,  et  dévouer  la  tête 
de  ISapoJéon.  Dans  Je  même  1110- 
iiieiit,  appelé  par  Je  prince-royal 
de  Suède,  Moreau  arrivait  d'Amé- 
lique,  pour  prendre  part  à  cette 
guerre  d'extermination.  Initié 
bientôt  dans  les  secrets  de  la  ven- 
geance du  Nord,  ce  proscrit  arri- 
vait à  l'armée,  était  consulté,  et 
donnait  aux  souverains  confédé- 
rés, le  conseil  de  marcher  sur 
Dresde.  Cette  circonstance  avait 
été  signalée  aux  plénipotentiaires 
français,  par  M.  de  Metternich, 
qui  leur  avait  déclaré  vouloir  res- 
ter étranger,  ainsi  que  son  souve- 
rain ,  à  ce  qu'il  appelait  l'intri- 
gue de  Moreau.  Cependant  mal- 
gré la  rupture,  une  note  du  duc 
de  Bassano,  en  réponse  à  la  note 
finale  du  ministre  du  médiateur, 
en  avait  été  accueillie.  Elle  devait 
avoir  plus  tard  une  sorte  de  ré- 
sultat; il  semblait  alors  que  l'em- 
pereur François  voulait  être  aussi 
prompt  à  releverle  gant  de  lapaix, 
que  l'empereur  Napoléon  à  jeter 
celui  de  la  guerre. 

Au  i5  aoCit,  d'efîrayantes  mas- 
ses d'hommes  allaient  s'égorger 
pour  la  politique  de  cinq  chefs  de 
nations,  et  conquérir  avec  ivresse, 
.nu  nom  de  Tindépendance  du 
jnonde,  le  joug  domestique  qui 
attendait  leurs  fronts  victorieux. 
]jC  prince  de  Schwarzenberg, 
nommé  généralissime  des  armées 
de  la  coalition,  comptait  sous  son 
commandement,  6o5,()oo  hom- 
mes, et  Napoléon  552,700.  Ainsi 
Ic5  alliés  avaient  sous  les  armes 


NAr 

2495500  hommes  de  plus  que  la 
France;  ils  avaient  de  plus  en  leur 
faveur,  l'avantage  de  se  battre  en 
pays  ami  ;  ils  pouvaient  éprouver 
des  pertes,  des  revers,  battre  en 
retraite;  tonte  terre  derrière  eux 
et  devant  eux  leur  serait  hospita- 
lière; mais  Napoléon  était  obligé 
de  vaincre  toujours.  Il  ne  lui  suf- 
fisait pas  contre  cette  ligue  formi- 
dable delà  terre  et  des  hommes, 
que  ses  soldats  fussent  invulné- 
rables, et  qu'il  fut  lui-même  pré- 
sent à  tous  les  corps  de  son  ar- 
mée, qui  avaient  des  ennemis  à 
combattre.  Jamais  plus  grande 
nécessité  ce  pesa  sur  un  liomrne: 
elle  n'eût  été  en  proportion  peut- 
être  qu'avec  sa  fortune  passée.  Le 
comte  de  Metternich,  pendant  les 
conférences  de  Pragae,  disait  au 
duc  de  Vicence  :  *  Votre  position 
»  et  celle  de  vos  adversaires  sont 
»  bien  différentes;  des  batailles  per- 
•»dues  par  eux  ne  leur  feraient  pas 
«signer  une  autre  paix  que  celle 
«que  l'on  peut  faire  aujourd'hui, 
«tandis  qu'une  seule  bataille  per- 
))due  par  Napoléon,  change  tout- 
»  à-fait  la  question.  »  C'était  à 
Prague ,  prophétiser  sur  Léip- 
sick  ! 

La  campagne  s'ouvrit  le  lende- 
main de  la  rupture  du  congrès. 
Le  i3  août,  les  Autrichiens  avaient 
opère  leur  jonction  avec  les  Prus- 
so-Kiisses  ;  la  prévoyance  des  al- 
liés et  du  médiateur,  fut  merveil- 
leuse sous  ce  rapport,  tant  ils  a- 
vaient  su  deviner  les  intentions  de 
Napoléon.  Jamais  on  ne  fut  mieux 
préparé  à  la  guerre ,  en  offrant  la 
paix.  Napoléon  n'apprit  que  le  20, 
la  jonction  des  forces  autrichien- 
nes, et  le  21,  il  reprenait  l'offen- 
sive, repoussait  Blurhcr,  et  enie- 


NAP 

Tait,  le  23,  la  forte  position  de 
Goldbt-rg;  mais  averti  du  mouve- 
ment <ur  Dresde,  que  son  enne- 
mi Moreau  avait  con.-seillé  aux 
alliés,  il  confla  au  duc  de  Taren- 
le  l'armée  de  Silésie,  et  se  porta 
en  toute  hâte  avec  sa  garde  sur  la 
capitale  de  la  Saxe.  La  fortune  le 
protégeait  encore;  il  arriva  le  26 
à  Dresde,  avant  sa  garde,  à  10  heu- 
res du  matin;  plusieurs  ouvrages 
venaient  d'être  enlevés  dans  les 
faubourgs  ;  Napoléon  vit  à  l'ins- 
tant le  péril  et  le  salut.  Au  lieu 
d'attendre  l'assaut,  il  ordonne  l'at- 
taque dans  les  faubourgs  ;  les 
Prussiens  et  les  Russes  sont  chas- 
sés des  ouvrages  et  des  retranche- 
mens,  et  toute  l'armée  combinée, 
après  avoireu  4, f^oo  hommes  tués, 
est  rejetée  en  arrière  des  positions 
qu'occupait  avant  l'attaque ,  le 
maréchal  Saint- Cyr,  chargé  de 
la  défense  de  Dresde.  Napoléon 
combattit,  dans  cette  matinée, 
avec  65,ooo  hommes  contre 
180,000;  le  soir  45,ooo  des  2""  et 
ii°"  corps  d'infanterie  et  du  4"'  de 
cavalerie,  entrèrent  dans  la  ville. 
Le  général  Vandamme ,  avec  le 
i"  corps,  déblofjuait  Koenigstein, 
et  reprenait  le  camp  de  Pirna  sur 
les  Russes.  Le  lendemain  27,  à  la 
pointe  du  jour.  Napoléon,  à  la  tête 
de  110,000  hommes,  comman- 
dant le  centre ,  ayant  le  roi  de 
Naples  à  l'aide  droite,  et  le  prince 
de  la  iMoskowa  à  l'aile  gauche, 
présente  le  combat  à  180,000  Rus- 
ses, Prussiens  et  Autrichiens.  Frap- 
pé d'un  vide  qu'il  aperçoit  dans 
leur  ordre  de  bataille,  l'empereur 
improvise  sur  cette  lacune  son 
plan  de  combat,  et  en  donne  le 
orignal  avant  que  l'ennemi  ne  puis- 
se  réparer  sa   faute;   l'iatervallt; 


NAP 


45 1 


laissé  était  destiné  au  corps  de 
Klenau,  qui  ne  devait  arriv-^r  qu'à 
deux  heures,  ^'impétuosité  de 
l'attaque,  égale  la  promptitude  de 
la  pensée  qui  l'a  conçue  :  les  corps 
ennemis  sont  repoussés,  désunis, 
rejelés  en  arrière,  laissant  )5,ooo 
hommes  sur  le  champ  de  ba- 
taille, et  1 5,000  prisonniers  pres- 
que tous  Autrichiens.  Napoléoa 
triomphait  doublement,  Alexan- 
dre fuyait  devant  lui,  et  un  bou- 
let de  la  garde  lui  avait  fait  justice 
du  général  Moreau  :  ce  châtiment 
avait  eu  pour  témoins  l'empereur 
de  Russie  et  le  roi  de  Prusse. 
Etrange  destinée!  Cy  républicain, 
dont  toute  la  gloire  militaire  ap- 
partenait à  la  cause  de  la  liberté, 
ce  général  qu'un  jugement  avait 
frappé  pour  avoir  conspiré  pour 
elle,  que  la  terre  libre  d'Amérique 
avait  reçu  comme  un  grand  ci- 
toyen malheureux,  avait  quitté 
cette  noble  hospitalité,  pour  venir, 
à  la  voix  d'un  de  ses  frères  d'ar- 
mes couronné,  et  sous  le  drapeau 
d'un  souverain  despotique,  porter 
et  diriger  la  guerre  des  rois  contre 
sa  patrie  !  A  la  nouvelle  de  son  ar- 
rivée sur  le  sol  armé  contre  elle, 
la  France,  encore  divisée  sur  le 
jugement  qui  l'avait  banni,  l'avait 
tout-à-coup  condamné,  et  une 
volonté  singulière  du  sort  lui  fai- 
sait donner  la  mort  par  celui  qui 
l'avait  proscrit.  Moreau,  tué  sous 
les  yeux  d'Alexandre  par  un  ca- 
non de  la  garde  de  Napoléon  , 
a  dans  l'histoire  le  iriate  privi- 
lège d'une  immoilalité  particu- 
lière. 

Cependant  le  2G,  au  moux.-nt 
où  la  marche  rapide  et  vraiment 
inspirée  de  Napoléon  l'avait  porto 
en  'y%  heures  aux  murs  de  Dresde^ 


45a 


NAP 


le  maréchal  Macdonald,  chargé  du 
commandement  de  l'armée  île  Si- 
lésie,  perdait,  cdfctre  le  général 
Bliicher,  la  bataille  de  la  Ratz- 
bach,  qui  coûta  à  l'armée  française 
aSjOOO  honnnes,  dont  i5,ooo  pri- 
sonniers, et  presque  autant  à  l'ar- 
mée prussienne.  Mais  les  pertes 
de  la  France  étaient  irréparable.^, 
au  centre  de  l'Allciiiagne,  dans  la 
nécessité  où  elle  était  d'être  tou- 
jours victorieuse,  et  devant  un  en- 
nemi qui  avait  sous  les  armes 
25o,ooo  hommes  de  plus  qu'elle. 
La  bataille  de  la  K-alzhach  fut  un 
grand  revers  à  opposer  aux  triom- 
phes merveilleux  des  deux  batail- 
les de  Dresde.  La  retraite  du  prin- 
ce de  Schwarzenberg  s'était  opé- 
rée sur  la  Bohême;  les  succès  du 
roi  deNaples  lui  fermaient  la  rou- 
te de  Freyberg,  et  ceux  du  général 
Vandamme  la  route  de  Pirna. 

Napoléon  n'était  pas  heureux 
par  ses  lieutenans.  En  suivant  le 
prince  de  Schwarzenberg,  il  avait 
appris  la  défaite  du  duc  de  Reggio 
par  le  prince  royal  de  Suéde,  aux 
combats  de  Grossbeherren  etd'Ah- 
rensdorf,  le  23  août,  près  de  Ber- 
lin. La  fatale  nouvelle  de  la  batail- 
le de  la  Ratzbach  lui  était  annon- 
cée. Le  3o,  le  général  Vandam- 
me, qui  avait  reçu  l'ordre  de  tenir 
les  défilés  de  la  Bohême,  se  lança 
imprudemment  à  la  poursuite  du 
corps  russe  qu'il  avait  battu  à  Pir- 
na, et  le  28  à  NoUendorf,  et  il  avait 
eu  rim[  rudence  de  descendre  sur 
Culm,  avec  dix  bataillons,  sans 
en  laisser  un  sur  les  hauteurs 'pour 
assurer  son  mouvement.  Ce  géné- 
ral se  trouvait  tout -à- coup  enve- 
loppé par  les  corps  en  retraite  de 
l'armée  combinée,  et  avait  aftaireà 
70,ooohonjmes, qu'il  voulut  com- 


NAP 

battre  avec  i5,ooo.  Il  perdait 
10,000  hommes,  dont  7,000  pri- 
sonniers, dans  cette  lutte  témérai- 
re, et  il  était  pris  lui-même  avec 
les  généraux  Haxo  et  Guyot,  et 
toute  son  artillerie.  Le  général 
Vaudamme  devait  être  ,  et  se 
croyait  soutenu  par  le  14""*  corps, 
aux  ordres  du  maréchal  Saint-Cyr, 
qui  était  en  marche  de  Meissen, 
et  le  quartier-général  impérial,  a- 
vec  la  garde,  était  à  Pirna.  On  at- 
tribua alors,  et  on  attribue  encore 
au)ourd'hui,le  défaut  d'ordre  pour 
la  poursuite  de  l'ennemi,  à  un  vo- 
missement violent  qu'éprouva  Na- 
poléon à  Pirna,  et  qui  le  décida 
brusquement  à  retourner  à  Dresde. 
L'assaisonnement  d'un  mets  servi 
au  déjeuner  de  l'empereur,  eut  ce 
grave  résultat.  Napoléon  s'en  sou- 
vint l'année  suivante,  après  la  ba- 
taille de  Brienne,  à  Troyes ,  où  il 
dit  en  voyant  un  mets  semblable: 
«  C'est  le  déjeûner  rie  Pirna.  » 

Ainsi  la  brillante  victoire  de 
Dresde  n'offrit  aux  yeux  mî'ine  de 
Napoléon,  qu'une  faible  compen- 
sation aux  trois  revers  que  ses 
lieutenans  venaient  d'éprouver. 
Le  malheur  allait  lui  devenir  aus- 
si fidèle  que  l'avait  été  la  prospéri- 
té, et  il  dut  croire  à  l'abandon  to- 
tal de  sa  fortune,  quand,  peu  de 
jours  après,  il  apprit  que  l'invin- 
cible prince  de  la  Moskowa,  le 
brave  des  braves,  avait  été  battu  le 
6  à  Interbogt,  par  le  prince-royal 
de  Suède.  Cette  victoire,  disputée 
avec  opiniâtreté,  mais  emportée 
par  la  force  numérique  de  l'enne- 
mi, avait  coûté  au  corps  du  maié- 
chal  1 5,000  hommes,  5o  pièces  de 
canon  ,  et  presque  tous  ses  baga- 
ges. Dans  une  pareille  situation  , 
après  quatre  échecs  aussi  funeste î, 


J 


NAP 

qui  avaient  siiccéssi veinent  illus- 
tré les  dillérens  corps  de  la  gran- 
de-aruîée  combinée  ,  la  paix  était 
le  premier,  Tunique  besoin  de  Na- 
poléon ,  et  toute  proposition  de 
négociation  devait  être  saisie  coai- 
ine  un  bienfait  inespéré  du  destin; 
mais  ce  prince,  toujours  victorieux 
partout  où  il  commandait ,  écou- 
tant moins  peut-être  son  devoir  de 
souverain  que  sa  gloire  de  grand 
capitaine,  ne  prenait  pas  assez  à 
cœur  les  revers  du  duc  de  Reggio, 
du  général  V'andamme,  du  due  de 
Tarente  et  du  prince  de  la  Mos- 
kowa. 

Cependant  l'Autriche,  dont  l'u- 
ni(jue  but  avait  été,  en  se  joignant 
aux  alliés  après  la  rupture  de  Pra- 
gue, de  contribuer  à  enlever  à  Na- 
poléon la  domination  qu'il  exer- 
çait despoliquemenl  sur  l'Europe 
et  sur  elle,  avait  laissé  une  porte 
ouverte  à  la  reprise  d'une  négocia- 
tion. M.  de  Melternich  avait  ré- 
pondu de  Prague,  le  21  août,  à  la 
note  du  18,  du  duc  de  liassant». 
La  ville  de  Prague  était  toujours 
neutralisée,  et  des  conférences  y 
avaient  été  reprises  par  les  pléni- 
potentiaires alliés  seulement,  sous 
l'influence  de  Jl.  de  Metternich. 
Enfin  les  souverains  confédérés, 
malgré  leurs  victoires  de  Gross- 
beherren,delaKatzbach,deCulm, 
de  Interbogt,  malgré  l'énormité 
de  leurs  forces,  deux  fois  plus  con- 
sidérables que  celles  de  l'armée 
française,  malgré  les  désastres  de 
ia  retraite  des  Français  eu  Espa- 
gne, tant  il  était  loin  de  leur  pen- 
sée de  méditer  la  destruction  de 
Napoléon  ou  celle  de  sa  dynastie, 
lui  proposèrent  encore  à  peu  prés 
les  mêmes  conditions  qu'il  avait 
refusées  après  ses  victoires  dé  Lut- 

I.  IIV. 


NAP 


433 


zen,  de  Baulzen  et  de  Wursclien. 
Telles  étaient  ces  propositions  : 
.1  La  paix  devait  être  continentale 
«et  générale  pour  l'Europe  ;leTy- 
»rol  et  les  provinces  lllyriennes  é- 
))  laient  restitués  à  l'Autriche;  le 
w  trône  d'Espagne  était  rendu  à  la 
«maison  de  Bourbon  ;  la  Hollande 
»  était  indépendante  sous  un  roi 
«choisi  par  Napoléon,  ainsi  que 
•  l'Allemagne  sous  ses  souverains 
«actuels.  Deux  projets  étaient pro- 
»  posés  pour  la  confédération  du 
»)llhin  :  le  premier  la  conservait  et 
«lui  donnait  pour  limite  le  cours 
»de  l'Elbe,  dont  la  ligne  militaire 
'.restait  à  Napoléon;  au-delà  des 
«Alpes,  la  France  s'étendait  au 
«cours  du  Pô,  à  la  ligne  du  Mincie 
«jusqu'à  l'Apennin  et  la  mer  de 
»  Gênes  ;  le  roi  Joachim  restait  sur 
»le  trône  de  Naples;  les  autres  é- 
»  tats  de  l'Italie,  reconstitués,  de- 
onieuraient  sous  la  dépendance  de 
•)  la  France.  »  Le  second  pro je  t  don- 
nait pour  limite  à  la  France  «  le 
«cours  du  Rhin  jusqu'à  son  em- 
«bouchure  en  Hollande,  détrui- 
»sait  la  confédération  rhénane, 
«rendait  à  l'empire  d'Allemagne 
«les  frontières  du  traité  de  Luné- 
»  ville,  et  l'Italie  entière  restait 
«sous  la  domination  directe  ou  in- 
a directe  de  la  France.  » 

iMais  Napoléon,  confiant  dans 
son  génie  miPlaire  et  dans  la  fidé- 
lité rhénane,  non-seulement  n'é- 
couta pas  ces  propositions  ,^nais 
même  n'envoya  aucun  plénipo- 
tentiaire à  Prague.  Ainsi  il  fut 
prouvé  à  toute  l'Europe,  pour  la 
seconde  fois  depuis  l'ouverture 
de  la  campagne,  qu'il  ne  voulait 
point  faire  la  paix.  Alors  M.  de 
Metternich,  réduit  à  devem'r  de 
conciliateur  l'arbitre  implacable 
38 


434 


NAP 


de  la  destinée  de  Napoléon,  signa, 
le  3  octobre,  à  Tœplitz,  un  trailé 
avec  lord  Aberdeen  ,  par  lequel 
l'Autriche  engageait  toutes  ses 
forces,  et  l'Angleterre  tous  s' s 
moyens,  contre  l'ennemi  commun. 
Cette  odieuse  désignation  fut  in- 
Tentée  par  l'Angleterre,  qui  ne 
voulut  pas,  dans  un  acte  aiiquel 
elle  concourait,  admettre  la  qua- 
lification d'empereur,  titre  qu'elle 
avait  constanunent  décliné.  Elle 
fut  adoptée  pour  la  première  fois 
à  celte  occasion  par  le  cabinet  de 
Vienne,  dans  le  protocole  de  ce 
traité.  L'Angleterre  faisait  natu- 
rellement la  loi  à  la  puissance  qui 
recevait  ses  subsides  :  ainsi  Tœp- 
litz vit  régulariser  et  légitimer  les 
transactions  secrètes  consenties  à 
Heichembach  et  à  Trachenberg, 
trois  mois  auparavant.  La  condui- 
te de  Napoléon  avec  le  cabinet  de 
Vienne  et  les  souverains  alliés, 
dans  une  circonstance  où  ils  lui 
remettaient  encore  le  sort  de  la 
France  et  de  l'Europe,  prouve 
une  aberration  de  sentiment,  dont 
le  mépris  pour  Tespèce  humaiue 
était  peut-être  la  fatale  inspira- 
tion. La  guerre  à  outrance  contre 
la  France, devenait  ainsi  pour  l'Eu- 
rope un  nouveau  droit  des  gens  , 
et  la  barbarie  renaissait  au  19*  siè- 
cle sous  la  bannière  de  l'extermi- 
nation. 

La  veille  de  l'expiration  du  dé- 
lai fixé  pour  accepter  les  derniè- 
res bases  de  Prague ,  Napoléon 
recevait  du  roi  de  Bavière  l'assu- 
rance de  la  continuation  de  son 
alliance  jusqu'à  la  fin  de  novem- 
bre, malgré  les  eiforts  de  l'Autri- 
che pour  l'en  détacher.  On  était 
à  la  fin  de  septembre  :  il  calculait 
que  la  coopéralioa  des  Saxons, 


NAP 

des  Bavarois,  des  Hessois  et  des 
Wurtembergeois,  lui  suffirait  pour 
reprendre  l'offensive  avec  avanta- 
ge sur  l'Elbe  et  niênic  sur  l'Oder. 
La  ligne  de  l'Elbe  était  défendue 
par  les  forteresses  de  Magdebourg, 
\Vittemberg  et  Torgaw.'  Celle  de 
l'Oder,  par  les  places  de  Glogaw, 
Custrin  et  Stettin,  et  s'il  gagnait 
une  seule  baliiille  sur  l'aruiée  de 
Siîésie,  il  devait  espérer  de  dé- 
bloquer sur  la  Vistnle  les  villes  de 
ïhorn,  de  Modlin  et  celle  de 
Dantzig,  où  le  général  Rapp  com- 
mandait une  armée  de  3o,ooo 
hommes.  La  ville  de  Dresde  était 
fortifiée,  ainsi  que  les  positions  de 
Pirua;  le  maréchal  Gouvion  Saint- 
Cyr  fut  chargé  de  les  défendre 
avec  25,000  hommes:  et  4^,000 
sous  les  ordres  du  roi  de  Naples, 
réunis  à  Freyberg,  devaient  arrê- 
ter la  marche  de  l'armée  de  Bo- 
hême. Napoléon  chargeait  ainsi 
l'art  de  la  guerre  de  justifier  la 
seconde  rupture  des  négociations 
de  Prague,  ou  plutôt,  comme  il 
se  plaisait  à  répéter  après  Louis 
XIV  :  l'état,  c'est  moi,  il  ne  trou- 
vait d'autre  fortune  que  la  sienne 
à  mettre  dans  la  balance  du  bon- 
heur du  monde. 

Les  hostilités  recommencèrent 
le  28  septembre,  par  un  mouve- 
ment combiné  de  trois  armées  des 
alliés  dans  la  direction  de  Léip- 
sick.  Le  g  octobre.  Napoléon,  à 
la  tête  de  120,000  hommes,  at- 
taqua l'armée  de  Silésie.  Bliicher 
fui  battu.  Ce  succès,  qui  forçait 
l'armée  prussienne  à  se  retirer 
sur  la  Saâle  ,  affermissait  dans 
Napoléon  la  résolution  qu'il  avait 
prise  de  renotiveler,  sur  la  ligne  de 
l'Elbe,  la  gloire  du  grand  Frédé- 
ric. Il  avait  peu  besoin  de  ce  grand 


NAl' 

souvenir.  Mais  il  ne  pouvait  se 
maintenir  en  Allemagne  qu'avec  la 
fidélité  delà  Bavière;  et  malgré  le* 
assurances  récentes  de  cette  puis- 
sance ,  elle  avait  signé  la  veille, 
8  octobre,  le  traité  de  Ried  a- 
vec  l'Autriche.  En  Espagne,  la 
fortune  était  aussi  contraire.  Wel- 
lington passait  la  Bidassoa  le  7 
avec  une  armée  anglo-hispano- 
portugaise.  Les  grands  faits  d'ar- 
mes des  maréchaux  Soult  et  Su- 
chel,  la  belle  victoire  remportée 
le  10  septembre  par  ce  deroier  à 
Villa-Franca,  sur  le  général  Ben- 
tinck,  ne  laissaient  aucune  trace 
sur  la  résistance  compacte  et  uni- 
verselle de  tous  K'S  habitans  de  la 
péninsule  à  l'invasion  française. 
Les  deux  nations  voisines  se  ré- 
concilièrent sous  le  drapeau  de  la 
commune  vengeance.  Elles  é- 
(aient,  à  cette  époque,  arrivées  à 
cette  crise  d'énergie  si  rare  et  si 
courte,  qui  donne  la  force  de 
chasser  des  envahisseurs  injustes 
et  redoutables ,  et  de  reconquérir 
la  patrie.  La  même  antipathie  qui 
divisait  les  Espagnols  et  les  Por- 
tugais, venait  également  de  dis- 
paraître entre  les  Autrichiens  et 
les  Bavaroi>,  et  le  1 5  octobre,  à 
Braunau  ,  l'armée  austro -bava- 
roise était  réunie.  Ce  jour  même. 
Napoléon  entrait  à  Léipsick.  A- 
verti  depuis  quelque  temps  par 
le  comte  de  Mercy,  son  ministre 
à  Munich,  de  la  prochaine  défec- 
tion des  états  allemands,  il  avait 
appiis  la  veille  à  Duben,  la  dé- 
fection de  la  Bavière  parle  roi  de 
Wurtemberg,  qui  en  même  temps 
lui  annonçait  la  sienne.  Ce  fut  le 
dernier  avis  des  opérations  de  la 
politique  allemande  que  ce  prùi- 
cc,  dont  la  diplomatie  était  si  bien 


NAP 


4ji> 


servie  en  Allemagne,  et  avait  été 
si  utile  aux  intérêts  de  la  France, 
donnait  à  Napoléon.  Il  lui  prou- 
vait jusqu'au  dernier  moment  sa 
franchise  et  sa  loyauté  :  c'était  en- 
core être  son  ami.  Uien  ne  dé- 
montrait plus  clairement  à  Napo- 
léon que  les  peuples  dominaient 
les  cabinets,  et  les  cabinets  les 
souverains,  et  que  l'esprit  tout- 
puissant  du  Tugend-bund,  qu'il  a- 
vait  méprisé,  brisait  sans  obstacle 
les  intérêts  quelconques  des  divers 
états  pour  affranchir  ce  que  ce 
parti  appela,  avec  tant  de  succès, 
la  pairie  allemande.  Les  Germains 
la  conquirent  alors,  ils  la  cher- 
chent aujourd'hui. 

L'armée  française  venait  d'être 
séparée  des  1"  et  14'  corps,  par 
l'attaque  qui  avait  forcé  le  ma- 
réchal Saint-Cyr  et  le  comte  de 
Lobau  à  se  rejeter  dans  la  ville 
de  Dresde,  devant  laquelle  le  gé- 
néral Beningsen  avait  laissé  ao, 000 
Russes.  Le  roi  de  Naples  comman- 
dait la  droite  de  l'armée.  Napo- 
léon le  centre,  et  le  prince  de  la 
Moskowa  la  gauche.  Le  général 
Bertrand  avait  i5,ooo  hommes  en 
arrière  de  Léipsick  ;  la  garde  for- 
mait une  réserve  de  2 5, 000  hom- 
mes. La  grande-armée  française, 
la  seule  active  qui  restât  à  Napo- 
léon, était  de  107,000  hommes 
avec  600  pièces  de  canon.  Les 
armées  coalisées  comptaient 
548,000  combattans.  La  grande- 
armée  était  sous  les  ordres  du 
prince  de  Schwarzenberg:  celle  de 
Pologne,  sous  le  général  Bening- 
sen  ;  celle  de  Silésie,  sous  le  gé- 
néral Bliicher;  et  celle  du  Nor4 
sous  le  prince  royal  de  Suède. 
L'artillerie  des  alliés  était  de  qSo 
à  t,ooo  bouches  à  fea.  Ijn  deiui* 


456  NAP 

million  d'hommes,  destiné  à  être 
défendu  et  foudroyé  par  i5  à 
1,600  pièces  de  canon,  se  trou- 
vait resserré  dans  un  espace  de  3 
à  4  lieues  ;  le  terrain  encore  san- 
glant de  Lutzen  et  de  "NVeissen- 
felds ,  qui  avait  vu  triompher  deux 
fois  Napoléon,  allait  le  voir  suc- 
comber sous  le  poids  de  la  trahi- 
son de  ses  alliés  naguère  victo- 
rieux sous  ses  aigles.  Cependant 
la.  supériorité  de  son  génie  lui 
donnait  le  16  la  victoire  de  Wa- 
chau,  où  six  attaques  consécuti- 
ves, alternant  les  succès  des  deux 
armées,  renouvelèrent  dans  ses 
murs  la  sanglante  journée  de 
Raya.  A  la  gauche,  le  maréchal 
Ney,  moins  heureux, était  battu  à 
Rlœchern,  qui  fut  enlevé.  Par  une 
sorte  de  récrimination  de  la  for- 
tune, le  plus  beau  souvenir  de  la 
gloire  de  INapoléon  l'attendait 
sur  le  champ  de  bataille  de  Wa- 
chau.  Le  comte  de  Meerfeld,  gé- 
néral autrichien,  le  même  qui  a- 
vait  été  un  des  négociateurs  du 
fameux  traité  de  Campo-Formio, 
avait  été  pris.  Cette  circonstance 
semblait  être  nn  avis  de  la  desti- 
née. L'empereur  se  ressouvint  du 
général  en  chef  de  l'armée  d'Ita- 
lie, et  renvoya  le  comte  avec  des 
paroles  de  paix.  Il  acceptait  une 
des  propositions  de  Dresde,  celle 
d'abandonner  l'Allemagne  jus- 
qu'au Rhin.  Mais  apprenant  le 
mouvement  de  concentration  de 
l'armée  française ,  l'arrivée  des 
120,000  hommes  qui  formaient  l'ar- 
mée du  prince  royal  de  Suèd(!,  et  la 
jon'ction  des  corps  de  Colloredo  et 
de  iicningsen  ,  instruits  d'ailleurs 
du  succès  de  diverses  machina- 
lions  ourdies  dans  les  rangs  de 
l'armée  de  Napoléon,  les  souve- 


NAP 

rains  alliés,  certains  de  leur  triom- 
phe sur  des  forces  deux  fois  in- 
férieures en  nombre,  refusèrent 
l'armistice;  Napoléon  accepta  le 
combat. 

Cependant  il  a  en  Allemagne 
plus  de  i5o,ooo  hommes  dont  il 
ne  peut  disposer,  et  avec  lesquels 
il  eût  fait  la  loi  à  ses  ennemis. 
Une  autre  grande- armée  ,  dont 
3o,ooo  vieux  soldats  à  Dantzick, 
et  20,000  à  Magdebourg,  est  en- 
fermée dans  les  places  de  la  Vis- 
tule,  de  l'Elbe  et  de  l'Oder.  Le 
maréchal  Davoust  occupe  avec 
55,000  hommes  Hambourg  et 
le  Bas-Elbe.  Le  maréchal  Saiut- 
Cyr  est  bloqué  à  Dresde  avec  son 
corps  d'armée  et  les  débris  de 
Vandamme.  Réduite  à  i3o,ooo 
combattansparles  revers  des  ducs 
de  Reggio  et  de  Tarente ,  et  par 
le  dispersement  de  ses  autres 
corps ,  l'armée  française  attend 
devant  Léipsick  six  colonries  de 
5o  à  60,000  hommes  qui  se  di- 
rigent contre  ses  positions.  Le  18 
juin  va  éclairer  ce  combat  de 
géants,  autre  bataille  d'Actium, 
où  le  César  moderne  luttera  seul 
contre  un  triumvirat  de  rois.  Elle 
fut  gagnée  par  la  trahison.  Pen- 
dant 7  heures  le  centre  et  la  droi- 
te de  l'armée  française,  c'est-ù- 
dire  95,000  hommes,  en  repous- 
sèrent victorieusement  1 70,000. 
Le  maréchal  Marmont,  à  l'extrê- 
me gauche,  fut  d'abord  opposé 
au  prince  royal  de  Suède,  avec 
lequel  il  fut  faiblement  engagé. 
Tout  l'eftort  se  porta  contre  le 
maréchal  Ney  :  4o!i00{>  hommes 
durent  combattre  les  i5o,ooo 
hommes  que  commandait  ce 
prince.  Par  des  miracles  de  va- 
leur   et    d'audace,    les    troupes 


NAP 

de  Ney  résistaient    aux  attaques 
continuelles  de  cette  masse  d'en- 
nemis .    lorsque   tout-ii-coup   les 
W'urlembergeois   et  les   Saxons  , 
passant    traîtreusement  sous    les 
drapeaux  de  l'ex- maréchal  Ber- 
nadotte ,  tournèrent  contre  leurs 
frères  d'armes,  contre  leurs  hé- 
roïques alliés  ,  60  pièces  d'artil- 
lerie, et  les  armes  parricides  de 
26  bataillons  et  de  10  escadrons. 
Napoléon  accourut  en    personne 
au    secours   de  l'aile   gauche,   et 
avec  une  division  de  sa  garde  et 
les  grenadiers  à  cheval  il  repous- 
sa  également   les   Saxons   et  les 
Suédois.  Les  artilleries  des  deux 
armées    continuèrent   jusqu'à   la 
nuit  la  destruction  de  leurs  gran- 
des masses  immobiles.  La  batail- 
le de  Léipsick  fut  gagnée  par  le 
centre  et  la  droite  de  l'armée  fran- 
çaise, qui  conservèrent  leurs  po« 
sitions.  Elle  fut  perdue  par  l'aile 
gauche,    qui    fut    livrée   par   les 
Saxons.    Ainsi    cette    journée    si 
meuririère   restait  un  grand  Hul 
d'armes  plus  qu'honorable  pour 
la  gloire  de  ?iapoléon  et  de  son 
armée;  mais  le  défaut  de  muni- 
tions ,   la  trahison  des  Saxons  et 
des  Wurtembergeois,  et  la  réu- 
nion  de    l'armée    bavaroise    aux 
Autrichiens, commandaient  impé- 
rieusement la  retraite,  et  ne  per- 
mettaient point  de  songer  à  don- 
ner une  troisième  bataille  devant 
Léipsick.  Il  ne  restait  plus  dans 
les  caissons  de  l'artillerie  françai- 
se que  10,000  coups  de  canon.  II 
falLiit  donc  se  diriger  sur  Erfurlh 
pour  y  renouveler  les  munitions, 
et  quoique  l'ennemi  se  fût  retiré 
en  arrière  du  champ  de  bataille, 
et  l'eût  abandonné  aux  Français, 
Napoléon  ordonna  le  mouvement 


NAP  4^7 

de  la  retraite.  Elle  se  fit  dans  l'or- 
dre le  plus  parfait. 

Les  ponts  étaient  passés  avant 
le  jour.  Dix  mille  hommes  envi- 
ron d'arrière -garde  défendaient 
encore  les  barrières  des  faubourgs 
pour  donner  le  temps  à  l'artille- 
rie et  aux  parcs  de  réserve  de  pas- 
ser le  grand  pont,  lorsque  trom- 
pé par  la  vue  de  quelques  cosa- 
ques qui  avaient  franchi  l'Elster 
à  gué,  le  sous-ofljcier  chargé  de 
détruire  le  pont,  après  l'évacua- 
tion totale  de  la  ville,  crut  que 
l'ennemi  en  était  déjà  le  maître, 
et  le  fit  sauter.  L'arrière-garde  de 
l'armée  n'ayant  plus  de  retraite, 
resta  prisonnière,  et  avec  elle  tous 
les  bagages  et  200  pièces  d'artil- 
lerie. Le  valeureux  prince  Po- 
niastouski,  le  héros  de  la  Pologne 
et  de  la  fidélité,  blessé  à  une 
charge  brillante  qu'il  venait  de 
faire  dans  les  rues  de  Léipsick, 
trouva  la  mort  en  s'élançant  dans 
le  fleuve  avec  son  cheval.  Napo- 
léon en  traversant  Léipsick  avait 
eu  la  générosité  d'aller  consoler 
le  roi  de  Saxe  de  la  trahison  de 
ses  troupes.  Ce  trait,  d'une  véri- 
table grandeur  d'âme,  jette  un 
jour  particulier  sur  le  caractère 
de  Napoléon;  mais  il  devint  l'ar- 
rêt du  roi  de  Saxe,  qui  fut  trai- 
té comme  un  traître  par  les  sou- 
verains parce  qu'il  n'avait  pas 
trahi  son  allié.  Il  est  du  devoir 
de  l'historien  de  signaler  cette 
étrange  différence  entre  la  con- 
duite de  Napoléon  fugitif  et  cel- 
le des  rois  victorieux.  Le  vieux 
souverain  de  la  Saxe ,  le  Nestor 
du  peuple  allemand  ,  fut  em- 
mené prisonnier,  abreuvé  d'ou- 
trages, jugé  à  la  paix  et  condam- 
né à  perdre  la  moitié  de  ses  é- 


458  NAP 

tais!  La  sentence  a  été  eiécutée. 

Les  journées  du  16  au  19,  fu- 
rent fatales  aux  deux  armées.  Les 
Français  perdirent  30,000  hom- 
mes tués,  5o,ooo  prisonniers  y 
compris  23, 000  malades  ou  bles- 
sés, qui  étaient  dans  les  hôpitaux 
de  Léipsick ,  et  55o  bouches  à 
feu.  Les  coalisés  laissèrent  morts 
sur  les  chan)ps  de  bataille  l'ef- 
frayante quantité  de  47?ooo  hom- 
mes :  on  estime  au  double  le  nom« 
bre  des  hommes  mis  hors  de  com- 
bat. 

Le  23,  l'armée  française,  ré- 
duite à  90.000  hommes,  arriva  à 
Erfnrlh,  où  elle  s'approvisioima: 
elle  poursuivit  sa  route  le  a5,  et 
le  36,  elle  trouva  sa  retraite  cou- 
pée à  Hanau  par  60,000  Austro- 
Lavarois  sous  les  ordres  du  géné- 
ral de  Wrède.  Ainsi,  après  le  dé- 
sastre de  Léipsick,  elle  rentrait  en 
France  entre  deux  défections  , 
comme  elle  était  rentrée  en  Alle- 
magne après  celui  de  IMoskou. 
Un  reste  de  pudeur  de  la  part  de 
deux  alliés,  tels  que  les  souverains 
de  l'Autriche  et  de  la  Bavière,  au- 
rait au  moins  dft  respecter  le  re- 
tour de  Napoléon  dans  sa  patrie  ; 
mais  nous  devons  le  dire  encore, 
à  cette  époque  si  mémorable  , 
les  souverains  étaient  oubhés  de 
leurs  armées,  dont  chaque  géné- 
ral, érigé  par  elles  en  dictateur, 
aveuglé  comme  elles  par  l'enthou- 
siasme d'une  indépendance  popu- 
laire, ne  les  dévouait  qu'au  fata- 
lisme de  la  vengeance,  dont  elles 
furent  toutes  punies  après  leur 
triomphe.  L'armée  du  général  de 
Wrède  fut  enfoncée  par  la  furie 
française  y  et  perdit  12,000  hom- 
mes. Le  général  Bertrand,  celui 
qui  devait  partager  le  dernier  asi- 


NAP 

le  de  Napoléon,  occupa  la  derniè- 
re position  des  Français  sur  le 
sol  germanique.  11  s'empara  de 
Hanau  après  avoir  châtié  le  géné- 
ral bavarois ,  qui  fut  blessé  dan- 
gereusement, et  cette  vigoureuse 
occupation  protégea  la  retraite  sur 
IMaycnce.  La  justice  et  la  gloire 
marquèrent  ainsi  les  adieux  de  la 
France  ù  l'Allemagne.  Le  2  no- 
vembre ,  l'armée  avait  repassé 
cette  grande  limite,  que  la  nature 
et  la  république  avaient  donnée  à 
la  patrie  française  ,  que  la  soif  des 
conquêtes  n'avait  pas  su  respecter, 
et  que  celle  plus  implacable  de  la 
vengeance  allait  franchir. 

Cependant  un  simulacre  de  né- 
gociations,réunissait  à  Francfort  le 
couite  de  Metternich ,  le  comte  de 
Nesselrode  ,  lord  Aberdeen  et  le 
baron  de  Saint- Aignan.  Ce  der- 
nier, ministre  de  France  près  les 
cours  ducales  de  Saxe,  arrêté  et 
envoyé  prisonnier  sur  les  derrières 
et  contre  le  droit  des  gens,  avait 
été  rappelé  par  les  plénipotentiai- 
res alliés,  et  recevait,  dans  une 
conférence  ,  la  réponse  aux  ou- 
vertures faites  de  la  part  de  Napo- 
léon ,  par  le  comte  de  Meerfeldt , 
son  prisonnier  à  l'affaire  de  \Va- 
chau.  Des  bases  furent  posées, 
communiquées  à  Napoléon  par 
son  ministre.  »  La  France  avait 
«pour  limites  le  Rhin,  les  Alpes  et 
«les  Pyrénées;  l'Espagne  était  ren- 
»due  à  son  ancienne  dynastie;  l'I- 
«talie,  l'Allemagne,  la  Hollande, 
«étaient  rétablies  comme  états  in- 
»  dépendans.»  Mais  il  fut  bien  prou- 
vé que  cette  communication,  qui 
eut  lieu  le  10  novembre,  n'était 
qu'un  prétexte  pour  "mieux  com- 
biner l'invasion  de  la  France. Cet- 
te grande  expédition  effrayait  les 


NAP 

alliés  :  les  souvenirs  héroïques  de 
1^92  leur  en  imposaient  encore. 
L'Autriche  surtout  dut  redouter 
de  fouler  celte  terre  alors  si  re- 
doutable ,  à  laquelle  l'envahisse- 
ment des  étrangers  avait  fait  pro- 
duire tant  de  héros.  Elle  cherchait 
donc  par  tous  les  moyens  à  se 
soustraire  aux  chances  douteuses 
de  l'invasion  méditée,  et  celte  0- 
pinion,  cette  crainte ,  partagées 
par  la  Prusse,  qui  avait  sa  tradi- 
tion particulière,  par  l'Angleterre, 
qui  avait  en  mémoire  les  désastres 
de  ses  armées  sur  le  sol  français, 
le  furent  aussi  par  la  Russie,  et 
déterminèrent  les  alliés  aux  pro- 
positions de  Francfort.  En  consé- 
quence de  cette  terreur  qui  arait 
saisi  les  vainqueurs,  on  voulait,  en 
promettant  et  en  n'arrêtant  pas 
l'ouverture  d'un  congrès,  dans  la 
ville  de  Manhein,  désignée  par 
Napoléon,  avoir  le  temps  de  sé- 
duire ou  de  violer  la  neutralité  de 
la  Suisse,  la  faiblesse  du  roi  de  Na- 
ples,  lu  Hollande  déjà  occupée. 
La  Russie  et  l'Autriche  surtout, 
dont  la  capitale  était  menacée  par 
l'armée  du  prince  Eugène,  le  vou- 
laient ainsi,  et  en  attendant  ces  ré- 
sultats, qu'ils  obtinrent  bientôt, 
les  souverains  alliés  publiaient  à 
Francfort,  le  1"  décembre,  une 
proclamation,  qui  tendait  à  désu- 
nir la  France  elle-même,  en  sépa- 
rant sa  cause  de  celle  de  son  sou- 
verain. Ainsi  dans  le  moment  où 
ils  traitaient,  ou  avaient  Tair  de 
traiter  avec  Napoléon ,  ils  dé- 
vouaient sa  tête  à  ses  propres  su- 
jets. Telle  était  la  politique  guer- 
royante des  alliés.  Napoléon  n'en 
devint  que  plus  exigeant,  et  il  fut 
trompé  comme  eux  :  car  il  crut 
aussi  que  l'invasioa  soulèverait  les 


NAP 


4"^9 


citoyen?,  et  qu'ils  foraient  pour  lui 
ce  que  leurs  pères  avaient  fait 
pour  la  liberté.  Il  crut  qu'une  na- 
tion, fatiguée  par  vingt-cinq  an- 
nées de  guerre,  avait  encore  l'é- 
nergie qui  doit  résulter  d'une  lon- 
gue paix  ;  il  crut  même  que  les  ré- 
cents exemples  des  Espagnols  ser- 
viraient aux  Français  et  arrête- 
raient les  alliés.  Ainsi,  au  lieu  d'ac- 
cepter publiquement  et  de  procla- 
mer les  bases  offertes,  comme  un 
gage  de  sa  modération,  de  son  a- 
mour  pour  la  France,  et  de  sa 
bonne  foi  envers  l'Europe,  il  vou- 
lut rester  maître  de  ces  conditions 
dont  il  fit  tant  qu'il  put  un  mystè- 
re, et  ne  donna  qu'une  réponse  é- 
vasive.  Les  alliés  n'en  furent  pas 
les  dupes  :  «  Napoléon  n'est  pas 
changé,» s^écvia  l'empereur  d'Au- 
triche. Plus  tard,  à  peu  de  temps 
de  là.  Napoléon  crut  manifester 
ses  intentions  pour  la  paix,  en 
changeant  deux  de  ses  ministres, 
en  appelant  au  ministère  des  re- 
lations extérieures  le  ducdeVicen- 
ce,  désigné  à  Francfort  par  les  sou- 
verains et  par  l'opinion  en  France, 
comme  étant  l'homme  de  la  paix. 
Le  début  de  ces  nouvellescommu- 
nicalions  diplomatiques  fut  l'ac- 
ceptation des  bases  proposées  par 
les  alliés,  mais  il  était  trop  tard. 
Les  alliés,  au  lieu  d'ennemis  à  re- 
douter, avaient  en  France  de  puis- 
sans  auxiliaires. 

Une  conspiration  déjàancienne, 
très-habile  et  très-active,  que  l'en- 
treprise du  général  Malet  avait 
peut-être  réveillée,  et  qui  l'année 
précédente  avait  eu  un  moment 
pour  représentant  à  Dresde,  le  ré- 
volutionnaire et  contre -révolu- 
tionnaire Fouché,  duc  d'Otranle, 
accueillait  s ::urdeuient  en  France 


44o 


NAP 


le  projet  d'une  séparotion  avec 
son  cheC,  si  hautement  procla- 
mée par  redit  de  Francfort.  Le 
projet  d'une  régence  n^était  pasé-* 
tranger  à  une  masse  d'opinions, 
que  les  grandes  époques  de  la  ré- 
volution rendaient  imposantes,  et 
que  les  dangers  publics  semblaient 
appeler  à  son  secours.  Poiir  tout 
dire  en  un  mot,  les  républicains 
et  les  constitutionnels  de  la  Fran- 
ce, redoutaient  autant  que  les  é- 
trangers  le  retour  de  la  prospéri- 
té-militaire de  Napoléon,  et  aspi- 
raient à  lui  voir  imposer  une  paix 
qui  mît  fin  à  son  ambition  et  aux 
malheurs  de  la  patrie.  Ces  senti- 
mens,  ces  opinions,  cette  volonté, 
vont  se  trouver  mis  en  action,  à 
la  grande  scène  de  famille  que  pro- 
voquera la  convocation  du  corps- 
législatif,  le  19  décembre. 

Cependant  la  situation  des  trou- 
pes françaises  devenait  chaque  jour 
plus  déplorable  au-delù  du  Rhin 
et  au-'delà  des  Pyrénées.  Pampe- 
lune  avait  capitulé  le  3i  octobre; 
Napoléon  apprenait  cette  nouvel- 
le à  Mayence,  qu'il  quitta  le  8  no- 
vembre pour  se  rendre  à  Saint- 
Cloud,  où  il  arriva  le  lendemain. 
Le  10,  le  maréchal  Soult  était  for- 
cé dans  les  lignes  de  Saint- Jean- 
de-Luz,  par  le  général  Wellington, 
dont  toutes  les  forces  espagnoles, 
anglaises  et  portugaises,  sontréu- 
nies.  Il  n'y  a  plus  de  Français  en 
Espagne.  Le  1 1 ,  le  maréchal  Saint- 
Cyr,  enfermé  dans  la  ville  de  Dres- 
de avec  5o,ooo  hommes,  dont 
6,000  malades,  conclut  avec  les 
généraux  Rlénnu  et  ïolstoi  une 
convention  honorable.  Mais  le  sys- 
tème qui  faisait  trahir  les  allian- 
ces, fit  aussi  trahir  jusqu'aux  ca- 
pitulations ,   et  le   généralissime 


NAP 

prince  de  Schwarzenberg  refusa 
de  ratifier  la  convention  faite  par 
ses  lieutenan?.  Le  corps  du  maré- 
chal Saint- Cyr,  arrêté  dans  sa 
marche,  fut  conduit  prisonnier  en 
Autriche.  Il  en  fut  de  même  des 
autres  garnisons,  qui  capitulèrent 
pour  leur  rentrée  en  France,  telle 
que  celle  de  Dantzick ,  sous  les 
ordres  du  général  Rapp  :  le  prince 
de  Wurtemberg,  qui  commandait 
le  siège  avec  une  armée  russe, 
imita,  le  1"  janvier  1814?  la  con- 
duite du  prince  de  Schwarzen- 
berg. Le  21,  après  huit  mois  de 
blocus,  la  ville  de  Stettin  ouvrait 
ses  portes  aux  alliés.  Le  24,  le  gé- 
néral Bulovv  prenait  Amsterdam, 
qui  proclamait  l'indépendance  de 
la  Hollande  et  rappelait  le  prince 
d'Orange  :  le  2  décembre  ce  gé- 
néral entrait  à  Utrecht.  Le  4»  Lu- 
beck  était  pris  par  les  Suédois.  Du 
8  au  i5,  après  des  combats  très- 
acharnés  entre  l'armée  du  maré- 
chal Soult  et  celle  du  général  Wel- 
lington, celui-ci,  par  la  supériori- 
té numérique  de  ses  forces,  fran- 
chit la  Nive  à  Locuboera  Ustaritz. 
Le  10  décembre,  l'évacuation  de 
la  Hollande  continuait  par  celle 
de  Breda  et  de  Williemstat,  et  le 
1  5,  afin  qu'il  ne  restât  plu?  aii-delà 
du  Rhin  un  seid  ami  à  la  France, 
les  Russes  stipulaient  un  armistice 
avec  les  Danois,  tandis  que  le  aS"' 
corps,  fort  de  plus  de  00,000  hom- 
mes, sous  les  ordres  du  maréchal 
Davoust,  était  condamné  à  attendre 
dans  les  murs  de  Hambourg  la 
conclusion  du  grand  drame  poli- 
tique dont  la  France  va  être  la  vic- 
time. Il  en  est  de  même  des 
80,000  hommes  que  renferment 
les  villes  de  Dantzick,  de  Magde- 
bourg,    et  les   autres    places  du 


NAP 

Nord  qui  résistent  encore  au  blo- 
cus de  l'ennemi.  Ces  nombreuses 
légions  seront  assez  malheureuses 
pour  apprendredans  leurs  prisons, 
guerrières,  tous  les  désastres  de 
celles  à  qui  le  champ  de  bataille 
est  ouvert,  et  pour  sentir  que  la 
coalition  ne  triomphe  que  parce 
qu'elles  sont  captives.  Arrivé  le 
9 novembre  à  Saint-  Cloud  l'em- 
pereur ne  perd  pas  un  moment 
pour  la  défense  de  la  France,  et 
retrouve  cette  incroyable  activité 
qu'il  avait  déployée  au  commen- 
cement de  la  même  année,  pour 
aller  venger  sur  l'Elbe  et  sur  10-, 
der  sa  grande-armée  de  Russie. 
Le  i5,  un  sénatus- consulte  met 
5oo,ooo  hommes  à  sa  disposition, 
et  pour  solenniser  la  séance  d'ou- 
verture du  corps-législatif,  où  la 
cause  de  la  France  va  être  portée, 
un  autre  sénatus-consulte  du  mê- 
me jour  appelle  à  cette  séance  le 
sénat  et  le  conseil-d'état.  11  s'agit 
de  la  paix  du  monde  et  du  salut 
de  l'empire.  Le  2  décembre,  le 
duc  de  Vicence,  nommé  ministre 
des  relations  extérieures,  déclarait 
au  comte  de  Metternich  que  Na- 
poléon adhérait  auxbases  de  Franc- 
tort.  En  témoignage  de  ses  inten- 
tions pacifiques,  ce  prince  signait, 
le  11,  le  traité  de  Valançay,  et 
rendait  l'Espagne  à  Ferdinand. Ce 
traité  pouvait  être  signé  et  surtout 
exécuté  plus  tôt.  Il  y  eut  des  relards 
volontaires  opposés  à  son  exécu- 
tion, de  la  part  du  général  Clarke, 
ministre  de  la  guerre.  Toute  l'ar- 
mée d'Espagne,  les  Soult ,  les  Su- 
chet,  les  Clauzel.  se  seraient  trou- 
vés au  cœur  d^la  France  dans  le 
mois  suivant.  Mais  déjà  on  trahis- 
sait la  France  et  Napoléon.  Le  17, 
un    décret     impérial     mobilisait 


NAP  44» 

160,000  gardes  nationales .  pnnr 
former  les  garnisons  de  l'intérieur: 
enûn,  le  19.  le  corps-législatif  est 
convoqué  ;  l'empereur  en  fit  l'ou- 
verture en  ces  termes  : 

«  Sénateurs,  conseillers  -  d"é- 
»tat,  députés  des  départemens  au 
»  corps-législatif, 

«  D'éclatantes  victoires  ont  il- 
»  lustré  les  armés  françaises  dans 
"cette  campagne  ,  des  défections 
»  sans  exemple  ont  rendu  ces  vic- 
»toires  inutiles  :  tout  a  tourné 
«contre  nous.  La  France  même 
«serait  en  danger  sans  l'énergie 
»et  l'union  des  Français.  Dans  ces 
«grandes  circonstances ,  ma  pre- 
«mière  pensée  a  été  de  vous  ap- 
.)  peler  près  de  moi  ;  mon  cœur 
»a  besoin  de  la  présence  et  de 
«l'affection  de  mes  sujets.  Je  n'ai 
"jamais  été  séduit  par  la  prospéri- 
»té  :  l'adversité  me  trouvera  au- 
«  dessus  de  ses  atteinte*.  J'ai  plu- 
»  sieurs  fois  donné  la  paix  aux  na- 
«tions,  lorsqu'elles  avaient  tout 
«perdu.  D'une  part  de  mes  con- 
»  quêtes,  j'ai  élevé  des  trônes  pour 
«des  rois  qui  m'ont  abandonné. 
«J'avais  conçu  et  exécuté  de 
«grands  desseins  pour  la  prospé- 

«rité  et  le  bonheur  du  monde 

«-Monarque  et  père,  je  sens  que  la 
«paix  ajoute  à  la  sécurité  des  trô- 
«nes  et  à  celle  des  familles. 

«  Des  négociations  ont  été  en- 
«taméesavec  les  puissances  coali- 
«sées.  J'ai  adhéré  aux  bases  préli- 
«minaires  qu'elles  ont  présen- 
«tées. ..;  j'ai  ordonné  qu'on  vous 
«communiquât  toutes  les  pièces 
«originales  qui  se  trouvent  au 
«porte-feuille  de  mon  département 
«des  affaires  étrangères —  Rien 
«ne  s'oppose  de  ma  part  au  réta- 
»hlis<ement  da  la  paix.  Je  coona  \€ 


442 


iNAP 


»et  je  partiio;e  tous  les  senlimens 

«des  Franpairi je  dis  des  Fran- 

»oais,  parce  qu'il  n'en  est  aucun 
»(\m    désirât  l;i   paix   au  prix  de 

wl'lionneur Sénateurs,  conseil» 

«lers-d'état,  députés  des  départe- 
»mens,  vous  êtes  les  organes  na- 
»tnrels  de  ce  trône;  c'est  à  vous 
»de  donner  l'exemple  d'une  é- 
«nergie  qui  recommande  cette 
«génération  aux  générations  Cutu- 
»res.  Qu'elles  ne  disent  pas  de 
«nous  :  Ils  ont  sacrifié  les  pre- 
nmiers  intérêts  du  pays;  ils  ont  re- 
»  confia  les  lois  que  l' Angleterre  a 
■>^  cherché  en  vain  pendant  quatre 
»  siècles  à  imposer  à  lu  France  ! 
«Mes  peuples  ne  peuvent  pas 
«craindre  que  la  politique  de  leur 
«empereur  trahisse  Jamais  la  gloi- 
)>re  nationale.  De  mon  côté,  j'ai 
»la  conliance  que  les  Français  se- 
«ront  constamment  dignes  d'eux 
•>  et  de  moi.  » 

Ce  discours  fit  une  grande  im- 
pression, et  l'assemblée  fut  aussi 
émue  qu'on  l'avait  été  à  la  premiè- 
re audience  après  le  retour  de  Alos- 
kou;  mais  Napoléon  fut  écouté  par 
des  esprits  plus  fiers.  Les  maux 
de  la  patrie  avaient  affranchi  tout- 
à-coup  les  hommes  naguère  les 
plus  soumis.  Le  duc  de  Vicence, 
ministre  des  affaires  étrangères  . 
fut  chargé  des  communications  à 
la  commission  du  sénat,  et  le 
conseiller-d'étatd'Hauterive  à  cel- 
le du  corps- législatif,  qui  s'assem- 
Machez  l'archichancelier.  La  com- 
mission du  sénat  se  réunit  dans 
son  palais;  elle  communiqua  avec 
le  ministre  par  M.  de  Fontanes, 
son  rapporteur.  Le  ministre-d'état 
Ilegnauld  fut  chargé  des  messa- 
ges aux  deux  chambres.  La  com- 
mission  du    sénat,  présidée  par 


NAP 

M.  de  Lacepède,  était  composée 
de  MM.   de   Taîleyrand,   Fonta- 
nes,   Saint-Marsan,    Barbé-Mar- 
bois    et    Beurnonvillo  ;   relie    du 
corps-législatif,    présidée   par   le 
duc    de   Massa  ,    était    composée 
de  MM.  Rajnouard,  Laine,  Gal- 
lois,   Flauguergues  et  Maine   de 
Birali.   L'empereur  ne  voulut  ja- 
mais consentir  à  cette  époque  à 
faire  communiquer  aux  deux  com- 
missions le  rapportde  M.  de  Saint- 
Aignan,  et  ne  permit  que  les  com- 
munications des  bases.  Les  instan- 
ces réitérées  du  duc  de  Vicence 
.pour    tout    communiquer    furent 
inutiles.    Le  rapport  ne  fut  inséré 
dans  le  Moniteur  que   pendant  le 
congrès  de  Châtillon  ,    et  encore 
l'empereur  s'en  repentit,  au  point 
de  faire  arrêter  la  distribution  de 
ce  numéro.  Le  3o,  une  députalion 
du  sénat  fut    admise  à   présenter 
le  rapport  de  sa  commission.    Le 
sénat  approuvait  tous  les  sacrifi- 
ces detîiandés  à  la  France,  mais 
dans  le  seul  but  delà  paix.  Il  sup- 
pliait l'emperevu'  de  faire  un  der- 
nier effort  pour  l'obtenir  :«  C'est 
»le  vœu  de  la  France,  Sire,  disait 
«la    députation ,    c'est    le    besoin 
«de  l'humanité.  Si  l'ennemi  per- 
«siste   dans  ses  refus,    eh   bien! 
»  nous  combattrons  pour  la  patrie, 
»  cuire  les  tombeaux  de  nos  pères 
»et    les     berceaux     de    nos    en- 
•)  fans.  » 

L'empereur  répondit  :  « —  Ma 
«vie  n'a  qu'un  but,  le  bonheur  de>: 
«Français;  cep«îndaiit  le  Béarn , 
«l'Alsace,  la  Franche-Comté,  le 
«Brabant  sont  entamés.  Les  cris  dt: 
«cette  partie  de  ii||pi  famille  me  dé- 
Dchirent  l'âme;  j'appelle  les  Fran 
«çais  au  secours  des  Français 
«j'appelle  les  Français  de  Paris, 


NAP 

•  delà Bretagne,  delà  Normandie, 
»de  la  Champagne,  de  la  Bourgo- 
»  gne,  et  d'antres  départemens,  au 
«secours  de  leurs  frères.  Lesaban- 
wdonnerons-nons  dans  leur  mal- 
»heur?  l*aix  et  délivrance  de  no- 
»lre  territoire,  doit  êlre  notre  cri 
»de  ralliement  :  A  C aspect  de  tout 
nce  peuple  en  armes,  l'étranger 
•) fuira,  ou  signera  la  paix  sur  les 
»ba<ies qu'il  a  lui-même  proposées; 
«il  n'est  plus  question  de  recou- 
«vrerles  conquêtes  que  nous  a- 
»  vions  faites.  » 

Le  rapport  de  la  commission 
du  sénat ,  avait  noblement  déve- 
loppé l'opinion  généreuse,  qui, 
tout  en  justiflant  ses  vœux  pour 
une  paix  prochaine,  justifiait  éga- 
lement les  etTorts  que  le  chef  du 
gouvernement  demandait  à  la  na- 
tion pour  l'obtenir;  il  ne  s'occupa 
qu('  des  malheurs  présens ,  et  en 
effet  si  dans  la  campagne  de  Rus- 
sie ,  la  gloire  comme  l'infortune 
fut  toute  à  la  France,  et  le  crime 
aux  élémens  ,  il  en  était  de  même 
de  la  campagne  actuelle ,  dont  la 
trahison  seule  avait  fait  tous  les 
désartres.  Le  rapport  traitait  ha- 
bilement cette  dernière  question, 
et  abordait  avec  grandeur  la  si- 
tuation de  la  patrie.  «  Le  moment 
nest  décisif;  les  étrangers  tiennent 
«un  langage  pacifique,  mais  quel- 
«ques-unes  de  nos  frontières  sont 
«envahies,  et  ra  guerre  est  à  nos 
«portes;  56  millions  d'hommes  ne 
»peuvent  trahir  leur  gloire  et  leur 
«destinée....  La  France  peut  être 
nfière  de  ses  blessures,  comme  de 
»sos  triomphes  passés;  le  décou- 
»  ragcment  dans  le  malheur  serait 
«encore  plus  inexcusable  que  la 
B  jaclance  dans  le  sticcès;  ainsi  donc 
»  en  invoquant  la  paix,  que  le.»  prc- 


NAP 


445 


nparalifs  militaires  soient  partout 
«accélérés  et  soutiennent  la  négo- 
ncialion.  Rallion*-n'>us  autour  de 
nce  diadème,  où  l'éclat  de  cin- 
nquante  victoires  brille  au  travers 
nd'un  nuage  passager:  la  fortune 
une  manque  pas  long-temps  aux 
«nations  qui  ne  se  manquent  pas  à 
-e'ies-mêmes....  »  Le  sénat  avait 
heureusement  saisi  celte  occasion, 
de  prendre  son  rang  dans  la  for- 
tune de  la  France;  mais  peu  de 
mois  après,  ce  grand  principe 
qu'il  venait  de  proclamer  était  per- 
du pour  la  France  et  pour  lui. 

Le  corps-législatif,  placé  plus 
près  des  besoins  et  des  intérêts 
domestiques  de  la  nation,  songea 
à  l'héritage  de  vingt-quatre  années 
de  législature,  qui  avait  précédé  la 
sienne.  Il  jugea  le  procès  de  l'em- 
pire et  de  la  liberté,  et  demanda 
des  garanties  au  souverain,  qui 
demandait  la  dictature  ;  tel  fut 
l'esprit  de  la  commission  dont 
M.  Raynouard  fut  l'orateur  dans 
la  séance  du  28  :  *  S'il  s'agissait, 
»  dit-il,  de  discuter  ici  des  condi- 
otions  flétrissantes,  S.  M.  n'eflt 
«daigné  répondre  qu'en  faisant 
«  connaître  à  ses  peuples  les  projets 
»de  l'étranger;  mais  on  ne  veut 
«pas  nous  humilier,  mais  nous 
«renfermer  dans  nos  limites  et  ré- 
a  primer  l'élan  d'une  activité  umbi- 
<)  tieuse,  si  fatale  depuis  vingt  ans, 
Ȉ  tous  les  peuples  del'Euroi^e;  de 
"telles  propositions  nous  parais- 
»sent  honorables  pour  la  nation, 
«puisqu'elles  prouvent  que  Té- 
«trangcr  nous  craint  et  nous  res- 
«pccte.  Ce  n'est  pas  lui  qui  assi- 
')  gne  des  bornes  à  notre  puissan- 
»  ce  :  c'est  le  m.ondf  effrayé  qui  in- 
n  toque  le  droit  commun  des  nations; 
nies  Pyrénées,  le  Rhin  et  les  Al- 


444 


NAP 


»pes  renferment  un  vaste  terri- 
»toire,dont  plusieurs  provinces 
»ne  relevaient  pas  de  l'empire  des 
»  lys,  et  cependant  Im.  royale  couron- 
nne   de  France  était  brillante  de 

*  gloire  et  de  majesté  entre  tous  les 
■»  diadèmes.  »  —  «  Orateur,  s'écrie 
»  le  duc  de  Massa  président,  ce  que 
nvous  dites  est  inconstitutionnel  !  n 
—  0  //  n\  a  ici  d' inconstitution- 
r>nel  que  votre  présence,  »  répli- 
qua M.  Raynouard,  et  il  continua 
par  le  tableau  du  despotisme  sous 
lequel'  gémissaient  les  peuples 
du  Rhin,  du  Brabant,  de  la  Hol- 
lande. 

«  Ne  dissimulons  rien,  ajouta- 
»t-il,  nos  maux  sont  à  leur  com- 
»ble...  :  il  n'est  point  de  Français 
«qui  n'ait  dans  sa  famille  une 
«plaie  à  guérir...;  la  conscription 
«est  devenue  pour  toute  la  France, 
»un  odieux  fléau...;  depuis  deux 
«ans  on  jmoissonne  trois  fois  l'an- 
«née...;  les  larmes  des  mères  et 
«les  sueurs  des  peuples, sont-elles 
»  donc  le  patrimoine  des  rois  !  Il  est 

•  temps que  les  nations  respirent... 
«Notre  auguste  monarque,  qui  par- 
»  tage  le  zèle  qui  nous  anime  et  qui 
«brûle  de  consolider  le  bonheur 
))de  ses  peuples,  est  le  seul  digne 
«d'achever  ce  grand  ouvrage.... 
»  Les  monarques  français  se  sont 
«toujours  glorifiés  de  tenir  leur 
«couronne  de  Dieu,  du  peuple,  et 
»de  leur  épée;  parce  que  la  paix, 
«la  morale  et  la  force  sont,  avec 
«la  liberté,  le  plus  ferme  sou- 
»tien  des  empires....  » 

C'était  parler  en  tribun  monar- 
chique plutôt  qu'en  homme  d'état; 
car,  par  ce  rapport  qui  signalait 
en  détail  les  maux  de  la  situation 
domestique  de  l'empire,  l'Europe 
connaissait  le  point  où  la  France 


NAP 

était  le  plus  vulnérable,  et  l;i 
France  apprit  que  le  corps-légis- 
latif était  un  parti  d'opposition. 
Parsuite  de  ce  rapport,  une  adres- 
se fut  votée,  ainsi  que  l'impression, 
à  la  majorité  de  220  voix  contre 
5i. — Le  3o  décembre,  l'épreuve 
de  l'imprimeur  fut'saisie,  la  plan- 
che brisée,  et  les  portes  du  palais- 
législalif  furent  fermées;  le  5i  , 
la  législature  fut  dissoute.  Cette 
adresse,  encore  plus  expressive 
que  le  rapport,  renfermait  la  de- 
mande d'ime  sorte  de  redresse-  - 
ment  des  griefs  imputés  au  gou- 
vernement de  Napoléon,  et  lui 
demandait  des  garanties  contre 
lui-même.  Napoléon  sentit  à  l'ins- 
tant tout  son  péril  ;  il  se  vit  isolé 
de  la  nation  par  une  délibération 
du  corps-législalif. — Ainsi,  c'était 
par  une  véritable  guerre  civile 
entre  Napoléon  et  les  députés  de 
la  dernière  législature,  que  se 
terminait  la  grande  et  solennelle 
communication  faite  aux  premiers- 
pouvoirs  de  l'état,  des  espérances 
et  des  besoins  relatifs  à  la  paix  du 
monde  et  au  salut  de  la  Francel 
La  discorde  attendait  l'invasion 
étrangère;  elle  frappait  d'un  inter- 
dit public  le  dictateur  armé,  et 
couvrait  de  ses  partis  le  sol  de  la 
France,  que  l'union  de  tous  pou- 
vait seule  sauver!  On  avait  dit  à 
Rome,  à  Athènes  :  Nous  délibérons 
et  l'ennemi  est  à  nWf  portes.  On  le 
dira  encore  à  Paris,  et  l'enne- 
mi prendra  deux  fois  la  capi- 
tale! 

Le  corps-législatif  voidait.  dans 
son  adresse,  que  la  guerre  devînt 
nationale,  ut  il  demandait  des 
garanties  politiques  à  Napoléon, 
pour  engager  la  nation.  Si  ce  grand 
pouvoir  avait  proclamé  lui-même 


NAP 

la  guerre  natiokale,  s'il  se  fût  lui- 
tncme  établi  Je  conseil  permanent 
de  la  défense  de  la  patrie  en  dan- 
ger, la  France  entière  eût  pris  les 
armes,  et  le  million  d'étrangers, 
qui  n'osaient  déborder  sur  la  Fran- 
ce qu'après  avoir  violé  la  neu- 
tralité helvétique,  et  avoir  en- 
traîné la  Hollande ,  eflfrayé  du 
mur  de  fer  que  la  population, 
redevenue  civique,  lui  eût  tout-à- 
coup  opposé,  fût  retourné  .«ur  le 
Mtiu  renouveler  les  propositions 
de  Francfort.  Napoléon  ne  pouvait 
plus  lever  Ja  France  en  masse;  il 
n'y  avait  que  ses  députés  qui  le 
pouvaient.  Il  leur  avait  dit  ce 
qu'ils  avaient  à  faire.  «  Il  fautsui- 
»vre  l'exemple  de  l'Alsace,  de  la 
»  Franche-Comté  et  des  Vosges; 
«les   habitans   s'adressent    à  moi 

"pour  avoir  des  armes Je  vous 

>  ai  rassemblés  pour  avoir  des 
•  consolations  :  ce  n'est  pas  que 
«je  manque  de  courage,  mais  j  es- 
«pérais  que  le  corps -législatif 
«m'en  donnerait,  au  lieu  de  cela 
:>  il  m'a  trompé;  ati  lieu  du  bien 
»  que  j'attendais,  il  a  fait  du  mal — 
»  Vous  cherchez  à  séparer  le  sou- 
)>  verain  de  la  nation.  »    . 

L'empereur  avait  raison,  et 
l'événement  le  prouva;  d'ailleurs 
le  rapport  de  la  commission  et 
l'adresse  du  corps-législatif,  après 
avoir  donné  auxennemis  intérieurs 
et  extérieurs  le  secret  de  la  déplo- 
rable situation  de  la  France,  ne 
laissaient  aucune  garantie,  quand 
même  Napoléon  s'y  serait  montré 
soumis;  car  une  fois  victorieux, 
s'il  n'eût  pas  voulu  tenir  les  enga- 
gemens  demandés,  quel  recours 
exislait-il  contre  lui?  Il  n'en  eût 
que  plus  régné  par  l'armée ,  et  il 
eût  protesté  de  la  violence  du  mo- 


NAP 


445 


ment  pour  ne  pas  tenir  ces  enga- 
gemens.  Le  corps-législatif  avait 
raison  de  vouloir  rétablir  les  ba- 
ses tant  de  fois  ébranlées  de  la  li- 
berté publique;  c'était  avec  raison 
qu'il  avait  demandé  de  r<^/jr/m^r/^s 
infractions  aux  Lois,  mots  sévères,* 
mais  justes,  auxquels  le  duc  de 
Massa  obtint  de  substituer  ceux- 
ci  :  maintenir  l' exécution  des  lois. 
Mais  son  premier  devoir  était  de 
concourir  avec  l'empereur  à  sau- 
ver d'abord  la  patrie  par  tous  les 
moyens ,  de  prendre  l'initiative 
légale  du  salut  public,  et  de  gar- 
der en  réserve  ses  justes  re- 
montrances, comme  des  titres 
qui  devaient  survivre  à  nos  mal- 
heuis  pour  les  empêcher  de  se  re- 
produire jamais.  Au  lieu  de  cela, 
il  décolora,  en  l'accusant,  le  pou- 
voir, qui  seul  pouvait  sauver  l'état; 
il  légalisa  la  méfiance,  il  se  décla- 
ra l'opposition,  il  rompit  l'unité. 

Ces  disssentions  solennelles 
trouvèrent  bientôt  de  puissans 
protecteurs  dans  les  deux  partis 
qui,  comme  nous  l'avons  dit,  s'é- 
taient formés  depuis  la  campagne 
de  Kussie,  et  qui  s'étaient  haute- 
ment déclarés,  quand  Napoléon 
refusa  les  premières  propositions 
de  Dresde.  L'un  était  composé 
de  celte  minorité  du  sénat,  qui 
avait  constamment  opposé  à  l'ar- 
bitraire les  principes  et  les  exem- 
ples de  1789  et  de  la  république. 
Tout  ce  que  la  France  renfermait 
d'hommes  constitutionnels  et  ré- 
publicains s'y  rattachait  :  ce  parti 
était  celui  qu'en  d'autres  circons- 
tances, on  aurait  pu  nommer  le 
parti  national.  Un  autre,  moins 
généreux,  et  dont  le  duc  d'Otran- 
te  avait  été  l'émissaire  à  Dresde, 
était  formé  de  tous  ceux  qui,  pour 


446 


NAP 


conserve»'  la  jouissance  paisible 
de  leurs  dignités  et  de  leurs  fortu- 
nes de  toutes  les  époques,  vou- 
laient détrôner  Napoléon,  et  lui 
substituer  alors  la  régence  :  c'é- 
tait un  second  iS  brumaire  que 
«inéditait  ce  parti,  qui  avait  fîiit  le 
premier.  Un  troisième,  devenu 
subitement  plus  dangereux  que 
les  deux  autres,  était  le  parti 
royaliste,  qui  conçut  la  grande 
idée  de  faire  son  auxiliaire  du 
million  d'étrangers  qui  pénétrait 
en  France.  Il  comptait  dans  ses 
rangs  le  petit  nombre  des  grands 
seigneurs  qui  avaient  refusé  d'être 
inscrits  sur  les  registres  delà  cour 
de  Napoléon,  le  grand  nombre  de 
ceux  qui  le  servaient  encore,  et 
qui  attendaient  l'événement  pour 
retourner  leurs  habits,  et  enfin, 
indépendamment  de  cette  foule 
servile  de  tout  temps  attachée  à 
la  noblesse,  il  comptait  aussi  les 
anciens  ennemis  amnistiés  de  Na- 
poléon, les  Vendéens. Ce  parti  était 
habile,  actif;  il  avait  son  organisa- 
lion  politique  ,  civile  et  militaire; 
il  avait  la  combinaison  et  la  for- 
ce des  sociétés  secrètes;  il  ouvrait 
dans  l'intérieur  des  cadres  cachés, 
prêts  à  recevoir  les  débris  de 
l'empire,  si  Napoléon  était  vain- 
cu. 

Napoléon  avait  pour  lui  vingt 
années  de  gloire,  les  habitudes  de 
l'obéissance  d'une  nation  amou- 
reuse desa  patrie,  celle  du  dévoue- 
ment de  l'armée  la  plus  héroïque 
de  l'histoire,  l'empire  d'une  re- 
nommée prépondérante ,  qui  de- 
puis son  entrée  en  Italie  asser- 
vissait  l'univers,  et  la  puissance 
^^l'un  génie  que  rajeunissait  l'ad- 
versité; car  il  voyait  tous  ses  pé- 
rils, aucun   ne  lui  fut  inconnu; 


NAP 

et  il  aimait  peut-être  ces  dangers, 
par  l'espoir  de  donner  à  la  Fran- 
ce le  nouveau  spectacle  de  son 
héros  triomphant  de  toute  l'Euro- 
pe pour  la  défense  de  ses  autels 
domestiques.  Aussi,  fatigué  de 
tant  de  trahisons,  NapJléonse  ré- 
fugia dans  linexpuguable  fidélilé 
de  son  courage  et  de  son  armée. 

Cependant  trois  grandes  routes 
militaires  sur  la  France  sont  ou- 
vertes par  les  alliés.  La  Suisse, 
livrée  par  les  oligarques,  a  vu  le 
20  décembre  sa  neutralité  violée 
par  160,000  hommes  :  c'est  la 
grande -armée  commandée  par 
le  prince  de  Schwarzenberg.  Le 
comte  de  Bubna  ,  qui  la  conduit, 
passe  le  Rhin  entre  Rheinfeld  et 
Bâle;  le  centre  ,»e  précipite  sur 
Huningue  et  Béfort,  la  gauche 
sur  Colmar,  où  elle  est  repoussée; 
la  droite  sur  Genève,  qui  a  ouvert 
ses  portes.  La  seconde  armée,  dite 
de  Silésie  ,  est  aux  ordres  du  feld- 
niaréchal  Blucher;  elle  agira  sur 
la  Lorraine  par  Manheim,  La 
troisième  armée  est  celle  de  l'ex- 
maréchal  Bernadotle  ;  elle  est 
composée  de  tous  les  ennemis  de 
la  France,  Suédois,  Russes,  Prus- 
siens, Anglais  :  elle  doit  envahir 
la  France  par  la  Belgique  ;  mais 
la  terreur  qu'inspire  le  soi  fran- 
çais à  un  million  d'étrangers  est 
telle  encore,  que  Bernadotte,  qui 
le  défendit  si  bien  lors  de  la  pre- 
mière coalition,  craint  d'y  mettre 
le  pied  avant  d'avoir  appris  que 
Blucher  y  aura  pénétré,  de  même 
que  Blucher  attend  le  succès  du 
mouvement  de  Schwarzenberg 
sur  Bâle ,  pour  tenter  le  passage 
du  Rhin  à  Manheim.  Le  3i  dé- 
cembre ,  Blucher  a  aussi  passé  le 
grand  fl«uve;  mais  une  décision 


NAP 

extraordinaire  cfn  conseil  des  rois 
interdit  à  leur  généralissime  Ber- 
nadette l'entrée  en  France  :  cet 
exil  d'un  genre  n(.uv'eau  retient 
le  prince  royal  de  Suède  à  Aix-la- 
Chapelle. 

Tel  fut  le  résultat  de  la  fatale 
expédition  de  Aloskou.  Cette  hau- 
te entreprise,  dont  le  succès  eût 
placé  sur  la  tête  d'un  homme  les 
deux  couronnes  d'Orient  et  dOc- 
cident,  n'occupait  cependant  pas 
à  elle  seule  la  vaste  pensée  de 
Napoléon.  L'Italie  sacrée  devait 
venir  rejoindre  à  Paris  l'Italie 
profane, et  la  chaire  de  saint  Pier- 
re transportée  à  l'archevêché  eût 
montré  à  la  chrétienté  le  souve- 
rain pontife  représentant  auprès 
de  Napoléon  le  vasselage  catho- 
lique. La  face  du  monde  civilisé 
changeait;  la  religion  chrétienne, 
vaincue  dans  toutes  ses  confes- 
sions, prêtait  foi  et  hommage  au 
nouveau  Cyrus.  L'Evangile  n'é- 
tait plus  qu'une  adoption  du  grand 
code.  Une  religion  politique,  tou- 
te nouvelle,  s'élevait  sur  les  bases 
de  tous  les  trônes  et  de  toutes  les 
croyances.  L'athmosphère  de  Pa- 
ris serait  devenue  le  climat  néces- 
saire de  toutes  les  suprématies  du 
globe,  dans  la  religion,  dans  la 
politique,  dans  les  arts  et  dans  la 
guerre.  Paris  aurait  pris  le  nom 
de  Ville  éternelle,  et  Napoléon 
celui  du  Grand  roi.  L'histoire  res- 
te veuve  à  jamais  de  cette  immen- 
se usurpation  ,  dont  sa  propre 
grandeur  n'ose  encore  à  présent 
aborder  la  pensée.  Quelques  de- 
grés d'un  froid  prématuré  ren- 
versèrent le  plus  audacieux  é- 
diûce  que  jamais  le  génie  de 
l'homme  ait  osé  concevoir. 
L'hiver  seul   emj)ècha  l'invasion 


NAP  447 

de  ce  18  brumaire  universel. 
L'année  i8i5  expira  dans  ce 
grand  conflit  des  passions  de  la 
France,  et  des  vengeances  de  l'Eu- 
rope. Les  commencemens  du  19* 
siècle  devaient  être  à  jamais 
mémorables  pour  les  peuples  et 
pour  les  rois.  Car,  au  milieu 
de  ces  grandes  commotions  , 
ils  posaient  pour  l'avenir  les 
bases  du  contrat  que  le  génie 
de  l'ordre  social  doit,  tôt  ou  tard, 
leur  imposer.  D'autres  agitations, 
comme  celles  de  la  terre  avant  et 
après  l'éruption  des  grands  vol- 
cans, accompagneront  et  suivront 
le  bouleversement  politique  qui 
va  changer  la  face  du  monde. 
Toutefois  la  société,  qui  est  aussi 
une  puissance  dans  la  nature, 
doit  renaître  régénérée  de  ce  tra- 
vail, qui  va  l'agiter  peut-être  pen- 
dant un  demi-siècle,  mais  les 
hommes  et  les  choses  reprendront 
leur  niveau.  Cependant,  en  i8i3, 
la  France  sert  de  creuset  à  la  dé- 
couiposition  européenne,  et  elle 
entendra  dans  trois  mois  sonner 
une  heare  fatale. 

1814. 

Le  1"  janvier  1814  ramène  au 
palais  des  Tuileries  le  retour  des 
hommages  du  1"  de  l'an,  et  n'est 
plus  que  le  premier  jour  du  der- 
nier trimestre  de  l'empire  fran- 
çais. Les  vœux  d'usage  que  Na- 
poléon y  reçoit  de  sa  cour  ont  la 
couleur  d'adieux  extraordinaires. 
Lui-uiême,  encore  profondément 
irrité  de  l'adresse  qui  a  brisé  le 
silence  du  corps  -  législatif,  ac- 
cueille sa  députation  par  cette 
improvisation  violeute: 

«J'ai  supprimé  l'impreàsion  de 
»  votre  adrcise.  Elle  était  incen- 


448  NAP 

ndiaire.  Les  onze  douzièmes  du 
«corps-législatii'sout  composés  de 
»bons  citoyens;  je  les  connais,  et 
«j'aurai  des  égards  pour  eux.  Mais 
»\in  autre  douzième  renferme  des 
»  lactieux,  et  votre  commission  est 
«de  ce  nombre. — Vous  vous  êtes 
«laissés  conduire  par  cinq  l'ac- 
»  lieux. — Le  nommé  Laine  est  un 
r>  méchant  homme,  qui  correspond 
»  avec  le  prince-régent  par  l'inler- 
«médiaire  de  l'avocat  Desèze.  Je 
»le  sais.  J'en  ai  la  preuve. — Le 
»  rap[K)rt  de  votre  commission  m'a 
»  faitbiendu  mal.  J'aimerais  mieux 
«avoir  perdu  deux  batailles.  À 
»quoi  tendait-il  ?  à  augmenter  les 
y>  prétentions  de  l'ennemi.  Si  je  vou- 
wiais  vous  croire,  je  céderais  a 
«l'ennemi  plus  qu'il  ne  demande. 
»Si  l'on  me  demandait  la  Cham- 
«pagne,  il  faudrait  donc  céder 
»  encore  la  Brie  !  — Est-ce  en  pré- 
»sence  de  l'ennemi  qu'on  doit  fai- 
»re  des  remontrances?  Le  but  é- 
»  tait  de  m'humilier. — On  peut  me 
»  tuer,  mais  on  ne  me  déshonore- 
»ra  point. — Je  ne  suis  point  né 
»  parmi  les  rois,  je  ne  tiens  pas  au 
«trône. — Qu'est-ce  qu'un  trône? 
«quatre  morceaux  de  bois  doré 
«couverts  de  velours. — Dansqua- 
»tre  mois  je  publierai  l'affreux 
»  rapport  de  votre  commission. 
•  Que  prétendiez-vous  faire?  nous 
«reporter  à  la  constitution  degi  ? 
I) — Qui  êles-vous,  pour  réformer 
»  l'état  ? — Vous  n'êtes  point  les  re- 
«présentans  de  la  nation. — Vous 
«êtes  les  députés  des  départe- 
«mens. — Moi  seul,  je  suis  le  re- 
»  présentant  du  peuple;  et  qui  de 
»  vous  pourrait  se  charger  d'un 
Bj>areil  fardeau? — Je  ne  suis  à  la 
«tête  de  cette  nation  que  parce 
«que  sa  constitution  me  convient. 


«Si  la  France  en  voulait  une  au- 
»tre  et  qu'elle  ne  me  convînt  pas» 
»je  lui  dirais  de  chercher  un  au- 
«tre  souverain. — C'est  contre  moi 
«que  les  ennemis  s'acharnent  plus 
«encore  que  contre  les  Français. 
«Mais  pour  cela  seul  f;/ut-il  qu'il 
«me  soit  permis  de  démembrer 
«l'état?  Est-ce  que  je  ne  sacrifie 
«pas  ma  fierté,  mon  orgueil  pour 
«obtenir  la  paix?  Oui,  je  suis  fier, 
«parce  que  je  suis  courageux.  Je 
«suis  fier  parce  que  j'ai  fait  de 
«grandes  choses  pour  la  France. 
»  — Si  j 'éprou  ve  encore  des  revers, 
«j'attendrai  les  ennemis  dans  les 
«plaines  de  Champagne. — Dans 
«trois  mois  nous  aurons  la  paix, 
«ou  je  serai  mort. — Retournez 
«dans  vos  foyers. — En  supposant 
«  même  que  j'eusse  des  torts,  vous 
«ne  deviez  pas  me  faire  des  re- 
»  proches  publics.  C'est  en  famille 
»  qu'il  faut  laver  son  linge  sale. — 
»  Au  reste,  la  France  a  plus  besoin 
t>de  moi  que  je  n'ai  besoin  de  la 
1)  France.  » 

C'était  donner  à  la  fois  un  ma- 
nifeste et  un  testament  politique 
à  la  France  et  à  l'Europe.  Ces  pa- 
roles retentirent  partout;  et  com- 
me elles  donnaient  matière  à  une 
foule  de  commentaires  les  plus 
opposés  entre  eux,  ce  discours  du 
trône  impérial  devint  la  procla- 
mation de  la  discorde,  mais  il  ne 
fut  le  signal  d'aucune  proscrip- 
tion. L'orateur,  les  membres  de 
la  commission  ne  furent  pas  mê- 
me inquiétés.  M.  Laiué  retourna 
librement  dans  ses  foyers,  où  il 
était  attendu  ! 

Dans  cette  courte  et  mémorable 
période,  tout  est  extrême,   vio-       ■m 
lent,  imprévu.  Toutes  les  facul-      9 
tés,  toutes  les  passions  humaines. 


NAP 

vont  se  dessiner  souvent  avec  une 
effrayante  et  hideuse  nudité.  Il 
n'y  aura  de  vraiment  grand,  de 
vraiment  sublinie  ,  d'éternelle- 
ment glorieux  que  les  combats 
de  Napoléon  et  de  ses  4o,ooo  bra- 
ves. Hors  de  cette  carrière,  où 
une  nation,  fatiguée  d'être  gran- 
de, restera  spectatrice  presque 
immobile  de  ce  combat  de  gladia- 
teurs, qui  honore  ses  propres  fu- 
nérailles, tout  ce  qui  est  saint  par- 
mi les  hommes  est  brisé  avec  une 
impudeur  insolente  et  une  vanité 
d'impunité,  qui  est  le  dernier  ex- 
cès de  la  bassesse  dans  le  triom- 
plie  de  la  force. 

Le  1"  janvier,  sur  le  bord  de  la 
Baltique,  ce  qui  restait  de  l'héroï- 
que garnison  de  Dantzick  sul)ite- 
ment  prisonnière  de  la  capitula- 
tion due  à  sa  valeur,  est  envoyé 
dans  les  déserts  de  la  Russie,  par 
l'ordre  du  souverain  au  nom  du- 
quel les  10,000  braves  de  Dant- 
zick ont  été  déclarés  libres  de  re- 
tourner en  France.  Le  même  mois 
voit  la  Suisse  trahissant  tout-à- 
coup  ses  traités,  livrer  elle-même 
sa  neutralité  ainsi  que  ses  défilés, 
aux  ennemis  de  la  France,  aux 
sujets  du  père  de  Marie-Louise. 
Le  fort  Louis,  Montbclliard,  Ha- 
guenau,  le  fort  l'Ecluse,  Sain*» 
Claude,  Trêves,  Vesoul,  Epinal, 
Forbach,  Bourg-en-Bresse,  Colo- 
gne, Nancy,  le  fort  de  Joux,  Lan- 
gres  ,  Dijon,  Toul ,  Chambéry  , 
(]hâlons-sur-Saône ,  Bar-sur-Au- 
be  ,  sont  déjà  occupés  par  la 
coalition.  Au  a5  janvier,  la  Fran- 
ce est  saisie  au  nord  et  à  l'est,  oiï 
elle  n'a  plus  de  frontières.  La 
violation  ,  ou  plutôt  la  défection 
de  la  neutralité  helvétique,  un  des 
plus  grands  attentats  sans  doule. 


•  NAP  449 

chez  les  nations  civilisées,  ne  sera 
toutefois  aux  yeux  des  alliés 
qu'une  simple  manœuvre  militai- 
re :  tant  la  violence  domine  dans 
les  conseils  de  la  coalition.  Ce 
même  mois  de  janvier  est  encore 
destiné  à  devenir  une  époque  fa- 
tale à  l'honneur  du  diadème.  Si 
l'empereur  d'Autriche  s'est  vu 
forcé  à  Prague  de  faire  la  guerre 
à  Napoléon ,  auquel  il  a  proposé 
la  paix  la  plus  honorable,  il  n'en 
est  pas  de  même  sans  doute  du 
roi  de  Naples.  de  ce  Joaohim  Mu- 
rât, à  qui  la  France  donnait  de- 
puis 20  ans  le  titre  de  son  pre- 
mier soldat,  et  que  Bonaparte,  en 
récompense  de  cette  valeur  deve- 
nue historique  pour  la  nation,  a- 
vait  uni  à  sa  famille  et  doté  d'une 
des  plus  belles  couronnes  de  l'Eu- 
rope. Joathim  oublie  tout-à-coup 
qu'il  n'est  rien  sans  la  France  et 
sans  Napoléon,  Il  croit  avoir  le 
droit  de  marcher  à  la  suite  des 
intérêts  ou  des  défections  des  an- 
ciennes dynasties.  Le  6  janvier, 
il  a  signé  un  armistice  avec  l'An- 
gleterre; le  1 1,  un  traité  d'alliance 
offensif  et  défensif  avec  l'Autri- 
che; et  5o,ooo  Napolitains  doi- 
vent marcher  contre  la  France  ! 
Ces  étranges  conventions,  con- 
seillées par  les  passions  privées, 
par  les  haines  implacables  de  ses 
obscurs  amis,  entraînent  la  périt; 
de  l'Italie,  et  sont  une  des  princi- 
pales causes  de  la  chute  de  l'em- 
pire français.  Elles  placent  tout- 
à-coup  le  prince  Eugène  entre 
l'agression  du  beau-père  de  Na- 
poléon et  celle  de  son  beau-frère. 
Elles  ferment  au  vice-roi  la  route 
de  Vienne,  qu'une  bataille  com- 
binée avec  le  roi  de  Naples  devait 
infailliblement  lui  ouvrir.   Il  ré- 


'j5.)  NAP  0 

sulle  (le  ce  dernier  traité  de  Joa- 
chim  roccupation  de  Rome  par 
6,000  ISapolitains,  le  19  janvier. 
Mais  Je  général  Wiollis,  gouver- 
neur des  états  romains,  s'est  en- 
fermé dans  le  fort  Saint- Ange, 
devenu  inexpugnable  avec  1200 
Français.  La  no])[e  lidélité  de  ce 
général  ,  à  laquelle  se  rattache 
l'honneur  sans  mélange  de  six 
années  do  la  plus  paternelle  ad- 
ministration, réveille  dans  Rome 
reconnaissante  quelques  beaux 
souvenirs  de  son  histoire. 

Cependant  Napoléon  s'est  pré- 
paré également  pour  la  paix  com- 
me pour  ia  guerre.  La  suite,  qui 
a  été  donnée  par  son  cabinet  aux 
avances  laites  à  Francfort  au  ba- 
ron de  Saint- Aignan,  nécessite 
l'envoi  d'un  plénipotentiaire  au- 
près des  puissances  alliées  pour 
représenter  la  Fr.mce  au  congrès. 
C'est  encore  le  plénipotentiaire 
de  Prague,  celui  qui  a  voulu  la 
paix  de  Dresde  et  qui  n'a  pas  été 
écouté,  c'est  le  duc  de  Vicence, 
son  ministre  des  relations  exté- 
rieures, que  Napoléon  a  nommé. 
Cette  haute  dignité  ne  peut  qu'a- 
jouter un  nouveau  crédit  à  !a  mis- 
sion dont  il  est  chargé.  Il  n'aura 
pas  d'intermédiaire  entre  lui  et 
Napoléon  ;  au  congrès ,  il  aura 
toute  la  pensée  de  son  souverain. 
M.  de  Vicence  dut  le  croire  :  mais 
une  fois  parti,  il  y  eut  un  inter- 
médiaire, et  le  ministre  des  rela- 
tions extérieures  n'eut  plus  la 
pensée  de  Napoléon  que  par  le 
ministre  secrétaire-d'élat  ;  ce  qui 
donna  lieu  à  une  explication.  Au 
moment  du  départ  du  duc  de 
Vicence  pour  Fribourg  en  Bris- 
gaw,  quartier-général  des  sou- 
verains alliés,  Napoléon  lui   re- 


NAP 

mit  des  instructions  qu'il  venait  de 

signer «J'ai  accepté  les  bases 

»do  Francfort,  dit  Napoléon,  mais 
»il  est  plus  que  probable  que  les 
«alliés  ont  d'autres  idées.  Leurs 
«propositions  n'ont  été  qy'un  mas- 
»que....  Veut-on  réduire  la  Fran- 
Bce  à  ses  anciennes  limites?  c'est 
»  l'avilir —  Si  la  nation  me  se- 
»conde,  l'ennemi  marche  à  sa 
'> perte.   Si  la   fortune  me  trahit, 

»MON  PARTI  EST  PRIS;  JE  NE  TIENS 
«PAS  AU  TRÔNE.  Je  n'aVILIRAI  NI  LA 
«NATION,  NI  MOI,  EN  SOUSCRIVANT  A 
»  DES  CONDITIONS  HONTEUSES.»  C'é- 
tait son  ultimatum  de  conscience 
qu'il  donnait  au  duc  de  Vicence, 
et,quels  que  fussent  les  événemens 
de  la  guerre,  il  ne  devait  pas  s'en 
départir.  Le  4  janvier,  jour  de  la 
remise  de  ces  instructions,  le  par- 
ti DE  Napoléon  était  déjà  pars. 

Le  25  de  ce  mois,  Napoléon 
quitte  Paris,  qu'il  ne  doit  revoir 
encore  une  fois  que  pour  dispa- 
raître à  jamais  du  monde  euro- 
péen. Avant  de  partir  il  a  solen- 
nellement conféré  la  régence  '» 
l'impératrice,  et  confié  le  roi  de 
Rome  et  sa  mère  à  la  fidélité  de  la 
garde  nationale  parisienne.  Celte 
dernière  scène  est  publique.  La 
place  du  Carrousel  retentit  de 
serments,  qui  furent  bientôt  ou- 
bliés, même  par  les  oITiciers  su- 
périeurs de  cette  garde.  Frère 
d'un  roi  détrôné,  il  confie  aussi, 
ou  plutôt  il  abandonne  Paris  au 
prince  Joseph,  et  il  se  sépare  de 
l'impératrice  régente  et  de  son 
fils,  qu'il  vient  d'embrasser  pour 
la  dernière  fois.  11  part  en  pro- 
mettant de  vaincre  et  de  reve- 
nir sauveur  de  la  patrie.  Le  26, 
le  quartier-général  impérial  est  à 
Châlons- sur- Marne.    Les   mare- 


NAP 

tliaiix  Mortier,  Victor,  Mîiimont, 
Maciloiiald,  Nej,  Oudiimt,  coin- 
inanclent  sous  les  ordres  de  Na- 
poléon.  Les  maréchaux  Soult  et 
Suchet  défendent  la  frontière  des 
Pyrénées.  Le  général  Maison  dé- 
fend celle  du  nord.   Le  maréchal 
Augereau    est   à    Lyon    avec    na 
corps     d'armée.      Le      maréchal 
Davoust    est    renfermé    à    Ham- 
bourg. Le  général  Clarke  est  mi- 
nistre de  la  guerre!  Débarrassés 
de    leurs    titres   de   noblesse   qui 
peuvent  les  dérober  à  l'attention 
publique,  les  noms  de  ces  illus- 
tres maréchaux  vont  répondre  de 
letirs   actions ,   comme   aux  pre- 
miers dangers  de  la  France,  com- 
me aux  premiers  jours    de   leur 
gloire.  Il  est  permis  sans  doute  à 
l'historien   de  répugner  à   placer 
leurs  surnoms  étrangers,  quoique 
glorieusement  acquis,  parmi  les 
noms  français  qui   vont  défendre 
Ja    pairie    contre    des   étrangers. 
Heureux  ces  beaux  noms  natio- 
naux qui  reparaîtront  sans  tache 
au  dernier  jour  des  destinées  de 
Tempire  !  Ceux  qui  les  ont  rendus 
fameux  et   qui   les    conserveront 
iidéles  auront  bien  mérité   de  la 
nation.     Le    bâton    de    maréchal 
n'aura   jamais  cessé   d'être  pour 
eux  le  sabre  d'honneur  de  la  patrie. 
Napojéon  est  parti  avec  le  gé- 
néral Bertrand,  qui,  par  l'absence 
du  duc  d«*  Vicence,    plénii)olen- 
tiairc  à  Châlillou,  réunit  le  ser- 
vice du  grand   écuyer  à  celui  de 
grand-maréchal ,  et  va  commen- 
cer, auprès  de  Napoléon,   l'ap- 
prentissage d'une  longue  et   cé- 
lèbre Gdélité.  L'empereur  a  pour 
aides-de-camp. les  généraux  Fia- 
haut  ,     Corbineau  ,     Dejan ,    et 
Drouot  qui  retuplit  les  fondions 


NAP 


451 


de  major- général  de  la  garde. 
Les  avant-postes  français  sont 
à  Vilry.  Bliicher  est  à  Saint-Di- 
tier;  il  a  dépassé  cette  ville  le 
27,  mais  il  est  repoussé  par  Na- 
poléon, qui  entre  à  Saint-Dizier. 
L'armée  de  Silésie  est  divisée  par 
ce  mouvement.  Napoléon  veut 
encore  empêcher  la  jonction  de 
liliicher  avec  Schwarzenberg  en 
lui  coupant  la  route  de  Troyes. 
Il  se  décide  à  marcher  sur  cette 
ville,  et  pour  dérober  sûrement 
sa  marche,  il  se  dirige  sur  Brien- 
ne  par  la  forêt  reconnue  imprati- 
cable qui  mène  à  Montier-en- 
Der.  Là,  il  apprend  que  Blucher 
a  été  retenu  à  Brienne  par  la  rup- 
ture du  pont  de  Lesmont  sur 
l'Aube.  Il  s'en  réjouit;  cette  fiii- 
bles>e  est  pardonnable.  Napoléon 
voudrait  immortaliser  par  une 
grande  bataille  rangée,  livrée  pour 
le  salut  de  la  France,  ce  bourg 
de  Brienne,  son  second  berceau, 
celte  école  militaire,  où  naquit  ce 
génie  funeste  qui  lui  met  trente 
ans  après  les  armes  à  la  main  pour 
la  reprendre  sur  des  légions  de 
Russes  et  de  Prussiens.  L'action 
fut  des  plus  vives.  Dans  l'attaque 
brusquée  du  cluiteau,  Blucher 
pensa  être  pris  au  milieu  de  tout 
son  état-major;  il  n'échappa  que 
parce  qu'il  ne  fut  pas  connu.  Le 
bourg  défendu  par  les  Russes,  le 
chàleau  par  les  Prussiens,  ont  vu 
la  bataille  la  plus  acharnée,  qu'u- 
ne perte  égale  rend  funeste  aux 
deuTC  armées.  Il  semble  que  Brien- 
ne soit  pour  elles  un  de  ces  lieux 
sacrés  dont  la  conquête  assurait 
la  victoire  aux  anciens  Grecs.  La 
nuit  même,  après  12  heures  des 
eflbrts  les  plus  opiniâtres ,  n'a 
point  séparé  les  combattuns.  Elit 


4.')2 


NAl» 


pensa  être  funeste  à  Napoléon  , 
qui,  ù  10  heures  du  soir,  rega- 
gnait son  quartier-général  de  Mé- 
zières.  L'n  hurra  de  cosaques  se 
jette  au  travers  de  sa  colonne;  il 
va  être  frappé  d'une  Jance,  quand 
d'uu  coup  de  pistolet  l'officier 
d'ordonnance  Gourgaud  abat  le 
cosaque  aux  pieds  de  l'empereur. 
Cette  journée  est  malheureuse;  la 
fortune  se  plaît  à  rendre  amers  à 
Napoléon ,  les  souvenirs  de  son 
enfance.  L'eujpereur  n'avait  à  op- 
poser à  Brieune  aux  forces  bien 
supérieures  de  l'euneini,  qu'une 
petite  partie  de  sa  vieille  garde  et 
de  son  armée.  Le  gros  de  ses  for- 
ces était  eu  marche  dans  une 
autre  direction.  La  nuit,  l'ennemi 
s'est  replié  silencieusement  sur 
Bar-sur-Aube.  Le  3o,  à  la  pointe 
du  jour,  Napoléon  va  occuper 
Brienne,  et  passe  la  journée  au 
château.  Là,  au  milieu  des  vains 
projets  qu'il  forme  pour  rebâtir 
la  ville  incendiée  et  en  faire  une 
résidence  impériale ,  il  apprend 
(|ue  Blucher, qu'il  doit  croire  iso- 
lé, a  fait  sa  jonction  avec  Schwar- 
zenberg,  et  que  100,000  hommes 
Tattendent  dans  les  plaines  de 
l'Aube.  Il  accepte  le  combat  avec 
ses  5o,ooo  hommes,  presque  tous 
conscrits  de  nouvelles  levées. 
Il  a  en  tête  les  vieilles  bandes  de 
toutes  les  nations,  celles  qui  se 
sont  formées  à  son  école  et  sous 
son  drapeau,  l'élite  de  l'armée  de 
Silésie ,  celle  de  l'armée  autri- 
chienne, la  garde  impériale  rus- 
se; un  acharnement  égal  à  celui 
de  l'avant- veille  anime  les  deux 
armées.  Napoléon  est  au  centre, 
«m  village  de  la  Rothière,  et  sou- 
tient avec  opiniâtreté  tout  l'effort 
de  l'ennemi  qui  dirige  sur  ce  point 


NAP 

son  attaque  principale.  Mais  la 
supériorité  numérique  des  alliés 
rend  inutiles  les  miracles  de  l'in- 
trépidité fraufaise  :  leur  victoire 
fut  le  triomphe  des  ma^ses.  La 
nuit.  Napoléon  ordcjunc  la  retrai- 
te sur  Troyes .  et  tronipe  ainsi 
Blucher,qui  espère  l'écraser  le  len- 
demain. 

Cette  bataille  eut  deux  résul- 
tats très- graves  au  début  de  la 
campagne  :  elle  soutint  le  moral 
de  l  armée  ennemie,  qui  pouvait 
s'attendre  à  ne  pas  gagner  la  pre- 
mière bataille  rangée  sur  Napo- 
léon au  milieu  de  la  France ,  et 
elle  affecta  singulièicment  le  mo- 
ral de  l'armée  française,  où  le  dé- 
couragement produisit  la  déser- 
tion !  Elle  laissa  sur  le  champ  de 
bataille  04  bouches  à  feu,  et  prés 
de  6,000  hommes,  dont  la  moitié 
prisonniers. 

Le  2,  l'armée  française  pour- 
suit sa  retraite  sur  la  rive  gauihe 
de  l'Aube  après  avoir  coupé  en- 
core une  fois  le  pont  de  Lesmont, 
dont  la  destruction  avait  déjà  ar- 
rêté Blucher.  Napoléon  l'avait 
fait  rétablir  pendant  le  combat. 
Mais  le  maréchal  Marmont,  char- 
gé de  protéger  la  retraite,  est  res- 
té sur  la  rive  droite,  et  il  n'a  plus 
d'autre  route  pour  rejoindre, que  le 
passage  de  la  Voire  à  Piosnay,  où  il 
est  attaqué  par25,oooBavarois,que 
commande  le  général  de  AVrede. 
A  ce  nom,  Marmont  se  souvient 
de  ceux  qui  ont  trahi  la  France  à 
Hanau.  L'épée  à  la  main,  il  passe 
avec  ses  braves  au  travers  de  ces  in- 
fidèles alliés,  etlemêmejourilarri- 
ve  à  Arcis.  Mais  la  grande  vicloire 
que  Napoléon  acherchée,  et  dont  il 
ne  peut  se  passer  pour  relever  l'o- 
pinion,  pour  soutenir  la  France 


et  pour  la  défendre,  Tient  de  lui 
échapper  à  la  Rothière  ,  et  un 
grand  prestige  est  détruit  :  Au 
sein  même  de  la  France,  Napoléon 
n'est  pas  invincible.  Il  en  résulte 
pour  lui  cette  vérité  fatale,  que  le 
trône  des  conquérans  une  fois  me- 
nacé ne  peut  plus  5ubsister  que 
par  la  victoire.  Le  i"  février. 
Bruxelles  avait  été  évacuée.  Ne 
pouvant  plus  défendre  la  Bel- 
gique, envahie  par  Bernadotte,  le 
général  Maisons  était  réduit  à  dé- 
fendre pied  à  pied  la  frontière  de 
Flandre,  Le  4^  le  prince  Etigène 
était  forcé,  par  la  défection  du  roi 
Joachim,  de  se  replier  de  l'Adige 
<ur  le  Mincio.  où  il  attendait  les 
Autrichiens.  Le  29  janvier,  le  vi- 
ce-roi avait  informé  l'empereur  de 
la  nécessité  où  il  était  de  faire  ce 
mouvement  rétrograde,  en  raison 
(le  la  connivence  des  nouveaux 
intérêts  du  roi  de  Naples  avec  les 
opérations  militaires  de  l'Autri- 
che. Par  sa  lettre  du  23  janvier, 
il  avait  donné  à  Napoléon  la  preu- 
ve de  cette  alliance,  en  lui  ren- 
dant compte  de  la  mission  du  gé- 
néral Gifilcnga  qu'il  avait  envoyé 
au  roi  de  Naples.  Joachim  avait 
répondu  au  général  :  »  Anjou r- 
«d'hui  je  dois  ma  couronne  à  l'Au- 
»  triche  et  à  l'Autriche  seule.  Elle 
'pouvait  la  rendre  à  la  reine  Ca- 
'«roline,  elle  a  mieux  aimé  me  la 

•  conserver.  En  conséquence,  je  la 
>>  servirai  fidèlement  et  chaudement 
y  comme  j'ai  servi  l'empereur.  Que 
.)le  vice-roi  se  dépèche  de  se  re- 
> tirer;  je  pars  le  20,  et  infaillible- 
>ment  il  sera  bientôt  attaqué  de 
>lVont  par  Beliegarde,  qui  a  des 
«forces  supérieures,  et  je  serai  a- 

•  vaut  lui  à  Alexandrie.  »  Joachim 
r.'élait  troir.pé  ^ur  tout,  mtnne  sur 


NAP 


i53 


sa  nouvelle  fidélité.  Les  5o,oco 
vieux  soldats  de  Beliegarde  fureiit 
battus  le  8  février  à  Valeggia  et 
Pazzolo  ,  par  les  5o,ooo  conscrits 
du  vice-roi,  et  perdirent  8  à  9,000 
honmies. 

Le  19  janvier  Napoléon  avait 
été  instruit  de  la  défection  de 
Joachim  ,  par  Joachim  lui-même, 
qui.  le  3  du  même  mois,  lui  a- 
vait  expédié  à  Paris  le  duc  de  Ca- 
rignano,  chargé  de  lui  remettre 
une  lettre  confidentielle;  cette 
lettre ,  dont  M.  de  la  Besnardière 
parla  au  duc  do  Vicence  dans  la 
dépêche  du  19  janvier,  est  rem- 
plie, dit-il,  de  protestations  de 
reconnaissance  et  de  regrets,  mais 
annonce  que  le  roi  est  forcé,  par 
la  nécessité,  d'accepter  les  propo- 
sitions de  l'Autriche  et  de  l'An- 
gleterre. 

Ainsi  Napoléon  était  prévenu 
de  la  conduite  du  roi  de  Naplc< 
quinze  jours  avant  la  lettre  du  vi- 
ce-roi. 

Cependant  le  4  février,  le  con- 
grès dont  Napoléon  avait  proposé 
la  réunion  à  Manheim,  dès  le  mois 
de  décembre ,  s'ouvrait  à  Châtil- 
lon-sur-Seine,  département  de  la 
Côte-d'Or;  l'Autriche  y  était  re- 
présentée par  le  comte  de  Stadion, 
la  Piussie  par  le  comte  Razomows- 
ki,  la  Prusse  par  le  baron  de  Hum- 
boldt,  et  le  gouvernement  britan- 
nique rétait  près  des  souverains 
par  lord  Castelreagh,  ministre  des 
affaires  étrangères.  On  sait  que, 
d'après  les  lois  anglaises,  le  prin- 
ce de  Galles  ne  peut  quitter  le  sol 
de  l'Angleterre.  Les  plénipoten- 
tiaires anglais  étaient  lord  Aher- 
deen,  lord  Cathcart,  et  Ch.  Sté- 
wart.  Pour  la  France,  c'était  le 
duc  de  Viccncc.  ministre  des  reU- 


^•>4 


NAl» 


tions  cxlérienres,  lequel,  au  nom 
de  son  souverain,  avait  déclaré  dès 
le  principe  l'acceptation  des  bases 
de  Francfort. 

Toute  l'Europe  diplomatique  et 
toute  l'Europe  militaire  est  donc 
réunie  contre  JSapoléon.  Mais  si  la 
}>osition  était  l)ien  changée  de  Pra- 
gue à  Francfort,  elle  l'est  bien 
])lus  de  Francfort  à  Cbâtillon,  A 
Prague ,  Napoléon  ,  maître  de 
Dresde,  au  caur  de  l'Allemagne, 
vaincjueur  dans  trois  batailles,  é- 
lait  encore  à  la  tête  d'une  armée 
de  200.000  honmies.  Egaré  par 
ses  succès,  trop  séduit  peut-être 
par  le  génie  de  sa  propre  armée,  il 
iivait  refusé  la  paix,  et  se  trouvait 
rejeté  au  milieu  de  la  France  par 
vu  million  <i'ttrangers,  auxquels 
il  ne  pouvait  opposer  que  lui  et 
les  5o,ooo  braves  qui  viennent  de 
perdre  la  bataille  de  Brienne. 

Le  5  février,  il  apprend  au  villa- 
ge de  Piney,  entre  Brienne  et 
Troyes,  que  le  lendemain  le  con- 
grès doit  s'ouvrir.  II  s'agit  à  pré- 
sent, non  de  perdre  le  protectorat 
du  Kbin,  ou  les  villes  anséatiques, 
ou  la  Hollande  :  tous  ces  états  sont 
aflVanr-bis,  et  la  France  est  con- 
quise jusqu'à  Troyes  et  Châlons- 
sur-Marne.  il  n'y  a  eu  encore  de 
résistance  (|u'à  Lyon.  Le  roi  de  Na- 
ples  a  trahi.  Le  vice-roi  a  deux  en- 
nemis à  combattre  en  Italie.  Il  n'y 
a  plus  de  diversion  possible  à  es- 
pérer de  ce  côté  contre  les  Autri- 
chiens. Le  lieu  du  congrès  est 
presque  au  centre  de  la  France  ; 
il  est  an  centre  de  la  guerre.  Ses 
roules  sont  occupées  par  les  enne- 
mis, et  les  courriels  de  Napoléon 
et  de  son  plénipotentiaire  auront 
besoin  de  passe-ports  étrangers. 
i>  s'agit  donc  au  a  féwier,  après 


NAP 

un  début  de  campagne  aussi  ma)- 
heureux,  après  une  défaite,  et 
dans  une  retraite ,  d'aller  au-de- 
vant de  la  négocialion  du  con- 
grès. En  conséquence ,  dans  la 
journée  du  5,  Napoléo;i  modifie 
les  premières  instructions  données 
au  duc  de  Vicence  ,  et  dans  celle 
du  5,  il  lui  donne  carte  hlanclw 
pour  traiter,  «  «/?»,  dit-il,  de  sauver 
»  la  capitale,  et  cl  éviter  une  bataille 
»  où  sont  les  dernières  espérances  de 
l' la  nation.  «Mais  la  Russie  inter- 
ronq)t  brusquement,  et  de  sa  seu- 
le autorité,  les  négociations.  Le 
plénipotentiaire  français  n'a  plus 
d'autres  moyens  dêtre  entendu 
que  de  s'adresser  à  M.  de  Met- 
lernich,  ce  qu'il  fait  ;'i  l'instant; 
et  ce  n'est  qu'au  bout  de  dix  jouks 
que  les  négociations  sont  reprises. 
Dans  cet  intervalle,  si  long  pour 
le  peu  de  temps  qu'on  avait  encore 
à  vivre,  les  graves  circonstances 
qui  avaient  fait  ^onmw  carte  blaii- 
che  au  plénipotentiaire,  avaient 
totalement  changé,  et  Napoléon 
croyant, parce  qu'il  était  victorieux 
depuis  huit  jours,  pouvoir  encore 
être  maître  de  l'avenir,  avait  reti- 
ré ce  pouvoir  à  son  ministre. 
Heureuse  la  France  si  ce  prince 
eût  persisté  dans  les  principes  de 
celte  sage  modération  !  Mais  par 
une  exception  singulière  à  la  mar- 
che de  l'histoire  de  tout  autre  que 
de  Napoléon,  par  une  fatalité  tou- 
te particulière  à  l'emjiire  français, 
les  victoires  de  son  héros  ne  peu- 
vent plus  que  lui  être  funestes  à  lui- 
même  :  elles  ne  détruiront  pas  ses 
ennemi.-;  elles  ne  doivent  détruire 
que  sa  prudence  personnelle,  et 
plus  les  lauriers  s'entasseront  sur 
sa  tête,  plus  s'en  éloignera  le  dia- 
dèinepour  lequel  il  aura  triomphé» 


Les  souverains  alliés  élanl  ren- 
trés à  Brienne,  y  arrêtèrent  défi- 
nitivement la  marche  sur  Paris, 
par  les  deux  routes  de  Châlons- 
&ur-Marne  et  par  les  deux  rives  de 
la  Seine.  Châlnns  était  occupée  le 
5  par  le  corps  du  {général  îork, 
de  l'aruiée  de  Bliiclier.  Napoléon, 
arrivé  à  Troyes,  y  avait  donné 
deux  jours  de  repos  à  ses  soldats; 
mais  ce  repos  devint  fiital  à  leur 
fidélité,  ou  plutôt  le  manque  de 
vivres  et  de  secours,  après  tant 
de  fatigues,  ût  déserter  environ 
6.O00  conscrits  dans  l'espace  de 
huit  jours.  La  désertion  était  une 
maladie  nouvelle  dans  une  année 
commandée  par  Napoléon.  L'en- 
trée en  ligne  de  la  division  Hame- 
linaye  répara  heureusement  cette 
perle  inattendue.  Le  6,  l'empe- 
reur avait  quitté  Troyes,  où  il  fut 
remplacé  par  les  corps  de  la  gran- 
de -  armée  de  Schwarzenberg  , 
qui  avaient,  par  leur  jonctiun  à 
Bar-sur-Aube,  décidé  la  victoire  en 
faveur  de  Bliicher.  Celui-ci  s'était 
séparé  de  ses  alliés  pour  agir  iso- 
léuient  sur  la  Marne,  et  c'était 
pour  le  pomsnivre,  pour  l'attein- 
dre, pour  le  détruire,  que  Napo- 
léon avait  quitté  le  6  la  capitale 
de  l'Aube,  et  pris  la  route  de  Paris. 
Mais  les  Autrichiens,  repoussé» 
vigoureusement  le  5  et  le  4  dans 
de  véritables  batailles  d'avant- 
postes,  efirayés  de  la  démonstra- 
tion qu'avait  faite  Napoléon  le  5 
pour  masquer  son  mouvement, 
avaient  cru  que  ce  prince  voulait 
leur  présenter  une  affaire  généra- 
le, et  ils  s'étaient  reployés  le  mê- 
me jour  à  huit  lieues  de  Troyes 
sur  Bar-sur-Aube.  Napoléon  avait 
san< doute  le  dessein  de  reprendre 
dans  les  plaines  de  Troyes  la  rc- 


NAP 


455 


vanche  de  la  bataille  perdue  dans 
les  plaines  de  Brienne;  mais  la 
nouvelle  de  l'occupation  de  Châ- 
lons  par  le  général  York  avait  dû 
changer  ses  projets ,  et  il  réso- 
lut de  se  retirer  sur  Nogent,  où  il 
attendrait  les  renforts  de  Paris  et 
ceux  de  larmée  d'Espagne,  o  Ou 
nnous  arrêterons-nous?  «disaient 
les  soldats  de  Napoléon;  car  il  leur 
était  encore  impossible  de  croire 
qu'ils  marchaient  au  secours  de 
la  capitale!  Le  7,  les  alliés  entrè- 
rent à  Troyes,  et  les  Français 
arrivèrent  a  Nogent.  Le  maréchal 
Mortier  avait  habilement  protégé 
la  retraite  de  l'armée  par  une  at- 
taque vigoureuse  sur  la  route  de 
Bar-sur-Seine.  Avant  le  jour,  il 
se  déroba  lui-même  et  se  retira 
sur  Nogent,  où  tout  allait  être 
disposé  pour  enlever  aux  Autri- 
chiens le  passage  de  la  Seine.  Ce 
fut  là  que  Napoléon  apprit  l'éva- 
cuation de  la  Belgique,  l'investis- 
sement d'Anvers,  où  le  général 
Carnot  est  arrivé  le  2,  et  la  mar- 
che rapide  de  Blucher  par  la  gran- 
de route  de  Châlons.  Le  maréchal 
Macdonald,  chassé  du  pays  de  Liè- 
ge, se  retirait  deChâlons,  qu'il  avait 
évacué  le  5,  de  Vitry  et  dEpernay, 
sur  la  Ferté-sous-Jouarre,  et  sur 
Meaux,  où  arrivent  les  fuyards. 
Au  milieu  de  ces  tristes  nou- 
velles, arrive  l'ultimatum  des  al- 
liés, envoyé  deChâtillon  :  les  ba- 
ses de  Francfort  sont  refusées, il 
faut  rentrer  dans  les  anciennes  li- 
mites de  la  France.  Ainsi ,  la  belle 
France,  la  véritable  France,  serait 
perdue  par  celui  qui  a  juré  à  son 
sacr€  à\n  maintenir  à  tout  pris 
l'intégrité!  Ce  n'est  pas  une  pro- 
position, c'est  une  sentence  du  tri- 
bunal européen;  le  courrier  at- 


456 


NAP 


tend  la  réponse!...  le  prince  de 
Neuchâtel  et  le  duc  de  Bassiino, 
ministre  secrélaire  d'étal,  étaient 
auprèsde  Tempereiir.  «  Lisez,  leur 
dit-il,  ce  qu'écrit  Caulaincourt.  » 
Ils  lurent,  et  ne  balancèrent  pas  à 
déclarer  à  Napoléon  qu'il  fallait 
céder.  «  Céder,  s'écria  ce  prince, 
«signer  un  pareil  traité?  violer 
«mon  serment?...  pour  prix  de 
"tant  de  sanj?,  d'efforts,  de  victoi- 
»res,  laisser  la  France  plus  petite 
»que  je  ne  l'ai  reçue?  jamais  !... 
)'  il  y  aurait  trahison,  lâcheté  :  vous 
"Craignez  la  guerre,  moi  je  vois 
"d'autres  dangers  :  si  nous  aban- 
»  donnons  le  Rhin,  ce  n'est  pas  la 
)>  France  qui  recule,  c'est  l'Autri- 
»che,  c'est  la  Prusse,  qui  s'avan- 
)>cent....La  France  a  besoin  de  la 
»  paix  ,  mais  celle  -  ci  est  pire  que 
»la  guerre  la  plus  acharnée.  Que 
nserai-je  pour  les  Finançais,  quand 
»  j'aurai  signé  leur  humiliation?  q  ue 
'^répondrai-je  aux  républicains  du 
»  sénat,  quand  ils  me  redemanderont 
*  leurs  barrières  du  Rhin?...  Ré- 
«  pondez  à  Caulaincourt^  puisque 
»vous  le  voulez;  mais  ditos-lui  que 
f^je  rejette  ce  traité  ;  je  préfère  cou- 
»  rir  les  chances  les  plus  rigoureu- 
i>ses  de  la  guerre!  » 

Napoléon  ordonne  cependant  au 
duc  deBas'iano,  d'envoyer  à  Paris 
les  conditions  qu'il  vient  de  rece- 
voir, pour  qu'il  en  soit  délibéré 
par  son  conseil  privé,  dont  cha- 
que membre  donnera  son  avis  par 
écrit.  Pour  la  première  fois  de- 
puis son  règne,  Napoléon  sentait 
qu'il  était  responsable.  Il  avait  i\ 
Î!ii  tout  seul  déchiré  le  traité  de 
Prague,  il  n'ose  pas  seul  subirce- 
lui  de  Chritillon.  11  a  de  plus,  et  il 
doit  avoir,  une  arrière- pensée  , 
inspirée  par  l'étrange  situation  où 


NAP 

la  guerre  et  la  négociation,  con- 
duites de  front  et  nécessairement 
dépendantes  l'une  de  l'autre,  jet- 
tent les  deuxparties  belligérantes; 
car,  si  on  peut  le  dire,  dans  cette 
période  loul-à-fait  extraordinaire, 
on  laisait  à  outrance  la  giierre  ou 
la  paix.  Napoléon  voit  bien  que 
c'est  le  traité  de  la  défaite  de  Brien- 
ne  qu'on  lui  impose,  et  il  peut  se 
persuader  que  ce  n'est  pas  seule- 
ment la  plume  à  la  main  qu'il  faut 
y  répondre.  La  plaie  qu'on  lui  a 
faite  est  nouvelle,  profonde,  mor- 
telle peut-être...;  pour  lui  seul,  el- 
le n'est  pas  incurable. 

Le  lendetnain,  de  grand  matin. 
Napoléon  suivait  sur  la  carte  la 
marche  téméraire  de  Bliicher,  dé- 
jà entré  dans  la  Brie  champenoise. 
Le  duc  de  Bassano  .se  rend  chez 
l'empereur,  avec  les  dépêches  pré- 
parées pour  Châtillon.  «  11  s'agît 
«d'autres choses,  lui  dit  Napoléon, 
»je  suis  dans  ce  moment  à  battre 
»  Bliicher  de  l'œil  :  il  marche  par 
»Montmirail  ;  jepars;  je  le  battrai 
»den)ain;  je  le  battrai  après-de- 
>>main  :  si  je  réussis,  l'état  des  af- 
»faires  va  changer,  et  nous  ver- 
»rons.  »Tcl  était  Napoléon  le  9  fé- 
vrier. Hélas  !  ce  même  jour,  com- 
me nous  l'avons  dit,  il  se  passait 
d'autres  événemens.  A  Châtillon  , 
le  comte  Razomowski  demandait 
et  obtenait,  au  nom  de  son  sou- 
verain, la  suspension  indéfinie  des 
conférences,  et  rendait  ainsi  illu- 
soire cette  carte  blanche  que  Na- 
poléon avait  envoyée  le  5  au  duc 
de  Vicence,  sans  toutefois  lui  pres- 
crire ni  lui  indiquer  les  bases  d'un 
traité.  Le  10,  le  duc  de  Vicence  pro- 
testait contre  la  déloyauté  de  la 
Russie,  qui  par  celte  démarche 
violait  tous  les  principes  d'union 


NAP 

on  ire  le?  quatre  puissances,  et  n- 
surpait  ainsi  une  autorifé  contrai- 
re aux  intérêts  de  ses  alliés  et  des 
autres  puissances  de  l'Europe, 
«|ue  les  trois  souverains  avaient 
déclaré  représenter.  Il  fai^ait  va- 
loir également  le  principe  établi 
par  les  alliés,  que  rien  de  rela- 
tif à  la  négociation  ne  pourrait 
avoir  lieu  hors  des  conférences. 
Les  séances  étant  donc  suspen- 
dues, il  avait  écrit-  le  c)  février, 
ù  M.  de  Metternich,  dans  le  sens 
et  en  exécution  des  ordres  et  des 
pouvoirs  qu'il  venait  de  recevoir, 
et  il  se  plaignait  le  lo  ,  au  même 
ministre,  de  la  note  du  comte  de 
ftazomowski,  comme  entièrement 
contraire  au  but  et  aux  formes  du 
congrès.  Mais  le  cabinet  russe  af- 
fectait, en  raison  des  succès  de 
lilûcher,  l'autorité  diplomatique 
il  Châtillon,  et  ne  levait,  le  17, 
1  interdit  du  congrès,  qu'à  la  nou- 
velle des  revers  de  Champaubert. 
de  Château -Thierry  et  de  Vau- 
champs. 

Cependant  Napoléon  donna  des 
ordres.  Le  généial  Bourmonl, 
«lont  il  estime  l'intelligence  et  la 
bravoure ,  qui  est  pour  lui  un  hom- 
me de  confiance  depuis  la  pacifi- 
cation delà  Vendée,  reste  à  îiogent 
pour  défendre  le  passage  de  la 
Seine,  et  doit  justifier  l'opinion 
de  l'empereur.  Le  pont  de  Bray 
est  gardé  par  le  maréchal  Oudi- 
not.  Le  soir  Napoléon  arrive  à 
Sézanne  par  la  traverse  :  il  a  fait 
«louze  grandes  lieues  avec  son  ar- 
mée. H  apprend  que  le  maréchal 
Alacdonald  but  en  retraite  sur 
Meaux  ,  el  que  Blucher  marche 
en  toute  sécurité.  Quatre  lieues 
Seulement  le  séparent  de  son  en- 
nemi.   Les   coureurs  français   et 


NAP 


457 


les  coureurs  prussien»;  se  sont 
montrés  et  ont  échangé  quelques 
coups  de  sabre  en  avant  de  Sézan- 
ne. Ceux-ci  prennent  les  nôtres 
pour  de  simples  maraudeurs.  Le 
10  au  matin  on  est  en  marche.  Le 
maréchal  Marraont  avec  l'avant- 
garde  avait  rétrogadé  à  cause  des 
mauvais  chemins.  Napoléon  le 
remet  en  route ,  et  le  lendemain 
10 ,  ce  maréchal  force  les  défilés 
de  Saint-Gond  sous  les  yeux  de 
1  e  m  pe  re  u  r.  L'a  près  -  m  id  i  Napo- 
léon débouche  à  Champaubert  sur 
la  grande  route  de  Chàlons ,  bou- 
leverse les  colonnes  russes  qui  a- 
vaii.-nt  défendu  Brienne,  et  brise 
1  armée  de  Blûcher,  dont  une 
partie  est  suivie  sur  Montmirail 
par  le  général  Nansouty,  et  l'au- 
tre sur  (Jiâlons  par  le  maréchal 
Marmont.  Complètement  victo- 
rieux ,  Napoléon  s'arrête  à  Champ- 
aubert, oiï  il  fait  dîner  avec  lui 
les  généraux  prisonniers.  Ce  n'est 
déjà  plus  VuUimatum  des  alliés 
qui  l'occupe  :  ce  qui  l'inquiète  a- 
près  ce  succès,  ce  sont  les  pleins- 
pouvoirs,  c'est  la  carte  blanche 
qu'il  a  donnée  à  ïroyes  au  duc  de 
Vicence.  Ces  pouvoirs  expédiés  le 
5  de  Troyes  à  Châtillon,  et  révo- 
qués le  1 1  ,  étaient  devenus  de 
tdiitc  .nullité  ,  par  la  suspension 
illégale  du  congrès  pendant  neuf 
jours  sur  la  demande  de  la  Rus- 
sie. Ainsi  Napoléon  fait  écrire  au 
duc  de  Vicence  qti'il  est  ticlo- 
rieiuv,  qu'il  va  l'ctre  encore,  -et 
qu'il  ait  à  prendre  une  attitude 
plus  fiére  au  congres Napo- 
léon avait  la  singulière  facuU» 
de  renaître  sans  cesse  de  lui- 
même. 

Le  maréchal  Marmont  conte- 
nait le   maréchal  Blucher    entre 


458 


^Al» 


Chûlnns  i:l  Champaubcrt.  Le  1 1 
Napoléon  court  après  les  géné- 
raux York  cl  Saken  ,  qui  marchent 
entre  Champaubcrt  et  Paris.  L'un 
e.>t  déjà  à  la  vue  de  Meaux,  l'ini- 
tre  c*t  à  La  Ferlé.  Cependant  la 
nouvelle  de  la  délaite  des  Russes 
à  Champaubcrt  arrête  ces  deux 
généraux,  et  même  ils  rebrous- 
sent chemin;  mais  ils  trouvent 
devant  eux  l'avant-garde  française 
en  avant  de  Monlmirail.  L'action 
s'engage.  La  vieille  garde  arrive 
avec  le  maréchal  Mortier.  Napo- 
léon ordonne  une  attaque  généra- 
le. L«'s  maréchaux  Ney  et  Mortier 
enlèvent,  après  la  plus  vive  résis- 
tance, l.i  ferme  des  Grénanx  ,  où 
s'est  concentrée  la  principale  for- 
ce de  l'ennemi.  Les  Russes  et  les 
Prussiens  en  pleine  déroute  fuien  ta 
Iraverschamps  vers  Château-Thier- 
ry, pour  rejoindre  le  maréchal 
Rliichersur  la  Marne.  Mais  ils  sont 
poursuivis  le  12  jusqu'à  cette  ville, 
DU  ils  entrent  pêle-mêle  avec  la 
cavalerie  française.  Ils  veulent 
couper  le  pont.  Ils  sont  forcés  et 
chassés  par  le  maréchal  Mortier 
sui-  la  route  de  Soissons,  par  la- 
quelle se  retire  ni  les  fuyards  d'York 
et  de  Saken.  Une  foule  d'habitans 
qu'anime  la  vengeance  des  excès 
commis  par  les  ennemis  à  Châ- 
teau-Thierry, prend  avec  joie  les 
fusils  qu'ils  ont  laissés  dans  leur 
déroute,  et  se  forme  en  corps  de 
partisans.  Mais  le  maréchal  Mar- 
mont,  détaché  sur  la  route  deChâ- 
lons,  a  peine  à  contenir  le  maré- 
chal Bliicher,  quia  réparé  ses  per- 
tes par  la  réunion  de  deux  corps 
russes  et  prussiens  arrivés  de 
Mayence.  Il  a  même  dû  évacuer 
Champaubcrt  devant  BUuher,  qui 
Je  poursuit  jusqu'auprès  de  Mont- 


NAP 

miiail.  Mais  tout-à-conp  le  ma- 
réchal Marmont  fait  faire  volte- 
face  à  son  corps  d'armée  et  prend 
position  dans  la  plaine  de  Vau- 
champs.  Derrière  lui  est  Napo- 
léon arrivé  de  Château -Thierry 
avec  son  armée  en  bataille.  Il  est 
huit  heures  du  matin.  Bliicher 
étonné  voudrait  refuser  le  com- 
bat, mais  les  cris  de  l'armée  fran- 
çaise lui  apprennent  qucNapoléon 
est  là  ,  et  qu'il  doit  encore  se  bat- 
tre. En  elFet,  notre  cavalerie  se 
précipite  sur  les  carrés  prussiens, 
les  enfonce  ,  les  disperse ,  et 
bientôt  la  retraite  ordonnée  par 
Bliicher  n'est  plus  qu'une  fuite. 
Lui  -  même  ,  le  soir  enveloppé 
{dusienrs  fois  comme  à  Brienne 
avec  son  état -major,  ne  peut  se 
dégager  que  le  sabre  à  la  main 
et  à  la  faveur  do  l'obscurité.  Le 
maréchal  Marmont  continue  sa 
poursuite  toute  la  nuit.  Naj)oléon 
retourne  coucher  au  château  de 
Montmirail.  Les  deux  routes  de 
Châlons  sont  balayées  par  6  jours 
de  succès;  mais  celles  de  la  Seine, 
où  s'avance  Schwarzenberg,  ap- 
pellent Napoléon.  Il  laisse  les  ma- 
réchaux Mortier  et  Marmont  gar- 
der les  avenues  de  Châlons  où  il 
a  défait  l'armée  de  Silésie,  et  se 
dirige,  '"  i5,  sur  Meaux  avec  les 
trou[>csau  maréchal  Macdonaldet 
celte  garde,  qu'il  rend  connue  lui 
responsable  du  sahilde  la  capitale. 
Les  trophées  de  Chairipaubert,  de 
Montmirail  ,  des  deux  jonrnét;s 
de  Château-Thierry,  et  ceux  de 
Yauchamps  peuvent  lui  r.ippeler  ' 
celte  fameuse  campagne  des  cimj 
jours,  qui  marqua  ses  premiers 
succès  en  Italie  ,  comme  ils  illus- 
trent ses  derniers  momens  en 
France.  Il  peut  aussi  se  rcssou- 


>A1» 

venir  que  c'était  ans;i  fivtc  des 
forces  bien  intérieures  qu'il  avait 
battu  à  léna  et  à  Lul)eok  ce  mê- 
me Blii'jher,  qui  vient  de  dispa- 
raître devant  lui.  Les  bulielitis 
de  cette  glorieuse  semaine  sont 
portés  à  Paris  ,  par  8000  piison- 
niers  russes  et  prussiens. 

Le  i5  ,  Napoléon  fait  prévenir 
les  maréchaux  Victor  et  Oudiuot 
qu'il  débouchera  le  lendemain  sur 
eux  par  Guignes.  C'est  à  leur  ca- 
non que   l'empereur  se   rallie  le 

16.  Ils  se  battaient  devant  Gui- 
gnes, où  sou  arrivée  arrête  Ten- 
nemi.  Schwarzenberg ,  avec  ses 
iSo.ooo  hommes,  avait  à  la  fin 
forcé  les  passages  de  logent,  de 
Bray,  de  5lontereau  ,  et  s'avançait 
avec  tonte  confiance  sur  Nangis, 
dans  l'espoir  d'arriver  à  Paris  a- 
vant  Bliicher.  L'émulation  de  ces 
deux  généraux  est  prénialurée.  Le 

17,  Napoléon  présente  le  rombst 
aux  Austro-lUisses  devant  Nangis. 
Les  dragons  arrivent  de  l'armée 
d'Espagne,  sous  les  ordres  du  géné- 
ral Treillard,  pour  contribuer  aux 
succès  de  cette  journée,  conslam- 
ment  décidés  par  l'infanterie  du 
général  Gérard  ,  et  par  l'artillerie 
du  général  Drouot.  Schwarzen- 
berg sera  battu  comme  Blucher; 
sa  déroute  est  complète.  Le 
maréchal  Oudinot  et  le  général 
Kellcrmann  poursuivent  les  Rus- 
ses jusqu'à  Nogent;  le  maréchal 
Macdonald  ,  les  Autrichiens  du 
côté  de  Bray;  le  général  Gérard, 
les  Bavarois,  qu'il  écrase  à  Ville- 
neuve et  Oounemarie-  Napoléon 
a  ordonné  au  maréchal  Victor  de 
se  sai«iir  du  pont  de  Monlerean  le 
soir  même,  et  il  va  coucher  au 
château  de  Nangis,  dans  l'espoir 
que  .Moiitereau  est  occupe  par  ses 


KAP 


4^'9 


troupes.  Il  a  détruit  toutes  les 
communications  et  ruiné  toutes 
les  espérances  de  Schwarzenberg; 
il  compte  bien  traiter  ce  généra- 
lissime comme  il  a  traité  Bliicher, 
et  l'attirer  à  une  bataille  rangée; 
mais  il  ne  pense  pas  assez  que 
quand  même  il  gagnerait  celle 
urande  bataille,  il  a  trop  peu  de 
troupes  pour  défendre  contre  les 
flots  de  la  coalition  toutes  les  ave- 
nues de  Paris,  où  est  le  rendez- 
vous  des  rois. 

Cependant  le  comte  de  Parr 
arrive  aux  avmt-posles,  envoyé 
par  le  prince  de  Schwarzenberg. 
pour  demander  une  suspension 
d  hoslililés.  Celte  démarche  inat- 
tendue inspire  encore  à  Napoléon 
la  confiance  de  terminer  avec  son 
beau-père,  comme  il  a  pu  le  faire 
à  Prague,  et  de  se  passer  de  Chis- 
tillon.  Il  a  reçu  de  Paris  la  déli- 
bération de  son  conseil  privé  sur 
l'outrageant  ultimatum-  du  cou- 
gré)  ;  excepté  le  comte  de  Cess.ic. 
chaque  membre  est  d'avis  de  s'y 
soumettre.  La  mission  du  comité 
de  Parr  lui  paraît  une  faveur  ines- 
pérée de  la  fortune  ;  il  en  profit»' 
pour  écrire  directement  à  l'empe- 
reur d'Autriche.  Ilveut  unproiDpt 
a(!Commodement ,  mais  sur  des 
bases  moins  humiliantesque  celle» 
de  Châtillon.  Ses  succès  lui  don- 
nent le  droit  de  l'exiger.  Rem- 
pli de  cette  idée,  il  écrit  au  duo 
de  Vicencc  :  «  Je  vous  ai  donné 
n  carte  blanche  pour  sauver  Paris, 
net  éviter  une  hat aille  qui  était  la 
nderniire  espérance  de  la  nation. 
I)  La  bataille  a  eu  lieu;  la  Provi- 
ndence  a  béni  nos  armes;  j'ai  fait 
»  jo  à  40.000  prisonniers;  j'ai  pri- 
»)20O  pièces  de  canon,  un  gramt 
*  nombre  de  généraux,  et  détiun 


40o 


NAP 


»  plusieurs  armées  presque  sans 
»oonp  férir;  j'ni  entame  hier  l'ar- 
»mée  de  Schwarzenberg,  que  j' es- 
K père  détruire  avant  qu'elle  ait 
nrepassé  nos  frontières.  Votre  atti- 
»  tilde  doit  être  la  mC-ine;  vrms 
"devez  tout  i'aire  pour  la  paix, 
'>  niais  mon  intention  est  que  cous 
»ne  signiez  rien  sans  mon  ordre, 
«parce  que  seul  je  connais  ma  po- 
»  sition.  En  général  je  ne  désire 
«qu'une  paix  solide  et  honorable, 
wet  elle  ne  peut  être  telle,  que 
"Sur  les  hases  proposées  à  Franc- 
hi fort...  e^f...  ))  Le  lendemain,  tant 
la  pensée  de  ses  succès  est  unique- 
ment dominante  sur  Napoléon  ,  il 
écrit,  de  Nangis  ,  au  vice-roi, 
en  lui  renvoyant  l'aidc-de-cajup 
Tascher. 

«Taschervous  fera  connaître  la 
«situation  des  choses.  J'ai  détruit 
«l'armée  de  Silésie  composée  de 
«Russes  et  dePrussiens.  J'ai  com- 
»  mencé  liier  à  battre  Schwaizen- 
«berg...  II  est  doncpossible,  si  la 
«fortune  continue  à  nous  sourire, 
«que  l'ennemi  soit  rejeté  en  grand 
«désordre  hors  de  nos  frontières 
i>  et  que  nous  puissions  alors  conser- 
i\ver  l'Italie;  dans  celle  supposi 
«tion  le  roi  de  Naples  changerait 
«probablement  de  parti,  etc.  « 

Ainsi  Napoléon  rapportait  dans 
la  même  journée  les  ordres  qu'il 
avait  donnés  au  duc  de  Vicence, 
et  au  prince  Eugène;  il  se  croyait 
assez  fort  pour  sauver  la  France 
à  lui  touf  seul,  et  il  disait  après 
l'aflairc  de  Nangis,  «  Je  sais  plus 
près  de  V  ienne  que  mon  beau- père 
ne  l'est  de  Paris.  ■> 

Napoléon  était  pénétré  de  cette 
idée.  Dans  sa  lettre  à  ce  prince,  il 
avait  abordé  ses  anciennes  récri- 
minations contre  l'Angleterre.  Il 


NAP 

avait  fait  écrire  aussi  dans  le  mê- 
me style  le  prince  de  Neuchâlel , 
au  prince  de  Schwarzenberg.  Ce 
fut  ainsi  que,  par  une  démarche 
qui  devait  être  conciliatrice  et  non 
hostile,  il  s'aliéna  tout/- à -fait 
l'Autriche,  qui  avait  eu  tant  do 
peine  à  amener  ses  alliés  à  con- 
sentira l'armistice  proposé.  L'Au- 
triche ne  vit  dans  son  langage 
que  l'intention  de  déplacer  la  né- 
gociation ,  le  désir  de  gagner  du 
temps,  et  la  preuve  que  le  mal- 
heur n'avait  pas  rendu  Napoléon 
plus  modéré.  Ce  fut  dès  ce  mo- 
ment qu'elle  prit  son  parti,  et 
qu'elle  laissa  un  libre  cours  aux 
idées  de  bouleversement  de  ses 
alliés. 

(Cependant  le  maréchal  Victor  n'a 
j)as  exécuté,  le  17  au  soir,  les  or- 
dres de  Napoléon.  Monlereau  a  été 
occupé  parles  Wurlemhergeois, 
qui  couvrent  la  retraite  sur  Sens 
du  corps  autrichien  de  Bianchi, 
dont  la  marche  sur  Fontainebleau 
est  compromise  par  celle  de  l'a- 
vant-garde  française.  Le  maréchal 
se  présente  devant  Monlereau  le 
18  au  matin,  et  veut  forcer  cette 
importante  position,  où  le  brave 
général  Château,  son  gendre, 
qui  avait  emporté  les  hauteurs  de 
lirienne,  est  tué  d'un  coup  de 
feu.  L'affaire  devient  générale. 
Napoléon  a  été  précédé  du  géné- 
ral Gérard,  et  la  victoire  est  déci- 
dée en  faveur  des  Français,  l^cs 
gardes  nationales  bretonnes  et 
la  cavalerie  du  général  Pajol  a- 
chèvent  la  déroute  du  prince  au- 
jourd'hui roi  de  Wurtemberg,  qui 
a  perdu  presque  toutes  ses  trou- 
pes. Après  cette  bataille  sanglan- 
te, que  l'obéissance  et  l'aclivilé 
du  maréchal  Victor  auraient  épnr- 


NAV 

irnée.  Napoléon  songe  à  une  ju;li- 
ce  sévère.  Il  donne  au  général 
Gérard  le  commandement  du  ma- 
réchal, à  qui  //  permet  de  se  retirer 
diez  lui.  Celui-ci  court  chez  l'em- 
pereur, et  après  avoir  essuyé  des 
refus  et  des  reproches  de  la  plus 
grande  violence  : 

«  Si  j'ai  fait  une  grande  faute 
■> militaire,  s'écrie-t-il  les  larmes 
»  aux  yeux,  je  l'ai  payée  bien  cher, 
»  sire,  par  la  mort  de  mon  gendre, 
»le  général  Château.  »  A  ce  nom 
Napoléon  s'attendrit.  <■  Je  vais 
«  prendre  un  fusil,  continue  le 
»  maréchal....  Victor  combattra 
«dans  les  rangs  de  la  garde.  — 
«Restez, Victor,  répond  Napoléon, 
«restez,  étaliez  commander  deux 
«divisions  de  ma  garde,  a 

Le  19,  l'armée  reçoit  l'ordre  de 
chasser  l'ennemi  sur  Truyes,  et 
de  netto3er  la  rive  droite  de  la  Sei- 
r.e.  Les  Autrichiens,  les  souverains 
alliés,  sont  en  pleine  fuite.  Paris 
reçoit  les  drapeaux  des  journées 
<le  Nangis  et  de  lUontereau:  ils 
.-ont portés  à  l'impératrice  par  M. de 
Mortemart,  officier  d'ordonnance. 
J.c  20,  l'empereur  Napoléon  est  à 
Bray ,  où  l'empereur  Alexandre 
a  couché  la  veille;  le  soir,  il  est 
à  Nogent,  que  le  général  Bour- 
mont  a  si  vaillamment  défendu  le 
10,  le  1 1  et  le  12,  contre  toute 
j  "armée  de  Schwarzenberg,  et  où 
»  il  a  gagné  ses  étoiles  de  lieutenant- 
général.  Nogent  est  incendié.  Le 
.22,  Napoléon  poursuit  sa  marche. 
]-a  retraite  des  alliés  n'est  plus 
qu'une  déroule  :  100,000  hommes 
'C  précipitent  vers  nos  frontières 
«levant  les  4oj00o  braves  de  Na- 
poléon, qui  n'a  pu  décider  Scliwar- 
/onberg  à  une  bataille  rangée, 
les  équipages  des  alliés  refluent 


NAP 


461 


jusque    sur   les  Vosges  et  sur  les 
bords  du  Rhin!  On  se  présente  le 
22   à  Mery-sur-Seiiie;   de  l'autre 
côté,  un  corps  enuemi  en  force  le 
passage,    et   l'un   apprend,    avec 
la   plus  grande  surprise ,   que  ce 
corps  est  celui  de  Saken,  de  cette 
éternelle  armée   de   Blucher,  qui 
partout   se   reproduit,  et  semble 
renaître  de  ses  ruines.  Le  général 
Pierre  Boyer  engage  avec  les  Rus- 
ses une  action  vigoureuse  dans  les 
rues  de  cette   petite  ville  :  c'était 
le  jour  du  mardi-gras.  Nos  cons- 
crits ne  veulent  pas  tout-à-lait  en 
perdre   la  fîîle.   Ils  prennent  des 
masques  dans  une  boutique,  vont 
masqués  au  feu  ,  et  mêlant  ainsi 
la  gaîté  au  courage,  ils  furcent  les 
Russes  de  se  retirer  précipitam- 
ment de  l'autre  côté  de  l'Aube. 
Mery  ayant  été  incendiée,  le  quar- 
tier impérial  fut  transporté  au  ha- 
meau de   Châtres  ,   où  NapoIéoM 
passa  la  nuit  du  23  au  20  dans  ti 
boutique  d'un  charron.  Ce  fut  la 
que  le  20  au  matin  se  présente  le 
prince  Wentzei  de  Lichtenstein,  ai- 
de-de-camp du  prince  de  Schwar- 
zenberg  ,   porteur  d'une    répon- 
se de  l'empereur  d'Autriche,  à  la 
lettre  du  ly,  de  l'empereur  Napo- 
léon.   Une    conversation    secrète 
prolongea   l'audience  que  Napo- 
léon accorda  au  prince.  On  assura 
dans  le  temps  que  la  réponse  de 
l'empereur  d'Autriche  était  dans 
les  termes  les  plus  pacifiques  et 
les  plus  flatteurs  pour  la  gloire  de 
Napoléon,  et  qu'iuterrogé  par  ce 
souverain  sur  l'influence  que  troi.* 
princes  de  la  maison  de  Bourbon, 
arrivés  sur  le  sol  fiançais  ,  sem- 
blaient avoir  prise  sur  'es  inten- 
tions des  souverains  alliés,  le  prin- 
ce de  Lichtensteiq  ay^it  répondu  : 


'j(11 


^AP 


«  Que  l'Autriche  ne  se  piele- 
»rait  à  lien  de  semijlable...  Qu'on 
«n'en  voulait  ni  à  l'existence  de 
«Napoléon  ,  ni  à  sa  dynastie,  et 
«que  sa  mission   était  la  preuve 
«sans  réplit|ue   qu'on  ne  voulait 
»  faire  q\ie  la  paix.  »  Après  cet  en- 
tretien, dont  une  partie  a  transpi- 
ré dans  des  ujémoires  récens,  Na- 
poléon dit  au  prince  qu'il   serait 
le  soir  même  à  Troyes,   d'où  il 
enverrait  aux  avant-postes  enne- 
mis uu  général  pour  y  traiter  d'un 
armistice.  Mais  ,  immédiatement 
après  le  départ  de  l'aide-de-camp 
du   généralissime   autrichien  ,   le 
baron  de  Saint-Aignan,  beau-frère 
du  duc  de  Vicence,  revenait  d'une 
mission  qu'il  venait  de  remplir  à 
Paris,  et  était  admis  chez  l'empe- 
reur ,    qu'il    trouva   entièrement 
rassuré  sur  la  position  des  allaires. 
Deux  ministres,  que  n'avaient  é- 
hlouis  aucuns  des  succès,  bien  quiî 
miraculeux,  qui  venaient  d'illus- 
trer le  mois  de  février  ,  avaient 
lait  protnettre  à  51.  de  Saint-Ai- 
gnan ,   à  son  départ  ,  de  faire  à 
l'empereur  le  tableau  véritable  de 
l'opinion,  celui  de  la  situation  de 
la  capitale,  et  des  dangers  qui  le 
menaçaient     Les  paroles  dont   il 
s'était  chargé  élaient  sévères  ,  il 
les  porta  à  ISapoléon  avec  autant 
de  courage  que  de  fidélité  ,  et  le 
pressa  vivement  de  répondre  aux 
vrcux  unanimes  que  l'on  formait 
à  Paris  pour  la  paix  ,   et  quelles 
que  fussent  les  concessions  aux- 
quelles il  fallût  descendre.  Napo- 
léon ,  tout  rempli  des  dernières 
paroles  du  prince  de  Lichleusiein, 
repoussa  avec  violence  les  repré- 
sentations du  baron  de  Saint-Ai- 
gnan. Mais  la  loyauté  de  ce  pléni- 
polenliuire  de  l'opinion  publique 


NAP 

n'en  fut  point  ébranlée.  «  Sire, 
»  dit-il  en  terminant,  la  paix  .<«ra 
«assez  bonne,  si  elle  est  assez 
»  prompte.  »  —  «  Elle  arrivera  as- 
))sez  tfit,  répliqua  vivement  Napo- 
»léon,  si  elle  est  honteuse.  »  — 
Ces  dernières  paroles  se  répan- 
dent ,  et  l'année  reprend  aussi 
tristement  la  roule  de  Troyes 
qu'elle  avait  repris  de  celte  ville, 
le  5  du  même  mois  ,  la  route  de 
la  capitale.  Alors  elle  disait  :  Où 
nous  arrêterons-nous  ? 

Le  ?,5,  dans  l'après-midi,  on  est 
devant  Troyes;  les  portes  en  sont 
fermées  et  barricadées.  L'ennemi 
paraît  vouloir  la  défendre  ou  plu- 
tôt la  détruire  avant  de  l'évacuer. 
Le  combat  s'est  engagé  ;  mais  à 
la  nuit  l'ennemi  fit  denuuider  une 
trêve  pour  évacuer  et  re(netlre  les 
portes  à  la  pointe  du  jour.   Napo- 
léon préfère  le  salut  de  la  ville  à 
un  nouveau  succès;  c'était  ce  que 
le    baron    de  Saint  Aignan    lui  a- 
vait   demandé    pour    la    Fiance  ; 
l'empereiu-  rentre  à  Troyes  le  2^|. 
Fatigués  de  dix-huit  jours  de  do- 
mination étrangère,  les   habitans 
font    éclater  des   accusations    de 
trahison   et   de   connivence   avec 
l'ancienne  dynastie.  Deux  indivi- 
dus sont  nommés  pour  avoir  por- 
té publiquement  la  croix  de  Saint- 
Louis  et  la  cocarde  blanche,  pen- 
dant le  séjour  des  alliés.  Instruit 
depuis  quelques  jours   de  l'arri- 
vée du  duc  de  IJerryà  Jersey,  de 
celle  du  duc<rAngou[ème  à  Saint- 
Jean  de  Luz,  avec  l'armée  anglni- 
se ,  et  de  celle  du  comte  d'Arlois 
en    Franche  -  Comté  ,     Napoléon 
fulmine,  le  24,  un  décret  qui  pro- 
nonce la  peine  des  traîtres  contre 
tous    ceux  qui   auront  porté    les 
insignes  de  l'ancienne  monarchie. 


NAP 

Vn  ancien  émigré,  l'un  de  ceux 
qui  ont  été  dénoncés  par  les  habi- 
tans,  paye  de  sa  tête  cet  empres- 
sement prématuré;  l'autre  est 
condamné  par  contumace.  L'em- 
pire n'a  plus  qu'un  mois  à  vivre  ; 
il  n'y  a  plus  pour  Napoléon  ni  pe- 
tit danger,  ni  petit  ennemi.  Le 
désespoir  conduit  le  char  de  la 
guerre;  malheur  à  l'imprudent 
qui  se  trouve  sur  son  passage! 
quelques  cocardes  blanches  affec- 
tent Napoléon,  et  doivent  l'alTec- 
ter  plus  vivement  que  les  arrêts 
de  Châtillon.  Il  sent,  en  grand 
politique,  que  l'intervention  des 
Bourbons,  que  les  alliés  n'appel- 
lent qu'un  moyen,  un  accessoire, 
peut  devenir  un  but  pour  la  Fran- 
ce, et  est  ini  péril  pour  sa  dynas- 
tie ;  il  sait  de  plus  que  les  procla- 
mations d'Hartwell  circulentdaiis 
Paris,  et  que  des  lettres  émanées 
de  Louis  XVIIt  «ont  mystérieu- 
sement arrivée»  aux  principaux 
personnages  de  l'empire. 

Cependant  à  Troyes  ,  l'empe- 
reur Alexiiidre  avait  déclaré  à 
M.  de  Vilrolles,  envoyé  de  Paris, 
<juc  les  alliés  n'épousaient  pas  la 
cause  de  la  maison  de  Bourbon, 
qu'il  venait  plaider;  les  sou  venins 
répondaient  la  même  chose  aux 
ouvertures  de  quelques  habilans. 
A  Châtillon  on  affirmait  au  pléni- 
potentiaire français,  que  monsei- 
gneur le  comte  d'Artois  était  ar- 
rivé à  Vesoul,  sans  en  prévenir 
les  puissances,  sans  leur  assenti- 
ment, et  qu'il  allait  repartir. 

Dans  l'espoir  de  tirer  un  grand 
parti  de  sa  nouvelle  situation,  Na- 
poléon s'occupe  de  la  suspensiotj 
d'armes.  Les  alliés  se  sont  retirés 
sur  Bar-sur-Aube,  d'où  le  prince 
do  Sch^rai-zenberg    fait  proposer 


NAP 


4G5 


le  village  de  Lusigny  pour  traiter 
de  l'armistice.  Le  général  Flahaut, 
aide-decamp  de  Napoléon ,  est 
nommé  commissaire  pour  la  Fran- 
ce ;  le  général  SchwaîoiT  pour  la 
iVussie;  le  général  Ranch  pour  la 
Prusse;  et  le  général  Duca  pour 
l'Autriche. — Pour  les  alliés  l'ar- 
mistice n'est  qu'une  simple  sus- 
pension d'armes,  mais  pour  Na- 
poléon Lusigny  est  plus  que  Châ- 
tillon. Il  veut,  comme  à  PlessAvitz, 
éluder  le  congrès  et  négocier;  et 
de  plus  il  ne  veut  rien  perdre  mi- 
litairement des  avantages  que  lui 
donnent  ses  succès  et  la  retraite 
des  alliés.  Il  continue  donc  de  les 
pousser  vivement  sur  Langres  , 
sur  Dijon;  il  occupait  même  Lu- 
signy à  force  ouverte,  au  moment 
où  arrivaient  les  commissaires. 
La  grande  dilïïculté  toutefois  était 
la  ligne  d'armistice.  Suivant  l'u- 
sage de  Napoléon,  la  diplomatie 
rentra  dans  une  simj)le  convention 
militaire.  Ce  n'était  pas  seulement 
alors  pour  gagner  du  temps  com- 
me à  Plesswitz,  c'était  aussi  pour 
obtenir  d'autres  bases  pour  un 
traité  définitif,  et  faire  une  honnir 
paix  an  milieu  et  sous  l'empire  de 
ses  victoires.  Ce  secret  fut  bientôt 
révélé  par  les  propositions  du  gé- 
néral Flahaut,  qui  demandait  que 
la  ligne  d'armistice  s'étendît  de- 
puis .\nvers  jusqu'à  Lyon.  C'était 
réclamer  les  armes  à  la  main  la 
Belgique  et  Anvers,  oublier  tout 
à  la  fois  Paris  et  Châtillon  ,  la 
mission  du  baron  de  Saint -Ai- 
gnan,  et  les  dépêches  si  éminem- 
ment patriotiques  du  duc  de  Vi- 
cence. 

Napoléon  était  livré  tout  entier 
aux  espérances  qu'il  attachait  aux 
conférences  da  Lusigny.  lorsque. 


/,G4 


NAP 


dans  la  nuit  du  26  au  27,  il  ap- 
prend l'éiiignie  de  celle  attaque 
de  Méry,  où  les  ennemis  ont  dis- 
paru devant  ses  troupes  et  se  sont 
jetés   de  l'autre  côté  de   l'Aube. 
Cette  affaire  avait  été  engagée  par 
l'avant-gnrde  d'une  nouvelle  ar- 
mée   de    Blucher ,    recrutée    des 
corps  descendus  de  la  Belgique  et 
portée    à     100,000    combaltans. 
BliJcher  lui-même  était  au  pont 
de  Méry,  où  il  avait  été  blessé. 
Son  projet  était  pour  la  seconde 
fois   de    se   rallier  au   prince   de 
Schwarzenberg  ;  mais  le  mouve- 
inent  de   retraite,  imprimé  à  ce 
général  par  les  affaires  de  Nangis 
et  de  Montereau,  ne  permet  pas  à 
Blucher  d'exécuter  cette   grande 
conception  militaire;  il  l'avait  a- 
bandonnée  pour   un   projet  plus 
brillant   à-lu-1'ois    et    plus   auda- 
cieux, celui  d'arriver  seul  à  Paris 
par  les  deux  rives  de  la  Marne. 
Devant  lui,  le  maréchal  Marmont 
avait  dû  évacuer  Sézanne  le  24; 
le   maréchal    Mortier    se    relirait 
également  de  Soissons,  où  il  avait 
ui'e   garnison,    et  tous  deux    se 
trouvaient  reployés  sur  la  Ferlé- 
sous-Jouarre.  INapoléon  ,  loin  de 
se  laisser  abattre  un  seul  moment 
par  un  événement  si  inattendu,  se 
retrouve  au  contraire  dans  son  é- 
lément   naturel.  Il  a  à  mener  de 
Iront   plusieurs  diflicultés  ,  dont 
les  moindres  sont  à  ses  yeux  les 
deux  négociations.  La  plus  grave 
et  la  plus  importante  à  surmonter 
était  la  dilliculté  de  masquer  son 
départ  et  celui  de  son  armée, pour 
courir  après    Blucher ,    aûn    (}ue 
Schwarzenberg  ne  pût,  dans   sa 
retraite,  avoir  le  moindre  soupçon 
de  celle  troisième  expédition.  Les 
juacéchaux  Oifdinotel  Macdonaid 


]SAP 

sont  chargés  de  contenir  les  Autri- 
chiens. Le  premier  se  bat  déjà  à 
Bar-sur-Aube.  Le  second,  avec  le 
général  Gérard,  fait  faiie  sur  toute 
la  ligne  les  acchunations  qui  an- 
noncent la  présence  de  jN^apoléon, 
Celte  ruse  réussit  ,  et  à  midi 
l'empereur  est  déjà  arrivé  à  Arcis. 
Il  se  trouve  pour  la  première  fois 
dans  cette  étrange  position  ,  d'a- 
voir deux  opérations  militaires  et 
deux  négociations  à  soutenir  dans 
le  même  temps. 

Il  marche  vers  Sézanne,  où  il 
apprend  la  marche  sur  Meaux  des 
maréchaux  Mortier  et  Marmont, 
qui  ont  dû  quitter  la  Ferté-sous- 
Jouarre.    Il   faut   sauver  Meaux. 
C'est  un  faubourg  de  la  capitale. 
JNapoléon    quitte    Sézanne   et   va 
coucher  près  de  la  Ferlé-Gaucher. 
C'est  là  qu'il  est  informé  que  les' 
Autrichiens,  instruits  qu'ils  n'onl 
plus    devant    eux   qu'Oudinot   et 
Gérard  ,   ont   repris   vigoureuse- 
ment l'offensive  à  Bar-sur-Aube; 
que    Witsgenslein     et     Schwar- 
zenberg ,    blessés  dans  l'action  , 
ont  refoulé  surTroyes,  parla  mas- 
se  de   leurs  troupes  ,   les  faibles 
corps   français    qui    les  poursui- 
vaient; que  Macdonald,  qui  devait 
fournir    la    garde -d'honneur    au 
congrès  de  Châtillon,  a  dû  égale- 
ment suivre  le  mouvement  rétro- 
grade sur  la  ville  de  Troyes  ,  et 
enfin,  que  le  maréchal  Augereau, 
qui  a  reçu  à  Lyon  des  ordres  de 
coopération   avec  l'armée  ,  va  a- 
voir  à  combattre  ,  outre  l'armée 
de  Bubna,  le  corps  de  Bianclii  et 
de  Hesse-H()n)i)Ourg  ,  que  le  gé- 
néralissime Sclnvarzenberg,  em- 
barrassé du  nombre  de  ses  trou- 
pes, vient  d'envoyer  contre  lui. 
Mais  les  ides  de  mais  sont  arri- 


KAP 

vue?.  Napoléon  e>t  le  2  à  la  Ferlé- 
<ous-Jouarre.  Cependant  il  espi— 
re  encore  altcindre  Bliicher,  quoi- 
que les  ponls  soient  coupés  par 
cet  ennemi  infatigable,  qui  vient 
à  sa  vue  de  se  jeter  sur  la  rive 
droite  de  la  Marne,  et  de  se  diri- 
ger sur  Sûissons.  Il  s'agit  d'arri- 
ver à  Soissons  avant  Blûcher.  Les 
rapports  des  paysans  annoncent  que 
l'ennemi  dans  sa  retraite,  obligé 
de  prendre  des  routes  de  travers*;, 
ne  trouvera  que  des  chemins  im- 
praticables. L'empereur  ne  perd 
pas  un  moment.  Il  eipédie  à  Pa- 
ris, à  Châtillon,  à  5lcaux  :  les 
raaréchaux  Mortier  et  Marmont, 
qui  sont  dans  cette  dernière  ville, 
ont  l'ordre  de  reprendre  l'offensi- 
se.  Le  pont  de  la  Ferté  est  rétabli. 
Napoléon  a  passé  la  Marne  dans 
la  nuit  du  2  au  5  mars;  il  se  por- 
te rapidement  sur  Château-Thier- 
ry, et  par  la  route  de  Soissons,  il 
manœuvre  dé'^  sur  les  flancs  de 
l'ennemi.  Ainsi  le  chemin  de 
Rheims  est  coupé.  Tout  se  dirige 
sur  Soissons,  qui  est  la  clef  de  la 
barrière  de  la  Marne.  Les  maré- 
chaux Marmont  et  Mortier  y  m.ir- 
chent  par  deux  routes  différentes. 
Cette  ville  est  à  nous.  Le  maré- 
chal Mortier  y  a  laissé  une  bonne 
garnison  ,  et  les  fortiflcalions  ont 
i:té  réparées.  Cerné  de  toutes 
parts,  Blùcher  se  dirige  sur  Sois- 
sons :  il  n'a  plus  d'autre  ressource 
que  de  prendre  cette  place  de  vi- 
ve force  et  de  s'y  renfermer.  C'est 
ie  terme  de  ses  mouvemens ,  de 
ses  stratagèmes.  Il  arrive,  et  il 
voit  les  ponts  s'abaisser.  Bulow 
et  W'intzingerode,  arrivant  de  la 
Belgique,  avaient  menacé  celte 
ville  le  2,  et  avaient  décidé  le 
commandant  à  ouvrir  se?  portes! 


NAP 


465 


Le  4  «''u  matin,  Napoléon  apprend 
à  Fismes  la  perte  de  Soissons! 
Le  malheureux  général  comman- 
dant de  Soissons  s'était  lais-é 
tromper  par  l'ennemi  :  il  se  nom- 
mait Moreau.  «  Ah  !  dit  Napo- 
liléon,  ce  nom  m'a  toujours  été 
«fatal,  n 

L'Angleterre  venait  de  reparaî- 
tre ostensiblement  sur  la  scène 
militaire  et  politique.  A  la  fin  d;; 
février,  son  généralissime  Wel- 
lington, fortifié  de  la  puissaoct; 
morale  que  peut  lui  donner^lan» 
le  midi  la  présence  du  duc  d'An- 
goulême,  s'était  décidé  enfin,  a- 
près  des  tergiversations  dont  le 
généralissime  Srhwarzenberg don- 
ne également  l'exemple  dans  l'est, 
à  marcher'avec  ^0,000  hommes 
contre  les  3o,ooo  hommes  que 
commande  le  maréchal  Soult . 
depuis  deux  mois  retranchés  à 
Bayonne.  Le  maréchal ,  qui  ne 
celle  qu'au  nombre,  ne  s'était  pas 
laissé  entamer,  et  avait  pris  posi- 
tion à  Orthezie  26.  Le  lendemain, 
forcés  par  la  supériorité  numéri- 
que de  l'ennemi,  les  Français, 
après  lui  avoir  fait  éprouver  un»î 
perte  considérable,  avaient  eu 
bon  ordre  exécuté  leur  retraite 
sur  Toulouse,  et  le  2  mars,  à  Tar- 
bes.  le  maréchal  Soult  se  vengeait 
de  W  ellington  sur  le  général  por- 
tugais d'Aco-sta,  dont  il  détruit  l<: 
corps  d'armée.  Mais  la  levée  du 
camp  sous  Bayonne  laissait  Bor- 
deaux à  découvert.  Avertie  et  in- 
quiète des  dispositions  de  Napo- 
léon depuis  ses  succès,  cl  des  pré- 
tentions si  contraires  à  l'ultimatum 
de  Châtillon,  qu'il  a  manifeslécs 
à  son  beau-père  dans  sa  lettre  du 
17,  l'Angleterre  croit  «levoir  rat- 
tacher par   un  nouveau    lien   If  s 


4G3 


NAP 


inlérfîts    des  puissances,  peut-ê- 
tre mêine  plu»   parliculièiement 
ceux  de  l'Autriche.  En  conséquen- 
ce,  le»"    mars  a   lieu  le  fameux 
traité   de  la  quadruple    alliance, 
à  Chaumont.    Ce   traité   "garantit 
les  dernières  bases  de  Cliâtillon. 
Chacune  des  puissances  belligé- 
rantes s'engage  à  tenir  conslam- 
irient    en    campagne    active    une 
îirmée  de  i5o,ooo  hommes,  pour 
lesquels     la     Grande  -  Bretagne 
jîayera  un  subside  annuel  de  120 
milli(|)ns.  Unarlicledicté  parla  mé- 
fiance de  la  Russie  et  de  l'Angleter- 
re, et  qwi  était  réellement  tout  le 
traité,  stipulait  qa  aucune  négocia- 
tion séparée  n'  aurait  Ueuavec  l'enne- 
mi covxmun.  On  se  rappelait  sans 
doute  la  négociation  incidentelle 
de  Prague  entre  Napoléon  et  son 
beau-père,  et  peut-être  craignait- 
on  aussi  l' armistice  de  Lusigny , 
demandé  par  le  généralissime  au- 
trichien. 

Napoléon  apprend  i  Fismes  ce 
nouveau  pacte,  qui  esta  ses  yeux 
un  véritable  arrêt  de  mort  contre 
lui  et  la  Fi-ance.  Il  y  répond  par 
deux  décrets,  dont  l'uno  requiert 
ntout  Français  de  courir  aux  ar- 
»mes  à  l'approche  de  nos  armées, 
»et  de  faire  main  basse  sur  les  en- 
«nemis. — L'autre  ordonne  des  re- 
«présailles  sur  les  prisonniers 
wpourtoutcitoycn  qui  serait  tué,  et 
«prononce  le  supplice  des  traîtres 
«contre  tout  fonctionnaire  public 
«qui  refroidirait  l'élan  patriotique 
»  des  habitans  au  lieu  de  l'exciter.  » 
— Malheureusement  les  villes  qui 
ont  été  ou  qui  sont  au  pouvoir  de 
l'ennemi  envoient  dans  la  capitale 
des  députés  rendre  compte  des 
vexations  et  des  infortunes  qui  les 
aflligent.  Les  récits  de  ces  députés, 
au  lieu  d'irriter  4'esprit  des  Pari- 


>AP 

siens  ne  servent  qu'à  augmenter 
la  consternation  publique,  et  à  dé- 
populariser les  exploits  merveil- 
leux de  celui  qui  a  refusé  la  paix 
aux  délibérations  de  son  conseil, 
et  aux  instances  de  son  plénipo- 
tentiaire. 

Mais  il  n'y  a  plus  d'autre  des- 
tin que  la  guerre,  et  Napoléon 
est  tout  entier  à  cette  guerre  si 
nouvelle,  à  laquelle  son  génie 
est  devenu  inutile.  Il  a  effectué 
le  passage  de  la  Marne  ;  il  lui  res- 
te à  surprendre  le  passage  de  l'Ais- 
ne. Le  5,  il  est  à  Béry-au-Bac, 
qu'enlève  le  général  Nansouty.  La 
route  de  Rheims  à  Laon  est  à  Na- 
poléon. Le  lendemain,  il  est  en 
marche  sur  Laon,  et  trouve  une 
armée  russe  en  position  sur  les  hau- 
teurs de  Craonne.  Cette  attaque 
est  remise  au  jour  suivant.  Le  soir, 
des  nouvelles  expédiées  de  Stras- 
bourg rendent  compte  à  l'empe- 
reur du  mouvement  presque  géné- 
ral delà  population  des  Vosges  con- 
tre les  Autrichiens  en  retraite,  et 
du  concert  d'attaque  qui  semble 
lier  par  des  opérations  offensives 
les  garnisons  du  Rhin,,  celles  de 
la  Lorraine  et  celles  de  l'Alsace. 

Le  7,  il  faut  emporter  Craonne. 
Les  maréchaux  Ney  et  Victor  à  la 
tête  de  l'infanterie,  les  généraux 
Grouchy  et  Nansouty,  à  la  tête  de 
la  cavalerie,  sont  arrivés  sur  le  pla- 
teau avec  leur  impétuosité  ordi- 
naire. Les  trois  derniers  sont  bles- 
sés. Le  général  Belliard  prend  le 
commandement  de  toute  la  cava- 
lerie; il  est  soutenu  par  le  géweral 
Drouot,  qui  dirige  le  feu  des  batte- 
ries. L'ennemi  cède  enfin  après  a- 
voir  résisté  presque  toute  la  jour- 
née, et  ne  nous  laisse  aucun  pri- 
sonnier. Suivi  jusqu'à  l'embran- 
chemcnt   de    la  roule  de  Laon   à 


Suisson.î,  il  tient  encore  quelques 
heures  à  l'auberge  de  V  Juge-Gar- 
dien,  pour  donner  le  temps  aux 
Prussiens  d'évacuer  Snissons  et  de 
se  rallier.  Cette  journée  ne  fut  que 
sanglante.  Napoléon  lui-même,  à 
qui  les  images  de  la  mort  se  sont 
présentées  mille  fois  dans  cette  ba- 
taille meurtrière,  en  est,  dit-on,  fa- 
tigué. Il  s'arrête  à  Bray,  dans  la 
vallée  de  l'Aisne.   Il  y  reçoit  des 
nouvelles  de  Châtillon.   Les  pré- 
tentions de  Napoléon  aux  conféren- 
ces de  Lnsigny  ont  dû  effrayer  le 
congrès  :  elles  lui  avaient  aliéné 
jusqu'à  l'Autriche,  qui  avait  pu 
craindre  de  paraître  compromise 
par  leur  coinmimication;  et  en  ef- 
fet, les  propositions  de  Napoléon 
à  Lusigny  sont  qualifiées  à  Châtil- 
lon d'infraction  aux  bases  de  la  nc- 
f^ociation;  on  ne  veut  plus  admet- 
tre de  discussion  :  on  exige  que  le 
duc  de  Vicence  souscrive  à  la  con- 
dition des  anciennes  limites,  ou  re- 
mette un  contre-projet  :  sans  cela 
on  menace  de  se  séparer.  Le  dtic 
de  Vicence  écrivait  avec  sa  loyau- 
té et  sa  franchise  ordinaires  :  «  Sire, 
a  la  question  qui  va  se  décider  est 
«si  importante,  elle  peut,  dans  un 
»  instant,  avoir  tant  de  fatales  con- 
»  séquences,  que  je  regarde  encore 
o comme  un  devoir  de  revenir,  au 
»  risque  de  lui  déplaire,  sur  ce  que 
»j'ai  mandé  si  souvent  à  V.  M.... 
■)Je  vois  tous  les  dangers  qui  me- 
■  nacent  la  France  et   le  trône  de 
a  V.M.,  et  je  la  conjure  delespréve- 
onir.  Il  faut  tles  sacrifices  :  il  faut 
»  les  faire  à  temps...  Plus  je  consi- 
»dère  ce  qui  se  passe,  plus  je  suis 
"Convaincu  que  si  nous  ne  remet- 
'1  tons  pas  le  contre-projet  deman- 
.)  dé  ,  et  qu'il  ne  contienne  pas  des 
»  modifications  aux  bases  de  Fraue- 


NAP  4'j; 

«fort,  tout  est  fini.  J'ose  le  dire 
»  comme  je  le  pense,  sire,  ni  la  puis- 
«  sauce  de  la  France,  ni  la  gloire  do 
i>  V.  M.,  ne  tiennent  à  posséder  An- 
•  vers,  ou  tel  autre  point  des  non- 

wvelles  frontières Les  négocia- 

«tions  une  fois  rompues,  que  V. 
»  M.  ne  croie  pas  les  renouer. ..;  on 
»ne  veutqu'un  prétexte....  Je  snp- 
oplie  V.  M.  de  réfléchira  l'eftétquc 
«produira  en  France  la  rupture  des 
a  négociations,  et  d'en  peser  '.ouïes 
nies  conséquences;  elle  me  rendra 
»as«ez  de  justice  pour  penser  que 
»  pour  lui  écrire  comme  je  le  fais, 
»il  faut  porter  au  plus  haut  degré 
nia  conviction  que  ce  moment  va 
wdéciderdes  plus  chers  intérêts  de 
»  V.  M-  et  de  ceux  de  monpays.  »  Au 
lieu  du  contre-projet  si  impérieu- 
sement démandé.  M.  de  liumigny, 
attaché  au  cabinet,  et  qui  avait  fait 
plusieurs  vqjMges  de  Châtillon  au 
quartier-général,  après  plusieurs 
heures  d'attente,  quand  tout  délai 
est  mortel  pour  la  France,  reçoit 
celleréponse  verbale  de  Napoléoi^: 
o  S'il  faut  recevoir  les  étrivières, 
»ce  n'est  pas  à  moi  à  m'y  prêter, 
net  c'est  bien  le  moins  qu'on  me 
»  fa*se  violence.»  L'envoyé  du  duo 
de  Vicence  repart,  et  Napoléon  va 
rejoindre  la  tête  de  ses  colonnes. 
On  est  en  pleine    marche    sur 
Laon  ;  on  fait  occuper  Soissons,  et 
à  deux  lieues  de  Laon,  on  se  trou- 
ve arrêté  par  l'ennemi,  qui  se  dé- 
fend dans  un  défilé  formé  par  des 
marais.  Il  est  trop  tard  nour  for- 
cer ce  passage.  Napoléon  rétrogra- 
de jusqu'au  village  de  Chavignon: 
où  le  général  Flahaut  vient  l'infor- 
mer que  la  négociation  de  Lusi- 
gny a  été  rompue.   Un  fait  d'jr- 
nies,  à  la  fuis  heureux  et  hardi, 
entrepris,  dans  cette  nuit  du  8  au 


4G3 


NAP 


9,  par  le  colooel  Gourgaud,  pre- 
mier o(riciertl'ordonnanoe,lui  fait 
xsiirprendrc  les  grand's-gardes  des 
alliés,  et  permet  an  maréchal  Ney 
de  franchir  le  défdé.  L'armée  est 
xurivée  an  pied  des  hauteurs  de 
Laon.  Dans  la  journée  du  9  les 
corps  de  Warmont,  de  Ney,  de 
Mortier,  toute  l'armée,  la  garde, 
prennent  leurs  positions  d'attaque 
pour  le  10  à  la  pointe  du  jour, 
li'arméc  de  Blïicher,  encore  gros- 
sie de  l'avaut-gardo  de  l'ex-maré- 
chal  Bernadottc,  et  triple  de  celle 
de  Napoléon,  occupe  ia  position 
presque  inexpugnable  de  la  crête 
où  est  assise  la  ville  de  Laon,  qui 
est  le  centre  de  ses  opérations.  Le 
même  jour  en  Hollande,  un  corps 
de  5,000  Anglais,  ù  qui  les  habi- 
tans  ont  livré  la  porte  de  la  ville 
de  Berg  op-Zoom,  en  sont  chas- 
sés, avec  perte  de  4,000  des  assié- 
geans,  par  le  général  Bizannet,  à 
la  tête  de  2,5oo  Français.  Jamais 
la  bravoure  nationale  ne  s'est  si- 
gnalée avec  plus  d'énergie  que 
j)endaut  cette  dernière  époque  de 
l'empire;  elle  n'avait  pas  mieux  il- 
lustré les  commencemens  de  la  ré- 
publique. 

Le  10,  à  4  heures  du  matin^  Na- 
poléon ,  au  moment  de  monter  ù 
cheval,  iipprend  que  l'ennemi  a 
surpris  et  dispersé  la  nuit  le  corps 
du  maréchal  Marmont,  sans  doute 
en  représaille  de  l'attaque  faite  la 
nuit  précédente  par  le  colonel 
Gourgaud.  Si  l'audace  de  cet  of- 
ficier a  amené  l'armée  française 
sous  les  remparts  de  Laon,  la  fau- 
te du  maréchal  Marmont  est  tel- 
lement grave,  qu'elle  force  Napo- 
léon à  se  retirer  sur  Soissons,  et 
lui  fait  perdre  tout  le  fruit  de  la 
ujarche  pénible  et  habile  qui   l'a 


*         NAP 

amené  si  précipitamment  de  la 
ville  de  Troyes  sur  les  bords  de 
l'Aisne.  Le  maréchal  Mortier  a  or- 
dre de  défendre  Soissons  contre 
BliJcher.  Ce  fut  de  Soisson«,  le  1*2 
mars,  que  Napoléon  répondit  à 
vuie  lettre  qfu'il  venait  de  recevoir 
du  vice-roi,  el  relativement  à  cel- 
le qu'il  recevait  en  même  temps 
du  roi  de  Naples  :<■  Je  reçois  la  let- 
»tre  que  vous  m'écrivez,  avec  le 
«projet  du  traité  que  le  roi  vous  a 
«envoyé.  Vous  sentez  que  cette 
»  idée  est  une  folie.  Cependant  eii- 
»  voyez  un  agent  auprès  de  ce  trai- 
»tre  extraordinaire,  et  faites  un 
«traité  avec  lui  en  mon  nom..: 
«que  ce  traité  reste  secret  jusqu'à 
»oe  qu^on  ait  chassé  les  Autri- 
»  chiens  du  pays,  et  que  2^  heures 
B après  sa  signature,  le  roi  se  dé- 
»  ciareettombesurles  Autrichiens. 
«Vous  pouvez  tout  faire  dans  ce 
«sens;  rien  ne  doit  être  épargné 
)i  dans  la  situation  actuelle,  pour 
«ajouter  à  nos  etibrts,  les  efforts 
«des  Napolitains...  » 

Le  i3.  Napoléon  se  porte  stu' 
Rheims  ,  dont  une  armée  russe, 
auxordresdu  général  Saint  Priest, 
émigré  français,  vient  de  chasser 
le  général  Corbineau,  et  sa  petite 
garnison.  Le  soir  même,  et  dans 
lanuit,  l'ennemi,  forcé  dans  la  vil- 
le, après  une  lutte  opiniâtre,  est 
obligé  de  l'abandonner  à  Napo- 
léon. Le  général  Corbinean  n'a- 
vait pu  sortir  de  Rheims  quand  le 
général  Saint -Priest  y  entra;  il 
n'avait  eu  que  le  temps  de  se  jeter 
dans  une  maison  ouverte,  et  se 
trouva,  par  une  circonstance  sin- 
gulière, devoir  l'hospitalilé  au  ven- 
déen Brulart.  Une  scène,  qui  pou- 
vait rappeler  celle  du  maréchal 
Victor  après  Montcreau ,  eut  lieu 


NAP 

à  Piheims  le  lendemain.  Le  inaré- 
chal  Marmont  est  arrivé  assez  tôt 
pour  rendre  compte  des  désastres 
de  Laon.  Il  essuie  des  leproches 
foudroyans,  s'explique,  est  par- 
donné, et  reste  à  dîner  avec  celui 
qui  l'appelle  an  desesenfansl  Dans 
cette  journée.  Napoléon  reçoit 
C.ooo  hommes  de  renforts  ,  que 
lui  amène  le  général  hollandais 
Jansens,  commandant  dans  lesAr- 
dennes.  L'empereur  n'avait  pas  né- 
gligé de  Tinformer  de  sa  marche 
sur  l'Aisne.  Ce  brave  arrivait  à 
Kheims  par  la  route  de  Rethel  :  ce 
faible  renfort  est  un  corps  d'ar- 
mée pour  Napoléon,  qui  combat 
avec  55,000  hommes  le»  forces 
combinées  des  trois  grandes  puis- 
sances militaires  du  continent,  cel- 
les de  la  Suède  et  de  toute  l'Alle- 
magne. Le  maréchal  Ney  marche 
sur  Chillons  pendant  les  trois  jours 
de  repos  que  l'année  prend  à 
llheims.  Cependant  deux  événe- 
niens  trcs-importanspour  la  Fran- 
ce et  pour  l'Europe,  avaient  eu 
lieu  le.  12  et  le  iode  mars  :  l'un 
était  l'entrée  à  Bordeaux  du  duc 
d'Angoulême,  avec  l'avant -garde 
anglo-espagnole.  Ce  prince  enlè- 
ve Bordeaux  à  Napoléon.  L'autre 
est  la  rentrée  de  Ferdinand  VII  en 
Espagne,  après  la  captivité  de  Va- 
Irnçay.  Sans  les  obstacles  qu'une 
intrigue  funeste  a  mis  à  la  lil)erté 
de  ce  prince,  depuis  trois  mois 
5o,ooo  Français,  vieux  soldats, 
exilés  et  retenus  en  Espagne,  au- 
raient rejoint  l'armée  de  Napo- 
léon, et  l'ultimatum  outrageant  de 
Châtillon  ne  lui  eût  pas  été  im- 
posé. 

Nous  sommes  arrivés  au  16 
mars.  Napoléon  connaît  tous  ses 
dangers.    Bliichcr,    BcrnadoUe  , 


NAl» 


4!>J 


Scinvarzcnberg,  les  souverains  de 
la  Prusse,  de  la  Piussie,  de  l'Au- 
triche, ne  sont  plus  ses  premiers 
ennemis,  puisqu'il  peut  les  com- 
battre et  en  triompher  encore  :  ce 
sont  ceux  qu'il  ne  peut  atteindre, 
ceux  qui  troublaient  quelquefois 
sa  sécurité  au  milieu  de  ses  vic- 
toires, ce  sont  les  princes  de  la 
maison  de  Bourbon,  qui  l'assiègent 
à  Bordeaux,  à  Jersey,  à  Lons-!c- 
Saulnier;  c'est  Louis  XVIII  qui 
l'attaque  àParis  dans  ses  conseils; 
ces  nouveauxpérils  sont  si  grands 
à  ses  yeux,  qu'en  peut  croire  que 
ce  n'est  plu^  comme  empereur, 
mais  comme  général  français, qu'il 
continue  la  guerre.  Sa  réponse  ver- 
bale à  la  sentence  de  Chraiilon , 
prouve  assez  qu'il  dédaigne  pour 
lui  le  danger  qui  doit  en  résul- 
ter! Il  sent  qu'il  n'y  a  plus  de  né- 
gociation possible;  il  sait  aussi 
que  les  alliés,  qui  ne  lui  donnent 
que  trois  jours  pour  répondre, 
peuvent  faire  égarer  ses  courriers 
et  entraver  ses  communications 
avec  son  plénipotentiaire.  Aussi  le 
congrès  n'est  plus  une  question  : 
tout  est  pour  lui  dans  ce  qu'une 
singulière  prévoyance  lui  a  fait 
écrireauduc  deVicence,  le  igjan- 
vicr,  par  M.  de  la  Besnardière, 
chargé  du  portefeuille  des  affaires 
étrangères,  au  quartier- général. 
«  S.  M.  ne  voit  que  trois  par- 
»tis  :  ou  combattre  et  vaincre, 
»ou  combattre  et  mourir  glorieu- 
»  sèment,  ou  enfin,  si  la  nation 
»  ne  la  soutient  pas ,  abdiquer.  » 
Plus  haut  dans  la  même  lettre  on 
lit  :  «  La  chose  sur  laquelle  S.  M. 
»a  le  plus  insisté,  et  est  revenue 
"le  plus  souvent,  c'est  la  néces- 
»silè  que  la  France  conserve  ses 
);limites  naturelles....  Le  système 


)>de  ramener  la  France  à  ses  an- 
»)cienncs  l'ronlières  est  insépaïa- 
))ble  du  rétablissement  des  Bour- 
»bons....))  L'empereur  les  voyait 
toujours,  et  il  en  parlait  sans  ces«e, 
n)Cnje  dans  sa  correspondance. 
Aussi  sou  plénipotentiaire  à  Cbâ- 
tillon  lui  écrivait  le  5  mars  lîïia  : 
('  V.  M.  me  reproche  de  voir  piir- 
»lout  les  Bourbons,  dont  peul- 
«êlreà  tort  je  ne  pirlequ'à  peine. 
»Elle  oublie  que  c'est  elle  qui  en 
»a  parlé  la  première,  dans  les  let- 
»lres  qu'elle  a  écrites  ou  dictées. 
«Prévoir  comme  elle  l'intérêt 
»  que  pourrait  inspirer  dansce  pays 
»icur  haule  infortune,  si  la  pré- 
;)sence  d'un  prince  et  d'un  parti 
j)  réveillaient  les  vieux  souvenirs 
"dans  un  moment  de  crise,  ne 
oserait  pas  à  présent  si  dérai- 
.)  sonnable  ,  si  le»  choses  étaient 
«poussées  à  bout.  »  Ainsi  deux 
intérêts  seuls  occupent  et  doi- 
vent occuper  Napoléon,  les  Bour- 
bons et  la  guerre.  Les  uns  sont  ses 
seuls  ennemis  ,  et  l'autre  est  sa 
seule  espérance,  si  ses  ordres  sont 
exécutés. 

Mais  la  piùssante,  la  capitale 
diversion  sur  laquelle  il  a  le  droit 
de  compter  de  la  part  de  son  vieux 
compagnon  d'armes  le  marécthal 
Augereau  ,  celle  opération  si  sim- 
ple .dont le  succès  infaillible  chan- 
geait à  elle  seule  toute  la  foi  lune 
militaire,  et  détruisait  par  une 
marche  ra^nide  surVesoul  tous  les 
projets  de  la  grande -armée  des 
s  >uverains,vlen[  lui  manquertout- 
à-coup.  Augereau  n'a  pas  obéi! 
Il  s'est  porté  sur  Genève  contre 
le  général  Bubna  ,  et  s'est  lais- 
sé surprendre  par  les  deux  corps 
autrichiens,  que  Schwarzenberg 
»  détachés  contre  lui  de  Bar-sur- 


NAI» 

Aube,  après  le  départ  de  Napo- 
léon pour  Arcis.  Ainsi  le  grena- 
dier de  Castiglione,  celui  quedauà 
les  plus  beaux  jours  de  sa  gloire 
d'ilalie  Napoléon  nommait  à  côté 
de  l'enfaut  chéri  de  la  viotoire  (de 
Masséna),  celui  qu'il  a  élevé  à  la 
plus  haute  fortune, devient  aussi 
une  des  causes  de  sa  perte.  L'em- 
pereur a  besoin  de  toule  sa  force 
d'unie  pour  supporter  celle  acca- 
blante nouvelle.  La  p(!tite  armée 
de  Lyon,  de  20,000  hf>mmes,  n'est 
plus  pour  lui  cette  précieuse  ré- 
serve qui,  conduite  par  un  vieux 
capitaine,  doit  rallier  dans  bi 
Franche  -  Coirité  les  belliqueux 
Français  du  Jura  et  desVoges  ,  de 
la  Bourgogne,  de  la  Champagne, 
et  placer  sur  Napoléon  et  sur  Au- 
gereau les  destinées  de  l'empire. 
Augereau  n'a  pas  voulu  de  celle 
gloire.  Il  a  refusé  cette  associa- 
tion. Son  armée  el  lui  ne  comptent 
plus  dans  la  défense  nationale  î 
Alors  Napoléon  peut  se  repentir 
d'avoir  contremandé,  après  l'af- 
faire de  Nangis ,  la  marche  du 
vice-roi  sur  Lyon  !  Lyon  ne  sera 
,plus  à  lui  le  21....  D'un  autre  côté 
l'horizon  de  la  capitale  est  devenu 
plus  sombre.  Le  rejet  de  l'armis- 
tice a  décidé  l'Autriche.  A  la  nou- 
velle du  départ  de  Napoléon  , 
Schwarzenlnu-g  sonne  le  premier 
le  tocsin  de  l'irruption  sur  Paiis. 
Les  maréchaux  Oudinot  et  Mac- 
donald  ont  dû  évacuer  Troyes  le 
4  mars  devant  celle  révolte  de 
la  peur.  L'ennemi  est  à  Nogent  et 
n)arche  celte  fois  avec  assurance  : 
il  n'a  plus  devant  lui  Napoléon 
et  sa  troupe  sacrée.  A  Paris,  la 
crainte,  une  crainte  bien  légiti- 
me, a  gagné  tous  les  responsables 
de  raulorité.   Napoléon  ne  pcul 


NAP 

l'ignorer.  Il  a  su  par  l'impératrice 
que  le  prince  Joseph  l'a  priée  d'é- 
crire secrètement  à  l'empereur 
son  père.  On  est  au  16  mars.  Paris 
peut  être  pris  le  20.  Le  danger 
est  à  Compiègne  oùseraBIucher, 
il  estàiVogent  où  doit  êtreSchwar- 
zenberg.  Entre  ces  deux  périls  il 
tant  choisir  le  plus  pressant  pour 
le  combattre.  Napoléon  ne  veut 
pas  brûler  ses  vaisseaux  :  il  veut 
au  contraire  se  battre  à  outrance  , 
à  Paris  même  s'il  le  faut.  Sa  fem- 
me, son  fils  resteront-ils  dans  ses 
murs  les  otages  d'une  destinée  in- 
connue ?  ....  Joseph  reçoit  l'ordre 
de  les  envoyer  sur  la  Loire  avec 
IfS  ministres  au  7uoindre  danger. 
Napoléon  doit  être  bien  sûr  qtie 
cet  ordre  sera  exécuté  dans  toute 
sa  rigsieur.  Mais  au  moins  il  doit 
croire  que  Paris  tout  entier  ne 
songera  plus  alors  qu'à  se  défen- 
dre et  lui  donnera  le  temps  d'ar- 
river. 

Le  16  au  soir  tout  est  arrêté. 
Le  choix  est  fait  entre  Bliicher  et 
Schwarzenberg.  Le  i",  on  mar- 
che sur  l'Aube  par  Épernay.  Le 
18,  Napoléor»  est  à  Fère- Cham- 
penoise ,  où  M.  de  Rumigny  repa- 
raît le  soir  venant  deChâlillon.  Il 
vient  dire  que  le  ternie  des  négo- 
ciations expire,  et  que  sans  doute 
il  n'y  a  plus  de  congrès.  Napo- 
léon reçoit  celte  nouvelle  comme 
un  homme  qui  a  pris  d'avance  son 
parti ,  qui  n'a  plus  que  la  négo- 
ciation du  champ  de  bataille  et  qui 
la  préfère.  Le  ig ,  l'empereur 
se  retrouve  au  hameau  de  Châ- 
tres dans  la  maison  du  charron, 
où  il  a  si  bien  reçu  le  prince  de 
Lichlenstein  et  repoussé  si  dure- 
ment les  sages  avertissemens  que 
lui  apportait  le  baron  de  Çoiot- 


NAP 


47' 


Aignan.  Là  il  apprend  que  la  dé- 
route du  corps  de  Saint-Priest  à 
Piheims,  et  que  sa  propre  marche 
sur Épernay,ontchangé  en  retraite 
sur  Troyesle  mouvement  général 
des  souverains  alliés  sur  Paris. 
Lneterreur  panique  a  saisi  les  mas- 
ses qui  les  suivent.  S'il*  viennent 
à  Paris,  ce  sera  malgré  eux,  et  ils 
s'y  montreront  d'autant  plus  irrités 
contre  Napoléon  ,  qu'ils  auront  pu 
en  triompherplustôt.Les  corpsdes 
maréchauxOudinotetMacdonald, 
qui  avaient  dû  rétrograder  de  Pro- 
vins, sont  revenus  se  rallier  à  Na- 
poléon à  Plancy.  Ils  croyaient 
poursuivre  W'itsgenstein,  et  Napo- 
léon croyait  manœuvrer  sur  les 
flancs  de  l'ennemi  sur  un  corps 
isolé.  Le  20,  il  est  à  Arcis,  qu'il 
veut  traverser  pour  se  diriger  sur 
Bar-sur-Aube.  Mais  les  reconnais- 
sances envoyées  sur  la  route  de 
Troyes,  trouvent  l'ennemi.  Une 
affaire  s'engage  avec  l'avant-gar- 
de.  Napoléon  s'y  porte  avec  sei 
3o,ooo  hommes.  Une  armée  im- 
mense est  devant  lui.  C'est  toute 

celle  de  Schwarzenberg  ! Ce 

généralissime  fatigué  des  combats 
partiels  dans  lesquels  Napoléon 
multipliait  successivement  la  vic- 
toire contre  les  corps  de  la  grande- 
armée  alliée,  avait  résolu,  enfin, 
de  mettre  un  terme  à  tant  de  ba- 
tailles perdues,  et  aussitôt  que 
le  prince  royal  de  Suède  serait  en 
ligne,  de  faire  simultanément  un 
mouvement  général  d'irruption 
enropéenne  sur  la  capitale.  Mai* 
l'avis  de  l'etnpereur  Alexandre  a- 
vait  prévalu  de  ne  pas  attendre 
Bernadotte,  et  il  avait  été  décidé 
qu'on  se  mettrait  en  marche  sans 
autre  délai.  C'était  ce  mouvement 
inattendu  des  nia.sses  enoemies  ^ 


n:2 


TiAV 


que  Napolé*)n  trouvait  au  -  delà 
d'Arcis  devant  lui,  le  30  mars, jour 
amiiversairede  la  naissance  de  son 
iils ,  jour  qui  malheureusement 
sera  encore  une  fois  célèbre  dans 
ta  vie  ! .. .. 

Napoléon  n'a  jamais  su  reculer 
tant  qu'il  a  pu  comballre.  Cette 
journée  et  celle  d'après ,  il  ne  voit 
en  lui  que  le  premier  soldat  de  la  • 
France,  à  qui  sa  vie  exposée  en 
combat  ta  ut  pour  elle  appartient 
tout  entière.  Il  l'oftVc  mille  lois 
au  fer,  au  feu  de  l'ennemi,  qui  la 
refusent.  Souvent  il  est  obligé  de 
ï^e  servir  de  son  épée  pour  se  dé- 
gager des  masses  qui  l'entourent. 
Un  obus  tombe  à  ses  pieds,  il  y 
pousse  son  cheval  :  la  pièce  écla- 
te.... t!n  nuage  de  poudre  le  dé- 
robe tout- à-coup  à  ses  troupes. 
Mais  ni  lui  ni  son  cheval  ne  sont 
blessés,  et  i!  va  inutilement  en- 
core chercher  la  mort  au  milieu 
«le  ses  batteries.  Tant  que  ?Japo- 
léonale  fer  àlamain.Arcisest  inex- 
puguablç  pour  l'armée  dei5o,ooo 
hommes,  qui  l'entoure!  La  nuit 
Tient  et  ne  suspend  point  les  périls 
de  cette  terrible  journée.  Les  fau- 
bourgs sont  en  flamme.  L'incen- 
die et  le  feu  continuel  des  deux 
armées  éclairent  les  travaux  des 
asslégeans,  dont  les  masses  sem- 
blent se  renouveler.  Un  seul  pont 
reste  h  Napoléon  pour  se  sous- 
traire lui  et  son  armée  à  une  perte 
inévitable.  II  ordonne  d'en  jeter 
un  second  :  le  ai  au  matin  Arcis 
est  évacué.  Mais  le  combat  ne  se 
ralentit  point,  et  la  retraite  bril- 
lante de  Napoléon  devant  des  for- 
ces tant  de  fois  supérieures  aux 
siennes ,  est  un  grand  fait  d'armes 
de  plus  A  ajouter  à  son  histoire. 
L'ennemi,  qui  pourrait  détruire 


N\r 

rarmée  française ,  semble  la  res- 
pecter. Il  la  craint  encore,  tant  la 
retraite  de  Napoléon  est  mena- 
çante. Elle  s'opère  avec  le  plus 
bel  ordre  sur  Vitry-le- Français. 
Les  routes  de  la  capitale  sont  à 
l'ennemi. 

Napoléon  passe  à  Somepuis  la 
nuit  du  21  au  32.  Le  aS  son  quar- 
tier-général est  à  Saint-Diz.ier,  où 
le  rejoint  le  duc  de  Vicence.  Il  ap- 
prend de  son  plénipotentiaire  à  1 1 
heures  du  soir  la  j-uplure  du  con- 
grès ;  le  contre-projet  a  été  refusé. 
Il  s'en  afflige  aussi  peu  qu'il  s'en 
étonne.  Le  congrès  n'est  depuis  le 
commencement  pour  lui  et  depuis 
le  17  février  pour  les  alliés,  qu'une 
affaire  purement  militaire,  dont 
les  succès  et  les  revers  de  la  cam- 
pagne font  toute  la  négociation. 
Le  24  ,  Napoléon  porte  le  quartier 
impérial  à  Doulevent  en  avant  de 
Saint-Dizier.  Il  envoie  des  corps 
sur  les  routes  occupées  par  l'en- 
nemi, et  se  lient  en  embuscade 
pour  se  jeter  du  côté  où  il  appren- 
dra que  sont  les  alliés.  Le  lende- 
main la  cavalerie  du  général  Pire 
fait  un  mouvement  si  heureux  à 
Chaumont  et  sur  la  i-oute  de  Lan- 
gres  ,  que  •l'empereur  d'Autriche 
est  séparé  malgré  lui  de  l'empe- 
reur Alexandre ,  et  que  dans  la 
confusion  qui  résulte  de  ce  fla- 
grant-délit, François  II  se  réfugie 
à  Dijon  avec  un  officier.  Le  26 , 
une  forte  canonnade  rappelle  ino- 
pinément Napoléon  à  Saint-  Di- 
zier,  que  son  arrière- garde  atta- 
quée par  des  forces  majeures  est 
contrainte  d'évacuer.  Les  géné- 
raux Milhaud  etSébastiani,  accou- 
rus avec  leur  cavalerie,  repoussent 
l'ennemi  au  gué  de  Valcourt  sur 
la  Mariie.  Chassé  de  Saint-Dizier, 


NAP 

où   rentre   l'empereur ,   l'enneuii 
<e  disperse  dans  le  plus  grand  dé- 
sordre sur  les  routes  de  Vilry  et 
<Ie  Bar  -  sur  -  Ornain.  Napoléon, 
trompé  par  les   rapports    de   ses 
généraux,   qui    se  croient  suivis 
par  la  grande  armée  ennemie,  ne 
veut  pas  s'en  rapporter  à  ce  que 
lui  affirme  le  duc  de  Vicence  ,  qui 
.s'est  convaincu  sur  sa  route  du 
mouvement  des  alliés  sur  Paris. 
Ainsi  donc  ce   n'est   malheureu- 
sement   pas   Schvearzenberg  qui 
poursuit  Jsapoléon,  c'est  Wintzin- 
gerode ,    l'un   des   lieutenatis    de 
Blucher,  détaché  contre  l'armée 
française  pour  ifiasquer  le  mouve- 
ment général  de  la  grande-armée 
des  alliés  sur  Paris.  Ce  n'est  que  le 
lendemain  au  soir  près  de  Vilry, 
que  l'empereiirest  informé  decette 
manœuvre.  Il  apprend  encore  la 
réunion  nouvelle  de   l'armée  de 
Bliicher  à  celle    de    Schwarzen- 
berg,  qui  a  eu  lieu  le  aS  dans  les 
plaines  de  Châlons,  après  son  dé- 
part d'Arcis.   Le   même  jour  une 
proclamati^  dictée  par  les  émis- 
siiires  du  parti  anli- impérial   de 
Paris ,   annonçait   à  la  France  la 
rupture  des  négociations  et  la  mar- 
che sur  la  capitale  des  deux  ar- 
mées réunies.  Les  souverains  al- 
liés ,  avides   de  communications 
avec  Paris  ,  ont  eux-mêmes  choisi 
les  membres  de  ce  coniilé.  «  On 
y  avait  poussé   l'attention   jksqiCà 
n  pourvoir  à  notre  avenir,  »  dit  in- 
génuement  l'abbé  de  Pradt,  l'un 
(les  sociétaires  de  cette   nouvelle 
exploitation  :   «  Les  alliés,  dit  le 
M  général  >ViIson,  témoin  oculaire, 
»se  trouvaient  dans  un  cercle  Ti- 
ncieux  d'où  il  leur  était  impossi- 
»ble  de  se  tirer,  si  la  défection  no 
«fût  venue  û  leur  secours. ...   Le 


NAP 


4;> 


.)  mouvement  sur  Saint-Dizier,  qui 
«devait  assurer  l'empire  à  Napo- 
»Iéon,  lui  fit  perdre  la  couronne.  » 
Tout  était  devenu  fatal,   jus- 
qu'au talent  et  au  courage  persé- 
vérant des  chefs  de  l'armée.  Les 
maréchaux  Mortier  et  Marmont, 
dans  la  croyance  naturelle  où  ils 
étaient  que  Napoléon  se  reployait 
sur  eux   devant  Schwarzenberg, 
étaient   venus   au-devant    de    lui 
sur  la  roule  de  Fère-Champenoise, 
et  étaient  tombés  au  milieu  des 
alliés,  qui  avaient  intercepté  tous 
les   courriers  de   Napoléon  ;    ils 
avaient  éprouvé  une  grande  per- 
te à  cette  action,    que  l'ennemi 
nomma  pompeusement  la  bataille 
ou    plutôt    la    vh-.loire    de    Fère- 
Champenoise.    L'immense  cava- 
lerie des  alliés,  un  terrible  oura- 
gan qui    battit    le    front   de    nos 
troupes,    une  pluie  violente  qui 
leur    enleva   la    ressource  de    la 
mousqueterie ,  triomphèrent  en- 
fin d'une  résistance  de  plusieurs 
heures,  et  forcèrent  à  la  retraite 
les  maréchaux  Mortier  et    Mar- 
mont. —  Cette  affaire  eut  lieu  le 
25,  et  fut  également  funeste  au 
général  Pactod,  qui,  chargé  d'un 
convoi    de  vivres    considérable  , 
marchait  avec  sécurité  au-devant 
des  ordres  qu'il  attendait  du  ma- 
.  réchal    Mortier.    11    escortait    ce 
convoi  avec  deux  divisions,  celle 
du  général  Amey  et  la  sienne,  qu'il 
commandait  comme  le  plus  an- 
cien. Ces  deux  divisions  n'étaient 
ensemble  que  de  6000  hommes, 
dont  les   deux  tiers,  encore  en 
habits   de  paysans ,    étaient  des 
recrues  des  nouvelles  levées  des 
départemens  de  l'Ouest.  Ce  gé- 
néral se  trouva  lout-à-coup  as- 
sailli par  les  masses  de  l'arinco 


4:4 


NAP 


de  Schwarzenberg,  qui,  à  Fère- 
ChampciioisH  ,  surpris  dans  sa 
route  sur  Paris  par  une  colonne 
qui  débouchait  sur  sa  droite,  pré- 
cipita sur  elle  tout  ce  qu'il  avait 
de  combaltans.  Ici  l'histoire  don- 
ne un  nouveau  démenti  à  l'orgueil 
des  alliés  pour  cette  seconde  af- 
faire de  Fère-Champenoise.  Pen- 
dant plusieurs  heures,  attaqué, 
entouré  subitement ,  le  général 
Pactod  soutint  avec  ses  bataillons 
de  gardes  nationales,  qui  voyaient 
le  feu  pour  la  première  fois,  les 
charges  multipliées  des  premières 
troupes  de  la  grande-armée  des 
alliés.  Celles-ci  ne  suffisant  pas, 
on  lança  contre  ses  faibles  carrés, 
les  gardes  rub.«cs ,  prussiennes, 
Télite  des  combattans  étrangers, 
l'îlectrisés  par  une  harangue  courte 
et  vigoureuse  de  leiir  général,  les 
braves  paysans  de  la  Vendée  ju- 
rent de  mourir  plutôt  que  de  ca- 
pituler. La  mêlée  fut  affreuse.  Les 
hommes  de  toutes  les  nations  as- 
saillissent cette  troupe  de  braves, 
qui  ne  combattit  qu'à  la  baïon- 
nette ,  refusa  quartier  ,  remplit 
son  serment,  et  périt  presque 
tout  entière.  C'était  le  dévoue- 
n)ent  desïhermopiles,  mais  il  ne 
devait  pas  sauver  la  patrie.  Toute 
la  cavalerie  de  l'armée  coalisée 
fut  mise  en  mouvement,  non  pour 
vaincre,  mais  pour  détruire  6000 
paysans  ;  leurs  braves  généraux 
furent  pris  au  milieu  de  leurs  car- 
rés renversés  autour  d'eux  ;  l-i 
mort  les  respecta,  pour  que  leur 
salut  donnât  un  dernier  lustre  à 
nos  armes.  Les  souverains  qu'ils 
venaient  de  combattre  avec  des 
forces  si  inégales,  placèrent  jus- 
tement leur  gloire  à  honorer  hau- 
tement la  valeur  et  l'infortune  des 


TNAP 

généraux  Pactod,  Amey,  Jamin, 
Delort ,  Bouté  et  Thévenet.  Le 
combat  avait  été  tellement  achar- 
né,  que,  dans  la  confusion  de 
cette  lutte  extraordinaire,  beau- 
coup d'alliés,  Russes,/ Anglais, 
Prussiens  ,  Autrichiens  ,  Aile-, 
mands,  Suédois,  ne  pouvant  se 
reconnaître  à  cause  de  la  variété 
des  uniformes,  se  chargèrent  et  se 
blessèrententreeux.  Cette  circons- 
tance singulière  décida  le  prince 
généralissime  à  ordonner  à  toute 
l'armée  alliée,  de  porter,  comme 
les  Suédois,  une  écharpe  blan- 
che au  bras  gauche.  Cet  ordre  , 
que  la  brillante  vttleur  de  nos  gar- 
des nationales  fit  proclamer  dans 
toutes  les  armées  de  la  coalition , 
reçut  deux  jours  après  à  Paris 
une  toute  atjtre  interprétation,  à 
l'entrée  des  alliés.  Ce  bracelet 
blanc  fit  croire  à  la  population  que 
les  ennemis  arboraient  les  couleuis 
de  la  maison  de  Bourbon.  Tout 
est  étrange  ,  imprévu ,  dans  cette 
étonnante  période,  qui  va  finir 
avec  Napoléon.  De^févénemens 
■véritablepient  romanesques  dans 
tous  les  genres  y  continuent  le 
merveilleux  de  son  histoire;  le 
combat  du  général  Pactod  est  du 
nombre  de  ces  événemens.  Ainsi 
la  gloire  colore  les  derniers  mo- 
niens  de  l'empire  de  Napoléon, 
et,  par  unfî  singularité  qui  carac- 
térisa encore  la  merveilleuse  his- 
toire de  ce  grand  capitaine  ,  c'é- 
taient des  hommes  de  la  Vendée, 
qui,  la  veille  du  retour  des  Bour- 
bons, combattaient  et  mouraient 
pour  lui!  Toutefois  cette  gloire 
de  mourir  pour  la  patrie  était 
commune  à  tous  les  Français  dans 
nos  annales.  En  1792  elle  ne  fut 
que  resiusoitée  par  le  patriotisme 


iSAr 

de  nos  légions  républicaines  coiii- 
battaut  l'étranger,  et  vingt-deux 
ans  après  \z  même  sang  repro- 
duisait dans  les  enfans  rbéroïsnie 
de  leurs  pères. 

Après  différens  combats,  qui 
honorèrent  la  retraite  d'^s  maré- 
chaux sur  Paris,  à  Sézanne,  à 
Chailiy,  à  la  Ferté- Gaucher,  à 
Trilport,  à  Meaux,  a  Ville-Parisi>, 
ils  se  séparèrent  à  Nangis  :  le  ma- 
réchal Mortier  se  dirigea  par  Gui- 
gues,  et  le  maréchal  Marmontpar 
>l«lun.  Ils  se  rejoignirent  à  Brie- 
Comte-Robert,  et  arrivèrent  en- 
eemble  à  Charenton,  où  ils  dispo- 
sèrent leurs  troupes  pour  la  ba- 
taille du  lendemain.  Ce  lendemain 
est  le  3o  mars.  Cette  bataille^  est 
la  bataille  de  Paris. 

Sans  la  circonstance  qui  fit  inter- 
cepter les  ordres  de  Napoléon  aux 
maréchaux  Mortier  et  Marmoul, 
ils  se  reployaient  à  l'instant  sur 
Paris,  dont  ils  arrêtaient  tous  les 
conv'iis  et  tous  les  envois  d'hom- 
mes ;  ils  présentaient  alors  à  l'en- 
nemi.  devant  les  barricades  des 
faubourgs,  une  force  intacte ,  qui 
eût  enlevé  et  réuni  autour  d'elle 
toute  la  population  de  la  capitale. 
Le  prudent  Schwarrenberg  eût  re- 
culé nécessairement  devant  la  ba- 
taille d'extermination  que  lui  eût 
présentée  un  million  de  Français, 
combaliant  pour  ses  foyers,  de- 
vant ses  dieux  domestiques.  Aver- 
ti de  cette  grande  et  neuve  cir- 
conslancr,  Napoléon  fût  arrivé  à 
Tol  d'aigle  sur  les  flernères  de  la 
grande-armée  de  la  coalition,  et 
soutenu  par  l'insurrection  généra- 
le de-i  braves  habilans  des  Vosges, 
du  Jura,  de  l'Aube,  de  la  Côte- 
d'Or.  il  eût  peut-être,  en  justes  re- 
présailles de  l'ullimaïuin  de  Châ' 


"SsAV 


4:^ 


tiliou.  envoyé  aux  rois  confédérés 
l'ultimatum  de  Paris. 

Plongé  dans  ces  graves  ré- 
flexions ,  Napoléon  s'éloigne  dw 
Vitry,  et  revient  le  27  à  Saint-Bi- 
zier,  où  il  passe  la  nuit  à  travail- 
ler. Dans  ses  prospérités  il  avait 
toujours  dit,  l'état  c'est  moi  :  dan^ 
son  adversité  actuelle ,  pour  la 
première  fois,  il  dit  :  Paris,  c'es^t 
la  France.  Soudain  il  se  décide, 
ou  à  tout  perdre  ou  à  tout  sauver 
à  Paris.  Il  oublie  qu'il  a  pris  Vien- 
ne deux  fois,  Berlin,  Moskou, 
Madrid  ,  Lisbonne,  et  que  les  peu- 
plt  s  dont  ces  grandes  cités  sontlf;s 
capitales,  sont  debout  chez  lui  et 
contre  lui,  avec  leurs  souverains. 
Ainsi  la  Seine  va  couler  entre  son 
armée  et  celle  de  ses  ennemis  :  lit 
Seine  est  le  Piubicou  des  deux 
partis.  Napoléon  suivra  sa  lon- 
gue rive  gauche,  lundis  que  ses 
ennemis  plus  heureux  suivront 
la  droite.  Paris,  la  France,  sont 
le  prix  de  la  course.  Cepen- 
dant Napoléon  ne  marche  sur  Pa- 
ris que  parce  qu'il  croit  y  arriver 
à  temps,  pouréleclriser  lesesprils 
et  pour  tout  sauver ,  même  en  y 
entrant  seul  de  sa  personne;  car 
s'il  eût  été  certain  d'arriver  trop 
tard,  il  eût  repris  son  premier  pro- 
jet,  celui  de  rallier  les  garnisons 
de  ses  places  de  la  Lorraine  et  de 
l'Alsace,  et  de  tomber  sur  les  der- 
rières de  l'ennemi.  Cette  concep- 
tion était  grande  et  salutaire;  car 
elle  avait  p(Uirappui,indépenda;i:- 
ment  des  localités  défensives  du 
nord  et  de  l'est  de  la  France, 
l'irruption  dès  long- temps  péril- 
leuse pour  l'ennemi,  des  peuples 
les  plus  guerriers  de  la  terre  na- 
tale. 

Kapolcon  mon!ait  à  cheval  a 

m. 


Saint -Dizier,  pour  se  porter  snr 
Doulevenl,  quand  on  lui  amena  le 
baron  de  Wessenberg,  ambassa- 
deur extraordinaire  de  la  cour 
d'AtJtriche  à  celle  de  Londres, 
d'où  il  revenait  rejoindre  son  sou- 
verain ;  et  le  baron  de  Hiolde- 
brand,  lieutenant-général  suédois, 
envoyé  de  Liège  par  le  prince 
royal  de  Suède  a  l'empereur  A- 
lexandre,  pour  lui  annoneer  que 
le  prince  Chrétien  de  Norwège  ne 
Toulait  pas  évacuer  ce  pays,  et 
pour  demander  à  S.  M.  des  trou- 
pes russes,  afin  de  l'aidera  sou- 
mettre la  Norwège.  Cette  nouvel- 
le et  cette  demande  étaient  une 
singulière  diversion  dans  les  af- 
t'aires  de  l'empereur  Alexandre. 
Ces  personnages  avaient  été  arrê- 
tés par  des  paysans,  entre  Nancy 
et  Langres  ,  avec  d'autres  étran- 
gers, parmi  lesquels  était  le  baron 
de  Vitrolles,  déguisé  on  domesti- 
que. Napoléon  n'a  pas  oublié  qu'a- 
vant la  première  campagne  de 
Saxe,  et  de  concert  avec  lui,  l'em- 
pereur François  a  envoyé  M.  de 
SVessenbergpour  sonder  le  gouver- 
nement anglais  sur  les  bases  d'une 
paix  générale.  Il  lui  donne  ordre 
de  le  suivre  à  Doulevent.  L'occa- 
sion unique  sans  doute  de  tenter 
encore  une  démarche  auprès  de 
l'Autriche,  n'échappe  point  au  duc 
de  Vicence,  qui  finit  par  obtenir 
de  Napoléon  l'autorisation  d'écri- 
re à  M.  de  Melternich,  que  l'on 
est  disposé  à  tous  les  sacrifices. 
3L  de  Wessenberg  part  chargé  de 
cette  dépêche,  et  d'une  communi- 
cation verbale  de  Napoléon  pour 
son  souverain.  Mais  quand  même 
M.  de  Wessenberg  aurait  trouvé 
l'empereur  d'Autriche  au  quartier- 
général  des  alliés,  où  il  fut  dirigé, 


NAP 

sa  mi?:  ion  serait  restée  sans  effet. 
Le  princedeSchwarzenberg,  com- 
me nous  l'avons  dit,  avait  à  la  fin 
pris  son  parti ,  et  la  volonté  de 
l'empereur  Alexandre  était  d'en- 
trer de^  vive  force  et  sans  délai  à 
Paris. 

Napoléon  trouva  à  Doulevent 
un  avis  secret  de  l'honorable  com- 
te de  Lavallette,  directeur-géné- 
ral des  postes.  Cet  avis  portait  : 
//  n'y  a  pas  un  moment  à  perdre , 
si  on  veut  sauver  la  capitale.  Tout 
concourait  à  la  perte  de  Napoléon 
et  de  l'empire,  jusqu'à  la  fidélité. 
Cet  avis  si  important  était  daté  de 
dix  jours  :  alors  ce  conseil  de  M. 
de  Lavallette  était  celui  d'un  bon 
Français.  Dix  jours  plus  tard,  il  ne 
valait  plus  rien  ni  pour  Napoléon, 
ni  pour  Paris.  Napoléon,  à  qui  ce 
calcul  échappe  peut-être,  ne  voit 
dans  cet  avis  que  ce  qui  flatte  la 
pensée  qui  le  domine.  Il  part  à 
tire-d'aile  pour  la  capitale  ;  il  croit 
arriver  à  Montmartre  avant  l'en- 
nemi; il  le  croit  d'autant  plus  que 
la  route  de  Troyes  à  Paris  est  li- 
bre :  ses  courriers  le  lui  appren- 
nent. Tout  ce  qui  est  ennemi  a 
suivi  la  Marne.  Il  envoie  à  franc- 
étrier  son  aide-de-camp,  le  gé- 
néral Dejean,  annoncer  son  retour 
aux  Parisiens,  tant  il  compte,  et 
avec  raison,  sur  l'impression  puis- 
sante que  sa  présence  fera  dans  la 
capitale.  Dans  cette  journée  il  fait 
quinze  grandes  lieues ,  avec  sa 
garde  :  le  soir  il  est  à  Troyes  ;  de. 
cette  ville  il^expédie  aussi  pour 
Paris  ,  et  avec  la  même  mission 
que  le  général  Dejean,  le  général 
Girardin ,  premier  aide-de-camp 
xlu  prince  de  iNeuchâtel.  C'est  le 
ag;  le  3o,  de  grand  matin,  après 
quelques  heures  de  repos,  Napo- 


NAP 

léon  est  en  route.  A  quelques 
lieues  de  Troyes,  la  lenteur  d'une 
marche  militaire ,  bien  que  tou- 
jours si  rapide  avec  lui,  lui  de- 
vient insupportable  :  il  se  jette 
dans  une  cariole  de  poste.  C'est 
le  bateau  de  César  :  il  porte  aussi 
«a  fortune.  A  chaque  relais  l'empe- 
reur demande  où  est  l'impératri- 
ce, où  est  le  roi  de  Rome  ;  à  cha- 
que relais  il  apprend  que  sa  fem- 
me et  son  fils  ont  quitté  Paris  , 
qu'on  se  bat  aux  portes...;  il  vo- 
le...; ù  lo  heures  du  soir  il  est  à 
à  cinq  lieues  de  Paris...;  dans  une 
heure,  il  peut  être  à  la  tête  des 
défenseurs  de  la  capitale...;  il  est 
trop  tard  de  deux  heures...;  Paris 

VIENT  D:^^P)Tt<LER  ! 

NapoWBR  était  à  pied  sur  la  rou- 
te au  relais  de  Froraentcau,  quand 
il  apprend  cette  fatale  mnivellc  du 
général  Belliard.  que  Paris  vient 
de  voir  flgurer  parmi  ^es  plus  il- 
lustres défenseurs.  Los  maréchaux 
Mortier  et  Marmont,  surpris  à  Fè- 
re-Champenoise  par  la  grande-ar- 
mée alliée,  s'étaient  reployés  sur 
Paris  après  une  longue  résistance. 
Accablées  le  même  jour,  et  pres- 
«jue  sur  le  même  champ  de  batail- 
le, par  toute  l'élite  de  cette  mê- 
me armée,  les  braves  divisions 
Pactod  et  Amej  avaient  dû  suc- 
comber. Elles  avaient  mieux  aimé 
mourir  que  capituler.  La  retraite 
des  maréchaux  n'avait  point  été 
tranquille.  Ils  avaient  été  cons- 
tamment poursuivis  par  l'ennemi 
jusqu'à  Mcaux  et  à  La  Ferté-Gau- 
cher;  ils  avaient  été  assaillis  par 
les  corps  prussiens, débouchés  sou- 
dainement des  routi's  de  Rheims 
et  de  Soissons.  Enfin,  le  29  les 
alliés  s'étaient  réunis  devant  Pa- 
li-i    par    toutes    les    avenues    du 


^AP 


,'  »-« 


4: 


nord  et  de  l'est.  Cependant, 
ajoutait  le  général  Belliard,  dans 
cette  terrible  extrémité,  les  ma- 
réchaux purent  réunir  aux  glo- 
rieux débris  qu'ils  ramenaient, 
quelques  milliers  de  soldats  des 
dépôts,  10,000  braves  de  la  gar- 
de nationale  parisienne;  et  y  com- 
pris plusieurs  compagnies  d'artil- 
lerie, spontanément  formées  par  le 
dévouement  héroïque  des  élèves 
de  l'école  Polytechnique,  ces  ma- 
réchaux avaient  pu  déployer  une 
trentaine  de  mille  hommes,  avec 
lesquels  ils  avaient  engagé  le  com- 
bat le  jour  même  à  cinq  heures  du 
matin.  Les  premiers  pas  de  cette 
faible  armée  avaient  été  des  suc- 
cès. Les  villages  de  Pantin  et  de 
Romainville  avaient  été  pris  et  re- 
pris plusieurs  fois,  et  étaient  de- 
meurés à  nos  troupes. 

Ici  l'histoire  de  l'empire  fran- 
çais et  de  T^apoléon-le-Grand  est 
revenue  aux  temps  de  la  Fronde  et 
de  la  Ligue;  les  villages,  les  ha- 
meaux, qui  avoisinent  Paris,  pren- 
nent rang  dans  nos  tristes  annales, 
et  la  gloire  française  gémit  des 
beaux  faits  d'armes,  des  dernier? 
exploits,  qui  rendent  fameux  des 
noms  si  obscurs. 

L'ennemi  avait  laissé  environ 
1 2,000  hommes  sur  les  champs  de 
bataille.  La  perte  des  nôtres  était 
bien  moins  considérable  ;  mais  ils 
ne  se  battaient  que  pour  mourir, 
sous  les  yeux  de  sept  à  huit  cent 
mille  habitans,  qui  ne  savaient  ni 
soutenir  les  vivans,  ni  remplacer 
les  morts.  La  défense  matérielle 
de  la  capitale  n'avait  point  clé  or- 
ganisée par  le  prince  Joseph,  ni 
par  le  général  Clarkr,  ministre  de 
la  guerre,  malgré  les  moyens  suf- 
fisans  proposés  par  le  cotm'té.  Le 


/,j8 


ÎSAP 


prince  avait  cru  tlevoir,  contre 
j'iuiporlance  des  opinions  et  con- 
tre la  gravité  des  circonstances, 
en  référer  à  l'empereur  ;  et  le 
temps,  qui  seul  alors,  avec  le  cou- 
rage de  tous  et  l'exemple  du  géné- 
ralissime, eût  été  capable  de  sau- 
ver la  capitale,  avait  été  perdu  en 
vaines  correspondances.  Enfin,  à 
midi,  la  grande  ville  et  la  petite 
armée  avaient  été  enveloppées, 
par  l'inondation  étrangère,  à  Mont- 
martre, à  Charonnes,  à  Vincen- 
nes.  Alors  le  prince  Joseph,  dans 
la  crainte  de  se  trouver  pris  lui- 
même  ,  avait  ordonné  aux  maré- 
chaux de  capituler,  et  était  parti 
pour  la  Loire.  Le  général  Clarke, 
le  seul  sans  doute  des  ministres 
qui  dût  rester  à  Paris  jusqu'au 
dernier  moment,  dans  la  catas- 
trophe militaire  où  la  capitale 
se  trouvait  précipitée,  s'était  em- 
pressé de  suivre  le  prince  Jo- 
seph. Il  avait  laissé  dans  les  ma- 
gasins 20,000  bons  fusils,  qu'il 
avait  refusés  à  20,000  braves  qui 
les  avaient  demandés.  Il  avait  donc 
fallu  de  toute  nécessité  recourir  à 
un  armistice,  pour  prévenir  la  rui- 
ne d'une  vaste  cité  que  l'on  ne  vou- 
lait point  défendre.  Cependant 
tandis, que  le  maréchal  Marmont 
négociait  rarmistice,  l'ennemi  fai- 
sait des  progrès  par  le  simple  dé- 
veloppementTleses  masses.  Il  était 
à  Mont-Louis,  à  Belleville,  à  Mé- 
nihnontant,  sur  la  butte  Chau- 
uiont,  à  la  Villetle,  et  le  feld-ma- 
réchal  Bliïcher  menaçait. de  forcer 
la  barrière  Saint-Denis,  quand  les 
hostilités  furent  suspendues.  L'or- 
dre de  capituler  n'était  parvenu 
qu'à  cinq  heures  au  maréchal  Mor- 
tier, qui  avait  devant  lui  les  corps 
de  KJei,-t,  d"York.  de  "SVoronzovv 


NAP 

et  de  Langeron.  Le  maréchal  Mor- 
tier et  le  général  Belliard  igno- 
raient le  départ  du  prince  Joseph. 
Ils  envoyèrent  vainement  vers  lui, 
et  continuèrent  cependant  à  en  im- 
poser à  l'ennemi,  encore  indécis, 
malgré  sa  supériorité  nurtiérique^ 
à  aborder  Montmartre.  Dans  cette 
situation,  le  général  Dejean,  aide- 
de-camp  de  S.  M.,  expédié  par  el- 
le de  Dolancourt,  arrivait,  et  pre.*:- 
crivait  au  maréchal  de  donner  avis 
au  prince  de  Schvvarzenberg  des 
ouvertures  de  paix  laites  à  l'em- 
pereur d'Autriche.  Le  maréchal 
avait  obéi  ;  mais  le  prince  lui  avait 
répondu  par  la  déclaration  des  al- 
liés après  la  rupture  du  congrès 
de  Châtillon.  Dans  l'intervalle  de 
cette  communication,  Infciréchal, 
qui  n'avait  pu  être  informé  par 
son  collègue  de  l'ordre  de  capitu- 
ler, se  tenait  toujours  sur  la  plus 
vigoureuse  défensive,  et  renvoyait 
hautement  un  aide-de-canip  de 
l'empereur  Alexandre,  qui  le  som- 
ujait  de  se  rendre. 

«  Les  alliés,  lui  dit  le  maréchal, 
«pour  être  au  pied  de  Montmar- 
))tre,  ne  sont  point  dans  Paris. 
»  Mes  soldats  et  moi  nous  périrons 
»  plutôt  sous  ses  ruines  que  d'ac- 
ïcepter  une  honteuse  capitulation. 
»Au  reste,  quand  je  ne  pourrai 
«plus  défendre  Paris,  je  sais  où 
»et  comment  effectuer  ma  retrai- 
»  te,  devant  vous  et  malgré  vous.» 
Le  maréchal  Mortier  rappelait, 
et  était  toujours  pour  les  Russes 
le  héros  de  Diruîtein.  Cependant 
le  maréchal  Mannont  venait  de 
conclure  sa  suspension  d'armes , 
et  le  maréchal  Moi'tier  en  ayant 
reçu  l'avis,  et  peu  après  l'ordre 
du  prince  Joseph  ,  dont  l'envoyé 
s'était    sajis    doule   égaré,  s'était 


NAP' 

réuni  au  maréchal  Marmont  pour 
traiter,  et  pour  donner  à  la  con- 
vention le  caractère  de  dignité  et 
d'honneur  qui  convenait  à  la  gloi- 
re de  la  résistance  de  l'année  et 
au  rang  qu'ils  y  occupaient.  L'ar- 
mistice conclu  par  le  maréchal 
Marmont  donnait  pour  toute  ligne 
aux  maréchaux  l'enceinte  de  Paris. 
Ainsi  Montmartre  et  ses  hauteurs 
devaient  être  remises,  sans  coup 
férir,  aux  alliés,  et  le  corps  rus- 
se qui  était  deVant  3Iontmartre 
en  fut  informé.  Mais  le  général 
Langeron ,  émigré  français  qui  le 
commandait,  crut  devoir  s'en  em- 
parer de  vive  force,  et  malgré  la 
suspension  d'armes,  on  se  battit 
encore  depuis  Montmartre  jusqu'à 
Neuilly.  La  capitulation  avait  été 
discutée  vivement  à  la  Villette 
par  les  deux  maréchaux,  et  il  avait 
été  convenu  que  l'armée  se  retire- 
rait avec  son  matériel ,  et  aurait 
toute  la  nuit  pour  évacuer  Paris. 
Cette  convention  était  verbale. 
Le  maréchal  Marmont  s'était  char- 
gé de  la  rédiger  et  de  la  signer 
au  nom  de  son  collègue.  Les 
troupes  des  deux  maréchaux  é- 
taient  dirigées  sur  Fontainebleau 
par  les  barrières  du  Maine  et 
d'Orléans.  Celles  du  maréchal 
Mortier  avaient  évacué  Paris  les 
premières  ,  et  occupaient  militai- 
rement le  village  de  Villejuif ,  fai- 
sant face  à  Paris.  La  garde  nationa- 
le de  Paris ,  commandée  par  le 
maréchal  Moncej ,  avait  rivalisé 
de  bravoure  avec  la  ligne ,  et  a- 
vait  prouvé  par  son  intrépidité, 
par  sa  témérité  mêine ,  de  quel 
poids  elle  eût  été  pour  le  salut  de 
la  capitale ,  si  les  personnages 
ehargés  de  cette  grande  respon- 
sabilité   avaient    voulu    en    être 


>AP  4:îi 

dignes.  Tel  fut  sommairement  le 
récit  du  général  Belliard,  chef 
d'état-major  de  la  brave  armée 
du  maréchal  Mortier.  Les  servi- 
ces de  toute  nature  qu'il  avait 
rendus  dans  toute  cette  campagne, 
où  il  prit  constamment  le  com- 
mandement de  la  cavalerie,  et 
notamment  aux  brillantes  et  mal- 
heureuses affaires  qui  venaient  d'il- 
lustrer le  maréchal  Mortier  et  son 
corps  d'armée  sous  les  murs  de 
Paris,  rendaient  son  témoignage 
encore  plus  imposant  à  l'empe- 
reur  Napoléon. 

Le  maréchal  Berthier  et  le  dus 
deVicence  se  tenaient  à  l'écart,  de- 
puis que  l'empereur  s'entretenait 
avec  le  général  Belliard.  L'empe- 
reur les  appela.  «  Voici  ce  que  dit 
»  Belliard,  leur  dit-il.  Eh  bien  !  il 
«faut  aller  à  Paris  :  partons.  »  Et 
on  marcha  pour  joindre  les  voitu- 
res qui  étaient  devant  la  poste. 
Le  général  Belliard  représenta 
à  l'empereur  qu'il  n'y  avait  plu« 
de  troupes  à  Paris.  «  N'impnrte  , 
»  dit-il,  j'y  trouverai  la  garde  na- 
«tionale.  L'armée  m'y  rejoindra 
«demain  ou  après,  et  je  rétabli- 
oriii  les  afl'aires.  Suivez-moi  aveo 
1)  votre  cavalerie.  Mais,  sire,  ré- 
»pond  le  général  Belliard,  V.  M. 
B  s'expose  à  se  faire  prendre  et  à 
»  faire  saccager  Paris.  Il  y  a  autour 
;)  i3o,ooo  hommes.  Je  n'en  suis 
«sorti  que  par  (me  convention, 
«je  ne  puis  y  rentrer,  ni  moi,  ni 
«mes  troupes.  «Après  de  nouvel- 
les instances  de  l'empereur  pour 
marcher  en  avan^,  et  de  nouvelles 
représentations  pour  l'en  dissua- 
der, «  Je  vois  ,  dit  Napoléon  , 
«que  tout  le  monde  a  perdu 
»la  tête..  Joseph  est  un  c....,  et 
•  Clarke  uu  j...  f ou  un  trai- 


48o 


NAP 


»tre;  car  je  commence  à  croire 
»ce  que  m'en  a  dit  Savary.  «Ce- 
pendant on  approchait  de  la  poste 
dans  le  moment  où  la  colonne 
d'infanterie  dn  maréchal  Mortier 
paraissait,et  l'empereur  demandait 
impérieusement  au  duc  de  licen- 
ce de  faire  avancer  ses  voitures. 
Pressé  de  nouveau  par  le  maré- 
chal Berthier ,  le  duc  de  Vicence 
et  le  général  Belliard ,  Napoléon 
parut  renoncer  à  son  projet,  et 
retourna  sur  ses  pas  avec  le  prin- 
ce de  Neuchâtel  et  le  duc  de  Vi- 
cence.  11  continua  de  se  promener 
avec  eux,  en  causant,  pendant 
trois  quarts  d'heure.  Enfin,  il  se 
détermina  à  entrer  à  la  poste , 
et  donna  ordre  de  prendre  posi- 
tion. 

Il  n'y  avait  encore  de  posées  et 
verbalement  seulement  que  les 
bases  de  la  capitulation.  L'empe- 
reur resta  à  la  poste  plus  de  deux 
heures  la  tête  appuyée  sur  ses 
mains.  Tl  répétait  de  temps  en 
temps  quelques  exclamations  sur 
la  trahison,  ou  sur  la  bêtise  de  son 
frère,  de  Clarke,  etc.,  sans  pren- 
dre un  parti.  Le  maréchal  Ber- 
thier, voyant  que  le  temps  s'écou- 
lait, pressa  l'empereur  d'envoyer 
ù  Paris  le  duc  de  Vicence  pour  trai- 
ter. Le  duc  représenta  que  l'envoi 
du  prince  de  Neuchâtel  ,  lié  avec 
le  prince  de  Scliwarzenberg  ,  se- 
rait plus  utile,  et  que  sa  position 
personnelle  en  imposerait  davan- 
tage à  Paris.  A  5  heures  du  malin. 
Napoléon  se  décida  à  faire  partir 
le  duc  de  Vicence. 

Le  3i  mars,  à  jr  heures,  le  duc 
de  Vicence  arrive  à  Paris,  où  il  ne 
trouve  aucune  des  autorités  loca- 
les de  la  haule  administration.  Il 
se  rend  alors  àBondy,  au  quartier- 


TV  A  F 

général  de  l'empereur  Alexandre. 
Dans  sa  route  ,  il  rencontra  les 
deux  préfets  de  Paris  et  deux 
chefs  de  la  garde  nationale  ,  qui 
étaient,  depuis  la  veille  au  soir, 
au  quartier-général  des  alliés,  ils 
revenaient  de  porter  à  l'^ripereuv 
Alexandre  la  soumission  de  la  ca- 
pitale ,  et  de  réclamer  sa  haule 
bienveillance  en  faveur  des  habi- 
tans.  Ainsi,  la  mission  du  duc  de 
Vicence,  déjà  douteuse  par  la  ca- 
pitulation de  Paris  et  par  les  in- 
trigues de  la  nuit,  le  devenait  en- 
core plus  par  la  démarche  que 
venaient  de  faire  les  autorités  ci- 
viles, lesquelles,  par  le  départ  du 
gouvernement  et  par  celui  de  l'ar- 
mée ,  se  trouvèrent  lout-à-coup 
investies  d'une  sorte  de  souverai- 
neté snr  la  capitale.  La  ville  n'a- 
vait plus  d'autres  chefs  que  ses 
magistrats  ,  ni  d'autres  troupes 
que  ses  citoyens.  Les  deux  préfets 
s'adressèrent  en  conséquence  au 
maréchal  iMarmont.  pour  le  prier 
de  stipuler  les  intérC-ts  da  la  ville 
dans  sa  capitulation. Mais  les  com- 
missaires des  alliés,  alléguant  qu'i  h 
étaient  sans  instruction  à  cet  é- 
gard,  offrirent  seulement  à  la  dé- 
putation  de  Paris  de  lui  servir  de 
sauve-garde  jusqu'au  quartier-gé- 
néral des  souverains  alliés,  où  elle 
demanda  à  se  rendre.  Elle  y  était 
arrivée  entre  3  et  4  heures  du  ma- 
tin, avait  été  accueillie  avec  une 
bienveillance  extraordinaire  par 
l'empereur  Alexandre  ,  et  avait 
obtenu  de  ce  prince,  indépendam- 
ment de  la  continuation  du  ser- 
vice exclusif  de  la  garde  nationale, 
soit  aux  barrières,  soit  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville,  l'assurance  de  ht 
conservation  des  musées,  desmo- 
nuraens  ,  des   établissemens  pu- 


NAP 

l)lics,  et  de  toutes  les  institutions 
civile?.  Ce  fut  au  retour  de  la  dé- 
pulation  de  Paris  que  le  duc  de 
X  icence  la  rencontra.  ]'  voulut 
s'entretenir  avec  les  principaux 
magistrats,  mais  il  en  fut  violem- 
ment empêché  par  les  commissai- 
res étrangers  qui  reconduisaient 
la  députalion  aux  portes  de  la 
capitale.  Arrêté  lui-même,  il  fut 
obligé  d'attendre  l'autorisation  de 
l'empereur  Alexandre  pour  parve- 
nir jusqu'à  lui.  Il  vit  bientôt  arri- 
ver le  comte  Nesselrode,  qui  lui 
demanda  l'objet  de  sa  mission. 
Enfin,  après  avoir  obtenu  de  venir 
à  Bondy,  il  rendit  compte  à  l'em- 
pereur Alexandre  et  au  prince  gé- 
néralissime des  ordres  et  des  pou- 
voirs dont  il  était  porleur.  L'em- 
pereur Alexandre  remit  après  son 
eutrée  à  Paris  ,  qui  allait  avoir 
lieu,  la  réponse  qu'il  croirait  pou- 
voir lui  faire.  Le  duc  de  Vicence 
retourna  à  Paris,  et  iNapoléon  se 
décida  alors  à  aller  attendre  à 
Fontainebleau  le  résultat  de  cette 
négociation.  Il  part...  Il  a  encore 
5o,ooo  combatlans!! 

Ils  arrivent  de  la  Champagne 
par  Sens,  ils  sont  arrivés  de  Paris 
par  Essonne.  Ces  débris  de  4'hon- 
neur  militaire  de  la  France  se  re- 
connaissent et  se  groupent  autour 
du  vieux  soldat  pour  lecjuel  ils 
sont  toujours  prêts  à  combattre  et 
à  mourir.  Les  maréchaux  Moncey, 
Lefebvre,  Berthier,  Ney,  Macdo- 
nald,  Oudinot,  Mortier,  Marmont, 
rejoignent  successivement  le  der- 
nier quartier-  général  de  Napii- 
léon.  Cependant,  la  capitulation 
de  Paris  avait  été  signée  à  2  heu- 
res du  matin  par  les  colonels  Fab- 
vier  et  Denis  pour  le  maréchal 
Marmont,  par  le  colonel  Lapoiute 


ISAP 


481 


pour  le  maréchal  Mortier,  et  par 
les  colonels  Orlow  et  ie  Paer  au 
nom  des  alliés.  Les  intérêts  mili- 
taires avaient  été  ainsi  réglés  : 
«  Les  corps  des  maréchaux,  ducs 
»de  Tréviseetdt;  Raguse,  évacue- 
nront  la  ville  de  Paris  le  5i  mars 
Ȉ  7  heures  du  matin,  ils  emme- 
»  neront  avec  eux  l'attirail  de  leurs 
»  corps  d'armée  -  les  hostilités  ne 
«  pourront  commencer  qu'à  9  heu- 
»res  du  matin;  tous  les  arsenaux, 
«ateliers,  élablissemens  et  maga- 
»  sins  militaires,  seront  laissés  dan? 
1)  l'état  où  ils  se  trouvaient  avant 
»la  présente  capitulation.  Les 
«blessés  et  maraudeurs  ,  restés  à 
I)  Paris  après  9  heures,  seront  pri- 
Dsonniers  de  guerre.  »  Quant  aux 
intérêts-civils  ,  la  rédaction  sui- 
vante laissait  une  grande  lacune  à 
remplir  :  «  La  garde  nationale  ou 
«urbaine  est  totalement  séparée 
«des  troupes  de  ligne.  Elle  sera 
0 conservée,  désarmée  ou  licen- 
)iciée  selon  les  dispositions  des 
•  puissances  alliées.  Le  corps  de 
»la  gendarmerie  municipale  par- 
wtagera  entièrement  le  sort  de  la 
M  garde  nationale  :  la  ville  de  Paris 
nest  recommandée  à  la  générosité 
«des  hautes  puissances  alliées.  » 
Ce  fut  la  communication  de  ces 
dernières  dispositions,  dont  le  va- 
gue était  elTrayant  pour  les  dépo- 
sitaires civils  des  intérêts  de  la 
capitale,  qui  décida  les  deux  pré- 
fets, accompagnés  des  deux  chefs 
de  la  garde  nationale  et  d'une  dé- 
pulation  des  conseils  municipaux, 
à  se  rendre  à  Bondy,  et  à  solliciter 
de  l'eujpereur  Alexiuiilre  l'audien- 
ce dont  nous  avons  vu  !e  résidtat. 
C'était  en  propres  termes  présen- 
ter au  vainqueur  les  ciels  de  Paris 
uvec  des  mains  suppliantes.  Cette 
01 


.'|82 


>AP 


démarche  ,  toute  contraire  à  la 
mission  du  duc  de  Vicence,  irjais 
favorable  à  la  cause  des  alliés,  l'a- 
vertissait de  tout  ce  qu'il  devait 
craindre,  en  même  temps  qu'elle 
devait  intéresser  la  générosité  de 
l'empereur  Alexandre. 

Le  duc  de  Vicence  est  donc  à  Pa- 
ris le  seul  champion  officiel  de 
l'empereur  Napoléon.  Il  doit  faire 
tête  à  deux  ennen)is,  dont  l'un  est 
le  comité  anti-impérial  étranger, 
et  l'autre  plus  redoutable,  parce- 
qu'il  est  composé  de  transfuges, 
le  comité  anti-impérial  français. 
L'un  se  compose  du  généralissime 
prince  de  Schwarzenberg,  du 
comte  Nessclrode^  du  comte  Poz- 
zo  di  Borgo,  du  prince  de  Lich- 
tenstein;  l'autre  du  prince  de  Bé- 
névent,  du  duc  de  Dalberg,  de  l'ar- 
chevêque de  Malines  et  du  baron 
Louis.  Il  est  vrai  que  le  duc  de 
Vicence  a  pour  lui  sa  fidélité,  les 
ressources  de  son  caractère  per- 
sonnel, la  confiance  de  Napoléon, 
et  l'estime  d'Alexandre.  Ce  der- 
nier souverain,  dont  les  griefs  sont 
les  plus  récens,  et  qui  seul  a  une 
clientelle  française,  attire  seul  aus- 
si les  regards  des  partis.  Le  3i 
mars,  à  midi,  il  fait  son  entrée 
dans  Paris  avec  le  roi  de  Prusse 
et  le  généralissime  à  la  tête  des 
armées  de  la  coalition,  dont  il  est 
pour  la  capitale  le  seul  souverain. 
L'empereur  d'Autriche,  que  le 
mouvement  des  Français  sur  Lan- 
gres  avait  porté  à  Dijon,  se  trouva 
arrêté  dans  sa  route  sur  Paris  par 
la  marche  de  Napoléon  sur  Fontai- 
nebleau. Le  hasard  servit  heureu- 
sement ce  prince  en  le  forçant  de 
se  tenir  alors  éloigné  des  événe- 
mens  et  de  n'arriver  qu'après  ses 
alliés  dans  la  capitale  de  son  gta- 


NAP 

dre.  Celte  sorte  de  bonne  fortune, 
fut  partagée  aussi  par  le  ministre 
responsable  du  gouvernement  an- 
glais, par  le  représentant  du  roi 
de  la  Grande-Bretagne,  lord  Cas- 
telreagh.  Paris  cherchait  vaine- 
ment dans  le  cortège  du  triom- 
phe européen  l'auguste  père  de 
l'impératrice,  le  grand-père  du 
roi  de  Rome.  Le  parti  royaliste 
mit  à  profit  cette  absence  forcée 
dans  le  moment,  mais  prolon- 
gée ensuite  avec  intention.  Le 
silence  profond  de  la  capitale  au 
passage  des  troupes  étrangères  ne 
fut  interrompu  qu'au  boulevard 
Italien  par  des  cris  en  faveur 
de  la  maison  de  Bourbon.  Le 
bracelet  blanc  que  le  prince  de 
St;hwarzenberg  avait  ordonné  de 
prendre  à  toute  l'armée  coalisée  à 
la  journée  de  Fère-Champenoise, 
fut  regardé,  par  les  royalistes  et 
parla  population  étonnée,  comme 
un  signal  impérieux  de  ralliement 
aux  couleurs.de  l'ancienne  dynas- 
tie. Plusieurs  y-oyalistes  qui  avaient 
été  arrêtés  par  la  garde  nationale 
pour  avoir  arboré  la  cocarde  blan- 
che furent  alors  relâchés.  Quel- 
ques étages  des  maisons  du  bou- 
levard étaient  couverts  de  drape- 
ries blanches.  Des  cris  de  Vivent 
les  Bourbons,  et  vivent  nos  libéi^a- 
teurs,  partaieut  de  plusieurs  fenê- 
tres. Des  dames  de  la  plus  haute 
société  se  précipitèrent  devant  le 
café  Tortoni  au  milieu  de  la  fou- 
le,  agitant  leurs  mouchoirs,  dis- 
tribuant des  cocardes,  et  soute- 
nues de  quelques  hommes,  au  pé- 
ril de  leur  vie,  elles  se  jetèrent  au 
milieu  des  chevaux  dans  les  rangs 
ennemis,  pour  approcher  l'empe- 
reur Alexandre.  Elles  lui  deman- 
dèrent   le   rétablissement   de    la 


WAP 

famille  royale.  Ce  prince,  qu'a- 
vail  frappé  le  long  silence  de  la 
ville,  depuis  la  barrière  de  Bon- 
dy  jusqu'au  boulevard  Itidien , 
avait  froidement  continué  sa  rou- 
te jusqu'aux  Champs-Elysées,  où 
pendant  trois  heures,  il  fit  défiler 
l'armée.  Ensuite  il  s'était  rendu 
à  pied,  vers  5  heures,  chez  le 
prince  de  Bénévent,  où  il  avait 
désigné  son  quartier  -  général, 
quoique,  d'après  le  refus  formel 
qu'il  avait  fait  par  égard  pour  Na- 
poléon, de  n'habiter  ni  le  château 
des  Tuileries,  ni  le  palais  de  l'Ely- 
sée, où  il  ne  s'établit  qu'après  le 
traité  du  1 1  avril,  on  lui  eût  pro- 
posé plusieurs  grands  hôtels,  et 
entre  autres  celui  que  le  prince  de 
Bénévent  avait  cédé  à  l'empereur, 
rue  de  Varennes.  Sur  le  soir,  le 
comité  aiili -impérial  français  fut 
appelé  au  conseil  de  l'empereur 
Alexandre ,  et  l'archevêque  de 
Malines,  lorsque  son  tour  de  par- 
ler fut  venu.  J'éclatai,  dit-il ,  par 
la  déclaration  que  nous  étions  tous 
royalistes  et  que  la  France  l'était 

comme  nous «  Eh  bien,    dit 

«alors  l'empereur  Alexandre,  je 
«déclare  que  je  ne  traiterai  plus 
«avec  l'empereur  Napoléon.  »  Ces 
paroles  furent  à  l'instant  même 
mises  en  circulation  ;  elles  con- 
firmèrent la  déclaration  faite  par 
ies  alliés  après  le  congrès  de  Châ- 
tillon.  Lue  proclamation,  signée 
Alexandre  et  contre-signée  Nes- 
aelrode  ,  rendait  publique  celte 
dernière  déclaration.  Elle  portail 
en  substance  que  :  >«  Les  souverains 
ralliés  ne  traiteraient  plus  avec 
).  Napoléon  Bonaparte,  ni  avec  au- 
ncun  de  sa  famille  ;  qu'ils  respec- 
»  teiU  l'intégrité  de  l'ancienne  Fran- 


NAP 


4t>3 


»  ce,  telle  qu'elle  a  existé  sous  ses 
•  ruis  légitimes;  qu'ils  reconnaî- 
wtront  et  garantiront  la  constitu- 
ntion  que  la  nation  française  se 
bidonnera.  Enfin,  que  le  sénat  est 
«invité  à  désigner  un  gouverne- 
»  ment  provisoire  qui  puisse  pour- 
j,  voir  aux  besoins  de  l'administra- 
Dtion,  et  préoarer  la  constitution 
»qui  conviendra  au  peuple  fran- 
Bçais.»  Cette  proclamation,  subi- 
tement imprimée,  fut  colportée  et 
répandue  avec  ardeur  par  les  é- 
missaires  de  tous  les  ennemis  du 
gouvernement  impérial.  C'était 
un  coup  de  parti  de  publier  cette 
proclamation  qui  pouvait  donner 
l'espoir,  particulièrement  aux  par- 
tisans de  la  maison  de  Bourbon, 
qu'on  ne  reviendrait  plus  sur  cet- 
te improvisation  de  la  politique 
étrangère.  Le  duc  de  Vicence  , 
d'après  les  espérances  données  le 
matin  à  Boudy,  obtenait  l'audien- 
ce de  l'empereur  Alexandre,  et  il 
avait  encore  le  courage,  malgré  la 
déclaration  actuelle  de  ce  prince, 
de  [)laider  devant  lui  la  cause  de 
son  souverain  ,  qu'il  persistait  à 
ne  pas  reconnaître  comme  per- 
due. Mais  on  lui  avait  signifié 
qu'on  ne  le  tolérait  à  Paris  que 
comme  parlementaire.  On  lui  de- 
manda sa  parole  d'honneur  qu'il 
n'agirait  en  aucune  manière,  soit 
près  des  autorités,  soit  près  Aa 
individus.  La  bienveillance  de 
l'empereur  Alexandre  le  fit  rester 
à  Paris  en  dépit  de  la  contre- 
révolution  ,  qui  lui  fit  cependant 
imposer  ces  conditions  par  le  gé- 
néralissime prince  de  Schwarxen- 
berg. 

Ainsi  l'opinion  publique,  qui  n'a- 
vait pu  avoir  encore  le  temps  de  se 


484 


NAP 


prononcer,  avait  été  surprise  dans 
luie  oinbuscade.  Prisonnière  san? 
cartel,  elle  n'était  pas  admise  à  ca- 
pitulation. Cependant,  autant  au 
moins  par  nécessité  que  par  pu- 
deur, il  fallait  un  interprête  plus 
légal  à  cette  opinion ,  vaincue 
sans  combat,  et  le  sénat  avait  été 
invité  à  désigner  lui  gouvernement 
provisoire.  Les  preuves  du  sénat 
étaient  laites  depuis  long -temps. 
Convoqué  sous  la  présidence  du 
prince  de  liénévent,  vice-grand- 
electeur,  sa  minorité  la  plus  zé- 
lée, après  différens  conciliabu- 
les, s'empressa  de  s'assembler  au 
nombre  de  3o  membres,  dit-on, 
au  lieu  de  1 40  qui  le  composaient, 
et  de  la  délibération  convenue 
sortit  un  gouvernement  provisoi- 
re composé  de  '♦IM,  de  Talley- 
rand  ,  de  Jaucourl,  de  Beurnon- 
ville,  de  Daîbeig  et  de  l'abbé  de 
Montesquiou.  L'ex  -  C(;nslituant 
Dupont-de  Nemours  en  fut  nom- 
mé le  secrétaire.  Les  mémoires 
jjarticuliers  auront  seuls  le  droit 
de  dire  ce  qu'iuie  pareille  associa- 
tion préseniait  de  singulier  à  cette 
opinion  publique,  dont  la  repré- 
sentation souveraine  lui  était  con- 
liée  par  un  mandat  étranger.  M. 
Bellart  fut  pour  ia  capitale  au  con- 
seil-général du  département  de  la 
Seine  ,  ce  que  M.  de  Pradt  a  dit 
avoir  été  pour  ta  France  au  con- 
seil des  souverains.  Il  déclara  aussi 
dans  cette  assemblée  que  le  vœu 
»les  habitans  de  Paris  était  pour 
le  rappel  delà  maison  de  Bourbon. 
Tel  n'était  pas  encore  le  vœu  con- 
nu des  souverains  alliés. 

Le  5  avril  fut  publié  l'acte  du 
sénat,  qui  déclara  «  Napoléon 
«déchu  du  trône,;  le  droit  d  héré- 
odiié  aboli  dans   sa    famille;   le 


NAP 

«peuple  français  et  l'armée  dé- 
nués envers  lui  du  serment  de  fidé- 
«lité.  »  Ce  fut  en  récompense  de 
cette  déclaration  que  l'empereur 
Alexandre  prononça  la  remise  de 
tous  les  prisonniers  frajiçais  qui 
étaient  dans  ses  états.  «  Le  gou- 
ixvernement  provisoire  me  l'avait 
«déjà  demandée,  dit  ce  prince, 
))je  l'accorde  à  la  résolution  que 
»  vient  de  prendre  le  sénat.  »  D'au- 
tres membres  du  sénat  adhérèrent 
le  soir  même  et  les  jours  suivans 
à  l'acte  de  la  déchéance.  Le  len- 
demain 77  membres  du  corps-lé- 
gislatif et  5o  de  la  cour  de  cassa- 
tion suivirent  leur  exemple.  Dans 
les  temps  d'orage,  pour  une  foule 
de  gens,  le  patriotisme  c'est  la 
prudence,  et  le  devoir  c'est  la  sou- 
mission. Des  milliers  d'exemplai- 
res de  l'acte  de  déchéance  décré- 
tée par  le  sénat  furent  envoyés 
dans  les  départemens,  aux  corps 
d'armée  française  et  aux  corps 
étrangers.  Due  grande  quantité  de 
courtisans  civils  et  militaires  de 
Napoléon  s'empressa  d  adhérer  à 
la  déchéance  de  leur  maître.  Ils 
pouvaient  attendre  au  moins  son 
départ.  Ils  croyaient  et  aspiraient 
à  une  autre  obéissance.  Mais  si 
tous  furent  appelés  ,  peu  furent 
élus.  Le  repentir  vint  trop  tard  au 
secours  de  leur  mauvaise  cons- 
cience. Il  répugna  sans  doute  à  la 
morale  politique  de  cette  époque 
de  constituer  un  pays  uniquement 
sur  la  désertion.  Les  souverains 
alliés,  les  princes  de  la  maison  de 
Bourbon  ,  le  gouvernement  pro- 
visoire lui-même,  ne  pouvaient 
regarder  cette  apostasie  de  cir- 
constance, les  uns  comme  une 
garantie  suffisante  de  leur  triom- 
phe ,  les  autres  comme  un  gage 


NAP 

certain  d'une  fidélité  si  nouvelle, 
le  dernier  enfln  comme  une  sanc- 
tion de  ses  acte». 

Prévenu  ainsi  par  le  comité  de 
défection  qui  occupait  toutes  les 
avenues  des  souverains  alliés,  le 
duc  de  Viceuce  venait  de  se  voir 
enlever  la  cause  pt;rsonnelle  de 
Napoléon.  Mais  il  lui  restait  à 
soutenir  celle  de  la  réj^ence  et  de  la 
dynastie.  Toujours  fidèle,  et  d'au- 
tant moius  découragé  qu'il  com- 
battait seul,  il  avait  été  entendu, 
il  avait  même  été  écouté.  Il  était 
ainsi  parvenu  à  assurer  une  sorte 
de  protection  aux  derniers  inté- 
rêt? qu'il  s'était  chargé  de  défen- 
dre. Il  avait  en  un  mot  balancé  à 
lui  seul  pendant  douze  heures 
toute  la  coalition  anti-impériale, 
soit  française,  soit  étrangère.  II 
fit  plus,  il  regagna  tout  le  terrain 
qu'avait  conquis  la  défection ,  et 
remit  en  doute  la  question  de 
l'ancienne  dynastie,  que  le  prince 
de  Bénévent  et  tout  le  parti 
croyaient  avoir  décidée.  La  pré- 
sence de  l'armée  à  Essonne,  l'in- 
certitude et  l'agitation  des  esprits, 
l'opinion  qu'on  avait  remarquée 
en  France,  le  désir  de  terminer 
une  lutte  déjà  si  longue,  sans 
courir  les  chances  de  l'opposition 
intérieure  que  l'on  prévoyait , 
l'éloignement  que  l'on  croyait  à 
la  nation  pour  un  nouvel  ordre 
de  choses,  l'immense  intérêt  qu'a- 
vaient les  alliés  de  terminer,  sans 
se  compromettre,  dans  une  ba- 
taille où  ils  seraient  placés  entre 
Napoléon  et  la  capitale,  tous  ces 
motifs  que  le  duc  de  Vicence  avait 
fait  valoir  avec  force  près  de  l'em- 
pereur Alexandre,  du  roi  de  Prus- 
se et  du  généralissime  Schwarzen- 
berg,  avaient  balancé  la  satisfac- 


NAP 


485 


tion  qu'on  avait  éprouvée  dans 
les  premiers  momeus,  celle  de  se 
venger  de  Napoléon  par  le  rappel 
des  Bourbons.  Les  souverains  al- 
liés étaient  donc  plus  qu'ébran- 
lés. 

Mais  avant  de  se  prononcer  sur 
une  affaire  aussi  grave  et  aussi 
compliquée  dans  ses  chances , 
l'empereur  de  Russie  voulut  réu- 
nir encore  toutes  les  premières 
notabilités  de  Paris,  dans  U'-  senti- 
ment de  présider  un  grand  con- 
seil de  famille,  où  seraient  portés 
et  di.-icutés  les  intérêts  de  la  Fran- 
ce par  rapport  à  elle  et  par  rapport 
à  l'Europe.  Dans  celte  réunion, 
le  prince  fit  de  la  véritable  pnliti- 
que.  Il  dit  que  chacun  devait  met- 
tre de  côté  ses  intérêts  et  ses  pas- 
sions, comnie  lui  et  ses  alliés  dé- 
pouillaient toutespritde  vengean- 
ce.Il  n'avait  pour  but  (jue  le  bon- 
heur de  la  France,  parce  qu'il  y 
voyait  l'assurance  delà  tranquillité 
de  l'Europe.  «  Il  faut  donc  décider, 
»  dit-il,  quel  est  le  gowvernement 
»qui  convient  à  la  France,  pour 
«remplir  ces  deux  objets.  »  La  dis- 
cussion entamée  dans  l'esprit  de  mo- 
dération dont  l'empereur  Alexan- 
dre venait  de  donner  l'exemple, 
fut  suivie  en  toute  liberté,  et  la 
balance  des  opinions  étrangères 
était  pour  la  régence.  Le  lieute- 
nant-général Dessoles  ,  nommé 
par  le  gouvernement  provisoire 
au  commandement  de  la  garde 
nationale  parisienne,  dont  il  n'a- 
vait pas  encore  exercé  les  fonc- 
tions, faisait  partie  du  conseil. 
Effrayé  de  la  marche  que  pre- 
naient les  opinions  et  de  l'inûuen- 
ce  qu'ellesdevaientavoir  surl'em- 
pereur  ,  le  général  Dessoles  dé- 
tourna   habilement    l'impressiou 


486 


NAP 


que  ce  piii)ce  venait  de  recevoir 
en  appliquant  la  question  de  la 
France  à  sa  situation  personnelle. 
«  Il  avait,  dit-il,  combattu  vingt 
»ans,  non  les  Bourbons,  mais  l'é- 
"  tranger.  Quand  Napoléor»  se  mit 
»  à  la  tête  des  affaires,  la  France 
«était  non-seulement  délivrée, 
«mais  agrandie.  Mais  l'fsprit  de 
»conqu«"^tes  ,  auquel  s'abandonna 
«l'usurpateur  des  libertés  de  la 
"France,  mettant  chaque  jour  en 
»  péril  l'indépendance  delà  patrie, 
))il  avait  cru  devoir  se  retirer  et 
»ne  plus  continuer  de  servir  une 
«cause  qui  n'était  plus  celle  de 
"la  France,  mais  qui  était  deve- 
»nue  celle  d'un  seul  homme.  Les 
»  calamités  actuelles  ne  justifiè- 
urentque  tro[>  bien  sa  conduite 
«comme  citoyen.  Dans  l'abîine 
»où  Napoléon  venait  de  se  préci- 
«piter  lui  et  le  peuple  français, 
»il  ne  lui  restait  plus  qu'ini  asile, 
«celui  de  la  famille  royale.  Les 
))maux  de  la  révolution  et  ceux 
»de  l'empire  disparaîtraient  à-la- 
»  fois  sous  cette  égide  naturelle. 
T>  L'Europe  y  trouverait  sa  tran- 
>>quillité,  comme  la  France  son 
»  salut.  » 

L'émotion  du  général  Dessoles 
devint  plus  vive,  et  s'adressant  à 
l'empereur  Alexandre  :«Sire,  je 
»suis,  dit-il  avec  force,  sans  pas- 
Msions,  sans  intérêts,  sans  ambi- 
Dtion  aucune.  Je  n'ai  pris  part  à 
»la  restauration,  je  n'ai  accej^té 
»le  poste  que  j'occupe,  que  sur 
.)la  foi  de  V.  M.  L,  qui  a  daigné 
«plusieurs  fois  me  renouveler 
nlasèurance  que  la  déclaration 
wdu  3i  mars  auraitson  plein  effet. 
»  C'est  dans  cette  confiance  seule 
)>que  moi,  que  ma  famille,  que 
;)me«  qrais,  qu'une  foule  de  ci- 


NAP 

»toyens,  que  des  officiers-géné- 
«rauxse  sont  engagés  dans  la  cau- 
»se  de  la  restauration.  Si  V.  M.  L 
»a  d'autres  intentions,  je  la  supplie 
»  de  faire  donner  des  passeports  à 
«tous  ceux  qui  ,  comme  moi,  se 
»  sont  hautement  prononc'es  contre 
»le  gouverne;nent  de  Napoléon. 
«Pour  eux  et  pour  moi,  sire,  je 
»  vous  demande  un  asile,  où  nous 
«soyons  à  l'abri  des  vengeances 
»  de  Napoléon  et  des  maux  innom- 
abrables  qui  vont  retomber  sur  la 
»  France.  » 

L'empereur  Alexandre  fut  en- 
traîné par  les  paroles,  par  l'émo- 
tion du  général  Dessoles ,  et  la 
déclaration  du  3i  mars  reprit  tout 
son  empire.  Ainsi  fut  perdue  la 
cause  personnelle  de  Napoléon. 
L'empereur  remonta  dans  ses  ap- 
partemens,  reçut  le  duc  de  Vicen- 
ce,  et  lui  déclara  que  Napoléon 
devait  abdiquer.  Le  duc  de  Vicen- 
ce  repartit  de  suite  pour  Fontai- 
nebleau,et  rendit  compte  à  Napo- 
léon, pendant  la  nuit,  de  la  déci- 
sion fatale  dont  il  était  porteur. 
Napoléon  voulait  qu'il  retournât 
de  suite  à  Paiis  pour  conjurer  un 
nouvel  orage,  mais  le  duc  de 
Vicence  s'y  refusa,  si  S.  M.  ne 
voulait  pas  lui  adjoindre  deux 
plénipotentiaires,  qui,  par  leur 
influence  personnelle,  donneraient 
des  représentans  aux  intérêts  de 
la  France  et  à  ceux  de  l'armée,  et 
du  poids  aux  vœux  que  cette  ar- 
mée, encore  menaçante  pour  les 
aIliés,formait  hautement  pour  lui. 
Napoléon  y  consentit,  et  le  len- 
demain matin,  il  nomma  les  ma~ 
réchaux  Ney  et  iMarmont.  Cepen- 
dant au  moment  où  il  allait  faire 
expédier  les  pouvoirs  du  maré- 
chal Marmont,  qui  commandait 


les  troupes  entre  Essonne  et  Pa- 
ris, le  maréchal  Macdonald  arriva 
de  Saint-Dizier  avec  son  corps 
d'armée.  Entraîné  par  sa  desti- 
née,  l'empereur,  frappé  tout-à- 
ooupde  l'importance  du  comman- 
dement d'Essonne,  qui  était  le 
point  de  contact  entre  Paris  et 
l'armée,  dit  au  duc  de  Vicence  : 
«  C'est  là  que  s'adresseront  îou- 
»tes  les  intrigues,  toutes  les  tra- 
shisons  de  Pari>.  Il  faut  que  j'aie 
«à  ce  poste  un  homme  comme 
niVlarmont,  mon  enfant,  élevé 
»dans  ma  tente.  »  Et  il  nomma  à 
sa  place  le  maréchal  MacuionaUl. 
Il  fallut  s'occuper  de  l'acte  d'ab- 
dication. 11  y  eut  discussion  mi- 
nutieuse sur  sa  forme.  Napoléon 
faisait  toutes  les  difllcultés.  Enfin, 
après  bien  des  hésitations,  il  se 
décida  à  signer  la  déclaration  sui- 
vante : 

«  Les  puissances   alliées  ayan  t 
«proclamé  que  l'empereur  Napo- 
wléon  était  le  seul  obstacle  au  ré- 
«tablissemcnt  de  la  paix  en  Eu- 
HTope,   l'empereur  Napoléon,  û- 
»dèle  à  son  serment,  déclare  qu'il 
nest  prêt  à  descendre  du  trône,  à 
»  quitter  la  Fiance,  et  même  la  vie, 
«pour  le  bien  de  sa  patrie,  insé- 
nparable  des  droits  de  son  fils,  de 
I  ceux  de  la  régence  de  l'impéra- 
»trice  et  du  maintien  des  lois  de 
«l'empire.  Fait  en  notre  palais  de 
«Fontainebleau,  le  4  avril  i8i4-« 
INapolÉon. 
Cependant  une  toute  autre  pen- 
sée que   la  négociation  dominait 
Napoléon.  A    la    tête    de   4'^''>0'^ 
hommes,  il  avait  rejeté  l'ultima- 
tum de  Chraillon  ;  avec   5o,ooo, 
l'empereur  des  champs  de  batail- 
le voudrait-il  abdiquer  sa  pourpre 

T.  XIV. 


NAP  487 

toute  militaire?  Et  il  dit  au  duc  de 
Vicence  :«  Pendant  que  vous  nô- 
>•  gocierez  à  Paris,  je  leur  tombe- 
orai  dessus  avec  mes  braves.   Je 
«pars  demain,  « — En  eiïet,  dès  le 
1*^'  avril,  le  lendemain  de  son  ar- 
rivée à  Fontainebleau,  Napoléon 
n'avait  pas  perdu  un  seul  moment 
pour  la  réorganisation  de  l'armée, 
et  le  jour  suivant  avait  été    em- 
ployé à   la  discussion  d'un  nou- 
veau plan  de  campagne.  La  ques- 
tion était,  ou  de  manœuvrer  au- 
tour de  Paris,  ou  de  se  retirer  sur 
la  Loire,  et  le  premier  avis  pré- 
valut, quoique  dans  le  conseil  l'au- 
tre eût  obtenu  une  grande  majo- 
rité. Le   voisinage  de   Paris  était 
devenu    contastieux    pour   Napo- 
léon, et  il  comptait  trop  sur  sa 
population.  Le  5,  jour  du  retour 
de  M.  de  Vicei>ce,  porteur   de  la 
déclaration  i]ei  alliés,  jour  de  l'ac- 
te du   sénat  pour  la  déchéance  , 
Napoléon  avait  passé  la  revue  de 
sa  garde,  et  lui  avait  dit  :  «  Soldats, 
«l'ennemi    nous    a    dérobé    trois 
«marches,  et  s'est  rendu   maître 
«de  Paris.  Il  faut  l'en  chasser.  D'in- 
»  dignes    Français,    des    émigrés 
«auxquels  nous  avions  pardonné, 
sont  arboré  la  cocarde  blanche  et 
»se  sont  joints  à  nos  ennemis.  Les 
n  lâches  !   ils   recevront  le  prix  de 
«ce  nouvel    attentat.    Jurons    de 
»  vaincre  ou  de  mourir,  et  de  fai- 
«rc  respecter  celle  cocarde  trico- 
•  lore  qui  depuis  vingt  ans  nous 
a  trouve  dans  le  chemin  de  la  gloi- 
are  et  de  l'honneiir.  «Ce  serment 
avait  été    prononcé  par  la  garde 
avec  acclamations.  Toute  la  soirée 
les  suidais  dansèrent  des  farando- 
les^   et  criaient  vice  f empereur  \ 
alloua  à  Paris.  Les  têtes  s'étaient 


488 


NAP 


échauffées  au  point  que  les  dis- 
positions guejfières  des  soldats 
donnèrent  de  l'inquiétude  à  Na- 
poléon i'ui-n!cme,qui  fit  cesser  ce 
tumulte.  Mais  toujours  plein  de 
son  projet  de  marcher  sur  Paiis, 
il  avait  dési|^iié  son  quartier-gé- 
néral il  JJoulignon  ,  au  lieu  de 
Ponlhierry.  Cependant  dans  cette 
journée  même,  la  nouvelle  de  la 
déchéance  qui  venait  d'être  pro- 
noncée par  le  sénat,  celle  de  l'ab- 
dication demandée  par  les  alliés, 
tous  les  actes  de  Paris ,  tous  les 
journaux,  tous  les  pamphlets  ré- 
pandus dans  la  capitale,  étaient 
oflicieusemcnt  colportés  par  les 
émissaires  du  gouvernement  pro- 
visoire et  par  les  amis  des  hôtes 
du  palais  de  Fontainebleau.  C'é- 
tait par  Essonne,  que  toutes  ces 
nouvelles  avaient  pénétré  dans 
rintérieur  de  Nafioléon,  et  sous 
les  tentes  de  ta  fidèle  armée;  mais 
si  la  déchéance  était  an  moins 
disculée  dans  le  palais,  au  camp 
elleétait  hiutemcnt  rejetée,  et  les 
acclamations  menaçantes  de  la 
garde  avaient  suffisamment  prou- 
vé l'esprit  du  soldat.  Quant  aux 
chefs  de  l'armée,  il  s'en  trouvait 
qui  paraissaient  regarder  la  ques- 
tion de  l'abdication  comme  un 
asile,  au  moins  pour  la  patrie,  et 
ils  étaient  disposés  à  l'aborder  à 
la  première  occasion  avec  l'em- 
pereur. 

Le  4  avril,  porteurs  de  la  dé- 
claration que  Napoléon  venait  de 
si(j,ner,  les  trois  plénipotentiaires 
se  mettent  en  route  pour  Paris. 
Le  mouvement  avait  été  ordonné 
aux  troupes,  et  la  garde  impéria- 
le s'était  ébranlée  pour  occuper 
le  nouveau  quartier-'général  que 
Napoléon  avait  choisi.  Les  nou- 


NAP 

veaux  plénipotentiaires  arrivés  à 
Essonne,  descendent  chez  le  ma- 
réchal Marmont,  à  qui  ils  avaient 
ordre  de  confier  la  nature  de  leur 
mission.  Ils  devaient  y  attendre 
aussi,  pouraller  plus avaiit, l'auto- 
risation du  général  ennemi  qu'on 
avait  fait  prévenir  de  leur  arri- 
vée. Le  maréchal  les  retint  à  dî- 
ner; resté  avec  les  deux  maré- 
chaux, il  leur  confie  qu'il  est  en 
traité  avec  le  prince  de  Schivar- 
zenberg.  C'est  la  convention  qui 
est  connue  sous  le  nom  de  con- 
vention de  Chevilly.  Le  duc  de 
Vicence  reçoit  un  instant  après 
cette  confidence  du  maréchal 
Macdonald,  qui  partage  toute  son 
indignation.  La  conversation  de- 
venue alors  générale,  le  maréchal 
Marmont  est  ébranlé  de  la  puis- 
sance des  sentimens  qui  condjat- 
tenl  vivement  sa  conduite.  Il  leur 
répète  encore  q»ie  rien  n'est  signé 
par  lui,  et  qu'il  va  rompre  avec 
le  prince  Schwarzenberg.  Les  plé- 
nipolentiaires,  dans  la  persuasitui 
que  toute  celte  affaire  ne  repose 
que  sur  Marmont,  lui  proposent 
ou  d'aller  à  Fontainebleau  tout 
avouer  à  l'empereur,  ou  d'aller 
avec  eux  tout  dénouer  avec 
Schwarzenberg.  Ce  généralissime 
s'était  rendu  à  Chevilly,  à  une 
lieue  d'Essonne ,  pour  suivre  la 
négociation  du  maréchal  Mar- 
mont. Marmont  se  décide  pour  le 
dernier  parti.  Avant  de  mouler  en 
voiture,  il  déclare  à  ses  géné- 
raux que  l'arrangement  avec  le 
prince  généralissime  doit  être  re- 
gardé comme  nul ,  qu'ils  aient  à 
garder  leurs  positions,  et  qu'il  ne 
lardera  pas  à  revenir.  Il  ajout« 
qu'il  ne  séparait  point  sa  cause  <1« 
celle  de  l'armée,  et  il  partit  avec 


NAP 

les  trois  plénipotentiaires  pour  se 
rendre  à  Chevilîy.  Arrivés  an  chû- 
teau.  les  trois  plénipolenliaires 
entrèrentchezleprincede  Schwar- 
zenberg,  et  le  maréchal  i^lnrraont 
resta  dans  la  voiture,  préférant  ne 
Toir  le  généralissime  qn'aprè?  la 
Tisite  des  plénipotentiaires.  Le 
maréch.'l  MacdonaKl  ayant  appris 
que  le  prince  royal  de  Wurtem- 
berg était  malade  dans  le  château, 
monte  chez  lui.  Le  prince  lui  dé- 
clare que  la  convention  faite  par 
Marmont  était  réelle,  et  aurait  son 
exécution.  Le  maréchal  Mucdo- 
nald  quitta  le  prince,  et  alla  à  la 
Toiture  où  il  avait  laissé  le  maié- 
chal  Marmont  pour  le  faire  expli- 
quer de  nouveau.  Mais  il  ne  le 
trouva  plus  :  le  maréchal  était  chez 
le  prince  de  Schwarzenberg.  Le 
maréchal  Macdonald  raconta  alors 
au  duc  de  Vicence  ce  que  le  prin- 
ce de  Wurtemberg  lui  avait  allir- 
mé.  Un  moment  après,  le  maré- 
chal Marmont  entra  dansle  salon, 
où  il  fut  suivi  presque  immédia- 
tement par  le  généralissime;  il 
essuya  de  vifs  reproches  du  ma- 
réchal Macdonald,  balbutia,  allé- 
gua l'embarras  de  s'expliquer  de- 
vant tant  de  persoimes,  et  assura 
qu'il  avait  rempli  sa  promesse.  Le 
prince  de  Schwarzeuberg  se  tint 
dans  une  mesure  que  lui  prescri- 
raient la  délicatesse  de  sa  posi- 
tion ,  et  les  difficultés  de  celle  du 
maréchal  Marmont,  dont  il  ne  dé- 
mentit aucune  des  paroles.  Enfin 
l'autorisation  d'arriver  à  Paris  é- 
tant  venue  ,  les  plénipotentiaires 
se  mirent  en  route.  Le  maréchal 
Marmont  les  suivit  à  Paris,  pour 
répéter,  dit- il,  la  même  décla- 
ration à  l'empereur  Alexandre^  la 
négociation  avec  Schwarzenbcrg  é- 


KAP 


489 


tant  connue  de  sa  majesté  impé- 
riale. 

A  une  heure  du  matin  ils  furent 
admis  chez  l'empereur,  qui  les  re- 
çut avec  bienveillance.  Ils  repro- 
duisirent avec  force  les  premier» 
argumens  du  duc  de  Vicence  re- 
latifs ù  la  déclaration  du  5i  mars. 
«La  régence,  dirent-ils,  n'avait 
«point  eu  de  défenseurs,  elle  avait 
»cté  jugée  et  condamnée  par  dé- 
»fant.  n  L'empereur  Alexandre, 
loin  d'éconduire  leurs  prétentions, 
écouta  avec  intérêt  la  lecture  de 
différens  articles  rédigés  d'avance 
à  Fontainebleau, que  lui  fit  le  duc 
de  Vicence.  Il  les  discuta  même 
«ans  beaucoup  d'observations; ain- 
si fortifiés  qu'ils  étaient  d'ailleurs 
par  la  parole  donnée  par  le  maré- 
chal Marmont  de  renoncer  à  la 
négoci  tion  de  Chevilîy,  les  plé- 
nipotentiaires de  Napoléon  ne  pu- 
re.'it  qu'augurer  favorablement  de 
l'impressiiui  qu'ils  avaient  repro- 
duite et  des  dispositions  qu'r»n 
leur  montrait.  L'empereur  de 
Russie  les  congédia  et  les  ajour- 
na à  midi.  11  était  deux  heures 
du  matin. 

A  1 1  heureset  demie,  les  pléni- 
potentiaires finissaient  de  déjeu- 
ner chez  le  maréchal  Ney  et  se 
disposaient  à  se  rendi'e  chez  l'em- 
pereur Alexandre,  lorsqu'on  an- 
nonça le  maréchal  Marmont.  Ils 
étaient  tous  pleins  d'espérance,  en 
raison  de  l'accueil  qu'ils  avaient 
reçu  lu  nuit,  quand  le  nraréclial 
Marmont  fut  averti  que  son  aide- 
de-camp,  le  colonel  Fabvier,  le 
demandait.  Il  sortit,  et  rentra  ci!)q 
minutes  après ,  pûle  comme  Id 
mort. 

«  L-e  général  qui  commande  en 
«mon  absçace,   dil-ij^  a  enlevé 


49« 


INAP 


«rnoii  corps  d'armée.  Fabvier  est 
»  venu  en  lonlc  hâte...  »  Et  Fab- 
vier fut  artpeîé,  qui  rendit  comp- 
te de  ce  <pii  s'était  passé.  Il  fallait 
aviser  aux  moyens  de  tout  répa- 
rer, sans  cela  tout  était  perdu. 
Le  maréchal  Marmont  dit  qu'il 
allait  ramener  ses  troupes,  ce  qui 
était  impossible,  puisqu'elles  é- 
taient  d«^puis  la  poiiUe  du  jour 
dans  les  lignes  des  ennemis. 

Quoique  les  plénipotentiaires 
ne  se  fissent  pas  illusion,  ils  en- 
couragèrent le  maréchal  à  faire 
tout  ce  qu'il  croirait  devoir  faire 
pour  tenir  la  parole  donnée  à 
llssonne,  renouvelée  ù  Chevilly,  à 
Paris,  et  le  nouvel  engagement 
qu'il  venait  de  prendre  avec  eux. 
L'heure  était  déjà  passée,  ils  n'a- 
vaient pas  un  moment  à  perdre 
pour  se  rendre  chez  l'empereur 
Alexandre.  Ils  y  arrivèrent  avec 
ime  inquiétude  cruellequ'ils  cher- 
chèrent à  surmonter.  Ce  souve- 
rain les  reçut  aussi  bien  que  la 
nuit  précédente,  et  la  conversa- 
tion avait  re})ris  un  cours  favora- 
ble ,  quand  un  officier  entra  et 
parla  en  russe  à  l'empereur  A- 
lexaudre.  Le  duc  de  Vicence com- 
prit ce  que  dit  cet  oflicier  :  A'^ou* 
sonivws  perdasy  dit-il  tout  bas  à 
Macdonald,  l'empereur  sait  que  le 
corps  a  passe.  Ce  prince  sortit  un 
moment,  piiis  rentra.  Mais  la  dis- 
cussion des  articles  qui  avaient  été 
presque  approuvés  dans  la  confé- 
rence de  ianuit,  ayant  été  reprise, 
donna  lieu  dv.  la  part  de  l'empe- 
reur à  une  foule  d'objections.  La 
défection  du  i"  corps  avait  tout 
changé. 

La  fln  de  cette  conférence  fut 
ajournée  à  quelques  heures.  — 
«  Messieurs ,  dit  l'empereur  aux 


NAP 

»  plénipotentiaires,  vous  faites  son- 
»  ner  bien  haut  la  volonté  de  l'ar- 
»mée,  et  vous  n'ignorez  pas  quu 
))le  corps  du  duc  de  Raguse  a  pas- 
»sé  de  notre  côté;  d'autres  sont 
«encore  dansla  même  disposition. 
))0n  est  las  delà  guerre.  L'eni- 
n  pereur  Napoléon  n'a  point  voulu 
»la  paix.  Chacim  sait  qu'il  n'y  a 
»  point  de  repos  à  espérer  avec  lui. 
«Le  sénat  a  prononcé,  les  souve- 
«rains  ont  déclaré  qu'ils  ne  vou- 
»  huent  plus  traiter  avec  lui.  L'ar- 
»mée  ne  peut  s'obstinera  garder 
»un  chef  qui  n'a  pas  voulu  sacri- 
«fier  sa  passion  pour  la  guerre  au 
»bien  de  sa  patrie.  Nous  ne  vou- 
wlons  que  le  bonheur  de  la  France; 
>>peu  nous  importe  son  gouverne- 
»  ment,  s'il  la  rend  heureuse.  Nous 
«ne  voulons  aujourd'hui  que  ce 
«que  le  vœu  national  a  déjà  pro- 
»  clamé.  Il  repousse  la  régence 
«comine  il  a  repoussé  l'empereur 
M  Napoléon.  Je  vous  déclare  donc 
•  que  nous  ne  pouvons  admettie 
«que  son  abdication  absolue.  A 
«cette  condition  seule,  vous  pou- 
»  vez regarder  la  paix  comme  faite. 
«Nous  nous  engageons  à  faire  as- 
«surcr  à  l'empereur  Napoléon  une 
«existence  indépendante  et  con- 
»  venable  sous  tous  les  rapports.  « 
L'empereur  Alexandre  représen- 
ta encore  qu'avec  Napoléon  l'in- 
térêt des  peuples  prescrirait  aux 
souverains  d'exiger  de  la  Fran- 
ce des  sacrifices  considérables,  des 
places  fortes,  et  en  un  mot  de 
telles  garanties  que  l'Europe  pOt 
être  pleinement  rassurée  sur  sa 
tranquillité  future,  tandis  qu'a- 
vec le  gouvernement  que  l'on 
proposait  les  conditions  seraient 
beaucoup  plus  UYanlageuse&  à  lu 
France» 


NAP 

Les  plénipolcnliaires  se  récriè- 
rcnl  vainement  contre  cotte  étran- 
ge déteiuiinalion,5i  dilTérenle  des 
espérances  qu'on  leur  avait  don- 
nées. Ils  repoussèrent  avec  indi- 
gnation la  conséquence  que  tirait 
l'empereur  Alexandre  de  ladélec- 
tiou  du  corps  de  Marmont,  en  di- 
sant qu'elle  serait  suivie  par  d'au- 
tres  Tout  fut  inutile.  Ils  du- 
rent se  résigner  à  retournera  Fon- 
tainebleau pour  porter  à  l'empe- 
reur Napoléon  la  nouvelle  déci- 
sion des  souverains. 

Voici  ce  qui  s'était  passé  après 
le  départ  des  trois  [dénipolenliai- 
res.  La  pensée  de  la  renonciation 
que  Napoléon  avait  signée  en  la- 
veur de  son  fils  lui  revint  à  l'es- 
prit, non  plus  comme  un  sacrifice 
qu'il  venait  de  faire  généreuse- 
ment à  la  tranquillité  de  la  Fran- 
ce ,  mais  connue  une  démarche 
que  sa  haute  raison  frappait  de 
nullité.  «  On  a  voidu,  dit-il,  me 
«faire  abdiquer  en  faveur  du  roi 
»de  Rome.  Je  l'ai  fait.  Cependant 
flce  n'e^t  pas  linterêt  de  la  Fran- 
«ce.  Mon  ûls  est  un  enfant,  ma 
»  femme  n'entend  rien  aux  alîaires. 
"Vous  auriez  donc  Uîie  régence  au- 
«trichienne  pendant  12  ou  i5ans, 
y>  et  vous  verriez  .M.  de  Scliwarzen- 
»berg  vice-empereur  des  Fran- 
wçais.  Cela  ne  peut  vous  conve- 
nnir.  D'ailleurs  il  faut  raisonner. 
«Quand même  cela  entrerait  dans 
«les  vues  de  VXulrlche,  croit-on 
r>rjue  les  autres  puissances  consen- 
» tcnl  Jamais  à  ce  que  mon. fils  rè- 
ngne  tant  ijiirje  vivrai?  Non  certai- 
nncmctil,  car  elles  auraient  trop 
«peur  que  j'arrachasse  le  timon 
»des  affaires  des  mains  de  ma  fem- 
»  me.  Aussi  je  n'attends  rien  de  bon 
»  de  la  démarche  des  maréchaux,  s 


NAP 


49» 


Napoléon  disaitùFonlainebleau 
ce  que  le  prince  de  Bénévent  di- 
sait à  Paris:Napoléon  voj'ait  mieux 
que  personne  toute  sa  position;  et 
ces  réflexions,  profondément  gra- 
vées dans  son  esprit,  ne  le  por- 
taient qu'à  tenter  encore  le  sort 
des  armes.  Mais  avant  de  se  por- 
ter lui-même  sur  Essonne,  le  len- 
demain 5,  avec  le  gros  de  l'ar- 
mée, il  envoya  dans  l'après-midi 
son  premier  oflicier  d'ordonnance, 
le  colonel  Gourgaud,  à  Essonne, 
pour  inviter  à  dîner  le  maréchal 
Marmont,  le  génér.d  Sonham  et 
le  duc  de  Trévise.  Il  voulait  cau- 
ser avec  eux  sur  les  opérations 
qu'il  projetait. 

Le  colonel  Gourgaud  ne  trouva 
plus  le  maréchal  Marmont,  qui 
était  parti  pour  Paris  avec  les 
plénipotentiaires,  et  ne  put  trou- 
ver le  général  Souham,  qui  pour- 
tant était  à  Essonne.  Cette  invita- 
tion de  Napoléon  aurait- elle  fait 
croire  à  ce  général  que  l'empereur 
était  instruit  du  traité  de  Chevil- 
ly,  et  qu'il  le  faisait  appeler  avec 
le  maréchal  Marmont  pour  liriM- 
d'eux  une  vengeance  éclatante? 
En  vertu  des  ordres,  ou  (s'il  faut 
en  croire  le  maréchal  Marmo:.l) 
malgré  les  ordres  si  précis  quil 
avait  donnés  en  présence  des  trois 
plénipotentiaires  ,  le  général  qui 
commandait  en  l'absence  du  m;»- 
réchal  s'était  mis  en  marche  à  la 
pointe  du  jour,  pour  s'approcher 
du  camp  ennemi,  et  le  premier 
corps  passait  sous  les  Fourches- 
Caudines,  escorté  comme  un  pri- 
sonnier par  deux  régimens  de  ca- 
valerie bavaroise.  Les  généraux 
de  division  Caslel  et  Lucotte 
n'avaient  point  eu  la  confidence 
du  maréchal,  «t  ne  furent  pas  a- 


493  NAP 

vei  lis  par  leurs  collègues  du  mon- 
Tfcment  qui  leur  enlevait  leurs 
troupes.  Ainsi  le  corps  de  i>lar- 
niont,  chose  nouvelle,  admis  à 
désertion  par  les  avant-postes  é- 
Irangers,  traversa  les  cantonne- 
mens  de  toutes  les  nations  devant 
lesquelles  depuis  Essonne  jusqu'à 
Versailles,  il  dut  contraindre  son 
indignation.  Car,  à  la  vue  de  l'es- 
corte bavaroise,  les  officiers  et  les 
soldats  qui  étaient  partis  avec  joie 
daus  l'espoir  qu'on  leur  lai  sait 
opérer  un  mouvement  pour  atta- 
quer le  flanc  droit  de  l'ennemi, 
connurent  qu'ils  étaient  livrés. 
Des  murmures  sinistres  parcou- 
rurent tous  les  rangs;  quelques 
clameurs  menaçâmes  avertirent 
énergiqiiement  les  génér.iux  des 
sentimens  qui  agitaient  leurs  trou- 
pes. Enlio,  arrivées  à  Versailles, 
l'explosion  eut  lieu;  elles  se  sou- 
levèrent tumultueusement  contre 
les  chefs  qui  les  avaient  enlevées 
à  ?vapoléon.  Les  généraux  n'eu- 
rent que  le  temps  de  se  dérober  à 
la  vengeance  du  soldat,  ils  lui  é- 
chappèrent  au  milieu  des  coups  de 
fusil.  Le  lendemain  l'indignation 
des  soldats  de  Alarment  se  renou- 
vela d'une  manière  encore  plus 
alarmante  :  ils  ne  poussèrent 
qu'un  cri,  celui  de  retourner  vers 
jSapoléon,  et  de  venger  son  inju- 
re et  leur  honneur.  Ils  se  rassem- 
blèrent en  armes  auprès  de  l'O- 
rangerie, et  ils  voulaietit,  en  se 
r*îportant  sur  Essonne,  passer  sur 
le  ventre  des  légions  étrangères, 
à  qui  leurs  généraux  avaient  con- 
fié le  succès  de  la  défection.  Le 
bruit  de  cette  insurrection  mili- 
taire vint  à  Paris,  où  le  gouver- 
nement provisoire  et  les  souvc- 


NAÇ 

rain,  étrangers  surent  apprécier 
tout  le  péiil  d'une  semblable  ré- 
solution. Alors  le  maréchal  Mar- 
mont,  faute  sans  doute  de  pouvoir 
remplir  la  mission  dont  il  s'était 
chargé  envers  les  plénipotentiai- 
res po<ir  le  retour  de  ses  trou- 
pes à  Fontainebleau,  dut  rem- 
plir par  ordre  du  gouvernement 
provisoire  et  des  souverains  alliés, 
celle  de  remettre  sous  le  joug  é- 
tranger  les  troupes  dont  il  avait 
l'avant-veille  hautement  contre- 
iriandé  la  défection.  Le  maréchal 
Warmont  arriva,  mais,  n'osant 
leur  parler,  il  mit  à  l'ordre  du 
jour  une  proclamation  on  il  leur 
dit  :  11  Vous  êtes  les  soldats  de  la 
«patrie.  Ainsi  c'est  l'opinion  pu- 
wbiique  que  vous  devez  suivre, 
)>et  c'est  elle  qui  m'a  ordonné  de 
«vous  arracher  à  des  dangers  dé- 
»  sonnais  inutiles,  pour  conserver 
«votre  noble  sang,  que  vous  sau- 
»  rez  répandre  encore  ,  lorsque  la 
»  voix  de  la  patrie  et  de  l'intérêt 

«public  réclamera  vos  efforts » 

Ces  paroles  ne  forent  paséloquen- 
tes  pour  le  soldat,  mais  elles  le 
sont  pour  l'histoire, àqui  il  ne  reste 
presque  plus  aucun  doute  sur  les 
moyens  qui  décidèrent  le  maré- 
chal au  traité  de  Chevilly,  ni  sur 
la  véracité  de  ce  que  le  prince  de 
Wurtemberg  y  alfirina  au  maré- 
chal iMacdonald,  Ainsi  la  course 
de  Chevilly,  faite  par  les  plénipo- 
tentiaires de  Napoléon  conjointe- 
ment avec  le  maréchal  MarmoTit, 
ne  dut  leur  paraître  qu'une  cruel- 
le mystification.  Il  tant  rendre  à 
chacun  ce  qui  lui  appartient  :  au 
gouvernement  provisoire,  aux  al- 
liés doit  être  attribuée  l'idée  de  la 
négociation  avec  le  maréchal;  au 


J 


NAP 

marécijal  appartient  le  trailé;  au 
premier  divisionnaire,  commaii- 
dant  par  intérim,  l'initiative  de  son 
exécution. 

A  la  lecture  de  cette  proclama- 
tion, les  odîciers  arrachèrent  leurs 
épaulcttes  et  brisèrent  leurs  épées; 
les  soldats  se  trouvant  sans  chefs , 
pour  les  ramener  à  l'empereur, 
durent  subir  la  loi  de  la  nécessité 
et  se  laissèrent  conduire  à  Mantes. 
Que  serait-il  arrivé  cependant  si, 
comme  le  générai  Souham  pou- 
vait s'y  attendre,  d'après  imues 
les  lois  de  la  guerre,  le  oournan- 
dant  dos  avant-postes  ennemis,  qui 
n'avait  point  de  pouvf)irs  définitifs 
et  spéciaux  du  généralissime  prin- 
ce de  Schwarzenberg,  eût  refusé 
le  passage  aux  Iroup^-s  de  Mar- 
moul?  Cette  circonstance  singu- 
lière manque  aux  aventures  si  é- 
tranges  de  cette  époque.  Aussitôt 
le  départ  du  corps  de  .Uarmonf, 
un  autre  otlicier,  envoyé  par  Na- 
poléon à  trois  heures  du  matin,  au 
général  ^Souham,  q.i'il  ne  voyait 
point  arriver,  revint  lui  porter 
cette  terrible  nouvelle.  Ainsi, 
Fontainebleau  était  à  découvert 
aux  yeux  de  l'étranger  :  l'hon- 
neur de  l'armée  n'était  plus  intact, 
et  tout  espoir  était  perdu  ,  jusqu'à 
celui  qui  n'avait  jamais  manqué, 
l'espoir  dans  les  armes.  Napoléon 
se  lait,  il  ne  veut  pas  croire  que 
Marmout,  son  élève,  son  ami,  son 

enfant,  son  j)rolégé «L'ingrat, 

"s'ficric-t-il  avec  force,  il  sera  plus 
»malheuroux  que  moi!»  Cepen- 
dant il  ordonne  au  général  Bel- 
liard  de  faire  couvrir  Fontaine- 
bleau pur  quelques  escadrons.  Ce 
général  partit  à  l'instant,  mais  ar- 
rivé ^  Essonne,  il  y  trouva  le  duc 


NAP 


'ï9^ 


de  Trévise,  qui  y  avait  pourvu. 
Ce  malheur,  tout  nouveau  pour 
Napoléon,  le  touche  de  trop  près, 
etson  âme  est  depuis  quelques  jours 
oppressée  sous  le  poids  de  trop  de 
chagrins,  pour  qu'il  ne  ressente 
pas  Timpérieui  besoin  de  lui  don- 
ner un  confident,  digne  de  toute 
sa  douleur.  Ce  confident  ne  pou- 
vait être  que  l'armée  de  Fontai- 
nebleau. Voici  comme  il  lui  parle 
dans  l'ordre  du  jour  du  5  avril  : 

«  L'empereur  remercie  l'armée 
o pour  rattachement  (fu'elle  lui  té- 
«moigoe,  et  principalemnt  parce 
«qu'elle  reconnaît  que  la  France 
»  est  en  lui  et  non  dans  le  peuple 
»  de  sa  capitale.  Le  soldat  suit  là 
«fortune  et  l'infortune  de  son  gé- 
»  néral,  son  honneur  est  sa  reli- 
ft gion.  Le  <luc  de  Raguse  n'a  pas 
«inspiré  ces  sentimens  à  ses  corn- 
«pagnons  d'araies  :  il  est  passé 
«aux  alliés.  L'empereur  ne  peut 
«a^iprouver  la  condition  sous  la- 
«qu'-'lle  il  a  fait  cette  dJmar- 
»che  :  il  ne  peut  accepter  la  vie 
«ni  la  liberté  de  la  merci  d'un 
«sujet.  » 

La  convention  du  maréchal  Mar- 
mout avec  le  prince  de  Scliwar- 
zenberg,  portait,  article  2  :  «  Si  les 
«événemens  de  !a  guerre  faisaient 
»  tomber  entre  les  mains  des  puis- 
»  sauces  alliées,  la  personne  de  Na- 
•  poléon  Bonaparte,  sa  vie  et  sa  li- 
"berté  lui  seront  garanties,  dans 
»uu  espace  de  terrain  et  dans  nu 
«pays  circonscrit,  au  choix  des 
«puissances  alliées  et  du  gouver- 
•)  nctneutlVarîçais.»  L'aide-de-camp 
lAlarmont,  mesurer  la  terre  où  sou 
général  doit  être  captif!...  un  es- 
pace de  terrain!...  C'n  cachot  of- 
fre aussi  un  espace  de  terrain. 


Wi 


NAI» 


L'empereui"  continue  ainsi  dans 
C€t  ordre  du  jour,  où  Ja  vérité  de 
sa  position,  quelque  cruelle  qu'elle 
lût,  est  présentée  avec  une  uio- 
déralion  qui  ferait  honneur  aux 
plus  grands  caractères. 

<'Le  sénat  s'est  pernriis  de  dis- 
»  poser  du  gouvernement  français. 
»ll  a  oublié  qu'il  doit  à  l'enipe- 
»reur   le  pouvoir   dont  il   abuse 
»  maintenant;  que  c'est  lui  qui  a 
»  sauvé  une  partie  de  ses  membres 
»de  l'orage  de  la  révolution,  tiré 
i)de  l'obscurité  et  protégé  l'autre 
"Contre  la  haine  de  la  nation.  Le 
«sénat  se  fonde  sur  les  articles  de 
«la  constitution  pour  la  renverser. 
»Il  ne  rougit  pas  de  faire  des  re- 
»  proches  à  l'empereur,  sans  re- 
»  marquer  que,  comme  le  pren)ier 
«corps  de  l'état,  il  a  pris  part  à 
»tous  les  événemens;  il  a  été  si 
«loin,  qu'il  a  osé  accuser  l'empe- 
itreur   d'avoir   changé  des    actes 
«dans  la  publication.  Le  monde  en- 
);tier  sait  qu'il  n'avait  pas  besoin 
»  de  tels  artifices  :  un  signe  était  un 
«ordre  pour  le  sénat,  qui  toujours 
»  faisait  plus  qu'on  ne  désirait  de 
«lui.   L'empereur  a  été    toujours 
«accessible  aux  sages  remontran- 
»ces  de  ses  ministres,  et  il  atten- 
.>dait  d'eux,  dans  cette  circonstan- 
»ce,  une  juslilication  la  plus  in- 
«définie   des  mesures  qu'il   avait 
«prises.    Si   l'enthousiasme   s'est 
•>  mêlé   dans   les   adresses   et  dis- 
•)  cours  publics,  alors  l'empereur  a 
«clé  trompé.  iMaisceuxqui  ont  tc- 
»  nu  ce  langage,  doivent  s'attribuer 
»à  eux  mêmes  la  suite  funeste  de 
»  leurs  {laiteries.  Le  sénat  ne  rou- 
«git  pas  de  parler  des  libelles  pu- 
«bliés    contre    lesgouvernemcns 
«étrangers  :  il  oublie  qu'ils  furent 


NAP 

')  rédigés  dans  son  sein.  Si  long- 
»  tenips  que  la  fortune  s'est  montrée 
«fidèle  cl  leur  souverain,  ces  born- 
âmes sont  restés  fidèles,  et  nulle 
«plainte  n'a  été  entendue  sur  les 
«abus  du  pouvoir.  Si  l'empereur  a- 
»  vait  méprisé  ces  hommes  comme 
»  on  le  lui  a  reproché,  alors  le  mon- 
»  de  reconnaîtrait  aujourd'hui  qu'il 
»  a  eu  des  raisons  qui  motivent  son 
«mépris.  Il  tenait  sa  dignité  de 
«Dieu  et  de  la  nation  :  eux  seuls 
«pouvaient  l'en  priver.  Il  l'a  tou- 
»  jours  considérée  comme  un  far- 
»deau,  et  lorsqu'il  l'accepta,  c'é- 
»tait  dans  ia  C(Hiviction  que  lui 
«seul  était  à  même  de  la  porter 
«dignement.  Aujourd'hui  que  la 
«fortune  s'est  décidée  contre  lui, 
»  la  volonté  de  la  nation  seule  pour- 
«rait  le  persuader  de  rester  plus 
«long-temps  sur  le  trône.  S'il  se 
»  doit  considérer  comme  le  seul  obs- 
«tacle  à  la  paix,  il  fait  ce  di;rnier 
«sacrifice  à  la  France.  Il  a  en  con- 
»  séquence  envoyé  le  prince  de  la 
«Moskowa,  les  ducs  de  Vicence 
«et  de  Tarente,  à  Paris  pour  cn- 
«  tamer  les  négociations.  L'armée 
»  peut  être  certaine  que  son  bon- 
»heur  ne  sera  jamais  en  contra- 
»  diction  avec  le  bonheur  de  la 
«France.» 

La  régence  et  le  gouvernement 
s'étaient  établis  à  Blois.  Ce  fut  de 
cette  ville  que,  le  3  avril,  l'impé- 
ratrice régente  fit  publier  la  pro- 
clamation suivante  : 
«  Français, 
->  Les  événemens  de  la  guerre 
«ont  mis  la  capitale  au  pouvoir 
«de  l'étranger.  L'empereur,  ac- 
»  couru  pour  la  défendre,  est  à  lu 
«tête  de  ses  armées  si  souvent  vic- 
»  torieuse*.  Llles  sont  en   présence 


NAP 

»de  rennemi,  sous  les  murs  de 
«Paris.  C'est  de  la  résidence  que 
»)'ai  choisie  et  des  ministres  de 
"l'empereur,  qu'émanent  les  seuls 

•  ordres  que  vous  puissiez  recon- 
•) naître.  Toute  ville  au  pouvoir  de 

•  l'ennemi  cesse  d'être  libre  :  tou- 
»te  direction  qui  en  émane  est  le 
«langage  de  l'étranger,  ou  celui 
«qu'il  convient  à  ses  vues  hostiles 
a  de  propager.  Vous  serez  fidèles 
))àvos  sermens;  vous  écouterez 
»la  voix  d'une  princesse  qui  fut 
»  remise  à   votre   loi,  qui  fait  sa 

•  gloire  d'être  princesse,  d'être  as- 
usociée  aux  destinées  du  souve- 
»rain  que  vous  avez  choisi.  Mon 
»fils  était  moins  sûr  de  vos  cœurs 
»au  temps  de  vos  prospérités  :  ses 
»  droits  et  sa  personne  sont  sous  vo- 
atre  sauve  garde.  »  Cette  procla- 
mation fut  inconnue  à  Paris,  où 
elle  ne  fut  colportée  que  secrète- 
ment. Elle  était  datée  de  Blois, 
mais  elle  portait  le  cachet  de  Fon- 
tainebleau. 

Ainsi,  par  la  défection  du  corps 
du  maréchal  Marmont,  Napoléon 
se  trouvait  a  la  discrétion  des  sou- 
verains alliés,  et  l'armée  ,  livrée 
par  quelques  généraux  ,  perdait 
le  lien  ,  encore  redoutable  aux 
ennemis  de  la  France,  d'une  fidé- 
lité compacte  et  jusqu'alors  à  tou- 
te épreuve,  envers  son  plus  grand 
capitaine.  C'était  ce  double  but 
que  les  alliés  avaient  voulu  attein- 
dre, ainsi  que  le  gouvernement 
provisoire,  pour  ne  pas  risquer  la 
bataille  du  désespoir  contre  5o,ooo 
soldats  de  Napoléon,  combattant 
pour  lui  et  avec  lui,  sous  les  yeux 
d'une  population  de  7  à  800  mille 
habitais,  que  la  prise  de  leur  ville 
et  la  haine  des  étrangers  eussent 


NAP 


49'> 


peut-être  armés  à  l'aspect  de  l'em- 
pereur. A  présent  Fontainebleau 
n'est  plus  une  position  militaire, 
et  Napoléon,  qui  ne  peut  plus  in- 
voquer hautement  la  garantie  de 
l'armée  française,  n'a  plus  de  voix 
au  tribunal  européen,  qui  le  juge 
dans  la  capitale  envahie.  Il  ne  lui 
reste  plus  qu'un  seul  acte  politi- 
que à  remplir  :  c'est  celui  de  pro- 
noncer la  déchéance  de  son  fils  et 
celle  de  sa  famille.  Telle  e>t  la  dé- 
claration que  la  défection  du  corps 
de  Marmont  décida  tout-à-coup 
l'empereur  de  Russie  à  faire  aux 
plénipotentiaires  de  Napoléon,  à 
la  seconde  conférence  du  6  avril. 

Le  ëoir  même,  les  plénipoten- 
tiaires, de  retour  à  Fontainebleau, 
rendent  compte  à  Napoléon  de 
tout  ce  qui  s'est  passé  dans  cette 
fatale  journée.  L'empereur  ne  ré- 
pond rien  et  les  congédie  promp- 
tement.  Mais  il  fait  rappeler  le  duc 
de  Vicence,  et,  après  une  longue 
conversation  sur  les  événemens, 
sur  les  funestes  conséquences  de  la 
perte  du  corps  de  Marmont, sur  l'ef- 
fet qu'elle  produisait  déjà  sur  plu- 
sieurs chefs  à  Fontainebleau,  em- 
brassant toute  la  questiou  avec  la 
rapidité  et  la  sûreté  accoutumée 
de  son  jugement,  il  lui  déclara  ne 
pas  vouloir  exposer  la  France  aux 
horreurs  de  la  guerre  civile  ,  lui 
dit  qu'il  était  décidé  à  abdiquer, 
mais  qu'il  lui  recommandait  le 
secret  sur  cette  détermination,  et 
enfin,  qu'il  voulait  voir  les  maré- 
chaux afin  de  sonder  leurs  dispo- 
sitions... Il  fit  en  effet  appeler  le 
maréchal  Ney,  avec  lequel  il  eut 
cette  nuit  un  long  entretien. 

On  a  vu  que  l'esprit  de  défec- 
tion s'était  établi  parmi  les  chcts 


49« 


NAl» 


de  l'arince  de  Fontainebleau,  déjà, 
à  la  nouvelle  de  l'abdication  con- 
ditionnelle :  la  régence  n'oflVait 
plus  d'avantages  à  ceux  qui  ne 
s'étaient  donnés  qu'à  la  personne 
de  Napoléon  ,  et  l'intérêt  de  sa 
cause  disparaissait  chaque  jour 
devant  les  intérêts  privés.  Cette 
journée  du  6  avril  vit  sortir  du 
gouvernement  provisoire,  accep- 
ter par  le  sénat  après  de  légers 
amendemens,  signer  par  les  sou- 
verains, imprimer,  proclamer  et 
insérer  au  bulletin  des  lois,  la  cons- 
titution française.  Cet  acte  appe- 
lait librement  «  au  trône  Louis- 
»  Sïanislas-Xavikr  de  France,  et 
«après  lui  les  membres  de  sa  fa- 
»  mille.  La  constitution  devait  être 
rt  soumise  à  l'acceptation  du  peuple 
M  français.  Louis  devait  être  pro- 
»  clamé  roi  de  France  après  son 
«serment.  »  Le  sénat  ne  s'était  pas 
ou  n'avait  pas  été  oublié.  Une  dis- 
position faisait  «  des  sénateurs 
«actuels  le  fonds  du  sénat  consti- 
»lutionnel,  attachait  à  leurs  litres 
«des  majorats  formels  avec  la  do- 
station  de  l'ancien  ou  des  sénato- 
»  reries,  avec  transmission  hérédi- 
»  taire  à  leurs  fds  aînés.  »  Le  dé- 
sintéressement des  sénateuis  de- 
vint l'ordre  du  jour  des  journaux, 
des  pamphlets  et  des  conversa- 
tions. Au  lieu  d'usufruitiers,  ils  se 
faisaient  propriétaires.  C'était  im- 
mobiliser un  traitement  viager  et 
en  fiiire  un  patrimoine.  Le  sénat 
fut  jugé  et  condamné  par  l'opi- 
nion comme  il  avait  été  jugé  et 
condamné  [)ar  l'alloculion  de  Na- 
poléon à  sa  garde.  Ce  scandale 
constitutionnel  devait  à  lui  seul 
laire  rejeter  la  conslittition  du 
gouvernement  provisoire.  La 
constitution    s'appela    le    marché 


NAP 

du  sénat ,  et  les  sénateurs  fui'cnt 
nommés  les  maltôtiers  de  la  patrie. 
Le  7  avril.  Napoléon  annonça 
lui-même  la  nouvelle  mission  de 
ses  plénipotentiaires  et  le  parti 
qu'il  avait  pris  de  signer  son  abdi- 
cation absolue.  Malgré  cette  dé- 
claration authentique,  et  comme 
s'il  eût  été  encore  souverain  ,  il 
ordonna  la  revue  des  2"°'  et  7°" 
corps.  Le  maréchal  Oudinot  reçut 
cet  ordre  avec  une  surprise  qui 
frappa  Napoléon.  La  revue  eut 
lieu,  et  les  acclamations  des  sol- 
dats prou  valent  à  l'empereur  la  con- 
tinuation des  senlimens  qui  les  ani- 
maient. Toujours  plein  de  sa  pen- 
sée dominante,  à  laquelle  l'encou- 
rageait encore  l'enthousiasme  non 
équivoque  des  soldats  ,  il  dit  au 
maréchal  Oudinot  :  «  Puis  -  je 
»  compter  sur  votre  corps -d'ar- 
»mée?  —  Non,  sire,  répondit  le 
»  maréchal ,  votre  Majesté  a  abdi- 
«qué.  —  Oui,  mais  sous  condi- 
»tion.  —  Il  est  vrai,  sire,  mais  le 
«soldat  ne  connaît  point  les  res- 
«trictions.  —  Eh  bien,  maréchal! 
»  attendons  les  nouvelles  de  Paris.  » 
Après  la  revue,  Napoléon  avait 
été  reconduit  dans  ses  apparte- 
mens  par  les  maréchaux  Berthier, 
Ney,  Lefebvre,  Oudinot,  Macdo- 
nald  :  les  ducs  de  Vicence  ,  de 
Bassano  ,  le  grand-maréchal  Ber- 
trand, s'y  trouvaient  aussi.  L'eui- 
f>ereur  engage  la  conversation  sur 
es  affaires,  sur  sa  position  faible- 
ment, mais  fortement  sur  celle  de 
la  France,  de  l'armée,  et  traite 
celte  haute  question  avec  un  dé- 
sintéressement remarquable,  com- 
me s'il  discutait  des  intérêts  qui 
ne  lui  fussent  plus  communs  que 
comme  citoyen  français;  le  dé- 
veloppement qu'il  donna  à  ses  i- 


I 


NAP 

liées  le  ramena  naturellement  ù 
celles  d'une  juste  défense,  et  ù 
mettre  encore  en  balance  les  chan- 
ces de  la  guerre  avec  l'ignominie 
d'une  paix  mortelle  pour  la  Fran- 
ce. Il  sait  bien  que  quatre  armées 
resserrent  chaque  jour  davantage 
le  camp  de  Fontainebleau  :  qu'une 
armée  russe  est  entre  Essonne  et 
l'aris;  qu'une  autre  est  entre  Me- 
lun  et  Montereau  ;  que  des  corps 
nombreux  sont  en  marche  par  les 
routes  de  Chartres  et  d'Orléans, 
tandis  que  d'autres  troupes  accou- 
rent par  celles  de  la  Bourgogne  et 
de  la  Champagne,  et  tiennent  le 
pays  entre  l'Yonne  et  la  Loire. 
Mais,  d'un  autre  côté,  les  alliés 
seraient  forcés  de  se  battre  ayant 
Paris  à  dos.  Le  canon  des  braves 
sera  entendu  par  l'immense  popu- 
lation de  Paris.  La  garde  natio- 
nale, le  peuple  des  faubourgs,  en 
partie  vétéran  des  rangs  de  la 
vieille  gloire  républicaine  et  de 
celle  de  l'empire,  voudront  parta- 
ger les  périls  de  l'armée,  mena- 
ceront l'ennemi  et  le  feront  trem- 
bler. Aucune  des  chances  favora- 
bles d'une  telle  position  n'échappe 
à  Napoléon.  Il  compte  aussi  sur 
l'armée  du  maréchal  Soult  sous 
Toulouse,  sur  celle  du  maréchal 
Suchel,  qui  revient  de  Catalogne 
et  qui  peut  se  réunir  à  celle  de 
Soult;  sur  celle  du  maréchal  Auge- 
reau  dans  les  Cévenncs;  celle  en- 
core du  prince  Eugène,  et  sur  celle 
du  général  Maisons  dans  la  Flan- 
dre, ainsi  que  >ur  les  nombreuses 
garnisons  de  nos  places  frontiè- 
res. «  Pourquoi,  forçant  les  lignes 
«ennemies  conmie  il  l'a  fait  tant 
"de  fois  avec  les  braves  éprouvés 
uqui  lui  restent  ,  n'irait -il  pas 
«chercher  les  armées  du  midi!.... 


NAP 


497 


«quand  il  reste  à  leombattre  der- 
wrière  la  Loire!  >)  N^ipcléon  est 
d'avis  d'y  marcher  sans  délai.  On 
se  tait  autour  de  lui,  tant  on  est 
dominé  par  la  pensée  que  le  suc- 
cès le  plus  Indispensable  dans  ce 
moment  laisserait  encore  peut- 
être  en  doute  la  conclusion  de  la 
paix.  Cependant  ,  ceux  qui  rom- 
pent le  silence  opposent  à  ce  pro- 
jet les  forces  immenses  qui  occu- 
pent toutes  les  routes  de  Fontai- 
nebleau, les  distances  qui  séparent 
de  l'armée  de  Napoléon  et  d'elles- 
mêmes  les  armées  du  midi ,  le 
blocus  étroit  qui  intercepte  toutes 
les  communications,  qui  arrête  les 

courriers Napoléon  réfute  ces 

objections  ,  et  il  ajoute  :  «  Une 
•  route  fermée  pour  des  courriers 
«s'ouvre  bientôt  devant  v'o,ooo 
»  hommes.  »  On  lui  parle  alors  des 
maux  de  la  France,  qui  serait  li- 
vrée tout-à-coup  aux  horreurs  de 
la  guerre  civile,  dont  il  serait  l'au- 
teur et  l'objet.  Les  mois  de  guerre 
civile  ont  sur  lui  la  force  d'un  ta- 
lisman ,  et  su  résolution  s'éva- 
nouit. En  cela,  plus  v'toyen  que 
guerrier,  il  avait  de  tout  temps 
montré  une  antipathie  invincible 
pour  cette  sorte  de  calamité.  «  Eh 
«bien,  dit-il,  puisqu'il  me  faut  re- 
«noncer  à  défendre  plus  long- 
»  temps  la  France,  l'Italie  n'est- 
«elle  pas  une  retraite  digne  de 
«moi?  Veut-on  m'y  suivre  encore 
«une  fois?  Marchons  vers  les  Al- 
»pes.  » 

Ce  projet  était  trop  brillant , 
trop  jeune  pour  les  vieux  courti- 
sans militaires  qui  l'entourent. 
C'eût  été  des  paroles  ujagiques 
pour  le  camp  de  Fontainebleau  , 
elles  n'eurent  point  d'échos  dans 
les  galeries  du  palais.  «  Vous  vou- 
3a 


49» 


NAP 


»Iez  (lu  repos  ,  s'écria  vivement 
î)  Napoléon.  Ayez-en  donc.  Hélas  ! 
«vous  ne  savez  pas  combien  de 
«chagrins  et  de  dangers  vous  at- 
»  tendent  sur  vos  lits  de  duvet. 
«Quelques  années  de  cette  paix 
')q;ie  vous  allez  payer  si  cher  en 
«moissonneront  un  plus  grand 
«nombre  d'entre  vous,  que  n'au- 
»rait  lait  la  guerre,  la  guerre  la 
»  plus  désespérée.  »  Dans  les  paro- 
les qu'il  venait  de  dire  aux  maré- 
chaux ,  Napoléon  fut  proj  héte. 
Douze  d'entre  eux,  dont  trois  ont 
péri  de  njort  violente  ,  Berthier, 
Ney  et  Brune  ,  sont  déjà  sous  la 
tombe. 

Mais  Napoléon  était  sans  le  sa- 
voir le  prisonnier  de  sa  grandeur 
passée,  encore  plus  que  celui  des 
rois  coalisés.  S'il  avait  cru  pou- 
voir parler  à  d'autres  qu'aux 
grands-oiïiciers  de  cette  couronne 
qu'il  allait  abdiquer,  de  cette  ar- 
mée qui  n'attendait  qu'un  signal 
pour  la  défendre  encore  ,  c'est-à- 
dire,  à  ceux  qui,  suivant  inie  ex- 
pression si  heureuse  de  ses  jeunes 
anntes,  avaie7it  leur  fortune  à  faire , 
il  eût  été  encore  porté  par  eux  sur 
les  sommets  des  Alpes;  et  si  l'heu- 
re de  son  destin  l'y  eût  suivi,  une 
fin  glorieuse  l'eût  peut-être  illus- 
tré dans  les  champs  de  Marengo! 
seule  mort  digne  du  grand  capi- 
taine qui  près  de  ce  village,  re- 
poussé pendant  huit  heures  par 
la  fortune ,  conquit  enfin  sur 
elle  la  dictature  uiilitaire  de  l'Eu- 
rope! 

On  a  dit  qu'à  celte  scène  nié- 
morable,  que  l'on  a  voulu  appeler 
l;i  scène  des  maréchaux,  le  maré- 
chal Ney  avait  pris  la  parole;  que 
traçant  d'une  manière  énergique 
la  déplorable  situation  de  la  Fran- 


NAP 

ce,  il  avait  interpelé  vivement 
l'empereur  de  déclarer  quels 
moyens  il  avait  pour  sauver  la 
France ,  et  que  Napoléon  avait 
gardé  le  silence;  on  ajoute  que  le 
maréchal  dit  encore  :  //  ne  reste 
plus  qu'un  moyen,  sire^  c'est  vo- 
tre abdication  absolue ,  et  nous  ve- 
nons vous  la  demander.  Telle  est 
la  version  qui  a  couru  dans  le 
public  et  qui  a  été  répétée  dans 
quelques  onvr.iges;  cependant  des 
témoins  de  cette  gran-le  audience 
assurent  que  rien  de  semblable 
n'a  eu  lieu  de  la  part  du  maréchal 
Ney;  ils  disent  qu'après  cette  al- 
locution si  dramatique  aux  maré- 
chaux,Napoléon  congédia  l'audien- 
ce et  réunit  dans  son  cabinet  ses 
trois  plénipotentiaires;  que  rien 
ni  de  la  part  de  Napoléon,  ni  de 
la  part  du  maréchal,  n'indiqua  dans 
la  discussion  qui  eut  lieu,  le  sou- 
venir d'une  pareille  interpellation; 
mais  que  Napoléon,  apparemment 
convaincu  que  ses  espérances  ne 
pouvaient  plus  reposer  su  ries  chefs 
de  l'armée,  déclara  qu'il  se  déci- 
dait à  signer  l'abdication  absolue. 
Toutefois  il  ajouta  que  celte  réso- 
lution ne  devait  nullement  con- 
trarier les  opérations  militaires 
qu'il  pouvait  avoir  projetées. 

Les  conférences  avec  ses  pléni- 
potentiaires furent  reprises  trois 
fois.  La  forme  de  celle  abdication 
y  fut  vivement  discutée  par  Na- 
poléon ,  et  enlin  ,  après  bien  des 
résistances,  l'acte  d'abdication  fut 
ainsi  rédigé: 

«  Les  puissances  alliées  ayant 
«proclamé  que  l'empereur  Napo- 
wléon  était  le  seul  obstacle  au  ré- 
.)  lablissemcnt  delà  paix  en  Eu- 
»rope,  l'empereur  Napoléon,  fi- 
»dèle  à  son  serment,  déclare  qu'il 


( 


NAl» 

«renonce  pour  lui  et  ses  héritiers 
«aux  couronnes  de  France  et  d'I- 
«talie,  et  qu'il  n'est  aucun  sacri- 
«fice  personnel,  même  celui  de  la 
«vie,  qu'il  ne  soit  prêta  l'aire  à  l'in- 
«térêt  de  la  France.  »  Napoléon. 

Napoléon  expédia  ses  plénipo- 
tentiaires, etremit  l'acte  d'abdica- 
tion au  duc  de  Vicence. 

Les  plénipotentiaires  se  mettent 
en  route  pour  Paris,  et  ils  arrivent 
chez  l'empereur  Alexandre  dans 
la  nuit,  à  deux  heures.  Le  luemier 
mot  de  ce  prince  à  leur  arrivée 
l'ut:  «Apportez-vous  rabdicaliouPo 
Le  duc  de  Vicence  lui  en  fit  la  lec- 
ture, mais  l'empereur  ne  s'en  con- 
tenta point  et  en  exigea  une  copie, 
sans  doute  pour  satisfaire  le  goii- 
yernement  provisoire  qui  était  der- 
rière la  négociation  des  alliés.  La 
suite  de  la  conférence  fut  favora- 
ble aux  intérêts  que  les  plénipo- 
tentiaires de  Fontainebleau  avaient 
à  défendre;  il  était  plus  de  trois 
heures  du  matin  quand  l'empereur 
les  congédia. 

Indépendamment  de  la  négocia- 
lion  relative  à  l'abdication  abso- 
lue, au  choix  d'une  principauté 
pour  Napoléon,  et  aux  arraiige- 
mens  relatifs  à  sa  famille,  ses  plé- 
nipotentiaires devaient  encore 
traiter  d'un  armistice,  afin  de  met- 
tre un  terme  aux  agitations  de  l'ar- 
mée et  aux  inquiétudes  de  la  Fran- 
ce envahie.  Ils  passèrent  toute  la 
journée  du  lendemain  chez  le  prin- 
ce généralissime  j»ourconclurecet 
armistice;  enfin  après  beaucoup 
de  difficultés  tout  était  convenu, 
et  les  plénipotentiaires  élaient  ren- 
trés chez  eux  pour  s'occuper  de  la 
dernière  rédadion,  quand  un  bil- 
let du  comte  de  Nesseirode  les  ap- 
pela à  minuit,    chez  l'empereur 


NAP  4<^ 

Alexandre.  A  l'arrivée  des  pléni- 
p(.lentiaires  l'empereur  leur  dit 
que  Napoléon  venait  de  quitter 
Fontainebleau,  qu'on  le  trompait, 
qu'il  voulait  bien  par  égard  pour 
le  caraclère  des  plénipotentiaires 
et  par  l'estime  qu'il  leur  portait 
individuellement,  ne  pas  laisserle 
généralissime  s'assurer  de  leurs 
persormes,  mais  qu'il  voulait  une 
explication  franche.  Le  chef  d'é- 
lat-major  du  général  Curial,  qui 
était  arrivé  l'après-midi  de  Fon- 
tainebleau, n'avait  pu  laisser  au- 
cun doute  aux  plénipotentiaires 
sur  la  fausseté  de  cette  nouvelle  ; 
le  duc  de  Vicence  venait  égale- 
ment de  recevoir  de  l'empereur 
une  lettre  particulière  par  un  de 
ses  officiers  d'ordonnance  ;  il  re- 
poussa donc  avec,  force  cette  allé- 
gation, et  il  proposa  à  l'empereur 
Alexandre,  qui  l'accepta,  d'en- 
voyer de  suite  un  de  ses  aides-dc- 
cainp  s'assurer  à  Fontainebleau, 
de  la  présence  de  l'empereur  Na- 
poléon. Cependant  l'empereur 
Alexandre  déclara  aux  plénipo- 
tiaires  que  celui  qui  transmettait 
cette  nouvelle  au  gouvernement 
provisoire  ne  lui  hiissait  aucun 
doute  sur  son  authenticité;  il 
ajouta  que  tout  ce  qui  avait  été 
fait  et  convenu  jusqu'alors,  devait 
être  regardé  comme  non  avenu, 
que  tout  était  rompu,  et  il  c^ongé- 
dia  les  plénipotentiaires.  Ils  reçu- 
rent également  la  même  déclara- 
tion du  généralissime,  qui  leur  fai- 
sait redemander  les  articles  rédi- 
gés de  l'armistice  :  ils  se  rendirent 
chez  lui,  mais  leurs  protestations 
fjrent  inutiles. 

Le  lendemain,  l'aide-dc-camp- 
géuéral  de  l'empereur  du  Russie 
étant  revenu  de  Funluincbleau,  ce 


5oo 


NAP 


prince  fit  appeler  les  plénipoten- 
tiaires, leur  avoua  qu'il  avait  été 
trompé,  et  leur  dit  avec  une  no- 
ble franchise  que,  tenant  à  se  jus- 
tifier à  leurs  yeux,  il  voulait  leur 
montrer  ce  qui  avait  dû  produire 
sa  conviction  :  alors  il  donna  ;\  lire 
la  lettre  d'un  général  français  at- 
taché à  la  maison  de  l'empereur, 
qui  écrivait  de  la  Ferté-Gaucher 
au  général  commandant  les  avant- 
postes  russes,  qu'il  venait  d'êti-e 
averti  du  départ  de  Napoléon  de 
Fontainebleau,  et  de  sa  fuite  par 
la  roule  de  Bourgogne;  qu'il  priait 
le  général  de  faire  parvenir  cette 
nouvelle  au  gouvernement  pro- 
visoire ,  afin  qu'il  pût  prendre  des 
mesures  convenables.  «  La  nature 
»de  cet  avis,  dont  je  suis  bien  aise 
»  de  vous  montrer  la  preuve,  ajoii- 
ntal'empercur,  vous  prouvera  que 
«mes  doutes  étaient  plus  que  f(m- 
»dés.  Hier  au  soir  j'ai  tout  sus- 
»  pendu;  mais  dès  à  présent  les 
»  choses  sont  remises  où  elles  é- 
«taient  avant  cette  fausse  nou- 
»  velle.  »  Ainsi  l'armistice  fut  con- 
clu, et  les  négociations  continuè- 
rent. 

La  publicité  qui  fut  donnée  à 
cet  armistice  dut  influer  puissam- 
ment sur  le  soldat,  qui  devenait 
tout- à -coup  en  quelque  sorte 
étranger  au  sort  de  son  géné- 
ral ,  à  la  fortune  de  Napoléon. 
Chaque  jour,  dans  les  premiers 
rangs  de  l'armée,  une  désertion 
silencieuse  s'échappait  de  Fontai- 
nebleau ;  le  cercle  diminuait  au- 
tour de  celui  qui  avait  eu  les  rois 
pour  courtisans,  et  Napoléon  put 
faire  jusqu'au  dernier  moment  de 
sombres  réflexions  sur  la  cons- 
tance des  hommes  à  suivre  l'in- 
constance de  la   fortune.  Chaque 


NAP 

jour  il  se  voyait  dépouillé  par 
d'incroyables  ingratitudes  de  ses 
plus  chères,  de  ses  plus  anciennes 
affections.  Les  noms  de  ceux  qui 
sont  restés  auprès  de  Napoléon 
jusqu'au  dernier  moment  ,  sont 
conservés  par  l'histoire.' La  poli- 
tique de  cette  époque  n'imposait 
l'ingratitude  à  personne.  Le  roi 
n'était  point  dans  son  palais  des 
Tuileries.  Il  ne  s'agissait  pas  de 
choisir  entre  Paris  et  Fontaine- 
bleau ,  entre  la  reconnaissance  et 
la  révolte.  Le  gouvernement  pro- 
visoire, qui  venait  de  naître  de  la 
conquête  des  alliés  ,  n'était  pas  la 
restauration;  sa  constitution  n'é- 
tait pas  une  loi.  Les  souveraias 
étrangers  n'étaient  légitimes  pour 
aucun  Français.  Encore  peu  de 
jours,  tout  était  sauvé  pour  les 
déserteurs  de  la  première  et  de  la 
seconde  abdication,  jusqu'à  leur 
fidélité.  Napoléon  n'eût  pas  con- 
nu l'affreux  supplice  de  l'abandon 
des  siens,  de  ses  vieux  frères  d'ar- 
mes, de  ses  derniers  courtisan?  ! 

Le  peu  d'intérêts  personnels  qui 
restaient  à  Napoléon  ,  était  confié 
à  Paris  au  dévouement  paiticulier 
du  duc  de  Vicence.  Dans  les  conver- 
sations particulières  qu'il  avait  eues 
avec  l'empereur  Alexandre,  ce  sou- 
verain, en  parlant  du  séjour  qui 
serait  accordé  à  Napoléon  ,  de  la 
Corse,  de  Corfou  ,  de  l'île  d'Elbe, 
avait  insisté  pour  celte  dernière 
résidence.  Ce  fut,  ce  qui  est  i  re- 
marquer, d'après  cette  première 
ouverture, que  lesplénipolentiaircs 
firent  valoir  comme  un  engage-' 
ment,  que  l'île  d'Elbe  fut  obtenue 
pour  Napoléon  comme  souverai- 
neté indépendante.  Il  fut  heureux 
que  cet  engagement  fût  antérieur 
à  la  défection  de  Marmont;  car. 


après  cet  éTénement,  les  alliés, 
éveillés  par  les  agens  de  la  restau- 
ration sur  le  danger  de  ce  voisi- 
nage pour  la  France,  ne  voulaient 
plus  accorder  l'île  d'Elbe  à  Napo- 
léon; mais  fidèle  à  sa  parole,  et 
sommé  en  quelque  sorte  par  le  duc 
de  Vicence,  l'empereur  Alexandre 
ne  crut  pas  loyal  d'y  manquer 
parce  que  les  circonstances  avaient 
changé. 

Napoléon  n'aurait-il  pas  été  plus 
grand  s'il  eût  jeté  sa  pourpre  to^it 
entière  au  lieu  d'en  conserver  un 
lambeau,  et  s'il  eût  choisi,  comme 
Dioclétien,  une  maison  dans  un 
village?  Mais  l'île  dElbe  était  un 
port  sur  la  France. 

Cependant,  dans  le  temps  où 
Napoléon  traitait  encore  d'une  om- 
bre de  grandeur  avec  les  souve- 
rains, le  maréchal  Soult  faisait  de 
nobles  adieux  à  la  gloire  militaire 
de  la  France,  le  jo  avril,  sous  les 
murs  de  Toulouse.  Après  la  ba- 
taille d'Orthez  du  27  février,  sa 
petite  armée,  échappant  à  70,000 
combattans,  s'était  lentement  et 
glorieusement  dirigée,  pendant  un 
mois  de  marche ,  d'Orlhez  sur 
Tarbes,  où  elle  avait,  le  20  mars, 
continué  sa  belle  retraite  ,  malgré 
l'armée  anglaise  aux  ordres  du 
maréchal  Beresford  ;  enfin ,  elle 
était  arrivée  au  nombre  de  3o,ooo 
hommes,  dont  un  quart  de  nou- 
veaux conscrits,  le  24  mars  dans 
la  ville  de  Toulouse.  En  quinze 
Jours  le  maréchal,  fort  de  lui- 
même  et  de  la  valeur  de  ses  trou- 
pes, avait  fait  un  vaste  camp  re- 
tranché de  la  capitale  du  Langue- 
doc; quinze  jours  aussi  avaient 
semblé  nécessaires  au  circonspect 
Wellington,  que  Soult  tient  eu 
échec  depuis  six  mois,  pour  atl:i- 


NAP 


5oi 


quer  3o,ooo  Français  avec  une 
armée  de  8o»ooo  vieux  soldais. 
Enfin  le  10  avril,  à  six  heures  dn 
matin,  l'action  s'était  engagée  au- 
tour de  l'immense  enceinte  que  le 
génie  du  maréchal  avait  su  forti- 
fier sous  les  yeux  de  son  ennemi. 
La^uit  seule  avait  terminé  cette 
grande  journée,  où  une  seule  re- 
doute, un  seul  canon  tombèrent 
au  pouvoir  des  Anglais,  où  un 
seul  moment  d'hésitation,  causée: 
par  la  mort  d'un  de  ses  généraux, 
empêcha  l'armée  française  d'être 
victorieuse.  Les  Français  ont  5, 60a 
hommes  tués  ou  blessés,  Welling- 
ton en  a  18,000.  Le  lendemain, 
trompant  encore  Wellingtoa,  à 
qui  il  doit  abandonner  Toulouse,, 
le  maréchal  se  met  en  marche  par 
le  département  de  l'Aude,  pour 
amener  à  Napoléon  une  de  ses 
plus  braves  armées.  Il  ne  sait  pas 
que  la  grande  bataille  qu'il  vient 
de  donner  a  été  dérobée  à  un  ar- 
mistice, que  la  cause  qu'il  défend 
n'est  plus,  que  la  gloire  qu'il  lui 
donne  est  une  gloire  posthume, 
il  l'apprend  dans  sa  marche  le  12, 
par  la  nouvelle  de  l'armistice  que 
Wellington  lui  envoie.  Ainsi  l'hé- 
roïque résistance  de  son  armée  n'a 
été  qu'un  dernier  sacrifice  à  la 
France.  Si  cependant,  et  en  sup- 
posant toujours  l'ignorance  de 
l'abdication,  l'armée  d'Arragon, 
commandée  par  le  maréchal 
Suchet,  et  dont  une  partie  était 
déjà  arrivée  à  Narbonue  ,  eût 
pu  se  joindre  à  Toulouse  à  l'ar- 
mée du  généralissime  maréchal 
Soult,  toute  la  campagne  de  Wel- 
lington en  France  était  anéantie; 
il  n'eût  jamais  vu  i»vec  ses  troupes 
les  bords  de  la  Seine.  La  jonction 
avec  l'armée  du  maréchal  Auge- 


5o2  NAP 

reiUi  Sfi  fnt  faite  ;ilors  dans  les  Cé- 
vcnnes;  celle  du  vice  roi,  qui  é- 
lait  alors  en  marche,  y  eftt  égale- 
inent  été  réunie;  et  une  autre 
France,  sous  les  drapeaux  d'une 
armée  de  cent  mille  comhaltans, 
\enait  sur  les  bords  de  la  Loire, 
et  sous  le  commandement  du  nia- 
réclial  Sonlt,  réclamer  noblement 
celle  qui  était  envahie,  et  délivrer 
le  grand  prisonnier.  Les  popula- 
tions, revenues  de  leur  première 
stupeur,  se  seraient  ralliées  autour 
du  palladium  de  la  patrie,  qu'une 
autre  grande-armée  aurait  seule 
conservé.  Une  nouvelle  canipagne 
se  fût  ouverte  par  des  combats 
vraiment  dignes  de  la  France;  la 
terre  natale  eût  enl'anté  des  légions 
dont  Napoléon  eût  entendu  les 
acclamations  du  donjon  impérial 
de  Fontainebleau  ,  et  ressaisissant 
sans  doute  alors  sa  première  réso- 
lution de  marcher  sur  la  Loire,  il 
eût  avec  sa  troupe  sacrée  brisé  les 
entraves  d'une  négociation  dont 
il  n'est  que  le  captif;  il  eût  réparé 
ainsi  la  faute  mortelle  de  sa  mar- 
che sur  Paris,  celle  plus  mortelle 
encore  d'être  resté  à  Fontaine- 
bleau, quand  il  avait  pour  ma- 
nœuvrer les  deux  tiers  de  la  Fran- 
ce; et  il  eût  été  justement  absous 
d'avoir  été  pendant  vingt  ans  l'ar- 
bitre de  ses  destinées,  en  sachiuit 
jusqu'à  la  fin  combattre,  vaincre 
ou  mourir  pour  elle.  L'irruption 
romanesque  de  l'île  d'Elbe,  mal- 
gré son  merveilleux,  n'aura  jamais 
dans  la  postérité  française  la  place 
qu'aurait  eue  le  noble  exemple 
d'un  pareil  dévouement.  Le  sui- 
cide de  Fontainebleau  ne  serait  il 
pas  le  repentir  de  la  négociation 
de  Paris? 

Pendant  cette  négociation,  Na- 


NAP 

poléon ,  qui  n'avait  pas  oublié  le 
chagrin  que  lui  avait  causé  sa  der- 
nière abdication,  fil  écrire  et  écri- 
vit lui-mC'me  au  duc  de  Vicence 
pour  la  lui  redemander.  Le  duc 
lui  répondit  :  Que  manquer  aux 
engagemens  qu'il  avait  pris,  serait 
sacrifier  tous  les  intérêts  de  Sa 
Majesté;  que  l'acte  d'abdication 
était  la  base  principale  de  la  né- 
gociation, et  qu'Une  prendrait  ja- 
mais sur  lui  les  graves  inconvéniens 
qui  pourraient  en  résulter,  s'il  cé- 
dait à  ses  intentions.  Cependant 
Napoléon  parut  le  premier  jour 
avoir  pris  son  parti ,  et  la  manière 
dont  il  l'annonça  à  ceux  qui  len- 
lom-aient  mérite  d'être  conservée. 
vMaintenant ,  dit-il,  que  tout  est 
»  terminé,  puisque  je  ne  puis  rester, 
»ce  qui  vous  convient  le  mieux  c'est 
nia  famille  des  Bourbons;  elle  ral- 
D liera  tous  les  partis...  Moi,  je  ne 
»  pouvais  garder  la  France  autre 
nqu'etle  était  quand  je  l'ai  prise... 
»  Lotis  ne  voudra  pas  attacher  son 
nnom  à  un  mauvais  régne;  s'il 
•  fait  bien,  il  se  mettra  dans  mon 
«lit,  car  il  est  bon...  Qu'on  se 
»  garde  surtout  de  toucher  aux 
«biens  nationaux.  Le  roi  aura 
«beaucoup  à  faire  avec  le  faubourg 
wSaint-Gennaiu  ;  s'il  veut  régner 
«long-temps,  il  faut  qu'il  le  tienne 
»en  état  de  blocus:  il  est  vrai 
«qu'alors  il  n'en  sera  pas  plus  ai- 
»mé  que  moi;  c'est  une  colonie 
n  anglaise  au  milieu  de  la  France, 
«qui  rapporte  tout  à  elle,  et  s'in- 
»  quiète  peu  du  repos  et  du  bon- 
»heur  de  la  patrie,  pourvu  qu'elle 
«jouisse  des  privilèges,  des  hon- 
«neurs  et  de  la  fortune...  Si  j'étais 
»de  Louis  XVIII.  je  ne  conserve- 
»rais  pas  ma  garde,  il  n'y  a  que 
«moi  qui   puisse  la  manier...   A 


NAP 

«présent,  messieurs,  que  vous 
»;ivez  un  autre  gouvernement,  il 
«faut  vous  y  attacher  franclie- 
»ment,  je  vous  y  engage,  je  vous 
a  l'ordonne  même;  ainsi  ceux  qui 
»  désirent  aller  à  Paris,  avant  que 
»je  parte,  sont  libres  de  s'y  ren- 
»'dre;  ceux  qui  veulent  rester,  fe- 
nront  bien  d'envoyer  leur  adhé- 
«  sion.  » 

Beaucoup  de  témoins,  par  leur 
prompte  soumission  au  gouverne- 
ment provisoire,  ««^donnèrent  la 
satisfaction  de  colorer  leur  em- 
pressement d'une  dernière  et  gé- 
néreuse soumission  aux  intenlioHS 
de  l'empereur. 

Cependant  Napoléon  ne  prend 
pas  pour  lui  la  résignation  qu'il 
conseille  à  ceux  qui  renlourent , 
et  il  repousse  le  traité  de  Paris. 
«A  quoi  bon  ce  traité,  dit-il  à  ses 
»  plénipotentiaires  ,  puisqu'on  ne 
»  veut  pas  régler  avec  moi  ce  qui 
«concerne  les  intérêts  de  la  Fran- 
rtce?  du  moment  qu'il  ne  s'agit 
»p!us  que  de  ma  personne,  il  n'y 
»a  plus  de  traité  à  faire.  Je  suis 
«vaincu,  je  cède  au  sort  des  ar- 
j>mes;  seulement  je  demande   à 

•  n'être  pas  prisonnier  de  guerre, 
»el  pour  me  l'accorder,  un  simple 

•  cartel  doit  suflTire;  d'ailleurs  il  ne 
"faut  j)as  wne.  grande  place  pour 
«enterrer  un  soldat.  » 

Napoléon  ne  pense  pas  qu'il  est 
déjà  plus  qu'un  prisonnier  de 
guerre,  qu'il  est  un  véritable  pri- 
sonnier d'état,  écroué  par  l'Eu- 
rope dan!<  son  propre  palais,  sous 
la  qualification  de  l'es>"Emi  com- 
Wi'N  ;  qu'il  est  devenu  le  justicia- 
ble des  armées  ennemies  :  qu'il 
n'est  plus  le  général  de  celle  qu'il 
appelle  la  sienne,  de  cette  armée 
qui  voudrait  toujours  le  défendre. 


NAP 


5o3 


et  qui  est  condamnée  à  paraître  le 
garder  pour  les  roi?  qui  atlcnden  t, 
sous  peine  d'un  châtiment  incon- 
nu, la  ratification  du  traité  de  Pa- 
ris! ses  jours  sont  peut-être  me- 
nacés s'il  ne  signe  pas.  Rien  aussi 
ne  le  garantit  quand  il  aura  signé; 
pour  lui  tout  est  fatal.  Dans  le 
moment  où  l'on  publiait  à  Paris 
l'acte  d'abdication  absolue  et  l'ad- 
hésion de  l'armée  à  la  restaura- 
tion ,  on  annonçait  aussi  l'arrivée 
de  Monsieur,  frère  du  roi.  Le  len- 
demain, ce  prince  fit  son  entrée 
solennelle,  Napoléon  n'ignorait 
aucune  de  ces  circonstances,  ni 
aucun  de  ses  périls;  mais,  inflexi- 
ble dans  sa  volonté  comme  au 
temps  de  ses  prospérités,  n'ayant 
plus  qu'elle  pour  puissance,  ne 
reconnaissant  plus  qu'elle  pour 
destinée  ,  il  persista  toute  la  jour- 
née du  12  avril  dans  le  refus  de 
ratifier  le  traité. 

Ce  traité  se  ressentait  de  l'in- 
fluence des  malheureuses  circons- 
tances qui  y  avaient  présidé.  Les 
difficultés  et  les  objections  se  suc- 
cédaient à  Paris  lors  de  sa  discus- 
sion ,  comme  les  adhésions  se 
succédaient  à  Fontainebleau.  Maî- 
tres de  tout,  plus  sûrs  chaque 
jour  d'une  grande  défection,  les 
alliés  usèrent  amplement  du  droit 
du  plus  fort.  L'empereur  d'Autri- 
che se  tenait  toujours  loin,  par 
une  sorte  de  pudeur  d'état,  qui 
naissait  autant  de  sa  politique 
que  de  son  lien  de  famille  avec 
Napoléon  M.  de  Melternich  était 
resté  près  de  son  souverain.  Lord 
Castelreagh ,  menacé  peut-être 
de  quelque  disgrâce  parlementai- 
re de  la  part  de  l'opposition  . 
échappait  également  à  toute  ppr- 
tialilc,   en  partageant    la  retraite 


ao4 


ISAP 


du  cabinet  autrichien;  et  à  Paris, 
l'on  profilait  de  leur  absence  pour 
ne  rien  terminer.  Enfin,  le  ii  a- 
vril  le  traité  fut  signé  avec  toutes 
les  puissances,  et  l'abdication  fut 
remise  au  gouvernement  provi- 
'  soire  en  échange  de  son  accepta- 
tion au  traité.  11  était  plus  de  mi- 
nuit quand  les  plénipotentiaires 
se  présentèrent  au  gouvernement 
provisoire.  Des  formalités  le  re- 
tinrent toute  la  nuit. 

Le  duc  de  Vicence  et  le  maré- 
chal Wacdonald  se  rendirent  seuls 
immédiatement  à  Fontainebleau , 
pour  reuietlre  le  traité  A  l'empe- 
reur. Ils  n'y  arrivèrent  que  le  12 
dans  la  journée.  Un  plénipoten- 
tiaire russe  y  arriva  aussi  pour 
en  échanger  les  ratifications,  afin 
que  Napoléon  n'eût  aucun  doute 
sur  son  exécution.  Mais  rien  ne 
pressait  Napoléon  de  se  décider. 
11  semblait  également  indifférent 
au  refus  età  l'acceptation  des  ra- 
tifications. Il  était  intérieurement 
dominé  par  un  autre  sentiment. 
La  secrétairerie  d'état  travaillait 
aux  expéditions,  et  elle  y  passa 
toute  la  nuit.  Le  plénipotentiaire 
russe  se  présenta  avec  de  nouvel- 
les diffîcultés  qui  blessaient  l'hon- 
neur de  Napoléon.  Les  prétentions 
qu'il  mit  en  avant  pour  avoir  un  or- 
dre de  l'empereur,  relatif  à  la  re- 
mise des  places  fortes  aux  alliés, 
indignèrent  ce  prince,  et  quelques 
discussions  assez  vives  eurent  lieu 
chez  le  prince  de  Neuchûtel.  La 
demande  incidentellc  du  plénipo- 
tentiaire russe  fut  refusée.  Puis- 
qu'on n'avait  pas  voulu  continuer 
de  traiter  avec  Napoléon  pour  la 
France  ,  il  était  au  moins  é- 
trange  de  vouloir  lui  faire  donner 
Tordre   de  livrer  ses  forteresses. 


NAP 

N 

Napoléon  passa  une  partie  de  la 
soirée  avec  le  duc  de  Vicence,  et  se 
retira  à  1 1  heures. 

Le  palais  de  Fontainebleau  est 
plongé  dans  le  silence  le  plus  pro- 
fond. Personne  n'y  dormait  peut- 
être.  Mais  ce  vaste  édifice  parais-* 
sait  au  moins  livré  au  repos,  qui 
succède  à  de  grandes  agitations. 
Nul  bruit  au  dedans.  Au  dehors, 
on  n'entendait  que  les  pas  des 
sentinelles  françaises,  qui  veil- 
laient sur  le  captif  européen. 
Au  loin,  les  échos  pouvaient  ré- 
péter le  bruit  inquiet  et  inégal  du 
qui-vke  étranger,  dont  les  appels 
monotones  répétés  dans  les  idio- 
mes de  l'Europe,  et  d'une  partie 
de  l'Asie,  circulaient  sans  inter- 
ruption autour  du  camp  français. 
Au  mileu  du  silence  qui  remplit 
le  palais,  dont  le  repos  majes- 
tueux fut  une  fois  troublé  par  la 
vengeance  sanglante  d'une  reine 
du  Nord,  et  tant  de  fois  l>ar  les 
fêtes  brillantes  de  nos  derniers 
rois.  Napoléon,  qui  veille,  fait 
demander  à  une  heure  du  matin  le 
duc  de  Vicence.  Quand  ce  ministre 
entra,  l'empereur  posait  une  tasse 
vide  sur  une  table.  Napoléon  lui 
dit  de  prendre  dans  son  cabinet 
le  portefeuille  qui  contenait  le 
portrait  et  les  lettres  de  l'impéra- 
trice. «  (iardez-les,  lui  dit  l'empe- 
«reur,  vous  les  remettrez  un  jour 
))à  mon  fils;  ne  le  quittez  pas. 
»  Soyez-lui  fidèle  comme  à  moi. 
"Remettez  à  l'impératrice  la  let- 
«tre  que  voici.  Dites-lui  que  je 
»ne  déplore  mes  malheurs  qu'à 
«cause  d'elle  et  du  roi  de  Rome. 
«N'ayant  pu  faire  triompher  la 
«France  de  ses  ennemis,  je  ne 
«regrette  point  la  vie.  »  L'empe- 
reur lui  dicta  ses  atitrcs  volonté.s. 


NAl* 

rt  lui  fil  présent  de  son  porlrail 
«ur  un  camée.  Napoléon  lui  par- 
lait encore,  quand  il  fut  interroui- 
pu  par  une  crise  subite  qui  eCFraya 
le  duc  de  Vicence.  Ln  voile  sem- 
blait couvrir  les  yeux  de  l'empe- 
reur, qui  invoquait  la  fin  d'une  a- 
gonie  si  douloureuse  pour  lui, 
51  affreuse  pour  celui  qu'il  en  ren- 
dait le  témoin.  Parfois  il  parais- 
sait s'assoupir  pour  ne  plus  se  ré- 
veiller, quand  une  sueur  de  glace 
le  couvrit,  et  soudain  une  convul- 
sion violente ,  qui  roidit  tous  ses 
membres ,  amena  des  vomisse- 
njens.  Napoléon  tenait  fortement 
Je  duc  de  Vicence,  afin  qu'il  ne 
lui  échappât  point,  lui  répétant, 
que  s'il  était  son  ami,  il  ne  devait 
pas  s'opposer  à  cequ'il  terminât  son 
existence,  et  qu'il  n'avait  aucune 
raison  pour  vouloir  que  d'autres 
fussent  témoins  de  son  agonie. 
Ce  combat  de  la  vie  contre  la 
mort  dura  près  de  trois  quarts 
d'heure.  Enfin  les  vomissemeus 
ayant  débarrassé  l'empereur  , 
«  C'en  est  fait ,  dit-il,  la  mort  ne 
rtveut  pas  de  moi.  »  Il  permit  alors 
au  duc  de  Vicence  d'appeler  un 
valet-de-chambre,  et  il  en  profita 
pour  faire  demander  son  chirur- 
gien. M.  Yvau  arriva,  et  Napoléon 
lui  demanda  avec  instance,  avec 
autorité  même,  de  lui  donner 
une  potion.  Altéré  par  cette  étran- 
ge demande,  M.  Yvan  sortit, 
descendit  précipatemment ,  sauta 
sur  un  cheval,  et  quitta  Fontaine- 
bleau. Le  duc  de  Vicence  fit  aver- 
tir le  grand-maréchal  Bertrand  , 
et  le  comte  de  Turenne,  maître 
de  la  garde-robe,  qui  arrivèrent 
dans  l'appartement. 

11  y  avait  deux  jours  que  Na- 
poléon menait  tout  en  usage  pour 


NAl' 


5u5 


que  ses  gens  lui  apportassent  du 
charbon  dans  le  dessein  de  s'as- 
phyxier dans  le  bain.  N'ayant  pu 
obtenir  d'eux  ce  qu'il  leur  deman- 
dait, il  avait  préparé  ses  pisto- 
lets, mais  son  mameluck  et  ses 
valets-de-  chambre  s'en  étant  a- 
perous,  avaient  Ole  l'amorce  et 
fait  disparaître  la  poudre. 

La  crise  fut  si  violente,  qu'il  fut 
impos!?ible  à  l'empereur  de  se  le- 
ver avant  II  heures,  pour  expé- 
dier le  maréchal  Macdonald.ïl  es- 
saya vainement<lese  lever  plus  tôt. 
Ses  jambes  ne  pouvaient  le  soute- 
nir. Sou  visage  était  renversé  .  ses 
yeux  renfoncés  dans  leur  cavité, 
son  teint  livide,  ses  membres  bri- 
sés ;  enfin  cette  nature  extraordi- 
naire triompha  de  la  mort,  et  son 
âme  et  son  caractère  reprirent 
toute  leur  supériorité  sur  ses  in- 
fortunes. Sa  dernière  volonté  avait 
été  la  mort.  Il  n'en  avait  plus  à 
remplir,  il  n'en  avait  plus  à  oppo- 
ser à  sa  destinée.  Il  signales  rati- 
fications. Il  congédia  ensuite  le 
maréchal  Macdonald,  à  qui  il  don- 
na un  sabre,  pour  le  remercier  de 
la  fidélité  qu'il  lui  avait  montrée, 
regrettant  de  n'avoir  plus  à  lui  of- 
frir d'autres  témoignages  de  son 
estime.  Ces  adieux  furent  égale- 
ment honorables  pour  Napoléon 
et  pour  le  maréchal .  que  pendant 
tout  le  temps  de  la  négociation  il 
se  plut  à  nommer  «M  hommed' hon- 
neur. 

Le  poison  que  Napoléon  avait 
pris,  avait  été  inventé  par  Caban» 
dans  le  temps  des  fureurs  révolu- 
tionnaires, pour  soustraire  ses  ami> 
et  lui  aux  supplices  de  la  terreur. 
Napoléon  l'avait  constamment  por- 
té sur  lui  depuis  le  départ  de  Mos- 
kou;  il  avait  peut-être  craint  de 


5o()  NAP 

toïiiber  vivant  dans  les  mains  de 
l'empereur  de  Russie.  Il  étiiitloin 
de  prévoir  alors  qu'il  ne  se  servi- 
rait de  ce  funeste  secouis,  que 
quiiudson  palais  de  Fontainebleau 
lui  servirait  de  prison,  et  après  a- 
"V'oir  refusé  trois  fois  la  paix  de  ce- 
lui qu'il  était  venu  attaquer,  à  huit 
cents  lieues  de  sa  propre  capitale! 
Le  destin  ne  voulut  point  que  le 
poison  du  fugitif  de  Moskou  ven- 
{jeàt  de  sa  défaite  le  vaincu  de 
i'^ontainebleau. 

Par  le  traité  signé  le  i  i  à  Pa- 
ris et  le  i5  à  Fontainebleau,  l'em- 
pereur Napoléon,  l'impératrice  et 
tous  les  membres  de  la  famille  im- 
périale, conservent  leurs  titres  et 
qualités.  L'île  d'Elbe  est  donnée  à 
Napoléon  en  tante  souveçaineté  , 
avec  deux  millions,  dont  un  ré- 
versible à  l'impératrice,  à  la  char- 
ge de  la  France;  les  duchés  de  Par- 
me, Plaisance  et  Guastalla,  sont 
donnés  à  l'impératrice  en  toute 
propriété,  et  passeront  à  son  fds , 
qui  en  prendra  le  titre.  Deux  mil- 
lions cinq  cent  mille  francs  de  ré- 
venus, sont  ailcctés  comme  pro- 
priété, et  transmissibles  à  leurs  hé- 
ritiers, aux  membres  de  la  famille 
impériale  ,  indépendamment  de 
h'ur  fortune  particulière;  un  mil- 
lion est  fixé  pour  le  traitement  an- 
nuel de  l'impératrice  Joséphine; 
un  établissement  convenable  est 
assuré,  hors  de  France,  au  prince 
\ice-roi.  Sur  les  fonds  que  l'em- 
pereur abandonne  à  la  couronne  , 
vn  capital  de  deux  millions  est 
réservé  pour  des  gratifications  aux 
généraux  de  sa  garde,  à  ses  aides- 
de-camp,  à  sa  maison."  L'art.  i3 
»  porte  que  les  obligations  du  Mon- 
»te-Napoleone  de  Milan,  envers 
«tous  les  créanciers  de  Napoléon, 


1NAP 

»soit  français,  soit  étrangers,  sc- 
nront  exactement  remplis.  »  (^C'é- 
tait la  seule  condition  que  Napoléon 
avait  mise  à  r abdication  du  trône 
d'Italie:  elle  n'a  pas  été  remplie.^ 
L'article  17  porte  ce  qui/Suit  :  «  S. 
M.  l'empereur  Napoléon  pourra 
emmener  avec  lui,  et  coriservei 
pour  sa  garde,  quatre  cents  hom- 
mes de  bonne  volonté,  «etc...  Lu 
an  plus  tard  la  France  devait  mal- 
heureusement apprendre  ce  que 
pouvait  Napoléon  avec  ces  4^0 
hommes  ! 

Tel  fut  le  traité  de  Fontaine- 
bleau. L'armistice  pidjlié  par  le 
major-géjiéral  Berthier,  avec  l'or- 
dre d'adhésion  au  gouvernement 
provisoire,  arrêta  tout -à- coup  , 
dans  le  Nord,  les  succès  du  géné- 
ral iMaisons,  que  les  Bt-lges  rap- 
pelaient en  libérateur.  Le  maré- 
chal Soiilt,  en  son  nom  et  au  nom 
du  maréchal  Suchet,  dut  conclu- 
re un  armistice  avec  lord  Welling- 
ton. Le  général  en  chef  Decaen 
en  signa  un  pour  son  armée  de  la 
Gironde  ,  avec  lord  Dalhousie  ;  et 
le  maréchal  Aiigereau,  après  avoir 
conclu  le  sien  avec  le  prince  de 
Hesse-Hombourg,  ailressait  à  son 
armée  cette  allocution  également 
loyaliste  et  républicaine  : 

«  Soldas,  vous  êtes  déliés  de 
»  vos  sermens.  Vous  en  êtes  déliés 
«  par  la  nation ,  en  qui  réside  la 
i> souveraineté.  Vous  l'êtes  encore 
«par  l'abdication  d'un  houunequi, 
«après  avoir  immolé  des  milliers 
»  de  victimes  à  sa  cruelle  ambition, 
wAt'fl  pas  sa  mourir  en  soldat.  Ju- 
«rons  fidélité  à  Louis  XVIII,  et 
i>  arborons  la  couleur  irainientfran- 
rtçaise.  »  Le  soldat  Augereau,  ou- 
bliant qu'il  était  duc  de  Castiglio- 
ne,  maréchal  de  l'empire,  recon- 


KAP 

naissait  un  peu  tardqnela  couleur 
sous  laquelle  il  avait  fait  sa  haute 
IVirtune,  n'était  pas  la  couleur  fran- 
çaise :  il  dcvaitcependaiit  le  savoir, 
puisqu'il  était  déserteur  avant  la 
lévoluliou ,  à  laquelle,  dé>erteur 
aussi  du  service  étranger,  il  vint 
demander  son  auuiislie.  D'ailleurs 
il  n'avait  pas  acquis  dans  celle 
dernière  cainj)agne  le  droit  de  di- 
re que  >'apoléon  n'avait  pas  su 
viourir  en  soldat,  quand  lui-uiên)e 
n'avait  pas  su  obéir,  le  16  mars, 
à  son  général  en  chef,  qui  lui  a- 
vait  ordonné  de  marcher  sur  Ye- 
soul.  Il  n'en  avait  pas  le  droit, 
(|uand  il  avait  tait  à  l'armée  de 
Champagne  le  même  mal  que  la 
•  léfeclion  du  général  York  avait 
lait  à  celle  de  Moskou;  quand,  par 
sa  désobéissance  ,  il  avait  livré 
l.yon  le  2  1  mars,  aux  Autrichiens; 
quand  enfin  ilavait  été  lapreujière 
cause  militaire  des  désastres  de  l'ar- 
mée de  Napoléon,  après  les  prodi- 
gieuse succès  qui,  par  la  seule  coo- 
p' ration  de  l'armée  de  Lyon,  pou- 
vaient chasser  l'étranger  du  terri- 
toire de  la  FrAnce!  L'armée  à  qui 
il  parla  ainsi  fit  tout  son  devoir: 
t-liç  obéit  à  Augereau,  et  elle 
respecta  Napoléon. 

L'abdication  passa  aussi  les  Al- 
pes, et  vint  avertir  le  vice-roi  qu'il 
n'y  arait  plus  p(»ur  lui  ni  drapeau 
français  ni  drapeau  italien.  L'éva- 
cuation de  rilalie  fut  convenue, 
entre  ce  prince  el  le  maréchal  Bel- 
legarde,  par  des  cnmtnissaires. 
Iajs  adieux  de  l'armée  française  à 
la  belle  Italie,  durent  arriver  jus- 
qu'au cœur  de  Napoléon.  Ce  ber- 
ceau de  sa  gloire  devint  aussi  pour 
lui  un  monument  funèbre.  Ainsi 
tombaient  succcssivemant  les  lam- 
beaux du  grand  empire  :  il  ne  rcs- 


KAP 


Do- 


tait plus  que  les  échos  d'une  gran- 
deur déjà  tout  ensevelie,  et  Na- 
poléon survivant  à  l'empire  fran- 
çais et  à  lui-même,  rappelait  d'u- 
ne manière  bien  tragique,  cet  au- 
tre autocrate.  Charles-Quint,  qui 
voulut  être  le  témoin  de  ses  propres 
funérailles.  ¥,n  effet, depuis  le  i3, 
le  pavillon  blanc  et  la  cocarde 
royale  avaient  été  substitués  au 
pavillon  et  à  la  cocarde  tricolores. 
Napoléon,  depuis  ce  jour,  était  le 
banni  justiciable  du  royaume  de 
France.  Le  lenden»ain,  i4<  Mo>- 
siEi'R  était  proclamé  lieutenant- 
général  du  royaume;  le  i5,  Na- 
poléon n'était  plus  ni  époux  ni  pè- 
re. L'empereur  d'Autriche  ne  re- 
paraissait sur  la  scène  que  pour 
lui  enlever  sa  femme  et  son  fils, 
auxquels  Napoléon  s'était  obs- 
tiné, on  ne  sait  pourquoi,  à  ne 
pas  se  réunir.  Leur  départ  pour 
Yienne  fut  «lécidé  au  Peiit-Tria- 
non. 

La  veille  du  jour  où  Napoléon 
devait  quitter  Fontainebleau,  ar- 
riva de  Moulins  le  général  Mon- 
tholon  ;  admis  dans  le  cabinet  de 
l'empereur,  ce  général  lui  proposa 
de  se  rendre,  soit  à  Koannes,  soit 
à  31ou!ins,  où  il  serait  reçu  par 
un  corps  de  10,000  hommes.  H 
assura  que  par  la  roule  des  mon- 
tagnes. Napoléon  pourrait  rallier 
les  corps  d'armée  des  maréchaux 
Soult,  Augereau  et  Suchel ,  et  se 
trouver  à  la  tête  d'une  armée  de 
100,000  hommes.  «//  n'est  plus 
»  temps,  répondit  Napoléon,  j'flt 
«abdiqué ,  tout  est  fini;  Je  ne  veux 
n  point  avoir  à  me  reprocher  la  guer' 
n  re  civile.  Mais  je  n'oublierai  Ja- 
nmais  ce  que  vous  êtes  veiut  me 
B  proposer.  Jamais,  enlendez-vous.  » 

Enfin  le  -Jo  avril,  N.ipoléon  doit 


fioS 


NAP 


quitter  son  dernier  palais,  il  doit 
quitter  sa  dernière  armée,  il  doit 
se  séparer  de  sa  garde!...  elle  est 
encore  sous  les  armes!...  Ils  sont 
tous  rangés  dans  les  cours  du  pa- 
lais pour  la  parade  des  adieux!... 
Leurs  vieux  .visages  guerriers, 
noircis  par  tous  les  climats,  ne  se 
lèvent  point  vers  Tastre  qui  les 
guidait  toujours  à  la  victoire...; 
cet  astre  est  à  son  déclin.  Ils  sui- 
vent sa  triste  fortune;  leurs  re- 
gards sont  fixés  sur  la  terre  que 
^Napoléon  va  quitter.,..  En  traver- 
sant les  rangs  de  ses  braves,  il  re- 
voit toute  sa  gloire;  il  reconnaît 
tous  ses  exploits.  Il  y  a  encore 
parmi  eux  quelques  grenadiers 
d'Arcole,  d'Aboukir,  de  Marengo. 
Tous  les  autres  datent  d'Auster- 
litz,  d'Iéna,  de  Friedland,  de  Ma- 
«Irid,  de  Wagram,  de  iMoskou,  de 
Lutzen,  de  Bautzen,  de AVurschen; 
ils  viennent  d'être  décimés  en 
France  dans  vingt  combats,  où 
ils  ont  toujours  vaincu....  En  con- 
templant ces  témoins  de  tant  de 
travaux  glorieux  si  loin  de  lui,  Na- 
poléon se  croirait  transporté  en 
songe  dans  la  galerie  des  ancêtres, 
tant  il  est  déshérité,  tant  ils  sont 
immobiles  et  silencieux. 

Cependant,  par  un  effort  pres- 
que surnaturel ,  il  rassemble  le 
peu  de  forces  qui  lui  restent,  et 
d'une  voix  brisée  comme  son 
âme  : 

«Je  vous  fais  mes  adieux  ,  leur 
»dit  il;  depuis  vingt  ans  que  nous 
')  sommes  ensemble  je  suis  content 
»  de  vous.  Je  vous  ai  toujours  trou- 
»)  vés  sur  le  chemin  de  la  gloire. 
«Toutes  les  puissances  de  l'Euro- 
»  pc  se  sont  armées  contre  moi. 
«Quelques-uns  de  mes  généraux 
«ont  trahi  leur  devoir,  et  la  Fran- 


NAP 

»ce  elle-même  a  voulu  d'autres 
«destinées.  Avec  vous  et  les  bra- 
»ves  qui  me  sont  restés  fidèles 
«j'aurais  pu  entretenir  la  guerre 
«civile,  mais  la  France  eût  été 
»  malheureuse.  Soyez  fidèles  à  vo- 
«tre  nouveau  roi  :  soyez  soumis  à 
«vos  chefs, et  n'abandonnez  point 
•  notre  chère  patrie.  Ne  plaignez 
«pas  mon  sort  :  je  serai  heureux 
«lorsque  je  saurai  que  vous  l'êtes 
«vous-mêmes.  J'aurais  pu  mou- 
«rir,  mais  je  veux  suivre  encore 
«le  chemin  de  l'honneur.  J'écri- 
»rai  les  grandes  choses  que  nous 
«avons  faites;  je  ne  puis  vous  em- 
»  brasser  tous,  mais  j'embrasse 
«votre  général.  Venez,  général 
»  Petit,  que  je  vous  presse  sur  mon 
«cœur.  Qu'on  m'apporte  l'aigle, 
nque  je  l'embrasse  aussi!  Ah! 
«chère  aigle,  puisse  le  baiser  que 
«je  te  donne  retentir  dans  la  pos- 
«térité!  Adieu,  mes  enfans,  mes 
«vœux  vous  accompagneront  tou- 
»  jours.  Gardez  mon  souvenir.  » 

Cet  adieu  solennel  fut  déchirant 
par  l'émotion  qui ,  pour  la  pre- 
mière fois,  attendrit  le  visage  de 
Napoléon  devant  ses  soldats.  11 
pleurait,  ils  pleurèrent  aussi.  Cet- 
te douleur  commune  eut  quelque 
chose  de  sublime  parce  qu'elle  é- 
tait  généreuse  de  la  part  des  sol- 
dats. Napoléon  monta  en  voiture 
avec  le  général  Bertrand  :  une 
faible  escorte  le  suivit;  il  fut  ac- 
compagné, pour  en  être  protégé 
en  France  pendant  son  voyage, 
par  des  commissaires  des  puis- 
sances étrangères.  Le  même  jour 
où  Napoléon  quittait  Fontaine- 
bleau en  exilé,  Louis  XVIII  fai- 
sait son  entrée  solennelle  en  qua- 
lité de  roi  de  France  à  Londres, 
dans  la  capitale  de  l'état  qui  vc- 


nait  de  détrôner  Napoléon,  Ainsi 
rien  ne  manquait  à  la  catastrophe 
qui  précipitait  cet  homme  si  ex- 
traordinaire; la  fortune  qui  le 
proscrivait  se  plaisait  à  fournir  à 
l'histoire  cet  étrange  rapproche- 
ment ou  cet  étrange  contraste,  le 
20  avril  1814. 

Le  départ  de  Napoléon  éprouva 
des  retards  par  des  difficultés  sans 
nombre  qui  furent  suscitées  par 
le  gouvernement  provisoire,  soit 
pour  soa  voyage,  soit  pour  la  re- 
n)ise  de  i'ile  d'Elbe.  On  ne  voulait 
ni  qu'il  partît,  ni  qu'il  restât:  c'esi- 
sà-dire,  on  ne  voulait  point  qu'il 
fût  souverain  de  l'île  d'Elbe,  mal- 
gré le  traité,  et  on  multipliait  les 
entraves  à  son  exécution  sans  dou- 
te afin  d'irriter  tellement  Napo- 
léon, qu'on  pût  le  porter  à  ou- 
blier lui-même  le  traité,  et  que 
dès-lors  on  dût  le  considérer  com- 
me un  proscrit  qui  aurait  rompu 
son  ban,  et  à  qui  suffirait  pour 
résidence  dernière  l'enceinte  d'une 
prison.  Le  duc  de  Vicence  dut 
retourner  à  Paris  pour  lever  tant 
de  difficultés,  et  Napoléon  dut 
1  accomplissement  de  tout  ce  qui 
avait  été  promis,  convenu  et  si- 
gné ,  à  la  loyale  assistance  de 
l'empereur  de  Russie. 

Il  en  fut  de  même  pour  les  ra- 
tifications du  traité  avec  les  puis- 
sances :  elles  étaient  de  la  plus 
haute  importance  pour  Napoléon. 
Elles  ne  purent  être,  en  raison  des 
formalités,  que  successivement 
échangées  avec  le  duc  de  Vicence, 
qui  continua  à  défendre,  avec  un 
courage  imperturbable ,  tous  les 
intérêts  d'un  auguste  malheur. 
Les  ratifications  de  l'Angleterre 
n'arrivèrent  que  lorsque  Napo- 
léon était  déjà  ù  l'île  d'Elbe,  et  ce 


NAP 


5og 


ne  fut  pas  sans  peine  que  le  duc 
de  Vicence  obtint  enfin  l'acces- 
sion promise  du  gouvernement 
royal  au  traité  de  Fontainebleau. 
Cette  accession  ne  lui  fut  remise 
qu'après  la  signature  du  traité  du 
3i  mai;  Napoléon  la  reçut  à  l'île 
d'Elbe  par  M""*  la  comtesse  Ber- 
trand, à  qui  le  duc  de  Vicence  la 
confia.  Cette  pièce  importante  fait 
justice  de  ceux  qui,  depuis  1814, 
se  sont  hasardés  à  dire  que  le  gou- 
vernement du  roi  n'avait  pas  re- 
connu le  traité  de  Fontainebleau, 
qu'il  ne  s'était  engagé  à  rien,  n'a- 
vait rien  garanti,  et  que  le  fugitif 
de  l'île  d'Elbe  se  plaignait  à  tort 
que  le  traité  fait  avec  lui  ne  fût 
pas  exécuté. 

La  haine,  ot  peut-être  l'assassi- 
nat, s'étaient  embusqués  dans  le 
midi  sur  la  route  de  Napoléon.  On 
sait  qu'une  troupe  est  partie  ar-» 
mée  ot  disposée  par  Maubreuil 
pour  de  sinistres  desseins.  La  per- 
sécution avait  disposé  ses  relais. 
Aux  différentes  stations,  Napoléon 
reçut  les  imprécations  et  entendit 
les  menaces  de  ces  monstres  que 
produisent  les  troubles ,  de  ceux 
qui  s'appelèrent  à  Paris  les  égor- 
geurs  de  septembre;  à  Avignon, 
les  massacreurs  de  la  glacière;  à 
Lyoti,  les  mitrailleurs  ;  les  noyeurs 
à  Nantes;  dans  toute  la  France, 
les  assassins  des  prisons;  de  ceux 
qui  ddivent  bientôt  égorger  le  gé- 
néral Ramel  et  le  maréchal  Bru- 
ne, et  qui,  tout  couverts  de  for- 
faits révolulionnairc'i,  doivent  en- 
sanglanter, au  nom  du  trône  et  de 
l'autel  qui  les  réprouvent,  les  dé- 
parfemens  de  l'Hérault  et  du 
Gard.  Cette  confrérie  du  crime 
reparaît  à  toutes  les  grandes  cri- 
ses de  la  France;  il  suÛit  que  le. 


5io 


INAP 


mot  le  vengeance  soit  prononcé, 
il  produil.  sur  elle  ce  que  la  vue 
du  sang  protiuil  &ur  le  ligre  ;  cet- 
te faction  du  itieurtre  est  pour  les 
hommes,  ce  que  cet  animal  san- 
guinaire est  pour  tout  ce  qui  a 
vie;  plus  cruelle  encore,  elle  ne 
s'attache  qu'au  sang  de  sts  sem- 
blables. Napoléon  lui  échappa  le 
2iS  à  Saint-ilapheau ,  il  s'embar- 
qua sur  une  frégate  anglaise  :  ainsi 
le  pavillon  français  ne  déporta 
point  Napoléon.  Le  5  mai,  à  6 
lieures  du  soir,  ce  prince  entra  à 
l'orto-Ferrajo,  où  il  fut  reçu  par 
le  général  Dalesme,  conmiandant 
français. 

«Général,  lui-dit-il,  j'ai  sacri- 
))fié  mes  droits  aux  intérêts  de 
«ma  patrie,  et  je  me  suis  réservé 
»la  propriété  et  la  souveraineté 
«de  l'île  d'Elbe;  faites  connaître 
«aux  habitans  le  choix  que  j'ai 
»fait  de  leur  île  pour  mon  séjour. 
«Dites-leur  qu'ils  seront  toujours 
«pour  moi  l'objet  de  mon  intérêt 
»le  plus  vif.  »  Le  maire  de  Porto- 
Fcrrajo  remit  à  Napoléon  les 
clefs  de  la  ville.  La  mairie  devint 
le  palais.  Un  Te  Dearn,  où  assista 
l'empereur  Napoléon,  fut  chanté 
à  la  cathédrale.  Ce  fut  ainsi  que 
se  termina  l'inauguration  de  cette 
souveraineté  bourgeoise.  L'île 
d'Elbe,  donnée  pour  résidence  à 
Napoléon  par  l'Europe  ,  semblait 
être  une  maison  de  santé  politi- 
que, où  elle  venait  de  renfermer 
un  homme  dévoré  de  la  soif  de 
régner  sur  le  monde.  Napoléon 
était  digne  de  C'  tte  grandeur,  et  il 
y  fût  parvenu  si  à  ses  hautes  facul- 
tés il  eût  pu  joindre  aussi  les  vertus 
du  citoyen.  L'exercice  de  ce  nou- 
veau gouvernement  ne  fut  pour 
lui  qu'une  simple  administiuliou 


NaP 

de  fauiille  pendant  les  dix  mois 
qu'il  régna  sur  les  Elbois.  Il  é- 
tendit  le  travail  des  mine»,  piaula 
des  arbres,  bâtit  des  maisons,  ré- 
pandit des  bienfaits.  Sa  mère,  sa 
sœur  Pauline,  princesse  Borghèse, 
quittèrent  leurs  palais  dé  Rome  et 
leurs  jardins  enchantés,  pour  ve- 
nir adoucir  sur  les  rochers  de  l'île 
d'Elbe,  l'exil  d'un  fils  et  d'un  frè- 
re constamment  chéri  d'elles  : 
tendres  soins,  dévouement  tou- 
chant, où  l'histoire  se  repose  de 
son  austère  devoir! 

Cependant,  l'île  qui  renfermait 
Napoléon  n'était  pour  lui  qu'un 
observatf)ire  d'où  il  voyait,  d'où  il 
croyait  entendre  la  France.  Il  er- 
rait sur  SCS  sommets  comme  un 
aigle  égaré  qui  plonge  sur  l'im- 
mensité ses  regards  perçants ,  et 
qui  y  cherche  sa  route  vers  l'aire 
paternelle. 


Bien  qu'il  fût  impossible  sans 
doute  ,  à  l'époque  du  traité  de 
Fontainebleau,  de  prévoir  l'entre- 
prise inou'ie  du  16  février  181 5, 
toutefois  on  ne  peut  comprendre 
quelle  fut  la  pensée  de  la  diplo- 
matie enropéeime,  en  plaçant  Na- 
poléon dans  le  voisinage  de  la 
France  et  de  l'Italie.  La  France 
entière  et  son  nouveau  gouverne- 
ment ne  cessèrent  un  seul  mo- 
ment d'être  dominés  par  cette 
grave  observation, qui,  à  elle  seu- 
le, quelque  inoll'ensive  qii'elle  fût 
constamment,  révélait  à  chacun 
et  peut-être  même  à  l'Europe  le 
péril  d'un  pareil  voisinage.  Cette 
rédexion  n'a  besoin  ni  de  preu- 
ves ,  ni  de  commentaires.  Napo- 
léon n'était  tombé  tout  entier 
pour  personne,  encore  moins  pour 


lui-même.  Les  souvenirs  tle  sa  fur- 
tuiie,  les  impressions  de  son  gé- 
nie, les  espérances  de  tant  d'inté- 
rêts brisés  par  sa  chute,  les  infrac- 
tions au  traité  que  l'Europe  avait 
souscrit  avec  lui  ,  les  agitations 
que  les  déplacemens  individuels 
avaient  semées  sur  toute  la  Fran- 
ce, les  confidences  échappées  du 
congrès  de  Vienne,  la  proposition 
parvenue  à  Napoléon  par  ses  par- 
tisans de  Paris,  de  Naples  et  de 
Vienne,  faite  dans  le  congrès,  de 
le  surprendre  dans  l'îie  d'Elbe,  et 
de  le  transporter  dans  celle  de 
Sainte-Hélène  :  tout  lui  fut  con- 
nu ,  tout  le  décida  à  rompre  son 
ban  et  à  concevoir  le  dessein  d'a- 
jouter à  l'histoire  de  sa  vie  le  ro- 
man de  la  conquête  de  la  Fran- 
ce. Le  merveilleux  était  si  na- 
turel à  Napoléon,  que  le  projet 
et  son  exécution  furent  pour  ainsi 
dire  du  même  jet.  Il  est  vrai  qu'il 
avait  calculé,  que  son  parti,  celui 
des  méconlens,  n'aurait  à  faire  en 
France  qu'au  parti  de  la  restaura- 
tion, et  que  la  nation,  non  en- 
core reposée  de  ses  calamités, 
resterait  comme  en  mars  et  en 
avril  1814  5  specl  itrice  de  la 
lutte  de  l'empire  avec  la  monar- 
chie. Il  croyait  aussi,  et  peut-être 
en  cela  sa  pensée  ne  fut-elle  pas 
égarée,  que  le  faisceau  de  la  coa- 
lition ,  qui  l'avait  détrôné  ,  était 
moins  uni  ;  que  la  Russie  n'était 
plus  aussi  engagée;  que  l'Autri- 
che, selon  son  ancienne  lactique, 
et  en  raison  des  gages  qu'elle  avait 
dans  la  personne  de  l'impératrice 
et  du  roi  de  iiome,  ne  serait  pas 
le  premier  ennemi  qu'il  trouverait 
sur  le  champ  de  bataille.  Une  seu- 
le chose  avait  échappé  à  sa  pré- 


NAP  5i  I 

voyance,  c'était  lui-même.  11  ne 
sentait  pas  que  l'âge  des  grandes 
entreprises  était  piissé  pour  lui,  et 
que  si  le  penchant  de  son  caractè- 
re l'élevait  encore  aux  desseins 
d'une  portée  surhumaine  ,  la  na- 
ture pouvait  le  condamner  à  ne 
pouvoir  les  accomplir.  Il  ignorait 
aussi  que  la  faculté  de  conserver 
le  trône  qu'il  voulait  ressaisir  n'é- 
tait pas  comme  sa  volonté ,  une 
simple  inspiration  ,  et  que  les  ha- 
bitudes d'une  puissance  sans  con- 
tradiction n'étaient  plus  en  har- 
monie arec  les  sentimens  d'un 
peuple  que  le  despotisme  venait 
de  précipiter.  Mais  ,  aussi  éveillé 
par  ces  rumeurs,  averti  par  ces 
symptômes  précurseurs  d'une  ré- 
volution qui  semblait  menacer 
incessamment  la  France,  il  voulut 
se  f&ire  l'homme  de  cette  révolu- 
tion ,  dont  les  intérêts  ne  lui  é- 
taient  pas  destinés  ,  c'est-à-dire  , 
s'en  emparer  pour  s'en  appro- 
prier toute  la  fortune,  et  pour 
nationaliser  enfin ,  s'il  triomphait 
de  tous  ses  ennemis,  le  pouvoir 
absolu. 

Tille  fut  la  pensée  puissante 
qui  dominait  l'impatient  Napo- 
léon, tourmenté  déjà  depuis  quel- 
ques jours  de  la  crainte  d'arriver 
trop  tard  sur  le  sol  de  la  France. 
Tout  était  préparé;  il  avait  acheté 
les  munitions  de  guerre  à  Naples, 
les  armes  à  Alger,  les  transports  à 
Gênes.  Une  troupe  de  1 ,  100  hom- 
mes ,  dont  600  de  sa  garde  ,  200 
chasseurs  corses ,  200  hommes 
d'infanterie,  et  100  chevau- lé- 
gers polonais,  reçut  l'ijrdre  d'em- 
barquement par  tm  coup  de  canon 
le  2O  février  à  8  heures  du  soir.  11 
saisit  ce  jour  où  le  commandant 


5 12  NAl> 

de  la  station  anglaise  était  parti 
pour  Livourne,  et,  pour  éloigner 
tout  soupçon,  il  donnait  lui-même 
une  fêle  dont  sa  mère  et  sa  sœur 
faisaient  les  honneurs.  Il  s'y  dé- 
roba. «  Le  sort  en  est  jeté,  »  dit-il 
en  mettant  le  pied  sur  le  bâtiment. 
C'était  le  brick  l' Inconstant.  Il 
portait  26  canons  et  l\oo  grena- 
diers. Six  autres  petits  bâtimens 
légers  composaient  la  flottille  im- 
périale. Bientôt  l'île  fut  perdue  de 
vue.  Exciipté  peut-être  les  géné- 
raux Bertrand  ,  Drouot  et  Cam- 
hrone,  personne  ne  savait  où  on 
allait.  Cependant,  l'opinion  com- 
mune sur  la  flottille  était  que  Na- 
poléon débarquerait  en  Italie.  On 
s'en  inquiétait  peu.  Il  était  là. 
^Grenadiers,  dit-il  après  une  heu- 
»re  de  roule,  nous  allons  en  Fran- 
y>ce.  Nous  allotis  à  Paris.  »  Le  cri 
de  vive  la  France!  vice  Napoléon! 
s'éleva  dans  les  airs,  et  la  joie  re- 
parut sur  le  front  des  vieux  guer- 
riers de  Fontainebleau.  Ainsi,  la 
Méditerranée  allait  rapporter  en- 
core en  France  celui  que  20  ans 
plus  tôt  elle  avait  ramené  d'iigypte. 
Âlais  le  vent  devint  contraire  a- 
près  avoir  doublé  le  cap  Saint- 
André.  On  n'avait  fait  que  6  lieues 
à  la  pointe  du  jour  ;  de  plus  ,  la 
mer  était  gardée  par  la  croisière 
française  et  anglaise.  Les  marins 
furent  d'avis  de  revenir  à  Porto- 
Ferrajo.  Mais  la  même  volonté 
qui  avait  décidé  ,  au  retour  d'E- 
gypte, le  général  Bonaparte  à  sui- 
vre sa  route  sur  la  France,  malgré 
le  même  péril,  se  reproduisit  en- 
core, et  on  continua  de  tenir  la 
mer.  Son  projet  était ,  s'il  était 
inquiété ,  ou  de  s'emparer  de  la 
croisière ,  ou  d'aller  en  Corse. 
Dans    le   premier   cas  ,    il   fallait 


:sAl» 

peut-être  se  battre,  et,  pour  y  êtrf 
préparé,  il  ordonna  de  jeter  à  la 
mcj-  tous  les  elVets  embarqués,  sa- 
crifice que  chacun  fit  avec  joie.  A 
5  heures  du  soir  ,  on  aperçut  2 
frégates;  et  un  bâtiment  de  guerre 
français,  qu'on  reconiuit  pour  ê- 
tre  le  Zéphir ,  vint  droit  sur  la 
flottille.  Napoléon  préféra  passer 
incognito  avec  sa  fortune,  et  or- 
donna à  sa  garde  de  se  coucher 
sous  le  pont.  Une  heure  après,  les 
deux  bricks  étaient  bord  à  bord, 
et  le  Zéphir  ayant  demandé  à  l' In- 
constant des  nouvelles  de  l'empe- 
reur, Napoléon  lui-même  répon- 
dit avec  le  porte-voix  qu'il  se  por- 
tait bien.  Le  28  ,  à  la  pointe  du 
jour,  on  reconnut  un  vaisseau  de 
7/j  qui  ne  s'occupa  point  du  ba- 
teau de  César.  La  journée  fut 
employée  à  copier  trois  proclama- 
lions  dictées  par  l'empereur,  deux 
en  son  nom  :  la  première  aux 
Français,  l'autre  à  l'armée,  et  la 
troisième  à  l'armée,  au  nom  de  sa 
garde.  Les  ponts  se  couvrirent  de 
copistes.  Tout  ce  qui  savait  écrire 
écrivait.  Enfin,  le  t"  mars  181 5, 
à  5  heures  du  matin  ,  Napoléon 
remit  le  pied  sur  la  terre  françai- 
se ,  dans  le  golfe  Juan.  Son  bi- 
vouac fut  établi  dans  une  planta- 
tion d'oliviers.  «  Beau  présage , 
»tlil-il,  puisse-t-il  se  réaliser!  »  — 
Parmi  quelques  paysans  qui  arri- 
vèrent, l'un  d'eux  avait  servi  sou-; 
l'empereur.  Il  le  reconnut  et  ne 
voulut  plus  le  quitter.  «  Eh  bien, 
y) Bertrand, dit^apolèon  au  grand- 
»  maréchal ,  voilà  déjà  du  ren- 
»for{.  » 

Au  moment  du  débarquement, 
un  capitaine  de  la  garde  et  2;) 
hommes  avaient  été  envoyés  à  An- 
tibcs.  avec  ordre  de  s'y  présenter 


I 


NAP 

comme  di''serle'irs,  et  de  séduire 
1:»  garnison.  îlais  Napolério  avait 
cette  lois  :aial  choisi  ses  négocia- 
teurs :  ils  entrèrent  dans  l.i  ville 
en  criant  vice  l'empereur,  et  furent 
à  l'instant  désarniés  et  arrêtés. 
N'ayant  point  de  nouvelles  de  ce 
détachement,  Napoléon  envoya  à 
Antibes  un  oflicier  civil,  chargé 
d'instructions  pour  le  comman- 
dant, mais  cet  officier  trouva  les 
porîes fermées,  et  ne  put  commu- 
niquer avec  personne.  A  1 1  heu- 
res du  soir  l'armée  se  mit  en  mar- 
che. Les  Polonais  à  pied  poriaient 
sur  leurs  dos  l'équipement  des 
chevaux  qu'ils  n'avaient  pas.  On 
les  remonhiità  mesure  qji'on  trou- 
vait des  chevaux  à  acheter.  Après 
vingt  lieues  d'une  marche  conti- 
nue. Napoléon  arriva  au  village 
de  Cérénon  ,  dans  la  soirée  du  2  ; 
le  3  il  coucha  à  Barème,  le  4  i»  Di- 
gne, le  5  à  Gap,  Il  ne  conserva 
près  de  lui,  dans  cette  ville,  que 
6  hommes  à  cheval  et  40  grena- 
diers. Ce  fut  à  Gap  qu'il  fit  impri- 
mer les  proclamations  qu'il  avait 
dictées  à  bord  le  28  février.  N'ayant 
pu  déchiffrer  lui-même  celles  qu'il 
avait  écrites  à  Porto -Ferrajo  la 
veille  de  son  départ,  il  les  avait 
jetées  à  la  mer.  Ces  proclamations 
furent  répandues  par  toute  la 
France,  avec  la  plus  grande  pro- 
fusion. Elles  produisirent  d'abord 
cet  effet  magique,  dont  Napoléon 
avait  besoin  pour  intéresser  la 
France,  et  pour  étonner  son  gou- 
vernement. Elles  avaient  le  cachet 
de  cette  éloquence  deconquérans, 
qui  tant  de  fois  avait  remué  les  â- 
mes  des  Français,  et  leur  avait  pré- 
dit de  si  grandes  choses. 

Le  titre  de  ces  proclamations 
était  tout  impérial,  comme  si  elles 


NAP  5i3 

fussent  émanées  du  cabinet  des 
Tuileries  ou  de  la  capitale  d'un 
souverain  vaincu  par  Napoléon,  et 
comme  si  les  deux  abdications  de 
Fontainebleau  ne  lui  avaient  pas 
ôté  ledroit  de  dire  :  «  Napoléo:»  , 

PAR  LA  GBACE  DE  DlEr  ET  LES  CO>S- 
TITCTIOSS    DE    l'eMPIRE  ,    EMPEP.El'U 

DES  Français,  etc.  »  Il  ne  l'était 
plus  ,  et  s'il  a  été  possible  de 
croirefà  cette  époque  que  la  Fran- 
ce accordait  à  une  si  téméraire 
entreprise  l'étonnement  d'une  sor- 
te d'admiration,  on  peut  croire 
aussi  qu'elle  n'avait  pas  oublié  en 
dix  mois,  ces  dix  années  de  pou- 
voir absolu,  dont  l'excès  l'avait 
détrônée  elle-même  à  Prague  et  à 
Châtillon. 

La  première  proclamation  com- 
mençait ainsi  : 

a  Français  !  la  défection  du  duc 
de  Castiglione  livra  Lyon  sans 
défense  à  nos  ennemis.  L'armée 
dont  je  lui  avais  confié  le  com- 
mandement était,  par  le  nombre 
de  ses  bataillons ,  la  bravoure  et 
le  patriotisme  des  troupes  qui  la 
composaient,  en  état  de  battre  le 
corps  d'armée  autrichien  qui  lui 
était  opposé,  et  d'arriver  sur  les 
derrières  du  flanc  gauche  de  l'ar- 
mée ennemie  qui  menaçait  Pa- 
ris. 

»  Les  victoiresde  Charap-Aubert, 
de  Montmirail,  de  Château-Thier- 
ry,de  Vauchamp,  de  Normand,  de 
>iontereau,deCraonne,  delieims, 
d'Arcy-siir-Aube  et  de  Saint-Di- 
zier;  l'insurrection  des  braves 
paysans  de  la  Lorraine  et  de  la 
Champagne,  de  l'Alsace,  de  la 
Franche -Comté  et  de  la  Bour- 
gogne, et  la  position  que  j'avais 
prise  sur  les  derrières  de  l'armée 
ennemie,  en  la  séparant  de  ses 
il 


5i4 


NAP 


magasins,  de  ses  parcs  de  réserve, 
de  ses  convois  et  de  tous  s<;s  équi- 
pages ,  l'avaient  placée  dans  une 
situation  désespérée.  Les  Français 
ne  furent  jamais  sur  le  point 
d'être  plus  puissans,  et  l'élite  de 
l'armée  ennemie  était  perdue  sans 
ressources  :  elle  eût  trouvé  son 
tombeau  dans  ces  vastes  contrées 
qu'elle  avait  si  impitoyablement 
saccagées,  lorsque  la  trabi."5()n  du 
du  duc  de  llaguse  livra  la  capitale 
et  désorganisa  l'armée.  La  con- 
duite inattendue  de  ces  deux 
généraux,  qui  trahirent  à  la  l'ois 
leur  patrie,  leur  prince  et  leur 
bienfaiteur,  changea  le  destin  de 
la  guerre;  la  situation  de  Ten- 
nen)i  était  telle  qu'à  la  fin  de  l'af- 
faire qui  eut  lieu  devant  Paris, 
il  était  sans  nmnitions ,  par  la 
séparation  de  ses  parcs  de  ré- 
serve. 

«Dans  ces  nouvelles  et  grandes 
circonstances,  mon  cœur  fut  dé- 
chiré, mais  mon  âme  resta  iné- 
branlable; «etc.,  etc. 

Le  G,  Napoléon  partit  de  Gap 
pour  Grenoble.  A  Saint-Bonnest, 
on  voulut  sonner  le  tocsin  pour 
faire  lever  les  villages  eu  sa  fa- 
veur. «  Non,  dit-il  aux  habitans, 
«vos  sentimens  me  garantissent 
))Ceux  de  MES  soldats.  Plus  j'en 
«rencontrerai,  plus  j'en  aurai 
opour  moi  ;  restez  donc  tran- 
nquilles  chez  vous.  »  A  Sisteron, 
le  maire  voulut  soulever  sa  com- 
mune ;  mais  le  général  Cam- 
bronne  arrivé  seul  en  avant  de 
ses  grenadiers,  dont  il  venait  pré- 
parer le  logement,  l'intimida  au 
point  que  le  municipal  s'excusa 
sur  la  crainte  que  ses  administrés 
ne  seraient  point  payés.  «  Eh 
»  bien!  payez-vous,  »  dit  Cambron- 


ÎNAP 

ne  en  jetant  sa  baurse.  Les  habi- 
tans  fournirent  des  vivres  en  a- 
bondance,  et  offrirent  un  drapeau 
tricolore  au  bataillon  de  l'île 
d'Elbe.  Cependant  en  sortant  de 
la  mairie,  le  général  Cambronne 
se  trouva  arrêté  avec  ses  quaran- 
te grenadiers  d'avant-garde,  par 
un  bataillon  envoyé  de  Grenoble. 
11  voulut  parlementer.  On  ne  Té-- 
couta  pas.  Napoléon,  instruit  de 
ce  conlre-iemps,  se  porlaen  avant, 
et  fut  bientôt  rejoint  par  sa  garde, 
accourue  au  danger,  malgré  la  fa- 
tigue qui  l'accablait.  «  Avec  vous, 
«mes  braves,  leur  dit  Napoléon, 
)•  j'e  ne  craindrais  pas  10,000  hom- 
»mes.  »  Ct^pendant  le  bataillon 
de  Grenoble  avait  rétrogradé  et 
avait  pris  position.  Napoléon  alla 
le  reconnaître,  et  lui  envoya  un 
officier,  qui  ne  fut  pas  entendu. 
{'  On  m'a  trompé  ,  dit  l'empereur 
»au  général  Bertrand;  n'importe» 
»en  avant.  »  Il  mit  pied  à  terre, 
et  découvrant  sa  poitrine.  «  S'il 
«est  parmi  vous,  dit-il  aux  soldats 
«de  Grenoble,  s'il  en  est  un  seul 
«qui  veuille  tuer  son  général ,  son 
>; empereur,  il  le  peut,  le  voici.  » 
Les  soldats  répondirent  par  accla- 
mation Vive  l'empereur!  et  deman- 
dèrent à  marcher  avec  lui  sur 
Grenoble.  Ce  moment  fut  décisif 
pour  Napoléon.  Lin  seul  coup 
de  fusil  enlevait  tout-à-coup  à  la 
postérité  le  plus  étonnant  épisode 
de  l'histoire  de  la  France,  et  la 
moindre  résistance  de  la  part 
de  ce  bataillon  eût  produit  celle 
de  toute  la  division  qui  couvrait 
Grenoble.  Le  colonel  la  Be- 
doyère  (?;o}'.  ce  nom)  n'aurait  pu 
amener  le  lendemain  à  Napoléon 
le  y'  de  ligne.  Ce  puissant  renfort 
décida  ce  prince  à  entrer  le  soir 


NAP 

même  à  Grenoi)le,  où  le  général 
Marchand  s'élait  mis  en  état  de 
défense. 

Les  portes  de  la  ville  étaient 
fermées.  La  garnis  »n  couvrait  les 
remparts.  Elle  était  composée  du 
5*  régiment  du  g'^nie,  du  5*  de 
ligne,  dont  un  bataillon  marchait 
depuis  le  matin  sous  le  drapeau 
impérial,  du  4'  de  hussards,  et 
du  4'  d'artillerie ,  où  Napoléon 
avait  été  capitaine.  Du  haut  des 
remparts,  où  s'était  portée  la  po- 
pulation de  la  ville,  la  garnison 
était  frappée  d'étonnement  de  voir 
s'avancer  JNapoléon  avec  sa  trou- 
pe, l'arme  renversée,  et  marchant 
avec  joie  anx  cris  de  vive  Gre- 
noble !  victf  la  France  !  vive  l'em- 
pereur \  L'enthousiasme  est  élec- 
trique chez  tous  les  hommes  dans 
les  circonstances  qui  surprennent 
tout-à-coup  leur  raison.  Les  rem- 
parts de  Grenoble  retentirent  sou- 
dain des  mêmes  acclamations,  et 
soudain  les  portes  de  la  ville  furent 
bçisées  par  les  habitans.  «  Tiens, 
«dirent- ils  à  Napoléon,  au  défaut 
«des  clefs  de  ta  bonne  ville,  en 
«voici  les  portes.  » — Tout  est 
«décidé  maintenant,  dit  Napoléon 
»à  ses  officiers,  tout  est  décidé, 
«nous  allons  à  Paris.  »I1  fit  réim- 
primer et  publier  ses  proclam'a- 
tions,  et  répandre  le  bruit  qu'il 
était  suivi  du  roi  de  Naples ,  à 
lu  tête  de  8o,ooo  hommes;  que 
l'Autriche  marchait  aussi  pour 
lui,  etc.;  ceci  était  pour  le  peuple, 
exalté  déjà  au  plus  haut  degré  par 
la  lecture  des  proclamations.  Le 
lendemain  8  mars,  reconnu  et 
complimenté  solennellement  com- 
me emperiHir  par  toutes  les  auto- 
rités civiles,  judiciaires,  militaires 
et  ecclésiastiques,  il  leurdit  :  «  J'ai 


NAP 


5i5 


»  su  que  la  France  était  malheureu- 
»se;  j'ai  entendu  ses  gémissemens 
»et  ses  reproches....  Mes  droits 
«ne  sont  autres  que  les  droits  du 

«peuple je  viens  les  repren- 

»dre,  non  pour  régner,  le  trône 
«n'est  rien  pour  moi  ;  non  pour 
»nie  venger,  je  veux  oublier  tout 
«ce  qui  a  été  dit,  fait  et  écrit  de- 
»puis  la  capitulation  de  Paris.... 
"J'ai  trop  aimé  la  guerre,  je  ne 

«la  ferai    plus Nous    devons 

«oublier  que  nous  avons  été  les 
«maîtres  du  monde....  Je  veux 
«régner  pour  rendre  notre  belle 
«France  libre,  heureuse  et  indé- 
»  pendante —  Je  veux  être  moins 
Dson  souverain  que  le  premier  et  le 

n  meilleur  de  ses  citoyens J'au- 

nrais  pu  venir  attaquer  les  Bour- 
y>bons  avec  des  vaisseaux  et  des 
»  flottes  nombreuses  ;  Je  n'ai  voulu 
»des  secours  ni  de  Murât,  ni  de 
nC Autriche....  «  Napoléon  n'était 
point  changé.  Il  était  aussi  peu 
disposé  à  rendre  ses  droits  à  la 
nation  qu'il  avait  pu  être  dans  le 
cas  de  refuser  les  flottes  et  les 
armées  de  Vienne  et  de  Naples  ; 
mais  il  redevint  subitement  l'hom- 
me des  soldats  et  du  peuple,  dont 
son  retour  merveilleux  avait  subi- 
tement saisi ,  exalté  toutes  les  fa- 
cultés. Aussi,  à  la  revue  qu'il  passa 
de  la  garnison  de  Grenoble,  l'en- 
thousiasme public  fut  porté  jus- 
qu'au délire,  surtout  après  ces 
paroles  qu'il  adressa  au  4*  d'artil- 
lerie : 

«  C'est  parmi  vous  que  j'ai  fait 
•  mes  premières  armes;  je  vous 
»aime  tous  comme  d'anciens  ca- 
«marades.  Je  vous  ai  suivis  sur 
«le  champ  de  bataille,  et  j'ai  lou- 
»  jours  été  content  de  vous;  mais 
«j'espère  que  uous  n'aurons  pas 


5i6  NAP 

«besoin  tic  vos  canons.  Il  faut  à 
»la  Fratice  de  la  modération  et 
»du  repos.  L'armée  jouira,  dans 
»le  sein  de  la  paix,  du  bien  que  je 
«lui  ai  déjà  fait  et  que  je  lui  ferai 
«encore.  Les^oldats  ont  retrouvé 
«en  nioi  leur  père;  ils  peuvent 
«compter  sur  les  récompenses 
«qu'ils  ont  méritées.  »  Après  la 
revue,  la  garnison  se'mit  en  mar- 
che sur  Lyon,  au  nombre  de  6,000 
hommes.  Le  soir.  Napoléon  écri- 
vit à  l'impératrice  et  au  roi  Joseph. 
Les  courriers  ne  manquèrent  pas 
tie  dire  sur  leur  passage,  et  le 
peuple  de  répéter,  qu'ils  portaient 
l'ordre  à  l'impératrice  de  venir 
avec  le  roi  de  Home  rejoindre 
l'empereur.  Cependant  Napoléon 
ne  se  contenta  pas  à  Grenoble  de 
prendre  possession  de  l'opinion  ; 
il  reprit  aussi  ce  lie  du  pou  voir  impé- 
rial, en  décrétant  qu'à  dater  du  i5 
mars,  les  actes  publics  seraient  faits 
et  la  justice  rendue  en  son  non*.  L'or- 
ganisation des  gardes  nationales 
dans  les  cinq  départemens  qu'il  ve- 
nait de  traverser  ne  fut  point  ou- 
bliée, et  avant  de  quilttr  Grenoble, 
il  adressa  celle  proclamalion  aux 
habitans  de  l'Isère: 

«  Citoyens,  lorsque  dans  mon 
a  exil ,  j'appris  tons  les  malheurs 
<)qui  pesaient  sur  la  nation,  que 
«tous  les  droits  du  peuple  étaient 
«méconnus,  et  qu'on  me  repro- 
«chaitlereposdans  lequel  je  vivais, 
«je  ne  perdis  pas  un  moment,  je 
«m'embarquai  sur  un  frêle  navi- 
»re,  je  traversai  les  mers  au  mi- 
nlieu  des  vaisseaux  de  guerre  de 
«différentes  nations.  Je  débarquai 
«seul  sur  le  sol  de  la  patrie,  et  je 
«n'eus  en  vue  que  d'arriver  avec 
«la  rapidité  de  l'aigle  dans  cette 
«bonne  ville  de  Grenoble,  dont  le 


NAP 

«patriotisme  l'.i  l'attachement  à 
«ma  personne  m'étaient  particu- 
«lièrement  coimus;  Dauphinois, 
0  vous  avez  rempli  mon  attente  ; 
»j'ai  supporté,  non  sans  déchire- 
«  ment  de  cœur,  mais  sans  abatte- 
»  ment,  les  malheurs  auxquels  j'ai 
»  été  en  proie  il  y  a  un  an.  Le  spec- 
»  tacle  que  m'a  offert  le  peuple  sur 
»  mon  passage  m'a  vivement  ému. 
«Si  quelques  nuages  avaient  pu 
«altérer  la  grande  opinion  que  j'a- 
«vais  du  peuple  français,  ce  que 
«j'ai  vu  m'a  convaincu,  qu'il  était 
j  toujours  digne  de  ce  nom  -de 
»  GRAND  PEi'PLE,  dont  je  le  saluai  il 
«y  a  20  ans.  Dauphinois  ,  sur  le 
«point  de  quitter  vos  contrées 
«pour  me  rendre  dans  ma  bonne 
«ville  de  Lyon,  j'ai  senti  le  besoin 
«de  vous  exprimer  toute  l'estime 
«que  m'ont  inspirée  vos  senlimens 
«élevés.  Mon  cœur  est  tout  plein 
«des  émotions  que  vous  y  avez 
«fait  naître;  j'en  conserverai  tou- 
»  jours  le  souvenir.  » 

Il  y  avait  sept  jours  que  NajK»- 
léon  était  en  France,  lorsque  le  Mo- 
niteur apprit  à  la  France  ce  grand 
événement  par  une  ordonnance 
royale,  qui  mettait  ce  prince  hors 
LA.  LOI,  et  par  une  proclamalion  qui 
convoquait  sur-le-champ  les  deux 
chambres.  Le  lendemain,  ce  mê- 
me journal  annonça  que  Napoléon, 
abandonné  des  siens,  poursuivi 
par  la  population  et  les  garnisons, 
errait  dans  les  montagnes  et  ne 
pouvait  manquer  d'échapper  à  la 
haine  commune.  Comme  on  con- 
naissait le  Moniteur  depuis  le  com- 
mencement de  la  révolution,  et 
qu'on  connaissait  aussi  Bonaparte, 
les  nouvelles  de  cette  feuille  offi- 
cielle n'eurent  pas  un  grand  cré- 
dit. Toutefois  il  y  eut  daux  opi- 


NAP 

nions  :  l'une  était  celle  de  la  mas- 
se, qui  croj'ait  aux  succès  de  Na- 
poléon";  l'autre  était  celle  de  la 
cour,  qui  méprisait  cet  enne:i)i, 
comme  25  ans  auparavant  elle  a- 
vait  méprisé  celui  qui  s'appela  la 
révolution.  Cependant  ou  ne  put 
cacher  long -temps  l'épisode  de 
Grenoble,  ni  la  marche  sur  Lyon; 
en  conséquence,  MoNsiErR,  iM.  le 
duc  d'Orléans,  et  le  maréchal  Mac- 
donald,  partirent  en  toute  hâte 
pour  cette  ville,  où  ils  devaient 
marcher  avec  25, ooo  hommes  con- 
tre le  fugitifconquérant.  M.  le  duc 
d'Angoulème,  le  maréchal  Massé- 
na,  les  généraux  Marchand  et  Du- 
vernet,  devaient  lui  fermer  la  re- 
traite. Sur  ses  flancs  était  le  géné- 
ral Leconrbe.  Le  maréchal  Oudi- 
not  marchait  à  la  tête  de  ses  invin- 
cibles grenadiers  :  tout  le  midi 
était  levé.  Enfin,  le  1 1  mars,  on  an- 
nonça à  Paris  que  Bonaparte  \e.na\t. 
d'être  complètement  battu  du  cô- 
té de  Bourgoing.  Cependant  il  a- 
vait  couché  à  Bourgoing  le  9  sans 
coup-férir,  et  le  10,  à  7  heures  du 
soir,  il  avait  fait  son  entrée  à  Lyon, 
à  la  tête  de  l'armée  envoyée  pour 
le  combattre.  Il  était  descendu  à 
l'archevêché  que  venait  de  quitter 
RloNsiErR,  et  il  avait  voulu  y  être 
gardé  par  la  gardé  nationale  à  pied: 
celle  à  cheval  s'étant  présentée, 
«Nos  institutions,  lui  dit-il,  ne  re- 
.)  connaissent  pas  de  gardes  natio- 
»  nalcs  à  cheval  ;  d'ailleurs,  vous 
«vous  êtes  si  mal  conduits  avec  le 
«comte  d'Artois,  que  je  ne  veux 
»  point  de  vous.»  En  effet,  de  tous 
les  nobles  dont  cetle  garde  était 
presque  entièrement  composée, 
un  seul  avait  suivi  le  prince,  jus- 
qu'à ce  que  sa  personne  fût  hors 
de  tout  danger.  Napoléon  le  Ot  np- 


NAP 


5.7 


peler.  «  Je  n'ai  jamais  laissé,  lui 
»  dit-il,  ime  belle  action  sans  ré- 
»  compense.  Je  vous  donne  la  croix 
»de  la  légion-d'honneur.  »  Cetle 
action  serait  héroïque ,  si  Napo- 
léon n'avait  pas  voulu  récompen- 
ser la  fidélité  qu'il  voulait  réveil- 
ler pour  lui-même. 

Aussi  la  scène  va-t-elle  changer 
parce  que  Napoléon  n'est  point 
changé.  Jusqu'aux  portes  de  Lyon, 
depuis  le  golfe  Juan,  il  s'est  dit  le 
premier  citoyen  de  la  France. 
A  Lyon ,  il  reprend  le  sceptre. 
Il  écrit  à  l'impératrice  :  Je  suis 
remonté  sur  mon  trône.  Il  écrit 
au  roi  Joseph  retiré  en  Suis- 
se :  J'ai  ressaisi  ma  couronne.  Il  le 
charge  de  faire  déclarer  à  la  Rus- 
sie, à  l'Autriche,  aux  puissances, 
qu'il  veut  tenir  loyalement  le  trai- 
té de  Paris.  On  doit  croire  cepen- 
dant qu'il  était  entièrement  déci- 
dé, vis-à-vis  de  lui-même,  à  abju- 
rer l'esprit  de  conqiîêtes,  puisqu'il 
répète  à  Lyon,  aux  autorités,  ce 
qu'il  avait  dit  sur  sur  sa  route  :  (J'ai 
»été  entraîné  par  la  force  des  évé- 
»nemens  dans  une  fausse  route. 
«Mais  instruit  par  l'expérience, 
•)  j'ai  abjuré  cet  amour  de  la  gloi- 
»re,  si  naturel  aux  Français,  qui 
»  a  en  pour  la  France  et  pour  moi 

•  tant  de  funestes  résultats Je 

nme  suis  trompé  en  croyant  que  le 
))  siècle  était  tenu  de  rendre  la  Fran- 
nce  le  chef-lieu  d'un  grand  empi- 
>irc.  n  II  est  clair,  en  songeant  aux 
proportions  de  l'empire  qu'il  avait 
perdu  ,  que  par  grand  empire  Na- 
poléon entendait  parler  au  moins 
de  l'Europe.  Telle  était  donc  sa 
première  pensée ,  en  rentrant  en 
France  ,  celle  de  n'être  plus  un 
conquérant.  Mais  la  seconde  fut 
d'être  un  souverain. 


5i8 


NAP 


«  J'y  sais  décidé^  disait-il  le  len- 
»  demain  ;  je  veux  dès  aujourd' liui 
yt  anéantir  l'autorité  royale  et  ren- 
■  voyer  les  chambres.  Puisque  j'ai 
«repris  le  gouvernement,  il  ne  doit 
r^ plus  exister  d'autre  autorité  que 
»  lu  mienne.  Il  faut  qu'on  sache, 
odes  à  présent,  que  c'est  A.  moi 
«SEUL  qu'on  doit  obéir.»  Alors  il 
dicla  ces  frop  fameux  et  trop  jus- 
tement fameux  dt'-crets  de  Lyon. 
Par  le  premier,  il  prononçait  la 
dissolution  des  deux  chambres,  et 
il  ordonnait  la  réunion  à  Paris 
en  assemi)iée  extraordinaire  du 
champ-de-Mai,  des  collèges  élec- 
toraux de  l'empire,  soit  pour  car- 
riger,  disait-il,  nos  institutions, 
soit  aussi  pour  assister  au  couron- 
nement de  l'impératrice ,  notre 
très-chère  et  bien  uim^ée  épouse,  et 
à  celui  de  notre  très-cher  et  bien 
aimé  fils.  Par  le  second  décret,  il 
rétablissait  contre  les  émigrés  non 
radiés,  rentrés  en  France  depuis 
le  i"  janvier  18  i4'»  la  rigoureuse 
législation  des  assemblées  natio- 
nales, et  de  plus  il  frappait  leurs 
biens  du  séquestre.  Par  le  troisiè- 
me, il  rentrait  au  1"  article  dans 
le  système  de  la  révolution,  en 
abolissant  la  noblesse  et  les  titres 
féodaux.  Mais  au  5'"  article,  il 
rentrait  dans  son  système  impé- 
rial, en  confirmant  la  jouissance 
des  titres  à  ceux  qui  les  avaient 
reçus  de  lui ,  et  en  se  réservant 
par  le  4"*  article  de  les  concéder 
à  sa  volonté,  aux  héritiers  des 
grandes  notabilités  de  la  France 
dans  tons  les  âges  et  dans  tous  les 
genres  d'illustration.  Le  quatriè- 
me décret  congédiait  tous  géné- 
raux et  officiers  de  terre  ou  de 
iner,  qui  avaient  été  introduits 
dans  nos  armées  depuis  le  1"  a- 


NAP 

vril  18 14?  et  qui  soit  émigrés  on 
non  avaient  quiité  le  service  à  la 
première  coalition  contre  la  Fran- 
ce. Le  c\t\q\i\èmc  rappelait  à  leurs 
fonctions  tous  les  magistrats  éli- 
minés, parce  que  tous  les  mem- 
bres de  l'ordre  judiciaire  sont  ina- 
movibles par  nos  constitutions.  Un 
sixième  décret  ordonnait  le  séques- 
tre sur  les  biens  des  émigrés  à  tous 
les  établissemens  publics  à  qui  ils 
avaient  été  repris.  Le  huitième,  li- 
cenciait la  maison  du  roiel  les  Suis- 
ses. Le  neuvièmeenfin,  supprimait 
tous  les  ordres  royaux.  Tels  furent 
les  décrets  de  Lyon.  Ils  reconsti- 
tuaient tout  l-e  pouvoir  impérial, 
et  satisfaisaient,  non  aux  intérêts 
moraux,  mais  aux  intérêts  indivi- 
duels de  la  révolution,  ainsi  qu'aux 
vengeances  de  l'époque. Le  séques- 
tre et  la  proscription  d'un  côté,  de 
l'autre  la  noblesse  impériale  par 
privilège  exclusif,  le  couronne- 
ment de  l'impératrice,  celui  de 
son  iils,  étaient  loin  d'être  les  ga- 
ges de  celte  liberté  que  voulait  la 
France  et  dont  Napoléon  s'était, 
au  golfe  Juan,  proclamé  le  dis- 
pensateur. De  tous  ces  décrets  il 
n'y  avait  de  populaire  que  celui  qui 
abolissait  en  France  le  service  é- 
tranger;  les  autres  furent  et  du- 
rent être  désavoués  par  les  amis 
d'une  véritable  liberté,  par  ceux 
qui  ne  voulaient,  ni  la  proscrip- 
tion, ni  le  bon  plaisir.  Mais  com- 
me les  vrais  citoyens  sont  en  pe- 
tit nombre  dans  tout  état,  ces  dé- 
crets eurent  la  faveur  du  peuple, 
faveur  que  l'enthousiasme  rendait 
séditieuse  contre  lui-même,  et  qui 
dans  l'adversité  devint  au  moins 
inutile  si  ce  n'est  fatal-e  à  celui  qui 
l'avait  provoquée.  Le  noble  refus 
que  fit  le  grand-maréchal  Bertrand, 


NAP 

en  sa  qualité  de  major-généial,  de 
coniresigner  les  décrets  ,  ne  doit 
pas  être  passé  sous  silence. 

Le  12  mars  i8i5,  Napoléon  re- 
prenait la  nute  du  pouvoir  avec  la 
même  pensée,la  même  volonté, qui 
lui  avaient  fait  rompre  à  Châtillon , 
et  même  à  Prague,  les  négocia- 
lions  de  la  paix,  qui  l'avaient  por- 
té à  se  taire  empereur,  consul  à 
vie,  premier  consul,  à  détruire  au 
18  brumaire  la  représentation  na- 
tionale par  la  force,  à  concevoir 
le  projet  de  conquérir  l'Asie  à 
Saint-Jean  d'Acre,  et  la  France  à 
Aboukir,  à  être  déjà  à  sa  premiè- 
re entrée  à  Milan  le  maître  de 
l'armée  de  la  république,  et  le 
souverain  de  ses  conquêtes,  et  en- 
fin à  faire  la  paix  à  Léoben  sans 
l'aveu  de  son  gouvernement.  Pour 
arriver  à  la  domination,  Napoléon 
était  tout  d'une  pièce,  si  on  peut 
le  dire,  il  n'agissait  qu'avec  un 
seul  moyen.  Il  séduisait  et  fanati- 
sait le  peuple  et  les  soldats,  pro- 
clamait son  pouvoir  en  leur  nom, 
restait  seul,  tout  seul  hors  de  l'é- 
galité, traduisait  la  liberté  légale 
par  l'indépendance  politique,  don- 
nait la  législature  à  un  conseil- 
d'élat,  ajoutait  la  police  au  code 
civil,  ne  concevait  la  responsabi- 
lité des  ministres  qu'envers  lui 
seul,  et  couvrait  de  trophées  le 
joug  sous  lequel  la  nation  déci- 
mée criait  :  f^ive  l'empereur  !  Dans 
une  telle  combinaison,  qui  fut  in- 
variable, aucune  aristocratie ,  ni 
parlementaire,  ni  nobiliaire,  ni 
ministérielle,  ne  pouvait  exister. 
Par  conséquent  les  élémcus  de  la 
moindre  résistance  étaient  incon- 
nus. Il  y  avait  égalité  uiverselle 
devant  celui  qui  tenait  le  sce[>tre  ; 


NAP 


519 


le  grand  empire  présentait  deux 
êtres  complets  dans  leur  condi- 
tion, le  sujet  et  le  maître.  C'é- 
tait une  grande  fatalité,  mais  sans 
laquelle  Napoléon  ne  pouvait  exis- 
ter. Il  en  était  dominé  lui-même, 
et  il  y  succomba  deux  fois.  Les 
décrets  de  Lyon  ne  furent  que  les 
échos  du  passé.  La  tendre  popu- 
larité de  ses  adieux  aux  habitans 
de  celte  importante  cité  les  livrait 
comme  de  nouveaux  oracles  à  l'i- 
vresse de  la  multitude. 

«Lyonnais,  leur  dit-il  le  i3 
omars,  au  moment  de  quitter  ve- 
ntre ville  pour  me  rendre  dans  ma 
•  capitale,  j'éprouve  le  besoin  de 
))Vous  faire  connaître  les  senti- 
«mens  que  vous  m'avez  inspirés. 
»  Vous  avez  toujours  été  au  premier 
nrang  dans  mes  affections.  Sur  le 
»  trône  ou  dans  l'exil  vous  m'avez 
«toujours  montré  les  mêmes  sen- 
Dtimens;  le  caractère  élevé  qui 
«vous  dislingue,  vous  a  mérité 
«toute  mon  estime.  Dans  des  mo- 
»mens  plus  tranquilles,  je  revien- 
»drai  pour  m'occuper  de  vos  ma- 
«nufactures  et  de  votre  ville. 
«Lyonnais,  je  vous  aime.  »  Elles 
cris  de  vive  la  nation  !  vive  l'empe- 
reur !  accueillirent  tumultueuse- 
ment les  adieux  de  Napoléon. 

La  veille  de  son  départ  Napo- 
léon apprit  que  le  maréchal  Ney 
avait  un  comuiandement.  Il  char- 
gea le  général  Bertrand  de  lui  é- 
crire  ce  qui  venait  de  se  passer,  et 
de  lui  dire  qu'il  serait  responsa- 
ble de  la  guerre  civile.  «  Flattez- 
»  le,  mais  ne  le  caressez  pas  trop;  il 
»  croirait  que  je  le  crains  et  se  fe- 
»  7'ait  prier.  » 

Le  i3,  Napoléon  coucha  à  Châ- 
lons  ,  où  il  reçut  un  envoyé  de 


530 


NAP 


Paris.  Il  apprit  que  la  garde  na- 
tionale était  disposée  àdéfendrele 
roi,  et  que  le  roi  avait  déclaré 
qu'il  ne  quitterait  pT)int  les  Tuile- 
ries—  «J'en  doute  fort,  dit  Na- 
«poléon,  quand  je  serai  à  20  lieues 
»de  Paris,  les  émigrés  l'abandon- 
«neront  comme  les  nobles  de  Lyon 
«ont  abandonné  le  comte  d'Ar- 
1  tois.  La  garde  nationale  crie  de 
"loin;  quand  je  serai  aux  barriè- 
Dres,  elle  se  taira;  son  métier 
«n'est  pas  de  faire  la  guerre  civi- 
i)le.  Pietournez  à  Paris;  dites  à 
nmes  anu's  de  ne  point  se  com- 
»  promettre,  et  que  anus  dix  jours 
«mes  grenadiers  seront  de  garde 
«aux  Tuileries.  » 

Le  i/'i,  Napoléon  arriva  à  Cbû- 
lons.  Le  maire  ne  parut  point; 
on  l'envoya  sermoner  par  un  aiïi- 
dé,  auquel  il  objecta  son  serment 
au  roi,  et  l'abdication.  Cependant 
il  se  rendit  aux  raisons  qui  com- 
battirent son  opinion ,  et  le  len- 
demain il  fut  destitué.  Cette  anec- 
dote du  voyage  de  Napoléon  dut 
prouver  que  le  temps  même  de  la 
réflexion  n'était  plus  accordé  dès 
le  14  avril  pour  se  souniettre  et 
redevenir  son  sujet,  tant  à  lïnsu 
de  la  nation  il  avait  fait  de  che- 
min vers  le  pouvoir  absolu,  tout 
en  marchant  à  journées  d'étapes 
sur  la  capitale  encore  occupée  par 
le  roi,  et  défindue  par  des  armées 
qu'il  allait  rencontrer.  Le  lende- 
main, il  reçut  l'ordre  du  jour 
du  maréchal  Ney  du  quartier-  gé- 
néral de  Lons-le-Saulnier.  Sol- 
dats,  disait  le  maréchal,  y>  vous 
ai  souvent  menés  à  la  victoire  , 
maintenant  je  vais  vous  conduire  à 
cette  phalange  immortelle  que  l'em- 
pereur Napoléon  conduit  à  Paris, 
et  (juiy  sera  sous  peu  de  jours;  l  i- 


NAl» 

ve  l'empereur  !  L'exemple  du  ma- 
réchal Ney  donnait  le  reste  de  l'ar- 
mée à  Napoléon.  Le  18,  Napoléon 
l'embrassa  à  Auxerre.  «  Quels  gé- 
«néraux  avez^vous  avec  vous?  lui 
«dit  Napoléon.  —  Lecourbe  et 
«Bourmont.  —  En  êtes-vous  sûr? 
n — De  Lecourbe  oui,  sire,  mais 
»  moins  de  Bourmont. — Ne  crai- 
»gnez-vous  pas  que  Bourmont  ne 
«remue? — Non,  sire;  d'ailleurs  il 
»  ne  trouverait  personne  pour  le 
«seconder.  — N'importe,  je  ne 
«veux  point  lui  laisser  la  possibi- 
«lité  de  nous  inquiéter.  Vous  or- 
»  donnerez  qu'on  s'assure  de  lui 
«jusqu'à  notre  entrée  à  Paris.  J'y 
«serai  du  20  au  25,  etplus  tôt  :... 
«je  ne  voudrais  pas  qu'une  tache 
«de  sang  souillât  mon  retour...» 
Le  soir,  Napoléon  fit  embarquer 
une  partie  de  son  armée.  Malgré 
les  avis  qu'il  recevait,  soit  par  les 
correspondances  interceptées,  soit 
autrement,  des  projets  sinistres 
tramés  contre  ses  jours,  il  se  per- 
dait lui-même  dans  la  foule  qui  se 
pressait  autour  de  lui  à  Auxerre, 
et  il  popularisait  ainsi  sa  propre 
confiance.  Cependant  l'ordonnan- 
ce royale  du  6  mars  portait  :  i^  Na- 
poléon Bonaparte  est  déclaré  traî- 
tre et  rebelle  pour  s'être  introduit 
à  main  armée  dans  le  département 
du  Var.  Il  est  enjoint  à  tous  les 
gouverneurs ,  commandans  de  la 
force  armée,  gardes  nationales , 
autorités  civiles,  et  même  aux  sim- 
ples citoyens,  de  lui  courir  sus,  de 
l'arrêter  et  de  le  traduire  inconti- 
nent devant  un  conseil  de  guerre, 
qui,  après  avoir  reconnu  l'identi- 
té, provoquera  contre  lui  l'appli- 
cation des  peines  portées  par  la 
loi.  » 

Les  autres  articles  appliquaient 


NAP 

les  mêmes  dj<po?itions  à  toiiles 
les  autorités  et  tous  les  individus 
civils  et  militaires  qui  auraient 
pris  part  à  l'entreprise  de  Napo- 
léon. Il  était  donc  autorisé,  soit  à 
craindre  pour  ses  jours ,  soit  à 
croire  à  dos  vengeances  contre  les 
royalistes  de  la  part  de  ceux  qui, 
se  déclarant  ses  partisans,  met- 
traient ainsi  leur  vie  en  danger. 
Il  ne  s'arrêta  toutefois  qu'à  cette 
dernière  inquiétude,  et  il  écrivait 
à  un  général  :  «  On  m'assure  que 
»  vos  troupes,  connaissant  les  dé- 
BCrets  de  Paris,  ont  résolu  par 
»  représailles  de  l'aire  main-basse 
«surles  royalistes  qu'elles  rencon- 
«treront  :  Fous  ne  rencontrerez 
»que  des  Français.  Je  vous  dé- 
»  tends  de  tirer  un  seul  coup  de 
«fusil...  Dites  à  vos  soldats  que  je 
»ne  voudrais  pas  entrer  dans  ma 
«capitale  à  leur  tête,  si  leurs  ar- 
»mes  étaient  teintes  du  sang  fran- 
açais.  »  Les  troupes  que  Napoléon 
rencontra  sur  sa  route  vinrent  à 
lui  et  prirent  rang  dans  son  ar- 
mée. 

Tandis  que  Napoléon  marche 
sur  l'aris  à  la  tête  d'une  armée 
française,  que  la  stupeur  et  l'en- 
thousiasme improvisent  sur  sa 
route,  le  congrès  de  Vienne  re- 
nouvelait le  i5  mars  l'ordonnance 
royale  du  6,  et  publiait  la  décla- 
ration .suivante. 

Déclarai  ion. 

•  Les  puissances,  qui  ont  signé 
«le  traité  de  Paris,  réunies  en 
«congrès  à  Vienne,  informées  fie 
»  révasion  de  Napoléon  Bonapar- 
»  te  et  de  son  entrée  à  main  armée 
«en  France,  doivent  à  leur  pro- 
»prc  dignité  et  à  l'intérêt  social 
•  une   déclaration   ?oU:nnclle   des 


NAP 


52  1 


»senlimens  que  cet  événement 
«leur  a  fait  éprouver.  En  ronipant 
«ainsi  la  convention  qui  l'avait 
«établi  à  l'île  d'Elbe,  Bonaparte. 
«détruit  le  seul  titre  légal,  auquel 
y>son  existence  se  trouvait  atla- 
«chée.  En  reparaissant  en  France 
«avec  des  projets  de  troubles  et 
«de  bouleversemens,  il  s'est  privé 
«lui-même  de  la  ]trotecliou  des 
«lois,  et  a  manifesté  à  la  face  de 
^l'univers,  qu'il  ne  saurait  y  avoir 
»  ni  paix  ni  trêve  avec  lui.  Les 
«puissances  déclarent  en  consé- 
«quence,  que  Napoléon  Bonapar- 
0  te  s'est  placé  hors  des  relations 
<) civiles  et  sociales;  et  que,  com- 
»  me  ennemi  et  perturbateur  dii 
«repos  du  monde,  il  s'est  livré  à 
«la  vindicte  publique  ;  elles  décla- 
»  rent  en  même  temps  que  ferme- 
«ment  résolues  de  maintenir  in- 
«  tacts  le  traité  de  Paris  du  5o  mai 
i8i4,  et  les  dispositions  sanction- 
«nées  par  ce  traité,  et  celles  qu'el- 
»les  ont  arrêtées  ou  qu'elles  arrê- 
«leront  encore  pour  le  compléter 
«et  le  consolider;  elles  emploie- 
«ront  tous  les  moyens  et  réuniront 
»  tous  leurs  efforts  pour  que  la  paix 
n  générale,  objet  des  vœux  de  l'Eu- 
«rope,  ce  vœu  constant  de  leurs 
«travaux,  ne  soit  pas  troublée  de 
«nouveau,  et  pour  la  garantir  de 
«tout  attentat  qui  menacerait  de 
«replonger  les  peuples  dans  les 
«désordres  et  les  malheurs  des  ré- 
«volutions;  et,  quoique  intime- 
«ment  persuadés  que  la  France 
«entière  se  ralliant  autour  de  son 
«souverain  légitime  fera  inces- 
«samment  rentrer  dans  le  néant 
«cette  dernière  tentative  d'un  dé- 
«lire  criminel  et  impuissant,  tous 
«les  souverains  de  l'Europe,  ani- 
«més   des   mêmes    senlimens   et 


Sac 


NAP 


n  guidés  par  les  mêmes  principes, 
»  déclarent  que  si,  contre  tout  cal- 
"Ciil,  il  pouvait  résulter  de  cet  é- 
«vénement  un  danger  réel  (|uel- 
»  conque,  ils  seraient  prêts  à  don- 
»ner  au  roi  de  France  et  à  la  na- 
»lion  française,  ou  à  tout  autre 
'^gouvernement  attaqué,  dès  que  la 
«demande  en  serait  formée,  les 
"Secours  nécessaires  pour  rétablir 
»  la  tranquillité  publique  et  à  faire 
»  cause  commune  contre  tous  ceux 
«qui  entreprendraient  de  la  com- 
M  promettre. .)  Cette  déclaration 
rendue  publique  était  signée  par 
les  plénipotentiaires  d'Autriche, 
d'Espagne,  de  France,  de  la  Gran- 
de-Bretagne, du  Portugal,  de  la 
Prusse,  de  la  llussie  et  de  la  Suè- 
de. Ainsi  Napoléon  qui  ,  après 
Moskou,  était  rentré  en  Allema- 
gne entre  deux  défections  ,  celle 
du  général  York  et  du  prince 
Schwarzenberg,  qui  avait  perdu  la 
bataille  de  Léipsick  par  celle  des 
Saxons  et  des  Bavarois,  qui  avait 
dû,  en  i8i4,  saïuine  totaleà  deux 
autres  défections,  celles  des  maré- 
chaux Augereau  et  Marmont,  al- 
lait rentrer  à  Paris  et  marchait  en 
France  entre  deux  proscriptions. 

Ce  manifeste,  cet  arrêt  com- 
mun de  toutes  les  puissances,  de- 
vint pour  elles  un  nouveau  lien. 
La  nécessité  réunit  subitement 
ceux  que  l'intérêt  avait  déjà  divi- 
sés. L'entreprise  trop  prématurée 
de  Napoléon  resserra  le  faisceau 
des  cabinets,  qui  allait,  disait- 
on,  se  briser.  On  parlait  d'une 
convention  secrète,  qui  unissait 
déjà  l'Angleterre,  l'Autriche,  et 
la  France  avec  toutes  les  vastes 
dépendances  de  leurs  alliés  et  des 
trônes  de  famille,  contre  la  Russie 
et  la  Prusse.  L'apparition  de  l'en- 


NAP 

nemi.  commun,  la  peur  historique 
de  Niipoléon ,  rapprochèrent  sou- 
dain les  politiques  de  Vienne,  ef- 
frayés du  murmure  des  âmes  que 
l'on  s'était  partagées.  Un  nou- 
veau pacte,  qui  depuis/s'est  ap- 
pelé SAINTE-ALLIANCE,  naquit  de 
cette  perplt^xité  des  cabinets.  Si 
Napoléon  s'est  reproché  d'être 
descendu  trop  tôt  en  France,  lui 
seul  aussi  a  pu  s'en  justifier,  en 
alléguant  que  le  congrès  avait  ré- 
solu son  enlèvement  de  l'île  d'El- 
be, et  sa  déportation  à  Sainte-Hé- 
lène. Alors  son  entreprise  n'a  été 
que  l'effet  d'une  résolution  ,  dont 
son  salut  personnel  était  le  seul 
objet. 

Le  20  mars,  à  minuit,  le  roi 
part  du  château  des  Tuileries.  A 
4  heures  du  matin  Napoléon  arri- 
ve à  Fontainebleau  :  il  revoit,  sans 
émotion  apparente,  ce  théâtre  de 
son  abdication,  qu'il  ne  regarde 
plus  que  comme  une  anecdote 
rayée  de  sa  vie ,  et  qu'il  se  promet 
bien  de  faire  oublier.  A  9  heures 
du  soir,  il  est  à  Paris.  La  foule  le 
porte  dans  les  escaliers  du  palais, 
jusque  dans  la  salle  des  Maré- 
chaux. Mais,  jusqu'aux  Tuileries, 
il  a  traversé  une  population  pres- 
que silencieuse,  en  comparaison 
de  la  joie  triomphale  qui  l'a  ac- 
cueilli sur  sa  route  depuis  Lyon 
jusqu'à  Paris.  On  a  avancé  que  ce 
n'était  point  incognito  ni  la  nuit 
qu'il  devait  rentrer  dans  la  capi- 
tale. Cet  homme  si  confiant  pen- 
dant les  périls  de  son  voyage,  si 
habile  à  saisir  la  faveur  du  peuple, 
à  interprêter  la  fortune,  si  intelli- 
gent sur  ses  intérêts,  si  fort  de  sa 
propre  valeur  contre  la  malveil- 
lance elle-même,  aurait-il  une 
fois,  et  dans  une  circonstance  aus- 


NAP 

si  importante,  désespéré  de  son 
empire  sur  la  multitude  et  sur 
lui?  Non,  saris  doute,  et  quoi- 
qu'on l'ait  répété,  Napoléon  ne 
manqua  point  son  entrée  dans  la 
capitale.  11  eut  une  grande  raison 
pour  y  arriver  le  20  à  la  nuit, 
au  lieu  du  21  en  plein  jour.  On 
apprenait  en  France  24  heures 
plus  tôt  la  nouvelle  de  son  suc- 
cès; et  ce  succès  n'était  prouvé 
que  par  l'arrivée  à  Paris.  Par 
cela  seid,  il  en  imposait  à  ^es  en- 
nemis,qui  auraient  eu  un  jour  de 
plus  pour  travailler  les  troupes 
non.'breuses  qui  étaient  dans  la 
capitale,  et  dont  les  chefs  dévoués 
à  la  cour  disposaient  exclusive- 
ment. Personne  mieux  que  Na- 
poléon ,  et  notamment  dans  une 
telle  circonstance ,  ne  connaissait 
le  prix  du  temps  et  son  emploi.  Il 
surprit  donc  le  20,  à  9  heures  du 
soir,  la  fidélité  des  casernes  qu'il 
aurait  peut-être  eue  à  combattre 
le  lendemain.  Le  lendemain,  il  é- 
tait  déjà  établi;  il  régnait.  Les 
grenadiers  de  Tile  d'Elbe,  les  gé- 
néraux Drouot,  Bertrand,  Cam- 
bronne ,  n'étaient  plus  au  palais 
que  les  trophées  d'une  victoire, 
qui  avait  duré  20  jours,  et  dont 

Paris   était    le    repos et    le 

terme!... 

Cependant  les  paroles  de  Napo- 
léon étaient  toutes  populaires.  Le 
jour  et  le  lendemain  de  son  arri- 
vée, et  en  présence  des  anciennes 
puissances  et  des  voltigeurs  de  sa 
cour,  de  ceux  surtout  qui  n'avaient 
presque  pas  quitté  le  palais  depuis 
son  départ,  il  affectait  de  dire  :  aCe 
«sont  les  gens  désintéressés  qui 
t  m'ont  ramené  à  Paris  :  ce  sont  les 
■a  sous-Ueutenans  et  les  soldats  qui 
*ont  tout  fait  :  c'est    au   peuple. 


NAP 


523 


9  c'est  à  l'armée  que  je  dois  tout.  » 
Le  ai  mars.  Napoléon,  qui  mal- 
gré sa  nouveauté  avait  la  routine 
des  rois,  rappelle  presque  tout  son 
ministère.  Il  n'y  eut  de  nouveaux 
choix  que  celui  du  comte  Carnot, 
à  qui  il  donna  l'intérieur  pour  po- 
pulariser son  gouvernement,  et  du 
prince  d'Ekmuhl,  qui  fut  nommé 
à  la  guerre,  à  cause  de  sa  belle  dé- 
fense de  Hambourg.   Ce  dernier 
choix  fut  aussi  peu  populaire  que 
celui  du  duc  Decrès ,  rappelé  à  la 
marine,  et  que  celui  du  duc  d'Otran- 
te,  rappelé  à  la  police.  Il  n'en  fut 
pas  de  même  du  duc  de  Gaëte  et  du 
comte  MoUien,  à  qui  les  finances 
et  le  trésor  furentrendus.  Il  y  avait 
un     portefeuille     nécessairement 
vide,    depuis    la    déclaration    du 
congrès  européen  à  Vienne,  c'é- 
tait celui  des  affaires  étrangères; 
le  duc  de  Vicence  le  refusa.  Mais 
Napoléon,  à  qui  une  voix  intègre 
était  utile  dans  son  conseil,  revint 
à  la  charge,  et  le  duc  de  Vicence 
accepta  le  20.  La  secrétairerie  d'é- 
tat revenait  de  droit  à  l'inaltéra- 
ble dévouement  du  duc  de  Bassa- 
no.  Tel  fut  le  ministère;  sa  com- 
position devait  déplaire  :  il  était 
loin  de  présenter  à  l'opinion  ,  aux 
périls,  aux  intérêts,  aux  besoins 
du  moment,  une  garantie  com- 
pacte, une  solidarité  morale,  telle 
que  la  nation  avait  le  droit  de  l'exi- 
ger et  de  l'attendre  de  Napoléon  , 
qu'elle  avait  accueilli,  mais  qu'el- 
le n'avait  point  rappelé.  Le  coni- 
mandement  général  de  la  gendar- 
merie fut  donné  au  duc  de  Rovi- 
go,  ex-ministre  de  la  police,  an- 
cien aide-de-camp  de  l'empereur. 
M.  de  Montalivet,  ex-ministre  de 
l'intérieur ,    fut  intendant  de   la 
liste  civile.  M.  Molé^  qui  avait  re- 


524  NAP 

fusé  les  ministères  de  l'intérieur 
et  des  aiï'aires  étriingères,  reprit 
la  direction  des  poiits-et-chaussées 
qu'il  avilit  en  i8i3.  Le  duc  de  Ca- 
dore,  ex-ainbassadeiir,  ex-minis- 
tre de  l'intérieur  et  des  relations 
extérieures,  accepta  la  place  d'in- 
tendant des  bâtimens.  Les  audi- 
teurs murmurèrent  du  désintéres- 
sement de  ce  ministre,  qui  leur 
enlevait  un  patrimoine.  Le  con- 
seil-d'état reprit  à  peu  près  dans 
son  intégralité  son  service  extra- 
légal auprès  de  Napoléon.  Les 
chambellans  ne  sont  jamais  incons- 
tans,  ils  ne  sont  qu'infidèle?.  Ils 
revinrent  tous  au  palais,  qu'une 
bonne  partie  d'entr'eux  n'avait 
quitté  qu'à  njinuit  l'avant-veille, 
après  avoir  vu  monter  le  roi  en 
voiture.  Napoléon  les  admit  tous, 
il  ne  renvoya  que  la  livrée  du»châ- 
teau.  Ainsi  rien  n'était  changé  au- 
tour de  Napoléon,  si  ce  n'était  la 
France,  qui  avait  eu  le  temps  et 
qui  avait  conservé  la  prérogative 
de  faire  le  procès  aux  habitudes 
impériales.  Elle  fut  découragée  de 
voir  que  pendant  son  séjour  à  l'île 
d'Elbe,  Napoléon  n'avait  rien  ap- 
pris ni  rien  oublié  ;  qu'il  n'avait 
été  fidèle  qu'à  lui  seul. 

Le  22  mars,  Napoléon  passa  la 
revue  du  corps  d'armée  que  com- 
?nandait  le  duc  de  Berry.  Il  parla 
aux  soldats,  et  au  moment  où  le 
général  Cambronne,  et  les  offi- 
ciers du  bataillon  de  l'île  d'Elbe, 
parurent  avec  les  anciennes  aigles 
de  la  garde,il  reprit  la  parole,  et  dit: 

«  Soldats,  voïlà  les  ofTiciers  du 
«bataillon  qui  m'a  accompagné 
»dans  mon  malheur.  Ils  sont  tous 
»  mes  amis,  ils  étaient  chers  à  mon 
»  (  œnr  :  toutes  les  fois  que  je  les 


NAP 

»  Toyais,  ils  me  représentaient  Iffs 
»difiérens  régimeiis  de  l'armée. 
»  Dans  ces  six  cents  brave*,  il  y  a 
»  des  hommes  de  tous  les  régimens. 
»Tous  me  rappelaient  ces  grandes 
»  journées  dont  le  souveni*'  m'est  si 
»  cher  :  car  tous  sont  couverts  d'ho- 
»  norables  cicatrices  reçues  à  ces 
I)  batailles  mémorables.  En  les  ai- 
»  mant,  c'est  vous  tous,  soldats  de 
»  l'armée  française,  que  j'aimais. 
»Ils  vous  rapportent  ces  aigles. 
»  Qu'elles  vous  servent  de  rallie- 
«ment  !  En  les  donnant  à  la  garde, 
»je  les  donne  à  toute  l'armée.  La 
«trahison  et  des  circonstances  mal- 
»  heureuses  les  avaient  couvertes 
«d'un  voile  funèbre,  mais  grâce  au 
«peuple  français  et  à  vous,  elles 
«reparaissent  resplendissantes  de 
«toute  leur  gloire.  Jurez  qu'elles 
«se  trouveront  toujours  partout 
n  où  l'intérêt  de  la  patrie  les  appel- 
nlera  ;  que  les  traîtres,  et  ceux  qui 
«voudraient  envahir  notre  territoi- 
»re,  n'en  puissent  jamais  soutenir 
«les  regards!  " 

Les  troupes  s'écrièrent  avec  vio- 
lence :  «  Nous  le  jurons  !  » 

Le  lendemain,  35  mars,  le  roi 
avait  quitté  Lille  etétait*parli  pour 
Gand.  Ce  ne  fut  qu'ime  fausse 
victoire  pour  Napoléon, qui  croyait 
que  la  famille  royale  retournerait 
en  Angleterre.  Le  duc  d'Orléans,  à 
qui  le  roi  avait  laissé  le  commande- 
ment de  Lille,  quitta  cette  ville  2^ 
heures  après,  et  écrivit  au  maré- 
chal duc  de  Trévise  :  «Je  suis  trop 
«bon  Français  pour  sacrifier  les 
«intérêts  de  la  France,  parce  que 
«de  nouveaux  malheurs  me  for- 
«  cent  à  la  quitter —  Le  roi  n'étant 
«plus  en  France,  je  ne  puis  plus 
M  transmettre  d'ordres  en  son  non>. 


NAP 

oet  il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous 
a  dégager  de  lobservation  de  tous 
«les  ordres  que  je  vous  avais  trans- 
»  unis,  en  vous  recommandant  de 
»  faire  tout  ce  que  votre  excellent 
«jugement  et  votre  patriotisme  si 
«pur  vous  suggéreront  de  mieux 
»  pour  les  intérêts  de  la  France...» 
îSapoiéon  lut  cette  lettre  «et  dit: 
(i  Cette  lettre  fait  honneur  au  duc 
»  d'Orléans  !...  »  iM""  la  duchesse 
d'Orléans  ,  mère  du  prince  ,  et 
M°"  la  duchesse  de  Bouiboo  sa 
tante,  n'avaient  point  suivi  la  fa- 
mille royale.  Ces  princesses  a- 
vaient  écrit  à  Napoléon  sur  les 
embarras  de  leur  position  depuis 
le  décret  qui  séquestrait  les  biens 
de  la  maison  de  Bourbon.  «  Je 
nveux,  dit  Napoléon,  que  la  mère 
«du  duc  d'Orléans  soit  traitée  a- 
»  vec  les  égards  qu'elle  mérite.» 
Et  il  ordonna  que  M""'  la  duches- 
se d'Orléans  toucherait  annuelle- 
ment 5oo,ooo  francs  sur  le  trésor, 
et  M""  la  duchesse  de  Bourbon 
j5o,ooo.  m.  le  duc  de  Bourbon 
nvait  inutilement  tenté  de  faire 
insurger  la  Vendée,  et  venait  de 
s'embarquer  sous  la  protection 
spéciale  des  autorités  militaires. 
11  ne  restait  en  France  de  la  fa- 
mille royale,  que  M.  le  duc  et 
M"*  la  ducheste  d'Angoulême.  Le 
prince  était  à  Toulouse  et  la  prin- 
cesse à  Bordeaux,  quand  Napoléon 
débarqua  au  golfe  Juan.  Au  lieu 
de  se  sauver  en  Espagne,  la  du- 
chesse prit  la  généreuse  résolu- 
tion de  défendre  Bordeaux;  elle 
courut  aux  casernes,  harangua  les 
soldais.  Elle  appela  la  garde  na- 
tionale, organisa  des  bataillons  de 
volontaires  qui  se  présentèrent  en 
foule,  et  elle  donna  des  ordres 
militaires  pour  défendre  au  loin 


NAP 


5^5 


les  avenues  de  Bordeaux,  intercep- 
ter toute  communication  et  assu- 
rer la  tranquillité  intérieure.  Ce 
spectacle  était  nouveau  en  Fran- 
ce; la  duchesse  d'Angoulême  se 
souvenait  mieux  que  Marie-Loui- 
se qu'elle  était  du  sang  de  Ma- 
rie-ïhérçse.  Le  général  Clausel, 
dont  le  nom  rappelait  de  si  glo- 
rieux service's ,  avait  été  choisi 
par  Napoléon  pour  aller  faire  la 
guerre  à  Madame.  Il  commandait 
en  chef  la  1 1'  division,  et  il  arriva 
à  G  lieues  de  Bordeaux  avec  quel- 
ques gendarmes  et  un  détache- 
ment de  la  garnison  de  Blaye.  Un 
bataillon  de  volontaires  lui  dispu- 
ta d'abord  à  coups  de  canon  le 
passage  de  la  Dordogne  à  Saint- 
André  de  Cubsac  ,  mais  ,  saisi 
d'une  terreur  panique,  il  se  re- 
ploya sur  Bordeaux.  Devenu  maî- 
tre de  la  rivière,  le  général  Cliui- 
sel  reçut  de  M.  de  Martignac  l'as- 
surance que  Madame  quitterait 
cette  ville  dans  les  24  heures. 
Mais  la  princesse  voulu  tenter  un 
nouvel  effort  sur  l'esprit  des  ca- 
sernes, et  entraîner  les  soldats  à 
faire  cause  commune  avec  les  vo- 
lontaires. De  la  rive  droite  du 
fleuve,  le  général  Clausel  voyait 
Madame  passer  à  cheval  la  revue 
des  gardes  nationales  ;  il  entendait 
leurs  acclamations.  Il  se  plaignit 
à  M.  de  Martignac  de  l'inexécu- 
tion de  sa  promesse.  (>eiui  -  ci 
s'excusa  sur  le  parti  que  les  trou- 
pes de  ligne  et  les  volontaires 
royaux  venaient  de  prendre  de 
défendre  la  ville.  «  Vous  êtes  trom- 
pé, monsieur,  dit  le  général,  la 
garnison  du  château  Trompette 
est  à  moi.  »  Aussitôt  il  fit  élever 
le  drapeau  tricolore,  et  M.  de 
Martignac  le  vit  arborer  sur  la  ci- 


026 


NAP 


ladelle.  Cette  scène,  à  laquelle  la 
garde  nationale  de  Bordeaux  ne 
s'attendait  point,  changea  tout-à- 
coup  sa  résolution,  et  les  Borde- 
lais demandèrent  à  capituler.  Ma- 
dame avait  en  vain  essayé  de  dé- 
cider les  troupes.  Les  officiers  et 
les  soldats  lui  déclarèrent  qu'elle 
était  et  qu'elle  ferait  l'objet  de 
l«;ur  respect,  mais,  qu'étant  Fran- 
çais, ils  ne  tourneraient  pas  leurs 
armes  contre  des  Français,  et  ne 
souffriraient  pas  que  la  garde  na- 
tionale tirât  sur  les  troupes  du 
général  Clauscl.  Cette  réponse 
avait  précédé  la  scène  du  drapeau 
tricolore,  et  dut  déterminer  Ma- 
dame à  quitter  Bordeaux  dans  la 
journée  du  i"  avril. 

«  Tout  ce  qui  s'est  passé  à  Bor- 
odeaux,  dit  Napoléon,  est  vrai- 
»ment  extraordinaire,  et  je  ne 
«sais  ce  qui  doit  étonner  le  plus 
))de  la  noble  audace  de  madame 
)>d'Angoulême,  ou  de  la  palien- 
«ce  magnanime  de  mes  soldats.  » 

Tandis  que  Madame  défendait, 
ou  voulait  défendre  Bordeaux,  le 
duc  d'Angoulème  occupait  et  en- 
traînait le  midi  à  la  tête  de  i  2,000 
hommes  de  ligne,  ou  de  gardes 
nationales.  La  guerre  civile  ré- 
gnait en  Provence  et  en  Langue- 
doc. Le  prince  avait  demandé 
des  secours  aux  Sardes  et  aux 
Suisses  :  il  marchait  avec  deux 
corps  d'armée ,  l'un  sous  ses  or- 
dres,  l'autre  sous  ceux  du  géné- 
ral Ernouf,  celui  qui  avait  subi 
le  procès  de  la  Guadeloupe  {voyez 
ce  nom).  Cette  armée  n'éprouva 
de  résistance  qu'au  passage  de 
la  Drôme.  Une  fausse  démonstra- 
tion d'amitié  trompa  les  impé- 
riaux, qui  furent  reçus  à  coups 
de  fusil  par  ceux  qu'ils  attendaient 


NAP 

sans  défense,  et  le  duc  d'Angou- 
lême  entra  victorieux  à  Valence. 
Ce  prince  était  maître  de  Siste- 
ron ,  de  Cap ,  et  se  disposait  à 
marcher  sur  Grenoble  et  sur 
Lyon.  Mais  c'était  le  5  mars,  et 
non  le  3  avril ,  qu'il  eû{  fallu  être 
en  armes  sur  la  route  de  Greno- 
ble. Cependant  Napoléon  donna 
l'ordre  au  général  Grouchy  de 
se  rendre  à  Lyon  et  de  faire  lever 
en  masse  les  gardes  nationales 
du  Dauphiné,  du  Lyonnais  et  de 
la  Bourgogne.  L'élan  fut  si  una- 
nime que  le  général  Caml)ronnc 
fut  obligé  de  l'arrêter,  et  déjà  les 
proclamations  de  Mapoléon,  qu'un 
mois  auparavant  il  avait  répan- 
dues lui-même  sur  la  roule  ac- 
tuelle de  l'armée  royale,  avaient 
réveillé  les  souvenirs  des  soldats 
dans  les  divisions  Gardanne  et 
Loverdo,  où  deux  régimens  d'in- 
fanterie,  le  58'  et  le  83',  et  une 
partie  du  4'  de  chasseurs,  arborè- 
rent le  drapeau  tricolore.  Un  essai 
malheureux  en  avant  de  Gap  , 
les  iivis  multipliés  de  désertions 
partielles,  la  retraite  forcée  du 
général  Ernouf  sur  Sisteron ,  la 
nouvelle  de  la  marche  du  général 
Grouchy,  l'arrestation  à  Toulouse 
de  M.  de  Vitrolles  ,  rédacteur 
du  Moniteur  royal ,  l'occupation 
de  vive  force  du  pont  Saint-Es- 
prit par  le  général  Gilly  sur  les 
derrières  de  l'armée  royale,  et 
enfin  les  dépêches  des  gouverne- 
mens  sarde  et  helvétique,  qui 
portaient  le  refus  des  secours 
promis  au  duc  d'Angoulême, 
toutes  ces  causes  réunies,  dont 
une  seule  était  fatale  à  l'entrepri- 
se de  ce  prince,  durent  le  décider 
à  battre  en  retraite  et  à  se  re- 
ployer sur  Valence,  qu'il  dut  a- 


NAP 

bandonner  le  G.  Les  troupes  lé- 
gères du  général  G'roucliy  attei- 
gnirent l'armée  royale,  et  le  con- 
tact de  la  désertion  la  réduisit 
bientôt  au  lo*  de  li^ne ,  dont  la 
fidélité  fut  inébranlable ,  ei  à 
quelques  centaines  d'hounines  res- 
tés des  autres  corps.  Le  duc  d'/.  a- 
gouième  se  trouva  abandonné 
comme  le  comte  d'Artois  l'avait 
été  à  L3'on.  Et  enfin  par  les  mou- 
vemens  rapides  des  troupes  impé- 
riales, il  fut  renfermé  entre  le  Drô- 
me,  le  llhône,  la  Durance,  et  les 
montagnes.  Il  pouvait  se  sauver 
seul;  il  préféra  juslilier  la  fidélité 
du  petit  nombre  de  braves  qui 
l'avaient  suivi,  et  capituler.  Le 
prince  fut  généreux  de  croire  à 
la  générosité  de  Napoléon,  qui 
pouvait  penser  à  en  faire  un  pré- 
cieux otage.  En  effet ,  la  capi- 
tulation par  laquelle  le  prince 
licenciait  son  armée  ,  et  s'embar- 
querait à  Cette,  fut  approuvée 
par  Napoléon.  Mais  au  moment 
où  l'expédition  de  celte  réponse 
était  envoyée  par  le  télégraphe, 
une  seconde  déptche  informait 
que  le  général  Grouchy  n'ayant 
pas  cru  devoir  exécuter  la  con- 
vention sans  un  ordre  spécial  de 
Napoléon  ,  le  duc  d'AngoulOMiie 
s'ctait  constitué  prisonnier.  Mal- 
gré cet  incident  important,  Napo- 
léon persista  dans  sa  première 
volonté,  et  la  fit  ainsi  connaître 
au  général  Grouchy: 

«  M.  le  comte  Grouchy,  l'or- 
«donnance  au  roi,  en  date  du  G 
»  mars,. et  la  déclaration  siirnée 
aie  1 J  à  Vienne  par  ses  ministres, 
«pourraient  m'autoriser  à  traiter 
»lc  duc  d'AngoulcMue  comme 
"Celle  ordonnance  et  cette  décla- 


NAl» 


527 


sralion  voulaient  qu'on  IraîtSt 
«moi  et  ma  fumille.  .Mais  cons- 
»tant  dan<  les  dispositions  qi'i 
•  m'avaient  porté  à  ordonner  que 
nies  membres  de  la  famille  de 
»  Bourbon  pussentsorlir  librement 
«de  France,  mon  intention  est 
«que  vous  donniez  des  ordres  pour 
»que  le  duc  d'Angoulême  soit 
n conduit  à  Cette,-  où  il  seraem- 
»  barque,  et  que  vous  veilliez  à  sa 
n  sûreté,  et  à  écarter  de  sa  person- 
»  ne  aucun  mauvais  traitement , 
«etc.  »  Le  prince  s'embarqua  à 
Cette  pour  Cadi^,  et  le  général 
Grouchy  fui  nommé  maréchal 
de  l'empire.  Cette  haute  dignité 
due  aux  plus  éminens  services, 
mais  décernée  dans  une  pareille 
circonstance,  et  après  une  pareille 
lettre,  sembla  alors  avoir  été  des- 
tinée à. récompenser  plutôt  le  sa- 
lut que  la  défaite  du  duc  d'An- 
goulême. 

Le  duc  de  Bourbon  s'était  em- 
barqué le  1"  avril  à  Faiubœnf 
pour  TAngleteire,  le  duc  d'Angou- 
lême le  iG  au  port  de  Celle  pour 
l'Espagne.  L'ouest,  que  l'on  n'a- 
vait pu  soulever,  le  midi  qu'on 
venait  de  soumeltre,  rendaient 
à  l'heureux  Napoléon  la  France 
tranquille.  Aux  approches  de  la 
crise  dont  la  déclaration  «le  Vien- 
ne, du  25  mars,  menaçait  sou 
repos,  peut-être  fût-elle  rentrée 
avec  enthousiasme  encore,  non 
plus  au  nom  de  la  liberté,  mais 
au  nom  de  l'indépendance  natio- 
nale, dans  la  carrière  d'une  résis- 
tance compacte  à  l'agression  é- 
irangère.  La  nation,  plutôt  in- 
quiète qu'incertaine,  avait  besoin 
que  la  voix  pui5^anle  qui  la  rap- 
pelait aux  armes  lui  parlât  haute- 


52« 


NAP 


ment  et  franchement  le  langap;e 
du  })atriolisnie.  Elle  attendait  le 
manil'csle  de  sa  défense  de  la  mê- 
me bouche,  qui  au  golfe  Juan  a- 
vait  j)roclamé  sa  délivrance;  elle 
rallendait  de  celui  qui  venait  de 
la  metlre  en  péril.  Mais  au  lieu 
de  celte  garantie  qui  lui  était 
due  ,  le  despotisme  proclama 
Vjicte  additio7incl  aux  coîistUu- 
iions  de  t' empire.  Par  cette  pro- 
mulgation, qui  frappa  la  capitale 
le  ai  avril,  la  France  connut  que 
le  retour  de  l'île  d'Ell)e  lui  rame- 
nait toute  l'autocratie  impériale, 
et  y  joignait  l'aristocratie  de  la 
nouvelle  charte.  Le  sénat,  qui 
avait  besoin  sans  doute  d'une  ré- 
génération ,  y  reparaissait  sous  le 
nom  de  Cluuubre  des  Pairs;  et 
])Our  lu  troisième  fois,  depuis  l'a- 
vènement de  Napoléon  à  l'enjpi- 
re,  une  noblesse  héréditaire  était 
donnée  à  la  France.  Ainsi  ce  n'é- 
tait plus  que  le  grand  roi  que 
le  grand  peuple  était  sommé  de 
défendre  au  prix  de  sa  liberté  fu- 
ture ,  et  de  trente  années  de  sa- 
crifices. La  commotion  que  cau- 
sa cette  audacieuse  conception 
fut  crilitjue  au  plus  haut  degré, 
ou  plutôt  elle  fut  mortelle,  et  le 
talut  public  fut  abandonné  aux 
soldats,  qui  ne  pouvaient  être 
appelés  à  délibérer.  Le  temps  du 
patriotisme  avait  fini  pour  l'armée 
avant  la  chute  du  directoire,  où 
déjà  elle  avait  cessé  d'être  le  seul 
moyen  de  salut  public,  parce  que 
l'on  n'avait  plus  besoin  d'ellepour 
assurer  l'indépendance  de  la  patrie. 
Cette  époque,  ce  jour,  présentè- 
rent donc  à  la  crise  funeste  où  était 
la  France ,  une  armée  tout  im- 
périale,  une  nation  toute  silen- 


NAP 

cieuse.  Des  registres  fiwent  ou- 
verts dans  toutes  les  mairies  de 
lacapilale  pourle  vote  à  l'acte  ad- 
ditionnel. Ln  votant  écrivit  sur 
un  des  registres  ,  Je  refuse  à  cau- 
se de  l'article  qui  proscrit  ta  fa- 
mille royale;  un  autre  écrivit  au- 
dessous  ,  C'est  pour  cet  article 
que  j'adhère  à  l'acte  additionnel. 
Et  ils  signèrent  tous  les  deux.  La 
liberté  de  ces  deux  votes  est  remar- 
quable. [Mais  le  pouvoir  s'assura  de 
la  majorité  comme  il  arrive  dans 
les  grands  états;  il  aurait  pu  épar- 
gner cette  humiliation  à  un  peu- 
ple malheureux,  et  respecter  au 
moins  sa  dignité  aux  yeux  de 
l'Europe.  Napoléon  devait  bien 
aux  Français  cette  reconnaissan- 
ce. Ses  conseils  d'abord  géné- 
reux, ensuite  incertains,  étaient 
redevenus  violcns,  et  les  symp- 
tômes d'une  grande  catastrophe 
se  répandirent  bientôt  dans  les 
rangs  des  citoyens  et  même  dans 
ceux  de  l'armée.  Pour  comble 
d'infortune  ,  la  déclaration  de 
Vienne  du  14  mars  et  le  traité  du 
uS,  qui  ne  laissaient  plus  d'espoir 
pour  la  paix,  vinrent  terrifier  l'o- 
j)inion  déjà  si  partagée ,  et  pour 
la  seconde  fois  le  monstre  de  la 
trahison  se  glissa  sous  les  tentes 
françaises  !... 

Dans  la  séance  du  conseil  des 
ministres  du  29  mars,  Napoléon 
avait,  sur  le  rapport  du  duc  d'O- 
trante,  renvoyé  l'examen  de  cette 
déclaration  à  une  commission 
composée  des  présidens  de  son 
conseil-d'état,  et  il  en  était  résul- 
té une  réfutation,  dont  le  style 
énergique,  le  rapprochement  des 
faits,  la  vigueur  desraisonnemens 
et   la  déclaration  des   principes. 


Î^AP 

ne  laissèrent  pas  long-temps  mé- 
connailrc  l'auteur.  Napoléon  y 
répondait  lui-inèino  à  l'Europe. 
Cette  pièce,  de  la  plus  haute  im- 
portance, restera  comme  un  des 
ilocumens  les  plus  curieuxde  l'his- 
toire de  Napoléon ,  et  comme  un 
des  plus  habiles  et  éloquens  ma- 
nile-ites  qui  soient  sortis  de  la 
plume  d'un  homme  d'état.  Mal- 
gré réchange  de  ces  violi;ntes 
provocations  ,  Napoléon  ne  dou- 
tait encore  ni  de  lui-même,  ni 
même  d'une  partie  des  cabinets 
de  la  coalition,  et  il  crut  pouvoir 
avec  succès  reprendre,  tout  banni, 
tout  proscrit  qu'il  était,  des  rela- 
tions soit  avec  la  Russie ,  soit  a- 
vec  l'Autriche.  Un  traite  secret 
entre  la  France ,  l'Autriche  et 
l'Apgleterre,  pour  défendre  la 
Saxe  du  démembrement  dont  la 
Kussie  et  la  Prusse  la  menaçaient, 
avait  été  oublié  dans  le  cabinet 
du  ministie  des  aîTaires  étrangè- 
res, au  départ  de  la  cour.  A  l'ar- 
rivée de  Napoléon  à  Paris,  les 
ministres  d'Autriche  et  de  iîussie 
étaient  encore  dans  la  capitale. 
Napoléon  pensa  que  la  communi- 
cation de  ce  traité  secret  au  mi- 
nistre de  Russie  détacherait  cette 
puissance  des  intérêts  de  la  mai- 
son de  Bourbon,  et  jetterait  la  dis- 
corde dans  le  congrès  de  Vienne. 
En  conséquence ,  ce  traité  fut 
montré  à  M.  de  Bundiskeen;  d'au- 
tres démarches  furent  faites  au- 
près de  l'empereur  Alexandre,  et 
quelques  ouvertures  au  cabinet 
de  Londres.  Après  ces  tentatives 
préliminaires,  dont  aucune  n'eut 
le  succès  qu'il  avait  osé  espérer, 
il  avait  cru  devoir,  le  4  avril, 
répondre  aussi  par  \\\\q  déclaru- 

T.  XIV. 


NAP  52t) 

tion  à  celle  du  congrès  de  Vienne, 
etilavai*  écrit  aux  souverains  la 
lettre  suivante  : 

«  Monsieur  mon  frère,  vous 
•  aurez  appris  dans  le  cours  du 
»mois  dernier  mon  retour  sur  les 
«côtes  de  France,  mon  entrée  à 
«Paris  et  le  départ  de  la  famille 
«des  Bourbons.  La  véritable  na- 
»  tore  de  ces  événemens  doit  être 
n  maintenant  connue  de  V.  M. 
«Ils  sont  l'ouvrage  d'une  irrésis- 
wtiblc  puissance,  l'ouvrage  et  la 
«volonté  tinanime  d'une  grande 
«nation  qui  connaît  ses  devoirs  et 

«ses  droits. 

«...  La  France  a  dû  se  sépa- 
»rer  d'eux,  sa  voix  appelait  un  li- 
«bérateur.  L'attente  qui  m'avait 
0  décidé  au  plus  grand  des  sacri- 
nficcs  avait  été  trompée.  Je  suis 
«venu,  et  du  point  où  j'ai  touché 
»  le  rivage,  l'amour  de  mes  peu- 
oples  m'a  porté  jusqu'au  sein  de 
«ma  capitale.  Le  premier  besoin 
»de  mon  cœur  est  de  payer  tant 
«d'affection  par  une  honorable 
»  tranquillité.  Le  rétablissement  du 
n  trône  impérial  étant  nécessai- 
»  re  au  bonheur  de.i  Français,  ma 
«plus  douce  pensée  est  de  le  ren- 
»  dre  en  même  temps  ulile  à  l'affer- 
»  missement  du  repos  de  l'Europe. 
0  Assez  de  gloire  a  illustré  tour-à- 
»  tour  les  drapeaux  des  diverses 
«nations.  Les  vicissitudes  du  sort 
«ont  assez  fait  succéder  de  grands 
«revers  à  de  grands  succès.  Une  plus 
«belle  arène  est  aujourd'hui  ou- 
»  verte  aux  souverains,  et  je  suis 
«le  premier  à  y  descendre.  Après 
«avoir présenté  au  monde  le  spec- 
«tacle  de  grands  combats,  il  se- 
«raplus  doux  de  ne  connaître  dé- 
«sormais  d'autre  rivalité  que  celle 
04 


55o  INAP 

»des  avantages  delà  paix,  d'autre 
»  lutte  que  la  lutte  sainte  de  la 
«félicité  des  peuples.  La  France 
«se  plaît  à  proclamer  avec  fian- 
rtchise  le  noble  but  de  tous  ses 
I)  vœux.  Jalouse  de  son  indépeudau- 
»ce,  le  principe  invariable  de  sa 
«politique  sera  le  respect  le  plus 
«absolu  pour  l'indépendance  des 
«autres  nations.  Si  tels  sont,  com- 
->  me  j'en  ai  eu  l'iieureuse  confian- 
»ce,  les  sentiinens  personnels  de 
iiV.  M.  ,  le  calme  général  est  as- 
wsuré  pour  long- temps,  et  la  jus- 
ntice,  assise.aux  contins  des  états, 
«suffit  seule  pour  en  garder  les 
»  fronlièreïi.  » 

Cette  lettre  ,  trop  suspecte  sans 
doute  aux  intérêts  eux-mêmes, 
que  Napoléon  croyait  pouvoir 
rétablir,  n'eut  point  cours  au- 
près de  la  politique  étrangère, 
qui  avait  rigoureusement  lér- 
mé  toutes  les  avenues  à  toutes 
communications  avec  le  gouver- 
nement de  Napoléon.  Rlalgré  ce 
rigoureux  interdit,  ce  prince,  à 
qui  la  confiance  souriait  comme 
une  expression  de  sa  volonté,  re- 
nouvela des  démarches  auprès 
de  la  cour  de  Vienne,  et  en  fit  mê- 
me auprès  du  prince  de  Talley- 
rand ,  plénipotentiaire  du  roi  au 
congrès.  Mais  une  victoire  écla- 
tante était  de  piemière  nécessité 
pour  Napoléon.  H  s'y  préparait 
par  tous  les  moyens,  et  par  tous  les 
souvenirs  de  son  génie  et  de  son 
ascendant  sur  le  soldat  français. 
Il  avait  paru  seul  dans  les  rangs 
de  la  garde  nationale,  malgré  les 
craintes  qu'on  avait  cherché  à  lui 
inspirer.  Il  avait  habilement  ci- 
menté l'alliance  de  cette  garde 
avec   la   garde   impériale  par  un 


ISA  F 

banquet  de  i5,ooo  couverts  que 
la  garde  impériale  avait  donné  au 
Champ-de-Mars  à  la  garde  natio- 
nale. JJuit  armées  s'étaient  for- 
mées depuis  le  retoin-  de  Napo- 
léon; elles  reçurent  le  nom  d'ar- 
mée du  Nord,  de  la' Moselle, 
du  Rhin,  du  Jura,  des  Alpes, 
des  Pyrénées  ;  l'armée  de  ré- 
serve se  réunissait  à  Paris  et  à 
Laon.  Cent  cinquante  batteries  é- 
taient  en  marche  pour  toutes  ces 
armées;  5oo  bouches  à  feu  allaient 
être  placées  sur  les  hauteurs  de 
Paris.  Les  corps  francs  et  les  par- 
tisans s'organisaient.  La  levée 
en  masse  des  sej>4;  départemens 
frontières  du  Nord  et  de  l'Est  é- 
lait  préparée.  Toutes  les  places 
étaient  fortifiées  jusque  dans  le 
centre  de  la  France  :  tous  les  Re- 
filés étaient  gardés,  toiïs  les  pas- 
sages retranchés  :  les  redoutes, 
les  ouvrages  de  campagne  s'éle- 
vaient partout  où  il  y  avait  un 
obstacle  à  défendre,  une  issue  ik 
fermer,  une  route  à  protéger. 
La  France  était  disposée  comme 
une  citadelle  à  soutenir  l'assaut 
de  l'Europe,  et  ses  forces ^  pla- 
cées pour  la  défense,  étaient  orga- 
nisées, armées,  approvisionnées 
pour  l'invasion.  Napoléon  possé- 
dait au  plus  haut  degré  la  magie 
militaire  sur  le  soldat  français  ;  il 
avait  rendu  aux  régimens  ces 
beaux  surnoms  A' Invincible,  de 
Terrible,  ô^  Incomparable ,  d'un 
contre  dix.  Aussi  de  80,000  hom- 
mes l'armée  se  trouva  tout-à- 
coup  portée  à  200,000.  Dix  mille 
soldats  d'élite  entrèiiMit  dans  les 
vieux  rangs  de  la  garde.  Les  bra- 
ves maj'ins  de  Lutzen  et  de  Baut- 
zen  formèrent  un  corps  de  18,000. 


I 


NAP 

La  grosse  cavalerie  fut  remontée 
par  10,000  chevaux  de  la  gendar- 
merie. Enfin  la  garde  nationale  de 
France  Sut  réorganisée  en  5, 1 3o  ba- 
taillons, présentant  une  masse  de 
2,a5o,ooo  hommes,  et  i,5oo  com- 
pagnies de  chasseurs  et  de  grena- 
diers de  la  garde  nationale,  formant 
j8o,ooo  hoinmes ,  furent  mises 
à  la  disposition  du  ministre  de  la 
guerre.  Si  Napoléon  n'avait  voirlu 
être  que  le  dicfalenr  de  îa  Fran- 
ce en  péril  au  lieu  d'être  son  pro- 
pre successeur  à  l'empire ,  qui 
peut^iire  que  la  république  n'eût 
pas  tenté  de  sortir  de  ses  ruiÉics? 
Napoléon  en  eut  peur,  quand  il 
vit  de  près  les  fédérés,  et  qu'il  en- 
tendit les  motions  des  clubs  qu'il 
avait  fait  rouvrir.  Il  en  eul  peur, 
et  l'élan  prêt  à  éclater  sur  toute  la 
France  d'une  sorte  de  fanatisme 
national  fut  comprimé.  Les  provin- 
ces montagneuses,  dont  la  nature 
plus  sauvage  est  plus  en  rapport 
avec  les  sentimens  austères  du 
patriotisme,  avaient  repris  avec 
ardeur  lessouvenirs  de  ces  grands 
efîbrts  qui  les  avaient  illustrées 
pour  la  cause  do  la  liberté.  Il  y 
eut  dans  les  ïhermopyles  des  Vos- 
ges et  du  Jura  de  nombreux  exem- 
ples des  dévoucmens  antiques.  Il 
y  eut  en  Alsace  et  en  Franche- 
Comté  beaucoup  de  femmes  , 
beaucoup  de  mères  de  Home  et  de 
Sparte  qui  excitaient  à  la  guerre 
leurs  maris  et  leurs  enfans.  Ces 
vertus  terribles  pour  les  ennemis 
de  la  patrfe  étaient  aussi  bien 
redoutables  pour  celui  qui  ne 
voulait  la  délivrer  que  pour  l'as- 
servir. Cependant  il  pouvait  exis- 
ter en  France",  ou  plutôt  renaître, 
cette  force  morale  qni  fait  lever 
toute  une  nation  sous  le  drapeau 


NAP 


55 1 


d'un  chef  pour  défendre  avec  lui 
contre  l'étranger  l'indépendance 
<le  la  pairie,  et  celle  qui  après 
la  victoire  tient  encore  cette  na- 
tion debout  pour  défendre  sa 
liberté  contre  ce  même  chef.  La 
fédération  bretonne,  qui  produi- 
sit un  traité  entre  les  villes  de 
Renues  et  de  Nantes,  en  est  la 
preuve.  Après  avoir  lu  ce  traité, 
qui  lui  avait  été  dénoncé.  Napo- 
léon disait  :  «  C'est  bon  pour  la 
»  France  ,  mais  ce  n'est  pas  bon 
«pour  moi.  »  Jamais  sans  doute 
gloire  plus  grande  ni  plus  utile 
n'eût  été  donnée  à  aucun  peuple, 
si  au  18  brumaire  les  Français 
avaient  pu  forcer  Napoléon  à  de- 
venir citoyen.  iMais  Napoléon  a- 
vait  une  idée  fixe,  le  pouvoir  ab-r 
soli\.  Son  génie  fut  assez  fort  pour 
l'établir,  trop  peu  pour  le  con- 
server, parce  qu'il  fallait  pOur  ê- 
tre  toujours  le  maître,  et  l'être  de 
tous  les  peuples,  posséder  une  é- 
gale  activité  de  prudence  et  de 
force  :  aussi  en  181 5  les  fédérés 
lui  parurent  des  ennemis,  les  clu- 
bistes  des  factieux.  Il  n*était  pas 
dans  sa  nature  de  vouloir  en  faire 
des  citoyens  :  il  en  fit  des  mécon- 
tens.  Il  dit  un  jour,  «  Les  prêtres 
»et  les  nobles  jouent  gros  jeu.  Si 
nje  leur  lâche  le  peuple ,  ils  seront 
»  tous  dévorés  dans  un  olin-d'œil.  » 
Cependant  qui  avait  rétabli  les 
prêtres  et  les  nobles?  Lue  autre 
fois,  en  parlant  des  souvejains  de 
l'Europe ,  il  disait  :  «  Si  demain 
»je  mettais  le>  bonnet  rouge,  ils 
«seraient  tous  perdus.  «Il  l'aurait 
été  lui-même.  Mais  --i  à  sou  re- 
tour d'É;4;ypte  il  ne  se  fût  pas 
plu  à  confondre  la  révolution  a- 
vec  la  terreur,  ni  lui  ni  les  rois 
de  l'Europe,  n'auraient  rien  eu  à 


552 


NAP 


craindre   de  la  liberté  légale  que 
la  France  lui  demandait  alors. 

On  était  au  24  avril,  et  l'acte 
additionnel  parut  dans  le  Moni- 
teur, malgré  les  inutiles  efforts 
elles  vives  remontrances  de  quel- 


ques 


s  grands  if)ersonna":es. 


is  pe 


Fouché  de  Nantes  venait  d'être 
surpris  par  Najioléon,  dans  une  in- 
trigueavecle  prince  de  Metternich, 
mais  Napoléon  ne  retira  d'autre 
IVuit  de  sa  découverte,  que  la  certi- 
tude d'être  trahi  par  Fouché,  et 
l'impossibilité  de  s'en  défaire.  Il 
avait  été  trompé  dans  toute  cette 
affaire,  au  point  de  croire  qu'il  était 
le  maître  d'accepter  la  régence,  et 
de  placer  son  fils  sur  le  trône  de 
France  ;  et  comme  il  croyait  tout 
ce  qu'il  espérait,  il  disait  :«  Puis- 
.) qu'ils  m'offrent  la  régence,  mon 
»  attitude  leur  impose  :  qu'ils  me 
«laissent  encore  un  mois,  et  je  ne 
»!es  craindrai  plus.  » 

Cependant  Joachim  Murât,  qui 
avait  trahi  Napoléon  en  1814»  qui 
en  récompense  avait  conservé  sa 
couronne,  qui  enfin  allait  être  re- 
connu par  l'Angleterre  elle-même 
légitime  roi  de  Naples,  comme 
Bernadotte  l'avait  été  de  Suède, 
Joachim  ,  par  une  sorte  de  re- 
mords de  vanité,  s'était  aussi  mis 
dans  la  tête  de  ne  plus  craindre 
l'Europe,  quoique  Napoléon  n'eftt 
cessé  depuis  son  départ  de  l'île 
d'Elbe,  de  l'engager  à  ne  rien  en- 
treprendre. Une  ridicule  et  fatale 
présomption  lui  fait  rêver  de  de- 
venirtout-à-conp  l'arbitre  de  l'in- 
dépendatjce  italienne  ;  de  longues 
et  fastueuses  proclamations  vont 
porter  jusqu'aux  Alpes  Juliennes, 
le  nom  du  libérateur.  Ce  n'était 
pas  celui  de  Napoléon,  le  seul  ce- 
pendant qui  pût  donner  crédit  à 


NAP 

l'entreprise  de  son  beau- frère. 
Une  étroite  combinaison,  on  peut- 
être  même  un  orgueil  excessif, 
décida  le  roi  Joachim  à.  ne  pas 
s'annoncer  comme  le  lieutenant 
de  Napoléon,  dont  le  ^prestige, 
toujours  historique  pour  ces  bel- 
les contrées  ,  parlait  encore  si 
haut  aux  rives  de  l'Adige,  du  Pô, 
du  Tibre,  aux  palais  de  Gênes,  à 
ceux  de  Venise,  aux  monumens 
triomphaux  et  civils  qui  attes- 
taient sa  grandeur  et  son  amitié 
aux  Lombards ,  aux  Toscans  et 
aux  Romains.  Le  28  mars ,  à  la 
tête  de  5o,ooo  Napolitains,  na- 
tion que  ces  peuples  ne  comptent 
pas  dans  les  rangs  de  la  patrie 
italienne,  Joachim  conuiiença  son 
irruption.  Il  croit  qu'il  donne  sa 
bravoure  à  ses  troupes ,  comme 
Napoléon  donnait  son  génie  à  ses 
armées.  Le  désir  de  cette  indé- 
pendance était  tel  en  Italie ,  que 
plusieurs  villes  se  levèrent  au  pre- 
mier appel  de  Joachim.  Mais  le 
5  avril,  le  général  autrichien  Bel- 
legarde  répond  de  Milan  à  la  pro- 
clamation du  roi  de  Naples,  et 
le  général  anglais  Benlinck  y  ré- 
pond au^si  de  Livournc,  en  unis- 
sant ses  armes  à  celles  de  l'Au- 
triche. Les  Alienumds  surpris  , 
sont  d'abord  obligés  de  se  replier, 
mais  les  généraux  Blanchi  et  Neip- 
perg  combinent  leurs  mouve- 
mens,  prennent  à  leur  tour  l'offen- 
sive, chassent  bientôt  devant  eux 
les  bandes  napolitaines,  et  le  2  et 
le  5  de  mai,  les  mettent  dans  une 
déroule  complète  à  la  bataille  de 
Tolenlino. 

L'intention  de  Joachim  fut  de 
servir  Napoléon  en  s'élevant  lui- 
même,  mais  par  celle  folle  entre- 
prise, il  contribua  encore  à  la  des- 


NAr 

Iruclion  de  ce  prince ,  en  appe- 
santissant le  joug  autrichien  sur 
cette  malheureuse  Italie,  donJ  la 
destinée  ne  devait  être  décidée 
que  par  la  victoire  ou  par  la  dé- 
faite de  Napoléon.  Napoléon  ap- 
prit avec  douleur  la  levée  de  bou- 
clier de  son  beau-Irére,  à  qui  il 
avait  prescrit  d'attendre.  Il  en- 
voya auprès  de  lui  un  général 
habile  qui  avait  la  confiance  du 
roi  de  Naples,  mais  il  n'était  déjà 
plus  temps  :  un  mois  avait  sufli 
pour  détruire  l'armée  de  Joachim, 
et  pour  le  détrôner.  Vainement  sa 
bouillante  valeur,  encore  excitée 
par  son  désespoir,  l'avait  vingt 
fois  précipité  seul  au  milieu  des 
rangs  ennemis  ,  pour  y  chercher 
lu  mort.  Jiélas  !  il  était  invulné- 
rable!» Je  n'ai  pu  mourir,  mada- 
»me,  dit-il  à  la  reine,  en  rentrant 
"dans  Naples.  »En  peu  d'heures 
le  trône  de  Joachim  avait  disparu. 
Il  avait  dû  fuir  sur  un  bateau  pé- 
cheur, et  la  reine,  toujours  cou- 
rageuse dans  cette  extrême  fatali- 
té, avait  pu  stipuler  avec  les  An- 
glais son  départ  de  Naples,  et  le 
transport  de  toute  sa  famille  sur 
un  vaisseau  britannique,  dans  le 
port  de  Trieste.  (  Voyez  Joachim 
MïRAT,  voyez  la  reine  Caroline 
3itRAT.  )  Ce  funeste  épisode  de  la 
catastrophe  qui  attendait  Napo- 
léon ,  lui  enleva  l'appui  de  11- 
lalie,  dont  l'immobilité  silen- 
cieuse soutenue  par  l'attitude  du 
prince  le  plus  guerrier  de  l'Euro- 
pe après  Napoléon,  ef.t  imposé  à 
l'Autriche,  jusqu'au  dénouement 
de  la  grande  scène,  dont  le  midi 
de  la  Belgique  allait  être  le  théâ- 
tre. Ces  auspices  furent  malheu- 
reux.   La   présomptueuse  ineptie 


NAP  535 

des  conseillers  de  l'infortuné  Joa- 
chim, abusa  de  la  jactance  de  son 
caractère,  causa  sa  perle,  celle  de 
l'Italie,  et  contribua  puissamment 
à  celle  de  Napoléon.  Dès  ce  mo- 
ment, le  nom  de  Joachim  devient 
sacré  pour  la  France  elle-même, 
et  l'histoire  a  le  droit  d'appeler  à 
la  postérité  du  jugement  qui  a 
violé  envers  ce  prince  le  caractère 
inviolable  de  la  royauté.  Elle  dira 
que  Joachim  est  mort  en  roi  et  en 
brave. 

Cependant  l'orage  approche  de 
la  France,  et  la  conjuration  diplo- 
matique resserre  tous  les  liens  des 
rois  de  l'Europe  contre  l'ennemi 
commun.  Le  12  mai,  un  rapport 
était  publié  à  Vienne  par  ordre  du 
congrès.  C'était  un  manifeste  de 
l'autocratie  future  des  rois  sur  les 
libertés    publiques. 

«...Les  puissances  ne  se  croient 
1)  pas  autorisées  à  imposer  un  gou- 
nverncment  à  la  France,  mais 
«elles  ne  renonceront  jamais  AO 
«DROIT  d'empêcher,  que  sous  le 
»  titre  de  gouvernement,  il  ne  s'é- 
»  tabiisse  en  France  un  foyer  de  dé- 
nsordre  et  de  bouleversement  pour 
»les  autres  états...  Cet  homme  n'a 
»  d'autre  garantie  à  proposer  à 
«l'Europe  que  sa  parole,  etc....» 
La  Prusse,  l'Autriche  et  l'Angle- 
terre, venaient  donc  d'acquérir  le 
droit  de  faire  oublier  à  l'Europe 
les  nombreuses  infractions  aux 
traités  avec  via  France  ,  lesquels 
avaient  eu  une  toute  autre  garan- 
tie que  celle  de  la  parole  de  leurs 
plénipotentiaire?.  On  ne  devait 
donc  plus  de  part  et  d'autre ,  au 
moins  extérieurement ,  procéder 
que  par  voie  d'extermination.  Car, 
malgré  l'intérêt  si  fastueiisement 


55A 


"SAP 


publié  diirepos  de  l'Europe  par  l'a- 
néantissement de  Napoléon,  et  du 
rélablissenient  de  la  maison  de 
Bourbon  sur  le  Irône  de  Fi-ance,  la 
marche  des  alliés  vers  le  llhin  ne 
fut  pas  égale,  et  cette  fois  la  con- 
quête de  la  France  n'était  pas  le 
prix  de  la  course.  Ainsi  toute  cette 
haute  menace  européenne  pouvait 
tomber  devant  une  bataille,  où  les 
Seules  armées  anglaises  et  prus- 
siennes représentaient  toute  la  coa- 
lition. 

Cependant  toutes  les  précau- 
tions étaient  prises,  et  la  Sjiisse, 
qui  l'année  précédente  avait  laissé 
violer  sa  neutralité,  se  rangea  d'el- 
le-même du  côté  du  plus  fort,  en 
signant  le  20  mai  la  convention  de 
Zurich,  avec  les  qiiatre  grandes 
puissances.  Ce  fut  pour  sa  politi- 
que une  occasion  de  vanité  qu'elle 
ne  dut  pas  laisser  échapper,  que 
celle  dêtre  recherchée  par  des 
puissances  qui  pouvaient  se  passer 
de  son  consentement,  en  renou- 
velant, en  i8i5  ,  l'occupation  mi- 
litaire de  i8i4-  Le  même  jour,  la 
convention  de  Capoue  remettait 
aux  Anglais  et  aux  Autrichiens, 
pour  le  roi  Ferdinand,  toutes  les 
places  du  royaume  de  Naples.  Le 
27,  les  trois  souverains  de  Russie, 
d'Autriche  et  de  Prusse,  partaient 
de  Vienne  pour  se  rendre  à  leurs 
armées.  Enfin,  le  5i  mai,  un  trai- 
té était  signé  à  Vietme  entre  les 
quatre  grandes  pni*is;inces  et  le 
nouveau  roi  des  Pays-Bfis.  Ce  trai- 
té reconnaissait  l'érection  de  son 
royaume,  et  en  arrêtait  la  délimi- 
tation, d'un  côté  aux  provinces 
prussiennes  el  hanovriennes,  de 
l'autre  aux  départemens  français 
de  la  Moselle,  de  la  Meuse,  des 
Ardennes    el  du   Nord.   Ainsi  le 


NAP 

champ  de  bataille  était  choisi,  et 
le  nom  de  Fleurus  allait  reparaître 
encore  dans  les  destinées  de  la 
France. 

Napoléon  ouvrit  auparavant  le 
champ-de-mai.  Celait  re'ssusciter 
de  plus  vieux  souvenirs.  Cette  in- 
tervention gothique  parut  à  quel- 
ques bons  esprits  déparer  le  péril 
de  la  grande  crise  de  la  France.  Les 
anciens  sacrifiaient  aux  dieux  pro- 
tecteurs et  aux  dieux  infernaux  a- 
vanl  les  batailles  qui  pouvaient  dé- 
cider du  sort  de  l'état.  Mais  quel 
était  le  but  du  moderne  Napoléon, 
d'exhumer  au  ig*  siècle  un  usage 
des  premières  races?  qu'avaient 
de  commun  les  libertés  françaises 
sous  Charlemagne  avec  celles  qui 
venaient  do  passer  sous  le  niveau 
de  l'acte  additionnel?  Napoléon  y 
parut  aussi  entouré  de  ses  barons 
et  de  ses  preux.  Rien  ne  fut  ou- 
blié de  la  pompe  impériale,  et 
même  il  y  fut  ajouté,  afin  que  les 
5oo  électeurs  qui  avaient  été  dé- 
putés à  Paris  par  tous  les  collèges 
électoraux,  et  que  les  députes  des 
armées  de  terre  et  de  mer,  ne  pus- 
sent pas  ignorer  la  nature  du  pac- 
te solennel  qu'ils  allaient  contrac- 
ter pour  la  France  avec  Napoléon. 
Le  costun)e  cfe  Napoléon  el  celui 
de  ses  frères,  quoique  déjà  con- 
nu et  consacré,  ne  parut  que  théâ- 
tral et  peu  analogue  avec  la  sévé- 
rité des  circonstances;  la  majori- 
té des  spectateurs ,  tous  les  élec- 
teurs et  toute  l'armée  eussent  pré- 
féré voir  Napoléon,  ses  frères  et  sa 
cour,  en  babils  de  guerre,  offrant 
à  l'Europe  le  spectacle,  fel  à  laFran- 
ce  la  garantie  de  grands  citoyens 
réunis  pour  un  serment  tout  pa- 
triotique, celui  de  vaincre  ou  de 
mourir  pour  l'indépendance  na- 


NAP 

tion^Ie.  Mais  Napoléon,  par  la  con- 
Tocalion    du    chainp-de-mai    au 
Champ-rJe-AIars,  au  milieu  d'une 
année   de    5o,ooo    hommes    dé- 
voués, ne  fil  et  ne  voulut  faire 
qu'un  acte  extraordinaiie  de  sou- 
veraineté. La  cérémonie  religieu- 
se qui  précéda  le  serment  fut  de  la 
plus  noble  solennité.  Un  autel  im- 
mense   s'élevait    au     milieu     du 
Champ-de-i>]ars.  et  rappelait  aux 
citoyens  de  1789  le  serment  de  la 
première  fédération.'!  Ce  rappro- 
chement   ne    trompa    personne. 
Maià  Napoléon  était  là,  et  son  pres- 
tige exerça  sur  toute  la  population 
cet  asojindant    magiqi:e.    qu'im- 
posent toujours  à  la  multitude  la 
pompe  d'une  grande   cérémonie 
et  la  présence  de  celui  de  qui  dé- 
pend  sa   destinée.    Le  recueille- 
ment de  Napoléon  au  pied  de  l'atj- 
tel  eut  un  grand  caractère,  qui  a- 
vait  (|uelque  chose  de  funèbre  à- 
la-fois  et  de  triomphal.  L'attitude 
des  électeurs  au  pied  du  trône  fut 
imposante.    Leurs    vœux    étaient 
presque  unanimes,  et  le  discours 
qui  fut  prononcé  par  leur  orateur, 
homme  libre  des  anciens  temps, 
produisit  un  grand  effet  sur  l'as- 
semblée. La  réponse  de  Napoléon 
était  empreinte  de  son  caractère, 
et  produisit  une  sensation  d'autant 
plus  profonde,  que  l'espérance  de 
salut  était  moins  populaire  parmi 
les  nombreux  auditeurs.  Le  résul- 
tat des  votes  pour  l'acte  addition- 
nel avait  été  proclamé  par  l'ora- 
teur des  collèges  électoraux.   Le 
vote  négatif  ne  s'était  élevé  qu'à 
4,80a,  et  l'affirmatif  était  porté  à 
1,532,557,   Ce  résultat  ne  parut 
qu'une  victoire  de  la  puissance  sur 
l'opinion  générale,  et  décolora  ce 
que  la  réponse  de  Napoléon  ren- 


NAl» 


555 


fermait  de  généreux  et  de  patrio- 
tique. Après  son  discours,  qui  fut 
prononcé  d'une  voix  feruie,  Napo- 
léon prêta  serment  sur  l'évangile 
aux  constitutions  et  à  l'observa- 
tion des  conslilutions  de  J'empire, 
et  reçut  après  le  serment  de  fidéli- 
té du  peuple  par  la  deputation  élec- 
torale; celui  des  armées,  par  les 
ministres  de  la  g(jerre  et  de  la  ma- 
rine ;  celui  des  gardes  nationales, 
])ai-  !e  ministre  de  rinlérieur,  ei 
enfin,  il  distribua  lui-même  de-»  ai- 
gles à  la  garde  nationale  de  Paris 
et  à  la  garde  impériale.  Le  cri  de 
vive  l'enifiereur  retentit  tout-à-coup 
dans  l'assemblée  et  dans  le  Champ- 
de-.Mars,  et  fut  au  loin  répété  par 
la   fouie.    Les    troupes    défilèrent 
devant  Napoléon.  Les  hubflans  de 
Paris  ne  pouvaient  se  rassasier  de 
voir   ces   bataillons    sacrés    de    la 
vieille  et  de  la  jeurjc  garde,  où  la 
cioix-d'honneur  désignait  à  la  re- 
connaissance et  reoiîimandait  à 
l'inquiétude   publique   des    rangs 
entiers  de  soldats.  On"  se  pressait 
autour  d'eux;  on  lessaluait,  on  le* 
admirait.   Ces  derniers  gardes  de 
Napoléon  traversèrent  les  adieux 
de  la  capitale.  Ils  emportaient  a- 
vec  eux  tous  les  souvenirs  de  la 
gloire  militaire,  delà  liberté,  et  de 
l'empire.  Leur  attitude,  tonjours 
héroïque,  était  pourtant  silencieu- 
se. Ils  avaient  l'air  de  savoir  tous 
qu'ils  marchaient  à  un  sacrifice  qui 
ne  devait  ni  sauver  l'empire,  nt 
conquérir  la  liberté.  Les  citoyens, 
partagés  entre  ces  deux  opinions, 
se  séparaient  en  se  disait  :  Dfous 
ne  tes  reverrons  plus! 

Cette  grande  solennité  avait  été 
loin  de  faire  sur  la  partie  politi- 
que des  assistans  l'impression  que 
Napoléon  avait  espéré.  Beaucoup 


526 


NAr 


de  personnes  .avaient  pensé  que 
Napoléon  proclamerait  son  fils 
an  champ-dc-mai,  et  déclarerait 
Tonloir  se  retirer  en  signant  la 
paix,  afin  d'épargner  la  guerre  à 
la  France.  Il  reçut  des  lettres  où 
celte  question  était  traitée,  et  où 
il  était  lortenient  engagé  à  prendre 
ce  parti.  Cette  opinion  l'inqniéta 
beaucoup  dans  le  moment,  et  lui 
laissa  de  tristes  prcssentimens , 
Qn  lui  prouvant  (jue  la  France  é- 
tait-  encore  plus  avide  de  repos 
que  de  son  gouvernenuuit.  IJne 
autre  opinion ,  non  moins  hosti- 
le contre  lui,  se  présentait  sans 
cesse  à.  son  esprit.  L'acte  addi- 
tionnel s'était  élevé  comme  un 
ennemi  entre  la  France  et  lui,  et 
les  témoins  de  la  cérémonie  du 
cbamp-dcrmai ,  les  électeurs  sur- 
tout, y  avaient  attaché  une  toute 
antre  imj)ortanceque  la  prestation 
d'un  serment,  une  distribution 
de  drapeaux,  où  une  grande  revue 
militaire.  Ilsnvaient  cru  que  Na- 
poléon protilerait  de  celte  fête  des 
citoyens  et;  des  soldats  pour  la 
rendre  patriotique,  et  donner  des 
garanties  réparatrices  du  passé  et 
protectrices  de  l'avenir.  Napo- 
léon en  i'ut  averti,  et  conçut  l'i- 
dée de  trajler  cette  grande  al- 
faire  dans  une  autre  grande  fête 
de  famille, dontil  ordonna  lapom- 
pe  au  sein  môme  de  son  palais. 
Il  n'avait  au  champ-de-mai  dis- 
tribué les  aigles  qu'à  la  garde,  à 
la  garde  nationale  et  à  la  garde 
impériale.  Il  voulut  aussi  remet- 
tre de  sa  main  aux  électeurs  les  ai- 
gles de  leurs  départeniens  et  celles 
des  régimens  aux  députalions  de 
l'armée;  en  conséquence  10,000 
personnes  furent  réunies  dans 
les    vastes   galeries    du    Louvre, 


NAP 

dont  un  côté  était  occupé  par  les 
députations  de  l'armée,  et  l'au- 
tre par  les  députés  et  les  élec- 
teurs de  l'empire.  L'aigle  de  cha- 
que département  fut  placée  en 
têle  du  groupe  de  ses  dçpulés  et 
de  ses  électeurs;  Taigle  de  cha- 
que régiment  était  en  avant  de  sa 
députai  ion.  Si  Napoléon  eût  en- 
tendu le  vœu  de  tous  ces  grou- 
pes de  citoyens  et  de  soldats , 
il  aurait  connu  dès  co  moment 
tous  ses  périls.  Il  aurait  su  qu'il 
n'eût  pas  été  absous  de  sa  dictatu- 
re impériale  par  la  victoire  elle- 
même;  mais  il  crut  en  remporter 
nue  grande  sur  lui  et  sur  l'opi- 
nion, en  répétant  aux  députés  et 
aux  électeurs  que  de  tontes  nos  lois, 
il  s'occuperait  avec  les  deux  cham- 
bres à  ne  former  qu'une  grande 
loi  fondamentale  pour  la  nation. 

Cependant  Napoléon  redoutait 
l'ouverture  dos  chandires,  et  il 
avait  raison.  La  première  cham- 
bre, composée  de  118  pairs,  dé- 
clara son  opposition  ,  par  le  refus 
qu'elle  fit  de  choisir  le  prince 
Lucien  pour  son  président,  et  le 
corps-législatif,  par  le  choix  qu'il 
lit  du  comte  Lanjuinais.  Cent 
dix-huit  pairs,  nommés  le  2  juin 
par  Napoléon,  rappelaient  à  la 
fois  les  grandes  notabilités  de  la 
révolution,  de  l'empire,  des  ar- 
mées et  du  commerce.  Les  élec- 
tions avaient  placé  sur  les  bancs 
de  la  législature  toutes  les  clas- 
ses de  l'opposition,  sauf  l'opposi- 
tion royale.  Celle-ci ,  comme  la 
dépulation  de  Bretagne  à  l'époque 
des  états-généraux ,  avait  adopté 
pour  tactique  de  ne  pas  se  présen- 
ter, afin  de  frapper  d'illégalité  au- 
tant qu'il  était  en  elle  la  nouvelle 
assemblée.  Le  corps-législatif  a  vai 


nommé  pour  ses  vices  présidens 
le  général  Lalayette  et  M.  Du- 
pont-de-l'Eure.  Le  7  juin,  il  fait 
lui-même  l'ouverture  des  cham- 
bres législatives,  et  pénétré  qu'il 
est  de  la  difficulté  de  sa  mission, 
il  débute  en  ces  termes  : 

«MM.  de  la  chambre  des  pairs 
»et  MM.   de  la   chambre  des  re- 

*  présentons  : 

«Depuis  trois  mois  les  circons- 
»  tances  et  la  confiance  du  peuple 
»  m'ont  revêtu  d'un  pouvoir  illi- 
smité.  Aujourd'hui  s'accomplit  le 

•  désir  le  plus  pressant  de  mon 
«  cœur,  je  viens  commencer  la  mo- 
r)narchieconstUulioniielle.l.eshom- 
»mes  sont  trop  impuissans  pour 
«assurer l'avenir.  Le»  institutions 
«seules  fixent  les  destinées  des 
«nations.  La  monarchie  est  né- 
«cessaire  en  France  pour  garan- 
»lir  la  liberté  ,  Tindépeudance  et 
»les  droits  du  peuple.-  Nos  ins- 
ntitutions  sont  épar^es  :  une  de 
«nos  plus  importantes  occupations 
«sera  de  les  réunir  dans  uu  seul 
«cadre  et  de  les  coordonner  dans 
«une  seule  pensée.  Ce  travail  re- 
»commandera  l'époque  actuelle 
«aux  générations  futures.  J'am- 
nbitioufie  de  voir  la  France  jouir 
»de  toutes  les  libertés  possibles. 
»Je  dis  possibles,  parce  que  l'a- 
anarc/iie  ramène  toujours  un  gou~ 
tiverncment  absolu.  Cne  coalition 
«formidable  de  rois  en  veut  à  no- 

»tre  indépendance II  est  possi- 

»ble  que  le  premier  devoir  du 
«prince  m'appelle  bientôt  à  la 
«  tête  des  enlans  de  la  nation 
«pour  combattre  pour  la  patrie. 
»L'arméeet  moi  nous  ferons  noire 
«devoir.  Vous,  pairs  et  représen- 
nlans,  donnez  à  la  nation  l'exem- 
ople  de  la  confiance,  de  l'énergie 


NAP 


537 


'>et  du  patriotisme;  et  comme  le 
«sénat  du  grand  peuple  de  l'anti- 
«quité,  soyez  décidés  à  mourir 
«plutôt  que  de  survivre  au  dés- 
»  honneur  et  à  la  dégradation  de 
«la  France.  La  cause  sainte  de  la 
«patrie   triomphera.  » 

Deux  jours  après,  la  chambre 
des  pairs  et  la  chambre  des  repré- 
sentans  furent  admises  à  pronon- 
cer leurs  adresses  au  pied  du  trô- 
ne. Ces  deux  discours  étaient  é- 
minemment  patriotiques,  et  celui 
de  la  chambre  représentante  était 
même  personnellement  plus  ap- 
plicable au  caractère  connu  de 
Napoléon ,  et  aux  actes  émanés 
depuis  son  retour,  de  sorte  que 
Napoléon  eut  le  loisir  d'entendre 
proclamer  la  toute  souveraineté 
du  peuple;  les  félicitations  relati- 
ves à  sa  démission  du  pouvoir 
absolu,  formellement  énoncées  au 
commencement  de  son  discours, 
ne  lui  furent  pas  épargnées.  Il 
supporta  avec  un  grand  calme, 
et  on  peut  dire  avec  une  grande 
fermeté,  l'aspect  des  deux  opposi- 
tions que  lui  présentaient  les 
chambres.  Il  se  rappelait  avec 
douleur  les  mêmes  périls  dans 
la  même  position  aux  pre- 
miers jours  de  i8i4>  et  il  sentit 
plus  énergiquement  qu'alors  ,  que 
désormais .  c'est-à-dire  dans  le 
peu  de  jours  où  la  force  des  armes 
devait  décider  entre  l'Europe  et 
lui,  il  n'avait  à  consulter  que  lui 
et  son  armée.  l'outefois,  il  répon- 
dit avec  une  haute  dignité  et  une 
haute  indépendance  à  ces  deux 
adresses.  Il  dit  aux  pairs  :  «  La 
«lutte  dans  laquelle  nous  som- 
«mes  engagés  est  sérieuse.  L'en- 
«traînement  de  la  prospérité  n'est 
«pas    le    danger    qui    nous   me- 


558 


NAP 


)»nace  aujourd'hui.  C'est  sous  les 
»  fourches-caudines  que  les  étran- 

agers  veulent  nous  faire  passer 

«C'est  dans  les  temps  difficiles 
«que  les  grandes  nations  comme 
»  les  grands  hommes  déploient  tou- 
»  te  l'énergie  de  leur  caractère,  et 
»derioinient  un  objet  d'admira- 
»tion  pour  la  postérité.  » 

11  dit  aux  représentans  :  «...  La 
»  constitution  est  notre  point  de 
«ralliement;  elle  doit  être  notre 
«étoile  polaire  dans  ces  momens 
«d'orage.  Toute  discussion  publi- 
»  que  qui  tendrait  ù  diminuer  di- 
»  reclement  ou  indirectement  la 
"Confiance  qu'on  doit  avoir  dans 
»ses  dispositions,  serait  un  mal- 
1)  heur  pour  l'élaf.  Nous  nous  trou- 
«verions  au  milieu  des  écueils 
«sans  boussole  et  sans  direction. 
«La  crise  où  nous  sommes  enga- 
»gés  est  forte.  N'imitons  pas 
«l'exemple  du  lias-Empire  qui, 
«pressé  de  tous  côtés  par  les  bar- 
nbares,  se  rendit  la  risée  de  la 
«postérité,  en  s'occupant  de  dis- 
')  eussions  abstraites  au  moment 
'>oii  le  bélier  brisait  les  portes  de 

»la  ville Dans  toutes  les  aifai- 

«res,  ma  marche  sera  toujours 
«droite  et  ferme.  Aidez-moi  à  sau- 
»  ver  la  patrie.  Premier  reprcseii- 
niimt  du  peuple,  j'ai  contracté 
«l'obligation  que  je  renouvelle, 
«d'employer  dans  des  temps  plus 
«tranquilles  toutes  les  prérogati- 
»ves  de  la  couronne  et  le  peu 
«d'expérience  que  j'ai  acquise,  à 
«vous  seconder  dans  l'améliora- 
«tion  de  nos  constitutions.  «Ainsi 
se  plaida  ce  grand  procès  la  veille 
des  armes.  Ce  furent  les  mêmes 
élémens  d'attaque  et  de  défense 
qu'avant  la  mémorable  campa- 
gne de   France,  et  la  France  fut 


NAP 

envahie  alors  parce  que  Napoléon 
fut    abandonné. 

Dans  la  nuit  du  12  juin,  Napo- 
léon partit  pour  l'armée  ,  chargé 
de  toute  la  responsabilité  de  la 
guerre  ,  de  la  trahison  ^  'des  dis- 
sensions politiques  qu'il  avait 
laissées  derrière  lui,  et  de  celle  de 
la  rupture  de  son  ban  à  Porto- 
Ferrajo. 

Pendant  que  la  France  don- 
nait à  l'Europe  le  singulier  spec- 
tacle du  blocus  èe  la  liberté  au- 
tour du  despote  qui  s'était  pré- 
senté pour  la  défendre,  le  congrès 
de  Vienne  lui  donnait  celui  d'hé- 
riter hautement  de  toutes  les  spo- 
liations qui  lui  avaient  fait  proscrire 
l'ennemi  commun,  et  la  traite  des 
blancs  était  stipulée  le  9  juin  par 
im  acte  définitif,  signé  par  tous 
les  princes  de  la  chrétienté.  Cette 
opération  est  connue  en  diploma- 
tie sous  le  nom  mystique  de  parta- 
ge des  âmes.  Les  peuples  à  qui 
ces  âmes  appartietment  ne  furent 
représentés  à  cet  étrange  contrat 
que  par  leurs  adjudicataires.  Ces 
âmes  forment  depuis  leur  saisie 
une  classe  nouvelle  de  domaines 
royaux,  dont  la  perception  n'ap- 
partenait jadis  qu'aux  conquérans 
barbares.  On  se  dispensa  de  vain- 
cre ces  peuples;  on  trouva  plus 
humain  de  les  confisquer.  L'his- 
toire a  sans  doute  le  droit  de  qua- 
lifier la  nature  d'un  procédé  qui 
était  depuis  long-temps  oublié 
dans  la  diplomatie  européenne. 
Ainsi  dans  le  moment  où  les  cham- 
bres législatives,  où  le  conseil- 
d'étal  lui-même,  traçaient  autour 
de  Napoléon  le  cercle  de  Popilius, 
et  imposaient  à  son  génie  irrité 
et  la  victoire  contre  l'étranger  et 
la   liberté    contre   lui-même,  au 


NAP 

moment  où  Napoléon  abjurait 
jusqu'au  souvenir  de  ses  conquê- 
tes et  faisait  à  l'Europe  amende 
honorable  de  l'asservissement  qui 
l'avait  précipité,  les  ennemis ,  les 
alliés,  les  vainqueurs  de  Napoléon, 
!*e  divisaient  ainsi  la  succession  du 
grand  usurpateur  de  l'Europe.  La 
Russie  s'adjugeait  le  grand- duché 
de  ^Varsovie.  La  Prusse,  pour 
se  consoler  du  traité  de  Tilsitt, 
s'adjugeait  1 1,000,000  d'âmes  au 
détriment  de  la  moitié  du  royau- 
me de  Saxe ,  une  partie  de  la 
Pologne,  de  la  Westphalie,  de  la 
Frantonie,  et  d'ime  longueur  de 
70  lieues  de  la  France  républi- 
caine sur  la  rive  gauche  du  Rhin. 
L'Autriche  reprenait  tout  ce  qu'el- 
le avait  perdu  au  traité  de  Campo- 
Formio  en  1797,  oubliant  tout 
ce  qu'elle  avait  abandonné  par 
les  traités  de  Lunéville,  de  Pres- 
bourg  et  de  Vienne.  Il  n'y  a  que 
la  Belgique  qu'elle  ne  recouvre 
pas  parce  que  la  promotion  qui  a 
fait  un  roi  du  stalhoudcr  de  Hol- 
lande, dorme  à  ce  prince  ,  par  or- 
dre de  l'Angleterre,  la  Belgique, 
le  pays  de  Liège  et  le  duché  de 
Luxembourg.  C'est  un  présent 
de  5,000,000  d'âmes  que  lord 
Castelreagh  fait  à  la  maison  d'O- 
fange.  L'électeur  de  Hanovre  se 
fait  roi  par  le  même  droit,  et  a- 
joute  à  son  petit  royaume  confi- 
nental  quelques  villes  catholiques, 
qui  complètent  un  million  deux 
cent  mille  sujets  allemands  pour 
la  (Îrande-Bretagne.  Le  roi  de 
Sardaigne,  qui  a  vécu  si  long- 
temps dans  les  montagnes  de  son 
île  comme  l'anachorète  de  la 
royauté,  réclame  et  obtient  la 
réunion  de  l'état  de  Gênes  à  son 
royaume  continental,  dont  il  est 


NAP 


559 


absent  depuis  25  ans.  Ces  peu- 
ples, convertis  en  dons  de  joyeux 
avènement  ,  n'apprennent  leur 
changement  de  condition  que  par 
les  journaux  ou  par  les  édits  qui 
les  incorporent.  Les  Belges,  les 
Italiens,  les  Polonais,  les  Saxons, 
les Génoisse  réveillent  Hollandais, 
Autrichiens  ,  Russes  ,  Prussiens 
et  Piémontais.  La  fable  n'a  rien  de 
plus  merveilleux  que  ces  méta- 
morphoses de  l'histoire  de  nos 
jours.  Mais  aussi  plus  ces  aggré- 
gaiions  sont  violentes,  plus  elles 
sont  le  résultat  d'un  système 
de  la  plus  implacable  |;ombinai- 
son,  afin  que  les  souverains  do- 
minés par  de  plus  grands  intérêts, 
et  liés  entre  eux  par  une  telle  so- 
lidarité, marchent  avçc  plus  d'u- 
nion contre  celui  dont  ils  viennent 
de  se  partager  les  dépouilles.  Ain- 
si la  conjuration  est  compacte,  et 
les  peuples  reconnus  par  Napoléon 
libres  etindépendans,  aujourd'hui 
morcelés  sous  des  drapeaux  étran- 
gers, sont  forcés  de  faire  cause 
commune  contre  lui  et  contre 
leurs  anciennes  patries.  Ce  pacte 
est  terrible.  L'Europe  est  en  mar- 
che. 

Napoléon  avait  fait  trois  plans 
de  campagne.  Le  premier  était 
de  rester  sur  la  défensive,  et  d'at- 
tirer les  années  ennemies  sous  Pa- 
ris et  sous  Lyon.  C'était  livrer 
tout  le  nord  et  tout  l'est  de  la 
France  sans  coup-fèrir.  Il  y  renon- 
ça. Le  second  était  de  prendre 
l'ofiensive  le  i5  juin,  et  d'enva- 
hir la  Belgique  ,  et ,  après  la  vic- 
toire, de  se  porter  sur  les  Vosges 
contre  les  armées  russes  et  autri- 
chiennes. Mais  il  ne  pouvait  dis- 
poser que  d'une  armée  de  j/jo.ooo 
hommes,  dont  20,000  avaient  dû 


54o  INAP 

être  détnchés  pour  contenir  la  Ven- 
dée. II  ne  restait  donc  que  120,000 
hommes  ,  non  pour  repousser  , 
mais  pour  détruire  l'armée  anglo- 
hollandaise,  de  104,000  combal- 
tans  sous  les  armes ,  et  l'armée 
prusso-saxonne  de  120,000.  Na- 
poléon, après  avoir  médité  ce 
deuxième  projet  tout  le  mois  de 
mai,  s'arrêta  à  vjn  troisième,  celui 
d'attaquer  ces  deux  armées  le  i5 
juin  ,  de  les  séparer ,  de  les 
battre,  et  s'il  échouait,  de  re- 
ployer son  armée  sous  Paris  et 
sous  Lyon,  Dans  le  premier  cas, 
la  guerre  était  heureuse.  La  Bel- 
gique et  fe  Rhin  se  soulevaient 
pour  la  France.  Dans  le  second, 
la  guerre  pouvait  devenir  natio- 
nale ,  fcî  Napoléon  reconquérir  le 
titre  de  l'homme  de  la  patrie. 
La  France  se  battant  tout  entiè- 
re, et  triomphant  pour  sa  pro- 
pre indépendance ,  Napoléon  en 
redevenait  le  premier  citoyen. 
iMais  la  fortune  refusa  le  triom- 
phe de  la  liberté  à  celui  qui 
l'avait  asservie,  et  la  France  de- 
vait encore  s'abandonner  elle-mê- 
me comme  en  1814  :  car,  malgré 
la  proclamation  de  la  monarchie 
constitutionnelle  faite  par  Napo- 
léon le  jour  de  l'ouverture  des 
deux  chambres,  et  les  gages  don- 
nés aux  électeurs  et  aux  députés 
à  la  cérémonie  de  la  distribution 
des  aigles  dans  les  galeries  du  Lou- 
vre, l'acte  additionnel,  par  cela 
seul  qu'il  continuait  le  régiine 
impérial,  était  devenu  contre  Na- 
poléon une  arme  à  deux  tranchans 
entre  les  mains  des  royalistes  et 
des  amis  de  la  liberté. 

Toutefois  la  chambre  des  dépu- 
tés et  Napoléon,  offraient  dans 
leurs  dissentimens  de  vœux  et  d'o- 


NAP 

pinion,  un  spectacle  du  plus  haut 
intérêt  à  l'observateur  impartial. 
Au  moment  où  Napoléon  cher- 
chait, peut-être,  à  s'échapper  au- 
tant à  lui-même  qu'à  ses  antago- 
nistes, en  précipitant  le;^  prépara- 
tifs de  la  guerre,  la  chambre  sui- 
vait une  iriarche  imperturbable 
dans  la  ligne  qu'elle  s'était  tracée; 
elle  avait  besoin  de  l'armée,  mais 
elle  lui  refusait  un  hommage  pu- 
blic qui  eût  pu  inquiéter  la  na- 
tion :  elle  se  déclarait  la  protec- 
trice de  la  liberté  individuelle  : 
elle  forçait  la  police  à  relâcher  les 
détenus  politiques,  et  enfin  aprè» 
Waterloo,  elle  proposa  l'abolition 
de  la  confiscation  pour  tous  les 
délits,  même  pour  la  trahison  ! 
Napoléon,  également  inipassible 
contre  toutes  les  attaques  dont  il 
était  l'objet,  suivait  aussi,  non  son 
système,  mais  la  pente  naturelle 
de  son  caractère  pour  le  pardon 
ou  le  mépris  des  injures ,  pour 
l'oubli  de  ses  dangers  personnels, 
pour  une  sorte  de  grande  indiffé- 
rence qu'il  jetait  sur  les  événe- 
mens  passés  et  sur  les  événemens 
à  naître.  Ainsi  M.  de  Vitrolles  ar- 
rêté à  Toulouse  ,  en  flagrant-dé- 
lit, n'était  pas  mis  en  jugement. 
M.  de  Rergorlay  motivait  libre- 
ment son  vote  négatif  contre  l'acte 
additionnel,  parce  qu'il  était  con- 
vaincu que  le  rétablissement  de  la 
dynastie  des  Bourbons,  était  le  seul 
moyen  de  rendre  le  bonheur  aux 
Français.  M.  Laine,  président  du 
corps -législatif  dissous,  s'expli- 
quait avec  plus  de  force  et  autant 
d'impunité  que  l'année  précé- 
dente! Il  appelait  Napoléon,  l'op- 
presseur de  la  France,  et  il  décla- 
rait que  tous  les  propriétaires  é- 
taient  dispensés  de  payer  lescontri' 


NAP 

butions,  et  les  habit  uns  d' obéir  a 
la  conscription.  Ces  deux  députés 
restèrent  tranquilles  chez  eux;  ils 
étaient  protégés  par  l'insouciance 
de  Napoléon,  qui  respecta  la  li- 
berté de  la  presse  jusqu'à  l'exagé- 
ratioh  :  car  les  journaux  publiaient 
toutes  les  proclamations  de  Gand, 
les  manifestes  des  étrangers,  les 
diatribes  contre  l'illégalité  de  son 
pouvoir,  et  les  libraires  vendaient 
publiquement  des  provocations  à 
sa  destruction. 

Napoléon  partit  de  Paris  le  12 
juin,  coucha  à  Laon,  était  le  i5  à 
Avesnes,  et  le  i/j,  lit  camper  l'ar- 
mée sur  trois  directions  :  la  gau- 
che, de  45,528  hommes  sur  la  rive 
droite  de  la  Sambre;  le  centre, 
de  65,724  hommes  à  Beaumont, 
où  était  le  quartier- général;  la 
droite,  de  16,542  hommes  en  a- 
vant  de  Philippevilîe.  L'armée  é- 
tait  de  122,404  homujes,  et  avait 
35o  bouches  à  feu. 

Le  i4  <iii  soir,  Napoléon  fit  pu- 
blier l'ordre  du  jour  suivant  : 

«  Soldats  î  c'est  aujourd'hui 
nTanniversuire  de  Marengo  et  de 

•  Friedland,  qui  décida  deux  fois 
»du  destin  de  l'Europe.  Alors 
«comme  après  Austerlitz,  comme 
«après  Wagram,  nous  fûmes  trop 

•  généreux.  Nous  crûmes  auxpro- 
«teslations  et  aux  sermens  des 
«princes  que' nous  laissâmes  sur 
»le  trône.  Aujourd'hui  ,  cepeu- 
>'dant,  coalisés  entre  eux,  ils  en 
«veulent  à  l'indépendance  et  aux 
«droits  les  plus  sacrés  de  la  Fran- 
»cc.  Ils  ont  commencé  la  plus  in- 
»  juste  des  agressions.   Marchons 

•  donc  à  leur  rencontre.  Eux  et 
a  nous,  ne  simimes-nous  plus  les 
»  mêrnos    hommes  ?     Soldats  !     à 


NAP  541 

niéna  contre  ces  mêmes  Prus- 
»  siens,  aujourd'hui  si  arrogans, 
«vous  étiez  un  contre  deux,  et  à 
wMontmirail,  un  contre  trois.  Que 
«ceux  d'entre  vous  qui  ont  été 
«prisonniers  des  Anglais,  vous 
»  fassent  le  récit  de  leurs  pontons, 
»  et  des  maux  afiVeux  qu'ils  ont 
«soufferts.  Les  Saxons,  les  Bel- 
«ges,  les  Hanovriens,  les  soldats 
»de   la    confédération    du    Rhin, 

•  gémissent  d'être  obligés  de  prê- 
«ter  leurs  bras  à  la  cause  des 
«princes  ennemis  de  la  justice  et 
«des  droits  de  tous  les  peuples. 
«Ils  savent  que  cette  coalition  est 
«insatiable.  Apcès  avoir  dévoré 
«deux  millions  de  Polonais,  douze 
«millions  d'Italiens,  un  million  de 

•  Saxons,  six  millions  de  Belges;, 
«elle  devra  dévorer  les  états  du 
«deuxième  ordre  de  l'Allemagne. 
«Les  insensés!  un  moment  de 
«prospérité  les  aveugle.  L'oppres- 
«sion  et  l'humiliation  du  peuple 
«français  sont  hors  de  leur  pou- 
»voir.  S'ils  entrent  en  France,  ils 
«y  trouveront  leur  tombeau.  Sol- 
«dats!  nous  avons  des  marches 
«forcées  à  faire,  des  batailles  à 
«livrer,  des  périls  à  courir,  mais 
«avec  de  la  constance,  la  victoire 
«sera  à  nous.   Les  droits,  l'hon- 

•  neur,  et  le  bonheur  de  la  patrie 
»)serontreconquis.  Pourtout  Fran- 

•  çais  qui  a  du  cceur,  le  moment 
«est  arrivé  de  vaincre  ou  depérir.t 

Napoléon  avait  calculé  par  les 
positions,  soit  de  l'armée  de  Wel- 
lington ,  dont  le  quartier- général 
était  à  Bruxelles,  soit  de  celle  de 
B'.iicher,  dont  le  quartier-général 
était  à  Namur ,  qu'elles  avaient 
besoin  de  deux  jours  au  moins 
pour  se  réunir   et  opérer  sur  le 


:>/•  •». 


NAP 


même  champ  de  bataille.  En  con- 
séquence, il  s'étudia  avec  succès 
à  leur  dérober  ses  mouvemens, 
alin  de  les  surprendre,  et  de  les 
mettre  dans  l'impossibililé  de  se 
secourir.  Calculant  de  plus  avec 
la  sagacité  d'un  homme  supérieur, 
autant  le  caractère  des  deux  gé- 
V  néraux  ennemis,  que  les  avanta- 
ges du  terrain,  il  jugea  qu'ayant 
plus  à  craindre  de  la  promptitude 
de  Bliicher  à  venir  au  secours  du 
circonspect  Wellington,  il  devait 
attaquer  les  Prussiens  les  pre- 
miers. En  conséquence,  le  i5  c\  la 
pointe  du  jour,  il  mit  en  luarche 
ses  trois  colotmes.  Les  Prussiens 
furent  vivenient  repoussés,  avec 
perte  de  quelques  mille  hommes; 
Charleroi  fut  pris,  et  dans  la  nuit 
du  i5  au  lO,  toute  l'armée  fran- 
çaise avait  passé  la  Sambre,  la 
droite  sur  le  pont  du  Chûtelet,  le 
centre  sur  celui  de  Charleroi,  et 
la  gauche  sur  celui  de  Marchien- 
nes.  Elle  bivouaqua  dans  un  carré 
de  quatre  lieues,  entre  les  deux 
armées  ennemies,  surprises  par 
l'habileté  et  la  vivacité  des  mou- 
vemens de  Napoléon.  Ce  succès 
est  d'autant  plus  remarquable, 
que  le  lieutenant- général  Bour- 
mont  ,  chef  d'état-major  du  4' 
corps  aux  ordres  du  comte  Gé- 
rard, lequel  en  avait  répondu  à 
Napoléon  ,  avait  passé  la  veille 
aux  ennfMTiis.  La  capacité  de  cet 
oITicier-général  ne  pouvait  laisser 
aucun  doute  sur  la  valeur  des 
renseignemens  à  donner  aux  é- 
trangers.  Le  i(3,  dans  la  nuit,  le 
maréchal  Mey,  qui  commandait  la 
gauche,  reçut  Tordre  formel  de 
Napcriéon,  d'occuper  à  la  pointe 
du  jour,  avec  ses  43>ooo  hommes, 
en  nynulde<i  Qualre-BraSj  une  po- 


NAP 

silion  sur  la  route  de  Bruxelles, 
en  gardant  eu  même  temps  celles 
de  Nivelle  et  de  Namur.  Le  défaut 
d'exécution  de  cet  ordre  empê- 
cha d'être  décisive  la  bataille  de 
Ligny,  qui  se  donna  da;is  la  jour- 
née, et  qui  coûta  aux  Prussiens  et 
aux  Anglais  ,  une  trentaine  de 
mille  hommes.  Ce  village  fut  pris 
et  repris  cinq  fois.  Jamais  achar- 
nement pareil  n'avait  existé  en- 
tre des  ennemis,  si  ce  ne  fut 
peut-être  au  village  de  Raya  à 
la  bataille  de  Lutzen.  Mais  à  Li- 
gny, les  Français  combattaient 
pour  leurs  foyers,  et  à  Kaya, 
les  Prussiens  et  les  Russes  ne 
combattaient  que  pour  leur  ven- 
geance. Sans  entrer  dans  les  dé- 
tails de  celte  brillante  journée 
qui  eut  un  surlendemain  si  fa- 
tal, il  suffit  de  dire  que  si  le 
maréchal  N*'y  eût  obéi  aux  or- 
dres réitérés  de  Napoléon.  Wel- 
lington n'eût  pas  eu  le  soir  mê- 
me son  quartier-général  aux  Qua- 
tre Bras,  et  que  l'armée  française, 
par  les  savantes  combinaisons  de 
Napoléon,  par  les  immenses  cer- 
vices  du  comte  Gérard  et  par  l'in- 
trépidité du  général  Girard,  qui 
fut  blessé  à  mort,  était  en  pleine 
marche  sur  Bruxelles  à  8  liiiues 
du  champ  de  bataille.  L'opinion 
de  Napoléon  ne  peut  être  douteu- 
se à  cet  égard,  et  malheureuse- 
ment le  maréchal  Ney  ne  survit 
point  comme  tant  d'autres  té- 
moins de  la  journée  du  i6.  t  II  se 
«peut,  dit  Napoléon  au  comte 
«Gérard,  qui  allait  emporter  le 
«village  de  Ligny,  il  se  peut  que 
«dans  trois  heures  le  sort  de  la 
Bgcurre  soit  décidé.  Si  Ney  exé- 
»cule  bien  ses  ordres,  il  ne  s'é- 
u  chiippera  pa?  uncauondc  Tanjiùe 


NAP 

•  prussienne.  Elle  est  prise  en  fla- 
«grant-délit.  » 

Les  généraux  P;ijol,  Excelmans, 
le  maréchal  Grouchy,  acquirent 
dans  cette  bataille,  de  nouveaux 
titres  de  gloire.  Napoléon  écrivit 
depuis  à^Saiiite- Hélène....  «  L'ein- 

•  pereur,  satisfait  du  comte  Gé- 
»rard,  commandant  le  4'  corps, 
«lui  destinait  le  bâton  de  maréchal 
»de  l'empire    :   il  le    considérait 

•  comme  une  des  espérances  de  la 
»  France.  » 

Il  résulta  pour  cette  journée,  de 
la  faute  encore  inexplicable  du  ma- 
réchal Ney,  l'occupation  des  Qiia- 
ire-Bras  par  le  prince  d'Orange,  et 
la  nécessilé  pour  enlever  cette  po- 
sition à  ce  prince  d'y  livrer  une  au- 
tre bataille,  à  laquelle  le  maréchal 
fut  décidé  par  la  canonnade  de  Li- 
gny.  Le  prince  régnant  de  Bruns- 
wick y  perdit  la  vie.  Le  maréchal, 
privé  de  sa  seconde  ligne,  qui  é- 
tait  restée  à  3  lieues  en  arrière, 
fut  obligé  de  passer  la  nuit  à  Fres- 
nes,  à  mille  toises  AcsQualre-Bras, 
que  l'ennemi  conserva  jusqu'à  la 
nuit,  après  avoir  éprouvé  une  per- 
te de  tS  à  9,000  hommes. 

Cependant  l'armée  française  bi- 
vouaqua sur  ses  champs  de  batail- 
le à  Saint-Amand,  à  Ligny,  à  Som- 
bref,  a  Bry,  et  sur  la  chaussée  de 
Namur.  Blùcher  se  retira  sur  >Va- 
vres,  par  Tilly  et  par  Gembloux, 
où  le  soir  même  le  général  Bulow 
arrivait  de  Liège  avec  le  4'  corps. 
Le  17,  à  la  pointe  du  jour,  le  gé- 
néral Pajol  se  mit  à  la  poursuite 
des  Prussiens  dans  la  direction  de 
>Vavres,  et  prit  beaucoup  de  ba- 
gages. '  Napoléon  avait  renouvelé 
uu  maréchal  Ney  Tordre  de  la  veil- 
le, celui  de  se  porter  sur  la  ferme 
des  Quatre-Bras  à  la   pointe   du 


NAP 


545 


jour,  et  d'en  chasser  I  arrière-gar- 
de anglaise.  Le  comte  de  Lobau 
devait  favoriser  l'opération  du  ma- 
réchal, en  attaquant  par  la  route 
de  Namur.  Le  maréchal  Grouchy 
devait  suivre   le  mouvement   du 
général   Pajol,  ne  pas  perdre  de 
vue  Bliicher,  et  il  lui  était  positi- 
vement prescrit  d'arriver  à  Wavres 
en  même  temps  que  lui.  Ainsi  l'ar- 
mée  marchait  sur    Bruxelles   en 
deux  colonnes,  l'une  de  69,000 
hommes  que  commandait  Napo- 
léon, et  l'autre  de  54.000,  sous 
les  ordres  du  maréchal  Grouchy. 
Mais  aucun  des  ordres  de  Napo- 
léon ne  fut  exécuté.  Le  maréchal 
Ney  n'avait  point  encore  fait  son 
mouvement  sur  la  ferme  des  Qua- 
tre-Bras,  et  Napoléon  fut  obligé 
de  la  faire  enlever  par  les  généraux 
Reille  et  d'Erlon.    Le   maréchal, 
averti  par  plusieurs  officiers,  pa- 
rut enfin,  et  reçut  les  reproches  de 
Napoléon  de  lui  avoir  fait  perdre 
trois  heures  bien  précieuses.  Elles 
l'étaient  en  effet.  Ce  retard  fut  cau- 
se que  la  poursuite  de  l'armée  an- 
glaise sur  Bruxelles  fut  ralentie,  et 
que  Napoléon  dut  prendre  posi- 
tion à  Plauchenoit,  à  une  lieue  du 
village  de  iMont-Saint-Jean,  avec 
(){<.900  hommes  et  242  pièces  de 
canon ,   à  4   lieues   et  demie   de 
Bruxelles.  Il  avait  devant  lui  l'ar- 
mée anglo-hollandaise  de  90,000 
hommes  et  de  255  pièces  de  canon, 
dont   le   quartier-général   était   à 
Waterloo.  Napoléon  comptait  sur 
l'établissement  du  maréchal  Grou- 
chy à  Wavres.   Mais  Bluchèr  lui 
avait  dérobé  sa  marche  et  y  avait 
réuni  ^5,ooo  hommes.  Napoléotï 
attribue  à  cette  fatalité  la  perte  de 
la    bataille  de    Waterloo  ,  qui   se 
fût  donnée  le  17  si  se»  ordres  eus- 


544 


.\AP 


ient  été  exécutés,  et  qui  se  fût  ap- 
peléfi  la  bataille  de  Bruxelles,  ou 
la  conquête  de  la  Belgique. 

Le  18,  l'armée  française  s'é- 
branla et  marcha  sur  onze  colon- 
nes; à  dix  heures  et  demie  elle  é- 
tait  rangée  sur  six  lignes.  Napo- 
léon se  porta  à  leur  sommet  à  la 
tête  de  sa  garde  sur  les  hauteurs 
de  Bossomme.  Son  armée  était  de 
69,000  hommes;  celle  de  Welling- 
ton de  90,000  :  il  se  crut,  et  avec 
raison,  supérieur  en  force,  quoi- 
qu 'inférieur  en  nombre.  11  n'y 
avait  que  moitié  d'Anglais  dans 
l'armée  de  Wellington,  Il  n'y  avait 
dans  la  sienne  que  des  Français,  et 
des  Français  faisant  alors  entre 
eux  cause  commune  de  gloire  sous 
ses  drapeaux.  Aussi  était-il  plein 
de  conliance  dans  la  puissance  mo- 
rale dont  sa  présence  et  leurs  sou- 
venirs animaient  ses  soldats.  Na- 
poléon se  décida  à  tourner  la  gau- 
che de  l'ennemi,  afin  d'offrir  un 
point  de  jonction  à  l'armée  du  ma- 
réchal Grouchy,  qu'il  attendait  à 
chaque  instant.  Par  les  dernières 
nouvelles,  il  avait  su  que  ce  ma- 
réchal avait  couché  à  Gembloux. 
Par  ses  derniers  ordres,  expédiés 
à  10  heures  du  terrain  même,  le 
^  maréchal  devait  attaquer  Wavres 
à  la  pointe  du  jour,  et  achever  la 
destruction  de  Bliicher,  à  qui  il 
restait  à  peine  3o,ooo  hommes. 
Napoléon  ignorait  la  jonction  de 
Bulow  avec  son  général  en  chef. 
Une  attaque  sur  la  gauche,  où  le 
corps  du  général  Reille  enleva  le 
bois  et  le  château  d'Hongomont, 
commença  la  journée.  Cependant 
Napoléon  n'avait  pas  encore  don- 
né l'ordre  au  maréchal  Ney,  à  qui 
la  grande  attaque  du  centre  avait 
été  confiée,   quand  il  aperçut  un 


NAP 

nuage  qui  lui  parut  être  un  corps 
de  troupes  dans  la  direction  de 
Saint- Lambert.  Un  corps  de  cava- 
lerie fut  détaché  à  une  lieue  pour 
observer.  Bientôt  il  apprit  d'un 
prisonnier  que  ce  qu'il  avait  aper- 
çu du  côté  de  Saint- L'ampert  était 
l'avant-garde  d'un  corps  de  5o,ooo 
hommes  sous  les  ordres  du  géné- 
ral Bulow,  que  trois  corps  prus- 
siens, aux  ordres  de  Bliicher,  é- 
taienl  campés  à  AVavres,  et  qu'il 
n'y  avait  point  de  troupes  françai- 
ses aux  environs.  La  première  par- 
tie du  récit  de  ce  prisonnier,  cer- 
tifiée par  la  lettre  dont  il  était  por- 
teur pour  le  duc  de  Wellington,  fut 
bientôt  confirmée  par  le  général 
comuumdant  le  corps  de  cavalerie, 
qui  venait  d'être  détaché  eu  ob- 
servation. Cette  grave  circonstan- 
ce détermina  Napoléon  à  donner 
10,000  hommes  au  comte  de  Lo- 
bau,  avec  ordre  d'arrêter  les  Prus- 
siens de  Bulow,  aussitôt  qu'il  se- 
rait averti  par  le  canon  de  Grou- 
chy. Car  Napoléon ,  qui  ne  doutait 
point  qne  son  ordre  de  la  veille  ne 
fût  parvenu  au  maréchal  Grou- 
chy, croyait  fermement  que  ce 
maréchal  avait  attaqué  Wavres  à 
la  pointe  du  jour,  et  avait  déjà  sur 
les  derrières  de  ce  corps  de  Bulow 
un  détachement  de  7  à  8,000  hom- 
mes. Napoléon  se  trouva  donc, 
par  cette  fatalité  si  imprévue,  af- 
faibli de  10,000  combattans  sur  sa 
hgne  de  bataille,  et  n'avait  plus 
que  59,000  hommes,  tandis  que 
l'armée  ennemie,  renforcée  do 
5o,ooo  Prussiens  de  troupes  fraî- 
ches, était  forte  de  120,000  hom- 
mes. «Nous  avions  ce  matin  qua- 
»  tre- vingt-dix  chances  pour  nous, 
»  dit-il  au  duc  de  Dalmatie.  L'arri- 
»  véc  de  Bulow  nous  en  fait  perdre 


NAP 

5)ti*ente;  mais  nous  en  aTon?  en- 
«core  soixante  contie  quarante,  et 
«si  Grouchy  répare  Thorrible  tau- 
■>  le  qu'il  a  commise  hior  de  s'ar- 
Miêter  à  Gembloux,  et  envoie  sou 
«détachement avec  rapidité,  !a  vic- 
»toire  en  sera  pins  décisive,  car 
»le  corps  deliliicher  sera  entière- 
«ment  perdu.»  Napoléon  n'avait 
aucun  doute  sur  la  marche  de 
Grouchy,  et  d'après  son  caractère 
bien  connu,  celte  certitude  était 
pour  lui  la  victoire  elle-même. 

Il  était  midi.  Il  n'y  avait  d'en- 
gagé que  les  tirailleurs  sur  toute 
la  ligne,  et  que  les  troupes  de 
l'extrême  gauche.  Sur  rextrênie 
droite  celles  de  Bulow  étaient  en- 
core stationnaires.  Napoléon  don- 
ne l'ordre  au  maréchal  Ney  de 
commencer  le  l'eu  et  de  s'emparer 
de  la  ferme  de  la  Haye -Sainte 
et  du  village  de  la  Haye,  afiu 
de  couper  toute  communication 
entre  les  Anglais  et  les  Prussiens. 
Lue  division  anglaise  est  fou- 
droyée par  80  bouches  à  feu  ,  et 
au  bait  de  5  heures  la  ferme  est 
emportée  après  un  beau  combat 
de  cavalerie,  où  les  Anglais  cou- 
vrirent de  leurs  morts  le  champ 
de  bataille.  Aussitôt  ,  un  grand 
mouvement  de  retraite  ,  dans  le 
plus  aft'reux  désordre  ,  précipite 
les  Anglais  sur  la  chaussée  de 
Bruxelles.  Il  était  quatre  heu- 
res. La  victoire  était  (J^cidée  , 
si  le  général  Bulow  n'eût  pas 
opéré  à  l'instant  une  fatale  di- 
version avec  ses  5o,0'jo  houames. 
Pour  comble  de  malheiir,  dans  le 
même  in  tant  Napoléon  apprenait 
que  le  maréchal  Grouchy  n'avait 
pas  attaqué  Wavres  à  la  pointe 
du  jour.  Le  comte  de  Lobau 
n'avait  que  ses  dix  mille  hommes 
z.  XIV. 


NAP  5^5 

à  opposer  aux  trentiî  mille  de 
Biilow.  Il  eut  bientôt  raison  de 
la  première  ligne,  qu'il  repoussa, 
mais  il  dut  se  leployer  devant 
le?  deux  autres,  dans  la  crainte 
d'êîre  tourné.  Cependant  Napo- 
léon ordonne  de  si  heureux  mou- 
vemen<*  contre  cette  nouvelle  ar- 
mée, el  ils  sont  si  merveilleuse- 
uieut  exécutés  par  le  gén.'ral  i)u- 
hcsme,  à  la  tête  de  la  jeune  garde 
et  de  son  artillerie,  et  par  le  géné- 
rnl  Morand,  avec  quatre  bataillons 
de  la  vieille  garde,  que  la  ligne 
de  Bulow  est  débordée  à  son 
tour  el  forcée  à  la  retraite.  Il  est 
sept  heures.  De  l'antre  côté,  sur 
la  droite ,  ^pendant  la  chaleur  de 
l'action  contre  Bulow  ,  le  com- 
te d'Erlon  s'était  emparé  du  vil- 
lage de  La-Haye,  et  les  géné- 
raux de  cavalerie  Milhaud  et  Le- 
febvre  Desnonëttes  avaient  chas- 
sé les  Anglais  du  champ  de  ba- 
taille, entre  la  Haj'e-Sainte  et 
Mont-Saint-Jean.  La  droite  de 
l'armée  de  Vellington  et  la  gau- 
che de  celle  de  Bulow  étaint  dé- 
bordées, et  les  cris  de  victoire  re- 
tentissaient sur  le  terrain  conquis 
par  nos  braves.  «  C'est  trop  tôt 
»  d'une  heure,  dit  Napoléon.  Ce- 
»  pendant  il  faut  soutenir  ce  qui 
»est  fait.  » 

Napoléon  avait  raison.  On  avait 
trop  tôt  crié  victoire.  Le  mouve- 
ment que  l'impétuosité  du  maré- 
chal Ney  avait  fait  faire  à  toute 
la  cavalerie  sur  le  plateau  de 
la  Haye-Sainte  était  prématuré. 
Mais  il  était  fait,  et  Napoléon 
donna  ordre  de  le  soutenir.  Ce  fut 
alors  que  le  général  Bulow  me- 
naçajes  flancs  et  les  derrières  de 
l'armle,  en  faisant  des  progrès. 
Par  l'ordre  de  Napoléon,  les  cui- 
15 


l'ajsiers  du  jj>énérul  Kellennann  é- 
taient  partis  ai'i  grand  trot  pour  ap- 
4»uyer  la  cavalerie  Milhaud  ;  mais 
inalheureusemeiu*»  etpar  un  mon- 
tement  spontané,  \h  furent  suivis 
de  la  grosse  cavalerie  delà  garde. 
Wapoléoii  la  demande  j;H)ur  frap- 
per le  coup  décisif;  c'était*  sa  ré- 
serve :  mais  elle  était  déj«  l'enga- 
gée.C'était  la  cinquantième  batail- 
le rangée  qu'il  livrait,  et  c<'lle-ci 
décidait  de  toute  sa  destinée!... 
Les  12,000  hommes  de  cavalerie, 
qui  avaient  été  lancés  sur  le  pla- 
teau,  avaient  détruit  tout  ce  qlii 
leur  était  opposé,  cavalerie,  infan- 
terie,artillerie, et  s'étaient  emparés 
de  60  bouches  à  feu.  Le  général 
Colbert,  avec  les  lanciers  ronges 
de  la  garde,  enfonça  tonte  une  bri- 
gade de  cavalerie  anglaise ,  dont 
le  général  fut  tué.  Le  prihce  d'O- 
range fut  grièvement  blessé.  La 
cavalerie  française  était  restée 
iDuîtressè  du  plateau.  Ainsi  à  y 
heures  du  soir  lu  bataille  était 
gagnée  pour  la  deuxième  fois  de 
la  journée  ,  et  cette  fois  elle  avait 
été  arrachée  par  (J9.000  Français 
â  120,000  étrangers! 

Il  était  donc  7  heures  du  soir. 
L'armée  française  était  restée,  par 
d'incroyables  prodiges,  maîtresse 
du  champ  de  bataille,  après  avoir 
pu  craindre  pour  sa  retraite  elle- 
même.  Dans  ce  jnoineut  on  en- 
tendit, dans  la  direction  de  Saitit- 
Lambert,  la  cannonade  du  maré- 
chal Grouchy.  Il  n'était  arrivé  de- 
vant Wavres  qu'à  4  heures  et  de- 
mie du  soir,  où  il  avait  reçu  les 
ordres  qui  lui  avaient  été  expédiés 
le  matin  du  champ  de  bataille. 
En  conséquence  il  détacha  le  gé  - 
néral  Pajol  avec  12,000  hommes 
A  Limale,  sur  le  pont  de  la  Dyle, 


NAP 

et  pendant  ce  temps,  le  maréchal 
attaqua  Wavres;  le  m.uéchal  Blii- 
cher  y  avait  couché  avec  ses  qua- 
tre corps  d'armée,  dont  était  ce- 
lui de  Bulow.  Mais  il  en  était  parti, 
et  n'avait  laissé  à  Wavrjis  que  le 
troisième  corps,  sous  les  ordres 
du  général  saxon  Thielman,  avec 
l'ordre  de  tenir  pour  masquer  sou 
départ.  Cette  marche  de  Bliicher 
coïncida  d'une  manière  si  fatale 
pour  l'armée  française,  avec  la 
rîiarche  rétrograde  de  Bulow  et  la 
position  désespérée  du  duc  de 
Wellington,  qu'elle  établit  lu  con> 
munica  vion  entre  ces  deux  armées, 
arrêta  V\m  dans  sa  fuite,  et  devint 
le  salut  dtf  l'autre.  Les  Français 
eurent  alors,,  à  la  fin  de  cette  jour- 
née, que  leurs  propres  succès  n- 
Vaient  rendue  L"^i  pénible,  à  com- 
battre i5o,ooo  hommes,  c'est-à- 
dire  deux  et  demi  contre  un! 

L'armée  française  avait  cru 
plus  que  jamais  à  s.»  victoire  par 
la  retraite  du  corps  de  Bulow , 
quand  elle  aperçut  les  colonnes 
de  Bliicher.  Ici  commença  la 
troisième  et  la  dernière  bataille. 
Napoléon  connut  tout  son  péril, 
tant  à  cause  du  peu  de  troupes 
qu'il  avait  à  opposer  à  d'aussi 
g;randes  niasses,  qu'en  raison  du 
mouvement  d'hésitation  que  l'as- 
pect de  la  nouvelle  armée  prus- 
sienne avait  imprime  h  quelques 
i-égimeos.  Le  soleil  était  déjà  cou- 
ché. Il  avait  éclairé  les  prodiges 
de  la  valeur  française;  il  semblait 
vouloir  dérober  sa  lumière  à  l;t 
mort  de  tant  de  braves.  La  garde 
n'était  pas  encore  toute  engagée, 
elle  allait  donner  son  dernier  coin- 
bat  de  géans.  Napoléon  faisait 
dire  sur  toute  la  ligne  qne  Iti 
maréchal  Gouchy  arrivait  :  c'était 


NAP 

l'espérance  de  l'arniéo.  Peut-être 
eu  était-il  encore  une  plus  j)i<j- 
chaine!  Ln  quart  d'heure  pouvait 
donner  le  ?alul  à  cette  brave  ar- 
mée :  ce  quart  d'iieure  était  né- 
cessaire pour  laisser  déboucher 
et  arriver  en  ligne  le  reste  de  la 
gai-de;  inaistemonienlsi  précieux, 
Blûcher  s'en  empara  .  en  se  por- 
tant avec  quatre  divisions  sur  la 
Ha\'e|,  que  détendait  une  seule 
division  française.  Celte  division 
fut  oulbulf-r.  Là,  dit-on,  fut  en- 
tendu le  cri  ,  le  cri  funeste  de 
sauve  qui  peut;\-i  fut  faite  la  trouée 
par  laquelle  l'iiuiombrable  cavale- 
rie ennemie  inonda  le  champ  de 
bataille.  En  un  moment  tout  fut 
perdu.  La  nuit  augmentait  le  dé- 
sordre. Les  corps  fran(;ais  se 
trouvèrent  séparés  par  la  cavale- 
rie des  alliés;  ce  fut  alors  qu'eut 
lieu  ce  beau  trait  d'un  général  de 
la  garde  :  La  garde  meurt,  et  ne 
se  rettd  paSy  dit-il  en  tombant  per- 
cé de  coups,  au  milieu  de  ses  gre- 
nadiers. On  est  porté  à  croire  que 
ce  mot,  digne  de  d'Assas  ou  de 
Léonidag,  appartient  au  brave  gé- 
néral Michel,  tuéà>\  aterloo  :  celui 
qui  l'a  dit  ne  pouvait  lui  survivre. 
Napoléon  dut  se  réfugier  dans  un 
carré  de  la  garde,  avec  une  partie 
de  son  état-major,  qui  avait  .mis 
comme  lui  l'épée  à  la  main.  11  or- 
<lonna  le  feu.  «La  mort  ne  veut 
«pas  de  vous,  lui  «lirentses  grena- 
»diers,  retirez- vous ,  »  et  il  Tui 
enlevé  de  celte  scène  de  destruc- 
tion. L'obscurité  le  dérobant  à 
ses  troupes  elles  perdirent  leur 
point  de  ralliement.  La  retraite 
s'opéra  par  de  nouveaux  prodiges 
ei  de  sanglans  sacrifices.  Le  feu 
de  rennenii    était    à    4oo    toises 


NAP  s;.;- 

derrière  la  malheureuse  année 
française.  Les  chaussées  étaient 
rompues.  L'n  pêle-mêle  général, 
qui  entraîna  Napoléon  et  les  dé- 
bi  is  de  sa  garde  ,  confondit  bien- 
tôt à  travers  cham|>s,  la  cavalerie, 
l'infanterie,  l'artillerie,  les  cha- 
riots, les  bagages.  On  vit  des 
officiers,  des  soldats,  se  tuer  de 
désespoir  pour  ne  pas  survivre 
au  grand  désastre.  Beaucoup,  Je 
général  Duhesme  entre  autres, 
un  des  plus  braves  de  l'armée, 
furent  pris  et  assassinés  parles  Prus- 
siens. L'humanité,  l'amitié,  la  dou- 
leur des  Belges  dérobèrent  une 
foule  de  blessés  à  la  barbarie  prus- 
sienne. Le  désespoir  de  ceux  qui 
survécurent  et  suivirent  Napoléon 
sur  Paris  ne  peut  être  comparé 
qu'à  la  gloire  dont  ils  s'étaient 
couverts  depuis  le  ctmimencement 
de  la  journée  jusqu'à  la  nuit.  Ln 
cortège  funèbre  s'échappait  si- 
lencieusement de  ces  champs  de 
bataille,  où  deux  fois  le  cri  de  vic- 
toire avait  ictenti.  Chaque  sol- 
dât français  était  ungrand  homme 
pleurant  sui^sa  patrie  et  sur  ses 
huniers.  L'élat-major  gagna  Jém- 
mapes,  où  il  voulut  vainement 
organiser  quelques  moyens  d^ 
défense.  Les  équipages  de  JNapo- 
léon  avaient  été  pris.  Une  sorte 
de  charrelle  servit  à  tran«porter 
la  victime  deWalerloo  à  Philippe- 
ville,  où  arrivèrent  les  voitures 
du  maréchal  Soull.  Napoléon  mon- 
ta en  calèche  avec  le  général  Ber- 
trand, qui  ne  devait  plus  le  quit- 
ter que  pour  lui  fermer  les  yeux 
à  trois  mille  lieues  de  la  Fran- 
ce!... 

Ainsi  finit  la  journée  de  Mont- 
Sainî-Jearj  ou  d«  Waterloo,  qui 


r»i8 


NAP 


vit  deux  foisNapeléon  victorieux. 
Les  quatre  journées  de  celte  cam- 
pagne coûtèrent  68,000  hommes 
aux  alliés  et  4'?ooo  aux  Fran- 
çais. Napoléon  ,  dans  son  plan  , 
n'avait  pas  prévu  la  non  exécution 
ou  lu  non  réception  de  ses  or- 
dres ,  mais  il  avait  prévu  qu'en 
cas  de  revers,  il  pourrait  soutenir 
la  guerre  sous  Paris  et  sous  Lyon. 
En  conséquence  l'armée  reçut 
ordre  de  rallier  à  Laon,  position 
forte,  que  l'eunemi  avait  su  dé- 
fendre l'année  précédente  conli-e 
Napoléon  lui-même.  Ce  prince, 
avant  de  quitter  Philippeville, 
envoya  l'ordre  au  maréchal  Grou- 
chy  de  se  porter  sur  Laon,  où  il 
prescrivit  au  général  Rapp  de  se 
rendre  en  toute  hâte  avec  son  ar- 
mée d'Alsace.  Il  arriva  le  20  à 
Laon  ,  où  il  organisa  le  servi- 
ce pour  une  armée  de  80,000 
hommes.  Il  y  reçut  de  son  frère', 
le  prince  Jérôme,  la  nouvelle  que 
25,000  hommes  s'étaient  déjà  ral- 
liés avec  5o  pièces  de  canon  der- 
rière Avesnes,  que  la  garde  à  pied 
marchait  sous  le  commandement 
du  général  Morand ,  la  garde  à 
cheval  sous  celui  du  général  Col- 
vert, et  que  si  on  avait  été  obligé 
d'abandonner  170  pièces  d'artil- 
lerie, plus  de  la  moitié  du  maté- 
riel était  sauvé,  ainsi  que  les  hom- 
mes et  les  chevaux  des  batteries 
abandonnées.  En  conséquence  Na- 
poléon ordonna  à  ces  équipages 
de  venir  prendre  des  pièces  à  la 
Fère  ,  et  au  prince  Jérôme  de  se 
rendre  avec  toutes  les  forces  qu'il 
aurait  pu  rassembler  à  Laon,  où 
devait  s'opérer  le  ralliement  des 
armées  de  Rapp  et  de  Grouchy.  Ce 
deruit^r  corps  était  intact.  II  avait 


NAP 

battu  les  Prussiens  de  Thielman  i 
Wavres.  Le  général  Gérard,  a- 
avec  le  quatrième  corps,  avait 
forcé  le  passage  de  la  Dyle,  com- 
me avait  fait  à  Limate  le  général 
Pajol.  Le  19,  Thielman  jwah  en- 
core été  battu  par  le  maréchal 
Grouchy,  qui  marchait  victorieu- 
sement sur  Bruxelles,  quand  il 
apprit  en  route  la  perte  de  la  ba- 
taille de  Waterloo,  et  reçut  l'or- 
dre de  se  retirer  sur  Namur.  En- 
fin le  26,  le  corps  d'armée  de  ce 
maréchal  était  arrivé  à  Laon,  fort 
de  52,000  hommes  et  de  108  piè- 
ces de  canon.  Le  27 ,  70,000 
hommes  étaient  ralliés  entre  cette 
ville  et  Paris  ,  d'où  2  5  à  5o  mille 
hommes  étaient  en  marche  pour 
Laon.  Le  général  Rapp  avec 
25,000  hommes  d'élite  devait  fai- 
re sa  jonction  d.ms  les  premiers 
jours  de  juillet.  On  avait  perdu 
170  pièces  do  canon,  mais  on  en 
trouvait  5oo  à  Piiris.  Ainsi  Napo- 
léon serait  sous  peu  de  jours 
en  état  de  couvrir  Paris  avec 
120,000  hommes  de  vieilles  trou- 
pes et  55o  bouches  à  feu. Cette  ar- 
mée était  également  offensive  et 
défensive,  et  aurait  derrière  elle  , 
dans  les  murs  de  la  capitale,  56,ooa 
hommes  de  garde  nationale  , 
5o,ooo  tirailleurs  et  fédérés  qu'on 
pouvait  porter  à  80,000  ;  6000 
canonniers  et  600  bouches  à  feu 
en  batterie ,  avec  des  retranche- 
mens  formidables.  Napoléon  cal- 
cula également  la  force  de  l'arméô 
ennemie.  Les  alliés  avaient  perdu 
80,000  combattans  dans  les  quatre 
jours  de  la  campagne,  et  ne  pou- 
vaient disposer  que  de  140, 000, dont 
5o,ooo  au  moins  devaient  rester  en 
arrière  pour  l'investissement  des 


NAP 

places  et  garder  les  communica- 
tions. Ces 90,000  hommes  d'armée 
acli  ve  ne  pouvaient  agir  contre  l'ar- 
mée de  Paris  sans  la  coopération 
des  armées  russe  et  autrichienne, 
dont  3o,ooo  hommes  au  plus  pou- 
vaient être  arrivés  sur  la  Marne  le 
i5  juillet.  Les  nouvelles  des  autres 
armées  étaient  excellentes  pour  Na- 
poléon. Le  maréchal  Suchet  avait 
enlevé  iMontmélian,  et  les  Pio- 
montais  étaient  chassés  des  gor- 
ges du  IMont-Cenis  ;  le  général 
Desaix,  sous  ses  ordres,  s'était  é- 
galcment  emparé  de  tous  les  dé- 
filés du  Jura  et  tenait  Carrouge. 
Le  général  Lamarque  venait  de 
terminer  à  la  bataille  de  la  Roche- 
Servière  la  guerre  de  la  Vendée. 
Le  général  Lecourhe,  maître  des 
Vosges,  devait  se  réunir  au  maré- 
chal Suchet,  et  l'armée  sous  Lyon 
serait  de  5o,ooo  hommes,  ifjdé- 
pendamment  de  la  forte  garnison 
et  de  la  population  de  cette  gran- 
de ville.  Toutes  les  places  qui  for- 
maient les  lignes  du  nord  r.i  de 
l'est  étaient  dans  un  état  complet 
de  défense ,  et  commandées  par 
des  généraux  éprouvés.  «  Tout 
«pouvait  se  réparer,  a  dit  depuis 
«Napoléon;  niais  il  fallait  du  ca- 
nractère,  de  lénergie  ,  de  la  fer- 
nmeté  de  la  part  des  olficiers,  du 
»  gouvernement,  des  chambres,  de 
»la  nation  tout  entière.  11  fallait 
9  qu'elle  fût  animée  par  les  senti- 
«mens  de  l'honneur,  de  la  gloire  , 
»de  l'indépendance  nationale  , 
iD  qu'elle  fixât  les  yeux  sur  Rome  a- 
»  près  la  balaille  de  Cannes,  et  non 
nsur  Carthage  après  la  bataille  de 
nZamal  »  Napoléon  se  trompait. 
C'était  la  bataille  d'Actium  ,  qu'il 
venait  de  perdre  contre  l'i'lu- 
rope ,  et  il  allait  perdre  centre 


NAP 


3:9 


les  chambres  le  propès   d'Anni- 
bal. 

Dans  la  position  extrême  où 
se  trouve  un  gra^d  homnie  char- 
gé de  la  destinée  d'une  nation,  il 
peut  être  possédé  d'un  instinct  de 
conservation  qui  n'appartient  qu'à 
lui.  Napoléon  aurait-il  eu  cet  ins- 
tinct, quand  il  déclara,  à  Laon, 
qu'il  voulait  y  rester  et  y  défendre, 
ne  fût-ce  qu'avec  13,000  hommes, 
les  approches  de  Paris  ?  Cet  avis 
fut  vivement  combattu  par  une 
objection  qui  était  grave  :  le  peu- 
ple de  Paris,  disait-on,  pourrait 
douter  si  Napoléon  cicait  encore 
pour  défendre  la  cupitale  ;  person- 
ne ne  s'armera  à  Paris ,  que  sous 
les  yeux  de  Napoléon.  L'exemple 
de  l'année  précédente,  le  décou- 
ragement naturel  a  cette  partie  de 
la  population,  qui  devait  remplir 
les  rangs  des  fédérés  ,  lui  furent 
vivement  présentés  ;  N.ipoléon  cé- 
da malgré  lui.  «  Puisqu'on  le  croit 
1) nécessaire,  dit-il,  j'irai  à  Paris; 
"mais  je  suis  persuadé  qu'on  me 
«fait  faire  une  sottise  :  ma  vraie 
n  place  est  ici.  Je  pourrais  y  diri- 
»  ger  ce  qui  se  passe  à  Paris,  et 
«mes  frères  feraient  le  reste.  »  A- 
prés  avoir  pris  celte  résolution , 
Napoléon  mil  la  dernière  main  au 
fatal  bulletin  de  la  balaille  de  Mont- 
Saint-Jean...  «  3lon  intention, 
»dit-il,  est  de  ne  rien  dissimuler, 
»il  faut  conime  après  Moskon,  ré- 
»  vêler  à  la  France  la  vérité  tout 
«entière;  j'aurais  pu  rejeter  sur  le 
«maréchal  Ney  ane  partie  desmal- 
»  heurs  de  cette  journée;  mais  le 
«mal  est  fait,  il  ne  faut  plus  eu 
»  parler.  » 

Le  lendemain  il  arriva  au  palais 
de  l'Elysée.  L'ostracisme  rallen- 
dait  d.mi  la  cupilale;   il  aviiit  dCi 


53o  NAP 

vainrrc,  et  il  revenait  sans  armée; 
aussi  il  perdit  îont-à-couplepouvoii* 
et  jusqu'à  la  liberté.  Les  chambres 
se  déclarèrent  en  permanence  ; 
c'était  lui  dire  qu'il  n'était  plus 
chef  de  la  nation.  La  chambre  des 
députés  exprima  un  vœu  plus  sé- 
vère :  I)  Toute  tentative  pour  ladis- 
«soudre,  dit-elle,  est  un  crime  de 
«haute  trahison;  quiconque  seren- 
»drait  coupable  de  cette  tentative, 
«sera  déclaré  traître  à  ta  patrie^  et 
»  sur-le-champ  jugé  comme  tel.  ,> 
Ainsi  Napoléon  trouva  à  son  ar- 
rivée dans  la  capitale  la  peine  de 
mort,  si,  comme  il  l'avait  impru- 
demment dit  lui-même,  il  pre- 
nait la  résolution  d»;  dissoudre  les 
chambres  par  la  force,  et  d'exer- 
cer le  pouvoir  dictatorial.  Cette 
délibération  de  la  chambre  l'irrita 
violemment;  il  lutta  contre  elle 
pendant  24  heures.  Il  se  rcpenlit 
alors  d'avoir  quitté  Laon  ;  il  avait 
bien  senti  qu'il  n'y  avait  plus  de 
pouvoir  pour  lui  qu'au  milieu  des 
soldats  ,  et  pai-  les  soldats  :  il  se 
débattit  sous  le  joug  de  fer  qu'on 
lui  imposait;  il  re<;arda  autour  de 
lui,  et  ne  vit  que  des  visai;es  aus- 
tères dans  son  propre  conseil. 
Une  injustice  singulière  avait 
saisi  tout  à- coup  les  courtisans 
de  Napoléon  ;  ils  crurent  s'ac- 
quitter envers  la  liberté  en  lui 
.sacrifiant  celui  pour  lequel  ils  l'a- 
vaient trahie  depuis  i5  années. 
Ainsi  que  les  députés,  ainsi  que 
les  pairs,  les  ministres,  les  con- 
seillers d'état  redevinrent  tous  ci- 
toyens, quan  1  le  Capilole  allait 
être  envahi  pour  la  seconde  fois. 
Jîst-il  encore  à  présent  possii>lc 
de  croire  que  tant  d'honnnes  é- 
clairés  et  si  bien  instruits  par  l'ab- 
dication de  Fontainebleau,  aient 


NAÏ' 

pensé  que  la  nouvelle  abdication 
qu'ils  demandaient  à  Napoléon, 
dût  fermer  aux  ennemis  l'entrée 
de  la  capitale,  et  rendre  à  la  Fran- 
ce ton  le  son  indépendance  poli- 
tique?..,. «  Il  ne  s'agit  pa^  de  moi, 
«disait-il  à  l'Klysée,  à  M.  Cons- 
».tant,  il  s'agit  de  la  France.   On 

»veut  que  j'abdique :  c'est  au- 

»  tour  de  moi,  autour  de  mon  nom 
«que  se  groupe  l'armée;  si  j'ab- 
ndique  aujourd'hui,  vous  n'aurez 
nplus  d'armée  dans  deux  jours... 
»  Me  repousser  quand  je  débarquai 
»à  Cannes,  je  l'aurais  conçu...  si 
))on  tireCit  renversé  il  y  a  1 5  jours, 
«c'eût  été  du  courage....;  mais  je 
»  fais  partie  actuellement  de  ce  que 
«l'étranger  attaque,  je  fais  donc 
«partie  de  ce  que  la  France  doit 

«défendre :  ce  n'est  pas  la  li- 

rtberté  qui  me  dépose  ,  c'est  \Va- 
«teiloo,  c'est  la  peur.  »  Comme 
il  parlait,  une  foule  tumultueuse 
aOîuait  tout-à-coup  dans  l'avenue 
de  Warigny  et  criait  violemment: 
Vive  l'empereur!  «  Que  me  doivent 
»  ceux-ci  ?  reprit  Napoléon  ;  je  les 
»ai  trouvés,  je  les  ai  laissés  pau- 
»vres.  L'instinct  de  la  nécessité 
«les  éclaire  :  la  voix  du  pays  parle 
«par  leur  bouche  ;  et  si  je  le  veux, 
»si  je  le  permets,  la  chambre  re- 
nl)elle,  dans  une  heure  n'existera 

«plus ;  mais  la  vie  d'un  homme 

«ne  vaut  pas  ce  prix  :  je  ne  suis 
«pas  revenu  de  l'île  d'Elbe,  pour 
«que  Paris  fût  inondé  de  sang!  » 

Napoléon  avait  trop  pesé  sur  le 
monde.  Après  Waterloo  et  au  mi- 
lieu de  la  proscription  dont  chacun 
le  frappait  à  l'envi,  comme  le  lion 
malade,  il  sentit  qu'il  pesait  aussi 
sur  lui-même.  Fatigué,  dégoûté 
de  lui  cl  des  hommes  et  des  cho- 
ses, cerné,  pressé  de  toutes  parts, 


NAP 

il  ronsentit  enfin  à  signer  la  décla- 
ration suivante  : 

Au  peuple  Français. 

«En  commençant  la  guerre  , 
»  pour  soutenir  l'indépendance  iia- 
«lionale,  je  comptais  sur  la  réu- 
■  nion  de  tous  les  efforts,  de  toutes 
«les  volontés  et  le  conconrs  de 
«toutes  les  autorités  nationales. 
».)'élais  fondé  à  en  espérer  le 
»  succès,   et  j'avais  bravé   toutes 

•  les   déclarations  des   puissances 

•  contre  moi.  Les  circonstances 
»  me  paraissent  changées.  Je  m'oC- 
»fre   en  sacrifice   à  la  haine   des 

•  ennemis  de  la  France.  Puissent- 
ails  être  sincères  dans  leurs  décla- 
»  rations,  et  n'en  avoir  voulu  réel- 
slement  qu'à  ma  personne!  Ma 
»  vie  politique  est  terminée,  et  je 

•  proclame  mon  fils  sous  le  titre 
«de  Napoléon  II,  empereur  des 
«Français.  Les  ministres  actuels 
a  formeront  provisoirement  lecon- 

•  seil  de  gouvernement.  L'intérêt 

•  que  je  porte  à  mon  fils,  m'enga- 
»ge  à  inviter  les  chambres  à  or- 
«gtuiser  sans  délai  la  régente  par 

•  une  loi.  Unissez-vous  tous  pour 
»  le  salut  public  et  pour  rester  une 
«nation  indépendante.» 

ISapoléox. 
Au  palais  de  l'Elysée,  22  juin  i^  i5. 
Le  duc  d'Otranle,  le  duc  de 
Vicence  et  le  duc  Decrés,  furent 
chargés  ))ar  Napoléon  de  porter 
cette  déclaration  à  la  chambre  des 
députés;  le  duc  de  Gaëte,  le  com- 
te Mollicn  et  le  comte  Caraot  à 
la  cliaini)re  des  pairs,  fiion  ne 
manqua  à  la  catastrophe  de  Na- 
poléon. In  de  ses  ministres  d'elal 
lui  avait  déjà  déclaré  dans  le  con- 
seil qu'il  fallait  abdiquer,  que  le 
«alut  de  lu  France  le  demandait. 


NAP 


001 


Il  revint  lui  dire  que  la  chambre 
exigeait  son  abdication  ,  et  qu'il 
n'}"^  avait  pas  un  moment  à  per- 
dre. Enfin,  il  pressa  tellement  Na- 
poléon d'abdi(|u«r,  qu'après  deux 
missions  qu'il  remplit  pour  le  mê- 
me objet  ,  il  envoya  renouveler 
encore  la  même  instance  à  Napg- 
léon  par  un  olïicier  supérieur  dn 
la  garde  nationale,  auquel  Napo- 
léon répondit  :  «  Ces  bonnes  gens 
»sont  bien  presses  :  dites-leur  que 
nje  sais  ce  (jue  j'ai  à  faire.  »  Enfin 
il  se  décida  à  donner  cette  abdica- 
tion. La  chambre  des  représen- 
laiis  nomma  alors  une  dépiitation 
qui  reçut  ordre  de  se  rendre  au- 
près de  NapolétMi,  pour  lui  expri- 
mer avec  quel  respect  et  avec 
quelle  reconnaissance  la  chambre 
acceptait  le  noble  sacrifice  que  ce 
prince  faisait  à  l'indépendance  et 
au  bonheur  de  la  France. 

Napoléon  répondit  ainsi  à  cette 
députation  :  «  Je  vous  remercie 
))des  sentimens  que  vous  m'ex- 
•) primez.  Je  désire  que  mon  ab- 
»dication  puisse  faire  le  bonheur 
«de  la  France;  mais  je  ne  l'espère 

•  point.  £//^  laisse  t'élat  sans  chef, 
»  sans  exislence  politique.  Le  temps 
«perdu  à  renverser  la  monarchie 
«aurait  pu  être  employé  à  mettre 
»  la  France  en  état  d'écraser  l'eii- 
>-  nemi.  Je  recommande  à  la  cham- 
»bre  de  renforcer  prompteujcnl 
«les armées.  Qui  veut  la  paix,  doit 
«se  préparer  à  la  guerre.  Ne  virl- 
»  tez  pas  cette  grande  nation  à  la 
»Tnerci  des  étrangers.  Craignez 
»  d'être  défus  dans  vos  esp^érances; 

•  c'est  là  qu'est  le  danger.  Dans 
«quelque  position  que  je  me  trou- 
»ve,   je  serai   toujours  bieu  si  la 

•  France  est  heureuse.  Je  recouir 
»  mar.do   uwu   fib  à  la   France  ; 


552 


NAP 


i>)'e?père  qu'elle  n'oubliera  pas 
»que  je  n'ai  abdiqué  que  pour  lui. 
»Je  l'ai  fait  aussi  ce  grand  sacri- 
»fice  pour  le  bien  de  la  nation  : 
«ce  n'est  qu'avec  ma  dynastie 
«qu'elle  peut  espérer  d'être  libre, 
«heureuse  et  indépendante.  »  C'é- 
tait précisément  cette  vanité  de 
dynastie  qui  perdait  Napoléon 
pour  la  seconde  l'ois.  Jusqu'au 
dernier  moment,  il  ne  manqua 
jamais  une  occasion  d'aflecter 
bautement  ce  sentiment;  car,  un 
instant  après,  un  ministre  d'é- 
tat se  félicitant  justement  d'a- 
voir provoqiié  i'bommage  que 
Napoléon  venait  de  recevoir  de  la 
chambre  :  «  Puisque  cette  déli- 
nbération  est  votre  ouvrage,  lui 
»  répondit-il,  vous  auriez  dfi  vous 
«ressouvenir  que  le  titre  d'empe- 
•>)  rcur  ne  se  perd  point.  »  Effecti- 
vement, la  délibération  de  la  cham- 
bre ne  pariait  que  de  Napoléon 
Bonaparte.  Ce  trait  si  singulier 
dans  une  telle  circonstance  se  re- 
produisit encore  souvent ,  même 
sur  le  rocher  de  Sainte-Hélène  I 
Si  Napoléon  eu  débarquant  au 
golfe  Juan  eût  apporté  avec  lui 
non  la  contre-révolution  de  la  rao- 
narchie ,  mais  celle  de  l'empire, 
il  n'eût  jamais  été  responsable 
d'une  défaite,  et  l'Europe  aurait 
eu  à  abattre  plus  qu'un  seul 
homme. 

Il  résultait  formellement,  et 
sans  discussion  aucune,  de  l'ac- 
eeptation  de  l'abdication  de  Na- 
poléon en  faveur  de  son  fils  par 
les  deux  chambres,  une  raison  de 
gouvernement  toute  faite  ,  puis- 
qu'elles avaient  reconnu  le  père: 
c'était  la  reconnaissance  de  Napo- 
léon II,  et  la  proclaniatio»  de  son 


NAP 

avènement.  Mais  dans  la  deuxième 
chambre, des  esprits  orageux  s'étu- 
dièrent à  prouver  h  l'Europe  l'en- 
tière vacance  du  trône  et  l'absence 
de  tout  pouvoir  légal.  L'un  proposa 
à  la  chambre  de  se  former  en  as- 
semblée nationale,  un  autre  en  as- 
sembée  constituanife.  C'était  pro- 
poser l'exhérédation  de  Napoléon 
II;  c'était  dénier  l'abdication  re- 
connue, en  déclinant  son  objet, 
soti  but  fondamental.  Puisqu'on 
l'avait  acceptée  solennellement, on 
s'était  retiré  le  droit  d'en  repousser 
la  condition  nécessaire;  la  chambre 
consentit  à  éluder  li  reconnais- 
sance de  Napoléon  II,  en  admet- 
tant la  formation  d'une  commis- 
sion executive  de  cinq  membres, 
deux  de  la  chanibrc  des  pairs,  et 
trois  de  celle  des  députés.  Cette 
proposition  communiquée  à  la 
chambre  des  pairs  fut  violem- 
ment repoussée  par  le  jeune  et 
infortuné  Lubédoyère.  «S'ils  re- 
»  jettent  Napoléon  II,  s'écria-t-il, 
«l'empereur  doit  recourir  à  son 
»épce  et  à  ses  braves,  qui,  tout 
»  couverts  de  sang  et  de  blessures, 
«crient  encore  vive  l'empereur  ! 
«C'est  en  faveur  de  son  fils  qu'il 
»a  abdiqué;  son  abdication  est 
«nulle  si  on  ne  reconnaît  point 
«Napoléon  II....  II  y  a  peut-être 
«encore  ici  des  généraux  qui  mé- 
«dilent  de  nouvelles  trahisons  , 
«mais  malheur  à  tout  traître!...  > 
Hélas!  la  même  mort  devait  bien- 
tôt réunir  les  accusés  etl'accusa- 
teuiîCette  séance  fut  tumultueuse, 
et  présenta  le  fatal  ca)actère d'une 
société  qui  marche  par  le  trouble 
à  sa  dissolution.  Enfui  un  pair 
proposa  d'adopter  la  proposition 
de  la  chambre  des  députés,  sans 


^AP 

rien  préjuger  sur  l'indivisibilité  de 
l'abdication  de  Napoléon.  Celte 
subtilité  politique  lut  avidement 
saisie  par  la  chambre,  qui  nomma 
de  suite  le  duc  deVicence  et  le 
baron  Quinette  pour  faire  partie 
de  la  eommis.-ion  executive.  La 
chambre  des  députés  nomma  les 
généraux  Carnot  et  Grenier,  et  le 
duc  d'Otrante,  lequel  lut  élu  pré- 
sident par  ses  collègues.  Ainsi  il 
n'y  avait  que  trois  ministres  de 
Napoléon  dans  la  commission. tan- 
dis que  Tacle  de  son  abdication 
portait  que  ses  ministres  actuels 
la  composeraient.  Aussi  donna-t- 
il  avec  raison  le  nom  de  directoire 
à  cette  autorité  improvisée  par 
les  chambres. 

Toutefois  on  pouvait  croire, 
parce  que  c'était  une  chose  de 
tait,  que  reite  commission  gou- 
vernerait et  publierait  ses  actes  au 
-nom  de  Napoléon  II.  Cependant 
la  ch;ui)brc  des  députés,  divisée 
par  les  opinions  et  p-ar  les  intérêts 
qui  avaient  partagé  la  séance  pré- 
cédente, se  crut  encore  obligée  de 
laisser  intervenir  à  cet  égard  \me 
discussion  au  milieu  de  laquelle 
une  sorte  d'acclamation  de  cir- 
constance, d'entraînement  physi- 
que plutôt  que  de  conscience  po- 
litique, proclama  que  Napoléon 
Il  était  empereur  des  Français. 
L^ne  voix  déjà  connue  dans  la  der- 
nière séance  fit  cependant  enten- 
dre ces  paroles  :  «  .Si  Napoléon  I" 
»n'a  pu  sauver  l'état,  comment 
'>Nap(^.léon  II  le  pourra-t-il  davan- 
'.  lage?  D'ailleurs  ce  prince  et  sa 
«mère  sont  captifs.  Avez-vous  l'es- 
■»poir  qu'ils  tous  soient  rendus?,.. 
•  C'est  de  la  nation  que  nous  atten- 
itdons  le  choix  d'un  souverain.  La 
«nation  précè.dc  tous  les  gotner- 


NAP  555 

>  nemens  et  survit  à  tous.  »  Enfin, 
sur  la  proposition  d'un  autre  dé- 
puté, et  ce  qui  est  plus  étrange, 
aux  bruyantes  acclamations  de 
vive  Napo/éonll,  il  fut  passé  à  l'or- 
dre du  jour  :  i°  Sur  ce  que  Napo- 
léon Il  était  devenu  empereur  par 
le  fait  de  l'abdication  de  Napoléon 
I",  et  par  la  force  des  constitutions 
de  l'empire;  i°  Sur  ce  que  les  deu.v 
chambres  avaient  voulu  et  entendu, 
en  nommant  une  coinmission  de 
gouvernement,  assurer  à  la  nation 
les  garanties  dont  elle  a  besoin , 
dans  les  circonstances  extraordi- 
naires où  elle  se  trouve,  pour  con- 
server sa  liberté  et  son  repos.  La 
capitale  ne  fut  pas  la  dupe  de  la 
séduction  où  la  chambre  s'était 
laissée  entraîner  pour  la  seconde 
fois ,  et  Napoléon  le  fut  encore 
moins.  Chacun  au  surplus  se 
trouvasuffisamment  averti,  quand 
il  vit  le  surlendemain  les  actes  du 
gouvernement  piovisoire ,  intitu- 
lés au  nom  du  peuple  français.  Les 
chambres  demantlèrent  une  ex- 
plication à  la  commission  execu- 
tive sur  cette  application  de  sou 
pouvoir.  Cette  demande  était  au 
moins  iuu  tile,  car  la  majorité  de  la 
chami)re  ue  voulait  ni  de  Napo- 
léon I",  ni  de  Napoléon  II;  la 
commission  réponJit,  que  puis- 
que Napoléon  II  n'avait  encore  été 
reconnu  par  aucune  puissance,  on 
ne  pouvait  traiter  en  so7i  nom,  et 
qu'il  avait  fallu  ôter  aux  ennemis 
tout  préle.Tle  à  un  refus  de  négo- 
cier. Eu  effet  ,  l'embarras  de  la 
commission    était  extrême  :  elle 

N 

était  un  gouvernement  non  re- 
connu, qui  émanait  d'un  gouver- 
nement également  non  reconnu. 
En  parlant  au  nom  de  la  France. 
elle   évitait  de  prendre  un   titie 


554 


NAP 


qu'on  pouvait  lui  contester.  Gal- 
les souverains, qui  voulaient  faire 
la  loi  l'épée  à  la  ujain,  n'auraient 
pas  manqué  de  saisir  le  prétexte 
(le  Napoléon  1"  ou  de  Napoléon 
II,  pour  refuser  même  d'écouter. 
Or,  il  était  danp;ereux  de  donner 
des  prélexles  d'ajournement  dans 
des  questions  de  cette  importance, 
que  des  plénipotentiaires  devaient 
aller  tiaiter  à  plus  de  çeut  lieues 
du  {2;ouvernement. 

Cependant  beaucoup  de  voix 
de  l'armée  y  rappelaient  Napo- 
léon, et  le  duc  d'Otrante  [)arvint 
à  faire  craindre  aussi  aux  cham- 
bres la  prolongation  dans  la  capi- 
tale du  séjour  de  l'empereur  des 
soldais.  Napoléon  voulut  lui- 
même  mettre  fin  à  sa  présence  à 
Paris,  mais  ce  fut  par  la  crainte 
que  les  alliés  ne  pussent  douter 
de  sa  bonne  foi  et  calomnier  son 
abdication.  En  conséquence  ,  it 
paitit  le  25  pour  la  Malmaison, 
où  il  fut  reçu  par  la  princesse 
Horlensc.  Hélàs!  il  y  rétrouva  tous 
les  reproches  de  sa  gloire  consu- 
laire, et  peut-être  aussi  toutes  les 
passions  de  sa  toute-puissance  ! 
Ce  séjour  fut  pour  lui  un  nouveau 
supplice  :  c'était  celui  de  Tantale. 
Mais  il  devait  encore  sid)ir  sur  i\n 
rocher  celui  de  Prométhée. 

Une  violente  agitation  s'empa- 
ra de  Napoléon  à  la  Malmaison. 
Tous  les  souvenirs  de  sa  gloire 
militaire  l'y  attendaient;  tout  lui 
parlait  de  l'armée.  D'oi'i  pouvait-il 
lui  faire  de  plus  touchans,  de  plus 
nobles  adieux,  que  du  séjour  où 
il  avait  trouvé  tant  de  fois  la  pen- 
sée et  le  repos  de  ses  victoires?  Et 
il  adiessa  aux  braves  soldats  de 
rar)n/:e  devant  Paris,  la  procla- 
uiatioi^  suivante  : 


NAP 

f  Soldats  !  quand  je  cède  à  la 
«nécessité  qui  me  force  de  m'é- 
nloigner  de  la  brave  armée  fran- 
Dçaise,  j'emporte  avec  moi  l'heu- 
wreuse  certitude  qu'elle  justifiera, 
">par  les  services  éminens  que  la 
«patrie  attend  d'elle,  les  éloges 
))que  nos  ennemis  eux-mêmes  no 
"peuvent  pas  lui  refuser.  Soldats! 
»  je  suivrai  vos  pas,  quoiqu'a!)- 
Msent.  Je  connais  tous  les  corps, 
«et  aucun  d'eux  ne  remportera  un 
«avantage  signalé  sur  l'ennemi 
«que  je  ne  rende  justice  au  conra- 
»ge  qu'il  aura  déployé.  Vous  et 
«moi,  nous  avons  été  caloiuniés. 
»  Des  hommes  indignes  d'appré- 
ncier  vos  travaux  ont  vu  dans  les 
«marques  d'attachement  que  vous 
»n»'avez  données  un  zèle  dont  j'e- 
stais le  seul  objet;  que  vos  succès 
»  futurs  lem-apprennent  que  c'était 
»la  patrie  par-dessus  tout  que 
«vous  serviez  en  m'obéissant,  et 
«que  si  j'ai  quelque  part  à  votre 
»  ailection,  je  la  dois  à  mon  ardent 
«amour  pour  la  France,  notre 
«mère  commune.  Soldats!  encore 
«quelques  efforts,  et  la  coalition 
«est  dissoute.  Napoléon  vous  re- 
»  connaîtra  aux  coups  que  vous 
«allez  porter.  Sauvez  Thonneur, 
n  l'indépendance  des  Français, 
«soyez  jusqu'à  la  fin,  tels  que  je 
«vous  ai  connus  depuis  vingt  ans, 
»et  vous  serez  invincibles!  « 

Napoléon  avait  beau  vouloir 
se  tromper  lui-même  par  les  vœux 
qu'il  adressait  aux  soldats,  de  tels 
adieux  leur  disaient  :  Ai) pelez-moi 
et  je  vole  à  votre  tète.  Le  gouverne- 
ment le  comprit  ainsi,  et  la  pro(;Ia- 
mation  de  la  Malmaison  ne  fut  ni  en- 
voyée à  l'armée  de  Paris,  ni  insérée 
au  Moniteur.  Ainsi  cette  dernière 
allpcutiou    de    Napoléon    à   l'ar- 


NAT 

mée  fraiiçaisn  fut  perdue  pour  lui. 
Soit  à  Paris,  soit  à  la  iMaimai- 
50n  ,  Napoléon  vojilait  se  faire 
rappeler  par  l'armée;  il  voulait 
aussi  que  le  gouverntment  le  re- 
plaçât à  la  tète  des  soldats  , 
comme  si  un  pouvoir  quelcon- 
que en  avait  le  droit  à  Paris,  où 
les  t'iiainhres  étaient  ouvertement 
contre  lui.  Lui  seul  avait  le  droit 
de  se  remettre  à  la  tête  de  l'armée; 
jusqu'au  dernier  moment  il  en 
eut  la  faculté.  Ses  chevaux  furent 
souvent  à  sa  porte  pendant  plu- 
sieurs heures.  Il  avait  à  sa  dispo- 
sition tout  ce  qui  l'entourait.  Les 
{grilles  de  la  Malmaison  étaient  à 
lui.  Le  général  Becker,  qui  lui 
fut  donné  par  la  commission  du 
gouvernement,  n'était  pas  même 
un  témoin  de  ses  actions.  A  Fon- 
tainebleau aussi ,  l'année  précé- 
dente, il  aurait  pu,  le  premier  jour 
et  même  le  second, faire  une  trouée 
avec  .ses  braves,  et  manœuvrer  sur 
la  J>oire.  Pourquoi  Napoléon  ne 
risqua-t-il  pas  celte  noble  évasion 
de  Fontainebleau?  C'est  qu'il 
comptait  èiir  un  traité  plus  favo- 
rable. Pourquoi  attendit-il  à  l'E- 
lysée et  à  la  Malmaison .  qu'on 
Tînt  le  Te|»lacer  à  la  tête  de  Tar- 
niée,  au  lieu  d'y  aller  lui-même 
de  son  propre  mouvement  ?  C'est 
parce  qu'il  savait  ce  qui  se  passait 
à  l'armée.  Ln  général  fut  arrêté 
aux  avant-postes  passant  à  l'enne- 
mi. C'était  à  qui  arriverait  le  pre- 
mier à  Paris  pour  s'atnnisticr, 
pour  purger  la  contumace  de 
Waterloo.  M.  de  \ilr<dles  ne 
quittait  pas  le  quartier-général  du 
prince  d'Eckmiilh.  Ce  maréchal 
avait  proposé  à  la  commission 
d'envoyer  au-devant  de  la  famille 
royale,   et  de  proclamer    le  roi. 


NAP 


r.55 


La  commission  avait  rejeté  sa  [<ro- 
posilion.  Le  lendemain,  il  la  re- 
nouvela par  écrit. 

Cependant    l'avis   que    Nap(»- 
léoti   avait   donné   aux  chambres 
dans  l'acte   de  son  abdication  a- 
vait  été  suivi,  et  de  gratids  pré- 
jiaratifs  de  résistance  étaient  or- 
ganisés pour  appuyer  la  négocia- 
tion que  la  commis'^ion  executive 
sélait    proposé  d'ouvrir  avec  les 
armées   étrangères.    Fouché,  qui 
était   dans    le  secret  de  l'avenir, 
présidait  lin-même  avec  une  im- 
perturbable djipliciléaux  soins  de 
la   guerre   et   à  ceux  de  la   paix. 
Masséna  ,    priflce   d'Esiing,    fut 
nonimé    au    commandement    eii 
chef  de   la    garde   nationale.    Le 
maréchal     Grouchy     eut      celui 
de    l 'armée   du    Nord;    le   géné- 
ral  Reiile,   celui  des    i",  2' et  ()"= 
rorps;   le   général  Drouot ,   celui 
de  la  garde:  le  maréchal  .lourdan, 
celui   de  l'armée  du  Rliin.  Enfin 
la   commission  chargea   MM.    de 
la  Fayette,  dePontécoulaul,  d'Ar- 
genson,  de  La  Forêt,  Sébastiani . 
et     Benjamin -Constant  ,     d'aller 
négocier  une  suspen>ion  d'armes 
et   traiter    même  de  la  paix.    Le 
choix  des  généraux   et    celui  des 
négociateurs  prouvent  la  diversi- 
té dus  intérêts  qui  y  présidèrent. 
Mais  il  est  diincile  de  ne  pas  com- 
prendre   la     nature    de    lintérct 
qui  avait  fait   nommer  le  duc  d<' 
Bassano    secrétaire -d'état  de    la 
connnission,  ce  qu'il  refusa,    et 
qui  y  attacha  M.  Fain,  secrétaire 
de  Napoléon,  en  qualité  de  sous- 
secrétaire-d'étal  ,  et  enfin  tout   le 
cabinet,  et<nlre  autres  .M.  de  Fleu- 
ry  de  Chaboulou,  qui   (\eux  fois- 
par  joitr  se  rendait  à  la  3LTlinai- 
sun. 


556 


^AP 


Dans  k  commission ,  le  choix 
du  duc  d'Otrantc  était  le  seul  qui 
fut  désapprouvé  hautement;  mais 
la  loyauté  des  quatre  autres  mem- 
bres du  gouvernement  ne  pouvait 
déiendre  la  France  des  machina- 
nations  de  celui  qui  les  prési- 
dait. 

Telle  était  aussi  l'opinion  à  la 
Malmaison.  Napoléon  s'en  expli- 
qua hautement  le  jour  du  départ 
des  plénipotentiaires. 

«  Fouché ,  disait-il,  jouera  les 
«chambres.  Les  alliés  le  joueront, 
)'et  vous  aurez  Louis  XVIII.  Il 
«se  croit  en  état  de  tout  conduire 
Ȉ  sa  {^uise  :  il  se  trompe  :  il  ver- 
»  ra  qu'il  faut  une  main  autrement 
"trempée  que  la  sienne  pour  te- 
»nir  les  rênes  d'une  nation,  sur- 
»tout  lorsque  l'ennemi  est  chez 
«elle....  »  —  Puis  reprenant  cette 
idée  qui  par  une  déplorable  fata- 
lité,  lui  était  revenue  toute  do- 
minante; «  Moi  seul  3  ajoutait-îl, 
))je  pourrais  tout  réparer,  mais  vos 
n  meneurs  n'y  consentiraient  ja- 
»  mais  :  ils  aimeront  mieux  s'en- 
wgloutir  dans  l'abîme  que  de 
n  s' unir  à  moi  pour  le  fermer.  « 
Cette  idée,  devenue  fixe,  se  pré- 
sentait sans  cesse  à  sa  pensée  à 
chaque  occasion  :  elle  devint  si 
publique,  que  la  nécessité  de  son 
départ  [larut  instante  à  ceux  qui 
avaient  un  grand  intérêt  à  le  sé- 
questrer du  contact  de  l'armée, 
si  contagieux  encore  pour  elle  et 
pour  lui.  En  conséquence,  on  lui 
fit  insinuer  de  songer  à  s'éloigner 
prompfementetde  quitter  la  Fran- 
ce. Il  demanda  deux  frégates  pour 
se  T'cudre  aux  Etats-Unis  avec  sa 
famille.  La  veille,  le  ministre  de 
la  niariae  lui  avait  proposé  de 
partir  avec    un    Américain,   qui 


NAP 

l'emmènerait  incognito  tin  Havre, 
el  l'embarquerait  sur  son  navire. 
Il  avait  refusé,  sous  le  prétexte 
qu'on  désirait  trop  vivement 
son  départ ,  mais  la  véritable 
raison,  et  cette  faiblesse  ne  l'a  ja- 
mais quitté ,  c'était  le  déplaisir 
de  ne  pas  quitter  la  France  avec 
une  sorte  de  pompe  et  le  dégoût 
de  partir  comme  un  fugitif.  L'or- 
dre fut  donné  en  conséquence 
d'armer  les  deux  frégates;  mais  le 
gouvernement  exigea  des  passe- 
ports et  des  sauf- conduits  du 
duc  de  Wellington  pour  la  garan- 
tie de  ces  deux  frégates.  Une  au- 
tre garantie  parut  aussi  nécessai- 
re à  la  chambre  des  représentans, 
qui  l'exigea;  ce  fut  celle  qui  s'ap- 
pliquerait spécialement  à  Napo- 
léon lui-même,  et  le  lieutenant 
général  Becker  fut  heureusement 
choisi  pour  devenir  auprès  de 
Napoléon  le  répondant  de  sa  pro- 
pre sûreté  envers  le  gouverne- 
ment. On  voulut  par  cette  mesu- 
re ,  qui,  mal  interprétée  dans  le 
premier  moment,  devait  blesser 
l'âme  de  Napoléon,  non-seulement 
l'entourer  d'une  protection  oiïi- 
cielle ,  indispensable  pour  son 
voyage,  mais  encore  contribuer 
par  sa  présence  à  déterminer  les 
alliés  à  conclure  promptement 
un  traité.  L'arrivée  du  général 
Becker  à  la  Malmaison  donna  lieu 
d'abord  à  une  vive  inquiétude, 
que  devait  dissiper  promptement 
le  caractère  si  bien  connu  de  cet 
officier-général.  En  eflet,  il  s'em- 
pressa de  déclarer  qu'il  avait  mis- 
sion pour  veiller  à  la  conservation 
de  Napoléon,  lequel  était  placé  sous 
ta  sauve-garde  de  l'honneur  natio- 
nal. Mais  Napoléon  comprit  bien 
qu'il  était  le  prisonnier  de  Fouché, 


NAP 

qui  exploitait,  pour  des  desseins 
futtirs,  ses  inquiétudes  person- 
nelles et  celles  des  autres  enne- 
mis de    Napoléon. 

La  réponse  du  duc  de  Welling- 
ton pour  les  sauf-conduits  n'était 
point  arrivée,  et  Napoléon  ron- 
geHJt  impatiemment  le  frein  du 
séquestre  sons  lequel  il  était  cap- 
tif, lorsque  le  ministre  de  la  mari- 
ne vint  déclarer  que  ,  l'ennemi  é- 
tant  à  Compiègne,  la  sûreté  de 
Napoléon  ne  permettait  pas  d'at- 
tendre plus  long -temps  les  sauf- 
conduits  de  l'Angleterre,  et  néces- 
sitait un  prompt  départ.  Napo- 
léon promit  de  partir;  mais  un 
coup  de  canon  tiré  au  loin  se  fit 
entendre  ,  et  devint  électrique 
pour  cette  âme  encore  guerrière. 

«  Qu'on  me  fasse  général ,  dit- 
«il  vivement  au  comte  Becker,  je 

•  commanderai  l'armée;  je  vais 
«en  faire  la  demande.  Général, 
))Vous  porterez  ma  lettre,   partez 

•  de  suite....  Expliquez-leur  que 
aje  ne  veux  pas  ressaisir  le  pou- 
»voir.  que  je  veux  écraser  l'en- 
»nemi,  et  le  forcer  par  sa  des- 
»truction  à  traiter  d'uiie  manière 
«plus  avantageuse  pour  le  peuple 
»  français....  Qu'ensuite  je  pour- 
»  suivrai  ma  route....  »  Malgré 
l'austérité  de  son  mandat  et  l'in- 
quiétude à  luquelle  la  passion  subi- 
te de  Napoléon  pouvait  exposer 
la  mission  qui  l'attachait  à  sa  per- 
sonne, le  général  Becker  partit  et 
porta  la  kllre  au  gouvernement. 
La  confiance  du  général  fut  hono- 
rable sans  doute.  Celle  de  Napo- 
léon le  fut  davantage,  parce  qu'il 
avait  pris  envers  lui-n)ètne  tous 
les  engagemens  du  général  avec 
le  gouvernement.  Cette  anecdote 
Serait  une  graode  actioD  dans  uue 


NAP  55; 

vie  moins  pleine  que  celle  de  Na' 
poléon.  Il  se  réduisait  lui-même 
à  demander  à  ses  sujets  de  la  veil- 
le, par  l'entremise  du  sujet  qui 
le  gardait,  à  mourir  pour  la  Fran- 
ce ,  et  à  la  quilter  s'il  la  sauvait. 
Mais  Napoléon  avait  affaire  à  un 
homme  dont  Tame  aguerrie  de- 
puis long-temps  par  les  mitrailla- 
des de  Lyon  ne  s'était  reposée  de  ' 
la  terreur  que  par  les  abus  du 
pouvoir,  la  cupidité,  l'intrigue  et 
la  trahison.  Napoléon  écrivait  : 
«  J'offre  mes  services  comme  gé- 
»uéral,  me  regardant  encore  com- 
«me  le  premier  soldat  de  la  pa- 
rt trie.  1) — Est-ce  qu'il  se  moque  dr 
nous,  dit  Fouché;  d'ailleurs  Usera 
sans  doute  déjà  parli  y  et  il  est  à. 
présent  a  haranguer  les  soldats. 
Telle  fut  la  réponse  du  président 
de  la  commission.  Le  général 
Becker  se  rendit  garant  de  la  foi 
de  Napoléon.  Le  comte  Carnot 
fut  chargé  d'aller  à  la  Malmaison 
porter  à  Napoléon  la  pensée  du 
gouvernement  sur  sa  demande. 
Cette  journée  fut  très-orageuse. 
Napoléon  ne  voulait  pas  se  dessai- 
sir de  sa  passion  dominante.  Il 
avait  eu  encore  ses  chevaux  prêts 
pour  se  rendre  à  l'armée;  mais 
cédant  enfin  à  la  réponse  de  la 
comiVii«sion,  il  s'écria  :  «  Partons 
puisqu'il  le  faut.  Il  donna  des 
ordres  pour  son  départ,  et  il  en- 
voya à  Paris  pour  le  concerter 
avec  le  gouvernement.  Tout-à- 
coup  ne  pouvant  plus  résister  aux 
combats  qui  s'élevaient  dans  son 
Sme,  et  irrité  du  refus  des  mem- 
bres de  la  commision....  «  Pour- 
«quoi  les  laisserais-je  régner?  di- 
»  sait-il.  .l'ai  abdiqué,  pour  sau- 
ver la  France  ,  pour  sauver  le 
«trôn«  de  mon   fils.  Si  ce  trûue 


SàS 


>'AP 


»((i)itr;tre  perdu,  j'aime  mieux  le 
»  perdre  sur  le  champ  de  liataille 
»  qu'ici.  Je  n'ai  rien  de  mieux  à  faire 
»puur  vous  tous,  pour  mon  fils  et 
«pour  moi,  que  de  me  jeter  dans 
«les  bras  de  mes  soldats  :  mon  ap- 
«parition  Ibudniyera  les  étrangers, 
néloclrisera    l'armée.    Ils  sauront 
«que  je  ne  suis  revenu  su  rie  terrain 
«que    pour  leur  marcher   sur  le 
»  corps,  ou   me  faire  tuer,  et  ils 
«vous  accorderont, pour  se  délivrer 
»  de  moi,  tout  ce  que  vous  leur  de- 
»  manderez.  Si,  au  contraire,  vous 
»  melaissez  ici  ronger  mon  épée,ils 
»se  moqueront  de  vous,   et  vous 
»  serez    forcés    de    recevoir  Louis 
«XVIII  chapeau  bas.    Il   faut  en 
«finir  :  si  vos  cinq  empereuis  ne 
MveuleJit  pas  de  moi  pour  sauver 
»  la    France  ,    je   me    passeiai   de 
«leur  consentement.  Il  me  sullira 
»de  me  montrer,  et  Paris  et  l'ar- 
wmée  me  recevront  une  seconde 
nfois  en  libérateur.  «Après  un  tel 
discours  ,     qui    empêchait    dune 
îs'apoléoa  d'aller   lui-même  res- 
saisir le  commandement  de  l'ar- 
mée, où  l'on  s'atlendait  à  chaque 
instant    d'apprendie    qu'il    s'était 
rendu  !  La  guerre  était  pour  lui 
un  péril  connu.   Savait-il  ce  qui 
jxmvait  l'atteTidrc  ailleurs?  Ce  fut 
dins  de  telles  agitations,  souvent 
renouvelées,  que  ^e  passèrent  les 
derniers  niomens  de  Napoléon  à 
la   Malmaiion.   Le    jour   suivant, 
iiprès  une    longue   conversation, 
où    fut    dél)attu   le    parti    qui    lui 
restait  à  prendre,  il  lui  fut  i)ropo- 
sé  de  se  livrer  aux  étrangers,  et 
(l'acheter  par  ce  sacrifice  l'iadé- 
pendiince  de   la    France.  —  «  Ce 
«dévouement  serait  beau,  répon- 
ndit  Napoléon,  uniis  une  nidiou 
ï'de    50jOOO,ooo    d'hommes    qui 


NAλ 

«le  soulTrirait ,  serait  à  jamais  des- 
«  honorée.  »  Cette  belle  répon>e 
prouve  l'élévation  que  ce  grand 
caractère  avait  encore  conservée 
au  milieu  de  la  plus  déplorable  in- 
fortune. 

(Cependant  l'ennemi  faisait  des 
progrès,   et  les  environs  de  Paiis 
étaient  menacés.   Il   devenait  ur- 
gent de  soustraire  Napoléon  à  ce 
«ou veau  danger,  qui  en  était  un 
pour  le  gouvernement;  mais,  d'a- 
près une  dépêche  des  plém'poten- 
tiaires   envoyés    pour    traiter,    la 
c(»mmission  fut  instruite  eue  l'é- 
vasion   de  Napoléon   avant   l'issue 
des   iiéiiociulions ,    serait  regardée 
comme  un  acte  de  mauvaise  foi  de 
la    part  'des  plénipotentiaires ,    et 
pourrait  compromettre  '  essentielle- 
inent  le  salut  de  la  France.  En  con- 
séquence, elle  fit  une  seconde  fois 
déclarer  à  Napoléon  qu'il  devait 
attendre  pour  partir  l'arjivée  des 
sauf- conduits  ;    mais   pn    apprit 
que    Bliiclier   avait    déjii    envoyé 
des  partis  du  côté  de  Saint-Ger- 
-Uiain  ,  et  le  séjour  de  la  Malmai- 
son   pouvait   devenir  très-dange- 
reux d'un  moment  à  l'autre.  En- 
fin le   duc   de  Vel!ingt<ui   mit  fin 
aux  tergiversations  du  gouverno- 
uient    provisoire,     aux    anxiétés 
4le  Napoléon,  et  aux  inquiétudes 
de  ses  ennemis:   il  répondait  au 
gouvernement  qu'il  n'était  nulle- 
ment autorisé  à  donner  les  sauf- 
conduits  demandés.   Dès  ce  mo- 
ment, le  départ  fut  réordonné  de 
nouveau  par  la  commission,  qui 
ne  vit  plus  que  le  salut  de  iSapo- 
léon ,  et  prit  toutes    les  mesures 
convenables  pour    l'assurer   mê- 
me hors  de  France.  Lui-même  il 
prit  aussi  la  résolution  de  s'aban- 
donuer   à  la  fortune  et  aux  vents. 


NAl» 

Les  ordres  furent  tlonnés  pour 
Rochefort,  où  se  trouvaient  le? 
frégates  la  Saale ,  et  la  Méduse^ 
«pie  le  gouvernement  avait  fait 
armer  pour  transporter  Napoléon 
aux  Etats-Unis  d'Amérique.  Ceux 
qui  avaient  choisi  pour  destinée 
ladversilé  de  Napoléon,  se  pressè- 
rent autour  de  lui.  Leurs  noms 
sont  beaux  à  conserver.  Ils  sont 
devenus  inséparables  de  celui  de 
Napoléon.  Ce  sont  les  comtes  Ber- 
trand, Monlholon,  avec  leurs  fa- 
milles ,  Las-Cases  et  son  ûls,  le 
])aron  Gourgaud.  Tout  fut  prêt 
pour  le  départ.  Le  29  juin  Napo- 
léon avait  opposé  une  sorîe  de 
stoïcisme  aux  adieux  déchirans, 
aux  souvenirs  plus  déchirans  en- 
core de  la  .Malmaison  ;  u);iis  à 
cinq  heures  du  soir,  il  sentit  qu'il 
était  temps  _de  s'arracher  aux  au- 
tres et  à  Inî-même ,  et  il  se  jeta 
dans  la  première  voiture  qui  se 
trouva.  C'était  une  voiture  de 
suite.  La  sienne  fut  occupée  par  ses 
olficiers. 

Arrivé  à  Rambouillf  t,  et  c'était 
la  dernière  séduction  du  trône 
(ju'il  venait  de  perdre,  Napoléon 
voulut  passer  la  nuit  au  château. 
Son  projet  avait  été  cependant 
de  gagner  Rochefort  sans  s'arrê- 
ter; mais  il  s'y  arrêta  jusqu'à  1 1 
heures  du  matin  du  jour  suivant, 
où  il  n'Cut  un  courrier  de  Paris, 
par  lequel  on  lui  anuançail  qu'il 
ne  devait  plus  espérer  son  rappel 
à  la  tète  de  l'armée.  Jusque-là. 
Napoléon  s'yétait  encore  attendu! 
immédiatement  apré-,  il  partit  a- 
près  avoir  donné  des  ordres  pour 
qu'uue  partie  du  mobilier  lui  fût 
cuvo3'ée.  Arrivé  à  Niort,  il  y  trou- 
va   un    triomphe   populaire.    Su 


NAl» 


o.»9 


route  était  semée  d'écueils  pour 
son  courage ,  sans  compter  ceux 
qui  étaient  cachés  dans  les  replis 
de  son  âcne,  dont  le  profond  dé- 
sespoir rêvait  touj;)urs  de  nou- 
velles espérances.  Entraîn»^  par 
les  acclamations  dont  il  ét.iit  l'ob- 
jet de  la  part  de  la  population  et 
des  soldits  dans  la  pefet'«*rille  de 
Niort,  il  ordonna  au  général  Bec- 
ker  d'écrire  au  gouvernement. 
«  Dites- lui  qu'il  connaît  mal  l'es- 
nprit  de  la  France,  qu'il  s'est  trop 
«pressé  de  m'éloigner. ..;  que  je 
»  pourrais  encore,  au  nom  de  la  na- 
«tion,  exercer  une  grande  influen- 
i»ce  en  appuyant  le-  ncgocialions 
«par  une  armée,  à  laquelle  mou 
«nom    aurait   servi    de   point   d« 

»  ralliement Nous  espérons  que 

»  l'ennemi  vous  donnera  le  temps 
»de  couvrir  Paris,  et  de  voirl'isstie 
«des  négociations  :  Si  dans  cette 
n  situation  ta  croisière  anglaise  ar- 
e  réte  le  dcpart  de  l'empereur,  voi's 

«POLVRZ    'DISPOSER     DE     LUI     COMME 

«SOLDAT.  »  Napoléon  mendiait  la 
gloire  comme  une  aumône  , 
sans  laquelle  il  ne  pouvait  plus 
vivre.  Il  ne  faut  pas  chercher 
de  la  philosophie  dans  ce  caractè- 
re. Il  n'y  avait  pas  de  place  pour 
elle.  Le  malheur  ne  lui  convenait 
point.  Le  péril,  au  contraire,  lui 
souriait,  parce  qu'il  ne  faut  que 
de  la  ft)rce  pour  le  surmonter, 
'lant  qu'il  n'y  avait  qu'à  com- 
battre, Napoléon  était  sur  de  hii;' 
niais  il  n'avait  plus  qu'à  souf- 
frir! 

Enfin  il  arriva  à  Rochefort, 
où  il  trouva  les  issues  de  la  mer 
occupées  par  l'eimeini  :  la  veille 
encore  elles  étaient  libres.  Ainsk 
la  fuite  ellcniême,  devenue  tout- 


56o 


TSAP 


ù-coup  sa  plus  chère  esp«';rance, 
-jllciit  aussi  lui  être  refusée!... 

Ce  qui  s'est  passé  à  Paris  de- 
puis le  séjour  de  Napoléon  à  la 
rtlalmaison  et  depuis  son  départ, 
n'appartient  plus  ii  son  histoire. 

Le  8  juillet,  jour  où  Louis  XVIII 
faisait  sa  rentrée  dans  la  capitale, 
PSapoléoii  iiionta  à  bord  de  la  fVé- 
gule  la  Saale,  et  aborda  le  iende- 
îîiain  à  l'île  d'Aix.  Sou  habitude 
le  suivit  encore  dans  celte  premiè- 
re station  de  son  exil.  11  visita 
les  ouvrages»  fit  mettre  la  garni- 
son sous  les  armes,  et  y  fut  en- 
core empereur.  Le  lO,  la  croisiè- 
re anglaise  empêcha  d'appareil- 
ler. Le  11,  il  chargea  le  comte  de 
Las-Cases  d'aller  demandera  l'a- 
miral anglais  s'il  lui  permettrait 
de  suivre  sa  route  pour  l'Améri- 
que. L'amiral  répondit  qu'il  n'a- 
vait aucune  instruction  à  cet  é- 
gard,  mais  qu'il  recevrait  Napoléon 
à  so!i  bord,  et  le  conduirait  en 
Angleterre  s'il  le  désirait.  Mécon- 
tent de  cette  réponse,  Napoléon 
tenta  divers  moyens  de  s'échap- 
per, et  il  dut  bien  alors  regret- 
ter de  n'avoir  pas  profité  du  na- 
vire américain  que  le  duc  De- 
ccès  lui  avait  proposé  à  la  Mal- 
maison. Cependant  il  fit  encore 
la  même  faute  ;  car  ayant  appris 
qu'un  navire  de  cette  nation  é- 
tait  à  l'embouchure  de  la  Giron- 
do,  il  envoya  parler  au  capitai- 
ne, qui  se  mit  lui  et  son  bâ- 
timent à  sa  disposition;  mais  il 
était  de  sa  destinée  d'être  le  captif 
de  l'Angleterre  et  le  proscrit  de 
la  France,  après  avoir  été  la  ter- 
reur de  l'une  et  l'idole  de  l'autre. 
Lîne  faiblesse  pardonnable  sans 
doute  à  l'e.vGè»  de  sa  misère  lui 


NAP 

fit  embrasser  le  seul  parti  qu'il 
ne  devait  pas  prendre ,  et  il  céda 
aux  conseils  qui  lui  furent  don- 
nés dans  son  intérieur  de  se  li- 
vrer à  la  génésosité  anghiise,  et 
de  lui  demander  l'hospitalité  sous 
le  nom  du  général  Duroc.  Le  i^, 
il  fit  prévenir  l'amiral  anglais 
de  son  dessein.  Le  i5,  il  se 
rendit  à  son  bord.  Le  général 
Becker  le  suivit;  mais  au  moment 
d'aborder  le  vaisseau  anglais.  Na- 
poléon lui  dit  ces  belles  paroles  : 
«  Betirez-vous ,  général,  je  ne 
nvenx  pas  qu'on  puisse  croire 
«qu'un  Français  soit  venu  me  li- 
»vrer  à  mes  ennemis.  »I1  n'existe 
dans  toute  l'histoire  aucun  grand 
caractère  qui  n'eût  été  jaloux  de 
cette  noble  et  généreuse  pensée. 
Napoléon  n'avait  pas  d'autre  con- 
solation que  sa  propre  grandeur. 
Son  naturel  le  portait  moins  à 
s'élever  au  -  dessus  de  ses  maux 
qu'au-dessus  de  ceux  qui  les  cau- 
saient. Ce  fut  dans  ce  sentiment, 
qu'il  avait  écrit  de  Rochefort  au 
prince-régent  d'Angleterre  la  let- 
tre suivante,  dont  il  chargea  le 
général  Gonigaud. 

«  Altesse  royale, 

»En  butte  aux  factions  qui  divi- 
«sentnion  pays  et  à  l'ininnlié  des 
«plus  grandes  puissances  de  l'Iîu- 
arope,  j'ai  terminé  ma  ctrrière 
«politique,  et  je  viens  comme 
nThémistocle,  m'asseoir  au  foyer 
«du  peuple  britannique.  Je  me 
»  mets  sous  la  protection  de  ses 
«lois,  que  je  réclame  de  V.  A.  R. 
«comme  du  plus  puissant,  du  plus 
«constant  et  du  plus  généreux  de 
«mes  ennemis.  » 

Rocliefort ,    i3  juillet  i8i5. 


NAP 

La  coalition  se  chai:gea  de  !a 
réponse  du  prince-régent.  Napo- 
léon apprit  dans  la  rade  de  Ply- 
mouth  qu'il  était  prisonnier  de 
guerre,  et  qu'il  serait  renfermé  à 
Sainte  -  Hélène  !  Il  prolesla  en 
ces  termes  ;  «  Je  proteste  solen- 
nnellement  ici  ,  à  la  face  du" 
nciel  et  des  hommes  ,  contre  la 
«violence  qui  m'est  faite  ,  con- 
»tre    la   violation   de   mes   droits 

•  les  plus  sacrés,  en  disposant  par 

•  la  force  de  ma  personne  et  de 
»ma  liberté.  Je  suis  veau  libre- 
»  ment  à  bord  du  Bellérophon.  Je 

•  ne^uis   pas  prisonnier,  je  suis 

•  l'hôte  de  l'Angleterre.  J'y  suis 
avenu  à  l'instigation  même  du 
«capitaine,  qui  a  dit  avoir  des 
«ordres  du  gouvernement  de  me 
"recevoir  et  de  me  conduire  en 
«Angleterre  avec  ma  suite,  si  ce- 
))la  m'était  agréable.  Je  me  suis 
«présenté  de  bonne  foi,  pour  ve- 
»nir  me  mettre  sous  la  protec- 
»  tion  des  lois  d'Angleterre.  Aus- 
»tôl  assis  à  bord  du  Bellérophon , 
"je  fus  sur  le  foyer  du  peuple  bri- 
»tannique.  Si  le  gouvernement 
«en  donnant  des  ordres  au  capitai- 
BDC  du  Bellérophon,  de  me  rece- 
»  voir  ainsi  que  ma  suite,  n'a  vou- 
»lu  que  me  tendre  une  embûche, 
»il  a  forfait  à  l'honneur  et  flétri 
«son  pavillon.  Si  cet  acte  se  con- 
»  sommait,  ce  serait  en  vainque 
«les    Anglais    voudraient    parler 

•  désormais  de  leur  loyauté,  de 
'>  leurs  lois  et  de  leur  liberté.  La 
"foi  britannique  se  trouvera  per- 
odue  dans  l'hospitalité  du  Bclléro- 
nphon.  J'en   appelle  à  l'histoire. 

•  Elle  dira  qu'un  ennemi,  qui  fit 
I)  vingt  ans  la  guerre  au  peuple  an- 
»  glais,  vint  librement  dans  son  in- 
»  fortune  chercher  un  asile  sous  ses 

T.    XIT. 


NAP  56 1 

«lois.  Quelle  plus  éclatante  preu- 
»Ye  pouvait-il  lui  donner  de  sou 
«estime  et  de  sa  confiance  ?  Mais 
«comment  répondit-on,  en  Angle- 
»  terre,  à  une  telle  magnanimité? 
»0n  feignit  de  tendre  une  main 
»  hospitalière  à  cet  ennemi  ;  et 
•  quand  il  se  fut  livré  de  bonne 
»foi,  on  l'immola.  »      Napoléon. 

A   bord  du  Bellérophon  ,  à 
la  mer. 

Cette  protestation  eut  le  sort 
de  la  lettre  au  prince-régent ,  et 
l'hospitalité  du  Bellérophon  de- 
vint la  captivité  sur  le  Northum- 
berland .  où  Napoléon  fut  trans- 
féré le  iG.  On  mit  à  la  voile.  Les 
vents  furent  favorables  à  la  ven- 
geance des  rois.  Le  17,  Napoléon 
passa  en  vue  du  cap  La  Hogue 
et  fit  ces  adieux  à  la  France  : 
«  Adieu,  terre  des  braves!  Adieu, 
«chère  France!  quelques  traîtres 
»de  moins  et  lu  serais  encore  la 
«grande  nation  et  la  maîtresse 
I)  du  monde  !...  >> 

Trois  mois  après,  le  17  octobre, 
00  lui  fit  apercevoir  les  rochers 
qu'il  allait  habiter.  Le  i8,il  descen- 
dit,  pour  ne  jamais  la  quitter, 
sur  la  terre  meurtrière  de  Sainte- 
Hélène  ! 

i8i5,  i8it),  1817,  1818, 
1819,  1820,  1821. 

Ainsi  finit  Napoléon.  L'histoire 
voudrait  le  suivre  sur  le  rocher 
de  Sainte-Hélène.  Mais  elle  ne 
trouve  pas  de  place  dans  l'hum- 
ble habitation  de  Longwood  pour 
y  continuer  le  récit  des  dernières 
années  de  Napoléon  Bonaparte. 
Repoussée  par  la  tyrannie  qui  ré- 
trécit chaque  jour  l'isolement  du 
captif,  elle  n'a  pu  sai.sir  que  les 
56 


5G-2 


NAl» 


plaintes  de  quelques  compagnons 
dont  rafiection  a  été  arrachée 
à  Napoléon.  Elle  a  su  que  dans 
les  intervalles  des  viles  persécu- 
tions qui  mesurèrent  pendant  près 
de  six  ans  l'air,  l'eau  et  la  terre 
au  maître  du  monde  ,  il  a  eu 
le  courage  de  remplir  à  Sainte- 
Hélène  la  promesse  de  l'île  d'El- 
be. «  J'écrirai  les  <:randes  choses 
Il  que  nous  avons  faites.  «Jusqu'à 
ses  derniers  momeiis,  tout  a  été 
inconnu  à  l'histoire.  Elle  n'a  pu 
être  admise  qu'à  son  lit  de  mort. 
La  victime  ne  pouvait  plus  échap- 
per. La  surveillance  à  la  fin  s'é- 
tait endormie  avec  l'illustre  captif. 
Elle  a  pu  alors  recueillir  quel- 
ques anecdotes,  quelques  frag- 
mens  de  cette  grande  vie,  qui 
s'éteignait  au  sein  des  mers,  après 
avoir  éclairé  le  monde. 

Trois  mois  avant  la  mort  de  Na- 
poléon,une  comète  parut  à  Sainte- 
Hélène;  chacun  s'empressa  d'aller 
la  voir  et  d'en  parler  à  Napoléon, 
dont  le  silence  ne  tut  remarqué 
que  par  un  seul  de  ses  olïiciers , 
qui  seul  aussi  ne  lui  avait  point 
parlé  de  celte  comète.  «  Vous 
«m'avez  compris ,  vous,  lui  tlit- 
»il.  «Napoléon,  de  qui  un  poète 
avait  dit  : 

Les  grands  hommes  sont  tes  aïeux  , 

avait  songé  à  la  comète  qui  parut 
avant  la  mort  de  Jules-César,  et, 
selon  lui,  celle  de  Sainte-Hélène 
prophétisait  sa  fin.  Une  mélan- 
colie héroïque  accompagna  ses 
derniers  jours.  «  J'ai  eu  ,  dit  -  il 
«quelque  temps  après,  un  songe 
«dont  l'image  me  poursuit.  J'ai 
»  vu  Joséphine  paréede  gloire  dans 
»le  ciel. — Ta  place  est  ici,  près 
«de  moi,  ?n'a-t-elle  dit.   Dans  un 


NAP 

»  mois  tu  seras  heureux  à  jamais.  « 
Si  César,  Alexandre  et  Charlema- 
gne  étaient  ses  aïeux  ,  Ossian 
était  son  poète  aussi -bien  que 
Corneille.  Il  était  trop  épris  de 
sa  propre  grandeur  pour  ne  pas 
croire  à  l'immortalité  dfe  l'âme. 
Il  rendit  l'hommage  du  chrétien 
à  ce  dogme  consolateur.  La  veille 
de  sa  moit,  et  à  l'insu  de  ses  pre- 
miers olïiciers,  l'autel  se  trouva 
dressé  dans  la  pièce  voisine  de  sa 
chambre  mortuaire.  11  reçut  le 
viatique.  Il  avait  tout  ordonné 
lui-n)ême  sans  passer  par  ses  in- 
termédiaires. Un  simple  valet  de 
pied  avait  de  sa  part,  et  sous  le 
sceau  du  secret,  averti  le  ohape- 
pclain,  et  à  l'heure  indiquée,  Na- 
poléon se  trouva  seul  avec  le 
prêtre  pour  ne  donner  à  cet  acte 
d(!  sa  dernière  abdication  aucun 
témoin  de  sa  fortune  passée. 

La  maladie  dont  Napoléon  est 
mort  est  la  maladiede  Sainte-Hélè- 
ne. Il  n'a  pas  été  malade  sept  se- 
maines comme  le  dit  la  dépê- 
che du  gouverneur  sir  Hudson 
Lowe.  Il  a  été  malade  pendant 
cinq  ans.  La  correspondance  et 
la  relation  de  son  chirurgien  , 
le  docteur  O'Méara,  ainsi  que  les 
rapports  de  son  successeur,  le  doc- 
teur Stokoe,  prouvent  que  Napo- 
léon était  déjà  dangereusement 
malade  en  1818.  Au  mois  de  juin 
de  cette  année,  M.  O'Méara  de- 
mandait ,  en  raison  de  l'étal  du 
patient,  l'avis  d'tm  autre  méde- 
cin.—  L'expression  si  énergique 
de  patient  avait  été  proposée  par 
le  grand -maréchal  Bertrand  et 
acceptée  par  le  gouverneur  sir 
Hudson  Lowe,  en  remplacement 
des  qualifications  d'empereur  et 
de  géiiérnl,  dont  l'une  était  refu- 


NAP 

Ȏe  par  les  Anglais  t't  l'autre  par 
Jcs  Français. 

Le  28  octobre  1818,  le  docteur 
O'Méara  écrivit  au  secrétaire  de 
rainirauté  la  lettre  suivante,  qui 
d'après  les  lumières  et  la  probité 
si  reconnues  de  cet  honorable 
chirurgien  ,  est  devenue  un  docu- 
ment historique  de  la  plus  haute 
importance.  »  Je  pense  que  la  vie 
»de  Napoléon  Bonaparte  est  en 
«dangers'il  réside  pluslong-temps 
«dans  nn  climat  tel  que  celui  de 
«Sainte- Hélène  ;  surtout  si  les 
«périls  de  ce  séjour  sont  aggravés 
»par  la  continuité  de  ces  contra- 
is riétés  et  de  ces  violations  aux- 
»  quelles  il  a  été  jusqu'à  présent 
«assujéli,  et  dont  la  nature  de  sa 
H  maladie  le  rend  particulièrement 

•  susceptible  d'être  affecté. 

0'MÉ\RA  . 

dernier  chirurgien  de  Napoléon. 

Dans  une  lettre  à  S.  S.  le 
comte  Bathurst,  M.  O'iMeara  é- 
crivait  en  juin   1820: 

«  V.  S.  me  rendra  la  justice 
'  de  se  rappeler  que  la  crise  actuel- 
j'Iement  arrivée  a  été  prédite  par 
»  moi,  et  ofliciellement  annoncée 
i>à  rainirauté  à  mon  retour  de 
«Sainte  -  Hélène  en  1818.  Un 
"temps  bien  court  a  trop  malheu- 
«>reusement  justifié  une  opinion 
«que  le  simple  bon  sens  suffisait 
«pour  faire  prononcer,  et  que  la 
»  probité  la  plus  ordinaire  obligeait 
«de  divulguer.  Cette  opinion  était 
»  que  la  mort  prématurée  de  Napo- 
^léon  était  aussi  certaine,  sinon 
>)  aussi  prochaine,  si  le  même  traile- 
»menl  était  continué  à  son  égard, 

•  quesion  ratait  livréau  bourreau.  » 
Le  digne  M.  O'Méara  sollicitait 
par  la  tnêtne  lettre  de  retourner 


NAP 


f,G3 


soigner  à  Sainte-Hélène  Napoléon, 
dont  il  avait  penîant  trois  ans  étu- 
dié la  constitution.  Il  demandait 
à  partir  gritnitement  et  même  à 
résider  11  ses  frais  a  après  du  patient. 
Lord  Barhurst  refusa.  Napoléon 
mourut. 

Le  gouvernement  anglais  é- 
lait  sulfisamment  instruit  de 
l'état  mortel  où  était  son  captif, 
par  une  lettre  pressante  du  comte 
Bertrand  à  lord  Liverpool,  sous 
la  date  du  2  septembre  18.40,  trois 
mois  après  celle  du  bon  docteur 
O'Méara.  Le  17  mars  1821,  le 
comte  de  Montholon  écrivait  à  la 
princesse  Borghèse,  «  que  la  ynala- 
«  die  de  foie  dont  Napoléon  était 
»  attaque  depuis  plusieurs  années, 
»et  qui  est  endémiqiie  et  mortelle  à 
>i Sainte-Hélène  ,  avait  fuit  depuis 
')six  mois  des  progrès  effrayans; 
■) qu'il  ne  pouvait  marcher  dans 
«son  appartement  sans  être  soute- 
»nu....  A  sa  maladie  de  foie  se 
«joint  une  autre  maladie  égale- 
«ment  endémique  dans  cette  île. 
«Les  intestins  sont  gravement  atta- 
iiqués —  M.  le  comte  Bertrand  a 
«écrit  au  mois  de  septembre  à 
«lord  Liverpool,  pour  deraandfr 
«que  l'empereur  soit  changé  de 
«climat,  et  lui  faire  connaître  le 
«besoin  qu'il  a  des  eaux  minérales. 
«  Le  gouverneur  sir  Hudson  Lowe 
»  s'est  refusé  à  faire  passer  cette-  tet- 
»  tre  à  son  gouvernement  sous  le  vain 
»  prétexte  que  le  titré  d'empereur 
«y  était  donné  à  sa  Majesté.  L'em- 
apereur  compte  sur  V.  A.  pour 
«faire  connaître  à  des  Anglais  in- 
«fluens  l'état  véritable  de  sa  ma- 
nladie.  Il  meurt  sans  secours  sur 
«cet  aflreux  rocher.  Son  agoniu 
«est  effroyable.  «  — Le  11  juilb't 
1821,  la  princesse   Borghèse  é- 


5g:i 


NAt' 


Clivait  à  lord  Livorpool  pour 
oLiienir  la  permission  d'aller  re- 
cevoir les  derniers  soupirs  de  son 
frère. 

n  Je  sais  ,  niilord,  que  tous  les 
»momens  de  la,  vie  de  l'empereur 
»sonl  comptés,  et  je  me  reproche- 
»rais  éternellement  de  n'avoir 
>ipas  employé  tous  les  moyens 
«qui  peuvent  dépendre  de  moi 
«pour  adoucir  ses  derniers  mo- 
«  mens —  »  La  princesse  apprit 
bientôt  après  que  depuis  le  5 
mai  son  frère  n'était  plus;  mais 
sa  généreuse  résolution  de  quitter, 
les  délices  de  l'Italie  pour  aller 
fermer  les  yeux  à  son  frère  à  qua- 
tre mille  lieues  de  l'Europe,  sous 
un  climat  pestilentiel  ,  mérite 
d'être  attachée  aux  derniers  mo- 
lîiens  de  ce  grand  homme,  qn'el- 
1<!  avait  été  consoler  à  l'île  d'Elbe. 
{t^oy.  Pauline BoRGHîîSE.)  Oui,  les 
derniers  momens  de  JNapoléon 
furent  aussi  grands  que  les  plus  bel- 
les phases  de  sa  vie.  Lui  seul  de- 
puis long- temps  avait  le  secret 
de  sa  mort,  et  il  souriait  de  pitié, 
ou  plutôt  de  compassion,  à  ceux 
qui  en  doutaient.  «  Poavez-vous 
^) Joindre  cela,  »  dit-il  à  M.  Monk- 
honse,  officier  anglais,  après  avoir 
coupé  en  deux  le  cordon  de  la 
sonnette  de  son  lit? —  «Aucun 
»  remède  ne  peut  me  guérir,  mais 
»ma  mort  sera  un  baume  salutai- 
»  re  pour  ines  ennemis.  J'aurais 
«désiré  de  revoir  ma  femme  et 
nmon  ûls,  mais  que  la  volonté  de 
»  Dieu  soit  faite!  —  Il  n'y  arien 
»de  terrible  dans  la  mort  :  elle  a 
M  été  la  compagne  de  mon  oreiller 
«pendant  ces  trois  semaines ,  et 
«à  présent  elle  est  sur  le  point  de 
«s'emparer  de  moi  pour  jamais. — 
»Les  monstres  me   font-ils  assez 


IVAP 

«souffrir!  Encore  s'ils  m'avaient 
«fait  fusiller,  j'aurais  eu  la  mort 
«d'un  soldat. — J'ai  fait  plus  d'in- 
»  grats  qu'Auguste;  que  ne  sui-î-jc 
ncon)mc  lui  en  situation  de  leur 
•.pardonner!  »  La  veille  de  sa  mort 
il  fredonna  plusieurs  fois: 

O  Richard  !  ô  mon  roi  ! 
L'univers  t'abandonne  : 

La  maison  nouvelle  destinée  à 
Napoléon  venait  d'être  terminée, 
«  Elle  me  servira  de  tombeau,  i> 
dit  -  il  ;  et  en  effet,  on  en  prit  les 
pierres  pour  bâtir  le  caveau  oii  il 
repose. 

Le  17  mars  avait  commencé  la 
crise  qui  devait  l'emporter  deux 
mois  après. — Là,  c'est  là,  disait- 
il  en  montrant  sa  poitrine.  Le  doc- 
teur Antomarchi  lui  présenta  un 
flacon  d'alkali.  «  Oh,  non,  ce  n'est 
«pas  faiblesse,  s'écrie  Napoléon, 
«c'est  la  force  qui  m'étouffe,  c'est 
«  la  vie  qui  me  tue.  »  Puis  il  s'élan- 
ça à  une  fenêtre  ouverte,  et  re- 
gardant le  ciel  ittiy  mars  ,  dit-il , 
»à  pareil  jour,  il  3'  a  6  ans  (il  é- 
lait  (ïAuxerre  venant  de  L'Ile  d'El- 
be,) il  y  avait  des  nuages  au 
«ciel!  Ah!  je  serais  guéri ,  si  je 
«revoyais  ces  nuages!»  Il  saisit 
la  main  du  docteur,  et  l'appuyant 
sur  son  estomac  :«  C'est  un  cou- 
rt teau  déboucher  qu'ils  ont  mis  là, 
«et  ils  ont  brisé  la  lame  dans  la 
«plaie.  •)  Plusieurs  jours  avant  sa 
mort,  il  fit  placer  au  pied  de  son 
lit  le  buste  de  son  fds ,  qui  reçut 
son  dernier  regard  et  son  dernier 
soupir. 

On  trouva  quelques  papiers  dé- 
chirés parNapoléon.  Ces  tVagmens 
sont  précieux  comme  étant  plus 
confidentiels  encore  que  ses  paro- 
les, puisqu'il  les  détruisit  après 
les  avoir  tracés,  c  Ils  n'y  enten- 


NAP 

«dent  rien.  Pylore,  obstruclion  , 
"hépatite,  hépatocèle  ;  je  crois 
rt  mêiue  qu'ils  ont  dit  hépatouipha- 
»le  :  science  de  mot?  qui  caclie 
"l'ignorance  de  lacho«e.  Docteur. 
»  voulez-vous  savoir  quelle  est  ma 
»  maladie  ?  c'est  un  Waterloo  len- 
»tré.  » 

«'  Le  café  fort  et  beaucoup  me 
«ressuscite.  Il  cause  une  cuisson 
«interne,  im  rongement  singulier, 

•  une  douleur  qui  n'est  pas  sans 
nplaisir.  J'aime  mieux  souffrir  que 
ode  ne  point  sentir.  — Mon  mal 
nme  naord,  je  pense  que  les  insec- 
»tes  éclos  de  la  fange  contre-révo- 
ulutionnaire  bourdonnent;  que, 
«nouveau  Promélhée ,  je  suis 
«cloué  à  un  roc  où  un  vautour 
>^me  ronge!  -Oui.  j'avais  dérobé 
!)le  feu  du  ciel  pour  en  doter  la 
I)  France  :  le  feu  est  remonté  à  sa 
nsource,  et  me  voilà! — L'amour 
ode  la  gloire  ressemble  à  ce  pont 
«que  Satan  jette  sur  le  chaos  pour 

•  passer  de  l'enfer  au  paradis  : 
»la  gloire  joint  le  passé  à  l'avenir, 
ndont  il  est  séparé  par  un  abîme 
«immense;  mais.... Rien  à  mon 
nuls,  que  mon  nom. — Mon  dieu! 
rtLa  nation  française...  Mon  fils... 
«France,  France...  »  furent  les 
derniers  mots  qu'il  prononça,  à 
7  heures  du  matin,  le  samedi  5 
mai ,  jour  de  sa  mort.  Onze  heu- 
res après,  il  expira.  Il  n'était  âgé 
que  de  5i  ans  et  8  mois.  Son 
visage  était  calme  comme  son  â- 
me.  «  Je  suis  en  paix  avec  tout  le 
»  genre  humain,  avait-il  ditia  veil- 
«le.  »  Et  en  eflét,  après  cinq  années 
de  tortures,  il  pouvait  croire  avoir 
expié  les  maux  que  son  ambition 
uyait  faits  à  l'Europe. 

D'après  le  désir  manifesté  par 
Napoléon,   son  corps  fut  ouvert 


NAP 


565 


par    les    chirurgii^ns  anglais.  '  Le 
cœur  et  l'estomac  en  furent  dis- 
traits, et  renfermés  dans  des  cou- 
pes d'esprit   d'*   vin.   Après  cette 
opération,  le  corps  fut  habillé  de 
l'uniforme  des  chasseurs  à  cheval 
delà  garde  impériale,  couvert  de 
toutes  les  étoiles  des  ordres  que 
Naooléon    avait    créés    bu    reçus 
pendant  son  règne.  Dans  cet  étal, 
il   fut  exposé  sur  son  lit,  qui  lui 
servit  de  lit  de  panide,  et  son  corps 
était  étendu  sur  le  manteau  bleu 
de   Marengo,    devenu    sou    drap 
mortuaire.  — •  Ces  rapprochemens 
sont   éloquens    par   eux-mêmes. 
Le  captif  des  rois  allait  descendre 
dans  la  tombe  avec  toutes  les  dé- 
corations de  la  royauté  européen- 
ne, et  le  lit  de  fer  sur  lequel  il  se 
reposa  pendant  vingt  ans   des  ^9 
batailles  rangées,  dans  lesquelles 
il  les  avait  tous  vaincus,  devenait 
un  lit    funèbre,    autour    duquel 
la  religion  et  la  vénération  histori- 
que rassemblaient  au  sein  des  mers 
le  respect  d'un  état-major  britan- 
nique et  les  regrets  d'une  famille 
fratjcaise! 

Napoléon  resta  exposé  le  6  elle 
7  mai.  La  tyrannie  du  gouverneur 
Lowe  avait  expiré  avec  le  patient. 
Il  fut  permis  à  tout  Anglais  de 
contempler  mort  l'hôte  du  Bellé- 
roplion!  Le  8,  il  fut  embaumé. 
Le  corps  fut  revêtu  de  l'uniforme 
et  des  décorations  qu'il  avait  sur 
le  lit  de  parade,  et  renfermé  ainsi 
dans  un  cercueil  de  plomb.  Le 
9  mai  eut  lieu  la  pompe  funèbre 
dans  l'ordre  suivant  :  Napoléon 
Bertrand,  fils  aîné  du  grand  maré- 
chal ;  l'aumônier,  revêtu  de  ses 
habita  sacerdotaux;  le  docteur 
Arrioft  ,  médecin  de  Napoléon. 
Le   corps    dans  une   voilure   de 


666 


NAl» 


deuil,  attelée  de  quatre  chevaux.- 
Douze  grenadiers   anglais,   pour 
descendre  le  cercueil  au  bas  de  la 
colline  :  le  cheval  de  Napoléon  : 
les  comtes  Bertrand  et  Montholon 
portaient  les  coins  du  drap  mor- 
tuaire, de  ce  manteau  de  iVIaren- 
go  :  sur  le  cercueil  était  l'épée  de 
Napoléon.  La  comtesse  Bertrand 
suivait  en    voiture   avec   sa  fille. 
Des  deux  côté?  et  derrière  étaient 
les  domestiques  de  Napoléon;  là, 
finissait  la  famille  française  ;  ve- 
naient ensuite  un   groupe  d'ofli- 
ciers  de  marine  et  d'ctat-major 
anglais;  les  meiribres  du  conseil- 
de  l'île;  le  général  Coffin;  le  mar- 
quis de  Montchenu ,  commissaire 
du  roi  de  France  et  de  l'empereur 
d'Autriche;  l'amiral  et  le  gouver- 
neur sir  Hudson  Lowe ,  le  héros 
de  U  pompe  funèbre  de  Napoléon. 
Lady   Lowe  et  sa  fille; en  grand 
deuil  suivaient  en  voiture.  Trois 
mille  hommes  recurent  le  corps 
au, sortir  de  Longwood;  Arrivé  au 
tombeau,  le  cercueil  reçut  la  bé- 
nédiction du  prêtre.    Les  coupes 
renfermant  le  cœur   et  l'estomac 
furent  déposées  dans  le  cercueil, 
lequel    fut    des(;endu    dans    une 
chambre  pratiquée  sous  un  caveau 
de  pierre.  Douz.e  salves  d'artille- 
rie apprirent  à  l'Océan  que  Napo- 
léon   n'existait   plus.    Une   garde 
d'officiers  anglais  est  chargée  de 
vqillçr  sur  le   tombeau. 
•    Le  lieu  où  Napoléonrçpos^î  est 
un  site  trés-romantique,  ,au  fond 
d'ime    petite    vallée,   Géranium' s 
vallée.  Auprès,  coule  un  filet  d'eau 
limpide,   qui  descend   du  Pic- de 
Didîie;  au-dessus  est  Huts  Gqté; 
la   porte   de   la  cabane,  première 
habitation     du     grandi- niaréchal 
Bertr.'tqd.  Dans  le  commencemer^t 


NAP 

de  l'exil,  celle  vallée  était  un  de» 
repos  favoris  des  promenades  de 
Napoléon;  ce  lieu  lui  plaisait,  et 
un  sentiment  élégiaque  l'y  attirait 
souvent.  «  Si  je  dois  niourir  sur  ce 
«rocher,  dit-il  un  jour  au  général 
«Bertrand,  failes-moi  enterrer  près 
»  de  ce  ruisseau  au-dessous  de  ces 
«saules.  » — L'aspect  tranquille 
d'un  sile  de  la  nature,  qui  seule 
lui  élail  hospitalière,  devait  après 
tantd'agitations  répandre  un  char- 
me puissant  sur  cette  âme  encore 
si  peu  connue.  Celle  petite  scène 
du  grimd  tableau  de  la  vie  de  Na- 
poléon n'en  est  pas  moins  inléres- 
sante.  Après  la  mort  de  Napoléon, 
les  généraux  Bertrand  et  Montho- 
lon se  ressouviurent  de  la  vallée  du 
Géranium.  Le  testament  porte , 
V  je  désire  être  enterré  sur  les  bords 
^}de  la  Seine,  au  milieu  des  Fran- 
nçais  que  j'ai  tant  aimés.  »  Mais  au 
congrès  d'Aix-la-Chapelle,  où 
l'on  avait  tout  prévu,  il  avait 
été  décidé  que  Napoléon  se- 
rait enterré  à  Sainte  -  Hélène. 
Ni  les  ;  réclamations  des  géné- 
raux Bertrand  et  Montholon,  qui 
invoquèrent  le  traité  de  Paris,  ni 
les  instances  de  la  famille  Bona- 
parte, qui  sollicita  la  permission 
de  transporter  à  Rome  le  corps 
de  son  cheC,  ne  purent  rien  chan- 
ger à  la  décision  du  congrès,  dont 
Hudson  Lowe  prescrivit  impérieu- 
sement l'exécution.  Ce  fut  alors 
que  ce  premier  vœu  de  Napoléon 
pour  sa  sépulture  revint  à  la  mé-' 
moire  de  ses  amis,  heureux  encore 
de  pouvoir  tromper  la  rigueur  de 
l'arrêt  européen,  en  désignant /« 
pallée  du  Géranium  pour  le  dernier 
asile  du  patient  de  Sainte-Hélène  ! 
Il  j;  a  peut-être  un  beau  livre 
à  écrire  syr  les  6  nonée^  de  Sain- 


NAl» 

te- Hélène.  Le  comte  de  Las-Ca- 
ses a  publié  d'utiles  matériaux  à 
cet  éffard  dans  les  huit  volumes 
qu'il  a  livrés  ù  Timpatieuce  et  a 
l'avidité  de  l'Europe.  IMais  n'ayant 
séjourné  que  lo  mois  à  Sainte- 
Hélène,  ses  mémoires  ne  présen- 
tent pour  la  partie  anecdotique, 
qui  seule  est  du  ressort  de  l'his- 
toire ,  que  des  souvenirs  incom- 
plets. Les  deux  volumes  de  l'ho- 
norable docteur  O'.Méara,  écrits 
en  grande  partie  sous  la  dictée 
de  Napoléon,  renferment  égale- 
ment les  matériaux  les  plus  pré- 
cieux, et  ont  obtenu  un  grand 
crédit  en  Europe.  Toutefois  on  a 
le  droit  ou  au  moins  le  désir,  d'at- 
tendre un  ouvrage  plus  complète- 
ment et  plus  émineiriment  histori- 
que sur  la  période  de  Sain  le- Hé- 
iV-ne.  Les  mémoires  publiés  par  le 
général  Montholon.  ceux  publiés 
par  le  général  Gourgaud,  malgré 
leur  immense  et  universel  intérêt, 
ne  suffisent  pas  pour  combler  la 
Lacune  qui  reste  encore.  Ils  ne  fi- 
gurent dans  un  séjour  de  prés  de  6 
années  que  comme  une  partie  de 
l'emploi  du  temps  Je  Napoléon. 
Leur  objet  jusqu'il  présent  est  tout 
en  dehors  de  sa  captivité, et  ne  pré- 
sente que  d'importantes  incursions 
ou  sur  le  paesé,  ou  sur  ce  qtie  le 
présent  pouvait  lui  offrir  de  digne 
de  ses  méditations  dans  le  mon- 
de européen.  Les  jugemens  de 
Napoléon  sur  les  hommes  et  sur 
les  choses  dans  les  quatre  ouvra- 
ges que  nous  venons  île  citer  peu- 
vent se  ressentir  ou  de  la  tyran- 
nie sous  laquelle  il  gémissait,  ou 
de  quelques  passions  privées  ,  ou 
de  quelques  intérêts  futurs,  ou 
enfln  de  l'absence  des  matériaux 
nécessaires  pour  leur  donner  la  lé* 


NAP 


567 


galisalion  historique.  Ils  portent, 
et  notamment  les  recueils  des  gé- 
néraux 3Iontholon  et  Gourgaud , 
le  cachet  de  l'homme  supérieur 
qui  les  a  dictés,  et  jettent  sur  les 
époques  politiques  et  les  èvéïie- 
mens  militaires  de  sa  vie,  un 
grand  éclat  et  une.  juste  recom- 
mandation. Mais  ce  qui  manque 
pour  corupléter  les  matériaux 
d'une  histoire  de  Napoléon,  c'est 
un  journal  de  Sainte-Hélène  pen- 
dant six  ans,  c'est  la  confession 
du  Patient,  écrite  non  par  un  phi- 
losophe, encore  moins  par  un 
courtisan,  mais  par  un  témoin  as- 
sidu, par  un  esclave,  si  on  peut 
le  dire,  de  la  pensée  de  cet  hora  « 
me  extraordinaire.  Lui-même  a 
essayé  quelques  révélations  sur  sa 
vie  d'Europe;  mais  comme  sur  le 
rocher  de  Sainte-Hélène,  il  ne  ces- 
sa jamais  im  seul  moment  d'êti-e 
einpereur  et  de  se  rroire  toujours 
en  présence  de  l'histoire  ,  le  lec- 
teur se  trouvtf  quelquefois  partagé 
entre  le  respect  qu'il  porte  A  Napo- 
léon et  sa  propre  conscience.  Il  voit 
dansce-i  importantes  pages  sur  cer- 
tains événemens  de  la  révolution, 
sur  certaines  opérations  ou  militai* 
res,  on  politiques,  ou  administrati- 
ves ,  plutôt  le  reflet  d'une  grande 
pensée  sur  l'avenir  que  les  aveux 
de  la  mémoire.  Le  souvenir  était 
trop  p.jresseux  pour  l'action  per- 
pétuelle de  l'esprit  <le  Napoléon  , 
et  quand  i!  croyait  se  rappeler,  il 
inventait. A  Saifite-Hélène  surtout, 
il  se  pressait  de  vivre,  et  il  espéra 
toujours  en  sortir,  non  par  la  for- 
ce ou  par  un  complot  d'évasion 
(il  refusa  constamment  de  pren- 
dre un  semblable  parti),  mais  par 
une  délibération  des  rois  de  l'Eu- 
rope. Une  telle  illusion  le  caraclé- 


5G8 


NAP 


rise  piirticulièremeiit.  «  Je  pense, 
»  disait-il  au  docteur  O'Méura,  que 
"dès  que    les  affaires  de  France 
"seront  réglées,  et  que  tout  sera 
«tranquille,  le  gouvernement  an- 
"glais  me  permettra  de  retourner 
»en  Europe  et  de  finir  mes  jours 
»en    Angleterre.     »    L'hospitalité 
anglaise  dans  la  Grande-Bretagne 
était  devenue  une  idée  fixe  pour 
Nappléon  depuis  l'embarquement 
de    Kochefort.    Sa  passion    était 
de  devenir  le  citoyen  de  la  terre 
la  plus  ennemie  de  sa  gloire.  Ce 
genre   de    torture    avait   échappé 
au  D.mte  dans  son   inlei-nale  co- 
médie. Dans  la  persuasion  que  Na- 
poléon nourrissait  de  son  rappel 
infaillible  en  Europe,  il  se  tenait 
toujours  en  haleine  dans  sa  cap- 
tivité pour  le  rôle  qu'une  modifi- 
cation quelconque  dans    son    in- 
fortune pouvait  lui  permettre.   Il 
n'ajamaiseu  de  lacune  à  cet  égard 
vis-à-vis  de  lui-même,  et  les  com- 
pagnons de  sa   captivité   en  sont 
les   témoins    irrécusables.    L'éti- 
quette,   qui    probablement   avait 
l'ait  refuser  l'embarquement  l'urlif 
du  Havre  et  celui  de  la  Gironde, 
l'avait   suivi   sur   le  Bellérophon, 
avait  passé  avec  lui  sur /eiVor//mm- 
ber/and ,   et  le  palais  s'exila  avec 
Jui  à  Longwood.   Honneur  à  ces 
Français   généreux  qui  ont  chéri 
pendant  6  ans  sous  le  climat  pes- 
tilentiel de  Sainte-Hélène,  la  con- 
dition de  leur  servitude  domesti- 
que!  Honneur  à   eux!    L'histoi- 
re   les    remercie   d'avoir   respec- 
té jusqu'au  dernier  moment  cet- 
te faiblesse  du  roi  de  leur  captivi- 
té !  Le  testament  par  lequel  Napo- 
léon reconnaît  leur  devouetnent , 
la    disposition    si    religieusement 
suivie    par  eux,  par  laquelle  il  a 


NAP 

placé  la  fidélité  du  valet-de-cham- 
bre Marchand  à  côté   de  la  leur, 
celle  aussi,  quelque  étrange  quel- 
le puisse  être  de  la  part  d'un  cap- 
tif,   par   laquelle  il  doime   à  cet 
homme  excellent  le  titre  f\e  com- 
te  et   l'engage  à  épouser  la  fille 
d'un  des    généraux  de  sa  garde  ; 
ces   volontés    donnent  la  preuve 
singulière  que  jamais  le  caractère 
de  Napoléon   n'a    varié    un   seul 
instant  jusqu'au  dernier  de  sa  vie, 
ni  vis-à-vis   de  ses  compagnons, 
qui  furent  toujours   pour  lui  des 
sujets  ,     ni    vis  -  à  -  vis    de    lui- 
mi^uie  ,  qui  régnait  à  Longwood. 
Mais  malgré  cet  empire  exclu- 
sif que  l'amour  de  la  doininalion 
exerça   sur  lui  même.  Napoléon 
était  homme  au  moins  en  secret, 
et  de  louchans  souvenirs,  gravés 
profondément  dans  son  cœur,  ho- 
norent   aussi    ses    dernières    vo- 
lontés.   Personne    ne   fut   oublié 
dans  ce  testament,  que  quelques 
bizarreries   semblent   déparer.    Il 
se  souvint  non-seulement  de  ceux 
qui  l'avaient  suivi,  mais  aussi  de 
ceux  qu'il  avait  laissés  en  France, 
qui   l'avaient   servi,   qui  avaient 
souflert  pour  lui,  et  pour  qui  ce 
souvenir  était  un  bienfait.  Use  sou- 
vint aussi  des  soldats  de  Waterloo. 
Avec  quelle  tendresse,  dans  ce  tes- 
tament,il  parle  de  sa  femme, de  son 
fils!  de  ce  fils  à  qui,  pour  dernière 
volonté,  il  recommande  de  ne  ja- 
mais oublier  qu'il  est  né  Français! 
Nous  l'avons  déjà  dit,  il  n'y  a 
pas  de  place  pour  la  philosophie, 
ni  au    18   brumaire,  ni   au  cou- 
ronnement de   Paris  ,    ni  à  celui 
deiMilan,  ni  aux  triomphes  d'Aus- 
terlilz,   d'Iéna,  de  Friedland,  de 
Wagram,  ni  au  désastre  de  Mos- 
kou,  ni  à  l'abdication  de  Fontai- 


NAP 

nehieau,  ni  à  l'irruption  de  lile 
d'Llhe,  ni  à  la  ruine  de  Waterloo, 
ni    au    passage   spontané    sur  le 
Bellérophon,  ni  au  lit  de  mort  de 
Sainte-Hélène.    L'histoire    seule 
a  le  droit  de  réclamer  les  qualités 
et  les  défauts  de  Napoléon ,  ses 
.  prospérités  et  ses  revers,  ses  gran- 
des actions  et  ses  grandes  injusti- 
ces, son  courage  et  ses  faiblesses, 
parce  qu'ils  n'ont  eu  qu'elle  pour 
objet,  et  que  Napoléon  n'a  voulu 
qu'elle     pour    témoin.    Ainsi    la 
tombe,  près  de  sa  source,  sous 
les  deux  saules,  cette  sépulture 
d'un  pasteur  ou  d'un  sage,  était 
pour  lui  le  monument  sépulcral 
du  maître  du    monde.  C'est   un 
empereur,  c'est   Napoléon    tout 
entier  qu'a  reçu  le  rocher  de  Huts 
G.'ite.  Il  l'a   compris  ainsi,   et   sa 
pensée    est    remplie.    Pour    qui 
aussi    écrivait-il    ce    testament  , 
où   une  partie  de   la  France  est 
sa  légataire,  où  il  stipule  des  in- 
térêts qui  doivent  après  lui  occu- 
per deux  empires ,  où  il  lègue  à 
son  fils  les  annales  de  son  règne?.. 
Jamais  homme  ne  fut  plus  avide 
de  la  postérité.  Sa  cendre,  placée 
sous  la  garde  des  tempêtes,    au 
sein  de  l'Océan  africain,  lui  pro- 
phétisait peut-être  dans  les  siècles 
le  pèlerinage  de  l'univers  7  II  a  pu 
se  dire:0«  sont  les  restes  de  Cyras, 
d' Alexandre,  de  César,  de  Char- 
lewaqne?  Les  miens  seront  im péris- 
itthles  :  ils  ne  sont  pas  placés  sur 
le  rliemin  des  conquérons.  —  «Quoi! 
»  disait-il   un  jour  à  M.  de  Ft-r- 
»  mont.vous  pensez  que  je  n'ai  rien 
»à  désirer  en  fait  de  gloire!  Voyez 
>»  Alexandre-le-Grand  :  il  a  voulu 
«être  le  fils  de  Jupiter,  et  il  l'a 
»élé.    Sa  bonne  femme  de  mère 
«cul  beau    crier  que  cela  n'était 


NAP 


56g 


»  pas  vrai,  ainsi  que  le  précepteur 
»Aristote,  et  l'institut  d'Athènes, 
')il  fut  pour  tous  les  peuples  le  di- 
»  vin  Alexandre.  » 

Dors  en  paix,  homtne  de  la 
guerre  et  de  la  puissance;  dors 
en  paix.  Sois  heureux!  ta  mémoi- 
re est  immortelle  ! 

Il  résulte  de  tous  les  ouvrages 
qui  ont  été  publiés  sur  le  séjour 
de  Napoléon    à   Sainte  -  Hélène  , 
que  jamais  tyrannie  plus  basse, 
plus  odieuse,   plus  mesquine  n'.i 
été   exercée   sur  aucun  homme, 
depuis  le  retour  de  la  civilisation 
en  Europe.  A   chaque  instant  on 
s'aperçoit  que  la  scène  se   passe 
en  Afrique,  dans  une  île  qui  sem- 
ble une  fraction  repoussée  par  la 
grande  terre  pour   servir  d'asile 
aux  forbans,  et  de  sépulcre    aux 
niaheureux.    Napoléon    avait   été 
chercher  l'hospitalité   du   peuple 
anglais  dans  le  plus  grand  port  de 
sa  patrie;  il  y  fut  comdan)né  à  al- 
ler   porter    à    une    extrémité    du 
monde  les  fers  de  la  Grande-Bre- 
tagne. A  l'aspect  de  celte  grande 
infortune,   qui  venait  noblement 
lui    demander    une   place   à    son 
foyer,  cette  puissance,  toute-puis- 
sante alors,  improvisa  ime  lolex- 
tr.iordinaire.   Elle  fit  de  son  hôte 
désarmé  un  prisonnier  de  guerre, 
d'un  voyageur  un  captif,  nomma 
un  geôlier,  et  lui  abandonna  Na- 
poléon.   La   grande    majorité  du 
peuple  anglais  a  sans  doute  pris 
pour  lui  rinjure  que  son  goiiver- 
netnent  crut  devoir  faire  légaliser 
par  l'Europe.  Si  ce  gouvernement 
ne  se  crut  pas  assez  fort  pour  sup- 
porter le  poids  d'une  telle  hospi- 
talité sur  le  soi  britannique,  il  se 
crut  aussi  trop  faible  p^ur  suppor- 
tera lui  seul  celui  de  la  captivité  de 


jyo 


NAP 


Napoléon  à  Sainte-Hélèno.  Mais 
en  se  taisant  représenter  dans  cet- 
te colonie  par  Hudson  Lowe , 
on  souffrant  que  l'eau,  l'air,  la 
terre,  les  alimeiis,  les  subslanoes 
et  les  soins  sanitaires  fussent  me- 
surés et  relranchés  graduellement 
au  dominateur  déchu,  sa  haute 
politique  s'est  ravalée  à  la  geolc 
d'une  maison  de  force,  à  la  des- 
tructi(in  lente  du  prisonnier.  Mais 
ce  gouvernement  n'a  pu  vaincre 
son  caplif ,  qui  n'a  cessé  de  pro- 
tej-trr  au  moins  comme  un  étran- 
ger inviolable  dans  son  infortune; 
il  n'a  pu  également  triompher  du 
nom  (le  Napoléon  après  sa  mort, 
ni  eiiiprcher  que  la  caverne  sé- 
pulcrale de  Huis  Gâte  ne  soit 
devenue  un  lieu  sacré.  Cette  tom- 
be exilée  est  déjfi  un  rendez-vous 
pour  le  commerce  du  monde. — 
Drms  tel  mois ,  dans  telle  année , 
noua  nous  reverrons  au  grand  tom- 
beau ^  se  disent  les  facteurs  des 
deux  Indes. — L'Angleterre  a  vou- 
lu vainement  offrir  en  sacrifice 
le  despotisme  de  la  terre  au  des- 
j^otisme  des  mers;  ses  marins 
chargé"*  de  l'or  de  l'Asie  viennent 
tous  déposer  un  hommage  sur  la 
cendre  de  Napoléon  Bonaparte. 

L'erreur  qui  conduisit  Napo- 
léon à  bord  du  BclUrophon  fut, 
sans  contredit,  la  plus  haute  et 
la  plus  éclatante  manifestation  de 
la  générosilé  d'un  grand  caractè- 
re. Mais  qui  peut  mesurer  le  poids 
d'une  telle  erreur  sur  l'âme  du 
patient  de  Sainte-Hélène  pendant 
une  éternité  de  six  années?  Il  s'é- 
tait tromj)é  souvent  dans  sa  gloi- 
re elle-même;  mais  excepté  l'en- 
treprise de  Moskou,  qui  seule  a 
renversé  l'usurpation  de  l'Espa- 
gne,   la    fortune    avait   couron- 


NAP 

né  toutes  ses  volontés,  et  cons- 
tamment entraîné  par  elle  dans 
la  carrière  de  la  plus  audacieu- 
se prospérité,  il  n'avait  pas  é- 
té  préparé  à  l'horrible  châti- 
ment qu'elle  lui  réservait  :  ainsi 
chaque  instant,  chaque  souve- 
nir, chaque  contrariété,  ont  dû  ê- 
tre  pour  lui,  sur  le  rocher  de  Sain- 
te-Hélène, l'aiguillon  d'un  nou- 
veau supplice.  Il  s'était  trompé  la 
dernière  fois,  parce  qu'il  avait  don- 
né à  sou  adversité  la  même  con- 
fiance  qu'il  avait  douriée  à  son 
bonheur.  Tout  déchu  qu'il  était, 
il  n'avait  pu  cesser  de  se  croire  un 
grand  honune,  et  il  avait  pensé 
qu'à  l'exemple  d'un  autre  grand 
homme  proscrit  comme  lui,  il 
irait  s'asseoir  tranquille  au  foyer 
d'un  grand  pciiple!  L'élévation  de 
Napoléon,  la  rapidité  de  sa  chute, 
la  lenteur  de  son  supplice,  ef- 
fraient l'iinagination,  autant  que 
sa  crédulité  dans  la  générosilé 
britannique  étonne  ses  comtempo- 
rains. 

Nous  ne  pouvons  nous  séparer 
de  Napoléon  sans  rendre  un  hom- 
mage particulier  aux  facultés  ex- 
traordinaires de  sou  esprit,  aux 
qualités  qui  dans  la  vie  privée 
le  rendaient  souvent  si  aimable, 
aux  connaissances  si  remarqua- 
bles qui,  indépendamment  de  la 
science  des  armes,  à  qui  il  dut 
le  titre  de  créateur  «l'un  nouvel 
art  de  la  guerre,  lui  eussent  assu- 
ré une  si  haute  place  parmi  les 
grands  administrateurs,  les  grands 
politiques  ,  et  aussi  parmi  les 
grands  écrivains  de  toutes  les  é- 
poques.  Par  cela  seul,  il  eût  à 
lui  seul  illustré  son  règne  et  ho- 
noré sa  patrie.  Les  législateurs  , 
les  historiens,  les  mathématiciens, 


NAP 

1er  stratégistes ,  les  économistes, 
el  les  orateurs,  réclament  aussi  Na- 
poléon. II  sut  être  en  même  temps 
Justinien  et  César.  Le  code  de  ses 
loi>  était  au  moment  de  devenir 
universel,  et  l'antiquité  n'olïre 
rien  de  plus  parfait  que  ses  com- 
mentaiies  et  se?  mémoires,  si  ce 
n'est  ses  harangues  ou  ses  impro- 
visations aux  soldats.  Nul  conqué- 
rant ne  porta  aussi  haut  que  lui 
ce  genre  d'éloquence .  terrible 
instrument,  qui  ne  cessa  de  ren- 
dre populaire  jusqu'au  dernier 
moment  l'homme  de  la  domina- 
tion. Nul  souverain  ne  poussa 
si  loin  que  Napoléon  l'oubli  des 
injures.  Etait-ce  un  effet  du  wé- 
pris  qu'on  lui  reproche  pour  lu 
race  humaine  ?  Si  cela  est ,  il 
était  donc  bien  élevé  au-dessus 
des  autres  hommes,  car  il  a  par- 
donné à  tous  ses  ennemis.  Il  ne 
fut  implacable  que  pour  les  traî- 
tres, [larce  que  îa  traluson  est  une 
injure  faite  à  la  pairie.  Cependant, 
il  leur  pardonne  aussi  dans  son  tes- 
tament, comme  dans  le  sien  Louis 
XVI  pardonne  à  ses  bourreaux. 
Napoléon  possédait  à  un  grand 
degré  la  justice  personnelle,  celle 
qui  tient  à  la  propre  grandeur. 
Ain.»i  à  Sainte-Hélène,  on  lisait 
le  récit  de  la  bataille  de  Lodi ,  où 
il  était  dil  :  Le  général  Bonapar- 
te passa  le  pont  le  premier  :  Lan- 
nes  l<;  suivit. — Cela  n'est  pas  vrai, 
s'écria  Napoléon ,  ce  fat  Lannes 
qui  passa  le  prernitr,  et  moi  ensui- 
te :  rectifiez  cela.  Sa  passion  do- 
minante était  l'amour  du  pouvoir. 
L'amour  de  la  gloire  n'en  était 
devenu  que  le  nKjyeii.  Il  les  pous- 
sa tous  deux  à  l'excès,  parce  qu'il 
y  avait  encore  des  rois  anciens  en 
Lurope.  Celle  pa!«>ion  le  rendait 
souvent  indulgent  ou  aveuglepour 


NAP 


57. 


ceux  qui,  avant  lui ,  avaient  gou- 
verné les  hommes,  et  il  bravait 
avec  plaisir  la  justice  que  l'histoire 
avait  exercée  sur  eux. — Un  jour 
de  visite  de  l'institut,  il  dit  à  M. 
Suard  ,  secrétaire  perpétuel  : 
«  M.  Suard,  il  faut  réfuter  Tacite; 
»  ila  mal  jugé  Tibère.  Tibèreélait  un 
n  homme  de  génie  :  il  était  aimé 
n  des  soldats.  nM.  Suard  futeffrayé 
d'avoir  affaire  à  Tibère,  à  Tacite 
et  à  Napoléon,  et  supplia  l'empe- 
reur de  se  charger  "le  la  réfutation. 
L'historien  de  Napoléon  aura 
deux  grand.-^  devoirs  à  remplir:  il 
devra,  comme  l'historien  du  siècle 
de  Louis  XIV,  non-seulement  fai- 
re connaître  les  travaux  civils  en- 
trepris, les  monumens  achevés, 
les  fondations  créées,  les  établis- 
semens  perfectionnés ,  pendant 
cette  course  de  quinze  annexé  que 
la  victoire  seule  et  ses  fastes  sem- 
blent avoir  occupée  tout  entière; 
mais  il  devra  encore  non»mer  les 
hommes  qui ,  indépendamment 
de  la  gloire  des  armes,  ont  illus- 
tré le  règne  consulaire  et  le  règne 
impérial  de  Napoléon ,  dans  les 
arts,  dans  les  sciences,  et  dans  le» 
lettres.  Ces  travaux  sont  innom- 
brables :  ces  hommes  se  présen- 
tent en  foule;  ceux-ci  appartien- 
nent exclusivement  à  la  France, 
où  ils  sont  nés;  ceux-là  appartien- 
nent en  partie  à  l'Europe,  à  qui 
ils  sont  restés.  Ainsi  l'historien  de 
Napoléon  parlera  des  route-s  du 
Monl-Cenis,  du  Simplon,  de  la 
corniche  de  Gênes,  des  fortifica- 
tions d'Alexandrie,  de  Cassel,  de 
Kehl,  du  port  d'Anvers,  des  tni- 
vaux  de  Home,  des  établissemens 
pa>sagers  de  la  civilisation  de  rji- 
gypte,  etc.  Il  parlera  aussi  des  ca- 
n  lux  de  Saint-Quentin  ,  de  Bré- 
sagul,  des  Deux-Alers,  de  l'Ourcq; 


0^3 


NAP 


des  fontaines  qui  embellissent  la 
capitale;  de  ses  superbes  quais, 
des  ponts  débarrassés  des  habita- 
lions  qui  les  obstruaient;  des  trois 
ponts  nouveaux,  dont  deux  nom- 
més par  la  victoire;  de  la  rue  de 
la  Paix,  que  le  bronze  d'Auster- 
litz,  élevé  en  colonne  triomphale, 
sépare  de  la  rue  Casliglione  et  de 
la  rue  de  Rivoli;  du  Louvre  et  des 
Tuileries,  continués;  des  arcs  de 
triomphe;  de  la  basilique  sépul- 
crale de  Saint-Denis,  dédiée  aux 
cendres  royales  ;  de  l'église  de  la 
Madeleine  ,  destinée  à  honorer  la 
mémoire  de  deux  augustes  victi- 
mes, etc.  ;  il  parlera  aussi  des  tra- 
vaux de  Cherbourg,  et  des  éta- 
blissemeus  de  Toulon,  Brest,  llo- 
chefort,  complétés;  il  devra  dire 
que  Napoléon,  à  son  avènement, 
n'avait  trouvé  que  55  vaisseaux  et 
45  IVégates,  et  qu'il  avait  porté, 
en  1814,  la  marine  (Vançaise  à  102 
vaisseaux  de  ligne,  et  60  frégates, 
équipés  de  plus  de()o,ooo  hom- 
mes; il  n'oubliera  pas  les  grandes 
fondations,  telles  quele  code  civil, 
l'ordre  judiciaire,  l'ordre  admi- 
nistratif, le  régime  financier,  le 
crédit  ;  ni  les  fondations  secon- 
daires,  l'école  Polytechnique,  les 
écoles  militaires ,  l'université , 
les  établisseftiens  de  la  légion- 
d'honneur,  l'école  des  arts  et  mé- 
tiers, ni  l'exposition  des  produits 
de  l'industrie,  ni  la  fondation  des 
prix  décennaux,  ni  les  brevets 
d'invention,  ni  les  autres  primes 
d'encouragement  données  aux 
arts,  aux  sciences,  anx  nouvelles 
découvertes.  Quand  il  aura  à  par- 
ler des  hommes  qui,  en-dehors  de 
l'art  de  la  guerre,   ont  illustré  la 


NAP 

France  sous  Napoléon,  sa  mémoi- 
re sera  infidèle,  tant  ils  sont  nom- 
breux; mais  il  dira  :  Chaptal  , 
Fourcroix,  Delambre,  Berthollet, 
Monge,  Vauquelin,  Gay-Lussac, 
Cuvier,  Dolomieu,  Prony,  Lan- 
glès,  Visconli,  Lacepède,/Laplace, 
Brongniart,  Percier,  Fontaines, 
Ternaux,  Houdon,  Canova,  Le- 
mot,  les  deux  Dupaty,  David  , 
Gros,  Gérard,  Girodet,  Guérin, 
Granet,  les  deux  Vernet,  Leihiers, 
Hersant,  Forbin,Ysabey, Redouté, 
etc.;  Chénier,  Daru,  Château- 
briant,  B.  Constant,  Andrieux, 
Raynouard,  Lémontey,  Lacretelle 
aîné,  Michaud,  Aignan,  Lemer- 
cier,  Jay,  Jouy,  les  deux  Arnault, 
Clavier,  Fontanes,  Alex.  Duval , 
Picard,  le  comte  de  Ségar,  Baour- 
Lormian,  Parny,  Alex.  Laborde, 
Lancival,  Tissot,  Baranle,  Guizot, 
Sismondi,  Parseval  Grandmaison, 
Bonald,  de  Béranger,  Bignon,  les 
deux  Lebrun,  les  deux  Garât,  les 
deux  Dupin,  Hennequin,  Mau- 
guin,  Mérilhou,  Jominy,  Corvi- 
visart,  Dupuylrein,  M""*  de  Staël, 
M"'  Collin,  iVl"°°  Dufresnoy,Talma, 
M"°  Mars,  M"*  Duchesnois,  etc., 
etc.,  sont  comme  Sonlt,  Murât, 
Bernadotte,  Macdouald,  Suchet, 
Gouvion-Saint-Cyr,  Valmy,  Bru- 
ne, Ney,  Mortier,  Lannes,  Jour- 
dan  ,  Kléber  ,  Junot,  Bessière  , 
Rapp,  Gérard,  Clausel,  Molitor, 
Montbrun,  Lasalle,  Caulaincour!, 
Colbert,  Éblé,  Andréossy,  Pajol, 
Lamarque,  Sébastiani,  Foy,  Ber- 
trand, Bachelu,  Kellerman,  Du- 
hesme,  les  deux  Delort,  etc.,  etc., 
etc.,  les  houjmes  du  siècle  de  Na- 
poléon Bonaparte. 


FIN  DU  QUATORZIEME  VOLUME. 


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