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Full text of "Blaise Pascal et sa famille à Rouen : de 1640 à 1647"

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PRÉCIS  ANALYTIQUE 


DES    TRAVAUX    DE 


L'ACADÉMIE 


DES  SCIENCES,  BELLES-LETTRES  ET  ARTS 


DE  ROUEN 


PENDANT  L'ANNEE  1900-1901 


ROUEN 

LMPRLMERIE    CAGNL\RD    (lÉON    GY,    SUCCESSEUR) 
PARIS.  —  A.  Picard,  rue  liouaparts,  82 

1902 


1103 


BLAISE  PASCAL  ET  SA  FAMILLE 

A  ROUEN 

De     164:0     à     164br 

Par  M.  Ch.  de  BFAUREPAIRE. 


Biaise  Pascal  n'avait  pas  encore  dix-sept  ans  accom- 
plis lorsque,  en  1640,  il  vint  à  Rouen  avec  son  père 
Etienne  Pascal,  président  en  la  Cour  des  Aides  de  Cler- 
mont.  11  y  resta  jusqu'à  la  fin  de  Tannée  1647,  un  peu 
moins  de  temps  que  son  père,  qui  le  rejoignit  à  Paris  au 
commencement  de  l'année  suivante.  Un  si  long  séjour 
nous  autorise  à  le  regarder,  en  quelque  sorte,  comme 
un  compatriote.  11  y  a  donc  pour  nous,  ce  me  semble, 
un  intérêt  particulier  à  noter  les  événements  de  sa  vie 
qui  se  sont  accomplis  dans  notre  ville.  Après  les  beaux 
travaux  publiés  récemment,  on  doit,  sans  doute,  con- 
sidérer comme  fixés  d'une  manière  définitive  les  traits 
de  la  physionomie  morale  de  l'ar.teur  des  Provinciales 
et  des  Pensées.  Mais,  sans  trop  de  présomption,  on 
peut  encore  nourrir  l'espoir  de  rencontrer  çà  et  là,  en 
ce  qui  le  concerne,  quelques  détails  dignes  d'être  rappe- 
lés. C'est  ce  que  je  me  suis  cru  permis  de  rechercher, 
en  me  renfermant  strictement  dans  la  période  qui  cor- 


212  ACAT>ÊMIE  DE  ROUEN 

rcspond  au  séjour  de  Blaiso  Pascal  parmi  nous.  Mais 
avant  de  parler  de  sa  vie  de  famille,  de  sa  vie  intime 
et  de  ses  travaux,  je  jetterai  un  coup-d'œil  sur  l'état  de 
la  société  rouennaise,  lorsque  Pascal  vint  y  jouer  son 
rôle,  et  sur  les  fonctions  que  son  père,  devenu  homme 
de  confiance  de  Richelieu,  fut  appelé  à  y  exercer. 


I 


Cette  période,  de  1640  à  1647,  pendant  laquelle  le 
génie  de  Pascal  atteignit  son  complet  développement, 
compte  parmi  les  plus  malheureuses  de  l'histoire  de 
cette  ville.  Peut-être,  après  en  avoir  examiné  les  faits 
saillants,  serons-nous  autorisé  à  nous  demander  s'ils 
n'ont  point  exercé  une  certaine  influence  sur  une  ima^ 
gination  ardente  et  mélancolique,  comme  était  celle  de 
Pascal,  qu'un  tempérament  maladif  prédisposait  à  tout 
voir  sous  le  jour  le  plus  sombre. 

Son  séjour  à  Rouen  est  compris  entre  deux  épidé- 
mies de  peste,  lesquelles  firent  de  nombreuses  victimes. 
En  1637,  du  P""  janvier  au  dernier  décembre,  il  n'y 
eut  pas  moins  de  3,51.3  malades  de  la  contagion  à  en- 
trer à  l'Hôtel-Dieu;  et,  sur  ce  nombre,  on  compta 
1,528  personnes  décédées,  98  envoyées  à  l'évent, 
131  retenues  en  traitement  (1).  De  septembre  1648  à  la 
fin  de  l'année  suivante,  la  concagion  exerça  de  nouveau 
ses  ravages,  mais  je  ne  saurais  dire  dans  quelle  pro- 
portion (2). 

(1)  Arcli.  (le  la  S.-Inf.  F.  des  Hospices. 

(2)  Le  23  sept.  1648,  le  Cliîipilrc  de  la  cathédrale  ordonne  qu'à  raison 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  213 

L'exagération  des  impôts,  la  multiplicité  extraordi- 
naire des  expédients  imaginés  par  des  traitants  impi- 
toyables pour  tirer  de  l'argent,  même  des  plus  miséra- 
bles, le  décri  des  monnaies  (1),  l'inquiétude  qui  pesait  sur 
toutes  les  'conditions,  toutes  ces  causes  réunies  avaient 
causé  un  mécontentement  général  et  poussé  le  peuple  à 
une  révolte,  plus  ou  moins  ouvertement  déclarée,  dans 
toute  la  Normandie.  La  répression  fut  sans  pitié.  Tous 
les  corps  judiciaires  et  administratifs  furent  tenus  en 
suspicion  par  l'autorité  royale,  qui  n'était  autre  que 
celle  de  Richelieu,  et  furent  faussés  dans  leur  compo- 
sition. D'ailleurs,  nulle  part,  on  ne  jouissait  de  la 
moindre  sécurité.  Ajoutons  à  cela,  pour  compléter  le 
tableau,  ces  marques  éclatantes  de  l'instabilité  des 
choses  humaines  exposées  sous  les  yeux  des  habitants 
de  notre  ville,  où,  à  côté  des  prisonniers  espagnols 
amenés  des  champs  de  bataille  de  Rocroy  et  de  Lens  (2), 

de  la  peste,  les  matines  des  fêtes  triples  seront  dites  le  soir,  et  que  la 
porte  de  fer  et  celle  de  Tliorloge  seront  fermées.  Le  2  juin  1649.  des 
processions  sont  ordonnées  pour  obtenir  la  cessation  de  la  peste  (Re- 
gistres capitulaires).  20  nov.  1648,  le  Bureau  des  Finances,  que  la 
crainte  de  la  peste,  qui  sévissait  rue  de  lÂumùne.  avait  fait  chercher  un 
refuge  aux  Cordeliers,  songeait  à  prendre  à  loyer  Thôtel  du  Bec.  en 
attendant  la  cessation  du  fléau. 

(1)  Par  suite  du  décri  des  monnaies,  sur  1,888  1.  12  s.  perte  de  636  1. 
15  s.  1er  fév.  1640.  (Arch.  de  la  S.-Inf.  Registres  capitulaires). 

(2)  Procès-verbaux  de  la  Commission  des  Antiquités  de  la  S.-Inf.,  t.  X, 
p.  340,  341.  Plusieurs  capitaines  et  officiers  étaient  internés  dans  les 
tours  du  Vieux-Palais,  et  y  recevaient  telle  incommodité  qu'ils  s'abandon- 
naient au  désespoir.  Le  sieur  de  Chamblain.  commissaire  des  guerres, 
envoyé  pour  les  visiter,  s'en  plaignit  au  Bureau  des  huances  comme 
d'une  chose  qui  pouvait  dorn:^r  mécontentemenf  à  S.  M.  et  même  à  son 
Conseil,  20  déc.  16i7. 


214  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

on  rencontrait  des  seigneurs  anglais,  forcés  de  quitter 
leur  pays  devant  la  Révolution  qui  devait  coûter  la  vie 
àCliarlesP''(l). 

Nulle  part,  avons-nous  dit,  il  n'y  avait  de  sécurité. 

Mille  faits  en  fournissent  la  preuve  la  plus  irréfu- 
table :  j'en  choisirai  quelques-uns. 

Dans  l'Election  de  Montivilliers,  le  long  des  côtes  de 
la  mer,  du  Havre  à  Fécamp,  des  bandes  de  paysans  en 
armes,  au  nombre  de  7  à  8,000,  s'attaquaient  aux  offi- 
ciers chargés  de  la  collecte  des  tailles,  subsistances  et 
autres  deniers  royaux  Malgré  toutes  les  proclamations 
que  l'on  avait  pu  faire,  ils  se  refusaient  à  croire  que  le 
Roi  n'eût  rien  rabattu  des  impôts  que  l'on  voulait  exi- 
ger d'eux;  ils  se  déclaraient  prêts  à  mourir  plutôt  que 
de  souffrir  aucunes  exécutions  fiscales  dans  l'étendue 


(1)  Georges  Goring,  baron  de  Norwick,  ambassadeur  extraordinaire  du 
Roi,  loge  à  la  Place  Royale,  rue  Ganterie,  27  avril  1645  ;  26  janvier  1646. 
Guillaume  Cavendish,  marquis  de  Newcastle,  avec  ses  deux  fils,  Charles 
S'  de  Mansfeld,  et  Henri,  5  juillet  1645  ;  François  Rrune,  vicomte  de 
Montagu,  o  juillet  1645;  Guillaume  Godolphin.  colonel  anglais,  19  sept. 
1043;  Guillaume  Bêcher,  chevalier  anglais,  9  août  1645;  Jean  Berkeley, 
chevalier  anglais,  5  juillet  1645;  Francis  Inglefyld,  baron  anglais,  l^»"  dé- 
cembre 1646:  William  Bradshag,  chevalier  anglais,  27  déc.  1646;  Jean 
Nyvet,  gentilhomme  anglais,  27  juillet  1645;  Guill.  Gardner,  capitaine 
anglais,  5  juillet  ^645;  François  Suit,  attaché  a  l'ambassadeur  d'Angle- 
terre, 5  mars  1645;  Thomas  Winston,  gentilhomme  anglais,  docteur  en 
médecine  à  Orléans,  8  juin  1645;  Jean  Chamberlain,  écuyer,  2  juillet  1645; 
Renée  de  Montagu,  de  Londres,  envoyée  en  France  par  son  oncle  Bar- 
thélémy de  Montagu,  gentilhomme  du  Roi,  3  juillet  1643;  Brigitte  King, 
veuve  du  chevalier  Henri  Smit,  30  août  1646;  Elisabeth  Sedley,  veuve  de 
Jean  Sedley,  baron  de  la  province  de  Kent,  8  juin  1646.  L'agent  du  parti 
était,  à  Rouen,  Pierre  Rychaut,  originaire  d'Aylesford,  en  la  province  de 
Kent.  (Notes  extraites  des  actes  du  tabellion,  de  Rouen.) 


CLASSE    DES   BELLES-LETTRES  215 

de  leurs  paroisses.  Il  fallut,  pour  la  répression  de  ces 
soulèvements,  demander  des  troupes  au  duc  de  Longue- 
ville,  gouverueur  do  la  province,  et  à  M.  de  la  Ferté, 
lieutenant  du  Roi  au  gouvernement  du  Havre  (1). 

Le  4  janvier  1644,  le  Parlement  ordonnait  aux  pré- 
vôts, à  leurs  lieutenants  et  archers,  «  de  faire  leurs 
chevauchées,  sans  séjourner  aux  villes,  pour,  avec  son 
de  tocsin  et  assemblée  de  peuple,  si  be.-oin  était,  appré- 
hender les  voleurs  ».  En  jdusieurs  lieux,  dit  l'arrêt  de 
la  Cour,  «  des  malfaiteurs  s'étaient  levés  et  rassemblés 
avec  armes  et  commettoient  journellem^'Ut  meurtres 
et  voleries  dans  les  forêts  et  sur  les  grands  che- 
mins (2)  ». 

Balthazar  Gerbier,  chevalier  de  l'Eperon  d'or,  l'un 
des  quatre  écuyers  du  corps,  gentilhomme  de  la 
chambre  du  Roi  de  la  grande  Bretagne,  grand  maître 
des  cérémonies  et  introducteur  des  ambassadeurs,  fut 
volé  et  arrêté  sur  le  chemin  de  Dieppe,  le  10  sep- 
tembre 1644  (3). 

En  1645,  des  assassinats  furent  commis  en  grand 
chemin,  à  coups  de  fusil  et  de  pistolet,  sur  Jean  Mau- 
duit,  sieur  de  la  Rosière,  maître  des  Comptes,  Anne  de 
Pigace,  sa  femme,  Jacques  Mauduit,  sieur  de  Re- 
gnouart,  leur  fils,  avec  enlèvement  de  la  fille  du  sieur 
de  la  Rosière  et  de  Marie  de  Raveton,  femme  du  sieur 
de  Regnouart.  Ce  qu'il  y  eut  de  remarquable  dans  ces 
assassinats,  c'est  qu'ils  furent  commis  par  des  gentils- 
Ci)  Arch.  de  la  S.-Inf.  Bureau  des  Finances.  C.  1169,  l«^  et  5  juin  1643. 

(2)  Ibid.  Reg.  du  Parlement. 

(3)  Ihid.  Reg.  de  la  Tournelle,  1"  fév.  1645. 


2 1 0  AC A n K M 1  F!  T) E  ROU  EN 

liommes  avec  l'aide  de  nombreux  comiDlices.  Plusieurs 
des  coupables  échappèrent  au  châtiment  par  la  fuite. 
Ceux  qu'on  réussit  à  saisir  furent  rompus  vifs  sur  la 
place  du  Vieux-Marché  de  Rouen.  «  pour  y  finir  leurs 
jours  tant  qu'il  plairoit  à  Dieu  les  leur  prolonger.  »  Le 
château  du  Mesnil-Guillaume,  dans  lequel  les  assassins 
avaient  conduit  les  deux  femmes  enlevées,  dut  être,  aux 
termes  do  l'arrêt  du  7  avril  1645,  rasé  conii^lètement, 
à  l'exception  des  bâtiments  à  usage  de  ferme,  les  fossés 
furent  comblés,  les  canons  et  fauconneaux  amenés  à 
l'Hôtel-de-Ville  de  Rouen,  les  bois  de  haute  futaie,  qui 
servaient  d'ornement  au  château,  coupés  à  trois  pieds  de 
hauteur.  600  livres  furent  prélevées  sur  le  prix  de 
la  confiscation  pour  la  construction  et  dotation  d'une 
chapelle  à  bâtir  au  lieu  où  le  crime  avait  été  commis 
(7  avril  1645)  (1). 

L'impuissance  de  la  justice  est  attestée  par  la  plainte 
de  Charles  Anzeray,  sieur  do  Courvaudon,  conseiller 
au  Parlement  (31  août  1646).  11  se  voyait  obligé  de 
demander  main-forte  pour  faire  prendre  un  nommé 
Rouveron,  vif  ou  mort,  vu  qu'il  lui  était  impossible  de 
faire  exécuter  l'arrêt  rendu  par  la  cour,  <k  à  cause  que 
ce  criminel  se  retiroit  en  châteaux  et  maisons  fortes  et 
se  faisoit  assister  de  gens  déterminés  (2)  ». 

Ce  qui  ajoutait  aux  difficultés  de  la  répression,  c'était 
que  le  désordre  venait  souvent  de  ceux-là  même  qui 
avaient  charge  de  le  prévenir  ou  de  le  châtier.  Partout, 


(1)  Ard).  de  la  S.-Inf.  Ri'ir.  do  la  Toiinicllo 

(2)  Ibitl.  Ro/.  du  Pail'.^nuMif. 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  217 

en  effet,  les  gens  de  guerre  étaient  un  juste  sujet  d'ef- 
froi. 

20  juillet  1639,  arrêt  du  Conseil  en  faveur  des  pa- 
roisses situées  à  demi-lieue  de  la  mer.  Obligées  au  ser- 
vice de  guet,  elles  sont  dispensées  du  logement  des 
gens  de  guerre  et  de  la  subvention  des  étapes,  à  raison 
des  violences,  exactions  et  voleries  qu'elles  avaient 
éprouvées  de  la  part  des  soldats  (1). 

(I)  Arcli.  de  la  S.-Inf-  C.  1257.  Il  y  avait  longtemps  que  les  paroisses 
avaient  juste  sujet  de  se  plaindre.  13  nov.  1636,  «  par  M.  le  procureur 
général  du  Roy  a  esté  remontré  que  de  toutes  parts  sont  entendues  plu- 
sieurs plaintes  des  ravages,  désordres,  brusiements,  exceds.  violements 
et  inhumanités  exécrables  qui  se  commettent  par  les  gens  de  guerre  aux 
logements  qui  se  font  dans  cette  province,  ce  qui  rend  les  pauvres  labou- 
reurs et  artisans  et  tous  autres  peuples  impuissants  de  continuer  leurs 
travaux  par  lesquels  l'Estat  subsiste,  en  sorte  que.  s'il  n'y  est  prompte- 
nient  pourveu.  il  arrivera  un  g  habandonnement  dans  le  pays,  les  droicts 
et  tailles  anéantis,  les  fermes  d'un  chacun  délaissées  et  les  maisons 
inhabitées  et  ensuite  une  misère  et  calamité  universelle  qu'il  sera 
presque  impossible  de  pouvoir  réparer...  »  Informations  ordonnées  contre 
les  capitaines  (Registres  secrets  du  Parlement).  —  Plainte  des  habitants 
de  Vitefleur  contre  le  sieiu"  de  Bretigny  (Charles  Poucet),  conielîe  à  la 
compagnie  de  chevaux  légers  du  sieur  de  Haucourt  :  «  Assisté  de  quelques 
cavaliers,  s'éfoit  transporté  au  manoir  presbytéral  pour  violenter  le  curé 
du  dit  lieu  comme  il  avoit  fait  du  précédent,  à  ce  qu'il  eust  à  persuader 
aux  habitants  de  lui  accorder  ses  injustes  demandes,  le  menaçant,  à  son 
refus,  de  ruiner  les  habitants,  de  loger  sa  compagnie  entière  dans  le  lieu 
presbytéral  et  de  couper  les  oreilles  à  M"  Charles  Rayer,  procureur  de  la 
haute  justice,  27  février  1637.  »  (Arch.  de  la  S.-Inf.  C.  1147.)  C'est  à  ce 
Poncet  de  Bretigny  que  fut  malheureusement  confiée  la  mission  de  colo- 
ni.ser  la  Guyane,  où  il  périt  misérablement  et  ne  laissa  que  de  ti'istes  sou- 
venirs. —  10  mai  IG3S  :  »  faict  entrer  xM»-'  Lengeigneur,  vis-bailly  au 
bailliage  de  Rouen,  lequel  ouy  a  dict  que,  par  le  commandement  de  M.  de 
Longucville,  il  avoit  suivy  les  gens  d'armes  aux  logements  qu'ils  avoient 
l'aida  et  informé  des  exactions  et  viollenccs  qu'ils  ont  commises,  n'aiant 


2 1 8  ACADÉMIE  DE  ROUE  N 

A  l'annonce  de  l'arrivée  des  soldats  de  Gassion  dans 
la  ville  de  Rouen,  l'archevêque,  «  pour  obvier  aux  in- 
convéniens  qui  pourroient  arriver  aux  jeunes  filles  du 
diocèse  à  l'occasion  et  par  l'insolence  de  la  gendarme- 
rie, assigne  aux  dites  filles,  pour  asile  et  sauvegarde  de 
leur  pudeur,  le  monastère  des  Crsulines,  »  23  décem- 
bre 1639(1). 

Un  habitant  de  Rouen,  témoin  oculaire,  parlant,  dans 
son  journal  manuscrit,  de  l'arrivée  des  troupes  de  Gas- 
sion, nous  indique  clairement  quel  genre  de  concours 
elles  pouvaient  prêter  au  rétablissement  de  l'ordre  : 
«  Les  fauxbourgs  de  Rouen  (et  Darnétal  aussy)  S' Sever, 
dit-il,  ont  recongneu  à  leurs  despens  quels  sont  les 
effects  de  la  guerre.  Iceulx  fauxbourgs  ont  été  du  tout 
rujnez  et  abandonnez  des  habitans  se  retirans  dans  les 
bois.  » 

Séguier,  lui-même,  dans  un  mémoire  adressé  au  Roi 
écrit  ceci  :  «  En  véiité  le  désordre  est  si  grand  que, 
quelque  règle  qu'on  puisse  a|'porter,  ils  (les  gens  de 
guerre)  ruinent  tout  où  ils  passent.  Il  y  a  deux  com- 
pagnies à  Louviers  qui  mériteraient  d'être  cassées.  Ce 
sont  des  voleurs,  et  non  pas  des  soldats.  Ils  font  des 
violences  dans  cette  ville  qui  méritent  grand  châti- 
ment (2)  ». 

Le  17  janvier  1643,  le  Parlement,  «  averti  qu'il  y 
avait  un  régiment  de  gens  de  pied  logés  dans  les  fau- 

peu  faire  aulciine   capture  pour  n'avoir  la   force  en   main,  n'aiant  que 
8  archers  avec  luy.  »  (Registres  secrets  du  Parlement.) 

(1)  Arch.  de  la  S.-Inf.  F.  des  Ursnlines, 

(2;  Dkiire  du  chancelier  Séguier,  pp.  57,  58. 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  219 

bourgs  de  Rouen,  les  soldats  duquel  y  avoient  non  seu- 
lement fait  beaucoup  de  désordres,  mais  aussi  dans  la 
ville,  dans  laquelle  ils  entroient  et  couroient  nuit  et 
jours  avec  armes,  de  sorte  qu'il  y  avoit  eu  quelques 
hommes  homicides,  ce  qui  pourroit  causer  émotion, 
fit  inhibition,  à  peine  de  la  prison  et  de  la  vie,  si  le 
cas  le  réquéroit,  à  tous  soldats  logez  dans  les  faubourgs 
d'entrer  en  icelle  en  plus  grand  nombre  que  de  deux,  ou 
trois  de  compagnie,  sans  porter  autres  armes  que  leurs 
espées,  et  depuis  huit  heures  du  matin  jusques  à  quatre 
heures;  commandé  aux  capitaines  de  la  Cinquantaine 
et  des  Arquebusiers  de  redoubler  leurs  gardes  et  pa- 
trouilles, de  visiter  les  cabarets  de  bière,  d'arrester 
ceux  qu'ils  y  trouveroient  après  quatre  heures  et  ceux 
qui  porleroient  armes  à  feu,  avec  défenses  à  toutes  per- 
sonnes de  débiter  du  petun  et  bière  en  assiette  suivant 
les  anciens  règlements  (1).  » 

Autre  arrêt  du  13  n;ai  1645.  <,<  Sur  l'avis  que  la  li- 
cence des  soldats  et  autres  vagabonds  étoit  si  grande 
que  depuis  quelques  jouis  il  s'étoit  commis  une  infinité 
de  voleries  :sur  les  grands  chemins  et  avenues  de  la 
ville,  ce  qui  t'aisoit  que  un  chacun  étoit  en  crainte  et 
n'osoit  plus  alLa^  ni  venir  aux  iiiarchés,  commande- 
ment est  fait  aux  prévôts,  leurs  lieutenants  et  archers, 
de  monter  à  cheval,  incontinent  avec  leurs  armes,  tenir 
la  campagne  et  chemins  libres  et  surs  et  courre  aux 
soldats  et  voleurs  (2).  » 

(1)  Arch.  de  la  S.-Inf.  Reg^.  du  Parlement. 

(2;  Les    prévôts  eux-mêmes   n'inspiraient  pas  une   entière   confiance. 
Jacques  de  Marguerit,  écuyer,  prévôt  général  de  Normandie,  était  détenu  à 


220  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

Autre  arrêt  du  4  mars  1646,  contre  des  cavaliers  qui 
s'étaient  rendus  coupables  de  dégâts,  meurtres  et  assas- 
sinats à  Saint-Germain,  vicomte  de  Neufchàtel,  dans  une 
terre  qui  appartenait  au  président  Raoul  Bretel  de  Gré- 
monville. 

En  1645,  ce  sont  des  juges  et  des  officiers  du  siège 
présidial  d'Andely  et  des  échevins  de  cette  ville  qui 
sont  poursuivis  pour  rapt  et  enlèvement,  avec  vio- 
lence, de  la  fille  d'un  conseiller  de  cette  ville,  Nicolas 
Le  Sueur  (26  septembre). 

Partout  régnait  la  misère  la  plus  afi'reuse.  A  Saint- 
Pierre-du-Boscguérard,  plus  de  150  personnes  étaient 
mortes  de  la  maladie  contagieuse,  et  il  y  avait  plus  de 
100  acres  de  terre  qui  restaient  en  friche.  Les  habi- 
tants avaient  été  contraints  d'abandonner  leurs  mai- 
sons et  leurs  familles,  étant  continuellement  emprison- 
nés et  exécutés  par  les  huissiers  et  sergents,  qui  leur 
faisaient  vendre  le  peu  qui  leur  restait  (5  oct.  1640). 

Vers  le  même  temps,  un  des  contribuables,  du  nom 
de  Becquet,  était  depuis  deux  ans  détenu  prisonnier, 
en  vertu  du  principe  de  la  solidarité,  parce  que  la  pa- 
roisse du  Yâl  où  il  résidait  n'avait  pu  payer  les  impo- 
sitioiiS  auxquelles  elle  avait  été  taxée. 

Il  n'y  restait  plus  que  trois  habitants  ;  le  reste  s'était 
retiré  ailleurs  à  cause  des  guerres,  ou  bien  était  mort  de 
la  maladie  contagier.se.  (7  juin  L"40)  (l). 

la    conciergerie   du   Palais  en   I(ii0-ln42;  le    5  juillet  1G40,  il  venilit  à 
Nicolas  Vaiiqnelïn,  sieur  d"Oiié/y.  la  terre  de  la  Fresnaye  près  d'Oiu'zy: 
lo  21  mai  [(\V1,  (in  lui  permettait  de  faire  précéder  à  la  vente  de  son  ollicc 
(le  pr.'vùt  a  la  barre  de  lu  Cayav .  (Tab.  de  Rouen). 
(1)   Arrli.  d.'  la  S.-li;f.  l'.ur.  d ^s  finances. 


CLASSE    LES    Bi:j. LES-LETTRES  221 

Le  IG  juin  1649,  le  procureur  général  de  la  Cour  des 
Aides  exposait  aux  conseillers  de  cette  haute  juridic- 
tion que  les  longues  guerres  et  désordres  passés  avaient 
causé  tant  de  misère  qu'une  infinité  de  pauvres  péris- 
saient de  faim,  particulièrement  en  la  ville  de  Rouen 
où  grand  nombre  de  nécessiteux  s'étaient  retirés,  ne 
trouvant  plus  d'aumônes  ni  de  charité  dans  les  villages 
et  paroisses  des  champs.  » 

Comme  il  y  avait  péril  à  s'en  prendre  au  gouverne- 
ment, tous  ceux  qui  souffraient  (et  le  nombre  en  était 
infini)  accusaient  les  traitants  d'être  la  cause  de  leur 
malheureux  sort. 

«  Xous  demandons,  disaient  les  Etats  de  Xorman- 
die,  dans  leur  Cahier  de  remontrances  de  1G38,  art.  xxv, 
la  suppression  d'un  tas  d'exploitans  par  tout  vostre 
royaume  qui,  comme  chenilles  escloses  dans  les  brouil- 
lards du  trouble  de  vos  affaires,  ne  font  que  rogner  le 
reste  de  la  substance  de  vos  peuples  par  concussions  et 
pilleries.  » 

«  En  septembre  1634,  le  peuple  de  Rouen  ayant  jeté 
à  la  rivière  un  monopolier  nommé  Trotart,  venu  à  Rouen 
pour  établir  un  nouvel  impost,  ce  malheureux  fut  tiré 
de  l'eau  par  un  batelier,  et  se  réfugia  dans  le  prieuré 
de  Bonnes-Nouvelles  ;  mais  on  l'avoit  su,  et  bientôt  le 
monastère  fut  assailh*  par  5  ou  6,000  séditieux  qui  s'ef- 
çoient  d'en  briser  les  portes  (1)  ». 

Le  même  fait  est  ainsi  raconté  dans  une  lettre  qu'un 
nommé  Bradechal  écrit  à  son  oncle,  procureur  au  Par- 

(1)  Dlaire  du  chancelier  Séymer,  p.  l.j. 


222  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

lement,  grand-oncle  de  notre  Nicolas  Mesnager  :  «  Deux 
monopoliers  ont  esté,  ce  jourd'huy,  accommodez  d'une 
belle  façon  ;  car  on  en  a  tant  battu  un  que  l'on  tient 
qu'il  est  tué,  et  l'autre  que  l'on  a  jeté  à  la  rivière  de 
Seine,  qu'on  dit  qui  s'est  sauvé  de  l'autre  costé  de  la  rive, 
mais  que  300  hommes  sont  allez  après.  Voilà  les  nou- 
velles de  Rouen  »(1).  Pas  un  mot  de  pitié  pour  les  deux 
agents  du  fisc  !  L'esprit  général  étant  tel,  il  n'est  pas  sur- 
prenant que,  quatre  années  après,  la  révolte  ait  éclaté 
dajis  presque  toute  la  Normandie.  Richelieu  lui-même, 
dans  son  Testament  politique,  sans  la  justifier,  en  recon- 
naît la  cause.  11  regrette  que  les  partisans  soient  deve- 
nus une  classe  nécessaire  dans  l'Etat.  Il  constate  «  qu'ils 
avoient  porté  si  loin  leur  excès  et  dérèglement  qu'il  ne  se 
pouvoit  soufi'rir,  qu'ils  causeroient,  si  l'on  n'y  remédioit, 
la  ruine  du  royaulme,  qui  changeoit  tellement  de  face 
par  leurs  voleries  que,  si  on  n'en  arrêtoit  le  cours,  dans 
peu  de  temps,  il  ne  seroit  plus  reconnaissable  ». 

Si  nous  nous  plaçons  au  point  de  vue  religieux,  nous 
trouvons  là  encore,  malaise,  désordre  et  confusion. 

Mgr  François  de  Harlay,  qui  avait  succédé  au  cardi- 
nal de  Joyeuse  comme  archevêque  de  Rouen,  en  1614, 
avait  compris  la  nature  et  l'étendue  de  ses  devoirs. 

A  la  différence  de  ses  prédécesseurs,  il  se  fit  une  obli- 
gation de  résider  dans  son  diocèse,  d'y  faire  en  personne 
les  visites  ordinaires  ou  les  calendes^  en  prenant  soin 
de  s'informer  exactement  des  abus  et  eu  s'efibrçant  d'y 
apporter  un  prompt  remède. 

(1)  Arch.  de  la  S.-Inf.  Correspondance  particulière. 


CLASSE   DES   BELLES-LETTRES  223 

Il  introduisit  la  réforme  dans  quelques  anciens  monas- 
tères, notamment  dans  ceux  de  Jumièges  et  de  Monti- 
villiers. 

Il  témoigna  de  son  amour  pour  les  lettres  en  instituant 
une  académie  dans  son  abbaj-ede  Saint-Victor  de  Paris, 
en  assurant  la  dotation  de  la  bibliothèque  du  Chapitre 
de  Rouen,  en  s'honorant  du  titre  de  conservateur  des 
privilèges  de  l'Université  d'Angers,  en  prenant  soin  de 
s'entourer  d'hommes  docte's  et  de  beaux  esprits. 

«  Il  s'adonna  fort,  dit  Dom  Pommeraye,  à  l'étude  des 
anciens  canons,  non  pour  en  faire  une  vaine  ostentation 
de  doctrine,  mais  par  une  passion  ardente  qu'il  avoit 
pour  la  restauration  et  le  maintien  de  la  discipline  de 
l'église  *. 

Une  de  ses  plus  constantes  préoccupations  pendant 
toute  la  durée  de  son  épiscopat  fut  le  rétablissement  de 
la  hiérarchie  ecclésiastique,  de  son  autorité  comme 
évèque  et  comme  seigneur  temporel,  et  aussi  de  celle 
des  curés. 

L'ardeur  excessive  qu'il  marqua  pour  la  répression 
de  ce  qu'il  considérait  comme  des  abus  lui  attira  beau- 
coup de  difficultés  et  ne  paraît  pas  avoir  été  générale- 
ment approuvée. 

■  La  poésie  du  médecin  Guerente  à  propos  d'un  événe- 
ment, prétendu  miraculeux,  arrivé,  en  1617,  à  Mgr  de 
Harlay,  lorsque  celui-ci  se  rendait  à  Jumièges  pour  y 
porter  la  réforme,  faisait  déjà  allusion  aux  mauvaises 
dispositions  du  public  à  l'égard  de  cet  archevêque  : 

«  De  Harlay,  ce  prélat  tout  d'amour  et  de  feu 
Pour  son  peuple  de  glace  et  qui  l'aime  trop  peu  ». 


224  ACADÉMIE  DE  ROUEX 

De  son  côté,  Mgr  de  rlarlaj  envisageait  peu  favora- 
blement les  hommes  de  son  époque. 

Dans  une  lettre  qu'il  adressait,  le  28  juillet  1623  à 
l'abbesse  de  Montivilliers,  Louise  de  l'Hospital,  il  gémit 
sur  l'état  moral  de  son  diocèse.  «  Dieu  nous  veuille  as- 
sister de  toutes  parts,  lui  écrivait-il  ;  nous  en  avons  grand 
besoin.  Il  semble  que  voici  la  fin  du  monde  ».  Dix  ans 
après,  dans  une  autre  lettre  sur  le  culte  qu'il  voulait 
faire  rendre  à  saint  Léon  (1),  il  se  plaignait  de  l'esprit 
qui  régnait  partout,  et  qui  n'allait  à  rien  moins  qu'à 
compromettre  l'unité  de  l'Eglise  :  Inquietis  his  novi- 
tatis  temporibus,  senescente  ecclesia,  quanquani 
imitas  non  frangitur,  irno  debilitahir  (2). 

On  le  vit  engager  la  lutte  successivement  avec  les 
officiers  de  son  officialité,  pour  leur  faire  reconnaître 
que  leur  juridiction  n'était  qu'une  délégation  de  la 
sienne  propre  (3)  ;  avec  les  religieux  de  Saint- Georges- 
de-Boscherville  (4),  de  Saint-Wandrille  et  de  Saint- 
Victor  de  Paris,  pour  y  rétablir  la  discipline  monas- 
tique (5)  ;  avec  tous  les  curés  du  diocèse,  pour  leur  faire 

(1)  Compris  à  lort  parmi  les  archevêques  de  Rouen,  erreur  qu'on 
a  depuis  reconnue. 

(2)  Dom  Pommeraye,  Uist.  des  archecesques  de  Rouen,  pp.  227-232. 

(3)  Arch.  de  la  S.-Inf.  G.  4905.  Les  23,  25,  27  mai,  8  juin  1637,  il  com- 
parait en  la  juridiction  de  l'otTicialité  ««  pour  la  tenir  lui-même  et  remettre 
toutes  les  choses  en  Testât  ainsi  quelles  étoient  du  passé  ». 

(4)  2  mai  1G44.  Les  reliiîieux  de  Saint-Georges-de-Boscherville  en 
procès  contre  leur  prieur  à  propos  du  refus  qu'ils  avaient  fait  d'admettre 
à  profession  frère  Jean  Vironceau  ;  appel  pai-  eux  comme  dabus  de  l'ar- 
chevêque. Gaulde,  grand-vicaire,  accompagné  du  promoteur  et  d'un 
grand  nombre  de  soldats,  se  rend  à  l'abbaye  ;  église  abbatiale  interdite  ; 
défense  aux  fidèles  de  hanter  les  religieux. 

(5)  27  mai  1641.  Procuration  donnée  par  lui  à  Achille  de  Harlay,  gen- 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  225 

recevoir  de  nouveaux  livres  liturgiques  (1)  ;  avec  Mo- 
restel,  curé  de  Saint-Romain  (2),  et  Benjamin  de  Nor- 
manville,  curé  de  Sainte-Marguerite  (3),  pour  leur  faire 
répudier  des  livres  de  leur  composition. 

Si  la  lutte  avait  été  vive  avec  les  chanoines  de  la 
cathédrale,  du  moins,  elle  paraissait  s'être  terminée  par 
une  réconciliation  sincère. 

Elle  fut  plus  longue  avec  les  religieux,  et,  dans  celle- 
ci,  il  eut  pour  auxiliaire,  si  ce  n'est  même  pour  insti- 
gateur, Mgr  Camus,  évêque  de  Belley,  qui  voulait 
astreindre  tous  les  cloitriers  a  demeurer  dans  leurs 
monastères,  en  laissant  le  champ  libre,  pour  le  minis- 
tère extérieur,  aux  prêtres  séculiers,  spécialement  aux 
curés  des  paroisses.  Il  était  naturel  que  ces  derniers 
prissent  fait  et  cause  pour  leurs  défenseurs.  Les  contes- 

tilhomrac  ordinaire  de  la  chambre  du  Roi,  marquis  de  Bréval,  pour  dé- 
fendre ses  intérêts  contre  les  religieux  de  Saint-Victor.  H  y  déclare 
qu'encore  qu'il  eut  toujours  recherché  de  vivre  en  bonne  intelligence  avec 
les  religieux  de  son  abbaye,  ceux-ci  entreprenaient  journellement  sur  ses 
droits.  (Tab.  de  Rouen,  minutes  de  Ferment). 

(1)  Archives  du  Parlement. 

(2)  Murestel,  curé  de  Saint-Romain-de-Colbosc,  auteur  du  Guidon  des 
Pasleui's,  parait  avoir  joui  d'abord  d'une  certaine  faveur,  puisqu'on  lavait 
vu,  par  commission  de  l'archevêque,  procéder,  le  8  juillet  1625,  à  la  visite 
de  l'église  de  Sainte-Marie-des-Champs. 

(3)  Le  12  septembre  1641,  M.  Ridel,  présente  au  Chapitre,  de  la  part  de 
l'archevêque,  une  douzaine  d'extraits  imprimés  de  la  sentence  donnée 
contre  Benjamin  de  Xorraanville,  curé  de  Sainte-Marguerite-sur-Duclair, 
Les  Pères  de  la  Congrégation  de  Propaganda  pde  l'avaient  depuis  plu- 
sieurs mois  retranché  de  leur  compagnie,  comme  on  le  voit  par  la  déli- 
bération capitulaire  du  l^rmai  1641.  Il  devint  curé  de  la  seconde  portion 
de  Saint-Martin  de  Liniésy,  par  suite  de  permutation  avec  N^^s  Halle,  qui 
s'engagea  à  lui  payer  une  pension  viagère  de  SoO  livres. 

15 


•226  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

tations  ne  portaient  pas  sur  des  points  de  doctrine.  Il 
s'agissait  principalement  de  savoir  si  l'assistance  à  la 
messe  de  paroisse,  les  dimanches  et  fêtes,  était  d'une 
obligation  stricte  pour  les  paroissiens,  si  les  religieux 
avaient  le  droit  de  suivre  les  enterrements  et  d'accorder 
dans  leurs  chapelles  la  sépulture  à  ceux  qui  la  deman- 
daient. La  prétention  des  curés  de  Rouen  alla  jusqu'à 
vouloir  supprimer  les  rares  confessionnaux  qui  se  trou- 
vaient dans  la  cathédrale,  par  ce  principe  que  les 
chanoines  n'étaient  point  chargés  du  ministère  parois- 
sial (1). 

Les  Jésuites  eurent  principalement  à  souffrir  de  l'ar- 
chevêque. Ce  qui  contribua  le  plus  à  leur  disgrâce,  ce 
furent  le  traité  du  P.  Louis  Cellot,  recteur  du  collège 
de  Rouen,  De  hierarchia  et  hiérarchie  libri  novem, 
in-folio,  imprimé  à  Rouen,  chez  Jean  le  BouUenger, 
en  1641,  et  un  sermon  prêché  à  Saint-Ouen  de  Rouen 
parle  P.  Jacques  Baumer  (2). 

Une  des  conséquences  de  cette  brouille,  qui  divisa  la 
société  de  Rouen  pendant  plusieurs  années,  fut  l'éta- 
blissement, à  l'archevêché,  d'un  collège  où  l'on  ensei- 
gnait la  théologie  et  les  sciences.  Un  des  nouveaux 
professeurs  fut  un  nommé  Jacques  Pierius,  dont  le  cours 
est  ainsi  annoncé  dans  le  Mercure  de  Gaillon  de  1643  : 
JacobiLS  Pierius,  doctor  medicus,  A.ntiquœ  residen- 
iiœ  ArcJdepiscopalis  Dei-  Villœ  Pastor^  ex  officio 
enarrabit  suo  more,  ex  libro  a   se  typis  rnandato, 

(1)  Arch.  çie  la  S.-Inf.  Reg.  capilulaires,  1*'  avril  1647. 

(2)  Décédé  le  30  mars  1643  à  Tannay  en  Nivernais,  où  il  avait  été  en- 
voyé piéther  le  carême.  Il  y  fut  outerrc  avec  de  grands  honneurs. 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  227 

philosophicas  veritates  (1).  Parmi  ces  vérités  figurait 
la  théorie  de  l'horreur  du  vide  par  la  nature,  dont 
il  était  réservé  à  Pascal  de  démontrer  bientôt  la 
fausseté. 

Si  l'archevêque  avait  pu  établir  un  collège  en  con- 
currence avec  celui  des  Jésuites,  il  n'avait  été  en  son 
pouvoir  ni  de  l'installer  commodément,  ni  de  procurer 
à  ses  professeurs  des  appointements  convenables.  Ce 
collège,  en  effet,  n'avait  d'autres  salles  de  classe  que 
celles  delà  juridiction  de  l'archevêché.  Les  professeurs 
s'y  rencontraient  avec  les  hommes  de  loi,  les  écoliers 
avec  les  plaideurs,  et  les  uns  et  les  autres  se  gênaient 
réciproquement. 

Après  quelques  années  d'un  essai  malheureux,  ce  col- 
lège fut  supprimé.  Le  14  janvier  1648,  les  échevins  de 
Rouen  rejetaient  la  requête  des  écoliers  étudiants  en 
philosophie  sous  Pierius,  tendant  à  ce  qu'il  leur  fût 
assigné  un  lieu  pour  recevoir  l'enseignement  de  ce  pro- 
fesseur. L'archevêque  avait  révoqué  Pierius  ainsi  que 
les  maîtres  de  grammaire  et  de  rhétorique.  La  Ville 
trouva  alors  qu'il  était  inutile  de  faire  les  frais  d'un 
nouvel  établissement,  et  que  celui  des  Jésuites  pouvait 
suffire. 

Ces  débats  eurent  pour  conséquence  d'amener  les  au- 

(1)  Jacques  Pierius,  curé  de  Déville  prés  Rouen,  originaire  de  Falaise 
ou  des  environs,  frère  de  Vigor  Pierius,  curé  de  Saint-Loup-le-Canivet, 
et  de  Guillaume  Pierius,  apothicaire  à  Falaise,  comme  on  le  voit  par  un 
acte  du  tabellionage  du  7  mars  16  ii.  Pour  la  théologie,  le  professeur 
était  Nicolas  Paris  qui  fut  plus  tard  archidiacre  et  vicaire  général  de 
l'archevêque,  et  que  ses  relations  intimer  avec  le  cardinal  de  Retz  rendent 
un  peu  suspect. 


228  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

toritésciviles,  et  notammentle  Parlement,  à  intervenir 
fréquemment,  comme  arbitres,  dans  les  questions  reli- 
gieuses. 

Assistant  à  la  bénédiction  des  cierges,  dans  le  chœur 
de  la  cathédrale,  le  2  février  1640,  le  «  chancelier  Sé- 
guier  fait  porter  plainte  à  l'archevêque  de  la  mau- 
vaise tenue  d*aucuns  do  MM.  les  chanoines  qui,  sans 
avoir  esgart  ni  au  lieu,  ni  à  sa  présence,  ni  à  celle  des 
maistresdes  Requestes  (Etienne  Pascal  était  l'un  d'eux), 
causoient  et  discouroient  en  Pêglise  durant  la  plus 
grande  partie  de  la  messe  avec  postures  indécentes  dont 
ledit  s'  chancelier  et  ceux  de  sa  suite  avoient  esté  scan- 
dalisés (1)  ». 

Cette  même  année,  les  prieurs  et  religieux  des  cou- 
vents des  Augustins  et  des  Jacobins  de  Rouen,  pré- 
sentent une  requête  au  Parlement  à  ce  que,  vu  le  refus 
de  Messire  François  de  Harlay,  de  leur  bailler  la  mis- 
sion et  placet  suivant  et  conformément  aux  articles  faits 
entre  eux  et  lui,  qui  sepouvoient  voir  en  la  distribution 
des  Stations  imprimées  en  1628,  ilfùt  ordonné  que  ledit 
sieur  archevesque  y  fût  contraint  par  saisie  de  son 
temporeljusqu'à  2,000  livres  pour  aider  à  la  nourrituic 
des  religieux  ».  L'arrêt  rendu  sur  cette  requête  porte 
«  que  les  religieux  seront  tenus  eux  retirer  par  devers 
l'archevesque  pour  requérir  ladite  permission  durant  les 
stations  de  Pavent  et  caresme,  et,  ce  faisant,  la  cour 
enjoint  à  l'archevesque  bailler  la  permission  deman- 
dée (2)  ». 

(1)  Arcli.  de  In  S.-liir.  IlCiT.  capidilaires. 
{■2)  Arcli.  de  la  S.-Inl".  Reg.  du  Pailemcnt. 


CLASSE  DES  BELLES -LETTRES  229 

Le  27  avril  1G47,  le  procureur  général  Le  Guerchoys   ' 
annonce  au  Chapitre  qu'il  agira  contre  MM.  les  cha- 
noines, s'ils  ne  rémédioient  au  grand  abus  qui  se  com- 
mettoit  du  peu  d'assistance  qu'ils  faisoient  au  chœur 
où,  de  50  chanoines,  à  peine  en  voyoit-on  3  ou  4  (1)  ». 

Ce  qui  est  plus  caractéristique,  c'est  l'arrêt  que  ren- 
dit le  Parlement  à  propos  d'une  procession  ordonnée 
par  l'archevêque  pour  rendre  grâces  à  Dieu  du  résultat 
de  l'élection  des  nouveaux  cchevins.  Voici  un  extrait 
de  ce  document  : 

«  3  août  1647.  —  Sur  la  remonstrance  faicte  par 
Plue,  advocat  général,  pour  le  procureur  général  du 
Roy,  que  certain  placart  imprimé  seroit  tombé  en  ses 
mains,  par  lequel  le  sieur  archevesque  de  Rouen,  sur 
une  occasion  de  connaissance  particulière  qu'il  a  pour 
l'establisseraent  d'échevins  en  l'hostel  commun  de  cesto 
ville...  du  4^  juillet  dernier,  comme  il  est  acoustumé 
d'y  procéder  de  3  ans  en  3  ans,  ordonne  que  les  curez 
de  ladicte  ville  feront  marcher  leurs  paroissiens  en  pro- 
cession publique  à  commencer  du  jour  de  dimenche  pro- 
chain et  continuer  tous  les  jours  de  la  semaine,  au 
nombre  de  plusieurs  paroisses  par  chacun  jour,  qui 
doibvent  se  rendre  en  l'église  collégiale  et  paroissiale 
de  N.  D.  de  la  Ronde,  qui  est  la  paroisse  ordinaire  du- 
dict  hosteL  pour  de  là  se  transporter  en  la  grande  église 
cathédralle  N.  D.  devant  Tautel  de  la  chapelle  des 
Yœux  (2),  qui  est  un  ordre  tout  à  fait  extraordinaire  et 


(1)  Arch.  de  la  S.-Iiif.  ^tel,^  capidilaires. 

(^2)  L'n  dos  autels  situés  devant  le  jubé  de  la  eatliédiale,  nommé  Taufel 


^         Gl    ^<5  "^     '^ 


230  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

inusité  et  abusif,  de  quelque  façon  qu'on  le  considère, 
soit  en  l'adresse,  qui  n'a  peu  ny  deub  estre  faict  en  tel 
cas  qu'au  doyen  de  la  Chrestienté,  qui  doibt  avertir  les 
curez,  et  non  pas  aux  eschevins  de  la  ville,  qui  n'ont 
aucun  pouvoir  de  faire  advertir  lesdicts  curez,  et  sur 
lesquelz  eschevins,  comme  personnages  laïques,  ledict 
sieur  archevesque  n'a  aucune  jurisdiction  ny  pouvoir 
d'addresser  ses  mandatz;  soit  en  la  forme  extraordi- 
naire de  telles  processions,  lesquelles,  comme  l'usage 
en  est  à  respecter,  aux  cas  où  elles  sont  nécessaires,  elles 
ne  doibvent  estre  décernées  qu'avec  grande  prudence... 
et  aux  temps  accoustumez;  et  d'autant  qu'il  ne  seroit 
raisonnable  que  ledict  sieur  archevesque,  pour  sa  satis- 
faction et  conjouissance  particulière  de  quelques  parti- 
culiers, ses  amys,  audict  eschevinat,  eût  le  pouvoir. .  . 
de  faire  marcher  lesdicts  curez  de  la  sorte  et  les  abais- 
ser pour  faire  honneur  ausdicts  eschevins,  au  lieu  de 
les  favorablement  et  dignement  traicter,  puisqu'ils  sont 
les  pasteurs  et  du  nombre  des  premiers  de  l'ordre  hié- 
rarchique de  l'église,  ce  qui  porteroit  conséquence  de 
servitude  et  subjection  importune; .  .  .  à  joindre  que  tel 
mandat  est  entièrement  abusif,  en  ce  qu'il  est  donné  par 
un  prélat  qui  n'a,  depuis  7  années,  résidé  dans  son  dio- 
cèse, donné  à  Gaillon,  hors  le  territoire  et  estendue  de 
sa  jurisdiction,  et  dans  le  diocèse  d'Evreux,  contre  et  au 
préjudice  des  saints  canons,  ordonnances  des  Roys  qui 
enjoignent  la  résidence  des  prt'datz,  autant  pour  la  né- 
cessité du  peuple  qui  leur  est  commis,  que  pour  donner 

du  Vœu,  en  souvenir  de  la  fondation  qu'y  firent,  en  1637,  les  Echevins 
pour  remercier  Dieu  de  la  cessation  de  la  peste. 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  231 

force  et  validité  à  leurs  mandats, . .  .  considérations  qui 
nécessitent  luy  qui  parle  pour  le  Roy,  chef  de  la  police 
extérieure  de  l'Eglise. ...  à  demander  qu'il  plaise  à  la 
Cour  le  recevoir  -pour  appelant  comme  d'abus  de  la 
concession  dudit  mandat, ...  et,  fai>ant  droit  sur  son 
appel,  prononcer  qu'il  a  esté  mal,  nullement  et  abusi- 
vement concé  lé.  .  .  et,  au  surplus,  lui  accorder  mande- 
ment aux  fins  de  faire  résider  ledit  sieur  archevesque 
en  sa  maison  archiépiscopale  de  Rouen,  qui  tombe  entiè- 
rement en  ruine  et  désolation.  .  . 

«  La  Cour  a  receu  et  reçoit  le  procureur  général  du 
Roy  appelant  comme  d'abus,  l'a  tenu  pour  bien  relevé, 
.  .  .  annulle  icelui  mandat,  faict  deffenses  aux  curez  de 
le  mettre  à  exécution  sur  les  peines  au  cas  appartenant, 
.  .  .  ordonne  que  le  présent  arrest  sera  signifié  par  un 
des  huissiers  de  la  Cour  au  doyen  de  la  Chrestienté,  le- 
quel sera  tenu  en  advertir  les  curez,  mesme  ausdicts 
eschevins  de  la  ville  ».  Signé  A.  de  Faucon  (premier 
président)  (1). 

Tous  ces  débats  ne  touchaient  qu'à  la  discipline  ecclé- 
siastique. Mais  déjà,  au  Parlement  (2),  au  Chapitre  de 
la  cathédrale  (3),  dans  le  clergé  (4),  des  dissensions  se 

(1)  Aich.  de  la  S.-Inf.  Parlement,  Audiences. 

(2)  Le  Parlement,  très  réservé  dans  ses  permissions  d'imprimer,  auto- 
rise, le  20  mai  164."i,  Jean  Viret,  à  imprimer,  vendre  et  distiibuer  les 
«  Letires  chrétiennes  et  spirituelles  >    de  Du  Vergier  de  Hauranne. 

(3)  Le  Chapitre  admet  dans  sa  bibliothèque  les  livres  de  Jansénius.  I 
achète,  le  23  février  1641  le  livre  du  P.  Cellot  de  Hierarchia  et  Hierar- 
chis,  sur  la  hiérarchie,  mais  il  veut  qu'il  soit  rangé  parmi  les  livres  héré- 
tiques. 

(4)  29  octobre  1641,  enregistrement  d'une  lettre  du  Roi  à  Tarchevéquiî 


232  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

faisaient  jour  en  matière  de  dogmes  religieux,  et  le  jan- 
sénisme commeiîçait. 


II 


Les  faits  que  nous  venons  d'exposer  ne  pouvaient 
laisser  Biaise  Pascal  indifférent;  on  ne  saurait  cepen- 
dant affirmer  qu'ils  fussent  de  nature  à  l'affecter  d'une 
manière  particulière. 

Ceux  que  je  vais  rappeler  ont  eu,  au  contraire, 
pour  lui,  un  intérêt  tout  spécial;  et  il  est  impossible  de 
douter  qu'ils  n'aient  exercé  sur  son  caractère  et  sur  son 
esprit  une  influence  directe  et  très  considérable.  11 
s'agit,  en  effet,  de  faire  connnaître  dans  quelles  cir- 
constances son  père  vint  à  Rouen,  quel  genre  de  fonc- 
tions il  fut  appelé  à  y  exercer,  à  quelles  vicissitudes  de 
considération  et  de  défiance  il  fut  exposé,  à  quelles 
contradictions  il  fat  en  butte  pendant  les  huit  années 
de  son  administration. 

On  sait  qu'un  des  buts  que  se  proposa  liiclielieu  fut 
d'affranchir    l'autorité    royale    des    entraves    qu'elle 

(!*'  Rouen  an  sujet  do  la  pmli.^aliôn  faite  on  IVirliso  de  Saint-Denis  par 
lo  itiicmdii  Mont  aux-Malades  (Jessé  de  Eauqueniait)  «  k-qncl  avoit  atta- 
qué 11'  W.  1».  Jacques  Sirniond.  de  la  Compagnie  de  Jésus,  ronfesseur  du 
Roi.  et  avoit  été  si  osé  que  de  prendre  pour  les  points  de  son  sermon 
qu,^  le  P.  Sirmond  était  ignorant,  arrogant  et  médisant  ».  Dans  la  nièmc 
lettre,  le  Roi  ordonne  à  l'arcliovéque  de  reprendre  le  curé  de  Saint- 
Mnclou,  Charles  Dufonr,  neveu  de  révéjuo  de  RcUcy.  qui  s'était  permis 
des  attaques  du  même  genre  contre  le  ni^nie  père,  ('orapiègno,  22  octobre 
KUl.  (Anli.  d.'  la  S.-Inf.  C.    t!i(is). 


CLASSE   DES   BELLES-LETTRES  233 

éprouvait  de  la  part  des  protestants,  mis  en  possession 
de  places  fortes  qui  leur  permettaient  de  réclamer 
l'appui  de  l'étranger;  de  l'affrancliir  aussi  des  ligues 
qu'avaient  l'habitude  de  former  entre  eux  les  grands 
seigneurs  féodaux,  ainsi  que  du  contrôle  que  les  cours 
souveraines  prétendaient  exercer  sur  les  décisions  du 
Conseil.  La  prise  de  la  Rochelle,  les  châtiments  exem- 
plaires infligés  à  Chalais,  à  Marillac,  à  Montmorency, 
firent  comprendre  à  la  haute  noblesse,  catholique  ou 
protestante,  qu'elle  aurait  désormais  à  compter  avec  un 
maître  inflexible.  On  en  fut  encore  mieux  persuadé 
lorsqu'on  vit  à  quels  traitements  furent  soumis,  sans 
égard  pour  leur  rang,  les  reines  Marie  de  Médicis 
et  Anne  d'Autriche,  et  quelles  capitulations  humi- 
liantes le  frère  du  Roi  dut  subir  en  punition  de  ses 
trahisons.  Les  parlements,  à  leur  tour,  furent  forcés 
de  s'incliner  devant  la  volonté  du  ministre,  auquel 
Louis  Xlll  avait  abandonné  la  direction  du  gouver- 
nement. 

En  même  temps  qu'il  poursuivait,  à  l'intérieur,  cette 
œuvre  de  l'agrandissement  du  pouvoir  royal,  Riclie- 
liou,  reprenant  le  plan  de  Henri  IV,  so  proposa,  comme 
but  principal  de  sa  politique,  l'abaissement  de  la  mai- 
son d'Autriche. 

Il  y  avait  dix-sept  ans  que  la  guerre  durait,  avec  des 
alternatives  de  succès  et  de  revers,  entre  les  princes 
protestants  et  les  empereurs  d'Allemagne,  soutenus 
par  l'Esp.igne,  lorsque  Richelieu,  tout  cardinal  qu'il 
était,  n'hésita  pas  à  prendre  ouvertement  parti  pour 


234  ACADÉMIE   DE   ROUEK 

les  premiers  et  à  intervenir  dans  la  lutte  en  mettant 
sur  pied  cinq  armées. 

L'effort  était  considérable  :  il  parut  même  au-dessus 
des  forces  de  la  nation. 

Dès  lors,  bien  que  déjà  les  impôts  pesassent  lourde- 
ment sur  le  peuple,  il  fallut  songer  à  procurer  à  l'Etat 
de  nouvelles  ressources,  en  proportion  avec  les  dépenses 
que  la  guerre  exigeait.  Outre  les  tailles,  qui  furent  aug- 
mentées, on  eut  recours  à  une  imposition  nouvelle 
pour  la  subsistance  des  troupes,  à  la  création  d'un 
nombre  infini  d'offices  et  de  droits  de  toute  sorte,  dont 
on  espérait  tirer  un  bon  prix,  mais  qui  eut  pour  effet 
immédiat  d'avilir  les  offices  d'ancienne  création,  d'in- 
troduire la  confusion  dans  tous  les  sièges  judiciaires  et 
dans  toutes  les  administrations,  d'alarmer  tous  les  inté- 
rêts, et  de  livrer  le  pays  en  proie  à  l'avidité  des  trai- 
tants, intermédiaires  obligés  entre  l'Etat  et  les  contri- 
buables. La  résignation  fut  d'autant  plus  difficile  à 
obtenir  que  les  résultats  des  deux  premières  campagnes 
furent  loin  de  répondre  aux  espérances  de  Richelieu. 
La  prise  de  Corbie  par  Piccolomini  en  1636  (1)  fit 
craindre,  un  instant,  que  les  ennemis  ne  profitassent  de 
leur  avantage  pour  marcher  sur  Paris  et  pour  envahir 
les  campagnes  de  la  Haute-Normandie. 

Vers  cette  fatale  époque,  il  n'y  eut  guère  de  corps 
constitués,  de  corporations,  ni  même  de  particuliers  qui 
n'eussent  des  griefs  sérieux  contre  le  gouvernement. 

(1)  Corbie  ne  larda  pas  à  ^tre  repris.  Le  Te  Deum  fut  chanté  à  la 
cathédrale  de  Rouen  pour  rendre  grâces  à  Dieu  de  ce  succès,  le  22  no- 
vembre 1636. 


CLASSE    l'ES    BELLES-LETTRES  235 

Le  Parlement  de  Rouen,  notamment,  se  plaignait, 
non  sans  raison,  du  nouveau  bail  de  V annuel,  sorte  de 
droit  que  les  titulaires  d'offices  avaient  à  payer  pour 
s'assurer  la  faculté  d'en  disposer  par  résignation.  Il 
réclamait,  sans  succès,  le  paiement  des  gages  des  con- 
seillers, et  voyait  avec  peine  qu'on  pressait  d'urgence 
l'exécution  d'édits  qu'on  n'avait  point  porté  officielle- 
ment à  sa  connaissance  (1),  ou  la  perception  de  droits 
qui  avaient  donné  lieu  à  ses  remontrances. 

Une  fois,  en  mars  1637,  pour  vaincre  l'opposition  du 
Parlement,  Louis  XIII  s'approcha  de  Rouen,  jusqu'à 
Dangu,  en  annonçant  son  intention  de  venir  y  tenir  un 
lit  de  justice,  avec  tout  l'appareil  de  la  puissance 
royale.  Le  chancelier  Séguier  et  le  Conseil  qui  l'avaient 
précédé  se  tenaient  à  Gisors,  et  attendaient  l'arrivée 
du  Roi.  Le  Parlement,  effrayé  des  mesures  de  rigueur 
dont  on  le  menaçait,  fit  sa  soumission  et  enregistra 
de  force  les  Edits  qui  lui  furent  présentés  par  le  con- 
seiller Talon,  le  16  mars  1637. 

Deux  ans  après,  le  7  juin  1639,  le  duc  de  Mercœur, 
assisté  du  même  conseiller,  venait  à  Rouen  faire  enre- 
gistrer d'autorité  une  dizaine  d'édits  fiscaux  (2). 

(1)  23  juin  163S.  Ârtur  Godait,  lieutenant  général  du  bailliage  de 
Rouen,  vient  représenter  à  la  Cour  que  le  Roi  avait  traité  avec  le  sieur 
Le  Tessier  pour  la  fabrication  de  doubles  pendant  trois  ans,  moyennant 
1,800,000  livres  par  an.  Le  Tessier  prétendait  établir  a  Rouen  un  atelier 
de  fabrication.  Il  n  y  avait  pas  eu  de  leUres  patentes  adressées  à  ce  sujet 
au  Parlement.  Le  lieutenant  général  demandait  à  la  cour  ce  qu'il  devait 
faire.  Le  procureur  général  exprima  l'avis  qu'il  serait  dangereux  de 
s'opposer  à  l'exécution  du  traité,  et  qu'il  fallait  se  borner  à  engager  le 
lieutenant  général  à  écrire  au  Chancelier  (Reg.  secrets). 

(2)  Edit  pour  les  contrôleurs  des  greffes  en  Normandie  ;  —  de  création 


23G  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

La  Cour  des  Aides  de  Normandie,  doiit  le  siège  était 
à  Rouen,  j-ouvait,  pour  des  raisons  plus  ou  moins  plau- 
sibles, se  montrer  opposée  à  l'établissement  de  la  gabelle 
en  liasse-Normandie.  On  fit  passer  l'ordonnance  qui 
imposait  cette  contribution  en  créant  à  Gae:i  une  Cour 
des  Aides  particulière  pour  la  Basse-Normandie  et  en 
supprimant,  peu  de  temps  après,  la  Cour  des  Aides  de 
Rouen,  qui  fut  réunie  à  celle  de  Paris. 

Ce  fut  là  une  des  causes  principales  de  cette  révolte 
des  Nu-Pieds  qui  ne  tarda  pas  à  éclater  dans  le  bailliage 
du  Cotentin,  aux  environs  d'Avranclies,  et  qui  fut  com- 
primée avec  une  extrême  rigueur  par  les  troupes  de 
Gassion. 

A  Rouen,  ville  de  draperies,  ce  qui  mit  le  comble  au 
mécontentement  et  déchaîna  le  peuple,  ce  fut  l'édit 
pour  le  contrôle  des  teintures  qui  avait  été  enregistré 
d'autorité  en  1639  (1). 

diin  contiûlciir  dos  teinliires;  —  d"aUiibiition  d'augmentation  de  droit  de 
quittance  aux  receveurs  des  tailles  et  aux  receveurs  du  tuillon;  —  d  athi- 
bulion  de  la  qualité  de  premiers  présidents  aux  présidents  anciens  des 
Elections;  —  de  contrôleurs  des  poids;  —  de  l'union  du  garde  scel  au 
corps  des  oftkiers  des  Élections;  —  des  Intendants  des  Elections  et  des 
procureurs  syndics  des  parroisses  ;  —  des  receveurs  particuliers  des  tailles 
en  chaque  parroisse;  —  de  six  receveurs-payeurs  et  contrôleurs  de 
rentes  aliénées  sur  les  Aides,  et  de  six  commis  desdits  contrôleurs. 
L'eni-egislrement  eut  lie.!  à  la  Cour  des  .\ides.  La  Commission  du  duc  de 
Mercœiir  était  d:»lée  du  22  mai  1639. 

(1)  Cet  édit  créait  eu  titre  doffice  formé,  en  chaque  ville  et  bourg  du 
royaume  où  il  y  avait  des  teintures,  un  conîrôleur  visiteur-essayeur  héré- 
ditaire des  teintures  de  draperies  et  détolTes  de  laines...  Ceux  qui  en 
étaient  ponsvus  avaient  droit  de  faire  visites  en  toutes  les  teintures, 
boutiques  et  magasins  des  marchands,  à  ce  que  lesdites  marchandises  et 
étoffes  fussent  bien  et  lovalement  teintes.  Des  droits  ronsidéi'ubles  de 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  237 

Les  journées  des  21,  22,  23,  24  août  1639  furent 
marquées  par  des  émeutes.  Quelques  meurtres  furent 
commis,  à  commencer  par  celui  d'un  nommé  Hays  qui 
voulait  établir  le  contrôle  sur  les  teintures,  meurtre 
dont  les  coupables  furent  mollement  et  inutilement 
recherchés.  Ce  qu'il  y  eut  de  plus  grave,  ce  fut  le  pil- 
lage des  différents  bureaux  de  recettes  :  (droits  de  qua- 
trièmes sur  les  boissons,  droits  de  francs-fiefs,  impôts 
sur  les  cartes,  sur  les  cuirs,  sur  le  papier)  ;  le  pil- 
lage du  bureau  des  doubles,  rue  Martainville,  et  de 
celui  des  gabelles,  rue  de  la  Prison,  dans  l'hôtel  de 
Nicolas  Le  Tellier,  receveur  général  de  cet  impôt. 

Remarquons,  pour  expliquer  ces  scènes  de  désordre, 
qu'il  n'y  avait  point  à  Rouen  de  force  armée,  et  que  le 
Parlement  et  LHôtel-de-Ville  n'avaient  à  leur  dispo- 
sition, pour  s'opposer  aux  émeutiers,  que  deux  com- 
pagnies bourgeoi>:es,  équivalentes  à  peine  aux  com- 
pagnies de  sergents  de  ville,  aujourd'hui  placées  sous 
Lautorité  de  notre  administration  municipale.  Avec  nos 
mœurs  actuelles,  je  doute  qu'en  pareille  occurrence, 
l'ordre  lût  garanti  longtemps  dans  Ja  plupart  de  nos 
grandes  villes  industrielles. 

Cette  considération,  qui  vient  naturellement  à  l'esprit, 
ne  toucha  guère  le  Gouvernement. 

La  ville  de  Rouen  lui  parut  coupable  d'un  crime  de  lèse- 
majesté,  qui  méritait  un  châtiment  exemplaire.  Telle 
paraît  avoir  été  l'opinion  de  la  sœur  de  Biaise  Pascal  qui 
écrivait  dans  ses  mémoires  relatifs  à  son  frère  :  «Sur  la 

visite  et  de  marque  loiir  ctaioiit  ii.iturelleiuent  attribués  sur  tous  les  tein- 
turiers et  marchands,  mai  1G39. 


238  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

fin  de  1639,  il  (Etienne  Pascal)  fut  envoyé  Intendant  en 
Normandie  où  il  y  avoit  des  troubles  très  grands.  Les 
bureaux  de  recette  avoient  été  pillés,  et  des  receveurs 
tués.  Le  Parlement,  qui  n'avoit  jjoint  fait  son 
devoir,  fut  interdit:  et  on  y  envova  des  officiers  du 
Parlement  de  Paris  pour  exercer  la  justice.  » 

On  ne  saurait  admettre  que  le  Parlement  et  l'Hôtel- 
de-Yille  de  Rouen  aient  pactisé  avec  les  émeutiers;  et 
il  n'y  avait  aucune  preuve  qui  permît  de  les  rendre  res- 
ponsables des  scènes  de  désordre  qu'ils  n'avaient  pas 
eu  le  moyen  d'empêcher. 

On  doit  croire  cependant  que  le  Parlement  trouvait 
à  ces  faits  regrettables  une  explication,  sinon  une 
excuse,  inadmissible  pour  le  Gouvernement. 

Cette  conjecture  parait  autorisée  par  ce  que  nous 
lisons  dans  les  Mémoires  de  Bigot  de  Monville,  publiés 
par  notre  regretté  confrère,  M.  d'Estaintot. 

€  Nul,  écrivait-il,  ne  se  mit  en  estât  de  nous  assister, 
tant  estoit  grande  la  haine  contre  les  partisans,  excitée 
par  leur  insolence,  veu  qu'ils  ne  se  contentoient  pas 
d'exécuter  leurs  commissions;  ils  demandoient  beau- 
coup plus  que  les  ordres  du  Roy  et  y  joignoient  les 
paroles  de  mespris  et  les  profusions  en  leurs  festins  et 
habits,  de  sorte  qu'encor  que  ceux  qui  pilloient  fussent 
(le  la  lie  du  peuple,  néantmoins  les  artisans  et  autres 
bourgeois  n'en  estoient  pas  faschés  et  s'imaginoient, 
contre  vérité,  que  le  Parlement  ne  les  exhortoit  à  s'y 
opposer  que  par  acquit  et  pour  sa  descharge.   » 

Sans  aucun  doute  le  peuple  ne  se  faisait  pas  une 
autre  idée  des   sentiments  secrets  des   échevins.    On 


CLASSE    DES   BELLES-LETTRES  239 

savait  généralement  combien  ceux-ci  s'étaient  montrés 
opposés  aux  charges  que  le  Gouvernement  voulait  faire 
peser  sur  la  ville,  et  quelle  irritation  leur  avait  causée 
la  saisie  qui  avait  été  faite  de  leurs  halles  et  moulins, 
prétendus  domaniaux,  sur  l'instance  d'un  nommé  Mal- 
dent, intéressé  à  la  revente  du  domaine  royal  et  de 
tous  les  biens  qu'on  comprenait  sous  ce  titre  (1). 

A  l'époque  des  émeutes,  l'Intendant  de  la  Généralité 
était  Claude  de  Paris.  Il  avait  succédé  à  Jacques  Dyel  de 
Miromesnil,  Maître  des  Requêtes,  dont  la  nomination, 
comme  Intendant  de  la  justice,  police,  finances  et 
armées  de  Normandie,  avait  dû  précéder  de  peu  le 
10  novembre  1636  (2). 

Les  relations  de  parenté  de  Miromesnil  avec  les 
familles  les  plus  riches  du  pays,  avec  plusieurs  magis- 
trats des  compagnies   souveraines  et  du  Bureau  des 

(1)  13  juillet  1638,  le  Parlement  renvoie  au  Roi  les  échevins  de  Rouen 
que  Maldent  avait  fait  ajourner  devant  les  commissaires  députés  pour  la 
revente. 

(-2)  Il  avait  acheté,  le  10  mars  1631,  la  charge  de  Maître  des  Requêtes 
ordinaire  de  THùtel  du  Roi,  dAbel  de  Servient,  conseiller  du  Roi  en  ses 
Conseils  et  secrétaire  des  commandements  de  S.  M.  (Tab.  de  Rouen).  Le 
2  janvier  1634,  il  s'était  présenté  à  THôtel-de-Ville  de  Rouen  pour  l'exé- 
cution d'un  arrêt  du  Conseil  relatif  à  la  reconstruction  du  pont  de 
Rouen.  —  Le  14  août  1636,  dans  une  assemblée  tenue  à  l'Hôtel-dc-Ville, 
il  parait  de  nouveau  et  demande  aux  échevins  un  secours  pour  mettre  sur 
pied  une  armée  en  état  de  repousser  de  la  Picardie  les  ennemis  qui  s'y 
étaient  établis.  Les  échevins  n'offrirent  que  20,000  livres.  — Lettres  du  Roi 
communiquées  aux  échevins  le  29  janvier  1637,  avec  ordre  de  procéder  a 
TassieUe  de  400.000  livres  par  forme  d'emprunt  sur  les  habitants.  — 
Rabais  obtenu  de  100,000  livres.  —  Miromesnil  avait  épousé  Françoise 
LeTellier. 

11  avait  succède  a  M.  Le  Tonnelier  de  Gonty,  conseiller,  qui  remplis- 


240  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

finances  lui  firent,  sans  doute,  désirer  d'être  dé- 
chargé de  ses  fonctions,  lorsqu'il  lui  devint  impossible 
de  les  remplir  sans  se  brouiller  avec  ceux  qu'il  tenait 
le  plus  à  obliger,  ou  sans  s'exposfr  à  des  reproches  de 
faiblesse  de  la  part  des  Ministres. 

Claude  de  Paris,  Maître  des  Requêtes,  étranger  au 
pays,  n'éprouvait  pas  les  mêmes  embarras  et  pouvait 
avec  plus  de  liberté  se  résoudre  à  des  mesures  rigou- 
reuses (1). 

Ce  dernier  s'occupa  spécialement  de  la  levée  de  l'im- 
pôt des  subsistances,  de  concert  avec  un  Trésorier  de 
France,  M.  Pierre  Puchot  du  Plessis  (2). 

sait,  en  1633,  les  fondions  d'Intendant  de  la  justice  et  police  en  >'orniandie. 
Conty  et  Jacques  Le  Bret,  président  et  Trésorier  de  France  en  la  Généralité 
de  Paris,  étaient  commissaires  députés  par  le  Roi  pour  le  régalement  des 
tailles,  abus  et  malversations  commises  au  fait  d'icclle,  en  la  province  de 
Normandie,  le  dern.  fév.  1635. 

(1)  Il  semble  qu'entre  Miromesnil  et  Cl.  de  Paris  il  faille  placer  Vallier, 
Maitre  d'hôtel  ordinaire  du  Roi,  lequel  fut  chargé  de  la  levée  de  l'impo- 
sition à  mettre  sur  les  villes  franches  de  la  Généralité.  Il  agit  à  cet 
eiïet  les  15,  18,  19  janvier,  9  février  1631.  —  16  septembre  1638, 
demande  faite  à  la  ville  d;^  Rouen  par  MM.  de  Paris,  conseiller  du  Roi 
en  ses  Conseils  d'Etat,  et  Puchot  du  Plessis,  Trésorier  de  France,  com- 
missaires députés  par  S.  U.  pour  la  subsistance  des  gens  de  guerre  en  la 
Généralité  de  Rouen,  de  la  somme  de  2ûO,OÛ(J  livres  à  laquelle  ils  avaient 
taxé  la  ville  pour  sa  part  du  quartier  d'hiver,  alors  courant.  Cette  taxe  avait 
été  établie  en  exécution  d'un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  daté  d'Abbeville, 
3  août  1638.  la  Commission  délivrée  à  Cl.  de  Paris  porte  la  mtmc  date.  Il 
avait  d'abord  eu  pour  collègue  M.  Le  Seigneur  de  Reuville,  Trésorier  de 
France  à  Rouen.  Quelques  jours  après,  de  Reuville  était  remplacé  par 
Puchot.  Dans  plusieurs  ordonnances  Claude  de  Paris  prend  le  titre  décon- 
seiller de  S.  M.  en  son  Conseil  d'Eiat,  In;endant  de  la  justice,  police  et 
linances  de  la  province  de  Normandie.  (Arch.  Rouen  A.  25,  folios  268, 
268  b.,  1^70,  ::'71,  212,  l'IJ,  274,  279,  281,  282). 

(2)  M.  Puchot  du  Plessis  n'était  guère  moins  impopulaire  à  Rouen  que 


CLASSE    DES   BELLES-LETTRES  241 

A  la  suite  des  émeutes  de  Rouen,  se  voyant  l'objet 
de  la  haine  du  peuple,  pour  la  part  qu'il  avait  prise  ta  la 
levée  des  taxes,  et  principalement  à  l'imposition  des 
subsistances,  il  prit  le  parti  de  se  retirer  h  Gisors,  où  il 
se  trouvait  plus  en  sûreté  et,  d'ailleurs,  à  portée  d'en- 
tretenir plus  librement  une  correspondance  suivie  avec 
la  Cour  ou  le  Conseil  (1). 

Là,  nous  lui  trouvons  pour  collègue  Etienne  Pascal, 
président  de  la  Cour  des  Aides  de  Clermont-Ferrant, 
qui  paraît  avoir  pris  la  place  de  M.  Pucliot  du  Plessis. 

Je  ne  saurais  déterminer  exactement  la  date  de  la 
nomination  de  Pascal.  Il  est  certain  qu'elle  précéda  un 
édit  de  novembre  1639  qui  supprima  le  Bureau  des 
finances  et  ne  fut  pourtant  signifié  aux  Trésoriers  de 
France  qu'en  janvier  1640. 

Un  acte  du  19  octobre  1639  nous  le  montre  agissant 
comme  délégué  pour  l'assiette  et  la  subsistance  des  gens 
de  guerre. 

Cette  année-là  Cl.  de  Paris  et  lui  eurent  bientôt  à  taxer 
la  ville  et  la  banlieue  de  Rouen  à  150,000  livres  pour 
leur  part  d'un  subside  de  1,003,554  livres.  La  lettre 


Cl.  de  Paris.  Bigot  de  Monville,  dans  ses  Mémoires,  nous  apprend  qu'il 
avait  été  menacé  par  le  peuple,  «  non  pas  tant  pour  avoir  été  des  francs 
fiefs,  que  pour  avoir  travaillé  à  la  Commission  des  subsistances  avec 
3Î.  de  Paris  ». 

{[)  C'est  par  Gisors  que  Louis  XIII  se  proposait  de  venir  de  Paris  à 
Rouen  en  1637. 

Cl.  de  Paris  dut  quitter  Rouen  peu  de  temps  après  le  meurtre  de  Hays. 
«  Cette  conduite,  dit  Bigot  de  Monville,  donna  répouvante  à  M.  de  Paris, 
qui  n'étoit  pas  fort  hardy,  et  qui,  n'estant  pas  de  la  ville,  craignoit  d'au- 
tant plus  un  peuple  où  il  n'avoit  pas  d'establisscmcnt.  » 

16 


242  ACADEMIE  DE  ROUEN 

qu'ils  écrivirent  aux  échevins  pourleur  faire  part  de  cette 
taxe  est  datée  de  Gisors,  19  novembre.  Ce  fut  là  que 
l'Hôtel-de- Ville  de  Rouen  leur  députa  son  procureur- 
syndic,  le  sieur  de  Gueudeville,  dans  l'espoir  d'obtenir 
par  lui  une  réduction  plus  ou  moins  considérable. 
Yoici  le  curieux  procès-verbal  de  l'entrevue  de  ce 
député  avec  les  deux  commissaires,  tel  que  nous  l'ont 
transmis  les  registres  des  délibérations  municipales. 

«  Mardi  13  décembre  1639. 

€  Le  s'"    de  Gueudeville  a   dit   qu'estant  party  le 
samedi  xi^  jour  du  mois  pour  aller  à  Gisors  voir  M.  de 
Paris,  Intendant  de  la  justice  en  ceste  province,  sui- 
vant la  députation  de  sa  personne,  il  y  arriva  le  lende- 
main dimanche,  à  9  heures  du  matin,  où  il  fut  trouver 
mon  dit  sieur  de  Paris  et  Monsieur  Pascal,  député 
commissaire  avec  luy  pour  la  subsistance,  auxquels  il 
représenta  qu'il  les  venoit  saluer  de  la  part  du  Conseil 
de  la  Yille  et  leur  faire  entendre  les  justes  raisons  qu'il 
avoit  eues  de  différer  la  résolution  de  la  Commission 
qu'ils  y  avoient  envoyée  pour  ladicte  subsistance;  qu'il 
leur  avoit  donc  remonstré  que  la  Ville  avoit  estimé 
nécessaire,   pour  le  bien  de  l'affaire  et  le  service  du 
Roy,   de  penser  au   restablissement  des  bureaux   qui 
avoient  esté  ruinez  durant  l'émotion,  et  pourvoir  à  la 
sûreté  publique  avant  que  de  faire  au  peuple  aucune 
proposition  ny  demande  d'argent;  que  pour  cest  effect 
deux  de  MM.  les  eschevins  avoient  esté  voir  Mons*"  le 
Président  du    Parlement  et   MM.   les  Présidens  des 
autres  compagnies,  qu'iiz  avoient  suppliez  d'y  donner 
ordre,  et  mesme  avoient  aussi  les  dits  sieurs  eschevins 


CLASSE   DES    BELLES-LETTRES  243 

député  vers  lesdites  compagnies  souveraines  pour  leur 
présenter  en  corps  la  nécessité  et  obligation  dudit  res- 
tablissement  ; .  .  .  que,  la  Commission  ayant  esté  leue, 
la  Compagnie  avoit  réclamé  tout  d'une  voix  contre  la 
somme  qui  y  est  employée  ;  que  chacun  s'estoit  sou- 
venu que  la  raesme  Commission,  (jui  avoit  esté  première- 
ment envoyée  à  MM.  les  Trésoriers  de  France,  ne  por- 
toit  que  103,000  livres,  et  que  celle  que  les  dits  sieurs 
commissaires  avoient  envoyée  estoit  de  150,000  livres; 
que  l'assemblée  avoit  e^timé  que,  pour  avoir  changé  de 
main,  la  ville  n'en  devoit  pas  être  surchargée  ;  au  con- 
traire, qu'estant  en  celles  des  dits  sieurs  commissaires, 
elle  en  debvoit  espérer  toute  dcjuceur  et  support,  mon 
dict  sieur  de  Paris  ayant  tesmoigné  en  tout  le  séjour 
qu'il  y  avoit  fait,  de  s'intéresser  en  sa  conservation,  et 
qu'il  y  avoit  subject  d'attendre  de  luy  en  ceste  occasion 
lés  effects  de  sa  bonne  volonté,  comme  aussy  la  faveur 
du  sieur  Pascal  en  Testât  où  ladicte  ville  estoit  à  pré- 
sent réduitte,  ce  tiui  avoit  obligé  la  Compagnie  à  le 
députer  par  devers  eux  pour  les  supplier  très  humble- 
ment de  trouver  bon  que  Ton  fit  ouverture  au  peuple 
de  la  demande  de  subsistance  sur  le  pied  de  la  Commission 
envoyée  ausdicts  sieurs  Trésoriers  de  France,  mesme 
d'y  apporter  quelque  modération,  suivant  le  pouvoir  et 
Tauthorité  que  la  Ville  sçavoit  qu'ils  en  avoient,  et 
qu'en  ce  faisarit,  ils  s'acquerroieiit  une  obligation  très 
estroitte  sur  une  grande  communauté,  qui  en  conser- 
veroit  à  jamais  la  mémoire. 

«  A  quoy  mon  dict  sieur  de  Paris  luy  avoit  dit  qu'il 
n'attendoit  rien  moins  de  son  voyage  que  ce  qu'il  luy  en 


244  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

venoit  de  représenter  ;  que  MM.  de  la  Ville  avoieut  fait 
très  prudemment  de  pourveoir  à  la  seureté  de  la  ville 
et  au  restablissement  des  bureaux;  mais  qu'ils  avoient 
deub,  en  mesme  temps,  donner  ordre  au  payement  de  la 
subsistance;  que  les  troupes  escossaises,  qui  estoient  à 
Dieppe,  estoient  assignées  sur  le  premier  quartier  que 
debvoit  payer  la  ville  de  Rouen,  escheu  dès  le  15  de 
novembre;  que  MM.  les  Sur-Intendans  ne  prendroient 
point  pour  excuse  les  formalitez  de  la  Ville  ni  ses 
avant-procédures  ;  et  que  ses  délaiz  seroient  très  mal 
interprétez  au  Conseil,  qui  avoit  desjà  bien  peu  de  satis- 
faction de  ceste  Ville  ;  qu'on  ne  se  debvoit  point  arrester 
à  la  Commission  des  dits  sieurs  Trésoriers  de  France  ; 
que  cest  ordre  estoit  changé  et  la  taxe  de  la  ville 
arrestée  à  150,000 1.  par  le  Conseil  du  Roy  ;  que  MM.  de 
Rouen  pouvoient  juger  par  le  seul  contentement  qu'il 
y  a  d'obliger,  qu'ils  ne  voudroient  pas  perdre  l'occasion 
de  faire  plaisir,  s'ils  en  avaient  le  moj^en  ;  mais  que  leur 
ordre  estoit  limité,  et  que,  pour  luy  faire  congnoistre 
qu'on  n'avoit  pas  pris  leur  advis  pour  le  pié  des  taxes, 
l'on  avoit  mis  Quillebeuf  à  6001.,  qu'il  n'avoit  (1)  taxé, 
l'année  passée,  qu'à  500;  et  Harfleur  à  10,000  1.,  qu'il 
n'avoit  imposé  aussi  en  lad.  année  qu'à  2,000,  ce  qu'on 
n'auroit  pas  fait,  s'ils  en  eussent  esté  crus,  parce  qu'ils 
sçavent  la  faiblesse  de  ces  lieux;  qu'il  faloit  obéir,  que 
la  Ville  avoit  trop  tardé  de  le  faire  depuis  le  temps 

(1)  Avoit  et  non  avoient.  qui  seniMcrait  plus  correct,  parce  que  l'avis 
auquel  on  fait  allusion  n'émanait  quo  de  Cl.  de  Paris  avant  la  nomination 
de  Pascal, 


CLASSE   DES    BELLES-LETTRES  245 

qu'ils  luy  avoiont  escript,  et  qu'il  ne  faloit  pas  attendre 
un  sol  de  diminution.  » 

Le  lundi,  au  matin,  Gueudeville  était  allé  retrouver 
les  deux  commissaires  à  leur  logis  pour  recevoir  leurs 
commandements  et  leur  résolution  dernière  sur  la  ré- 
duction qu'il  leur  avait  demandée.  Il  reçut  d'eux  cette 
réponse  «  qu'ils  n'avoient  rien  à  ajouter  à  ce  qu'ils  lui 
avoient  dit  le  jour  précédent  ;  que  le  Conseil  avoit  réglé 
la  taxe,  qu'ils  n'y  pouvoient  rien  changer,  et  que,  tant 
s'en  falloit  qu'on  dût  attendre  aucune  diminution, 
qu'on  entendoit  que  la  ville  pavast  ce  qui  restoit  deub 
de  la  dernière  subsistance.  » 

La  Ville  se  permit  alors  d'implorer  l'assistance  de 
ses  protecteurs  naturels.  MM.  du  Parlement,  déjà  for- 
tement compromis,  déclarèrent  que  l'affaire  ne  les 
regardait  pas.  L'archevêque,  Mgr  de  Harlay,  fit  aux 
délégués  municipaux  un  long  discours  «  des  causes  et 
progrès  des  calamités  publiques  ».  Il  leur  dit  «  que  les 
remèdes  les  plus  souverains  estoient  d'avoir  recours  a 
Dieu  et  se  mettre  en  debvoir  d'appaiser  sa  colère,  et, 
poui'  conclusion,  que,  comme  le  mal  avoit  esté  public 
en  ceste  ville,  il  estoit  nécessaire  d'y  apporter  des  satis- 
factions publiques;  que  pour  ce  faire  il  lui  sembloit  à 
propos  que  les  eschevinsle  deussent  venir  en  corps  sup- 
pléer d'ordonner  des  prières  publiques.  » 

Une  amende  honorable  de  cette  nature  ne  pouvait 
être  prise  que  pour  un  aveu  solennel  d'une  conduite 
criminelle  que  les  éclievins  ne  croyaient  pas  avoir  à  se 
reprocher.  Aussi  se  bornèrent-ils  à  prier  l'archevêque 
«  de  les  excuser,  s'ils  ne  pouvoient,  pour  bonnes  consi- 


246  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

dérations,  lui  venir  requérir  des  prières  publiques,  s'en 
remettant  à  son  autorité  de  les  ordonner  ainsi  qu'il  le 
jugeroit  à  propos.  » 

Comme  il  y  avait  urgence  à  prendre  un  parti,  on 
décida  de  réunir  à  la  hâte  trente  des  principaux  bour- 
geois de  chaque  quartier,  lesquels  seraient  invités  par 
les  quarteniers.  et  ce  pour  cette  fois  seulement,  et  sans 
tirer  à  conséquence. 

Il  est  probable  que  cette  décision  resta  sans  effet,  ou 
que,  si  cette  assemblée  de  notables  fut  convoquée,  elle 
n'eut  pas  le  temps  de  se  réunir. 

Le  19  décembre,  en  effet,  on  recevait  la  nouvelle 
que  le  chancelier  Séguier  s'apprêtait  à  venir  à  Rouen, 
et  que  son  logis  était  déjà  marqué  en  l'abbaye  de 
Saint-Ouen. 

Au  Conseil  d'Etat,  tenu  à  Ruel,  il  avait  été  ar- 
rêté, on  ne  tarda  pas  à  le  savoir,  d'infliger  un  châti- 
ment sévère  à  la  Normandie  et  d'y  faire  passer  le  chan- 
celier avec  une  véritable  armée. 

Séguier  était  parti  de  Paris,  accompagné  de  ses  deux 
gendres,  le  prince  d'Enrichemont  et  le  marquis  de 
Coislin,  et  de  Germain  de  Habert,  abbé  de  Cerisy. 

Le  21,  il  était  àGaillon,  où  l'avaient  accompagné  plu- 
sieurs Conseillers  d'Etat  et  Maîtres  des  Requêtes  (1). 

Les  corps  constitués  de  Rouen  l'envoyèrent  saluer  et 
employèrent  vis-à-vis  de  lui,  pour  l'adoucir,  tous  les 
moyens  que  la  frayeur  peut  suggérer. 

Parlant  du  séjour  que  le  chancelier  fit  à  Gaillon, 

(1)  Méfnoiree  de  Bigot  de  Monville^  p.  189. 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  217 

Dora  Pomrneraye  rappelle,  à  la  louange  de  l'arche- 
vêque, que  celui-ci  n'épargna  rien  pour  secourir  la 
ville  de  Rouen,  «  jusques  là  qu'il  fit  une  dépense  très 
considérable  pour  traiter  24  des  principaux  qui  estoient 
à  la  suite  et  en  la  compagnie  de  M.  le  chancelier  et  de 
M.  le  général  Gassion,  qui  confessèrent  qu'il  les  avoit 
régalés  avec  une  magnificence  non  pareille  (1).» 

Un  moment,  Mgr  (ie  Harlay  avait  eu  le  dessein  d'aller 
au  devant  de  Séguier,  la  mitre  en  tête,  rerêtu  de  ses 
ornements  pontificaux,  de  se  mettre  à  genoux  devant 
lui,  et,  comme  pasteur,  de  lui  demander  pardon  pour 
une  ville  coupable.  Mais  cette  pompe  n'avait  pas  été  du 
goût  de  Richelieu,  et  l'archevêque  avait  dû  s'en  abs- 
tenir. 

Il  ne  parut  pas  mieux  inspiré  en  faisant  imprimer 
une  ode  latine,  Rothotnagiis  pœnitens,  composée  par 
Le  Roux  de  Vély,  où  était  tracé  le  tableau  des  misères 
de  la  ville  et  consigné  l'aveu  d'une  conduite  qui  méri- 
tait une  sévère  punition  (2). 

Le  31  décembre,  Gassion  était  près  de  Rouen  ;  il  fit, 
dans  les  bruyèresde  Saint-Julien,  la  revue  de  ses  troupes 
qui  se  composaient  de  5  à  6,000  hommes  de  pied  et  de 
1,200  chevaux.  Dès  qu'il  fut  avisé  de  l'approche  du 
chancelier,  il  se  porta  à  sa  rencontre  et  entra  avec  lui 
à  Rouen  dans  l'après-midi  du  2  janvier. 

L'Intendant  Cl.  de  Paris  et  Pascal  avaient  été  vraisem- 
blablement du  nombre  des  hauts  fonctionnaires  que  l'ar- 


(1)  Uist.  des  archevesques  de  Rouen,  p.  659. 

(2)  Mémoires  de  Bigot  de  MonviUe,  p.  184» 


248  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

chevêque  avait  si  bien  régalés  à  Gaillon.  Marguerite 
Périer,  dans  ses  Mémoires,  dit  qu'à  la  suite  des  troubles 
de  Rouen  on  envoya  des  troupes  sous  le  commande- 
ment de  M.  le  maréchal  de  Gassion  qui  partit  avec  son 
grand-père,  Etienne  Pascal. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  Cl.  do  Paris  et  Pascal  arri- 
vèrent à  Rouen  à  la  suite  de  Séguier  ou  peu  de  temps 
après  lui  (1). 

Le  Chapitre  de  la  cathédrale  les  traita  avec  les  hon- 
neurs qu'elle  accordait  aux  plus  grands  personnages  de 
l'Etat.  Il  leur  fît  présenter  le  pain  et  le  vin  de  même 
qu'à  Séguier  et  à  Gassion. 

Ce  dernier,  pour  venir  à  bout  de  la  révolte  des  nu- 
pieds  avait  traité  la  Basse-Normandie  en  pays  conquis. 
Là,  du  moins,  la  sévérité  de  la  répression  avait  été  jus- 
qu'à un  certain  point  légitimée  par  la  gravité  de  la  ré- 
bellion, et  les  soldats  avaient  eu  à  combattre  des 
bandes  armées,  sans  discipline,  il  est  vrai,  mais  non 
sans  énergie.  A  Rouen,  il  n'en  était  pas  de  même  : 
rien  dans  l'attitude  de  la  population  n'annonçait  des 
dispositions  hostiles  qui  nécessitassent  l'emploi  de  la 
force  armée. 

(l)  Une  députUion  du  Chapitre  s'était  rendue  auprès  de  Gassion,  Ma- 
réchal des  ciimps  et  armes  du  Roi,  pour  lui  présenter  le  pain  et  le  vin; 
mandat  de  paiement  du  IG  janvier  1640.  —  Le  2o  du  même  mois,  le 
Chapitre  ordonne  à  son  receveur  de  payer  10  livres  10  sols  à  M.  Des- 
jardins pour  le  rembourser  des  avances  qu'il  avait  faites  de  pareille 
somme  pour  le  pain  et  le  vin  présentés  à  MM.  de  Paris  et  Pascal.  —  Le 
4  janvier,  le  chanoine  De  Caux  reconnaissait  avoir  reçu  du  grand  rece- 
veur du  Chapitre,  G  livres  2  sols  G  deniers  pour  la  dépense  faite  tant  en 
vin,  pain  que  bouteilles  pour  être  présentées  à  M.  le  chancelier  suivant 
l'ordre  du  Chapitre.  (Arch.  de  la  S.-Inf.,  G.  2;J29). 


CLASSE   DES    BELLES-LETTRES  249 

Mais  qu'atteiidre  de  Sêguier  qui  n'avait  pas  craint  de 
proposer  à  Richelieu  de  faire  raser  l'Hôtel-de-Ville  de 
Rouen  et  d'élever  sur  ses  ruines  une  pyramide  où  l'on 
aurait  gravé,  pour  servir  d'exemple  à  la  postérité,  une 
sorte  d'arrêt  de  condan-mation  ? 

Richelieu,  si  peu  enclin  qu'il  fût  à  la  clémence, 
ne  voulut  point  aller  jusqu'à  cette  extrémité.  Mais  il 
reste  toujours  à  la  charge  du  chancelier  d'avoir  con- 
damné à  m.ort  et  fait  exécuter,  le  même  jour,  sur  un 
ordre  verbal,  sans  prendre  l'avis  d'aucun  des  conseil- 
lers d'Etat,  quatre  ou  cinq  séditieux  entre  lesquels 
était  le  nommé  Gorin. 

Les  mesures  de  rigueur,  adoptées  par  le  Conseil,  mais 
jusque-là  tenues  secrètes,  furent  mises  sans  retard  à 
exécution.  Le  mardi,  3  janvier  1640,  deux  huissiers  du 
Conseil  vinrent  signifier  au  Parlement  qu'il  était  inter- 
dit par  édit  du  17  décembre  1639.  Le  9  du  même  mois, 
douze  conseillers  d'Etat  ou  Maîtres  des  Requêtes,  pri- 
rent leurs  séances  dans  la  grand'  chambre.  Le  dernier 
jour  de  janvier,  ils  cédèrent  la  place  à  de  nouveaux 
conseillers,  avec  le  cousin  du  chancelier,  Tanneguy 
Séguier.  pour  premier  président,  François  Du  Fossé, 
précédemment  procureur  général  en  la  Cour  des  Aides 
de  Tienne,  pour  procureur  général.  Le  Bureau  des 
finances  se  vit  remplacé  par  deux  commissaires,  Nico- 
las de  Paris  (un  parent  de  l'Intendant)  et  Philippe  de 
Coulan^-es,  le  i^rand-oncle  de  M"^^  de  Sévigné,  l'un  et 
l'autre  Maîtres  en  la  Chambre  des  Comptes  de  Paris. 
La  ville  fut  privée  de  ses  canons  qui  furent  transférés 
au  Vieux-Palais,  de  son  administration  municipale,  et 


250  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

de  ses  biens  patrimoniaux,  lesquels  furent  réunis  au  Do- 
maine. On  lui  imposa  une  contribution  de  1,085,000 
livres,  et  on  la  soumit  au  logement  des  troupes,  con- 
trairement à  ses  privilèges. 

Elle  fut  débarrassée  de  ces  hôtes  incommodes,  le 
9  février.  Le  11,  elle  vit  partir  le  chancelier  qui  se 
rendait  en  Basse -Normandie  pour  y  continuer  son  rôle 
de  justicier. 

Il  reçut  pour  les  services  qu'il  avait  rendus  à  l'Etat 
une  récompense  tout  à  fait  extraordinaire.  Des  lettres 
patentes  lui  donnèrent  «  toutes  les  terres  vaines  et  va- 
gues dépendant  du  domaine  du  Roi  dans  les  vicomtes  de 
Caen,  Bayeux,  Falaise,  Coutances  et  Avranches,  à  quel- 
ques sommes  qu'elles  pussent  monter  ».  On  lui  a  fait 
honneur  d'avoir  renoncé  à  cette  donation.  Il  faut  pour- 
tant observer  que  c'avait  été  sur  sa  requête  que,  le 
4  juin  1 640,  les  lettres  qui  y  sont  relatives  furent  enre- 
gistrées au  Parlement,  alors  que  cette  cour  ne  se  com- 
posait que  de  magistrats  choisis  par  lui,  et  qu'elle  avait 
pour  premier  président  son  cousin  ;  que  sa  renonciation 
n'eut  lieu  que  plus  tard,  quand  il  pouvait  craindre  que 
le  Parlement,  rétabli  dans  sa  liberté,  ne  fût  tenté  de  pré- 
senter des  remontrances  contre  une  faveur  tellement 
onéreuse  pour  l'Etat  et  si  peu  justifiée  (1). 

La  situation  créée  à  la  ville  de  Rouen  par  Séguier 
était  trop  anormale  pour  durer  longtemps. 

(1)  On  doit  le  remarquer  :  bien  que.  seule  entre  les  grands  corps 
judiciaires,  elle  eût  trouvé  grâce  devant  le  chancelier,  la  Cour  des 
Comptes  de  Normandie  n'avait,  le  27  juin  t640,  enregistré  les  lettres  de 
donation  que  sous  la  réserve  de  6  deniers  de  censive  par  acre  et  sauf  le 
droit  d'autrul. 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  251 

Le  Parlement  fat  rétabli  par  un  édit  de  1641,  qui 
portait  établissement  de  deux  semestres. 

La  Cour  des  Aides  de  Rouen,  non  seulement  fut  réta- 
blie, mais  celle  des  Aides  de  Caen  lui  fut  réunie  le 
12  avril  de  la  même  année. 

Vers  le  même  temps,  le  Bureau  des  finances  reprit 
ses  fonctions,  provisoirement  confiées  à  N*'  de  Paris  et  à 
Coulanges  qui  retournèrent  à  Paris.  L'Hôtel-de-Ville 
recouvra  son  ancienne  forme  d'administration  et  fut 
renvoyée  en  possession  de  son  domaine. 

C'était  le  commencement  de  la  réaction  :  elle  ne  fit 
que  s'accentuer  après  la  mort  de  Richelieu,  et  plus  en- 
core après  la  mort  de  Louis  XIII,  survenue  le  14  mai 
1643. 

On  dit  qu'exhorté  par  le  confesseur  qui  l'assistait 
dans  sa  dernière  maladie  à  faire  la  paix  pour  se  mettre 
en  état  de  soulager  son  peuple,  il  s'était  écrié  :  «  Ah  ! 
mon  pauvre  peuple,  je  luy  ay  fait  bien  du  m.al  à  raison 
des  grandes  et  importantes  affaires  que  je  me  suy  vues 
sur  les  bras,  et  je  n'en  ay  pas  toujours  eu  toute  la  pitié 
que  je  devois  et  telle  que  je  l'ai  depuis  deux  ans,  ayant 
été  partout  en  personne  et  vu  de  mes  yeux  toutes  ses 
misères  (1)  ». 

On  peut  juger  de  la  force  de  la  réaction  qui  s'opéra 
alors  par  l'oraison  funèbre  de  Louis  XIII,  que  prononça, 
dans  la  cathédrale  de  Rouen,  Ch.  Faui'e,  supérieur  gé- 
néral de  la  congrégation  de  France,  abbé  de  Sainte- 
Geneviève  de  Paris.  C'était  une  critique  amère,  sans  le 

{{)  Griffet,  Histoire  de  Louis  XHI,  t.  III,  p.  603,  604, 


252  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

moindre  mêûagemeût,  de  radministration  de  Richelieu, 
représenté  comme  le  tjran  du  Roi  et  TenRemi  de  la 
famille  royale  (1).  En  leur  qualité  de  créatures  de  ce 
ministre,  les  Intendants  eurent  partout  à  souffrir  des 
chaiigements  qui  s'opérèrent  dans  la  politique  du  règne. 
Par  ce  qu'ils  éprouvèrent  à  Rouen  on  peut,  avec 
quelque  vraisemblance,  juger  de  la  situation  embar- 
rassée et  pénible  qui  leur  fut  faite  dans  les  diverses 
Généralités  du  Royaume. 

Etienne  Pascal  collabora  d'abord  avec  Claude  de 
Paris,  ensuite  avec  Miromesnil,  qui  fut  de  nouveau 
nommé  Intendant  vers  la  fin  de  l'année  1G43.  Ces  deux 
derniers.  Maîtres  des  Requêtes  au  Conseil  d'Etat,  sont 
les  seuls  auxquels,  dans  les  actes  officiels,  soit  donné  le 
titre  d'Intendant  de  justice,  police  et  finances.  Ils 
étaient  plus  qualifiés  que  ne  l'était  Etienne  Pascal,  et 
mieux  partagés  que  lui  du  côté  de  la  fortune.  On  peut, 
du  reste,  juger  de  leur  crédit  par  ce  fait  que  l'un  et 
l'autre  furent  cijargés  par  le  chancelier,  avec  Lau- 
bardemont,  Marca  et  Champigny,  conseillers  aux  Con- 
seils de  Sa  Majesté,  d'aller  trouver  le  duc  d'Orléans, 
pour  recevoir  en  forme  judiciaire,  la  déclaration  de  ce 
prince  au  sujet  de  M.  le  Grand  (Cinq-Mars),  octobre 
1642. 

Marguerite  Périer  n'est  point  tout  à  fait  exacte  en 
mettant  sur  le  pied  d'égalité  son  père  et  M.  de  Paris, 
quand  elle  dit  :  «  Le  Roy  mit  alors  deux  Intendants  en 
Normandie,   l'un   pour  les  gens  de  guerre,  qui  étoit 

(1)   Mt^lanrjes,    publiés    pir  la    Sociôlé  de  rilistoire   de  >'<irmandi(\, 
i<^  sf-rio,  pp.  327  et  suiv. 


CLASSE  DES  BELLES -LETTRES  253 

M.  (lo  Paris,  Maître  des  Requêtes,  et  l'autre  pour  les 
tailles,  qui  fut  mon  grand  père  (1)  >:>. 

Je  ne  crois  pas  non  plus  qu'il  ait  été  fait  par  les  Mi- 
nistres deux  parts  aussi  tranchées  de  l'autorité  admi- 
nistrative dans  la  Généralité  de  Rouen,  Cl.  de  Paris 
ayant  à  connaître  des  affaires  militaires,  et  Etienne 
Pascal  des  finances. 

Cl.  de  Paris,  il  est  vrai,  paraît  s  être  chargé  ou  avoir  été 
chargé  de  l'armée,  de  préférence  à  son  collègue.  Il  s'in- 
titule Intendant  de  la  justice,  police,  finances  et  armées 
de  Normandie,  les  13  décembre  1640,  22  août  1642, 
25  février  1643;  seul,  il  rend  une  ordonnance  faisant 
très  expresses  inhibitions  aux  ofiiciers  et  soldats  du 
régiment  d'infanterie  du  comte  d'Harcourt,  en  garni- 
son à  Darnétal  et  faubourg  Saint-Hilaire  de  Rouen,  et 
à  tous  autres  gens  de  guerre,  tant  de  cheval  que  de 
pied,  de  s'eslargir  des  dits  lieux,  loger,  fourrager,  ni 

(1)  Il  serait  plus  juste  de  le  considérer  comme  un  commissaire  adjoint 
à  l'Intendant  pour  des  opérations  spéciales,  comme  Le  Bret  Favait  été  à 
Le  Tonnelier  de  Conty,  et  Puchot  du  Plessis,  à  Miromesnil.  Certaines 
ordonnances  que  Pascal  rendit  en  vertu  de  ses  pouvoirs  et  qui  ne  por- 
taient que  sa  signature  et  celle  du  secrétaire  de  l'Intendant,  sont  pour- 
tant, et  sans  exception,  intitulées  du  nom  de  Paris,  accompagné  du  titre 
officiel  d'Intendant  de  justice,  police  et  finances  en  >"ormandie.  Le  nom 
de  Pascal  ne  venait  qu'à  la  suite,  avec  la  qualification  de  président  en  la 
Cour  des  Aides  de  Clermont,  et  la  désignation  de  la  commission  spé- 
ciale que  l'un  et  l'autre  avaient  à  remplir.  Au  contraire,  on  voit  un  cer- 
tain nombre  d'ordonnances  de  l'Intendant  où  le  nom  de  Pascal  n'est 
point  indiqué.  Ajoutons  que  le  titre  d'Intendant  de  Normandie,  quand  on 
n'en  restreint  pas  la  signification  par  l'indication  de  la  Généralité  où  la 
fonction  s'exerçait,  donnerait  une  idée  fausse.  Charles  Le  Roy  de  la 
Poterie  était  Intendant  de  la  Normandie  en  la  Généralité  de  Caen,  tout 
comme  Cl.  de  Paris  et  .Miromesuil  Pétaient  en  la  Géucralilé  de  Rouen. 


254  ACADÉMIE   DE   ROUEN 

prendre  aucune  chose  dans  les  lieux  circonvoisins,  spé- 
cialement dans  la  ferme  de  Beaurepaire  appartenant 
aux  PP.  Chartreux,  à  peine  de  respondre  par  les  dits 
officiers  coramandans,  en  leur  propre  et  privé  nom,  des 
désordres  qui  seront  commis  par  les  soldats,  et,  en  cas 
de  contravention,  avec  permission  (!e  saisir,  arrêter  et 
amener  prisonniers  ceulx  qui  se  trouveroient  coupa- 
bles, pour  estre  par  luy  leur  procès  fait  et  parfait  ainsy 
qu'il  appartient,  avec  permission  aussi  au  fermier,  en 
cas  que  les  dits  gens  de  guerre  le  voulussent  violenter 
et  voler  de  nuit  ou  do  jour,  de  les  repousser  par  la 
force  »,  21  novembre  1642. 

L'Hôtel-de-Villede  Rouen  ayant  donné  des  bulletins 
pour  loger  et  aider  de  vivres  un  capitaine  nommé  Duha- 
mel, au  préjudice  des  lettres  de  sauvegarde  obtenues  du 
Roi  par  les  Chartreux  pour  leurs  fermiers.  Cl.  de  Paris 
rend  une  ordonnance  en  leur  faveur,  le  30  décem- 
bre 1642. 

Mais  on  pourrait  citer  de  nombreuses  ordonnances 
de  Cl.  de  Paris  et  deMiromesnil  en  matière  de  finances, 
de  même  qu'on  en  citerait  de  Pascal,  en  fait  de  logement 
de  troupes  et  de  police  militaire. 

Pour  faire  valoir  les  services  de  son  grand-père, 
Marguerite  Périer  avance  que,  chargé  des  «  imposi- 
tions, il  trouva  les  choses  dans  un  si  grand  désordre 
qu'il  fut  obligé  de  réformer  les  rôles  des  tailles  de 
toutes  les  paroisses  de  la  Généralité.  »  Réformer  les 
rôles  de  1,798  villes,  bourgs  ou  villages  (la  Généralité 
de  Rouen   n'en  contenait  pas  moins)  me  paraît  une 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  255 

tâche  bien  difficile  à  ad:nettre  pour  un  seul  homme,  si 
laborieux  qu'on  le  suppose. 

Je  serais  porté  à  voir  dans  les  actes  suivantsTindica- 
tion  de  la  commission  qui  fut  confiée  à  Etienne  Pascal. 

«  Le  23  décembre  1639,  il  fut  donné  arrest  du  Con- 
seil par  lequel  il  fut  enjoint  aux  Lsleus  de  Normandie 
de  députer,  trois  jours  aprez  la  signification  d'iceluy, 
deux  d'entr'eux  pour  comparoir  au  Conseil,  lorsqu'il 
seroit  à  Rouen,  et  y  rendre  compte  de  l'exercice  de 
leurs  charges  pendant  les  années  1635,  36,  37  et  39, 
et.  aux  receveurs  des  tailles,  taillon  et  droicts  aliénez, 
d'y  ajtporter  leurs  registres  et  acquits,  avec  Testât  par 
le  menu  des  restes  qu'ils  prétendaient  estre  deubs  par 
les  paroisses  »  (1).  • 

Il  est  une  autre  opération  dont  certainement  Pascal 
fut  chargé.  lien  parle  dans  le  post-scriptwûi  ajouté  à 
une  lettre,  sans  date,  que  Biaise  Pascal  adressait  à  sa 
sœur  :  «  Le  département  s'achève  Dieu  merci.  Ma 
bonne  fille  m'excusera.  Je  n'ai  jamais  été  dans  l'embar- 
ras à  la  dixième  partie  de  ce  que  j'y  suis  à  présent.  Il 
y  a  quatre  mois  que  je  ne  me  suis  pas  couché  six  fois 
devant  deux  heures  après  midi.  » 

Cette  lettre  doit  être  antérieure  au  rétablissement  du 

(1)  Mémoires  de  Bigot  de  Monuille,  p.  264,  265.  Il  est  question  de  cet 
arrêt  dans  les  registres  de  l'Election  de  Rouen  :  «  Janvier  1660.  Ce  dict 
jour,  a  esté  advisé  sur  la  députation  de  deux  d'entre  nous  pour  eux 
transporter  par  devers  MM.  les  commissaires  qui  sont  députiez  par  le 
Conseil  pour  estre  oys  touchant  larrest  du  Conseil  siguilïié  à  Mons'  Le 
Nouvel  par  Dodelin,  huissier,  ledict  arrest  dabté  du  23^  de  décembre 
dernier,  donné  à  Gaillon;  et  ont  esté  deputtez  les  d.  s'^  Le  Nouvel  et 
Loret  aux  tins  de  l'exécution  dudit  arrest.  » 


256  ACADÉMIE   DE   ROUEN 

Bureau  des  finances.  Tant  qu'ils  avaient  été  en  fonc- 
tions, les  Trésoriers  de  France  qui  composaient  cette 
juridiction  opéraient  le  département  de  la  somme 
d'impositions  afférentes  à  leur  Généralité  entre  les  di- 
verses Elections  comprises  dans  leur  circonscription 
administrative,  et,  ce  département  une  fois  opéré,  ils 
arlressaient  leurs  attaches  a.\ix  officiers  de  chaque  Elec- 
tion de  leur  ress;jrt,  lesquels,  à  leur  tour,  opéraient  le 
département  entre  les  paroisses  de  leurs  circonscrip- 
tions respectives.  Ces  divers  magistrats  paraissaient  en 
état  de  faire  une  répartition  équitable  par  la  correspon- 
dance qu'ils  entretenaient  entre  eux  et  par  les  chevau- 
chées qu'ils  ne  manquaient  pas  de  faire  chaque  année 
pour  se  renseigner  exactement  sur  les  ressources  des 
diverses  paroisses. 

Mais  ces  magistrats  étaient  devenus  à  bon  droit  sus- 
pects. Pendant  un  certain  temps,  l'Intendant  (en  1640 
ce  fut  Pascal)  prit  leur  place  et  fit  la  plus  grande  par- 
tie de  leur  besogne. 

Ce  fut  alors  qu'il  appela,  pour  l'aider  dans  son  travail, 
un  de  ses  compatriotes,  conseiller  à  la  Cour  des  Aides  de 
Clermont,  dont  il  eut  lieu  d'apprécier  la  capacité  et  le 
dévouement;  il  le  fit  charger,  deux  ans  après,  de 
l'affaire  des  amortissements  et  des  francs  fiefs  en  la 
Généralité  de  Rouen,  et  lui  donna  sa  fille  en  mariage. 

Cl.  de  Paris,  Miromesnil  et  Pascal  n'éprouvèrent 
d'abord  aucune  contradiction  dans  l'exercice  de  leurs 
fonctions,  aussi  importantes  que  variées. 

Par  la  compétence  qui  leur  avait  été  attribuée  pour 
les   droits  d'amortissement,  exigés  des  gens  de  main- 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  257 

morte,  à  raisoa  des  biens  acquis  depuis  1523  (1); 
pour  les  droits  de  francs-fiefs,  exigés  des  roturiers  à 
raison  de  la  possession  de  terres  nobles;  — pour  d'autres 
droits,  exigés  des  gentilshommes  pour  le  ban  etl'arrière- 
ban  ;  —  pour  les  taxes  imposées  sur  les  aisés  ou  per- 
sonnes réputées  telles  (2),  il  n'était  guère  de  particu- 
liers qui  n'eussent  intérêt  à  les  ménager.  Les  nobles 
avaient  à  justifier  devant  eux  de  l'antiquité  de  leur 
noblesse  ;  les  ecclésiastiques,  de  la  date  de  leurs  acqui- 
sitions ;  les  bourgeois,  de  ia  modicité  de  leurs  ressources  ; 
les  paysans,  de  leur  misère,  soit  afin  d'obtenir  diminu- 
tion de  leurs  impositions,  soit  afin  d'être  exemptés  du 
logement  des  gens  de  guerre. 

Mais  à  partir  de  la  Régence,  les  Intendants  devien- 
nent souverainement  impopulaires,  et  on  ne  les  traite 
guère  plus  favorablement  que  les  traitants. 

Les  députés  des  Etats  de  Normandie  osent  dire  au 
Roi  dans  leur  Cahier  de  novembre  1643  : 

«  Art.  xxxvir.  Messieurs  les  Intendans  de  justice, 
commissaires,  ne  sont  pas  officiers  des  ordonnances  de 
vostre  Estât,  ny  les  juges  establis  par  les  loix  de  vostre 
royaume,    mais  ministres    envoyez    pour   l'exécution 

(1)  Ces  droits  étaient  très  élevés.  Leur  perception  dirainiia  dans  une 
proportion  notable  les  revenus  des  Fabriques  et  ne  fut  souvent  obtenue 
que  par  remprisonnement  de  kurs  trésoriers.  Il  en  fut  de  même  pour 
les  communautés  laïques,  encore  plus  embarrassées  que  les  Fabriques 
pour  justifier  de  lauthenticité  et  de  la  date  de  leurs  titres  de  propriété. 

(2)  Le  fermier  du  Chapitre  de  Rouen,  pour  la  terre  de  Guiseniers, 
avait  été  taxé  comme  ais!  à  100  livres  ;  un  autre  fermier  du  Chapitre 
pour  la  terre  de  Rouraare,  à  60  livres.  Ces  taxes  furent  réduites  par  l'In- 
tendant Cl.  de  Paris,  sur  la  recommandation  des  chanoines.  (Registres 
capitulaires,  17  novembre  1640,  26  février  1642.) 

17 


258  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

des  ordres  conceus  sous  le  nom  de  Vostre  Majesté  pour 
fournir  plus  facilement  au  compte  du  traittant  en  la 

Généralité  de  Rouen 

«  Art.  XLVii.  Sire,  le  récit  importun  des  maux  que 
nous  souffrons  par  les  ordres  de  tant  de  commissaires 
extraordinaires  et  les  désordres  des  exploitans  qui  en 
abusent  et  ne  sont  qu'à  charge  à  vostre  pauvre  peuple, 
vous  fait  bien  reconnoistre  la  néoessité  de  les  révoquer, 
et  il  est  vray-semblable  que  vous  ferez  plaisir  à  Mes- 
sieurs les  Commissaires  lesquels,  sans  commandement 
bien  exprès,  n'auroient  point  quitté  le  séjour  délicieux 
de  vostre  Cour  et  la  splendeur  de  vostre  Conseil,  où  ils 
ne  voyent  qu'abondance  d'honneur  et  de  biens,  pour 
habiter  ces  lieux  d'horreur*  et  de  désolation  que  nous 
ont  causé  les  tràittants,  où  le  pain  n'est  paistry  que  de 
larmes  de  misérables,  et  la  boisson  si  chère  que  l'eau 
ne  se  peult  boire  qu'en  l'achetant  à  prix  d'argent.  Vos 
officiers  sur  les  lieux,  dont  le  nombre  n'est  que  trop 
grand,  peuvent,  avec  beaucoup  plus  d'utilité  pour  vous, 
et,  pour  nous,  à  moindre  frais,  faire  payer  vos  droits. 
Mais  afin  de  pourvoir  aux  plaintes  de  leurs  jugemens, 
il  est  très  juste  d'en  laisser  la  conaissance  à  vos  cours 
souveraines,  chacune  dans  la  compétence  de  son  esta- 
blissement.  Messieurs  les  Intendans  sont  de  condition 
relevée,  et  leurs  qualités  éminentes.  Mais  leur  Commis- 
sion est  toujours  au-dessous  d'une  Compagnie  souve- 
raine qui  parle  en  vostre  nom,  et  dont  les  arrêts,  donnez 
dedans  les  formes,  ne  redoutent  aucune  censure.  » 

Les'corps  judiciaires  ne  pensaient  pas  autrement  que 
les  députés  aux  Etats  de  Normandie. 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  259 

Le  Bureau  des  finances,  qui  devait  concourir  avec 
l'Intendant  au  département  des  tailles  par  Elections, 
essaie  de  cesser  de  s'entendre  avec  lui  en  l'année  1643 
et  conteste  son  autorité. 

Louis  Aymerav,  receveur  des  tailles  de  l'Election  de 
Chaumont  et  Magn}',  continuait  ses  poursuites  pour  le 
recouvrement  des  restes  dus  au  Roi  par  les  habitants 
de  cette  Election  pour  les  années  1632,  1639,  1640, 
1641,  et  1642,  lorsqu'était  survenue  une  ordonnance 
de  Pascal,  uu  22  juin  1643,  qui  avait  été  lue  et  publiée 
par  ses  ordres,  laquelle  contenait  défenses  audit  Ayme- 
ray  de  délivrer  aucunes  contraintes  pour  les  restes  des 
quatre  premières  années  à  l'encontre  des  collecteurs, 
et,  aux  huissiers  des  tailles,  de  les  mettre  à  exécution, 
sur  peine  de  la  vie,  avant  qu'elles  eussent  été  visées 
et  paraphées  par  lui.  Cette  ordonnance  avait  obligé 
Aymerav  à  envoyer  ses  contraintes  à  Pascal  en  son 
domicile  à  Rouen,  et  même  à  se  transporter  de  sa  per- 
sonne en  cette  ville  sur  les  poursuites  que  les  prison- 
niers faisaient  contre  lui  pour  leur  élargissement  avec 
«  protestations  de  dommages  et  intérêts,  voyages  et 
démarches  inutiles  à  cause  de  l'absence  notoire  dudit 
sieur  Pascal  (1).  » 

(1)  Même  plainte  de  la  part  du  receveur  des  Tailles  de  rElection  de 
Rouen,  10  juillet  1643.  «<  Sur  la  remonstrance  faicte  au  Bureau  par 
M«  Jean  Sonniug,  recepveur  des  Tailles  en  lElection  de  Rouen,  qu'il 
y  a  desjà  quelque  temps  qu'il  auroit  délivré  les  contraintes  aux  commis- 
saires des  tailles  de  la  dicte  Election  pour  les  années  1638,  39,  40,  41, 
42,  et  icelles  faict  viser  par  le  sieur  Baudouin  (du  Basset\  notre  con- 
frère, aux  fins  de  l'accélération  des  deniers  deuz  en  la  dicte  recepte 
pour  lesd.  années;   et  sur  ce  qu'il  poursuivoit  les  dicz  commissaires 


260  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

Vu  ladite  requête,  le  Bureau  ordonna  que  Ajmeray 
continuerait  ses  diligences  pour  le  recouvrement  des 
deniers  du  Roi, . . .  enjoignant  aux  Elus  et  procureur  du 
Roi  de  ladite  Election  d'informer  des  rébellions  commises 
par  les  paroissiens  de  Viennes  et  de  Villers-en-Artye 
et  d'envoyer  au  greffe  du  Bureau  les  procès-verbaux 
des  informations  pour  être  envoyés  au  Conseil. 

Autre  ordonnance  conforme  à  la  précédente,  le 
24  juillet  1643. 

Au  mois  de  décembre  suivant,  le  Bureau  se  permet 
d'opérer  le  département  des  sommes  contenues  dans  la 
Commission  du  Roi  pour  les  tailles  et  subsistances  de 
l'année  1644  sans  appeler  l'Intendant  Miromesnil. 
11  y  avait  eu  désaccord  à  ce  sujet  entre  les  membres  de 

pour  rendre  raison  de  leurs  charges,  ilz  lui  auroient  faict  apparoir  de  cer- 
taine ordonnance  du  s'  Pascal,  commissaire,  en  date  du  22e  de  juin  der- 
nier, par  laquelle  il  deffend  à  tous  receveurs  des  tailles  de  dellivrer  aul- 
cunes  contraintes  pour  les  dictes  années  1638,  39,  40,  et  41,  qu'elles  ne 
soient  visées  et  paraphées  de  luy,  et  à  tous  sergents  et  commissaires  de 
les  exécuter,  à  peine  de  la  vie;  et  voulant,  ledict  Sonning  satisfaire  à 
ladicte  ordonnance,  il  se  seroit  transporté,  9  ou  10  fois,  au  logis  dudict  s' 
Pascal,  où  il  y  auroit  appris  qu'il  est  allé  à  la  campagne,  de  sorte  que 
cela  retarde  entièrement  les  deniers  du  Roy  et  faict  tel  désordre  que  nul 
collecteur  et  contribuable  ne  veult  plus  payer,  prenant  ladicte  ordonnance 
pour  descharge,  laquelle  ledict  s'  Pascal  a  faict  publier  aux  Eslections  et 
paroisses  de  ccste  Généralité,  requérant  sur  ce  luy  pourveoir;  sur  quoy, 
veu  la  dicte  remonstrance,  a  esté  accordé  acte  d'icelle  audict  Sonning  et 
ordonné  qu'il  en  sera  rescript  au  s''  de  Boy  vin,  nostre  confrère,  pour  en 
donner  advis  à  MM.  les  Sur-Intendans.  A  esté  escript  audict  s»"  de  Boy- 
vin  sur  le  subject  que  dessus,  et  luy  a  été  envoyé  ladicte  ordonnance.  » 
(Arch.  de  la  Seine-Inf.,  C.  1149.)  3  juillet.  Même  plainte  de  Pierre 
Maille,  commis  à  la  recette  des  tailles  de  l'Election  de  Pont-de-l'Arche. 
S'était  présenté  chez  Pascal,  «  lequel  l'avoit  remis  au  retour  d'un  voyage 
qu'il  estoit  prcst  de  faire.  »  {Ibidem.) 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  261 

cette  juridiction.  Mais  la  majorité  avait  été  pour  Tin- 
dépendance,  comme  on  le  voit  par  la  délibération  sui- 
vante: <i  23  décembre  1643.  M.  Le  Seigneur,  président, 
aremonstré  au  Bureau  que,  le  jour  d'hier,  il  avoitveu  le 
s^  de  Miromesnil,  Intendant  de  justice,  police  et  finances 
en  ceste  Généralité,  qui  l'avoit  prié  de  proposer  aujour- 
d'iiuy  à  la  Compagnie  si  elle  trouvera  à  propos  de 
s'assembler  demain  extraordinairement,  auquel  cas  il 
viendroit  au  Bureau  affin  d'avoir  les  attaches  d'icelluy 
sur  l'arrest  du  Conseil  et  Commission  sur  icelluy,  du 
6"^^  de  ce  présent  mois,  portant  le  département  des  de- 
niers des  tailles  et  subsistances  pour  les  Eslections  de 
ceste  Généralité  pour  l'année  prochaine. 

«  Sur  quoy  la  Compagnie  avant  délibéré,  elle  s'est 
trouvée  partagée.  MM.  Rome,  de  Hanvvel,  Bigot,  do 
Gueutevile,  Lu  Cornu  et  Dyel,  ayant  esté  d'advis  de 
dire  audit  s''  de  Miromesnil  que,  le  jour  de  demain 
n'estant  pas  jour  de  Bureau,  on  le  prioit  de  remettre 
l'assemblée  au  lendemain  des  Roys,  qui  sera  le  pre- 
mier jour  du  Bureau,  et  MM.  Le  Seigneur,  Puchot, 
Ridel,  Baudouin,  Osmont  et  Bethencour  ont  esté  d'advis 
de  dire  audit  s""  de  Miromesnil  que  le  Bureau  avoit,  à 
l'ordinaire,  fait  le  département  des  sommes  contenues 
en  la  Commission  du  Roy  expédiée  aux  commissaires 
des  Estats  de  ceste  province  pour  la  levée  des  deniers 
des  tailles  et  subsistances  de  l'année  prochaine,  en  con- 
séquence de  quoy  la  Commission  et  attaches  en  ont  esté 
expédiées  sous  les  noms  desdits  commissaires.  Signé  : 
Leseigneur.   » 

Cette  délibération  prouve  clairement  que,  même  en 


2'.32  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

matière  de  tailles,  Pascal  ne  venait  qu'après  Miro- 
mesnil,  et  que  le  Bureau  des  finances,  s'en  tenant  à  ses 
anciennes  attributions,  cherchait  à  se  soustraire  à 
l'autorité  des  Intendants. 

C'était  contrevenir  ouvertement  à  la  Déclaration  du 
16  avril  1643,  portant  règlement  sur  le  fait  des  tailles, 
dont  l'art.  3  était  ainsi  conçu  : 

«  Les  Commissions  des  tailles  seront  portées  au 
Bureau  des  finances,  où  l'Intendant  de  la  justice  do  la 
Généralité  se  trouvera,  présidera  et  y  aura  la 
V^  séance  pour,  en  sa  présence,  faire  expédier  sur 
les  dictes  commissions,  les  attaches  et  ordonnances  né- 
cessaires dudit  Bureau,  et  incontinent  les  remettre  es 
mains  dudict  Intendant  avec  les  attaches,  pour,  par 
ledit  Intendant  se  transporter,  avec  celui  des  Trésoriers 
de  France  qui  aura  été  commis  et  délégué  du  Bureau  et 
3  au  plus  des  présidents  et  Elus  desdictes  Eslections,  qui 
seront  nommés  et  choisis  par  ledit  Intendant,  appelé 
notre  procureur,  le  receveur  des  tailles  avec  le  greffier 
de  l'Election,  procéder  à  l'assiette  et  deniers  de  la  sub- 
sistance et  des  tailles,  conjointement  et  à  mesme  temps, 
sur  les  villes  et  bourgs  taillables  avec  l'égalité  requise; 
et  à  cet  effet  prendront  connoissance  et  s'informeront 
sommairement  de  la  force  et  puissance  et  impuissance 
desd.  paroisses  pour  les  cotiser  selon  les  facultés  d'icelles 
sans  aucune  exception.  » 

Pendant  quelques  années  le  Bureau  des  finances  dut 
se  soumettre  à  cette  Déclaration,  avantageuse,  si  Ton 
veut,  aux  Intendants,  mais  qui  prouve  en  même  temps 
quelle   lourde    tâche    leur    était    imposée,    puisqu'ils 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  203 

devaient  présider  à  la  répartition  des  impositions 
d'abord  sur  les  Elections,  en  second  lieu,  sur  les  pa- 
roisses, en  se  transportant,  pour  cette  seconde  opération, 
en  chaque  chef-lieu  d'Election,  ce  qui  supposait  de 
leur  part  une  connaissance  approfondie  des  ressources 
d'un  nombre  très  considér'able  de  paroisses. 

Au  bout  de  quelques  années  d'administration,  l'auto- 
rité des  Intendants  fut  battue  en  brèche  par  toutes  les 
compagnies  souveraines. 

Sur  une  requête  des  collecteurs  de  la  paroisse  de 
Fauville  adressée  à  Miromesnil  et  à  Pascal,  le  5  no- 
vembre 1647,  assignation  avait  été  donnée  à  Guil- 
laume Esnou,  laboureur  de  Normanville,  à  comparoir 
devant  les''  de  Miromesnil.  La  Gourdes  Aides,  se  resai- 
sissant alors  de  son  ancienne  autorité,  octroya  mande- 
ment pour  faire  assigner  devant  e;le  les  collecteurs. 

Gette  cour,  par  un  arrêt  du  5  décembre  1647,  avait 
accordé  au  procureur  général  compulsoire  «  pour  com- 
peller  le  greffier  de  l'Election  d'Andelv  à  apporter  au 
greffe  de  la  cour  ce  qui  avait  été  fait  par  les  Elus  de 
cette  juridiction  à  rencontre  de  Pierre  Rouvier,  pré- 
posé au  recouvrement  de  la  Taille'.  »  Néanmoins  Pascal 
avait  depuis  ordonné  que  Rouvier  serait  conduit  aux 
prisons  du  bailliage  de  Rouen,  et  que  le  substitut  du 
procureur  général  serait  contraint  d'apporter  dans  la 
huitaine,  au  greffe  de  l'Intendant,  les  pièces  du  procès,  à 
peine  d'interdiction  de  sa  charge,  s'appuya nt  sur  un 
arrêt  du  Gonseil  du  7  août  1G44.  Sur  cela  le  procureur 
général  porta  plainte  à  la  cour  ;  elle  jugea  que  l'arrêt 
allégué  avait  été  surpris,  que  l'ordonnance  de  Pascal 


2G4  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

était  contraire  à  la  compétence  légitime  de  la  cour  ; 
que  de  très  humbles  remontrances  seraient  faites  au 
Roi  de  la  surprise  de  cet  arrêt,  et  que.  en  attendant,  il 
serait  enjoint  à  un  des  huissiers  de  se  transporter  sur 
les  lieux  pour  conduire,  sous  bonne  et  sûre  garde,  ledit 
Rouvier  en  la  conciergerie  de  la  Cour  des  Aides. 

Dans  l'Election  de  Pont-Audemer,  Miromesnil  et 
Pascal,  en  qualité  de  commissaires  députés  par  le  Roi 
pour  le  département  des  tailles  et  subsistances  de 
l'année  1648,  avaient,  à  la  réquisition  des  deux  rece- 
veurs des  tailles  de  l'Election,  subdélègué  quatre  des 
Elus  et  1  avocat  du  Roi,  Thorel,  pour  exercer  pleine- 
ment, et  sans  aucune  restriction,  la  juridiction  propre  à 
leur  office  d'Elus,  sommairement,  sans  frais,  à  l'exclu- 
sion des  président,  lieutenant  et  autres  magistrats  du 
même  siège.  Ceux-ci  firent  opposition  à  l'enregistre- 
ment de  cette  subdélégation  comme  contraire  aux  Edits 
et  Déclarations  du  Roi.  Ils  réclamèrent  l'autorité  de  la 
Cour  des  Aides  qui  fit  défense  aux  prétendus  subdé- 
légués d'agir  autrement  que  collégialement  avec  les 
magistrats  arbitrairement  exclus.  Par  un  autre  arrêt  la 
même  cour  interditles  subdélégués,  lesquels  se  retirèrent 
vers  Miromesnil  et  Pascal.  Ceux-ci  décrétèrent  prise  de 
corps  et  de  comparence  personnelle  contre  4  des 
Elus,  les  interdirent  des  fonctions  de  leurs  charges,  ce 
qu'ils  firent  confirmer  par  un  arrêt  du  Conseil.  Cela 
n'empêcha  point  la  Cour  des  Aides,  de  rendre,  le  15  oc- 
tobre 1G48,  un  arrêt  contre  les  subdélégués. 

Le  Parlement  ne  se  montrait  pas  moins  opposé  aux 
Intendants.  Le  21  juillet  1644,  il  avait  loué  le  zèle  du 


CLASSE   DES    BELLES-LETTRES  265 

procureur  syndic  des  Etats  de  Normandie,  qui  soutenait 
l'incompétence  des  Commissaires  du  Roi  chargés  de 
faire  la  taxe  des  droits  d'aides-clievels.  Le  29  octobre 
1647,  il  déclarait  qu'il  importait  au  bien  de  la  justice, 
pour  les  affaires  de  S.  M.  et  du  public,  «  de  pourveoir  à 
la  multitude  des  évocations,  mesmes  aux  Intendants, 
qui  n'étaient  pas  juges  ordinaires  pour  pouvoir  co- 
gnoistre  des  procès  et  matières  qui  sont  purement  et 
régulièrement  de  la  compétence  des  cours  de  Parle- 
ment. » 

D'après  ce  principe,  Miromesnil  ne  put  exécuter  la 
Commission  qui  lui  avait  été  donnée  pour  juger  de 
toutes  les  contestations  mues  et  à  mouvoir,  à  raison  de 
l'adjudication,  prétendue  faite  au  célèbre  De  la  Chambre 
Cureau,  devant  les  commissaires  députés  pour  la  revente 
du  domaine,  des  terres  de  Cliesne-Varin,  et  Yillenaize, 
en  mars  1647.  Jacques  De  la  Mare  du  Chesne-Yarin 
demanda  au  Parlement  mandement  pour  faire  assigner 
Cureau.  Miromesnil  fut  lui-même  assigné  le  15  août. 
Le  11  septembre,  défenses  étaient  faites  à  Cureau  de  se 
pourvoir  ailleurs  qu'en  la  Cour. 

La  Chambre  des  Comptes  elle-même,  dont  la  soumis- 
sion avait  été  telle  que  cette  juridiction  avait  été  épar- 
gnée par  Séguier,  se  laissa  aller  à  des  velléités  d'indé- 
pendance. Le  18  décembre  1647,  en  vérifiant  des 
lettres-patentes  portant  validation  d'une  ordonnance 
de  Favier,  Intendant  d'Alencon,  elle  ajoutait  :  «  Sans 
approbation  de  la  qualité  d'Intendant  et  de  la  Commis- 
sion dudit  sieur  Favier.  » 

Le  16  juillet  1648,  elle  recevait  une  Déclaration  du 


266  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

Roi,  doniiée  à  Paris  le  15  précèdent,  portant  révocation 
de  toutes  les  Commissions  qui  avaient  été  données 
extraordinairement  pour  l'imposition  et  levée  de  ses 
deniers,  et  établissement  d'à  ne  Chambre  de  Justice. 

Le  21  juillet,  elle  enregistra  une  autre  Déclaration 
portant  révocation  des  commissions  extraordinaires 
des  Intendants  et  remise  des  tailles  jusqu'en  l'an  1646, 
et  d'un  demi-quartier  de  celles  de  l'année  1648.  Elle  y 
ajouta  cette  clause  que  «  nulles  commissions  d'Inten- 
dants de  justice,  police  et  finances  ne  pourroient  estre  à 
l'avenir  exécutées  dans  la  province,  qu'elles  n'eussent 
esté  auparavant  présentées  aux  Compagnies  souve- 
raines pour  y  estre  délibérées  et  vérifiées,  sur  peine  de 
faux,  nullité,  cassation.  » 

Le  Roi  et  la  Reine  furent  priés  de  composer  la 
Chambre  de  Justice  de  commissaires  de  toutes  les  cours 
souveraines  de  la  province  ;  «  et  cependant,  en  atten- 
dant ledit  établissement,  et  pour  empescher  la  fuite  des 
coupables  et  de  leurs  complices,  ordonna  ladite  Cour 
que  parles  commissaires  par  elle  nommez  et  députez  à 
cet  effet,  il  seroit,  à  la  diligence  du  procureur  général, 
incessamment  informé  des  malversations,  violences, 
vexations  et  autres  abus  commis  par  les  comptables  et 
autres  préposés  à  la  perception  ec  levée  de  tous  les 
deniers,  tantordinaires qu'extraordinaires, qui  s'étoient 
levés  dans  le  ressort  pour  tailles,  subsistances,  esta  pas 
des  gens  de  guerre,  francs-fiefs,  nouveaux  acquêts, 
confirmation  de  l'exemption  d'iceux,  amortissements, 
franc-alleu,  confirmation  de  chaufi'age,  exemption  de 
l'arrière-ban.  >   Ledit  arrêt  devait  être  envoyé  aux 


CLASSE   DES    BELLES-LETTRES  267 

curés  des  paroisses  pour  être  lu  en  public  aux  prônes 
des  messes  paroissiales. 

Le  16  décembre  1648,  elle  vérifiait  la  Déclaration  du 
Roi  portant  règlement  sur  le  fait  de  la  justice,  police  et 
finances.  On  y  lisait  :  «  Les  Commissaires  Intendants 
ci-devant  envoyés  es  3  Généralités  de  ceste  province 
présenteront  dans  la  Chambre  dans  3  mois  leurs  pouvoirs 
et  commissions  pour  y  estre  vérifiez  avec  Testât  des 
noms  et  surnoms  de  ceux  qui  ont  esté  par  eux  commis 
et  préposés  à  la  recette  des  deniers  de  la  taille  et 
autres  etc..  à  peine  de  respondre,  en  leur  propre  et 
privé  nom,  du  dépérissement  desdits  comptables.  » 

Miromesnil  et  Pascal  n'avaient  point  attendu  cet 
arrêt  pour  s'éloigner  de  la  Normandie.  Ils  ne  pouvaient 
que  gémir  sur  la  révolution  qui  venait  de  s'accomplir, 
laquelle  portait  à  l'autorité  royale  une  atteinte  infini- 
ment plus  grave  que  celle  qu'elle  avait  reçue  en  1639, 
des  émeutes  de  Rouen  et  de  la  Basse-Xormandie.  Il  leur 
était  aisé  de  s'apercevoir  que  l'opinion  publique  n'était 
pas  pour  eux:  que,  tout  au  contraire,  elle  applaudis- 
sait au  sévère  jugement  du  Courrier  burlesque  de  la 
guerre  de  Paris  (1650),  à  propos  de  l'établissement  de 
la  Chambre  de  Saint-Louis  : 


Dès  la  première  ouverture 
H  (le  Parlement)  révoqua  les  Intendans, 
Dans  la  campagne  brigandans 
Maudits  tyranneaux,  demy-princes, 
Malheurs  attachés  aux  provinces. 
Facteurs  du  defiinct  Richelieu, 
Fléaux  quatrièmes  de  Dieu. 


268  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

Cet  arrest  mis  sur  les  registres 
Inquiéta  fort  les  Ministres, 
Qui,  sans  cette  sorte  de  gent, 
Auroient  souvent  manqué  d'argent. 

La  Fi'onde  ne  devait  avoir  qu'un  temps.  Richelieu 
en  fût  venu  à  bout  par  la  violence  :  Mazarin  en  triom- 
pha surtout  par  la  ruse  et  l'habileté. 

Miromesnil  revint  donc  à  Rouen  en  1652  pour  y 
reprendre  les  fonctions  d'Intendant. 

Quant  à  Etienne  Pascal,  il  avait  renoncé  à  l'adminis- 
tration. Les  dernières  années  de  sa  vie  furent  con- 
sacrées à  des  occupations  plus  en  rapport  avec  ses 
goûts. 

Son  fils  Biaise,  en  venant  dans  notre  ville,  en  1640,  à 
la  suite  de  l'armée  de  Gassion,  avait  pu  juger  de  l'effet 
produit  sur  le  peuple  par  ces  «  trognes  armées  qui  n'ont 
de  mains  et  de  force  que  pour  le  représentant  de  la  Ma- 
jesté royale  ». 

Les  troubles  de  la  Fronde  et  l'impopularité  qu'encou- 
rut son  père  lui  causèrent  une  impression  d'un  autre 
genre,  qui  ne  put  être  que  très  pénible.  Je  crois  retrou- 
ver la  trace  des  sentiments  ineffaçables  qu'il  en  conserva 
dans  ce  passage  de  sa  vie,  écrite  par  M""'*^  Périer  :  «  Il 
avoitun  si  grand  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu  qu'il  ne  pou- 
voit  souffrir  qu'elle  fût  violée  enquoi  que  ce  soit.  C'est 
ce  qui  le  rendoit  si  ardent  pour  le  service  du  Roi  qu'il 
résistoit  à  tout  le  monde  lors  des  troubles  de  Paris;  et 
toujours  depuis  il  appeloit  des  prétextes  toutes  les  rai- 
sons qu'on  donnoit  pour  excuser  cette  rébellion  ;  et  il 
di<oit  que,  dans  un  Etat  établi  en  r.'^publi  lue  comme 


CLASSE   DES   BELLES-LETTRES  269 

Venise,  c'êtoit  un  grand  mal  de  contribuer  à  y  mettre 
un  roi  et  opprimer  la  liberté  des  peuples  à  qui  Dieu  l'a 
donnée  ;  mais  que,  dans  un  Etat  où  la  puissance  royale 
est  établie,  on  ne  pouvoit  violer  le  respect  qu'on  lui 
doit  que  par  une  espèce  de  sacrilège,  puisque  c'est  non 
seulement  une  image  de  la  puissance  de  Dieu,  mais  une 
participation  de  cette  même  puissance,  à  laquelle  on  ne 
pouvoit  s'opposer  sans  résister  visiblement  à  l'ordre  de 
Dieu,  et  qu'ainsi  on  ne  pouvoit  exagérer  la  grandeur 
de  cette  faute.  Il  disoit  ordinairement  qu'il  avoit  un 
aussi  grand  éloignement  pour  ce  péché-là  que  pour 
assassiner  le  monde  et  pour  voler  sur  les  grands  che- 
mins, et  qu'enfin  il  n'y  avoit  rien  qui  fût  plus  contraire 
à  son  naturel,  et  sur  quoi  il  fût  moins  tenté  ». 


III 


Si  je  visais  à  une  certaine  perfection  littéraire,  je  de- 
vrais, pour  établir  une  juste  proportion  entre  les  par- 
ties de  ce  mémoire,  donner  un  assez  grand  développe- 
ment à  celle  qui  me  reste  à  traiter  parce  que  celle-ci 
concerne  plus  directement  Biaise  Pascal.  Mais  la  pé- 
riode de  sa  vie  dont  j'ai  maintenant  à  m'occuper  est  la 
mieux  éclairée.  Elle  a  fait  récemment,  à  Rouen  même, 
l'objet  d'études  très  approfondies  de  la  part  de 
M.  Brunscbwig,  quand  il  était  encore  professeur  de 
philosophie  au  lycée  de  cette  ville,  de  la  part  aussi  de 
M.  Bouquet,  lequel  n'a  cessé  de  consacrer  à  l'histoire 
de  son  pays  natal  les  loisirs  de  sa  verte  vieillesse.  Vous 


270  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

auriez  sujet  de  m'accuser  de  témérité  si  je  cherchais 
une  nouvelle  forme  pour  l'exposition  de  faits  à  cette 
heure  suffisaniment  connus.  Ainsi  je  me  bornerai,  par 
convenance  autant  que  par  prudence,  à  grouper  quel- 
ques renseignements,  en  grande  partie  nouveaux  et 
qui  pourront  servir,  non  pas  de  rectification,  mais  de 
complément  à  des  travaux  justement  estimés. 

Montaigne,  a  été  très  sévèrement  jugé  par  Biaise 
Pascal,  bien  qu'en  certains  endroits  de  ses  Pensées 
ce  dernier  ne  se  soit  pas  fait  faute  d'imiter  l'auteur  des 
Essais.  Entre  ces  deux  écrivains,  de  conduite  et  de 
caractère  si  différents,  il  y  a  cette  ressemblance  que 
l'un  et  l'autre  se  firent  remarquer  par  la  précocité  de 
leur  développement  intellectuel;  qu'ils  n'eurent  d'autre 
école  que  la  maison  paternelle,  d'autre  maître  que  leur 
père.  L'influence  maternelle  manqua  à  eux  deux  ;  mais, 
en  revanche,  ils  eurent  l'avantage  de  rencontrer  de 
bonne  heure,  sans  sortir  de  chez  eux,  une  élite  de  per- 
sonnes instruites  dont  la  conversation,  pour  un  esprit 
éveillé  et  attentif,  peut  tenir  lieu  des  meilleures  leçons. 

Séduit,  ainsi  que  beaucoup  de  ses  contemporains,  par 
les  travaux  de  Descartes,  Pascal,  le  père,  s'était  épris 
d'une  grande  passion  pour  les  mathématiques  à  la- 
quelle il  se  livra  entièrement  quand  il  put  se  soustraire 
aux  fonctions  de  sa  charge  de  président  à  la  Cour  des 
Aides  de  Clermont.  On  sait  qu'à  Paris  il  se  plaisait  à 
réunir  chez  lui  les  hommes  qui  partageaient  ses  goûts. 
Leurs  savants  entretiens  ne  furent  pas  perdus  pour  son 
fils  dont  l'aptitude  pour  les  sciences  exactes  se  mani- 
festa d'une  manière  qui  tenait  du   prodige.  D'abord, 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  271 

Etienne  Pascal  prit  des  précautions  pour  que  cet  enfant 
s'appliquât  exclusivement  à  l'étude  des  langues  an- 
ciennes, conformément  à  la  méthode  d'enseignement 
des  collèges;  et  si,  à  la  fin,  il  consentit  à  lui  laisser 
entre  les  mains  les  Eléments  cVEuclide,  ce  fut  à  condi- 
tion qu'il  n'employât  à  les  lire  que  ses  heures  de  récréa- 
tion. Mais  bientôt,  si  l'on  en  croit  M""^  Périer,  Biaise 
Pascal  obtint  la  permission  d'assister  à  des  conférences 
qui  se  faisaient  toutes  les  semaines,  où  tous  les  habiles 
gens  de  Paris  s'assemblaient  pour  y  communiquer  leurs 
mémoires  ou  pour  examiner  ceux  des  autres.  «  Mon 
frère,  ajoute-t-elle,  y  tenoit  fort  bien  son  rang,  tant 
pour  l'examen  que  pour  la  j'roduction.  Car  il  étoit  de 
ceux  qui  y  portoient  le  plus  souvent  des  choses  nou- 
velles. 0\\  voyoit  aussi  souvent  dans  ces  assemblées-là 
des  propositions  qui  étaient  envoyées  d'Italie,  d'Alle- 
magne et  d'autres  pays  étrangers,  et  l'on  prenoit  son 
avis  sur  tout  avec  autant  de  soin  que  de  pas  un  des 
autres  ». 

Lorsque  Etienne  Pascal  fut  adjoint  à  l'Intendance  de 
Rouen  dans  les  circonstances  que  nous  avons  fait  con- 
naître, ce  ne  fut  pas  sans  regret  qu'il  s'éloigna  de 
Paris  pour  se  consacrer,  en  province,  à  des  fonctions 
administratives  très  assujettissantes. 

Assurément  Rouen,  où  il  fut  envoyé,  n'était  pas  une 
ville  étrangère  à  la  culture  des  lettres. 

Nous  avons  vu  que  l'archevêque  Fr.  de  Harlay  se 
faisait  un  honneur  de  s'entourer  de  gens  instruits. 

Le  Chapitre  de  la  cathédrale  comptait  alors  parmi 
ses  membres  Robert  Duval,  professeur  royal  en  Sor- 


272  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

bonne  (1),  l'érudit  bibliothécaire  Jean  Le  Prévost  (2), 
Le  Roux  de  Vélj,  habile  versificateur  latin,  Nicolas 
Paris  (3),  qui  fut  plus  tard  l'ami  du  cardinal  de  Retz, 
François  Le  Metel  de  Boisrobert  (4),  le  favori  du  cardinal 
de  Richelieu,  qu'il  avait  charge  d'amuser,  vérifiant  par 
expérience  la  réalité  de  cette  misère  des  grands  si  net- 
tement caractérisée  par  Pascal  :  «.  Le  Roi  est  environné 
de  gens  qui  ne  pensent  qu'à  divertir  le  Roi,  et  l'empê- 
chent de  penser  à  lui.  Car  il  est  malheureux,  tout  roi 
qu'il  est,  s'il  v  pense  ». 

On  peut  signaler  au  Parlement  le  PP.  Ch.  de  Faucon 
de  Frainville  (5),  l'avocat  général  Pierre  LeGuerchoys, 
Bigot  de  Monville,  de  Ferrare  du  Tôt  (6),  de  Franque- 
tot  (7),  conseillers  d'ancienne  création  ;  Michel  du  Faul- 


(1)  Reçu  à  la  Trésorerie  de  la  cathédrale  le  11  août  1640;  décédé 
en  1633. 

(2)  Secrétaire  de  l'archevêché,  en  même  temps  que  chanoine  et  biblio- 
thécaire du  Chapitre,  décédé  en  1631. 

(3)  Ancien  élève  du  collège  de  Navarre  et  docteur  de  Sorbonne. 

(4)  Conseiller  aumônier  du  Roi,  chanoine  de  Rouen  dès  1634,  nommé 
commensal  de  l'archevêque  12  mars  1647.  Cette  même  année  parais- 
saient Les  Epistres  du  sieur  Bois-Robert  Métel,  dédiées  au  cardinal 
Mazarin,  1647,  in-4o. 

A  la  date  du  7  avril  1647,  il  logeait  à  l'abbaye  de  Saint-Ouen. 
(Tab.  Rouen,  Minutes  Crespin,  Moisson).  Etait  abbé  de  Chatillon  et 
prieur  de  la  Ferlé. 

(3)  Etait,  je  crois,  frère  du  poète  Charlcval . 

(6)  S'était  donné  la  spécialité  de  composer  des  épitaphes  ou  des  tom- 
beaux en  latin,  et  parait  y  avoir  excellé. 

{')  Robert  de  Franquetot,  Président  au  Parlement,  décédé  le  26  no- 
vembre 1666.  C'est  à  lui  que  Guiffarl  dédia  le  Discours  sur  le  Vide.  Son 
frère  Jacques  était  aumônier  du  Roi. 


CLASSE   DES    BELLES-LETTRES  273 

trey(l),  Fardoil($),  Sarrau,  conseillers  de  nouvelle  créa- 
tion ;  à  la  Chambre  des  Comptes,  Robert  Le  Cornier, 
dont  notre  Académie  possède  la  correspondance  avec  le 
savant  feuillant  Jean  de  Saint-Paul  ;  parmi  les  avocats, 
Jacques  Coquerel,  ditBouche-d'Or,  et  Louis  Grèard,  que 
plus  tard  Montausier  honora  de  son  amitié;  parmi  les 
médecins,  Guiffart,  et  aussi  Porrée,  que  Daniel  Huet 
mettait  au  premier  rang  des  médecins  de  cette  ville  (3). 

On  doit  ajouter  à  ces  noms  celui  de  François  Ber- 
taut,  frère  de  M™°  de  Motteville,  prieur  du  Mont-aux- 
Malades,  avec  qui  Jacqueline  Pascal  avait  figuré  dans 
des  pièces  de  théâtre  jouées  devant  Richelieu  (4), 
et  encore  les  noms  des  frères  Campion,  de  Pierre  de 
Marbeuf,  de  Saint-Amant,  et,  en  premier  rang,  ceux 
de  Pierre  et  de  Thomas  Corneille. 

Au  collège  de  Rouen,  il  se  rencontrait,  sans  le 
moindre  doute,  des  professeurs  versés  dans  l'étude  des 
sciences  mathématiques  et  physiques  et,  suivant  toute 
vraisemblance,  Adrien  Auzoult,  l'ami  de  Pascal,  devait 
beaucoup  à  leurs  leçons.  Mais  je  ne  puis  citer  aucun 
nom.  Le  programme  du  cours  de  Picrius,  au  collège  de 
l'archevêché,  prouve,  du  moins,  qu'à  Rouen,  les  ques- 
tions de  physique  ne  laissaient  pas  l'opinion  publique 
indifférente. 


(1)  On  trouve  de  lui  un  sonnet  en  vers  français  dans  le  Mercure  de 
Gaillon. 

(2)  Auteur  d'un  Recueil  de  harangues. 

(3)  Porrœum,  prlmarium  hujus  urbis  medicum  dans  le  Commenta- 
rlus  de  rébus  ad  eum  Huot  pcrlinenlibus. 

(4)  Tallemant  des  Réaux,  llislorieltcs,  t.  V,  p.  13o.  , 

18 


274  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

Mais,  il  faut  bien  le  reconnaître,  rien,  dans  cette  Tille, 
ne  rappelait,  même  de  loin,  les  conférences,  sorte 
d'académie,  où  Biaise  Pascal  était  admis  en  compagnie 
de  son  père. 

Aussi  ce  dernier  n'avait-il  point  quitté  Paris  sans 
esprit  de  retour.  Il  continuait  à  y  tenir  par  bail,  de 
M.  Barrin,  conseiller  au  Parlement,  une  maison  sise 
rue  Brisemiche,  au  cloître  Saint- Merry.  11  chargea  son 
fils  d'en  renouveler  le  bail  par  procuration  notariée  du 
9  décembre  1645  (1). 

A  son  arrivée  à  Rouen,  Etienne  Pascal  se  logea  dans 
une  maison  delà  rue  des  Murs-Saint-Ouen  (2),  rue  dont 
un  des  côtés  existe  encoi  e,  entre  la  rue  de  l'Hôpital  et  la 
rue  de  la  Seille.  Le  chancelier  Séguier  s'était  installé, 
avec  sa  suite,  dans  les  bâtiments  de  l'abbatiale,  où  le  col- 
lègue de  Pascal,  Claude  de  Paris,  avait  trouvé  aussi  à  se 
loger. 

Ce  quartier  était  celui  des  fonctionnaires  avec  les- 
quels Pascal  devait  avoir  les  relations  les  plus  suivies. 
Là,  il  avait,  en  effet,  pour  voisins  Dyel  de  Miromesnil, 
prédécesseur  et  successeur  de  Claude  de  Paris,  Halle 
de  Mouflaines,  Maître  des  Requêtes,  Courtin,  procu- 
reur général  au  Parlement,  Puchot  du  Plessis,  Tréso- 
rier de  France,  Thomas  Du  Fossé,  Maître  des  Comptes, 
Louis  Le  Pesant,  commissaire  député  pour  la  partie 
des  anoblissements  (3). 

(1)  Nous  donnons  une  copie  de  cet  acte  à  la  fin  de  notre  mémoire. 

(2)  Ce  domicile  déjà  signalé,  mais  à  une  autre  date,  est  indiqué  dans 
la  procuration  précitée. 

(3)  L'hôtel  de  M.  Puchot  était  à  l'angle  des  rues  des  Murs-Saint-Ouen 
et  de  l'Hôpital. 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  275 

Au  milieu  de  ce  monde  de  fonctionnaires,  il  s'était 
formé  une  société  intime  qui  le  dédommageait,  jusqu'à 
un  certain  point,  de  l'éloignernentde  Paris  et  lui  faisait 
prendre  en  patience  les  ennuis  d'une  administration, 
suspecte  à  tous  et  odieuse  à  plusieurs. 

11  avait  près  de  lui  son  fils  Biaise,  et  ses  deux  filles 
Gilberte  et  Jacqueline  dont  il  continua  à  former  l'es- 
prit avec  tant  de  succès  que  leur  distinction,  universel- 
lement reconnue,  les  fit  rechercher  de  la  meilleure 
société  de  la  ville. 

Gilberte,  l'aînée  des  deux  sœurs,  était,  si  l'on  en 
croit  un  homme  peu  favorable  à  Biaise  Pascal  (le  P. 
Rapin,  Mémoires,  p.  346),  «  une  femme  d'un  esprit 
extraordinaire  ».  Voici  ce  que  dit  d'elle  sa  fille  Mar- 
guerite Périer: 

€  Mon  grand-père  (Etienne  Pascal),  maria  ma  mère 
en  ce  temps-là;  il  la  maria  en  Normandie,  quoique 
mon  père  lût  de  Glermont  aussi  bien  que  lui,  et  ce  fut 
par  occasion.  Il  y  eut  une  commission  importante 
dans  l'Intendance  de  Normandie  que  l'on  manda  à  mon 
grand-père  de  remplir  d'une  personne  dont  le  Roi  lui 
fit  l'honneur  de  lui  donner  le  choix  ;  il  jeta  les  yeux  sur 
mon  père  qui  étoit  un  jeune  homme,  déjà  conseiller  de 
la  Cour  des  Aides  de  Glermont  depuis  même  plusieurs 
années,  l'ayant  été  très  jeune  (1).  Il  était  proche  parent 

(1)  Un  autre  compatriote  et  parent  des  Pascal,  Jacques  Pascal,  avait 
été  chargé  du  maniement  et  recette  à  faire  pour  Ch.  Gachon,  trésorier 
payeur  de  la  gendarmerie  de  France  aux  Elections  de  Pont-l'Evêque  et 
autres,  des  deniers  à  provenir  de  la  recherche  des  droits  d'indemnité 
dus  à  Monsieur  frère  unique  du  Roi  par  les  gens  de  mainmorte  de  la 


276  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

démon  grand-père,  fils  de  sa  cousine  germaine,  et  mon 
grand  père  l'aimait  extrêmement,  parce  qu'il  lui  avoit 
trouvé  dès  sa  jeunesse  un  très  grand  esprit,  et  beau- 
coup d'amour  et  de  dispositions  pour  les  sciences. 
Ayant  donc  occasion  de  le  faire  venir  auprès  de  lui,  il 
lui  donna  cette  commission  qui  n'étoit  que  pour  quel- 
ques années  ;  et  lorsqu'il  vint  chez  lui,  il  trouva  en  lui 
toutes  les  qualités  qu'il  pouvoit  souhaiter  pour  en  faire 
son  gendre.  Ainsi  il  le  maria  avec  ma  mère  ». 

Je  suppose  que  la  commission  dont  parle  Marg.  Périer 
n'avait  d'autre  objet  que  la  vérification  ou  plutôt  la 
confection  des  rôles  des  tailles,  à  laquelle  l'Intendant 
collaborait,  de  concert  avec  les  commissaires  du  Bureau 
des  finances,  pour  la  répartition  entre  les  Elections; 
avec  les  Elus,  dans  chaque  Election,  pour  la  réparti- 
tion entre  les  paroisses. 

Une  imposition  particulière  avait  été  ajoutée  aux 
autres,  celle  des  aisés,  sorte  d'imposition  sur  le  revenu, 
forcément  un  peu  arbitraire,  et  naturellement  c'était  à 
qui  se  ferait  le  plus  misérable  possible  pour  n'être  pas 
compris  dans  cette  catégorie  d'aisés,  ou  pour  n'être  pas 
taxé  à  trop  forte  somme. 

Nicolas  Mesnager  (c'était,  je  crois,  le  père  du  pléni- 
potentiaire du  traité  d'Utrecht)  écrivait  de  Paris  à  son 
oncle  Bradecbal,  procureur  au  Parlement  de  Norman- 
die, à  propos  d'affaires  dont  il  avait  été  question  entre 
eux  dans  de  précédentes  lettres. 

«  Je  viens  de  recevoir  lettres  de  Mons""  de  la  Motte 

vicomte  d'Auge.  Il  était  à  Koiicn,  le  4  juin  1642;  a  Lisieiix,  le  27  no- 
vembre 1642.  (Tab.  de  Rouen.) 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  277 

qui  me  mande  que  Mons.  Pascal  et  Monsieur  Périer 
estoient  de  retour  à  Rouen,  et  que  l'on  ne  debvoit  tra- 
vailler aux  recettes  de  l'Eslection  de  Gisors  que  dans 
un  jour  ou  deux,  ce  qui  me  fait  espérer  que  nous  obtien- 
'  drons  quelque  chose.  A  Paris,  ce  26  juin  1641  (1).  » 

Une  autre  commission  rappela  M.  Périer  à  Rouen 
en  1644.  11  y  vint  en  qualité  de  commissaire  député 
par  S.  M.  «pour  procéder,  dans  l'estendue  de  l'ancienne 
Généralité  de  Rouen,  à  l'exécution  de  ses  Edict  et  Dé- 
claration des  mois  d'octobre  1601  et  décembre  1643  ». 
Toutes  les  paroisses  furent  alors  sommées  de  justifier 
des  titres  et  contrats,  en  vertu  desquels  elles  jouissaient 
des  terres  que  leurs  habitants  possédaient  en  commun. 

En  conséquence  de  sa  commission.  Florin  Périer 
ordonna  «  à  tous  les  possesseurs  et  jouyssans  des  Do- 
maines de  S.  M.  et  droits  domaniaux,  de  quelque  qua- 
lité qu'ils  fussent,  d'apporter  ou  envoyer  dans  quin- 
zaine, es  mains  de  Pierre  Picot,  greffier  de  la  commis- 
sion, logé  en  la  maison  de  ÛP  Jean  Dodelin,  près  l'église 
Saint-Godard,  les  originaux  des  contracts,  quittances 


(1)  Autre  lettre  du  même  au  même  relative  à  la  même  affaire  :  «  Je 
vois  bien  que  vous  y  avez  faiet  tout  ce  qui  vous  a  esté  possible,  mais  au 
contraire  Monsieur  de  Villequier  n'a  daigné  y  employer  une  seulle  pa- 
rollc,  où  il  faiet  bien  paroistre  qu'il  est  peu  obligeant,  puisqu'il  n*a  rien 
vouUu  faire  en  une  occasion  sy  facille.  S'il  faut  paier  les  105  livres  à 
quoy  vous  avez  faiet  réduire  la  taxe  de  mon  père,  il  n'y  a  remède  :  c'est 
à  vous  seul  que  je  me  tiens  obligé  de  ceste  diminution.  Je  vous  supplie 
de  me  faire  l'honneur  de  m'escrire  encore  une  fois,  lorsque  les  Mrs  de 
Gisors  (les  Elus)  auront  travaillé  avec  le  commissaire  pour  tenir  le 
Bureau  des  tinances  et  me  mander  sy  nous  avons  obtenu  qucbpu'  dimi- 
nutjon.  »  A  Paris,  ce  l"""  juillet  1641. 


278  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

de  finances  et  aultres  titres  en  vertu  desquels  ils  pos- 
sêdoient  les  dits  domaines  de  S.  M.,  parts  et  portions 
d'iceux,  ensemble  les  baux  du  revenu  d'iceux  des  3 
dernières  années,  comme  aussi  les  dénombremens  en 
quoy  consistoient  les  dits  domaines  etdroicts.  >  A  faute 
d'y  satisfaire  dans  le  temps  prescrit,  domaines  et  droits 
pouvaient  être  saisis,  et  mis  en  régie  au  profit  du  Roi. 
L'ordonnance  imprimée  porte  la  signature  de  Périer  ; 
elle  est  datée  du  10  avril  1644. 

Un  partisan,  du  nom  de  Pierre  Cellier  (1),  avait  traité 
avec  le  Roi  des  droits  à  percevoir  :  il  avait  pour  repré- 
sentant, à  Rouen,  un  nommé  Pieffort. 

Les  assignations  étaient  faites  à  la  requête  de  ce 
P.  Cellier  ;  et  c'était  devant  Périer  que  particuliers  ou 
communautés  devaient  faire  valoir  la  légitimité  de  leurs 
possessions. 

Nombre  de  paroisses  furent  alors,  comme  on  disait, 
inquiétées . 

Un  registre  de  la  paroisse  du  Petit-Quevilly,  du 
12  juin  1644  au  2  juillet  1645,  nous  fait  assister  aux 


(l)  Avant  Pierre  Cellier,  il  y  avait  eu  un  traitant  du  nom  de  Mal- 
dent intéressé  dans  pour  la  même  aiïaire.  —  27  juin  1637  assi- 
gnation par  l'huissier  Grippereau,  exploitant  par  tout  le  royaume  à  la  re- 
quête de  Me  Antoine  Maldent  qui  dit  avoir  traité  avec  S.  M.  pour  la  réunion, 
vente  et  revente  du  Domaine  de  Normandie.  Maldent  demandait  à  la 
paroisse  de  Petit-Quevilly  pour  les  marais  dont  elle  jouissait,  2,500  livres, 
outre  les  précédents  engagements.  Ordre  d'envoyer  dans  un  mois,  au 
greffe  de  la  revente,  tous  les  contrats  et  quittances  de  finances  pour  être 
procédé  à. la  véritication  de  la  finance  et  ordonner  du  remboursement, 
faute  de  quoi  seroit  procédé  à  la  vente  des  marais.  » 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  279 

débats  et  aux  tribulations  de  cette  comuiunauté.  Eq 
voici  quelques  extraits  : 

«  Du  17^  jour  d'août  1644,  pour  avoir  esté  à  Rouen, 
avec  Mons""  le  curé,  Claude  Gallot  et  le  curé  du  Grand 
Quevilly,  requête  de  M^  Pierre  Cellier,  qui  dit  avoir 
traicté  avec  S.  M.  pour  le  recouvrement  des  taxes 
faictes  et  à  faire  sur  tous  les  possesseurs  des  Domaines 
de  S.  M  ,  à  comparoir  pour  icelle  assignation,  par 
devant  M.  Périer,  conseiller  du  Rov  ea  sa  Court  des 
Aydes  de  Clermont-Ferrand,  commissaire  député  par 
S.  M.,  tendant  icelle  assignation  pour  porter  au  greffe 
de  M^  Pierre  Picot,  greffier  delà  d.  commission,  les 
tiltres.  contracts  vertu  desquels  nous  jouyssons  des 
terres  par  nous  possédées  en  commun  avec  les  habitans 
de  la  paroisse  du  Grand-Quevillj. 

«  Nous  compareusmes  par  devant  ledit  s'"  Périer,  là 
où  estant  nous  deman  lasmes  temps  d'un  mois  pour 
faire  recerche  de  tous  nos  contrats  et  quittances  de 
finances,  pour  en  faire  faire  des  copies  pour  produire 
au  greffe  de  la  dite  commission,  ce  qui  nous  fut  contesté 
par  le  sieur  Pieffort  ;  et  ledit  jour  fut  ordonné  que 
nous  représenterions  nos  pièces  avec  un  inventaire 
d'icelles  dans  la  huitaine  dudit  jour,  payé  24  s.  6  d.  » 

Le  19  du  même  mois,  les  gens  du  Petit-Quevilly  vont 
au  logis  de  l'avocat  Marye  pour  lui  parler  de  cette  assi- 
gnation et  lui  demander  s'il  ne  serait  point  en  relation 
avec  les  sieurs  Périer  et  Pieffort,  «  suivant  ce  qu'ils 
avoient  ouy  dire  que  le  dit  s""  Périer  étoit  le  gendre  de 
Mons""  Passecal  ».  Le  26,  ils  vont  au  greffe  et,  sans 
doute,  y  déclarent  ne  pouvoir  produire  de  pièces  en 


280  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

règle,  puisque,  le  5  septembre,  ils  reçoivent  une  nou- 
velle assignation,  bientôt  suivie  d'une  visite  d'experts, 
envoyés  pour  faire  l'estimation  de  la  valeur  des  biens 
communaux.  Au  mois  de  mars  1645,  affiche  annonçant 
la  vente  qui  devait  se  faire  de  ces  biens  au  profit  de 
S.  M.  Le  19  de  ce  mois,  étonnement  des  gens  du  Petit- 
Quevilly,  auxquels  on  apprend  que  leurs  9  acres  de 
biens  communaux  étaient  réunies  au  Domaine  de  S.  M. 
depuis  1628. 

Le  23,  ils  reviennent  au  greffe  de  Périer  pour  obte- 
nir mainlevée  de  cette  saisie.  Celui-ci  ordonne  que 
leur  requête  sera  communiquée  à  Pieffort. 

Le  26,  nouvelle  visite  de  Périer  qui  remet  les  plai- 
gnants au  lendemain. 

Le  lendemain,  les  voilà  de  nouveau  au  Bureau  de  la 
commission,  et  là  ils  apprennent  que  Périer  est  parti 
pour  Paris,  et  qu'il  doit  être  absent  quinze  jours.  Ils  en 
furent  quittes  pour  offrir  à  dîner  au  greffier  Picot, 
qui  voulut  bien  leur  donner  le  nom  de  l'imprimeur  de 
Paris  chez  qui  ils  pourraient  obtenir  ces  Déclarations 
de  1601  et  de  1643  d'après  lesquelles  on  entendait  les 
condamner,  sans  avoir  pris  soin  de  les  leur  faire  con- 
naître. 

Les  15  et  22  avril,  nouvelles  visites  à  Périer.  Le  22, 
ils  rendent  compte  de  leurs  démarches  à  leurs  commet- 
tants :  «  Estant  au  greffe  du  Bureau,  il  nous  fut  dict 
par  les  dits  sieur  Périer  et  Pieffurt  que,  sy  nous  voul- 
lions  nous  accommoder  avec  le  traitant  de  la  commis- 
sion, qu'il  pourroit  venir  dans  cette  ville  de  Rouen  les 
derniers  jours  de  ce  mois,  et  qu'ils  nous  en  donneroient 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  281 

advis;  et  nous  donnèrent  temps  de  convenir  d'experts 
jusques  à  la  venue  du  dict  traitant  ». 

Le  10  mai,  ils  viennent  voir  si  le  traitant  était  arrivé; 
on  leur  apprend  que  non,  mais  qu'il  avait  écrit  à 
M.  Périer  de  lui  transmettre  les  pièces.  Cette  exigence 
déplaît  aux  gens  du  Petit-Quevilly  qui  prient  Pieffort 
de  ne  point  se  dessaisir  de  leurs  titres. 

Cette  affaire  ne  fut  réglée  qu'assez  longtemps  après. 
Les  paroissiens  du  Petit  et  du  Grand-Quevillj,  disons- 
le,  conservèrent  leurs  biens  communaux,  mais  eurent 
à  payer  une  lourde  taxe  d'amortissement. 

Cette  opération  à  laquelle  Périer  fût  mêlé,  ne  fut  pas 
sans  déplaire  au  Parlement.  Le  11  février  1645,  «  sur 
la  requête  des  receveurs  et  des  vicomtes  de  la  province, 
à  ce  qu'il  plût  à  la  Cour  donner  mainlevée  des  saisies 
faites  es  mains  des  fermiers  et  des  adjudicataires  des 
Domaines  à  la  requeste  du  nommé  Piéfort,  se  disant 
commis  de  M*^  Pierre  Cellier  »,  la  Cour  accorde  commis- 
sion pour  faire  assigner  devant  elle  le  traitant  et  son 
représentant.  11  est  clair  que  cet  arrêt  attaquait  indi- 
rectement Périer,  intermédiaire  entre  eux  et  la  Com- 
mission établie  à  Paris  pour  juger  des  amortisse- 
ments (1). 

Ce  fut  entre  l'époque  où  celui-ci  fut  appelé  à  Rouen 
une  première  fois  et  celle  où  il  y  revint  comme  com- 
missaire pour  la  perception  des  droits  domaniaux,  que 
Périer  épousa  Marguerite,  la  fille  aînée  d'Etienne 
Pascal. 

(l)  Périer  n'est  point  nommé.  Il  avait  été  appelé  en  Bourbonnais  pour 
y  remplir  une  commission  du  même  genre.  (Méni.  de  Marguerite  Périer.) 


282  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

Le  mariage  fut  célébré  en  l'église  Sainte-Croix -Saint- 
Ouen,  le  13  juin  1641;  mais  il  avait  été  décidé  plu- 
sieurs mois  auparavant. 

Dès  le  P*"  janvier  de  cette  année,  il  y  avait  eu  des 
conventions  passées  pour  cette  union,  à  Clermont-Fer- 
rand,  entre  Florin  Périer  et  Gilberte  Pascal,  d'une 
part,  et  Jean  Périer,  receveur  payeur  des  gages  et 
épices  de  MM.  de  la  Sénéchaussée  de  Clermont,  et  Jeanne 
Parrinet,  père  et  mère  de  Florin  Périer,  d'autre  part. 

D'autres  conventions  furent  passées  le  15  avril,  au 
tabellionage  de  Rouen,  pour  la  même  union,  entre 
Florin  Périer,  d'une  part,  et  Etienne  Pascal  et  Gil- 
berte, sa  fille,  d'autre  part. 

Ces  conventions  que  j'ai  eu  la  chance  de  rencontrer 
parmi  les  minutes  du  tabellionage  font  connaître  les 
apports  des  futurs  et  permettent  de  juger  assez  exacte- 
ment de  la  fortune  de  la  famille  Pascal. 

Périer  apportait  son  office  de  conseiller  à  la  Cour 
des  Aides  de  Clermont  (qui  représentait  un  capital 
assez  élevé),  des  immeubles  et  des  rentes  foncières  en  la 
justice  de  Volvic,  sénéchaussée  de  Riom,  une  valeur 
de  1,000  livres  en  meubles  et  ustensiles  de  ménage,  et 
1,600  livres  en  argent.  Son  père  avait,  d'ailleurs,  dé- 
claré l'instituer  son  héritier  unique,  et  en  même  temps, 
et  par  le  même  acte,  il  avait  donné  à  Catherine,  sa 
fille,  non  mariée,  7,400  livres,  somme  égale  à  celles 
qu'en  les  mariant  il  avait  données  à  ses  deux  autres 
filles,  Marguerite  et  Marie.  De  son  côté,  Etienne 
Pascal  constituait  à  sa  fille  Gilberte,  en  avancement 
d'hoirie,  750  livres  de  rentes  sur  l'Hôtel-de-Ville  d© 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  283 

Paris,  représentant,  à  raison  du  denier  18,  13,500 
livres(l);  il  renonçait,  en  sa  faveur,  àl'usufruitquilui 
avait  été  attribué  sur  la  succession  de  sa  femme  Marie 
Begon,  décédée  depuis  déjà  plusieurs  années.  La  fortune 
de  cette  dame  était  de  13,500  livres.  Sur  cette  somme, 
4,500  livres,  c'est-à-dire  le  tiers,  étaient  données  à  sa 
fille  Gilbeite,  qui  apportait,  en  outre,  comme  complé- 
ment de  dot,  3,000  livres  à  elle  léguées  par  Antoinette 
Fontfreyde,  sa  grand'  mère,  veuve  de  Victor  Begon. 
La  somme  des  apports  de  Gilberte  était  donc  de  21,000 
livres,  somme  assez  considérable  pour  le  temps.  Comme 
Etienne  Pascal  avait  trois  enfants  ;  que  le  fils,  suivant 
un  usage  général,  était  plus  avantagé  que  ses  sœurs, 
afin  d'être  en  état  de  soutenir  l'honneur  du  nom  de  la 
famille,  et  que,  d'ailleurs,  on  ne  peut  croire  que 
Etienne  Pascal  ait  voulu  se  dépouiller  d'une  manière 
exagérée  en  faveur  de  ses  enfants,  il  y  a,  ce  me  semble, 
quelque  raison  de  considérer  le  chiffre  d'une  centaine 
de  mille  livres  comme  le  minimum  de  sa  fortune.  No- 
tons encore  qu'à  cette  époque  il  n'avait  point  traité  de 
sa  charge  de  Premier  Président  de  la  Cour  des  Aides  de 
Clermont,  et  qu'il  lui  était  permis  d'espérer  un  poste 
avantageux  dans  la  carrière  administrative  où  il  s'était 
laissé  engager. 

Le  6  septembre  1642,  la  somme  de  4,500  livres  sti- 

(1)  Un  édit  de  février  1634  avait  vendu  au  denier  18  jusqu'à  la  somme 
de  8  millions  de  rentes  aux  pivvùt  des  marchands  et  échevins  de  Pari^ 
pour  les  revendre  aux  sujets  du  Roi  à  faculté  de  rachat.  Pieffort  obtint, 
le  21  mars  1639,  une  procuration  pour  se  transporter  dans  la  Généralité 
de  Rouen,  à  l'effet  d'opérer  cette  revente. 


284  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

pulée  dans  le  contrat  de  mariage  fut  payée  en  francs 
testons  écus  d'or  par  Etienne  Pascal  à  son  gendre 
Pêrier  (1). 

Voici  ce  qu'on  relève  dans  les  actes  de  l'état-civilde 
Sainte-Croix-Saint-Ouen,  relativement  à  ce  mariage  : 

«  Bans  de  mariage  : 

«  Du  vi^  jour  (de  juin  1641) 

«  Florin  Perier 

«  Gileberte  Paschal, 

«  tous  deux  de  la  paroisse.  » 

«  Le  13""''  de  juin  1641  furent  mariée  (sic)  Florin 
Perier  et  Gilberte  Pascal  en  réglisse  Sainte-Croix-Saint- 
Ouen,  et  pour  tesmoins  qui  ont  signé  furent  messire 
Claude  de  Paris,  conseiller  du  Roy  en  ses  Conseils,  In- 
tendant de  justice,  police  et  finances  en  la  province  et 
armées,  et  Charles  Marc,  s*"  de  Villequier.  » 

Marguerite  Pêrier,  dans  ses  Mémoires  sur  son 
oncle  Biaise  Pascal,  dit  que  Florin  Pêrier  eut  de  son 
mariage  avec  Gilberte  Pascal  cinq  enfants  :  Etienne, 
né  en  1642,  durant  que  son  père  était  à  Rouen  ;  Jac- 
queline, née  en  1644  ;  Marguerite,  née  en  1648;  Louis, 
né  en  1651  ;  Biaise,  né  en  1653. 

On  retrouve  l'acte  de  baptême  du  premier  de  ces 
enfants.  La  cérémonie  se  fit,  non  pas  à  Sainte-Croix- 
Saint-Ouen,  mais  en  l'église  Saint-Godard,  ce  qui 
indique  que  depuis  son  mariage  Pêrier  avait  changé 

(1)  Voir  sur  la  fortune  de  Jacqueline  Pascal,  un  mémoire  de  M.  Ber- 
trand intitulé  :  «  Sur  deux  lettres  peu  connues  de  Pascal  »,  dans  le 
Journal  des  Savants,  année  1890,  p.  327-329. 


CLASSE   DES   BELLES-LETTRES  285 

de  domicile,  peut-être  pour  se  rapprocher  du  bureau 
de  Piefibrt. 

L'acte  est  ainsi  conçu  : 

«  1642.  Dudict  jour  15  avril,  Estienne,  fils  de  noble 
homme  Florin  Perier,  conseiller  en  la  Cour  des  Aides 
de  Clermout-Ferrant,  et  demoiselle  Gilberte  Paschal. 
P.  noble  homme,  Estienne  Paschal,  conseiller  du  Roy 
en  ses  Conseils  et  Président  de  la  Cour  des  Aides. 
M.  damoiselle  Jeanne  Parrinet.  L'enfant  a  esté  tenu  et 
nommé  par  Agnès  Morel,  femme  de  M.  Quentin  (1), 
faisant  pour  ladite  Pari  net.  » 

Quand  Périer  et  Gilberte  Pascal  quittèrent  Rouen, 
ils  laissèrent  cet  enfant  à  son  grand-père  qui  s'appli- 
qua d'une  manière  particulière  à  son  éducation,  et 
lui  apprit  à  compter  quand  il  avait  trois  ans  à  peine  (2). 

Périer,  employé  pendant  quelques  années  à  une 
Commission  dans  le  Bourbonnais,  revint  à  Rouen  en 
1647,  mais  cette  fois  sans  titre  officiel.  11  est  plus  que 
probable  qu'il  logea  chez  son  beau-père,  et  que  ce  fut  là 

(1)  Il  s'agit  ici,  je  crois,  de  M.  Barliiéleray  Quentin,  commis  pour  les 
affaires  générales  des  gabelles  de  Normandie,  demeurant  paroisse  Saint- 
Vigor,  à  qui  les  Feuillants  vendent,  le  24  août  16o6,  200  livres  de  rente  pour 
4,000  livres  destinées  au  paiement  d'ouvrages  faits  à  leur  monastère 
afin  de  le  rendre  habitable.  Il  fit  plus  tard  une  fondation  aux  Feuillants,  et 
nomma  pour  ses  exécuteurs  testamentaires  Pierre  de  Vycn  d'Hérouval, 
auditeur  des  comptes,  et  l'abbé  Louis  de  Vyon  d'Hérouval.  Une  Marie 
Quentin  avait  épousé,  en  1633,  Antoine  Vyon  d'Hérouval.  C'est  à  cette 
famille  Vyon  dHérouval  qu'appartenait  Vyon  Dalibray  qui  célébra  en  deux 
sonnets  les  découvertes  de  Biaise  Pascal. 

(2)  Dans  une  lettre  adressée  de  Rouen,  dernier  janvier  1643  par  Biaise 
Pascal  à  M™e  périer,  Etienne  Pascal  ajoute  en  post-scrlpliun  :  «  Votre 
petit  a  couché  céans  cette  nuit.  Il  se  porte,  Dieu  grâces,  très  bien.  » 


286  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

que  vint  au  monde  sa  troisième  fille,  dont  l'acte  de 
baptême,  passé  en  l'église  de  Saint-Croix-Saint-Ouen, 
est  ainsi  conçu  : 

«  26  décembre  1647.  Fut  baptisée  Marie,  fille  de 
M.  M®  Florin  Périer,  conseiller  du  Roy  en  la  Cour 
des  Aydes  d'Auverues,  et  d"*  Gilbeberte  {sic)  Paschal. 
Son  parrain  M.  Messire  Jean  Halé,  s""  de  Moufleine, 
conseiller  d'Etat,  sa  marraine  Marie  Cavelier.  » 

Il  n'est  guère  supposable  que  Marguerite  Périer, 
dans  ses  Mémoires,  ait  oublié  la  naissance  d'une  de  ses 
sœurs. 

Il  est  à  croire  que  cet  acte  n'est  autre  que  son  acte  de 
baptême  à  elle.  L'erreur  de  date  est  peu  considérable. 
Au  26  décembre  1647,  on  était  bien  près  de  l'année 
1648.  Une  difficulté  plus  sérieuse,  c'est  la  substitution 
du  nom  de  Marguerite  à  celui  de  Marie.  Mais  il  faut 
remarquer  que  les  erreurs  ne  sont  pas  rares  dans  les 
anciens  actes  de  l'état-civil,  et  que,  d'ailleurs,  par  un 
motif  de  piété,  le  nom  pris  à  la  confirmation  avait  pu 
prévaloir  sur  le  nom  donné  au  baptême. 

La  présence  de  l'Intendant  et  de  M.  de  la  Ferté  au 
mariage  de  Gilberte  Pascal  donne  lieu  de  croire  que, 
dans  cette  circonstance,  Etienne  Pascal  se  souvint  de 
son  rang  et  se  conforma  aux  usages. 

L'autre  acte  de  baptême  que  nous  avons  rapporté 
prête  à  la  même  remarque. 

Alors  cependant  on  n'attachait  point  au  rang  social 
des  parrains  et  marraines  la  même  importance  qu'on 
y  attacha  plus  tard. 

Un  pauvre  homme,  qui  gagnait  sa  vie  à  raccommoder 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  287 

des  souliers,  servit  de  parrain  à  la  fille  de  René  de 
Souvré  et  de  Marie  Courtin.  Un  cordonnier  et  une 
simple  couturière  furent  les  parrain  et  marraine  de  la 
fille  de  M.  Halle,  conseiller  au  Parlement,  et  de  Fran- 
çois Groulart,  18  juillet  1669.  On  sait  que  le  père  de 
Montaigne  a\ait  donné  à  son  fils  pour  parrain  et  mar- 
raine «  des  gens  de  la  plus  abjecte  fortune  pour  lui 
apprendre  à  ne  mépriser  personne.   » 

C'est  au  contrat  de  mariage  de  Périer  et  de  Gilberte 
Pascal  que  se  manifeste  la  simplicité  de  mœurs  de  la 
famille  Pascal.  L'acte  fut  passé  chez  le  notaire,  et.  en 
fait  de  signatures,  il  n'y  en  eut  pas  d'autres  que  celles  du 
notaire  et  de  son  collègue  et  celles  des  parties  contrac- 
tantes, Etienne  Pascal,  Périer,  Gilberte  Pascal,  Biaise 
Pascal  et  des  deux  domestiques  de  la  famille,  Louis 
Guiller  et  Ignace  David. 

Or,  à  cette  époque  déjà,  c'était  l'usage,  quand  il 
s'agissait  de  familles  d'un  rang  distingué,  que  le  notaire 
choisi  par  les  parents  se  transportât  au  domicile  de  l'un 
d'eux,  et  que  l'on  fit  signer  les  personnes  dont  le  nom 
pouvait  faire  honneur  aux  futurs  époux.  Ainsi,  pour  ne 
citer  que  quelques  exemples,  les  signatures  abondent 
dans  les  contrats  de  mariage  de  Claude  Le  Roux,  s""  de 
Cambremont,  conseiller  au  Parlement,  avec  Madeleine 
de  Tournebu,  fille  d'un  Président  aux  Requêtes  du 
Palais,  16  avril  1644  ;  —  de  Jean-Antoine  de  Couvert, 
lieutenant-colonel  d'un  régiment  d'infanterie,  avec 
Mai'guerite  Bretel,  fille  d'un  second  président  au  Parle- 
ment, 21  septembre  1645;  —  de  Nicolas  Rome,  baron 
du  Bec-Crespin,  conseiller  au  Parlement,  avec  Aiine 


288  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

Le  Tellier,  17  novembre  1646  ;  — de  Jacques  Godart, 
s'  de  Belbeuf,  autre  conseiller  au  Parlement,  avec 
Marguerite  Hébert,  fille  d'un  conseiller  d'Etat,  17  juin 
1647; —  de  Diego  Henriques  Basurto,  maichand  à 
Rouen,  avec  Marguerite  de  Fonseca,  28  août  1647  ;  — 
de  Robert  Thébault,  avocat  à  Rouen,  avec  Marie  Rous- 
sel, fille  d'un  marchand  de  cette  ville,  5  février  1646; 
—  de  Pierre  Matlié,  marchand  lapidaire  à  Paris,  avec 
Marguerite  Lopez,  3  mars  1647  ;  —  de  Jacques  Halle,  fils 
d'un  bourgeois  de  Caen,  avec  une  nommée  Françoise 
Lestourgeoij,  2  novembre  1647. 

Je  passe  maintenant  à  la  sœur  cadette. 
Jacqueline  Pascal  avait  seize  ans,  à  l'époque  du  ma- 
riage de  sa  sœur.  Tout  lui  promettait  l'avenir  le  plus 
heureux  et  le  plus  brillant.  On  sait  comment,  étant 
presque  enfant,  elle  avait,  par  son  esprit  et  sa  gen- 
tillesse, captivé  le  cardinal  de  Richelieu,  et  obtenu  la 
grâce  de  son  père  qui  devint  dès  lors  un  des  agents 
administratifs  du  pouvoir.  On  sait  aussi  que,  peu  de 
mois  après  son  arrivée  à  Rouen,  elle  obtenait  le  prix  de 
la  Tour  au  concours  des  Palinods,  recevait  les  conseils 
et  les  applaudissements  de  Pierre  Corneille  et  ne  tar- 
dait pas  à  être  «l'ornement  de  tout  ce  qu'ily  avait  dans 
cette  ville  de  Sociétés  élégantes  et  distinguées  (1).  » 

Comme  elle  était  fille  d'un  haut  fonctionnaire,  on  ne 
saurait  s'étonner  qu'elle  ait  flatté,  peut-être  un  peu  plus 
que  de  raison,  dans  ses  Essais  poétiques,  ceux  qui  étaient 
en  position  d'être  utiles  à  son  père  :  l'Eminentissime  car- 
Ci)  M.  Cousin  dans  sa  ^'otice  sur  Jacqueline  Pascal, 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  289 

dinal  de  Richelieu,  la  duchesse  d'Aiguillon,  M'^MeBeu- 
vron,  fille  du  lieutenaut-génêral  au  gouvernement  de 
Normandie  (1),  et  la  reine  Anne  d'Autriche  au  début  de 
sa  Régence . 

«  Ma  sœur,  dit  M™^  Périer,  avoit  des  talents  d'esprit 
tout  extraordinaires  et  êtoit  dès  son  enfance  dans 
une  réputation  où  peu  de  filles  parviennent.  »  Elle  dit 
ailleurs  :  «  Durant  ce  temps,  il  se  présenta  plusieurs 
occasions  de  la  marier  ;  mais  Dieu  permit  qu'il  y  eut 
toujours  quelque  raison  qui  en  empêchât  la  conclusion. 
Elle  ne  témoigna  jamais  dans  ses  rencontres  ni  attache, 
ni  aversion,  étant  fort  soumise  à  la  volonté  de  mon 
père,  sans  qu'elle  eiit  jamais  eu  aucune  pensée  pour  la 
religion;  au  contraire,  en  ayant  un  grand  éloignement 
et  même  du  mépris,  parce  qu'elle  croyoit  qu'ony  prati- 
quoit  des  choses  qui  n'étoient  pas  capables  de  satisfaire 
un  esprit  raisonnable  (2).   » 

Mais  si  grand  que  fût  le  mérite  des  deux  sœurs, 

l'attention  se  porta  principalement  sur  leur  frère  Biaise 

Pascal  qui  ne  tarda  pas  à  s'attirer  l'admiration  de  tous 

par  l'invention  de  sa  machine  arithmétique  (o)  et  par 

ses  expériences  sur  la  pesanteur  de  l'air. 

(1)  Célèbre  par  sa  beauté.  Le  marquis  do  Beuvron  fut  nommé,  le 
i"  mai  1643,  gouverneur  du  Vieux-Palais  et  lieutenant  général  de  Nor- 
mandie sous  le  duc  de  Longueville,  en  remplacement  du  maréchal  de 
Guiche,  démissionnaire. 

(2)  Notice  de  M.  Cousin.  —  Jacqueline  Pascal  mourut,  le  4  oc- 
tobre 1661,  à  l'âge  de  trente-six  ans.  Le  14  octobre  1646,  elle  avait 
figuré  comme  marraine,  en  l'église  de  Saint-Godard,  au  baptême  de  Marie 
Jacqueline,  fille  de  Henri  Guilbour  et  de  Marie  De  Forge.  Le  nom  du 
parrain  est  resté  en  blanc . 

(3)  «  Cette  célèbre  machine  qui  sert  à  faiie  en  un  instant  toutes  les 

19 


290  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

L'idée  d'une  machine  arithmétique  n'était  pas  nou- 
velle. Un  baron  écossais,  Neper,  en  avait  construit  une, 
qui  fut  perfectionnée  par  un  jésuite  allemand,  Gaspard 
Schott,  mais  pas  de  manière  à  être  utilement  employée. 
Celle  de  Pascal  était  conçue  d'après  un  système  dif- 
férent. Il  y  travailla  deux  ans,  employant  à  sa  cons- 
truction des  horlogers  rouennais.  Une  de  ces  machines 
fut  offerte  par  lui  au  chancelier  Séguier  ;  environ  dix 
ans  après,  une  autre  était  offerte  par  lui  à  Christine, 
reine  de  Suède. 

Dans  sa  lettre  de  dédicace  à  Séguier,  Pascal  attri- 
bue aux  encouragements  de  ce  haut  personnage,  la  réso- 
lution qu'il  avait  prise  de  «  mener  à  bonne  fin  son  entre- 
règles les  plus  difficiles  de  l'arithmétique,  et  qu'on  peut  considérer  comme 
le  dernier  effort  de  l'esprit  humain.  »  Mémoires  de  Thomas  Du  Fossé^ 
t.  I,  p.  183.  —  D'Alibray  la  célèbre  à  son  tour  dans  ses  œuvres  poéti- 
ques, 1633  : 

Il  ne  faut  pour  cet  art  ny  raison,  ni  mémoire 

Par  t'U-  chacun  l'exerce  et  sans  peine  et  sans  gloire 

Puisque  chacun  t'en  doit  et  la  gloire  et  l'effet. 

Ton  esprit  est  semblable  à  cette  âme  féconde 
Qui  va  s'insinuant  partout  dedans  le  monde 
Et  préside  et  supplée  à  tout  ce  qui  s'y  fait. 

Jean  Chapelain,  dans  une  lettre  à  Huyens  de  Zulichem,  18  août  1639, 
après  avoir  parlé  de  la  machine  arithmétique,  laquelle  servait  avec 
une  justesse  admirable  à  faire  promptement  les  quatre  premières  règles, 
ajoute  :  «  C'est  le  jeune  Paschal  qui  est  véritablement  né  pour  les 
grandes  découvertes.  C'est  luy  qui,  le  premier  en  France,  a  fait  l'expé- 
rience du  vuide  avec  le  mercure,  etc..  ».  Le  P.  Rapin,  dans  ses 
Mémoires,  t.  I,  p.  21,  tout  en  traçant  un  portrait  peu  avantageux  de 
Pascal,  se  voit  forcé  de  reconnaître  que  «  c'étoit  un  homme  extraordinaire, 
d'un  esprit  vaste  et  d'une  pénétration  profonde,  mais  d'un  génie  le  plus 
admirable  pour  les  mathématiques  qu'on  ait  vu  en  ce  siècle.  » 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  291 

prise,  malgré  tous  les  obstacles  qui  s'opposaient  à  sou 
exécution.  »  C'était,  je  crois,  exagérer  un  peu  les 
devoirs  de  la  reconnaissance. 

Mais  cette  lettre  met  hors  de  doute  deux  points  inté- 
ressants, c'est  qu'Etienne  Pascal  avait  dû  sa  nomination 
à  la  recommandation  de  Séguier,  et  que  Biaise  Pascal 
fut  associé  aux  travaux  de  bureau  de  son  père. 

D'après  les  termes  de  cette  lettre,  cette  machine 
arithmétique  aurait  été  imaginée  et  aurait  été  mise  en 
usage  pour  les  opérations  de  calcul  auxquelles  Etienne 
Pascal  dut  se  livrer  dans  l'accomplissement  de  sa 
charge.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  récuser  un  témoignage  aussi 
formel.  N'oublions  pas  cependant  que  le  rôle  de  l'Inten- 
dant était  moins  de  vérifier  des  comptes  que  de  procéder 
équitablement,  de  concert  avec  les  officiers  du  Bureau  de 
finances  etdes  Elections,  au  dêpartementdes  impositions. 
Au  début  de  ses  fonctions,  alors  que  le  Bureau  des 
finances  avait  été  remplacé  par  'leux  commissaires,  et 
que  les  Elus  étaient  tenus  en  suspicion,  la  tâche  de 
l'Intendant  et  de  son  collègue  avait  dû  être  lourde  ; 
elle  devint  moins  pénible  quand  le  Bureau  des  finances 
eut  été  rétabli. 

Il  est  certain  que  B.  Pascal  se  berçait  de  l'espoir  que 
son  invention  pourrait  être  d'un  grand  usage,  et  c'est 
cette  conviction  qui  explique  le  privilège  qu'il  avait 
sollicité  et  o't»tenu.  En  cela  il  se  trompait.  Sa  machine 
resta  un  objet  de  curiosité.  Elle  ne  fut  pas  même  jugée 
assez  parfaite  pour  que  la  pensée  ne  vînt  pas  à  d'autres 
inventeurs  d'en  proposer  de  nouvelles  dont  aucune  jus- 


292  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

qu'à  présent  n'a  pu  devenir  d'un  usage  commun  (1). 

Ses  belles  expériences  sur  la  pesanteur  de  l'air  furent 
le  point  de  départ  d'une  découverte  plus  importante.  Il 
y  en  eut  plusieurs.  L'ouvrage  de  P.  Guiffart,  publié  en 
1647,  ne  donne  le  récit  que  de  celle  à  laquelle  il  avait 
assisté  en  compagnie  de  plusieurs  rouennais  dont  il  cite 
les  noms  :  Pli.  Le  Sueur  de  Petiville,  conseiller  au  Par- 
lement, P.  de  Beuzelin,  auditeur  des  Comptes,  Antoine 
Henriques  Gomez,  cavalier  de  l'ordre  de  S.  M.,  J.-B. 
Porrée,  docteur  en  médecine,  Is.  Le  Tellier,  avocat  au 
Parlement,  L.  Gréard,  M.  A.  C.  Du  Die,  Jacques  An- 
drey,  tous  trois  avocats  au  Parlement,  De  la  Coste. 

La  plupart  des  auteurs  attribuent  à  Petit,  ami  de 
Pascal,  l'idée  de  la  machine  arithmétique  et  des  expé- 
riences sur  la  pesanteur  de  l'air.  C'est  à  tort  qu'ils 
qualifient  ce  personnage  d'Intendant  des  fortifications 
de  Rouen.  Ce  titre  était  celui  d'un  fonctionnaire  muni- 
cipal, dont  le  nom,  à  cette  époque,  était  Thomas 
Languedor.  Petit,  dont  il  s'agit  (son  prénom  était 
Pierre),  a  pu  être  Intendant  des  fortifications  pour  le 
Roi,  mais  pas  à  Rouen. 

Il  était  né  à  Mont-Luçon  le  31  décembre  1608  et 
mourut  à  Lagny-sur-Marne,  le  20  août  1677;  il  est 

(l)  Voir  Histoire  des  Nombres  et  de  la  yumératlon  mécanique,  par 
Jacomy  Régnier,  Paris,  18u5.  Ce  Mémoire  parait  avoir  eu  pour  principal 
but  l'éloge  de  l'Arithmomètre  inventé  par  M.  Thomas,  de  Colmar.  — 
Peu  de  temps  après  la  mort  de  Pascal,  le  Journal  des  Savants,  année 
1678,  p.  164.  rendait  compte  d'une  «  nouvelle  machine  d'arithmétique  de 
rinvention  du  sr  Grillet,  horljgour  de  Paris.  »  —  On  lit  dans  les  Comptes 
de  la  maison  du  Iloi,  p.  781,  au  i.j  décembre  167i  :  «  Au  s^  Olivier, 
horloger,  en  considération  d'une  machine  numérique  qu'il  a  faite,  300  1.  » 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  293 

auteur  d'observations  touchant  le  vide,  Paris,  1647, 
in-4°,  et  d'un  c^'lindre  arithmétique.  Une  de  ses  filles 
entra  comme  religieuse  aux  Bernardines  de  Lagny-sur- 
Marne. 

Ce  fut  vers  le  temps  oii  Biaise  Pascal  procédait  à  ses 
expériences  sur  le  vide,  que  se  présenta  l'occasion  qui 
donna  lieu  à  sa  conversion  et  à  celle  de  toute  sa 
famille. 

On  était  au  mois  de  janvier  1646.   Un  jour  on  vint 
prévenir     Etienne    Pascal    que    des    gentilshommes 
s'étaient  donnés  rendez-vous  dans  un  des  faubourgs  de 
]a  ville  pour  se  battre  en  duel.  11  est  à  croire  qu'il  en- 
trait dans  ses  fonctions  de  s'opposer  à  cet  usage  que 
Richelieu  s'était  efforcé  d'abolir.  Etienne  Pascal,   ne 
pouvant  se  rendre  sur  les  lieux  en  carrosse  parce  que 
toute  la  ville  n'était  qu'une  glace  et  que  ses  chevaux 
n'étaient  pas  ferrés,  se  vit  forcé  de  s'}'  rendre  à  pied. 
Mais  dans  le  trajet  il  fit  une  chute,  se  démit  la  cuisse  et 
fit  venir  près  de  lui,  pour  se  confier  à  leurs  soins,  deux 
gentilshommes  du  pays  de  Caux,  MM.  Deschamps  des 
Landres  et  de  îa  Bouteillerie,  qui  demeurèrent  près  de 
lui  pendant  trois  mois.  Bien  que  chirurgiens  d'occasion, 
ils  réussirent  à  le  guérir,  «  et  en  même  temps,  leurs  dis- 
cours édifiants  et  leur  bonne  vie,  que  l'on  connaissoit, 
donnèrent  envie  (c'est  Marguerite  Périer  qui  nous  le 
raconte)  à  Etienne,  à  Biaise,  à  Jacqueline  Pascal^   de 
voir  les  livres  qu'on  jugeoit  qui  leur  avoient  servi  pour 
parvenir  à  cet  état.  Ce  fut  donc  alors  qu'ils  commen- 
cèrent tous  à  prendre  connaissance   des  ouvrages  de 


294  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

M.  Jansênius,  de  M.  de  Saint-Cjran,  de  M.  Arnauld  et 
des  autres,  dont  ils  furent  très  édifiés  ». 

MM.  Descliamps,  qui  firent  alors  de  si  glorieux  pro- 
sélytes, avaient  eux-mêmes  été  initiés  à  la  doctrine  jan- 
séniste par  un  curé  de  leur  pays,  Jean  Guillebert,  dont 
il  est  à  propos  de  dire  quelques  mots. 

Celui-ci  était  originaire  de  Caen  ;  il  se  fit  recevoir 
docteur  en  théologie  le  7  février  1642,  et  enseigna 
quelque  temps,  à  Paris,  la  philosophie  et  la  théologie. 

Il  résida  pendant  plusieurs  années  dans  le  diocèse, 
en  qualité  de  curé  de  Rouville,  paroisse  du  pays  de 
Caux. 

Il  avait  été  présenté  à  cette  cure  par  Françoise  Pu- 
chot,  veuve  de  Charles  Maignart,  sieur  de  Dernières 
et  de  la  Rivière-Bourdet,  président  au  Parlement  de 
Normandie  (1). 

(1)  Son  mariage  avec  M.  de  Bernières  était  antérieur  au  6  décembre 
1623.  A  cette  date,  baptême  de  Madeleine  fille  de  n.  h.  messire  Ch. 
Maignart,  s^  de  Bernières,  président  en  la  Cour,  et  de  Françoise  Puchot. 
Parrain,  n.  h.  Robert  de  Caradas  ;  marraine,  Madeleine  Maignart,  femme 
M.  de  Lanquetot.  Ch.  Maignart  mourut  le  12  mars  1632,  et  fut  inhumé 
aux  Capucins  de  Rouen  :  «  12  mars  1632,  cinquante-trois  hommes,  en 
habits  de  deuil  vinrent  inviter  le  Chapitre  de  la  cathédrale  à  assister  aux 
obsèques,  de  la  part  de  sa  veuve  et  de  ses  enfants.  »  Elle  fut  chargée  de 
la  garde-noble  de  ses  enfants,  11  avril  1639.  Le  6  mai  1641,  elle  figure 
comme  cohéritière  de  Pierre  Puchot,  s'  de  Cidetot,  commissaire  des  Re- 
quêtes du  Parlement,  avec  Pierre  Puchot,  s^  du  Plessis,  trésoiier  général 
de  France  à  Rouen,  Charles  Puchot,  s»"  des  AUeurs,  conseiller  au  Parle- 
ment, et  Jean  Beiizelin,  éciiyer,  s""  du  Bosc-Mellet.  Sa  fortune  était  con- 
sidérable. Elle  était  dame  de  Beusemouchel,  Rouville,  Yébleron  et  de  la 
seigneurie  de  Chambellan.  Elle  avait  recueilli  toute  la  succession  de  son- 
père,  Jacques  Puchot,  sieur  de  Mont-Landrin,  Maître  ordinaire  en  la 
Chambre  des  Comptes.    Elle  mourut  le   6  mars  1662,  laissant  deux  fiU» 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  295 

Eq  1647,  il  résigna  cette  cure  pour  cause  de  permu- 
tation coutre  le  personnat  d'Yèbleron,  bénéfice  simple, 
qui  ne  requérait  pas  de  résidence,  et  qui  était  également 
à  la  présentation  de  Françoise  Puchot  (1).  Libre  dès  lors 
des  fonctions  d'un  ministère  actif,  il  devint  le  compa- 
gnon ordinaire  du  neveu  de  M.  Duvergier  de  Hauranne, 
M.  de  Baroos,  soit  à  Saint-Cyran,  soit  à  Paris,  où  il 
mourut  le  P''  mai  1666,  âgé  de  soixante-un  ans. 

Pendant  son  séjour  en  Normandie,  il  s'était  acquis, 
si  l'on  en  croit  Thomas  Du  Fossé,  une  grande  réputation 
par  sa  piété,  son  attachement  à  ses  devoirs  et  la  solidité 
de  ses  instructions. 

Il  n'est  pas  douteux  que  ce  personnage  n'ait  exercé 
une  grande  influence  sur  la  société  pieuse  qui  l'avait 
pris  pour  directeur.  On  comptait  parmi  ses  adhérents, 
en  premier  lieu,  M^^  Puchot,  à  qui  il  devait  la  possession 
de  sa  cure  (2),  etJacquesLeRoux,  sieur  deFresles,  Maître 
d'hôtel  ordinaire  du  Roi,  propriétaire  d'une  grosse  terre 
à  Rouville,  par  suite  de  son  mariage  avec  Marie  Puchot, 


Etienne  Maignart,  s^  de  Bernières  et  de  la  Rivière-Bourdet,  et  Philippe 
Maignart,  s»"  de  Haiiville,  président  au  Parlement. 

(1)  Collation,  29  mars  1647,  par  l'évèque  de  Belley,  vicaire  général 
in  pontificalibus  de  larchevéque  de  Rouen,  à  Nicolas  Du  Bois  de  la  cure 
de  Rouville,  vacante  par  la  résignation  de  Guillebert  (Arch.  du  secrétariat 
de  l'Archevécbé) . 

(2)  La  cure  de  Saint-Hermès  de  Rouville,  bien  que  la  paroisse  ne  fut  pas 
étendue,  était  un  bénéfice  avantageux  parce  qu'à  ce  bénéfice  étaient  atta- 
chées la  propriété  de  3  acres  de  terre  et  la  jouissance  de  toutes  les  dîmes. 
D'après  le  rôle  des  vingtièmes  de  1785,  les  revenus  de  ce  bénéfice 
étaient  de  3,000  1. 


296  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

un  des  enfants  de  cette  dame  (1);  plusieurs  gentils- 
hommes du  voisinage,  MM.  de  Bailleul(2) ,  Nicolas  Bou- 
chard, sieur  de  Ik)is-le-Yicomte,  «  célèbre  par  ses  re- 
mèdes »,  dit  Thomas  Du  Fossé  (3)  ;  et  surtout  les  deux 
frères,  Adrien  Deschamps,  sieur  de  la  Bouteillerie  et 
de  Roquefort,  et  Jean  Deschamps,  sieur  de  Cottecotte,  de 
Montaubert  et  des  Landres  (4) .  Ces  deux  derniers  avaient 

(1)  Il  éleva  sa  famille  d'après  les  principes  de  son  curé.  Sou  fils  aîné, 
Charles  Le  Roux,  se  retira  à  Sainî-Cyran  (Mémoires  de  Du  Fossé,  t.  I, 
p.  138,  247;.  11  y  demeurait  lorsqu'il  fit  don  à  Marie  Maillard,  servante 
au  logis  du  feu  s»"  de  Frcsles,  par.  de  Roiivillc,  d'un  petit  héritage  bâti, 
situé  à  Rouville,  7  avril  1666.  (Insinuations  de  Caudebec.)  Le  12  juillet 
1670,  par  acte  passé  à  Saint-Cyran,  il  faisait  don  à  sa  sœur  Marie,  qui 
prenait  l'habit  à  la  Congrégation  de  N.-D.  de  Rouen,  d'une  rente  hypo- 
thécaire de  212  1.  à  laquelle  Marie  Puchot,  devenue  veuve,  ajouta  une 
pension  viagère  de  100  l.  Le  lo  juillet  de  la  même  année,  mention  de  Jac- 
ques Le  Roux,  sr  de  Fresles,  fils  d'Hector  Le  Roux  et  de  Jeanne  Roque,  et 
petit-fils  d'un  Guillaume  Le  Roux,  anobli  par  lettres  du  mois  de  novembre 
1578,  vérifiées  le  11  mai  lGo6,  et  portant  pour  armes  :  de  sable  au  léo- 
pard d'argent  passant  en  3  roses  d'or,  2  en  chef  et  1  en  pointe. 

(2)  MM.  de  Caillcul,  savoir  :  Ch.  de  Railleul,  s^  de  Driimare,  marié  à 
Marie  du  Mesnicl  ;  François  de  Railleul,  chevalier,  s""  de  Vilmesnil,  capi- 
taine d'infanterie,  Nicolas  de  Railleul,  écuyer,  s""  de  Vattetof,  et  Alexandre 
de  Railleul,  chevalier  de  Malte. 

(3)  Mémoires,  t.  III,  p.  13. 

(4)  Adrien  Deschamps,  écuyer,  s'  de  la  Routcillerie  et  de  Roquefort, 
avait  son  domicile  à  Envronville.  Il  avait  épousé,  en  1635,  Jeanne  Asselin, 
dont  il  n'eut  point  d'enfants.  Il  mourut  le  2S  septembre  1662.  Il  n'était 
que  patron  honoraire  de  Roquefort.  En  cette  qualité,  il  obtint  des  reli- 
gieux de  la  Madeleine  de  Rouen,  patrons  présentateurs,  la  permission  de 
faire  démolir  un  côté  du  chancel  de  l'église  pour  y  faire  construire,  à  la 
place,  une  sacristie  et  un  lieu  pour  son  banc,  21  août  1645. 

Jean  Deschamps,  s""  de  Cottecotte,  Montaubert  et  des  Landres,  avait 
son  domicile  à  Cliponvijle.  11  aytiit  épousé,  le  9  juin  1626,  Elisabeth  de 
Bin,  de  laquelle  il  eut  neuf  enfants.  Il  mourut  le  9  août  1677.  Il  signa, 
comme  parent,  au  contrat  de  mariage,  pass>  en  la  maison  de  .M.  Halle  de 


CLASSE   DES   BELLES-LETTRES  297 

subi  au  plus  haut  degré  l'influence  du  curé  de  Rouville. 
«  Quand  Dieu,  écrit  Thomas  Du  Fossé,  eut  touché  les 
cœurs  de  ces  deux  gentilshommes,  ils  se  donnèrent 
tout  entiers  aux  bonnes  œuvres.  Ils  firent  bâtir,  l'un 
et  l'autre,  un  hôpital  dans  leurs  terres.  M.  Des  Lan- 
dres,  qui  avoit  10  enfants,  mit  10  lits  dans  le  sien, 
et  M.  de  la  Bouteillerie,  qui  n'avoit  point  d'enfants,  en 
mit  20  dans  celui  qui  étoit  au  bout  de  son  parc.  Dieu 
bénit  leur  charité,  il  daigna  les  choisir  pour  être  les 
instruments  de  plusieurs  conversions.  Ce  furent  eux 
qui,  après  avoir  montré  la  voie  du  salut  au  fameux 
M.  Pascal  etàM"^  sa  sœur,  portèrent  M.  Pascal  le  père, 
alors  Intendant  de  Normandie,  à  se  donner  entièrement 
à  Dieu  (1).  » 

Depuis  plusieurs  années,  Etienne  Pascal  n^était  point 
un  étranger  pour  eux  ;  il  avait  pour  collègue  M.  Halle 
de  Mouflaines,  Maître  des  Requêtes,   qui   était  leur 

Mouflaines,  entre  Jacques  Godard  s''  de  Belbeuf  et  Marguerite  Hébert, 
fille  du  procureur  général  en  la  Chambre  des  Comptes.  Un  de  ses  fils, 
Nicolas,  demeurait  en  1670,  chez  l'évêque  de  Comminge.  Les  armes  de 
cette  famille  étaient  :  d'argent  à  3  perroquets  de  sinople. 

Donation  faite  par  N-s  Deschamps,  escuyer,  chanoine  de  Tournay,  à  ses 
sœurs,  Anne  et  Marie  Deschamps  des  Landres,  de  h  tierce  partie  des  biens 
provenant  de  la  succession  de  d4funt  Jean  Deschamps,  écuyer,  s""  des 
Landres  et  de  Montaubert,  et  d'Elisabeth  de  Biii,  16  mai  1G82. 

Donation  par  ?>.  Deschamps,  écuyer,  chanoine  en  lu  cathédrale  de 
Tournay  en  Flandre  et  y  demeurant,  cohéritier  en  la  succession  de  son 
frère  Jean-Augustin  Deschamps,  vivant  chevalier  de  l'ordre  de  >\-D.  du 
Mon'-Carmel  et  de  Saint-Lazare  de  Jérusalem,  commandeur  de  Dampmar- 
tin,  gentilhomme  ordinaire  do  la  Chambre  de  S.  A.  S.  Mgr  le  Prince,  à 
ses  sœurs,  Anne  et  Marie  Deschamps,  demoiselles  des  Landres,  demeurant 
àEnvronville,  28  février  1687.  (Insinuations  de  Caudebec,  17  avril  1687). 

(1)  Mémoires  de  lliomas  du  Tossé,  t.  I,  p.  141. 


298  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

proche  parent,  et  chez  qui  il  avait  eu  l'occasion  de  les 
rencontrer.  En  1642,  sur  la  requête  d'Adrien  Des- 
cliamps,  il  avait,  avec  Claude  de  Paris,  rendu  une  ordon- 
nance qui  déchargeait  des  droits  de  confirmation  de 
noblesse  les  enfants  mineurs  d'Antoine  Deschamps,  leur 
frère,  décédé  à  Envron ville  en  1636,  ce  qui  était,  du 
même  coup,  reconnaître  authentiquement,  l'ancienneté 
de  la  noblesse  des  Deschamps. 

11  est  à  croire  que,  dans  la  famille,  on  savait  gré  à 
Etienne  Pascal  de  ce  service  ;  et,  comme  à  l'exemple 
de  beaucoup  de  gentilshommes  de  campagne^  les  deux 
frères  se  flattaient  de  quelque  habileté  en  fait  de  chi- 
rurgie et  de  traitement  des  malades,  il  n'est  pas  éton- 
nant qu'Etienne  Pascal  se  soit  confié  à  leurs  soins,  bien 
qu'à  cette  époque,  Rouen  ne  comptât  pas  moins  d'une 
trentaine  de  maîtres  en  chirurgie,  dont  il  m'est  difficile 
de  supposer  le  savoir  inférieur  à  celui  que  des  prati- 
ciens amateurs  avaient  pu  acquérir  par  l'expérience  (1). 

Il  est  vrai  que  ces  maîtres  en  chirurgie  étaient 
moins  au  fait  des  questions  religieuses  que  les  fervents 
disciples  du  curé  de  Rouville.  Comme  ces  questions 
passionnaient  alors  les  esprits,  qu'elles  divisaient  la 
société  religieuse  à  Rouen  comme  ailleurs,  il  est  impos- 
sible d'admettre  que  la  famille  Pascal  y  fût  restée  jus- 
qu'alors étrangère. 

D'ailleurs  les  Pascal  n'avaient-ils  pas,  à  Rouen,  pour 
curé  et  pour  très  proche  voisin  un  homme  qui  marque 
dans    l'histoire  du  jansénisme  et  de  Port-Royal?  je 

(1)  27  Maîtres  chirurgiens  nommés  dans  une  procuration  notariée  du 
24  septembre  1640.  Tab.  de  Rouen,  minutes  de  Ferment. 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  299 

veux  parler  de  Charles  Maignart,  curédeSaiûte-Croix- 
Saint-Ouen  depuis  1616  (1).  Il  avait  succédé  à  François- 
Bourgoing  comme  supérieur  de  l'Oratoire  de  Rouen, 
en  1631.  En  1637,  il  n'était  plus  supérieur  de  cette 
communauté,  à  laquelle  l'archevêque  de  Rouen  était 
attaché  plus  qu'à  aucune  autre  ;  mais  il  conserva  sa 
cure  jusqu'en  1643.  Cette  année,  il  s'en  démit  en  faveur 
de  François  de  Sainctpé  pour  cause  de  permutation 
contre  une  chapelle  à  Compiègne  et  ie  prieuré  de  Saint- 
Blaise-de-Sairlhac(?)  au  diocèse  de  Clermont.  Il  se  retira 
alors  à  Port-Royal  avec  sa  belle-sœur  Anne  Halle, 
veuve  de  l'avocat  Jean  Maignart.  Il  y  mourut  le  15  jan- 
vier 1650,  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans.  Son  nom  est 
cité  avec  de  grands  éloges  dans  le  Nécrologe  de  cette 
maison. 

C'était  un  homme  rigoureux  dans  la  défense  de  ses 
intérêts  et  de  ses  droits,  à  en  juger  par  quelques  procès 
qu'il  eut  à  soutenir,  notamment  contre  les  religieux  de 
Saint-Ouen  qui  ne  lui  reconnaissaient  que  la  qualité  de 
vicaire  perpétuel.  En  1634,  il  présentait  à  l'archevêque 
une  requête  tendant  à  ce  que  les  pensionnaires  des 
Ursulines,  couvent  établi  sur  sa  paroisse,  fussent  obli- 

(l)  Il  était  né  en  1595.  Il  avait  appartenu  d'aburd  au  diocèse  d'EvTCUx. 
Le  cardinal  de  La  Rochefoucauld,  grand  aumônier,  le  nomma,  le  18  août 
1630,  à  l'une  des  huit  chapclleuies  de  l'Hôpital  du  Roi,  à  Rouen,  qui 
devint  l'Oratoire.  D'après  Thomas  du  Fossé  il  aurait  appartenu  à  la  fa- 
mille des  Maignart  de  Bornieres.  Je  ne  sais  ce  qu'il  était  à  Pierre  Mai- 
gnart, docteur  en  médecine  à  Rouen,  qui  visita  Madeleine  Bavent  en 
septembie  1643,  et  fit  paraître,  en  1644,  le  «  Traicté  des  marques  des 
possédez  et  la  preuve  de  la  véritable  possession  des  Religieuses  de  Lou- 
viers.  » 


300  ACADÉMIE    DE    ROUEN 

gées  à  faire  la  communion  pascale  dans  son  église.  Le 
12  janvier  1643,  il  faisait  signifier  aux  mêmes  reli- 
gieuses son  opposition  à  ce  que  le  corps  d'une  des  pen- 
sionnaires fût  inhumé  sans  sa  permission  et  sans  qu'on 
lui  eût  payé  ses  droits  curiaux. 

11  avait,  de  bonne  heure,  adopté  la  doctrine  du  jan- 
sénisme, et  il  S9  donna  la  mission  de  la  propager,  non 
seulement  par  la  parole,  m^ais  par  des  écrits  en  vers  et 
en  prose.  Un  factmn  qu'il  avait  publié  fut  vivement 
attaqué  par  un  augustin  nomm.é  Martin  Le  Noir.  Mai- 
guai  t  y  répondit  par  un  livre  publié,  en  1638,  sous  le 
titre  de  Stances  chrétiennes  pour  louer  Dieu,  nous 
humilier.,  avec  cette  épigramme  empruntée  à  Origène  : 
Sive  quod  gesseris  sine  fide,  sive  locutus  fueris^  sive 
etiara  cogitaveris,  'p^ccas. 

Il  le  dédia  aux  évêques  de  la  province  comme  une 
œuvre  consacrée  à  la  pure  doctrine.  Martin  Le  Noir  y 
est  durement  traité  dans  des  quatrains  «  contre  un 
certain  livre  nouveau  qui  enseigne  que,  sans  la  grâce 
intérieure  de  Jésus-Christ,  nous  pouvons  quelquefois 
bien  vivre,  éviter  le  péché  et  faire  des  œuvres  vérita- 
blement bonnes  ». 

Le  Noir  est  aux  yeux  sains  toujours  désagréable 
Le  Noir  mcsme  aux  esprits  excite  des  horreurs. 
Le  Noir  va  publiant  sa  doctrine  effroyable 
Le  Noir  n'est  pas  si  noir  que  son  livre  d'erreurs. 

Sainctpé,  qui  lui  succéda  comme  curé,  résigna  sa 
cure  pour  cause  de  permutation  en  faveur  d*un  nommé 
Alleaume,  curé  de  Saint-Paul  d'Orléans,  au  mois  de 
juin  1648.  Je  le  vois  qualifié  de  supérieur  de  l'Oratoire 


CLASSE  DES  BELLES-LETTRES  301 

le  13  septembre  1642,   le  11  février  1643.  le  29  sej}- 
tembre  1648. 

Nul  doute  pour  moi  que  la  famille  Pascal  n'ait  été  en 
relations  suivies  avec  Maignart  et  Sainctpé.  Mais,  bien 
que  plus  tard  l'Oratoire  ait  eu  la  réputation  d'adhérer 
aux  principes  du  jansénisme,  il  me  paraît  très  douteux 
que  Sainctpé  ait  partagé  les  opinions  de  son  prédéces- 
seur, et  il  est  certain  que  quelques-uns  des  orato- 
riens  les  plus  marquants  se  montrèrent,  au  début  du 
moins,  opposés  à  la  doctrine  janséniste. 

Je  n'en  veux  pour  preuve  que  le  passage  d'une  lettre 
adressée  aux  Carmélites  de  Rouen  par  le  P.  Gibieuf, 
prêtre  de  l'Oratoire,  leur  supérieur,  pour  leur  défendre 
la  lecture  des  livres  qui  traitaient  des  matières  conten- 
tieuses  du  temps,  sçavoir  de  la  pénitence  et  de  la  fré- 
quente communion,  de  la  grâce  et  de  la  prédestiiua- 
tion. 

«  J'ay  à  vous  dire  que  ces  gens  qui  se  piquent  de  la 
pureté  de  l'évangile,  de  la  sainteté  des  premiers  siècles 
de  l'église  et  do  zèle  pour  la  doctrine  de  saint  Augus- 
tin, et  toutefois,  ils  sont  fort  éloignez  de  l'humble  dis- 
position d'esprit  qui  a  rendu  ce  saint  émincLt  entre  les 
Docteurs  de  l'église  autant  que  la  clarté  et  solidité 
de  ses  lumières.  Car  S.  Augustin  a  soubmis  constam- 
ment toute  sa  doctrine  à  l'église,  et  au  chef  de  l'église, 
et  ces  Messieurs,  voyant  un  de  leurs  livres  censuré 
par  le  pape,  non  seulement  nes'i  sont  pas  soubmis  avec 
la  révérence  que  cela  se  doit,  mais  ont  eu  la  hardiesse 
d'escrire  contre  la  censure,  quelques  remonstrances 
que  quelques-uns  de  leurs  amys  leurs  ayent  pu  faire, 


302  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

lesquels  aussy  s'en  sont-ils  séparez  ensuite  de  ce  témoi- 
gnage manifeste  de  présomption  d'esprit.  Ils  se  yantent 
de  faire  profession  de  la  pureté  de  l'évangile,  et  ils  ne 
vojent  pas  que  toute  leur  foi  s'en  va  en  parade  et  à  un 
extérieur  spécieux,  qui  n'est  bon  qu'à  les  tromper  eux- 
mesmes. 

«  Vous  ne  lirez  donc  point  leurs  livres  ny  leurs  apo- 
logies, qui  sont  remplies  d'altercation,  ny  les  livres  des 
Pères  qu'ils  ont  traduits  en  notre  langue.  J'adjouste  à 
cette  deffense  leurs  catéchismes  ou  théologie  morale 
familiaire,  leurs  livrets  de  dévotion,  leurs  lettres,  la 
vie  de  S.  Bernard  avec  leurs  reflections etc.,  car  tout 
cela  e^t  marqué  à  leur  marque  et  insinue  insensible- 
ment à  ceux-mesme  qui  les  lisent  sans  dessein  la  singu- 
larité de  leur  esprit  et  le  mespris  qu'ils  ont  pour  l'église 
présente.  »  (De  Paris,  13  juillet  1648)  (1). 

Mais  il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  le  sentiment  de 
cet  oratorien  fût  celui  qui  prédominait  à  Rouen.  Le 
jansénisme  avait  de  nombreux  partisans  au  Chapitre  de 
la  cathédrale  et  dans  le  clergé  paroissial,  et  l'on  s'ex- 
plique aisément  que  de  nombreux  laïques,  même  parmi 
les  plus  religieux,  aient  suivi  en  cela  la  direction  de 
leurs  guides  naturels  et  ordinaires. 

Lorsque  nous  aurons  rappelé  qu'à  peine  converti, 
Biaise  Pascal  forçait  la  main  de  l'archevêque  pour 
obtenir  contre  Saint-Ange  une  condamnation  publique 
et  sévère;  lorsque   nous  aurons  dit  qu'épuisé  par  les 

(1)  Archives  delà  S.-Inf.  F.  des  Ursulines.  On  voit  cependant  Gibieuf 
figurer  dans  le  «  Nécrologe  des  plus  célèbres  Défenseurs  de  la  Vérité  du 
xvu«  siècle,  MDCCLXl  ». 


CLASSE  DES  BELLE S -LETTRES  303 

ejBforts  de  son  génie,  il  était  dès  lors  dans  un  état  de 
santé  déplorable;  qu'il  avait  été  atteint  d'une  sorte  de 
paralysie  et  obligé  de  marcher  avec  des  béquilles, 
avec  ces  faits  présents  à  notre  esprit,  le  reste  de  sa 
vie,  malgré  une  interruption  de  vie  mondaine,  dont  il 
faut  se  garder  d'exagérer  la  gravité,  nous  paraîtra  en 
parfait  accord  avec  les  années  qu'il  avait  passées  à 
Rouen. 

On  en  pourrait  dire  autant  de  sa  sœur  Jacqueline,  qui 
retrouva,  étant  à  Paris,  l'homme  dont  l'influence  s'était 
f  lit  sentir  sur  elle  à  Rouen,  Guillebert,  curé  de  Rou- 
ville,  qui  l'affermit  dans  sa  résolution,  toujours  com- 
battue par  son  père,  d'entrer  à  Port-Royal. 

Il  est  remarquable  que  cette  maison  servit  de  retraite 
à  diverses  personnes  que  la  famille  Pascal  avait  con- 
nues à  Rouen  et  sur  la  paroisse  même  de  Sainte-Croix- 
Saint-Ouen,  Charles  Maignart,  sieur  de  Bernières, 
Maître  des  Requêtes,  Madame  Beuzelin,  Pierre  Thomas 
du  Fossé,  M.Boujonnier,  fils  du  chirurgien  du  Danger, 
et  M.  Deschamps  des  Landres,  qui  nous  est  suffisamment 
connu  (1). 

Yraisemblablement    cet  entraînement  eut  sa  cause 

dans  une  influence  locale  qu'il  y  aurait  quelque  intérêt 

à  découvrir,  mais  cela  m 'écarterait  de  mon  sujet,  que 

j'ai  peut-être  déjà  trop  étendu,   au   risque    ie  lasser 

votre  patience. 

(1)  -Pascal  eut  aussi  l'occasion  de  connaître,  comme  ami  de  Port- 
Royal,  un  ecclésiastique  de  Paris,  Pierre  Le  Roy  de  la  Poterie,  frère  de 
Charles  Le  Roy  de  la  Poterie,  lequel  était  Intendant  de  la  Généralité 
d'Alençon,  dans  le  temps  où  Etienne  Pascal  remplissait  des  fonctions 
analosrues  dans  la  Généralité  de  Rouen. 


304  ACADÉMIE    DE    ROUEN 


CONTRAT     DE    MARIAGE     DE      GILBERTE     PASCAL 
ET     DE     FLORIN    PÉRIER    (1641). 

Du  lundi  aprez  midi  quinzième  jour  d'avril  mil  six  cens 
quarante  ung,  à  Rouen. 

Furent  présens  M'  Florin  Parier,  conseiller  du  Roy  en  sa 
court  des  Aydes  de  Clermont  Ferrant,  fils  de  noble  Jean 
Parier,  racavaur  payeur  des  gaigas  et  espices  de  M"  de  la 
Sénéchaussée  et  siège  présidial  dud.  Clermont  Ferrant,  et  de 
dame  Jeanne  Parrinet,  ses  père  et  mère,  d'une  part,  et 
M"  Estienne  Pascal,  conseiller  du  Roy  en  sas  Conseils  et  cy- 
davant  présidant  en  lad.  court  des  Aydes  de  Clermont  Fer- 
rant, et  damoiselle  Gilberte  Pascal,  sa  fille  et  de  feu  damoi- 
sella  Anthoinccte  Begon,  ses  père  et  mère,  d'une  autre  part, 
lesd.  sieurs  et  damoiselle  estans  de  présent  en  ceste  ville  de 
Rouen,  lesquels  pour  parvenir  au  mariage  qui,  au  plaisir  de 
Dieu,  sera  faict  et  célébré  an  face  de  Sainte  Eglize,  suivant 
les  constitutions  canonicques  entre  led.  s»"  Parier,  d'une  part, 
et  lad.  damoiselle  Gilberte  Pascal,  d'autre,  ont  arraslé  antre 
eux  les  dons,  promesse  et  convensions  qui  ensuivent  ainsy 
qu'elles  ont  esté  arrestez  entre  lesd.  Florin  Perier,  Estienne 
et  Gilberte  Pascal  et  lesd.  Jean  Perier  et  Jeanne  Parrinet, 
par  les  articles  par  tous  les  susnommez  signez  et  recongnus 
par  devant  notaires  et  tabellions,  sçavoir  par  lesd.  Jean 
Perier  et  Jeanne  Perrinet,  à  Clermont,  par  devant  Moron, 
notaire  royal,  le  premier  jour  du  mois  de  janvier  dernier 
passé,  et,  par  lesd.  Florin  Perier,  Estienne  et  Gilberte  Pascal, 
ce  jour  d  huy,  en  ceste  ville  de  Rouan,  par  devant  les  tabel- 
lions qui  ont  recau  le  présent  contract,  c'est  assavoir  :  que 
led.  s'  conseiller  Perier,  de  lauctorité  de  ses  d.  père  et  mère, 
et  la  d.  damoiselle  Gilberte  Pascal,  soubs  celles  du  d.  s""  son 
père,  promectent  lun  à  laulre  de  s'épouser  en  face  de  notre 
mère  sainte  Esglize  suivant  les  d.  constitutions  canonicques; 
et  led.  s'  Perier  père,  an  faveur  dud.  mariage,  donne  et  cons- 


CLASSE    DES    BELLES-LETTRES  305 

titue  aud  s'  Perier,  son  fils,  led.  estât  et  office  de  conseiller  en 
lad.  court  des  Aydes  dont  led.  s'  filz  est  titullere,  et  en  outre 
tous  et  chacuns  les  biens  à  luy  apartenantz,  scituez  dans  la 
justice  de  VoUuit,  séneschausee  de  Ryoum  (Riom),  de  quelque 
nature  que  soyent  les  d.  biens,  soit  maisons,  granges,  prez, 
terres,  noyers,  cens,  rentes  fontières  et  rentes  en  directes 
seig"'%  et  générallement  en  quoy  qu'ilz  puissent  consister, 
le  tout  exempt  de  toutes  debtes  et  ypotecques  ;  plus  luy 
donne  et  constitue  la  somme  de  mil  livres  qui  luy  seront 
payez  en  meubles  et  ustencilles  de  maison,  et  la  somme  de 
seize  cens  livres  en  deniers,  pour  subvenir  à  partye  des  frais 
du  présent  mariage;  et,  outre  ce,  l'institue  dès  à  présent  son 
seul  héritier  universel  en  tous  et  chacuns  ses  biens,  meubles 
et  ymeubles,  qui  se  trouverront  luy  apartenir  lors  de  son 
décedz,  soubz  la  réserve  néanmoings  d'en  pouvoir  disposer 
au  proffit  de  qui  bon  luy  semblera;  et,  d'autant  que  lad. 
constitution  d'héritier  ne  seroit  pestre  (sic)  vallable  s'il 
n'estoit  parlé  en  ce  présent  traicté  de  damoiselle  Cathe- 
rine Perier,  fille  dud.  s'  Perier,  led.  s'  Perier  père  la  docte 
et  apanne  à  la  somme  de  sept  mil  quatre  cens  livres  qui 
est  pareille  somme  que  celle  qu'il  a  cy-devant  constituée 
à  chacune  des  damoiselles  Marguerite  et  Marie  Perier,  ses 
autres  deux  filles,  sans  que  lad.  dottation  et  empanage  puisse 
empescher  led.  s"  Perier  de  luy  donner  plus  grande  somme, 
soit  par  contrat  de  mariage,  testament,  donnation  entre  vifz 
ou  autrement,  ainsy  que  bon  luy  semblera;  et  lad.  dame 
Parrinet,  mère  dud.  s'  futur  espoux,  en  faveur  aussy  dud. 
mariage,  conformément  ausd.  articles,  donne  et  constitue 
aud.  s'  futur  espoux,  son  filz,  la  somme  de  six  cens  livres 
payable  aprez  son  décedz. 

Et  led.  s'  Pascal,  en  faveur  de  mesme  dud.  mariage,  donne 
et  constitue  à  lad.  future  espouze,  en  advancement  d'hoirie, 
sept  cens  cinquante  livres  de  rente  constituez  sur  l'Hostel-de- 
ville  de  Paris,  faisant  en  principal,  à  raison  du  denier  dix 
huictj  la  somme  de  treize  mil  cinq  cens  livres,  pour  paye- 

20 


306  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

ment  de  laquelle  somme  de  sept  cens  cinquante  livres  de 
rente  led.  s'  Pascal  fera  cession  et  transport  audit  s'  futur 
espoux  de  pareille  somme  de  sept  cens  cinquante  livres  de 
rente  sur  celles  qui  sont  deubz  aud.  s'  Pascal  et  à  luy  cons- 
tituez sur  led.  Hostel-de-Ville  de  Paris,  à  prendre  sur  les 
tailles,  pour  en  jouir  par  led.  s'  futur  espoulx  de  ce  jour 
d'huy,  laquelle  rente  led.  s'  Pascal  promet  garantir  de  toutes 
debtes  et  ypotecques.  De  plus,  rapportant  par  lad.  damoiselle 
future  espouse  lesd.  sept  cens  cinquante  livres  de  rente,  led. 
s'  Pascal  l'institue  son  héritière  avecq  ses  autres  enfiens  naiz 
et  à  naistre  de  tous  et  chacuns  ses  biens,  meubles  et  im- 
meubles, desquelz  il  se  trouverra  saisy  lors  de  son  décedz, 
se  reservant  néantmoings  led.  s'  Pascal  le  pouvoir  de  dispo- 
ser par  testament,  donnation  entre-vifs  ou  autrement,  de  la 
huictième  partye  de  ses  biens  au  profiQt  de  qui  bon  luy  sem- 
blera. Et  outre  ce  led.  s'  Pascal  se  départ,  au  profiQt  de  lad. 
future  espouse,  de  l'usuflruit  de  la  somme  de  quatre  mil  cinq 
cens  livres,  tierce  partye  de  treize  mil  cinq  cens  livres,  à 
quoy  monte  toutte  la  succession  de  lad.  feue  damoiselle 
Anthoinette  Begon,  sa  femme,  lequel  usufïruit  luy  est  acquis 
la  vie  durant  par  les  us  et  coustumes  de  la  province  d'Au- 
vergne et  particuUièrement  par  celle  de  la  ville  de  Clermont, 
où  led.  s'  Pascal  estoit  résident  lors  de  la  passacion  de  son 
contract  de  mariage;  et  lad.  damoiselle  future  espouse; 
soubz  l'auctorité  dud.  s'  son  père,  se  constitue  la  somme  de 
trois  mille  livres  qui  luy  a  esté  léguée  par  defluncte  dame 
Anthoinecte  Fontfreyde,  sa  grand  mère,  lors  veuve  de  feu 
s'  Victor  Begon,  par  le  testament  de  la  d.  Fontfreyde.  Se 
constitue  aussy,  soubz  la  mesme  auctorité,  la  propriété  des 
susdits  quatre  mil  cinq  cens  livres,  à  quoy  monte  la  succes- 
sion de  la  dicte  feue  damoiselle  sa  mère,  les  autres  deux  tiers 
apartenant  à  noble  Blaize  Pascal  et  à  damoiselle  Jacqueline 
Pascal,  ses  frère  et  sœur.  Les  futurs  mariez  seront  unys  et 
communs  en  tous  leurs  biens  meubles  en  tous  leurs  conc- 
questz  immeubles,  du  jour  de  la  bénédiction  nuptialle  selon 


CLASSE    DES   BELLES-LETTRES  307 

la  coustume  de  Paris  en  quelques  lieux  que  les  d.  biens  puis- 
sent estre  scituez,  laquelle  communauté  led.  futur  espoux 
accorde  en  faveur  de  la  d.  future  espouze,  par  forme  d'ad- 
vantage  et  augment  de  dot,  eu  esgard  à  la  demeure  et  sci- 
tuation  des  biens  dud.  s""  futur  espoux,  qui  sont  en  pays  de 
droit  escript,  où  la  communaulté  n'a  lieu,  et  nonobstant  led. 
droit  escript  et  toutes  coustumes  à  ce  contraires,  ausquelles 
lesd.  futurs  mariez  desrogent  par  ce  présent  traicté,  qu'ils 
veullent  estre  fait  suivant  lad.  coustume  de  Paris,  fors  et 
exepté  en  ce  que  par  lad.  coustume  il  ne  leur  seroit  pas  per- 
mis de  disposer  de  leurs  biens  à  leur  volonté,  soit  par  testa- 
ment, donnation  entre  vifs,  contract  de  mariage  ou  autre- 
ment, entendant  les  d.  futurs  mariez,  pour  ce  chef,  ne  se 
point  abstraindre  à  la  d.  coustume  de  Paris,  ains  se  régir 
comme  en  pays  de  droict  escript,  c'est  à  dire  de  pouvoir  dis- 
poser de  leurs  biens  au  proffit  de  qui  et  comme  bon  leur 
semblera,  mesme  au  proffit  l'un  de  l'autre,  encore  que  lesd. 
dispositions  ne  soient  réciproques,  ainsy  qu'il  se  pratique  en 
la  ville  de  Clermont,  où  le  d.  s""  futur  espoux  réside  à  présent, 
desquelz  susd.  biens  présentement  constituez  ausd.  futurs 
mariez,  meubles  ou  imeubles,  il  en  entrera  en  leur  future 
communaulté,  de  la  part  de  chacun  d'eux,  la  somme  de  six 
mille  livres,  et  le  surplus  leur  sortira  et  aux  leurs  nature  de 
propre.  Le  d.  s""  futur  espoux  doue  sa  future  espouze  de  la 
somme  de  six  cens  livres  de  douaire  prélîx,  à  prendre  par 
chacun  an,  durant  sa  viduitté  seullement,  sur  tous  les  biens, 
meubles  et  immeubles,  présens  et  advenir  du  d.  s""  futur 
espoux.  Sy  tost  que  douaire  aura  lieu,  le  survivant  des  d. 
futurs  mariez  pour  ses  livres,  armes  et  chevaux,  sy  c'est  led. 
futur  espoux,  ou  pour  ses  bagues  et  joyaux,  sy  c'est  la  d. 
future  espouze,  prendra  par  préciput  et  avant  part  des  biens 
de  lad.  communauté  la  somme  de  cinq  mille  livres;  et,  en 
cas  qu'il  y  eust  renonciation  à  la  communauté,  le  survivant 
prendra  les  d.  cinq  mil  livres  sur  les  biens  propres  du  pré- 
décédé. S'il  arrive  que  led.  s' futur  espoux  sans  avoir  disposé 


308  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

de  ses  biens  vienne  à  décedder  sans  enffans,  ou  que,  laissant 
des  enffans,  iceux  déceddent  aussi  sans  enlïans  et  sans  avoir 
disposé,  tous  les  susd.  biens  constituez  par  led.  s'  père  aud. 
s'  futur  espoux  reviendront  aud.  s'  Perier  père,  à  la  réserve 
des  droictz  acquis  sur  iceux  à  lad.  future  espouze  par  ce  pré- 
sent traicté;  pareillement,  s'il  arrive  que  lad.  future  espouze, 
sans  avoir  aussy  disposé  de  ses  biens  vienne  à  décedder  sans 
enfïans,  ou  que,  laissant  des  enflans,  iceux  déceddent  aussy 
sans  enfïans  et  sans  avoir  disposé,  led.  s'  Pascal  père  veult 
et  entend  que  la  rente  qu'il  luy  a  constituée  sur  le  d.  Hostel- 
de-Ville  de  Paris  luy  revienne,  ensemble  les  quatre  mil  cinq 
cens  livres  de  l'usufïruit  desquelz  il  s'est  départy  par  ce  pré- 
sent traicté,  pour  jouir  par  luy  s'  Pascal  dud.  usuffruit  comme 
il  faisoit  auparavant  ces  présentes,  à  la  reserve  aussy  des 
droicts  acquitz  sur  les  d.  biens  aud.  s'  futur  espoux  par  les 
conventions  cy-dessus.  Arrivant  la  dissolution  de  lad.  future 
communaulté  par  le  décedz  de  lun  des  d.  futurs  mariez,  s'il 
y  a  enfïans  ou  poslume  dud.  mariage,  les  biens  d'icelle  com- 
munaulté seront  partagez  entre  le  survivant  et  les  héritiers 
du  prédéceddé  dans  l'an  d'aprez  le  décedz  dud.  prédéceddé; 
et,  en  cas  que,  lors  du  décedz  de  l'un  des  futurs  mariez,  il 
n'y  eust  aucuns  enfïans  ny  postume  dud.  mariage,  le  survi- 
vant sera  usulïrittaire  de  tous  les  biens  de  lad.  communaulté 
et  d'iceux  il  demeurera  saisy  sa  vie  durant,  sans  en  bailler 
aucune  cauxtion;  et,  au  cas  de  lad.  dissolution  de  commu- 
naulté, de  quelque  façon  qu'elle  arrive,  la  d.  future  espouze  et 
ses  héritiers  y  pourront  renoncer  dans  l'an  d'aprez  l'inven- 
taire fait,  et,  en  y  renonceant,  reprendre  franchement  et 
quictement  tout  ce  qu'elle  aura  apporté  en  mariage,  son  douaire 
préciput,  c'est  à  dire  gain  de  survie  et  tout  ce  qui  luy  sera 
advenu  et  escheu,  constant  led.  mariage,  par  succession,  don- 
nation  ou  autrement,  sans  estre  tenue  d'aucunes  destes, 
encore  que  lad.  future  espouze  y  eust  parlé  et  s'y  fust  obli- 
gée ou  y  eust  esté  condampnée,  dont  led.  futur  espoux  sera 
tenu  l'acquitter.  Ne  seront  les  d.  futurs  mariez  tenus  des 


CLASSE    DES   BELLES-LETTRES  309 

debtes  l'un  de  l'autre  faictes  et  créez  avant  led.  mariage, 
ains  se  paveront  par  celuy  qui  les  aura  faictz  et  créez  sur 
son  bien.  Sy,  durant  et  constant  led.  mariage,  il  est  vendu 
aucun  propre  appartenant  à  l'un  ou  l'autre  des  d.  futurs 
mariez,  remploy  en  sera  fait  au  profTit  de  celluy  ou  celle  au- 
quel en  propre  apartenoit,  ou  bien  les  deniers  du  prix  de  la 
vente  en  seront  reprins  sur  la  future  communaulté,  sy  tant 
elle  peut  suffire;  et  sy  elle  ne  suffît,  et  que  les  choses  ven- 
dues soient  des  propres  apartenans  à  la  d.  future  espouze, 
lors  le  surplus  sera  prins  sur  les  propres  dud.  futur  espous 
avecq  ceste  condition  que  sy,  devant  et  constant  aussy  le  d. 
mariage,  le  d.  s'  futur  espoux  dispose  desd.  rentes  de  l'Hôtel- 
de-Ville  de  Paris  constituez  à  la  d.  future  espouze  autrement 
que  par  contract  de  vente  ou  permutation,  en  ce  cas,  au  lieu 
des  d.  rentes  il  soit  prins  sur  lad.  communaulté,  sy  elle  suffît, 
la  valleur  des  d.  rentes,  eu  esgard  au  temps  que  la  commu- 
naulté aura  esté  dissolue;  et,  sy  elle  ne  suffît  pas,  la  valleur 
des  d.  rentes  sera  prinse  sur  le  propre  dud.  s'  futur  espoux, 
le  tout  conformément  aux  susd.  articles  signez  et  recongnus 
par  touttes  les  susdites  partyes  en  deux  originaulx,  dont 
l'un  a  esté  laissé  audit  s' futur  espoux,  et  l'autre  aud.  s'  Pas- 
cal, père  de  la  d.  future  espouze  ;  de  touttes  lesquelles  clauses, 
dons  et  conventions  cy-dessus  les  partyes  sont  demeurez 
d'accord  par  devant  les  d.  tabellions  et  promis,  de  part  et 
d'autre,  le  contenu  en  ces  présentes  tenir,  entretenir,  fournir 
et  accomplir  de  poinct  en  poinct,  jouxte  sa  forme  et  teneur, 
sur  l'obligation  de  tous  leurs  biens  meubles  et  héritages, 
présens  et  advenir,  qu'ils  en  ont  obligez  et  obligent  par  ces 
présentes  l'un  envers  l'autre.  En  tesmoing  et  presentz  noble 
Blaize  Pascal,  filz  du  d.  s'.  Lois  Guiller  et  Ignace  David, 
domestiques  des  d.  s''^ 

Signé  : 
Pascal  Perier 

Pascal  G.  Pascal 

L.  Guiller  J.  David 

Du  Bosc  Le  Picart, 

avec  paraphes  à  chaque  signature. 


310  ACADÉMIE  DE  ROUEN 

En  marge  du  1"  feuillet  de  ce  contrat. 

L'an  de  grâce  mil  vi^  xlii,  le  vendredy  avant  midy,  sixième 
jour  de  septembre,  devant  les  tabellions  roiaux  à  Rouen  soubz 
signez,  fut  présent  le  d.  s'  Florin  Perier  lequel  a  recongnu 
et  confessé  avoir  receu  comptant  dud.  sieur  Pascal  en  francz 
testons  escuz  d'or  et  monnoie  aians  cours,  la  somme  de 
quatre  mil  cinq  cens  livres  t.  mentionnée  en  ce  présent 
traicté,  de  l'usufïruict  desquelz  le  d.  s""  Pascal  s'est  départy 
par  icelles,  et  dont  la  proprietté  appartient  à  la  d.  damoiselle 
Gilberte  Pascal,  y  nommée,  comme  héritière  pour  ung  tiers  de 
feue  damoiselle  Anthoinette  Begon,  sa  mère,  de  laquelle 
somme  de  iiii""  v*^  livres,  comme  aussi  des  intérestz  jusques 
à  ce  jour  d'huy,  le  d.  s""  Perier  s'est  tenu  content  et  bien 
paie,  et  en  a  quité  le  d.  s' Pascal  et  tous  autres.  Fait  comme 
dessus. 

Signé  :  Perier,  Du  Bosc,  Lepicart. 


PROCURATION    DONNÉE    PAR    ETIENNE    PASCAL   A    SON    FILS   BLAISE 
POUR    RENOUVELER    BAIL   d'UNE   MAISON    A   PARIS   (1645). 

Le  samedy  apprez  midy,  neufiesmede  décembre  m.  vi'  qua- 
rante cinq,  en  l'escriptoire. 

Fut  présent  en  personne  noble  Estienne  Pascal,  conseiller 
du  Roy  en  ses  Conseilz,  cy -devant  président  en  la  Cour  des 
Aydes  d'Auvergne,  commissaire  député  par  Sa  Majesté  en 
la  généralité  de  Roiïen  sur  le  faict  des  tailles  et  subsistances 
des  gens  de  guerre,  logé  en  ceste  ville  de  Rouen  derrière  les 
murs  de  5*  Oûen,  parroisse  de  S"  Croix,  lequel,  de  son  bon 
gré  et  volonté,  a  constitué  et  constitue  noble  Biaise  Pascal, 
son  filz,  pour,  au  nom  du  dit  constituant,  passer  et  consentir 
bail  à  louage  de  la  maison  appartenant  à  Monsieur  Barin, 
conseiller  en  la  Cour  de  Parlement  de  Paris,  seize  en  lad. 
ville  de  Paris,  rue  Brizemiche,  au  cloistre  S'  Merry,  laquelle 


CLASSE   DES   BELLES-LETTRES  311 

maison  led.  s''  constituant  tient,  à  tiltre  de  bail  à  louage,  du 
dit  s'  Barin,  et  a  droict  de  la  tenir  jusques  au  jour  de  S'  Rémy 
prochain  venant,  donnant  pouvoir  à  son  dit  procureur  cons- 
titué de  prendre,  à  nouveau  bail,  au  nom  dudit  constituant, 
lad.  maison  pour  le  prix  et  pour  le  temps  qui  sera  advisé  et 
convenu  entre  led.  s""  Barin  et  led.  s'  Biaise  Pascal,  procu- 
reur constitué,  promettant  icelluy  s'  Pascal  constituant 
d'avoir  aggréable  et  ratiffier  tout  ce  qui  aura  esté  convenu  et 
accordé  par  son  dit  procureur  et  en  donner  acte  de  ratiffica- 
tion  dans  huictaine  après  que  ledit  bail  aura  esté  passé  entre 
led.  s'  Barin  et  son  dit  procureur  constitué.  Présent  Pierre 
Follet  et  Christofle  Chevallot,  demeurant  à  Rouen. 

Signé  :  Pascal,  Denis,  Chevallot.  Follet  (1). 

(1)  L'intérêt  que  présente  cet  acte  est  de  nous  faire  connaître  le  double 
domicile  de  Pascal  à  Rouen  et  à  Paris. 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Échéonce 


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University  of  Ottawa 

Dafe   due 


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a  3900 3    To  0^2! 28 7  b 


B  1903  cB4  1902 

B    f     P    U    R    E    P     P     I     R    E    ,  C    H     P    R    L    E    S  PI 

PfiSCPL  ET  SP  FP 


B    L     P    I     S    E 


CE    8  1903 

•84    1902 

COO       BEAUREPAIRE, 

ACC#    1013366 


BLAISE    PASCA